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Full text of "L'Art moderne [microform]"

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TABLE  DES  MATIÈRES 


DE 


L'ART    MODERNE 


M    /■ 


ETUDES  ET  PORTRAITS 


L'Art  moderne    ...     .     .     ,     .^       .     .     . 

L'artjeuneet  les  JOT.     .     ...     .     .     .     .     .     . 

La  situation  de  l'art  en  Belgique  (à  propos  de  l'Exposi- 
tion internationale  des  Beaux-Arls  à  Anvers)  .     .     . 

L'éducation  de  l'artiste 

Principes  d'art.     .     .  °.     ...     .     .•   .     .     .     . 

Les  apporteurs  de  neuf . 

Ancienne  peinture  et  peinlure  nouvelle    .     .     .     ,     . 
Le  banquet  Manet.     ........... 

De  la  môderniiéidans  l'art  (lettre  de  M.  Rousseau)   .     . 
L'incident  Caron  .     .     .     .     .     .     .'   .     .     .     .     . 

Great  Zwans  exhibition    ...     ,     .     .     .     .     .     .    , 

Les .  zwanzeurs  d'autrefois  (à  propos  d'Eugène  Dela- 

"  croix).     .     .     .     .     . .     , 

Le  Beau  caractériste  .     ,     .     ...     .     .     .     .     . 

Le  Laid  dans  l'art 

Une  bibliothèque  des  dessins     . 

L'Académie.     .     .     .     .     .     . 

Londres.     ....:........, 

Exclusivisme ^ .     .     .     .     . 

Horlogerie  .     ,    :-r'-.-~-^-  .     .     .     .     .     .    ^    .     . 


PAGES. 


1 

34 

129 

132 

374 

413 

221 

9 

147 

65 

74 

.   97 

28 

50,67 

43 

225 

..:.......,,  311 

, ^     .     .     .     .  349 

Haendel  et  Bach  .     ....     .    .     .     .    .     .     .  45 

Les  Maîtres-Chanteurs  .     ...     .     .     .     .     .    60,76,81 

Le  Wagnérisme  à  Bruxelles .     .     .     .     .     .     .     *     ,  153 

Mort  de  Victor  Hugo 161 

A  Victor  Hugo 169 

Victor  Hugo.  L'horreur  sacrée 170 

Id.        L'universelle  humanité  ......  172 

ïd.        En  attendant  la  mort.     .......  174^ 

:,     Id.        La  mort  de  sa  fille    . 174 

Id.        A  Villequicr 176 

id.         CJiant  d'amour     ........  178 

Id.         Les  Châtiments     .     .     .    '.     .     ,     .     .  179 

Id.         La  pitié'^upréme.     .     .          ....  181 

Id.        Le  !«••  juin  1885 183 

Les  origines  de  la  F^*ance  contemporaine. —  La  Révo- 
lution.    .     . .     ..  .     .  309,  317 

Germinal .     .     . 114 

Notre  jeune  littérature 123 

Essai  de  pathologie  littéraire  :  I.  Les  Déliquescents.     .  229 

II.  Les  Décadents .     .     .  238 


III.  Les  incohérents   .     ...     .   \     . 

IV.  Les  Verbolâires  ,.  ,  .     .     .     .     .     . 

V.  Les  Symbolistes . 

Vi.  Les  Symbolistes  ésotériques     .     .     . 
VII.  Les  Bien-portants    .     ."    ,     .     .     . 
Pathologie  littéraire.  Correspondance .     . 
Les  Esthètes    .     .     .     .     .     .     .     .     . 

De  la  publication  des  livres  .     .     .     ^    . 
Les  livres  belges  .     .     .     .     .     .     .     . 

La  primauté  historique  de  l'art  littéraire  . 

Le  plagiat  .    .     . . 

Le  Volapuk.     .    .     ...     .     ... 

Edouard  Agneessens  .    ...    .    .    . 

Charles  Goethals    .     .     ..... 

Joseph  Lies     .    .     .         .     ...     . 

Xavier  Mellery  _     .     .     .  '  .     .     . 

Joseph  Servais 

Jules  Zarembski  .     .     .     .     .     .     .     . 

Bastien  Lepage    .     .     .     .    .     .     .    . 

Edgard  Degas.    .     .     .    .    .    .    .    . 

Renoir 

James  Tissot  ..,    .    ...     .    ... 

J.  M.  W.  TURNER  .     .     .      .  .      .     . 

James  M.  Neill  \Vhi3Tler 

Edmond  About.     .     .     .     .     .     .  _     . 

Henry  Becque.     .     .     .     .     .     .    .     . 

Paul  Bourget.    . 

Edmond  Haraucourt  .     .     .     .     . 

Victorien  Sardou 

Armand  Sylvestre 

Henri  Litolff 


PEINTURE,  SCULPTURE 


PAGES. 

245 

253,261 
269 
278 

286,  301 
312 
296 
374 
349 
273 
239 
293 

i78,  298 
368 

376,  383 

256 

285 

304 

2 

106,  205 
231 
146 
304 
294 
26 
365 
357 
121 
213 
123 
123 


Les  impressionnistes  français     .     . 

L'impressionnisme 

L'impressionniste  Turncr.     .     .     .     '. 

JanToorop  à  Londres.     ..... 

Les  prix  de  Rome.     ...     .     .     . 

A  propos  des  prix  de  Rome  .... 

Les  concours  jugés  par  Eugène  Delacroix 
Beautés  des  jurys  d'admission  .     .     . 


84,  106,  197,  205,  231 

69 

304 

.  .  .  .  .  311 

.  .  .  .  ,  265 

.  .  .  .  .  258 

....  34 

....  110 


^ 


1  ^  ■  .   .        ■       '■■■ 


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N 


.  .       PAQE8. 

Exposition   universelle  d'Anvers.  —  le  j^y  des 
beaux-aris    .    .     .    ...    ...    .    *    •    •  2i 

Id.  Protestalion  des  artistes  .     .     .     .     .    •     .     .     •  37 

Id.  Réunion  des  artistes  bruxellois.     ...     •     .    .89 

(d.  Lettres  de  MM.  Id'Oultremont  et  Edmond  Picard.     .  iOi 

Id.  Cercle  libre  de  V Observatoire.  Séance  du  28  mars 
1885  ..     .     .     .     .     .     ..     ..     .-.     •     .  108 

Exposition  des  Beaux-Arts  d'Anvers.    109,  116, 122,  129. 134, 

142,187,  258,266 
Id.  En  Norwêge    .     .     ....     .     ...     •    .    .325,333 

Le  Salon  libre  de  TEcolo  tiamande .     .    .    .     .    .     .  250,  264 

Exposition  DES  Vingt.    ..;...    .    ,    .     .    41,49,58 

Id.  de  LA  Société  des  Aquarellistes  .    ....    .139,157 

Exposition  des  Hydrophiles .  103,  110 

Id.      del'Essor     .    .     .     .    ;.     .     •     .   .•     •  18 

Id.      DU  "Cercle  artistique  .     .     .    *    .     ..  139,  157 
Au  Cercle  artistique.  —  Exposition  Beltis-Muiideleer .  21 

Id. —  Exposition  Uytterschaut'Frank-Charlel .     .     .  .36 

Id. —       Id..      Cassiers-Numans  ......  94 

Exposition  Z)c/5^aMiC  .     .     .     .     .     .     .     .     .     .     .    ^      110 

Id.      Hlavacek  ..."... 339 

Id.      Meerls.,  ,     .    .    ...    .     .     .    .    .       .411 

Id.      chez  Dietrich .     ...     ....    •     .  63 

GrcatZwans  Exhibition  . 74 

Exposition  artistique  k  Tournai  (corrés^pondance) ,  .     .  299 

Le  jury  du  Salon  de  Paris    .    ,    ...    ,     .     .    .  95 

Le  SalOn  DE  Paris    .     .    .    .    .    .    . 

Les  Médailles  du  Salon    .     .     .    :     .     . 

Exposition  d'EuGÈNErDELACROix     .     .     . 

Id.      de  James  TissoT ,    .    •    .    . 

Gazette  de  Hollande 

Exposition  de  Rotterdam     ..... 

Lettres  de  Londres.  —  Exposition  internationale  des 
inventions    .............  281,  288 

Esposicion  literario-arlistica  à  Madrid.     .     .     .     ...    11 

Mémento  des  expositions  et  concours  :  5, 14,  23,  30^  38,  46,  62, 

70,  87,  134,  202,  195,  218,  227,  266,  274,  283,  330,  394 

Vente  de  Knyff.     .     .     .     ...     .     .     .     .     .     .  226 

Id.  Bovet.     .............  243 

Id.  Van  Moer 403 


154,  162,  183,  189 
...  185 

;    .    .  90 

.    .     .     ^    146 
.     .     .    70,-378 

.      -r      .  193 


ARCHITECTURE 


Le  paysage  urbain     ........... 

Vandalisme  anversois.     .     .     .     .     .    .    .     ,  " .     . 

La  question  du  Sleen.     .......... 

En  voyage 

LITTÉRATURE. 

Paul  Adam.  —  Chair  molle.    .    .    .    .    .     .     .     . 

J.  Barbey  d'Aurevilly.  —  Les  œuvres  et  les  hommes-, 
Alain  Bauquesne.  — ■  Les  amours  codasses   .... 

Camille  Benoit.  —  Les  motifs  lypiquâ  des  Maures- 
•  Chanteuri  ,    .     .     .    .    .    .    .    .;    .    ;    .     . 

Bernal  Diaz  del  Castillo.  —  Histoirtviridique  delà 
conquête  de  la  Nouvelle-Espagne    .    .    .     .    ,    . 

Michel  Brenet.  —  Orétry,  sa  vie  et  sef  œuvres.    .    . 
Ernest  Chesneau.  —  Uéducdlion  de,  Vartisie   .    .    . 


192 

198 
209 
306 


84 

165 
336 

168 

399 
360 
132 


PAGES. 

.  78 
118 

^  271 
351 
38^ 
326 
408 
343 
256 
224 
343 
282 

159 
118 

-   27 

133 
343 
121 
133 

m 

282 
200 


Léon  Cmdei^- — Héros  et  Pantins    .     .    .... 

"^        Id.  Quelques  Sires   .     .     .     .     ... 

Id.  Léon  Cladel  eî  sa  kyrielle  de  chiens  . 

Id.  Les  petits  cahiers  de  Léon  Cladel^    . 

Stanislas  de  Guaita.  *—  Rosa  Mystica  ...     .     . 

Guy  DE  Maupassant.  —  ^e/ ami ^ 

Id.  Monsieur  Parent    .... 

E.  DE  Taeye. — U Ecole  anglaise  :    .     .     .     .     .     . 

Th.  DE  WoELMONT.  —  Nclly  Moc  Edwards .     .     .     . 

Célestin  Demblon.  —  Contes  mélancoliques.     .    .     . 

id.  Le  roitelet  . 

Armand  DuRANTiN.  —  Le  carnaval  de  Nice  .     .     .     . 

Camille  Flammarion.  —  Le-pwnde  avant  la  création 
— de  r homme  .     .     .     .     .    -.     .     .     .     .     .     .     . 

Jean  Fusco.  ^  Isidore  Pistolet,  doctrinaire  de  L'avenir. 
Charles  Fuster.  —  L'âme  pensive,  contes  sans  préten- 

Jean  GiGOUX.  —  Causeries  sur  les  artistes  de  mon 

Arnold  GoFFiN.  —  Le  Journal  d'André.    .    .    .     . 

Edmond  Haraucourt.  —  L'âme  nue  ...... 

Paul  Henrard.  —  Henry  I  Vet  la  princesse  de  Condé, 
Arthur  James.  —  Toques  et  robes.     ....    .    . 

Raoul  Lafagette.  —  Pies  et  Vallées,     .     .    .    .     . 

Jules  Leclercq.  —  Voyage  au  Mexique.  De  New-York 

à  Vera-Cruz    ....     .     . 

Camille  Lemonnier. — L'Hystérique. -^  Le  Hainaut. 

—  Histoire  de  huit  bêtes  et 
d'une  poupée  ....     .  25 

Id.  "     La  province  de  Namur.     .     .  344 

Id.  Les  Concubins    ...     .     .  391 

Jean  Lorrain. —  Viviane  .    ......    .    .         336 

Docteur  LuBKE.  -^  Précis  de  l'Histoire  des  Beaux- 
Arts  . .     .  336 

Victor  Marguerite.  —  La  chanson  de  la  Mer .    .    .  314,  327 
CATUI.LE  Mendès.  —  Po^td*    .     .     ."    .     .     .    .     .118,352. 

Id.  LUa  et  Colette   .    .     .     .    .     .  320 

Francis  Nautet.  —^  Notes  sur  la  littérature  moderne,         263 
Ernest  Orsolle»  —  Le  Caucase  et  la  Perse.    .     .     .     —   201 

JosÉPHiN  Péladan.  —  Le  Vice  suprême  .    .    -.    .    .  4 

Jules  Rouquette.  —  Ce  que  coûtent  les  femmes.    .    .         282 
Jean  Rousseau.  : — Camille  Corot ,    ......         140' 

id.  Hans  Holbein.     .    .     .    .    .    .         140 

Camille  Saint-Saëns.  —  Harmonie  et  Mélodie.    .    ,         361 
Màrius  Sepet.  —  Jeanne  d'Arc    .......         133 

Henry  Stappers.  —  Dictionnaire  synoptique  d'étymo- , 
lOgie  française  .     .     .     ...     .     •     •     •     •    .  159 

Armand  Sylvestre. — Le  chemin  des  étoiles.    .    .    .         278 

Taine.  —  Les  origines  de  la  France  contemporaine    .  .309,  317 
Thélos.  —  Excursions  dans  le  pays  de  Liège  .    .  * . 
Théo-Critt.  -—  Le  journal  d'un  officier  malgré  lui .    , 
André  Theuriet.  —  Péché  mortel.    ...... 

Edmond  Van  der  Straeten.  —  Les  musiciens  néerlan- 
dais en  Espagne  du  xii«  au  xviii®  siècle     ,    .    .     . 
L'ABBÉ  Van  Weddingen.  —  La  théodicée  de  Lao-Tzé  . 
Charles  Yriarte.  —  J.-F.  Millet.    ...... 

Emile  Zola.  —  Oerminal , 

La  livraison  de  janvier  de  la  Jeune  Belgique.    .  ,.    , 


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Publications  nouvelles  (diverses)   .     ,    ,     .    .     , 
Notes  de  librairie .     .     .     .     .     .     .     .     •     . 

Conférence  de  M   Raffaëlli  aux  XX"    .     .     •     . 

Id.       de  M.  Sigogne  aux  XX    ...     .     .     . 

Id.       de  Georges  Rodcnbach  au  Cercle  artistique. 
Id,  ,  Id.   îxxx\  Etudiants  progressistes. 

Id.       de  M""®  Thénard  au  Jeune  Barreau  .    ,    . 
Id.       de  M.  Sigognq  à  Marchienne-au-Ppnt   . 
Correspondance  d'artistes'   ...     .    ....     . 

Id.     j    Une  Mtre  de  Courbet     ,    .     ,    . 
Id.  Lettre  de  Courbet  sur  les  décorations 

Id.  Lettre  sur  l'impressionnisme    .    . 

Id.  Lettre  de  Millet    ...     .... 


PAGES. 

94 

.403,4H 

43,  50,  67 

442 


102 
431 
394 
^394 
335 

37 
370 

69 

m 


MUSIQUE 

La  situation  musicale  en  Belgique  .     .     .     .  - .     .     .         .272 

Quelques  notes  sur  l'instrumentation  de  Gluck  ....      106 

Wagner  jugé  par  Baudelaire.     .     .    .     ...    .     .  216 

Wagner  mis  à  sac.     .     ,,_.,.     .     .     ....    .  164 

Le  jeune  prix  dé  Rome  et  le  vieux  Wagnériste    .    .     .  209 

*La  aiusique  à  l'exposition  internationale  de  Londres.  281,  288 

Adalberl  de  Goltlschpiidt,  Les  Sept  Pèches  capitauo^  92 

Id.,  Héliantus,  Lieder,  etc.     .  99 

RâczPàl    ..............  69 

Au  bois  des  Elfes .     .     ...     . 354 

Conservatoire  de  Bruxelles.  —  Deuxième  séance  de, 

musique  instrumentale 30 

Concours 211,217,225,234 

Distribution  des  prix  .     .     .     .  ,  .     .     .     .     .     .     .  369 

Bi-centcnaire  de  Haendel  et  de  Bach   .....;  47 

Troisième  concert.     ...     .     .     .     .     .     .     .     .  78 

Quatrième  concert.     .     .     .     .     .     .     .     ...     .  110 

Concert  d'instruments  à  vent     .     .     .     .     .     .     .     .  386 

^Concerts  populaires.  —  Concert  Tschaïko  wski-Sarasale  20 

Id.  Id;    Wagner  (3  et  7  mai 

1  oo5) .     ,.     •     •     .     •     •      •     «     •     •■     .     .     .     .  146 

Association  des  artistes  musiciens.  —  (Saison  1884- 

1885).  Quatrième  concert.     ...     .     ....  62 

Id.  (Saison  4885-1886).  Premier  concert  .     .     .     .     .  361 

Id.^  Id.  Deuxième  concert    ....  400 

Concerts  de  \2Î  Nouvelle  Société  de  musique  de  Bruxelles.    78,  167 
Concerts  de  V Union  des  jeunes  compositeurs  belges .     .  143,  394 
Concerts  à  r£'55or     .     .     .\     .     ...     .     .     .47,401 

Soirée  musicdile  un  Cercle  d'escrime    .     ,     .     .     .     .  369 

Concert  Wieniawski   . .     .     ,  30 

Concert  Jane  De  Vigne 78 

Concert  Luisa  Cognelli    .     .     .     .     .     ...     .     .   87,  102 

Concerts  Heuschling  .     .     .     ...    , 111,410 

Concert  Ilans  de  Bulow  . 125 

Concert  Moriani^.     .*    .     .     .     . 126 

Concert  Zarcnibski'    ....     .     .     .     .•    .     .     .  140 

Concert  de  M"«  Bouré. 401 

Concert  Rummel ,  401 

M"^^  Czron  au  Cercle  artistique .    .    .     .     ,    .    .    .  415 

Waux-Hall  .     .     .     .     ...     .    .     ...     ..  234,  274 

Conservatoire  de  Gand  .    . 141,  251 

Id.  Liège.    .    ......     54,133,363 


.  '  PAGES. 

Concerts  de  musique  russe  à  Liège.    .    ...     ;    .      15,  78 

Conservatoire  de  MoNS .    ..........  15,  267 

École  de  musique  d'Anvers.    .    ...    .    .    .    .  119, 242 

L'hommage  à  Liszt    ,    .     ....     .     .     .     .     .  492 

ÉCOLE  DE  musique  RELIGIEUSE  DE  MALINES       .       .      .      .  30t,  395 

Hasselt.  —  Concert  Zarembski     ,    .    ,     ...     ,  460 

Paris.  —  Concert  Lâmoureux   ........  86 

Correspondance  musicale  de  Paris,  494,  338,  346,  362,  374, 

'  379,386,410 

Bibliographie  musicale,  13,  54,  78,  86,  127,  226,  243,  265, 

346,387. 


THÉÂTRE. 

Comment  on  dirige  un  théâtre.     .     .     , 

Sigurd  à  l'Opéra . 

A  propos  de  À^e^wrd 

Lohengnn  à  Paris 

Opéra  de  Paris.  Le  Cwi  .     .     ...     .     .     .     ... 

(rfor^e^/e  au  ihéûlre  du  Vaudeville     .     .     .-.     .     . 
■The  Merchant  of  Vejiice  au  Lyceum  théâtre.     .    .     . 

Le  Capitaine  noir  au  théâtre  de  Hambourg  .... 

Théâtre  de  la  Monnaie  :  Campagne  1884-85.  — 
Obéron   .     .    .     .    .    ....     ,     .     .     .     . 

A  propos  d'0/>f/wi .     .     .      46,52 

Joli  Gilles  .     .     .     .     .     .     .     .     .     .     .     .     .     .^  54 

Les  Maîtres-Chanteurs  de  Nuremberg    .     .     .     .     60,76,81 


.381,  388,  397,  405 
.  .  .  .  2Ô1 
.  .  .  .  208 
.  .  .  .  215 
....  393 
....  489 
185 
71,  134 

10 


•J 


111 
118 
142 


L'Etoile  du' Nord  (reprise)  .     .     .     .     ... 

La  Visite  royale  .     .     .     .     .     .     ,     .     .     . 

Scène  d'Horace -...*... 

Là  clôture  de  la  saison  théâtrale  à  la  Monnaie   .     .     . 
Campagrfe  1885-86.  —  La  nouvelle  direction  du  théâtre 
do  la  Monnaie    .     .     .     .......     .     .     ...      17,  28, 

Réouverture  du  théâtre  de  la  Monnaie .     .    .    .     .     .      -286 

Tableau  de  la  troupe  .........    ^^   .  266 

Beckmesser  et  C'« . 329 

M.  Villaret .     .     .     .     .    .    .     .     .     .....    .  353 


M"*  Adelina,  Rossi .     ,    .     .     .     .     .     .     . 

Théodorà 

La /wive  (reprise). 

La  Fille  du  Régime7ît{\d.) 

Joconde  (id.)    .     ,     . • 

Haydée  (id.) . 

La  Favorite  (id.)>\  . 

hvcie  de  Lammermoor  (id.).     ...     .     . 

Thé^jae  du  Parc  :  Denise 

La  Duchesse  Lyly .    . 

Antoinette  Rigaud    .....;.. 

Théâtre  de  l'Alcazar  :  L'Etudiant  pauvre. 
Le  Grand  Mogol  .     .     .     .     .     .     .     .     . 

Les  Mousquetaires  au  couvent  (reprise)  .     . 
La  Guerre  joyeuse    ........ 

Théâtre  Molière  :  Le  Prince  Zilah  .     .    . 
La  Parisienne.     ,     .     .     .     .     .    .     .     . 

La  Petite  Fadette  (reprise) ...... 

Le  Marquis  de  Villemer  Ç\(\.)  .     .     .     .     . 

Les  Danicheff  (\d.)    . 

Piccolino  (\ù.).     .  .  .  .  .  ...  . 


345 
207 
344 
344 
353- 
370 
37 
401 
93 
353 
402 
22,  298 
345 
362 
385 
102 
208 
345r  362 
362 
386 
386 


:,)..-•• 


PAGES. 

Miss  Million  {reprisa)    .     .     .     .     .     /^.:     .     .     .  -4^ 

Les  Mémoires  du  diable.    .     .     .     .     .     ....  444* 

Théâtre  DE  l'A LHAMBR A  :  Lc5  Pommes  d'or.     .     .  487 

Théâtre  d'Anvers  :  iV^ro7i .     ,     .     ."   .  -.    V     .  3 

Théâtre  de  \aège  :  La  direclion  Verèllen    .     .     .  392 

Théâtres. —  Renseigncmenls  divers  :  5,  43,  85,  62,  79,  86, 
94,  444^  449,  442,  450,  495, 302,248,226,234,  258,  345,336 

^^—                  ARTidLES  DIVERS  " 

•  ■    ,    ,         .  _  -     .  ■  .     ,.,...-  .  .  _  ^  -, 

^l|jmn|t(yî jugé  par  Eugène  Delacroix .     .....  42 

Âe^Nriiiii^^  a*irtn  rotnanèier fuisse  ;,Oosloïevsky   /  23 

Elections  académiques    .     .    ^.     .     .     .     .     .     .     .  29 

Les  yeux  de  MM.  les  critiques   .     .     .     .     .     .     .     .  52 

grande  colère  de  petits  bonshommes  .     .     .     .     .     .  53 

Les  palinodards  ■ 64 

La  kermessc-continue.     .     .     .     .     .     .     .     .     ,     .  59 

Hecelte  pour  avoir  du  génie.     .     ...               ,     .  443 

Conseils  aux  musiciens    .....     .     .     .     .     .  30,  38 

Gomment  Mozart  composait.     .     ...     .     .     .     .  437 

Le  dîaer-spectacle.     .    .     .........  94   . 

Beckmesser  et-CL-A  propos  du  théâtre  de  la  Monnaie  329 

L'Art  à  la  Chambre    .     .     ...     .     .               .     .  466 

L'Ai't  indusiriel  (correspondance)  ...     .     .  "".     .  493 

Le  niyeau  de  l'art .     .     .     .     .  337 

La  commission :dcs  monuments.     .     T 147 

La  poésie  nouvelle.  —  Godefroy  de  Lussinan     .     .     .  449 

Incident  Radenbach-Coveliers  .....     .     .     .  249 

•Une  épouse  modèle    ...     ...     .     .     .  324 

Spijiigen  Duivel    .     .     .     .     .     .     .- 358 

Les  funérailles  de  M.  Pcrrifl.     .     .     ...     .     .     .     .  354 

Documents  h  conserver.  A  propos  du  groupe  de  Paul 

DevJgne 92 

Id.  Le  secret  du  vote.  La  suppression  des  médailles.' 
(Discours  de  M.  Hagemans.  Discours  de  M.  Ed.  Félis. 
Déclaration  dés  membres  du  Cercte  artistique.  Dis- 
cours de  M.  L.   Gallail.  Moralité) 404 

Id.  Le-  secret  du  vote.  La  suppression  des  médailles. 
(Extrait  du  Salon  de  Paris>  de  4876  et  de  4882,  par 


PAGES. 


E.  Cliésneau)   •..•.•...     . 
Id.  Arrêté  d'expulsion  de  Victor  Hugo  . 
fd.  A  propos  des  décorations     .     .     . 
Médailles  et  décorations  ....     , 


Lettres  de  M.  Edmond  Picard 
Id.     de  M.  Cox .     .     .     . 


440 

462 

.  ...  .     370 

....     250 

t04,  409,  425,  486 

.     .     .     .  419,203 
Lettre  du  D' Charcot  .     .     •     .     .     .     .     .     .     .     .  54 

Id.    de  M.  Ch.  AUard  .     .     .     .     ,     .     .     ...     .  321 

Glanures     .     :     .     .     .     .     .     .     .     .     .     .     .     .  224 

Petite  chronique,  6,  45,  23,  34,  38,  47,  55,  63.  74,  79,  87,  95, 
403,  444,  449,  '427,  •iâ5,-443,  450,  459,  468,  488,  495,  244, 
203,  249,  nUn&.mém*S^^.  267,  274,  290,  299,  307, 
345,  323,  330,  338,  347,  358,  363,  ^4,  379,  387;  M,  403,' 

444,446 

CHRONIQUE  JUDICIAIRE  DES  AR^S. 

Les  droits  artisliq-ues  et  littéraires  .     ......  344 

Les  droits  artistiques  et  littéraires  (projet  de  loi  adopté 

par  la  section  centrale)     ....     .     .     ...  233,  244 

Le  Théâtre  des  fantaisies  judiciaires  (Herx  et  C*"  c.  Olga 

ijCaui^     ................  t) 

Id.  (Dorsy  c.  Olga  Léaut) 70 

Id.  (Faillite  de.M™«  Olga  Léaul) 444 

Editions  musicales  contrefaites  (O'Kelly  c.  Naus)     .     .  6 

Expertise  de  tableaux  (Gauchez  et  Moule  c.  Wilson)    .  14 

Egmont  (Albert  Wolff  et  C*»*  c.  RHt  et  Gaillard)  ...  38 

Les  ressemblances.  (Worms  c.  Feyen-Perrin).  .  .  .459,  468 
Marat  assassiné  (David  c.  de  Morlemart)  .  .  ...  458,  494 
Le  livret  des  Templiers  (Moreau-Sainti  c.  Adenis  et  de 

Bonnemère) .     ....     . 

Les  P«?nme5  d'o?' (Valerio  c.  Alhaiza).     ,     .     ;     .     . 
Engagement  d'artiste  (Passama  c.  Verdhurt)  .     *     .     . 
D'auteur  à  éditeur(Gamille  Lemonnier  c.  Kislemaekers) 
Les  potiches  japonaises  .     .     .     .     .     .     .     .     .     .257,266 

Statuettes  ou  presse-papiers?     .  /.     .     .     .     .  257 

Les  clichés  de  photographie.     .     .     .  .  .  .  r*   .  394 

Les  faussaires  artistiques     .     .     ......     .     .  394 

Weldon  contre  Gounod  ......     ....     .459,243 


227 
235 

248 
248 


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BruxeUes.  —  Imp.  Félix  Callewaert  père.  —  V*  MoNNOM.'successeur,  rue  de  l'Industrie,  26. 


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Cinquième  année.  —  N°  1 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  4  Janvier  1885. 


L'ART  MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DBS  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


H-*- 


ABONNEMENTS  :    Belgique,   un   an,   fr.   10.00;  Union   postale,   fr.    13.00.    —  ANNONCES  :    On   traite   à   forfait. 


Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 


l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


^OMMAIRE 


L'Art  moderne.  —  Bastien-Lepage.  —  Néron.  —' Livres 
NOUVEAUX  Le  vice  suprême^  par  Joséphin  Péladan.  —  Théâtres. 
—  Mémento  des  expositions  et  concours.  —  Chronique  judi- 
ciaire des  arts.  Editions  musicales.  Le  théâtre  des  fantaisies 
judiciaires.  —  Petite  chronique 


L'ART  MODERNE 


VArt  moderne  commence  aujourd'hui  sa  cinquième 
année et  se  porte  bien. 

Pour  un  journal  d'art  belge,  non  subsidié,  et  dans 
lequel  on  ne  distribue  pas  l'éloge  comme  une  prime  à 
l'abonné,  c'est  un  âge  extraordinaii-e. 

C'est  peut-être  la  première  fois  que,  dans  ces  condi- 
tions, cette  longévité  se  réalise. 

Commençons  par  en  remercier  tous  ceux  qui  y  ont 
contribué. 

Disons  ensuite  à  quoi  nous  l'attribuons. 


L'Ar^  moderne  est  eiitré  en  lice  à  une  époque  où  la 
critique  des  journaux  dégénérait  en  une  œuvre  où  la 
camaraderie  seule  dictait  les  appréciations. 
.   Dès  le  début  nous  avons  écrit  avec  une  indépen- 
dance qui  n'a  pas    épargné  même  nos    amis.    Nous 


n'avons  eu  d'autre  règle  que  la  sincérité  et  l'intérêt  de 
l'Art. 

Cela  a  étbnné  d'abord,  comme  une  atteinte  à  l'usage. 
Puis  cela  a  pluv^ 

Actuellement  on  y  est  fait.  ' 


Nous  parlons  des  livres  sans  subir  la  servitude  des 
éditeurs.  Des  tableaux  sans  penser  à  plaire  aux  mar-  . 
chands.  Des  théâtres  sans   craindre   de    froisser  les 
directeurs. 

Nous  ne  sommes  aux  gages  de  personne  et  n'avons  à 
nous  soumettre  aux  instructions  de  personne. 

C'est  si  rare  en  ces  matières  que  le  dire  fait  l'effet 
d'une  gasconnade. 

Et  c'est  naturel  pourtant  quand  on  réfléchit  que 
nous  pouvons  répéter  notre  devise  du  début  :  Ni  jour- 
nalistes-, ni  artistes.  Traduction  :  Rien  à  ménager,  ' 
rien  à  craindre,  rien  à  subir.. 


Nous  nous  sommes  déclarés  sans  réserve  pour  l'art 
jeune  et  anti-officiel,  le  seul  qui  soit  en  accord  avec 
l'évolution  historique,  le  seul  qui  laisse  à  l'artiste  sa 
liberté  et  sa  dignité. 

On  nous  a  vus  dans  toutes  les  luttes  qui  ont  surgi 
depuis  cinq  années,  et  toujours  au  premier  rang. 


»* 


Le  nom  de  notre  journal  reste  attaché  aux  événe- 
ments qui  ont  contribué  à  la  magnifique  émancipation 
artistique  qui  dès  à  présent  submerge  les  arriérés  et 
les  timorés.    - 


«  • 


Nombreux  ont  été  les  coups  reçus.  Mais  comme  ils 
ont  été  bien  rendus  ! 

Et  cependant  pour  ceux  qui,  dans  les  arts,  défendent 
les  idées  dont  nous  fûmes  comme  eux,  les  audacieux 
champions,  la  victoire  se  dessine. 

Ij'En  avant  est  universel. 

La  gérantocratie  résiste  encore.  Elle  recrute  encore 
parmi  les  impuissants.  Mais  tout  ce  qui  vit,  tout  ce  qui 
'    a  la  flamme,  la  déserté  et  s'en  moque,  et  quand  elle 
bouge,  il  lui  en  cuit. 

■      •  ' 

Notre  prétention  ne  fut  jamais  que  d  être  l'écho  de 
cette  émancipation  et  d'apparaître  comme, un  des  moni- 
teurs de  ses  efforts.  Nous  avons  essayé  de  dégager  les 
principes  qui  font  sa  grandeur  et  sa  force. 

Mis  en  pleine  lumière,  sans  cesse  et  sans  restriction, 
ils  en  ont  pris  plus  d'éclat  et  plus  d'efficacité  ! 

Le  public,  le  vrai,  pas  celui  des  coteries  bourgeoises 
qui  se  croient  plaisamment  le  centre  du  goût,  et  qui 
ne  sont  le  plus  souvent  que  le  centre  de  la  sottise,  nous 
a  dispensé  largement  son  appui. 

, C'est  de  lui  qu'est  venue  l'autorité  dont  jouit  VArt 
moderne  et  qui  fait  défaut  aux  publications  qui  s'ali- 
mentent de  réclamés  et  de  complaisances. 


Aussi  ne  dévierons-nous  pas  de  la  rude  consigne  que 
nous  nous  sommes  imposée.  Nous  continuerons  à  écrire 
la  vérité,  toute  la  vérité,  rien  que  la  vérité,  dùt-élle 
blesser  même  ceux  que  nous  aimons,  pourvu  qu'elle 
puisse  servir  la  grande  cause  de  l'Art  sous  toutes  ses 
formes,  pourvu  qu'il  soit  original  et  libre. 


BASTIEX-LEPAGE 

Bastien-Lepage  est  mort  à  3G  ans,  débarrassant  ses 
rivaux  de  l'ombre  que  faisait  sur  eux  sa  personnalité 
dominante,  évitant  à  l'art  français  Tépidémie  d'imita- 
tion stérile  qui  résulte  des  longs  règnes  et,  dans  l'his- 
toire, montre  tout  artiste  de  génie  comme  l'expression 


d'une  époque  qui  finit,  bien  plus  que  comme  le  point  de 
départ  d'une  époque  qui  commence.  Ce  sort  lui  est  com- 
mun avec  Henri  Regnault.  Tous  deux  laissent  des 
œuvres  assez  grandes  pour  ne  point  périr,  assez  rares  ^ 
pourne  point  gêner. 

Il  y  avait  eu  déjà  pourtant/un  certain  pastichage 
parmi  les  impuissants  qui  s'adonnent  à  la  peinture 
sans  impulsion  ..originale  et  sont  perpétuellement  en 
quête  d'une  consigne.  La  mort  s'est  chargé  d'arrêter 
ce  mouvement.  Bastien-Lepage  n'a  été  qu'effleuré  par 
le  déshonneur  de  voir  dans  son  sillage  l'escorte  des 
médiocrités. 

Il  n'était'pas,  du  reste,  resté  fidèle  à  soi-même  jusque 
dans  les  derniers  t^mps.  Ses  œuvres  les  plus  récentes 
dénotaient  un  glissement  vers  un  art  moins  dédaigneux 
de  ce  qui  plaît  à  la  badauderie  académique.  Croyons 
que  ce  fléchissement  avait  été  amené  par  la  maladie 
qui  lentement  le  rongait,  et  non  par  une  soumission 
naissante  aux  plats  caprices  du  public.  Nous  avons 
marqué  successivement  ici  ces  sinuosités  dans  la  ligne 
de  l'artiste  depuis  les  admirables  portraits  et  les  scènes 
rustiques  de  ses  débuts,  jusqu'aux  épisodes  londoniens 
de  la  fin,  en  passant  par  cette  œuvre  culminante  :  Le 
Mendiant  ('),  V'  - 

Son  arrivée  dans  l'art  s'était  produite  au  milieu  de 
circonstances  qui  sont  l'épisode  banal  de  tant  de  voca- 
tions. Il  était  né  en  province,  dans  les  Ardènnes  frai]r^ 
çaises;  ses  parents  en  voulaient  faire  un  bureaucrate 
et  se  désespéraient  de  sa  répugnance  pour  ses  fonctions, 
de  son  entraînement  pour  la  peinture.  Il  se  dégagea 
par  un  coup  de  tête  qui  fut  considéré  comme  un  malheur 
et  qui  le  mit  sur  le  chemin  de  la  gloire.  Toujours  les 
mêmes  sottises  bourgeoises  déjouées  par  les  mêmes 
audaces  artistiques. 

A  Paris,  il  ne  vécut  pas  dans  le  sombre  et  salutaire 
isolement  de  Delacroix,  de  Millet,  de  Courbet,  de 
Rousseau.  Il  ne  connut  pas  leurs  misères.  Il  fut  mêlé 
à  cet  essaim  de  journalistes  qui  font  les  réputations  par 
leur  reportage  et  qui  défont  les  tempéraments  par  leur 
voisinage.  Les  faiblesses  des  dernières  heures  eurent 
peut-être,  plus  ou  moins,  leur  cause,  dans  cette  pro- 
miscuité débilitante  de  gens  pour  qui  le  bruit,  le 
plaisir  et  l'argent  passent  avant  tout.. 

L'art  de  Bastien-Lepage  est  complexe  dans  ses  origi- 
nalités. Une  seule  qualité  semble  avoir  atteint  chez  lui 
l'intensité  suprême  :  c'est  l'expression  du  visage  humain 
dans  l'intimité  absolue  de  l'état  et  des  mouvements  de 
l'âme.  Son  Mendiant  et  sa  Jeanne  d'Arc  sont  à  cet 


(♦)  Voy.  l'Art  moderne  1881,  p.  86,  111, 116,  203.  -  1882,  p.  70.  155.  -  1S83, 
p.  150,  310,  328. 


LART  MODERNE 


:3 


égard  les  types  du  degré  merveilleux  auquel  il  pouvait 
monter.  ,  ', 

,  A*  côté  de  cette  facplté  superbe  il  affirmait  la  ten- 
dance maîtresse  de  l'art  du  siècle,  réalisée  par  tant  de 
contemporains  :  la  recherche  du  coloris  dans  la  réalité, 
la  répulsion  pour  le  conventionnel  académique.  Mais  en 
cela  il  fut  moins  heureux.  ,Sa  peinture  était  souvent 
sèche,  malhabile  à  rendre  latmosphère,  faisant  che- 
vaucher les  plans,  sans  profondeur  dans  la  perspective. 

Son  faire  n'était  pas  non  plus  personnel,  en  ce  sens 
qu'il  imitait  le  fini  des  maîtres  d'autrefoiè. 

Bref,  l'artiste  était  d'une  humanité  moins  pleine  que 
les  illustres  et  infortunés  initiateurs  qui  ont  à  jamais 
détruit  l'art  prétentieux  et  faux  par  lequel  avait  débuté 
le  dix-neuvième  siècle  et  qui  ne  flambe  plus  que  dans 
les  régions  bourgeoises.  Mais  il  y  avait  en  lui  une  fêlure 
qui,  dans  le  milieu  parisien,  l'aurait  sans  doute  fait 
choir  du  sommet  ou  l'avaient  porté  les  grands  coups 
d'aile  de  ses  commencements.  Il  n'avait  pas  la  bru- 
talité intransigeante  et  saine  qui  éloigne  les  conseilleurs 
d'habiletés.  On  sentait  en  lui  le  germe  d'un  raffiné 
qu'on  peut  séduire. 

Il  emporte  avec  lui  le  souvenir  de  cette  tare.  Consi- 
déré dans  l'ensemble,  son  œuvre  ne  vient  pas  au 
premier  rang.  Très  au  dessus  de  Cabanel  dont  il  fut 
l'élève  et  qu'il  a  renié,  sinon  par  ses  discours,  au  moins 
par  ses  toiles,  il  est  au  dessous  des  artistes  souverains 
et  longtemps  méconnus  dont  nous  rappelions  tantôt  le 
douloureux  souvenir  et  les  noms  à  jamais  consacrés. 


NÉRON 


C'était  l'événement  du  mois,  presque  de  l'année,  tant 
sont  rares  en  Belgique  les  occasions  d'entendre  une 
œuvre  nouvelle.  Et  quel  sujet  d'opéra!  Néron,  la  plus 
énigmatique  et  la  plus  rouge  figure  de  l'histoire,  le^ 
ténor  jouant  les  Césars,  les  épaules  couvertes  d'un 
manteau  de  pourpre  qu'il  n'avait  pas  emprunté  au 
magasin  de  costumes  du  théâtre,  l'histrion  qu'une 
sublime  décadence  éleva  au  pouvoir  despotique,  auquel 
elle  décerna  la  déité,  et  qui  poussa  l'hystérie  des  hor- 
reurs grandioses  jusqu'à  détruire  dans  un  embrase- 
ment gigantesque  la  capitale  de  son  empire. 

Il  eût  fallu  pour  concevoir  la  relation  musicale  d'une 
pareille  épopée  un  Compositeur  aux  moelles  de  lion. 
Rubinstein,.  le  virtuose,  s'est  cru  de  taille  à  traiter 
cette  page  ^'histoire^i  réunit  la  comédie  bouffonne  à 
la  tragédie  en  des  scènes  aux  proportions  insensées. 
Effort  considérarbîe,  mal  récompensé.  L'art  de  Rubin- 


stein est  dans  les  demi-teintes,  dans  les  nuances  grises, 
dans  les  tournures  mélodiques  qui  caressent  le  tympau 
sans  l'égratigner,  mais  aussi  sans  l'émouvoir  profoniié- 
ment.  Il  y  a  dans  ses  quatuors,  dans  le  cycle  doux  de  sa 
musique  vocale,  dans  ses  compositions  pour  piano, 
dont  il  joue  comme  personne,  transformant,  élevant, 
déifiant  l'instrument  ingrat  qui.  sous  ses  mains — . 
quelles  mains!  —  soupire,  et  chanta,  et  pleure,  et 
résonne  avec  l'éclat  d'un. orchestre,  il  y  a  des  choses 
jolies,  il  y  en  a  parfois  de  belles,  il  y  en  a  rarement  de 
vraiment  grandes. 

Le  malheur  de  Rubinstein  est  d'avoir  cru  que  sa 
re^emblance  physique  avec  Beethoven  devait  produire 
une  identité  de  génie.  Il  s'est  époumonné  à  là  poursuite 
d'un  idéal  au  dessus  de  sa  portée.  Il  est,  il  demeurera 
dans  les  souvenirs  le  virtuose  incomparable.  Et  cette 
gloire,  il  en  fait  peu  de  cas.  C'est  un  "phénomène  fré- 
quent et  singulier  chez  les  hommes  de  génie  que  ce 
dédain  pour  ce  qui  est  leur  mérite  véritable,  cet  amour- 
propre  excessif  à  l'endroit  des  qualités  qui  leur 
manquent. 

Ce  qiîi  fait  la  tàiblesse  de  Néron,  c'est  la  forme  même 
de  demi-opéra  romantique  que  lui  a  donnée  son  auteur. 
A  une  œuvre  de  pareille  envergure,  née  au  moment  où 
de  toutes  parts  sonne  le  réveil  de  l'art  affranchi  des  for- 
mules, il  fallait  la  coupe  du  drame  lyrique  dans  son 
expression  simple,  tragique,  émue.  Rubinstein  l'a  com- 
pris par  instants,  et  partout  où  il  renonce  aux  conven- 
tions surannées,  son  œuvre  grandit.  La  fin  du  premier 
acte,  par  exemple,  est  certes  le  morceau  le  plus  remar- 
quable de  cette  partition  touffue.  Au  troisième  acte,  la 
scène  dialoguée  entre  Chrysis  et  Vindex,  le  chef  gaulois, 
est  d'un  beau  caractère;  un  sentiment  l'anime  :  la  foi 
chrétienne  de  la  jeune  fille,  qui  fait  partager  à  celui  qui 
l'aime  sa  croyance.  Mais  ces  moments  sont,  il  faut  le 
reconnaître,  rares  dans  l'œuvre  de  Rubinstein.  Une 
succession  d'airs,  de  duos,  de  trios,  d'ensembles,  dans 
les  données  banales  de  l'opéra  d'autrefois,  rattachés 
par  des  récitatifs  quelconques,  en  rend  l^udition  mono- 
tone. C'estiong,  c'est  massif,  et  l'orchestration  uniforme 
ne  corrige  point  l'impression  d'ennui  que  provoque  à  la 
longue  la  donnée  musicale.  De  temps  à  autre  une  tri- 
vialité rompt,  comme  une  tache  éclatante  sur  une  gri- 
saille, l'harmonie  tranquille  de  l'ensemble  :  telles  sont, 
par  exemple,  la  troisième  entrée  du  ballet,  au  premier 
acte,  où  les  cymbales  et  la  grosse  caisse  font  ragQ,  et  la 
marche  triomphale  du  deuxième  acte. 

Nous  parlerons  peu  des  interprètes  ;  nous  n'avons 
guère  d'éloges  à  leur  adresser.  Si  ce  n'est  M.  Warot, 
qui  a  mis  hautement  en  relief  le  personnage  de  Néroii 


•*! 


LART  MODERNE 


et  qui  l'a  chanté  en  musicien  de  grande  école,  tous  so-nt 
médiocres.  Le  nMe  de  Ohrvsi^  est  tenu  par  M"**  Briard. 
C'est  le  plus  joli  de  la  pièce,  non  seulement  parce  qu'il 
concentre  toute  la  sympathie,  mais  parce  qu'au  point 
de  vue  musical  il  est  le  plus  étudié  et  le  plus  humain. 
L'artiste  fait  de  son  mieux,  ce  qui  ne  signifie  pas 
qu'elle  fasse  bien  Le  baryton  Couturier,  qui  a  chanté 
jadis  à  la  Monnaie,  est  en  progrès  sérieux.  Enfin,  nous 
avons  distingué  parmi  les  rôles  épisodiques  une  basse 
d'avenir,  M.  Guillabert.  "~ 

Quant  au  désarroi  prévu  des  chœurs,  du  ballet,  de  la^ 
figuration,  il  a  été  complet,  et  l'incendie  de  Ik  ville  de 
Rome,  simulé  par  du  foin  mouillé  qu'on  allumait  dans 
les  coulisses,  a  provoqué  dans  la  salle  une  fumée  acre 
si  intense  que  le  bruissement  des  éventails  et  les  déto- 
nations i^èches  des  toux  ont  couvert  un  moment  la  voix 
de  M.  Warot,  chantant  du  haut  dune  tour  les  stances 
à  Pergame. 


JjIvre^ 


NOUVEAUX 


Le  Vice  suprême,  par  Joskpiiix  Pkladan.  ^  Paris, 
Librairie  des  auteurs  moderaes,  1884. 

Jos('*phin  Pdladan  est  embarassànl  pour  la  critique  :  de  quel 
côté  aborder  ce  persofinage  complexe?  Si  nous  voulions  apprécier 
l'œuvre  au  point  do  vue  litléraire,  ne  nous  dirail-t-il  pas  :  «  La 
«  forme  ncst  rien  quiin  vêtement,  un  véhicule.  Allez  à  Vidée  du 
«  livre^  extrayez-en  la  philosophie  et  expliquez-vous  là  dessus., 
«  Joséphin  Pélndan  se  propose  autre  chose  que  d'offrir  aux 
«  lettres  une  distraction  passagère.  Il  veut  mettre  au  jour  la^ 
et  grande  plaie  sociale  et  en  même  temps  la  prophyllaxie  qui  peut 
-*«  la  guérir.  »  Devant  un  tel  langage,  nous  resterions  tout  bétc 
avec  nos  appréciations  des  personnages,  des  situations,  du  slyle 
d'un  prétendu  roman  qui  n'est  en  sojnme  qu'ur.e  dissertation 
pathologique. 

Si  au  conlraire  nous  prenons  au  sérieux  le  moraliste,  si  nous 
examinons  le  diagnostic  que  M.  Péladan  porte  sur  l'élatdes  races 
latines  et  le  remède  qu'il  j)ropose,  nous  nous  exposons  à  voir 
M.  Péladan  nous  jeter  au  visage  le  rire  du  mystificateur 
trioùipliant. 

Tout  bien  considéré,  il  nous  paraît  qu'en  M.  Péladan  c'est  le 
moraliste,  le  médecin  social,  le  proplicle  qui  rempOTVnt  siir  le 
littérateur.  Nous  voyons  en  lui  un  véritable  Jérémie  appliquant  à 
la  société  moderne  et  traduisant  en  Français  décadent,  h  s 
plaintes  élo<|uentos  que  ce  juif  morobe  exhalait  sur  les  crimes  et 

m 

les  malheurs  de  Jérusalem. 

M.  Péladan  ne  dit  pas  Malheur  a  Jérusalem,  il  dit  :  Ohé  les 
races  latines!  l\  met  le  philosophe  pleurard  dans  le  Gavroche.  Il 
lésume  dans  une  exclamation  canaille  la  condamnation  qu'il 
prononce  contre  les  racés  latines,  précipitées  par  la  luxure  sur  la 
pi^nte  d'une  irrémédiable  décadence. 

Un  rut  farouche,  détourné,  à  défaut  de  substance  religieuse, 
des  voies  naturelles,  emporte  la  civilisation  latine  dans  son 
infernal  tourbillon.  L'amour  n'a  plus  l'excuse  sexuelle.  Il  est  en 


rébellion  contre  le  sexe.  L'androgyne  triomphe.  Lésbos  et 
Gomorrhe  ont  envahi  les  mœurs,  les.  lettres,  le  Ihéûtre  et 
entraînent  dans  un  chahut  macabre  rois,  princesses,  poètes  et 
courtisanes.  Un  gouffre  pareil  à  l'entonnoir  du  rfante  se  creuse 
sous  les  pas  de  la  société  affolée,  aveuglée  par  sa  funèbre  hystérie. 
La  béte  est  au  fond.  Non  pas  la  bête  logique,  normale,  mais  la 
bêle  paradoxale,  contradictoire,  monstrueuse,  hermaphrodite. 
Un  pré'endant  au  trône  de  France,  un  prince  qui  n'a  jamais  cessé 
de  revenir  des  croisades,  s'amourache  d'une  fdJe,  parce  que  sans 
gorge,  sans  hanches,  sans  convexités  d'aucune  sorte,  elle  présente 
l'aspect  d'un  éphèbe  vicieux;  une  princesse,  de  l'antique  famille 
de  Ferrare,  dédaigne  et  défie  les  hommages  dune  armée  d'adora- 
teurs et  garde  l'àme  la  plus  scélérate,  dans  un  corps  pur  de 
toute  contamination  masculine  :  cette  descendante  des  Borgia 
finit  i)ar  abaisser  son  orgueil  devant"  un  prêtre  et  par  lui  offrir 
brutalement  et  cyniquement  sa  chair  et  son  lit,  pourquoi: 
j)aree  que  chez  ce  prêtre,  la  robe  déguise  et, fait  oublier  le  sexe. 
Victoire  de  l'androgynat  sur  toute  la  ligne.  L'amour  direct,  nor- 
mal, organique  tombe  en  désuétude,  détrôné  par  l'amour  bizarre, 
monstrueux,  illogique  dont  la  satiété,  l'épuisement  de  la  race 
et  les  titillations  exercées  sur  l'imagination  par  une  littérature 
outrancière  et  superlative,  font  écloie  le  maladif  cryptogame. 
Voila  la  thèse  ! 

Comme  thèse  ce  n'est  pas  fort  nouveau  :  ce  vice  suprônne  n'a 
pas  attendu  M.  Péladan  peur  prendre  pied  dans  la  littérature  que 
depuis  longtemps  se,  disj)ùtent  Sodome,  I.esbos  (t  Onan.  Ces 
éludes  passionnelles  de  décadence  sont  pour  ainsi  dire  entrées 
dans  le  domaine  de  la  banalité.  D'autre  part,  il  y  a  certainement 
quelque  chose  de  vrai  dans  cette  autopsie  morale  de  ce  malheu- 
reux xix«  siècle  qui  a  commencé  dans  la  gloire  et  menace  de 
finir  dans  la  boue.  Il  convient  de  reconnaître  ([ue  la  discipjine 
des  mœurs  et  la  grammaire  de  l'amour  sont  perdues^  Cette  disse-, 
lut  ion  était  celle  du  monde  romain  quand  les  Teutons  apparu- 
rent. M.  Péladan  rêve-t-il  une  régénération  .«emblabie.  On  serait 
tenté  de  le  croire  en  l'entendant  pousser  son  cri  ironique  de  Ohé 
les  races  latines!  et  en  plaçant  au  dessus  de  toute  cette  société 
pourrie  et  décomposée  la  robe  blanche  et  la  grande  figure  d'un 
moine  inspiré.  Faut-il  donc  d'après  M.  Péladan,  pour  nous  guérir 
de  nos  ulcères,  pour  purifier  nolie  sang  des  virus  (pii  l'infectent, 
nous  plonger  dans  le  bain  d'un  nouveau  moyen-ûge?  Faut-il  que, 
dans  les  intervalles  de  l'orgie,  nous  entendions  une  fois  encore 
les  barbares  hurler  aux  frontières  du  désert  moral  que  nous  habi- 
tons. 

C'est  bien  là  le  rêve  maladif  de  M.  Péladan  :  c'est  un  moyen- 
âgeux dans  la  plus  terrible  acception  du  mot.  Il  pense,  comme 
Donoso-Cortès,  que  ce  monde  périt  parce  que  la  substance 
catholique  se  retire  de  lui.  Il  veut  que  tous,  pauvres  décadents, 
nous  cherchions  un  refuge  contre  l'androgyne  sous  les  plis  de  la 
robe  de  son  frère  Alta  ?  Nous  v  réfléchirons. 

A  ce  frèriî  Alta,  très  beau,  très  grand,  très  pur,  M.  Péladan, 
sans  doute  pour  moderniser  un  peu  .sa  théorie  de  régénération 
sociale,  a  cru  devoir  accoler  une  sorte  de  Joseph  Balsamo,  met- 
tant le  magnétisme  animal  au  service  de  la  foi.  Ce  tireur  de  cartes, 
ce  diseur  de  bonne  aventure,  ce  comte  de  Saint-Germain,  ce 
Nicolas  Flamel,  ce  Cagliostro,  de  Kabalis>e,  ce  Nécromancien, 
car  il  est  tout  cela,  est  le  Desgenais  du  roman.  C'est  lui  qui  dit  la  . 
moralité  de  la  situation,  c'est  lui  qui  corrige  l'injustice,  punit  Iq^ 
crime,  encourage  la  vertu,  fait  éclater  la  vérité.  Les  agaceries  de 
la  princes.se  se  brisent  contre  la  cuirasse  de  continence  dont  sa 


volonté  le  revêt.  Il  se  laisse  aimer  par  Corysandre,  que  le  mar- 
quis de  Donncrcux  narcolise  et  viole.  Alors  Mérodack  fait  con- 
fectionner par  un  sciilpleur  de  ses  amis  le  groin  en  cire  de  cet 
ignoble  marquis  et  i|  pratique  sur  cette  image  l'opération  de 
l'envoûtement,  qui  réussit, admirablement.  Au  moment  où  Méro- 
dack aplatit  d'un  coup  de  poing  la  charge  du  marquis,  le  marquis 
lui-même  crève  d'apoplexie.  Quant  à  k  princesse,  elle  a  eu  un 
mari  qui  l'a  aimée  de  façon  à  la  dégoûter  pour  jamais  de  l'amour. 
Elle  se  plaît  à  évoquer  des  rêves  libidineux  que  son  orgueil  ter- 
rasse, elle  démeure  chaste  au  sein  de  toutes  les  coriupHons. 
Toute  cette  fierté  et  celte  continence  se  fondent  un  jour  au  souffle 
du  frère  Alla,  à  cause  de  là  robe,  on  s'en  souvient,  le  prêtre  n'a 
pas  de  sexe.  Elle  va  très  platement  s'offrir  à  lui  au  confessionnal. 
Le  moine  résiste.  Elle  l'attire  chez  elle  sous  un  prétexte  chari- 
table et  pour  triompher  de  celle  vertu  hautaine,  elle  ne  trouve 
rien  dé  plus  décisif  que  de  renouveler  l'expériencie  que  tenta  sur 
Joseph  l'aimable  Puiiphar.  Elle  se  déiîouille  subiiemenl  de  tous 
ses  voiles  et  enlace  le. prêtre  dans  ses  bras  impudiques.  Alla,  qui 
ne  se  soucie  pas  probablement  de  laisser  son  manteau  entre  les 
mains  de  celte  louve,  se  contente  de  lui  rire  au  nez.  L'histoire  de 
Joseph  est  ainsi  heureusement  rajeunie.  Quant  à  M"'«  Putiphar, 
elle  suit  la  tradition,  elle  accuse  Alla  de  toutes  sortes  de  vilenies, 
et  le  fait  interdire  par  ses  supérieurs  ecclésiastiques.  L'exil  du 
frère  Alla  termine  le  roman,  sauf  une  grande  scène  d'idéologie 
entre  Mérodack,  Alla  et  un  vieux  rabbin  Kabaliste.  Gel  étonnant 
trio  verse  un  gros  flot  de  larmes  sur  le  destin  des  races  latines 
et  chacun  s'en  va  ensuite  à  ses  atl'aircs. 

Voilà  le  Vice  suprême^  œuvre  extravagante  et  pas  mal  écrite, 
montrant  beaucoup  de  talent  à  travers  les  crevasses  d'un  cerveau 
malade  et  gaspillant  dans  le  cauchemar  mystique  des  matériaux 
précieux.  Du  reste,  nous  n'avons  voulu  aujourd'hui  que  désha- 
biller le  prophète.  Il  reste  l'écrivain.  Ce  sera  pour  une  autre  fois. 


yHÉATRE3 

Théâtre  de  la  Monnaie.  On  répète  ferme  les  Maîtres  -  Chanteurs . 
On  espère  être  prêt  pour  le  mois  de  mars. 

En  attendant,  nous  aurons  mercredi  Obéron,  et  un  peu  plus 
tard.  Joli  Gilles.  Nous  avions  donné  déjà  la  distribution  de  ces  deux 


ouvrages. 


Théâtre  de  l'Alcazar.  Voir  notre  Chroniqrie  judiciaire  des 
arts. 

Théâtre  des  Galeries.  Jusqu'à  la  consommation  des  siècles,  le 
Tour  du  Monde.' 

Théâtre  Molière.  Tous  les  soirs,  pour  les  représentations  de 
M.  Laray,  premier  sujet  du  Théâtre  de*  la  Porte  Saint-Martin,  le 
liossu,  dranie  en  5  actes  et  10  tableaux,  par  MM.  Anicet  Bourgeois  et 
PaulFéval. 

M  Laray.  remplira  le  rôle  de  Henri  de  Lagardère,  qu'il  a  joué  à 
Paris. 

Samedi  10  janvier,  représentation  au  bénéfice  de  M.  Hems, 
Fèrêoh  comédie  *n  4  actes,  par  M.  Victorien  Sardou. 


MEMENTO  DES  EXPOSITIONS  ET  CONCOURS 

Anvers.  —  Exposition  universelle >Mai  à  octobre  1885. 

•Janvier  1885.  —  Bruxelles.  —  Neuvième  exposition  de  V Essor 
(Limitée  aux  membres  du  Cercle).  --  Deuxième  exposition  des  A'.Y. 
(Limitée  aux  membres  du  Cercle  et  aux  artistes  spéciajement  invités). 
Février  1885.  —  Troisième  exposition  de  Blanc  et  Noir  de  VEssor. 
(Limitée  aux  membres  du  Cercle).  Mai  1885  —  Exposition  historique 
dé  gravure;  par  le  Cercle  des  aquarellistes  et  aquafortistes.  Mai  1885. 

Glasgow.  —  Institut  des  Beaux- Arts  (24e  exposition).  Ouverture 
.S  février  1885.  Fermeture  fin  d'avril.  —  S'adresser  à  M.  Robert 
Walker,  secrétaire  de  rinsti tut,  à  Glascow. 

Londres.  —  Expostion  niternationale  d'instruments  de  musique. 
Ouverture  en  mai  1885,  à  South  Keusington.  Cette  deuxième  divi- 
sion comporte  trois  groupes  •  1»  Instruments  de  musique  construits 
ou  en  usage  depuis  1800;  'i'^  gravure  et  impression  de  la  musique; 
3"  collections  historiques. 

Id.  —  Du  3imars  à  la  fin  de"sèptembre  exposition  internationale 
et  universelle  d'Ale:  andra-Palace,  comprenant^  notamment  les  arts 
et  métiers,  et  une  exposition'^de  tableaux  et  objets  d'art  représentant 
les  principales  écoles  du  continent. 

Nuremberg.  —  Exposition  internationale  d'orfèvrerie,  de  joaille- 
rie, de  bronzes,  etc.  Du  15  juin  au  30  septembre  1885. 

Paris.  —  Salon  de  1885.  —  1er  mai  au  30 juin  1885.  —Peinture, 
dessins,  etc.  Dépôt  des  ouvrages  au  Palais  des  Champs-Elysées,  du 
5  au  14  mars.  Vote,  le  mercredi  18  mars,  de  9  h.  à  4  h.  —  Sculp- 
ture, Grature  en  méd.  et  sur  p.  f.  Dépôt  du  21  mars  au  2  avriL 
Vote,  le  mardi  7  avril,  de  10  à  4-h.  —  Architecture.  Dépôt  du  2  au 
5  avril.  Vote,  le  mardi  7  avril,  de  10  à  4  h.  —  Gravure  ef  Lithogra- 
phie. Dépôt,  du  2au  5  avril.  Vote,  le  lundi  6  avril,  de  10  à  4  h. 

Rome. —  Exposition  organisée  par  la  Société  dés  Amatori  e  cultori 
di  Belli  arti.  Ouvei?tare  ler  février. 

La  Haye.  —  Concours  pour  l'érection  d'une  statue  à  Hugo  Gro- 
tins. 

MoNTÉvmÉo  —  Concours  pour  la  statue  du  général  Artigas 
S'adresser  à  la  légation  de  l'Uruguay,  4,  rtie  Logelbach,  à  Paris. 

Richmoj^d  (Virginie).  —  Concours  pour  un  monument  à  Robert 
Lee,  jusqu'au  1er  mai  1885. 

Vienne.  —  Concours  pour  l'érection  d'un  monument  à  Mozart. 


Chronique  judiciaire   de^  art? 

.Le  théâtre  des  fantaisies  judiciaires. 

C'est  devant  le  juge  des  référés  que  se  jouent  habituellement, 
depuis  quelque  temps,  les  premières  de'  l'Alcazar.  Les  partitions  sont 
sur  le  bureau  du  président,  le  régisseur  est  à  la  barre,  prêt  à  donner 
le  signal,  on  discute  costumes,  engagements,  chiffons.  Un  pas  de 
plus,  et  l'orchestre  fera  son  entrée  dans  la  vie  judiciaire. 

Nous  avons  annoncé  la  représentation  de  VEtudiant  pauvre,  de 
Millôcker.  On  affiche  la  pièc^.  Mais  rien  ne  marche,  rien  n'est  su, 
les  décors  ne  sont  pas  achevés,  les  costumes  ne  sont  pas  taillés. 
Mme  Olga  Léaut  ne  veut  pas  céder  à  la  demande  des  auteurs  fet  des 
éditeurs.  Vite,  un  procès.  On  aura  raison  de  son  obstination.  Et 
de  fait,  le  juge  découvre  dans  le  contrat  une  clause  exigeant  un 
accord  préalable  entre  la  directrice  et  les  auteurs  sur  le  choix  des 
interprètes.  On  n'est  pas  d'accord,  on  ne  jouera  pas.  Et  pour  plus 


.r 


de  lùrelé,  les  auteurs  feront  à  rAIcazar  la  saisie  des  parties 
d'orchestre.  ,    - 

On  raconte  que  cette  saisie  a  été  laborieuse  et  bruyante", mais  chut! 
restons  dans  les  faits  judiciaires. 

Le  lendemain,  nouvelle  algarade.  On  raconte  que  M'"*  Olga  Léant 
a  enlevé  tous  les  costumes  et  les  a  emballés,  en  destination  de  Paris. 
Inquiétude  de  la  Société  des  Fantaisie  parisiennes,  locataire  princi- 
pale de  l'immeuble  qu  elle  sous-loue  à  la  directrice.  Plus  de  costumes, 
plus  de  garantie  poui^  le  paiement  des  loyers!  que  faire?  Ah!  un 
séquestre!  Il  faut  un  séquestre' à  l'Alcazar.  On  plaide  à  nouveau. Que 
décidera  le  juge?  On, n'eu  sait  rien  encore.  Mais  le  papier  timbré  qui 
tombe  en  averse  à  l'Alcazar  a  fait  changer  le  nom  du  théâtre.  C'est 
\è  Hiéîitve  des  Fantaisies  judiciaii'cs. 

Editions  musicales. 

--^IM.  O'Kelly  et  Naus  s'étaient  associés  comme  éditeurs  de  mu- 
sique. La  société  fut  dissoute  et  M.  Naus  fonda  dans  la  même  rue, 
faubourg  Poissonnière,  juste  en  face  de  l'immeuble-où  il  exploitait 
son  commerce  avec  M.  O'Kelly,  une  maison  pour  la  vente  des  mor- 
ceaux de  musique. 

Il  vendit  ainsi  des  œuvres  dont  M.  O'Kelly  est  le  seul  éditeur, 
entre  autres  la  Méthode  de  piano  Lecarpentier, 

M.  Naus  fit  disparaître  sur  les  différents  exemplaires  de  cette 
méthode  qu'il  devait  revendre  à  ses  clients,  le  nom  et  l'adresse  de 
l'éditeur  M.  O'Kelly^  en  recouvrant  ces  mentions  imprimées  d'une 
bande  de  papier  collée  portant  son  nom  à  lui,  M.  Naus,  comme 
marchand  de  musique,-  ainsi  que  son  adi'esse. 

M.  O'Kelly  l'ayant  assigné  le  26  mai  i883,  le  tribunal  de  com- 
merce de  la  Seine  rendit  un  jugement  décidant  que  ce  fait  n'avait 
pas  causé  au  demandeur  un  préjudice  réparable  par  le  paiement 
d'une  sqmme  d'argent;  que,  par  suite,  aucune  condamnation  ne 
devait  être  prononcée  contre  Naus. 

La  Cour  d'appel  de  Paris  vient  de  réformer  le  jugement,- en  déci- 
dant que  si  la  pratique  en  question  s'es,t  établie  dans  le  commerce 
des  œuvres  musicales,  elle  constitue  un  abus  que  la  justice  ne  peut 
consacrer  et  qu'il  y  a  lieu  d'en  ordonner  l'interdiction  pour  l'avenir. 


^ETITE    CHROJ^(iqUE 


Le  Salon  annuel  des  XX  s'ouvrira,  comme  l'hiver  passé,  dans  les 
premiers  jours  de  février.  Conformément  au  but  dé  l'Association,  il 
réunira  aux  œuvres  des  vingt  peintres  et  sculpteurs  qui  composent 
celle-ci,  les  envois  de  vingt  artistes  choisis  parmi  les  plus  sympathi- 
ques aux  principes  d'art  que  représente  le  groupe  batailleur.  Ce 
sont  :  pour  la  Belgique,  MM.  Alfred  St^vens,  Mellery,  Meunier,  ter 
Linden,  De  Villez,  sculpteur  et  Lenain,  graveur;  pour  la  France, 
MM.  Fantin-Latour.  Cazin,  Rafîaëlli,  l'intransigeant  dont  l'exposi- 
tion eut  l'an  dernier  un  si  grand  retentissement,  le  graveur  Bracque- 
mond,  le  sculpteur  Lanson;  pour  la  Hollande,  M.  Mesdag  ;  pour 
l'Angleterre,  MM.  Marc  Fisher  et  Swan,  deux  animaliers  qui  n'ont 
jamais  exposé  à  Bruxelles;  pour  l'Italie,  MM.  Manciui  et  Michetti, 
le  célèbre  impressionniste.  La  Suisse  sera  représentée  par  M"«  Louise 
Breslau,  l'Allemagne  par  M.  von  Uhde,  la  Scandinavie  par  le 
peintre  danois  Kroycr,  les  Etats-Unis  par  M.  Ulrich. 

Avec  de  pareils  éléments,  le  Salon  des  XX  né  peut  manquer  d'at- 
trait. 


On  entendra  à  Liège,  mercredi  prochain,  de  la  musique  russe. 
Devançant  Bruxelles,  qui  ne  connaît  guère  que  de  rares  œuvres  dé 
Tschaikowski  et  la  petite  suite  de  César  Cui,  la  Société  d'Emulation 


fera  entendre  la  symphonie  en  mi  bémol  et  une  esquisse  symphonique 
de  Borodine  ainsi  qu'une  ballade  du  même  auteur,  la  Fantaisie 
serbe  de  Rimsky-  Korsakofî,  diverses  compositions  pour  chant  de 
Çui,  ainsi  que  sa  suite  déjà  nommée  et  la  Tarentelle  pour  orchestre. 
M"«  Bégond,  MM.  Thomson  et  Byrom  prêtent  leur  concours  à 
cette  intéressante  audition,  organisée  par  Mine  la  camtesse  de  Mercy- 
Argenteau  au  bénéfice  d'une  œuvre  de  bienfaisance. 


C'est  le  15  février  que  sera  représenté  au  Stadt-Theater  de  Ham- 
bourg le  Capitaine  Xoir  de  notre  compatriote  Joseph  Mertêns. 

M.  Pollini  a  donné  tous  ses  soins  à  la  mise  en  scène  de  cet 
ouvrage,  et  le  compositeur  aura  la  joie  de  voir  représenter  dans  d'ex- 
cellentes conditions  à  l'étranger  l'œuvre  qu'il  n'est  pas  parvenu  à 
faire  monter  à  Bruxelles. 


On  a  donné  dernièrement  au  Stadt-Theater  de  Brème,  la  pre- 
mière représentation  d'un  opéra  en  trois  actes,  Ingeborg,  dont  la 
musique,  œuvre  de  M;  Paul  Çreisler,  a  été  écrite  sur  un  livret  que 
M.  Peter  Lohmann  a  tiré  de  la  légende  de  Frithjof,  du  poète  suédois 
Esaias  Teguer.  L'ouvrage,  qui  paraît  avoir  été  fort  bien  accueilli  par 
le  public  et  par  la  critique,  a  pour  interprètes  M'"«8  Klafsky  et 
Seeger,  MM.  Wallnœfer,  Nebuschka,  Thomaszeket  Friedrichs. 


A  propos  de  la  cérémonie  commémorative  de  la  mort  d'André 
Van  Hasselt,  le  Journal  des  Beaux- Arts  rappelle  le  souvenir  de 
trois  poètes  belges  plus  oubliés  encore  que  ne  l'étaitVan  Hasselt. 

Ce  sont,  dit-il,  Edouard  Wacken,  le  Liégeois,  poète  au  vers  plein 
et  sonore,  mort  jeune,  et  qui  a  laissé  des  œuvres  que  la  postérité',  à 
défaut  des  contemporains,  mettra  à  leur  place,  notamment  les  Heures 
d'or  y  André  Chenier,  l'abbé  de  Rancé.  Puis  le ,  Luxembourgeois 
Ernest  Buschmann,  mort  jeune  après  avoir  publié  une  ode  d'un 
grand  caractère  sur  iS^ofre-Dame  d'Anvers,  Y Ecuelle  et  la  Besace^ 
Rameaux,  etc.  Il  était  cousin  de  J.-B.  Nothomb,  qui  lui  offrit  une 
place  de  800  francs  au  ministère.  Buschmann  refusa  et  se  fit  typo- 
graphe. Il  créa  à  Anvers  une  importante  imprimerie  qui  se  distingua 
ses  belles  éditions.  Et  enfin  le  Gantois  Steveus,  mort  jeune  éga- 
^•Jement  après  avoir  publié  un  volume  de  poésies  d'une  mélancolie 
grandiose  qu'aucun  poète  belge  n'a,  selon  nous,  encore  égalée. 
Slevens  était  correcteur  chez  Tarlier  à  3  francs  par  jour. 


Le  comité  d'artistes  et  d'hommes  de  lettres  qui  a  organisé,  cette 
année,  l'exposition  des  œuvres  d'Edouard  Manet  à  l'Ecole  des 
beaux-arts,  vient  de  décider  de  célébrer  l'anniversaire  de  cet  événe- 
ment artistique  par  un  banquet  commémoratif  qui  aura  lieu  demain, 
5  jaiivier,  chez  le  «»  Père  Lathuile  ».  Ce  banquet,  tout  intime,  réu- 
nira les  admirateurs  et  les  amis  de  Manet  sous  la  présidence  de 
M.  Antonirt  Proust,  qui,  lors  de  son  i)assage  au  Ministère  des 
Beaux-arts,  en  1874,  a  décoré  le  célèbre  auteur  du  Bon  Bock. 


Franz  Liszt,  venant  de.Pesth,  est  de  retour  depuis  quelques  jours 
à  Rome,  où  il  n'avait  pas  reparu  depuis  trois  ans.  Sa  santé  semble 
excellente,  et  l'on  a  beaucoup  exagéré,  paraît-il,  la  maladie  de  la 
vue  dont  il  est  atteint.  L'illustre  artiste  a  ,eu,  il  est  vrai,  les  yeux  un 
peu  malades,  mais  tout  fait  espérer  que  celte  affection  n'aura  pas  de 
suites.  Il  compte  passer  tout  l'hiver  à  Rome. 


Le  Comité  de  Y  Œuvre  des  Soirées  populaires  de  Verviers  vient  de 
publier  le  Règlement  de  son  treizième  concours  de  littérature 

Les  personnes  désireuses  d'obtenir  un  exemplaire  de  ce  Règlement 
sont  priées  de  s'adresser  à  M.  Léon  Lobet,  Président  de  l'Œuvre, 
70,  rue  du  Collège,  à  Verviers. 


s; 


VART  MODERNE 


La  Jeune  Belgique  organise  une  série  de,  six  conférences  qui  se 
feront  dans  une  petite  salle  non  encore  désignée,  mais  qui  ne  con- 
tiendra guère  plus  de  cent  personnes,  dé  manière  à  donner  à  ces  réu- 
nions un  caractère  tout  intime.  On  peqt  dès  à  présent  s'inscrire  au 
bureau  de  la  revue,  80,  rue  Bosquet.  L'abonnement  à  la  série  des 
six  premières  conférences  est  fixé  à  12  francs  et  ne  peut  être  scindé. 
^  Les  trois  conférences  dont  nous- pouvons  annoncer  les  titres  sont  : 
de  M.  Eug.  Robert  sur  Le  divorce,  de  M.  Albert  Giraud  sur  La 
faculté  poétique,  de  M.  Georges  Rodenbach  sur  Les  poètes  inti- 
mistes. 


La  Société  nouvelle.  —  Sommaire  du  n»  2  (20  décembre  1884). 
De  l'existence  d'une  science .  sociale,  Guillaume  De  Greef.  — 
Hippolyte  Boulenger  (suite),  Camille  Lemonnier.  —  Les  paysans 
anglais,  Léon  Metciinikoff.  —  La  musique  des  Tziganes,  Octave 
Maus.  —  La  crise,  lettre  ouverte  à  Monsieur  Eudore  Pirmez,  Jules 
Brouez.  t-  m.  Emile  de  Laveleye  et  la  souveraineté  de  la  raison, 
Agathon  de  Potter.  —  Chronique  littéraire,  A.  J.  —  Critique  philo- 
sophique, F.  B.  —  Les  libres  d'étrennes. 


Vient  de  paraître  chez  l'éditeur  Van  Trigt  :  Les  Musiciens  Néer- 
landais en  Espagne  du  xii»  au  xviii^  siècle,  par  Edmond  Vander- 
SïraéTen.  Nous  en  parlerons  prochainement.  , 

Sommaire  de  la  Jeune  Belgique,  tome  IV,  no  1  : 

Frontispice  de  Jean  Bauduin.  —  Flemm-Osô, '**  —  Jalousie, 
André  Fontainas.  —  Lettres  à  Jeanne  :  Soleil  couchant,  Jules 
Destrée.  —  Vers  d'automne,  Albert  Giraud.  —  La  fin  de  Bats, 
Georges  Eekhoud.  —  Le  vaisseau,  Edmond  Haraucourt.  -—  Fête- 
Dieu,  Paul  Lamber.  —  Les  rêveurs,  Georges  Khnopfï.  —  Le  thé  de 
ma  tante  Michel,  Camille  Lemonnier.  —  Rimes  pour  les  amantes,  ' 
Eddy  Levis.  —  Croquis  bruxellois,  Henry  Maubel.  — Les  jours 
mauvais,  Georges  Rodenbach.  — Mon  premier  lièvre,  Octave  Maus. — 
La  sève,  Emile  Van  Arenbergh.  —  Choses  du  temps,  Francis 
Nautet.  —  Félicien  Rops,  Joséphin  Péladan.  —  Conte  de  Noël  :  La 
veillée  de  ^l'huissier,  Edmond  Picard.  —  Fêtes  monacales,  Emile 
Verhaeren.  —  Mademoiselle  Rampillou,  Maurice  Sulzberger.  — 
Nina,  Auguste  Vierset.  —  Contes  fous  :  La  femme,  Max  Waller. 

Chroniques  :  La  manifestation  Van  Hasselt,  M.  W.  —  Lettre  à 
M,  Gustave  Frédérix,  La  Jeune  Belgique.  — Guirlande  à  Gustave, 
Tête  de  Mort.  —  Chronique  littéraire,  Albert  Giraud.  —  Chronique 
musicale,  Henry  Maubel.  — -  Mémento,  Nemo. 

Prix  de  ce  numéro  exceptionnel,  fr.  2.50. 

Rédaction  :  80  rue  Bosquet.  —  Administration,  2G,  rae  de 
l'Industrie. 

Le  Ménestrçl  a  publié  une  lettre  assez  curieuse  d'Hector  Berlioz 
contenant  des  observations  intéressantes  au  sujet  des  réductions 
pour  piano  des  partitions  d'opéras. 

Weimar,  le  12  février  1856. 
,  Hôtel  du  prince  héréditaire. 

Mon  cher  Monsieur  de  BUlow, 

Merci  d'abord  de  votre  charmante  lettre  si  pleine  dé  cordialité  ; 
elle  m'a  fait  du  bien  à  l'âmè  et  à  l'esprit.  Vous  écrive^  le  français 
avec  une  grâce  et  une  pureté  irritantes  pour  nous,  qui  avons  tant  de 
peine  à  sortir  des  difiicultés  de  cette  langue  infernale. 

Nous  espérons  ici  une  bonne  exécution  de  Cellini,  maintenant  que 
la  partition  est  dérouillée  et  fourbie  à  neuf  comme  une  épée.  Les 
chanteurs  sont  animés  du  meilleur  vouloir  ;  Gaspari,  à  qui  on  avait 
dit  que  ce  rôle  était  inchantable  et  lui  briserait  la  voix,  le  chante  au 
contraire  avec  amour  et  sans  effort.  Lui,  au  moins,  chantera  l'air 
•♦  Sur  les  moiits,  «  que  j'avais  regretté  de  ne  pouvoir  vous  faire 
entendre.  Hier  nous  avons  répété  longuement  l'ouverture  du 
Corsaire  pour  le  prochain  concert  de  la  cour.  Je  vous  remercie  de 


vouloir  bien  arranger  cette  ouverture,  et  si  vous  ne  l'avez  pas,  je 
vous  l'enverrai.  Mais  je  crois  qu'elle  est  réductible  pour  le  piano 
à  2  mains,  et  cela  vaudrait  bien  mieux.  Lorsque  2  pianistes  exé- 
cutent ensefmble  un  morceau  à  4  mains,  soit  sur  un  seul  piano,  soit 
sur  d^ux  pianos,  ils  ne  vont  jamais  ensemble  (du  moins  pour  moi) 
et  le  résultat  final  de  leur  exécution  est  toujours  (pour  moi  encore) 
plus  ou  moins  charivarique.  En  outre,  les  arrangements  à  4  mains 
pour  un  seul  piano  ont  l'inconvénient  d'accumuler  dans  le  grave  du 
.clavier  une  masse  de  notes  dont  la  sonorité  est  disproportionnée 
avec  celle  de  la  main  droite  du  !•'  pianiste,  et  il  en  résulte  un  pâté 
harmonique  plus  bruyant  qu'harmonieux  et  horriblement  indigeste. 
Il  vaut  donc  mieux  confier  aux  deux  mains  d'un  seul  pianiste  intel- 
ligent la  traduction  d'une  œuvre  'symphonique  quand  cela  est 
possible.  L'auteur,  alors,  est  au  moins  sûr  de  n'être  pas  tiré  en  sens 
contraire  par  deux  chevaux.  ..  Pardonnez-moi  ces  blasphèmes  sur 
les  pianistes. ,  .  ils  ne  vous  regardent  point  d'ailleurs,  vous  êtes 
musicien.  ,  H.Berlioz. 


Les  annoncés  sont  reçues  au  bureau  dujoiovial, 
26,  rue  de  V Industrie^  à  Bruxelles, 

NOUVEAUTÉS    MUSICALES 

POUR  PIANO       ' 

Huberti,  G.  Trois  morceaux  :  N»  1.  Etude  rhythmique,  2  fr.  — 
N"  2.  Historiette,  2  fr.  —  N»  3.  Valse  lente,  fr.  1.75. 

Kowalski.  Op.  44.  Autour  de  mon  Clocher,  2  fr.  —  Op  45.  Illu- 
sions et  Chimères.  2  fr.  —  Op.  48.  Tambour  battant,  2  fr. 

Smith  S.  Op.  185.  Notre-Dame,  Chant  religieux,  2  fr.  — Op.  191. 
La  mer  calme.  Deuxième  barcarolle,  2  fr.  —  Op.  192.  Styrienne, 
2  fr.  —  Op.  193.  Marguerite,  2  fr.  —  Op.  194.  La  fée  de  Oncles.  2  fr! 

Wieniaioski.  Jos  Op.  39.  Six  pièces  romantiques  :  Cah.  I.  Idylle, 
Evocation,  Jeux  de  fées,  3  fr.  —  Cah.  II.  Ballade,  Elégie,  Scène 
rustique,  3  fr.  — ■.  Op.  41.  Mazourka  de  concert,  fr.  2. .50. 

MUSIQUE  POUR  CHANT 

Bach.  Six  chorals  pour  chœurs  mixtes  par  Mèrtens.  La  partition, 
1  franc. 

Bremer.  A.  Sonne  mon  tambourin,  pour  chant,  violon  ou  violon- 
celle et  piano,  3  fr.  —  Hymne  à  Cérès,  pour  baryton  ou  mezzo- 
soprano  et  chœur  pour  3  voix  de  femmes,  2  fr. 


Sous,  les  Bois,  la  partition,  fr.  2.50.  —  N"  4.  La  Paix,  la  partition, 
fr.  3.50. 

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Maison  principale   MONTAGNE   DE   LA  COUR,    82 

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MON    ONCLE 


LE    JURISCONSULTE 

PAR 
AVOCAT  A  LA  COUR  DE  CASSATION 

Un  volume  in-octavo,  impression  de  luxe  sur  papier  de  Hollande, 
avec  un  portrait  gravé  par  Aubry  et  une  illustration  par  Mellery. 

Prix  :  3  fr.  50 

Cet  ouvrage  forme  la  suite  des  Scènes  de  la  vie  judiciaire. 

Les  volumes  antérieurement  parus  sont  : 

Le  Paradoxe  sur  l'avocat.  —  La  Forge  Roussel.  —  L'amiral. 

Il  a  été  tiré  vingt-cinq  exemplaires  sur  papier  impérial  du  Japon 
numérotés  qui  sonl  mis  en  vente  au  prix  de  10  francs. 


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IJART  MODERNE 


ENTRERA   LE   1"  JANVIER   PROCHAIN   DANS   SA   CINQUIÈME   ANNÉE 

L'ART  MODERNE  s'est  acquis  par  l'autorité  et  rindépendaiice  de  sa  critique,  par  la  variété  de 
ses  informations  et  les  soins  donnés  à  sa  rédaction"  une  place  prépondérante.  Aucune  manifestation  de 
l'Art  ne  lui  est  étrangère  :  il  s'occupe  de  littérature,  de  peinture,  de  sculpture,  de  gravure,  de 
musique,  .d'architecture,  ^tc.  Consacré  principalement  au  mouvement  artistique  belge»  il  renseigne 
ses  lecteurs  sur  tous  les  événements  artistiques  de  l'étranger,  qu'il  importe  de  connaître. 

Chaque  livraison  de  l'ART  MODERNE  s'ouvre  par  une  étude  approfondie  sur  une  question 
artistique  ou  littéraire  dont  l'événement  de  la  semaine  fournit  l'actualité.  Les  expositions,  les  liv^^es 
nouveaux,  les  premières  représentalio7îs  d'œuvres  dramatiques  ou  musicales,  les  conféreyices  littéraires, 
\q^  concerts,  \e^  ventes  -  d'objets  d'art,  font  tous  les  dimanches  l'objet  de  chroniques  détaillées. 

L'ART  MODEJRNE  ..relate  auî««i  la  législation  et  la  jurisprudence  artistiques.  Il  rend  compte  des 
procès  les  plus  intéressants  concernant  les  Arts,  plaides  devant  les  tribunaux  belges  et  étrangers. 
Les  artistes  trouvent  toutes  les  semaines  dans  son  Mémento  la  nomenclature  complète  des  expositions 
et  concours  auxquels  ils  peuvent  prendre  part,  en  Belgique  et  à  l'étranger.  Il  est  envoyé  gratuitement 
à  l'essai . pendant  un  moi^  à  toute  personne  qui  en  fait  la  demande. 

L'ART  MODERNE  forme  chaque  année  un  beau  et  fort  volume  d'environ  450  pages,  avec  deux 
tables  des  matières,  doyit  Tune,  par  ordre  alphabétique,  de  tous  les  artistes  appréciés  ou  cités.  Il 
constitue  pour  l'histoire  de  l'Art  le  document  LE  PLUS  COMPLET  et  le  recueil  LE  PLUS  FACILE 
A   CONSULTER. 

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Quelques  exemplaires  des  quatre  premières  années  sont  en  vente  aux  bureaux  de  l'ART  MODERNE, 
rue  de  l'Industrie,  26,  au  prix  de  30  francs  chacun. 


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Toutes  les  œuvres  de  Brahms,  ainsi  qu'un  choix  de  bons  portraits  du  com- 
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Bruxelles.  —  linp.  1<  klix  Callkn*  aert  père,  rue  de  l'industiie, 


Cinquième  année.  —  N°  2. 


Le  numéro  :  25  centimes. 


i)iMANCHE  11  Janvier  1885. 


L'ART 


PARAISSANT    LE     DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,   un   an,   fr.  10.00;  Union   postale,    fr.    13.00.    —   ANNONCES   :    On  traite  à   forfait. 


Ad7^esse7*  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 
l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


^OMM 


AIRE. 


Le  banquet  Manet.  —  Obéron   —  Esposiciox  literario-abtis- 
TicA  A  Madrid    — Bonixgton   jugé   par   Eugène    Delacroix.  — 
Etrennes  musicales    —  Théâtres.  —  Chronique  judiciaire    des 
ARTS.  —  Mémento  des  expositions  et  concours,  — ;  Petite  chro- 
nique .     , 


LE  BAXQUET  MANET 

Il  a  ea  lieu,  le  5  janvier,  chez  le  père  Lathuile, 
avenue  de  Clichy,  dans  ce  restaui'ant  où  le  peintre 
avait  placé  le  sujet  d'une  des  toiles  les  plus  éloquentes 
de  son  art  alors  révolutionnaire,  aujourd'hui  admis, 
loué,  consacré. 

Combien  désormais  dans  Fart  les  rénovations  vont 
vite  et  comme,  plus  cruellement  que  jamais,  des  roues 
de  leur  char  elles  écrasent  les  audacieux  qui  le  lancent 
à  travers  les  préjugés!  La  foule  les  jette  bas  sous  les 
coups  de  ses  iniquités  et  de  ses  sarcasmes.  A  peine 
gisent-ils  morts  et  sanglants  sur  le  sable,  qu'elle  les 
relève  et  les  déifie 

Avis  à  ceux  dont  Tâme  est  assez  haute  pour  se  laisser 
tenter  par  ces  destinées  héroïques. 

Manet,  écrivait  récemment  un  critique,  fut  le  dé- 
daigné, l'insulté,  le  pestiféré.  Etre  refusé  au  Salon 
n'était  rien,  mais  entendre  pendant  des  années  tout  le 
monde  railler  son  effort,  entendre  le  murmure  désap- 
probateur qui  grossit,  qui  s'augmente  de  toutes  les 
blagues  des  cafés,  de  toutes  les  calembredaines  des 


journaux,  de  toutes  les  insanités  du  reportage,  de  toutes 
les  vidanges  des  ratés  et  des  envieux,  et  qui  finit  par 
devenir  un  chœurironique  et  canaille,  infectât  poissard, 
jamais  interrompu  ;  ne  pas  pouvoir  trader  un  trait, 
placer  un  ton  sans  provoquer  les  éclats  de  rire  et  les 
indignations,  les  accusations  de  folie,  de  mystification 
et  de  malhonnêteté;  assister,  à  propos  de  n'importe 
quelle  œuvre  patiemment,  sincèrement  élaborée,  au 
même  défilé  de  plaisantins  furieux;  être  traqué  par 
tout  ce  qui  parle  de  tableaux,  par  tout  ce  qui  en  vend, 
par  tout  ce  qui  en  achète;  avoir  la  sensation  d'une 
marée  d'injures  qui  monte  sans  cesse,  qui  vient  battre 
jusqu'au  seuil  de  l'atelier...,  tout  cela,  vraiment  c'était 
trop  et  pourtant  voilà,  en  quelques  lignes  qui  .paraî- 
tront exagérées  et  qui  ne  font  que  résumer  l'histoire 
d'hier,  voilà  quelle  fut  l'existence  du  très  délicat  et  très 
vibrant  artiste  que  tous  célèbrent  àTenvi  depuis  qu'il 
^dort  du  sommeil  sans  réveil. 

Et  dire  que  jamais,  malgré  ces  leçons  funèbros,  la- 
badauderie  contemporaine  ne  se  corrige.  Elle  poursuit, 
elle  s'acharne,  elle  frappe,  elle  tue.  Puis  elle  ramasse, 
redresse,  orne,  encense,  toujours  glorieuse  d'elle-même, 
se  proclamant  juste  quand  elle  outrage,  plus  juste 
encore  quand  elle  réhabilite.  En  aucun  siècle  il  n'y  eut 
plus  universellement  une  rage  impitoyable  contre  les 
novateurs,  et  plus  pronlptement  des  retours  pour  les 
vénérer  jusqu'à  l'aplatissement.  . 

Ces  multiples  leçons  donnent  un  cœur  de  lion  aux 
artistes  véritables.  Elles  leur  apprennent  à  ne  tenir 
aucun  compte  de  cette  stupide  opinion  publique  qui. 


.  avec  uiie  effronterie  naïve,  se  dément  sans  cesse  à 
courte  échéance.  Elles  leur  apprennent  aussi  Tinesti- 
mahle  pri*  de  l'originalité,  puisque  c'est  à  celle-ci 
seule  que  toujours  et  sans  retard  l'admirateur  revient. 
Il  est  vrai  que  tout  cela  s'achète  par  cette  dure  misère  : 
savoir  souffrir  et  mourir.  _ 

C'est  à  quoi  ne  se  résignera  jamais  l'art  bourgeois 
qui  ne  comprend  l'activité  que  comme  moyen  de  s'enri- 
chir. Celui-ci  ne  précède  jamais,  il  suit  le  vulgaire,  ou 
plutôt,  ainsi  que  le^ulgaire  il  reste  stagnant.  Sans 
ces  échappés,  ces  insensés  qui  sautent  hors  des  rangs 
poursuivis  par  la  tempête  des  réprobations, >  l'art  rie 
bougerait  pas.  Ils  vont  à  l'aventure,  ces  apparents 
déserteurs,  par  derrière  siffles,  par  devant  se  buttant 
aux  obstacles,  se  déchirant  aux  épines  de  la  nouveauté 
qui  fuit,  glisse,  se  dérobe.  Ils  y  vont  comme  les 
explorateurs  vont  au  pôle,  souffrants,  isolés,  se  heur- 
tant aux  glaces,  pris  dans  les  banquises,  laissant  leurs 
os  sur  quelque  plage  ignorée  et  glacée,  jusqu'au  jour 
où  l'on  rapporte  leur  dépouille  en  triomphe. 

La  compensation,  c'est  qu'ils  sont  les  plus  grands. 

Et  que  finalement  seuls  ils  demeurent. 

Est-ce  que  vraiment  jamais  le  public  ne  s'habituera 
à  cette  vérité  que  l'art,  comme  toutes  choses,  se  déve- 
loppe en  un  panorama  mouvant,  et  que  c'est  sottise  de 
se  piéter  devant  une  de  ses  manifestations  passagères 
et  de  prétendre  ne  plus  bouger?  Le  spectacle  le  plus 
beau  n'est  pas  dans  cette  transitoire  image,  quelque 
merveilleuse  qu'elle  puisse  être,  mais  dans  cette  évolu- 
tion constante  et  sa  variété  magique.  Plus  elle  est  libre, 
plus  elle  est  séduisante.  A  chacune  de  ces  expressions 
nouvelles  il  ne  faut  pas  entrer  en  fureur,  mais  en  joie  ; 
il  faut  s'accoutumer  à  ces  transformations  inépuisables 
et  se  résigner  aus^^.  quand  arrivent  d'autres  temps, 
à  voir  éclore  d'autres  idées,  à. passer  peu  à  peu  à 
l'arrière-plan,  à  faire  place  aux  jeunes,  à  ne  pas  s'irriter 
de  se  voir  méconnaître  par  eux  dans  l'aveuglement 
souvent  injuste  de  leur  originalité  intransigeante. 

Certes  c'est  difficile  pour  les  vieux.  Et  comme  d'or- 
dinaire c'est  en  leurs  mains  que  réside  la  puissance,  il 
ne  faut  pas  s'étonner  s'ils  l'emploient  à  maintenir  leur 
royauté  sénile.  Mais  coûte  que  coûte,  toujours  ils 
finissent  par  céder,  et  leur  opposition  ne  sert  qu'à 
désespérer  quelques  nouveaux  venus,  à  surexciter 
l'assaut,  à  rendre  la  lutte  plus  meurtrière. 

Savoir  se  résoudre  à  passer,  à  ne  plus  être  après 
avoir  été,  à  se  lever  pour  faire  place  à  d'autres,  à  les 
admirer  comme  on  fut  admiré  soi-même,  à  être  beau 
joueur,  à  passer  la  main.  Telle  serait  la  sagesse. 

Quelle  paix,  si  c'était  vu,  si  c'était  compris. 

Manet  fut  de  ceux  qui,  plus  brutalement  qu'aucun, 
dès  qu'on  voulut  l'étouffer,  prit  la  pose  du  boxeur  et  dé- 
chargea de  formidables  coups  de  poing.  Il  saisit  sa  brosse 
et  la  manœuvrant  comme  une  épéé  à  deux  mains  lui  fit 


décrire  des  moulinets  qui  maintinrent  autour  de  lui  une 
aire  libre  où  son  originalité  put  largement  respirer. 
Il  ne  se  contenta  pas  de  faire  dit  nouveau  en  peinture, 
pendant  quelque  temps  il  fit  le  nouveau,  le  seul,  le 
puissant,  l'étrange,  doué  de  cette  vertu  étonnante  que 
vilipendé  par  tous,  il  devait  devenir  bientôt  la  source 
où  tous  iraient  boire.  Il  a  dégagé  la  théorie  du  plein  air 
avec  une  intensité  qui,  au  début,  fut  aveuglante,  comme 
s'il  avait  arraché  la  cataracte  des  yeux  de  ses  contem- 
porains, et  qui  devient  la  seule  lumière  qui  désormais 
paraisse  reposante  et  bienfaisante.  Son  cri  d'émancipa- 
tion épouvanta  tant  il  fut  strident,  mais  il  lui  fallait 
cette  sonorité  assourdissante  pour  fixer  l'attention  et 
faire  place  à  celui  qui  osa  le  pous.ser. 

Il  demeure  une  des  plus  puissantes  incarnations  de 
l'artiste  jeune,  libre,  novateur,  incompressible,  iné- 
branlable, inintimidable.  Il  se  dégage  comme  un  exem- 
ple et  presque  comme  un  symbole. 

Il  soufirit.  Oui.  Il  souffrit.  Soit.  Inutile  de  le  plaindre. 
Il  se  glorifiait  de  son  malheur. 

Comme  l'ajoutait  l'écrivain  dont  nous  citions  plus 
haut  quelques  lignes  (*),  il  se  livre  en  l'esprit  de  l'artiste 
nié  par  tous;,  d'affreux  combats  où  l'orgueil,  la  volonté, 
la  pensée  reçoivent  des  blessures.  Manet  connut  ces. 
combats.  Il  persista  pourtant;  il  fut  victorieux  de  sa 
souff'rance,  et,  quoique  blessé,  marcha  chaque  jour 
vers  une  bataille  nouvelle.  Son  œuvre  d'artiste  porte 
les  marques  d'études,  de  recherches,  raconte  des  chan- 
gements intellectuels,  des  découvertes  subites  :  on  y 
chercherait  en  vain  une  concession.  Même  médaillé, 
même  décoré,  il  restait  l'insurgé;  son  dernier  tableau 
eut,  comme  son  premier,  davantage  même,  le  caractère 
d'une  barncade  artistique  dressant  un  guidon  de  cou- 
leur fcanche.  A-t-on  dit  cela  chez  ♦'  le  Père  Lathuile?  » 
C'est  probable.  C'est  là  la  grandeur  delà  lutte  soutenue 
par  Manet  et  par  les  artistes  et  les  écrivains  avec 
lesquels  il  combattait;  c'est  là  le  souvenir  de  l'existence 
de  cet  opiniâtre  qui  doit  sans  cesse  rester  présent  à 
l'esprit  de  ceux  qui  sont  las  de  rabâcher  les  formules 
anciennes,  de  ceux  qui  veulent  aujourd'hui,  démain, 
sans  cesse,  découvrir  du  nouveau. 

Courage  donc,  ô  nos  jeunes,  ô  nos  vaillants!  Faites 
comme  lui.  Tombez  comme  lui,  s'il  le  faut.  Mais  de 
meilleurs  temps  approchent.  Votre  nombre  sans  cesse 
croissant,  et  vos  victoires,  sont  là  pour  l'attester. 
Bientôt  vous  serez  les  seuls.  Les  chiens  vils  qui  vous 
pourchassent  en  sont  à  leurs  dernières  morsures. 


OBÉRON 


Ce  qui  fait  le  charme  de  la  partition  d'Obéroii^  c'est  qu'elle  est 
musicale  dans  toute  la  force  du  terme  ;  c'est  que,  depuis  la  pre- 


(^)  Gustave  Geffroy,  de  la  Justice. 


K 


mièrc  mesure  de  l'ouverture  jusqu'à  l'accord  final,  elle  rcflèle 
avec  une  sensibililé  exquise  toutes  les  délicatesses  d!une  organi- 
sation artistique  de  premier  ordre  k  laquelle  rien  n'a  manqué,  ni 
l'inspiralioni  ni  le  goût,  ni  la  modération,  ni  l'instinct  des 
diverses  voix  dc' l'orchestre  à  employer  pour  donner,  au  moment 
voulu,  l'effet  juste.  ^ 

Quand  on  songe  qu'Ok'mi  a  été  écrit  il  y  a  près  de  soixante 
ans,  on  s'étonne  de  sa  fraîcheur.  A  part  quelques  formules, 
quelques  tournures  de  phrases  qui  sont  tombées  dans  le  domaine 
public  — la  législation  sur  la  propriété  musicale  a  encore  bien 
des  lacunes!  —  rien  n'a  vieilli,  et  l'on  "a  écouté  la  musique  de 
Weber.avec  autant  de  plaisir,  d'intérêt,  et  peut-être  de  curiosité, 
que  s'il  se  fût  agi  d'un  jeune  compositeur  de  l'école  française,  de 
celle  qui  a  riionopolisé  la  faveur. 

Le  motif  n'en  est  pas  dilTicilc  h  découvrir.  Avec  les  quelques 
vraies  et  durables  gloires,  Weber  a  tourné  le  dos  aux  sollicita- 
tions qui  assiègent,  dans  les  moments  de  crise,  tout  artistt;,  le 
pressant  de  réaliser  immédiatement  en  billon  de  popularité  le 
•lingot  que  la  postérité  monnaiera  en  beaux  louis  neufs. 

Il  a  refusé  d'écrire  selon  la  mode. 

Il  a  noté  ce  que  lui  dictait,  dans  la  fièvre  de  l'enfanlcment 
intellectuel,  l'inspiration  la  plus  mélodique  qui  fût.  Il  a,  l'un  des 
premiers,  senti  que  la  phrase  musicale  n'est  qu'une  traduction  de 
la  phrase  poétique,  qu'elle  doit  s'enlacer  à  elle,  la  soutenir,  la 
faire  valoir.  Il  a  découvert  qu'il  y  a  dans  la  musique  un  coloris 
plus  subtil,  plus  délicat  que  dans  la  peinture  ;  et  son  oreille,  d'une 
acuité  pénétrante,  en  a  perçu  les  dégradations  et  les  mystérieuses 
harmonies.  Il  a  compris  quel  rôle  doit  jouer  l'orchestre,  cet  élé- 
ment formidable  dont  les  compositeurs  en  vogue,  quand  apparut 
la  sereine  figure  de  Weber,  n'avaient  pas  soupçonné  la  puissance. 
Il  a  vu  que  c'était  l'orcHestre  qui,  est  le  véritable  lien  qui  main- 
tient toutes  les  parties  du  drame  lyrique,  en  concentre  l'intérêt, 
en  groupe  les  idées  saillantes  et  les  met  en  relief. 

Ainsi,  pressentant  les  traits  caractéristiques  d'un  art  nouveau 
qui  devait  atteindre  longtemps  après  lui  son  apogée,  Weber  ne 
perpétua  les  traditions  du  passé  que  par  la  coupe  des  morceaux 
qu'il  fit  défiler  un  à  un  sous  forme  d'airs,  de  duos,  de  trijas.  Il 
assit  son  art  sur  les  principes  solides  de  la  théorie  moderne  du 
drame  lyrique.  Sa  musique  nous  touche,  parce  qu'en  l'écoutant 
nous  nous  sentons  en  communion  d'idées  avec  le  compositeur, 
dont  l'idéal  était  semblable  au  nôtre. 

Comme  on  comprend  l'admiration  que  professait  Wagner  k 
l'égard  du  Maître,  et  combien  est  vraie  l'hérédité  qu'il  revendi- 
qua, avec  autant  de  modestie  que  de  légitime  fierté,  dans  la 
célèbre  lettre  à  Frédéric  Villot  qui  résume  sa  profession  de  foi  ! 

Si  les  moyens  employés  pour  atteindre  au  but  rêvé  ont  été 
différents,  si  Wagner  a  donné  à  sa  pensée  une  expansion  bien 
différente  de  celle  de  son  prédécesseur,  s'il  développa  et  fit  épa- 
nouir magnifiquement,  en  le  dégageant  de  tout  élément  parasite, 
un  art  dont  le  germe  se  trouve  dans  la  musique  de  W^eber,  on 
peut  affirmer  que  ces  deux  fleuves  magnifiques  ont  une  source 
unique  et  que  sur  une  partie  de  leur  parcours,  ils  ont  coulé  paral- 
lèlement. 

L'interprétation  donnée  par  le  théûtrc  de  la  Monnaie  de  cette 
œuvre  radieuse  et  charmante  a  été,  sinon  parfaite,  du  moins 
remarquable,  et  supérieure,  dans  l'ensemble,  aux  exécutions 
habituelles.  Un  seul  des  interprètes  fait  tache;  c'es^  M.  Rodier, 
absolument  insuffisant,  comme  chanteur  et  comme  acteur,  dans 
le  rôle  d'Huon.  M.  Soulacroix  joue  avec  gaîté  le  personnage  de 


Sherasmin.  MM.  Guérin  et  Chapiiis  s'en  donnent  à  cœur  joie  de 
bouffonneries  dans  des  rôles  dont  le  compositeur  a,  heurëuser 
ment,  fait  des  caricatures.  Quant  à  Obéron,  il  est  rqirésenté  par 
M.  Delaquerrière  sans  grand  éclat,  mais  aussi  sans  faiblesse. 

Les  trois  interprêtes  féminins  sont  charmants.  M»'«  Dosman 
entadre  sa  voix  très  pure  d'un  chatoyant  costume.  M"«  Des- 
champs, dans  le  rôle  de  Puck,  a  remporté  un  suc?.ès  de  bon  aloi.' 
L'adorable  mélodie  qu'elle  chapte  tandis  que  se  déroule  le  pano-  « 
rama  des  côtes  d'Afrique  a  été  dite  avec  tant  de-  style,  de  sentir 
ment  et  d'une  voix  si  pure,  que  deux  rappels  ont  récomposé  l'ar- 
tiste. Elle  en  était  ravie.  «  Enfoncé,  le  panorama  !  »  disait-elle 
en  rentrant  dans  les  coulisses.  C'a  été  le  mot  de  la  soirée. 

Enfin  M"«  Legault  a  complété  cet  excellent  ensemble  par 
l'appoint  de  sa  grâce  aimable.  Chargée  du  rôle  un  peu  effacé  de 
Fatime,  elle  en  a  tiré  d'excellents  effets,  sans  marcher  sur  les 
plates  bandes  de.  ses  camarades.  Elle  s'est  fait  un  joli  petit  succès 
des  deux  airs  qu'elle  chanté  d'une  voix  posée,  avec  beaucoup  de 
goût,  sans  forcer  le  ton,  et  avec  un  scrupuleux  respect  de  la  pen- 
sée du  maître. 


ESPOSICION  LITERARIO-ARTISTICA  A  MADRID 

Nous  recevons  d'un  artiste,  de  passage  à  Madrid,  des  notes  sur 
une  exposition  actuellement  ouverte  en  cette  ville.  Nous  les 
publions  dans  leur  forme  pittoresque,  sans  les  modifier. 

Le  musée  du  Prado,  la  meilleure  collection  des  chefs-d'œuvre  de 
Velazquez,  ile  Ribera,  du  Oreco  (un  artiste  qui  n'est  connu  qu'au 
Prado  et  à  Tolède),  n'a  rien  inspiré  aux  jeunes  peintres  de  Madrid. 
Ceux-ci  ont  l'air  de  ne  pas  comprendre  les  maîtres  espagnols  :  on 
peut  dire  qu'il  n'y  a  en  Espagne  pas  un  seul  peintre.  Il  n'y  a  dans 
tous  les  cas  chez  aucun  d'eux  la  moindre  tendance  vers  l'art  jeune. 
Au  musée  du  Prado,  n'a  t-on  pas  eu  l'audace  d'ouvrir  une  galerie  de 
peinture  moderne  pleine  de  choses  horribles  qui  ne  contient  que 
trois  bons  tableaux:  un  magnifique  Rosales,  artiste  mort  très  jeune; 
-^un  tableau  d'histoire  par  Pradilla,  et  un  autre  par  Sala.  Mais  arrivons 
à  l'exposition  qui  nous  occupe,  l'esposicwn  Uterario-artistica, 
située  en  face  de  la  jjromenade  El  Hetiro.  Comme  il  ne  faut  pas  être 
critique  d'art  pour  j'iger  une  exposition  de  croûtes,  je  vais  être 
sincère  et 'faire  comme  peintre  une  comparaison,  la  plus  juste  pos- 
sible, entre  les  moins  mauvais  (très  forts  pour  la  presse  espagnole) 
et  quelques  peintres  connus  en  Belgique. 

D'abord,  aucune  idée  de  la  réalité  ni  de  la  peinture  sur  place.  L'on 
voit  toujours  l'atelier,  mais  l'atelier  à  travers  une  routine  très  bien 
apprise  par  cœur  et  créée  par  Fortuny.  Pas. de  personnalité.  Toujours 
le  même  bleu  cru,  comme  s'il  était  fait  avec  la  même  palette,  mis 
«ocomme  fond  conventionnel  dans  les  portraits  et  comme  ciel  dans  les 
paysages. 

Sur"  ce  sale  bleu,  on  trouve  quelquefois  de  petits  nuages  :  on 
dirait  des  morceaux  de  papier  plus  ou  moins  blancs  coupés  sur  des 
formes  assez  drôles  et  collés  sur  la  toile.  Pas  la  moindre  préoccupation 
de  l'air.  Je  crois  qu'ils  ont  raison,  cela  doit  être  très  commode. 

Un  portrait  de  Wagner,  d'après  celui  connu  par  tout  le  monde  ;  le 
profil  et  le  béret  illuminés  par  vm  fond  vert;  un  vrai  portrait  après 
décès  fait  par  un  amateur.  Mais  le  plus  triste,  c'est  qu'il  y  en  a  par 
centaines,  de  ces  portraits-là  ! 

Alors  on  songe  à  Herbo,  et  l'on  admire,  par  comparaison,  la 
largeur  de  sa  facture,  la  couleur  nature  de  ses  chairs  ! 

Différents  portraits,  très  flattés,  de  la  famille  royale  d'Espagne, 
d'après  des  photographies,  et  dessinés  avec  une  petitesse  exagérée.  Si 
vous  mettez  Van  Beers  à  côté  de  ces  chromos,  vous  vous  direz  qu'au 
regaril  des  Espagnols,  ce  Flamand  n'a  pas  poussé  assez  loin  sa  minutie  î , 


r\ 


peux  ou  tVois  batailles;  mais  clans  ce  genre,  je  ne. connais  eu 
Belgique  que  Van  Severdoiick,  et  comme  celui-ci  est  un  colosse  à 
côté  (les  peintres  militaires  espagnols,  je  ne  trouve  pas  de  |)oint  do 
comparaison.  Il  y  aussi  Ferez  Rubio,  un  artiste  qui  tripote  dans  un 
sirop   dont   Vandèu   Bussche  serait  jaloux. 

Toute  une  salle  d'assiettes  peintes,  dignes  d'un  concours  organisé 
dans  un  pensionnat  de  demoiselles^et  très  bien  encadrées  avec  le 
velours  rouge  qu'alï'eclioniie  Ilerbo.  D'autres  dessinées  avec  de  la 
fumée. 

Des  éventails  portant  diverses  variétés  de  cocottes,  et  sans  !<> 
moindre  goût  artistique. 

I.'u   grand    tableau   ([ui   représente   \mC  femnie   couchée   sur   un 
coquillage,    peinture   de   parfumeur,   avec    l'éternel    bleu    dajis    le 
'fond _  " 

Quelques  mauvaises  copies  de  vierges  de  Murillo. 

l'n  de  mes  bons  amis,  que'dans  le  temps  je  croyais  fort,  expose  des 
fleurs  sur  le  fameux  bleu  eu  question.  Malheureux  !  Il  est  perdu. 

C'est  dommage,  je  l'aimais  bien.  Cet  été,  j"ai  vu  des  fleurs  de 
Capeinick.  Pas  moyen  de  les  comparer;  le  flamand  paraît  un  révolu- 
tionnaire, iielas  !....  ' 

Plu.'^ieurs  tableaux  d'une  coloration  estampe,  dans  le  genre  du 
Mf triage  de  l'cmoii. 

Dans  les  potits  tableaux,  F'ortuny  domine,  c'est  à  dire  un  tas  do 
peintres  qui  ressemblent  à  Galofre,  déjà  connu  au  C'erde  de 
Bruxelles.  Ici  on  trouve  cela  épatant.  > 

Le  j)lus  fort  de  celte  engeance,  Moreuo  Carbonero,  a  un  petit 
tal)leau  avec  deux  tigures  microscopiques  costumées  à  la  Meissonier, 
le  ciel  toujours  cru  et  le  tout  absolument  faux.  Un  autre,  Casanova, 
connu  à  Paris  par  ses  moines  et  ses,  manolaSy  arrive  avec  une  série 
dechromolithograpliies.  QuantàVillegas,  un  peintre  qui  a  beaucoup 
vendu  à  Rome,  c'est  du  Fortuny  craché,  pas  seulement  comrr>je 
procodé  et  comme  couleur,  mais  comme  sujets,  figures,  costumes  et 
poses.  " 

En  ce  qui  concerne  les  peintres  de  marine,  je  n'ai  qu'un  mot  à 
dire,  mais  il  est  amu.sant  :  feu  Francia  était'  un  réaliste,  et  il  ferait 
très  bien  dans  cette  exposition.  Ceux-ci,  par  exemple,  vendent 
|)lus  cher;  ils  demandent  2000  f».  pour  une  petite  marine  inférieure 
à  celles  de  Francia. 

Pour  les  aquarelles,  ils  sont  plus  forts  Ils  ressemblent  aux  italiens, 
quoiqu'on  voie  toujours  chez  eux  l'influence  de  Fortuny.  Citons 
aussi  quelques  gravures  de  Pradilla  et  Dominguez,  illustrations 
artistiques  des  œuvres  de  Nunez  de  Arce,  un  bon  poète  espagnol. 

Tout  cela  mêlé  avec  une  exposition  de  marchands  de  tout.  Entre 
les  tableaux,  on  voit  des  chromos  qui  représentent  des  modèles  de 
voitures  de  la  Maison  du  Roi  Alfonso  XII.  Difl'érents  libraires 
exjxisent,  dans  les  salles  de  peinture,  des  livres  bien  reliés,  des  enve- 
loppes, du  papier  à  écrire,  des  vignettes  annonçant  les  foires,  les 
fêtes,  les  courses  de  taureaux,  les  fameuses  bodegas,  les  établisse- 
mei.ts  de  bains!  Dçs  cartes  géographiques,  des  lithographies  et 
estampes  rejjrésentant  les  cathédrales  et  monuments  à  remarquer 
on  Espagne,  et  enfin  plusieurs  étiquettes  et  images  servant  de 
réclames  pour  annoncer  les  principales  fabriques  ou  dépôts  du  pays 
et  de  l'étranger,  alternent  avec  les  tableaux  et  les  aquarelles.  Enfin 
un  grand  étalage  d'un  marchand  de  couleurs,  avec  les  tubes  des 
fabriques  Lefranc,  Mommen  et  Schônfeld  de  DusseldoriT,  toiles, 
brosses  et  tout  le  bazar  complet.  Mais  je  finis  ici  car  un  employé 
qui  me  voit  écrire  ces  notes  me  dit  qu'il  est  défendu  de  voler  les 
idées  à  ce§  peintres  admirables^  et  il  me  prie  de  lui  acheter  un 
cahier,  qui  vient  de  Paris,  dont  le  titre  en  français  est  Le  maître 
dessinateur,  méthode  progressive  pour  apprendre  à  faire  des  yeux, 
des  nez,  des  bouches,  etc.,  et  rornement.  Ceci",  c'était  le  bouquet,  et 
je  me  suis  sauvé. 

,,  Dario. 


BONINGTON  JUGE  PAR  EUGÈNE  DEIACR0IX  (*) 


K 


A  M.  Th.  THORÉ 


Chainprosay,  par  Draveil  (Seine  et  Oise),  ce  30  novembre  1S61. 

Mon  Cher  Ami, 

Je  ne  reçois  que  tardivement  et  à  la  campagne  la  lettre  où 
vous  me  demandez  des  détails  .<?ur  Boninglon  :  je  vous  envoie 
avec  plaisir  le  peu  de  renseignements  qu€  je  possède. 

Je  l'ai  beaucoup  connu  et  je  l'aimais  beaucoup.  Son  sang-froid 
hrjtiinniqiie,  qui  était  impcrlurbable,  ne  lui  ôtail  aucune  des 
(jualités  qui  rendent  la  vie  aimable.  Quand  il  m'est  arrivé  de  le 
rencontrer  j)Our  la  première  fois,  j'é'ais  moi-mêm'e  fort  jeune  et 
je  faisais  des  études  dans  la  galerie  du  Louvre  :  c'était  vers 
18i6  ou  17.  Je  voyais  un  grand  adolescent,  en  veste  courte,  qui 
faisait,  lui  aussi  et  silencieusement,  des  éludes  à  l'aquarelle, . 
en  géiiéral,  d'après  des  paysages  flamands.  Il  avait  déjà,  dans  ce 
genre,  qui,  dans  ce  lemps-ià,  était  une  nouveauté  anglaise,  une 
habileté  surprenante. 

Peu  de  temps  après,  je  voyais  chez  vSchrolb,  qui  venait  d'ou- 
vrir une  bouli(jue  de  dessins  et  de  petits  tableaux  (la  première, 
j'^  crois,  qui  se  soit  établie),  des  aquarelles  charmantes  de  cou- 
leur et  de  composition. 

Il  y  avait  déjà  tout  le  charme  qui  fait  son  mérite  à  part. 

A  mon  avis,  on  -peut  trouver  dans  d'autres  artistes  modernes 
des  qualités  de  force  ou  d'exactitude  dans  le  rendu  supérieures  h 
celles  des  tableaux  de  Boninglon,  mais  personne,  dans  celle  école 
moderne,  et  peut-être  avant  Iw,  n'a  possédé  cette  légèreté  dans 
l'exécution,  qui,  particulièrement  dans  l'aquarelle,  fait  de  ses 
ouvrages  des  espèces  de  diamants  dont  l'œil  est  flatté  et  ravi, 
indépendamment  de  tout  sujet  et  de  louie  imitation. 

Il  était  à  cette  époque  (vers  4820)  chez  Gros,  oii  je  crois  qu'il 
ne  resta  pas  longtemps  ;  Gros  lui-même  lui  conseilla  de  se  livrer 
tout  à -fait  à  son  talent  qu'il  admirait  déjà.  A  cette  époque,  il  ne 
faisait  point  de  tableaux  à  l'huile  et  les  premiers  qu'il  fit  furent 
des  marines  :  celles  de  ce  temps  sont  reconnaissables  à  un  grand 
empalement.  Il  renonça  depuis  à  cet  excès  :  ce  fut  particulière- 
mont  quand  il  se  mil  à  faire  des  sujets  de  personnages  dans 
lesquels  le  costume  joue  un  grand  rôle  :  ce  fui  vers  1824 
ou  1825.  '  \ 

Nous  nous  rencontrâmes  m  1825,  en  Angleterre,  et  nous 
faisions  ensemble  des  études  chez  un  célèbre  antiquaire  anglais, 
le  docteur  Meyrick,  qui  possédait  la  plus  belle  collection 
d'armures  qui  ail  peut-être  existé. 

Nous  nous  liâmes  beaucoup  dans  ce  voyage,  et  quand  nous 
fûmes  de  retour  à  Paris,  nous  iravaillâmeâ  ensemble,  pendant 
quelque  temps,  dans  mon  atelier. 

Je  ne  pouvais  me  lasser  d'admirer  sa  merveilleuse  entente  de 
l'effet  et  la  faciPilé  de  son  exécution;  non  qu'il  se  conteniât 
pponiptemenl  ;  au  contraire,  il  refaisait  fréquemment  des  mor- 
ceaux entièrement  achevés  et  qui  nous  paraissaient  merveilleux; 
mais  son  habileté,  était  telle  qu'il  retrouvait  à  l'instant,  sous  sa 
brossé  de  nouveaux  effets  aussi  charmants  que  les  premiers. 


(')  Cette  lettre  importante  a  été  publiée  par  W.  Bflrger,  dari.s  la  Notice  <iu'il 
a  consaci'te  à  R.-P.  Bonington,  dans  l'/Z/s/o/ve  lU-a  Peinlrca  de  toutes  /<s 
Ecoleii. 


\ 


l 


11  lirait  parti  de  toutes  sortes  de  détails  qu'il  avait  trouvés  chez  ' 
des  maîtres  et  lea  ajustait  avec  une  grande  adresse,  dans  .sa 
composition.  On  y  voit  des  figures  prcsqu'entièrement  prises 
dans  les  tableaux  que  tout  le  monde  avait  sous  les  yeux  et  il  ne  s'en 
inquiétait  nullement.  Cette  habitude  n'ôle  rien  au  mérite  de  ses 
ouvrages  ;  ces  détails,  pris  siir  le  vif  pour  ainsi  dire  et  qu'il 
s'appropriait  (il  s'agit  surtout  de  costumes)  augmentaient  l'air  de 
vérité  de  ses  personnages  et  né  sentaient  jamais  le  pastiche. 

Sur  la  fin  de  celle  vie  si  tôt  éteinte,  il  sembla  atteint  de 
tristesse  et  parliculièremcnl  h  cause  de  l'ambition  qu'il  se  sentait 
de  taire  de  la  peinture  en  grand.  Il  ne  fit  pourtant  aucune  tenta- 
tive, que  je  sache,  pour  agrandir  notablement  le  cadre  de  ses 
tableaux;  cependant  ceux  où  les  personnages  sont  le  plus  grands 
datent  de  cette  époque,  notamment  le.  Henri  III ^  que  l'on  a  vu 
l'an  dernier  exposé  au  boulevard,  et  qui  est  un  de  ses  derniers. 

Nous  l'aimions  tous.  Je  lui  disais  quelquefois  :  —  Vous  êtes 
roi  dans  votre  domaine  et  Raphaël  n'eût  pas  fait  ce  que  vous 
faites.  Ne  vous  inquiétez  pas  des  qualités  des  autres,  ni  des  pro- 
portions de  leurs  tableaux,  puisque  les  vôtres  sont  des  chefs- 
d'œuvre.  .  <»  .  — 

11  avait  fait,  quelque  temps  auparavant,  des  vues  de  Paris  qiie 
j^  ne  me  rap[)elle  pas  et  qui  étaient,  je  crois,  pour  des  éditeurs  : 
je  n'en  parle  <|ue  pour  mentionner  le  moyen  qu'il  avait  imaginé 
pour  faire  ses  études  d'après  nature  el  sans  être  troublé  pïff  les 
passants. 

Il  s'installait  dans  un  cabriolet  et  travaillait  là  aussi  longtemps 
qu'il  voulait. 

Il  mourut  en  1828.  Que  de  charmants  ouvrages  dans  une  si 
courte  carrière!  J'appris  tout  à  coup  qu'il  était  attaqué  d'une 
maladie  de  poitrine  qui  prenait  une  tournure  dangereuse.  Il  était 
grand  et  fort  en  apparence  el  nous  apprîmes  sa  mort  avec  autant 
de  surprise  que  de  chagrin.  Il  était  allé  mourir  en  Angleterre.  11 
était  né  à  Notlingham.  Il  n'avait,  à  sa  mort,  que  vingt-cinq  ou 
viniît-six  ans. 

En  1837,  un  .M,  Drovvn,  de  Bordeaux,  vendit  une  magnifique 
collection  d'aquarelles  de  Boninglon;  je  ne  crois  pas  qu'il  soil 
possible  de  rencontrer  jamais  l'équivalent  de  cette  splendide 
n'union.  Il  y  en  avait  de  toutes  les  époques  de  son  talent,  mais 
particulièrement  du  dernier  temps,  qui  est  le  meilleur.  Ces 
ouvrages  se  payaient  alors  des  prix  élevés  ;  de  son  vivant,  il 
vendait  tous  les  ouvrages;  mais  il  ne  les  a  jamais  vus  monter  à 
ces  prix  énormes  que,  pour  ma  part,  je  trouve  légitimes,  el  la 
juste  estimation  d'un  talent  si  rare  el  si  exquis. 

Mon  cher  ami,  vous  m'avez  donné  l'occasion  de  me  rappeler 
des  moments  heureux  et  d'honorer  la  mémoire  d'un  homme  que 
j'aimais  el  (lue  j'admirais.  - 

J'en  suis  d'autant  plus  heureux  que  l'on  a  essayé  de  le 
rabaisser,  et  qu'il  est,  à  mes  yeux,  très  supérieur  à  la  plupart  de 
ceux  qu'on  a  cherché  à  lui  faire  préférer.  Tenez  la  balance  entre 
mes  prédilections  et  ces  attaquwL 

Mettez,  ^i  vous  voulez,  sur  16  c^ohmte  de  mes  vieux  souvenirs 
et  de  mon  amitié  pour  Bonington  ce  qu'on  serait  tenté  de  trouver 
partial  dans  ces  notes... 

E.  Delacroix. 


Î^TRENNE3     MU3ICALE3 

Avec  les  calendriers  chromolithographies,  avec  les  jardinières 
dorées  emplies  de  violettes,  avec  les  sachets  de  pralines  en  soie  rose, 
les  boîtes  de  dragées  en  laque  du  Japon,  les  caisses  de  fruits  confits, 
les  coupes  de  faïence  bourrées  de  fondants,  avec  tout  le  frivole  cor- 
tège rangé  en  bataille,  au  premier  jour  de  l'an,  derrière  les  glaces 
des  vitrines,  apparaissent  dans  leur  couverture  paille,  hieu  d'azur 
ou  vert  d'eau  les  caprices,  berceuses,  barcarolles.  fantaisies  et 
gavottes  qui  répandent  la  sérénité  dans  les  pensionnats  de  jeunes 
filles.      .  .  ■ 

Il  en  est  de  «  difficulté  moyenne  «  et  de  «  frrande  difficulté  -.  Mais 
leur  air  de  lamijle,  Xewv  caractèriste.  comme  dit  RafTaëlli,  est  le  lieu 
commun.  En  fuyant  la  banalité,  leurs  auteurs  risqueraient  de  ne  pas 
les  plaçai- ;  hypothèse  redoutable  ! 

Les  premiers  jours  de  cette  année  en  ont  vu  éclore,  comme  de 
coutume,  un  nombre  respecîtahle,  k  classer,  dans  la  littérature  musi- 
cale, au  rann'  des  romans  de  Goorfres  Ohnet. 

Signalons-en  quelques  unes,  puisqu'il  y  a  des  p-ens  qui  achètent 
les  calendriers  et  qui  lisent  les  romans  de  Geoi-o'es  Ohnet. 

La  deuxième  édition  d'un  Chanf  dn  soir  pour  piano,  de  M.  Alexis 
Ermel,  et,  du  même  auteur,  un  Conte  .oriental 'et  une  suite  d'7m- 
prominus-  Valses  intitulée  t  les  Soirées  de  Bruxelles  (pour  faire 
suite,  probablement,  aux  Soirées  de  Viemie,  de  Liszt).  M.  Ermel 
connaît  fort  bien  l'instrument  pour  lequel  il  écrit  et  quelques  pas- 
sages-bien  venus  dénotent  une  întellirrence  musicale  supérieure  aux 
inspirations  quelconques  qu'il  jette  dans  la  circulation  à.  la  suite  des 
Cascades  de  roses.  Pluies  de  perles  ei  Rosées  j)rintaniéres  qui  inon- 
dent les  étalafres. 

De  M.  \V©uters,  un  Moment  miisical,  dont  le  prenaier  mouvement 
indique  un  progrès  sur  ses  précédentes  élucubrations.^ 

Une  Elégie,  comme  toutes  les"  élégies,  et  une  Valse,  la  première 
venue,  de  M.  Louis  Maes.  De  M.  Maurice  Koetlitz.  une  Barcarolle 
et  un  Landler  pas  trop  mal.  Un  menuet  de  Mi-Carl  Chesheau,  inti- 
tulé :  Diane  chasseresse  ,\\iTe  prétentieux  souligné  par  une  image  non 
moins  prétentieuse  sur  la  couverture.  La  Belle  hongroise  et  Sty- 
rienne,  par  M  -Henri  Van  Gael.  Passons.  Une  Gavotte  hollandaise. 
de  M  Wolf.  combinaison  ingénieuse  des  diverses  gavottes  stépha- 
uisées  dans  les  «  soirées  de  musique  «  par  les  pensionnaires 

Pour  le  violon,  une  Petite  berceuse,  très  facile,  par  M.  Herrinânn. 

Pour  chant,  une  Chanson  d'avril  a  deux  voix,  œuvre  posthume  de 
Guillaume  Meyune  dont  nous  avons  annoncé  la  mort,  l'un  des  mieux 
doués  de  nos  jeunes  compositeurs.  Puis,  Quatre  ynélodies  de 
M.  Ch.  Mêlant,  les  trois  premières  sérieuses,  la  quatrième  :  «♦  On 
n'entre  pas  Monsieur  l'abbé  ",  frisant  la  chansonnette. 

Toutes  ces  œuvrettes  ont  le  mérite  d'être  gravées  et  imprimées 
d'une  façon  remarquable.  La  maison  Bertram,  qui  les  édite,  la  plus 
jeune  des  maisons  de  ce  genre,  a  prouvé  qu'elle   n'a  rien  à  envier  à 
"^es  grandes  rivales  sous  le  rapport  du  soin  apporté  à  ses  publica- 
tions. 


yHÉ 


EATRE3 


TfiÉATRK  MoLii-:RK.  —  M.  Larav  t^mino  ce  soir  la  brillante 
série  de  ses  re[>réseulations.  Il  demeure  le  l>;igiirdère  le  plus 
romaïUique,  le  plus  fier  et  le  plus  intéressant  (jue  le  ihéàtre  ait 
vu.  Nul  mieux  que  lui  ne  fait  résonner  les  périodes  sonores  du 
Bossu ^  n'exprime  avec  plus  de  feu  el  d'imagination  le  personnage 
légendaire  qui  a  consacré  sa  réputation. 

Demain  commenceront  les  représenlations  de  FercoL  comédie 
en  4  actes  de  Sardou.  Samedi  prochain,rfau  bénéfice  de  M"*  Mural, 


\"  rôle,  Lés  Femmes  fortes  y  comédie  en  3  actes  de  Sardou  et 
Un  rival  pour  rire^  un  acte  de  Gronel  d'Ancourl. 

La  roprésenlation  de  demain  sera  donncîc  au  bénéfice  de 
M.  Hems. 

Théâtre  de  l'Algazar.  —  C'est  hier  qu'on  a  dû  jouer  VElu- 
dianl  pauvre^  arrivé,  après  des  avenlures  diverses,  à  monter  sur 
la  scène.  Nous  disons  quVw  a  du,  parce  que  la  direction  fantai- 
siste de  l'Alcazar  nous  a  liabilué  k  tant  de  surprises  que  rien  n'est 
plus"problémaliquc  qu'une  première  représentation  k  ce  théâtre 
et  qu'il  faut  toujours,  quand  on  s'y  rend,  avoir  formé  un  plan 
subsidiaire  de  l'emploi  de  sa  soirée,  le  fait  de  trouver  porte 
close  et  une  bande  sur  les  attiches  étant  fréquent. 

L"lit?ure  de  notre  tirage  ne  nous  permet  pas  de  vérifier  si, 
celte  fois,  VEtudiant  pauvre  s'e^i  montré  autre  part  qu'au  Palais 
de  justice.  . 

Théâtre  du  Parc.  ~  M.  Candeilfi  annonce  pour  vendredi 
prochain  la  première  de  La  Camaraderie. 


j^HRQNIQUZ:    JUpiCIAIRE    DE^    /RT^ 

L'Art  Moderne  a  relaté  le  procès  intenté  par  M.  John  Wilsou  à 
M.  'Moule,  son  ancien  secrétaire,  et  à  M.  Gauchez,  expert  en 
tableaux  (*). 

M.  Wilson.  les  accusait  tous  deux  de  manœuvres  dolosives  lui 
ayant  porté  préjudice,  et  avait  obtenu  contre  eux  un  jugement  de 
condamnation  du  tribunal  de  la  Seine. 

La  Cour  d'appel  vient  de  réformer  le  jugement,  en  décidant  que 
M.  Wilson  n'a  pas  été  trompé  sur  la  qualité  des  tableaux  que  lui 
avait  livrés  M.  Moule,  et,  quant  à  M.  Gauchez,  qu'il  n'est  pour  rien 
dans  le  marché  conclu  par  M.  Moule  avec  M.  Wilson. 

Voici  les  principaux  considérants  de  cette  importante  décision  : 

Sur  l'appel  des  héritiers  Wilson  : 

Considérant  que  le  défunt  Wilson  n'a  pas  été  trompé  sur  les 
qualités  substantielles  des  trois  tableaux  que  Moiile  lui  a  livrés 
comme  étant  de  Van  Ostade,  de  Teniers,  et  de  Gornélis  Dusart; 
Oue  rauthenticité  de  ces  tableaux  n'est  {wint  contestée;  Que,  quant, 
à  leur  valeur  vénale,  elle  était  incertaine  comme  celle  de  tous  les 
objets  d'art,  dont  le  haut  prix  dépend  d'une  vogue  capricieuse  et  des 
circonstances  très  variables  dans  lesquelles  la  convoitise  des  ama- 
teurs est  mise  en  éveil  et  parfois  surexcitée;  Qu'eût-il  été  vrai  que 
les  tableaux  dont  s'agit  étaient  envoyés  d'Angleterre,  ainsi  que 
Moule  l'a  dit  niensongèrement  à  Wilson,  leur  valeur  pécuniaire 
'n'aurait  été  ni  plus  grande  ni  mieux  assurée;  Que,  très  habitué  à 
juger  par  lui-même  du  mérite  des  peintures  dont  il  avait  réuni  une 
collection  de  premier  ordre,  Wilson  a  traité  en  parfaite  connais- 
sance des  tableaux  eux-mêmes  ;  Qu'il  est  dont  indifférent  que  Moule 
l'ait  abusé  sur  la  provenance  de  ces  tableaux  pour  ne  point  lui  per- 
mettre de  constater  les  prix  des  précédentes  ventes;  Qu'en  cet  état, 
l'appel  incident  des  héritiers  Wilson  n'est  point  justifié;  Que  la 
décision  des  premiers  juges  doit  donc  être  confirmée  purement  et 
simplement  eu  égard  à  Moule,  lequel  n'en  a  point  relevé  appel. 

Sur  l'appel  de  Gauchez  : 

Considérant  que  ce  dernier  n'a  pris  aucune  i)art  aux  transactions 
intervenues  entre  Moule  et  Wilson,  soit  pour  l'engagement,  soit 
pour  l'achat  des  tableaux  dont  il  s'agit  ;  Que,  chargé  par  des  tiers 
de  réaliser  la  vente  de  ces  tableaux  })0ur  une  somme  ferme  de 
20,000  fr.,  Gauchez  a  fait  tin  acte  licite  et  ordinaire  de  son  négoce 
en  donnant  à  Moule  la  commission  de  trouver  acheteur  à  la  condi- 


tion de  partager  avec  lui  la  prime  qu'il  pourrait  obtenir  en  sus  du 
prix  fixé  par  les  propriétaires  à  20,000  fr.  ; 

Considérant  qu'il  n'est  point  établi  qu'en  s'adréssant  ^  Moule,^ 
Gauchez  ait  su  ni  prévu  que  les  efforts  de  celui-ci  tendraient  spécia- 
lement à  conclure  l'affaire  avec  le  défunt  Wilson;  Que  le  contraire 
seurble  même  résulter  de  ce  fait  qu^e  Moule  a  commencé  par  offrir  le 
marché  à  une  autre  personne,  le  sieur  Pillet  ; 

Considérant  que,  à  supposer  que-Moule  ait  eu  recours  ensuite  à 
des  artifices  plus  ou  moins  blâmables  dans  le  but  de  circonvenir 
Wilson  et  de  l'amener, à  ses  fins,  il  n'est  point  établi  par  les  débats 
que  Gauchez  ait  trempé  dans  ces  manœuvres,  ni  qu'il  les  ait  prépa- 
rées et  concertées  avec  son  courtier  ; 

Considérant  que,  consulté  par  Wilson  sur  le  prix  que  pourraient 
atteindre  ses  trois  peintures,  Gauchez  n'était  nullement  tenu  de  lui 
révéler  les  conditions  dans  lesquelles  il  s'était  précédemment  occupé 
de  ces  mêmes  peintures  et  l'intérêt  personnel  qu'il  avait  à  leur  pla- 
cement; Que  rien  n'eût  été  plus  contraire  aux  habitudes  du  com- 
merce dont  Gauchez  faisait  ouvertement  profession  : 

Considérant  que,  dans  tous  les  cas,  lés  documents  du  procès  ne 
fournissent  point  la  preuve  que  Wilson  ait  adressé  cette  interpel- 
lation à  Gauchez  avant  de  s'être  rendu,  soit  gagiste,  soitjicquéreur 
des  trois  tableaux;  Que,  sans  doute.  Moule  l'a  déclaré  dans  son 
interrogatoire  sur  faits  et  articles,  mais,  qu'en  fait,  son  témoignage 
est  des  plus  suspects;  Qu'en  droit,  les  réponses  d'un  défendeur  ne 
font  point  foi  contre  les  autres  et  ne  peuvent  leur  être  opposées 
comme  contenant  l'expression  de  la  vérité  ;  <  - 

Considérant,  d'autre  part,  que  l'action  exercée  contre  Gauchez  ne 
lui  a  pas  causé  d'autre  dommage  que  les  dépens  auxquels  il  a  été 
condamné  ; 

Par  ces  motifs: 

Met  l'appellation  incidente  des  héritiers  Wilson  à  néant  ;  Dit  et 
déclare  les  dits  héritiers  W^ilson  mal  fondés  en  leurs  conclusions 
d'appel  incident,  les.  en  déboute,  etc. 


Voir  l'A /•<  Moderne  18*^3,  p.  2Sd. 


MEMENTO  DES  EXPOSITISNS  ET  CONCOURS 

Anvers.  —  Exposition  universelle.  Mai  à  octobre  1885. 

AxvERs.  —  Salon  des  refusés  et  exposition  des  artistes  indépen- 
dant», ouverture  en  mai.  Pour  tous  renseignements  s'adresser  au 
secrétoire  du  Cercle  des  artistes  indépendants^  1,  rue  de  l'Anjgle, 
Bruxelles. 

Janvier  1885.  —  Bruxelles.  —  Deuxième  exposition  des  XX. 
(Limitée  aux  membres  du  Cercle  et  aux  artistes  spécialement  invités). 
l**"  Février  1885.  —  Troisième  exposition  de  Blanc  et  Noir  de 
l'Essor.  (Limitée  aux  membres  du  Cercle).  Mai  1885  — Exposition 
historique  de  gravure,  par  le  Cercle  des  aquarellistes  et  aquafortistes. 
Mai  1885; 

Glasgow.  —  Institut  des  Beau^-Arts  (24e  exposition).  Ouverture 
3  février  1885.  Fermeture  fin  d'avril.  —  S'adresser  à  M.  Robert 
Walker,  secrétaire  de  l'Institut,  à  Glascov^^. 

>  .  ■ 

Londres.  —  Expostion  niternationale  d'instruments  de  musique. 
Ouverture  en  mai  1885,  à  South- Kensington.  Cette  deuxième  divi- 
sion comporte  trois  groupes  :  1"  Instruments  de  musique  construits 
ou  en  usage  depuis  1800;  2°  gravure  et  impression  de  la  musique  ; 
3"  collections  historiques. 

Id.  —  Du  31  mars  à  la  fin  de  septembre  exposition  internationale 
et  tiniverselle  d'Alexandra-Palace,  comprenant  notamment  les  arts 
et  métiers,  et  une  exposition  dé  tableaux  et  objets  d'art  représentant 
les  principales  écoles  du  continent. 

Nuremberg.  —  Exposition  internationale  d'orfèvrerie,  de  joaille- 
rie, de  bronzes,  etc.  Du  15  juin  au  30  septembre  1885. 


Paris.  —  Salon  de  1885.  —  !<""  mai  au  30  juin  1885.  — Peinture, 
.  dessins,  etc.  Dépôt  des  ouvrages  au  Palais  des  Champs-Elysées,  du 
5  au  14  mars.  Vote,  le  mercredi  18  mars,  de  9  h.  à  4  h.  —  Sculp- 
ture, Gravure  en  méd.  et  sur  p.  f.  Dépôt  du  21  mars  au  2  avril. 
Vote,  le  mardi  7  avril,  de  10  à  4  h.  —  Architecture.  Dépôt  du  2  au 
5  avril.  Vote,  le  mardi  7  avril,  de  10  à  4  h.  —  Gravure  et  Lithogra- 
phie. Dépôt,  du  2  au  5  avril.  Vo-te,  le  lundi  6  avril,  de  10  à  4  h. 

Rome. —  Exposition  organisée  par  la  Société  des  Amatori  e  ciiltori 
di  Belli  arti.  Ouverture  1»'  février. 

La  Haye.  —  Concours  pour  l'érection  d'une  statue  à  Hugo  Gro- 
tius. 

MoNTÉvroÉo.  —  Concours  pour  la  statue- du  général  Artigas 
S'adresser  à  la  légation  de  l'Uruguay,  4,  rue  Logelbach,  à  Paris. 

RiciiMOND  (Virginie).  —  Concours  pour  un  monument  à  Robert 
Lee,  jusqu'au  l"'"  mai  1885. 

Vienne.  —  Concours  pour  l'érection  d'un  monument  à  Mozart. 


pETITE     CHROJ^iqUE 


Contrairement  à  ce  qui  a  été  annoncé  par  un  journal  bruxellois, 
c'est  le  1er  février,  et  non  le  15,  que  s'ouvrira  le  Salon  des  XX.  Le 
nombre  considérable  de  tableaux  qu'enverront  à  cette  exposition  les 
artistes  invités  a  obligé  les  XX  à  demander  au  gouvernement  la 
disposition  d'une  des  grandes  galeries  du  premier  étage  du  Palais 
des  Beaux-Arts,  les  salles  qui  leur  avaient  été  octroyées  l'an  dernier 
étant  insuffisantes.  Cette  disposition  vient  de  leur  être  donnée. 

De  même  que  l'année  passée,  il  y  aura  des  conférences  pendant 
l'exposition.  On  annonce  déjà  une  conférence  destinée  à  faire  du 
bruit,  qui  sera  faite,  au  début  du  Salon,  par  M.  Raffaëlli,  l'im- 
pressionniste parisien.  . 

VEssor  a  ouvert  hier,  dans  les  deux  salles  du  Nord  du  Palais  des 
Beaux-Arts,  sa  neuvième  exposition  annuelle.  Elle  comprend  environ 
deux  cents  tableaux  et  sculptures.  Elle  est  ouverte  gratuitement  au 
public  tous  les  jours  de  10  à  4  heures.  Les  billets  de  la  tombola 
coûtent  cinquante  centimes  le  numéro.  A  dimanche  notre  apprécia- 
tion. 

^  On  nous  écrit  de  Liège,  au  sujet  du  concert  de  musique  russe  dont 
nous  avons  publié  le  programme  et  qui  a  eu  lieu  mercredi  dernier  : 

On  n'avait  pu  faire  malheureusement  que  trois  o.u  quatre  répéti- 
tions, et  pour  cette  petite  somme  d'études,  l'exécution  a  été  relative- 
ment bonne,  quoique  manquant  un  peu  de  précision  et  surtout 
de  finesse  dans  les  nuances,  qui  fout  presque  tout  le  charme  de  cette 
musique. 

Thomson  a  été  absolument  remarquable.  Il  a  joué  la  suite  de  Cui 
avec  une  grande  simplicité  et  un  grand  sentiment  ;  M'"^  la  b«>mtesse 
de  Merçy-Argenteau,  qui  accompagnait,  a  convenablement  tenu  sa 
partie,  sans  cependant  qu'il  y  ait  rien  de  remarquable  dans  son  jeu. 
On  lui  a  fait  naturellemeat  un  très  grand  succès. 

M'^é  Bégond,  l'ex-pensionnaire  de  la  Monnaie,  a  remporté  aussi 
un  triomphe,  difficile  à  justifier,  car  elle  n'a  réellement  pas  une  voix 
suffisante  ni  surtout  le  sentiment  assez  artistique  pour  bien  inter- 
j)rèter  ces  mélodies.  Elle  a  été  forcée  de  chanter  unX^orceau  qui 
n'était  pas  au  programme  :  La  belle  au  bois  dormant,  de  Borodine, 
une  chose  charmante. 

Malheureusement,  M.  Byrom,  indisposé,  a  été  remplacé  au  der- 
nier moment  par  M.  Ramioul,  qui  n'a  pas  été  à  la  hauteur  de  la  situa- 
tion. 

La  grande  majorité  du  public  a  semblé  s'intéresser  vivement  à 
cette  musique.  Quelques  auditeurs  trouvaient  toutefois  que  ce 
n'était  pas  assez  russe  ;  ils  s'attendaient  probablement  à  entendre 


des  choses  absolument  invraisemblables.  Ils  auront  été  satisfaits  de 
la  Fantaisie  serbe:  on  les  entendait  murmurer,  quand  arrivaieiTl 
les  cbiips  de  grosse  caisse  et  de  cymbale  :  -  A  la.  bonne  heure,  cela 
au  moins,  c'est  serbe!  »  .     ' 

Nos  artistes  a  l'étranger.  —  Les  journaux  d'Aix-la-Chapelïe, 
que  nous  avons  sous  les  yeux,  sont  unanimes  dans  l'éloge  qu'ils 
font  d'un  de^  nos  jeunes  violoncelliste!^,  M.  Bouserez,  qui  s'est  fait 
entendre  récemment  dans  cette  ville.  Ils  vantent  la  sûreté  de  ison 
mécanisme*  l'élégance  de  sOn  jeu  et  sa  sonorité  agréable  et  claire. 
C'est  dans  l'interprétation,  dun  Concertstûck  et  d'une  Fantaisie 
caractéristique  de  Servais,  —  œuvres  de  peu  de  valeur  musicale, 
dit  la  Qegemoart,  mais  propres  à  faire  ressortier  les  mérites  de 
l'exécutant  —  et  dans  celle  d'une  Romance  de  Popper  que  M.  jBouserez 
a  recueilli  ces  succès. 

Le  jeune  artiste  a  été  attaché  en  qualité  de  soliste  à  l'orchestre 
Bilse,  de  Berlin,  r.uquel  la  Belgique  a  fourni  déjà  plusieurs  musi- 
ciens de  valeur  :  nous  citerons  entre  autres  MM.  Baudot,  violoniste, 
et  Liégeois,  violoncelliste.  A  vingt  quatre  ans,  il  est  déjà  considéré 
en  Allemagne  comme  un  artiste  de  sérieuse  valeur,  auquel  s'ouvre 
un  hel  avenir. 

On  nous  écrit  de  Glasgow  que  M.  Franz  Rummel  y  a  remporté 
un  légitime  succès  dans  l'interprétation  du  concerto  {rai  bémol)  de 
Liszt,  de  la  Fantaisie  chrom,atique  de  fugue  'de  Bach  et  de  deux 
morceaux  de  Chopin.  «  Il  joué,  dit  notre  correspondant,  avec  une 
vigueur  et  une  ardeur  extraordinaires  et  avec  une  délicatesse  de 
toucher  et  une  finesse  de  sentiment  qui  ne  tombent  jamais  dans  les 
banalités  du  sentimentalisme  »♦. 


Le  deuxième  concert  populaire  aura  lieu  aujourd'hui,  à  1  h.  1/2, 
au  théâtre  de  la  Monnaie,  avec  le  concours  de  M.  Pablo  de  Sarasate. 
L'éminent  «artiste  jouera  le  concerto  de  Mendelssohn  et,  celui 
d'Emile  Bernard  (l»"*  exécution)  Enfin,  V Introduction  et  Rondo 
capriccioso  de  Saiut-Saëns,  que  celui-ci  lui  a  dédié, 

L'orchestre  interprétera  pour  la  première  fois  la.  Suite  n°  2  de 
Tschàikowski,  le  Scherzo  de  la  Suite  en  ut  7najeur  de  Raïï  et,  pour 
finir,  l'ouverture  d'Eléonore  de  Beethoven. 


Les  journaux  de  Mons  font  l'éloge  delà  matinée  musicale  on'ganisée 
par  le  directeur  du  conservatoire  de  cette  ville  à  l'occasion  de  la 
distribution  des  prix. 

L'ouverture  d'Egmont,  dit  la  Tribune,  a  été  nuancée  et  fouillée 
dans  tous  ses  détails  par  des  artistes  qui  comprennent  la  grande 
musique  de  Beethoven,  la  plus  classique  entre  les  plus  classiques. 

Les  deux  compositions  de  M.  Jean  Vauden  Eeden,  qui  ont  suivi, 
ont  un  caractère  plus  romantique,  sans  néanmoins  s'écarter  des 
grandes  lignes.  <«' 

ha  Danse  des  Esclaves,  si  bien  orchestrée,  a  surtout  ce  caractère. 
On  est  frappé  de  la  conception  de  cette  danse  pittoresque  tant  le 
trait  va  droit  au  but,  tant  est  saisissante  la  teinte  de  rêverie  ré- 
"•j)aiidue  sur  la  gaîté  mélangée  de  tristesse  de  ces  esclaves  qui,  même 
au  milieu  de  leurs  ébats,  ne  peuvent  oublier  qu'ils  sont  esclaves- 
parce  qiie  leurs  chaîhes  dansent  avec  eux. 

La  Marche  triomphale  a  la  vaste  envergure  qui  convient  à  la 
solennité  du  sujet  :  c'est  l'ivresse,  l'orgueil  et  l'enthousiasme  du 
triomphe  qui  éclate  et  ne  s'apaise  que  pour  se  raviver  et  éclater 
avec  une  force  nouvelle. 

Après  l'exécution  —  irréprochable  —  de  ses  deux  poèmes,  le 
compositeur  à  été  salué  de  sincères  applaudissements  partis  de  tous 
les  points  de  la  salle. 

Voici  le  programme  du  concert  que  donnera,  ainsi  que  nous 
l'avons  annoncé,  le  17  janvier,  à  la  Grande  harmonie,  M.  Joseph 
Wieniawski  :  •  .  ^ 

Une  Sonate  à  deux  pianos,    de  Mozart,  dans  laquelle  une  des 


C\v 


16 


UART  MODERNE 


élèves  de  M  Wieniawski,  M"«  Merck,  lui  donnera  la  répliqua; 
quatre  pièces  de  Chopin  (Nocturne  en  sol  majeur,  polonaise  en 
fadièze  mineur,  valse  op.  42  et  Scherzo  dranriatique  op.  31);  cinq 
OMiVres' de  M.  Wieniawski,  dont,  deux  mélodies  chantées  par 
M.  Moyaérts.  Pour  finir,  du  Wa},'ner  :  la  transcription  de  Tausig 
<le  la  Chetanchéedes  WaUyries,  le  cortège  nuptia'  de  Lphengrin  et 
la  marche  de  Tannhaûser,  ces  deux  dernières  œuvres  transcrites 
l)ar  Liszt.  ,  »  *  . 

On  le' voit,  c'est  un  programme  alléchant  et  plein  de  promesses. 

Les  miûoni^es  sont  reçues  au  bureau  dicjourtial^ 
20,  rue  de  V Industrie,  à  Bruxelles. 


NOUVEAUTÉS   MUSICALES 

POUR  PIANO 

Iluberti,  G.  Trois  morceaux  :  N°  i.  Etude  rhythmiquç,  2  fr.  — 
N"  2.  Historiette,  2  fr.    -  N»  3.  Val.se  lente,  fr    L75, 

Kowalaki.  Op.  44.  Autour  de  mon  Glocîher,  2  fr.  —  Op.  45.  Illu- 
sions et  Chimères,  2  fr.  --  Op.  48.  Tambour  battant,  2  fr. 

Smith  S.  0\>  185  Notre-Dame,  Chant  religieux,  2  fr.  —  Op.  19L 
La  mer  calme.  Deuxième  barcaroUe,  2  fr.  —  Op.  192  Styrienne, 
2  fr.  —  Op.  193.  Marguerite,  2  fr.  —  Op.  194.  La  fée  de  Ondes,  2  fr. 

Wieniawski:  Jos  Op.  39.  Six  pièces  romantiques  :  Cah,  L  Idylle, 
Evocation,  Jeux  de  fées,  3  fr.  —  Cah.  II.  Ballade,  Elégie,  Scène 
rustique,  3  fr.  —  Op.  4!    Mazourka  de  concert,  fr.  2.50. 


MUSIQUE  POUR  CHANT 


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Bach.  Six  chorals  pour  choeurs  mixtes  par  Mertens.  La  partition, 
1  franc. 

Hremer  A.  Sonne  mon  tambourin,  pour  chant,  violon  ou  violon- 
celle et  piano,  3  fr.  —  Hymne  à  Cerès,  pour  baryton  ou  mezzo- 
sQprano  et  chœur  pour  3  voix  de  femmes,  2  fr. 
'  RigcL^JEr^  Quatre  Chœurs  pour  voix  de  femmes  avec  accompagne- 
ment de  piano  à  4  maius  :  No  1.  Fête  villageoise,  la  partition, 
fr  2.50.  -  N«  2.  Les  Vendangeuse,  la  partition,  fr.  2.50.  —  N^  3. 
Sous  les  Bois,  la  partition,  fr.  2  50.  —  N"  4.  La  Paix,  la  partition, 
fr.  3.50.      ^  -     • 

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-^%:-- 


Cinquième  année. 


N°3. 


Le  numéro  :  05  centimes. 


•    Dimanche  18  Janvier  1885.  , 


L'ART 


MODERNE 


PARAISSANT    LE     DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,   un   an,   fr.   10.00  ;  Union   postale,   fr.   13.00.    —  ANNONCES  :    On  traite   à  forfait. 

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A  dresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 

l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


^OM 


MAIRE 


La  nouvelle  direction  du  Théâtre  dk  la  Monnaie.  —  L'Expo- 
sition DE  L'Essor.  —  La  livraison  de  janvier  de  la  Jeune  Belgique. 

—  Musique.  Le  .2"'e  Concert  populaire.  T&cXiaiikow&ki;  Sarasate.  — 
Au  Cercle  artistique.  Exposition  Bellis-Mundeleer.  —  Le  jury 
DES  Beaux-Arts  a  l'Exposition  d'Anvers.  —  Théâtres.  L' Étudiant 
pauvre.  —  Une  remarque  sur  un  romancier  russe  :  Dostoëwsky. 

—  Mémento  des  expositions  et  concours.  —  Petite  chronique. 


'  •    JjA   f^OUVELLEDIF^ECTION 
DU    THÉÂTRE    DE   LA  MONNAIE 


Grande  rumeur  au  sujet  de  la  nomination  de  M.Ver- 
dhurt-Fétis.  Grand  désappointement  du  groupe  qui  se 
croit  titulaire  unique  du  droit  de  disposer  des  choses 
artistiques  dans  la  capitale. 

Pensez  donc!  Un  nouveau  venu  !  Un  personnage  que 
combattait  la  fraction  mondaine,  les  Cent-Gardes,  qui 
singent  le  tout- Paris  et.  qui  certes  ne  sont  pas  tout- 
Bruxelles  !  Un  homme  qui  ne  fait  pas  partie  du  groupe 
des  douze  directeurs  qui  se  passent  et  se  repassent  les 
théâtres  européens!  Puis,  surtout,  un  novateur  qui 
prétend  modifier  dans  une  mesure  raisonnable  la  rou- 
tine, le  vieux  mobilier  lyrique,  les  essoufflés,  les 
épuisés. 

Réussir  dans  ces  conditions,  c'est  impossible,  disait- 
on.  Et  la  candidature  n'était  pas  prise  au  sérieux. 

C'est  elle  pourtant  qui  a  passé  haut  la  main.  Dix- 
huit  voix  données  contre  onze,  à  un  vétéran  de  la 


machine  théâtrale,  M.   Campocasso,  et  deux,  absten- 
tions. 

Pourquoi?  C'est  bien  simple,  et  quiconque  a  entre- 
tenu, soit  avant,  soit  après  le  vote,  les  membres  de  la 
majorité,  sait  parfaitement  à"  quoi  s'en  tenir.  , 

Assurément,  le  collège  qui  a  présenté  M.  Campo- 
casso, et  qui  a  échoué  devant  son  conseil  communal, 
avait  des  intentions  excellentes.  Se  rendant  compte  que 
sans  son  Grand-Opéra  Bruxelles  est  une  ville  malade 
et  morose;  sentant  aussi  que  la  responsabihté  de  pareille 
atteinte  aux  distractions  artistiques  est  toujours 
imputée  .à  l'administration  locale;  effrayé  enfin  des 
hasards  d'une  rupture  avec  les  usages,  il  s'est  facile- 
ment laissé  endoctriner  par  les  officieux  officiels  qui 
appuj'aient  le  vieux  loup  de  théâtre  qui  se  présentait 
avec  le  prestige  de  son  expérience. 

Campocasso  connaît  son  affaire,  disait-on.  Il  pré- 
sente   des   garanties   personnelles.    Il    faut   prendre 
Campocasso.  - 

Mais-'  on  répondait  :  Allons-nous  donc  toujours, 
comme  de  vieux  chevaux,  tourner  dans  le  même  ma- 
nège? Vos  directeurs  expérimentés  ne  sont  pas  plus 
malins  que  d'autres,  ni  plus  à  l'abri  des  aventures.  Leurs 
déconfitures  se  chiffrent  à  la  douzaine.  Et  pas  de  com- 
pensation artistique.  Le  vieux  jeu,  sans  répit.  Des 
craintes  ridicules  de  ne  pas  être  suivi  par  le  public  dans 
la  moindre  nouveauté,  et,  par  conséquent,  la  marche 
derrière  le  public  au  lieu  de  la  marche  en  avant.  L'art . 
d'il  y  a  trente  ans  maintenu  imperturbablement  au 
répertoire,  comme  morceau  principal.  Des  tentatives 


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<-    i 


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UART  MODERNE 


timides,  imposées  par  l'opinion  mais  réalisées,  sans  con- 
fiance et  partant  sans  enthousiasme.  Tout  un  monde 
de  chanteurs  dressés  à  cette  école  et  devenus  eux- 
mêmes,  tant  on  les  a  encroûtés  de  préjugés,  des  obsta- 
cles à  toute  innovation.  Gomme  ensemble,  un  théâtre 
vieillot,  radoteur,  ennuyant  même  ceux  qui,  en  prin- 
cipe, défendent  ces  allures  routinières,  que  le  specta- 
teur déserte  de  plus  en  plus,  et  qui  ne  se  soutient  que 
par  les  coups  de  grosse  caisse  des  artistes,  dits  les 
étoiles,  en  représentation.  Finalement  un  art  bour- 
geois, démodé,  maussade,  la  scène  regardée  distraite-  - 
ment  et  la  salle  devenue  simplement  un  local  pour 
réunions  mondaines,  exhibition  de  toilettes  et  de 
joyaux,  station  du  soir  pour  les  digestions  laborieuses. 
Il  faut  changer  cela. 

Comment  ?  Mais  tout  bonnement  en  remisant  les  gro- 
gnards et  en  les  renvoyant  aux  invalides.  En  essayant 
d'un  élément  jeune,  actif,  imbu  d'idées  nouvelles, 
modéré  pourtant  dans  leur  application  pour  ne 'pas 
heurter  du  premier  coup  les  habitudes,  capable,  en 
résumé,  de  continuer,  mais  en  la  développant,  l'admi- 
nistration de  MM.  Stoumon  et  Calabrési,  très  intelli- 
gente, mais  un  peu  timide. 

M.  Verdhurt-Fétis  a  semblé  réunir  ces  conditions  et 
on  l'a  choisi.  Il  a  quarante  ans.  Il  est  intelligent,  sym- 
pathique, énergique.  Il  aime  l'art  nouveau.  Il  ne  dé- 
daigne pas  l'art  passé.  Il  veut  plaire.  Il  veut  pousser  en 
■  avant.  Il  a  l'ambition  dé  rajeunir  notre  première  scène. 
Il  a  l'espoir  de  donner  à  sa  troupe  cette  flamme  qui 
est  l'âme  du  progrès.  Il  voudrait  qu'aux  préoccupations 
basses  et  intéressées  dans  lesquelles  on  se  complaît 
d'ailleurs  à  entretenir  les  éléments  scéniques  si  difficiles 
à  manier  parce  qu'on  a  tout  fait  pour  qu'ils  ne  pensent 
jamais  qu'à  leur  vanité  individuelle,  on  substituât  un 
sentiment  plus  élevé,  celui  de  l'amour  pour  les  belles 
"tBuvres,  même  celles  dont  l'exécution  exige  un  peu  le 
sacrifice  des  personnalités. 

Bref,  il  est  l'homme  des  idées  nouvelles  qui,  dans  tous 
les  domaines,  s'épanchent  et  deviennent  irrésistibles 
malgré  la  lutte  furieuse  de  ceux  qui,  férus  de  leur 
exclusivisme,  prétendent  contraindre  les  générations 
plus  jeunes  à  admirer  ce  qui  n'est  plus  de  leur  temps. 

Accomplir  ce  programme  avec  fermeté  et  sagesse. 
Ne  pas  vouloir  tout  bouleverser.  Agir  par  étapes. 
Accueillir  avec  plus  de  bienveillance  les  productions  de 
l'art  national.  Accoutumer  la  foule,  gâtée  par  tant 
d'opiniâtres  et  sottes  faiblesses,  à  aimer  ce  que  partout 
on  aime  chez  les  nations  où  l'on  n'est  pas  resté  station - 
nairedansle  domaine  musical.  Aboutir  aussi  à  un 
renouveau  salutaire  et  capable  de  charmer,  est-ce  donc 
si  difficile,  et  la  majorité  du  Conseil  qui  a  voulu  le 
tenter  ne  mérite-t-elle  pas  de  sincères  applaudisse- 
ments?  --..,_ -'  ■  '  -        ;^  '-■■  .-""   --^ 


J:»'ÎJXP0PITI0N    DE   i'ÏJ^^OI^ 

Est-ce  mauvais  gré,  comme  le  diront  certains  Essoriens  se 
remémorant  notre  part  dans  la  scission  des  XX. ^,  Est-ce  mau- 
vaise vue  par  ces  jours  de  neige  allristants  et  déprimanls?  Est-ce 
mauvaise  critique  comme  le  pensent  ceux  qui  n'accordeftt  com- 
pétence qu'aux  gens  du  métier,  les  plus  incompétents  pourtant 
pour  apprécier  leurs  propres  œuvres?  Ne  sais...  Mais  sais  bien 
que  celle  exposition  m'a  paru  d'une  médiocrité  navrante. 

Calme-moi, leclour. Tu  le  lrompes.,Ie  ne  vais  pas  chargei'Herbo. 
Je  ne  lance  plus  d*?  ce  côlé  ma  bOlc  de  balaillc.  Sa  génie  pcrru- 
quière  travestie  en  Pompadour  peut  rester  tranquille,  carminée  et 
poudrée,  sur  son  siège,  à  la  place  d'honneur,  au  milieu  d'un  pan- 
neau, comme  une  bambine,  une  après-midi  de  carnaval,  pendant 
le  cours,  derrière  la  glace  d'une  vitrine  débarrassée  de  son  éta* 
lage,  rue  Neuve  ou  rue  de  la  Madeleine.  Tranquille  aussi,  le  per- 
sonnage barbu  et  inouslachii,  redressant  son  chef  armé  d'un  pince- 
nez  aussi  fièrement  campé  qu'une  visière  de  cpsque. 

On  a  suffisammenl  fourragé  de  ce  côlé.  Le  Maître  est  incu- 
rable, et  sa  clienlèle  aussi.  Qui  donc,  interrogé  à  l'entrée  des 
deux  salles  par  une  dame  pres.séc  qui  demandait  k  voir^itele 
plus  beau  tableau,  l'a  menée  tlogmaliquement  devant  la  toile 
vierge  où  ce  Commandeur  des  croyants  â  écrit  cqs  mots  :  Bon 
-pour  un  porlraii!  C'est  à  s'enfuir.  J'ai  entendu  un  acheteur  de 
billets  de  la  tombola  murmurer  devant  celte  perspective  dont  le 
menaçait  le  sort  :  ^  . 

Préservez-moi,  Seigneur!  préservez  ceux  que  j'aime  ! 

Non.  Que  Herbo  brosse  en  paix.  Mais  les  autres? 

Les  autres,  hélas!  A  part  le  panneau  central  du  tryptique 
d'HalkeU,  Bans  la  Sapinière^  nonobstant  la  romance  en  trois 
couplets  qu'il  y  a  plaintivement  modulée  ;  à  part  l'atelier  de 
Van  Rappart,  très  intense  comme  expression  du  travail  de  l'ar- 
tisan, continu,  paisible,  consciencieux, —  sur-quoi  arrêter  sa  vue 
dans  cet  étalage  maladif  de  pauvretés?  , 

11  semble  qu'un  affaissement  général  ait  sévi.  Même  ceux  que 
nous  ^vons  applaudis  souvent  ont  descendu  la  pcnle.  Frédéric, 
ordinaire;  et  pourtant  quelle  bonne  œuvre  que  son  Hospice  du 
Salon  triennal  !  Delsa^ux,  ordinaire.  " 

Dans  quels  milieux  vit  donc  ce  groupe  pour  aboutir  à  cet 
ensemble  bourgeoisement  maussade.  Pas  d'élan,  pas  de  verve, 
pas  d'originalité.  Une  peinture  ennuyeuse,  fuligineuse,  ayant  les 
allures  molles,  gauches,  lassées  des  anémiques. 

On  parle  de  Degroux  fils.  Très  mal  placé,"  mais  il  l'a  ainsi 
voulu,  paraîi-il.  N'importe,  nous  avons  vu.  Un  succédané  de  son 
père,  larliste  admirable,  dédaigné  naturellement,  méconnu  natu- 
rellement, car  le  nombre  de  ceux  quiadmirent  les Séraphines  à  la 
mode  de  Herbo  csl  prodigieux.  Un  reflet!  Le  prix  des  défauts. 
Pastiche,  répéliliou,  plagiat  même  involontaire,...  horreur  ! 
Crions  donc  tous  à  ce  débutant  qu'il  va  tomber  dans  une  mare. 
Il  y  a  déjà  les  pieds.  Vij^  qu'il  en  sorte.  Que  personne  ne  loue 
donc  ça.  \ 

Et  cet  autre,  qui  copie  Khnoijff^avec  un  sans-gêne  impertur- 
bable, y  compris  le  format  et  le  cadre.  11  faut  le  huer,  le  siffler. 
D'autant  plus  fort  qu'il  adulaient,  de  la  pénétration,  de  la  dél±!_ 
catesse  de  pinceau.  A  bas!  A  bas!  A  bas!  Pas  de  ce  côté,  Lem-- 
men!  Tournez  donc,  revenez.  L'imitation  c'est  la  honte.  On  n'en 
veut  plus.  Bonne  ou  mauvaise  on  la  conspue.  Elle  a  ce  côté 
ignoble  qu'elle  nuit  à  ce  qu'elle  pille  comme   elle  se  nuit  à 


^"- 


elle-même,  car  elle  banalise.  C'est  dç  l'usurpalioii,  de  la  contre- 
façon. Le  code  pénal  de  l'art  frappe  ces  méfaits  :  la  peine,  c'est 
le  discrédit.  A  la  chie-en-lit!  A  la  chic-cn-lit! 

V Essor l  Beau  nom.  Mais  les  oiseaux  battent,  de  l'aile.  Plu- 
sieurs sont  au  perchoir.  Quelques-uns  au  poulailler. 


LA  LIVRAISON  DE  JANVIER  DE  LA  "  JEUNE  BELGIQUE  » 

.  Dans  le  premier  numéro  d'une  nouvelle  et  très  élégante  revue 
qui  vient  de  paraître,  la  Chronique  des  Beaux-Arts ^  d'Anvers, 
Georges  Eekhoud  a  écrit  : 

«  Je  commencer  cette  revue  de  l'année  artistique  par  un 
souhait,  c'est  que  musiciens  et  peintres  s'appliquent; s'appliquent 
surtout  à  être  vraiment  nationaux.  Une  chose  me  frappe  en  par- 
courant la  liste  des  événements  musicaux  de  l'année,  c'est  la  part 
très  effacée  que  nos  c<)mpositcurs  peuvent  revendiquer  dans  cette 
liste.  De  même  le  Salon  de  1884  prouve  à  l'évidence  la  déplo- 
rable fascination  que  la  peinture  française  exerce  sur  nos  artistes. 
A  part  quelques  individualités  dont  je  rencontrerai  le  nom  dans 
cotte  revue,  il  semble  que  loin  de  combattre,  de  lutter  contre  le 
vent  étranger,  le  vent  assimilateur  soufflant  de  Paris,  les  artistes 
eux-mêmes  flattent  ce  qu'on  pourrait  appeler  «  l'annexion 
intellectuelle  »  et  entretiennent  par  leurs  pastiches,  leur  pitoyable 
sujétion,  ou  encore  par  une  abstention  indigne  des  forts,  celte 
idée  chez  le  public  qu'en  effet  il  n'y  a  plus  d'autre  art  que  l'art 
français.  » 

Ce  phénomène  n'affecte  pas  la  littérature  belge.  La  livraison 
de  janvier,  de  la  Jeune  Belgique  le  prouve  superbement. 

Jamais  le  groupe  des  jeunes  combattants  ne  s'est  manifesté 
en  une  série  plus  brillante  d'échantillons  de  ce  qu'il  peut  faire. 
Une  véritable  anthologie,  où  chaque  œuvre  de  prose  alterne  avec 
une  œuvre  versifiée.  Vingt  morceaux,  de  bon  aloi,  sans  compter 
les  chroniques  et  les  amusettes  de  la  fin.  Un  défilé  compact, 
animé,  sonore.  Une  réponse  joyeuse  cl  triomphante  aux  détrac- 
leurs,  aux  aboycurs,  aux  diffamateurs.  Une  fanfare  retentissante 
qui  couvre  le  fausset  des  envieux,  des  ratés,  dos  essouftlés.  Un 
grand  coup  de  balai  qui  rcnvqie  aux  immondices  toutes  les 
salissures.  .  /    . 

Bravo!  Bravo!  Bravo!  Et  en  avant!  Oui,  encore  plus  on  avant! 
Toujours  en  avant! 

Plus  d'une  fois  au  cours  de  l'an  dernier,  nous  avons  souhaité 
que  cette  vaillante  équipe,  que  disons-nous?  que  cette  vaillante 
armée,  se  nationaiisàL  davantage,  et  se  laissant  aller  aux  impres- 
sions des  milieux  ou  elle  vit,  lutte,  pûlil  ou  triomphe,  aban- 
donnât résolument  toute  ressouvcnance  de  la  littérature  étransjère 
où  l'a  trempé  son  éducation,  pour  ne  plus  s  emparer  que  de  ce 
qui  est  visible  dans  son  rayon  immédiat.  Voir  le  milieu  belge, 
PENSER  EN  BELGE,  avions-nous  crié. 

Nous  nous  garderons  certes  de  dire  que  c'est  grâce  à  notre 
conseil  que  le  dernier  numéro  de  la  Jeunè^elgique  applique  ce 
principe  salutaire  qui  seul  peut  nous  donner  l'originalité,  celte 
qualité  souveraine,  la  seule  vraiment  séductrice.  Ce  n'est  pas  une 
parole  de  critique  qui  fait  marcher  une  évolution  littéraire.  Il  est 
^lus  vrai  de  dire  que  la  même  loi  dominante  a  inspiré  notre  vœu 
et  sa  réalisation  presque  instantanée  par  les  écrivains  de  nos 
temps  nouveaux.  * 

Mais  nous  nous  réjouissons  sans  réserve  de  ce  changement  de 
front,  tenté  par  quelques-uns  seulement  jusqu'ici,  cl  qui  mainte- 


nant entraîne  toute  la  ligne.  Bruxelles,  les  Flandres,  les  Ardennes, 
nos  rues,  nos  champs,  nos  concitoyens,  nos  mœurs  sont  seuls, 
en  scène  comme  décors  ou  comme  acteurs.  . 

Il  ne  s'agit  plus  désormais  que  de  creuser  à  fond  cette  psycho- 
logie et  cette  nature.  Cela  se  fera.  On  n'en  peut  douter  en  voyant 
au  iravail  lant  d'esprits  pénétrants,  tant  de  plumes  adroites. 

Vous  avez  l'instrument,  vous  connaissez  le  métier,  jeunes 
légionnaires.  Vous  voyez  aussi  les  régions  et  les  chemins  à  par- 
courir. Plus  d'excursions  au  loin,  par  delà  les  frontières,  aux 
pays  dont  on  rêve  sans  les  voir  et  surtout  sans  les  comprendre. 
Allez!  Les  vœux  de  tous  vous  saluent  et  vous  accompagnent.  Une 
littérature  nalionale  est  née.  Elle  n'est  plus  l'œuvre  de  quelques 
exceptions,  des  précurseurs  isolés.  Elle  est  générale,  comprise, 
acclimatée,  installée,  consolidée. , 

VoilU  le  fait  éclatant  pour  la  prose. 

En  est-il  de  même  pour  la  poésie? 

Nous  en  causions  récemment  avec  l'un  de  nos  jeunes  versifica- 
teurs les  plus  auréolés  d'espérances,  Albert  Giraud,  et  il  doutait. 
Le  symbolisme  de  la  grande  poésie  lui  paraissait  réfraclaire  à 
cette  nationalisalion.  Il  se  rangeait  parmi  ceux  que  les  œuvres 
de  terroir  ne  sollicitent' pas.  On  ne  peut,  .disail-il,  forcer  sa 
nature  pour  suivre  un  système  prêché  par  un  critique.  L'âme 
humaine  est  universelle.  Elle  peut  être  notée  indépendamment 
du  milieu  cl  du  décor.  Les  vastes  mouvements  d'idées,  de  sen- 
timents et  de  sensations  qui  à  certaines  périodes  se  lèvent  sur  le 
monde,  sont  des  marées  si  larges  et  si  hautes  qu'elles  submergent 
et  renversent  loul.  Hugo,  Lamartine  et  Baudelaire  ont-ils  él;é 
des  écrivains  du  terroir?  Sont-ils  des  Gaulois?  Sonl-ils  même 
des  Français  ?  Et  n'en  onl-ils  pas  moins  exprimé  dans  leurs  vers 
un  état  particulier  de  l'âme  contemporaine?  Exiger  de  tous  les 
Jeune-Belgique  des.  œuvres  du  J,erroir,  sans  tenir  compte  des 
circonstances,  des  tempéraments  et  des  vocations,  c'est  une 
absurdité  où  ne  conduit  qu'une  manie  trop  généralisante. 

Nous  répondons  :  Certes,  s'il  est  quelqu'un  dos  Jeune-Bel- 
gique qui  se  sente  un  Hugo,  un  Lamartine,  un  Baudelaire,  qu'il 
suive  son  génie.  Pour  celui-là  pas  de  règles.  S'il  en  est  qu'une 
incompressible  vocation  pousse  à  des  œuvres  cxoti(iues,  qu'il 
suive  sa  vocation.  Les  règles  ne  sont  pas  faites  pour  les  excep- 
tions. Mais  il  faut  qu'on  soit  sûr  d'être  une  exception.  Vous  l'êles 
peut-être.  Mais  défioz-vous.  Si  vous  vous  trompez  sur  vos  apti- 
tudes, en  cherchant  ailleurs  que  dans  votre  milieu,  vous  vous 
fourvoierez,  vous  pasticherez,  et  vous  le  ferez  inconsciemment, 
ce  qui  est  le  pire  des  pastichagcs,  parce  que  c'est  le  paslichage 
incurable. 

El  parlant  ainsi  nous  nous  souvenions  du  cri  de  détresse  poussé 
•par  noire  jeune  interlocuteur  dans /é'*Scrifre,  son  premier  livre,  qui 
plaît,  malgré  l'adjeclivile  aiguë  dont  il  a  offert  un  cas  patholo- 
gique si  remarquable.  S'y  mettant  en  scène,  sous  la  figure  de 
son  héros,  Jean  Heurlaut,  ce  lecteur  trop  assidu  pour  n'en  pas 
prendre  quelque  chose  de  don  José  de  Hérédia,  de  Baudelaire  et 
de  Banville,  il  y  dépeignait  en  ces  termes  pathétiques  la  souffrance 
du  pasticheur  lisant  ses  propres  œuvres  et  les  trouvant  infectées 
du  vice  redoutable  :  \ 

«  A  la  première  ligne,  il  découvrii  une  réminiscence,  el  puis 
une  autre,  une  autre  encore.  Il  éparpillait  autour  de  lui  les  pages, 
hagard  devant  l'écroulement  de  son  rêve.  Celle  image  appartenait 
à  Hugo,  ce  vers  à  Leconlc  de  Lisle,  celle  strophe  était  jumelle 
d'une  strophe  de  Baudelaire.  Et  celui-là  surtout  se  rétlélail  dans 
le  poème..  Tout  à  coup  Jean  se  rappela  que  l'idéc-mère  de  son 


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œuvre  dlâit  un  &onnet  des  F/^wr*  àii  mal.  Et  pôurianl,  il  conser- 
vait un  doute.  Il  relut,  de  rechef.  Alors,  cédant  à  l'éblouissanTe 
évidence,  il  demeura  penché  sur  la  table,  les  poings  au  menton, 
dans  un  silence. 

«  Oh  otii  !  il  avait  dompté  le  mol,  maintenant  ;  e,t  il  était  Dieu, 

—  un   Dieu  plagiaire.  Les  strophes  imitées  liïi  sonnaient  aux 

oreilles  sur  un  ton  qui  psalmodiait,  interminablement.   Et  les 

jivres  qui  dénonçaient  Fa  faiblesse  gisaient  Ui,  ouverts,  sous  la 

tranquille  lueur  de  la  lahipe.  avec  une  indiffr'rente  ironie. 

«  Dans  u,ne  rage,  il  agrippa  les  volumes.  Non  !  il  n'était  pas 
un  plagiaire.  Le  tempérament  do  Baudelaire  ressemblait  au  sien. 
Le  poète  des  Epaves  exerçait  sur  lui  une  diabolique  possession, 
qije  nul  exorcisme  ne  gu<^rirait.  C'était  à  croire  que  par  une  lugu- 
bre mystification  d'oulre-tombe,  Baudelaire  guidait  la  main- de 
Jean  quand  il  écrivait.  Non,  il  n'était  pas  un  plagiaire.  Celle 
œuvre  qu'il  allait  déiruire  était  de  lui,  bien  de  lui.  Des  pages  en 
étaient  stylées  avant  sa  première  lecture  des  Fleurs  du  mal.  Et 
parce  que  ses  sensations  correspondaient  à  celles  de  Baudelaire, 
on  lui  défendait  de  les  traduire,  et  ses  strophes  — la  chair  et  le 
sang  de  sou  intelligence,  —  il  n'oserait  pas  les  publier!  Et  il 
renfermerait  en  lui  toute  celle  vie  qui  rétouffail?  Non  il  n'était 
pas  un  plagiaire.  C'était  Baudelaire  qui  le  volait  !  !  » 

Peut-on  mieux  dépeindre  la  terrible  maladie  et  sa  folie  termi- 
nale qui  se  résume  en  cette  formule  :  Se  croire  original.,  et  ne  pa:s 
Vêtre.  Et  comme  conséquence  sauter,  les  griffes  tendues,  avec 
des  cris  aigres,  aux  yeux  de  ceux  qui  vous  en  avertissent.  • 

On  se  sauve  de  cela  quelquefois,  don  G'raud  de  Hérédia- 
Baudelar-v-Banvillés,  en  se  raccrochant  fortement  à  son  milieu  et 
à  son  décor.  A  moins  d'être  Hugo,  Lamartine,  Baudelaire,  laissez 
Vàme  universelle.  C'est  difficile  à  attraper  à  moins  d'avoir  des 
mains  de  géant.  Ne  croyez  pas  trop  aisément  que  vous  êtes  par 
privilège,  porié  par  une  de  ces  marées  si  larges  et  si  hautes 
qu'elles  submergent  et  renver.^ent  tout.  Contentez-vous,  par  pro- 
vision, de  voir  le  milieu  belge  et  de  penser  en  Belge.  Il  nous 
semble  que  vous  y  gagnerez  en  originalité  et  cela  calmera  les 
inquiétudes  de  vos  amis  et  les  lamentations  du  Scribe. 


^U^IQUE  7^- 

LE  DEUXIÈME  CONCERT  POPULAIRE  . 

Tschaïko'wski  —  Sarasate 

Deux  virtuoses  se  partageaient  l'intérêt  de  la  deuxième  matinée 
des  Concerts  populaires  :  un  virtuose  de  l'archet,  Sarasate,  et  le 
virtuose  par  excellence  de  l'orchestre,  Tschaïkowsky,  le  chef  de 
l'école  russe. 

Sarasate  a  charmé  l'auditoire  par  l'atlrait  d'un  mécanisme 
exceptionnel  et  d'une  pureté  de  son  dont  rien  n'approche.  Il  n'a, 
il  est  vrai,  ni  la  fougue,  ni  l'imprévu,  et  de  plus  en  plus  s'ac- 
centuent la  modération  sagement  pondérée,  la  correction  rigou- 
reuse de  son  art.  Il  joue  du  violon  comme  Planté  joue  du  piano. 
Qu'on  prenne  ceci  pour  un  éloge  ou  pour  une  critique  :  c'est,  à 
la  fois,  l'un  et  Tauire. 

Des  trois  œuvres  qu'il  a  interprétées,  c'est  le  concerto  de  Men- 
delssohn  qui  est  le  mieux  dans  ses  moyens.  Son  coup  d'archet 
triomphe  avec  une  aisance,  une  légèreté,  une  virtuosité  sans 
égale  des  difficultés  du  finale  :il  donne  aux  deux  premières  par- 
lies  le  caractère  et  le  sentiment  justes. 


ty 


Sarasate  a  fait  faire  en  outre  au  public  la  conhnissancé  de 
M.  Pmile  Bernard,  un  monsieur  qui  fait  des  concerlos  pour  vio- 
lon, et  le  public  a  paru  ne  goûter  que  médiocrement  la  présen- 
tation. Le  nouveau  vei^u  a  été  jugé  ennuyeux,  ce  qui  est  plus 
grave  que  d'être  rempli  de  défauts.  On  a  trouvé  sa  conversation 
longue,  diffuse,  et  elcigeant,  pour  se  fîiire  écouter,  une  notable 
addition  de  traits  d'esprit.     .  :  ■     ' 

Quant  à  VInîroduction  et  rondo  cappricioso  de  Saint-Saëns, 
l'œuvre  est  Connue.  Morceau  à  effet,  de  valeur  secondaire,  des- 
tiné à  faire  valoir  le  soliste,  et  par  cela  même  acclamé  du  public. 

Tschaïkôwsky  a  été  nécessairement  moins  apprécié.  Son  art 
haulaih  a  un  peu  déconcerté  l'auditoire,  et  néanmoins  il  a  senti 
qi^l  était  en  présence  d'un  musicien  de  grande  envergure.  Il  a 
compris  surtout  et  applaudi,  cela  va  de  soi,  les  deux  parties  les 
plus  accessibles  de  X-à  Suite  caractéristique  qu'a ']Ouée  l'excellent 
orchestre  des  Concerts  populaires  :  h  False  et, les  Rêves  d'en- 
fant^ qui  forment  V Intermezzo  i^lVAndanie  de  cette  intéressante 
composiiion.  '      %  ,•     -   _         ■ 

Ce  sont,  d'après  nous,  les  parties  faibles  de  l'œuvre.  Assez 
inégal  dans  ses  inspirations,  Tschaïkôwsky,  qui  est  un  «  je  m'en 
moquiste  »  de  la  plus  belle  eau,  entremêle  fréquemment  ses 
pagfislles  plus  audacieuses  de  banalités.  Et  l'on  est  tout  surpris 
de  rencontrer  à  côlé  de  conceptions  de  premier  ordre,  superbes 
de  pensée,  magnifiques  de  réalisation,  des  fragments  qui  pour- 
raient être  signés  de  n'importe  quel  aligneur  de  notes  venu.  Est-ce 
le  contraste  qu'il  poursuit? 

Dans  la  suite,  caractéristique,  c(^^i  le  Scherzo  humoristique  qui 
s'élève  de  toute  sa  hauteur,  au  dessus  des  quatre  autres  parlies. 
Ce  qu'il  y  a  là  dedans  de  mouvement,  de  couleur,  d'entrain  dia- 
bolique, d'ironie  et  de  science  sans  pédanterie  (c'est  le  propre  de 
l'école  russe  de  connaître  à  fond  toutes  les  ressources  de  la  musi- 
que  et  de  n'on  avoir  pas  l'air)  est  inimaginable.  ïl  serait  bon  qu'on 
réenlendît  ce  Scherzo.  Petit  à  petit  le  public,  dont  le  goût  s'est 
déjà  développé  grâce  à  l'initiative  dQ%  Concerts  populaires ^  se 
familiarisera  avec  celte  langue  un  peu  nouvelle  pouriui,  mais  qui 
lui  donnera,  quand  il  la  connaîtra,  des  jouissances  infinies. 

Aux  Concerts  populaires  revient  incontestablement  le  mérite 
d'avoir  développé  et  propagé  l'amour  de  la  musique  en  Belgique. 
Avec  un  éclectisme  raisonné,  la  direction  choisit,  pour  chaque 
campagne,  dans  chacune  des  écoles  contemporaines,  quelques 
œuvres  de  choix  propres  à  représenter  l'école  tout  entière,  à  la 
faire  connaître  et  apprécier.  Ainsi  l'école  moderne  allemande  a 
été  représentée,  cette  année,  par  la  3»  symphonie  de  Brahms  ; 
l'école  belge  par  Freyhir,  d'Emile  Mathieu  ;  la  Suite  de  Tschaï- 
kôwsky a  fait  connaître  les  tendances  de  l'école  russe.  Au  pro- 
cliain  concert,  ce  sera  le  tour  de  l'école  française^  personnifiée 
par  Camille  Saint-Saëns.  La  musique  classique  ne  sera  pas 
oubliée  :  on  jouera,  le  25,  la  symphonie  enre'  de  Schumann. 

C'est,  appliqué  aux  œuvres  musicales,  le  principe  de  l'exposi- 
tion des  XX,  qui  réunit  chaque  année  les  personnalités  caracté- 
ristiques des  écoles  modernes,  belge  et  étrangères. 

Terminons  par  quelques  renseignements  inédits.  Saint-Saëns 
jouera,  à  la  prochaine  nïaTinée,  le  concerto  en  «or  de  Beethoven 
et  sa  Rhapsodie  d'Auvergne.  L'orchestre  exécutera  La  Jeunesse 
d'Hercule,  poème  symphonique,  une  Sérénade  et  une  Iota  Ara- 
^o?if5a  (première  exécution),  le  tout  de  Saint-Saëns. 

Le  quatrième  et  dernier  concert  sera,  comme  de  coutume, 
réservé  à  Richard  Wagner  ou  à  Hector  Berlioz. 


£>■ 


'T 


^U-   fÎERCLE    AÎ\TIpTiqUE  ,'    . 

■    "  (.'"-'.■ 

EXPOSITION  BELLIS-MUNDEÏiEER 

Une  trentaine  de  toiles  d'Hubert  Bellis  font  défiler  au  Cercle 
artistique  l'appélissanl  cortège  de  bourriches  fraîchement  éven- 
Irées,  des  marées  ruisselantes,  des  écroulements  dorés  de  melons 
et  d'ananas,  des  panetées  savoureuses  d'abricots  et  de  cerises.  Il 
y  a  dans  l'art  un  peu  irrégulier  de  Bellis  de  solides  qualités  de 
peintre  qui  écliauent  parfois  dans  les  lieux  communs  de  la  trivialité 
et  dans  des  lourdeurs  de  tonalité  et  de  facture.  Certains  mor- 
ceaux révèlent  un  œil  de  coloriste,  habile  à  saisir  les  nnahces  et 
une  main  rompue  au  métier  :  le  bouquet  de  chrysanthèmes,  par 
exemple,  et  les  fleurs  des  champs,  les  meilleures  toiles  de  la 
série.  < 

Dans  la  sphère  modeste  où  il  s'est  cantonné,  Bellis  est  certes 
un  artiste  des  plus  méritants.  Il  a  la  passion  de  ce  qu'il  peint. 
Organisation  artistique  d'une  nature  spéciale,  il  est  plus  sensible 
à  l'accord  de  tons  d'une  écaille  nacrée  et  d'un  zeste  d'or  qu'aux 
harmonies  tumultueuses  de  la  mer  ou  à  la  mystérieuse  sympho- 
nie des  forêts..  Il  s'est  fait  le  poeje  des  langoustes,  le  trouvère 
des  homards,  le  ménestrel  dos  aiglefins.  Et  leur  carapace  luisante, 
et  leurs  écailles  d'argent,  à  côté  de  la  paille  ébouriffée  dps  mannes 
ont,  sous  son  pinceau,  dés  reflets  de  métal  neuf. 

Une  vingtaine  d'aquarelles  de  Mundeleer,  imprégnées  d'une 
poésie  tranquille,  complètent  l'exposition  actuellement  ouverte. 
Ce  qu'on  pourrait  reprocher  à  l'artiste,  c'est  que  toutes  ses  œuvres 
ont  même  lumière  et  même  tonalité,  qu'il  peigne  dans  l'intimité 
d'une  chambre  aux  courtines  closes  ou  dans  l'éclat  du  plein  air. 
C'est  peu  observé,  et  la  crainte  de  fausser  l'harmonie  fait  perdre 
le  sens  de  ton  juste.  Il  y  a,  de  plus,  un  procédé  identique  dans 
les  vingt  aquarelles  exposées.  Fleurs,  paysages,  figures  sont- 
peints. à  largos  pans,  sans  modelé^'  comme  en  songeant  à  une 
leçon  apprise,  à  une  recette  donnée  par  \Art  du  parfait  aqua- 
rellislCy  qui  est  \c  Bon  jardinier  de  cette  branche  spéciale  de 
culture.  Un  peu  de  laisser-aller,  morbleu!  et  de  la  poigne,  et  de 
l'imprévu,  et  de  la  vie  !  Vous  êtes  trop  sage  pour  votre  âge.  Jetez 
vos  gourmes.  La  prudence,  la  réflexion,  la  mesure  viendront  de 
soi-même,  quand  vous,  aurez  gâté  quelques  rames  de  papier  et 
usé  plusieurs  douzaines  de  martres. 


te  JCBY  DES  BEAliX-ilitTS  A  llXPOSlIIOi\  D'MTËRS 

Notre  nouveau  ministre  des  Beaux-Arts,  M.  de  Moreau,  est  un 
galant  homme,  accu(*illant,  bienveillant,  très  résolu  à  faire  du 
neuf,  à  attacher,  s'il  se  peut,  au  gouvernement  dont  il  fait  partie, 
l'honneur  de  quelques  innovations  sérieuses.  On  sait  s'il  en  est 
besoin  ! 

Mais  il  a  derrière  lui,  ou  plutôt  devant  lui  comme  une  barri- 
cade, des  bureaux  antédiluviens,  infectés  de  tous  les  préjugés  qui 
font  l'agacement  ou  le  désespoir  de  quiconque  aime  le  progrès  et 
comprend  que  l'art  n'est  jamais  stationnaire,  qu'il  est  à  l'état 
d'évolution  constante,  que  son  charme  et  sa  force  sont  dans  ces 
changements,  et  que,  par  conséquent,  c'est  ignorance  et  bêtise  que 
de  prétendre  le  fixer  à  l'un  de  ses  momenis  divers,  comme  une 
instantanéité  sur  une  plaque  photographique.  Celte  immobilisa- 
tion est  pourtant  l'idéal  des  pachas  qui  siègent  immuables  dans 
les  étages  secondaires  de  nos  mobiles  ministères. 


C'est  à  ces  entresols  qui  lei^r  servent  de  tanières,  que  tout 
s'élabore  silencieusement.  Unbeau  jour  des  documents  tout  prêts, 
montentdans  le  cabinet  du  Chef  du  département.  S'il  .demande 
quelques  renseignements,  on  les  lui  donne  aussi  sommaires  que 
dénaturés.  On  le  persuade  d'ordinaire  sans  trop  do  peine,  et  il 
signe.  Il  s'imagine  être  Un  ministre  nouveau.  Erreur.  Il  n'est 
qu'un  mannequin  nouveau.  La  vieille  et  sainte  doctrine  n'a  pas 
changé;  c'est  elle  qui  mène  la  main  inconsciente  de.  l'homme 
d'Etat,  il  obéit  à  celle  impulsion  comme  un  marteau  de  piano 
dont  on  frappe  la  louche.. Il  y  a  un  personnage  fraichemenl  dé- 
barqué derrière  le  comptoir,  mais  dans  les  casiers  et  sUr  les 
rayons  c'est  la  même  marchandise,  les  mêmes  rossignols  dé- 
plumés. 

On  vient  d'en  avoir  un  grotesque  et  désolant  exemple  à  l'occa- 
sion des  choix  pour  le  jury  dés  Boaux-Arts  i^  l'Exposition  uni- 
verselle d'Anvers. 

Qui  ignore  désormais  l'existence  chcz'nous  de  ce  puissant  et 
nierveilleux  mouvement  de  l'Art  jeune  qui,  malgré  toutes  les 
compressions,  s'épanouit  magnifiquement  ?  En  vain  on  l'a  nié  au 
début,  insulté  plus  tard,  frappé  récemment,  mesurant  ainsi  les 
résistances  aux  forces  qu'il  déployait  peu  à  pejj.  Il  est  là,  visible, 
imposant,  conquérant  joyeusement  les  sympathies  du  public, 
noyant  les  récalcitrants,  d'autant  plus  vivace  qu'il  fut  plus  atta- 
qué, actuellement  si  bien  en  action  et  en  armes  qu'il  n'est  plus 
besoin  de  lui  prêter  assistance,  et  qu'ainsi  qu'aux  chariots  qui 
out  gravi  les  pentes  trop  rudes,  on  peut  dételer  les  chevaux  de 
renfort,  «il  en  est  presque  aux  heures  de  triomphe  où  plus  rien 
ne  résiste  et  où  le  courant  dévient  si  facile  et  si  impétueux  qu'il 
emporte  tout.   -^  ""■^'  '■  ■-  "'  •v,-;:; '.  .-.■•:---^..- -■ 

"  Peinture,  musique,  littérature,  rien  n'y  échappe.  Les  vieux  se 
lamentent,  mais  la  ville  est  prisCr  II  faudra  bien  que  l'on  y  passe 
et  que  partout  les  pavillons  séniles  soient  amenés. 

Les  jeunes  vainqueurs  conifitaient'arriver  en  belle  phalange  à 
Anvers  et  montrer  une^fois  de  pluâ  ce  que  vaut  leur  évangile  con- 
temporain en  comparaison  des  contes  de  Mère-Grand  où  s'at- 
tardent les  académiques,  accompagnés  de  la  troupe  des  recrues 
impuissantes  qui  s'imaginent  qu'on  ne  peut  réussir  qu'à  la  con- 
dition de  ne  pas  mécontenter  les  gens  en  place.  Or,  voici  que 
pour  leur  faire  réception,  on  a  soumis  au  Ministre,  qui  l'a 
approuvée  sans  se  rendre  compte,  la  plus  incroyable  liste  d'inva- 
lides, de  cacochymes,  d'arriérés,  de  remisés  de  l'art  qui  se  puisse 
imaginer.  Jamais  pareil  défi  n'a  été  porté  aux  tendances  nou- 
velles. C'est  à  la  fois  insolent  et  ridicule. 

Tout  ce  qui  a  été  dit  depuis  dix  ans  sur  l'abus  de  pareilles  pra- 
tiques est  tenu  comme  non  avenu.  On  feint  d'avoir  été  sourd 
'**'  (peut-être  l'est-on  réellement).  L'art  moderne  ne  se  fut  pas  mani- 
festé, l'art  de  1830  eut  toujours  été  le  seul,  qu'on  n'aurait  pas- 
agi  autrement. 

liussi  la  réprobation  est-elle  violente,  et  la  bonne  réputation 
de  M»  de  Moreau  en  subit-elle  un  ternisscmenl  et  une  impopularité 
qui  vont,  s'il  n'y  prend  garde,  le  classer  dans  la  catégorie  déconsi- 
dérée de  ses  prédécesseurs. 

Est-ce  sa  faute?  Non^.  Ce  sont  ses  bureaux.       ^ 

Et  bien,  Monsieur  le  Ministre,  réagissez  contre  vos  bureaux. 
Vous  n'avez  pas  de  pires  ennemis.  C'est  un  réceptacle  de  pédan- 
tisme  et  d'odieuse  routiner 

Que  faut-il  faire  pour  échapper  aux  conséquences  de  ces  nomi- 
nations burlesques  qui  auront  pour  effet  de  produire  de  la  part 
des  jeunes  une  abstention  générale? 


\ 


Il  y  a  quatre  anè,  nous  l'indiquions  ici-m(^mo(*).  Puisque  l^a  vieille 
école  ne  veut  pas  abdiquer,  et  nnalgré  son  grand  ûge  prétend 
encore  courir  la  prétentaine,  qu'on  lui  donne  son  jliry  et  ses 
locaux.  Elle  y  fora  ce  qu'elle  voudra.  Il  sera  même  très  intéres- 
sant, très  amusant  de  conslaier  ce  qui  lui  reste  de  dents  et  ce 
qu'elle  a  de  rides  et  de  faux  cheveux.. 
L^ Mais  que  les  jeunes  aient  aussi  leurs  locaux  et  leur  jury  spé- 
cial composé  d'artistes  ayant  leurs  idées.  '      - 

Il  y  a  lutte,  qu'il  y  ait  deux  camps.  Que  cliacun  ait  la  liberté 

>Tîtf  venir  avec  ses'troupes  et  de  montrer  ses  armes.  Qu'on  ne  livre 

pas  à  un  ennemi  irréconciliable  et  sans  équité  (cent  exemples 

l'ont  démonlré)-4€-sôii^d^organiser  CCS  exhibitions  d'où  sortira  le 

jugement  du  public.       •  ^ 

Un  double  jury!   Une  répartition  proportionnelle   des 
.    ^.ocAux!  tel  était  alors  notre  crk^^us^ le  renouvelons.   — r- — — 

A  vous,  Monsieur  le  Ministre,  de  l'entendre.    .  , 

Sinon  la  guerre.  ^    . 


3 


-  ■  Jhéatrep 

L'ÉTUDIANT  PAUVRE 

On  l'avattrYU  si  souvent  rôder  dans  les  couloirs  du  Palais  de 
justice,  le  pauvre  hère,  il  avait  depuis  si  longtemps  fait  quaran- 
taine dans  les  salles  d'audience.,  qu'on  commençait  à  désespérer 
qu'il  fût  jamais  admis  à  libre  pratique.  Enfin,  le  voici  débarrassé 
de  tous  les  mécomptes  de  sa  carrière. d'aventures,  et  tel  a  été  le 
succès  qui  a  accueilli  son  entrée  daus  le  monde  que  le  théâtre  de 
l'Alcazar,  où  il  est  apparu  dans  l'éclat  de  sess.  costumes  neufs  et 
dans  la  gaîté  de  ses  refiftins,  a  retrouvé,  du  GOj^p,  sa  vogue  d'au- 
trefois. 

Ce  prince  Charmant  de  Bologne  est  allé  joyeusement  dégager 
les  couloirs,  où  1rs  araignées,  durant  cent  années  et  plus,  avaient 
tendu  des  toiles  si  épaisses  que  nul  ne  pouvait  pliis  y  pénétrer. 
Il  a  réveillé  le  contrôleur,  endormi  tout  habillé  sur  sa  chaise  de 
paille.  11  a  secoué  la  torpeur  des  ouvreuses,  qui  se  sont  mises 
aussitôt  à  épousscter  leurs  bonnets  à  rubans  roses.  Eu  passant 
dans  la  salle,  il  a  redressé  le  chef  d'orcheslre,  écroulé  sur  son 
pupitre;  les  musiciens  se  sont  remis  à  souffler  dans  leurs  instru- 
ments, et  du  pavillon  des  cors  et  des  trompettes  s'est  en\;olé  un 
nuage  de  poussière.  Les  choristes  et  les  figurants,  qui  dormaient 
les  uns  sur  les  autres,  comme  au  troisième  acte  de  Carmen,  se 
sont  levés,  surpris,  en  bâillant  et  en  s'étirant.  Le  régisseur  lui- 
même,  le  digne  M.  Potel,  n'avait  pu  vaincre  le  sommeil  léthar- 
gique qui  avait  frappé  tous  les  habitants  de  la  maison  et  s'était 
couché,  depuis  un  siècle,  sur  le  canapé  de  crin  qui  orne  le  foyer 
des  artistes.  Il  s'éveilla  au  son  des  instruments  qui  s'accordaient 
et  courut  d'un  trait  au  pied  de  l'escalier  des  loges  en  criant  : 
c<  On  commence  !» 

Et  dans  un  cognement  de  chaussures  sur  les  degrés,  dans  un 
tohu-bohu  d'nppels,  de  bonjours  surpris,  de  bousculades  derrière 
les  porîanis,  le  vieil  Alcazar  s'est  mis  à  revivre,  tandis  qu'à  la 
suite  du  prince  Charmant  étaient  entrés  dix  spectateurs,  puis 
cent,  puis  mille,  chacun  retrouvant  le  coin  préféré,  examinant 
curieusement,  comme  des  connaissances  oubliées,  les  décorations 
mauresques  et  le  rideau  qui  montre,  le  tableau  des  batailles 
gagnées  jadis  par  le  généralissime  Humbert  :  La  Fille  Angott 
Giroflé-Girofla^  Les  Brigands,  Falinilza... 

Il  faudra  ajouter  ù  cette  triomphale  série  une  victoire  nou- 
velle :  car  VEludianl  pauvre  est  un  indiscutable  succès,  le  pre- 
mier qu'ait  remporté,  —  dans  le  domaine  directorial  tout  au 
moins  (restons  galant)  —  M"'"  Olga  Léaut. 

Succès  de  musique,  de  pièce,  de  costumes  et  de  décors  :  c'est 


(•)  Voir  l'Art  modenie  de  1881,  pp:0,?6,  31-,  M  et  117. 


•      / 


complet.  Et  si  la  directrice,  qui,  en  sa  qualité  de  russe,  doit 
appartenir  à  la  religion  grecque,  suit  les  rites  du  schisme  ortho- 
doxe, elle  aura,  en  son  oratoire,  aîi  retour  de  cette  première 
mémorable,  allumé  un  cierge  de  prix  à  sairit  Maurice,  patron  de  } 
notre  amj  et  confrère  Maurice.  Kufferath,  le  traducteur,  l'adapta- 
teur, l'ordonnateur  qui  a  mené  à  si  bonne  fm  l'entreprise  à 
laquelle  il  s'était  attelé. 

Nous  ne  rechercherons  [las  quelle  a  été  la  part  de  collaboration 
de  chacun  des  auteurs.  MM.  Scribe,  Hennequin,  Valabrègue, 
Kuff'eralh,  Millôcker,  ;y  sont  tous  pour  quelque  chose,  sans 
confipter  les  collaborateurs  anonymes  que  feu  Scribe  a  oublié  de 
citer  et  qui,  étant  morts,  se  sont  abstenus  de  protester.  Le  résul- 
tat de  ce  congrès  de  Collaborateurs  est  suffisamment  amusant 
pour  que  l'on  ne  doive  point,  dans  le  partage  des  responsabilités, 
disiîni^uer  les  vrais  coupables  des  co-auteurs  et  des  simples  com- 
plices. 

On  a  ri  aux  calembredaines  de  M.  Piiff'endorff',  gouverneur  de 
CracOvie,  OïTa  applaudi  aux  excentricités  de  dame  Palmatica, 
Laura  et  Marlha  ont  eu  des  bravos  et  des  rappels,  balancés  par 
les  jDravos  et  les  rappels  généreusement  octroyés  à  Simon  Bar- 
binski  et  Jan  janitski,  et  l'ori"  a  bissé  le  plus  de  valses,  (iç 
mazourkas,  de  polkas  et  de  galops  possible. 

Car  c'est  dans  les  rythmes  dansants  que  Millôcker  excelle. 
L'une  des  plus  jeunes  gloires  de  la  frivole  mais  charmante  école 
viennoise,  il  a  déjà  remué  toutes  les  jambes  de  l'Autriche  et  de 
l'Allemagne.  L'Etudiant  pauvre  ï^\\  marcher  les  soldats  parles 
rues,  sauter  les  couples  sous  la  tonnelle,  l'été^  dans  les  salles 
où  l'on  danse,  l'hiver  ;  et  c'est  au  refrain  de  ses  chansons  que 
chevauchent  les  tout  petits  sur  les  genoux  maternels. .._ 1 

C'est  peu  de  chose  que  cette  popularité,,,  sans  doute.  Qu'on 
ne  s'imagine  pas  que  nous  en  tirions  un  argument  quel- 
conque au  point  de  vue  de  sa  valeur.  Le  jugement  dés  foules  est 
si  souvent  partial,  intéressé  ou  fondé  sur  l'ignorance  et  l'entête- 
ment, que  petit  à  petit  les  artistes  se  sont  accoutumés  à  n'en  pas 
tenir  compte.  C'est  presque  toujours,  aujourd'hui,  un  indice  de 
supériorité  que  de  n'être  pas  compris,  ce  qui  a  donné  naissance 
à  celte  Spirituelle  boutade  :  a  Lisez  respectueusement  un  livre 

conspué;  admirez  religiejjsement  un  tableau  refusé  au  Salon j 

ayez  les  plus  grands  égards  pour  un  opéra  sifflé  :  neuf  fois  sur 
dix  vous  êtes  en  prétionce  d'un  chef-d'œuvre  ».  . 

Mais  la  musique  de  Millôcker  n'est  pas  de  celles  qu'on  discute. 
Il  faut  la  dédaigner  absolument  et  n'en  pas  parler,  si  l'on  veut 
jouer  au  pédagogue,  au  critique  grave  ou  au  dilettante  sévère.  Il 
faut,  si  l'on  aime  l'art  dans  quelque  domaine  écarté  qu'il  se  mani- 
feste, la  considérer  comme  un  badinage  aimable,  comme  une 
conversation  gamine,  non  dépourvue  d'esprit,  qui  sonne  aux 
oreilles  avec  une  pétulance  écoliôre.  C'est  bien  la  musique  du 
peuple  le  plus  léger  de  la  terre,  capable  (il  l'a  fait)  de  mettre  en 
couplets  drôles  un  deuil  p^iblic,  et  d'improviser  une  polka  sur'^ 
l'incendie  du  Ring-Theater! 

Elle  est  déhanchée,  elle  rit  d'un  rire  frais  de  jeunesse,  elle  est 
un  peu  canaille  par  instants,  bonne  fille  quand  même,  et  tou- 
jours sans  prétention. 

«  J'suis  pas  jolie,  jolie, 

Mais  j 'suis  bonne  comme  le  pain!  *» 

Jupe  retroussée,  elle  se  carre,  elle  se  dandine,  elle  frappe  du 
talon,  elle  envoie  parfois  vers  le  plafond  la  pointe  de  sa  bottine 
cambrée,  mais  jamais  aussi  haut  que  ses  cousines  de  France.... 

Les  artistes  de  l'Alcazar  ont  patronné  la  débutante  et  en  ont 
eu  beaucoup  d'honneur.  Il  convient  de  citer,  en  premier  lieu, 
parmi  ses  parrains,  M™^*  Marie  Julien,  Bernardi,  tout  à  fait 
accoutumée  aux  grosses  trivialités  de  l'opérette,  et  Blanche 
Dorsay,  dont  l'engagement  a  coûté  un  procès  à  la  direction,  on 
sait  dans  quelles  circonstances.  Parmi  les  homrties,  MM.  René 
Billier,  Mario  Widmer  et  (iulfi-oy. 


■J 


-J-- 


(.- 


iy. 


UNE  REMARQUE  SUR  UN  ROMANCIER  RUSSE  :  DOSTOJEVSKY 

Extrait  des  écrivains  russes  contemporains,  par  de  Vogué. 

Je  voudrais  citer  quelque  morceau  :  J'hésile  et  ne  trouve  pas, 
c'est  le  plus  bel  éloge  qu'on  puisse  faire  d'un  roman.  La  slruclure 
est  si  solide,  les  matériaux  si  simples  et  si  bien  sacrifiés  à  l'impres- 
sion d'ensemble,  qu'un  fragment  délajdhé  perd  toute  sa  valeur  ; 
il  ne  signifie  pas  plus  que  la  pierre  détachéfe  d'un  temple  grec, 
où  toute  la  beauté  réside  dans  les  lignes  générales.  C'est  le  irait 
commun  aux  grands  romanciers  russes;  les  pages  de  leurs  livres 
s'accumulent  sans  bruit,  gouttes  d'eau  lentes  et  bruissantes  ;  tout 
d'un  coup  et  sans  avoir  aperçu  la  crue,  on  se  trouve  perdu  sur 
un  lac  profond,  submergé  par  celle  mélancolie  qui  monte.  Un 
autre  trait  qui  leur  est  commun,  où  Tourguénef  excella  et  où 
Dostoïevsky  l'a  peut  être  dépassé,  c'est  l'art  d'éveiller  avec  une 
ligne,  un  mot,  des  résonances  intinies,  des  séries  de  sentiments 
et  d'idées.  Dans  tes  Pauvres  Gens,  cet  art  est  déjà  tout  entier. 
Les  mots  que  vou^s  lisez,  sur  ce  papier,  il  semble  qu'ils  ne  soient 
pas  écrits  en  longueur,  mais  avec,  de  sourdes  répercussions,  qui 
'vont  se  perdre  on  ne  sait  où;  c'est  le  clavier  de  l'orgue,  ces  touches 
étroites  d'où  le  son  paraît  sortir,  et  qui  se  relieni  par  d'invisibles 
conduites  au  vaste  cœur  de  l'insirumenl,  au  réservoir  d'harmonie 
où  grondent  les  tempêtes.  Q\iand  on  tourne  la  dernière  page,  on 
connaît  les  personnages  comme  si  l'on  eût  vécu  des  années 
auprès  d'eux;  l'auteur  ne  nous  a  pas  dit  la  miWième  partie  de  ce 
que  nous  savons  sur  eux,  et  cependant  nous  le  savons  de  science 
certaine,  tant  ses  indications,  sont  révélatrices.  J'en  demande 
pardqn  à  nos  écoles  de  précision  et  d'exactitude,  mais  décidé- 
ment, l'écrivain  est  surtout  puissant  par  ce  qu'il  ne  dit  pas  :  nous 
lui  sommes  reconnaissants  de  tout  ce  qu'il  nous  laisse  deviner. 


MEMENTO  DES  EXPOSITIONS  ET  CONCOURS 


Exposition  universelle.  Mai  à  octobre  1885. 

Salon  des  refusés  et  exposition  des  artistes  indépen- 


Anvers. 

Anvers. 
dants,   ouverture  en  mai.  Pour  tous  reuseigiiemeuts  s'adresser  au 
secrétaire  du  Cercle  des  artistes  indépendants,  1,  rue  de  l'Angle, 

Bruxelles. 


Janvier  1885.  —  Bruxelles.  —  Deuxième  exposition  des  XX. 
(Limitée  aux  membres  du  Cercle  et  aux  artistes  spécialement  invités), 
1er  Février  1885.  —  Troisième  exposition  de  Blanc  et  Noir  de 
.'  l'Essor.  (Limitée  aux  membres  du  Gei'cle).  Mai  1885  — Exposition 
historique  de  gravure,  par  le  Cercle  des  aquarellistes  et  aquafortistes. 
Mai  1885. 

Glasgow.  —  Institut  des  Beaux-Arts  (24''  exposition).  Ouverture 
.S  février  1885.  Fermeture  fiin  d'avril.  —  S'adresser  à  M.  Robert 
Walker,  secrétaire  de  l'Institut,  à  Glascow. 

Londres.  —  Exposition  internationale  d'instruments  de  musique. 
Ouverture  en  mai  1885,  à  South -Keusington.  Cette  deuxième  divi- 
sion comporte  trois  groupes  :  1*^  Instruments  de  musique  construits 
^r-^  ou  en  usage  depuis  180Û-;  2'^  gravure  et  impression  de  la  musique  ; 
3'J  collections  historiques. 

Id.  —  Du  31  mars  à  la  fin  de  septembre  exposition  internationale 
et  universelle  dAle::andra-Palace,  comprenant  notamment  les  arts 
et  métiers,. et  une  exposition  de  tableaux  et  objets  d'art  représentant 
les  principales  écoles  du  continent. 

Nuremberg.  —  Exposition  internationale  d'orfèvrerie,  de  joaille- 
rie, de  bronzes,  etc.  Du  15  juin  au  30  septembre  1885. 

Paris.  —  ^^'^^^  ^^  1885.  —  l'"''  mai  au  30  juin  1885.  — Peinture, 
dessins,  etc.  Dépôt  des  ouvrages  au  Palais  des  Champs-Elysées,  du 
5  au  14  mars.  Vote,  le  mercredi  18  mars,  de  9  h.  à  4  h.  —  Sculp- 
ture, Gravure  en  méd.  et  siir  p.  f.  Dépôt  du  21  mars  au  2  avril. 
Vote,  le  mardi  7  avril,  de  10  à  4  h.  —  Architecture.  Dépôt  du  2  au 
5  avril.  Vote,  le  mardi  7  avril,  de  10  à  4  h.  —  Gravure  et  Lithogra- 
phie. Dépôt,  du  2  au  5  avril.  Vote,  le  lundi  6  avril,  de  10  à  4  h. 

A  .  . 

Rome. —  Exposition  organisée  par  la  Société  des  Amatori  e  cultori 

di  Belli  arti.  Ouverture  l^""  février." 


La  Haye.  —  Concours  pour  l'érection  d'une  statue  à  Hugo  Gro- 
tius.  ,     ^ 


MoNTÉvmÉo.   —  Concours  pour  la  statue  du   général  Arti^as. 
S'adresser  à  la  légation  de  l'Uruguay,  4,  rue  Logelbach,  à  Paris. 

RicHMOND  (Virginie).  —  Concours  pour  un  monument  à  Robert 
Lee,  jusqu'au  ler  mai  1885.       , 

Vienne.  —  Concours  pour  l'érection  d'un  monument  à  Mozart. 


f 


ETITE    CHROJ^IQUE 


C'est  le  7  février  que  M-  Jean-François  Raffaëlli  fera,  au  Palais 
des  Beaux-Arts,  la  première  des  conférences  organisées  par  les  XX. 
On  sait  que  M.  Raffaëlli  exposa,  lan  dernier,  avenue  de  l'Opéra, 
cent  cinquante  tableaux,  études,  dessins,  gravures  et  sculptures.  Ce 
salon  indépendant  fut,  du  15  mars  au  15  avril,  l'événement  artistique 
de  Paris.  Il  se  fit  autour  de  l'artiste  d'autant  plus  de  bruit  qu'il 
développa  les  tendances  et  le  but  de  son  art  dans  des  théories  verte- 
ment écrites,  que  les  journaux  discutèrent  avec  passion. 

La  conférence  annoncée  a^lra  donc,  à  tous  les  points  de  vue,  un 
intérêt  de  premier  ordre.  ^.  ;  ' 

Un  jeune  sculpteur  de  talent,  M.  Idrac,  prix  de  Rome,. connu  par 
plusieurs  œuvres  remarquables,  vient  de  mourir  d'une  fièvre  typhoïde 
à  l'âge  de  35  ans  :  ce  fut  lui  qui  remporta  le  prix  au  concours  pour 
la  statue  d'Etienne-Marcel  qui  doit  être  placée  dans  le  square  de 
l'Hôtel  d^  Ville.  ' 

La  partition  pour  piano  et  chant  àe  XFAudiant  pauvre ,  le  récent^ 
succès  de  lAlcazar,  coquettement  gravée  et  imprimée  par  l'éditeur 
Cranz,  vient  d'être  mise  en  vente.  Elle  a  été,  par  une  attention  cour- 
toise, distribuée  à  la  presse  la  veille  de  la  première  représentation. 

ha.  Revue  artistique  à" Aïi\eT%  kce&séàe  paraître.  Elle  est  rem- 
placée par  la  Chronique  des  Beaux- Arts,  éditée  par  M.  Jos  Maes, 
et  dont  le  premier  numéro  (10  janvier  1885)  vient  de  nous  parvenir. 
Il  contient \les  arlibles  de  Georges  Eekhoud,  Jules  Destrée,  L.  Van 
Keymeulen,  Max  Rooses,  Eugène  Landoy,  L  Gervais  et  des  vers 
dAlbert  Giraud.  En  outre,  l'exemplaire  est  orné  de  huit  planches 
phototypiques,  tirées  avec  soin.  L'une  d'elles,  la  meilleure,  repro- 
duit l'ii^ïttc/e  de  Fantin  Latour.  •     - 

La  Chronique  des  Beaux- Arts  e%i  mensuelle.  Elle  com'i)rençl 
64  pages  de  texte  et  8  planches.  Le  prix  d'abonnement  annuel  est, 
pour  la  Belgique,  de  25  francs.    Le  prix  de  numéro  est  de  fr.  2.50. 

Nous  sommes  heureux  de  voir  parmi  les  collaborateurs  quelques 
noms  qui  donnent  toute  garantie  au  sujet  des  tendances  modernistes 
de  la  publication.  Celle-ci  défendra  à  Anvers  les  principes  d'art  dont 
VArt  Moderne  est  le  champion  à  Bruxelles. 

L'esprit  réactionnaire  de  \2i  Revue  artistique  liSLWv^.,  nous  l'es- 
pérons, r^en  à  voir  dans  celle  "ïjui  recueille  les  épaves  de  son  naufrage. 

Nous  souhaitons  donc  cordialement  la  bienvenue  à  la  Chronique 
des  Beaux- Arts. 

>■     Il     11     M  '  I      !■ 

On  annonce  pour  le  20,  au  Cercle  artistique  et  littéraire,  \xn 
piano -récital,  comme  on  dit  à  Londres,  c'est-à-dire  une  séance 
tout  entière  consacrée  au  piano,  qui  sera  donnée  par  M"'o  Marie 
Jaëll. 

Le  Conservatoire  de  Bruxelles  comptait,  au  l«r  juillet  dernier, 
48  professeurs  et  539  élèves  (dont  38  étrangers).  L'enseignement  est 
gra,tuit  jiour  les  nationaux,  mais  los  élèves  étrangers  doivent  payer 
une  rét'ribulion  annuelle  de  200  francs.  Le  budget  de  l'Ecole  est  de 
169,000  francs,  dont  137,000  payés  par  l'Etat,  10,000  par  la  pro- 
vince et  22,000  par  la  ville  de  Bruxelles.       v  , 

L'Opéra  de  Vienne  vient  de  consacrer  vingt  soirées  successives  à 
l'exécution  en  forme  de  cycle  des  principaux  ouvrages  de  Wagner, 
avec  le  concours  du  céli'bre  ténor  Vogel  de  Munich  qui  a  chanté 
Tristan,  Loge  du  Rheingold  et  Siegmund  de  la  M'alkure.  Pour  la 
première  fois  depuis  la  mise  des  Maîtres  Chanteurs  de  Nuremberg 
à  la  scène  viennoise,  cette  œuvre  a  été  donnée  en  entier,  sans  les 
coupures  qu'il  est  d'usage,  même  en  Allemagne,  de  faire  dans  les 
rôles  de  Haus  Sachs  et  de  Walther  de  Stolzing.  Le  public,  loin  de 
se  plaindre,  n'a  jamais  fait  i)las  de  succès  à  cette  merveilleuse  com- 
position du  maitre  de  Bayreulh.  C'a  été  le  grand  triomphe  dé  cette 
série  de  représentations  ^vagnériennès. 


V 


■  f  ■•>-■ 


I   .^ 


24 


rART  MODERNE 


Exposition  des  Beaux- Arts  de  Termonde.  —  Liste  des  nutaéros 
gagnants  de  la  Tombola. 

No»     990.  Pat/sage  (L.  Jacobs).  ,   .. 

1^8.  Un  Ruisseau  (R.  Wytsman),  .  • 

.  1888,  7*a//s«<7<î  (L.  Jacobs).  > 

342.  Les  soins  du  ménage  (GeeriuckxK  - 

2044.  Fleurs  (M'"»  Vanderlinden-De  Vigne).  - 
"    1187.  Marine  (J.  Heyndricx). 
.     790.  Enfant  Maure  (Em.  Wauters). 
941.  Marine  (G    Beeckman). 

1)72.  Environs  de  Termonde  (A.  Bard).     ". \   . — ^ — "-:;■•■    ■ 
477.  Ferme^^n  Fla)tdre  iA    Loret).  !      ,     ^       . 

214.  Confectionneuses  (Crabeels). 
927    Hiver  (Vanderhoeck).  - 

Les  annonces  sont  reçues  au  bureau  du  journal, 
20,  rue  de  V Industrie,  à  Bruxelles. 

NOUVEAUTÉS   MUSICALES 

POUR  PIANO 

Iluberti,  G.  Trois  morcenux  :  N^  i.  Etude  rhythmique,  2  fr.  — 
N«  2.  Historiette,  2  11'.        N"  3.  Valse  lente,  fr   L75. 

Kowahki.  Op.  44.  Autour  de  mon  Clocher,  2  fr. —  Op.  45.  Illu- 
sions et  Chimères,  2  fr.        Op.  48., Tambour  battant,  2  Ir. 

Smith  S  Op  .185  Notre-Dame,  Chant  religieux,  2  fr.  —  Op.  191. 
La  mer  calme.  Deuxième  barcarolle,  2  fr.  —  Op.  192-  Styrienne, 
2  fr.  —  Op.  193.  Marguerite,  2  fr.  —  Op:  194.  La  fée  de  Ondes,  2  fr. 

Wicniawski.  Jos  Op.  39.  Six  pièces  romantiques  :  Gah.  I.  Idylle, 
Evocation,  Jeux  de  fées,  3  fr.  —  Gah.  II.  Ballade,  Elégie,  Scène 
rustique,  3  fr.  —  Op.-  41    Mazourka  de  concert,  fr.  2.50. 

MUSIQUE  FOURCHANT 

Jiach.  Sh  chorals  pour  chœurs  mixtes  par  M&rtcns.  La  partition, 
1  franc. 

liremer.  A.  Sonne  mon  tambourin,  pour  chant,  violon  ou  violon- 
celle et  ()iano,  3  fr.;  —  Hymne  à  Ci'rès,  pour  baryton  ou  mez^ô- 
soprano  et  chœur  pour  3  voix  <le  femmes,  2  fr. 

Riga,  Fr.  Quatre  Ciictturs  pour  voix  de  femmes  ave^  accompagne- 
ment de  piano  à  4  mains  :  N«  1.  Fête  villageoise,  la  partition, 
fr  2  50.  —  N'>  2.  Les  Vendangeuse,  la  partition,  fr.  2.50.  —  N«  3. 
Sous  les  Bois,  la  partition,  fr.  2  50.  —  N"  4.  La  Paix,  la  partition, 
fr.  3.50.  . 

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par  Hérmann  DEITERS 

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Toutes  les  œuvres  deTîrahm.s,  ainsi  qu'un  choix  de  bons  portraits  du  com- 
positeur, se  trouvent  au  magasin  des  éditeurs,  41,  Montagne  de  la  Cour. 


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(Ancienne  maison  Meynne). 


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Cet  ouvrage  forme  la  suite  des  Scènes  de  la  vie  judiciaire. 
Les  volumes  antérieurement  parus  sont  :  - 

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Il  a  été  tiré  vingt-cinq  exemplaires  sur  papier  impérial  du  Japon 
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Bruxelles.  —  Irap.  Félix  Callbwaert  père,  rue  de  l'Industrie, 


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Cinquième  année.  —  N°  4 


Le  NUMÉRa  :  25  centimes. 


Dimanche  25  Janvier  1885." 


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OMMAIRE 


Trois  œuvres  récentes  de  Camille  Lemoxxier.  VHxjstéHque  ; 
Le  Hainaut;  Histoire  de  huit  bêtes  et  .d'une  poupée.  —  Edmond 
About^  —  Charles  Fuster.  L'âme  pensive;  Contes  sans  préten- 
tion. —  La  nouvelle  direction  du  Théâtre  de  la  Monnaie;  — 
Le  beau  caractériste.  —  Élections  académiques.  —  Musique. 
^me  matinée  de  musique  instrumentale  au  Conservatoire  ;  Concert 
Wieniawski.  —  Conseils  aux  musiciens.  —  Mémento  des  expo- 
sitions ET  concours.  —  Petite  CHRONIQUE.     -     \  ■         : 


TROTS    CE1TJVI^E3    I^lÉîOEISrTES 


DU- 


.     CAMILLE  LBMONNIER 

L'Hystérique,   Paris,  Charpentier.  —  Le   Hainaut,   Paris, 
Hachette.  —  Histoire  de  huit  bêtes  et  d'une  poupée, 

Paris,  Hetzel. 

Infatigable!  Inépuisable  !  tel  est  le  salut  qu'impose  ce 
Maître  qui,  par  la  description  du  décor  national,  et  par 
la  description  de  l'âme  nationale,  devient  nôtre  chaque 
jour  davantage.  Le  HainaiU!  quelle  peinture  de  nos 
paysages  industriels  !  L'Hystérique!  quelle  peinture  de 
notre  psychologie  religieuse  ! 

Et  à  côté  de  cela,  une  fantaisie  enfantine  charmante  : 
Huit  bêtes  et  une  poupée!  Des  contes  vite  racontés,  du 
bout  de  la  plume,  légers,  caressants,  naïfs,  délicate- 
ment tressés,  beaux  jouets  composés  et  habillés  par  un 
artiste,  non  pas  avec  les  gaucheries  et  les  crudités 
Nurembergeoises,  mais  avec  une  amoureuse  préoccupa- 
tion d'harmonie  simple  et  élégante.  • 
-Laissons   cette  babiole  en   laquelle  l'écrivain  s'est 


amusé  et  distrait  lui-même  en  amusant  les  autres. 
Venons  aux  deux  fruits^mûrs  et  superbes  qu'il  a  ajoutés 
à  sa  corbeille  littéraire. 

Comme  nous  le  disions  plus  haut,  ces  deux  œuvres 
s'attaquent  chacune  à  l'unedes  faces  suprêmes  de  l'art 
d'écrire  :  le  dehors,  le  dedans,  le  visible,  le  pénétrable, 
ce  qui  parle  aux  yeux,  ce  qui  ne  parle  qu'à  l'esprit. 
""  Et  le  procédé  changeant  merveilleusement  avec  le 
sujet,  elles  révèlent  des  qualités  opposées  mais  com- 
plémentaires, aussi  viriles,  aussi  vivantes  les  unes  que 
les  autres.  .  -  ' 

Le  HçLÎnaut  est  tout  en  couleur.  On  y  retrouve  le 
puissant  brosseur  qui,  après  s'être  appliqué  dans  les 
premières  lignes  à  peindre  ce  qu'il  voit  comme  il  le  voit, 
est  bientôt  entraîné  par  l'ivresse  des  tons  qu'il  manie  et 
mêle,  et  s'abandonnant  au  tournoiement  où  l'emporte 
l'éclatante  mosaïque  de  sa  palette,  colore  pour  colorer, 
faisant  vibrer  les  teintes,  tel  qu'un  avare  plongeant 
les  bras  dans  un  amas  de  pièces  d'or  et  se  soûlant  de 
leur  bruissement  et  de  leur  cliquetis.  Ce  n'est  pas  que 
sous  les  glacis  magnifiques  dont  il  la  couvre,  la  Bel-^ 
gique  disparaisse.  Au  début  elle  rougeoie  comme  si  elle 
était  d'airain  chauffé  par  un  feu  intérieur.  Mais  par  un 
phénomène  étrange  et  séduisant,  dès  qu'on  est  fait  à 
cette  intensité  qui  partout  hausse  la  ga^me  des  coloris, 
le  camaïeu  resplendissant  qui  en  résulte  donne,  une 
impression  inoubliable  de  la  patrie,  brutale  en  la  façon 
dont  elle  s'imprime  dans  la  pensée,  mais  sonore,  élo- 
quente; exagérée  peut-être,  mais  saisissante  comme  un 
beau  soleil  couchant.    •  ;- 


V 


'^ 


A  dîfTérentes  reprises  déjà,  nous  nous  sommés  expli- 
qués isur  ce  procédé  de  Lemonnier.  Nous  layons  chi- 
cané parfois  parce  que  la  description  vraie  des  sites 
connus  de  notre  changeant  territoire  a  des  charmes 
auxquels  difficilement  on  renonce.  Ce  grossissement 
nous  a  inquiétés.  Nous  avons  souhaité  retrouver  ces 
sites  dans  les  fresques  où  nos  littérateurs  les  reprodui- 
sent, tels  qu'ils  sont,  avec  leur  tristesse  grise,  leur 
aspect  ifhièval  plus  douloureux  que  bruyant.  Mais 
devant  le  prestige  de  cette  transfiguration  épique,  nous 
cédons,  remplaçant  la  joie  de  voir  cette  nature  mater- 
nelle où  nous  avons  grandi,  décrite  en  son  aspect  fami- 
lier, par  celle  de  sentir  se  dégager  à  gros  bouillons 
l'inspiration  triomphante  de  celui  qui,  bon  gré  mal  gré, 
s'affirme  chaque  jour  davantage  comme  le  plus  brillant 
de  nos  écrivains. 

Nous  savons  comme  on  l'a  marchandé,  comme  on  le 
marchande  encore,  et  avec  quelle  malice  mauvaise  on 
boursoufle  les  quelques  imperfections  qui  sont  l'adju- 
vant des  belles  œuvres,  parce  qu'elles  en  affiraient 
rhumanité  Eh  !  qu'importe.  La  vraie  manière  déjuger 
une. (jeuvre .d'art,  c'est  de  la  regarder  dans  son  ensem- 
ble. Laissons  les  misères  de  la  petite  bête..  Le  livre  a  ses 
grains  de  Ijeauté  comme  la  peau,  tâches  en  eux-mêmes 
mais  sur  la  surface  générale,  repoussoirs  séducteurs. 

Comme  tout  cet  orchestre  de  phrases,  d'images,  de 
mots  sonnant  comme  des  cymbales,  s'adoucit,  se  calme, 
devient  grave  dans  \ Hystérique.  Tantôt  l'œuvre  appa- 
raissait comme  une  pivoine,  la  voibi-  telle  qu'un  nénu- 
phar. Nous  sommes  dans  le  paysage  des  froides  et 
mortes  constructions  d'un  béguinage.  Ce  fond  de 
tableau  est  à  peine  indiqué.  C'est  une  grisaille,  une 
sépia  brumeuse.  Mais  à  l'avant  plan,  des  personnages 
d'une  intensité  formidable,  circulent  avec  des  actions 
tragiques.  L'ne  illuminée,  un  prêtre.  Ils  passent,  repas- 
sent, se  déplacent  en  leur  pantomine  terrible,  froids  au 
dehors,  brûlés  au  dedans  d'un  feu  dévorateur,  celui-ci 
par  la  concupiscence,  celle-là  par  l'amour  divin.  Satan 
amant  de  Sainte-Thérèse. 

L'ingéniosité  avec  laquelle  Lemonnier  a  creusé  ces 
deux  figures  est  inimaginable.  Elle  décèle  un  esprit 
d'une  subtilité  vertigineuse.  L'anatomie  des  âmes  pénè- 
tre jusqu'aux  rameaux  capillaires  les  plus  ténus. 
Toutes  les  gradations  de  cette  maladie  physique  qui 
retentit  si  puissamment  sur  les  pensées  et  le  sentiment 
que  ceux-ci  seuls  semblent  atteints,  sont  marquées  en 
leurs  degrés  infinis,  avec  une  netteté  de  nuances,  une 
variété  et  une  sûreté  de  notations,  qui  fait  penser  aux 
instruments  de  précision  les  plus  délicats. 

Certes,  pour  notre  gros  public,  ce  qui  subsiste  d'un 
livre  intitulé  Yllystériqiie  c'est  ce  qu'il  nomme  l'indé- 
cence. Et  quand  à  cette  première  hardiesse  de  l'auteur 
vient  se  joindre  l'application  de  cette  prétendue  indé- 
cence à  des  scènes- religieuses,  elle  devient  scandale  et 


entraîne  une  condamnation  irrémédiable.  Mais  pour  tout 
artiste  qui  ne  s'arrête  pas  à  ces  banalités  et  qui  entre 
résolument  dans  ce  roman  si  profond,  les  basses  préoc- 
cupations des  pudeurs  bourgeoises  ne  surgissent  pas  un 
instant.  On  sent  que  l'auteur  ne  s'est  pas  avili  à  vouloir 
faire  une  campagne  anti-cléricale.  Le  prêtre  reste  grand 
et  terrible  comme  Claude  Frollo  dans  la  fatalité  qui 
le  submerge.  La  béguine  reste  pure  dans  le  ravage 
de  sa  virginité.  L'un  et  l'autre  sont  peu  à  peu  saisis, 
poussés,  comprimés,  domptés,  écrasés  par  les  inébran- 
lables forces  des  circonstances  et  de  leurs  tempéraments. 
Leur  volonté  n'est  qen,  et  dans  l'irresponsabilité- qui 
en  résulte,  ils  démeurent  sympathiques  et  touchants. 

Lemonnier  n'a  pas  quarante  ans.  Il  bat  son  plein. 
Toutes  ses  forces  atteignent  cette  belle  maturité  de  la 
vie  qui  est  leur  épanouissement  complet.  Il  a  déjà 
touché  à  tous  les  genres  et  forgé  dans  tous  les  styles, 
Cette  variété  a  été  critiquée.  Elle  a  été  cause  des  ana- 
logies qu'on  a  parfois  relevées  entre  ses  productions  et  ^ 
celles  de  personnalités  françaises  contemporaines.  Soit. 
Qu'il  accepte  le  reproche  dans  la  mesure  où  il  est  vrai. 
Dès- le  Mort,  ce  chef-d'œuvre,  il  a  montré  qu'il  était  de 
complexion  à  être  lui-même.  Le  moment  est  venu  où  il 
saura  ne  plus  être"  autre  chose.  On  peut  prédire  que 
bientôt  sortira  de  lui  l'œuvre  où  il  se  révélera  tout 
entier,  dans  une  originalité  indiscutable.  Sera-ce 
Happe-Chair,  ce  livre  annoncé  où  il  évoque  la  vie 
ouvrière  dans  les  enfers  de  Marcinelle  et  de  Couillet? 
Peut-être.  ' 


EDMOND  ABOUT 

C'est  M.  Rousse,  paraît-il,  qiiî  fera  à  l'Académie  l'éloge  de 
M.  Edmond  About.  Qu'eslrce  que  M.  Rousse?  M.  Rousse  est  un 
vieil  avocat  admis  dans  la  vénérable  compagnie  1»  parce  qu'il 
estr  réactionnaire;  2»  parce  qu'il  est  complclement  étranger  aux 
lettres.  Ces  qualités  sont  parfaitement  suffisantes  pour  faire  un 
excellent  académicien.  C'est  donc  ce  rabbin  qui  est  chargé  de 
faire  ressortir  les  mérites  de  l'auteur  de  tant  d 'œuvres  sans  pro- 
fondeur ni  pénétration,  mais  élincelantes  de  verve  gauloise,  de 
fine  satire,  de  mots  charmants.  Vraiment  l'aimable  écrivain  méri-  . 
tait  mieux  que  les  pavés  académiques  dont  l'honorable  M.  Rousse 
se  prépare  à  bombarder  sa  mémoire.  On  voit  d'ici  ce  procureur, 
son  mémoire  à  la  main,  «lisséqucr  du  haut  de  ses  lunettes 
Madelon,  Le  nez  d'un  notaire,  U homme  à  ioreille  cassée  et 
plaider  les  circonstances  atténuantes  en  faveur  de  ce  grand  esprit 
si  tristement  fourvové  dans  ces  œuvres  lésères,  indisnes  de  lui 
et  de  la  compagnie  dont  il  avait  l'honneur  de  faire  partie. 

Avant  que  l'éloquence  de  M.  Rousse  ne  s'appesantisse  sur  la 
tombe  d'Edmond  About,-il  convient  de  dire  quelques  mots  de  cet 
écrivain  qui  certes  ne  doit  pas  être  mis  au  rang  des  grands  écri- 
vains de  France,,  mais  qui  a  droit  à  une  place  honorable  au 
second  rang.  11  amusa  sa  génération  par  des  récits  d'une  fantaisie 
originale,  il  augmenta  de  quelques  éclats  de  rire  le  trésor  de  la 
gaieté  française.  C'est  quelque  chose,  sans  doute.  Il  ne  faut  pas 
dédaigner  le  rire.  C'est  la  seule  chose  qui  ne  laisse  après  elle 


aucune  amerlume,  et,  d'autre  part,  le  rire  on  France  est  une 
puissance  plus  eorrosij^e  que  celle  de  rùloquence.  Dans  un  pays 
où  l'esprit  a  conservé  quelques  droits,  le  rire  est  le  véhicule  du 
progrès.  Que  de  grandes  choses  le  rire  n'a-t-il  pas  préparées  el 
accomplies!  11  est  autre  chose  qu'une  grimace  accompagnée  d'un 
bruit  ridicule,  c'est  un  explosif'  redoutable,  une  dynamite  irrésis- 
tible. 

VBomme  à  Voreille  cassée,  le  Nez  d'un  notaire  ne  sont, 
assurément,  que  d'originales  drôleries,  mais  à  côté  de  ces 
fantaisies  bouffonnes  il  y  a  des  écrits  qui  ont  la  valeur  de  satires 
et  de  pamphlets  fort  énergiquesrsous  leurs  allures  bon  enfant. 
La  Question  romaine  n'a-l-elle  pas  ce  caractère,  et  dira-t-on  que 
ce  livre  n'a  pas  contribué  h  préparer  la  solution  du  problème 
italien  ?  Le  rire  français  a  été  plus  meurtrier  pour  le  trône  de 
St-Pierre  que  les  boulets  de  Victor-Emmanuel. 

M  ne  faut  donc  pas  trop  rabaisser  Edmond  About.  Ce  ne  fut 
pas  un  grand  homme,  il  n'eut  pas  de  génie,  il  n'a  pas  Jracé  de 
sillon,  il  a  à  peine  égratigné  le  sol  de  l'art  et  de  la  pensée.  Il 
est  ridicule  de  le  comparer  à  Voltaire  comme  le  font  quelques 
enthousiastes  maladroits.  Il  n'eut  pas  la  largeur  de  vues,  l'ardeur 
généreuse,  la  sagacité  profonde  de  l'hôte  de  Ferney.  À  éôté-de 
l'œuvre  éminente  de  Voltaire,  celle  d'About  n'esC  qu'un  atome. 
Mais  si  toute  comparaison  est  impossible,  il  est  au  moins  permis 
de  dire  de  lui  qu'il  marcha  dans  le  sillage  du  grand  homme, 
qu'il  lui  emprunta  quelques  éclairs  d'esprit  et  de  bon  sens,  qu'il 
en  atteignit  parfois  la  vive  clarté,  la  mordacité,  la  gaieté  élince- 
.  lanle.  • 

Rendons  aux  choses  et  aux  hommes  leurs  proportions.  About 
n'est  pas  le  descendant  de  Voltaire,  mais  il  fut  son  disciple. 
L'héritage  de  Voltaire  s'est  divisé  en  une  infinité  de  parts,  About 
a  eu  la  sienne.  Laissons-la  lui. 


L'Ame  pensive,  poésies,  1884.  —  Contes  sans 
^^-^  prétention,  1885. 

Le  nom  de  Charles  Fustcr  a  été  très  copieusement  cité  dans  les 
.périodiques  belges  durant  les  dernières  années.  Et  pourtant  il 
habite  Bordeaux!  C'est  très  loin,  comme  trajet,  pour  la  gloire,  et 
en  apparence  fort  difficile.  De  Paris  a  Bruxelles  le  voyage  des 
renommées  littéraires  est  facile.  De  Bruxelles  à  Paris,  c'est  d(\jà 
presque  infranchissable.  De- Bordeaux  à  Bruxelles  c'est  étrange, 
et  il  a  fallu,  pour  réaliser  ce  phénomène,  des  procédés  exception- 
nels ;  car  jusqu'ici  l'œuvre  du  jeune  écrivain  n'est  pas  de  celles 
qui  s'imposent  et  traversent  les  espaces  sur  des  ailes  d'aigle. 

Un  de  nos  jeunes  l'a  dit  récemment  avec  une  franchise  trop 
brutale  :  Charles  Fuster  aide  trop  à  sa  notoriété.  Il  a  des  façons 
de  violenter  l'attention  qui  choquent.  Il  est  arrivé  h  l'état  aigu 
de  celle  marthdie  qui  ronge  la  génération  contemporaine  :  Faire 
parler  de  soi. 

Hâtons-npus  de  dire  que  ce  n'est  qu'un  travers,  qu'il  ne  louche 
^  qu'au  caractère  sur  lequel  il  met  une  ombre,  et  laisse  intacte  la 
personnalité  littéraire.  Si  c'est  un  écrivain  qui  remue  plus  que 
les  autres,  ce  n'est  pas  un  motif  pour  qu'on  ne  juge  pas  ses  apti- 
tudes et  ses  efforts. 

Ses  efforts^sonl  énergiques,  constants,  exubérants.  Il  a  le  tem- 
pérament d'un  homme  qui  veut  percer,  qui  veut  grandir.  On 
découvre  chez  lui  une  volonté  acharnée  de  contraindre  les  cir- 


constances. Il  est  ai  l'affût  des  moindres  occasions,  il  suscite 
sans  trêve  des  relations.  Sa  correspondance  doit  être  formidable. 
Elle  doit  être  toujours  aimable.  Comme  une  araignée -diligente 
et  jamais  lasse,  il  tend  incessamment  des  fils.  C'est  une  uiéthodé 
très  efficace  de  sortir  dq  l'obscurité  et  de  s'aimantera  tous  ces 
po"Stes  téléphoniques  auxquels  il  s'est  relié.  Un  va-et-vient  pareil, 
C'îlle  navette  constamment  lancée,  reprise,  renvoyée,  ramenée  ne 
peut  manque^  d'être  salutaire.  Mais  quelle  administration  !    " 

Que  le  jeune  auteur  ne  nous  en  veuille  pas  d'insister  sur  ce 
côté  1res  curieux  de  son  activité.  Nous  tâclions  de-  faire  son 
esquisse,  cl  il  y  a  là  un  trait  trop  saillant  pour  qu'il  ne  s'impose 
pas.  11  y  a  aussi  peut-être  un  défaut  h  corriger,  h  adoucir  tout  au 
moins,  et  c'est  h  ce  titre  que  nous  le  signalons.  S'il  pouvait  le 
réduire  à  des  proportions  acceptables!  S'il  pouvait  réfréner  son 
tic  !  . 

Mais  venons  aux  deux  livres  qu'il  à  publiés  récemment,  vers  et 
prose.  —         -  * 

V Ame  pensive  est  une  production  très  sincère,  un  peu  naïve, 
sentimentale  (ce  qui  est  une  qualité  toujours  lr(^  proche  d'un 
défaut),  d'une  élégance  légèreraenl  départementale.  Le  principal 
reproche  que  nous  lui  ferons  est  de  ne  pas  sortir  des  sillons 
habituels.  Ce  recueil  a  été  couronne  par  l'Académie  des  muses 
Santones.  A  bon  droit,  certes.  Comme  livre  de  concours  il  est  très 
bien  tourné.  Il  réunit  les  qualités  modérées  que  pareille  circon- 
stance réclame.  Il  est  bien  élevé  et  décent  même  en  ses  colères. 
Il  dénote  une  grande  facilité  de  versification,  mais  n'est  guère 
original.  On  n'y  trouve  quç  rarement  ce  sentiment  contemporain 
si  puissant  et  si  étrange,  inévitable  dans. la  vie  que  mène  ce  siè- 
cle, ou  qui  le  mène  :  une  âj)re  conscience  des  misères  de  notre 
condition  d'homme.  Le  convenu  tranquille,  les  malédictions  con- 
ventionnelles, le  répertoire  démodé  des  tristesses  banales,  les 
joies  et  les  tendresses  superficielles. 

C'est  d'un  jeune,  objeclera-t-on  ;  attendez.  —  C'est  vrai. 
Comme  début  ce  n'esi  pas  sans  espérances  de  productions  plus 
viriles,  plus  réellement  humaines.  C'est  sans  doute  le  jet  d'un 
tempérament  encore  mal  dégagé  de  la  rhétorique  de  collège. 
Mais  comme  souvent  de  très  jeunes  plumes  sont  libres  de  ces 
entraves,  nous,  sommes  enclins  à  critiquer  celles-ci  même  chez  les 
nouveaux- venus. 

Les  Contes  sans  prétention  parlicipenl  des  mêmes  caractères. 
Ils  tranchent  peu  sur  la  banalité  des  choses.  C'est  bien  fait,  mais, 
k  notre  avis,  bien  calme.  L'art  réclame  désormais  plus  de  mou- 
vement, plus  de  flamme.  Il  se  concentre  de  plus  en  plus  dans 
l'intensité  de  l'œuvre,  dans  sa  pénétration,  dans  l'aptitude  l\ 
fouiller  les  dessous,  les  coins  reculés,  soit  dans  le  sujet,  soit  tout 
*"  au  moins  dans  la  manière  de  l'exprimer,  dans  les  images,  les 
détails. imprévus,  les  traits  profonds.  Si  Charles  Fuster  a  l'ambi- 
tion de  s'afficher  en. dehors  des  autres,  c'est  là  qu'il  doit  veiller, 
car  c'est  là  qu'est  son  infirmité. 

On  va  vite,  en  général,  chez  les  jeunes,  quand  il  s'agit  de  pro- 
duire. Du  premier  coup  on  atteint  la  publication,  et  on  ne  s'ar-, 
rête  plus.  Livre  sur  livre,  ou  plutôt  article  sur  article,  plaquette 
sur  plaquette,  brochure  sur  brochure.  On  dràîne  son  esprit  impi- 
toyablement. On  l'épuisé  avant  même  qu'il  soit  garni.  On  jouit 
du  bonheur  de  se  voir  imprimé,  critiqué  et  chronique  : 

s. 

On  raauge  du  sucre  candi 
Dans  les  feuilletons  du  lundi. 

Mais  tout  cela  c'est  la  bagatelle  de  la  porte.  En  s'y  arrêtant  trop 
on.  risque  de  ne  jamais  entrer.  Mieux  vaudrait,  certes,  moins 


^ 


engendrer.  On  aboulil  vraimcnl  h  un  beau  rosullat  quand,  avant  la 
ti'entaine,  on  a  blasdlc  lecteur,  et  soi-mOme,  sur  Son  nom  et  sur 
so,n  style.  Qui,  par  ces  temps  de  production  h  jet  continiï,  où 
chaque  année  chaque  auteur  pond  son  œuf,  ne  souliaiterail  de 
voir  stopper  momentanément  ces  évacuations  qui  nous  submer- 
gent. Pour  la  gloire  véritable  un  seul  livre,  médité,  creusé,  pris 
cl  repris,  fait  plus  qu'un  train  littéraire  de  cinquante  w;»gons, 
pardon  de  cinquante  volumes,  à  n^oins  d'être  un  génie,  restreins- 
loi,  est  la  règle  des  belles  vies  artistiques.  Gare  aux  leucorihérsî 
Ecrivez  lûnt  ([ue  vous  voudrez,  c'est  partait .  Mais  ne  publiez  qu'à 
bon  escient,  et  plutôt  sur  le  tard. 


JiA  JMOUVELLE"  DIF\ECTI0N 
DU    THÉÂTRE    DE    LA   MONNAIE 

Jamais  on  n'entendit  pareils  poilus  au  sujet  d'un  changement 
de  direction.  Ce  monde  spécial  qui  rôde  et  bourdonne  autour 
d'un  théâtre,  circule  dans  les  couloirs,  pénètre  dans  h^s  coulisses, 
perruche  chez  les  artistes,  clabaude  dans  les  cafés  d'alentour, 
s'en  est  donne!»  jusqu'ù  l'étourdissement.  Le  v>ai,  le  faux  surtout, 
le  bien,  le  mal,  le  spirituel,  le  bêle  ont  neigé  à  gros  flocons.  On 
a  assisté  aux  jérémiades  incalmables  des mécontents  perpétuels  : 
ils  obsédaient  la  très  ingénieuse,  très  sympathique  administration 
Stoumon  et  Calabrési;  voici  (prils  lâchent  ce! le  proie  pour  mor- 
diller b  direction  Verdhurl  cpii  n'a  pas  encore  commencé.  On  a 
vu  s't'^panouir  la  salisfacliou  de  ceux  qui  ne  d(''estent  pas  le  chan- 
gement et  espèrent  en  un  arl  plus  jeune,  |dus  frais,  plus  nova- 
teur. Puis  il  y  a  eu  l'intarissable  jacassement  des  abonnés  et 
habitué"^  juste  milieu,  bavardant  pour  bavarder,  cancanant, 
inventant,  (léfigiiiant,  chuchottant,  piquant,  griffant,  déchirant, 
pérorant  îi  en  perdre  haleine  eux-mêmes  et  à  en  faire  perdre 
patience  aux  autres.  ■  . 

C'est  tini.  La  crise  est  passée.  Les  concurrents  qui  attendaient 
aventure'  au  coin  du  bois,  comptant  sur  quelque  accident-que 
prédisaient,  on  ne  sait  pour([uoi,  les  oiseaux  noirs,  ont  repris  le 
train  et  Ont  disparu.  Les  amateurs  de  calaslrophes  ont  dû  ren- 
trer chez  eux-  bredouille.  Leurs  mauvais  présages  sont  évaporés. 
Il  faut  se  résigner  :  M.  Verdhurl  qui,  aycc  beaucoup  de  tranquil- 
lité cl  un  sangfroid  de  bon  augure,  laissait  dire,  laissait  faire, 
ne  se  donnant  pas  la  peine  d'aller  souffler  dans  cette  fourmilière, 
esl.hel  et  bien  et  délinitivement  directeur.  Au  moment  voulu,  au 
moment  fixé,  ni  trop  tôt,  ni  trop  tard,  juste  assez  pour  donner  ù 
ses  adversaires  des  espérances  dont  il  a  pu  s'amuser,  et  pour 
rester  absolument  correct,  il  a  fait  apparaître  îi  la  caisse  com- 
munale, en  espèces  sonnantes,  son  cautionnement. 

D'où  vieni-il  ce  cautionnement?  Qui(a[)puie  le  nojivel  élu? 
Quels  noms  mettre  sur  ce  qu'on  nomme  sa  commandite,  car  il  ne 
s'en  cache  pas,  ce  n'est,  pss  sur  ses  économies  de  professeur  de 
chant  en  vogue  et  d'ancien  baryton,  qu'il  a  trouvé  de  quoi  suffire 
à  son  enlreprisL'?  Mystère.  Il  se  tail  ^ort  intelligemment,  fort  fière- 
ment, et  les  plus  malins  sont  en  défaut. 

Tout  ce  qu'on  sail,  tout  ce  qu'il  dit,  c'est  qu'il  a  un  capital  très 
sérieux,  1res  sûr,  qu'il  n'a  eu  recours  à  aucune  des  personnalités 
que  l'on  désignait  dans  les  parloUes  du  foyer,  et  qu'il  marche 
activement,  avec  sérénité  et  grande  activité. 

Il  a  tenu  beaucoup  à  être  libre  des  attaches  qui  auraient  mis 
sa  direction  en  servitude  artistique  soùs  prétexte  de  l'aider  pécu- 
nièrenient.  Il  n'a  à  obéir  à  personne,  même  à  n'écouter  personne 


s'il  le  croit  utile,  quelque ,prix  qu'il  attache  au  pubiicde  la  capi- 
tale'auquel  il  va  se  consacrer  tout  entier.  Il  peut  compter  qu'on 
lui  saura  gré  de  cette  indépendance  qui  n'exclut  pas  la  déférence 
et  la  ferme  volonté  de  tout  tenter  pour  charmer  ses  futurs  spec- 
tateurs. - 

On  assure  qu'il  n'entre,  du  reste,  pas  dans  sa  pensée  d'exclure 
ces  combinaisons  qui  ont  toujours,  été  dans  les  traditions  du 
théâtre  de  la  Monnaie,  d'accepter  à  titre  d'adjuvants  les  amateurs 
qui  désireraient  reprendre  une  part  de  son  apport,  sauf  qu'il  peut 
le  faire  maintenant  avec  une  liberté  qui  lui  eut  manqué  s'il  avait 
dû  solliciter  ce  concours  avant  d'avoir  définitivement  et  solide- 
ment établi  sa  situation.  ,         • 

M.  Verdhurl  a  choisi  comme  administrateur  de  la  partie  maté- 
rielle, M.  Waechter,  qui  lui  a  été  proposé,  dit-on,  par  legroupe 
de  ses  baiihurs  de  fonds.  Il  s'est  réservé  pour  lui-même  toute  la 
partie  artistique,  le  répertoire,  la  scène,  l'orchestre,  et  ce  qui  se 
rapporte  à  leur  personnel  compler.  IF  reste  seul  directeur  en  litre 
de  noire  opéra  et  n'a  pas  d'associé.  Il  va  se  mettre  en  campagne 
pour  recruter  une  troupe  sérieuse  et  surtout  nouvelle. 

Il  a  tenu  pourtant  ù  respecter  les  prédilections  du  public 
bruxellois  qui  s'étaient  nellement  accusées.  De  là  ses  démarches 
immédiates  auprès  de  M™^  Caron  et  de  M.jGresse.  On  sait  que 
M.  Soulacroix  est  engagé  depuis  quelcpe  temps  déjà  à  l'Opéra- 
Comique.  M.  Grosse  lui  a  déclaré  en  termes  formels  qu'il  était 
résolu  à  qiiitler  le  théâtre  de  la  Monnaie.  Certes,  on  le  regrettera. 
M"™*-'  Caron  réserve  son  choix.  Il  sutfit  que  l'on  ail  fait  auprès 
d'elle  des  démarches  qui  monirent  combien  on  souhaite  la  con- 
server. Si  l'Opéra  de  Paris  devait  nous  enlever  l'admirable  artiste, 
il  n'y  aurait  de  reproches  ti  faire  k  personne,  car  on  lui  a  démontré 
quelles  sympathies  profondes  elle  a  su  conquérir. 

Le  recrutement  du  nouveau  personnel  sera  possible  celle  année 
dans  des  conditions  exceptionnellement  bonnes.  On  cile  plusieurs 
noms  qui  consoleront  le  public  de  dépaits  qui  seraient  regret- 
tables. Il  serait  prématuré  de  les  révéler  avant  les  engagements 
définitifs. 

Quant  au  répertwe,  il  subira  des  transformations  essemioUe^ 
dans*  le  sens  d'un  arl  plus  contemporain.  Il  sera  donné  de  légi- 
times satisfactions  aux  désirs  du  monde  artistique.  Il  sera  tenu 
compte  de  vœux  souvent  et  énergiquemenl  e^iprimés.  C'est  la 
caraclérislique  que  la  nouvelle  direction  entend  conserver  avant 
tout. 

M*  Verdhurl  a  de  nombreuses  et  excellentes  relations  dans  la 
dresse,  dans  les  théâtr.  s  et  dans  les  arts,  ici  et  à  l'étranger. 
De  toutes  parts  lui  viennent  de  précieux  auxiliaires  et  de  salu- 
taires sympathies.  Tout  fàil  présager  que  l'année  théâtrale  pro- 
chaine sera  animée,  hardie  sans  témérité,  fructueuse  et  très 
honorable.  "^ — - 


LE  BEAU  CARACTÉRISTE 

Nous  détachons  d'un  curieux  ouvrage  qui  paraîtra  prochainement 
sous  le  titre  :  Philosophie  de  l'Art  moderne,  par  Jean-François 
Raffaëlli,  l'intéressant  fragment  que  voici.  La  prochaine  arrivée  du 
peintre  à  Bruxelles,  où  il  fera  une  conférence  aux  XX,  donne  à  ce 
morceau  uu  attrait  tout  d'actualité. 

L'art  a  un  terme  qui  ne  changera  jamais,  la1il  que  l'art  sera 
l'art,  c'est  le  beau. 

Sans  le  beau,  pas  d'art  possible;  parce  que  sans  le  beau  notre 
action  serait  nulle.  Le  naturalisme  sans  le  beau  serait  une  béiise  ; 


les  écrivains  le  savent  bien;  les  plus  forts  de  ce  mouvement, 
admirable  on  liltéralure,  les  Zola,  si  puissants  et  si  retors;  les 
Huysmans,  si  rare  et  si  grand  littérateur;  les  Céard,  dune  force 
critique  et  psychologique  si  belle;  les  Maupassant,  admirable 
écrivain;  les  Hennique,  le  prouvent  par  leurs  ouvrages,  et  avec 
*des  tempéraments  totalement  différents;  mais  les  peintres,  qui 
n'ont  aucune  habitude  de  i)enser,  ne  le  savent  pas,  et  c'est  pour- 
quoi ce  qu'ils  font  pour  la  plupart  est  sans  valeur,  parce  que 
c'est  sans  aucune  philosophie;  et  c'est  pourquoi  ils  lassent; 
et  c'est  pourquoi  les  six  mille  naturalistes  geignent  et  se  plaignent 
comme  des  commissionnaires  qu'on  a  trompi'-s  d'adresse. 

Maintenant,  si  le  terme  de  l'art  ne  change  pas  et  ne  doit  jamais 
changer,  s'il  doit  toujours  être  le  Beau,  l'idée  de  ce  qui  doit  être 
le  Beau,  V Idéal  en  un  mol,  peut  varier,  et  changer  totalement 
avec  les  mœurs  qui  se  modifient  ou  les  idées  qui  s'élargissent, 
s'étendent  et  s'affranchissent. 

Le  Beau  n'est  pas  le  même  pour  le  Patagonien  ou  le  Lapon, 
l'Indien  et  le  Chinois;  de  même  que  ce  qui  fut  le  beau  des  Grecs 
est  presque  indifférent  aujourd'hui^à  no/?'^  flc/iyz7e  intellectuelle, 
et  je  le  prouverai. 

J'ai  essayé  de  déTlnir  dans  uno  étude  précédente  ce  que  doit 
être  le  Beau  positiviste,  caractérisle,  et  dans  quel  idéal  \\  réside, 
je  n'y  reviendrai  donc  pas.  —  J'aime  mieux  suivre  mes  six  mille 
naturalistes,  sortes  d'orphéonistes  qui  s'en  vont  en  troupe,  chan- 
tant :  La  belle  naturel  La  nature  seule  est  belle!  alors  que  le 
beau  est  autant  objectif,.  \iu\squG  nous  ne  pouvons  en  avoir  con- 
science sans  objet,  que  subjectif,  puisque  sans  noire  intelligence 
qui  s'enfièvre,  multiplie,  additionne,  spécule  sur  les  beautés  et 
embrasse  leurs  raisons,  leurs  hienfaits,  leur  allure  et  l'action' 
générale  qu'elles  ont  sur  nous,  ce  que  nous  avons  de  spectacles 
devant  nous  sérail  lettre  morte  !  Ce  qu'on  aime,  ce  pourquoi  on 
se  passionne,  c'est  l'idée,  l'idée,  et  toujours  l'idée.  —  On  meurt 
pour  une  idée,  —  a-l-on  jamais  vli  un. homme  se  faire  tuer  pour 
la  nature?  On  prêche  d'autant  la  beauté  qu'on  est  plus  idéologue, 
c'est  absolument  certain. 

En  face  de  la  mer,  un  beim  commun  pourtant,  qu'elle  voyait 
pour  la  première  fois,  ma  bonne  a  dit-:  Que  d'eau!  —  C'est  bien; 
mais  nous  disons  :  Que  c'est  beau!  —  Et  nous  empilons  livres, 
tableaux,  poésies  de  toutes  sortes  sur  ce  thème  éternel.  —  De 
Notre-Dame,  notre  mênie  sujet  dit  :  Bien  sur  que  c'est  plus  beau 
que  par  chez  nous!  —  Ce  n'est  pas  mal,  mais  nous  disons  : 
C'est  admirable!  —  Au  fond,  à  bien  parler,  nous  avons  une 
admiration  d'autant  plus  grande  de  tout,  que  nous  avons  plus  de 
conscience,  de  jugement  des  choses.  Sur  une  tête  du  Parthénon, 
à  irrre,  le  chien  lève  la  patle;  —  l'enfant  s'en  saisit  de  préfé- 
rence, et  en  joue;  —  l'homme  la  ramasse  avec  soin  et  construit 
des  palais  pour  la  recevoir:  il  a  conscience  étendue  de  l'admi- 
rable beauté  que  représente  celte  pierre  taillée. 

Je  possède  un  précieux  débris  de  cette  nature.  C'est  un  mor- 
ceau de  bas-relief  :  une  tête  de  profil,  un  marbre  blanc,  de  Paros 
péul-êire;  cela  représente  un  homme  chauve;  —  je  trouve  cela 
follement  beau  ;  —  et  ma  même  bonne,  celle  de  tout  à  l'heure, 
me  conseillait,  il  n'y  a  pas  longtemps,  intimement,  dans  un  coin, 
de  ne  pas  laisser  une  horreur  pareille  sous  les  yeux  de  ma  femme 
en  grossesse  !        .  • 

Donc,  première  fausse  piste:  le  Beau  n'est  pas  dans  la  nature. 
— ^.  Voilà  déjà  que  naturalisme,  nature,  ne  dit  pas  tout,  qu'il  ne 
dit  guère  que  la  moitié  et  qu'il  n'est  en  un  mot,  à  l'art,  que 
que  l'objectif  est  au  subjectif.  ^ 


Des  gants  de  femme,  vieux,  que  valent-ils?  —  Il  faut  les  jeter. 
—  Mais  s'il  sont  de  la  femme  adorée,  nous  les  gardons  précieuse- 
ment. —  Mais?  —  cela  ne  les  rend  pas  beaux?  —  Non!  mais 
ils  nous  parlent  tant  d'une  beauté  aimée  que  ces  loqiies  sans 
formes  peuvent  nous  inspirer  les  plus  belles  poésies  ^^  et  c'est 
Vidée,  l'idée  A'Elle  que  nous  admirons  et  aimons  en  eux.  Des 
montagnes,  pour  le  paysan,  c'csi  haut  et  gênant;  pour  nous; 
c'est  majestueux  et  utile.  Voilà  tout.  —  Le  Beau  est  dans 
l'amour  conscient,  autrement  dire,  dans  le  caractère,  car  c'est 
dans  le  caractère  que  la  conscience  trouvera  certainement  la 
marque  d' mie  utilité  propre;  utilité  qu'elle  jugera  aussitôt  digne 
de  son  amour. 


que  ce 


J^LECTIONp     ACADÉMIQUE^ 

L'Académie  royale  de  Belgique  ayant  à  élire  un  membre  dans 
sa  section  de  sculpture,  vient  de  porter  ses  suffrages  sur 
Monsieur  Ducaju,  statuaire.  Nous  n'altendions  pas  moins  de  l'Aca- 
démie royale'de  Belgique. 

M.  Ducaju  est  l'auteur  du  Boduognat  d'Anvers  et  de  la  Chute 
de  Babylone,  dont  le  plâtre  figura  à  l'Exposition  de  1880. 

Le  gouvernement,  frappé  du  mérite  de  cette  dernière  œuvre, 
en  commanda  le  marbre  à  l'auteur,  afin  de  léguer  aux  générations 
qui  viennent  un  échantillon  de  la  sculpture  belge  au  xix«  siècle; 
c'est  ce  marbre  que  nous  vîmes  au  dernier  Salon  de  Bruxelles. 

Celui  qui  s'est  trouvé  une  seule  fois,  une  seule,  en  face  de 
cette* sculpture,  ne  l'oublie  plus.  Celte  femme  couchée  sur  un 
veau  polycéphale  et  faisant  un  geste  dont  l'intention  échappe 
aux  natures  ordinaires  est  inouïe!  Sur  une- espèce  de  jarretière 
qui  lui  ceint  la  tête,  l'auteur  a  gravé  le  mot  :  MYSTÈRE. 

Et  en  effet,  cette  œuvre  est  Un  mystère  si  mystérieux  que 
M.  Ducaju  lui-même  n'y  a  jamais  rien  compris.  C'est  là  ce  qu'on 
peut  appeler  une  œuvre  waimeni  supérieure,  en  ce  sens  qu'elle 
est  au  dessus  de  l'artiste  qui  l'a  produite,  —  celui-ci  ne  s'élant 
jamais  douté  de  ce  qu'elle  pouvait  signifier. 

Ce  mystère  était  une  risette  évidente  à  l'Académie,  qui  a  la 
compréhension  facile.  On  a  avancé  un  fauteuil  à  M.  Ducaju  en 
lui  disant  :  «  Venez  vous  asseoir,  vous  l'avez  bien  gagné;  main- 
tenant qUe  vous  êtes  immortel,  vous  pouvez  mourir  ».  Ce  qui 
est  une  façon  de  parler,  car  à  l'Académie  royale  de  Belgique  les 
lames  sont  d'une  trempe  tellement  extraordinaire  que  les  four- 
reaux durent  des  temps  infinis;  on  n'en  voit  pas  la  fin. 

M.  Paul  De  Vigne,  —  un  jeune  inconnu  qui  n'avait  à  son  actif 
que  la  Domenica,  Héliotrope,  V Immortalité,  la  Poverella,  le 
^monument  de  Van  Houtte  à  Gand,  etc.,  plus  un  certain  nombre 
de  bustes  qui  ont  paîsé  inaperçus  ;  M.  De  Vigne,  à  qui  l'on  a 
imprudemment  confié  l'exécution  d'un  des  groupes  du  Palais  deâ 
Beaux-Arts  et  le  monument  de  Breydel  et  de  Coninck  à  Bruges, 
était  deuxième  candidat.  Est-il  besoin  de  dire  qu'il  resta  honteu- 
sement sur  le  carreau  ? 

C'est    là,   si   nous  avons  mémoire,  le  troisième  échec  qu'il 
essuiejpt  ce  n'est  pas  le  dernier,  car  l'illustre  corps  vient  de  faire 
des  ouvertures  à  l'Iguanodon  du.  Musée,  qui  a  remué  la  queue 
►  pour  faire  signe  qu'il  acceptait. 

11  entrera  à  l'Académie  comme  dans  un  moulin.  M.  Gallail  hii 
a  déjà  promis  sa  voix.  '  . 


fil 


UNIQUE. 
2<^  séance  de  musique  iustrumentale  au  Conservatoire 

L'Association  des  professeurs  d'inslrumenls  à  vent  a  donné 
dimanciic  sa  deuxième  matinée.  Elle  a  été  inlérossanto  dans  son 
ensemble,  mais  plus  terne  que  la  i)remière.  Dans  VOteito  de 
Mozart  les  bassons  ont  fait  merveille  :  on  ne  pourrait  jouer  plus 
juste,  ni  avee  plus  de  mécanisme.  Dans  une  Komancù  a'^scv.  filan- 
dreuse de  Saiut-Saéns  et  dans  un  Concerto  de  peu  de  valeur 
musicale  de  Widor,  MM.  Morck  et  Dumon  ont  prouvé,  ce  que  nul 
n'ignorait,  que  le  cor  ])our  l'un,  la  tliile  pour  l'autre  n'avaient 
plus  de  mystères,  qu'ils  en  ont  tous  deux  pénétré  le  secret  et 
(ju'ils  excellent  à  on  révéler  los  ressources.  Un  Quintette  de 
Uubinslein  pour  piano,  llûle,  clarinette,  cor  et  basson,  a  cou- 
ronné la  séance.  Musique  assez  pauvre  d'idées,  composée  de 
motifs  mal  rattachés  et  de  peu  de  logique.  Elle  n'a  pas  paru 
.enthousiasmer  outre  mesure  le  public.  Exécution  d'ailleurs  cor- 
recte et  satisfaisante.  La  partie  de  piano  a  été  fort  bien  tenue  par 
M.  De  Grcef.,  ~^ 

Concert  'Wieniav;rski 

La  veille,  Joseph  Wieniaw.ski  donnait  h  la  Grande-Harmonie 
un  concert  qui,  pour  n'avoir  rieu  d'ofliciel,  —  au  contraire,  — 
n'en  a  pas  moins  réuni  un  nombreux  et  1res  sympathique  audi- 
toire. Programme  de  choix  :  du  Chopin,  du  Wieniawski,  du 
Wagner,  avec,  comme  prologue,  la  grâce  mignarde  d'une  sonate 
de  Mozart.  Pour  interpréter  celle-ci,  le  maître  s'était  associé  une 
toute  jeune  et  déjà  méritante  élève,  M"*^  Merck. 

On  connaît  sulTisamment  le  jeu  du  pianiste-compositeur  pour 
qu'il  soit  nécessaire  d'en  donner  une  appréciation  nouvelle.  Il  y 
a  dans  l'exécution  de  Joseph  AVienrawski  une  bravoure  entraî- 
nante et  superbe.  C'est  le  pianiste  héroïque  de  la  race  de  Hubin- 
stein  et  de  Liszt,  et  non  de  celle  des  ciseleurs  de  gruppetti^  des 
retoucheurs  d'arpèges,  des  miniaturistes  en  staccati,  des  dévi- 
deurs de  trilles  sur  des  fuseaux  d'ivoire. 

Ses  compositions,  nous  les  avons  jugées  lors  de  leur  appari- 
tion. Les  Jeux  de  fées  et  VExtase,  dits  par  M.  Moyaerts,  ont  paru 
être  le  plus  particulièrement  goûtés  du  public. 


j[30N?EIJ-^    AUX    MUSICIENS      .. 

Un  journal  anglais  donne  aux  musiciens  quelques  conseils  très 
amusants  que  traduit,  à  l'usage  de  ses  lecteurs,  un  journal  musical 
bruxellois.  Voici  les  plus  utiles  : 

AU    PIANISTE. 

Si  l'on  vous  demande  déjouer,  prenez  place  au  piano  et  dites  : 
»  Connaissez-vous  un  petit  morceau  par  un  tel  ou  un  tel  il  Je  ne  m'en 
souviens  pas  très  bien,  mais  c'est  quelque  chose  de  ce  }ienre-ci.  »» 
Vous  jouez  alors  le  morceau  que  vous  avez  travaillé  pendant  les  six 
derniers  mois. 

A.U    VIOLOXISTE. 

Tâchez  d'acquérir  une  grande  dextérité  de  manipulation  ;  le  ton 
est  d'une  importance  secondaire. 

L'usage  de  la  colophane  est  une  mauvaise  habitude.  Ne  l'adoptez 
pas. 

C'est  une  grande  erreur  que  d'accorder  un  violon  plus  d'une  fois 
par  mois.  Cela  ne  devrait  pas  être  nécessaire,  un  pareille  indulgence 
ne  sert  qu'à  donner  de  mauvaises  habitudes  ù  l'instrument. 

AU    COMPOSITEUR. 

Pour  avoir  une  inspiration  tout  à  fait  originale,  examinez  les 
œuvres  d'autres  comiiositeurs. 

Ecrivez  d'abord  votre  partition  dans  une  clçf  facile,  alors  transpo- 
sez-Ja  dans  la  plus  difficile  et  la  plus  embarrassante  que  vous  puis- 
siez trouver. 

Mettez  beaucoup  d'accords  que  seules  peuvent  jouer  les  personnes 
qui  ont  des  mains  de  géant. 

Rappelez-vous  toujours  que  plus  la  musique  est  difficile,  plus 
grand  est  le  génie  du  compositeur. 


Donnez  à  chaque  compositibn  un  titre  en  langue  étrangère  :  de 
cette  façon  vous  aurez  le  crédit  de  connaître  les  langues  dont  vous 
employez  les  mots.  ' 

N'admettez  jamais  la  supériorité  d'un  autre  compositeur,  qu'il 
soit  mort  ou  vivant. 

AU    CUEF   d'orchestre. 

Prenez  des  leçons  de  natation  et  apprenez  abattre  les  tapis. 

Prenez  les  plus  grands  soins  de  votre  toilette  :  dé  vos  manchettes, 
de  votre  col,  de  vos  gants;  et  surtout  rejetez  vos  cheveux  en  arrière  ; 
rappelez-vous  toujours  que  vos  manchettes  et  le  devant  de  votre 
chemise  ne  peuvent  i)a.s  être  assez  exposés. 

Tapez  vigoureusement  sur  votre  ])upitre  et. donnez  un  «»  chut  •• 
prolongé  dans  tous  les  passages  pmxo.  Cela  détourne  l'attention  du 
public  de  la  musique,  pour^la  porter  sur  le  chef  d'orchestre. 

A  la  fin  de  chaque  morceau  essuyez-vous  le  front,  que  ce  soit 
nécessaire  ou  non. 

Menacez  de  temps  en  temps  le  contrebassiste  et,  aussitôt  que  le 
tambour  fait  son  entrée,  agitez  violemment  votre  main  gauche  dans 
sa  direction  :  cela  détruit  leur  vanité. 

Si  vous  portez  les  cheveux  longs,  jetez-les  en  arrière  par  un  gra- 
cieux hochement  de  tête,  à  la  fin  de~tous  les'i)assages  difficiles,  parce 
que  cela  ra|)pellera  à  l'auditoire  que  tout  le  mérite  vous  appartient. 

Si  vous  êtes  décoré  d'un  ordre  quelconque,  faites  faire  un  joyau 
un  peu  plus  grand  que  celui  d'ordonnance:  de  cette  façon,  dans  une 
grande  salle,  tout  le  monde  verra  l'honneur  qui  vous  a  été  décerné, 
et  à  votre  entrée  à  l'orchestre  vous  obtiendrez  les  applaudissements 
du  public. 

Si  vous  n'êtes  pas  décoré,  faites  dorer  un  bonbon  Peek  Frean 
pour  faire  croire  au  public  que  c'est  un  ordre  rare  ;  votre  succès  sera 
le  même. 


MEMENTO  DES  EXPOSITIONS  ET  CONCOURS 

Anvers.  —  Exposition  universelle.  Mai  à  octobre  1885. 

Anvers.  —  Salon  des  refusés  et  exposition  des  artistes  indépen- 
dants, ouverture  eh  mai.  Pour  tous  renseignements  s'adresser  au 
secrétaire  du  Cercle  des  artistes  indépendants,  1,  rue  de  l'Angle, 
Bruxelles. 

Janvier  1885.  —  B-ruxelles.  —  Deuxième  exposition  des  XX. 
(Limitée  aux  membres  du  Cercle  et  aux  artistes  spécialement  invités). 
1er  Février  1885.  —  Troisième  exposition  de  Blanc  et  Noir  de 
VEssor.  (Limitée  aux  meniln'es  du  Cercle).  Mai  1885  — Exposition 
historique  de  gravure,  par  le  Cercle  des  aquarellistes  et  aquafortistes. 
Mai  1885. 

« 

Bruxelles  —  25*^  exposition  annuelle,  organisée  par  la  Société 
royale  belge  des  aquarellistes,  à  partir  du  4  avril  1885. 

Glascow.  —  Institut  des  Beaux-Arts  (24®  exposition).  Ouverture 
.  ^  février  1885.  Fermeture  fin  d'avril.  —  S'adresser  à  M.  Robert 
AValker,  secrétaire  de  l'Institut,  à  Glascow. 

Londres.  —  Exposition  internationale  d'instruments  de  musique. 
Ouverture  en  mai  1885,  à  South- Kensington.  Cette  deuxième  divi- 
sion comporte  trois  groupes  :  1°  Instruments  de  musique  construits 
ou  en  visage  depuis  1800;  2"  gravure  et  intpression  de  la  musique  ; 
3»  collections  historiques. 

^D.  —  Du^-ât^mars  à  la  fin  de  septembre  exposition  internationale 
-^E  universelle  d'Ale:\an(h*à- Palace,  comprenant  notamment  les  arts 
et  métiers,  et  une  exposition  de  tableaux  et  objets  d'art  représentant 
les  principales  écoles  du  continent. 

Nuremberg.^  Exposition  internationale  d'orfèvrerie,  de  joaille- 
rie, de  bronzes,  etc.  Du  15  juin  au  30  septembre  1885. 

Paris.  —  Salon  de  1885.  —  l^f  mai  au  30  juin  1885.  — Peinture, 
dessins,  etc.  Dépôt  des  ouvrages  au  Palais  des  Champs-Elysées,  du 
5  au  14  mars.  Vote,  le  mercredi  18  mars,  de  9  h.  à  4  h.  —  Sculp- 
ture, Gravure  en  méd.  et  si(r  p.  f.  Dépôt  du  21  mars  au  2  avril. 
Vote,  le  mardi  7  avril,,  de  10  à  4  h.  —  Architecture.  Dépôt  du  2  au 
5  avril.  Vote,  le  mardi  7  avril,  de  10  à  4  h.  —  Gravure  et  Lithogra- 
phie. Dépôt,  du  2  au  5  avril.  Vote,  le  lundi  6  avril,  de  10  à  4  h. 

Rome.  —  Exposition  organisée  par  la  Société  des  Amatori  e  cultori 
di  Belli  arti.  C)uverture  l^r  février. 


Rotterdam.  — 
Renseignements 


•Du  38  mai  au  12  juillet.  Dernier  délai  :  i()  mai. 
M.  Veder.s,  secrétaire,  42,  Boompjes,  Rotterdam. 


Gand.  —  Statue  du  docteur  Joseph  Guislain.  Clôture  :  31  mars 
1885.  Les  œuvres  doivent  être  envoyées  au  concierge  de  1  Université 
de  Gand,  rue  des  Foulons,  et  porter  la  suscription  :  Au  comité 
constitué  pour  l'érection  dune  statue  au  docteur  Joseph  Guislain.  — 
Envoi  :  Maquette  de  la  statue  et  du  piédestal  (25  centimètres  au 
total),  dessin  détaillé  de  la  grille  et  indication  de  la  disposition  du 
dallage  entre  le  grillage  et  le  piédestal.  —  L'artiste  doit  s'engager  à 
livrer  pour  19,000  francs  les  travaux  de  maçonnerie  nécessaires,  la 
statue,  le  piédestal,  le  grillage  et  le  dallage.  —  Documents  et  pho- 
tographies chez  le  D'"  B  -G.  Ingels,  médecin  de  l'hospice  Guislain, 
à  Gand.  , 


La  Haye. 
tius. 


Concours  pour  l'érection  d'une  statue  à  Hugo  Gro- 


MoNTÉviDÉo  —  Concours  pour  la  statue  du  général  Artigas 
S'adresser  à  la  légation  de  l'Uruguay,  4,  rue  Logelbach,  à  Paris. 

RicuMOND  (Virginie).  Concours  pour  un  monument  a  Robert 
Lee,  jusqu'au  le""  mai  1885. 

Saint-Nicolas.  —  Concours  de  gravure  du  Journal  des  Beaux- 
Arts.  Histoire  :  prix  400  fr.  pour  la  meilleure  eau- forte  (sujet  inédit 
ou  copie  d'un  tableau  flamand  ancien  ou  moderne^  Genre  '-  prix 
300  fr.  Paysage  et  intérieurs  :  prix  200  fr.  Dimension  maximum  des 
cuivres:  0"'260  sur  0a>190.  Dernier  délai  :  31  juillet  1885.  Envoyer 
franco  avant  cette  date  2  exemplaires  sur  papier  blanc  et  2  exem- 
plaires sur  chine. 

Vienne.  —  Concours  pour  l'érection  d'un  monument  à  Mozart. 


f 


ETITE     CHROjMiqUE 


Depuis  trois  ans,  la  maison  Schott  publie  un  petit  recueil  d'un 
très  grand  intérêt  pour  les  musiciens,  professeurs  et  amateurs  de 
musique,  les  Tablettes  du  musicien.  Ces  tablettes  contiennent,  con- 
densés en  un  volume  de  poche  de  265  pages,  une  foule  de  renseigne- 
ments utiles.  Il  y  a  un  calendrier,  des  éphémérides  musicales,  un 
carnet  de  notes,  du  papier  à  musique  pour  saisir  et  fixer  l'inspiration 
au  moment  où  elle  se  présente,  des  notices  biographiques,  une 
bibliographie  des  ouvrages  belges  sur  l'art  musical  parus  dans  le  cours 
de  l'année  écoulée,  des  détails  précis  sur  tous  les  Conservatoires  et 
écoles  de  musique  du  pays,  sur  les  théâtres,  les  journaux,  etc. 
Indications  vraiment  précieuses  pour  les  artistes,  les  Tablettes 
donnent,  en  outre,  pour  toutes  les  nations,  la  France,  l'Allemagne, 
la  Hollande, etc., la  liste  complète  des  Conservatoires,  avec  les  noms 
des  directeurs  et  des  professeurs,  la  horaenclature  des  sociétés 
musicales,  des  théâtres,  des  maîtrises  d'églises,  etc. 

Un  portrait  <le  Peter  Benoit  orne  les  Tablettes  de  1885,  que  nous 
venons  de  recevoir.  Une  importante  notice  biographique  est  .-consa- 
crée au  maître  flamand.  Enfin,  un  vocabulaire  de  toutes  les  expres- 
sions usitées  en  musique  termine  ce  petit  volume  qui  ne  mérite  que 
des  éloges,  tant  au  point  de  vue  de  riutellig-ence  de  sa  composition 
que  des  soins  typographiques  avec  lesquels  il  est  édité. 

Le  pianiste  Eugène  d'Albert  donnera  un  concert  à  la  Grande 
Harmonie,  le  jeudi  5  février  pr&chain  à  8  heures  du  soir. 

La  fanfare  royale  Phalange  artistique  de  Bruxelles,  sous  la  direc- 
tion de  M.  V'an  Remoortel  et  la  présidence  de  M  H.  Duhem,  don- 
nera demain  lundi,  à  huit  heures,  à  la  Grande  Harmonie,  un  inté- 
ressant concert  au  bénéfice  de  la  Crèche  école  gardienne  de  Cure- 
ghem-Anderlecht. 

Nombre  d'artistes  de  mérite  prêteront  leur  concours  désintéressé 
à  cette  fête  de  charité  Citons  M'''^^  Deguust-Hagelstein,  Fierens, 
Ad,  Mees;  MM.  Sanous,  Eldering,  Massage  et  Maquet. 


Pour  rappel,  aujourd'hui  dimanche,  à  1  1/2  heure,  au  théâtre  de 
la  Monnaie,  troisième  Concert  populaire,  avec  le  concoui's  de 
M.  Camille  Saint-Saëns. 

L'éminent  pianiste  jouera  le  Concerto  en  sol,  de  Beethoven,  et  sa 
Rhapsodie  d'Auvergne,  qui  obtint  un  si  vif  sucxîès  au  dernier  con- 
cert de  V Association  des  Ai'tistes- Musiciens. 

L'orchestre  fera  entendre  la  Symphonie  en  ré  (no  4),  de  Robert 
Schumann,  et  des  œuvres  de  M.  Camille  Saint-Saëns  inconnues  à 
Bruxelles  :  le  Ballet  d'Henri  VIII,  une  Sérénade  et  une  Jota  Ara- 
gonaise,  enfin  son  poème  symphonique  la  Jeunesse  d' Hercule, 
i  '  ,  ■  •  . 

Hans  de  Biilow  a  donné  sa  démission  de  maître  de  chapelle  de 


Meiningen.  La  démission  a  été  acceptée  par  le  duc.  Biilow  va  se  con- 
sacrer à  la  carrière  de  virtuose  et  entreprendre  une  grande  tournée 
en  Europe.  Le  célèbre  pianiste  jouera  vers  la  ûù  de  mars  à  Paris, 
puis  à  Bruxelles. 

Cari  Millœcker,  l'auteur  de  V Etudiant  pauvre,  est  un  composi- 
teur actif  et  fécond,  A  l'heure  même  où  le  théâtre  de  l'Alcazar  à 
Bruxelles  donnait  pour  la  première  fois- en  français  son  Bettelstu- 
dent,  sa  nouvelle  opérette,  V Aumônier  du  camp,  obtenait  à  Berlin 
un  éclatant  succès.  La  représentation,  dirigée  par  l'auteur  au  Frie- 
drich- Wilheîm  Stadtheater  s'est  terminée,  après  des  bis  et  rappçls 
sans  nombre,  au  milieu  de  l'enthousiasme  général. 

Une  correspondance  adressée  au  Ménestrel  tl.onne  d'intéressants 
détails  historiques  sur  la  valse  viennoise. 

Les  premières  traces  de  la  valse  viennoise  remontent  à  l'an  178G. 
On  l'a  dansée  pour  1^  première  fois  dans  un  opéra  {una  Cosa  rara) 
de  Vincent  Martin,  le  17  novembre  de  cette  année,  et  la  nouvelle 
danse  s'appelait  alors  Langaus.  Cette  valse  était  lente,  presque  glis- 
sante, et  plaisait  beaucoup  au  public  vieimois,  qui  l'adopta  pour  ses 
bals.  En  1819,  V Invitation  à  la  danse,  de  Weber,  avec  sa  fameuse 
valse,  si  brillante  et  stimulante,  provoqua  une  véritable  révolution 
dans  la  musique  dansante.  Elle,  prit  des  allures  plus  dégagées  et 
trouva  des  compositeurs  tels  que  Lanner,  Morelli  et  Johann  Strauss 
père  (1820-1848),  qui  inaugurèrent  les  premiers  la  grande  époque  de 
la  valse  viennoise.  Après  1848,  le  règne  du  «  Prince  de  la  valse  -, 
comme  le  public  viennois  appelle  Johann  Strauss  le  fils,  a  commencé 
et  dure  encore. 

Un  petit  ballet  eu  trois  tableaux  que  vient  de  représenter,  avec  un 
très  grand  succès,  l'Opéi'a-Impérial  de  Vienne,  retrace  ces  trois 
époques. 

Lorsque  l'orchestre  commença,  le  soir  de  la  première,  les  valses 
de  1840,  les  doyens  des  habitués  du  théâtre  se  mirent  à  marquer  la. 
mesure  de  cette,  musique,  qui  leur  rappelait  leur  jeunesse,  en 
dodelinant  de  la  tête.  Quand  vinrent  les  valses  de  Johann  Strauss  fils, 
on  vit  de  jolis  petits  pieds  remuer  dans  les  loges,  tandis  qu'au  par- 
terre, la  jeunesse  dorée  prenait  une  physionomie  béate.  Chaque  valsé 
était  saluée  d'une  triple  salve  d'applaudissements.  Une  rare  anima- 
tion, presque  une  émotion  nationale,  régnait  dans  la  salle,  et  Johann 
Strauss,  qui  se  .cachait  dans  le  fond  d'une  loge  de  secondes, 
inaperçu,  s'est  trouvé  assister  comme  à  une  apothéose  spontanée 
de  sa  musique  ce  qui  a  dû  le  flatter  infiniment  plus  que  les  ovations 
préparées  à  l'avance  dont  on  l'a  régalé  en  1884,  ' 

On  écrit  de  Liège  au  même  journal  : 

Le  conseil  communal  a  décidé  l'achat  des  partitions  et  parties 
d'orchestre  à'Aben-Hamet.  M  Claeys,  d'Anvers,  sera  chargé  du 
rôle  d'Aben  •  les  autres  rôles  seront  distribués  sous  peu  et  les  études 
commenceront  de  suite. 


Une  nouvelle  revue,  qui  met  en  pratique  dans  renseignement 
populaire  les  principes  d'indépendance  que  nous  soutenons  dans 
l'Art,  vient  d'être  fondée  à  Bruxelles.  Le  i"^  numéro,  publié  le 
15  janvier,*  contient  d'intéressants  articles  sur  l'hygiène  de  la  voix, 
sur  la  photographie,  sur  l'enseignement  de  l'histoire  à  l'école  pri- 
maire, etc. 

Titre  :  La  Revue  pédagogique  (mensuelle  ;  5  francs  par  an  ;  rue 
d'Isabelle,  42).  Elle  s'adresse  surtout  aux  instituteurs. 

La  Revue  pédagogique  belge  ouvre  ses  colonnes  à  tous  ceux  qui 
veulent,  par  leurs  écrits  et  leurs  travaux,  concourir  au  développe- 
ment de  l'enseignement  populaire.  Elle  ftiit  appel  à  toutes  les  forces 
vives  du  corps  enseignant.  Partisan  de  la  liberté  dans  son  accep- 
'Tiion  la  plus  large,  ennemie  acharnée  de  tout  ce  qui  est  censure  ou 
pression,  amoureuse  de  discussion  et  de  libre-examen,  elle  demande 
que  chacun  vienne  librement  exposer  ses  désirs  et  ses  croyances; 
Elle  laisse  à  ses  collaborateurs  liberté  entière  d'exprimer  leur  avis 
comme  ils  l'entendent  et  de  défendre  telle  cause  qu'ils  croient  juste. 

Carnaval  de  Nice.  —  Voici  un  magnifique  voyage  qui  s'organise 
à  l'occasion  du  Carnaval  de  Nice.  On  visitera  successivement  Mar- 
seille, Cannes,  les  îles  Sainte-Marguerite  et  Saint-Honorat,  Nice. 
Monaco  et  Monte-Carlo,  en  un  mot  toutes  les  merveilles  du  littoral 
dé  la  Méditerranée.  Les  touristes  prendront  part,  en  outre,  aux 
superbes  fêtes  et  réjouissances  du  mardi  gras  à  Nice  :  cortège  carna- 
valesque, brillante  cavalcade,  bataille  de  fleurs  et  de  confetti,  distri- 
bution de  bannières,  bals  et  fêtes  de  nuit,  illurliinatiou  a  giorno,  etc; 

La  durée  de  ce  voyage'  sera  de  10  jours.  Le  départ  aura  lieu  de 
Paris  le  lundi  9  février,  à  2  h.  20  du  soir  Le  prix,  comprenant  tous 
les  frais  de  transport  et  de  séjour  à  partir  de  Paris,  est  fixé  à 
250  francs. 


> 


Le  voyage  sera  conduit  par  M.  Ch.  Parmentibr,  direct  iur  de  VEx  • 
cumon,  boulevard  Anspach,  109,  à  Bruxelles,  qui  enverra  gratuite- 
ment les  prospectus  aux  personnes  qui  lui  en  feront  la  demande. 


Les  annonces  sont  reçues  au  bureau  du  journal, 
26,  rue  de  V Industrie,  à  Bruxelles. 


VILL1E3  DE  GENÈVE 


La  concession  du  nouveau  théâtre  devant  êti-e  renouvelée  pour 
l'année  1885-1886,  les  personnes  disposées  à  se  charger  de  cette 
exploitation  sont  invitées  à  s'inscrire  sans  retard  au  bureau  du  Con- 
seil administratif,  en  indiquant  leurs  titres  et  leurs  références. 


NOUVEAUTÉS    MUSICALES 

POUR  PIANO 

Huberti,  G.  Trois  Inorceaux  :  N°  1.  Etude  rhythmique,  2  fr.  — 
N"  2.  Historiette,  2  fr.  -  N»  3.  Valse  lente,  fr   1.75. 

Kowalski.  Op.  44.  Autour  de  mon  Clocher,  2  fr.  —  Op  45.  Illu- 
sions et  ChimèreSi  2  fr.  —  Op.  48.  Tambour  battant,  2  fr. 

Smith  S.  Op.  185.  Notre-Dame,  Chant  religieux,  2  fr.  —  Op.  191. 
La  mer  calme,  Deuxième  barcarolle,  2  fr.  —  Op.  192.  Styrienne, 
2  fr.  ~  Op.  193.  Marguerite,  2  fr.  —  Op.  194.  La  fée  de  Ondes,  2  fr. 

Wieniawski.  Jos  Op.  39.  Six  pièces  romantiques  :  Cah.  I.  Idylle, 
Evocation,  Jeux  de  fées,  3  fr.  —  Cah.  II.  Ballade,  Elégie,  Scène 
rustique,  3  fr.  —  Op.  41    Mazourka  de  concert,  fr.  ^50.         ' 

MUSIQUE  POUR  CHANT 

,  Bach.  Six  chorals  pour  chœurs  mixtes  par  Mertens.  La  partition, 
1  franc. 

Bremer.  A.  Sonne  mon  tambourin,  pour  chant,  violon  où  violon- 
celle et  piano,  3  fr.  — -  Hymne  à  Cérès,  pour  baryton  ou  mezzo- 
soprano  et  chœur  pour  3  voix  de  femmes,  2  fr. 

Rtga^  Fr.  Quatre  Chœurs  pour  voix  de  femnies  avec  accompagne- 
ment de  piano, à  4  mains  :  No  1.  Fête  villageoise,  la  partition, 
fr  2.50.  --  N^  2.  Les  Vendangeuse,  la  partition,  fr.  2.50.  —  N»  3. 
Sous  les  Bois,  la  partition,  fr.  2  50.  —  N"  4.  La  Paix,  la  partition, 
fr.  3.50. 

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par  Hermann  DEITERS 

{Esquisse  bibliographique i  Analyse  succincte  de  ses  compositions) 
TRADUIT  DE  L'ALLEMAND  PAR  M""  IL  FR. 

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Toutes  les  œuvres  de  Brahms,  ainsi  qu'un  choix  de  bons  portraits  du  com- 
positeur, se  trouvent  au  magasin  des  éditeurs,  41,  Montagne  de  la  Gour. 


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avec  un  portrait  gravé  par  Aubry  et  une  illustration  par  Mellery. 

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Cet  ouvrage  forme,  la  suite  des  Scènes  de  la  vie  judiciaire. 

Les  volumes  antérieurement  parus  sont  : 

Lé  Paradoxe  sur  l'avocat.  — La  Forge  Roussel.  —  L'amiral. 


Il  a  été  tiré  vingt-cinq  exemplaires  sur  papier  impérial  du  Japon 
numérotés  qui  sont  mis  en  vente  au  prix  de  10  francs. 

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Bruxelles.  —  Imp.  Félix  Callewaert  père,  rue  de  l'Industrie, 


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Cinquième  année.  —  N°  5. 


Jje  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche   P»*  FÉVRIER  1885. 


MODERNE 


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PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


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REVUE  CRITIQUE  DBS  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,  un  an,   fr.   10.00  ;  Union  postale,   fp.    13.00.    —  ANNONCES  :    On  traite   à  forfait. 


Adresser  les  demandes  d' abonnement  et  toutes  les  comrnunications  à 

l'administration  générale  de  TArt  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


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OMMAIRE 


L'Art  jeune  et  les  XX.  —  Les  coxcours  jugés  par  Eugène 
Delacroix.  • —  Au  Cercle  artistique.  Ej'jiosition  Uytterschaut- 
Frank-Chdrlet.  —  Une  lettre  de  Courbet.  —  L'Exposition 
d'Anvers.  —  Chronique  judiciaire  des  arts.  — •  Théâtres.  — 
Mémento  des  expositions  et  concours.  —  Conseils  aux  musi- 
ciens. —  Petite  chronique. 


L'ART  JEIIXE  ET  LES  XX 

Aujourd'hui  s'ouvre  la  deuxième  exposition  des  XX. 

Comme  celle  de  l'an  dernier,  elle  a  le  caractère  d'une 
bataille. 

Depuis  un  mois  déjà  les  divers  clans  hostiles  escar- 
mouchent  dans  les  gazettes  et  dans  les  parlottes. 

Fermes  et  indifférents  à  ces  rumeurs  surgissantes,  les 
XX  ont  pris  leurs  distances,  creusé  leurs  retranche- 
ments, organisé  leur  ligne  de  combat.  Leur  phalange 
et  ses  auxiliaires  s'aperçoivent  sur  les  positions  qu'ils 
occupent,  plus  compacts,  plus  brillants, plus  énergiques, 
plus  enthousiastes  que  lors  de  leur  première  et  écla- 
tante victoire. 

Il  ne  s'agit  plus  d'une  exposition  particulière,  mais 
d'un  véritable  Salon. 

Les  animosités  se  sont  déchaînées  en  vain.  Elles  sont 
demeurées  impuissantes. 

Pourquoi  tant  de  colère  et  de  mauvais  gré  d'une 
part.  Pourquoi  d'autre  part  tant  de  confiance  et  d'élan? 
Pourquoi  aussi  tant  de  sympathies  ? 

Car  on  ne  peut  le  contester,  chez  nous  et  à  l'étran- 


ger, l'appui  donné  de  tout  coeur  à  ce  mouvement  si 
salutaire  pour  l'Art,  si  périlleux,  semblait-il,  pour  ceux 
qui  l'ont  osé,  a  été  magnifique  et  décisif. 

Rappelons  brièvement  ses  origines  pour  dissiper  le 
résidu  d'équivoque  dans  lequel  les  mécontents  et  les 
envieux  essaient,  avec  une  assurance  décroissante,  de 
maintenir  la  situation.    . 

Englués  au  début,  comme  tout  le  monde,  dans  la 
pâte  rance  des  traditions  académiques  et  de  la  pré- 
tendue protection  des  officiels  de  l'Art,  bienveil- 
lants seulement  pour  ceux  qui  les  encensent  et  les 
servent,  les  XX  ont  proclamé  qu'il  n'y  a  de  vraie  origi- 
nalité que  là  où  Ion  est  libre,  non  seulement  de  fait, 
mais  surtout  de  pensée,  que  là  où  les  seuls  facteurs 
d'une  destinée  sont  la  personnalité  de  l'artiste  comme 
instrument,  la  réalité  extérieure  comme  objet  sur  lequel 
cette  personnalité  s'exerce.  Fuir  avec  horreur  toute 
iniitation,  oublier  les  prétendus  modèles  proposés  en 
^xeniple  aux  médiocres,  ne  chercher  son  développe- 
ment qu'en  soi-même,  ne  s'occuper  des  traditions  qu'au 
point  de  vue  du  métier,  pour  le  reste,  susciter,  exciter 
constamment  ses  dispositions  et  ses  sentiments  propres, 
tel  est  un  de  leurs  dogmes,  et  le  principal. 

De  là  est  venue  leur  antipathie,  dégénérant  parfois 
en  haine,  contre  la  vieille  école  qui  s'est  persuadé 
qu'elle  incarnait  un  art  définitif,  désormais  immuable, 
et  devant  comme  tel  être  proposé  non  seulement  à  l'ad- 
miration, mais  à  l'imitation  des  générations  nouvelles. 

«  C'est  une  doctrine  abominablement  fausse  «,  lui 
ont  crié  les  derniers  venus,  en  se  mettant  en  insur- 


rection.  «  Vous  avez  été,  c'est  assez.  N'essayez  plus, 
d'être  encore;  et  surtout  de  vous  reproduire  dans  les 
jeunes,  par  un  avatar  odieux.  L'art  est  éminemment 
transitoire  dans  ses  manifestations.  S'il  faut  désirer 
qu'il  soit  toujours  élevé,  il  faut  se  garder  d'entraver  ses 
évolutions  incessamment  variables.  Chacun  de  nous  ne 
vaut  que  s'il  réalise  une  expression  nouvelle.  Continuer 
ce  qui  fut  est  une  infirmité  pour  l'artiste,  un  ennui  pour 
le  public.  Tout  doit  tendre  à  favoriser  ces  transforma- 
tions qui  sont  le  charme  le  plus  puissant  du  Beau.  Qui- 
conque cherche  à  les  arrêter  est  un  hérésiarque.  Dès 
que  l'œuvre  apparaît  comme  un  reflet,  une  répétition, 
un  pastiche,  elle  doit  être  condamnée.  Pas  de  copie, 
même  déguisée,  mênie  inconsciente.  Rien,  absolument 
rien  qui  rappelle  une  antériorité.  Nous  ne  voulons  pas 
qu'on  nous  applique  la  sarcastique  formule  : 

Qui  pourrai -je  imiter  pour  être  original? 

C'est  cela  qu'on  nomme  ÏArt  jeune,  que  des  imbé^ 
ciles,  vraiment  trop  de  leur  espèce,  ont  confondu  avec 
une  question  d'âge  des  adeptes  !  C'est  invraisemblable 
de  niaiserie,  et  c'est  pourtant  vrai.  On  se  souvient  de 
cette  phrase  d'un  critique  :  «  Ils  nomment  ça  l'Art 
jeune!  Et  il  y  a  chez  eux  des  gens  de  cinquante  ans!  »» 

À  l'étranger  on  a  compris  tout  de  suite  cette  carac-. 
téristique  du  mouvement.  Parmi  ceux  qui  avaient  le 
culte  et  la  foi  de  cette  originalité  qui  est  la  sauvegarde 
suprême,  jeunes  et  vieux  ont  proclamé  leur  vobnté  de 
soutenir  nos  intransigeants,  brisant  si  fièremem  leurs 
Jiens  et  criant  au  passé  :  «  Laissez-nous  tranquilles  ». 
Déjà  à  l'exposition  inaugurale,  on  le&  a  vus,  heureux 
de  manifester  leur  volonté  de  soutenir  devant  nos 

badauds  et  nos  timorés,  les  défenseurs  de  l'art  vrai- 

■j     .  - 

ment  personnel.  Cette  année,  le  cortège  de  ces  protec- 
teurs à  qui  il  ne  vient  pas  la  pensée  de  trouver  mau- 
mais  ceux  qui  ne  leur  ressemblent  pas,  est  vraiment 
triomphal.  Jamais  on  ne  vit  un  tel  appoint  de  cordialité 
et  de  sympathies. 

La  trouée  était  faite.  C'est  maintenant  une  marche 
en  avant  irrésistible.  L'idée,  dominante  est  trop  claire 
pour  ne  pas  s'imposer.  Malgré  les  clameurs  effrayées 
des  caccochymes  aidés  de  leur  escorte  de  médiocres,  la 
foule  est  séduite  et  ses  préférences  vont  à  ces  audacieux. 

Car  audacieux  ils  furent  !  Nous  nous  souvenons  des 
cris  de:  Casse-cou!  poussés  lors  de  la  tentative  qui 
devait  si  brillamment  réussir.  Nous  nous  souvenons 
aussi,  hélas  !  des  quelques  pusillanimes  que  l'on  parvint 
à  effrayer  et  qui  sortirent  des  rangs  avant  la  mêlée. 

Mais  les  autres,  quelle  décision,  quelle  furial 

Et  du  dehors  ne  cessaient  pas  les  avertissements. 
«  Gare  à  vous!  Gare  à  vous!  »  Et  quand  retentissait 
un  cri  contraire  :  «  En  avant  !  En  avant  donc  !  N'ayez 
pas  peur.  On  n'est  jamais  assez  hardi  en  art  !  »»  On 
entendait  :  «  Voyez  donc  ces  provocateurs.  Ils  ne  cou- 


rent aucun  danger,  eux;  Ils  compromettent  ces  pauvres 
artistes,  qui  vont  perdre  toute  protection.  Ils  ne  ven- 
dront plus,  hélas!  Non,  ils  ne  vendront^ plus,  ils  ne 
vendront  plus  !  »» 

On  eût  cru  entendre  le  fameux  cri  de  détresse: 
«  Macbeth  ne  dormira  plus  !  Macbeth  a  tué  le  sommeil  ! 
Macbeth  ne  dormira  plus  !  " 

La  vérité  est  que  si  le  péril  était  réel,  le  sentiment  de 
le  courir  allait  donner  à  ceux  qui  s'y  jetaient  bravement 
des  forces  inespérées.  C'est  quand  on  se  sait  exposé, 
que  tous  les  ressorts  se  tendent,  que  toutes  les  ressour- 
ces saillissent. 

Oui,  ils  allaient  à  la  lutte  et  peut-être  à  la  mort,  car 
en  art 'comme  ailleurs  le  doctrinaire  ne  pardonne  pas. 

Oui,  ils  l'ont  su,  et  c'est  pourquoi  on  les  voit  ce  qu'ils 
sont. 

Leur  exposition  n'est  pas  une  vaine  parade,  dans 
la  sécurité  d'une  place  publique.  C'est,  répétons-le, 
une  mêlée^urTun  ^âmp  de  bataille.  Tant  mieux  !  Ce 
n'est  pas  la  mort  qu'ils  y  trouvent,  c'est  la  résurrec- 
tion et  la  vie. 


Lep  concoure        - 

JUGÉS  PAR  Eugène  DELACROIX 

Mon  avis  sur  les  concours  en  fait  de  tableaux  et  de  statues! 
C'est  une  grande  question  aujourd'hui,  car  il  ne  s'agit  de  rien 
moins  que  de  faire  passer  par  cette  filière  tous  lés  artistes  qui 
prétendent  à  des  travaux  du  gouvernement.  C'est  une  idée  qui 
n'est  pas  nouvelle  et  qui  paraît  si  simple  qu'elle  vient  s'offrir 
d'elle-même  au  pouvoir  quand  il  craint  la  responsabilité  de  ses 
choix,  elaux  artistes  eux-mêmes,  j'entends  ît  ceux  qui  n'ont  pas 
la  part  la  plus  large  dans  les  distributions.  Cette  dernière  classe, 
qui  est  le  plus  grand  nombre,  a  donné  par  ses  réclamations  une 
très  grande  popularité  à  la  question  des  concours. 

Si  éloignée  que  soit  la  chance  qu'offre  ce  moyen  à  beaucoup 
d'entre  eux,  ils  l'ont  adopté  avec  empressement.  L'amour-propre 
persuade  aisément  à  chacun  de  nous  qu'il  a  des  droits  qu'on 
oublie  et  que  cette  grande  lumière  du  concours  public  va  rendre 
manifestes  pour  tout  le  monde;  que  si  ^on  n'est  pas  couronné, 
on  peut  encore  se  consoler  en  pensant  que  c'est  nous  que  le 
public  distingue,  et  qu'il  condamne  nos  juges  à  son  tour. 

D'ailleurs,  raisonnant  d'après  les  lois  de  justice  générale  assez 
sages,  vous  inclinez  à  trouver  cette  invention  très  libérale  et  très 
féconde;  car,  dites-vous,  rien  n'empêche  le  talent  de  se  mettre 
sur  les  rangs  :  touL  au  contraire  ;  au  milieu  de  ce  grand  nombre 
de  prétendants,  la  place  sera  toujours  marquée. 

Au  premier  aperçu,  il  m'a  paru  commode  comme  à  vous  d'avoir 
un  moyen  d'éprouver  les  talents  comme  on  éprouve  les  métaux, 
de  les  tirer  de  la  foule  à  l'instant^  par  le  contraste  qui  se  produit 
de  soi-même  entre  le  bon  et  le  mauvais.  Si  ce  moyen-là  est 
trouvé  en  effet,  quel  problème  nous  avons  résolu  !  La  posté- 
rité ne  pourra  nous  savoir  assez  de  gré  d'avoir  tant  fait  pour  sc& 
plaisirs,  en  ne  laissant  arriver  jusqu'à  elle  que  des  ouvrages 
dignes  d'admiration;  et  du  mênie  coup  nous  sauvons  bien  des 
remords  à  l'autorité. 


Mais  en  y  refléchissant  plus  mûrement,  vous  serez  conduit  à 
découvrir  que  ce  moyen,  simple  et  applicable  en  théorie,  offre  à 
la  pratique  mille  diflicuUés.  Un  essai  tout  récent  a  déjà  montré 
des  inconvénients  auxquels  on  n'avait  pas  songé,  et  ils  ont  clé  de 
nature  à  effrayer  sur  les  résultats  probables  de  ce  moyen  employé 
généralement.  On  s'est  aperçu  qu'après  la  difficulté  d'amener  à 
concourir  beaucoup  de  gens  pour  qui  ce  moyen  est  nouveau,  il 
se  présentait  la  difficulté  plus  grande  de  trouver  des  juges,  des 
juges  sans  passions  et  sans  préjugés,  point  suseaplibles  de  pré- 
férer leurs  amis  à  tous  autres,  et  ne  cherchant  que  la  justice 
et  le  bien  de  l'art.  Le  bien  de  l'art,  c'est  comme  le  bien  de 
la  patrie  ;  chacun  le  voit  du  côté  où  inclinent  ses  affections  et  ses 
espérances  :  la  justice  est  pour  chacun  ;  le  parti  flatte  ses  pen- 
chants et  lui  promet  le  tri'omphe  de  ses  opinions.  Surtout  depuis 
la  grande  découverte  du  classique  et  du  romantique,  les,  éléments 
de  désaccord  semblent  devenir  plus  inconciliables.  Celle  ques- 
tion, qui  a  brouillé  des  amis  et  divisé  des  familles,  complique 
beaucoup  celle  des  concours. 

On  a  élé  aussi  très  embarrassé  pour  savoir  si  ce  moyen  avait 
pour  objet  d'employer  le  talent  avant  tout,  ou  seulement  d'obte- 
nir dés  ouvrages  réunissant  assez  de  qualités  passables  pour  ne 
pas  choquer  dans  la  place  qu'ils  devront  occuper.  Grand  embarras 
^our  ces  juges,  que  je  suppose  trouvés,  et  impartiaux  comme  de 
raison.  Vous  me  demandez  sans  doute  de  poser  plus  nettement 
cette  seconde  difficulté.  Vous  pensez  que  choisir  le  talent,  c'est 
préférer  en  même  temps  ce  qui  est  le  mieux  et  ce  qui  est  le  plus 
convenable;  que  le  talent  triomphe  des  difficultés  et  qu'il  s'y 
plie  sans  peine;  hélas!  non,  il  ne  se  plie  pas.  Il  aime  les  diffi- 
cultés, mais  ce  sont  celles  qu'il  se  choisit.  Il  ressemble  à  un 
coursier  de  généreux  sang,  qui  ne  prête  pas  son  dos  au  premier 
venu,  et  qui  ne  veut  combattre  Jque  sous  le  maître  qu'il  aime. 
Non  pas  que  le  talent  se  laisse  emporter  suivant  son  caprice,  sans 
•choix  et  sans  mesure;  non  pas  qu'il  fuie  le  joug  de  la  raison;  la 
convenance  et  la  raison  sont  en  résumé  l'essence  de  tout  ce  qu'il 
produit  quand  il  est  vraiment  inspiré;  mais  cette  inspiration  lui 
est  nécessaire,  et  il  ne  répond  plus  de  ce  qui  lui  échappe  quand 
elle  est  absente. 

Vous  ne  voyez  pas  peut-élre  ce  qui  empêche  l'inspiration  de 
naître  d'un  concours.  Le  sujet  peut  avoir  de  l'intérêt,  être  tel 
enfin  qu'on  se  le  fût  imposé  k  soi-même. 

Remarquez  que  ce  n'est  pas  à  la  nécessité  de  rendre  tel  ou  tel 
sujet  que  je  m'en  prends;  mais  à  la  nécessité  de  passer  par  le 
crible  impitoyable  du  concours,  d'être  aligné  sous  les  yeux  du 
public,  comme  un  troupeau  de  gladiateurs  qui  se  disputent  d'im- 
pertinents sourires  et  qui  prennent  plaisir  à  s'immoler  entre  eux 
dans  une  arène.  Sainte  pudem*  de  l'artiste,  quelle  épreuve  pour 
vous! 

La  verve,  n'est  pas  une  effrontée  qui  s'accommode  des  mépris 
comme  des  applaudissements  tumultueux  d'un  théâtre,  qui  se 
roule  soiis,  les  yeux  du  public  pour  lui  arracher  ses  faveurs 
hautaines.  Plus  elle  est  brûlante  et  sincère,  plus  elle  a  de  mo- 
destie. Un  rien  l'effarouche  et  la  comprime.  L'ariiste,  enfermé 
dans  un  atelier,  inspiré  d'abord  sur  son  ouvrage  et  plein  de 
cette  foi  sincère  qui  seule  produit  les  chefs-d'œuvre,  vient-il 
par  hasard  à  porter  les  yeux  au  dehors  sur  les  tréteaux  où  il  va 
figurer  et  sur  ses  juges  qui  l'attendent,  aussitôt  son  élan  s'arrête. 
Il  jette  un  œil  attristé  sur  son  ouVrage.  Trop  de  dédains  attendent 
ce  chaste  enfant  de  son  enthousiasme  ;  il  matique  de  courage 
pour  le  suivre  dans  la  carrière  qu'il  voit  s'ouvrir.  Il  devient  alors 


son  propre  juge  et  son  bourreau.  Il  chans^,  il  gâte,  il  s'épuise; 
il  veut  se  civiliser  et  se  polir,  pour  ne  pas  déplaire. 

Une  idéeTidicule  s'offre  U  moi.  Je  me  figure  le  grand  Rubens 
étendu  sur  le  lit  de  fer  d'un  concours.  Je  me  le  figure  se  rapetis- 
sant dans  le  cadre  d'un  programme  qui  l'étouffé,  retranchant  ses 
form.es  gigantesques,  ses  belles  exagérations,  tout  ie  luxe  de  sa 
manière.  i 

J'imagine  encore  Hoffmann,  ce  divin  rêveur,  à  qui  Ton  dit  : 
«  Nous  vous  donnons  un  sujet  tout  à  fait  propre  à  exciter  votre 
paresse;  il  est  pathétique,  il  est  national  même.  Allons,  échauf- 
fez-vous; seulement,  voici  un  fil  que  vous  suivrez  sans  vous  en 
écarter  1^  moins  du  monde.  Nous  en  avons  mis  un  tout  semblable 
dans  les  mains  d'une  cinquantaine  d'aspirants  comme  vous,  qui 
ne  demandent  qu'à  bien  faire.  Si  vous  trouvez  quelques  fleurs  sur 
la  route,  gardez-vous  de  les  écarier  pour  les  cueillir  :  les  fantai- 
sies ne  sont  point  ce  que  nous  demandons  U  votre  génie,  non 
plus  que  de  nous  Répéter  tous  les  échos  que  produit  dans  votre 
cerveau  le  spectacle  de  la  nature.  Voyez  avec  quel  désavantage 
vous  paraîtriez  au  bout  de  votre  carrière,  quand  vous  serez  tous 
rangés  pour  rendre  un  compte  fidèle  de  votre  mission.  U  ne  faut 
pas  arriver  à  celte  inspection  conime  un  enfant  perdu,  qui  revient 
de  la  bataille  avec  un  fourniment  en  désordre,  qui  a  battu  l'en- 
nemi, mais  qui  a  perdu  la  gaîne  de  son  sabre.  » 

—  Voilà  une  triste  victoire  que  vous  m'offrez,  messieurs, 
répondrait  le  rêveur.  Un  homme  qui  marche  avec  des  béquilles 
est  celui  qu'il  vous  faut,  il  est  plus  propre  que  moi  avec  mes 
l)onds  capricieux,  à  gagner  sans  accident  le  but  de  votre  prome- 
nade insipide  ;  chaque  pas  est  un  combat  contre  ma  nature  ;  ei 
que  dois-je  trouver  au  bout?  Ai-je  fait  un  ouvrage,  seulement? 
Car,  qu'est-ce  que  cette  esquisse  sur  laquelle  on  doit  me  tirer  de 
la  foule,  moi  ou  mon  voisin?  un  pur  jeu,  si  on  ne  me  choisit  pas; 
une  production  qui  n'en  est  pas  une.  D'autres  juges  que  mon  bon 
sens  naturel  décideraient  si  c'est  un  enfant  qui  soit  né  viable. 
Sur  ces  quarante  idées  ou  fantômes  d'idées  qui  sont  là  attendant 
la  lumière, '.un  seul  recevra  le-  baptême,  trente-neuf  seront  jetés 
aux  épluchures  et  balayés  avec  ignominie.  » 

Vous  diriez  peut-être  à  cet  homme  fâché  qu'il  a  mauvaise 
grâce  k  dégoûter  les  autres  d^un  moyen  qui  a  bien  quelque 
mérite.  C'est  que  voici  justement  où  la  force  des  choses  nous 
conduit,  c^est  k  celte  contradiction  manifeste  entre  l'objet  de  la 
chose  et  son  résultat  ;  je  veux  dire  k  dégoûter  le  talent  et  à  encou- 
raffer  la  médiocrité. 

Vous  ne  manquerez  pas  de  concurrents  probablement  dociles, 
prêts  k  accepter  vos  conditions.  Que  demandera  le  plus  grand 
nombre?  Seulement  le  plaisir  de  figurer  sur  voire  hste,  et  d'arrê- 
ter les  regards  quelques  instants.  Pour  quelques-uns,  c'est  déjk 
une  célébrité  ;  quant  aux  artistes  amoureux  de  leur  art,  quelque 
peu  susceptibles,  trop  susceptibles,  peut-être,  vous  en  verrez 
diminuer  le  nombre  dans  celle  foule  confuse  qui  se  presse  dans 
la  liste.  A  peine  y  distinguercz-vous  quelques  talents  estimables 
étouffés  par  les  chardons  qui  croîtront  k  leurs  côtés,  et  qui  les 
opprimeront  dans  ce  champ  vague  et  ouvert  k  tous  :  non,  un 
bon  ouvrage  ne  vaut  pas  mieux  pour  être  placé  entre  de  médio- 
cres ;  la  vue  du  mauvais  produit  une  nausée  insupportable,  qui 
vous  fait  prendre  eh  dégoût  le  beau,  le  délicat,  le  convenable; 
il  y  a  comme  une  émanation  d'ennui  qui  ternit  tout  autour  d'elle. 
Dans  ce  concours,  la  grâce  nàive  est  froideur  k  côté  des  contor- 
sions d'un  talent  ampoulé  ;  l'audace  véritable  est  exagération  k 
côté  d'une  plate  et  mesquine  production.  Eh  quoi  !  souvent  le 


^ 


plus  médiocre  des  peintres  aura  trouvé  une  invention  quelque 
peu  iriçfénicuse  qui  aura  échappé  à  Raphaël,  qui  n'aura  pour  lui' 
que  son  style.  Lui  saurez-vous  gré,  par  exemple,  d'avoir  mieux 
que  Raphaël  rendu  le  littéral  du  sujet?  A  qui  donc  la  palme?  A 
la  plate  exactitude  ou  à  rcxéculion  supérieure  ? 

Combien  n'est-il  pas  de  ces  qualités  à  l'aide  desquelles  un 
homme. d'une  faible  porlée  pourra  obtenir  l'ayaniagc  sur  des 
Halents  naturels  cl  plus  passionnés  ;  et  mémi  entrié  rivaux  de 

^  mémo  force,  quel  embarras  pour  décider!  l'un  se  distinguera 
par  une  belle  ordonnance  et  par  une  convenance  exacte  ;  l'autre 
aura  saisi  supérieurement  certains  détails  plus  expressifs,  et  aura 
caractérisé  le  sujet  d'une  manière  plus  énergique,  bien  que 
laissant  à  désirer  une  enleute  générale  soutenue.  Préférez-vous 
l'eifet  et  la  couleur,  ou  bien  un  dessin  exquis,  la  beauté  et  la 
finesse  dos  caractères?  Laquelle  enfin  de  ces  qualités  qu'on  ne 
trouve  jamais  réunies,  et  dont  une  seule  porlée  îi  ce  degré  éminent 
suffit  pour  tirer  de  la  foule? 

vie  n'ai  fait  que  glisser,  au  commencement  de  cet  article,  sur  la" 
diflîcullè  de  trouver  des  juges  éclairés  et  impartiaux  :  je  n*ai 
parlé  ni  des  brigues  ni  des  complaisances,  et  je  n'ai  pas  assez 
appuyé,  comme  vous  l'avez  vu  sans  doute,  sur  l'impossibilité 
d'obtenir  des  jugements  équitables.  Cette  matière  est  affligeante 
autant  que  féconde;  je  laisse  à  votre  sagacité,  Monsieur  le  rédac- 
teur, à  votre  connaissance  des  mœurs  et  la  faiblesse  de  la  nature, 
à  creuser  ce  triste  sujet,  à  éclairer,  si  vous  en  avez  le  courage, 
les  manœuvres  de  l'envie  et  fie  celte  avidité  nécessiteuse  qui  se 
précipite  dans  les  concours  comme  à  une  curée.  La  matière  est 
d'autant  plus  ingra'e  que  c'est  une  voie  sans  issue;  et  l'adminis- 
tration ne  s'y  est  jetée  qu'avec  une  sorte  de  désespoir  et  sans 

-  savoir  où  elle  allait.  Que  faire?  m&direz-vous;  quel  moyen  pro- 
•  poser?  car  vous  ne  voulez  pas  sans  doute  des  caprices  du  pouvoir 

/  à  la  place  de  cette  loterie  trompeuse?  A  cela  je  ne  sais  que  dire, 
sinon  que  les  choses  se  passaient  mieux  avant  qu'on  ne  fit  des 
arts  une  chose  administrative.  Quand  Léon  X  eut  envie  de  faire 
peiridre  son  palais,  il  n'alla  pas  demander  à  son  ministre  de  l'in- 
térieur deJui  trouver  le  plus  digne  :  il  choisit  tout  simplement 
Raphaël,  parce  que  son  talent  lui  plaisait  ;  seulement,  peut-être, 
parce  que  sa  personne  lui  plaisait.  Soyez  sûr  qu'il  ne  se  donna 
pas  la  triste  occupation  de  voir,  dans  les  essais  de  trente  ou  qua- 
rante concurrents  mis  h  la  gêne,  tout  ce  que  peut  rendre  en 
extravagance  et  en  ridicule  une  pauvre  idée  martelée  en  tous 
sens  par  des  imaginations  en  délire.  Il  y  gagnait,  sans  doute,  de 
ne  pas  prendre  en  aversion  l'objet  de  sa  fantaisie,  avant  môme 
de  le  voir  naître,  et  de  ne  pas  tuer  à  l'avance  le  plaisir  que  peut 
donner  un  ouvrage,  en  lui  ôianl  toute  fraîcheur  et  toute  nou- 
veauté par  celte  épreuve  bizarre,  ce  qui  nous  arrive  dans  nos 
concours  ;  car  après  que  le  destin  ou  le  caprice  a  décidé  de  l'ar- 
tiste qui  doit  l'emporter  sur  les  autres,  on  serait  tenté  de  lui  faii*e 
grûce  de  ce  qui  peut  lui  restera  dire  encore  sur  un  thème  épuisé 
et  sans  attraits. 

J'ai  donc  la  douleur  d'avoir  augmenté  vos  perplexités,  loin 
d'avoir  établi  un  point  d'où.il  soit  possible  de  partir.  J'ai  à  peine 
effleuré  les  faces  les  plus  importantes  de  la  question  ;  je  suis 
venu  seulement  me  plaindre  h  vous  et  avec  vous,  avec  tous  les 
amis  des  arts,  qui  s'alarment  de  les  voir  inanquer  d'une  direction 
ferme.  Vous  nous  offrez  vos  colonnes  pour  y  déposer  nos 
doléances;  vous  éies  à  peu  près  le  seul  que  la  politique  n'en- 
vahit pas.  Tenez  forme,  Monsieur;  résistez  à  ce  torrent  :  parlez- 
nous  de  musique,  de  peinture,  de  poésie,  vous  verrez  venir  à 


vous  tous  ceux  qui  donnent  la  première  place  aux  plaisirs  de 
l'imagination. 

Eugène  Delacroix. 


^U    jIÎZRCJ-E    ARTISTIQUE 

Exposition  Uytterschaut'Frank-Gliarlet. 

Le  Cercle  artistique  exhibe  en  détail  et  par  morceaux  ce  qu'il 
montrait  jadis  en  bloc,  dans  des  Salons  annuels  qui  encombraient 
tous  ses  locaux.  La  petite  salle  seule  est  affectée  actuellement  aux 
expositions,  qui  se  succèdent  presque  sans  interruption.  Ce 
système  nouveau  a  un  avantage  sérieux  :  c'est  qu'il  permet  à 
ehaque  artiste  de  se  présenter  tout  autrement  que  dans  les 
Salons  annuels  :  au  lieu  d'une  ou  deux  toiles  il  en  expose  vingt, 
trente,  quarante;  il  apporte  ses  éludes,  déménage  son  atelier 
pour  en  faire  pénétrer  au  public  Tintimilé. 

Quand  l'artiste  résiste  à  ce  déshabillage  complet,  c'est  qu'il 
est  de  forte  et  belle  complcxion.  Le  péril  est  précisément  que, 
la  chemise  élée,  il  y  ait  des  désillusions.  Tel  est  le  cas  d'Emile 
Charlet,  un  jeune  qu'on  vante,  qui  passe  pour  avoir  du  talent, 
dont  on  fait  l'élpge  dans  les  journaux  qui  combattent  habituel- 
lement les  jeunes,  ce  qui  ne  peut  s'expliquer  que  parce  qu'ils 
prennent  sans  doute  à  tort  Emile  Charlet  pour  un  vieux.  Son 
déballage  du  Cercle  est  navrant.  Peinture  morte  et  sans 
caractère,  absence  complète  d'observation  dans  le  rapport  des 
valeurs,  coloris  maladif,  terne,  ou  violent  sans  puissance. 

Cela  n'est  pas  défendable,  et  malgré  l'intérêt  qu'inspire  un 
artiste  laborieux  et  inlelligent,  il  vaut  mieux  ne  pas  lui  ménager 
la  vérité.  Peut-être  est-il  encore  temps  que  son  œil  guérisse. 
La  thérapeutique  de  la  nature,  qui  —  seule  —  peut  rétablir 
les  peintres,  fera,  espérons-le,  un  miracle. 

Puisse-t-elle  aussi  amener  l'artiste  à  renoncer  aux  poncifs  des 
sujets  niais  et  hébétés.  La  bonne  de  M.  Emile  Charlet  doit  aimer 
beaucoup  son  tableau  intitulé  le  Bouquet.  Ce  qui  le  prouve,  c'est 
que  les  critiques  mil-huit-cent  trenteux  en  sont  ravis.  Tout 
heureux  de  retrouver  enfin  de  la  peinture  selon  leur  formule,  ils 
procèdent  dans  leurs  comptes- rend  us  d'après  la  recette  avec 
laquelle  on  cuisine  le  Musée  des  familles  et  le  Magasin  'pitto- 
resque :  «  D'où  vient-il,  ce  gentil  bouquet  ?  Nul  ne  le  sait. 
A  laquelle  des  trois  jeunes  filles  est-il  adressé?  Ah!  il  suffit  de 
voir  ces  regards  malicieux,  etc.,  etc.  » 

Assez,  n'est-ce  pas?  Avec  iVorma,  h  Pré-aux-QercSj  Robert- 
le-Diable  à  la  Monnaie,  l'illusion  est  complète,  et  l'un  de  ces 
jours  Bruxelles  va  courir  aux  grilles  du  Parc  pour  en  faire 
déguerpir  d'imaginaires  Hollandais.  Gare  au  duo  de  la  Muette^ 
si  MM.  Stoiimon  et  Calabrési  ont  l'imprudence  de  la  faire  encore 
représenter.  ^ 

Le  deuxième  exposant  du  Cercle  est  M.  Frank,  un  jeune  aussi, 
qui  a  peint  parfois  de  bons  paysages,  mais  qui  eût  mieux  fait  de  lie 
pas  montrer  ceux-ci.  Cela  n'est  pas  absolument  dénué  de  qualités. 
Il  y  a,  de  ci,  de  là,  une  émotion  juste,  mais  l'ensemble  est  som- 
maire, creux,  gauche,  niauvais  enfin.  Il  est  fâcheux  de  devoir 
employer  ce  mol,  mais,  que  diable  !  il  n'y  a  que  deux  sortes  de 
peintures,  après. tout,  et  celles  de  M.  Frank  ne  peuvent  être 
rangées  dans  la  catégorie  des  bonnes.  Ce  qu'il  y  a  de  consolant, 
c'est  que  le  cas  de  M.  Frank  est  moins  grave  que  celui  de 
M.  Charlet.  Il  est  au  début  de  la  maladie  ;  il  pourra  la  combattre 
sans  peine  par  l'étude  serrée  et  constante  de  la  nature. 


V 


Vis-à-vis,  sur  le  grand  panneau  de  gauche,  une  quarantaine 
d'aquarelles  de  Victor  Uyllerschaul  reposent  l'œil  par  la  fraîcheur 
de  leur  coloris  cl  leur  grâce  pimpante.  Très  variées  de  sujets, 
elles  embrassent  les  aspects  les  plus  divers  de  notre  pays  et  de  la 
Hollande  :  p'ages,  bois,  canaux,  prairies,  notés  d'une  main 
émue  dans  les  journées  rourllées  de  l'automne,  dans  les  lumi- 
neuses-matinées du  printemps,  dans  les  lourds  midis  de  l'été. 
C'est  élégant,  agréable  à  voir,  c'est  de  l'aquarelle  dans  son  expresr 
sion  rationnelle,  qui  n*a  pas  la  prétention  d'enfler  la  voix  et  dé 
crier  bien  fort,  mais  se  contente  de  chanter,  d'une  voix  douce, 
des  mélodies  aimables. 

M.  Uytterschaut  a  acquis  dans  cet  art  léger,  qui  veut  plus  de 
souplesse  que  de  justesse  rigoureuse,  une  supériorité  indéniable. 
M.  Stacquel  et  lui  ont  une  sûreté  de  touche,  une  habileté  de 
métier,  une  finesse  de  vision  qui  les  ont  fait  sortir  des  rangs  des 
amateurs,  où  ils  ont  longuement  combattu.  Tous  deux  ils  ont  con- 
quis leurs  épauletles,  et  ils  les  ont  obtenues  vaillamment,  le  pin- 
ceau au  poing. 

Quelques  très  piètres  paysages  de  Van  der  Hecht  et  un  portrait 
insignifiant  de  Bourson  complètent  l'exposition. 


\jnE    LETTRE    DE    j]0URBET 

La  collection  Baylé  contient  une  bien  jolie  lettre  dans  laquelle 
Gustave  Courbet  fait  part  à  son  ami  Adolphe  Marlet  du  grand 
succès  que  l'exposition  de  ses  tableaux  a  obtenu  à  Francfort  en 
1868: 

Mon  cher  ami  Adolphe, 

Je  finissais  par  être  inquiet  de  mes  tableaux  qui  sont  à  Franc- 
fort. Le  docteur  Goldschmidl  vient  de  me  tirer  de  soucis  par  une 
lettre  très  aimable.    — — — — — — • — — _,.—— 1 

_  Il  m'apprend  que  mes  toiles  sont  arrivées  heureusement  et 
qu'elles  ont  produit  dans  le  monde  artistique  et  savant  la  même 
sensation  que  les  premières.  Seulement,  la  seconde  exposition 
n'a  pas  rapporté  d'argent  beaucoup.  Les  frais  étaient  énormes  ; 
le  transport  seulement  se  montait  à  80  florins. 

Puis  cela  provient,  selon  lui,  de  la  nature  des  sujets. 

Je  ne  résiste  pas  au  plaisir  de  te  raconter  quelques  détails  de 
celte  lettre.  Il  paraît  qu'à  Francfort  comme  à  Paris  j'ai  des  détrac- 
teurs et  des  partisans  terribles  ;  les  discussions  étaient  si  violentes 
qu'au  Casino  on  s'est  vu  forcé  de  placer  un  écriieau  ainsi  conçu  : 
Dans  ce  cercle ,  il  est  défe7idu  de  parler  des  tableaux  de  Courbet. 
Chez  un  banquier  fort  ricliCj^  qui  avait  réuni  à  dîn'er  une  société 
nombreuse,  chaque  invité  trouva  dans  le  pli  de  sa  serviette  un 
petit  billet  où  il  était  écrit  :  Ce  soir  y  on  ne  parlera  pas  de 
M.  Cavrhet.  "        ' 

Quand  il  m'aura  envoyé  les  comptes-rendus  des  journaux  qui 
parlaient  de  moi,  je  te  les  ferai  passer. 

Le  prince  Gortchakoff  (quel  nom,  cré  nom!),  ambassadeur  de 
Russie, a. demandé  depuis  longtemps  déjà  mon  portrait  à  acheter. 
On  me  demande  le  prix  que  j'en  veux.  Au  printemps,  ces  expo- 
sitions se  continuent  à  Vienne  et  à  Berlin,  où  ces  tableaux  sont 
demandés.  Quand  j'aurai  du  plus  nouveau,  cher  ami,  je  t'en  ferai 
part.  Bien  des  choses  de  ma  part  à  Arlhaud  et  à  Fidancet,  ainsi 
qu'à  Chopard.  Mes  amitiés  à  ta  dame. 

Je  t'embrasse, 

Gustave  Courbet. 


L'EXPOSITION  D'ANVERS 

La  composition  du  jury  du  prochain  Salon  de  peinture  d'Anvers 
a  soulevé,  dans  tout  le  pays,  d'énergiques  protestations.  L'ex- 
clusion- des  artistes  de  la  jeune  école  entraînera  de  nombreuses 
abstentions.  Voici  la  lettre  que  viennent  d'adresser  au  ministre 
les  artistes  anversois  :  . 

Monsieur  le  Ministre, 

Les  soiTssignéB,  artistes  peintres,  sculpteurs,  à  Anvers,  prennent 
la  respectueuse  liberté,  tant  en  leur  nom  qu'en  celui  d'un  nombre 
considérable  d'artistes  de  cette  ville,  de  vous  soumettre  quelques 
réflexions  que  leur  a  suggérées  le  règlement  général  de  l'Exposition 
Universelle  des  Beaux- Arts  d'Anvers  de  1885. 

Ces  réflexions,  M.  le  Ministre,  se  résument  en  un  point  principal, 
celui  de  la  composition  du  jury  d'admission.  Les  soussignés,  aussi 
bien  que  beaucoup  de  leurs  collègues,  tant  de  Bruxelles  que  de. 
Oand' et  d'autres  villes,  ont  constaté  avec  un  profond  regret  que 
la  jeune  tendance  de  notre  art  national  est  à  peine  représenté  au 
sein  du  jury. 

Loin  de  nous  la  présomption"  d'émettre  un  jugement  sur  la 
compétence  du  jury  désigné.  Toutefois  nous  'ne  pouvons  nous 
empêcher  de  manifester  la  crainte  que  beaucoup  d'artistes  appar- 
tenant à  la  jeune  école  ne  croient  devoir  s'abstenir  parce  que  leur 
manière  de  voir  ne  trouvera  pas  sa  représentation  dans  le  jiiry 
susdit. 

Pareil  résultat,  M.  le  Ministre,  serait  d'autant  plus  déplorable  que 
le  Salon  de  1885,  la  première  exposition  internationale  ouverte  à 
Anvers,  est  d'une  importance  capitale,  ' 

Aujourd'hui  plus  que  jamais,  l'art  national  doit  pouvoir  compter 
sur  toutes  ses  forces  pour  pouvoir  soutenir  honorablement  la  compa- 
raison avec  les  écoles  étrangères.  A  notre  humble  avis,  toutes  les 
manifestations  de  l'école  belge' doivent  être  représentées  :  aucune  ne 
pourrait  faire  défaut. 

Hormis  ces  considérations,  comme  il  est  à  prévoir  que,  ainsi  que 
c'est  généralement  le  cas,  plusieurs  dés  membres  désignés  se  trou- 
veront dans  l'impossibilité  de  pouvoir  accepter  les  fondions  d'hon- 
neur qui  leur  ont  été  dévolues,  les  soussignés  osent  vous  prier, 
M.  le  Ministre,  si  l'occasion  s'en  présentait,  de  vouloir  bien  mettre  à 
profit  cette  circonstance  pour  remédier  à  la  lacune  qu'ils  se  sont 
permis  de  vous  signaler,  et  de  donner  ainsi  satisfaction  aux  fidèles 
de  la  jeune  école.  .  / 

Veuillez  agréer,  etc. 

Voici  d'autre  part  la  circulaire  que  vient  d'adresser  aux  artistes 
la  Société  royale  d'encouragement  des  Beaux-Arts  d'Anvers  : 

La  vingt-quatrième  Exposition%i%nnale  à  ouvrir  par  notre  Société 
coïncidera  avec  l'Exposition  universelle  de  l'Industrie  et  du  Com- 
*^erce  qui  aura  lieu  à  Anvers  au  mois  de  mai  prochain. 

Cette  circonstance  a  déterminé  l'adoption  d'un  règlement  excep- 
tionnel. ■  - 

Ce  règlement  ne  fixe  pas  te  nombre  des  œuvres  qu'un  même  artiste 
peut  exposer  ;  il  n'exclut  pas  davantage  les  œuvres  d'art  qui  auraient 
déjà  été  exposées  à  Anvers.  Ô'est  que,  dans  la  lutte  à  soutenir  avec 
les  pays  officiellement  invités  à  l'Exposition,  une  seule  idée  doit  tout 
dominer  :  faire  abstraction  de  considérations  d'intérêt  individuel  aftn 
d'assurer  le  succès  du  compartiment  de  la  Nation  belge. 

Néanmoins  le  chiffre  total  des  oeuvres  à  exposer  ne  peut  dépasser 
les  limites  fixées  par  l'art.  11  du  règlement  général. 

Il  s'ensuit  que  le  jury  d'admission,  nommé  par  arrêté  royal,  devra, 
à  bon  droit,  se  montrer  sévère. 

"Pour  faciliter  la  tâche  de  ce  jury,  MM.  les  artistes  devront  faire 
connaître  les  œuvres  qu'ils  désirent  exposer,  au  plus  tard  le  15  mars. 


\  ■nwbni  fî'îi  t  w/iifi'nin  in'n  "n  inWitni/i  <i\<n 


,    -<* 


à  M.  le  Secrétaire  de  la  Société  Royale  d'Encouragement  dèë' Beaux- 
Arts,  89,  Avenue  des  Arts,  à  Anvers.  / 

Les  œuvres  d'art  destinées  à  rExposition,  devront  être,  ayant  le 
le  avril,- mises  à  la  disposition  des  membres  du  jury  d'admission. 

Un  avis ,  ultérieur  fera  connaître  à  MM.  les  Artistes  belges  les 
locaux  où  ces  œuvres  doivent  être  adressées,  ainsi  que  le  mode  et  les 
conditions  d'expédition.  - 

'  Voici  enfin  le  jury  d'admission.  C'est  celui  contre  là  composi- 
tion duquel  de  si  vives  protestations  s'élèvent.  ; 

Président  :  M.  Jacques  Cuylits,  commissaire  spécial  du  Gouver- 
nement;  Vice -Présidents  :  MM.  De  Keyser,  Gallait  et  Slingeneyer; 
Membre-Secrétaire  :  M.  Charles  Dumercy. 

Membres  :  MM.  Balat,  Beyaert,  architectes;  Coosemans,  De 
Keyser,  Delin,  peintres;  Demannez,  graveur;  Deus,  architecte; 
Drioii,  Ducaju;  statuaires;  Dyckmans,  peintre  ;  Fraikin,  statuaire; 
Gallaït,  peintre;  Geels  (Joseph),  statuaire;  Glays,  Guffens,  Lagye 
(Victor),  Lamorinière,  peintres;  Michiels,  graveur;  Pauli,  archi- 
tecte ;  Portaels,  Robert,  peintres;  Rousseau,  inspecteur  général  des 
Beaux-Arts  ;  Schadde,  architecte;  Schaefels  (Henri),  peintre;  Schoy, 
architecte;  Slingeneyer,  Thomas,  peintres;  Vanden  Nest,  ancien 
échevin  de  la  ville  d'Anvers;  Van  der  Ouderaa,  Verlat,  Wauters 
(Emile),  peintres.  • 


fÎHRONIQU^  JUDICIAIRE   DE^  ART^ 

Egmonty  de  Salvayre,  fait  comme  {'Etudiant  pauvre  (toute 
révérence  gardée)  parler  de  lui  au  Palais  avant  d'avoir  été  repré- 
senté. MM.  Albert  Wolff,  Albert  Millaud  et  Salvayre  viennent 
d'assigner  les  directeurs  de  l'Opéra  pour  les  obliger  à  monlei* 
immédiatement  leur  pièce  el  à  la  représenter  avant  tout  autre 
ouvrage.  Une  convention  passée  avec  la  direction  précédente 
donnait,  en  effet,  à  Egmont  la  priorité  sur  tous  les  opéras  reçus. 
Ces  Messieurs  demandent  que  MM.  Rilt  et  Gaillard  soient 
condamnés  à  leur  payer  2,000  francs  par  jour  de  retard  apporté 
à  la  mise  en  répétition  de  l'oeuvre.  * 


yHÉATRÈ? 


Théâtre  Molière.  —  Tous  les  soirs,  à  7  h.  1/2,  pour  les  représen- 
tations de  M.  Laray,  premier  sujet  du  théâtre  de  la  Porte  St-Martin, 
Les  Deux  Orphelines,  drame  en  5  actes  et  8  tableaux,  par 
MM.  DEnuery  et  Cormon.  M.  Laray  remplira  le  rôle  de  Jacques, 
qu'il  a  créé  à  Paris. 

Samedi,  7  février,  représentation  au  bénéfice  de  M^'«  D'Athis  avec 
le  concours  de  M.  Laray. 


MEMENTO  DES  EXPOSITIONS  ET  CONCOURS 

Anvers.  —  Exposition  universelle.  Mai  à  octobre  1885. 

Anvers.  —  Salon  des  refusés  et  exposition  des  artistes  indépen- 
dants, ouverture  en  mai.  Pour  tous  renseignements  s'adresser  au 
secrétaire  du  Cercle  des  artistes  indépendants,  1,  rue  de  l'Angle, 
Bruxelles.  . 

Bruxelles.  —  Deuxième  exposition  des  A'X.  Ouverture  aujour- 
d'hui 1er  Février  1885.  — Troisième  exposition  de  Blanc  et  Noir  de 
l'Essor.  (Limitée  aux  membres  du  Cercle).  Mai  1885. — ^^  Exposition 
historique  de  gravure,  par  le  Cercle  des  aquarellistes  et  aquafortistes. 
Mai  1885. 

Bruxelles  —  25*  exposition  annuelle  organisée  par  la  Société 
royale  belge  des  aquarellistes,  à  partir  du  4  avril  1885. 


Londres.  —  Exposition  internationale  d'instruments  de  musique. 
Ouverture  en  mai  1885,  à  South- Kensington.  Cette  deuxième  divi- 
sion comporte  trois  groupes  :  1°  Instruments  de  musique  construits 
ou  en  usage  depuis  1800;  2<>  gravure  et  impression  de  la  irlusique  ; 
Z^  collections  historiques. 

Id.  —  Du  31  mars  à  la  fin  de  septembre  exposition  internationale 
et  universelle  d'Ale:jcandra-Palace,  comprenant  notamment  les  arts 
et  métiers,  et  une  exposition  de  tableaux  et  objets  d'art  représentant 
les  principales  écoles  du  continent. 

Nuremberg.  —  Exposition  internationale  d'orfèvrerie,  de  joaille- 
rie, de  bronzes,  etc.  Du  15  juin  au  30  septembre  1885. 

Paris.  —  Salon  de  1885.  —  1er  mai  au  30 juin  1885.  —Peinture^ 
dessins,  etc.  Dépôt  des  ouvrages  au  Palais  des  Champs-Elysées,  du 
5  au  14  mars.  Vote,  le  mercredi  18  mars,  de  9  h.  à  4  h. —  Sculp- 
ture, Gravure  en  niéd.  et  sur  p.  f.  Dépôt  du  21  mars  au  2  avril. 
Vote,  le  mardi  7  avril,  de  10  à  4  h.  —  Architecture.  Dépôt  du  2  au 
5  avril.  Vote,  le  mardi  7  avrU,  de  10  à  4  h,  —  Gravure  et  Lithogra- 
phie. Dépôt,  du  2  au  5  avril.  Vote,  le  lundi  6  avril,  de  10  à  4  h. 

Rome. —  Exposition  org'anisée  par  la  Société  des  Amatori  e  cultori' 
di  BclU  arti.  Ouverture  l^r  février. 

Rotterdam.  —  Du  38  mai  au  12  juillet.  Dernier  délai  :  Jômai. 
Renseignements  :  M.  Veders,  secrétaire,  42,  Boompjes,  Rotterdam. 

Gand.  —  Statue  du  docteur  Joseph  Gruislain.  Clôture  :  31  mars 
1885.  Les  œuvres  doivent  être  envoyées  au  concierge  de  l'Université 
de  Gand,  rue  des  Foulons,  et  porter  la  suscription  :  Au  comité 
constitué  pour  l'érection  d'une  statue  au  docteur  Joseph  Guislain.  — 
Envoi  :  Maquette  de  la  statue  et  du  piédestal  (25  centimètres  au 
total),  dessin  détaillé  de  la  grille  et  indication  de  la  disposition  du 
dallage  entre  le  grillage  et  le  piédestal.  —  L'artiste  doit  s'engager  à 
livrer  pour  19,000  francs  les  travaux  de  maçonnerie  nécessaires,  la 
statue,  le  piédestal,  le  grillage  et  le  dallage.  —  Documents  et  pho- 
tographies chez  le  D""  B.-C.  Ingels,  médecin  de  l'hospice  Guislain,- 
à  Ga'lKl. 


La  Haye. 

tiiis. 


Concours  pour  l'érection  d'une  statue  à  Hugo  Gro- 


MoNTÉvroÉo.  —  Concoiirs  pour  la  statue  du  général  Artigas 
S'adresser  à  la  légation  de  l'Uruguay,  4,  rue  Logelbach,  à  Paris. 

RiCHMOND  (Virginie).  —  Concours  pour  un  monument  à  Robert 
Lee,  jusqu'au  l»""  mai  1885.  • 

Saint-Nicolas.  —  Concours  de  gravure  du  Journal  des  Beaux- 
Arts.  Histoire  :  prix  400  fr.  pour  la  meilleure  eaù- forte  (sujet  inédit 
ou  copie  d'un  tableau  flamand  ancien  ou  moderne)  Genre  :  prix 
300  fr.  Paysage  et  intérieurs  :  prix  200  fr.  Dimension  maximum  des 
cuivres:  0"'260  sur  0'nl90.  Dernier  délai  :  31  juillet  1885.  Envoyer 
franco-  avant  cette  date  2  exemplaires  sur  papier  blanc  et  2  exem- 
plaires sur  chine. 

Vienne.  —  Concours  pour  l'érection  d'un  monument  à  Mozart. 


fîON^EIjL^    AUX    ^U^ICIEf^^ 

Pour  faire  suite  aux  Conseils  que  nous  avons  publiés  la  semaine 
dernière,  un  de  nos  abonnés  nous  envoie  celui-ci,  qui,  mis  en  pra- 
tique avec  le  ton  et  le  geste  voulus,  manque  rarement  son  effet: 

Lorsque  vous  assisterez  à  un  concert  ou  à  une  soirée  où  se  font 
entendre  des  artistes  de  valeur,  ayez  soin  de  choisir  une  place  bien 
en  vue  et  ne  manquez  pas,  avant  la  fin  de  chaque  morceau,  de  crier 
bravo  d'une  voie  émue,  mais  retentissante.  Tout  le  monde  croira 
que  vous  protégez  ces  artistes  et  cela  vous  donnera  sur  eux  une 
supériorité  incontestable.  De  plus,  vous  aurez  l'air  de  donner  le  ton 
au  public  tout  entier,  tout  en  détournant  à  votre  profit  une  partie 
de  l'attention  dirigée  sur  les  exécutants. 


f 


ETITE    CHROJNIIQUE 


C'est  aujourd'hui  dimanche,  à  deux  heures,  au  Palais  des  Beaux- 
Arts,  que  s'ouvrira,  comme  nous  l'avons  annoncé,  le  deuxième 
Salon  annuel  et  international  des  XX.  Il  co.mprendra  des  œuvres  de 
peinture,  de  sculpture,  de  gravure,  des  dessins  et  des  lithographies. 

Le  prix  d'entrée  est  fixé  à  cinq  francs  le  jour  de  l'ouverture.  Le» 


personnes  qui  ont  reçu  une  invitation  sont  priées  de  vouloir  bien 
s'en  munir  :  elle  sera  réclamée  au  contrôle.  (Entrée  par  la  porte 
principale,  rue  de  la  Régence.) 

A  partir  de  demain  le  Salon  sera  ouvert  tous  les  jours, au  public, 
de  10  à  5  heures,  moyennant  une  entrée  de  cinquante  centimes.  Le 
samedi,  l'entrée  sera  fixée  à  1  franc. 


M.  Verdhurt,  le  nouveau  directeur  de  la  Monnaie,  actuellement 
en  tournée  pour  les  engagements  de  sa  troupe,  nous  informe  que  les 
renseignements  publiés  ces  jours  derniers  à  ce  sujet  sont  inexacts.  Il 
n'avait  à  la  date  de  ces  renseignements  traité  avec  personne,  et  n'avait 
eu  de  négociations  avec  personne  sauf  M'"^  Caron.  M"«  Isaac  n'a 
pas  eu  à  refuser  des  propositions  qu'il  lui  aurait  faites,  puisque  des 
propositions  n'ont  pas  été  faites  par  lui  à  la  brillante  étoile.  Quant 
à  M.  Gresse,  dès  l'origine  il  a  déclaré  que  quelle  que  fût  la  direction, 
il  était  résolu  à  quitter  Bruxelles.  M"»«  Bosman  à  qui  il  avait  été 
demandé,  comme  à  tous  les  artistes  de  la  Monnaie,  si  elle  avait 
l'intention  de  rester,  sauf  à  débattre  les  conditions  du  réengage- 
ment, n'a  pas  répondu.  Enfin  M™o  Caron  a  écrit  à  M.  Verdhurt 
que  ses  conditions  étaient  6000  francs  par  mois  sans  les  costumes, 
ou  5000  francs  plus  les  costumes,  pour  dix  représentations. 


Le  deuxième  concert  du  Conservatoire  sera  donné  aujourdhui 
dimanche.  A  l'occasion  du  deux-centième  anniversaire  de  la  nais- 
sance de  J.  S.  Bach  et  de  Hsendel,  on  y  exécutera  la  cantate  Gottes 
Zeit  de  Bach,  le  Dettingen  Te  Deum  de  Hsendel,  et  différentes 
autres  œuvres  vocales  ou  instrumentales  des  deux  mêmes  maîtres, 
avec  le  concours  de  M.  Joseph  Maas,-  chanteur  d'oratorios  à  Londres, 
de  Mmes  Elly  Warnots  et  Mary  Gemma,  et  MM.  Fontaine,  Golyns, 
Hubay  et  Mailly. 

Voici  le  programme  du  Concert  que  donnera  jeudi  prochain, 
5  février,  à  8  heures,  à  la  Grande  Harmonie,  le  pianiste  Eugène 
d'Albert. 

1  a)  Fantaisie  chromatique  et  fugue^  J.-S.  Bach  ;  b)  Sonate^ 
op.  11  i,  Beethoven;  c)  Variations  sur  un  thème  de  Hcendel^ 
Brahms. 

2.  a)  Nocturne  ;  b)  Improniptu  (en  fa  dièse  maj.)  ;  c)  Ballade  (eu 
la  bém.  maj.),  Chopin. 

3. 'jPaniaiste,  op.  15,  Schubert. 

4.  a)  Barcarolle  (en  la  mineur)  Schubert  ;  b)  Polonaise  no  2i 
c)   Valse-lmpromtu  ;  d)  Tarentelle  de  Venezia  et  Napoli,  Fr.  Liszt. 


Le  Cercle  des  Artistes  indépendants ,  organisateur  du  premier 
Salon  des  refusés  de  Bruxelles,  se  propose  d'ouvrir  à  Anvers,  au 
mois  de  mai  prochain,  un  Salon  des  Beaux- Arts. 

Il  a  convoqué  en  conséquence  un  certain  nombre  d'artistes  et 
d'amateurs  à  l'assemblée  générale  du  Cercle^  le  vendredi  6  février,  à 
3  heures  de  relevée,  à  la  Porte  Verte,  rue  Treurenberg. 


Le  deuxième   acte  de    Tristan  est  en   répétition   aux   concerts 
Lamoureux,  à  Paris,  et  sera  chanté  prochainement. : — ^" 


Il  a  paru  récemment,  en  Allemagne,  toute  une  série  d'écrits  sur 
Richard  Wagner,  qu'on  nous  saura  gré  sans  doute  d'enregistrer  ici  : 
1°  Les  Maîtres  chanteurs  de  Nuremberg,  de  Richard  Wagner, 
essai  de  commentaire  musical,  par  Alb.  Heintz  (aux  bureaux  de 
y Allgemeine  Deutschen   Musik-Zeitung,  Charlottenbourg,  in-8")  ; 

2'^  Ahnanach  de  poche  de  Bayreuth,  1885  (l^e  année),  publié  par, 
l'administration  de  l'Association  universelle  Richard  Wagner 
(Munich,  Alfred  Schmidt);  Z"^  Croquis  pour  un  Musée  Richard 
Wagner,  par  Nicolas  Oesterliu,  avec  4  photogravures  (Vienne, 
Gutmann);  4°  Le  Musée  Richard  Wagner  et  le  lieu  oit  il  doit  être 
élevé,  par  le  même  (Vienne,  Gutmann);  5°  Bismark,  Wagner, 
Rodbertus,  trois  maîtres  allemands,  considérations  sur  leur  influence 
et  sur  l'avenir  de  leurs  œuvres,  par  Maurice  Wirth  (2^  édition, 
Leipzig,  Oswald  Mutze). 

On  nous  demande  le  titre  de  la  meilleure  revue  allemande  illus- 
trée. Nous  recommandons,  dans  le  genre  sérieux,  les  deux  intéres- 
santes publications  mensuelles  éditées  à  Stuttgart:  Ueber  Land  und 
Meer  et  Vom  Fais  zum  Meer. 

La  première  (qui  a  aussi  une  édition  hebdomadaire  in-folio)  paraît 
tous  les  mois  en  livraisons  de  200  pages  environ  in-S»,  chez  les  sucr 
cesseursd'Ed.  Hallberger. 

L'autre,  plus  récente,  paraît  dans  les  mêmes  conditions  chez 
M.  Spemann. 


Toutes  deux  sont  ornées  d'une  quantité  de  gravures  et  coritiennent 
tout  ce  que  comprennent  les  Magasins  ou  Revues  de  famille  :  nou- 
velles, voyages,  études  scientifiques,  littéraires  et  artistiques,  musi- 
que, jeux,  problèmes,  etc.  L'abonnement  est  de  12  marks  par  an. 

Dans  le  genre  gai,  signalons  l'amusante  publication  muoichoise 
dont  nous  avons  déjà  eu  l'ocçjasion  de  parler,  les  Fliegende  Bldtter, 
journal  humoristique  et  satirique  auquel  collaborent  les  caricatu- 
ristes les  plus  renommés  de  l'Allemagne.  Le  prix  d'abonnement 
semestriel  est  de  16  marks.  Les  Fliegende  Bldtter  paraissent  toutes 
les  semaines. 

Sommaire  de  la  Jeune  Belgique,  tome  IV,  n»  2,  1er  février  1885. 
Le  Vice  suprême,  Iwan  Gilkin.  —  Nuit  au  Jardin,  Iwan  Gilkin.  — 
Toques  et  robes,  Arthur  James.  — Vœux  de  Noël,  Maurice  Vaucaire. 
—  Flemm-^sOi  X.  —  Félicien  Rops  (suite),  Joséphin  Péladan.  — 
Chronique  littéraire  :  I.  A  VAi^t  Moderne,  Albert  Giraud;  II.  Mon 
oncle  le  jurisconsulte,  Max  Waller.  —  Chronique  artistique  : 
L'exposition  de  VEssor,  Emile  Verhaeren.  — R.  I.  P.  Tête-de-mort. 
Mémento. 

Sommaire  du  troisième  numéro  de  la  Société  Nouvelle  (janvier 
1885).  —  I.  Les  mariages  australiens,  par  E.  Reclus.  —  II.  Intro- 
duction à  la  sociologie,  par  Guillaume  De  Greef.  —  III.  La  situation 
sociale  en  Espagne,  par  Canta  Glaro. . —  IV.  Lettre  d'un  condamné 
à  mort,  par  E.  Haunot.  —  V.  Matérialisme  et  spiritualisme,  par 
H.  Girard.  —  VI.  Psychologie  de  décadents,  par  F.  Nautet. -r- 
VII.  La  question  agraire,  par  Henry  George.  '  —  VIII.  Critique 
philosophique,  par  F.  B.  ; —  Chronique  littéraire,  par  A.  J.  — 
Le  mois.  . 

Prix  :  75  centimes.  Abonnement  :  Belgique  8  fc,  étranger,  12  fr. 


La  Revue  Wagnérienne,  qui  va  paraître  à  Paris,  s'adresse  à  tous 
ceux  qu'intéresse  l'œuvre  de  Richard  Wagner,  La  mort  du  maître, 
il  y  a  deux  ans,  a  rtiis  fin  aux  discussions  de  personnes;  aujourd  hui, 
ses  ouvrages  s'imposent  à  l'attention  de  quiconque  se  préoccupe  des 
choses  d'art.  La  Revue  Wagnérienne  française  sera  une  publication 
mensuelle  exclusivement  artistique,  spécialement  consacrée  à  l'étude 
critique  et  à  l'histoire  quotiilienne  de  l'œuvre  de  Wagner. 

Chaque  numéro  contiendra  01°  Une  Chronique  d'actualité  ; 

2»  Des  études  littéraires  de  tout  genre,  dues  à  la  collaboratiou 
d'écrivains  parmi  lesquels  nous  pouvons  citer  dès  à  présent: 
MM.  Canïrttê~Beuoit7  Emile  Bergerat,  Elemir  Bourges,  De  Brayer, 
Champfleury,  Edouard  Dujardin,  Ernst,  Fourcaud,  Jacques  Her- 
mann,  Edmond  Hippeau,  Adolphe  Julien,  Henri  Lavoix,  Léon 
Leroy,  Stéphane  Mallarmé,  Octave  Maus,  Catulle  Mendès,  Charles 
Nuitter,  N.  Œsterlin,  C.  d'Ostini,  Amédée  Pigeon,  Maurice 
Kufïérath,  Adrien  Remacle,  Edouard  Rod,  Edouard  Schuré,  Charles 
Tardieu,  Villiers  de  l'Isle-Adam,  Victor  Wilder,  H.  de  Wolzogen. 

3*^  La  statistique  régulière  et  le  compte-rendu,  sous  le  titre  de 
Mois  Wagnérien,  de  toutes  les  représentations,  concerts,  articles 
des  journaux,  publications  nouvelles  en  France  et  à  l'étranger,  se 
rapportant  à  l'œuvre  Wagnérienne; 

40  L'analyse  des  articles  publiés  par  la  Revue  de  Bayreuth 
"(Bayreuthen  Blœtter); 

5^  Les  Nouvelles.  La.  Rcx'ue  sera,  en  outre,  un  centre  de  ren- 
seignements Wagnériens;  une  correspondance  sera  établie  entre  la 
/édaction  et  les  abonnés  pour  fournir  à  ceux-ci  les  indications  parti- 
Jculières  qu'ils  auront  demandées. 

Le  premier  numéro  contiendra  la  chronique  et  la  statistique  de 
janvier  1885  ;  il  paraîtra  le  8  février  prochain. 

Les  autres  numéros  suivront  régulièrement. 

Le  format  de  la  Revue  sera  l'in-S»  encadré;  l'impression  et  le 
J^rage  auront  l'élégance  la  plus  soignée. 

Pour  les  amateurs  des  éditions  de  luxe,  il  sera  fait  de  très  beaux 
Tirages  supplémetitairfs  sur  splendides  papiers  de  Hollande  et  de 
Japon. 

La  Revue  Wagnérienne  publiera,  hors  texte,  des  dessin»  -et 
fac-similés  inédits,  se  rapportant  à  l'œuvre  Wagnérienne. 

Ils  seront  envoyés,  à  titre  gracieux,  à  tous  les  abonnés  de  \di  Revue. 

Elle  s'est  assuré  tout  d'abord  le  concours  de  :  MM.  DE^Misquiza, 
Fantin-Latour,  Klinger,  De  Liphart,  Renoir,  Charles  Toché. 

Entre  autres  travaux  inédits,  la  Revue  Wagnérienne  publiera  : 
de  MM.  Catnilîe  Benoît:  Traductions  des  œuvres,  en  prose  de  Wagner 
(opéra  et  drame,  l'œuvre  d'art  de  l'avenir,  la  direction  de  l'orchestre, 
art  et  révolution,  etc.)  études  analytiques,  des  œuvres  dramatiques; 
Fourcaud:  Etudes  d'esthétique;  Catulle  Mendès  :  Etudes  littéraires 
sur  les  drames  Wagnériens;  Victor  Wilder:  Articles  de  critique, 
d  histoire,  et  d'actualité. 


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40 


L'ART  MODERNE 


. 


Les  annonces  sont  reçues  au  bureau  du  Journal, 
26,  rue  de  Vlmlustrie,  à  Bruxelles. 


NOUVEAUTÉS   MUSICALES 

POUR  PIANO 

Huberti,  G.  Trois  morceaux  :  N»  1.  Etude  rhythmique,  2  fr.  — 
Np  2.  Historiette,  2  ïr.  —  N^  3,  Vaise  iente,  fr.  1.75. 

Kowalski.  Op.  44.  Autour  de  mon  Clocher,  2  fr.  —  Op  45.  Illu- 
sioDS  et  Chimères,  2  fr.  —  Op.  48.  Tambour  battant,  2  tr. 

Smith  S.  Op.  i85.  Notre-Dame,  Chant  religieux,  2  fr,  —Op.  191. 
La  mer  calme,  Deuxième  barcarolle,  2  fr.  —  Op.  192.  Styrienne, 
2  fr.  _  Op.  193.  Marguerite,  2  fr.  —  Op.  194.  La  fée  de  Ondes,  2  fr. 

JVieniawski^  Jos.  Op.  39.  Six  pièces  romantiques  :  Gah.  L  Idylle, 
Evocation,  Jeux  de  fées,  3  fr.  —  Cah.  IL  Ballade,  Elégie,  Scène 
rustique,  3  fr.  —  Op.  41.  Mazourka  de  concert,  fr.  2.50. 

MUSIQUE  POUR  CHANT  _ 

Bach.  Six  chorals  pour  chœurs  mixtes  par  Mey-teiis.  La  partition^, 
1  franc.  ■      .:  -.: -■ - 

Bremer.  A.  Sonne  mon  tambourin,  pour  chant,  violon  ou  violon- 
celle et  piano,  3  fr.  —  Hymne  à  Cérès,  pour  baryton  ou  mezzo- 
soprano  et'chœur  pour  3  voix  de  femmes,  2  fr. 

Biga,  Fr.  Quatre  Chœurs  pour  voix  de  femmes  avec  accompagne- 
ment de  piano  à  4  mains  :  N'o  1.  Fête  villageoise,  la  partition, 
fr  2.50.  —  X^  2.  Les  Vendangeuse,  la  partition,  fr.  2.50.  —  N°  3.- 
Sous  les  Bois,  la  partition,  fr.  2  50.  — N"  4.  La  Paix,  la  partition, 
fr.  3.50. 

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TRADUIT  DE  L'ALLEMAND  PAR  M""  H.  FR. 

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Toutes  les  œu'.Tes  de  Brahms,  ain^i  qu'un  choix  de  bons  portraits  da  com- 
positeur, se  trouvent  au  magasin  des  éditeurs,  41,  Montag'ne  de  la  Cour. 


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Cet  ouvrage  forme  la  suite  des  Scènes  de  la  vie  judiciaire. 

Les  volumes  antérieurement  parus  sont  : 

Le  Paradoxe  sur  l'avocat.  —  La  Forge  Boussel.  —  L'amiral.  '"" 


Il  a  été  tiré  vingt-cinq  exemjilaires  sur  papier  impérial  du  Japon 
nuniérotés  qui  sont  mis  en  vente  au  prix  de  10  francs. 

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NOTA.  —  La  maison  dispose  de  vingt  ateliers  pour  artistes,    , 
Impasse  de  la  Violette,  4, 


Bruxelles.  —  Imp.  Félix  Callkwaeht  père,  rue  dfe  lliidubti  le, 


•  ■  r 


Cinquième  année.  —  N®  6 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  8  Février  1885. 


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MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,   un  an,   fr.   10.00  ;  Union   postale,   fr.   13.00.    —  ANNONCES  :    On  traite   à  forfait. 

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Adresser  les  defnandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à  * 

l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


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OMMAIRE 


Les  Vingt.  —  Une  bibliothèque  des  dessins.  —  H^ndel  et 
Bach  —  A  propos  liObéron  —  Le  Concert  du  Conservatoire. 
—  Mémento  des  expositions  et  concours.  —  Petite  chronique. 


LES  viira-T 

J_  Ils  ont  victorieusement  répondu  aux  attaques  mal- 
veillantes, aux  hostilités  intéressées,  aux  haineux  débi- 
nages par  lesquels  on  avait,  au  début,  tenté  d'entraver 
le  plus  beau  mouvement  artistique  qui  ait  remué  la 
Belgique. 

Les  criailleries  des  uns,  les  commérages  des  autres, 
les  calembours  de  ceux-ci,  les  menaces  et  les  intimi- 
dations de  ceux-là,  ils  ont  tout  fait  cesser,  avec  dignité 
et  simplicité,  en  montrant  dans  un  Salon  de  choix  la 
supériorité  de  TArt  jeune  sur  l'Art  cacochyme  qu'on 
essayait  encore  de  lui  opposer. 

Leurs  amis  «  maladroits  «  battent  des  mains  à  ce 
triomphe.  Et  leurs  ennemis  «adroits»  (le  sont-ils 
vraiment  ?  ils  ne  l'ont  guère  prouvé),  furieux  d'avoir 
abandonné  le  navire  qu'ils  ont  voulu  faire  sombrer, 
s'accrochent  aux  cordages  et  s'efforcent  de  remonter  à 
bord  en  le  voyant  poursuivre  glorieusement  sa  route. 

Ils  ont  voulu  jouer  aux  tarets,  mais  la  coque  a 
résisté,  aux  morsures.  Et  la  tempête  qui  a  assailli  le 
bâtiment,  joignant  les  forces  brutales  du  dehors  aux. 
efforts  des  destructeurs  du  dedans,  n'a  pas  eu  de  prise 
sur  lui. 

Désormais  le  péril  est  passé,  et  l'on  peut  envisager 
l'horizon  avec  sérénité. 


Le  moment  était  décisif.  C'était  l'avenir  de  l'art 
belge  qu'il  portait,  le  beau  navire,  et  non  le  succès 
particulier-d'un  groupe  isolé.  Un  nauft'age  eût  anéanti 
pour  longtemps  les  espérances  des  artistes  sincères, 
débarrassés  des  préjugés  d'école  et  des  pratiques  qui 
ont  faussé  le  goût  et  détruit  l'originalité. 

Le  récent  Salon  triennal  a  montré  l'âpreté  delà  lutte. 
Cantonnée  dans  son  dernier  bastion,  l'exposition  offi- 
cielle, cette  ruine  croulante,  toute  la  bande  des  acadé- 
miques en  a  défendu  l'accès  avec  acharnement. 

Les  faux  artistes,  lès  porcelainiers,  les  décorateurs 
de  boîtes  dé  parfumeries,  les  fabricants  de  chromos, 
leur  ont  prêté  main-forte.  On  a  fait  pleuvoir  sur  les 
Vingtistes  une  grêle  de  projectiles.  Ceux  qui  ont  pu 
pénétrer  ont  été  saisis  et  jetés  aux  oubliettes.  «  S'ils  ne 
sont  pas  contents,  qu'ils  exposent  chez  eux  !  «. 

Ils  ont  exposé  chez  eux.  Et  du  coup  a  été  oubliée  la 
nullité  du  Salon  officiel,  s'est  évanoui  le  cortège  funam- 
tînlesque  de  médiocrités  qu'on  s'était  ingénié  à  faire 
passer  aux  yeux  des  étrangers  ébahis  pour  les  repré- 
sentants de  l'art  national. 

Le  Salon  de  Bruxelles,  c'est  désormais  le  Salon  des 
XX,  Que  les  impuissants,  les  retardataires,  les  réac- 
tionnaires, les  guetteurs  de  commandes,  les  écorneurs 
de  budget,  les  happeurs  de  cordons,  se  ruent  à  l'expo- 
sition triennale.  Dans  cette  bourse,  ils  trouveront  à 
faire  leurs  affaires.  Les  juifs  de  l'art  s'y  rencontreront  et 
trafiqueront  à  l'aise.  Nul  ne  songera  à  contrarier  leur 
commerce.      . 

Au  salon  des  XX,  on  se  sent  dans  un  véritable  milieu 


artistique.  On  découvre,  dès  l'entrée,  guoh  a  affaire  â 
un  groupe  qui  ne  veut  qu'une  chose  :  la  réalisation  de 
l'idéal  qu'il  poursuit  obstinément.  Si  tous  ne  réussissent 
pas  dans  une  égale  mesure,  la  somme  d'efforts  dépensée 
est  telle  qu'elle  impose  l'admiration  et  le  respect.  Par 
des  moyens  très  différents,  chacun  marchant  vers  le 
but  rêvé  sans  se  préoccuper  des  sentiers  suivis  par  ses 
voisins,  ils  arrivent  à  donner,  à  des  degrés  divers, 
quelques-uns  d'une  façon  merveilleuse,  des  sensations 
d'art. 

Les  procédés  sont  d'une  variété  excessive.  Les  uns, 
comme  Vogels,  Ensor,  Finch,  Toorop,  de  Regoyos, 
cherchent  l'impression  juste  dans  les  relations  de  tons 
et  le  rapport  exact  des  valeurs,  sans  se  préoccuper  du 
fini  de  l'exécution,  d'un  contour  nettement  arrêté, 
d'une  forme  rigoureuse.  Leur  art  est  saisissant. 

Les  six  paysages  de  Vogels,  par  exemple,  dénotent 
un  tempérament  de  coloriste  de  premier  ordre.  Bon 
gré  mal  gré,  on  s'arrête  devant  ces  coins  de  nature 
exprimés  par  un  artiste  qui  en  perçoit  toutes  les 
finesses.  C'est  magistral.  Cela  obsède,  cela  hante  l'es^ 
prit.  Jamais  peut-être  on  n'a  poussé  plus  loin  la  vérité 
d'impression. 

Il  en  est  de  même  des  natures-mortes  et  de  l'intérieur 
de  James  Ensor,  qui  ont  des  séductions  inoubliables. 
Sa  peinture  est  un  régal.  Rien  ne  détonne  dans  ces 
harmonies  qui  chantent  aux  yeux  comme  une  sym- 
phonie charme  l'oreille.  Ses  natures-naortes,  naturel- 
lement refusées  au  Salon  parce  que  derrière  un  rouget 
rutilant  qui  se  pavane  sur  une  nappe  bleue  apparaît 
confusément  un  chaudron  inachevé,  ont  reçu  des 
artistes  Vaccueil  qu'elles  méritent. 

Finch,  dans  ses  sites  de  la  Flandre,  dans  un  bout  de 
plage  où  souffle  le  vent  de  mer,  dans  un  intérieur, 
exprime  avec  une  intensité  et  une  délicatesse  prodi- 
gieuses les  chatoiements  de  la  lumière  et  les  décolora- 
tions du  ton.  Son  œil  scruté  la  nature  en  ses  perceptions 
les  plus  intimes,  tire  d'un  coin  de  village,  d'un  mur, 
d'un  toit  de  tuiles  rouges,  des  gammes  inattendues.  Il 
faut  connaître  le  pays  qu'affectionne  le  jeune  peintre 
et  que  depuis  des  années  il  étudie  avec  une  persévé- 
rance admirable  pour  apprécier  la  justesse  et  l'acuité  de 
sa  vision. 

Toorop,  uu  nouveau  venu  parmi  les  XX,  s'est  placé 
du  premier  coup  dans  les  meilleurs.  Sa  Panique ^  sa 
Dame  en  hlanc,  son  Nés  à  Amsterdam  comptent 
dans  les  maîtresses  œuvres  du  Salon.  De  même  que  les 
précédents,  il  voit  la  nature  d'un  œil  singulièrement 
apte  à  saisir  les  nuances,  à  les  décomposer,  à  en  trouver 
sur  sa  palette  les  éléments,  à  les  faire  revivre  sur  sa 
toile  en  des  heurts  de  couleurs  puissants  sans  violence, 
en  des  dégradations  délicates  sans  afféterie. 

Dario  de  Regoyos  complète  le  groupe.  On  lui  fait  un 
reproche  de  jouer  fort  bien  de  la  guitare;  il  est  assez 


I 


d'usage  de  le  qualifier  de  musicien  quand  il  expose,  et 
de  le  traiter  de  peintre .  quand  il  égaie  une  réunion 
d'amis  du  charme  de  ses  chansons  mauresques.  Qu'on 
examine  de  près  ses  études  et  impressions  de  voyage. 
A  travers  les  gaucheries  de  l'inexpérience,  on  décou- 
vrira un  très  réel  tempérament  de  peintre,  déhé  et 
subtil,  qui  ne  demande  qu'un  travail  régulier  et  suivi 
pour  s'épanouir. 

A  côté .  du  clan  des  impressionnistes,  qui  s'impose 
cette  année  par  d'incontestables  qualités,  reconnues  des 
plus  hostiles,  il  y  a  le  groupe  des  peintres  qui  arrêtent 
davantage  la  forme  tout  en  s'ingéniant  à  garder  l'émo- 
tion intime  de  la  nature.  En  premier  lieu,  Isidore 
Verheyden,  récemment  admis  aux  XX,  et  dont  l'expo- 
sition est  tout  à  fait  remarquable.  Son  portrait  du 
peintre  Meunier  est  l'un  des  grands  succès  du  Salon. 
Il  a  la  noblesse,  la  simplicité,  le  style  des  chefs-d'œuvre. 
Pour  qui  connaît  Meunier,  pour  qui  a  contemplé  cette 
physionomie  de  souffreteux  concentré  dans  l'unique 
absorption  de  son  art,  c'est  l'absolue  réalité,  notée  dans 
ses  traits  catactéristiques  par  un  maître.  Son  Bracon- 
nier ^  qui  mène  la  pensée  dans  les  mystérieuses  profon- 
deurs des  bois  par  une  journée  neigeuse,  le  portrait  de 
son  «  Petit  v,  son  Chevreuil  7nort,  son  Coin  des  dunes, 
ses  Scieurs  de  long  consacrent  d'une  façon  définitive 
la  renommée  de  l'artiste. 

Puis  Van  Rysselberghe  et  Charlet,  qui  ont  vu  le 
Maroc  non  comme  un  bazar  de  bric-à-brac  ou  comme 
un  décor  dans  lequel  passe  une  procession  de  figurants. 
L'un  en  a  rapporté  une  sérieuse  étude,  les  Fileuses, 
montrant  dans  le  demi  jour  d'une  pièce  reflétée  par 
l'éclat  aveuglant  du  soleil  extérieur  des  femmes  saisies 
dans  l'intimité  de  poses  et  de  costumes  de  leurs  occu- 
pations ménagères;  l'autre  a  entrepris  de  transposer 
l'éblbuissant  spectacle  d'une  Fatasia:  tout  le  tohu-bohu 
de  la  joie  populaire  éclatant  sous  l'incandescence  d'un 
ciel  africain,  sur  le  rythme  des  coups  de  feu  et  du  galop 
des  chevaux.  Les  parties  terminées  de  cette  œuvre 
importante,  le  groupe  de  droite  et  le  fond,  donnent 
l'espérance  d'une  œuvre  de  haute  valeur  artistique.  Le 
Conteur  arabe,  tout  à  côté,  dans  le  jour  argenté  du 
crépuscule  où  vaguement  se  dessinent,  avec  de  grands 
et  nobles  gestes,  des  figures  de  belle  allure,  repose 
l'œil  excité  par  des  colorations  ardentes. 

Quelqu'opinion  qu'on  professe  à  l'égard  de  l'oppor- 
tunité qu'il  y  a  pour  un  artiste  d'aller  au  loin  chercher 
ses  modèles,  on  ne  peut  s'empêcher  de  reconnaître 
dans  les  toiles  orientales  de  Van  Rysselberghe  et  de 
Charlet  les  plus  sérieuses  qualités. 

Tous  deux  exposent  en  outre  des  portraits  d'une 
grande  distinction. 

.  Il  en  est  de  même  de  Schlobach,  qui  risque  pour  la 
première  fois  une  figure,  et  débute  par  un  coup  de 
maître. 


r 


Van  Strydonck  a,  dans  ce  genre,  le  plus  d'expérience. 
Son  portrait  de  Charles  Vander  Stappen,  d'une  ressem- 
blance absolue,  et  ses  portraits  de  femmes  ont  des 
habiletés  de  métier  qui  ne  permettent  plus  de  le  consi- 
dérer comme  un  débutant.  Son  succès  est  très  grand. 
On  Fa  comparé  à  Van  Dyck.  C'est,  nous  paraît-il, 
assez  flatteur  pour  nous  dispenser  d'en  dire  davantage. 

Dans  une  toute  autre  voie,  Goethals  a  peint  une 
figure  en  plein  air,  une  femme  ployée  sous  le  poids  d'un 
fardeau  énorme,  regàgnanjt,  le  soir,  sa  chaumière  dans 
les  dunes.  Il  y  a  un  sentiment  profond  et  communicatif 
dans  cette  simple  et  sobre  impression,  qui  ne  deman- 
derait qu'à  être  un  peu  plus  serrée  pour  être  tout  à  fait 
bien.  / 

~~^ês^  paysages  de  Wytsman-  plaisent  par  leur  re- 
cherche consciencieuse  du  rendu.  Dans  l'envoi  de 
Verstraete,  il  y  a  deux  bonnes  choses  :  la  Coupe  des 
souches  et  la  rangée  d'arbres  au^  soleil  devant  les 
maisons.  Le  reste  est  nul.  Le  Cheval  qui  se  cabre  de 
Delvin  ne  nous  séduit  pas,  non  plus  que  ses  Dunes.  Ces 
œuvres,  de  même  que  les  peintures  de  Simons,  déton- 
nent dans  le  magnifique  ensemble  des  XX.  Peut-être 
est-ce  à  dessein  que  les  membres  du  Cercle  novateur  ont 
pris  parmi  eux  quelques  représentants  de  l'art  de  jadis. 
Ils  ont  voulu  sans  doute  montrer  la  distance  qui  sépare 
les  deux  écoles,  désormais  établies  chacune,  la  bataille 
finie,  dans  ses  positions,  jusqu'à  un  nouvel  engagement. 

L'un  des  Vingiistes  les  plus  intéressants  manque  à 
l'appel  :  c'est  Fernand  Khnopff,  dont  on  regrette  vive- 
ment l'absence.  Il  a  au  catalogue  une  importante  série 
d'œuvres  qu'il  n'a  pas  pu  terminer  entièrement,  parait- 
il,  pour  le  jour  de  l'ouverture.  Il  a  mieux  aimé  attendre 
le  Salon  de  l'an  prochain  que  d'exposer  des  toiles  qui  ne 
satisfissent  pas  intégralement  sa  conscience  d'artiste. 
On  ne  peut  que  déplorer  cette  détermination.  De  même 
que  Fernand  Khnopff',  Vanaise  n'a  rien  envoyé  cette 
année  au  Salon.  Le  nombre  des  exposants  est  donc 
réduit  à  dix  huit  :  quinze  peintres,  trois  sculpteurs. 

Un  mot  de  ceux-ci.  Les  deux  bustes  de  Paul  Dubois, 
celui  de  M.  Nicolas  M...  surtout,  sont  très  admirés. 
Parmi  les  œuvres  de  Charlier,  le  buste  en  bronze  est 
le  plus  étudié  et  le  plus  intéressant.  Des  quatre  envois 
de  Chainaye,  le  groupe  Rive  paisible  nous  semble  le 
plus  séduisant.  C'est  pensé,  senti,  caressé;  cela  fait  une 
impression  singulièrement  déconcertante  à  l'égard  des 
formules  adoptées  dans  la  sculpture.  De  la  gracilité  des 
jeunies  pêcheurs,  de  leur  attitude,  de  leur  physionomie, 
se  dégage  une  émotion  captivante  de  douceur  et  de 
paix.  C'est  incomplet,  mais  extrêmement  intéressant 
et  de  nature  à  donner  d'Achille  Chainaye  les  plus 
sérieuses  espérances. 

Ces  notes  rapides  n'embrassent  que  les  sociétaires 
des  XX,  Elles  seront  prochainement  complétées  par 
un  aperçu  du  contingent  d'étrangers  à  la  Société  qui 


sont  venus  tendre  la  main  aux  Vingiistes  et  faire  avec 
eux  le  coup  de  feu  dans  la  triomphante  campagne  dont 
ils  ont  pris  l'initiative.    7;  ^ 

On  juge  déjà  de  ce  qu  est  le  Salon  et  du  bruit  qu'il  fait 
dans  tous  les  cercles  où  l'on  a  encore  pour  l'art  quelque 
attachement. 


UNE  BIBLIOTHÈQUE  DES  DESSINS  D 

Avez-vous  jamais  sopgé  à  tout  ce  qui  se  dépense  de  talent, 
tgusles  jours,  dans  nos  journaux  illuslfés? 

Le  journal  illustré,  c'est  le  journal,  c'est-à-dire  une  chose  qui 
se  parcourt,  se  lit  distraitemen  ,  et  se  déchire.  —  L'empresse- 
ment du  public  pour  tous  ces  journaux  à  images  est  très  soutenu, 
malgré  leur  prix  assez  élevé. 

A  côté  du  journal  illustré,  il  y  a  l'album.  —  Ici  nous  avons 
une  forme  plus  favorable.  —  Il  y  a  des  albums  anglais,  dont  les 
dessins  sont  de  Caldecott,  de  Kate  Greenaway,  qui  sont  de  vrais 
bijoux  artistiques,  comme  art  et  comme  procédé  de  reproduc- 
tion. —  Enfin  il  y  a  les  albums  dés  Japonais.  —  Chez  nous,  en 
France,  à  quelques  rares  exceptions  près,  nous  faisons  des  imi- 
tations d'albums  anglais,  des  imitations  d'albums  japonais,  et 
ensuite,  nous  crions  sur  tous  les  toits  que  les  Belges  nous  imitent. 
Mais,  l'album,  sa  forme,  n'est  pas  commode,  et  nous  ne  savons 
guère,  chez  nous,  lui  trouver  de  place,  —  Dans  nos  bibHo- 
thèques?  —  Ils  y  sont  mal  placés  et  y  ont  l'air  de  livres  de  prix, 
—  Dans  des  meubles  spéciaux?  Ou  en  pourrait  faire,  mais  il  paraît 
peu  de  ces  albums  et  pas  assez  pour  mériaer  un  meuble  spécial; 
aussi,  on  les  laisse  généralement  traîner  sur  les  tables,  jusqu'à 
ce  qu'ils  soient  déchirés,  et  qu'on  les  détruise  enfin,  ^comme  les 
journaux. 

Voici  donc  la  forme  employée  pour  les  recueils  de  dessins  :  le 
journal  qu'on  déchire,  l'album  qu'on  laisse  traîner,  et,  enfin,  le 
hvre  à  la  mode  qu'on  fait  illustrer  pour  le  jour  de  l'an. 

Pour  l'illuslr.ilion  des  livres,  elle  conviendra  de  moins  en  ■ 
moins  à  nos  artisies  :,  —  on  aime  sa  liberté,  on  veut  faire  œuvre 
personnelle,  et  lariiste  veut  se  dégager  des  illustrations  dans  les- 
quelles il  est  trop  esclave,  de  fauteur  d'abord,  de  l'éditeur 
ensuite,  et,  du  public  spécial  enfin,  pour  lequel  l'illustration  est 
commandée.  • 

Maintenant,  si  nous  considérons  ce  qui  se  fait  et  l'importance 
qu'on  donne  de  plus  en  plus  au  dessin  dans  l'éducation ii'aujour- 
d'hui,  nous  jugerons  vite  qu'un  public  va  venir  à  nous,  bientôt, 
et  nous  demandera  de  lui  faire  quelque  chose.  —  Que  lui  ferons- 
naus?  —  Des  journaux  illustrés?  —  Le  public  en  est  embarrassé, 
les  déchire,  et  regrette  son  argent.  —  Des  albums?  —  ils  n'ont 
pas,  je  le  répète,  place  chez  nous,  sont  faits,  la  plupart,  pour  les 
enfants,  et  se  salissent  vile  sur  les  tables  ;  puis,  un  album  coûte 
cher,  son  débit  étant  restreint.  —  Or,  d'un  côté  nous  allons  avoir 
un  public,  d'autre  part,  nous  possédons,  depuis  peu  d'années, 
des  moyens  admirables  et  peu  coûteux  de  reproduction  :  ça  n'est 
plus  le  journal  qu'il  faut  faire,  ça  n'est  pas  l'album  :  mais  c'est  le 
livre.  —  Et,  quand  je  dis  le  livre,  j'entends  le  livre  m- 18,  à  cou- 
verture  jaune,  et  à  papier  ordinaire,  à  papier  de  luxe  pour  les 
raffinés,  Vordinaire  se  vendant  ce  que  se  vendent  les  livres  cou- 
rants, 3  francs  50,  —  l'édition  de  luxe  un  prix  plus  élevé. 


(']  Extrait  de  la  Conférence  faite  aux  XYpar  Rafllaélli. 


./ 


:.V 


Le  formai  du  livre  est  commode  et  sa  place  est  toute  trouvée, 
à  côld.  —  Quant  au  dessin,  il  est  bien  unO  écriture  parliculiôre 
et  complète,  à  laquelle  on  peut  faire  rendre  loules  les  intentions 
descriptives,  et  qui  n'a  pas  encore,  dans  ce  sens,  reçu  tout  le 
développement  qu'il  peut  comporter  :  et  voilà  tout  un  mouvc- 
ment  nouveau  îi  faire  naître. 

Pour  cette  Bibliothèque  des  des.mis^  elle  pourrait  so  diviser  en 
trois  parties.  —  La  Bibliothèque  des  dessins  des  vieux  maîtres; 
celle  des  maîtres  modernes;. et  enfin  la  Bibliothèque  des  dessins 
originaux^  se  faisant  suTte^  et  pour  laquelle  les  artistes  s'em- 
ploieraient à  représenter,  à  leur  façon,  et  par  images,  des  nou- 
velles, de  véritables  petits  romans,  que  le  dessin  seul,  ou  presque 
seul,  raconterait. 

La  Bibliothèque  des  dessins  des.  vieux  maîtres  comprendrait 
les  volumes  dés  reproductions  des  dessins  des  maîtres,  de  leurs 
eaux^fortcs  et  de  leurs  tableaux.  Ces  volumes  contiendraient,  en 
regard  du  dessin  ou  du  tableau  reproduit,  une  courte  note  sur  le 
dessin  ou  le  tableau,  relatant,  comme  je  le  conseillais  dernière- 
ment pour  un- Musée  des  Photographies  h  créer,  et  dont  j'ai  pré- 
senté l'idée  dans  le  journal  {"Evénement^  la  grandeur  du  tableau, 
les  collections  oij  il  passa,  celle  où  il  se  trouve,  les  prix  qu'il  fut 
payé,  les  particularités  de  sa  naissance  ;  eiifm,  toutes  ces  petites 
notes  que  peut  donner  sur  un  tableau  notre  critique  moderïie, 
qui  a  fouillé  partout.  —  Ces  reproductions  pourraient  être  pla- 
cées par  ordre  de  naissance,  autant  que  possible,  et  nous  pourrions 
ainsi  assister,  en  feuilletant  ces  livres,  h  toute  l'existence  pas- 
sionnée de  nos  grands  maîtres.  — ^  Ce  serait  alors  fort  asrréable  • 
de  pouvoir  acheter  Albert  Durer  complet,  comme  on  achète 
Alfred  de  Musset,  en  cinq  ou  six  volumes  de  deux  cents  pages. 
—  Velasquez  en  trois  volumes,  Van  Eyck,  en  trois  ou  quatre, 
je  dis  ces  chiffres  au  hasard,  et  l'on  aurait  ainsi,  dans  sa  biblio- 
thèque, Rembrandt,  comme  on  a  Shakespeare  et  W«tteau, 
comme  on  a  l'abbé  Prévost  ou  Saint-Simon.  —  Voici  pour  la 
Bibliothèque  des  maîtres  anciens. 

Pareille  chose  pourrait  se  faire  pour  les  maîtres  modernes.  — 
On  aurait  alors  sou  Millet  en  trois  ou  quatre  volumes,  son  Dela- 
croix, son  Corot... 

Tous  ces  volumes  seraient  précédés  d'une  notice,  relativement 
courte  sur  le  maître,  et  chaque  dessin  ou  tableau  reproduit  aurait 
son  historique  en  regard,  ou  bien,  ce  qui  serait  mieux,  comme  je 
l'ai  dit,  en  appendice  à  la  fin  du  volume,  afin  de  conserver  de 
l'unité  au  livre  et  qu'il  n'ait  pas  l'air  d'un  catalogue. 

Maintenant,  parlons  des  volumes  de  dessins  originaux. 

Les  dessins,  pour  ces  livres  de  dessins ^AQ\T2\(iïii  posséder  une 
qualité  tout  à  fait  spéciale.  Le  dessin,  comme  je  le  disais  tout  à 
l'heure,  est  bien  une  langue  et  une  écriture  suffisamment  com- 
plète et  qui  permet  de  presque  tout  dire  :  il  suffit  de  porter  ses 
efforts  dans  ce  sens  et  de  ne  pas  trop  longtemps  regarder  les 
maîtres  imposants  du  passé  dont  l'art  absolu  semble  dire  :  «  On 
n'ira  pas  plus  loin  »;  alors  qu'il  nous  reste  d'aller  à  côté  ou  en 
face. 

Il  reste  en  effet  à  développer  beaucoup  un  dessin  descriptif  et 
d'expression  pure,  dont  la  beauté  ne  serait  plus  dans  la  ligne 
savante  ou  délicate,  mais  dans  le  mouvement  général  et  l'esprit. 

Parmi  les  maîtres,  Raphaël  dessine  avec  l'ampleur  d'un  déco- 
rateur superbe;  Holbein,  lui,  semble  sculpter  avec  une  attention 
recueillie,  dans  un  bois  dur,  des  physionomies  solides.  —  Diirer 
creuse,  grave  des  silhouettes,  et  s'amuse  dans  des  spirales  et  des 
tire-bouchons  d'un  grand  raffinement.  -—  Delacroix  établit  des 


volumes,  comme  un  sculpteur,  et  les  lance  en.  mouvement.  — 

Quant  à  Ingres,  il  dessine  comme  un  professeur,  et  semble 
tracer  avec  soin  des  modèles  de  dessins  pour  l'Ecole  polytech- 
nique. —  Enfin,  j'en  trouve  deux  qui  ont  indiqué  le  dessin  de 
pure  expression  :  c'est  Daumicr  surtout,  et  Gavarni. 

.  Eh  bien  !  vous  figurez-vous  ce  que  serait  un  volume  de  Daumier 
sur  les  Bourgeois  de  1830  ?  —  Un  volume  de  Gavarni  sur  les 
Lorettes^  un  autre  sur  /e5  Bals  et  le  ÇarnavaU  —  Eh  bien  !  il 
nous  faudrait  quelque  chose  d'approchant,  mais,  bien  entendu, 
fait  dans  un  esprit  de  suite,  car,  cette  idée  de  volumes  de  Daumier 
ou  de  Gavarnlnese  présente  à  notre  esprit  que  comme  une  suite 
de  vignettes  à  légende^  alors  que  les  dessins  à  faire  pour  ces  livres 
de  dessins  devraient  se  tenir  Qi  raconter  des  histoires. 

11  faudrait,  en  un  mot,  qu'au  lieu  à' écrire  des  romans,  on  nous 
les  dessinât  et  qu'au  lieu  de  les  lire,  nous  les  regardions  se  passer. 
Tout  comme  dans  la  pantomime  l'action  se  passe  et  ne  se  parle 
pas. 

Pa7itonnme,  je  viens  de  dire  le  mot  :  ce  serait  des  sortes  de 
pantomimes  qu'il  nous  faudrait  dessiner  pour  ces  volumes  de 
dessins. 

Je  souhaite  que  cette  voie  nouvelle,  pour  laquelle  un  public 
va  naître,  trouve  bientôt  des  hommes  entreprenants  qui  la  tracent, 
et  comme  artistes,  et  comme  éditeurs.  —  Et  qu'on  ne  nous  dise 
pas  que  nous  n'avons  pas  d'artistes  capables  de  répondre  à  ce 
programme,  car  nous  en  avons  qui,  dans  ce  sens,  feraient  des 
choses  parfaitement  intéressantes. 

Laissez-moi  vous  en  citer  quelques-uns. 

Connaissez-vous  le  journal  le  Chat  noir?  —  C'est  un  journal 
qui  se  publie  à  Montmartre.  —  Il  se  dit  le  moniteur  officiel  des 
revendications  de  Montmartre  sur  la  capitale!  —  Eh  bien  !  il  y  a 
au  Chat  noir  Ma  artiste  d'un  talent  exquis  :  il  s'appelle  Willette. 
Que  ce  M.  Willette,  s'en  doute  ou  ne  s'en  doute  pas,  mais  il  doit 
s'en  douter,  ses  délicieux  dessins  ne  sont  autre  chose,  la  plupart  du 
moins,  que  d'adorables  pantomimes  :  tout  y  est,  l'expression 
étendue  et  entendue  et  ses  pierrots  font  penser  aux  Debureau  et 
et  aux  Paul  Legrand,  si  aimés  des  délicats.  —  Qu'on  lui  ouvre 
à  celui-là  cette  voie,  et  il  fera  des  choses  extrêmement  intéres- 
santes-dans cet  esprit.  —  Il  y  a  aussi  M.  Forain,  qui  a  fait  tant 
d'aquarelles  et  tant  de  dessins  où  l'esprit  le  plus  parisien,  je 
dirais  le  plus  gavroche,  se  mêle  à  un  dessin  extrêmement  subtil 
et  fin  :  dans  le  cadre  qu'il  se  donne  il  a  fait  des  choses  parfaites, 
comfne  vous  en  avez  pu  voir,  au  jour  de  l'an  dernier,  dans  le 
Figaro  paru  ce  jour-là.  Enfin  il  y  a  M.  Renouard,  qui  possède 
un  dessin  solide,  fort,  et  une  grande  faculté  d'observation  des 
gestes,  des  attitudes,  et  de  l'esprit.  -—  Je  n'en  veux  pas  citer 
d'autres,  mais  il  en  est  encore  :  si  M.  Degas,  par  exemple,  vou- 
lait ouvrir  ses  cartons,  il  en  sortirait,  tout  armé,  un  monument 
magiîifique  à  l'art  de  la  danse,  dont  il  s'est  occupé  en  icono- 
graphe; et  à  l'art  du  dessin,  dont  il  est  un  vrai  maître,  trop  peu 
connu. 


Qu'on  commence  avec  ces  artistes  et  avec  quelques  autres  cette 
Bibliothèque  des  dessins,  et  vous  verrez  naître  une  suite  d'oeuvres 
profondément  in'téressante,  dans  laquelle  des  talents  nouveaux  et 
originaux  se  produiront,  et  qui  serait  à  la  portée  de  tout  ce  public 
intelligent,  mais  pas  riche,  qui  ne  peut  s'acheter  des  tableaux  de 
grands  prix,  pas  plus  que  des  albums  très  chers,  et  parmi  les- 
quels il  se  trouve  tant  de  gens  de  goût.  • 


i: 


IliEKDEt 


La  biographie  de  ces  deux  grands  hommes  offre  à  la  fois  des 
rapports  intimes  de  ressemblance  et  les  contrastes  les  plus 
tranchés. 

Haendel  et  Bach,  nds  tous  deux  à  une  époque  où  toute  origi- 
nalité artistique  sommeillait  depuis  de  longues  années;  tous  deux 
morts  presque  en  m(!"'me  temps  et  dans  un  âge  d(';jk  avancé,  dé- 
ployèrent aussi,  jusqu'à  leur  dernier  soupir,  un  génie  vigoureux 
et  actif.  Ils  naquirent  l'un  et  l'autre  de  parents  peu  fortunés, 
grandirent  avec  une  apparence  de  santé  assez  chélive,  et  furent 
cependant  l'un  et  l'autre  d'une  constitution  puissante  et  robuste. 
Chez  Haendel  comme  chez  Bach,  un  talent  éminenl  pour  la  musique 
se  manifesta  dès  les  premières  années  de  leur  vie  avec  une 
énergie  irrésistible  ;  tous  deux  dans  leur  enfance  reçurent  une 
éducation  musicale  basée  sur  des  principes  sévères  et  profonds; 
tous  deux  furent  instJNiits  par  des  organistes  distingués  et  s'ac- 
quirent eux-mêmes  une  grande  réputation  par  leur  talent  sur 
l'orgue.  Une  même  destinée  les  appela  tous  deux  à  une  brillante 
situation;  une  gloire  immense  répandit  au  loin  leurs  deux  noms 
immortels,  et  nousJes  voyons  comblés  de  distinctions  par  les 
plus  grands  princes  de  leur  époque;  tous  deux  reçoivent  avec 
reconnaissance  une  telle  faveur,  mais  sans  pour  cela  renoncer 
le  moins  du  monde  à  leur  carrière  musicale.  Tous  deux  se 
sentent  entraînés  vers  les  formes  les  plus  élevées  de  l'art.  Tous 
deux,  hommes  d'une  austère  gravité,  attachés  corps  et  âme  à 
leur  religion,  poussent  peut-être,  à  une  époque  avancée  de  leur 
vie,  la  dévotion  jusqu'au  mysticisme,  sans  pourtant  cesser  d'être 
animés  par  les  plus  purs  principes  de  leur  croyance.  Tous  deux 
perdent  la  vue  dans  leur  vieillesse  sans  devenir  infidèles  au  culte 
de  leur  art.  Tous  deux  s'endorment  tranquillement  et  pleins  de 
l'idée  de  Dieu,  peu  compris  par  leurs  contemporains,  mais 
entourés  du  respect  inconscient  qui  se  prosterne  devant  le  génie 
et  destinés  à  l'admiration  et  aux  hommages  de  la  postérité. 

Voilà  certes  bien  des  points  de  ressemblance,  et  cependant 
ces  deux  inimortels  compositeurs  diffèrent  entre  eux  autant 
comme  hommes  que  comme  artistes. 

L'esprit  inquiet  et  passionné  de  Hœndel,  esprit  qui  le  poussa 
au  loin  à  l'étranger,  le  jette  jeune  encore  dans  le  tumulte  du 
monde  et  dans  un  genre  de  vie  où  il  se  complut  pendant  plus  de 
la  moitié  de  son  existence,  toujours  heureux,  soit  qu'il  eût  à 
combattre  ou  à  aimer,  soit  qu'il  eût  à  prendre  l'offensive  ou  ù  se 
tenir  dans  les  bornes  de  la  défense  personnelle.  Tout  ce  qui  son 
de  la  voie  ordinaire,  tout  ce  qui  impose  aux  hommes,  les  faisit 
et  les  domine;  tout  cela,  il  voulait  apprendre  à  le  connaître  aussi 
bien  comme  homme  que  comme  artiste;  il  apprit  à  tirer  de  toute 
chose  une  instruction  pour  son  génie  ou  sdn  caractère  sans 
jamais  se  laisser  dominer  par  rien.  Porté  par  son  goût  particulier 
à  avoir  affaire  au  peuple  parmi  lequel  il  vivait,  il  ne  lui  répugnait 
nullement  di;  traiter  avec  les  grands  dirigeant  le  même  peuple, 
mais  il  ne  voulait  se  laisser  gouverner  ni  par  les  uns  ni  par  les 
autres,  quelque  disposé  qu'il  pût  être  à  les  servir  fidèlement. 
Ce  qu'il  voulait,  c'était  de  chercher  en  toute  chose  un  enseigne- 
ment pour  sa  vie  ou  pour  son  art,  habile  qu'il  était  à  ramener 
tout  à  sa  propre  expérience.  Ce  but,  il  ne  s'en  laissa  jamais 
détourner,  et  le  poursuivit  avec  une  persévérance  peut-être  sans 
exemple.  Aussi  fit-il  les  expériences  les  plus  variées,  dont  les 
unes  purent  lui  faire  entrevoir  un  bonheur  céleste,  et  les  autres 


risolèrcnt  dans  un  déserî  de  douleurs.  Ce  fut  seulement  lorsqu'il 
arriva  à  un  âge  déjà-mûr  qu'il  commença  à  tenir  un  compte  exact 
de  lui-même  et  des  choses  ;  alors  il  choisit  ce  qui  convenait  le 
plus  à  son  individualité,  et  le  choix  qu'il  venait  de  faire,  il  s'y 
lijit  (îonstammenl  jusqu'à  sa  mort,  après  s'être  procuré  plus  de 
gloire  que  nul  autre  avant  ou  après  lui.  Il  mourut  riche  et  repose 
aujolird'hui  encore  à  Westminster-.Abbay,  sous  un  monument 
magnifique.  Sa  vie  fut, celle  d'un  grand  de  ce  monde.  . 

Et  Bach,  au  contraire!  Du  moment  qu'il  eut  Te  bonheur  d'être 
placé  comme  organiste  à  Darmstadt,  ses  prétentions  se  trouvèrent 
satisfaites.  Il  ne  s'inquiéta  plus  de  se  procurer  un  poste  plus 
brillant,  mais  il  ne  refusa  pas  de  se  rendre  à  tous  les  appels  qui 
lui  furent  fails  sans  qu'il  les  eût  recherchés,  disposé  qu'il  était 
à  les  regarder  comme  autant  de  bienfaits  de  la  Providence.  Dans 
chaque  nouvelle  place  qu'il  obtint,  tous  Sfs  efforts  tondaient  à 
remplir  le  mieux  possible  sa  lâche.  Il  y  consacrait  jusqu'à  son 
génie  de  compositeur.  C'est  ainsi  qu'en  qualité  d'organiste,  il 
écrivit  des  morceaux  pour  l'orgue;  que  comme  compositeur  de 
l'église  de  Weimar,  il  composa  des  psaumes  et  des  cantates  reli- 
gieuses, et  qu'enfin  comme  maître  de  chapelle  de  la  cathédrale 
de  Leipzig  et  directeur  d'un  chœur  nombreux  et  exercé,  il  écrivit 
ces  œuvres  si  difficiles  et  si  savantes  que  souvent  nous  ne  pou- 
vons pas  "dignement  les  apprécier  avec  le  seul  secours  de  l'o- 
reille ;  elles  réclament  alors  l'intermédiaire  d'un  second  sens, 
celui  de  la  vue,  comme  jadis  plusieurs  des  principales  sculptures 
de  l'antiquité  exigeaient  qu'on  les  examinât  avec  les  yeux  et  avec 
les  mains.  Maintes  fois,  il  arriva  que  les  rois  et  les  princes  vou- 
lurent entendre  le  grand  artiste  et  alors  celui-ci  se  rendait  bien 
modestement  là  où  on  l'appelait;  il  obéissait  aux  ordres  du  sou- 
verain, puis*,  avec  la  même  modestie  toujours  inaltt-rable,  il 
revenait  avec  un  contentement  parfait  à  son  étroite  demeure. 
Qu'il  fût  le  plus  grand  organiste  du  monde,  c'est  ce  qu'il  ne 
pouvait  ignorer;  c'était  chose  trop  évidente  et  reconnue  avec 
trop  d'unanimité.  Qu'un  grand  talent  sur  l'orgué^fùt  précisément 
alors  ce  qui  pouvait  procurf^r  le  plus  de  g!oire';et  d'argent, 
particulièrement  en  France;  en  Angleterre  et  en  Holiande,  où 
l'instrument  était  en  grande  faveur,  c'est  ce  que  savait  tout  le 
monde,  et  ce  que,  sans  aucun  doute,  il  savait  aussi  bien  que  les 
autres  et  cependant  la  seule  idée  ou  un  simple  désir  de  quitter 
sa  patrie  n'entra  jamais  dans  son  esprit.  Il  mourut  pauvre  et  fut 
enterré  dans  le' cimetière  de  Leipzig,  on  ne  sait  pas  même  où. 
Sa  vie  fut  celle  d'un  patriarche. 

La  différence  qu'on  remarque  dans  les  œuvres  de  ces  deux 
grands  artistes  provient  de  la  différence  qui  existait  entre  leur 
génie  intime  et  leur  vie  extérieure. 

Dans  toutes  ses  exécutions,  Haendel  voulait  produire  de  l'effet, 
"^t  cet  effet  il  voulait  qu'il  fût  éprouvé  par  un  grand  nombre 
d'auditeurs,  pourvu  cependant  qu'il  pût  avoir  confiance^  en  leur 
sentiment  musical.  Pour  arriver  à  ce  but  il  se  servait  de  tous  les 
leviers,  et  il  employait  tous  les  moyens,  ceux-là  même  dont  on 
n'avait  encore  aucune  idée,  sans  pourtant  mettre  à  profit  des 
ressources ,  triviales  ou  communes.  Bach,  au  contraire,  n'avait 
qu'un  but  :  c'était  de  produire  une  œuvre  aussi  coniplèie  que 
possible,  quant  à  l'effet,  il  s'en  rapportait  au  mérite  de  son 
œuvre  et  à  la  compréhension  des  auditeurs  éclairés.  Comme 
moyens,  il  n'employait  que  ceux  qui  étaient  reconnus  pour 
appartenir  à  l'art  le  plus  pur;  et  il  savait  n  tirer  un  rare  parti  el 
se  les  rendre  propres  par  une  merveilleuse  facilité,  et  une 
extessive  habitude  de  combinaison  harmonique.  Cependant  le 


siyle  de  Haendel  étaii  populaire,  mais  dans  la  noble  acception 
de  ce  nnot,  et  ce  n'était  que  dans  quelques  parties  principales  de 
SCS  grands  ouvrages  (comme  par  exemple  dans  le  Amen  du 
Messie)  qu'il  déployait  comme  dernier  signe  de  triomphe,  les 
innombrables  ti-ésors  de  son  immense  érudition.  Le  style  de 
Bach  n'était  rien  moins  que  populaire»  en  prenant- toujours  ce 
mot  dans  la  même  acception,  et  il  n'y  avait  qu'un  'petit  nombre 
d'occasions  particulières  (comme  dans  certains  passages  de  ses 
compositions  sur  la  Passion)  où  il  se  monlrâit  gracieux  et 
désireux  d'être  populaire  autant  que  cela  entrait  dans  ses 
moyens.  Les  chants  de  Hiendel,  même  dans  les  chœurs  les  plus 
touffus,  sont  constamment  coulants,  faciles  et  expressifs;  ceux 
de  Bach  sont  toujours  également  difficiles  pour  les  exécutants 
comme^pur  les  auditeurs.  Chez  tous  les  deux  l'orchestre  joue 
Un  rôle  important;  mais  Haendel  choisit  toujours  ses  motifs  dans 
l'intérêt  de  l'effet  g<énéral,  tandis  que  Bach  s'inquiète  moins  de 
l'effet  que  de  compléter  une  richesse  harmonique  dans  telle  ou 
telle  phrase  détachée.  Quand  Hœndel  iravaillaii  il  avait  devant 
les  yeux  ce  qu'il  allait  créer;  il  voyait  ses  motifs  errer  devant  lui, 
ai  son  but  était  de  pouvoir  faire  partager  à  ses  auditeurs 
l'impression  dont  il  était  affecté.  Une  fois  son  image  trouvée,  il 
renonçait  volontiers  à  faire  parade  de  sa  science  et  aurait  craint, 
par  des  ornements  trop  nombreux,  de  faire  perdre  de  vue  l'idée 
principale.  Bach,  tout  au  contraire,  se  sentait  bien  aussi  vive- 
ment animé,  mais  cette  émoiion  était  tout  intime,  de  sorte  que 
pour  exprimer  son  idée  et  la  faire  partager  par  le  public,  il  croyait 
ne  pouvoir  jamais  assez  faire,  ou  du  moins  ne  croyait-il  pas 
pouvoir  fairç  trop. 

Hœndel  nous  rappelle  souvent  P.  P.  Rubens  dans  ses  plus 
belles  créations  et  Bach  nous  fait  songer  b  maître  Albrecht  Diirer. 


^    PRQPO?    D'^BÉRON 


L'atmosphère  musicale  est  en  général  brumeuse,  humide, 
sombre,  froide,  orageuse  même  parfois.  Les  saisons  y  mani- 
festent dos  caprices  étranges.  A  certains  moments  il  neige  des 
cirons,  il  pleut  des  sauterelles,  il  grêle  des  crapauds,  et  il  n'y  a 
parapluies  de  toile  ni  de  tôle  qui  puissent  garantir  les  honnêtes 
gens  de  cette  vermine.  Puis  tout  d'un  coup  le  ciel  s'éclaircit,  il 
ne  tombe  pas  de  la  manne,  il  est  vrai,  mais  on  jouit  d'un  air 
tiède  et  pur,  on  découvre  çà  et  là  de  splendides  fleurs  épanouies 
parmi  les  chardons,  les  ronces,  les  orties,  les  euphorbes,  et  l'on 
court  avec  ravissement  les  respirer  et  les  cueillir.  Nous  jouis- 
sons à  celte  heure  des  caresses  de  ce  bienfaisant  rayon;  plusieurs 
très  belles  fleurs  de  l'art  viennent  d'éclore  et  nous  sommes  dans 
la  joie  de  les  avoir  découvertes.  Citons  d'abord  le  plus  grand  évé- 
nement musical  qu'on  ait  eu  à  signaler  chez  nous  depuis  bien  des 
années,  la  mise  en  scène  récente  de  YObéron^  de  Webcr  au 
Théâtre-Lyrique.  Ce  chef-d'œuvre  (c'est  un  vrai  chef-d'œuvre, 
pur,  radieux,  complet)  existe  depuis  trente  et  un  ans.  Il  fut  repré- 
senté pour  la  première  fois  le  12  avril  1826.  Weber  l'avait  com- 
posé en  Allemagne  sur  les  paroles  d'un  librettiste  anglais, 
M.  Planchel,  à  la  demande  du  directeur  d'un  théâtre  lyrique  de 
Londres  qui  croyait  au  génie  de  l'auteur  du  Freyschiitz^  et  qui 
comptait  sur  une  belle  partition  et  sur  une  bonne  affnii'e. 

Le  rôle  principal  (Huon)  fut  écrit  pour  le  célèbre  ténor  Bra- 
ham,  qui  le  chanta,  dit-on,  avec  une  verve  extraordinaire  ;  ce 
qui  n'empêcha  pas  l'œuvre  nouvelle  d'éprouver  devant  le  public 
britannique  un  échec  à  peu  près  complet.  Dieu  sait  ce  qu'était 

alors  l'éducation  musicale  des  dileilanli  d'ouire-Manche  !. 

Weber  venait  de  subir  une  autre  qnasi-défaite  dans  son  propre 
pays  ;  sa  partition  d'Euryanlhe  y.  avait  été  froidement  reçue.  Des 


gaillards  qui  vous  avalent  sans  sourciller  d'effroyables  oratorios 
capables  de  changer  les  hommes  en  pierre  et  de  congeler  l'esprit- 
de-viri,  s'avisèrent  de  s'ennuyer  à  &fri/rt?i//ie.  Ils  étaient  tout  fiers 
d'avoir  pu  s'ennuyer  à  quelque  chose  et  de  prouver  ainsi  que 
leur  sang  circulait»  Cela  leurdonnait  un  petit  air  sémillant,  léger. 
Français,  Parisien;  et  pour  y  ajouter  l'air  spirituel,  ils  inven- 
tèrent un  calembour  par  à  peu  près  et  nommèrent  VEuryanthe 
V Ennuyante,  en  prononçant  Vennyanle.  Dire  le  succès  de  cette 
Ipurde  bêtise  est  impossible  ;  il  dure  encore.  Il  y  a  trente-trois 
ans  que  le  mot  circule  en  Allemagne,  et  l'on  n'est  pas  à  cette 
heure  parvenu  à  persuader  aux  facétieux  qu'il  n'est  pas  français, 
qu'on  dit  une  pièce  ennuyeuse  et  non  une  pièce  ennuyante,  et 
que  les  garçons  épiciers  de  France  eux-mêmes  ne  commettent 
pas  de  cuirs  de  cette  force-là. 

VEuryanthe  tomba  donc,  pour  le  moment,  écrasée  sous 
cette  stupide  plaisanterie.  Weber,  triste  et  découragé  quand  on 
lui  proposa  d'écrire  Obéron,  ne  se  décida  pas  sans  hésitation  à 
entreprendre  une  nouvelle  lutte  avec  le  public.  Il  s'y  résigna 
pourtant,  et  demanda  dix-huit  mois  pour  écrire  sa  partition.  Il 
n'improvisait  pas.  Arrivé  à  Londres,  il.  eut  beaucoup  à  souffrir 
tout  d'abord  ùq%  idées  de  quelques-uns  de  ses  chanteurs  ;  il  les 
mit  pourtant  enfin  tant  bien  que  mal  à  la  raison,  L'exécution 
d'Obéron  fut  satisfaisante.  Weber,  l'un  des  plus  habiles  chfes 
d'orchestre  de  son  temps,  avait  été  prié  de  la  diriger.  Mais  l'au- 
ditoire resta-  froid,  sérieux,  môrno  {very  grave)  pour  employer 
encore  un  jeu  de  mots  qui  au  moins  est  anglais.  Et  Obéron  ne 
fit  pas  d'argent,  et  l'entrepreneur  ne  put  couvrir  ses  frais;  il  avait 
obtenu  la  belle  partition  et  fait  une  mauvaise  affaire.  Qui  peut 
savoir  ce  qui  se  passa  alors  dans  l'âme  de  l'artiste,  sûr  de  la 
valeur  de  son  œuvre  ?...  Afin  de  le  ranimer  par  un  succès  qu'ils 
croyaient  facile  de  lui  faire  obtenir,  ses  amis  lui  persuadèrent  de 
donner  un  concert,  pour  lequel  Weber  composa  une  grande  can- 
tate intitulée,  si  je  ne  me  trompe,  le  Triomphe  de  la  paix.  Le 
concert  eut  lieu,  la  cantate  fut  exécutée  devant  une  salle  presque 
vide,  et  la  recette  n'égala  pas  les  dépenses  de  la  soirée...  : 

Weber,  à  son  arrivée  à  Londres,  avait  accepté  l'hospitalité  de 
l'honorable  maître  de  chapelle  sir  George  Smart.  Je  ne  sais  si  ce 
fut  en  rentrant  de  ce  triste  concert  ou  quelques  jours  plus  tard 
seulement;  mais  un  soir,  après  avpir  causé  une  heure  avec  son 
hôte,  Weber,  accablé,  se  mit  au  lit,  où,  le  lendemain,  sir  George 
le  trouva  déjà  froid,  la  tête  appuyée  sur  l'une,  de  sesmainSimort 
d'une  rupture  du  cœur. 

Aussitôt  on  annonça  une  représentation  solennelle  d^ Obéron; 
toutes  les  loges  furent  rapidement  louées;  les  spectateurs  se  pré- 
sentèrent tous  en  deuil;  la  salle  fut  pleine  d'un  public  recueilli, 
dont  l'attitude,  exprimant  des  regrets  sincères,  semblait  dire  : 
«  Nous  sommes  désolés  de  n'avoir  pas  compris  son  œuvre,  mais 
nous  savons  que  c'était  un  homme  {He  was  a  many  weshall  not 
look  upon  his  like  again)  et  que  nous  ne  reverrons  pas  son 
pareil  ! » 

Peu  de  mois  après  Touverture  d' Obéron  fut  publiée;  le  théâtre 
de  rOdéon  de  Paris,  qui  avait  fait  fortune  avec  le  Freyschiilz 
désossé  et  écorché,  fut  curieux  de  connaître  au  moins  un  mor- 
ceau du  dernier  ouvrage  de  Weber.  Le  directeur  ordonna  la  mise 
à  l'élude  de  cette  merveille  symphonique.  L^orchesire  n'y  vit 
qu'un  tissu  de  bizarreries,  de  duretés  et  de  non-sens,  et  je  ne 
sais  même  si  l'ouverture  obtint  les  honneurs  d'un  égorgement  en 
public. 

Dix  ou  douze  ans  plus  lard,  ces  mêmes  musiciens  de  l'Odéon, 
transplantés  dans  l'orchestre  monumental  du  Conservatoire,  exé- 
cutaient sous  une  vraie  direction,  sous  la  direction  d'Habeneck, 
celte  même  ouverture,  et  mêlaient  leurs  cris  d'admiration  aux 
applaudissements  du  public...  Huit  ou  neuf  autres  années  ensuite, 
la  Société  des^  concerts  du  Conservatoire  exécuta  un  chœur  de 
génies  et  le  finale  du  premier  acte  d'Obéron  que  le  public  acclama 
avec  un  enthousiasme  égal  à  celui  qui  avait  accueilli  l'ouverture; 
plus  tard  encore,  deux  autres  fragments  eurent  le  même  bonheur. . . 
et  ce  fut  tout. 

Une  petite  troupe  allemande  venue  à  Paris  perdre  son  temps 
cl  son  argent  pendant  l'été  fit  seule  entendre  deux  fois,  il  y  a 


quelque  vingt-sept  ans  YOhêron  complet  au  théâtre  Favart 
(aujourd'hui  rOpéra-Comiquo).  Le  rôle  de  Rezia  y  fut  chanté  par 
la  célèbre  madame  Schrœder-Devrient.  Mais  celle  troupe  était 
fort  insuffisante  ;  le  chœur  mesquin,  l'orcheslre  misérable;  les 
décors  troués,  vermoulus  ;  les  costumes  délabrés  inspiraient  la, 
pitié  ;  le  public  musical  un  peu  intelligent  était  absent  de  Paris  ; 
Ohêron  passa  inaperçu.  Quelques  artistes  et  amateurs  clairvoyants 
adoraient  seuls  dans  le  se(  rel  de  leur  cœur  ce  divin  poème,  et 
répétaient,,  en  pensant  à  Weber,  les  paroles  de  Hamlel. 

«  C'était  un  homme  et  nous  ne  reverrons  pas  son  pareil  !  ». 

Pourtant  l'Allemagne  avait  recueilli  la  perle  éclose  dans  l'huîlre 
britannique  et  que  dédaignait  le  coq  gaulois,  si  friand  de  grains 
de  mil.  Une  traduction  allcmantle  de  la  pièce  de  M.  Planchet  se 
répandit  peu  k  peu  dans  les  théâtres  de  Berlin,  de  Dresde,  de 
Hambourg,  de  Leipzig,  de,  Francfort,  de  Munich  et  la  parlilion 
d'Obéron  fut  sauvée.  Je  ne  sais  si  on  l'a  jamais  exécutée  en  entier 
dans  la  ville  spirituelle  et  malicieuse  qui  avait  Irouvé  l'œuvre 
précédente  de  Weber  Ennyanle.  Cela  est  probable.  Les  géné- 
rations se  suivent  sans  se  ressembler. 

Enfin,  après  trente  et  un  anSy  le  hasard  ayant  placé  à  la  tête 
de  l'un  des  théâtres  lyriques  de  Paris  un  homme  qui  comprend 
et  sent  la  musique  de  style,  un  homme  intelligent,  hardi,  actif 
et  dévoué  à  l'idée  qu'il  a  une  fois  adoptée,  le  merveilleux  poème 
de* Weber  nous  a  enfin  été  révélé.  Le  public  n'a  fait  sur  le  maître 
ni  sur  son  œuvre  aucun  nauséabond  jeu  de  mois,  n'est  pas  resté 
grave^  mais  a  applaudi  avec  des  transports  véritables  de  plus  en 
plus  ardents  ;  bien  que  celle  musique  dérange',  culbute,  bouscule 
avec  un  prodigieux  mépris  ses  habitudes  les  plus  chères,  les 
plus  enracinées,  les  plus  inhérentes  à  ses  insiincts  secrets  ou 
avoués. 

(Extrait  de  A  travers  chants ^  par  Hector  Berlioz.)" 


:  jiîONCERT    DU    PON^ERVATOIRE         . 

Le  Conservatoire  a  fêté  par  un  concert  spécial  le  deux-ceutième 
anniversaire  de  la  naissance  de  Hœndel  et  de  Bach.    :       . 

Le  programme  se  composait  exclusivement  d'œuvres  de  ces  deux 
musiciens  ;  mais,  si  nous  en  exceptons  la  cantate  •»  Gottes  Zeit  »  et 
«  l'Aria  »*  de  Bach  et,  au  pis- aller,,  la  cantate  de  Hsendel  écrite  à 
l'occasion  de  la  victoire  remportée  par  les  Anglais  à  Dettingen,  ce 
programme  était  bourré  «  d  amuse tles  »  destinées  à  amadouer  le 
public  :  il  ne  donnait  aucune  impression  d'ensemble  sur  l'œuvre  des 
deux  génies  allemands. 

Et  le  plus  ignare  sait  que  cet  œuvre  est  assez  vaste  pour  que  le 
Conservatoire  ne  soit  point  obligé  de  se  restreindre  à  des  bagatelles. 

Hsendel  et  Bach  sont  deux  géants  :  si  on  les  compare  à  tous  ceux 
de  leur  temps  et  surtout  si  on  les  étudie  au  point  de  vue  des  procédés 
de  la  composition,  de  la  force  des  conceptions  et  de  la  hardiesse  des 
combinaisons,  on  reconnaît  qu'ils  ont  laissé  derrière  eux  leur  siècle 
et  le  nôtre,  et  qu'il  faudra  peut-être  cent  ans  encore  pour  qu'on 
sache  leur  rendre  la  justice  qui  leur  est  due.  Leurs  messes,  motets, 
oratorios,  symphonies,  cantates,  quatuors,  quintettes,  sont  autant 
de  chefs-d'œuvre  que  les  générations  futures  adoreront  de  plus  en 
plus.  Car  nous  ne  sommes  pas  encore  mûrs  pour  apprécier  leurs 
grandes  et  sévères  beautés. 

Il  est  encore  trop  de  gens  qui  trouvent  cette  musique  ••  crevante  »♦ 
et  sortent  d'un  concert  en  disant,  non  pas  «  ce  que  je  viens  d'en- 
tendre est  beau  »,  mais  *  cela  a  duré  deux  heures  ». 

Une  exécution  consciencieuse  n'a  pu  écarter  l'ennui  pour  ces  audi- 
teurs inintelligents.  C'est  en  vain  que  les  chœurs  et  l'orchestre  ont 
fait  de  leur  mieux,  c'est  en  vain  que  résonnèrent  les  voix  de  solistes 
connus  et  appréciés  comme  M"e  Deschamps  et  M.  Maes,  un  chanteur 
parfaitement  méthodique,  le  jinblic  s'est  éparpillé  dans  la  rue  de  la 
Régence  en  murmurant  de  groupe  en  groupe  •<  que  c'était  donc 
rasant  I  '»» 


MEMENTO  DES  EXPOSITIONS  ET  CONCOURS 

Anvers.  —  Exposition  universelle.  Mai  à  octobre  1885. 

Anvers.  -^  Salon  des  refusés  et  exposition  des  artistes  indépen- 
dants, ouverture  en  mai.  Pour  tous  renseignements  s'adresser  au 
secrétaire  du  Cercle  des  artistes  indépendants ^  1,  rue  de  l'Angle, 
Bruxelles.  - 


Bruxelles.  —  Troisième  exposition  de  Blanc  et  ^Noir  de 
Y  Essor.  (Limitée  aux  membres  du  Cercle).  Mai  1885,  —  Exposition 
historique  de  gravure,  par  le  Cercle  des  aquarellistes  et  aquafortistes. 
Mai  1885. 

Bruxelles.  -—  25*'  exposition  annuelle  organisée  par  la  Société 
royale  belge  des  aquarellistes.  Ouverture  le  4  avril  1885. 

Londres.  —  Exposition  internationale  d'instruments  de  musique. 
Ouverture  en  mai  1885,  à  South- Kensington.  Cette  deuxième  divi- 
sion comporte  trois  groupes  t  1»  Instruments  de  musique  construits 
ou  en  usage  depuis  1800;  2"  gravure  et  impression  de  la  musique  ; 
Z°  collections  historiques. 

In.  —  Du  31  mars  a  la  fin  de  septembre  exposition  internationale 
et  universelle  d'Alexandra-Palace,  comprenant  notamment  les  arts 
et  métiers,  et  une  exposition  de  tableaux  et  objets  d'art  représentant 
les  principales  écoles  du  continent. 

Nuremberg.  —  Exposition  internationale  d'orfèvrerie,  de  joaille- 
rie, de  bronzes,. etc.  Du  15  juin  au  30  septembre  1885. 

Paris.  —  Salon  de  1885.  —  ler  mai  au  30  juin  1885.  — Peinture, 
de«5iws,  etc.  Dépôt  des  ouvrages  au  Palais  des  Champs-Elysées,  du 
5  au  14  mars.  Vote,  le  mercredi  18  mars,  de  9  h.  à  4  h.  —  Sculp- 
ture, Graviire  en  méd.  et  sur  p.  f.  Dépôt  du  21  mars  au  2  avril. 
Vote,  le  mardi  7  avril,  de  10  à  4  h.  —  Architecture.  Dépôt  du  2  au 
5  avril.  Vote,  le  mardi  7  avril,  de  10  à  4  h.  —  Gravure  et  Lithogra- 
phie.Dé^ôi,  du  2  au  5  avril.  Vote,  le  lundi  6  avril,  de  10  à  4  h. 

Rotterdam.  —  Du  31  mai  au  12  juillet.  Dernier  délai  :  16  mai. 
Renseignements  :  M.  Veders,  secrétaire,  42,  Boompjes,  Rotterdam. 

Gand.  —  Statue  du  docteur  Joseph  Guislain.  Clôture  :  31  mars 
1885.  Les  œuvres  doivent  être  envoyées  au  concierge  de  l'Université' 
de  Gand,  rue  des  Foulons,  et  porter  la  suscription  :  Au  comité 
constitué  pour  l'érection  d'une  statue  au  docteur  Joseph  Guislain.  — 
Envoi  :  Maquette  de  la  statue  et  du  piédestal  (25  centimètres  au 
total),  dessin  détaillé  de  la  grille  et  indication  de  la  disposition  du 
dallage  entre  le  grillage  et  lé  piédestal.  —  L'artiste  doit  s'engager  à 
livrer  pour  19,000  francs  les  travaux  de  maçonnerie  nécessaires,  la 
statue,  le  piédestal,  le  grillage  et  le  dallage.  —  Documents  et  pho- 
tographies chez  le  Dr  B.-C.  Ingels,  médecin  de  l'hospice  Guislain, 
à  Gand.       . .'  ,'  .; 


Là  Haye. 
tius. 


Concours  pour  l'érection  d'une  statue  à  Hugo  Gro- 


MoNTÉviDÉo.  —  Concours  pour  la  statue  du  général  Artigas 
S'adresser  à  la  légation  de  l'Uruguay,  4,  rue  Logelbach,  à  Paris. 

RiCHMOND  (Virginie).  —  Concours  pour  un  monument  à  Robert 
Lee,  jusqu'au  le""  mai  1885. 

Saint-NiColas.  —  Concours  de  gravure  du  Journal  des  Beaux- 
Arts.  Histoire  :  prix  400  fr.  pour  la  meilleure  eau- forte  (sujet  inédit 
ou  copie  d'un  tableau  flamand  ancien  ou  rtioAeTne  Genre  :  prix 
300  fr.  Paysage  et  intérieurs  :  prix  200  fr.  Dimension  maximum  dçs 
cuivres:  0">260  sur  O^lOO.  Dernier  délai  :  31  juillet  1885.  Envover 
franco  avant  cette  date  2  exemplaires  sur  papier  blanc  et  2  exem- 
plaires sur  chine. 

Vienne.  —  Concours  pour  l'érection  d'un  monument  à  Mozart. 


pETITE'  CHROJ^IQUE 


h" Essor  avait  convié  ses  amis  et  quelques  pensionnats  de  jeunes 
"filles  à  entendre,  mercredi,  de  la  musique  de  «leux  jeunes  composi- 
teurs belges,  MM.  Léon  Dubois  et  Edouard  Samuel.  Séance  assez 
intéressante,  quoiqu'un  peu  grise.  Les  œuvres  de  M.  Samuel 
dénotent  beaucoup  de  facilité,  mais  leur  inspiration  n'est  pas  tou- 
jours très  neuve.  Elles  ont  été  entendues,  croyons-nous,  presque 
toutes  (à  part  la  Sonate  pour  piano  et  violoncelle),  en  mars  dernier, 
au  concert  organisé  par  le  jeuno  auteur  et  M.  Léon  Soubre. 

Diverses  mélodies  de  Léon  Dubois  et  des  fragments  de  sa  cantate 
Le  Chant  de  la  création,  qui  a  valu  au  musicien  le  second  prix  de 
Rome,  ont  été  applaudis. 

Les  interprètes  étaient  MM.  Kefer,  Samuel,  Agniez,  Jacobs,  Pee- 
ters  et  M^'»  Wolf,  une  jeune  cantatrice,  douée  d'une  voix  claire,  d'un 
timbre  charmant. 

Le  concert  Eugène  d'Albert  est  remis  au  jeudi  5  mars  prochain. 


n 


•«^' 


48 


UART  MODERNE 


Les  annonces  sont  reçues  au  bureau  du  journal, 
26y  rue  de  l'Industrie,  à  Bruxelles. 


NOUVEAUTÉS   MUSICALES 

POUR  PIANO 

Huberti,  G.  Trois  morceaux  :  N»  1.  Etude  rhythmique,  2  fr.  — 
N»  2.  Historiette,  2  fr.  —  N»  3.  Valse  lente.,  fr.  1.75. 

Kowalski.  Op.  44.  Autour  de  mon  Clocher,  2  fr.  — •  Op.  45.  lUu- 
6ious  et  Chimères,  2  fr.  —  Op.  48.  Tambour  battant,  2  fr. 

Smith  S.  Op.  185.  Notre-Dame,  Chant  religieux,  2  fr.  —  Op.'  191. 
La  mer  calme,  Deuxième  barcarolle,  2  fr.  —  Op.  192.  Styrienne, 
;2  fr.  —  Op.  193.  Marguerite;  2  fr.  —  Op.  194.  La  fée  de  Ondes,  2  fr. 

Wieniawski,  Jos.  Op.  39.  Six  pièces  romantiques  :  Cah.  L  Idylle, 
Evocation,  Jeux  de  fées^.3  fr.  —  Cah.  IL  Ballade,  Elégie,  Scène 
rustique,  3  fr.  —  Op.  41.  Mazourka  de  concert,  fr.  2.50. 

MUSIQUE  POUR  CHANT 

Bach:  Six  chorals  pour  chœurs  mixtes  par  Mevtens.  La  partition> 

1  franc. 

Br enter.  A.  Sonne  mon  tambourin,  pour  chant,  violon  ou  violon- 
celle et  piano,  3  fr.  —  Hymne  à  Gérés,  pour  baryton  ou  mezzo- 
soprano  et  chœur  pour  3  voix  de  femmes,  2  fr.. 

kiga,  Fr.  Quatre  Chœurs  pour  voix  de  femmes  avec  accompagne- 
ment de  piano  à  4  mains  :  No  1.  Fête  villageoise,  la  partition, 
fr  2.50.  —  No  2.  Les  Vendangeuse,  la  partition,  fr.  2.50. —  N»  3. 
Sous  les  Bois,  la  partition,  fr.  2  50.  —  N"  4.  La  Paix,  la  partition, 
fr.  3.50. 

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TRADUIT  DE  L'ALLEMANI)  PAR  M"  H.  FR. 

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Toutes  les  œuvres  de  Brahms,  ainsi  qu'un  choir  de  bons  porti-aits  du  com- 
positeur, se  trouvent  uu  magasin  des  éditeurs,  41,  Montagne  de  la  Cour. 


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Cet  ouvrage  forme  lasuité  des  Scènes  de  la  vie  judiciaire.       "   -^ 

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Le  Paradoxe  sur  l'avocat.  — -  La  Forge  Roussel.  —  L'amiral. 


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numérotés  qui  sont  mis  en  vente  au  prix  de  10  francs. 

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NOTA.  —  La  maluon  dispose  de  vingt  ateliers  pour  artistes. 
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Bruxelles.  —  Imp.  I-'elix  Callewaekt  père,  rue  de  l'InduBlvie, 


J.  -.1 


Cinquième  année.  —  N°  7. 


'Le  numéro  :  2$  centimes. 


Dimanche   15  Février  1885. 


L'ART 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DES  AR^  ET  M  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,   un   an,   fr.   10.00;  Union  postale,   fr.    13.00.    —  ANNONCES  :    On   traite  à   forfait. 


Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 

l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


? 


QMMAIRE 


Les  Vingt.  Deuxième  article.  —  Le  L.ud.  —  Les  yeux  de 
MM.  les  critiques.  —  A  propos  -DObéron  —  Grande  colère  de 
petits  bonshommes.  —  Conservatoire  de  Liège.  —  Goruespon- 
dance.  —  Bibliographie  musicale.  —  Théâtres.  Théâtre  de  la 
Monnaie.  Joli  Gilles.  —  Petite  chronique.    . 


•  Deuxiètne  article. 

Les  trottins  de  la  critique  disaient  Tan  dernier  :  «  Les 
artistes  invités  ont  beaucoup  de  talent  et  les  F//?^^/5^^ 
beaucoup  de  modestie.  «  Les  hoyis  amis  ajoutaient  : 
♦'  Faut-il  qu'ils  se  sentent  faibles  pour  appeler  tant  de 
grands  noms  à  la  rescousse  !  "  Et  le  plus  étonnant  des 
critiques  bruxellois,  —  celui  qui  récemment  traitait  de 
chef-d'œuvre  un  tableau  d'Agapit  Stevens'  qu'il  prenait 
pour  une  toile  d'Alfred  Stevens,  qui  parlait  du  costume 
du  Ba7^ras  d'Henner,  lequel  était  nu  comme  la  main, 
celui  enfin  qu'on  ne  désigne  plus  autrement  dans  les 
ateliers  que  sous  le  pseudonyme  :  legafflste,  —  n'a-t-il 
pas  affirmé  cette  semaine  que  les  Vingtistcs  répudient 
l'art  nouveau,  et  que  ce  qui  le  prouve,  c'est  qu'à  part 
Raffaëlli  ils  n'ont  invite  que  des  peintres  employant  les 
procédés  du  vieux  jeu  ? 

Que  d'âneries  en  quelques  lignes  !  C'est  de  la  sottise 
quintescenciée,  du  Liebig  de  bêtise.  Gros  comme  une 
noisette  de  cet  extrait,  peut  fournir  tout  un  bol  de 
chronique  artistique.  C'est  le  bouillon  que  sert  \ Etoile 
belge  à  ses  lecteurs. 


Pour  nous,  nous  voyons  dans  ces  invitations  adres- 
sées chaque  année  à  un  petit  nombre  d'artistes  étran- 
gers au  grpupe  des  XX,  une  pensée  généreuse  et  belle. 
Aune  époque  où  trônent  encore,  aux  meilleures  places, 
dans  les  salons  officiels,  en  Belgique  les  Gallait,  en 
France  les  Bouguereau  ;  où  les  Degroux,  les  Boulenger, 
les  Dubois  sont  relégués  dans  les  coins  des  musées  ou 
accrochés  si  haut  qu'on  ne  peut  les  voir,  il  est  bon  que 
ceux  qui  ciment,  défendent  ou  pratiquent  l'art  jeune 
trouvent,  parmi  les  jeunes,  l'estime  et  les  sympathies 
auxquels  ils  ont  droit. 

Que  d'années  n'a-t-il  point. fallu  pour  faire  admettre 
l'art  de  Cazin,  aujourd'hui  l'une  des  gloires  de  la  France  ! 
Et  Fantin,  quelle  lutte  silencieuse,  pénible,  incessante 
que  sa  carrière  d'artiste  !  Méconnu  de  ses  contempo- 
rains, il  n'a  vu  consacrer  sa  renommée  qu'à  l'âge  où, 
depuis  longtemps,  il  eût  dû  être  placé  au  premier  rang 
des  peintres  de  l'école  jeune.  Et  Bracquemond,  l'un  des 
plus  grands  artistes  du  siècle,  qui  le  connaissait  en 
Belgique,  avant  le  Salon  des  XX,  à  par-t  un  noyau  d'ar- 
tistes et'  d'amateurs  ? 

A  côté  de  ces  noms  illustres,  les  nouveaux  venus 
tendent  fraternellement  les  mains  aux  artistes  qui 
estiment,  comme  eux,  qu'il  n'est  d'art  vrai  que  celui 
qui  est  fondé  sur  l'observation  de  la  nature.  Les 
Kroyer,  les  Swan,  les  Raffaëlli,  les  Breslau  ont  voulu 
prouver  leur  attachement  aux  principes  proclamés  par 
les  XX,  comme,  l'année  dernière,  l'avaient  fait  les 
Whistler,  les  Chase,  les  Stott,  les  Sargent,  les  Gervex, 
les^Rops.  Quel  groupement  de  forces  vives  à  opposer  à 


l'armée  séhile!  Et  quel  enGauragement  pp.ur  les  jeunes 
que  cette  ligue  de  toutes  les  écoles  modernes! 

On  a  reproché  aux  XX  d'être  une  coterie.  On  leur 
'  a  lancé  à  la  tête  l'accusation,  usitée  en  Belgique  quand 
se  réunissent  quelques  hommes  en  vue  de  la  défense 
d'un€  idée  commune,  de  former  une  "  petite  chapelle  ». 
Le  mot  fait  sourire,  quand  on  voit  les  membres  de  cette 
prétendue  coterie  commencer  par  inviter  leurs  amis  de 
Belgique  et  de  l'étranger  à  se  joindre  à  eux,  au  risque 
de  passer  eux-mêmes  à  l'arrière-plan. 

Ce  qu'ils  veulent  (faut-il  le  répéter  encore?. il  paraît 
que  c'est  nécessaire,  à  en  juger  par  les  idées  bizarres 
qui,  chaque  jour,  -sont  mises  en  circulation)^  c'est 
opposer  aux  Salons  officiels,  envahis  par  la  médiocrité, 
par  la  tourbe  des  amateurs,  ridiculisés  par  Tignorance 
des  jurys  et  par  la  partialité  des  commissions  de  place- 
ment, une  exposition  vraiment  artistique,  dont  tous  les 
exposants  soient  unis  par  une  communauté  d'aspira- 
tions. Ce  qui  nous  faisait  dire,  il  y  a  huit  jours  :  «  Le 
vrai  Salon  de  Bruxelles,  c'est  le  Salon  des  XX  ». 

Dans  quelle  mesure  ce  but  est-il  réalisé?  C'est  ce 
qu'avait  à  apprécier  le  public,  et  il  s'est,  semble-t-il, 
prononcé.  Sans  doute,  l'idéal  poursuivi  par  le  jeune 
cercle,  qui  n'en  est  qu'à  son  deuxième  essai  et  qui 
s'impose  déjà  comme  un  groupe  ayant  conquis  sa  place 
-depuis  nombre  d'années,  n'est  pas  encore  complètement 
atteint.  Il  y  a  des  tâtonnements  inévitables  dans  toute 
entreprise  nouvelle.  Des  épurements  sont  nécessaires. 
Certains  artistes  sur  lesquels  on  fondait  des  espé- 
rances ont  envoyé  des  œuvres  médiocres  ou  mau- 
vaises. D'autres  se  sont,  au  dernier  moment,  abstenus, 
conseillés,  paraît-il,  par  des  envieux. 

Mais,  dans  son  ensemble.,  le  Salon  marque  un  progrès 
sérieux  sur  le  premier.  C'est  certes  l'exposition  la  plus 
intéressante  qui  ait  ,e.ut  lieu  à  Bruxelles  depuis  long- 
temps. A  peu  de  choses  près,  il  réalise  l'idéal  que  pour- 
suivent les  XX  et  pour  lequel  ils  bataillent  vigoureu- 
sement. 

Whistler  a  dit  récemment  à  l'un  des  Vingtistes  :  "  Je 
suis  enchanté  d'avoir  été  mêlé  a  cette  bagarre,  » 

Bagarre  est  le  mot  qui  convient.  On  se  souvient  des 
attaques  passionnées  du  début,  des  articles  violents  des 
journaux,  des  discussions  sans  fin,  des  petites  et  des 
grandes  méchancetés  que  fit  naître  la  formation  du 
groupe. 

Aujourd'hui,  chose  étrange,  on  fait  semblant  d'avoir 
oublié  tout  cela.  «  Une  bataille?  Allons  donc  !  Jamais  il 
n'ven  a  eu.  Portes  cochères  ouvertes  à  deux  battants 
que  veulent  enfoncer  les  XX.  Moulins  à  vent  contre 
lesquels  ils  partent  en  guerre.  Faut-il  être  naïf  pour 
voir  dans  le  Salon  des  XX  autre  chose  qu'une  exposi- 
tion de  bons  petits  jeunes  gens,  se  réunissant  pour  mon- 
trer leur  travail  au  public  !» 

C'est  charmant.  Et  quand  se  présentent  à  une  expo- 


sition quelconque  Ensor,  Finch,  Vogels,  on  leur  jette 
cette  porte  ouverte  sur  le  nez  ;  et  quand  Khnopff  par- 
vient à  se  glisser  dans  la  maison,  on  fourre  ses  œuvres 
à  la  cave;  et  lorsqu'on  apprend  que.Ter  Linden  a  des 
sympathies  pour  les  Vingtistes,  on  lui  refuse  trois 
tableaux  sur  cinq  ;  et  sa  fille  ayant  eu  l'imprudence  de 
peindre  un  tableau  d'accessoires  où  figurent  la  carte 
d'invitation  des  XX,  un  numéro  de  l'Ar^  moderne,  des 
livraisons  de  la  Jeune  Belgique  et  autres  emblèmes 
sentant  la  poudre,  le  jury  à  qui  on,  le  présente,  efirayé, 
jette  cette  composition  dynamitique  à  la  porte.  Et  l'on 
s'agite,  et  l'on  se  démène  «  Vous  n'aurez  pas  lejPalais 
des  Beaux-Arts  !,  Vous  ne  ferez  plus  de  conférences  !  « 

Et  les  menaces  pleuvent,  avec  les  calembours. 

Puis,  quand  on  apprend  quels  sont  les  artistes  choisis 
par  les  XX  pour  participer  à  leur  Salon,  on  court  chez 
eux  :  «  N'exposez  pas  avec  ces  gens  là.  Cela  vous  com- 
promet. Vous  vous  faites  du  tort.  Prenez  garde,  « 

On  le  voit,  la  paix  la  plus  parfaite  n'a  cessé  de  régner, 
et  les  Vingtistes  n'ont  eu  qu'à  montrer  leur  cartel,  en 
manière  de  laisser  passer,  pour  être  reçus  partout  à 
bras  ouverts.  ~  \ 

Et  maintenant  que  cela  est  bien  entendu,  occupons- 
nous  des  envois  faits  par  les  artistes  invités.  Cette 
étude  fera  l'objet  de  notre  prochain  article.  Nous  n'au- 
rons pas  à  parlepde  Mesdag,  inférieur  à  lui-même  dans 
ses  marines  et  ses  lîaysages,  ni  de  M"«  Louise  Breslau, 
une  artiste  de  race,  qui  a  voulu  simplement,  par  l'en- 
voi de  quelques  pastels,  témoigner  de  sa  sympathie 
pour  l'œuvre  des  XX,  et  qu'il  serait  injuste  déjuger 
d'après  cet  envoi  insignifiant,  ni  de  Mark  •  Fisher, 
artiste  très  inégal,  qui  tantôt  fait  mal,  tantôt  bien,  et 
qui,  cette  fois,  n'a  pas  été  dans  un  jour  heureux.  Mais 
en  revanche  nous  aurons  à  étudier  de  près  les  autres, 
parmi  lesquels  Raffaêlli,  Swan,  Kroyer  et  Meunier 
tiennent  le  premier  rang. 


m  LAID  (*) 

La  plus  grosse  objection  qui  soit  faite  constamment  aux  liltd- 
raleurs  et  aux  artistes  de  ce  que  l'on  appelle  l'Ecole  nouvelle  est- 
celle-ci  :  «  Vous  êtes  l'école  du  laid;  et  le  laid  seul  vous  inté- 
resse. »  '    .  ; 

Je  voudrais  donc,  tout  d'abord,  étudier  et  définir  le  malen- 
tendu qui  existe  entré  le  public  et  nous  sur  cette  question  du 
beau  et  du  laid.  • 

JiOrsque  le  public,  peu  versé  dans  les  connaissances,  esthé- 
tiques, dit  :  «  le  beau,  le  laid,  »  il  entend  toujours  dire  le  beau 
physique,  le  laid  physique.  —  Or,  pour  nous,  et  je  regrette  qu'il 
t'aille  toujours  le  répéter,  le  beau  ou  le  laid  physique,  n'est 
d'aucun  poids  dans  la  beauté  de  l'œuvre  d'art,  et  vingt  maîtres 
l'ont  prouvé.  —  Quant  à  la  beauté,  elle  ne  saurait  se  limiter  à. 


(*)  Extrait  de  la  Conférence  faite  par  J.  F.  Raffaëlli  le  7  février  au  Salon  des 
A'A'.  (Voir  notre  dernier  numéro). 


Ici  type  absolu,  h  telle  classe  d'individus,  à  telle  flore,  à  tel 
pays.  Le  beau  est  dans  le  caractère,  et  non  pas  dans  un  type,  et 
il  n'y  a  pas  de  hiérarchie  dans  la  beauté.  —  En  un  nriol,  le  type 
grec  n'est  pas  un  type  absolu  de  beauté,  le  type  italien  n'est  pas 
un  lype  absolu  de  beauté,  pas  plus  que  le  type  arabe;  et 
l'Anglais,  l'Allemand  ou  le  Français,  de  nos  jours,  a  droit  à  la 
beauté  à  son  tour,  puisque  l'intelligence  du  monde  s'est  dé-; 
placée,  el  que  c'est  nous,  maintenant,  qui  la  possédons  depuis 
trois  siècles.  —  Mais  celte  beauté  est  différente,  ne  s'enchâsse 
plus  dans  la  même  beauté  des  formes,  et  c'est  ce  qui  nous  reste 
U  démontrer  par  les  arts.  —  Il  faut,  en  un  mot,  déplacer  le 
centre  de  la  beauté,  comme  nous  avons,  par  nos  eff'orts,  déplacé 
le  centre  de  l'intelligence. 

Les  grandes  époques  de  l'humanité,  dans  le  passé,  appar- 
tiennent aux  civilisations  égyptienne,  grecque  et  romaine,  c'est- 
à-dire  à  des  peuples  des  pays  du  soleil,  à  des  peuples  noncha- 
lants, graves,  et  qui  vivaient  dans  des  vêtements  larges  et  flottants 
que  la  chaleur  de  leur  climat  leur  commandait.  — Je  comprends 
l'admiration  que  nous  conservons  de  leurs  eff'orts,  mais  s'en 
suit-il  que  nous  devions  conserver  leur  idéal  de  beauté  souple 
et  grandiose,  nous,  habitants  de  pays  froids,  dont  le  climat 
réclame  une  activité  de  tous  les  instants,  et  qui  avons  des  habi- 
tudes, des  mœurs,  des  vêtements  totalement  diff'érents  de  ces 
peuples  d'hier? —  Et  comme  si  nos  idées  n'avaient  pas  changé? 
—  Voyez  donc  le  développement  considérable  qui  s'est  produit 
chez  nous  de  l'idée  d'individualité,  par  exemple?  — Eh  bien!  — 
c'est  seulement  écrasés  par  le  souvenir  de  ces  peuples  aux  formes 
magnifiques  que  nous  nous  trouvons  laids.  —  Certes,  nous 
n'avons  pas  la  grâce  de  ces  peuples,  nous  n'avons  pas  l'assise 
souple  et  balancée  de  leur  geste,  nous  n'avons  pas  leur  teint 
mat  et  simple,  nous  n'avons  pas  la  douceur  de  leur  voix,  le 
velouté  de  leur  regard,  la  cadence  de  leur  marche  :  mais  nous 
avons  toute  l'intelligence  et  l'ambition  magnifique  qu'ils  n'ont 
plus.  ' 

Donc,  ces  disputes  à  propos  du  beau  el  du  laid  physique  ne 
.  devraient  pas  conserver  de  raison  d'être  parmi  nous,  d'abord 
parce  que  le  beau  physique  ne  pèse  d'aucun  poids  dans  notre 
jugement  des  hommes,  ensuite  parce  que  cette  idée  nous  est 
étrangère,  —  comme  nous  sont  étrangers  les  types  de  beauté 
des  civilisations  d'hier. 

C'est  à  une  mauvaise  éducation  qui  nous  a  été  donnée  dans 
notre  enfance  que  nous  devons  de  percevoir  le  beau  et  le  laid 
physique  de  la  façon  dont  nous  les  percevons. 

C'est  aux  Grecs,  et  aux  Italiens  de  la  Renaissance,  que  nous 
devons  cette  idée,  et  à  la  négligence  aussi  de  nos  gouvernants, 
qui,  en  maintenant  en  exemple  constant  le  beau  des  Grecs,  aussi 
bien  à  notre  Ecole  normale  pour  les  lettres,  qu  U  notre  Ecole  des 
Beaux-Arts  pour  les  arts  du  dessin  et  dans  toutes  les  écoles 
d'Alhèries,  de  Rome,  dans  nos  lycées  et  dans  nos  collèges,  sous 
toutes  ses  formes,  nous  enseigne  des  principes  esthétiques  en 
désaccord  flagrant  avec  toutes  nos  idées  modernes.  —  Car,  ce 
sont  les  fables  religieuses  des  Grecs  qui,  en  prêtant  à  leurs  dieux 
des  formes  humaines,  ont  fait  établir  par  leurs  artistes  un  idéal 
et  une  beauté  plastique  qui  ne  signifient  plus  rien  chez  nous. 

Cet  idéal  païen  étant  tombé,  pourquoi  continue-t-on  d'en 
enseigner  les  lois  dans  nos  Ecoles? 

Et  d'autant  que  cette  idée  du  beau  physique  est  une  source 
déplorable  d'inégalité. 

Non!  —  qu'on  nous  donne  le  pays  grec,  qu'on  nous  donne 


les  idées  et  les  mœurs  du  temps  de  Socrate  et  de  Périelès,  qu'on 
nous  donne  leurs  dieux,  cl  nous  voulons  bien  refaire  et  continuer 
l'art  grec;  hors  ça,  je  ne  vois  que  lés  restes  d'un  art  qui  m'inté- 
resse profondément  comme  artiste,  mais  que  je  méprise  comme 
homme  pour  les  enseignements  absurdes  que  son  idéal  maintient 
parmi  nous. 

A  une  époque  de  raison,  d'intelligence  et  de  liberté  comme 
celle  dans  laquelle  nous  entrons  de  plus  en  plus,  que  nous  dési- 
rons, et  qui  est  notre  idéal  à  nous,  il"  ne  saurait  plus  y  avoir 
qu'une  beauté  :  la  beauté  intcllecluelle  et  morale.  —  El,  pour 
nous,  dans  nos  arts  du  dessin,  cette  beauté  est  dans  les  traces 
singulières  et  caracléristes  que  ces  ambitions  laissent  sur  notre 
individu.  ., 

Il  faut  donc  le  proclamer  :  qu'on  cesse  de  mettre  au  premier 
rang  dans  nos  musées  les  restes  des  arts  des  Grecs,  ou  plutôt, 
qji'çn  cesse  de  donner  leurs  ouvrages,  dans  nos  écoles,  en  éter- 
nels exemples,  afin  que  l'idée  de  ce  beau  physique  qui  nous 
vient  de  là,  idée  injuste  et  malsaine,  tombe  enfin  de  notre  esprit!, 
—■  Alors  seulement  nous  pourrons  planter  notre  idéal  de  beauté 
à  la  place,  idéal  fait  d'activité  physique,  d'idées  de  droiture, 
d'idées  de  justice  et  de  toutes  les  idées  qui  peuvent  constituer 
pour  nous  le  beau  moral  et  le  beau  de  l'intelligence  que  nous 
rêvons.  •     .-.^ 

11  n'est  pas  parmi  nous  un  homme  intelligent  qui,  ayant  à 
choisir,  ne  préférerait  la  tête  de  singe  qu'avait  Littré,  à  la  tête 
de  l'Apollon,  si  l'intelligence  devait  en  être  le  prix. 

On  nous  reproche  aussi  bien  à  tort  le  choix  de  nos  sujets. 

Nos  sujets,  nous  les  prenons  en  effet  partout,  et  si  nous  les 
prenons  même,  à  l'occasion,  dans  le  plus  bas  peuple,  c'est  parce 
que  l'ailenlion  publique  nous  entraîne  de  ce  côté.  On  s'était  peu 
occupé,  en  art,  jusqu'à  présent,  du  peuple,  et  à  son  sujet,  il  y  a 
tout  à  faire.  On  ne  lui  refuse  plus  une  place  dans  la  vie  publique, 
l'art  aurait  dès  lors  mauvaise  grâce  à  le  tenir  éloigné  de  ses 
éludes.  De  ce  côté  aussi  l'artiste  a  un  très  grand  rôle  :  celui  de 
faire  connaître  esthétiquement  celte  classe  d'individus,  néglicjée 
jusqu'aujourd'hui,  c'est-à-dire  de  mellre  en  lumière  tous  ses 
caractères. 

Pour  bien  expliquer  le  rôle  que  je  rêve  pour  l'artiste  dans  cet 
ordre  d'idées,  je  veux  vous  donner  un  exemple  qui,  je  pense, 
est  très  caraclériste  el  soutient  merveilleusement  ces  théories. 

^^  Voici  Millet,  notre  grand  Millet.  Il  naît  paysan;  ses  pre- 
mières sensations  il  les  ressent  en  face  de  la  grande  campagne 
et  de  la  mer.  Il  éprouve  le  besoin  invincible  de  raconter  ces 
émotions  çt  de  les  faire  partager.  Contemplatif,  la  peinture 
lui  convient  comme  moyen.  Il  vient  à  Paris  étudier  cet  art;  suit 
quelque  temps  les  maîtres  qu'il  a  choisis,  puis  rentre  en  Nor- 
mandie, son  pays,  et  là,  le  voilà  à  écrire  ses  poèmes,  on  pourrait 
dire  :  ses  souvenirs  d'enfance.    .  "  ~  . 

Son  ambition  alors  lui  fait  inventer,  pour  bien  faire,  un  métier 
énorme,  grossier  et  paysan. 

Eh  bien  !  —  je  pose  ceci  en  fait  :  avant  Millet  et  les  poètes 
rustiques  qui,  avec  lui,  ont  chanté  la  grande  campagne  et  le 
paysan,  la  campagne  el  le  paysan  étaient  considérés  comme 
laids  :  et  nous  les  rejetions  de  notre  allenlion.  —  Millet  arrive  ; 
il  peint  les  paysans  et  la  campagne  :  on  lui  dil  qu'il  peint  des 
idiots  el  des  brutes,  on  lui  dit  aussi  qu'il  peint  le  laid,  —  car  il 
n'embellit  pas  le  paysan  en  lui  prêtant  le  beau  physique  d'un 
bej  Italien  ;  —  on  le  traite  de  socialiste,  on  lui  répète  que  les 
spectacles   qu'il  recherché  sont  indignes  de  l'art.  Enfin  on  lui 


jellc  tous  les  maMres  par  la  léle!  —  Eh  bien!  —  Millet  meurt 
et  toutes  ces  idées  se  sont  transformées  :  on  parle  avec  enthou- 
siasme des  grands  champs  de  blé  au  soleil,  des  villages  perdus 
sur  les  falaises,  du  paysan  magnifique  et  superbe  dans  son  labeur 
constant,  de  la  grande  poésie  de  ratmosphèrc  ;  du  beau  «peclacle 
de  la  femme  des  champs  allailanl  son  enfant,  bottant  lé  beurre, 
travaillant  aux  pommes  de  terre,  filant  le  lin;*  les  travaux  de 
la  campagne  1rs  plus  repoussanis  et  les  plus  grossiers  sont 
admirés,  et  le  paysan  est  alors  connu  et  reconnu,  il  a[)parlient 
enfin  par  Millet  et  les  rustiques  à  l'hunianité  pensante  ([ui  l'ac- 
cueille  comme  un  enfant  magnifique  et  spperbe,  et  trinque  alors 
avec  lui  !... 

Ah!  Millet,  messieurs,  voilîi  un  homme  qui  a  fait  une  belle 
besogne,  puisqu'il  a  aidé  à  montrer  à  l'attention,  à  la  beauté  et  à 
l'amour  des  milliers  d'individus  dédaignes  jusqu'alors  et  injuste- 
ment méprisés.  Les  lois  venaient  de  faire  du  paysan  un  citoyen 
et  un  égal.  Millet  et  les  rustiques  en  ont  fait  un  égal  en  beauté 
et  en  poésie.  — :  Je  ne  connais  pas  d'exemple  plus  frappant  du 
rôle  qui  doit  échoir  à  l'artiste  à  une  époque  où  l'on  exige  de 
chacun  de  nous  une  utilité  plus  directe. 

Les  raisons  qui  nous  font  agir  sont  donc  :  la  joie  de  peindre 
des  choses  qui  n'ont  pas  été  faites,  joie  d'inventeur,  de  cher- 
cheur, d'amoureux  de  pittoresques  inconnus.  —  La  joie  de 
manier  h  leur  beauté  des  spectacles  dédaignés,  et  enfin  de  porter 
l'attention  partout,  sur  tout  et  sur  tous,  ce  qui  est  un  travail 
intéressant.  •    . 

LES  YEUX  DE  MM.  LES  CRITlOUES 

Les  astronomes  disputent  enire  eux  sur  la  couleur  des  étoiles. 
La  revue  Ciel  et  Terre  le  constate. 

Comment  !  Pas  moyen  de  s'entendre  sur  le  point  de  savoir  si 
tel  astre  est  b'eu,  blanc,  rouge  oulaiine? 

Il  paraît  que  non.  ^ "^  ^_ 

Mais' pourquoi? 

Le  sentiment  de  la  couleur  diffère  d'individu  h  individu.  Tel 
en  comparant  une  copie  à  un  tableau  de  maîtl*e  ne  pourra  y 
distinguer  de  différence  entre  la  copie  et  l'original,  alors  qu'un 
œil  exercé  y  trouvera  des  délicatesses  de  tons  et  de  nuances  que 
le  copiste  aura  vainement  cherché  à  reproduire  ou  dont  il  ne  se 
sera  même  pas  douté.  Les  couleurs  doivent  s'apprendre;  elles  ne 
se  distinguent  pas  de  prime  abord  sans  exercice  ni  sans  compa- 
raison, et  il  faut  des  expériences  souvent  répétées  pour  recon- 
naître que  le  rouge,  le  jaune  et  le  blanc  ne  font  pas  la  même 
impression  sur  nous.  Les  aveugles  de  naissance,  auxquels  on 
est  parvenu  à  rendre  la  vue  dans  un  âge  plus  ou  moins  avancé, 
confirment  ce  qui  précède;  il  faut  donc  un  certain  apprentissage 
avant  de  savoir  distinguer  les  couleurs. 

«  La  délicatesse  de  la  vue  est  comme  la  délicatesse  des  senti- 
ments, écrit  De  Zach,  c'est  toujours  une  émotion  des  sens,  une 
atfcction  de  l'âme,  une  instabilité  plus  ou  moins  grande.  Les 
yeux,  comme  le  cœur  ont  leurs  différents  degrés  de  sensibilité 
physique  et  morale  ». 

De  plus,  la  rétine  peut  être  le  siège  de  certaines  affections, 
telles  que  le  Daltonisme,  et^faire  perdre  par  suite  la  sensation 
des  couleurs  élémentaires.  Ainsi,  d'après  Wilson,  sur  dix-hujt/ 
personnes,  il  s'en  trouve  une  qui  ne  peut  discerner  les  couleurs, 
et  sur  cinquante-huit  on  en  rencontre  uiic  qui  confond  le  rouge 
avec  le  vert: 


Dans  les  premiers  ûges,  le  rouge,  le  jaune,  le  bleu  sont  les 
seules  couleurs  dont  on  fasse  m*TîTTon.  Les  milliers  de  nuances 
que  les  progrès  de  l'art  et  de  l'industrie  ont  su  donner  aux 
,mélanges  des  couleurs  fondamentales  sont  de  dat-e  récente;  elles 
proviennent  d'une  étude  et  d'une  application  constantes.  A 
l'heure  actuelle  la  difficulté  sera  donc  bien  grande  pour  déter- 
miner exadoment  les  différentes  nuances  d'une  même  couleur  et 
pour  juger  de  la  délicatesse  des  teintes,  et  nous  ne  devons  pas 
nous  étonner  de  ce  que  nous  rencontrions  de  légères  divergences 
dans  l'appréciation  des  astronomes  sur  la  coloration  de  certaines 
étoiles.  _      *■ 

Mais  alors  que  dire  de  MM.  les  critiques  jugeant  les  tableaux  ? 

Eux  aussi  peuvent  avoir  la  rétine  malade.  Eux  aussi  peuvent 
avoir  les  yeux  fatigués.  '  ' 

Que  valent  leurs  jugements? 

Nous  le  laissons  h  penser. 


Dans  tous  les  cas,  cela  explique  leurs  querelles. 
Et  pourrait  aussi  les  rendre  moins  tranchants. 
Profitons  tous  de  la  leçon,  mes  frères. 


^    PROPO3     D'^BÉRON 


(*) 


Il  faudrait  écrire  beaucoup  trop  pour  analyser  dignement  la 
partition  ô'Obéron,  pour  examiner  les  questions  que  le  style  de 
cet  ouvrage  fait  naître,  expliquer  les  procédés  employés  par  l'au- 
teur et  trouver  la  cause  du  ravissement  dans  lequel  cette  musique 
plonge  des  auditeurs  même  étrangers  à  toute  notion,  sinon  à  tout 
sentiment  de  l'art  des  sons. 

Obéron  est  le  pendant  du  FreyschûLz.  L'un  appartient  au  faur 
tîistique  sombre,  violent,  diabolique;  l'autre  est  du  domaine  des 
féeries  souriantes,  gracieuses,  enchanteresses.  Le  surnaturel  dans 
Obéron  se  trouve  si  habilement  combiné  avec  le  monde  réel, 
qu'on  ne  sait  'précisément  où  l'un  et  l'autre  commencent  et 
finissent  et  que  la  passion  et  le  sentiment  s'y  expriment  dans  un 
langage  et  avec  des  accents  ({u'il  semble  qu'on  n'ait  jamais 
entendus  auparavant. 

Cette  musique  est'  essentiellement  mélodieuse,  mais  d'une 
autre  façpn  que  celle  des  plus  grands  mélodistes.  La  mélodie  s'y 
exhale  des  voix  et  des  instruments  comme  un  parfum  subtil  qu'on 
respire  avec  bonheur,  sans  pouvoir  tout  d'abord  "en  déterminer 
le  caractère.  Une  phrase  qu'on  n'a  pas  entendu  commencer  est 
déjîi  maîtresse  de  l'auditeur  au  moment  précis  oii  il  la  remarque; 
une  autre  qu'il  n'a  pas  vu  s'évanouir  le  préoccupe  encore  quelque 
temps  après  qu'il  a  cessé  de  l'entendre.  Ce  qui  en  fait  le  charme 
principal,,  c'est  la  grâce,  une  grâce  exquise  et  un  peu  étrange.  On 
pourrait  dire  de  l'inspiration  de  Weber  dans  Obéron  ce  que 
Laërle  dit  de  sa  sœur  Opliélia  :.        '  -^ 

Thought  and  affliction  ;  passion,  hell  itself, 
She  turus  to  favour  and  to  prettiness. 

(La  rêverie,  l'afflictioa,  la  passion,  l'enfer  lui-même,  elle  change 
tout  en  charme  et  en  grâce.) 

N'était  y  enfer  qui  n'y  figure  pas,  et  qui  d'ailleurs,  sous  la  main 
de  Weber,  n'a  jamais  pris  des  formes  gracieuses,  mais  bien  des 
formes  effravantes  et  terribles  au  contraire. 

Les  enchaînements  harmoniques  de  Weber  ont  un  coloris 
qu'on  ne  retrouve  chez  aucun  autre  maître  et  qui  se  reflète  plus 
qu'on  ne  croit  sur  sa  mélodie.  Leur  effet  est  dû  tantôt  à  l'altéra- 
tion de  quelques  notes  de  l'accord,  lajilôt  à  des  renversements 
y'peu  usités,  quelquefois  même  â  la  suppression  de  certains  j^^ons 
réputés  indispensables.  Tel  est,  par  exemple,  l'accord  final  dir 
morceau  des  nymphes  de  la  mer,  où  la  tonique  est  supprimée, 
et  dans  lequel,  bien  que  le  morceau  soit  en  mi,  l'auteur  n'a 


(*)  A  travers  chants,  par  Hector  Berlioz.  -  Voir  notre  dernier  numéro. 


voulu  laissor  entendre  que  le  sol  dièse  el  si.  De  là  le  .vague  de 
celle  désinence  el  la  rêverie  où  elle  plonge  raudileur. 

On  en  poul  dire  à  peu  près  autant  de  ses  modulations;  si 
étranges  qu'elles  soient,  elles  sont  toujours  amenées  avec  un 
grand  art,  sans  duretés,  sans  secousse,  d'une  façon  presque  tou- 
jours imprévue,  pour  concourir  à  l'expression  d'un  sentiment  et 
non  pour  causer  à  l'oreille  une  puérile  surprise. 

Weber  admet  la  liberté  absolue  des  formes  rythmiques;  jamais 
personne  autant  que  lui  ne  s'est  affranchi  delà  tyrannie  de  ce 
qu'on  appelle,  la  carrure^  el  dont  l'emploi  exclusif  et  borné  aux 
agglomérations  de  nombres  pairs  contribue  si  cruellement,  non 
seulement  à  faire  naître  la  monotonie,  mais  à  produire  la  plati- 
tude. Dans  le  FreyschïUz,\\  avait  déjà  donné  des  exemples  nom- 
breux d'une  phraséologie  nouvelle.  Parmi  ces  exemples,  les 
musiciens  français,  les  plus  carrés  des  mélodistes  après  les  Ita- 
liens, furent  tout  surpris  d'applaudir  la  chanson  à  boire  de  Gas- 
pard, qui  se  compose,  dans  sa  première  moitié,  d'une  succession 
de  phrases  de  trois  mesures,  et,  dgns  sa  seconde  moitié,  d'une 
succession  de  phrases  de  quatre.  Dans  Ohêron  on  trouve  divers 
passages  où  le  tissu  mélodique  est  rythmé  de  cinq  en  cinq.  En 
général,  chaque  phrase  de  cinq  mesures  ou  de  trois  a  son  pendant 
qui  constitue  alors  la  symétrie,  produisant  le  nombre  pair,  si 
cher  aux  musiciens  vulgaires,  en  dépit  du  proverbe  :  Numéro .  ' 
Dens  irriTpare  gaudet.  Mais  Weber  ne  se  croit  point  obligé  d'éta- 
blir à  tout  prix  et  partout  celle  symétrie;  très  souvent  sa  phrase 
impaire  n'a  pas  de  pendant.  Je  m'adresserai  aux  gens  de  lettres 
pour  savoir  si  La  Fontaine  a  employé  une  forme  excellente  en  . 
jetant  un  petit  vers  isolé  de  deux  pieds  à  la  fin  d'une  de  ses 

fables  : 

Mais  qu'en  sort-il  souvent? 
Du  vent.    - 

Leur  réponse  affirmative,  je  n'en  doute  pas,  explique  et  justifie 
le  procédé  analogue  introduit  dans  la  musique  par  beaucoup  de 
musiciens,  au  nombre  desquels  il  faut  citer  avec  Weber,  Gluck 
et  Beethoven.  Il  nous  semble  aussi  absurde  de  vouloir  rythmer 
la'  musique  exclusivemenl  de  quatre  en  quatre  mesures,  que  de 
n'admettre  en  poésie  qu'une  seule  espèce  de  vers.        , 

Si,  au  lieu  d'avoir  dit  si  finement  :  -, 

7    •       Mais  qu'en  sort-il  souvent?      — --_ 

Du  vent. 

le  fabuliste  eût  écrit  : 

•      Mais  qu'en  sort-il  souvent? 
r  II  n'en  sort  que  du  vent. 

il  eût  terminé  sa  fable  par  une  insupportable  platitude.  L'ana- 
logie de  cet  exemple  avec  la  question  musicale  qui  nous  occupe 
rsî  frappante.  L'entêtement  de  la  routine  peut  seul  la  mécon- 
naître ou  en  nier  les  conséquences. 

Maintenant  s'il, nous  paraît  évident  que  la  musique  ne  peut  ni 
ne  doit  se  conformer  aveuglément  à  l'usage  de  certaines  écoles 
qui  veulent  conserver  la  plus  carrée  des  carrures  en  tout,  et  par- 
tout, si  nous  trouvons  dans  cette  persistance  ridicule  à  maintenir 
un  préjugé  la  cause  de  la  fadeur,  de  la  lâcheté  de  style,  de 
r<'x;ispérant  vulgarisme  d'une  foule  de  productions  de  tous  les 
temps  el  de  tous  les  pays,  nous  n'en  reconnaîtrons  pas  moins 
qu'il  est  des  irrégularités  choquantes  et  qu'il  faut  éviter  avec 
soin.  Gluck  (dans  Iphigénie  en  Aiilide  surtout)  en  a  commis  un 
grand  nombre,  il  f;:ul  l'avouer,  qui  blessent  le  sentiment  de 
î  harmonie  rythmique.  Weber  n'-en  est  pas  exempt;  nous  en 
trouvons  même  un  exemple  très  regrettable  dans  l'un  des  plus 
délicieux  morceaux  d'Obdron,  dans  le  chant  des  naïades,  dont  je 
parlais  tout  à  l'heure.  Après  la  première  grande  phrase  vocale, 
couiposée  de  quatre  fois  quatre  mesures,  l'auteur  a  voulu  donner 
à  la  voix  un  court  repos.  Ce  silence  est  rempli  par  l'orchestre. 
Croyant  sans  doute  que  l'oreille  ne  tiendrait  aucun  compte  du 
fragment  instrumental,  l'auteur  a  repris  ensuite  son  chant  vocal, 
rytiimé  carrément,  comme  si  la  mesure  d'orchestre  n'existait  pas. 
Mais,  selon  nous,  il  s'est  trompé.  L'oreille  souffre  de  celte  addi- 
tion d'une  mesure  dans  la  mélodie;  on  s'aperçoit  pai-faiiemenl 
que  le  mouvement  d'oscillation  a  été  rompu,  que  la  phrase  a 


perdu  la  régularité  du  balancement  qui  lui  donne  tant  de  charme. 
Revenant  à  ma  comparaison  dé  la  mélodie  avec  la  versification, 
je  dirai  encore  que,  dans  le  cas  dont  il  s'agit,  le  défaut  est  aussi 
évident  qu'il  le  serait  dans  une  strophe  de  vers  de  dix  pieds  dont 
un  seul  en  mirait  onze. 

De  l'instrumentation  de  Weber  je  dirai  seulement  qu'elle  est 
d'une  richesse,  d'une  variété  et  d'une  nouveauté,,  admirables.  La 
distinction  encore  est  sa  qualité  dominante;  jamais  de  moyens 
réprouvés  par  le  goût,  de  brutalités,  de  non  sens.  Partout  un 
coloris  charmant,  une  sonorité  vive  mais  harmonieuse,  une  force 
contenue  et  une  connaissance  profonde  de  la  nature  de  chaque 
instrument,  de  ses  divers  caractères,  de  ses  sympathies  ou  de 
ses  antipathies  avec  Ivs  autres  membres  de  la  famille  orchestrale; 
partout  enfin  les  plus  intimes  rapports  sont  consorvés  entre  le 
théâtre  et  l'orchestre,  nulle  part  ne  se  trouve  un  ^^g/  sans  but, 
\xx\  accent  noïwooi'wé.    .  ■ 

On  reproche  h  Weber  sa  manière  d'érrire^our  les  voix  ;  mal- 
heureusement le  reproche  est  fondé.  Souvent  il  leur  impose  des 
successions  d'une  difficulté  excessive,  qui  scraionl  h  peine  conve- 
nables pour  toul  autre  instrument  que  pour  le  piano.  Mais  re 
défaut,  qui  ne  s'étend  pas  aussi  ïoiu  qu'onveul  bien  le  dire,  n'en 
est.  pas  un  quand  la  bizarrerie  du  dessin  vocal  est  motivée  par 
une  intention  dramatique.  C'est  alors  au  contraire  une  qualité; 
l'auleur  en  ce  cas  n'est  blâmable  qu'aux  yeux  des  chanteurs, 
obligés  de  prendre  de  la  peine  et  dé  se  livrer  à  des  études  que  la 
musique  banale  ne  leur  impose  pas. 

Tels  sonl  plusieurs  passages  vraiment  diaboliques  du  rôle  de 
Gaspard  dans  le  Freyschûtz,  passages  qui,  à  mon  sens,  sonl  des 
traits  évidents  de  génie. 

Sur  les  vingt  morceaux  dont  se  compose  la  parliiion  (["Ohêron., 
je  n'en  vois  pas  un  de  faible.  L'invention,  l'inspiration,  le  savoir, 
le  bon  sens  brillent  dans  tous  :  ei  c'est  presque  à  regret  que  nous 
citerons  de  préférence  aux  autres  pièces  le  chœur  mystérieux  el 
suave  de  l'ititroduction  chanté  par  les  génies  autour  du  lit  de 
fîeurs  où  sommeille  Obéron;  —  l'air  chevaleresque  d'Huon  dans 
lequel  se  trouve  une  ravissante  phrase  déjh  présentée  ^àu  milieu 
de  l'ouverture  ;  —  la  merveilleuse  marche  lîocturne  des  gardes  du 
sérail  qui  termine  le  premier  acte;  le  chœur  énergique  et  si  rude- 
ment caractérisé  :  «  Gloire  au  chef  des  croyants!  »  —  la  prière 
d'Huon  accompagnée  seulement  par  les  altos,  les  violoncelles  el 
les  contre-basses;  —  la  dramatique  scène  de  Rezia  sur  le  bord 
de  l'Océan;  —  le  chant  des  nyn>plies  confié  aujourd'hui  à  Puck 
seul,  dans  la  nouvelle  version  du  livret  (à  tort,  selon  moi;  il 
devrait  être  chanté  au  fond  du  théâtre,  sur  l'un  des  arrière-plans 
de  la  mer,  par  plusieurs  voix  de  choix  à  l'unisson,  et  avec  une 
douceur  extrême)  ;  —  le  chœur  de  danse  des  espiits  terminant  le 
second  acte; —  l'air  si  gracieusement  gai  de  Falime;  —  le  duo 
suivant  avec  son  irait  obstiné  d'orchestre  revenaul  à  intervalles 
irréguliers;  —  le  trio  si  harmonieux,  si  admirablement  modulé 
qu'accompagnent  pianUshiw  les  instruments  lie  cuivre;  -—  el 
enfin  le  chœur  dansé  de  Iq  scène  de  séduction,  morceau  unique 
dans  son  genre.  Jamais  la  mélodie  n'eut  de  pareils  sourires,  le 
rythme  des  caresses  plus  irrésistibles.  Pour  que  le  chevalier 
Huort  échappe  aux  enlacements  de  femmes  chanld'nl  de  telles 
n»élodies,  il  faut  qu'il  ail  la  vertu  chevillée  dans  le  corps. 


GRANDE  COLÈRE  DE  PETITS  BONSHOMMES 

Très  drôle  la  colère  de  divers  reporters,  affublés  (par  eux- 
mêmes)  de  la  qualijlé  de  critiques  d'art,  qui,  n'ayant  rien 
compris  l'an  dernier  au  mouvemenl  des  XXki\.  ayant  niaisement 
prédit  au  groupe  nouveau  les  plus  terrrrribles  calamités, 
comme  par  exemple  d'être  privé  de  leur  appui,  doivent  aujour- 
d'hui confesser  piteusement  qu'ils  se  sonl  mépris  comme  de 
tout  petits  bonhommes  et  qu'on  peul  réussir  en  se  moquant 
d'eux. 

Lire  la  Gazette,  la  Chronique^  la  Flandre  libérale  et  autres 


DOUBLES  LiÉGEOis  dont  il  faut  prendre  h  rebours  les  prophélics 
quand  on  veut  savoir  le  temps  qu'il  ï^va.  i 

Lire  également  (ceci  pour  les  dits  reporters,  barbus  pour  la 
plupart)  la  fable  :  Le  Renard  et  le  Bouc. 

Si  le  ciel  t'eût,  dit-il,  donné  par  excellence 
Autant  de  jugement  que  de  poil  au  menton. 

Très  peu  confortable,  leur  voisinage,  tant  ils  cracbotlenl.  Mais 
î»  distance,  c'est  à  mourir  de  rire.  Criards  et  essoufflés,  ils  poussent 
des  jappements  furieux  parea  que  V Art  moderne  a  plaisanté  ceux 
qui,  après  avoir  aboyé  contre  les  A'.Y  de  toute  la  force  de  leurs 
poumons  de  roquets,  leur  lôcbcnl  les  mains  aujourd'hui  que  le 
succès  est  venu. 

Ce  qui  est  plus  drôle  cncOro,  c'est  que  l'un  de  ces  critiquets  a 
la  fatuité  de  croire  qu'il  a  été  visé  par  notre  dernier  article. 
Il  n'est  pas  dégoûté,  le  petit  bonbomme.  Mais  il  fait  erreur. 
Quand  on  parle  d'aitaques  qui  portent,  on  ne  songe  guère  à. lui. 
Qu'il  zézaie  ses  reportages  inoffensit's  dans  le  cercle  de  lecteurs 
bourgeois  où  il  est  relégué,  rien  de  mieux.  Sa  naïve  suffisance 
fait  sourire  les  artistes  sans  les  fâcher.  Mais  qu'il  essaie  de  faire 
passer  le  tabouret  sur  lequel  il  est  accroupi  pour  le  fauteuil  de 
Sainte-Beuve  et  qu'iL  dicte  des  arrêts!...  d'une  voix  de  bébë, 
c'est  plus  que  grotesque.  ^ 

Ces  attaques  nous  ont  tout  ragaillardis,  accoutumés  que  nous 
sommes  à  aller  à  ces  algarades  comme  à  la  kermesse. Depuis  Vingt 
ans  et  plus,  la  partie  est  liée  non  pas  seulement  avec  ces  inno- 
cents, mais  avec  leurs  i)récurseurs,  et  elle  n'est  pas  près  de  finir, 
morbleu!  Pour  juger  ce  qu'ont  valu  les  coups  de  part  et  d'autre, 
il  suffit  de  voir  qui  se  porte  le  mieux  et  quelles  idées  triomphent. 
Ah!  Pauvres  petits! 


•Correspondance 


Conservatoire  de  J^ièqe 

_  Le  premier  concert  a  eu  lieu  samedi  dernier,  sous  la  direction  de 
M.  Radoux,  avec  le  concours  de  Sarasate,  qui  y  a  remporté  un  bril- 
lant succès  dans  lesécution  de  la  Fantaisie  écossaise  de  Max  Bruch 
qu'il  a  fuit  en  tendre  l'an  dernier  aux  concerts  i)opulaires  de  Bruxelles. 
Jl  a  été  également  applaudi  après  le  Caprice  de  Guirâud  et  ses  Airs 
bohémiens. 

Le  programme  se  composait  en  outre  de  la  scène  du  Vendredi- 
Saint  de  Parsifal,  de  la  symphonie  en  si  bàinol  de  Schumann  et  de 
la  Rhapsodie  slave  de  Dvorak. 

Eutin,  MH«  Poirson  a  chanté  diverses  mélodies  de  Godard,  de 
Kerveguen  et  de  Radoux,  ainsi  qu'un  air  d'IIérodiade. . 

Programme  intéressant,  fort  bien  accueilli  du  public. 


Voici  une  très  curieuse  lettre  du  docteur  Charcot  au  sujet  des 
artistes  qui  ont  peint  les  fous. 

Cher  Monsieur, 

Grâce  à  vous,  nous  jios.sédons  enfin  la  photographie  du  tableau  de 
la  transfiguration  de  Deliuout  (*),  lequel  mauquait  à  notre  collec- 
tion. Ce  tableau  est  intéressant  au  j)oint  de  vue  de  l'art,  mais  plus 
encore  au  point  de  vue  de  la  science  pathologique. 

Le  jeune  po-ssédé  dans  ce  tableau  se  débat  exactement  comme  se 
débattent  nos  liystériques  mâles  ou  femelles  de  la  Salpétrière,  et  à 


•;  N*  .Vj  du  ijju.sée  d'Anvei-fî. 


uet  égardil  est  supérieur  au  démoniaque  de  Raphaël  qui*,  lui,  au  point 
de  vue  pathologique,  ne  nous  dit  pas  grand  choses.  Il  est  probable 
que  Delmont  a  vu  les  démoniques  comme  les  avait  vtis  Rubens 
(Saint-Ignace  de  Loyola  dans  le  tableau  de  l'annonciata  de  Gênes), 
tandis  que  Raphaël  a  inventé  plutôt  qu'il  n'a  travaillé  d'après 
nature. 

Je  ne  saurais  trop  vous  remercier,  cher  Monsieur,  de  la  peine  que 
vous  avez  prise  avec  tant  d'obligeance,  etc.,  etc.  — — -. — 


CHARCOT 
Membre  de  llnstitut. 


Paris,  le  30  janvier  1885. 


ipiBEIOQF^APHIE    MU^ICAI-E 

Nous  recommandons  très  particulièrement  la  remarquable  J?dîï/o>i 
populaire  qn'Si  publie,  dans  des  conditions  parfaites  de  gravure,  la 
maison  Breitkopf  et  Hàrtel.  Les  œuvres  principales  de  Bach,  Beet- 
hoven, Chopin,  Mendelssohn,  Mozart,  Schumann,  Schubert, 
Weber,  etc.,  composent  cette  bibliothèque  choisie,   qui  comprend 

> 

déjà  plus  de  cinq  cents  ouvrages,  tous  revus  avec  le  plus  grand  soin 
et  accessibles  à  toutes  les  bourses.  Le  dernier  volume  parti  porte 
le  n°  512.  C'est  le  premier  recueil  des  œuvres  pour  piano  de  Xavier 
Scharwenka  (91  pages  in-8",  prix  :  7  mk.  50,.  Il  renferme  deux 
suites  de  danses  nationales  polonaises,  six  Polonaises,  six  Valses^ 
une  Mazurka,  une  Valse- caprice. 

La  même  maison  d'édition  vient  de  mettre  en  vente  une  suite  de 
petits  morceaux  fort  intéressants  et  empreint^de  la  poésie  des  mélo- 
dies du  Nord.  Le  titre  est  :  Vier  Charakterstjucke  fiir  das  pianoforte 
von  Niels  Ramkilde  (op.  12). 

Signalons  enfin,  parmi, les  nouveaités,  un  chant  provençal  trans- 
crit pour  le  piano  à  quatre  mains  par  Lucian  Tardif  (ii  Novi,  cam- 
nanejado  per  lou  piano  à  quatre  nian)  et  une  transcription  pour 
^eux  pianos  à  huit  mains  de  la  Mort  d'Isolde,  de  Wagner,  par  Albert 
Heintz. 

La  maison  Schott,  à  Bruxelles,  vient  de  mettre  en  vente  le  livret 
des  Maîtres  chanteurs  de  Nuremberg,  «comédie  musicale  en  trois 
actes  et  quatre  tableaux  de  Richard. 'V\''agner,  version  française  de 
M.  Victor  Wilder. 

La  partition  de  piano  et  chant,  ainsi  qu'une  étude  sur  les  niotifs 
typiques  précédée  d'une  notice  sur  l'œuvre  poétique,  par  Camille 
Benoit,  paraîtront  prochainement,  v  '     , 


yHÉATF(Ep 

Théâtre  de  la  Monnaie.  —  Joli  Gilles.  .  . 

On  a  joué  la  semaine  dernière  à  la  Monnaie  un  opéra- comique  en 
deux  actes  de  Poise,  pastel  délicat  aux  teintes  de  clair  de  lune  où  se 
meuvent  les  personnages  classiques  de  la  pantomime  italienne  : 
Pierrot  et  Colombine,  Monsieur  Pantalon,  Madame  Pantalon. 
Pierrot,  c'est  Joli  Gilles,  montrant  sa  mine  effarée  et  craintive  à  côté 
du  visage  éveillé,  souriant  et  charmant  de  Violette.  L'un  a  trouvé 
en  M.  Soulacroix  un  interprète  parfait,  jouant  et  chantant  son  rôle 
à  merveille.  L'autre  est  personnifiée  avec  une  grâce  absolue  par 
M"«  Angèle  Legault,  qui  semble  née  tout  exprès  pour  ce  rôle  léger, 
qu'elle  chante  d'une  voix  charmante  et  mime  avec  de  petits  sourires, 
de  petites  attitudes  et  de  petits  gestes  tout  à  fait  exquis. 

La  Surprise  de  l'Amour,  l'A^nour  Médecin,  Joli  Gilles,  quel  que 
soit  le  titre  de  l'ouvrage,  le  sujet  ne  change  guère  etla  nmsique  suit 
le  sort  du  sujet.  Poise  doit  être  né  à  Bergame  ou  dans  les  environs, 
tant  il  a  d'affection  pour  les  pantins  qui  en  sont  devenus  les  héros. 
Son  inspiration  est  cantonnée  dans. un  petit  cercle  de  mélodies  ténues 


>      > 


comme  un  fil  de  soie;  il  les  dévide  avec  dextérité  sur  les  fuseaux  de 
son  orchestre,  sans  les  embrouiller.  La  trame  qu*il  tisse  ainsi  est 
fragile  comme  le  verre,  dont  elle  a  la  transparence,  légère  comme 
une  houppe  de  poudre  de  riz,  mais  elle  est  agréable  à  contempler, 
sans  prétention  et  amusante. 

Le  tout  tient  dans  le  creux  de  la  main.  C'est  si  mignon,  si  gentil, 
si  •♦  talon  rouge  »»,  que  l'impression  produite  est  délicieuse. 

Le  public  a  ressenti  le  charme  de  cet  art  à  la  Willette.  Il  a  rappelé 
les  artistes  après  chaque  acte  et  fait  un  gros  succès  à  la  petite 
partition  du  maëstrino. 

Thkatre  de  l'Alcazar.  —  On  bisse  tous  les  soirs  la  Valse  désor- 
mais célèbre  de  YÉtudiant  pauvre,  joyeusement  chantée  par  la 
troup'e  de  M^e  Olga  Léaut,  dans  laquelle  M"™»  Lentz  vient  de  rem- 
placer M™*  Marie  Julien. 

Thr;atre  des  Galeries.  —  ^Rip-rip  va  enfin  succéder  au  Tokv  du 
'Monde.  " 

Théâtre  du  Parc.  —  Le  jcmr  du  Mardi-Gras,  Goquelin  jouera 
^our  \&  dorniëre  (ois  L&  légataire  universel: 


M.  Jean  Van  den  Eeden  organise,  avec  le  concours  de  l'orchestre 
du  Conservatoire  de  Mons,  un  concert  au  bénéfice  des  pauvres,  qui 
aura  lieu  vers  la  fin  de  ce  mois,  ou  au  commencement  du  mois  pro- 
chain. 


^ 


ETITE    CHROfllQUE 


Les  conférences  des  XX  sont  extrêmement  suivies.  Environ  trois 
cents  personnes  assistaient  à  celle  de  Raffaëlli,  qui  a  obtenu  un  très 
vif  succès.  Nous  en  donnons  plus  haut  un  extrait  important. 

La  conférence  faite  hier  par  M.  Emile  Sigogne  a-  également 
réuni  un  nombreux  auditoire.  L'orateur  a  donné  de  Gustave  Flaubert 
un  portrait  physique  et  moral  très  étudié. 

Il  s'est  attaché  à  trouver  le  caractère  de  son  auteur  dans  sa 
correspondance,  dont  il  a  lu  un  grand  nombre  d'extraits,  choisis  avec 
discernement  et  reliés  par  de  piquantes  observations. 

La  Tentation  de  Saint- Anioine,  que  le  conférencier  e.stime 
réaliser  le  plus  complètement  l'art  de  Flaubert,  a  fait  l'objet  de 
commentaires  intéressants  et  d'attrayantes  lectures. 

A  samedi,  très  probablement,  la  conférence  promise  par  le  peintre 
Ter  Linden. 

Voici  la  liste  des  œuvres  qui,  jusqu'à  ce  jour,  ont  été  acquises 
au  Salon  des  XX. 

J  Ensor.  Paysage.  —  W.  Finch.  Coin  de  village  (Mariakerkei. 
X.  Mellery.  X^>i  coin  de  mon  jardin  l'hiver.  —  G.  Meunier.  Le 
gardien  du  feu.—  F.  Ter  Linden.  Belle  matinée.  —  J.  Toorop. 
Panique.  —  Id.  Le  ^es  à  Amsterdam.  —  Is.  Verheyden,  Dans  les 
dunes.  —  Th.  Verstraete.  Soleil  couchant.  Août.  —  Id.  Coupe  de 
souchesL  Février.  —  Id.  Soirée  de  novembre.  —  G.  Vogels,  Dégel. 
—  Id.  (Shaloupe  de  Trouvilie.  . 

Il  résulte  d'une  découverte  récente  faite,  en  Italie,  par  M.  Tom- 
maso  Sandonnini,  que,  contrairement  à  la  légende,  Jean  Goujon  n*a 
point  disparu  dans  les  massacres  de  la  Saiut-Barthékray.  L'ne  pièce 
authentique,  rencontrée  dans  les  archives  de  Modène,  donne  du 
voyage  de  Jeau  Goujon  et  de  sa  mort  en  Italie'  une  preuve  qui  ne 
saurait  être  contestée.  On  trouve  de  lui  trois  mention*  dans  un  pro- 
cès fait  par  le  Saint-Office  à  un  Français  du  nom  de  Laurent  Pénis, 
de  Fontainebleau. 

M.  A.  de  Montaiglon,  en  traitant  à  fond  la  biographie  du  grand 
sculpteur  dans  la  Gazette  des  Beaux-Arts,  résume  .en  ces  termes 
l'état  actuel  de  la  question  et  met  à  néant  plusieurs  erreurs  cou- 
rantes. «  Il  travaille  pour  Saiut-Maclou  et  à  la  cathédrale  de  Rouen 
eu  1541  et  1542,  et  c'est  ce  qui  permet  de  lui  supposer  une  origine 
normande.  Il  fait  les  sculptures  de  jubé  de  Saint-Germain- l'Auxer- 
rois,  en  1544;  celles  d'Ecouen,  en  1547,  date  de  lu  publication  de 
Vitrure;  celle  de  la  Fontaine  des  Innocents  en  1548  et  1540  ;  celles 
de  rhO)tel  Carnavalet  et  celles  du  château  de  l'Ecoueu  vers  1550,  qui 
ess  l'époque  de  sa  plus  grande  force  ;  celles  du  Louvre,  de  1.550  à 
1552.  Il  quitte  alors  la  France  et  doit  mourir  à  Bologne  eiitqe  15t)4 
et  1508  ",  c'est-à  dire  avant  la  Saint  Barthélémy,  qui  est  de  1582. 

Les  Essoristes  organisent  sous  le  patronage  du  Comité  de  la 
Presse  une  exposition  tinlaniaresque  d'œuvres  «  d'art  »  de  haute 
fantaisie:  Peintures,  sculptures,  dessins,  aquarelles,  etc. 

Elle  s'ouvrira  le  20  février  prochain,  dans  les  salles  dy  Musée  du 
Nord,  et  durera  environ  quinze  jours. 


On  prépare  à  Kiel  un  grand  festival  poui*  célébrer  le  bicenfenaire 
de  la  naissance  de  Hsendel  et  de  Bach.  La  solennité  aura  lieu  sous  la 
direction  de  Joachim,  qui  fera  exécuter  une  cantate  de  Bach,  le  Josué 
de  Iltendel,  et  la  symphonie  avec  chœurs  de  Beethoven. 

Il  II  ■ 

M.  Heinrich  Hofmann,  le  jeune  compositeur  allemand,  vient  de 
terminer  la  composition  d'un  opéra  intitulé  Donna  Diana.  M.  Hof- 
mann a  été  chargé  d'écrire  la  cantate  qui  sera  exécutée  aux  fêtes  du 
prochain  anniversaire  de  l'empereur  d'Allemagne. 

M.  Jules  Dalou  travaille  en  ce  moment  au  groupe  colossal  qui  lui 
a  été  commandé  parla  ville  de  Paris  pour  la  d^^coration  de  la  place 
de  la  Nation,  et  qui  .symbolise  le  Triomphe  de  la  République.  La 
figure  principale,  complètement  achevée,  est  déjà  moulée,  ainsi  que 
le  char  sur  lequel  elle  se  dresse  et  les  deux  lions  gigantesques  qui  le 
traînent.  Les  figures  acces.soires  de  la  Justice  et  du  Travail  .sont  éga- 
lement assez  avancées,  ainsi  que  les  éiffànts  groupés  derrière  le 
char.  Mais  il  reste  encore  beaucoup  à  faire  et,  en  raison  d'un  travail 
de  cette  importance,. il  n'est  pas  probable  que  l'on  puisse,  avant  deux 
ans,  inaugurer  le  groupe  de  M.  Dalou. 

M"«  Augusta  Ilolmès,  l'auteur  de  Lutèce  et  des  Argonautes,  va 
ouvrir  un  cours  de  diction  lyrique.  Ce  ne  sera  pas  un  cours  de  chant  ; 
ce  que  M'''^  Holmes  se  propose  d'mdiquer,  c'est  la  prononciation, 
l'accentuation.  Les  cours  seront  donnés  à  la  Salle  Flaxlaud,  rue  des 
Mathurins,  40,  les  mardis  et  samedis. 


Le  premier  numéro  de  \ii.  Revue  contemporaine  a  paru  le  25  jan.- 
vier.  Il  contient  1.50  pages  de  texte  signé  Emile  Henn<^;quin,  Edouard 
Rod,  Edmond  Haraucourt,  F.  Joussenet.  E  P^ngel.etc,  et  des  lettre» 
inédites  fort  intéressantes  de  Jules  de  Goncourt.  «  Là  Revue  con- 
temporaine, déclare  fièrement  la  rédaction,  ne  sera  ni  une  publi- 
.  cation  de  propagande,  ni  une  entrepri.se  mercantile.  A  défaut 
d'expérience  et  peut-être  de  talent,  les  écrivains  qui  la  fondent  ont 
assez  le  respect,  des  choses  littéraires  pour  ne  point  les  exploiter,  et 
ils  ont  l'entêtement  de  préférer  aux  écrits  de  tout  le  monde,  le  leur. 
Ils  fondent  cette  Revue  pour  avoir  l'honneur  de  la  faire.  » 

Administration  :^  rue  de  Toarnon,    2,  à    Paris.    Abonnement  : 
France,  20  fr.  —  Étranger,  22  fr.     .      . 

Le  premier  numéro  de  la  Revue  Wagnêrienne,  dont  nous  avons 
annoncé  l'apparition,  a  paru  le  8  février.  En  voici  le  sommaire  : 
lo  Chronique  de  janvier;  2'^  Wognérisme,  par  Fourcaud;  3'^  Tristan 
et  Isolde  et  la  critique  en  18H0  et  18«55:  4'^  Le  mois  Wagnérieu  ; 
5°  La  légende  de  Tristan,  d'après  les  romans  du  moyen-âge; 
6''  Nouvelles.  Paris,  rue  des  Martyrs,  24. 

Les  annonces  sont  reçues  au  bureau  dujou/mal, 
26,  rue  de  V Industrie,  à  Bruxelles. 


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p.\R  Edmond  PICARD 

Édition  défi)iitivc,  tirée  à  petit  no/nbre 


L'édition  de  grand  luxe  qui  vient  de  paraitre  s"iidresse  surtout  aux  amateurs 
de  beaux  livres  et  de  raret'S  hilihojihili'iues.  —  Elle  est  tirée  a  t."e^  i)etic 
nombre  numéroté,  sur  grauil  papier  impérial  du  .Japon,  Cii.ne  L-enume  trie  a  La 
feuille,  et  Hollande  Vjui  (jeliler  es.fa.  Kl!e  est  unprimée  en  superbes  oaraot-^Tes 
gros  romain  elzevir  anglais  iieuis.  I."  lormat  est  in-4".  Les  ea-t'^te  <ie  page  et 
les  culs-de-lanipe  ont  ete  gravés  spr'cialement.  Elle  est  ornée  d'un  irnutispiOL» 
d'après  un  modelagi»  en  cire  de  Charles  Vander  Slappen,  dun  portrait  et  .ie 
huit  estampes  avant  !a  lettre,  gravées  par  Evely,  d'après  les  tableaux. 
aquarelles,  dessins  et  gravures  d'.\lfred  Verwée.  Théodi^re  Baron.  Louise 
Heger,  Fernand  Ktinoprl',  l>anse  et  N'eyt.  tirées  par  lîauwens.  Elle  constituera 
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N'»  2.  Historiette,  2  fr.  —  ]^o  3.  ValseJente,  fr.  1.75. 

Kowalski.  Op.  44.  Autour  de  mon  Clocher,  2  fr.  —  Op.  45.  Illu- 
sions et  Chimères,  2  fr.    -  Op.  48.  Tambour  battant,  2  tr. 

Smith  S.  Op.  185.  Notre-Dame,  Chant  religiçux,  2  fr.  —  Op.  191. 
La  mer  calme.  Deuxième  barcarolle,  2  fr.  —  Op.  192  Styrienne, 
2  fr.  —  Op.  193.  Marguerite,  2  fr.  —  Op.  194.  La  fée  de  Ondes,  2  fr. 

Wieniawski,  Jos  Op.  39.  Six  pièces  romantiques  :  Gah.  l.  Idylle, 
Evocation,  Jeux  de  fées,  3  fr.  —  Gah.  II.  Ballade,  Elégie,  Scène 
ru-stique,  3  fr.  —  Op.  41    Mazourka  de  concert,  fr.  2.50. 

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celle et  piano,  3  fr.  —  Hymne  à  Cérès,  pour  baryton  ou  mezzo- 
soprano  et  chœur  pour  3  voix  de  femmes,  2  fr. 

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ment de  piano  à  4  mains  :  No  4.  Fête  villageoise,  la  partition, 
fr  2.50.  —  No  2.  *Les  A^endangeuse,  la  partition,  fr.  2.50.  —  N»  3. 
Sous  les  Bois,  la  partition,  fr.  2  50.  —  N"  4.  La  Paix,  la  partition, 
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TRADUIT  DE  L'ALLEMAND  PAR  M"  H.  FR. 

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Toutes  les  œuvres  de  Brahms,  ainsi  qu'un  choix  de  bons  portraits  du  com- 
jpositeur,  se  trouvent  au  magasin  des  éditeurs,  41,  Montagne  de  la  Gour. 


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Cet  ouvrage  forme  la  suite  des  Scènes  de  la  vie.  judiciaire. 

Les  volumes  antérieurement  parus  sont  : 

Le  Paradoxe  sur  l'avocat.  —  La  Forge  Roussel.  —  L'amiral. 


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numérotés  qui  sont  mis  en  vente  au  prix  de  10  francs. 

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\ 


^rm 


Cinquième  année.  —  N°  8 


JjE    NUM^IRO    :    25    CENTIMES. 


Dimanche   22  Février  1885. 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


RBVDB  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,  un   an,   fr.   10.00;  Union  postale,   fr.   13.00.    —  ANNONCES  :    On  traite  k.  forfait. 

Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 

l'administration  générale  DE  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


^OMMAI'flE 


Les  Vingt.  Troisième  article.  —  La  kermesse  continue.  —  Les 
Maitres-Chanteurs  '■ —  Les  palinodards.  —  Aîssociation  des 
artistes  musiciens.  Quatrième  concert  —  Théâtres.  —  Mémento 
DES  expositions  et  concours.  —  Petite  chronique..      ;  ' 


Troisième  article. 

Presque,  inconnu  à  Bruxelles  où  il  n'avait  jamais 
exposé,  Rafïaëlli  passait  pour  un  intransigeant  excen- 
trique et  gamin,  menant  à  Paris  le  sabBat  des  impres- 
sionnistes, une  bande  de  mauvais  sujets  plus  préoccupés 
de  casser  des  vitres  et  de  piétiner  les  parterres  officiels 
que  de  faire  de  bonne  peinture. 

L'ouverture  du  Salon  a  dissipé  ces  légendes  qui 
voletaient  comme  des  oiseaux  fantastiques  autour  de 
son  nom.  Ses  toiles  minutieusement  achevées,  dessi- 
nées avec  la  plus  exacte  correction,  ont  provoqué' 
autant  de  surprise  que  l'aspect  de  sa  personne,  sa 
parole  châtiée,  là  modération  de  ses  expressions  ont 
étonné  l'auditoire  qui  se  pressait  à  sa  conférence.  Mais 
tant  était  enraciné  le  préjugé  qui  voulait  que  Raflaëlli 
fût  un  hirsute,  qu  un  chroniqueur  a  soutenu  mordicus 
que  son  art  procédait  de  celui  de  Courbet  !  Il  manquait 
cette  amusante  ânerie  au  bêtisier  que  publie  par  cha- 
pitres, périodiquement,  sous  le  titre  ironique  de  Cri- 
tique d  art,  \q  Qhvom({\xQX3LV  m^àii,    - 

Que  Raffaëlli  s'intitule  caracté7Hste  ou  impression- 
niste, peu  importe,  ces  désignations,  il  le  dit  lui-même 


dans  l'exposé  de  son  esthétique,  n'étant  guère  autre 
chose  que  des  mots  de  ralliement  lancés  dans  la  circu- 
lation pour  entrer  en  communion  d'idées  les  uns  avec 
•les  autres. *Ce  qu'il  y  a  dans  son  art,  c'est  une  curieuse 
et  fidèle  observation  de  la  vie  contemporaine  par  un 
œil  singulièrement   apte  à  saisir,   en    une    synthèse 
typique,   les  traits    dominants   des    personnages  qui 
l'impressionnent.   Nul  mieux   que  lui  n'a    donné   la 
physionomie  /exacte,  saisissante,  inoubliable,  des  dé- 
classés de  la  banlieue  parisienne,  si  vivants  et  si  tra- 
giques dans  les  bouts  de  paysages  souffreteux,  plantés 
d'arbres  maigres  et  de  cheminées  d'usine,  où  l'artiste 
les  fait  mouvoir.  Raffaëlli  peut  revendiquer  l'honneur 
d'avoir,  le  premier,  exploré  un  coin  déterre  réputé  inac- 
cessible avant  son  arrivée.  Il  y  a  attaché  son  nom.  Et 
cette  colonie  nouvelle  de  l'art,  il  la  fouille,  il  la  parcourt 
en  tous  sens,  ill'exploite  avec  un  bonheur  inouï.  S'il  n'a 
pas  inventé  de  formules  nouvelles,  il  en  a  trouvé  une 
application  ingénieuse  et  forte  qui  lui  assure, dans  l'his- 
toire de  l'art,  une  place  durable.  «  Je  ne  crains  pas  de 
m'avancer,  écrivait  il  y  a  quelques,  années  Joris-Karl 
Huysmans,  ce  critique  délié,  en  déclarant  que,  parmi 
l'immense    tourbe  des    exposants   de    notre   époque, 
M.  Raffaëlli  est  un  des  rares  qui  restera;  il  occupera 
une  place  à  part  dans  l'art  du  siècle,  celle  d'une  sorte 
de  Millet  parisien,  celle  d'un  artiste  qu'auront  impré- 
gné  certaines  mélancolies  d'humanité  et  de  nature 
demeurées  rebelles,  jusqu'à  ce  jour,  à  tous  les  peintres.» 
Les  Forger 0)îs,  le  plus  impressionnant  morceau  de 
son  envoi,  le  Terrassier  à  la  décharge,  le  Dimanche 


au  cabaret  sont,  à  cet  égard,  des  œuvres-maîtresses. 
Dans  V Armée  du  salut,  le  côté  anecdotique  domine,  et 
aussi  une  façon  de  mettre  en  relief  le  caractère  bur- 
lesque et  bruyant  des  milices  prédicantes  et  conver- 
tissantes. Est'Ce  une  œuvre  caricaturale,  comme  on  l'a 
prétendu?  Pas  précisément.  C'est,  pourrait-on  dire, 
l'interprétation  française  d'une  scène  qui  paraît  aux 
Anglais  très  naturelle  et  très  simple.^ A  cet  égard,  ce 
tableau  est  peut-être  de  tous  le  plus  intéressant.  Une 
critique  railleuse  s'y  unit  à  l'observation  des  caractères, 
et  il  n'est  pas  jusqu'au  rouge  exaspéré  des  vestons  de 
flanelle  des  Soldats  du  salut  qui  ne  concoure  à  cette 
expression  en  bafouant  le  charlatanisme  de  ces  exhi- 
bitions. 

Meunier,  l'une  des  plus  belles  natures  d'artiste  que 
nous  possédions  en  Belgique,  raconte  aussi  le  labeur, 
les  souffrances,  les  joies  tristes  des  humbles.  Il  décrit 
les  enfers  des  hotiillères,  les  fournaises  de  l'usine,  et 
dans  un  tableau  '  dont  la  coloration  n'est  malheureu- 
sement pas  heureuse,  mais  dont  le  sentiment  est  char- 
mant, le  Déjeuner  des  grésilleuses,  brusquement  il 
soulève  un  coin  du  rideau  de  misère  qui  assombrit  la 
vie  des  pauvres  pour  y  laisser  tomber  un  rayon  de 
soleil  pâle. 

Il  y  a  entre  l'art  de  Raffaëlli  et  celui  de  Meunier  des 
affinités  de  sujets,  mais  de  sujets  seulement  ;  car  tandis 
que  l'un  poursuit  la  recherche  obstinée  du  Caractère 
de  chaque  individu,  l'autre  généralise  de  plus  en  plus 
et  crée  des  types,  lentement  formés  ps^r  les  alluvions 
successifs  qu'une  suite  d'années  d'études  apportent, 
commodes  flots  battant  la  rive,  à  l'art  du  peintre.  Son 
Puddleitr  modelé  en  cire,  son  Débardeur,  la  physio- 
nomie caractéristique  de  son  charbonnier  dans  La 
Remonte,  une  œuvre  magistrale,  sont  des  créations 
définitives.  Plus  justement  qu'à  Raflaëlli  pourrait  s'ap- 
pliquer la  comparaison  faite  par.  Huysmans  au  sujet  de 
Millet.  Le  Paysan  enfanté  par  le  Maître  à  la  suite  de 
longues  observations  que  traversait,  c'est  indéniable,  le 
souvenir  des  belles  lignes  de  l'antiquité,  trouve  dans 
l'Ouvrier  de  Meunier  un  pendant.  Il  a  même  noblesse 
et  même  humanité. 

John  M.  Swan,  un  Anglais  qui  n'a  pas  trente-cinq 
ans  et  dont  le  pinceau  a  une  maîtrise  étonnante,  a  été, 
dès  l'ouverture  du  Salon,  le  point  de  mire  des  admira- 
tions. Jamais  aussi  grand  succès  ne  récompensa  plus 
justement  le  mérite.  Deux  aquarelles,  un  pastel,  une 
peinture  à  l'huile  de  petite  dimension,  et  voilà  l'artiste 
célèbre.  C'est  que  ces  pages  enferment  une  grandeur 
tragique  rarement  égalée.  Les  fauves  qui  ont  fait  l'objet 
des  constantes  études  de  Swan  ont  une  majesté  telle 
qu'on  oublie  ce  qu'il  peut  y  avoir  à  reprendre  au  point 
de  vue  de  la  coloration  dans  les  compositions  du  jeune 
maître.  On  est  empoigné  avant  d'avoir  eu  le  temps  de 
raisonner  et  d'analyser  la  sensation  éprouvée. 


Pour  prévenir  ces  impressions  trop  favorables,  des 
jaloux  se  sont  efforcés,  dès  le  jour  de  l'ouverture,  de 
démontrer  que  rien  n'était  plus  facile  que  d'interpréter 
les  fauves  aussi  bien  que  M.  Swan.  «  C'est  inspiré  de 
Barye  «,  ont-ils  dit.  Si,  au  lieu  de  les  peindre,  l'artiste 
les  eût  modelés,  —  il  est  sculpteur  et  peintre,  —  on 
n'eût  sans  doute  pas  manqué  de  crier  au  surmoulage. 

Quelques  chroniqueurs  se  sont  fait  l'écho  de  ce 
reproche,  injuste  selon  nous. 

A  ceux  qui  accusent  l'artiste  de  pasticher  l'auteur  de 
Thésée  combattant  le  Minotaure,  il  suffit  de  montrer 
La  lionne  allaitant  ses  lionceaux  y  le  plus  séduisant 
morceau  de  la  superbe  exposition  de  Swan.  Qu'y  a-t-il 
de  commun  entre  cette  œuvre  exquise,  tout  imprégnée 
d'amour  maternel  et  d'intimité,  et  les  fauves  de  l'élève 
du  baron  Gros?  Rendons  justice  à  Barye,  le  grand  bel- 
luaire  romantique,  le  premier  qui  jugea  les  animaux 
dignes  d'une  étude  approfondie  et  qui  les  peignit  et  qui 
les  modela  avec  une  magnifique  crânerie.  Mais,  pour 
Dieu  !  qu'on  ne  lui  confère  pas  le  monopole  exclusif  des 
tigres  et  des  lions.  Qu'on  ne  rabaisse  pas  le  talent  d'un 
jeune  artiste  parce  qu'il  interprète  les  mêmes  modèles, 
alors  qu'il  n'a  peut-être  jamais  vu  la  sculpture  du 
maître  français. 

Dira-t-on,  par  exemple,  d'Alfred  Verwée  qu'il  ne  fait 
qu'imiter  Troyon  parce  que  les  vaches  constituent  ses 
modèles  de  prédilection?  - 

Les  Pêcheurs  de  Kroyer,  qu'un  critique  de  grand 
format  a  pris  pour  «  des  voyageurs  ou  des  ouvriers  », 
ont  une  allure  superbe.  Dans  le  jour  crépusculaire  qui 
noie  les  contours,  à  la  lueur  des  étoiles  naissantes,  sous 
le  ciel  froid  des  plages  septentrionales,  leurs  silhouettes 
s*estompent,  simplement  et  grandement  observées,  tan- 
dis qu'au  large,  ses  fanaux  allumés,  glisse  un  steamer 
dans  4'obscuri té  croissante.  Même  sentiment  artistique 
intense  dans  une  page  charmante,  petite  celle-ci,  et  tout 
intime  :  Le  déjeuner  dçs  artistes  à  Grez.  Remar- 
quable envoi,  que  complète  le  buste  expressif  du  peintre 
danois  Mich.  Ancher. 

La  sculpture  de  ces  deux  peintres.  Meunier  et 
Rroyer,  est  cent  fois  plus  intéressante  que  celle  du 
sculpteur  Lanson,  dont  VArdgonaise  et  la  Bianca  en 
prière,  froides  images  en  relief,  laborieusement  mode- 
lées selon  les  formules  classiques,  n'ont  ni  expression, 

vie.  Il  en  est .  autrement  de  l'exposition  d'Henry 


ni 


Devillez,  chez  qui,,  à  défaut  de  la  maîtrise,  qui  n'est  pas 
encore  venue,  on  découvre  de  belles  qualités  d'artiste  : 
de  la  distinction,  de  Télégance,  un  sentiment  très  fin 
de  la  ligne.  Quelques-uns  de  ses  médaillons,  caressés 
avec  une  grâce  féminine,  possédant  juste  ce  qu'il  faut 
d'accent  pour  leur  donner  l'expression,  sont  fort  bien 
venus.  Son  Saint-Georges  a  les  qualités  d'une  bonne 
œuvre  décorative.  Salomé,  son  œuvre  la  plus  belle,  et, 
jusqu'à  ce  jour,  croyons-nous,  le  point  culminant  de  sa 


carrière  d'artiste,  a  eu, la  pauvre!  à  souffrir  des  brutali- 
tés des  ouvriers  du  chemin  de  fer.  Elle  se  présente  dans 
de  tristes  conditions,  brisée,  émiettée  par  places,  des 
plaies  béantes  déchirant  sa  chair  de  plâtre.  En  atten- 
dant que  le  marbre  fasse  revivre  l'énigmatique  figure, 
où  la  cruauté  froide  le  dispute  à  la  joie,  on  admire, 
malgré  les  érafiures  et  les  écorchures,  la  ligne  ondoyante 
et  le  modelé  délicat  de  cette  apparition  fantasque  où  il 
y  a  du  serpent,  du  fauve  et  de  la  chatte,  n'en  déplaise  à 
l'auteur,  qui  a  symbolisé  par  une  sauterelle,  pattes 
repliées,  sa  symbolique  composition. 

Deux  autres  artistes  belges  complètent  magistrale- 
ment le  contingent  des  invités  du  terroir.  Ce  sont 
MM.  Melh^ry  et  Ter  Linden.  L'un  expose  une  série  de 
toiles  d'une  intensité  de  sentiment  surprenante,  — 
parmi  lesquelles  U hiver,  une  impression  crépusculaire 
qui  a  la  pénétration  d'un  tableau  gothique,  a  été  le 
plus  admirée,  —  et  l'histoire  de  l'île  de  Marken, 
racontée  au  crayon  noir  et  à  l'aquarelle  par  un  peintre- 
poète.  Nous  avons  analysé  l'an  dernier,  à  propos  de 
cette  même  aqtl^relle  qu'il  expose  cette  année  aux 
XX  :  Jeim0s  filles  se  rendant  cm  teniple,  l'art  pro- 
fond, réfléchi  et  impressionnant  de  Mellery  f).  Nous 
n'avons  rien  à  ajouter  aux  éloges  sans  réserve  que  nous 
lui  avons  adressés. 

L'autre  étudie  ayec  passion  les  aspects  si  variés  de 
la  patrie,  depuis  nos  plages  ourlées  de  dunes  où  souffle 
la  brise  fraîche  de  la  mer  du  Nord  jusqu'aux  plateaux 
ardenniais,  isolés  et  tragiques  sous  leurs  ciels  bas.  S'il 
manque  parfois  de  puissance,  il  donne  de  la  nature  une 
interprétation  émue,  délicate.  Dans  quelques  morceaux, 
il  est  tout  à  fait  heureux  :  dans  son  Hiver,  par  exem- 
ple, un  coin  de  village  enseveli  sous  la  neige,  d'une  har- 
monie de  tons  charmante. 

M.  Lenain  expose  un  beau  portrait  de  Camille 
Lemonnier,  et  un  fort  mauvais  fusain  académique  inti- 
tulé Diane.  Tout  â  côté,  deux  bonnes  lithographies  de 
Fantin-Latour  et  l'admirable  série  de  gravures  de  Bra- 
quemond,  qui  constitue  peut-être  la  perle  de  tout-le 
Salon.  Les  portraits  de  Jules  de  Concourt  et  de  Jacques 
Bosch,  notamment,  le  David  de  Gustave  Moreau  et  le 
cadre  enfermant  Le  coq  et  \e%  Ebats  de  canards  sont 
de  purs  chefs-d'œuvre. 

Nous  n'analyserons  pas  les  tableaux  de  Fantin- 
Latour  et  de  Cazin.  On  connaît  notre  admiration  pour 
ces  deux  maîtres,  mais  peut-être  se  rencontrera-t-il  une 
meilleure  occasion  d'en  parler.  L'envoi  de  Fantin  n'est, 
en  effet,  pas  aussi  heureux  que  d'habitude.  L'obsédant 
souvenir  de  \ Etude  fait  paraître  assez  terne  le  portrait 
qu'il  expose  cette  fois,  et  l'exécution  sèche  et  minu- 
tieuse de  ses  fleurs  n'est  pas  faite  pour  effacer  cette 
impression.  En  regardant  les  paysages,  jolis,  sans  doute, 


trop  jolis  !  de  Cazin,  on  ne  peut  se  défendre  de  regretter 
la  Chambre  de  Gambetta^  et  la  Judith,  et  le  Plafond 
exposé  en  1879,  et  toutes  ces  œuvres  à  la  fois  puis- 
santes et  douces  qui  tranchent  si  vigoureusement  sur 
l'art  bourgeois  qui  gangrène  la  génération  actuelle.  • 

C'est  Fritz  von  Uhde  qui  représente  l'école  moderne 
allemande.  Il  la  représente  sagement,  en  artiste  qui  a 
des  aspirations  jeunes,  mais  dont  le  pied  est  encore  pris 
dans  les  broussailleuses  traditions  du  sol  natal.  Un 
vigoureux  effort  pour  vous  dégager,  voyons.  Le  Joueur 
dJ orgue  du  Salon  de  Paris  était  autrement  juste  de 
tons  et  autrement  intéressant  que  La  Grande  Sœur  et 
A  la  Campagne! 

Quant  aux  Italiens,  ils  arrivent  bons  derniers. 
Michetti,.  un  intransigeant  qui  a  remué  tout  le  pays 
lors  de  l'exposition  de  Milan,  où  il  exposait  trente- 
quatre  tableaux  (*),  est  tombé  dans  une  correcte  et  vul- 
gaire banalité.  Mancini  a  des  qualités  de  sentiment, 
mais  sa  couleur  salie  et  son  exécution,  lourde  rendent 
son  art  peu  séduisant.  • 


{')  Voir  l'Art  moderne  du  4  mai  1884. 


U  KERMESSE  CONTINUE 

L'agitation  continue  dans  les  régions  basses  du  reportage  quoti- 
dien où  barbottent  les  malheureux  que  leur  impuissance  a  em- 
pêchés de  s'élever  à  la  surtace.  Périodiquement  le  Salon  des  XX 
remue  des  vases  croupissantes.  .,  ■  - 

Tout  le  petit  monde  grouillant  et  grenouillant  qui  habite  les 
marécages  est  en  rumeur  et  coasse  sur  un  mode  lamentable  parce 
que  le  curage  des  étangs  met  à  nu  leurs  misères. 

Les  rimailleurs  de  vers  polissons,  les  ratés  du  pinceau  et  de  la 
plume,  les  fruits  secs,  les  prudhommes  en  bourrelet  de  bébé,  les 
marchands  de  lorgnettes  préposés  à  la  critique,  tout  le  pitoyable 
et  carnavalesque  cortège  des  déclassés  de  l'art,  secouant  leurs 
épaules  encore  rouges  des  coups  de  cravache  qu'on  leur  a  dis- 
tribués l'an,  dernier,  aux  applaudissements  de  la  galerie,  ont 
imaginé  une  nouvelle  parade.  Il  faut  bien  qu'ils  gagnent  honnê- 
tement leur  salaire  ! 

Après  avoir  usé  leurs  ongles  et  leurs  dents  sur  les  Vingtistes 
qui  ont  rejeté  dédaigneusement  cette  meute  plus  bruyante  que 
dangereuse,  ils  essaient  de  mordre  aux  jarrets  ceux  qui  défen- 
dent le  groupe  victorieux  et  qui  ont,  dès  le  premier  jour,  pris  à 
ctDur  ses  intérêts.    '  ^  .       - 

L'un  se  cache  piteusement  derrière  un  livre  où  il  est  lui-même 
dépeint  se  faufilant  dans  les...  portes  cochères  pour  échapper... 
aux  quolibets.  ParaveLl  peu  sûr  que  ce  volume  :  il  lui  crève  sur 
le  nez  !  . 

Un  autre,  exaspéré  du  triomphe  de  ceux  sur  lesquels  il  a 
vainement  craché  son  venin,  ne  parvient  pas  à  cacher  son  dépit 
de  n'être  pas  parmi  eux.  Les  di.x-neuf  dos  qu'il  a  vus  tournés  de 
son  côté  quand  il  s'est  agi  de  recruter  un  vingtième  exposant 
demeurent,  dans  son  esprit  inquiet,  une  vision  hantante.  Réfugié 
dans  les  cercles  secondaires  où  on  le  tolère,  il  ne  pardonnera 


(*]  Voir  VArt  Moderne  ISs^l,  p.  248. 


jamars  aux  XX  de  ne  l'avoir  pas  pris  plus  au  sdrîoux  comrtie 
peintre  que  comme  critique. 

Son  inoffensive  rancune  de  rapin  est  justifiée,  mais  quand 
il  cherche  h  faire  rire,  c'est  bien  dangereux,  car  ce  n'est  pas 
de  son  côté  que  sont  les  rieurs  ! 

Pour  lui,  dire  de  ses  amis  le  bien  qu'on  en  pense  est  une  indi- 
gniiév  II  n'est  pas  de  nos  amis,  ef  cela  le  tourmente.  Qu'il  se  ras- 
sure !  .  ■   ■'■  ■■ 

Il  s'étonne,  enfin,  qu'on  envoie  aux  journaux  des  communiqués 
et  informations  après  avoir  ércinlé  les  criliquels  qui  cuisinent 
dans  les  dits  journaux  leurs  reportages  soi-disant  artistiques.  Sa 
surprise  est  candide.  Faut-il  lui  apprendre  que  ce  sont  les  criti- 
culets  qu'on  bafoue,  et  que  c'est  aux  journaux  que  sont  transmis 
les  renseignements  ?  La  confusion  donne  de  la  suffisance  naïve 
de  ces  porte-plumes  une  idée  réjouissante. 

El  maintenant,  bon  voyage.  Tant  qu'il  plaira  au  mousse  de 
continuer  la  navigation  qu'il  a  entreprise,  et  qui  l'amuse,  on 
trouvera  sur  le  pont  à  qui  parler.  Au  revoir  donc,  jusqu'à  une 
prochaine  occasion. 

C'est  une  œuvre  à  part,  d'un  rabelaisien  comique  et  d'un  fan- 
tasque shakespearien  :  gaminerie  enfantine,  gros  rire  débraillé, 
rêves  auréolés  de  clair  de  lune. 

.  Sujet  simple  :  les  amours  du  chevalier  Waliher.  Il  est  exposé 
tout  entier  dans  l'ouverture,  une  marche  pesante,  —  l'art  dogma- 
tique, —  auquel  s'enlace  la  jeune  floraison  de  l'art  spontané. 
Ces  deux  motifs  s'enflent,  se  croisent,  s'éjouissent  d'arabesques 
étincelantes  et  aboutissent  aune  claironnante  péroraison,  joyeuse 
de  forte  gaieté  populaire.  :'         '  :      ' 

C'est  la  veille  de  la  Saint-Jean,  fêle  dés  Maîtres  Chanteurs  et  des 
fiancés.  L'église  Sainte-Catherine  de  Nuremberg  écoute  mourir 
le  dernier  verset  d'un  choral  gothique;,  et,  pendant  que  sous  les 
voûtes  montent  les  hymnes  soupirants,  Walther,  le  chevalier,  du 
geste  et  du  regard,  adresse  à  Eva  une  ardente  prière.  Hier,  il  est 
entré  dans  la  maison  de  Pogner  l'orfèvre  et  il  s'est  épris  d'Eva, 
sa  fille.  11  la  guette  au  passage,  d'un  œil  amoureusement  inquiet. 
Voici  que,  les  prières  finies,  le  peuple  sort  de  l'église.  «  Eles-vous 
a  promise,  Eva?  Un  mot,  de  grâce,  un  mol,  tout  bas!  Etes-vous 
«  promise?  »  Non, mais  son  père  a  juré  de  la  donner  en  mariage 
à  celui  qui  triomphera  dans  le  concours  des  Maîtres  Chanteurs. 

II.  a  lieu  aujourd'hui  même,  dans  cette  église.  Aujourd'hui 
même,  Walther!  Mais  le  miraculeux  amour  effeuille  au  ciel  d'or 
les  poètes! 

On  apporte  les  bancs  des  maîtres,  l'estrade  du  marqueur  de 
fautes,  le  siège  des  Concurrents  ;  les  apprentis  s'agitent,  s'égayent, 
se  querellent  :  petites  flûtes  rieuses,  violons  babillards,  contre- 
basses bourdonnantes,  cors  espiègles.  Et  l'apprenti  David  enseigne 
au  chevalier  les  règles  du  chant  magistral  :  «Quels  modes?  Quels 
tons?  Le  bref,  le  long,  le  traînard,  la  tortue,  la  plume  d'or, 
récritoire  d'argent,  l'azuré,  l'écarlate  et  le  vert  de  laitue,  la  ma- 
nière des  fleurs  de  haies,  la  manière  des  marjolaines,  les  arc-en- 
ciel,  le  rossignoJ  joyeux,  la  peau  de  l'ours,  le  pélican  fidèle  et 
une  multitude  d'autres  manières  et  d'aulres  tons,  très  difficiles  à 
grouper  dans  les  replis  musicaux  de  sa  cervelle.  » 

Mais  Walther  ne  s'épouvante  pas  de  tout  ce  jargon,  il  se  pré- 
sentera devant  les  maîtres,  il  chantera,  la  voix  parfumée  de 
rétcrnelle  poésie.  , 


Viennent  les  maîtres;  disdussions  de  formalisme.  «  D'où  virnt 
le  concurrent;  quel  fut  son  Imaîlru,  son  école?  »  —  «  Les  brises, 
les  feuillées,  les  oiseaux  !  »  —  «  Nous  ne  "connaissons  rien  de  tout 
cela.  »  Et  le  rouge  él  bedonnant  Beckmesser,  amoureux  d'Eva, 
sent  en  Walther  un  rival  et,  de  sa  voix  aigûe  et  gargouillante, 
enterre  sous  de  pesantes  objections  toute  cette  eftlorescence 
lyrique.  Les  bassons,  les  tubas,  les  cors  en  sourdine,  les  clari- 
nettes, drolatiques,  bouffons  et  hoquetants,  dessinent  merveilleu- 
sement ce  graisseux  apôtre  du  culte  traditionnel.  «  L'honneur  de 
la  maîtrise  est  perdu  si  l'on  admet  Walther,  la  dignité  de  l'art, 
la  sainteté  de  la  corporation  !  »  Heureusement  intervient  le  cor- 
donnier-poète, Hans  Sachs,  le  plus  respecté  des  maîtres.  «  Pour- 
quoi vous  enfermer  dans  votre  pompeuse  dignité?  Aux  cœurs 
simples  et  naïfs,  il  faut  être  doux  et  bon.  » 

Et  Walther  prélude  devant  ces  bourgeois  austères  et  ratatinés, 
carres  sur  leurs  bancs  massifs  avec  la  solennité  des  Holbein  et 
des  Dilrer.  Et  Walther  prélude;  il  improvise  une  ode  sublime  au 
Printemps.  Et  l'aigre  marqueur  marque,  marque.  Oh  !  les  fautes, 
les  faute?,  les  fautes',  les  fautes.  Encore.  Hiatus,  mauvaise  césure, 
distique  boiteux,  pathos,  non  sens...  et  mots  douteux.  Et  encore. 
Oh  !  les  fautes.  Cette  mystification  n'a  que.  trop  duré  !  Mais 
Sachs,  plus  indulgent,  'fgit  observer  que  ce  chant  libre  et  pur 
n'est  point  déréglé;  il  invite  Walther  k  continuer.  Au  milieu  du 
tumulte,  plane  l'ode  envolée.  Le  chanteur  est  condamné,  raillé 
par  les  apprentis  et  les  écoliers;  seul,  maître  Sachs,  profondé- 
ment troublé,  a  vu  le  vrai  poète,  le  noble,  le  grand  et  fier  esprit. 
La  toile  s'abaisse  sur  les  ironiques  chuchotements  des  bassons. 

La  nuit  plaintive  est  sur  Nuremberg.  Jeunes  gens  et  jeunes 
filles  célèbrent  par  des  rondes  et  des  jeux  la  veillée  de  Saint-Jean. 
Et  tandis  que  turbulent  les  uns,  Sachs  se  met  h  l'ouvrage,  pensif. 
Mais  il  ne  peut  pas  travailler;  ses  outils  tremblent  dans  ses 
mains  :  dans  sa  pensée  murmure  et  chante  l'ode  du  Printemps 
et  l'orchestre  insinué  en  nous  la  plus  intime  de  ces  rêveries.  Le 
ciel  se  voile;  les  lumières  brillent  aux  fenêtres.  Eva  rentre  avec 
son  père.  Mais  elle  revient  bientôt  s'approche  du  vieux  poète  et 
s'informe  adorablement  dû  sort  de  celui  qu'elle  aime.  Oh!  la  mu- 
siqueiiivinemenl  mystérieuse,  oh!  l'instrumentation  pénétrante  et 
nocturne!  Les  paternelles  railleries  s'éloilent  de  irisicFse;  mais  Eva 
ne  le  voit  point,  et  celte  gaîté  fait  scintiller  aux  pointes  de  ses  cils 
les  diamants  des  larmes.  Walther  paraît.  Et  l'orchestre  se  pâme 
en  frissons  d'amour  :  les  amants  fuiront  au  loin  sous  l'indul- 
gente protection  de  l'ombre. 

Quelqu'un  les  surveille  ;  Hans  Sachs,  rentré  dans  son  échoppe, 
projette  sur  eux  les  rayons  de  sa  lampe.  Ils  se  cachent  sous  les 
branches  d'un  tilleul  «  partons,  partons  »  !  Mais  au  moment  où 
Walther  veut  s'avancer,  Eva  le  retient  :  Beckmesser  est  là,  accor- 
dant son  instrument  pour  une  mélancolieuse  sérénade  et  cet 
instrument,  une  harpe  minuscule  aux  timbres  saugrenus,  rend 
des  sons  miraculeusement  faux  et  bizarres.  Il  va  chanter  !  Mais 
Sachs,  qui  a  placé  sa  lampe  de  telle  sorte  qu'elle  éclaire  la  rué, 
lève  son  marteau  et  frappe,  endiablé^  frappe,  frappe  sur  sa  forme. 
Beckmesser  interrompu  tout  net,  veut  continuer  :  le  luth  et  la 
voix  s'éraillent  sans  merci  ;  Sachs  commence  aussi  une  chanson 
burlesque.  Cacophonie;  tout  le  voisinage  se  réveille. 

«  A  la  garde,  au  secours!  Qui  veut-on  écorcher?  »  —  Les 
habitants  sont  tous  aux  fenêtres.  —  «  Holà!  quel  tapage  et  quel 
sabbat?  Holà!  je  crois  que  l'on  se  bat!  Ah!  les  braillards,  les 
aboyeurs  !  Quoi  les  droguistes,  les  merciers  qui  prennent  part  à 
l'algarade!  Et  jusqu'aux  épiciers  qui  se  sont  mis  en  embuscade. 


Ça  sent  en  plein  le  poivre  el  la  muscade!  »  —  David  s'imagine 
que  l'on  en  veul  à  Madeleine,  sa  fiancée,  se  précipite  dans  la  rue, 
à  demi- vêtu,  et  rosse  Beckmesser.  Les  voisins  aussi.  Le  théâtre 
s'encombre  de  bourgeois,  d'ouvriers,  de  femmes  d'écoliers. 
«  Vous  ici!  —  Vous  en  êtes  aussi?  » 

—  On  me  culbute!  Bélître!  Vaurien  !  Oh!  la  racaille!  Oh!  quel 
vacarme  et  quel  sabbat!  Mais  voyez  donc  comme  on  se  bat!  A 
l'assassin,  à  l'incendie,  au  feu  !  »  Et  le  thème  de  la  sérénade  vole, 
se  brise,  se  cogne,  rebondit,  braillé,  s'cnflant,  plus  haut,  plus 
bas,  s'envole,  cogne  et  rebondit,  el  les  gourdins  sur  le  dos  du 
chansonneur.  «Holà!  qu'il  pleuvedes  gourdins. Ne  bronchons  pas, 
frappons  à  tour  de  bras  !  Quelle  bagarre!  Qu'on  les  sépare!  Frappe, 
frappe!  » 

Oh!  la  fugue  fantastique,  la  fugue  fantasjlique! 

«  Bonnes  gens,  il  est  onze  heures  ; 
Dormez  en  paix  dans  vos  demeures. 
Le  ciel  en  écarte  tout  revenant 
. .  ^  Et  tout  esprit  malfaisant  ;  ' 

Louez  le  Dieu  tout  puissant  !» 

Le  falot  à  la  main,  traînaillant  son  monotone  couvre  feu,  c'est 
le  veilleur.  La  lune  monte  au  ciel  plus  clair.  Où  est  la  bagarre 
et  ses  échos?  Oh  !  le  calme  profond  sur  la  cité  endormie  et 
l'assoupissement  des  notes  susurrantes  !  * 

C'est  la  Saint-Jean.  Sachs,  courbé  sur  un  livre,  médite  :  le 
soleil  traverse,  joyeux,  les  verrières  rieuses  de  la  chambre. 
«  Le  chevalier  prendra  sa  revanche;  à  tantôt  le  concours  défi- 
nitif et  le  collier  triomphal  !»  '  , 

David  entre,  rubans  et  fleurs,  el  le  chevalier-poète.  «  Chante  » 
dit  le  maître,  et  s'épanouit  la  radieuse  floraison  lyrique.  El  le 
maître  émerveillé  transcrit  les  frémissantes  svllabes.  Et  vient 
Eva,  aussi,  la  douce  désolée  et. . .  Beckmesser  encore,  Beckmesser, 
boîleux,  moulu,  racorni  par  la  rossée  nocturne.  Les  vers  de  son 
rival  révent  sur  cette  table.  «Un morceau  de  concours...  de 
Sachs!.'.  Mordlcu!  Ah!  j'ai  lu  dans  son  jeu.  Prenons- le!...  »  El 
Sachs  le  lui  abandonne,  ayant  là-dessus  son  dessein. 

Beckmesser  s'enfuit  exultant,  oublieux  des  coups  de  trique  et 
des  meurtrissures,  tandis  que  les  amants  répondent  par  leurs 
jeunes  amours  à  ses  grimaces  séniles. 

Le  décor  change  :  au  loin  les  toits  de  Nuremberg,  ici  la  plainp<^ 
Tout  le  peuple  grouille,  crie,  chante  et  danse.  Taratatarantes 
trompettes;  costumes  scintillants,  bannières  flambantes,  les  eaux 
jaunes  de  la  Pegnitz  se  réjouissent  de  gais  reflets.  Fêle  des 
Maîtres  Chanteurs  et  fête  des  fiancés.  Berceuse  et  tintante  ondule 
la  valse. 

Les  Maîtres! 

El  la  joie  populaire  s'exalte  en  triomphantes  acclamations,  au 
vent  des  écharpes  el  des  palmes,  el  l'on  entend  planer  d'une  aile 
large  el  lente  le  cantique  de  Witlemberg.  Sachs,  très  ému, 
s'assied  avec  les  Maîtres  sur  l'estrade  enguirlandée  et  ouvre 
le  concours. 

Paraît  Beckmesser.  Il  chante.  Est-ce  chanter? 

Les  plus  indulgents  se  regardent  avec  stupeur,-jen  entendant 
ses  paroles  baroques  el  ce  galimatias  inintelligible  (car  par  erreur 
de  lecture  ou  manque  de  mémoire,  il  a  complètement  défiguré 
la  chanson  que  Sachs  lui  a  donnée). 

Qu'est-ce  à  dire?  La  peste  soit  du  cuistre  saugrenu  ! 

Les  rires  étouff'és  se  gonflent,  secouent  les  ventres  el  les 
gosiers.  El  Wallher,  confondant  le  plagiaire,  triomphe  :  Eva 
lui  appartient  et  Sachs,  couronnant  sa  jeune  gloire,  le  bénit. 


Et  telle  est  cette  œuvre  inattendue,  d'un  rabelaisien  comique, 
d'un  fantasque  shakespearien  :  gaminerie  enfantine,  gros  rire 
débraillé,  rêves  auréolés  de  clair  de  lune,  le  beau  liseron,  enlacé 
au  temple  sévère  de  la  solennité  classique. 


LES  PAIIKOPARDS 

On  connaît  désormais  la  tactique  des  myopes  et  des  asthma- 
tiques qui,  ennemis  non  par  volonté,  mais  pas  nature  (ce  qui  est 
pire,  car  c'est  incurable;,  on  porte  pareille  infirmité  avec  soi, 
comme  le  colimaçon  sa  coquille)  viennent  de  se  rallier  effronté- 
ment à  l'art  jeune  qui  trouve  son  expression  indomptable  et 
éclatante  dans  les  XX,  après  avoir,  l'an  dernier^  attaqué,  mordu, 
conspué,  hué,  sali  cette  tentative  hardie  de  culbuter  définitive- 
ment leurs  complaisances  pour  les  vieilleries  académiques  et  les 
représentants  de  ces  vieilleries,  dispensateurs  ofiiciels  de  réconri- 
penses,  de  subsides  et  d'éloges. 

Ils  se  rallient  au  nouveau  mouvement  parce  quil  triomphe, 
comme  ils  le  reniaient  quand,  dans  leurs  prévisions  niaises,  ils 
croyaient  qu'on  allait  l'élouff'er. 

Jamais  on  n'a  attaqué  l'art  jeune,  telle  est  la  déclaration  auda- 
cieuse que  critiques  el  artistes,  dans  ce  groupe  déçu,  répètent 
à  satiété. 

Nous  y  avons  répondu  dimanche  dernier  en  signalant  les  bru- 
tales mesures  d'exclusion  ou  d'intimidation  qu'à  la  dernière 
exposition  triennale  encore  le  clan  des  vidés  el  des  essoufflés  a 
prises  contre  les  novateurs. 

«  Ah  !  vous  croyez  qu'on  peut  se  passer  de  nous  et  de  nos  subal- 
ternes de  la  presse  el  des  ministères,  ont-ils  grommelé.  Ah  !  vous 
vous  imaginez  que  l'art  est  une  question  de  caractère  en  môme 
temps  qu'une  question  de  talent!  Ah  !  vous  proclamez  comme  un 
évangile  nouveau  qu'il  faut  être  libre  de  toute  entrave  et  qu'il  y 
a  péril  à  ménageries  reporters  et  les  gens  en  place!. Eh!  bien,  à 
la  porte!  »  Et  alors  l'inoubliable  formule  :  Si  vous  n'êtes  pas 
contents,  exposez  chez  vous. 

Aujourd'hui  c'est  à  qui  se  défendra  d'avoir  eu  ces  pensées  et 
d'avoir  tenu  ces  propos. 

Le  vent,. en  eifel,  a  tourné.  Le  Salon  des  XX  est  le  plus 
^rand  succès  de  peinture  qui  se  soit  vu  en  Belgique.  Et  le  public, 
désormais  convaincu,  gronde  et  montre  les  dents  aux  détracteurs. 
Ceux-ci  rentrent  la  queue  entre  les  jambes,  baissent  les  oreilles, 
et  viennent  comme  nous  le  disions,  lécher  les  mains  qu'ils  mor- 
daient el  eussent  voulu  mordre  encore. 

Jamais  on  n'a  attaqué  l'art  jeune!  On  ose  dire  cela  quand 
-Wîisloire  de  ces  vingt-cinq  dernières  années  est  celle  d'une  cam- 
pagne ininterrompue,  perfide,  cruelle,  contre  tous  ceux  qui  s'en 
proclamaient  les  apôtres;  quand  nombre  de  ces  apôlres  sont 
morts  des  lâches  méchancetés  dirigées  contre  eux  sans  pitié. 

Jamais  on  n'a  attaqué  l'art  jeune?  Et  parmi  ceux  qui  le  disent, 
on  compte  celui  qui  l'an  dernier,  après  avoir  accueilli  l'offre  qui 
lui  fut  faite  d'être  secrétaire  des  XXy  pris  de  peur  et  ne  pré- 
voyant rien  (tant  sa  vue  est  pénétrante)  recula  au  dernier  moment 
et  (à  ses  regrets  intarissables)  se  voit  aujourd'hui  remplacé  sans 
espoir  de  récupérer  jamais  l'honneur  qu'il  a  sottement  dédaigné. 

Jamais  on  n'a  attaqué  l'art  jeune!  Et  parmi  les  artistes  qui 
s'étaient  d'abord  enrôlés,  on  en  compte  un,  un  sculpteur  d'un 
admirable  talent,  qui,  sous  l'impression  des  craintes  que  surent 
lui  inspirer  les  adversaires  acharnés  de  la  nouvelle  école,  déserta. 


^ .  r 


Vraiment  celte  palinodie  est  aussi  amusante  que  misérable. 
Elle  est  aussi  le  plus  puissant  encouragement  pour  ceux  qui  ont 
osé.  Oui  pour  ceux  qui  ont  osé  conseiller  cette  rupture  avec  l'as- 
servissement passé  et  pour  ceux  qui  ont  osé  l'accomplir. 

Un  nouvel  incident  vient  compléter  la  comédie  que  nous  dénon- 
çons. Il  concerne  Ter  Linden. 

Jusqu'ici  Ter  Linden  était  systématiquement  oublié,  systémati- 
quement sacrifié. 

Messieurs  les  reporters  à  faux  nez  de  critiques,  n'en  parlaient 
guère.  Dans  les  expositions  on  le  mettait  dans  les  coins,  quand 
on  ne  le  mettait  pas  à  la  porte. 

Voici  que  tout  ce  monde  se  prend  maintenant  d'engouement 
pour  lui.  Ter  Linden  par  ci,  Ter  Linden  par  là.  Ses  tableaux  sont 
remarquables.  Sa  personnalité  est  sympathique.  C'est  non  seule- 
ment un  peintre,  mais  un  penseur.  Il  faut  le  nommer  du  jury. 
Tous  l'ont  toujours  défendu.  Qui  donc  l'a  méconnu?  Ni  vous,  ni 
moi,  n'est-ce  pas?  Moi  surtout.  Pourquoi  n'est-il  pas  décoré?  Est- 
ce  permis  ? 

Palinodards,  va!  Palinodards!  On  se  tient  les  côles  à  vous  voir 
évoluer. 

Ce  ne  sera  pas  voire  dernière  métamorphose.  Vous  les  subirez 
toutes,  toutes.  Et  nous  disons  subir  parce  que  au  fond  du  cœur 
vous  ragez  et  que  même  dans  vos  professions  de  foi  nouvelles, 
on  sent  la  colère  et  l'envie. 

Mais  au  fond,  tant  mieux.  Votre  abandon  des  idées  qui  vous 
furent  chères  est  la  plus  éloquente  confirmation  des  idées  que 
vous  avci  dénigrées. 

Seulement,  mes  petits,  il  ne  faut  pas  que  vous  alliez  jusqu'à 
dire  que  vous  les  avez  inventées.  C'est,  on  le  sait,  votre  cou- 
tume, mais  on  veille,  on  veille.  Et  quand  yous  mettrez  les  pattes 
dessus,  on  sera  là  pour  vous  donner  sur  les  ongles  les  coups  de 
règle  qui  vous  l'es  feront  lâcher. 


^^^OClJKTlOn  DE^  ^RTl^TEp   MUSICIEN? 

,        Quatrième  Concert. 

Le  public  de  l'Association  est  fait  de  trois  éléments  :  des  habitués 
de  la  Grande  Harmonie^  des  déballages  d'Anglaises  et  des  artistes. 
Les  deux  premiers  constituant  la  majorité,  leur  goût  fait  prime  au 
programme,  et  les  artistes  n'ont  qu  a  se  résigner  en  écoutant,  ça  et  là, 
une  miett«  de  Schumann  ou  de  Wagner  et  en  se  gardant  bien  d'in- 
terrompre la  foule  en  ses  trépignements. 

L'Association  avait  fait  un  effort  pour  sortir  de  son  état  de  virtuo- 
tisme  aigu  ;  elle  y  est  retombée  en  plein.  Le  dernier  concert  est  venu 
effacer  la  bonne  impression  des  deux  précédents. 

Nous  n'avons  pas  à  reparler  de  M.  Gresse,  non  plus  que  de 
M"«  Marx,  la  minutieuse  pianiste  à  fleur  de  touches;  mais  il  y  avait 
une  débutante,  M"*  Jane  de  Vigne,  à  qui  le  public  a  fait  un  accueil 
chaleureux  qu'elle  a  pu  prendre  pour  flatteur,  et  que  nous  trouvons 
immérité,  ce  qui  est  de  notre  part  un  éloge.  M"e  de  Vigne  ne 
nous  paraît  pas  destinée  à  sombrer,  la  tête  en  avant,  dans  la  méca- 
nique à  roulades;  on  a  bien  fait  de  le  lui  dire  dès  le  début,  comme 
nous  le  lui  disons  ici.  Un,  confrère  a  eu  ce  mot  juste  :  •♦  Accueil 
trop  sympathique  »».  IL  s'explique  parle  regret  de  voir  une  artiste 
se  donner  à  gosier  perdu  au  caprice  des  badauds,  car  la  foule,  quelque 
spirituels  qu'en  soient -les  individus,  considérée  dans  sa  masse,  est 
badaude,  et  neuf  fois  sur  dix,  ses  sifflets  valent  mieux  que  ses  applau- 
dissements. 

Après  un  air  de  la  Soinnamhuley  dît  en  italien,  M"e  de  Vigne  a 
chanté  les-  variations  de  Proch.  Elle  a  essayé  d'avoir  les  mouve- 


ments de  têtô,  les  contorsions  de  bouche,  ses  roulements  de  yeux  et 
tous  les  clichés  que  les  professeurs  de  gargarisme  annotent  comme 
des  nuances  sous  les  traits.  Nous  sommes  heureux  de  dire  qu'elle 
n'y  a  pas  réussi  ;  car  loin  d'en  vouloir  à  sa  gracieuse  personne, 
nous  n'en  voulons  qu'à  son  genre  et  à  ceux  qui  l'y  ont  poussée. 
Admettons  même  que  nous  ne  l'avons  pas  entendue  et  que  notre 
critique  ne  l'atteint  pas.  Nous  soupçonnons  en  elle  une  jolie 
voix  et  une.  intelligence  d'artiste.  Voilà  tout,  et  lui  demandons  de  les 
faire  servir  à  autre  chose  qu'à  la  ressurrection  de  pareille  musique. 
Entre  autres  morceaux  d'orchestre,  signalons  un  Intermezzo  de 
Sandre,  ciselé  à  la  Delibes  et  délicatement  exécuté  sous  l'intelligente 
direction  de  Jehin. 


;  YhÉATF(E^      '     : 

Théâtre  de  la  Monnaie.  —  Encore  un  départ.  M>i«  Angèle 
Legault  vient  de  signer  un  très  bel  engagement  que  lui  a  otfert  le 
directeur  du  Grand-Théâtre  de  Lyon.  Le  départ  de  la  charmante 
artiste,  qui  a  conquis  à  Bruxelles  toutes  les  sympathies,  sera  vive- 
ment regretté. 

Le  succès  de  Joli  Gilles  s'accentue.  On  a  donné  vendredi,  devant 
une  belle. salle,  la  quatrième  représentation. 

On  espère  que  les  Maîtres-  Chanteurs  pourront  passer  le  4  ou  le 
5  mars. 

Théâtre  de  l'Alcazar.  —  Tous  les  soirs  ï Etudiant  pauvre. 

Théâtre  du  Parc.  —  Nous  apprenons  que  M.  F.  Huguenot, 
l'excellent  artiste  du  théâtre  du  Parc,  quittera  Bruxelles  à  la  fin  de 
la  saison.  Il  est,  parait-il,  engagé  à  Paris. 

Théâtre  Molière.  —  Aujourd'hui  dimanche  22  février.  Le  Son-' 
ncurde  Saint-Paul,  drame  en  5  actes,  dont  un  prologue,  par  M.  G. 
Bouchardy.  M.  Laray  remplira  le  rôle  du  sonneur  de  Saint-Paul. 

Demain  lundi,  23  février,  pour  la  dernière  représentation  avec  le 
concours  de  M.  Laray^et  au  profit  des  ouvriers  sans  travail, repré- 
sentation organisée  par  «  Le  Dispensaire  du  Nord  >»  :  la  Closerie  des 
Genêts,  dranie  en  5  actes  et  7  tableaux,  par  Frédéric  Soulié. 
M.  Laray  remplira  le  rôle  de  Kérouan. 

On  mettra  bientôt  à  l'étude  le  Prince  Zilahy  que  M.  Bouffard  a 
acquis  le  droit  de  représenter.  •    • 


'     MEMENTO  DES  EXPOSITIONS  ET  CONCOURS 

Anvers.  —  Exposition  universelle.  Mai  à  octobre  1885. 

Anvers.  —  Salon  des  refusés  et  exposition  des  artistes  indépen- 
dants. Ouverture  en  mai.  Pour  tous  renseignements  s'adresser  au 
secrétaire  du  Cercle  des  artistes  indépendants,  1,  rue  de  l'Angle, 
Bruxelles. 

Bruxelles.  —  Exposition  tintamarresque  de  l'Essor  au  Musée 
du  Nord.  Ouverture  28  février.  —  III^  exposition  de  Blanc  et 
Noir  à  VEssor.  (Limitée  aux  membres  du  Cercle).  Mai  1885.  — 
Exposition  historique  de  gravure,  par  le  Cercle  des  aquarellistes  et 
aquafortistes.  Mai  1885. 

Bruxelles.  -^  25*  exposition,annuelle  de  la  Société  royale  belge 
des  aquarellistes.  Ouverture  le  4  avril  1885. 

Londres.  —  Exposition  internationale  d'instruments  de  musique. 
Ouverture  en  mai  1885,  à  South- Kensington.  • 

Id.  —  Du  31  mars  à  la  fin  de  septembre  exposition  internationale 
et  universelle  d'Alerandra-Palace,  comprenant  notamment  les  arts 
et  métiers,  et  exposition  de  tableaux  et  objets  d'art  des  principales 
écoles  du  continent. 

NuRKMHKRO.  —  Exposïtîon  internationale  d'orfèvrerie,  de  joaille- 
rie, de  bronzes,  etc..  Du  15  juin  au  30  septembre  1885. 

Paris.  —  Salon  de  1885.  —  l*^""  mai  au  30  juin  1885.  — Peinture^ 
dessins,  etc.  Dépôt  des  ouvrages  au  Palais  des  Champs-Elysées,  du 
5  au  14  mars.  Vote,  le  mercredi  18  mars,  de  9  h.  à  4  h.  —  Sculp- 
ture, Gravure  en  méd.  et  sur  p.  f.  Dépôt  du  21  mars  au  2  avril. 
Vote,  le  mardi  7  avril,  de  10  à  4  h.  —  Architecture,  Dépôt  du  2  au 


,r- 


5  avril.  Vote,  le  mardi  7  avril,  de  10  à  4  h.  —  Gravure  et  Lithogra- 
phie. Dépôt,  du  2  au  5  avril.  Vote,  le  lundi  6  avril,  de  10  à  4  h. 

Paris.  —  Exposition  internationale  de  blanc  et  noir,  organisée 
par  Le  Dessin,  au  Palais  du  Louvre  (pavillon  de  Flore).  Dii  15  mars 
au  30  avril.  Dernier  délai  d'envoi  :  5  mars.  Trois  sections  :  1»  Des- 
sins; 2°  fusains;  3o  gravures. 

Il  sera  distribué  trois  médailles  d'or,  18  médailles  en  argent, 
9  médailles  de  bronze  et  15  mentions  honorables. 

Deux  envois  seulement  par  artiste.  Adresse  :  M.  E  Bernard,  au 
Louvre. 

Rotterdam.  —  Du  31  mai  au  12  juillet.  Dernier  délai  :  16  mai. 
Renseignements  :  M.  Veders,  secrétaire,  42,  Boompjes,  Rotterdam. 

Gand.  —  Statue  du  docteur  Joseph  Guislain.  Clôture  :  31  jnars 
1885.  Les  œuvres  doivent  être  envoyées  au  concierge  de  l'Université 
de  Oand,  rue  des  Foulons,  et  porter  la  suscription  :  Au  comité 
constitué  pour  l'érection  d'une  statue  au  docteur  Joseph  Guislain.  — 
Envoi  :  Maquette  de  la  statue  et  du  piédestal  (25  centimètres  au 
total),  dessin  détaillé  de  la  grille  et  indication  de  la  disposition  du 
dallage  entre  le  grillage  et  le  piédestal.  —  L'artiste  doit  s'engager  à 
livrer  pour  19,000  francs  les  travaux  de  maçonnerie  nécessaires,  la 
statue,  le  piédestal,  le  grillage  et  le  dallage.  —  Documents  et  pho- 
tographies chez  le  Dr  B.-G.  Ingels,  médecin  de  l'hospice  Guislain, 
à  Gand. 

Paris.  —  Statue  de  Paul  Broca  (hauteur  2"i, 20)  maquettes  de 
70  centimètres,  déposées  à  l'école  des  Beaux-Arts,  le  ler  septembre 
1885  avant  5  h.  8000  fr.  à  l'artiste  désigné  pour  l'exécution  en  plâtre 
du  modèle  définitif,  destiné  à  être  coulé  en  bronze  aux  frais  de  la 
commission  du  monument.  1000  fr.  et -500  fr.  aux  deux  concurrents 
les  plus  méritants  après  l'artiste  choisi.  S'adresser  à  M.  le  docteur 
Pozzi,  10,  place  Vendôme. 

RicHMOND  (Virginie).  —  Concours  pour  un  monument  à  Robert 
Ltee,  jusqu'au  1er  mai  1885. 

Saint-Nicolas,  —  Concours  de  gravure  du  Journal  des  Beaux- 
Arts-.  Histoire  :  prix  400  fr.  pour  la  meilleure  eau-forte  (sujet  inédit 
ou  copie  d'un  tableau  flamand  ancien  ou  moderne'  Genre  :  prix 
300  fr.  Paysage  et  intérieur  :  prix  200  fr.  Dimension  maximum  des 
cuivres:  0'"260  sur  0'nl90.  Dernier  délai  :  31  juillet  1885.  Envoyer 
franco  avant  cette  date  2  exemplaires  sur  papier  blanc  et  2  exem- 
plaires sur  chine. 

Vienne.  -^  Concours  pour  l'érection  d'un  monument  à  Mozart. 


? 


ETITE    CHROJ^IQUE 


A  voir  chez  Dietrich,  rue  Royale,  la  belle  collection  d'aquarelles 
et  de  tableaux  de  Mauve,'-  le  maître  hollandais.  Ses  aquarelles  surtout 
ont  un  charme  pénétrant.  Toutes  sont  d'une  exquise  distinction  de 
coloris  et  d'une  intimité  séduisante.  Mauve  paraît  plus  apte  à  manier 
le  pinceau  que  la  brosse.  Ses  tableaux,  un  peu  secs,  n'ont  pas  la 
fluidité  d'atmosphère  de  ses  peintures  à  l'eau,  qui  évoquent  merveil- 
leusement les  aspects  de  la  Hollande, 


M.  G3orges  Rodenbach  vient  de  remporter  avec  son  nouveau 
manuscrit  :  La  Jeunesse  blanche,  le  prix  de  poésie  au  Concours  de 
l'Union  littéraire. 

Depuis  hier  sont  exposés,  dans  la  salle  dt*  sculpture  du  Salon  des 
XXy  Tue  de  la  Régence;  les  dessins  de  MM.  Gharlet.  Khnoptf  et 
Meunier,  pour  illustrer  le  Vice  suprême  de  Joséphin  Péladan. 
M.  Khuopfir  expose  en  outre  les  deux  dessins  quil  a  faits  d'après 
La  Forge  lioussel  d'Edmond  Picard, 

La  clôture  de  l'exposition  est  annoncée  pour  la  tin  de  cette 
semaine. 


Un  deuxième  concert  de  musique  russe  sera  donné  à  Lièîre,  le 
samedi  18  courant,  à  7  12  h  ,  à  VÈnnilation. 

M'"e  la  comtesse  de  Mercy-Argenteau  s'y  .fera  entendre  en  com- 
pagnie de  M,  Heynberg,  dans  deux  morceaux  de  G.  Gui  pour  piano 
et  violon. 

La  pianiste  soliste  sera  M"'e  E.  Delhaze,  qui  jouer  aune  Suite  de 
Glazounort",  SascJia,  et  une  2'arentelle  slave,  de  Dargomysky, 
arrangée  par  Liszt. 

M"e  G.  Begond  chantera  la  Chanson  cirCiu^Mne  de  C.  Cui.  avec 
chœur  et  orchestre,  et  M.  Byrom  sera  cette  fois  dé  la  partie. 


t'orchestre  du  Théâtre-Royal,  sous  là  direction  de  M  T.  Jadoul, 
exécutera  la  Symphonie  de  A.  Borodine,  les  Danses  ctrcassiennes  et 
la  Tarentelle  <\e  C.  Cui,  ' 

Enûni]e  Cercle  choral  de  l'Émulation  interprétera  :  l»  L'entr'- 
acte  et  chœur  et  2"  le  chœur  des  Cadeaux  et  le  finale  du  second  acte 
du  Prisonnier  du  Caucase,  de  G,  Gui,  et  le  chœur  déjeunes  filles 
du  3*^  acte  de  fiorw  G^odouno;^,  de  Moussorgsky, 

Le  produit  du  concert  est  destiné  à  la  fondation  de  bourses 
d'études  à  la  section  des  dames  du  Cercle  Polyglotte  de  Liège,  dont 
M^e  de  Mercy-Argenteau  est  la  présidente  d'honneur. 


M^'e  Jane  de  Vigne,  cantatrice,  donnera  un  concert  le  mardi 
3  mars  1885,  à  8  1/2  heures;  à  la  Grande-Harmonie,  avec  le  concours 
de  M"e  NoraBerghe,  pianiste,  et  de  M.Jenô  Hubay,  violoniste,  pro- 
fesseur au.Consei'vatoire  de  Bruxelles. 


Dimanche  8  mars,  à  2  heures,  séance  d'instruments  à  vent  donnée 
par  MM.  Dumon,  Guidé,  Merck,  Poncelet,  Neuman  et  De  Greef, 
dans  la  grande  salle  du  Conservatoire.  Samedi  7,  à  3  heures,  répé- 
tition générale. 


Le  concert  d'Albert,  annoncé  pour  le  5  mars,  n'aura  pas  lieu. 
Le  jeune  pianiste  se  fera  entendre  le  3  mars,  à  Anvers. 


Au.  Cercle,  le  huitième  concert  de  la  saison,  retardé  paf  suite  de 
l'indisposition  d'un  des  exécutants,  aura  lieu  le  samedi  27  février. 
Il  sera  consacré  à  l'audition  d'œuvrés  de  M.  Benjamin  Godard. 


Il  vient  de  se  fonder  à  Namur  une  nouvelle  société  chorale,  à 
laquelle  ses  membres  ont  décidé  de  donner  le  titre  de  Cercle  Féli.r 
Godefroid.  Déjà,  il  y  a  quelques  années,  la  ville  de  Namur,  voulant 
rendre  un  hommage  mérité  au  célèbre  harpiste  qui  est  l'un  de  ses 
plus  dignes  enfants,  avait  donné  son  nom  à  l'une  de  ses  rues. 


M.  Roudil,  directeur  du  théâtre  de  Toulouse,  avait  l'intention  de 
monter,  dans^  le  courant  de  la  saison,  le  Lohengrin,  de  Wagner. 
■Lorsqu'il  s'es't  adressé  à  M.  Durand  Schœnewerk  pour  l'achat  ou  la 
location  de  la  partition,  il  lui  a  été  répondu  que  la  famille  de  Wagner 
s'opposait  à  ce  que  l'ouvrage  fût  représenté  en  province  avant  d'avoir 
été  représenté  à  Paris.  Le  directeur  du  théâtre  du  Capitole  avant 
insisté,  les  éditeurs  lui  ont  écrit  :  >  — "-, 

«  Croyez  bien  que  nous  sommes  désespérés  de  ne  pouvoir  vous 
donner  satisfaction  en  ce  qui  concerne  Lohengrin. 

»  Il  y  a  en  ce  moment  trois  directeurs  à  Paris  qui  se  disputent 
Lohengrin.  C'est  de  là  que  proviennent  les  désirs  de  la  famille 
Wagner  de  voir  l'ouvrage  donné  d'abord  à  Paris,  ce  qui  aura  certai- 
nement lieu  la  saison  prochaine. 

«  Voyez  si  vous  ne  pourriez  remplacer  Lohengrin  par  Tannhâu- 
ser.  Pour  cet  ouvrage  déjà  donné  à  Paris,  il  n'y  aurait  pas  les  mêmes 
difficultés.  » 


Voici  le  programme  du  festival  donné  aujour-d"hui  à  Paris  en 
rhohneur  de  Félicien  David  : 

A,  Fragments  d'Herculanum.  —  I.  Prélude  pour  orchestre.  — 
II.  Chœur  et  prière.  —  III.  Extase,  par  M.  Bosquin  et  les  chœurs. 

B.  Le  Jugement  der^iier  grande  scène  inédite).  —  La  vallée  de 
Josaphat.  —  Réveil  des  morts.  —  Marche  des  trépassés.  — Lejuçre- 
ment.  —  Chœur  des  élus.  —  Malédiction  des  réprouvés.  —  Apo- 
théose 

"^C.  Le  désert.  —  Ode-symphonie,  poésie  de  A.  Colin  (M  i«  Rous- 
seil  et  M.  Bosquin). 


MM.  Titz.  Hàgemaus  et  Vos  ont  remplacé,  à  la  Société  royale  des 
Aqjiarellisl^s,  >fM.  Franoia  et  Van  Moer,  décédés,  et  M.  Gabriel, 
qui  a  quitte  la  Belgique  pour  retourner  en  Hollande,  son  pays  natal. 


Le  Cercle  des  artistes  indépend'.aits  de  Bruxelles  se  propose  d'or- 
ganiser à  Anvers,  au  mois  Je  mai  prochain,  une  exposition  de  beaux- 
arts,  comprenant  la  peinture.  l'aquarelle,  le  dessin,  la  gravure,  la 
céramique  et  la  sculpture.  Les  artistes  étrangers  à  la  société  pour- 
ront V  faire  admettre  leurs  œuvres,  movennant  une  cotisation  fixe 
de  douze  francs.  L'exposition  du  cercle  se  fera  sans  jury  d'admission. 
Le  nombre  d'œuvrés  qu'un  même  artiste  peut  exposer  est  illimité. 
Le  choix  du  local  et  la  date  de  l'ouverture  de  Texposition  seront  rixes 
ultérieurement.  Siège  social  :  rue  de  l'Angle,  1,  Bruxelles. 


; 


Les  annonces  sont  reçues  au  bureau  du  journal  y 
26 j  rue  de  r Industrie,  à  Bruxelles,' 

,     VIENT  DE  PARAITRE 

CHEZ  Félix  CALLEWAERT   Père 

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No  2.  Historiette,  2  fr.       N«  3.  Valse  lente,  fr   1.75. 

Kowalski.  Op.  44.  Autour  de  mon  Clocher,  2  fr.  —  Op.  45.  Illu- 
sions et  Chimères,  2  fr.  --  Op.  48.  Tambour  battant,  2  tr. 

Smith  S.  Op.  185.  Notre-Dame,  Chant  religieux,  2  fr.  —  Op.  191. 
La  mer  calme,  Deuxième  barcarolle,  2  fr.—  Op.  192  Styrienne, 
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Evocation,  Jeux  de  fées,  3  fr.  —  Cah.  IL  Ballade,  Elégie,  Scène 
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çoprano  et  chœur  pour  3  voix  de  femmes,  2  fr. 

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ment de  piano  à  4  mains  :  N»  1.  Fête  villageoise,  la  partition, 
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A 


Cinquième  année.  —  N°  9. 


Le  numéro  :  25  .centimes. 


Dimanche  P*"  Mars  1835. 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,   un  an,  fr.  10.00  ;  Union  postale,    ff.    13.00.    —   ANNONCES   :    On   traite  à   forfait. 


Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 

L  ADMINISTRATION  GÉNÉRALE  DE  l'Art  Modeme,  PUB  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


^OMMAIRE 


L'In'Cidext  Caron.  —   Le  laid  dans   l'art]    —   L'Impression* - 
MSME.   —  Racz   Pal.   -^    Gazette   de   Hollande.   —  Chronique 

JUDICIAIRE   des    arts.  —  MeMENTO    DES  EXPOSITIONS   ET    CONCOURS.    — 

Petite  chronique.  ■-  -     , 


L'IXCIDÈXT  CAROX 

Le  caractère  hebdomadaire  de  notre  journal  est 
cause  que  nous  arrivons  très  en  retard  pour  donner  nos 
réflexions  sur  l'incident  qui,  il  y  a  quelques  jours,  a 
si  fort  occupé  Bruxelles,  et  déjà  s'en  va,  grand 
train,  dans  les  brumes  où,  en  ce  temps  de  hâte,  se 
perdent  si  promptement  toutes  choses.  i)e  grandes 
clameurs  à  propos  de  tout,  puis  promptement  laffai- 
blissement,  le  silence,  voilà  la  dominante  pour  les  évé- 
nements, même  les  plus  importants,  même  les  plus 
,  intéressants. 

Peut-être  qu'arrivant  comme  arrière-garde  sur  le 
champ  de  la  mêlée  vide  et  apaisé,  au  milieu  des  herbes 
foulées  et  des  fourniments  abandonnés,  nous  pourrons 
mieux  parler,  sinon'  de  la  bataille  finie,  au  moins  des 
motifs  de  la  lutte  et  de  ses  conséquenses.  Nous  pour- 
rons aussi,  sans  doute,  le  faire  avec  plus  de  calme  et 
de  présence  d'esprit. 

Il  est  très  caractéristique,  cet  incident,  pour  apprécier 

ce  terrain  bruxellois,  mi-mondain,  mi-provincial,  dans 

lequel  il  a  surgi  et  s'est  déchaîné.  C'est  à  ce  terrain 

— iju^estihie,  semble- t-il,  la  violence  de  l'accès  bien  plus 

qu'aux  faits  eux-mêmes.   Mais  ce  milieu  étant  donné 


rien  n'était  plus  redoutable  que  l'imprudence  du 
peintre,  rien  de  plus  inévitable  que  la  voracité  du  pu- 
blic à  se  jeter  sur  cet  aliment  propre  à  nourrir  son 
appétit  de  scandale,  rien  de  plus  légitime  que  la  colère 
de  la  femme,  de  la  mère,  de  l'artiste,  digne  de  tous  les 
respects  comme  de  toutes  les  admirations,  et  sa  promp- 
titude à  protester  avec  une  énergie  en  rapport  avec  sa 
personnalité  passionnée  et  virile.  Elle  a  d'instinct  com- 
pris que  si  elle  ne  procédait  pas  elle-même  à  une  exé- 
cution sommaire,  elle  était  fatalement  exposée  à  se  voir 
mise  en  pièces  par  les  cancans,  les  vilenies,  les  méchan- 
cetés venimeuses  de  ce  joli  monde  qu'elle  doit  commencer 
à  connaître  depuis  tantôt  dix-huit  mois  qu'elle  y  est  en 
plein.  Déjà  le  petit  reportage,  ce  donneur  de  signal, 
entrait  en  action,  et,  embusqué  au  coin  du  bois  nommé 
Échos  delà  ville,  avait  lancé  son  premier  vitriol. 

Il  fallait  tordre  le  cou  à  cette  volaille  caquetante  et 
mauvaise  :  la  Walkyrie  s'en  est  acquittée  en  mai  tresse- 
femme. 

Mais  tout  péril  étant  ainsi  étouffé,  et  la  grande  ar- 
tiste ayant  traversé  sans  dommage,  absolument  comme 
le  cercle  de  flammes  qui  l'enveloppe  dans  Sigurd,  le  feu  ' 
de  joie  que  les  allumeurs  de  potins  commençaient  â  faire 
flamber  autour  d'elle  et  qu'elle  a' éteint  comme  on 
mouche  une  chandelle,  demandons-nous,  à  un  p»oint  de 
vue  plus  élevé,  ce  qu'il  fut  advenu  du  fait  qui  a  donné 
lieu  à  l'algarade,  si  nous  n'étions  pas  dans  le  marécage 
où  barbotte  et  coasse  notre  gentry. 

Voici  en  peu  de  mots  les  données.  Un  peintre  d'un 
très  grand  talent  et  d'un  magnifique  avenir,  dont  lima- 


.».._,.        4 


A 


gination  S  alimente  à  une  instruction  solide  et  à  des 
études  constantes,  vient  d'achever  la  lecture  d'un  livre 
nouveau,  étrange,  à  la  fois  irritant  et  séducteur,  dont 
le  souvenir  le  hante,  dont  il  traduit  intellectuellement 
les  scènes  les  plus  émouvantes  en  images  picturales,  et 
dont  le  personnage  principal,  une  femme,  héroïque  et 
fragile,  belle  et  terrible,  caressante  et  funeste,  énigma- 
tiqùe  surtout,  demeure  dans  son  esprit  comme  un  type 
inoubliable,  dont  il  cherche  la  figuration  linéaire.  En 
même  temps  le  hasard  fait  qu'il  obtient  l'honneur,  dû 
à  son  mérite  désormais  indiscuté,  d^  tenter  le  portrait 
d'une  artiste  dont  l'allure  et  la  beauté  bizarres  ont  fait 
sur  notre  population  une  impression  pénétrante.  Elle 
pose  devant  lui,  et  pendant  les  séances  muettes,  stu- 
dieuses, sa  tête  d'un  admirable  caractère,  pâle,  accen- 
tuée, immobile,  se  détache  violemment  d  une  toilette 
sombre.  L'œil  du  peintre,  son  pinceau  détaillent  toutes  les 
lignes,  toutes  les  nuances  de  ce  visage  tragique  et  doux. 
Il  subit  le  magnétisme  de  cette  individualité  qui,  coïnci- 
dence singuHère,  correspond  aux  traits  les  plus  mar- 
quants indiqués  pour  son  héroïne  par  l'auteur  du  livre. 
Et  dans  sa  mémoire,  chaude  encore  de  sa  lecture, 
chantent  ces  coups  de  pinceaux  épars,  dont  Joséphin 
Péladan  a  buriné  Léonora  d'Esté,  la  fille  du  divin  Her- 
cule :  Fblouissaùte  de  matité,  sa  carnation  est  celle 
de  la  Source  d^Ingï^es,  sans  un  rehaut  rose;  la  pâleur 
de  ses  hras  minces ^  pendant  en  une  dépression 
épuisée,  se  continuait  à  ses  mains  au  pouce  long,  et 
celle  de  ses  épaules  à  son  long  cou  ;  une  princesse  de 
marbre,  à  la  déïnarche  fière,  les  lèvres  minces,  la 
bouche  grande  au  sourire  inquiétant,  auplidédai- 

\  gneux,  au  rire  strident;  les  cheveux  fins,  aux  fla- 
vescences  de  vieil  or,  les  tresses  roulées  à  la  nuque 
en  une  simplicité  plus  redoutuble  que  tout  o^mement; 
cette  nuque,  inquiétante  avec  ce  nuage  blond  d'oie 

.  descend  le  sillon  dorsal,  étroite  et  longue  vallée  des 
enchantements  -les  yeux pers,  aux  regards  directs 
et  ambigus,  un  front  à  méplats  où  est  écrit  V esprit 
de  révolte,  nu  commue  ceux  que  le  Bronzino  a  peints  ; 
une  voix  qui  dans  la  causerie  ne  se  hausse  jamais, 
un  corps  qui  ne  fait  pas  un  geste  qui  ne  soit  lent  ; 
la  ligne  de  la  taille  se  renflant  peu  aux  hanches,  et 
sous  les  vêtements  qui  la  ma^'^quent,  se  perdant  dans 
les  jambes  longues  dhme  Eve  de  Lucas  de  Leyde; 
rélancement  des  lignes,  la  lojigueur  étroite  des 
extrémités,  le  règne  des  verticales;  un  ange  de  Mis- 
sel. —  Et  aussi  ce  détail  que  les  carnivores  qui  ont  fait 
perdre  à  la  déesse  son  impériale  majesté  ont  pris  pour 
des  marguerites,  mises  là  tout  exprès  par  le  peintre 

•  pour  lever  toute  équivoquç  :  Les  lys,  les  fleurs  7'oyales, 

.  les  fleurs  pures,  élançant  sereins  et  augustes,  leurs 
tiges  droites  des  pieds  de  bronze,  et  leur*s  calices 
(rargent,  pistillés  d\or,  gouachant  la  tenture  de 
tons  chastes  et  nobles .     ^ 


Peu  â  peu,  dans  Timagination  du, peintre,  le  visage 
qu'il  cherche  pour  incarner  sa  vision  se  confond,  en 
ses  éléments  essentiels,  avec  le  visage  de  son  modèle 
vivant.  Et  comme  chaque  soir,  dans  son  atelier,  avec 
l'ardeur  etl'âpreté  de  l'art  minutieux  qui  le  personnifie, 
il  travaille  longuement  à  un  dessin  désormais  célèbre, 
quoique  détruit,  où  apparaît  dans  une  nudité  divine  la 
femme  imaginaire  qu'il  essaie  de  matérialiser  par  le 
crayon,  il  est  entraîné  par  une  force  invincible,  à 
donner  à  la  tête  de  son  évocation,  une  ressemblance 
inconsciente  avec  la  statue  sévère  qu'il  voit  devant  lui, 
le  matin,  manifestant  sa  séduction  et  sa  dignité  impas- 
sible sous  les  plis  de  son  long  vêtement  noir. 

Et  les  deux  œuvres  marchent  ainsi  parallèlement, 
s'influençant  par  un  secret  magnétisme,  chacune 
prenant  à  l'autre  quelque  chose  de  sa  substance 
artistique,  comme  si,  à  chaque  retour; le  peintre  rentrait 
dans  son  atelier  imprégné  d'un  fluide,  qui,  passant  de 
ses  doigts  dans  ses  crayons,  va  pénétrer  l'image  et  la 
sature  d'une  vie  dérobée  ailleurs. 

Pour  comprendre  la  vérité  de  ce  phénomène,  il  faut 
être  artiste,  il  faut  connaître  l'électricité  qui  se  con- 
dense incessamment  au  cerveau  cherchant  un  dégage- 
ment; il  faut  avoir  subi  la  possession,  là  hantise  d'une 
œuvre  en  formation,  la  manie  dérobante  qu'elle 
déchaîne  et  qui  fait  que  partout  autour  de  soi  celui  qui 
la  crée,  qui  la  modèle,  recueille,  thésauriseur  d'impres- 
sions, les  forces  secrètes  capables  de  lui  donner  son 
plein  épanouissement;  il  faut  avoir  lutté  contre  cette 
souffrance  :  comprimer  son  imagination  qui  voudrait 
s'ouvrir  en  une  floraison  qu'on  voit  .déjà  quoiqu'elle 
soit  encore  intérieure.  Non  seulement  le  peintre,  mais 
l'écrivain,  le  musicien  subissent  ce  magnétisme.  L'artiste 
lyrique  aussi.  Ah!  celle  qui  a  si  superbement  créé  la 
Walkyrie,  z^ajeuni  Norma,  Rachel,  Marguerite, Valen- 
tine,  celle  qui  va  incarner  Eva,  doit  le  savoir!  Et  puis- 
que le  sort  l'a  douée  d'une  personnalité  d'élite,  à  la  fois 
grandiose  et  bizarre,  qu'elle  ne  s'étonne  ni  de  ce  qui 
vient  d'arriver,  ni  de  ce  qui  lui  surviendra  encore,  on 
peut  le  prédire,  dans  l'ordre  des  mêmes  attractions. 
Elle  est  de  celles  dont  le  type  s'impose  aux  chercheurs 
et  qui,  chassant  les  expressions  moins  saisissantes, 
ne  laisse  dans  une  âme  ardente  place  que  pour  son  sou- 
venir. ~  . 

Quand  se  réalise  pareille  évolution  psychologique, 
où  la  volonté  a  si  peu  de  part,  et  l'instinct  artistique 
tant  de  tyrannie,  au  lieu  de  se  mettre  en  colère, 
n'est-ce  pas  plutôt  l'occasion  de  sourire  orgueilleuse- 
ment en  constatant  soii  invincible  empire  ? 

Oui,  certes,  à  moins  que  la  niaiserie  prudhommesque" 
des  badauds  dont  on  est  parfois  entouré  ne  conseille 
une  attitude  moins  héroïque,  et  ramenant  toute  la 
situation  aux  données  bourgeoises,  ne  justifie  un  coup 
d'état  de  nature  à  satisfaire  les  pudibonderies  épicières 


/ 


et  à  couper  la  langue  aux  roquets  qui  se  prennent  à 
aboyer.  Les  trafiquants  peu  lettrés  qui  constituent  en 
général  les  parasites  des  grands  artistes  se  croient, 
comme  donneurs  d'avis.,,  très  supérieurs  à  ceux-ci, 
quelque  grotesque  que  cela  paraisse,  et  comme  d'ordi- 
naire les  grands  artistes  sont  de  grands  enfants,  ils  se 
laissent  endoctriner  sans  résistance. 

Des  exemples  célèbres  ont,  dans  tous  les  tenips, 
justifié  les  entraînements  et  les  immunités  artistiques 
que  nous  venons  de  rappeler  et  qui  toujours  au  vul- 
gaire sembleront  des  monstruosités.  Praxitèle  a  pu 
impunément  composer  son  immortelle,  Vénus  des  char- 
mes publiquement  empruntés  à  quelques-unes  des  plus 
belles  vierges  d'Athènes.  Certaines  nudités,  parmi  les 
plus  renommées  et  les  plus  voluptueuses  du  Titien,  ont, 
suivant  la  tradition,  eu  pour  modèle  sa  fille.  La  plantu- 
reuse Hélène  Fourment,  l'épouse  que  Rubens  aima  au 
point  qu'elle  fut,  comme  la  Fornarina  pour  Raphaël, 
accusé  d'avoir,  par  sa  tendresse  dévorante,  hâté  sa  mort, 
trône  en  ses  belles  chairs  flamandes  parmi  les  déesses 
les  moins  vêtues- de  son  Olympe.  La  princese  Pauline 
Borghèse,  sœur  de  Napoléon,  est  l'original  de  la 
Vénus  de  Canova.  En  des  temps  plus  récents,  si  l'on 
en  croit  la  chronique,  deux  jeunes  femmes  viennoises 
du  meilleur  monde,  ont  été  fort  glorieuses  de  marcher 
nues  parmi  les  pucelles  dont  Mackart,  dans  un  tableau 
qui  fut  promené  par  toute  l'Europe,  a  orné  le  cortège 
triomphant  de  Charles-Quint  entrant  à  Anvers.  Il  y  a 
peu  d'années,  à  Bruxelles  même,  le  public  prétendit 
malicieusement  reconnaître  dans  une  jeune  captive, 
vêtue  de  ses  charmes  seulement,  la  reine  des  fêtes  de 
cette  époque  dont  un  jeune  sculpteur  très  choyé  venait 
d'achever  le  buste,  et  qui  ne  se  fâcha  pas. 

Voilà  ce  qu'on  peut  dire  à  propos  de  l'incident  quand 
on  se  sauve,  en  se  bouchant  les  oreilles,  loin  des  cla- 
bauderies  en  lesquelles  s'égosillent  nos  myrmidons  de^ 
bords  de  la  Senne.  ' 

Ce  qui  n'a  pas  empêché,  nous  dit-on,  ou  ne  sait 
quels  chroniqueurs  à  cuir  de  pachyderme  pour  sûr, 
d'assimiler  le  fait  de  l'exposition  des  A'A^  à  l'industrie 
des  pornographes  qui,  racontent-ils,  (où  diable  ont-ils 
appris  cela?),  ajustent  au  corps  d'une  vierge  folle 
photographiée  nue,  la  tète  d'honnêtes  femmes,  connues 
du  public,  pour  en  composer  un  ensemble  destiné, 
non  pas  à  enrichir  l'art  d'un  chef-d'œuvre,  comme 
c'était  le  cas,  mais  à  réveiller  les  appétits  endormis  de 
ceux  qui  achètent  ces  sortes  de  choses,  par  exemple  les 
chroniqueurs  de  tantôt. 

Que  ne  s'est- il  trouvé  auprès  de  l'artiste  aimée, 
cause  involontaire  de  la  destruction  qui  a  satisfait  sa 
dignité  en  privant  l'art  d'une  belle  chose,  quelqu'un 
pour  lui  présenter  ces  observations  si  simples,  et 
étouflër  les  homélies  de  tapissiers  qui  n'étaient  certes 
pas  de  nature  à  calmer  sa  colère  de   femme  légiti- 


mement convaincue,  au  premier  abord,  qu'elle  était 
injustement  outragée.  Peut-être  eût-elle  encore  couru, 
avec  emportement,  jusqu'au  cadre.  Mais  peut-être 
aussi  'qu'à  l'aspect  de  l'œuvre  où,  moins  aveuglée, 
elle  eût  découvert  lagrandeur-^et  la  vie  dues  à  elle- 
même,  à  sa  séduction,  à  sa  puissance,  au  lieu  de  penser 
à  briser  la  glace,  comme^e  fit  vulgairement  le  gendre 
de  M.  Dumas  pour  la  défense  de  son  papa  beau-père, 
au  lieu  de  ne  pas  arrêter  l'artiste  qui  allait  mettre  en 
pièces  cette  Léonora,  morte  en  naissant,  elle  se  fût 
écriée  :  On  me  chante  que  c'est  moi!  Eh!  qu'est-ce 
que  ça  me  fait  !  C'est  beau  !  Cela  me  suftit  ! 

Ce  cri  d'une  âme  artistique,  que  nous  savons, 
éprise  de  tout  ce  qui  a  quelque  marque  de  grandeur, 
pour  qui  aussi  penser,  dire  et  faire  ne  sont  souvent 
qu'un  même  acte,"  qui  a  un  trop  riche  trésor  d'origina- 
lité pour  descendre  à  imiter  qui  que  ce  soit,  ce  cri  eût 
été  héroïquenient  vrai.  Et  sans  péril,  car  elle  en  peut 
être  persuadée,  sur  des  personnalités  de  son  envergure, 
de  son  caractère  et  de  sa  dignité,  aucune  calomnie  de 
bavards  mondains  ou  de  reporters  ne  saurait  laisser  de 
trace. 

Mais  elle  était  dans  ce  nouveau  royaume  de  Bleyfuscu, 
digne  de  mettre  en  verve  un  Swift,  qui  a  nom  Bruxelles. 
Elle  est  descendue,  il  le  fallait,  au  diapason  de  ce 
Lilliput,  de  notre  monde!  comme  disent,  à  travers 
leurs  fausses  dents,  les  journalistes  très  chics,  et  elle  a 
procuré,  sans  s'en  douter,  elle,  la  belle  étrangère,  une 
occasion  inespérée  à  tous  les  ratés,  à  tous  les  essoufflés, 
à  tous  les  éreintés,  à  tous  les  zwanzeurs  qui  se  sou- 
cient d'elle  comme  du  grand  art,  de  s'essayer  à  piétiner 
un  artiste  qui  distance  ceux  d'entre  eux  qu'il  n'a  pas 

déjà  écrasés. 

•'    <  Edm.  P, 

lELVIDDAXS  L'ART  () 

Le  réaliste  a.  pour  but,  d'exprimer,  par  des  (euvres,  Télat 
de  son  esprit  au  moment  où  il  compose  ses  œuvres. 

Ici,  il  faudrait  ouvrir  une  large  parenthèse. 

Il  est  évident  que  les  littérateurs  et  les  artistes  qui  appar- 
tiennent au  mouvement  réaliste,  naturaliste,  sont  des  hommes 
souffrants,  malheureux,  agités,  et  qui  possèdent  en  eux-mêmes 
les  inquiétudes  et  les  tristesses  de  notre  société.  —  Car  ces 
inquiétudes  et  ces  tristesses  sont  certaines. 

Et  pourquoi  avons-nous  ces  inquiétudes?  —  Mais  il  faudrait 
ici  analyser  l'état  psychologique  de  noire  société  moderne  pour 
en  trouver  les  causes. 

Je  ne  veux  pas  me  lancer  au  long  dans  ces  recherches.  Mais 
je  peux  indiquer  quelques  causes  générales  qtii  expliqueront  cet 
état  morbide  et  qui  expliqueront  aussi,  en  même  temps  que  leur 
pessimisme,  comment  ces  hommes  dont  je  viens  de  parler  sont 
bien  les  artistes  nécessaires,  et  comment  aussi,  en  recherchant 
des  tristesses,  ils  se  recherchent  eux-mêiïies. 


'  (*)  Extrait  de  la  Conférence  fait«  par  J.-F.  RaflTaéUi  le  7 février  aU  Salon  deg 
XX.  (Voir  VAt't  nxodcrnc  du  15  février  dernier;. 


Messieurs,  la  névolulion  a  définitivement  créé  des  homnics. 
J'entends  qu'en  brisant  des  pouvoirs  absolus,  des  idées  reli- 
gieuses, des  corporations,  des  privilèges,  elle  a  construit  des 
individus,  séparés  entre  eux. 

Ces  individus  alors  se  sont  trouvés  tout  d'un  coup,  pour  ainsi 
dire,  seuls,  et  sans  soutiens  moraux. 

Pour  bien  nous  figurer  cet  élat  social  nouveau,  nous  ^'avohs 
qu'à  penser,  en  exagérant,  en  quel  drôle  d'état  moral  peuvent 
bien  se  trouver  des  nègres,  des  esclaves,  auxquels  on  vient  dire 
tout  d'un  coup  :  vous  n'êtes  plus  esclaves,  aih  z-vous  en  !  —  Ces 
malheureux  doivent  regarder  alors  autour  d'eux  avec  effroi,  et, 
le  premier  sentiment  qu'ils  devraient  éprouver  à  notre  avis,  un 
sentiment  de  joie,  n'est  bien  réellement  pour  eux  qu'un  senti- 
ment de  crainte  pour  la  nouvelle  situation  qui  leur  est  faite  et 
dont  ils  n'ont  pas  une  idée  bien  exacte.  —  Je  sais  que  l'esclavage, 
chez  nous,  n'était  pas  aussi  marqué,  et  qu'il  s'en  fallait  de  beau- 
coup, mais,  néanmoins,  je  crois  bien  définir  ainsi  cet  état  nouveau 
dans  lequel  nous  nous  sommes  trouvés  lorsqu'une  révolution 
est  venu  briser  les  grands,  que  nous  considérions  à  tort  ou  à 
raison,  comme  nos  pères,  nos  tuteurs,  nos  protecteurs.  —  De  là 
un  sentiment  de  vide,  de  l'effroi,  et  l'inquiétude  du  lendemain 
beaucoup  plus  grande.  Voici  donc  chez  nous  un  sentiment,  si  ce 
n'est  nouveau,  du  moins  beaucoup  plus  développé  :  l'inquiétude 
de  noire  nouvelle  puissance  et  de  nos  nouvelles  responsabilités. 

II  en  est  un  anire,  plus  étendu  et  de  tous  les  instants. 

Les  voies  de  communication  se  sont  centuplées,  et,  je  veux 
entendre  par  vOies  de  communication  lés  voies  matérielles  et  les 
voies  des  idées.  —  Par  voies. matérielles,  jo  veux  dire  les  che- 
mins de  fer,  les  bateaux  à  marche  rapide,  et,  par  voies  des 
idées,  les  télégraphes,  les  services  poslaux,  enfin,  les  journaux, 
qui  répandent  instantanément,  pour  ainsi  dire,  partout,  les 
nouvelles.  ^ 

De  tout  cela  rsi  né  une  activité  fébrile  et  une  véritable  maladie  : 
nous  l'appelons  la  grande  névrose. 

Voici  donc,  chez  nos  conteriiporains,  par  ces  révolutions  di- 
verses, un  étal  mental  nouveau.  —  D'un  côté  une  vie  matérielle 
énormément  active;  de  l'autre  une  vie  intellectuelle,  également 
très  activée. 

Ce  mouvement  constant  de  notre  corps  et  de  notre  esprit  a 
amené  de  l'exaspération,  du  paroxysme,  et  tout  ce  qu'entraîne 
cet  élat  :  la  lassitude  générale,  l'affaissement,  la  désespérance, 
l'inciuiétude.  —  Et  c'est  alors  que  les  sujets  tristes  s'imposent 
aux  artistes  et  aux  poètes  comme  devant  mieux-  exprimer  leur 
souffrance  intime, 

"  Il  n'y  a  pas,  je  pense,  à  chercher  ailleurs  les  causes  de  notre 
lit:érature  et  de  notre  art  ^'aujourd'hui,  et  cet  aperçu  très  court 
peut  nous  permettre  d'expliquer  ces  tendances  que  nos  norma- 
liens appellent  malsaines,  et  qui,  a  bien  considérer,  ne  sont  que 
parfaitement  naturelles,  logiques,  et  peuvent  même  permettre  au 
philosophe  clairvoyant  de  dire  :  cela  seul  qui  est  fait  sincèrement 
dans  cet  cspritr  restera  de  noire  temps,  parce  que  cela  seul  est  à 
l'image  morale  de  notre  temps. 

Je  viens  d'exjjliquer  les  causes  qui  nécessitent  souvent  chez 
nos  artistes  cette  recherche  du  laid,  qui  n'est  pas  la  recherche 
du  laid  pour  le  laid,  mais  bien  la  recherche  de  sujets  prêtant  à 
écrire  ou  à  peindre  notre  tristesse,  notre  désespérance  et  notre 
colère. 

Qu'on  ne  nous  parle  donc  plus  de  laideur,  du  choix  de  Fa 
laideur  dans  le  sujet,  et  disons  une  bonne  fois:  le  beau  et  le 


laid  ne  sont  pas  dans  le  sujet,  mais  dans  le  cœur  de  l'artiste, 
sans  quoi  il  suffirait,  pour  faire  beau,  d'aller  choisir  des  Transté- 
vérines  ou  des  filles  d'Arles  très  renommées  pour  leur  beauté,  ou 
bien  d'aller  à  Vienne  enlever  la  femme  ayant  obtenu  le  prix  au 
concours,  et  de  copier  ces  magnifiques  sujets  pour  faire  une 
œuvre  admirable  et  mériter  d'être  primé. 

Je  viens  de  parler  du  sujet  en  art,  j'en  voudrais  dire  encore 
quelques  mots. 

Ceux  de  nos  aînés  qui,  parmi  nous,  ont  inventé  le  mouvement 
naturaliste  ou  ceux  qui,  comme  nous,  l'ont  toujours  suivi, 
assistent  en  ce  moment  à  un  singulier  steeple- chase. 

Nous  voyons  tous  les  jours  des  hommes  qui,  après  avoir  dix 
ans,  vingt  ans,  fait  ce  que  nous  appelons  du  poncif,  se  mettent, 
tout  d'un  coup,  à  briser  leurs  vieux  pinceaux  et  à  en  acheter  de 
neufs  ;  ijiais  ceux-là,  très  réalistes.-  —  La  vérité  est  à  la  mode, 
faisons  de  la  v.érité...  r 

Beaucoup  trop,  en  un  mot,  se  mettent  dans  le  mouvement  sans 
vraie  passion.  .  ' 

Ça  n'est  pas  sans  tristesse  que  nous  assistons  à  ce  spectacle, 
et,  bien  souvent,  nous  rêvons  de  réagir,  mais  nous  ne  le  pou- 
vons pas.  '    -^  * 

Est-ce  à  dire  que  nous  ne  soyons  pas  sincères  et  que  nous 
méprisions  de  triompher  et  de  voir  une  école  se  former,  non  pas. 
Mais  nous  regrettons  de  voir  certains  suivre  trop  par  mode,  et 
sans  qu'ils  possèdent  certaines  qualités  indispensables  pour 
sauver,  à  force  d'art,  ce  que  les  sujets  que  nous  sommes  appelés 
à  faire  peuvent  avoir  quelquefois  de  trop  terre-à-terré. 

On  se  figure  vraiment  que  notre  rêve  n'est  autre  que  de  rem- 
placer la  tunique  grecque  par  le  veston  court,  le  casque  d'Aga- 
memnon  par  le  chapeau  de  soie,  et  le  cothurne  par  la  boitine  à 
élastique;  et  l'on  croit  faire  moderne  parce  qu'on  peint  une, 
cocotte,  une  cuisinière  ou  un  pauvre  diable.  —  Ne  nous  arrêtons 
pas  trop  sur  tout,  cela  et  affirmons  simplement  ceci,  qui  né  devrait 
plus  être  à  affirmer:  le  moderne  n'est  pas  seuleiiwnl  dans  le 
sujeî  :  — M.  Puvis  de  Chavanne,  parmi  les  peintres,  si  j'en,  cite, 
est  moderne,  malgré  les  sujets  qu'il  traite  dans  ses  admirables 
décorations.  —  M.  Cazin  est  moderne  lui  aussi,  malgré  s6s 
<<  Fuites  en  Egypte  »,  ses  «  Judith  »  et  ses  «  Madeleine  »,  tout 
comme  Flaubert  est  moderne  dans  Salammbô,  ou  la  Légende  de 
Saint- Julie7i-i' Hospitalier,  —  alors  que  M.  Octave  Feuillet  ou 
M.  Georges  Ohnet  ne  sont  pas  modernes,  malgré  qu'ils  placent 
leurs  romans  au  milieu  de  nous;  pas  plus  que  ne  le  pourraient 
être  la  plupart  de  nos  prix  de  Rome  de  peinture,  qui  reviennent 
de  Rome  avec  quinze  ans  d'école  sur  le  dos,  et  qui,  à  moins 
d'efforts  surhumains,  sont  pour  toujours  condamnés  au  poncif 
et  au  pastiche,  malgré  tous  les  sujets  modernes  qu'ils  pourraient 
choisir  dans  la  suite.  - 

On  est  moderne  par  la  sensation,  par  l'idée  qu'on  a  de  l'at- 
mosphère morale  qui'  nous  entoure,  enfin  par  un  jugement  plus 
subtil  et  différent  :  Van  Eyck  a  été  moderne,  Holbcin  et  Diirer  ont 
été  modernes,  aussi  bien  que  Raphaël,  que  Carpaccio,  ou  bien 
que  Velasquez.  ^ 

Watteau  a  été  moderne,  et  Eugène  Delacroix  a  été  moderne 
autant  que  Courbet  et  notre  ami  Manet.  —  El  je  dirai  même  : 
plus  les  grands  génies  du  passé  ont  été  modernes  à  leur  époque, 
c'est-à-dire  plus  ils  ont  reflété  les  agilaiionàde  leur  temps,  plus 
ils  restent  modernes  à  travers  les  ûgcs,  parce  qu'une  époque, 
par  ses  caractères  essentiels,  reste  gravée  dans  notre  esprit,  que 
nous  la  connaissons  ainsi,  qu'elle  représente  un  effort  et  un  état 


de  noire  intelligence  en  passe  de  croissance,  que  nous  avons 
pleine  connaissance  de, ces  élats  passés,  comme  nous  avons 
conscience  de  nos  élals  de  jeunesse  et  de  nos  premières  sen- 
sations. 
Voilà  le  moderne,  il  n'en  est  pas  d'autre.  .     ^ 


l'IJIPKESSlOXXISHE 

L'un  de  nous  vient  de  recevoir  d'un  de  nos  meilleurs,  de  nos 
plus  consciencieux,  de  nos  plus  impressionnainls  artistes,  la 
lettre  suivante,  pleine  de  réflexions  dignes  d'être  mtîditées.  Ce 
n'est  pas  un  jeunp,  c'est  un  précurseur  des  jeunes,  de  ceux  qu'on 
nomme  Impressionnistes^  comme  le  fui  Louis  Dubois  dans 
quelques-unes  de  ses  œuvres,  pieusement  conservées  par  ceux 
pour  qui  l'histoire  en  son  incessante  variété,  est  un  des  intérêts 
principaux  de  I'art  : 

Cher  Monsieur, 

Vous  m'interrogiez  dimanche  dernier  et  vous  paraissiez  tenir  à 
connaître  mon  opinion  sur  quelques-uns  de  mes  tableaux.  Il  s'agis- 
•  sait  tout  spécialement  de  ceux  qui  ont  fait  le  pas  le  plus  décisif  dans 
la  voie  des  colorations  modernes  et  qui  ont  contribué  à  ouvrir  la  voie 
nouvelle  qui  s'offre  aux  aspirations  des  jeunes  h'Effet  de  pluie  avec 
vaches,  entr'autres. 

Me  rappelant  hier  notre  conversation,  il  m'en  restait  un  souvenir 
inquiet,  car  il  me  semble  vous  avoir  répondu  d'une  façon  insuf- 
fisante. C'est  là  ce  qui,  me  tourmentant  un  peu,  me  pousse  à  vous 
adresser  la  présente. 

Nous  avons  parlé  de  cet  effet  de  pluie  comme  ayant  été  exécuté 
par  moi  d'une,  façon  inconsciente.  Il  "est  certain  que  l'artiste  de 
tempérament  ne  raisonne  guère  lorsqu'il  se  met  à  l'ouvrage. 

Avoir,  en  son  âme  un  reflet  très  net  et  très  vif  de  ce  qu'il  voit  et 
de  ce  qu'il  éprouve,  se  dégager  des  préjugés  d'école  et  des  préoccu- 
pations de  système,  voilà  tout  ce  qu'il  faut  pour  faire  du  neuf  et 
c'est  bien  de  là  qu'est  sorti  le  tableau  en  question.  Mais  une  fois  le 
tableau  terminé,  l'artiste  qui  réfléchit  à  la  situation  artistique, 
entrevoit  le  rôle  d'avant-coUreur  que  son  tableau  va  jouer  et  s'attend 
à  une  avalanche  de  désapprobations.  Si  à  ce  moment  il  rencontre 
quelques  connaisseurs  intelligents  qui  le  soutiennent  cela  lui  suffit. 

Tout  travail  pour  la  vue  devrait  posséder  en  outre  une  grande 
pondération  harmonique  des  valeurs.  Tout  artiste  surtout  devrait  en 
être  pénétré  au  point  de  s'en  faire  un  jeu.  Et  c'est  en  elle  qu'on 
trouve  la  pierre  de  touche  de  la  valeur  artistique  des  diverses 
époques. 

Je  la  retrouve  dans  chaque  page  de  votre  beau  livre.  La  nature 
vous  en  donne  l'éternel  spectacle  et  révèle  son  secret  à  ceux  qui 
voient  et  qui  sentent. 

L'appliquer  à  un  sujet,  de  manière  à  la  faire  percevoir  à  tous, 
voilà  ce  qui  constitue,  à  mon  avis,  le  degré  suprême  de  l'Art. 
Parmi  les  jeunes,  les  plus  avancés  dans  les  colorations  modernes  s'en 
préoccupent  surtout,  mais  ils  font  pour  la  plupart  voltiger  les  tons, 
au  lieu  de  les  appliquer  et  ils  arrivent  ainsi  d'une  manière  factice  à 
en  faire  la  uiiatique,  dirai-je,  sans  que  la  chose  soit  suffisamment 
présent'.'. 

A  mon  avis,  l'artiste  qui  se  contente  de  cet  à-peu-près  est  con- 
damné à  bégayer  pendant  toute  sa  carrière  artistique.  Mais  là  n'est 
pas  ce  qui  faisait  l'objet  de  votre  question. 

Il  s'agissait  dn  degré  de  /ïni  et  \'ons  trouviez  mes  derniers  tableaux 
poussés  trop  loin  sous  ce  rapport  et  ne  marquant  pas  un  progrès. 

Celte  observation  est  tout  à  fait  juste  pour  ce  qui  regarde  mon 
»»  époque  des  pluies*»  ,  mais  mon  tableau  au  Musée,  Le  chemin  des 
vieux  bouleaux  que   vous    possédez,    ma   marine  claire   de  L..., 


celle  du  baron  P....  et  jusqu'à  -  r(?;^<?f  de  pluie  avec  vaches  » 
dont  nous  parlions,  sont  tous  assez  finis  ;  plusieurs  sont  même  très 
faits  et  si  cela  ne  leur  nuit  pas,  c'est  que  la  pondération  des  colo- 
rations est  juste.  Dès  lors  tout  rentre  dans  l'effet  que  l'on  veut  inter- 
prêter et  le  travail  des  diverses  parties  se  fond  dans  l'ensemble.' 

Je  crois  qu'il  faut  rendre,  autant  que  faire  se  peut,,  l'œuvre 
compréhensible,  mais  pour  autant  que  Viin}jression  artistique  à 
reproduire  reste  intacte. 

La  nature  charme  et  empoigne  tantôt  par  le  détail,  tantôt  par  le 
caractère,  tantôt  par  la  grande  impression  d'ensemble.  Poursuivre 
la  manifestation  de  Vimpression  ressentie,  voilà  le  but.  Quand  je 
vois  des  artistes  finir  tout  au  même  degré  et  par  un  procédé  unique, 
j'ai  la  certitude  qu'ils  se  laissent  dominer  par  la  théorie.  —  — 
■  Je  ne -vous  apprends  en  ceci  rien  de  neuf;  je  vous  montre  seule- 
ment l'idée  qui  préside  à  mes  travaux,  puisque  vous  semblez  y  atta- 
cher quelque  intérêt.  '. 

Vous  me  paraissiez  également,  cher  Monsieur,  vous  préoccuper 
du  reproche  qui  vous  a  été  fait  de  pousser  les  artistes  dans  une  voie 
extrême  de  l'Art:. Il  y  a  quelque  fondement  dans  cette  objection. 
Pousseriez  artistes  dans  cette  voie,  c'est  trop.  Ceux  qui  sentent  et 
qui  voient,  y  arrivent  deux-mêmes.  Les  soutenir  &u^\\..  Parmi  les 
jeunes  qui  se  laissent  pousser,  il  y  en  a  beaucoup  qui  .prennent 
l'apparence  pour  la  réalité.  Ils  sont  vraiment  à  plaindre  et  il  y 
aurait  lieu  de  se  chagriner  de  les  avoir  pou5S(?5  dans  une  voie  sans 
issue  pour  eux.  -  - 

Je  ne  sais  si  ceci  vous  est  applicable  ;  je  ne -fais  que  répondre  à 
une  question  qui  prouve  combien  vous  êtes  consciencieux. 

Que  la  voie  soit  bonne,  qu'elle  soit  vraie  et  féconde,  je  n'efa  doute 
nullement.  ' 

Recevez,,  cher  Monsieur,  mes  salutations  cordiales. 


;:•;:::;:;■•  "^ -.y  v::'-:^RAcz  pal  ::^;-;:-^::::'v--^;  • 

Les  journaux  autrichiens  ont  annoncé  ces  jours-ci  la  mort  du 
fameux  chef  des  tziganes  Ruez  Pâl,  mort  à  Pesth,  à  l*âge  de 
72  ans.  Los  Hongrois  ont  fait  à  leur  grand  musicien  populaire 
des  obsèques  vraiment  princicres,  auxquelles  ont  assisté  plus  de 
10,000  personnes.  En. tête  du  cortège  marchaient  la  musique  du 
44^  de  ligne  et  des  détachements  de  tous  les  réirimenls  en  sar- 
nisonà  Budapest. 

Dans  un  article  paru  tout  récemment  dans  la  Société  nouvelle, 
notre  coflaboraleur  Octave  Maus  avait  décrit  en  ces  termes  le 
célèbre  bohémien  : 

«  Pour  entendre  de  la  musique  tzigane  dans  sa  saveur  originale, 
c'est  chez  les  Magyars  qu'il  faut  aller,  c'est  à  Râcz  Pal  qu'il  faut 
s'adresser,  — Râcz.  le  plus  merveilleux  des  maîtres  de  l'archet,  un 
patriote  convaincu,  qùT  n'a  jamais  consenti  à  quitter  le  sol  natal.  Il 
faut  le  voir  à  la  tête  de  son  orchestre,  qu'il  mène  comme  un  com- 
mandant son  escadron,  l'archet  haut  levé,  le  corps  .cambré,  l'œil  dur 
sous  une  broussaille  grise,  la  bouche  frémissante. 

«  Attention  !  Râcz  a  donné  le  signal.  Des  profondeurs  de  son 
violon  flamboyant  sort  une  plainte,  indistincte  et  lointaine  d'abord, 
comme  une  voix  d'outre -tombe.  Elle  se  rapproche.  C'est  un  lamcuto, 
qui  vous  transporte  dans  le  pays  des  ombres,  évoque  le  cortège  des 
morts  aimés.  Le  poète  raconte,  en  sa  langue  musicale  aux  mots 
vagues  et  })oignants,  la  douleur  des  séparations,  les  larmes,  les 
déchirements  de  l'âme.  Discrètement,  comme  le  chœur  qui,  dans  les 
tragédies  antiques,  renforçait  l'expression  des  sentiments,  les  altos, 
les  violoncelles  et  les  contrebasses  exhalent  sur  un  mode  mineur  de 
sombres  accords,  coupés  du  sanglot  des  clarinettes. 

«  La  procession  se  déroule,  s'éloigne,  disparaît  dans  des  brouil- 
lards d'harmonie,  et,  sur  un  signe  du  magicien,  des  lumières  traver- 


\ 


sent  la  brunie,  déchirent  les  voiles,  éclairent  de  rayons  d'or  de 
fantastiques  paysages  élyséeus,  où  apparaissent  des  visioiis  claires, 
de  blanches  figures  nimbées  de  soleil.  ' 

«  Ainsi  que  des  pizzicati  de  harpes,  les  sonorités  grêles  du  czim- 
balom  s'égrènent.  Ses  gûmnies  ruissellent.  La  résonnance  adoucie 
des  timbres  apaise  et  réjouit.  Des  bruissements  de  forêts,  des  mur- 
mures de  sources,  des  gazouillements  d'oiseaux  accompagnent,  avec 
une  infinie  douceur,  la'  mélodie  des  deux  clarinettes  babillant  un 
air  champêtre.  Et  Râcz,  du  bout  de  son  archet,  enguirlande  les 
caprices  du  rythme,  dessine  en  traits  éblouissants  les  contours  du 
thème,  rit  dans  des  trilles  fous,  s'épanche  en  des  cascades  de  notes, 
en  des  vocalises  Cabriolantes  qui  s'élèvent  jusqu'aux  astres. 

«  Le  tableau  change  encore.  Des  grondements,  des  roulements  de 
tonnerre  ébranlent  la  caisse  sonore  des  contrebasses.  La  tempête 
éclate.  Tout  est  bouleversé.  'Échevelés,  les  accords  passent  dans 
l'ouragan  des  harmonies  sauvages.  L'ombre  se  peuple  de  fantômes, 
que  le  vent  emporte.  Ce  sont  des  apparitions  grimaçantes,  jaillissaint 
d'accords  dissonants,  des  monstres  que  vomit  le  déchaînement  des 
gammes  chromatiques,  des  chevauchées  qui  se  précipitent  avec  des 
clameurs  guerrières.  Ou  aperçoit  à  travers  le  nuage  des  archets  qui 
cinglent  l'air  le  grand  corps  de  Râcz,  balancé  et  secoué;  on  entend 
sa  voix  qui  domine  le  vacarme  et  le  son  strident  de  son  violon,  péné- 
trant comme  une  vrille  jusqu'aux  moelles.  Il  excite  ses  hommes, 
frappe  du  pied,  brandit  son  archet  comme  un  bâton  de  comman- 
dement. Et  la  sarabande  furieuse  reprend,  par  saccades,  repart  de 
plus  belle,  hourrah  !  hourrah  !  comme  le  train  d'une  chasse  diabo- 
lique lancée  dans  les  ténèbres  à  travers  les  bois.  Les  cordes  grincent 
et  se  cassent,  les  violons  gémissent,  les  clarinettes  hurlent,  le 
czimbalom  crépite  comme  une  volée  de  mousqueterie,  jusqu'à  ce 
que  la  rafale  s'arrête  d'un  seul  coup,  avec  l'imprévu  du  réveil  tuant 
le  cauchemar.  »  . 


GAZETTE  DE  HOLLANDE  ■ 

Dimanche  dernier  s'est  constituée  à  Amsterdam,  chez  Mii«  Wally 
Moes,  qui  avait  eu  la  gracieuseté  de  réunir  chez  elle  un  petit  nombre 
d'artistes,  un  Club  d'aquafortistes  hollandais.  Le  but  est  de  ranimer 
cet  art  si  exquis  de  l'eau-forte.  d'y  faire  prendre  goût  au  public  en 
organisant  des  expositions  d'œuvres  de  ce  genre,  de  toutes  les 
époques,  et,  plus  tard,  de  publier  un  album.  Puisse  cette  Société, 
qui  a  la  ferme  volonté  de  réussir,  avoir  plus  de  succès  que  les  précé- 
dentes! Provisoirement  se  sont  constitués  en  groupe  MM.  Der  Kin- 
deren,  Jan  Vesth,  Witsen,  Tholen,  Witkamp,  Zilcken  et  MM-""»  Thé- 
rèse Schartze  et  Wally  Moes,  quitte  à  augmenter  bientôt  le  nombre 
des  membres. 

A  propos  d'eau-forte,  nous  croyons  bien  faire  en  mentionnant  aux 
amateurs  un  chef-d'œuvre  que  nous  avons  admiré  récemment  dans 
les  Salons  de  M.  Wisseliugh,  à  la  Haye.  Il  est  de  Matthijs  Maris,  le 
frère  de  Willem,  de  Jacques,  bien  connus  et  appréciés  en  Belgique. 
La  peinture  de  Matthijs  Maris  est  d'une  immatérialité  extraordinaire, 
d'une  vie  intense,  d'une  couleur  et  d'un  sentiment  merveilleux.  Ses 
œuvres,  rares,  jamais  exposées,  ne  sont  connues  que  d'un  très  petit 
nombre  d'amateurs  et  de  quelques  artistes. 

Celle  dont  nous  parlons  est  une  grande  reproduction  du  Semeur^ 
de  Millet.  Après  un  travail  étourdissant,  M.  Maris  imprimant  lui- 
même  ses  états,  reprenant  et  fouillant  sans  cesse  sa  planche,  elle 
fut  publiée  par  la  maison  Cottier  de  Londres,  et,  peut-être  est-ce  la 
plus  parfaite  reproduction  artistique  qui  ait  été  faite  jusqu'à  ce 
jour. 

Avec  une  compréhension  absolue  de  l'œuvre  de  Millet,  elle  rend 
d'une  façon  intime  et  vibrante  les  tons,  la  couleur  et  la  vie  de  cette 
toile  célèbre.  Malheujcausement-^elle  n'est  tiréa  qu'à  un  nombre 
d'épreuves  très  restreint  (au  plus  une  centaine)  et  par  cela  même 
destinée  à  être  vite  absorbée  par  les  collectionneurs.  Le  plus  grand 


honneur  revient  à  l'artiste  qui  comprit  Miltet  si  parfaitement,  par- 
vint à  s'assimiier  si  complètement  à  lui,  de  façon  à  donner,  non  pas 
une  traduction,  mais  une  vision  de  son  œuvre. 

■  ■  U    ■  . 


j^HRONIQUÉ    JUDICIAIRE    DE^  ,  ART3 

Mme  Olga  Léaut,  non  contente  de  diriger  l'Alcazar  de  Bruxelles, 
a  ambitionné  la  direction  d'un  théâtre  à  Paris. 

Elle  a  donc  loué  les  Bouffes  du  Nord  pour  10  mois. 

Elle  avait  pris  comme  administrateur  de  ce  théâtre  M.  Dorsy,  à 
qui  elle  envoyait  l'argent  nécessaire  pour  l'exploitation. 

Cependant  le  théâtre  du  faubourg  Saint-Denis  ne  réussissant 
guère,  la  directrice  s'en  est  prise  à  son  administrateur  et  l'a  prié  de 
cesser  ses  fonctions. 

Comme  ce  dernier  n'a"  rien  voulu  en  faire  et  a  persisté  à  se  main- 
tenir aux  Bouffes  du  Nord,,  Mme  Olga  Léaut  l'a  assigné  en  référé 
pour  faire  ordonner  son  expulsion.  Me  Pellerin,  avoué,  s'est  pré- 
senté pour  M™e  Olga  Léaut,  et,  malgré  les  observations  de  M. Dorsy, 
le  président  a  ordonné  que  ce  dernier  devrait  cesser  ses  fonctions  au 
théâtre  et  le  quitter  sans  délai. 


MEMENTO  DES  EXPOSITIONS  ET  CONCOURS 

Anvers.  —  Exposition  universelle.  Mai  à  octobre  1885. 

Anvers.  —  Salon  des  refusés  et  exposition  des  artistes  indépen- 
dants. Ouverture  en  mai.  Pour  tous  renseignements  s'adresser  au 
secrétaire  du  Cercle  des  artistes  indépendants,  1,  rue  de  l'Angle, 
Bruxelles.      •  '  •      -. 

Bruxelles.  —  Exposition  tintamarresqué  de  V Essor  au  Musée 
du  Nord.  Ouverture  28  février.  —  III®  exposition  de  Blanc  et 
Noir  à  l'Essor.  (Limitée  aux  membres  du  Cercle).  Mai  1885. — 
Exposition  historique  de  gravure,  par  le  Cercle  des  aquarellistes  et 
aquafortistes.  Mai  1885.  ,  . 

Bruxelles.  —  25<^  exposition  annuelle  de  la  Société  royale  belge 
des  aquarellistes.  Ouverture  le  4  avril  1885. 

Londres.  —  Exposition  internationale  d'instruments  de  musique. 
Ouverture  en  mai  1885,  à  South-Kensington. 

Id.  —  Du  31  mars  à  la  fin  de  septembre  exposition  internationale 
et  universelle  d'Alerandra-Palace,  comprenant  notamment  les  arts 
et  métiers,  et  exposition  de  tableaux  et  objets  d'art  des  principales 
écoles  du  continent. 

Id.  —  Exposition  de  la  Royal  academy.  Ouverture  le  l*r  mai 
à  Burlington  House.  Délais  d'envoi  :  peintures,  les  27,  28  et  30  mars  : 
sculptures,  le  31  mars. 

Nuremberg.  —  Exposition  internationale  d'orfèvrerie,  de  joaille- 
rie, de  bronzes,  etc.  Du  15  juin  au  30  septembre  1885. 

Paris.  —  Salon  de  1885.  —  le"*  mai  au  30  juin  1885.  —  Peinture, 
dessins,  etc.  Dépôt  des  ouvrages  au  Palais  des  Champs-Elysées,  du 
5  au  14  mars.  Vote,  le  mercredi  18  mars,  de  9  h.  à  4  h.  —  Sculp- 
ture, Gravure  en  méd.  et  sur  p.  /",  Dépôt  du  21  mars  aii  2  avril. 
Vote,  le  mardi  7  avril,  de  10  à  4  h.  —  Architecture.  Dépôt  du  2  au 

5  avril.  Vote,  le  mardi  7  avril,  de  10  à  4  h.  —  Gravure  et  Lithogra- 
phie. Dépôt,  du  2  au  5  avril.  Vote,  le  lundi  6  avril,  de  10  à  4  h. 

Paris.  —  Exposition  internationale  de  blanc  et  noir,  organisée^- 
par  Le  Dessin,  au  Palais  du  Louvre  (pavillon  de  Flore).  Du  15  mars 
au  30  avril.  Dernier  délai  d'envoi  :  5  mars.  Trois  sections  :  !<>  Des- 
sins; 2»  fusains;  3°  gravures.         ,  •    ' 

Il  sera  distribué  trois  médailles  d  or,  18  médailles  en  argent, 
9  médailles  de  bronze  et  15  mentions  honorables. 

Deux  envois  seulement  par  artiste.  Adi'esse  :  M.  E  Bernard,  au 
Louvre. 

Rotterdam.  —  Du  31  mai  au  12  juillet.  Dernier  délai  :  lOmai. 
Renseignements  :  M.  Veders,  secrétaire,  42,  Boompjes,  Rotterdam. 

Gand.  —  Statue  du  docteur  Josej)h  Guislain.  Clôture  :  31  mars 
1885.  Les  œuvres  doivent  être  envoyées  au  concierge  de  l'Université 


•/   . 


de  Gand,  rue  des  Foulons,  et  porter  la  suscription  :  Au  comité 
constitué  pour  l'érection  d'une  statue  au  docteur  Joseph  Guislain.  — 
Envoi  :  Maquette  de  la  statue  et  du  piédestal  (25  centimètres  au 
total),  dessin  détaillé  de  la  grille  et  indication  de  la  disposition  du 
dallage  entre  le  grillageet  le  piédestal.  —  L'artiste  doit  s'engager  à 
livrer  pour  19,000  francs  les  travaux  de  maçonnerie  nécessaires,  la 
statue,  lé  piédestal,  le  grillage  et  le  dallage.  — 'Documents  et  pho- 
tographies chez  le  D»"  B.-G.  Ingels,  médecin  de  Ihospice  Guislain, 
à  Gand.  .  ;-  '  . 

Paris.  —  Statue  de  Paul  Broca  (hauteur  2™,20)  maquettes  de 
70  centimètres,  déposées  à  l'école  des  Beaux-Arts,  le  1er  septembre 
1885  avant  5  h.  8000  fr.  à  l'artiste  désigné  pour  l'exécution  en  plâtre 
du  modèle  définitif,  destiné  à  être  coulé  en  bronze  aux  frais  de  la 
commission  du  monument.  1000  fr.  et  500  fr.  aux  deux  concurrents 
les  plus  méritants  après  l'artiste  choisi.  S'adresser  à  M.  le  docteur 
Pozzi,  10,  place  Vendôme. 

RiCHMOND  (Virginie).  —  Concours  pour  un  monument  à  Robert 
Lee,  jusqu'au  le  mai  1885. 

Saint-Nicolas.  —  Concours  de  gravure  du  Journal  des  Beaux- 
Arts.  Histoire  :  prix  400  fr.  pour  la  meilleure  eau- forte  (sujet  inédit 
ou  copie  d'un  tableau  flamand  ancien  ou  moderne'^  Genre  :  prix 
300  fr.  Paysage  et  intérieur  :  prix  200  fr.  Dimension  maximum  des 
cuivres:  0"'260  sur  0n'190.  Dernier  délai  :  31  juillet  1885.  Envoyer 
franco  avant  cette  date  2  exemplaires  sur  papier  blanc  et  2  exem- 
plaires sur  chine. 

Vienne.  —  Concours  pour  l'érection  d'un  monument  à  Mozart. 


f 


ETITE    CHROJ^iqUE 


Nous  apprenons  avec  plaisir  que  le  Capitaine  Noir  de  notre 
^  compatriote  Joseph  Mertens.  joué  la  semaine  dernière  à  Hambourg, 
a  obtenu  un  très  grand  succès.  L'œuvre  est  montée  avec  beaucoup 
de  luxe,  les  décors  sont  fort  beaux  et  la  première  chanteuse, 
]VXme  Sucher  est  tout-à-fait  remarquable  dans  le  rôle  d'Anna  Van 
Cuyck.  Le  compositeur,  qui  a  dirigé  les  dernières  répétitions,  a  été, 
le  soir  de  la  première  représentation,  l'objet  de  bruyantes  ovations. 

Les  journaux  hambourgeois  sont  unanimes  dans  l'éloge  qu'ils 
font  du  Capitaine  Noir,  duquel  l'un  d'eux  prédît  qu'il  fera  le  t(5ur 
de  l'Allemagne. 

^  L'Étoile  belge  d'hier  annonce  que  M.  Franz  Simoiis  a  donné  sa 
démission  des  A'A'.  Assurément  on  dira  que  ic'est  à  cause  de  l'inci- 
dent qui  s'est  produit  dimanche  dernier,  22  février. 

M.  Simons  tiendra  sans  doute  à  éviter  cette  équivoque,  et  c'est 
pourquoi  on  nous  prie  de  faire  connaître  que  sa  démission,  datée  du 
.18,  quatre  jours  avant  l'incident,  a  été  immédiatement  acceptée. 

Il  était  visible,  d'après  ses  tableaux  exposés,  qu'un  désaccord 
absolu  existe  entre  son  art  et  celui  des  XA'. 

La  clôture  du  Salon  des  XX  est  irrévocablement  fixée  à  mardi 
prochain,  3  mars,  un  grand  nombre  des  œuvres  qui  y  sont  exposées 
devant  être  expédiées  le  lendemain  à  Paris. 

Une  exposition  d'arts  incohérents,  organisée  par  VEssor,  est 
ouverte  depuis  hier  au  Musée  du  Nord.  Nous  y  consacrerons  une 
étude  dans  notre  prochain  numéro. 

Aujourd'hui,  à  2  heures,  concert  du  Conservatoire.  Programme  : 
Symj)honie  en  ut,  Manfred  e\  ouverture  de  Freischûtz. 

Aujourd'hui,  à  2  heures,  dans  la  salle  de  l'Union  syndicale,  il  sera 
rendu  compte  du  concours  de  littérature  ouvert  par  ï  Union  litté- 
raire. 

M'i'«  M.  Van  de  Wiele  lira  son  rapport  sur  le  concours  de  prose 
et    M.   Edmond  Picard  sur   le  concours  de  poésie.  L'une  et  l'autre 
r  concluent  qu'il  y  a  lieu  de  décerner  le  prix. 

Les  incohérents  qui  ont  exposé    dernièrement  dans   la  galerie 
-  Vivienne,  à  Paris,  des  onivres  si  drolatiques  donneront,  le  11  mars 
prochain,   un  grand  bal  costumé.  Gomme  intermède,  il  y  aura  "des 
tableaux  vivants.  . 

La  prochaine  Soirée  musicale  offerte  aux  membres  de  la  Nouvelle 
Sovit^té  de  musique  de  lirnccelles  est  fixée  au  mardi  3  mars  1885,  à 
8  heures  du  soir.   Elle  aura  lieu  dans  une  des  salles  du  Palais  des 


Beaux-Arts.  Le  programme  comprendra  l'exécution,  par  les  chœurs 
de  la  Société  (avec  accompagnement  de  piano  et  harpej,  de  Narcisse, 
de  Mâssenet,  VAnathème du  Chanteur,  deSchumann,  et  de  .^m^t^/ws 
Domini,  motet  à  six  voix,  de  Joseph  Rheinberger. 

Les  répétitions  d'Aben-Hamet,  au  théâtre  de  Liège,  marchent 
admirablement.  Les  décors  nouveaux  seront  très-beaux.et  on  compte 
sur  une  interprétation  artistique  parfaite  pour  la  première,  paraît-il, 
qui 'aura  lieu  le  5  mars. 

Thkatrk  Molière.  —  Demain  lundi,  2  mars  et  jours  suivants 
la  Petite  Denise,  comédie  inédite  en  un  acte  et  les  Filles  de  Marbre,. 
pièce  en  quatre  actes,  par  T.  Barrière  et  L.  Thiboust. 

A  l'étude  :  Le  prince  Zilah,  comédie  nouvelle  en  cinq  actes,  par 
M.  Jules  Claretie.  '    , 


A  la  dernière  séance  de  la  Société  des  amis  des  monuments  pari- 
siens, M.  Lenoir  a  signalé  à  l'assemblée  l'existence,  au  Mont-Valé- 
rien,  de  fragments  fort  intéressants  dus  ad  ciseau  de  Philibert 
Delorme. 

Ces  fragments  constituaient  la  clôture  du  cimetière  de  Nogent  et 
consistent  en  une  grande  arcade  aux  niches  contenant  des  statues. 
Cette  clôture  fut  donnée  aux  missionnaires  dont  l'établissement  fut 
en  partie  détruit  pour  faire  place  au  tort  actuel. 

La  Société  va  faire  des  démarches  pour  la  conservation  de  ces 
sculptures,  qui  sont,  parai t-1,  tout  à  fait  remarquables. 

Etrange.  Le  docteur  Jules  Rochard  a  affirmé  ces  jours  derniers,  à 
l'Académie  de  médecine,  que  »  l'abus  de  la  musique,  le  plus  énervant 
de  tous  les  arts,  était  une  des  causes  de  la  dépopulation  eu  France  ". 

Le  Ménestrel  accompagne  cette  singulière  nouvelle  des  rétlexions 
suivantes  : 

«  La  musique,  la  divine  musique,  si  douce  au  cœur,  s.i  caressante  à 
l'esprit,  «  une  cause  de  stérilité!  «  Oh!  la  pauvre,  voici  la  science 
qui  vient  de  lui  plonger  dans  le  sein  un  scalpel  impitoyable. 

Les  partitions  de  Gounod  contiendraient  des  germes  délétères, 
Thomas  ne  serait  que  le  suppôt  de  Malthus,  et  Delibes  un  simple 
dissolvant  I 

Cependant,  docteur,  s'il  est  une  race  prolifique,  c'est  bien  celle 
des  Allemands.  Pas  musiciens  alors,  les  Allemands  i  Et  la  musiqhe 
de  Wagner?  Bernique!  Je  m'en  étais  toujours  douté. 

Ou  bien  il  faudrait  établir  des  'catégories  dans  la  musique  :  la 
féconde  et  l'inféconde.  Cette  distinction  est-elle  admise  par  la 
Faculté?  Mesdames,  allez  entendre  Tristan  et  Yseidt.  C'est  l'ordon- 
nance du  médecin.»  - 

Les  Pâques  à  Rome  et  à  Naples.  —  Voici  un  superbe  voyage  en 
Italie  organisé  à  l'occasion  des  fêtes  de  la  Semaine-Sainte,  Il  com- 
prendra la  visite  de  Turin,  Gènes,  Pise,  Florence,  Rome  et  Naples, 
avec  excursion  à  Pompéi  et  au  Vésuve.  La  durée  tlu  voyage  sera  <le 
dix-sept  jours.  Le  prix  est  fixé  à  385  francs,  comprenant  le  transport 
et  les  frais  de  séjour  en  Italie. 

Le  programme  détaillé  sera  envoyé  gratuitement  aux  personnes 
qui  eu  feront  la  demande  à  M.  Ch.  Parmeutier.  directeur  de 
V Excursion,  10î\  boulevard  Anspach,  à  Bruxelles. 

Un  comité  s'est  formé  pour  organiser  une  exposition  de  l'œuvre 
de  Bastien-Lepage  à  l'Ecole  des  beaux- arts  Ce  comité  s'est  réuni 
rue  Legendre,  dans  l'atelier  de  Bastien-Lepage.  Au  nom  de  ce 
comité  et  de  la  famille  Bastien-Lepage.  M.  Emile  Bastien-Lepage. 
architecte,  a  demandé  à  M.  Antonin  Proust  de  vouloir  bien  pré- 
sider à  l'organisation  de  l'exposition.  M.  Autoniu  Proust  a  ink>rmé 
la  réunion  que,  prévenu  par  M.  Emile  Bastien-Lepage.  il  avait  t'ait. 
auprès  du  ministre  les  démarches  nécessaires  pour  obtenir  la  libre 
disposition  de  l'hôtel  de  Chimay  dès  que  la  loi  qui  ajoute  cet  hôtel  a 
l'Ecole  dés  beaux-arts  aurait  été  votée.  Le  comité  s'e.st  alors  iiaus- 
porté  à. l'hôtel  de  Chimay  et  il  a  été  deciile  que.  le  vote  du  Sénat 
pouvant  être  prévu  pour  les  premiers  jours  A^  fevri-n-,  lexpr^itiou 
aurait  lieu  en  mars  et  en  avril  à  cet  endroit.  MM.  F.>uiv;ial.  Maul. . 
Burty  et  Bazin  ont  été  ciiargés  de  hi' rédaction  du  catalogue; 
MM.  Emile  Bastien-Lepage,  Leenhotl,  Marx.  Willinni.-on,  d-'  liusta.- 
lation  matérielle;  MM.  Georges  Petit  et  Due/  du  plaoemout  ks 
tableaux,  sous  la  direction  de  M.  Moissonier.  L'expo*itiou  aura  heu 
au  profit  de  la  Société  libre  des  artistes. 


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COTONS  DE  TOUTE  LARGEUR  ) 

DEPUIS  1  MÈTRE  JUSQUE  8  MÂTRBS^ 


Représentation  de  la  Maison  BINANT  de  Paris  pour  les  toiles  Gobelins  (imilati^ 

NOTA.  —  La  maison  dispose  de,  vingt  ateliers  pour  artistes. 
Impasse  de  la  Violette,  4, 


^uxelies.  —  Imp.  Fblix  Callewakrt  pero,  rue  do  l'Industrie, 


CtNQUIÈMÈ    ANNÉE.  —  N°  10. 


,  Le  NUMÉRO  :  25  centimes. 


Dimanche  8  Mars  1885. 


l  A  R  T 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DBS  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABOlfïNEMENTS  :    Belgique,   un   an,   fr.   10.00;  Union  postale,   fr.    13.00.    —  ANNONCES  :    On   traite  à   forfait. 

.      ■  ■.  •  .,..■■* 

Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 

l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  rindustrie,  26,  Bruxelles. 


^ 


OMMAIRE 


y  Great  Zwans  Exhibition.  —  Les  Mnitr-es-Chanteurs.  —  Livres 
NOUVEAUX  :  Héros  et  pantins,  par  Léon  Cladel.  —  Notes  de 
MUSIQUE  :  Troisième  concert  du  Conservatoire;  Concert  Jane 
De  Vigne  ;  Soirée  de  la  Nouvelle  Société  de  musique  ;  Deuxième 
concert  de  tnusique  russe  à  Liège.  —  Bibliographie  musicale.  — 
Théâtres.  —  Petite  chronique. 


GREAT  ZWA\S  EXHIBITION 

Vraiment  pour  le  spectateur  impartial,  les  événe- 
ments artistiques  des  dernières  quinzaines  sont  la  ma- 
tière d  observations  d'un  extrême  intérêt.  Non  pas  qu'ils 
soient  nouveaux  dans  leur  allure  générale.  Quelle 
vieille  histoire  que  la  mauvaise  humeur  des  vieux, 
aidés  des  ratés  de  tous  les  acabits,  contre  l'élément 
vivace,  remuant,  entreprenant,  progressif  de  l'art! 
Quelle  vieille  histoire  que  l'emploi  des  calomnies  et  des 
plaisanteries  pour  tenter,  toujours  vainement,  de 
l'enrayer!  Quelle  vieille  histoire  que  son  triomphe  final 
inévitable,  coïncidant  avec  le  discrédit,  puis  l'oubli,  ou 
la  conversion  (c'est  l'élément  comique  après  l'élément 
chagrin)  de  ceux  qui  l'ont  malencontreusement  atta™ 
quel— 

Mais  ce  qui  présente  cette  fois  quelque  nouveauté 
c'est  la  nature  des  machines  de  guerre  mises  en  action 
pour  le  battre  en  brèche,  très  imprévues,  très  bruyam- 
ment manœuvrées       ' 

Nous  n'avons  plus  à  revenir  sur  l'incident  dont  nous 
nous  sommes  occupé  ici  même   dans  notre  dernier 


numéro.  Rarement  il  nous  fut  donné  de  recevoir  autant 
de  témoignages  démontrant  que  le  bon  sens  qui 
démêle.au  fond  des  criailleries  de  la  cohue  le  véritable 
but  qu'elle  poursuit,  n'est  pas  tout  à  fait  émoussé.  Il  est 
désormais  acquis  que  la  personnalité  sympathique  qui 
a  été  en  jeu  n'était  que  le  cadet  des  soucis  de  ceux  qui 
ont  poussé  la  clameur  formidable  dont  nous  avons  été 
assourdis,  et  que  l'objectif  principal  étaient  l'art  jeune  et 
plus  spécialement  les  XX  qui  présentement  l'incarnent 
dans  la  peinture.  Il  faut  ne  pas  être  Bruxellois  pour 
prendre  encore  le  change  à  cet  égard. 

Voici  que  les  Ouvriers  sans  travail  sont  à  leur  tour 
devenus  le  prétexte  d'une  manifestation  analogue.  Ces 
gens  là  mettraient  père  et  mère  en  croix  si  cela  pouvait 
servir  leurs  rancunes.  Nous  avons  sous  les  veux  le  cata- 
logue  de  la  Great  Zwans  Exhibition  organisée,  y  est-il 
dit,  par  les  membres  de  VEssor  au  profit  de  l'œuvre 
de  la  presse.  Un  pitre  bat  la  caisse  sur  la  couverture 
et  les  rédacteurs  s'y  sont  donné  bien  du  mal  pour  être 
grotesques,  ce  à  quoi  ils  ont  convenablement  réussi,  il 
le  faut  reconnaître. 

Il  suffit  de  parcourir  cette  œuvre  très  travaillée, 
pour  apercev'oir  que  les  ouvriers  sans  travail  ont  fort 
peu  tourmenté  le  cœur  charitable  des  auteurs^  et  les 
XX au  contraire  beaucoup  Voilà  qui  fait  quelque  hon* 
neur  à  ceux-ci.  Décidément,  quoi  qu'on  dise,  quoi  qu'on 
fasse,  ils  demeurent  le  grand  cauchemar  de  ce  pauvre 
monde  d'inquiets  et  d'affolés  qui  ne  peut  plus  écrire 
un  articulet,  brosser  un  tableautin ,  bramer  une  com- 
plainte, rimer  un  quatrain  sans  que  des  estomacs  trop 


X 


faibles  de  ceux  qui  les  ont  imprudemment,  avalés  et 
qui  ne  les  peuvent  digérer,  remontent  au  palais  d'acres 
saveurs  gâtant  Thaleine  des  infortunés  qui  se  sont  ris- 
qués à  y  mettre  la  dent. 

Nous  ne  dirons  pas  de  la  Great  Zivans  Exhibition, 
arrivant  avec  son  succès  clownesque  de  charges,  de 
culbutes  et  de  coups  de  pied  au  derrière,  après  l'expo- 
;  sition  fort  terne  où  les  mêmes  artistes  avaient  étalé 
sans  succès  leurs  œuvres  sérieuses  :  **  Enfin!  le  vrai 
salon  de  V Essor  vient  de  s'ouvrir  !  »  à  l'instar  de  ce 
négociant  qui  affichait  sur  sa  devanture  :  »'  Enfin!  nous 
avons  fait  faillite!  «  Non.  La  période  de  guerre  est 
passée,  espérons-le,  et  -maintenant  qu'on  peut  juger  de 
l'efiët  global  de  cette  campagne  très  hargneuse,  l'art 
jeune  qui  en  sort  bien  portant  n'a  rien  qui  doive  altérer 
sa  bonne  humeur.  Si  jamais  il  a  pu  craindre  quelque 
chose  d'ennemis  prêts  à  profiter  de  tout,  ce  fut^bien 
cette  fois,  car  le  hasard  s'était  singulièrement  &it 
leur  complice.  Qr,  après  qu'un  instant  sous  l'écroule- 
ment de  la  lame,  eut  disparu  le  navire,  le  Beau  Navire! 
dont  on  a  tant  parlé,  voici  qu'il  s'est  relevé  et  vogue 
plus  alerte  que  jamais.  Que  disons-nous,  il  a  reçu  une 
consécration  imprévue  :  celui,  dont  on  en  faisait,  avec 
grande  exagération  du  reste,  le  pilote,  ou  si  l'on  préfère 
l'amiral,  et  dont  le  bonnet  d'avocat  fut  arboré  au  grand 
mât,  est  nommé  membre  du  jury  de  l'Exposition 
d'Anvers  au  lendemain  même  de  ces  furieuses  et  stériles 
attaques.  Est-ce  permis?  Quel  scandale!  Lire  VOpinion 
et  la  Flandre  libérale^  ces  intelligents  moniteurs  du 
bel  art. 

Quelle  déconvenue  pour  les  compères  qui  s'imagi- 
naient qu'on  ne  résiste  pas  à  leurs  sarcasmes.  Toute 
cette  mousquetade  n'aura  donc  été  que  poudre  tirée 

aux  moineaux.  Le  beau  navire  entre  au  port. 

V        ■■  ^ 

En  quittant  le  caual  de  Louvain 

Ils  étaient  vingt. 
Et  en  arrivant  au  Toiikin, 

Ils  restaient  vingt. 

Oui,  toujours  vingt,  à  l'exception  de  deux  marins 
d'eau  douce,  supportant  mal  le  roulis,  la  mer  et  ses 
périls,  qui  demandèrent  à  être  descendus  dans  des  ports 
de  refuge  d'où  on  les  a  rapatriés  au  plancher  des  vaches 
natal  qu'ils  n'auraient  jamais  dû  quitter.  On  va  les 
remplacer  haut  la  main.  Les  candidats  se  bousculent  à 
la^)orte. 

Et  voici  que  la  vieille  histoire  recommence.  Est-ce 
que  vraiment,  après  tant  de  leçons  reçues,  les  arriérés 
ne  se^corrigeront  jamais.  Les  procédés  qu'ils  utilisent 
ont  été  de  tout  temps  dirigés  contre  les  téméraires  qui 
sont  en  réalité  les  précurseurs  d'un  art  nouveau,  et 
sans  cesse  ces  procédés  ont  avorté.  Et  ce  qu'il  y  a  de  pis 
pour  les  malveillants,  nous  le  signalons  à  leurs  médita- 
tions de  gens  désireux  de  compter  avant  tout  avec  le 
succès,  c'est  la  situation  finalement  ridicule  où  ils 


demeurent  sur  leur...  séant,  quand  la  trouée  risquée 
par  les  audacieauc  est  faite  et  que  les  idées  nouvelles 
s'épauouissent. 

Nous  pensions  récemment  encore  à.  ces  camouflets 
qu'administre  l'histoire  de  l'art,  en  lisant  ce  que 
Catulle  Mendès  raconte,  .^ans  la  Légende  du  Par- 
nasse conie^nporain,  des  débuts  de  ces  hommes 
aujourd'hui  victorieusement  classés  qui  ont  nom  Fran- 
çois Coppée,  Sully-Prudhomme,  Villiers  de  TIsle-Adam, 
Léon  Cladel,  et  bien  d'autres.  «  Il  serait  malaisé,  dit-il, 
de  faire  croire  aujourd'hui  que  ces  noms  étaient  alors 
des  noms  d'imbéciles.  Et  pourtant,  ajoute-t-il  dans  un 
récit  qui  est  pour  les  clabaudeurs  d'aujourd'hui  un 
piquant  et  prophétique  parallèle,  il  était  avéré  que 
nous  étions  parfaitement  grotesques.  Je  ne  crois  pas 
qu'à  aucune  époque  il  y  ait  eu  "contre  un  groupe  de 
nouveaux-venus  un  tel  emportement  de  gausseries  et 
d'injures.  (Vous  entendez,  ô  Zwanzeurs!).  Raillés, 
bafoués,  vilipendés,  tournés  en  ridicule  dans  les 
nouvelles  à  la  main,  mis  en  scène  dans  les  revues 
de  fin  d'année,  tout  ce  que  les  encriers  peuvent  contenir 
de  bouflbnneries  insultantes,  on  nous  l'a  jeté.  Toutes 
les  opinions  stupides,  tous  les  mots  bêtes,  on  nous 
les  a  prêtés  (Prête  l'oreille,  ô  Chronique,  ma  mie!). 
Nous  fûmes  pendant  un  temps  les  Jocrisses,  les  Calinos, 
les  Guibollards  de  l'art.  Il  suffisait  de  prononcer  le 
mot  «  Parnassiens  »  pour  que  tout  le  monde  pouifât 
de  rire,  et  quelqu'un  m'a  affirmé  qu'un  jour,  dans  un 
embarras  de  voitures,  un  des  cochers  qui  se  que- 
rellaient, après  avoir  épuisé  tout  le  vocabulaire  popu- 
lacier  des  outrages,  avait  enfin  jeté  à  ses  adversaires 
vaincus  cette  injure  suprême  à  laquelle  il  n'y  avait 
rien  à  répondre  :  Vingtiste.,..  nous  nous  trom- 
pons :  Jeune  Belgique....  non,  nous  nous  trompons 
encore  :  Progressiste....  non,  nous  nous  trompons 
toujours  ;  Parnassien,  va!  « 

Et  l'écrivain  poursuit,  garnissant  sans  le  savoir  l'ar- 
senal où  nous  pouvons  puiser  actuellement  :  «  Devant 
un  tel  débordement  de  colères  falotes,  les  artistes  nou- 
veaux auraieijit  pu  éprouver  un  sentiment  de  fierté  légi- 
time. Car,  enfin,  nous  savions  l'histoire  de  nos  maîtres 
et  nous  nous  en  souvenions.  Nous  savions  que  la  cri- 
tique avait  traité  Victor  Hugo  d'extravagant  et  de  fou 
furieux.  Nous  nous  rappelions  qu'Alfred  de  Musset 
n'avait  été  longtemps  pour  quelques  feuilletonnistes 
qu'un  tout  petit  jeune  homme  sans  conséquence,  et  nou3 
n'avions  pas  oublié  qu'au  lendemain  de  la  publication 
des  premières  poésies  de  Byron,  la  Revue  d'Edimbourg 
conseillait  au  jeune  lord  qui,  disait-elle,  ne  savait  pas 
même  l'orthographe,  de  renoncer  à  l'art  des  vers  et  de 
se  borner  à  l'avenir  à  boire  dans  ses  châteaux  et  à 
chasser  dans  ses  forêts.  Lord  Byron  eut  l'outrecuidance 
de  ne  pas  obéir  à  ce  conseil  »». 

Ce  n'est  pas  tout.  Catulle  Mendès,  recherchant  les 


causes  de  cette  haine,  dégage  les  observations  sui- 
vantes, d'application  saisissante  à  ce  qui  se  passe  autour 
de  nous  :  «  Tous  jeunes,  dit-il,  quelques-uns  d'entre 
nous  n'étaient  pas  sans  défauts.  Ils  avaient  toute  l'au- 
dace des  adolescences,  avec  quelque  impertinence  aussi, 
en  ce  temps  de  fantaisie  exaspérée,  mais  aussi  d'admi- 
rable enthousiasme,  contempteur  fantasque  à  la  fois  et 
fanatique  du  vieux,  du  laid,  du  vulgaire,  de  l'étroit,  de 
tout  ce  qui  dans  les  mœurs  et  dans  l'art  était  classique 
et  convenu...  C'étaient  des  impertinents,  ces  nouveaux 
venus,  absolument  ignorés  hier,  qui  prétendaient  con- 
quérir le  public  au  respect  de  l'idéal  et  du  travail  persé- 
vérant... Rien  de  plus  naturel  que  la  haine  des  gens  de 
métier  contre  les  hommes  d'art.  Quant  au  public,  il  se 
laissait  aller  à  croire  ce  qu'on  lui  disait.  Il  n'était  pas 
coupable  personnellement  de  cette  injustice.  Il  y  avait 
en  lui,  malgré  les  mauvais  conseils  et  les  mauvaises 
habitudes  qu'on  lui  donnait,  un  désir  du  beau  et  des 
élévations  intellectuelles.  Les  artistes  les  plus  humbles 
eux-mêmes,  il  aurait  été  porté,  sinon  à  les  admirer,  du 
moins  à  les  estimer,  à  cause  de  la  générosité  de  leurs 
tentatives,  eussent-elles  dû  rester  vaines.  Mais  com- 
ment voulez-vous  que  le  public  se  mit  en  rapport  avec 
les  artistes  nouveaux,  si  la  critique  ne  les  lui  indiquait 
pas...  Il  était  bien  obligé  de  s'en  rapporter  à  l'opinion 
de  ceux  qui  avaient  assumé  d'être  ses  guides.  Il  y  a 
enire  le  public  et  les  artistes,  le  journal,  comme  il  y  a 
entre  le  public  et  les  auteurs  dramatiques  le  directeur 
de  théâtre...  Or,  en  ce  temps-là,  ceux  qui  avaient  la 
charge  de  ces  présentations  n'avaient  aucune  raison  de 
faire  connaître,  sous  un  jour  favorable,  les  littérateurs 
qui,  mieux  appréciés,  auraient  pu  faire  ouvrir  les  yeux 
sur  la  bassesse  et  la  médiocrité  des  choses  artistiques 
d'alors  ". 

Et  il  finit  en  ces  termes  qui  marx^uent  pour  les  criti- 
cules  d'aujourd'hui  leur  sort  futur  :  «  Heureusement 
l'heure  de  la  justice  semble  venue,  grâce  à  la  ténacité 
de  nos  efforts  (Vingtistes,  n'oubliez  pas  ceci) . . .  même  nos 
ennemis  de  jadis,  je  n'entends  pas  parler  des  jeannins 
sans  importance  (comme  ceci  s'applique  à  nos  reporters) 
mais  de  quelques  écrivains  de  valeur  qui  d'abord  nous 
furent  hostiles,  sont  devenus  nos  amis.  Eux  manquant 
de  mémoire,  et  nous  de  rancune,  nous  nous  sommes 
réconciliés.  Tout  est  bien  qui  finit  bien.  Mais  cela  avait 
bien  mal  commencé.  » 

Voilà  un  exemple.  En  voici  un  autre.  Il  s'agit  de 
Manet.  Toujours  le  même  jeu.  Nous  empruntons  les 
détails  que  l'on  va  lire  au  beau  livre  d'Edmond  Bazire. 

On  sait  quelle  était  l'esthétique  de  Manet  :  Envisager 
la  nature,  la  traduire  d'après  soi.  Il  n'empruntait  pas 
de  documents  à  ses  prédécesseurs  et  s'efforçait  de  boire 
dans  son  verre.  Il  regardait  non  dans  sa  mémoire,  mais 
dans  la  réalité.  C'était  un  crime.  Pour  beaucoup  c'en 
est  toujours  un.  Au  dehors  des  colères  grondaient.  Il 


avait  suffi  d'une  toile  exposée  pour  que  les  opiniâtres 
dévots  de  la  tradition  eussent  un  effarement.  Ah  ça! 
est-ce  qu'on  allait  s'émanciper,  reproduire  des.réalités, 
non  des  rêves  ?  Allait-on  prétendre  que  la  nature 
existe,  mettre  de  l'air  dans  les  paysages,  de  la  cou- 
leur dans  les  plans  et  infliger  au  modèle  la  simpli- 
cité des  poses?  Les  coteries  académiques  se  révoltèrent 
et  la  presse  (toujours  intelligente  !)  s'émut.  En  1862  et 
1863  Manet  était  refusé  au  Salon  :  des  cris  d'horreur 
avaient  été  poussés,  des  mains  avaient  été  levées  au 
ciel.  Il  s'agissait  du  Déjeuner  sur  V herbe  et  du  Fifre 
de  la  Garde.  «  La  majorité  des  badauds,  dit  Bazire, 
heureux  de  faire  chorus  avec  Je  ^grgs  personnages, 
les  accueillit  de  ses  quolibets.  P\)ur  le  monde  de  cette 
époque  superficielle,  l'énergie  et  l'audace  prêtaient  à 
rire,  et  une  individualité  se  révélant  ne  pouvait  qu'être 
le  point  de  mire  désigné  aux  sarcasmes.  «  Manet  fut  dé- 
fendu par  quelques  rares  réfractaires. 

Ceux  qui,  à  cette  époque,  passèrent  pour  des  excen- 
triques, sont  classés  maintenant  parmi  les  raisonnables 
et  les  prévoyants.  Qu'en  dites- vous,  spirituels  organisa- 
teurs de  la  (7r(?«^  ^t/^ans  JKr/^^&^ï^o?^? 

Ce  n'est  pas  tout.  Ces  persécutions  contre  Manet 
durèrent  malgré  leur  irrémédiable  stérilité.  L'artiste 
produit  des  œuvres  nouvelles,  tout  imprégnées  de  sa 
puissante  originalité.  Edmond  About  s'écrie  qu'il  finira 
^T  ^.  exaspérer  le  bourgeois  «,  tout  comme  à 
Bruxelles  en  1885,  on  le  voit.  Les  caricaturistes  inau- 
gurèrent leurs  plaisanteries.  Le  journal  le  plus  irrité 
fut...  Bazire  le  nomme  :  ce  n'est  pas  toi,  ô  Chronique! 
on  pourrait  s'y  tromper.  Il  occupe  une  place  distinguée 
parmi  les  détracteurs  de  profession.  Ses  injures  sont 
les  mêmes  aujourd'hui  qu'il  y  a  dix  ans.  C'est  un 
ennemi  acharné  de  tout  ce  qui  dépasse.  Il  lance  sur  le 
monde  des  clous  à  sabot  qu'il  s'imagine  être  des 
pointes.  Et  l'auteur  ajoute  :  «  Voilà  comme  un  talent 
puissant  peut  être  interrompu  dans  son  expansion, 
ralenti  dans  son  élan,  s'il  n'a  en  lui  la  force  [qui  brave 
ces  piqûres  de  la  moquerie  et  les  petites  satires  man- 
quées  des  retardataires.  Quelle  vaillance  est  nécessaire, 
quelle  foi  en  soi-même  pour  résister  aux  aboiements 
mauvais  de  ces  meutes.  On  a  travaillé.  On  est  con- 
sciencieux...  Bah!  un  jappement  monte.  D'autres  jap- 
pements s'y  mêlent,  et  le  découragement  arrive  ».  À 
moins  qu'on  ne  soit  un  fort. 

Eh!  bien,  n'est-il  pas  vrai  que  cette  histoire  d'hier,  est 
l'histoire  d'aujourd'hui?  Oh!  les  myopes  qui  la  recom- 
mencent. Sourds  aussi.  Ne  vous  rendez-vous  donc  pas 
compte,  mes  pauvres  amis,  que  vous  pastichez  trois  ou 
quatre  générations  de  malheureux  qui  ont  fait  fausse 
route  et  que  vous  préparez  vous  mêmes  les  verges  dont 
l'avenir  vous  fessera.  Il  est  vrai  que  c'est  :  Pour  les 
ouvriers  sans  travail  \  La  charité  commande  le  sacri- 
fice. Mais  songez  que  dans  peu  d'années  vous  serez  les 


égaux  peu  enviables  de  ceux  qui,  en  un  paséé  peu  loin- 
tain, zwanzaient  de  la  même  façon  en  littérature 
Decoster,  Van  Hasselt,  Lemonnier,  en  peinture  Charles 
De  Grôux,  Louis  Dubois  et  Hippolyte  Boulenger.  A  ce 
triste  métier  les  résultats  sont  toujours  les  mêmes. 
L'art  se  transforme  en  cancan,  le  peintre  en  farceur. 
On  commence  par  la  brosse,  on  finit  par  la  ziomise.  Et 
comme  en  ces  œuvres  de  dénigrement  on  entraîne 
inévitablement  à  ses  trousses  une  tourbe  polissonnante, 
on  finit  par  s'entendre  chanter  ce  couplet  de  ballade  : 

Au  début,  en  "quittant  le  port 

Ils  étaient  quarante  brasseurs.  - 

Hélas  !  après  dix  ans  d'efforts. 

Ils  étaient  quatre  vinfJTts  zwanseurs  ! 

■      •  ■  ***,        '  ■' .  •    ,      ;  -  •      _™— 


APPENDICE 

On  lit  dans  les  journaux  parisiens  : 

Hier,  à  l'Ecole  des  Beaux-Arts,  en  plein  foyer  de 
réaction  artistique,  Eugène  Delacroix,  l'insurgé  de 
jadis,  est  entré  en  triomphateur.  Les  personnages  offi- 
ciels, les  illustrations  du  professorat  ont  fait  fête  à 
l'ancien  refusé  du  salon,  au  peintre  détesté  des  cote- 
ries. Nous  ne  voulons  aujourd'hui  que  constater  le 
grand  efïet  produit  par  l'œuvre  du  maître;  nous  ne 
voulons  qu'enregistrer  l'annulation  du  jugement  pro- 
noncé autrefois  par  la  critique  académique.  On  a  ras- 
semblé à  l'Ecole  des  Beaux  -  Arts  239  tableaux , 
150  aquarelles,  sépias  et  lavis,  et  d'innombrables  des- 
sins; la  vie  artistique  de  Delacroix,' qui  tient  entre  ces 
deux  dates  :  1822  et  1863,  est  résumée  par  des  œuvres 
essentielles.  Nous  reviendrons  sur  ce  magnifique 
ensemble.  '  '  ■      . 


JaE?  ijVlAITF\E^-pH>JSTEUR? 


Nous  avons "exquissé  rapidemenl  le  poème  dos  Maîtres-Chan- 
teurs. Nous  parlerons  aujourd'hui  de  la  mise  en  scène  el  de  la 
musique,  puisque,  par  convention,  l'on  appelle  encore  musique 
le  verbe  nouveau  'de  Wagner,  qui  est  comme  l'acccnluaiion 
musicale  du  poème.  Il  est  iniéressant,  du  reste,  de  voir  l'inslru- 
meulalion  du  maître  spéciale  à  chacun  de  ses  drames.  Ainsi, dans 
les  Nibelungen,  le  déploiement  drs  cuivres  exprime  la  gran- 
diose majesté  des  dieux  et  des  géants.  Dans  Parsifal.h  musique 
se  fait  douce  el  mystérieusement  mystique;  à  peine  de  temps  à 
autre  les  trompettes  ont  un  éclat  lumineux  et  les  trombones  et 
les  cors  bouchés  planent  en  notes  lugubres.  Dans  Lohengrin^ 
les  violons  jouent  le  céleste  motif  du  Saini-Graal  que  les  trom- 
pettes attaquent  avec  une  aveuglante  sonorité,  lorsque  le  blanc 
chevalier  dévoile  son  origine  sacrée-;  au  personnage  religieux 
s'oppose  le  motif  infernal  d'Orlrude  joué  parles  violoncelles. 
Dans  les  Maîtres- Chanteurs^  la  pesante  gravité  des  solennels 
bourgeois  est  exprimée  par  la  lourdeur  des  cuivres  auxquels 
vient  s'enlacer  en  soupirs  de  cor,  de  violes  el  de  flûte  les  motifs 
d'art  jeune  et  d'amour;  le  personnage  comique  est  dessiné  par 


les  bassons,  les  tubas,  les  cors  en  soiirdin^,  les  claVinetlPs,  drôla^ 
tiques,  bouffons,  hoquetants.  Ce  Beckmcsser  personnifie  le  vrai 
comique  musical  et  de  celle  instrumentation  merveilleusement 
saugrenue  jaillira  le  véritable  opéra-bouffe.  Ce  qu'on  appelle 
opéra-bouffe,  l'œuvre  d'Offenbach,  emprunte  sa  drôlerie  au  comi- 
que vulgaire  des  situations  et  parfois  des  rythmes;  mais  l'inslru- 
mentation  n'y  présente  rien  de  spécial;  elle  est  employée  à 
dérouler  monotonement  des  airs  de  danse  banals.  Au  contraire, 
le  véritable  opéra-bouffe  doit  se  servir  des  timbres  bouffons, 
appelant  à  Son  aide  les  hautbois  criards,  les  bassons  gargouil- 
lants, les  bedonnantes  contrebasses.  Il  y  a  là,  nous  le  répétons, 
un  comique  nouveau.  L'usage,  même  dans  les  théâtres  alle- 
mands, est  de  faire  de  larges  coupures  dans  le  rôle  de  Brck- 
mcsser  :  c'est  une  grave  erreur.  Il  n'est  point  permis,  d'abord,  à 
qui  que  ce  soit,  de  mutiler  une  œuvre  d'art;  ensuite,  il  est 
important  de  faire  connaître  dans  son  cnliôreté  un  rôle  tout  à  fait 
original.  L'aura-l-on  compris  à  Bruxelles? 

Le  poème  des  Maîtres-Chanteurs  a  reçu  de  l'accentuation 
musicale  une  intensité  de  vie  merveilleuse  et  une  profondeur 
psychologique  éionnanlc.  Chacun  des  personnages  est  dessiné 
par  des  thèmes  facilement  reconnaissablcs  et  outre  cela  par  des 
timbres  particuliers  à  chacun  d'eux  révélant  immédiatement  le 
plus  intime  de  leur  tempérament.  Il  en  est  ainsi  surtout  de  Wal- 
ther,  de  Hans  Sachs  et  de  Bcckmesser.  Il  faudrait  citer  la  parti- 
tion presque  toute  entière  et,  pour  donner  une  impression  de  la 
parfaite  unité  du  drame,  recourir  à  la  notation  des  thèmes.  L'on 
suivrait  ainsi  l'action  scène  par  scène  en  pénétrant  au  cœur  de 
chacun  des  rôles.  Le  plus  merveilleux  modèle  de  cette  musique 
psychologique  est  le  monologue  de  Sachs  au  début  du  deuxième 
acte,  accompagné  par  un  ruissellement  dé  mélodies  insinuantes. 

Hans  Sachs  et  Waither  sont  les  héros  du  drame  et  leurs  rôles 
sont  corrélatifs  :  l'union  des  deux  poètes  proclame  le  triomphe 
de  la  vraie  poésie.  Leurs  thèmrs  sont  unis  comme  leurs  rôles  : 
l'un  grave  el  solennel,  sans  la  lourde  pédanterie  des  maîtrrs, 
l'autre  tout  imprégné  de  la  jeunesse  de  la  nature.  Voilà  donc  la 
poésie  expansive,  corrigée  par  la  sérénité  de  la  raison,  en  lutte 
avec  la  roideurdogmatiqiie  de  l'impuissance. 

L'ouverture  expose  cet  antagonisme  :  au  thème  rigide  des 
maîtres  s'enroule  une  phrase  rêveuse  qui  ondule  de  la  flûte  aux 
hautbois  et  aux  violons,  s'enlace,  insinuante,  aux  sonorités  des 
cuivres  et  finit  par  les  éîoufter  sous  sa  mélodieuse  eftlorescence. 
La  musique  du  drame  a  des  richesses  de  coloris  fascinantes  : 
écoutez  les  phrases  expressives  des  violoncelles  dans  la  scène  de 
l'église  où  s'épand  la  mélodie  grave  des  cantiques  luthériens, 
phrases  interrogalives,  amoureusement  impatientes,  se  coupant 
en  question  brèves  el  inquiètes,  pour  s'élargir  bientôt  en  accents 
chevaleresques  et  fiers;  écoutez  l'orgueil  naïf  de  l'apprenti 
David  énumérant  à  Waither  les  modes  et  les  tons  baroques  de  la 
législation  musicale  des  maîtres,  la  gaminerie  folâtre  des  écoliers 
railleurs;  écoulez  l'inlerrogaloire  Soupçonneux  des  dogmatiques 
bourgeois  étonnés  de  voir  se  présenter  devant  eux  un  chanteur 
qui  n'alla  point  à  l'école  et  qui  n'eut  point  de  maître,  et  les  jeunes 
réponses  du  chevalier .:  les  notes  soupirantes  du  cor  et  la  rêverie 
des  violons  nous  transportent  soudain  dans  les  bois  auréolés  de 
vagues  traînées  soleillanles;  écoutez  le  majestueux  élan  de  l'ode 
au  prinlemps  soutenue  par  un  accompagnement  à  plein  orchestre 
où  planent  vers  le  bleu  profond  du  ciel,  en  lumineuse  symphonie, 
toutes  les  voix  de  la  nature  ! 

Au  deuxième  acte,  citons  le  merveilleux  monologue  de  Hans 


Sachs  obs('>(]é  pnr  le  chant  de  Wahhcr.  «  Comment  embrasser 
ce  qui  est  infini  ?  »  Le  hautbois  et  le  cor  se  renvoient  mystérieu- 
sement cette  phrase  caressante;  les  violons  murmurent,  les  flûtes 
ont  des  sourires  si  doux  :  la  musique  nous  dévoile  celle  germi- 
nation de  pensées  qui  chante  dans  le  cerveau  du  vieux  poète.  Le 
monologue  se  continue, en  déli.cieuse  idylle  ;  il  n'y  a  ici  ni  air,  ni 
récitatif,  c'est  de  la  mélodie  continue  :  les  hautbois,  les  violons, 
le  saxophone  dessinent  de  craintives  interrogations  auxquelles 
répond  le  malicieux  enjouement  du  maître  :  on  oublie  le  chanl, 
c'est  delà  parole  musicale.  Le  final  est  un  lourd/;  force  d'orches- 
tration et  de  lyrisme  comique,  grandiose  crescendo  déroulé  en 
fugue  sur  le  thème  bizarre  de  la  sérénade,  qui  se  recroqueville  en 
pirouettes  fantastiques,  s'élance  d'ici,  de  là,' et  formidablement 
rosse  le  nocturne  troubadour.  Un  coup  de  trompe  :  silence  et 
nuit.  Les  flûtes  reprennent  staccato  le  motif  qui  va  s'éleindre  dans 
la  basse,  le  cor  répète  trois  notes  du  chant  de  Walther  et  la 
musique  s'évanouit  en  fumée  bleuâtre  vers  la  lune  qui  monte. 

Il  y  a  là  seize  mesures  absolument  féeriques.  • 

Le  récit  de  la  tinlamarrante  bagarre  par  David  est  délicieux 
aussi,  et  presque  aussi  beau  que  son  pendant  au  deuxième  acte, 
le  monologue  de  Sachs  méditant  sur  la  chronique  du  monde.  Ce 
premier  tableau  se  termine  par  un  quintette  où  tous  les  cœurs 
émus  s'exallcnt  en  un  hymne  d'espérance  :  il  fera  jaillir  les 
applaudissements.  Nous  pensons,  nous,  qu'il  est  inutile  et  sans 
valeur  spéciale.  Le  rideau  s'abaisse  et^se  relève  sur  la  fête  popu- 
laire de  la  Saint-Jean.  Toute  celte  scène  est  admirable  de  verve 
grouillante  et  de  mouvement  sonore  :  la  musique  seule  suffirait 
à  donner  l'illusion  de  celle  expansive  allégresse,  à  laquelle 
Wagner  a  su  imprimer  le  caractère  profond  de  l'époque.  Ecoutez 
la  marche  accompagnée  par  les  insiruments  d'enfants  ironique- 
ment criards  ei  le  bal  improvisé  par  les  paysannes  et  les 
apprentis;  écoulez  le  cantique  grandiose  en  l'honneur  de  Sachs, 
symbole  de  religieuse  profondeur  d'âme  s'élançant  d'un  bond 
jusqu'au  plus  haut  du  ciel  :  il  s'enfle  des  pianissimi  les  plus 
ténus  jusqu'aux  plus  retentissants  fortissimi,  et  quelle  couleur 
luthérienne  dans  cet  hvmneffrondanl  !  Ecoutez  la  mélodie  ins- 
pirée  de  Walther  el  le  discours  de  Hans  Sachs  couronnant  Wal- 
ther aux  acclamations  du  peuple  et  des  apprentis  ! 

Mais  les  mots  sont  trop  faibles  pour  exprimer  l'intensité  de  vie 
qui  souffle  largemehl  dans  ce  drame;  renonçons  à  le  faire  com- 
prendre et  parlons  de  la  mise  en  scène. 

L'on  sait  de  quelle  façon  le  rideau  s'écarte  au  théâtre  de  Wa- 
gner :  c'est  une  véritable  trouvaille  d'artiste.  La  draperie  se 
sépare  par  le  milieu  et  forme,  dans  son  rapide  glissement,  des 
plis  harmonieux.  Transformer  le  rideau  de  la  Monnaie  occasion- 
nerait trop  de  frais;  nous  n'insistons  pas.  Mais  nous  réclamons 
instamment  l'orchestre  invisible;  cette  transformation  devrait  être 
maintenue  pour  le  répertoire  coulumier  dont  elle  atténuerait 
avantaçousemenl  les  bruvantes  vulgarités.  L'orchestre  invisible 
se  place  devant  la  scène  mais  étend  sous  celle-ci  les  instruments 
les  plus  sonores..  La  musique  s'élève  adoucie  et  fondue  el  l'on 
n'esl  plus  distrait  par  les  mouvements  des  exécutants,  les 
lumières  de  leur  pupitre  et  la  gymnastique  de  celui  qui  les  con- 
duit. Celui-ci  du  reste  est  parfaitement  visible  de  tous  les  exécu- 
tants. 

Nous  réclamons  aussi  un  éclairage  très  discret  dans  la  salle.  Il 
faudrait  que  le  a  monde  »  vînt  au  Ihéâlre,  non  point  pour 
exhiber  des  toilettes  et  des  visages  d'une  beauté  relative,  mais 


pour  concentrer  son  intelligence  sur  la  compréhension  d'une 
œuvre  d'art.  .         • 

Et  que  les  chanteurs  fassent  preuve  d'abnégation;  qu'ils 
chantent  non  point  pour  s'attirer  des  applaudissements  le  plus 
souvent  payés  ou  irréfléchis,  mais  pour  donner  l'expression  et  la 
vie  artistiques  à  leurs  pôles  respectifs  sans  oublier  l'action  géné- 
rale. Abandonnez  donc  cette  antique  manie  de  venir  chanter  des 
airs  devant  le  pupitre  du  souffleur,  la  main  sur  la  poitrine,  les 
yeux  en  coulisse,  agréablement  arcboutés  sur  une  jambe!  Ici,  il 
n'y  a  plus  d'airs,  il  y  a  des  scènes  indissolublement  unies  les 
unes  aux  autres.  Si  la  situation  exige  votre  présence  au  fond  de 
la  scène,  pourquoi  vous  précipiter  vers  l'orchestre?  Si  la  situation 
exige  que  votre  chant  s'élance  vers  le  fond  du  théâtre,  pourquoi 
s'élance-l-il  vers  le  public?  Dans  0/?^ro7i,  un  acteur  décrit  au 
public  une  apparition  à  laquelle  il  tourne  le  dos  (i^^  acte,  fin  du 
1"  tableau).  Est-ce  assez  ridicule  el  dépourvu  de  sens  artiste  ! 

Nous  d1?mandôns  aussi  aux  choristes  non  pas  de  chanter  juste, 
—  celle  exigence  resterait  sans  résultat  el,  du  reste,  leur  rôle 
étant  tout  bagarres  et  mouvement  confus,  le  public  ne  reconnaîtra 
pas  la  mesure,  — mais  d'avoir  quelque  intelligence  scéniquedans 
ce  continuel. va-et-vient.  Nous  craignons  beaucoup  de  voir  man- 
quer l'élonnant  final  du  second  acte,  le  point  culminant  de 
l'œuvre.  Il  faut  là  non  cette  activité  de  choristes  formulée  en 
«  allons,  courons,  volons  !  »  mais  du  vrai  mouvement,  une  vraie 
bagarre,  une  vraie  bastonnade.  Laissez-vous  conduire  par  la  mu- 
sique dont  les  notes  ontdes  roulements  de  triijues  et  des  clameurs 
de  jurons.      ,  . 

VArt  moderne  a  répété  tout  cela  bien  souvent;  mais  on  n'en- 
fonce un  olou  qu'en  frappant  dessus. 

Terminons  par  quelques  observations  et  éloges  à  l'adresse  des 
directeurs.  Les  Wagnériens  ont  lu  avec  siupéfaction  l'immense 
aftiche  placardée  sur  les  murailles  de  Bruxelles  :  «  Les  Maîtres- 
Chanteurs  de  Nuremberg,  opéra  en  3  actes  et  4  tableaux,  poème 
et  musique  de  R.  Wagner.  » 

Opéra,  les  Maîtres-Chanteurs,  un  opéra!  Il  n'est  plus  possible 
de  donner  le  nom  d'opéra  au  drame  de  Wagner.  L'opéra  à  tou- 
jours sacrifié  la  poésie  à  la  musique  et  la  musique  elle-même 
aux  exigences  des  interprèles  favoris.  Le  drame  lyrique,  au  con- 
traire, est  une  œuvre  complète,  aussi  majestueuse  dans  ses  pro- 
portions que  le  drame  tel  que  le  comprenaient  les  an^'iens  et  ce 
n'est  point  par  orgueil  que  Wagner  a  dit,  à  l'issue  du  prenîier 
cycle  de  représentations  de  la  tétralogie  :  «Mainlenanl  vous  avez 
un  art  national!  »  Ce  qualificatif  «  opéra  »  est  surtout  déplacé 
pour  les  Maîtres-Chanteurs  qui,  dans  l'œuvre  déjà  spéciale  de 
Wagner,  est  lui-même  une  œuvre  spéciale.  C'est  «  coMÉniE 
.LYRIQUE  »  qu'il  fallait  afficher. 

Des  félicitations  sont  dues  à  la  direction  pour  avoir  osé  mettre, 
à  la  scène,  au  terme  de  leur  concession,  une  œuvre  présentant  de 
si  grandes  difficultés  d'exécution  el  de  si  grandes  chances  d'in- 
succès dans  un  pays  où  règne  encore  la  banalité  de  l'ancien 
répertoire. 

Les  Maîtres-Chanteurs  à  côté  des  Huguenots,  du  Prophète. 
de  la  Jî/ire,  quelle  audace  ! 

Espérons  que  ces  efforts  vers  l'art  nouveau  seront  récompensés 
et  souhaitons  longs  applaudissements  au  drame  du  Maître. 


\ 


K,- 


JalVRE^  J^OUVEAUX 

Héros  et  Pantins,  par  Léon  Cladel.  —  Paris  1885. 

Léon  Cladel  a  réuni  en  un  volume,  sous  ce  liire  :  Héros  et 
Pantins j  une  série  d'arliGlcs  publiés  dans  Iç  journal  le  Gil  Blas. 
Nous  sommes  quelque  peu  en  peine  d'analyser  ces  pages  déta- 
chées, tracées  fiévreusement,  éclosos  au  souHlc  inégal  dcrl'inspi- 
ralion  journalière,  sans  aucune  pensée  commune  qui  les  relie 

■  entre  elles  :  ce  n'est  pas  ïe  brocheur  qui  fait  le  livre.  Héros  et 
Pantins  n'est  pas  un  livre,  ilnefaut  pas  l'apprécier  comme  tel. 
Il  faut. lire  séparément  cha2un  des  morceaux,  nouvelles,  contes, 
éludes,  fantaisies  que  contient  le  volume.  Tous  sont  remarquables 
par  l'incisif  relief  du  style,  et  viveflient  colorés  par  la  robiisle 
imagination  du  maUre.  Dans  certaines,  par  exemple  dans  celle 
intitulée  Partie  carrée,  \\  v  a  une  verve  endiablée,  une  fantaisie 
qui  déconcerte  et  donne  le  vertige.  L'ange  du  bizarre,  dont  parle 
Edgard  Poe,  a  certes  effleuré  de  son  aile  le  front  pensif  de  i'er- 

.  mite  de  Sèvres  lorsqu'il  jetait  sur  le  papier,  pour  le  lecteur 
frivole,  ces  hautaines  extravagances.  Ailleurs,  c'est  la  pénétrante 
mélancolie  des  souvenirs  qui  anime  d'un  charme  subtil  et  funèbre 
le  pèlerinage  de  l'auteur  aux  lieux  de  sa  première  enfance. 
Toujours  dédaigneux  de  la  réalité  banale,  Cladel  habille  son  rêve 
parfois  tendre,  souvent  farouche,  de  l'éclat  de  son  style  d'acier, 
dur,  aveuglant  et  tranchant  comme  lui.  Oui,  il  y  a  tout  cela  dans 
Héî'os  et  Pantins.  Mais  nous  nous  demandons  si  Cladel  fit  bien 
de  donner  à  ces  pages  éparses,  à  ces  enfants  perdus  de  sa  plume, 
la  concentration  et  la  forme  solennelle  du  livre  ;  ce  qui  est  écrit 
pour  le  journal  garde  loujours  et  malgré  tout  odeur  de  journa- 
lisme. C'est  un  tort,  et  c'est  hélas!  celui  de  beaucoup  d'écrivains 
de  se  dépenser,  gaspiller,  éparpiller  dans  ces  grands  carrés,  lus 
distraitement,  vite  oubliés.  Rien  de  plus  funeste  à  la  littérature 
que  le  journal.  — — ~  __^ ._— -^-.  ^^      -^ 


j^OTE? 


DE    JVIU^iqUE 


Troisième  Concert  du  Conservatoire. 

Selon  l'usage  de  la  maison,  on  a  fait  réentendre  dimanche  une 
œuvre  déjà  jouée  cet  hiver.  Comme  l'œuvre  ainsi  reprise  était 
Manfred  de  Sc.humann,  et  que  plus  on  entend  cette  admirable 
traduction  musicale  du  poème  de  Byron,  mieux  on  en  pénètre  les 
beautés,  personne  ne  s'est  plaint. 

C'est  M.  Chômé  à  qui  était  confiée  la  partie  «  récitante  »  de 
Touvrage.  Il  s'est  acquitté  de  sa  lâche  avec  une  sobriété  de  bon 
goût  et  n'a  pas  trop  détonné  dans  l'ensemble.  Il  a  réussi  à  éviter 
recueil  habituel  des  orateurs  chargés  (rôle  ingrat  et  difficile)  d'ex- 
poser en  langage  usuel  ce  que  la  musique  dépeint  beaucoup  plus 
subtilement  que  tous  les  commentaires. 

L'exécution  des  soli,  confiée  à  des  élèves  et  à  d'anciens  élèves 
du  Conservatoire,  a  été  suffisante  pour  donner  du  Manfred  une 
idée  artistique  complète. 

Lés  chœurs  ont  chanté  avec  précjsion,  et  l'orchestre  a  inter- 
prété fort  bien  les  fragments  symphoniques,  notamment  la  célè- 
bre apparition  de  la  Reine  Mab,  où  le  génie  de  Schumann,  par- 
fois nébuleux,  atteint  à  la  clarté,  aux  légèretés  d'expression  et 
aux  délicatesses  exquises  d'une  féerie  shakespearienne. 

La  symphonie  en  ni  de  Schumann,  un  peu  délaissée  dans  ces 
dernières  années,  complétait  le  programme,  magistralement  cou- 
ronné par  l'ouverture  de  Freischiltz  exécutée  par  M.  Gevaért 
selon  les  indications  de  Wagner. 


Concert  Jane  De  Vigne 

Une  jolie  voix  de  mezzo-soprano,  maniée  avec  beaucoup  de 
goût  par  une  petite  personne  qui  paraît  bonne  musicienne  — 
telle  est  l'impression  que  fait  M"«  Jane  De  Vigne.  Il  n'en  faut 
pas  davantage  pour  réussir.  Et  la  réussite  ne  tardera  pas,  si  l'on 
en  juge  par  l'accueil  sympathique  fait;  mardi,  à  la  jeune  canta- 
trice par  un  auditoire  très  nombreux. 

M"«  De  Vigne  a  renoncé  en  partie  aux  airs  à  roulades  dont 
nous  lui  avions  reproché  l'abus.  Elle  a  chanté,  pour  commencer, 
un  air  de  Hjendel,  et  elle  l'a  chanté  fort  bien.  Les  musiciens  aus- 
tères eussent  souhaité,  dans  celte  interprétation  un  peu  mondaine, 
un  style. plus  soutenu  :  c'est  la  seule  critique  à  faire  à  une  exé- 
cution d'ailleurs  excellenle  comme  Voix  et  comme  diction. 
Mêmes  qualités  dans  Sapho,  de  Gounod,  romance  vieillie  qu'on 
ferait  bien  de  laisser  reposer  avec  les  souvenirs  d'une  époque 
disparue,  dans  deux  aimables  romances  dé  Jenô  Hubay,  paroles 
de  Victor  Hugo,  dont  la  seconde  a  été  bissée  d'enthousiasme  et 
dans  une  Muzourka  de  Chopin. 

Ne  voulant  pas  perdre  complètement  l'occasion  d'ébahir  les 
badauds  par  des  gargarismes^  des  vocalisations  acrobatiques  et 
des  trilles  fous,  M"e  De  Vigne  a  cru  devoir  faire  entendre  aussi 
la  Marchande  d'oiseaux,  de  Jomelli,  qui  date,  paraît-il,  de  4750, 
ce  qui  ne  constitue  pas  une  excusé  suffisante  pour  justifier  l'ah- 
sence  d'intérêt  musical. 

On  avait  d'ailleurs  fait  à  la  genl  emplumée  la  part  belle  dans 
ce  concert  :  outra  \z  Marchande  d'oiseaux  en  question,  ]M»«Nora 
Bergh,  — -  une  pianiste  dont  le  mécanisme  est  remarquable  mais 
qui  ne  s'échaulïé  guère  en  jouant  —  a  fait  chanter  sur  le  clavier 
le  Rossignol,  de  Liszt  ;  «  J'eus  toujours  dé  l'amour  pour  les 
choses  ailées  »  dit  encore  M"«  De  Vigne,  qui,  pour  le  prouver, 
termina  le  concert  par  une  romance  intitulée  :  L'Oiselet,  si 
bien  que  toute  la  séance  évoquait  l'image  gazouillante  d'une 
grande  volière ,:*'., 

M.  Hubay  donnait  à  cette  audition  le  précieux  appoint  de  son 
coup  d'archet  élégant,  souple  et  sûr.  On  lui  fit  féie,  tant  après  la 
Romance  de  Rubinslein  et  les  deux  niazourkas  de  Wieniawski 
qu'après  la  poétique  Berceuse  c|e  Zarembski,  accompagnée  par 
l'auteur,  et  après  Téiincelante  fantaisie  {Puszia  Klange)  qu'il 
a  écrite  sur  des  motifs  hongrois,  en  collaboraiion  avec  M.  Aggazy, 
et  qu'il  joue  avec  la  désinvolture  d'un  tzigane  unie  à  la  science 


d'un  maître. 


'    IBoirée  de  la  Nouvelle  Société  de  musique. 

A  mentionner,  pour  mémoire,  une  agréable  soirée  intime 
offerte  mardi  à  ses  membres  par  la  Société  de  musique.  Les 
chœurs  y  ont  exécuté  avec  goût  Narcisse  de  Massenet,  une 
œuvrelie  mince,  élégamment  écrite,  et  VAnathèine  du  chanteur j 
de  Schumanû,  qui  formait  avec  l'ouvrage  précéd(;nt  un  contraste 
piquant.  Un  Motet  à  six  voix  de  Rubinslein  avait  ouvert  la 
séance,  à  laquelle  deux  solistes,  MM.  Triaille  et  Godenne,  l'un 
pianiste,  l'autre  violoncelliste,  ont  ajouté  l'attrait  d'une  virtuo- 
sité remarquable,  surtout  en  ce  qui  concerne  le  second.    , 

Deuxième  Concert  de  musique  russe  à.  Liège 


On  nous  écrit  de  Liège  : 

^us  avons  entendu  samedi  un  second  concert  de  musique 
russe,  dû  h  l'initiative  de  la  comtesse  de  Mercy-Argonteau.  Cette 
audition,  comme  la  première,  aélé  d'un  grand  intérêt  artistique, 
malgré  les  imperfections  de  l'exécution  orchestrale. 

La  première  i)artie  était  consacrée  à  la  symphonie  en  mi  bémol 
de  Borodine,  superbe  échafaudage  musical,  architectural  de  con- 
tcxlure  et  humain  d'émotion.  L'a7idante  précédant  le  finale  pos- 
sède à  uu  haut  degré  l'incarnation  musicale  d'impressions 
morales  qui  émeuvent  l'auditeur  indépendamment  des  sensations 
que  provoque  la  forme. 

Lc^  Danses  circassiejmes  cxirahcs  de  l'opéra  Le  Piisonnier 
du  Caucase,  de  César  Cui,  jouées  ensuite,  sont  très  curieuses. 


Assourdie  par  les  sonorités  sauvages  et  primitives  du  tambour  de 
basque  et  du  tam-tam,  cette  musique,  dans  sa  sobridté,  donne 
une  impression  intense  du  milieu  caractéristique  qu'elle  dépeint. 
La  Tarentetlé  d\i  même  auteur  provoque  la  même  émotion  évo- 
calrice. 

La  Suite  pour  piano,  Sascha^  de  Glazounoflf,  a  étonné;  La 
Reine  de  la  Mer,  de  Borodine,  une  mélodie,  et  là  chanson  de 
Lell,  i\e  Rimsky-Korsakoflf,  6ht  ua  grand  intérêt,  mais  |)eut-être 
eût-il  mieux  valu  ne  pas  abuser,  comme  on  l'a  fait,  des  solistes 
et  des  fragments.  Il  eût  été  préférable  de  faire  entendre  une 
œuvre  ou  deux  dans  leur  entièrcté.  Il  v  a  là  une  concession  au 
public  (il  est  de  bon  ton  d'aller  au  concert  russe),  que  nous  ne 
comprenons  pas  de  la  part  des  organisateurs,  si  convaincus  dans 
leurs  efîorls.  Néanmoins,  M.  Heynberg  et  M""^  de  Mercy-Argen- 
teaii  ont  eu  du  succès  |)our  la  virtuosité  honnête  et  respectueuse 
avec  laquelle  ils  ont  interprété  deux  morceaux  de  César  Cui. 
JI"^  Begond  a  bien  dit  la  Princesse  endormie,  de  Borodine.  Nous 
devons  à  M"»^  Delhazc  la  bonne  exécution  au  piano  de  Sascha. 

Les  fragments  du  deuxième  acte  du  Prisonnier  du  Caucase, 
qui  réclamaient  des  chœurs  et  plusieurs  solistes",  ont  été  inter- 
prétés avec  beaucoup  de  couleur  par  la  masse  chorale,  l'orchestre 
et  les  solistes.  Le  sextuor  et  le  fuialc  ont  du  souffle,  mais  la  valeur 
artistique  de  cet  ouvrag»^  est  moindre  que  celle  de  la  plupart  des 
œuvres  entendues  au  cours  du  même  concert. 


TpiBj:.IOQRAPHIE    MUSICALE 

La  maison  Schott  frères,  qui  a  acquis  le  droit  exclusif  de  publier 
les  œuvres  dé  Wagner,  vient  de  faire  paraître  une  nouvelle  parti- 
tion, avec  paroles  françaises,  des  Maîtres -Chanteurs  de  Nuremberg. 

La  partie  d'orchestre  a  été  réduite  pour  le  piano  par  R.  Klein- 
michel.  C'est  celle  qui  figure  dans  la  petite  partition,  avec  paroles 
allemandes,  publiée  précédemment  par  la  maison  Schott.  Elle  est 
d'une  exécution  moins  difficile  que  la  transcription  faite  par  Tausig, 
qui  figure  dans  la  grande  édition  allemande.  Le  prélude  est  presque 
identique  à  la  transcription  de  Biilow,  reproduite  dans  l'édition 
Tausig.  Quant  au  texte,  c'est  naturellement  la  version  française  de 
Victor  Wilder,  qui  exprime  très  fidèlement  l'original. 

La  partition,  mise  en  vente  à  20  francs,  comprend  467  pages  petit 
in-folio.  A  part  la  couverture,  dont  le  dessin  et  la  couleur  ne  sont 
pas  heureux,  l'exécution  matérielle  de  l'ouvrage  est  bonne. 

Gela  ne  vaut  pas  la  partition  allemande,  mais  étant  donnée  la  modi- 
cité du  prix,  c'est  satisfaisant.  Il  .existe  aussi  des  partitions  pour 
piano  seul  et  pour  piano  à  quatre  mains. 

Nous  avons  reçu  ces  jours-  ci  une  brochure  anonyme  destinée  à 
initier  le  public  au  texte  des  Maîtres-Chanteurs  de  Nuremberg.  C'est 
une  analyse,  scène  par  scène,  de  l'action,  précédée  d'une  notice 
biographique  succincte  de  Richard  Wagner,  dans  laquelle  nous 
n'avons  à  reprendre  qu'un  détail  inexact  :  c'est  que  le  maître  n'est 
pas  mort  au  moment  où  il  «  préparait  l'audition  de  Parsifal  r> 
comme  le  dit  l'auteur,  qui  signe  G.-D.  Ciseaux,  mais  six  mois  après 
que  le  triomphe  de  sa  dernière  œuvre  à  Bayreuth,  en  1882,  eut 
apporté  la  consécration  définitive  à  son  Art. 


Jhéatre?  * 

Théâtre  de  la  Monnaie,  —  Voici  les  engagements  nouveaux  et 
les  réengagements  faits  pixr  M.  Verdhurt  pour  la  prochaine  cam- 
pagne théâtrale  :  M"«  Cécile  Mézeray  est  engagée  en  qualité  de  chan- 
teuse légère  de  grand  opéra.  M'"«  Montalba  remplacera  M'"''  Caron. 
M'i^  Passama,  élève  de  M"'<^  Marie  Sasse,  remplacera  M"®  Deschamps. 
M.  Boyer,  baryton,  en  dernier  lieu  à  Marseille,  remplacera  M.  Sou- 
lacroix.  M.  Hanssen,  premier  maître  de  ballet  de  i'Alhambra  de 
Londres,  est  engagé  comme  maître  de  ballet.  —  Sont  réengagés  : 
MM.  Renaud,  Chappuis,  Fraukin,  Lapissida,  l'habile  régisseur  du 
théâtre.  Il  va  sans  dire  que  notre  excellent  chef  d'orchestre,  Joseph 
Dupont,  nous  reste  également. 

Théâtre  de  l'Alcazar.  —  Le  succès  persistant  de  YÉtudiant 
pauvre  a  fait  ajourner  les  représentations  de  Fatinitza,  dont  la 
reprise  avait  été  annoncée. 


r  ■ 


Il  est  question  de  monter  La  guerre  joyeuse  (Lustige  Krieg)  de 
Suppé,  dont  la  traduction  est  faite  et  qui  pourrait  être  jouée  prochai- 
nement. 

Théâtre  Molière,  —  On  joue  depuis  quelques  jours  une  parodie 
de  Denise  intitulée  La  petite  Denise,  qui  met  assez  drôlement  en 
relief,  mais  d'une  manière  lourde,  les  défauts  de  la  récente  œuvre  de 
Dumas.  La  petite  Denise  fait  avec  Les  filles  de  Marbre  un  spectacle 
intéressant. 

Mardi  prochain,  10  mars,  représentation  au  bénéfice  de  M.  DeN 
tour,  l'excellent  contrôleur-général.  On  jouera  la  Cagnotte  et  La 
petite  Denise. 

Une  représentation  extraordinaire  de  Jean  Baudry,  la  comédie 
émouvante  de  Vacquerie,sera  donnée  vendredi  prochain,  13  courant, 
au  bénéfice  de  l'œuvre  des  Vieux  vêtements  d'Ixelles. 

Le  samedi  21  mars  aura  lieu  la  première  du  Prince  Zilah. 

M"e  Lina  Munte  jouera  le  rôle  créé  par  M»i«  Hading,  M.  Barbe 
celui  du  prince  Zilah  et  Mi>e  Remercier,  que  nous  avons  déjà  applau- 
die dans  Serge  FUnine,  celui  de  la  marquise  Dinati, 

En  mai,  M.  Damala  et  M^e  Hading  viendront  très  probablement, 
avant  leur  départ  pour  Londres,  nous  donner  quelques  représenta- 
tions de  l'œuvre  de  Glaretie. 

Les  décors,  calqués  sur  ceux  de  Paris,  seront  exécutés  par 
M.  Braeckman, 


î^ 


ETITE    CHROJVdQUE 


Voici  le  programme  de  la  troisième  séance  de  musique  de  chambre 
pour  instruments  à  vent  et  piano,  qui  sera  donnée  aujourd'hui 
dimanche,  dans  la  grande  salle  du  Con.servatoire,  par  MM.  Dumon, 
Guidé,  Merck,  Neumans,  Poncelet  et  De  Greef,  avec  le  concours  de 
MM,  Jacobs,  Vanderheyden,  Agniez,  Bayard,  Fontaine,  Devaux, 
Devos  et  Mills. 

1.  Septuor,  de  Hummel.  —  2.  Suite  pour  flûte,  hautbois,  clari- 
nette, cor  et  basson,  par  Ch.  Lefebvre.  ^:  3.  Sonate  pour  flûte  et 
piano,  de  Hœndel.  —  4.  Symphonie  de  Raff. 

Le  dernier  concert  populaire  de  la  saison  est  fixé  au  12  avril.  Il 
sera,  comme  d'habitude,  consacré  à  l'œuvre  de  Wagner,  mais  le 
programme  en  sera,  cette  fois,  particulièrement  intéressant.  Il  com- 
prendra le  premier  acte  en  entier  de  la  Walkûre,  chanté  par 
jyfme  Brunet-Lafleur  (Sieglinde),  M.  Van  Dyck  (Siegmund)  et 
M.  Blamvaert  (Hunding). 

On  entendra  en  outre,  pour  la  première  fois  à  Bruxelles,  la  scène 
des  Blwncnmddchen  de  Parsifal  avec  le  prélude  de  cette  œuvre, 
la  Siefried- Idylle  composée  par  Wagner  à  la  naissance  de  son  fils, 
et,  pour  finir,  la  Chevauchée  des  Wulkyries  telle  qu'on  l'exécute  à 
la  scène,  c'est-à-dire  avec  l'adjonction  de  neuf  voix  de  femmes. 


Il  est  question  aussi  de  deux  concerts  que  viendrait  donner  à 
Bruxelles  M.  Lamoureux  et  son  orchestre  et  dans  lesquels  on  exécu- 
terait le  ler  et  le  2™e  acte  de  Tristan  et  Yseult. 

On  lit  dans  G^îV  Blas,  au  sujet  d'une  audition  de  Tristan  et  Yseult 
qui  vient  d'avoir  lieu  à  Paris  : 

Le  ténor  Van  Dyck  (M:  Van  Dyck  est  belge)  a  fait  sa  jeûne  répu- 
tation par  le  talent  avec  leiquel  il  a  établi  le  rôle  difficile  de  Tristan, 
qu'en  Allemagne  même  les  artistes  les  plus  expérimentés  n'osent 
aborder  sans  hésitatiou. 

Quant  à  M"^"  Montalba,  on  peut  dire  que  son  nom  restera  désor- 
mais attaché  à  ce  rôle  d'Yseult,  qu'elle  a  créé  avec  autant  d'origir 
nalité  que  déclat.  Il  semble  que  cette  belle  artiste,  à  la  voix  expres- 
sive et  passionnée,  ait  été  mise  au  monde  tout  exprès  pour  chanter 
la  musique  de  Wagner,  tant  elle  en  a  pénétré  l'esprit,  tant  elle  excelle 
à  en  rendre  le  sens  profond  et  la  signification  complexe. 

Elle  s'esta  ce  point  iuentifiée  avec  l'héroine  du  drame  musical  de 
Wagner  que,  pour  ma  part,  jo  ne  saurais  plus  la  séparer  de  la  créa- 
tion idéale  du  maître.  Aussi,  le  jour  procham  où  l'œuvre  passera  de 
l'estrade  du  concert  sur  les  planches  du  théâtre,  il  faudra  songer 
avant  tout  à  faire  appel  à  ratlmirable  interprète  d'Yseult,  car,  je  le 
dis  sans  hésiter,  je  ne  connais  pas  de  cantatrice  à  Paris  capable  de 
nous  faire  oublier  dans  ce  rôle  celle  qui  nous  en  a  donné  la  premièi-e 
et  vivante  incarnation,  

Par  arrêté  royal  de  ce  mois  ont  été  nommés  membres  du  jury  de 
l'exposition  des  Beaux-Arts  d'Anvers  :  MM,  Edmond  Picard,  Van 
Gampet  de  Vriendt.,  , 


80  , 


LART  MODERNE 


-    EST  ENTRÉ  DEPUIS   LE   P"^  JANVIER  DANS,  SA  CINQUIÈME  ANNÉE 

L'ART  MODERNE  s'est  acquis  par  raùtorité  et  l'indépendance  de  sa  critique,  par  la  variété  de 
ses  informations  et  les  soins  donnés  à.  sa  rédaction  une  place  prépondérante.  Aucune  manifestation  de 
l'Art  ne  lui  est  étrangère  :  il  s'occupe  de  littérature,  de  peinture,  de  sculpture,  de  gravure,  de 
musique,  d'architecture,  etc.  Consacré  principalement  au  mouvement  artistique  belge,  il  renseigne 
ses  lecteurs  sur  tous  les  événements  artistiques  de  l'étranger  qu'il  importe  de  connaître. 

.  Chaque  livraison  de  l'ART  MODERNE  s'ouvre  par  une  étude  approfondie  sur  une  question 
artistique  ou  littéraire  dont  l'événement  de  la  semaine  fournit  l'actualitér^  Les  expositions,  \q%  livres 
nouveaux,  les  premières  représentations  d'œuvres  dramatiques  ou  musicales,  les  conférences  littéraires, 
les  concerts,  les  -ventes  d'objets  cVart,  font  tous  les  dimanches  l'objet  de  chroniques  détaillées.. 

L'ART  MODERNE  relate  aussi  la  législation  et  la  jurisprudence  artistiques.  Il  rend  compte  des 
procès  les  plus  intéressants  concernant  les  Arts,  plaides  devant  les  tribunaux  belges  et  étrangers. 
Les  artistes  trouvent  toutes  les  semaines  dans  son  Mémento  la  nomenclature  complète  des  expositions 
et  concours  auxquels  ils  peuvent  prendre  part,  en  Belgique  et  à  l'étranger.  Il  est  envoyé  gratuitement 
à  l'essai  pendant  un  mois  à  toute  personne  qui  en  fait  la  demande. 

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Cinquième  année.  —  N°  11. 


Lb  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  15  Mars  X885. 


>^ 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVDE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA-ilTTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,  un  an,   fr.   10.00;  Union  postale,   fr.    13.00.    —  ANNONCES  :    On  traite  à  forfait. 


Adresser  les  demandes  d' abonnement  et  toutes  les  communications  à 
L  administration  générale  de  l'Art  Hoderne,  rue  de  Tlndustrie,  26,  Bruxelles. 


? 


OMMAIRE 


• 


Les  Màitres-Chanteurs .  —  Livres  nouveaux  :  Chair  molle, 
par  Paul  Adam.  —  Les  Impressionnistes.  Premier  article.  — 
Concert  Lamoureux.  —  Théâtres.  —  Bibliographie  musicale. 
—  Chronique  judiciaire  des  arts.  —  Mémento  des  expositions 
et  concours.  —  Petite  chronique. 


LES  MAITaES-CHANTEUIlS 

Qui  aurait  cru,  il  y  a  quelques  années,  quand  les 
wagnéristes  étaient  montrés  au  doigt,  taxés  de  folie, 
bafoués,  vilipendés,  caricaturés,  qu'en  l'an  1885,  le 
7  mars,  le  fanfarant  cortège  des  Maîtres-Chanteurs 
envahirait  solennellement  la  scène  du  théâtre  de  la . 
Monnaie?  Qui  se  fût  attendu  à  entendre  la  marche 
triomphale  des  corporations,  avec  ses  sonneries  de 
trompettes,  réveiller  la  somnolence  des  échos  que  fai- 
saient gémir  la  cavatine  de  la  Juive  et  les  ritournelles 
deNorma?  Qui  eût  imaginé,  surtout,  que  des  acclar* 
mations,  ébranlant  la  salle  du  parterre  au  paradis, 
eussent  couvert  les  derniers  accords  de  chaque  acte  et 
se  fussent  prolongées  ensuite  en  rappels  enthousiastes  ? 

Avec  une  force  irrésistible,  l'idée  wagnérienne  a  fait 
sa  trouée,  malgré  les  résistances,  malgré  les  haines, 
malgré  la  mise  en  œuvre  de  toute  la  balistique  usitée 
lorsqu'il  s'agit,  en  art  comme  en  politique,  de  défendre 
les  digues  menacées  par  un  flot  de  principes  nouveaux  : 
les  quolibets,  les  calomnies,  les  intimidations.  Vains 
efforts.  Tactique  toujours  déjouée  par  la  puissance  de 
l'événement.  A  un  moment  donné  le  courant,  grossi  r 


par  la  résistance,  culbute  impétueusement   tous  les 
obstacles. 

Courbet  est  entré  au  Louvre.  Manet  à  l'Ecole  des 
Beaux- Arts.  Delacroix,  le  révolutionnaire,  s*élève  dans 
une  apothéose.  Que  reste-t-il  des  injures,  des  menaces, 
des  railleries,  des  âneries  sans  nombre  décochées  au 
chef  du  romantisme,  au  père  du  réalisme,  à  l'inventeur 
de  l'impressionnisme,  noms  divers  pour  exprimer  une 
chose  unique  :  l'évolution  de  l'Idée  artistique? 

Ne  se  lassera-t-on  pas  de  chercher  à  arrêter  ce  qui 
est  invincible?  A  comprimer  ce  qui  est  incompressible? 
L'histoire  enseigne  que  jamais  on  n'a  entravé  ces  grands 
mouvements  de  l'Art  que  règlent  des  lois  mystérieuses 
mais  immuables,  comme  celles  qui  régissent  le.  cours 
régulier  des  astres.  Pas  plus,  d'ailleurs,  qu'on  ne  peut 
s'opposer  aux  révolutions  sociales  qui,  lentement,  selon 
des  nutations  dont  la  cause  échappe,  modifient  périodi- 
quement l'humanité. 

Tout  au  plus  arrive- t-on  parfois  à  retarder  ces  détur- 
bations,  comme  un  débiteur  recule  l'échéance  d'une 
créance.  Mais  alors,  gare  aux  intérêts  qui  s'accu- 
mulent !  La  postérité  acquitte  en  monnaie  d  or  la  gloire 
des  artistes  dont  la  réputation,  s'ils  l'eussent  conquise 
de. leur  vivant  et  sans  lutte,  se  fût  payée  en  biîlon. 
C'est  la  vengeance  des  méconnus.  C'est  l'équitable 
compensation  des  injustices  et  des  ignorances  têtues. 

Aussi  ne  peut-on  s'empêcher  de  sourire  aux  protes- 
tations timides,  aussitôt  étouffées  sous  une  tempête  de 
bravos,  de  ceux  qui  tentent  d'enrayer  encore  l'ascen- 
sion majestueuse  de  l'art  lyrique  dont  les  Maîtres- 


Chanteurs  sont  l'expression.  Messieurs  les  gratinés,, 
dérangés  dans  leurs  administrations  coùtumièrés  et 
irraisonnées,  sont  vexés  de  n'être  comptés  pour  rien 
dans  le  jugement  que  prononce  la  foule  Ce  groupe 
repoussant  déjeunes  hommes  aux  idées  de  vieillards  et  de 
vieillards  qui  cherchent  à  se  faire  ^passer  pour  jeunes, 
produit  d'une  civilisation  à  son  déclin,  sans  aspirations 
et  sans  grandeur,  n'est-ce  pas  lui^plutôt  encore  que  les 
pédants  cuistreux  des  écoles  que  Wagner  a  symbolisé 
dans  l'ironique  personnification  du  greffier  Sixtus 
Beckmesser  ?  S'il  est  vrai  que  seule  la  vérité  blesse,  on 
serait  tenté  de  le  croire,  à  voirie  dépit  avec  lequel  ce 
petit  monde  a  accueilli  la  sanglante  satire  du  Maître. 

Mais  si,  à  chaque  bataille  contre  la  routine  livrée 
parles  milices  de  l'art  jeune,  on  se  heurte  aux  vieilles 
gardes,  en  revanche  toujours  apparaît,  aux  avant- 
postes,,  un  chef  hardi  qui,  ardent  et  infatigable,  donne 
le  signal  de  l'assaut. 

C'est  à  Louis  Brassin  qu'on  doit  là  victoire  rempor- 
tée à  Bruxelles  par  le  wagnérisme.  On  l'a  un  peu 
oublié.  Aussi  croyons-nous  devoir,  au  lendemain  du 
triomphe  définitif  des  idées  pour  lesquelles  il  fiténergi- 
qyement  campagne,  évoquer  le  souvenir  de  cette 
grande  personnalité  artistique.  Quelle  joie  et  quelle 
récompense  pour  lui  s'il  eût  assisté  à  la  manifestation 
imposante  de  samedi  !  Pour  tous  ceux  qui  s'efforcèrent 
de  propager  en  Belgique  les  principes  de  l'art  de 
Wagner,  sa  mémoire  est  étroitement  liée  à  tous  les 
avantages  partiels  que,  petit  à  petit,  dans  une  série 
d'escarmouches,  remportèrent  les  partisans  du  «*  drame 
lyrique  «  sur  les  défenseurs  de  1'  «  opéra  »>  dans  sa 
forme  surannée.  Le  premier,  il  osa  inscrire  le  nom  de 
Wagner  dans  ses  programmes.  Qui  ne  se  souvient  de 
l'irrésistible  entrain  avec  lequel  il  exécutait,  sur  un 
piano  auquel  il  communiquait  les  vibrations  de  l'or- 
chestre, cette  ouvefture  [des  Maîtres-Chanteurs  qui 
devait,  quinze  ans  plus  tard,  remplir  de  ses  sonorités 
éclatantes  le  vaisseau  de  la  Monnaie?  N'eut-il  pas  un 
jour  l'idée  de  faire  jouer,  d'un  bout  à  l'autre,  à  l'un  de 
ses  élèves, *.comme  s'il  se  fût  agi  d'une  simple  transcrip- 
tion de  concert,  la  partition  entière  de  cet  ouvrage 
colossal.  Passionnément  épris  de  l'art  du  Maître,  il 
groupa  autour  de  lui  une  élite  de  jeunes  hommes  dans 
l'àme  desquels  il  fit  passer  la  flamme  de  son  enthou- 
siasme. Tous,  Batta,  Hugo  Fish,  morts  tous  les  deux, 
ainsi  que  le  maître  lui-même,  Rummel,  Dujardin,  Kéfer, 
Tinel,  Gurickx,  De  Greef,  devinrent  ses  lieutenants,  et 
propagèrent  à  leur  tour  ses  préceptes. 

Grâce  à  des  prodiges  de  diplomatie ^  il  parvint  à 
décider  le  directeur  qui  régnait  en  1870  à  la  Monnaie  et 
qui  n'était  rien  moins  qu'ouvert  aux  idées  nouvelles, 
M.  Vachot,  à  monter  Lohengrm.  La  chose  décidée,  il 
fit  si  bien  que  le  chef  d'orchestre  d'alors,  M.  Singelée, 
consentit  à  céder  son  bâton,  pour  les  répétitions  et 


même  pour  la  première  représentation,  à  Hans  Richter, 
que  Brassin  fit  venir  du  fond  de  l'Allemagne. 

Mais  il  fallait  préparer  l'auditoire  à  la  musique  nou- 
velle qu'il  allait  entendre.  Avec  un  dévouement  infati- 
gable, il  organisa  chez  lui  des  séances  dans  lesquelles  il 
était  à  la  fois  conférencier  et  virtuose.  Il  exposait  à  ses 
amis  les  beautés  de  Lohengrm^  commentait  le  poème, 
jouait  avec  l'autorité  qu'on  sait  des  fragments  delà  par- 
tition et  parvint  à  initier  peu  à  peu  les  Bruxellois  â  la 
compréhension  de  l'œuvre,  ce  qui  lui  valut,  de  la  part 
de  Wagner,  cette  décoration  de  chevalier  du  Graal, 
dont  nous  avons  parlé  déjà  (*)  et  dont  il  s'enorgueillissait 
avec  une  joie  d'enfant. 

C'est  lui  aussi  qui  4magina,  quelques  années  plus 
tard,  d'aller  quérir  à  Rotterdam,  pour  donner  à 
Bruxelles  un  grand  concert  de  musique  wàgnérienne, 
toute  la  troupe,  orchestre  compris,  qui  interprétait  la 
Walkiïre.  l>lous  fîmes  partie  de  cette  expédition,  dans 
laquelle  Brassin  mit  en  œuvre  toutes  les  ressources  de 
sa  diplomatie  enjôleuse.  Peu  après,  en  mai  1877, 
Bruxelles  entendit  avec  stupéfaction  chanter  en  alle- 
mand, et  pour  la  première  fois,  par  un  Siegmund  en 
cravate  blanche  et  une  Sieglinde  en  robe  de  bal,  le  pre- 
mier acte  de  la  Walkure. 

C'est  lui  enfin  qui  fonda  V Association  wàgnérienne ^ 
destinée  à  recueillir  des  fonds  pour  le  théâtre  de 
Bayreuth.  ,■:,,,-  ■^-r,^.  \,,f. ,.;:;:,..-:,-. ■:,:.;:;;.■ ,  :.:-■::_  - :.  . 

Petit  à  petit  s'infiltraient  en  Belgique  les  germes  dont 
l'épanouissement  est  aujourd'hui  admirable.  Et  ce  qui/ 
contribua  dans  une  large  mesure  à  les  développer,  à  en 
hâter  l'éclosion,  ce  furent  les  Concerts  populaires.  Nous 
sommes  heureux  de  rendre  hommage,  à  cet  égard,  à 
l'active  propagande  que  ne  cessa  de  faire  leur  excel- 
lent directeur  Joseph  Dupont.  11  a  porté  seul,  depuis  le 
départ  de  Brassin,  les  espérances  des  wagnéristes  en 
Belgique.  S'il  eut  parfois  de  rudes  assauts  à  soutenir, 
s'il  s'imposa  avec  un  désintéressement  absolu  et  un 
zèle  qu'on  ne  saurait  assez  louer  pn  travail  considé- 
rable, il  en  est  récompensé  par  l'hommage  que  lui 
rendent,  à  propos  de  l'interprétation  remarquable  qu'il 
donne  des  Maîtres- Chanteurs^  la  presse  et  le  pubUc. 

C'est  à  l'orchestre  et  à  son  chef  que  vont,  tout 
d'abord,  les  éloges.  Souple,  nerveux,  respectueux  des 
nuances,  délicat  dans  les  moments  de  tendresse,  puis- 
sant dans  les  ensembles  qui  exigent  de  la  sonorité, 
d'une  clarté  qui  permet  à  l'oreille  de  suivre,  dans  les 
broussailles  de  la  polyphonie,  le  dessin  mélodique  des 
divers  thèmes  enchevêtrés,  l'orchestre  formé  et  dirigé7 
depuis  quatorze  ans,  par  Joseph  Dupont  s'est  montré 
à  la  hauteur  de  sa  tâche  difficile.  La  sûreté  et  la  fermeté 
de  son  exécution  sont  une  des  causes  principales  du 


(')  Voir  l'Art  Moderne  \SM,  p.  179. 


succès   de   l'œuvre,   qu'auraient   pu    compromettre ^ 
disons-le  franchement,  les  interprètes. 

Pour  des  artistes  dont  l'éducation  musicale  tout 
entière  repose  sur  des  données  essentiellement  diffé- 
rentes de  l'art  synthétique  de  Wagner  où  la  voix  n'a 
pas,  dans  l'ensemble,  un  rôle  plus  important  que  la 
petite  flûte  ou  le  hautbois,  interpréter  les  Maîtres- 
Chanteurs  comme  il  convient  n'est  assurément  pas 
chose  aisée.  On  ne  se  débarrasse  pas  facilement  d'habi- 
tudes contractées  dans  un  long  commerce  avec  le 
répertoire  usuel.  On  ne  consent  pas  sans  regimber  à 
faire  abstraction  de  sa  personnalité,  à  faire  oublier 
Vacteur  au  public.  On  ne  sacrifie  pas,  du  premier  coup, 
l'effet  de  son  ut  de  poitrine  ou  du  point  d'orgue  qu'on 
lance,  la  main  gracieusement  arrondie,  à  la  fin  d'une 
cadence  pour  faire  éclater,  en  gerbe  d'artifice,  les 
applaudissements  du  parterre. 

Mais  quel  plus  noble  but  pour  un  artiste  épris  de  son 
art,  et  non  de  lui-même,  que  de  concourir  à  provoquer 
les  grandes  émotions  qu'un  art  humain  comme  celui  de 
Wagner  est  capable  de  produire?  Quelle  sensation  plus 
grisante  que  celle  d'employer  toutes  les  ressources  de 
son  intelligence  scénique,  de  son  expérience  et  de  sa 
voix  à  réaliser  rigoureusement  la  conception  d'un  génie  ? 
L'artiste,  loin  de  s'amoindrir,  grandit  singulièrement 
en  s'effbrçant  d'atteindre  à  ces  hauteurs  où  l'art  de  l'in- 
terprète s'unit  étroitement  à  celui  du  compositeur, 
comme  les  peintres  qui  font  oublier  la  virtuosité  de 
leurs  coups  de  brosse  pour  faire  parler  la  nature  seule 
dans  leurs  toiles.  Ils  l'ont  bien  compris,  ceux-là  de  Bay- 
reuth,  de  Berlin  et  de  Vienne,  les  Materna,  les  Marie 
Brandt,  les  Winkelmann,  les  Scaria,  les  Cari  Hill,  les 
Lieban,  les  Schlosser,  les  Vogl,  qui,  généreusement  et 
sans  arrière-pensée,  sacrifient  la  satisfaction  éphémère 
de  quelques  applaudissements  arrachés  à  coups  de 
gosier  à  la  gloire  durable  d'avoir  assis  sur  des  bases 
inébranlables  le  plus  solide  liionument  musical  que  l'art 
ait  édifié. 

Le  jour  où  nos  artistes  seront  pénétrés  de  la  vérité 
de  cette  idée,  nous  ne  verrons  plus  M.  Jourdain  se 
hausser  sur  la  pointe  des  pieds  pour  lancer  d'une  voix 
tonnante  les  dernières  notes  de  son  Chant  de  concours. 
Il  se  tournera  vers  les  maîtres  qui  l'interrogent  lors^ 
qu'il  aura  à  leur  apprendre  à  quelle  école  il  a  appris  la 
musique.  Il  s'abstiendra  soigneusement  de  tous  les 
gestes  de  conservatoire  qui  font  croire  que  le  chevalier 
de  Stolzing,  au  lieu  de  rêver  dans  les  bois,  a  usé  sa 
jeunesse  dans  les  cours  de  callisthénie  qu'on  donne  chez 
M.  Gevaert  et  que  le  vieux  bouquin  légué  par  ses 
ancêtres  n'était  autre  que  le  Manuel  de  la  civilité 
puérile  et  honnête,  annoté  par  M™*-'  Emmeline  Ray- 
mond. • 

Ce  jour  là  encore  nous  n'assisterons  plus  au  spec- 
tacle plaisant  de  cinq  artistes  s'avançant  tous  ensemble 


à  la  rampe  pour  chanter  le  quintette,  en  quête, 
semble- t-il,  d'un  signal  du  chef  d'orchestre  ou  d'une 
indication  du  souffleur. 

Un  ouvrage  tel  que  les  Maîtres-Chanteurs  a  ses 
nécessités  scéniques,  qu'il  faut  respecter  aussi  scrupu- 
leusement que  le  dessin  de  la  mélodie,  la  justesse  des 
intonations  ou  l'accentuation  des  mots. 

Que  de  réformes  à  accomplir,  à  cet  égard,  pour  un 
directeur  désireux  de  faire  œuvre  d'artiste  !  Et  nous 
ne  parlons  ici  ni  des  costumes,  passablement  gro- 
tesques pour  quelques  interprètes  (voir  le  justaucorps^ 
vert-grenouille  endossé  par  M.  Jourdain  au  troisième 
acte,  qui  donne  à  l'artiste  l'aspect  d'un  Valet  de  carreau) 
ni  des  décors,  qui  manquent  de  vérité,  ni  de  la  figuration, 
assez  chiche,  ni  des  jeux  de  scène  des  choristes  et  des 
figurants,  fortement  infectés  de  conventions  surannées, 
malgré  certaines  tendances  louables  à  s'en  débarrasser. 
Une  étude  de  la  mise  en  scène  à  ces  divers  points  de 
vue  nous  entraînerait  trop  loin. 

Ce  qu'il  importe  de  constater  (puisse  cette  observa- 
tion porter  ses  fruits  !)  c'est  que  le  succès  est  allé  droit 
à  ceux  des  interprètes  qui  ont  le  plus  complètement 
fait  abstraction  de  leur  personne  pour  ne  songer  qu'à 
l'œuvre,  pour  s'incarner  dans  leurs  personnages  : 
à  MM.  SoulacroixetDelaquerrière. 

Le  premier  est  vraiment  excellent  dans  le  rôle  du 
greffier  Beckmesser.  Il  chante  en  musicien  et  met  à 
chacun  de  ses  gestes,  à  chacune  de  ses  intonations,  une 
conscience  remarquable^  On  l'a  comparé  à  Uacteur  alle- 
mand Lieban  (et  non  pas  Niemann,  n'est-ce  pas  mon 
cherEekhoud  ?)  et  la  remarque  est  juste.  Il  y  a  d'ail- 
leurs entre  le  rôle  de  Beckmesser  et  celui  de  Mime, 
autre  souffre-douleur,  certaines  analogies  qui  justifient 
la  similitude  de  l'interprétation.  S'il  se  corrige  de  quel- 
ques excès  d'intentions  comiques  qui  dépassent  le  but, 
s'il  se  décide  à  rompre  d'une  façon  plus  complète  encore 
avec  la  tradition  qui  veut  que  les  artistes  viennent  à 
tour  de  rôle  débiter  leur  air  devant  le  trou  du  souffleur 
au  lieu  de  demeurer  où  les  nécessités  du  sujet  les 
retiennent,  M.  Soulacroix  attachera,  d'une  façon  dura- 
ble, son  nom  à  la  création  de  l'amusant  bonhomme  à  la 
guitare. 

M.  Delaquerrière  joue  en  écolier  pétulant,  espiègle, 
de. bonne  humeur,  le  charmant  rôle  de  David,  et  le 
timbrè^lair  de  sa  voix  convient  tout  à  fait  au  person- 
nage. Il  a  partagé  avec  M.  Soulacroix  les  applaudisse- 
ments. 

Il  faut  encore  tirer  hors  de  pair  M.  Seguin,  dont  les 
progrès  sont  sensibles  à  chaque  représentation.  Un  peu 
lourd  et  embarrassé  le  soir  de  la  première,  il  acquiert 
petit  à  petit  la  bonhomie  et  l'aisance  voulues.  Sa  voix 
est  superbe,  sa  diction  nette,  ses  allures  distinguées. 
Mais  pourquoi  a-t-il  composé  un  Hans  Sachs  si  jeune  ? 
Comment  faire  concorder  la  barbe  brune,  la  chevelure 


M 


L'ART  MODERNE 


1 


luxuriante  du  cordonnier-poète  avec  cette  apostrophe 
qu'il  adresse  à  Beckmesser  lorsqu'il  l'accuse  de  pré- 
tendre à  la  main  d'Eva  : 

.  .  .    ,    ■  .■  ^  .        " 

•♦  Pardon,  marqueur,  je  n'ai  pas  ce  désir, 

Car  pour  avoir  l'espoir  de  plaire  — 

Il  faut  qu'on  soit  moins  mûr  que  nous  f  n 

et  cette  réponse  qu'il  fait  à  la  jeune  fille,  qui,  malicieu- 
sement lui  parle  de  mariage  : 

••  On  me  prendrait  pour  ton  aïeul  t.  ? 

Il  y  a  évidemment  une  modification  à  apporter  au 
grimage  de  l'artiste. 

La  belle  voix  de  M.  Durât  s'épanouit  dans  le  rôle  de 
Pogner,  l'orfèvre.  M.  Renaud  donne  l'emphase  néces- 
saire aux  déclamations  de  Kothner/le  plus  solide  rem- 
part de  l'art  fossile  que  combat  Walther.  En  ce  qui 
concerne  les  interprètes  féminins  de  l'œuvre,  la  presse 
a  généralement  trouvé  que  le  rôle  d'Eva  ne  convenait 
pas  à  la  nature  tragique  et  enflammée  de  M""®  Caron. 
Il  s'agit  d'une  jeune  fille  naïve  et  simple,  presque  une 
enfant,  pour  laquelle  le  physique  d'impératrice,  les 
gestes  nobles,  la  démarche  altière  de  la  remarquable 
artiste  ne  sont  évidemment  pas  faits.  Quant  à  M'^®  Des- 
champs elle  met  beaucoup  de  honne  grâce  à  remplir, 
pour  la  troisième  fois,  un  rôle  dé  nourrice.  Tout  le 
personnel  des  chœurs  triomphe  avec  aisance  des  diffi- 
cultés terribles  de  l'interprétation. 

On  le  voit,  si  tout  n'est  pas  parfait,  du  moins  faut-il 
s'estimer  heureux  de  l'ensemble  de  l'interprétation,  qui 
permet  d'apprécier  dans  des  conditions  vraiment  artis- 
tiques l'œuvre  admirable  par  laquelle  MM.  Stoumon  et 
Calabrési  ont  eu  la  bonne  pensée  de  clôturer  triompha- 
lement leur  campagne. 


'«=^ 


JalVRE^  J^OUVEAUX 

Chair  molle,  roman  naturaliste,  par  Paul  Adam. 
Bruxelles,  Auguste  Brancart,  éditeur. 

M.  Paul  Adam,  après  vingt  autres,  nous  fait  parcourir  le 
chemin  qui  mène  les  pauvres  filles  du  lupanar  à  l'hôpital  et  nous 
ne  le  sermonnerons  pas  à  ce  sujet.  VArt  modenie  a,  en  maintes 
occasions,  exprimé  son  sentiment  au  sujet  de  cet  envahissement 
de  la  littérature  par  «  la  fille  ».  Ne  ravivons  pas  cette  querelle. 
Les  chemins  de  l'art  sont  libres,  c'est  entendu  ;  s'il  plaît  aux 
écrivains  de  la  jeune  école  de  s'égarer  dans  les  venelles  suspectes 
et  de  regarder  du  côté  des  gros  numéros,  c'est  leur  affaire.  Ne 
nous  faisons  pas,  en  leur  reprochant  cette  prédilection,  accuser 
de  pruderie  ou  de  pédanlisme.  Une  loi  rigoureuse  asservit  la 
critique  à  l'auteur  ;  où  qu'il  aille  il  faut  le  suivre.  Permis  à  elle 
d'enfoncer  son  chapeau  sur  ses  yeux,  de  se  cacher  le  nez  dans 
son  manteau,  mais  il  faut  qu'elle  aille  résignée,  passive,  par  les 
bouges  ignobles,  à  travers  les  débauches  brutales  ou  les  misères 
répugnantes,  qu'elle  dise  ensuite  les  impressions  de  ses  voyages 
dans  les  dessous  mal  odorants  de  la  vie  sociale.  Ce  rôle  a  des 
côtés  diftîciles  et  compromettants.  Le  devoir  du  critique  est  de 


vérifier,  en  notre  temps  de  littérature  photographique,  l'exacti- 
tude du  coup  d'œil  et  la  sincérité  de  l'otjectif  du  photographe. 
Il  s'expose  à  cette  question  :  Comment  savez-vous  tout  cela  ?  S'il 
répond  :  je  le  sais  parce  que  j'ai  vu,  il  passera  pour  un  homme 
à  fréquentations  suspectes,  portant  partout  avec  lui  l'arrière 
parfum  de  ses  excursions  dans  les  égoûts.  On  ne  l'invitera  plus 
à  dîner  de  crainte  qu'il  ne  dérobe  l'argenterie.  Les  mamans  ne 
permettront  plus  à  leurs  «  demoiselles  »  de  danser  avec  un 
monsieur  d'aussi  mauvaise  compagnie.  L'auteur  lui-même  sera 
moins  mal  vu,  on  pourra  lui  reprocher  de  bizarres  écarts  d'ima- 
gination, mais  on  ne  l'accusera  pas  nécessairement  d'avoir  vécu 
ce  qu'il  raconte.  Mais  le  critique  ne  peut  invoquer  les  préroga- 
tives de  l'imagination  :  il  ne  crée  pas,  il  n'invente  pas,  il  constate 
et  verbalise.  . 

Mais  si  cet  esclave  du  devoir  se  hasarde,  pour  sa  défense,  à 
reconnaître  qu'en  réalité  il  n'a  pas  levé  le  plan  des  lieux  où 
M"^  Lucie  Thirlache  accomplit  ses  cascades,  c'est  alors  M.  Paul 
Adam  qui,  justement  indigné,  lui  criera:  De  quoi  vous  mélcz-vous? 
De  quel  droit  blâmez-vous  mes  tableaux  si  vous  n'avez  pas  vu  les 
scènes  qui  me  les  ont  inspirés?  Comment  peut-on  apprécier  la 
ressemblance  du  portrait  si  l'on  ne  connaît  pas  l'original? 

Cette  situation  entre  la  réprobation  des  honnêtes  gens  et  la 
colère  de  M.  Paul  Adam  est  absolument  dépourvue  de  charmes. 
Cependant  à  tout  risquer  et  pour  l'honneur  de  la  vérité,  nous 
devons  dire  que  nous  ne  connaissons  pas  le  n»  7  de  la  rue 
Pépin,  à  Douai,  ni  les  beuglants  du  boulevard  Crespel,  à  Arras, 
ni  la  rue  Malparl,  h  Lille,  ni  l'hôpital  où  cette  malheureuse 
termine  si  tristement  sa  misérable  vie.  Mais  il  est  une  chose  à 
l'égard  de  laquelle  nous  ne  pouvons  prétexter  d'ignorance,  c'est 
ce  misérable  cœur  humain,  ce  malencontreux  viscère  tout  gonflé 
de  vices  et  de  boue.  Lucie  Thirlache,  qui  ne  la  connaît  ou  ne  la 
devine.  Intelligence  crépusculaire,  dit  M.  Paul  Alexis  dans  la 
préface  qu'il  a  écrite  pour  C/iair  il/o/Ze,  «  volonté  capricante, 
vacherie  native  développée  dans  l'exercice  de  la  prostitution  ». 
Oh  !  c'est  bien  cela,  c'est  bien  ce  pauvre  être  dont  M.  Paul  Adam 
nous  développe  la  psychologie  avec  une  sincérité  poignante. 
Chez  lui,  tout  jeune  homme, —  M.  Paul  Adam  n'a  que  vingt  deux 
ans,  —  cette  conscience,  ce  sentiment  des  proportions  sont 
remarquables.  Il  est  bien  dans  le  courant  du  roman  moderne, 
psychologique  avant  tout.  On  ne  voit  d'ailleurs  dans  Chair  Molle 
que  le  personnage  central. 

Le  reste  est  peu  de  chose  :  des  épisodes  vulgaires,  des 
descriptions  sincères,  sans  doute,  mais  dépourvues  d'originalité. 
Nous  avons  lu  tout  cela  dans  Nana,  dans  la  Fille  Elisa,  dans  le 
Martyre  d'Annil y  dans  vingt  romans  dont  nous  ne  nous  rappe- 
lons plus  les  titres.  Mais  un  décor  mal  brossé,  une  action  où  le 
défaut  de  main  et  d'expérience  se  révêlent,  ne  font  pas  disparaître 
l'intérêt  de  l'étude  morale  et  sociale  qui  fut  le  principal  objectif 
de  l'écrivain. 


LES  mPRESSlOKNiSTES 

Premier  article. 

Le  groupe  de  peintres  qui,  pendant  plusieurs  années,  a  exas- 
péré Paris  par  l'indépendance  de  ses  expositions  et  à  qui  une 
pochade  de  Claude  Monet  appelée  «  Impression  »  au  cata- 
logue fit  donner  le  nom  ôi" Impressionnistes^  a  cessé  de  se  pré- 
senter au  public,  pour  divers  motifs  d'ordre  privé.   Certaine 


critique  feint  dé  croire  que  n'ayant  pu  réussir  divns  la  peinture 
à  l'huile,  ceux  qui  le  fondèrent  terminent  leur  existence  ratée  en 
décorant  humblement  des  éventailis  et  des  coffrets  pour  l'Amé- 
rique.  Il  n'en  est  rien,  heureusement.  Ces  courageux  et  fiers 
artistes  poursuivent  individuellement  leur  travail  incessant,  préfé- 
rant une  existence  modeste  aux  succès  que  leur  science  et  leur 
habileté  de  main  leur  auraient  assurés,  s'ils  se  fussent  astreints 
à  faire  quelques  concessions  au  public. 

Nous  pensons  que  quelques  notes  sur  les  plus  distingués 
d'entre  eux  intéresseront  nos  lecteurs,  leurs  noms  avant  été  cités 
fréquemment  dansées  derniers  temps  à  propos  du  Salon  des  XX* 
■■'  La  première  exposition  des  Impressionnistes  (laissons-leur 
ce  nom  qui  leur  fut  donné  par  dérision  et  qu'ils  adoptèrent 
fièrement),  eut  lieu  dans  les  magnifiques  locaux  de  Durand-Ruel, 
ce  marchand  intelligent  qui,  l'un  des  premiers,  osa  acheter  des 
Delacroix,  des  Rousseau,  des  Millet,  des  Corot.  Ils  se  réfugièrent 
ensuite  au  Boulevard  des  Capucines,  puis  Avenue  de  l'Opéra,  dans 
une  maison  non  encore  habitée,  et  enfin,  ils.  essuyèrent  les 
plâtres  de  plusieurs  bâtisses  du  même  quartier.  D'où  quelques 
spirituelles  plaisanteries,  dans  le  monde  et  dans  les  journaux, 
toujours  prêts  à  railler  toute  tentative  hardie  en  opposition  avec 
les  idées  reçues  et  la  convention.  Nombreuse  au  début,  la  société 
alla  diminuant;  elle  se  débarrassa  petit  à  petit  des  importuns 
dont  on  avait  dû  accepter  le  concours,  au  début,  pour  la  cotisa- 
tion qu'ils  payaient  régulièrement.  '     ■ 

Il  y  avait  là  des  noms  fort  estimés,  qui  donnaient  une  certaine 
autorité  aux  nouveaux  venus,  mais  dont  les  personnalités  étaient 
un  peu  effacées.  Manet  ne  voulut  jamais  déserter  le  salon  officiel 
des  Champs-Elysées,  où  il  avait  eu  tant  de  peine  à  se  faire 
admettre.  Les  fondateurs  du  groupe  furent  Claude  Monet,  Renoir, 
Degas,  Pissaro,  Sisley,  Cézanne,  Forain,  Raffaëlli,  Caillebolte, 
Mesdames  Berthe  Morisot  et  Marv  Cassatt  :  nous  ne  nous  occu- 
pons  que  des  principaux  chefs  du  mouvement.  '.  . 

._:  Claude  Monet,  dont  Manet  apprit  tant  et  qu'il  admira  passion- 
nément, est  le  véritable  inventeur  de  ï Impressionnisme^  avec 
Renoir,  qu'il  connut  à  l'atelier  Gleyre. 

A  ses  débuts,  il  avait  une  peinture  large  et  grasse,  non  sans 
analogie  avec  celle  de  Carolus  Duran. 

Il  obtint  même,  à  un  salon  officiel,  quelque  succès  avec  le 
portrait  d'une  dame  vêtue  d'une  robe  verte.  Mais  les  images 
japonaises,  qui  ont  eu  une  si  grande  influence  sur  l'art  contem- 
porain, initièrent  surtout  Monet  aux  coupes  inattendues  de 
paysages,  aux  colorations  franches,  crues,  vibrantes.  Il  fut  bientôt 
en  complète  possession  de  lui-même,  et,  ayant  acquis  un  métier 
merveilleux,  il  peignit  des  figures  de  femmes  en  blanc  sur  des 
pelouses  où  se  répandait  le  soleil  par  taches  dorées.  Il  abandonna 
enfin  tout-à-fait  le  visage  humain  pour  se  consacrer  aux  vues  de 
la  campagne,  et  de  l'océan. 

L'œuvre  de  Claude  Monet,  ce  bel  et  fort  artiste,  sera  l'étonne- 
ment  et  l'admiration  de  ceux  qui  l'apprécieront  plus  tard  dans  son 
ensemble.  La  santé  de  cette  peinture,  sa  simplicité,  sa  variété, 
sa  sûreté,  son  parfum  acre  ou  doux  de  nature  tendrement  inter- 
prétée, la  grandeur  du  dessin  et  de  la  mise  en  place,  la  coupe  de 
cha(iue  toile,  le  caractère  lisse  ou  fougueux  de  l'exécution,  selon 
qu'il  s'agit  de  représenter  un  effet  de  temps  calme  ou  d'orage, 
tout  est  d'un  maître.  Jamais  raffinement  de  tons  n'a  été  poussé 
plus  loin,  jamais  l'éclat  d'une  palette  n'a  été  tel.  Sans  aucun 
doute,  depuis  Corot,  c'est  le  plus  grand  paysagiste  qui  se  soit 
révélé  en  France. 


Renoir,  artiste  fin,  nerveux,  tournienté,  a  tout  essayé,  d^uis 
les  tableaux  de  batailles  qu'on  plaçait,  au  salon,  sur  ia  cimaise, 
jusqu'aux  nus  inspirés  parles  fresques  italiennes,  en  passant  par 
le  Paysage,  qui  rappelle  trop  celui  dé  Monet  avec  qui  il  travaillait, 
et  par  le  Portrait,  où  il  a  excellé.  Tantôt  empâtant  fortement  ses 
toiles,  tantôt  caressant  d'un  léger  frottis  une  joue  de  Parisienne, 
■  il  a  fait  d'exquises  têtes  d'enfants  et  de  femmes,  il  a  fait  vivre 
des  chairs  frémissantes.  Son  œuvre  considérable,  où  la  trace  de 
Delacroix  est  aussi  marquée  que  celle  des  portraitistes  du 
xviii^  siècle,  de  Rubens  et  des  pré-Rnphaëllistes,  forme  un 
ensemble  d'un  caractère  très-particulier,  et  sa  signature  est 
aussi  lisible  dans  ses  fleurs,  où  il  a  essayé  de  s'approprier  des 
tons  de  tapisserie,  que  dans  ses  études  orientales  et  dans  ses 
Vénitiennes,  où  il  a  cherché  et  -atteint  le  caractère  sobre  et  le 
style  ample  de  la  fresque. 

A  Paris,  qu'il  peignît  des  portraits  ou  des  scènes  de  bals 
publics  et  de  rues,  en  Angleterre,  à  Alger,  à  Venise,  à  Naples,  à 
Toulon,  partout  où  l'a  conduit  sa  fantaisie,  Renoir  a  poursuivi 
et  trouvé  l'expression  d'un  art  vraiment  neuf. 

Les  ouvrages  de  ce  coloriste  éperdu  ont  parfois  dos  reflets  de 
faïence,  d'émaux  et  de  pierreries  ;  parfois  ils  sont  hiirmonisés 
dans  des  gris  d'une  distinction  rare,  où  n'entre  jamais  le  noir. 
Quelques  études  de  Napolitaines  nues,  en  plein  air,  ont  la  fraî- 
cheur des  décorations  d'Herculauum,  tandis  que  certaines  natures- 
mortes  rapportées  de  Marseille  ont  une  chaleur  et  une  intensité 
de  métaux  en  fusion.  C'est  certes  une  des  organisations  les  plus 
troublantes,  les  plus  curieuses,  les  plus  passionnantes  que  nous 
connaissions.       .  " 

Sisley  n'est  qu'un  reflet.  Quoiqu'il  ait  débuté  en  même  temps  que 
Monet  et  Renoir,  il  semble  être  leur  élève,  fort  brillant  d'ailleurs. 

Pissaro,  lui,  est  le  doyen  de  cette  Ecole.  Il  est  sorti  de  Millet 
dont  il  a  un  peu  imité  les  scènes  de  campagne.  Mais  il  restera  de 
lui  une  centaine  de  paysages  admirables  do  vérité,  de  justesse  de 
valeur  et  de  franchise  décoloration.  Sa  plus  belle  époque  a  été 
son  séjour  en  Angleterre,  vers  1870.  A  Ponloise,  ou  il  a  vécu 
ensuite,  sa  facture  a  commencé  à  s'amoindrir  et  à  devenir  coton- 
neuse. Mais  il  suffit,  pour  le  classer,  de  songer  au  talent  remar- 
quable avec  lequel  il  a  interprêté  les  environs  de  Londres  et  ceux 
de  Paris.  Enfin,  Pissaro  est  un  des  rares  peintres  auxquels  on 
pense  quand  on  se  promène  dans  la  campagne;  est-ce  là  un 
mince  mérite  ? 

A  tous  ces  éléments  si  divers,  deux  femmes,  Miss  Mary  Cassatt 
et  Madame  Berihe  3Iorisot,  ont  ajouté  une  note  charmante.  Les 
effets  vaporeux  du  matin  sur  les  plages  et  dans  les  jardins  de  Paris 
ont  été  fixés  d'une  façon  délicieuse  par  Madame  Morisot,  tandis 
que  certains  éclairages  étranges  de  figures  maladives  dans  des 
appartements  luxueux,  ou  bien  au  théâtre,  étaient  rendus  avec 
intensité  par  Miss  Cassatt.  • 

Nous  voudrions  bien  parler  encore  du  maître  Degas  et  de 
Cézanne,  mais  chacun  d'eux  mérite  une  longue  et  sérieuse  ^tude. 
L'art  complexe  de  Degas,  si  plein  de  fantaisie  et  de  modernité, 
reposant  sur  les  bases  d'une  éducation  classique  des  plus  sévères, 
l'esprit  et  le  talent  de  cet  élève  d'Ingres  qui  a  conservé  toute  la 
rigueur  du  dessin  de  son  maître  et  sa  pureté  dans  la  représenta- 
tion de  la  vie  des  coulisses  el  des  courses,  ne  saurait  s'accom- 
moder de  quelques  lignes  d'analyse. 

La  tâche  n'est  pas  plus  aisée  pour  Cézanne,  qui,  avec  ses 
faiblesses  enfantines,  est  pourtant  l'auteur  de  quelques  chefs- 
d'œuvre  de  couleur. 


^ 


86 


rkRT  MODERNE 


j^ONCERT    JîAMOUREUX 


Chacun  des  concei'ts  de  M.  Lamoureux  est  décidément  comme  une 
date  de  victoire  pour  le  drame  lyrique,.pour  l'ample  et  libre  musique 
de  scèue  telle  que  Berlioz  en  avait  jeté  les  bases  et  telle  que  l'a  défi- 
nitivement bâtie  Richard  Wagner. 

Hier  c'était  une  seconde  audition  du  deuxième  acte  de  Tristan  et 
Yseult,  une  suite  de  pages  hardies,  profondes,  humaines,  ardentes, 
où  les  chanteurs,  en  dehors  de  toute  régularité  mélodique,  parlent 
la  vraie  langue  passionnée,  où  l'orchestre  répand  comme  l'impression 
de  la  nature  ambiante,  tantôt  l'ombre  qui  remplit  les  lointains  des 
vastes  avenues  d'arbres,  tantôt  les  langueurs,  lès  souffles  lourds,  les 
voix  émues  d'une  splendide  nuit  d'été,  tantôt  l'ère  historique,  la 
majesté  féodale  du  paUis  aux  grandes  tours,  endormi  dans  un  repli 
de  la  forêt  où  bruit,  la  rumeur  d'une  chasse  aux  tlambeau^,  l'épaisse 
structure  de  l'escalier  de  pierre  que  va  descendre  Yseult  pour 
s'élancer  au  rendez-vous  d'amour.  ' 

Et  voilà  qu'elle  prend  sa  volée,  cette  scène  d'extase  entre  les  deux 
amants;  ils  maudissent,  eu  longs  cris  de  souffrance,  la  lumière  du 
jour  qui  les  fait  étrangers  l'un  à  l'autre,  ils  ont  les  mots  fous  et  sans 
suite  qui  se  mêlent  aux  embrassements  après  l'absence,  leurs  voix 
caressent  de  pleurs  cette  nuit  si  douce  qu'ils  n'en  peuvent  plus  fuir 
l'ivresse,  cette  nuit  dans  laquelle  ils  vont  se  laisser  surprendre 
enlacés... 

Wagner,  dans  ces  situations  qui  le  montrent  dramaturge  hors 
ligné,  s'élève  comme  musicien  aux  dernières  sévérités  de  son  art, 
c'est  le  bruit  épique,  l'accent  juste  et  remuant  de  la  vie,  la  tendresse 
intime  des  émotions,  ce  n'est  jamais  le  vain  désir  de  séduire;,  fou- 
gueuse ou  sereine,  sa  mélopée  s'arrête  à  la  limite  du  chant  précis 
qui  parfois  veut  s'imposer  à  son  inspiration.  Il  semble  un  poète  qui, 
par  haine  du  banal,  étrauglerait,  quelque  riche  qu'elle  soit}  la  rime 
attendue.  L'artiste  que  Wagner  porte  en  lui,  violemment  il  l'écarté 
pour  laisser  place  au  descripteur,  au  traducteur  musical  des  sensa- 
tions positives,  des  naturelles  harmonies. 

Et  le  public,  en  une  attention  solennelle  et  vibrante,  écoute  ces 
hautes  phrases  entrecoupées^ces  tragiques  récitatifs,  ces  formidables 
entassements  d'accords  dont  la  splendeur  indomptée  va  souvent  jus- 
qu'à des  perspectives  hors  d'atteinte.  C'est  là  lapas  considérable  fait 
piar  l'éducation  musicale  du  tout  Paris,  c'est  là,  surtout,  le  fait  à  ins- 
crire dans  les  bulletins  de  victoire  de  M.  Lamoureux. 

Mais  à  quand  le  décor,  les  allées  d'arbres  toutes  noires  où  Yseult 
plonge  le  regard  et  guette  l'arrivée  de  Tristan  ;  la  torche  qui  flambe 
sur  l'escalier  de  pierre  et  qu'on  éteint  pour  livrer  l'espace  à  là  nuit* 
d'amour,  la  plateforme  de  la  tour  où  Brangaine  veille  sur  la  solitude 
des  deux  amants?  A  quand  la  mise  en  scène  si  noblement  artiste  qu'a 
dictée  le  génie  de  Wagner? 

Jusque-là,  c'est  un  charme  inexprimable  d'entendre  la  merveil-' 
leuse  interprétation  de  l'orchestre  de  M.  Lamoureux  et  de  suivre  le 
drame  si  puissamment  rendu  par  M*"*  Montalba,  toute  frémissante 
dans  le  rôle  d' Yseult ,  par  M.  Van  Dyck  qui  réalise  avec  tant  de  sin- 
cérité le  personnage  de  Tristan,  par  M™«  Boidin-Puisais  dontJa  voix 
sympathique  se  prête  si  bien  aux  accents  tristes  de  Brangaine. 

N'oublions  pas  qu'à  la  grande  joie  du  public,  ce  superbe  concert 
avait  pour  complément  de  son  programme  des  fragments  du  Songe 
de  Mendelssohn  et  l'ouverture  d'Euryanthe.  Exécution  irréprochable 
comme  toujours.  {La  Justice. ) 


Jhéatrep 

Théâtre  de  la  Monnaie.  —  Le  succès  éclatant  des  Maitres- 
Chanteurs  s'aflirme  davantage  àchaque  représentation.  Lé  public 
rappelle  les  artistes  après  tous  les  actes.  Le  deuxième,  qui  se  termine 
par  la  fameuse  bagarre,  est  particulièrement  acclamé. 


Vendredi,  à  la  quatrième  représentation,  l'algarade  de  Beckmes- 
ser  a  failli  être  continuée  dans  la  salle.  Un  monsieur  grincheux  ayant 
eu  l'imprudence  de  régaler  l'auditoire,  en  guise  de  sérénade,  d'un 
coup  de  sifflet,  après  la  doubla  ovation  qui  avait  suivi  la  chute  du 
rideau  sur  le  deuxième  acte,  toute  la  salle  a  riposté  par  une  nou- 
velle salve  d'applaudissements  et  de  bravos.  Les  spectatrices  mêmes 
ont  fait  le  coup  de  feu,  claquant  des  mains  avec  frénésie,  tandis  que, 
du  fond  des  loges,  des  stalles,  du  parterre,  du  paradis,  partaient  les 
acclamations  et  les  cris.  ,         ,    , 

Le  monsieur  n'a  pas  jugé  à  propos  de  renouveler  sa  tentative. 

Mardi  prochain  aura  lieu  la  cinquième  représentation.^ 

Théâtre  du  Parc.  —  La  représentation  au  bénéfice  de  M"«  Renée 
Sigall,  l'aimable  pensionnaire  de  M.  Candeilh,  est  fixée  à  mardi  pro- 
chain. On  jouera  Tête  de  Linotte^  l'amusante  comédie  de  Gondinet, 
dans  laquelle  la  bénéficiaire  a  créé  avec  l'étourderie  charmante  qu'on 
a  tant  applaudie,  le  rôle  de  Céleste  Champonet.  Le  spectacle  com- 
mencera par  La  Cravate  blanche i 

Théâtre  Molière.  —  C'est   samedi  prochain,  21  courant,  que 
passera  le  Prince  Zilah,  de  Claretie,  le  récent  succès  du  Gymnase. 
En  attendant,  la  joyeuse  Ca</noïfe  tient  l'affiche. 

Théâtre  de  l'Algazar.  —  M»»*  Léaut  annonce  pour  samedi  là 
re^prise  de  Fatinitza. 

pIBX-lOQRAPHIE    MU^ICAJ-E 

On  sait  combien  il  est  souvent  difficile  de  déchiffrer  la  musique 
manuscrite,  chaque  compositeur  ayant  dans  la  façon  de  tracer  les 
signes  de  la  notation  des  habitudes  personnelles  et  fantaisistes. 
Débrouiller  les  palimpsestes,  le  Koua,  le  Neskhy,  le  Koufique  n'est 
rien  à  côté  de  la  peine  qu'on  a,à  lire  certains  musiciens. 

Prenant  le  mal  à  sa  racine,  un  Allemand,  M.  Emile  Breslaur,  a 
imaginé  d'enseigner  aux  enfants  à  écrire  de  la  musique  comme  on 
leur  apprend  à  tracer  les  lettresde  l'alphabet.  Il  vient  de  publier  chez 
MM.  Breitkopf  et  Hârtel  une  série  de  cahiers  gradués  comprenant 
tous  les  exercices  possibles  de  l'écriture  musicale. 

L'idée  est  bonne,  et  nous  la  recommandons.  Une  traduction  fran- 
çaise des  courtes  explications  qui  accompagnent  chaque  fascicule 
pourrait  être  utile  et  rien  n'empêcherait   alors  de  répandre  les 
Cahiers  d'écriture  musicale  de  M.  Breslaur  dans  les  établissements 
'belges  d'instruction. 

Signalons  aussi,  chez  les  mêmes  éditeurs,  la  publication  des 
œuvres  inédites  de  J.-N.  Lemmens,  l'éminent  organiste  belge  qui  a 
fondé  à  Malines  l'école  de  musique  religieuse.  Le  tome  deuxième 
vient  de  paraître.  Il  est  consacré  aux  chants  liturgiques,  avec  accom- 
pagnement d'orgues,  et  contient,  avec  une  introduction  donnant  sur 
les  mélodies  grégoriennes  des  indications  précises:  1<>  Des  exemples 
de  mélopées  ;  2o  messe  des  doubles  et  des  fêtes  solennelles  ;  3°  messe 
de  Requiem,  avec  les  répons  Libéra  me  et  Qui  Lazarum  ;  4°  cinq 
antiennes  à  la  Vierge  ;  5°  Trente  hymnes,  entre  autres  le  Te  Deum. 

L'ouvrage,  magnifiquement  gravé  sur  fort  papier,  est  en  vente  au 
prix  de  15  francs. 


jlÎHF^OJMIQUE  JUDICiyVlRE  DE^  /.f\T^  ' 

La  Conférence  des  avocats  s'est  réunie  dernièrement,  sous  la 
présidence  de  M.  Oscar  Falateuf,  ancien  bâtonnier,  pour  discuter  la 
question  suivante  : 

"  Un  artiste  peut-il,  en  dehors  de  toute  intention  diffamatoire, 
reproduire  sans  autorisation  la  physionomie  d'un  tiers.  » 

La  Conférence,  après  avoir  entendu  M"  Lemillieux  et  Habert 
pour  l'affirmative.  M»»  Lafon  et  Deshoulières  pour  la  négative,  et 
Me  A.  Naumois,  rapporteur,  s'est  prononcée  pour  l'affirmative. 


y 


MEMENTO  DES  EXPOSITIONS  ET  CONCOURS 

Anvers.  —  Exposition  universelle.  Mai  à  octobre  1885. 

Anvers.  — Salon  des  refusés  et  exposition  des  artistes  indépen- 
dants. Ouverture  en  mai.  Pour  tous  renseignements  s'adresser  au 
secrétaire  du  Cercle  des  artistes  indépendants,  i y  rue  de  l'Angle, 
Bruxelles. 

Bruxelles  — ■  25*  exposition  de  la  Société  des  aquarellistes. 
Ouverture  le  4  avril  1885.  —  Exposition  des  Hydrophiles.  Ouverture 
prochainement.  —  IIP  exposition  de  Blanc  et  Noir  à  l'Essor. 
Mai  1885.  —  Exposition  historique  de  gravure,  par  le  Cercle  des 
aquarellistes  et  aquafortistes.  Mai  1885.  • 

Londres.  —  Exposition  internationale  d'instruments  de  musique. 
Ouverture  en  mai  1885,  à  South -Kensington.  —  Exposition  inter- 
nationale et  universelle  d'Alerandra-Palace  Du  31  mars  à  la  fin  de 
septembre.—  Exposition  de  la  Royal  Academy.  Ouverture  le  l*""  mai. 
Délais  d'envoi  :  peintures,  les  27,  28  et  30  mars  :  sculptures,  le 
31  mars. 

Nuremberg.  —  Exposition  internationale  d'orfèvrerie,  de  joaille- 
rie, de  bronzes,  etc.  Du  15  juin  au  30  septembre  1885. 

Paris.  —  Salon  de  iSS5.  —  l^  mai  au  30  juin  1885.  — Peinture, 
dessins,  etc.  Dépôt  des  ouvrages  au  Palais  des  Champs-Elysées,  du 
5  au  14  mars.  —  Sculpture,  Gravure  en  méd.  et  sur  p.  f.  Dépôt 
du  21  mars  au  2  avril.  —  Architecture.  Dépôt  du  2  au  5  avril.  — 
Gravure  et  Lithographie.  Dépôt,  du  2  au  5  avril. 

Id.  —  Exposition  internationale  de  Blanc  et  Noir,  organisée 
par  Le  Dessin,  au  Palais  du  Louvre  (pavillon  de  Flore).  Du  15  mars 
au  30  avril. 

Rotterdam.  —  Du  31  mai  au  12  juillet.  Dernier  délai  :  16  mai. 
Renseignements  :  M.  Veders,  secrétaire,  42,  Boompjes,  Rotterdam. 

Gand.  —  Statue  du  docteur  Joseph  Guislain.  (Voir  l'Art  moderne 
du  1er  mars.) 

Paris.  —  Statue  de  Paul  Broca.  (Voir  ÏArt  moderne  du 
1er  mars.)     -/■':■' ':-'-^' ■.':■  '■:'■    -•;-":'■'■■■'■.,  \.  .',  ■:;^  ■■-'■■_-:•■■■  ;    .^ 

RiCHMOND  (Virginie).  —  Concours  pour  un  monument  à  Robert 
Lee,  jusqu'au  le»"  mai  1885. 

Saint-Nicolas.  —  Concours  de  gravure  du  Journal  des  Beaux- 
Arts.  (Voir  V Art  moderne  an  i^^  Tasivs.) 

Vienne.  —  Concours  pour  l'érection  d'un  monument  à  Mozart. 


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ETITE    CHROJ^jqUE 


M'ie  Luisa  Cognetti  a  donné  hier,  au  Grand-Hôtel,  devant  un 
public  restreint  d'invités,  une  matinée  musicale  qui  a  produit  une 
excellente  impression  sur  l'auditoire.  L'heure  de  notre  mise  en  pages 
ne  nous  permet  pas  de  donner  une  appréciation  étendue  sur  le  jeu 
brillant  et  la  remarquable  virtuosité  de  la  jeune  pianiste, .élève  de 
Liszt  et  de  Rubinstein.  Disons  seulement  que  l'artiste  a  joué  super- 
bement divers  morceaux,  notamment  une  Etude  de  Rubinstein  et 
la  transcription  de  Liszt  du  Roi  des  Aulnes  de  Schubert,  dans  les- 
quels M"e  Cognetti  a  déployé  une  sonorité,  une  sûreté  d'attaque,  un 
mécanisme,  spécialement  dans  les  octaves,  de  tout  premier  ordre. 


Camille  Van  Camp,  Edmond  Picard  et  Albrecht  De  Vriendt,  les 
nouveaux  membres  du  jury  belge  des  Beaux-Arts  à  l'Exposition 
d'Anvers,  viennent  de  convoquer  au  local  du  Petit-Paris,  rue  Du- 
cale, à  Bruxelles,  pour  mercredi  prochain,  18  mars,  à  8  heures,  les 
artistes  qui  représentent  l'art  belge  contemporain  d'après  les  prin- 
cipes affirmés,  il  y  a  une  vingtaine  d'années,  lors  de  la  fondation  de 
VArt  Libre  par  Van  Camp,  Baron,  Dubois,  Verwée,  Hermans,  Bou- 
lenger,  Artan,  etc.,  et  qui,  depuis,  sont  devenus  la  caractéristique 
de  notre  art  nouveau  dans  ses  manifestations  si  variées. 

Il  s'agit  d'examiner  en  commun  les  principes  que  ces  [messieurs, 
qui  prennent  ouvertement  le  rôle  de  mandataires  de  cette  partie 
importante  de  notre  école,  auront  à  défendre  dans  les  réunions  du 
jury.  Ils  tiennent  à  être  constamment  en  rapport  avec  l^s  intéressés 
qu'ils  ont  charge  de  représenter. 


Le  dernier  concert  populaire,  fixé  au  12  avril,  ne  pourra  avoir  lieu 


que  le  19,  la  traduction  de  certaines  œuvres  qui  y  seront,  exécutées 
ne.  pouvant  être  terminée  à  temps. 

M.  Heuschling  donnera  le  28  courant,  à  8  1/2  heures,  avec  le  con- 
cours de  Mi'e  L.  Dumonceau  et  de  M.  C.  Marchai,  un  concert  à  la 
Grande-Harmonie.  L'excellent  baryton  chantera  la  scène  du  con- 
cours de  Tannhauser,  le  cycle  de  douze  mélodies  Blondina  de  Gou- 
nod,  des  romances  de  Lassen  et  de  Rubinstein  et,  avec  M^'"  Dumon- 
ceau, le  duo  de  Don  Juan  et  celui  des  Papillottes  de  M.  Benoist,  de 
Rébert.  On  entendra  en  outre  deux  mélodies  de  Bizet,  dites  par 
M""  Dumonceau,  et  divers  morceaux  pour  le  violoncelle,  joués  par 
M.  Marchai.        • 

M.  Peter  Benoit  vient  d'être  atteint  dans  ses  plus  chèrcss  affections 
par  la  mort  de  sa  mère,  décédée  à  Wyneghem,  à  l'âge  de  76  ans. 
Confidente  des  projets  et  des  luttes  artistiques  de  son  fils,  elle  n'a 
cessé  de  lui  prodiguer  les  plus  précieux  encouragements  ;  aussi  tous 
les  amis  du  chef  de  l'Ecole  nausicale  d'Anvers,  savent  combien  était 
profond  son  attachement  pour  sa  digne  mère  et  combien  la  sépara- 
tion doit  lui  être  cruelle. 

Les  deux  groupes  allégoriques  que  MM.  Vander  Stappen  et  De 
Vigne  ont  été  chargés  d'exécuter  pour  la  façade  du  Palais  des  Beaux- 
Arts,  rue  de  la  Régence,  sont  terminés  et  prêts  à  être  envoyés  à  la 
fonte  pour  être  coulés  en  bronze. 


Quatre  grandes  solennités  musicales  auront  lieu  à  Ajivers,  dans  la 
salle  des  fêtes  du  Palais  de  l'Exposition.  On  parle  d'une  exécution  de 
VOcéan,  de  Rubinstein,  et  d'une  messe  de  Liszt. 
•  - 

On  annonce  d'Amsterdam,  le  décès  d'un  jeune  artiste  belge, 
Eugène  Baudot,  premier  violon  au  Palais  de  l'Industrie. 

Baudot  était  né  à  Wavre  en  1855.  Il  fit  ses  éludes  au  Conservatoire, 
de  Bruxelles,  dans  les  classes  de  Léonard  et  de  Vieuxtemps.  Plus 
tard,  il  se  fit  entendre  avec  succès  en  Allemagne. 

Baudot  a  laissé  de  sympathiques  souvenirs  parmi  les  artistes  de 
Bruxelles  et  sa  perte  sera  très  regrettée. 


On  exécutera  à  Paris,  les  26  et  30  mars,  dans  la  salle  du  Château 
d'Eau,  sous  la  direction  et  avec  l'orchestre  de  M.  Lamoureux,  une 
intéressante  partition  du  compositeur  viennois  Adalbert  de  Gold- 
schmidt,  les  Sept  péchés  capitaux. 

Nous  publierons,  à  cette  occasion,  une  étude  sur  le  jeune  musicien 
encore  inconnu  en  pays  latin,  mais  dont  la  réputation  sera,  pensons- 
nous,  faite  rapidement. 

Le  compositeur  Karl  Goldmark,  auteur  de  la  Reine  de  Saba,  l'un 
des  opéras  qui  ont  obtenu  le  plus  de  succès  en  Allemagne  dans  ces 
dix  dernières  années,  est  en  ce  moment  à  Gmunden,  où  il  vient  de 
ternainer  un  nouveau  drame  lyrique  :  Merlin. 


Les  expositions  particulières  à  Paris  : 

Le  20  février  s'est  ouverte,  au  Palais  des  Champs-Elysées,  l'expo- 
sition des  femmes  peintres  et  sculpteurs,  qui  restera  ouverte  jusqu'au 
22  avril. 

C'est  le  6  mars  que  s'est  ouverte,  à  l'Ecole  des  beaux-arts,  l'expo- 
sition de  l'œuvre  d'Eugène  Delacroix. 

L'Entrée  des  croisés  à  Constantinople  a  été  prêtée  par  l'admi- 
nistration des  Beaux-Arts.  Après  cette  Exposition  ce  tableau  sera 
placé  au  musée  du  Louvre. 

Le  ler  mai,  au  même  local,  ouverture  de  la  2">e  exposition  de 
portraits  du  siècle. 

L'exposition  des  œuvres  de  Bastien-Lepage  s'est  ouverte  hier,  à 
l'hôtel  de  Chymay,  17,  quai  Malaquais.  L'administration  des  Beaux- 
Arts  vient  d'acquérir  une  des  grandes  toiles  de  l'artiste  :  Récolte  des 
pommes  de  terre  au  prix  de  25,000  francs  Ajoutons  que  Bastien 
Lepage,  en  mourant,  a  légué  au  Louvre,  quatre  portraits  de  mem- 
bres de  sa  famille,  parmi  lesquels  celui  du  Grand-père  qui  a  figuré 
au  Salon  de  1874.  Ces  portraits  devront  rester  en  possession  de 
M.  Emile -Bastien  Lepage,  frère  du  peintre,  sa  vie  durant.  Nous 
apprenons  que  deux  toiles  de  J.  Bastien  Lepage  oui  été  adjugées  en 
vente  publique  à  Londres  le  28  février  :  Pas  mèche.,  au  prix  de 
11,025  francs,  et  Le  Père  Jacques,  du  Salon  de  1882,  au  prix  de 
13,500  francs.  Celle  des  œuvres  de  Gustave  Doré  est  actuellement 
ouverte  au  Cercle  de  la  librairie.  Celle  des  œuvres  de  Ribot  s'ouvrira 
r  sous  peu  à  la  Galerie  des  artistes  modernes,  rue  de  la  Paix,  5. 


88 


UART  MODERNE 


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Les  annonces^ont  reçues  au  bureau  du  journal, 
26,  rue  de  V Industrie,  à  Bruxelles. 

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Libretto  .        .       .       .      -.        .       .       .       .... 

Benoit.  Les  motifs  typiques  des  Maîtres  chanteurs  .       .       . 

.      ARRANGEMENTS  POUR  PIANO  A  2  MAINS 


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Oiivertwe,  Introduction      .       .       .        .       .       .       .     ,  . 

Za  même,  arraiig.  par  H.  de  Bulow   .       .       .       .       .       . 

introduction  du  3*  acte, .       . 

£<?i/e>",  i?*.  Répertoire  des  jeunes  pianistes        .       , 

.  "        Bouquet  de  Mélodies  .        .        .        .        .       .   '    . 

2?n/nne>',  C  Trois  transcriptions,  chaque-       .       .       ,       . 
^w/oio,  .ff.  (de).  Réunion  des  Maitres  chanteurs       .       . 
«  Paraphrase  sur  le  quintuor  du  3*  acte    . 

Cramer,  H.  Pot-pourri         .       .   : 

»  Marche     .        .        .        .    •    .        .        . 

«  Danse  des  apprentis       ^       .       .       .       .       . 

Gohbnert'i,  L.  Fantaisie  brillante        .        .        .        .        .        . 

Jaell,  A.  Op.  1;^.  Deux  transcriptions  brillantes  ("Werbegesang- 
Preislied),  chaque       ........ 

Op.  148.  Au  foyer   .,....,.. 

Lassen,  E.  Deux  transcriptions  de  salon,  n'  l 

"'  "  n*  II.       .       .       .       . 

Leitert.  Op.  26.  Transcription 

Rair,  J,  Réminiscences  en  quatre  suites,  cahier  I  et  II,  à 

cahierlTI.       .       .       , 
^  cahier  LV.       .       .       , 

7?u_pp,  ff.  Chant  de  Walther   -— .       .       ... 

ARRANGEMENTS  POUR  PIANO  A  4  MAINS  : 

X^t  Par(;ï/o>i  complète         .        .        .       ~  - ^^    - ^- 

f^j/îTj'/i/jv.  Introduction  par  C.  Tausig     .       .       .       .       .       . 

Beyer,  F.  Revue  mélodique        .       . 

B'floïc,  H.  (de),  IjSl  réunion  des  Maîtres  chanteurs,  paraphrase     . 

Cramer,  H.  Pot-pourri.       .       . 

Marche      .       .       .       .       .       .       .       .       . 

De  Vilbac.  Deux  illustrations,  chacune    .       ... 


.  ARRANGEMENTS  DIVERS  : 

OMi'O'fîO'e  pour  2  pianos  à,8  mains    ...       . 
G>Tpo«r  ef  Z,»îoHO>-ri.  Duo  pour  violon  et  piano.       .       .       . 
Kaslfier,  E.  Paraphrase  pour  orgue-mélodium.     —7 
Lux,  F.  Prélude  du  3*  acte  pour  orsrue     .       . 
Obc/'f/jMJ%  C/j.  Chant  de  Walther  pour  harpe    .       .      -, 
SingeUe,  J.  B.  Fantaisie  brillante  pour  violon  et  piano  . 
Gnlternxan.  Chant  de  Walther,  pour  violoncelle  et  piano 
■\<7c/ferfe,  F.  (âr).  Morceaux  lyriques  pour  violoncelle  et  piano 
N' 1.  Walther  (levant  les  Maîtres 
N*  2.  Chant  de  Walther       .       .       .       . 
Wilhelmj,  A.  Chant  de  Walther,  paraphrase  pour  violon  avec 
accompag.  d'orchestre  ou  de  piano.  Partition 
L'accompagnement  d'orchestre. 

"  de  piano      .       .       .       . 


2    « 

1  50 


25    » 

2  . 

3  . 
1    » 

1  75 

2  25 
1  75 
1  75 

1  75 

2  « 
1  25 

1  75 

2  « 

'2    « 
2  25 

2        r. 

2  25 

1  35 

2  2$ 
2  « 
2  50 
1  75 


35  « 
3  50 
2  25 

2  25 

3  50 

2  25 

3  75 


6  .. 
4  « 
1  50 

1  . 

2  « 

3  ^ 
I  25 

1  25 

2  25 


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5  - 
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Cinquième  année.  —  N**  12 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  22  Mars  1885. 


y 


MODERNE 


PARAISSANT    LE     DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,   un  an,   fr.   10.00;  Union  postale,   fr.    13.00.    —  ANNONCES  :    On   traite  à   forfait. 


•  Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 

l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  riie  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


y 


Nous  remettons  à  Dimanche  prochaiyi^  faute  d'es- 
pace., notre  deuxième  article  sur  les  Impressionnistes 
et  le  compte-rendu  des  expositions  de  Bastien-Lepage 
et  de  Ribot.    •;  :-:-P-\  .■  :  ■ 

__   ...  .  '    ..  :  ■   ^oMMAiRE  .°-  • , .  •'    ;'  .      ■ 


Exposition  d'Anvers.  Réunion  des  artistes  bruxellois.  —  L'Ex- 
position d'Eugène  Delacroix.  —  Adalbert  de  Goldschmidt.  I.  Les 
Sept  péchés  capitaux.  —  Documents  a  conserver.  A  propos  du 
groupe  de  Paul  Dev igné.  — ■  Théâtres.  Théâtre  du  Parc.  Denise. 
—  Au  Cercle  artistique.  Exposition  Cassiers-Numans.  —  Publi- 
cations nouvelles.  —  Le  dîner-spectacle.  —  Le  jury  du  Salon 
dk  Paris.  —  Petite  chronique.,  '     .  . 


EXPOSITION      D'ANVERS     . 

RÉUNION  DES  ARTISTES  BRUXELIOIS 

Les  trois  membres  du  jury  d'admission  à  l'Exposilion  des 
Dcaux-Arls  d'Anvers,  nommés  en  dernier  lieu,  avaient  convoqué 
pour  mercredi  soir  dans  la  salle  du  Petit-Paris  les  artistes  de 
raçrgloniéralion  bruxelloise,  pour  examiner  les  mesures  à  pren- 
dre dans  leur  intérêt  commun. 

L'assemblée  était  nombreuse.  La  jeune  école  était  représentée 
dans  toutes  ses  expressions.  Voici  quelques  noms  qui  en  témoi- 
gnent :  31M.  Cooscmans,  Ileymans,  V'an  Camp,  Van  der  Hecht, 
DeVriendt,  Van  den  D,ussche,  Nelson,  Herbo,  Van  Ilammée,  Chai- 
naye,  Cassiers,  de  Regoyos,  Capeinick,  Meuniei*,  Asselbergs,  Frédé- 
ric, Hannon,  Seeldrayers,  Bouvier,  Mellery,  Verheyden,  Hamesse, 
Duyck,  Van  Gelder,  Lambrichs,  Serrure,  Van  den  Eeden,  Vos, 
Namur,    Parmenlier,    Halkell,   Lynen,    Lagae,   Verdyen,   Tiiz, 


Lcmayeur,  Mignon,  Dandoy,  Van  Lecmpuilen,  iïoclerickx,  Mayné, 
Lebrun,  Monligny,  Hermanus,  M"'^  Gilsoë. 

M.  Arthur  Slevens  était  également  à  la  réunion.  La  presse 
était  représentée  par  MM.  de  Haulleville,  Max  Waller,  Léon 
Lequime  et  Octave  Maus.         '•; 

M.  Coosemans,  membre  du  jury,  s'est  placé  au  bureau  avec 
MM.  Aelbrechl  De  Vriendt,  Edmond  Picard,  président,  Camille 
Van  Camp,  Vandenbussche,  secrétaire. 

31.  Edmond  Picard  a  déclaré  que  le  bureau  reprenait  pour  son 
compte  le  programme  de  la  Société  libre  des  Beaux-Arts,  publié 
en  1872  dans  r^r/ /«&/'<?,  dont  il  est  donné  lecture  et.,  qui  est 
ainsi  conçu  :  ... 

Les  artistes  sont  aujourd'hui,  comme  ils  l'ont  jtresque  toujours 
été,  divisés  en  deux  partis  :  les  conservateurs  quand  même,  et  ceux 
qui  pensent  que  l'art  ne  peut  se  soutenir  qu'à  la  condition  de.se 
transformer. 

Les  premiers  condamnent  les  seconds  au  nom  de  la  tradition.  Ils 
prétendent  qu'on  ne  saurait  s'écarter,  sans  faillir,  de  limitation  de 
certaines  écoles  ou  de  certains  maîtres  déterminés. 

lu" Art  libre  se  propose  de  réagir  contre  ce  dogmatisme  qui  serait 
la  négation  de  toute  liberté,  de  tout  progrès,  et  qui  se  fonde  en  der- 
nière analyse  sur  le  mépris  de  notre  vieille  école  nationale,  de  ses 
maîtres  les  plus  illustres  et  de  ses  chef^-d'œuvre  les  plus  originaux. 

lu' Art  libre  admet  toutes  les  écoles  et  respecte  toutes  les  origij-^ 
nalités  comme  autant  de  manifestations  de  l'invention  et  de  l'obser-    ^ 
vation  humaines. 

Il  croit  que  l'art  contemporain  sera  d'autant  plus  riche  et  plus 
prospère  que  ses  manifestations  seront  plus  nombreuses  et  plus 
variées. 

Sans  méconnaître  les  immenses  services  rendus  par  la  tradiiiou» 
prise  comme  point  d'appui,  elle  ne  connaît  d'autre  point  de  départ 
pour  les  recherches  de  l'artiste  que  celui  d'où  procède  le  renouvelle- 
ment de  l'art  à  toutes  les  époques;  c'est-à-dire  l'interprétation  libre 
et  individuelle  de  la  nature. 


La  séanco  a  duré  deux  liciircs.  On  y  a  discuU''  et  adopl.é  les 
proposilions  suivantes  piésenlécs  parle  bureau,  presque  toutes 
à  l'unanimité  :    -'      ■     ■• -. — -^ 

4"  Convocation  des  artistes  j)endanl  toute  la  durée  du  mandat  • 
donné  aux  membres  du  jury,  cliaque  fois  (|uo  surgira  une  (jues- 
lion  importante  ;  i 

2"  Plus  de  secret  pour  toutes  les  opérations  du  jury,  y  compris 
le  vote  sur  l'admission  ou  le  refus  des  œuvres  ; 

3°  Les  trois  membres  nommés  en  dernier  lieu  ayant  été  appe- 
lés h  représenter  plus  spécialement  la  jeune  école  dans  toutes  ses 
expressions,  il  y  a  lieu  de  les  faire  entier  dans  la  commission  de 
placement; 

•i"  Il  y  a  lieu  d'autoriser, tout  exposant  à  déclarer  qu'il  n'entend 
pas  se  mettre  sur  les  rangs  pour  les  réeompeiises  h  décerner  par 
le  jury  et  qu'il  reste  hors  concours  ; 

o'*  Il  y  a  lieu  d'émettre  le  vceu  que  tous  h^s  membres  du  jury 
déclarent  qu'ils  entendent  que  les  œuvres  qu'ils  j)Ourront  exposer 
ne  participent  })ns  aux  récompenses  non  plus  qu'aux  achats  pour 
la  lolei'ie.  MM.  DcVriendtet  Van  Camp  font  dès  à  |)n''sent  celte 
déclaration. 

6°  Le  règlement  de  l'Exposition  d'Anvers  ne  permettant  j)as  la 
suppression  dés  médailles,  y  a-l-il  lieu  néanmoins  d'émettre  un 
vœu  pour  la  sui)pression  de  ces  récompenses  dans  les  exposi- 
tions futures  et  de  pétitionner  en  ce  sens? 

M.  Juliaan  De  Vriendt  a  formulé  une  septième  j)roposition 
dans  les  termes  suivants  ;  elle  a  également  été  adoptée  :  ., 

7^  Aucun  bon  tableau  ne  sera  écarté  faute  de  place,  alors  que 
d'autre  part  on  aura  acec[)té  d'un  même  artiste  un  nombre  d'œu- 
vres  dépassant  un  certain  chiffre.  Le  cas  échéant,  la  commission 
priera  l'artiste  dont  l'envoi  excède  un  maximum  à  désigner  à 
retirer  le  surplus,  afin  de  pouvoir  arriver  en  faveur  de  ses  con- 
frères à  une  distribution  de  place  équitable. 

M"^'^  (iilsoë  s'est  plainte  de  ce  que  la  i)einture  céramique  était 
exclue  de  l'Exposition.  L'assemblée  a  voté  à  ce  sujet  la  propo- 
sition que  voici  : 

8"  Le  bureau  adressera  au  gouverncmeut  une  demande  pour 
demaneici-"  la  suppression  de  la  disposition  du  règlementqui  écarte 
la  peinture  céramique  du  compartiment  des  lieaux-Arls. 

Nous  donnons  plus  loin  le  texte  de  la  lettre  qui  a  été  écrite 
dans  ce  but  à  M.  le  commissaire  général  du  gouvernement. 

Au  cours  de  la  discussion  il  a  été  donné  lecture  de  curieux 
documents  relatifs  au  secret  du  vote  et  à  la  suppression  des 
médailles.  Nous  les  reproduirons  dans  notre  prochain  numéro. 

3L  Picard,  au  nom  du  bureau,  a  exprimé  le  vœu  de  voir  les 
artistes  toujours  nombreux  à  ces  réunions  où  sont  discutés  leurs 
intérêts.  Le  bureau  espère  que  ce  précédent  entrera  dans  les 
mcjîurs  et  supprimera  l'isolement  dans  lequel  ce  groupe  si  inté- 
ressant de  notre  activité  nationale  a  été  jusqu'ici  maintenu. 

■i- 

LA  PELNTURE  CÉRAMIQUE  A  L'EXPOSITION  DES  BEAUX-ARTS 

A  ANVERS 

Monsieur  le  Commissaire  général, 

I)an.s  une  nombreuse  réunion  d'artistes  qui  a  eu  lieu  hier  soir, 
parmi  les  questions  qui  ont  été  examinées  se  trouvait  notamment 
celle  de  savoir  s'il  n'y  avait  pas  lieu  de  prendre  une  mesure  en  ce  qui 
concerne  la  disposition  de  l'art.  10  du  règlement  général  pour  l'Ex- 
position des  Beaux-Artsà  Anvers  qui  exclut  les  peintures  sur  porce- 
laine ou  sur  faïence.  .  - 


Recherchant  les  motifii  de  cette  exclusion  l'assemblée  a  supposé 
que  c'était  parce  que  dans  la  pensée  des  organisateurs  les  peintures 
(le  cette  espèce  devaient  plus  naturellement  trouver  leur  place  dans 
le  compartiment  industriel. 

On  a  fait  observer  avec  raison  que  de  tout  temps  et  chez  tous  les 
peuples  civilisés,  la  i)einture  céramique  a  été  considérée  comme 
une  des  branches  les  plus  intéressantes  et  les  plus  délicates  de  l'art 
proprement  dit. 

Toutes  les  collections  le  démontïViit  avec  évidence.  Il  est  inutile, 
semble-t-il,  de  rajjpcler  à  cet  égard  notamment  les  admirahles  pro- 
ductions italiennes,  françaises  et  orientales. 

C'est  donc  une  erreur  de  croire  que  l'on  puisse  faire  assez  pour 
cet  art  en  le  renvoyant  à  l'industrie.  En  réalité,  pour  lui  comme  pour 
tous  les  autres,  il  y  a  lieu  de  faire  deux  groupes  :  celui  des  produits 
industriels  et  celui  des  produits  artistiques. 

Dans  ces  conditions  l'assemblée,  àrunanimité,  nous  a  demandé  de 
faire  une  démarche  auprès  du  Gouvernement  afin  d'obtenir,  s'il  e.st 
j)0ssihle,'que  la  disposition  précitée  de  l'art.  10  soit  supprimée. 

Nous  nous  acquittons  par  la  présente  de  ce  mandat  au  sujet  duquel 
nous  sommes  absolument  d'accord  avec  ceux  qui  nous  l'ont  confié. 

Espérant  que  notre  démarche  aura  un  résidtat  efficace,  nous  vous 
prions,  Monsieur  le  Commissaire  général,  d'agréer  l'expression  de 
nos  sentiments  de  haute  considération. 

Bruxelles,  19  mars  1885.  '       • 

AeLURECUT    I)K  ^'KIEN1)T.   -       EdMOND  Plf.ARD. 

—  Camille  Van  Camp. 


L'EXPOSITION  D'EUGENE  DELACROIX 

Paris,  le  18  mars  1885. 

CliVAX   AMI,  ,.•:,,.  ■•;..  ■  ,         ■>'"■:   •■     .:■ 

Je  t'écris  au  débolti'.  Je  viens  de  voir  les  Delacroix  exposes  en 
ce  moment  au  quai  Mahuiuais,  et  le  coup  d'enthousiasme  reçu 
dure  encore.  Kugène  Delacroix  est  le  dernier  des  peintres 
héroïques.  Courbe!,  .Millet,  >lanet,  qui  viennent  a|)rès  lui,  n'ont 
rien  de  ce  caractèr»-.  Lui,  il  est  debout,  là-has.  parmi  les  génies 
généraux,  univerï^cls,  énoinues,  faits  pour  concevoir  des  époques 
d'humanilé  :  Paganisme,  Clirislianisine,  Mahoniétanisme,  Moven- 
Age,  et  les  traduire  et  les  jeter  sur  la  toile  comme  des  visions 
colossales  (jue  son  âme  allume.  .       ' 

On  ne  peut  croire  que  l'homme  qui  a  mis  tant  iraction  dans 
son  art,  tant  de  mouvement,  tant  de  vie,,  soit  l'être  maladif,  isolé, 
tranquille  que  l'on  sait.  On  se  ligure  volontiers  qu'il  eut  une  exis- 
tence à  la  Uubens,  débordante  de  sève  et  d'agitation,  se  dépen- 
sant h  travers  fêtes  et  grandeurs,  se  consumant  en  fièvre,  se 
multipliant,  se  démenant  et  en  (piehpie  sorte  s'éj)arpillant  dans 
l'Europe  entière. 

L'explication  de  cette  anomalie  est  pourtant  simple.  Au  temps 
de  1830,  la  vie  artistique  avait  changé  au  point  que  toute  l'acti- 
vité des  peintres  et  poètes  «e  précipitait  non  plus  dans  leur 
vie,  mais  dans  leur  pensée.  lis  étaient  les  isolés,  les  tranquilles, 
les  piliers  de  leur  atelier  —  si  tu  veux,  —  mais  leur  rêve  bouil- 
lonnait, leur  imagination  volait  grandiose,  exaspérée,  comme 
Perséc  à  travers  l'espace.  Et  voila  j)Ourquoi  Eugène  Delacroix,  le 
peintre  retiré,  vivant  de  solitude,  est  en  même  temps  «  l'agité  » 
de  génie  dont  le  cerveau  conçui  Sardanapale. 

Parmi  les  49G  œuvres  exposées,  il  n'en  çst  qu'une  —  si  l'on  en 
excepte  une  copie  de  Ilaphaël  et  une  fresque  religieuse  —  qui 
soit  conçue  cl  traitée  calmement:  c'est  le  portrait  du  général  Dela- 
croix, qui  se  repose  couché  par  terre  sur  le  gazon  de  son  jardin. 


'S 


Les  autres  sont  tourmcnlées,  lièvreus(\s,  toutes  eu  nerl's.  Si  le 
moiivorncnt  convulsif  n'est  [)as  dans  l'allure  et  le  geste  des  per-  . 
sonnages,  le  peintre  le  met  dans  les  robes  et  les  manteaux  dont 
les  plis  se  contractent;  s'il  n'est  pas  dans  le  visage,  il  le  met  dans 
les  cheveux;  s'il  n'est  pas  dans  le  modèle,  il  le  met  dans  le  pay- 
sage cl  le  décor.  Qu'on  prenne  les  sujets  les  plus  recueillis,  le 
portrait  d'une  Vieille  religieuse  \)^r  exemple  :  les  couleurs  en 
•sont  violentes  et  semblent  lutter  sur  la  ligure.       ■ 

Delacroix  ne  pouvait  pas,  ne  savait  pas  traiter  une  conception 
sans  emportement.  Aussi  comme  il  est  naturel  (jue  d'instinct  il 
'  aille  vers  les  grands  tragi((ues,  vers  Dante,  vers  Shakespeare, 
vers  lîyronî  Comme  il  est  élémentaire  qu'il  ne  prenne  à  la  Ijible 
que  les  crucifiements  et  les  le-mpêtes  sur  le  lac  de  Génesareth, 
comme  il  est  fatal  qu'il  aime  les  fauves  et  pa.rmi  les  fauves  qu'il 
préfère  les  tigres!  Jamais  la  vie  des  êtres  et  des  choses  n'est  assez 
convulsée,  il  l'exagère  toujours.  Il  aime  le  terrible,  l'efl'rayant,  le 
féroce. 

Il  fait  de  son  pinceau  une  belle  torche  rougeoyante  parce  que 
le  rouge  est  la  couleur  du  sang,  de  l'incendie,-  du  meurtre.  Il 
*  'invente  une  palette  nouvelle,  plus  montée  de  ton  que  celle  de 
Rubens  et  que  celle  des  plus  exacerbés  des  Vénitiens.  U  apparaît 
d'ans  l'art  momifié,  bitumineux,  grisailleux  de  son  temps  comme 
un  orage  tonnant  et  fulgurant  sous  un  ciel  d'été,  plein  d'étouffc- 
'    ments  et  de  lourdes  oppressions  vespérales. 

Ln  tel  art  fait  comprendee  toutes  les  colères  qu'il  a  suscitées. 
Les  académiciens  en  ont  dû  perdre  la  tête;  il  était  fait  pour 
souftîer  des  colères  et  pour  faire  bouillonner  de  fureur  les  cer- 
veaux jusqu'à  soulever  les  perruques,  -^    - 

Aujourd'hui,  il  ne  reste  que  fumée  de  ces  sacro-saintes  excom- 
munications officielles.  Et  c'est  l'histoire  fatale  de  tous  les 
innovateurs. 

Seulement,  ce  qui  agace  c'est  que  d'ordinaire  les  plus  achar- 
nés détracteurs  d'hier  veulent-  se  faire  passer  pour  les  plus  chauds 
défenseurs  quand  l'artiste  s'est  imposé. 

Ah!  quelle  envie  il  vous  prend  parfois  de  leur  fourrer  le  nez 
dans  leur  palinodie!  Et  encore  s'ils  s'amendaient  de  bonne  foi, 
mais  leur  conversion  est  fausse;  au  fond  d'eux-mêmes,  l'indélébile 
inaptitude  à  saisir  le  beau  existe.  Aujourd'hui  comme  hier  ils 
sont  incapables  de  sentir  la  grandeur  de  l'évolution  artistique 
accomplie,  mai^  aujourd'hui  le.  public  — ce  bourgeois  public 
auxquels  ils  sacrifient  toujours,  dont  ils  revêtent  la  livrée  comme 
(les  vah.'ls  —  a  changé  lui-même,  et  il  faut  bien  qu»*  les 
(lomesti(iues  pensent,  aiment,  détestent,  opinent  pomme  le 
maître,  il  faut  ((u'ils  suivent  le  va-el-vienl  négatif  ou  atlirmatif 
de  son  bonnet  de  coton  au  sommet  de  sa  tête  et  que  leurs  yeux, 
leurs  sourires  attentifs  à  la  mèche  sacro-sainte,  se  règlent  sur  sa 
gymnastique  sous  peine  d'être  chassés  et  privés  de  l'honneur  eC 
des  bénéfices  de  nettoyer  quotidiennement  les  souliers  de  Gé- 
ronte  avec  le  torchon  ii  un  sou  de  leur  journal. 

Ce  qui  reste  de  plus  étonnant  dans  l'œuvre  de  Delacroix,  c'est 
la  conception  tragique.  Personne  n'a  comme  lui  celte  puissance. 
Tout  vit  dans  son  art,  toul  y  vibre,  tout  s'y  lord.  Mais  quand 
j'emploie  le  mot  vie  en  parlant  de  lui,  je  ne  veux  nullement  dési- 
gner la  vie  objective  et  réelle;  la  vie-que  le  peintre  communicilic  à 
ses  toiles  est  fa  vie  supérieure,  la  vie  d'esprit  et,  pour  parler  net, 
la  vie  factice  que  toute  grande  personnalité  impose  à  ses  visions. 

Hamlet,  Ophélie,  Macbeth,  Médéc,  Foscari,  Othello,  Lara, 
Faust,  tous  persoimages  littéraires,  ne  sont  pas  vus  tels  qu'ils 
sont  ou  ont  clé,  les  uns  dans  l'existence,  les  autres  dans  le  livre; 


ils  sont  créés  à  nouveau  par  Delacroix  qui  en  fait  des  hommes  a 
lui,  des  symboles  de  poésie  nouvelle  et  originale.  Poé.sie  toute 
de  crispation,  d'hallucination,  de  colère  et  d'outrance,  cela  va 
bans  dire.^    "      .  :       '  . 

M  est  néVessairc  d'avoir  vu  la  présente  exposition  pour  se  faire 
une  conviction  sur  la  carrière  totale  du  peintre.  Celui  qui  ne  voit 
que  ses  grandes  toiles,  ses  toiles  de  musée,  ne  comprendra 
jamais  le  soin  qu'il  mettait  à  creuser  le  sujet,  à  le  refaire  plu- 
sieurs fois,  étude  après  élude,  avant  d'aboutir  à  la  conception 
définitive.  ' 

Il  y  a  dans  le  Salon  do  l'Ecole  des  Beaux-Arls  jusqu'à  six 
Medue.      ..  ■    ' 

En  oulre,  personne,  à  moins  d'avoir  visité  ce  Salon,  ne  se 
doutera  de  son  indéfinie  fécondité,  —  encore  une  qualité  qui  le 
rattache  à  la  grande  famille  des  peintres  généraux  et  universels, 
• —  de  sa  manière  épique  de  comprendre  les  animaux,  —  il  y  a 
environ  une  centaine  de  toiles  où  le  cheval,  le  tigre  et  le  lion 
sont  les  sujets  principaux,  —  de  l'étonnante  rapidité  avec  laquelle 
il  a  trouvé,  dès  ses  débuts,  sa  manière,  sa  couleur  et  son  dessin 
si  spécial,  "  ;  * 

Au  rez-de-chaussée  sont  mis  sous  verre  Iqs  précieux  auto- 
graphes du  peintre,  qui  était  en  même  teuips  un  solide  écrivain. 
On  est  ému  de  voir  écrit,  de  sa  main,  sur  précieux  papier  que  le 
temps  roussit  peu  à  peu,  ces 'maximes  superb'^?s  et  de  fierté 
géniale  qui  le  tenaient  campé  dans  la  vie  comme  ces  vieux  guer- 
riers du  moy'en-àge  que  la  vieillesse  voudrait  courber  mais  qui' 
se  maintiennent  droits  et  géants,  d'un  jet,  appuyés  qu'ils  sont  sur 
des  épées  colossales.  Et  tel  reslera-l-il  devant  la  postérité,  — son 
œuvre  est  là  pour  l'affirmer.  :       '  * 

■      :""'.■  Emile  Verhaerkn. 


^D/iLBERT     DE    ^QoLD^GHMIDT 


I         . 

Les  Sept  péchés  capitaux  ') 

Dans  la  curieuse  partition  que  M.  Lamoureux,  qui  a  toutes  les 
audaces  artistiques,  va  faire  exc'cuter  aux  Concerls  du  Chàteau- 
d'Eau,  Adalberl  de  Goldschmidt  se  fait,  comme  un  Bai'bev  d'Au- 
revilly  ou  un  Joséphin  Pélailan,  l'évocLiteur,  en  pleindix-neuvième 
siècle,  de  l'Esprit  du  .Mal  insinuant  dans  les  cœurs  le  poison  de 
sa  haine  et  de  son  orgueil.  C'est  le  Prince  des  Ténèbres  (jui  est  le 
héros  de  ce  drame  bizarre,  dans  lequel  Robert  Hamerling  a  peint 

la  mêlée   des   |)assions    humaines  oxcilées   par le  iûutîîe  des 

chœurs  démoniaques,  ressouvenir  des  légendes  du  moyen-âge 
où  Satan  prenait  pari  aux  diverlissemenls,  aux  amours  et  aux 
luttes  de  la  terre.  -     " 

Après  une  première  partie  consacrée  à  la  dispute  des  otîiciers 
du  Prince  infernal  sur  le  degré  d'influence  ([u'ils  possèdent, 
simple  prétexte  pour  permettre  au  compositeur  de  présenter, 
selon  le  mode  wagnérien,  les  motifs  symboliipies  [>ar  lesquels  il 
désigne  chacun  d'eux,  les  Sept  péchés  capitaux  entrent  résolu- 
ment en  scène.  C'est  le  drame  proprement  dit,  la  luile  corps  à 
corps  des  vices  avec  l'humanité,  le  spectacle  farouclk-,  sobrement 
décrit,  d  >s  misères,  des  faiblesses,  des  hontes  de  la  vie.. 


(*)  Partition  pour  piano  et  rhant  avec  version  frani.'aise  de  ^'iou>r  W'ilder. 
Leipzig  et  Bruxelles,  Breitkopf  et  Hiirlel. 


Des  pèlerins  passent.  Le  démon  de  la  Paresse,  sur  un  rythme 
doux  et  languissant,  amollit  leurs  âmes,  fait  sombrer  leur  ardeur 
dans  la  lâcheté  et  le  sommeil. 

L'Orgueil  coupe  brusquement  le  duo  d'amour  que  chantent 
un  guerrier  et  une  jeune  fille.  Le  héros  victorieux,  sous  la  pres- 
sion du.  génie  malfaisant  qui  s'attache  à  lui,  aspire  à  la  couronne 
royale;  mais  le  peuple  se  soulevé  et  le  clueur  des  démons  clôt 
sourdement  celle  scène  :    _  -^v 

_ .  Sème  sur  l'univers  le  deuil  et  1  épouvante, 

0  roi,  travaille  pour  l'enfer  ! 

Puis,  c'est  l'Avarice  qui  jette  la  perturbation  dans  la  foule  en 
lui  lançant  en  pâluro  un  lingot  d'or,  pour  lequel  vertu,  con- 
science, noblesse,  honneur,  tout  est  vendu  par  l'humanité 
cupide. 

L'Envie,  à  son  tour,  soulève  le  peuple  on  haillons  contre  les 
richesjdans  un  tumulte  orchestral  que  domine  le  thème  ironique 
des  démons  triomphants.  ^^ 

Des  accords  doux  préludent  à  l'entrée  de  la  Gourmandise. 
Dans  lé  caprice  des  phrases. enlaçantes  des  violons,  elle  enslue 
l'Homme,  le  cajole,  le  caresse,  jusqu'à  ce  que  l'ivresse  le  fasse 
trébucher  dans  la  bestialité. 

La  Luxure  achève  l'œuvre  commencée,  et  dans  une  explosion 
symphonique  qui  couronne  celle  partie,  la  Colère  excite  à  la 
révolution  et  pousse  les  unes  contre  les  autres  les  nations. 

Peuple,  debout!  et  réclame  tes  droits. 
.      Délivre  tes  enfants  qui  gémissent  et  qui  pleurent. 
Renverse  et  brise  enfin  la  puissance  des  rois. 
Périssent  les  tyrans!  Qu'ils  expirent,  qu'ils  meurent! 


Guerre  par  le  feu,  le  glaive! 
Guerre  sans  merci  ni  trêve  ! 
Guerre  au  temple,  à  l'autel! 
Guerre  aux  rois,  guerre  au  ciel  ! 

Plus  de  maîtres  ! 

Plus  de  prêtres  ! 


Ni  sceptre  ni  missel  ! 

Les  Francs  et  les  Germains  eijtrenl  en  lice. -Des  fragments  de 
marches  guerrières  iraversont  le  vacarme  des  armées  "entrecho- 
quées :  cinq  notes  de  la  Marseillaise  seront  happées  au  passage, 
dans  la  marche  dos  Francs,  par  l'auditoire  parisien. 

Sur  les  ruines  fumantes,  après  cette  nuit  sinistre,  s'élève 
l'aurore  d'une  Henaissanco.  C'est  la  troisième  partie.  Ln  poète 
chante  la  liberté  et  les  hommes,  ravis,  élèvent  la  voix  du  fond  de 
leur  misère.  Saisis  de  pitié,  les  esprits  célestes  délivrent  l'huma- 
nilésdu  joug  des  génies  du  mal.  Le  poêle  devient  le  Rédemp- 
teur. Il  esl  couronné  comme  tel  par  la  Reine  de  la  Lumière. 

Tel  est,  aussi  fidèlement  que  peut  le  permetirc  un  résumé 
rapide,  le  sujet  de  celte  œuvre  singulière,  dans  laquelle  l'idée  du 
christianisme  est  mêlée  aux  questions  sociales  et  aux  diableries 
moyen-âgeuses,  de  façon  à  composer  un  ensemble  un  peu  confus 
dont  le  sens  précis  est  difficile  à  débrouiller. 

La  musique  par  laquelle  le  jeune  compositeur  autrichien  tra- 
duit celte  série  de  tableaux  étranges  dénote  unT?ïTênt  réel.  Mais 
c'est  malheureusement  l'habileté  qui  l'emporte  sur  rinspiratioUj- 
et  quand  on  arrive  au  bout  de  cette  partition. touffue,  où  les 
ensembles  vocaux,  les  fragments  symphoniques,  les  redis,  les 
dialogues,  sont  accumulés  avec  profusion,  on  demeure  j)lus  lassé 
que  charmé. 

On  a.dit  qii'Adalbert  de  Goldschmidt   procédait  do  Wiigner. 


C'est  exact,  en  ce  sens  quil  donne  à  l'orchestre  Je  rôle  principal, 
et  qu'il  se  garde  soigneusement  des  «  airs  »,  des  «cavatines  »,  des 
«  trios  »  et  autres  formes  de  l'opéra.  C'est  vrai  encore  en  ce  que 
chacun  des  personnages  du  drame  est  symbolisé  par  un  thème 
déterminé  qui  le  précède  ou  l'accompagne,  l'enveloppe  comme 
un  vêlement,  brillant  ou  som,bre,  qui  sert  h  le  distinguer  des 
autres. 

Mais  là  s'arrête  l'analogie.  Nous  verrons  dans  une  seconde 
élude,  consacrée  à  Hélianthus,  que,  lorsqu'il  écrit  pour  le 
théâtre,  l'artiste  se  rapproche  davantage  de  son  modèle. 

Dans  les  Sept  péchés  capitaux,  il  s'est  borné  à  s'approprier  les 
procédés  wagnériens  sans  pénétrer  le  génie  du  Maître,  sans 
même  paraître  l'avoir  bien  compris.  Il  n'a  pas,  dans  le  choix  de 
ses  thèmes,  la  précision  et  la  judicieuse  observation  de  Wagner, 
dont  tous  les  motifs  sont  si  caractéristiques  qu'on  ne  saurait  en 
imaginer  d'autres  s'appliquant  plus  exactement  à  l'idée  qu'ils 
expriment.  11  n'a  pas  saisi  non  plus  l'emploi  que  fait  l'auleur  de 
Parsifal  de  ses  thèmes,  qui  toujours  reparaissent  sous  d'autres 
formes,  avec  une  couleur  différente,  dahs  des  tons  variés,  avec 
des  modulations  sans  cesse  transformées.  Enfin,  il  n'a  pas  recours 
aux  richesses  de  la  polyphonie,  qui  rendent  si  attrayantes  pour 
une  oreille  délicate  les  œuvres  de  Wagner. 

Ses  motifs  se  succèdent,  décrivent  parfois  heureusement  les 
scènes  qu'ils  ont  à  rendre.  Les  chœurs  sont  écrits  par  une  main 
experle.  L'orchestre  est  bien  traité.  Mais,  en  général,  la  flamme 
manque.  C'est  bien  fait,  et  cela  ne  suffit  pas  pour  être  vraiment 
bien. 

Quel  sera  l'accueil  que  fera  aux  Sept  péchés  capitaux  le  public 
parisien,  si  sceptique  et  si  peu  disposé  à  recevoir  favorablement 
les  œuvres  étrangères?  Il  serait  difficile  de  le  prévoir.  Dans  tous 
les  cas,  les  inusiciéns  s'intéresseront  aux  débuts  d'un  compositeur  ' 
de  mérite  et  à  Ja  première  audition  en  langue  française  d'une 
œuvre  qui  a  été  vivement  disculée  en  Allemagne.  C'est  ce  qui 
nous  a  engagé  à  crayonner,  à  propos  de  cet  éyénomenl  arlislique, 
celte  esquisse  do  la  partition. 


Ç0CUMEjNlT^y\   C0N3EF(VER 

A  propos  du  groupe  de  Paul  Devigne 

La  Commission  des  Monuments  a  rendu  compte  dans  le  rap- 
port suivant  de  la  façon  dont  elle  a  apprécié  une  œuvre  de  Paul 
Dovigne  soumise  à  son  examen..  - 

C'est  un  chef-d'œuvre  de  pédantisme  officiel  qui  doit  être 
classé  parmi  \eii  Curiosa  de  ce  temps.  Rarement  la  prétention  de 
régenter  l'inspiration  artistique  s'est  produite  avec  plus  de  suffi- 
sance et  de  naïveté  :  .      . 

«  Monsieur  le  Ministre, 

«  Des  délégués  de  notre  collège  ont  procédé,  le  18  février  dernier, 
à  l'exameu  du  modèle  définitif,  moulé  en  plâtre,  du  groupe  com- 
mandé à  M.  Devigne,  pour  la    façade  du  palais   des  Beaux-Arts  et 

représentant  VArt  récompensé. 

«  Ils  ont  constaté  non  seulement  que  l'artiste  n'a  pas  apporté  à 
son  œuvre  certaines  modifications  qui  lui  avaient  été  indiquées, 
mais  qu'il  n'a  pas  même  maintenu,  dans  le  modèle  définitif,  les 
changements  qu'il  avait  faits,  d'après  nos  conseils,  au  modèle 
réduit. 
.<*  Gestain.si  que  la  figure  centrale  du  groupe,  celle  du   génie  de 


'.'    /■ 


V ART  MODERNE 


93 


l'art,  contrairehieut  aux  maquettes  soumises  et  approuvées  précé- 
demment, est  aujourd'hui  entièrement  nue.  Notre  collège  a  toujours 
signalé  ce  qu'il  y  aurait  de  choquant,  au  point  de  viie  même  de  l'har- 
monie du  groupe,  dans  cette  nudité  absolue  d'une  figure  d'homme 
qui,  se  présente  entre  deux  femmes  drapées.  Cette  disparate  attirera 
d'autant  plus  l'attention  que  la  figure  centrale,  dans  le  groupe  de 
M.  Vanderstappen,  est  drapée.  ^ 

«»  Outre  que  le  bout  de  draperie,  dont  le  Génie  de  M,  Devigne  était  ' 
d'abord  voilé,  est  nécessaire  à  l'harmonie  du  groupe,  il  ne  l'est  pas 
moins  pour  expliquer  le  rôle  des  draperies  dont  il  était  le  prolon- 
gement et  qu'on  aperçoit  actuellement  derrière  la  figure  sans  savoir 
à  qui  elles  appartiennent,  ni  quel  en  est  le  motif  et  la  provenance. 
L'artiste  parait  n'avoir  eu  en  vue  par  cet  accessoire  que  de  remplir 
un  vide  de  sa  composition  et  il  ne  s'est  pas  rendu  compte  qu'i 
l'encombrait  d'un  détail  iuu^tile.  TJn  paquet  de  drapeHes  tout  aussi 
peu  motivé  s'entasse  sur  le  setu  de  la  Renommée  voisine,  sans  qu'on 
puisse  distinguer  si  ces  draperies  appartiennent  au  costume  de  cette 
figure  ou  ne  sont  qu'une  suite  de  la  draperie  étalée  derrière  le 
Génie. 

«  Nous  avons  déjà  signalé  la  pose  forcée  de  cette  Renommée, 
réminiscence  d'une  œuvre  française.  Pour  occuper  sa  main  gauche, 
qui  d'abord  s'appuyait  au  mur,  l'artiste  n'a  trouvé  d'autre  moyen 
que  de  lui  faire  tenir  un  clairon  comme  à  la  main  droite. 

»  Ces  deux  figures  se  recommandent  pourtant  par  des  qualités 
d'exécution  intéressantes,  mais  la  figure  dé  femme,  portant  une  cou- 
ronne, est  de  beaucoup  moins  réussie.  La  draperie  en  est  froide  et 
lourde,  les  mains  d'un  modelé  rond  et  d'un  galbe  massif  et  la  tête 
d'un  type  banal  et  sans  expression . 

<t  Agréez,  Monsieur  le  Ministre,  l'assurance  de  notre  considération 
distinguée. 

{<.  Le  secrétaire-adjoint^ 
(Signé)  «  Jules  Pelcoq.     ^  . 


(c  Le  président  y 
(Signé)  «  Wellens.  »♦ 


Et  voilà  comme  M.  Prudhommc,  et  son  collège,  choqués  par  la 
nudité  absolue  d' une  figure  dlwnime  qui  se  présente  entre  deux  ^ 
femmes  drapées  exécute  are  rolundo  un  de  nos  meilleurs 
sculpteurs.  Le  Gouvernement  Ta  député  pour  juger. une  œuvre 
commandée  à  un  arlislc  librement  choisi.  M.  Prudhommo 
examine  et  dit  :  «  Peuh  !  On  n'a  pas  suivi  mes  conseils.  »  El  voilà 
qu'il  se  lance  en  aphorismes  réjouissants  : 

—  «  La  figure  fentraio  de  M.  Vandcrsiappon  est  drapée, 
pourquoi  celle  de  M.  Devigne  ne  J'esl-elle  pas  ?  »  —  Mais,  digne 
homme,  renversez  la  proposition.  Pourquoi  ne  pas  dire  :  «  La 
figure  centrale  de  M.  Devigne  est  nue,  pourquoi  celle  de 
M.  Vanderstappen  ne  l'esl-elle  pas?» 

—  «  On  ne  s  explique  pas  quelle  est  la  provenance  (sic)  des 
draperies  qu'on  aperçoit  derrière  la  figure. 

—  «  On  ne  peut   distinguer  si  un  paquet   de   draperies  qui 
s'entasse  sur  le  sein  de  la  Renommée  voisine  (quel  français,"" 
bone  Deus,  pour  un  monde  qui  vise  à  la  correction  sculpturale  !} 
n'osl  qu'une  suite  de  la  draperie  étalée  derrière  le  Génie. 

—  «  Pouroccuper.la  innin  gauche  de  celle  Renommée,  l'ar- 
tiîile  n'a  trouvé  d'jiulre  moyen  cpie  de  lui  faire  tenir  un  clairon 
comme  A  la  main  droite,  n  -  Voïïa  au  moins  une  occupation 
décente,  ôCritiqne  que  l'on  cflarouche. 

—  «  La  draperie  de  la  fii,nire  de  femme  portant  une  couronne 
est /roiV/t' et  lourde,  les  mains  d'un  modelé  rond  et  d'un  galbe 
massif,  la  tête  d'un  lyjn»  banal  et  sans  expression.  » 

Esl-il  connaisseur  ce  brave  et  digne  Joseph  ! 
Bref,  Devigne  a  fait  une  (puvre  très  médiocre.  M.  Prudhonjme 
l'altesle.  El  je  vous  prie  (bM'roinM]u'il  ne  se  trompe  jamais. 


Nous  répondrons  :  Tant  pis.  11  ne  fallait  pas  choisir  Devigne. 
Quand  on  commande  une  œuvre  à  un  arlisle,  il  est  inadmissible 
qu'on  veuille  lui  imposer  des  remaniements  quand  elle  est  finie, 
lisseraient  aussi  judicieux  qu'ils  apparaissent  grotesques,  qu'il 
est  trop  tard.  Les  données  générales  indiquées  et  admises  rarlisle 
doit  rester  libre.  Que  dirait-on  si  M.  Prudhommc  se  cassant  la 
jambe  et  choisissant  son  chirurgien,  le  chicanait  après  coup  sur 
la  manière  dont  on  la  lui  aurait  remise  et  demandait  des  rema- 
niements l  Ou  bien  si  rappelant  que  la  coupole  du  nouveau  Palais 
de  justice  et  sa  chaudronnerie  sont  décidément  jugées  banales 
et  sans  expression  par  tout  le  monde,  d'un  modelé  rond  et  d'un 
galbe  massif,  on  réclamait  leur  transformation? 


„  Jhéatrje:^     ' 

Théâtre  du  Parc.  —  Denise 

Nous  sommes  allé  lundi  au  théâtre  du  Parc  voir  la  dernière 
représentation  de  Denise.  On  donnait  auparavant  r«^  mi7^  rfg 
noces.  Le  rapprochement  de  ces  deux  pièces  écrites  à  dix  années 
d'intervalle  ne  manquait  pas  de  piquant.  Il  y  aurait  une  intéres- 
sante étude  à  faire  sur  l'évolution  de  celle,  brillante  carrière  dra- 
matique qui  commence  par  la  réhabilitation  de  la  Dame  aux  ca- 
mélias pour  arriver  à  la  réhabilitation  de  Denise.  Entre  ces  deux 
apothéoses,  la  Visite  de  noces  se  place  comme  une  note  ironique 
et  railleuse  où  l'auteur  se  moque  à  la  fors  des  amours  libres  et 
des  amours  consacrées.  ' 

Dans  JJenise,  le  ton  est  plus  sévère.  Il  y  a  bien  encore  les 
théories  de  M.  de  Thauzette  sur  la  sensation  et  les  cascades  de  la 
mère-amazone,  mais  tous  les  autres  personnages  sont  très  sérieux  : 
sérieux,  André  de  Bardannes,  qui  fait  valoir  ses  terres  et  sonse  à 
se  marier  ;  très  sérieux,  les  Lrissot,  père  et  mère,  qui  tiennent 
sa  maison;  sérieux  surtout,  Thouvenin,  son  ami,  qui  parle  pour 
Alexandre  Dumas,  el  jusqu'à  la  petite  pensionnaire,  sœur  André, 
qui,  pour  un  instant,  devient  le  dieu  de  la  machine. 

Entre  lous  ces  gens  graves,  que  nous  présente  une  exposition 
en  deux  actes  dans  laquelle  intervient  tout  exprès  un  personnage 
que  l'on  ne  revoit  plus,  Denise  apparaît  prête  à  tous  les  dévoue- 
ments, el  d'une  raison  à  la  hauteur  de  toutes  les  difficultés.  Elles 
ne  vont  pas  lui  manquer;  en  effet,  el  voilà  le  chiendent,  elle  a 
commis  une  faute  qui,  tout  à  l'heure,  rendra  sa  situation  fort 
délicate.  Encore  l'auteur  a-t-il  pris  soin  de  si  bien  atténuer,  par 
les  circonstances,  cette  faiblesse  unique  que  l'altiîinte  en  paraît 
moins  grave,  bien  que,  comme  on  dit  dans  les  jeux  des  petits 
papiers,  il  en  soit  résulté  un  enfant. 

Fernand  de  Thauzelte,  que  Denise  aimait  et  qui  lui  avait  promis 
le  mariage,  a  eu  une  affaire  d'honneur:  au  moment  d'aller  se 
battre,  il  a  imploré  une  faveur  comme  un  fortifiant  suprême.  Dans 
ces" conjonctures,  Denise  s'est  laissée  attendrir;  elle  s'est  dévouée 
selon  sa  nature;  elle  a  donné  le  spécifique  à  celui  qui  pouvait 
mourir  :  le  comble  de  la  charité!  On  est  loin,  on  le  voit,  de  la 
gerbe  de  péchés  mignons  de  Marguerite  Gautier. 

Naturellement,  Thauzette  ne  meurt  pas;  il  n'épouse  pas;  el, 
par  surcroît,  l'auleur  le  représente  comme  suspect  de  tricher 
au  jeu.  ^ 

Denise  a  donc  élé  victime  d'une  véritable  escroquerie.  Aussi 
(juand,  dans  une  scène  des  plus  pathétiques,  elle  fait  sponiané- 
menl  ces  pénibles  aveux  à  31.  de  Bardanne,  quand  elle  lui  raconte, 
en  termes  émouyanis,  mais  (jui  sont  peut-être  un  hors-d'œuvre. 


94 


i: ART  MODERNE 


la  liidrl  do  son  riiranl.  oirpcMil  crfHre  <iii(\  sans  ;iiili(v  inlormô- 
(llaiiv,.  I(\s  l'iios 'S  s'aiTaiij^iM'Oiil,  ciiln»  eux,  dmix  (Mmii's  ((iii 
s'aimoni,  ol  <jiio  \o  ih'cIk' conlVs^c'  (*si  i»liis  d'il  liioilic'  pardonné. 
Mais' livjïôn»,  qui  jnsiju'alors  avait  (oui  iijnorc',  uilcrvicnt  roiniiu? 
un  sanglier.  Il  a  (Voiilr  aux  porlos  (un  ancien  oUiciiM*  français!) 
(»t  il  faiil  (juiMlaiis  une  heure  (heure  militaire)  .M""'  de  Thauzolle 
aildeniando  la  nmin  de  Denise.  —  Klle  s'exéeule.  —  Mais  il  l'aul 
moins  (le  temps  eneore  pour  (jne  tout,  le  monde  iveonnaissc  (pie 
la  combinaison  du  viou'x  i^^roiinard  est  sim])lemenl  absurde».  \a\ 
pelilc*  jUMisiounaire  diMioiie  ces  lian(.'aillesv.  intempestives;  Thou- 
venin  renoui»  colles  (jue  le  père-bonlet  avait  interrompues  et  le 
rideau  tombe  sur  ces  Hilures  ('pousailles  sans  (pie  la  petiu» 
pi^usiouiiaire,  jpij  ne  |>eul  épouser  un  i^rec,  soit  pourviu?,  ce  (pii 
laisse  un  cbai^rin  au  spectateur.  ■         ^         '  ■ 

Mon.vLiTK  :  On  peut  èire  mèr<'  avant  s  m  mariaii\'  et  èii-e  uni» 
iri's  lioniuHe  femme: 

Or  :  On  peut,  bonnèlement  épouser  une  tille-mère. 
'  Mais  ou  peut  aussi  partailément  faire  le  contraire. 

I.a  j>ièce  est  convenablemenl  inlerpnMée  au  l*iirc.  M"''r>rindeair 
(\sl  une  f)cnis(V(raspecl  peut-être  un  peu  trop  puritain.  M.  Mar- 
tliold  mauij  av.»c  crânerie  la  cravache  de  M'"''  de  Thauzette  et 
M"'"  Signll  nous  montre  une    jKMisionnaire  d'un    impcriurbable 
aplomb.  ■ 

M.  .\!h;iiza  j<nit>  avtn-  lumhomie  le  rôle  d<'  Thouvenin.  MM.  I.u- 
giiet  (de  Hardannes^  Pascal  (de  Thauzette)  et  Valter  (lîrissol)  ne 
préseiileiit  jias  de  (]ualités  saillantes  usais  tiennent  houm^lcment 
leurs  rôles.      " 

Théatki-:  Moi.iKPxK.  —  Tous  les  soirs,  le  Prince  Zilah.  cométlieeu 
4  actes  e1  un  prologue  par  Jijles  Claretic",  avec  le  concours  de 
M^i^  Liua-Muute.  M  Duquesue  et  M"*"  C.  Clerniont,  artistes  du 
théâtre  (lu  (ryniuase  de  Paris.  , 


— ^- —  yVu    Cercle    arti3Tique    - — -r-- 

Exposition  Cassiers-Numans 

M.  Cas>i''rs  est  un  ije,uarûllisle  doux,  qui  cherche  conscien- 
cieusement il  faire  \ibrer  dans  ses  plages  et  dans  ses  paysages 
les  harmonies  de  la  nature,  mais  qui  s'arrête  à  la  surface,  sans 
pénétrer  dans  l'intimité  des  choses.  Ses  lavis  un  peu  timides  ont 
d'beurcux  rapprocliements  de  tons.  Ils  sont  aimables  ii  l'œil.  La 
mer  que  peint  le  jeune  artiste  a  des  reflets  de  moire,  des  cha- 
toicmentsde  robe  desatin.On  la  voudrait  plus  âpre,  plus  farouche. 
Ses  ciels  ont  des  transparences  de  papier  de  soie.  C'estau  whatman 
sur  lequel  est  diluée  la  goutte  colorée  qu'on  songe,  et  non  îi  la 
])rofondeur  de  l'atmosphère,  l.es  petites  figures  qui  étoffent  ses 
coins  de  nature  rappellent,  à  s'y  méprendre,  celles  de  Staquet. 
Toute/la  est  joli,  coquet,  cliquetant,  vaporeux,  pas  mal  habile, 
mais  un  peu  mince,  un  peu  petit  de  vision  et  de  facture.  Am  lieu 
d'exprimer  sobrement  les  grandes  émotions  que  donne  le  spec- 
tacle de  la  mer  et  des  champs,  en  quelques  tons  justes  large- 
ment appliqut'S,  M.  Cassiers  s'attache  au  détail,  à  l'incident 
insignifiant,  à  l'épisode  voulu,  aimé  du  bourgeois.  Tendance 
dangereuse  qui  apfjelle  une  réaction  énergique  si  rarlis'.e  veut 
réaliser  les  espérances  qui  font  concevoir  les  qualités  révélées 
par  son  exposition. 

Trois  tableaux  à  rimile  complètent  l'envoi.  L'un,  la  sortie  d'une 
église,  est  vu  à  travers  Charles  Degroux.  C'est  le  meilleur  des 
trois.  liaus  les  deux  autres  on   sent  une  main  plus   babitm.'e  à 


manier  la  marlre  ([ue  la  brosse  et  à  recherclKTrélégvmc.e  plutôt 
que  la  V(''ril(''  des  Ions. 

M.  Cassi(»rs  a  la  chance  d'être  accot('.  d'un  repoussoir  (ju'il 
n'eût  pu  souhait(M- plus  favorabl(^  C'est  un  déballaiîe  d'iniaiios 
coloriées  ii  l'eau  et  il  l'huile,  vaste  Saint-Nicohùs  de  ((  vues  pour 
opti(|ues  »  (la  joie  des  enfants  et  le  repos  des  familles),  kermesse 
de  l)leu  do  Prusse,  d(»  laque  de  garance  et  de  ciual)ri;  à  un  sou  la 
tablette,  d'un  asp(»ct  telleiuenl  cocas.so  (pn^  le  fou  rire  désarme 
toute  critique.  Jamais  (b'ôlcrie  n'a  été  plus  franchement  drôle. 

F(Mi  Krancia  est  dépassé.  A  moins  «pu»  ce  ne  soit  lui  encore  (pii, 
d'un  pinc(\iu  jioslliunu^  et  sous  le  ))seudonym(»  (W.  Numans,  ait 
brossé  cette  nouvelle  et  spirituelh'  satinvde  ré(;olc  de  peinture 
d'autrefois  !  _,  ' 

Mais,  en  ce  cas,  les  cadres  ont  ('M(''  a,(hvssés  par  erreur  au. 
Cercle.  C'est  évidemment  ii  la  /ivaus-r.vIuhUion  i\u'\\s  étaient 
destinés. 


-,       Publication^   nouvelle^ 

MM.  Orcll  Fiissli  ot  C'^\  dos  ('(iilours-arlistos do  Ziiri<^h,  iious 
adressent  dou.v  albums  do,  ])<xhe  d(?sliiiés  à  renscignomoiit  (bi  dessin. 
.L'un  conliout  400  motifs  grathii^s  depuis  la  ligue  droite  jusqu'aux 
plus  élégants  fragments  de  décoration  d(^s  styles  goUiiquo, classique, 
mauresque,  etc.  Titre  :  Manuel  de  poche  de  l instituteur  pour  l'en- 
seignement du  dessin,  par  .T.  Ilauselmann.  Cinquième  édition. 

L'autre,  dû  à  la  collaboration  de  MM.  Ilauselmann,  déjà  cité,  cl 
R.  Ringger,  est  le  complément  du  précédent.  C'est  un  petit  traité 
d'ornements  polychromes  hniiani  Y é\è\e  graduellement  à  l'emploi 
des  couleurs  dans  la  pratique  des  arts  industriels.  Il  renferme 
cinquante  et  une  planches  en  couleurs,  magnifiquement  litho- 
graphiées.  La  plupart  d'entre  elles  sont  rehaussées  d'or.  L'ensemble 
forme  un  excellent  traité  pratique  d'ornementation,  utile  à  ceux  qui 
ne  peuvent  faire  l'acquisition  des  grands  ouvrages  commp  la  Gram- 
maire de  l'ornement,  de  Owen  Jones,  ou  L'ornement  pohjchrome. 
de  Racinet.  • 

Les  deux  manuels  de  poche  réunis,  ne  coûtent  que  douze  francs. 


M.  Victor  Wilder  vient  d'achever  là  traduction  du  l^r  acte  deja 
Valkyrie,  qui  sera  exécuté  le  19  avril  au  Concert  populaire.  La 
maison  Schott  met  en  vente  cinq  scènes  détachées,. avec  paroles  fran  ■ 
çaises,  de  cet  acte.  Ce  sont  :  le  monologue  de  Siegmund,  le  chant 
d'amour  (le  Printemps'),  la- scène  de  Siegmund  et  de  Brunehilde.  la 
scène  de  Brunehilde  et  de  AVotan  et  les  adieux  .de  Wotan.  —  Le 
chant  (l'amour  de  SieL'mund  est  en  vente. 


LE  DINER-SPECTACLE 

Le  dinçr-speetacle,  invasion  ou  intrusion  anglaise,  d'apro.s  b* 
Monde  illustré. 

A'ous  invitez  un  certain  nombre  d'amis  à  venir  s'asseoir  a  votre 
table.  En  même  temps  vous  loue?  dans  un  théâtre  un  certain  nombre 
de  loges.  Puis,  dés  que  la  dernière  bouchée  est  avalc^e,  vous  fourrez 
tout  votre  monde  dans  des  voilures  et  vous  le  plantez  en  face  d'un 
drame  ou  d'une  comédie.  -    '  ^      . 

Peut-être  les  directeurs  ai)plaudiraieut-ils  à  cet  usa|.:(' bMro([ne, 
mais  je  crois  bien  qu'ils  useraient  seuls  à  s'en  n'jouir.  V.ixv  il  .suppri- 
merait ce  qu'il  y  a  prfîcisémeut  d'attrayant  dans  les  relations  ga.s- 
tronomiques  :  l'épilogue.  •  -      '      " 

On  ne  se  réunit  pas  exclusivement  pour  goiid'rer.  Autant  vaudrait 
alors  entrer  dans  un  restaurant.  On  y  trouverait  rrmjnflrement 
banal. 


L'allrayajit,,  r/e.sl  la  r.'iu.sorif  ({\i\  .se  [jrfJoiip'f;  après  lo  fjf-rcii^r  '".oup 
<1<!  fourcholto  ;  c'est  le,  <!r(>\i\)ciucnl  qui  se  fait  au  ha-ar'l  'Ifs  sym- 
pathies dans  lo  salon  ou  (lan.s  le  fumoir;  co  sont  lf;s  frais  propos 
favorables  à  la  difrestiori,  insoucieux  de  l'heure. 

Avec  la  rnorle  nouvelle,  des  invités  rlevicriflraient  en  fjil'-lqu^  sorte 
des  eolis  htjmains  qu'on  trimbalerait,  inal^rré  eux,  à  qui  l'fin  \ii(\\</r-- 
i-ait  le  su[ipliee  fie  la  loj^e  cellulaire,  »'iver  la  nécessite  rie  .-ubir  une 
(ouvre  insu|)[)ortable  f»eut-être,  souvent  connue  déjà. 

Ii'indisj)enKa})le,  jiour  savourer  un  diner  amical,  c'est  fl'fivcir  tout 
son  temps.  Vous  faites  flamber  la  <'onvers,'ilion,  et  vous  [;r»-teniiez 
s.oufller  flessusau  monientou  fdie  pétille  !  Ombre  de  iJrill.'it  .S;iv?jrin. 
tu  as  du  frémir  d'indif/nation  à  cette  hérésie. 

Je  vous  le  dis  tout  iiet  :  vfius  qui-  >(-nf-/.  t^^ntés  d'rjdofiter  cj-  mon- 
strueux usafre,  vous  cesseriez  d'être  des  amjjhitryms,  vous  ne  seriez 
plus  que  des  nourrisseurs. 

C'est  M.  Koning'  qui  aurait  eu  l'id^ée  de  cette  invention  absurde, 
ce  qui  ne  nous  étojine  pas.  Il  cherche  unCvoie  nouvelle  devant  les 
fours  qui  .se  succfdent  au  Gymnase  depuis  quelque  temps.  M.  Mar- 
^'uery,  à  l'avenir,  dirigerait  le  th'^^-atre  et  M.  Koning  le  restaurant. 
Certaiiif-riK'n!    le  r^-staiiraiil  y  perdrait,  mai.-,  letiié-âtre  y  ga;.'::er.-:iL 


LE  JURY  DU  SALON  DE  PARIS 

Les  periilre.^,  rint  nommé   hier   le-  ri:em}ires  du   jury  du  Salon  de 

ISj-!.'».   Il  y  a  eu'  plus  de  l.."jOO  votants,  doiit  [jI^-s  de  oO')  pnroorres- 

[)Oiid«ances  venues  de  Fari^,  de  la  province  et  de  l'étraLi-er. 

X'oici  les  noms  des  élus,  avec  les  chifTres  de.s  voix  : 

,  MM.  I^onnat,  1,10S  voix;  .1  Lefebvre.  1,100;  l.-P.  L.-iure.ns,  l.MT; 

IIarj)ignie.s.   1,108  ;  T.  Ilobert-Pleury,   1.077;  Eiouguer'^au.   1.06'..*; 

Henner,   1,028;  Ilumbert,   1,027;   Français.   l.OOO;'  Cabanei.  002  ; 

Boulanger,  1»3,">;  Busson,  93,5;  Cormon.  \'13  :  Pille.  S0.5;  Yon,  ç,S.S; 

Duez,  885;  VoUon,  874;  Détaille,  802;  Puvis  de  Chavanne.s.  8.'S8; 

Lalanne,  8.52;    Hector   Le    Roux,   839,    Benjamin   Constant,   820; 

Roll,    812;    Rapin,    809;    Carolus    Duran,    .>i,tl  ;    Vuillefroy,   70.!); 

Guillaumet.    7tJ4  ;    Gervex.    75.Ô;    Dernier.     740;    Maignan,    72V: 

Barrias,  710;   J.  Breton.  Ot59;  de  Neuville.    004;    Luminais,  0.54  : 

Haiioteau,    041;    Guillemet.    0.37;    Lansyer,    008;    Baudry,    595; 

~  Feyeu-PerriD,  589;  Saint-Pierre,  .577-^.  .  -— r — ^ — — -— -_-^ -^ — 


Les  artistes  qui  venaient  ensuite  avec  le  {lus  graml  nombre  lie 
voix,  et  parmi  lesquels  seront  choisis  les  jure.>  jujipl^rmentairHS  s.:r:t  : 

MM.  Moret,  554  voix;  Denouf.  550';  Vayson.518;  Rib^t,  495; 
Delauuay,  488;  Van  Maroke,  475;  Mers-n  L.-O.).  4o8  :  Cazin.407: 
C^érùme,  455;  Protais.  395;  Thirion.  30-5;  Pelouze.  o44  ;  LavieiUe. 
324;  Ph   Rousseau,  322;  Lhermitte.  320. 

Le  jury  se  constituera  lundi  et  commencera  immédlaTement  ses 
travaux.  Le  chiti're  «les  jieintures.  aquarelles  et  dessins  stiunùsà  son 
jugement  est  de  7,2('0,  soit  500  de  moins  que  l'année  dernière.  Les 
tableaux  de  grau<le  dimension  sont  fort  nombreux  :  nous  suuhait'Tiis 
(juo  ce  soient  autant  de  grandes  o.nivres 


Petite   chrojn'ique 


Dans  leur  as^^embleo  mensuelle  tle  Mars,  les  A'.V  ont  proce<lt^  a 
réloctit>n  de  deux  artistes  pour  remplacer  MM.  Simonseî  \  erstraete 
([ui  out,  eo,nuue  on  sait,  donne  leur  demissiiui. 

Ont  été  choisis  parmi  les  candidats  proposes  :  M'-"  Anna  Boch  et 
M.  Félicien  Kops. 

\'oiIa  l'equip;igo  ilu  /,\'"<  if-rirr  oom^deté  et  prêt  à  reprendre  la 
.mer. 

Dans  la  même  séance,  les  AA'  otit  otVert.  en  témoignage  de  recon- 
naissance t^t  de  sym[;uhie.  a  leur  secrétaire,  M.  Octave  Maus.  et  à 
leur  trésorier.  M.  N'ictm*  Bcrnier,  deux  magnitiques  portet'euilies  de 
tlessins  exécutes  par  les  membres  do  rAs>ociatiou.  ..    . 


Nous  aiq>renons  avec  sati>factiou  la  nomination  île  doux  musi- 
ciens luerilauis  au  grade  de  chevalier  de  l'ordre  de  Leopold  : 
MM.  Mertens.  l'auteur  du  ('■piti'inc  Suit-  qui  vient  d'être  reçu 
Iriinuphaleniont  à  Hambourg,  et  Fuule  Mathieu,  le  compositeur 
;q>plaudi  de  FiYi/hir  t^t  du  lh)i/t>ti.r. 


La  promotion  de  .\L  Jose[)h  Du  [ton  t,  au  grade  d'or'ficiér.  paraîtra 
sous  peu  au  Monifenr.  ()n  a  tenu  a  rendre  justice  fi  l'exc^dient  chef 
d'orchestre  qui.  depuis  tant  d'années,  contribue  au  développement 
du  goiit  mu.sical  et  qui  vient  de  se  di.stinguer  partii:iilierement  par 
rinterprét,jtion  magistrale  qu'il  a  donnée  <\f:^  Wla/tres-ChanUurrs. 

■  Le  conc^Tt  que  le  Conservatoire  de  Mons  ort-ani-e  au  profit  des 
[.auvres  de  la  vilie  est  définitivement  tixè  au  30  de  ce  rnôi.s.  In.dé- 
pendamment  de  l'orchestre  et  des  chœurs  du  Conservatoire  qui  s'v 
t'eront  entendre,  voici  les  noms  des  artistes  qui  ont  bien  voulu  prêter 
leur  bienveillant  concoure  a  cette  o;uvre  de  bienfaisance  : 

M"''  Klly  Warnots.  ^L  Vivien,  violoniste,  prot'essei;r  au-  Conser- 
vatoire lie  Mons,  M.  Guri-.-k.x,  piani.-;te.  prot'esseur  au  C''.in.-,'-rvaN.ire. 
M.  Huet,  professeur  de  chant  au,  Co.nservatoir-^'.  • 

Le  toiit  soiis  'la  direction  de  AL  Jean  \'an  d-n  F>den-.  ■ 


A  I.') 'i^-mande  de, plusieurs  artiste-,  la  'Commission  admini.-trative 
du  (j'rri.lr  l'-'s  ort.Ut^i^  i/ir!pj,^>),.rj,/,,t-i  a  d'--r-;d^f  Af'  cl  '..furer  la  liste  des 
arlhésions  au   Salon  ile:^  Leau.x-Arts  d'^Anver>.  le  '-'A  mars  prochain. 

Nous  recevons  de  Gla.s<^o\v  le  catalog^i^  de  IF.xposit'i'tn  Internatio- 
nale des  Pieaux-Arts  actuellement  ouverte  daris  cette-  ville.  Lés 
artistes  belges  qui-  y  figurent  sont  :  MAL  Co'j-en.  Carri-ntier.  Fara- 
syn.  Montigny,  A.  Musin,  A.  1\<:U:ï':ï'.  XL^"^»  H-nrif^- ?e.  ■  A!;r:e  et 
Emma  Ronner  er,  M.  T'S':har:.er.  L.'t  .PfoUande  t^-st  représentée  ;-^.ar 
MAL  Jo--ep!i  Lsra'.-ls,  <'>ahri'-i.  .]■:■.>■■'.)  Al-iris  e»;  Pi"j<j:--enbeek.  'La 
France,  prir  AfAL  Bouguerenu.  Pj-^rceret,  C;,)rriHr-Beiiouse,  f>ame- 
ron,  D-^  Vuillerroy,  Fantin-Latour,' (.r:ràrd"rt,  Lliern.iùte,  feu  \'ict<jr 
L'.-claire  et  de  Nitti.^.  i-.tc. 

é'a  nous  écrir,  de  ti.us  (^''jtes  pour  nous  demander  la  da'e.j'i  tiraî.'e 
de  la  t(jmb«',;ia  vie  feu  rexi)o>ition  des  Beaux-Arts.  Alal^rre  les  r.^da- 
mations  de  la  Presse,  cette  date  n'est  pas  encore  rixee.  'Voilà  hieuti";t 
six  mois  que  le  Salon  est  f^^rmé  et  les  détenteurs  de  billets  'ie  la 
tombola  attendent  tou;i";ur.s.  Il  faut  avouer  qu'^ju  a^rit-avec  ua  -ans- 
•iTr'Cie  excessif.  La  len'eur  administrative  est  une  belle  chose,  mais 
pas  trop  n'en  fau-t.  ■       .      ■/    _  •   • 

Nous  lisons  dacs  le  Progriis  artistiqv.e  ^.     -, 

Henri  Litoln.  le  vieux  maître,  pleia  ije  talent  et  d'<îri^Inalité. 
s*^:tait  vu  accep'er  les  Ter,^ pU.r>i-s  par  ia  directL.'n  Va'iccjrbjeii  laquelle? 
lui  avai^■méme'c^jnseii!e  de  s'a'djijinilre  comme  Ubrettisi'e  n'être  sym- 
pathique et  spirituel  confrère  Armand  Silves're.  ce  qu'il  dt.  <Ih.aque 
saison,  c'était  un  niiuveau  retard,  wn^^  n-juvelie  excuse,  toujours 
mauvaise;  mais  toujours  acceptée  avec  résignation.  i:ar  Lirc-in"  est; 
sur  de  si/u  œuvre.  Tout'^s  les  persc'cnes  qui  ont  eu  la  bc>nne  fortune 
d'en  eLtendre  «les  fragment*  sont  ULsnimes  a  louer  l'immense  valeur 
de  ro[":rrà  du  maître,  seul-men*...  seulement,  l'cieve  de  Fetis- n'est 
pas  ti'un  â^-e  «"u  I'ijh  C'^urt  les  salons  r.iËciels  pour  faire  le  beau,  il  n'a 
pas-no-u  [dus  ie  caractère  'numble  et  sollicitant;  c'est  un  artiste  avant 
t'-'Ut .  aussi  apfreii-"'ns-nous,  avec  .peine  que  les  Tanpliers  fercuit 
l'ouverture  du  théâtre  de  la  M'.unaie  a  truielles,  l'hiver  prochain. 

Henri  Litolîï  a  aujourd'hui  00  ans.  0>a  sait  quel  virtuose  il  fut 
cumme  pianiste,  et  quelle  clarté,  quel  sentiment  et  quelle  c^ri^^inalite 
il  apporta  dans  ses  û'.'.i>:rt^'.vr:s.  sijinphonies  '.'?•  çoncertus,  au>si  bien 
que  dans  les  divers  0[iera--cumiques  qu'il  fit  représenter  u  Bade,  a 
Bruxelles  et  à  Paris.  Les  Templi''rs  seront  un  sui.-ces  que  otre  Aoa- 
de  ;  le  nationale  e.nvi-^ra,  nous  en  sommes  convaincu,  au  théâtre  de 
[a  Monnaie.  ..-  - 

L'anniversaire  de  la  mort  de  AVa:ruer  13  février  a  ete  celebre 
dans  toute  l'Ailemagne  par  les  institutions  de  concert  et  u'Ass.'Cm- 
tlons  wairrieriennes.  A  Berlin,  /c  Wagner  Vereiri  a  donne,  avec  le 
coiïcours  de  Cari  Hill,  le  celebr^  baryt<.->n  du  théâtre  «ie  Schweriu.  un 
grand  concert  dont  le  programme  comprenait  /■?  J/utc/ïc  furi^sn,-,'  de 
Siegt'rie«i.  l'Ag'jpe  dfs  apr'/tres.  leprelude  de  Lohe>igfin  e:  le  troi- 
sième acte  de  P.o'sifal  Oirchestre  d^e  105  musiciens  sous  la  iirectiou 
de  Cari  Kiindworth.  La  chapelle  Bilse  a  également  -ionne  unCon'.-erf;- 
W'acner  à  l'occasion  de  cet  anniversaire. 


La  cérémonie  de  l'inauguration  du  monument  de  A\'a?hingtoa  a 
eu  ll'i'u  le  24  février.  Lue  foule  nombreuse  y  assistait. 

-Le  mouumeut'à  155  pieds  de  haut  et  a  coûte  t.lOO.OOO  dollars, 
dont  900.000  ont  ete  fournis  par  le  gouvernemeut.  C'esc  une  oon- 
structiou  eu  forme  de  tour., visible  à  plusieurs  nuilcs  ie  distunct;  et 
surpassant  le  Capitole.  <Ui  peut  monter  au  sommet  du  m>u;umenc 
[lar  un  escalier  intérieur  et  t'ur  un  ascou^^eur. 


Les  annonces  sont  reçues  au  bureau  du  jommall 
20,  nie  (le  r Industrie,  à  Bruxelles. 


SCHOTT  Frères,  Editeurs  de  Musique,  Bruxelles 

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Maison    principale  :    MONTAGNE    DE    LA    COUR.    82 


LES  1|\ITIIES  CILWTEIJRS  DE  NUREMBERG 

,    (Die  Meistorsingcr  von  Nûrnberg) 

Opéra  en  3  actes  de  • 

PARTITION    POUR    CHANT    ET    PIANO,    NET    20    FRANCS. 


Librctto  .        . '    •        .        .  '      . 

licnoU.  Les  motifs  typiciues  des  Maîtres  clianteurs  .        . 

ARRANGEMENTS  POUR  PIANO  A  2  MAINS  : 

Im  Partition  complète . 

Ou i-erfurc.  Introduction       .        .        .        .       .        .       .        .        . 

/yfl  «i^»i<^,  arranp.  par  H.  de  Bulow    .<     .       .        .        . 

Introduction  dVL  3' Sicte.       .        .       .        .        .        .    '  . 

^c'i/er,  F.  Répertoire  des  jeunes  pianistes         .        .        .        •    ;    • 
j>        Bouquet  de  Mélodies  .        .        .        .        .        .        .        . 

Brunncr,  C.  Trois  transcriptions,  chaque        .        .        .        .        . 

Z?w/otr, /f.  (de).  Réunion  des  Maîtres  chanteurs       .       .      >. 
»  Paraphrase  sur  le  quintuor  du  3*  acte    . 

Cramer, //.  Pot-pourri         .        ;       .• 

«  Marche    ......       ^       ..       . 

Danse  des  apprentis 

GoftbfltTts,  L.  Fantaisie  brillante       .       .        .        .        .        . 

Jacll,  A.  Ôp.  137.  Deux  transcriptions  brillantes  (AVerbegesang- 

Preislied),  chaque 

Op.  148.  Au  foyer   .        .        .  ^    .        •        .       ,        »        . 
/vOsse»,  £".  Deux  transcriptions  de  salon,  n' I  .        .        .       .        , 

n*  II.       ....       . 

/,e/frrf.  Op.  26.  Transcription     .        .       .        .       .       .       .-.'.. 

Ratr,  J.  Réminiscences  en  quatre  suites,  cahier  T  et  II,  à 

cahier  III.       ... 

cahier  IV.       .        . 
i??/jîp, //.  Chant  de  AValther        ,       .'      .       .        .       .        .       . 

77" "/-"ARRANGEMENTS  POUR  PIANO  A  4  MAINS  : 

La  Partition  complète         .        .        ,        .        .        .        .     .  .  . 

OKferfioY.  Introduction  par  C.  Tausig     .        .        .        .        .  . 

Bcyer,  F.  Revue  mélodique 

Bùlov,  H.  (de).  La  réunion  des  Maitres  chanteurs,  paraphrase  . 
Cramer,  H.  Pot-pourri.        .        .        .        . 

Marche .,      .        .  . 

Z)f  î7/?>ar.  Deux  illustrations,  chacune   ..        .        .        .        . 

ARRANGEMENTS  DIVERS  : 

Omvr/ioY  pour  2  pianos  à  8  mains    . 
Gregoir  et  U'onard.  Duo  pour  violon  et  piano. 
Kaslner,  E.  Paraphrase  pour  orgue-mélodium. 
Lux,  iï'iJ'rélude  du  3*  acte  pour  orgue     . 
Oberthur,  Ch.  Chant  de  Walther  pour  harpe,  . 
SingeUe,  J.  B.  Fantaisie  brillante  pour  violon  et  piano 
Golterman.  Chant  de  Walther,  pour  violoncelle  et  piano 
Wickede,  F.  (de).  Morceaux  lyriques  pour  violoncelle  et  piano 
N*  1.  "NValther  devant  les  Maîtres 
N°  2.  Chant  de  Walther        ..... 
WilhelwJ,  A.  Chant  de  AValther,  paraphrase  pour  violon  avec 
accompag.  d'orchesiie  ou  de  piano.  Partition 

L'accompagnement  d'orchestre 

«  de  piano      .        .        .        , 


Fr. 


2    - 

1  50 


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VIENT  DE  PARAITRE 

CHEZ  FÉLix-eALLEWAERT   Père 

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LA  FORGE  ROUSSEL 

V    PAR  Edmond  PICARD 

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Prix  :    Grand  Japoii,    60  francs;  Chine  ;  genuine,  40  francs; 
Hollande  Van  Gelder,  25  francs. 


VIENT  DE  PARAITRE  CHEZ 

BREITKOPF  &  HÀRTEL 

KDITKURS    DE    MUSïQUE 

BRUXELLES,  41,  MONTAGNE  DE  LA  COUR^ 


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DE  J.-N.  LEMMENS. 
Tome  deuxième.  --  Chants  liturgique^.  -    Prix  net,  15  fr. 

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(Ancienne  maison  Meynne). 

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Paris  1867,  1878,  l^""  prix.  —  Sidney,  seul  l*""  et  2«  prix 

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BRUXELLES. 
Atelier  de  menuiserie  et  de  reliure  artistiques 


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POUR  TOUS  GENRES  DE  PEINTURES. 

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MANNEQUINS,  CHEVALETS,  ETC. 

BROSSES  ET  PINCEAUX, 

CRAYONS,  BOITES  A  COMPAS,  FUSAINS, 
MODÈLES  DE  DESSIN. 

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ET  VERNISSAGE  DE  TABLEAUX. 


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Représentation  de  la  liaison  BINANT  de  Pans  pour  les  toiles  liolielins  (imitation) 


NOTA.  —  La  malton  dispose  de  vingt  ateliers  pour  artistes. 
Impasse  de  la  Violette,  i. 


Bruxelles.  —  Imp.  Félix  Callewaert  père,  ru«  de  l'Industrie,  26. 


C^yiÈME^  ANN;iE ,  —  N°  1 3 


Le  numéro  :  25  centimeîb*^- 


DiMANCHE  29  Mars  1885. 


MODERNE 


PARAISSANT    LE     DIMANCHE 


7 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,   un   an,   fr.   10.00  ;  Union  postale,    fr.    13.00.    —   ANNONCES  :    On    traite   à  forfait. 


Adresser  les  demandes  d'ahonnement  et  toutes  les  co'ir^munico.tions  à  . 
i/administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxellesp 


^OMMAIRE 


Les  Swanzeurs  uJautJkkfois.  A  iircpos  d' Eugène  Delacroix.  — 
Adalhkht  ue  GoLDSCHÎfîiDT.  II.  Liedc'i\  Poétnc  symphoniqv.e.  Dan- 
ses atyriennes,  Siciliano  et  Musette^.  —  Exposition  des  Beaux- 
Arts  d'Anvers.  Docnrnents  à  conserver.  —  Théâtres.  Théâtre 
Molière,  Le  Prince  Zilah.  —  Notes  de  musique.  Concert  Lnisa 
Cognetti.  —  Conférences.  Conférence  de  Georges  Rodcnbach  '^'u- 
Cercle  artistique.  —  Petite  chronique.-        , 


LES  ZWÂNZEURS  D'AUTREFOIS 

A  propos  ^'Eugène  Delacroix 

Los  journaux  de  Paris  sont -remi)iis  d'appréciations  sur  D>'la- 
croix.  In  dos  nioillours  arliclos  jKirus  osl  celui  du  M.  (lollVoy 
dans  la  Justice.  Nous  on  extrayons  les  parties  les  plus  intéres- 
santos  pour  les  locleurs  beli:jes. 

La  biop^raphic  de  Delacroix,  ([ui  doit  servir  de  préambule  à  un 
examen  dos  ceuvres  exposées  en  ce  nioinenl  à  l'Ecole  dos  Denux- 
Arls,  no  doit  pas  consister  en  une  énumération  des  menus  î'aits 
qui  constituent  la  vie  apparente  de  l'artiste.  Il  est  plus  inlêrossa"nt 
de  montrer,  i)ar  des  documents  incoiitestés.  ce  qui  s'est  produit 
au  premier  contact  de  ses  louvres  avec  l'opinion;  (juand  on  aura 
constaté  la  réception  faite  auirefois  au  maître  aujourd'hui  accepté 
par  une  postérité  si  peu  lointaine,  on  aura  chance  de  voir,  sous  un 
angle  d'incidence  plus  exact,  riionune  tel  qu'il  se  révèle  dans  ses 
curieux  écrits,  l'artiste  tel  qu'il  s'allirme  ilans  ses  œuvres  achevées 
et  dans  ses  innombrables  essais.        - 

•  La  chronologie  de  la  vie  de  Delacroix  aura  d'ailleurs  été  vile 
établie  quand  on  aura  dit  (juo  le  peintre  naquit  à  Charenlon 
Saint-Maurice  le  'i^i  avril  1708;  qu'il  eUulia  dans  l'atelier  do 
liuérin;  qu'il  fut  généralenronl  refusé  aux  Salons;  qu'il  mourut  à 
Paris  le  i:J  août  l^Oo.   ^  ' 


Mais  les  dates  prennent  une  importance,  et  la  biographie 
s'anim.e,  si  l'on  note  l'accueil  qui  lui  a  été  fait  à  son  apparition. 

En  18;î-2,  Dante  et  Virgile.  Delacroix  n'a  pas  seulement  à  sup- 
porter riiostiliié  de  (juérin,  son  professeur,  les  restrictions-  des 
.  arrivés,  les  injures  des  critiques.  Le  journaliste  qui  le  défend, 
M.  Thiers,  termine  ses  éloges  par  une  association  de  noms  qui 
fait  croire  à  une  étonnante  inconscience  :   .       ,  - 

•*  En  résumé,  MM.  Drolling,  Dubufe.  Cogniet,  D?stouoh»?s  et 
Delacrijix  forment  une  u'énératiou  nouvelle  qui  soutient  l  honneur  Je 
l'école  et  marche  avec  le  siècle  vers  le  Lut  que  l'avenir  lui  pi<esente.  » 

En  18-2-i,  Xa  Massarre  de  Scio.  On  peut  lire  dans  la  Revue  cri- 
tique du  .Siilon,  qui  alors  faisait  autorité  : 

«  M.  De!acr'".ux"[\'^ralt  rechercher  particulièrement  les  scènes  dans 
les'quelles  il  peut  faire  entrer  des  uat>ires  bigarres  et  souvent 
ignobles...  Ceux  dont  la  raison  veut  être  satistaite  avant  t(>ut  trouve- 
ront que  ce  jeune  homme  n'a  qu'un  goût  déréglé,  sacs  trein,  et  qu'il 
est.  avec  toutes  ses  belles  qualités,  trop  voisin  du  bas  et  île  Hirnoble.  » 

Au  Salon  de  18:27,  le  Christ  au  jardin  des  oliviers.  Marina 
Faliero,  Milion  aveugle  dictant  le  Paradis-Perdu,  Apparition 
de  Mephistophelès  à  Faust,  Justinien,  Sardanapale. 

Le  Journal  de^  Artistes  prononce  :         ■ 

.•    «  Ambitieux  sectaire...  Ebauches  grossières.  aJaïises  par  le  ^urv 
avec  une  l'uneste  com[)laisauce...  » 

L'Etat  se  fiit  rexécuteur  des  arrè'is  de  la  crititpie.  Delacroix 
écrit  le  récit  de  son  entrevue  avec  le  ^  tiouvcrnement  ^)  : 

-  Sous  la  Restauration,  les  Salons  de  pt-inture  u'c-aieut  point 
annuels.  Pour  un  homme  militant  et  ardent,  c'était  un  ;::rai;:,i  mal-  " 
heur  ilans  l'âge  de  la  sève  et  de  l'audace.  A  ki  ûi\  d'un  Je  ces  Saious. 
on  1827  (on  renouvelait  alors  les' tableaux  à  mesure  que  l'exi-'ositiou 
se  prolongeait^  j'exposai  un  tableau  de  Sardanapale.  S  il  m'est 
[permis  de  comparer  les  p'Ctitcs  choses  aux  grandes,  ce  fut  mou 
Waterloo.  ' 

•*  J'avais  eu  quelques  succès  à  ce  Sâlou,  qui  dura  presque  six  m^>;s. 


Cette  œuvre  nouvelle,  qui  arriva  la  dernière,  souleva  l'indignation 
feinte  ou  réelle  de  mes  amis  ou  de  mes  ennemis.  Je  devenais  l'abo- 
mination.de  la  peinture.  Il  fallait  me  refuser  l'eau  et  le  sel. 

«  M.  Sosthènes  de  la  Rochefoucauld,  alors  chargé  des  beaux-arts, 
me  fait  venir.  Je  rêve  déjà  quelques  grandes  commandes,  quelque^ 
vastes,  tableaux  à  exécuter.  M.  Sosthènes  fut  poli,  empressé,  aimable  ; 
il  s'y  prit  avec  douceur  et  comme  il  put,  pour  mè  faire  entendre  que 
je  ne  pouvais  pas  avoir  raison  contre  tout  le  monde,  et  que,  si  je 
voulais  avoir  j)art  aux  faveurs  du  gouvernement,  il  fallait  changer 
de  manière.         .  '   ■\'    ' 

«»  —  Je  ne  pourrai^,  lui  répondis-je,  m'empécher  d'être  de  mon 
opinion,  quand  la  terre  et  les  étoiles  seraient  d'unie  opinion  contraire. 

«  Et,  comme  il  s'apprêtait  à  ra'altaquer  par  le  raisonnement,  je 
lui  tis  un  grand  salut  et  je  sortis  de  son  cabinet. 

«  J'<itais  enchanté  de  moi-même. 

««  A  partir  de  ce  moment,  mon  Sardanapale  me  parut  une  œuvre 
supérieure,  plus  remarquable  que  je  ne  l'avais  pensé.  » 

C'est  aloFS  que  la  guerre  faite  h  l'artiste  devient  véritablement 
sauvage.  Les  journaux  ne  se  contiennent  plus  et  l'Institut  s'égaie. 
Tous  les  mots  célèbres  sont  prononcés.  > 

Un  académicien  :  ' 

«  Les  toiles  do  Delacroix  font  songer  aux  romans  du  vicomte 
d'Arlincourt.  >♦  .        - 

Un  criliquc  : 

•♦  Ce  gaillard-là  peint  si  bien  les. animaux  ;  pourquoi  ne  fait-il  pas 
le  même  honneur  à  la  figure  humaine  ?» 

Un  journaliste  : 

,.     «  M.  Delacroix  peint  avec  un  balai  ivre.  »» 

Au  milieu  des  murmures  ironiques  cl  des  ricanements,  le  noble 
arlistedit  à  Tliéoj)hile  Silveslre  qui  l'accompagne  : 

«  Voilà  plus  de  trente  ans  que  je  suis  livré  aux  bêtes!  »     - 

Jusqu'en  18.")3,  ce  sont  de  perpétuels  refus  aux  Salons;  sur 

dix   toiles  présentées,  une  est  admise  par  les  extraordinaires 

jurys.  A  l'Exposition  de  1855,  la  critique  n'a  pas  désarmé;  son 

odieuse  plume  crache  encore.  Voici  ce  qu'écrit  Maxime  du  Camp  : 

««  Chez  M.  Delacroix,  j'ai  beau  chercher  l'idée,  j'ai  beau  m'ingé- 
nier,  me  fatiguer  pour  découvrir  une  pensée  dominante  ou  seule- 
ment perceptible,  je  ne  la  rencontre  jamais.  Quant  à  la  forme,  je  la 
trouve  hideuse,  toujours  semblable  .et  anti-humaine  au  suprême 

degré La  vérité,  il  ne  s'en  sçucie  pas;  la  dignité  humaine,   il 

la  méprise  absolument;  son  art  môme,  il  le  dédaigne,  si  nous  en 
jugeons  par  le  sans-façon  avec  lequel  il  le  traite  et  le  rang  auquel  il 
le  rabaisse.  Aussi  M.  Delacroix  ne  restera  ni  comme  peintre  de 
genre,  ni  comme  peintre  d'histoire...  Les  tableaux  de  M.  Dela- 
croix   jamais  ne  m'émeuvent,  jamais  ne  me    touchent;    s'ils 

restent  dans  ma  mémoire,  ce  n'est  pas  par  le  sujet  qu'ils  doivent 
interpréter,  mais  seulement  par  le  ton  principal  dans  lequel  ils 
sont  peints  :  je  me  rappelle  que  telle  toile  est  violette,  que  telle 
autre  est  gris  de  perle,  mais  je  ne  sais  plus  ce  qu'elles  représentent.  » 

C'est  sans  doute  cela,  ces  injures  sans  raison,  ces  négations 
sans  explications,  qui  faisaient  écrire  à  Delacroix  ces  réflexions 
justement  orgueilleuses  :  . 

«»  Il  est  malheureusement  trop  certain  que  la  supériorité  du  talent 
.ne  suffit  pas  pour  mettre  la  gloire  elle-même  à  l'abri  des  variations 
de  l'opinion  et  de  la  mode.  Il  est  des  talents  privilégiés  qui  ont  été 
entourés  tout  de  suite  d'une  admiration  à  laquelle  le  temps  n'a  fait 
qu'ajouter.  Les  grands  artistes  qui  ont  brillé  par  la  grâce,  le  charme 
et  la  noblesse  de  leurs  inventions  ont  peut-être  conquis  plus  rapide- 
ment que  les  autres  l'unanimité  des  suffrages.  Raphaël,  Léonard  de 


Vinci,  Paul  Vérorièse,  Ci màrosa  n'ont  pas  attendu  longtemps  la  jus- 
tice de  l'opinion.  Au  contraire,  les  génies  austères  qui  sondent  les 
abîmes  de  l'âme  et  saisissent  plus  volontiers  dans  leurs  peintures  le 
côté  terrible  et  pathétique  des  choses  humaines,  exercent  un  empire 
plus  restreint  et  plus  contesté  La  violence  ou  la  singularité  de  leurs 
inspirations  les  isole  des  sentiments  ordinaires  et  fait  que  leurs  qua- 
lités mêmes  sont  l'objet  d'une  éternelle  discussion,  w 

Ajoutez  à  l'inquiétude  morale  le  souci  de  l'existence  elle- 
même,  confessé  dans  Celte  lettre  à  un  ami,  M.  Soulier  : 

«♦  La  grande  occupation  de  mon  existence,  celle  qui  tient  en  sus- 
pens et  en  échec  les  hautes  et  j)uissantes  facultés  que  la  nature  m'a 
accordées,  au  dire  de  quelques  bonnes  gens,  c'est...  d'arriver  à  payer 
mon  terme  tous  les  trois  mois  et  de  vivoter  mesquinement.  Je  suis 
tenté  de  m'appliquer  la  parabole  de  Jésus-Christ,  qui  dit  que  son 
royaume  n'est  pas  de  ce  monde.  J'ai  un  rare  génie  qui  ne  va  pasjus- 
qu'à  me  faire  vivre  paisiblement  comme  un  commis.  L'esprit  est  le 
dernier  des  éléments  qui  conduit  à  faire  fortune  ;  cela  sans  figure, 
sans  exagération.  L'imagination,  quand  pour  comble  de  malheur,  ce 
don  fatal  accompagne  le  reste,  consomme  la  ruine,  achève  de  flétrir, 
de  briser  dans  tous  les  sens  l'âme  infortunée.  L'amour  de  la  gloire, 
passion  menteuse,  feu  follet- ridicule,  conduit  toujours  droit  au 
gouffre  de  tristesse  et  de  vanité...  Si  j'ai  des  enfants,  je  demanderai 
au  ciel  qu'ils  soient  bêtes  et  qu'ils  aient  du  bon  sens.  De  travaux  et 
d'encouragements,  je  n'en  dois  attendre  aucun.  Les  plus  favorables 
pour  mpi  s'accordent  à  me  considérer  comme  un  fou  intéressant, 
mais  qu'il  serait  dangereux  d'encourager  dans  ses  écarts  et  dans 
sa  bizarrerie.  »» 

Rapprochez  de  celte  lettre  les  prix  demandés  à  Paul  Foucher, 
intermédiaire  d'Auguste  Vacquerie,  pour  trois  tableaux  aujour- 
d'hui haut  cotés  :  ., 

*»  Monsieur,  je  m'empresse,  suivant  votre  désir,  de  vous  dire  les 
prix  des  tableaux  que  vous  voulez  bien  me  désigner.  Ces  prix  sont 
au  dessous  de  ceux  que  je  demanderais  à  un  amateur;  je  verrais  avec 
plaisir  qu'ils  pussent  convenir  à  votre  ami  :  " 

-T  Vovivle  Samaritain   .     .    ..     .'fr,     300 

Id.      Giaour 400 

Id.      Lever   .......     800 

Et  relisez  enfin,  dans  les  journaux  du  temps,  les  comptes- 
rendus  des  obsèques  :  regardez  défiler  le  piquet  de  gardes  natio- 
naux, les  froids  discoureurs  officiels,  les  600  personnes  présentes 
à  Saint-Germain-des-Prés,  réduites  à  200  au  Père-Lachaise. 

Un  mot  de  cet  admirable  peintre  marque  bien  par  quelles 
détresses  il  dût  passer.  Il  venait  d'avoir  rfia;-5ejw/  tableaux  refusés 
au  Salon,  et  comme  pour  changer  le  cours  de  ses  idées,  M.  Gi- 
goux  lui  parlait  d'un  petit  héritage  qu'il  venait  de  faire  :  —  Oui, 
c'est  vrai,  répond-il,  au  moins  avec  cela,  je  suis  sûr  de  ne  pas 
mourir  portier. 

Ces  dix-sept  tableaux  refusés  ont  passé  et  repassé  à  l'hôtel  des 
ventes.  Leur  prix  a  constamment  été  de  quarante  h  quarante- 
cinq  mille  francs,  chaque.  Une  autre"  toile,  le  Lion^  payée  à 
Delacroix  douze  cents  francs  par  le  marchand,  rachetée  seize 
cents  par  Troyon,  a  été  vendue  depuis  soixante  mille  francs. 

Nous  serions  très  aise  de  connaître  l'opinion  actuelle  des 
critiques  survivants,  qui  éreinlèrent  si  pesamment  Delacroix, 
devant  le  triomphe  jJ'aujourd'hui. 

Le  contraste  est  grand  de  ces  choses  passées  avec  l'ovation  qui 
salue  aujourd'hui  la  triomphale  entrée  d'Eugène  Delacroix  ^ 
l'Ecole  des  Beaux-Arts,  salles  dont  Courbet  et  Manel  ont,  eux 
aussi,  forcé  les  portes.  C'est  cette  victoire  qu'il  fallait  enregistrer 
avant  tout.  C'est  celte  leçon  donnée  par  les  événements  qu'il  fal- 


jait  recueillir.  Dure  leçon,  non  seulement  ponr  la  critique  d'au- 
trefois, mais  pour  la  critique  d'aujourd'hui  et  pour  la  critique  de 
demain!  11  n'est  pas  uii  p;rand  travailleur  apportant  de  l'original 
qui  n'ait  élé  accueilli  comme  le  peintre  du  Massacre  de  Scio  et 
de  Boissy  (ÏAnglas;  il  n'en  est  pas  un  qui  n'ait  été  repoussé  et 
bafoué  avant  d'ûlrc  com,pris.  L'exemple  de  Delacroix  est  là  pour 
provoquer  aux  examens  et  pour  retenir  les  paroles  imprudentes, 
pour  empêcher  de  juger  l'idéal  nouveau  au  nom  de  l'idéal  d'hier, 
pour  remettre  à  leur  vraie  place  les  révolutionnaires  artistiques 
de  la  veille  devenus  les  hommes  de  gouvernement  du  Icndc- 


mam. 


^D/^LBERT    DE    ^C^OLDpCHMIDT 


n 


II 


HÉLIANTHUS  (**).  —  Lieder  (**).  —   Poème  sympho- 
nique  (**).  —_  Danses  styriennes  (*'*).  —  Siciliano  et 

Musette  ("). 

Nous  avons  apprécié  rapidement  celte  bizarre  partition  Les 
Sep l  pèches  capitaux,  trop  habilement  salaniquc  et  d'une  lassante 
confusion.  Hélianlhiis,  d'une  religiosité  beaucoup  moins  exas- 
pérée, c'est  la  lutte  du  christianisme  mystique  contre  la  rude 
sauvagerie  païenne,  et  le  triomphe  de  celui-là.  Les  motifs  carac- 
téristiques sont  bien  distincts  :  les  uns  rauques  et  barbares,  les 
autres  extatiques  et  ireligieux,  dessinant,  d'une  part,  Wittekind 
et  Ragast,  d'autre  part,  Sigune,  Lodogar  et  Hélianlhus.     • 

Ces  motifs  symboliques,  comme  dans  la  première  partition  de 
Goldsclnnidt,  manquent  de  précision  et  surtout  de  développe- 
ments; la  couleur  en  est  unitonale  et  la  forme  coulée  invariable- 
ment dans  un  seul  moule.  Les  personnages  sont  d'un  bloc,  d'une 
stature;  leur  cerveau  roule  toujours  les  mêmes  pensées,  sans 
modulations,  sans  clair-obscur,  sans  nuances. 

11  est  étrange  qu'un  musicien  si  habile  fasse  preuve  ici  d'une 
iricxpéricnce  aussi  grande.  Son  œuvre  n'a  rien  de  creusé;  une  uni- 
forme superficialité maladroitement  fige  son  inspiration  musicale. 
Et,  outre  celte  immobilité  dramatique,  elle  révèle  un  manque 
sérieux  de  slyle  original.  Trop  souvent,  en  lisant  Hélianlhus,  on 
se  souvient  de  sonorités  entendues  déjà  dans  le  6'o//d;Y/âm?«?'?/7igf, 
dans  Tristan  et  Isolde  et  niéme  dans  Lohengrin.  S'insj)iror  du 
syslcmo  wagnérien  est  parfait,  mais  tomber  lourdement  dans 
celte  faute,  commune  à  tous  les  jeunes  compositeurs  allemands 
d'aujourd'hui,  d'une  imitation  scrvile  et  humiliante,  est  dange- 
reux. 

Goldschmidt  a  suffisamment  de  talent  pour  rester  original  : 
nous  n'en  voulons  comme  preuve  que  le  curieux  travail  harmo- 
nique iVHélianthus. 

L'orchestre  est  d'une  belle  sonorité,  quoique  peu  psycholo- 
gique; mais  les  chœurs  sont  souvent  d'une  couleur  terne  et 
amaigrie.  Nous  ne  reprocherons  pas  au  musicien  le  nébuleux, 
pa4=fois  intraduisible,  qui  plane  à  la  tombée  de  son  œuvre  :  la 
faute  en  est  au  poème  assez  sottement  enfantin  dans  son  empha- 
tique mysticisme.  Ce  poème,  le  voici  en  ((uelques  lignes  : 

Wittekind,  entouré  des  guerriers  saxons,  se  féli'ciie  d'avoir 
autour  de  lui  son  peuple  resté  fidèle  à  la  religion  de  ses  pères. 


(")  \o\Y  Y  Art  Moderne  du  22  mars  1885. 
(")  Leipzig,  Breitkoi'K  ot  Haktkl. 
("*)  Hanovre,  Arnold  Simon. 


alors  qu'un  culte  étranger  menace  de  renverser  ses  dieux.  On 
annonce  l'arrivée  de  Ragast,  prince  des  Sorbes,  qui  vient 
offrir  son  alliance  amicale  au  roi  des  Saxons  et  lui  demander  la 
main  d3  sa  fdle  Sigune.  Celle-ci  accepte,  à  condition  que  son 
fiancé  vengera  l'outrage  qu'elle  a  subi  :  elle  s'était  réfugiée  dans 
la  forêt  d'ïrmin,  lorsqu'un  héros  chrétien,  après  avoir  brisé  une 
branche  de  l'arbre  sacré,  osa  l'embrasser  et  lui  arracher  le  bijou 
runique  qui  protège  sa  race.  Il  le  brisa,  annonçant  son  retour 
prochain.  Ragast  promet  de  venger  l'insulte  et  Sigune  lui  remet 
le  fragment  du  bijou  sacré. 

Lodogar  descerid  des  rochers  qui  entourent  le  burg  du  roi 
saxon  :  on  l'interroge.  H  raconte  longuement  la  naissance  du 
Christ  :  l'étoile  lumineuse  guide  les  rois  mages  vers  la  crèche 
divine  et  une  colombe  descend  sur  l'enfant-;  des  chants  angé- 
liques  planent,  lents  et  calmes,  dans  la  nuit. 
■  Mort  au  chanteur!  clament  les  rauques  guerriers  saxons.  Lodo- 
gar voit  les  cieux  s'entr'ouvrir  et  s'offre  pour  le  martyre  chrétien, 
lorsque  soudain  Hélianlhus  arrive,  une  croix  dans  la  main  droite, 
et  vient  proposer,  au  nom  de  Charlemagne,  la  paix  aux  Saxons, 
à  condition  qu'ils  reçoivent  le  baptême.  Après  un  colloque 
violent  où  Gewo  exalte  la  liberté  de  sa  race,  une  lutte  éclate 
entre  Hélianlhus  et  Gewo,  qui  tom"be  bientôt  mortellement 
frappé.  Ragast  veut  s'élancer  sur  Hélianlhus,  la  hache  haute, 
lorsque  Sigune  couvre  celui-ci  de  son  corps  et  tombe  à  genoux 
près  de  Gewo,  mourant.  Gewoderaande qu'on  laissepartirHéliaU' 
Ihus  en  liberté  et  chante  ses  adieux  à  la  nature  impassible. 
Wittekind  fait  l'éloge  funèbre  de  Gewo  et  ordonne  ses  funé- 
railles; il  permet  à  Hélianlhus  de  partir  et  exile  Lodogar;  tous 
deiMc  s'éloignent,  tandis  que  Sigune,  observée  par  Ragast,  suit 
Hélianlhus  d'un  regard  longuement  amoureux. 

Le  deuxième  acte  est  presque  tout  entier  composé  d'un  duo 
religieusement  emphatique  entre  Hélianlhus  el  Sigune,  duo  coupé 
çà  et  là  de  strophes  nébuleuses  expirées  par  Lodogar  invisible.  11 
rappetle.-non  seulement  par  l'identité  de  situation  mais  parla 
musique  enveloppante,  le  deuxième  acte  de  Tristan  et  Isolde. 
Comme  dans  l'œuvre  de  Waijner  la  dicjnité  matrimoniale  trouve 
son  vengeur  dans  le  naïf  et  farouche  roi  Marcke,  ici  Ragast 
frappe  Hélianlhus,  le  séducteur  qui,  amoureux  peu  confiant, 
reproche  à  Sigune  de  l'avoir  attiré  dans  un  guel-apcns.  Celle-ci 
le  supplie  en  vain  de  la  suivre  et  s'afl'aisse  dans  une  morne  déso- 
lation. Mais  une  femme  apparaît  et  lui  dit  de  reprendre  courage 
et  d'aspirer  au  salut. 

Au  dernier  acte,  le  triomphe  du  christianisme  est  définitif. 
Wittekind  lui-même  se  courbe  devant  la  croix,  el  Hélianlhus, 
étreint  par  le  doute,  sent  planer  sur  son  front  les  anges  de  la 
foi.  De  longues  mélopes,  frôlées  de  mystiques  prières  dans  les- 
quelles s'évaporent  les  principaux  personnages  du  drame,  ter- 
minent enfanlinement  cette  œ'uvre  singulière  qui,  représentée  sur 
plusieurs  scènes  allemandes,  a  élé  bruyamment  discutée,  signe 
attirant  d'une  personnalité  artistique. 

Mais  ici,  nous  l'avouons,  l'attirance  est  lrom[ié\ue.  Hélianthus 
est  Ta^uvre  caractériste  du  jeune  musicien  cl  il  n'y  a  vraiment  à 
en  retenir  que  dos  fragments  éj)ars  du  deuxième  acte  :  le  reste  est 
faible  comme  expression  dramatique  et  comme  psychologie  musi- 
cale. Les  personnages-lypes,  Lodogar,  Hélianlhus  et  Sigune, 
sont  des  composés  de  divers  personnages  wagnériens  :  Tristan  el 
Lohengrin,  Isolde  et,  dans  une  mince  mesure,  Eisa. 

L'œuvre,  dans  son  ensemble,  nous  parait,  malgré  une  science 
musicale  s'exaspérant  en  singularités  spécieuses,  peu  originale  et 


n'annonçant  pour  l'avenir  aucune  forme  nouvelle.  Une  compré- 
hension approximative  du  système  wagm'Tien  unie  h  une  dange- 
reuse et  fausse  habilité,  telle  est  la  caraclérislique  de  Gold- 
schmidl. 

Outre  les  deux  partitions  dont  nous  venons  de  parler,  son 
œuvre  publié  se  compose  encore  d'une  vingtaine  de  Lieder,  d'un 
Poème  symphonlque  et  d'une  série  de  Danses  écrites  pour  piano. 

Ces  lieder  ne  dépassent  point  le  niveau  de  toutes  les  banalités 
prodiguées  en  Allemagne  sous  ce  qualificatif.  Ilest  déplorable  de 
voir  Goldsclimidt  gaspiller  son  talent  par  cette  production  facile 
et  éphémère.  C'est  à  peine  si  quelques-uns  [vom  Rhein  et  Wie- 
genlied)  ont  certaine  couleur  musicale;  la  masse  est  médiocre. 
Médiocres, aussi,  plus  médiocres  mêmes,  les  Danses  stijriennes 
pour  piano  :  c'est  en  musique,  V article  viennois,  lourdiMnent  vul- 
gaire sous  un  faux  semblant  de  distinction.  Nous  citerons  seule- 
ment une  Sicilienne  et  une  Musette  pour  piano.  Pouniuoi  ne  pas 
garder  cela  dims  ses  tiroirs?  Qu'imporleut  de  telles  productions 
pour  les  vrais  musiciens,  et  le  public  n'ost-il  point  déjà  suftisam- 
ment  imprégné  de  médiocre? 

La  dernière  œuvre  éditée  est  un  Poème  symphonique  terminé 
par  une  très  courte  phrase  de  ténor  et  une  phrase  pour  chœur  sur 
un  texte  du  Faust  de  Lenau.  Elle  est  peu  intéressante  et  destinée 
à  un  rapide  oubli. 

Ajoutons  qu'Adalbert  de  Goldschmidl  est  élève  de  IJszt,  qu'il 
habite  Vienne,  où  sa  fenuTie  jouit  d'une  grande  réputation  comme' 
cantatrice,  et  qu'il  est  âgé  de  trcM^te-cinq  ans,  l'âge  annonçant  la. 
venue  d'œuvres  mûrement  caractéristiques.  Nous  aurons  ainsi 
mis.  sur  pied  une  personnalité  musicale  qui  souvent  semble  vou- 
loir s'élever  très  haut,  mais  qui  malheureusement  retombe  pres- 
que aussitôt  dans  le  médiocre  et  le  banal  habilement  déguisés. 


EXPOSITION  DES  BEAUX-ARTS  A  ANVERS 


DOCUMENTS  A  CONSERVER 


Le  Secret  du  vote.  —  La  Suppression  des  médailles. 

Voici  les  divers  documents  qui  ont  été  lus  à  la  réunion  des 
artistes  bruxellois  le  18  mars  dernier  : 

Discours  de  M.  HAGEMANS. 

A  la  Chambre  des  représentants,  le  10  février  1872,  iM.  Hage- 
mans,  alors  député  de  Thuin,  disait  : 

«  Les  membres  du  jury  doivent  prêter  le  serment  qu'ils  ne 
révéleront  rien  de  ce  qui  se  passera  dans  les  réunions.  Pourquoi 
cette  mesure,  digne  du  conseil  des  Dix?  Pourquoi  cette  précau- 
tion? Il  ne  faut  pas  se  dissimuler  qu'elle  peut  avoir  de  grands 
inconvénients  :  en  effet,  un  membre  du  jury,  forcé  de  se  taire 
sur  des  abus  auxquels  je  ne  crois  pas,  mais  qu'il  faut  bien 
admettre  comme  possibles,  pourrait  être  obligé  de  renoncer  à 
son  mandat  ou  d'accepter  la  responsabilité  de  choses  qu'il  n'ap- 
prouve pas.  Ce  mal  disparaîtrait  si  le  secret  n'était  pas  exigé. 
Qui  agit  au  grand  jour  inspire  toujours  plus  de  confiance.  » 

Discours  de  M.  Edouard  FÉTIS. 
Séance  de  l'Académie  du  28  octobre  1883. 

<c  La  médaille  est-elle  le  signe  infaillible  de  la  supériorité  de 
l'artiste  qui  l'obtient,  ou  de  la  qualité  de  son  œuvre?  Je  me  per- 


mettrai d'exprimer  un  doute  à  cet  égard:  La  médaille  prouve  tout 
bomK'ment  que  l'œuvre  est  conçue  et  exécutée  conformément  à 
des  principes  adoptés  et  appliqués  par  la  majorité  des  membres 
du  jury.  Si  cette  majorité  est  classique,  ce  sont  les  auteurs  des 
œuvres  classiques  qui  seront  médaillés.  La  majorité  est-elle  réa- 
liste, les  récompenses  prendront  le  chemin  des  ateliers  où  l'on 
cultive  le  réalisme.  . 

«  Les  médailles  provoquent  des  luttes  de  vanités  et  d'intérêts 
bien  plus  que  des  luttes  de  mérite.  Laissez  faire  le  sentiment 
public,  l'opinion  des  connaisseurs,  le  temps  qui.  met  si  é(|uita- 
blement  les  hommes  et  les  choses  à  leur  rang.  Combien  de  fois 
les  arrêts  des  jurys  chargés  de  décerner  les  récompenses  n'ont- 
ils  pas  été  cassés  par  les  générations  suivantes  !  Combien  d'ar- 
tistes médaillés,  classiques,  romantiques  ou  réalistes,  sont  ren- 
trés dans  l'obscurité  ai)rès  avoir  brillé  un  seul  instant  du  faux 
éclat  des  distinctions  décernées  par  des  jurys  complaisants  ! 

M  Ma  conclusion,  c'est  qu'on  ferait  sagement  de  supprimer 
une  institution  dont  aucun  avantage  réel  ne  compense  les  incon- 
vénients et  les  abus.  S'il  fallait  des  médailles  pour  faire  éclore 
de  beaux  tableaux  et  de  belles  statues,  pourquoi  n'emploierait-on 
pas  le  même  moyen  pour  pousser  à  l'enfantement  d'excellents 
livres  et  de  partitions  remarquables?  Les  littérateurs  et  les  com- 
positeurs auraient  le  droit  dé  trouver  fort  mauvais  que  les  pein- 
tres et  les  scul])teurs  aient  le  privilège  d'obtenir  des  récompenses 
capables  de  produire  de  tels  effets. 

«  On  renoncera  aux  récompenses  officielles;  plus  de  médailles 
ni  de  médaillés  ;  plus  de  peintres  et  de  sculpteurs  brevetés,  avec 
ou  sans  garantie  du  gouvernement.  Les  récompenses  des  expo- 
sants seront  celles  que  décerne  l'opinion  publique,  et  celles-là 
en  valent  bien  d'autres.  Les  médailles  supprimées,  il  n'y  aura 
plus  entre  les  artistes  ni  basse  jalousie,  ni  rivalités  sourdes;  il  n'y 
aura  plus  d'intrigues  pour  obtenir  une  distinction  devenue  banale 
à  force  d'être  prodiguée,  qui  ne  fait  plus  illusion  à  personne  et 
à  laquelle  on  ne  tient  que  parce  qu'on  lui  attribue  le  pouvoir 
d'exercer  une  certaine  influence  sur  la  vente.  » 

Déclaration  des  membres  du  CEPiCLE  ARTISTIQUE 

DE  Bruxelles. 

Le  3  avril  1872,  les  membres  artistes  du  Cercle  Artistique  de 
Bruxelles  adressaient  au  Ministre  de  l'intérieur  une  pétition  dans 
laquelle  on  lisait  notamment  {VArt  libre,  n°  du  lo  avril  1872)  : 

«  Il  nous  reste.  Monsieur  le  Ministre,  un  dernier  vœ,u  à  expri- 
mer :  c'est  de  voir  supprimer  l'institution  des  médailles,  source 
incessante  de  difficultés,  de  compétitions,  de  rivalités  et  d'injus- 
tices inévitables.  Limiter  le  nombre  des  récompenses  et  n'avoir 
point  le  pouvoir  de  limiter  en  même  temps  le  nombre  des  œuvres 
qui  seraient  dignes  de  les  obtenir,  n'est-ce  pas  vouer  fatalement 
cette  institution  des  médailles  au  hasard,  à  l'arbitraire  et  à  la 
camaraderie  ? 

«  Cet  argument,  fût-il  le  seul,  serait  décisif. 

«  Nous  espérons,  Monsieur  le  Ministre,  que  vous  voudrez  bien 
examiner  avec  bienveillance  ces  observations,  qui  ont  été  mûre- 
ment délibérées  par  le  Comité  des  Beaux-Ans  du  Cercle  artisti- 
que et  littéraire,  et  que  vous  donnerez  aux  questions  qu'elles  sou- 
lèvent une  solution  conforme  ii  nos  vœux  et  aUx  intérêts  de  notre 
art  national. 

«  Veuillez  agréer,  etc.  » 
Le  Secrétaire.,  Le  Président, 

Eugène  Devaux.  D.  Vervoort. 


S 


Lettre  de  M.  L.  GALLAIT. 

Le  plus  intéressant  do  ces  documents  est  une  lettre. adressée  k 
M.  le  président  du  Cercle  artistique  et  littéraire  de  Bruxelles  par 
M.  LouisGallait,  le  14  août  1882  : 

«  Monsieur  le  président,  je  ne  puis  qu'être  très  sensible  aux 
félicitations  que  vous  avez  bien  voulu  m'adresser,' au  nom  du 
Cercle  arlisliquc  et  lillériiire,  li  Toccasion  de  la  médaille  qui, 
d'après  le  bruit  répandu  et  venu  jusqu'à  moi,  m'aurait  été 
décernée  par  le  jury  de  Vienne.  Je  dois  vous  dire  toutefois  que  si 
ce  bruit  est  fondé,  ce  que  j'ii^nore,  n'ayant  reçu  aucun  avcnisse- 
mont  officiel  de  la  cbose,  je  me  verrais  dans  l'obligation  de  décli- 
ner l'honneur  qu'on  aurait  bien  voulu  me  faire.  L'accepter  serait 
mo  départir  d'une  ligne  do  conduite  que  j'ai  toujours  suivie  jus- 
qu'ici et  dont  je  suis  fermement  décidé  la  ne  pas  m'écarler. 

«  Je  n'ai  jamais  envoyé  de  mes  œuvres  aux  exj)Ositions  inter- 
nationales sans  stipuler  que  j'entendais  les  placer  hors  concours^ 
suivant  l'expression  admise,  c'esl-ù-dirc  en  dehors  de  toute  éven- 
luidiié  de  récompenses  quelconques.  Celte  fois  encore  j'avais  fait 
part  de  ma  détermination  à  une  personne  que  je  croyais  indiquée 
par  sa  position  comme  étant  en  mesure  d'en  informer  qui  de 
droit,  ce  qu'elle  aura  sans  doute  omis  de  faire. 

«  Je  ne  reconnais  pas  aux  artistes  le  droit  de  classer  leurs 
confrères,  de  leur  assigner  un  numéfo  d^ordre  dans  la  hiérarchie 
du  mérite  ;  ]Q  n'accepterais  j)as  une  pareille  mission  et  je  me 
refuse  h  consentir  à  ce  que  d'autres  usent  à  mon  égard  d'un  tel 
privilège.  Comme  l'ont  très  bien  reconnu  }es  organisateurs  des 
expositions  universelles  de  Londres,  on  peut  classer  des  produits 
industriels,  parce  qu'il  y  a  là  des  éléments  matériels  d'apprécia- 
tion qui  permettent  de  constater  la  supériorité  d'un  objet  sur 
d'autres  analogues,  mais  il  n'en  est  pas  de  même  des  productions 
des  arts  ;  celles-ci  ont  une  valeur  de  sentiment  qui  ne  saurait  se 
préciser  d'une  manière  absolue  et  dont  nul  ne  peut  prétendre  être 
juge.  Chaque  artiste  a  des  convictions  très  respectables,  mais  très 
arbitraires  souvent  et  très  absolues,  qui  ne  permettent  pas  d'ap- 
précier avec  indépendance  et  avec  équité  des  œuvres  conçues  et 
exécutées  d\iprès  d'autres  principes  que  ceux  qu'il  s'est  naturel- 
lement accoutumé  à  regarder  comme  les  meilleurs,  comme  les 
seuls  bons.  Aussi,  quelle  diversité  dans  les  jugements  pôfîés  sur 
les  mômes  productions  par  des  liommes  réputés  compétents!  A 
combien  de  réclamations,  de  récriminations,  la  décision  des  juges 
ne  donne-l-elle  pas  lieu?  Que  d'erreurs  commises  et  reconnues 
trop  tard  !  Faul-il  rappeler  le  scandale  que  lit  à  l'une  de  nos  der- 
nières expositions  universelles  l'octroi  d'une  médaille  de  seconde 
classe  à  l'excellent  peintre  Madou? 

«  L'artiste  qui  expose  une  œuvre  sait  qu'il  se  soumet  h  la  dis:^^ 
cussion,  à  la  critique,  mais  //  serait  absolument  contraire  à  sa 
dignité  comme  à  la  justice  d'admettre  que  la  décision  d'un  jury 
pût  lui  assigner  un  rang  dans  Yespcce  de  coteotlicielle  des  talents 
des  peintres  et  des  sculpteurs  que  celui-ci  a  la  prétention  de 
dresser. 

«  Bien  des  exemples  que  je  pourrais  citer  prouvent  que  les 
récompenses  décernées  à  la  suite  des  expositions  sont  des 
pommes  de  discorile  lancées  dans  le  groupe  des  artistes.  Ces 
prétendues  disliiiclions  peuvent  tenter  Tambilion  des  débutants 
qui  ont  besoin  de  se  faire  connaître,  mais  arrivé  à  un  certain 
point  de  sa  carrière  1  artiste  ne  relève  plus  (jue  l'opinion  et  sa 
dignité  lui  commande  de  récuser  toute  autre  juridiction. 

«  Tels  sont,  monsieur  le  président,  les  motifs  qui  m'ont  déter- 


miné depuis  longtemps,  ainsi  que  j'ai  eu  l'honneur  de  vous  le 
dire,  à  placer  les  œuvres  que  j'exposais,  je  ne  dirai  pas  au  des- 
sus, mais  en  dehors  de  l'éventualité  des  récompenses  et  qui  ne 
me  permettraient  pas  d'accepter  la  médaille  dont  le  bruit  court 
que  le  jury  de  l'exposition  de  Vienne  m'aurait  honoré.  Je  n'en 
suis  pas  moins  .reconnaissant,  monsieur  le  président,  à  vous  et 
au  Cercle,  de  la  bienveillante  et  courtoise  démarche  à  laquelle  je 
réponds  ici. 

«  Agréez,  monsieur  le  président,  etc.,  etc. 

^  «  Louis  Gallait. 

((  li  août  188-2.»         ^         ■  ■■        ■ 

MOriALITÉ. 

A  un  grand  dîner  une  grosse  dame  di.^ait  récemment  : 
«  Si  on  supprime  les  médailles  à  quoi,  nous  autres,  qui  ne 
sommes  pas  connaisseurs.,  reconnaîtrons-nous  les  bons  artistes?  » 


Voici  la  réponse  du  (xouvernement  à  la  lellre  qui  lui  a  été 
adressée  pour  obtenir  l'admission  de  la  peinture  céramique  à 
l'exjiosition  des  Beaux-Arls.à  Anvf'r>.     . 


Bruxelles,  le  20  mars  18S,j. 


Mkssikurs, 


En  réponse  à  votre  lettre  du  19  courant  demandant  la  suppression 
de  l'article  10  du  Règlement  général  de  rExposition  universelle  des 
Beaux-Arts  à  Anvers,  pour  ce  qui  concerne  la  [ceinture  sur  porce- 
laine et  sur  faïence,  j'ai  riiouueur  d'attirer  votre  attoiition  sur  les 
ditficultés  matérielles  qui  semblent  s'opposer  tout  d'a-ljurd  à  la  réali- 
sation du  vœu  que  vous  formulez. 

Le  Pièglement  de  l'Exposition  des  Beaux-Arts,  après  avoir  fait 
l'objet  d'un  examen  apjirofondi.  a  reçu,  comme  vous  le  savez,  la  >;anc- 
tion  ministérielle,  et  des  exemplaires  ont  été  envoyés  par  vi.ie  iliplo- 
raatique  aux  gouvernements  étrangers,  invitas  à  prendre  part  à 
l'Exposition.  . 

Au  dernier  point  de  vue  tout  au  moins.' il  n'est  plus  temjis,  vous 
voudrez  bien  le  reconnaître.  <ra[>porter  une  moditication  quelconque 
aux  termes  du  Règlement  en  cause. 

Veuillez  agréer.  Messieurs,  l'assiirrincc  do  ma  considération  la- 
plus  distinguée. 

Le  Curnniissrt i)-c  Grnci'cd  du  Gouvenieaioit. 

Comte  d'Oultrkmont. 


En  réponse  à  un  article  de  Y  Eveil,  journal  t.vs  connu  aux 
Rives  d'/jcellcs.  Edmond  Picard  a  envoyé  la  lettre  suivante  : 

Monsieur  le  Directeur. 

Une  mcnn  obligccnite  m'a  adressé  votre  numéro  dans  lequel  un 
Monsieur  qui  signe  Parfois  a  écrit  un  morceau  de  style  dans  lequel, 
sous  prétexte  de  s'occiiper  de  l'exposition  d'Anvers,  il  me  fait  l'hon- 
neur grand  de  ne  parler  que  de  mon  humble  personnalité. 

Je  l'ai  lu  avec  grand  intérêt. 

Il  Contient,  il  est  vrai,  dos  choses  peu  gracieuses,  mais  comme  on 
a  tout  dit  de  moi  excepte  que  j'étais  un  imbécile,  ce  qui  est  déjà 
fort  enviable  par  le  temps  de  rcjiortage  ditî'amatoire  qui  court,  je  ne 
puis  que  lui  dire  :  Merci  ! 

L'ne  simple  rectitication,  non  pour  lui  que  je  soupçonne  être  de 
ces  gens  de  remplissage  qui  pullulent  dans  le  journalisme  comme  les 
puces  dans  les  poils  d'un  caniche,  et  dont  il  ne  faut  pas  s'inquiéter. 
mais  pour  les  lecteurs  de  votre  jourual,  que  je  suppose  excessivement 
nombreux. 

Parmi  les  sornettes  ^u'il  a  enfilées,  votre  petit  jeune  homme  a 


(écrit  :  •♦  Lui,  le  maître  des  maîtres,  ne  dit  pas  s'il  acceptera  pour 
SCS  travaux  herculéens  un  ckvcïvikmest  quelconque.  Je  ne  crois  pas 
me  tromper  en  disant  que  c'est  ici  que  passe  le  vrai  bout  de  toreille.  » 

Jç  le  regrette  pour  votre  aimable  zwanzeur,  mais  sa  perspicacité 
est  en  défaut.  Il  est  sans  doute  trop  jeune  eu  la  carrière  pour  se 
douter  qu'il  y  a  beau  temps  que  j'ai,  eu  occasion  publique,  déclaré 
,  que  je  n'accepterais  jamais  ce  crucifiement  qui  lui  parait  si  digne 
d'être  guigné.  Cela  date  du  18  mars  1866  (voir  les  journaux  de 
l'époque)  et  a  été  renouvelé  en  avfil  1883  et  en  mai  1884.  J'écrivais 
alors  :  «  Je  n'accepterai  jamais  de  distinctions  honorifiques,  je 
ne  demanderai  jamais  rien  pour  les  miens  ni  pour  moi.  » 

Or  comme  j'ai  donné  aux  palinodards  des  cinglées  au  moins  aussi 
poivrées  qu'aux  gamins  qui  s'improvisent  journalistes,  j'ose  espérer 
qu'on  me  fera  la  grâce  de  croire  que  je  tiendrai  parole. 

Prière  de  publier  ceci  incontinent. 

Bien  le  bonjour,  Messieurs,  et  croyez  que  je  reste  pour  vous 

servir, 

Le  maître  des  maîtres, 

Edmond  Picard. 
20  mars  1885.    - 


T' 


HEATRE^ 

Théâtre  Molière.  —  Le  prince  Zilah. 

Au  rez-de-chaussée  d'un  journal  quotidien,  servi  par  tranches, 
l'ouvrage  était  supportable.  Le  lecteur  passait  det,  faits-divers  du 
jour  au  faits-divers  de  la  veille  sans  que  la  transition  fût  sensible. 
Accomodée  au  paprika  de  Hongrie,  soutenue  par  la  marche  de 
Rakocsy  vibrant  sourdement  à  travers  les  trente-cinq  chapitres  du 
feuilleton,  l'invraisemblable  intrigue  amoureuse  du  prince  Zilah 
Andras  avec  la  tzigane  Marsa  avait,  à  défaut  de  valeur  littéraire,  la 
saveur  des  mets  exotiques  excitant  des  })apilles  blasées. 

Habilement  cousus  l'un  à  l'autre  par  un  homme  du  métier  chez 
qui  le  journalisme  a  tué  l'écrivain,  les  épisodes  parisiaho-mag'yars 
de  ce  gros  roman  d'aventures,  poursuivi  dans  un  monde  factice, 
imaginaire,  iraj)os-ible,  présentaient  par  l'imprévu  des  situations  et 
l'apparence  de  couleur  locale  quelque  intérêt. 

Mais  transportés  sur  la  scène,  avec  le  grossissement  qu'opère 
ro}>tique  du  théâtre,  le  vide  énorme  de  cet  ai*t  faux  apparaît.  Les 
fils  blancs  deviennent  des  cordages,  les  nouvelles  à  la  main  semblent 
empruntés  aux  plus  noirs  »  accidents,  méfaits,  sinistres  »  et  au  lieu 
des  accords  de  la  marche  héroïque  animant  d'une  poésie  le  train- 
train  de  la  pièce,  c'est  toute  la  ferblanterie  des  vieux  mélodrames 
qui  retentit  à  la  cantonnade  :  «  Le  misérable!  J'aurais  dû  lui  plonger 
_^  un  couteau  dans  le  co^ur! »    .    . 

Le  traître,  le  père  noble,  le  confident,  de  tous  les  mannequins  dont 
l'art  cherche  à  se  débarrasser,  après  avoir  subi  leur  servage  humi- 
liant, pas  un  ne  manque  à  l'appel.  Ils  grimacent,  ils  se  carrent,  ils 
ricanent,  heureux  de  leur  arrogante  victoire. 

Ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est  que  la  foule  raffole  de  ces  fantoches. 
Elle  ne  s'inquiète  guère  de  la  vérité  des  caractères,  ni  de  l'étude 
psychologique,  ni  de  la  vraisemblance.  Les  poupées  de  carton  dont 
M.  Claretie  tire  les  ficelles  ont  pour  elle  bien  plus  d'attrait  que  des 
personnages  vivant  et  souffrant,  imprégnés  d'humanité.  Qu'ils 
t'appellent  Philippe  Derblay,  ou  Serge  Panine,  ou  André  Zilah, 
étiquettes  dillerentes  du  même  produit  feuilletoneux,  leurs  succès 
aujirès  des  âmes  bourgeoises  qui  forment  le  fond  des  auditoires 
de  spectacles  est  assuré.  Et  c'est  ce  qui  explique  l'incroyable  et 
décevante  fortune  du  Maître  de  Forges,  de  Serge  Panine  et  plus 
récemment  (\u  Prince  Zilah. 

Car  le  Prince  Zilah  est  un  succès.  A  Paris  tout  au  moins,  où 
Ton  subit  plus  encore  qu'à  Bruxelles  les  commotions  que  provoque 
inévitablement  la  détente  des  ressorts  du  vieux  drame.  A  Bruxelles, 
les  malheurs  de  Marsa-la-Tzigane,  qui,  au  moment  où  elle  étend  la 


main  vers  le  bonheur,  y  reçoit  un  paquet  de  lettres  qui  le  détruisent 
à  jamais,  paraissent  avoir  excité  moins  de  compassion.  Le  bon  sens 
belge  a  tiré  de  la  pièce  cette  moralité  que  quand  on  épouse  une 
tzigane^  (et  quelle  tzigane!  née  du  caprice  d'un  officier  russe  et 
d'une  bohémienne,  élevée  par  un  général  d'opérette),  il  faut  être 
cuirassé  contre  les  surprises  rétrospectives.  Et  toute  la  chevalerie 
du  prince  hongrois,  qui,  durant  deux  actes,  refuse  de  comprendre 
les  demi-confidences  qui  lui  sont  faites,  s'en  est  allée  en  brouillard, 
découvrant  un  personnage  plus  niais  qu'héroïque. 

Gomme  toute  l'action  repose  sur  cette  flamme  aveugle,  brusque- 
ment étoutTée  sous  le  brutal  éteignoir  des  lettres  révélatrices,  et  qu'il 
n'y  a  plus,  la  vérité  connue,  qu'à  attendre  tranquillement  la  mort  de 
l'héroïne,  seul  dénouement  scéniquenient  possible  dans  la  donnée  de 
l'ouvrage,  la  curiosité  est  vite  satisfaite  Oh  suit  avec  intérêt  le  jeu 
des  interprètes,  vraiment  remarquables  et  dignes  de  tous  éloges,  et 
c'est  une  compensation.  L'auditoire  scrute  jusqu'en  ses  volants  les 
plus  intimes  les  superbes  toilettes  de  M"'«  Llna  Munte,  une  bohé- 
mienne plus  bohémienne  encore  que  celles  des  bords  de  la  Theisse  ; 
il  applaudit  le  jeu  sobre  et  correct,  très  grand  seigneur  de  M.  Du- 
quesne  Lowrenz,  lui  comédien  de  race;  il  apprécie  l'étourderie 
envolée  et  charmante  de  M''^  Clermond.  Et  les  compliments,  qui  ont 
quelque  peine  à  se  porter  sur  l'ouvrage,  s'en  vont  aux  artistes,  à  la 
mise  en  scène  et  à  M.  Bouflfard,  l'aimable  et  soigneux  directeur^ 
toujours  en  quête  de  distractions  nouvelles  pour  réjouir  et  amuser 
ses  fidèles. 


J{  OTE?    DE    ^U  piQUE 

Concert  Luisa  Gognetti 

C'est,  croyons-nous,  la  première  fois  qu'on  exécute  à  Bruxelles, 
dans  son  ensemble,  le  Carnaval  de  Schumann,  cette  exquise  fan- 
taisie où,  légère  et  cliquetante,  claque  la  batte  d'Arlequin,  où  le 
luth  de  Pierrot  pleure  à  la  lune,  où  la  valse  allemande  entraîne  les 
couples  dans  l'enlacement  de  ses  volutes.  Mi'e  Luisa  Cognetti  l'a 
joué  en  virtuose,  triomphant  avec  une  aisance  et  une  sûreté  mer- 
veilleuses des  difficultés  techniques  dont  l'œuvre  est  hérissée^ -^ 

Mais  l'accent  germanique  paraît  coaivénir  mal  à  la  bouche  italienne 
de  la  jeune  artiste.  Elle  donne  de  Schumann  et  de  Beethoven  la 
lettre,  elle  n'en  fait  pas  saisir  l'esprit.  Les  éblouisséments  de  Liszt, 
dé  Chopin  et  de  Rubinstein  lui  vont  mieux.  Pianiste  dans  toute 
l'acception  du  terme,  elle  n'ignore  aucune  des  ressources  de  son 
instrument.  Elle  en  a  étudié  à  fond  le  mécanisme  et  atteint  à  des 
sommets  de  virtuosité  transcendante.  Le  mouvement  dans  lequel  elle 
exécute  Y  Etude  en  ut  do  Rubinstein  donne  le  vertige.  Ses  glissades 
des  Patineurs  de  Liszt  ont  soulevé  un  tel  enthousiasme  que,  bissée, 
l'artiste  a  ajouté  a  son  programme,  superbe  d'ailleurs  et  d'une  variété 
extraordinaire,  le  final  d'une  rhapsodie  de  Liszt,  celui  que  Planté 
avait  coutume  de  jouer.  Et  c'était  chose  intéressante  pour  les 
musiciens  de  comparer  mentalement  l'exécution  minutieuse,  minia- 
turiste du  pianiste  masculin  avec  l'interprétation  fougueuse,  étince- 
lante,  sonore,  écrasante,  de  la  jeune  fille. 


j^ONFÉRENCEp 

Conférence  de  Georges  Rodenbach  au  Cercle 

artistique. 

Par  quelle  originalité  Georges  Rodenbach,  ce  galant  mondain,  ce 
chantre  des  petits  mouchoirs  et  des  gants  longs,  &'était-il  chargé  de 
transmettre  aux  dames  les  vilaines  théories  de  Schopenhauer,  et  ses 
madrigaux  à  rebours  ? 

Il  à  paru  un  peu  clinique  à  quelques  insensibilisés  de  M.  Buloz 


,/ 


VART  MODERNE 


103 


qui  prennent  le  mot  ««  désespoir  »  pour  une  rubrique  de  faits-divers. 
Après  l'affriolante  causerie  de  M.  G^nderax,  aussi,  venir  parler  de 
Scliopenliauer,  .Léopardi,  M"'e  Louise  Ackerman  —  une  hermite 
à  boucles  blanches  tuyautées  trois  par  trois  !  Y  joindre  Baudelaire, 
Paul  Bourget,  Le  Vice  suprême,  la  névrose  et  la  décadence,  c'était 
du  toupet.  Mais  celui  de  Rodenbach,  tout  diaphane  et  gracieux,  n'a 
fait  que  frôler  élégiaquemenl  une  philosophie  morose  pour  revenir 
aux  sphères  optimistes  où  l'on  esj)ère  encore,  où  l'on  conserve- 
surtout  la  croyance  en  la  femme,  cet  être  sensible  «  ayant  une  case 
de  moins  à  l'intelligence,  mais  une  fibre  de  plus  au  cœur  »  et  qui, 
selon  le  mot  de  M"i<5  Necker,  est  comme  le  duvet  dont  on  enveloppe 
les  porcelaines  rares,  un  accessoire,  un  rien,  sans  lequel,  pourtant, 
tout  se  briserait. 

Un  auditoire  féminissime,  le  plus  aimable  qu'il  put  désirer, 
a  attentivement  écouté  et  longuement  applaudi  la  très  remarquable 
conférence  du  poète,  pendant  que  les  billes  de  billard  cau.saient 
entre  elles  de  carambolages  dans  le  salon  A-oisin. 


^ETITE    CHROJ^IQUE 


Les  Hydrophiles  ont  ouvert  hier  leur  deuxième  salon  annuel. 
Noua  parlerons  dimanciie  de  cette  exposition,  restreinte  quant  au 
nombre  d'œuvres,  mais  intéressante  par  les  tendances  franchement 
modernistes  qui  s'y  manifestent.  Cilons,  dès  à  présent,  parmi  les 
meilleurs  envois,  les  aquarelles  de  Toorop,  de  Vogels,  d'Oyens,  les 
eaux-fortes  de  Storm  de  Gravesande,  les  dessins  de  Speeckaert, 
président  de  la  société,  et  d'Achille  Chainaye. 

Parmi  les  tableaux  d'artistes  belges  reçus  au  Salon  de  Paris  on 
cite  : 

Les  Mineurs,  de  Constantin  Meunier;  les  Scieurs  de  long  ei  le 
Portrait  du  peintre  Meunier,  par  Isidore  Verheyden  ;  les  Coque- 
licots d'Anna  Boch;  Mon  j«r<im,  par  Eugène  Boch  ;  les  Pileuses 
de  Frantz  Gharlet;  le  Portrait  du  scidpteur  Vander  Stappen,  par 
Guillaume  Van  Strydonck. 

La  plupart  de  ces  œuvres  ont  été  exposées  au  Salon  des  XX^ 

Exposition  d'Anvers.=  A  la  demande  de  nombreux  artistes,. la 

Commission  organisatrice  a,  par  modification  à  sa  circulaire  du 
l«r  mars  1885,  reculé  jusqu'au  8  avril  prochain  la  date  extrême  à 
laquelle  les  oîuvres  d'art  seront  reçues  au  local  de  l'exposition  et 
dans  les  différentes  gares  du  chemin  de  fer  de  l'État  belge. 

On  annonce  la  publication  prochaine  d'un  volume  de  critique  dont 
quelques  fragments  ont  paru  dans  diverses  revues.  Titre  :  Notes 
sur  la  littérature  moderne,  par  Francis  Xautet.  L'ouvrage  sera  mis 
en  vente  dans  le  courant  d'avril. 


Au  grand  concert  qui  sera  donné  demain  par  le  Conservatoire  de 
Mons,  sous  la  direction  de  M.  Jean  Van  deu  Eeden,  on  entendra 
entre  autres  \ai  Fantaisie  espagyiole  àe  Gevaert  ;  un  chœur  de  Céphalc 
et  Pocris,  de  Grétry  ;  l'ouverture  de  concert  (eu  la)  de  Fétis;  le 
chœur  de  Colinette  à  la  Cour,  de  Grétry  et  divers  soli  par  Mi'«  War- 
nots,  MM.  Gurickx,  Vivien  et  Huet.  \ 

Le  jury  français  d'admission  [)Our  les  ouvrages  destinés  à  l'Expo- 
sition des  Beaux- Arts  d'Anvers  est  constitué  ainsi  qu'il  suit  : 

Présidait  :  Le  ministre  de  rinstructiou  publique  et  des  beaux- 
arts,         , 

Vices -Présidents  :  Le  sous-secrétaire  d'Etat  au  ministère  des 
beaux-arts;  le  directeur  des  beaux-arts. 

Secrétaires  :  MM.  G.  Offendorff,  chef  du  bureau  des  musées  et 
des  expositions,  secrétaire;  Olleris,  sous-chef,  secrétaire-adjoint. 

Membres  :  MM.  Arago,  conservateur  du  musée  du  Luxembourg  ; 
Bailly  ;  Barrias;  Baudry  ;  Bœswilwald,  inspecteur  général  des  mo- 
numents historiques  ;  Bonnat;  Bouguereau;  Breton;  Cabanel  ; 
Carolus-Duran;  Gaziii;  Chaplain;  Chapu;  Clément,  critique  d'art; 


Daumet,  architecte;  Dubois,  Paul;  Falguière;  Flameng;  Gaillard; 
Garnier;  Gérôme  :  Gonse,  directeur  de  la  Gazette  des  Beaux- Arts; 
Guillaumr;  Hirpignies;  Havard,  critique  d'art;  Hébert  ;  Hébrard  ; 
sénateur  ;  Hémon,  député  ;  Henner;  Henriquel-Dupont;  Lalanne, 
Maxime  ;  Laurens,  Jean-Paul  ;  Lefebvre,  Jules  ;  Liouville,  député  ; 
Mantz,  directeur  général  honoraire  des  beaux-arts;  Mercié,  Meis- 
sonnier;  Millet,  sculpteur;  Poulin,  directeur  des  bâtiments  civils; 
Proust,  député;  Puvis  de  Chavanncs;  Ronchaud  (de),  directeur  des 
muffées  nationaux  ;  Ruprich-Robert,  inspecteur  général  des  monu- 
ments historiques;  Schœlcher,  sénateur;  SpuUer,  députV;  Vauder- 
^mer;  VoUon. 


Sommaire  du  14  mars  de  la  Revue  wagnériemie  : 
Chronique.  —  Notes  sur  la  théologie  wagnérienne,  par  Catulle 
Mendès.  —  Les  Maîtres  Chanteurs,  par  Fourcaud.  —  Le  rituel  des 
Maîtres  Chanteurs  (Wagner  et  Wagenseil),  par  Victor  Wilder.  — 
Jje^mojs  jvagnérien^(stjitisUque,  comptes-rendus  de  la  presse).-^= 


Souvenirs  de  Richard  Wagner,  par  Alfred  Ernst.  —  Correspon- 
dances étrangères.  —  Nouvelles. 


Sommaire  du  quatrième  numéro  de  la  Société  nouvelle  (février 
1885  :  L  Les  mariages  australiens,  par  E.  Reclus.  —  IL  Matéria- 
lisme et  spiritualisme,  par  H.  Girard.  —  III.  Croquis  j)arisien  :  Une  ' 
goguette,  par  J.-K.  Huysmans.  —  IV.  Introduction  aux  études 
hydrographiques,  par  James  Van  Drunen.  —  V.  Psychologie  de 
décadents,  par  F.  Nautet.  —  VI.  La  démocratie,  par  Frédéric  Borde. 
—  Vil.  Critique  philosophique,  par  J.  Brouez.  —  VIII.  Chronique 
de  l'art,  par  F.  B    —  Le  mois. 

Prix  :  pour  la  Belgique,  75  centimes;  pour  l'étranger,  1   franc. 
Abonnement:  Belgique,  8  francs  ;  étranger,  12  francs. 


Le  cerveau  de  Gambetta  ne  pesait  que  1294  grammes,  poids  sensi- 
blement inférieur  à  la  moyenne  constatée  jusqu'à  présent  en  Europe. 
Ce  chiffre  est  bien  loin  de  ce  que  l'on  pouvait  attendre.  Aussi  dos 
savants  l'ont  invoqué  plusieurs  fois  pour  dénier  au  poids  du  cerveau 
et  à  la  capacité  du  crâne  la  signification  qu'on  leur  attribuait  jus- 
qu'ici. On  possède  d'assez  nombreuses  pesées  de  cerveaux  d'hommes 
^ui-  peuvent  passer  à  divers  titres  pour  distingués.  Ils  sont  jusqu'à 
présent  rares,  très  rares  parmi  eux,  les  cerveaux  d  un  poids  inférieur 
à  1300  grammes  (Le  poids  moyeu  du  cerveau  des  Français  est  esti- 
mé à  environ  1357  grammes). 

Dans  la  liste  reproduite  par  M.  Manouvrier,  dans  l'essai  de  coor- 
dination des  matériaux  relatifs  au  rapport  du  poids  de  l'encéphale 
avec  l'intelligence,  qu'il  vient  de  publier,  on  trouve  réunies  plusieurs 
pesées  de  cerveaux  d'hommes  connus,  morts  récemment.  Tels  sorU 
le  docteur  CouJereau,  mort  à  ÔO  ans,  avec  1378  grammes  de  cer- 
veau :  le  docteur  Bertillon,  mort  à  02  ans,  avec  1398  gi'ammes  ;  lo 
docteur  lîroca,  mort  à  5*3  ans,  avec  1485  grammes  ;  le  g«^uéral  Sko- 
beleff.  mort  à  39  ans,  avec  1457  grammes;  Agas.-^iz,  mort  à  ô<)  ans, 
avec  1512  :.'ramnies  Touru'ueueff  avait  un  cerveau  de  2ol2  trrammes.. 
Ce  chiffre  est  tout  a  fait  extraordinaire,  et  on  serait  tente  de  le  reirar- 
der  comme  anormal,  si  l'on  n'avait  pas  attribué  à  Croniwell  un  cer- 
veau de  2231  grammes,  et  à  Byrou  un  cerveau  de  2238  grammes. 

L'n  journal  allemand,  la  G':/:t'tte  de  la  Croix,  annom'e  la  pubU»M- 
tion  très  prochaine  d'un  ouvrage  qui  sera  sans  d"Ute  de  nature  i 
exciter  vivement  l'intérêt  du  monde  musical.  Il  s'agit  des  Mé>n<>i}\s 
de  Franz  Liszt,  qui  formeront  lui  ensemble  de  six  volumes,  dont 
quatre  sont  à  peu  près  termines  et  dont  le  premier  va  paraître  inces- 
samment. Si  Liszt  fait  connaître  les  relations  qu'il  a  entretenues 
depuis  un  demi-siècLe  avec  tous  les  grands  artistes  de  l'Europe 
entière,  s'il  raconte  ce  qu'il  sait  sur  eux.  si.  avec  sa  haute  intelli- 
gence et  sou  immense  valeur  artistique,  il  donne  son  im[)ressioii 
personnelle  et  sincère  sur  le  génie  et  les  œuvres  de  chacun  d'eux,  ou 
peut  atfirmer  que  rarement  livre  aura  ete  plus  attachant,  plus  utile 
et  plus  curieux. 


^v*. 


Les  annonces  sont  reçues  au  bureau  du  journal, 
26,  rue  de  V Industrie,  à  Bruxelles, 


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LES  MITRES  CilAXTELIS  DE  NUREMBERG 

(Die  Meistersinger  von  Nûmherg) 
Opéra  en  3  actes  de 

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Benoit.  Les  motifs  typiques  des  Maîtres  chanteurs  . 

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Jm  Partition  complète        ,       .       .       . 
Ouverture.  Introduction       .       . 
La  même,  àrrang.  par  H.  de  Bulow    . 
JntvodKction  du  3'  acte.        .       .       .       . 
Beyer,  F.  Répertoire  des  jeunes  pianistes 
»         Bouquet  de  Mélodies  .        .        . 
Brunncr,  C.  Trois  transcriptions,  chaque 
Bulow,  H.  (de).  Réunion  des  Maitres  chanteurs 
y,  Parajihrase  sur  le  quintuor  du  3* 


acte 


Cramer,  H.  Pot-pourri 

«  Marche     .        . 

y<  Danse  des  apprentis 

Onhltiert!^,  L.  Fantaisie  brillante 
Jaell,  A.  Op.  137.  Deux  transcriptions  brillantes  (AVerbégesang 

Prcislied),  chaque .        . 

*.        Op.  148.  Au  loyer   .        .  '     .  ■     . 
Lasscn,  E.  Deux  transcriptions  de  salon,  n'  I  . 

n  y>  ■  w  n"  II.  .  . 

Leitert.  Op.  26.  Transcription     ..       .       .        ... 

liafl'fj.  Réminiscences  en  quatre  suites,  cahier  I  et  II,  à 

cahier  III.    '  . 

cahier  IV. 
Rupp,  H.  Chant  de  Walther 

ARRANGEMENTS  POUR  PIANO  A  4  MAINS 

Ln  Partition  complété         .       . 

Ouverture.  Introduction  par  C.  Tausig 

Beyer,  F.  Revue  mélodique        .        .        .        .        . 

Bùlou),  H.  (de).  La  réunion  des  Maitres  chanteurs,  paraphrase 

Cramer,  H.  Pot-pourri.       .       . 

■x  Marche      .        .       .       .       .       .        .       . 

De  Vilbac.  Deux  illustrations,  ôhacurie     ,       .        .        .-      . 

ARRANGEMENTS  DIVERS  : 

0?nTrf?rre  pour  2  pianos  à'S  mains 

Gregoir  et  Léonard  Duo  pour  violon  et  piano. 
Kaslner,  E.  Parajthrase  pour  oi-gue-mélodium.        . 

Lux,  F.  Prélude  du  3'  acte  pour  orgue 

0&ert/«<r,  CVi.  Chant  de  Walther  pour  harpe   .... 
SinçieUe,  .7.  B.  Fantaisie  brillante  pour  violon  et  piano  . 
Goiterman.  Chant  de  Walther,  pour  violoncelle  et  piano 
Wichede,  F.  (de).  Morceaux  lyi-iques  pour  Arioloncelle  et  piano 

N*  1.  Walther  devant  les  Maîtres 
-:•     .     ^,,  lî' 2.  Chant  de  AVaither       ..... 
^'îThevmj,  A.  Clîant  de  Walilier,  paraphrase  pour  violon  avec 
acconipajr,  d'orchestre  ou  de  piano.  Partition 
L'accumpagnemeui  d'orchestre. 

«       de  piano   .   .   . 


Fr. 


2  M 

1  50 


25  y. 

2  r, 

3  » 
1  1. 

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2  25 

1  75 
•1  75 

1  75 

2  « 
1  25 

1  75 

2  « 

2  r. 

2  25 
2  « 
2  25 

1  a5 

2.25 

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2  50 
1  75 


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3  50 
2  25 

2  25 

3  50 

2  25 

3  75 


6  * 

4  « 
1  50 

1  * 

2  « 

3  50 
1  25 

1  25 

2  25 

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Hollande  Van  Gelder,  25  francs.' 


VIENT  DE  PARAITRE  CHEZ 

BREITKOPF  &  HÀRTEL 

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Mili 


CIN9UIÈME    ANNÉE.  N°  14 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  5  Avril  1885. 


L'ART 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,  un  an,   fr.   10.00;  Union   postale,   fr.    13.00.    —  ANNONCES  :    On  traite  à  forfait, 


Adresser  les  demandes  d'abonnement  et.  toutes  les  communications  à  . 
l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


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OMMAIRE 


Quelques  notes  sur  l'instrumentation  de  Gluck.  —  Les 
IMPRESSIONNISTES.  Deuxième  article.  —  Exposition  des  Beaux- 
Arts  d'Anvers.  Cercle  libre  de  l'Observatoire.  —  Beautés  des 
JURYS  d'admission.  —  Les  hydrophiles.  —  Exposition  Delsaux. 

—  Notes  de  musique.  Quatrième  concert  du  Conservatoire.  Con- 
cert Heuschling. —  Théâtres.  — Chronique  judiciaire  des  arts. 

—  Petite  chronique. 

QGEIQIIES  NOTES  SUR  L'DiSIRIllEIITAIION  DE  liLIJGK 

On  va,  c'est  chose  décidée,  monter  dans  le  courant  de  la 
campagne  prochaine,  Armide  à  la  Monnaie.  Quelques  observa- 
lions  sur  l'inslrumenlation  du  Maître  ne  seront  pas  inutiles. 

Les  arrangeup,  les  inslrumentateurs,  les  éditeurs  ont  déformé 
grotesquemenl  l'œuvre  superbe  du  chevalier  Gluck,  ajoutant  au 
solo  de  harpe  de  l'entrée  d'Orphée  dans  les  enfers  des  variations 
pour  la  flûte,  bourrant  d'instruments  de  cuivre  le  chœur  des  ombres 
en  leur  adjoignant  le  serpent (!!),  réduisant  ici  à  un  simple  qua- 
tuor la  niasse  des  instruments  à  cordes.  Berlioz,  qui  dénonce  avec 
indignation  les  slupidcs  manipulations  de  ces  Lilliputietïs, 
ajoute  encore  qu'un  ciipellmeister  recommandait  à  ses  choristes 
d'aboyer  dans  cette  même  scène,  pour  figurer  imitativement  les 
«  chiens  dévorants  »  doqt  parle  le  poème,  mais  qui  ne  hurlent 
point  dans  la  musique,  sans  doute  par  une  bizarre  inadvertance 
du  compositeur  corrigé. 

De  nos  jours  encore,  bien  des  gens  estiment  que  Gluck  a  besoin 
d'êlre  modernisé.  Son  instrumentation  semble  un  squelette  sous 
le  velours  et  la  poudre  d'un  marquis,  —  et  parmi  eux,  ne  son- 
geant nullement,  cela  va  sans  dire,  aux  manipulations  dont  nous 
venons  de  parler,  des  directeurs  intelligents  de  conservatoires 
réputés. 

Son  orchestre  peut  se  passer  de  ces  rajeunissements,  car" 


l'auteur  iVOrphée  et  ô'Iphigénie  en  Tauride  est  le  plus  grand 
génie  de  l'instrumentation. 

Certes,  il  n'est  point  discutable  que  les  modernes  aient 
découvert  des  ressources  instrumentales,  des  sonorités  et  des 
formules  qu'il  ignorait  :  nous  entendons  parler  de  la  connais- 
sance des  in;istrumenls  cdjumc  moyens  d'expression  dramatique, 
nous  entendons  parler  de  l'intelligence  des  caractères  sonores, 
de  la  psychologie  instrumentale. 

Avant  Gluck,  l'instrumentation  était  un  ensemble  aride  de  for- 
mules immuables  que  l'on  se  transmettait  imperturbablement  de 
musicien  à  musicien,  un  métier  plutôt  qu'un  moyen  artistique. 
Chaque  catégorie  d'instruments  avait  un  rôle  professionnellement 
déterminé  dont  elle  ne  pouvait  s'écarter  sans  profaner  les  règles 
sacro-saintes.  Gluck  aperçut  dans  l'orchestre  un  miroir  sonore 
des  sensations  multiples  et  comprit  quelles  joies,  quelles  fureurs, 
quelles  plaintes  humaines  et  divines  se  cachaient  dans  ces  instru- 
ments, morceaux  de  bois  et  de  mêlai  inertes  entre  les  mains 
glacées  de  ses  prédécesseurs.  Entre  ces  avenues  d'opéras  taillés 
comme  les  arbres  des  jardins  de  Lenôlre,  le  chevalier  était  le 
musical  symbole  de  la  vie  éternelle  et  harmonieuse. 

Chaque  instrument  aura  désormais  son  intelligence  spéciale, 
les  flûtes,  les  trombones,  les  trompettes,  les  hautbois,  tous  les 
Instruments  pensifs,  éclatants  ou  sinistres.  Sinistres,  les  haut- 
bois? En  effet,  cet  inofFensif  et  pastoral  chalumeau,  Gluck  le 
change  en  funèbre  sanglot.  Dans  la  scène  du  second  acte  à  Orphée, 
c'est  sa  voix  vipérine  qui  répond  aux  esprits,  alors  que  les  instru- 
ments de  cuivre  sommeillent,  et  l'on  s'étonne  de  cet  accent  morne 
si  miraculeusement  découvert.  L'on  peut  citer  également  le  solo 
de  hautbois  de  l'air  d'Agamcmnôn  dans  Iphigénie  en  Aulide. 
«  Peuvent-ils  ordonner  qu'un  père....  »  qui  s'épand  en  suppli- 
cations  infinies  ;  et  encore  la  célèbre  ritournelle  de  l'air  d' Iphi- 
génie en  Tauride  «  0  malheureuse  Iphigénie  !  »  El  celle  drama- 
tique inspiration  d'^/(7^/^  interrompant,  au  souvenir  de  ses  fils 


J 


la  phrase  «Et  pourrai-je  vivre  sans  loi  »  pour  répondre  h  l'appel 
de  rorcheslre  par  ce  cri  déchiranl  :  «  0  mes  entants  !.  »  El  encore 
celle  seconde  mineure  dans  l'air  d' Armide  sur  ce  vers  «  Sauvez- 
moi  de  l'amour  ».  Une  telle  compréhension  dramatique  et  instru- 
mcnlale  est  sublime. 

Malgré  la  routine  ^(înéralêment  admise,  les  piaiii  des  trom- 
pettes produisent  des  effets  ravissants  :  Gluck,  l'un  des  premiers, 
—  car  cet  instrument  avili  ne  fut  employé  par  la  plupart  des 
musiciens  jusqu'à  Beethoven  et  Webcr  que  pour  dessiner  des 
formules  rythmiques,  vulgaires  et  banales  —  l'a  compris  ; 
écoutez  la  longue  tenue  des  deux  trompettes  unies  pianissimo 
sur  la  dominante  dans  Yandanie  de  l'introduction  d'Iphigénie  en 
Tauridc. 

Même  emploi  original  des  tromJDones.  Gluck  décrit  par  les 
trombones  et  les  trompettes  les  célestes  jouissances  des  Champs- 
Elysées  dans  Orphée.  Cet  instrument,  dans  le  forlissimo,  est 
réellement  formidable,  surtout  si  les  trois  trombones  (allô,  ténor," 
basse)  sont  à  l'unisson,  ou  tout  au  moins  si  deux  sont  à  l'unis- 
son, le  troisième  élant  à  l'octave  des  deux  autres.  Lisez  la  fou- 
droyante gamme  en  ré  mineur  du  chant  des  Furies  du  deuxième 
acte  à'Iphigénie  en  Tauride;  lisez  aussi  le  cri  des  trombones 
symbolisant  les  esprits  infernaux  dans  l'invocation  d'^ /ce5/e  ; 
ti  Divinités  du  Slyx,  ministres  de  la  morl!  »  Et  remarquez  plus 
loin,  lorsque  les  Iroinbones,  divisés  en  trois  parties,  prennent  le 
rythme  du  chant,  l'effet  de  cette  division,  leur  rauque  ironie, 
leur  joie  affreuse  sur  cette  phrase  :  «  Je  n'invoquerai  point  votre 
pilié  cruelle!  » 

Gluck  a  tiré  un  parti  aussi  génial  de  la  flûte  dans  l'air  panto- 
mime en  ré  mineur  de  la  scène  des  Champs-Elysées  dans  Orphée: 
les  sonorités  effacées  du  fn  naturel  dn  médium  et  du  premiçr  si 
bémol  au  dessus  des  lignes  expriment  une  si  pure  tristesse  !  Les 
sons  graves  de  la  tlûte  sont  peu  ou  mal  employés  ;  Gluck,  dans 
la  marche  d'Alceste,  a  montré  tout  ce  qu'on  peut  en  attendrepour 
les  harmonies  rêveusement.graves.  La  petite  flûte,  elle,  siffle  ora- 
-ge»sement  dans  la  masse  de  l'orchestre;  lisez  dans  la  tempête 
d'Iphigénie  en  Tauride  les  deux  petites  llûtes  à  l'unisson,  dans 
une  succession  de  sixtes,  écrites  à  la  quarte  au  dessus  des  pre- 
miers violons  ;  les  sons  à  l'octave  supérieure  produisent,  par  con^ 
séquent,  des  suites  de  onzièmes  d'une  grinçante  âpreté.  Lisez 
encore,  dans  la  même  œuvre,  <lans  le  chœur  des  Scythes,  les 
deux  petites  flûtes  doublant  à  l'octave  \csgrupelti  des  violons,  au 
fracas  rvthmé  des  cvmbaleset  du  tambourin. 

De  tous  les  instruments,  le  moins  bien  employé  par  Gluck,  c'est 
le  cor  :  il  suffit  d'un  rapide  examen  pour  se  convaincre  de  son 
])cu  d'adresse.  Il  ftmt  pourtant  citer  comme  une  trouvaille  les 
notes  de  cor  imitant  la  conque  de  Caron  dans  l'air  d'Alceste  : 
«  Caron  t'appelle  »,  ut  du  médium  soufflé  par  deux  cors  en  ré. 
Leur  timbre  lointainement  caverneux  est  dû  à  ceci  :  c'est  que 
Gluck  a  imaginé  de  faire  aboucher,  l'un  contre  l'autre,  les  pavil- 
lons des  deux  cors,  de  sorte  que  chaque  instrument  sert  de  sour- 
dine à  l'autre. 

Citons  encore,  parmi  tant  de  hautes  inspirations  instrumen- 
tales, dans  la  scène  infernale  d'Orphée^  sur  les  vers  : 

A  l'affreux  hurlement 

Du  Cerbère  écumant 

EU  rugissant 

les  contrebasses  aboyant  formidablement  le  fii  haut  précédé  des 
quatre  petites  notes  si,  ni,  ré,  mi,  aboiement,  d'autant  plus  ter- 
rible que  Gluck  l'a  placé  sur  le  troisième  renversement  de  l'ac- 


cord de  septième  diminuée  (/à,  sol  dièze^  si,  ré)  cl  qu'il  a  doublé 
à  l'octave  les  contrebasses  par  toute  la  masse  des  vifdori-,. 

De  telles  découvertes  supposent  une  entente  prnf'Mi.Je  du 
caractère  de  chaque  instrument  :  le  musicien  a  senti  (u  que  tel 
pu  tel  instrument,  employé  seul  ou  auxiliairemonl,  |m  n!  cxpii- 
pier  de  sensations  par, les  forte,  les  piani,  les  sons  l.n  Is'.  j)ro- 
longés,  quelles  modifications  lui  fait  subir  radjouciio;!  <l  instru- 
ments différents;  et  cette  entente  profonde  eniraînc  net  es^jiire- 
mcnt  l'accord  enlre  l'instrumentation  et  l'idée  poé  ii|i!( ,  ^lui  est 
la  pTincipale  force  du  drame  musical. 

Vous  ne  Irouvercz  point  chez  Gluck  la  note  lugubr  ■  < w:  pleine 
joie,  le  molif  guilleret  dans  une  situation  d'époiiviuiie  (H  de 
désespoir;  vous  ne  trouverez  point  ces  vulgarités  de*  coupe  et  de 
rythme,  allégros  redondants  que  couronne  une  grossière  cjulencc, 
crescendos^  l'unisson  où  l'orchestre  double  les  voix  et  qui  ;ibou- 
lissent  au  clinquant  coup  de  cymbales,  mélodies  roniaucéinenl 
langoureuses,  toujours  accompagnées  par  les  arpèges  des  harpes 
et  les  pizzicati  des  cordes...  Le  ciel  de  Gluck  esi  imniuable- 
menl  bleu;  sa  nuit  est  immuablement  noire;  les  contrastes  et  les 
péripéties  jaillissent  des  situations  tempétueuses  :  jnuiais  un 
contre-sens,  toujours  obéissance  intelligente  aux  règles  d'une 
rigoureuse  esthétique. 

L'on  connaît  cet  exemple  célèbre  de  psychologie  musicale,  ce 
passage  de  l'air  d'Oreste  dans  Iphigénie  en  Tauride  : 
«»  Le  calme  rentre  dans  mon  âme  » 

accentué  par  un  dramatique  accompagnement. 

«  Un  tel  trouble  dans  l'orchestre  pour  rendre  la  placidité  de  ce 
calme  dont  parle  le  personnage!  s'exclamaient  les  critiques. 

—  Mais  quelle  idée  avez-vous  de  la  situation,  répondait  Gluck. 
Oreste,  calme!  n'en  croyez  rien.  Il  ne  l'est  ni  ne  saurait  l'être.  Il 
vient  de  tuer  sa  mère.  Quand  il  parle  du  calme  qui  rentre  dans 
son  âme,  il  cherche  à  se  tromper  lui-même  ;  Oreste  vous  dit 
qu'il  est  calme,  et  pendant  ce  temps,  dans  l'orchesire,  les  basses 
et  les  violons  vous  affirment  qu'il  menl  !  »  Un  autre  critique  repro- 
chait au  chevalier  la  monotonie  du  fameux  air  «  Caron  l'appelle  », 
écrit  sur  une  seule  note  :  «  Apprenez,  répondit  Gluck,  que  dans 
le  royaume  des  enfers  les  passions  s'effacent  cl  que  la  voix  y 
perd-ses  inflexions  !» 

De  pareilles  beautés  tiennent  plus  peut-être  à  l'ordre  esthé- 
tique qu'à  l'ordre  musical  :  c'est  discutable,  mais  éj)ouvantant 
de  psychologie,  et  ces  discussions  sur  le  système  ne  diminue- 
raient point  Gluck.  Ce  système  produit  parfois  la  monotonie, 
comme  dans  Alceste;  mais  dans  Orphée,  Armide  et  les  deux 
Iphigénie,  celte  application  du  contraste  musical,  qui,  s'il  n'est 
réclamé  par  le  sentiment  dramatique,  ne  produit  qu'un  effet 
secondaire  de  curiosité  sonore,  élève  l'expression  instrumentale 
aux  plus  hauts  sommets  de  l'art. 


lES  IMPRESSIOIXNISTES 

Deuxième  article*. 

EDGARD    DEGAS  - 

Ce  n'est  pas  sans  un  certain  trouble  que  nous  commençons 
cette  étude  d'ua  homme  qui,  par  ses  œuvres,  par  sa  science  et 
son  caractère,  nous  semble  être  le  type  du  grand  artiste  mo- 


*  Voy.  l'Art  moderne  du  15  mars  1885. 


dcrne,  nynnt  peu-  des  qualilds  de  naïveté  ou  de  primesaut  d'une 
époque  moins  avancée,  mais,   au  contraire,  créant  à  force  de 
volonlé  quelque  chose  de  nouveau,   d'une  analyse  subtile  et, 
reclierclié(\  loiit  en  se  servant  de  la  tradition  en  profond  érudit. 

Drg;is.  en  ctYet,  une  fois  en  possession  de  son  métier  et  après 
avoir  éîu*lié  les  maîtres  jusqu'à  surprendre  leurs  secrets,  avec  sa  ^ 
rare  éducation  classique,  non  apprise  k  l'Ecole  des  Beaux-Arls 
mais  par  do  longues  stations  dans  les  musées,  eut  le  bonheur  de 
comprerjfiro,  l'un  des  premiers,  que  si  les  anciens  procédés  sont 
nécessairos  an  peintre  moderne,  le  devoir  de  celui-ci  est  de  les 
appliqua'  d'une  façon  nouvelle;  que  la  noblesse  du  «  sujet  »  est 
un  mot  vide  de  sens,  et  que  la  beauté  et  la  grandeur  d'une  œuvre 
d'art  résident  dans  le  dessin  et  dans  la  peinture  mêmes. 

Tandis. que  beaucoup  d'excellenls  élèves  d'Ingres  ou  de  ses 
admirateurs  recommençaient,  sans  éclat  mais  avec  talent,  ce  que 
les  grands  Italiens  avaient  fait,  ne  soupçonnant  pas  qu'ils  pussent 
applique T  leurs  connaissances  k  exprimer  quelque  chose  de  neuf, 
Degas,  lui,  après  bien  des  tâtonnements,  et  après  avoir  fait  une 
Didoii,  un  Combat  déjeunes  Spartiates  et  d'autres  compositions 
d'école,  se  mil  à  peindre  des  chevaux  de  courses,  des  blanchis- 
seuses, dos  danseuses  et  des  chanteuses  de  café-concert  avec  le 
même  recueillement  que  s'il  eût  eu  devant  lui  une  femme  drapée 
en  Vierge  ou  en  Martyre. 

De  là  le  caractère  qu'il  a  imprimé  à  tout  ce  qu'il  a  fait.  De 
là  l'aspect  sérieux  et  magistral  de  ses  moindres  ébauches. 

Voici  d'ailleurs  un  fait  qui  prouve  ce  que  valait  cette  éducation 
artistique  des  élèves  d'Ingres  :  parmi  ceux-ci,  il  n'en  est  guère 
qui,  au  milieu  de  leurs  travaux  platement  académiques,  n'aient 
fait,  d'après  nature,  un  portrait  remarquable  ;  là,  en  effet,  les 
souvenirs  classiques  n'entraient  pour  rien  dans  la  composition 
de  l'œuvre  :  il  n'y  avait  plus  qu'une  main  habituée  aux  belles  et 
grandes  lignes  qui  traduisait  fidèlement  un  visage  vivant. 

Par  Iheureuse  direction  de  ses  études  premières,  qu'il  fit  en 
Italie,  tr,ivai:lant  sans  relâche  d'après  les  plus  beaux  modèles, 
entouré  dt;s  chefs-d'œuvre  des  musées  et  des  palais  fameux, 
respirant  en  quelque  sorte  une  atmosphère  d'art,  Degas  se  trouva 
dans  des  conditions  exceptionnelles,  dont  profita  largement  la 
nature  de  son  esprit.  De  plus,  mêlé  au  monde  élégant  de  l'épo- 
que, il  put  étudier  les  mœurs  d'une  société  dont  il  faisait  partie, 
non  pas  en  spectateur,  mais  en  acteur.  Ses  suites  de  Courses, 
par  exemple,  ont  ces  rares  mérites  réunis,  que  le  dessin  y  est 
impeccable  et  de  grand  style,  et  que  tous  les  détails  y  sont 
rendus  comme  ils  pourraient  l'être  dans  un  journal  spécial  :  les 
casaques  des  jockeys,  les  bottes  des  gentlemen-riders  sortent  de 
chez  le  bon  faiseur  et  le  harnachement  est  irréprochable,  comme 
dans  certaines  gravures  techniques  des  Anglais.  Mais  quelle 
quantité  de  croquis  à  la  mine  de  plomb,  serrés,  précis,  avant 
d'entreprendre  un  tableau  ! 

Le  nombre  de  merveilles  que  renferment  les  cartons  de  l'artiste 
est  incroyable.  S'il  est  permis,  un  jour,  d'en  voir  sortir  les  milliers 
d'études  de  chevaux,  d'attelages  et  surtout  de  danseuses  qii'il 
crayonne  pour  préparer  les  toiles  relativement  peu  nombreuses 
qu'il  exécute,  sa  réputation  en  sera  encore  augmentée. 

Il  y  a  plusieurs  périodes  bien  marquées  dans  l'œuvre  de  Degas. 
Les  plus  anciennes  peintures  que  nous  connaissions  de  lui  sont 
des  têtes,  des  portraits  d'un  grand  caractère,  d'un  dcssiin  arrêté, 
d'un  modelé  sévère.  Tel  le  grand  panneau  où  il  a  représenté 
une  partie  de  sa  famille  :  deux  jeunes  filles,  le  père  et  la  mère, 
au  coin  du  feu.  La  préoccupation  de  Holbcin  y  est  manifeste  : 


recherche  d'une  pâte  égale  et  plate,  dans  un  contour  rigoureux. 
Peints  à  22  ans,  ces  portraits  demeureront  remarquables,  môme 
alors  que  Degas  aura  trouvé  toute  sa  personnalité.  Cette  exécution 
lisse  et  méticuleuse,  il  la  conservera  longtemps,  et  on  la  retrouve 
dans  presque  toutes  ses  peintures  à  l'huile  les  plus  connues, 
dans  chacune  des  «  suites  »  qu'il  entreprit  :  un  Jockey  sautant 
tm  obstacle,  un  Jockey  gisant  inanimé  à  côté  de  son  cheval,  le 
Foyer  de  la  danse  deda  collection  Faure,  etc. 

La  seconde  période  est-consacrée  à  des  sujets  d'histoire,  dont 
nous  avons  déjà  parlé.  Certain  carton  où  sont  retracés  les  faits 
les  plus  importants  de  lavie  de  Jeanne  d'Arc  doit  dater  de  cette 
époque.  Il  y  a  déjà  là  une  intelligence  toute  particulière  de  ce 
sujet  si  souvent  exploité. 

Enfin,  Degas  se  remit  à  faire  ce  qu'il  voyait  autour  de  lui  et  il 
commença  cette  considérable  et  merveilleuse  série  de  danseuses, 
d'orchestres,  de  loges  de  théâtre,  de  cafés-concert,  de  scènes 
sportives,  dans  laquelle  son  talent  se  développa  de  plus  en  plus 
jusqu'aux  pastels  qu'il  fait  depuis  une  dizaine  d'années,  et  qui 
sont  tous  des  chefs-d'œuvre  d'arrangement,  d'inyenlion,  de  cou- 
leur et  de  dessin,  il  est  très  difficile  de  citer  les  titres  de 
ses  tableaux  :  d'abord  ceux-ci.  sont  assez  rares  et  ils  ont  été  très 
peu  vus.  Les  plus  importants  qui  aient  passé  sous  nos  yeux  sont, 
outre  ceux  que  nous  avons  déjà  mentionnés  :  une  Répétition  de 
ballet,  le  Ballet  de  RobertAe- Diable,  avec  l'orchestre  et  quelfiues 
rangs  d'abonnés,  lés  Bureaux  d'une  fabrique  de  coton,  rapporté 
d'un  voyage  en  Amérique,  et  qui  a  été  acquis  par  le  musée  de 
Pau,  plusieurs  Départs  de  courses,  \e  Terrain  de  Longchamps 
et  Varrivée  des  voitures,  le  portrait  de  Pagans,  etc.  D'ailleurs, 
malgré  la  beauté  et  l'intérêt  de  ces  toiles  achevées,  le  talent  du 
maître  éclate,  avec  son  entière  nouveauté,  surtout  dans  les  pas- 
tels si  variés  et  si  nombreux  qu'il  a  faits  dans  les  théâtres,  prin- 
cipalement à  l'Opéra.  Il  est  vraiment  et  avant  tout  le  peintre  de 
la  Danse.  Il  s'adonna  si  complètement  à  l'élude  de  l'art  choré- 
graphique qu'il  eut  l'intention  de  publier  un  grand  ouvrage  qui 
y  fût  entièrement  consacré.  Il  a  fait  des  centaines  de  dessins  qui 
sont  de  véritables  portraits,  d'une  admirable  justesse,  de  jambes 
et  de  bras,  d'attitudes  de  danseuses. 

Le  «  mouvement  »  n'a  jamais  eu  de  photographe  plus  exact. 
Mais  petit  à  petit,  suivant  le  développement  de  son  esthétique, 
ses  petites  figures  perdent  un  peu  de  leur  réalité  pour  devenir  de 
délicieux  papillons  aux  colorations  étranges  qui  jouent  un  rôle 
charmant  dans  des  pastels  que  la  fantaisie  envahit  de  plus  en  ' 
plus. 

Il  les  sépare  par  pelotons  de  différents  tons,  les  éloigne,  les 
rapproche,  les  regarde  d'en  dessous,  d'au  dessus,  de  la  salle,  des 
coulisses,  du  cintre;  il  en  orne  des  éventails;  son  rêve  serait  d'en 
décorer  les  murs  d'un  élégant  hôtel. 

Après  une  série  de  ces  étincelanles  compositions,  il  prend  de 
la  cire  et  s'efforce  de  modeler  une  danseuse  de  grandeur  presque 
naturelle  :  son  essai  en  sculpture  est  un  chef-d'œuvre.  Il  se 
remet  au  pastel,  il  fait  des  avant-scènes,  des  loges,  des  panto- 
mimes, Arlequin  et  Colombine,  des  cantatrices  exécutant  un  air 
de  bravoure,  la  main  sur  la  poitrine,  où  se  révèle  le  côté  satirique, 
presque  caricatural,  de  son  talent;  des  modistes,  dont  les  têtes 
s'enchevêtrent  avec  les  chapeaux  placés  sur  leurs  petits  chevalets 
de  bois,  des  mouvements  de  femmes  en  conversation,  penchées 
sur  des  balcons  ou  renversées  dans  d'étranges  attitudes;  et  tou- 
jours le  dessin  s'élargit,  les  colorations  deviennent  plus  riches  et 
'plus  recherchées,  plus  «  décomposées  ».  Les  roux  métalliques  s'y 


marient  avec  des  verl-dc-gris,  des  bleus  de  lapis,  des  violets 
laqueux  ;  certains  effets  sont  d'un  froid  d'acier,  certains  autres 
d'une  chaleur  de  «  rampe  ».  Partout,  une  harmonie  exquise. 

Degas  a  rendu  le  plancher  de  la  scène,  la  lumière  électrique, 
celle  du  gaz,  l'ombre  portée  des  jupes  de  danseuses,  la  matité 
des  décors  et  tout  ce  milieu  qui  n'avait  jamais  été  observé  avant 
lui,  avec  une  force  et  une  justesse  surprenantes. 

Et  cependant,  il  est  l'ennemi  de  la  peinture  d'après  nature!  Cet 
artiste  si  exact,  qui  a  été  si  fidèle  dans  tout  ce  qu'il  a  représenté, 
a  tout  peint  de  souvenir,  d'après  des  dessins,  d'une  absolue  pré- 
cision il  est  vrai. 

Il  est  avant  tout  l'ennemi  du  «  morceau  »  et  il  considère  que 
c'est  seulement  en  peignant  de  souvenir  qu'on  peut  arriver  h 
l'exécution  simple  qu'eurctU  les  maîtres  primitifs.  J. -F.  Millet  ne 
procédajamais  autrement. 

Les  théories  de  Degas  sur  la  pointure  sont  d'ailleurs  du  plus 
haut  intérêt.  Son  esprit  cultivé,  îi  la  fois  plein  de  tout  ce  qm  a 
été  fait  de  beau  et  de  tant  de  belles  choses  à  inventer  encore,  e^t 
le  plus  attachant  qui  soit. 

Mais  nous  devons  nous  borner  ici  à  donner  une  idée  de  ce  qu'a 
fait  ce  délicat  et  puissant  artiste.  Nous  serions  heureux  d'avoir  su 
inspirer  le  désir  de  connaître  son  œuvre  à  ceux  qui  n'ont  qu'en- 
tendu prononcer  son  nom  ;  heureux  aussi  de  n'être  pas  considéré 
jKir  les  amateurs  qui  le  connaissent  et  qui  l'admirent  comme 
étant  resté  au  dessous  de  la  réalité. 


L. 


Î^XPO^ITION      DE?     pEAUX-^RT?      D'J^NVEF^? 

Cercle  libre  de  l'Observatoire. 

Prorès-verbal  de  la  séance  du  comité^  tenue  à  la  Porte  Verte 
le  samedi 'iS  mars  i^Sii. 

Présents  :  MM.  Lebrun,  Vanden  Hi^ssche,  Herbo,  C.  Van  Leeni- 
pulleu,  A.  Musin,  Nelson,  Van  Landuyt,  membres;  Van  Brée, 
secrétaire. 

Délégués  des  sociétés  artisti(iues  de  la  capitale  convoqués  et 
présents  : 

MM.  J.  P>aes,  président  de  la  Société  des  Aquarellistes  et  Aqun- 
fortistes;  V.  Dumortier,  président  de  la  Société  centrale  d'archi- 
tecture; Cox  el  Van  Mossevelde,  président  et  secrétaire  de  la 
Société  des  artistes  indépendants;  P.  Parmontier  el  Zandig, 
membres  de  la  dite  SociéVé  ;  J.  Dillens,  de  la  Société  de  rEssor; 
F.  Van  LeempuUen,  secrétaire  de  la  Société  des  Hydrophiles; 
MM.  Van  Camp  et  A.  De  Vriendt,  membres  de  la  Commission  des 
Deaux-Arts  de  l' Exposition  universelle  d'Anvers,  et  M.  Flofiliaen. 

La  séance  est 'ouverte  à  0  heures  sous  la  pn-sidencedeM.  Lebrun. 

M.  le  président  donne  communication  des  letli-es  de  MM.  Cluy- 
senaar,  KhnnplT,  Edmond  Picard,  M-.irkelbach  el  J.  I)(,'Vriendt,  ces 
trois  derniers  .«"excusant  de  ne  [)OUVoir  assister  à  la  séance  i)0ur 
cause  de  maladie. 

M.  Lebrun  abo.'xle  l'ordre  du  jour,  expose  ;i  l'assemblée  le  but 
de  la  réunion  el  rend  compte  de  la  séance  du  mercredi  18  mars 
courant  au  Petit-Paris. 

Il  donne  ensuite  lecture  de  la  requête  que  le  Cercle  libre  de 
i Observatoire  a  résolu  d'adresser  à  M.  le  Commissaire  général  du 
Gouvernement  près  l'Exposition  universelle  d'Anvers  et  con(;ue 
dans  les  larmes  suivants  : 


A  Monsieur  le  comte  A.  d'OuHremout,  Commissaire 
général  du  Gouvernement  près  T Exposition  univer- 
selle d'Anvers.  . 

Monsieur  le  Commissaire  général. 

Le  règlement  de  l'Exposition  universelle  d'Anvers  a  maintenu 
l'institution  des  récompenses  à  décerner  par  le  jury.  L'utilité  de 
cette  institution  est  depuis  longtemps  déjà  diversement  appréciée 
par  les  artistes.  Admise  encore  par  quelques-uns,  elle  est  au 
contraire  contestée  par  un  grand  nombre. 

A  deux  reprises  différentes,  le  3  avril  4872  et  le  10  mai  1884, 
les  artistes  membres  du  Cercle  artistique  de  Bruxelles  se  sont 
prononcés  en  faveur  de  la  suppression  totale  des  médailles. 

De  cette  divergence  d'appréciation  d'une  part,  et  d'autre  part 
de  l'absence  au  règlement  d'une  stipulation  impliquant  l'obliga- 
lion  pour  les  artistes  exposants  de  participer  îi  un  concours  dont 
"tomicoup  ne  reconnaissent  guère  l'utilité,  devrait  résulter  la 
fiiculté  complète  de  se  soumettre  ou  hon  à  celjii-ci.  C'est  cette 
latitude  que  le  comité  du  Cercle  libre  de  V Observatoire  croit 
devoir  demander  au  nom  des  artistes  de  ce  Cercle.  Le  principe 
(le  la  mise  hors  concours- a  été  admis  par  les  jurys  internationaux 
aux  expositions  universelles  de  Vienne  en  1873,  d'Amsterdam  en 
1883elde  Niceen  188-i. 

Le  comité  du  Cercle  libre  de  V Observatoire,  appuyé  par  l'una- 
nimité des  membres  présents  de  l'assemblée  générale  tenue  le 
21  mars  dernier,  a  l'honneur,  Monsieur  le  Commissaire  général, 
de  vous  prier  de  vouloir  bien  élre  son  interprète  auprès  du  Gou- 
vernement el  des  membres  de  la  Commission  organisatrice  de 
l'Exposition  universelle  d'Anvers  et  leur  soumettre  le  vœu  qu'il 
vient  de  formuler.  '  „ 

Convaincu  que  ceux-ci  n'hésiteront  pas  un  instant  à  reconnaître 
tout  ce  qu'il  y  a  de  juste  et  d'équitable  dans  sa  requête,  il  ose 
espérer  qu'il  sera  permis  \\  tout  exposant  de  faire  savoir,  par  une 
mention  spéciale  au  catalogue  et  à  l'aide  d'une  inscription  à 
placer  sur  l'teuvrc  expo.sée,  qu'il  désire  ne  pas  concourir. 

Veuillez  agréer,  Monsieur  le  Commissaire  général,  l'assurance 
de  sa  haute  considération. 

'  Le  Comité  du  Cercle  libre  de  V Observatoire  : 

L.  Lebrux,  j.  De  Vriendt,  Ch.  Brunin,  L.  Herbo, 
Vanden  Kerckhove-Nelson,  A.  Skriuue,  A.  Mu- 
sin, E.  Vandîïn  Dussche,  C.  Van  Leemputten, 
Ch.  Vanden  Eycken,  C.  Van  Landuyt. 

Le  secrétaire,         .  . 

J.  Van  Brée. 

Après  lecture  t'iiii(\  le  [irésident,  au  nom  du  Cercle  libre  de 
/'O^.st'/rfl/oi/'^,  invite  Messieui's  les  délégués  des  divers  Cercles 
présiHils  à  vouloir  bien  en  exposer  le  sens  et  la  portée  aux 
membres  de  leur  Cercle,  atin  ([u'ils  puissent,  de  leur  côté,  faire 
une  démarche  semblable  en  appuyant  el  approuvant  la  requête 
et  d'établir  ainsi, une  entente,  une  solidarité,  entre  les  tlilîerenls 
Cercle.s. 

M.  Baes  dit  qu'il  se  mettra  d'accord  avc^  les  meud)res  du 
C<'nlc  (ju'il  a  l'honneur  de  présider,  en  soumettant  cette  question 
à  leur  délibération. 

M.  lloiïiaen,  |)arlanlen  son  nom  personnel  et  comme  simple 
invité,  n'ayant  aucune  délégation  du  Cercle  artistique^  demande 
que  dans  la  pétition,  h  laquelle  il  adhère,  on  expose  qu'îi  Vienne 
en  1873,  à  Amsterdam  en  1883  el  à  Nice  en  188i,  les  artistes 
ont  eu  la  latitude  de  se  mettre  hors  concours. 


r*7^ 


VART  MODERNE 


109 


Le  secrétaire  dit  que  M.  Ga liait  s'était  mis  hors  concours  à 
Vienne  en.  4873  ainsi  que  les  raembres  exposinls  du  jury  intcr- 
nalional 

M.  Vandon-  Bussclic  dit  que  sans  doute  les  artistes  élranpjers 
qui  prendront  part  à  l'exposition  voudront  le  maintien  des  mé- 
dailles, qu'il  faut  bien  réfléchir  k  ce  qu'on  va  faire  etqu'une  com- 
munauté d'idées  est  nécessaire  pour  la  réussite  de  la  présente 
démarche.  -  j 

M.  Dillcns  demande  quoi  est  l'obstacle  qui  s'oppose  à  ce  que 
les  artistes  se  mettent  hors  concours. 

M.  Lebrun  donne  lecture  des  articles  48  et  24  du  règlement 
organique  de  l'Exposition  d'Anvers  qui  donnent  lieu  à  cette  inter- 
prétation. 

Un  membre  de  l'assemblée  demande  si  les  sisfnalaires  de  la 
requête  à  adressera  M.  le  Commissaire  général  du  gouvernement 
promettent  de  refuser  toute  récompense  et  par  ce  fait  s'engagent 
tous  à  se  mettre  hors  concours. 

M.  Nelson  fait  observera  cet  honorable  membre  qu'il  n'est 
pas  entré  dans  les  vues  du  comité  du  Cercle  libre  de  lObser- 
i;a^iré  d'obliger  tous  les  signataires  de  la  pétition  à  se  mettre 
hors  concours.  L'adhésion  à  ce  principe  de  liberté,  de  pouvoir 
concourir  ou  pas  pour  l'obtention  d'une  récompense  à  décerner 
piir  le  jury,  n'impose  en  aucune  façon  l'engagement  de  ne  pas 
concourir.  Faculté  pleine  et  entière  doit  rester  aux  signataires  de 
concourir  ou  de  s'abstenir. 

•M.  le  Président  met  la  proposition  de  la  requête  aui  voix.  Elle 
est  adoptée  à  l'unanimité.  On  décide  ensuite  de  la  faire  imprimer 
et  d'en  adresser  un  exemplaire,  ainsi  qu'une  notice  rendant 
compte  des  délibérations  qui  ont  précédé  son  adoption,  à  toutes 
les  Sociétés  artistiques  de  la  ville  et  des  provinces. 

M.  Lebrun  remercie  Messieurs  les  délégués  et  artistes  présents 

de  leur  concours  et  du  .bon  accueil  accordé  à  la  proposition. 

La  séance  est  levée  à  dix  heures.  ,. 

Le  secrétaire, 

J.  B. 


Nous  avons  visité  cette  semaine  les  travaux  d'installation  du 
Salon  des  Beaux- Arts  à  rExposition  d'Anvers. 

Le  bâtiment,  qui  occupe  à  l'extrémité  de  l'avenue  du  Sud,  à 
gauche  en  allant  vers  le  Palais  de  l'Exposition  une  superficie  d'envi- 
ron douze  mille  mètres  carrés,  est  presque  achevé.  Il  se  compose 
d'un  péristyle,  tl'un  av»nt-corps  réservé  aux  bureaux  du  secrétariat 
et  de  la  coriimission,  au  vestiaire  et  à  la  salle  des  assemblées  iréné- 
rales,  d'un  vaste  atrium  entouré  de  galeries  où  sera  placée  la 
scul[)ture  belire.  et  d'une  cinquantaine  de  salles  de  petites  dimen- 
sions, éclairées  par  des  lantorneaux  dont  des  vélums  de  toile  tami- 
seront la  lumière. 

l'n  reistaurant  sera  annexé  à  ce  bâtiment. 

La  disposition  des  locaux  paraît  excellente.  On  n'est  pas  encore 
tout  à  fait  tîxé  sur  la  répartition  des  salles  entre  les  différentes  na- 
tions. La  distribution  aura  sans  doute  à  subir  certains  remaniements 
selon  le  nombre  des  envois  faits  par  chaque  pays.  Le  délai  ayant 
ete  reculé  au  8  avril,  on  n'a  encore  à  cet  égard  aucune  certitufle. 

Il  est  néanmoins  évident,  dès  à  présent,  que  la  Belgique  occupera 
le  plus  grand  espace.  Toutes  les  premières  salles  vers  l'avenue  du 
Sud,  au  nombre  d'une  douzaine,  lui  sont  réservées.  La  France  vien- 
dra, comme  importance,  immédiatement  après.  Elle  disposera  de 
t  >utes  les  salles  de  l'amzle  de  irauche.  à  l'extrémité  orientale.  L'Aile- 
magne  sera  logée  dans  l'angle  de  droite,  et  sera  séparée  de  la  précé- 
dente par  la  Norwège.  la  Suède.  l'Autriche  et  l'Italie,  qui  occupera 
la   rotonde    et   les   salles  adjacentes.  La  Hollande  est  placée  entre 


l'Allemagne  et  la  Belgique.  Elle  a  pour  voisins  l'Espagne  et  le  Por- 
tugal. Enfin,  la  Suisse  et  la  Russie  auront  chacune  une  petite  salle, 
la  première  contre  la  France,  la  seconde  entre  l'Italie  et  la  Hollande. 
Une  salle  est  réservée,  en  outre,  à  l'extrémité  est,  aux  pays  qui  ne 
se  sont  pas  fait  représenter  officiellement. 

On  a  pris  contré  les  dangers  d'incendie,  des  mesures  spéciales 
et  nombreuses.  L'eau  ^est  distribuée,  sous  une  pression  de  cinq' 
atmosphères,  par  deux  gros  tuyaux  de  100  '^"'m-  reliés  au  tuyau- 
mère  de  l'avenue  du  Sud,  dan.^  un  réseau  de  conduits  de  50  ""'m 
auxquels  sont  adaptées  vingt-deux  bouches  Toutes  ces  bouches 
sont  munies  de  tuyaux  et  de  lances,  et  sont  placées  de  telle  sorte 
qu'aucune  des  parties  du  bâtiment  ne  puisse  échapper  aux  jets,  lecas 
échéant  En  outre,  le  bâtiment  est  complètement  isole  au  moyen 
d'une  clôture.  Les  cloisons  et  voliges  serrant  revêtues  d'asbeste,  afin 
de  les  rendre  incombustibles.  Il  y  aura,  à  proximité  des  pompiers 
qui  exei'ceroot  une  surveillance  continuelle,  tant  à  l'intérieur  qu'à 
l'extérieur,  des  perches  munies  de  crochets  pour  enlever  au  besoin 
les  vélums  de  toile,  aptes  par  leur  nature  à  propager  l'incendie.  Un 
téléphone  réliera  l'Exposition  des  Beaux-Arts  à  la  caserne  et  aux 
postes  des  pompiers,  et  en  particulier  au  poste  voisin  du  Palais  de 
justice,  le  plus  rapproché  de  l'Exposition.  Enfin,  le  Ministre  de  la 
guerre  a  mis,  dès  à  présent,  à  la  dispo.^ition  de  la  commission  des 
sentinelles  qui  gardent  le  bâtiment  nuit  et  jour. 


En  envoyant  à  la  Fédération  artistique  les  documents  relatifs 
à  l'exposition  des  Deaux-Aris  d'Anvers  qui  ont  paru  dans  nos 
derniers  numéros,  Edmond  Picard  lui  a  écrit  la  lettre  suivante  : 

Monsieur  le  Directeur  de  la  Fedt^ration  artUtAque. 

Vous  vous  êtes  beaucoup  occupé  de  moi  dans  ces  'lerniers  temps. 
Trois  colonnes  dans  votre  dernier  numéro  !  huit  dans  le  précédent  ! 
autant  peut-être  dans  le  prochain  !  Bref  une  prodigalité  a  v.jus  faire 
mettre  sous  conseil  judiciaire. 

Je  vous  remercie  de  ce  rare  bon  vouloir. 

Seulement  la  plupart  de  vos  renseignements  sont  inexacts.  Est-ce 
que  vous  l'ignoriez  ?  -    . 

Dans  le  but  louable  de  lès  rectifier,  je  vous  prie  de  publier  sans 
retard  la  présente  lettre  et  ses  annexes  qui  y  réponient  directe- 
ment. Elles  ne  repré.sentent  qu'une  partie  de  l'espace  vraiment  royal 
qui  me  revient  grâce  à  une  générosité  de  citations  que  je  n'oublierai 
jamais.  

Je  regrette  d'empiéter  ainsi  sur  votre  remarquable  prose,  et  sur- 
tout sur  les  étonnants  petits  vers  de  vos  fables  quf  doivent  fort 
inquiéter  La  F<intaine  et  La  Chambeaudie.  Mais  la  vérité,  qui  chez 
vous  passe  toujour?1a  première,  m'y  oblige. 

M'est-il  permis  de  vous  signaler  que  ma  réponse  doit  être  publiée 
en  une  fois,  à  la  même  place  que  vos  articles  (ce  sera  un  bien  grand 
honneur  pour  elle)  dans  le  même  caractère,  et  sans  être  découpée  en 
tranches  suivant  votre  procédé  très  ingéideux  mais  peu  loyal..... 
pardon,  c'est  légal  que  je  voulais  mettre.  Excusez  cette  timi<le  leçon 
de  juri.sprudence  :  quand  on  a,  comme  moi,  le  malheur  d'habiter -les 
SEREINES  RÉGIONS  DU  Droit.  il  en  reste  toujours  quelque  chose. 

Je  me  réserve  d'ajouter  à  ce  premier  colis,  les  envois  pour  lesquels 
vous  me  donneriez  droit  «l'asile  chez  vous,  par  de  nouvelles  atta- 
ques  .pardon  encore  une  tbis,  je  veux  dire  compliments  ;  \QUi 

me  causeriez  une  amère  déception  en  vous  arrêtant  dans  vos  libé- 
ralités. 

Je  suis.  Monsieur,  avec  la  considération  que  méritent  votre  beau 
talent  et  votre  grand  caractère. 

Le  plus  humble  de  vos  set-viteurs, 
Edmond  Picard. 

4«r  avril  iSSo  (la  coïncidence  n'est  pas  intentionnelle,  veuillez  en 
être  persuadé). 


BEAITÉS  DES  JURYS  D'ADMISSION 

Le  jiiry  d'admission  du  Salon  de  Paris  fait  des  siennes,  ou  plu- 
tôt il  fail  ce  que  fonl,  ont  fait  et  fiTont  tous  les  jurys  de  l'espèce. 

Constantin  Meinier  lui  envoie  sa  Descente  des  Mineurs^  un 
des  plus  beaux  tableaux  de  noire  école  contemporaine,  un  des 
plus  palbétiqucs.  On  se  souvient  de  l'accueil  qui  lui  fut  fait  lors 
de  son  apparition,  il  y  a  trois  ans.  ^ 

Le  jury  français  le  refuse. 

La  nouvelle  fait  scandale.  Meunier  se  console  en  pensant  que 
l'on  a  révélé  récemment  qu'un  ancêtre  du  jury  actuel  en  a  refusé 
à  Delacroix  DIX-SEPT  !  d'un  seul  coup,  sans  compter  les  Corot, 
les  Rousseau,  les  Willel,  les  Courbet,  les  Manet,  etc.,  etc.,  etc. 

Mais  dans  le  monde  des  arts  on  tempête. 

Le  jury  s'inquiète.  On  regarde  mieux  le  tableau,  ou  plutôt  on 
le  regarde,  car  assurément  on  avait  dû  s'en  abstenir.  Et  en  effet, 
on  le  trouve  superbe,  magistral,  d'un  art  nouveau  surtout,  pro- 
fond, émolionnant. 

Mais  alors  pourciuoi  l'avoir  traité  comme  un  goujat  de  tableau. 

Ah!'  voici.  Il  y  a' parait-il,  un  autre  peintre  du  même  nom, 
connu  du  jury  français  et  dont  il  ne  veut  pas  entendre  parler.  11 
a  cru  que  c'était  sa  bête  noire  qui  se  présentait,  et  il  a  fait  dire  : 
Je  n'y  suis  pas; 

Décidément  les  gaffes  de  cette  belle  institution  ne  tariront 
jamais. 

Passe  encore  quand  elles  sont,  comme  celle-ci,  amusantes. 
A  quand  la  prochaine? 


LES  HYDROPHILES 

Esl-cc  malice?  Au  dessus  d'une  aquarelle  de  Pioch,  le  cartel 
placé  par  la  commission  porte  en  lettres  capitales  ce  mot,  qui  a 
l'air  d'un  conseil  :  pioche. 

Et  de  fait,  l'artiste  paraît  avoir  besoin  d'efforts  laborieux  pour 
se  hausser  au  rang  de  ses  collègues. 

Dans  cette  chapelle  où  dévotement  on  sacrifie  à  la  déesse  Aqua, 
il  est  quelques  fidèles  qui  pourraient  profiter  du  conseil.  Ce  sont 
les  attardés  dans  les  formules,  ou  les  trop  fidèles  servants  des 
rites  mis  en  vigueur  par  les  grands  prêtres  des  églises  rivales. 

Mais  clîez  les  autres  souffle  un  esprit  d'indépendance  de  bon 
augure,  et  plusieurs  d'entre  eux,  deux  tout  au  moins,  s'élèvent 
bien  au  dessus  du  milieu  modeste  dans  lequel  ils  se  produisent. 
D'enfants  de  chœur,  ils  passent  du  coup  archi-diacres.  Ce  sont 
—  ceux  qui  ont  visité  le  petit  Salon  actuellement  ouvert  aux 
Beaux-Arts  les  nommeront  sans  hésiter,  —  MM.  Toorop  et  Vogels. 

Voyez  la  grande  aquarelle  intitulée  At  home  du  premier  :  trois 
figures  de  femmes  assises  autour  d'une  table  couverte.  C'est  exquis 
de  sentiment,  de  simplicité,  d'harmonie  de  couleurs.  On  n'ima- 
gine pas  celte  scène  mieux  vue  ni  mieux  rendue.  Les  étoffes  sont 
légères,  diaphanes,  les  poses  sont  naturelles,  l'atmosphère  d'un 
ajjpartement  est  exprimée  à  miracle,  dans  sa  lumière  assourdie 
et  calme.  •  r— ^ '- — 

Voyez  les  paysages  du  second,  en  particulier  ses  Hivers.  C'est 
un  régal  de  tons  distingués,  une  fête  de  colorations  discrètes,  une 
suite  d'accords  harmoniques,  puissants  et  doux,  eomme  une 
musique  lointaine  et  berçante. 

Nous  avions  cité  à  la  volée,  après  une  visite  rapide,  outre  ces 
deux  noms,  ceux  des  frères  Oyens,  de  Speeckaerl,  de  Chainaye, 
de  Siorm  de  Gravesande.  Un  examen  attentif  confirme  la  bonne 
impression  produite  par  les  œuvres  de  ces  artistes  consciencieux. 
Les  dessins  de  Speeckaerl  sont  robustes,  pleins  de  caractère.  Les 
deux  sanguines  de  Chainaye  unissent  à  la  précision  du  contour 
une  délicatesse  de  traits  qui  surprend  ceux  qui  ne  voient  dans  la 
sculpture  du  jeune  artiste  que  des  ébauches  rudimentaires.  11  y 
a  dans  le  Portrait  de  jeune  garçon  une  sûreté  calme  que  peu 
d'artistes,  belges  possèdent.  Storm  de  Gravesande  expose  les 


douze  planches  de  son  dernier  album  d'Esquisses  en  Hollande. 
Nous  en  avons  parlé  dernièrement.  Quant  aux  frères  Oyens,  que 
le  Cercle  a  eu  la  bonne  pensée  d'inviter,  avec  un  Hollandais 
nommé  Breitner  qui  expose  un  remarquable  MarêchaUferranty 
ils  demeurent  les  coloristes  séduisants,  les  humoristes  pleins  de 
fantaisie  que  l'on  sait. 

Ajoutons  à  celle  liste  M.  Mundeleer,  un  artiste  délicat,  dont  la 
palette  harmonieuse  est  malheureusement  imprégnée  d'une  colo- 
ration jaunâtre  qui  fail  l'effet  d'une  sauce  uniforme  accommodant 
tous  les  services  d'un  repas,  M.  Cassiers,  qui  réédite  son  exposi- 
tion au  Cercle  dont  nous  avons  fait  un  compte-rendu  détaillé,  et 
M.  Hagemans,  qui  élargit  de  plus  en  plus  sa  manière  au  détri- 
ment, malheureusement,  du  coloris  qu'il  assourdit,  M.  Hermanus, 
qui  a  réalisé  des  progrès  :  nous  aurons  ainsi  écrémé  le  Salonnet 
des  Hydrophiles. 

.Charles  Goethals  manque  b  l'appel.  Il  n'est  pas  rétabli  de  la 
longue  maladie  qui,  depuis  l'été,  le  retient  prisonnier.  —  Nos 
vœux  pour  sa  santé,  comme  dit  le  bon  Kothner  dans  les  Maîtres 
Chanteurs. 


EXPOSITION    DEL^AUX 

Une  chrysalide  en  train  de  briser  ses  entraves.  Un  jeune 
homme  de  vingt  trois  ans  tâtonnant,  cherchant,  travaillant,  qui 
semble  doué  d'une  foi  robuste,  qui  s'attaque  résolument  à  la 
nature,  qui  ne  craint  pas  de  camper  son  chevalet  dans  la  neige, 
au  bord  d'un  étang  glacé,  pour  brosser  de  grandes  toiles.  Un 
ensemble  d'audaces  et  d'hésitations,  d'inexpériences  et  de 
réussites.  Enfin,  quelqu'un.  Puisse-t-il  trouver  le  poteau  indica- 
teur pour  le  mener,  sans  tarder  davantage,  dans  le  vrai  chemin  ! 

Peut-être  y  est-il  déjà  engagé.  De  quand  date  son  Hameau  de 
Rykenhoom?  C'est  sa  meilleure  élude.  Solide,  harnionique,  d'une 
fraîcheur  d'impression  qui  charme  l'œil,  on.se  prend  à  l'admirer 
sans  réserve  après  avoir  contemplé  les  nombreuses  toiles  où  les 
murs  ont  l'air  de  tentures  de  soie  qu'un  coup  de  vent  crèverait 
comme  le  clown  un  cerceau  de  papier.  La  Neige  à  Jasquedyck^ 
dans  sa  partie  gauche  surtout,  est  heureuse  de  tons.  A  citer 
encore,  non  comme  expression  complète  d'une  nature  mais 
comme  espérances  d'un  tempérament  en  formation,  les  Par- 
queurs  de  moules,  l'esquisse  du  grand  tableau,  décoratif  curieux 
comme  établissement  des  plans  et  valeur  des  objets,  puis  V Hiver 
au  Zandberghe,  lourd  mais  impressionnant,  et  le  Givre  {aurore). 

.  11  X  a  trente  et  un  tableaux  exposés  è  la  salle  Sainle-Gudule. 
Beaucoup  d'entre  eux  ne  valent  rien,  absolument.  Quelques  uns 
vous  prennent  par  un  boulon,  obstinément  et  vous  font  dire  :  Il 
y  a  là  des  promesses  sérieuses.  Développé,  ce  talent  encore 
indécis  et  chercheur  deviendra  puissant. 


Le  peintre  Hermans  a  ouvert  celle  semaine  les  portes  de  son 
atelier  au  public.  Nous  parlerons  dimanche  prochain  de  celte 
exposition,  visible  tous  les  jours  de  10  à  4  heures  au  bénéfice  de 
l'œuvre  de  la  Presse. 


Quatrième  concert  du  Conservatoire 

Le  Conservatoire  a  donné  dimanche  une  audition  de  la  Neuvième 
symphonie.  L'interprétation,  douteuse  à  la  répétition  générale, 
samedi,  en  particulier  dans  la  première  partie,  a  été  infiniment 
meilleure  dimanche.  Il  y  a  eu,  sinon  la  perfection,  du  moins 
un  ensemble  très  satisfaisant.  Le  Scherzo  a  laissé  naturellement  à 
désirer.  Le  timbalier  n'a  pas  compris  le  rythme  du  motif,  que 
seules  les  clarinettes  ont  exactement  rendu.  Vaille  qui  vaille,  tout 
a  été  bien.  Si  M.  Fontaine  ne  se  fût  pas  cru  obligé  de  chanter  à  voix 
déployée  et  d'un  aîr  furieux  son  récit,  le  final  eût  été  fort  beau  :  le 
quatuor  vocal,  composé  de  M"»"  Deschamps  et  Warnots,  de 
MM.  Fontaine  et  Boisquin,  a  régulièrement  marché,  malgré  la  pointe 
acidulée  dont  Mi'«  Warnots  assaisonne  ses  morceaux  de  chant.  Les 
chœurs,  malgré  d'infinies  ditJicullés  d'interprétation,  se  sont  conve- 


UART  MODERNE 


111 


nablement  tiré  d'affaire,  de  telle  sorte  que  M.  Gevaert  a  pu  se  glori- 
fier d'avoir,  dans  le  catîre  formé  par  l'ouverture  de  la  Belle  Mélusine 
et  trois  airs  assez  ennuyeux  (quoique  bien  chantés  par  Mf»*»  Cor- 
nélis  et  Warnots)  de  Hândel,  rendu  à  la  satisfaction  du  public,  cette 
neuvième  symphonie  que,  selon  l'usage  lorsque  surgit  une  œuvre  qui 
s'écarte  des  idées  reçues,  on  qualifia  de  monstrueuse  folié,  de  der- 
nières lueurs  d'im  génie  expirant  {,*). 

Beethoven  disait  d'elle  :  «  Vienne  la  mort  maintenant,  ma  tâche 
est  accomplie  ».  Nous  penserons  comme  lui,  que  c'est  sa  plus  belle 
création,  celle  qui  remue  le  plus  profondément. 

Goncer|b  Heuschling. 

Avec  sa  voix  aux  sonorités  graves  et  pleines,  avec  sa  diction  nette, 
avec  le  style  ample  dont  il  revêt,  comme  d'un  vêtement  aUl  pljs 
flottants,  les  auteurs  qu'il  interprête,  M.  Heuschling  réunit  un 
ensemble  de  qualités  précieuses  qui  le  mettent  au  premier  rang  des 
chanteurs  de  l'époque.  L'an  dernier,  au  Conservatoire,  il  donnait  au 
personnage  d'Agamemnon,  de  Gluck,  le  caractère  tragique  du  héros 
épique.  Il  créait  en  musicien  consommé  le  rôle  de  Hans  Sachs  aux 
Concerts  populaires.  La  semaine  dernière,  il  déclamait  la  lente  mélo- 
pée par  laquelle  Wolfram  d'Eschenbach  exalte  l'amour  chaste  et 
mystique  au  concours  de  la  Wartburg  et,  sans  transition,  il  assou- 
plissait sa  voix  aux  modulations  mièvres  des  douze  romances  de 
salon  qui  composent  le  frêle  poème  de  Gounod  Biondina. 

C'est,  répétons-le,  l'un  des  grands  chanteurs  actuels.  Il  en  est  peu 
qui  possèdent  autant  de  charme  uni  à  une  méthode  aussi  parfaite,  à 
un  art  aussi  scrupuleux  et  digne.  Les  artistes  et  le  public  lui  ont 
fait  fête,  en  cette  soirée  où,  plus  que  jamais,  il  a  affirmé  des  mérites 
que  nous  sommes  heureux  de  reconnaître. 

Pendant  deux  heures,  il  a  enchanté  l'auditoire,  tantôt  seul,  tantôt 
servant  de  partenaire  à  une  cantatrice-débutante  dont  les  moyens 
vocaux  trahissent  malheureusement  la  bonne  volonté  et  à  laquelle 
les  dimensions  d'une  salle  de  concert  sont  éminemment  défavorables, 
M»i«  Dumonceau, 

Un  jeune  violoncelliste,  M.  Carlo  Marchai,  fraîchement  sorti  les 
langes  du  Conservatoire,  s'est  chargé  dès  intermèdes  de  cette  fête 
vocale. 


Yhéatre? 


Théâtre  de  la  Monnaie.  —  C'est  évidemment  un  wagnéristé 
malicieux  qui  a  inspiré  aux  'directeurs  de  la  Monnaie  l'idée  de  don- 
ner^  in  extremis^  une  reprise  de  V Étoile  du  J^ord  Rien  ne  pouvait 
affirmer  d'une  façon  plus  écrasante  la  supériorité  de  l'art  lyrique  de 
Wagner  sur  les  formules,  tant  prisées  jadis,  de  l'opéra  romantique. 
L'oreille  pleine  des  richesses  polyphoniques  des  Maîtres-Chanteurs, 
les  spectateurs  ont  trouvé  déplorablement  vide  et  désespérément 
ennuyeuse  l'œuvre  de  Meyerbeer  ;  ils  ne  lui  ont  même  pas  octroyé  le 
bénéfice  des  circonstances  atténuantes  qui  auraient  pu  résulter  d'une 
interprétation  irréprochable. 

Il  y  a  toujours,  il  est  vrai,  les  bons  antécédents.  Mais  les  bons 
antécédents  ne  comptent  plus  guère  à  notre  époque  peu  respec- 
tueuse des  traditions.  Et  malgré  le  passé  sans  tache  de  la  préve- 
nue, on  l'a  condamnée  sans  miséricorde.  Les  tentatives  isolées  d'ap- 
plaudissements qui  ont  accompagné  le  baisser  du  rideau  ont  été 
arrêtées  par  des  chuts  passablement  dédaigneux. 

M.  Gresse  lui-même,  l'excellent  chanteur,  a  eu  de  la  peine  à  rendre 
supportable  le  rôle  du  Tsar.  Son  air  fameux  du  troisième  acte  n'a 
produit  que  l'impression  de  curiosité  que  provoque,  dans  les  musées 
d'antiquités,  la  vue  d'un  de  ces  étonnants  uniformes  que  portaient 
les  grenadiers  du  premier  empire.  Sa  scène  sous  la  tente,  au 
deuxième  acte,  a  fait  passer  dans  la  salle  un  froid  comparable  aux 
courants  glacés  de  la  Berésina. 

I^jnies  Vaillant  et  Legault  n'ont  pas  réussi  à  dégourdir  l'auditoire, 
que  M.  Rodier  s'est  gardé  déchaufièr.  Bref,  cette  rAoile  du  Nord 
était  certainement  l'étoile  polaire,  tant  elle  indiquait  invariablement 
les  régions  septentrionales. 

Le  succès  des  Maitres-Chatiteurs  à  Bruxelles  paraît  chagriner 
particulièrement  le  Ménestrel,  dans  lequel  nous  découpons,  entre 
autres,  pour  l'encadrer,  cette  phrase  étonnante  :  »  Certes,  nous  ne 
nions  pas  la  pirtssauce  du  génie  de  Wagner,  mais  quel  triste  emploi 
il  en  fait  le  plus  souvoit  !  Et  toute  la  solennité  dont  on  croit  devoir 
entourer  ces  exécutions,  ne  frise-t-elle  pas  un  peu  le  ridicule?  Que 


(*)  H.  IîltUoz.  a  travers,  chants,  p.  53. 


ê    . 

fera-t-on  donc  pour  Berlioz  ou  toute  autre  de  nos  gloires  natio- 
nales? M 

Ailleurs,  parlant  d'un  concert  parisien  quelconque,  il  dit  :  «  Ce 
concert  a  calmé  quelques  esprits  malades  et  mis  un  peu  de  baume 
sur  quelques  cœurs  aigris  par  les  cacophonies  wagnériennes  n. 

Le  rédacteur  de  ces  prodigieux  articles  paraît  avoir,  en  effet,  le  cœur 
particulièrement  tourné  à  l'aigre.  C'est  ainsi  qu'il  dit  très  sérieuse- 
ment, parlant  des  sifflets  qui  ont  accueilli  Tannhauser  k  Paris  en 
1862  :  «  Depuis,  nous  avons  entendu  cette  œuvre  à  Vienne  avec 
beaucoup.de  calme  et  daltentlon.  Tout  en  reconnaissant  qu'elle  con- 
tient des  pages  superbes,  nous  avons  pu  constater  que,  dans  son 
ensemble,  elle  méritait  le  sort  qui  l'a  frappée  « 

Le  même  journal  annonce  qne  la  majorité  des  dilettantes  (sic) 
bruxellois  se  prononce  nettement  contre  les  Maitres-Chanteurs  et 
le  mayiif este  chaque  soir  un  peu  bruyamment. 

Vraiment,  c'est  à  croire  qu'on  rêve.  Nous  nous  ab-stenonsde  com- 
mentaires. Ils  ne  pourraient  rien  ajouter  à  ces  âneries  monumen- 
tales. • 

.Disons  simplement,  pour  ce  chroniqueur  à  distance  dont  la 
la  longue  vue  aurait  besoin  de  quelques  réparations,  qu'on  donne 
demain  la  onzième  représentation  des  Mmires-Chanteurs  ;  que, 
jusqu'à  présent,  si  Ion  ne  prend  pas  ses  places  en  location  il  est 
impossible  de  trouver  même  un  strapontin  au  bureau;  qu'après 
chaque  acte  on  rappelle  avec  enthouiHasme,  et  par  deux  fois  les 
interprètes. 

Voila  la  vérité,  puisqu'on  nous  oblige  à  la  dire,  comme  dit  le 
Ménestrel. 


CHRONIQUE    JUDICIAIRE     DES     ARTS 

Le  Tribunal  de  commerce  de  Bruxelles  a,  dans  son  audience 
d'hier,  prononce  la  faillite  de  M^^e  Oiga  Léaut,  directrice  du  théâtre 
de  TAlcazar. 

Le  jugement  a  été  rendu  par  défaut,  sur  requête  présentée  par 
un  groupe  d'artistes  de  la  troupe  :  MM.  Guffroy  et  Letombe, 
^j[ines  Bernardi,  Dorsay  et  Lenz. 

Plusieurs  de  ces  artistes  réclament  un  arriéré  de  deux  mois  d'ap- 
pointeriîents. 

On  ignore  si  le  curateur  fera  suspendre  l'exploitation  ou  si  les 
représentations  seront  continuées. 


? 


ETITE     CHROJMIQUE 


Le  chevalier  de  Knyff  vient  de  mourir  à  Paris,  où  il  résidait 
depuis  quelques  années.  Il  avait  conquis  dans  l'école  belge  une  place 
des  plus  honorables  et,  chaque  année,  ses  envois  étaient  justement 
remarqués  aux  Salons  de  Paris  et  de  Bruxelles,  dont  il-  était  un 
habitué  fidèle. 

Il  nous  souvient  d'avoir  vu  en  1<S81  une  exposition  particulière  de 
ses  œuvres  à  Pai'i.s,  dans  les  Salons  de  VArt,  avenue  de  l'Opéra.  Il  y 
avait  là,  outre  une  vingtaine  d'études  dapi'ès  nature  peintes  avec 
sincérité,  la  Barrière  noire,  l'une  des  toiles  les  plus  importantes  de 
l'artiste,  et  le  Jardin  d'Alfred  St^vens,  qui  marquait  une  tendance 
vers  l'art  jeuive.  puis  d'autres  œuvres  imprégnées  de  l'infiuence  de 
l'école  roiiiantique  :  la  Bruyère  en  fleurs,  la  Prairie  à  Villcrs-sur- 
Mcr,  et  V Emb(jucliure  de  la  Meuse  (^). 

L'année  suivante,  de  Kuyff  expo.sait  au  Salon  de  Paris  Le  Vieux 
Chcnc;  en  IS'^îi,  un  gi'and  paysage  :  Les  environs  de  Brut/es,  et  l'on 
se  rappelle  encore  les  deux  tableaux  qui  figurèrent  au  dernier  Salon 
de  Bruxelles  :  Les  pi-airies  de  Mortefontaine  et  L'ile  de  Césambre. 

A}fred  de  Knytï"  était  un  artiste  convaincu  et  honnête.  Né  à  une 
époque  où  la  vérité  dans  l'art  était  blâmée,  subissant  nécessairement 
la  pression  des  idées  de  son  temps,  il  aspira  néanmoins  à  l'idéal  réa- 
lisé par  l'école  nouvelle  et  tâcha  d'arriver  à  l'expression  émue  de  la 
réalité.  Toutes  ses  toiles  marquent  à  cet  égard  un  grand  effort,  sou- 
vent récompensé. Dans  chacune  de  ses  œuvres,  à  défaut  d'impression 
juste,  on  trouve  un  grand  respect  de  l'art  et  une  noblesse  qui  lui 
assignèrent  un  rang  distingué  parmi  les  peintres  de  son  époque. 


Jan  Toorop,  qui  avait  exposé  sa  Panique,  acquise  au  dernier 
Salon  des  XX  par  M*'**  Bocli.  à  une  exposition  d'Amsterdam,  s'est 
vu  conférer  l'une  des'  bourses  offertes  par  le  roi  de  Hollande  aux 
jeunes  artistes  hollandais  les  plus  méritants. 


^ 


(')  Voir  VArt  moderne,  1884,  p.  111. 


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Benoit.  I-«s  motifs  typiques  des  Maîtres  chanteurs  .       .       .       .  "  1  50 

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La  Partition  complète        .       .       . "25" 

Ouverture.  IntrQdnction .  »  2» 

La  même,  arraiiR.  par  H.  de  Bulow «  3    « 

Introduction  du  3'  a,cte.       .       .       .■     .       .       .       .       .       .  «  1    * 

Beyer,  F.  Répertoire  des  jeunes  pianistes        .       .        .        .       .  «  1  75 

Bouquet  de  Mélodies ^  2  25 

/^runner,  C.  Trois  transcriptions,  chaque        .       .       .       .        .  -175 

Bulow,  H.  [de).  Réunion  des  Maitres  chanteurs 1  75 

Paraphrase  sur  le  quintuor  du  3»  acte    .       .       .  »  175 

Cramer,  H.  Pot-pourri .  «  2« 

»           Marche     .       .       .      ' »•  1.25 

•X          Panse  des  apprentis       ...       .        .       ,        .       .  -  1  75 

Gobbaerts,  L.  Kuntaisie  brillante «  2    »  • 

Jaell,  A.  Op.  137.  Deux  transcriptions  brillantes  (Werbegesang- 

Preislied),  chaque       .        .        .        ..        .        .        i  -  2" 

Op.  148.  Au  foyer  .               .       .       .       .       .       .       .  «  2  25 

Loisen,  E.  Deux  transcriptions  de  salon,  n*  I  .       .       .       .       .  •><  2    - 

"                    1?                 n*  II.       .       ..."  2  25 

I^eitert.  Op.  26.  Transcription .  »  135, 

Raff,  J.  Réminiscences  en  quatre  suites,  cahier  I  et  II,  ft       .       .  it  2  25 

cahier  III.       ...  «  2    « 

cahier  IV.       .       .       .  «  2  50 

i?t<2);j,  ff.  Chant  de  Walther ,       .  «175 

ARRANGEMENTS  POUR  PIANO  A  4  MAINS  : 

La  Partition  complète -35" 

Of/ivj-tM/v.  Introduction  par  C.  Tausig -  3  50 

liejfer,  F.  Revue  mélodique        .        .        .        .        .        .        .        .  *.  2  25 

Biiloïc,  H.  (de).  La  réunion  des  Maitres  chanteurs,  paraphrase    .  "  2  25 

Cranver,  H.  Pot -pourri. -  3  50 

Marche      .       .       .       .       . 2  25 

De  Vilbac.  Deux  illustrations,  chacune -  3  75 

ARRANGEMENTS  DIVERS  : 

Ouverture  pour  2  pianos  à  8  mains -  6   « 

Or«yoir  et  L<»o«arrf.  Duo  pour  violon  et  piano «  4    » 

Kastner,  E.  Paraphrase  pour  orgue-mélodium.       .       .       .       .  <•  1  50 

Lux,  F.  Prélude  du  3*  acte  pour  orgue .  «  1    » 

ObfrfA»<r,  C/i.  Chant  de  Walther  pour  harpe "  2    « 

Singelée,  J.  B.  Fantaisie  brillante  pour  violon  et  piano  .       .       .  -  3  50 

Golternian.  Chant  de  Walther,  pour  violoncelle  et  piano       .       .  «  1  25 

Wickede,  F.  (de),  iturceaux  lyriques  pour  violoncelle  et  piano.    .  »  1  ^ 

N*  1.  Walther  devant  les  Maîtres      .       .       .       ,  -  2  25 

N»  2.  Chant  de  Walther -  2    » 

WilhehnJ,  A.  Chant  de  Walther,  paraphrase  pour  violon  avec 

accompag.  d'orchestre  ou  de  piano.  Partition      .  -  .3    *• 

L'accompagnement  d'orchestre «  5    » 

»                 de  piano »-  3  50 


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Lruxelles.  —  Iriip.  Félix  Callewaert  père,  rue  de  l'Industrie,  26. 


Cinquième  année.  —  N°  15. 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  12  Avril  1885. 


L'ART 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  ORITIQDE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,   un   an,    fr.   10.00;  Union   postale,    fr     \3.0() 


ANNONCES   :    On    traite   à   forfait. 


Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à      - 

l'administration  GÉNÉRALE  DE  l'Art  Modemo,  PUB  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


SOMMAIRE 

Germinal.  —  Exposition  des  Beaux-Arts  d'Anvers.  —  La 
Commission  des  monuments.  —  Livres  nouveaux.  Isidore  Pistolet, 
doctrinaire  de  l'avenir,  par  Jean  Fusco  ;  Quelques  Sires,  par  Léon 
Cladel;  Les  poésies  de  Catulle  Mendès;  Les  niotifs  typiques  des 
Maîtres-Chanteurs,  par  Camille  Benoit.  —  Théâtres.  —  Corres- 
poNDAN^CE.  —  Petite  chronique. 


GERMLVAl 

Est-ce  une  mission  artistique,  est-ce  une  mission 
sociale  que  poursuit  Zola,  Monsieur  Zola  comme 
diraient  la  Revue  des  Deux-Mondes  et  Xlndépen- 
dance  belge  d'après  le  nouveau  code  de  critique  pué- 
rile et  honnête  qu'elles  ont  promulgué  ? 

L'embarras  devient  grand.  Au  point  de  vue  artisti- 
que, le  maître  a  depuis  longtemps  fait  sa  trouée.  De- 
puis si  longtemps  même  que  l'esthétique  inaugurée  par 
lui  est  près  de  devenir  banale  et  que  sa  terminologie^ 
si  originale  au  début,  est  de  celles  que  déjà  on  hésite  à 
employer.  Vous  souvient-il  du  jour  où  pour  la  première 
ibis  il  fut  parlé  du  Document  humain?  Quel  succès! 
Quelle  vogue  !  Aujourd'hui  il  s'en  faut  de  peu  que  l'ex- 
pression ne  prenne  place  dans  le  dictionnaire  des  locu- 
tions agaçantes.  A  peine  quelque  éditeur,  de  rhétori- 
que arriérée,  en  use-t-il  encore  d'une  plume  prudhom- 
mesque,  dans^sa  correspondance  avec  les  conscrits  de 
la  littérature  pour  qui  il  se  pose  en  donneur  d'avis. 
Ah  !  que  les  théories  artistiques  vont  vite  !  Plus  vite 
que  les  beautés  à  la  mode.  Plus  vite  que  les  armes 


perfectionnées.  Presque  aussi  vite  que  les  ministères  î 
Soit.  En  tant  que  révélateur,  ou  plutôt  principal  vul- 
gariijateur  du  naturalisme,  que  Zola  se  repose.  Son  but 
est  atteint.  Il  en  demeurera  la  manifestation  la  plus 
puissante  et  la  plus  abondante,  quelque  chose  comme 
le  Rubens  ou  le  AVaa'ner  de  l'école  nouvelle.  Autour  de 
lui,  plus  exactement  au  dessous  de  lui,  grouille  la  mul- 
titude des  pasticheurs  qui  ne  manquent  jamais  aux 
chefs  triomphants  et  jettent  à  la  foule  sa  découverte 
1  monnayée  en  gros  sous,  ou  plutôt  en  petits  sous.  Dans 
le  théâtre  où  des  hommes  pareils  remplissent  les  pre- 
miers rôles,  les  troisièmes  galeries  sont  tôt  encombrées 
par  "les  demi-souffles  qui,  de  parti-pris  ou  inconsciem- 
ment, siiîiottent  en  sourdine  les  airs  de  bravoure  qu'ils 
ont  lancés  de  leurs  grandes  voix.  Victor  Hugo  a  eu  sa 
queue,  Baudelaire  en  laisse  encore  traîner  un  bon  bout 
d'outre-tombe  qui  s'étend  jusque  chez  nous,  et  il  en 
sera  ainsi  in  sœcula  sœcidorum  pour  tous  les  robustes 
esprits  dont  le  style  frappe  de  si  profondes  empreintes 
que  les  cervelles  molles  ne  s'en  dépêtrent  jamais. 

Oui,  que  Zola  se  repose,  et  sur  le  procédé,  la  forme 
et  la  formule,  passe  la  main  à  quelque  autre  inventeur. 
Mais  voici  que  de  la  machinerie  compliquée  de  son 
système  littéraire,  de  l'embrouillement  des  poulies,  des 
cordes,  des  trucs,  des  décors  et  des  praticables,  surgit 
un  spectacle  imprévu  qui  transforme  l'écrivain  en  polé- 
miste, le  romancier  en  pamphlétaire,  et  le  transporte 
miraculeusement'  de  la  question  d'art  à  la  question 
sociale.  Est-ce  Zola,  est-ce  Proudhon  qui  se  dresse  der- 
rière Germinal?  Un  Proudhon  qui,  sur  le  tard,  se 


serait  dit  qu'en  somme  l'allure  du  roman  n'est  peut- 
être  pa^  mauvaise  pour  populariser  les  réformes  con-' 
temporaines,  boxer  les  bourgeois  en  un  bon  pugilat 
socialiste  et  exalter  les  ouvriers. 

Ah!  que  le  programme  purement  médical  et  biolo- 
gique des  premiers  échantillons  des  Rougon-Macquart 
est  dépassé!  Bien  mieux,  comme  il  est  métamorphosé! 
Il  ne  s'agit  plus  d'incarner  en  des  générations  succes- 
sives la  démonstration  de  la  loi  Darwinienne  de  l'hé- 
rédité et  de  la  sélection  à  rebours  entre  ivrognes 
endurcis  et  i^évropathes  incurables,  maigre  substance 
pour  deux  oii  trois  douzaines  de  volumes  Charpentier. 
La  maladie  moderne,  "passant  de  pèfe  en  fils,  invinci- 
blement, sans  être  complètement  lâchée  par  l'auteur, 
n'apparaît  plus  qu'en  quelques  épisodes,  pour  ne  pas 
manquer,  semble- t-il,  à  la  parole  donnée  dans  les 
fameuses  préfaces-manifestes  des  premières  publica- 
tions, et  dans  l'impérissable  diagramme  généalogique 
qui  illustrait  l'une  d'elles.  Ce  petit  fantôme  pathologique, 
sans  cesse  s'afïaiblissant,  est  remplacé  par  des  appari- 
tions plus  formidables  :  la  pourriture  bourgeoise,  la 
révolte  latente  du  prolétariat.  Ce  sont  elles  maintenant 
qui  remplissent  la  scène  du  vent  de  leurs  grands  gestes, 
du  bruit  de  leurs  stridentes  clameurs,  de  l'odeur  de 
leurs  abjections.  Pot-Bouille,  Germinal,  sont  moins 
des  œuvres  littéraires  que  des  œuvres  révolutionnaires. 

Et  terribles  !  par  les  sillons  que  fait  leur  profond 
labour.  Après  Y Assommoi7^  où  il  s'essaya  aux  descrip- 
tions des  misères  sociales,  en  exhibant  par  le  déroule- 
ment d'un  étrange  panorama  les  dégringolades,  crois- 
santes en  leur  ignominie,  d'un  alcoolisé,  ce  fut  dans 
Pot-Bouille  une  peinture  impitoyable  et  inoubliable  de 
la  décomposition  des  classes  moyennes.  Les  bourgeois 
qui  lurent  cette  satire  bouffonne  et  meurtrière,  en  sor- 
tirent épouvantés  et  dégoûtés  d'eux-mêmes,  à  jamais 
déshonorés  dans  Ipur  propre  conscience.  L'effiet  fut 
si  immédiat  et  si  corrosif,  ^'éperdus,  ils  se  jetèrent 
'  sur  ces  compositions  ineptes  :  Y  Abbé  Constantin  et 
Criquette,  comme  sur  des  potions  rafraîchissantes,  pour 
calmer  les  brûlures  vitrioliques  qui  les  faisaient  hurler. 
Halévy,  se  faisant  à  propos  marchand  d'orviétan, 
délaissa  pour  eux  les  grivoiseries  dea  Petites  Cardinal, 
renouvela  les  fades  et  fausses  descriptions  d'une  bour- 
geoisie vertueuse,  rangée,  sentimentale,  paisible.  Mais 
Ka.mère  et  répugnante  saveur  du  livre  dévoré  subsista, 
et  son  travail  rongeur  et  destructeur  continue  comme 
celui  d'un  virus  inséparable  de  l'organisme  où  une 
imprudence  l'a  introduit. 

Après  ce  coup  de  cognée  formidable,  Gorrainal  est 
venu  en  frapper  un  nouveau,  de  l'autre  côté  du  tronc 
à  abattre.  Ce  n'était  pas  assez  d'avoir^mis  à  nu,  bru- 
talement, d'une  main  qui  arrache  tous  les  voiles,  les 
purulences  de  la  classe  jouissante.  Le  cruel  justicier 
a  voulu  montrer  les  horreurs  de  sa  domination  sur  la 


classe  travailleuse  et  souffrante.  Six  cent  pages  durant, 
il  a  peiné  pour  le  dire,  le  redire,  le  crier,  le  gémir.  Il 
n'est  pas  une  phrase  qui  n'éveille  la  pitié,  pas  un  épi- 
sode qui  n'appelle  la  vengeance,  pas  un  chapitre 
qui  n'inspire  l'horreur  pour  la  société  dans  laquelle 
nous  baignons.  C'est  le  drame,  touff'u  comme  la  vie  de 
misère.  Un  peuple  d'infortunés  s'y  agite,  s'y  débat  dans 
un  perpétuel  martyre.  Le  noir  et  sinistre  territoire  des 
mines  de  Montsou  suscite  dans  l'imagination  les  plus 
sombres  et  les  plus  importuns  souvenirs  de  l'esclavage 
des  nègres  dans  les  plantations  brésiliennes,  de  l'op- 
pression des  Pharaons  faisant  construire  les  pyramides 
par  les  multitudes  vaincues,  arrachées  à  leur  sol. 

Quel  écrasant  projectile  lancé  d'une  main  de  géant 
sur  l'édifice  des  conventions  contemporaines.  Pareil 
bloc,  venant  après  les  autres  de  même  provenance,  de 
même  poids,  d'égale  portée,  permet  de  dire  de  ces 
romans  monolythes,  que  ce  sont  des  zololy thés .  Cha- 
cun tombe,  perce,  ravage,  fait  des  écroulements  et  des 
explosions  comme  un  obus.  Sous  ces  chutes  terrifiantes, 
les  décombres  s'accumulent.  Jamais  bombardement  n'a 
produit  plus  de  ruines. 

Et  désormais,  en  même  temps  que  ces  conséquences 
politiques  s'accentuent  dans  l'œuvre  bizarre  du  réfor- 
mateur, la  préoccupation  des  niaiseries  artistiques 
diminue.  En  vain  chercherait-on  dans  ces  productions 
de  long  labeur  les  colifichets,  les  mièvreries,  les  puéri- 
lités, la  recherche  de  festons  et  d'astragales  auxquels 
s'attardent  encore  les  impuissants  qui,  stériles  pour 
l'idée,  transforment  l'art  en  une  question  d'équilibre  où 
les  ingéniosités  dressent  leurs  châteaux  de  cartes.  Le 
réel  se  développe  en  une  langue  que  ces  faiseurs  de 
tours  trouveront  monotone  et  lourde.  Les  eff'ets,  tou- 
jours puissants,  sont  obtenus  par  la  grande  et  émou- 
vante pensée  dont  la  lave  brûlante  bout  partout  sous 
l'écorce.  Les  peintures,  comme  dans  les  tableaux  de 
Delacroix,  sont  brossées  en  grandes  teintes  plates, 
vigoureuses  et  sonores.  Le  pathétique  domine.  Con- 
stamment on  a  le  sentiment  d'une  épopée  traduite  en 
prose.  C'est  toute  la  vie  de  dix  mille  bouilleurs,  souf- 
frant, espérant,  écrasés,  relevés,  qui  se  résignent,  qui 
se  révoltent,  tantôt  doux,  tantôt  féroces,  hommes, 
femmes,  filles,  enfants,  vieillards,  avec  des  animaux 
pensifs,  touchants,  misérables  comme  eux,  qui  se 
mêlent  â  leur  existence  si  proche  de  la  leur.  Et  tout 
cela  au  milieu  de  paysages  tragiques,  la  nuit,  le  jour,  le 
printemps,  l'hiver,  à  la  surface  et  sous  terre,  dans  les 
abîmes  des  bures,  dans  les  labyrinthes  des  galeries  de 
mines. 

Lugubre  histoire.  Certes  une  critique  méticuleuse 
trouvera  à  redire  îi  certains  détails.  Peut-être  ces 
ouvriers  ne  parlent-ils  pas  toujours  en  ouvriers.  Quel 
que  soit  le  don  de  devination  des  grands  écrivains,  il  ne 
va  pasjus(iu'à  saisir  les  infiniment  petits  des  mœurs 


LART  MODERNE 


115 


quotidiennes.  C'est  ici  qu'on  peut  dire  que  la  fantaisie 
apparaît  dans  le  naturalisme.  Mais  celte  minutie  d'in- 
ventaire et  de  photographie  est  impossible  pour  les 
natures  impatientes  que  l'indomptable  instinct  de  leur 
mission  condamne  à  une  production  incessante,  et  elle 
est  inutile  pour  atteindre  l'effet  attendu  qui  consiste 
surtout  à  démêler  dans  l'âme  obscure  de  la  plèbe  les 
sentiments  qu'elle  ne  peut  dégager  elle-même,  pour 
lesquels  les  mots  lui  manquent,  et  les  idées.  N'y  a-t-il 
pas  plus  de  vérité,  en  pareille  conjoncture,  à  paraître 
inventer  qu'à  dire  les  choses  exactement  comme  on  les 
voit  dans  leur  terne  et  silencieux  mystère? 

Art  transitoire,  dira-t-on,  destiné  à  tomber  avec  l'abus 
sur  lequel  il  se  rue.  Et  qu'importe?  Qui  donc  a  inventé 
que  les  productions  artistiques  devaient  essentiellement 
être  durables?  Que  deviennent  l'éloquence  et  le  chant 
dans  une  telle  théorie?  L'art  est  surtout  fait  pour  l'épo- 
que où  il  agit.  Seule  elle  le  comprend  bien.  Pour  les 
générations  ultérieures  il  est  toujours  fermé  par  quel- 
que côté  et  empreint  du  froid  de^la  mort.  Le  plus 
noble  est  celui  qui  combat  pour  son  temps.  C'est  le  plus 
désintéressé.  C'est  aussi  le  plus  vivant,  le  plus  pas- 
sionné. Laissons  donc  aux  lycéens,  dressés  aux  clichés 
de  l'œuvre  immortelle,  ces  ridicules  bavardages.  Et 
fallut-il  s'énamourer  île  la  gloire,  qu'il  suffit  d'avoir  son 
nom  attaché  à  de  grands  événements,  sans  prétendre 
que  la  postérité  conserve  à  jamais  en  forme  matérielle 
ce  qu'on  a  dit,  écrit,  fait,  peint,  ou  modelé.  Meure  avec 
moi  mon  œuvre,  pourvu  qu'elle  ait  servi  à  quelque 
chose! 

Constantin  Meunier,  ontrahié  lui  aussi  par  la  séduc- 
tion fantastique  de  ce  cauchemar  ouvrier  qui  sur  les 
actes  les  plus  élémentaires  de  la  vie  journalière  fait 
tomber  la  rouge  lueur  des  justices  futures  et  inévita- 
bles, a  récemment,  pour  on  ne  sait  ({uelle  logette  ou 
pavillon  destiné  au  compartiment  houiller  de  l'Exposi- 
tion internationale  d'Anvers,  brossé  huit  panneaux  où 
se  dressent  en  pied,  énigmatiques  et  in(]uiétants,  quatre 
mineurs  blancs  du  Borinage,  quatre  mineurs  bleus  du 
pays  de  Liège.  Les  directeurs  de  charbonnages  qui  ont 
connnandé  ces  types  au  peintre  des  misères  plébéiennes, 
ne  se  doutent  pas  apparemment  du  réquisitoire  que  ces 
muets  personnages,  en  une  pantomime  funèbre,  pro^' 
noncent  contre  l'organisation  du  travail  en  nos  temps 
d'exploitation  financière.  Ce  sont  les  illustrations  sai- 
sissantes de  Germinal,  en  un  défilé  macabre.  Le  pein- 
tre a  compris  l'écrivain  :  le  même  soutlle  de  compas- 
sion et  de  colère  a  passé  sur  tous  deux.  Voici  le  père 
Bonne-Mort,  trois  fois  retiré  des  éboulements  souter- 
rains, raccommodé,  contorsionné,  couronné  comme  un 
vieux  cheval.  A'7)iciMaheu,  l'ouvrier  laborieux,  patient, 
rongé  de  famille.  Voici  Catherine,  la  hiercheuse  de 
seize  ans,  pâle,  épuisée,  déflorée.  Voici  Chaval,  son 
brutal  et  paillard  amant.  Et  Etienne,  4e  Spartacus  man- 


qué de  ces  esclaves.  Et  la  Maheude,  vache  féconde 
engendrant  sans  trêve  la  chair  à  grisou,  destinée  comme 
les  autres  à  l'abattoir  final. 

Plume  et  pinceau  ont  fait  leur  duo  en  notes  qui  vous 
contractent  les  entrailles.  Quel  chant  de  haine  !  Quel 
appel  désespéré  de  rédemption!       -     • 

Ah!  certes  cet  art  grandiose  et  violent  n'est  pas 
pour  les  petits  bonshommes  qui  sur  leurs  fifres  ou  leurs 
théorbes  modulent  les  ariettes  de  l'école  de  l'art  pour 
l'art.  Les  émincées  de  poulet  auxquelles  se  bornent  les 
plats  qu'ils  servent  apparaissent  déplorablement  maigres 
à  côté  de  ces  sanglantes  venaisons  dont  se  repaissent 
les  forts.  Confondant  leur  impuissance  avec  une  réalité 
pour  eux  inaccessible,  ils  nomment  hérésies  artistiques 
ces  puissants  eflbrts  qui  sont  à  leurs  refrains  ce  qu'est 
le  rugissement  du  fauve  au  pépiement  des  moineaux. 
Qu'ils  -continuent  dans  le  petit  coin  qu'ils  prennent 
pour  un  empire,  les  pas  de  zéphirs  où  se  délectent  leurs 
innocentes  fantaisies-  de  malades.  Homme  malade, 
animal  inférieur,  a  dit  Claude  Bernard.  Mais  il 
convient  de  rappeler  à  ces  souffleurs  de  bulles  de 
savon ,  que  si  leurs  amusements  peuvent  plaire 
à  ceux  qui  pensent  que  l'art  n'est  fait  que  pour  dis- 
traire, il  en  est  d'autres  qui  tiennent  un  tel  emploi  pour 
de  l'onanisme  littéraire  et  pour  qui  ces  attitudes 
lassantes  de  décadents  ne  sont  (^ue  la  marque  de  cette 
mauvaise  habitude.  Il  ne  faut  pas  que  notre  jeunesse, 
où  l'on  compte  plus  d'un  vaillant  résolu  aux  œuvres 
viriles  et  fécondes,  et  ii  laquelle  un  prochain  avenir 
réserve  vraisemblablement  la  liquidation  des  problè-, 
mes  que  l'art  attaque  de  plus  en  plus  près  pour  appor- 
ter à  leur,  solution  son  décisif  appoint,  puisse  croire 
que  ceux-là  ont  raison  qui,  se  désintéressant  des  orages 
dont  les  grondements  deviennent  chaque  jour  plus 
distincts,  se  bornent  niaisement  à  convier  leurs  con- 
temporains à  chanter  la  barcarolle,  en  dièze  comme 
Banville,  en  bémol  comme  Baudelaire.  Les  grands 
hommes  forment  une  évolution  artistique,  et  quiconque 
les  imite  fait  penser  aux  lavandières  trempant  une 
resucée  de  café  dans  le  marc  de  la  veille.  On  a  assez  de 
ces  reflets.  On  demande  autre  chose  que  des  pioupious 
montant  la  garde  sur  les  champs  de  bataille  que  leurs 
devanciers  ont  foulés  il  y  quatre  ou  cinq  lustres.  Mais 
où  leurs  prétentions  débordent  toute  mesure  c'est  quand 
ils  revendiquent  la  première  place,  toute  la  place. 
Allons  donc  !  Passez  à  l'arrière-garde,  pasticheurs  ou 
joueurs  de  petite  flûte  qui  vous  croyez  l'avant-garde,  et 
bornez-vous  à  jouer  sans  péril  vos  airs,  (Jerrière  quel- 
que buisson,  pendant  la  bataille.  Ils  ne  déplaisent  pas 
comme  simple  accompagnement,  ou  comme  distractions 
de  bivouac. 

Mais  il  y  a  des  coups  à  porter  pour  lesquels  vous 
n'êtes  point  bâtis.  , 


j 


EXPOSITION  DES  BÉAUX-ARTS  D'ANVERS 

Hier  a  eu  lieu  la  première  séance,  à  Anvers,  du  jury 
d'admission,  dans  le  local  de  la  rue  de  Vénus. 

Sauf*  M.  Rousseau,  retenu  par  un  autre  devoir,  on 
était  au  grand  complet. 

Le  piiésident,  M.  Cuylits,  a  saisi  immédiatement  l'as- 
semblée de  la  proposition  des  artistes  bruxellois  d'auto- 
riser tout  exposant  à  se  mettre  hors  concours. 

N'en  déplaise  aux  pessimistes  qui  annonçaient  le 
maintien  des  vieilles  idées,  elle  a  été  adoptée  à  l'unani- 
mité, avec  déclaration  que  la  mention  sera  imprimée  au 
catalogue  officiel  après  le  nom  de  tout  artiste  qui  aura 
manifesté  le  désir  de  se  soumettre  au  régime  nouveau. 

On  a  réservé  la  question  de  savoir  si  les  membres  du 
jury  de  placement  et  du  jury  des  récompenses  pour- 
raient prétendre  à  celles-ci,  mais  il  a  été  dit,  sans  pro- 
testation da  personne,  que  l'abstention  s'imposait. 

Le  jury  a  immédiatement  commencé  l'examen  des 
œuvres.  Personne  n'a  réclamé  le  secret  du  vote  et,  par 
conséquent  il  n'a  pas  été  prononcé.  Nouvel  hommage  . 
rendu  aux  principes  défendus  récemment  à  Bruxelles. 
Comme  on  le  voit,  ça  ne  va  pas  mal,  et  les  trembleurs 
pourraient  bien  être  fort  désappointés. 

Dans  les  opérations,  le  jury  a  semblé  n'avoir  qu'un 
principe,  le  seiil  rationnel  du  reste  :  refuser  toute  œu- 
vre mauvaise,  sans  distinction  d'écoles,  sans  acception 
de  personnes.  Comme  il  arrivait  parfois  que  quelqu'un 
demandait  le  nom  de  l'exposant,  on  a  protesté  immé- 
diatement en  disant  :  Pas  de  noms  !  Pas  de  noms  ! 

Quelques-uns  des  anciens  n'étaient  pas  les  moins 
absolus  dans  l'application  de  ce  nouveau  et  salutaire 
régime. 

Le  jury  s'est  montré  très  sévère.  Les  refus  ont  de 
beaucoup  dépassé,  non  pas  les  admissions  (il  ne  s'agit 
pas  encore  de  cela)  mais  les  tableaux  rése^^vés  pour  un 
examen  plus  approfondi. 

Du  reste,  le  nombre  des  envois  étant  de  2,300,  il  fau- 
dra refuser  plus  de  deux  tableaux  sur  trois,  puisqu'on 
n'en  peut  admettre  que  700. 

Les  opérations  continueront  lundi  à  9  1/2  heures. 

En  somme  tout  s'annonce  bien,  et  le  mouvement  très 
sensé,  très  ferme,  très  modéré  des  divers  groupes 
bruxelloisL  aboutit.  Souhaitons  que  ces  excellents  débuts 
ne  se  démentent  pas. 

^- 
*  *     ■ 

Voici  la  réponse  faite  à  M.  le  comte  d'Oullremonl  au  sujet  de  la 
réclamation  adressée  par  MM.  Van  Camp,  De  Vriendt  et  Edmond 
Picard  en  faveur  des  peintres  sur  porcelaine. 

Anvers  le  2  avril  1885. 

Monsieur  le  Comte, 

La  lettre  de  MM.  Van  Camp,  De  Vriendt  et  Edmond  Picard, 
datée  du  19  mars  dernier,  dont  vous  avez  bien  voulu  nous  trans- 


mettre copie  par  votre  apostille  du  2.')  du  même  înois,  a  été  sou- 
mise h  notre  Gomnnssion  administrative  dans  la  séance  d'iiier. 

La  disposition  du  n»  \  de  l'art.  10  du  règlement  général  qui 
exclut  les  peintures  sur  porcelaine  ou  sur  faïence  n'est  pas  nou- 
velle. Elle  a  été  empruntée  au  règlement  de  l'exposition  trien- 
nale d'Anvers  de  1882,  où  elle  fut  introduite  par  résolution  de 
l'assemblée  générale  de  nps  membres  résidants,  en  date  du 
12  décembre  1884,  prise  par  22  voix  contre  3. 

A  l'appui  de  cette  résolution  on  a  lait  valoir,  d'une  part,  les 
nombreuses  dilîicullés  auxquelles,  lors  de  l'Exposition  triennale 
de  1879,  les  peintures  sur  porcelaine  el  sur  faïence  avaient  donné 
lieu  par  suite  de  l'extrême  fragilité  des  matières  employées  et, 
d'autre  part,  que  si  desipeinlures  de  ce  genre  peuvent  incontes- 
tablement constituer  des  œuvres  d'art  dans  la  plus  baute  accep- 
tion de  ce  mot,  la  limite  qui  1rs  sépare  de  Tait  industriel  est 
d'autant  plus  dilîicilc  ù  établir  qu'en  règle  générale  elles  forment 
plutôt  la  spécialité  des  amateurs. 

Notre  Commission  administrative  estime  que  le  règlement 
général  du  15  octobre  1884,  œuvre  collective  de  l'assemblée 
générale  de  nos  membres  résidants,  de  l'administration  commu- 
nale d'Anvers  et  du  gouvernement,  ne  peut  plus  être  changé. 

Elle  le  pense  d'autant  moins  que  c'est  sur  la  foi  de  ce  règle- 
ment général  que  les  nations  étrangères  ont  réglé  leur  partici- 
pation. Il  est  inadmissible  qu'après  coup  la  Belgique  modifie  les 
conditions  de  la  lutte  en  en  élargissant  le  champ  à  son  profit 
exclusif. 

Quant  à  rendre  le  changement  applicable,  même  aux  nations 
étrangères,  non  seulement  le  temps  tait  défaut  à  cet  égard,  mais 
même  la  chose  est  matériellement  impossible  par  suite  du  fait 
que  plusieurs  commissions  d'admission  étrangères  ont  déjà  ter- 
miné leurs  travaux. 

Notre  Commission  adminisiralive  croit  que  le  gouvernement 
partagera  complètement  cette  manière  de  voir  et  qu'il  suffira  de 
la  signaler  aux  auteurs  de  la  lettre  en  question  pour  qu'ils  en 
reconnaissent  cux-même  la  justesse. 

Quant  à  l'interprétation  du  n«  1  de  l'art.  10  susdit,  en  tantqu'il 
s'agij-a  déjuger  si  telle  ou  telle  œuvre  présentée  tombe  sous  le 
coup  de  la  prohibition,  elle  sera,  d'après  notre  Commission 
administrative,  de  la  compétence  exclusive  du  jury  d'admission. 

Recevez,  etc. 

Pour  la  Commission  administrative  : 

Le  secrétaire.  Le  président, 

(S.)  A.  DoNNET.  (S.)  J,.  Cuylits. 


*- 
*  *- 


Ou  nous  écrit  de  La  Haye  : 

La  Hollande  sera  bieu  représentée  à  l'exposition  des  Beaux-Arts 
d'Anvers.  On  a  réuni  à  Amsterdam,  avant  de  les  expédier,  la  plupart 
des  tableaux  composant  l'envoi  des  artistes  hollandais.  On  y  remarque, 
entré  autres,  une  superbe  toile  de  Willem  Maris,  une  vache  dans  l'eau, 
l'œuvre  la  plus  remarquable  du  continfrent  néerlandais,  une  vue 
de  ville  et  une  marine  de  Jacques  Maris;  un  paysage,  de  grand 
style,  de  De  Bock  ;  une  nature  morte  de  M""^  Mesdag  ;  divers  tableaux 
de  Mauve,  Neuhuijs,  Mesdag.  Breitner,  un  débutant  dont  on  peut 
voir  à  Bruxelles  une  aquarelle  aux  Hydrophiles,  se  fait  remarquer 
spécialement  par  une-  grande  composition,  des  hussards  galopant 
sur  une  route  poudreuse.  Van  der  Maarel  expose  un  portrait  de 
jeune  garçon,  une  tête  de  femme  et  un  Marché auœ  poissons.  A  citer 
encore  :  Roelofs,  Gabriel,  Weisserabruch,  Oyens,  Kruseman,  Ofller- 
mans,  ter  Meulen,  Vos. 
I         Parmi  les  aquafortistes,  on  distingue  Storm  de  Gravesande  et 


Ph.  Zilcken.  Ce  dernier  expose  désuétudes  d'après  nature,  entre 
autres  une  tête  de  vieux  pêcheur,  et  des  gravures  d'après  Vander 
Meer  de  Deift,  Jacques  Maris  et  Alfred  Stevens. 

Josef  Israëls  et  De  Haas  ne  figurent  pas  parmi  les  exposants 
d'Amsterdam.  On  suppose  qu'ils  enverront  directement  leurs  tableaux 
à  Anvers. 

Le  Wallon  donne  sur  les  envois  des  sculpteurs  belges  les  rensei- 
gnements suivants  : 

Jef  Lambeaux  enverra  l'étonnant  Coureur  qui  terminera  l'exécu- 
tion définitive  de  sa  fontaine  en  voie  d'achèvement,  ses  Lutteurs, 
le  groupe  bien  connu,  et  le  Baiser,  de  retentissante  mémoire. 

Thomas  Vinçotte  expose  un  grand  groupe  :  Les  Chevaux,  œuvre 
qui  fera  sensation  artistique.  ! 

Julien  Dillens  sera  représenté  par  une  partie  de  sou  œuvre.  Nous 
reverrons  La  Justice,  ce  groupe  refusé  au  Salon  de  Bruxelles  de  1880 
et  récompensé  du  diplôme  d'honneur  à  l'Exposition  d'Amsterdam 
ainsi  que  son  fronton  pour  l'hospice  d'Uccle. 

Jules  Lagae  réexposera  sa  statue  Abel. 

Léon  Mignon  envoie  le  plâtre  de  son  superbe  Taureau. 


LA  COMMISSION  DES  MONUMENTS 

Nos  lecteurs  connaisseht  d(''jh  par  les  journaux  quotidiens 
l'issue  du  conflit  entre  Paul  De  Vinne  et" la  Commission  des  monu- 
monts  :  M.  le  minisire  de  rAgricullure,  de  l'Industrie  et  des  Beaux- 
Ans,  en  réponse  au  rapport  inconvenant  de  la  Commission,  a 
autorisé  l'arlisle  à  envoyer  son  groupe  à  la  fonte.  C'est  là  un 
acie  de  fermeté  et  de  justice  dont  il  faut  louer  M.  de  Mareau. 

Désormais  la  Commission  des  monuments,  dont  les  empiétements 
devenaient  insupportables,  est  réduite  à  son  vrai  rôle  et  il  sera 
permis  aux  sculpteurs  de  donner  un  coup  d'ébauchoir  sans  son 
estampille. 

Il  est  intéressant  d'examiner  de  quels  éléments  elle  se  compose. 

Les  lecteurs  de  VArL  moderne  ont  certainement  remarqué  que 
le  rapport  n'était  signé  d'aucun  nom  d'artiste. 

Il  porte  simplement  :  «  Le  président,  Wellens;  le  secrétaire- 
adjoint,  J.  Pelcoq.  » 

M.  Wellens  est  un  ingénieur  des  ponts  et  chaussées,  très  fort 
dans  toutes  les  questions  de  coupe  de  pierres  et  de  résistance  des 
matériaux.  Il  a  dirigé  en  chef  les  travaux  du  Palais  de  Justice, 
menant  à  bien  cette  colossale  entreprise,  résolvant  dé  difficiles 
problèmes  de  construction.  C'est  un  maître  maçon  dans  la  plus 
sciontifique  acception  du  mot.  Il  a  aussi  construit  des  chemins 
de  fer  pour  le  Grand  Turc. 

Dans  les  questions  d'art  il  possède  la  haute  incompétence  qui 
distingue  en  général  les  ingénieurs. 

Qu'il  ail  tout  à  dire  dans  la  réalisation  des  plans  d'un  édifice, 
rien  de  mieux;  mais  qu'il  lui  appartienne  déjuger,  de  critiquer, 
dé  proposer  le  rejet  ou  l'acceptation  d'une  œuvre  d'art,  il  faut 
avouer  que  c'est  monstrueux. 

Dans  les  visites  faites  par  la  Commission  des  monuments  à 
l'atelier  de  Paul  De  Vigne,  M.  Wellens,  président,  était  toujours 
délégué  par  ses  collègues,  tandis  que  M.  Fraikin,  le  seul  sculpteur 
de  la  Commission,  vCz  jamais  vu  le  groupe.  Est-ce  par  un  senti- 
ment de  délicatesse  dont  la  subtilité  nous  échappe  qu'il  a  voulu 
s'abstenir  de  toute  critique,  un  des  groupés  devant  primitive- 
ment lui  être  confié? 

M.  Rousseau,  directeur  des  Beaux-Arts  et  secrétaire  de  la 
Commission,  n'a  point  signé  le  rapport  ;  c'est   là  une  preuve 


d'habileté  ou  de  bon  goût.  Le  factum  est  signé  du  secrétaire- 
adjoint,  M.  J.  Pelcoq,  un  caricaturiste  du  Journal  amusant  dont 
les  lourds  dessins,  pas  amusants  du  tout,  trancheraient  sur 
l'esprit  des  Grévin  et  des  Léonce  F*etit. 

Le  premier  vice-président  est  M.'Balat,  rarchiiectc  du  Palais 
des  Beaux-Arts.  M.  Balat,  après  avoir  censuré  de  la  manière  que 
l'on  sait  l'œuvre  de  l'artiste,  trouve  sans  deute  exquises  les 
.  quatre  petites  femmes  Louis  XV  qui  se  tortillent  et  font  des 
manières  au  dessus  des  colonnes  du  Palais.  L'une  d'elles,  voulant 
symboliser  la  peinture,  tient  un  appuio-niain,  inslrumonl  d'infir- 
mité; les  autres  tiennent  on  ne  sait  ([iiol;  tontes  les  quatres  ont 
l'air  de  s'occuper  des  gens  qui  passent  et  font,  au  dessus  des 
colonnes,  Teftét  le  plus  grotesque. 

Eh!  bien,  les  quatre  esquisses  ont,  celte  fois,  été  imposées  jtar 
la  Commission  des  monuments.  Les  sculpteurs  ont  été  forcés  de 
suivre,  non  seulement  ses  conseils,  mais  des  modèles  dont  ils 
ne  pouvaient  s'écarter.  Le  résultat  est  joli. 

Le  second  v'ice-président  est  M.  Chalon,  numismate. 

Un  numismate  ne  peut  être  qu'un  excellent  homme,, catalo- 
guant avec  la  même  passion  les  médailles  de  Pisanello  et  les 
profils  du  Roi  par  Léopold  Wiener. 

Il  y  a  ensuite  les  architectes  :  iMM.  Beyacrl,  Pauli,  de  Curie  et 
Carpenlier. 

M.  Beyaert,  qui  a  vu  le  groupe  de  De  Vigne,  préfère  sans 
doute  la  sculpture  de  sa  fontaine  De  Brouckere.  Nous  ne  sommes 
pas-  de  son  avis,  mais  nous  lui  accorderons  volontiers,  sans 
vouloir  le  flatter  en  rien,  que  la  sculpture  et  rarchilecture  de  la 
fontaine  vont  ensemble  admirablement  et  que  l'une  ne  saurait 
faire  tort  à  l'autre. 

Ni  iM.  Pauli,  ni  M.  Carpentier,  ni  M.  Fraikin,  seul  sculpteur 
de  la  Commission,  ni  M.  Porlaels,  n'ont  été  délégués  i)our  voir  le 
groupe.  M.  Piot,  en  revanche,  l'a  vu  et  a  pu  en  donner  son 
apprécition  d'archiviste. 

II  v  a  enfin  M.  Slin^enever,  dont  l'atiilude  dans  cette  affaire  a. 
été  absolument  correcte  et  digne  d'éloges. 

Paul  De  Vigne  et  Charles  Van  der  Stappen,  pensant  avec  raison 
que  pareille  commande  ne  leur  serait  peut-être  pas  confiée  deux 
fois  en  leur  vie,  y  ont  dépensé  le  plus  possible  de  leur  talent.  Ils 
avaient  en  la  réussite  de  ces  groupes  beaucoup  plus  d'intérêt  que 
la  Commission  des  monuments. 

-  Pendant  plus  de  quatres  années  ils  ont  travaillé  aux  esquisses, 
faisant  des  quantités  de  maquettes,  dont  plusieurs,  au  tiers  de 
l'exécution  définitive,  demandèrent  des  mois  de  travail.  L'exécu- 
tion de  la  maquette  adoptée  a  coûté  deux  ans  d'un  labeur  inces- 
sant, opiniâtre. 

Et  la  Commission  qui  dort  quand  il  s'agit  de  placer  les  petites 
dames  en  bronze  qui  raccrochent  les  passants,  ou  l'un  des  bas- 
reliefs  quii*eprésente,  croyons-nous, /<?  Déménagement  des  Beaux- 
Arts,  à  la  façade  du  palais  de  M.  Balat,  qui  ronfle  quand  on  lui 
présente  la  statue  d'un  astronome  par  un  de  ses  membres,  qui 
adopte  les  yeux  fermés  les  plans  des  vilains  monuments  en  me- 
nuiserie dont  on  a  sali  Bruxelles  depuis  quelques  années,  la 
Commission  se  réveille  pour  dénigrer  bassement  une  œuvre  de 
la  plus  sérieuse  valeur. 

Nous  n'avons  pas  à  défendre  ici  l'œuvre  de  Paul  De  Vigne.  Elle 
n'a  nul  besoin  d'être  défendue.  Nous  en  parlerons  plus  longue- 
ment quand  elle  occupera,  coulée  en  bronze,  sa  place  définitive. 

Ce  que  nous  défendons  aujourd'hui,  c'est  l'école  jeune  toute 
entière,  c'est  la  liberté  de  l'artiste.  Ce  que  nous  nions,  c'est  le 


droit  à  une  Commission  quelconque  et  surtout  à  une  Commission 
de  la  compétence  de  celle-là,  de  diriij^er  en  maître  l'œuvre  d'un 
artiste,  de  lui  imposer  sa  fa(;on  de  voiret  ses  volontés. 

Queces3IM.  lesan^liitecles  dirigent  leurs  maçons,  mais  qu'une 
fois  renlenle  établie  entre  le  sculpteur  et  l'architecte  sur  les 
dimensions,  le  sujet  même  et  la  forme  générale  du  groupe,  le 
sculpteur  soit  seul  niaîlre  d'une  œuvre  que  seul  il  signera. 


JalVRE^     JSfOUVEAUX 


Isidore  Pistolet,  doctrinaire  de  l'avenir,  par  Jkan  Fusco. 
—  Bruxelles,  Van  CuoMimuGGiiK-GiiiiiSTiAENs,  éditeur. 

L'an,  les  lettres,  la  science,  la  politique,  voire  la  finance, 
ont  leurs  sallimhanques,  et  à  chaque  carrefour  s'élève  un  tréteau 
sur  le(iu('l  quehpie  charlatan  galonné,  cas([ué,  em[)anaclié,  doré 
sur  tranche,  débite  son  orviétan,  à  grand  fracas  de  grosse  caisse 
Cl  de  cymbiles.  Tout  de  nos  jours  es^l  prosi)cclus-réchime,  puf- 
fisme,  boniment,  Barnum,  Mcrcadet  et  Mangin  sont -les  rois  du 
monde.  La  témérité  et  la  bonne  foi  reculent  dans  VcxW.  Si  le 
paysan  du  Danube  aventurait  dans  notre  société  de  clinquant  et 
de  chrysocale  ses  gros  babils  et  sa  rude  voix  loyale,  il  serait 
condamné  pour  outrage  public  h  la  pudeur. 

De  tous  les  saltimbanques,  dit  Jean  Fusco, 'équilibristes,  pail- 
lasses, mimes  et  autres  sauteurs,  le  plus  répugnant  et  le  plus 
drôle,  le  plus  invraisemblable  et  le  plus  impudent,  le  plus  comi- 
que et  le  plus  méprisable,  est  le  saltimbanque  politi(|ue. 

Ces  lignes  promettent  un  pamphlet  acerbe,  cinglant  et  crava- 
chant, et  en  effet,  Jean  Fusco  s'est  plu  à  nous  montrer,  dans  son 
Isidore  Pistolet,  crayonné  d^unc  verve  emportée,  une  expression 
complète  de  cette  politique  rampante  et  lufscjuine  dans  laquelle 
le  caractère  national  s'enlise  et  s'avachit  de  })lus  en  plus,  politi- 
que hybride,  sans  couleur  et  sans  sexe,  dont  le  doctrinaire  est  la 
cheville  et  l'indépendant  la  chrysalide. 

Pour  fustiger  avec  cet  irrespect,  celte  crànerie,  ce  diable  au 
corps,  les  opinions  les  plus  respi^ctacles,  pour  bafouer  et  carica- 
turiser  avec  une  gaîié  imi)lacable  le  triomphe  électoral  le  plus 
extraordinaire  qui  fût  jamais,  pour  associer  dans  la  même  raclée 
satirique  les  pontifes  solennels  et  les  grotesques  fantoches,  ce 
Jean  Fusco  doit,  sans  contredit,  être  quelque  affreux  radical,  un 
suppôt  de  l'extrême  gauche?  On  nous  assure  que  non  :  Jean  Fusco 
n'est  qu'une  faible  feunne,  fille  d'un  homme  politique  défunt  à 
qui  ((uelques  pamphlets  bien  troussés  avaient  valu  jadis  une  cer- 
taine célébrité.  A  la  fermeté  du  Irait,  à  la  verdeur  de  l'ironie,  on 
ne  soupçonnerait  pas  l'origine  féminine  de  l'opuscule.  Espérons 
que  Madame  Jean  Fusco,  après  nous  avoir  raconté  l'incubation  et 
Féducation  du  doctrinaire  de  l'avenir,  nous  le  montrera  en  pleine 
possession  de  son  être  et  en  pleine  ascension  vers  la  puissance 
et  les  honneurs,  auxquels  évidemment  le  destinent  le  vide  de  son 
cœur,  la  platitude  de  son  esprit,  la  souplesse  de  son  échine  et  la 
bêtise  de  ses  concitoyens. 

Quelques  Sires,  par  Léox  Ci.adel.  —  Paris,  (.)l]j;ndo«ff. 

Sous  ce  litre,  Léon  Cladel  publie  chez  Paul  Ollendorff  seize 
nouvelles  fières  et  viriles  (jui  continuent  bien  Urbains  cl  Ruraux. 
Un  livre  de  Cladel  est  une  bonne  fortune  pour  les  lecteurs 
lettrés  aimant  l'originalité  du- styie,  la  prose  frappée  et  burinée, 
la  grande  hardiesse  des  sujets. 


Une  sève  puissante  anime  les  héros  et  vivifie  les  j)aysages  dans 
ces  nouvelles.  C'est  bien  là  le  travail  d'un  artiste  robuste  et  par 
dessus  tout,  d'un  indépendant. 

Les  poésies  de  Catulle  Mendès.  —  Paris,  Ollendoî^ff. 

Chez  Ollendortr  aussi  paraît  une  nouvelle  et  très  coquette  édi- 
tion des  poèmes  de  Catulle  Mendès,  augmentés  de  soixante-douze 
pièces  inédites.  Quatre  volumes  ont  paru  :  Contes  épiques,  Hes- 
pe'ruSy  Soirs  moroses  et  Le  Soleil  de  minuit.  Paraîtront  succes- 
sivement :  Pliilomela,  Sérénades,  Pagodes,  Intermèdes. 

On  relira  avec  plaisir  les  j)oésies  de  Catulle  Mendès  dans  l'élé- 
gante édition  Ollcndorff,  j)ubliée  à  son  heare  puisque  l'édition 
antérieure' de -certains  poèmes,  Hcspérus  \\\\v  exem|)le,  les  Soirs 
moroses  et  les  Contes  épiques,  parus  chez  Sandoz  et  Fischbacher 
en  1876,  est  entièrement  épuisée. 

Les  motifs  typiques  des  Maîtres  Chanteurs.  Etude  pour 
servir  de  guide  à  travers  la  partition, par  Camillk  Benoit. — 
Paris,  ScuoTT. 

Camille  Benoit,  un  wagnérisle  convaincu,  musicien  compétent 
autant  que  critique  subtil;  a  publié  chez  Scholt  une  notice  sur  la 
comédie  musicale  qui  révolutionne  en  ce  moment  le  théâtre  en 
Belgique.  A  l'exemple  de  Ilans  von  Wolzogen  qui  fit  paraître,  on 
s'en  souvient,  les  thèmes- caractéristiques  de  V Anneau  du  Nibe- 
lung  et  de  Parsifal  accomi)agnés  d'exj)lications  qui  en  préci- 
saient la  portée,  Camille  Benoit  donne,  avec  une  analyse  de 
l'œuvre  poétique,  les  motifs  typiques  des  Maitres-Chanteurs . 

La  traduction  d'une  page  de  GuUhe  sur  la  mission  poétique 
de  Hans  Sachs  termine  cette  brochure,  qui  facilitera  au  jiublic  la 
compréhension  de  l'œuvre  de  AVagner. 


.;  yHÉATRE^ 

TiiKATRK  i)K  !.A  MoNNAïK.  —  On  a  joué  jeudi  un  o|)('-ra  inédit  : 
L(i  Visite  roijalc,  muisique  de  Haydn  et  Van  Canipeuhoul.  Le  roi 
Gunlher.  qui  assistait  à  la  représentation  avec  son  élat-niajor, 
Siuurd,  la  reine  Brunhilde  et  d'autres  au<jrustes  personnaji'es,  a  paru 
enL-hanté  de  la  représentation  qu'on  lui  offrait.  A  défaut  de  valeur 
artistique,  l'œuvre  nouvelle  a  <les  mérites  de  inise  en  scène  qui  ont 
décidé  du  succès.  Les  costumes  surtout,  |)Our  le.sqiiels  les  clianiar- 
rures,  l'or,  les  brillants,  les  soies  éblouissantes  ont  été  prodiiiués 
avec  une  j)rof'usion  magnifique,  ont  fait  l'objet  de  l'admiratiou 
générale. 

C'est  une  pièce  à  spectacle,  une  fête  des  yeux  dont  le  sujet  n'est 
qu'un  accessoire.  Dans  un  décor  très  sinq)le,  l'efiet  de  ces  costumes, 
parmi  lesquels  un  grand  nombre  de  travestis  qui  déguisaient  les 
acteurs,  tous  connus,  au  point  de  les  rendre  méconnaissables,  était 
des  plus  heureux.  Sigu^d  et  le  roi  Gunlher  ont  ri  de  bon  conu*  de  la 
mine  comique  des  figurlants,  serrés  dans  <les  habits  bi*odés  au  cou  et 
sur  les  basques,  et  embarrassés  d'épées  à  garde  dorée  qui  s'empê- 
traient dans  leurs  jambes  et  les  faisaient  parfois  trébucher. 

Les  ministres  accrédités  par  l'empereur  Attila  aujtrès  do  la  cour 
du  roi  Gunlher  se  sont  retirés  dès  le  [)remier  acte.  On  disait  dans 
les  couloirs  qu'ils  avaient  été  blessés  du  nombre  i)rodigieux  de 
rubans  de  couleur  et  de  petites  croix  eu  argent,  en  fer-blaiic,  en 
émail,  en  nickel,  dont  on  avait  alTublé  les  choristes,  et  même  les  pre- 
miers sujets.  Ils  avaient  cru  voir  dans  cet  étalage,  vraiment  un  peu 
exagéré,  une  ironie  trop  irrévérencieuse,  les  limites  qui  séparent  le 
théâtre  et  les  carnavaleries  du  domaine  de  lavie  sérieuse  devant  tou- 
jours être  respectées. 

On  espère  que  la  susceptibilitc'  ombrageuse  dé  Leurs  Excellences 
sera  calmée  par  les  voies  diplomatiques  d'usage. 

La  musique  du  jeune  Haydn  et  celle  de  feu  Van  Gampenhout,  bril- 
lamment exécutée  par  rorchestre,  a  été  aj)plaudie  et  même  acchi- 
mée.  Elle  a  partagé,  avec  la  mise  en  scène,  les  hoiuieurs  de  la  soirée 

Dans  les  entractes,  la  chapelle  particulière  cle  la  cour  de  Guntlicr 


a  joué  (les  airs  de  circonstance  écrits  par  lin  des  officiers  du  Palais, 
nommé  lleyer.  On  les  a  peu  écoutés,  l'intérêt  du  public  étant  exclu- 
sivement concentré-sur  le  si)ectacle. 

La  représentation  dont  nous  venons  de  rendre  compte  a  jeté  un 
peu  de  trouble  dans  le  répertoire.  Voici  les  choses  remises  en  état. 
La  douzième  représentation  des  Maitres-Chanteurs  aura  lieu  de- 
main lundi,  La  treizième,  mercredi. 

Il  est  question  d'inaugurer  ce  jour  là  la  nouvelle  distribution  de 
l'ouvrage.  jM'"e  Bosman,  qui  répète  son  rôle  depuis  quelque  temps 
déjà  avec  Joseph  Dupont,  remplacerait  M"'«  Caron  dans  le  person- 
nage d'Eva  et  M.  A'erhees  succéderait  à  M.  Jourdain  dans  celui  de 
Walther. 

On  reprendra  mardi  la  Trariata,  un  simple  raccord  en  vue  de  la 
représentation  dans  laquelle  chantera,  à  la  fin  du  mois,  M'"e  Albani, 

C'est  le  2  mai,  un  samedi,  qu'aura  lien  la  clôture  de  la  saison 
théâtrale. 

Outre  Théodora  que  M'^e  Sarah  Bernhardt  viendra  jouer  dix  fois 
dans  le  courant  de  juin  avec  la  troupe  de  la  Porte  Saint-Martin,  on 
parle  i|e  quelques  représentations  de  Messalina-,  qui  seraient  données 
en  juillet  par  la  troupe  de  ballet  de  l'Eden  de  Paris.  Mais  à  cet 
égard  rien  n'est  encore  décidé. 

Parmi  les  ouvrages  qui  seront  montés  cet  hiver  sous  la  nouvelle 
direction,  citons  Cosi  fan  Uittc  de  Mozart  ^i  Sylrana  Ae  Webér. 

M.  Litolfl' est  arrivé  hier  à  Bruxelles  avec  M'"<5  Litolff.  Il  vient 
s'entendre  avec  M.  Verdhurt  au  sujet  de  la  distribution  et  de  la 
mise  en  scène  des  Templiers. 

Los  engagements  que  fait  M.  Verdhurt  en  vue  de  Itf^prochaine 
saison  d'opéra  annoncent  une  troupe  d(|  premier  ordre.  C'es\t  ainsi 
qu'il  vient  d  attachera  son  entreprise,  comme  première  duègne,  une 
cantatrice  de  grand  talent  et  de  grande  réputation  :  M'"e  Caroline 
Bar])ot.  —  Rien  que  cela  ! 

jVjine  Barbot  est  en  ce  moment  en  représentation  à  Avignon,  où 
elle  chante  avec  beaucoup  de  succès  les  rôles  de  falcon.  —  C'est  là 
que  M.  Verdhurt  a  été  la  trouver  et  qu'il  l'a  décidée  à  accepter 
l'emploi  de  duègne  à  l'Opéra  de  Bruxelles. 

C'est  un  coup  de  maître  qu'a  fait  là  notre  futur  imprésario. 
M'"»  Barbot  est,  en  effet,  une  cantatrice  de  haute  valeur,  pension- 
naire de  l'Opéra  et  de  l'Opéra-Gomique,  qui  a  fait  les  beaux  jours 
des  premières  scènes  de  France  et  d'ailleurs. 

Jeune  encore,  car  elle  ne  compte  guère  qu'une  quarantaine  d'an- 
nées, et  encore  en  possession  de  presque  tous  ses  moyens  vocaux, 
—  M™"  Barbot  a  cédé  aux  instances  de  M.  Verdhurt  à  raison  des 
conditions  fort  belles  q^ii  lui  sont  faites.  Elle  est  engagée  pour 
trois  ans. 

En  veillant  comme  il  le  fait  à  ce  que  les  emplois  secondaires 
soient  tenus  par  des  chanteurs  de  sérieuse  valeur,  —  notre  futur 
directeur  donne  la  mesure  de  sou  souci  artistique;  et  il  y  a  lieu  de 
l'en  féliciter.  [Le  Programme  artiste). 


fORRE^FONDANCE 


Bruxelles,  le  6  avril  1885. 


Monsieur  LE  Directuk, 


Rentré  de  voyage,  je  lis  seulement  aujourd'hui  votre  aimable 
journal.  Dans  le  compte-rendu  do  la  séance  de  la  Porte  Verte,  votre 
secrétaire  (*)  cite  toutes  les  observations,  sauf  celles  de  ^LM.  Cox  el_ 
Van  Mossevelde.  " 

Lp  premier  a  dit  qu'il  trouvait  mal  avisé  de  se  mettre  hors  con- 
cours et  hors  décorations  alors  qu'on  était  crucitié  du  cou  jusqu'au 
nombrii. 

Le  second  a  demandé  s'il  était  convenu  que  les  décorés  et  ornés  de 
titres  en  feraient  paratle  dans  le  catalogue. 

Tout  cela  est  resté  sans  ré[;onse,  mais  en  principe  nous  sommes 
de  cet  avis. 

Je  compte  sur  vous  pour  rectifier  cet  oubli. 

Le  Président  des  Artistes  indépendants , 
-'  D.  Cox. 

(*)  Notre  correspondant  fait  erreur.  Ce  n'est  point  un  secrétaire  du  journal 
qui  a  rendu  compte  de  la  réunion  de  la  l'nrtr  Vert'.'.  Le  document  que  nous 
avons  publié  eSt  le  procès-verbal  oftioiel  de  la  .séance,  rédigé  par  M.  .lean 
liaes,  secrétaire  de  la  Société  libre  do  l'Observatoire.  Nous  insérons  d'ailleurs 
très  volontiers  la  communication  qu'il  nous  fait. 


f 


ETITE    CHROp^iqUE 


C'est  le  3  mai  qu'aura  lieu,  au  théâtre  de  la  Monnaie,  le  quatrième 
et  dernier  concert  populaire  de  la  saison.  Nous  en  avons  déjà  publié 
le  programme,  exclusivement  consacré,  comme  on  sait,  à  l'œuvre  de 
Wagner.  Ce  concert,  qui  aura  exceptionnellement  lieu  le  soir,  sera 
l'une  des  plus  grandes  solennités  musicales  de  l'année.  On  y  exécu- 
tera, en  effet,  pour  la  première  fois  en  langue  française,  le  premier 
acte  de  la  Walkare,  ce  qui  constituera  un  acheininement  vers  la 
mise  en  scène  prochaine  de  l'ouvrage  complet. 

Tant  pis  pour  les  abonnés  du  théâtre,  qui  se  donnent,  paraît  il, 
le  ridicule  «e  pétitionner  contre  Wagner.  N'étant  pas  en  nombre 
pour  couvrir  les  acclamations  qui  accueillent,  à  chaque  représenta- 
tion, les  Maîtres  Chanteurs,  ils  ont,  assure-t-on,  adressé  une  sup- 
plique à  la  direction  pour  qu'on  les  débarrasse  de  Beckmesser,  ce 
miroir  fidèle  de  leurs  misères. 

Quoi  qu'il  en  soit,  ils  subiront  Wagner  jusqu'à  la  lie,  à  la  grande 
joie  de  tous  les  mkisiciens  et  des  amateurs  sérieux. 

Mii«  Deschamps  interprétera  au  concert  du  3  mai   le  rôle  de 

Sieglinde.  Comme  nous  l'avons  dit,  MM.  Van  Dyck  et  Blauwaert 

rempliront  ceux  de  Siegmund  et  Hynding.  Avec  ces  éléments  et  l'ex- 

.  cellent  orchestre  de  M.  Dupont,  ou  peut  être  assuré  d'une  exécution 

brillante. 

Quant  à  la  Chevauchée,  elle  sera  chantée  par  neuf  artistes  qui  ne 
sont  pas  encore  toutes  désignées  mais  parmi  lesquelles  on  cite 
MMJie»  Jane  De  Vigne,  Wolf,  de  Saint-Moulin,  etc. 


Le  Musée  de  Gand  vient  d'acquérir,  au  prix  de  5,000  francs,  le 
Conteur  arabe  de  Th.  Van  Rysselberghe,  exposé  au  dernier  Salon 
des  XX. 

Le  Musée  s'est  réservé  le  droit  d'échanger  ce  tableau,  moyennant 
complément  du  prix,  jusqu'à  concurrence  de  8000  francs,  avec  la 
Fatitasia,  que  l'artiste  compte  aller  terminer  sous  peu  à  Tanger. 


Le  3«  concert  de  l'Ecole  de  musique  d'Anvers,  sous  la  direction 
de  Peter  Benoît,  a  eu  lieu  samedi  dernier  au  théâtre  néerlandais. 
Cette  fête  musicale  était  donnée  en  souvenir  du  100^  anniversaire  de 
la  naissance,  à  Mons,  de  Joseph-François  Fétis.  l'illustre  fondateur 
et  directeur  du  Conservatoire  royal  de  Bruxelles.  Le  programme 
était  composé  exclusivement  d'œuvres  de  Fétis  et  notamment  :  de  la 
symphonie  en  sol  tnineur,  du  sextuor  pour  piano  à  quatre  mains, 
2  violons,  alto  et  violoncelle,  et  de  la  grande  ouverture  de  concert  en 
la  mineur.  Le  concert,  auquel  assistait  la  fiimille  du  compositeur, 
a  été  fort  beau,  d'après  les  journaux  locaux. 


M.  Dumon.  l'excellent  professeur  et  le  brillant  flûtiste  qu'on  sait, 
vient  d'atteindre  sa  trentième  année  de  professorat.  A  cette  occasion, 
ses  élèves  et  ses  amis  organisent  une  manifestation  qui  aura  lieu 
aujourd'hui  dimanche,  à  10  1/2  heure.s  du  matin,  dans  la  petite  salle 
des  c'oncerts  du  Conservatoire.  On  remettra  au  jubilaire  son  portrait 
l)eiiit  par  M.  Ilerbo. 

Nous  a|)prcnons  avec  regret  la  mort  de  M.  Charles  De  Wulff, 
l)rolésseur  de  piano  et  compositeur,  aimable  garçon  qui  avait  su 
conquérir  toutes  les  sympathies.  Il  souffrait  depuis  quelques  années 
déjà  d'un  cancer  à  la  langue  qui  le  faisait  beaucoup  souffrir. 
Il  paraissait  être  à  i)eu  près  rétabli  quand  la  mort  est  venue  le  sur- 
prendre inopinément  M.  De  Wultt'  laisse  un  remarquable  cours 
théorique  de  piano  en  deux  parties  pour  lequel  fauteur  reçut  la 
médaille  d'or  à  l'Exposition  de  Melbourne.  Voici  la  liste  (le  ses 
principales  compositions  pour  le  piano  :  Deux  études  de  concert 
(1°  Mouvement  perpétuel  ^'^  V  Impétueuse  ;  Illusion,  rêverie-caprice; 
Orne  Mazurka  de  salo7i  (ces  trois  œuvres  ont  été  publiées  chez 
MM.  Schott  frères);  Grande  valse;  Mazurka;  Les  Motitagnes 
bleues;  A  travers  champs  ;  Galop;  Les  Enfants  d'Yprcs;  Ypriana, 
marche.  Il  publia  aussi  une  dizaine  de  mélodies  pour  chant. 

L'artiste  meurt  à  53  ans  à  peine.  Il  était  né  à  Ypres  en  1832.  Aux 
funérailles,  qui  ont  été  célébrées  lundi,  assistaient  un  grand  nombre 
d'amis,  de  musiciens,  parmi  lesquels  des  professeurs  et  le  directeur 
du  Con.servatoire,  une  députation  de  l'école  de  musique  de  Saint- 
Josse-teu-Noode,  etc. 

A  ajouter  à  la  liste  des  aquarellistes  mentionnés  dans  le  compt*:'- 
rendu  de  l'exposition  des  IIyd)'ophiles  paru  dans  notre  dernier 
numéro,  le  capitaine  Combaz,  dont  les  études  du  bord  de  la  mer 
témoignent  d'un  travail  consciencieux  et  assidu. 


Les  annonces  sont  reçues  au  bureau  du  journal, 
20,  rue  de  VTnduslrie,  à  Bruxelles. 


SCHOTT  Frères,  Editeurs  de  Musique,  Bruxelles 

'  RUE  DUQGtSNOY,  3^»,  coin  de  la  rue  de  la  Madeleine 

Maison   principale  :    MONTAGNE    DE    LA    COUR.    82 


lES  MAITRES  CHAÎiTEUllS  DE  NUREMBERG 

(Die  Meistersinger  von  Niirnberg) 
Opéra  en  3  actes'  de 

PARTITION    rOUIl    CHANT    ET    PIANO,    NET    20    FRANCS. 


IJhretto  ,        ;        .        .        .      _  .        .        .        .        . 

Benoit.  Les  iriotifs  typiques  des  Maîtres  clianteurs  .        .        .        . 

ARRANGEMENTS  POUR  PIANO  A  2  MAINS  : 


Fr. 


2    -^ 
1  50 


Ixi  Partition  complète         .        .        .        .        . 

OutvrtJnv.  Iiitroduftion .        . 

Ija  même,  ai iiilif^.  par  H.  de  Hulow  - .        .        .        . 

Introduction  A\i'i' ticie 

/?cr/(?r, /(^  Répertoire  des  jeunes  pianistes         .... 

"         H(jU(iuet  de  Mélodies   .        .        .        .        .        .        , 

lirunner,  C.  Ti-ois  transcriptions,  cha(iue        .... 

vp  Para])hruse  sur  le  quinluor  du  3"  acte    . 

Cramer,  //.  Pot  pourri , 

«  Marche     . 

«  Danse  des  apprentis 

Gnhhaert^,  L.  Fantaisie  brillante        .     '  ,        .        .        .        . 
J((cV/,  A.  Op.  l:n.  Deux  transci'iptions  brillantes  (Wcrbegesang- 
Preislied),  clia(£ue       .        .        .        ...        .        .        . 

•1        O]!,  1-lN.  Au  foyer , 

Lassen,  E.  Deux  transcriptions  de  salon,  n"  I  .        .        .        .  .    .. 

7.  «  1  n°  II.        .        .        .        . 

Lei'tert.  Op.  2tj.  Transcription     .        .        .        .       . 

Ra/r,  J.  Réminiscences  en  quatie  suites,  cahier  I  et  II,  à 

Cahier  III. 
cahier  IV. 
i?»p;),  7/.  Chant  de  Walther       .       .        .       .        ... 


2.5 
2 
3 
1 
1 
2 
1 
1 
1 
2 
I 
1 


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2.5 
75 
75 
75 


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2 

2 
2 
2 
1 

2  25 
2  « 
2-50 
1  75 


25 
25 


ARRANGEMENTS  POUR  PIANO  A  4  MAINS 


La  Partition  complète         . '. 

0(av'rl«/V'.  Introduction  par  C.  Tausig     .        .        .        .        . 

Bei/er,  F.  Revue  mélodique        .        .        ... 

Biilow,  H.  (de).  La  réunion  des  Maîtres  chanteurs,  paraphrase 

Cramer,  H.  Pot-pourri 

y  Marche 

De  Vilbac.  Deux  illustrations,  chacune     ..... 


35    « 
3  50 


25 

25 
50 
25 


ARRANGEMENTS  DIVERS  : 

Ouverture  pour  2  pianos  k  8  mains 

Grpf/OM- e(  Z/<'OHrt)*rf.  Duo  pour  violon  et  piano. 
Kaatner,  E.  Paiaphrase  pour  orgue-mélodium. 

Lux,  F.  Prélude  du  3*  acte  pour  orgue 

0?>e}'f/î)O',  C/t.  ('hant  de  Walther  pour  harpe    .        .        . 
Singelée,  J.  B.  Fantaisie  brillante  pour  violon  et  piano  . 
Goltcrman.  Chant  de  Walther,  pour  violoncelle  et  piano 
Wichede,  F.  (de).  Morceaux  lyriques  pour  violoncelle  et  piano 
N°  I.  Walther  devant  les  Maîtres 

N"  2.  Chant  de  Walther 

WiîhelmJ,  A.  Chant  de  Walther,  paraphrase  pour  violon  avec 
accompag.  d'orchestre  ou  de  piano.  Partition 
L'accompagnement  d'orchestre. 

«  de  piano      .        .        .        . 


3  7;: 


0  « 
4    « 

1  50 

1       r, 

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3  50 
1  25 

1  25 

2  25 


3    « 

5      y> 

3  50 


VIENT  DE  PARAITRE 

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VIENT  DE  PARAITRE  CHEZ  • 

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Bruxelles.  —  Imp.  Félix  Oallewaert  père,  rue  de  l'Industrie,  26. 


•\ 


Cinquième  année.  —  N**  16 


Lr  numéro  :  25  centimes. 


DiMANCHR  19  Avril  1885. 


L'ART  MODERNE 


PARAISSANT    LE    DîMANCHB 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,   un   an,   fr.   10.00;  Union   postale,    fr     13.00.    —  ANNONCES   :    On   traite   à  forfait. 

A  dresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 
l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


^OMMAIRE 


Edmond  Haraucourt.  L'àme  nue.  —  Exposition  des  Beaux- 
Arts  d'Anvers.  —  Les  auteurs  des  Templiers.  L  Henri  Litolff\ 
IL  Armand  Silvestre.  —  Notre  jeune  littérature.  —  Notes 
de  musique.  Concert  Hans  de  Bulow  ;  Concert  Moriani.  —  Théâ- 
tres. —  Bibliographie  musicale    —  Petite  chronique. 


'ÎJdmond    ]4araucourt 

L'âme  nue 

C'est  aux  Hydropalhcs,  groupe  littéraire  aujourd'hui  défunt 
mais  qui  par  testament  fonda  «  le  Chat  noir»,  que  nous  enten- 
dîmes pour  la  première  fois  des  vers  d'Edmond  Haraucourt.  Les 
Hydropalhcs  se  réunissaient,  le  soir,  dans  un  cabaret  esthétique 
delà  rive  gauche.  Là  rognait  Goudeau  ;  là  gouvernail  Sapeck.  On 
y  écoutait  Marrol;  on  y  vénérait  Rollinat.  Entre  une  charge 
d'atelier  et  une  chansonnolte  macabre,  un  crand  corps,  de  noir 
vêtu,  le  visage  rond,  les  yeux  petits,  le  crâne  ras,  se  planta  sur 
la  tribune  improvisée  cl  une  voix  sourde  et  monotone,  une  voix 
moyen-ûgeuse  pleura  La  ballade  des  piicelaiges  mûris.  "" 

«  Majs  qui  Dieu  sçaitoù  sont  les  pucelaiges  ?  » 

Et  l'on  songeait  à  Villon,  au  lemps  des  «  escholiers  »,  à  la  belle 
qui  fut  heaulmièré,  à  la  1res  sage  Héloïs,  à  Buridan,  à  Pierre 
Esbaillart  de  Sainct-Denis,  à  Bietris  el  enfin,  bien  que  le  sujet 
de  la  ballade  ne  la  concernât  en  rien  «  à  la  bonne  Lorraine, 
qu'Anglois  bruslèrenl  à  Rouen  ».  Et  cette  poésie  lointaine  évo- 
quée dans  son  rythme  et  son  esprit,  non  loin  de  ce  vieux  Paris 
de  Notre-Dame,  à  l'heure  oii  Villon  sortait  voler. ..des  rimes  d'or 
au  clair  de  la  lune,  allumait  d'enthousiasme  toute  cette  jeunesse 
noctambule  comme  lui  et  férue  d'amour,  elle  aussi,  pour  Guille- 
metle  cl  Jchanneton  qui  vivent  toujours,  hîs  folles,  mais  qu'un^ 


I 


othcicM-  d'état  civil  trop  moderne  a  inscrit  sous  le  nom  de  Rigo- 
leilect  Clara.  .'■■*' 

Aujourd'hui,  Edmond  Haraucourt  a  publié  deux  livres  :  l'un 
paru,  il  y  a  trois  ans,  à  polit  nombre  d'exemplaires  et  où  se 
trouvent  des  pièces  superbes;  l'autre,  L'âme  ?iz^d,  récemment 
édité  par  Charpentier. 

L'âme  nue  est  l'étude  de  l'âme  moderne  dans  sa  vie  extérieure 
et  intérieure.  La  vie  extérieure  comprend  les  Lois,  les  Cultes,  les 
Formes;  la  vie  intérieure,  vie  d'enfance,  vie  d'adolescence,  vie 
d'arrière-jeunesse,  comprend  Y  Aube,  Midi.,  le  Soir.  Le  livre  est 
d'après  ce  plan  divisé  en  six  parties.  Celte  symétrie  parfaite,  ce 
côté  méthodique  de  composition  est  intéressant  à  noter.  Le  poète 
est  enclin  à  didactiser  légèrement,  et  cela  tient  à  ce  qui  fait  le  fond' 
de  son  talent,  à  sa  nature  que  nous  qualifierons  volontiers  de 
classique,  si  l'on  veut  ôter  à  ce  mot  sa  nuance  d'école  et  de 
système.  Il  aime  la  ligne,  la  solidité,  la  correction,  l'ordonnance, 
qualités  essentiellement  latines.  Et  sa  poésie  paraît  une  poésie 
bien  i)lus  d'expression  que  de  suggestion. 

Il  est  de  mode  aujourd'hui,  dos  qu'un  volume  remarquable 
naît,  de  faire  plutôt  l'analyse  de  l'auteur  que  du  livre.  Les  cri- 
tiques se  servent  du  poème  pour  pénétrer  l'esprit  de  l'écrivain, 
pour  mettre  à  nu  son  intelligence  et  faire  on  quelque  sorte  son 
autopsie  morale.  Ils  lui  fabriquent  des  ancôtros,  lui  inventent 
une  famille,  fixent  son  milieu,  et»,  sous  ]>rétexle  d'expliquer  son 
œuvre,  le  doshabillont  el  très  souvent  l'exécutent.  Ils  agissent 
comme  le  romancier  vis-à-vis  des  personnages  de  son  livre;  leur 
critique  n'est  souvent  (ju'une  fantaisie  sur  la  manière  dont  une 
œuvre  littéraire  est  écrite  par  un  Parisien  de  la  décadence.  Nous 
désirerions  pour  notre  part  nous  occuper  moins  de  M.  Haraucourt 
que  de  son  livre  et  consacrer-nos  rétîexions  unicjuemenl  à  ses  vers 
et  à  leur  forme.  Certes,  comme  tout  poète  contemporain,  M.  Ha- 
raucourt a  l'âme  désorientée;  les  idées  les  plus  profondes  et  les 
plus  traditionnelles  y  sont  ébranl«''es  et  son  cœur  n'est  ({u'une 


plaine  douloureuse  oùsouftle  l'ennui,  toujours  l'ennui.  Mais  l'ex- 
pression de  ce  doute  et  de  cette  mélancolie  lui  est  parliculière; 
tout  en  sentant  ce  qu'éprouve  chacun  de  nous,  il  a  réussi  à  le  tra- 
duire avec  une  langue  et  une  couleur  à  lui. 

Sa  j)lirase  est  nette,  bien  que  souvent  elle  doive  revêtir  une 
idée  vague  et  pliilosophiquo;  elle  est  coupée  à  angles  droits;  elle 
est  belle,  riche,  pleine;  elle  ne  fait  pas  des  sinuosités  avec  des 
incidentes  nombreuses  et  ne  s'émiette  pas  en  détails.  Elle  ne 
^[^u^abonde  point,  elle  est  conduite  à  poing  ferme,  elle  est  bridée 
et  même  (juand  elle  part  des  quatre  fers  on  sent  qu'elle  ne  court 
aucun  risque  de  prendre  le  mors  aux  dents. 

Les  mots  sont  des  mots  clairs,  bien  sonnants,  admirablement 
taillés.  Ils  s'emboîtent  danslesstrophcs  comme  des  émaux  régu- 
liers dans  un  vantail  do  châsse,  ils  forment  mosaïque,  ils  se 
groupent  en  arabesques  prévues  et  peu  enchevêtrées.  M.  Harau- 
court  connaît  leur  poésie.  Il  sait  les  fiers  et  les  hautains  qui 
passent  dans  ses  quatrains  comme  dos  porte-drapeaux  dans  les 
cortèges,  les  jeunes  qui  sourient  avec  des  grâces  de  printemps  en 
fleur,  les  souffrants  et  les  pâles  dont  le  son  est  un  râle  ou  un 
sanglot,  les  douloureux  qui  paraissent  traîner  après  eux  comme 
une  marée  (le  mélancolie  cl  se  déroulent  ainsi  que  des  nuages 
lourds,  les  forts  qui  se  carrent  comme  des  lutteurs,  les  révolu- 
tionnaires qui  ameutent  comme  les  tocsins. 

On  ne  fait  de  belle  poésie  qu'en  sachant  les  mots  poétiques. 
Oui,  poétiques.  Tous  ne  le  sont  pas,  mais  tous  peuvent  le  devenir. 
La  poésie  est  une  aristocratie  ouverte.  Il  suffit  que  le  plus  misé- 
rable et  le  plus  gueux  des  mots  soit  ramassé  et  décrassé  par  une 
main  experte  pour  qu'il  entre  dans  les  vers  avec  un  manteau  de 
roi.  Néant  aujourd'hui,  un  Banville,  un  Baudelaire,  un  Hugo,  en 
feront  un  diamant  demain. 

.Nous  avons  lu  des  pièces  de  M.  Haràucourt  admirablement 
poétiques.  Grâce  à  sa  science  des  mots,  il  y  exprime  sans  offenser 
le  tact  poéti((ue  les  idées  les  plus  techniques.  Voici  comme 
exemple  les  .4 /o/»<?5:  .      . 


Rien  ji 'était.  Le  Néant  s'étalait  dans  la  nuit; 
Nul  frisson  n'annonçait  un  monde  qui  commence  ; 
Sans  forme,  sans  couleur,  sans  mouvement,  sans  bruil. 
Les  germes  confondus  flottaient  dans  l'ombre  immense, 

lie  froid  stérilisait  les  espaces  sans 'fin  ; 
I/essence  de  la  vie  et  la  source  des  causes 
Sommeillaient  lourdement  dans  le  chaos  divin. 
L'àme  de  Pan  nageait  dans  la  vapeur  des  choses. 

L'originelle  Mort,  d'où  l'univers  est  né, 
Engourdissait  dans  l'œuf  rinnommal)le  matière. 
Et,  sans  force,  impuissant,  le  Verbe  consterné 
Pesait  dans  l'infini  son  œuvre  tout  entière. 

Soudain,  sous  l'n^il  de  Dieu  qui  regardait  sans  but. 
rYémit  une  lueur  vague  de  crépuscule. 
Latome  vit  l'atome  ;  il  bougea  :  l'Amour  fut, 
Et  du  premier  baiser  naquit  la  molécule. 

Or,  l'Esprit  .stupéfait  de  ces  accouplements 
Qui  grouillaient  dans  l'abîme  insondé  du  désordre, 
Vit,  dans  la  profondeur  des  nouveaux  firmaments. 
D'infimes  end)ryons  se  chercher  et  se  mordre. 

Pleins  de  lenteur  pénible  et  d'efforts  caressants. 

Les  corps  erraient,  tournaient  et  s'accrochaient,  sans  nombre. 

L'Amour  inespéré  subtilisait  leurs  sens; 

La  lumière  naissait  des  frottements  de  l'ombre. 


Et  les  astres  germaient.  0  splendeurs  !  0  matins  ! 
Chaudes  affinités  des  êtres  et  des  formes  ! 
Les  soleils  s'envolaient  sur  les  orbes  lointains, 
Entraînant  par  troupeaux  les  planètes  énormes! 

Des  feux  tourbillonnants  fendaient  l'immensité, 
Et  les  sphères  en  rut  roulaien  t  leurs  masses  rondes  : 
Leurs  flancs,  brûlés  d'amour  et  de  fécondité, 
Crachaient  à  pleins  volcans  la  semence  des  mondes. 

Puis,  les  éléments  lourds  s'ordonnaient,  divisés  : 

Les  terres  s'habillaient  de  roches  et  de  plantes  ; 

L'air  tiède  enveloppait  les  globes  de  baisers. 

Et  les  mers  aux  fîots  bleus  chantaient  leurs  hymnes  lentes. 

C'est  alors  qu'au  milieu  du  monde  épais  et  brut, 
Deboiit,  fier,  et  criant  l'éternelle  victoire. 
Chef  d'œuvre  de  l'Amour,  l'être  vivant  parut! 
—  Et  Dieu  sentit  l'horreur  d'être  seul  dans  sa  gloire. 

La  pièce  est  superbe  de  clarté  et  d'expression.  Elle  se  déroule 
méihodiquement,  avec  une  allure  de  narration  ;  elle  a  commen- 
cement, milieu,  fin;  elle  apparaît  comme  un  beau  monument 
régulier  avec  portail,  vaisseau  et  abside 

Aussi  bien,  c'est  dans  la  première  partie  de  son  livre,  d'où 
cette  pièce  esl  tirée,  que  M.  Haràucourt  témoigne  le  plus  forte- 
ment de  ce  que  nous  avons  appelé  son  talent  classique.  Plus 
qu'ailleurs  on  y  trouve  le  mot,  la  phrase,  la  strophe  et  le  poème 
ordonnés. 

Mais  ce  qui  nous  décide  à  ranger  M.  Haràucourt  parmi  les  esprits 
classiques,  bien  plus  encore  que  ses  modes  d'expression,  c'est  sa 
manière  de  penser.  Plus  que  personne,  il  pense  solidement.  Son 
vers  est  nourri,  bourré  de  pensée.  Parfois  celle-ci  fait  tort  à 
l'harmonie  et  l'hémistiche  semble  une  cassure  alors  qu'il  ne 
devrait  être  qu'une  ligne  de  démarcation.  Souvent  deux  mêmes 
mots  rapprochés  par  des  propositions  différentes,  qui  donnent  à 
l'idée  un  tour  inattendu,  se  heurtent  et  font  craquer  le  quatrain. 

Aussi  est-ce  grâce  à  celte  vigueur  de  cerveau,  à  cette  santé  de 
raisonnement  que  le  poète  a  pu  triompher  de  l'énorme  difficulté 
des  sujets  scientifiques.  Il  les  traite  avec  une  sûreté  étonnante, 
en  maître. 

Les  vérités  les  plus  ingrates  à  mettre  en  strophes  apparaissent 
claires  et  comme  en  relief.  Les  vers  loin  de  leur  enlever 
quoique  ce  soit  de  leur  axiomilé,  la  soulignent  au  contraire  et  ne 
l'obscurcissent  en  rien.  Et  V Immuable,  la  Réponse  de  la  Terre, 
les  Atomes  comptent  parmi  les  plus  larges  poésies  philoso- 
phiques qu'on  ait  rimées. 

Nous  avons  essavé  de  fixer  un  côté  du  lnlent  de  M.  Ilarau- 
court;  talent  personnel,  solide  et  superbe,  le  plus  remarquable 
qui  se  soit  révélé  depuis  ces  dernières  années  à  Paris.  M.  Haràu- 
court va  entrer  dans  la  période  de  maturité  intellectuelle,  d'où 
sortent  les  œuvres  définitives.^!]  est  de  taille  à  entreprendre 
celles  qui  doivent  rester  pour  l'avenir. 


EXPOSITION  DES  BEAUX-ARTS  D'ANVERS     . 

Le  jui^  a  terminé  vendredi  après-midi  l'examen  des 
tableaux  envoyés,  sauf  la  revision  d'une  partie  des 
œuvres  acceptées,  qui  aura  lieu  lundi  et  qui  amènera 
sans  doute  quelques  refus  complémentaires. 

Il  n'en  a  été  admis  que  325  eiiviron  sur  2,300  annon- 
cées. 


L'ART  MODERNE 


123 


Cette  sévérité,  dont  il  n'y  a  pas  d'exemple,  provient 
de  ce  que  les  artistes  ont  choisi  leurs  envois  en  suppo- 
sant qu'il  s'agissait  du  Salon  triennal  d'Anvers,  tandis 
que  le  jury  les  a  jugés  en  considérant  qu'il  s'agit  d'une 
exposition  internationale,  en  présence  de  nations  con- 
"  eu rrentes  redoutables. 

Lors  de  toutes  les  séances  le  jury  a  été  complet  à  une 
ou  deux  abstentions  près.  C'est  là  un  zèle  exceptionnel 
et  très  louable.  ■'  »■" 

Toutes  les  décisions  ont  été  prises  à  vote  ouvert.  Une 
seule  fois  le  vote  secret  a  été  demandé.  Mais  on  n'y  a 
pas  persisté  en  présence  de  l'opposition  très  énergique 
de  la  plupart  des  membres.  Voilà  un  précédent  qui, 
souhaitons-le,  fera  fortune. 

lia  été  décidé queles  cadres  de  peluche  et  de  velours, 
qui  nuisent  tant  aux  voisins,  seraient  proscrits.  Les 
exposants  seront  invités  à  les  modifier.  Sinon  on  le  fera 
d'office  en  les  couvrant  de  papier  doré. 

La  presque  universalité  des  votes  ont  eu  lieu  avec 
une  grande  indépendance.  Les  considérati()ns  person- 
nelles ont  très  rarement  eu  de  l'influence.  Pres(|ue  tou- 
jours elles  ont  cédé  devant  des  observations  sur  la  va- 
leur de  l'œuvre.  On  a  continué  à  protester  chaque  fois 
que  l'on  demandait  les  noms  des  exposants  sur  le  sort 
desquels  on  statuait.  - 

Lundi  sera  nommée  la  commission  de  placement.  On 
est  presque  d'accord  sur  les  noms. 

Il  a  été  décidé  qu'on  ferait  appel  aux  artistes  et  aux 
amateurs  pour  complétijr  autant  que  possible,  par  des 
tableaux  de  choix,  l'énorme  déficit  résulté  des  refus. 
Le  jury  entier  a  émis  le  vœu  que  les  abstentions  cessent 
et  que  chacun  s'efïbrce  de  faire  triompher  notre  art 
dans  la  lutte  périlleuse  où  l'Exposition  internationale 
va  l'ensfaser. 

Les  locaux  .sont  bien  aménagés.  La  lumière  est  belle. 
La  ventilation  lai'^se  à  désire. 


LES  AUTEURS  DBS  TEMPLIKRS 

Henri  Litolff  a  passo  uiif  pailie  do  la  semaine  à  Bruxelles,  où 
il  a  eu  avec  M.  Vcrdluirl  de  fréquentes  entrevues  au  sujet  de  la 
mise  au  point  des  Templieis  et  de  la  distribution  des  rôles. 

Dans  une  réunion  intiniecomposée  d'artistes,  ileerivains,  de 
musiciens,  il  a  fait  entendre  quelques  frai^uienls  de  son  œuvre, 
.  dont  Armand  Silvestrc,  l'auteur  du  texte,  a  es(|uiss(''  le  sujet.  L'im- 
pression de  cette  première  lecture  au  piauo  a  été  exeelleiilc.  Nous 
publions,  à  cette  occasion,  les  médaillons  que  Théodore  de  Ban- 
ville a  sculptés  à  l'etiigie  des  deux  artistes  que  révélera  procliai- 
nemcnt  l'audition  des  Templiers  à  la  Monnaie. 

I.  Henri  Litolff. 

Ah!  refus  des  direct<Mn*s,  envie  des  rivaux,  hain*^  des  imbé- 
ciles, travail  dans  les  chambres  froides,  misère,  soutlVances  de 
ceux  qu'on  aime  artreuseuu'iU  mêN'es  à  la  fièvre  de  la  création, 
omportcmenls,  délires,   amours     ell'orts    >urliMm;tiiis,    démons 


acharnés  contre  le  génie  do  Pliommc,  malheurs,  accidents, 
ennuis  ridicules,  crimes  du  sort!  Non,  impuissants  que  vous 
êtes,  nous  n'êtes  pas  non  jdus  parvenus  à  enlaidir  eelui-là,  et 
c'«st  même  en  vain  que  vous  avez  essayé  de  dénuder  un  vaste 
front  de  poète,  sur  lequel  il  y  avait  une  telle  chevelure  crespelée 
ol  farouche  qpe,  malgrp  tout  ce  que  vous  en  avez  arraché,  elle 
est  encore  inextricable  et  profonde  comme  une  forêt î  C'est  en 
vain  que  vous  avez  plongé;  dans  les  joues  de  Litolff  vos  doigts 
furieux  comme  ceux  d'un,  statuaire  romantique  ;  c'est  en  vain  (jue 
vous  avez  creusé  cruellement  de  vos  ongles  ses  yeux  victorieux, 
que  vous  en  avez  cerclé  le  dessous  et  que  vous  avez  voulu  rap- 
procher l'un  de  l'autre  son  nez  et  son  menton  ;  en  dépit  de  vous, 
il  est  beau!  Et  beau  d'une  beauté  qui  n'a  rien  de  trop  résigné; 
car  dans  ses  traits  convulsés  et  calmes  habit(%  cachée  en  des 
replis  imperceptibles,  la  rafraîchissante  et  vengeresse  ironie.  Et 
comment  i\\  serait-elle  pas?  car  lorsqu'enfiu  on  eut  ouvert  à 
Litolff  un  petit  théâtre,  et  (ju'il  y  eut  fait  entrer  (comme  le  cheval 
de  bois  dans  ilios)  la  divine  Lyre,  soigneusement  cachée  dans 
l'élui  d'un  chapeau  chinois,  il  se  souvient  alors  i\m)  depuis  virii^t 
années,  lui  fermanl  obstinément  leurs  portes,  les  directeurs 
avaient  voulu  tuer  en  lui  la  virilité  de  ï'arL,  la  puissance  créa- 
trice: mais  il  borna  sa  vengeance  contre. eux  à  comj)Oser  un  chef- 
d'icuvre  de  musique  bouffe,  dont  le  héros  l'ut  la-  \ictime  do  Ful- 
bert, A  bélarJ  ! 

II.  Armand  Silvestre. 

Le  beau  front,  les  légers  sourcils  très  bien  dessines,  les  beaux 
yeux  souriants,  bruns,  profonds,  humides,  vous  raconteront  le 
graud  poêle  de  la  Douleur  et  l'Amour,  sans  quoi  superficielle- 
ment observé,  tout  ce  plantureux  visage,  comme  celui  de  Balzac, 
semblerait  sans  plus  celui  d'un  bon  vivant,  trempant  sa  lèvre 
sensuelle  dans  le  verre  magnifiquement  empourpré  de  Rabelais, 
ou  pour  aller  plus  vite,  mordant  à  même  dans  la  grappe  san- 
glante. Le  visage  plein,  la  barbe  soyeuse,  abondante  et.  blomle, 
le  teint  de  rose  fleurie,  l'air  bon,  aimable,  débordant  de  gaieté  et 
de  vie,  sont  d'un  sage  qui  dans  le  paradis  eût  volontiers  mangé 
la  pomme,  et  aussi  tout  un  panier  de  pommes,  quitte  à  s'expli- 
quer ensuite.  Un  petit  nez  toujours  en  quête,  coquin,  chercheur, 
amoureux,  une  oreille  heureuse  et  rougissante,  une  bouche  gour- 
mande, rouge,  riease,  voluptueuse  sous  la  moustache  blonde, 
des  joues  à  fossettes  récitent  leur  profession  de  foi  avec  une 
entière  franchjse.  Le  menton  qui  n'a  rien  de  trop  volontaire, 
affirme  pourtant  ([ue  le  poète  est  très  suscej)lible  de  décision, 
quand  il  s'agit  de  dompter  la  fuyante  chimère.  Les  cheveux  châ- 
tain foncé  coupés  courts  se  portent  bien;  mais  il  ne  serait  pas 
impossible  qu'on  y  vit  un  jour  se  dessiner  une  légère  tonsure, 
car  le  dieu  Désir  ressemble  à  ces  féroces  cuisiniers  anglais  qui^ 
lors(|u'il  s'ai^it  de  préparer  un  festin  de  noces,  ne  se  font  aucun 
scrupule  de  plumer  des  cygnes  ! 


KOTRB  JëU\E  LITTÉRATIIIE 

Toute  notre  litlc-ralure  nationale  n'est-elle  pas  arrivée  à 
celte  étape  de  <rm  d(''veloppement  où  il  convieiit,  pour  la 
forcer  h  un  nouveau  et  dé-cisif  progrès,  de  se  montrer  rigoureux 
sur  toutes  choses?  Le  mouvement  commencé  il  y  a  vingt-cinq 
ans,  au  moins,  par  deséciivains  qui  luttaient  alors  dans  l'obscu- 
rité et  la  solitude,  abouiit  présentement  à  un  épanouissement 
lîiagnilique.  Les  troues  isolés  et  tourmentés  d'autrefois  ont  par- 
tout tracé  leurs  drageons  et  la  plaine  enlièie  se  couvre  de  pousses 


nouvelles.  Il  ne  s'agit  plus  de  savoir  s'il  y  aura  récolle,  mais  si 
la  récolle  sera  belle.  Il  y  a  désormais  plus  de  planls  k  arracher 
ou  à  émonder  qu'à  faire  germer.  C'esl  pourquoi  il  faul  se  mon- 
trer sévère  et  commencer  à  réclamer  ces  raffincmenls  qui  sont  le 
propre  des  œuvres  vraiment  belles. 

Nous  le  rappelions  récemment  ailleurs,  en  citant  Brunelière  : 
c'est  vraiment  en  poésie  que  la  forme  est  inséparable  du  fond, 
ou,  pour  mieux  dire,  que  l'insuffisance  ou  la  banalité  de  la  forme 
risque  de  précipiter  l'œuvre  entière  dans  l'oubli.  Quoi  de  plus 
naturel?  Si  l'on  écrit  en  vers,  n'est-ce  pas  pour  ajouter  à  la  vériié 
du  fond  ce  que  la  magie  de  l'art  peut  donner  de  prestige,  de 
séduction,  de  splendeur?  El  quelle  raison  aurait-on  de  mesurer, 
de  cadencer,  de  moduler  la  pensée,  s'il  n'y  avait  dans  la  modula- 
tion, dans  la  cadencé,  dans  la  mesure  une  vertu  propre  et  très 
puissante,  analogue  à  celle  de  la  ligne  en  sculpture  et  de  la  cou- 
leur en  peinture!  Les  vers  n'expriment  rien  au  fond  qui  ne  se 
puisse  dire  en  prose;  leur  supériorité  consiste  donc  à  peu  près 
uniquement  en  la  forme.  C'est  ce  qui  explique  pourquoi  d'une 
langue  dans  l'autre  les  poètes  sont  intraduisibles,  comment  il 
n'est  pas  envers  eux  de  pire  trahison  que  de  les  mettre  en  prose, 
et  qu'aucun  éloge  ne  leur  agrée  plus  que  de  s'entendre  dire  qu'ils 
connaissent  tous  les  secrets  de  leur  art.  C'est  aussi  l'explication 
du  succès  passager  qui  n'a  jamais  manqué  môme  à  des  formes 
vidos,  pourvu  qii'ellos  fussent,,neuves,  originales  ou  savantes.  En 
aucun  temps  un  mauvais  rimeur  n'a  pu  passer  pour  un  grand 
poêle.  Ce  n'est  pas  la  même  rhétorique  qui  gouverne  l'art  pédes- 
tre d'écrire  en  prose  el  l'art  ailé  de  chauler  en  vers.  L'inspiration 
a  rarement  suBi  à  soutenir  les  œuvres,  el  le  talent  naturel  sans 
une  certaine  discipline,  de  plus  en  plus  rigoureuse,  risque  de 
n'aniener  que  des  succès  fragiles.  Un  cri  du  cœur  fait  honneur  à 
la  sensibilité  de  celui  qui  le  laisse  échapper,  mais  nous  avons 
tous  poussé  des  cris  du  cœur  et  nous  n'en  sommes  pas  plus 
écrivains  pour  cela.  L'expression  de  ce  cri,  c'est-à-dire  l'ensemble 
des  moyens  et  la  succesion  des  artifices  qui,  des  profondeurs 
obscures  de  la  sensibilité,  l'amènent  à  la  pleine  conscience  de 
"lui-même  et  le  fixent  dans  une  forme  durable,  voilà  l'art;  voilà 
aussi  le  métier.  Qu'est-ce  que  l'impropriété  des  termes  ajouterait 
d'éloquence  à  ce  cri?  On  voit,  au  contraire,  très  bien  le  surcroît 
de  valeur  qu'il  reçoit  de  la  précision  du  langage  et  de  la  con- 
trainte du  rythme.  Il  y  a  un  devoir  rigoureux  qui  incombe  à 
l'artiste  de  s'approprier  tout  ce'  qu'une  science  certaine  met  au 
service  de  son  sujet.  Il  s'agit  d'une  nouvelle  probité.  Bien  loin 
donc  que  la  préoccupation  du  métier  puisse  jamais  gêner  la 
liberté  de  l'artiste,  c'est  le  seul  moyen  qu'il  ait  d'arriver  à 
r,expression  entière  de  sa  pensée.  Par  cela  seul  que  l'on  s'impose 
l'obligation  d'éprouver  de  plus  près  la  qualité  des  syllabes  et 
d'être  plus  difficile  sur  le  choix  des  mots,  on  se  rend  plus 
exigeant  sur  l'exactitude  el  la  vérité  des  choses. 

Mais  nous  devons  dire  que  présentement  la  plupart  de  nos 
jeunes  écrivains  chantent  uniquement  pour  chanter,  et  fort 
agréablement.  Jolies  voix,  timbres  variés,  méthodes  parfaites. 
Vocalises,  trilles,  notes  pointées,  tout  carillonne  à  merveille. 
Quelles  paroles  vont-ils  mettre  là-dedans?  C'est  la  question 
qu'on  commence  à  se  poser  un  peu  partout.  Car,  à  la  longue, 
tant  de  virtuosité  lasse.  El  si  ces  troubadours,  se  campant  eu' des 
poses  de  défi,  proclament  avec  insolence  (ils  adorent  ce  mot-là) 
leur  droit  à  la  fantaisie,  il  se  pourrait  que  le  public  qui,  sans 
aller  jusqu'à  l'insolence,  devient  à  certains  jours  cruellement 
dédaigneux,  s'avisât  de  ne  plus  s'occuper  d'eux.  Il  en  est  du  style 
comme  du  violon.  iNous  ne  sommes  plus  au  temps  où  rhabilèté 
suffisait  à  tout.  Nos  Paganini  litténires  risquent  de  voir  le  public 
déserter  leurs  concerts. 

Quelques-uns  déjà  l'ont  compris  el,  malgré  les  objurgations 
des  fanatiques  de  la  bande,  lâchent  le  programme  sacro-saint  el 
commencent  à  nourrir  leurs  œuvres  d'autre  chose  que  des  sucre- 
ries de  la  fantaisie  pure.  Ils  y  viendront  tous,  espérons-le.  Devant 
les  sacrifices  qu'exige,  pour  se  livrer,  la  gloire  dont  ils  sont  très 
friands,  leur  mépris  déjeunes  dieux  ne  tiendra  pas.  Il  n'y  aura 
bientôt  plus  qu'a  trouver  une  explication  décente  pour  jusiifier 
la  conversion  et  sauver  l'amour-propre  si  fortcmeul  engagé  par 


les  déclarations  pompeusement  el  sacerdoialement   débitées  en 
maintes  circonstances. 

Ce  mouvement  qui  faiblit  n'était,  du  reste,  qu'une  répétition 
;  sur  le  sol  belge,  vingt  ans  après,  comme  dans  les  Mousquetaires ^ 
d'un  remous  littéraire  actuellement  bien  apaisé  en  France.  Impor- 
tation, accompagnée  de  fanfares  et  de  cymbales,  de  gambades  et 
d'entrechats,  du  Dogme  de  la  Forme.  Grande  et  triomphante 
bousculade  des  vulgarités  qui  caractérisaient  chez  nous  un  art 
dans  lequel  pullulaient  les  écri;Vassiers  el  luttaient  quelques  rares 
écrivains.  Réconfortant  et  joyeux  épanouissement  d'une  littéra- 
ture adroite,  légère,  fantaisiste,  mirifiquement  attifée,  mais  assez 
vide  du  côté  delà  cervelle.  Furies,  pétarades,  allégresse  pour  les 
jeunes,  consternation  pour  les  vieux.  En  somme,  vigoureuse 
avancée  artistique. 

Mais  après?  Car  nous  n'allons  pas,  n'est-il  pas  vrai,  en  rester 
là  et  nous  contenter  de  ces  premières  et  louables  victoires,  leste- 
ment et  galamment  remportées  par  ceux  qu'on  a  comparés,  aux 
premiers  jours  de  leurs  exploits,  aux  généraux  imberbes  de  la 
République,  battant  el  chassant  les  culottes  de  peau  des  armées 
routinières? 

Oui,  après?  Que  faire? 

Eh,  ma  foi!  ils  le  trouveront  bien  tout  seuls,  par  un  acte  de 
claire  volonté,  ou  par  instinct,  inconsciemment. 

Car  les  évolutions  littéraires,  comme  toutes  les  transformations 
naturelles,  se  déroulent  invinciblement.  Vieille  géante,  muette  et 
aveugle,  assise  imperturbable  au  carrefour  des  temps,  la  fatalité 
tourne  la  manivelle.  C'est  sur  la  toile  qu'elle  fait  lentement  mou- 
voir que  dansent  nos  jeunes  héros,  et  elle  les  achemine,  sans 
qu'ils  s'en  doutent,  vers  leurs  destinées,  comme  toutes  les 
marionnettes  humaines.  Ce  ne  sont  pas  nos  homélies  qui  déter- 
minent le  voyage  qu'ils  font  bon  gré  mal  gré. 

Mais  pour  aider  à  ces  métamorphoses  on  peut  dire  à  nos  lillé- 
rateurs  : 

Rentrez  en  vous-mêmes,  concentrez-vous.  Ne  pensez  désor- 
mais qu'à  votre  paysi  cherchez-y  toutes  vos  émotions,  toutes  vos 
inspirations.  A  cette  seule  condition,  vous  serez  sincères.  Tout 
en  vous  est  équilibré  pour  le  comprendre  el  l'exprimer.  C'est 
l'effet  de  l'hérédité  dans  les  générations  sans  nombre  dont  vous 
descendez  et  qui  ont  charrié  jusqu'à  vous  les  équations  de  plus 
en  plus  exactes  entre  vos  individualités  et  votre  milieu  natal.  Or, 
l'art  veut  cette  pénétration  profonde;  il  a  horreur  du  superficiel. 
N'essayez  pas  de  vous  nourrir  d'un  autre  suc  que  le  suc  mater- 
nel. Ce  n'est  que  lui  qui,  par  votre  plume,  saura  rendre  les 
nuances  dont  dépend  la  vérité  et  sans  laquelle  elle  n'est  jamais 
louchante.  Vous  êtes  nés  Belges,  pensez  en  Belges."  Avec  les  qua- 
lités prenez-en  même  les  défauts.  Mieux  vaut  cela  que  d'essayer 
de  jouer  des  rôles  pour  lesquels  vous  n'êtes  pas  conformés.  L'ac- 
cord entre  l'œuvre  d'un  homme  et  les  tendances  de  sa  race  est  la 
plus  haute  el  la  plus  noble  condition  de  sa  valeur. 

Voilà  une  première  condition  pour  continuer  le  développement 
de  notre  art  nouveau. 

Une  autre,  c'est  que  nos  jeunes  s'instruisent  davantage  d'autre 
chose  que  de  l'érudition  littéraire.  Car  leur  ignorance  sur  tout 
les  autres  sujets  est  imposante.  Certes,  nous  sommes  de  ceux  qui 
croient  qu'une  éducation  qui  a  pour  base  les  belles-lettres  est  en 
somme  une  des  meilleures  et  donne  une  supériorité  qui  toute  la 
vie  accompagne  comme  la  sérénité  d'une  robuste  constitution 
physique.  Mais  cela  ne  suffit  pas.  Il  y  a  vingt-cinq  ans,  l'ardeur 
de  la  jeunesse  à  étudier  l'histoire,  la  philosophie,  les  sciences 
sociologiques  était  merveilleuse.  Actuellement  cela  est  dissipé  : 
il  semble  qu'il  n'en  reste  que  peu  d'éléments  dans  l'atmosphère. 
Nos  jeunes  écrivains  se  nourrissent  presque  exclusivement  de 
littérature.  Ils  font  peu  de  cas  du  reste.  Ils  n'ont  que  des  sar- 
casmes pour  les  intérêts  qui  sortent  du  petit  cercle  artistique  où 
se  gaudit  leur  virtuosité.  Ici  également  ils  ne  fonl  que  répéter 
une  consigne  venue  de  France.  Charles  Longuet  rappelait  récem- 
ment, à  l'occasion  de  la  mort  de  Jules  Vallès,  que  Zola,  dans  un 
article  loyal  et  courageux,  où  il  exprimait  son  admiration  pour 
les  romans  de  ce  mort  regrette  et  si  violemment  alta(iué,  lui  re- 


prochait  d*élre  allé  perdre  ses  dons  littéraires  aux  ingrates  beso- 
gnes et  aux  basses  œuvres  de  la  politique.  «  Etrange  critique, 
répliquait-il,  qui  caractérise  pourtant  une  société  en  décadence, 
ou  plutôt  un  interrègne  entre  Tancien  monde  et  le  nouveau  ! 
Certes,  s'il  esldes  cœurs  que  la  politique  courante  doit  soulever, 
on  les  rencontrera  parmi  les  hommes  qui  en  touchent  de  près  les 
misères  ou  les  hontes.  Mais  est-ce  donc  là  toute  la  vie  sociale? 
Pour  l'esprit  qui  n'en  fait  pas  métier,  n'y  a-l-il  donc  pas  un  au- 
delà  plus  réconfortant,  plus  réchauffant  mille  fois  que  les  plus 
hautes  aspirations  de  la  littérature,  de  l'art  et  de  la  science  même? 
Et  depuis  quand  les  héros,  les  hommes  d'action,  ne  sont-ils  plus 
ceux  qui,  mourant  jeunes  ou  vieux,  ont  le  mieux  épuisé  la  coupe 
de  la  vie  ?  L'histoire  de  tous  les  siècles,  l'humanité  tout  entière 
proteste  contre  ce  blasphème  des  littérateurs,  aux  époques  déca- 
dentes oii  la  poésie  à  divorcé  d'avec  V action  au  point  de  rie  plus 
même  la  comprendre.  L'auteur  de  Jacques  Viiit gras,  lui,  eût 
donné  tout  son  bagage  littéraire  pour  revivre  encore  la  minute 
passagère  où,  dans  l'orage  des  événements  historiques  qui  un 
jour  lui  donnèrent  la  puissance,  il  avait  cru  laisir  et  tenir  en  sa 
main  l'ombre  fuyante  de  la  société  et  de  l'humaniié  qu'il  conce- 
vait, le  rêve  de  sa  jeunesse  et  de  sa  maturité.  Il  avait  raison.  » 

Non  pas  que  nous  songions  à  renouveler  ici  la  grande  contro- 
verse entre  l'art  dit  social  et  l'art  fafitaisiste.  Il  suffit  qu'il  soit 
connu  qu'une  fraction  de  la  jeune  école  reprend  avec  un  opi- 
niâtre exclusivisme  la  théorie  de  Vart  pour  l'art,  qu'elle  pro- 
clame hardiment  que  la  forme  suffit  à  tout,  et  qu'une  autre,  au 
contraire,  pense  que  dans  la  hiérarchie  artistique,  si  les  œuvres 
de  pure  virtuosité  et  de  pure  charme  ont  une  place  que  nul 
homnie  de  goût  ne  leur  dénie,  le  premier  rang  revient  à  celles 
qui,  aux  séductions  d'une  forme  correcte,  ingénieuse,  sans  cesse 
renouvelée,  joignent  l'élévation  du  sujet  et  la  puissance  de  son 
humanité. 

Lorsque  nous  parlons  d'études  complémentaires,  il  s'agit  de 
toutes  celles  où  la  pensée,  cette  vraie  force  littéraire,  s'alimente. 
L'imagination  ne  donne  pas  tout.  La  lecture  des  journaux  et  des 
nouveaux  livres  de  style  ne  donne  pas  tout.  Or,  à  cela  semblent 
être  bornées  les  sources  où  va  s'alimenter  la  majorité  de  nos 
artistes  de  plume. 


L'élude  qui  précède  est  un  extrait  inédit  du  rapport  fait  sur  le 
concours  de  poésie  de  V Union  littéraire  par  MiM.  Frenay, 
Sioumon  et  Edmond  Picard. 

Lecteur  qui  l'avez  parcouru,  que  pensez-vous  qu'il  soit  arrivé? 

Les  jouvenceaux  qui  président  aux  soins  de  vaisselle  de  la 
revue  la  Jeune  Belgique  ont  décidé,  après  plusieurs  congrès 
pleins  de  clameurs,  qu'il  constituait  un  outrage  public  à  la 
pudeur  de  leur  publication  mensuelle!!! 

Ils  ont  en  conséquence  déclaré  l'auteur  coupable  ^et  lui  ont 
appliqué  là  peine  unique  de  leur  code  pénal,  à  savoir  :  l'érein- 
toment. 

Greta  Friedman  qui  s'est  laissé  enlever  par  Pierrot  Lunaire, 
a  été,  dit-on.  chargée  avec  lui  de  l'exécution.  L'heureux  couple, 
émule  d'Indiana  et  Ouirlemagne.  y  a  été  de  mains  molles;  eifei 
de  la  lune  de  miel,  sans  doule.  Voici  le  résultat  de  ses  amours. 
Pour  des  Banvillards  Baudelairisanl  le  petit  produit  paraîtra 

Pâle  des  pâleurs  de  la  pâle  chlorose. 

«  M.  Edmond  Picard  vient  d'attaquer  là  Jeune  Belgique  dans  un 
rapport  qu'il  a  lu  en  séance  publique  de  ï  Union  littéraire. 

«  M.  Edmond  Picard,  qui  était  des  nôtres,  qui  en  était  même  si 
bien  qu'il  eût  pris  volontiers  la  direction  de  notre  mouvement,  vient 
de  se  rendre  à  l'ennemi.  M.  Potvin  lui  a  prêté  sa  tribune  et  lui  prê- 
tera bientôt  sans  doute  sa  revue.  M.  Picard,  dont  nous  supportions 
parfaitement  les  critiques,  se  serait-il  fâché  de  ce  que  nous  n'adop- 
tons pas  ses  nombreuses  idées?  C'est  le  premier  d'entre  nous  qui 
passe  à  la  réaction.  La  place  de  M.  Hymans  l'attend. à  l'Académie.  •• 

Polvin  !  Hvmans  !  En  ont-ils  abusé,  ces  novateurs  ! 

Si  cette  histoire  vous  embête, 

Nous  allons  la  recommencer.  <► 


Que  dire  de  cette  incidente,  majestueusement  comique  chez 
les  virtuoses  de  la  susceptibilité  :  «  M.  Picard  dont  nous 
supportions  parfaitement  les  critiques  »?  Ils  oublient,  ces  pro- 
diges d'inconséquence,  que  dans  la  même  phrase  ils  qualifient 
passera  l'ennemi \e  seul  fait  d'attaquer  leur  Jeune  Belgique  de 
la  façon  qu'on  a  lue  plus  haut  ! 

Comme  dans  Guillaume  Tell  : 

La  douche  sur  leur  front  ne  s'est  pas  fait  attendre. 

Le  condamné  a  envoyé  au  Marmois-virat  la  volée  suivante, 
quoique  pour  abattre  des  moineaux  il  ne  faille  vraiment  pas  des 
chevrotines. 

A  LA  DmECTioN  DE  LA  Jeune  Belgique, 

Qu'est-ce  que  vous  racontezl  que  j'aurais  pris  volontiers  la  direc- 
tion de  votre  mouvement  ?  Allons  donc  ! 

Si  j'ai  dès  le  début  approuvé  sa  tendance  à  améliorer  la  fonne 
littéraire  en  Belgique,  j'ai  aussi  dès  le  début  attaqué  vertement  la 
stérilité  de  vos  idées.  C'est  moi  qui  ai  écrit,  il  y  a  beau  temps,  que 
votre  ignorance  était  imposante. 

Vous  vous  apercevez  un  peu  tard  de  ce  désaccord,  et  s'il  suffit 
pour  qu'on  ne  soit  plus  des  vôtres,  je  ne  l'ai  jamais  été. 

Quanta  vous  diriger,  grand  nierci!  Je  ne  suis  pas  de  ceux  qui 
vendent  leur  liberté  pour  un  plat  de  lentilles  accommodé  par  des 
étourdis.  Il  faut  vous  louanger-,  n'est-ce  pas,  pour  vous  plaire?  Cela 
n'entre  pas  dans  ma  manière.  Si  vous  en  avez  perdu  la  mémoire, 
tàtez- vous  aux  endroits  que  j'ai  visés. 

Si  parmi  les  jeunes  il  en  est  que  je  tiens  pour  de  virils  compères, 
il  en  est  d'auta^  sur  l'incurable  impuissance  de  qui  je  suis  fixé. 

Quant  é.  passer  à  la  réaction,  comme  vous  osez  l'écrire,  est-ce  que 
vous  V008  prenez  pour  l'action  par  Iiasard  et  il  faudra  que  votre  pré- 
tendue intransigeance  dévide  un  bon  bout  de  fil  pour  être  aussi 
longue  que  la  mienne,  et  surtout  qu'elle  se  tienne  ferme  sur  son  petit 
cheval  pour  ne  pas  vider  les  arçons  en  faisant  le  trajet  que  j'ai  par- 
couru sans  broncher  loin  du  chemin  des  académies  où  vous  me  con- 
viez à  reuplacer  M.^  Hymans. 

Nous  reparlerons  décela  dans  vingt  ans  avec  Son  Eminence  Votre 
Intégrité  et  nous  verrons  alors  si  elle  a  encore  son  pucelage. 

Je  serais  fâché  parce  que  vous  n'auriez  pas  accepté  mes  idées. 
Mais  non,  mais  non.  J'écriâ  pour  ma  distraction  personnelle  et  non 
pour  vous  passer  des  clystères  littéraires. 

Quels  sont  ceux  qui,  dans  votre  club,  prennent  sur  eux  la  note  en 
question?  Cela  m'intéresse  beaucoup;  nommez  les  donc  en  toutes 
lettres;  j'aime  à  savoir  qui  je  tiens  au  bout  de  ma  plume. 

Au  revoir,  ma  jeune  amie. 

Edmond  Picard. 
12  avril  1885. 


J^OTE^    DE    MUSIQUE 

Concert  Hans  de  Bûlow. 

Le  Cercle  artistique  et  littéraire^  continuant  sa  série  déjà  consi- 
dérable de  concerts  hivernaux,  nous  a  présenté  Hans  de  Bùlow,  le 
pianiste,  qualifié  aussi  «  docteur  *>. 

Le  docteur  a^cousacré  sa  vie  à  essayer  une  guérison  prodigieuse  : 
guérir  le  public  de  son  goût  pour  la  mauvaise  musique.  Pas  plus  que 
tant -d'autres  il  n'a  réussi,  et  il  est  certain  que  pas  un  de  ces  docteurs 
artistiques  ne  peut  espérer  de  radicales  guérisons,  quel  que  soit  le 
nombre  d'attestations  qu'il  prodigue  dans  ses  annonces.  Car  le  doc- 
teur Hans  de  Biilow,  très  sincère  dans  ses  ardentes  convictions, 
semble  passer  aux  yeux  de  ses  patients  comme  légèrement  affublé  de 
charlatanisme.  Ses  articles  et  discours  de  combat  pour  le  drame 
wagnérien,  sa  propagande  personnelle  en  faveur  du  maître  insulté 
jadis,  que  l'on  ne  veut  pas  encore  respecter  aujourd'hui,  ô  honte! 
ses  algarades  nombreuses  avec  les  personnages  qu'il  appelle  si  cruel- 
lement des  «  directeurs  de  cirque  «♦,  toute  cette  endiablée  efferves- 
cence a  fait  tache  à  sa  réputation  de  musicien  correct. 

Et  pourtant,  à  voir  la  physionomie  froidement  cérémonieuse  du 
pianiste,  à  voir  ses  gestes  presque  guindés  d'officiel  capellmeister 


l'on  s'étonne  et  1,'on  croit  à  une  di.s8iruulatiou.  Mais  bien  vite  elle  est 
démentie  par  la  franchise  du  regard  et  la  simplicité  de  l'exécution. 

Hans  de  B'iilow  ne  fut  d'abord  que  musicien  amateur;  c'est  sur 
les  avis  dé  Liszt,  de  Wagner  et  de  Schumann  qu'-H  se  décida  à 
«  prendre  le  voile  »■.  Liszt  surtout  s'occupa  de  son  éducation,  lui 
consacrant  doux  années  de  conseils  pour  ses  études  de  piano  ;  Wag- 
ner le  fit  nommer  chef  d'orchestre  à  Ziirich  ei  lui  donna  des  instruc- 
tions pour  l'exécution  de  T'amikausev  et  (le  Lohengrin  (Hans-  île 
Bùlow,  quelques  années  plus  tard,  aida  puissamment  Wagner  dans 
la  mise  en  scène  de  Tristan  et  holde).  Ouant  a  vSchumann,  il  n'eut, 
pensons-nous,  de  relations  directes  ave»'  de  liiilow  que  comme  colla- 
borateur à  un  journal  de  propagande  nmsicale.  C'est  en  1852  que 
Hans  de  Biilow  joua  pour  la  première  fois  ;  depuis,  très  nombreux 
sont  les  concerts  dans  lesquels  il  se  fit  entendre  :  à  Vienne,  à  Pesth, 
Brème,  Brunswick,  Hambourg,  Leipzig,  Paris,  en  Hollande,  en 
Russie,  on  lîelgique  (il  y  a  quelques  années,  notamment  aux  Con- 
certs populaires). 

Il  osl  cortain,  malheuroujsoment,  qu'il  ne  relire  aucun  fruit  de  ses 
tentatives  et  de  ses  luttes  :  plus  vigoureux  donc  doivent  être  les 
ap])lau(lisscmenls  à  sa  t<.'nacité,  à  sa  ]>ersovéraiice  admirables. 

Comme  pianiste,  il  s'est  rendu  maître  des  jdus  cruelles  difficultés 
techniques,  il  est  analyseur  profond  j)lutot  que  vibrant  seusitif;  cri- 
tique, il  est  armé  d'un  style  hautain  et  tranchant  et  d'une  vigou- 
reuse érudition  ;  compositeur,  il  fut  peu  fécond  :  nous  ne  connaissons 
de  lui  qu'une  ouverture  \}o\ir  Jules  César  de  Shakespeare  et  la  Marche 
des  impériaux  pour  la  même  tragédie  ;  mais  ses  transcriptions  sont 
nombreuses,  transcriptions  de  Scarlatti ,  Bach ,  Hâudel  et  Gluck 
(VIphigénie  en  Aulide,  d'après  l'arrangement  de  Richard  Wagner). 
Citons  encore  l'excellente  transcription  de  Tristan  et  Isolde,  celle  du 
Prélude  et  du  Quintette  des  Maîtres- Chanteurs. 

Quelque  long  que  fût  le  programme,  le  public  ànCerde  artistique 
a  très  bien  accueilli  l'illustre  pianiste,  malgré  son  exécution  parfois 
un  peu  sèche  dans  sa  simplicité.  Le  docteur  croit-il  à  une  guérison 
prochaine?  Souhaitons-le.  Le  public  aimer  la  musique  pure  et  belle! 
Ce  serait  trop  •*  curieux  >»,  comme  dit  Xachtigal  dans  \e&  Maitres- 
Chanteurs. 

Concert  Moriani. 

La  gentry  bruxelloise  s'occupe  beaucoup  d'une  cantatrice  qui, 
chose  rare,  appartient  à  •♦  sou  monde  »•,  comme  disent  les  critiques 
à  échine  souple  qui  cherchent  à  s'y  faufiler  et  qu'on  y  tolère  quel- 
quefois. 

M'"«  Moriani,  qui  a  |)Orté  le  nom  d'un  baron  de  Corvaia  dont  elle 
est  divorcée,  est  une  aimable  femme,  agréable  à  voir  chanter,  et  qui 
rachète  par  une  bonne  grâce  charmante  les  imperfections  d'une  voix 
dont  l'homogénéité  laisse  à  désirer.  Le  Ministre  de  France  et  M""''  de 
Montebello  lui  avaient  ouvert  samedi  dernier  leurs  salons,  et  en 
ont  fait  les  hoinieurs  aux  souscripteurs,  qu'on  aurait  ])U  pi*endre 
pour  des  invités. 

On  a  fait  fête  à  la  chanteuse,  à  laquelle  un  ténor  italien  à  la  voix 
timbrée,  mais  d'haleine  courte,  M.  Victor  Clodio,  et  un  médiocre 
violoncelliste,  au  coup  d'archet  pesant,  prêtaient  leur  concours. 

On  a  entendu  du  Massenet,  du  Godard,  du  Cimarosa,  duVerdi,  du 
Tschaikowsky,  même  du  Michotte.  Nous  ne  citons  que  la  motié  des 
auteurs  dont  on  a  fait  défiler  les  œuvres  aux  oreilles  de  l'auditoire 
attentif. 

L'ne  dame  du  monde  le  plus  high-life  disait,  non  loin  de  nous, 
avec  une  comiiassiou  vraiment  sincère  :  «  Quel  dommage,  quand  on 
est  si  bien,  de  devoir  gagner  sa  vie  !  » 

Cette  réflexion  nous  tiendra  lieu  de  point  final. 


yHÈATRE? 

TnÉATRK  DE  LA  MoNNAiE.  —    Les  journaux   ({uotidiéns  ont   tous 
constaté  la  bonne  impression  faite  par  M"'"  B(;smuu  dans  le  rôle 


d'Eva,  qu'elle  chante  d'une  voix  pure  et  joue  avec  la  mutinerie,  la 
simplicité,  la  naïveté  voulues. 

Elle  est,  par  moments,  vraiment  charmante.  Sa  scène  avec  Hans 
Sachs,  au  deuxième  acte,  et  toute  la  fin  du  premier  tableau  du  troi- 
sième ont  été  pour  elle  l'occasion  d'un  triomphe.  Jeudi  dernier,  à  la 
treizième  représentation,  l'enthousiasme  a  été  tel  que  le  public  a 
redemandé  le  quintette  qui  termine  ce  tableau.  On  l'a  bissé.  De  nou- 
veaux rappels  ont  suivi,  et  les  abonnés  eux-mêmes,  —  oui,  les  abon- 
nés !  —  ont  acclamé  Wagner.  On  n'a  plus  revu  le  Monsieur  qui,  à  la 
représentation  précédente,  s'était  dissimulé  au  fond  d'une  baignoire 
pour  jouer  un  air  de  flûte  sur  une  clef  forée.  On  assure  que  le  remar- 
quable talent  de  société  qu'il  possède  a  décidé  la  Compagnie  des 
Omnibus  à  lui  ^ftrir,  à  de  brillantes  conditions,  une  place  de  con- 
ducteur. 

H  y  a  peu  de  chose  à  reprendre  daiis  la  composition  du  person- 
nage d'Eva  par  la  nouvelle  titulaire.  Un  peu  émue  à  son  entrée  en 
scène,  elle  a  bientôt  retrouvé  son  assurance,  et  la  deuxième  fois 
qu'elle  a  chanté  le  rôle,  elle  a  été  (out  à  fait  à  son  aise.  Si  nous 
avions  l'honneur  de  connaître  M""®  Bosman,  nous  lui  conseillerions 
de  se;  laisser  guider  encore  davantage  par  son  instinct,  de  rester 
davantage  elle-même.  Quand  elle  s'abaiidounc  à  sa  nature,  elle  joue 
avec  l'ingénuité  désirable.  Lorsqu'elle  cherche  à  reconstituer  la 
figure  créée  par  M"'«  Caron,elle  manque  de  naturel  et  tout  est  man- 
qué. Dans  la  scène  du  petit  soulier,  par  exemple,  elle  a  l'air  de  jouer 
sur  une  harpe  imaginaire  ou  de  «  faire  un  groupe  »  comme  disait  si 
drôlement  Céline  Ghaumont  dans  la  Cigale.  Cette  scène,  si  gracieuse 
dans  son  intimité  enfantine,  reste  encore  ù  créer. 

Nous  souhaiterions  aussi  que  M'»»  Bosman,  qui  paraît  animée 
d'intentions  vraiment  artistiques  et  couronne  son  séjour  à  Bruxelles 
par  une  création  qui  lui  fait  honneur,  rompît  avec  la  tradition  qui 
exige  que  les  chanteurs  s'avancent  invariablement  à  la  rampe  pour 
débiter  leur  air.  Dans  le  quintette,  nous  l'avons  dit  déjà,  c'est  chose 
grotesque  que  cette  alignée  des  cinq  artistes  devant  le  trou  du  souf- 
fleur. Gela  ôte  toute  illusion  et  choque  le  goût. 

M.  Jourdain  avait  fait  quelques  tentatives  timides  en  vue  d'intro- 
duire sur  la  scène  un  peu  de  vérité,  mais  l'amour  de  son  ut  de  poi- 
trine l'avait  emporté  bientôt  sur  la  logique  des  situations. 

M.  Verhees,  qui  lui  succède,  est  plus  gauche  encore  que  liii.  \\  ne 
sait  que  faire  de  «es  bras  ni  de  ses  jambes,  reste  planté  comme  un 
poteau  télégraphique  pour  chanter  son  preislicd  et  paraît  être  abso- 
lument étranger  à  l'action  qui  se  déroule.  Or,  dans  les  œuvres  «le 
Wagner,  il  faut  qu'on  soit  aussi  bon  comédien  que  chanteur  con- 
sommé. • 

Et  M.  Verhees  est  loin  de  racheter  par  une  émission  irréproclialile 
ou  j)ar  des  charmes  vocaux  exceptionnels  ce  que  sou  maintien  a  de 
'guindé. 

A  tout  prendre,  on  regrette  M.  Jourdain,  qui  laissait  cependant 
fort  à  désirer,  quoiqu'en  ait  dit  le  docteur  Langhaus,  ce  mystificateur 
à  froid  des  compères  de  V Indépendance . 

Le  Ménestrel  dont  nous  avons  déjà  relevé  les  joyeuses  apprécia- 
tions —  à  distance  —  des  rei)réseutation  des  Maitres-Chanteurs  a 
Bruxelles,  imprime  ceci,  : 

••  Quelque  bruit  qu'on  ait  put  faire  autour  de  la  représentations 
des  Mai  très -Chanteurs  à  Bruxelles,  il  paraît  que  décidément  l'oît- 
vrage  ne  fait  pas  trop  bo7ine  contenance,  devant  le  public  ei  on  doute 
qu'il  puisse  aller  jusqu'à  la  fin  de  la  saison.  Et  cependant  de  larges 
coupures,  pratiquées  sans  vergogne  dans  la  partition,  ont  raccourci 
de  près  d'une  heure  la  durée  du  spectacle.  Malgré  tout,  le  public 
continue  à  ne  pas  se  porter  en  foule  au  théâtre  de  la  Monnaie.  Les 
wcfgnériens  eux-mêmes  sont  dans  le  désenchantement  et  cotnmencent 
a  revenir  de  lcur.s  illusions  de  la  première  heure,  n 

C'est  trop  drôle  \H)\xr  qu'on  se  fâche.  Le  chroniqueur  du  Ménestrel 
paraît  jaloux  des  lauriers  de  M.  Louis  Hesson,  de  Y l'.vèucmriit.^Ao\\\, 
les    bourdes   monumentales  sont  légendaires,  ou  do  M.  Scapin,  du 


Voltaire,  dont  la  célébrité  dans  le  genre  gai  est  de  plus  fraîche  date. 

C'est  égal,  si  le  restant  des  informations  du  journal  en  questio\i 
est  à  l'avenant,  les  lecteurs  peuvent  se  vanter  d'être  joliment  J>ien 
renseignés.  ' 

Il  est  vrai  que  M.  Ileugel,.  éditeur  de  musique  et  directeur  du 
Ménestrel,  n'a  pas  la  moindre  partition  de  Wagner  à  éditer.  Sa  mai- 
son, qui  n'est  sur  aucun  quai,  a  la  propriété  exclusive  des  œuvres  de 
M.  Ambroiso  Thomas.  Qu'on  se  le  dise. 


On  a  enterré  mardi  la  Traviata.  L'assistance  était  peu  nombreuse, 
mais  recueillie.  M""»  Vaillant- Couturier,  proche  parente  de  la  défunte, 
conduisait  le  deuil  avec  MM,  Rodier  et  Soulacroix. 

Leur  douleur  contenue  a  vivement  ému  les  curieux  que  cette 
triste  cérémonie  avaient  amenés.  On  s'est  découvert  respectueuse- 
ment sur  le  passage  du  cortège.  Aucune  manifestation  n'a  troublé  la 
solennité  de  l'inhumation. 

La  marche  funèbre,  composée  par  Verdi  pour  la  circonstance,  a 
été  exécutée  magistralement  par  l'orchestre  de  la  Monnaie,  sous  la 
direction  de  M.  Dupont.  , 

On  n'a  pas  prononcé  de  discours  sur  la  tombe. 

Théâtre  Molière,  —  Les  représentations  ordinaires  ont  repris 
cette  semaine  leurs  cours.  Les  Femtnes  terribles,  3  actes  par 
M.  Dumanoir,  et  les  Brebis  de  Panurge,  1  acte  par  MM.  Meilhac  et 
Halévy,  formaient  le  spectacle. 

La  troupe  du  Prince  Zilah  est  partie  pour  sa  tournée.  Liège  est 
la  première  ville  de  l'itinéraire;  Verviers,  Maestricht,  Namur,  La 
Louvière,  Mons,  Tournai,  Anvers,  Louvain,  Ostende,  Bruges  et 
Gand  le  complètent. 

Les  20,  22,  24  et  25  de  ce  mois.  M""  Jenny  Thénard,  de  la 
Comédie-Française,  viendra  représenter  avec  sa  troupe  les  Folies 
amoui^euses,  la  Cravate  blanche  et  deux  monologues  aux  deux  pre- 
miers spectacles.  Les  deux  derniers  comprendront  Oscar  ou  le  Mari 
qui  trompe  sa  femme,  les  Projets  de  ma  tante,  le  Hanneton,  mono- 
logue, et  un  récit  :  la  Présentation: 

Aujourd'hui  à  2  heures  précises,  séance  extraordinaire  sur  la 
transmission  de  la  pensée  par  miss  Laura  Lancaster. 


!PlBLIOqRy\PHIE    MU^IC/Li: 

Moisson  assez  maigre  ;  quelques  glanures  à  peine.  Chez  Bertram, 
un  Air  de  ballet  pour  piano,  dédié  à  Don  Alphonse  XII,  et  vendu  au 
profit  des  victimes  des  tremblements  de  terre  de  l'Andalousie.  C'est 
de  la  charité  sur  un  rythme  gai,  glissée  sous  une  élégante  couverture 
en  style  Mauresque.  Auteur  :  M.  Alexis  Ermel.  1  excellent  profes- 
seur, dont  nous  appréciions  récemment  les  Soirées  de  Brv.fellrs  et 
le  Conte  Oriental. 

Chez  Bertram  aussi,  une  Dans<:  rustique,  de  Maurice  Koettlitz. 
l'auteur  des  Làndlcr.  Les  pensionnats  de  demoi.selles  . se  jetteront 
sur  cette  manne. 

Chez  MahiUon,  un  recueil  de  dix  mélodies  d'une  aimable  baiialité. 
par  Georges  Weiler,  sur  des  poésies  de  Frédéric  Bataille,  Armand 
Silvestre,  Casimir  Delavigne,  etc.  Titre  :  Poème  des  souvenirs  — 
Souvenirs  est  malheureusement  le  mot  qui  convient. 

L'éditeur  met  le  recueil  à  la  vitrine  avec  cette  annonce  cruelle  : 
Volume  contenant  diûr  romances.  Ces  romances,  les  chanteurs  les 
interpréteront  avec  satisfaction.  Elles  sont  bien  écrites  au  point  de 
vue  des  ressources  vocales  et  auront  certes  leur  suocès  de  salons, 
entre  Biondina  de  Gouncxl,  et  la  Sérénade  de  Palhadilhe. 


f 


ETITE    CHRO]S(IQUE 


A  propos  de  l'exposition  des  œuvres  d'Eugène  Delacroix,  on  a 
rappelé  qjiie  le  grand  peintre  avait  été  poursuivi  de  ce  cri  d'un  obscur 
critique  :  C^est  un  sauvage  gui  barbouille  ses  toiles  avec  un  balai 
ivre. 

L'obscur  critique  n'était  autre  que  Courtois,  critique  pictural  ou 


salonnier  du  Corsaire  (rédaction  Le  Poitevin  Saint-Alme).  Cet 
honame,  déjà  vieux,  très  classique  et  sourd,  était  le  tils  du  conven- 
tionnel Courtois,  celui  qui  a  été  chargé  d'inventorier  les  papiers  de 
Robespierre  après  le  9  thermidor. 

Charles  Baudelaire,  admirateur  d'Eugène  Delacroix,  entrait  «lans 
des  colères  extrêmes  toutes  les  fois  qu'il  rencontrait  ce  vieux  jour- 
naliste. 

Il  s'écriait  tout  haut  : 
•    —  Si  j'étais  gouvernement,  je  ferais  tuer  ce  vieillard  pour  cause 
d'utilité  publique.  - 

Voilà  un  mot  qu'on  pourrait  appliquer  à  quelques-uns  de  nos  cri- 
tiques actuels. 

On  nous  fait  part  du  projet  de  constitution  d'une  nouvelle  société 
d'artistes  bruxellois  calquée  sur  le  plan  de  l'association  des  XX.  Ce 
groupe,  qui  prendrait  le  titre  de  Cercle  des  X,  se  composerait,  dit-on, 
de  MM.  Cluysenaar,  Alfred  Verwée,  Jan  Verhas,  Paul  De  Vigne, 
Emile  Wauters,  Charles  Hermans,  Asselberghs,  Seeldrayers,  et  de 
deux  artistes  à  désigner. 

Il  serait  à  souhaiter  que  ce  projet  aboutît.  Il  donnerait  lieu  à 
d'intéressantes  expositions  et  à  des  luttes  salutaires  au  progrès  de 
l'Art. 

MM.  Van  Dyck  et  Blauwaert,  les  deux  chanteurs  belges  qui  ont 
remporté  dans  les  concerts  parisiens  des  succès  que  nous  avons 
relatés,  sont  rentrés  depuis  quelques  jours  en  Belgique.  Ils  se  pro- 
posent d'organiser  à  Anvers,  pendant  l'exposition,  des  séances  musi- 
cales qui  auront  lieu  régulièrement  deux  fois  par  semaine  et  pour 
lesquelles  ils  feront  appel  au  concours  d'artistes  étrangers. 

Dimanche  prochain,  26  avril,  à  2  heures,  une  séance  de  musique 
de  chambre  (instruments  à  vent)  sera  donnée  par  MM.  Dumon. 
Guidé,  Merk,  Neumans,  Poncelet  et  Dé  Greef. 

La  répétition  générale  aura  lieu  le  sannedi  25,  à  3  heures.- 


Le  quatrième  concert  populaire  clôturera  à  la  fois  la  saison  théâ- 
trale et  la  série  des  concerts  populaires.  Comme  nous  l'avons  dit,  il 
aura  lieu  le  dimanche  3  mai,  à  8  heures  du  soir,  au  théâtre  de  la 
Monnaie,  avec  le  concours  de  M'"  Blanche  Deschamps,  qui  y  fera 
sa  dernière  création  à  Bruxelles  :  «  Sieglinde  »  de  la  Valkyrie. 

Le  programme  sera,  rappelons -le,  exclusivennent  consacré  à  l'au- 
dition-d'œuvres  nouvelles  de  Richard  Wagner.  On  y  entendra  pour 
la  première  fois  en  français,  le  premier  acte  de  la  Valkyrie  (versioti 
française  de  M.  Victor  Wilder),  qui  sera  chanté  par  M"«  Deschamps, 
MM. Van  Dyck  et  Blauwaert  ;  des  fragments  importants  de  Pars'ifal 
(1"  exécution),  notamment  la  célèbre  scène  du  Jardin  enchanté 
(ballet  des  fleurs),  chantée  par  M«"ei  Descha.ps,  BuoI,  Jane  de 
Vigne,  Flon-Botman,  Hiernaux,  Lecerf,  Mahieux,  Elisa  Wolf,  avec 
accompagnement  de  chœurs  de  femmes;  ensuite  le  tableau  du  Ven- 
dredi-Saint, chanté  par  MM.  Blauwaert  et  Van  Dyck. 

Lorchestre  exécutera  Y  Idylle  de  Siegfried  (1«  exécution)  et  le 
concert  se  terminera  par  la  Chevauchée  des  Valkyries,  chantée  par 
toutes  les  dames  solistes. 

La  répétition  générale  aura  lieu  le  samedi  2  mai,  à  2  12  heures,  à 
la  Grande-Harmonie. 

Pour  les  demandes  de  })!are.s,  s'adresser  chez  MM.  Schott  frères, 
82,  Montagne  de  la  Cour. 

Il  parait  que  les  perles  sont  une  maladie  des  huîtres,  quelquefois 
comme  le  kyste  au  Skâting-Rink  d'un  chauve. 

Un  poète  en  herbe  dont  l'estomac  lapguit  en  un  état  lamentable 
faisant  dernièrement  une  conférence,  rappelait  ce  phénomène  et 
})renant  en  pitié  les  gens  bien  portants  disait  avec  une  modestie 
proverbiale  des  êtres  privilégiés  de  son  espèce  :  Je  suis  une  huître 
perlière,  avec  une  intention  visible  de  considérer  tout  le  reste  dii 
genre  Humain  comme  un  composé  d'huîtres  simples. 

Victor  Hugo  à  qui  on  racontait  la  chose  et  qui  a  toujours  joui 
d'une  aussi  belle  santé  que  Shakespeare,  observa  gravement  :  Il 
n'aura  dit  qu'à  moitié  le  pauvret.  Je  vois  bien  le  mollusque,  mais  ou 
diable  sont  les  perles  ! 

Parmi  les  artistes  récompensés  à  l'exposition  de  Blanc  et  Xoir 
qui  vient  d'avoir  lieu  au  Louvre,  nous  remarquons  :  M.  Franz  Van 
Leemputten  (médaille  d'argent  de  2^  classe,  —  Section  des  dessins), 
M.  Danse  (mention  honorable.  —  Gravure)  et  M.  Storm  de  GraVe- 
sande  (mention  honorable.  —  Fusains). 


On  annonce  qu'Antoine  Rubinstein  entreprend  en  Hollande  une 
tournée  artistique  durant  laquelle,  dans  l'espace  de  seize  jours,  il 


donnera  dix  grand.s  concert-s 


128 


LART  MODERNE 


Les  annonces  sont  reçues  au  bureau  du  journal, 
26 y  rnœ  de  V Industrie,  à  Bruxelles. 


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Benoit.  Les  motifs  typiques  des  Maitres  chanteurs  . 

ARRANGEMENTS  POUR  PIANO  A  2  MAINS 

Im  PartiUon  complète  .  ... 
Ouv<erUire.  Introduction  .  .  .  . 
La  même,  arrang.  par  H.  de  Bulow    .... 

Inty:oduction  A\\i' SiCte 

Beyer,  F.  Répertoire  des  jeunes  pianistes 
y        Bouquet  de  Mélodies  .        .        . 
Brunner,  C.  Trois  transcriptions,  chaque 
Buloic,  H.  (do).  Réunion  des  Maitres  chanteurs 

Paraphrase  sur  le  quiutuor  du  3*  acte 

Cramer,  H.  Pot  pourri 

Marche 

Danse  des  apprentis 
Gobhaerto,  L.  Fantaisie  brillante        .... 
JacU,  A.O^.  L^.  Peux  transcriptions  brillantes  (Wer 
Preislied),  cha  lue       .        .        .        .        , 

y        Op.  148.  Au  loyer 

Laifsen,  E.  Deux  transcriptions  de  salon,  n*  I  . 

f  "  -  n*  II.       . 

Leitert.  Op.  26.  Transcription      ..... 
Ratf,  J.  Réminiscences  en  quatre  suites,  cahier  I  et  II,  à 

cahier  III. 
cahier  IV. 
/?«2}23,  H.  Chant  de  Walther        .        ... 

ARRANGEMENTS  POUR  PIANO  A  4  MAINS 

La  Pat-tition  complète         .        ...        .        . 

Oc réTfxrr.  Introduction  par  C.  Tausig     .        .        .        . 

/^ci/f",  F.  Rfevue  mélodique        .        .        .        ... 

B<ilotr,  H.  idp).  La  réunion  des  Maitres  chanteurs,  paraphrase 

Cramer-,  H.  Pot-pourri 

y  Marche 

De  Vilbac.  Deux  illustrations,  chacune 


beges. 


an(î 


Fr. 


2    - 

1  50 


25 
2 
3 
1 


ARRANGEMENTS  DIVERS  : 

0(/ î-^rf wr?  pour  2  pianos  à  8  mains 

GjvpoîV  cf  Z,f^onorrf.  Duo  jiour  violon  et  piano.        .        . 
/lfl^/nc>*,  £".  Paraphrase  pour  orgue-niélodiuni.        .        .        . 

Lux,  F.  Prélude  du  3'  acte  pour  orgrue 

Obp>"f^?/r.  C^.  Chant  de  Walther  pour  harpe   .... 
Singch'-e,  J.  B.  Fantaisie  brillante  pour  violon  et  piano  . 
Golter^nan.  (.  hant  de  Walther,  pour  violoncelle  et  piano 
Wioïiede,  F.  id-e).  Morceaux  lyriques  pour  violoncelle  et  piano 
N*  1.  Walther  devant  les  Maîtres 

N"  2.  Chant  de  Walther 

WilhelmJ,  A.  Chant  de  Walther,  paraphrase  pour  violon  avec 
accompag.  d'orchestre  ou  de  piano.  Partition 
L'accompagneuiCiit  d'orchestre, 

"de  piano      .... 


1  75 

2  25 
1  75 
1  75 

1  75 

2  « 
1  25 

1  75 

2  y 

2  .1 
2  25 
2  - 
2  25 

1  35 

2  25 
2  . 
2  50 
1  75 


35  '" 
3  50 
2  25 

2  25 

3  50 

2  25 

3  75 


50 


50 
25 
25 
2  25 

2  - 

3  y 
5    1" 

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REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LÀ  LITTÉRATURE 


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l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


Sommaire 


La  SITUATION'  DE  l'art  EN  Bklgique.  A  p^^pos  dc  V E:r position 
internationale  des  Beaux- Arts  à  Anvers,  —  L'éducation  de 
l'artiste,  par  Ernest  Chesneau.  —  Livres  nouve.a.ux.  Causeries 
sur  les  artistes  dé  mon  temps,  par  Jean  Gigoux  ;  Jeanne  d'Arc, 
par  Marius  Sedet  ;  Henri  IV  et  la  princesse  de  Condé,  par  Paul 
Henrard.  —  Notes  de  musiOue  Concert  du  Conservatoire  de 
Liège.  —  Exposition  universelle  d'Anvers.  —  Le  Capitaine  noir. 
—  Mémento  des  expositions  et  concours.  —  Petite  chronique. 


lA  SITIATI0\  DE  L'AIIT  EX  BELGIQUE 

A  propos  de  TExposition  internationale 
des  Beaux -Arts  à  Anvers. 

Les  expositions  générales  sont  un  moyen  très  efficace 
de  toiser  le  niveau  de  l'art.  La  fonction  de  juré  pour 
l'admission  des  tableaux  en  est  un  bien  meilleur.  Ce 
qu'on  voit  alors,  ce  n'est  plus  seulement  le  choix,  qui, 
quelque  imparfait  soit-il,  n'en  est  pas  moins  un  choix^ 
mais  l'ensemble  brut,  impudemment  réel,  tel  que  le 
donne  sans  restriction  la  production  nationale.  Ce  n'est 
plus  le  régiment  des  hommes  ayant  la  taille,  exempts 
d'infirmités  ou  de  maladies,  mais  la  cohue  des  miliciens 
avant  les  opérations  du  conseil  de  revision.  Au  lieu  de  la 
taille  militaire,  c'est  la  taille  moyenne  vraie  de  la  popu- 
lation. 

Nous  sortons  d'en  prendre  à  l'occasion  de  la  pro- 
chaine exposition  d'Anvers  et  nous  nous  écrions,  fort 
navré  :  Hélas!  quelle  moyenne! 

Ce  ne  serait  rien  s'il  ne  s'agissait  que  de  l'inévitable 


l 


déchet  provenant  de  ce  (^u'il  y  a  couramni-ut  b<)ii  nom- 
bre d"iilu.-5ionné<  qui,  nés  puur  brosser,  ont  confondu  la 
brosse  â  peindre  avec  la  brosse  à  cirag'e.  Il  y  aura  tou- 
jours des  artistes  de  contrebanile,  toujours  des  ama- 
teurs incurables,  toujours  des  demoiselles  qui,  victimes 
de  la  galanterie  qui  ment  pour  plaire,  n'apprennent 
jamai>5  que  leurs  jolis  doigts  font,  en  peignant,  d'abo- 
minables choses.  Mais  depuis  quelques  années  le  bruit 
courait  que  l'art  belge  se  dépeuplait,  que  les  nouveaux 
venus  manquaient  pour  remplacer  les  anciens  illus- 
tres ({ue  fauchait  la  mort,  que  les  survivants  fléchis- 
saient. Or,  voici  que  la  revue  monstre  de  deux  mille 
trois,  cents  tableaux  qui  vient  de  s'achever  fournit  une 
-  confirmation  écrasante  de  ces  appréhensions. 

Nous  pouvons  attester  avec  une  grande  sincérité  que, 
sans  distinction  d'école  ou  de  préférences  artistiques, 
aucun  esprit  impartial  n'aurait  échappé  à  cette  impres- 
sion après  le  défilé  qui  a  eu  lieu  devant  le  jury  d'ad- 
mission à  Anvers.  A  notre  avis,  si  parmi  les  œuvres 
reçues  en  très  petit  nombre  (un  peu  plus  de  trois  cents), 
il  éa  est  une  cinquantaine  qui  n'ont  été  accueillies  que 
grâce  à  l'inévitable  camaraderie  ou  à  la  courtisanerie 
plus  inévitable  encore,  il  n'y  en  a  pas  dix  qui  ont  été 
écartées  à  tort.  Et  nous  ne  visons  pas  la  médiocrité 
douteuse,  contestable  suivant  les  préventions  et  les 
préjugés,  mais  la  médiocrité  évidente,  indiscutable, 
imposant  l'exécution  immédiate  et  impitoyable.  Rien 
ne  peut  donner  une  idée  d'un  tel  cortège  de  choses 
loqueteuses,  bè tes,  communes,  criardes,  grotesques, 
malades,    misérables,    se  fondant  finalement  en  une 


mare  immense  où  la  tristesse  et  la  gaîté  mêlent  leurs 
eaux.  Tantôt  ce  sont  des  imprécations  qui  vous  mon- 
tent aux  dents,  tantôt  des  goguenardises,  de  celles  entre 
autres  qui  furent  si  bien  exprimées  en  ces  yersiculets 
célèbi'es  ;   . 

Un  formidable  déballage 
S'offre  navrant  à  nos  regard»  : 
C'est  le  gigantesque  étalage 
Qui  doit  encourager  les  arts! 
Ce  sont  des  saints  battus  de  verges. 
Des  fleurs,  des  fruits  et  des  asperges,  . 
Et  des  scènes  dans  les  auberges, 
Des  nymphes  prenant  leurs  ébats. 
Des  bois  touffus;  des  plaines  vertes, 

Des  roches  de  mousse  couvertes, 

Des  chaudrons,  des  huîtres  ouvertes, 

Des  marines  et  des  soldats. 

Est-ce  prudent,  je  le  demande. 

Par  l'amorce  d'une  commande. 

D'une  croix  qui  les  affriande, 

D'exciter  de  braves  garçons, 

Pas  nés  pour  être  des  étoiles. 

A  barbouiller  de  grandes  toiles, 

Dont  on  ferait  de  bonnes  voiles 

Et  des  chemises  de  maçons? 

Des  beaux  arts  si  j'étais  ministre, 

Ou  secrétaire  seulement. 

Pour  éviter  plus  d'un  sinistre 

Je  dirais  au  gouvernement 

«  Assez  de  croix  et  de  médailles, 

«  Gardez-les  pour  d'autres  batailles. 

«•  Endiguez,  par  tous  les  moyens, 

•♦Le  torrent  fou  de  la  peinture; 

«  Méfiez-vous  de  la  sculpture 

t  Et  rendez  à  l'agriculture 

*  Les  bras  de  tant  de  citoyens.  »»  , 

Il  est  fâcheux  que  la  colère  qui  a  dû  se  déchaîner 
comme  un  ouragan  dans  le  monde  dit  artistique,  après 
la  rentrée  au  pigeonnier  natal  des  deux  mille  tableaux 
voyageurs  sur  lesquels  a  été  appliquée  la  pastille  bleue 
de  l'ostracisme,  n'ait  pas  eu  son  effet  habituel  de  pro- 
voquer l'ouverture  d'un  salon  des  refusés,  mais  un 
salon  sincère,  ne  comprenant  pas  seulement  les  quel- 
ques bonnes  œuvres  que  le  jury  a  exclues  pour  ne  pas 
manquer  à  l'usage  et  ne  pas  faire  la  leçon  à  ses  prédé- 
cesseurs, mais  toutes  celles  qu'a  frappées  le  bannisse- 
ment. Pareille  contre-épreuve  eût  été  décisive:  Mais 
puisque  ce  moyen  radical  ne  se  réalisera  pas,  ne  pour- 
rait-on tout  au  moins  grouper  quelque  part_^s  objets 
de  tous  les  refus  qu'on  Iprétend  faire  passer  pour  des 
iniquités,  en  y  donnant  les  places  d'honneur  à  ceux 
dont  les  auteurs  sont  le  plus  furieux?  Ce  serait  aussi 
une  bien  belle  expérience  ! 

Si  les  uns  allèguent  que  le  jury  a  été  inintelligent  et 
partial,  ce  que  nous  n'admettons  que  dans  les  limites 
restreintes  que  nous  avons  indiquées  plus  haut, 
il  en  est  qui  n'expliquent  la  Bérésina  anversoise  que 
par  l'abse^ice  des  forces  les  plus  vives  de  notre  école 
nationale,  se  défiant  des  hommes  à  qui  le  gouverne- 


ment avait  donné  la  mission  de  les  juger,  et  résolus  à 
attendre  des  occasions  plus  garantissantes.  Certes, 
il  y  a  eu  quelques  abstentions  regrettables  d'artistes 
désormais  bien  classés,  mais  elles  sont  en.  petit  nombre. 
Il  est  très  aisé  de  les  nommer  et  on  ne  saurait  à  ce 
sujet  donner  le  change.  On  peut  sans  peine  compléter 
en  esprit  l'ensemble,  en  les  supposant  présents,  et 
franchement  le  correctif  qui  en  résulterait  ne  su  (lirait 
pas  à  rétablir  la  situation.  Dans  le  fa«le  et  gigantcMjue 
potage,  ces  quelques  grains  de  piment  anth<'ii tique 
se  serai(  nt  perdus  î-ans  le  rendre  digérabh;. 

Ainsi  donc,  d'une  part  un  contingent  énorni!^  «l'œu- 
vres  de  pacotille,  licencié  et  renvoyé  dans  ses  f(yyt^r.s. 
D'autre  part,  un  groupe  fort  restreint  d'œnvres  a<l()p- 
tées  auxquelles  le  jury,  par  mesure  de  salut,  public,  en 
a  ajouté  une  centaine  de  nouvelles,  presqu<v  toutes 
récentes,  demandées  la  plupart  aux  abstentionnistes  des 
premières  heures  et  accordées  avec  em[)r(;.^sement. 
Grâce  aux  exclusions  sévères  qui  ont  été  (ailes  et  au 
complément  normal  ainsi  obtenu,  l'art  belge  à  l'expo- 
sition d'Anvers  tiendra  convenablement  son  rang  On 
n'entendra  pas  de  fausses  notes  trop  ijombreuscs.  Une 
certaine  harmonie  générale  régnera.  Il  n'y  aura  pas 
matière  à  s'émerveiller,  mais  il  n'y  aura  pas  lieu  non 
plus  de  se  désoler,  ni  surtout  de  ridiculiser  1<>  pauvre 
belge.  Nous  donnerons  le  diapason  n(m  pas  de  notre 
concert  artistique  véritable,  mais  celui  ([ue  nous 
pouvons  atteindre  encore  en  procédant  à  des  élimina- 
tions rigoureuses,  en  surveillant  de  très  près  les  exécu- 
tants, en  guindant  au  plus  haut  point  toutes  nos  res- 
sources. Ce  sera  non  pas  la  vérité,  mais  une  repr/. ten- 
tation bien  combinée,  adroitement  préparée.  Notre  fée 
artistique  ne  se  montrera  pas  en  sa  nuditt',  juiueile- 
ment  peu  séduisante,  mais  attife  et,  fanléo  de  son 
mieux. 

Pour  l'étrangerce  sera  assez  Mais  pour  nous,  quand, 
la  fête  terminée,  nous  reviendnms  A  la  réalit/'.  ?;ue  de 
réflexions  à  faire, que  de  craintes  à  avoir!  C'est  l'i, vrai- 
ment, l'intérêt  principal  de  ces  récents  incidents  et 
c'est  sur  lui  que  nous  voulons  attirer  lattiMiiion.  Un 
rôle  ne  se  soutient  jamais  longtemf)s,  il  exige  l'emploi 
de  trop  de  procédés  factices.  Or,  il  faut  avouer  (lue  c  est 
bien  un  rôle  que  nous  allons  jouer,  quand  on  compMro 
ce  que  notre  exposition  sera  avec  ce  qu'est  la  .vitiiaiion 
réelle  de  notre  art  telle  que  l'ont  révélée  les  euvt)is 
étonnants  dont  on  vient  de  f  are  1  epluchage. 

Qu'on  n'objecte  pas  qu'il  en  est  toujours  ainsi  en  cas 
d'exposition,  que  c'est  un  phénomène  auquel  n  échappe 
aucune  nation,  ni  aucune  époque.  Non,  jamais  il  n'a 
atteint  pareille  intensité.  Dans  nos  expositions  anté- 
rieures, on  refusait  d'ordinaire  moins  d'un  ti<'rs  des 
œuvres  envoyées.  Cette  fois  on  est  arrivé  aux  sept  hui- 
tièmes! Le  jury  a  été  plus  revèche,  mais  cela  ne  suffit 
pas  à  expli^er  l'écart,  et  pour  ceux  qui  ont  assisté  au 


passage  de  cette  flotte  de  productions  carnavalesques, 
la  raison,  répétons-le,  est  surtout  dans  leur  infirmité 
désolante.  Le  mot  qui  venait  sur  toutes  les  lèvres, 
c'était  :  Décadence!  Décadence  en  plein  !  Et  pourtant 
Ton  sait  si  par  labus  qu'en  font  les  énervés  et  les  ratés 
de  la  littérature,  c'est  là  un  vocable  dont  ceux  qui  ont 
riiorreur  des  locutions  agaçantes  s'abstiennent  reli- 
gieusement. 

Voir  ces  misères,  essayer  de  les  préciser,  en  recher- 
cher les  causes,  sont  des  actes  qui  s'enchaînent  irrésis- 
tiblement. Ils  s'imposent  d'autant  plus  que  certains 
mouvements  isolés  ont  pu  donner  l'illusion  d'un  renou- 
veau artistique,  ce  qui  fut  un  peu  notre  cas  dans  ces 
derniers  temps,  quand,  mêlé  à  la  bataille  de  ceux  qui 
ne  veulent  pas  être  entraînés  par  la  dégringolade  géné- 
rale, nous  subissions  l'aimantation  de  leurs  efforts  et 
de  leurs  victoires  locales.  Revenant  sur  nous-méme  et 
classant  dans  l'ensemble  les  résultats  de  ces  luttes  vail- 
lantes, nous  comprenons  quelle  illusion  c'est  de  croire 
qu'elles  suffiront  au  salut  commun  et  que  les  hommes 
qui  les  mènent  pourront  à  eux  seuls  assurer  le  recrute- 
ment des  phalanges  qui  se  dépeuplent. 

Ce  qui  subsiste  comme  résidu  du  spectacle  auquel 
nous  venons  d'assister,  c'est  que  si  l'école  démodée  qui 
cherche  ses  sujets  dans  l'imagination  où  le  passé  fait 
place  chaque  jour  plus  largement  à  celle  qui  s'adresse 
directement  à  la  réalité  ambiante,  cette  dernière  prend 
trop  au  pied  de  la  lettre  le  principe  sa-lutaire  qui  la 
guide,  et  aboutit  ainsi  à  une,  matérialité  brutale  qui 
méconnaît  la  maxime  de  Courbet  :  MeUez-i:oiis  devant 
la  nature,  puis  faites  ce  que  vous  sentez  et  non  sirn- 
plement  ce  que  vous  voyez,  répétée  en  une  autre  forme 
par  la  maxime  de  Zola  :  L œuvre  d'art,  cest  la  nature 
vue  à  travers  un  tenipéy^ameyit.  Absence  de  sentiment 
personnel,  dans  la  figure  plus  encore  que  dans  le  paysage. 
De  la  photographie  perfectionnée  jusqu'à  la  reproduc- 
tion des  couleurs.  Pour  les  uns,  quant  à  la  composition 
et  au  dessin,  les  plus  plates  applications  des  formules 
académiques,  pour  les  autres  la  reproduction  banale 
des  épisodes  les  plus  vulgaires.  Plus  de  grands  jets, 
plus  d'élan,  plus  de  flamme.  Rien  de  ce  qui  constitue  la 
nature  artistique  dans  son  essence,  cet  abandon  origi*. 
nal,  cette  allure  à  la  fois  puissante  et  élégante,  ce 
charme  de  l'individualité  nettement  accusée ,  cet 
imprévu,  ces  trouvailles,  cette  aisance  qui  font  les 
belles  œuvres.  Un  niveau  toujours  égal  dans  le  groupe 
des  naturalistes,  comme  dans  le  groupe  des  académi- 
ques. Une  torpeur  endémique,  un  essoufflement,  un 
fléchissement  aboutissant  à  la  dissolution  de  tout  le 
monde  dans  une  marmelade  bourgeoise.  Plus  d'étin- 
celle, plus  de  choc.  Un  jymphatisme  universel. 

C'est  triste  à  dire,  etj  pourtant  il  est  nécessaire  de  le 
dire  On  ne  peut  se  résojidre  à  penser  que,  dans  l'évolu-  ^ 
tion  fatale  des  lois  qui  font  monter  ou  descendre  les 


civilisations,  la  parole  qui  indique  le  mal  à  guérir, 
où  le  progrès  à  poursuivre,  soit  destituée  de  toute 
influence.  Et  alors  même  que  les  d|iscours  seraient  vains 
comme  les  cris  de  (Jouleur,  encor^  ne  peut-on  avoir  tou- 
jours la  force  de  les  comprimer.  Et  de  même,  invinci- 
blement, on  se  met  à  la  recherche  des  causes,  même 
quand  on  doute  que  ce  soit  un  labeur  efficace.  On  se 
demande  si  la  descente  à  laquelle  nous  assistons  n*a  pas 
sa  raison  principale  dans  l'absence  d'instruction  de  la 
plupart  de  nos  artistes,  dans  la  pauvreté  de  leurs  idées, 
dans  le  défaut  de  caractère,  dans  l'insuffisance  de 
hauteur  dans  l'esprit.  Ils  sont  laborieux  et  pleins  de 
bon  vouloir,  ils  aiment  la  nature  et  se  campent  volon- 
tiers en  face  d'elle  comme  la  meilleure  inspiratrice, 
mais  cela  ne  suffit  pas.  Quand  on  parcourt  la  corres- 
pondance des  maîtres,  on  est  incessamment  frappé  de 
l'étendue  de  leurs  connaissances,  de  leur  grandeur 
d'âme,  de  leur  indépendance  vis-à-vis  de  l'opinion  et 
des  puissances,  de  la  fermeté  de  leur  caractère.  On  sent 
que  ces  qualités  d'élite  étaient  les  réservoirs  abondants 
de  leurs  inspirations,  que  c'est  là  qu'ils  ont  trouvé  ces 
quelques  accents  qui,  ajoutés  à  une  œuvre,  la  font 
passer  du  médiocre  au  sublime,  et  l'on  se  dit  que  celui 
qui  ne  les  a  pas  reste  toujours  aux  degrés  inférieurs, 
et  que  si  toute  une  populatio^  artistique  les  dédaigne, 
l'art  du  pays  où  elle  vit  doit  inévitablement  s'affaisser. 
En  Belgique,  par  des  causes  multiples  dont  les  prin- 
cipales tiennent  à  notre  organisation  sociale,  Tesprit 
général  de  la  nation  devient  de  plus  en  plus  mesquin 
Nulle  classe  n'y  échappe  et  les  artistes  en  sont  atteints. 
Il  y  a  une  tendance  commune  à  compter  pour  réussir 
sur  les  complaisances,  la  subalternisation  volontaire, 
le  culte  de  la  fortune  et  de  l'autorité,  les  condescen- 
dances pour  les  goûts  de  la  foule.  L'intransigeance, 
qui  faisait  répondre  par  Delacroix  à  un  ministre  qui 
lui  conseillait  de  changer  son  art  :  Quand  le  soleil  et  les 
étoiles  changeraient,  je  ne  changerai  pas,  est  décon- 
seillée et  provoque,  quand  elle  ose  s'affirmer,  un  déchaî- 
nement sauvage,  une  ruée  d'anthropophages  de.  tous  les 
impuissants  soutenus  par  une  presse  qui  a  pour  devise  : 
Rangeons-nous  avec  les  médiocres,  ils  sont  les  plus  nom- 
breux. L'âme  de  la  nation  s'amoindrit.  Quoi  d'étonnant 
que  l'art,  qui  est  son  expression  la  plus  caractéristique, 
s'amoindrisse  à  son  tour?  Et  comme  pour  accomplir 
cette  fonction  de  flatter  les  appétits  vulgaires,  l'instruc- 
tion, qui  seule  donne  le  sentiment  des  nuances  raffinées 
jusqu'au  sublime,  est  superflue,  on  ne  prend  plus  la 
peine  de  l'acquérir  en  se  soumettant  aux  labeurs  sans 
lesquels  jamais  elle  ne  se  livre.  L'art  veut  des  héros, 
comme  toutes  les  grandes  choses.  Bientôt  nous  n'aurons 
plus  que  des  bonshommes.  Seul  un  sursaut  de  nos  cœurs 
peut  nous  sauver  de  cet  anéantissement  pour  lequel  il 
en  faut  bien  revenir  à  ce  mot,  unique  et  odieux  :  La 
Décadente! 


L'EDUCATION  DE  L'ARTISTE 

par   Ernest   Ghesneau.    P^ris,    Gharavay. 

D'après  ï'aulcur  de  ce  livre,  les  ans  sont  en  décadence  dans 
loiiles  les  contrées  de  l'Europp,  parce  que  l'éducalion  de  l'artiste 
est  insuffisante,  parce  que  le  personnel  de  Tart  se  recrute  pour  la 
plus  grande  partie  dans  les  classes  illettrées,  et  ne  comprend 
d'ailleurs  l'idéal  que  par  ses  côtés  négatifs,  parce  que  notre  école 
en  est  restée  à  l'idéal  romain.  M.  Chèsneau  cherche  de  bonne  foi 
les  moyens  de  conciliation,  les  condilionls  de  l'accord  indispen- 
sable entre  l'art  et  la  société  moderne.  Il  conclut  coniro  l'art  cos- 
mopolite et  tradilionaliste  a  en  faveur  de  l'individualisme  et  du 
nationalisme  des  écoles  ».  Ce  qui  manque  à  l'artiste,  c'est  Védu- 
calion,  c'est-k-dire  l'acquisition  complète  des  qualités  intellec- 
tuelles où  s'alimente  l'imagination,  l'onlier  développement  des 
qualités  morales  qui  donne  la  clef  des  senlimonls  et  dos  passions, 
l'e.xpérience  sociale  qui  permet  de  juger  les  besoins  de  l'homme 
et  de  les  exprimer.  Sans  éducalion  générale,  pas  d'arlisle,  j'en- 
tends d'artiste  supérieur.  I)('jà  en  i782,  Waielel  disait  que  le 
plus  grand  nombre, des  jeunes  artistes  n'apportent  pas  dans  les 
arts  l'éducation  préparatoire  qui  leur  serait  nécessaire^  et  que  cet 
inconvénient  influe  sur  le  progrès  général  de  l'art.  Le  temps  n'a 
pas  affaibli  la  justesse  de  celle  opinion  de  Walelet.  Les  artistes 
peuvent  être  divisés  en  deux  classes-  :  les  uns,  qui  ont  trop  pré- 
sumé de  leurs  forces,  s'épuisent  dans  une  lutte  incessante  contre 
les  difficultés  de  l'art  et  contre  la  misère,  et  végètent,  à  la  fois 
médiocres  et  arrogants,  aigris  par  les-succcs  des  auires,  s'obsli- 
.nant  par  amour- propre  à  demeurer  dans  leur  carrière,  à  la  charge 
du  budget  des  beaux-arts  et  à  charge  à  eux-mêmes;  les  autres, 
qui  réussissent,  qui  arrivent,  comme  on  dit  aujourd'hui,  après 
avoir  traversé,  il  est  vrai,  de  cruels  moments,  essaient  vainement 
de  combler  par  la  leclure  les  vides  énormes  de  leur  éducalion  el 
ne  prennent,  pour  ainsi  dire,  que  la  surface  des  connaissances 
qui  leur  seraient  nécessaires.  Nous  exceplons  naturellement  les 
hommes  de  génie,  car  le  génie,  précisément  parce  qu'il  est  le 
génie,  surmonte  tous  les  obstacles.  Mais  l'on  peut  dire  qu'élanl 
donnés  deux  artistes  également  bien  doués,  le  lettré  sera  mieux 
armé  que  ï illettré  ci  tirera  un  meilleur  parti  de  l'instrument  mis 
en  ses  mains  par  la  nature  et  perfectionné  p;ir  l'éducation.  11  fau- 
drait donc  simultanément  développer  léilucation  scientitique  et 
littéraire  des  classes  illettrées  et  favoriser  l'éducation  artistique 
des  classes  lettrées.  De  la-,  les  cours  d'histoire,  d'archéologie,  de 
sciences  aj)pliquées,  ouverts  en  France  à  l'Ecole  des  beaux-arts; 
de  là  une  riche  bibliothèque  fondée  à  cette  même  école;  de  là 
l'atelier  d'art  dé<^oratif,  etc.  On  sent  que  Tarliste  'doit  être  autre 
chose  qu'une  machine  à  peindre  et  à  modeler,  qu'il  doit  être  un 
homme  dans  toute  l'acception  du  mot  et  avoir  l'esprit  ouvert  sur 
toutes  les  formes  de  l'intelligence  humaine.  Mais  les  mesures 
prises  par  l'administration  des  beaux-arts  ne  suffisent  pas;  il  faut, 
dit  M.  Chèsneau,  généraliser  l'enseignement  du  dessin,  et  le 
rendre  obligatoire  dans  tous  les  établissements  d'éducation,  de 
sorte  que  tout  homme  sache  dessiner  comme  il  sait  écrire.  Le 
dessin  ne  doit  plus  éire  une  sorte  de  superflu  élégant,  et  comme 
un  art  d'agrément,  il  doit  occuper  dans  l'ensemble  dés  études 
la  part  qu'on  a  faite  dans  ces  derniers  temps  aux  sciences  et  aux 
langues  vivantes.  M.  Chèsneau  s'arrête  ici  de  préférence  aux  éta- 
blissements d'instruction  du  second  degré.  Car,  pour  les  classes 
populaires,  les  classes  iHborieuses,  comme  on  les  nomme  actuel- 


lement, le  mouvement  a  été  donné  aux  écoles  primaires  et  ne 
s'arrêtera  plus.  Les  jeunes  gens  les  plus  habiles,  les  plus  distin- 
gués dans  les  concours  de  dessin  sortent  des  écoles  populaires, 
et  c'est  à  eux  qu'appartient  l'avenir  de  l'art,  si  les  classes  lettrées 
restent  inactives.  Or,  ne  vaut  il  pas  mieux  que  l'artiste  appar- 
tienne à  ces  dernières,  qu'il  ait  eu  dès  ses  premières  années  une 
■'  éducation  vaste  et  développée  qui  ait  dirigé  son  intelligence  dans 
toutes  les  directions?  Ceux-là  seuls  qui  ont  eu  une  instruction 
générale  comprennent  que  l'art  touche  à  toutes  choses,  ceux-là 
seuls  ont  l'habitude  de  généraliser  et,  loin  d'isoler  l'art  de  toutes 
les  autres  manifestations  iniellectuelles  et  d'en  faire  un  métier 
tout  pratique,  oui,  comme  écrit  M.  Chèsneau,  Une  juste  notion  de 
leur  rôle  «  qui  est,  en  somme,  cfe  fixer  pour  les  yeux  de  races 
futures  l'ondoyant,  le  fugitif,  le  fluide  de  l'âme  moderne,  en 
même  temps  que  les  cerliludes  de  l'esprit  de  ce  temps  ».  Voyez, 
nous  dit  encore  M.  Chèsneau,  les  artistes  de  notre  époque;  ce 
qui  fait  défaut  à  la  plupart  d'entre  eux,  c'est  la  largeur  des  aper- 
çus qu'apporte  l'étude  de  l'histoire  el  des  lettres  classiques,  la 
faculté  de  comparer,  de  raisonner,  de  juger,  de  régler  leurs 
imi)ressions  purement  iiislinctives,  la  «  gymnastique  mentale  ». 
S'ils  comj)renaient  que  l'art  n'est  pas  tout  en  ce  monde  et  qu'on 
ne  peut  le  séparer  sans  péril  des  autres  manifestations  de  l'esprit, 
ils  seraient  moins  vaniteux,  moins  enfants  gâtés;  ils  se  dépouil- 
leraient de  leur  esprit  étroit  el  exclusif;  ils  ne  mépriseraient  pas 
les  bourgeois  el  tous  ceux  qui,  quoique  incapables  de  manier 
l'ébauchoir  ou  la  brosse,  travaillent,  autant  qu'eux,  au  progrès 
et  au  bien-êlre  général.  M.  Chèsneau  va  plus  loin  et  il  émet  ici 
une  réflexion  originale.  Nos  artistes,  enfermés,  murés  dans  un 
milieu  spécial,  sans  vue  d'ensemble,  sans  souci  des  divers  modes 
d'activité  intellectuelle,  voient  leur  horizon  se  rétrécir  à  mesure 
que  s'avance  leur  vie  el  tournent,  pour  ainsi  dire,  dans  un  cercle 
de  plus  en  plus  restreint.  S'ils  avaient  à  leur  service  les  res- 
sources d'une  instruction  forte  el  variée,  n'auraient-ils  pas  dans 
leurs  œuvres  plus  de  souplesse  el  de  fi'condilé,  et  n'y  aurait-il 
pas  chez  eux  comme  «  un  renouvellement  incessant  de  produc- 
tion »?  Il  faut,  dit  encore  M.  Chèsneau,  que  l'arliste  ait  vécu  par 
l'esprit  avec  les  idées  et  les  héros  (ju'il  entreprend  de  représenter. 
—  Mais  les  dillettantes,  les  médiocres  vont  pulluler  plus  que 
jamais!  —  Au  contraire,  répond  M.  Chèsneau,  moins  que  jamais 
on  sera  tenté  de  «  faire  de  l'art  ».  Combien  de  içens  deviennent 
artistes  parce  que  l'art  ne  consiste,  selon  eux,  qu'à  fumer  des 
cigarettes,  à  porter  un  chapeau  mou  et  une  vareuse  rouge,  à 
organiser  des  «  scies  »  d'atelier,  à  pérorer  dans  les  brasseries! 
Dès  que  tout  le  monde  saura  dessiner,  on  comprendra  qu'il  ne 
suffit  pas  de  crayonner  tant  bien  que  mal  el  de  gâcher  des  cou- 
leurs, pour  usurper  le  litre  d'arlisle;  on  verra  qu'il  faut  travailler 
là  comme  partout  et  peul-êlre  plus  que  partout;  on  jugera  par 
soi-même  du  mérite  des  œuvres  d'art;  on  ne  reconnaîtrait  comme 
artistes  que  les  talents  originaux  et  sans  banalité. 

M.  Chèsneau  ne  s'est  pas  borné  à  ces  considérations;  il  étudie 
dans  le  reste  de  son  livre  l'art  contemporain  dans  ses  rapports 
avec  les  mœurs,  les  tendances,  les  besoins  intellectuels,  les  cou- 
rants d'idées,  les  senlimenls  et  les  passions  de  la  société  mo- 
derne. Dans  une  suite  de  chapitres  oii  il  tente  de  préciser  les 
exigences  des  d'wcrs  ge7ires,  il  s'appuie  sur  de  nombreux  exemples 
empruntés  à  la  production  du  V Ecole  française  depilis  dix  ans. 
Somme  toute,  l'école  française  lui  laisse  une  assez  triste  impres- 
sion, il  n'y  voit  que  des  forces  futilement  gaspillées,  des  eflforls 
tentés  à  l'aventure,  sans  but  ni  direction,  pardésir  de  ])laire, 


LART  MODERNE 


133 


d amuser  et  de  vendre;  il  lui  semble  que  les  artistes  français 
vivent  à  l'écart  de  notre  sociéié»  dans  un  monde  de  ficlion,  et 
qu'ils  n'aient  jamais  éprouvé  le  heurt  de  ce  grand  mouvement 
qui  secoue  aujourd'hui  notre  humanité.  Plus  de  pensée,  plus  de 
grandes  compositions  qui  exigent  le  temps,  l'étude  et  rargcnt. 
Le  nu,  encore  le  nu,  toujours  le  nu,  un  nu  sans  goût  ni  vérité, 
pratiqué  à  l'aide  de  formules  aisées  et  débité  comme  marchandise 
d'exportation  aux  parvenus  des  deux  mondes.  Nymphes,  Bac- 
chantes, Satyres,  modèles  d'académie.  Les  malheureux,  s'écrie 
M.  Chesneau,  à  quoi  pensent-ils?  En  être  encore  aux  banalités  de 
l'école  romaine,  pis  que  cela,  de  l'école  bolonaise  revue  et  corri- 
gée par  Louis  David,  Ingres  et  Bouguereau! 

L'étude  de  M.  Chesneau,  composée  au  lendemain  de  l'Exposi- 
tion internationale,  appelait  un  examen  rapide  des  Ecoles  étran- 
gères. Voici  ce  que  dit  le  critique  de  la  Belgique  :  «  L'école 
belge  a  droit  à  des  jugements  sincères.- Ses  peintres  d'histoire 
connaissent  à  fond  leur  métier  et  en  pratiquent  toutes  les  res- 
sources avec  une  très  grande  habilité;  on  peut  exiger  beaucoup 
d'eux,  beaucoup  plus  qu'ils  no  donnent.  Ils  ont  tout  pour  être 
de  grands  artistes,  excepté  d'être  artistes,  c'est-à-dire,  aventureux 
et  poètes  ». 

Voici  maintenant  sa  conclusion  sur  la  peinture  en  Europe  : 
jamais  peintres  et  statuaires  n'ont  été  si  généralement  adroits, 
jamais  il  n'y  a  eu  plus  de  simulacres  de  talent,  mais  on  perd  le 
sens  et  le  goût  de  la  grandeur;  «  ce  que  les  arts  ont  acquis  en 
habiletés  sensuj>lles  de  la  main,  Vart  l'a  perdu  en  majesté  ». 

A.  M.  0 


JilVRE^    NOUVEAUX 


Causeries  sur  les  artistes  de  mon  temps,   par  M.  Jean 
GiGoux,  orné  d'un  portrait  de  l'auteur.  Paris,  Calmann-Lévy. 

Le  peintre  Jean  Gigoux,  qui  fil  sa  réputation,  il  y  a  quelque 
cinquante  années,  avec  la  Mort  de  Cléopâtre,  la  Prise  de  Garni, 
la  Bonne  aventure^  la  Mort  de  Léonard  de  Vinci  et  de  remar- 
quables portraits  de  Lamartine,  de  Fourier,  de  Sigalon,  de  Con- 
sidérant, d'Arsène  Houssaye,  vient  de  publier  chez  Calmann-Lévy 
un  livre  très  curieux.  C'est  un  amusant  bavardage  sur  les  célé- 
brités avec  lesquelles  il  fut  en  relations.  Et  elles  furent  nom- 
breuses, lô  peintre  touchant  aujourd'hui  à  ses  quatre-vingts  ans. 

L'auteur  a  écrit  à  la  diable,  Sans  ornements,  presque  sans 
style;  mais  il  est  alerte,  vivant,  et  on  arrive  au  mot  «  fin  »  sans 
qu'on  s'en  soit  aperçu.  Avec  cela,  très  naïf  dans  ses  admirations 
comme  dans  ses  critiques,  méchant  parfois,  sans  le  vouloir,  avec 
la  plus  entière  bonhomie.  ^ 

Une  anecdote  sur  Ingres. 

Un  jour,  Gigoux  l'invite  à  venir  voir  deux  tableaux  qu'il  vonnit 
d'acheter,  tableaux  signés  du  nom  de  l'auteur  de  la  Source,  l/iin 
d'eux  était  le  portrait  de  Déléban.  «  Le  malheureux,  s'écrie  Ingres 
dans  une  sainte  colère,  il  s'est  vendu  lui-même  !  » 

De  David  d'Anç^crs,  Gigoux  révèle  les  commencements  doulou- 
rcux.  Quand  le  statuaire  faisait  partie  de  l'atelier  de  M.  Roland, 
il  en  était  réduit,  pour  vivre,  à  ramasser  les  croûtes  de  pain  dur 
qui  traînaient  et  qu'il  mettait  détremper. 

Un  mot  très  drôle  de  Préault  sur  Ingres  :  «  Un  Chinois  égaré 
dans  les  ruines  d'Athènes.  » 

■  i. 

(*;  Athenœum. 


Puis  un  autre,  du  même,  sur  Pradier  :  «  En  voilà  un,  disait-Il, 
qui  part  tous  les  jours  pour  Athènes  et  s'arrête  rue  de  Bréda.  » 

Lesrapins  de  l'école  de  1820  valaient  mieux  que  ceux  d'au- 
jourd'hui, ayant  des  visées  plus  hautes  et  moins  de  souci  de 
l'argent.  Dans  un  accès  de  joyeuse  humeur,  l'un  d'eux,  en  1848, 
pose  sa  candidature  et  l'affiche  en  ces  termes  sur  tous  les  murs  : 

tt  Nommons  Turbry  !  Pauvre  et  sans  talent,  il  représente  la 
majorité  des  Français  et  des  artistes!  » 

Jeanne  d'Arc,  par  Marius  Sepet.  —  Mame,  Tours. 

MM.  Alfred  Mame  et  fils,  éditeurs  h  Tours,  ont  mis  en  vente 
une  nouvelle  histoire  de  la  Puccllo  d'Orléans,  C'est  un  ma^ni- 
fique  volume  in-4°,  illustré  de  30  compositions  hors  texte  gravées 
par  Méaullo,  d'après  les  dessins  de  MM.  Andriolli,  Jos.  Diane, 
Barrias,  De  Curzon,  Edouard,  FriTmiel,  Hanoteau,  Jourdain, 
J.-P.  Laurens,  Le  BlânT,"  L'uminais,  Alborl  Maignan,  Maillart, 
Martin,  Rochogrosse,  Zier.  (Prix  :  1.")  francs.) 

Il  a  été  tiré  de  cet  ouvrage  loO  ex.  d'amateur  numérotés 
ainsi  répartis  :  63  sur  papier  de  llnllando,  50  fr.  ;  oO  sur  pa|)ier 
Whatmann,  60  fr.  ;  13  sur  papier  de  Chine,  73  fr.  ;  20  sur  papier 
du  Japon,  100  fr. 

Henri  IV  et  la  princesse  d.e  Condé,  daprès  des  documents 
inédits,  par  Paul  Henrard,  membre  de  TAcadémie  royale  de 
Belgique.  Bruxelles  et  Paris,  C.  Ml'Quardt. 

Si  le  nom  de  Henri  IV  est  resté  dé  nos  jours  aussi  populaire, 
c'est,  il  faut  en  convenir,  bien  moins  encore  peut  être  par  le  souvenir 
du  génie  politique  et  guerrier  du  premier  des  Bourbons  que  par  la 

réputation  de  vert-galant  que  lui  accorde  l'histoire et  la  chanson. 

Nous  ne  pouvons  l'évoquer  en  efTet  à  aiicune  époque  de  sa  carrière 
accidentée,  prince  de  Béàrn,  roi  de  Navarre  ou  de  France,  sans  voir 
apparaître  autour  de  lui  qœlque  gracieuse  figure  de  femme,  la 
Fosseuse,  Gabrielle  d'Estrée,  Henriette  d'Entragues,  etc.,  dont 
quelques-unes  ont  eu  sur  ses  actions  une  influence  incontestable. 

Toutefois  pour  la  conquête  de  nulle  d'entr'elles,  Henri  ne  dut  ni 
remuer  des  armées,  ni  menacer  l'Europe,  comme  il  le  fit  dans  la 
dernière  année  de  sa  vie  pour  essayer  d'arracher  à  l'asile  où  t'avait 
placée  son  mari  peu  complaisant,  celle  qui  devait  être  plus  tard  la 
mère  de  la  belle  M™^  de  Longueville  et  du  grand  Condé. 

Comme  toutes  les  amours  séniles,  la  passion  du  roi  pour  Margue- 
rite Charlotte  de  Montmorency,  Drinces^e  de  Condé,  dépassa  toute 
-  mesure;  sa  violence  entraîna  Henri  IV  àjdes  actes  insensés  que  l'on 
révoquerait  en  doute  si  les  seuls  mémoires  contemporains,  toujours 
sujets  à  caution,  nous  les  avaient  rapportés,  mais  qui  nous  sont 
confirmés  par  des  papiers  d'Etat  d'une  incontestable  authenticité. 
Le  récit  très -piquant  nous  en  est  donné  dans  le  livre  dont  nous 
citons  le  titre.  En  le  lisant,  on  avouera  que  l'histoire  a  parfois  des 
rencontres  que  les  romanciers  les  plus  fantaisistes  n'osent  imaginer. 


"NOTE^     DE    MUSIQUE 

♦ 

Concert  du  Conservatoire  de  Liège. 

Ce  concert  avait  un  intérêt  local  particulier  par  rexécution  de 
Mo'ina,  poème  héroïque  composé  par  \\n  jeune  musicien  liégeois. 
M.  Sylvain  Dupuis. 

Cette  grande  pièce  musicale,  flanquée  de  chonirs  et  de  solistes, 
résonne  des  échos  affaiblis  de  toute  espèce  de  musique,  sans  guère 
affirmer  encore  la  personnalité  et  le  tempérament  de  son  auteur. 

Massenet,  qui  y  a  laissé  le  plus  de  traces,  Reycr  et  même  Wagner 
s'y  coudoient,  alternant  leurs  apparitions  avec  des  soli  de  flûte  ou 
d'autres  instruments  de  bois  amincis  encore  par  l'emploi  qu'en  fait 


134 


ï:art  moderne 


V 


M.  Dupuis.  Tout  cela  peut  mener  au  prix  de  Rome,  aùi  avantages 
administratifs  <le  l'art  musical,  mais  cela  est  de  médioere  valeur 
artistique. 

M""  Jaëll  a  heurensenxent  établi  un  courant  artistique  réel  par 
son  interprétation  du  Concerto  eti  tni  bémol  de  Beethoven.  Elle  a 
satisfait  l'auditoire  par  l'autorité  et  la  sobriété  avec  lesquelles  elle  a 
joué  cette  œuvre.  Le  public  lui  a  fait  grand  succès.  Xcs  Variations 
sur  H7i  thème  de  Paganiui^  de  Brahms,  ont  particulièrement  émer- 
veillé la  salle;  mais  là  les  auditeurs,  nous  devons  le  reconnaître, 
n'applaudissaient  pas  à  la  synthèse  de  la  pianiste,  mais  bien  plutôt 
a  son  habileté,  qu'ils  croiront  retrouver  un  inatant  après  chez  n'im- 
porte quel  clown  de  la  virtuosité.    -- 

Henry  Fontaine  a  chanté  avec  une  belle  voix,  manquant  d'huma- 
iiité  malheureusement,  un  air  xlu  i^»vy*e/iMf«. 

h'Ouvertitre  des  Girondins,  de  Litolff.  œuvre  jumelle  de  VOuver- 
turc  de  Maximilien  Robespierre,  emportant  avec  elle  comme  sa 
sœur  un  grand  soufllle  populaire,  et  Y  Ouverture  de  la  licite  Mélusinc^ 
de  Meudelssoïin,  complétaient  le  programme. 


EXPOSITION  UNIVERSELLE  D'ANVERS 

Une  deuxième  exposition  des  Beaux- Arts  va  s'ouvrir  à  Anvers. 
C'est  la  Fédération  artistique  qui  en  informe  le  public  et  qui  veille 
à  son  organisation. 

L'exposition  sera  exclusivement  belge.  Elle  sera  disposée  dans  le 
hall  en  planches  construit,  en  face  du  Salon  officiel,  par  l'impré- 
sario Neurenberg,  pour  abriter  le  viliage  japonais  qui  sera  exhibé 
pendant  la  durée  de  l'Exposition.  Elle  comprendra  en  outre  une 
taverne  allemande  et  un  bar  anglais.  D'autres  attractions  de  tous 
genres,  dit  la  Fédération^  compléteront  l'entreprise. 

Le  tout  sera  éclairé  par  un  nouveau ^ys^ème  fourni  par  la  Compa- 
gnie du  gaz  d'Anvers  (lampes  Siemens)  et  on  pourra  y  rester  la 
journée  entière,  grâce  au  bar  et  à  la  taverne  servant  des  déjeuners 
froids,  dit  encore  la  Fédération. 

Titre  :  Salon  libre  de  l'Ecole  flamande.  Les  tableaux  sont  taxés 
à  5  francs  pour  leur  admission.  Aussitôt  vendus  (commission  20  p.  <^/o 
perçue  par  M.  Neurenberg)  ils  pourront  être  remplacés  par  d'au- 
tres. 

Il  n'est  pas  nécessaire  que  les  tableaux  soient  récents.  Aucune 
reserve  n'est  apportée  à  la  date  de  production. 

Les  prix  en  francs,  en  livres  et  en  dollars  figureront  au  catalogue. 

Comme  l'exposition,  i\\i\2i  Fédération,  doit  revêtir  un  caractère 
Juaitement  artistique,  une  commission  a  été  constituée  d'office,  com- 
posée d'artistes  de  toutes  les  villes,  sans  distinction  de  tendances, 
d'amateurs  et  de  journalistes. 

Les  journalistes  sont  MM.  Solvay,  Hannon,  MaxWaller,  etc. 

Les  artistes  qui  ont  échoué  devant  le  jury  officiel  trouveront-ils 
grâce  devant  ce  jury  officieux?  Il  est  à  espérer  que  oui.  Le  public 
aura  ainsi  un  moyen  de  contrôler  les  opérations  des  mandataires  du 
gouvernement,  et  cette  annexe  inattendue  du  S^n  des  Beaux-Arts 
deviendra  un  champ  de  bataille  pour  les  discussio^  artistiques.    . 

Il  est  même  regrettable  qu'on  ait  jugé  utile  de  nommer  une  com- 
mission. Une  exposition  générale  des  refusés  eût  été  plus  intéres- 
sante, plus  instructive,  plus  militante.  L'exposition  flamande  du  vil- 
lage japonais,  perpétue,  à  tort,  les  traditions  des  Salons  officiels; 
Elle  n'en  présentera  |ias  moins,  espérons-le,  son  intérêt. 


JjE  j3apitain£  noir 

Les  journaux  allemands  se  sont  occupés  avec  beaucoup  dé 
faveur  de.  la  représentation  de  l'opéra  de  notre  compatriote 
Joseph  McTlens  :  Le  Capitaine  noir.  Nous  rcproduiçoiis   avec 


plaisir  quelques  passages  de  ces  articles  extrêmement  clogicux, 
rcgrcllanl  de  ne  pouvoir  les  publier  en  entier  : 

f-  ■■"•'•      "        ■  .  • . 

Extrait  de  Y  Hamburger  Correspondent. 

La  soirée  d'honneur  de  M.  Emile  Krauss  recevait  une  consé- 
cration toute  spéciale  dès  la  première  rcprésenlalion  d'un  grand 
opéra  h(t\^(i^  Le  Capitaine  noir,  musique  de  Joseph  Mertens, 
favorisée  de  la  présence  du  compositeur  et  de  M.  H.  Flemmich, 
le  traducteur  de  l'œuvre,  un  ami  et  un  compatriote  de  l'auteur. 

La  musique  atteint  le  plus  liatil  degré  de  vérité  possible. 
M.  Merleris  s'est  montré  créateur  capable  et  méritant  d'une  œuvre 
qui  promet  de  dépasser  en  longévité  nombre  d'autres  opéras  nou- 
veaux, surtout  montée  aussi  excellemment  qu'elle  l'était  à  sa 
première  audition  à  notre  Sladl-Tliealcr. 

Kxiraa  t\c  la  Réforme  {de  Berlin). 

M.  Menons  possède  largement  toutes  les  qualités  nécessaires 
au  compositeur  pour  empoigner  son  public.  La  façon  dont  il 
écrit  pour  les  voix  et  son  orchestration  trahissent  partout  la 
longue  expérience  du  maître. 

Nous  sommes  heureux  de  pouvoir  constater  que  la  réception, 
faite  par  le  public  hambourgeois  au  nouvel  opéra,  a  été  on  ne 
peut  plus  enthousiaste.  Ça  a  été,  depuis  l'ouverture  jusqu'à  la  fin, 
une  ovation  continue. 

Eiilvâh  des  Hamburger  Nachrichlen. 

Il  est  rare  qu'une  œuvre  dramatique  ait  obtenu  un  succès 
aussi  colossal.  L'orchestration  révèle  le  praticien,  formé  dès  sa 
jeunesse  et  d'un  esprit  fin  et  intelligent.  Elle  est  très  sobre  et 
soutient  efficacement  les  chanteurs. 

Les  solis  et  les  duos  sont  parfaitement  traités  et  produisent 
avec  les  chœurs,  dans  les  grands  ensembles,  des  cflets  puis- 
sants. 


MEMENTO  DES  EXPOSITIONS  ET  CONCOURS 

Anvers.  —  Exposition  universelle.  Ouverture  le  2  mai  1885. 
Délais  d'envoi  expirés.  —  Salon  des  refusés.  Ouverture  en  mai. 
Renseignements:  1,  rue  de  l'Angle,  Bruxelles.  —  Salon  libre  de 
l'Ecole  flamande.  (Voir  plus  haut). 

Bruxelles  —  25*  exposition  de  la  Société  des  aquarellistes. 
Ouverture  le  1er  mai.  —  IIP  exposition  de  Blanc  et  Noir  à  YEssor. 

.  En  mai.  —  Exposition  historique  de  gravure,  par  le  Cercle  des 
aquarellistes  et  aquafortistes.  En   mai. 

Budapest.  —  Ouverture  le  l«r  juin.  Fermeture  le  30  septembre. 
En  deux  séries.  Délais  d'envoi  :  l"  série,  15  mai.  2«  série,  25  juillet. 
Transport  aller  et  retour  (petite  vitesse)  aux  frais  de  la  Société  hon- 
gix)ise  des  Beaux-Arts.  Dépôt  à  Bruxelles,  chez  M.  Mommen, 
25,  rue  de  la  Charité;  à  Anvers,  chez  M.  Claessens,  12,  place  du 
Poids  public.  —  Secrétariat  :  Sugarut,  81,  Budapest. 

Londres.  —  Exposition  internationale  d'instruments  de  musique. 
Ouverture  en  mai.  —  Exposition  de  la  Royal  Academy.  Ouverture 
le  l**"  mai.  Délais  d'envoi  expirés. 

Nuremberg.  —  Exposition  internationale  d'orfèvrerie,  de  joaille- 
rie, de  bronzes,  etc.  Du  15  juin  au  30  septembre  1885. 

Paris.  —  Salon  de  1885.  Du  1«  mai  au  30  juin  1885.  Délais 
d'envoi  expirés  * 

Rotterdam.  —  Du  31  mai  au  12  juillet.  Dernier  délai  :  16  mai. 
Renseignements  :  M.  Veders,  secrétaire,  42,  Boompjes,  Rotterdam. 


Bruxbllbs.  —  Vingt-cinquième  concours  de  composition  musicale. 
Ouverture  le  20  juillet  1885. 
Inscriptions  au  ministère  de  l'agriculture,  de  l'industrie  et  des 


LART  MODERNE 


135 


travaux  publics  jusqu'au  H  juillet,  à  4  heures  Les  coivcurrents  qui 
n'habitent  pas  Bruxelles  peuvent  adresser  par  écrit  leAr  demande 
d'ioscription  ;  à  cet  effet,  ils  déposeront,  avant  le  7  juillet,  leur  lettre 
avec  les  pièces  à  l'appui,  entre  les  mains  de  l'administration  com- 
munale de  leur  localité,  qui  la  transmettra  immédiatement  audit 
ministère. 

Les  aspirants  sont  tenus  de  justifier  de  leur  qualité  de  Belge  et  de 
prouver  qu'ils  n'auront  pas  atteint  l'âge  de  30  ans  au  20  juillet. 

Prix  DU  Roi.  —  Concoiirs  de  1886,  1S87  et  1888.  —  Un  arrêté 
royal  du  20  avril  courant  porte  que  le  prix  à  décerner  en  1886  (con- 
cours exclusivement  belge)  sera  attribué  à  l'ouvrage  le  mieux  conçu 
pour  développer  chez  la  jeunesse  belge  l'intelligence  et  le  goût  des 
littératures  anciennes  et  mode*  nés. 

Le  prix  à  décerner  en  1887  (concours  exclusivement  belge)  sera 
attribuée  l'ouvrage  qui  démontrera  le  mieux  de  quelle  manière  la 
Belgique  doit  comprendre  son  rôle  dans  la  grande  famille  euro- 
péenne, tant  au  point  de  vue  politique  et  intellectuel  qu'au  point  de 
vue  matériel,  pour  servir  le  mieux  ses  propres  intérêts  en  même  temps 
que  ceux  de  la  civilisation  en  général. 

Le  prix  à  décerner  en  1888  concours  exclusivement  belge)  sera 
attribué  au  meilleur  ouvrage  sur  l'enseignement  des  arts  plastiques 
en  Belgique  et  sur  le  moyen  de  développer  l'art  en  Belgique  et  de  le 
porter  à  un  niveau  de  plus  en  plus  élevé. 

Les  ouvrages  destinés  à  ces  concours  devront  être  transmis  au  mi- 
nistre dé  l'agriculture,  de  l'industrie  et  des  travaux  publics,  àsavoir: 
pour  le  prix  à  décerner  en  1886,  avant  le  le»"  octobre  1886,  et  pour 
les  deux  autres,  respectivement  avant  le  1er  janvier  des  années  1887 
et  1888. 

Paris.  —  Statue  de  Paul  Broca.  (Voir  VArt  moderne  du 
l«r  mars  ) 

RiCHMOND  (Virginie).  —  Concours  pour  un  monument  à  Robert 
Lee.  Deraier  délai  :  l*'  mai  1885. 

ViBNNK.  —  Concours  pour  l'érection  d'un  monument  à  Mozart. 
La  place  sur  laquelle  doit  être  élevé  le  monument  n'étant  pas 
encore  déterminée  par  la  municipalité,  le  concours  reste  ouvert. 


? 


ETITE    CHROJ^iqUE 


M.  Verdhurt  ^  engagé  pour  la  saison  prochaine  M"'  Huré  en  qua- 
lit<i  de  contralto.  On  dit  grand  bien  de  cette  jeune  artiste,  qui  vient 
de  se  distinguer  à  un  concert  organisé  le  10 avril  par  M^eMarchesi, 
à  la  salle  Erard,  où  elle  a  été  bissée. 


Les  menribres  de  l'Association  wagnérienne  se  proposent  d'offrir 
à  M.  Joseph  Dupont,  en  témoignage  d'admiration  et  de  sympathie 
pour  la  manière  dont  il  a  dirigé  les  Maitres-Chanteurs,  la  partition 
d'orchestre  de  Parsifal,  richement  reliée  Une  liste  de  souscription, 
rapidement  couverte  de  signatures,  a  été  déposée  chez  MM.  Schott 
frères,  éditeurs.  La  souscription  devait  être  close  hier,  mais  en 
présence  des  réclamations  d'un  grand  nombre  d'amis  de  l'érninent 
chef  d'orchestre,  qui  ont  voulu  joindre  leur  hommage  à  celui  des 
membres  de  l*As^^ociation,  le  comité  a  décidé  que  la  liste  resterait 
encore  aujourd'hui  et  demain  à  la  disposition  des  souscripteurs       ^ 

Elle  sera  reliée  en  tète  de  la  partition,  et  celle-ci  sera  remise  à 
M.  Joseph  Dupont  le  jour  du  Concert -Wagner,  le  3  mai  prochain. 

M"«  Bernardi,  l'artiste  bien  connue,  a  succombé  la  semaine 
dernière  aux  suites  de  l'opération  d'un  kyste.  La  mort  de  cette 
excellente  chanteuse,  qui,  en  ces  derniers  temps  encore,  menait  si 
joyeusement,  aux  Galeries  et  à  l'Alcazar,  la  ronde  des  opérettes  en 
vogue,  laissera  d'unanimes  regrets. 

M'"«  Bernardi  était  fort  au  dessus  des  emplois  modestes  qu'eW*. 
avait  acceptés,  depuis  quelques  années,  en  descendant  des  hauteurs 
du  grand  opéra  dans  le  sous-sol  de  l'opéra-bouffe.  Gratule  avait  été 
la  surprise  quand  on  reconnut,  un  jour,  sous  une  coitïuro  grotesque. 
grimaçant  un  rôle  comique,  celle  qui  avait,  peu  de  temps  avant,  créé 
magistralement  à  la  Monnaie  le  rôle  d'Amneris  dans  Aida. 

Le  timbre  de  son  magnifique  contralto  lui  eût  assuré  des  succès 
de  meilleur  aloi  que  ceux  qu'elle  remporta  dans  l'opérette.  Artiste 
consciencieuse  et  bonne  musicienne,  toujours  eu  scène,  soignant  la 
composition  de  sou  personnage  avec  minutie,  elle  conquit  rapi-le- 
ment  toutes  les  sympathies  de  son  nouveau  public. 

Sa  dernière  création  est  celle  de  Palmatica,  dans  VEtudvmt 
pauvre  On  se  souvient  du  caractère  vraiment  comique,  gai  sans  trop 
de  charge,  qu'elle  donna  à  cette  digne  maman. 

M™«  Bernardi  devait  créer  prochainement  le  rôle  d'Elisabeth  dans 
le  Mostier  de  Saint -Guignolet,  opéra-comique  que  M.  Carion  se 
prépare  à  représenter  sous  peu  au  théâtre  des  Galeries. 


liste  T|^^ 


Le  pianiste  ï^anz  Rummel  assistait  mercredi  à  la  quatorzième 
représentation  des  Maîtres -Chanteurs  L  éminent  virtuose  revenait 
d'une  tournée  de  concerts  en  Allemagne  où  il  avait  remporté  de 
brillants  succès,  notamment  à  Wiesbaden,  où  il  se  fit  entendre  deux 
fois,  à  Mayence  et  à  Wurtzboiirg. 

Il  est  parti  avant-hier  pour  Londres,  où  il  jouera  le  6  mai  le  con- 
certo en  ré  mineur  de  Rubinstein  à  la  Philharmonie  Society,  et  le 
concerto  de  Tschaikowsky  au  4^  concert  de  Hans  Richter. 

La  Nouvelle  Société  de  musique  de  liruorelles  annonce  son  grand 
concert  pour  le  dimanche  10  mai,  à  2  heures  de  relevée,  à  la  salle 
de  l'Alhambra.  On  dit  le  plus  grand  bien  du  programme,  qui  ne 
comprend  pas  moins  de  trois  œuvres  entièrement  nouvelles  pour  le 
public  bruxellois,  savoir  : 

Daphnis  et  Chlaé,  œuvre  inédite  de  notre  compatriote  Fernand 
Leborne,  La  Mer,  de  Victorien  Joncières,  L'Anathème  du  Chan- 
teur, de  Schumann. 

Le  concert  se  terminera  par  la  grande  marche  et  chœur  de  Tann- 
hàuser. 

L'exécution  de  ce  programme  est  confié  à  des  artistes  d'élite  : 
M'»«  Bosman,  MM.  Blauwaert  et  Van  Dyck  Environ  trois  cents  chan- 
teurset  instrumentistes,  sous  la  direction  de  M.  Henry  Warnots, 
contribueront  à  l'éclat  de  cette  fête  musicale.  •  ' 


Le  programme  de  la  quatrième  .séance  de  musique  de  chambre 
pour  in.-struments  à  ventetpiano.qui  sera  donnée  aujourd'hui  au  Con- 
servatoire par  MM  Dumou,  Guidé,  Merck,  Xeuman,  Ponc^^let  et  De 
Greef,  comprend  :  le  quintette  en  mi  b,  pour  piano,  hautbois,  cla- 
rinette, cor  et  basson,  de  Mozart;  les  Contes  dé  Fées,  pour  piano, 
alto  et  clarinette,  de  Schum;inn;  une  sonate  pour  piano,  de  Beet- 
hoven, et  la  SérJttade  (onze  instruments)  de  Dvorak. 

Le  mois  prochain  doit  paraître  à  Vienne  la  Correspondance  de 
Richard  Wagner  de  1830  à  1883.  C'est  le  savant  wagnérophile 
Emerich  Kastner,  de  Vienne,  qui  éditera  cette  collection  de  lettres, 
jusqu'ici  inédites  eu  majeure  partie,  et  dans  lesquelles  on  trouvera 
le  complément  naturel  des  écrits  theoriq;ues  du  maître  de  Bïbvreuth 
et  d  intéressants  détails  sur  Sa.  vie. 


La  saison  des  concerts  d  "été  va  s'ouvrir  sous  peu  à  Londres.  On 
annonce  neuf  concerts  de  Hans  Richter,  le  célèbre  cappeilmeîster 
viennois,- qui  fera  entendre  dans  ses  séances  symphoniques  les  chefs- 
d'œuvre  de  la  musique  classique  et  d'importants  fragments  des 
œuvrt'S  de  Wagner.  D'autre  part,  on  annonce  dix  représentations 
allemandes  de  Tristan  et  Isolde,  par  la  troupe  de  I  imprésario 
Hermaun  Francke  Entin,  un  agent  théâtral  américain  .  M.  Edm. 
Gerson,  se  propose,  à  locca-sion  de  l'Exposition  musicale  qui  s'ou- 
vrira prochainement  à  Londres,  de  faire  entendre  succe.ssivement. 
dans  une  série  de  c  ncerts,  les  plus  célèbres  orchestres,  et  les 
bandes  militaires  les  plus  fameuses  de  l'Europe  entière. 

La  ville  de  Paris  orgmise,  pour  le  3  mai  prochain,  un  concours 
international  de  musique,  un  concours  monstre,  sous  la  présidence 
d'Ambroise  Thomas.  Ou  parle  de  20.000  exécutants. 

Au  théâtre  de  Stockholm  on  prépare  la  représentation  d'un  opéra 
national.  Stig  Hvidc,  dont  l'auteur,  M.  Ole  (.^Isen,  a  écrit  le  poème 
et  la  musique. 

•On  vient  de  terminer  à  Vienne  la  vente  aux  enchères  de  la  suc- 
cession Mackart,  qui  n'a  pas  tlure  moins  de  dix-sept  jours  II  a  ete 
réalisé  une  somme  de  150,000  florins,  et  il  reste  encore  quelques 
objets  représentant  une  valeur  d  environ  20.000  florins,  qui  seront 
vendus  à  l'occasion 

L'exposition  des  œuvres  d'Eugène  Delacroix  à  l'Ecole  des  beaux- 
arts  a  produit  66.709  fr. 

L'inauguration  de  l'hôtel  tles  beaux-arts  de  Salzbourg  (Autriche) 
aura  lieu  le  l^f  août  proch  in.  A  cette  occasion  s'ouvrira  une  expo- 
siti<ni  de  peinture  et  de  sculpture  à  laquelle  se-ront  conviées  toutes 
les  associations  artistiques  de  l'Autriche  et  de  l'étranger  Le  comité 
organise  pour  la  même  époque  une  exposilioa  régionale  des  arts 
industriels. 


Les  annonces  sont  reçues  au  bureau  du  journal ^ 
26,  rue  de  V Industrie,  à  Bruxelles ." 

SCHOTT  Frères,  Editeurs  de  Musique,  Bruxelles 

.  RDE  DDQUESNOY,  3a,  eoin  de  la  rue  de  la  Madeleine 
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LES  MAITRES  CilMTEURS  DE  NUREMBERG 

(Die  Mèistersinger  von  Nûrnberg) 
Opéra  en  3  actes  de 

Œ^ICJE3:.A.I^r)  Wu^o-nsrBïs 

PARTITION    POUR    CHANT    ET    PIANO,    NET    20    FRANCS. 


Lihvetto  .,',._.       ........ 

Benoit.  Les  motifs  typiques  des  Maîtres  ciianteurs  .       .       .       . 

.     ARRANGEMENTS  POUR  PIANO  A  2  MAINS  : 


Fr.      2 


Im,  Partition  complète        .       .        .        .       ... 

Ouverture.  Introduction       . 

Z,a  même,  arrang.  par  H.  de  Bulow 

Introduction  du  3*  acte.        .        ... 

Beyer,  F.  Rf'pertoire  des  jeunes  pianistes        .       .        . 

r,"        Houquet  de  Mélodies  .î       .        .        .        .        .        . 

iy?*unner,  C  Trois  tran.scriptions,  chaque        .       .       .        .        , 

Bulow,  H.  [de).  Réunion  des  Maîtres  chanteurs       .        ,        .        . 
n  Paraphrase  sur  le  quiutuor  du  à'  acte    .        . 

Cramer,  H.  Pot  pourri         . 

n  Mtirche .        .        . 

«  Danse  des  apprentis       .        ... 

Gohbaert",  L.  fantaisie  brillante       .       ...        .        . 

Jae//,  A.  Op.  137.  Deux  transcriptions  brillantes  (Werbegesang- 

Preisliéd),  chaque . 

«        0|).  148.  Au  loyer   .        .        .        .        .        .        . 

Laasen,  E.  Deux  transcriptions  de  salon,  n*  I  . 

"  "  «  n"  II,        .        •        .        . 

Leitert.  Op.  26.  Transcription     .        .       .     ' 

.R<*fl',  J'  Réminiscences  en  quatre  suites,  cahier  I  et  II,  à       .       . 

cahier  IIL 
cahier  IV. 
iïw^'i'»  ■'^' Chant  de  Walther       .       .       .       . 

ARRANGEMENTS  POUR  PIANO  A  4  MAINS  : 

La  Partition  complète 

Ouverture.  Introduction  par  C.  Tausig     ...... 

Beyer,  F.  Revue  mélodique . 

Bùlow,  H.  (df).  La  réunion  des  Maîtres  chanteurs,  paraphrase 

Cramer,  H.  Pot-pourri 

y          Marche      .        ,       .       .       ... 
De  7»76ac.  Deux  illustrations,  chacune    ,     ' 


ARRANGEMENTS  DIVERS  : 

OureHure  pour  2  pianos  à  8  mains    ... 
Grcgoir  et  Léonard  Duo  pour  violon  et  piano. 
Kaslner,  E.  Paraphrase  pour  orgue- mélodium. 
Lux,  F.  Prélude  du  3'  acte  pour  orgue     . 
Oberthur,  Ch.  Chant  de  "Walther  pour  harpe    . 
Singelée,  J.  B.  Fantaisie  brillante  pour  violon  et  piano 
Golterman.  Chant  de  Walther,  pour  violoncelle  et  piano 
Wichede,  F.  (de).  Morceaux  lyriques  pour  violoncelle  et  piano 
N*  1.  Walther  devant  les  Maîtres      . 
N°  2.  Chant  de  Walther       .       .       . 
Wilhelmj,  A.  Chant  de  Walther,  paraphrase  pour  violon  avec 
accompag.  d'orchestre  ou  de  piano.  Partition 
L'accompagnement  d'orchestre.        .       .        . 
«  de  piano 


1  50 


25  « 

2  « 

3  « 
1  - 

1  75 

2  25 
1  75 
1  75 

1  75 

2  « 
1  25 

1  75 

2  » 

2  « 
2  25 
2  « 
2  25 

1  35 

2  25 

2  r, 

2  50 
1  75 


35  « 
3  50 
2  25 

2  25 

3  50 

2  25 

3  75 


6  «- 

4  r, 

1  50 

1  n 

2  u 

3  50 
1  25 

1  25 
225 

2  - 

3  « 

5  n 

3  50 


VIENT  DE  PARAITRE 

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VIENT  DE  PARAITRE  GiIeZ 

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NOTA.  —  La  maison  dispose  de  vingt  ateliers  pour  artistes. 
Impasse  de  la  Violette,  4. 


Bruxeltes.  —  Iinp.  Félix  Callbwaert  père,  rue  de  l'Industrie,  26. 


Cinquième  année.  —  N°  18. 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  3  Mai  1885. 


L'ART 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DBS  ARTS  ET  DE  LA  LITTERATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,   un   an,   fr.   10.00;  Union   postale,   fr.    13.00.    —   ANNONCES  :    On   traite   à   forfait. 

Adresser  le€  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 

l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


^ 


OMMAIRE 


La  clôture  de  la  saison  théâtrale  a  la  Monnaie.  —  Dtx'x 
EXPOSITIONS.  I.  Le  Cercle  artistique;  II,  Les  Aquareillistes.  — 
Livres  nouveaux.  J.-F.  Millet,  par  Charles  YrxdiTïe;  Camille 
Corot,  par  Jean  Rousseau  ;  Hmis  Holhein,  par  Jean  Rousseau.  — 
Documents  a  conserver.  Z-e  secret  du  vote.  La  suppression  des 
médailles.  —  Notes  de  musique.  I.  Concert  Zarembshi  ;  II.  Con- 
servatoire de  Gand.  r-  Conférences  artistiques  Conférence  de 
M.  Georges  Rodenbach;  Conférence  de  M.  Sigognc.  —  Théâtres. 
Théâtre  de  la  Monnaie.  —  Exposition  universelle  d'Anvers.  — 

Recette  pour  avoir  du  génie.  — Petite  chronique. 

■  »  ■ 


LA  CLÔTURÉ  DE  LA  SAISON  THEATRALE 

A  LA  MONNAIE 

La  saison  théâtrale  est  finie  pour  le  théâtre  de  la 
Monnaie,  et  avec  elle  s'achève  la  direction  de  MM.  Stou- 
mon  et  Calàbrési.  Avec  elle  aussi  la  troupe  de  notre 
opéra  va  être  presque  entièrement  renouvelée . 

C'est  là  un  événement  complexe  qui  assurément 
marquera  dans  notre  histoire  lyrique.  Les  dix  anntjes 
qui  viennent  de  s'écouler  ont  été  brillantes.  Elles  oîit 
fait  entrer  profondément  dans  les  mœurs  de  la  capitale 
le  goût  de  l'opéra. 

Les  causes  du  phénomène  ont  été  variées.  L'intelli- 
gente habileté  des  directeurs  y  fut  pour  beaucoup. 
Mais  le  besoin  de  luxe  et  de  haute  vie  y  ont  aussi 
puissamment  contribué.  Les  hommes  ont  tiré  parti 
de  la  situation,  mais  la  situation  a  aidé  les  hommes.  Il 
faut  remercier  MM.  Stoumon  et  Calàbrési  d'avoir  pro-  ~? 


fité  des  événements.  lisent,  eux,  à  remercier  les  évé- 
nements d'être  survenus  si  à  point  pour  leur  fournir 
une  telle  occasion  d'utiliser  leurs  mérites. 

Ces* jours  derniers,  X Indépendance  esquissait  feu 
les  directeurs  avec  des  sôus-entendus  qui  pouvaient, 
selon  le  caractère  des  gens,  passer  pour  des  critiques 
ou  des  éloges.  %\\e  leur  prêtait  notamment  une  adresse 
aimable  à  manipuler  ou ,  pour  employer  un  terme  d'argot 
plus    énergique,   à  rouler  l'abonné.    Le   dessin  était 
vraiment  amusant  dans  sa  mordante  malice.  La  leçon 
est  bonne,  mais  certes  il  était  prudent  de  ne  la  risquer 
qu'au   moment  ^   les  imprésarios   distingués  qu'on 
gratifiait  d'un  machiavélisme  fort  inattendu,  donnaient 
congé.  C'est  une  façon  de  montrer,  au  moment  où  l'on 
ferme  le  théâtre,  comment  on   s'y  moquait  congrû- 
ment  des  bonnes  gens,  très  drôle  mais  aussi  très  péril- 
leuse avec  un  public  aussi  susceptible  que  le  nôtre  ne 
s*imaginera-t-il  pas  qu'il  a  eu  affaire  à  des  Cumber- 
laud  consacrant  une  dernière  séance  à  la  révélation  des 
trucs  au  moyen  desquels  ils  empaumaient  les  specta- 
teurs? \'oici  ce  morceau  curieux  et  révélateur.  Cer- 
taines phrases  indiquent  que  son  auteur  avait  lui-même 
le   pressentiment  que   ses  compliments,    chargés    de 
l)icrate,    pourraient  un   jour    éclater  au  visage  de 
ses  héros. 

•'  MM.  Stoumon  et  Calàbrési  ne  sont  pas  maladroits 
du  tout.  Et  ils  savent  l'art  de  répondre  aux  réclama- 
tions ineptes,  aux  plaintes  inutiles,  avec  une  condes- 
cendance qui  ne  laisse  jamais  percer  d'ironie.  Tous  lés 
théâtres,  grands  et  petits,  ont  un  certain  nombre  d'abon- 


\ 


138 


LART  MODERNE 


nés  qui  ont  pour  occupation  principale  d'être  des 
abonnés  influents.  Ce  sont  des  personnages,  dont 
le  maniement  est  assez  délicat.  Il  s'agit  d'avoir  l'air  de 
les  consulter,  et,  en  réalité,  d'en  faire  des  défenseurs 
naïfs  et  convaincus  de  tous  les  actes  de  l'adininistra- 
tion.  Ce  n'est  pas  toujours  commode.  L abonné 
influent  tient  à  faire  figure  devant  le  simple  public, 
}\  être  l'homme  considéré  que  les  directeurs  redoutent. 
Il  a  donc  parfois  des  velléités  d'opposition ,;^qui  servent 
à  marquer  son  autorité.  Le  directeur,  qui  sait  son  mé- 
tier, traite  ces  manies  innocentes  pMr  des  moyens 
doux.  Et  Tabonné  influent^  qu'on  a  écouté  avec  atten- 
tion et  déférence,  ne  s'aperçoit  jamais  qu'on  lui  fnit 
approuver  tout  ce  qu'il  se  proposait  de  combattre. 

«  MM.  Stoumon  et  Calabrési  doivent  avoir  ce 
doigté,  cette  virtuosité  de  leur  emploi,  puisqu'ils  en 
ont  tous  les  autres  mérites.  Ils  ont  étudié  la  physiolo- 
gie de  l'abonné,  et  ils  savent  comment  on  peut  préve- 
nir ou  dissiper  les  caprices  de  cet  être  spéciat.  Ce 
serait  leur  faire  tort,  cependant,  que  d'insister  sur  leur 
souplesse,  en  cette  matière.  Peut-être,  quelque  jour 
encore,  céderont-ils,  ou  l'un  d'eux  cédera-t-il,  au  désir 
de  recommencer  une  campagne  nouvelle  à  la  Monnaie, 
d'y  rechercher  une  fois  encore  le  rare  mélange  qu'ils 
ont  obtenu,  de  ceinture  dorée  et  de  bonne  renommée. 
IJ abonné  influent  pourrait  être  récalcitrant  d'avance, 
si  on  lui  dit  maintenant  qu'il  a  eu  affaire  à  des  gens 
d'esprit,  qui  l'ont  manié  comme  cire  molle.  Mais  il  est 
vrai  que  c'est  au  profit  des  publics  naïfs  que  les  direc- 
teurs sont  adroits.  ^ 

Sapristi!  pourquoi  le  dire?  Si  nous  étions  cet  être 
spécial,  comme  dit  galamment  l'écrivain,  qu'on  nomme 
V abonné  influent,  nous  serions,  en  effet,  récalcitrant 
et  tiendrions  à  prouver  que  nous  ne  sommes  pas  cire 
molle  et  public  naïf  autant  qu'un  vain  reportage  le 
pense.  Voilà  l'abonné  influent  prestement  déshabillé, 
et  gratifié  par  dessus  le  marché  d'un  très  bon  coup  de 
pied  à  la  chute  du  dos.  Bien  le  bonjour,  mon  ami  !  A 
coup  sûr  les  pauvres  abonnés  vont  méditer  sur  la  fable 
du  Renard  et  du  Bouc  : 

Capitaine  Renard  allait  de  compagnie         ^ 
Avec  son  ami  Bouc  du  plus  haut  encorné. 
Celui-ci  ne  voyait  pas  plus  loin  que  son  nez. 
L'autre  était  passé  maître  en  fait  de  tromperie... 

Et  dire  pourtant  que  cette  bonne  Indépendance  pro- 
testait en  toute  occasion  et  sur  tous  les  tons  de  son 
amitié,  de  son  zèle,  de  son  dévouement,  de  sa  cordialité, 
de  son  empressement  pour  cette  direction  dont  elle 
accompagne  la  retraite  d'un  aussi  étonnant  charivari 
en  s  imaginant  qu'elle  lui  donne  une  sérénade.  Beck- 
messer!  Beckmesser!  tu  as  fait  des  petits. 

Rien  n'est  plus  dangereux  qu'un  maladroit  ami. 
Mieux  vaudrait  un  franc  ennemi. 

Décidément  le  bon  Laibntaine  et  ses  bêtes  nous 


reviennent  trop  en  mémoire.  Bornons-là  ces. associa- 
tions d'idées. 

La  nouvelle  direction  bénéficiera  sans  doute  des  habi- 
tudes prises  par  notre  population.  Pour  peu  que  sa 
troupe  soit  bonne  (et  elle  s'annonce  comme  devant  être 
très  remarquable),  elle  n'aura  pas  de  peine  à  commen- 
cer à  son  tour  un  cycle  d'années  fructueuses.  L'admi- 
nistration communale  a,  il  est  vrai,  stipulé  quelques 
charges  que  justifiaient,  assure-t-on,  des  recettes  si 
abondantes  que  le  décennal  des  directeurs^  les  diœ 
années  de  leur  consulat,  leur  ont  assuré  la  sécurité 
d'existence  et  les  ont  laissés  en  posture  aisée,  suivant 
des  expressions  de  haut  goût  que  nous  relevons  dans 
le  même  intéressant  article  de  V Indépendance. O^ 

C'est,  en  eff'et,  un  fort  beau  lot  que  de  pouvoir  se 
retirer  aussi  promptement  après  fortune  faite.  Le  même 
journal  ajoute  «  que  les  directeurs  se  sont  trop  bien 
trouvés  de  leurs  conditions  administratives  pour  con- 
sentir à  en  changer;  qu'ils  ne  croient  pas  â  l'efficacité 
de  la  nouvelle  constitution,  des  institutions  nouvelles 
du  théâtre  (re  la  Monnaie;  qu'ils  renoncent  au  gouver- 
nement, jugeant  que  son  exercice  est  devenu  plus  péril- 
leux, ou  du  moins  plus  difficile  ».  i' 

On  ne  saurait  dire,  en  termes  plus  décents,|que  ces 
inessieurs  ont  la  prudence  louable  qui  engage  1^  joueur 
peu  téméraire  à  faire  Charlemagne.  C'est  fort  injuste 
quand  on  les  connaît.  Mais  enfin,  les  craintes  qu'on  leur 
prête  apparaissent  quelque  peu  exagérées  et  abouti- 
raient, si  le  reporter  officieux  qui  les  complimente  en 
phrases  si  rares  insistait  davantage  à  donner  quelque 
consistance  au  bruit  qui  courait  avant  la  concession  à 
M.Verdhurt,  qu'ils  voulaient  forcer  la  main  au  conseil 
communal  et  se  préparaient,  dans  l'espoir  que  nul 
n'oserait  ramasser  le  sceptre  qu'ils  déposaient,  à  inter- 
venir au  dernier  moment  en  sauveteurs,  dictant  leurs 
conditions  et  imposant  le  régime  qui  leur  avait  assuré 
la  sécimité  et  donné  une  posture  aisée. 

Espérons  que  l'avenir  démontrera  que  le  conseil 
communal  de  Bruxelles  a  eu  raison  d'imposer  quelques 
obligations  de  plus,  celle,  de  majorer  le  minimum 
du  traitement  mensuel  des  musiciens  de  l'orchestre, 
traités  jusqu'ici  avec  une  parcimonie  invraisemblable, 
celle  aussi  d'affecter  à  l'entretien  et  au  renou- 
vellement des  décors  et  des  costumes  existants, 
25,000  francs  par  an,  sous  le  contrôle  du  collège.  Cela 
ne  paraîtra  assurément  à  personne  une  aggravation  de 
nature  à  justifier  le  cri  d'alarme  compliqué,  rappelé 
plus  haut  :  MM.  Stoumon  et  Càlabresi  ne  croient 
pas  à  V efficacité  de  la  nouvelle  constitution  des  insti- 
tutions nouvelles  du  théâtre  de  la  Monnaie  ! 

Le  changement  de  dynastie  a  été  accompagné,  on  le 
sait,  d'un  remaniement  presque  complet  dans  la  troupe. 
L'expérience  apprend  que  c'est  ce  qui  arrive  fatalement 
en  pareille  conjoncture.  Cela  ne  procède  pas  d'un  parti- 


Pris,  mais  de  complications  ^inéluctables.  Un  régne  qui 
finit,  un  règne  qui  commence  produisent  un  déchaîne- 
ment de  craintes,  d'espérances,  de  convoitises,  de  pré- 
tentions, d'intrigues,  de  bavkrdages,  de  malentendus, 
de  criailleries,  de  fausses  démarches  qui  troublent  les 
esprits,  démanchent  les  plus  calmes,  déjouent  toutes 
les  prévisions,  provoquent  des  coups  de  bascule  dans 
lesquels  le  hasard  seul  semble  agir.  Bruxelles  a  assisté 
à  ce  tohu-bohu.  Dans  les  premiers  moments  la  direction 
nouvelle  a  été  assaillie  de  mauvais  propos  plus  ineptes 
les  uns  que  les  autres.  Les  pauvres  artistes  affolés 
n'ont  entrevu  que  catastrophes  et  n'ont  rêvé  que  dé- 
port. Autour  d'eux  on  a  fait  pleuvoir  les  inquiétudes. 
Pris  dans  cette  tourmente,  le  nouveau  directeur  a  jugé 
sage  et  plus  digne  de  quitter  la  place  et  de  se  mettre 
résolument  à  engager  des  sujets  nouveaux  à  l'étranger. 
Ce  qu'on  a  appris  de  ses  efforts  est  de  nature  à  faire 
croire  qu'il  a  fort  bien  réussi:  Maintenant  qu'il  a  très 
fermement  pris  pied,  les  regrets  commencent  à  hanter 
les  déserteurs.  Ceux  qui  étaient  libres  encore  se  sont 
ralliés.  Pour  d'autres,  hélas!  la  rupture  est  consommée 
et  on  ne  peut  plus  que  leur  souhaiter  de  trouver  ailleurs 
les  sympathies  dont  ils  étaient  comblés  à  Bruxelles, 
avec  l'espoir  de  les  revoir  tôt  ou  tard.  La  crise  a  été 
douloureuse,  mais  elle  est  terminée.  Les  adieux  sont 
consommés,  le  calme  renaît.  Cinq  mois  de  silence  vont 
passer  sur  toutes  ces  alarmes  et  ces  tristesses,  comme 
l'hiver  passe  sur  les  feuillages  tombés.  Nous  aurons  un 
autre  printemps  et  tout  fait  présager  que  le  renouveau 
qui  se  prépare  vaudra  le  passé  dont  nous  sortons. 


Peux  expositions 

I.  Le  Cercle  artistique.  —  II.  Les  Aquarellistes. 

I   . 

Deux  expositions  sont  ouvertes  en  ce  moment  à  Bruxelles  :  l'une 
de  tableaux  à  l'huile,  Taulre  de  peintures  à  Peau.  Toutes  deux 
ont  mêmes  tendances  vers  un  art  bourgeois,  terre  à  terre,  tri- 
vial cl  lourd.  Toutes  deux  marquent  un  affai^^scment  sensible  du 
niveau  arlistique,  attaqué  par  les  postulations  utilitaires,  de  plus 
en  plus  menaçantes.  De  part  et  d'autre,  le  cheval  de  manège, 
tournant  avec  résignation  dans  la  piste,  a  pns  la  place  de  l'étalon 
aux  allures  libres,  piaffant,  secouant  sa  crinière.  Les  coups  de 
chambrière  lui  sont  tombés  drus  sur  Téchine.  A  peine  les  sent-il. 
Au  Cercle,  on  pourrait  dire  au  cirque,  un  jury  soucieux  de  la 
dignité  de  l'Art  eût  dû  lancer  par  les  fenêtres,  sous  les  ombrages 
du  Parc,  l'effroyable  pacotille  de  boîtes  de  baptême,  de  ronds 
de  serviette  en  bois  de  Spa,  d'enseignes  de  parfumeur,  de  «  vues» 
d'optique  dont  on  a  effrontément  sali  les  murs.  Cela  eût  fait  une 
jolie  exposition  des  refusés,  avec  accompagnement  do  musique 
des  pompiers  en  guise  de  cantate  d'ouverture,  à  l'usage  des 
bonnes  d'enfants  et  de  leurs  amis  les  petits  carabiniers. 

On  a  préféré  admettre  tout  le  bloc.  Et  les  rares  bonnes  choses 
que  le  naufrage  de  la  peinture  sérieUse  cl  digne  ait  respectées 


sont  ballolées  par  les  Ilots  d'une  maré(;  de  médiocres,  de  gro- 
tesques, de  lamentables. 

Voir,  pour  ne  pas  même  descendre  aux  amateurs,  qui  ont  fait 
du  Cer.cle  artistique  leur  i)roie,  leur  ciladello,  d'où  ils  délogent 
petit  à  petit  les  artistes,  les.  drôleries  macabres  de  Vanden 
Ikissche,  sa  Retraite  de  Russie  et  sa  Tentation  de  Saint- An- 
toine. L'auteur  de  ces  aimables  plaisanteries  est,  assure-l-on,  pro- 
fesseur de  j)erspective  à  l'Académie  des  Beaux-Arts  d'Anvers.  De 
perspective  aérienne,  vraisemblablement,  comme  feu  Louis 
Dubois,  le  roi  des  mystificateurs,  qui  se  donnait  gravement,  en 
voyage,  cette  qualité  sur  les  registres  d'auberges,      l 

Voir  aussi  les  images  de  Barnaba,  dans  lesquelles'qn  a  oublié 
de  placer  le  cadran,  et  les  paravents  de  Numans,  et  le  soudard 
au  nez  trognonnant  de  Van  Hammée,  et  les  sites  ardennais  de 
Hoffiaen,  ce  Marie  Gilsoë  du  paysage. 

Oh!  comme  on  comprend  les  deux  artistes,  des  vrais  ceux-là, 
qui,  indignés  d'un  pareil  avilissement  du  goût,  ont,  le  lende- 
main de  l'ouv-erture,  envové  leur  démission  à  la  commission! 

Les  toiles  sincères,  émues,  de  cette  triste  exhibition,  ont  été 
sacrifiées,  presque  toutes,  aux  plates  el  ternes  enluminures  qui 
courent  à  la  rampe.  Vogels  a  fait  vraimenJL  trop  d'honneur  au 
Cercle  en  lui  envoyant  son  superbe  Brouillard,  ce  bout  d'esta- 
cade  noyé  dans  des  vapeurs  d'argent,  tout  frissonnant  de 
moiteurs  laiteuses,  la  i»lus  belle  page  qu'ait  écrite  ce  pinceau 
magistral.  On  l'a  récompensé  en  le  plaçant  au  second  rang,  où  il 
ne  peut  off'usquer  les  médiocrités  qui  l'environnent. 

Au  second  rang  aussi  l'impression,  si  juste,  rapportée  par 
Frantz  Charlet  d'une  excursion  dans  les  dunes  de  Knocke.  Que 
n'y  a-t-il  trois  rangs  au  Cercle!  Elle  eût  été  sûrement  «élevée  » 
d'un  degré. 

iVlais  à  la  cimaise  se  pavanent  les  arbres  en  zinc  de  M"^  Beer- 
npert,  les  Pompéïenneries  mièvres  de  M.  Stallaert,  qui  les  a 
chipées  à  M.  Coomans, lequel  les  avait  lui-même,  etc.... 

Passons  sur  tout  cela.  A  quoi  bon  chanter  toujours  le  même 
refrain?  Comme  nous  le  disions,  le  cheval  est  poussif.  Rien  ne 
sert  de  le  cravacher.  Voyons-le  trotter,  el  notons  au  passage  ses 
rares  velléités  de  réveiller  par  quelque  vivacité  ses  allures 
assoupies. 

Voici  Alfred  Verhaeren  en  selle.  11  pique  des  deux,  celui-là,  el 
d'un  bon  coup  d'éperon  fait  pirouetter  sa  monture.  Bravo  pour 
ses  Cerises,  appétissantes,  lisses  de  peau,  savoureuses,  belles, 
malgré  le  ton  conventionnel  du  fond  et  des  feuillages. 

Voici  Pierre  Oyens.  Encore  un  coup  d'éperon.  Une  nature 
morte  réduite  à  sa  plus  simple  expression  :  une  bouteille,  un 
verre  el  une  pomme,  mais  avec  quelle  intensité  de  lumière  ces 
objets  sont  éclairés  !  La  nappe  paraît  trop  noire.  Les  objets  posés 
dessus  sont  vraiment  «  tapés  «. 

Voici  les  mélancoliques,  Mellery,  Heymans,  Binjé,  Ter  Linden. 
La  neige  Tiocturne  du  premier  csl  impressionnante.  C'est  d'un 
artiste  sincère,  jamais  inférieur  à  lui-même.  Le  grand  paysage 
d'Heymans  semble  une  préparation  pour  le  travail  lent  par  lequel 
l'excellent  paysagiste  disj)ose,  construit,  émaille  ses  belles  toiles. 
L'étang  de  Binjé  qui  sourit  aux  étoiles  sous  la  gaze  lamée  des 
brumes  vespérales,  est  une  jolie  complainte,  lin  Noclurne  en 
bleu  el  argent,  comme  dit  Whisller,  d'un  sentiment  délicat.  Vin- 
fini,  de  Ter  Linden,  présente,  avec  les  moires  de  la  mer  pour 
arrière-plan,  une  fine  silhouette  de  femme,  élégamment  peinte. 
Mais  pourquoi  V Infini?  Un  bien  gros  litre  pour  une  étude,  — 
jolie,  sans  doute,  mais  une  élude. 


'r^ 


140 


VART  MODERNE 


II  y  a  encore,  en  ne  se  montrant  pas  trop  sévère,  une. bruyère 
de  Bouvier,  un  coin  de  rivière  do  Baron,  un  bout  de  mer  de  Le 
Mayeur,  un  bateau  échoué  dans  là  vase,  de  Hagemans,  bonne 
étude  malgré  le  jour  fantastique  et  peu  justifié  qui  la  baigne. 

Après  cela,  c'est  tout.  Les  forts  en  tlième  n'ont  guère  donné, 
et  ceux  qui  se  sont  présen'.és  arrivent  à  la  queue.  Le  portrait  de 
M.  Doucel,  par  Ciuysenaar,  pourrait  tout  aussi  bien  être  signé 
Herbo.  La  comparaison  flattera  au  moins,  espérons-le,  l'un  de 
ces  peintres.  C'est  «  le  portrait  avec  les,  bras  »  dans  toute  sa 
banalité  de  pose,  d'expression  cl  de  facture. 

M.  Doucel  fait  face  à  M.  Dumon,  et  le  peintre  pour«  Socheleil, 
tir  à  l'arc  et  garde  civique,  ressemblance  garantie  »,  a  été,  cette 
fois,  à  peu  près  aussi  heureux  que  celui  qui  a  eu  l'honneur  de 
reproduire  les  traits  de  M.  Van  Schoor. 

Les  papillottantes  petites  filles  noir  et  blanc  qui  attendaient  le 
photographe  et  qui  ont  vu  arriver,  en  guise  d'ohjeclif,  M.  Ciuy- 
senaar, n'ont  rien  de  transcendant.  C'est  honnêtement  fait,  mais 
peu  amusant  h  regarder. 

Ce  sont  les  jeunes  que  nous  cherchons,  avec  l'espoir  d'y  trou- 
ver des  promesses  d'avcjiir,  et  les  jeunes  ne  nous  donnent  guère 
d'espérances.  M.  Van  Gelder  est  une  des  premières  victimes  du 
«  zwanzage  »,  cette  épidémie  infectieuse  qui  a  sévi  récemment, 
propagée  par  des  compères  qui  n'en  ont  pas  mesuré  la  portée  et 
dont  l'esprit  épais  n'a  vu  qu'une  grosse  farce  où  il  y  avait  un 
danger  réel.  Les  Raffaëllide  M.  Van  Gelder  étaient  plus  drôles  à 
la  Zwans-exhibition.  C'est  tout  ce  qu'oii  peut  dire  de  celui  qu'il 
expose  au  Cercle. 

M.  Evrard  a  voulu  évidemment  se  moquer  du  public  en  mon- 
trant ses  deux  portraits,  insi)irés  de  Géruzet  et  de  feu  Ghémar. 
La  Zwans  n'est  donc  pas  finie? 

Ce  n'est  pas  M.  Ilalkelt,  avec  ses  trois  figures  guindées,  tour- 
nées dans  du  bois  —  et  encore  sont-elles  tournées?  —  raides, 
désagréables  de  couleur,  qui  porte  les  espérances  de  la  jeune 
école.  Ni  encore  moins  M.  Houyoux.  Il  y  a,  de  M.  Frédéric,  un 
tryptique  qui  a  l'air  d'avoir  été  épongé,  la  couleur  étant  fraîche 
encore,  et  une  singulière  prairie  où  tombe  une  lumière  qui  n'est 
ni  la  lumière  électrique,  ni  le  gaz,  ni  surtout  la  lumière  du  jour. 
Dans  cette  prairie,  dos  enfants  qui  ont  tous  eu  le  malheur  de  se 
barbouiller  la  figure  et  les  mains  d'une  teinture  qui  doit  être  du 
bois  de  Campêche.  Le  tableau  pourrait  être  intitulé  :  Zam//^ 
de  Pâques.  — 

Sera-ce  M.  Hannon?:II  y  a  évidemment  dès  qualités  dans  son 
Crépon  japonais^  une  élégante  jeune  fommc.en  silhouette  devant 
une  fenêtre.  Mais  combien  est  superficielle  et  mincc^cctte  pein- 
ture qui  manque  d'âme  ! 

L'n  coup  d'œil  aux  aquarelles,  où  s'alignent  les  virtuoses  ordi- 
naires et  extraordinaires  de  la  goutte  colorée  :  Uytterschaut,  Stac- 
quet,  Binjé,  décidément  en  progrès  sérieux,  Cassiers,  dont  la 
mer  ressemble  assez  à  la  surface  polie  d'une.glace  rayée  de  coups 
de  patin,  Combaz  (il  n'aime  pas  qu'on  l'oublie)  qui  a  dessiné  pas 
mal  l'un  des  lions  de  la  Bourse,  mais  qui  a  eu  la  fantaisie  singu- 
lière de  le  représenter  en  chocolat,  et  Jean  Bacs,  dont  le  Dôme 
du  Palais  de  Justice  est  gentiment  croqué. 

Quant  à  la  sculpture,  arrêtez  vous  devant  une  petite  tête  en 
bronze  de  Namur,  et  ne  vous  attardez  pas  devant  les  autres 
«productions»  de  l'année,  si  ce  n'est  par  besoin  d'esbaudis- 
semcnt  cl  de  douice  alacrité. 


JiIVREP    NOUVEAUX 


\ 


J.-P.  Millet,  par  Charles  Yriarte.  — Paris,  1885. 

La  Librairie  de  l'Art  (J.  Rouam,  éditeur,  29,  cité  d'Aniin, 
ancienne  salle  Saint-André),  vient  de  publier  dans  sa  jolie  Biblio- 
thèque d'Art  moderne  ^  format  in-4°,  une  magnifique  élude  de 
M.-  Charles  Yriarte  sur  J.-F.  Millet.  C'est,  en  même  temps 
qu'une  œuvre  de  haute  et  saine  critique,  un  pieux  hommage 
rendu  à  la  mémoire  du  grand  i)eintre  de  la  nature  méconnu  par 
ses  coi^temporains,  aujourd'hui  plein  de  gloire.  Le  Millet  de 
M.  Yriarte  se  recommande  h  tous  les  amis  du  grand  art  par  l'in- 
térêt du  texte  et  par  la  beauté  de  l'édition,  illustrée  d'un  beau 
portrait  de  Millet  et  de  24  gravures  et  fac-similés  d'après  ses 
tableaux  et  dessins.  Enfin  la  modicité  du  prix  :  fr.  2-50,  le  rend 
accessible  à  tous. 

Camille  Corot,  par  Jkax  Rousseau.  —  Paris,  1884. 

En  vente,  à  la  même  librairie,  la  remarquable  étude  de  M.  Jean 
Rousseau  sur  Corot,  suivi  d'un  appendice  par  Alfred  Robaut. 
L'ouvrage,  dont  le  prix  est,  comme  le  précédent,  de  fr.  2-50  et 
qui  fait  partie  delà  même  Bibliothèque  dArt  moderne,  coquette- 
ment édité,  est  orné  d'un  portrait  de  Corot  et  de  34  gravures  sur 
bois  et  dessins  reproduisant  les  œuvres  du  maître.  Bon  ouvrage 
de  vulgarisation  de  l'art  ;  recueil  intéressant  et  lecture  de  choix. 

Hans  Holbein,  par  Jean  Rousseau.  —  Paris,  1885. 

En  même  temps  que  sa  Bibliothèque  d'Art  moderne,  }i\.  Jules 
Rouam  édite  une  Bibliothèque  d'Art  ancien  dont  le  premier 
volume  vient  d'être  mis  en  vente.  C'est  une  étude  sur  Holbein, 
par  ^ean  Rousseau,  ouvrage  accompagné  de  deux  portraits  et  de 
trente-cinq  gravures  d'après  les  œuvres  du  maître. 

Publié  dans  le  même  formai,  avec  les  mêmes  soins  et  au  même 
prix  modique  que  les  volumes  précédents,  Hans  Holbein  con- 
stitue  un  ouvrage  de  luxe,  que  tous  les  artistes  consulteront 
avec  fruit  et  liront  avec  intérêt.  Il  renferme  notamment  une 
magnifique  série  d'illustrations  exécutées  d'après  les  peintures  de 
Holbein  qui  forment  la  superbe  collection  de  la  reine  d'Angle- 
terre au  château  de  Windsor. 


JOCUMENT^    A    CON^ERVEH   ^*^ 
Le  Secret  du  vote.  —  La  Suppression  des  médailles. 

E::trait  du  Salon  de  Paris  de  1876,  par  M.  Ernest  CHESNEAU, 
paru  dans  /'Estafette  du  6  juin  1876. 

Le  mot  médaille  manque  totalement  de  prestige  à  mes  yeux. 
Je  ne  connais  pas  dans  l'ordre  administratif  de  plus  vain,  de  plus 
vicieuse  institution,  si  ce  n'est  celle  des  médailles  à  trois  degrés 
et  numériquement  comptées  six  mois  à  l'avance. 

N'est-il  pas  bien  présomptueux  d'agir  avec  ces  façons  de  petite 
Providence  et  de  décider,  en  novembre,  qu'on  ne  verra,  en  mai, 
au  Salon,  que  tel  nombre  et  non  tel  autre  d'œuvres  dignes  d'être 
officiellement  recommandées  au  public? 

N'est'-il  pas  bien  contradictoire  d'établir  trois  classes  de  récom- 
penses, —  ce  qui  suppose  une  classification  esthétique,   une 


(•)  Voir  notre  numéro  du  23  mars. 


subordination  dos  genres,  — et  de  bouleverser  sciemment  tout 
le  système  hiérarchique  en  attribuant  des  récompenses  de  même 
classe  à  des  genres  d'ordres  distincts,  à  une  Douzaine  dludtres 
et  à  un  Bon  Dieu  ?  . 

Tôt  ou  lard  on  supprimera  ce  malencontreux  et  fallacieux  élé- 
ment d'émulation  qui  remplit  si  peu  son  objet,  Majs  si  les  artistes, 
race  d'enfants,  tiennent  absolument  aux  médailles,  il  n'y  a  qu'un 
moyen  de  leur  laisser  ce  hochet  tout  en  sauvegardant  l'équité  en 
même  temps  que  la  dignité  des  exposants  et  celle  du  jury  : 

Il  faut  en  revenir  h  la  médaille  d'autrefois  de  valeur  unique. 

Il  faut  qu'elle  soit  distribuée  sans  limitation  de  nombre. 

Il  faut  qu'elle  mette  l'artiste  hors  concours. 

Extrait  du  Salon  de  Paris  de  1882,  par  le  même. 

Ne  discutons  pas  les  médailles  qui  ont  été  votées  par  le  jury  du 
Salon.  Cela  n'intéresse  vraiment  que  les  intéressés.  Outre  que 
l'institution  monarchique  des  récompenses  est  devenue  absolu- 
ment ridicule  dans  un  Etat  démocratique,  leur  répartition,  le 
principe  étant  admis,  est  régie  par  des  règlements  si  défectueux, 
elle  donne  lieu,  d'autre  part,  à  tant  d'intrigues,  de  compromis  et 
de  concessions  où  la  question  d'art  n'est  d'aucun  poids,  qu.'il 
faut  laisser  aux  mains  de  ceux  qu'elle  amuse  encore,  cette  puéri- 
lité encombrante  et  malfaisante,  sans  nous  inquiéter  des  fils  qui 
la  font  mouvoir,  la  place  dont  nous  disposons  est  réservée  k  de 
plus'  dignes  sujets. 


J^O.TÉp      DE     MUSIQUE 

I.  —  Concert  Zarembski. 

M.  Zarembski  a  affirmé,  jcutli,  dans  l'audition  qu'il  a  donnée 
au  Conservatoire  avec  M*"^  Zarembski,  des  qualités  très  remar- 
quables do  compositeur  jointes  à-  une  virtuosité  de  premier 
ordre.  - 

La  pièce  capitale  de  ce  concert  charmant,  auquel  n'ont  manqué 
ni  la  variété  ni  l'intérêt,  quoiqu'il  fût  tout  entier  consacré  au 
même  auteur,  était  un  quintette  inédit  pour  piano  et  instruments 
à  cordes,  l'œuvre  la  plus  récente,  et  la  plus  belle  du  jeune 
maître. 

Elles  se  développent  superbement,  les  quatre  parties  de  celte 
composition  vraiment  personnelle  et  impressionnante,  tantôt 
mystérieuse,  traversée  d'harmonies  poignantes,  évocatrices  d'on 
ne  sait  quel  cortège  de  douleurs,  tantôt  fougueuse,  rythmant  sur 
des  mètres  inégaux  des  mélodies  aux  allures  emportées,  qui 
passent  comme  une  tempête  dans  le  déchaînement  des  instru- 
ments. 

Le  premier  allegro^  Yaniante,  le  scherzo  aux  contours  pim- 
pants, le  /înfl/e  qui  débute  par  le  motif  sautillant  du  5c/i<îr;50  et 
s'élève  rapidement  h  des  hauteurs  d'inspiration  peu  communes, 
graduent  logiquement  l'impression  qui,  dès  la  première  partie, 
étreint  Tauditeur.  . 

Depuis  longtemps,  on  n'a  écrit  pareille  page  de  musique  de 
chambre.  Pour  ses  débuts  dans  ce  genre,  M.  Zarembski  a  fait 
une  œuvre  magistrale. 

Excellemment  interprété  par  l'auteur  et  par  MM.  Hubay,  Van 
Slyvoort,  Colyns  et  Servais,  le  quintette  a  obtenu  le  grand  succès 
qu'il  méritait.  . 

Nous  avons  déjà  parlé  de  la  manière  dont  M.  Zarembski  écrit 
pour  le  piano.  Liszt  dirait  qu'on  n'a  pas  mieux  fait  depuis 


Chopin.  La  Noyelette^cnprice,  la  Valse  sentimentale,  la  Séré- 
nade espagnole,  avec  ses  rythmes  originaux  et  gais,  le  Menuet, 
interprétés  avec  beaucoup  de  charme  et  de  talent  par 
M"'e  Zarembski,  ont  été  particulièrement  applaudis,  ainsi  qu'une 
série  d'autres  pièces,  parmi  lesquelles  la  curieuse  Sérénade 
burlesque  et  la  Tarentelle,  d'une  difficulté  d'exécution  terrible, 
joués  par  M.  Zarembski. 

La  dernière  représentation  des  Maîtres-Chanteurs,  qui  avait 
lieu  le  même  soir,  a  empêché  bon  nombre  de  musiciens 
d'assister  à  l'intéressante  séance  des  deux  virtuoses.  Ce  serait 
vraiment  aimable  h  eux  d'en  donner  une  seconde.  La  musique 
de  M.  Zarembski,  sérieuse  et  travaillée  avec  soin,  est,  dans  tous 
les  cas,  de  celles  qu'on  aime  à  réentendre. 

II.  —  Conservatoire  de  Gand. 

{Correspondance  particulière). 

Dimanche  dernier,  au  grand  théâtre  de  Gand,  a  été  exécutée 
\di  Damnation  de  Faust,  sous  la  direction  de  M.  Samuel.  Une 
première  audition  en  avait  été  donnée  le  jeudi  précédent. 

L'exécution  en  a  été  excellente.  L'orchestre  avait  été  dressé 
comme  un  cheval  à  la  haute  école  dans  les  cirques,  patiemment, 
longuement,  et  les  répétitions  avaient  duré  souvent  jusqu'^  dix 
et  onze  heures  du  soir.  On  est  arrivé  ainsi,  grùce  h  un  entraîne- 
ment méthodique  et  pointilleux  à  une  quasi  entière  réussite. 

MM.  Van  Dyck  et  Blauwaerl,  ainsi  que  M"*^  Houe,  interprétaient 
la  partie  chantée  de  l'œuvre  :  M.  Van  Dyck  dont  la  voix  s'est 
admirablement  développée  et  timbrée,  M.  Blauwaerl  qui  compte 
parmi  les  barytons  les  plus  mâles  et  les  plus  consciencieux, 
M"''  Howe  dont  les  moyens  ne  sont  pas  à  la  hauteur  des  grands 
rôles ^mais  qui  s'est  montrée  convenable  dans  le  rôle  relativement 
effacé  de  Marguerite,  .  • 

Le  publier  tellement  niQrdu  h  l'art  de  Berlioz  qu'une  troisième 
audition  a  été  demandée.  Elle  a  eu  lieu  mardi  dernier. 

Les  morceaux  les  plus  applaudis  ont  été  la  Danse  des  Sylphes 

ci  là  Coui'se  à  V abîme. 

■       ,       -^  '        •  • 

*   ■•- 

De  grandes  fêtes  musicales  auront  lieu  h  Gand,  du  24  juillet 
au  6  août,  pour  fêter  le  cinquantenaire  de  la  fondation  du  Conser- 
vatoire. 

Entre  autres  solennités,  on  donnera  au  grand  théâtre  trois 
représentations  de  Quentin  Durward,  en  vue  desquelles  l'admi- 
nistration du  Conservatoire  gantois  a  engagé  MM.  Rodier,  Soula- 
croix,  Lefebvre,  Chappuis,  Renaud  et  Frankin. 


•pOJMFÉRENCE^    ARTISTIQUES 

Conférence  de  M.  Georges  Rodenbach. 

C'était  au  Cercle  des  Etudiants  progressistes.  L'amoureux  et 
mondain  poêle  Rodenbach,  dans  une  causerie  pleine  de  fine 
raillerie  où  les  traits  mordants  étaient  enchâssés  avec  art,  a 
raconté  l'origine  des  Ilijdropathes ,  ces  fiers  écrivains  qui  ont 
débuté  par  lire  leurs  vers  dans  une  brasserie  du  boulevard  Saint- 
Michel,  et  qui,  presque  tous,  sont  aujourd'hui  célèbres.  Il  a  rap- 
proché ce  mouvement  de  jeune  littérature  de  celui  dont  il  est,  en 
Belgique,  l'un  des  promoteurs.  Il  a  montré  combien  il  était  utile 
de  secouer  l'arbre  de  notre  art  pour  en  ûiire  tomber  les  chenilles 


qui  le  rongent,  les  fabricanls  de  cantates,  les  cuistres  de  la 
critique,  les  poêles  couronnés  qui,  dans  des  vers  comiquemonl 
lamentables,,  pleurent  le  départ  des  animaux  du  Jardin  Zoolo- 
pique... 

II  a  raconté,  la  bonne  part  qui  revient  à  la  Jeune  Belgique  dans 
cet  échenillage. 

Après  avoir  fait  firo  aux  larmes  en  lisant  certains  extraits  des 
«  gloires  »  de  la  liljtérature  beige,  il  a  ému  son  auditoire  en  lui 
faisant  connaître  qiielques  belles  pièces,  forgées  dans  le  métal 
sonore  de  la  poésie  nioderne. 

Jamais  le  conférencier  ne  fut  plus  heureux  dans  le  choix  des 
expressions,  dans  les  souvenirs,  tristes  ou  joyeux,  qu'il  évoqua, 
dans  les  récits  rapides  dont  il  sema  son  discours. 

Conférence  de  M.  Sigogne. 

C'est  de  la  Mode  que  parla  mardi  M.  Sigogne  au  Palais  des 
Académies.  «  Sujet  profane  !  »  ont  dû  se  dire,  comme  le  maître- 
chanteur  Kothner,  ces  dames  du  cours  supérieur  auxquelles 
s'adressait  le  conférencier.  Sujet  profane,  mais  traité  comme  il 
convenait  dans  celte  salle  où  les  académies  se  succèdent,  chan- 
geant de  sexe  sans  modifier  leur  austérité. 

A  propos  de  la  mode, M.  Sigognea  parlé  philosophie,  histoire, 
science,  art,  avec  la  facilité  qu'on  lui  connaît  et  l'autorité  qu'il 
commence  à  acquérir. 


Jhéatre^ 

Théâtre  de  la  Monnaie. 

Un  cliché  dont  se  servent  généralement  les  critiques  quand  il  s'agit 
d'une  œuvre  quelconque  de  Saint-Saëns,  c'est  de  parler  de  son 
orchestration  «  savante  »»  et  «  nourrie  ».  Le  cliché  a  naturellement 
été  employé  à  propos  de  cette  Scène  d'Horace  que  l'auteur 
à'Henri  VIII  a.  fait  chanter  la  semaine  dernière  par  M™«  Caron  et 
M.  Seguin. 

Or,  l'orchestration  dé  cette  page  assez  terne  n'est  ni  fsavante  ni 
nourrie.  Ecrite  il  y  a  vingt-cinq  ans,  dans  la  jeunesse  de  Saint-Saëns, 
elle  est  simplement  ampoulée  et  vide.  On  s'étonne  même  qu'un  musi- 
cien de  la  valeur  de  son  auteur  croie  utile  à  sa  réputation  de  res- 
susciter une  œuvre  d'aussi  mince  valeur. 

Son  excuse,  c'est  que  jamais  il  n'avait  entendu  chanter  au  théâtre 
ces  Imprécations,  qui  ont  la  prétention  de  traduire  musicalement  les 
vers  sonores  de  Corneille.  Pourquoi  de  la  musique?  Pourquoi  des 
notes  sur  cette  mélopée  qui  se  passe  à  merveille  de  tout  accompa- 
gnement et  rompt  dédaigneusement  le  mètre  mélodique  dans  lequel 
on  cherche  à  l'enfermer?  .         - 

Il  a  donc  tenu  à  les  entendre  déclamer  par  M™«  Garon,  dont  le 
tempérament  tragique,  la  stature  et  le  geste  s'allient  bien  aux  senti- 
ments exprimés  par  le  poète.  Son  rêve  a  été  accompli.  Et  le  public  a 
témoigné  aux  deux  artistes  chargés  de  l'interprétation  combien  il 
avait,  même  dans  des  ouvrages  médiocres,  de  plaisir  à  les  applaudir. 

A  ■    ■ 

A  signaler  aussi  un  concert  de  musique  italienne,  consacré  à  la 
musique  de  Verdi,  donné  mardi  dernier  avec  le  concours  de 
^Jme  Albani.  on  a  chanté  en  italien  et  en  français.  Ceux  qui  aiment 
ça  se  sont  régalés.  Le  trio  de  Jérusalem  a  succédé  à  la  Traviata. 
M.  Ghapuis  tenait  le  piano,  La  Traviata  a  été  chantée  en  costumes 
de  théâtre,  Jérusalem  en  habits  de  ville. 

A'^ariété  complète  donc,  comme  langue  et  comme  vêtements,  La 
musîqkie  seule  a  paru  languissammenl  uniforme. 

M"'«  Albani  a  eu  son  succès  habituel.  Oij  a  écouté  avec  1  ebahisse- 


merit  accoutumé  ses  vocalises  compliquées  et  le  mécanisme  d'horlo- 
gerie de  sa  voix. 

Mais  pourquoi  baptiser  ce  concert  représentation  théâtrale? 
Etait-ce  par  ironie?  Si  c'est  une  plaisanterie  faite  par  l'imprimeur 
des  alliches,  nous  demandons  la  tête  du  coupable. 


**i; 


La  représentation  de  clôture  des  Maîtres-Chanteurs  Siéié  superbe. 
On  sentait  entre  les  spectateurs  et  les  artistes  un  courant  sympathi- 
que, bien  établi,  manifesté  chez  les  uns  en  applaudissements  enthou- 
siastes, cliez  les  autres  en  soins  particuliers  apportés  à  l'interpréta- 
tion. 

Un  groupe  de  Wagnéristes  a  offert  à  M,  Seguin,  pour  la  façon 
remarquable  dont  il  a  créé  le  rôle  de  Hans  Sachs,  une  magnifique 
couronne  de  feuillage  doré  encadrant  une  palme  verte.  Cette  cou- 
ronne lui  a  été  remise  après  le  monologue  du  troisième  acte  et  toute 
la  salle  s'est  associée  à  cette  manifestation,  bien  méritée. 

La  loge  Union  et  Progrès  et  celle  des  Amis  Philanthropes  out 
remis  à  MM.  Verhees  (Walter)  et  Durât  (Pogner),  les  triangles 
maçonniques  en  feuilles  de  chêne. 

Le  Quintette  a  été  bissé.  On  a  beaucoup  admiré  la  persévérance 
du  Maître-Siffleur  qui  continue  à  suivre  assidûment  les  représenta- 
tions pour  s'exercer,  durant  le  deuxième  entre  acte,  à  l'innocent 
talent  de  société  par  lequel  il  cherche  à  se  distinguer. 

On  l'a  hué  jeudi  et,  à  travers  la  tempête  de  bravos  qui  a  étouffé  le 
chant  de  ce  merle  en  habit  noir,  on  a  distingué  les  cris  :  «  A  la  porte, 
le  Beckmesser!  »  On  a  eu  tort,  à  notre  sens.  Il  eût  été  fâcheux  de 
priver  la  salle  du  spécimen  rare  et  précieux  qui  l'a  tant  égayée  ces 
derniers  jours. 

Gela  fera  bien,  pour  la  gloire  de  Wagner,  de  dire  qu'il  a  été  sifflé  à 
Bruxelles  en  188.5.  Et  bientôt,  on  ne  trouvera  plus  même  un  archi- 
tecte pour  se  charger  de  cet  office  ! 

Théâtre  Molière.  —  Une  dernière  représentation  du  PrijicéZilah 
aura  lieu  ce  soir,  à  prix  réduits.  Ce  spectacle  clôturera  la  saison 
tlioâtrale. 


EXPOSITION  UNIVERSELLE  D'ANVERS 

Les  expositions"  artistiques  se  multiplient.  Après  l'Exposition 
officielle,  après  le  Salon  «  d'à  côté  «  ou  «  d'en  face  ",  voici  une  exhi- 
bition de  peintures  dues  à  un  groupe  d'artistes  anversois,  MM.  Eniile 
Glaus,  Farasyn,  Geefs,  Hens,  Joors,  Joris,  Lauwers,  Simons  et 
Verstraete. 

Gette  exposition,  dont  l'ouverture  a  lieu  aujourd'hui,  est  située 
rue  aux  Lits  11  (salle  De  Buck).  Elle  est  visible  tous  les  jours,  de 
10  à  5  heures,  moyennant  une  entrée  de  50  centimes. 

Les  œuvres  exposées  seront  remplacées  tous  les  mois. 


Nos  lecteurs  savent  que  l'administration  communale  d'Anvers  a 
i  nstitué  un  Comité  de  Logements,  destiné  à  suppléer  à  l'insuffisance 
éventuelle  des  logements  pendant  la  durée  de  l'Exposition. 

Gette  institution  n'est  pas  absolument  nouvelle;  elle  a  fonctionné 
antérieurement,  mais  à  titre  privé  et  lucratif.  Il  va  sans  dire,  au 
contraire,  que  la  ville  d'Anvers  n'entend  retirer  aucun  bénéfice  de 
son  initiative.  Elle  n'a  eu  en  vue  que  l'intérêt  général,  et  le  désir  de 
soutenir  son  vieux  renom  d'hospitalité. 

Le  Comité  formé  sous  ses  aupices  a  commencé  par  faire  appel  à 
tous  les  habitants  ayant  des  appartements  disponibles  ;  puis  ces 
appartements,  dont  le  nombre  dépasse  déjà  1,200,  ont  été  visités  par 
les  experts  et  classés  suivant  leur  degré  de  confort  ;  enfin  un  tarif 
et  un  règlement  détaillé  ont  été  élaborés. 

A  peine  débarqué,  le  voyageur  pourra  donc  trouver,  en  s'adressant 
aux  bureaux  établis  [)ar  le  Comité,  l'appartement  qu'il  lui  faudra. 
11  y  eu  aura  pour  tous  les  goûts  et  dans  tous  les  prix  :  15,  10,  8,  6 


4  francs,  voire  2  fr.  50  et  1  fr.  50  par  jour,  service,  lumière  et 
déjeûner  compris.  Les  plus  modestes  de  ces  logements  seront  pro- 
pres et  bien  tenus. 

Le  Comité  a  fait  plus  encore.  Grâce  à  Tobligeance  de  la  ville,  il  a 
transformé  en  hôtel  populaire  l'ancien  local  de  l'Athénée.  Ce  vaste 
établissement  a  été  aménagé  de  façon  à  pouvoir  loger  simultanémenjt 
5000  personnes.  Deux  médecins  y  seront  attachés  et  en  vérifieront 
quotidiennement  les  conditions  hygiéniques.  Le  prix  uniforme  de 
ces  logements  démocratiques  sera  d'un  franc. 


RECETTE  POUR  AVOIR  DU  GENIE 

On  ne  consulte  pas  assez  los  bouquins.  Ils  sont  pleins  de  révé- 
lations inattendues.  Peintres  de  balaillos,  écoutez-nous.  La  critique 
déplore  la  décadence  de  la  peinture  Que  n'employez-vous  la 
recette  d'Etienne  Marc,  peintre  espagnol,  mort  en  1660? 

—  Etienne  Marc?  - 

—  Oui.  Voici  ce  qu'en  raconte  un  auteur  du  siècle  dernier  : 

«  Etienne  Marc,  peintre  espagnol,  mort  en  1660,  exprimait 
supérieurement  les  batailles  Par  manie  plutôt  que  pour  avoir  des 
modèles,  il  avait  entouré  le  lieu  de  son  travail  de  cuirasses,  de 
sabres,  de  casques,  de  lances,  etc.  Cet  appareil  militaire  ne  lui 
suffisant  point  encore,  il  avait  coutume,  avant  de  se  mettre  à 
l'ouvrage,  de  s'armer  de  pied  en  cap,  et  de  parcourir  la  maison 
en  battant  du  tambour. 

«  Quelquefois,  il  sonnait  la  charge  avec  une  trompette; 
ensuite,  il  mettait  le  sabre  à  la  main,  cl  frappait  d'estoc  et  de  taille 
en  s'escrimant  comme  un  furieux  dans  sa  chambre  au  erand  dom- 
mage  des  meubles.  Après  ce  bizarre  exercice,  il  prenait  le  pinceau 
et  rendait  avec  force  les  idées  de  guerre  et  de  carnage  dont  son 
esprit  venait  de  se  remplir.  » 

Le  moyen  est  simple,  pratique  et  pas  trop  coûteux.  C'est  le 
génie  à  la  portée  des  petites  bourses. 

On  trouvera  dans  le  volume  où  est  racontée  l'anecdote  une 
foule  de  conseils  utiles  et  tout  aussi  faciles  à  suivre,  même  en 
voyage.  Le  titre  de  l'ouvrage  en  dit  d'ailleurs  plus  long  que  les 
commentaires.  Le  voici  : 

«  Anecdotes  des  Beaux- Arts^  contenant  tout  ce  que  la  Pein- 
ture, la  Sculpture,  la  Gravure,  C Architecture,  la  Littérature, 
la  Musique,  etc.,  et  la  Vie  des  artistes,  offrent  de  plus  curieux 
et  de  plus  piquant  chez  tous  les  peuples  du  monde,  depuis  iorigin-e 
de  ces  différents  Arts  jusquà  nos  jours.  Ouvrage  qui  facilite 
d'une  façon  aussi  instructive  qu'amusante  la  connaissance  des 
Arts,  en  trace  les  progrès  et  la  décadence  parmi  les  nations  qui 
les  ont  cultivés  et  dans  lequel  on  trouve  un  grand  nombre  de  traits 
intéressants  qui  n'avaient  pas  encore  été  publiés.  Avec  des  notes 
historiques  et  artistiques  et  des  tables  raxsonnées  oii  l'on  apprécie 
en  peu  de  mots  les  artistes  et  les  auteurs  dont  on  a  rapporté  des 
anecdotes.  Par  M.  Nougaret.  A  Pans  chez  Jeau-François  Bastion, 
libraire,  rue  du  Peiii-Lion,  Faubourg  Saint-Germain,  1776.  Deux 
volumes  in-S**  d'en,viron  700  pages  chacun.  » 


f 


ETITE    CHROJVIQUi: 


On  assure  qu'à  l'occasion  de  la  discussion  des  articles  du  budget 
des  Beaux-Arts,  M.  Slingeneyer,  député  de  Bruxelles,  et  M.  Osy, 
député  d'Anvers,  prendront  la  parole  et  défendront  énergiquement  la 
thèse  que  les  beaux-arts  méritent  de  préoccuper  le  gouvernement 
autant  que  toutes  les  autres  branches  de  I  activité  nationale. 

Cette  initiative  serait  opportune  et  heureuse.  Nous  y  applaudirions 
sans  réserve.  Il  y  a  une  jjlace  à  prendre  à  la  Chambre  dans  ce 
domaine  trop  délaissé.  Les  artistes  se  réjouiraient  d'y  avoir  enfin  un 
défenseur  attitré.  On  peut  ne  point  aimer  la  peinture  de  M.  Slinge- 
neyer, mais  c'est  fort  injustement  qu'on  lui  a  contesté  les  qualités 
qui  lui  permettront  de  remplir  ce  rôle,  et  certes  les  appuis  ne  lui 
manqueront  pas.  s'il  prend  les  questions  de  haut  et  sans  étroite 
préoccupation  d'école. 


Pour  rappel,  voici  le  programme  du  concert  Wagner  qui  sera 
donné  aujourd'hui,  diman^lCçS  mai,  à  8  heures  du  soir,  par  la 
direction  des  Concerts  populaires  : 

1.  Premier  acte  d*  La  Valkyric  (version  française  de>M.  Victor 
Wilder).  —  Sieglinde,  Mme  Blanche  Deschamps  ;  .Siegmund, 
M.  Van  Dyck;  Hunding,  M.  Blauwaert. 

2.  Fragments  de  Parsifal  (l'e  exécution)  :  A.  Prélude  ;  B.  Scène 
du  jardin  enchanté  (2*  acte)  (version  française  de  M.  Kufferath). 

*  Parsifal,  M  Van  Dyck;  Filles-fleurs.  Mm'»  Louise  Wolf,  Jane 
De  Vigne,  Lecerf,  Buol,  Hiernaux,  Flon-Botman.  Chœurs  de 
femmes. 

C.  Scène  du  Vendredi-Saint  (3«  acte)  (version  française  de 
M.  Kufferath).  —  Parsifal,  M.  Van  Dyck;  Gurnemanz,  M.  Blau- 
waert. 

3.  Siegfried-Idylle  (l""*  exécution).  - 

4.  La  chevauchée  des  Valkyries  (version  française  de  M.  Victor 
Wildér)  —  Valuyries,  Mm^s  Blanche  Deschamp's,  Baudelet,  Buol, 
Jane  De  Vigne,  FIon-Botman,  Hiernaux,  Lecerf  et  Louise  Wolf. — 
Directeur  du  chant,  M.  Ph.  Flon. 

Jamais  il  n'y  eut  pareil  empressement  du  public.  La  salle  est 
entièrement  louée,  jusqu'aux  strapontins,  depuis  le  commencement 
de  la  semaine,  et  les  demandes  de  places  continuent  à  affluer. 

La  direction  des  Concerts  populaires  sera  obligée  de  donner  une 
seconde  audition  du  même  concert.  Celle-ci  aura  lieu  vraisemblable- 
ment jeudi  prochain. 

On  parle  aussi  daller,  avec  l'orchestre  et  les  chœurs,  donner  une 
audition  du  concert  Wagner  à  Anvers. 

La  maison  Schott  frères  a  mis  en  vente  hier;  pour  servir  de  pro- 
gramme détaillé  à  cette  solennité  musicale,  une  brochure  de  36 
pages  in  13°  contenant  la  traduction  du  premier  acte  de  la  Valfcyrie 
et  des  scènes  de  Parsifal  qu'on  exécutera  ce  soir. 


C'est  demain  lundi  que  commenceront  au  Waux-Hall  du  Parc, 
sous  la  direction  de  M.  Léon  Jehin,  les  concerts  quotidiens  donnés 
par  l'orchestre  du  théâtre  delà  Monnaie. 

Il  est  à  peine  nécessaire  de  recommander  ces  excellentes  auditions 
qui  ont,  depuis  des  années,  la  faveur  du  public. 

Mardi  5,  à  8  heures  du  soir  M^es  Caron,  B.  Deschamps, 
Bosmau,  A.  Legault  et  MM.  Gvesse,  Seguin  et  Soulacroix,  se  feront 
entendre  à  la  Grande-Harmonie  dans. un  grand  concert  organisé  par 
M.  Renaud.  Le  programme  comprend,  outre  un  opéra-comique,  les 
Valets  modèles,  interprété  par  M'i»  Legault  et  M.  Soulacroix,  seize 
morceaux  de  musique,  parmi  lesquels  le  trio  de  Jérusalem,  le  duo 
de  Sémiraniis,  le  duo  d'Hamlet,  le  duo  des  Noces  de  Figaro,  pour 
voix  de  femmes,  le  duo  de  Mireille,  l'air  de  Nabuchodoyiosor,  etc. 

Le  prix  des  places  est  de  10  et  de  5  francs. 


Le  grand  Concert,  organisé  par  la  Nouvelle  Société  de  Musique  de 
Bruxelles,  aura  lieu,  sans  aucune  remise,  le  dimanche  10  mai  1885, 
à  2  heures  de  relevée,  dans  la  salle  de  i'Alhambra. 

M'"e  Bosman  ayant  été  appelée  à  Paris  vers  le  5  mai  au  plus  tard, 
pour  les  répétitions  de  Sigurd,  le  Comité  a  fait  appel  à  M""*  Gornélis- 
Servais,  dont  les  derniers  concerts  du  Consei'vatoire  ont  mis  le 
sérieux  talent  en  relief. 

Des  places  sont  à  la  disposition  du  public  chez  le  Trésorier  de  la 
Société,  M.  Charles  Hoffmann,  32,  rue  de  Loxum,  et  chez  MM.  Schott 
frères,  82,  Montagne  de  la  Cour. 

L'Union  des  jeunes  compositeurs  adonné  cette  semài/ie  sa  séance 
d'inauguration,  dans  une  des  salles  du  Palais  des  Beaux-Arts. N  ous 
avon&eu  le  regret  de  ne  pouvoir  assister  à  ce  concert,  qu'on  nous  a 
dit  avoir  été  fort  intéressant.  On  y  a  entendu  un  trio  pour  piano  et 
pour  ins^fumeuts  à  cordes  de  M.  Pierre  Heckers,  la  Suite  pour 
piano  et  violon  (le  M.  Emile  Agniez,  des  chœurs  drt  MM.  Léon 
Soubre  et  Philippe  Flou,  diverses  pièces  pour  piano  et  violon  de 
M.  Arthur  De  Greef,  un  fragment  d'opéra  {Esthrr)  de  M.  Léon 
Jehin,  une  berceuse  de  M.  Louis  Macs  et  des  mélodies  de  M.  Léon 
Dubois. 

Les  solistes  étaient  M'"*'  Cornélis-Servais,  M.  Edm.  Peeters, 
De  Greef,  Agniez  et  Maes. 

Nous  applaudissons  de  tout  cœur  aux  efforts  de  cette  jeune  et 
vaillante  association. 

Le  concert  annuel  de  la  Société  royale  l'Orphéon  aura  lieu, 
samedi  prochain,  à  8  heures  du  soir,  au  théâtre  de  la  Monnaie. 


144 


VART  MODERNE 


M"«  Haroaekers,  MM.  RenaUd,  Eldemig,  violoniste,  et  Karl  Hertz,' 
violoncelliste,  s'y  feront  entendre. 

La  Société  exécutera  Le  Départ  des  Pêcheurs,  de  Léon  Jouret  ; 
Le  Nid,  de  Camille  De  Vos  ;  Nocturyie,  de  A.  Wouters  ;  Magni- 
ficat, d^  Chiaromoute  et  Chant  d'Atnonr,  de  Ph.  Flon,  tous.chœurs 
qui  ont  été  imposés  au  dernier  concours  de  chant  organisé  par 
rOy-phéon.         ,  ■ 

Le  Figaro  organise,  nous  dit-on,  une  audition  ô'Egmont,  l'opéra 
^e  MM."  Salvayre,  Albert  Wolff  et  Albert  Millaud,  qui  fait  en  ce 
moment  l'objet  d'un  procès  entre  ces  messieurs  et  la  nouvelle  direc- 
tion de  l'opéra. 

La  critique  sera  ainsi  appelée  à  se  prononcer  sur  le  mérite  de 
l'œuvre  que  MM.  Ritt  et  Gaiîlhard  ont  refusé  de  jouer. 

Des  artistes  de  choix  seront  chargés  de  l'interprétation.  Ce  sont 
MM.  Lasalle  et  Van  Dyck,  M'»««  Krauss  et  Rosine  Bloch. 


L'Odéon  annonce  pour  le  mardi  5  mai  la  reprise  de  VArlésienne, 
d'Alphonse  Daudet,  avec  l'exécution  de  la  musique  de  Georges  Bizet 
par  l'orchestre  Colonne.  On  annonce  des  merveilles  de  mise  en  scène 
pour  cette  intéressante  représentation. 

Les  a7ino7ices  sont  reçues  au  bureau  du  journal, 
26 y  rue  de  T Industrie,  à  Bruxelles. 

ÉDITEUR  DE  MUSIQUE 

RUE  SAINT-JEAN,   10,  BRUXELLES 
Ouvrages  recommandés,  pour  piano 

ERMEL,  A.  0\):2Q.  Conte  oriental,. Cdijivice    ....     Fr. 
—  ^i.  Les  Soirées  de  Bruxelles, Ivn'^vomxi- 
tus -Valses  .     .     .     ,     .     .     . 

—  —  35.  '^er  Air  de  Ballet 

—  Chant  du  Soir  (nouvelle  édition)  .     .     . 

—  Balafo,  Polka-Fantaisie    .     .     .  '  .     . 

—  Etoiles  scintillantes,  Mazurka .     .     .     . 
KOETTLITZ,  M.  Op.    9.  Barcarolle 

—  —   12.  Laetidler 

-  —  —  2i.  Danse  rustique    .... 


2.00 

2.50 
2.00 
2.00 
2.00 
2.00 
2  00 
1.35 
1.75 


VIENT  DE  PARAITRE  CHEZ 

BREITKOPF  &  HÀRTEL 

ÉDITEURS   DE   MUSIQUE 

BRUXELLES,  41,  MONTAGNE  DE  LA  COUR 


ECOLE    DE    PIANO 

DU    CONSERVATOIRE   ROYAL    DE   BRUXELLES 

yeiivièmc  livraison. 
PH.     EM.    BACH. 

Sonates  en  ia  maj  ,  ut  min.,  la  min.,  la  b.  maj. 
Prix  :  fr.  6.50 

VIENT  DE  PARAITRE 

CHEZ   FÉLIX   CALLEWAERT   Père 

20,   hLE  LE  L'INDUSTRIE.  A  BRUXELLES 


LA  FORGE   ROUSSEL 

PAR  Edmond  PICARD 

Édition  définitive,  tirée  à  petit  nombre 

Prix  :    Grand  Jaj)on,   60   francs;  Chine   genuine,  40  francs; 
Hollande  Van  Gelder, -25  francs. 


SCHOTT  Frères,  Editeurs  de  Musique,  Bruj^elles 

RI;E  DL'Ql'ESNOY,  3^  coin  de  la  rue  de  la  Madeleine 
Maison   principale  :    MONTAGNE    DE  XA   COUR.    82 


LES  HAITREHMNTËURS  DE  NUREMBERG 

(Die  Meister singer  von  N tir nber g)  . 

Opéra  en  3  actes  de 

I^IOI3:y^T^ID  ■w.A_Gl-ISTEI^ 

PARTITION    POUR    CHANT    ET    PIANO,    NET    20    FRANCS. 


Libretto  .        .       .        .        .        .       .       .       .       .       . 

Benoit.  Les  motifs  typiques  des  Maîtres  chanteurs  . 

ARRANGEMENTS  POUR  PIANO  A  2  MAINS  : 


Fr. 


La  Partition  com'plète        .       .       .        .       . 
Ouverture,  Introduction       .        .        .        . 
/^a  i)iÉ;»ie,  arrung.  par  H.  de  Bulow    . 

Introduction  du  3*  acte 

iîc^î/cr,  i^.  liépertoire  des  jeunes  pianistes 

«         Bouquet  de  Mélodies 

Brunncr,  C.  Trois  transcriptions,  chaque 
Bulow,  H.  [de).  Réunion  des  Maîtres  chanteurs 

«  Paraphrase  sur  le  quintuor  du  3'  acte 

Cramer,  H.  Pot-pourri 

«  Marche     .        .       .       .       . 

«  Danse  des  apprentis       .... 

Gohbaertx,  L.  Fantaisie  brillante       .        .        . 
Jaell,  A.  Op.  137,  Deux  transcriptions  brillantes  (Werbegesang- 
Preislied),  chaque       .        .        . 
«        Op.  148,  Au  foyer   ...... 

Lassen,  E.  Deux  transcriptions  de  salon,  n°  I  . 

"  "  «  n"  II.       . 

Z,«7<îr(.  Op.  26.  Transcription     .        .        .        .        . 

Rair,  J.  Réminiscences  eu  quatre  suites,  cahier  I  et  II,  à 

cahier  III. 
cahier  IV. 
Rupp,  H.  Chant  de  Walther       .        .        .        . 


2    s, 
1  50 


25     y 

2  « 

3  « 
1    » 

1  75 

2  25 
1  75 
1  75 
1  75 


25 
75 


ARRANGEMENTS  POUR  PIANO  A  4  MAINS  : 

La  Partition  coniplète 

Ouverture.  Introduction  par  C.  Tausig     .        .       .       . 
J5e)/<?'*j^.  Revue  mélodique        .        .        .        ,        .        .        ,        . 
Bùlow,  H.  (de).  La  réunion  des  Maîtres  chanteurs,  paraphrase     . 

Cramer,  H.  Pot-pourri.        .        . 

«   ,       Marche     ",        .        , 

De  F<7i>rtc.  Deux  illustrations,  chacune     .       - 


ARRANGEMENTS  DIVERS  :       . 

Ouverture  pour  2  pianos  à  8  mains 

G regoir  et  Léonard.  Hno^ovLV  violon  Qi\)ïSL\\o.       .        . 
/las^Hcr,  £".  Paraphrase  pour  orgue-mélodium.        .        .        .        . 

Lux,  F.  Prélude  du  3'  acte  pour  orgue     ...... 

Oberthur^  Ch.  Chant  de  Walther  pour  harpe    .        . 
Singelée,  J.  B.  Fantaisie  brillante  pour  violon  et  piano  . 
Golterman.  Chant  de  Walther,  pour  violoncelle  et  piano 
Wickede,  F.  (de).  Morceaux  lyriques  pour  violoncelle  et  piano     . 
N°  1.  AValther  devant  les  Maîtres       .        .        .       . 

N-  2.  Chant  de  Walther. 

Wilhelmj,  A.  Chant  de  Walther,  i)araphrase  pour  violon  avec 
acconipag.  d'orchestre  ou  de  piano.  Partition 
L'accompagnement  d'orchestre. 

»  de  piano      .       .       .        .        . 


2  « 
2,25 
2  V, 
2  25 

1  35 

2  25 

2     r> 

2  .50 
1  75 


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3  50 
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3  75 


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4  » 
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1  25 

1  25 

2  25 
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3  >i 

5  « 
3  50 


BRUXELLES 
rue  Thérésienne,  6 


GUNTHER 


PIANOS 

VENTE 

ÉCHANGE 

LOCATION 

Paris  1867,  i878,  1"  prix.  —  Sidncy,  seul  l"  et  2«  prix 

EXPOSITION  ÂHSTERDÂI  1883^  SEUL  DIPLOIE  D'HONNEDB. 

J.  SCHAVYE,  Relieur 

46,  RiCe  du  Nord,  Bruxelles 


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SPECIALITE  D'ARMOIRIES  BELGES  ET  ÉTRANGÈRES 


Bruxelles.  —  Iinp.  Félix  Calleavabut  père,  rue  de  l'Industrie,  20. 


Cinquième  année.  —  N°  19. 


Le  numéro  :  25  centimes, 


Dimanche  10  Mai  1S85. 


L'ART 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,  un   an,   fr.   10.00;  Union   postale,   fr.    13.00.    —  ANNONCES  :    On  traite  à  forfait. 

Adi^esser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à  ^ 

l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


? 


OMMAIRE 


Concert  Wagner.  —  James  Tissot.  —  De  la  modernité  dans 
l'art.  —  La  poésie  nouvelle.  Godefroy  de  Lussinan.  —  Théâ- 
tres. Théâtre  de  l'Alcazar.  La  Cantinière.  —  Petite  chronique. 


3  et  7  mai  1885. 

«  Wagner  ne  fait  pasd'iiriçonl  à  Bruxelles  ;  jamais  il  n'en  fera  ». 
—  Qui  dit  cela?  Les  troubadours  du  Ménestrel.  Ils  le  chantent 
on  mineur. 

El  le  Maîlre-Siffleur  de  la  Monnaie  ajoute,  dans  un  monument 
de  sottise  désormais  célèbre  :  «  Ils  sont,  en  tout,  une  trentaine 
d'illuminés  qui  essaient  de  faire  croire  à  un  succès  factice.  » 

On  devine  que  l'auteur  de  la  lettre  à  la  Gazette  a  l'habitude 
de  manier  les  pierres  de  taille.  Ses  bévues  en  ont  les  proportions. 

Que  n'étiez-vous  à  Bruxelles  la  semaine  dernière,  ô  trouba- 
dours !  Et  vous,  doux  siftleur,  que  ne  vous  êtes  vous,  armé  de 
l'instrument  de  musique  qui  vous  est  cher,  introduit  au  théâtre  en. 
ces  deux  mémorables  soirées?  Vous  eussiez  assisté  à  un  spectacle 
cu-ri-eux,  comme  dit  l'excellent  Nachtigall  :  une  salle  comble 
acclamant  Wagner,  rappelant  et  bissant  les  artistes,  faisant  iine 
ovation  enthousiaste  au  chef  d'orchestre,  applaudissant  chaque 
œuvre  avec  frénésie,  et  accueillant  la  dernière,  la  Chevauchée 
des  WalkyrieSy  par  un  ouragan  de  bravos,  de  trépignements,  de 
cris,  au  regard  duquel  le  charivari  qui  clôt  le  deuxième  acte  des 
Maîlres-Chanteurs  est  une  symphonie  aimable. 

Même  fessée,  d'ailleurs,  morale  celle-ci,  aux  Beckmesser 
bruxellois  que  tourmentent  les  lauriers  de  leur  confrère  de 
Nuremberg. 

El  si  les  recettes  d'un  bureau  de  location  pouvaient  servir  de 


critérium  à  la  valeur  des  ouvrages  lyriques,  nous  ajouterions  : 
Wagner  plaît  si  peu  aux  Bruxellois  qu'après  avoir  donné  une 
audition  de  ses  œuvres,  dimanche,  la  direction  des  Concerts  popu- 
laires* a  dû,  pour  satisfaire  aux  demandes  de  ceux  qu'on  n'a  pas  pu 
caser,  en  donner  une  seconde  le  jeudi  suivant. 

Ceci,  détail  à  noter,  quand  la  saison  est  finie,  qu'on  est  saturé 
de  musique,  que  nombre  de  personnes  ont  fait  leurs  malles  et 
que  la  température  éloigne  du  théâtre  quantité  d'habitués. 

Et  encore  les  conditions  dans  lesquelles  sont  présentés  au 
public  les  friigments  de  ces  deux  chefs-d'œuvre,  Parsifal  et  la 
Walkyrie,  ne  peuvonl-elles  donner  de  ce  qu'a  voulu  le  maître 
qu'une  idée  approximative. 

Nous  ne  parlons  pas  de  l'intcrprélalion,  qui  a  été  vraiment 
remarquable  dans  son  ensemble.  M.  Van  Dyck  a  accjuis,  en  deux 
ans,  une  autorité  exl^raordinaire.  Doué  d'une  voix  superbe,  il 
s'est  attaché  surtout  à  se  perfectionner  au  point  de  vue  de  l'arti-' 
culation,  et  il  est  arrivé  à  une  netteté  de  prononciation  telle 
que  certaines  personnes  l'ont  trouvée  exagérée.  Il  y  a  toujours  des 
gens  pour  qui  la[mariéc  est  trop  belle.  Quant  à  nous,  nous  ne  nous 
plaindrons  jamais  de  cette  qualité  rare,  quand  au  mérite  d'une 
diction  irréprochable  sont  jointes  les  séductions  d'une  voix 
chaude,  ardente,  avec  le  sentiment  juste  de  l'œuvre  interprétée. 
•M.  Van  Dyck,  dans  le  rôle  de  Siegmund  cl  dans  celui  de  Par- 
sifal, a  réuni  ces  précieuses  qualités.  Son  succès  a  été  très  grand 
et  bien  mérité. 

L'interprète  du  personnage  d'Hunding  dans  la  Walkyrie^  de 
Gurnemanz  dans  Parsifal^  était  M.  Blauwaerl,  dont  le  nom  est 
attaché  aux  principales  créations  d'œuvres  de  grand  souffle,  à 
celles  de  Wolan  principalement  et  de  Méphisiophélès  de  la 
Damnation  de  Faust, 

Il  n'a  cessé  de  progresser,  comme  chanteur  et  comme  musi- 
cien. 

M»«  Deschamps  a  chanté  le  rôle  difficile  de  Sieglinde  de  façon 


\ 


l\  satisfaire  toutes  les  exigences,  dans  les  sonorilwi  graves  tout  au 
moins,  t)ii  le  timbre  de  son  magnifique  contralto  s'est  épanoui 
largement. 

El  à  part'  les  liésiUliïMîs  prévues  des  Filles- fleurs,  tout  a  bien 
marché  du  côté  des  chœurs  et  de  l'orchestre.  Celui-ci  a  même 
mis  dans  rèxéciilion  de  VIdylle  de  Siegfried,  celle  page  exquise 
où  Wagner  tresse  pour  la  naissance  de  son  fils  la  couronne  des 
motifs  principaux  de  Siegfried,  une  discipline,  une  délicatesse, 
un  esprit  des  moindres  intentions  du  compositeur  qui  ont  valu 
aux  excellents  musiciens  de  M.  Dupont  une  ovation  justifiée. 

Ce  n'est  donc  pas  h  l'inlerprélation  que  nous  faisons  allusion 
en  parlant  de  conditions  défavorables  aux  œuvres.  Ce  sont  les 
nécessités  mêmes  d'une  audilion  restreinte  aux  ressources  du 
concert  :  l'absence  de  décors,  de  costumes,  de  mise  en  scène,  ces 
éléments  qui,  dans  le  drame  de  Wagner,  ont  même  importance 
que  la  musique. 

Quelle  chose  ét-range  que  de  présenter  au  public  un  Sicgmund 
et  un  Hunding  en  cravate  blanche,  de  remplacer  par  l'habit  noir 
l'armure  de  Parsifalct  le  manteau  de  Gurnemanz,  d'aligner  devant 
la  rampe  huit  Walkyries  en  robe  de  soirée  au  lieu  de  les  faire 
passer  dans  une  tempête  échevelée  sur  leurs  coursiers  fougueux. 

Mais  telle  est  la  puissance  évocatrice  du  génie  de  Wagner, 
que  la  seule  vibration  de  sa  pensée  fait  surgir  de  féeriques 
paysages  où  se  meuvent  des  personnages  armés  de  pied  en  cap, 
où  le  sabot  des  chevaux  résonne,  que  le  soleil  éclaire  de  vastes 
pefrspcctivcs. 

Quel  autre  compositeur  résisterait  à  cette  dissection  de  ses 
œuvres,  dépouillées  des  attraits  scéniques,'  de  l'illusion  que  pro- 
duisent le  décor  et  les  costumes,  de  l'intérêt  qu'ajoute  à.  l'action 
la  mimique  des  acteurs? 

C'est  ce  qui  a  fait  dire  à  ceux  qui  subissent  le  charme  de  cet 
art  profond  sans  vouloir  l'admettre  d'une  façon  absolue  :  «  Wa- 
gner au  concert,  h  là  bonne  heure.  Au  théâtre.  Jamais.  » 

Il  est  temps  que  cesse  la  légende  qui  transforme  Wagner,  le 
tempérament  le  plus  dramatique  qui  ait  existé,  en  symphoniste 
pour  matinées  musicales.  Wagner  symphoniste,  quelle  hérésie 
pour  ceux  qui  ont  de  la  musique  quelques  notions  justes!  Nous 
aurons  un  jour  à  étudier  celte  question,  déjà  abordée  avec  beau- 
coup de  vérité  par  M.  Maurice  Kuiîeràth.  L'espace  dont  nous 
disposons  est  malhcureusemeut  trop  restreint  pour  que  nous 
nous  expliquions  ici  à  ce  sujet. 

Ce  que  nous  souhaitons,  c'est  que  les  œuvres  qui  ont  reçu  la 
semaine  dernière  la  consécration  de  la  foule,  ou  tout  au  moins 
l'une  d'elles,  puisque  Parsifal  ne  peut  être  joué  qu'à  Bayreulh, 
soit  prochainement  interprétée  à  Bruxelles  dans  les  conditions 
nécessaires  à  sa  parfaite  compréhension.  Ceux  qui  ont  vu  la 
Wnlkyrie  à  Bayreuth  et  qui  en  ont  conservé  l'ineifaçable  sou- 
venir que  provoque  l'art  de  Wagner  réalisé  dans  son  expression 
complète,  savent  combien  est  différente  l'émotion  ressentie  là-bas 
de  celle  que  fait  éprouver  la  simple  audition  de  l'œuvre  au  con- 
cert. Ceux-là  réclameront  avecnous,énergi'iuemenl  et  sans  trêve, 
la  mise  à  l'élude  de  cette  œuvre,  en  attendant  que  le  public, 
mieux  initié,  pénètre  les  beautés  des  ouvrages  plus  abstraits  et 
plus  émouvants  encore  de  l'auteur  des  Nibelungen. 

Le  directeur  de  théâtre  qui  aura  la  bonne  fortune  de  monter 
à  Bruxelles,  pour  la  première  fois,  l'un  des  grands  drames  du 
maître,  aujourd'hui  surtout  que  Téducairon  du  public  est  faite  par 
les  représentations  des  Maîtres- Chanteurs,  verra  si  «  Wagner 
ne  fait  pas  d'argent  ». 


JAMES  TISSOT 

M.  Sedelmayer  vient. d'ouvrir  une  exposition  composée  uni- 
quement d'œuvros  de  James  Tissol,  un  des  artistes  français  les 
plus  intéressants  et  les  moins  connus  par  suite  des  hasards  de  son 
existence.  Depuis  1870  il  habita^it  Londres,  d'où  il  revient  ai)rès 
avoir  subi  une  transformation  qui  étonne  la  plupart  des  gens, 
mais  qui  nous  semble,  à  nous,  avoir  été  le  développement  tout 
naturel  de  son  talent.  En  effet,  plus  nous  voyons  ses  œuvres 
anciennes  et  les  dernières  exécutées,  plus  nous  sommes  frappé 
du  caractère  anglais  de  ce  peintre  littérateur.  Si  au  lieu  d'être  né 
en  France,  il  fût  né  do  l'aulre  côté  de  la  Manche,  il  eût  certai- 
nement été  un  membre  du  «  Brolherhood  »  préraphaélite.  Il  eût 
commencé  par  traiter  des  sujets  symboliques  ou  historiques  avec 
ce  soin  méticuleux  du  détail  qu'il  a  apporté  à  sa  première  ren- 
contre de  Faust  et  de  Marguerite  (Musée  du  Luxembourg),  ce  qui 
ne  l'eût  pas  empêché  de  se  rapprocher,  petit  à  petit,  de  la  vie 
contemporaine,  pour  ne  plus  faire  que  «  du  Moderne  »,  suivant 
ainsi  la  mêiné"carrière  qu'un  John  Evretl  Millais. 

Il  est  bien  difficile  de  retrouver  un  élément  français  dans  cette 
peinture  sèche,  presque  dure,  aigre,  dans  ce  dessin  net  de  gra- 
veur sur  bois,  un  peu  archaïque,  très  voulu  et  parfois  maladroit; 
ces  qualités  ou  ces  défauls,sontaussi  marqués  dans  les  ouvrages 
qui  ont  précédé  le  séjour  de  l'arlisic  à  Londres  que  dans  ceux 
qui  ont  été  fails  durant  ce  séjour. 

Les  tableaux  de  genre,  les  Merveilleuses  et  les  Incroyables 
surtout,  qui  eurent  un  certain  succès  autrefois,  avaient  peut-être 
encore  plus  de  celle  rigidité  de  dessin  et  de  celte  dureté  de  pein- 
ture que  les  dernières  toiles  de  Tissot.  Elève  de  Leys,  il  n'ou- 
blie jamais  complètement  les  leçons  de  son  maître.  Son  éduca- 
tion ne  fut  donc  pas  française,  pas  plus  que  ses  goûts,  qui  le 
portèrent  tout  de  suite  vers  les  peuples  du  Nord,  dont  il  a  un 
peu  l'esprit. 

C'est  après  la  guerre  de  4870,  qu'il  se  fixa  dans  celle  déli- 
cieuse habitation  londonienne  qui  a  été  le  but  de  bien  des  pèle- 
rinages pendant  quinze  ans.  Là,  il  fit  quelques  peintures  emblé- 
matiques, non  sans  analogie  avec  celles  des  préraphaélites 
anglais,  et  encore  remplies  des  souvenirs  de  Leys.  Puis,  frappé 
par  les  côtés  intimes  de  la  vie  de  famille,  par  ce  qu'il  y  a  d'un 
peu  sentimental  dans  certaine  jeunesse  anglaise,  il  fut  amené  à 
peindre  les  êtres  qui  l'entouraient,  dans  celte  atmosphère  d'art 
délicat  de  la  Londres  moderne,  dans  ces  home  dont  la  poésie 
l'avait  cliarmé.  Et  il  devint  un  narrateur  exact  de  celte  existence 
qui  n'avait  encore  été  Observée  par  aucun  œil  atleniif.  Sa  double 
qualité  d'étranger  et  de  réaliste  le  servit  à  miracle.  Il  fut  frappé 
do  ce  qu'il  y  a  de  particulier  dans  les  mœurs  britanniques,  et  il 
les  reproduisit  avec  la  plus  grande  vérité. 

Nous  ne  parlerons  guère  de  ses  eaux-forles  et  pointes  sèches 
que  presque  tout  le  monde  connaît;  c'est  la  partie  incon- 
testée de  son  œuvre.  Tissot  est  considéré  par  tous  comme  un 
maître  graveur,  et  toutes  les  collections  renferment  des  épreuves 
de  La  Convalescente,  Le  chapeau  Rubens,  A  la  Fenêtre,  Que- 
relle d'amoureux,  La  Tamise,  Le  Bal  à  bord.  Le  Veuf,  Histoire 
ennuyeuse  et  autres  petits  chefs-d'œuvre  d'arrangement  et  d'exé- 
cution. Les  deux  plus  célèbres  planches  sont  celles  qui  repré- 
sentent des  promenades  en  canot  entre  les  immenses  navires  d'un 
port  militaire;  dans  l'un,  des  jeunes  femmes  élégantes  et  de 
jeunes  viveurs  ont  une  provision  de  bouteilles  de  vin  de  Cham- 


UART  MODERNE 


147 


pagne;  clans  l'autre,  un  grand  diîible  de  soldat  accompagne  des 
«  house-maids  >>  d'un  air  protecteur.  Rien  de  plus  vivant,  de  plus 
scrupuleusement  anglais.  La  plupart  de  ces  estampes  étaient  la 
reproduction  de  petits  tableaux  que  les  riches  colleclionncurs  se 
disputaient  et  dont  il  fit  une  quantité  considérable  :  intérieurs,, 
coins  pittoresques  de  sa  maison  ou  de  son  jardin,  départs  de 
transatlantiques,  garden-parties  ai  autres  sujets  de  plein  air  où 
les  grandes  pelouses  vertes,  les  régulières  plates-bandes  et  les 
marronniers  très  feuillus  jouent  un  rôle  aussi  considérable  que 
les  jolis. bébés  blonds  et  les  jeunes  misses  au  regard  profond. 

On  peut  dire  que  la  jeune  fille  anglaise  dans  toute  sa  beauté, 
sa  distinction  et  son  élégance,  a  été  la  plus  grande  préoccupation 
de  Tissol.  Il  eut  le  bonheur  de  trouver  un  modèle  d'une  exquise 
finesse  dont  il  se  servit  constamment,  et  qui  est  un  des  charmes 
de  ses  tableaux.  11  a  certes  été  un  des  premiers  k  comprendre  la 
véritable  beauté  anglaise,  si  pure  qu'elle  évoque  quelquefois  le 
souvenir  do  certaines  têtes  grecques  aux  grands  yeux  clairs,  au 
nez  mince  ;  à  la  .bouche  largement  dessinée,  cl  de  celte 
beauté  "presque  idéale  qu'ila  rencontrée  dans  ce  peuple  affairé  et 
actif  il  a  su  dégager  toute  la,  séduction  naïve  et  simple. 

Le  voici  de  nouveau  à  Paris,  et  il  invite  le  public  à  voir  «  dif- 
férentes manifestations  de  la  Femme  à  Paris  »,  les  treize  premiers 
numéros  d'une  suite  de  peintures  qu'il  gravera  et  qu'il  publiera 
avec  tout  le  luxe  et  la  recherche  imaginables,  accompagnées  de 
«  quinze  sujels  liltérjires  par  des  écrivains  du  temps  ».  UAm- 
bitiemôy  Les  Dames  des  Chars  (hippodrome),  Sans  dol,  La  Mys- 
térieuse, La  plus  jolie  femme  de  Paris,  U Acrobate,  La  Men- 
teuse, La  Mondaine,  Les  Femmes  d'artiste.  Les  Demoiselles  de 
province,  Le  Sphinx,  La  Demoiselle  de  maqasin  sont  autant  de 
compositions  d'une  scieiTce  aïfcçmplie,  d'un  goût  parfait,  d'une 
ingéniosité  extrapMinaire.  Malheureusement,  c'est  V Anglaise  à 
Paris  que  devrait  s'appeler  cette  suite,  faite  par  un  homme  qui 
n'a  pas  encore  (jublié,  le  pays  où  il  a  vécu  longtemps,  d'où  il 
revient  à  rinstàril^ct  qui  n'a  pas  vu  notre  ville  comme  un  des 
nôtres.  Imagmez  des  toiles  destinées  à  être  reproduites  par  Rout- 
ledge,  pour  illustrer  un  des  albums  si  curieux  qu'il  édite  pour  la 
Noël.  Absence  d'exécution,  de  peinture  au  sens  artistique  de  ce 
mot;  une  couleur  crue  et  simple  remplissanl  un  contour  très 
voulu;  une  sorte  de  vitrail  sans  les  arrêtes  de  plomb;  quelque 
chose  d'archaïque  dans  le  procédé,  excluant  toute  recherche 
d'atmosphère  et  de  perspective  en  trompe-l'œil. 

Ici,  le  desssin  est  chargé  de  tout  exprimer,  et  c'est  parce  qu'il 
est  souvent  de  premier  ordre,  que  l'attrait  de  cette  exposition  est 
si  grand.  Tissol  n'est  pas  un  de  ces  artistes  qui  s'attardent 
h  la  recherche  d'un  ton  rare  ou  d'une  belle  matière  ;  il  ne  sau- 
rait souffrir  l'amusernenl  d'une  élude  faite  pour  le  simple  plaisir 
de  peindre,  sans  but,  sans  penser  au  tableau  ;  c'est  un  homme 
actif,  toujours  pressé,  plein  de  projets  énormes,  et  qui  ne  trouve 
d'intérêt  -à  un  ouvrage  que  s'il  est  sûr  de  le  terminer  complè- 
tement. 

Cet  amour  du  tableau  achevé  ci  ce  mépris  de  l'élude  font  de  lui 
un  être  tout  k  fait  h  part,  dans  ce  temps  où  l'esquisse  et  l'ébauche 
sont  si  pratiquées.  Aussi,  csl-il  grand  l'élonnement  du  public 
non  préparé  qui  ne  sait  s'il  a  devant  lui  de  grandes  gouaches 
recouvertes  de  glaces,  selon  la  mode  anglaise,  ou  de  grandes 
chromolithographies  encadrées;  cet  art  à  la  fois  si  moderne  et 
d'un  style  un  peu  primitif,  d'une  saveur  si  âpre  et  si  distinguée, 
lui  échappe  tout  à  fait. 

Nous  pourrions  faire  un  choix;  plusieurs  numéros  sont  parti- 


culièrement bienvenus,  tels  :  la  Mondaine,  dont  le  costume, 
rcnchevêtremenl  de  la  robe,  de  la  sortie  de  bal  et  de  la  man- 
tille, sont  d'un  goût  charmant  ;  le  Sphinx,  si  étrange  dans  son 
intérieur  d'un  luxe  recherché,  à  la  douce  lumière  tamisée  par  de 
grandes  plantes  vertes;  le  Déjeuner  chez  Led<>î/c«,  le  jour  du 
vernissage,  si  juéle,  si  vivant,  avec  sa  cohue  de  peintres,  accom- 
pagnés de  leurs  femmes  ou  de  leurs  modèles,  avec  ses  fonds  de 
marronniers  en  fleurs  et  l'architecture  gaie  du  restaurant;  la  plus 
jolie  femme  de  Paris  qui  passe  dans  un  grand  salon,  au  bras  de 
son  vieux  mari  grotesque,  entre  une  haie  d'admirateurs  et  de 
curieux  chuchotants. 

Mais  tout  ceci  n'est  qu'un  début Peut-être  esl-il  un  port  où 

un  yacht  attend  James  Tissol  pour  l'emporter  au  loin,  dans  des 
pays  inconnus  aux  peintres  européens,  d'où  il  nous  rapportera  de 
nouvelles  scènes  d'une  scientifique  précision  dans  leurs  décors 
splendidcs. 

Peut-être  verrons-nous  enfin  un  Orient  moderne,  tel  qu'il  est, 
avec  ses  aimées  à  brodequins  de  la  rue  Montorgucilel  k  écharpes 
k  l'écossaise,  au  miheu  des  antiques  chefs-d'œuvre  de  palais 
authentiques. 

Nous  publierons  dimanche  la  fin  de  noire  élude  :  Deux  expo- 
sitions. Notre  prochain  numéro  contiendra,  en  outre,  notre 
appréciation  sur  le  Salon  de  Paris. 


DE  LA  MODERNITÉ  DANS  L'ART         ■ 

'  ■    .  .  * 

Mon  cher  Rousseau,  • 

Je  me  suis  trop  souvent  trouvé  en  communion  d'idées  artistiques 
avec  vous,  pour  laisser  passer  sans  prostester  la  définition  aventu- 
reuse que  vous  donnez  de  la  modernité  dans  l'art,...  «  La  mo- 
dernité n'est  autre  chose  que  la  peinture  de  tnodes.  » 

Il  me  paraît,  mou  cher  Rousseau,  que  vous,  qui  avez  de  l'esprit, 
du  meilleur  et  du  plus  fin,  vous  vous  êtes  laissé  aller,  cette  fois,  à 
1  epigrâmme,  avec  une  facilité  que  vous  blâmeriez  chez  un  confrère 
de  votre  valeur  :  «  Modernité  :  modes  !  Peintre  de  la  modernité  : 
modiste!  n  II  me  semble  surtout  que  vous  vous  méprenez  sur  7a 
modernité,  en  ne  voyant  en  elle  qu'une  cocodette.  La  niodetmité, 
dans  l'être  féminin  de  nos  jours,  commence  aux  paysannes  de 
Millet,  et  finit  aux  femmes  d'Alfred  Stevens. 

««  Les  hommes,  dans  la  modernité,  dites  vous  encore,  ce  sont... 
les  femmes.  »»  Ceci  rappelle  le  mot  fameux  d'un  magistrat  :  «Mais 
dans  cette  affaire,  où  donc  est  la  femme?  «  Et  le  magistrat; avait 
raison,  car  la  femme  est  partout,  et  les  hommes,  dans  toutes  les 
modernités,  ou,  si  vous  aimez  mieux,  à  toutes  les  époques,  ont  été, 
suivant  votre  heureuse  expression...  les  femmes. 

En  vous  écriant  :  «  Une  femme  habillée  à  la  dernière  mode,  et  un 
bibelot  bien  exécuté,  en  voilà  assez  pour  uu  chef-d'œuvre  au  goût  du 
jour!  »  vous  me  semblez  regarder  cette  question  de  la  mode^mité 
par  le  gros  bout  de  la  lorgnette,  sans  prendre  la  peine  de  considérer 
que  l'Art  tout  entier  eèt  dans  la  représentation  de  la  vie  contempo- 
raine, que  les  vrais  peintres  d'histoire  sont  ceux  qui  peignent  leur 
temps.  Ceux-là,  et  ceux-là  seuls,  sont  et  resteront  intéressants, 
parce  qu'ils  expriment  une  vision  et  une  émotion  dii'ectes,  de 
première  main,  pour  ainsi  dire. 

Jd  vous  le  demande,  en  conscience,....  aucun  des  nombreux 
romans  historiques  d'Alexandre  Dumas  père  vous  a-t-il  autant 
troublé  et  passionné  qu'a  pu  le  faire,  par  exemple.  Madame  Bovary , 
de  Gustave  Flaubert,  quel  que  soit  le  jugement  à  porter  en  dernier 
ressort  sur  ce  livre  ? 


$ 


Mais  j'ai  hâte,  mon  cher  Rousseau,  d'opposer  à  vos. idées,.... 
sur  la  modeiyiité,  quelques  pensées  d'un  homme  qui  avait  beaucoup 
médité  sur  les  choses  de  l'Art,  et  qui  est  l'inventeur,  je  crois,  de  ce 
mot  :  modernité,  déplaisant  pour  vous,  mais  non  de  la  chose,  aussi 
ancienne  que  l'Art;  je  dirais  presque  qu'elle  est  l'Art  elle-même. 

Voici  quelques  passages  empruntés  à  un  très  remarquable  article 
de  Charles  Baudelaire  :  Le  peintre  de  la  vie  moderne  : 

«  Pour  tant  aimer  la  beauté  générale,  qui  est  exprimée  par  les 
poètes  et  les  artistes  classiques,  on  n'en  a  pas  moins  tort  de  négliger 
la  beauté  particulière,  la  beauté  de  circonstance,  et  le  trait  de 
mœurs. 

«  Le  plaisir  que  nous  retirons  de  la  représentation  du  présent, 
tient  non  seulement  à  la  beauté  dont  il  peut  être  revêtu,  mais  aussi 
à  sa  qualité  essentielle  de  présent. 

«•  Le  beau  est  fait  d'un  élément  éternel,  invariable,  dont  la 
quantité  est  excessivement  difficile  à  déterminer,  et  d'un  élément 
relatif,  circonstantiel,  qui  sera,  si  rou  veut,  tour  à  tour  ou  tout 
ensemble,  l'époque,  la  mode,  la  morale,  la  passion. 

«  Le  peintre  de  la  vie  moderne,  est  le  peintre  de  la  circonstance 
et  de  tout  ce  qu'elle  suggère  d'éternel. 

»  Ce  peintre  cherche  quelque  chose  qu'on,  nous  permettra 
d'appeler  la  modernité  ;  car  il  ne  se  présente  pas  de  meilleur  mot 
pour  exprimer  l'idée  en  question.  Il  s'agit,  pour  lui,  de  dégager  de  la 
mode  ce  qu'elle  peut  contenir  de  poétique  dans  l'historique,  de  tirer 
l'éternel  du  transitoire. 

«»  Il  y  a  eu  une  modernité  pour  chaque  peintre  ancien  ;  la  plupart 
des  beaux  portraits  qui  nous  restent  des  temps  antérieurs  sont 
revêtus  des  costumes  de  leur  époque. .Ils  sont  parfaitement  harmo- 
nieux,-parce  que  le  costume,  la  coiffure  et  même  le  geste,  le  regard 
et  le  sourire  (chaque  époque  a  son  port,  son  regard  et  son  sourire) 
forment  un  tout  d'une  complète  vitalité. 

"  Le  but  du  peintre  de  la  vie  moderne  est  de  comprendre  le 
caractère  de  la  beauté  présente, 

<*  Le  geste  et  le  port  de  la  femme  actuelle  donnent  à  sa  robe  une 
vie  et  une  physionomie  qui  ne  sont  pas  celles  de  la  femme  ancienne. 
En  un  mot,  pour  que  toute  modernité  soit  digne  de  devenir  anti- 
quité, il  faut  que  la  beauté  mystérieuse,  que  la  vie  humaine  y  met 
involontairement,  en  ait  été  extraite, 

«  Malheur  à  celui  qui  étudie  dans  l'antique  autre  chose  que 
l'Art  pur,  la  logique,  la  méthode  générale!  Pour  s'y  plonger,  il 
perd  la  mémoire  du  présent  ;  il  abdique  la  valeur  et  le  privilège 
fournis  par  la  circonstance;  car  presque  toute  notre  originalité  vient 
de  l'estampille  que  le  temps  imprime  à  nos  sensations. 

•»  Pour  la  plupart  d'entre  nous,  surtout  pour  les  gens  d'affaires, 
aux  yeux  de  qui  la  nature  n'existe  pas,  si  ce  n'est  dans  ses  rapports 
d'utilité  avec  leurs  affaires,  le  fantastique  réel  de  la  vie  est  singu- 
lièremen  t  émoussé. . . 

«  La  femme  n'est  pas  seulement  pour  l'artiste  la  femelle  de 
l'homme.  C'est  plutôt  une  divinité,  un  astre  qui  préside  à  toutes  les 
conceptions  du  cerveau  màle;  c'est  un  miroitement  de  toutes  les 
grâces  de  la  nature  condensées  dans  un  seul  être  ;  c'est  l'objet  de 
l'admiration  et  de  la  curiosité  la  plus  vive  que  le  tableau  de  la  vie 
puisse  offrir  au  contemplateur.  C'est  une  esp^èce  d'idole,  stupide 
peut-être,  mais  éblouissante,  enchanteresse,  qui  tient  les  destinées 
et  les  volontés  suspendues  à  ses  regards.  Ce  n'est  i)as,  dis -je,  un 
animal  dont  les  membres,  correctement  assemblés,  fournissent  un 
parfait  exemple  d'harmonie.  Ce  n'est  même  pas  le  type  de  beauté 
pure,  tel  que  peut  le  rêver  le  sculpteur  dans  ses  plus  sévères  médita- 
tions ;  non,  ce  ne  serait  pas  encore  suffisant , 'pour  ep  expliquer  le 
mystérieux  et  complexe  enchantement.  * 

«  Tout  ce  qui  orne  la  femme,  tout  ce  qui  sert  à  illustrer  sa  beauté, 
fait  partie  d'elle-même;  et  les  artistes  qui  se  sont  particulièrement, 
appliqués  à  l'étude  de  cet  être  énigmatique  raffolent  autant  de  tout 
le  mundus  muliebris  que  la  femme  elle-même.  La  femme  est  sans 
doute  une  lumière,  un  regard,  une  invitation  au  bonheur,  une  parole 


quelquefois  ;  mais  elle  est  surtout  unq  harmonie  générale,  non  seu- 
lement dans  son  allure  et  le  mouvement  de  ses  membres,  mais  aussi 
dans  les  mousselines,  les  gazes,  les  vastes  et  chatoyantes  nuées 
d'étoffe  dont  elle  s'enveloppe,  et  qui  sont  comme  des  attributs  et  le 
piédestal  de  sa  divinité;  dans  le  métal  et  le  minéral  qui  serpentent 
autour  de  ses  bras  et  de  son  cou,  qui  ajoutent  leurs  étincelles  au  feu 
de  ses  regards,  ou  qui  jasent  doucement  à  ses  oreilles.  Quel  poète 
oserait,  (dans  la  peinture  du  plaisir  causé  par  l'apparition  d'une 
beauté,  séparer  la  femme  de  son  costume?  Quel  est  l'homme  qui, 
dans  la  rue,  au  théâtre,  au  bois,  n'a  pas  joui,  de  la  façon  la  plus 
désintéressée,  d'une  toilette  savamment  composée,  et  n'en  a  pas 
emporté  une  image  inséparable  de  la  beauté  de  celle  à  qui  elle 
appartenait,  faisant  ainsi  des  deux,  de  la  femme  et  de  la  robe,  une 
totalité  indivisible? 

»  La  mode  doit  être  considérée  comme  un  symptôme  du  goût  de 
l'idéal  surnageant  dans  le  cerveau  humain  au  dessus  de  tout  ce  que 
la  vie  naturelle  y  accumule  de  grossier,  de  terrestre.. 

«  Toutes  les  modes  sont  charmantes, -c'est-à-dire  relativement 
charmantes,  chacune  étant  un  effort  nouveau,  plus  ou  moins  heu- 
reux, vers  le  beau,  une  approximation  quelconque  d'un  idéal  dont 
le  désir  titille  sans  cesse  l'esprit  humain  non  satisfait. 

•«  Le  peintre  de  la  vie  moderne  s'étant  imposé  la  tâche  de  cher- 
cher et  d'expliquer  la  beauté  dans  la  modejvïité,  il  représente  volon- 
tiers les  femmes  très  parées  et  embellies  par  toutes  les  pompes  arti- 
ficielles, n 

Je  pourrais  m'arrêter,  mon  cher  Rousseau,  si  je  ne  tenais  à  ajou- 
ter quelques  considérations  qui  répondent  plus  directement  encore  à 
l'article  en  question.  Vous  ne  vous  plaindrez  pas  trop  de  la  lon- 
gueur de  cette  lettre  :  elle  renferme  de  la  prose  de  Baudelaire... 

N'oublions  pas,  d'abord,  que  le  sujet  historique,  en  peinture,  est 
({'importation  française  ;  qu'en  France  les  peintres  dits  d'histoire, 
suivant  le  mouvement  littéraire  et  romantique  de  1830,  et  confor- 
mément ai^  génie  de  lai  nation,  ont  dénaturé  le  but  de  la  peinture,  et 
l'ont  poussée  à  la  tlécadence,  en  la  faisant  rétrospective. 

Qu'un  historien  nous  raconte  Yassassinat  du  duc  de  Guise,  nous 
explique  les  circonstances  qui  ont  déterminé  Henri  III  à  se  débaras- 
ser  d'un  compétiteur,  nous  donne  les  déductions  de  ce  fait,  cela  va 
de  soi  ;  mais  que  M.  Paul  Delaroche  ait  la  prétention  de  faire  entrer 
cela  dans  la  peinture,  il  se  trompe  d'art. 

Delaroche,  esprit  cultivé,  metteur  en  scène  qui  eût  fait  la  fortune 
d'Un  théâtre  de  drame,  avait  entrevu,  vers  la  fin  de  sa  vie,  l'erreur 
dans  laquelle  il  versait;  c'est  pourquoi,  quittant  l'anecdote  histori- 
que, il  s'était  rabattu  sur  les  sujets  bibliques,  qui  comportent  l'ex- 
pression des  sentiments  humains  dans  leur  généralité. 

Ne  voyonsruous  pas  aujourd'hui  Meissonier  abandonner  le  ves- 
tiaire du  xviiie  siècle,  pour  aborder  directement  la  grande  épopée 
militaire  moderne?  Victor  Hugo,  ce  génie  dominant,  ne  refait  plus 
de  Notre-Dame  de  Paris:  il  entre  en  plein  dans  la  vie  moderne  par 
les  Misérables,  les  Travailleurs  de  la  Mer,  etc. 

Conçoit-on  l'ineptie  quotidienne  des  peintres  qui,  rencontrant 
dans  la  rue  un  modèle  à  longue  barbe,  rousse  ou  blanche,  l'élèvent 
instantanément  à  la  dignité  de  doge  de  Venise,  ou  celle  de  ces  com- 
pères qui,  trouvant  sur  leur  passage  un  quidam  au  regard  hébété,  et 
louche,  et  à  cheveux  grisonnants,  le  proclament  échevin  de  la  ville 
de  Gand  ou  d'ailleurs?  Pensez-vous  que  l'artiste  qui  nous  représen- 
terait le  collège  des  bourgmestre  etéchevins  de  notre  temps  ne  ferait 
pas  une  œuvre  plus  intéressante,  aujourd'hui  et  pour  l'avenir,  que 
s'il  nous  itnaginait  le  collège  de  la  ville  de  Gand,  au  xvi®  siècle?  A 
quoi  bon  refaire  ce  qui  a  été  fait  et  ce  qui  a  été  mieux  fait!  Ces  pein- 
tres, dits  d'histoire,  ont  perdu  toute  indépendance  artistique  par 
l'étude  assidue  des  vieux  maîtres;  ils  ont  à  coup  sûr  perdu  le  goût 
de  la  vie.  A  quels  reproches  ne  s'exposent-ils  pas  pour  avoir  traversé 
un  temps  dans  lequel  ils  n'auront  rien  vu? 

Si,  comme  vous  le  dites,  les  peintres  de  la  morf^rm^^  entendent 
que  nous  ne  pouvons  peindre  raisonnablement  que  les  choses  et  les 


L'ART  MODERNE 


hommes  de  notre  temps,  je  les  approuve  grandement.  J'ai  la  con- 
viction que  le  public  n'est  pas  éloigné  de  rire  de  ces  marionnettes 
que  certains  cosfwm ter*  nous  présentent  pour  des  pages  d'histoire, 
comme  il  rit  aujourd'hui  des  masques  du  Mardi-Gras. 

Quelle  idée  vous  faites-vous  d'un  artiste,  d'une  intelligence  vivant 
du  passé  et  dans  le  passé,  en  se  désintéressant  de  ce  qui  nous  touche 
et  nous  émeut?  Voilà  un  esprit  condamné  à  fermer  les  yeux  sur  ce 
qui  l'entoure  et  à  n'éprouver  que  des  émotions  de  somnambule!  Et 
ce  passé  n'est-il  pas  mieux  caractérisé  qu'il  ne  pourrait  le  faire  dans 
un  portrait  du  temps,  dans  la  seule  expression  des  yeux  de  ce  por- 
trait? Les  peintres,  dits  dVizsfoîVe,  sont  incapables  de  représenter 
l'être  qu'ils  aiment  le  plus  au  mon  Je  sans  l'affubler  d'un  costume 
ancien,  sans  lui  donner  un  geste  de  pantin,  afin  de  lui  imprimer  ce 
qu'ils  appellent  le  caractère.  De  vie,  de  sentiment  vrai,  de  naïveté, 
de  religion  devant  le  modèle,  d'émotion,  il  ne  peut  en  être  question  : 
ils  en  sont  incapables. 

Non,  mille  fois  non!  le  but  de  la  peinture  n'est  pas  un  enseigne- 
ment historique  ;  cette  prétention  est  un  non  sens,  puisque  tout 
tableau  d'histoire  se  réfère  au  catalogue,  à  l'explication  écrite,  pour 
être  compris. 

J'écrivais  un  jour,  et  c'est  peut-être  le  cas  de  le  répéter  ici,  qu'il 
n'y  a  rien  de  commun  entre  l'Art  et  les  sciences  historiques,  et  que 
nous  faisons  bon  marché,  chez  un  peintre,  de  l'érudition  froide, 
impuissante  à  exciter  notre  émotion.  Le  but  de  la  peinture  n'est  pas 
de  présenter  un  fait  historique  dans  un  groupement  théâtral,  mais 
de  créer  des  types,  de.  généraliser;  non  pas  d'anecdotiser,  mais  de 
simuler  la  vie. 

L'esprit  le  plus  vulgaire  s'empare  d'une  scène  du  temps  passé  et 
la  représente  tant  bien  que  mal  ;  mais  il  lui  serait  difficile  d'attirer 
à  lui  le  public  par  un  tableau  composé  d'un  seul  personnage  vivant. 
Il  se  trouverait  alors  dans  l'obligation  étroite  de  lui  donner  une  âme, 
un  cerveau.  S'il  veut,  par  exemple,  faire  comprendre  la  douleur 
dans  l'être  figuré,  il  ne  pourra  se  contenter  d'une  grimace  théâtrale; 
il  devra,  et  là  est  le  grand  art,  exprimer  la  douleur  par  le  geste,  par 
la  silhouette  tout  entière.  ' 

Certains  critiques  d'art  qualifient  volontiers  de  frivole  tout  tableau 
qui  ne  représente  pas  une  «necdote  historique.  Qualifieront-ils  donc 
la  politique  actuelle,  la  seule  possible,  de  frivole?  Oublieront-ils 
que  la  politique  est  l'ambition  de  presque  tous  les  hommes,  que  tous 
veulent  s'en  mêler,  et  que  beaucoup  y  mettent  leur  vie.  Certes,  nous 
étudions  l'histoire,  les  faits  historiques,  comme  enseignement, 
mais  nous  ne  nous  passionnons  que  pour  les  événements  de  notre 
temps. 

Qui  relit  aujourd'hui,  à  l'exception  des  érudits  et  d'un  très  petit 
nombre  de  lettrés,  ces  chefs-d'œuvre  :  le  Prince,  les  Provinciales, 
les  Lettres  persanes,  les  Caractères,  etc.  ?  La  foule  lit  les  polé- 
mistes et  les  moralistes  contemporaihs.  Notre  voisin  d'aujourd'liui 
nous  préoccupe  davantage  que  nos  aïeux  de  tous  les  temps. 

L'anecdote  historique  séduit  de  prime  abord  un  grand  nombre  de 
peintres  ;  cela  se  conçoit  :  ils  éludent  ainsi  la  difficulté  de  peindre 
un  homme.  ^ 

Pour  faire  un  portrait,  l'artiîîte  résume  tout  ce  qu'il  a  médité  dans 
sa  vie;  il  met  en  jeu  toute  sa  science,  afin  de  faire  vivre  le  modèle.  Il 
est  mal  à  l'aise  pour  inventer  et  pour  tricher. 

En  peinture,  la  plus  grande  démonstration  historique  que  nous 
aient  laissée  les  peintres  anciens  est  dans  le  portrait.  Les  générations 
désignent  volontiers  un  portrait  comme  caractéristique  du  génie 
d'un  peintre.  Je  n'en  veux  pour  exemple  que  les  portraits  des  Syn- 
dics des  marchands  de  draps,  de  Rembrandt. 

Dans  les  portraits  anciens,  on  voit  l'homme  avant  le  costume,  et 
dans  les  tableaux  d'histoire  on  voit  le  costume  avant  l'homme.  A 
quelle  mascarade  de  costumes  arabes,  bretons,  cdsaciens,  romains, 
grecs,  égyptiens,  zélandais,  Scandinaves,  etc.,  etc.,  ne  sommes-nous 
pas  condamnés  ! 

Les  peintres  anciens  ne  se  sont  pas  amusés  à  l'anecdote  histo- 


rique. Si  par  exception  ils  s'y  sont  arrêtés,  ils  ont  donné  aux 
personnages  représentés  les  costumes  du  temps.  Voyez  Paul  Véro- 
nése,  Rembrandt,  et  les  autres.  Les  musées  anciens  ne  renferment 
que  des  portraits,  des  paysages,  des  sujets  de  vie  familière,  des 
allégories  et  des  sujets  religieux.  La  peinture  dite  historique  en  est 
absente. 

L'Art  participe  aux  transformations  sociales.  Quel  amateur  au- 
jourd'hui, par  foi  religieuse,  commanderait  au  peintre  un  sujet  de 
sainteté?  Où  sont  les  corporations  pour  demander  Ces  grandes  pages, 
vraiment  historiques ,  qui  ornent  nos  musées? 

Convenons  auàsi  que  la  dimension  ne  fait  riendan*  le  grand  art^ 
et  qu'un  panneau  de  quelques  pouces  carrés  suffit  à  l'artiste  pour 
une  œuvre  héroïque.  Exemple  :  la  Barricade  de  Meissonier 

J'arrive,  mon j  cher  Rousseau,  à  cette  question  du  bibelot,  qui 
semble  vous  tenir  à  cœur.  Pouvons-nous  nier  l'influence  morale  du 
milieu  ambiant  sur  l'homme,  même  l'influence  du  bibelot  ambiant, 
si  vous  le  vouiez?  Puisque  aujourd'hui  le  bibelot  ]o\xe  un  rôle  relatif 
dans  l'existence,  je  reprocherais  aux  peintres  d'en  dissimuler  l'im- 
portance. Il  caractéçd^e  les  mœurs,  les  goûts,  les  habitudes  de  nos 
contemporaines.  —  Le  luxe  est  général,  mais  l'élégance  est  le  privi- 
lège de  quelques-uns.  Cette  élégance  est  un  lien  commun  entre  les 
très  grandes  dames  et  les  courtisanes,  car  les  unes  et  les  autres  ont 
le  culte  d'elles-mêmes;  mais  l'œil  de  l'observateur  ou  du  moraliste 
les  distingue  aisément.  •    . 

Que  de  choses,  mon  cher  Rousseau,  il  y  aurait  à  dire  sur  la  ques- 
tion de  métier,  dont  vous  semblez  faire  bon  marché  I  Citèz-moi  un 
génie  qui  n'ait  pas  su,  à  fond,  son  métier 

Je  me  résume,  et  je  vous  affirme  que  «  malgré  les  rénovations 
sociales,  les  grands  problèmes  et  les  grandes  découvertes  de  ce 
temps,  »  Vélasquez,  dans  un  seul  de  ses  portraits,  est  un  plus  grand 
artiste,  un  plus  grand  penseur,  une  imagination  plus  vive,  un  homme 
plus  sensible  et  plus  humain  qucy  par  exemple,  Wiertz,  le  peintre 
humanitaire,  qui  prenait  le  grossissement  pour  la  grandeur  et  me- 
surait la  sublimité  de  ses  conceptions  à  la  dimension  des  person- 
nages. L'un  faisait  voir  son  semblable,  l'autre  s'amusait  à  la  figura- 
tion de  rébus  et  de  banalités!  Au  lieu  de  son  musée,  que  ne  nous 
a-t-il  laissé  le  portrait  réussi  de  sa  mère  .... 

Mais  en  voilà  bien  long,  mon  cher  Rousseau.  Ma  conclusion  sera 
que,  sous  des  apparences  diverses,  nous  défendons  toujours,  avec  la 
même  passion  et  le  même  amour  de  la  véj-ité,  la  cause  éternelle 
de  l'Art  ! 

Vous  savez  que  je  suis  votre  sincèrement  dévoué 

Arthur  Stevens  (^).. 


h 


,A     POESIE     NOUVELLE 
Godefroy  de  Lussinan. 

Un  journal  parisien  s'est  amusé  à  fabriquer  un  poète.  On  lui  a 
confectionné  un  éiat-civil.  On  l'a  appelé  M.  Godefroy  de  Lussinan. 
On  l'a  déclaré  âçjé  de  vingt  ans.  El  l'on  a  raconté  son  liorritique 
suicide.  Toute  la  misère,  tout  le  désespoir  du  rimeur  mis  b  la 
mode  dn  jour.  Cela  ne  sufiisail  pas  :  il  fallait  des  preuves.  On 
donna  les  meilleures  :  des  vers  du  poêle  mort  jeune.  Des  vers 
1res  curieux,  cuits  et  recuits  sur  les  fourneaux  de  Stéphane  Mal- 
larmé, de  Paul  Verlaine,  de  Jean  Richepin,  de  Maurice  Rollinal. 
Tous  les  ingrédients  de  l'acluelle  sorcellerie  poétique!  Toutes  les 


(*)  Cette  curieuse  lettre,  qu'un  hasard  nous  a  mise  sous  la  main  et  que  dous 

reproduisons  presqu'intégralement,  est  de  1868'.  Comme  elle  montre  que 

le  neuf  est  vieux  et  que  le  vieux  est  neuf.  Jean  Rousseau  venait  de  publier 
des  articles  sur  le  Salon  de  Gand,  dans  l'Echo  du  Parlement.  Elle  répond  à 
l'un  deux.  h'Echo  ne  la  publia  pas.  Elle  parut  en  une  petite  brochure,  impri- 
mée chez  Briard,  aujourd'hui  introuvable. 


herbes  de  h  Sainl-Jeaii  cueillies  par  des  déesses  baudclairesques 
échouées  au  Chai  noir!  Voulez-yous  les  deux  échanlillops  de 
celte  fabrication.  Prenez  et  lisez  : 

Mon  âme  est  un  meeting  où  des  rêves  cafards 
Hurlent,  en  échangeant  d'innombrables  nazardes. 
Mon  cœur  est  un  tramway  puant,  où  des  poissardes 
Infligent  leurs  relents  aux  voyageurs  blafards. 

Mon  corps,  réduit  infect,  téléphone  asthmatique, 
Couve  un  sale  brelan  de  viols  cadavéreux. 
Mon  crâne  est  un  tambour  d'horloge  pneumatique, 
Où  le  temps  crache  l'heure  eu  efforts  catarrheux. 

Meeting  hurlant,,  tramway,  horloge  ou  téléphone, 
L'homme  est  un  meuble  creux,  ouvert  sur  le  néant. 
Dans  l'esthétique  ignoble,  étalé  comme  unfaune, 
Il  tient  sous  l'idéal  son  dépotoir  vivant. 

Second  morceau.  Celui-là  a  pour  titre  :  Adieux  splee7iétiques  : 

Vierge  emparadisante,  à  la  forme  bougeuse,  -a 

J'ai  subi  ta  hantise  et  tes  spasmes  affreux 
Dans  la  torpeur  des  nuits  où,  sur  ta  chair  frôleuse, 
Glissait  l'âpre  regard  des  peupliers  ocreux. 

J'ai  béni  les  tourments  de  ton  âme  infiltreuse 
Dans  l'enlinceulement  des  hoquets  langoureux 
—  Fantôme  asphyxieur  à  la  voix  chuchoteuse  !  — 
Et  je  meurs  desséché  comme"  un  vieillard  cireux. 

Je  meurs,  tout  corrodé  par  les  cuisantes  fièvres 
Qu'aspirait  la  ventouse  ardente  de  tés  lèvres, 
Raffinant  dans  mon  cœur  la  tortuosité. 

Zéphirs  ângélisés  des  firmaments  opaques, 
Salut  !  —  Exhalez-vous  de  mon  être  envoûté, 
Kàles  harmonieux,  baisers  démoniaques  ! 

Ce  sont  là  «  leS'  paroles  inconnues  chantant  sur  vos  lèvres  les 
lambeaux  maudits  d'une  phrase  absurde  »,  ainsi  que  le  dit  en 
prose  le  maître  du  genre,  le  poète  Mallarmé.  Tout  le  monde  a 
reproduit,  commenté,  critiqué,  déploré.  Des  rectifications  sur  le 
nom  de  M.  de  Lussinan  ont  été  demandées  aux  journaux  qui 
avaient  écrit  :  Lurrinau.  Les  rectifications  ont  été  faites.  Le  mys- 
tificateur pourra  sans  doute  faire  dans  quelques  jours  une 
curieuse  «  Revue  de  la  Presse  ». 

Qu'il  la  fasse  et  qu'il  ajoute  aux  «  OEuvres  posthumes  »  du 
suicidé  ce  quatrain  qui  nous  paraît  procéder  de  la  môme  inspira- 
tion, et  que  nous  lui  confions  généreusement  : 

Dans  la  nuit  métallique  en  la  presqu'île  ouverte 
Luit  le  ramier  d'argent  pénible,  douloureux, 
Qui  de  l'ombre  d'eiïroi  que  le  destin  déserte 
Se  colore  infini  dé  reflets  sulfureux. 

Veut-on  savoir  maintenant  ce  qui  a  suscité  notre  doute? 

Il  s'est  produit,  dans  le  lancé  àc  cci'e  mystification,  quelques 
lacunes,  certaine  négligence  dans  la  rectitude  de  la  fumisterie. 
Ce  genre  demande  la  correction  et  le  sangfroid  du  pincer  sans 
rire.  On  ne  nous  a  pas  dit  le  genre  de  mort  du  désespéré,  ni  sa 
situation  macabre  posthume,  non  plus  que  le  lieu  des  funérailles, 
où  la  muse  était  tenue  de  jouer  le  rôle  du  chien  du  pauvre.  E^ 
puis,  où  est  la  tombe?  sacrebleu!  que  nous  allions  pleurer  des- 
sus!..- Non,  la  première  pièce  ci-dessus  rappelle  la  façon  Riche- 
pin,  qu'on  s'avisa  pendant  un  temps  dé  représenter  comme  fou 
furieux  ;  la  seconde  porte  la  pseudo-griff*e  de  Rollinal,  dont  les 
amuseurs  du  jour  ont  plus  souvent  exalté  le  satanisme  que  l'in- 
comparable talent... 


En  somme,  riicureusc  plaisanterie  en  question  semble  l'œuvre 
de  deux  malins  compères,  singulièromcnt  habiles  en  pasticherie. 

Et  si  l'invention  des  deux  morceaux  incombe  à  un  seul  person- 
nage, il  a,  certes,  celui-là,  du  talent  et  de  l'esprit.  Mais  pour 
cire  définitivement  quelqu'un,  il  faudra  qu'il  ait  trouvé  une 
manière  à  lui,  qu'il  ait  tout  à  fait  achevé  d'enterrer  M.  de  Lus- 
sinan. 

L'N  Fureteur  {De  la  Justice). 


Jhéatre^ 


Thkatre  de  l'Alcazar. 


La  Gantinière. 


La  musique  est,  paraît-il,  de  M.  Robert  Planquette,  les  paroles 
sont  de  MM.  Paul  Burani  et  Félix  Ribeyre.  On  n'écoute,  à  vrai  dire, 
ni  l'une  ni  les  autres,  l'extraordinaire  verve  des  interprètes  absor- 
bant seule  l'attention  et  remplaçant  à  elle  seule  tout  ce  qui  manque 
à  là  pièce. 

Brasseur,  père  et  fils,  et  Berthelier,  du  côté  des  hommes,  M™cs  Dar- 
court,  Milly-Meyer  et  d'Escorval,  du  côté  des  artistes  féminins,  voilà 
la  troupe  qui  s'est  présentée  jeuiii  dans  les  décors  du  vieil  Alcazar 
tout  réjoui  de  tant  de  gaîté. 

Dire  qu'on  a  ri  ne  serait  pas  exact.  On  s'est  roulé.  Brasseur  est 
demeuré,  depuis  dix  ans,  le  comique  hilarant  qu'on  sait.  H  trouve  le 
secret  d'amuser  toujours,  sans  varier  le  moins  du  monde  ses  effets, 
et  l'accent  et  le  geste  qu'il  avait  dans  les  Pilules  du  Diable,  au 
Parc,  dans  Coco^  dans  toutes  les  bouffonneries  excentriques  qu'il  lui 
a  plu  d'interpréter,  il  les  replace  dans  la  Cantinière.  Pourquoi  les 
modifier,  puisque  le  public  les  aime,  et  les  applaudit  sans  se  lasser? 

Il  n'y  a  qu'une  modification  à  son  jeu.  C'est  qu'il  a  maintenant, 
pour  lui  donner  la  réplique,  un  fils,  un  long  et  mince  garçon  à  la 
figure  de  jocrisse,  qui  a  hérité  de  toutes  les  drôleries  paternelles. 

Brasseur  père.  Brasseur  fils  et  Berthelier,  l'inimitable  Berthelier, 
ont  eu  tous  les  trois  un  succès  fou. 

Et  Ion  a  fait  un  accueil  chaleureux  au  trio  féminin,  dont  l'entrain 
communicatif  a  achevé  de  donner  le  change  au  public  sur  la  valeur 
du  vaudeville  qu'on  lui  servait. 

Cette  fois  encore,  la  jsauce  a  remplacé  le  civet.  Mais  personne  ne 
s'est  plaint. 

Mardi,  nouvelle  folie  :  le  Château  de  Tire- Larigot,  parles  mômes 
interprètes. 


f 


ETITE     GHROjsiIQUE 


Entre  les  deux  parties  du  concert  Wagner,  dimanche  dernier, 
MM.  La  Fontaine  et  Kéfer,  délégués  par  V Association  icagnërienne, 
ont  remis,  sur  l'estrade,  à  M.  Joseph  Dupont,  aux  acclamations  de 
la  foule,  la  partition  d'orchestre,  richement  reliée,  de  Parsiful  et 
une  couronne.  L'orchestre  s'est  joint  à  ce  témoignage  d'admiration, 
en  entamant  à  l'adresse  de  son  chef  un  double  ban  d'honneur. 

Sur  la  première  feuille  de  la  partition  figurent  les  noms  des 
souscripteurs.  Ce  sont  : 

M.  E.  Acker,  M"»»  L.  Aubert,  M.  Blauwaert,  Mii«s  Anna  Boch, 
Brandt,  MM.  J.  Brunfaut,  Charles  Buis,  A  et^E.  Caratheodory, 
Hector  Colard,  G.  et  H.  Dachsbeck,  Léon  d'Aoust,  È.  Daye,  De 
Deken,  M™*  H.  De  Diest,  MM.  A.  De  Greef,  T.  et  G.  Dekens,  Dela- 
querrière,  Deppe,  M'>«*  A.  De  Saint  Moulin,  P  Desmet,  MM.  Eber- 
stadt,  É.  Evenepoel,  G.  Fié,  Flon,  L.  Frédéric,  M^ie  Goffart, 
MM.  L.  Goldschmidt,  A.  Henroz,  Jéhin,  0.  Junné,  Gustave  Kefer, 
M^'e  M.  Khnopff,  MM.  Fernand  et  Georges  Khnopff',  Maurice 
Kufferath,  Fernand  Labarre,  H.  La  Fontaine,  Lagasse,  L.  Lambert, 
D*"  Lavisé,  M.  Leeuders,  Gaston  Léonard,  Alfred  et  Léon  Lequime, 
Victor  Mahillon,  Alphonse  Mailly,  Henri  Maubel,  Octave  Maus, 
Edmond  Michotte,  S.  Mills,  Ivan  Orsolle,  Renaud,  Maurice 
Rosart,  A.  Rosenkranz,  B.  Scheet,  Schott  frères,  G.  Soulacroix, 
A.  Théroine,   Thomeret,  L.   Tonnelier,   M'"«s  Tournay-Detilleux, 


Van  Cutsem,  MM.  E.  Van  den  Broeck,  Ernçst  Van  Dyck,  E  Van 
Gelder,  M"«  M.  van  Nuffel  d'Hejenbroeck,  M™es  A.  van  Soust  de 
Borkenfeldt,  E.  Van  Vloten,  Mi'^  M.  Vent.  MM.  Verdlmrt,  Isidore 
Verheyden,  Walgert,  Wehrenpfenning. 


Un  comité  iiiternational  vient  d'être  constitué  en  vue  d'ériger  un 
monument  à  Schopenhauer,  «  qui  appartient,  comme  écrivain  à 
l'Allemagne,  dit  la  circulaire,  mais  comme  philosoi)he  à  l'ijumanité 
tout  entière.  •» 

Parmi  les  membres  du  comité  figurent  MM.  F.  A.  Gevaert, 
J.  Brahms,  Emile  de  Laveleye,  le  jjeihtre  Ilillebrand,  Ernest  Renan, 
Max  Muller,  Hans  de  Wolzogen,  etc. 

C'est  à  Francfort  sur  le  Meiu  que  sera  érigé  le  monument.  Les 
souscriptions  peuvent  être  envoyées  directement  en  cette  ville  à  la 
Deutsche  Vcrcinshank. 

Pour  rappel,  aujourd'hui  dimanche  10  mai,  à  2  heures  de  relevée, 
grand  concert  de  la  Nouvelle  Société  de  Musiqiie  de  Bruxelles, 
dans  la  salle  de  l'Alhambra.  Solistes  :  M'-'e»  Gornélis-Servais  et 
Van  Dael,  MM.  Van  Dyck,  Blauwaert  et  Peeters.  Chœurs,  harpes  et 
orchestre.  300  exécutants  sous  la  direction  de  M.  Henry  Warnots. 

On  peut  retenir  des  places  d'avance  chez  M.  Ctiarles  Hoffman,  32, 
rue  de  Loxum,  et  chez  MM.  Scholt  frères,  82,  Montagne-de-la-Cour. 


La  'cinquième  exposition  trimestrielle  de  l'Union  artistique  de 
jeunes  peintres  auversois,  sous  la  devise  :  Als  ik  lian,  est  ouverte 
depuis  le  5  mai  (salle  Verlat  à  Anvers).  I^a  clôture  aura  lieu  le 
17  courant,  à  5  heures. 

On  nous  écrit  de  Londres  que  le  pianiste  Franz  Rummel  a  eu  un 
si  grand  succès  au  quatrième  concert  de  la  Société  Philharmonique, 
où  il  a  joué  le  concerto  de  Dvorak,  qu'on  l'a  réengagé  pour  le 
sixième  concert,  fait  extrêmement  rare  dans  les  annales  delà  Société. 
Il  a  été  prié  de  jouer  le  concerto  en  rai  bémol  de  Beethoven. 

Dvorak,  qui  dirigeait,  a  vivement  félicité  le  jeune  pianiste  de  la 
manière  brillante  dont  il  avait  exécuté  son  œuvre. 

Au  sixième  concert,  fixé  au  20  mai,  on  entendra  en  outre  la 
Jeanne  d'Arc  de  Moszkowski,  dirigée  par  l'auteur. 

Le  dernier  concert  de  l'année,  donné  par  le  Conservatoire  de 
Mous,  sous  la  direction  de  M.  Jean  Van  den  Eeden,  est  fixé  au  lundi 
1er  juin  prochain. 

La  vente  des  œuvres  de  Bastieu  Lepage,  aura  lieu  les  11  et  12  mai, 
à  la  galerie  Georges  Petit,  rue  de  Sèze.  Exposition  publique,  aujour- 
d'hui dimanche,  10  mai,  de  1  à  5  heures. 


La  Troisième  exposition  internationale  de  peinture  aura  lieu 
du  15  mai  au  15  juin  dans  la  galerie  Georges  Petit.  Cette  exposition 
réunira  des  œuvres  de  MM.  Béraud,  Besnard,  Donnât,  Cazin, 
Edelfeit,  Eguscuiza,  Gervex,  Henner,  Liebermann,  Raffaëlli,  Ribera, 
Sargent,  Stcvens  et  Van  Beers. 


On  annonce  l'apparition  prochaine,  chez  l'éditeur  Larcier,  d'un 
recueil  d'esquisses  de  la  vie  judiciaire  crayonnées  par  un  jeune  avo- 
cat bruxellois,  M.  A.  James. 

Le  volume  sera  illustré  d'une  série  de  dessin.-*  de  Am.  [Lyneu. 
Titre  :  Toques  et  Robes. 

Vom  Fels  zum  Mcer  publie  dans  son  numéro  de  juin  (StutfgaK, 
Spemann,  éd.),  une  intéressante  étude  ethnographique,  historique  et 
politique  sur  ?a  Russie  et  V Angleterre  m  Asie  centrale.  La  même 
livraison  de  cette  remarquable  revue  contient  la  première  partie 
d'un  roman  dErnest  Eckstein,  Aphrodite^  dont  l'action  se  déroule 
au  temps  de  la  Grèce  antique,  une  lettre  du  Pays  des  orangers,  un 
article  sur  les  mœurs  des  Souabes,  une  description  de  Scheffîeld  et 
de  ses  coutelleries,  la  Vie  agraire  en  Chine,  etc.,  etc. 


Curieuse!  le  second  roman  de  M.  Joséphin  Péladan,  qui  devait 
paraître  le  l*"»"  mai,  est  remis  au  30  octobre,  devant  être  le  feuilleton 
de  l'Echo  de  Paris  au  l^r  septembre. 


La  troisième  livraison  de  l'important  ouvrage  de  M.  Henri 
Beraldi  :  Les  graveurs  du  nix«  siècle  vient  de  paraître  Cette  livrai- 
son est  entièrement  consacrée  à  l'œuvre  de  M.  Félix  Bracquemond. 

La  vente  Gustave  Doré  a  produit  122,871  francs. 


Parmi  les  peintures,  on  a  remarque  :  La  Mort  d'Orphée, 
2,400  francs;  V Enfer  du  Dante,  1,350  francs;  la  Marchande  de 
fleurs,  1,600  francs;  V  Aigle,  G, 200  francs;  un  Paysage  d'Ecosse, 
3,700  francs  ;  le  Grand  Chêne,  1,220  francs. 

Parmi  les  sculptures  :  La  Parque  et  l'Amour,  1,330-  francs  ;  Les 
Saltimbanques,  i, 200  {rancs;  Pucfc,  i.'ZôOdancfi. 


Un  remède  contre  les  bis  au  théâtre.  Celui-ci  est  proposé  par 
un  journal  italien,  la  Ri  forma.  Pour  faire  perdre  au  public,  dit  ce 
journal,  la  mauvaise  habitude  de  réclamer  des,  bis  d'autant  plus 
indiscrets  qu'ils  fatiquent  les  artistes  et  augmentent  les  frais  de  gaz, 
un  impressario  de  notre  connaissance  a  atfiché  dans  le  vestibule  de 
son  théâtre  l'avis  suivant  :  —  «  Les  personnes  qui  dé.sireraient  la 
répétition,  tant  de  morceaux  de  l'opéra  quelle  fragments  du  ballet, 
sont  priées  de  s'inscrire  al  camerino  delV  itnpresa  (au  cabinet  de  la 
direction).  Le  spectacle  une  fois  terminé,  et  sous  le  bénéfice  du  paie- 
ment préalable,  par  les  personnes  inscrites,  d'un  second  billet  d'en- 
trée, on  leur  exécutera  tous  les  bis  qu'elles  désireront.  «  Le  moyen 
n'est  peiit-être  pas  mauvais. 

Les  éditeurs  Tabor-szky  et  Parsch,  de  Pesth,  qui  ont  publié  qua- 
torze compositions  de  Li.szt,  viennent  de  faire  hommage  à  celui-ci 
d'une  superbe -sonnette  de  table  en  argent.  La  poigriée  est  en  or,  en 
forme  de  lyre.  Il  est  orné  de  133  diamants  dont  la  disposition  forme 
le  nom  du  Maître.  La  frappe  est  entourée  d'une  guirlande  de  laurier 
dont  les  feuilles  portent,  gravés,  les  noms  des  quatorze  œurres  édi- 
tées par  les  donateurs  de  ce  présent. 


Le  62'^  festival  du  Bas-Rhin  sera  donné  à  Aix-la-Chapelle  à 
l'occasion  du  bi-centenaire  de  la  naissance  de  Htendel  et  de  Bach, 
les  24,  25  et  20  mai  prochain,  sous  la  direction  de  MM  D""  Cari 
Reinecke,  de  Leipzig,  et  Julius  Kniese,  d'Aix-la-Chapelle.  Solistes  : 
Mme  Fanny  Moran-Olden,  de  Leipzig  (soprano)  ;  M"«  Hermine  Spies, 
cantatrice  de  Wiesbaden  (alto  ;  M.  Heinrich  Gudehus,  de  Dresde 
(ténor)  ;  M.  Gustave  Siehr,  de  Munich  basse);  M™^  Wilma  Xorman- 
Neruda,  de  Londres  (violon). 

En  voici  le  programme  : 

Première  journée.  —  Dimanche  24  mai.  —  «»  Gloire  à  Dieu  », 
chœur  4e  l'oratorio  de  Noél,  de  J.-S.  Bach;  Judas  Macchabée,  ora- 
torio de  G. -F.  Hœndel. /— -^ 

Deuxième  journée,  -l-  Lundi  25  mai  —  Cqutate  de  la  Fête  pas- 
cale, de  J.-S.  Bach;  Symphonie  n»  5,  en  ut  mineur,  de  L.  von  Beet- 
hoven ;  la  Fête  d' Alexandre  (première  partie),  de  G.-F.  Hsendel; 
Prométhée,  poème  symphonique,  de  Fr.  Liszt  ;  Finale  des  Maîtres- 
Chanteurs^  de  Richard  Wagner. 

Troisième  journée.  —  Alardi  26  mai.  —  Ouverture  du  Roi  Man- 
fred,  de  C.  Reinecke;  Morceau  de  chant  (ténor);  Concerto  pour 
violon,  en  la  mineur,  de  Viotti  ;  Finale  de  Loreley,  pour  solo  de 
soprano,  chœur  et  orchestre,  de  F.  Mendelssohn  ;  Symphonie  en  ré 
mineur,  de  R.  Schumann;  Concerto  en  sol  majeur,  pour  instruments 
à  cordes,  de  J.-S.  Bach;  Morceau  de  chant  (alto);  Sonate  eu  la 
majeur,  pour  violon,  de  G.-F.  Htiendel;  Morceau  de  chant  (basse); 
Alléluia,  chœur  du  Messie,  de  Cî.-F.  Hœndel. 


VExcursion  annonce  ses  premiers  voyages  de  la  saison  nouvelle. 

A  côté  de  charmantes  promenades  en  mail-coach  à  quatre  chevaux 
à  travers  les  sites  les  plus  pittoresques  de  l'Ardenne,  nous  voyons 
figurer  des  excursions  à  Anvers  et  en  Hollande  qui  se  renouvelleront 
toute  l'été.    ' 

Le  23  mai,  à  l'occasion  des  fêtes  de  la  Pentecôte  et  du  célèbre 
pèlerinage  d'Echteruach,  aura  lieu  l'excursion  dans  le  Grand-Duché 
de  Luxembourg  qui  promet  d'être  des  plus  intéressantes. 

Enfin  au  28  mai  est  fixée  l'excursion  à  Londres  à  l'occasion  .des 
courses  du  Derby  d'Epsom  qui  obtient  chaque  année  un  succès 
grandissant.  Cette  fois  le  programme  comporte  la  visite  de  tous  les 
monuments  et  curiosités  de  Londres  et  des  environs,  tels  que 
Hampton  Court,  Kew,  Greenwich,  le  Palais  de  Cristal,  etc.,  etc. 

C'est,  en  cette  saison,  le  plus  beau  voyage  que  l'on  puisse  entre- 
prendre Sa  durée  est  de  8  jours  ;  son  prix  en  Ire  classe  de  250  francs  ; 
c'est  dire  qu'il  est  à  la  portée  de  tous. 

Cette  excursion  sera  suivie  immédiatement  d'un  magnifique  voyage 
en  Ecosse. 

Le  programme  détaillé  de  tous  ces  voyages  sera  envoyé  gratuite- 
ment à  toutes  les  personnes  qui  en  feront  la  demande  à  M.  Gh.  Par- 
mentier,  directeur  de  VExcursion,  boulevard  Auspach,  109,  à 
Bruxelles. 


152 


VART  MODERNE 


Sommaire  de  la  Société  nouvelle  (avril  1885). 

I.^ M.  Alfred  Fouillée  et  le  socialisme»  par  Domela-Nieiiwenhuis. 
—  II.  Lettre  de  Suisse,  par  G  Lorand.  —  III.  Une  escouade  ultra - 
montaine  :  Mémorial  d'un  oisif,  par  Léon  Gladel.  —  IV.  Bourgeois 
et  prolétaires,  par  Agathon  De  Potter.  —  V.  «  Germinal  et  la 
presse  »»,  par  Frédéric  Borde.  —  VI.  Un  romancier  catholique,  par 
Francis  Naiitet.  —  VII.  Chronique  littéraire,  par  A,  J.  —  VIII.  Le 
mois.  —  IX.  Les  livres. 


La  Rcxmc  contemporaine  publie  dans  son  numéro  du  25  mars  : 
Jules  Vallè.s,  étude  critique  de  Joseph  Caraguel.  —  La  course  à  la 
mort,  roman  d'Edouard  Rod.  —  La  damoiselle  élue,  poésie  de  D.  G. 
Rosetti!  —  Charles  Baudelaire,  étude  critique  de  Th.  de  Banville.  — 
Jacques  Hardiér,  conte  d'Adrien  Remacle.  —  Manzonieus  et  Gar- 
ducciens,  par  Eugène  C^hecchi.  —  Les  Maîtres -Chanteurs  à 
Bruxelles,  par  Camille  Benoit.  —  Carême  fantaisiste,  chronique  du 
,  mois,  par  Maurice  Barrés^  —  La  crise  économique,  par  Joseph 
Chaiîley.  —  Critique  littéraire  et  artistique  —  Bibliographie.  — 
Abonnements  :  Paris,  20  francs,  département  et  étranger,  22  francs 


Les  annonces  sont  reçues  an  bureau  du  journal, 
26,  rue  de  r Industrie,  à  Bruxelles. 


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tus  Valses  ........  2.50 

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—  Chant  dtc  Soir  {nou\e\\e  édition)  .     .     .      .  2.Ô0 

—  Balafo,  Polka-Fantaisie 2.00 

—  Etoiles  scintillantes,  Mazurka  .....  2.00 
KOETTLITZ,  M.  Op.    9.  Barcarolle , 2  00 

—  —    12.  Laencller ,        1.35 

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LES  MAITRES  CHAraURSinORlBM" 

(Die  Meistersinger  von  Niirnberg) 
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JjlOi  CtvO   •'  •  •  •  •  •-•  ■  •  *  »-•  » 

J?eHOîY.  Les  motifs  typiques  des  Maîtres  chanteurs  . 

ARRANGEMENTS  POUR  PIANO  A  2  MAINS  : 

La  Partition  complète        .    '^  .        .        .       .       .        .        .       . 

Ouverture.  Introduction .        .        . 

La  même,  arraiig.  par  H.  de  Bulow    .        .        .        .        .        . 

Introduction  du  3*  acte.        .        .        . 

£eyer,  i*'.  Répertoire  des  jeunes  pianistes 

y         Bouquet  (le  Mélodies   .        .        .        .        .        .        ,        . 

//rf^nuer.  C. Trois  transcriptions,  chaque        .       .        .        .      '. 

Bulow,  H.  [de].  Réunion  des  Maîtres  ciianteurs       .        .       . 

«  Paraphrase  sur  le  quintuor  du  3'  acte    .        .       . 

Cramer,  H.  Pot-pourri .        .       . 

Marche     .       .    ■■   .       .       ...     .-, —    .       .       . 

«I  Danse  des  apprentis       .        .        .        .        .        .        . 

Gohbaertft,  L.  Fantaisie  brillante       .       .        .       .        .       .        . 

Jaell,  A.  Op.  137,  Deux  transcriptions  brillantes  (SVei-begesang- 

Preislied),  chaque 

Op.  148.  Au  foyer 

Lassen,  E.  Deux  transcriptions  de  salon,  n°  I 

"  «  »  n"-  II.       .       .        .       . 

Leitert.  Op.  26.  Transcription     .        .        .        .       ^        .        .        . 
Saff',  J.  Réminiscences  en  quatre  suites,  cahier  I  et  II,  à 

cahier  III. 

cahier  IV. 

Riipp,  H.  Chant  de  W&lther       .        .       .       .       . 

ARRANGEMENTS  POUR  PIANO  A  4  MAINS  : 

La  Partition  complète '      , 

OHt-erfure.  Introduction  par  C.  Tausig  .  .  .  .,  . 
Beyer,  F.  Revue  mélodique  .  .  ■ .  .  .  .  . 
Buloïc,  H.  (de).  La  réunion  des  Maîtres  ohanteurs,  paraphrase     . 

Cramer,,  H.  Pot-pourri. 

«  "Marche 

De  Vilbac.  Deux  illustrations,  chacune 


Fr. 


2  « 

1  50 


25  « 

2  r, 
•à      « 

1  -^ 

1  75 

2  25 
1  75 
1  75 
1  75 

2  r, 

1  25 

1  75 

2  « 


25 

25 
35 
25 

50 
75 


35  « 
3  50 
2  25 

2  25 

3  50 

2  25 

3  75 


ARRANGEMENTS  DIVERS  V 

Owt'ert«<>'(?  pour  2  pianos  à  8  mains    ....        .        . 

Gregoir  et  Léonard.  Duo  pour  violon  et  piano. 
Kaslner,  E.  Paraphrase  pour  oigue mélodium. 

Xmo?,  F.  Prélude  du  3"  acte  pour  orgue 

Oberthur,  Ch.  Chant  de  Waither  pour  liarpe    . 
Singelée,  J.  Zf.  Fantaisie  brillante  pour  violon  et  piano  . 
Golterman.  Chant  de  Walther,  pour  violoncelle  et  piano 
Wichede,  F.  (de).  Morceaux  lyriques  poui-  violoncelle  et  piano 
N°  1.  "NValther  devant  les  Maîtres 

N"  2.  Chant  de  Walther 

Wilhelmj,  A.  Chant  de  Walther,  paraphrase  pour  violon  avec 
accoinpag.  d'orchestre  ou  de  piano.  Partition 
L'accompagnement  d'orchestre.        .        .        . 
«  de  piano      .... 


50 


50 


1  25 


25 

25 


3  " 
5  « 
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î       I 


Cinquième  année. ^ —  N°  20 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  17  Mai  ]1835. 


L'ART 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS   :    Belgique,   un   an,   fr.   10.00;  Union  postale,    fr     13.00.    —   ANNONCES   :    On   traite   à   forfait. 

A  dresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 

l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


^ 


OMMAIRX 


Le  AVagxkrisme  a  Bruxelles. —  Le  Salon  de  Paris.  (Premier 
article).  —  Gomment  Mozart  composait.  —  Deux  expositions. 
L  Le  Cercle  artistique;  H.  Les  Aquarellistes  (Second  article).  — 
Marat  assassiné.  —  Bibliographie.  Le  Monde  avant  la  création 
de  l'homme^  par  Camille  Flammarion;  Dictionnaire  synoptique 
d'éti/mologie  française,  par  Henri  Stappers.  —  Chronique  judi- 
ciaire DES  arts,  Les  Resseynblances  \  Weldon  contre  Gounod.  — 
Petite  chronique. 


LE  WAGXÉIUSMË  A  BUUXELLES 

Au  point  de  vue  musical,  l'événement  le  plus  consi- 
dérable de  l'hiver,  dans  noti'e  monde  bruxellois,  a  été 
la  véhémente  poussée  en  avant  de  l'art  wagnérien. 
Certes,  quand  la  direction  du  théâtre  de  la  Monnaie 
mit  en  répétition  les  Maîtres-Chanteurs,  nul  ne  s'at- 
tendait à  l'engouement  dont  a  été  prise  pour   cette 
œuvre,  considérée  comme  redoutable,  une  bonne  partie 
de  notre  population.  Il  semblait  qu'on  risquait  cette 
tentative  comme  contraint  et  forcé,  pour  ne  pas  recu- 
ler devant  la  promesse  assez  légèrement  faite  de  ne  pas 
achever  une  campagne  lyrique  brillante  sans  rendre 
un  hommage  au  maître  que   l'Allemagne  proclame 
souverain.  Le  public  wagnériste   avait  gagné  sur  la 
main  et,  visiblement,  on  se  laissait  conduire  par  lui, 
avec  la  crainte,  sinon  le  désir,  de  lui  démontrer  que  la 
foule  n'était  pas  encore  faite  chez  nous  pour  la  musi- 
que transcendante  qui  règne  dans  les  conceptions  les 
plus  caractéristiques  de  l'auteur  de  Parsifal.  Et,  dans 
les  premiers  jours  du  travail  compliqué  qui  devait 


mettre  au  courant  une  troupe  saturée  de  vieux  pré- 
jugés, que  de  résistances,  que  de  misères  !  Joseph  Dupont 
était  là,  il  est  vrai,  tenace  et  convaincu,  poussant  pa- 
tiemment en  avant;  mais  le  personnel,  spécialement  les 
premiers  sujets,  ne  dissimulaient  guère  leur  méchante 
humeur.  Ils  ne  s'accoutumaient  pas  à  cette  musique, 
difficile  à  retenir,  parce  que  sans  cesse  varient  les 
chemins  qu'elle  suit,  peu  aimable,  surtout  pour  les 
voix  qu'elle  fait  rentrer  dans  les  rangs  de  l'harmonie 
générale,  dédaigneuse  de  tous  les  effets  particuliers, 
sacrifiant  les  individualités  à  l'ensemble,  ne  voyant  que 
l'œuvre  et  jamais  les  virtuoses.  Que  de  bruits  décou- 
rageants circulaient  et  comme  la  représentation  appa- 
raissait pareille  à  une  bataille  à  l'avance  compromise  ! 
Ces  sourdes  rumeurs  avaient  rendu  hésitants  et  inquiets 
les  plus  fidèles,  et  nul  n'eût  pu  prophétiser  le  résultat 
de  cette  grande  partie. 

La  mêlée  a  été  archarnée  et  les  vieilles  troupes  ont 
fait  une  belle  résistance.  La  7nusique  de  Vaveyiir, 
devenue  celle  du  présent,  doit  les  honneurs  du  courage 
•malheureux  à  la  musique  du  passé.  Ils  resteront  légen- 
daires ces  sifflets  persistants  de  quelques  vrais  croyants, 
orthodoxes  comma  les  catholiques  apostoliques  et  ro- 
mains, qui,  jusqu'au  dernier  jour  ont  manifesté  leur 
indignation  pour  le  fameux  hourvari  provoqué  par  la 
sérénade  de  Beckmesser,  que  ces  roquentins  indignés 
comparaient  à  la  bousculade  des  MaroUiens  et  des  Mo- 
lenbeekois  dans  le  premier  acte  de  Basoef.  Il  «era  très 
curieux  dans  quelques  années,  et  très  honteux  pour 
ces  derniers  des  mameloucks,  de  rappeler  que  le  chef- 


d'œuvre  que  nous  venons  d'entendre  a  été  profané, 
sans  dommage,  il  est  vrai,  par  leurs  démonstrations 
grotesques. 

Désormais  c'est  fini,  et  ces|impuissantes  résistances 
n'ont  servi  qu'à  accentuer  l'élaln  des  fanatiques.  Ils  ont 
eu  pleine  ration  et  ils  se  sont  payé  la  rincette  et  la 
surrincette  par  deux  concerts  complémentaires  où  leur 
enthousiasme  s'est  épanché  jusqu'au  délire.  Il  y  a  désor- 
mais un  entraînement  qui  autorise  toutes  les  har- 
diesses, et  on  se  demande  si,  en  présence  de  prédilec- 
tions aussi  passionnées,  l'un  des  meilleurs  moyens  d'as- 
surer les  recettes  de  notre  opéra  ne  sera  point,  au  cours 
de  la  saison  prochaine,  de  risquer  un  nouvel  enjeu  dans 
ces  parties  où  on  se  jette  en  forcenés.  La  période 
la  plus  animée,  la  plus  mouvementée  de  la  saison 
théâtrale  qui  vient  de  s'achever,  a  été  celle  durant 
laquelle  les  Maîtres-Chanteurs  ont  occupé  l'affiche. 
Dans  les  journaux,  dans  les  salons,  dans  les  lieux 
publics,  dans  les  conversations,  ils  revenaient  incessam- 
ment, excitant,  enflammant  tout  le  monde,  attaqués, 
défendus,  outragés,  exaltés,  produisant  l'inévitable 
remue-ménage  qui  accompagne  la  manifestation  des 
œuvres  insolemment  nouvelles  et  puissamment  belles, 
enivrant  qui  comprend  leur  grandeur,  révoltant  ceux 
pour  qui  elles  restent  incompréhensibles.  Et  comme 
résultat  final,  ce  qui  apparaît  avec  éclat  :  c'est  que  cet 
art,  jadis  si  décrié,  remporte  la  victoire. 
.  Donc  Bruxelles  se  wagnérise.  L'invasion  musicale 
allemande  gagne  de  proche  en  proche.  Il  n'y  a  plus  à 
discuter,  la  vieille  école  recule.  Même  ceux  qui  n'ai- 
ment pas  l'envahisseur  n'en  sont  déjà  plus  à  défendre 
ce  qu'il  chasse  devant  lui.  C'est  le  moment  de  rappeler 
la  fameuse  formule  qui  marqua  si  bien  le  phénomène 
et  qui  fut  énoncée  par  un  réfractaire  désolé  de  se  sentir 
pris  par  l'épidémie  :  «  C'est  drôle  !  Cette  musique  wag- 
nérienne,  je  ne  peux  pas  la  souffrir,  et  pourtant  elle  me 
dégoûte  de  toutes  les  autres  « .  En  effet,  que  de  mal- 
heureux abonnés  ont  dû  se  souvenir  de  cet  étrange 
aphorisme  quand  X Etoile  du  Nord  s'insinua  entre  deux 
représentations  !  On  fut  forcé  de  coucher  sans  retard, 
et  pour  jamais  sans  doute,  le  pauvre  astre,  autrefois 
si  scintillant. 

Il  y  a  là  quelque  excès  assurément.  Ne  plus  com- 
prendre qu'une  musique  est  aussi  désolant  que  ne  plus 
comprendre  qu'une  peinture  ou  qu'une  littérature.  0 
variété  des  sensations,  heureux  qui  parvient  à  te  con- 
server !  Mais  de  plus,  ce  qui  inquiète,  c'est  que  cet  art 
wagnérien,  avec  ses  proportions  prodigieuses,  avec  ses 
règles  faites  pour  être  appliquées  par  un  géant  et  qui 
deviennent  si  promptement  mesquines  quand  les  sous- 
ordres  s'y  essaient,  pourrait  bien  être  un  de  ces  phé- 
nomènes conclusifs  qui  clôturent  une  évolution  artis- 
tique au  lieu  d'en  ouvrir.  De  pareilles  explosions  ne 
peuvent  être  répétées  et  surtout  elles  ne  peuvent  être 


imitées.  Après  le  bruit  formidable  du  canon[^uel  efïet 
produit  la  mousquetterie,  et  ne  peut-on  se  demander  si 
ce  n'est  pas  la  mousquetterie  des  imitateurs  et  des  pas- 
,  ticheurs  de  tout  génrç  que  nous  allons  entendre,  que 
nous  commençons  à  entendre?  Que  le  destin  nous  en 
préserve,  car  c'est  alors  que  l'ennui  coulerait  à  pleins 
bords.  De  petits  wagnériens,  des  diminutifs,  des  hom- 
minicules,  Lilliput  après  Brodignac.  Déjà  partout  on 
voit  les  mirmidons  se  préparer.  Ils  ne  se  contentent  pas 
déjouer  la  musique  du  maître.  Ils  veulent  en  faire  à 
leur  tour.  Ils  ont  la  prétention  de  chausser  ses  bottes 
de  sept  lieues.  Ce  ne  sont  que  drames  lyriques,  que 
motifs  revenant  à  point  nommé,  que  chœurs  supprimés, 
que  mélodie  récitative  continue.  Les  recettes  sont  con- 
nues, elles  sont  entrées  dans  la  cuisinière  bourgeoise 
musicale,  et  voici  que  dans  tous  les  ménages  et  sur  tous 
les  fourneaux  mijotent  des  pots-au-feu  à  la  mode  de 
Bayreuth. 

Ceci  est  fait  pour  causer  les  plus  justes  appréhen- 
sions. 

Nous  avons  Wagner,  vivat  !  Mais  la  queue  de  Wagner 
commence  à  se  dérouler.  Hélas  !  ! 


LE  SALON  DE  PARIS 

Premier  article. 

Le  résultat,  assez  inattendu,  d'une  visite  au  Salon  de 
Paris,  est  de  provoquer  à  l'égard  de  l'école  belge,  sou-^ 
vent  malmenée  par  ceux  qui  ont  l'ardent  désir  de  la  voir 
marcher  plus  vite,  et  nous  sommes  de  ,ceux-ci,  une 
indulgence  que  justifie  l'armée  de  médiocres  dont  le 
défilé  attristant_afïiige  les  regards.  Jamais  il  n'y  eut 
dans  l'art  français  moins  de  sincérité  et  de  conviction  : 
le  dés'ir  de  se  faire  remarquer  semble  être  le  mobile 
unique  des  artistes,  et  pour  y  parvenir  tout  leur  est 
bon  :  les  dimensions  disproportionnées  des  toiles,  l'ex- 
centricité des  sujets,  le  concert  bruyant  des  colorations. 
C'est  à  qui  sonnera  la  fanfare  la  plus  tonitruante,  à  qui 
frappera  le  plus  cinglant  coup  de  cymbales.  «  Entrez, 
Mesdames  et  Messieurs,  suivez  le  monde!  «  Et  les  toiles, 
comme  ces  dames  des  parades  foraines,  font  aux  pas- 
sants des  appels  désespérés. 

Petit  à  petit  se  sont  retirés  de  ces  tapageuses  exhibi- 
tions les  artistes  recueillis  dans  leur  œuvre.  Ils  ont  agi 
sagement,  car  pour  se  maintenir  au  diapason  de  cette 
cacophonie,  il  faut,  d'année  en  année,  hausser  le  ton  : 
et  ceux  qui  ont  voulu  souffler  quand  même,  et  plus  fort 
que  les  autres,  dans  leur  instrument,  ont  fini  par  le 
crever. 

Quel  autre  parti  à  prendre  que  la  retraite  quand  on 
voit  régulièrement  exilés  aux  rangs  supérieurs  ou  dans 
les  coins,  les  tableaux  honnêtement  peints,  reflet  d'une 
âme  d'artiste  ?  Pour  éprouver  quelques  jouissances  au 


r 


Salon  de  Paris,  c'est  dans  les  hauteurs  qu'il  faut  cher- 
cher patiemment  les  quarante  ou  cinquante  œuvres  qui 
dénotent  autre  chose  qu'une  habileté  de  prestidigitateur 
à  manier  les  brosses. 

A  part  de  rares  exceptions,  elles  y  sont  toutes.  Et 
dans  cette  excursioil  aux  étages  les  plus  élevés,  rare- 
ment tentée  par  les  visiteurs  habituels  qui  se  contentent 
de  parcourir  le  rez-de-chaussée,  on  rencontre  presque 
tous  les  tableaux  des  artistes  belges  qui  ont  encore  la 
naïveté  de  croire  à  l'impartialité  ou  à  la  compétence  du 
jury  parisien. 

Peut-être  est-ce  d'ailleurs  tm  honnem^  pour  les 
nôtres  que  de  n'être  pas  mêlés  à  ceux  qui  ont  les  hon- 
neurs de  la  cimaise.- N'a-t-on  pas  accroché  dans  le  voi- 
sinage du  plafond  les  deux  superbes  portraits  de 
Whistler,  le  Cléme7tceaii  de  Raffaëlli,  le  Veuf  de 
Forain,  \3iBécréationàe  Bartholomé,  toutes  les  œuvres 
vertes,  neuves,  âpres,  qui  eussent  soulevé,  si  on  eût  pu 
les  regarder,  les  discussions  qui  sont  la  vie  de  l'art?  Et 
nVt-on  pas  relégué  dans  un  angle  l'admirable  composi- 
tion de  Fantin-Latour  :  At^^owr  c^i^pmno? 

Il  n'y  a  pas  lieu  de  s'étonner,  dès  lors,  qu'il  faille  se 
donner  un  torticolis  pour  chercher  à  voir  les  Mineurs 
de  Meunier,  d'abord  refusés,  ce  qui  était  plus  joli 
encore;  qu'on  ne  puisse  découvrir  qu'après  de  minu- 
tieuses recherches  le  magnifique  Portrait  qu'Isidore 
Yerheyden  avait  exposé  au  dernier  Salon  des  XX;  que 
les  Coquelicots  à' ArniB.  Boch,  peut-être  le  plus  remar- 
quable tableau  de  fleurs  de  l'exposition,  ait  servi  à 
«  décorer  »  la  cage  de  l'escalier  d'entrée;  que  Van 
Strydonck  ait  vu  son  Portrait  de  Vander  Stappen 
hissé  au  troisième  rang  ;  que  les  Pileuses  de  Charlet 
occupent  le  deuxième,  avec  le  Sa7naritain  de  Vanaise, 
la  Clinique  de  Seeldrayers,  tous  deux  placés  au  dessus 
des  portes  de  communication  ;  qu'un  paysage  vraiment 
charmant  d'Eugène  Boch,  d'une  sincérité  émue  qui 
dénote  un  sentiment  subtil  et  raffiné  de  la  nature^  ait 
été  accroché  au  dessus  du  prétentieux  portrait  en  pied 
de  Madame  Dreyfous  par  Benjamin  Constant,  de  telle 
sorte  que  cette  peinture  délicate  est  anéantie  par  son 
absorbant  voisinage. 

Réunies  en  bonne  place,  ces  œuvres  saines  eussent 
fait  une  trouée  lumineuse  dans  le  cortège  de  choyés 
nulles,  vides,  criardes,  boursouflées  ou  communes  qui 
encombrent  la  cimaise.  Mais  aux  rangs  qu'elles  occu- 
pent, pas  une  ne  sera  remarquée. 

Les  Lutteurs  de  Jacques  de  Lalaing  forcent  l'atten- 
tion par  leurs  proportions,  malgré  l'emplacement  défa- 
vorable qu'on  leur  a  octroyé.  Parmi  les  sacrifiés,  il  faut 
citer  encore  le  Marais  de  Coosemans,  \b.  Neige  fon^ 
dante  de  Denduyts,  Y  Ecole  des  Beaux -Arts  de 
M""®  Ronner,  la  Lecture  défendxie  de  Tytgadt,  le  Bon 
papa  de  Pierre  Oyens  et  l'amusante  scène  du  frère 
David  :  Après  les  élections.  S'il  est  honorable  d'être 


mal  placé,  les  Oyens  peuvent  se  vanter  d'avoir  été  pri- 
vilégiés. * 

En  revanche,  quelques-uns  de  nos  artistes  figurent  à 
la  rampe  :  les  frères  De  Vriendt,  Clays,  Van  Beers, 
Evariste  Carpentier,  ce  qui  s'explique  par  l'analogie  qui 
existe  entre  cet  art  en  surface  et  nombre  de  produc- 
tions françaises,  et,  ce  qui  est  moins  justifié  à  ce  point 
de  vue  et  est  dû  sans  doute  à  un  hasard  heureux,  Cour- 
tens  et  Halkett.  L'un  expose  le^  Sarcleuses,  un  paysage 
avec  figures  dans  ses  données  habituelles,  l'autre  lés 
Trieuses  de  Ca7idi,  tahlesiU  connu  à  Bruxelles.     . 

En  avons-nous  oublié  ?  C'est  possible.  Le  catalogue 
renseigne  par  exemple,  un  portrait  de  M.  Alexandre 
Robert  que  nous  n'avons  pas  aperçu.  Il  est  des  œuvres 
qu'on  peut  ne  pas  remarquer.  Notre  intention  n'a  été, 
d'ailleurs,  que  de  donner  une  idée  de  l'esprit  qui  a  pré- 
sidé ail  placement  dans  ce  jury  d'artistes,  nommé  par 
des  artistes,  en  qui  on  s'imaginait,  bien  à  tort,  pouvoir 
placer  sa  confiance.  . 

Et  le  système  qu'il  a  inaugui^é-  pour  les  Belges,  il  l'a 
invariablement  appliqué  aux  Américains,  aux  Anglais, 
aux  Allemands.  Stewart,  parmi  les  premiers,  a  trouvé 
grâce  avec  son  Hunt  bail,  un  cotillon  dansé^en  habita 
rouges,  d'une  précision  photographique,  où  l'art  de 
Jean  Béraud  a  laissé  des  traces  profondes,  et  devant 
lequel  la  foule  s'amasse  surtout  parce  qu'elle  retrouve 
dans  chaque  valseur,  dans  chaque  mondaine  décolletée, 
des  figures  de  connaissance.  Puis,  parmi  les  Alle- 
mands, Uhde  avec  sa  scène  biblique  qui  n'a  d'ancien 
que  le  titre  :  Laissez  venir  à  moi  les  petits  enfants» 
mais  qui  est,  malgré  sa  coloration  crayeuse,  une  bonne 
et  solide  peinture  moderne.  Quant*  aux  Hollandais,  à 
part  Mesdag  et  Israëls  fils,  dont  l'un  expose  deux 
marines,  l'autre  son  Dépa^H  pour  les  Indes,  on  ne  les 
voit  guère. 

Est-il  donc,  dans  l'Ecole  française,  un  ensemble 
d'œuvres  assez  remarquable  pour  justifier  cette  façon 
d'agir?  Car  nous  ne  voulons  pas  admettre  que  le  jury 
se  soit  laissé  guider  par  le  désir  mesquin  d'exclure  sys- 
tématiquement totit  étranger  des  bonnes  places  de  ce 
grand  banquet  international.  Il  doit  avoir  gardé  le  sou- 
venir des  invitations  que  ses  voisins  n'ont  cessé,  jusqu'à 
ce  jour,  de  lui  envoyer,  et  la  reconnaissance  de  l'esto- 
mac peut,  au  besoin,  remplacer  la  reconnaissance  du 
cœur. 

Mais  non.  A  part  quelques-uns,  les  tableaux  français 
du  Salon  de  cette  année  sont  en  dessous  de  ce  qu'on 
pouvait  espérer.  Le  croira-t-on?  L'art  français  a  des 
tendances  allemandes.  Sur  dix  toiles,  neuf  ont  l'air  de 
sortir  de  l'école  de  Dusseldorf.  Elles  sont  peintes  avec 
plus  de  talent,  soit  !  Elles  sont  mieux  agencées,  combi- 
nées avec  plus  d'ardeur  en  vue  de  l'eff'et.  Mais  la  petite 
préoccupation  de  Vintention  y  est  la  même,  intention 
patriotique,  erotique  ou  spirituelle,  et  la  couleur  som- 


bre  dans  les  sauces  brunes,  noirâtres,  violacées  ou  pur- 
purines, mais  dans  les  sauces  toujours. 

Oh  !  ^intention  en  peinture  !  Quand  comprendra-t-on 
enfin  que  la  nature  n'a  pas  besoin  d'intentions,  qu  elle 
parle  suffisamment  par  elle-même,  dans  son  infinie 
variété  d'aspects,  de  nuances,  de  lumières,  de  formes, 
tantôt  puissante  ou  farouche,  tantôt  caressante  et  ten- 
dre, émouvante  toujours  pour  qui  sait  la  comprendre  ! 

Roll  est  du  petit  nombre  de  ceux  qui  sont  pénétrés 
de  cette  vérité.  Il  trouve  dans  la  nature  même,  sans  y 
rien  ajouter,  l'impression  forte  et  profonde.  Sa  grande 
toile  est  l'une  des  plus  é'mouvantésdu  Salon,  et  elle  n'est 
que  la  reproduction  fidèle  d'un  épisode  contemporain. 
Pas  même  d'un  épisode  :  d'une  scène  de  la  vie  quoti- 
dienne. 

Dans  l'atmosphère  grise,  chargée  de  vapeurs  et  de 
fumée,  tout  un  monde  d'ouvriers  s'agite,  sous  l'œil  de 
l'ingénieur  chargé  d^  la  direction  des  travaux.  On  hisse 
des  poutres,  on  taille  des  pierres,  on  pousse,  on  cogne, 
on  hêle,  on  mesure,  on  frappe.  Un  chaos  d'échafau- 
dages, de  charrettes,  de  chevaux,  de  moellons,  d'ou- 
tils, auquel  les  cheminées  qui  se  dressent  par  delà  la 
Seine  ajoutent  une  impression  farouche,  évoquant  à 
côté  des  peines  du  Chantier  les  enfers  de  l'Usine. 

C'est  Le  Travail.  La  toile  peut  se  passer  de  titre. 
Elle  le  crie  aux  visiteurs  d'une  voix  grave,  avec  on  ne 
sait  quel  accent  douloureux  et  résigné. 

On  critique  les  dimensions  exagérées  du  cadre.  Celles- 
ci  ne  s'accommodent  point,  dit-on,  des  exigences  de  la 
vie  actuelle.  On  n'imagine  guère,  même  dans  les  mu- 
sées, de  panneau  capable  de  recevoir  une  pareille  toile. 
C'est  le  côté  utilitaire  et  pratique,  au  sujet  duquel  il 
serait  injuste  de  chicaner  le  rêve  de  l'artiste. 

Mais  l'impression  n'eût-elle  pas  été  la  même  si  les 
proportions  eussent  été  plus  modestes?  Ceci  est  plus 
sérieux.  On  conçoit  le  Tintoret  peignant  pour  l'église 
de  Frari,  cette  gigantesque  Chiite  des  miges  qui  fait 
l'étonnement  des  visiteurs.  La  scène  interprétée  par 
M.  Roll  n'exigeait  pas,  semble-t-il,  pareil  développe- 
ment. Il  y  a  toujours  entre  les  sujet  et  le  cadre  une 
équation  qui  s'impose,,  qu'on  ne  peut  nier;  l'intérêt  ne 
croît  pas  en  raison  de  la  grandeur  de  la  toile. 

Gervex  aurait  dû  le  comprendre.  En  donnant  à  son 
Ju7y  de  peinture  les  proportions  dala  nature,  il  n'a 
pas  augmenté  le  moins  du  monde  l'intérêt,  assez  mince, 
qui  s'attache  à  la  scène  qu'il  a  reproduite.  Loin  de  là, 
il  l'a  affaibli  ;  et  ce  qui  eût  pu  constituer  un  panneautin 
amusant,  humoristique,  devient  une  «  machine  ^  (c'est 
le  terme  usité  !)  passablement  vide,  malgré  le  très 
sérieux  talent  avec  lequel  cette  «  machine  «  est  compo- 
sée, ordonnée  et  exécutée.  On  s'arrête  aujourd'hui 
devant  cette  vaste  toile  pour  y  retrouver  des  figures 
connues  :  «  Tiens,  c'est  VoUon,  le  vieux,  qui  a  l'air 
d'un  pochard,  qui  lève  son  psn'apluie!  Voici  Carolus  et 


sa  tête  crespelée.  Celui  qui  brandit  sa  canne,  la  mous- 
tache hérissée,  c'est  Guillemet.  Et  là-bas,  causant  entre 
eux,  Roll,  Cazin,  Puvis  de  Chavannes,  et  Gervex  lui- 
même.  Et  celui  qui  tourne  le  dos?  C'est  Feyen-Perrin. 
Pourquoi  a-t-il  posé  de  dos  celui-là  ?  «  Et  ainsi  de 
suite.  Les  réflexions  qu'on  entend  faire  tout  haut,  sont 
toutes  dans  ce  genre.  On  ne  dit  pas  :  «  Voilà  une  belle 
œuvre,  impressionnante  et  forte.  ^ 

Combien  d'autres  artistes  confondent  la  grandeur  de 
la  peinture  et  celle  de  la  toile. 

Que  dire,  par  exemple,  de  l'immense  composition  de 
Georges  Clairin  :  Après  la  victoire?  Il  s'agit  d'un  épi- 
sode conçu  par  Henri  Regnault,  que  la  mort  l'empêcha 
de  réaliser. 

«  Le  roi  maure  paraît  entre  les  deux  immenses  bat- 
tants de  porte,  armé,  et  recouvert  de  ses  plus  fins  tis- 
sus, sur  un  cheval  richement  caparaçonné  ;  il  est  im- 
passible et  regarde  on  ne  sait  où,  comme  le  sphynx 
d'Egypte  ou  une  idole  indienne,  comme  un  élu  enfin, 
un  descendant  du  prophète,  un  être  adoré,  encensé. 

•*  A  ses  pieds,  ou  plutôt  aux  pieds  de  son  cheval,  un 
héros,  le  général  en  chef  de  ses  armées,  est  humble- 
ment prosterné  et  dépose  son  épée.  Il  vient  de  conqué- 
rir à  son  maître  une  province  ou  une  ville  et  l'offre  à 
Celui  qu'on  ne  regarde  qu'en  tremblant  et  à  genoux.  — 
Les  inscriptions  de  l'Alhambra  sont  pleines  de  litanies 
au  nom  du  roi  qui  en  a  fait  construire  les  salles.  Soleil, 
Lumière  du  monde  !  sont  les  titres  les  plus  modestes 
qui  lui  sont  adressés. 

«  Sur  les  marches  de  marbre  blanc,  où  sont  jetés  de 
somptueux  tapis,  sont  échelonnés  des  guerriers  (les 
plus  beaux  des  officiers),  qui  rapportent  les  drapeaux 
pris  à  l'ennemi,  et  une  épée  chrétienne,  celle  du  général 
ou  du  roi  chrétien. 

«  Deux  barques  sont  attachées  aux  marches;  de 
l'une  descendent  le  général  et  sa  suite;  dans  l'autre,  de 
beaux  nègres  gardent  un  groupe  de  femmes  captives, 
les  plus  belles  chrétiennes  de  la  province  conquise;  elles 
seront  présentées  au  roi  et  off'ertes  après  les  drapeaux  ; 
celles  sur  qui  son  regard  daignera  descendre  seront 
conduites  au  harem. 

«  A  la  proue  d'une  dès  barques,  une  tête  coupée  sera 
clouée,  la  tête  d'un  chef  chrétien. 

«  Tout  est  or,,étoff'es  merveilleuses;  tout  est  élégant 
et  précieux  :  architecture,  armes,  pierreries,  chairs  de 
femme,  et,  au  milieu,  le  despotisme,  l'indifférence,  l'iti- 
souciance  mahométane. 

*'  Le  roi  regarde  à  peine  le  général  vainqueur  :  les 
portes  de  son  tabernacle  s'écartent,  et,  comme  une  idole 
enfermée  et  dont'  le  temple  s'ouvre,  il  est  là,  objet 
d'adoration  (*)i  »» 

Georges  Clairin  a  cru  devoir,  pour  frapper,  comme 


(*)  Correspondance  d'Henri  RerjnauU. 


L, 


«r/î  -.   -fc. 


on  dit,  un  grand  coup,  donner  à  cette  scène  des  pro- 
portions colossales.  Tout  est  de  grandeur  naturelle,  les 
guerriers,  les  chevaux...  et  le  palais.  Et  malgré  le 
talent  dépensé,  malgré  le  temps  consacré  en  recherches, 
en  études,  en  travaux  laborieux,  la  toile  n'émeut  point. 
On  passe,  indifférent,  à  côté  de  ce  prodigieux  effort. 

Il  en  est  de  même  de  la  Justice  du  Shérif,  de  Ben- 
jamin Constant,  l'œuvre  la  plus  extraordinaire  du  Salon 
au  point  de  vue  de  l'exécution,  la  plus  vide,  la  plus 
antipathique,  la  plus  vieille  au  point  de  vue  de  l'im- 
pression qu'elle  provoque.  Que  nous  importent  le  minu- 
tieux travail  des  tapis,  les  merveilleux  tissiis  d'or  et 
d'argent  des  tentures,  tout  le  bric-à-brac  oriental  accu- 
mulé avec  une  profusion  inouïe,  quand  il  s'agit  d'une 
scène  terrible  comme  celle  à  laquelle  prétend  nous  faire 
assister  le  peintre  :  une  douzaine  de  femmes  égorgées 
par  d'implacables  bourreaux,  gisant  inanimées  sur  les 
dalles  de  marbre  blanc  où  leur  sang  coule  en  longs  filets 
écarlates? 

L'horreur  de  la  sc^ne  disparaît  dans  ce  luxueux 
décor.  Art  de  quinzième  ordre,  à  la  portée  de  tous  les 
forts  en  thème,  mais  qui  ne  révèle  pas  la  plus  petite 
parcelle  de  génie. 

Bonnat  n'est  pas  plus  heureux.  Son  Martyre  de 
Saint-Denis  participe  des  côtés  désagréables,  guindés 
et  conventionnels  de  toutes  les  compositions  académi- 
ques :  il  s'y  ajoute  une  note  comique,  celle  de  cette 
bombe  qui  éclate  au  dessus  du  col  saignant  du  Martyr 
et  qui  parait  lancée  par  le  bourreau.  C'est,  paraît-il, 
d'une  auréole  qu'il  s'agit.  Cette  drôlerie  à  part,  l'œuvre 
est  sèche,  noire,  sans  la  moindre  émotion.  Et  le  por- 
trait de  femme  qu'expose  l'artiste,  dans  la  pose  d'une 
personne  qui  se  campe  devant  l'objectif  d'un  photo- 
graphe en  attendant  le  traditionnel  «  Je  commence  « 
n'est  pas  fait  pour  nous  réconcilier  avec  cette  peinture 
froide  et  ennuyeuse.  .      - 


^ 


COMMENT  MOZART  COMPOSAIT 


La  lellrc  suivante  de  Mozart,  citée  par  Hartmann,  monirc  U 
quel  point  les  opérations  intcllecluelles,  qui  constituent  ce  qu'on 
nomme  le  génie,  sont  automatiques  et  inconscientes  :  ^. 

«  Vous  me  demandez,  répondait  l'illustre  compositeur  à  une 
question  posée  par  un  ami,  comment  je  travaille  et  comment 
je  compose  les  grands  et  importants  sujets?  Je  ne  puis,  en  vérité, 
vous  en  dire  plus  que  ce  qui  suit,  car  je  n'en  sais  pas  moi-même 
plus  long  et  je  ne  puis  pas  trouver  autre  chose.  Quand  je  me 
sens  bien  et  que  je  suis  de  bonne  humeur,  soit  que  je  voynge  en 
voiture  ou  que  je  me  promène  après  un  bon  repas,  ou  dans  la 
nuit  quand  je  ne  puis  dormir,  les  pensées  me  viennent  en  foule 
et  le  plus  aisément  du  monde.  Uoù  et  comment  m' arrivent-elles^ 
je  n'en  sais  rien,  je  ny  suis  pour  rien..  Celles  qui  me  plaisent,  je 
les  garde  dans  ma  tête  et  je  les  fredonne,  à  ce  que  du  moins 
m'ont  dit  les  autres.  Une  fois  que  je  tiens  mon  air,  un  autre 
bientôt  vient  s'ajouter  au  premier   suivant  les  compositions 


totales,  contre-point,  jeu  des  divers  instruments,  etc.,  etc.;  et 
tous  ces  morceaux  finissent  par  former  le  pâté.  Mou  âme  s'en- 
flamme alors,  si  toutefois  rien  ne  vient  me  déranger.  L'œuvre 
grandit,  je  l'étudié  toujours  et  la  rends  de  plus  en  plus  distincte, 
et  la  composition  finit  par  être  tout  entière  achevée  dans  ma 
tôle,  bien  qu'elle  soit  longue.  Je  l'embrasse  ensuite  d'un  seul  coup 
d'œil,  comme  un  beau  tableau  ou  un  joli  garçon.  Ce  n'est  pas 
successivement  dans  le  détail  de  ses  parties  comme  cela  doit 
arriver  plus  lard,  mais  c'est  tout  entière,  dans  son  ensemble  que 
mon  imagination  me  la  fait  entendre.  Quelles  délices  pour  moi  ! 
Tout  cela,  l'invention  et  Vexe'cution  se  produisejit  en  moi  comme 
dans  un  beau  songe  très  distinct  ;  mais  la  ré[>élilion  générale 
de  cet  ensemble,  voilà  le  moment  le  plus  délicieux...  Comment 
maintenant,  pendant  mon  travail,  mes  œuvres  prennent  la  forme 
ou  la  manière  qui  caractérise  Mozart  et  ne  ressemblent  à  celles 
d'aucun  autre, jcela  arrive,  mB  foi!  tout  comme  il  se  fait  que 
mon  nez  est  gros  ou  crochu  :  le  nez  de  Mozart  et  non  celui  d'une 
autre  personne.  «  Mozart.  » 

Peux  expo3ition3 

I.  Le  Cercle  artistique.  —  II.  Les  Aquarellistes. 

Second  article. 

On  nous  fait  observer  que,  dans  notre  revue  des  principales, 
œuvres  exposées  au  Cercle  artistique,  nous  n'avons  pas  parlé  du 
tableau  de  Courlens. 

11  y  ad'autres  toiles  qui,  h  des  titres  divers,  mériteraient  qu'on 
s'y  arrêtât.  Et  pour  n'en  citer  que  quelques-uncs^csXooscmans, 
les  Hubert,  les  Smils,  les  De  Vriendl. 

Mais,  faut-il  le  répéter?  jamais  nous  n'avons  eu  l'idée,  en  fai- 
sant le  compte-rendu  d'un  Salon,  de  parler  de  tout  le  monde.  Et 
quand  nous  n'avons  rien  de  nouveau  à  dire  d'un  artiste,  qu'il 
se  présente  au  public  avec  les  mômss  qualités  et  les  mêmes 
défauts  que  ceux  que  nous  avons  signalés  lors  d'un  envoi 
précédent,  il  nous  paraît  préférable  d'attendre  une  occasion 
meilleure. 

Les  pirouettes  et  cabrioles  exécutées  par  des  critiques  en  rup- 
ture de  reportage  devant  chaque  tableau  exposé  peuvent  divertir 
la  galerie.  Elles  donnent  de  la  souplesse  de  celui  qui  s'y  livre  une 
idée  favorable.  Mais  en  quoi  ces  cavaliers  seuls  servent-ils  l'Art? 

Cela  vaut  la  critique  à  coups  de  calembours  inaugurée  récem- 
ment par  un  facétieux  chroniqueur  d'occasion  de  V Indépendance, 
qui  a  pris  prétexte  du  Salon  de  Paris  pour  remplir  de  jeux  de 
mots  tout  un  supplément  du  journal. 

Puisse  celte  rupture  de  digues  avoir  déchargé  pour  quelque 
temps  le  trop  plein  qui  l'incommodait  ! 

Prendre  quelques  œuvres,  choisies  parmi  celles  qui  peuvent 
provoquer  des  observations  d'une  portée  générale,  noter  les  pro- 
grès ou  les  reculs,  chercher  à  pénétrer  les  causes  des  uns  et  des 
autres,  rattacher  l'évolution  présente  à  l'histoire  de  l'Art,  seule 
base  sérieuse  d'appréciation,  tel  a  été,  tel  sera  notre  système 
de  critique.  S'il  peut  avoir  sur  l'esprit  des  artistes  quelque 
influence  sérieuse,  tant  mieux.  S'il  éclaire  le  public,  lui  inspire 
le  désir  de  s'instruire  des  bc.'auU's  de  l'Art,  le  met  en  communion 
d'idées  avec  ceux  qui  pens^'ut,  écrivent,  peignent,  sculptent, 
composent,  tant  mieux  encore.  Nous  aurons,  dans  la  mesure  de 
nos  forces,  aidé  à  l'épanouissement  de  cette  floraison. 

Mais  la  camaraderie,  les  courbettes  de  reporter  en  quête  de 
dîners  ou  d'abonnés  n'est  point  noire  fait,  et  quand  nous  trou- 
vons médiocrfes  les  œuvres,  même  de  nos  meilleurs  a<nis,  nous 
le  disons  tout  net. 

Et  maintenant,  fermons  la  parenthèse  et  entrons^  aux  Aquarel- 
listes. Ne  regardons  ni  les  devants  de  cheminée  de  feu  M.  Louis 
Haghe,  président  honoraire  de  la  Society  of  painters  in  Water 


colours,  r\\  le  slupéfianl  chromo  que  M.  François  Heigel,  de 
Munich,  expose  sous  le  litre  :  Une  loge  de  bal  masqué,  ni  VAl- 
hnmbra  de  cet  autre  alîennànd,  M.  Adolphe  Scel;  ou  si  nous  les 
regardons,  que  ce  soil  pour  que  ces  choses  nous  inspirent  une 
terreur  salutaire. 

Allons  droit  aux  rares  bonnes  |:)ages  de  l'Exposition.  Les  lumi- 
neuses aquarelles  de  M"''  Clara  Montalba  comptent  parmi  celles- 
ci,  et  mênie  parmi  les  meilleures.  Le  dragueur  qui  dresse  fantas- 
tiquement sa  charpente  compliquée  dans  des  eaux  vaseuses, 
enveloppé  de  l'atmosphère  humide  de  Venise,  poursuit  le  visi- 
teur de  ses  souvenirs.  Cette  superbe  esquisse,  de  même  que  les 
Bacs  à  crabeSjÊSi  d'une  artiste  que  la  nature  impressionne  et  qui 
interprète  magistralement  tout  ce  qui  l'émeut.  Etre  «  empoigné  » 
et  communiqueraux  autres  la  sensation  ressentie,  n'est-ce  pas  la 
synthèse  de  l'Art?  Qu'injporte,  après  cela,  et  le  sujet,  et  le 
procédé,  et  le  fini,  et  la  «'  patte  »,  et  les  mille  riens  au  sujet 
desquels  on  s'épuise  en  d'oiseuses  discussions? 

Les  aquarellistes  italiens  qui  s'abattent  périodiquement  comme 
de  chAloyants  papillons  sur  le  Salon,  resteront  d'intéressants 
phénomènes,  mais  non  des  artistes,  tant  qu'ils  continueront  à 
substituer  à  celte  petite  chose,  qui  est  tout,  i'émoiion,  la  presti- 
gieuse habileté  de  leurs  pinceaux  et  l'éclat  inusité  de  leur  palette. 
Qu'ils  s'appellent  Cipriani,  Brugnoli,  Coleman,  Navone,  Penac- 
chini,  Rapctti-,  Simoni,  Bueciarelli,  Barlolini,  Carlandi,  qu'ils 
peignent  des  cardinaux,  des  laquais  galonnés,  des  bouquetières 
ou  des  fleurs  de  pomniier,  ils  ont  même  prestesse,  ils  escamotent 
avec  la  même  adresse  toutes  les  difficultés,  ils  vous  jettent  au  nez 
un  nuage  aveuglant  et  irisé,  et  tout  cet  ensemble  éblouissant  ne 
laisse  rien  dans  l'esprit,  la  visite  finie,  que  le  souvenir  d'un  feu 
d'artifices  dont  il  ne  reste  que  du  papier  noirci  et  des  baguettes. 

Ce  qui  est  intéressant  b  noter,  c'est  que  c'est  dans  le  pays  de 
CCS  jongleurs,  et  comme  pour  les  narguer,  que  M"*^  Montalba  est 
allée  s'installer.  Ce  n'est  donc  pas  la  nature  qui  modifie  l'artiste, 
c'est  l'artiste  qui  môle  à  celle-lî\  quelque  chose  de  son  tempé- 
rament, en  l'interprétant  selon  son  cœur,  son  œil,  sa  pensée. 

Un  peintre  hollandais,  Van  der  Waay,  est  un  autre  exemple  de 
la  transformation  que  subit  la  nature  méridionale, en  passant  par 
le  cerveau  et  la  main  d'un  tempérament  du  Nord.  Voyez  sa  Via 
del  Mura,  où  les  crudités  du  ciel  d'Italie  sont  tempérées  par  le 
sentiment  des  colorations  plus  sobres  de  la  Néerlande.  Voyez  la 
façon  simple  et  grande  dont  l'artiste  comprend  le  gamin,  porteur 
de  fiasques,  qu'il  intitule  Sans-Souci  (il  eût  pu  le  baptiser  Sans- 
Culotte). 

Avec  leurs  pétards  multicolores,  les  Italiens  ont  éloigné  les 
artistes  de  leur  pays.  Mais  quelle  erreur  de  croire  qu'ils  ont 
exprimé  avec  justesse  la  lumière  et  le  caractère  de  la  terre 
latine! 

Les  exemples  cités  montrent  combien,  h.  cet  égaril,  les 
interprétations  peuvent  différer.  Et  certes,  des  deux,  celles  do 
l'artiste  anglaise  et  du  i)cinlre  hollandais  sont  les  plus  sédui- 
santes. 

M"«  Montalba  n'est  pas  la  seule  femme  dont  les  œuvres  ailirenl 
l'attention  des  artistes.  A^ôté  d'elle,  il  faut  citer  M"«  Bramina 
llubrecht,  dont  le  talent  viril  s'est  révélé  à  l'exposition  de  cette 
année.  C'est,  croyons-nous,  un  nom  nouveau,  et  la  manière 
large,  hardie,  1res  artiste  dont  elle  a  peint  son  Coup  d'essai 
(est-ce  à  double  entente?)  promet  un  avenir.. 

Elle  se  détache,  avec  l'artiste  cité  plus  haut,  du  groupe  des 
Hollandais,  toujours  nombreux,  mais  aussi  de  plus  en  plus 
monotone  et  passablement  lourd.  Il  est  difficile  de  distin- 
guer les  unes  des  autres  les  œuvres  de  MM.  Weisscnbruch, 
Slortenbeker,  Gabriel,  Poggenbeek,  van  Borsclen,  Vrolyk.  Ils 
ont  même  facture  cotonneuse,  mélangent  à  même  dose  la 
gouache  dans  leur  godet  d'eau,  s'acharnent  aux  mêmes  effets  de 
ciels  opaques  roulant  des  nuages  d'encre  par  dessus  des  canaux. 
M.  Roelofs  a  la  spécialité  du  noir.  M.  Wysmuller,  qui  se  faisait 
remarquer  autrefois  par  la  précision  minulieuse  de  son  dessin,  a 
perdu  cette  qualité.  Bref,  à  part  M.  Mauve  et  M.  Zilcken,  un  vrai 
chercheur  celui-ci,  tout  le  lot  est  assez  déplaisant. 


Il  semble  qu'il  y  ait  quelque  lassitude  dans  l'art  de  la  peinture 
à  l'eau.  Aucune  originalité  ne  s'y  révèle.  Tous  y  tournent,  depuis 
quelques  années,  la  môme  roue,  comme  des  écureuils  encages. 
El  qu'on  se  méfie!  Le  public  finit  par  .se  fatiguer  de  r.egarder  les 
écureuils,  tout  charmants  soient-ils.  MM.  SlacqùetetUytterschaut, 
dont  nous  avons  si  souvent  Joué  l'art  délicat,  devront  trouver  du 
neuf;  dans  les  arts,  tout  arrêt  équivaut  à  un  recul.  M.  Binjé  est 
heureusement  encore  dans  la  période  ascendante.  Chacune  de  ses 
expositions  marque  un  progrès  réel.  S2i  Briqueterie  e.si  \ra\meni 
remarquable.  Elle  se  découpe  tragiquement  sur  le  ciel  enflam- 
mé, les  masses  de  ses  fours  fumants,  emplis  de  l'activité  du 
travail.  Il  faut  citer  aussi  Constantin  Meunier,  qui  reproduit  à 
l'aquarelle  deux  des  superbes  panneaux  décoratifs  destinés  à 
l'exposition  d'Anvers  dont  nous  avons  parlé  récemment,  et  Xavier 
Mellery,  l'artiste  profond,  recueilli,  sincère  et  impressionnant, 
dont  la  Sainte-Barbe,  l'Intérieur  de  bateau  flamand  et  la  Métai- 
rie relèvent  singulièrement  le  niveau,  un  peu  affaissé,  de  l'expo- 
sition. Puis  encore  les  pastels  do  M.  Hubert  Vos,  un  nouveau 
venu,  fort  intéressant,  qui  gagnerait,  semble-t-il,  h  donner  plus 
d'accent  à  ses  études,  d'ailleurs  consciencieuses  et  sincères  ; 
M.  Hoeterickx,  le  capitaine  Hubert,  les  frères  Oyens,  le  major 
Pecquereau,  M.  Eugène  Smits,  M.  Hagemans,  tous  artistes 
appréciés,  dont  nous  avons  eu  souvent  l'occasion  d'entretenir 
{QsleciQUTs  ùaV Art  moderne. 


^kKkl     Â^^A^piNÉ 


Un  débat  très  curieux  vient  d'être  soulevé  par  le  petit-fils  de 
David,  à  propos  du  tableau  Marat  dans  sa  baignoire  exposé  aux 
Portraits  du  siècle  à  l'Ecole  des  beaux-arts  et  que  beaucoup  de 
Bruxellois  se  souviendront  d'avoir  vu  exposé  à  Bruxelles  il  y  a 
quelques  années.  Il  était  alors  à  vendre  pour  10,000  francs. 
M.  L.-J.  David  adresse  à  M.  le  marquis  de  Mortemart,  président 
de  la  Société  philanthropique,  une  lettre  dans  laquelle  il  déclare 
que  le  Marat  exposé  n'est  qu'une  copie,  et  que  lui  seul  possède 
l'original: 

Cette  toile,  dit  M.  David,  n'est  qu'une  des  copies  exécutées 
sous  la  surveillance  de  David,  pour  les  Gobelins,  conformément 
au  décret  de  la  Convention  du  21  floréal  an  II,  du  tableau  que  Cct 
artiste  avait  offert  à  cette  assemblée  le  14  novembre  1793,  et  qui 
lui  fut  rendu  le  8  février  1795. 

L'original  du  Marat  et  deux  de  ses  copies  figurent  dans  l'in- 
ventaire après  le  décès  de  David.  Après  avoir  été  retirées  de  la 
première  vente  de  ce  maître,  ces  toiles  furent  remises  aux  enchères 
le  11  mars  1835,  et  adjugées  à  M""^  Ja  baronne  de  Meunier,  fille 
de^David,  et  à  M"'«  Eugène^David,  macère. 

Les  deux  copies  furent  abandonnées  par  les  acquénurs  de 
l'original,  lune  ù  M""-' la  baronne  Jeannin, l'autre  à  M.  Jules  David 
aîné,  qui,  le  17  juin  1853,  signent  un  acte  sous  seing  privé  où 
ils  reconnaissent  que  les  tableaux  du  Marat  qu'ils  possèdent  ne 
sont  que  des  copies  qui  leur  ont  été  données  gratuitement  par 
les  propriétaires  du  tableau  original. 

Le  tableau  de  M"»^  la  baronne  Jeannin,  peint  par  Serangeli, 
est  aujourd'hui  chez  le  baron  Jeannin. 

Celui  de  M.  Jules  David  aîné,  peint  peut-être  par  Gérard,  a  été 
donné  par  mon  cousin,  M.  le  baron  Jérôme  David,  au  prince 
Napoléon,  qui  le  céda  en  février  1868  à  MM.  Durand-Ruel  et 
Brame,  marchands  de  tableaux. 

Cette  copie  restée  à  M.  Durand-Ruel  a  été  exposée  à  la  vitrine 
de  son  magasin,  rue  de  la  Paix,  et  dans  ses  galeries,  rue  Le  Pelc- 
tier.  C'est  cette  toile  que  nous  voyons  aujourd'hui  à  votre  expo- 
sition. 

Vunique  tableau  original  de  la  mort  de  Marat,  celui  qui  déco- 
rait la  salle  de  la  Convention,  est  en  ma  possession.  Lui  seul  est 
signé  :  A  MARAT 

DAVID.  L'an  deux. 

Les  deux  copies  ne  portent  aucune  trace  de  signature. 


MM 


V ART  MODERNE 


159 


En  conséquence,  M.  David  demande  une  reclificalion  au  cata- 
logue et  l'inserlion  de  la  mention  :  Copie  diaprés  David. 

Il  serait  intéressant  d'exposer  à  l'Ecole  des  beaux-arts  les  deux 
tableaux,  la  copie  et  l'original. 


iPlBLÎOQRAPHIE 


Le  monde  avant  la  création  de  l'homme,  par  Camille 
Flammarion,  —  Paris,  Marpon  et  Flammarion. 

S'il  est  une  question  qui  ait  toujours  intrigué  et  même  passionné 
la  curiosité  humaine,  c'est  assurément  celle  de  l'origine  du  Monde, 
de  l'origine  des  Êtres  et  de  l'Humanité  elle-même.  Il  semble  aujour- 
d'hui qu'à  l'ordre  du  eénie  humain  tous  les  monstres  antédiluviens 
aient  tressailli  dans  leurs  tombeaux  et  qu'ils  se  soient  levés  pour 
venir  reconstituer  eux-mêmes  les  scènes  grandioses  des  âges  dispa  - 
rus  et  montrer  à  l'Homme  ses  lointains  ancêtres. 

Ce  tableau  du  Monde  avant  la  création  de  l'Homme,  Zimmer- 
mann  avait  entrepris  de  le  tracer  dans  un  ouvrage  qui  est  resté 
célèbre,  mais  qui  est  depuis  longtemps  épuisé  en  librairie  Depuis 
vingt-cinq  ans  que  cette  xBUvre  a  été  écrite,  la  science  a  fait  d'ail- 
leurs des  pas  de  géant.  Aussi,  les  nouveaux  éditeurs  de  cet  ouvrage 
ont-ils  prié  M.  Camille  Flammarion  de  l'examiner  avec  soin  et  d'en 
donner  une  édition  élevée  au  niveau  des  progrès  de  la  science.  Le 
savant  astronome,  auquel  ces  études  de  cosmogonie  ont  toujours  été 
familières  par  leur  liaison  avec  les  bases  mêmes  de  la  doctrine 
de  la  pluralité  des  mondes,  avait  à  peine  commencé  ce  travail  de 
revision  qu'il  s'est  aperçu  que  l'œuvre  déjà  si  belle  de  Zimmermann 
méritait  d'être  entièrement  refondue. 

Le  succès  de  l'ouvrage  était  dès  lors  doublement  assuré,  et  pour 
satisfaire  à  tous  les  désirs  déjà  exprimés,  les  éditeurs  lui  ont  donné 
la  forme  populaire  qui  a  été  accueillie  avec  tant  d'enthousiasme  par 
les  innombrables  lecteurs  de  VAstronotnie  populaire  et  de  Terre 
et  Ciel. 

Cet  ouvrage  paraît  en  livraisons  de  10  centimes  et  en  séries  à 
50  centimes.  Il  sera  illustré  d'environ  300  figures,  représentant  les 
paysages  du  monde  primitif,  et  de  nombreuses  planches  en  couleurs. 

Dictionnaire  synoptique  d'étymologie  française, 

pai'  Henri  Stappers. 

Tous  les  mots  usuels  de  la  langue  française  sont  groupés  dans  ce 
dictionnaire  d'après  leur  dérivation.  On  y  fait  même  ligurerdes  mots 
étrangers,  non  français,  mais  fréquemment  employés  dans  les  livres 
de  science  et  d'histoire,  dans  les  relations  de  voyages,  les  jour- 
naux, etc.  Eu  revanche,  un  certain  nombre  de  mots  techniques,  de 
formation  artificielle,  ont  été  négligés,  afin  d'éviter  la  surabondance 
des  détails.  La  nomenclature  est  à  peu  près  la  même  que  celle  de 
l'édition  populaire  du  Dictionnaire  de  Larousse,  auquel  l'auteur  a 
emprunté  la  plupart  des  définitions,  dont  la  concordance  avec 
le  sens  étymologique  constitue  l'un  des  mérites  de  cet  excellent 
manuel. 

Règle  générale,  il  s'est  interdit  de  reproduire  une  étymologie 
incertaine  sans  la  signaler  comme  telle.  Le  Vocabulaire  alphabéti- 
que contient  en  outre  un  millier  de  mots  sur  la  filiation  desquels  il  a 
gardé  complètement  l'abstention. 

iSes  guides  de  prédilection  ont  été  Littré  et  Aug.  Scheler,  dont 
l'autorité  en  cette  matière  est  incontestée,  ainsi  que  le  Grand  DiC' 
tionnaire  universel  du  XIX*^  ciècle  de  Larousse,  qui  traite  avec  uir- 
soin  scrupuleux  les  problèmes  de  la  linguistique. 

C'est  en  vain  que  les  érudits  chercheraient  dans  cet  essai  des 
théories  neuves  ou  des  dissertations  critiques  ;  une  semblable  tâche 
n'eût  pas  réalisé  le  résultat  que  l'auteur  avait  en  vue  :  populariser 
cette  branche  de  la  science  au  moyen  d'un  exposé  bref  et  pratique. 

Le  plan  adopté  consiste  à  grouper  d'une  façon  méthodique  tous 
les  mots  de  même  provenance,  qui  se  trouvent  forcément  éparpillés 
dans  les  autres  dictionnaires  d'après  l'ordre  alphabétique.  Ce  rap- 
prochement est  instructif  et  intéressant  à  divers  litres  :  en  quête  de 
la  dérivation  d'un  mot  quelconque,  on  le  rencontre  accompagné  do 
ses  congénères,  et  l'on  fait  ainsi  connaissance  avec  tout  un  groupe 
de  vocables  ayant  un  ancêtre  commun  et  dont  on  ne  soupçonnait 
peut  être  pas  l'étroite  parenté  De  là  naissent  des  découvertes  et  des 
inductions  inattendues,  qui  éclairent  le  sens  intime  et  primordial 
des  mots  d'une  lumière  plus  vive  que  celle  qui  se  dégagerait  de  longs 
commentaires. 


L'élément  primitif  ou  radical  est  mis  en  vedette  et  les  autres  par- 
ties constitutives  sont  nettement  distinguées  ;  chaque  mot  se  trouve, 
de  cette  façon,  soumis  à  une  sorte  d'analyse  et  de  dissection  qui 
frappe  en  même  temps  les  yeux  et  l'esprit. 

M.  Aug.  Scheler  a  adressé  à  l'auteur  les  ligues  suivantes  : 

Monsieur  Stappers, 

J'ai  parcouru  votre  travail  avec  tout  Pintérêt  dont  il  est  digne  et  je 
viens  vous  exprimer  mes  éloges  bien  sincères  pour  rintelligeuce  spé- 
ciale et  le  soin  minutieux  dont  vous  y  avez  fait  preuve,  ^ 

Je  reconnais  volontiers  que  le  dictionnaire,  tel  que  vous  l'avez 
envisagé  et  exécuté,  serait  appelé  à  rendre  de  notables  services  dans 
les  régions  scolaires,  si  les  études  étymologiques  et  la  grammaire 
historique  de  la  langue  française  y  étaient  appréciées  à  leur  juste 
valeur  Si  les  vues  nouvelles,  manifestées  récemment  en  cette  matière 
par  les  organes  du  gouvernement,  venaient  à  se  propager  et  à  s'affer- 
mir, votre  livre,  j'en  suis  sûr,  se  recommanderait  particulièrement  à 
l'attention  des  professeurs  d'humanités  appelés  à  enseigner  soit  le 
français  ou  le  latin.  ' 

'  Auo.  Scheler. 


JIÎHRONIQUE    JUDICIAIRE    DE^  ^RT^ 

Les  Ressemblances. 

On  voit  au  Salon  de  de  Parisceite  année  une  Loilede  M.  Feyon- 
Perrin  que  le  peintre  a  intitulée  :  /?^j;«ne.  C'est  une  jeune  et  Jolie 
Cancalaise  qui  rêve  au  bord  de  la  mer. 

Or,  il  y  a  quelques  jours,  M.  W...,  fabricant  de  boutons,  visi- 
tait le  Salon.  Arrivé  devant  le  tableau  de  M.  Feyen-Perrin,.  il 
s'écrie  tout  à  coup  :  «  Mais  c'est  ma  femme!  »       ' 

Aussitôt,  le  mari  furieux  a  assigné  en  référé  M.  Feycn-Perrin, 
pour  voir  dire  que  le  tableau  serait  immédiatement  relire  du 
Salon. 

M®  Engrand,  avoué  de  l'artiste,  a  ï50utenu  qu'il  n'y  avait 
aucune  ressemblance  entre  la  jolie  Cancalaise  et  M'"«  W.!.  ;  que 
la  conception  de  M.  Feyen-Perrin  était  sincèrement  idéale. 

M«  Goujon,  avoué  de  M.  W...,  a  répliqué  que  son  client  avait 
raison  de  se  p'aindre  de  la  grande  ressemblance  qui  existait  entre 
la  jolie  Cancalaise  et  sa  femme. 

M.  le  juge  des  référés,  très  perplexe  entre  ces  deux  plaidoiries 
contradictoires,  a  nommé  M.  Boimat  pour  Iranchcr  la  question 
qui  divise  l'artiste  et  le  marchand  de  boutons. 

"Weldon  contre  Gounod. 

Le  jury  de  la  cour  du  sheritf  de  Middlesex  (Londres),  vient  de 
condamner  le  compositeur  Gounod  à  10,000  livres  (230,000  fr.) 
de  dommages-intérêts  envers  misiress  Weldon;  l'action  intentée 
par  mistress  Weldon  était  basée  sur  les  calomnies  du  composi- 
teur et  sur  un  article  qui^  le  jury  a  considéré  comme  inspiré  par 
lui  et  qui  avait  paru  diins  le  Gaulois,  le  24  août  i874;  avant 
celte  époque,  la  plaignante  avait  été  en  relations  des  plus  intimes 
avec  le  compositeur,  qui  avait  habité  chez  elle;  aussi  le  jury 
anglais  lui  a-t-il  accordé  en  outre  la  bagatelle  de  1,640  livres 
sterling  comme  prix  de  travaux  exécutés  i\  la  demande  de  Gounod 
et  pour  l'hospitalité  reçue  par  lui  à  Tavistock-house!!! 


P 


ETITE    CHROJ^iqUE 


L^exposition  organisée  par  la  Société  royale  Belge  des  Aquarel" 
listes  au  Palais  des  Beaux-Arts  à  Bruxelles,  continue  à  attirer  de 
nombreux  visiteurs. 

Les  œuvres  suivantes  ont  été  acquises  pour  la  tombola  : 

Becker  (L.).  Vue  de  Schmitten  (Suisse).  —  Claus  ^E  ).  Au  bord 
de  Vétang.  —  Delperée  (E.  .  Sur  l'étang.  —  Hennebicq  (A.).  Un 
chéri f  au  Maroc.  —  Hoeterickx  {E.).  Les  numéros  (Paris).  — 
Hubrecht  (M^e  B.).  Un  coup  d'essai.  —  Ligny  ^Gh.)  Sablière  à 
Genck.  —  Mellery  (X).  La  métairie.  —  Oyeus  (D  ).  Cuin  de  ferme 


160 


VART  MODERNE 


hollandaise.  ^  Oyens  (P.).  Le  convalescent.  —  Uytteï-schaut  (V.). 
Environs  de  Bruxelles. 

La  Société  de  musique  de  Bruxelles  a  donné  dimanche  dernier 
son  concert  annuel.  Nous  eu  publierons  la  semaine  prochaine  le 
compte  rendu,  que  le  manque  d  espace  nous  oblige  d'ajourner. 


On  hous  écrit  de  Hasselt  : 

U  y  avait  chambrée  complète^  dimanr;he  soir,  à  la  Société  royale 
de  Musique  et  de  Rhétorique  pour  l'audition  des  oeuvres  de  M.  Jules 
Zarembski. 

Cette  séance  a  été  un  double  triomphe  :  Triomphe  pour  l'auteur, 
qui  assistait  au  Concert,  et  auquel  on  a  fait  une  ovation  ;  triomphe 
pour  les  interprètes,  MM.  Henri  Tibbe  et  le  capitaine  T,  qui  ont 
exécuté  les  œuvres  du  jeune  maître  avec  un  brio  qu'on  ne  saurait 
assez  louer. 

La  musique  de  M.  Zarembski,  d'une  saveur  délicieuse  et  d'une 
originalité  piquante,  est  d'tiue  grande  difficulté  dexécution. M. Tibbe, 
en  admirateur  enthousiaste  et  disciple  convaincu,  y  met  tout  son 
entrain,  toute  son  âme.  Il  a  interprété  d'une  manière  ravissante  la 
Novelette-CapricCy  la  Vahe  Sentimentale^  làiin^i  que  \si  Mélodie  y  \q 
Menuet  et  la  Tarentelle. 

On  a  surtout  remarqué  la  charmante  mélodie  de  la  Sérénade 
Burlesque, 

VTf  succès  également  pour  la  Berceuse  pour  piano  et  violon. 

Le  Divertissement  à  la  Polonaise,  dont  le  large  andante  et  l'allégro 
ont  été  enlevés  avec  une  remarquable  virtuosité,  A  travers  Pologne 
et  Polonaise  triomphale,  pour  piano  à  quatre  mains,  complétaient 
ce  concert. 

VoYAGK  A  Londres.  — .  L'Excursion  organise  pour  le  28  mai, 
son  voyage  à  l'occasion  des  courses  du  Derby  d'Epsom  qui  obtient 
chaque  année  im  succès  grandissant.  Cette  fois  le  programme 
comporte  la  visite  de  tous  les  monuments  et  curiosités  de  Londres 
et  des  environs,  tels  que  Hampton-Court,  Kew,  Greenwich,  le  Palais 
de  Cristal,  etc  ,  etc. 

C'est,  en  cette  saison,  le  plus  beau  voyage  que  l'on  puisse  entre- 
prendre Sa  durée  est  de  8  jours.;  son  prix  en  l'e  classe  est  de 
250  francs. 

Cette  excursion  sera  suivie  immédiatement  d'un  magnifique  voyage 
en  Ecosse. 

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ment à  toutes  les  personnes  qui  en  feront  la  demande  à  M.  Gh.  Par- 
nienlier,  directeur  de  VExcwsion,  boulevard  Auspach,  109,  à 
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publiquement,  à  l'intervention  de  leur  collègue,  M«  De  Ro,  notaire 
à  Saint- Josse-ten-Noode,  les  jeudi  21,  vendredi  22  et  samedi 
23  mai  1885,  à  10  heures  du  matin, 

garnissant  l'Hôtel  sis  place  Royale,   12,  à  Bruxelles 

consistant  notamment  en  meubles  de  salon,  de  salle  à  manger,  de 
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Ordre  de  la  vente:  les  2  premiers  jours,  les  objets  divers,  meubles 
meublants  et  pianos,  et  le  3«  jour,  à  midi,  les  objets  d'art,  les 
bronzes,  l'argenterie  et  les  vins. 

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.\ 


1- 


ClNQUIÈME   ANNÉE. N°21.  ~  •  Le    NUMÉRO    *    25    CENTIMES.  DIMANCHE   24    MaI    1885. 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVDE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,  un  an,  fr.  10.00;  Union  postale,   fr.   13.00.    —  ANNONCES  :    On  traite  à  forfait. 

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L  ADMINISTRATION  GÉNÉRALE  DE  l'Art  Modeme,  TUG  de  l'Industrie ,  26,  Bruxelles. 


MORT  DE  VICTOR  HUGO 

*  • 

A  deux  ans  de  distance,  Victor  Hugo  rejoint  Richard  Wagner  au  pays  des  ombres. 

Da?îs  ce  siècle  étonnant  qui,  en  merveilles,  dépasse  tous  les  autres,  ils  dominent  comme  les  plus  hauts 
sommets,  Vun  incarnant  la  Poésie,  Paittre  la  Musique. 

Unissons-les  dans  la  même  apothéose.  Ils  sont  dignes  de  s'y  dresser  côte  à  côte. 

En  vain  tenterait-on  d'opposer  lew^s  génies  comme  celui  des  races  ennemies  dont  ils  sortirent.  L'art  n'a  pas 
de  patrie  quand  il  monte  jusqu'aux  régions  où  ils  surent  le  placer. 

Ce  qui  les  caractérise  tous  deux  c'est  la  puissance  dominatrice.  Leurs  œuvres  planent  au  dessus  des  contin- 
gences et,  comme  des  étoiles  au  firmament,  brillent  pour  tous  les  yeux  et  exaltent  toutes  les  âmes. 

Ils  vont  partager  avec  Eschyle  et  Shakespeare  l'universalité  dans  le  don  d'éveiller  les  émotions  humaines. 

Toute  la  vie  se  reflète  dans  les  accords  de  l'un,  dans  les  vers  de  l'autre.  A  toute  joie,  toute  douleur,  tout 
sacrifice,  tout  événement,  ils  offrent  un  chant  qui  enthousiasme,  console,  explique  ou  fortifie.  Pour  l'homme 
moderne,  incroyant  et  morose,  leur  œuvre  est  ce  qu'est  le  Coran  pour  le  mahométan,  pour  le  chrétien,  la  Bible. 

Si  le  génie  ne  marchait  pas  solitaire,  chacun  d'eux  eût  été  asse:^  grand  pour  être  le  collaborateur  de  l'autre 
dans  une  épopée  colossale  où  la  Musique  et  la  Poésie  se  fussent  unies  dans  un  accouplement  titanesque. 

Ils  sont  morts  et  jamais  ils  n'auront  été  plus  vivants,  si  vivre  c'est  agir,  transformer,  hanter  les  esprits, 
bouleverser  les  cœurs.  Le  temps  va  dissiper  les  dernières  insultes  qui  poursuivaient  ces  robustes  révolution- 
naires, ces  réformateurs  indomptables.  Ils  entrent  dans  l'empyrée  artistique,  laissant  au  dessous  [d'eux  les 
mesquineries  terrestres.  Sur  leurs  gloires  jumelles,  j'ien  désormais  n'aura  prise.  Flambeaux  inextinguibles 
personnifiant  la  Germanie  et  la  Gaule,  ils  vont  brûler  pour  toujours  sur  l'autel  de  la  Justice  et  de  l'Art. 


\r 


^OMMAIRE 


Mort  de  Victor  Hugo.  —  Documents  a  conserver.  —  Le 
Salon  de  Paris.  (Deuxième  article),  — -  Wagner  mis  a  sac.  — 
Les  œuvres  et  les  iiom.mes,  par  Barbey  d'Aurevilly,  —  L'art  a 
LA  Chambre.  —  Notes  de  musique.  Concert  de  la  Nouvelle  société 
de  nmsiqne  de  Brua^elles.  —  Chronique  judiciaire  des  arts.  Les 
Ressemblances.  —  Petite  chronique. 


Ç0CUMENT3    A    CON^ERVEF^ 

Toute  atteinte  aux  ]iommes  de  génie  se  paie  tôt  ou 
tard  par  le  ridicule  ou  la  honte. 

Voici  l'arrêté  d'expulsion  lancé  par  le  gouvernement 
belge  contre  Victor  Hugo,  il  y  a  quatorze  ans. 

Parmi  ceux  qui  ont  provoqué  ou  voté  cette  odieuse 
et  grotesque  mesure.  Roi,  Ministres,  Députés,  en  est-il 
un  seul  qui,  le  relisant,  ne  se  sentira  humilié  ou 
déshonoré? 

LÉOPOLD  TI,  roi  clos  Belges, 

A  loiis  pn-s^nls  cl  il  venir,  salut  : 

Vu  les  lois  du  7  juillet  1835  cl  du  30  juin  1868, 
De  l'avis  du  conseil  des  ministres. 
Et  sur  la  proposition  de  notre  ministre  de  la  justice,    , 
Avons  arrêté  et  arrêtons  : 

Article  UNIQUE.  ^ 

Il  est  enjoint  au  sieur  Victor  Hugo,  homme  de  lettres,  ôgé  de 
soixante-neuf  ans,  né  à  Besançon,  résidant  à  Bruxelles, 

De  quitter  immédiatement  le  royaume,  avec  défense  d'y  rentrer 
h  l'avenir,  .sous  les  peines  comminées  par  l'art.  6  de  la  loi  du 
7  juillet  1865  prérappelée.- 

Notre  minisire  de  la  jusiice  est  chargé  de  l'exécution  du  pré- 
sent arrêté. 

Donné  à  Bruxelles,  le  30  mai  1871. 

Signé  :  LÉOPOLD. 

«  Pays  neutre!  Pays  libre!  Non.  Pays  lâche  !  «  dit  le 
pro.scrit  en  quittant  notre  sol. 

Maître,  tu  te  trompais.  Ce  pays  n'est  pas  lâche,  mais 
ceux  qui  le  gouvernent,  parfois. 


LE  SALON  DE  PARIS 


Deitxième  article. 


Ce  qui  foisonne  au  Salon,  c'est  le  portrait.  Poiiraits 
civils  et  militaires,  portraits  d'hommes  et  de  femmes, 
portraits  en  pied,  en  buste,  assis,  debout,  de  face,  de 
profil,  de  trois-quarts  ;  portraits  lourdement  blasonnés 
à  l'angle  et  montrant,  sous  une  draperie  relevée,  le 
château  des  ancêtres  comme  une  coquine  exhibe  à  la 
dérobée  son  bas  de  soie;  portraits  à  cheval,  en  voiture; 
portraits  d'épais  bourgeois  ou  de  mondaines  déshabil- 
lées, toits  fixent  sur  vous  leurs  prunelles,  vous  pour- 
suivent de  leur  regard  vitreux,  et  s'ils  pouvaient  ouvrir 


la  bouche,  chanteraient  dans  un  concert  lamentable  la 
vanité  bête  de  ceux  qui  s'exposent,  le  mauvais  goût  et 
les  courtisaneries  des  peintres  qui  se  prêtent  à  l'exhi- 
bition.   . 

Passe  encore  pour  ces  derniers.  Le  portrait  est, 
disent-ils,  leur  «  pot-au-feu  ".  Il  faut  vivre.  Soit.  Et 
quoiqu'on  ne  puisse  guère  faire  une  œuvre  d'art  d'un 
portrait  qui  ne  provoque  pas  une  émotion  dans  l'âme 
de  l'artiste,  soit  par  suite  de  la  communauté  de  senti- 
ments, d'affections,  d'idées,  qui  existe  entre  son  modèle 
et  lui,  soit  parce  que  ce  modèle  est  une  personnalité 
physiquement  ou  intellectuellement  intéressante,  admet- 
tons qu'on  doive  accepter  les  commandes  qui  se  pré- 
sentent. Mais,  pour  l'amour  de  l'Art!  qu'au  sortir  de 
l'atelier  le  portrait,  soigneusement  recouvert,  aille  droit 
chez  le  bourgeois  qui  le  paie  et  qu'il  y  reste,  accroché 
à  la  place  d'honneur  du  salon,  au  dessus  du  piano-buf- 
fet, entre  le  calendrier  à  effeuiller  et  la  photographie 
de  la  Piazetta  rapportée  du  voyage  de  noces. 

A  quoi  bon  nous  montrer,  dans  leurs  atours,  avec 
leurs  croix  et  leurs  panaches,  tous  ces  bonshommes 
bouffis  dont  nous  ne  nous  soucions  nullement  de  faire 
la  connaissance?  Le  Salon  devrait  leur  être  impitoya- 
blement fermé.  De  même  qu'il  devrait  l'être  aux  exhi- 
bitions de  toilettes,  de  chapeaux  et  de  coiff'ures  qui,  de 
plus  en  plus,  transforment  en  Salon  de  Modes  ce  qui 
devrait  être  un  Salon  de  peinture. 

Il  est  de  bon  ton,  pour  une  femme  du  monde,,  d'avoir 
à  la  cimaise,  peint  par  l'artiste  en  vogue,  son  portrait 
en  costume  de  bal  ou  de  ville.  Cela  est  entré  dans  les 
mœurs  du  high-life,  cela  est  d'obligation,  comme  la' 
promenade  de  cinq  à  six  heures  dans  l'Allée  des  Acacias. 
Et  c'est  la  robe  qui  fait  l'objet  unique  des  préoccupa- 
tions de  l'artiste  et  de  son  modèle  dans  ce  concubinage 
monstrueux  de  Tatelier  qui  donne  naissance  au  rejeton 
qu'on  sait.  La  robe,  et  le  corsage,  bien  entendu,  et  la 
forme  des  manches,  et  le  nombre  des  volants. 

Belle  besogne,  vraiment,  que  font  là  les  Commerre, 
les  Carolus-Duran,  les  Giron.  Si  Worth  ou  Pingat 
savaient  peindre,  ils  feraient  sans  doute  même  ti^avail. 
Parions  que  pas  un  couturier  de  Paris  ne  manque  le 
jour  du  vernissage,  et  que  l'an  prochain  on  «  lancera  » 
une  toilette  de  printemps  au  Salon  avec  plus  de  succès 
qu'à  Longchamps.  On  lira  sur  le  cartel  du  cadre  : 
M""^  de  X'*\par  M.  Un  tel.  Toilette  de  il/'"« .  .  .  .  , 

failleiise,  7'iie ,  n°  .  .  .  Alors  le  Salon  de 

Paris  aura  trouvé  sa  voie  définitive. 

Quatre-vingt-dix-neuf  pour  cent  de  ces  portraits  ne 
renferment  pas,  cela  va  sans  dire,  la  parcelle  d'art  la 
plus  minime.  C'est  même  souvent  un  recul  sérieux  sur 
l'art  de  feu  M.  Daguerre,  perfectionné  par  Ghémar, 
Géruzet  et  Ganz. 

Les  grands  portraits  qu'expose  à  l'Avenue  de  l'Opéra 
le  photographe  Carjat  nous  paraissent  supérieurs  à 


celui  de  Bonnat,  dont  nous  parlions  en  terminant  notre 
premier  article.  Ils  ont  sur  le  portrait  de  M'"°  Pelouze, 
par  Carolus-Duran,  l'avantage  de  ne  pas  rendre  ridi- 
cules leurs  modèles.  Pauvre  M"^e  Pelouze  !  Cette  dame, 
assurément  respectable,  ne  se  dotite-t-elle  vraiment  pas 
de  l'hilarité  qu'excite  sa  promenade  en  robe  décolletée 
dans  le  parc  de  Chenonceaux  sous  le  dais  jus  de  gro- 
seille qu'on  lui  a  méchamment  tendu  par  dessus  la  tête  ? 
C'est  désarmant  tant  c'est  drôle. 

Laissons  cela.  Une  seule  observation  donnera  très- 
exactement  le  niveau  de  l'art  du  portrait  en  France. 
La  gentille  perruquière  que  M.  Herbo  a  eu  la  fantaisie 
de  peindre  en  costume  Louis  XV  est  exposée  au  Salon 
de  Paris.  Elle  tient  son  rang,  sinon  avec  éclat,  du 
moins  d'une  façon  honorable,  et  le  portrait  ne  paraît 
pas  plus  mauvais  que  la  plupart  des  autres. 

Dans  ce  flot  de  banalités,  dont  plusieurs  font  rire  et 
dont  quelques-unes  vous  mettent  vraiment  en  colère,  il 
y  a  heureusement  quelques  bonnes  œuvres.  Ce  sont 
d'abord  les  deux  groupes  de  portraits  de  Fantin-Latour 
et  de  Raff'aëlli,  tous  deux  d'un  intérêt  puissant,  et  que 
nous  rapprochons  à  dessein  malgré  leurs  différences  de 
tendances  et  de  procédés. 

L'un  est  une  collectivité  d'hommes  unis  dans  un 
sentiment  commun,  l'amour  de  la  musique,  et  plus  spé- 
cialement l'admiration  de  Wagner.  On  reconnaît,  au 
piano,  M.  Chabrier,  l'auteur  de  Gioendoline  q\ïon 
entendra  l'hiver  prochain  à  Bruxelles,  MM.  d'Indy  et 
Camille  Benoît,  compositeurs,  Adolphe  Jullien,  criti- 
que musical,  Lascoux,  qui  ne  manque  3iucm\e pre^nière 
des  œuvres  de  Wagner,  à  Bayreuth  ou  à  Bruxelles. 
Tous  sont  graves,  recueillis,  écoutant  religieusement  la 
mélodie  déployer  ses  ailes  et  monter  dans  l'atmosphère 
paisible  de  l'appartement. 

Fantin-Latour  aime  ces  réunions  d'esprits  préoccu- 
pés d'une  même  pensée.  Il  a  fait  quelques  toiles  de  ce 
genre,  et  elles  comptent  parmi  les  plus  belles  du  pein- 
tre des  intimités  de  Tâme.  L'une,  d'elles  est  exposée  en 
ce  moment  aux  Portraits  du  siècle.  Elle  date  de  vingt 
ans,  et  c'est  avec  une  émotion  profonde  qu'on  la  con- 
temple. Autour  du  portrait  d'Eugène  Delacroix  sont 
réunis  les  hommes  d'élite  qui  furent  ses  plus  chauds 
admirateurs  :  Whistler,  Manet,  Champfleury,  Baude- 
laire, Legros  l'aquafortiste,  Fantin  lui-même  et  quel- 
ques autres.  Dans  cette  superbe  toile,  comme  dans  celle 
qui  figure  au  Salon  sous  le  titre  Autour  du  piano, 
on  entend  la  résonance  éloignée  des  harmonies  qui 
unissent  les  âmes,  comme  de  beaux  accords.  Une  pen- 
sée plane,  élevant  le  tableau  bien  au  dessus  de  la  repro- 
duction matérielle  de  visages  connus  et  donnant  à  l'en- 
semble, malgré  la  diversité  des  personnages,  l'unité  de 
sentiment  et  d'expression  qui  fait  l'œuvre  d'art. 

Le  Clemenceau  dans  une  réunion  électorale  de 
M.  liaffaëlli  participe  de  ces  qualités.  Mais  ici,  le  tu- 


multe, les  clameurs,  les  applaudissements,  le  brouhaha 
des  meetings  remplacent  la  mélopée  songeuse  que 
scande  lentement  Tart  de  Fantin . 

Tous  les  visages  peints  par  Raffaëlli  reflètent  l'émo- 
tion poignante  que  donnent  les  agitations  de  la  poli- 
tique. Tandis  que  Clemenceau  parle,  sanglé  dans  sa 
redingote  noire,  la  main  nerveusement  appuyée  sur  le 
bureau  où  deux  secrétaires  prennent  des  notes,  la  foule 
massée  dans  le  jour  douteux  d'une  salle  de  cirque,  un 
après-midi  d'hiver,  boit  avidement  ses  paroles,  l'esprit 
tendu,  les  regards  fébrilement  fixés  sur  l'orateur.  Une 
analyse  impitoyable  remplace  la  vision  pittoresque.  Ce 
n'est  pas  le  grouillement  de  la  foule  que  rend  l'artiste  ; 
ce  n'est  pas  l'opposition  des  lumières  et  des  ombres,  le 
jeu  des  lumières,  les  déductions  de  la  couleur.  Rien  de 
ce  qui  constitue  le  tableau  dans  l'œuvre  des  coloristes, 
n'existe  dans  le  Clemenceau  de  Rattaëlli.  Sa  toile,  la 
plus  remarquable  et  par  conséquent  la  plus  critiquée 
du  Salon,  ne  vit  que  par  l'étude  amère  des  physiono- 
mies, et  elle  vit  d'une  vie  intense,  prodigieuse. 

L'œuvre  déplaît.  Elle  est  noire.  Elle  est  sèche  d'exé- 
cution. Le  public  contemple  avec  eflarement  ces  faces 
convulsées,  groupées  autour  d'un  orateur  au  geste 
anguleux,  au  regard  dur.  Il  cherche  la  tache  de  couleur 
séduisante,  le  détail  humoristique,  et  il  ne  trouve  devant 
lui  qu'une  observation  scrupuleuse  et  implacable  de 
c.g,ractères,  un  ensemble  de  portraits  dont  chacun  a  sa 
physionomie,  mais  dont  toutes  les  expressions  se  con- 
fondent dans  une  idée  de  même  ordre,  qui  est  l'idée 
dominante  du  tableau.       , 

A  ne  l'envisager  qu'au  point  de  vue  pictural,  on  com- 
prend les  critiques  exaspérées  soulevées  par  cette 
œuvre  audacieuse.  Ce  n'est  pas  un  œil  de  peintre  qui  a 
vu  l'épisode,  c'est  un  esprit  littéraire,  un  analyste  sub- 
til et  profond  qui  ne  s'arrête  pas  à  la  surface  des  cho- 
ses, mais  pénètre  dans  leurs  arcanes  pour  en  faire  jaillir, 
parfois  avec  outrance,  ce  qui  échappe  au  grand  nombre. 
Il  y  a  dans  Raffaëlli  du  chirurgien  qui  soulève  la  peau, 
joue  du  scalpel  et  met  à  nu  les  muscles  qui  font  mou- 
voir les  articulations.  ~" 

L'artiste  est,  à  cet  égard,  l'une  des  natures  les  plus 
intéressantes  et  les  plus  personnelles  de  l'époque.  Son 
Clemenceau  et  les  deux  dessins  rehaussés  qui  complè- 
tent son  envoi,  les  Forgero7îs  et  le  Chiffonnier,  de 
même  que  le  remarquable  ensemble  de  toiles  qu'il 
expose  actuellement  chez  Georges  Petit,  rue  de  Sèze, 
et  dont^ious  nous  occuperons  prochainement,  le  met- 
tent définitivement  au  premier  rang. 

On  retrouve  dans  quelques  portraits  du  Salon  ces 
mérites  d'observation,  et  c'est  ce  qui  fait  leur  charme. 
Voyez,  par  exemple,  la  toile  intitulée  Chez  soi,  de 
M"''  Louise  Breslau,  et  qui  enferme  deux  portraits  : 
ceux  de  la  mère  et  de  la  sœur  de  l'artiste.  Rien  n'est 
sacrifié  à  l'arrangement,  au  côté  décoratif,  si  agaçant 


dans  là  plupart  des  tableaux  exposés.  L'étude  des  phy- 
sionomies, non  du  masque  des  visages,  mais  de  l'ex- 
pression intime,  est  minutieusement  poursuivie,  avec 
quelque  sécheresse  d'exécution,  mais  avec  quelle  sincé- 
rité et  quelle  analyse  raisonnée  et  tenace  !  Le  portrait 
de  M"®  de  Gargan,  par  la  même  artiste,  a  des  mérites 
analogues.  Mais  ici  la  grâce  et  la  beauté  du  modèle 
commandaient  plus  d'élégance  dans  la  disposition,  dans 
les  accessoires,  dans  le  costume,  et  le  peintre  l'a 
compris  en  donnant  à  ces  détails  l'attention  qu'ils 
exigeaient. 

Le  portrait  de  M"®  Bashkirtseff,  peint  par  elle-même, 
d'une  distinction  et  d'u'ne  sobriété  de  couleurs  rares, 
compte  également  parmi  les  meilleurs,  et  Ton  ne  peut 
se  défendre  d'une  émotion  poignante  à  la  pensée  de  la 
catastrophe  qui  a  si  brusquement  enlevé  à  l'art  une 
existence  qui  lui  était  consacrée  tout  entière. 

Nous  avons  cité  Whistler.  Des  deux  portraits  qu'il 
expose,  celui  de  Lady  Archibald  Campbell,  le  moins 
mal  placé,  est  merveilleux  d'élégance,  de  tenue  dans  les 
colorations,  de  distinction  raffinée.  C'est  une  jeune 
femme  en  pied,  les  épaules  couvertes  d'un  mantelet  de 
loutre,  vue  de  profil  perdu,  presque  de  dos,  et  bouton- 
nant son  gant  de  Suède  tout  en  marchant.  L'œuvre  a 
le  caractère  mystérieux,  énigmatique,  qui  donne  aux 
toiles  du  grand  artiste  américain  un  charme  à  la  fois 
puissant  et  doux. 

L'autre  est  le  portrait  de  M.  Théodore  Duret,  en 
habit  noir,  le  gibus  à  la  main,  un  domino  de  satin  rose 
jeté  sur  le  bras,  un  éventail  rouge,  fermé,  à  la  main. 
Il  est  à  peu  près  impossible  de  l'apprécier,  le  jury  ayant 
jugé  à  propos  de  le  reléguer  dans  des  hauteurs  inacces- 
sibles aux  yeux  des  mortels. 

Pour  compléter  la  série  des  rares  portraits  intéres- 
sants du  Salon,  il  convient  de  citer  les  deux^elles  toiles 
de  M.  Elie  DelaunayT^j'un  est  celui  de  M"®  T...,  d'une 
exécution  serrée,  d'une  couleur  séduisante,  auquel  l'ar- 
tiste a  eu  le  tort  d'ajouter,  le  chic  évidemment,  un 
fond  de  paysage  qui  ne  rime  à  rien.  L'autre  est  celui 
de  M''  B...,  en  robe  d'avocat,  un  dossier  étalé  sur  la 
barre,  prêt  à  prendre  la  parole.  Il  est,  comme  le  précé- 
dent, très  voulu,  très  ferme  et  très  expressif. 

Puis  encore  :  deux  portraits  de  Paul  Dubois,  bien 
modelés  et  agréables  à  l'œil,  un  portrait  de  femme  de 
Rachou,  un  portrait,  de  très  petit3S -dimensions,  de 
Gueldry,  enfin,  un  condottiere  et  le  portrait  de 
M.  M.  D...,  par  Georges  Olivier  Desvallières,  un  nom 
nouveau  qui  sera,  pensons-nous,  rapidement  connu. 

On  espérait  de  Sargent  mieux  que  ce  qu'il  a  envoyé 
au  Salon  cette  année.  Le  portrait  des  Misses  **\  trois 
jeunes  filles  dans  un  appartement,  n'est  pas  heureux, 
malgré  le  caractère  expressifet  captivant  des  physiono- 
mies. La  tendance  vei's  l'art  facile,  lâché  et  sans  con- 
sistance de  Carolus  Duran  s'accentue  de  plus  en  plus. 


Taches  claires  sur  fond  dé  bitume,  étoffles  traitées  de 
chic,  dessin  médiocre,  tout  cela  est  peu  rassurant  pour 
l'avenir  du  peintre.  Le  portrait  de  M'"®  V...  est  dans  les 
mêmes  données. 

Les  deux  portraits  de  Cormon,  celui  du  docteur 
Heyens  et  de  M*"®  A...,  sont,  de  même,  inférieurs  à  ce 
qu'on  pouvait  attendre  du  jeune  maître.  Exécution  lisse 
et  proprette,  pose  convenue,  expression  bourgeoise,  ils 
ont  tout  ce  qu'il  faut  pour  plaire  à  ceux  qui  se  pâment 
d'aise  devant  les  peintures  de  MM.  Cabanel,  Bougue- 
reau,  Lefebvre  et  Benner.  Mais  ils  manquent  d'âpreté, 
d'humanité,  dévie. 

Nous  en  dirons  autant  du  portrait  de  femme  qu'ex- 
pose, à  côté  de  son  Jury  de  peinture^  M.  Gervex.  Le 
sourire  figé  sur  les  lèvres  du  modèle,  la  superficialité 
d  une  exécution  trop  habile,  laissent  le  spectateur  indif- 
férent. 

Le  portrait  de  femme  de  Besnard  arrête  davantage 
les  regards.  Le  dessin  ondoyant  du  corps,  â  demi  pen- 
ché vers  le  spectateur,  tandis  que  la  tête  est  vue  de 
profil,  est  intéressant.  Mais  quel  est  l'eff'et  qu'a  voulu 
exprimer  l'artiste?  Des  bougies  sont  allumées  dans  le 
fond  de  la  serre  où  se  tient  la  jeune  femme.  Est-ce  le 
soir?  Alors  pourquoi  ces  colorations  crayeuses,  ces 
ombres  grises  que  justifierait  seule  la  lumière  du 
jour?  Et  pourquoi  ces  tons  jaunâtres  des  chairs  ? 

Le  même  artiste  expose  une  grande  toile  décorative 
destinée  à  la  mairie  du  IV"  arrondissement,  et  intitulée 
Paris.  Elle  est  très  remarquée,  ce  qu'expliqueraient 
d'ailleurs  seuls  le  sujet  et  les  dimensions  du  cadre. 
Mais  nous  n'avons  voulu  parler  aujourd'hui  que  des 
portraits.  Réservons  donc  pour  une  prochaine  étude 
l'examen  de  cette  composition  importante,  à  laquelle  se 
rattachent  plusieurs  toiles  du  même  genre. 


WAGKER  MIS  A  SAC 

Oyez,  petits  et  grands,  de  quelle  terrible  manière 
un  sieur  Bellàigue  vient  d'exécuter  le  malheureux 
Wagner  dans  la  Revue  des  Deux-Mondes.  Cet  éton- 
nant document  est  à  classer,  parmi  les  curiosa  à  con- 
server, à  côté  des  grotesques  attaques  des  zivanzeurs 
de  tous  les  temps,  notamment  à  côté  de  celles  dirigées 
contre  Eugène  Delacroix  que  nous  rapportions  derniè- 
rement. 

M.  Bellàigue  apprécie  les  Maîtres-Chanteurs.  En- 
core une  fois,  oyez,  petits  et  grands  ! 

Le  premier  aclc  est  le  plus  terrible.  Peut-être  ne  s'aclièvcrail- 
11  pas  sur  une  scène  française;  avant  la  fin,  la  salle  serait  déser- 
tée ou  le  public  affolé... 

En  écoutant  cet  acte,  en  le  voyant,  on  sent  dans  sa  plcnilude, 
l'ennui  wagnérien,  l'inexorable  ennui,  comme  disait  Bossuet... 

Eva  se  love  et  le  jeune  homme  l'aborde.  Quelle  première  ren- 


contre  !  Une  suite  de  phrases  étranglées,  de  mots  notés  au  hasard, 
comme  un  dialogue  de  hoquets  !... 

Wagner  raille,  parall-il,  la  routine  de  l'école  et  le  pédantisme 
classique.  Mais  le  pédant  c'est  lui-môme  :  c'est  lui  qui  nous 
écrase  et  nous  assomme  avec  le  pavé  de  l'Ours... 

Wagner,  homme  de  théâtre!  Wagner,  réformateur  dramati- 
que !  Mais  ce  premier  acte  entier  est  la  négation  du  théûlre.  Ils 
le  sentent,  les  pauvres  enfants  qui  jouent  à  saute  mouton  dans  le 
fond  de  la  sacristie.  Ils  n'écoulent  pas  un  mot,  pas  une  noté  de 
cette  effroyable  causerie,  et  le  public  voudrait  bien  en  faire 
autant... 

L'air  que  chanle  Walther,  a  de  l'expression  et  de  la  chaleur. 
Tout  le  reste  est  un  abominable  chaos... 

Au  second  acte,  encore  une  heure  de  musique  pénible.  Trois 
interminables  dialogues.  On  sonne  le  couvre-feu:  complainte 
lamentable  dont  la  dernière  note  voudrait  être  comique  et  n'est 
que  fausse... 

Le  beau,  dans  les  Maîtres-Chanteurs^  est  l'exception;  il  con- 
firme la  règle,  qui  est  le  laid... 

Au  début  du  troisième  acte,  on  retrouve  le  laid  et  presque  le 
ridicule.  A  des  dialogues  monotones  succède  une  superbe 
romance  du  ténor,  un  second  rayon  de  printemps  dans  cette 
froide  partition.  Malheureusement  après  cet  éclat  de  passion, 
quelles  puérilités  encore!... 

La  dernière  scène,  le  concours  définitif,  est  un  de  ces  ensem- 
bles plus  bruyants  que  puissants  dont  Wagner  abuse;  une  suite 
de  chœurs  et  de  marches  ;  orchestre  sur  le  théâtre,  défilé,  rien  n'y 
manque,  hormis  le  génie... 

Le  finale,  au  bout  de  cette  œuvre  fatigante,  porte  le  dernier 
coup... 

Une  pièce  plus  qu'insipide,  une  musique  souvent  plus  qu'en- 
nuyeuse qui  n'émeut  presque  jamais... 

Une  médiocre  apologie  de  la  cordonnerie,  l'exégèse  de  la 
chaussure... 

Il  y  a  longtemps  que  cet  engouement  nous  fatigue  et  que  celle 
idolâtrie  nous  irrite... 

Le  vrai  Wagner  serait-il  comme  le  vrai  choléra,  celui  dont  on 
meurt?... 

Wagner  a  poussé  à  l'extrême,  à  l'absurde  des  idées  dont  il 
s'est  entêté.  Son  école  est  ennemie  de  la  joie  et  de  la  grâce.  Ses 
livrets  sont  des  énigmes  ou  des  niaiseries,  ses  héros  des  pantins. 
Et  l'Eva  des  Mnîtres-Cfinnleurs?  Je  ne  crois  pas  qu'il  existe 
pour  une  femme  un  rôle  plus  ingrat,  plus  dépourvu  de  grâce  et 
de  tendresse  que  celui  de  cette  poupée  de  Nuremberg... 

Baissez  le  rideau.  Vos  pièces  insipides  et  vos  chants  discor- 
dants nuisent  à  l'intérêt  de  votre  accompagnement.  Baissez  Je 
rideau,  formez  le  théâtre.  La  musique  dramatique  n'est  pas  votre 
affaire,  vous  finiriez  par  la  détruire... 

Votre  art  n'est  pas  plus  vrai  que  le  nôtre,  mais  il  est  plus  laid. 
Cette  musique  des  MaUres-Chanleurs  n'est  pas  seulement  en- 
nuyeuse, elle  est  laide.  Elle  manque  à  touîes  les  lois  du  beau. 
Une  partition  de  Wagner  est  un  livre  de  trois  cents  pages,  ni 
paragraphes,  ni  ponctuations,  pas  un  alinéa,  pas  un  point  ni 
une  virgule... 

Un  opéra  de  Wagner  est  accablant.  C'est  une  déclamation  qui 
semble  notée  à  l'aventure,  par  une  mélopée  insaississable. 
Wagner  a  détruit  la  forme  elle-même.  Presque  toujours  avec 
Wagner  l'idée  tourne  court,  et  la  phrase  aussi.  La  pensée  est 
hachée  et  le  stvle  haletant.  La  mélodie  se  brise,  les  cadences  se 


dissolvent,  rien  ne  se  développe,  rien  ne  conclut.  Celle  musique 
ne  commence  pas,  elle  ne  finit  pas  non  plus,  mais  elle  dure  ! 
Elle  dure  longtemps,  hélas!  Elle  est  impitoyable;  elle  vous  tient 
et  vous  tenaille.  On  ne  peut  fuir  l'orchestre  déchaîné,  les  violons 
dont  l'archet  mord  les  cordes,  les  pesantes  gaîtés  du  basson,  les 
voix  tourmentées,  torturées,  la  complication  et  l'enchevêtrement 
de  cette  polyphonie  terrible.  L'ennui  fait  place  à  la  fatigue,  h  la 
pénible  sensation  que  donne  la  laideur;  puis  vient  ragacemcnt, 
presque  l'exaspération... 

Celle  musique-là  c'est  comme  l'équiialion.  Quand  on  est 
tombé  de  cheval  on  remonte  et  l'on  finit  par  se  tenir  :  affaire 
d'habitude..... 

Entendre  une  fois  les  Mat  très- Chanteurs  ne  suffît  pas  pour 
les  connaître,  mais  suffît  pour  ne  plus  vouloir  les  entondre.  C'est 
un  récitatif  inégal  et  boiteux,  dont  les  motifs  sont  à  peine 
indiqués,  jamais  achevés 

Comme  toujours  Wagner  a  exagéré,  insisté  pesamment. 

«  Lofsque  les  élèves  ne  comprennent  plus  le  professeur, 
a  dit  Voltaire,  et  que  ce  professeur  ne  se  comprend  plus  lui- 
même,  alors  c'est  de  la  métaphysique,  »  —  ou  de  la  musique, 
si  la  musique  est  ce  quedisent  les  wagnériens. 

Sapi'isti!  Comme  ce  sera  drôle  de  rappeler  ça  dans 
quelque  vingt  ans.  Ce  sera  aussi  comique  que  ce  mot 
fameux  :  «  M.  Eugène  Delacroix  peint  avec  un  balai 
ivre  »».  Il  y  a  eu  un  imbécile  pour  le  dire  vers  1840. 


.  JjE^   œuvre?    et    les    homme? 

par  J.  Barbey  d'Aurevilly.  —  Paris,  Friziue. 

De'tous  les  séduisants  despotes  littéraires  qui  en'rent  bottés  et 
éperonnés  dans  les  esprilSi  comme  Louis  XIV  au  Parlement,  y 
fouaillant  les  idées  reçues,  y  cravachant  1rs  jugements  figés,  y  cin- 
glant même  1rs  affections  et  les  sympathies,  Jules  Barbey  d'Au- 
revilly est  le  plus  superbe  et  le  plus  grand  seigneur.  Rangez- 
vous,  le  voici  qui  s'avance.  Il  est  d'allure  hardie,  d'audace  en 
arrêt;  il  est  magnifiquement  équipé;  il  apparaît,  vainqueur  en 
pays  conquis. 

Aussi  bien,  nul  plus  que  lui  n'a  l'orgueil  de  soi.  11  se  croit 
grand  par  droit  divin.  Seul  parmi  tous  les  génies  de  notre  temps, 
il  reste  fidèle  h  toutes  les  choses  du  passé;  il  est  le  représentant 
des  idées  légitimistes  en  littérature;  il  est  l'oint  de  l'art  contem- 
porain. 

Seul  parmi  les  écrivains  modernes  il  juge  ex  cathedra,  du  haut 
des  vieux  dogrfies  et  des  gothiques  vérités.  Aussi  sa  critique  (et 
c'est  comme  critique  que  nous  l'envisageons  ici)  a-t-elle  la  pré- 
tention d'être  ne  varietur  et  de  ne  s'appuyer  que  sur  dés  prin- 
cipes absolus. 

Aux  yeux  de  tous  ceux  qui  ont  l'admiration  de  loriginalilé  et 
l'enthousiasme  des  belles  et  chevaleresques  foires,  cette  allure 
magnifique  hausse  Jules  Barbey  d'Aurevilly  à  très  haut  rang 
parmi  les  maîtres.  Peut-être  met-il  beaucoup  de  pose  en  celle 
carrure,  mais  qu'importe  !  D'autant,  que  son  talent  est  prodigieux, 
qu'il  apparaît  comme  un  orateur  guerrier  racontant  lés  combats 
de  la  vie,  que  ses  romans  sont  des  récils  déclamés  avec  une  voix 
âpre  et  sonnante  et  des  gestes  larges  et  fulgurants  comme  des 
éclairs  d'épée. 

Dans  son  présent  livre,  il  juge  les  juges  suivants  :  Villemain, 


Saintc-Bouve,  Nisard,  Châles  Janin,  Prposl,  Paradol,  Rigaull, 
Joubcrl,  Guizol,  Saint- Victor,  Taine,  Hello  et  quelques  autres. 

11  le  prend  de  haut  avec  eux.  Non  seulement  il  ne  se  met  pas 
à  leur  point,  il  n'enlre  pas  dans  leur  système  de  critique,  mais, 
apôtre  dgard  parmi  les  Gentils,  d'un  çaut  il  s'élance  sur  sa 
verge  ol  fouette  jusqu'au  sang  plu§  les  théories  encore  que  les 
hommes. 

Analyser  un  auteur,  disséquer  son  œuvre,  patiemment  le  suivre 
dans  la  voie  qu'il  suit,  jamais!  Voici  avec  quel  dédain  il  parle  de 
ce  procédé  dans  son  élude  sur  Sainte-Beuve  et  comment  il  le 
flétrit  en  s'altaquant  au  causeur  des  lundis  : 

«  C'était  un  descripteur  et  un  analyseur  et  un  disséqueur  à 
loMpe,  h  pincettes,  à  scalpel  —  et  qui  mettait  au  bout  de  sa  des- 
cription, de  son  analyse,  de  sa  dissection,  sa  petite  impression 
personnelle  et  la  couleur  de  son  esprit.  Mais  il  n'était  rien  de'plus, 
et  quoique  cela  lut,  cela  n'était  point  le  critique,  car  le  critique 
conclut  d'après  une  idée  supérieure  à  ce  qu'il  vient  de  décrire, 
d'analyser,  de  disséquer...  Et  puis,  je  l'ai  déjà  dit  le  critique  est 
le  Stator  suprême...  S'il  revient  sur  son  jugement,  ce  n'est  plus 
un  juge  :  c'est  un  pauvre  homme  qui  s'est  trompé.  » 

Toute  une  confession  est  enfermée  dans  eës  lignes. 

La  méthode  de  M.  Taine,  qui  tient  compte  du  tempérament  et 
du  milieu,  n'est  pas  mieux  comprise.  L'auteur  la  juge  ainsi  : 

«  C'est  la  mort  de  toute  critique,  de  toute  esthétique  et  de  toute 
hiérarchique  dans  les  diverses  conceptions  réalisées  de  la  beauté. 
Nulle  Ihéoj  ie,  du  reste,  est  plus  faite  que  celle-là  pour  les  lâche- 
tés d'un  temps  comme  le  nôtre,  où  tous  les  genres  de  législation 
s'amollissent  et  où  ce  fameux  mot  de  femme  :  «  Tout  comprendre 
c'est  tout  pardonner»,  a  été  pourri  par  les  hommes  qui  en  ont 
fait,  jusque  dans  l'ordre  littéraire  :  «  Tout  comprendre  c'est  tout 
accepter  ». 

Cette  façon  déjuger  de  haut,  ne  tenant  compte  que  de  grandes 
idées  préconçues  et  dogmatiques,  conduit  directement  aux  juge- 
ments entiers,  violents,  décisifs  et  trarichanls.  L'éreintement  ou 
l'emballement  en  sont  les  extrêmes,  promplement  atteints,  et  il 
n'est  pas  dans  le  (empéramcnt  de  Jules  Barbey  d'Aurevilly  de 
flâner  en  route. 

Dans  ses  romans,  partout,  on  sent  l'homme  de  feu,  qu'il 
vienne  du  ciel  ou  de  l'enfer,  et  c'est  un  emportement  grandiose, 
une  course  dans  l'aliîme  qui  donne  la  peur.  Dans  sa  critique  il 
désire  se  modérer,  mais  il  n'y  parvient  pas.  Sa  furie  se  rapetisse 
en  acharnement,  voilà  tout. 

Voici  son  persiflage  à  l'adresse  de  Sainte-Beuve,  qu'il  outrage 
(TarlicHer  : 

«  L'article  de  journal,  c'est  le  lingot  tombé  en  menue  mon- 
naie; c'est  la  pièce  de  dix  sous  littéraire.  Eh  bien,  le  monnayeur 
Sainte-Beuve,  au  trébuchet  méticuleux,  n'a  pas  eu  d'autre  préoc- 
cupation dans  sa  vie  que  d'arrondir  et  de  timbrer  ses  pièces  de 
dix  sous.  L'article,  son  article,  a  concentré  tous  ses  eff'grts, 
toutes  ses  heures;  j'allais  dire  tout  son  cœur,  mais  je  me  suis 
arrêté  à  temps.  Toujours  est-il  qu'aucune  mort  que  la  sienne 
n'interrompit  son  article.  Il  est  sublime  comme'arliclier!  C'était 
M"'«  de  la  Sablière  qui  appelait  la  Fontaine  son  fablier.  Il  porte 
des  fables,  disait-elle,  comme  le  prunier  porte  des  prunes.  iMais 
ce  n'est  pas  ainsi  que  Sainte-Beuve  portait  ses  articles..., etc.  » 

Certes,  est-il  amusant  de  voir  une  telle  verve  caresser  en  souf- 
flets la  très  respeclable  joue  de  Joseph  Delorme,  mais  souvenlcs 
fois  les  attaques  de  J.  Barbey  d'Aurevilly  portent  à  faux  (voir  le 
chapitre  consacré  à  Taine),  alors,  lancée  li  fond  de  train  comme 


elle  l'est,  sa  critique  s'abat  piteusement  contre  une  réputation, 
toute  en  solidité  et  en  splendeur.  > 

Outre  que  sa  façon  de  juger  comme  Stator  suprême,  du  haut 
d'une  idée  supérieure,  finit  par  lasser  comme  tout  système  peu 
sûr  et  qu'on  sent  promptèment  la  peine  qu'il  a  à  se  maintenir 
tel.  Heureusement  qu'il  reflète  toujours  un  splendide  orgueil. 

Les  juges  jugés  forment  le  sixième  volume  des  Œuvres  et  des 
Hommes,  dont  les  cinq  premiers  (ornes  ont  paru  chez  Palmé  et 
sont  épuisés  totalement.  Frizine  les  rééditera. 

Ainsi  sera  mise  en  lumière  la  critique  de  J.  Barbey  d'Aure- 
villy, critique  que  nous  venons  d'apprécier  sommairement,  à  vol 
d'oiseau,  de  manière  à  en  signaler  toutefois  la  superbe  quoique 
fausse  allure,  et  la  partialité  curieuse  et  hautaine. 


Ja'^RT    y^    J.yV    J]Ih AMBRE 

On  vient  d'entendre  à  la  Chambre,  à  propos  des  arts,  autre 
chose  que  des  chicanes  lardiées  de  clabaudages  politiques. 
M.  Slingeneyer  a  prononcé  un  excellent  discours  que  même  ses 
adversaires  en  peinture  devront  approuver.  Il  a  eu  un  langage 
auquel  nous  n'étions  plus  habitués  :  celui  qui  s'élève  parce  qu'il 
s'occupe  simplement  de  grands  intérêts.  En  voici  deux  extraits 
qui  permettront  d'apprécier  la  valeur  de  notre  jugement.  Est-ce 
que  vraiment  il  va  arriver  quelquefois  de  voir  le  clérical  et 
le  libéral  se  taire  pour  permettre  à  nos  députés  de  s'occuper  de 
ce  qui  est  vraiment  utile  ?  . 

Qu'est-ce  que  les  beaux-arts  aux  yeux  de  bien  des  gens  ?  Un 
objet  de  luxe,  un  simple  amusement  inventé  pour  chatouiller  la 
curiosité  du  public  et  satisfaire  les  besoins  des  collectionneurs.  Cette 
croyance  est  si  générale  de  nos  jours  et  cette  erreur  est  si  répandue, 
qu'en  Hollande,,  ce  pays  qui  compte  une  si  belle  école  de  peinture, 
un  homme  politique  éminent,  Thorbecke,  soutenait  en  plein  parle- 
ment, que  les  questions  d'art  n'avaient  rien  à  voir  dans  les  questions 
d'Etat  t  Kunstzaken  zijn  geenc  stàatszaken,  phrase  restée  célèbre 
dans  le  monde  dés  arts. 

Quelle  grossière  erreur,  et  combien  les  anciens,  les  Grecs  surtout, 
avaient  raison  de  considérer  les  beaux-arts,  non  comme  une  super- 
fétation,  mais  comme  une  force  civilisatrice,  une  expression  virtuelle 
de  la  pensée  et  des  besoins  intimes  du  peuple  !  Il  est  vraiment 
étrange  que  depuis  l'art  hellénique,  si  peu  de  nations  ont  su  em- 
ployer cette  force  au  profit  de  la  civilisation. 

L'art  est  la  puissance  éducatrice  la  'plus  apte  à  donner  les  pre- 
mières notions  à  l'enfant.  Frappant  Timagination,  se  fixant  dans  la 
mémoire,  il  conduit  l'hoiume  par  le  sentiment  du  beau  au  sentiment 
du  vrai.  L'art  possède  ce  singulier  et  unique  privilège  de  parler  une 
langue  comprise  de  tous.  Il  exerce  une  influence  d'un  goût  exquis 
sur  les  mœurs  sociales. 

Dans  tous  les  grands  centres  intellectuels,  cette  vérité  se  démontre 
par  des  faits.  Otez  à  Paris  les  arts,  vous  lui  enlevez  la  politesse  de 
sa  vie  et  1-élégance  de  son  existence  mondaine.  Aussi  nulle  part  le 
peuple,  pris  en  masse,  ne  possède  la  perception  des  choses  de  l'art 
à  un  degré  plus  élevé. 

Compléter  l'instruction  dont  on  s'est  tant  occupé  ici,  —  et  on  a  eu 
raison, —  par  l'éducation  dont  on  s'est  occupé  trop  peu,  —et  on  a  eu 
tort,  —  voilà  la  mission  capitale  de  l'Etat,  et  s'il  est  un  intérêt  qu'un 
gouvernement  ne  doit  pas  confier  aux  caprices  ou  au  bon  plaisir  des 
particuliers,  c'est  l'élévation  du  niveau  moral  des  masses  au  pioyen 
des  beaux-arts.  L'enseignement  moral  a  commencé  par  l'art,  c'est 
par  l'art  qu'il  finira.  C'est  douô  le -devoir  du  pays,  c'est  également  sou 
intérêt,  car  il  n'est  pas  de  meilleur  armée,  de  meilleure  forteresse, 
qu'une  population  éclairée  et  morale. 

Quand  les  enfants  du  peuple  sauront  lire,  écrire  et  calculer,  ils 
ne  seront  qu'à  moitié  armés  pour  la  lutte  de  l'existence.  Quand,  au 
contraire,  ils  auront  appris  les  jirincipes  artistiques  de  leurs  mé- 
tiers, métiers  que  dans  ces  conditions  ils  exerceront  eu  maîtres,  ils 
formeront  une  génération  d'artisans,  capables,  habiles,  intelligents 
et  vraiment  utiles  à  l'Etat,  car  il  n'y  a  que  l'intelligence  qui  produise. 

Certes  l'Etat  n'est  pas  t«nu  de  produire  des  génies  ou  de  créer  des 
maîtres,  chose  qui  n'est  pas  en  son  pouvoir,  mais  il  a  le  devoir  de 


LART  MODERNE 


167 


mettre  l'enseignement  et  tout  ce  qui  s'y  rattache  sous  ses  formes 
multiples,  à  la  portée  de  tout  le  monde.  p]t,  tout  en  travaillant  ainsi 
à  la  moralisation  du  peuple,  le  gouvernement  fera  œuvre  de  bonne 
administration. 

L'art,  quelle  que  soit  sa  manifestation,  est  une  cause  d'enrichis- 
sement. Quelle  n'est  pas  la  valeur  des  tableaux  et  autres  objets  d'art 
produits  par  la  Belgique  depuis  la  célèbre  école  de  Bruges?  Combien 
de  millions  ne  faudrait-il,  pas  pour  acquérir  l'œuvre  du  seul  Rubens? 
Il  y  a  quelques  semaines,  les  journaux  annonçaient  que  deux 
tableaux  de  ce  maître,  appartenant  au  duc  de  Marlborough,  ont  été 
venilus  1,320,000  francs.  Et  quand  on  pense  que  ce  génie  est  l'au- 
teur de  1,500  tableaux  connus!  C'est  la  plus  immense  production 
qui  soit  jamais  sortie  d'un  cerveau  humain.  Que  de  chefs  d'œuvre, 
dans  le  nombre,  d'une  valeur  inestimable  ! 

Le  mouvement  artistique  amène  donc  dans  le  pays  une  richesse 
constante  sans  absorption  de  capital,  presque  sans  frais.  Il  jjroduit 
une  valeur  permanente  qui  augmente  avec  la  civilisation  d'année  eu 
année,  doublant,  triplant,  décuplant,  son  prix  primitif  Son  revenu, 
que  l'œuvre  produite  appartienne  au  domaine  de  la  peinture,  de  la 
sculpture,  de  la  musique  ou  de  la  littérature,  ne  se  borne  pas  là,  car 
l'œuvre  rapporte  des  intérêts  énormes  par  les  travaux  accessoires 
qu'elle  alimente.  Nous  avons  en  Belgique  une  population  de  plus  de 
100,000  artisans  qui  vivent  des  industries  indispensables  à  la  répro- 
duction des  œuvres  artistiques  et  littéraires,  industries  qui  com.- 
prennent  la  gravure  sur  cuivre,  sur  acier,  sur  zinc,  sur  pierre,  sur 
bois,  la  lithographie,  la  chromolithographie;  l'industrie  des  bronzes, 
des  statues  moulées,  remouléés,  exécutées  en  marbre;  l'impression 
et  la  réimpression  sans  fin  des  partitions  musicales;  la  fabrication 
des  instruments  de  musique;  l'impression  des  œuvres  littéraires 
nourrissant  une  armée  d'imprimeurs,  de  papetiers,  relieurs,  bro- 
cheurs, fondeurs  en  caractères,  etc.,  etc.  Que  de  millions. 

Et  ce  n'est  pas  tout.  L'art  n'est  pas  seulement  une  industrie, 
source  de  richesse  pour  une  nation,  mais  il  est  surtout  la  grande  école 
des  métiers  qu'il  anime  de  son  souffle  et  qui  meurent  sans  lui. 

L'ébénisterie,  la  tabletterie,  la  céramique,  la  verrerie,  la  fonderie, 
l'orfèvrerie,  la  bijouterie,  la  tapisserie,  la  tisseranderie,  la  menui- 
serie, la  ferronnerie,  tous  les  métiers  décoratifs,  eu  un  mot,  ne 
prospèrent  qu'à  la  condition  que  l'art  vive,  marche  et  leur  commu- 
nique son  goût,  son  impulsion  et  son  souffle  de  feu.  L'art  est  l'A, 
B,  C  de  l'industrie,  sa  grande  école,  son  âme  et  sa  source  créatrice. 
Et  ce  ne  sont  pas  les  métiers  décoratifs  seuls  qui  acquièrent  de  la 
puissance  par  l'intervention  de  l'art.  Celui-ci  exerce  une  influence 
prépondérante  sur  toutes  les  branches  de  l'industrie.  La  véritable 
industrie,  d'ailleurs,  ne  commence  que  là  où  le  règne  de  la  matière 
finit  et  où  l'art,  entrant  en  action,  inaugure  le  règne  de  la  pensée. 

Je  pourrais  citer  des  exemples  à  l'infini;  je  n'en  citerai  que  deux. 
Une  simple  clef,  qui,  comme  matière  première,  n'a  peut-être  qu'une 
valeur  de  50  centimes,  —  la  valeur  du  fer,  —  ciselée  par  ce  génie 
incomparable  qui  s'appelle  Benvenuto  Geliini,  a  été  payée  80,000 
francs  à  la  vente  Sforza.  Un  de  nos  collègues,  homme  de  goût,  grand 
et  intelligent  amateur  d'art,  possède  le  manche  d'un  ancien  cachet 
florentin,  incrusté  d'or,  également  ciselé  par  Benvenuto  Cellini.  Cet 
objet  précieux  qui  n'est  pas  plus  grand  que  mou  petit  doigt  et  que 
notre  honorable  collègue  a  fait  monter  en  porte  crayon,  a  été  payé 
par  lui  14,000  francs! 

Ces  exemples  prouvent  que  l'art  est  l'industrie  suprême.  ï)ohc  en 
cultivant  l'art,  l'Etat  travaille  pour  l'industrie  de  la  manière  la  plus 
rationnelle  et  la  plus  efficace.  J'amais  on  ne  voit  fleurir  l'art 
appliqué  à  l'industrie,  sans  qu'il  soit  entouré  dune  population 
d!artistes  ;  c'est  la  première  condition  de  son  progrès.  Il  est  temps  de 
faire  justice  de  ce  non-sens  qui  consiste  à  faire  croire  à  l'existence 
d'un  art  purement  industriel,  comme  s'il  pouvait  y  avoir  un-*art 
exclusivement  propre  à  l'industrie,  indépendant  de  l'art  jmr.  Infini 
dans  ses  applications,  l'art  est  un  dans  sou  essence;  il  n'y  a  qu'un 
art.  L'art  crée  les  types,  les  beaux  modèles;  l'industrie  les  multi- 
plie par  la  fabrication. 

Les  choses  d'art  sont  donc  des  choses  d'Etat.  Aussi  je  n'hésite  pas 
à  répondre  à  l'aphorisme  de  Thorbecke  :  Kunstzahen  zijn  bijzon- 
derlijk  Staatszaken. 

Notre  art  national  ne  s'égare-t-il  pas  dans  une  voie  qui  n'est  pas 
la  sienne,  ne  s'empare-t-il  par  trop  de  traditions  françaises  qui  sont 
les  résultantes  d'un  génie  étranger  à  notre  racei  N'en  résulte-t-il  i)as 
des  mécomptes,  de  jour  en  jour  plus  graves,  amenant  un  fléchisse- 
ment général  qui  se  manifeste  avec  évidence  dans  les  grandes  réu- 
nions d'œuvres,  comme  par  exemple  les  envois  aux  expositions?  Il  y  a 
lieu  de  le  craindre. 

Notre  art  national,  on  l'a  dit  souvent,  est  l'art  flamand,  qui  s'est 


manifesté  de  la  façon  la  plus  brillante  dans  la  grande  école  du 
xvii"  siècle  avec  ses  devanciers  et  ses  successeurs.  Il  règne  cepen- 
dant, à  cet  égard,  un  malentendu  qu'il  importe  de  dissiper  pour  que 
notre  enseignement  ne  s'en  inspire  pas  davantage.  Quand  on  dit  que 
nos  artistes  doivent  être  flamands,  cela  ne  veut  pas  dire,  comme  on 
le  croit  généralement,  qu'ils  doivent  s'efforcer  de  reproduire  les 
chefs-d'œuvre  de  Rubens  et  des  maîtres  que  l'on  groupe  autour  de  ce 
Çrand  nom.  L'art,  en  effet,  ne  se  recommence  jamais.  Il  est  soumis 
à  une  évolution  constante  qui  ne  revient  pas  sur  elle-même. 
S'efforcer  de  reproduire  les  chefs-d'œuvre  d'une  époque  disparue, 
c'est  s'exposer  à  des  mécomptes  inévitables. 

Quand  on  dit, qu'il  faut  faire  de  l'art  flamand,  cela  doit  s'entendre 
uniquement  des  qualités  qui  l'ont  distingué  et  qui^  correspondent 
à  ces  instincts  de  race,  à  ces  dispositions  physiques  et  intellectuelles 
qui  existent  encore  chez  nous,  qu'il  faut  favoriser  —  ce  que  l'on  n'a 
pas  fait  et  c'est  ime  grande  faute  —  qu'il  faut  éveiller  davantage, 
mettre  dans  tout  leur  relief,  mais  pour  lesquels  il  faut  chercher  des 
applications  nouvelles. 

Quiconque  a  vécu  avec  les  artistes,  et  spécialement  avec  les  jeunes, 
a  constaté  qu'en  Belgique  l'instinct  de  la  couleur  subsiste.  C'est  en 
cela  que  notre  école  flamande  vit  toujours.  Malheureuàement,  en 
présence  de  ces  dispositions  qui  ont  permis  de  dire  que,  sur 
100  jeunes  artistes,  il  y  en  a  95  qui  sont  des  coloristes,  il  n'arrive 
que  trop  souvent  qu'en  les  préoccupant  de  traditions  françaises,  on 
diminue  leurs  dispositions  naturelles,  taudis  que  c'est  en  appliquant 
ces  aptitudes,  qui  sont  de  race,  que  nous  maintiendrons  notre  origi- 
nalité et  que  celle-ci  deviendra  puissante,  précisément  parce  que  l'on 
ne  contrariera  plus  les  forces  qui  sont  en  nous. 

C'est  une  erreur  de  croire  que  parmi* nos  artistes  contemporains 
ceux  qui  ont  réveillé  le  mouvement  artistique  il  y  a  de  longues 
années  déjà,  sont  les  adversaires  d'une  peinture  s'adressant  au  milieu 
dans  lequel  nous  vivons;  il.<«  apprécient  aussi  bien  que  personne 
qu'il  y  a  là  matière  à  des  œuvres  vraiment  vivantes.  C'est  une  source 
féconde  où  l'on  peut  puiser.  Seulement  on  oublie  que  de  grands 
exemples  ont  démontré  que,  si  pour  quelques-uns  l'œil  est  l'instru- 
ment principal  pour  le  choix  du  sujet,  pour  d'autres,  c'est  l'ima- 
gination et  qu'il  ne  faut  pas  exclure  celle-ci. 

Rubens,  dans  ses  scènes  mythologiques  et  religieuses,  Eugène 
Delacroix,  dans  ses  scènes  historiques  démontrent  que  ce  serait  une 
erreur  de  limiter  ainsi  le  domaine  des  inspirations  artistiques  ;  mais 
dans  l'un  et  l'autre  cas,  pour  nous,  Belges,  pour  nous  Flamands, 
c'est  la  couleur  qui  doit  .dominer,  c'est  elle  qui  doit  continuer  à 
maintenir  notre  supériorité. 


j^OTEp 


DE  jviupiQuz: 


Concert  de  la  Nouvelle  Société  de  musique  de  Bruxelles. 

L'intérêt  de  la  matinée  donnée  le  10  mai  par  la  Société  de  musique, 
sous  la  direction  de  M.  Henri  Warnots,  était  partagée  en  trois  :  on 
avait  réuni,  dans  un  même  cadre,  une  œuvre  française,  une  œuvre 
belge  et  une  œuvre  allemande,  mais  il  s'est  trouvé  que  l'œuvre  belge 
était  bien  française  d'inspiration  et  de  facture  et  que  l'œuvre  fran- 
çaise n'offrait  guère  de  caractère  particulier. 

Cette  oeuvre,  la  Mer,  de  Victorin  Joncières,  ode -symphonie,  dit 
l'auteur,  est  d'une  banalité  absolue.  Des  chœurs  rappelant  les  can- 
tiques à  la  Vierge  : 

C'est  le  mois  de  Marie, 
C'est  le  mois  le  plus  beau  ! 

auxquels  l'époque  donnait  seule  quelque  actualité;  puis,  des  5oZi 
assez  ampoulés,  avec,  sous  prétexte  de  fragments  symphoniques,  de 
grands  vides  dans  l'orchestre. 

Daphnis  et  Cliloc,  de  notre  compatriote  Fernand  Leborne,  offrait 
plus  d'intérêt,  en  ce  sens,  tout  au  moins,  qu'il  s'agissait  d'un  début 
ou  d'un  quasi-début,  et  que  la  tentative  était  vraiment  audacieuse  et 
nouvelle.  Mettre  en  musique  le  poème  croustillant  dé  Longus  n'était 
pas  chose  aisée.  Il  y  a  des  situations  qui  peuvent  être  lues,  et  même 
lues  agréablement,  mais  qu'il  est  difficile  de  chanter,  surtout  quand 
on  a  la  prétention,  comme  c  est  le  cas  pour  notre  jeune  compositeur, 
d'y  joindre  la  mimique,  la  mise  en  scène  et  le  décor. 

Mais  nous  n'avons  pas  eu  à  juger  à  ce  point  de  vue  le  petit 
jdrame  idyllique  de  M.  Leborne.  M^e  Gornélis  Servais,  M.  Van 
Dyck  et  M;  Blauwaert,  ce  dernier  chargé  du  personnage  de  Dorlcon, 
se  sont  contentés  de  chanter  les  notes,  sans  y  joindre  le  geste,  et 
ils  l'ont  fait  avec  un  réel  talent. 


168 


UART  MODERNE 


Ce  qui  est  ressorti. de  cette  audition,  que  les  chœurs  ont  un-  peu 
compromise  et  à  laquelle  la  fermeté  habituelle  de  l'orchestre  a  fait 
défaut,  c'est  que  l'auteur  paraît  traiter  avec  le  plus  de  facilité  les 
scènes  de  tendresse,  de  passion  douce,  mais  qu'il  lui  reste  beaucoup 
à  apprendre  quant  au  maniement  de  l'orchestre. 

Un  jour  M.  Leborne,  s'il  persévère  dans  l'art  auquel  le  convie 
une  facilité  naturelle  remarquable,  sera  le  premier  à  reconnaîtte 
l'inexpérience  dont  témoigne  ce  premier  essai  dans  le  domaine  de  la 
musique  dramatique. 

Daphnis  et  Chloë  demeurera  une  intéressante  tentative  de  jeu- 
nesse, un  peu  superficielle  et  écrite  avec  précipitation,  mais  qui  n'est 
point  banale  et  ne  manque  pas  de  goût.  - 

La  vieille  ballade  de  Schumann,  L'Annthcme  du  chauteiir, 
exhumée  pour  la  circonstance,  a  paru  narguer,  avec  sa  carrure 
massive  de  preux  rhénan  et  tout  l'appareil  de  son  équipage  roman- 
tique, le  sautillant  et  frêle  uniforme  du  jeune  élève  de  Massenet. 

Cela  a  paru  massif,  mais  imposant. 

Et  Wagner  devant  être  aujourd'hui  de  toutes  les  fêtes,  on  a  clô- 
turé le  concert  par  sa  marche  de  l'annhâuser,  chantée  par  les  choeurs 
à  bouche  que  veux-tu. 

jiiiHRONlQUE    JUDICIAIRE    DE?    ^RT? 
Les  Ressemblances  (^). 

M.  Bonnat,  choisi  pour  expert  dans  le  différend  s\u'venu  entre 
M.  Feyen-Perrin  et  M.  Worms,  qui  prétendait  reconnaître  dans  la 
Cancalaise  de  l'artiste,  exposée  au  Salon,  le  portrait  de  sa  femme,  et 
exigeait  que  le  tableau  fût  retiré  de  l'exposition,  vient  de  donner 
son  avis. 

Il  décide  qu'il  n'y  a  point  de  ressemblance  entre  les  traits  de 
]\lii)o  Worms  et  ceux  de  la  Cancdlaise.  Le  tableau  restera  donc 
exposé.  C'est  le  cas  de  redire,  après  Shakespeare,  much  ado  ahout 
nothing. 


^ETITE    CHROfdQUE 


Les  amateurs  qui  collectionnent! Jes'eaux-fortes  de  Félicien  Rops 
n'ont,  paraît-il,  pas  tort.  Les  épreuves  qu'un  hasard  amène  en  vente 
publique  se  vendent  for  cherf 'A  l'hôtel  Drouot,  le  10  mai,  on  mettait 
aux  enchères  un  certain  nombre  de  pointes  sèches  de  Rops,  prove- 
nant d'une  collection  particulière.  Voici  quelques  prix  qui  montrent 
avec  quel  entrain  on  se  les  est  disputées.  Une  épreuve  de  la  Sortie 
de  bal  a  été  vendue  70  francs;  le  Prêtre  rM«s^, 53  fr.;  un  Menu  pour 
une  pendaison  de  crémaillère,  63  fr  ;  le  Tzigane,  50  francs.  Le  fron- 
tispice des  Œuvres  inutiles  et  nuisibles,  avec  un  boul'de  croquis  de 
l'artiste,  est  monté  à  250  francs,  etc. 

Les  annoncesi  sont  reçues  au  bureau  du  journal, 
26,  rue  de  Vhidustrie,  à  Bruxelles. 


Etude  de  M^  VAN  HALTEREN,  notaire  à  Bruxelles 
rue  du  Parchemin,  9. 


Lés  notaires  Van  Halteren  et  Vermeulen,  à  Bruxelles,  vendront 
publiquement,  à  l'intervention  de  leur  collègue,  M«  De  Ro,  notaire 
à  Saint  Josse-ten-Noode,  les  jeudi  4,  vendredi  5  et  samedi 
&  juin  1885,  à  10  heures  du.  matin, 

IuE:  »E:i%u  mooii^Ije:!! 

garnissant  l'Hôtel  sis  place  Royale,  12,  à  Bruxelles 

consistant  notamment  en  meubles  de  salon,  de  salle  à  manger,  de 
chambres  à  coucher,  etc. ,  etc. 

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objets  d'art  en  bronze,  marbre,  etc.  —  Bijoux  et  argenterie;  Environ 
1600  bouteilles  de  vins  de  Bordeaux,  de  Bourgogne  et  du  Rhin. 

Exposition  publique  :  le  mardi  2  juin,  de  10  à  4  heures, 

Ordre  de  la  vente:  les  2  premiers  jours,  les  objets  divers,  meubles 
meublants  et  pianos,  et  le  3«  jour,  à  midi,  les  objets  d'art,  les 
bronzes,  l'argenterie  et  les  vins. 

Au  comptant,  avec  augmentation  de  10  p.  ^/o  pour  frais. 


(")  Voy.  l'Art  moderne  du  17  mai  1885. 


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Bruxelles.  —  Imp.  Félix  Calle^aert  père,  rue  de  l'Industrie,  26. 


Cinquième  année.  —  N°  22 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  31  Mai  1885. 


L'ART 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DBS  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 

ABONNEMENTS  :    Belgique,  un  an,   fr.  10.00,  Union  postale,  fr,   13.00.   -  ANNONCES  :    On  traite  à  forfait. 


Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  d 
l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26;  Bruxelles. 


A  VICTOR  HUGO 

Dors,  Maître,  dans  la  paix  de  ta  gloire!  Repose, 
Cerveau  prodigietùx,   d'oii,  pendant  soixante  ans. 
Jaillit  r éruption  des   concerts  éclatants. 
Va!  La  mort  vénérable  est  ton  apothéose; 
Ton  esprit  immortel  chante  à  travers  les  temps! 
Pour  planer  à  jamais  dans  la    Vie  infinie. 
Il  brise  comme  ^tn  Dieu  les  tombeatix  clos  et  sourds. 
Il  emplit  r  avenir  des  voix  de  ton  génie. 
Et  la  terre  entendra  ce  torrent  d'harmo7iie 
Rouler  de  siècle  en  siècle  en  grandissant  toujoti^rs! 

Leconte  de  Lisle. 


VICTOrt   HXJOO 

L'Horreur  sacrée. 

Nous  désirerions  montrer  dans  ,cet  article  le  côté 
effarant  et  terrible  de  la  poésie  Hugonienne.  Quelques 
critiques  se  hâtent  trop  d  affirmer  que  Bouvard  et 
Pécuchet  se  viendront  inscrire  à  la  maison  mortuaire 
et  que  l'art  entier  du  roi  romantique  est  accessible  à 
tous. 

Qu'Hugo  soit  poète  objectif,  exprimant  les  sentiments 
généraux  et  universels,  les  lieux  communs  de  l'huma- 
nité, que  ses  personnages  soient  conçus  antithétique- 
ment,  avec  de  la  nuit  et  du  soleil,  qu'il  n'ait  chanté 
que  ce  que  tout  le  monde  ressentît,  que  son  âme 

Mise  au  centre  de  tout  comme  un  écho  sonore 

ait  pleuré  les  larmes,  ri  les  joies,  crié  les  cris  de  la 
foule,  cela  est  glorieusement  vrai  et  superbement 
grand.  Toutefois,  il  reste  dans  ce  génie  un  autel  autour 
duquel  seuls  les  initiés  se  groupent  et  sur  lequel, il  a 
écrit  certaines  pièces  des  Contemplations,  de  la  Lé- 
gende des  siècles,  des  Quatre  Vents  de  Vesprit  et  de 
Religions  et  Religion.  L'horreur  sacrée  traverse  ces 
vers  là,  les  grandit,  les  sublimise;  ils  roulent  dans 
leurs  syllables  le  formidable,  l'effrayant,  le  sinistre,  le 
démesuré;  ils  ont  fait  se  pâmer  jadis,  bec  en  l'air, 
toutes  les  plumes  des  journalistes  parisiens,  qui,  à 
cette  heure  embaument  le  poète  avec  l'arseniate  de 
soude  de  leurs  articulets  ;  ils  sont  comme  des  escaliers 
ténébreux,  qui  conduisent  Hugo  s'asseoir  à  côté  des 
poètes  suprêmes,  placés  si  haut  parmi  les  astres  qu'ils 
semblent  eux  aussi  des  soleiîs. 

Bien  que  «  le  génie  soit  la  région  des  égaux  »».  et 
qu'on  ne  puisse  affirmer  lequel  est  le  plus  colossal  de 
ces  colosses,  toujours  est-il  qu'il  y  a  des  classes  de 
génies,  les  uns  analytiques,  tels  que  Shakespeare, 
Balzac,  Baudelaire,  les  autres  synthétiques,  tels 
qu'Eschyle,  Dante,  Lucain.  Hugo  se  range  parmi  ces 
derniers.  Ceux-ci  sont  d'énormes  visionnaires,  éblouis- 
sants et  éblouis,  effarants  et  effarés,  étageant  des 
œuvres  grandiosement  disproportionnées,  blocs  géants 
maniés  par  des  mains  titanesques,  entassements  formi- 
dables, profilant  on  ne  sait  quelles  masses  nocturnes  et 
sinistres  où  semblent  s'ouvrir  les  bouches  de  l'effroi, 


flotter  les  végétations  de  la  peur^  peser  «des  silences 
sonores  de  tous  les  chuchottements  du  mystère.  Tel, 
Hugo  : 

Le  grand  rêveur  solitaire  de  rpmbre. 

C'est  dans  un  de  ses  premiers  recueils  que,  pour,  la 
premièi'e  fois,  une  pièce  durant,  cette  effrayante  con- 
ception des  choses  se  manifeste.  Cette  pièce?  Les  Puits 
de  T  Inde. 

0  Rêves  de  granit  I  grottes  visionnaires  ! 

Cryptes,  palais,  tombeaux,  pleurs  de  vagues  tonnerres  ! 

Elle  passe  de  là  dans  les  Contemplations.  Le  livre 
sixième  en  est  plein.  Ecoutez  : 

Paix  à  l'obscurité  muette  et  redoutée, 

Paix  au  monde  effrayant,  à  l'immense  ombre  athée, 

A  toi  nature,  cercle  et  centre,  âme  et  milieu, 

Fourmillement  de  tout,  solitude  de  Dieu  ! 

0  générations  aux  brumeuses  haleines 

Reposez-vous  !  pas  noirs  qui  marchez  dans  les  plaines  ! 

Dormez,  vous  qui  saignez  ;  dormez,  vous  qui  pleurez. 

Douleurs!  douleurs!  douleurs!  fermez  vos  yeux  sacrés! 

Assoupissez>vous  flots,  mers,  vents,  âmes,  tandis 
Qu'assis  sur  la  montagne  en  présence  de  l'Etre, 
Précipice  où  l'on  voit  pêle-mêle  apparaître 
Les  créations,  l'astre  et  l'homme,  les  essieux 
De  ces  chars  de  soleils  que  nous  nommons  les  cieux, 
Les  globes,  fruits  vermeils  des  divines  ramées, 
Les  comètes  d'argent  dans  un  champ  noir  semées. 
Larmes  blanches  du  drap  mortuaire  des  nuits, 
Les  chaos,  les  hivers,  ces  lugubres  ennuis, 
Pâle,  ivre  d'ignorance,  ébloui  de  ténèbres, 
Voyant  dans  l'infini  s'écrire  des  algèbres. 
Le  contemplateur  triste  et  meurtri,  mais  serein. 
Mesure  le  problème  aux  murailles  d'airain, 
vGherche  à  distinguer  l'aube  à  travers  les  prodiges, 
Se  penche  frémissant  au  puits  des  grands  vertiges. 
Suit  de  l'œil  des  blancheurs  qui  passent^  .^Icycns, 
Et  regarde,  pensif,  s'étoiler  de  rayons, 
De  clartés,  de  lueurs,  vaguement  enflammées, 
Le  gouffre  monstrueux  plein  d'énormes  fumées. 

De  là,  à  travers  les  Châtiments,  elle  émigré  dans  la 
Légende  des  Siècles  où  elle  éclate  en  ténèbres  pour  se 
raniasser  et  se  condenser  dans  les  Quatre  Vents  de 
r Esprit,  livre  suprême,  grand  mât  du  gigantesque  vais- 
seau qui  porte  immortellement  l'œuvre  entière.  Deux 
pièces  sont  caractéristiques,  la  première  intitulée' 
comme  cet  article,  la  seconde  qlie  voici  : 

Je  suis  fait  d'ombre  et  de  marbre 
Comme  les  pieds  noirs  de  l'arbre, 
Je  m'enfonce  dans  la  nuit. 
J'écoute  ;  je  suis  sous  la  terre 
D'en  bas,  je  dis  au  tonnerre  : 
Attends  !  ne  fais  pas  de  bruit. 


U ART  MODERNE 


171 


Moi  qu'on  nomme  le  poète, 
Je  suis  dans  la  nuit  muette 
L'escalier  mystérieux. 
Je  suis  l'escalier  Ténèbres, 
Dans  mes  snin^les  funèbres 
L'ombrts  ouvVe  de  vagues  yeux. 

Les  flambeaux-d^ viendront  cierges. 
Respectez  mes  degrés  vierges, 
Passez,  les  joyeux  du  jour! 
Mes  marches  ne  sont  pas  faites 
Pour  les  pieds  ailés  des  fêtes, 
Pour  les  pieds  nus  de  l'amour. 

Devant  ma  profondeur  blême 
Tout  tremble,  les  spectres  même 
Ont  des  gouttes  de  sueur. 
Je  viens  de  la  tombe  morte  ; 
J'aboutis  à  cette  porte 
Par  où  passe  une  lueur. 

Le  banquet  rit  et  flamboie. 
Les  maîtres  sont  dans  la  joie 
Sur  leur  trône  ensanglanté  ; 
Tout  les  sert,  tout  les  encense, 
Et  la  femme  à  leur  puissance 
Mesure  sa  nudité. 

Laissez  la  clef  et  le  pêne. 
Je  suis  l'escalier;  la  peine 
Médite;  l'heure  viendra. 
Quelqu'un  qu^entourent  les  ombres 
Montera  mes  marches  sombres 
Et  quelqu'un  les  descendra. 


Ne  dirait-on  pas  d'un  oracle  sorti  de  Delphes  ou 
d'Endor  ?  Cette  poésie  toute  d'obscurité  communiquant 
l'effroi  mystérieux  et  terrible,  accablante  comme  l'hor- 
reur, tragique  comme  le  châtiment,  est  le  plus  colossal 
effort  du  génie  épique  pour  franchir  les  limites  de 
l'humain.  Cela  semble  écrit  depuis  des  siècles  sur  l'ai- 
rain par  quelqu'un  d'inconnu  ;  cela  vient  d'au  delà  des 
temps  et  des  espaces,  menaçant  et  tranquille,  et  sûr,  et 
immuable  ;  chacun  de  ces  trente-six  vers  contient 
comme  une  fatalité,  comme  un  poids  de  vengeance.  Ils 
incarnent  l'éternité,  ils  ont  des  sonnances  de  bronze, 
ils  cortègènt  dans  l'escalier  Ténèbres  avec  des  lampes 
voilées  par  des  mains  de  fer  ;  ce  sont  des  ombres  formi- 
dables écrivant  je  ne  sais  quel  Mané  Thécel  Phares 
sur  des  murs  de  nuit. 

L'horreur  sacrée  ne  se  rencontre  que  chez  les  poètes 
suprêmes,  car  il  n'est  rien  de  très  grand  qui  ne  soit 
confusément  sinistre.  Elle  est,  comme  le  remarque 
Hugo  lui-même,  dans  les  halliers  de  Théocrite,  dans  le 
gouffre  d'Eschyle,  dans  les  psaumes  d'Ezechiel,  dans  les 
bruits    profonds    qu'écoute    Isaïe,    dans  les    songes 


d'Amos,  dans  Aléce,  dans  Job,  dans  Plante,  dans  Pin- 
dare  : 

De  là  tant  de  beautés  difformes  dans  leurs  œuvres. 

Le  vers  charmant 
Est  par  la  torsion  subite  des  couleuvres 
-,  Pris  brusquement.  . 

L'horreur  sacrée  fulgure  au  fond  de  la  nature. 

L'Empyrée  est  abime,  on  y  plonge,  on  y  reste 

Avec  terreur, 
Car  planer,  c'est  trembler  ;  si  l'azur  est  céleste 

C'est  par  l'horreur. 
L'épouvante  est  au  fond  des  choses  les  plus  belles 

Les  bleus  vallons. 
Font  parfois  reculer  d'effroi  les  fauves  ailes, 

Des  aquilons. 
A  de  certains -moments  toutes  les  jeunes  flores 

Dans  la  forêt 
Ont  peur  ;  et  sur  le  front  des  blanches  métaphores, 

L'ombre  apparaît.. 

,  L'horreur  sacrée  habite  parmi  les  ténèbres.  La  mer  1 
quelle  vision  ;  vision  de  bataille  où  chaque  flot  devient 
un  lutteur  serrant,  nouant,  étouffant  avec  ses  bras 
d'onde  le  flot  voisin,  où  se  renversent  des  vagues  de 
phosphore,  livides  comme  des  chevelures  de  mortes,  où 
s'entrechoquent  des  clameurs,  des  déchirements,  des 
sifflements,  des  voix  fuyantes  et  qui  semblent  pourtant 
éternelles.  L'abîme  !  L'antre  !  Le  gouff're  !  quelle  autre 
vision,  vision  de  tumulte,  d'inextricabilité,  de  fourmil- 
lement, où  se  croisent  et  s'entrecroisent  comme  des 
racines  d'arbre  sous  la  terre,  avec  le  même  serpente- 
ment  traitre  et  pervers,  les  ombres,  les  remords,  les 
hideurs,  les  monstres,  les  ébauches.  La  nuit  enfin, 
quelle  autre  vision  encore,  vision  de  feu  noir,  dévora- 
teur  implacable,  lueur  de  marbre,  d'argent  et  d'ébène, 
profondeur  flammée,  immensité  où  les  constellations 
sont  des  Gorgones,  les  comètes  des  Furies,  les  étoiles 
des  Méduses,  où  les  mondes  les  plus  lointains,  reculant 
toujours  plus  profondément,  semblent  fuir  devant  l'hor- 
reur des  choses  et  pâlir  devant  une  énigme  fixe -et  tra- 
verser le  vide  silencieux  des  espaces  avec  tremblement 
et  défaillance.  _ . 

L'horreur  sacrée  ravage  enfin  l'âme  humaine.   Le 
poète  l'y  a  saisie: 

J'ai  coudoyé  les  rois,  les  grands,  le  fou,  le  sage. 
Judas,  César,  Davus,  . 

Job,  Thersite,  et  je  suis  effaré  du  passage 
Des  hommes  que  j'ai  vus. 

J'ai  traversé  les  pleurs,  les  haines,  les  veuvages, 
Ce  qui  mord,  ce  qui  nuit, 


Noir  rocher,  j'ai  connu  tous  les  âpres  visages 

Du  deuil  et  (le  la  nuit. 
>  J'ai  lutté;  j'ai  subi  la  sinistre  merv-iille 

.  Des  abîmes  mouvants 
Et  jamais  on  ne  vit  dispersion  pareille 

D'une  âme  à  tous  les  vents.        ,  ~ 

L'horreur  sacrée  dégagée  par  Hugo  des  poèmes  de  la 
nature  et  de  l'homme  est  la  note  formidable  de  sa  sym- 
phonie lyrique,  et  comme  une  telle  note  farouche  ne 
peut  être  chantée  par  un  homme,  dès  qu'il  la  chante 
Hugo  se  change  en  prophète.  Aussi,  plus  amplement 
elle  retentit,  plus  nettement  a  lieu  ce  changement.  A  la 
même  époque  qu'il  écrit  les  Puits  de  T Inde,  c'est  déjà 
lui,  le  poète 

Qui  sur  toutes  les  têtes 
En  tous  temps,  pareil  aux  prophètes 
Dans  sa  main  où  tout  peut  tenir, 
Doit,  qu'on  l'insulte  ou  qu'on  le  loue, 
Gomme  une  torche  qu'il  secoue. 
Faire  flamboyer  l'avenir. 

Et  cette  introduction  de  la  prophétie  dans  >  les  vers 
marche  de  pair  avec  leur  envahissement  par  l'horreur. 
Dans  les  Contemplations  une  pièce  commence  par 
ceci  :  «  Ecoutez,  je  suis  Jean  »»  ;  Dans  la  Légende  des 
Siècles,  à  chaque  page  on  la  suit.  Quoi  de  plus  biblique 
que  les  Trompettes  dit  Jugement?  dans  les  Quatre 
Vents  de  V Esprit,  tout  ce  que  le  poète  rêve  ressemble 
à  «  la  colère  énorme  des  lions  "  ;  dans  le  Pape,  dans  la 
Pitié  suprême,  l'homme  a  disparu  presqu'entièrement. 
Seul  l'illuminé,  seul  le  voyant,  seul  l'agité  génial,  cou- 
rant sur  la  muraille  qui  sépare  le  fini  de  l'infini,  avec 
de  grands  gestes  éperdus,  se  dessine  comme  ces  voya- 
geurs aux  cimes  du  Broken  dont  la  silhouette  aperçue 
d'en  bas  se  reflète  dans  le  ciel. 

A  de  certains  instants,  cette  poésie  de  vertige,  de 
gouffre  et  d'abîme  est  tellement  surhumaine  qu'il  semble 
que  ses  rythmes,  ses  rimes,  ses  cadences,  ses  strophes 
ne  sont  plus  scandés,  ne  sont  plus  produits  par  une 
force  du  cerveau,  mais  par  quelque  force  cosmique  telle 
que  le  vent,  la  mer,  les  astres,  qui  donnent  la  grandeur 
aux  déserts,  aux  rocs,  au  firmament  et  font  sentir  Dieu 
autant  qu'il  est  possible  de  le  toucher  avec  nos  sens. 
Ces  vers  ne  sont  paâ  beaux,  ils  sont  sublimes;  ils  sont 
l'échevèlement  des  forêts,  le  grondement  des  volcans, 
les  voix  des  cavernes,  ils  sont  la  nature,  ils  écrasent 
l'homme.  Peu  les  saisissent. 

Si  nous  avons  réussi  à  vous  donner  leur  frisson  gran- 
diose, vous  comprendrez  combien  il  est  étrange  que 


M.  Paul  Bourget,  dans  le  Jouymal  des  Débats,  ait 
trouvé  opportun  de  parler  de  Bouvard  et  de  Pécuchet 
à  propos  d'Hugo. 


ViOm  HUGO 


Pendant  plus  de  soixante  années  Victor  Hugo  a  tenu 
l'attention  en  éveil  Pendant  plus  de  soixante  années  le 
journalisme  s'est  occupé  de  lui,  non  seulement  celui  du 
reportage,  mais  celui  plus  élevé  de  la  critique.  Et  après 
cet  accompagnement  de  rumeurs  ininterrompues  qui 
l'a  suivi  toute  sa  vie,  essayant  sur  lui  toutes  les" 
formes  du  triomphe  ou  de  l'outrage,  voici  qu'à  l'occa- 
sion de  sa  mort  la  presse  a  éclaté  en  un  concert  où, 
pour  la  première  fois,  seule  la  louange  fait  entendre  ses 
accords. 

Développant  une  gamme  chromatique,  qui  commence 
aux  contours  les  plus  indécis  de  son  enfance,  traverse 
en  notes  d'une  sonorité  grandissante  son  voyage  ter- 
restre mouvementé  comme  le  fut  rarement  celui  des 
héros,  et  aboutit  au  final  retentissant  de  cette  mort 
grandiose,  les  journaux  ont  fouillé  à  nouveau  cette  bio- 
graphie de  Titan,  repris  les  moindres  faits,  renouvelé 
les  récits,  retrouvé  les  événements,  énuméré  les  œu- 
vres, jugé  les  actes,  raconté  l'homme  de  génie. 

Réste-t-il '  quelque  chose  à  dire?  Cette -universelle 
germination  spontanée  de  renseignements  et  d'appré- 
ciations n'a- t-elle  pas  épuisé  la  matière?  Peut-on  espé- 
rer en  parler  encore  sans  répéter  des  leçons  désormais 
banales?  Plutôt  que  de  chercher  une  nouveauté  qui 
semble  impossible,  ne  vaut-il  pas  mieux,  pareils  aux 
croyants  des  religions  acceptées,  se  borner  à  réciter 
les  textes  fixés  par  la  liturgie,  suprême  expression  de 
vérités  tenues  pour  indiscutables  ? 

Il  est,  nous  semble-t-il,  une  manière  d'envisager  cette 
existence  prodigieuse,  que  seul  l'achèvement  que  lui 
donne  la  mort  pouvait  rendre  nettement  visible  et  jus- 
tifier, parce  qu'elle  en  exprime  le  résumé  qu'une  in- 
certitude dominait  aussi  longtemps  que  des  actes  nou- 
veaux, ou  des  paroles,  pouvaient  altérer  le  résultat 
acquis  jusqu'alors.  En  clôturant  cette  activité  qu'on 
eût  cru  inépuisable,  la  mort  a  arrêté  l'accumulation  des 
éléT'hents  qui  sans  cesse  modifiaient  les  données  du  pro- 


blême.  On  a  certes  pu  dire  que  Victor  Hugo  était 
entré  vivant  dans  la  gloire  et  dans  la  postérité.  Mais 
tant  qu'il  a  vécu,  le  sens  définitif  de  cette  gloire,  et  la 
place  dans  cette  {)ostérité,  ne  pouvaient  être  définiti- 
vement fixés. 

Aujourd'hui  cette  grande  cause  est  instruite.  Tout 
ce  que  son  génie  pouvait  y  ajouter  est  épuisé.  On  peut 
stater  les  recherches  et  procéder  aux  débats  et  au 
jugement  sur  l'ensemble. 

A  première  vue  la  vie  du  poète  semble  manquer 
d'unité.  Que  de  fois  on  a  pu,  dressant  la  série  de  ses 
opinions,  croire  triompher  contre  lui  en  en  opposant 
les  termes.  Dans  les  deux  plus  vastes  domaines  de  l'ac- 
tivité humaine,  la  politique  et  la  religion,  son  âme  fut 
changeante  et  parcourut  en  entier  le  cercle  des  convic- 
tions, pour,  il  est  vrai,  se  fixer  finalement  à  celles  vers 
lesquelles  d'un  pas  chaque  jour  plus  pressé  et  plus 
ferme  marche  l'histoire  :  la  Démocratie  et  la  Libre- 
Pensée. 

Au  cours  de  ce  long  circuit,  son  instinct  poétique, 
interprétt  les  sensations  des  heures  présentes,  les 
exprimait  en  vers  magnifiques  qui  resteront  la  mani- 
festa4;ion  la  plus  haute  et  la  plus  pénétrante  dés  idées 
qu'il  devait  abandonner  plus  tard.  De  telle  sorte  qu'on 
assiste  à  ce  phénomène,  en  apparence  bizarre,  d'un  esprit 
supérieur  ayant  forgé  même  pour  ses  adversaires  des 
armes  superbement  trempées  et  fulgurantes.  L'arsenal 
de  ses  œuvres  est  ouvert  à  toutes  les  écoles,  et  chacune 
en  peut  sortir  royalement  équipée. 

Cette  variété  singulière,  cette  tendance  fatale  à  pas- 
ser par  toutes  les  voies,  à  recueillir  toutes  les  sensa- 
tions, à  écouter  toutes  les  idées,  à  éprouver  toutes  les 
vicissitudes,  en  traduisant  chacune  d'elles  en  la  forme 
saisissante  que  trouvait  son  génie,  a  imprimé  à  Victor 
Hugo  son  allure  dominante.  Ce  n'est  pas  seulement 
dans  la  politique  et  la  religion  qu'on  le  trouve -subis- 
sant cette  loi.  Nous  ne  les  avons  citées  tantôt  que 
comme  entrées  en  matière  et  exemples  les  plus  frap- 
pants. Partout  ailleurs  la  même  évolution  se  déroule. 
Suivant  un  fil  mystérieux  dont  les  lacis  sont  infinis,  il 
va,  vient,  repasse,  retourne,  s'éloigne,  reparaît,  s'écarte, 
revient  encore,  n'oubliant,  dans  l'âme  humaine,  aucun 
espace,  aucun  recoin  où  il  ne  se  laisse  entraîner,  chan- 
tant toujours,  subissant  l'influence  des  régions  tra- 
versées, notant  par  ses  strophes  toutes  les  impressions 
de  ses  pérégrinations  sans  fin,  ne  jugeant  point  d'après 


des  théories  préconçues,  se  livrant  au  hasard  des  cir- 
constances, ne  mesurant  pas  l'écart  entre  son  opinion 
présente  et  son  opinion  passée,  satisfait  dès  que  l'émo- 
tion du  moment,  quelle  qu'elle  fût,  trouvait  son  expres- 
sion intense  par  le  rythme  et  la  rime. 

Dans  ces  milliers  de  vers  qui  passent  au  ciel  litté- 
raire comme  les  nuées  d'oiseaux  voyageurs  si  nom- 
breux qu'ils  obscurcissent  le  jour,  qui  donc  pourrait 
mettre  un  ordre  témoignant  que  le  poète  nous  laisse 
un  corps  de  doctrine?  Non.  Tout  y  difi'ère, 'taille,  cris,, 
plumage.  Ce  n'est  pas  une  tribu  qui  émigré.  C'est  le 
genre  entier  dans  l'infinie  variété  de  ses  espèces  et  ..de 
ses  individus. 

Versatilité,  palinodie,  convictions  naal  assises,  a-t-on 
dit  souvent.  Et  au  temps,  peu  éloigné,  où  l'on  osait 
encore  le  malmener,  on  essayait  par  là  de  l'amoindrir. 
Lui,  avec  une  sérénité  inaltérable  et  souveraine, 
acceptait  l'apparent  reproche,  et  jamais,  dans  cette 
orgueilleuse  placidité  qui  lui  faisait  admettre  son  passé 
lyrique  en  entier,  il  n'eut  cette  faiblesse  des  esprits 
médiocres,  de  répudier,  sous  prétexte  de  jeunesse,  les 
les  vers  où  sonnaient  des  opinions  qu'il  n'avait  plus. 

C'est,  qu'en  effet,  sa  véritable  grandeur  et  l'unité 
cachée  de  sa  vie  résident  dans  cette  variété  même.  C'est 
par  elles  surtout  qu'il  vivra  dans  la  mémoire  des  géné- 
rations. 

Exprimer  l'humanité  de  son  siècle  tout  entière,  dans 
ses  manifestations  fluctuantes  et  même  opposées,  léguer 
à  toutes  les  âmes,  pour  toutes  les  circonstances  de  la 
vie,  des  maximes  ou  des  chants  qui  s'appliquent  direc- 
tement à  leur  situation,  offrir,  comme  nous  le  disions 
ailleurs,  à  toute  joie,  toute  douleur,  tout  sacrifice,  tout 
événement,  un  chant  qui  enthousiasme,  console,  expli- 
que, ou  fortifie,  tel  est,  à  notre  avis,  la  caractéristique 
du  génie  de  Victor  Hugo,  le  résumé  de  ses  oeuvres,  la 
garantie  de  sa  gloire,  l'émouvante  signification  de  sa 
mission  littéraire. 

Deux  strophes  des  Quab^e  Vents  de  V Esprit  le  pro- 
clament avec  une  confiance  à  la  fois  superbe  et  tou- 
chante ;  car  le  poète,  parlant  dans  les  derniers  temps 
de  lui-même  comme  si  c'était  un  autre,  confessait  le 
secret  de  sa  destinée,  qu'il  avait  enfin  pénétré  et  qui 
apparaissait  à  l'épique  vieillard  avec  la  clarté  du  pro- 
chain au  delà  : 

Tous  les  objets  créés,  feu  qui  luit,  mérqui  tremble, 
Ne  savent  qu'à  demi  le  grand  nom  du  Très-Haut. 


. 


174 


L ART  MODERNE 


Ils  jettent  vaguement  des  sons  que  seul  j'assemble; 
Chacun  dit  sa  syllabe,  et  moi  je  dis  le  mot. 

Ma  voix  s'élève  aux  cieuK,  comme. la  tienne,  abîme? 
Mer,  je  rêve  avec  toi  !  monts,  je  prie  avec  vous  ! 
La  Nature  est  l'encens,  pur,  éternel,  sublime; 
Moi  je  suis  l'encensoir  intelligent  et  doux. 

Essayant  de. mieux  rendre  notre  pensée,  nous  ajou- 
tions récemment  :  Son  œuvre  poétique  est  pour  Thomme 
contemporain,  nerveux  et  morose,  ce  que  le  Coran  est 
pour  le  Mahométan,  ce  qu'est  pour  le  Chrétien  la  Bible. 

L'analogie  nous  semble,  en  effet,  frappante.  La  Bible, 
elle  aussi,  manque  d'unité  si  ce  n*est  dans  sa  croyance 
aveugle  à  Jéhovah.  Elle  y  ramène  toutes  les  actions 
humaines,  mais  dans  son  vol  circulaire  autour  de  ce 
centre  puissant,  rien  n'est  changeant  comme  ses  pen- 
sées et  ses  croyances.  Il  n'est  pas  de  frisson  du  cœur, 
de  nuance  de  l'intelligence,  de  détail  de  l'action  qui  n'y 
trouve  son  écho.  Elle  est  le  Livue,  parce  qu'elle  suffit  à 
tout,  patce  que  ouverte  au  hasard  elle  répond  à  tout 
besoin  actuel  de  l'âme. 

L'œuvre  d'Hugo  a  la  même  propriété  miraculeuse. 
Plus  on  le  pratique,  plus  ce  don  apparaît.  Si  quelqu'un 
avait  la  patience  de  relever  en  un  glossaire  les  mots  qui 
répondent  à  tout  ce  que  le  poète  a  écrit,  de  telle  sorte 
qu'en  toutes  les  circonstances  de  la  vie  on  put  aisément 
.  retrouver  ceux  de  ses  vers  qui  s'y  appliquent,  nul  de 
nous  ne  manquerait  de  ce  divin  viatique  qui  donne  à 
,  la  joie  ou  à  la  douleur  la  surprise  de  se  trouver  exprimée 
en  images  saisissantes,  suscitant  l'émotion  qui  ravit 
notre  misérable  nature  et  l'exalte  ou  la  console  par  le 
sentiment  de  sa  grandeur  secrète  tout  à  coup  mise  en 
lumière. 


EN  ATTENDANT .  LA  MORT 

Voici  la  superbe  et  touchante  parabole  qui 
s'applique  d'une  manière  frappante  aux  derniers 
jours  du  poètCy  quand,  saisi  par  la  vieillesse  et  la 
gloire,  se7^ein,  majestueux,  il  attendait  la  mort. 

Le  soleil  déclinait;  le  soir  prompt  à  le  suivre 
Brunissait  l'horizon;  sur  la  pierre  d'un  champ 
Un  vieillard,  qui  n'a  plus  que  peu  de  temps  à  vivre, 
S'était  assis  pensif,  tourné  vers  le  couchant. 

C'était  un  vieux  pasteur,  berger  dans  la  montagne. 
Qui  jadis,  jeune  et  pauvre,  heureux,  libre  etrsans  lois, 


A  l'heure  où  le  mont  fuit  sous  l'ombrô  qui  le  gagne. 
Faisait  gaîment  chanter  sa  flûte  dans  les  bois. 

Maintenant  riche  et  vieux,  l'âme  du  passé  pleine, 
D'une  grande  famille  aïeul  laborieux, 
Tandis  que  ses  troupeaux  revenaient  de  la  plaine, 
Détaché  de  la  terre,  il  contemplait  les  cieux. 

Le  jour  qui  va  finir  vaut  le  jour  qui  commence. 
Le  vieux  pasteur  rêvait  sous  cet  azur  si  beau. 
L'océan  devant  lui  se  prolongeait,  immense 
Comme  l'espoir  du  juste  aux  portes  du  tombeau. 

O  moment  solennel!  les  monts,  la  mer  farouche, 
Les  vents,  faisaient  silence  et  cessaient  leur  clameur. 
Le  vieillard  regardait  le  soleil  qui  se  couche; 
Le  soleil  regardait  le  vieillard  qui  se  meurt. 


L4  IHORT  DE  SA  FILLE 

On  ne  connaît  plus  que  vague^nent  cet  événement 
terrible  qui  frappa  le  poète  en  août  1843.  En  voici 
le  récit  tel  que  le  fit  Alphonse  Karr.  Ce  morceau, 
émouvant  dans  sa  simplicité  tragique,  a  disparu 
subynergé  dans  le  journalisme.  La  mort  de  Victor 
Hugo  lui  rend  une  doidoureuse  actualité. 

A  ViLLEQUiER,  à  quatorze  ou  quinze  lieues  du  Havre,  — 
au  pied  d'une  montagne  chargée  d'arbres,  est  une  maison 
en  briques  couverte  de  pampres  verts.  —  Devant  est  un 
jardin  qui  descend  à  la  rivière  par  un  escalier  de  pierre 
couvert  de  mousse.  Cette  maison,  pleine  de  bonheur  il  y 
a  quelques  jours,  vient  d'être  le  théâtre  du  plus  horrible 
malheur  ;  elle  appartient  à  madame  Vacquerie,  mère  de 
M.  Charles  Vacquerie,  qui  a  épousé,  il  y  a  sept  mois, 
mademoiselle  Léopoldine  Hugo,  —  fllle  de  M.  Victor 
Hugo. 

Lundi  matin,  —  vers  dix  heures,  —  M.  Charles 
Vacquerie,  —  en  compagnie  de  son  oncle,  M.  Vacquerie, 
ancien  marin,  et  d'un  enfant  de  ce  dernier,  âgé  do  dix  à 
onze  ans,  —  prit,  pour  aller  à  Caudebec,  —  à  une  demi- 
lieue  de  Villequier,  où  il  avait  affaire,  —  un  canot  que 
son  oncle  venait  de  faire  construire. 

Au  moment  de  partir,  il  demande  à  sa  jeune  femme  si 
elle  voulait  les  accompagner,  elle  refuse  à  cause  qu'elle 
n'est  pas  habillée  ;  —  les  trois  voyageurs  se  mettent  en 
route  après  avoir  promis  d'être  de  retour  pour  le 
déjeuner. 

Quelques  instants  se  sont  à  peine  écoulés,  que 
M.  Charles  Vacquerie  —  croit  voir  que  le  canot  n'a  pas 
assez  de  lest,  —  il  revient  au  bas  de  la  maison  prendre 


deux  lourdes  piepes  qu'il  met  dans  le  bateau  pour  lui 
donner  plus  de  solidité.  —  La  jeune  femme  alors  s'écrie  : 
«  Puisque  vous  voilà  revenus,  je  vais  aller  avec  vous; 

—  attendez-moi  cinq  minutes  «.  —  On  l'attend,  elle 
monte  dans  le  canot.  —  Madame  Yacquerie  la  mère  recom- 
mande de  venir  pour  le  déjeuner.  —  On  part. 

Madame  Vacquerie  regarde  le  canot  s'en  aller,  et  n'a 
qu'une  seule  idée  :  ^  11  fait  trop  calme,  ils  ne,  pourront 
pas  aller  à  la  voile,  nous  déjeunerons  trop  tard  *>. 

En  effet  —  la  voile  du  canot  retombait  languissamment 
sur  le  mât.  -^  Pas  une  feuille  ne  tremblait  aux  arbres; 

—  il  n'y  avait  pas  lieu  de  prévoir  un  danger,  —  même 
pour  une  mère.  —  même  pour  une  mère  éprouvée  coup 
sur  coup  par  tant  de  pertes  successives. 

Cependant  —  un  léger  souffle  vient  de  temps  en  temps 
gonfler  la  voile.  —  On  marche  lentement,  mais  on 
marche,  —  on  arrive  à  Caudebec  —  on  va  voir  le  notaire 
auquel  M.  Ch.  Vacquerie  allait  parler  pour  des  affaires 
relatives  à  la  succession  de  son  père,  mort  dernièrement. 

—  Le  notaire  veut  leur  persuader  de  ne  pas  s'en  retour- 
ner par  la  rivière  -r-  non  qu'il  prévoie  ni  redoute  le 
moindre  danger,  —  mais,  au  contraire,  parce  qu'il  ne  fait 
pas  de  vent,  parce  qu'ils  feront  la  route  trop  lentement. 

—  Il  leur  offre  sa  voiture  pour  les  reconduire  à  Ville- 
quier.  —  Les  voyageurs  refusent,  —  il  n'est  pas  tard, 

—  ils  arriveront  à  temps,  —  et  puis  c'est  si  amusant  de 
voyager  sur  l'eau,  —  la  rive  est  si  belle! 

On  se  met  en  route  pour  le  retour,  — l'oncle  Vacquerie 
tient  la  barre  du  gouvernail,  —  l'enfant  regarde  couler 
l'eau,  —  les  deux  époux  se  tiennent  par  la  main  et  respi- 
rent l'atmosphère  de  bonheur  qui  les  entoure. 

En  effet,  —  Léopoldine  Hugo  est  toujours,  cette  gra- 
cieuse jeune  fille  que  nous  avons  vue  croître  au  sein  de 
cette  famille  si  unie,  —  toute  la  vie  lui  sourit  :  —  elle  a 
dix-huit  ans,  —  elle  vient  d'épouser  un  homme  qu'elle 
aime  et  dont  elle  est  adorée.  —  Elle  est  venue  ramener 
la  joie  dans  une  famille  décimée  —  qui  porte  aujourd'hui 
sept  deuils  à  la  fois. 

Ch.  Vacquerie  n'a  pas  vingt-sept  ans. — Depuis  trois  ans 
il  a  donné  sa  vie  entière  à  l'espoir  de  ce  bonheur  dont  il 
jouit  maintenant.  —  Ses  amis' l'ont  vu  pendant  trois  ans 

—  rassembler  des  meubles  curieux,  de  précieuses  baga- 
telles —  «  pour  elle,  quand  elle  sera  ma  femme  ». 

Tout  le  monde  les  aime  —  tout  le  monde  applaudit  à 
leur  félicité,  —  ils  pensent  à  tout  cela,  —  ils  ne  désirent 
rien,  —  si  ce. n'est  un  peu  de  vent  —  parce  que  le  canot 
ne  marche  pas. 

Ah!  vous  êtes  heureux!  —  ah!  vous  êtes  jeunes!  — 
ah  !  vous  êtes  beaux  !  —  ah  !  vous  êtes  riches!  — ah  !  vous 
êtes  heureux! 

Malheureux  ! 

"  Le  malheur  est  un  créancier  auquel  l'homme  doit  la 
dîme  de  sa  vie,  ce  qu'il  ne  paie  pas  porte  un  intérêt  usu- 
rairc  et  s'amasse.  »• 


Ah  !  vous  êtes  arrivés  au  comble  de  vos  vœux,  —  vous 
avez  atteint  le  but  de  toutes  vos  pensées;  —  eh  bien  !  c'est 
derrière  ce  but,  c'est  derrière  ce  bonheur  que  la  mort  est 
embusquée.  Tous  les  pas  que  vous  avez  faits  vers  votre 
bonheur,  —  vous  les  faisiez  vers  elle  qui  vous  attendait  là. 
Tout  à  coup  —  entre  deux  collines  s'élève  un  tourbillon 
de  vent  —  qui,  sans  que  rien  ait  pu  le  faire  pressentir, 
s'abat  sur  la  voile,  et  fait  brusquement  chavirer  le 
canot. 

Des  paysans,  sur  la  rive  opposée,  —  ont  vu  Charles 
Vacquerie  —  reparaître  sur  l'eau  —  et  crier,  puis  plonger 
et  disparaître  —  puis  monter  et  crier  encore,  — ^et  replon- 
ger et  disparaître....  —  Six  fois!...  —  Ils  ont  cru  qu'il 
scunusait  ! 

Il  plongeait  et  tâchait  d'arracher  sa  femme,  qui,  sous 
l'eau,  se  tenait  au  canot  renversé,  mais  qui  se  tenait 
comme  se  tiennent  les  noyés;  —  ses  pauvres  petites  mains 
étaient  plus  fortes  que  des  crampons  de  fer.  —  Les  efforts 
de  Charles,  —  ses  efforts  désespérés,,  —  ont  été  sans  suc- 
cès. —  Alors  il  a  plongé  une  dernière  fois,  et  il  est  resté 
avec  elle. 

Charles  Vacquerie  était  bon  nageur,  —  personne  n'eût 
été  étonné  qu'il  eût  parié  de  traverser  vingt  fois,  trente 
fois,  l'espace  qui  le  séparait  de  la  terre;  —  il  n'a  pas 
voulu  être  sauvé. 

Je  veux  que  ce  pauvre  père,  —  qui  ne  sait  rien  encore 
au*  moment  où  j'écris  ces  lignes,  —  qui  croit  sa  fille 
vivante  et  heureuse,  —  je  veux  que  Hugo  sache  que 
l'homme  auquel  il  avait  donné  sa  fille  a  voulu  mourir 
pour  ne  pas  revenir  sans  elle  ;  — je  veux  qu'il  sache  qu'il 
doit  les  confondre  tous  deux  dans  son  amour  et  dans  ses 
regrets.  ~  Charles  Vacqerie  a  fait  tout  ce  qu'un  homme 
brave,  dévoué,  amoureux,  pouvait  faire  pour  sauver  sa 
femme,  —  puis,  quand  il  a  vu  qu'il  ne  la  ramènerait  pas 
avec  lui  dans  la  vie,  il  est  resté  avec  elle  dans  la  mort. 
Pendant  ce  temps-là,  que  faisait  la  pauvre  mère  ?  — 
elle  attendait  dans  le  jardin  —  en  pensant  :  -  Pas  de 
vent!  —  Cependant  elle  prit  une  longue-vue  et  regarda 
dans  la  direction  de  Caudebec  ;  —  ses  yeux  se  troublèrent, 
elle  appela  un  pilote  et  lui  dit  :  "  Regardez  vite,  — je  ne 
vois  plus  clair,  —  il  semble  que  le  bateau  est  de  côté.  ^ 
Le  pilote  regarda  et  dit  :  «  Non,  madame,  —  ce  n'est 
pas  leur  bateau  ".  Puis,  comme  il  avait  bien  vu,  lui,  — 
.le  canot  chaviré,  —  il  courut  en  toute  hâte  avec  ses  cama- 
rades, —  mais  il  était  trop  tard,  —  et  on  apporta  quatre 
cadavres  à  Madame  Vacquerie,  —  sur  ce  même  escalier 
d'où  étaient  partis,  trois  heures  auparavant,  son  fils,  sa 
])elle-fille,  son  frère  et  son  neveu,  —  heureux  et  riants... 
Qui  pourra  dire  où  cette  pauvre  femme,  seule  dans 
sa  maison,  a  pris  la  force  et  le  courage  de  ne  pas  mourir 
aussi?  —  elle  ne  voulait  pas  les  croire  morts;  —  tous  les 
soins  furent  inutiles. 

On  envoya  un  exprès  au  Havre,  —  à  un  ami  de  la 
famille  Vacquerie,  en  lui  donnant  la  triste  commission 


170 


VART  MODERNE 


d'annoncer  cette  épouvantable  catastrophe  à  Madame  Vic- 
tor Hugo,  (]ui  était  à  Graville. 

Il  était  onze  heures  du  soir,  —  tout  le  monde  était 
couché.  —  M.  "*  alla  d'abord  prévenir  Madame  Lefebvre, 
sœur  de  Charles  Vacquerie. 

Madame  Lefebvre  est  une  jeune  femme  qui,  il  j  a  moins 
de  deux  atns,  —  avait  un  mari,  —  trois  enfants,  —  un 
père,  une  grand'mère,  —  deux  frères,  —  toute  une  bonne 
et  honorable  famille,  aimée  et  considérée  :  —  en  moins 
çle  deux  ans,  la  mort  lui  avait  déjà  pris  son  père,  sa 
grand'mère,  son  mari  et  deux  enfants.  —  Il  fallait  lui 
apprendre  qu'elle  venait  encore  de  lui  prendre  un  frère  et 
une  sœurcju'elle  aimait  à  la  fois  comme  une  sœur  et  cOmme 
un  enfant,  —  et  deux  autres  parents. 

Elle  trouva  la  force  d'aller  dire  leur  commun  malheur 
à  Madame  Hugo.  —  Madame  Hugo  était  au  milieu  de  ses 
autres  enfants.  —  Un  ami  profita  de  son  désespoir,  voisin 
de  l'égarement,  —  pour  la  faire  monter  en  voiture  et 
l'entraîner  à  Paris  avec  les  enfants  qui  lui  restaient. 

Le  lendemain,  tout  le  monde  était  consterné  dans  le 
Havre.  —  La  fatale  nouvelle  circulait  de  houche  en 
bouche;  il  y  avait  quelque  chose  de  funèbre  sur  tous  les 
visages  qui  eût  fait  dire  à  un  étranger  :  —  «  Qu'est-il 
donc  arrivé  au  Havre  ?  « 

Je  songeai  alors  à  Hugo,  qui  est  en  voyage  —  et  qui 
va,  —  chose  terrible  !  —  apprendre  la  mort  de  sa  fille 
chérie  par  hasard,  parcourant  négligemment  un  journal 

—  après  diner  ;  dans  quelque  auberge. 

Tout  le  monde  a  lu  les  beaux  vers  que  lui  ont  tant  de 
fois  inspirés  ses  enfants;  —  mais  moi,  j'ai  vu  souvent 
tous  ses  charmants  enfants  autour  de  lui,  —  et  je  sais 
toute  la  place  qu'ils  occupent  dans  son.  cœur. 

On  lui  a  écrit,  —  mais  où?  ^  en  Espagne,  où  il  est 
allé  ;  —  en  France,  où  il  revient  peut-être,  —  presque  au 
hasard,  sur  la  route  qu'il  doit  parcourir. 

C'est  épouvantable  ! 

11  y  a  à  peine  un  mois,  —  comme  il  venait  voir  le  bon- 
heur de  sa  fille,  —  il  eut  la  bonne  pensée  de  me  prendre 
dans  ma  retraite,  —  et  pendant  quelques  heures,  par  une 
belle  nuit  d'été,  —  sur  la  mer  étincelante  de  phosphore, 

—  jo  me  retrouvai  encore  une  fois  au  milieu  de  toute  cette 
heureuse  famille,  augmentée  de  Charles  Vacquerie,  qui  les 
adorait  tous,  —  et  plus  heureuse  que  je  ne  l'avais  jamais 
vue  ;  puis  le  lendemain,  il  se  mit  en  routa  le  cœur  heureux 
et  tranquille,  —  et  je  me  rappelai  qu'il  y  a  quelques  mois 
à  peine  —  il  était  venu  avec  moi  conduire  mon  père  à  sa 
dernière  demeure. 

Où  est-il  ?  qui  les  répétera  les  belles  et  touchantes  choses 
qu'il  me  disait  ce  jour-là? 

Je  partis  en  toute  hâte  pour  aller  le  remplacer  auprès 
du  cercueil  de  sa  fille, —  pour  aller  recueillir  pour  lui 
dans  mon  cœur  —  toutes  les  tristes  circonstances,  —  tous 
les  poignants  détails  que  veulent  savoir  ceux  qui  perdent 
les  objets  de  leur  tendresse. 


11  y  avait  à  Villequier  —  quatre  morts  dans  l'église;  — 
nmis  une  tendresse  ingénieuse  avait  réuni  les  deux  jeunes 
époux  dans  un  même  cercueil. 

L'église  était  pleine  de  gens  qui  pleuraient  et  qui 
priaient  avec  ferveur,  —  ce  n'est  que  plus  tard  que  je  sus 
que  l'éloignement  n'avait  permis  de  convoquer  que 
quelques  parents  de  la  famille  Vacquerie,  —  et  que 
presque  tous  ces  gens  qui  pleuraient  et  qui  priaient  étaient 
des  gens  du  pays  —  et  n'étaient  qu'une  famille  d'affection. 

Lorsque  je  rentrai  dans  la  maison,  soutenant'  le  frère 
de  Charles  Vacquerie,  suffoqué  par  les  sanglots,  —  je 
n'essayerai  pas  de  peindre  — -  do  quel  sentiment  de  res- 
pect et  de  vénération  je  fus  saisi  à  l'aspect  de  ces  deux 
femmes  si  écrasées,  à  la  vue  de  leur  douleur  si  profonde 
et  si  modeste. 

Je  ne  sais  rien  de  si  grand,  de  si  majestueux,  de  si 
imposant  qu'une  douleur  pareille. 

On  l'a  dit  à  propos  des  voyages  et  des  séparations  ;  — 
c'est  celui  qui  reste  qui  est  le  plus  à  plaindre  ;  on  peut  le 
dire  surtout  à  propos  de  cette  triste  séparation  qu'on 
appelle  la  mort. 

Léopoldine  Hugo  et  Charlos  Vacquerie  sont  morts 
ensemble,  -  au  milieu  de  leur  beau  rêve,  si  heureux 
l'un  et  l'autre,  qu'ils  ne  pouvaient  plus  que  l'être  moins. 

Sur  la  tombe  où  ils  dorment  réunis,  —  c'est  pour  ceux 
qu'ils  laissent  que  j'ai  fait  des  prières. 


^    Y^'-^EQUIER 


L&cénement  déchirant  dont  on  vient  de  lire  le 
récit,  inspira  au  grand  poète  une  de  ses  pièces  les 
plus  admirables.  Elle  est  V éclatante  démonstration 
ciue  son  génie  a  eu  des  accents  pour  toutes  les  âmes. 
Peut-être  est-ce  surtout  vrai  quand  il  exprime  la 
douleur.  Quel  est  Vhomme,  quelles  que  soient  ses 
croyances  y  qui  ne  se  sentira  ému  jusqu'aux  en- 
trailles en  lisant  ces  strophes  pathétiques.  Qui, 
ayant  perdu  un  enfant,  lïy  retrouvera  ses  douleurs, 
ses  cris  de  détresse  et  ses  espérances? 

Maintenant  que  Paris,  ses  pavés  et  ses  marbres, 
Et  sa  brume  et  ses  toits  sont  bien  loin  de  mes  yeux  ; 
Maintenant  que  je  suis  sous  les  branches  des  arbres. 
Et  que  je  puis  songer  à  la  beauté  des  cieux  ; 

Maintenant  que  du  deuil  qui  m'a  fait  l'âme  obscure 

Je  sors,  pâle  et  vainqueur. 
Et  que  je  sens  la  paix  de  la  grande  nature 

Qui  m'entre  dans  le  cœur  ; 


vart4îoderne 


177 


Maintenant  que  je  puis,  assis  au  bord  des  ondes, 
•Emu  par  ce  superbe  et  tranquille  horizon, 
Examiner  en  moi  les  vérités  profondes 
Et  regarder  les  fleurs  qui  sont  dans  le  gazon  ; 

Maintenant,  ô  mon  Dieu!  que  j'ai  ce  calme  sombre 

De  pouvoir  désormais 
Voir  de  mes  yeux  la  pierre  où  je  sais  que  dans  l'ombre 

Elle  dort  pour  jamais  ; 

Maintenant  qu'attendri  par  ces  divins  spectacles, 
Plaines,  forêts,  rochers,  vallons,  fleuve  argenté,    , 
Voyant  ma  petitesse  et  voyant  vos  miracles, 
Je  reprends  ma  raison  devant  l'immensité; 


Je  viens  à  vous.  Seigneur,  Père  auquel  il  faut  croire  ; 

Je  vous  porte,  apaisé, 
Les  morceaux  de  ce  cœur  tout  plein  de  votre  gloire 

Que  vous  avez  brisé  ; 


Je  viens  à  vous.  Seigneur  !  confessant  que  vous  êtes 
Bon,  clément,  indulgent  et  doux,  ô  Dieu  vivant  ! 
Je  comprends  que  vous  seul  savez  ce  que  vous  faites 
Et  que  l'homme  n'est  rien  qu'un  jonc  qui  tremble  au  vent. 

Je  dis  que  le  tombeau  qui  sur  les  morts  se  ferme 

Ouvre  le  firmament; 
Et  que  ce  qu'ici-bas  nous  prenons  pour  le  terme 

Est  le  commencement. 

Je  conviens  à  genoux  que  vous  seul.  Père  auguste. 
Possédez  l'infini,  le  réel,  l'absolu  ; 
Je  conviens  qu'il  est  bon,  je  conviens  qu'il  est  juste 
Que  mon  cœur  ait  saigné,  puisque  Dieu  l'a  voulu. , 

Je  no  résiste  plus  à  tout  ce  qui  m'arrive 

Par  votre  volonté. 
L'âme  de  deuils  en  deuils,  l'homme  de  rive  en  rive, 

Roule  à  l'éternité. 

Nous  ne  voyons  jamais  qu'un  seul  côté  des  choses  ; 
L'autre  plonge  en  la  nuit  d'un  mystère  effrayant.       -. 
L'homme  subit  le  joug  sans  connaître  les  causes. 
Tout  ce  qu'il  voit  est  court,  inutile  et  fuyant. 

Vous  faites  revenir  toujours  la  solitude 

Autour  de  tous  ses  pas. 
Vous  n'avez  pas  voulu  qu'il  eût  la  certitude 

Ni  la  joie  ici-bas  ! 

Dès  qu'il  possède  un  bien,  le  sort  le  lui  retire. 
Rien  ne  lui  fut  donné,  dans  ses  rapides  jours. 
Pour  qu'il  s'en  puisse  faire  une  demeure,  et  dire  : 
«  C'est  ici  ma  maison,  mon  champ  et  mes  amours  !  « 


Il  doit  voir  peu  de  temps  tout  ce  que  ses  yeux  voient; 

Il  vieillit  sans  soutiens. 
Puisque  ces  choses  sont,  c'est  qu'il  faut  qu^elles  soient; 

J'en  conviens,  j'en  convienss 

Le  monde  est  sombre,  ô  Dieu  !  l'immuable  harmonie 
Se  compose  des  pleurs  aussi  bien  que  des  chants  ; 
L'homme  n'est  qu'un  atome  en  cette  ombre  infinie, 
Nuit  où  montent  les  bons,  où  tombent  les  méchants. 

Je  sais  que  vous  avpz  bien  autre  chose  à  faire 

Que  de  nous  plaindre  tous. 
Et  qu'un  enfant  qui  meurt,  désespoir  de  sa  mère, 

Ne  vous  fait  rien  à  vous! 

Je  sais  que  le  fruit  tombe  au  vent  qui  le  secoue; 
Que  l'oiseau  perd  sa  plume  et  la  fleur  son  parfum; 
Que  la  création  est  uriè  grande  roue  — 

Qui  ne  peut  sç  mouvoir  sans  écrjiser  quelqu'un. 

Les  mois,  les  jours,  les  flots  des  mers,  les  yeux  qui  pleu- 
Passent  sous  le  cielbleu;  [Vent,] 

Il  faut  que  l'herbe  pousse  et  que  les  enfants  meurent; 
Je  le  sais,  ô  mon  Dieu  ! 

Dans  vos  cieux,  au  delà  de  la  sphère  des  nues. 
Au  fond  de  cet  azur  immobile  et  dormant. 
Peut-être  faites-vous  des  choses  inconnues 
Où  la  douleur  de  l'homme  entre  comme  élément. 

Peut-être  est-il  utile  à  vos  desseins  sans  nx)mbre> 

Que  des  êtres  charmants 
S'en  aillent,  emportés  par  le  tourbillon  sombre 

Des  noirs  événements. 

Nos  destins  ténébreux  vont  sous  des  lois  immenses 
Que  rien  ne  déconcerte  et  que  rien  n'attendrit. 
Vous  ne  pouvez  avoir  de  subites  clémences 
Qui  dérangent  le  monde,  o  Dieu,  tranquille  esprit  ! 

Je  vous  supplie,  ô  Dieu  !  de  regarder  mon  âme, 

p]t  de  considérer 
Qu'humble  comme  un  enfant  et  doux  comme  une  femme, 

Je  viens  vous  adorer  1 

Considérez  encor  que  j'avais,  dès  l'aurore, 
Travaillé,  combattu,  pensé,  marché,  lutté. 
Expliquant  la  nature  à  l'homme  qui  l'ignore, 
Éclairant  toute  chose  avec  votre  clarté  ; 

Que  j'avais,  affrontant  la  haine  et  la  colère. 

Fait  ma  tâche  ici-bas, 
Que  je  ne  pouvais  pas  m'attendre  à  ce  salaire. 

Que  je  ne  pouvais  pçis 


•y 


Prévoir  que,  vous  aussi,  sur  ma  tête  qui  ploie. 
Vous  appesantiriez  votre  bras  triomphant, 
Et  que,  vous  qui  voyez  comme  j'ai  peu  de  joie, 
Vous  me  reprendriez  si  vite  mon  enfant! 

Qu'une  âme  ainsi  frappée  à  se  plaindre  est  sujette, 

Que  j'ai  pu  blasphémer, 
Et  vous  jeter  mes  cris  comme  un  enfant  qui  jette 

Une  pierre  à  la  mer  ! 

Considérez  qu'on  doute,  ô  mon  Dieu  !  quand  on  souffre, 
Que  l'œil  qui  pleure  trop  finit  par  s'aveugler, 
Qu'un  être  que  son  deuil  plonge  au  plus  noir  du  gouffre. 
Quand  il  ne  vous  voit  plus,  ne  peut  vous  contempler, 

Et  qu'il  ne  se  peut  pas  que  l'homme,  lorsqu'il  sombre 

bans  les  afflictions. 
Ait  présente  à  l'esprit  la  sérénité  sombre 

Des  constellations! 

Aujourd'liui,  moi  qui  fus  faible  comme  une  mère, 
Je  me  courbe  à  vos  pieds  devant  vos  cieux  ouverts. 
Je  me  sens  éclairé  dans  ma  douleur  amère 
Par  un  meilleur  regard  jeté  sur  l'univers. 

Seigneur,  je  reconnais  que  l'homme  est  en  délire,    . 

S'il  ose  murmurer  ; 
Je  cesse  d'accuser,  je  cesse  de  maudire; 

Mais  laissez-moi  pleurer! 

Hélas  !  laissez  les  pleurs  couler  de  ma  paupière, 
Puisque  vous  avez  fait  les  hommes  pour  cela! 
Laisisez-moi  me  pencher  sur  cette  froide  pierre 
Et  dire  à  mon  enfant  :  «  Sens-tu  que  je  suis  là?  » 

Laissez-moi  lui  parler,  incliné  sur  ses  restes, 

Le  soir,  quand  tout  se  tait, 
Comme  si,  dans  sa  nuit  rouvrant  ses  yeux  célestes. 

Cet  ange  m'écoutait! 

Hélas  !  vers  le  passé  tournant  un  œil  d'envie. 
Sans  que  rien  ici-bas  puisse  m'en  consoler. 
Je  regarde  toujours  ce  moment  de  ma  vie 
Où  je  l'ai  vue  ouvrir  son  aile  et  s'envoler  ! 

Je  verrai  cet  instant  jusqu'à  ce  que  je  meure; 

L'instant,  pleurs  superflus! 
Où  je  criai  :  «  L'enfant  que  j'avais  tout  à  l'heure, 

Quoi  donc!  je  ne  l'ai  plus!  « 

Ne  vous  irritez  pas  que  je  sois  de  la  sorte, 
0  mon  Dieu  !  cette  plaie  a  si  longtemps  saigné  ! 
L'angoisse  dans  mon  âme  est  toujours  la  plus  forte. 
Et  mon  cœur  est  soumis,  mais  n'est  pas  résigné. 


Ne  vous  irritez  pas  !  Fronts  que  le  deuil  réclame, 

Mortels  sujets  aux  pleurs. 
Il  nous  est  malaisé  de  retirer  notre  âme 

De  ces  grandes  douleurs. 

s 

Voyez-vous,  nos  enfants  nous  sont  bien  nécessaires. 
Seigneur  ;  quand  on  a  vu  dans  sa  vie,  un  matin. 
Au  milieu  des  ennuis^  des  peines,  des  misères, 
Et  de  l'ombre  que  fait  sur  nous  notre  destin. 

Apparaître  un  enfant,  tête  chère  et  sacrée 

Petit  être  joyeux. 
Si  beau,  qu'on  a  cru  voir  s'ouvrir  à  son  entrée 

Une  porte  des  cieux  ; 

Quand  on  a  vu,  seize  ans,  de  cet  autre  soi-même 
Croître  la  grâce  aimable  et  la  douce  raison. 
Lorsqu'on  a  reconnu  que  cet  enfant  qu'on  aime 
Fait  le  jour  dans  notre  âme  et  dans  notre  maison. 

Que  c'est  la  seule  joie  ici-bas  qui  persiste 

De  tout  ce  qu'on  rêva, 
Considérez  que  c'est  une  chose  bien  triste 

De  le  voir  qui  s'en  va  ! 


Ce  génie  qui,  aux  génératio7is  2wése7%tes ,  apparut 
sous  les  traits  cVim  vieillard  grave,  épique,  prophé- 
tique, était,  en  1834,  un  jeime  homme  rayonnant 
âJ ardeur,  de  virilité  et  de  tendresse.  Voici  commuent 
il  chantait  V amour  : 

Puisque  j'ai  mis  ma  lèvre  à  ta  coupe  encor  pleine. 
Puisque  j'ai  dans  tes  mains  posé  mon  front  pâli. 
Puisque  j'ai  respiré  parfois  la. douce  haleine 
De  ton  âme,  parfum  dans  l'ombre  enseveli; 

Puisqu'il  me  fut  donné  de  t'entendre  me  dire 
Les  mots  où  se  répand  le  cœur  mystérieux  ; 
Puisque  j'ai  vu  pleurer,  puisque  j'ai  vu  sourire 
Ta  bouche  sur  "ma  bouche  et  tes  yeux  sur  mes  yeux, 

Puisque  j'ai  vu  briller  sur  ma  tête  ravie 
Un  rayon  de  ton  astre,  hélas  !  voilé  toujours  ; 
Puisque  j'ai  vu  tomber  dans  l'onde  de  ma  vie 
Une  feuille  de  rçsè  arrachée  à  tes  jours  ; 

Je  puis  maintenant  dire  aux  rapides  années  : 
«  Passez!  passez  toujours,  je  n'ai  plus  à  vieillir! 
Allez-vous-en  avec  vos  fleurs  toutes  fanées; 
J'ai  dans  l'âme  une  fleur  que  nul  ne  peut  cueillir  ! 


«  Votre  aile  en  le  heurtant  ne  fera  rien  répandre 
Du  vase  où  je  m'abreuve  et  que  j'ai  bien  rempli. 
Mon  âme  a  plus  de  feu  que  vous  n'avez  de  cendre  ! 
Mon  cœur  a  plus  d'amour  que  vous  n'avez  d'oubli  !  « 


■^  LES  CHATIMENTS 

Voici,  en  fin  y  pour  essayer  de  montrer  sous  tous 
ses  aspects,  ce  Tyrtée,  grandi  aux  proportions  du 
colossal,  deux  pièces  du  pamphlet  qui  s'attache  au 
second  Empire  comme  Tacite  à  Tibèy^e  : 

LE  MANTEAU  IMPÉRIAL 

Oh!  vous  dont  le  travail  est  joie, 
Vous  qui  n'avez  pas  d'autre  proie 
Que  les  parfums,  souffles  du  ciel. 
Vous  qui  fuyez  quand  vient  décembre, 
Vous  qui  dérobez  aux  fleurs  l'ambre 
Pour  donner  aux  hommes  le  miel. 

Chastes  buveuses  de  rosée, 
Qui,  pareilles  à  l'épousée, 
!    Visitez  le  lys  du  coteau, 

O  sœurs  des  corolles  vermeilles, 
Filles  de  la  lumière,  abeilles, 
Envolez-vous  de  ce  manteau! 

Ruez-vous  sur  l'homme,  guerrières  !       ^r^^ 

0  généreuses  ouvrières. 

Vous  le  devoir,  vous  la  vertu, 

Ailes  d'or  et  flèches  de  flamme, 

Tourbillonnez  sur  cet  infâme  ! 

Dites-lui  :  —  "  Pour  qui  nous  prends-tu  ? 

«  Maudit  !  nous  sommes  les  abeilles  ! 

-  Des  chalets  ombragés  de  treilles 

«  Notre  ruche  orne  le  fronton  ;  ' 


U 


Noii's  volons-,  dans  l'azur  écloses, 
Sur  la  bouche  ouverte  des  roses 
Et  sur  les  lèvres  de  Platon. 

Ce  qui  sort  de  la  fange  y  rentre. 
Va  trouver  Tibère  en  son  antre, 

r 

Et  Charles  neuf  sur  son  balcon. 

Va!  sûr  ta  pourpro  il  faut  qu'on  mette, 

Non  les  abeilles  de  l'Hymète, 

Mais  l'essaim  noir  de  Montfaucon!   « 


Et  percez-le  toutes  ensemjble. 
Faites  honte  au  peuple  qui  tremble, 
Aveuglez  l'immonde'  trompeur. 
Acharnez-vous  sur  lui,  far-ouches. 
Et  qu'il  soit' chassé  par  les  mouches 
Puisque  les  hommes  en  ont  peur  ! 

L'HOMME  A  RI  ^ 

<*  M.  Victor  Hugo  ^ient  de  publier  à  Bruxelles  un  livre  qui  a 
pour  titre  :  Napoléon  le  petit,  et  qui  renferme  les  calomnies  les 
plus  odieuses  contre  le  prince-président.  " 

«  On  raconte,  qu'un  des  jours  de  la  semaine  dernière,  un  fonc- 
tionnaire apporta  ce  libelle  à  Saint-Cloud.  Lorsque  Louis-Napo- 
léon le  vit,  il  le  prit,  l'examina  un  instant  avec  le.  sourire  du 
mépris  sur  les  lèvres  ;  puis,  s'adressant  aux  personnes  qui  Tentou- 
raiient,  il  dit,  en  leur  montrant  le  pamphlet  :  ««  Voyez,  messieurs, 
voici  Napoléon-le-petil,  par  Victor  HugO;le-grand.  » 

(Journaux  Élyséens.  Août  1852). 

Ah!  tu  finiras  bien  par  hurler,  misérable! 
Encor  tout  haletant  de  ton  crime  exécrable, 
Dans  ton  triomphe  abject,  si  lugubre  et  si  pyompt, 
Je  t'ai  saisi.  Jai  mis  l'écriteau.  sur  ton  front; 
Et  maintenant  la  fouLe  accourt  et  te  bafoue. 
Toi,  tandis  qu'au  poteau  le  châtiment  te  cloue, 
Que  le  carcan  te  force  à  lever  le  menton, 
Tandis  que,  de  ta  veste  arrachant  le  bouton, 
L'histoire  à  mes  côtés  met  à  nu  ton  épaule. 
Tu  dis  :  je  ne  sens  rien!  et  tu  nous  railles,' drôle. 
Ton  rire  sur  mon  nom  gaîmént  vient  écumer; 
Mais  je  tiens  le  fer  rouge  et  vois  ta  chair  fumer. 


180 


LART  MODERNE 


-1,  n 


Ceux  qui  pieusement  sont  morts  pour  la  patrie 
Ont  droit  qu'à  leur  cercueil  la  foule  vienne  et  prie. 
Entre  les  plus  beaux  noms  leur  nom  est  le  plus  beau, 
Toute  gloire  près  deux  passe  et  tombe  éphémère  ; 

Et,   comme  ferait  une  mère, 
La  voix'  d'un  peuple  entier  les  berce  en  leur  tombeau! 


C'est  pour  ces  morts,   dont  l'ombre  est  ici  bienvenue. 
Que  le  haut  Panthéon  élève  dans  la  nue, 
Au  dessus  de  Paris,  la  ville  aux  mille  tours, 
La  reine  de  nos  Tyrs  et  de  nos  Babylones, 

Cette  couronne  de  colonnes 
Que  le  soleil  levant  redore  tous  les  joyrs  ! 

Ainsi,  quand  de  tels  morts  sont  couchés  dans  la  tombe. 
En  vain  l'oubli,   nuit  sombre  où  va  tout  ce  qui  tombe. 
Passe  sur  leur  sépulcre  où  nous  nous  inclinons. 
Chaque  jour,  pour  eux  seuls  se  levant  plus  fidèle 

La  gloire,  aube  toujours  nouvelle. 
Fait  luire  leur  mémoire  et  redore  leurs  noms  ! 


Bruxelles.  —  Imp.  Fki^ix  Callewaert  père,  rue  de  T Industrie,  26. 


Cinquième  année.  —  N°  23. 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  7  Juin  1885. 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  Là  LITTÉRATURE 


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? 


OMMAIRE 


1 


i 


Victor  Hugo.  La  pitié  suprême.  —  Le  l^r  juin  1885.  -^  Le 
Salon  de  Paris.  (Troisième  article).  —  Les  médailles  du  Salon. 
—z  The  Merchant  of  Vènice  au  Lyceum  Théâtre.  —  Théâtres. 
Les  pommes  d'or.  —  Fibliographie  musicale.  —  Exposition 
universelle  d'Anvers.  —  Petite  chronique. 


Lia,  pitié  suprême. 

Cette  mort  est  un  deuil,  non  seulement  pour  les  let- 
tres, mais  pour  l'humanité  tout  entière.  Bien  des  poètes 
déjà  s'en  sont  allés,  ne  laissant  après  eux  qu'un  vague 
sillon  bientôt  nivelé  par  les  pas  agités  et  distraits  des 
survivants,  bientôt  effacé  par  le  vent  de  l'oubli,  mais 
rien  ne  comblera  le  vide  que  fait  dans  le  monde  Victor 
Hugo  en  mourant  :  un  pan  du  siècle  est  pris  dans  son 
cercueil.  Le  peuple,  si  indifférent  d'ordinaire  aux 
choses  qui  se  font  dans  ce  domaine  de  l'art  dont  l'exclut 
sa  misère,  a  des  fleurs  et  des  larmes  pour  cette  tombe. 
Pourquoi?  C'est  qu'il  sent  que  dans  ce  génie  il  y  a  sur- 
tout un  homme  et  que  ce  n'est  pas  seulement  un  admi- 
rable poète  qui  s'éteint,  mais  un  grand  cœur  qui  cesse 
de  battre,  un  cœur  plein  de  haine  pour  l'injustice, 
d'amour  pour  la  faiblesse  et  de  pitié  pour  toutes  les 
souff'rances. 

Il  n'avait  pas  cloîtré  son  génie  dans  un  idéal  hau- 
tain et  inaccessible.  Il  marchait  dans  l'action  et  dans 


la  vie,,  ne  séparant  jamais  le  culte  du  beau  de  celui  du 
juste  et  du  vrai,  mettant  le  sublime  au  service  de  l'utile, 
grandissant  la  mission  du  poète  au  niveau  de  celle  du 
réformateur  et  du  prophète.  On  peut  dire  qu'il  eut  dans 
la  poitrine  le  sanglot"  de  l'humanité. 

La  gloire  du  poète,  avait-il  dit,  c'est  de  mettre,  un 
mauvais  oreiller  au  lit  de  pourpre  des  bourreaux. 
Toutes  les  infortunes,  toutes  les  détresses,  toutes  les 
faims  et  toutes  les  soifs  ont  droit  au  poète  ;  il  a  un 
créancier  :  le  genre  humain. 

Et  quel  poète  mieux  que  lui  a  payé  sa  dette?  Pas  de 
cause  'généreuse  dont  il  ne  fut  pas  le  clairon.  Pas  de 
crime  dont  il  ne  fut  le  vengeur.  Pas  de  douleur  qu'il 
ne  voulut  consoler  ! 

Dans  son  œuvre,  ce  qui  apparaît  dans  la  plus  rayon- 
nante lumière,  plus  haut,  plus  grand,  plus  héroïque 
que  la  gloire,  le  génie,  la  bsauté,  la  puissance,  c'est  la 
bonté.  Les  personnages  le  plus  tendrement  caressés  par 
lui,  ceux  dans  lesquels  il  fait  passer  quelque  chose  de 
•son  âme,  ses  héros  de  prédilection  sont  des  christs  qu'il 
cloue  à  la  croix  du  dévouement.  Un  rêve  évangélique 
l'obsède.  Racheter  l'homme  par  l'amour,  c'est  théo- 
rie sociale.  Grandeur  égale  bonté,  c'est  l'équation 
qu'on  lit  au  fond  de  ses  drames,  de  ses  poèmes,  de  ses 
romans. 

Il  a  relevé,  rehaussé,  divinisé  les  sentiments  bafoués 
par  un  siècle  sceptique  et  railleur.  Sa  protestation  en 
faveur  des  vertus  qu'on  renie  éclate  en  des  vers  su- 
blimes qu'assombrit  parfois  l'indignation  d'un  cœur 
soulevé  par  la  grossièreté  et  l'égoïsme  triomphant. 


Partout,  l'or  sur  la  pourriture, 
L'Idéal  en  proie  aux  moqueurB, 
Un  abaissement  de  stature 
D'accord  avec  la  nuit  des  cœurs. 

Mais  en  dépit  de  cette  terrible  et  juste  sentence  qu'il 
grave  au  mur  de  Balthazar»  il  poursuit  sa  route  et  sa 
mission.  Sa  foi  en  l'humanité  est  trop  robuste  et  trop 
saine  pour  succomber  aux  effluves  empoisonnés  qui 
l'assiègent  ;  comme  Jean  Valjean,  il  triomphe  de  l'égout 
où  croupissent  les  chiens  crevés  et  les  Césars  pourris, 
et,  sorti  des  lieux  sombres,  il  recommence  à  combattre 
le  combat  du  droit.  N'a-t-il  pas  dit  :  ^ 

Oh!  la  Muse  se  doit  aux  peuples  sans  défense. 
J'oublie  alors  l'amour,  la  famille,  l'enfance 
Et  les  molles  chansons  et  le  loisir  serein, 
Et  j'ajoute  à  ma  lyre  une  corde  d'airain. 

Aussi  lorsqu'il  vit  un  jour  le  droit  et  la  justice  fléchir 
sous  l'étreinte  du  crime  et  du  parjure,  lorsqu'il  vit  la 
liberté  et  la  patrie  étouffées  dans  la  boue  sanglante  du 
Deux-Décembre,  lorsqu'il  vit  la  France  foulée  par  la 
botte  d'un  soudard  imbécile,  il  sentit  l'àme  de  Juvénal 
passer  en  la  sienne. 

Aux  poèmes  d'amour  et  de  jeunesse  succède  l'amer 
sirvente.  L'indignation  et  le  mépris  lui  inspirent  des 
chants  d'une  étonnante  puissance.  Il  saisit  le  malfai- 
teur sur  son  trône,  au  milieu  de  ses  complices  et  de  ses 
courtisans,  et,  d'un  vers  implacable,  le  cloue  au  poteau 
d'une  éternelle  infamie.  A  la  lecture  des  strophes  ven- 
geresses, la  jfierté  rentrait  dans  les  Ames  abattues  et 
l'espoir  revenait  au  cœur  des  proscrits.  Le  poète  avait 
compris  que  pour  écraser  le  neveu,  il  suffisait  de  faire 
apparaître  derrière  lui  l'ombre  géante  du  vaincu  de 
Waterloo  et  sans  cesse,  sans  relâche  et  sans  trêve,  il  le 
flagelle  de  ce  formidable  parallèle.  Dans  \ Expiation^ 
Toulon,  le  Manteau  impérial,  la  puissance  satirique 
va  jusqu'à  l'effroi.  La  force  poétique  y  atteint  des  pro- 
portions vraiment  surhumaines.  Il  nous  semble  même 
aujourd'hui,  a  nous,  qui  avons  vu  l'aventure  impériale 
aboutir  à  la  boue  de  Sedan,  que  l'avenir  avait  dépouillé 
ses  voiks  pour  le  poète  et  avait  fait  passer  devant  ses 
yeux  les  événements  qui  ne  devaient  s'accomplir  que 
vingt  ans  plus  tard.  N'était-il  pas  prophète  celui  qui 
écrivait  en  1852  ; 

Quand  il  tomba,  lâchant  le  monde. 

L'immense  mer 
Ouvrit  pour  sa  chute  profonde 

Son  gouffre  amer. 
Il  s'y  plongea,  sinistre  archange, 

Et  l'engloutit. 
Toi,  tu  te  noîras  dans  la  fange, 

Petit!  Petit! 

Proscrit,  il  paraissait  qu'il  avait  emporté  avec  lui  la 
fierté  et  l'honneur  de  la  France.  Quelle  apothéose  que 
cet  exil  et  quel  étrange  et  puissant  spectacle  que  celui 
de  ce  duel  entre  un  simple  poète  et  un  empereur  triom- 


pliiant!  Dominant  la  France  qu'il  couvait  de  loin  de  son 
regard  d'aigle,  attendant  tranquille  et  fort  la  catas- 
trophe qu'il  avait  prédite,  Victor  Hugo  était  pour  l'em- 
pire comme  le  spectre  vengeur  et  implacable  du  droit 
violé.       • 

Mais  la  colère  ne  pouvait  toujours  gronder  dans  ce 
cœur  si  plein  de  tendresse  ;  après  cet  éclat  terrible  des 
Châtiments,  pacifié  par  le  murmure  des  vagues  qui 
battaient  son  rocher  de  Guernesey,  il  arrachait  de  son 
âme  et  jetait  au  monde  avide  ces  pages  empreinte^ 
d'une  douceur  si  pénétrante,  d'une  tristesse  si  haute 
(.\\i\\i\ommdi\e^  Contemplations. 

C'est  dans  ce  recueil  surtout  que  l'on  peut  suivre 
cette  lutte  du  poète  avec  toutes  les  fatalités  sociales  : 

Toujours  ignorance  et  misère  ! 

L'homme  en  vain  fuit, 
Le  sort  le  tient;  toujours  la  serre, 

Toujours  la  nuit  ! 

Il  faut  que  le  peuple  s'arrache 

Au  dur  décret, 
Et  qu'enfin  le  grand  martyr  sache 

Le  grand  secret. 

Déjà  l'amour,  dans  l'ère  obscure 

Qui  va  finir. 
Dessine  la  vague  figure 

De  l'avenir. 

Je  suis  le  poète  farouche. 

L'homme  devoir,  .      ' 

Le  souffle  des  douleurs,  la  bouche 

-Du  clairon  noir.  • 

Et  cette  pitié  a  des  profondeurs  inépuisables,  elle 
s'épand  non  seulement  sur  la  faiblesse,  sur  la  pauvreté, 
mais  sur  les  choses  qui  semblent  emprisonnées  dans 
l'horreur  et  le  dégoût  : 

J'aime  l'araignée  et  j'aime  l'ortie 

Parce  qu'on  les  hait. 
Et  que  rien  n'exauce  et  que  tout  châtie 

Leur  morne  souhait. 

Parce  qu'elles  sont  maudites,  chétives. 

Noirs  êtres  rampants. 
Parce  qu'elles  sont  les  tristes  captives 

De  leur  guet  apens. 

Passant,  faites  grâce  à  la  plante  obscure, 

Au  pauvre  animal, 
Plaignez  la  laideur,  plaignez  la  piqûre. 

Ah!  plaignez  le  mal. 

Pour  peu  qu'on  leur  jette  un  œil  moins  superbe, 

Tout  bas,  loin  du  jour,  ' 
La  mauvaise  bête  et  la  mauvaise  herbe 

Murmurent  :  Amour  ! 

Cette  tendresse  est  partout,  et  c'est  pourquoi  Victor 
Hugo  restera  dans  la  mémoire  des  hommes  comme  le 
plus  grand  des  poètes. 

Il  fut  l'ami  des  hommes,  il  fut  l'apôtre  de  la  clémence 
et  le  combattant  de  la  justice,  et,  dans  un  siècle  sans 


entrailles,  il  osa  insulter  au  colosse  de  l'égoïsme  triom- 
phant et  élever  un  autel  à  la  pitié. 

Cette  audace  lui  valut  la  haine  des  rois,  les  rigueurs 
des  gouvernements  et  le  dédain  des  imbéciles.  :  elle 
assure,  en  revanche  à  sa  mémoire,  la  reconnaissance  et 
l'amour  des  peuples. 


lE  r  JUIN  1883 

M.  Louis  Ulbach  a  dit  au  Panthéon  :  «  On  n'a  trouvé 
dans  Paris  qu'une  porte  assez  haute  pour  y  faire  passer 
son  ombre,  celle  qu'il  a  mesurée  lui-même  à  sa  taille 
dans  ses  strophes  de  granit  '».  Et  nous  ajoutons,  pleins 
du  souvenir  admiratif  que  l'apothéose  du  P^  juin  a 
gravé  dans  notre  esprit  :  La  seule  capitale  où  le  cortège 
triomphal  qui  a  conduit  le  poète  à  la  gloire  pût  se  dé- 
ployer dans  son  ampleur  magnifique,  c'était  Paris. 
Avec  la  perspective  magnifique  de  ses  avenues,  avec 
l'élan  spontané  de  sa  population  enthousiaste,  Paris 
seul  était  digne  d'être  le  théâtre  de  ces  funérailles  sans 
précédent. 

Et  Paris  n'a  pas  failli  à  son  devoir.  Ceux  qui  ont 
assisté  à  cette  marché  solennelle  de  tout  un  peuple 
derrière  l'humble  corbillard,  en  gardent  une  impres- 
sion que  le  temps  ne  pourra  effacer.  Six  heures  durant, 
le  fleuve  magnifique,  portant  en  guise  de  navires  des 
chars  de  fleurs,  des  bannières,  des  amoncellements  de 
couronnes,  a  roulé  ses  flots  entre  des  berges  humaines. 

Les  tambours  voilés  de  crêpe  battaient  des  roule- 
ments sourds  qui  semblaient  les  soupirs  de  cette  foule 
immense.  Et  parfois  une  étincelle  électrique  allumait 
subitement  les  âmes  :  un  souvenir  patriotique,  le  pas- 
sage d'une  figure  populaire  donnait  le  branle  :  et  cette 
population  parisienne  nerveuse,  impressionnable,  ou- 
bliait par  instants  que  le  silence  est  le  plus,  solennel 
hommage  qu'on  puisse  rendre  à  un  cercueil.  Elle  écla- 
tait en  frénétiques  applaudissements,  mêlant  dans  l'ex- 
pression retentissante  ide  son  enthousiasme,  Taffection 
du  grand  mort  qu*elle  saluait  et  l'affection  du  drapeau 
national.  ^  ^ 

Un  peuple  ôCi  réside,  avec  le  respect  de  l'Art,  un 
aussi  ardent  amour  de  la  patrie,  est  un  peuple  roi, 
quels  que  soient  les  malheurs  qui  l'aient  abattu. 

En  glorifiant  l'illustre  poète,  en  transformant  ses 
obsèques  en  un  sacre,  selon  l'expression  de  M.  Emile 
Augier,  la  France  a  grandi  dans  l'estime  des  nations. 


LE  SALON  DE  PARIS 


.  Troisième  article. 

Qui  pourrai-je  imiter  pour  être  original?  doit  s'être 
dit  Besnard  en  attaquait  la  gigantesque  composition 
par  laquelle  il  a  eu  la  prétention  de  paraphraser  la 
fière  divise  de  la  ville  de  Paris  ;  Fluctuât  nec  mergi- 
tur.  Et  M.  Puvis  de  Chavannes  étant  actuellement  bien 
coté  après  avoir,  qui  ne  le  sait?  subi  les  avanies  et  les 
injures  qu'attire  tout  art  original  et  neuf,  c'est  vers  lui 
qu'il  s'est  tourné  pour  essayer  de  lui  dérober  le  secret 
de  ses  tons  mats,  [de  son  harmonie  mélancolique,  de  sa 
pénétrante  et  intime  poésie. 

«  En  allumant  beaucoup  de  lanternes  vénitiennes, 
en  incendiant  les  quais  de  feux  d'artifices,  en  projetant 
du  haut  des  tours  de  Notre-Dame  des  jets  de  lumière 
électrique,  on  n'y  verra  que  du  feu,  »  parait  encore 
avoir  pensé  l'artiste. 

Mais  le  public,  qui  raisonne  parfois,  et  la  critique, 
qui  n'est  pas  toujours  bonne  fille,  ont  passé  en  hochant 
la  tête.  Ce  mariage  de  chandelles  romaines  avec  des 
feux  de  Bengale  ne  suffit  pas  pour  masquer  l'absence 
d'originalité  et  le  vide  de  la  composition.  L'ordonnance 
de  cette  toile,  qui  montre  une  barque  emplie  de  figures 
symboliques  voguant  au  fil  de  l'eaû  sur  le  tond  embrasé 
d'un  14  juillet,  a  des  lourdeurs  énormes,  un  manque 
d'équilibre  et  de  goût  vraiment  désagréable,  toute  ques- 
tion d'imitation  mise  à  part.  On  regrette  de  plus  en 
plus  les  portraits  si  vivants,  si  hu mains ^  que  peignait 
l'artiste  jadis,  à  ses  débuts,  quand  il  n'était  pas  hanté 
par  l'allégorie,  quand  il  ne  s'inspirait  que  de  lui-même, 
quand  c'était  au  deuxième  et  au  troisième  rang  qu'il 
fallait  l'aller  dénicher  ! 

Qu'on  mette  en  parallèle  le  superbe  portrait  de 
femme  sur  fond  blanc  qui  figure  actuellement  à  l'Expo- 
sition d'Anvers  avec  le  tableau  dont  nous  nous  occu- 
pons, et  même  avec  le  portrait  de  M™^  G.  D...,  dont 
l'analyse  terminait  notre  article  précédent.  Ce  n'est  pas 
en  faveur  des  productions  actuelles  du  peintre  qu'on 
se  prononcera. 

M.  Besnard  était  parmi  les  artistes  delà  génération 
nouvelle  l'un  de  ceux  qui  promettaient  le  plus.  Là  cri- 
tique a  le  droit  de  se  montrer  plus  exigeante  à  son 
égard  qu'envers  d'autres. 

Les  imitateurs  dé  Puvis  de  Chavannes  pullulent, 
d'ailleurs,  et  nous  ne  nous  arrêterons  pas  à  les  compter, 
ni  à  discuter  leurs  mérites.  Ce  que  nous  recherchons 
avant  tout,  ce  sont  les  talents  frustes  et  verts,  les  créa- 
teurs, les  laboureurs  qui  tracent,  droit  et  ferme,  leur 
sillon  dans  la  glèbe  encore  vierge,  et  ceux-là,  nous 
l'avons  dit,  sont  rares. 


(")  Voy.  l'Art  moderne  des  17  et  24  mai  1885, 


A  quoi  bon,  en  efîet,  s'attarder  à  parler  de  tous  les 
impuissants  que  chaque  année  révolue  montre  cram- 
ponnés à  la  ficelle  qui  leur  a  valu  les  commandes,  la 
croix,  la  médaille  et  toutes  les  distinctions  que  la 
badauderie  officielle  distribue  à  ceux  dont  elle  n'a  pas  à 
étudier  l'effort,  à  pénétrer  le  labeur?  Que  M.  Henner 
peigne  une  nymphe,  deux  nymphes,  cent  nymphes  de 
cire  sur  fond  de  bitume,  et  que  ces  nymphes  paraissent 
éplorées  ou  souriantes,  qu'en  peut-il  résulter  pour 
l'avenir  de  l'école  française,  et  en  quoi  cet  aimable 
passe-temps  d'un  homme  de  talent  intéresse-t-il  les 
artistes  et  le  public?  Il  les  vend.  Tant  mieux  pour  lui. 
M.  Cabanel  vend  bien  aussi,  lui  !  et  nous  ne  savons  pas 
de  peinture  plus  niaisement  plate,  plus  vide,  plus  déco- 
lorée et  plus  ffasquë  que  la  sienne,  si  ce  n'est  cell^  de 
Monsieur  son  ffls,  qui  n'est  pas  encore  Hors  Concours, 
mais  qui  mérite  de  l'être,  tant  il  a  consciencieusement 
chaussé,  en  les  crottant  d'ailleurs,  les  bottes  de  son 
père! 

Que  de  son  coté  M.  Bouguereau  se  fasse  décerner  la 
médaille  d'honneur  (par  72  voix,  il  est  vrai,  sur 
407  votants,  «  l'honneur  est  mince,  Nachtigall!  «),  c'est 
également  fort  bien,  et  nous  pensons  que  nul  ne  s'en 
plaindra.  V Adoration  des  Mages  et  X Adoration  des 
Bergers,  dyptique  destiné  à  l'église  de  Saint-Vincent- 
de-Paule,  renferme,  sur  deux  panneaux,  tous  les  poncifs, 
toutes  les  conventions,  toutes  les  négations  de  coloris 
et  de  lumière  qui,  à  Paris,  font  mériter  ces  sortes  de 
distinctions  à  ceux  qui  ont  le  triste  courage  de  se  met- 
tre sur  le  nez  les  lunettes  spéciales  et  atrophiantes 
adoptées  par  l'Institut. 

Xes  toiles  porcelaineuses  de  M.  Bouguereau  ne  sont, 
au  surplus,  pas  plus  antipathiques  que  le  concierge  que 
M.  Jean-Paul  Laurens  a  affublé  du  nom,  peut-être 
ironique,  de  Faust ,  ou  que  les  baudruches  gonflées  en 
forme  de  poupées  dont  M.  Benner  a  tiré  une  centième 
édition,  destinée  sans  doute  à  l'exportation,  car  sa 
clientèle  du  continent  doit  être  épuisée,  ou  que  la 
Laure  eii  stéarine  de  M.  Jules  Lefebvre.  Quant  aux 
orientalistes,  MM.  Gérôme  et  Boulanger,  ils  sont  cette 
année  tellement  lamentables  que  mieux  vaut  n'en  point 
parler.  Laissons  la  paix  aux  morts  et  saluons  leur 
convoi. 

Dans  tout  ce  bric  à  brac,la  rétine  fatiguée  therche  un 
coin  tranquille  et  frais  qui  lui  donne  le  repos.  D'ordi- 
naire, c'est  à  Puvis  de  Chavannes  qu'on  court,  à  ses 
larges  nappes  de  lumières  calmées,  aux  diaprures  har- 
moniques de  ses  belles  toiles  où  les  colorations,  comme 
dans  les  tissus  de  Karamanie  et  de  Smyrne,  se  fondent . 
sans  secou>rses  et  se  dégradent  et  s'éteignent  avec  des^ 
douceurs  de  soirs  étoiles. 

Cette  fois,  l'artiste  n'a  exposé  qu*lin  tableau  de  petit 
format,  un  accord  isolé  de  cette  symphonie  grave  et 
recueillie  qui,  depuis  des  années,  s'élève  de  son  œuvre 


magistrale  et  plane  par  dessus  les  dissonances  dont 
retentissent  tant  de  palettes.  Le  morceau,  exquis  de 
fraîcheur  et  de  grâce  malgré  l'incertitude  gauche  du 
dessin,  est  intitulé  \AiUo7nne.  Une  jeune  femme,  debout, 
cueille  des  grappes  de  raisin  et  les  dépose  dans  la  cor- 
beille que  lui  présente  une  autre  femme,  tandis  qu'une 
troisième  les  contemple  en  souriant. 

Avec  ses  teintes  pâlies,  ses  roses  fanés,  ses  bleus 
décolorés,  les  relations  caressantes  de  ses  tonalités, 
cette  toile  large  comme  un  mouchoir  d'enfant  arrête  et 
captive,  évoque  le  souvenir  des  grandes  oeuvres  du 
maître,  dont  la  musique  éloignée  berce  les  sens. 

Combien  ces  visions  calmes  et  sereines  font  de  bien 
après'les  peintures  exaspérées  des  soi-disants  peintres 
d'histoire,  les  Luminais,  les  Rochegrosse,  les  Flameng, 
qui  prétendent  donner  l'impression  de  la  mort,  du  mas- 
sacre, du  crime,  et  s'arrêtent  à  polir  du  bout  de  leur 
martre  le  cuir  laqué  d'une  bottine  ou  à  dessiner  à  la 
règle  les  lignes  d'un  plancher  !  Quelle  idée  ces  gens-là 
peuvent-ils  bien  avoir  de  ce  que  doit  être  une  œuvre 
d'art?  '  '  - 

Parmi  les  tableaux  de  dimensions  et  de  prétentions 
modestes,  parmi  les  inconnus  d'aujourd'hui  qui  peut- 
être  seront  demain  les  célébrités  du  jour,  on  découvre 
d'intéressantes  tentatives.  Il  convient  de  signaler  entre 
autres  et  très  particulièrement  les  Pivoines  de  Jacques 
Blanche,  composition  originale,  bien  coupée,  d'un  des- 
sin ferme, , d'un  coloris  délicat,  qui  montre  un  artiste 
déjà  affranchi  des  souvenirs  de  l'école  et  prêt  à  prendre 
sa  volée,  he  Déjeuner  du  même  artiste  est  d'une  exécu- 
tion un  peu  sèche.  Mais  ce  n'est  point  par  là  que  pèche 
son  grand  pastel  intitulé  iro7^s  d'œutre  qui  montre  une 
jeune  femme  mangeant  di?s  radis,  en  silhouette  sur  un 
paysage  d'fîiver.  Œuvre  audacieuse,  vraiment  remar- 
quable, celle-ci,  et  qui  donne  les  promesses  les  plus 
sérieuses. 

Puis,  le  Veuf,  de  Forain,  placé  si  haut  qu'on  a  peine 
à  le  dénicher,  et  qui  n'en  est  pas  moins  l'un  des  plus 
alléchants  morceaux  du  Salon,  et  son  Portrait ,  drôle, 
imprégné  dies  souvenirs  de  Manet,  mais  très  vivant  et 
spirituellement  peint.  A  côté  de  Forain  vient  tout  natu- 
rellement se  placer  Bartholomé,  qui  a,  d'un  pinceau 
singulièrement  alerte,  fixé  sur  un  bout  de  châssis  la 
ronde  et  les  promenades  enfantines  d'une  Récréation 
de  petites  filles  dans  la  cour  triste  d'un  pensionnat. 

Ce  tableau,  dont  tout  l'art  réside  dans  la  justesse  des 
attitudes  et  dans  l'expression  exacte  de  l'atmosphère 
parisienne,  demandait  à  être  vu  de  près.  On  l'a  relégué 
dans  un  angle  mal  éclairé,  au  deuxième  rang,  et  dès 
lors  tout  disparaît,  finesse  et  précision  du  dessin.  L'œil 
perçoit  vaguement  les  taches  que  font  les  tabliers  bleus 
des  petites  filles,  et  c'est  tout.  Qu'on  s'étonne  après  cela 
que  de  plus  en  plus  les  artistes  originaux  désertent  le 
Palais  de  l'Industrie! 


-«~~\ 


1 


Dès  qu'ils  se  réunissent,  exaspérés,  pour  exposer  dans 
des  conditions  convenables  ce  qu'il  leur  plaît  de  mon- 
trer» le  public  dit  :  C'est  une  coterie!  Mais  la  vraie 
coterie,  la  seule,  c'est  celle  des  artistes  qui  disposent, 
ail  Salon,  de  toutes  les  places  et  ne  donnent  les  bonnes 
qu'à  leurs  amis,  —  s'il  leur  en  reste  à  distribuer  après 
qu'ils  ont  pris  pour  eux  les  meilleures.  Jamais  on 
n'avait  plus  scandaleusement  mis  toute  pudeur  de  côté 
à  cet  égard.  A  la  rampe  s'alignent,  nous  l'avons  dit,  des 
choses  monstrueuses,  ou  des  compositions  où  la  bêtise 
le  disputé  à  l'absence  de  talent.  Mais  il  s'agit  d'un  ex. 
ou  d'un  H.  c.  et  perpétuellement,  dussent  les  œuvres  de 
ce  monsieur  être  exécrables,  on  les  préférera  aux  efforts 
audacieux  et  vraiment  intéressants  d'un  Forain,  d'un 
Bartholomé,  d'un  Raffaëlli,  de  tout  artiste  qui  rejette 
fièrement  l'éteignoir  par  leqiiel  on  cherche  à  étouffer 
les  flammes  trop  vives. 

Parfois,  rarement  il  est  vrai,  une  revanche  est 
prise.  Une  anecdote  courait  Paris,  la  semaine  der- 
nièr-e.  On  sait  la  déroute  apportée  dans  certain  clan  par 
la  subite  apparition,  chez  Georges  Petit,  de  Claude 
Monet  et  de  sa  palette  toute  radieuse  de  rayons  de 
soleil.  Henner  devait  exposer  à  côté  du  paysagiste 
intransigeant.  Il  avait  envoyé  rue  de  Sèze  tout  un  char- 
gement de  nymphes  des  bois,  des  blondes  et  des  rousses, 
alanguissant  dans  une  filtrée  de  lumière  factice  leurs 
peaux  ravagées  de  chlorose.  Le  déballage  a  commencé, . 
mais  en  voyant  la  piteuse  mine  que  faisaient  ses  pou- 
pées de  carton  sous  le  feu  implacable  des-  coups  de  soleil 
de  Monet,  Henner  a  fait  réintégrer  toute  sa  marchan- 
dise dans  les  caisses  qui  l'avaient  amenée.  Et  l'oa  n'en 
a  plus  entendu  parler. 


LES  MÉDAILLES  DU  SALON  " 

La  puérile  distribution  annuelle  des  prix  aux  artistes  bien  sages 
a  eu  lieu  la  semaine  dernière.  Les  sculpteurs  ont  jugé  qu'aucun 
des  leurs  n'était  digne  de  la  médaille  d'honneur.  Ils  ont  accordé 
une  première  médaille  à  MM.  Dailiion,  Desca»  Croisy,  Cariés  et 
Roty.  Une  deuxième  médaille  a  été  décernée  à  MM.  Hiolin,  Cor- 
dier,  Démaille,  Valton,  Léonard,  Marioton,  Lange-Gugliemo  et 
Pallez.  Une  troisième  à  MM  Levasseur,  Mengue,  Laporte,  Leroux, 
Fougues,  Pech  et  Lemaire.  Suivent  une  cinquantaine  de  mentions 
parmi  lesquelles  nous  relevons,  pour  les  artistes  belges,  celles  de 
MM.  Charlier  et  Samain. 

Les  peintres  ont  été  moins  chiches  de  leur  médaille  d'honneur.  Au 
lieu  de  ne  l'accorder  qu'à  la  majorjté  absolue  des  voix,  ils  l'ont, 
aux  termes  du  règlement,  décernée  à  la  majorité  relative,  ce  qui  fait 
qu'on  n'a  eu  aucune  peine  à  l'accrocher  au  cou  de  M.  Bouguereau- 

En  revanche,  chose  bizarre,  on  a  décidé  que  personne,  parmi  les 
virtuoses  de  la  palette,  ne  méritait  la  première  médaille.  Et  l'on  a 
distribué  généreusement  la  seconde  et  la  troisième  aux  artistes  dont 
les  noms  suivent  : 

Deuxième  médaille.  —  MM.. Priant,  'V\'eisz,  Mathey,  Bramtùt, 
Priuceteau,  Dawant,  Foubert,  Edouard,  Loewe- Marchand,  Ber- 
^teaux.  Petit  Jean,  Clairin,  Hareux,  Lagarde. 

Troisième  médaille.   —    MM,   E.   Buland,    Agache,    Laurent, 


Beaury-Sorel,  Mprlon,  Thiollet,  Marec,  Casile,  Olive,  Bloch,  Julia 
Marest,  Uhde,  Ad.  Binet,  Gueldry,  Thévenot,  Frantz  Gharlet, 
Richard  Frièze,  Carrière,  iMorlot,  Pinel,  Bettanier,  Bourgeois, 
Brispot,  Chariemont,  Chariay  Pompon,  Fournier. 

Isaac  Israëls  n'arrive,  malgré  le  succès  de  son  Départ  pour  les 
Indes,  que  parmi  les  soixante  mentionnés.  Il  a  la  consolation  de 
>se  trouver  avec  Raffaël[i  et  le  désagrément  de  se  rencontrer  avec 
M.  Evariste  Carpentier.La  mention  est  donnée  à  M.  Halkett. 

Les  architectes  se  sont,  eux  aussi,  octroyés  une  médaille  d'hon- 
neur. C'est  M.  Laloux  qui  en  a  été  gratitié.  MM.  Lefort,  Quatesot^s, 
Boileau,  Darcq,  ont  décroché  une  médaille  de  première  classe. 
MM.  Pons  et  Benouville,  Cuvillier,  Wable,  Camut,  une  médaille  de 
deuxième  classe,  MM.  Nodet,  Bacs,  Chaîne,  Poncet  une  idem  de 
troisième  classe,  et  l'on  a  réparti  une  douzaine  de  mentions  hono- 
rables parmi  les  autres. 

Ni  médaille  d'honneur,  ni  première  médaille  pour  la  gravure.  Très 
peu  de  deuxièmes  médailles,  quatre  seulement,  accordées  à 
MM.  d'Harlingue,  Henri  Lefort,  dénient  Bellenger,  Augustus 
Mongin. 

Quelques  troisièmes  médailles  :  MM.  Muzelle,  Pirodon,  Géry- 
Bichard,  Boileau,  Boulard,  Leveillé,  Salmon,  Desbrosses  et  Dupotit. 
,  John-Lewis  Brown  arrive  dans  les  mentions  honorables,  avec  une 
quinzaine  de  burinistes  et  de  liihographes. 


JhE    ^JVIeRCHANT    Of    ?^ENICE 

au  Lyceum  Théâtre. 

Dans  son  œuvre  universel  entre  lous,  Shakespeare  a  con- 
sacré une  page  à  chacun  des  types  les  plus  saillants  de  l'hu- 
fflanilCv  à  ceux  qui  représentent  la  nature  humaine  sous  les 
aspects  les  plus  caractérisés.  Son  théâtre  est  empreint  d'un  réa- 
lisme trop  puissant  pour  qu'il  ail  pu  se  borner  à  personnifier  des 
abstractions,  à  donner  simplement  un  masque  et  un  nom  à  des 
sentiments  bons  ou  mauvais.  Il  lui  faut,  sur  la  scène,  des 
hommes,  rien  que  des  hommes,  avec  leurs  as|)iratrons  diverses, 
leurs  vertus  et  leurs  vices,  leur  grandeur  et  leurs  faiblesses. 
Mais  ce  qui  constitue  riniéi*êt  de  ces  personnages  et  leur  origi- 
nalité, c'est  l'art  infini  avec  leq^iicl  Shakespeare  sait  mettre  en 
relief  la  marque,  le  trait  saillant  de  leur  caractère;  ainsi,  il 
arrive  à  créer  ces  types  qui  conservent  la  physionomie  de 
l'homme  positif  tout  en  éveillant  chez  nous  l'impression  plus 
abstraite  de  vertus  et  de  vices  incarnés. 

Othello  et  Macbeth  ne  sont  pas  de  vagues  personnifications 
de  la  jalousie,  de  l'ambition  et  du, crime  :  ce  sont  des  hommes 
dominés  par  la  jalousie  ou  l'ambition,  enlraînés  vers  le  crime  ; 
ils  n'ont  pas  l'aspect  froid-  de  l'abstraction,  mais  la  chaleur  de 
la  vie. 

Parmi  les  types  qui  lui  servaient  si  bien  à  exprimer  la  passion, 
Shakespeare  ne  manqua  pas  de  choisir  aussi  le  Juif,  le  Juif  tel 
qu'il  est  sorti  du  Moyen-Age,  objet  de  tant  de  mépris,  foyer  de 
tant  de  haine;  ce  Juif  dont  on  conspue  la  face,  dont  on  bafoue 
les  croyances,  dont  on  incrimine  les  actes  et  qui,  entouré  d'enne- 
mis et  d'agresseurs,  se  venge  à  la  première  occasion,  sur  le  pre- 
mier venu,  avec  une  cruauté  aussi  immense  que  l'infamie  dont  il 
est  lui-même  accablé. 

tt  L  n  type  ne  reproduit  aucun  homme  en  particulier  ;  il  ne  se 
«  superpose  e.\aclemenlà  aucun  individu  ;  il  résume  et  concentre 
c<  sous  une  forme  humaine  toute  une  famille  de  caractères  et 
«  d'esprits.  Un  type  n'abrège  pas,  il  condense.  Il  n'est  pas  un,  il 
est  lous  ».  .\insi  s'exprime  Victor  Hugo,  quand  il  caractérise  le 


type  shakespearien,  opposé  à  l'abslraclion,  -a  Tombrc  imperson- 
nelle qui  passe,  fugitive,  ë  travers  la  Iragédieclassique.  Le  type 
dramatique,  dit  encore  Hugo,  a  plus  de  densité  qu'un  hopmie 
seul  :  il  y  a  en  lui  une  accumulation  de  vies  ;  et  Hugo  donne  pour 
exemple  SJiylock,  grand  parce  qu'il  résume  toute  une  race  telle 
que  l'avait  faite  l'oppression  .(*). 

Combien  celte  conception  synthétique  est  nette  !  Comme  elle 
trace  bien  h  l'inlerprète  la  voie  qu'il  doit  suivre  s'il  veut^repré- 
senter  le  personnage  tout  entier  !  Comme  elle  répond  bien  aux 
aspirations  de  l'artiste  véritable  qui  prend  à  cœur  de  supporter 
sans  défaillance  le  fardeau  d'un  rôle  de  Shakespeare! 

C'est  ce  que  nous  a'  fait  sentir  l'autre  jour  M.  Irving,  le  prince 
reconnu  des  artistes  dramatiques  anglais,  qui  joue  en  ce  moment 
«  Le  Marchand  de  Venise  »  au  Lyceum  Tlientre,  à  Londres.  II 
ne  s'est  pas  seulement  chargé  du  principal  rôle  de  la  |)ièce  ;  il  est 
encore  l'ordonnateur,  le  manager  de  toute  la  représentation,  le 
conseiller  de  toute  la  troupe.  Aussi  sait-il  combiner  un  ensemble 
de|  plus  harmonieux. et  arrriver,  sans  qu'il  y  paraisse,  à  mettre 
en  relief  le  type  qui  est  la  raison  d'être  de  l'œuvre  entière. 

Le  sujet  du  Marchand  de  Venise  est  moins  compliqué  que 
beaucoup  de  comédies,  de  Shakespeare  ;  les  trois  intrigues  du 
pacte  avec  Antonio,  des  cassettes  de  Porlla  et  de  l'enlèvement  de 
Jessica  sont  fort  simples,  insignifiantes  même.  L'attention  est 
tout  entière  absorbée  par  l'admirable  développement  des  carac- 
tères. Autour  de  Shylock,  Shakespeare  a  placé  un  groupe  de 
personnages  sympathiques  :  Antonio,  le  marchand,  son  ami 
Bassanio,  et  Porlia  surtout,  qui  est  l'anlilhcse  du  vieux  happe- 
chair,  le  bon  ange  qui  vient  triompher  de  ce  mauvais  esprit.  Peu 
d'héroïnes  du  répertoire  dramatique  nous  semblent  aussi  sédui- 
santes que  cette  belle  Vénitienne  que  Shakespeare  s'est,  plu  à 
parer  de  tous  les  charmes  de  Tespril  et  de  toutes  les  délicatesses 
du  coeur. 

Miss  Ellen  Terry  a  ce  qu'il  faut  pour  jouer  Porlia  et  le  public 
de  Londres  rend  justice  U  celte  charmante  comédienne  en  l'asso- 
ciant pour  une  large  part  aux  triomphes  dlrving.  Elle  joue  avec 
un  naturel  et  un  laisser-aller  parfaits,  commandés  d'ailleurs  par  le 
dialogue  spirituel  et  animé  des  scènes  de  Belmonl.  Il  ne  lui 
manque  ni  l'autorité  ni  la  chaleur  obligés  dans  la  scène  du  pré- 
toire ;  cl  son  costume  de  docteur  in  utroque  ajoute  quelque  chose 
de  piquant  b  sa  physionomie  toujours  agréable.  Elle  a  eu  fort 
bien,  dans  le  reste  de  la  pièce,  allier,  en  vraie  dame  de  Venise, 
les  airs  simples  aux  riches  atours  :  c'est  un  modèle  de  Titien 
habillé  par  Paul  Véronèse. 

Il  faut  savoir  gré  à  Irving  de  rinlelligence  avec  laquelle  il  se 
dévoue  k  ses  skakespearian  revivais.  Comme  Dante,  Shakespeare 
a  besoin  d'être  interprété  pour  être  bien  compris.  Mais  si  le  com- 
mentaire de  Dante  se  fait  par  des  explications  qui  accompagnent 
ses  poèmes,  celui  de  Shakespeare  doit  se  trouver  dans  la  manière 
même  dont  on  représente  ses  drames  et  ses  comédies. 

Un  critique  érudit  pourrait,  sans  doute,  regreller,*h  son  point- 
de  vue,  les  coupures  cl  les  légères  modifications  introduiiesdans 
le  texte  ou  dans  l'ordre  des  scènes;  mais  cela  est  utile  pour 
rendre  la  pièce  intelligible  îi  un  public  de  spectacle  et  lui  éviter 
l'impression  choquante,  nullement  voulue  par  l'auteur,  de  cer- 
tains mots  qui  ne  se  disent  plus.  Irving  sent  tout  cela  avec  infini- 
ment de  tact.  Il  n'ebt  guère  surprenant  qu'un  homme  qui  com- 
prenne aussi  bien  son  rôle,  sache  le  jouer  avec  talent.  Dans  cha- 


('}  Victor  Hugo  :  William  Shalfespeare,  seconde  partie,  livre  II,  n*  ?. 


cune  des  grandes  scènes  du  drame  —  car  pour  Shylock  c'est 
bien  un  drame —  il  ajoute  quelque  détail  nouveau  à  la  figure 
dont  les  traits  principaux  se  dessinent  nettement  dès  sa  première 
entrée. 

Si  Irving  apportait  autant  de  sobriété  dans  ses  roulements 
d'yeux  qu'il  met  de  réserve  dans  les  éclats  de  sa  voix,  nous  n'au- 
rions que  des  éloges  à  lui  décerner  :  ses  intonations,  ses  atti- 
tudes et  sa  démarche,  sa  diction  surtout  nous  ont  semblé 
irréprochables.  Comme  régisseur,  il  sait  ménager  des  tableaux 
pittoresques  et  combiner  des  harmonies  de  couleur  qui  complè- 
tent agréablement  le  charme  de  la  représentation.  Ces  côtés  acces- 
soires ne  sont  jamais  à  dédaigner,  quel  que  soit  le  mérite  intrin- 
sèque de  l'œuvre.  ,    / 

Enfin,  nous  applaudissons  à  l'usage  adopié  au  Lyceum 
Théâtre  de  plonger  la  salle  dans  une  obscurité  presque  complète 
durant  la  pièce,  usage  qui  tend  à  se  généraliser  aujourd'hui  et 
qu'il  nous  tarde  de  voir  s'introduire  chez  nous  :  c'est  le  plus  sûr 
moyen  d'isoler  le  spectateur  et  de  concentrer  son  altenlion  sur  la 
scène.  Et  les  beautés  n'y  perdent  rien  :  6n  les  regarde  avec 
d'autant  plus  de  curiosité  pendant  les  entr'actes. 


Kolre  collaborateur  Edmond  Picard  a  adressé  à  iM.  le  directeur 
du  Précurseur  la  lettre  suivante  : 

Monsieur  i-b  Directeur, 

Je  viens  de  recevoir  votre  n°  du  28  mai  et  j'y  ai  lu  une  intéres- 
sante correspondance  artistique. 

S'occupant  de  ma  participation  au  jury  d'admission  à  l'Exposition 
des  Beaux-Arts  d'Anvers,  le  signataire  G.  V.  y  dit  : 

«  Le  ministre  Beernaert  en  y  adjoignant  un  critique  d'art  a  posé,. 
«  en  principe,  un  acte  intelligent  et  qui  portera  ses  fruits.  Il  est  à 
«prévoir  que  cette  heureuse  initiative  se  maintiendra,  et  qu'à 
«  chaque  Exposition  importante  on  agira  de  même. 

Pour  ceci  je  salue  et  remercie.  Mais  votre  correspondant  ajoute  : 

«  L'avocat  Picard,  qui  a  eu  l'honneur  d'inaugurer  la  nouvelle  ère 
«  qui  s'ouvre  à  nos  critiques,  a  défendu  pendant  vingt  ans  l'art  qu'à 
t<  Bruxelles  on  nomme  «  libre  et  indépendant.  »  Après  avoir  vu 
«  défiler  en  s^i  qualité  de  membre  du  jury  d'admission,  le  cortège  de 
ic  choses  loqueteuses,  bêtes,  communes,  criardes,  grotesques,  ma- 
«  ladcs,  misérables,  —  c'est  VArt  moderne  qui  s'exprime  ainsi  — 
«  après  s'être  rendu  un  compte  exact  pendant  des  semaines  de  la 
«  valeur  réelle  de  toutes  ces  misères,  par  un  exercice  actif  de  la  vue, 
«  par  une  sérieuse  étude  comparative,  et  ce  à  côté  de  peintres, 
«  sculpteurs,  architectes,  —  l'œil  du  théoricien  a  subi  une  cure 
«  sinon  radicale,  en  tous  cas  salutaire,  et^tnijourd'hui,  meilleur 
«  appréciateur,  l'avocat  Picard  a  le  courage  d'avouer  que  ce  soi- 
«  disant  renouveau  artistique,  il  ne  reste  qu'une  trompeuse  illu- 
«  sion.  » 

Ceci  fait  naître  une  équivoque  et  réclame  une  rectification  que  je 
ferai  dans  l'intérêt  de  votre  correspondant,  très  soucieux  je  n'eu 
doute  pas,  de  rester  véridiqué. 

Assurément,  de  ma  vie,  je  n'avais,  comme  je  l'ai  écrit  dans  VArt 
moderne,  "  assisté  au  passage  de  pareille  flotte  de  productions  car- 
"  uavalesques.  »  ' 

Mais  votre  correspondant  parle  de  manière  à  faire  croire  que  je 
serais  revenu  de  mon  appréciation  très  favorable  sur  les  rares 
artistes  qui,  à  mon  avis,  sont  dans  la  vraie  voie. 

En  cela  il  se  trompe. 

J'ai  seulement  constaté  que  la  majorité  des  médiocres  était  telle- 
ment imposante,  que  la  minorité  de  ces  vrais  talents  était  submergée 
par  elle,   alors  que  j'avais  cru  que  ceux-ci,  par  leurs  virils  efforts, 


suffisaient  à  sauver  notre  art  de  la  décadence  et  à  amener  pour  toute 
notre  école  un  renouveau  artistique.  ,  ■' 

J'ai  résumé  cette  impression  et  cette  désillusion  dans  VArt 
moderne,  en  disant  :  «  Revenant  sur  nous-même  et  classant  dans 
M  l'ensemble  les  résultats  de  ces  luttes  vaillantes,  nous  comprenons 
•«  quelle  illusion  c'est  de  croire  qu'elles  suffisent  au  salut  commun 
•«  et  que  les  hotmnes  qui  _  les  mènent  peuvent  à  eux  seuls  assurer  le 
<«  recrutetnent  des  phalanges  qui  se  dépeuplent. 

Pour  moi,  ces  artistes  restent  ce  qu'ils  me  sont  apparus  :  les 
représentants  de  l'art  que  j'aime,  qui  seul  mérite  confiance,  qui  seul 
donne  des  espérances.  Mais  je  sais  désormais  qu'ils  sont  en  trop 
petit  nombre  pour  triompher  des  Philistins,  pour  arrêter  l'invasion 
formidable  des  ratés  et  des  énervés. 

Quant  à  la  cure  de  ma  vue,  dont  s'occupe  votre  correspondant 
avec  une  sollicitude  dont  je  suis  touché,  je  ne  veux  pas  lui  rappeler 
un  dicton  où  il  est  question  d'un  fétu  et  d'une  poutre.  Mais  je  ne 
croirai  à  l'infaillibilité  de  son  œil  et  de  celui  des  peintres,  archi' 
tectesy  sculpteurs  dont  il  parle,  que  loi'squ'il  m^aura  expliqué  com- 
ment il  s'est  fait  qu'il  y  a  eu,  dans  les  opérations  du  jury  d'admis- 
sion, «•  une  cinquantaine  de  toiles  qui  n'ont  été  accueillies  que  ^râce 
•»  à  l'inévitable  camaraderie  ou  à  la  courtisanerie  plus  inévitable 
«  encore  *>,  comme  je  l'écrivais  et,  comme  je  l'ajoutais  (toujours  dans 
VArt  moderne),  **  quelques  bonnes  œuvres  que  le  jury  a  exclues 
••  pouf  ne  pas  manquer  à  l'usage  et  ne  pas  faire  la  l'ecoit  à  ses  pré- 
«  décesseurs  »». 

J'ai  la  conscience  d'avoir,  malgré-  mes  ykux  malades  (?),  tapage 
(votre  correspondant  doit  s'en  souvenir)  jjour  faire  laisser  à  la  porte 
les  premières,  et  d'avoir  prateslé  quand  Oii  a  blackboulé  les 
secondes.  Ce  sont  là  des  incidents  que  je  pourrais  approfondir  si  je 
visais  à  amuser  la  galerie. 

Prière,  Monsieur  le  Directeur,  de  vouloir  bien  publier  cette 
réponse.  Je  vous  en  remercie  à  l'avance  et  vous  présente  mes  salu- 
tations distinguées.       • 

Edmond  Picard. 
30  mai  1885. 


Jhéàtre^ 

Les  Pommes  d'or. 

La  féerie,  la  vieille,  bonne,  naïve  féerie  a, repris  possession  de  la 
scène  dé  l'Alhambra  où  jadis,  Alexandro  régnante,  elle  brillait  de 
tout  l'éclat  de  la  Chatte  tnerveilleuse  et  de  la  Queue  du  chat.  Les 
habitués  du  vénérable  théâtre,  tout  étonnés  de  voir  danser  —  en 
français  —  des  ballerines  pas  du  tout  Kleine  patriot,  ont  tant  et  si 
bien  vanté  les  merveilles  qu'a  prodiguées  M.  Alhaiza,  sous  la  forme 
de  fontaines  jaillissantes  éclairées  aux  flammes  de  Bengale,  de  ballets 
agrémentés  d"évent9Jj.s_argentés  et  de  corbeilles  de  roses  artificielles, 
de  ballons  pas  trop  captifs  et  de  maillots  suffisamment  garnis,  que 
tous  les  soirs  les  spectateurs  accourent  en  foule. 

Rencontrant  au  foyer  l'un  des  grands  prêtres  du  mouvemerj,!  fla- 
mand, nous  lui  avon§  demandé  s'il  ne  considérait  pas  cette  désaffec- 
tation du  temple  comme  une  profanation.  L'attrait  des  jolies  femmes 
n'est-il  pas  international?  a  répliqué,  non  sans  justesse,  cet  homme 
célèbre. 

Va  donc  pour  les  jolies  femmes.  Va  pour  les  envolées  de  tarla- 
tane rose  et  verte.  Vivent  Mâchicoulis,  Daniel  Dorlando,  Verdurette 
et  la  princesse  Eglantine!  Enivrons-nous  de  lumière  électrique, 
absorbons  à  longs  flots  la  musique  de  M.  Audran,  pénétrons  les 
mystères  du  corps  de  ballet,  —  oh!  à  une  portée  de  lorgnettes,  les 
coulisses  étant  aussi  bien  gardées,  ou  à  peu  près,  que  feu  les  bar- 
rières du  Louvre.  Et  que  le  jardin  des  Hespérides  improvisé  par 
M.  Alhaiza  remplace  pour  nous  toutes  les  délices  absentes. 

Sous  ses  charmilles  parsemées  de  fruits  d'or,  nous  rencontrerons 
d'ailleurs  d'aimables  visages  connus  :  M.  Lortheur,  plus  drôle  que 


jamais  en  écuyer  moyen  àgeux,  et  M.  Durand,  qui»  a  laissé  d'excel- 
lents souvenirs  au  théâtre  du  Parc.  p]t  les  figures  nouvelles  que  nous 
verrons  défiler  seront  bientôt  de  vieilles  et  bonnes  connaissances  : 
M*""  Weins,  Djina,  Van  Zandt,  étant  de  celles  qu'on  voit  et  qu'on 
revoit  avec  satisfaction.  ,  • 


ÇlBMOQRAPHlE    MUSICALE 

Parmi  les  nouveautés  musicales  éditées  à  Bruxelles,  signalon.s 
trois  compositions  pour  piano  et  violon  qui  méritent  d'être  remar- 
quées. L'ujie  est  une  poétique  Elégie  de  Jéno  Hubay,  publiée  che? 
Breitkopfet  Hartel,  et  dans  laquelle  on  retrouve,  avec  le  charme 
qui  distingue  les  inspirations  de  l'auteur  des  Scènes  de  la  Czarda, 
quelque  chose  de  la  mélancolie  des  mélodies  hongroises. 

Les  deux  autres  ont  paru  chez  Schott  frères.  Ce  sont  :  ime  Fan- 
taisie orientale,  d'une  tournure  élégante,  de  Joseph  Wieniawski,  et 
un  Petit  air  varié,  d'exécution  facile,  par  M.  Félix  Aerts,  directeur 
de  l'Académie  royale  de  Nivelles. 

Les  mêmes  éditeurs  viennent  de  mettre  en  vente  trois  morceaux  de 
musique  d'église  dus  à  M.  François  Riga,  qui  a  déjà  enrichi  d'un 
grand  nombre  de  compositions  analogues  le  répertoire  des  maî- 
trises :  un  Tantum  ergo  et  Genitori,  à  quatre  voix,  avec  accompa- 
gnement d'orgue  ou  d'orchestre  ;  un  Memorure  pour  voix  de  femmes, 
petit  chœur  et  grand  chœur  à  l'unisson,  avec  accompagnement 
d'orgue,  et  un  Hœc  dies  quayn  fecit  Dominus,  à  quatre  voix,  avec- 
orgue  et  orchestre.  Ces  trois  compositions  portant  les  n*'''  71,  83  et  71>. 
de  l'œuvre  de  M.  Riga. 

Enfin,  chez  Schott  également,  M.  Watelle,  professeur  de  chant, 
vient  de  publier  cinquante  Exercices  de  solfège  pour  ténor  et  basse, 
à  l'usage  des  cours  de  chant  d'ensemble,  sociétés  chorales^  etc. 


EXPOSITION  UNIVERSELLE  D'ANVERS 

On  nous  prie  d'insérer  l'avis  suivant  : 

Afin  de  prévenir  tout  malentendu  ou  toute  erreur  au  siijet  de  la 
mission  qu'ils  ont  assumée,  le  Comité  belge  et  le  Comité  international 
de  la  Presse  fout  de  la  manière  la  plus  formelle  les  déclarations  sui- 
vantes qu'ils  prient  les  journaux  de  tous  les  pays  de  vouloir  bien 
reproduire  : 

La  mission  des  deux  Comités  est  toute  de  courtoisie  et  absolument 
désintéressée.  Ils  sont  restés  et  resteront  étrangers  à  tout  arrange- 
ment ou  spéculation  concernant  des  affaires  de  publicité,  à  toute 
question  d'annonces  ou  de  communications  impliquant  un  règlement 
financier. 

Aucune  agence  de  publicité  n'est  autorisée  à  parler  au  nom  de  la 
presse. 

Aucune  agence  de  publicité  n'entretient  de  relations  avec  les  Comi- 
tés de  la  presse  ;  aucune  agence  n'y  exerce  la  moindre  influence. 

Aucune  agence  de  publicité  n'a  le  droit  d'installer  à  l'intérieur 
des  locaux  de  l'Exposition  un  salon  de  la  presse  ni  un  cabinet  de 
lecture. 

L'installation  du  salon  et  des  bureaux  placés  sous  la  direction 
unique,  exclusive  des  Comités  de  la  Presse,  a  subi  un  retari  fâcheux 
par  suite  de  l'inachèvement  de  certains  travaux  de  construction  de 
l'entreprise  générale. 

Mais  dans  quelques  jours  cette  installation  sera  terminée,  et  les 
deux  Comités  quitterontleur  siège  actuel,  Avenue  des  Arts,  89,  pour 
s'établir  définitivement  à  l'Exposition  même,  à  côté  des  bureaux  des 
postes,  des  télégraphes  et  du  téléphone,  et  à  proximité  des  bureaux 
du  Comité  exécutif  qui  continue  à  leur  prêter  le  concours  le  plus 
sympathique. 


188 


L ART  MODERNE 


C'est  à  titre  absolument  gratuit  que  les  locani  du  Comité  de  la 
presse  sont  mis  à  la  disposition  des  confrères  étrangers. 

C'est  à  titre  absolument  grntuit  que  les  confrères  étrangers  peuvent 
y  envoyer  leurs  journaux,  qui  seront  classés, 'placés  en  évidence  et 
mis  à  la  portée  des  lecteurs  avec  la  régularité  et  le  soin  voulus.  Les 
Comités  de  la  Presse  ùtili-^eront,  à  cet  effet,  le  cabinet  de  lecture 
international  dont  l'organisation  prodiaine  est  due  à  rinitialive  de 
M.  le  Commissaire  général  du  Gouvernement. 


f 


ETITE    CHROJ^iqUE 


Une  grande  fête  musicale  sera  donnée  aujourd'hui  à  Anvers,  dans 
la  salle  des  fêtes  de  l'exposition,  en  l'honneur  de  Franz  Lisat,  qui 
est  arrivé  jeudi  dans  la  mâtjç.op^ile,  L'orchestre  des  Concerts  popu- 
laires de  Bruxelles  exéiiÉbillK>-«ou«  la4irectionde  Franz  Servais,  un 
pi'ogramme  de  choix  composé  uniquement  des  œuvres  du  maître. 
On  entendra  trois  poèmes  symphoniques  :  Le  Tasse,  Orphée  et 
Mazeppuy  le  concerto  pour  piano  et  orchestre  en  la,  joué  par 
Mme  Falk  Mehiig,  le  prélude  de  Sainte- Elisabeth,  deux  fragments 
symphoniques  du  Christ  {les  Bergers  devant  la  crèche;  Marxhe  et 
Adoration  des  Mages)  et  pour  finir  la  transcription  de  Liszt  sur  la 
Marche  de  Rakocsy  .■ 

L'exécution  sera  superbe,  à  en  juger  par  la  répétition  générale, 
qui  a  eu  lieu  hier  Liszt  y  assistait  et  a  vivement  complimenté  Franz 
Servais  sur  lexcellente  interprétation  qu'il  donne  de  ses  œuvres. 


Le  Salon  annuel  des  Aquarellistes  restera  ouvert  jusqu'au 
30  courant. 

Joseph  Wieniawski,  l'excellent  pianiste,  vient  de  terminer  une 
grande  et  brillante  tournée  de  concerts  qu'il  avait  entreprise  dans  le 
sud  de  la  Russie  et  en  Pologne.  Il  a  donné  vingt-sept  concerts  dans 
les  villes  suivantes  :  Kieff,  Elisabedgrad.  Nicolaïeff,  Krementschong, 
Pultava,  Kharkoff,  Koursk.  Kischeuieff,  Ëtcaterinoslaflf,  Odessa, 
Soummy,  \Vilna,  Kowno,  Grodnoi,  Varsovie,  Bialystok,  Lublin, 
Radom,  Petrikan  et  Kalisch. 

Un  grand  capitaliste  de  Londres  vient  d'avoir  ime  idée  assez  ori- 
ginale. Il  se  propose  de  fonder  une  société  qui  se  chargerait  de  louer 
■à  des  particuliers  des  tableaux  de  maîtres,  pour  un  certain  t^mps, 
tout  comme  on  loue  des  livres. 

.On  pourrait  ainsi  s'offrir  pendant  plusieurs  mois  la  jouissance  de 
contempler  de  belles  peintures  sans  être  forcé  de  les  acheter. 

Par  exemple,  comme  ledit  capitaliste  est  défiant,  il  exigera  des 
locataires  de  tableaux  une  caution  suffisante  pour  répondre  des  chefs- 
d'œuvre  prêtés. 

La  commission  pour  le  monument  à  élever  à  Eugène  Delacroix 
s'est  réunie  à  Paris,  la  semaine  dernière,  sous  la  présidence  de 
M.  Auguste  Vacquerie. 

Le  trésorier  a  rendu  compte  des  sommes  recueillies,  tant  par  là 
souscription  ouverte  que  par  les  entrées  à  l'expositioa. 

Le  produit  de  la  souscription  a  .été  de     ....     .     32»4ru  50 

Et  celui  des  entrées  à  l'exposition  de G8,204  30 

Total.     .*    .   100,635  80 
Dont  il.  a  à  déduire  le  montant  des  frais 20,407  92 

Reste  un  produit  net  de     ... 80,227  88 

On  s'est  occupé  ensuite  de  la  question  de  savoir  si  le  monument 
serait  mis  au  concours.  La  majorité  a  été  d'un  avis  contraire  Une 
des  raisons  déterminantes  de  cette  décision  a  été  la  lettre  d'Eugène 
Delacroix,  dans  laquelle  il  se  déclare  hostile  au  concours. 

Il  ne  restait  plus  qu'à  cboisir  le  statuaire  à  qui  le  monument 
serait  confié;  la  réunion  a  choisi  M.  Dalou, 


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—  —  ^i.  Les  Soirées  de  Bruxelles,  lm\^Yom\i- 

tus  Valses  .     .     .     , 

—  —  35.  4^f  Air  de  Ballet    .     . 

—  Chant  du  Soir  (nouvelle  édition) 
•      —  Balafo,  Polka-Fantaisie    .     . 

—  Etoiles  scintillantes.  Mazurka  . 
KOETTLITZ,  M.  Op.    9.  Barcarolle  .    .     . 

—  —   12.  Laendler    . 

—  —  21.  Danse  rustique    . 


2.00 

2,50 
2.00 
2.00 
2.00 
2  00 
2  00 
1.35 
1.75 


VIENT  DE  PARAITRE  CHEZ 

BREITKOPF  &  HÀRTEL 

ÉDITEURS   DE   MUSIQUE  ' 

BRUXELLES,  41,  MONTAGNE  DE  LA  COUR 


V   ECOLE    DE    PIANO 

bu    CONSERVATOIRE    ROYAL    DE   BRUXELLES 


lO*'  livraison.  Cahier  I,  —  Mozart,  sonates  en  ut  maj.,  si  b.  maj. 

Id.  Id      II.  —  Mozart,  sonate  en  ré  majeur. 

24e  livraison. —  démenti,  sonates  en  mi  b,  maj.,  ut  maj  ,  fa  min. 
25®        id.       —  Clementi,  sonates  en  fa  dièze  min.,  mi  b.  maj., 

si  b.  maj 
36*        id.       — Wéber,  ■  Invitation   à   la   valse.    Rondo    brillant. 

Momento  capriccioso.  Polonaise  en  mi  maj. 

Prix  de  la  livraison  :  5  francs  net. 

VIEJNT  DE  PARAITRE 

CHEZ  FÉLI.X   CALLEWAERT   Père 

2G,  RUE  DE  L'INDUSTRIE.  A  BRUXELLES 


LA  FORGE  ROUSSEL 

PAR  Edmond  PICARD 

Édition  définitive,  tirée  à  petit  nombre 

Prix  :    Grand   Japon,    60   francs;  Chine  genuine,  40  francs; 
Hollande  Van  Gelder,  25  francs.  1 


Bruxelles.  —  Imp.  Félix  Oallbwabkt  père,  rue  de  1  Industrie,  20. 


Cinquième  année.  —  N**  24 


Le  numéro.  :  25  centimes. 


Dimanche  14  Juin  1885. 


-ù 


L'ART  MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,   un   an,   fr.   10.00;  Union   postale,    fr.    13.00.    —   ANNONCES   :    On   traite   à   forfait. 

Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à     . 
l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


^OMMAIRZ: 


Le  Salon  de  Pari3.  (Quatrième  et  dernier  article).  —  Hommage 
A  Liszt.  —  Le  paysage  urbain.  —  L'art  industriel.  —  Expo- 
sition DE  Rotterdam.  —  Chronique  musicale  de  Paris.  —  Livres 
nouveaux.  L'œuvre  complète  de  Victor  Hugo.  —  Chronique  judi- 
ciaire des  arts.  —  Théâtres.  —  Mémento  des  [expositions  et 
concours.  —  Petite  chronique. 


lE  SAIOX  DE  PARIS 

Quatrièrtie  et  dernier  article*. 

Un  peintre  parisien,  dont  nul  chauvinisme  n'a  égra- 
tigné  la  sincérité,  nous  disait  récemment  :  «  Si,  au  lieu 
de  les  disperser,  on  réunissait  dans  une  salle  tous  les 
envois  étrangers,  leur  voisinage  serait  redoutable  pour 
l'école  française.  Au  Salon,  quand  une  toile  m'arrête 
et  que  j'en  cherche  l'auteur  au  catalogue,  c'est,  neuf 
fois  sur  dix,  un-Belge,  ou  un  Hollandais,  ou  un  Améri- 
cain ". 

Adressé  à  un  étranger,  le  mot  était  aimable.  Peut- 
être  est-il  vrai.  Tandis  que,  semblables  aux  écureuils 
qui  font  tourner  leur  cage  sur  place,  bon  nombre 
d'artistes  français  restent,  depuis  des  années,  emprison- 
nés dans  les  formules  et  les  conventions,  on  rencontre 
dans  d'autres  milieux  des  tentatives  nouvelles,  des 
pointes  audacieuses  hors  du  sentier  battu. 

Déjà  nous  avons  signalé  la  part  qu'a  prise  la  Belgique 
au  Salon  de  1885  et  nous  n'y  reviendrons  pas. 


(')  Voy.  Y  Art  moderne  des  17  et  24  mai  et  7  juin  1SS5. 


La  Hollande  affirme, avec  Isaac  Israëls,  les  tendances 
nouvelles  d'un  art  d'impression  dont  la  formule  défini- 
tive n'est  pas  encore  trouvée,  mais  qui  paraît  destiné  à 
absorber,  dans  un  délai  rapproché,  l'école  réactionnaire 
qui  depuis  si  longtemps  a  relégué  la  Néerlande  aux 
arrière-plans.  Le  Départ  pour  les  Indes,  qu'on  a 
admiré  au  dernier  Salon  de  Bruxelles,  est  un  appel 
aux  armes,  sonnant  clair  et  fort  dans  le  grand  silence 
où  s'endormait  l'art  batave.  C'est  la  déclaration  de 
guerre  aux  poncifs  de  l'atelier,  le  premier  boulet  rivé 
lancé  dans  le  camp  des  imagiers  qui  exerçaient  tran- 
quillement leur  petite  industrie,  en  piétinant  le  souve- 
nir des  fiers  artistes  qui  illustrèrent  le  pays,  les  Frans 
Hais,  les  Rembrandt,  les  Pieter  de  Hoogh,  les  Metzu, 
les  Terburg,  les  Steen,  les  Ostade. 

Le  jeune  maître  a  brusquement  ouvert  la  porte  au 
plein  air,  et  le  courant  qu'il  a  établi  a  donné  la,  bron- 
chite aux  catarrheux  que  son  apparition  a  mis  en 
déroute.  A  ses  c«jtés  marche  une  pléiade  de  jeunes 
hommes  de  taille  à  rendre  à  leur  pays  la  place  qu'il 
occupait  jadis.  On  peut  voir  à  Anvers  le  résultat  de 
leurs  efforts.  Nous  saluons  joyeusement  cette  avant- 
garde  de  l'armée  nouvelle. 

Le  Etats-Unis  ne  fussent-ils  représentés  à  Paris  que 
par  Whistler,  qu'encore  Técole  américaine  eût  di^oit  à 
tous  les  respects.  Mais  d'autres  noms,  moins  connus, 
justifient  l'observation  courtoise  que  nous  rapportions 
plus  haut. 

Ce  n'est  pas  que  tous  les  artistes  du  Nouveau-Monde 
aient  une  originalité  absolue.  Sans  parler  de  Sarment, 


qui  s'engage,  non  sans  péril,  dans  la  voie  qui  a  conduit 
Carolus  Duran  au  précipice  où  il  s'est  laissé  choir  de 
toute  sa  hauteur.  M,  Boggs,  le  poète  délicat  des  carre- 
fours et  des  boulevards  parisiens,  n'est-il  pas  trop 
préoccupé  du  souvenir  de  Luigi  Loir?  La  palette  de 
M"®  Dunean  n'est-elle  pas  un  reflet  fidèle  de  celle 
d'Alfred  Stevens?  M.  Harrison,  dont  la  Vogue,  placée 
à  la  rampe,  a  été  remarquée,  n'a-t-il  pas  emprunté :à 
y  Gérôme  sa  facture  minutieuse  et  lisse?  M.  Walter 
Ewen,  qui  expose  cette  toile  charmante  :  La  IcUre; 
intérieur  hollandais,  ne  s'est-il  pas  assimilé  le  coloiis 
un  peu  éteint  de  Fritz  von  Uhde?  M.  Curtis,  dans  son 
Intérieur  de  Saint-Marc  surtout,  ne  s'est-il  pas 
inspiré  des  tonalités  jaunâtres  de  Mancini  ?  Et 
M.  Butler,  dont  le  curieux  portrait  a  été  relégué  dans 
le  voisinage  du  plafond,  na-t-il  pas  visiblement  engagé 
sa  barque  dans  le  sillage  de  Whistler  ? 

Peut-être  ces  analogies  sont-elles  involontaires.  Peut- 
être  le  hasard  seul  a-t-il  malicieusement  provoqué  de 
simples  coïncidences.  Quoi  qu'il  en  soit,  ce  groupe  exo- 
tique est  intéressant  à  étudier.  Il  s'y  révèle  des  talents 
laborieux,  sérieux,  sympathiques,  qui  font  bien  au- 
gurer de  l'avenir  de  l'école.  > 

Au  surplus  tous  sont  jeunes,  et  ce  n'est  pas  au  sortir 
des  classes  qu'on  rencontre  la  personnalité. 

M.  Luigi  Loir,  dont  le  nom  nous  revenait  tantôt  en 
mémoire,  est  Autrichien  de  naissance,  mais  sa  rési- 
dence  prolongée  à  Paris  en  a  fait,  à  n'en  pas  douter,  un 
Parisien.  II  est  Parisien  par  l'esprit  de  son  pinceau,  par 
l'interprétation  des  sujets  qu'il  traite,  tous  choisis  dans 
l'enceinte  de  la  grande  ville.  Son  Paris  port  de  mer, 
compte  parmi  les  œuvres  les  plus  belles  de  cet  artiste 
charmant,  si  original  dans  son  art,  si  vrai  et  si  con- 
vaincu dans  l'expression  des  coins  dé  vie  parisienne 
qu'il  note  au  passage  et  fixe  sur  la  toile. 

Parmi  les  artistes  Scandinaves,  lious  retrouvons  à 
Paris  M.  Peter  Severin  Kroyer.  que  la  dernière  expo- 
sition des  XX  a  mis  en  lumière  et  dont  le  Déjeuner 
d'avalistes  fait  au  Salon  un  excellent  effet;  puis, 
M.  Richard  Bergh,  qui  expose  un  superbe  portrait  au 
pastel."^,  M.  Michael  Ancher,  peintre  danois  comme 
M.  Kroyer,  est  moins  heureux  que  son  compatriote. 
Son  portrait  de  femme  est  guindé  et  dur,  mais  d'une 
sincérité  naïve  qui  lui  donne,  malgré  tout,  de  l'attrait. 

Deux  artistes  anglais  méritent  une-  mention  : 
M.  Swan,  qui  a  été  l'un  des  héros  du  Salon  vingtiste, 
et  M'^®  Annie  Ayrton,  qui  continue  à  brosser  ses 
natures  mortes  d'une  main  virile.  M.  William  Stott, 
qui  avait  donné  tant  d'espérances,  n'est  pas  en  progrès. 
La  grande  toile  qu'il  intitule  Mon  père  et  ma.  mère, 
sombre  et  désagréable,  fait  regretter  l'époque  où  l'ar- 
tiste brossait  magistralement  sa  Baignade  en  belles 
coulées  de  pâtes  onctueuses  et  savoureuses. 

M.  Richard  Friese  et  ses  Brigands  du  désert  T^diV- 


tagent  avec  M^^^Uhde  l'attention  que  les  Parisiens 
veulent  bien  accorder  a  l'Allemagne.  Comme  art,  nous 
plaçons  le  second  bien  au  dessus  du  premier.  Mais  on 
ne  peut  mécannaître  à  M.  Friese  une  science  appro- 
fondie de  la  forme.  Il  y  a  en  lui  l'étoffe  d'un  sculpteur 
peut-être,  d'un  bénédictin  à  coup  sûr.  Rien  ne  peut 
donner  une  idée  du  travail  minutieux  qu'il  s'impose 
pour  exprimer,  dans  la  rigueur  de  leurs  contours, 
l'attitude  des  animaux  qu'il  se  plaît  à  représenter.  La 
lionne  qu'il  montre  de  dos,  guettant  sur  une  côte  nue 
la  caravane  campée  dont  les  feux  montent  lenteriient 
du  vallon  dans  le  calme  du  soir,  est  le  morceau  le  plus 
extraordinaire  de  cette  œuvre  tourte  de  patience  et  de 
labeurs  implacables. 

Si  l'Espagne  n'a  vraiment  à  exhiber  que  des  enlumi- 
neurs de  la  force  de  M.  Câsanoya  y  Estorach,  l'auteur 
de  cette  image  de  grand  format  intitulée  Les  derniers 
7noments  de  Philippe  II  et  accompagnée,  en  manière 
de  notice,  d'une  demi-page  de  XHistoire  d'Espagne^ 
bénissons-la  d'avoir  borné  à  ce  seul  cadre  sa  partici- 
pation au  Salon. 

Cette  grande  surface  peinte,  qui  s'en  ira  sans  doute 
un  jour  orner  quelque  musée  de  pièces  anatoniiques  où 
elle  trouvera  sa  vraie  place,  —  au  dessus  de  la  porte 
d'entrée,  —  occupe  tout  un  panneau,  —  dans  le  Salon 
d'honneur,  s'il  vous  plaît,  en  face  du  Travail  de  RoU, 
tout  comme  s'il  s'agissait  d'un  tableau  de  valeur.     ; 

Elle  est  flanquée  d'un  côté  du  plafond  de  M.  Jean 
Brunet  destiné  à  l'hôtel-de-ville  de  Poitiers. 

Vous  avez  bien  lu  :  du  plafond.  Et  ce  plafond  est 
appendu  au  mur,  comme  un  tableau  quelconque,  sans 
le  moindre  souci  des  raccourcis  grotesques,"  des  poses 
vraiment  comiques  qui  résultent,  de  cette  exposition 
anormale. 

Oh  !  l'^tmour-propre  des  municipalités  de  province  ! 
Oh  !  la  passion  effrénée  de  la  réclame  qui  pousse 
l'artiste  à  compromettre  pour  elle  le  succès  de  son 
œuvre!  .  ' 

De  l'autre  côté  la,  massive  galopade  de  M.  Fritel 
exhibe  le  monstrueux  défilé  de  ses  chevaux  de  labour 
entraînés,  avec  leurs  cavaliers,  dans  on  ne  sait  quelle 
apothéose  d'hippodrome  à  intentions  patriotiques.  La 
Marseillaise  -^  en  majeur  —  paraît  devoir  être 
l'accompagnement  nécessaire,  la  ritournelle  si  vous 
préférez,  de  cette  composition  emphatique  dont  le  sym- 
bolisme n'exclut  pas  la  banalité. 

Nous  voici  retombés,  avec  MM.  Brunet  et  Fritel,  dans 
la  peinture  française,  et  nous  en  profiterons  pour  exa- 
miner rapidement,  dans  une  dernière  promenade  à  tra- 
vers les  salles,  les  quelques  toiles  dignes  d'attention 
dont  nous  n'avons  pas  eu  l'occasion  de  parler  en  ces 
brèves  études. 

Voici  le  tableau  de  M.  Henry  Lerolle  :  A  Vorgue. 
Il  a  été  défini  d'un  mot  incisif  par  M.  Degas,  qui  est,  en 


même  temps  qu'un  des  plus   merveilleux  artistes  de 
l'époque,  l'esprit  ie  plus  mordant  de  son  temps. 

En  pafîsant  devant  l'oeuvre  en  question,  M.  Degas 
a  dit  simplement  :  «  Tiens!  une  jeune  personne  qui 
chante  dans  la  paroisse  de  Fantin-Latour!  " 

L'imitation  n'exclut  évidemment  pas  le  mérite.  Mais 
ici,  cône  sont  pas  les  qualités  seulement  de  l'auteur  de 
Y  Etude  que  M.  LeroUe  a  jugîé  à  propos  de' s'assimiler. 
Il  a  pris  à  Fantin  et  son  coloris,  et  sa  facture  un  peu 
timide,  et  la  disposition  de  ses  groupes.  Ce  qu'il  n'a  pu 
lui  ravir,  c'est  la  flamme  intérieure  qui  anime  toutes  les 
figures  du  maître  tandis  que,  les  personnages  de  M.  Le- 
rolle  ne  sont  que  des  poupées  de  carton.      '- 

Voici  Lhermitte  et  son  allégorie  le  Vin.  Dessin  serré 
et  savant,  couleur  indécise,  brouillée,  peu  sympathi- 
que. Combien  la  vue  des  superbes  dessins 'de  l'artiste 
repose  des  tons  crus  de  sa  peinture  !  Voici  Dagnan- 
Bouveret  et  ses  deux  Chevaux  à  Vabreuvoir,  évi- 
demment nés  dans  les  haras  de  Bastien-Lepage,  trop 
grands  d'ailleurs,  et  ne  présentant  qu'un  médiocre 
intérêt.  Voici  Duez,  qui  a  caressé  avec  amour,  du 
bout  de  son  pinceau,  un  intérieur  d'atelier  dont  la  somp-« 
tuosité  doit  être  le  rêve  de  toutes  les  femmes  du  monde 
qui  se  salissent  les  doigts  dans  la  peinture  ;  Jules  Breton 
et  ses  paysanneries  d'opéra-comique;  Jules  Dupré  et 
ses  colorations  brutales,  forçant  l'éclat  de  la  nature  ; 
Falguière,  qui  ravage  de  plus  en  plus  les  plates-bandes 

de  Henner;  un  nouveau  venu,  Eugène  Carrière, qui 

expo.se  deux  jolies  toiles,  l'jE'n/an^  tnalade  et  Le  favori, 
simple  accord  de  deux  tons,  le  brun  et  le  blanc. 

\'oici,  pour  finir,  l'armée  des  paysagistes  :  Pointe- 
lin,  qui  excelle  à  exprimer  l'heure  indécise  où  s'al- 
lument les  étoiles  dans  la  splendeur  du  silence  sacré  des 
soirs  ;  Harpignies,  le  styliste  mei^veilleux  dont  la  vision 
est  traversée  par  les  pompes  des  fresques  antiques; 
Pelou.se,  Guillemet,  Petitjean,  Barau,  Bernier,  Binet, 
Nozal,  Dameron,  Damoye,  Yon,  Peraire,  Emile  Bre- 
ton, Camille  Dufour,  Daubigny,  Dubuisson,  qui  per- 
pétuent avec  plus  ou  moins  de  bonheur  les  traditions 
de  l'école;  Casile,  venu  de  Marseille,  qui  a  rapidement 
fait  sa  trouée  à  côté  de  ses  aînés;  Montenard,  fidèle  à 
la  lumière  éblouissante,  à  la  mer  de  cobalt,  aux  ciels 
limpides  et  profonds  du  Midi. 

Dans  la  section  des  gravures,  on  remarquera  les 
belles  lithographies  de  Fantin  :  une  illustration  pour 
les  Troycns  de  Berlioz,  la  scène  des  Filles  du  Rhin 
dans  le  Gôtterddmmerimg,  l'apparition  d'Erda  à 
Wotan,  puis  une  composition  symbolique  destinée  à 
servir  de  frontispice  à  une  nouvelle  série  que  prépare 
le  maître  et  qui  unira  dans  un  cycle  les  musiciens  qui 
répondent  le  mieux  à  l'idée  moderne  :  Schumann, 
Berlioz,  Wagner,  Brahms.  Puis  encore  les  eaux- 
fortes  de  Waltner,  Delaunce,  Redon,  sans  oublier  les 
belles  gravures  de  notre  compatriote  Danse  d'après  le 


Titien,  Memling  et  Wauters;  les  portraits  à  la  pointe 
sèche  de  Louis  Lenain,  et  les  deux  paysages,  malheu- 
reusement assez  mal  placés,  de  Storm  de  Gravesande. 

Quant  à  la  sculpture,  elle  est  cette  année  particuliè- 
rement médiocre.  On  a  vanté  le  groupe  de  Jules 
Dalou,  et  peut-être  a-t-ôn  fait  trop  de  bruit  autour 
d'une  œuvre  estimable,  sans  doute,  qui  niera  le  talent 
de  l'artiste?  mais  qui  ne  donnera,  somme  toute,  point 
de  gloire  nouvelle  à  l'auteur  du  bas-relief  de  Danton. 
On  peut  reprocher,  avec  quelque  vraisemblance,  au 
jeune  maître  de  s'être  inspiré  trop  directement  de  Jor- 
daens,  dont  le  Triomphe  de  Silène  paraît  être  la 
transposition  en  plâtre.  L'exécution  trahit  une  cer- 
taine hâte  d'exécution;  quelques  morceaux  ne  parais- 
sent pas  accordés  exactement  avec  d'autres  ;  la  plupart 
manquent  d'âpreté.  Bref,  l'ensemblg  ne  satisfait  pas 
entièrement.  Le  Tombeau  de  Blanqui,  du  même 
auteur,  plaît  davantage  par  la  simplicité  du  travail  et 
la  conception  vraiment  grande  du  sujet. 

On  a  vanté  aussi  le  Souvenir  d'Antonin  Mercié,  qui 
ne  nous  semble  pas  dépasser  une  «loyenne  ordinaire. 
L'œuvre  est  à  la  portée  de  bon  nombre  de  sculpteurs 
italiens,  aptes  à  simuler  dans  le  marbre  des  voiles  trans- 
parents ou  des  vêtements  flottants,  à  modeler  des 
colombes  emblématiques,  et  le  Campo-Santo  de  Pise 
recèle  des  monuments  qui  ne  paraîtraient  nullement 
déplacés  à  côté  de  la  femme  éplorée  de  M.  Mercié, 

''Quant  à  M.  Falguière,  il  s'est  borné  à  exposer,  eii 

bronze,  la  Nymphe  chasseresse  qui  avait  figuré,  sous 
les  espèces  du  plâtre,  aujprécédent  Salon  et  dont  nous 
noussommes  occupésen  son  temps.  . 

On  n'attend  pas  de  nous  que  nous  passions  en  revue 
les  mille  soixante-cinq  bronzes,  plâtres,  marbres  et 
cires  qui  se  prélassent  sous  la  toiture  vitrée  du  Jardin 
de  l'industrie.  Ce  serait  d'ailleurs  besogne  fastidieuse. 
A  part  le  superbe  buste  d'Antonin  Proust  par  Rodin, 
à  part  un  bronze  mal  construit  mais  d'un  sentiment 
raffiné  dû  à  M""'  Cazin,  à  part  quelques  rares  œuvres 
dignes  de  remarque,  parmi  lesquelles  le  groupe  de 
M.  Croisy  destiné  à  glorifier  le  général  Chanzy  et 
l'armée  de  la  Loire,  il  n'y  a  vraiment  qu'un  ensemble 
de  productions  médiocres,  banales  ou  ridicules.  Et 
parmi  nos  compatriotes  M.  Charlier  est  le  seul  qui  se 
4    tire  honnêtement  d'aftaire. 

Ne  terminons  pas  cet  examen  sans  signaler,  parmi 
les  médaillés,  le  superbe  envoi  de  M.  Roty,  un 
artiste  vraiment  distingué,  consciencieux  et  passé 
maître  dans  son  art.  Avec  le  sens  subtil  de  la  décora- 
tion, de  la  disposition  ingénieuse  des  accessoires,  de  la 
combinaison  des  inscriptions,  il  a,  en  outre,  la  science 
des  grands  médailleurs  de  la  Renaissance.  Pour  la  pre- 
mière fois,  on  a  accordé  à  la  section  généralement  un 
peu  effacée  des  graveurs  sur  médailles,  une  médaille 
de  première  classe,  et  c'est  M.  Roty  qui  l'a  obtenue. 


192 


UART  MODERNE 


Semblable  récompense  a  peu  dé  prix  à  nos  yeux,  on  le 
sait.  Mais  nous  sommes  néanmoins  heureux  pour  l'ar- 
tiste que  son  mérite  rare  ait  été  reconnu  par  ses  pairs. 
Et  c'est  par  cet  éloge  sérieux  d'un  graveur  vraiment 
supérieur  à  la  situation  modeste  qu'il  occupe,  que  nous 
clôturons  la. série,  peu  louangeuse  en  général,  de  nos 
études  sur  le  Salon  de  1885. 


Ja',yOMM/QE  A  JiI?^T 


Anvers  a  fêlé  par  l'exéculion  de  quelques-unes  des  œuvres 
symphoniques  du  maître  la  visite  de  Liszt  à  l'Exposition  univer- 
selle. 

Franz  Servais,  qui  dirigeait  le  brillant  orchestre  des  Concerts 
populaires,  transporté  tout  entier  à  Anvers,  chefs  de  pupitres  et 
comparses,  avait  fiiit  un  choix  judicieux  des  compositions  les 
plus  remarquables  de  l'illustre  artiste.  Aux  inspirations  mysti- 
ques du  Christ  succédaient  les  envolées  des  Poèmes  sympfw- 
niques^  où  souffle  en  tempête  le  vent  des  combats,  que  le  cri  du 
clairon,  le  heurt  des  sabres,  le  choc  des  armures  emplissent  de 
leurs  sonorités. 

ut  Liszt  est  dans  ces  deux  termes  :  religiosité  tempérée  par 
la  mondanité  des  prélats  itah'ens,  aspirations  chevaleresques 
touchant  parfois  au  théâtral. 

Le  symbole  de  son  art,  c'est  la  figure  de  ces  moines-soldats 
d'autrefois  qui,  leurs  dévotions  terminées,  ceignaient  le  glaive 
et  montaient  à  cheval,  redoutables  sur  les  champs  de  bataille 
comme  ils  avaient  été  recueillis  dans  l'oraison. 

La  musiq'ic  de  Liszt  évoque  des  cortèges  pompeux  couronnés 
de  panaches  et  d'aigrettçs,  d'oriflammes  claquant  au  vent.  Dans 
sa  jeunesse,  le  virtuose  se  présentait  sur  l'estrade  en  bas  de  soie 
et  culotte  courte,  l'épée  au  côté  et  le  claque  à  la  main.  C'était 
l'époque  où,  très  naïvement,  on  ne  comprenait  l'art  qu'accom- 
pagné d'une  pointe  de  charlatanisme.  Tout  comme  pour  vendre 
des  crayons  on  se  croyait  tenu  de  coiffer  un  casque  et  de  chaus- 
ser des  bottes  à  l'écuvère. 

De  là  sont  nés  les  cheveux  longs,  les  sombreros  et  les  gilets 
écarlales. 

Les  vestiaires  romantiques  recèlent  ces  défroques.  Mais  bon 
nombre  d'artistes  du  temps  ont  laissé  dans  leurs  vers,  dans  leurs 
toiles,  dans  leur  musique,  des  traces  de  ces  modes  oubliées. 

L'épée  que  portait  Liszt  dans  les  concerts,  et  le  claque  légen- 
daire apparaissent  en  maint  endroit  de  ses  œuvres. 

Ce  qui  n'empêche  pas  celles-ci  d'être  vibrantes,  d'une  belle 
allure,  traversées  d'héroïsme  et  d'enthousiasme. 

Le  Tasse,  c'est,  en  une  phrase  triste  et  lente,  le  récit  des 
tourments  du  Poète,  la  pauvreté  de  Mantoue,  la  captivité  de 
Ferrare,  terminée,  dans  une  explosion  de  fanfares,  par  l'apo- 
théose des  funérailles  faites  au  Capitole  par  toute  la  population 
romaine. 

Dans  Orphée,  \cs  arpèges  des  harpes,  soutenus  par  les  harmo- 
nies célestes  des  flûtes  et  des  hautbois,  domptent  la  furie  de 
l'orchestre  qui  gronde,  et  clame,  et  hurle  des  accords  rauques 
jusqu'à  ce  que,  graduellement,  s'éteigne  l'aboiement  des  contre- 
basses, des  bassons  et  des  tubas  dans  la  mélodie  douce  du 
chantre  divin. 

Une  galopade  d'étalons,  Mazeppa  emporté  à  travers  les  roches 


et  les  buissons  de  ronces,  l'épouvanle,  la  douleur,  l'horrour  du 
sîteet  de  la  siîuatron  jointe  aux  tourments  de  l'âme,  -^  tel  est 
le  troisième  des  poèmes  qu'a  fait  entendre  Franz  Servais. 

Et  comme  antithèse  à  ces  peintures  largement  décoratives,  les 
Bergers  devant  la  crèche,  V Adoration  des  Rois  Mages,  le  prélude 
de  Sainte- Elisabeth,  trois  tableaux  réfléchis  cl  calmes,  reflétant 
dansJa  sérénité  de  leurs  contours  tranquilles  la  foi,  la  piété,  la 
tendresse. 

De  toutes  ces  œuvres,  YAdoratùm  des  Rois  Mages  est  peut- 
être  la  plus  belle.  La  marche  des  rois  à  la  recherche  du  chemin 
de  Bethléem,  l'apparition  subite  de  l'étoile,  l'arrivée  devant  la 
crèche,  sont  magistralement  décrites. 

Mais  ici  encore  se  glisse  on  ne  sait  quel  ressouvenir  de  théâtre, 
de  costumes,  de  magnificences  inventées  par  la  hiérarchie  des 
Lapissida.  Ah!  cher  maîlre,  dans  cette  religion  dont  vous  vous 
êtes  plu  à  chanter  les  gloires,  ne  sont-ce  pas  les  pompes  du  culte 
qui  ont  seules  séduit  votre  œil  d'artiste?  El  le  scepticisme 
n'a-l-il  pas  marqué  de  sa  griffe  ces  méditations  par  lesquelles 
vous  avez  traduit,  en  langue  chrétienne,  vos  pensées  poétiques? 

Une  fête  de  ce  genre  devait  réserver  une  place  à  la  virtuosité. 
Celui  qui  fut  le  plus  merveilleux  pianiste  du  siècle  a  écrit  pour  le 
piano  des  œuvres  qui  resteront  :  le  concerto  en  la,  que  M™^  Falk- 
Mehlig  a  interprêté  avec  beaucoup  de  talent,  est  du  nombre.  Il  a 
fait  planer  au  dessus  de  Liszt  compositeur  la  mémoire  de  Liszt 
virtuose,  mêlant  dans  une  même  apothéose  le  passé  et  le  présent. 

Et  le  rythme  triomphal  de  la  marche  de  Rakoçsy,  l'hymne 
guerrier  que  le  maître  a  superbement  transcrit,  a  couronné 
l'enfant  de  Hongrie  du  souvenir  de  la  terre  natale,  tandis  que  les 
acclamations  de  la  foule  lui  donnaient  l'assurance  qu'il  avait 
conquis,  à  côté  de  sa  patrie  d'origine,  la  grande  patrie  de 
l'humanilc. 


~'   LE  PAYSAGE  URBAIN 

Les  réflexions  suivantes  du  Journal  de  Brtixelles,  auxquelles 
nous  nous  rallions,  trouvent  tout  naturellement  leur  place  dans 
VArt  moderne,  qui  a  si  souvent  fait  campagne  en  faveur  du 
Paysage  urbain  : 

Le  panorama  de  Bruxelles  dont  on  jouit  du  péristyle  du  Palais 
de  justice  est  un  des  plus  beaux  qu'on  puisse  voir  :  le  faubourg 
de  Molenbeek,  les  plateaux  de  Kookolbergh,  Laeken,  se  déve- 
loppent comme  un  immense  amphithéâtre  sur  lequel  se  détachent 
en  profil  la  flèche  de  l'Hôtel  de  Ville,  la  lour  de  l'église  des  Mi- 
nimes., le  pittoresque  campanile  de  l'église  de  la  Chapelle  et  un 
grand  nombre  de  clochetons  brisant  la  ligne  droite,  émergeant 
des  brouillards  du  bas  de  la  ville,  accrochant  la  lumière,  formant 
l'ensemble  le  mieux  fait  pour  séduire  un  artiste.  Comme  fond 
de  décor,  le  parc  de  Laeken,  aux  masses  sombres  en  hiver,  ver- 
doyantes en  été,  sur  lesquelles  tranchent  en  tons  clairs  l'église  de 
Laeken  et  le  monument  de Léopold  I".  Rien  de  plus  joyeux  par 
un  rayon  de  soleil,  de  plus  grandiose  quand  le  ciel  est  sombre. 

Les  aspects  capricieux  ev  heurtés  de  ce  paysage  font  un  con- 
traste saisissant  avec  les  majestueuses  colonnes,  les  grandes 
lignes  du  Palais  de  Justice  qui  lui  font  un  encadrement  merveil- 
leux. Aussi  le  spectacle  dont  on  jouil  sous  le  portique  de  la  rue 
de  la  Régence  est-il  peut-être  supérieur  à  celui  qu'on  peut  admi- 
rerdu  haut  du  grand  escalier  extérieur.  Nous  signalons  ce  point 
de  vue  aux  dessinateurs.  Il  y  a  là  un  sujet  magnifique  à  traiter 
pour  un  journal  illustré. 


LART  MODERNE 


193 


Or,  à  voir  les  palissades  qui  délimitent  actuellement  la  place 
Poelaert,  il  estàxraindreque  ce  magnifique  point  de  vue  ne  soit 
détruit  par  les  couslructions  à  élever  sur  les  terrains  vagues. 
Dans  ce  cas,  les  artistes,  les  amateurs  du  paysage  urbain  feraient 
bien  de  se  dépécher  pour  contempler  une  dernière  fois  le  splen- 
dide  horizon  que  les  maisons  vont  cacher. 

Mais  nous  espérons  bien  que  la  ville  de  Bruxelles,  qui  est  à 
bon  droit  soucieuse  de  ses  intérêts  artistiques,  veillera  à  con- 
server le  panorama  de  la  place  Poelaert,  comme  elle  a  conservé 
celui  de  la  rue  de  la  Régence,  à  côté  du  Palais  des  Beaux-Arts, 
et  celui  de  la  place  du  Congrès.  Il  suffilpour  cela  de  fixer  la  limite 
des  terrains  à  bûlir  au  niveau  de  l'hôpital  militaire,  de  manière 
que  la  lourde  l'église  des  Minimes  reste  visible  du  péristyle  du 
Palais  de  Justice,  il  sera  nécessaire  aussi,  pour  les  constructions 
à  élever  plus  tard  au  premier  plan  de  la  rue  des  Minimes,  d'im- 
poser une  servitude  altius  non  tollendi.  ) 

Nous  espérons  bien  que  l'altenlion  des  architectes  officiels  de 
la  ville  sera  attirée  sur  ce  point  et  qu'ils  veilleront  à  conserver  à 
Bruxelles  un  de  ses  plus  beaux  aspects. 


Ja'^RT    INDU^TI^IZL 


Monsieur  lk  Directeur, 

Après  avoir  relu  le  remarquable  discours  de  M.  Slingeneyer,  il 
m'a  paru  que  la  question  si  importante  de  l'Art  industriel  n'avait  pas 
été  posée  sur  son  véritable  terrain. 

Il  y  aurait,  me  semble-t-il,  a  en  faire  l'historique,  qui  peut  se  résu- 
mer en  quelques  mots. 

Nous  connaissons  la  valeur  de  l'Art  industriel  du  moyen-âge,  nous 
l'admirons  dans  les  moindres  objets,  dans  les  plus  infimes  ustensiles. 
Nos  collectionneurs  se  les  procurent  à  prix  d'or,  et  nos  industries  de 
luxe  s'efforcent  (fort  maladroitement  souvent)  de  copier  les  types 
splendides  qui  nous  restent. 

On  sent  dans  chacun  de  ces  objets  l'expression  complète  d'une 
époque,  et  aussi  ce  quelque  chose  d'original,  de  personnel,  qui  est 
l'expression  artistique  d'une  individualité. 

Cet  art  s'est  perpétué  durant  sept  siècles,  toujours  varié,  original 
et  puissant,  quintessenciant  chaque  siècle,  s'adaptant  aux  mœurs, 
aux  nécessités  :  nous  le  voyons  passer  par  les  différents  gothiques, 
par  la  Renaissance,  le  Louis  XIII,  le  Louis  XIV,  le  Louis  XV  et  le 
Louis  XVI. 

Puis  brusquement  il  disparaît. 

Pourquoi  ?  \ 

L'histoire  répond  à  cette  question. 

La  Révolution  française,  renversant  toutes  les  institutions  d'au- 
trefois, bonnes  et  mauvaises,  supprime  les  Guildes. 

Plus  d'apprenti,  ni  de  maître;  tous  ouvriers  et  égaux;  plus  de 
contrainte,  chacun  libre  d'exercer  son  métier  à  sa  guise. 

Mais  dès  lors,  plus  d'écoles  non  plus,  plus  d'initiation,  partant 
plus,  de  garantie  d'exécution  parfaite,  ni  de  perfectionnement  :  la 
chaîne  est  rompue  —  et  nous  voyons  maintenant  où  sont  tombés  les 
arts  industriels,  et  les  métiers  eux-mêmes. 

Après  1789,  l'on  peut  dire  que  le  goût  disparaît,  et  du  mobilier,  et 
de  la  construction,  et  en  général  de  toutes  les  industries  où  il  âoris- 
sait  autrefois. 

De  cette  période  de  1789  jusqu'à  nos  jours,  il  ne  restera  rien,  rien 
d'original,  presque  pas  de  copies  convenables,  certes  pas  une  pièce 
digne  d'être  conservée  pour  l'éducation  artistique  de  nos  descen- 
dants. 

L'on  a  détruit  l'apprentissage,  et  Ton  n'a  rien  mis  à  la  place.  Voilà 


bientôt  un  siècle  que  cette  lacune  existe  :  un  Biècle,,  le  seul  qui  ne 
possède  pas  de  style  propre. 

Et  en  ce  moment  où  partout  renaît  le  luxe,  où  les  mœurs  affinées 
réclament  l'objet  artistique  et  de  bon  goût,  la  France  seule,  instinc- 
tivement pour  ainsi  dire,  et  grâce  à  ses  musées  si  intelligemment 
créés,  et  chaque  jour  augmentés  de  nouvelles  richesses',  a  su  se 
préoccuper  de  l'éducation  de  ses  artisans. 

Elle  a  monopolisé  longtemps  la  production  de  l'objet  de  luxe;  elle 
a  l'étiré  des  millions  rien  que  des  droits  d'exportation. 

Aujourd'hiii  elle  craint  des  concurrents  redoutables:  l'Allemagne, 
qui  s'efforce  de  créer  des  types  originaux  et  dont  on  a  pu  admirer  le 
sens  artistique  à  la  dernière  exposition  dart  industriel  de  Dussel- 
dorf,  et  l'Angleterre,  qui,  malgré  l'esprit  vraiment  réfractaire  de 
son  peuple  aux  choses  de  l'art,  a  créé  son  splendide  Kensington 
Muséum,  et  consacre  des  millions  à  inculquer  le  goût  du  beau  à  ses 
artisans  et  à  ses  artistes.  «. 

Et  nous,  Belges,  au  milieu  de  ce  mouvement,  nous  nous  isolons! 
Rien  ne  se  fait.  Nos  voisins  marchent  de  l'avant,  et  nous  fermons 
les  yeux  pour  ne  pas  voir  :  le  système  de  l'autruche.  —  toujours. 

Nous  avons  eu.au  moyen-âge  un  art  industriel  national  d'une  vita- 
lité excessive,  d'une-originalité  réelle,  et  nous  en  arrivons  a  faire... 
des  meubles  de  Malines  !  .  - 

Des  écoles  industrielles  devraient  se  créer  partout,  avec  des  pro- 
fesseurs compétents,  et  certes  les  bourses  qu'on  accorderait  ne  le 
seraient  pas  en  pure  perte,  comme  cela  arrive  trop  souvent  pour  les 
élèves  de  nos  académies.  Enfin,  il  faudrait  réunir  peu  à  peu  dans 
des  musées  des  types  parfaits  de  toutes  les  époques  —  car,  hélas  I 
tout  est  à  créer. 

Et  l'on  peut  ajouter  que  ce  serait  là  une  mesure  sainement  démo- 
cratique. 

Comme  vous  accueillez  toujours  toute  idée  pratique,  utile  et  pro- 
gressiste, je  me  permets  de  vous  présenter  celle  ci,  espérant  que  si 
vous  la  jugez  capable  d^intéresser  les  hommes  compétents,  vous  lui 
accorderez  votre  bienveillant  appui. 

Veuillez  agréez,  Monsieur  de  Directeur,  l'assurance  de  ma  par- 
faite considération. 

.  Léon  Abry. 

Nous  rappelons  à  notre  correspondant,  dont  les  observations 
sont  parfaitement  ju/tes,  que  nous  avons  fait  campagne,  à  di- 
verses reprises,  en  faveur  des  idées  qu'il  préconise,  et  notamment 
dans  deux  études  sur  l'art  décoratif  publiées  en  août  1883. 
Nous  y  réclamions  instamment  la  création  d'une  école  et  d'un 
musée  d'art  industriel.— Voy.  VArt  moderne  i%^2> ,  pp.  245,253. 
Voy.  aussi  id.  p.  280. 


JJXPO^ITION   DE  Î^OTTZRDAM 

On  nous  écrit  de  cette  ville  : 

Le  Salon  triennal,  ouvert  depuis  le  2  juin,  est,  comme  la  plu- 
part de  ses  semblables,  un  mélange  hétérogène  de  quelques  très 
belles  toiles  et  d'une  quantité  de  choses  au  dessous  de  toute 
critique. 

J.  Maris  y  brille  au  premier  rang,  avec  une  de  ses  plus  belles 
œuvres,  un  port  éclairé  par  le  soleil  couchant.  Les  tons  soni 
chauds,  cuivrés,  et  le  tableau  est  d'une  grandeur  de  conception 
merveilleuse.  Mieux  encore  qu'à  Anvers,  Maris  s'y  montre  l'ar- 
tiste de  génie  qui  unit  à  l'emportement  d'un  Shakespeare  les 
inégalités  de  tous  les  vrais  peintres.  Après  lui  viennent  Israëls, 
dont  la  Pêcheuse  assise  sur  la  plage  est  d'une  tonalité  grise, 
distinguée;  Blommers,  avec  des  enfants  jouant  dans  une  mare 
ensoleillée;  W.  Maris,  avec  une  petite  loile  scintillante  et  fine. 


Mcsdag  a  envoyé  de  belles  marines,  fraîchement  peintes,  et 
justes  d'impression;  Mauve,  des  vaches  et  des  mouloiis,  dans  la 
gamme  (pi'on  lui  connaît,  pleine  de  sentiment;  De  Bock,  un  Spii\ 
grandement  compris,  d'une  belle  allure;  Neuhuys,  des  scènes 
rustiques  d'une  couleur  savoureuse. 

Terme'ulcn,  Artz,  Gabriel,  Backhuysen,  Tony  Offermans, 
Wysinuller,  Zilcken,  Du  Chatte!,  Tholen,  Poggenbeek,  Van  Esscn, 
Slorm,  sont  plus  o.u  moins  bien  représentés.  Les  Oyens  ont 
chacun  une  petite  toile  excellente. 

Signalons  encore  une  couple  d'envois  intéressants  de  jeunes  : 
de  W.  Witsen,  un  Laboureur  au  repos^  toile  assez  considérable, 
d'une  sincérité  remarqual)ie  dans  sa  tonalité  fine,  et  de  M'"*^  Wally 
Moos  des  Gamins  jouant  par  terre,  tableau  où  par  endroits  se 
révèle  un  réel  talent  de  peintre,  rare  à  un  tel  degré  chez  une 
femme. 

En  résumé,  rien  de  nouveau,  aucune  révélation.  Les  maîtres 
se  maintiennent  à  la  hauteur  de  leur  réputation,  et  leurs  imita- 
teurs sont  nombreux.  Une  moyenne  ordinaire..  Il  est  vrai  que 
\'?s  plus  intransigeants  des  jeunes.  Van  der  Maarel,  Breilner  et 
do  Zwart,  n'ont  rien  exposé,  et  qu'en  revanche  une  quantité 
trop  considérable  de  toiles  désespérantes  se  pavanent  à  la  rampe, 
taudis  que  plusieurs  des  meilleures  sont  placées  si  haut  qu'on 
ne  peut  guère  les  bien  voir. 


.  CHRONIQUE  MUSICALE  DE  PARIS 

La  nouveauté  de  la  semaine  dernière  a  été,  à  rOpéra-Comique,  la 
reprise  de  :  le  Roi  l'a  dit  de  Gondiuet  et  Delibes. 

Tous  les  ans,  à  pareille  époque,  la  direction  de  l'Opéra-Comique 
ajout*'  un  ouvrage  à  son  répertoire.  H  y  a  deux  ans,  on  reprenai 
lu  Perle  du  Brésil  :  l'année  dernière  on  nous  servait  trois  ouvrages 
en  un  acte,  dont  pas  un  seul  n'a  reparu,  pas  même  l'Enclume  de 
Pfeiffer  ;  cette  année  nous  assistons  à  la  reprise  du  Boi  l'a  dit. 

Il  ne  faut  pas  se  faire  d'illusions  sur  ces  solennités  tropicales  qui 
n'eut  qu'un  but  :  redonner  un  certain  lustre  au  répertoire  cou- 
rant pour  mieux  défier  la  canicule  et  permettre  à  la  salle- Favart 
df  bien  se  comporter  jusqu'à  la  fermeture,  qui  a  lieu  fin  juin.  Le  plan 
est  bon,  mais  il  échoue  généralement  par  la  faute  des  trente-cinq 
degrés  de  chaleur  qu'aucun  spectateur  ne  se  sent  disposé  à  braver. 

Donné  eu  1873,  l'ouvrage  n'eut  pas  un  grand  retentissement;  il 
sombra  devant  ririditïérence  inexplicable  du  public  qui, en  général, 
ne  reconnaît  de  mérite  qu'aux  auteurs  consacrés  :  or,  depuis  cette 
époque,  le  nom  de  Delibes  ayant  grandi  sous  l'égide  de  Jean  de 
I^'iveiles  et  de  Lahné,  la  sympathie  est  venue  et  /*  Roi  l'a  dit  en  a 
tout  naturellement  bénéficié.  C'est  l'opéra- comique  dans  son  accep- 
tion la  plus  vraie,  perfection  du  genre  par  l'union  étroite  et  l'équi- 
libre parfait  du  poème  et  de  la  musique. 

La  donnée  de  la  pièce  est  drôle  et  M.  Gondinet  en  a  tiré  tout  le 
parti  désirable. 

C'est  l'histoire  d'un  brave  homme  de  marquis,  solennel  mais  pas 
fort,  qui,  dans  une  présentation  à  Louis  XiV  à  perdu  contenance, 
répondant  oui  à  toutes  les  questions  du  monarque  et  «'affirmant  ainsi 
père  d'un  fils  qu'il  n'a  jamais  eu.  Pour  ne  pas  être  soupçonné  d'avoir 
menti,  notre  marquis  invente  un  fils  en  la  personne  de  Benoît,  sim])le 
paysan  que  l'on  crée  grand  seigneur.  Benoit  commet  fautes  sur 
fautes,  se  bat  en  duel  et  passe  pour  mort  :  le  roi  Soleil  ayant  envoyé 
ses  condoléances  au  marquis,  celui-ci  eu  profite  pour  se  débarrasser 
de  Benoît  et  pour  le  renvoyer  à  sa  basse-cour,  la  seule  cour  où  il 
soit  dans  son  élément. 

On  le  voit,  c'est  léger,  mais  amusant  :  il  en  est  de  même  de  la 
musique,  qui  dit  juste  ce  qu'il  faut  et  n'a  pas  la  prétention  de  mar- 


quer  une  époque,  Mais  quelle  heureuse  facilité,  quelle  grâce  aimable 
dans  les  contours  et  quel  épanouissement  dans  ces  "trois  actes  qui 
constituent  le  plus  charmant  badinage  musical  qui  soit  au  théâtre. 

Il  y  a  une  délicatesse  d'écriture  harmonique  et  d'orchestration 
qui  ii'avait  pas  échappé  aux  critiques  musiciens  lors  du  début. 
Mais  le  public  n'avait  pas  ratifié.  Aussi  va-t-il  réparer  son  erreur  et 
tout  sera  oublié.  Malheureusement  :  Sctnpta  manent  et  quelques 
Scripta  vont  outrageusement  jurer  avec  l'évolution  accomplie.  — 
En  vain,  par  exemple  cherchera-t-on  la  cause  de  l'exécution  som- 
maire que  s'est  permise  feu  Clément  dans  son  dictionnaire  de  la 
musique  sur  le  Roi  l'a  dit,  article  où  l'écrivain  part  d'un  point  de 
vue  faui  pour  condamner  tout  l'ouvrage  :  «  La  donnée  est  fausse 
dit-il,  et  la  musique  manque  d'inspiration;  rien  ne  restera  !  »...  que  le 
jugement  prononcé  par  feu  Clément  dans  son  immortel  dictionnaire. 
Quel  parti  ppjs!  Quelle  étroitesse  de  vue  d'un  homme  qui  croyait 
voir  juste  parce  qu'il  éreintait  tout  ce  qui  ne  touchait  pas  au 
sublime  en  général  et  à  la  musique  sacrée  en  particulier!  Mais  il  y  a 
des  chefs-d'œuvre  dans  tous  les  genres  ;  l'éducation  des  critiques 
doit  exister  dans  tous  les  niveaux  et  ce  n'est  pas  être  supérieur  que 
d'ignorer  le  spirituel  et  le  comique. 

Rien  à  dire  de  la  soirée  d'adieu  de  Mme  Carvalho,  dont  le  pro- 
gramme était  composé  à  l'usage  exclusif  de  nos  mondains. 

Salle  splendide,  recette  idem  —  bravos,  acclamations,  fleurs, 
baisers  au  public,  larmes  dans  la  voix,  rien  n'y  manquait. 

GUTELLO. 


J.1VRE3   J^OUVEAUX 


L'Œuvre  complète  de  Victor  Hugo.  —  Extraits.  —  Edition 
du  Monument.  Un  volume  de  252  pages,  avec  portrait  et  auto- 
graphe. Prix  :  1  franc.  (100  exemplaires  sur  Japon,  numérotés, 
10  francs.)  Heïzel-Quantin,  éditeurs.  Paris. 

Pour  la  première  fois  paraît  un  volume  qui  réunit  dans  chacun 
des  ouvrages  de  Victor  Hugo  des  pîiges  formant  une  sorte  de 
mémento  de  tous  ses  chefs-d'œuvre. 

Les  éditeurs  de  l'Edition  définitive  ne  varietur  appellent  ce 
livre  fait  de  tous  les  livres  du  grand  poète  Edition  du  Monu- 
ment, la  famille  ayant  voulu  que  le  produit  de  celte  publication 
fût  entièrement  affecté  î)  la  souscription  pour  le  monument  que 
la  France  va  élever  à  Victor  Hugo. 


•Chronique  JUDICIAIRE  de?  y^RTS 

Nous  avons  fait  connaître  le  procès  intenté  par  M.  David-Chas- 
sagnoUe,  petit-fils  du  peintre  Louis  David,  à  M.  le  marquis  de  Mor- 
teraart,  président  de  la  Société  philanthropique,  sous  les  auspices 
de  laquelle  était  organisée  l'exposition  des  Portraits  du  siècle,  et 
contre  M.  Terme,  propriétaire  du  tableau  de  David  :  Marat  dans 
sa  baignoire  qui  a  figuré  à  cette  exposition.  La  même  affaire  est 
revenue  le  6  juin  et  sous  une  autre  forme  devant  M.  le  président 
des  référés. 

M.  David-Chassagnolle  a  exposé  qu'il  y  avait  une  instance  pen- 
dante au  principal,  tendant  à  faire  déclarer  que  le  portrait  appar- 
tenant à  M.  Terme  n'était  qu'une  copie  de  l'original  qui,  dit-il,  est 
entre  ses  mains  à  lui,  David  ;  que  l'exposition  fermant  ses  portes  et 
les  tableaux  devant  retourner  chez  leurs  propriétaires,  il  était  à 
craindre  que  le  tableau  en  litige  ne  soit  plus  à  la  disposition  du 
t.tibunal.  Il  demandait  en  conséquence  la  nomination  d'un  séquestre 
chargé  de  détenir  le  tableau  jusqu'à  l'issue  du  procès. 

M.   le  comte  de   Mortemart  a  soutenu  que  comme  il  n'y  avait 


(o 


litige  entre  les  parties  ni  sur  hi  possession,  ni  sur  la  question  de 
propriété,  la  mesure  demandée  ne  saurait  être  accordée. 

En  cet  état,  M.  le  président  a  décidé  qu'il  n'y  avait  lieu  à  référé. 


Théâtre  de  la  Monnaie.  —  Outre  Les  Templiers,  de  Litoiff  et 
Gwendoline,  de  Chabrier  et  Catulle  Mendès,  M.  Verdhurt .montera 
vraisemblablement  à  la  Monnaie  La  fille  de  Saul,  opéra  de  notre 
compatriote  Félix  Godefroid,  dont  les  auditions  à  Paris  ont  eu  grand 
succès. 

Il  est  également  question  de  Calendal,  opéra  de  MM.  Paul  Ferrier 
et  Maréchal.  -■ 

Voici  la  distribution  des  Templiers  : 

Isabelle,  M^e  Montalba  ;  Marie  de  Simians,  M'^»  Wolff ;  René  de 
Marigny,  M.  Dereims;  Jacques  de  Molay,  M.  Bérardiji  Philippe  le 
Bel,  M.  Dubulle;  Enguerrand,  M.  Renaud;  Ghàtillon,  M.  Dela- 
querrière;  le  Légat,  M.  Séguier. 

Théâtre  Molière.  —  On  annonce  pour  le  mercredi  24  juin  une 
seule  représentation  extraordinaire,  par  la  troupe  du  théâtre  de  la 
Renaissance  de  Paris,  d'un  des  plus  grands  succès  à  Paris  de  l'année 
théâtrale  :  la  Parisienne,  comédie  en  trois  actes. 

Les  interprètes  seront  les  créateurs  mêmes  des  différents  rôles  ; 
nous  y  voyons  figurer  M''«  Antoniny,  de  l'Odéon,  de  laquelle  la  presse 
parisienne  a  fait  un  si  grand  éloge. 

Un  vaudeville  en  un  acte,  les  Toquades  des  Martinon  ;  Vn  Début, 
comédie  en  un  acte,  et  différents  monologues  et  poésies  compléte- 
ront cette  charmante  soirée. 

Alhambra.  —  La  polka  dansée  au  troisième  acte  des  Pommes 
rf'0>*,  y  restera  intercalée. 

Les  enfants  paient  demi-place. 

Deux  personnes  prenant  leurs  billets  ont  droit  à  l'entrée  gratuite 
d'un  enfant.  ' 

Lundi  15  juin,  représentation  au  bénéfice  de  M"«  Weyns,  première 
chanteuse. 

Le  Théâtre  royal  d'Anvers  donnera  lundi  la  première  représen- 
tation du  ballet  :  Excelsior  exécuté  par  quatre  cent  cinquante  per- 
sonnes. 

C'est  la  troupe  du  théâtre  Victoria  de  Berlin  qui  donnera  ce  ballet 
fantastique,  augmenté  d'un  texte  français  traduit  de  l'allemand. 

La  représentation  sera  terminée  avant-  le  départ  des  derniers 
trains  d'Anvers.      \       '     . 


MEMENTO  DES  EXPOSITIONS  ET  CONCOURS 

Budapest.  —  Ouverture  le  1"  juin.  Fermeture  le  30  septembre, 
En  deux  séries.  Délais  d'envoi  :  l""*  série,  expirés.  2«  série,  25  juillet. 
Transport  aller  et  retour  (petite  vitesse)  aux  frais  de  la  Société  hon, 
groise  des  Beaux-Arts.  Dépôt  à  Bruxelles,  chez  M.  Mommen, 
25,  rue  de  la  Charité  ;  à  Anvers,  chez  M.  Claessens,  12,  place  du 
Poids  public.  —  Secrétariat  :  Sugarut,  81,  Budapest. 

Nuremberg.  —  Exposition  internationale  d'orfèvrerie,  de  joaille- 
rie, de  bronzes,  etc.  Du  15  juin  au  30  septembre  1885. 


vSpa.  —  Ouverture.:  12  juillet.  Fermeture  :  fin  septembre.  Délai 
d'envoi  :  30  juin.  Écrire  à  la  Commission  directrice  avant  le  25. 

Bruxelles. — Vingt-cinquième  concours  de  composition  musicaie. 
Ouverture  le  20  juillet  1885. 

Inscriptions  au  ministère  de  l'agriculture,  de  l'industrie  et  des 
travaux  publics  jusqu'au  11  juillet,  à  4  heures  Les  concurrents  qui 
n'habitent  pas  Bruxelles  peuvent  adresser  par  écrit  leur  demande 
d'inscription  ;  à  cet  etlét,  ils  déposeront,  avant  le  7  juillet,  leur  lettre 
avec  les  pièces  à  l'appui,  entre  les  mains  de  l'administration  com- 
munale de  leur  localité,  qui  la  transmettra  immédiatement  audit 
ministère. 

Les  aspirants  sont  tenus  de  justifier  de  leur  qualité  de  Belge  et  de 
prouver  qu'ils  n'auront  pas  atteint  l'âge  de  30  ans  au  20  juillet. 

Prix  du  Roi.  —  Concours  de  4886,  1887  et  i88S.  —  Un  arrêté 
royal  du  20  avril  courant  porte  que  le  prix  à  décerner  en  1886  (con- 
cours exclusivement  belge)  sera  attribué  à  l'ouvrage  le  mieux  conçu 


pour  développer  chez  la  jeunesse  belge  l'intelligence  et  le  goût  des 
littératures  ajiciennes  et  mode-  nés. 

Le  prix  à  décerner  en  1887  (concours  exclusivement  belge  sera 
attribué  à  l'ouvrage  qui  démontrera  le  mieux  de  quelle  manière  la 
Belgique  doit  comprendre  son  rôle  dans  la  grande  fainiHe  euro- 
péenne, tant  au  point  de  vue  politique  et  intellectuel  qu'au  point  de 
vue  matériel,  pour  servir  le  mieux  ses  propres  intérêts  en  même  temps 
que  ceux  de  la  civilisation  en  général. 

Le  prix  à  décerner  en  1888  (concours  exclusivement  belge)  sera 
attribué  au  meilleur  ouvrage  sur  l'enseignement  des  arts  plastiques 
en  Belgique  et  sur  le  moyen  de  développer  l'art  en  Belgique  et  de  le 
porter  à  un  niveau  de  plus  en  plus  élevé. 

Les  ouvrages  destinés  à  ces  concours  devront  être  transmis  au  mi- 
nistre del'agriculture,  de  l'industrie  et  des  travaux  publics,  àeavoir: 
pour  le  prix  à  décerner  en  1886,  avant  le  1er  octobre  1886,  et  pour 
les  deux  autres,  respectivement  avant  le  1"  janvier  des  années  1887 
et  1888. 

Académie  royale  des  Beaux-Arts  de  Bruxelles.  —  Concours 
annuels.  Tous  les  élèves  de  peinture  et  de  sculpture  habitant 
Bruxelles  et  sa  banlieue,  quelle  que  soit  leur  école,  peuvent  y  pren- 
dre part. 

Pour  chacun  de  ces  concours,  une  prime  de  200  francs  est  allouée 
au  premier  et  une  prime  de  100  francs  au  sacond,  s'il  y  a  dix  concur- 
rents au  moins. 

Dessin  et  peinture. —  1»  Dessin  d'après  l'antique,  11-16  mai; 
2o  Peinture  :  composition  historique,  18-23  mai  ;  3»  Torse  d'après 
nature,  8-13  juin;  4^  Figure  d'après  nature,  29  juin-4  juillet. 

Sculpture.  —  1  Bas-reliefs,  18-23  mai  ;  2°  Figure  d'après  nature, 
29  juin-4  juillet;  3"  Figure  d'après  l'antique,  13-25  juillet. 

Les  inscriptions  se  feront  à  l'Académie  deux  jours  avant  la  date 
fixée  pour  l'ouverture  de  chacun  de  ces  concours. 

Vienne.  —  Concours  pour  l'érection  d'un  monument  à  Mozart. 
La  place  sur  laquelle  doit  être  élevé  le  monument  n'étant  pas 
encore  déterminée  par  1^  municipalité,  le  concours  reste  ouvert. 


pETITE    CHROI^iqUE 


Une  commission  vient  d'être  constituée  à  Paris  pour  recueillir 
des  souscriptions  destinées  à  élever  un  monument  à  Victor  Hugo 
sur  une  des  places  publiques  de  Paris,  Elle  a  composé  ainsi  qu'il 
suit  son  bureau  : 

Présidents  :  MM.  Victor  Schœlcher,  sénateur;  Paul  Meurice, 

Vice- présidents  :  MM.  Emile  Augier,  de  l'Académie  française; 
Léon  Bonnat,  de  l'Institut;  Anatole  de  la  Forge,  député;  Auguste 
VitM. 

Secrétaires:  MM.  Emile  Blémont;  Gustave  OUendorff;  Gustave 
Rivet,  député. 

Trésorier  :  M.  Philippe  Jourde. 


Voici  quelques  renseignements  intéressants  sur  les  manuscrits  du 
poète  que  la  mort  vient  de  frapper. 

Les  manuscrits  de  Victor  Hugo  ont  dilïérents  aspects;  il  y  en  a 
qui  sont  de  simples  cahiers,  non  reliés,  comme  le  manuscrit  d'Her- 
nani;  d'autres  revêtus  de  parchemin,  avec  le  titre  de  1  œuvre  en 
grosses  lettres  d'or,  comme  le  manuscrit  du  Roi  s'amuse 

Le.  manuscrit  à'Hernani  est  un  cahier  de  grand  papier  janney 
couvert  d'une  écriture  courte  et  pressée;  il  porte  sur  la  première 
page,  cette  épigraphe  espagnole  :  Très  para  una. 

Chaque  acte  est  daté  au  commencement  et  à  la  tin  ;  la  pièce  a  été 
commencée  le  29  août  1829  et  tenniuëe  le  25  septembre  de  la  même 
année. 

Victor  Hugo  a  donné  à  ses  actes  non  pas  un  numéro,  mais  une 
classification  alphabétique  :  a,  b.  <\  d,  e,  etc.  ;  sur  les  marges,  on 
trouve  des  dessins,  îles  annotations  et  des  vers  inédits. 

Le  manuscrit  de  Marion  Delorme  porte  en  sous-titre  :  Un  duel 
sous  Richelieu,  qui  a  disparu  s  r  la  brochure.  M.  Lockroy  père 
s'empara  de  ce  titre  et  eu  composa  un  drame  qui  obtint  certain 
succès. 

Tous  les  manuscrits  de  Victor  Hugo  existent  sauf  celui  de  Han 
d'Islande,  qui  a  été  perdu,  et  celui  d'Amy  Robsart,  la  premier  piecd 
du  poète,  tirée  du  roman  Kenilworth. 


Nous  recevons  de  Buenos-Ayres  le  premier  numéro  de  la  Cronîca 
»nt««tca/,  journal  hebdomadaire  exclusivement  consacré  à  la  critique 
musicale,  sous  la  direction  de  M.  J.  A.  Franceschi.  (Urrutia, 
Mones  y  C»»  édit).  Bonne  chance  à  notre  lointain  confrère  ! 


Peter  Benoit  prépare  pour  le  courant  de  Tété  un  concert  entiè- 
rement consacré  à  la  musique  de  la  jeune  école  française. 


La  renommée  cantatrice  belge,  M"»e  Marie  Gabel  dont  le  gracieux 
talent  a  fait  passer  tant  de  charmantes  soirées  au  public  du  théâtre 
de  la  Monnaie,  vient  de  mourir  à  Maisons- Laffite,  près  de  Paris,  à 
ïhge  de  59  an6.  Depuis  quinze  années,  Mme  Cabel  avait  renoncé  à  la 
carrière  lyrique. 

Le  roi  de  Saxe  vient  d'envoyer  aux  artistes  du  chant  et  de  l'or- 
chestre du  théâtre  de  Dres'de  une  lettre  de  félicitations  à  Toccasion 
de  la  première  représentation  de  la  Walkyrie  de  Wagner  dans 
cette  ville.  L'exécution  est,  paraît-il,  excellente  et  l'œuvre  a  obtenu 
un  succès  d'enthousiasme  sans  précédent. 


L'annonce  suivante,  cueillie  dans  un  journal  de  niusique  bruxel- 
lois, est  bien  singulière.  Nous  la  reproduisons  textuellement  : 

LA  MÈRE,  LA  FILLE  ET  LA  BRU  DÉ  LA  FAMILLE  POTIN, 

Poll.a  de  dispute  facil(S  et  brillante  à  grand  effet.  En  vente,  etc. 

Ceux  de  nos  lecteurs  qui  pourraient  nous  donner  quelques  éclair- 
cissements, qui  pourraient  nous  dire,  notamment,  ce  qu'on  entend 
par  une  pol  a  de  dispute,  reMr.î!li6nt  un^  service  à  l'humanité 

musicale. 


On  vient  d'inaugurer  à  Smolensk  le  monument  élevé  au  célèbre 
compositeur  russe  Glinka.  La  statue,  œuvre  de  M.  Von  Boch,  eSt 
en  bronze.  Elle  a  trois  mètres  de  hauteur  et  est  placée  sur  un  grand 
piédestal  en  labrador  de  Kiew,  haut  de  quatre  mètres,  qui  repose 
sur  une  base  de  granit  à  trois  gradins. 

Des  fêtes' musicales  ont  eu  lieu,  le  l*""  et  le  2  juin,  à  cette  oc- 
casion. La  musique  du  maître  a  fait  les  frais  du  premier  concerta 
Le  programme  portait  entre  autres  des  fragments  de  La  Vie  pour 
le  Tsar,  les  deux  Ouvertures  espagnoles,  le  prélude  de  Rousslane 
et  Ludmille. 

Le  deuxième  concert  était  composé  d'œuvres  des  continuateurs  de 
Glinka,  c'est-à-dire  de  tous  les  artistes  de  l'école  russe,  qui  a  pris, 
depuis  quelques  années,  un  si  magnifique  essor.  On  y  a  entendu 
diverses  compositions  d'Antoine  Rubinstein,  Dargomysky,  Tschai- 
kowsky,  Sérow,  Borodine,  Rimsky-Korsakow,  César  Gui,  Balakirew 
et  Napravnik. 

', .  ^— — — . 

On  a  placé  dimanche  dernier,  sur  une  maison  de  jHeiligenstadt, 
faubourg  de  Vienne,  une  plaque  commémorative  du  séjour  que 
Beethoven  fit  jadis  dans  cette  maison.  L'inscription  que  porte  celte 
plaque  est  ainsi  conçue  :  «  Dans  cette  maison,  Beethoven  a  habité 
pendant  les  deux  premières  années  de  ce  siècle.  Erigé  en  1885.  » 
C'est  la  société  Beethoven  Mdnnergesangverein  qui  a  fait  placer 
l'inscription.  Cette  société  chorale  se  propose,  en  outre,  de  fonder 
une  musée  Beethoven,  où  l'on  réunira  tout  ce  qui  a  trait  à  la  vie  et 
aux  œuvres  du  maître. 


Sommaire  de  la  Société  nouvelle,  mai  1885. 

I.  Étude  ôur  la  responsabilité,  par  Jules  Puisage.  —  II.  Lettres 
de  Suisse,  par  Georges  Lorand,  —  III.  Un  vagabond.  —  Prodéistes, 
par  A,  James  —  IV.  Le  conflit  angle-russe  et  le  nouvel  équilibre 
européen,  par  Eugène  Hins.  —  V.  Que  faire  de  nos  enfants  :  nos 
fils,  par  H.  Bury.  —  VI.  Critique  philosphique  :  Germinal,  par 
F.  Brouez.  —  VII.  Le  mois  Autriche-Hougrie-France  Italie- 
Belgique.  —  VIII.  Les  livres  et  revues.  —  Ce  numéro  contient  un 
portrait  de  Victor  Hugo  par  Belloguet. 


Les  annonces  sont  reçues  au  bureau  du  journal, 
26,  rue  de  V Industrie,  à  Bruxelles. 


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si  b.  maj. 
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Bruxelles.  —  Imp.  Félix  Callbwabrt  père,  rue  de  1  Industrie,  26. 


Cinquième  année.  —  N°  25. 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  21  Juin  1885. 


>>>i. 


L'ART 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,  un  an,  fr.  10.00;  Union  postale,   fr.   13.00.    —  ANNONCES   :    On   traite  à  forfait. 


Adresser  les  demandes  d' ahonnement  et  toutes  les  communications  à 

L  administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


? 


OMMAIRE 


Les  Impressionnistes.  —  Vandalisme  anversois.  —  Littéra- 
ture VAGABONDE.  Voyage  au  Mexique.  De  New- York  à  Vera- 
CruZf  par  Jules  Leclercq  ;  Le  Caucase  et  la  Perse ^  par- Ernest 
Orsolle.  —  SiGURD  a  l'Opéra.  —  Mémento  des  expositions  et 
concours.  —  Théâtres.  —  Correspondance.  —  Petite  chronique. 


LES  lUPItESSlOXMSTES  FRANÇAIS 


M.  Durand-Ruel,  rexcellent  imprésario  (un  autre 
mot  nous  manque)  des  enfants  perdus  de  la  peinturer^ 
française  destinés  à  devenir  ses  grands  hommes, 
comme  l'ont  déjà  prouvé  Millet,  Corot,  Rousseau, 
Courbet,  qu'il  a  choisis,  soutenus,  défendus  au  temps 
où  on  les  laissait  dans  la  misèrre,  vient  de  passer 
quelques  jours  à  Bruxelles,  avec  un  lot  curieux  de 
toiles  des  impressionnistes  français.  Il  les  a  exposées, 
dans  sa  chambre  à  coucher,  à  l'hôtel  du  Grand-Miroir, 
et  l'élite  de  ceux  qui  s'intéressent  aux  arts  y  a  défilé. 
Degas,  Renoir,  Claude  Monet,  et  accessoirement  Sisley 
et  Pissaro,  étaient  les  noms  des  audacieux  originaux 
dont  on  y  a  vu  les  œuvres.  Plus  avancés  là-bas  dans 
leur  voie,  ils  font,  pour  se  débarrasser  des  servitudes 
anciennes,  des  efforts  analogues  à  ceux  que  font  chez 
nous  Vogels,  Ensor,  Toorop  et  Finch. 

On  se  souvient  des  attaques  virulentes  dont  ceux-ci 
furent  l'objet  lors  de  la  dernière  exposition  des  XX. 
Pour  juger  cet  art  nouveau,  mieux  vaut  peut-être 
considérer  des  étrangers.  On  peut  compter  alors  sur 


plus  de  patience  et  d'impartialité.  Plus  d'un  qui  se 
montrait  violent  et  impitoyable  pour  nos  artistes  que 
ïious  citions  plus  haut,  fut  bien  près,  chez  Durand-Ruel, 
d'admirer  les  autres. 

Les  Impressionnistes  !  qu'est-ce  que  c'est  que  ça  ? 

Dans  un  livre  qui  vient  de  paraître,  très  ingénieuse- 
ment nommé  Critique  cV Avant-Garde,  Théodore 
Duret  l'expose  en  quelques  pages  empreintes  d'une 
grande  netteté  et  de  beaucoup  de  verve. 

«  Les  Impressionnistes,  dit-il,  ne  se  sont  pas  faits  tout 
seuls,  ils  n'ont  pas  poussé  comme  des  champignons. 
Ils  sont  le  produit  d'une  évolution  régulière  de  l'école 
moderne  française.  Natura  non  facit  saltus  pas  plus 
en  peinture  qu'en  autre  chose.  Les  impressionnistes 
descendent  des  peintres  naturalistes  et  ont  pour  pères 
Corot,  Courbet  et  Manet.  C'est  à  ces  trois  maîtres  que 
l'art  de  peindre  doit  les  procédés  de  facture  les  plus 
simples  et  cette  touche  prioae  sautière,  procédant  par 
grands  traits  et  par  masse,  qui  seule  brave  le  temps. 
C'est  à  eux  qu'on  doit  la  peinture  claire,  définitivement 
débarrassée  de  la  litharge,  du  bitume,  du  chocolat,  du 
jus  de  chique,  du  graillon  et  du  gratin.  C'est  à  eux  que 
nous  devons  l'étude  du  plein  air  ;  la  sensation,  non  plus 
seulement  des  couleurs,  mais  des  moindres  nuances 
des  couleurs,  les  tons,  et  encore  la  recherche  des 
rapports  entre  l'état  de  l'atmosphère  qui  éclaire  le 
tableau,  et  la  tonalité  générale  des  objets  qui  s'y 
trouvent  peints.  A  ce  que  les  Impressionnistes  tenaient 
de  leurs  devanciers,  est  venue  s'ajouter  l'influence  de 
l'art  japonais. 


T 


'  Si  vous  vous  promenez  sur  le  bord  de  la  Seine,  à 
Asnières  par  exemple,  vous  pouvez  embrasser  d'un 
coup  d*œi],  le  toit  rouge  et  la  muraille  éclatante  de 
blancheur  d'un  chalet,  lé  vert  tendre  d'un  peuplier,  le 
jaune  de  là  route,  le  bleu  de  la  rivière.  A  midi,  en 
été,  toute  couleur  vous  apparaîtra  crue,  intense,  sans 
dégradation  possible  ou  enveloppement  dans  une  demi- 
teinte  générale.  Eh  bien  !  cela  peut  sembler  étrange, 
mais  n'en  est  pas  moins  vrai,  il  a  fallu  l'arrivée  parmi 
nous  des  albums  japonais  pour  que  quelqu'un  osât 
s'asseoir  sur  le  bord  d'une  rivière,  pour  juxtaposer  sur 
une  toile  un  toit  qui  fût  hardiment  rouge,  une  muraille 
qui  fût  blanche,  un  peuplier  vert,  une  route  jaune  et 
de  l'eau  bleue.  Avant  l'exemple  donné  par  les  Japonais 
c'était  impossible,  le  peintre  mentait  toujours.  La 
nature  avec  ses  tons  francs  lui  crevait  les  yeux  ;  jamais 
sur  la  toile  on  ne  voyait  que  des  couleurs  atténuées,  se 
noyant  dans  une  demi-teinte  générale. 

Lorsqu'on  a  eu  sous  les  yeux  des  images  japonaises, 
sur  lesquelles  s'étalaient  côte  à  côte  les  tons  les  plus 
tranchés  et  les  plus  aigus,  on  a  enfin  compris  qu'il  y 
avait,  pour  reproduire  certains  effets  de  la  nature 
qu'on^  avait  négligés  ou  crus  impossibles  à  rendre 
jusqu'à  ce  jour,  des  procédés  nouveaux  qu'il  était  bon 
d'essayer.  Car  ces  images  japonaises  que  tant  de  gens 
n'avaient  d'abord  voulu  prendre  que  pour  un  bariolage, 
sont  d'une  fidélité  frappante.  Qu'on  demande  à  ceux 
l.^m  ont  visité  le  Japon.  A  chaque  instant,  pour  ma 
part,  il  m'arrive  de  retrouver,  sur  un  éventail  ou  dans 
un  album,  la  sensation  exacte  des  scènes  et  du  paysage 
que  j'ai  viis  au  Japon.  Je  regarde  un  album  japonais  et 
je  dis  :  Oui,  c'est  bien  comme  cela  que  m'est  apparu  le 
Japon;  c'est  bien  ainsi,  sous  son  atmosphère  lumineuse 
et  transparente,  que  la  mer  s'étend  bleue  et  colorée  ; 
voici  bien  les  routes  et  les  champs  bordés  de  ce  beau 
cèdre,  dont  les  branches  prennent  toutes  sortes  de 
formes  anguleuses  et  bizarres  ;  voici  bien  le  Foujiyama, 
le  plus  élancé  des  volcans,  puis  encore  les  masses  du 
léger  bambou  qui  couvre  les  coteaux,  et  enfin  le  peuple 
grouillant  et  pittoresque  des  villes  et  des  campagnes. 
L'art  japonais  rendait  des  aspects  particuliers  de 
la  nature  par  des  procédés  de  coloris  hardis  et  nou- 
veaux, il  ne  pouvait  manquer  de  frapper  des  artistes 
chercheurs,  et  aussi  a-t-il  fortement  influencé  les 
Impressionistes. 

Lorsque  les  Impressionnistes  eurent  pris  à  leurs 
devanciers  immédiats  de  l'école  française  la  manière 
franche  de  peindre  en  plein  air,  du  premier  coup,  par 
l'application  de  touches  vigoureuses,  et  qu'ils  eurent 
compris  les  procédés  si  neufs  et  si  hardis  du  coloris 
japonais ,  ils  partirent  de  ces  points  acquis  pour 
développer  leur  propre  originalité  et  s'abandonner  à 
leurs  sensations  personnelles. 

L'Impressionniste  s'assied  sur  le  bord  d'une  rivière  ; 


selon  l'état  du  ciel;  l'angle  de  la  vision,  l'heure  du  jour, 
le  calme  ou  l'agitation  de  l'atmosphère,  reaii  prend 
tous  les  tons,  il  peint  sans  hésitation  sur  sa  toile  de 
l'eau  qui  a  tous  les  tons.  Le  ciel  est  couvert,  le  temps 
pluvieux,  il  peint  de  l'eau  glauque,  lourde,  opaque; 
le  ciel  est  découvert,  le  soleil  brillant,  il  peint  de  l'eau 
brillante,  argentée,  azurée  ;  il  fait  du  vent,  il  peint  les 
reflets  que  laisse  voir  le  clapotis  ;  le  soleil  se  couche  et 
darde  ses  rayons  dans  l'eau,  l'Impressionniste,  pour 
fixer  ces  eff'et,  plaque  sur  sa  toile  du  jaune  et  du  rouge. 
Alors  le  public  commence  à  rire. 

L'hiver  est  venu,  l'Impressionniste  peint  de  la  neige. 
Il  voit  qu'au  soleil  les  ombres  portées  sur  la  neige  solit 
bleues,  il  peint  saris  hésiter  des  ombres  bleues.  Alors  le 
public  rit  tout  à  fait. 

Certains  terrains  argileux  des  campagnes  revêtent  des 
apparences  liias,  l'Impressionniste  peint  des  paysages 
lilas.  Alors  le  public  commence  à  s'indigner. 

Par  le  soleil  d'été,  aux  reflets  du  feuillage  vert,  la 
peau  et  les  vêtements  prennent  une  teinte  violette, 
l'Impressionniste  peint  des  personnages  sous  bois  vio- 
lets. Alors  le  public  se  déchaîne  absolument,  les  criti- 
ques montrent  le  poing,  traitent  le  peintre  de  «  com- 
munard ♦»  et  .de  scélérat. 

Le  malheureux  Impressionniste  a  beau  protester  de 
sa  parfaite  sincérité,  déclarer  qu'il  ne  reproduit  que  ce 
qu'il  voit,  qu'il  reste  fidèle  à  la  nature,  le  public  et  les 
critiques  condamnent.  Ils  n'ont  cure  de  savoir  si  ce 
qu'ils  découvrent  sur  la  toile  correspond  à  ce  que  le 
peintre  a  réellement  observé  dans  la  nature.  Pour  eux 
il  n'y  a  qu'une  chose  :  ce  que  les  Impressionnistes 
mettent  sur  leurs  toiles  ne  correspond  pas  à  ce  qui  se 
trouve  sur  les  toiles  des  peintres  antérieurs.  C'est 
autre,  donc  c'est  mauvais.  »♦ 

Et  maintenant  que  nous  avons,  en  citant  Duret, 
donné  une'  idée  de  ce  que  c'est  qu'un  Impressionniste, 
dans  de  prochains  articles  nous  examinerons  individuel- 
lement les  plus  marquants  d'entre  eux,  parmi  les  fran- 
çais :  Claude  Monet,  Degas,  Renoir. 


VANDALISIHE  ANV£RSOIS 

«  Un  effrayant  bouleversement  sans  trêve,  depuis  bientôt  quinze 
ans,  met  en  coupe  réglée  la  vieille  ville,  évenlro  les  anciens 
quartiers,  taille  des  percées  dans  les  maisons  historiques,  et  à 
tout  inslant  amène  à  la  pensée  le  regret  de  quelque  gloire  abolie. 

Nous  ne  verrons  plus,  à  moins  qu'on  ne  la  rétablisse  sur  un 
autre  point,  cette  superbe  et  triomphante  porte  de  l'Escaut,  ou 
porte  Royale,  surmontée  de  son  énorme  dieu  marin  et  construite 
par  Arthus  Quellin,  d'après  les  dessins  de  Rubens,  à  l'occasion 
de  la  joyeuse  entrée  du  roi  d'Espagne,  Philippe  IV.  Quand  on 
montait  la  rue,  au  haut  <Jc  laquelle  s'élargissait  son  arcature,  le 
fleuve  s'apercevait  par  delà,  comme  li  travers  un  porche  ouvert 
sur  le  ciel  et  l'eau.  Il  nous  faudra  faire  notre  deuil  du  Marché- 


aux-Poissons,  ce  pittoresque  et  bruyant  rendez-vous  des  ména- 
gères s'agitant  autour  de  la  marée  jetée  toute  vive  et  saignante 
sur  les  élaux,  avec  son  rouilleux  décor  de  fond,  composé  de 
hautes  murailles  corrodées  auxquelles  s'accroche  encore  une  des 
vieilles  tours  dites  Tours  normandes  qui  formaient  le  bornage  de 
la  ville  en  l'an  726.  Cotte  animation,  ces  vénérables  souvenirs 
s'abîmeront  bientôt  dans  une  poussière  d'écroulement.  Et  mal- 
heureusement, la  destruction,  comme  une  brute  inapitoyée, 
frappe  par  moments  des  quartiers  où  elle  n'a  pas  de  raison  de 
sévir.  Ainsi  on  a  abattu,  malgré  les  artistes  belges,  malgré  Violkl- 
le-Duc,  l'éminent  maître,  qui  s'en  était  ému  lui-même,  un  vieux 
bastion  connu  sous  le  nom  de  Tour-Bleue^  dernier  vestige  des 
fo|"tifications  du  xV  siècle;  ainsi  il  est. également  question  d'abat- 
tre ce  coin  charmant  du  pasBé,  le  pittoresque  et  curieux  hospice 
de  la  rue  Otto  Vénius,  dans  la  cour  duquel  Leys  aimait  à  s'isoler 
et  qui  lui  a  servi  à  envelopper  plus  d'un  de  ses  tableaux  de  la 
mélancolique  atmosphère  du  moyen-âge.  El  le  Burg,  le  glorieux 
Bury  lui-même,  ne  sera  plus,  au  bout  de  toutes  ces  mutilations, 
qu'un  souvenir  eftacé,  qui  s'en  ira  rejoindre  tant  d'autres,  où  se 
perpétuait  l'ancienne  grandeur  de  la  cité  marchande. 

En  même  temps  que  disparaîtra  le  berceau  de  la  ville,  une 
construction  exquise,  le  Sleen  (château),  adossée  aux  ruines  du 
Bur^,  dans  les  souterrains  duquel  ses  caves  sont  taillées,  s'émiet- 
Ira  également  sous  la  pioche  rectificatrice.  Il  a  pourtant  une  belle 
antiquité  et  de  suffisantes  lettres  de  noblesse,  puisque  son  origine 
remonte  au  xii°  siècle.  Sous  les  ducs  de  Brabant  et  leurs  succes- 
seurs les  ducs  de  Bourgogne,  c'était  là  qu'on  enfermait  les  cri- 
minels de  droit  commun.  Mais  Charles-Quint,  et  surtout  Phi- 
lippe II,  son  fils,  représenté  par  le  duc  d'Albe,  l'affectèrent  à  la 
détention  des  hérétiques,  des  iconoclastes,  des  gueux,  et,  en 
général,  des  patriotes  ennemis  de  Rome  et  de  l'Espagne  :  soinbre 
époque  durant  laquelle  ses  cachots  retentirent  continuellement 
des  lamentations  des  malheureux  prisonniers  h  qui  on  donnait 
la  question  avant  de  les  livrer  au  bras  séculier.  II  y  a  une  dizaine 
d'années,  les  murs  de  ces  géhennes  s'éclaboussaient  encore  de 
plaques  rouges,  pareilles  à  des  empreintes  de  membres  torturés, 
et  le  hideux  spectacle  se  complétait  par  une  exhibition  de  fer- 
railles, brunies,  assurait-on,  par  le  sang  autant  que  par  la  rouille. 
Un  jour,  une  édilité  trop  pratique  vendit  ces  engins  au  poids  du 
vieux  fer. 

En  attendant  que  les  moellons  de  la  maison  de  torture  aillent 
rejoindre  les  débris  de  son  terrible  mobilier,  le  Sleen  continue  à 
abriter  un  musée  d'antiquités  dont  il  forme  lui-même  la  pièce  la 
plus  curieuse,  surplombé  qu'il  est  d'une  coquette  logette,  guil- 
lochée  de  fins  ornements  entrelacés,  dans  un  goût  fleuri.  Loin 
d'évoquer  l'image  lugubre  des  scènes  d'inquisition  qui  se  sont 
passées  derrière  ses  murs,  la  délicate  façade  fait  venir  au  con- 
traire à  l'esprit  la  pensée  d'une  cour  princière,  de  visages  blonds 
et  roses  se  pressant  derrière  ses  petites  vitres  émaillces,  avec  des 
rires,  des  musiques,  une  mutinerie  enjouée  et  jeune.  Mais  la  réa- 
lité de  l'histoire  vous  reprend,  l'instant  d'après,  et  ne  vous  lâche 
plus.  Dans  la  rue,  à  quelques  pas  de  là,  se  dresse  un  calvaire 
devant  lequel  le  condamné  à  mort,  conduit  processionnellement 
au  supplice,  faisait  ses  dornièrcs  oraisons,  avant  d'être  traîné  sur 
la  Grand'Place,  où  s'accomplissait  «  l'acte  de  foi  ». 

Ces  lignes  mélancoliques,  nous  les  détachons  de  la  descrip- 
tion que  l'auteur  de  la  Belgique  consacra  naguère  à  la  ville  d'An- 
vers. L'événement  depuis  leur  a  donné  raison.  Plus  rien  n'existe 
du  Marché-aux-poissons,  et  il  est  plus  que  question  de  faire  dis- 


paraître le  Sleen.  Aclucllcmcni  ses  frustes  maçonneries  émergent 
de  l'immense  dévastation  du  quartier  environnant;  comme  un 
môle  sur  une  grève,  il  se  dresse  seul,  parmi  la  ruine  de  tout  le- 
réste;  et,  rugueux,  puissant,  superbe,  épargné  par  les  siècles, 
il  est  là  comme  le  témoin  des  jours  évolus.  Mais  un  cri  de  colère 
et  d'indignation  a  retenti  parmi  les  artistes,  les  respectueux  des 
monuments  du  passé  :  les  jours  du  vénérable  édifice  sont 
comptés  ;  dans  leur  rage  de  tout  anéantir,  les  édiles  ont  voué  à 
la  pioche  celle  architecture,  glorieuse  qui  peut-être  parlait  trop 
éloquemment  des  grands  ancêtres. 

Il  semble  qu'un  vent  de  folie  et  d'immolation  ait  soufflé  sur 
leurs  esprits  ;  aucune  mémoire  ne  trouve  grâce  à  leurs  yeux,  du 
moment  qu'elle  sert  à  mesurer  la  distance  entre  autrefois  et 
aujourd'hui;  ils  rêvent  de  détruire  tout  le  vieil  Anvers,  afin  de 
tirer  de  ses  ruines  un  Anvers  nouveau,  auquel  demeure  attaché 
le  renom  de  leur  orgueil.  Il  ne  faut  pas  que,  dans  la  prodigieuse 
reconstruction  qu'ils  ont  complotée,  quoi  que  ce  soit  qui  chan- 
terait encore  l'hymne  des  prospérités  abolies  subsiste  ;  Anvers 
pour  eux  ne  date  que  d'un  jour,  celui  où  le  pouvoir  leur  a  per- 
mis de  tailler  de  larges  coupes  sombres  dans  l'histoire  et  la  tra- 
dition. ■    • 

Le  Sleen  dispersé,  une  lacune,  comme  un  trou  béant,  demeu- 
rera dans  celte  tradition,  merveilleuse  par  moment  comme  la 
légende.  —  Où  donc  est  le  berceau  des  gloires  flamandes?  se 
demanderont  les  passagers  débarqués  par  les  flottes  lointaines. 
El  ils  chercheront  vainement  une  pierre  qui  leur  parle  des  sécu- 
laires activités  de  cette  métropole,  si  grande  en  ses  annales 
qu'elle  laisse  dans  l'esprit  comme  la  vision  d'une  autre  Tyr. 
Alors  des*  hommes  se  trouveront  qui  leur  montreront  la  ville 
moderne  sortie  de  la  poussière  des  écroulements,  les  grands 
hôtels  d'un  style  bâtard  qui,  le  long  des  quais,  mêlent  aux  resti- 
tutions gothiques  flamandes  les  imitations  d'op  ne  sait  quelle 
renaissance  de  fantaisie.  Et  ils  étendront  la  main,  disant  : 
«  Voilà  le  berceau  de  la  ville!  Tout  ce  qui  existait  avant  n'est 
plus  !  Anvers  est  rené  de  ses  cendres  comme  le  Phénix  !  »  Vanité 
qui  voudrait  faire  disparaître  dans  le  puits  des  temps  les  assises 
sur  lesquels  les  hommes  d'aujourd'hui  n'ont  fait  que  continuer 
l'édifice  commencé  par  d'autres!  Vandalisme  d'une  race  obstinée, 
pour  qui  les  affaires,  le  moment  présent,  remplacent  le  respect 
du  passé,  rimmortel  s.oùvenir  des  aînés,  l'image  imposante  de  la 
jeunesse  d'une  cité  !  Et  ne  vont-ils  pas  jusqu'à  tii-er  honneur  de 
ce  reproche  de  vandalisme,  comme  d'une  flatlerie  qui  chatouille 
leur  orgueil?  N'a-t-on  pas  entendu  l'un  d'entre  eux  publiquement 
proférer  celte  parole  stupéfiante  :  «  On  nous  appelle  vandales  ! 
Eh  bien!  nous  acceptons  cette  flétrissure!  Oui,  nous  serons 
"^  des  vandales  !  » 

Halle-là!  il  y  a  à  travers  ce  pays,  il  y  a  dans  votre  ville  même, 
dans  ce  peuple  qui  ne  veut  pas  qu'on  piétine  à  travers  les 
tombes  et  qu'on  disperse  les  lambeaux  de  sa  pourpre,  il  y  a  une 
conscience  qui  proleste  et  vous  crie  :  «  Ne  portez  pas  la  main 
sur  notre  passé  !  »  A  quoi  vous  servirait,  d'ailleurs,  d'avoir 
gagné,  en  démolissant  le  Sleen,  quelques  pieds  de  terrain,  si  cet 
immense  et  douloureux  sacrifice  ne  doit  aboutir  qu'à  remplacer 
l'éternel  absent  par  des  hangars,  des  magasins,  des  cavès,  la 
continuation  des  pileuses  et  banales  auberges  qui  défilent  le  fong 
dé  vos  quais  nouveaux.  Ah  !  peut-être  comprendrions-nous  qu'on 
balayât  un  pareil  monument,  mais  à  la  condition  d'y  substituer 
une  si  fière  incarnation  de  notre  esprit  moderne  que  l'autre  ne 
fût  plus  en  comparaison  qu'une  ombre  vaine,  un  informe  chaos 


perpétuant  la  confusion  d'un  passé  crépusculaire.  Mais  telle  est 
racluelle  impuissance  à  bûlîr  une  œuvre  de  vie,  que  c'est  parmi 
les  ruines  des  autres  àircs  qu'il  nous  faut  chercher  nos  modèles. 
Nous  copions  ce  que  nous  avons  anéanti  ;  après  avoir  écorché 
l'histoire,  c'est  de  la  peau  dé  l'histoire  même  que  nous  nous  fai- 
sons un  vêtement.  Et  qui  sait  si  le  Sleen  enfin  mis  bas,  on  n'en 
construira  pas  un  nouveau  quelque  part,  de  même  qu'après  avoir 
émietté  les  anciens  quartiers  où  se  gardait,  dans  sa  beauté  origi- 
nale, la  fleur  de  l'antique  architecture  flamande,  on  n'a  rien 
trouvé  de  mieux  que  d'en  restituer  les  pignons  dentelés  et  les 
pittoresques  saillies  dans  les  quartiers  nouveaux?  Il  semble  que 
le  remords  de  toute  celte  démolition  folle  s'attache  ainsi  aux 
hommes  qui  ont  entrepris  de  faire  table  rase  des  siècles  :  le 
spectre  des  victimes  les  liante  si  bien  qu'ils  en  recomposent  la 
forme  et  l'essence  dispersées  de  leurs  niains.  Mais  si  l'or  peut 
redresser  les  vieilles  pierres,  jamais  il  ne  saura  leur  rendre  l'in- 
compressible souffle  de  force  et  de  vie  qui,  à  travers  la  mort  et 
le  temps,  les  unissait  à  tenons  et  à  mortaises,  mieux  que  par  le 
fer  et  le  ciment. 
Un  Sleen,  cela  est  fait  avec  l'àmc  môme  d'un  peuple. 


JaITTÉRATURE    YAQABONDJE 

Voyage  au  Mexique.  De  Nev7-York  à   Vera-Cruz  en 

suivant   les  voies   de  terre,    par   Jules    Leclercq.    —    Paris, 
Hachette  et  C«,  1885. 

M.  Jules  Leclercq  est  un  voyageur  hardi,  entreprenant  et 
tenace.  Les  bises  glacées  de  l'Islande,  le  soleil  des  Tropiques,  le 
grand  air  des  Montagnes-Rocheuses  ont  si  fortement  bronzé,  tanné, 
durci  sa  peau,  que  le  touriste  de  complexion  délicate  que  nous 
avons  connu  jadis  est  devenu  le  marcheur  infatigable  qui  pro- 
mène sa  curiosité,  d'un  pas  tranquille,  dans  les  contrées  les  plus 
excentriques,  passant  avec  aisance  des  zones  tempérées  aux 
régions  torridcs,  et  quittant  l'Equateur  pour  aller  se  rafraîchir 
dans  le  voisinage  du  pôle. 

C'est  une  figure  originale  et  intéressante  que  celle  de-  cet 
effréné  voyageur,  qui  a  la  vocation  du  chemin  de  fer  et  du 
steamer  comme  d'autres  ont  celle  du  couvent  ou  de  la  caserne. 
Il  y  a  dix  ans  à  peine  que  parut  son  premier  volume  :  Voyages 
dans  le  Nord  de  V Europe.  Norvège  et  Mer  Glaciale^  et  aujour- 
d'hui l'auteur  prépare  son  dixième  ouvrage  :  La  terre  des  Mer- 
veilles. Voyage  au  Parc  national  de  la  Yellowstone. 

Ainsi,  à  chaque  année  de  cette  vie  remplie  dés  contemplations 
du  kaléidoscope  que  forme  la  diversité  des  nations,  correspond 
un  livre  où  le  voyageur  épanche  les  émotions  ressenties,  décrit  le 
panorama  qui  s'est  déroulé  à  ses  yeux,  instruit  le  lecteur  des 
beautés  du  globe  et  l'amuse  par  le  récit  des  épisodes  de  la 
roule. 

En  ce  cycle  de  dix  années  éparj)illées  au  Nord,  au  Sud,  en 
Amérique  et  en  Afrique,  sur  la  terra  des  Geysers  et  dans  la  patrie 
des  Arbres-Géants,  combien  de  races  ont  défilé  devant  le  viya- 
geur!  Que  d'horizons  sur  lesquels  il  a  promené  sa  vue!  Comme 
des  papillons  rares  piqués  aux  murs,  comme  des  fleurs  peu  cou- 
nues  soigneusement  déposées  dans  l'herbier,  il  a  eolligé  les 
observations,  noté  les  menues  particularités  des  peuples  qu'il  a 
étudiés.  Et  de  l'ensemble  de  cet  œuvre  déjà  considérable  se 
dégage  l'impression  d'un  esprit  clair  et  honnête  appréciant  les 


choses  sainement,  sans  parti-pris,  sous  le  prisme  de  la  connais- 
sance des  sciences  naturelles  à  travers  lequel  luit  un  rayon  d'art. 

Ainsi  que  ses  aînés,  le  dernier  volume  de  M.  Leclercq  est  d'un 
attrait  captivant.  11  raconte,  dans  une  langue  très  sobre,  et  sans 
que  l'odieux  moi  y  prenne  une  place  encombrante,  la  traversée 
terrestre  du  Mexique,  depuis  le  Rio-Grande  jusqu'à  la  Vera-Cruz. 

Entré  par  le  Nord,  par  Laredo-Nuovo  et  Monlery,  et  sans 
redouter  les  cahots  des  cent  lieues  qu'on  franchit  en  diligence 
entre  Saltillo  et  San-Luis  de  Polosi,  par  d'âpres  défilés  et  des 
plaines  brûlées  de  soleil,  M.  Leclercq  séjourna  à  Querétaro,  à  ' 
Mexico,  fil  l'ascension  du  Popocatepetl,  parcouraii  le  Muchoacan 
—  qui  est  au  Mexique  et  qu'est  pour  l'Espagne  l'Andalousie  — 
où  il  explora  l'une  des  plus  rares  merveilles  du  Nouveau-Monde, 
le  volcan  de  Jorullo,  étudia  sur  les  hauls  plateaux  les  antiquités 
préhistoriques  de  la  civilisation  tollèque,  visita  Puebla  et  Cholula 
et  gagna  enfin  Vera-Cruz,  c'est-à-dire  le  chemin  du  retour,  après 
un  voyage  qui  avait  duré  six  mois. 

L'un  des  chapitres  les  plus  émouvants  de  cette  intéressante 
relation  est  celui  que  l'auteur  consacre  au  drame  de  Querétaro, 
dont  les  dix-huit  années  écoulées  depuis  que  la  douloureuse 
nouvelle  s'en  fût  répandue  en  Europe  n'a  pas  éteint  le  souvenir. 
C'est  de  la  bouche  même  du  chanoine  Soria,  qui  assista  l'empe- 
reur Maximilien  dans  ses  derniers  moments,  que  M.  Leclercq 
recueillit  le  récit  de  l'exécution.  Le  voici  dans  toute  sa  simplicité. 

«  La  veille  de  sa  mort,  me  dit  le  chanoine  en  espagnol,  l'em- 
pereur écrivit  deux  lettres,  l'une  au  pape,  l'autre  à  sa  mère.  Il 
me  confia  ces  lettres,  ainsi  qu'un  mouchoir  pour  sa  mère,  en  me 
priant  de  les  faire  parvenir  à  destination.  Je  me  conformai  à  ses 
instructions,  et  j'ai  su  plus  tard  que  les  objets  étaient  arrivés  à 
leur  adresse.  Le  lendemqin  matin,  je  l'accompagnai  au  lieu  de 
l'exécution.  Le  cortège  se  composait  de  trois  mauvaises  voitures. 
J'entrai  avec  l'empereur  dans  la  première,  tandis  que  Miramonet 
Mejia  occupaient  les  deux  autres  avec  leurs  confesseurs.  Nous 
avions  à  peine  quitté  le  couvent  des  Capuchinas  que  je  fus  quel- 
que peu  surpris  de  voir  Maximilien  se  frapper  la  poitrine  en  di- 
sant :  «  Pour  éviter  que  mon  sang  ne  souille  mon  uniforme,  j'ai 
«  mis  ici  huit  mouchoirs.  »  Pendant  toute  la  route,  l'empereur 
pria  et  recommanda  son  âme  à  Dieu  ;  il  avait  en  main  un  crucifix 
que  je  lui  avaig^offert  et  que  je  conserve  précieusement.  Quand 
nous  approchâmes  du  Cerro,  il  fit  une  observation  qui  me  frappa: 
«  C'est  ici,  disait-il,  que  je  voulais  arborer  le  drapeau  de  la  vic- 
«  toire,  et  c'est  ici  que  je  viens  mourir!  La  vie  n'est  qu'une 
«  comédie!  »  Il  remarqua  aussi  la  beauté  du  paysage,  et  s'écria  : 
«  Quelle  belle  vue  !  Et  quel  beau  jour  pour  mourir  I  »  Quand 
nous  arrivâmes  au  lieu  du  supplice,  oii  eut  grand'peine  à  ouvrir  la 
porte  de  la  voiture  :  l'empereur  impatienté  sortit  par  la  fenêtre  en 
ôtant  son  chapeau.  Il  me  remit  mon  crucifix  en  m'em  brassant,  il 
embrassade  mêmeMiramon  et  Mejia,  distribua  des  pièces  d'oraux 
soldats,  puis,  d'une  voix  forte,  prononça  en  espagnol  ers  paroles  : 
«Je  pardonne  à  tous  et  je  demande  que  tous  me  pardonnent,  et 
t<  je  désire  que  mon  sang  qui  va  être  répandu  fasse  le  bonheur 
«  du  Mexique.  Vive  le  Mexique  !  Vive  son  indépendance  !  » 
Ensuite  il  mit  la  main  sur  sa  poitrine  et  montra  aux  soldats  la 
place  qu'ils  devaient  viser.  On  battit  le  tambour,  et  l'on  proclama 
devant  les  quatre  mille  hommes  de  troupes  que  celui  qui  deman- 
derait grâce  en  faveur  <les  condamnés  partagerait  leur  peine.  Pas 
une  voix  ne  s'éleva  du  sein  de  la  foule  immense  qui  se  pressait 
derrière  les  lignes.  Au  signaldonné,  les  trois  pelotons  firent  feu. 
Miramon  et  Mejia  tombèrent  foudroyés.  Maximilien  ne  mourut 


^ 


pas  sur-le-champ  :  à  trois  repris.es,  il  jelà  un  cri  de  douleur. 
Deux  secondes  après,  sur  un  geslc  du  commandant,  il  reçut  le 
coup  de  grâce  au  cœur.  » 

.■■'■.  ■  \ 

Le  Caucase  et  la  Perse,  -par  Ernest  Orsolle.  — 
Paris,  Pion,  1885. 

M.  Orsolle  est  un  écrivain-voyageur  à  ses  débuts.  Mais  ces 
débuts  sont  brillants  et  font  espérer,  pour  cette  littérature  spé- 
ciale et  «  panoramique  »  qu'il  est  si  aisé  de  mal  faire,  si  difficile 
de  rendre  attrayante,  une  recrue  de  valeur.        , 

Du  premier  coup,  M.  Orsolle  laisse  bien  loin  derrière  lui  les 
tâtonnants  essais  des  touristes  qui  racontent  avec  des  airs  de 
conquérants  une  ascension  h  la  Baraque  Michel,  une  excursion 
pédestre  sur  les  bords  de  la  Semois  ou  de  la  Lesse.  Il  fait/un 
voyage  sérieux  et  le  raconte  sérieusement.  Dédaignant  lie  dépou- 
vrir  des  Amériques,  il  va  droit  aux  régions  peu  connues,  aux 
rivages  de  la  mer  Noire,  aux  steppes  de  Tartarie.  Il  étudie  les 
ruines  d'Ani,  explore  la  côte  Caspienne,  s'enfonce  en  Perse,  fait 
un  séjour  h  Téhéran,  dont  il  parcourt  les  environs,  traverse  le 
Daghestan,  revient  à  Tiflis  par  la  route  de  Géorgie. 

Ce  qui  plaît  avant  tout  dans  ce  livre  d'impressions  fraîches, 
c'est  le  ton  de  bonne  humeur  qui  y  règne,  d'un  bout  à  l'autre.  Ni 
pédanterie,  ni  pose,  —  ces  fléaux  habituels  aux  voyageurs.  Une 
pointe  de  scepticisme  à  l'endroit  des  nierveilles  annoncées,  quel- 
que chose  comme  l'esprit  légèrement  goguenard  d'un  parisien 
qui  ne  «  gobe  »  pas  les  pays  éloignés,  avec  de  brusquas  échap- 
«pées  d'enthousiasme,  et  toujours  une  vision  très  personnelle, 
sinon  très  étendue,  des  choses. 

Trouver  le  juste  milieu  entre  le  ton  dogmatique  particulière-' 
ment  haïssable  dans  les  récits  de  voyage,  qui  exigent  de  la  légè- 
reté de  plurne,  et  l'allure  détachée  des  esprits  superficiels,  n'est 
pas  chose  facile.  M.  Orsolle  s'est  tenu  à  égale  distance  des  deux 
excès.  S'il  développe  de  temps  à  autre  un  point  intéressant  de 
l'histoire  du  pays  qu'il  décrit,  c'est  sans  prendre  en  main  la 
férule  du  magister.  El  s'il  se  laisse  aller  à  sa  joyeuse  humeur  de 
touriste  en  vacances,  c'est  toujours  avec  une  modération  de 
bonne  compagnie. 

Un  passage  donnera  l'esprit  du  livre,  qui  mérite  d'être  lu  tout 
entier.  Nous  le  prenons  au  hasard  parmi  les  nombreux  épisodes 
de  celte  excellente  relation. 

Il  s'agit  d'une  promenade  nocturne  h  un  douchan,  situé  en 
pleine  forêt,  aux  environ  de  Poli  :  «  Des  Imérèles  y  passaient 
la  soirée  en  buvant  et  en  regardant  danser  trois  Bohémiennes  ;  le 
spectacle  était  original,  nous  nous  arrêtâmes  pour  le  regarder. 
L'un  de  ces  seigneurs,  jeune  homme  d'allures  aristocratiques, 
se  détacha  du  groupe  ;  puis,  nous  reconnaissant  pour  des  étran- 
gers, il  nous  invita  à  entrer  au  nom  de  l'hospitalité  géorgienne  ; 
sur  ce,  la  lourde  porte  de  la  cour  se  ferma  sur  nous,  mais  dans 
le  moment  nous  n'y  prîmes  pas  garde.  Reposés  et  rafraîchis, 
nous  nous  préparions  à  partir;  notre  hôte  improvisé  nous  déclara 
la  chose  dangereuse  :  des  hommes  de  mauvaise  mine,  dit-il, 
nous  attendaient  sur  la  route.  Le  danger  était,  en  effet,  immi- 
nent, non  pas  sur  la  route,  mais  bien  dans  cette  cour  où  nous 
étions  bloqués  par  nos  amis  de  tout  à  l'heure,  massés  devant 
l'entrée  et  que  d'autres  coquins,  escaladant  le  mur,  venaient  ren- 
forcer. La  situation  dépassait  les  limites  du  pittoresque  ;  inter- 
pellé vivement  sur  sa  perfidie  et  sommé  d'ouvrir  la  porte,  notre 
hôte  se  mit  résolument  à  la  tête  de  ses  drôles.  Je  ne  sais  ce  qu'ils 
attendaient  pour  nous  charger;    peut-être  nos  revolvers  les 


tenaient-ils  en  respect;  Kandjars  et  Siiaskas  étaient  sortis  des 
fourreaux;  si  amateur  que  je  sois  des  armes  orientales,  je  trou- 
vais en  ce  moment  leur  aspect  très  déplaisant.  Derrière  nous, 
dans  un  coin  de  la  cour,  les  Bohémiennes  épouvantées  pleuraient. 
Nous  leur  demandons  s'il  y  a  une  sortie  par  derrière;  elles 
répondent  que  non  ;  convaincus  du  contraire,  —  au  Caucase 
toutes  les  maisons  ont  deux  issues,  — nous  empoignons  ces 
malheureuses;  l'Allemand  leur  explique  qu'au  premier  coup  elles 
paieront  pour  le  reste  de  la  bande  ;  la  porte  d'issue  se  trouve 
comme  par  enchantement;  à  peine  avons-nous  laissé  tomber  la 
lourde  poutre  qui  la  ferme  derrière  nous  que  tous  ces  drôlos  se 
ruent  dessus...  Nous  de  courir  sous  bois  jusqu'à  la  route  de  Rou- 
tais. Ce  soir-là,  l'hôtel  de  Colchidc  me  parut  un  charmant 
séjour.  » 


SIGURD  A  L'OPÉRA 

-   [Correspondance par tieulière  4e  Paris.) 

Enfin,  à  notre  tour,  nous  avons  eu  Sigurd  !  Je  ne  vous  détail- 
lerai pas  par  le  menu  un  ouvrage  dont  vous  connaissez  à  fond  le 
poème  et  la  musique,  et  mon  rôle  de  corresJ3ondant  musical  de 
la  grande  ville  se  réduira  pour  cette  fois  à  celui  d'un  vulgaire 
reporter. 

Certes  il  est  dur  de  sortir  d'une  importante  représentation 
comme  celle-là  et  d'en  être  réduit  au  mutisme  le  plus  absolu  sous 
peine  de  se  voir  traiter  de  rabâcheur. 

Je  ne  sais  pas  jusqu'à  quel  point  ma  dignité  de  Parisien  ne 
doit  pas  s.'en  montrer  froissée! 

On  se  croit  à  la  tête  du  mouvement  musical,  on  se  fait  une  fête 
d'avoir  à  instruire  les  autres  des  solennités  artislii|ues  de  la  capi- 
tale, et,  la  vanité  aidant,  on  est'tout  disposé  à  s;?  croire  un  per- 
sonnage, on  taille  sa  bonne  plume,  quand  tout  à  coup  on  s'en- 
tend dire  :  Oh!  non,  mon  ami,  non!  Sigurd!  c'est  de  l'histoire 
ancienne!  Passez,  mon  ami,  passez!  Autre'chose!  Autre  chose! 

Et  alors  on  s'aperçoit  que  Paris  n'est  peut-être  pas  la  capitale 
des  arts  et  que  c'est  ailleurs  qu'il  faut  aller  chercher  la  lumière. 

A  défaut  de  lumière,  permettez-moi  de  vous  envoyer  quelques 
faibles  rayons  de  la  solennité  du  vendredi  12  juin,  rayons  pro- 
jetés pour  la  plupart  par  les  trois  étoiles  qui,  de  votre  firmament, 
sont  passées  dans  le  nôtre. 

M""^  Caron  a  reçu  bon  accueil  et  je  vous  avoue  que  nous 
n'étions  pas  peu  surpris  en  revoyant  celte  jeune  femme  qui  chan- 
tait jadis  dans  nos  concerts  classiques  les  modestes  répliques  des 
suivantes  ou  confidentes,  à  côté  d'une  cantatrice  comme  Krauss, 
ou  Richard,  dont  le  nom  était  en  vedette.  Au  Conservatoire, 
M'"«  Caron  n'avait  jamais  rien  donné  qui  révélât  un  tempérament  ; 
Marie  .Sasse  en  a  fait  son  élève  et  c'est  pour  paraître  à  l'Opéra  que 
l'élève  reparaît  à  Paris.  Le  pas  est  beau. 

La  cantatrice  a  paru  quelque  peu  maigre  et  allongée  et  les  yeux 
ont  pris  dans  sa  physionomie  une  place  démesurée  :  mais  l'en- 
semble de  sa  personne  est  majestueux,  la  démarche  est  digne,  le 
geste  a  de  l'autorité  et  le  tempérament  est  celui  d'une  tragédienne. 
La  voix  n'a  pas  le  volume  qu'on  pourrait  réclamer  d'un  soprano 
dramatique,  mais  elle  prend  beaucoup  d'accent  et  d'éclat  dans  le 
registre  aigu.  Très  bien  accueillie  après  son  air  du  troisième  acte, 
elle  s'est  vue  acclamée  dans  le  duo  si  poétique  entre  elle  et 
Sigurd  :  quant  à  l'air  qui  précède,  il  est  long,  trop  long,  et  il 
faut  toute  l'expression  de  l'artiste  pour  le  faire  supporter  de  notre 


.public.  Aussi  la  place  que  peut  occuper  la  débulanle  càl-elle  forl 
belle,  aujourd'hui  que  la  Krauss  semble  jouer  et  chauler  à  contre- 
cœur et  sans  convictions. 

M""  Bosman,  qui  me  causa  tant  de  pJaisir  à  la  Monnaie  dans 
Obêron,  n'a  pas  paru  produire  la  même  satisfaction  à  mes  con- 
frères dans  le  rôle  d'Hilda.  Ce  n'est  plus  du  tout  la  môme  fougue 
et  le  même  élan  qui  accompagnent  la  déclamation  de  M^^Caron: 
il  faut  à  M"'*  Bosman  des  rôles  de  jeunes  princesses  épanouies  et 
à  la  mine  éveillée;  mais  le  dramatique  ne  lui  sied  pas  et  la  sym- 
pathie qu'elle  a  provoquée  provient  plus  du  timbre  et  du  beau 
volume  de  sa  voix  que  de  son  expression  dramatique.  Elle  avait 
beau  se  démener  dans  son  grand  duo  avec  Brunliilde,  sa  petite 
mine  fûlée  n'avait  rien  de  sinistre  et  sa  jalousie  était  de  com- 
mande". Ce  sera  une  excellente  Inès,  ou  Isabelle,  ou  Mathilde. 

Enfin,  M.  Grosse  a  paru  jouer  un  peu  trop  des  poings  et  des 
coudes.  Ce  n'est  pas  qu'il  personnifie  mal  le  personnage  de  Hagon, 
mais  il  semble  qu'il  lui  soit  difficile  d'en  personnifier  d'autres. 
Sa  voix  se  meut  entre  la  basse  et  le  baryton  et  ses  capacités  ne 
me  semblent  pas  nécessiter  sa  venue  ici. 

J'aurais  bien  voulu  voir  Jourdain  dans  le  rôle  de  Sigurd;  notre 
Sellier  a  fait  de  son  mieux,  bénéficiant  auprès  de  nous  de  l'ab- 
sence de  tout  parallèle. 

M.  Lassalle  a  déjà  lâché  un  rôle  qui  ne  servait  pas  assez  ses 
moyens  vocaux,  et  M"*  Richard  semble  navrée  d'en  être  réduite 
au  rôle  d'Uta  :  aussi  compte-t-clle  se  rattraper  dans  Sélika  de 
V  Africaine.  ■       ■ 

M.  Bérardi  joue  maintenant  le  rôle  de  Gunther;  il  est  le  seul 
qui  ne  souffre  pas  du  départ  de  Lassalle. 

Quant  à  M.  Reyer,  il  passe  toutes  ses  soirées. dans  une  brasserie 
voisine  de  l'Opéra;  il  se  révolte  contre  les  coupures  qu'on  a  pra- 
tiquées dans  sa  partition,  et  ne  veut  s'entendre  jouer  que  de  loin. 

Le  public,  lui,  ne  s'est  pas  énormément  intéressé  à  Sigurd  et 
à  la  Walkyrie;  Odin  et  la  Walhalla  l'ont  laissé  froid.  Les  musi- 
ciens ont  écoulé  l'œuvre  avec  recueillement,  comme  émanant  d'un 
esprit  libre,  indépendant  et  plein  de  son  sujet;  ils  ont  reconnu 
dans  l'ouvrage  des  choses  bien  disparates  et  dans  l'ensemble  un 
talent  incontestable,  mais  dont  les  moyens  d'action  sont  insuffi- 
sants sur  un  public  qui  n'analyse  pas. 


MEMENTO  DES  EXPOSITIONS  ET  CONCOURS 

Budapest.  —  Ouverture  le  ler  juin.  Fermeture  le^'SO  septembre, 
Eu  deux  séries.  Délais  d'envoi  :  l^e  série,  expirés.  2«  série,  25  juillet. 
Transport  aller  et  retour  (petite  vitesse)  aux  frais  de  la  Société  hon- 
groise des  Beaux-Arts.  Dépôt  à  Bruxelles,  chez  M.  Mommen, 
25,  rue  de  la  Charité  ;  à  Anvers,  chez  M.  Claessens,  12,  place  du 
Poids  public.  —  Secrétariat  :  Sugarut,  81,  Budapest. 

Nuremberg.  —  Exposition  internationale  d'orfèvrerie,  de  joaille- 
rie, de  bronzes,  etc.  Du  15  juin  au  30  septembre  1885. 


Spa.  —  Ouverture  :  12  juillet.  Fermeture  :  fin  septembre.  Délai 
d'envoi  :  30  juin.  Ecrire  à  la  Commission  directrice  avant  le  25. 

Bruxelles.  —  Vingt-cinquième  concours  de  composition  musicale. 
Ouverture  le  20  juillet  1885. 

Inscriptions  au  ministère  de  l'agriculture,  de  l'industrie  et  des 
travaux  publics  jusqu'au  11  juillet,  à  4  heures.  Les  concurrents  qu 
n'habitent  pas  Bruxelles  peuvent  adresser  par  écrit  leur  demande 
d'inscription  ;  à  cet  effet,  ils  déposeront,  avant  le  7  juillet,  leur  lettre 
avec  les  pièces  à  l'appui,  entre  les  mains  de  l'administration  com- 


munale de  leur  localité,  qui  la  transmettra  immédiatement  audit 
ministère. 

Les  aspirants  sont  tenus  de  justifier  de  leur  qualité  de  Belge  et  de 
prouver  qu'ils  n'auront  pas  atteint  l'âge  de  30  ans  au  20  juillet. 

Prix  du  Roi.  —  Concours  de  4886,  1887  et  1888.  — -  Un  arrêté 
royal  du  20  avril  courant  porte  que  le  prix  à  décerner  en  1886  (coa- 
cours  exclusivement  belge)  sera  attribué  à  l'ouvrage  le  mieux  conçu 
pour  développer  chez  la  jeunesse  belge  l'intelligence  et  le  goût  des 
littératures  anciennes  et  modernes. 

Le  prix,  à  décerner  en  1887  (concours  exclusivement  belge)  sera 
attribué  à  l'ouvrage  qui  démontrera  le  mieux  de  quelle  manière  la 
Belgique  doit  comprendre  son  rôle  dans  la  grande  famille  euro- 
péenne, tant  au  point  de  vue  politique  et  intellectuel  qu'au  point  de 
vue  matériel,  pour  servir  le  mieux  ses  propres  intérêts  en  même  temps 
que  ceux  de  la  civilisation  en  général. 

Le  prix  à  décerner  en  1888  (concours  exclusivement  belge)  sera 
attribué  au  meilleur  ouvrage  sur  l'enseignement  des  arts  plastiques 
en  Belgique  et  sur  le  moyen  de  développer  l'art  en  Belgique  et  de  le 
porter  à  un  niveau  de  plus  en  plus  élevé. 

Les  ouvrages  destinés  à  ces  concours  devront  être  transmis  au  mi- 
nistre de  l'agriculture,  de  l'industrie  et  des  travaux  publics,  à  savoir  : 
pour  le  prix  à  décerner  en  1886,  avant  le  1*'  octobre  1886,  et  pour 
les  deux  autres,  respectivement  avant  le  1er  janvier  des  années  1887 
et  1888. 

Académie  royale  des  Beaux-Arts  de  Bruxelles.  —  Concours 
annuels.  Tous  les  élèves  de  peinture  et  de  sculpture  habitant 
Bruxelles  et  sa  banlieue,  quelle  que  soit  leur  école,  peuvent  y  pren- 
dre part. 

Pour  chacun  de  ces  concours,  une  prime  de  200  francs  est  allouée 
au  premier  et  une  prime  de  100  francs  au  second,  s'il  y  a  dix  concur- 
rents au  moins. 

Dessin  et  peinture.  —  1°  Dessin  d'après  l'antique,  11-16  mai  ; 
2o  Peinture  :  composition  historique,  18-23  mai  ;  3°  Torse  d'après 
nature,  8-13  juin;  4'»  Figure  d'après  nature,  29  juin-4  juillet. 

Sculpture.  —  1"  Bas-reliefs,  18-23  mai  ;  2»  Figure  d'après  nature, 
29 juin-4  juillet;  3"  Figure  d'après  l'antique,  13-25 juillet. 

Les  inscriptions  se  feront  à  l'Académie  deux  jours  avant  la  date 
fixée  pour  l'ouverture  de  chacun  de  ces  concours. 

Vienne... —  Concours  pour  l'érection  d'un  monument  à  Mozart. 
La  place  sur  laquelle  doit  être  élevé  le  monument  n'étant  pas 
encore  détermipée  par  la  municipalité,  le  concours  reste  ouvert. 


Jhéatre? 

Théâtre  de  la  Monnaie.  —  C'est  le  26  juin,  irrévocablement, 
que  commenceront  les  représentations  de  M"^«  Sarah  Bernhardt  et 
de  la  troupe  de  la  Porte  Saint- Martin  dans  Théodora. 

Théâtre  Moliîjre.  —  Pour  rappel,  mercredi  prochain,  une  seule 
représentation  de  La  Parisienne  avec  les  artistes  de  la  Renaissance. 

Alhambra.  —  Un  changement  a  été  fait  dans  la  distribution  des 
Pommes  d'or.  M^^^  Djiua,  qui  aime  décidément  les  divertissements, 
s'est  payé  celui  de  quitter  Bruxelles  sans  en  informer  son  directeur. 
On  a  été  obligé  de  faire  relâche  dimanche,  mais  dès  le  lendemain 
l'artiste  capricieuse  était  remplacée  par  M^'®  Savine,  a  qui  le  public 
a  fait  un  excellent  accueil. 

Waux-Hall.  —  M"''  Blanche  Deschamps  se  fera  entendre  demaiu 
soir.  En  cas  de  mauvais  temps,  le  concert  sera  remis  à  mercredi. 


fîORREpPONDANCE 


Monsieur  le  Directeur, 

Ne  trouvez  vous  pas  étrange  qu'après  les  réunions  du  Petit  Paris 
et  de  la  Porte^Verte,  réunions  ayant  pour  but  de  mettre  les  artistes 
HORS  CONCOURS,  ne  trouvez-vous  pas  étrange,  de  les  trouver  tous 
DANS  LE  CONCOURS,  sauf  9?  Je  trouve  cela  phénoménal  et  vous  î 

Vous  me  trouverez  impoli  en  osant  vous  poser  une  question.  Je 
sais  que  c'est  inconvenant,  mais  que  voulez- vous?  Ceci  du  reste 
pour  expliquer  ma  rectification  au  procés-verbal  publié  par  votre 
aimable  journal. 

Je  vous  prie  de  publier  la  présente  et  vous  présente  mes  plus 
sincères  salutations.  D.  Cox. 


^ETITE    GHROJMiqUJE: 


Peu  de  personnes,  assurément,  savent  que  Victor  Hugo  fut  criti- 
que de  théâtre.  Cela  est,  cependant. 

Dans  un  journal  intitulé  la  Gazette  littéraire^  qui  se  publiait  en 
1819,  l'auteur  futur  de  Notre-Dame  de  Paris  et  de  Ruy  Jilas,  alors 
âgé  de  dix- sept  ans,  publiait  tour  à  tour  des  critiques  d'art  et  de 
théâtre  et  des  pièces  de  vers. 

Victor  Hugo  ne  possédait  aucun  exemplaire  de  cette  publication. 

Un  habitant  de  Versailles,  ayant  acheté  pour  presque  rien  la  col- 
lection complète,  s'en  vint  trouver,  il  y  a  deux  ans;  un  bibliophile 
fort  connu,  et  lui  fit  part  de  sa  découverte. 

Le  collectionneur  ne  fit  qu'un  bond  jusqu'à  l'ancienne  ville  de 
Louis  XIV,  et  après  l'avoir  fait  un  peu  languir,  le  Versaiilais  lui 
montra  sa  précieuse  acquisition. 

.—  On  m'a  assuré,  dit-il,  que  j'en  pourrais  trouver  cent  francs... 

Le  marché  fut  conclu  sur  le  champ,  et  le  bibliophile  fit  savoir 
aussitôt  à  Victor  Hugo  qu'il  possédait  cette  rarissime  collection. 
M.  Paul  Meurice  accourut  chez  lui  et  lui  ofi'rit  ce  qu'il  en  voudrait. 

Le  collectionneur  fut  modeste.  L'affaire  se  fit  à  huit  cents  francs, 
à  la  condition  que  lui-même  remettrait  ses  premiers  essais  au 
Maître,  qui  lui  dit  en  souriant  :  ' 

—  Cela  nous  coûte  cher  pour  nous  relire  I... 


,  M.  Georges  Khnopff  fera  paraître  cet  automne  un  recueil  de  vers 
intitulé  Pantomimes  et  Sérénades  qui  sera  tiré  à  petit  nombre,  sur 
papier  teinté,  en  caractères  elzéviriens. 

Le  jeune  écrivain  travaille  en  ce  moment  à  un  drame  lyrique  tiré 
de  Salammbô  dont  il  a  écrit  le  poème  et  la  musique. 


Le  Conseil  supérieui-  des  beaux- arts  s'est  réuni  la  semaine  der- 
nière pour  distribuer  aux  artistes  ayant  exposé  au  Salon  de  Paris 
le  prix  du  Salon  et  les  bourses  de  voyage. 

M.  Henry  Daillou,  sculpteur,  a  reçu  le  prix  par  17  voix  contre  14 
données  à  M.  Fritel,  peintre,  et  une  à  M.  Paul  Mengin,  sculpteur. 

Huit  bourses  ont  été  conférées,  dont  deux  dans  la  section  d'archi- 
tecture. Ces  dernières  ont  été  données  à  MM.  Quatesous  et  Defrasse. 
Les  bourses  distribuées  aux  sculpteurs  et  peintres  ont  été  ainsi 
réparties  :  MM.  Paul  Mengin  (sculpteur)  par  30  voix  ;  Pierre  Fritel 
(peintre)  par  25  ;  Gabriel  Pech  (sculpteur)  par  24  ;  Amau  (peintre) 
19;  E.  Laurent  (peintre)  18;  Henri  Martin  (peintre)  17,  et  Gaston 
Leroux  (sculpteur)  17. 

Ces  deux  derniers  ayant  obtenu  le  même  nombre  de  voix,  il  est 
vraisemblable  que  le  Conseil  supérieur,  revenant  sur  sa  décision  de 
n'accorder  que  huit  bourses,  en  octroiera  en  réalité  neuf. 


Le  préfet  de  la  Seiiie  vient  de  saisir  le   conseil  municipal  de 


propositions  d'acquisitions  d'oeuvres  de  peinture  et  de  sculpture  ex-, 
posées  au  Salon.  -  ' 

Dans  rénumération  de  ces  œuvres  figurent  deux  grandes  toiles 
dont  nous  nous  sommes  longuement  occupés  :  Le  travail,  de  Roll, 
et  Paris,  de  Besnard.  Le  prix  proposé  pour  chacune  d'elles  n'est 
que  de  5000  fr.  «  vu  la  modicité  de  crédit  disponible  qui  ne  permet- 
trait pas  de  les  payer  proportionnellement  à  leur  importance  »  dit 
le  rapport  de  la  Commission. 

Consultés  préalablement,  les  deux  artistes  ont  déclaré  accepter 
ces  conditions,  si  peu  avantageuses  qu'elles  soient  pour  eux. 
^  Voila  des  prix  qui  surprendront  un  peu  les  artistes  bruxellois, 
habitués  à  montrer  plus  d'exigences. 


La  recette  des  entrées  au  Salon  de  Paris  le  jour  du  vernissage 
avait  produit  25,380  francs,  •  . 

Le  Comité  de  la  Société  des  artistes  a  versé  cette  somme  au  mi- 
nistre de  la  guerre  qui  aura  à  en  faire  la  répartition  entre  les  diffé- 
rentes Sociétés  de  secours  aux  blessés. 


La  durée  du  Salon  est  prorogée  exceptionnellement  jusqu'au 
30  juin. 

Un  grand  festival  musical  aura  lieu  à  Birmingham  dans  la  der- 
nière semaine  du  mois  d'août  prochain.  On  y  exécutera,  sous  la 
direction  de  Hans  Richter,  Êlie,de  Mendelssohn;  Mors  et  vita,  le 
nouvel  oratorio  de  M.  Gounod;  The  three  holy  Children,  oratorio  de 
M.  Villiers  Stanford;  the  Sleeping,  cantate  de  M.  Frédéric  Cowen, 
Jiile  Tide,  cantate  de  M.  Thomas  Anderton  ;  enfin  une  cantate 
d'Antoine  Dvorak. 

Une  exposition  Beethoven,  s'est  ouverte  ces  jours-ci  dans  la  mai- 
son habitée  à  Heiligenstadt  (Vienne)  par  l'illustre  artiste. Elle  renferme 
des  autographes,  des  portraits  le  représentant  à  diverses  époques  de 
sa  vie,  notamment  l'original  du  portrait  que  l'éditeur  Haslinger  mit 
en  tête  du  premier  recueil  de  sonates,  etc.  La  collection  contient 
encore  un  agenda  où  Beethoven,  lorsqu'il  fut  devenu  entièrement 
sourd,  faisait  inscrire  les  questions.que  lui  adressaient  les  personne 
qui  venaient  le  visiter;  il  y  joignait  souvent  les  réponses  au  crayoug 
L'objet  le  plus  intéressant  de  l'exposition  est  le  masque  que  Danhauser 
et  Ranftl  moulèrent  le  27  mars  1827  sur  la  tête  de  Beethoven,  qui 
venait  de  mourir. 

On  annonce  d'Anvers  la  mort  de  M.  J.-B.  Wittkamp,  artiste 
peintre.  Né  à  Riesebeck  (Westphalie)  en  1820,  Wittkamp  fit  ses 
premières  études  à  Rotterdam  et  les  acheva  à  Anvers,  où  il  devint 
un  des  élèves  les  plus  brillants  de  l'Académie.  Il  fut  élève  de  N.  De 
Keyser.  Parmi  ses  meilleurs  tableaux,  citons  :  L'Hivernage  à  In 
Nouvelle-Zemble,  le  Siège  de  Leyde,  Hugo  Grotius  en  exil,  King 
Lear,  Roméo  et  Juliette,  Othello  et  la  Parisina,  qui  figure  encore 
à  l'Exposition  des  beaux-arts. 

Le  théâtre  de  Hambourg  a  terminé  sa  saison  avec  une  représenta- 
tion de  Lohengrin.  C'était  la  400''  représentation  d'un  ouvrage  de 
Wagner  depuis  la  direction  de  M.  Pollini. 


Le  31  mai  dernier  a  eu  lieu,  à  Mannheim,  la  seconde  représenta- 
tion de  la  Gôtterdnmtncrung  de  Richard  Wagner.  La  salle  était 
comble.  Les  filles  de  Wagner,  Isolde  et  Eva,  et  le  pianiste  Eugène 
d'Albert  assistaient  à  cette  représentation.  Elle  offre  ceci  de  particu- 
lièrement intéressant  que  l'on  donne  à  Mannheim  l'ouvrage  entier, 
sans  une  coupure.  Et  personne  ne  s'en  plaint.  Le  théâtre  de  Mann- 
heim a  maintenant  la  tétralogie  complète  à  son  répertoire. 


La  plus  grande  activité  règne  au  Conservatoire  de  Gand,  où  se 
préparent  les  fêtes  de  son  cinquantenaire.  C'est  la  cantate  que 
Charles  Miry  a  écrite  sur  un  poème  de  M.  De  Vreese,  qui  ouvrira  la 
série  de  ces  solennités  musicales;  elle  sera  exécutée  lors  de  l'inaugu- 


204 


LART  MODERNE 


ration  de  la'statue  de  Liévin  Bauweiis,  le  lundi  13  juillet,  à  il  heures 
du  matin. 

,  Près  de  douze  cents  chanteurs  et  instrumentistes  prendront  part  à 
cette  exécution.  Une  estrade  de  400  mètres  carrés  sera  construite  à 
cet  effet  çur  lès  nouveaux  travaux  du  Bas-Escaut,  à  l'angle  de  la  rue 
de  Flandre,  Le  chqeur  sera  formé  par  les  élèves  du  Conservatoire  et 
des  écoles  de  la  ville,  ainsi  que  par  les  chanteurs  des  meilleures 
sociétés  chorales  de  la  ville  :  les  Chœurs,  les  MélomaneSy  le  Van 
Cromhrugghes-genootschap^Vrijheidsleiefde,  Lei-  en  Scheldezonen, 
Nijverheid  en  Wetenschappen,  les  Ouvriers  Réunie,  Van  Arte- 
velde" s-Zonen  et  Willemsgenootschap. 

L'orchestre  du  Conservatoire  et  la  musique  du  1er  régiment  des 
Chasseurs  à  cheval  formeront  avec  quelques  renforts  un  ensemble 
de  140  instrumentistes. 

Le  concert  juj)ilaiz'e,  où  seront  exécutées  des  œuvres  de  Mengal, 
Gevaert,  Samuel,  Miry,  Vanden  Eeden,  est  fixé  au  vendredi  17  juillet. 
Il  aura  lieu  au  Crand-Théâtre  avec  le  concours  de  M»"®  Briard,  la 
sympathique  falcon,  que  tout  Gand  applaudissait  l'hiver  dernier,  de 
M"e  Sarah  Bonheur,  de  l'Opéra- Comique  de  Paris,  de  MM.  Van 
Dyck  et  Blauwaent  dont  l'éloge  n'est  plus  à  faire. 

Le  dimanche  19 juillet,  aura  lieu  une  4*  audition  de  la  Damnation 
de  Faust  de  Berlioz,  réclamée  par  tous  nos  dilettanti. 

Enfin,  le  2  août,  commenceront  les  représentations  de  Quentin 
Durward,  qui  seront  le  couronnement  de  ces  brillantes  festivités. 

(Guide  musical). 


\''oYAOES  EN  FAMILLE.  — L' Eoccursion  anuonce  une  série  de  voyages 
attrayants  qu'elle  organise  pendant  les  mois  de  Juin  et  Juillet  par 
groupes  de  vingt  à  trente  personnes. 

Ce  sont  d'abord  les  excursions  organisées  à  l'occasion  de  l'Expo - 

.  sition  d'Anvers  et  qui  ont   pour  itinéraire,   Anvers,   Rotterdam, 

La  Haye  et  Scheveningue,   Amsterdam  et  Zaandam.    Ces   petits 

voyages  durent  5  jours  et  leur  prix  en  l^e  classe  est  de  130  francs. 

Les  départs  sont  fixés  au  20  et  27  Juin,  11  et  25  Juillet. 

Puis  viendra  le  voyage  aux  Pyrénées  du  27  Juin  qui  est  superbe  et 
comprend  également  dans  sou  itinéraire  la  visite  de  la  Touraine  et 
des  châteaux  des  bords  de  la  Loire.  ;Durée  :  22  jours.  Prix,  595  fr. 

Le  2  Juillet  aura  lieu  l'excursion  à  Londres,  semblable  à  celle  qui 
vient  d'avoir  un  si  éclatant  succès.  Elle  comprend  la  visite  de 
Londres,  du  Palais  d'Hampton-Court,  des  Jardins  de  Kew,  du 
Parc  de  Richemond,  du  Palais  de  Cristal  de  Sydenham  et  des  Inva- 
lides de  Greenwich.  Une  heureuse  innovation  y  a  introduit  la  visite 
de  Brighton,  cette  jolie  station  balnéaire  à  la  mode.  Durée  :  9  jours. 
Prix,  en  1"  classe  :  250  fr. 

Ce  voyage  sera  immédiatement  suivi,  le  10  Juillet,  d'une  excur- 
sion en  Ecosse,  dont  le  programme  comporte  toutes  les  beautés  de 
ce  merveilleux  pays.  Le  prix  du  voyage,  extrêmement  avantageux, 
est  fixé  pour  ce1)te~fbis  seulement,  à  490  fr.  en  t~'  lili||nri  et  440  fi^. 
en  2™«  classe. 

Au  20  Juillet  enfin  est  fixé  le  magnifique  voyage  de  15  jours,  eu 
Suisse,  qui  servira  de  prélude  aux  charmantes  excursions  qui  seront 
dirigées,  pendant  les  vacances,  vers  cette -contrée  et  vers  le  Nord  de 
ritalie. 

Sommaire  de  la  Jeune  Belgique,  ïx"  de  Juin. 

Victor  Hugo,  Max  Waller.  —  A  Victor  Hugo,  Albert  Giraud. 
—  L'Adoration  littéraire,  Emile  Verhaereu.  —  A  Victor  Hugo; 
A.  !NI.  Victor  Hugo,  André  Van  Hasselt.  —  La  Mort  de  l'Art, 
Jules  De.strée.  —  Mysticisme,  Georges  Khnopff.  —  Emile  Mathieu, 
Henry  Maubel.  —  Païen,  Gustave  Rapière.  —  Chronique  littéraire, 
Joséphin  Péladai^.  —  Chronique  artistique  :  Anvers,  Emile  Ver- 
haeren.  —  Flemm-Oso  (suite),  James  Van  Drunen.  —  Mémento, 


PIAMr^C  BRUXtXLES 

I  M  IM  vyD  rue  Thérésienne,  6 

ÉCHANGE    GUNTHER 

LOCATION      A^^^*^    *i  i«ii**-Ji«i» 

Paris  1867,  4878,  l^'  prix.  —  Sidney,  seuri"  cl  2«  prix 
EXPOSITION  AfflSTERDÂl  1883,  SEUL  DIPLOIE  D'HONNEOR. 

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DE  LUXE,  ALBUMS,  ETC. 

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—  —  31 .  Les  Soirées  de  Bruxelles,  Impromp- 

tus-Valses ........  2.50 

—  —  35.  4^r  Air  de  Ballet    .*.....  2.00 

—  Chant  du  Soir  (nouvelle  édition)  ....  2.00 

—  Balafo,  Polka-Fantaisie 2.00 

—  Etoiles  scintillantes.  Mazurka 2.00 

KOETTLITZ,  M.  Op.    9.  Barcarolle , 2  00 

—  •         —   i2.  Laendler .  1.35 

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DU    CONSERVATOIRE    ROYAL    DE   BRUXELLES 


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24e  livraison.  —  Clementi,  sonates  en  mi  b.  maj.,  ut  maj  ,  fà  min. 
25?        id.      — Clementi,' sonates  en  fa  dièze  min,,*mi  b.  maj., 
si  b.  maj . 
—  Weber,   Invitation   à    la    valse.    Rondo    brillant. 
Momento  capriccioso.  Polonaise  en  mi  maj. 

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VIENT  DE  PARAITRE 

CHEZ   FÉLIX   CALLEWAERT   Père 

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LA  FORGE  ROUSSEL 

PAR  Edmond  PICARD 

Édition  définitive,  tirée  à  petit  nombre 

Prix  :   Grand  Japon,    60   francs;  Chine  genuine,  40  francs; 
Hollande  Van  Gelder,  26  francs. 


Bruxelles.  —  Imp.  Félix  Callbwàert  père,  rue  de  1  Industrie,  26. 


Cinquième  année.  —  N°  20. 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  28  Juin  1885. 


L'ART 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,  un  an,   fr.  10.00  ;  Unipn  postale,   fr.    13.00.    —  ANNONCES  :    On   traite   à  forfait. 

.f  ... 

Adresser  les  demandes  d'ahonnernent  et  toutes  les  communications  à 
L administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


?' 


OMMAIRE 

Les  Impressionnistes  français.  —  Théâtres.  Théodora,  drame 
en  5  actes  de  M.  Victorien  Sardou.  La  Parisienne^  comédie 
en  3  actes  de  M.  Henri  Becque.  —  A  propos  de  Sigurd.  —  La 

QUESTION'  DU     StEEN.    —    Le    JeUNE    PRIX    DE     Ro.ME    ET    LE    VIEUX 

Wagnériste.   Entretien   familier.   — •   Les   concours   du  Conser- 
VAToir,E.    —  Petite  chronique. 


JiEp  Impressionnistes    frajmçais  (") 

DEGAS 

Voici  un  artiste  d'une  rare  personnalité,  d'une  valeur 
grandissime,  un  impeccable,  comme  disait  Théophile 
Gautier,. et  qui  est  complètement  ignoré  du  public. 
Seuls,  les  amoureux  de  la  logique  et  de  l'art  pour  l'art 
savent  qu'il  existe,  et  l'admirent  —  et  ils  ne  sont  pas 
nombreux.  On  ne  voit  jamais  les  œuvres  de  Degas  au 
Salon,  non  qu'elles  y  soient  refusées,  mais  parce  qu'il 
ne  les  y  présente  jamais.  On  se  demande  d'ailleurs  ce 
qu'elles  feraient,  originales  et  puissantes  comme  elles 
sont,  dans  cet  immense  bazar  des  médiocrités  à  treize 
sous. 

Degas  a  souvent  exposé  avec  ce  que  les  critiques 
bien  informés  —  à  qui  il  faut  inventer  des  mots  pour 
affirmer  leur  compétence  —  ont  appelé  :  les  impres- 
sionniséeSj  et,  finalement,  il  n'expose  plus  du  tout. 
On  dirait  qu'il  veut  préserver  ses  tableaux  des  ré- 


(*)  Voir  notre  dernier  numéro.  Voir  aussi  les  articles  de  notre  corres- 
pondant de  Paris,  n"  du  15  mars  et  du  Savril  1885. 


flexions  bêtes  que  les  homraes  cTesprit  ne  manque- 
raient pas  de  faire  devant  eux.  On  a  prétendu  que 
c'était  de  la  rancune,  jie  l'aigreur,  une  sorte  de  révolte 
haineuse  contre  l'obscurité  où  on  le  tient;  je  prétends, 
nioi,,  que  c'est  de  la  fierté  et  du  respect. 

Ce  n'est  point  chez  M.  de  Rothschild  que  vous  l'aper- 
cevrez, pas  plus  que  chez  M™''  de  Cassin,  ni  chez  le  duc 
de  Camposelice,  ni  chez  les  habitués   des  premières 
représentations,   ni   chez  les  rastaquouères    dont  on 
vante  le  goût,  à  vingt  francs  la  ligne,  dans  les  jour- 
naux. Degas  ne  figure  pas  dans  les  collections  parmi 
les  Donnât,  les  Fortuny  et  les  Meissonier.  Il  y  a^ entre 
ce  grand  artiste  et  ces  barbouilleurs  de  modes,  incom- 
patibilité absolue.  Il  est  tellement  fort  et  tellement  lui, 
que  cet  éclectisme  semblerait  impossible  et  monstrueux. 
Ou'  Dugas  sera  avec  ses  pairs  :  Ingres,    Delacroix, 
Corot,  Whistler,  Puvis  de  Chavannes,  ou  il  ne  sera 
pas  du  tout  et  nulle  part;  car  soyez  certains  que  les 
collectionneurs  et  les  amateurs   poussent  la  logique 
jusque  dans  l'extrême  bêtise  et  le  manque  de  goût  le 
plus"  triomphant.   J'imagine  aussi  qu'aucune  cocodette 
très  renommée,  et  qu'aucune  élégante  très  influente, 
lesquelles  ornent  volontiers  l'atelier  et   les  toiles  de 
M.  Jacquet,  n'auront  jamais  demandé  à  Degas  de  faire 
leur  portrait.    Il  est   de  ceux,  au  contraire,  à  qui, 
des  amis  ou  des  relations  de  passage  demandent  négli- 
gemment le  nom  et  l'adresse  d'un  peintre,  pour  un  por- 
trait «  ressemblant  et  distingué.  »» 

Ceux  qui  achètent  des  Degas  passent  encore  pour 
des  toqués,  et  M.  Durand-Ruel,  cet  oseur  iqipéuitent. 


J 


qui  possède  des  dessins,  des  pastels,  des  tableaux  de  lui 
—  daiimirables  cliefs-d'œuvre  —  est  communément 
traité  de  sectaire.  Il  est  vrai  que  le  temps  lui  a  donné 
raison  pour  Millet,  à  propos  de  qui  on  le  plaisantait  et 
on  le  plaignait  si  fort,  comme  il  lui  donnera  bientôt 
raison,  je  l'espère,  pour  Degas  et  les  jeunes  artistes, 
si  particuliers,  si  persévérants  et  si  pleins  de  talent, 
qu'il  s  acharne  à  faire  connaître. 

Degas  est  donc,  dans  toute  l'acception  du  mot, 
un  grand  artiste,  c'est-à-dire  qu'il  croit  à  l'art,  qu'il  on 
a  l'amour  hautain  et  jaloux,  et  que,  pour  une  faveur 
gouvernementale,  une  commande  ou  un  bout  de  ruban, 
il  ne  fera  jamais  de  concessions,  de  palinodies  et  de 
courbettes.  Nous  vivons  en  un  temps  où  la  bassesse  de 
l'esprit  et  les  habitudes  de  camelotage  sont  choses  si 
courantes,  chez  les  peintres,  que  nous  en  sommes 
venus  à  nous  étonner  davantage  de  ce  que  nous  ren- 
controns, sur  notre  chemin,  un  homme  de  conscience 
plutôt  qu'un  homme  de  génie.  Et  quand  l'homme, 
comme  Degas,  réunit  en  sa  personne,  ces  deux  vertus 
l)resque  disparues  aujourd'hui,  il  convient  de  le  dire 
bien  haut  et  de  le  saluer  bien  bas. 

La  caractéristique  du  talent  si  intense,  souvent 
abstrait,  et  qui  étonne,  de  Degas,  c'est  la  logique 
implacable  de  son  dessin  et  de  sa  couleur;  aussi,  faut-il 
une  éducation  artistique  très  développée  pour  le  com- 
prendre, car  il  ne  gracieuse  aucune  ligne,  aucune 
forme,  aucun  ton,  et  ne  flatte  pas,  par  des  prestidigi- 
tations de  virtuosité,  les  goûts  bourgeois,  dégageant  au 
contraire  d'une  forme  la  pure  essence,  et  laissant  de 
côté  les  détails  qui  encombrent  et  qui  alourdissent. 
Nul  ne  connaît  mieux  le  fond  et  le  tréfond  de  son  art, 
et  nul  ne  saurait  y  être  plus  habile;  mais  il  dédaigne 
ces  petites  habiletés  qui  rapportent  et  qui  éblouissent, 
et  ne  sont,  en  réalité,  que  des  escamotages.  Il  a  appliqué 
à  la  contemporanéité  —  et  à  la  contemporanéité  vue  à 
travers  son  tempérament  spécial  —  le  procédé  simplifi- 
cateur, absolument  synthétique,  des  maîtres  de  l'école 
de  Sienne.  Degas  est  un  primitif  égaré  dans  notre  civi- 
lisation à  habit  noir. 

On  peut  dire  que  ce  n'est  pas  lui  qui  fait  la  compo- 
sition de  son  tableau,  c'est  la  première  ligne  ou  la  pre- 
mière figure  qu'il  y  dessine  ou  qu'il  y  peint.  Tout  découle 
nécessairement,  mathématiquement,  musicalement,  si 
vous  voulez,  de  cette  première  ligne  et  de  cette  première 
figure,  comme  les  fugues  de  Bach  de  la  première 
phrase  ou  de  la  première  sonorité,  qui  en  forme  la 
base.  Il  n'y  apporte  aucune  mélodie  pour  faire  surgir 
l'eflfét  et  l'enjoliver  d'accessoires  qui  attendrissent  et 
qui  charment.  Quelque  sujet  qu'il  traite,  des  blanchis- 
seuses, des  cafés- concerts,  des  intérieurs  de  modistes, 
il  le  traite  avec  la  même  logique  impitoyable. 

Ses  danseuses  sont,  comme  il  le  dit  lui-même,  non 
point  de  simples  tableaux  ou  de  simples  études,  mais 


des  méditations  sur  la  danse.  Il  en  a  rendu,  avec  une 
netteté,  une  suite  terrible  dans  l'esprit,  une  ténacité 
dans  l'observation,  une  cruauté  dans  l'exécution,  les 
formes  ou  gracieuses,  ou  voluptueuses,  ou  crispées,  ou 
douloureuses,  et  avec  une  telle  intensité  d'expression 
que  quelques-unes  semblent  de  véritables  suppliciées. 
Et  l'on  voit  sous  leurs  ballons  de  gaze  claire,  dans  les 
lumières  blondes  et  les  clartés  violentes  où  il  les  jette, 
ces  pauvres  corps  torturés  par  ces  ^lurs.  exercices  qui 
broient  les  chairs  et  qui  souvent  ne  sont  indiqués  que 
^r  les  apophyses  bossuant  le  maillot  rose. 

Des  tableaux  de  courses  ont  le  même  caractère  de 
synthétisme  violent  et  cruel.  Personne  n'a  peint,  comme 
Degas,  et  avec  une  simplification  plus  extraordinaire- 
ment  profonde,  ces  formes  crispées  et  compliquées  de 
notre  civilisation,  les  chevaux  et  les  jockeys,  qui  ont 
d'ailleurs  une  grande  analogie  et  une  sorte  de  parenté 
avec  les  danseuses;  personne  n'a  exprimé  comme  lui, 
avec  plus  de  noblesse,  avec  un  art  plus  intime,  plus 
pénétrant,  la  gracilité  nerveuse  et  fébrile,  le  frisson- 
nant et  le  maladif  de  ces  êtres  essentiellement  modernes. 
Jamais  une  faute  de  dessin,  toujours  la  même  logique 
implacable,  et  toujours  ces  variations  admirables  et 
justes  sur  la  première  figure,  d'après  laquelle  le  tableau 
s'est,  pour  ainsi  dire,  composé  de  lui-même,  dessiné  et 
peint. 

Degas  semble  avoir  depuis  quelque  temps  abandonné 
la  peinture  pour  se  livrer  presque  exclusivement  au 
dessin,  cet  art  si  charmant,  si  artiste  et  si  méprisé. 
C'est  peut-être  parce  qu'on  le  méprise  aujourd'hui  que 
Degas  a  voulu  le  faire  revivre,  comme  aux  belles 
époques  de  l'art  français.  On  n'aime  plus  le  dessin, 
pour  la  raison  qu'il  n'y  a  plus  de  dessinateurs.  On  di- 
rait que  cette  magnifique  éclosion  des  artistes  du  dix- 
huitiènre  siècle  a  pour  longtemps  épuisé  la  France  de 
ce  goût  exquis,  qui  est  aussi  un  art  plus  difficile,  plus 
savant  et  moins  compréhensible  que  la  peinture.  Et 
puis  le  goût  —  ou  mieux  —  le  mauvais  goût  —  s*en 
est  allé  aux  tableaux  de  la  mode  et  a  fait  délaisser  cet 
art,  pour  lequel  il  faut  non  seulement  des  artistes  pour 
l'exécuter,  mais  aussi  des  amateurs  pour  le  com- 
prendre. . 

C'est  chose  curieuse  qu'en  France,  à  l'heure  actuelle, 
il  n'y  ait  plus  vraiment  que  Degas  qui  vraiment  soit  un 
dessinateur.  Personne,  sous  ce  rapport,  n'ose  plus  le 
contester,  sans  qu'on  sache  pourquoi,  du  reste.  C'est 
qu'il  y  met  la  perfection  et  la  puissance  au  plus  haut 
degré,  et  chacun  de  ses  dessins  est  un  pur  chef-d'œuvre 
dont  la  place  est  marquée  au  Louvre,  à  côté  des  des- 
sins d'Holbein,  de  Watteau,  de  Fragonard,  d'Ingres. 
Degas  va,  dans  le  dessin,  plus  loin  qu'Ingres.  Aussi 
savant  que  lui,  il  sait  donner  à  ses  formes  plus  de  vie, 
par  un  procédé  plus  simple  et  une  synthèse  plus  mysté- 
rieuse. Rien  n'y  est  laissé  au  hasard,  au  mauvais  con- 


seil  de  rinspiratioii,  au  chic.  Chaque  ligne,  chaque 
forme  est  le  résultat  d'une  étude  approfondie;  on  sent, 
sous  les  vêtements  dont  il  les  recouvre,  l'anatomie  puis- 
sante des  corps,  l'exactitude  de  la  vie  de  la  chair  sous 
la  vie  de  l'étoffe. 

Ce  sera  la  gloire  de  ce  grand  artiste,  quand  toutes 
choses  seront  mises  en  leur  place,  dans  une  époque  où 
tout  croule  sous  les  banalités  un  moment  triomphantes 
des  Dagnan-Bouveret,  de  n'avoir  jamais  cherché  que 
l'art  dans  l'art,  de  ne  s'être  jamais  départi  de  sa  ligne 
et  de  ses  croyances,  malgré  les  cris,  malgré  les  rires  et 
malgré  les  mépris,  et  aussi  d'avoir  ressuscité,  à  coups 
de  chefs-d'œuvre,  un  art  qui  semblait  mort,  mort  dé 
l'ignorance  des  peintres  et  de  la  bêtise  du  public. 


THÉODORA 

Drame  en  cinq  actes,  par  M.  V.   Sardou 

TIléodora  ne  soulèvera,  pensons  nous,  pas  d'orages  dans  la 
critique.  On  reconnaîtra  gc'ncralemenl  que  la  griffe  de  M.  Sardou 
y  est  profondément  imprimée,  malgré  les  puérilités  de  l'action, 
malgré  l'invraisemblance  de  certaines  situations,  malgré  les 
"ficelles  trop  apparentes  par  lesquelles  le  1res  habile  dramaturge 
rattache  l'un  à  l'autre  les  épisodes  multiples  de  la  pièce.  Si  l'on 
admet  la  donnée  —  absurde  —  par  laquelle  l'auteur  travestit  la 
vérité  historique  tout  en  se  donnant  une  peine  infinie  pour  res- 
pecter la  réalité  dans  les  détails  du  costume,  des  armes,  de 
l'architecture ,  de  l'ameublement,  et  même  de  l'étiquette  des 
cours  byzantines  et  de  la  forme  du  langage,  on  jugera  que  le  dra- 
me nouveau  de  M.  Sardou  renferme  des  beautés  scéniques  qui 
ne  le  cèdent  ni  à  Fédora  ni  à  Patrie.    ' 

Mais  avant  de  traiter  ce  point,  qui  fera  l'objet  d'une  élude 
spéciale  dans  notre  prociiain  numéro,  il  convient  de  faire  un 
éloge  sans  réserves  du  cadre  éblouissant  dans  lequel  se  dérou- 
lent, aux  yeux  émerveillés,  les  cinq  actes  de  Thêodora. 

Si  nous  en  parlons  tout  d'abord,  ce  n'est  pas  que  l'art  du 
metteur  en  scène  ait  été,  comme  dans  les  bonnes  féeries 
d'autrefois,  substitué  à  tout  intérêt  dramatique.  Il  se  combine  au 
contraire  très  heureusement  avec  ce  dernier,  il  le  complète,  il 
est  son  adjuvant,  il  le  renforce,  le  commente.  Et  c'est  précisé- 
ment ce  qui  fait  sa  nouveauté  et  sa  supériorité.  Il  y  a  là  une 
révolution  dont  les  conséquences  seront  considérables  et  qui 
marque  un  grand  pas  vers  l'unification  de  tous  les  éléments  du 
drame  dont  Wagner  a  été  le  promoteur. 

Qu'on  imagine  dans  les  prodigieuses  restitutions  de  basiliques 
et  de  palais  dont  MM.  Rubé,  Chaperon,  Robccchi,  Jambon, 
Carpezat,  Lemcunier  font  miroiter  les  marbres,  étinccler  les 
mozaïques,  une  action  vraiment  humaine,  émouvante  et  forte, 
accompagnée,  non  par  la  Carmagnole^  les  inoffensifs  chœurs  de 
moines  et  le  pâle  hymne  impérial  de  M.  Massenel,  mais  par  la 
puissance  d'une  musique  évocatrice,  en  harmonie  parfaite  avec 
les  situations  du  drjme.  Quelles  impressions  produirait  un  pareil 
spectacle!  Et  quel  art  digne  de  noire  xix^  siècle,  le  plus  fécond 
en  merveilles,  qu'un  art  comme  celui-là  ! 

Déjà,  tel  qu'il  se  présente  dans  Tliéodora^  incomplet,  partiel, 
il  remue  profondément.  Jamais  les  splendeurs  de  la  décoration 


n'ont  été  poussés  plus  loin  :  la  mise  en  scène  de  Theodurn 
balance  dans  nos  souvenirs,  au  point  de  vue  artistique,  celle  de 
Parsifal  qui  était  merveilleuse;  comme  richesse,  comme  dé- 
ploiement de  splendeurs,  elle  lui  est  supérieure. 

Il  faut  voir,  sous  les  voûtes  étincelanles  du  palais  de  Justinicn 
(pii  commande  la  mer,  l'entrée  de  M"«  Sarah  Bcrnhardt  en  cos- 
tume d'orfroi,  le  front  ceint  de  la  tiare,  le  lys  symbolique  à  la 
main.  11  faut  voir  au  deuxième  tableau,  les  dessous  de  l'Hippo- 
drome, la  voûte  sombre  sous  laquelle  l'égyptienne  Tamyris  a 
établi  sa  tente,  à  portée  du  belluaire  qu'elte  a  mission  de  sur- 
veiller. Et  les  jardins  de  Styrax,  peuplés  de  cyprès,  de  myrtes, 
d'oléandres,  au  milieu  desquels  se  dresse  un  platane  gigan- 
tesque. Et  la  loge  impériale  de  l'Hippodrome,  dans  laquelle 
Juslinien  fait  son  entrée,  drapé  dans  un  manteau  de  pourpre, 
encensé  par  des  enfan|s  en  tunique  blanche.  L'arrivée  de  l'impé- 
ratrice, qui  prend  place  sur  le  trône  k  côté  de  l'autocrate,  la 
face  vers  le  peuple  qu'on  entend  gronder,  la  brusque  apparition 
sous  leurs  armures  luisantes  des  scolaires  qui  forment  la  garde 
impériale,  l'entrée  d'Andréas  qu'on  jette  sanglant,  pantelant,  aux 
pieds  de  Thêodora,  quels  tableaux!  Il  s'agit  ici  d'œuvres  réellement 
artistiques,  non  de  la  mise  en  scène  banale,  quoique  somptueuse, 
à  laquelle  nous  ont  accoutumés  Hérodiade,  Sigurd,  tous  les 
opéras  à  spectacles  qui  ont  défilé  au  théâtre  de  la  Monnaie. 
TIléodora  sera,  espérons-le,  à  cet  égard  d'un  exemple  salutaire. 

Nous  n'entendons  évidemment  pas  par  là  réclamer  pour  les 
œuvres  à  monter  dans  l'avenir  pareille  prodigalité  de  costumes 
et  de  décors.  Mais  ce  qu'il  y  a  à  retirer  de  ces  représentations 
modèles,  à  ce  point  de  vue  spécial  tout  au  moins,  c'est  l'art 
extrême  avec  lequel  tout  est  réglé,  disposé,  arrangé,  de  manière 
à  former'pour  l'agrément  des  yeux  les  combinaisons  de  couleurs 
les  plus  harmonieuses,  les  effets  de  lumière  les  plus  heureux, 
les  groupes  de  figures  les  plus  .variés  et  les  plus  naturels. 

A  part  le  personnage  de  Nicéphore,  cette  sorte  de  figure 
d'opérette  échappée  de  la  Belle- Hélène  pour  promener  à 
Constantinople  sa  tunique  bleu  de  ciel  et  son  manteau  groseille, 
il  n'y  a  vraiment  rien  à  reprocher  au  choix  des  costumes,  qui 
sont  d'une  variété  et  d'une  richesse  extraordinaires. 

Us  ont  en  plu«,  parait-il,  le  mérite  de  l'exactitude  historique. 
Comme  nous  le  disions  en  commençant,  la  vérité  des  détails  a 
été,  en  effet,  le  grand  souci  de  M.  Sardou,  ce  qui  paraît  étrange 
de  la  part  d'un  homme  qui  a  fait  si  bon  marché  des  documents 
que  nous  a  transmis  l'histoire  sur  le  caractère  et  les  habitudes 
des  personnages  qu'il  met  en  scène. 

Il  semblerait  plus  logique  que  l'auteur  se  fût  attaché  à  faire 
revivre  ses  héros  plutôt  que  leurs  attifements. 

Car  on  admettra,  n'est-ce  pas,  qu'il  soit  assez  indifférent  au 
public  de  savoir  que  le  costume  porté  au  premier  acte  par 
M"*  Sarah  Bernhardt  a  été  copié  sur  une  mosaïque  de  San-VitaLe, 
à^  Ravenne,  que  les  bibliothèques  aient  été  mises  à  sac  pour  y 
découvrir  les  moindres  détails  relatifs  aux  mœurs  du  Bas-Empire, 
que  les  infiniment  petits  de  celte  gigantesque  archéologie  ont  été 
étudiés  avec  le  soin  le  plus  méticuleux. 

On  a  suffisamment  ergoté  dans  la  presse  à  propos  de  ces  ques- 
tions de  restitution  pour  que  nous  puissions  nous  dispenser  d'in- 
sister. 

Au  surplus,  la  vérité  sur  ces  détails,  fût-elle  légèrement  écor- 
née, nous  n'y  verrions  pas  grand  mal  puisque  l'interprétation 
qu'on  en  donne  satisfait  le  sentiment  artistique  et  provoque  les 
émotions  que  seules  les  œuvres  d'art  font  naître. 


M"«  Saràh  Dornhnrdl  incarne  avec  une  aulorild  souveraine  le 
rôle  de  rimpdriitrice.  Toule  la  pièce  repose  sur  elle,  a  élé  faite,  en 
quelque  sorle,  pour  mollrc  en  lumière  les  ressources  multiples 
de  son  art.  Celle  extraordinaire  virtuosité  de  la  Irajcédienne,  aussi 
enlaçante  dans  les  scènes  de  tendresse  que  féroce  et  impitoyable 
en  ses  colères,  est  l'un  des  atlrails  principaux  du  drame. 
M.  îMarais  partage  le  i)oi(ls  de  l'action  :  il  recueille,  de  môme,  la 
moitié  des  acclamations,  jusiifièes  par  son  jeu  plein  de  chaleur  et 
d'émotion,  sa  voix  vibrante,  son  geste  ample. 

Autour  de  ces  étoiles  de  première  grandeur  gravite  un  petit 
monde  de  satellites  dont  l'éclat  est  plus  tranquille.  M.  Philippe 
Garnier  force  trop  sa  voix  dans  le  rôle  de  Justinien  et  joue  celui-ci 
plus  en  boucher  qu'en  empereur.  M"*"  Marie  Laurent,  en  revan- 
che, est  remarquable  dans  le  rôle  épisodique  de  Tamyris  et 
mérite  une  mention  sprciule. 

Telle  est,  dans  ses  grandes  lignes,  cette  première  représenta- 
tion de  Théodorn,  impiitiemmenl  attendue  k  Bruxelles,  où  l'avait 
précédé  le  relenlissement  d'un  succès  considérable  à  Paris.  Dans 
les  conditions  où  l'œuvre  est  présentée  à  noire  public,  c'est  assu- 
rément une  bonne  fortune  dont  il  fera  bien  de  profiter. 

LA  PARISIENNE 

comédie  en  3  actes  de  M.  Henri  Becque 

•  Nous  connaissions  de  M.  Becque  Les  Corbeaux^  une  sorte  de 
satire  amère  contre  les  usuriers,  les  Iripoleurs  d'affaires,  les  gens 
de  loi  véreux,  jouée  en  4882  au  théâtre  du  Parc  après  avoir  sou- 
levé, à  Paris,  par  des  brutalités  de  situations  et  de  mots,  les 
colères  du  public.  Rendant  compte  de  cette  œuvre  poussje  au 
noir  et  qui  nous  semblait  quelque  grand  décor  de  bitume  sur 
lequel  une  fantaisie  d'artiste  avait  brossé  une  sélection  de  masques 
grotesques,  nous  regrettions  que  les  facultés  vraiment  person- 
nelles et  audacieuses  de  l'auteur  ne  fussent  point  contenues  dans 
les  limites  de  la  vie  réelle  :  d'un  bout  à  l'autre  de  ces  quatre  actes 
débridés,  M.  Becque  cavalcadait  dans  le  rêve,  sans  souci  de 
l'équilibre  des  caractères,  de  la  vraisemblance  des  scènes,  de  la 
justesse  des  mouvements.  Ces  corbeaux,  ou  plutôt  ces  vautours 
d'une  espèce  inconnue,  étaient  la  charge,  non  l'interprétation 
artistique  d'un  coin  sombre  de  l'humanité.  C'était  mal  visé  ;  certes, 
le  but  n'était  pas  atteint. 

Jrois  ans  ont  passé  depuis,  et  voici  que  M.  Becque  a  rajusté 
son  point  de  mire  et  rectifié  son  tir.  La  Parisienne  n'est  ni  au 
delà  ni  en  deçà  de  la  réalité  :  c'est  la  réalité  elle-même,  observée 
par  un  esprit  singulièrement  aple  à  analyser  les  plus  subtiles 
nuances  de  la  psychologie  humaine,  à  crayonner  d'une  pointe 
mordante  des  profils  exacts,  à  donner  au  dialogue  le  charme  et 
l'imprévu  d'une  conversation. 

Il  y  a  infiniment  d'esprit  dans  ces  trois  actes,  et  pourtant  l'es- 
prit s'y  lient  constamment  aux  arrière-plans,  cédant  la  place  à 
l'observation  :  pas  un  trait  n'est  souligné,  pas  un  mol  n'est  enca- 
dré avec  complaisance.  Être  homme  de  goût  autant  qu'homme 
d'esprit  n'est  pas  commun,  et  le  fait  mérite  d'êire  remarqué. 

Être  homme  de  théâtre  n'est  pas  banal  non  plus.  L'auteur  a 
prouvé  qu'à  ce  point  de  vue  il  est  excellemment  doué.  Quelle 
exposition  nette,  concise,  complète,  irréprochable,  que  celle  de  La 
Parisienne!  Au  lever  du  rideau,  Clotildeet  Lafont  se  querellent. 
Scène  de  jalousie.  «  Ouvrez  ce  tiroir,  Madame,  et  donnez-moi 
cette  lettre....  — Chut!  réplique  la  jeune  femme,  voici  mon 
mari  ». 


Le  public  est  édifié,  du  coup,  sur  la  silualion,  qui  ne  permet 
point  d'équivoque. 

El  durant  ces  trois  actes,  dont  pas  un  ne  traîne  quoiqu'ils  se 
déroulent  sans  le  moindre  incident  dramatique,  la  jalousie  de 
l'amant  égaie  l'adultère  correct  qui  se  poursuit  avec  une  immo- 
ralité candide,  jalousie  d'ailleurs  justifiée,  puisque  Clotilde  n'a 
pas  dédaigné  les  hommages  du  jeune  Simpson.  Mais  celui-ci 
retourne  à  ses  fusils  et  à  ses  chiens  de  chasse.  C'était  un  passan/^ 
—  le  mot  est  cru,  il  est  dans  la  pièce.  Clotilde  revient  a  son 
amant,  et  la  toile  tombe  sur  cet  élonnant  mol  de  la  fin  prononcé 
par  le  mari,  qui  ne  s'est  douté  de  rien  :  «  Mon  système  avec  les 
femmes  a  toujours  élé  la  confiance.  Je  ne  m'en  suis  jamais  mal 
trouvé.  » 

Donc,  ni  Ihèse,  ni  plaidoyer  d'aucun  genre.  Dans  un  milieu 
contemporain,  dés  personnages  vivants,  selon  la  théorie  du  théâtre 
moderne  formulée  par  Emile  Zola.  S'il  était  possible  de  déduire 
une  moralité  quelconque  de  celle  pièce  qui  n'en  comporte  point, 
ce  serait  celle  que  nous  entendions  résumer  à  la  sortie  :  «  C'est 
à  dégoûter  d'aimer  les  femmes  des  autres,  »  disait  un  célibataire 
endurci.  —  El  à  donner  aux  femmes  l'envie  de  rester  sages,  » 
répondit  sa  compagne. 

Voici  que  M.  Becque,  probablement  sans  s'en  douter,  est  de- 
venu moralisateur! 

S'il  est  vrai  de  dire,  que  le  litre  général  donné  par  l'auteur  au 
monde  exceptionnel  et  odieux  où  il  nous  transporte  n'est  pas 
d'accord  avec  le  sujet  de  sa  pièce,  —  heureusement  pour  l'huma- 
nité! —  au  moins  faut-il  reconnaître  qu'il  était  impossible  de 
peindre  avec  plus  de  vérité,  d'humour  et  de  talent,  les  petites 
intrigues,  les  petites  misères,  les  petites  lâchetés  des  ménages  à 
trois.  A  ce  titre,  la  Parisienne  esl  un  régal  littéraire,  et  peut- 
être  une  date  pour  le  théâtre. 

L'interprétation  excellenle  qui  en  a  été,  donnée  au  théâtre 
Molière,  sous  la  direction  du  jeune  et  1res  artiste  directeur  de  la 
Renaissance,  M.  Fernand  Samuel,  par  M"«  Anton.ine,  MM.  Vois, 
Bellot  et  Galipaux,  a,  dans  une  large  mesure,  contribué  au  succès 
de  celle  soirée  sans  lendemain., 


^    PROPOS    DE   ^iqURD 


M.  Ernest  Reyer  a  consacré  dimanche  à  Sigurd,  dans  les 
Débals ^  un  feuilleton  où  il  raconte  plaisamment  les  péripéties 
par  lesquelles  il  a  passé  avant  de  se  faire  jouer  à  l'opéra  et  raille 
finement  les  trois  directeurs,  MM.  Emile  Perrin,  Halanzier,  Vau- 
corbeil,  auquel  «  il  doit  une  éternelle  reconnaissance  de  n'avoir 
pas  monté  Sigurd.  »  A  propos  des  coupures  qu'on  a  fait  subir  à 
son  œuvre  à  Paris,  il  exprime  quelques  bonnes  vérités  qu^il 
nous  paraît  utile  de  reproduire  :     - 

«  S'il  est  vrai  que  ce  que  l'on  coupe  n'est  pas  sifilé,  il  n'est 
pas  moins  vrai  que  ce  que  l'on  coupe  n'esl  pas  applaudi.  Les 
exemples  qu'on  me  cite,  si  haut  qu'on  les  prenne,  ne  me  per- 
suadent pas  :  je  suis  l'ennemi  des  coupures  et  même,  quand  elles 
sont  intelligentes,  je  les  trouve  absurdes;  quand  elles  sont  utiles, 
je  les  trouve  nuisibles.  Dans  un  ouvrage  où  tout  s'enchaîne,  où 
la  cavatine  et  l'arioso  ne  sont  pas  préparés  par  une  ritournelle 
ou  un  récit,  où  il  n'y  a  même  ni  arioso,  ni  cavatine,  je  compren- 
drais à  la  rigueur  la  suppression  d'un  acte,  mais  je  n'admets  pas 
qu'on  supprime  un  morceau  encore  moins  qu'on  le  raccourcisse, 
qu'oïl  le  mutile.  Votre  ouvrage  dure  longtemps,  me  disait  en 


L'ART  MODERNE 


2Ô9 


parlant  de  Sigurd  Ymh  des  directeurs  du  théâtre  de  la  Monnaie, 
mais  il  n'esi  pas  trop  long.  Un  opéra  est  trop  long  ou  trop  court, 
suivant  l'attention  que  l'on  apporte  et  le  plaisir  qu'on  prend  à 
l'entendre.  Et  le  public  parisien,  ayant  depuis  longtemps  pris 
l'habitude  d'arriver  à  l'Opéra  une  heure  après  ie  commencement 
du  spectacle,  rien  ne  l'empêche  de  s'en  aller  avant  la  fin.  Et 
savez-vous  quelle  aurait  été  la  durée  de  Sigurd  si  on  l'eût  joué 
tout  entier,  y  compris  l'ouverture?  En  commençant  à  sept  heures 
et  demie,  on  eût  pu,  conformément  à  l'ordonnance,'  finir  à 
minuit.  Ce  n'était  vraiment  pas  la  peine  de  tant  chagriner  un 
pauvre  compositeur  pour  vingt-cinq  minutes  de  musique.  Si  les 
directeurs  de  l'Opéra  s'attendent  de  ma  part  à  des  récriminations, 
leur  espérance  sera  déçue.  On  leur  a  reproche  les  coupures  de 
Sigurd  beaucoup  plus  que  je  ne  les  leur  reprocherai  moi-même  : 
ils  ont  agi  dans  une  bonne  intention,  dans  rintérêl  du  succès  de 
l'œuvre,  ont-ils  dit  ;  je  veux  bien  le  croire,  mais  aussi  longtemps 
qu'on  jouera  Sigurd  avec  des  coupures  je  ne  remettrai  pas  les 
pieds  à  l'Opéra.  On  se  passera  bien  de  moi.  Le  directeur  de 
Lyon  avait  donné  l'exemple;  les  directeurs  de  Paris  l'ont  suivi. 
«  Et  les  coupures  de  Bruxelles? Ah  !  les  coupures  de  Bruxelles, 
c'est  tout  différent  :  elles  ont  été  faites  quand  je  n'étais  pas  là 
pour  en  gémir  et  après  que  les  intelligents  et  très  sympathiques 
directeurs  de  la  Monnaie  m'eurent  donné  la  légitime  satisfac- 
tion d'entendre  mon  ouvrage  tel  que  je  l'ai  écrit  Et  puis  k 
Bruxelles  les  usages  ne  sont  pas  les  mêmes  qu'à  Paris  :  il  faut 
que  le  spectacle  soit  terminé  au  plus  lard  à  onze  heures  ;  les  gens 
qui  viennent  des  faubourgs  les  plus  éloignés  et  même  de  la  pro- 
vince ne  sauraient,  sans  inconvénient,  manquer  le  dernier  tram- 
way ou  le  train  de  minuit.  Mais  chaque  fois  que  je  retournais  en 
Belgique,  les  coupures  disparaissaient  comme  par  enchantement, 
et  j'en  étais  enchanté  :  j'y  mettais  d'ailleurs  de  la  discrétion;  je 
ne  suis  allé  que  trois  fois  à  Bruxelles  pendant  les  cinquante- 
quatre  représentations  de  Sigurd.  Ah  !  quelle  fête  quand  j'arrivais 
et  quelle  joie  j'éprouvais  à  serrer  la  main  de  ces  deux  directeurs 
qui  sont  restés  mes  amis!  Ai-je  besoin  de  les  nommer  ?  on  les 
connaît  bien  maintenant,  et  l'on  sait  ce  que  certains  composi- 
teurs français  doivent  de  reconnaissance  à  MM.  Stoumon  et  Cala- 
bresi.  » 


JaA    QUESTION    DU^TEEN 

Nous  recevons,  au  sujet  de  notre  dernier  article  :  Vandalisme 
anversois,  la  communication  suivante  :  / 

21  Juin  1885. 
Monsieur  le  Directeur, 

J'apprends  à  l'instant  que  nous  obtenons  un  premier  résultat 
dans  la  question  du  Steen  :  on  s'occupe  d'un  projet  de  restau- 
ration. - 

Est-ce  une  vraie  retraite  ou  une  habile  foinle,  destinée  à  endor- 
mir le  zèle  gênant  de  nos  amis? 

Nous  le  saurons'jbientôt. 

Quant  à  moi,  après  ce  qui  s'est  passé  ici  pour  d'autres  monu- 
ments, je  n'ai  pas  une  entière  confiance  dans  des  assurances  si 
généneu sèment  octroyées. 

Aussi  est-ce  avec  grand  plaisir  que  j'applaudis  à  la  remarquable 
dissertation  sur  le  Steen  que  publie  l'Art  moderne  d'aujourd'hui. 

L'eti  ne  peut  trop,  me  semble-t-il,  s'occuper  de  cette  aflfaire. 
Ce  sera  le  moyen  d'en  finir  une  bonne  fois  avec  l'esprit  de  des- 
truction inintelligente  qui  règne  depuis  trop  longtemps. 


Il  y  aura  d'ailleurs  probablement  à  combattre  bien  d'autres 
hérésies  artistiques,  celle  par  exemple  de  la  reslauralioii  quand 
même.  Nos  monuments  sont  grattés,  remis  à  neuf,  complétés 
d'après  les  projets  fantaisistes  de  l'un  ou  l'autre  architecte.  Et  j'ai 
presque  peur  lorsqu'on  me  dit  qu'on  conservera  le  Steen  et  qu'on 
le  restaurera! 

.C'est  parfait  pour  un  édifice  complet,  sorti  entier  du  cerveau 
d'un  architecte  et  dont  il  existe  un  plan  d'ensemble,  comme  par 
exemple  lorsqu'il  s'agit  de  nos  admirables  églises  gothiques  (et 
là  encore  Ton  se  trompe  parfois,  témoin  le  portique  nouveau  de 
Sainte-Gudule). 

Mais  le  Steen  est  un  monument  hybride.  Il  appartient  à  tous 
les  styles,  chaque  époque  y  a  laissé  sa  griffe.  Et  c'est  même  là 
son  caractère  propre  :  ce  qui  est  intéressant  en  lui,  c'est  précisé- 
ment (le  le  voir  loi  que  nous  l'ont  légué  les  siècles,  mutilé  par 
les  luttes,  primitif  dans  ses  bases  normandes,  brutal  cl  guerrier 
dans  sa  poterne,  orné  et  chatoyant  dans  la  logelte  de  sa  fctçade 
de  Cliarles-Quiril,  et  cependant  sincère  dans  sa  grande  siliiouelte 
grise. 

Restauré,  frotté,  gratté  et...  complété  (!),  il  deviendra  banal. 

Faisons  œuvre  d'art  jusqu'au  bout,  et  après  avoir  combattu  les 
bourreaux,  préservons-le  des  rnédecins  trop  habiles. 

Et  au  sujet  de  ces  choses  du  passé,  permettez-moi  de  vous 
signaler  un  bijou  d'architecture  gothique,  une  élégante  façade  aux 
fines  nervures,  aux  figurines  fantastiques,  telles  que  le  moyen-âge 
savait  les  faire  :  le  type  charmant  de  la  Maison  gothique  du 
xV  siècle,  un  chef-d'œuvre  dans  son  genre,  j'ose  le  dire. 

Cette  façade,  qui  appartenait  à  une  habitation  de  la  rue  des 
Saucisses,  a  été  démolie  comme  tant  d'autres,  mais  les  matériaux 
en  ont  étt5  exceptionnellement  conservés. 

Un  emploi  judicieux  pourrait  peut-être  en  être  fait  en  l'appli- 
quant contre  l'une  des  fiiçades  accessoires  du  Steen  qui  no  com- 
porte qu'une  muraille  moderne  percée  de  fenêtres  carrées,  celle 
sur  laquelle  se  trouve  l'inscription  :  Muséum  van  Ouiheden. 
Restauration  facile  et  peu  coûteuse,  point  important  î     . 


LE  JEUNE  PRIX  DE  ROME  ET  LE  VIEUX  WAGNÉRISTE 

Entretien  familier. 

M.  Catulle  Mendès  publiera  prochainement  un  livre  sur 
Richard  Wagner  dont  nous  détachons  le  curieux  dialogue  sui- 
vant. La  Revue  wagnérienne  en  donne,  dans  son  dernier 
numéro,  la  primeur. 

Le  Prix  de  Rome.  —  Ainsi,  c'est  vrai? 

Le  Wagnériste.  —  C'est  vrai. 

Le  Prix  de  Rome.  —  L'œuvre  de  Richard  Wagner? 

Le  Wagnériste.  —  Sublime.  Où  courez-vous  si  vite,  mon 
jeune  ami? 

Le  Prix  de  Rome.  —  Je  vais  à  la  bibliothèque  du  Conserva- 
toire, étudier  les  partitions  de  Richard  Wagner. 

Le  Wagnériste.  —  Voilà  qui  est  bien.  11  faut  étudier  les 
ouvrages  des  maîtres.  A  mon  sens,  la  connaissance  intime  des 
chefs-d'œuvre  favorise,  au  lieu  de  la  gêner,  l'indépendance 
d'inspiration.  Mais  vous  semblez  bien  pressé  d'étudier.  N'auriez- 
vous  pas,  parlons  franchement,  quelque  but  moins  avouable  ? 

Le  Prix  de  Rome.  —  Vous  ne  devinez  pas?  Quoi  !  Tristan  et 


YsEULT,  KAnneau  du  Nibelung,  Parsifal,  manifestations  su- 
prêmes du  génie  wagnéricn,  sont  acclamés  par  l'élite  intellec- 
tuelle d  une  nation;  quoi  !  le  drame  musical  existe  en  Allemagne, 
cl  nous  laisserions  tout  entière  à  un  pays  que  nous  aimons  peu 
une  gloire  où  nous  pouvons  avoir  part?  Il  faut  que  le  drame 
musical  soit  fondé  en  France  !  ' 

Le  Wagnériste.  —  Certes,  il  le  faut.  Mais  par  quel  moyen? 

Le  Prix  de  Rome.  —  Etudions  l'homme  nouveau!  Appro- 
prions-nous son  génie,  sa  manière... 

Le  Wagnériste.  —  Arrêtez!  Si  vous  ouvrez  dans  celle  pensée 
une  sqjulc  partition  de  hichard  Wagner  —  fût-ce  Lohengrin, 
fut-ce  le  Vaisseau  fantôme,  —  vous  êtes  perdu  pour  la  musique 
française.  Dans  le  domaine  de  Tari  on  n'égale  qu'à  la  condition 
de  (lift'érer,  et,  en  outre,  de  tous  les  modèles  que  vous  pourriez 
vous  proposer,  Richard  Wagner  est  précisément  le  plus  dange- 
reux. 

Le  Prix  de  Rome.  —  C'est  vous  qui  dites  cela? 

Le  Wagnériste.  —  Moi-même.  11  est  rAllemand  par  excel- 
lence! A  la  fois  poète  et  musicien,  il  contient  h  lui  seul  aulanl 
d'Allemagne  qtie  le  poète  Gœihe  cl  le  musicien  Beethoven.  11  a 
poussé  à  l'extrême  —  car  il  est  de  l'espèce  des  génies  excessifs 
—  loules  les  qualités  et  tous  les  défauts  d'une  race  qui,  après 
avoir  écrit  le  premier  Faust,  croit  devoir  écrire  le  second,  et  à 
qui  il  ne  faut  pas  moins  de  irois  tragédies  pour  mettre  en  scène 
l'histoire  de  Wallenstein.  Son  drame  —  non  pas  toujours,  mais 
quelquefois  —  évite  la  vivacité  de  l'aclion,  s'attarde  à  de  longs 
récits,  s'étale  en  de  vastes  développements  de  caractères  ou  de 
passions,  s'idéalise  parla  recherche  des  symboles  jusqu'à  devenir 
irréel,  et  n'en  est  pas  moins. poignant^w  point  de  vue  du  peuple 
pour  lequel  il  a  été  conçu,  n'en  doit  pas  paraître  moins  admirable 
au  critique  loyal  qui  fait  la  yavl  des  nationalités.  Mais  vous, 
créateur,  n'empruntez  rien  à  une  personnalité  qui  n'est  pas,  qui 
ne  peut  pas  être  la  votre.  L'esprit  français,  c'est  l'esprit  clair, 
précis,  rapide  au  but  ;  soyez  puissant,  hautain,  sublime  —  et  net, 
même  quand  il  s'agit  de  musique  pure,  repoussez  l'influence  des 
maîtres  allemands. 

Admirez,  n'imitez  pas;  musicien  de  chambre,  écartez-vous  de 
Raff  et  de  Brahms;  symphoniste,  défiez-vous  de  Schumann.  Que 
se  passe-l-il  autour  de  nous?  Parmi  les  jeunes  musiciens  de 
France,  il  y  a  certainement  des  artistes  considérables  par  le  talent 
et  par  le  savoir;  plusieurs  sont  considérés  à  l'étranger  comme 
des  maîtres;  mais  ne  sentez-vous  pas  dans  leurs  plus  belles  œu- 
vres instrumentales  l'infiltraiion  de  plus  en  plus  pénétrante  de 
l'inspiration  germanique?  De  là  l'indifférence  à  leur  égard  d'une 
grande  partie  de  notre  public  :  on  applaudit  sincèrement  l'opé- 
rette, qui  satisfait  du  moins  un  des  besoins  de  notre  race  —  le 
moins  noble,  ii  est  vrai  —  el  l'on  n'esiime  que  par  bon  Ion  des 
œuvres  vraiment  élevées,  dont  l'essence  nous  est  étrangère.  Cela 
est  fâcheux,  mais  jusqu'à  un  certain  point  légitime.  Et  je  vous 
prie  de  le  remarquer  :  lorsque  les  musiciens  nouveaux,  se  mani- 
fesiant  dans  le  drame  lyrique,  voudront  se  mettre  en  communi- 
cation plus  directe  avec  l'âme  de  tous,  cette  absence  de  nationa- 
lité leur  sera  encore  plus  fatale. 

Le  Prix  de  Rome.  —  Mais,  Monsieur,  nous  avons  des  Sociétés 
nationales  de  musique,  cl  tous  les  compositeurs  modernes  aflir- 
ment  les  tendances  exclusivement  françaises  de  leur  art.  ^ 

Le  Wagnériste.  —  Ajoutez  qu'en  les  affirmant  ils  sont  sin- 
cères; mais  je  crains  qu'ils  ne  se  (rompent.  Que  dit  réliqueite? 
«  Château-Laffîlte  »  ou  «  Champagne  Cliquol  »;  dans  le  verre  le. 


Laffilte  est  du  Rudesheimer,  et  le  Cliquol  du  Johantiisberg.  Nous 
avons  soif  de  vins  français.  Qu'est-ce  donc  enfin  qui  vous  empêche 
d'être  tout  à  fait  de  votre  pays?  Si  vous  pensez,  comme  je  le 
pense^  que  les  sujets  historiques  conviennent  mal  au  drame  musi- 
cal (il  y  a  peu  d'idées  au  monde  plus  saugrenues  que  celle  de  faire 
chanter  Robespierre  ou  Napoléon  1*'',  ^^  c'est  à  cela  qu'on  en 
viendrait  fatalement),  si  vous  croyez  que  la  légende  est  le 
domaine  d'élection  de  la  musique  théâtrale,  ne  trouverez-vous 
pas  dans  les  vieilles  épopées  françaises  de  magnifiques  sources 
d'inspiration?  Les  chansons  de  geste,  avec  leurs  héroïques  aven- 
tures d'amour  et  de  bataille,  vous  offrent  par  centaines  d'admi- 
rables sujets. 

Lisez  nos  romans  de  chevalerie,  qui  vivent  encore  dans 
l'esprit  populaire  ;  dépouillez-les  des  ornements  médiocres  dont 
ils  furent  enjolivés,  et,  une  fois  restitués  dans  leur  simplicité 
première,  transformez-les  de  nouveau,  selon  les  inévitables  lois 
du  théâtre  moderne.  En  agissant  de  la  sorte,  vous  ferez  œuvre 
véritablement  nationale,  et  le  public  vous  comprendra,  car  il 
retrouvera  dans  voire  drame,  issu  du  cœur  môme  de  la  nation, 
la  vie,  l'enthousiasme,  la  gaîté,  tout  ce  qui  constitue  la  person- 
nalité de  la  race  française. 

Le  Prix  de  Rome.  —  11  y  a  pcut-cire  quelque  vériîé  dans  ce 
que  vous  venez  de  dire.  Roland,  opéra  médiocre,  n'a  pas  été 
mal  accueilli,  el  l'on  a  applaudi  la  Fille  de  Roland,  tragédie 
honorable.  Mais  vous  ne  parlez  pas  de  la  musique,  qui  a  bien 
quelque  importance  cependant  lorsqu'il  s'agit  du  drame  lyrique. 
L'inspiration  musicale,  où  la  trouverons  nous? 

Le  Wagnériste.  —  Elle  naîtra  du  sujet,  pareille  à  lui,  profon- 
dément française,  si  le  sujet  est  français.  D'ailleurs,  elle  est  en 
vous  el  autour  de  vous  !  Ecoutez  :  est-ce  que  la  chanson  popu- 
laire est  morte?  Poursuivez-la,  non  pas  dans  les  recueils  où  elle 
est  trop  souvent  défigurée,  mais  sous  le  toit  des  chaumières,  au 
foyer  des  aïeux.  Là  vous  la  surprendrez  souriante  ou  pleurante, 
histoire  de  guerre  ou  légende  d'amour,  refrain  d'atelier  ou  ronde 
que  l'on  chante  en  dansant  dans  la  cour  des  fermes;  et  toujours, 
ingénue,  poignante  parfois,  elle  vous  révélera  l'essence  même  de 
notrç  musique  nationale. 

Le  Prix  de  Rome.  —  Comment,  Monsieur,  la  musique  en 
France  ne  doit  pas  être  autre  chose  que  :  .i'ai  in  grand  voyage 
A  faire...  ou  bien  :  Eho  !  eho  !  les  agneaux  vont  aux  plaines  ? 

Le  Wagnériste.  —  On  voit  que  vous  aimez  à  rire.  Qui  vous 
parle  de  restreindre  tout  un  art  admirable  à  une  chanson  de 
petite  fille?  Mais,  dans  ces  thèmes  naïfs,  au  rythme  jamais 
banal,  que  chantèrent  enfants  les  mères  de  nos  ancêlres,  recher- 
chez patiemment  el  sachez  découvrir  la  qualité  primitive  de 
NOTRE  mélodie,  et,  par  votre  inspiration,  par  votre  labeur  per- 
sonnel, développez  jusqu'à  une  parfaite  manifestation  artistique 
l'âme  musicale,  inconsciente,  de  la  patrie. 

Le  Prix  de  Rome.  —  Il  faudrait  beaucoup  réfléchir  là-dessus. 

Le  Wagnériste.  —  Et  vous  n'avez  pas  le  temps? 

Le  Prix  de  Rome.  —  D'ailleurs,  la  nature  du  sujet  et  celle  de 
la  musique  ne  constituent  pas  lout  le  drame.  Il  y  a  la  mise  en 
œuvre  de  la  matière  poétique  et  musicale,  et  ce  point  de  la 
question  ne  manque  pas  d'importance.  Quelle  forme  affeclera 
l'ouvrage?  Nous  en  tiendrons-nous  à  l'opéra  des  maîtres  français, 
ce  qui,  selon  vos  idées,  serait  assez  logique,  ou,  par  des  conces- 
sions à  l'esprit  étranger,  adopterons-nous  les  modes  italiennes  ou 
les  modes  allemandes? 

Le  Wagnériste.  Si  vous  tenez  compte  de  'leur  temps,  les 


kP 


maîtres  français,  Rameau,  MchuI,  Hérold,  élaienl  dans  le  vrai. 
Mais,  maintenant,  le  désir  d'œuvros  plus  vastes  et  plus  puis- 
santes s'est  victorieusement  imposé,  et  leur  cadre  théâtral  serait 
brisé  par  le  drame  que  nous  rêvons. 

Xe  Prix  de  Rome.  —  Je  l'admets;  mais,  dans  ce  cas,  que 
faire? 

Le  Wagnéiustë.  —  Adopter,  simplement,  le  système  drama- 
tique de  Richard  Wagner. 

Le  Prix  de  Rome.  —  Ah!  Ah!  je  pensais  bien  que  vous  en 
reviendriez  là.  Après  avoir  affirmé  qu'il  ne  fallait  pas  imiter  le 
novateur  allemand,  voici  que  vous  le  proposez  en  exemple? 
Vous  êtes,  ce  me  semble,  un  peu  en  contradiction  avec  vous 
même. 

Le  Wagnériste.  —  Pas  le  moins  du  monde!  Gardoz-vous 
d'imiter,  ai-je  dit,  tout  ce  qui,  dans  l'œuvre  de  Richard  Wagner, 
constitue  la  spécialité  de  sa  race  et  l'originalité  de  sa  nature;  ne 
lui  empruntez  ni  la  couleur  ni  la  qualité  de  sa  mélodie,  et  gar- 
dez-vous de  lui  dérober,  en  ce  qu'elles  ont  de  créé  par  lui,  ses 
harmonies  et  son  instrumentation.  En  un  mot,  ne  tentez  jamais 
de  vous  assimiler  son  double  génie  poétique  et  musical  !  Mais,  en 
même  temps  que  Richard  Wagner,  poète-musicien,  qu'il  faut 
laisser  seul,  il  y  a  Richard  Wagner,  dogmatiste,  dont  les  théories 
universellement  applicables  peuvent  être  acceptées  par  tous, 
L'auteur  d'OpÉRA  et  Drame  a  découvert  une  Amérique  dans  l'art 
dramatique  et  ce  n'est  pas  imiter  Christophe-Colomb  que  de  faire 
un  voyage  k  New- York. 

Le  Prix  de  Rome.  —  Je  crois  vous  entendre.  Le  drame  musi- 
cal en  France  serait  une  œuvre  où  l'inspiration  française,  profon- 
dément française,  se  développerait  selon  des  lois  empruntées  au 
système  wagnérien  ? 

Le  Wagnériste.  —  Vous  l'avez  dit.  Monsieur,  et  je  ne  prévois 
pas  l'objection  qui  me  ferait  changer  d'avis.  Oui,  j'en  suis  per- 
suadé, une  gloire  aussi  grande  que  légitime,  une  gloire  d'une 
espèce  nouvelle,  est  réservée  en  France  au  musicien  de  génie, 
—  car,  du  génie,  il  en  faut  toujours  un  peu,  —  qui,  le  premier, 
s'étant  profondément  imprégné  de  la  double  atmosphère  musi- 
cale et  poétique  éparse  dans,  nos  légendes  et  dans  nos  chansons, 
et,  le  premier  aussi,  ayant  accepté  de  la  théorie  w.ignérienne 
tout  ce  qu'elle  a  de  compatible  avec  l'esprit  de  notre  race,  réus- 
sira enfin,  seul  ou  aidé  par  un  poète,  à  délivrer  notre  opéra  des 
entraves  anciennes,  ridicules  ou  démodées.  Qu'il  unisse  intime- 
ment la  poésie  et  la  musique,  non  pour  les  faire  briller  l'une  pjr 
l'autre,  mais  en  vue  du  drame  seul; qu'il  repousse  s.ms  faiblesse, 
poète,  tous  les  agréments  littéraires,  musicien,  toutes  les  beau- 
tés vocales  et  symphoniques  qui  seraient  de  nature  kinterrompn^ 
l'émotion  tragique;  qu'il  renonce  au  récitatif,  aux  ariettes',  aux 
slrettes,  aux  ensembles  mêmes,  à  moins  que  le  drame,  à  qui 
tout  doit  être  sacrifié,  n'exige  l'union  des  voix  diverses  ;  qu'il 
rompe  le  cadre  de  l'antique  mélodie  cirrée;  que  sa  mélodie, sans 
se  germaniser,  se  prolonge  infiniment  selon  le  rythme  poéiique; 
que  sa  musique,  en  un  mot,  devienne  la  pnroîe,  mais  une  parole 
qui  soit  la  musique  pourtant;  et  surtout,'  que  l'orchestre  mêlant, 
développant,  par  toutes  les  ressources  de  l'inspiration  et  de  la 
science,  les  thèmes  représentatifs  des  passions  et  dts  caractères, 
soit  comme  une  grande  cuve  où  l'on  entendra  bouillir  tous  les 
éléments  du  drame  en  fusion,  pendant  qu'enveloppée  de  l'at- 
mosphère tragique  qui  en  émane,  l'action  héroïque  et  hautaine, 
complexe,  mais  logiquement  issue  d'une  seule  idée,  se  hîitera 
parmi  les  passions  violentes  et  les  incidents  inattendus,  et  les 


sourires,  et  les  pleurs,  vers  quelque  noble  émotion  finale!  Celui- 
qui  réalisera  une  telle  œuvre  sera  grand  et  nous  l'aimerons;  car, 
louten  empruntant  à  l'Allemagueun  système  qu'il  aura  d'ailleurs 
modifié,  il  sera  demeuré  Français  par  l'inspiration.  Au  grand 
nom  de  Richard  Wagner,  c'éléhré  par  les  Allemands  nous  oppo- 
serons glorieusement  le  sien,  ce  nom  que  nul  ne  connaît  encore, 
itiais  que  nous  entendrons  bientôt  au  milieu  des  applaudissements 
et  dés  cris  de  bienvenue. 


CONCOURS  DU  CONSERVATOIRE 

Voici  le  résultat  des  concours  publics  du  Conservatoire  : 

Instruments  en  cuivre. 

Trombone.  —  Professeur  M.  Paque.  1""  prix,  MM.  Naveau  et 
Picflfort  (2  concurrents). 

Cornet  à  prisions  —  Professeur  M.  Duhem.  1««"  prix,  M.  Gilson  ; 
IT  accessit,  MM.  DeWever  et  Vilez  (2  concurr-ents-. 

Trompette.  —  l'»"  accessit,  MM.  De  Decker  et  Maton  (4  cojicur- 
rents;. 

Cor.  —  Professeur  M  Merck.  1*'  prix  avec  distinction,  M.  Van- 
dermeerschen  ;  rappel  de  2*'  prix  avec  distinction^  M.  Jeumont  ; 

l^r  accessit,  MM.  Druard  et  t'Kint  ;  2'"  accessit,  M.  Nuzet  (5  concur- 
rents) 

Saxophone.  —  Professeur  M  Beeckman.  2*  prix  avec  distinc- 
tion, M.  Mayeur;  2«  prix,  M.  De  Recker  (2  concurrents).  . 

Instruments  en  bois. 

Basson.  —  Professeur  M.  Neumans.  i^'  prix,  M.  Van  Ingh; 
l«r  accessit,  MM.  F.  Leclercq  et  A.  Doth,. 

Clarinette.  —  Professeur  M.  Poncelèt  1»^  prix,  avec  distinction ^ 
M.  Milis;  l'"'"  prix,  MM.  Heirwegh  et  Dubois;  2«  prix,  MM.  Roe- 
landts  etDeweerdt;  U^  accessit,  MM.  Morenier,  Imbert  et  Vau  den 
Abeele. 

Flûte.  —  Professeur  M.  Dumon.  l*""  prix,  avec  distinction, 
M.  Vanden  Kerkhove  ;  !•""  prix,  M.  H.  Schreurs  ;  2^  prix,M.Sterckx; 
1er  accessit,  MM.  Aerts  et  Dumont. 

Musique  de  chambre  avec  piano. 

Professeur  M.  Steveniers  l»*"  prix,  avec  distinction,  M^'*  Pëqui- 
gnot  ;  1""  prix.  M^''  Cintillon  ;  2  prix.  M"*»  Swoboda  et  Dumont  ; 
!*•'  accessit.  M""  Deroever,  Schoeumaekers  et  Louis  ^7  concur- 
rents). , 

Instruments  à  cordes  (sauf  le  violon). 

Contrebasse.  —  Professeur  M  E.  Van  derHeyden.  le'prix,  avec 
distinction,  M!  Hautslont;  2«  prix,  M   Faelen  ;  l''  accessit,  M.Sury. 

Alt'f  —  Professeur  M  Firket.  2«  prix,  avec  distinction,  MM.  De- 
sniet  et  Hans  ;  2*  prix,  M.  Adams. 

Violoncelle.  —  Professeur  M.  Jos.  Servais.  l«r  prix,  avec  dis- 
tinrtion,  M"  •  Vandenheude  et  Querrion  ;  1"  M.  Warie  ;  2*  prix, 
M.  Lampens;  l*"' accessit,  M.  Schoofs.  '      , 

Piano  (Hommes). 

Professeur  M.  Zarembski.  2"  prix,  MM.  Strauwen  et  De  Raede- 
niaeker;  2«  accessit,  M.  Gonzalès.  M.  Fremolle,  malade,  n'a  pu 
prendre  part  au  concours. 


pETlTE    CHROJ^UqUE 


Le  gouvernement  belge  vient  d'acquérir  le  beau  tableau  de  Con- 
stantin Meunier  :  La  fabrique  de  tabacs  à  Séville,  qui  figure  en  ce 
moment  à  l'Exposition  d'Anvers. 


M"«  Hamaekers,  la  cantatrice  qui  a  laissé  un  si  bon  souvenir  au 
public  bruxellois,  et  dont  la  Monnaie  a  maintes  fois  regretté  la  voix 
perlée  et  charmante,  chantera  le  mercredi  1*^  juillet  et  le  samedi  4 
au  concert  du  Waux-Hall. 


MÉMMi, 


212 


VART  MODERNE 


Le  conseil  municipal  de  Paris  vient  de  donner  les  noms  deBastien- 
Lepage,  de  Gustave  Doré  et  de  Gustave  Courbet  à  de  nouvelles  rues. 

Le  même,  conseil  municipal  a  récemment  voté  une  somme  de 
12,000  francs  pour  contribuer  à  l'érection  du  monument  de  Victor 
Hugo. 

Là  ne  se  bornera  pas  son  concours  :  les  représentants  de  la  ville 
ont,  eu  effet,  l'intention  d'accorder  gratuitement  l'emplacement 
nécessaire  à  la  construction  de  ce  monument. 

La  commission  municipale  de  voirie  s'occupera  prochainement  du 
choix  de  cet  emplacement. 

On  lit  dans  le  Moniteur  des  Arts  : 

.  La  bibliothèque  royale  de  Bruxelles  vient  d'acquérir  la  bibliothè- 
que dramatique  de  feu  M.  Faber.  Cette  collection  avait  été  commen- 
cée par  M.  Faber  père,  propriétaire  d'une  fabrique  de  porcelaine 
renommée  il  y  a  quarante  ans;  son  fils  l'a  considérablement  aug- 
mentée, en  la  tenant  au  courant  des  nouvelles  publications.  C'est  à 
l'aide  de  cette  bibliothèque  que  M.  Frédéric  Faber,  greffier  du  con- 
seil des  mines,  décédé  il  y  a  quelques  mois,  a  écrit  une  Histoire  du 
théâtre  français  en  Belgique  pleine  de  renseignements    curieux. 

Un  autre  Belge  mort  récemment,  M.  Frédéric  Fétis,  conseiller  à  la 
Cour  de  cassation,  était  un  fort  savant  amateur  de  faïences  ;  la  col- 
lection qu'il  avait  formée  avec  le  goût  le  plus  délicat  est  très  pré- 
cieuse; il  est  très  désirable  que  le  gouvernement  belge  fasse  pour  elle 
ce  qu'il  a  si  bien  fait  pour  la  bibliothèque  de  M.  Faber;  ce  ne  serait 
que  s'acquitter  d'une  dette  de  reconnaissance,  tout  en  s'enrichissant: 
ce  fut  en  effet  M.  Frédéric  Fétis  qui  rédigea,  par  pur  patriotisme, 
le  remarquable  Catalogue  des  faïences  appartenant  au  Musée  royal 
d'Antiquités  de  Belgique. 

Le  fameux  chef  d'orchestre  Hans  Richter  vient  de  retourner  en 
Autriche  après  avoir  terminé,  le  23  mai,  la  série  des  concerts  phil- 
harmoniques qu'il  avait  entreprise  à  Londres.  Il  retournera  en, 
Angleterre  pour  diriger,  à  la  fin  du  moi«  d'août,  le  festival  de  Bir- 
mingham, où  le  violoniste  Sarasate,  doit  faire  entendre  le  concerto 
que  M.  Mackensie  a  récemment  écrit  pour  lui. 

On  se  prépare,  à  Schwerin,  à  élever  un  monument  à  la  mémoire 
de  Frédéric -Guillaume  Kûcken,  le  compositeur  que  ses  liedereï&e& 
chants  populaires  ont  rendu  si  fameux,  et  qui  est  mort  en  cette  ville 
il  y  a  quelques  années.  C'est  le  sculpteur  Briinow,  de  Berlin  qui  est 
chargé  de  ce  monument. 

* 

Sous  le  titre  :  Clid)  musical  Richard  Wagner^  on  vient  de  con- 
stituer à  Buenos- Ayres  une  association  dont  le  but  principal  est  de 
propager  la  théorie  et  les  œuvres  du  maître. 


TOMBOLA 

DU 

SALON   DE  PARIS 

A  100  FRANCS  LE  BILLET 

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UN  NUMÉRO  GAGNANT  SUR  CINQ  BILLETS  SOUSCRITS 


Tout  souscripteur  n'ayant  pas  gagné  un  des  lots  mis  en  Tombola, 
recevra  un  magnifique  album  de  gravures  inédites. 


ADRESSER  LES  SOUSCRIPTIONS 

AU  PALAIS  DE  L'INDUSTRIE  (PORTE  N"  i) 


Un  prospectus,  contenant  la  liste  des  œuvres  acquises,  est  adressé 
à  toute  demande  par  lettre  ou  carte  postale. 


PI  A  MO  C  BRUXELLES. 

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Paris  i867,  1878,  l"»"  prix.  —  Sidney,  seul  l^"-  et  2«  prix 
EXPOSITION  AHSTERDAN  1883,  SEUL  DIPLOME  D'HONNEUR. 

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ERMEL,  A.  Op.  30.  Conte  oriental,  Caprice    .     .     . 

—  —  di.  Les  Soirées  de  Bruxelles,  lm\)VOin[> 

, tus -Valses  .     .     .     , 

—  —  Zô.  4 ^r  Air  de  Ballet    .     . 

—  Chant  du  Soir  (nouvelle  éditrou) 

—  Balafo,  Polka-Fantaisie    .     . 

—  Etoiles  scintillantes.  Mazurka  . 
KOETTLITZ,  M.  Op.    9.  Barcarolle  .    .     . 

—  —    12.  Laendler    .     .     ; 

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BRUXELLES,  41,  MONTAGNE  DE  LA  COUR 


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DU    CONSERVATOIRE    ROYAL    DE   BRUXELLES 


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LA  FORGE   ROUSSEL 

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Hollande  Van  Gelder,  25  francs. 


Bruxelles.  —  Imp.  Félix  Callbwaert  père,  rue  de  1  Industrie,  26. 


Documents  manquants  (pages,  cahiers.) 

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Cinquième  année.  —  N°  28. 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  12  Juillet  1885. 


L'ART  MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,  un  an,   fr.   10.00;  Union  postale,   fr.    13.00.    —  ANNONCES  :    On   traite  à  forfait. 

Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 
l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


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OMMAIRE 


Ancienne  peinture  et  peinture  nouvelle,  —  Livres  nouveaux. 
Les  Musiciens  néerlandais  en  Espagne  du  XII^  au  XVIII^  siècle, 
par  Edmond  Van  der  Straeten  ;  Contes  mélancoliques,  par  Célestin 
Demblon.  —  Glanures.  —  L'Académie.  —  Les  concours  du  Con- 
servatoire. —  Bibliographie  musicale.  — Ventes  artistiques.  — 
Théâtres.  —  Chronique  judiciaire  des  arts.  —  Petite  chronique. 


ANCIENNE  PEINTURE  ET  PEINTURE  NOUVELLE 

Il  y  a  des  gens,  simples,  oui  très  simples,  qui  consi- 
dèrent ce  genre  de  peinture  qu'on  nomme  impression- 
nisme  comme  un  acte  de  mauvais  gré  de  quelques 
rapins  frondeurs,  résolus  à  vexer  quand  même  Mes- 
sieurs des  académies  en  affichant  le  mépris  le  plus 
absolu  pour  les  traditions  et  les  principes  qui  consti- 
tuent, sinon  le  bon  goût,  au  moins  le  bon  ton  artistique. 
Car,  dans  les  arts  comme  dans  le  monde,  iLy  a  ce 
groupe  grotesque  qui,  pour  employer  son  jargon,  s'ima- 
gine fort  plaisamment  constituer  «  l'ensemble  des  gens 
corrects,  des  personnes  distinguées,  de  bel  air  et  de 
bonne  compagnie,  qui  se  caractérisent  par  une  élégance 
aisée,  une  distinction  naturelle,  un  luxe  de  bonne  qua- 
lité, une  façon  confortable  de  se  mettre  en  bonne  pos- 
ture, une  aptitude  à  devenir  les  arbitres  de  la  vie  de 
salon  et  de  la  société  polie,  par  opposition  aux  mau- 
vaises   manières,    aux    individualités    naturellement 
balourdes,    d'origine    épaisse,    de    façons   vulgaires, 
classées  en  mauvais  rang  et  imprégnées  de  dé  pitsmal-    1 
séants  et  d'infatuation  intolérante.  »  Ouf  !  ô  les  pré-    [ 


cieux  ridicules  d'aujourd'hui  !   car    nous  avons  nos 
précieux  comme  nous  avons  nos  couturiers. 

Donc,^  pour  ces  amalécites,  cet  art  prétendument 
nouveau  qui  tant  se  démène,  serait  tout  uniment  une 
invasion  de  malappris,  mécontents  de  se  voir  surpas- 
sés par  les  peintres  à  belleâ  manières  ;  et  la  mise  à  l'air 
de  leurs  tableaux  apparaîtrait  comme  une  sorte  d'in- 
congruité, basse  et  infecte,  destinée  à  scandaliser  le 
high-life  du  pinceau,  une  Commune  nouvelle,  un 
outrage  au  beau  monde. 

On  comprend  qu'il  faudra  les  ramener  de  loin  si  Ton 
tente  de  leur  démontrer  que  ce  mouvement  qu'ils 
prennent  pour  une  manifestation  de  voyous,  n'est  que 
l'évolution  historique  normale  de  l'art,  et  que  loin  de 
diminuer  l'amplitude  de  celui-ci,  il  le  dote  de  provinces 
nouvelles.  Aussi  en  émettant  ici  quelques  aperçus  à  ce 
sujet,  visons -nous  moins  à  convertir  ces  roquantins 
qu'à  goûter  la  satisfaction  personnelle  qu'il  y  a  à  don- 
.  ner  le  vol  aux  idées  qui  bourdonnent  dans  le  cerveau 
comme  des  mouches  contre  les  vitres.  Une  fois  parties, 
qu'elles  aillent  se  faire  accueillir  où  elles  peuvent. 

L'impressionnisme  !  Cette  façon  imprévue  de  peindre 
les  choses,  en  dehors  des  conventions  séculaires,  avec 
des  procédés  excentriques  (au  moins  le  croit-on),  de 
quel  coin  du  ciel  est-elle  tombée  ? 

A  notre  avis,  c'est  moins  difficile  à  découvrir  qu'on 
le  pourrait  croire  et  pour  s'en  rendre  compte  il  suffit 
de  considérer  quelle  était  la  règle  directoire  de  tout  cet 
art  de  la  Renaissance  qui  pèse  si  lourdement  sur  nos 
temps  contemporains   sans   cesse   préoccupés    de  le 


refaire.  On  peignait  alors  surtout  pour  la  décoration, 
pour  ajouter  par  le  tableau  une  harmonie  nouvelle  à 
l'ensemble  des  tons  résultant  de  rornementation  inté- 
rieure générale  d'un  palais,  d'un  hotel-de-ville,  d'une 
église.  L'artiste,  pendant  qu'il  exécutait  son  œuvre,  la 
voyait  déjà  à  la  place  qu'elle  devait  occuper,  à  hau- 
teur, avec  son  jour  spécial,  dans  le  voisinage  redou- 
table des  tapisseries,  des  cuirs,  des  ors,  des  tentures, 
(les  tons  lourds,  assourdis  ou  éclatants,  qui  caracté- 
risaient l'ameublement  de  l'époque.  Et  entraîné  par 
l'invincible  désir  de  ne  pas  détonner  par  une  note  fausse, 
il  mettait  son  coloris  d'accord  avec  le  milieu.  De  là  est 
venu  ce  phénomène  inquiétant  pour  les  novateurs 
actuels  et  qui  fournit  de  si  belles  armes  à  leurs  détrac- 
teurs, que,  durant  plusieurs  siècles,  tout  ce  qui  était 
grand  a,  invariablement,  peint  dans  la  gamme  brune. 
Ce  n'est  pas  qu'ils  vissent  ainsi.  Leur  œil  sans  doute 
valait  le  nôtre.  Mais  pensant  moins  à  la  vérité  de  leurs 
productions  qu'à  l'unisson  où  elles  devaient  tenir  leur 
partie,  ces  puissants  harmonistes  masquaient  l'impres- 
sion naturelle,  et  tantôt  par  des  glacis,  tantôt  par  des 
mélanges  bitumineux,  échauffaient  la  vive  pâleur  qu'ont 
si  souvent  les  choses  dans  la  réalité.  Leur  coloris  et  leur 
lumière  sont  avec  évidence  empreints  de  ces  procédés 
qu'on  a  toujours  mis  sur  une  façon  de  voir  la  nature, 
alors  qu'ils  n'étaient  qu'une  façon  de  la  transformer 
pour  l'approprier  au  but  limité  qu'ils  poursuivaient.  Les 
plus  illustres  d'entre  eux,  Rubens  et  Rembrandt  par 
exemple,  ont  obéi  à  cette  règle,  et  ce  n'est  guère  que 
parmi  les  plus  humbles  qui  travaillaient  l'œuvre  pour 
elle-même  et  non  pour  sa  destination,  qu'on  découvre 
parfois  quelque  indépendance  de  tonalité  faisant  vague- 
ment présager  les  nouveautés  de  l'heure  présente. 

C'est  avec  ce  passé  si  nettement  conventionnel  dans 
sa  couleur,  mais  sans  en  discerner  la  raison,  que  les 
académies  ont  commencé  l'enseignement  néfaste  dont 
elles  ne  prétendent  pas  se  départir.  Les  élèves  ont  été 
conviés  à  prendre  pour  modèles  cette  série  de  chefs- 
d'œuvre  qui  en  Flandre,  en  Hollande,  en  Italie,  en 
Espagne  réalisaient  en  des  types  merveilleux  le  triom- 
phe des  tons  chauds  et  bistrés.  Il  semblait  que  cette 
immense  production  avait  tout  entière  subi  une  cuisson 
où  s'était  dorée  sa  pâte.  Et  des  milliers  de  malheureux 
appelés,  non  plus  à  cet  admirable  effort  de  décoration 
où  s'étaient  illustrés  leurs  prédécesseurs,  mais  à  l'exé- 
cution d'œuvres  qu'on  s'accoutumait  chaque  jour  davan- 
tage à  considérer  en  elles-mêmes,  se  mirent  à  perpétrer 
les  tableaux  désormais  odieux  où  le  jus  de  tabac  des 
ancêtres,  n'ayant  plus  de  raison  d'être,  est  devenu  la 
plus  agaçante  des  faussetés. 

Il  y  a  cinquante  ans,  quelques  artistes,  surpris  du 
désaccord  énorme  qu'il  y  avait  entre  les  œuvres  du 
passé  et  la  nature  qu'ils  avaient  sous  les  yeux,  com- 
mencèrent à  mettre  en  question  la  légitimité  du  coloris 


des  écoles  antérieures.  Courbet  était  si  violemment 
choqué  de  cette  énigme,  qu'il  demanda,  on  s'en  sou- 
vient, de  fermer  tous  les  musées  pendant  un  demi- 
siècle.  Il  considérait  les  anciens  comme  des  artisans  de 
perversion.  Il  n'avait  pas  deviné  leur  mobile.  «  Pour- 
quoi donc,  s'écriait-il,  ont-ils  peint  brun,  tous  ces  gail- 
lards, alors  que  tout  est  frais  et  clair?  »  D'autres 
devaient  plus  tard,  avec  le  même  étonnemént,  deman- 
der :  "  Pourquoi  donc  dessinent-ils  avec  des  contours 
précis,  alors  qu'il  n'y  a  pas  de  contours?  *»  D'autres 
enfin  :  ♦*  Pourquoi  font-ils  des  scènes  de  convention, 
alors  qu'il  n'y  a  que  des  scènes  réelles?  »  La  réponse 
était  simple,  mais  difficile  à  dégager.  Ces  maîtres 
savaient  aussi  bien  que  Courbet  et  ses  successeurs,  jus- 
qu'aux plus  récents,  jusqu'aux  plus  hardis,  que  la  cou- 
leur naturelle  est  claire  et  fraîche,  que  les  contours 
sont  indécis,  que  la  réalité  seule  existe,  mais  ils  ne  tra- 
vaillaient pas  pour  reproduire  ces  vérités  visibles;  ils 
travaillaient  pour  orner  ce  qu'on  les  avait  chargés 
d'orner,  et  ils  sacrifiaient,  ou  plutôt  ils  ramenaient  tout 
aux  nécessités  d'une  ornementation  parfaite.  Et  ils 
étaient  tellement  dans  la  logique  et  la  convenance  des 
choses,  que  celui  qui  aura  à  accomplir  un  but  analogue 
devra,  malgré  toutes  les  théories  nouvelles  et  leur  légi- 
timité à  un  autre  point  de  vue,  suivre  leurs  doctrines 
et  faire  céder  la  vérité  autant  qu'eux,  sous  peine  de 
tuer  l'entourage  par  le  tableau,  ou  le  tableau  par 
l'entourage. 

Mais,  répétons-le,  nous  sommes  loin  des  périodes  où 
la  peinture  était  surtout  décorative  et  se  subordonnait 
aux  nécessités  architecturales.  Un  tableau  existe  main- 
tenant pour  lui-même  et  c'est  de  ce  sentiment  vraiment 
moderne  qu'est  venu  le  changement  contre  lequel  s'in- 
surgent en  vain  les  prôneurs  déplus  en  plus  rares  d'un 
passé  qui  n'a  plus  sa  raison  d'être,  au  moins  avec  la 
généralité  d'autrefois.  Ce  jqu'on  cherche  dans  l'œuvre, 
c'est  une  impression  directe.  On  la;  fait  maintenant  sor- 
tir des  rangs,  pour  l'examiner  à  part  et  lui  demander 
-dans  son  isolement  les  sensations  artistiques.  Dès  lors, 
pour  ceux  qui  n'ont  pas  perdu  la  droiture  du  goût  natu- 
rel, la  sauce  répugne  invinciblement.  On  ne  s'explique 
pas  sa  raison  d'être.  On  réfléchit  qu'elle  est  injusti- 
fiable, qu'elle  n'est  qu'une  bizarre  convention,  une 
énigme  dont  on  cherche  le  mot.  Et  ne  le  trouvant  pas, 
on  la  condamne,  on  la  malmène,  on  la  hue.  On  crie  qu'il 
faut  peindre  la  nature  avec  la  couleur  qu'elle  a.. .  et  l'on 
est  ainsi  impressionniste  sans  le  savoir. 

Car  l'impressionnisme,  c'est  ça.  Vulgairement  il 
court  sur  le  sens  de  ce  mot  mystique  bien  des  légendes. 
En  général,  on  s'imagine  qu'il  faut  entendre  par  là  les 
peintres  instantanés,  ceux  qui,  en  un  tour  de  main, 
campent  sur  la  toile  leur  impression  du  moment.  C'est 
une  grosse  naïveté.  L'impressionniste  le  plus  en  vue  et 
le  plus  vibrant  pour  l'heure,  Claude  Monet,  ne  peint 


pas  vite  du  tout  et  sa  touche  n'est  guère  légère.  On 
peut  ajouter  qu'au  fur  et  à  mesure  que  récole  se  perfec- 
tionnera, elle  arrivera  à  des  procédés  qui,  comme  pré- 
cision et  fini,  atteindront  aux  belles  et  consciencieuses 
œuvres  des  anciens.  S'imaginer  qu'une  nouvelle  expres- 
sion de  l'art  pourra  consister  uniquement  dans  la  façon 
cavalière  et  preste  de  plaquer  des  taches,  est  puéril 
et  consiste  à  bâtir  une  théorie  explicative  des  néo-côlo- 
ristes  sur  le  sens  plus  ou  moins  exact  du  substantif  par 
lequel  les  ont  désignés  ceux  qui  ne  les  comprenaient  pas 
et  ont  essayé  de  les  dénigrer. 

Non.  L'impressionnisme  est  la  plus  récente  incarna- 
tion de  l'école  qui  veut  peindre  la  couleur,  Tair,  la 
lumière  tels  qu'ils  sont,  en  y  mettant  les  hommes  et  les 
choses  tels  qu'ils  sont^  sauf  à  faire  transparaître  dans 
l'exécution  ce  don  suprême  de  Toriginalité  qui  dépend 
de  la  personnalité  de  l'artiste.  La  marche  de  l'art  dans 
cette  voie  imprévue  est  lente,  elle  s'est  faite  par  étapes, 
mais  elle  a  été  ininterrompue  depuis  le  début  du  siècle. 

Théodore  Duret,  dans  son  excelfent  livre  Critique 
(V avant- garde,  a  fort  bien  résumé  les  éléments  maté- 
riels de  cette  transformation.  Il  montre  Rousseau  allant 
déjà  regarder  la  nature,  mais  ne  prenant  devant  elle 
que  des  renseignements  sommaires,  des  notes  :  il  des- 
sine au  crayon  les  contours  des  arbres,  l'ossature  et  la 
forme  du  sol  ;  il  précise,  par  de  simples  croquis,  l'aspect 
du  feuillage  ou  de  l'herbe;  il  va  même  jusqu'à  relever 
au  pastel,  voire  à  l'aquarelle,  les  jeux  de  la  lumière 
dans  les  nuages,  la  couleur  de  la  lune,  du  ciel  et  des 
eaux.  Puis  rentré  à  l'atelier,  il  compose  et  peint  un 
tableau  à  l'aide  des  indications  recueillies.  Corot  et 
Courbet,  venus  après  lui,  procèdent  déjà  autrement. 
Pour  diminuer  la  distance  qui  sépare  les  études  préli- 
minaires du  travail  de  l'atelier,  ils  peignent  à  l'huile, 
sur  la  toile  même,  des  esquisses  en  plein  air,  en  face  de 
la  nature.  Ces  premières  études,  terminées  à  l'atelier, 
deviendront  des  tableaux  ou  serviront  à  la  peinture  de 
toiles  agrandies  et  développées.  Ils  franchissent  ainsi 
une  partie  de  la  distance  qui  séparait  l'étude  sur 
nature  de  la  peinture  du  tableau,  ils  commencent  à 
rendre  les  deux  opérations  successives,  simultanées. 
Claude  Monet  achève  ce  qu'ils  ont  commencé.  iVvec  lui 
plus  de  croqufs  préliminaires  accumulés,  plus  de 
crayons  ou  d'aquarelles  utilisés  à  l'atelier,  mais  une 
peinture  à  l'huile  tout  entière  commencée  et  terminée 
devant  la  scène  naturelle  directement  interprétée  et 
rendue,  ce  qui  l'a  fait  appeler,  après  Manet,  le  chef  de 
l'école  du  plein  air. 

Tout  artiste  qui  procède  ainsi  est  un  impressionniste, 
qu'il  peigne  lentement  ou  vite,  légèrement  ou  lourde- 
ment. C'est  pourquoi,  en  Belgique,  nous  plaçons  parmi 
eux,  au  premier  rang,  Joseph  Heymans.  Et  ajoutons 
qu'il  arrivera  sans  doute,  qu'il  arrive  déjà  peut-être, 
que  ceux  qui  pratiquent  cette  méthode  si  imprévue  et 


si  salutaire,  atteignent  à  une  virtuosité  qui  leur  permet 
de  traiter  parfois  de  souvenir  des  scènes  naturelles  avec 
une  intensité  égale  à  celle  qu'ils  obtiennent  devant  la 
nature.  C'est,  paraît-il,  le  cas  pour  Vogels.  Ce  fut  le 
cas  pour  Louis  Dubois.  La  question  n'est  pas  de  savoir 
si  l'on  est  toujours  fidèle  aux  pratiques  du  nouvel  évan- 
gile, mais  si  l'on  en  fait  la  règle  dominante  de  son  art 
au  point  d'en  demeurer  toujours  imprégné,  même  quand 
on  s'écarte  passagèrement  de  la  rigueur  de  la  liturgie, 
sauf  à  y  revenir  asse?'souvent  pour  ne  jamais  perdre 
la  fraîcheur  et  la  rectitude  d'impression  qu'elle  donne. 
Avons-nous  par  cette  rapide  causerie  fait  saisir  la 
nature  du  phénomène  c\m  est  cause  de  tant  de  rumeurs  ? 
Avons-nous  mis  en  relief  sa  genèse  et  les  chances  de 
son  avenir?  Aura-t-on  compris  que  le  nier  est  d'un  sot, 
que  le  combattre  est  d'un  retardataire,  et  qu'avec 
l'amoindrissement  des  visées  décoratives  de  l'art  ancien 
grandit  la  place  de  l'art  nouveau  ?  Discerne-t-on  aussi 
qu'il  y  aurait  injustice  à  ne  plus  vouloir  que  de  cette 
école  de  date  récente  et  à  la  faire  servir  à  mépriser 
toutes  les  autres?  Elle  a  sa  manière  spéciale,  elle 
répond  mieux  à  nos  sentiments  présents,  mais  il  serait 
d'un  esprit  étroit  de  la  considérer  comme  la  seule 
vraie,  la  seule  légitime.  Habituons-nous  aux  expres- 
sions artistiques  en  apparence  contradictoh^es,  mais 
qui  sont  en  réalité  complémentaires  l'une  de  l'autre. 
Ayons  la  haine  des  imitateurs  inconscients  qui  pré- 
tendent recommencer  un  art  qui  a  fait  son  temps, 
mais  admirons,  dans  le  passé,  ce  qui  vraiment  fut  à  sa 
place  et  vint  à  son  heure  quand  même  nos  prédilections 
seraient  pour  des  œuvres  plus  jeunes  et  mieux  en 
rapport. avec  nos  sentiments  d'hommes  contemporains, 
quand  m^me,  en  un  mot,  nous  serions....  des  impres- 
sionnistes. 


JaIVRE?    jMOUVEAUX 


Les  Musiciens  néerlandais  en  Espag^ne  du  XII«  au 
XVIII«  siècle.  —  Etudes  et  documents,  par  Edmond  Van  der 
Straeten.  Bruxelles,  Vax  Trigt,  1885. 

Il  y  a  dix  ans  que  M.  Edmond  Van  der  Straclcn  travaille  à  l'un 
des  ouvrages  les  plus  considérables  qui  aient  été  écrits  sur  la 
musique.  Patiemment,  avec  une  conscience  infinie  et  avec  le  flair 
particulier  que  possèdent  seuls  les  collectionneurs  passionnés 
—  qu'il  s'agisse  de  documents  ou  de  coléoptères,  qu'importe? 
si  le  but  diffère,  l'ardeur  est  la  même  —  il  a  réuni,  classé,  coor- 
donné les  éléments  les  plus  intéressants  et  les  plus  complets  sur 
riiistoire  de  la  musi(iue  aux  Pays-Bas  avant  le  xix^  siècle, 
élevant  ainsi  ii  son  pays,  pierre  par  pierre,  un  monument  glo- 
rieux auquel  son  nom  restera  définitivement  attaché. 

I.a  superbe  élude  de  550  pages  qu'il  a  publiée  récemment  sur 
les  Musiciens  néerlandais  en  Espagne  —  premier  tome  d'un 
ouvrage  qui  comprendra  deux  gros  volumes  —  n*est  elle-même 
qu'un  fragment  du  travail  énorme  que  s'est  imposé  l'auteur. 

Ce  qu'il  avait  fait  naguère  pour  la  part  prise  par  les  musiciens 


flamands  dans  le  mouvomonl  musical  de  l'Ilalio,  il  lo  répèle 
aujourd'hui  h  propos  du  rôle  considérable  que  jouèrent  nos  com- 
positeurs, nos  chanteurs,  nos  inslriimenlisles  et  même  nos 
luthiers' en  Espagne  pendant  la  longue  période  qui  se  déroula  du 
xii®  au  XVIII'*  siècle.  On  imagine  ce  qu'une  élude  de  ce  genre 
nécessita  de  rccherclios,  de  compulsations  de  manuscrits,  de 
comparaisons  de  textes,  de  lectures  et  d'annotations.  D'autant 
plus  que  pour  arriver  h  déterminer  exactement  l'influence  des 
musiciens  néerlandais  sur  l'art  espagnol,  il  fallait  commencer 
par.  étudier  celui-ci  aux  époques  qui  ont  précédé  l'intervention 
des  Pays-Bas,  exploration  nécessaire,  mais  combien  laborieuse 
et  difficile  !  , 

Pourtant  la  lâche  était  si  belle,  ni  neuve,  si  féconde  en  décou- 
vertes, que  le  savant  musicologue  l'entreprit  courageusement. 
«  L'élite  de  la  musique  néerlandaise  a  été  déversée  en  Espagne, 
dit-il.  Les  souverains  de  ce  pays,  devenus  maîtres  de  la 
NY'erlande,  dounaienl  les  ordres  les  plus  pressants  pour  en 
extraire  ce  qu'il  y  avait  de  meilleur.  N'onl-ils  pas  élevé,  en  outre, 
aux  hautes  dignités,  nos  typographes  usant  du  procédé,  porté 
par  eux  à  la  perfection,  de  la  notation  musicale  mobile?  » 

Il  est  h  peiné  nécessaire  de  rappeler  les  alliances  dynastiques 
dés  Flandres  avec  l'Espagne,  dès  les  premiers  siècles  du  moyen- 
âge,  pour  expliquer  celte  invasion  de  la  musique  néerlandaise 
sous  le  ciel  de  Castille.  L'étroite  parenté  entre  Philippe-le-Hardi 
€l  le  roi  Jean  d'Aragon  ne  justifie-t-elle  pas  l'échange  artistique 
qui  eut  lieu  et  qui  se  perpétua  durant  des  siècles  entre  nos  con- 
trées et  la  péninsule  ibérique,  tant  dans  le  domaine  de  la 
musique  que  dans  celui  de  la  peinture? 

El  l'art  espagnol  n'a-l-il  pas  gardé  des  traces  nombreuses  de 
l'intluonce  exercée  sur  lui  par  nos  artistes?  Qu'est-ce  que  ces 
célèbres  flamencas,  ces  chansons  populaires  dont  les  gitanos  ont 
conservé  les  traditions,  sinon  les  refrains  introduits,  dès  le 
xïi®  siècle,  en  Andalousie  par  les  ménestrels  flamands?  Que  ces 
chants  aient  subi  des  déformations,  qu'ils  aient  passé  par  le 
creuset  de  l'art  arabe  ou  de  l'art  bohémien,  il  n'en  est  pas  moins 
vrai  qu'en  traversant  les  siècles,  ce  terme,  comme  le  fait  observer 
M.  Van  der  Straelen,  a  dû  porter  une  trace  profonde,  essentielle 
du  génie  flamand.         . 

Il  n'en  fallait  pas  plus  pour  décider  notre  auteur  à  entreprendre 
l'important  travail  de  restitution  et  d'évocation  dont  il  vient  de 
mener  à  bonne  fin  la  première  partie.  Il  n'en  faut  pas  davantage 
pour  faire  comprendre  le  puissant  attrait  que  dégage,  pour  ceux 
qui  aiment  la  patrie,  la  lecture  de  celte  savante  et  ingénieuse 
compilation. 

A  ceux  qui  voudront  se  faire  une  idée  générale  de  la  musique 
néerlandaise  en  Espagne  sans  entrer  dans  le  détail  des  documents, 
pièces  justificatives,  archives  de  tous  genres,  que  l'auteur  à  ras- 
semblés comme  les  i)ièces  éparses  d'un  gigantesque  jeu  de 
patience,  il  sufiira  de  lire  les  sommaires  placés,  ainsi  que  des 
poteaux  indicateurs  le  long  des  grand'routes,  en  tête  de  chacun 
des  chapitres  du  livre.  De  même,  une  tabl'î  alphabétique  de  tous 
les  noms  de  villes,  d'artistes,  d'instruments,  etc.,  cités  au  cours 
du  volume  permettra  aux  chercheurs  de  retrouver  à  l'instant  sans 
aucune  peine  le  renseignement  désiré.  Ajoutons  qu'au  point  de 
vue  de  la  typographie,  des  nombreuses  reproductions  de  textes, 
d^  vignettes,  gravures  en  couleur  et  autres  illustrations  qui 
ornent  l'ouvrage,  celui-ci  fait  honneur  à  son  éditeur.  L'exem- 
plaire tiré  h  petit  nombre  sur  papier  de  Hollande  que  nous  avons 
sous  les  veux  est  vraiment  fort  beau. 


Oh  nous  Saura  gré,  pensons-nous,  d'aVoir  signalé  au  public 
celle  excellente  et  intéressante  élude,  dont  la  publication  n'a 
pas  élé,  semble-l-il,  assez  remarquée.  Un  pareil  livre  est  plus 
qu'un  |:liclionnaire  à  l'usage  des  érudils.  C!esl  un  travail  de 
vulgarisation  qui  s'adresse  -d  tous,  un  livre  d'histoire  consacrant 
les  précieux  souvenirs  de  notre  art  nationpl.  Il  mérite  respect  et 
admiration. 

Contes  mélancoliques,  par  Célestin  Demblçn.  2*  édition. 

Bruxelles,  Cii.  Istace. 

Il  y  a  deux  ans  à  peine,  parut  h  Liège  la  première  édition  des 
Contes' mélancoliques.  VArt  moderne  en  rendit  compte  en  ces 
termes  :  «  Ces  contes,  première  et  incomplète  tentative  d'un 
talent  en  formation,  méritent  une  lecture  attentive.  Us  révèlent 
une  nature  enthousiaste  et  tendre  et  une  volonté.  On  dévoile 
clairement,  dans  ces  essais,  la  lutte  de  deux  littératures.  Demblon 
est  un  romantique  frotté  de  naturalisme;  la  combinaison  de  ces 
deux  facteurs  dégagera  un  jour  une  originalité.  » 

Le  petit  volume  a  fait  son  chemin.  Voici  qu'une  deuxième 
édition  en  a  élé  publiée. 

Quant  à  la  «  lutte  des  deux  littératures  »  à  laquelle  nous  fai- 
sions allusion  en  1883,  l'auteur  paraît  décidé  à  la  mener  jusqu'au 
bout  si  l'on  en  juge  par  l'annonce  que  nous  avons  reçue,  en  même 
temps  que  les  Contes.,  du  livre  nouveau  qu'il  prépare  et  qu'il 
intitule  :  Le  Roitelet,  poème  naturaliste-romantique  en  -prose. 


*G[lanure^ 


Qu'enlend-on  par  le  grand  art?  Un  tableau  de  dimensions 
énormes  peut  appartenir  au  «  genre  »,  un  petit  tableau  au  grand 
art. 


Il  consiste  en  une  conception  absolument  personnelle  qui 
étonne  ou  qui  charme  par  des  qualités  spéciales  qu'on  ne  ren- 
contre point  ailleurs. 


*        vit 


11  est  multiple  :  on  arrive  aux  plus  hautes  expressions  de  la 
beauté  par  des  chemins  très  divers.  jM 


Il  exige  des  connaissances  profondes,  mais  demande  en  même 
temps  que  l'eft'ort  du  savant  ne  se  fasse  nulle  part  sentir.  Il  lui 
faut  la  spontanéité  et  une  certaine  quantité  d'inconscience. 


Nul  ne  peut  devenir  maître  s'il  ne  commence  par  être  ouvrier; 
mais  le  travail  de  l'ouvrier  ne  se  laisse  jamais  voir  dans  l'œuvre 
du  maître. 


*   *• 


Qu'ils  sont  lourds  et  fatigants  ces  peintres  qui  n'ont  pour  eux 
que  la  science  et  qui  vous  forcent  h  reconnaître  et  t»  proclamer 
des  talents  qui  vous  ennuient  ! 


Comme  l'artiste,  le  critique  a  tous  les  droits,  y  compris  celui 
de  se  tromper.  Comme  l'artiste,  il  travaille  pour  le  public.  Après 


le  Salon  des  pcinlres,  on  a  lo  Salon  des  critiques.  Après  la  pièce, 
le  comple-rcndu. 


Le  critique  regarde  l'œuvre,  donne  son  avis,  le  molivc  s'il  se 
peut,  et  expose  son  travail  comme  i'autcur  dramatique  sa  pièce 
et  le  peintre  son  tableau. 


Nous  nous  garderons  de  jamais  demander  à  un  peintre  son  avis 
sur  les  ouvrages  de  ses  confrères;  son  savoir-faire  est  un  sûr 
garant  d'une  incompétence  particulière. 


* 
*  *■ 


Rien  n'est  devenu  plus  commun  qu'un  certain  don  de  talent, 
rien  ne  s'est  fait  plus  rare  qu'une  certaine  quantité  d'idéal  da.ns 
les  ouvrages  de  l'esprit. 


Jamais  l'Art  n'a  eu  autant  de  disciples  que  de  nos  jours.  Mais 
il  semble  qu'à  s'étaler  il  ait  perdu  quelque  chose  de  celte  fière 
chastcld,  de  ce  mépris  de  la  foule,  de  cet  unique  souci  de  la  réa- 
lisation longuement  caressée  du  beau  qui  produit  les  œuvres 


véritablement  originales. 


L'ACADÉMIE 

.  Un  de  nos  collaborateurs,  M.  Emile  Verhaeren,  vient  de  con- 
sacrer dans  la  Société  nouvelle  une  importante  étude  au  paysa- 
giste Joseph  Heymans.  Nous  en  détachons  l'intéressant  fragment 
que  voici  : 

«Il  est  de  nécessité,  une  fois  qu'on  a  mis  le  pied  dans  certaines 
académies,  de  se  reconquérir  pour  être  artiste.  Le  malheur 
veut  que  tout  ce  qu'on  apprend  en  Belgique,  avant  qu'on  ait 
conscience  de  soi,  ne  sert  à  rien.  Tout  l'enseignement  acadé- 
mique consiste  à  dessécher  la  personnalité,  à  la  tarir.  Pour 
devenir  artiste,  il  faut  regarder  en  dedans  de  soi,  son  îime,  et  en 
dehors  de  soi,  la  nature.  Il  faut  se  sentir  et  sentir  les  choses, 
établir  entre  son  tempérament  et  l'extérieur  une  communion  un 
lien,  soit  de  haine  ou  d'amour,  de  joie  ou  de  mélancolie,  de 
despotisme  ou  d'abandon. 

L'artiste  naît  ainsi  et  le  poète.  L'Académie  coupe  celle  chaîne, 
qui  va  de  l'âme  aux  choses  et  m^t  entre  l'homme  et  la  nature  le 
tableau,  le  «  déjà  vu  »  et  doclorise  : 

«  Voici  un  chef-d'œuvre.  Rien  n'existe  hors  de  lui.  II  est 
signé  Raphaël,  Ingres,  David.  Il  vivra  aussi  longtemps  que  le 
monde.  II  est  fait  selon  telles  règles,  telles  formules.  Admirez-en 
les  proportions  vraies,  comme  la  symétrie,  le  sacro-saint  dessin,  le 
dogmatique  contour.  Vous  devez  apprendre  à  faire  des  chefs- 
d'œuvre  ;  or,  il  n'est  qu'un  moyen  :  c'est  de  ne  jamais  regarder 
au  delà,  ni  à  côté,  ni  par  dessus,  ni  en  dessous  de  celui-ci. 

«  S'il  vous  arrive  de  faire  un  portrait  songez  aux  bras  et  au 
col  et  aux  mains  et  aux  yeux  qui  se  trouvent  peints  sur  œ  chef- 
d'œuvre  :  ce  sera  le  moyen  de  donner  de  la  dignité  à  votre 
travail  ;  s'il  vous  arrive  d'estiuisscr  un  nu,  sachez  que,  du  che- 
veu le  plus  menu  jusqu'à  la  pointe  de  l'orteil,  tout  est  parfait 
sur  le  chef-d'œuvre  et  que  vous  n'avez  pas  le  droit  d'inventer 
quoi  que  ce  soit  sans  outrager  lé  grand  style;  de  mémo  si  vous 
avez  à  composer  une  scène  de  genre,  songez  encore  au  chef- 


d'œuvre,  songez  y  toujours  dussioz-vous  peindre  à  un  cordonnier 
le  bras  de  l'Apollon  du  Belvédère  et  à  une  marchande  de  rue 
la  poitrine  de  la  Vénus  de  Milo.  » 

El  c'est  ainsi  qu'ont  pris  naissance  des  théories  moVislrueuses 
de  fausseté  qui,  toutes,  une  à  une,  comme  des  poisons,  sont 
essavées  sur  les  élèves.  ,  * 

On  connaît  les  axiomes  esthétiques  qui  veulent  que  tout 
personnage  ait  la  longueur  du  corps  égale  à  celle  de  ses  bras, 
étendus,  qui  exigent  que  le  nombril  se  trouve  toujours  au  point 
d'intersection  des  deux  diagonales  tracées  de  l'extrémité  du  bras 
gauche  au  pied  droit  et  du  bras  droit  au  pied  gauche.  On  n'ignore 
pas  l'importance  des  canons,  des  displinaires  canons  et  de  la  hau- 
teur du  corps,  qui  doit  être  f^ept  fois  celle  de  la  tête. 

Le  mal  e.sl,  afïirme-t-on,  peu  redoutable.  Les  vrais  forts 
résistent  à  ces  années  de  compression. 

Ils  se  roidissont  et  apprennent  une  manière  de  calligraphie 
artistique  qui  leur  fait  la  main.  Pardon,  outre  que  de  beaux, 
talents  ont  sombré  dans  les  tlancs  de  l'Académie  aussi  pointus 
do  cotes  que;  Charybde  et  Scylla,  le  diantre  est  qu'elle  élève, 
qu'elle  nourrit,  qu'elle  ehlrelient,  qu'elle  couronne,  qu'elle 
décore  toute  la  grande  séquelle  des  artistes  nuls,  veules, 
obstruants,  siiperfélatoires  et  superfécatôiros,  qui  tapissent,  qui 
salissent,  qui  dégradent  les  murs  des  expositions. 

Ils  sont  dix,  vingt,  cent,  mille,  à  vous  insulter  de  leurs 
œuvres  dès  que  vous  entrez,  ils  vous  torturent  l'œil,  ils  vous 
gueulent  leurs  couleurs  criardes  à  l'oreille;  ils  vous  mettent  des 
colères  sur  la  langue,  des  rages  dans  le  cœur,  des  procès-verbaux 
au  collet,  si  vous  avez  le  malheur  d'entailler  par  folâtrerie  leur 
envoi  ;  ils  sont  vos  tortionnaires,  vos  cauchemars,  vos  haines, 
ils  vous  accablent  de  leurs  deux  mille  trois  cents  toiles  au  Salon  de 
Paris,  de  leurs  douze  cents  tableaux  au  Salon  de  Bruxelles, 
impunément,  doucement,  officiellement  —  et  l'Académie  leur 
sourit,  les  présente  au  roi,  au  président  de  la  République,  à  tous 
les  représentants  de  la  médiocralie  moderne,  et  c'est  elle  encore 
qui  les  envoie  par  dessus  les  monts  faire  des  farces  d'atelier  à 
Rome  sous  prétexte  de  se  perfi'clionner  dans  l'art  de  tuer  l'art. 
Voilà  le  crime  :  créer  des  médiocrités.  Tous  les  systèmes  patronnés 
par  l'Académie  y  tendent.  Son  idéal  est  vulgaire,  accessible  au 
premier  venu,  au  chien  qui  passe. 

Elle  fausse  toute  notion  exacte  des  choses,  elle  apprend  à  voir 
ce  qui  n'existe  que  dans  ses  théories  et  ses  méthodes,  c'est-à-dire 
ce  qui  n'existe  pas  dans  la  réalité  et,  faussant  l'œil,  la  main, 
l'imagination,  le  sentiment,  elle  rend  l'artiste  inapte  à  imaginer 
quoi  que  ce  soit  de  vivant  et  de  vrai.  L'Académie  lue,  écrase, 
anéantit  l'art,  bien  plus  :  elle  tue  sa  notion  même,  son  germe, 
son  principe.  » 

■"     -pONCOUR^     DU    j]0N3ERVAT0IRE 

"Violon. 

Professeurs  :  MM.  Jeno  Hubay,  Colyns  et  A.  (a>rnélis.  Ipr  prix 
avec  laphcs  grande  distinction ,  M.  Alonso  ;  l^""  prix  arec  distniction,  ' 
M^es  H.  Schmidt  et  Douglas;  1er  prjx^  ^f.  Rigo;  2"  prix  avec 
distinction,  M.  Sauveur;  2®  prix,  MM.  Laoureux,  Drèze,  Darmaro, 
M"e8Mees  et  L.  Van  Netzer  ;  i^^  accessit,  MM.  Goosseus,  Queeckers, 
GoUin,  Fiévez,  M"cs  A.  Von  Netzer  et  Stirling;  2«  accressit, 
MM.  Godebski  et  Van  Yperen. 

Chant  [Jeunes  filles). 
Professeurs  :  MM.  AVarnots,  Corxélis  et  M"'e  Lemmens-Sher - 


RiNGTON.  l'^r  prix  uvec  la  plus  grande  distinction,  M"«  Fierens; 
1"  prix  avec  distinction,  M"e  Buol  ;  !«'  prix,  M"e8  Grégoir, 
Hieniaux  et  Buol  ;  2»  prix  avec  distinction,  M"»»  Urbain  et  Gérard  ; 
2«  prix,  M"'î8  Shepard,  Van  Besten  et  Passmore;  1"  accessit, 
l^jiifB  Brass,  Corroy,  Cornez,  Hoefler,  Lagye  et  Lecion  ;  2^  accessit, 
I^liies-Xeyt,  Duclos  et  Joostens.  , 

Chant  {Hommes). 

Professeur  :  M.  Warxots.  i^r  prix,  non  décerné  ;  2«  prix, 
MM.  Van  der  Goten  et  Van  Ruyskenvelde  ;  ler  accessit,  MM.Vander- 
zanden,  Raquqz,  Boon,  Honorez  ;  2«  accessit,  M.  Frère. 

Chant  italien. 

Professeur  :  M.  Chiaromonte.  !««•  prix,  non  décerné  ;  2«  prix, 
M»'«  Dedeyn. 

Duos  [Priu;  de  la  Reine). 

Prix  :  M'ies  Buol  et  Hiernaux. 

A  mercredi  le  concours  de  déclamation,  qui  clôturera  la  série. 


PlBUOQRAPHlE    MU^ICAl-E 

La  maison  Brcilkopf  et  Harlel  vient  de  terminer  la  publication 
des  douze  poèmes  symplioniques  de  Liszt  réduits  pour  piano  à 
deux  mains.  Les  deux  dernières  œuvres  parues  sont  :  Ce  qu'on 
entend  sur  la  montagne  (n"  i)  et  Prométhée  (n"  5).  Elles  sont 
iranscrites  par  M.  L.  Slark,  de  même  que  Mazeppa,  les  Fest- 
Kldnge  et  le  Combat  des  Huns.  Les  autres  ont  été  réduites  par 
M.  Forchhammer  {Le  Tasse,  Hêroide  funèbre  et  Hamlel),  par 
W.  Spiro  {Orphé/'.  et  Hitugaria),  par  M.  Klausncr  {Les  préludes), 
et  par  M.  Hahn  {Die  Idéale).  Les  douze  poèmes  de  Liszt  forment 
une  superbe  collection,  macçuifiquement  i^r.ivée  et  imprimée. 
Chacun  d'eux  est  précédé  d'une  notice  explicative  en  français  et 
en  allemand.  Les  excellentes  réductions  qui  en  ont  été  faites 
donnent  de  l'œuvre  une  idée  originale  aussi  exacte  et  aussi  com- 
plète que  possible. 

Parmi  les  plus  récentes  publications  des  mêmes  éditeurs,  citons 
Trois  morceaux  de  genre  {o\).  ^),  par  le  savant  professeur  au 
Conservatoire,  M.  Gustave  Sandre.  Ce  cahier, de  difficulté  moyenne 
cl  qui  variera  agréablement  l'ordinaire  des  candidats  ès-piano, 
comprend  une  Berceuse  (la  meilleure  des  trois  pièces),  une 
Barcarolle  et  une  Sérénade  humoristique. 

Pour  les  plus  petites  mains  et  les  plus  jeunes  cerveaux,  la 
même  maison  met  en  vente  un  recueil  de  petits  morceaux  dans 
le  genre  des  Albums  pour  la  jeunesse  de  Schumann.  Titre  : 
Kleine  stiicke  fur  Klcine  Leute.  Auteur  :  Gustay  Tyson  Wolff. 

M.  Friedrich  Scliiflf  a  composé  sur  des  paroles  d'Emmanuel 
Ceibel  de  la  musique  mélodramatique  assez  ampoulée  et,  somme 
toute,  de  peu  de  valeur.  La  chose  s'appelle  La  fille  du  Voyvode. 
C'est  une  ballade  dans  le  genre  triste  pour  laquelle,  dit  un  avant- 
propos,  «  une  voix  de  femme  au  timbre  sombré  (mettons  sombre) 
et  à  l'accent  dramatique  confient  plus  pariiculièremenl.  »  Cctic 
voix  doit  «  de  temps  à  autre,  mais  poini,  cepcndani,  d'une  façon 
soutenue  et  suivie,  moduler  le  ton  de  la  déclamation  sur  léchant 
même.  »  Si  la  musique  n'est  pas  bien  faite,  la  rime  n'est,  par 
compensation,  guère  riche.  Bobe  nuptiale  rime  avec  par  inter- 
valle, soudain  avec  chemin,  etc.  il  est  vrai  que  les  ve:s(?) 
français  sont  de  Gustave  Lrgye,  ce  qui  est  une  circonstance 
atténuante. 


MM.  Breitkopf  et  Hiirter  enrichissent  continuellement  leur 
Bibliothèque  de  chœurs,  ^ous  usons  sous  les  yeux  tles  parties 
séparées  du  Requiem  de  Mozart,  dont  la  gravure  et  l'impression 
sont  irréprochables.  Le  prix  modique  auquel  ces  parties  sont 
niiscscn  vente  (30  pf.)  marque  les  progrès  considérables  réalisés 
en  ces  dernières  années  par  les  publications  musicales. 

On  connaît,  à  cet  égard,  la  remarquable  édition  populaire 
d'œuvrcs  classiques  que  publie  la  célèbre  maison.  Nous  avons 
déjà  eu  l'occasion  d'en  parler.  MM.Brcitkopf  et  Hartel  sont  arrivés 
îj  fairCj  pour  un  prix'insignifiant,  des  merveilles  de  gravure  et 
de  typographie.  Le  dernier  volume  paru  de  celte  collection  pré- 
cieuse (n®  522),  qui  renferme  six  concertos  de  J.-S.  Bach, 
transcrits  pour  piano  k  quatre  mains  par  M.  Waldersee,  est, 
comme  les  précédents,  d'une  nette:é  d'impression,  d'une  clarté 
cl  d'une  correction  parfaites. 


Vente  de  Knyff. 

Leç  25  et  26  juin  a  eu  lieu  la  vente  des  tableaux  et  objets  d'art 
dépendant  de  la  succession  de  M.  le  chevalier  de  Knytf.  Le  total  de 
la  vente  s'élève  à  37,000.  Voici  les  principales  enchères  : 

La  Vogue  :  200  fr.  —  La  rallcc  Trtmhctzkoï,  Fontainebleau  :  250. 

—  Troupeau  de  vaches  à  Genck  :  580.  —  Les  Prairies  de  Morte- 
fontaine  :  520.  ■ —  Bœufs  au  repos,  Morte  fontaine  :  600.  —■  Neuf 
tableaux  et  études  d'animaux  sur  bois  :  525.  —  Neuf  tableaux  et 
études,  paysages  sur  bois  :  280.  —  Près  Dordrecht  :  220.  —  Bœufs 
au  repos  daits  les  prairies  de  Mortefontaine  :  340.  —  Scieurs  de 
long  dans  la  pn'H  de  Compiègne  :  350.  —  Les  Hauteurs  de  Chant- 
pignij  :  680.  —  Avant  Vorage,  près  Granville  :  500.  —  Sous  bois 
à  Hoiœhenèe  :  380.  —  Retour  des  thanips,  Houchenée  :  320,.  —  Sous 
bois,  Xhos  {province  de  Liège)  :  320.  —  La  Chapelle  de  Xhos  :  380. 

—  Le  Hoyoux,  près  Modave  :  250.  —  Marais  da>is  les  Landes  :  350. 

—  Les  Saules,  coucher  de  soleil  :  300.  —  Coucher  de  soleil  en 
Campine  :  250.—  En  Sologne  :  260. —  Jardin  de  M.  Alfred  Stei'cns, 
effet  de  neige  :  505.  —  Bords  de  l'Ourthe  :  325.  —  Coucher  de 
soleil  :  2i0.  —  Vaches  à  l'abreuvoir,  Mortefontaine  : '2^0.  —  La 
Mare,  Souvenir  du  Nivernais  :  40. 

Tableaux  et  dessins  par  divers.  —  Rousseau  (Th.).  Dessin  au 
crayon  noir,  rehaussé  :  440.  —  Stevens  (Alfred).  Intérieur  :  200.  — 
Stevens  (Alfred).  Marine  :  625.  —  Stevens  (Alfred;.  Le  Printemps  : 
355  francs. 


Jhéatrz^ 

On  annonce  qive"Mï-Vei?dh«rtvie»t  de  recevoir  un  nouyaLouvrage 
qui  passera  dans  le  courant  de  la  prochaine  saison  à  la  Monnaie.  Il 
s'agit  d'un  opéra-comique  en  4  actes,  Saint-Mégrin,  par  Hille- 
macher,  tiré  par  MM.  E.  Dubreuil  et  E  Adenis  du  drame  d'Alexan- 
dre Dumas  i/<:'Hr/ ///<'<  sc«  ron>'. 

Il  paraît  aussi  que  M.  Verdhurt  a  engagé,  aussitôt  après  le  cou- 
cours  du  Conservatoire,  Mi'c  Fierens,  qui  y  avait  remporté  le 
premier  prix  de  chant  avec  la  plus  grande  distinction. 


•pHRONIQUE    JUDICIAIRE    DE^    ART^ 

Le  conflit  qui  s'est  élevé  récemment  à  Paris  entre  MM.  Moreau- 
Sainti,   Adenis  et  L.  Ronnemère  au  sujet  du  livret  des   Templiers 


UART  MODERNE 


227 


et  que  nous  avons  rapporté  dans  notre  dernier  numéro,  vient  de 
recevoir  une  solution. 

La  commission  des  auteurs,  dont  ces  messieurs  avaient  accepté 
d'avance  la  décision  sans  appel,  a  reconnu  à  l'unanimité  comme  bien 
fondé  le  droit  de  collaboration  que  revendiquait  M.  Moreau-Sainti. 

Son  nom  paraîtra  donc  sur  les  affiches  de  la  Monnaie. 

La  conférence  des  avocats  s'est  réunie  le  22  juin  sous  la  présidence 
de  M.  Oscar  Falateuf,  ancien  bâtonnier,  pour  discuter  la  question 
suivante  :  —  «  Un  créancier  hypothécaire  peut-il  exercer  son  droit 
de  préférence  sur  le  prix  d'objets  d'art  que  le  propriétaire  a  détachés 
du  fonds  hypothéqué,  puis  livrés  à  un  acquéreur  de  bonne  foi  ?»  — 
MM.  Brocard  et  Delom  de  Méserac  ont  soutenu  l'affirmative; 
MM,  Pascal  et  Alfred  Michel  la  négative  ;  ministère  public, 
M,  Maurice  Bernard.  La  Conférence  a  adopté  la  négative.       * 

On  affirme  que  M.  Gounod,  revenant  sur  sa  décision  première, 
se  résout  à  remplir  l'engagement  qu'il  avait  pris  et  à  aller  diriger, 
au  festival  de  Birmingham,  l'exécution  de  son  oratorio  Mors  et  Vila, 
à  condition  seulement  que  le  comité  du  festival  le  garantisse  contre 
les  conséquences  tlu  fameux  procès  Weldou.  Cette  garantie  nous 
semble  ditïicile  à  obtenir. 


MEMENTO  DES  EXPOSITIONS  ET  CONCOURS 

Budapest.  —  Ouverture  le  1er  juin.  Fermeture  le  30  septembre, 
En  deux  séries.  Délais  d'envoi  :  l^c  série,  expirés.  2^  série,  25  juillet. 
Transport  aller  et  retour  (petite  vitesse)  aux  frais  de  la  Société  hon- 
groise des  Beaux-Arts.  Dépôt  à  Bruxelles,  chez  M.  Mommen, 
25,  rue  de  la  Charité  ;  à  Anvers,  chez  M.  Claessens,  12,  place  du 
Poids  public.  —  Secrétariat  :  Sugarut,  81,  Budapest. 

Nuremberg.  —Exposition  internationale  d'orfèvrerie,  de  joaille- 
rie, de  bronzes,  etc.  Du  15  juin  au  30  septembre  1885. 

Salzbourg  (Autriche).  —  Ouverture  le  août.  Durée  un  mois. 
Délais  :  Envoi  des  notices  avant  le  30  juin,  des  œuvres,  le  14  juillet. 
Communications  :  A  la  Cunimissioa  de  l'Ecrposilion,  Kimstlerhause, 
Salzbourg. 

Spa.  —  Ouverture  :  12  juillet.  Fermeture  :  fin  septembre.  Délais 
expirés. 

Verviers.  —  Ouverture  23  août.  Délai  d'envoi  :  du  10  au  1.7  août. 
Lettre  d'avis  avant  le  31  juillet,  au  Secrétaire  de  la  Société  pour 
l'cncouragonent  des  Beaux-Arts.  Gratuité  de  transport  (aller  et 
retour  sur  le  territoire  belge)  pour  les  œuvres  des  artistes  belges  ou 
étrangers  invités  (petite  vitesse  n^  2). 

Nous  attirons  spécialement  l'attention  des  artistes  sur  cette 
exposition,  la  première  qu,i  s'ouvre  à  Verviers. 


Bruxelles.  —  Un  grand  concours  de  peinture  sera  ouvert,  cette 
année,  entre  les  élèves  et  les  anciens  élèves  de  l'Académie,  âgés  de 
inoins  de  trente  ans  révolus,  qui  ont  obtenu  une  distinction  quel- 
conque dans  la  classe  de  peinture  ou  dans  la  classe  de  dessin  d'après 
nature. 

Le  prix  est  de  mille  francs. 
'  Ce  concours  aura  lieu  du  13  au  25  juillet  courant.  Les  inscriptions 
se  feront  au  secrétariat  de  l'Académie,  rue  du  Midi,  le  11  juillet, 
de  9  heures  à  midi.' 

Bruxelles.  —  Vingt-cinquième  concours  de  composition  musicale. 
Ouverture  le  20  juillet  1885. 

Inscriptions  au  ministère  de  l'agriculture,  de  l'industrie  et  des 
travaux  publics  jusqu'au  11  juillet,  à  4  heures.  Les  concurrents  qui 


n'habitent  pas  Bruxelles  peuvent  adresser  par  écrit  leur  demande 
d'inscription  ;  à  cet  effet,  ils  déposeront,  avant  le  7  juillet,  leur  lettre 
avec  les  jùèces  à  l'appui,  entre  les  mains  de  l'administration  com- 
munale de  leur  localité,  qui  la  transmettra  immédiatement  audit 
ministère. 

Les  aspirants  sont  tenus  de  justifier  de  leur  qualité  de  Belge  et  de 
prouver  qu'ils  n'auront  pas  atteint  l'âge  de  30  aus  au  20  juillet. 

Prix  du  Roi.  —  Concours  de  1886,  1887  et  1888.  —  Un  arrêté 
royal  du  20  avril  courant  porte  que  le  prix  à  décerner  en  1886  (con- 
cours exclusivement  belge)  sera  attribué  à  l'ouvrage  le  mieux  conçu 
pour  développer  chez  la  jeunesse  belge  riutelligence  et  le  goût  des 
littératures  anciennes  et  mode:  nés. 

Le  prix  à  décerner  en  1887  (concours  exclusivement  belge]  sera 
attribué  à  l'ouvrage  qui  démontrera  le  mieux  de  quelle  manière  la 
Belgique  doit  comprendre  son  rôle  dans  la  grande  famille  euro- 
péenne, tant  au  point  de  vue  politique  et  intellectuel  qu'au  point  de 
vue  matériel,  pour  servir  lé  mieux  ses  propres  intérêts  eu  même  temps 
que  ceux  de  la  civilisation  en  général. 

Le  prix  à  décerner  en  1888  (concours  exclusivement  belge)  sera 
attribué  au  meilleur  ouvrage  sur  l'enseignement  des  arts  plastiques 
en  Belgique  et  sur  le  moyen  de  développer  lart  en  Belgique  et  de  le 
porter  à  un  niveau  de  plus  en  plus  élevé. 

Les  ouvrages  destinés  à  ces  concours  devront  être  transmis  au  mi- 
nistre de  l'agriculture,  de  l'industrie  et  des  travaux  publics,  à  savoir  : 
pour  le  prix  à  décerner  en  1886,  avant  le  1er  octobre  1886,  et  pour 
les  deux  autres,  respectivement  avant  le.  1er  janvier  des  années  1887 
et  1888. 

Vienne.  —  Concours  pour  l'érection  d'un  monument  à  Mozart. 
La  place  sur  laquelle  doit  être  élevé  le  monument   n'étant  pas 
encore  déterminée  par  la  municipalité,  le  concours  reste  ouvert. 


pETITE    CHROJ^iquJE 


On  nous  annohce  de  Gand  la  mort  du  compositeur  Henri  Waelput, 
dont  les  symphonies,  les  ouvertures,  les  chœurs  et  surtout  les 
recueils  de  mélodies  étaient  fort  appréciés.  Waelput  était  né  à 
Gand  le  26  octobre  1845.  A  vingt  ans,  il  remportait  le  prix  de  Rome 
avec  sa  cantate  :  Het  Woud  {La  Forêt).  Il  fut,  à  son  retour,  appelé 
à  la  direction  de  l'orchestre  du  théâtre  d'Anvers,  puis  on  le  nomma 
professeur  au  Conservatoire.  Il  quitta  Anvers  pour  rentrer  dans  sa 
ville  natale,  où  il  fut  attaché  au  Conservatoire.  Il  laisse  un  grand 
nombre  de  compositions  parmi  lesquelles  il  en  est  qui  ont  une 
réelle  valeur.  . 

M.  Kéfer,  l'excellent  pianiste,  se  fera  entendre  mercredi  prochain 
au  Waux-Hall.  Il  y  aura  foule  pour  applaudir  le  jeune  virtuose. 


La  représentation  de  Lohcngrin  à  l'Opéra-Comique  paraît  toujours 
chose  assurée  pour  l'hiver  prochain.  Afin  (Je  procurer  à  l'œuvre  une 
interprétation  aussi  exacte  et  aussi  fidèle  que  possible,  M.  Câr^alho 
songerait,  dit-on,  à  envoyer  M.  Danbé  en  Allemagne  pour  étu<lier 
sur  place  les  détails  de  l'exécution,  prendre  une  connaissance  cer- 
taine des  mouvements  et  se  rendre  compte  de  toutes  les  traditions 
généralement  adoptées  de  l'œuvre  (le  Wagner.  ■      ■ 


On  annonce  que  M.  Massenet  a  définitivement  confié  à  M™»  Bos- 
man  le  second  rôle  féminin  de  sou  nouvel  opéra,  le  Cid,  primiti- 
vement destiné  à  M'"*  Lureau-Escalaïs. 


Le  Rappel  publie  la  troisième  liste  de  souscription  pour  le  monu- 
ment de  Victor  Hugo.  L'ensemble  des  souscriptions  s'élève  aujour- 
d'hui à  30,724  francs. 


228 


VART  MODERNE 


Le  prix  Marie  Bashkirtseff  a  été  décerné  par  la  section  du  jury 
(lu  Salon  de  peinture  à  M.  Eugène  Carrière,  qui  a  exposé  VEnfant 
malade  et  le  Favori,  deux  ouvrages  récompensés  d'uue  médaille  de 
troisième  classe.  , 

On  sait  que  le  prix  Marie  Bashkirtseffest  d'une  valeur  de  500  francs 
et  que,  selon  la  volonté  de  sa  fondatrice,  il  doit  être  décerné  chaque 
année  à  un  arHste,  homme  ou  femme,  intéressant  par  sa  situation  et 
récompensé  au  Salon.  _ 


Le  Conseil  municipal  de  Paris  s'est  occupé  des  améliorations  à 
apporter  à  l'exposition  dans  les  lieux  publics  des  oeuvres  d'art,  au 
point  de  vue  de  Vinslruction  générale.  M.  Levraud  avait  proposé  que 
des  notices  fussent  placées  sur  cliacune  des  œuvres  d'art  des  musées 
nationaux.  Le  même  conseiller  a  signalé  la  demande  d'un  pétion- 
naire  proposant  d'étendrie  la  mesure  à  tous  les  socles  de  statues,  à 
tous  les  groupes  et  médaillons  qui  décorent  les  monuments,  places 
et  jardins  publics.  La  5«  commission,  et,  après  elle,  le  conseil,  sont 
d'avis  de  donner  satisfaction  à  ce  double  vœu,  et  M.  le  préfet  de  la 
Seine  accepte  d'autant  plus  volontiers  l'invitation  qu'elle  est  conforme 
à  son.  propre  sentiment.  Dans  le  même  ordre  d'idées  une  proposition 
de  M  Marsoulan  est  renvoyée  à  l'étude  de  la  5^  commission  :  elle 
tend  à  demander  cà  l'Etat  de  prendre  les  mesures  nécessaires  pour 
que  tous  les  moulages  en  plâtre  des  œuvres  d'art  soient  mis  à  la  dis- 
position du  public  moyennant  une  faible  redevance. 


Le  théâtre  de  Dresde  prépare  pour  la  prochaine  campagne  un 
ouvrage  à  sensation.  Il  s'agit  d'un  drame  lyrique  du  compositeur 
Kienzl,  de  Gratz,  dans  le  style  wagnérien,  intitulé  Vrvasi.  La  parti- 
tion, qui  est,  dit-on,  d'une  richesse  d'instrumentation  remarquable, 
comporte  un  grand  luxe  de  mise  eu  scène  et  de  décors. 


Le  Courrier  Français  de  cette  semaine  contient  une  très  belle 
gravure  sur  bois  :  A  la  dé-inve,  par  Delatre,  d'ai)rès  le  tableau  de 
Scalbert;  Une  drôle  de  pêche,  par  Steinlen  ;  7e  i^/rtwe  des  Amours, 
par  L.  Galice,  et  le  Mois  de  Juillet,  par  G.  Paquéau.  Bureaux  du 
journal,  14,  rue  Séguier,  à  Paris.  Envoi  gratuit  de  numéros-spéci- 
mens sur  demande. 


Robert  Pranz,  le  compositeur  dont  toute  l'Allemagne  connaît  les 
chansons,  a  fêté  le  28  juin  le  70®  anniversaire  de  sa  naissance.  Il  y  a 
eu  à  cette  occasion  à  Steyermarck,  où  réside  le  musicien  populaire, 
d'enthousiastes  démonstrations. 


Un  jeune  compositeur  allemand,  Richard  Henberger,  travaille  à 
un  opéra  tiré  de  la  comédie  de  Shakespeare  :  As  you  like.  L'ouvrage 
paraîtra  sous  le  titre  :  Viola. 


Van  Fris  zum  Meer  (Spemann,  éditeur  à  Stuttgard)  consacre 
un  «  numéro  d'été  »  extraordinaire,  illustré  de  nombreuses  gravures, 
avec  couverture  spéciale,  à  des  excursions  dans  la  Suisse  franco- 
nienne (Bavière)  et  à  Mondsee  et  Uttersee  (Salz-Kammergut).  A  lire 
aussi  une  étude  sur  Tennyson,  ornée  du  portrait  du  poète,  un  article 
sur  Victor  Hugo,  des  nouvelles,  des  vers,  une  feuille  d'album  pour 
piano,  etc. 


Les  annonces  sont  reçues  au  bureau  dujommal, 
26 r  rue  de  V Industrie ^  à  Bruxelles. 


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Mozart,  sonates  en  mi  b.  maj.,  et  fa  maj. 
Mozart,  sonates  en  si  b.  maj.,  et  la  maj. 
Mozart,  sonate  en  fa  maj. 


VIENT  DE  PARAITRE 

CHEZ  FÉLIX   CALLEWAERT   Père 

26,  HUE  DE  L'INDUSTRIE,  A  BRUXELLES 


LA  FORGE  ROUSSEL 

PAR  Edmond  PICARD 

Édition  définitive,  tirée  à  petit  nombre 

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Hollande  Van  Gelder,  2^  francs.  » 


Bruxelles.  —  Imp.  Félix  Callewaert  père,  rue  de  1  Industrie,  26. 


Cinquième  année.  —  N**  20 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  19  Juillet  1885. 


L'ART  MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVÏÏE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,  un  an,  fr.  10.00;  Union  postale,   fr.    1*3.00.    —  ANNONCES  :    On   traite   à  forfait. 


Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  comniunications  à 
l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


^OMMAIRE 


Les  Déliquescents.  —  Les  Impressionnistes  français.  Renoir. 
—  Les  droits  artistiques  et  littéraires.  —  Les  concours  du 
Conservatoire.  —  Théâtres.  —  Waux-Hall.  —  Chronique  judi- 
ciaire des  arts.  —  Petite  chronique. 


LES  DÉIIQUESCENTS 

Il  vient  de  paraître  à  Paris  (non,  à  Byzance  s'il  en 
faut  croire  la  couverture)  un  opuscule  qui,  dans  quel- 
ques lustres,  sera  l'une  des  curiosités  bibliographiques 
•de  l'histoire  littéraire  de  ce  temps  :  Les  Déliques- 
cences, poèmes  décadents,  o?* Adoré  Floupette,  avec 
5a  î;ee,  ^ar  Marius  Tapora. 

C'est  un  très  ingénieux  pamphlet  dirigé  contre  le 
groupe  le  plus  excentrique  des  écrivains  contemporains, 
poètes  et  prosateurs.  Il  les  crible  de  coups  d'épingle 
empoisonnés,  dans  leurs  trois  confréries  les  plus  en  vue 
et  qui  parfois  s'entremêlent  :  les  décadents,  qui  se  font 
gloire  de  renouveler  (du  moins  le  croient-ils),  la  décom- 
position du  Bas-Empire,  —  les  fanatiques  du  mot,  at- 
teints du  delirium  verhoru7n,  —  les  impressionnistes 
de  la  littérature,  'dessinateurs  d'idées  vagues  en  phrases 
vagues. 

Adoré  Floupette  (quel  admirable  accouplement  de 
sentiment  et  de  gâtisme  !)  est  le  fantoche  destiné  à  les 
incarner.  Avant  de  donner  les  dix-huit  poèmes,  exem- 
ples joyeux  de  sa  manière,  l'auteur  crayonne  ce  type 
du  cadent  (il  paraît  que  décadent  est  déjà  arriéré)  trou- 


veur,  ou  plutôt  retrouveur  de  mots,  se  submergeant 
voluptueusement  et  orgueilleusement  en  ses  déliques- 
cences. Il  signale  le  comique  et  irrémédiable  contrats  te 
qui,  dérision  amère,  existe  d'ordinaire  entre  les  préten- 
tions artistiques  des  novateurs  de  contrebande  et  leur 
physique  lamentable.  Il  y  a  l'échantillon  maigre,  le 
pisse-vinaigre,  et  l'échantillon  dodu.  Adoré  Floupette 
réalise  celui-ci.  Joufflu  comme  un  chérubin  et  rose 
comme  une  pomme  d'api,  avec  un  nez  en  pied  de  mar- 
mite, de  gros  yeux  ronds  à  fleur  de  tète  et  un  ventre 
rondelet  qui  doit  bedonner  un  jour.  Voilà  le  poète! 
L'infortuné  :  il  avait  vraiment  de  la  peine  à  se  mal 
porter. 

Marins  Tapora,  pharmacien  de  deuxième  classe,  son 
copain  et  son  biographe,  \m  le  rejoint  à  Paris  au  mo- 
ment où  il  plane  (car  sa  fonction  est  de  planer),  l'inter- 
roge :   "  Et  la  poésie  ?  —  De  mieux  en  mieux,  je  ne 
suis  pas  trop  mécontent,  v  ^  «  Comment  va  Zola  ?  — 
J^euh!  il  commence  à  être  bien  démodé.  »»  —  «  Et 
Hugo  ?  —  Un  burgrave  « .   —  **  Et  Coppée  ?  —  Un . 
bourgeois.  Mon  cher,  tu  arrives  de  province,  tu  n  es 
pas  à  la   hauteur.   "  —  "  Ainsi  le  Parnasse..,  — 
Oh!  la  vieille  histoire!  »*  —  «  La  poésie  rustique... 
—   Bonne  pour  les  Félibres  !  «  —    w  Et  le  natura- 
lisme ?  —  Hum,  hum  !  Pas  de  rêve,  pas  d'au  delà  ; 
la  serinette  à  Trublot.  »  -^  «  Mais  enfin  que  reste-t-il 
donc  ?  —  Il  regarda  fixement  et  d'une  voix  grave 
qui  tremblait  un  peu,  il  prononça  :  -  Il  reste  le  Sy^î- 

bole!  n  .- 

Marins  Tapora,   pharmacien  de  deuxième   classe, 


"-(■ 


230 


VAUT  MODERNE 


r:^T- 


demeure  stupéfait.  Floupette  ajoute  :  «  Tout  s'éclaircira 
bientôt.  Ce  soir  je  t'emmène.  Tu  entendras  les  poètes.  » 
Et  là  dessus,  il  le  quitte,  ayant,  paraît-il,  à  terminer, 
un  sonnet  qui  devait  avoir  trois  sens  ;  un  pour  les  gens 
du  monde,  un  pour  les  journalistes,  et  le  troisième, 
affreusement  obscène,  pour  les  initiés,  à.  titre  de  récom- 
pense. Tout  le  monde  sait  que  c'est  le  fin  du  fin. 

Entendre  les  poètes  !  Quelle  aventure  !  Ce  fut  dans  un 
café  pas  bien  imposant,  qui  ne  semblait  pas  se  douter 
des  gloires  qu'il  abritait.  Adoré  dit  en  entrant  :  «Nous 
avoiisde  la  veine,  ils  y  sont  tous.  «  En  effet,  noncha- 
lamment étendus,  quelques  jeunes  gens  et  deux  ou  trois 
personnes  d'un  autre  sexe,  séduisantes  encore  bien 
qu'un  peu  défraîchies,  dont  le  rôle  dans  la  convei'sation 
se  bornait  à  répéter  de  temps  en  temps  :  «  Tu  veux  bien 
que  je  prenne  une  chartreuse,  n'est-ce  pas,  mon  petit 
homme?  «  —  Et  comme  Floupette  récitait  à  Tassistance 
des  Ternah^es  qu'il  avait  composés  pendant  son  dîner  : 

Je  voudrais  être  Un  gaga,  „ 
Et  que  mou  cœur  navigât, 
Sur  la  fleur  du  Seringa, 

«  Graga,  fît  une  de  ces  dames,  mais  mon  pauvre  petit, 
tu  l'es  déjà.  « 

C'est  dans  ce  cénacle  que  Marins  Tapora  entend 
développer  les  grandes  théories  !  !  La  décadence  ! 
d'abord.  «  Oh  !  la  décadence,  vive  la  décadence  ! 
L'amour  est  une  fleur  de  maléfice  qui  croît  sur  les 
tombes,  une  fleur  lourde  aux  parfums  troublants...  »» 

—  «  Avec  des  striures  verdâtres,  glisse, un  assistant.  » 

—  «  Oui,  avec  des  striures  et  des  marbrures  où  s'étale 
délicieusement  toute  la  gamme  si  nuancée  des  dé- 
compositions organiques  !  Son  calice  est  gonflé  de 
sucs  vénèiieux  et'  elle  a  cela  d'adorablement  exquis 
qu'on  meurt  de  l'avoir  respirée!  Ce  n'est  pas  trop  pour 
Tenfanter  que  l'artifice  d'une  civilisation  profondément 
corrompue  !  Les  plantes  naturelles  sont  bêtes  et  vi- 
cieuses, elles  se  portent  bien!  Oh!  la  santé!  Quoi  de 
plus  nauséeux.  Parlez-moi  d'une  belle  tète  exsangue  ! 
Montrez- moi  le  charme  allangui  d'un  corps  mor- 
bide",  etc.,  etc.,..,..  tu  connais  ça,  lecteur,  oh!  oui, 
tu  connais  ça. 

Là  dessus  survient  un  macabre  qui  affirme  qu'un 
cimetière  au  crépuscule  fait  un  cadre  admirable  à  une 
idylle  d'amour  et  que  rien  ne  vaut,  pour  se  tenir  en 
joie,  la  compagnie  d'une  tête  de  mort.  Un  autre  vante 
rimitation  de  Jésus-Christ  et  avoue,  non  sans  cir- 
conlocutions, qu'il  la  préfère  à  la  Justine  du  marquis 
de  Sade. Un  troisième  se  déclare  hautement  hystérique. 
Quand  vient  l'heure  de  se  reposer  et  que  Tapora 
reconduit  Floupette.  très  excité,  celui-ci  lui  crie  dans 
l'oreille  d'une  voix  tonitruante  :  «  Hein,  qu'en  dis-tu? 
Etait-ce  tapé?  J'achèverai  ton  éducation.  De  la  per- 
versité, mon  vieux.  Soyons  pervers;  promets-moi  que 
tu  seras  pervers.  «  —  Et  comme  Marins  entre  dans  la 


chambre  d'Adoré,  il  aperçoit  un  grand  dessin  du  grand 
artiste  admiré  par  le  cénacle  :  Une  araignée  gigan- 
tesque, portant  à  l'extrémité  de  chacune  de  ses  tenta- 
cules, un  bouquet  de  fleurs  d'eucalyptus,  et  dont  le 
corps  est  constitué  par  un  œil  énorme,  désespérément 
songeur,  dont  la  vue  seule  faisait  frissonner  :  sans 
doute  encore  un  Symbole  ! 

Et  voici  que  Floupette,  assis  sur  son  lit,  se  met  à 
révéler  au  pharmacien  ce  qu'il  appelle  le  grand 
MYSTÈRE  !  !  !  Ce  n'était  pas  tout  que  d'avoir  trouvé  une 
source  d'inspirations  nouvelles  en  un  temps  où  tout  est 
bas  et  vulgaire.  Les  inspirations  fugitives,  ces  fleurs  de 
rêve,  ces  nuances  insaisissables,  il  faut  les  fixer.  Pour 
cela  la  langue  française  est  décidément  trop  pauvre. 
Nos  ancêtres  s'en  étaient  contentés,  mais  c'étaient  de 
petits  génies,  de  bonnes  gens,  sans  le  moindre  vice,  pas 
du  tout  blasés.  A  la  délicieuse  corruption,  au  détra- 
quenient  exquis  de  l'âme  contemporaine,  une  suave 
névrose  de  langue  devait  correspondre.  La  forme  de 
Corneille,  de  La  Fontaine  (encore  un  qui  n'est  pas 
dans  le  train),  de  Lamartine,  de  Victor  Hugo,  était 
d'une  innocence  invraisemblable.  Une  attaque  de  nerfs 
sur  du  papier!  voilà  l'écriture  moderne.  Tantôt,  la 
phrase,  pareille  à  un  grand  incendie,  flamboyait, 
crépitait,  rutilait,  on  entendait  craquer  ses  jointures: 
tantôt  avec  le  charme  inconscient  d'une  grande  dame 
tombée  en  enfance,  déliquescente,  un  rien  faisandée, 
elle  s'abandonnait,  s'effondrait,  tombait  par  places, 
et  rien  n'était  plus  adorable  que  ces  écailles  de  style, 
à  demi  détachées.  Ou  bien,  comme  si  dans  la  forêt 
des  choses  un  vent  d'épouvante  l'eût  affolée,  elle  bon- 
dissait, tressautait  avec  de  subits  hérissonnements. 

Les  mots  ont  peur  comme  des  poules.    ' 

Ici  Floupette  se  dressa  sur  son  chevet,  et,  l'œil 
hagard,  la  parole  pressée:  «  Sais- tu,  potard,  ce  que 
c'est  que  les  mots  ?  Tu  t'imagines  une  simple  combi- 
naison de  lettres.  Erreur  !  Les  mots  sont  vivants  comme 
toi  et  plus  que  toi  ;  ils  marchent,  ils  ont  des  jambes 
comme  les  petits  bateaux.  Les  mots  ne  peignent  pas,  ils 
sont  la  peinture  elle-même  ;  autant  de  mots,  autant  de 
couleurs;  il  y  en  a  de  verts,  de  jaunes  et  de  rouges 
comme  les  bocaux  de  ton  officine,  il  y  en  a  d'une  teinte 
dont  rêvent  les  séraphins  et  que  les  pharmaciens  ne 
soupçonnent  pas.  Quand  tu  prononces  :  Renoncule, 
n'as-tu  pas  dans  l'âmeytoute  la  douceur  attendrie  des 
crépuscules  d'automne?  On  dit  :  un  cigare  brun.  Quelle 
absurdité  î  Comme  si  ce  n'était  pas  l'incarnation  même 
de  la  blondeur  que  cigare!  Campanule  est  rose,  d'un 
rose  ingénu;  triomphe,  d'un  pourpre  de  sang;  ado- 
lescence, bleu  pâle;  miséricorde,  bleu  foncé.  Et  ce 
n'est  pas  tout  :  les  mots  chantent,  murmurent,  susur- 
rent, clapotent,  roucoulent,  grincent,  tintinnabulent, 
claironnent;  ils  sont,  tour  à  tour,  le  frisson  de  l'eau 
I    sur  la  mousse,  la  chanson  glauque  de  la  mer,  la  basse 


profonde  des  orages,  le  hululement  sinistre  des  loups 
dans  les  bois...  w  - 

Ici  on  frappa  violemment  à  la  cloison,  où,  depuis 
quelque  temps  d'ailleurs  on  entendait  comme  un  vague 
tambourinement.  «  Monsieur,  prononce  une  voix  en- 
rouée, vous  plaira-t-il  bientôt  de  me  laisser  dormir? 
Il  est  quatre  heures  du  matin  et  je  dois  me  lever  à  six. 
Demain,   soyez-en  sûr,  j'avertirai  le  propriétaire.  » 

On  eût  pu  s'attendre  à  une  protestation  énergique 
de  la  part  d'Adoré,  mais  le  dernier  effort  qu'il  venait 
de  faire  avait  épuisé  son  énergie.  «  Hélas!  dit-il,  d'un 
ton  mélancolique,  tel  est  le  sort  des  apôtres;  on  leur 
donne  congé.  Adieu,  mon  bon  Tapora,  mais  sois  sans 
crainte,  je  ne  t'abandonnerai  pas  dans  ce  monde  fallace; 
tu  sauras  tout.  »» 

Et,  en  effet.  Marins  Tapora  reçoit  respectueusement, 
des  mains  du  grand  Floupette,  le  manuscrit  des  Déli- 
quescences, et  pieusement  il  le  publie  avec  son  immor- 
telle préface,  que  disons-nous?  son  Liminaire  : 

«  Ceux-là  qui  somnolent  en  l'idéal  béat  d'autrefois,  à 
«  tout  jamais  exilés  des  multicolores  nuances  du  rêve 
«  auroral,  il  les  faut  déplorer  et  abandonner  à  leur 
♦*  ânerie  séculaire,  non  sans  quelque  haussement 
«  d'épaules  et  mépris.  Mais  l'initié  épris  de  la  bonne 
«  chanson  bleue  et  grise,  d'un  gris  si  bleu  et  d'un  bleu 
"  si  gris,  si  vaguement  obscure  et  pourtant  si  claire, 
«*  le  melliflu  décadent  dont  l'intime  perversité,  comme 
«  une  vierge  enfouie  emmi  la  boue,  confine  au  mira- 
«  cle,  celui-là  saura  bien,  on  suppose,  où  rafraîchir 
«*  l'or  immaculé  de  ses  dolences.  Qu'il  vienne  et 
«  regarde.  « 

Nous  allâmes  et  nous  regardâmes.  Et  voici  ce  que 
nous  vîmes  où  plutôt  ce  que  nous  lûmes.  Buvez, 
lecteurs  altérés,  à  la  coupe  de  dégustation  des  Déli- 
quescences. 

PIZZIGATI 

Les  Taenias 

Que  tu  nias, 

Traîtreusement  sen  sont  allés. 

Dans  la  pénombre. 
Ma  clameur  sombre 
A  fait  fleurir  des  azalées. 

Pendant  les  nuits, 
Mes  longs  ennuis, 
Brillent  ainsi  qu  un  flambeau  clair.    ' 

De  cette  perte 
Mou  âmp  est  verte  ; 
C est  moi  qui  suis  le  solitaire! 

MADRIGAL 

Mon  cœur  tarabiscoté 
A  pris  un  point  de  côté. 

Tes  effluves  le  fout  battre 
Comme  trois.  Que  dis-je?  Quatre. 

Ce  n'est  point  un  coeur  de  rien, 
^^  Un  noctambule  vaurien  ; 


Il  ne  fait  de  politesses 

Qu'aux  baronnes,  aux  comtesses. 

Et,  ce  bel  entretenu, 
Regarde,  il  est  devenu, 

Grâce  au  sucre  où  tu  t'enlises, 
Confiture  de  Merises. 

RYTHME  CLAUDICANT 

Je  me  suis  grisé  d'angélique. 

Douce  relique; 
La  bénite  eau  des  Chartreux 

M'a  fait  bien  heureux  1 

Toutes  les  femmes  sont  saintes  1 

Oh!  les  rendre  enceintes!  .    ^ 

L'onctueuse  bénédictine. 

Ce  matin 
En  mon  âme  chanté  mâtine  ! 
.Je  me  ferai  bénédictin  ! 

Toutes  les  femmes  sont  saintes! 
Oh!  les  rendre  enceintes! 

POUR  AVOIR  PÉCHÉ 

Mon  cœur  est  un  Corylopsis  du  Japon.  Rose 
Et  pailleté  d'or  fauve,  —  à  l'instar  des  serpents, 
Sa  rancoeur  détergeant  un  relent  de -Chlorose, 
Fait,  dans  l'Ether  baveux,  bramer  les  .^gypans. 

Mon  âme  Vespérale  erre  et  tintinnabule, 
Par  delà  le  cuivré  des  grands  envoûtements  ; 
Comme  un  crotale,  pris  aux  lacs  du  Vestibule, 
Ses  hululements  fous  poignent  les  Nécromans. 

Les  Encres,  les  Carmins,  flèches,  vrillent  la  cible. 
'Qu'importe,  si  je  suis  le  Damné  qui  jouit? 
Car  un  Pétunia  me  fait  immarcessible. 
Lys!  Digitale!  Orchis!  Moutarde  de  LouitI 

Et  pour  finir  ces  citations  tarabiscotantes  et  clau- 
dicantes,  voici  le  début  du  Bal  décadent  : 

C'était  une  danse 
De  la  décadence. 

On  ne  dansait  pas, 
On  allait  au  pas. 

Tel  est  le  cas.  Nous  Tavons  exposé  en  sa  vérité. 
Qu'en  faut-il  penser,  et  qu  en  faut-il  dire  ?  —  Au  pro- 
chain numéro. 


LES  IMPRESSIONNISTES  FRANÇAIS  ^'^ 

RENOIR 

Dans  une  préface  de  son  livre  sar  les  peintres  impression- 
nistes, M.  Théodore  Duret  discute  longuement  la  question  de 
savoir  jusqu'à  quel  point  le  public  est  capable  de  juger  par  lui- 
même  les  œuvres  d'art.  On  peut  concéder  qu'il  est  apte  à  sentir 
et  à  goûter,  lorsqu'il  est  en  présence  de  formes  acceptées  et  de 
procédés  traditionnels.  Le  déciiiffrement  est  fait,  tout  le  monde 
peut  lire  et  comprendre.  Mais  s'il  s'agit  d'idées  nouvelles,  de 
manières  de  sentir  originales,  si  la  forme  dont  s'enveloppent  les 
idées,  si  le  moule  que  prennent  les  œuvres  sont  également  neufs 
et  personnels,  alors  l'inaptitude  du  grand  public  à  comprendre 
et  à  saisir  d'emblée  est  certaine,  et  celte  nouveauté  l'étonné  el 
l'aveugle. 


(1)  Voir  nos  n"  des  21  et  28  juin  dernier. 


•'"-        ' 


La  peinluro  qui,  pour  être  comprise,  demande  uiie  adaptation 
de  l'organe  de  l'œil  et  l'Iiabiiucle  de  d<îcouvrir,  sous  les  procédi^s 
du  métier,  les  sentiments  iniimes  de  l'artiste,  est  un  des  aris  les 
moins  accessibles  h  la  foule.  Schopenhauer  a  classé  les  profes- 
sions artistiques  et  li  fera  ires  d'après  le  degré  de  difficulté  qu'elles 
avaient  à  faire  reconnaîire  leur  rn?me;  il  a  placé,  comme  les  plus 
facilement  admis  et  les  plus  vite  applaudis,  les  sauteurs  de  corde, 
les  danseuses,  1rs  acteurs;  il  a  mis  tout  à  fait  en  dernier  les  phi- 
losophes et  immédiatement  avant  eux  les  peintres. 

Tout  ce  que  nous  avons  vu  à  notre  époque  prouve  la  parfaite 
justesse  de  cette  classification.  Avec  quel  dédain  n'a-t-on  pas 
traité  à  leur  apparition  les  plus  grands  de  nos  peintres!  A-t-on 
assez  longtemps  prêt 'ndu  que  Delacroix  ne  savait  pas  dessiner  et 
que  ses  tableaux  n'étaient  que  des  débauches  de  couleur  ?  A-t-on 
assez  reproché  à  Millet  de  faire  des  paysages  ignobles  eji  grossiers 
et  des  dessins  impossibles  à  pendre  dans  une  galerie?  Et  que  n'a- 
t-on  pas  dit  de  la  peinture  de  Corot?  Quant  à  Manel  la  critique 
ramassa,  en  quelque  sorte,  toutes  les  injures  qu'elle  déversait  à 
ses  devanciers,  pour  les  lui  jeter  à  la  léte,  en  une  seule  fois. 

El  pourtant  cette  critique,  depuis,  a  fait  amende  honorable;  le 
public  s'est  pris  d'admiration  ;  mais  que  de  temps  et  d'efforts  ont 
été  nécessaires,  et  comme  cela  s'est  fait  peu  à  peu.  péniblement, 
par  conquêtes  successives  ! 

Je  vais  aujourd'hui  parler  d'un  peintre  qui  a  eu  sa  large  part 
d'insultes  et  de  moqueries,  un  peintre  absolument  exquis  pour- 
tant, d'un  tempérament  très  personnel,  d'une  maestria  éclatante, 
de  Renoir. 

Ge  que  la  femme  peut  évoquer  degrûce,  de  tendresse,  de  séduc- 
tion, de  rêve  et  de  coquetterie;  ce  qu'elle  a  de  mystérieux  et  de 
maladif;  l'indéfinissable  de  son  regard,  profond  comme  le  vide 
et  le  rayonnement  de  sa  chair,  sur  laquelle  «  le  parfum  rode  »  ; 
les  suavités  de  ses  dix-huit  ans,  fleuris  de  désirs  chastes  et  d'es- 
poirs; ses  mélancolies,  quand  elle  va,  doucement,  les  paupières 
cernées,  sous  les  ombrages  d'un  parc  qui  fait  sur  ses  robes 
claires  trembler  et  passer  l'ombre  violette  des  feuilles;  ses  aban- 
dons quand,  les  reins  cambrés,  la  poitrine  émue,  elle  penche  sa 
tète  frissonnante  et  toute  blonde  sur  l'épaule  d'un  valseur,  et  se 
laisse  emporter;  ses  attitudes  de  recherche  savante  et  de  provo- 
cation étudiée,  dans  la  lumière  éclatante  d'une  loge,  alors  que 
ses  yeux,  qui  voient  tout,  semblent  perdus  au  loin  dans  le  vague, 
que  son  oreille,  qui  entend  tout,  semble  inattentive  aux  paroles 
qu'on  murmure,  et  que  son  bras  nu  repose  sur  le  rebord  de 
velours  rouge,  un  bras  délicieux  et  lourd  que,  les  plis  du  gant 
recouvrent  à  demi,  et  que  cercle  au  poignet,  un  bracelet  d'or 
brun  ;  les  éclats  de  rire  de  ses  lèvres  allumées  par  le  plaisir  et 
les  sonores  gaîtés  de  ses  libres  allures;  les  souffrances  des  désil- 
lusions trop  tôt  venues;  les  rêveries  des  idéals  qu'on  ne  peut 
atteindre;  les  inquiétudes  des  passions  qui  commencent,  et  les 
dégoûts  des  passions  qui  finissent  ;  tout  le  poème  d'amour  et  de 
cruauté  que  chante  cet  être  cruel  et  charmeur;  ce  qui  s'offre,  ce 
qui  se  cache,  ce  qui  se  devine,  ce  qui  caresse,  Renoir  a  tout  com- 
pris, tout  saisi,  tout  exprimé.  Il  est  vraiment  le  peintre  de  la 
fenime,  tour  à  tour  gracieux  et  ému,  savant  et  simp'e,  toujours 
élégant,  avec  des  seosibiliiés  d'œil  exquises,  des  caresses  de  la 
main  légères  comme  des  baisers,  des  visions  profondes  comme 
celles  de  Stendhal.  Non  seulenryent  il  peint  délicieusement  les 
formes  plasti  jues  du  corps,  les  modelés  délicats,  les  tons  éblouis- 
sants des  jeunes  carnations,  mais  il  peint  aussi  h  forme  d'âme,  et 
ce  mji-de  la  femme  se  dégage  de  mi/^ico/i/^  Intérieure  et  de  mys- 


tère captivant.  Ses  figures,  au  rebours  de  celles  de  la  plupart  des 
peintres  modernes,  ne  sont  point  figées  dans  la  pâle;  elles 
chantent,  animées  et  vivantes,  toute  la  gamme  des  tons  clairs, 
toutes  les  mélodies  de  la  couleur,  toutes  les  vibrations  de  la 
lumière. 

Dans  les  œuvres  de  Renoir,  le  sujet —  c'est-à-dire  la  compo- 
sition—  tient  peu  de  place,  quoiqu'il  ait  reproduit,  avec  une 
compréhension  très  rare  de  la  modernité,  des  scènes  impor- 
tantes et  compliquées  des  différents  milieux  parisiens  ;  c'est  la 
figure  qui  est  tout,  c'est  l'harmonie  de  la  lumière  et  de  la  chair, 
la  transparence  des  ombres,  la  sensation  non  plus  seulement 
des  couleurs,  mais  des  moindres  nuances  des  couleurs,  l'exacti- 
tude minutieuse  du  dessin,  et  l'étude  absolument  sincère,  de  la 
nature  daps  une  interprétation  élevée,  dans  une  grande  idéalisa- 
tion des  formes. 

Renoir  a  voulu  prouver  qu'il  savait  faire  ce  que  les  peintres 
appellent  le  morceau^  et  il  a  exécuté  un  torse  de  femme  qui  est 
un  véritable  chef-d'œuvre.  Pas  d'accessoires,  pas  de  composition, 
pas  d'idée  ingénieuse  autour  de  ce  torse.  Un  torse,  voilà  tout, 
c'est-à-dire  une  admirable  et  simple  étud«  de  nu,  d'un  dessin 
serré,  d'un  modelé  savant,  et  qui  rend  avec  une  vérité  saisissante 
cette  chose  presque  intraduisible,  dans  sa  fraîcheur,  dans  son 
rayonnement,  dans  sa  vie,  dans  son  éloquence:  la  peau  d'une 
femme.  Celte  toile  est  à  coup  sûr  un  des  plus  beaux  morceaux 
de  la  peinture  moderne. 

Ce  n'esl  pas  la  seule  élude  de  nu  que  Renoir  ait  faite,  et  je 
connais  lui  un  petit  tableau  représentant,  dans  un  paysage  à 
peine  indiqué  et  où  se  jouent  tous  les  tons  du  vert,  une  baigneuse 
aux  formes  idéalement  belles,  qui  laisse  tomber  à  ses  pieds,  d'un 
geste  chaste,  un  jupon  rouge.  Il  est  impossible  de  donner  à  la 
chair  une  plus  grande  transparence,  au  dessin  des  lignes  plus 
nobles,  une  plus  haute  pureté  à  l'idée.  Mais  que  d'études  opi- 
niâtres pour  en  arriver  à  cette  vérité  et  à  cette  poésie;  que  de 
recherches  patientes!  Car  rien  n'esl  abandonné  au  hasard,  au 
laisser-aller  de  l'inspiration. 

Bien  que  Renoir  soit  un  paysagiste  de  premier  ordre  et  qu'on 
puisse,  par  une  analogie  de  vision  el  une  parenté  d'impression, 
le  comparer  à  son  ami,  à  son  frère  de  lutte,  Claude  Monet,  le. 
paysage  n'est  généralement  qu'un  accessoire  dans  ses  tableaux, 
—  j'en  excepte  pourtant  ses  éludes  d'Algérie  et  de  Venise,  des 
études  charmantes  et  sincères,  embrasées  de  soleil,  toutes 
vibrantes  de  lumière,  el  qui  nous  consolent  des  Zicm  et  de  cet 
Orient  de  fabrique  auquel  les  pi»inlres  et  les  marchands  de  bric- 
à-brac  nous  ont  habitués. 

L'œuvre  de  Renoir,  qui,  comme  tous  les  peintres  de  celle  jeune 
école,  est  un  travailleur  acharné,  est  considérable.  Le  port  rail  y 
lient  une  place  importante,  et  Renoir  excelle  dans  le  portrait,  cet 
art  si  difficile  el  si  profond,  car  non  seulement  il  ne  suffit  pas  de 
saisir  les  traits  extérieurs,  mais  sur  les  traits  il  faut  fixer  le  carac- 
tère et  la  manière  d'être  intime  du  modèle.  Mais  c'est  surtout 
vers  la  femme  que  ce  grand  el  délicat  artiste  se  sent  attiré,  vers 
la  femme  dont  il  connaît  le  fond  el  le  tréfond,  el  dont  il  a  su, 
plus  qu'aucun  peintre  de  ce  temps,  exprimer  l'âme  el  toutes  les 
palpitations  de  celte  âme.  Il  l'a  mise  dans  tous  les  milieux  et 
toutes  les  lumières  où  sa  beauté  tantôt  fraîche  et  souriante,  tantôt 
mélancolique  et  souffrante,  pouvait  le  mieux  s'épanouir.  De 
même  que  Walteau  avait  pour  ainsi  dire  créé  la  grâce  de  la 
femme  au  clix-huiiième  siècle,  de  même  Renoir  a  créé  la  grâce 
de  la  femme  au  dix-neuvièn»€. 


Je  ne  comprends  pas  comment  toutes  les  femmes  ne  font  pas 
faire  leur  porirail  par  cet  artiste  exquis,  qui  est  aussi  un  exquis 
poète,  et  qui  est  à  M.  Jacquet,  le  portraitiste  à  la  mode,  ce  que 
Victor  Hugo  est  à  un  fabricant  de  romances. 

Octave  Mirbeau. 


■  LES  DROITS  ARTISTIQUES  ET  LITTÉRAIRES 

Le  projet  de  loi  sur  les  droits  artistiques  et  littéraires  vient 
d'être  déposé. 

Rarement  objet  plus  important  fut  soumis  à  notre  législature. 

Il  importe  de  le  sauver,  si  possible,  des  imperfections  qui  ont 
rendu  célèbre  la  confection  vicieuse  des  lois  en  Belgique. 

Le  moyen  le  plus  efficace  est  d'attirer  sur  lui  ratlenlion  du 
monde  judiciaire  et  du  monde  des  artistes. 

C'est  dans  ce  but  que  nous  publions  aujourd'hui  le  projet  très 
complet  du  rapporteur  de  la  section  centrale,  M.  de  Borcligrave, 
et  le  projet  amendé,  et  en  partie  déjà  déformé,  de  la  section 
centrale. 

Il  importe  aux  intéressés  de  ne  pas  se  laisser  faire.  Le  danger 
de  voir  revenir  sur  l'eau  les  vieilles  idées,  les  formules  suran- 
nées, les  préjugés  démodés,  est  considérable.  Nos  Chambres 
n'ont  guère  Tespril  juridique  et  l'esprit  de  progrès  qu'il  faut 
pour  que,  venant  après  les  autres  nations  dans*  cette  œuvre  si 
longtemps  attendue,  elles , sachent,  livrées  à  elles-mêmes,  profiter 
des  découvertes  de  la  science  et  des  exigences  de  la  pratique. 

Un  journal  conviait  récemment  nos  députés  à  en  finir  avant  les 
vacances  avec  la  législation  sur  le  Droit  des  auteurs.  Une  séance 
suffirait,  s'écriait-il! 

Que  le  destin  nous  garde  de  cette  précipitation  qui  ne  saurait 
paraître  opportune  qu'à  l'ignorance. 

Le  projet  doit  être  mûrement  examiné,  longuement  discuté, 
sous  le  contrôle  des  hommes  spéciaux  et  de  la  presse  spéciale. 

Nous  nous  proposons,  quant  à  nous,  de  le  suivre  avec  rigueur 
et  minutie  et  nous  faisons  appel  non  seulement  à  tous  les  juris- 
consultes, mais  surtout  aux  artistes  et  aux  écrivains  de  bonne 
volonté.  C'est  leur  avenir  et  la  protection  de  leurs  droits  qui  vont 
être  en  jeu. 

L'occasion  est  unique  de  doternos  codes  d'une  œuvre  vrai- 
ment remarquable  sur  les  droits  intellectuels.  Ne  la  laissons  pas 
échapper.  Ne  sombrons  pas  dans  les  erreurs  et  les  infirmités  des 
vieillerie  s  juridiques  ;  c'est  surtout  vers  ces  écueilsquela  routine 
nous  conduirait. 

Projet  adopté  par  la  section  centrale. 

Section  L  —  Nature  et  étendue  du  droit  d'auteur  en  général. 

Art.  V.  L'auteur  d'une  œuvre  littéraire  ou  artistique  a  seul  le 
droit  de  la  reproduire  par  la  publication,  la  traduction,  la  repré- 
sentation, l'exécution  ou  tout  autre  mode  de  réalisation  qu'elle 
comporte. 

Ce  droit  s'étend  aux  objets  ou  ouvrages  matériels  qui  consti- 
tuent la  reproduction  comme  à  l'œuvre  intellectuelle  elle-même. 

Art.  2.  Les  droits  intellectuels  d'auteur  sont  des  droits  mobi- 
liers, cessibles  et  transmissibles,  en  tout  ou  en  partie,  conformer 
ment  aux  règles  du  code  civil. 

Art.  3.  La  durée  du  droit  d'auteur  est  fixée  à  la  vie  de  l'auteur 
et  se  prolonge,  au  profit  de  ses  héritiers  ou  ayants  droit,  pendant 
50  ans  à  partir  de  son  décès  (1). 


Art.  4.  L'éditeur  d'un  ouvrage  anonyme  ou  pseudonyme  est 
réputé  à  l'égard  des  tiers,  en  être  l'autour. 

Dès,  que  celui-ci  se  fait  connaître  il  est  substitué  à  l'éditeur  dans 
l'exercice  de  tous  les  droits  d'auteur  (2).  ' 

Art.  5.  Lorsque  l'œuvre,  résultant  du  travail  de  plusieurs  col- 
laborateurs, est  composée  de  parties  distinctes  qui  peuvent  être 
séparées,  chacun  des  collaborateurs  a  la  jouissance  du  droit  d'au- 
teur sur  les  parties  publiées  sous  son  nom. 

Celui  qui  a  dirigé  l'œuvre  collective  exerce  le  droit  d'autour  sur 
l'ensemble  de  l'ouvrage  et  sur  les  parties  parues  sans  nom  d'au- 
teur (3). 

Art.  6.  Si  l'œuvre  commune  est  indivisible  elle  constitue  pour 
chacun  des  collabomteurs  l'objet  d'un  droit  indivis  (4). 

Art.  7.  Lorsque,  par  suite  de  collaboration  commune,  de 
succession  ou  d'autres  causes,  un  droit  d'auteur  est  dans  l'indi- 
vision, aucun  dos  communistes  ne  peut  faire  ni  autoriser  la 
reproduction  do  l'œuvre  sans  le  conseniemonl  des  autres. 

En  cas  de  désaccord,  si  l'œuvre  a  déjà  été  publiée,  les  tribu- 
naux pourront,  soit  régler  les  conditions  des  publications  nou- 
velles, soit  ordonner  la  liciiation  du  droit. 

Si  l'œuvre  est  inédite,  lapublioalion  n'en  pourra  être  ordonnée; 
mais  celui  qui  s'y  opposera  srra  tenu  à  indemnité  envers  celui 
qui  la  réclamora  s'il  ne  justifie  que  son  opposition  est  fondée  sur 
un  motif  légitime  commun  à  tous  les  intéressés  (o). 

Art.  8.  Tout  titulaire  d'un  droit  indivis  d'auteur  peut  pour- 
suivre ceux  qui  y  porteraient  atteinte  et  réclamer  des  dommages 
et  intérêts  pour  sa  part  (6). 

Art.  9.  Le  droit  des  ayants  cause  de  tout  collaborateur  pré- 
décédé se  prolonge  au  delà  de  là  durée  cinquantenaire  aussi  long- 
temps que  le  droit  des  ayants  cause  du  dernier  survivant  (7). 

Art.  10.  La  cession  soit  du  droit  d'auteur,  soit  de  l'objet  qui 
matérialise  une  œuvre  de  littérature,  de  musique  ou  des  arts  du 
dessin  r.e  donne  pas  le  droit  de  modifier  l'œuvre  sans  le  consen- 


(1)  Le  projet  supprime  la  disposition  de  l'art.  4  du  projet  du  rap- 


porteur, ainsi  conçue  :  Les  ayants  cause  de  l'auteur  d'un  ouvrage 
posthume  jouissent  des  droits  garantis  ci-dfessus  à  partir  de  la  pre- 
mière publication  de  l'œuvre. 

Le  moment  de  cette  publication  est  abandonné  à  leur  appréciation 
sans  qu'il  puisse  dépasser  un  laps  de  50  ans  à  partir  du  décès  de 
l'auteur. 

(2)  Le  projet  du  rapporteur  portait  :  L'éditeur  d'un  ouvrage  ano- 
nyme ou  pseudonyme  et  ses  héritiers  exercent  les  droits  de  l'auteur, 
sauf  à  régler  avec  lui  les  profits  de  ceux-ci  conformément  à  leurs 
conventions  particulières. 

Dès  que  l'auteur  se  fait  connaître,  il  est  substitué  à  l'éditeur  dans 
l'exercice  de  tous  les  droits  d'auteur,  à  moins  qu'il  n'y  ait  eu  cession 
au  profit  de  l'éditeur. 

(3)  Le  projet  du  rapporteur  portait  :  Lorsqu'une  œuvre  collective 
composée  de  parties  distinctes  qui  peuvent  être  séparées,  a  été  conçue 
et  dirigée  par  l'un  ou  quelques-uns  des  collaborateurs,  c'est  à  ceux-ci 
qu'appartient  exclusivement  l'exercice  du  droit  d'auteur  sur  l'ouvrage 
dans  son  ensemble. 

Les  autres  collaborateurs  conservent,  sauf  convention  contraire, 
la  jouissance  des  droits  d'auteur  sur  les  parties  qui  sont  leur  œuvre. 

(4)  Disposition  non  visée  dans  le  projet  du  rapporteur. 

(5)  Le  projet  du  rapporteur  portait  :  Dans  tous  les  autres  cas,  la 
collaboration  fait  naître  entre  les  collaborateurs  une  œuvre  commune 
indivise  daos  laquelle  les  droits  des  parties  sont  réglés  avant  tout  par 
leurs  conventions.  Si  la  convention  est  muette,  les  droits,  en  cas  de 
dissentinaent,  seront  réglés  par  les  tribunaux  d'après  la  volonté  pré- 
sumée des  collaborateurs,  l'usage  et  l'équité. 

Le  droit  des  ayants  cause  de  tout  collaborateur  prédécédé  se  pro- 
longe au  delà  de  la  durée  cinquantenaire  aussi  longtemps  que  les 
droits  des  ayants  cause  du  dernier  survivant. 

(6)  Disposition  ajoutée  par  la  section  centrale. 

(7)  Disposition  ajoutée  par  la  section  centrale.  Elle  supprime 
l'art.  8  du  projet  du  rapporteur,  ainsi  conçu  :  Si  l'un  des  collabora- 
teurs meurt  sans  laisser  d'ayants  cause,  ses  droits  accroissent  aux 
collaborateurs  survivants  sans  préjudice  des  droits  des  créanciers. 


temcnl  de  l'auteur  ou  de  ses  ayants  cause,  sauf  conventions 
contraires  (8). 

Art.  m.  Les  œuvres  de  littérature,  de  musique  ou  des  arts  du 
dessin  ei  les  objets  ou  ouvrages  qui  constituent  leur  manifesta- 
tion maiérielle  font  partie  du  patrimoine  de  l'auteur,  gage  com- 
mun de  ses  créanciers. 

Néanmoins,  ils  ne  peuvent  être  saisis  que  lorsque  des  faits  non 
équivoques  démontrent  que  l'auteur  les  lient  pour  achevés. 

Section  II.  —Dw  droit  d'auteur  sur  les  œuvres  littéraires. 

Art.  42.  te  droit  d'auleur  s'applique  non  seulement  auxécrits 
de  tout  genre,  mais  aux  leçons,  sermons,  conférences,  discours, 
ou  toute' autre  manifestation  orale  de  la  pensée. 

Toutefois,  les  discours  prononcés  dans  les  assemblées  délibé- 
rantes, devant  les  tribunaux,  ou  dans  les  réunions  politiques 
peuvent  élre  publiés;  mais  à  l'auteur  seul  apparlicnl  le  droit  de 
les  reproduire  réunis  en  recueil  d'auteur  (9). 

Art.  13.  Tout  journal  peut  reproduire  un  article  publié  dans 
un  autre  journal  à  la  condition  d'en  indiquer  la  source;  à  moins 
que  cet  article  ne  porte  la  mention  spéciale  que  la  reproduction 
en  est  interdite  (10). 

Section  III.  —  Du  droit  d'auteur  sur  les  œuvres  musicales. 

Art.  U.  Le  droit  de  représentation  d'une  œuvre  littéraire  est 
réglé  conformément  aux  dispositions  relatives  à  la  représentation 
des  œuvres  musicales. 

Art.  15.  Toute  exécution  ou  représentation  publique  totale  ou 
partielle  d'une  œuvre  musicale  ne  peut  avoir  lieu  que  du  consen- 
tement de  l'auteur,  qu'elle  soit  gratuite  ou  qu'elle  ait  lieu  dans 
un  but  soit  de  spéculation,  soit  de  bienfaisance. 

Toutefois,  si  l'œuvre  est  publiée  et  mise  en  vente,  l'auteur  est 
réputé  consentir  à  son  exécution  partout  où  aucune  rétribution  ni 
directe  ni  indirecte  n'est  perçue  des  auditeurs  ni  payée  aux  exé- 
cutants (11). 

Art.  16.  Est  considérée  comme  publique  l'exécution  ou  la 
représenlaiion  donnée  dans  tout  local  ouvert  h  plusieurs  per- 


(8)  Il  y  avait  en. outre  :  La  préseute  disposition  n  est'pas  applica- 
ble aux  reproductions  par  les  arts  industriels. 

(9)  Le  projet  du  rapporteur  portait  :  Toutefois,  les  plaidoyers  et 
les  réquisitoires,  les  discours  prononcés  dans  les  assemblées  ou  réu- 
nions politiques  ou  administratives  peuvent  être  publiés  par  les 
journaux;  mais  à  1  auteur  seul  appartient  le  droit  de  les  reproduire 
en  tirés -à-part  ou  en  corps  d'ouvrage. 

(10)  Les  trois  dispositions  suivantes  ont  été  supprimées. 

Art.  13.  Les  actes  officiels  des  autorités  publiques  en  toute 
matière  et  à  tous  les  degrés  ne  donnent  pas  lieu  au  droit  d'auteur. 

Chacun  a  le  droit  de  les  reproduire,  sauf  les  exceptions  prévues 
par  la  loi,  notamment  eu  ce  qui  concerne  les  décisions  judiciaires 
qui  seraient  de  nature  à  porter  préjudice  aux  citoyens. 

Toutes  autres  publications  faites  par  l'Etat,  les  administrations 
publiques  et  les  corps  savants  légalement  constitués,  donnent  lieu 
au  droit  d'auteur  pendant  50  ans  à  partir  de  la  première  publi- 
cation. 

Art.  14.  Les  fonctionnaires  ou  employés  de  l'Etat  eu  des  admi- 
nistrations publiques,  ont  le  droit  d'auteur  sur  les  œuvres  émanant 
d'eux,  à  moins  qu  elles  n'aient  été  faites  en  exécution  de  leurs  fonc- 
tions, auquel  cas  le  droit  d'auteur  appartient  à  l'autorité  dont  le 
fonctionnaire  dépend. 

Art,  15.  Les  œuvres  posthumes  et  celles  qui  appartiennent  à 
l'Etat,  aux  administrations  publiques  et  aux  corps  savants  légale- 
ment constitués,  doivent,  sous  peine  de  déchéance  du  droit  d'auteur, 
être  inscrites  dans  les  six  mois  qui  suivent  leur  publication  au 
ministère  de  l'Agriculture,  de  l'Industrie  et  des  Travaux  publics 
lequel  tient  à  cet  effet  un  registre  et  délivre  un  récépissé,  le  tout 
suivant  les  formalités  qui  sont  déterminées  par  arrêté  royal. 

Pour  les  autres  oeuvres,  les  auteurs  n'ont  aucune  formalité  à 
remplir  afin  d'assurer  leurs  droits. 

(11)  Disposition  ajoutée  par  la  .section  centrale. 


sonnes  ayant  le  droit  de  le  fréquenter  et  de  s'y  assembler,  à  la 
seule  exception  des  maisons  particulières. 

Art.  17.  Le  droit  d'auteur  sur  les  compositions  musicales 
comprend  le  droit  exclusif  de  faire  des  arrangements  sur  des 
motifs  de  l'œuvre  originale. 

Art.  18.  Les  œuvres  qui  se  composent  de  paroles  ou  de  livrets 
et  de  musique  sont  considérées  comme  faites  en  collaboration. 
En  conséquence,  le  compositeur  et  l'auteur  des  paroles  ne  pour- 
ront traiter  de  l'œuvre  avec  un  collaborateur  nouveau.  Néan- 
moins, ils  auront  le  droit  de  l'exploiter  isolément  par  des  publi- 
cations, des  traductions  ou  des  exécutions  publiques. 

Art.  19.  Le  libretto  d'un  ballet  ou  d'une  pantomime  donne 
lieu  aux  mômes  droits,  aux  mêmes  obligations  et  à  la  même  pro- 
tection qu'un  livret  d'opéra  (12). 


;pONCOUR3   DU  j]]!0N^ERVATQIRE 

Suite  et  fin  (*). 
Déclamation. 

Professeurs  :  M'i«  Jeanne  Tordeus  et  M.  Monrose. 

l*r  prix  :  M"«  Hiernaux;  2*  prix  avec  distinction  :  M"««  Grégoir, 
Meuris,  Stacquet  ;  2e  prix  :  MM.  Royer,  Hendrickx,  Engelman. 

Accessits  à  MM.  Knauff,  Van  Ruyskensvelde,  Raquez,  Bon  et 
Royer. 


Jhéatre? 


Nouvelles  inédites  de  la  prochaine  cami)agne  théâtrale  à  la  Mon- 
naie. M.  "Verdhurt  compte  commencer  l'année  par  la  reprise  de 
quatre  grands  ouvrages  :  l'Africaine,  Aida,  Lohengrin,  le  Trou- 
vère, joués  probablement  dans  l'ordre  que  nous  indiquons,  et  séparés 
par  des  opéras-comiques  dont  le  choix  n'est  pas  encore  définitivement 
arrêté,  mais  parmi  lesquels  seront  certainement  compris  Roméo  et 
Juliette  et  Lalla-Rouck.  Cette  œuvre  a  disparu  de  l'affiche  depuis 
si  longtemps  que  sa  reprise  aura  l'attrait  d'une  première  représenta- 
tion. On  parle  aussi  d'une  reprise  de  Joconde,  que  chante,  paraît-il, 
merveilleusement  M.  Frédéric  Boyer.  Enfin  il  est  question  de  Phi- 
lémon  et  Baucîs,  du  Médecin  malgré  lui,  des  Rendez-vous  bour- 
geois et  de  Bonsoir,  Monsieur  Pantalon. 

Tout  cela  permettra  d'attendre  les  Templiers  d'Henry  Litolff,dont 
les  études  commenceront  dès  les  premiers  jours  de  la  saison  et  qui 
passeront,  selon  toutes  les  probabilités,  au  commencement  de 
novembre.  Gwcndoline  sera  jouée  un  peu  plus  tard,  avec  le  ballet 
de  MM.  Hannon  et  Lanciani.  Puis  Saint-Mégrin,  des  fi'ères  Hille. 
mâcher,  et  la  Revanche  de  Sganarelle,  de  Léon  Dubois. 

C'est  le  mardi  !•'''  septembre  que  s'ouvrira  la  carripague,  que  tout 
fait  espérer  devoir  être  très  brillante.  On  jouera  VAfHcaine  avec 
Mme  Montalba,  M.  Dereims,  M.  Boyer,  etc.  Le  lendemain,  la  troupe 
d'opéra -comique  débutera  dans  Roméo  et  Juliette. 


^u  •V/aux-j^alx. 


Une  ère  nouvelle  s'est  ouvert*  pour  le  Waux-Hall,  l'ère  du  piano. 
L'essai  d'une  intronisation  de  cet  instrument  sous  la  voûte  libre  du 
ciel  a  été  tenté,  mercredi,  par  M.  Gustave  Kéfer,  et  le  résultat  a  été 


(12)  La  section  centrale  supprime  l'art.  22  du  projet  du  rappor- 
teur ainsi  conçu  :  Lorsque  la  rémunération  du  compositeur  com- 
prend une  part  de  la  recette,  cette  part  constitue  sa  propriété  et  ne 
peut  être  l'objet  des  poursuites  des  créanciers  de  l'entrepreneur  de 
spectacles. 

(')  Voir  VArt  modcnic  des  29  juin,  5  et  12  juillet  1885. 


UART  MODERNE 


235 


si  satisfaisant  qu'il  est  grandement  question  de  ne  pas  s'en  tenir  à 
une  seule  audition. 

Les  vocalisations  compliquées  des  chanteuses  (échappements  à 
cylindres,  garantis  de  Genève)  commençaient  à  lasser  l'attention. 
Les  oiseaux  eux-mêmes,  endormis  dans  les  branches,  ne  daignaient 
plus  ouvrir  les  yeux  pour  voir  leurs  rivales.  Et  voici  que  la  grande 
boîte  de  palissandre  d'où  s'échappe  un  carillon  de  sonorités  grêles, 
provoque,  dans  le  monde  emplumé  et  dans  l'autre,  un  certain  remue- 
raënage. 

Les  peintres  modernistes  se  frottent  les  mains.  A  la  bonne  heure! 
marronnent-ils  dans  leurs  barbes  de  bisons.  C'est  l'école  du  plein 
air  qui  gagne  jusqu'aux  pianos  I 

Les  accordeurs  sont  ravis  de  songer  au  détraquement  rapide  que 
va  provoquer  la  rosée  du  soir  parmi  les  cordes  d'acier. 

Tous  les  pianistes  de  Bruxelles  et  de  la  banlieue,  hommes  et 
femmes,  passent  leurs  journées  à  faire  des  gammes  dans  l'espoir 
d'un  engagement  prochain. 

Les  éditeurs  de  musique  ont  sorti  des  cartons  poudreux  le  réper- 
toire de  Bûrgmiiller,  de  Sidney  Smith  et  de  Stepheu  Helder,  la  joie 
des  pensionnats  et  le  repos  des  familles.  '  ' 

Les  Boarding-Hhuse  ont  fait  prendre  des  cartes  d'abonnement 
par  centaines.  Au  prochain  piano-recikd,  le  Waux-Hall  sera  ecar- 
late  de  jeunes  misses  à  la  chevelure  dorée. 

Ahl  Kéfer,  mon  ami,  qu'avez  vous  fait!  Et  quelle  révolution  avez 
vous  accomplie  en  installant  votre  Erard  sur  l'estrade  sacrée  I 

Le  Waux-Hall  profite  d'ailleurs  des  belles  soirées  de  juillet,  pour 
donner  à  ses  programmes  -tout  l'attrait  possible.  Les  concerts 
extraordinaires  se  succèdent  avec  une  abondance  telle  qu'ils 
deviennent  en  réalité  les  concerts  habituels.  Le  concert  ordinaire  est 
devenu  exceptionnel,  par  un  singulier  et  d'ailleurs  louable  renverse- 
sement  des  choses. 

Jeudi,  deux  nouveautés  figuraient  au  programme  :  un  entr'açte 
délicat  du  Prince  Noir,  de  Mlle  Dell'Acqua  et  un  Air  de  Ballet,  de 
M.  Jokish,  une  excellente  page  orchestrale,  d'une  inspiration  lim- 
pide et  d'une  instrumentation  riche,  variée  et  intéressante.  L'œuvre 
a  obtenu  un  succès  mérité. 


^[ÎHRONiqUZ  JUDICIAIRE    DE^   ARTp 

Nous  avons  raconté  la  fugue,  durant  les  représentations  des 
Pommes  d'or  à  l'Alhambra,  d'une  des  plus  charmantes  mais  aussi 
des  plus  capricieuses  pensionnaires  de  M.  Alhaiza.  Le  lendemain  du 
grand  succès  qui  avait  accueilli  le  pas  de  polka  qu'elle  avait  intercalé 
dans  son  rôle,  elle  disparut,  et  comme  le  public  ne  voulut  pas  se 
contenter  d'une  féerie  décapitée  de  son  premier  sujet,  le  directeur  fut 
obligé  de  faire  relâche. 

Le  lendemain,  M^'a  Djina  —  qui  s'appelle  de  son  vrai  nom 
Mlle  Valerio  —  fut  remplacée,  mais  M.  Alhaiza  n'en  jugea  pas  moins 
à  propos  d'envoyer  à  l'artiste,  sous  forme  de  papier  timbré,  l'expres- 
sion de  ses  regrets. 

Il  réclame  une  somme  égale  à  la  recette  qu'il  comptait  faire  le  soir 
de  l'incident,  soit  2,000  francs,  plus  3,000  francs  à  titre  de  dom- 
mages-intérêts. 


pETITE    CHR0JS[IQUE 


Henry  Litolff  a  été  l'objet,  pour  la  seconde  fois,  lundi  dernier, 
d'une  manifestation  de  sympathie  dont  il  a  paru  très  touché.  En  le 
reconnaissant  dans  la  foule  qui  remplissait  le  jardin  dii  Waux-Hall, 
M.  Léon  Jehin  substitua  à  l'ouverture  par  laquelle  devait  débuter 
la  seconde  partie  du  concert  le  Chant  des  Belges,  composé  par 
Litolflf  à  l'occasion  du  25®  anniversaire  de  la  Révolution  belge,  et 


dans  laquelle  l'artiste  a  introduit,  avec  beaucoup  d'art,  la  Brahan" 
çonne.  . 

On  a  vivement  applaudi  celte  belle  page  orchestrale. 

M.  Litolfl"  séjournera  en  Belgique  jusqu'à  l'époque  où  l'on  montera 
à  la  Monnaie  ses  7'empliers.  II  s'occupe  activement  de  la  correction 
des  épreuves  (la  partition  est  sous  presse  chez^M.  Enoch,  éditeur,  à 
Paris),  des  détails  de  la  mise  en  scène,  des  costumes,  des  décors,  etc. 

Les  représentations  de  Théodora  semblent  avoir  eu,  à. cet  égard, 
une  heureuse  influence,  comme  nous  en  avions  exprimé  l'espoir.  Il 
parait  que  la  mise  en  scène  des  Templiers  sera  tout  à  fait  artistique. 
Plusieurs  artistes  ont  été  i)riés  de  rechercher  avec  soin  les  docu- 
ments relatifs  aux  costumes  ei  aux  accessoires  du  temps  de  Philippe- 
le-Bel,  sous  le  règne  duquel  se  passe  l'action,  afin  de  reconstituer 
le  plus  exactement  possible  cette  époque,  qui  se  prête  à  un  déploie- 
ment de  riches  costumes  et  de  décorations  d'art. 


Le  pianiste  Franz  Rummel  vient  de  remporter  un  grand  succès  à 
Londres.  Il  a  joué  au  cinquième  concert  de  la  Société  Philharmo- 
nique le  concerto  eu  sol  min,  de  Dvorak,  avec  tant  de  chaleur  et 
d'entrain,  qu'il  aété  réengagé  sur-le-champ. 

Au  concert  suivant,  il  a  remporté  un  succès  tout  aussi  grand  dans 
le  concerto  en  tni  bémol  de  Beethoven. 

M.  Rummel  a  donné,  le  17  juin,  une  matinée  à  Saint  James-Hall. 

La  première  partie  comprenait  cinq  grandes  œuvres  : 

A.  Prélude  et  fugue  en  ia  mm.  (Bach);  B.  Suite  et  variations  en 
mi.  (Haendel);  G.  Sonate  en  ut  dièze  tnin.  (Beethoven;;  D  Fan- 
taisie en  ut  (Schumann)  ;  E.  Variations  sérieuses  (Mendelssohn). 

La  façon  dont  M.  Rummel  s'est  acquitté  de  sa  tâche  lui  a  valu,  de 
la  part  du  public,  une  véritable  ovation,  et  la  presse  est  unanime  à 
constater  les  brillantes  qualités  techniques  et  la  haute  intelligence 
musicale  dont  il  a  fait  preuve.  La  seconde  partie  du  programme, 
composée  de  petites  pièces  de  Schubert,  Chopin,  Brahms,  Fanicq, 
Liszt,  etc.,  a  été  non  moins  favorablement  accueillie. 

Nous  croy(|)ns  pouvoir  prédire  à  M.  Rummel  un  avenir  très  brillant 
à  Londres. 

Le  barreau  de  Bruxelles  s'est  réuni  mercredi  dernier  pour  offrir, 
en  séance  solennelle,  à  M®  Dequesne,  avocat  près  la  Cour  d'appel, 
son  buste  en  bronze  à  l'occasion  du  cinquantième  anniversaire  de  sa 
l)restation  de  serment  en  qualité  d'avocat. 

L'œuvre  est  due  à  M.  Van  der  Stappen,  qui  a  fort  bien  rentiu 
l'expression  fine,  un  peu  dédaigneuse  du  jubilaire.  Me  Dequesne  est 
en  robe,  prêt  à  plaider.  C'est  à  la  fois  "très  vivant  et  très  ressem- 
blant. 

Le  buste  a  été  placé  dès  le  lendemain  de  la  cérémonie  dans  la 
bibliothèque  des  avocats  près  la  Cour  d'appel,  pour  laquelle  il  est 
destiné. 

Les  amis  de  WaeIput,  dont  nous  avons  annoncé  la  mort,  ont 
décidé  d'organiser  à  Gand,  un  grand  concert  réservé  exclusivement  à 
l'exécution  de  ses  œuvres.  Le  bénéfice  du  concert  sera  attribué  à 
l'érection  d'un  monument  funéraire  à  la  mémoire  du  regretté  compo- 
siteur. 

Une  société  d'aquarellistes  allemands  est  en  formation  à  Berlin  ; 
elle  organisera  une  exposition  au  printemps  de  l'année  prochaine. 


Au  dernier  Salon  de  Paris,  sur  1,243  peintres  exposants,  il  n'y 
avait  pas  moins  de  389  étrangers,  ainsi  répartis  :  98  Américains, 
47  Belges,  34  Anglais,  32  Suisses.  31  Allemands,  29  Norwégiens, 
Suédois  ou  Danois,  27  Espagnols,  26  Autrichiens,  22  Italiens, 
19  Russes,  16  Hollandais,  4  Grecs,  1  Turc. 

Un  journal  français  dit  à  ce  propos  : 

•♦  Les  étrangers  ne  se  plaindront  pas  qu'eu  France  on  leur  dispute 
le  moyen  de  se  produire  et  de  prospérer.  »• 

De  se  produire,  non.  Le  contraire  serait  charmant,  dans  un  Salon 


236 


UART  MODERNE 


international  1  Mais  quant  à  la  prospérité,  il  suffit  de  se  rappeler, 
'  pour  être  édifié,  comment  on  a  placé  cette  année  les  étrangers. 

On  a  inauguré  dernièrement  à  la  Gôte-Saint-André  (Isère),  sur  la 
façade  de  la  maison  où  naquit  Berlioz,  une  plaque  commémorative. 

On  lit  dans  le  Ménestrel: 

On  prête  à  M,  Carvalho  l'intention  de  remonter,  cette  prochaine 
saison,  les  Deux  avares^  de  Grétry.  Ce  sera  là  une  reprise  intéres- 
sante. Rappelons  qu'entre  autres  ouvrages  nouveaux  l'Opéra-Gomi- 
que  doit  nous  donner  cet  hiver  trois  actes  de  MM.  d'Eunery  et 
Armand  Silvestre  pour  le  poème  et  Arthur  Coquard  pour  la  musi- 
que, et  aussi  un  Plutus  en  deux  actes,  représenté  naguère  au  Vau- 
deville, et  dont  M.  Charles  Lecocq  écrit  la  musique.  Le  poème  de  ce 
dernier  ouvrage  est  de  MM.  Albert  Millaud  et  Gaston  Jollivet,  qui 
l'ont  remanié  selon  les  besoins  de  sa  transformation. 


Antoine  Rubinstein  met  en  ce  moment,  dit-on,  la  dernière  main  à 
un  drame  lyrique  sacré  intitulé  Moïse. 

L'engagement  de  M.  Marais  à  la  Comédie  française  a  été  signé 
cette  semaine. 

On  annonce  comme  prochaine,  à  l'Opéra  impérial  de  Vienne,  la 
représentation  d'un  opéra  inédit  du  compositeur  russe  Soloview, 
Corddift,  dont  la  grande  cantatrice  Pauline  Lucca  serait  la  protago- 
niste. 

Sommaire  de  la  Jeune  Belgique  (juillet  1885). 

Comment  écrire  un  Article-BIackwood,  G.  Eekhoud.  —  Schmitt, 
Max  Waller.  —  La  maison  paternelle,  G.  Rodenbach.  —  Quand 
même  !  Ch.  Buét.  —  Chronique  artistique,  Anvers,  E.  Verhaeren.- 
—  Chronique  littéraire.  Toques  et  robes,  Max  Waller.  —  Mémento. 

Le  numéro  ordinaire  ôiW.  Courrier  français,  qui  paraît  chaque 
samedi,  ne  coûte  que  20  centimes  et  contient  4  pages  de  texte  inté- 
ressant :  Courrier  de  la  semaine,  Fantaisies  littéraires.  Contes,  Nou- 
velles, Poésies  légères,  etc.  Le  dernier  numéro  contient  un  très 
beau  dessin  de  Willette  intitulé  :  Quand  il  reviendra  le  temps  des 
cerises...  elle  14  juillet  de  Pierrot,  par  G.  Lorin. 

Voyages  des  vacances.  —  L'Excursion  nous  offre,  pour  les 
vacances  prochaines,  une  série  de  quinze  voyages  en  Suisse,  en 
Italie,  à  Londres,  ep  Ecosse,  en  Ardennes,  en  Touraine,  en  Auvergne, 
en  Hollande,  aux  Bords  du  Rhin,  en  Autriche  et  jusqu'à  Constan- 
tinople. 

Ces  excursions  sont  charmantes.  Elles  ont  lieu  par  groupes  de  dix 
à  trente  personnes  et  réunissent  une  société  d'élite.  Les  dames  sont 
entourées  de  tous  les  égards.  Déjà  plus  de  trois  raille  touristes  ont, 
depuis  six  ans,  participé  à  ces  voyages  et  tous  en  sont  revenus 
enchantés. 

Les  personnes  qui  désirent  être  renseignées  obtiendront  gratui- 
tement  les  prospectus  en  s'adressant  à  M.  Ch.  Parmentier,  Directeur 
de  V Excursion,  boulevard  Anspach,  109,  Bruxelles. 


Tous  les  soirs,  à  8  heures 

donné  par  les  musiciens  du  théâlre  de  la  Monnaie  (85  exécutants), 
sous  la  direction  de  MM.  Jehin  et  Hermanu. 

Entrée  :  1  franc.  —  Enfants  :  75  centimes. 

Tous  les  jeudis  :  Concert  extraordinaire. 

On  peut  se  procurer  une  série  de  20  cartes  d'entrée  pour  15  francs 
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Mozart,  sonates  en  mi  b.  maj.,  et  fa  maj. 
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liiuxelles.  —  Tmp.  Félix  Callewaert  père,  rue  de  l'Industrie,  26. 


f^ 


Cinquième  année.  —  N°  2p 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  26  Juillet  1885. 


L'ART 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTERATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,  un  an,   fr.   10.00;  Union   postale,    fr.    13.00.    —   ANNONCES   :    On   traite   à  forfait. 


Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 

l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


^OMMAIRE 


Les  Décadents.  —  Le  Plagiat.  —   Les  droits  artistiques  et 

LITTÉRAIRES.  —  La  MUSIQUE  A  AnVERS.  —   BIBLIOGRAPHIE   MUSICALE. 

—  Ventes  artistiques.    —  Chronique   judiciaire  des  arts.   — 
Petite  chronique. 


LES  DÉCADENTS 

L'une  des  caractéristiques  des  écrivains  sur  qui  les 
■  Déliquescences  font  tomber  une  fine  pluie  d'épi- 
grammes  corrosives,  c'est  de  proclamer  qu'ils  sont  des 
décadents  !  Et  d'ajouter,  par  une  assez  grotesque  géné- 
ralisation de'leur  cas,  que  toute  la  civilisation  occiden- 
tale est  en  décadence. 

De  cela  ils  ne  sont  pas  marris  du  tout,  au  contraire. 
Le  melliflu,  l'ultime  décad^it  en  tressaute  de  joie.  Il 
est  démesurément  fier  de  son  état  et  prend  en  pitié 
quiconque  ne  jouit  pas  de  son  mal.  Comme  on  le  voit, 
c'est  l'éclosion  du  crevé  littéraire. 

La  joie  de  se  sentir  infirme  est  ce  qui  le  distingue 
de  l'apôtre  premier  de  la  décadence  moderne,  Baude- 
laire, car  les  sous-imitateurs  du  grand  poète,  dévorés 
de  leur  syphilis  de  pastiche,  ne  font  que  recommencer, 
en  des  dilutions  de  plus  au  plus  fades,  ce  que  son  génie 
avait  dégagé.  Il  envisageait,  lui,  la  décadence  comme 
une  nécessité  historique  à  laquelle  on  se  résigne  en  la 
subissant  et  dont  il  faut  tirer  le  meilleur  parti  possible. 
Il  ne  résistait  plus  au  courant  de  décrépitude  dans 
lequel  il  se  croyait  pris  et  chantait,  en  rythmes  bi- 


zarres, les  phénomènes  psychologiques  et  sociaux  qu'il 
croyait  être  les  conséquences  de  la  civilisation  vieillis- 
sante au  milieu  de  laquelle  il  était  né.  Mais  il  ne  gam- 
badait pas,  il  n'exultait  pas.  Mélancolique,  sarcastique, 
énigmatique,  c'était  âprement  qu'il  parlait  de  son 
temps  et  qu'il  décrivait  les  étrangetés  qu'il  y  pensait 
voir.  Le  titre  anti-phémique  de  son  œuvre  principale, 
si  courte  et  dont  le  sillon  fut  pourtant  si  profondément 
creusé,  les  Fleurs  du  mal,  rend  bien  ce  contraste 
d'idéal  et  d'amertume.  C'est  le  mélange  de  joies  divines 
et  de  soufirances  sataniques  qui  donne  sa  grandeur  à 
cette  individualité  redoutable.  S'ilfut  un  décadent,  il 
fut  un  décadent  triste.  ^ 

Ceux  qui  sont  le  monnayage  en  petits  sous  de  cette 
statue  de  bronze,  sont  des  décadents  hilares.  Pour  rien 
au  monde,  ils  ne  voudraient  qu'on  les  sauvât  delà  pente 
sur  laquelle  ils  glissent  vers  l'efïond rement.  Ce  qui  na- 
vrait Baudelaire  les  réjouit,  et  ils  ont  imaginé,  pour 
s'entretenir  ainsi  le  cœur  léger,  la  théorie  que  Paul 
•Bourget  a  rappelée  dans  ses  Essais  de  psfjchologie 
contemporaine  et  qui  justifie  leur  intime  satisfaction .- 

C'est  très  simple.  Les  hommes  de  décadence  sont  très 
supérieurs  comme  artistes.  S'ils  sont  malhabiles  à  l'ac- 
tion, c'est  qu'ils  sont  habiles  à  la  pensée  !  S'ils  dédai- 
gnent de  prendre  leur  part  des  besognes  communes, 
c'est  que  l'abondance  des  sensations  fines  et  l'exquisité 
des  sentiments  rares  en  ont,  fait  des  virtuoses,  stérili- 
sés mais  raffinés  !  S'ils  sont  incapables  de  sacrifices, 
c'est  que  leur  intelligence  cultivée  les  a  débarrassés  des 
préjugés  et  qu'ayant  fait  le  tour  des  idées,  ils  sont  par- 


venus  à  l'indififéreiice  suprême  qui  légitime  tout.  Et  s'il 
est  vrai  que  les  décadences  n'ont  pas  de  lendemain,  c'est 
que  le  lot  fatal  de  l'exquis  et  du  rare  est  de  n'être 
qu'éphémère  ! 

Donc ,  réjouissons-nous  ,  clament-ils ,  car  nous 
sommes  des  êtres  d'élection.  Frottons-nous; les  mains  et 
prenons  le  surplus  des  mortels  en  mépris. 

C'est  l'opérette  de  la  décadence,  après  le  drame  de 
Baudelaire.  Celui-ci,  comme  le  rappelle  Paul  Bourget, 
jouait  ce  rôle  dans  des  conditions  épiques,  fanfaron 
mais  désolé.  Il  relevait  dans  la  vie  et  dans  l'art  tout 
ce  qui  paraissait  morbide  et  artificiel  aux  natures 
simples.  Il  affectait- de  dire  que  ses  sensations  pré- 
férées étaient  celles  que  procurent  les  parfums,  parce 
qu'elles  rendent  plus  que  les  autres  ce  on  ne  sait  quoi 
de  sensuellement  obscur  et  triste  que  nous  portons  en 
nous.  Sa  saison  aimée,  c'était  la  fin  de  l'automne,  quand 
un  charme  de  mélancolie  semble  ensorceler  le  ciel  qui 
se  brouille  et  le  cœur  qui  se  crispe.  Ses  heures  de 
délices  étaient  les  heures  du  soir,  quand  le  ciel  se 
colore  comme  dans  le  fond  des  tableaux  de  Vinci,  des 
nuances  d'un  rose  mort  et  d'un  vert  quasi  agonisant. 
La  beauté  de  la  femme  ne  lui  plaisait  que  précoce  et 
presque  macabre  de  maigreur,  avec  une  élégance  de 
squelette  apparue  sous  la  chair  adolescente  d'une  matu- 
rité ravagée  : 

Ton  cœur  meurtri  comme  une  pêche 
Est  mur,  comme  ton  corps,  pour  le  savant  amour. 

Les  musiques  caressantes  et  languissantes,  les  pein- 
tures singulières  étaient  l'accompagnement  obligé  de 
ses  pensées  mornes  ou  gaies,  «  morbides  «  ou  «  pétu- 
lantes ".  Ses  auteurs  de  chevet  étaient  ces  écrivains 
d'exception  qui,  pareils  à  Edgard  Poe,  ont  tendu  leur 
machine  nerveuse  jusqu'à  devenir  hallucinés,  sortes  de 
rhéteurs  de  la  vie  trouble  dont  la  langue  «  est  marbrée 
déjà  des  verdeurs  de  la  décomposition  ».  Partout  où 
chatoyait  ce  qu'il  nommait  lui-même  la  «  phospho- 
rescence de  la  pourriture  »  il  se  disait  attiré  par  un 
magnétisme  invincible.  En  même  temps,  son  immense 
dédain  du  vulgaire  éclatait  en  paradoxes  outranciers, 
en  mystifications  laborieuses.  Ceux  qui  l'ont  connu 
(nous  fûmes  du  nombre)  rapportent  de  lui  des  anec- 
dotes extraordinaires.  La  part  une  fois  taillée  à  la 
légende,  il  demeure  avéré  que  cet  homme  supérieur 
garda  toujours  quelque  chose  d'inquiétant  et  d'énigma- 
tique,  même  pour  ses  amis  intimes.  Son  ironie  doulou- 
reuse enveloppait  dans  un  même  mépris,  la  sottise  et 
la  naïveté,  la  niai-serie  des  innocents  et  la  stupidité  des 
péchés.  Bref,  et  pour  résumer  cette  peinture,  Baude- 
laire apparaît  aux  générations  présentes  comme  le 
type  satanique  du  décadent  foudroyé. 

Sfir  la  tombe  de  ce  titan  dansent  les  diablotins  d'au- 
jourd'hui, les  petits  imitateurs  de  cette  sombre  figure, 
les   déxîadents  de  contrebande,  fardes,  grimés,  blancs 


de  farine  ou  vermillonnés,  menant  leur  carnaval  tapa- 
geur, ayant  tout,  excepté  la  grandeur  nécessaire  pour 
tenir  le  personnage.  Il  y  eut  autrefois  à  foison  des  petits 
Byron,  des  réductions  de  Byron,  de  la  Byronaille.  Il  y 
a  maintenant,  jusqu'au  pullulement,  des  sous-Baude^ 
laire,  des  Baudelairions,  tous  se  proclamant  eadents 
décadents,  singeant  le  maître,  ferraillant  là  où  il  déve- 
loppait sa  savante  escrime,  rimaillant  là  où  il  laissait 
tomber  son  vers  puissant,  menant  une  ronde  gouail- 
lerielà  où,  solitaire,  il  promenait  sa  grande  ombre. 

Vive  la  décadence  !  Ah!  quel  plaisir  d'être  décadents! 

C'est  la  débauche  du  Clampinisme. 

Et  là  dessus  les  plus  savants  exposent  une  théorie 
pédantesquement  scientifique  et  pesamment  sociale. 
Paul  Bourget,  l'évangéliste  de  ce  mouvement,  évangé- 
liste  plein  de  restrictions  du  reste,  l'expose  en  termes 
topiques.  D'après  lui,  par  le  mot  de  décadence  on 
désigne  l'état  d'une  société  qui  produit  un  trop  grand 
nombre  d'individus  impropres  aux  travaux  de  la  vie 
commune.  Une  société  doit,  en  efïet,  être  assimilée  à  un 
organisme  et  se  résout  dès  lors  en  une  fédération  d'or- 
ganismes moindres,  qui  se  résolvent  eux-mêmes  en  une 
fédération  de  cellules.  L'individu  est  la  cellule  sociale! 
Or,  pour  que  l'ensemble  fonctionne  avec  énergie,  il  est 
nécessaire  que  les  organismes  composants  fonctionnent 
aussi  avec  énergie,  mais  avec  une  énergie  subordonnée . 
Et  de  même,  pour  que  ces  organismes  moindres  fonc- 
tionnent à  leur  tour  avec  énergie,  il  faut  que  leurs 
cellules  composantes  fonctionnent  avec  énergie,  mais 
avec  une  énergie  subordonnée.  Si  les  cellules  deviennent 
indépendantes,  les  organismes  qui  compoi^ent  le  total 
cessent  pareillement  d'être  soumis  à  l'ensemble  et 
l'anarchie  qui  s'établit  constitue  la  décadence  de  l'en- 
semble !!  (Nous  y  voilà  !)  Car  l'organisme  social  n'échappe 
pas  à  cette  loi,  et  il  entre  en  décadence  aussitôt  que  la 
vie  individuelle  s'est  exagérée  sous  l'influence  du  bien- 
être  acquis  et  de  l'hérédité!!!  Il  eut  été  étonnant  que 
l'hérédité  ne  fût  pas  intervenue  dans  ce  morceau  digne 
en  tous  points  des  temps  scolaires  où  nous  vivons.) 

Et  de  même  (car  ce  n'est  pas  tout)  se  gouverne  le 
développement  de  cet  autre  organisme  qu'on  nomme  le 
langage.  Un  style  de  décadence  est  celui  où  l'unité  du 
livre  se  décompose  pour  laisser  la  place  à  l'indépen- 
dance de  la  page,  où  la  page  se  décompose  pour  laisser 
la  place  à  l'indépendanccfle  la  phrase,  et  la  phrase  pour 
laisser  la  placeli  l'fndépendance  du  mot. 

Pimctum!  Rien  n'y  manque,  et  comme  architecture 
d'une  théorie,  c'est  d'une  remai^quable  ingéniosité.  Les 
législateurs  de  la  décadence  supplantent  les  législateurs 
du  Parnasse.  Baudelaii^e  est  réduit  en  formules.  On 
peut  être  décadent  algébri(juement.  Toute  la  marmaille 
que  l'on  voit  polissonner  dans  les  lettres  a  désormais  le 
droit  de  se  rengorger  en  disant  :  Nous  sommes  scienti- 
fiques. Le  grand  homme  inconscient  qui  a  créé  une 


nouvelle  expression  de  Tart  en  prenant  ses  rêves  pour 
des  réalités  n'est  plus  là,  dans  l'expansion  irrésistible  de 
son  originalité.  Mais  de  sa  substance  est  sorti  le  four- 
millement des  larves  qui  prétendent  le  continuer  en 
l'expliquant.  Cette  grande  décadence,  dont  le  fantôme 
hantait  sa  puissante  imagination,  et  qu'il  faisait  réson- 
ner comme  un  instrument  sinistre  et  formidable,  ils  la 
reprennent  en  sourdine  sur  leurs  petites  flûtes.  Du 
Wagner  soufflé  dans  des  mirlitons. 

Mais  qu'est-ce  que  c'est  au  juste  que  cette  nuée  de 
décadents,  bourdonnant  comme  des  mouchesX_Péca- 
dents,  eux,  soit.  Ils  y  tiennent  que  leur  fantaisie  soit 
faite.  Il  y  aura  donc  un  groupe  de  décadents,  quelque 
part,  dans  un  coin,  Baudelairisant  à  faux,  c'est  entendu. 
Mais  d'où  leur  vient  la  toquade  de  croii'e  que  le  monde 
moderne  tout  entier  décade  avec  eux?  Ils  se  sentent,  ou 
plutôt  se  disent  (avec  satisfaction)  moroses,  désillusion- 
nés, sans  désirs,  sans  passions.  Dans  la  préface  des 
Déliquescences,  Mfrius  Tapora  raconte  dévotement  un 
4jp»ident  de  la  séance  du  cénacle  des  poètes  à  laquelle  il 
lui  fut  donné  d'assister,  quoique  profane,  quoique  indi- 
gne. On  révèle  que  Bornibus,  un  des  frères,  est  amou- 
reux. Il  y  a  une  sorte  de  haut-le-cœur.  «  Amoureux! 
s'écrie  l'un  des  assistants. Cela  ne  m'étonne  pas  de  sa  part, 
c'est  une  pauvre  tête,  un  cerveau  vulgaire.  Amoureux  ! 
Il  ne  lui  manquait  que  c^  ridicule.  Comment  peut-on 
être  amoureux?  Y  a-t-il  au  monde  quelque  chose  de 
plus  plat,  de  plus  misérable,  de  plus  répugnant,  de  plus 
écœurant  que  l'amour?  ^  Et  poursuit  en  ne  faisant  de 
concession  que  pour  l'inceste,  et  encore!  Un  autre 
s'écrie  :  «  Luther  était  bien  heureux  !  il  était  le  mari 
d'une  religieuse!  »»  —  Aussi,  est-ce  avec  l'élan  d'une 
apothéose  qu'Adoré  Floupette  cisèle  ce  sonnet  fait  pour 
devenir  le  chant  national  des  décadents  : 

Nos  pères  étaient  forts,  et  leurs  rêves  ardents  _  _ 


S  envolaient  d'un  coup  d'aile  au  pays  de  Lumière. 

Nous  dont  la  fleur  dolente  est  la  Rose  Trémière, 

Nous  n'avons  plus  de  cœur,  nous  n'avons  plus  de  dents  1 

Pauvres  pantins  avec  un  peu  de  son  dedans, 
Nous  regardons,  sans  voir,  la  ferme  et  la  fermière. 
Nous  renâclons  devant  la  tâche  coutumière, 
Chariots  trop  amusés,  ultimes  Décadents. 

Mais,  ô  Mort  du  Désir!  Inappétence  exquise  ! 
Nous  gardons  le  fumet  d'une  antique  Marquise 
Dont  un  Vase  de  Nuit  parfume  les  Dessous! 

Etre  Gâteux,  c'est  toute  une  philosop^iie. 

Nos  nerfs  et  notre  saug  ne  valent  pas  deux  sous, 

Notre  cervelle,  au  veut  d'Eté,  se  liquéfie  ! 

Bien  !  Très  bien  !  Mais,  messieurs  les  Chariots  trop 
amusés,  otx  donc  avez-vous  pris  que  tous  vos  contempo- 
rains vous  ressemblent?  OCi  avez-vous  pris,  que  les 
temps  sont  à  la  décadence?  C'est  d'abord  fort  difficile 
de  juger  son  époque,  mais  est-il  téméraire  de  faire 
remarquer  que,  de  tous  les  siècles  historiques,  celui  où 
nous  vivons  est  le  plus  merveilleux.  Que  le  bon  goût 


nous  garde  de  célébrer  les  prodiges  de  la  vapeur  et  de 
l'électricité,  et  de  demander  aussi  quelles  heures  du 
passé  ont  vu  des  entreprises  comme  le  percement  des 
deux  isthmes,  l'Africain  et  celui  des  deux  Amériques. 
Mais  pour  ne  parler  que  du  progrès  littéraire,  quel 
épanouissement  de  la  pensée  fut  pareil  à  celui  de  ce 
siècle?  Laissons  de  côté,  de  crainte  de  paraître  banal, 
les  supériorités  incontestées  de  Hugo  et  de  Gœthe. 
Bornons-nous  à  citer  le  développement  sans  pareil  du 
roman  et  du  journalisme.  Et  c'est  parce  que,  durant 
quelques  lustres,  le  second  empire  aura  passagèrement 
^kié  les  mœurs  et  fait  à  Paris  une  réputation  de  lupa- 
nar international,  qu'il  faudra  affubler  du  nom  de  déca- 
dente toute  la  génération  présente  ?  C'est  absolument 
comme  si  les  bossus  de  France  se  mettaient  à  prêcher 
en  vers  et  en  prose  qu'il  n'y  a  plus  que  des  bossus. 

La  vérité  est  que  nous  sommes  dans  une  période  de 
transition.  Que  notre  idéal  en  toute  chose  perd,  non 
sans  souffrance,  ses  appuis  anciens,  et  péniblement  en 
cherche  d'autres,  qu'il  trouvera,  n'en. doutons  pas.  A 
cela  s'applique  la  partie  vivante  et  saine  des  races 
européennes.  Il  n'y  a  pas  matière  à  comparer  cette 
évolution  à  la  chute  lente  de  l'empire  romain  ou  de 
l'empire  de  Byzance.  Il  s'agissait  alors  de  nations  inca- 
pables de  trouver  en  elles-mêmes  les  éléments  de  la 
rénovation  attendue.  Les  deux  races  étaient  épuisées. 
Il  a  fallu  que  les  barbares  vinssent  essaimer  dans  ces 
lieux  stériles  pour  y  rajeunir  rhistoire.  Aujourd'hui, 
il  n'y  a  point  de  barbares,  à  l'horizon.  Si  les  classes 
supérieures,  pourries  et  blasées,  doivent  être  rempla- 
cées, ce  sera  par  dés  couches  qui  sont  sous  elles,  dans 
les  entrailles  mêmes  des  peuples.  Comme  nous  l'écri- 
vons dans  VAmù^al,  l'invasion  destinée  à  infuser  les 
sucs  nouveaux,  ne  sera  plus  latérale,  du  dehors  au 
dedans,  mais  verticale,  du  dessous  au  dessus.  Quand 
des  races  ont  en  elles  ces  forces  de  réserve,  elles  ne 
sont  pas  en  décadence,  mais  en  transformation.  Ce 
qui  lejur  faut,  ce  qui  ne  leur  manquera  pas,  ce  sont  des 
écrivains  pour  annoncer,  pour  chanter  ces  phénomènes 
prochains.  Et  quant  à  ceux  qui,  pareils  à  des  oiseaux 
déplumés  et  malades,  piaillent  en  sautillant,  et  prennent 
leur  misère  pour  la  misère  universelle,  ils  seront  sub- 
mergés, sans  qu'il  en  reste  trace  ou  souvenir,  eux  et 
leurs,  œuvres  stériles,  quand,  au  rivage  de  l'avenii^ 
montera  la  haute  marée. 


LE  PIAGIAT 

Petit  pays,  petites  gens,  petites  passions,  petite  presse. 

On  dirait  vraiment  que  les  journaux  belges  vivent  d "autre  chose 
que  de  découpures.  Une  épidémie  les  aileinl  depuis  quelque 
temps;  ils  crient  au  plagiat  à  tout  propos.  Tantôt  lun  d'<?ux 
accuse  l'autre  de  lui  voler  ses  faits  divers  et  crie  à  lue-iête 
comme  si  on  lui  arrachait  les  dents,  alors  que  les  faits  divers 


formoni  un  ralelier  (jui  s'applique  à  la  bouche  de  cliaque  journal. 
Une  aulre  fois  il  s'pgil  de  M.  Slingeneyer  qui, dans  ses  nombreuses 
notes  d'an,  relrouvc  et  s'approprie  quelques  observations  qui 
n'ont  que  le  tort  d'être  banales,  en  nc^gligeanl,  par  cela  même,  d'en 
indiquer  la  source,  cl  voilà  qu'on  réclame  au  nom  de  l'illusire  (!) 
M.  Pfau. 

Hier  c'est  au  nom  des  héritiers  de  Vilruve,  un  vieil  auteur 
latin,  qu'on  croit  devoir  proleslor  et  chercher  chicane  bruyante  à 
propos  d'un  rapport  sur  la  propriété  artistique  et  littéraire. 

Il  sera  amusant,  pensons-nous,  d'étudier  un  peu  au  microscope 
les  microbes  qui  ont  déterminé  le  dernier  cas  de  l'épidémie. 

Voici  le  fait  :  un  homme  jeune,  intelligent,  estimé,  passe  tout 
un  hiver  à  faire  un  travaiMégislalif  considérable,  sur  le  droit  des 
auteurs.  Il  s'entretient  de  la  question  avec  les  gens  compétents, 
lit  et  annote  les  innombrables  manuscrits,  livres,  rapports  de 
congrès,  projets  de  loi,  conventions  internationales,  brochures 
et  brochureltes  qu'on  a  é-Tits  sur  le  droit  des  auteurs. 

Il  n'a  pas  à  faire  œuvre  à' imagination,  mais  de  législation^  et 
pour  cela  il  importe  surtout  de  collationner,  de  trier,  d'épingler 
les  faits,  les.aniécédents,  les  exemples,  les  anecdotes  historiques 
qui  sont  rapportés  un  peu  partout  et  qui,  comme  faits,  appar- 
tiennent à  tous  et  sont  du  reste  transcrits  dans  une  langue  neutre. 

Après  cola  il  se  livre  à  une  discussion  juridique  très  serrée 
pour  établir  le  fondement  et  la  nature  du  droit  des  auteurs. 

La  discussion  des  différents  systèmes  en  présence  constitue 
précisément  son  œuvre  originale,  à  lui;  il  n'a  le  droit  de  rien 
inventer,  mais  de  choisir,  ce  qu'il  fait  en  réfutant  d'abord  puis 
en  adoptant  la  théorie  des  Droits  huelleciuels* 

Cette  base  fixée,  il  en  déduit  les  rationnelles  conséquences 
dans  les  différents  articles  du  projet  de  loi,  et  sori  rapport  paraît 
en  un  compact  volume  de  iOO  pages  in-folio. 

Que  va-l-il  arriver  ?  Ce  travail  consciencieux  et  très  juridique, 
ce  travail  de  plusieurs  mois  va  valoir  à  son  auteur  de  la  notoriété, 
lui  assurer  une  place  parmi  les  hommes  de  mérite  de  son  pays. 

Pas  du  tout  :  Un  jeune  avocat  qui  a  fait  sur  le  même  sujet  un 
devoir  de  rentrée,  a  rêvé  sans  doute  l'honneur  d'être  cité  au 
coui*s  d'un  rapport  législatif. 

S'il  faut  en  croire  la  Chronique  d'hier,  c'est  lui  qui  a  envoyé 
une  circulaire,  qui  est  allé  se  plaindre  de  ce  que  le  rapporteur  de 
la  Chambre  ait  transcrit  dans  les  mêmes  termes  que  lui  —  des 
termes  quelconques,  des  termes  de  dic'.ionnaire, —  deux  exemples, 
deux  faits,  deux  anecdotes  historiques  sur  les  jeux  des  Muses 
à  Alexandrie,  lesquels  ont  été  racontés  en  latin  par  Vilruve 
d'abord,  et  traduits  plus  ou  moins  fidèlement  par  des  centaines 
d'auteurs  qui  ont  écrit  sur  la  propriété  intellectuelle. 

Cela  fait  une  dizaine  de  lignes  semblables. 

On  répand  îa  nouvelle,  on  la  travestit;  on  a  des  amis  complai- 
sants; la  hideuse  politique  s'en  môle;  la  petite  presse  est  là, 
toujours  ouverte,  comme  une  maison  de  passe  où  tout  le  monde 
peut  aller  faire  son  ordure,  anonymement. 

Et  le  lendemain  tous  les  journaux  à  ia  fois  vont  criant  au  vol, 
au  scandale,  au  pingiat  ;  celui  qui  a  travaillé  longtemps,  qui  a  fait 
une  œuvre  de  mérite,  risque  de  devenir  ridicule,  odieux,  infâme. 

On  en  rira  dans  le  pays  entier  :  les  commis  voyageurs  s'esclaf- 
feront dans  les  trains,  comparant  les  textes,  trouvant  qu'ils  se 
ressemblent  comme  deux  gouttes  d'eau,  sans  comprendi^e  —  les 
imbéciles  !  —  que  cela  doit  être  puisque  les  gouttes  d'eau  pro- 
viennent de  la  même  source  de  l'histoire  et  que  chacun  a  le  droit 
d'y  puiser. 


'  Cela  n'est  pas  possible,  direz-vous.  Il  doit  y  avoir  autre  chose  : 
oui,  j'oubliais  un  détail  qui,  cette  fois,nous  conduit  au  grotesque: 

On  fait  un  grief  à  l'auteur  du  rapport  d'avoir  répété  que  les 
anciens  avaient  pour  les  œuvres  de  l'esprit  n  un  respect  dont  les 
temps  modernes  n'offrent  pas  d'exemples.  » 

El  on  osera  écrire  que  l'auteur  de  celle  banalité  à  acquis  sur 
elle  une  propriété.  Mais  c'est  un  cliché  qui  a  servi  à  tous  les  dis- 
cours dans  les  académies,  les  sénats,  les  meetings,  et  même  les 
cimetières,  car  on  y  fait  aux  morts  celte  injure  de  parler  devant 
eux,  et  même  de  parler  politique.  Dont  les  temps  modernes 
n'offrent  pas  d'exemples.  Mais  il  faudra  à  ce  compte  indiquer  les 
sources  pour  les  billets  de  caramels.  On  ne  pourra  plus  dire  : 
«  Il  fait  beau  aujourd'hui  »  ou  bien  :  «  La  prudence  est  lïi  mère 
de  la  sûrelé  »  sans  ajouter  :  comme  dit  M.  de  Tocqneville,  à 
l'instar  de  la  petite  sous-préfelte  du  Monde  oii  Von  s'ennuie. 

Dont  les  temps  modernes  n'offrent  pas  d'exemples  ! 

Défense  à  tout  écrivain  d'employer  désormais  celle  expression. 
Elle  appartient  à  M""*^  X.  C'est  lui  qui  l'a  créée,  après  un  long 
labeur.  Il  a  pris  du  limon,  il  a  soufflé  dessus,  et  voyez  mainte- 
nant comme  celle  phrase  vit.  M""^  X  a  fait  cela,  il  a  créé  !  M""''  X 
est  Dieu  !  , 

A  propos  de  plagiaires  qui  ne  citent  pas  les  sources,  Lcsage 
les  compare  à  des  voleurs  qui  auraient  emporté  une  vaisselle  et 
en  auraient  effacé  lés  armoiries. 

Je  voudrais  bien  savoir  ce  qui  constitue  les  armoiries,  le  chiffre 
personnel,  dans  cette  phrase  superbement  quelconque  :  «  Dont 
les  temps  modernes  offrent  peu  d'exemples».  Non  seulement  il  n'y 
a  pas  d'armoiries,  mais  ce  n'est  pas  même  de  la  vaisselle.  C'est  la 
fontaine  Wallace,  avec  des  gobelets  d'étain  où  tout  le  monde  a  bu. 

Dans  ces  conditions  il  n'y  a  plus  moyen  de  rien  écrire,  —  à 
moins  de  faire  comme  ce  curieux  décadent  signalé  par  Banville 
qui,  par  crainte  qu'on  ne  l'accusai  de  plagiai  ou  de  banalité, 
substituait  aux  locutions  usitées  les  synonymes  les  plus  inouïs. 
Ainsi  son  livre  commençait  ainsi  :  Un  malheureux  vieillard.  Il  y 
substitua  ces  mots  : 

«  Un  calamileux  macrobile  î  » 

Toute  celte  mauvaise  foi  se  complique  d'ignorance,  car  ceux 
qui  savent  auraient  bien  garde  de  procédés  aussi  bouffons  quand 
on  a  vu  exercer  le  droit  d'appropriation  non  seulement  par  les 
compilateurs,  ceux  qui  font  œuvre  de  science,  d'histoire  ou  de 
législation,  toutes  matières  où  l'emprunt  est  nécessaire  cl  légi- 
time, —  mais  encore  par  ceux  qui  font  de  la  littérature  propre- 
ment dite  et  des  ouvrages  d'imagination,  comme  les  dramaturges, 
les  romanciers  et  les  poètes.      ^ 

Qui  traitera  de  plagiaires  Molière  pour  avoir  emprunté  son 
Avare  à  Plante,  La  Fontaine  pour  avoir  transcrit,  traduit  pour 
ainsi  dire,  en  les  donnant  pour  siennes,  certaines  fables  d'Esope; 
Corneille  pour  s'être  plus  qu'inspiré  dans  le  Cid  des  romanceros 
espagnols,  Shakespeare  enfin  qui  prend  tout  son  Othello  à  une 
nouvelle  italienne  de  Cinthio,  Shakespeare  qui  emprunte  un  tas 
de  vers  à  dos  poètes  anglais  qui  lui  sont  antérieurs,  à  telles 
enseignes  qu'on  publie  aujourdhui  en  ^Angleterre  des  éditions  où 
tous  ces  vers  intercalés  par  lui  sont  mis  en  italique  avec  l'indica- 
tion dos  sources.     .         -  . 

Et  tous  ceux-là  sont  des  génies  qui  ont  prouvé  ailleurs  la 
somptuosité  de  leur  esprit,  la  richesse  de  leur  inspiration  et  qui 
osent  néanmoins  emprunter  ci  et  là  un  peu  de  cuivre  et  d'élain 
pour  le  mêler,  comme  un  alliage  nécessaire,  à  l'or  pur  de  leur 
«tyle. 


Imaginez  donc  que  Viclor  Hugo  ait  eu  le  malheur  d'ôlre  un 
poôle  belge  et.  qu'il  ail  publié  ici  la  Légende  des  Siècles. 

Le  lendemain,  un  des  stupides  petits  journaux  qui  font  le  trot- 
toir chez  nous  publierait  un  article  à  grand  tapfige  intituld 
comme  suit  : 

UN  POÈTE  PLAGIAIRE 

•♦  Voici  les  poètes  qui  s'en  mêlent.  C'est  maintenant  la  Bible 
«♦  qu'ils  vont  démarquer,  la  Bible,  un  livre  sacré  I  Quelle  profana- 
•*  tion  !  Voici,  en  effet,  comment  l'auteur  d'un  livre  récent  copie 
«  dans  un  poème  qu'il  donne  pour  sien  l'Evangile  de  Saint-Jean. 
«  Nous  nous  réservons  de  multiplier  les  exemples,  s'il  y  a  lieu. 


VICTOR  HUGO. 

Or,  Jésus  aimait  Marthe  et  Marie  et 

(Lazare. 

Et  le  Seigneur 

Dit  aux  Juifs  accourus  pour  le  voir 

(en  grancl  nombre 

Où  donc  l'avQz-vous  mis?  Ils  répon- 

(dirent  :  Vois 

Et  Jésus  pleura 

Sur  quoi  la  foule 
Se  prit  à  s'écrier  :  Voyez  comme  il 

(l'aimait. 

Première  rencontre  du  Christ 
(avec  le  Tombeau. 


LA  BIBLE. 

Or,  Jésus  aimait  Marthe  et  sa  sœur  et 
Lazare. 

Et  Jésus  dit  : 

Où  l'avez-vous  mlsî  Ils  lui  répon- 
daient :  Seigneur,  viens  et  vois 


Et  Jésus  pleura. 

Sur  quoi  les  Juifs 
Dirent  ;  Voyez  comme  il  l'aimait. 

St  Jean,  chap.  XI.  5,  34,  35,  3&. 


Il  est  certain  qu'après  une  pareille  révélation,  un  poète  belge 
serait  ridicule  pour  le  restant  de  ses  jours  et  considéré  comme 
copiant  ses  vers  par  toute  la  grande  masse  du  public. 

Cela  peut-il  durer,  et  tous  ceux  qui  écrivent,  ceux  à  qui  par 
conséquent  pareille  mésaventure  peut  arriver  demain,  n'onl-ils 
pas  le  devoir  de  s'unir  pour  faire  une  guerre  à  outrance  à  cette 
méchante  petite  presse.  Qu'on  la  poursuive  en  justice,  qu'on 
l'assigne  en  dommages-intérêts,  elle  qui  par  la  seule  accusation 
de  plagiat,  diffame,  compromet  et  ridiculise  à  la  face  du  pays, 
des  hommes  de  conscience  et  de  valeur. 

Et  quant  aux  chiens  à  la  chaîne  qui  aboient  là  dedans,  qu'à  la 
première  occasion  on  les  bâtonne  sans  merci  et  publiquement  ! 

Georges  Rodenbach. 


LES  DROITS  ARTISTIQUES  ET  LITTÉRAIRES 

Projet  adopté  par  la  section  centrale. 

{suite)  (*) 


Section  IV. 


Du  'droit  d'auteur  sur  les  œuvres  des  arts  du 
dessin. 


Art.  20.  L'auteur  d'une  œuvre  produite  par  l'un  des  arts  du 
dessin,  tels  que  gravure,  peinture,  sculpture,  architecture,  a 
seulle  droit  de  la  reproduire  ou  d'en  autoriser  la  reproduction 
par  un  art  ou  un  procédé  semblable  ou  distinct. 

Art.  21.  La  cession  d'un  objet  d'art  n'entraîne  pas  cession 
du  droit  de  reproduction  reconnu  h  l'auteur  par  l'article  précé- 
dent, sauf  convention  contraire.  Toutefois,  l'artiste  cédant  ne 
peut  reproduire  son  œuvre  sous  la  même  forme  artistique  si,  de 
soi,  celte  forme  n'indique  pas  la  multiplicité  des  reproduc- 
tions (13). 


l')  Voyez  ïArt  moderne  du  10  courant. 
(13)  Le  projet  du  rapporteur  portait  : 

La  cession  d'un  objet  d'art  n'entraîne  pas  cession  du  droit  de 
reproduction  reconnu  à  l'auteur  par  l'article  précédent,  sauf  conven* 


Art.  22.  La  propriété  d'un  objet  dos  arts  dudessin  n'emporte 
pas  le  droit  de  l'exposer  publiquement  contre  la  volonté  de  l'au- 
teur. 

Si  l'objet  d'art  consiste  en  un  portrait,  l'auteur  n'a  pas  le 
droit  de  le  reproduire  ou  dé  l'exposer  publiquement  sans  l'assen- 
timent de  la  personne  représentée  ou  dç  ses  héritiers. 

•Art.  23.  L'auteur  d'une  œuvre  d'art  qui  en  aura  fait  ou 
autoriser  la  reproduction  par  des  procédés  industriels  sera  sou- 
mis, pour  ce  qui  concerne  les  objets  résultant  de  cette  reproduc- 
tion, aux  lois  qui  régissent  les  arts  industriels. 

Les  reproductions  par  la  photO£rraphie  ou  les  procédés 
analogues  rentrent  dans  la  présente  disposition. 

Section  V.  —  Action  pénale. 

Art.  24.  Quiconque,  en  fraude  des  droits  de  l'auloDr,  repro- 
duit, on  lout  ou  <'n  partie,  une  œuvre  lilif'raire  ou  artistique  par 
n'importe  quel  mode  de  reproduction,  y  compris  roxéciilion  ou 
la  représentation  publique,  est  coupable  du  délit  de  contre- 
façon (14). 

Art.  25.  Les  délits  prévus  k  l'arlicio  précédent  seront  punis 
d'une  amende  de  26  francs  à  2,000  francs. 

La  confiscation  des  ouvrages  ou  objets  contrefaits,  do  même 
que  celles  des  planches,  moules  ou  matrices  et  autres  ustensiles 
ayant  directement  servi  à  les  commettre,  sera  prononcée  contre 
les  condamnés.  -    . 

Art.  26.  En  cas  d'exécution  ou  de  représentation  non  auto- 
risée, les  recettes  pourront  être  saisies  parla  police  judiciaire 
comme  objets  provenant  du  délit,  et  seront  alloués  au  réclamant 
à  valoir  sur  les  réparations  lui  revenant,  mais  seulement  en  .pro- 
portion de  la  part  que  son  œuvre  aura  eue  dans  la  représentation 
ou  l'exécution. 

Art.  27.  L'application  mensongère  sur  un  objet  d'art,  un 
ouvrage  de  littérature  ou  de  musique,  du  nom  d'un  auteur  ou  de 
tout  signe*  distinclif  adopté  par  lui  pour  désij[n»^r  son  œuvre,  sera 
puni,  d'un  emprisonnement  de  trois  mois  à  dtux  ans,  d'une 
amende  de  100  à  2,000  francs  et  d'e  la  contiscation  des  objets 
contrefaits.  - 

Ceux  qui,  avec  connaissance  de  cause,  exposent  en  vt^nle  ou 
introduisent  sur  le  territoire  belge  los  ohj(Hs  désignés  dans 
l'alinéa  précédent  seront  punis  des'mêmes  peines. 

Art.  28.  Les  infractions  à  la  présente  loi  sont  constatées, 
instruites,  poursuivies,  jugées  et  réprimées  conformément  aux 
règles  du  Code  d'instruction  criminelle  et  ce,  même  d'office,  par 
le  ministère  public. 

Section  VI.  —  Action  civile  résultant  du  droit  d'auteur. 

Art.  29.  Les  titulaires  du  droit  d'auteur  pourront,  avi^c  l'au- 
torisation du  président  du  tribunal  de  première  instance  dir  lieu 
de  la  contrefaçon,  obtenue  sur  requête,  faire  procéder  par  un  ou 
plusieurs  experts  que  désignera  ce  magistrat  à  la  deseription  des 
objets  prétendus  contrefaits,  ou  des  faits  de  la  contrefaçon,  et  des 
ustensiles  qui  ont  directement  servi  à  les  accomplir. 

Le  président  pourra  par  la  même  ordonnance  faire  défense  aux 
détenteurs  des  objets  contrefaits  de  s'en  dessaisir,  permettre  de 
constituer  gardien  ou  même  de  mettre  les  objets  sous  scellés. 
Cette  ordonnance  sera  signifiée  par  un  huissier  à  ce  commis. 


tion  contraire.  De  même  l'eséoulion  d'une  œuvre  d'architecture  ne 
met  pas  fin  au  droit  exclusif  de  l'auteur  à  la  reproduction  de  ce  qui 
est  nouveau  dans  cette  œuvre. 

(14)  Le  rapporteur  avait  proposé  : 

Quiconque  reproduit,  en  tout  ou  en  partie,  une  œuvre  littéraire 
ou  artistique  quelconque  sans  le  consentement  du  titulaire  du  droit 
d'auteur  par  n'importe  quel  mode  de  reproduction,  y  compris  l'exé- 
cution ou  la  représentation  publique,  est  coupable  du  délit  de 
contrefaçon. 

Ceux  qui,  en  connaissance  de  cause»  exposent  en  vente,  débitent 
ou  introduisent  sur  le  territoire  dans  un  but  commercial  les  objets 
contrefaits,  sont  coupables  du  même  délit. 


S'il  s'ajçlt  do  faits  qui  donnent  lieu  h  recelle,  îc  président 
pourra  auloriser  la  saisie  conservatoire  des  deniers  par  un  huis- 
sier qu'il  conimellra. 

Art. -30.  La  requête  contiendra  élection  de  domicile  dans  les 
communes  où  doit  avoir  lieu  la  description. 
-   hesiîxpeTts  prêteront  serment  entre  les  mains  du  président 
avant  de  commencer  leurs  opérations. 

Art.  31.  Le  président  pourra  imposer  au  requérant  l'obliga- 
tion de  consigner  un  cautionnement.  Dans  ce  cas,  l'ordonnance 
ne  sera  délivrée  que  sur  la  preuve  de  la  consignation  faite.  Le 
cautionnement  sera  toujours  imposé  à  l'étranger. 

Art.  32.  Le  requérant  pourra  être  présent  à  la  description, 
s'il  y  est  spécialement  autorisé  parle  président. 

Art.  33.  Si  les  portes  sont  fermées  ou  si  l'ouverture  en  est 
refusée,  il  est  opéré  conformément  à  l'art.  587  du  Code  de  procé- 
dure civile. 

Art.  34.  Copie  du  procès-verbal  de  description  sera  envoyée 
par  les  experts,  sous  pli  recommandé,  dans  le  plus  bref  délai,  au 
saisi  et  au  saisissant. 

Art.  3J).  Si  dans  la  huitaine  de  la  date  de  cet  envoi,  constaté 
par  le  timbre  de  la  poste,  ou  de  la  saisie  conservatoire  des 
recettes,  il  n'y  a  pas  eu  assignation  devant  le  tribunal  dans  le 
ressort  duquel  la  description  a  été  faite,  l'ordonnance  cessera  de 
plrin  droit  ses  effets  et  le  détenteur  des  objets  décrits  ou  des 
deniers  saisis  ])0.urra  réclamer  la  remise  de  l'original  du  procès- 
verbal  avec  défense  au  requérant  de  faire  usage  de  son  contexte 
et  de  le  rendre  public,  le  tout  sans  préjudice  des  dommages-inté- 
rêts. 

Art.  36.  La  juridiction  consulaire  ne  connaît  point  des  actions 
dérivant  de  la  présente  loi.  • 

La  cause- sera  jugée  comme  affaire  sommaire  et  urgente  (15). 

Art.  37.  Les  tribunaux  saisis  des  réparations  civiles  à  allouer 
an  demandeur  en  cas  de  lésion  du  droit  d'auteur  pourront  lui 
accorder  : 

1°  Une  somme  suffisante  pour  l'indemniser  de  toutes  dépenses 
causées  par  la  poursuite; 

2"  S'il  s'agit  d'une  reproduction  matérielle  d'objets  mobiliers, 
la  contjscalion  des  dits  objets  et  de  ce  qui  a  servi  directement  à 
les  produire;  et,  s'il  s'agit  d'une  représentation  ou  d'une  exécu- 
tion, la  confiscaiion  d'une  pari  de  la  recette  correspondante  à 
l'importance  de  l'œuvre  représentée  ou  exécutée. 

11  sera  tenu  compte  pour  fixer  la  recette  de  ce  qui  est  payé  par 
abonnement,  cotisation  de  sociétaires,  etc.; 

39  De  plus  amples  dommages  et  intérêts  s'il  y  échet  (16). 

Section  Vil.  —  Droits  des  étrangers. 

Art.  38.  Los  étrangers  jouissent  en  Belgique  des  droits 
garantis  par  la  présente  loi  sans  que  la  durée  de  ceux-ci  puisse, 
en  ce  qui  les  concerne,  excéder  la  durée  belge.  Toutefois,  s'ils 
viennent  à  expirer  plus  tôt  dans  leur  pays,  ils  cessoront  au  même 
moment  en  Belgique. 

Section  VlII.  —  Disposition  transitoire. 

Art.  39.  Il  n'est  porté  aucune  atteinte  aux  contrats  sur  la 
matière  légalement  formés  sous  l'empire  des  lois  antérieures.  Les 
auteurs  ou  leurs  héritiers  dont  les  droits  exclusifs,  résultant  de 
ces  lois,  ne  seront  pas  épuisés  au  moment  de  la  publication  de 
la  présente  loi  seront  pour  l'avenir  régis  par  celle-ci.  Si,  avant 


cette  publication  ils  ont  cédé  la  totalité  "de  leurs  droits,  ceux-ci 
resteront  soumis  aux  lois  en  vigueur  au  moment  de  la  cession. 

Section  IX.  —  Abrogation  de  la  législation  existante. 

Art.  40.  Sont  abrogées  toutes  dispositions  antérieures  rela- 
tives aux  droits  d'auteur  régis  par  la  présente  loi  (17). 


(l.j)  Le  projet  du  rapporteur  portait  :  La  juridiction  compétente 
pour  l'action  en  contrefaçon  sera  toujours  la  juridiction  consulaire. 
Tout«  action  en  contrefaçon  sera  jugée  comme  affaire  sommaire. 

(10)  Le  rapporteur  avait  écrit  :  Les  tribunaux  saisis  de  répara- 
tions civiles  à  allouer  au  titulaire  du  Jroit  d'auteur  en  cas  de  contre- 
façon, pourront  lui  accorder  des  dommages  et  intérêts,  la  confisca- 
tion des  objets  contrefaits  et  des.  instruments  qui  ont  servi  directement 
à  les  produire,  de  plus  la  publication  dans  les  journaux  des  déci- 
.'-^icns  rendues  et  ce,  à  concurrence  d'une  somme  qu'ils  fixeront. 


JiA    MUSIQUE    A    ^NVER? 

Les  pianos  ne  chôment  guère  h  l'exposition  d'Anvers,  et  dans 
l'immensité  des  halls  les  arpèges  et  les  gammes  dansent  des  qua? 
drilles  fous. 

La  mode  est  venue  de  prier  quelque  artiste  en  renom  de  faire 
entendre  les  pianos  dételle  ou  telle  maison.  Un  communiqué  aux 
jonrnaux  annonce  l'heure  de  la  cérémonie.  Un  programnie  élé- 
gant est  distribué  aux  visiteurs  et,  une  heure  durant,  l'assistance 
jouit  du  régal  d'un  concert  intime,  souvent  remarquable.  La  riva- 
lité des  fabricants  s'en  mêlant,  ces  auditions  se  multiplient,  si 
bien  qu'elles  constituent  désormais  un  des  attraits  de  l'exposi- 
tion. A  cinq  heures,  il  est  de  bonne  compagnie,  h  Anvers,  de  se 
trouver  à  proximité  des  pianos  d'Erard,  de  Pleyel,  de  Gunther 
ou  d'Oor;  ces  dames  sont  si  friandes  de  doubles  croches  qu'elles 
en  oublient  les  babas  de  Meurisse,  le  café  à  la  glace  du  restau- 
rant viennois  et  même  le  Champagne  frappé  de  Manuel. 

Lundi,  le  hasard  nous  a  amené  à  l'un  de  ces  five  o'clock  d'un 
nouveau  style.  M.  etM'"»'  Zarembski  étaient  au  piano,  enveloppés 
d'admirateurs.  Ils  égrenaient  un  répertoire  superbe.  Madame 
caressait  le  clavier  des  délicatessea  mièvres  de  la  Valse  alle- 
mande de  Rubinstein,  et  Monsieur  ripostait  par  les  sonorités 
héroïques  de  Liszt  et  de  Chopin. 

Succès  considérable,  cela  va  sans  dire,  aux  deux  virtuoses,  qui 
ont  terminé  la  séance  par  l'exécution  magistrale  des  variations 
de  Liszt  pour  deux  pianos  (sur  un  thème  des  Puritains^  hélas!). 

Aussitôt  après,  nous  trouvions  installé  devant  un  piano 
Schrôder,  d^ins  la  salle  des  fêtes,  un  ancien  élève  de  Brassin, 
M.  de  Riva  Berni,  condisciple  de  Franz  Rummel,  de  Hugo  Fisch, 
d'Edgard  Tinel,  de  Georges  Batta.  Le  jeune  artiste  s'est  grande- 
ment perfectionné.  11  a  acquis  de  sérieuses  qualités  de  style  et  de 
mécanisme  et  compte  désormais  parmi  les  bons'  pianistes  de 
réj)oque.  La  façon  dont  il  a  joué  le  concerto  de  Chopin  a  révélé 
un  musicien  consciencieux  et  expert.  On  l'a  chaleureusement 
acçlanié  après  l'exécution  du  concerto,  de  la  Sérénade  de  Mosz- 
kowski  et  de  V Etude  de  Liszt. 

Le  programme  annonçait:  compositeurs  russes,  polonais  et  hon- 
grois. Indépendamment  des  trois  auteurs  cités,  on  a  entendu, 
exécutés  par  l'orchestre,  sous  la  direction  de  Peter  Benoît,  l'ou- 
verture de  Roméo  et  Juliette,  de  Tchaïkowski  ;  les  Esquisses  de 
la  Steppe,  par  Borodine,  et  la  Danse  circassienne  de  César  Cui. 
Concert  de  choix,  on  le  voit,  et,  n'était  la  malencontreuse  sono- 
rité de  la  salle  des  fêtes,  fort  intéressant. 

Les  artistes  se  succèdent  à  l'exposition  :  hier,  c'était  Saint- 
Saëns  qui  devait  présider  au  premier  grand  festival  de  musique. 
Déjà  on  a  entendu  M"»*^  Montigny-Rémaury,  M"°  Luisa  Cognetti, 
M"«  Dratz,  etc. 

Ne  terminons  pas  ces  notes  rapides  sur  l'exposition  musicale 
d'Anvers  sans  signaler  aux  visiteurs  l'admirable  piano  à  queue 
fabriqué  par  M.  Gunther  et  décoré  de  peintures  par  M.  Amédée 
Lynen.  Tout  autour  de  la  caisse,  sur  un  fond  gris-mastic,  des 
amours,  porteurs  d'attributs  de  musique,  s'enguirlandent  en  cor- 
tèges mignons.  Le  couvercle  est  orné  d'une  grande  composition 
qui  emprunte  son  charme  aux  grâces  de  Walleau  et  de  Frago- 
nard;  des  seigneurs  et  des  dames  accoudés  à  une  balustrade 


(17)  Le  projet  du  rapporteur  portait  :  Sont  abrogées  toutes  dispo- 
sitions antérieures  relatives  aux  droits  d'auteur  réglés  par  la  pré- 
sente loi,  sous  quelque  dénomination  qu'ils  aient  été  compris, 
notamment  celle  de  droits  dits  de  copie  ou  de  propriété  artistique  et 
littéraire. 


conlcmplenl  les  danses  d'une  Iroupedc  ballerines  qui  ryllimcnt 
leurs  pas  sur  le  claquemcnl  des  casiagnelles  et  lé  bourdonnement 
des  tambours  de  bas(|ue.  Sur  le  dessus  du  clavier  sont  peints 
sept  amours  personnifiant  les  degrés  de  la  gamme. 

Toutes  ces  décorations  sont  pimpantes,  gaies,  élégamment  et 
facilement  peintes.  Elles  évoquent  de  lointaines  visions  de  cla- 
vecins dans  des  boudoirs  aux  tentures  fanées  où  pleure  une  musique 
dolente. 

Mais  quand  on  ouvre  l'instrument  et  que,  brusquement,  il  vibre 
sous  unfi  main  nerveuse,  la  sonorité  magnifique  (jui  s'en  échappe 
envoie  dans  les  brouillards  les  réminiscences  (jue  l'aspect  exté- 
rieur du  piano  fait  naître.  Comme  tous  les  pianos  Gunther,  le 
merveilleux  instrument  que  nous  venons  de  décrire  est  un  excel- 
lent inslrumentdc  concert,  aussi  délicat  au  loucher  que  puissant. 

C'est  avec  justice  que  le  jury  lui  a  décerné  la  médaille  d'hon- 
neur. 


!PlBJ.IOQRAPHIf:    MU^ICAI-E 

M.  François  Riga,  qui  s'est  fait  connaître  par  un  grand  nombre 
de  compositions  de  valeur  parmi  lesquelles  les  Esprits  de  la  Nin(, 
la  Chanson  des  Vagues,  le  Totirnoiy  le  liéveil  du  Printemps,  sont 
devenus  populaires,  a  été  chargé  d'écrire  pour  le  grand  concours 
international  de  chant  d'ensemble  organisé  par  la  ville  de  Lyon  et 
qui  aura  lieu  les  15  et  16  août  prochain,  un  chœur  à  quatre  voix 
d'hommes  destiné  à  être  chanté  par  la  division  d'excellence. 

On  ne  pouvait  mieux  s'adresser,  M.  Riga  ayant,  avec  l'entente 
parfaite  des  voix,  l'habitude  d'écrire  pour  les  masses  chorales  des 
morceaux  à  effets  variés,  propres  à  faire  valoir  le  mérite  et  les 
ressources  des  sociétés  concurrentes. 

Dans  Oerminal,  le  chœur  en  question,  que  vient  de  publier  la 
maison  Schott,  il  y  a,  outre  ces  mérites  techniques,  une  inspiration 
de,  bon  aloi  qui  place  l'œuvre  fort  au  dessus  des  compositions 
similaires  et  qui  assure  à  son  auteur  un  rang  distingué  parmi  les 
musiciens  de  l'époque. 

Le  texte  est  de  M.  Lucien  Solvay,  qui  s'est  inspiré  du  récent 
volume  d'Emile  Zola  pour  écrire  soixante  vers  bien  coupés  au  point 
de  vue  musical 

"  Parnaii  les  dernières  nouveautés  parues,  signalons  aussi  une  polka- 
marche  d'Edouard  Rops,  intitulée  :  Aie  Ccrngo,  et  mise  en  vente 
chez  M.  J.-B.  Moens. 


^Z^1ZS    y^RTipTIQUE? 


Une  intéressante  vente  d'autographes,  celle  de  M.  Alfred  Bovet 
vient  d'être  terminée  à  Paris.  Un  grand  nombre  de  lettres  de  comé- 
diens, de  peintres,  de  sculpteurs,  de  graveurs  et  d'architectes  ont 
été  disputées  aux  enchères. 

Beaucoup  d'artistes  vi^^ants  avaient  fait  retirer  avant  la  vente, 
pour  des  raisons  particulières,  les  pièces  portant  leur  signature. 

Voici  quelques  prix  parmi  les  lots  les  plus  curieux. 

Une  importante  pièce  de  Nicolas  Poussin,  donnant  reçu  de  deux 
mille  livres  pour  solde  de  son  tableau  La  Cène,  adjugée  125  francs. 

Une  lettre  d'envoi  de  Claude  Gelée  portant  au  verso  un  très  beau 
dessin  à  la  plume,  vendue  410  francs. 

Une  lettre  par  laquelle  le  célèbre  graveur  Nanteuil  refuse  le  paie- 
ment du  portrait  de  M"e  de  Scudéry,  qu'il  avait  gravé,  est  montée  à 
500  francs.  Uneépître  de  l'architecte  Mansart,22  francs;  du  graveur 
Gravelot,  70  ;  du  peintre  Boucher,  1-iO  ;  de  l'architecte  Soufliot,  40  ; 
du  peintre  Joseph  Vernet,  115;  du  sculpteur  Pigalle,  38  ;  du  peintre 
JFragonard,  75.  Une  intéressante  missive  de  Greuze,  250.  Une  lettre 
du  sculpteur  Clodion,  135.  Un  document  des  plus  curieux  du  peintre 
David,  300.  Vi\  dessin  au  crayon  du  même,  représentant  Bonaparte, 
200.  Deux  lettres  de  Proudhon  adjugées,  la  première,  40,  la  seconde. 


50.  Une  missive  importante  d'Ingres,  58.  Lue  épitrc  du  sculpteur 
David  d'Angers.  70.  Une  très  belle  lettre  de  Oéricault,  530  Un  dessin 
du  même,  200,  Une  lettre  du  sculpteur  Barye,  40.  Deux  épitres  de 
Corot,  la  première  adressée  au  peintre  Dutilleux,  avec  le  (roquis  de 
trois  de  ses  tableaux,  150;  la  seconde,  dont  voici  le  texte  :  «  Mon- 
sieur, d'après  votre  désir,  je  vous  remets  quelques  notes  biographi- 
ques. J'ai  été  au  collège  de  Rouen  ju.squ'à  dix  huit  ans.  De  là  «  j'ai 
passé  huit  ans  dans  le  commerce  »•.  Ne  pouvant  plus  y  tenir,  je  me 
suis  fait  peintre  de  paysage;  élève  de  Michalon  d'abord.  L'ayant 
perdu,  je  suis  entré  dans  l'atelier  de  Bertin.  Après,  je  me  suis  lancé, 
tout  seul,  sur  la  nature,  et  voilà!  a  été  payée  20  fi-ancs.  Une 
lettre  de  Bailly,  10;  de  Robert  Fleury,  10;  de  Gavarni,  60;  de  Do- 
camps,  40;  d'Isabey,  10. 

Une  intéressante  missive  (le  Diaz,  qui  se  plaint  de  la  façon  dont' 
deux  de  ses  tableaux,  la  Galathéeei  l'Amour  et  Psyché,  sont  exjioi^és 
au  Salon,  50  francs.  Une  curieuse  lettre  où  Daumier,  âgé  de  vinfrr,- 
quatre  ans,  emprisonné  pour  délit  politique,  raconte  plaisamment 
son  séjour  à  Sainte  Pélagie,  adjugée  50  francs.  Deux  lettres  de 
Troyon  vendues,  la  première,  40,  la  seconde,  35.  L'ne  mi.ssive  de 
Th.  Rousseau,  40,-  de  Jules  Dupré,  datée  de  1883,  où  il  donne  reçu 
de  80  francs  pour  le  prix  d'un  tableau  adjugée  50  francs  !11  L'ne 
lettre  de  Charles  Jacques,  85;  de  Chintreuil,  10;  de  Mei.ssonier,  70; 
de  Daubigny,  35  ;  de  G.  Courbet,  100;  d'Harpiguies,  10;  de  Fro- 
mentin, 95  ;  de  Ziem-,  25;  de  Lunninais,  10  .  de  Rosa  Bonheur,  2'J; 
de  Ribot,  10;  de  Gabanel,  1,5;  de  Gérôme,  25;.de  Puvis  de  Cha- 
vannes,  12;  de  Chaplin,  10;  de  Jules  Breton,  20;  de  Carpeaux,  40; 
de  Veyrassat,  10;  de  Baudry,  20;  d'Henner,  10:  de  Vollon,  10;  de 
Bonnat,  70;  de  Manet,  15;  de  Carolus  Duran.  10;  de  Neuville,  20; 
de  Détaille,  20  ;  de  Berne-Bellecour,  10;  de  Vibert,  10;  de  Cazin.lO; 
d'Henry  Regnault,  70;  de  Duez,  10;  de  Jacquet.  13;  de  Bastien 
Lepage,  37  ;  de  Delacroix,  155;  de  L.  Leioir,  avec  un  dessin,  100. 


Pi 


Hf\0[^lQUE    JUDICIAIRE     DE^    ART^ 

La  cour  du  banc  de  la  Reine' a  débouté  M"™*^  Woldon  de  sa 
demande  tendant  à  prélever,  sur  les  fonds  qui  vont  être  remis  à 
M.  Gounod  pourTadminislralion  du  Birmingham-^Iusioal-Fcstiviil- 
Novello  et  Ç''',  une  somme  de  \  1,640  liv.  st.  pour  les  dommages- 
inléréis  que  la  cour  suprême  lui  avait  alloués' contre  M.  Gounod. 

}\m&  W'eldon  avait  demandé  aussi  qu'un  avis  de  ce  prélèvement 
fût  noliflé  à  M. 'Gounod. 

La  cour  a  décidé  qu'elle  n'avait  aucune  compétence  pour  rem- 
plir un  pareil  mandai  à  l'égard  d'um»  personne  dont  le  domicile 
est  en  dehors  de  la  juridiction  de  la  cour. 


pETITE    CHROJSIQUE 


..  UEscaut  a  un  correspondant  bruxellois  dont  les  renseignements 
artistiques  doivent  être  intéressants,  à  eu  juger  par  l'empressement 
que  raetla  presse  à  les  reproduire. 

Ces  renseignements  sont  généralement  empruntés  textuellement  à 
VArt  moderne,  ce  qui  est  flatteur  pour  nous.  Mais  comme  les  j<,1ur- 
naux  qui  reprennent  en  sous-ordre  les  nouvelles  en  question  ont  la 
courtoisie  de  les  t'aire  précéder  de  ces  mots  :  -  On  lit  dans  la  corres- 
pondance bruxelloise  de  l'Escaut  -,  il  ne  nous  déplairait  pas  que  la 
dite  correspondance  ait,  de  même,  la  politesse  de  citer  la  source  de 
ses  emprunts. 

Simple  question  de  forme.  "    • 

Le  grand  festival  de  musique  triennal  de  la  Suisse  romande  a  eu 
lieu  le  mois  dernier  à  Neuchàtel.   L'un  de  nos   meilleurs  artistes. 


244 


VART  MODERNE 


M.  Henri  HeuschliDg,  y  a  remporté  dans  l'oratorio  Elie  de  Men- 
delssohn  un  succès  considérable.  »♦  Parmi  les  solistes,  dit  la  Gazette 
de  Neuchàtel;  la  palme  revient  à  M.  Heuschling.  M.  Heuscliling  a 
une  voix  superbe;  nous  croyons  que  c'est  la  première  fois  qu'on 
entend  dans  nos  concerts  un  baryton  aussi  beau,  chaud  et  d'une 
justesse  soutenue.  Il  a  été  surtout  remarquable  dans  la,  prière  d'Elie 
devant  l'autel;  puis  de  Tair  suivait  :  Sa  parole  redoutable  est  un 
feu  dévorant. 

Mentionnons  encore  la  prière  d'Elie  qui  a  fui  dans  le  désert  et 
qui  su{)plie  Dieu  de  le  rappeler  à  lui  :  Seigneur  retire  moi  du 
inonde.  M.  Heuschling  l'a  interprêtée  d'une  façon  émouvante.  »» 


C'est  .demain,,  lundi  27  courant,  à  2  heures,  que  s'ouvrira  à 
Anvers,  dans  les  Galeries  Neurenberg,  Avenue  du  Sud,  l'Exposition 
libre  de  l'Art  flamand. 

L'Exposition  internationale'  des  Beaux-Arts  d'Anvers  est  complè- 
tement installée.  Voici,  pour,  les  difTérents  pays,  le  nombre  des 
artistes  qui  ont  pris  part  à  l'Exposition  : 

France,  681;  Belgique,  609;  Italie,  297;  Allemagne,  274;  Pays- 
Bas,  ^U;  Autriche- Hongrie,  195;  Angleterre,  116;  Norvège,  100; 
Russie,  36;  Suisse,  29  ;  Espagne,  26  ;  Suède,  20., 


Quelques  promotions  ou  nominations  dans  l'ordre  de  la  Légion 
.  d'honneur  ont,  selon  l'usage,  accompagné  à  Paris  la  fête  du  14  juillet. 
On  cite  parmi  les  artistes  :  M.  Bouguereau,  bombardé  comman- 
deur; M.  Humbert,  promu  au  grade  d'officier  ;  MM.  Dagnan-Bou- 
veret,  François  Flameng,  Paul-Emile  Sautai  et  Jules  Coutau,  nom- 
més chevaliers.  _  , 

Le  14  juillet  a  été  inaugurée  à  Paris,  quai  Malaquais,  la  statue 
de  Voltaire,  due  au  regretté  sculpteur  nantais,  Joseph- Michel 
Caillé. 

L'Odèon  représentera  au  mois  de  novembre  la  Reine  Fiammette, 
drame  en  vers  de  Catulle  Mendès,  avec  quatre  morceaux  de  musique 
de  M.  Emmanuel  Ghabrier. 

Le  Ménestrel,  qui  ne  perd  jamais  l'occasion  de  dire  une  sottise, 
fait  à  ce  sujet  la  remarque  suivante  :  On  se  demande  comment 
M.  Catulle  Mendès,  qui  compte  au  nombre  des  wagnériens  les  plus 
intem])érants  et  les  plus  exaltés,  a  pu  s'associer  pour  collaborateur 
justement  M.  Emin.  Chabrier,  qui  est  l'un  des  artistes  non  seule- 
ment les  plus  originaux,  mais  les  plus  nets,  les  plus  précis  et  les 
moins  nuageux  de  ce  temps-ci. 


Le  Courrier  Français  de  cette  semaine  contient  comme  dessins  : 
Lç  Portrait  de  H.  Gray,  par  Uzès;  la  Robe  fait  la  Femme,  fantaisie 
par  H.  Gray;  les  Inconvénients  de  la  Pêche,  par  Lampuré,  et  Une 
Demoiselle  de  Brasserie,  par  G.  Paqueau. 

Les  àJinonces  sont  reçues  au  bureau  du  journal, 
26,  rue  de  V Industrie,  à  Bruœelles. 

Tous  les  soirs,  à  8  heures 

donné  par  les  musiciens  du  théâtre  de  la  Monnaie  (85  exécutants), 
sous  la  direction  de  MM.  Jehin  et  Hermanu. 

Entrée  :  1  franc.  —  Enfants  :  75  centimes. 

Tous  les  jeudis  :  Concert  extraordinaire. 

On  peut  se  procurer  une  série  de  20  cartes  d'entrée  pour  15  francs 
et  une  série  de  20  cartes  pour  enfants  à  1&  francs,  chez  MM.  Breitkopf 
et  Hârtel,  Montagne  de  la  Cour,  41. 


J.  SCHAVYE,  Relieur 

4tf,  Rue  du  Nord,  Bruxelles 


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Mozart,  sonate  en  ut  maj. 
Mozart,  sonates  en  mi  b.  maj.,  et  fa  maj, 
Mozart,  sonates  en  si  b.  maj.,  et  la  maj. 
Mozart,  sonate  en  fa  maj. 


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CHEZ   FÉLIX   CALLEWAERT   Père 

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Hollande  Van  Gelder,  25  francs. 


Bruxelles.  —  Imp.  Félix  Gallbwaert  père,  rue  de  l'Industrie,  26. 


Cinquième  année.  —  N°  31 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  2  AouT  1885. 


L'ART 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,   un   an,  fr.   10.00;  Union  postale,   fr.    13.00."   —  ANNONCES   :    On   traite   à  forfait. 

Adresser  les  demandes  d^ abonnement  et  toutes  les  communications  à 

l'administration  GÉNÉRALE  DE  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


^ 


OMMAIRE 


Les  Incohérents.  —  Chronique  .iudiciaire  des  arts.  Passama 
contre  Verdhurt;  Camille  Lemonnier  contre  Kisicmaeckers.  — 
L'incident  Rodenbach  -  Coveliers.  — -  Exposition  universelle 
d'Anvers.  Le  Salon  libre  de  l'école  flainande;  Le  jury  des  réconi- 
penses.  —  Médailles  et  décorations.  —  Petite  chronique. 


LES  INCOHÉRENTS 

Comment  faut-il  les,  nommer,  ceux  qui  composent  le 
deuxième  groupe  des  malades  littéraires  réunis  désor- 

'  mais  sous  la  qualification  générale  de  Déliquescents? 
(Soit  dit,  en  passant,  le  mot  est  bien  vieux,  car  il  est 
de  Flaubert,  l'appliquant  à  soi-même  dans  un  jour 
de  passagère  impuissance  ;  ce  n'est  pas  une  trouvaille, 
mais  une  retrouvaille,  comme  dirait  Marins  Tapora). 
Il  s'agit  de  ceux  qui  semblent  poser  des  énigmes.  De 
ceux  qui,  dès  qu'une  phrase  est  translucide  et  ne  voile 
pas  l'idée,  la  fêlent  d'un  coup  du  bec  de  leur  plume,  et 
s'extasient  devant  l'image  troublée  que  cela  fait.  De 
ceux  qui,  si  l'image  surgit  nette  en  ses  contours,  dessi- 
nant bien  ses  angles  et  ses  creux,  ses  clartés  et  ses 

•ombres,  abattent  toutes  les  aspérités,  rembourrent  les^i 
vides,  et  même,  tant  l'indécis,  et  le  confus,  et  le  bizarre, 
le  sans-queue-ni-tête  ou  plutôt  le  tête-à-la-queue  appa- 
raissent dans  leurs  œuvres,  cassent,  dirait-on,  tout 
en  morceaux,  puis  remettent  les  morceaux  ensemble, 
au  hasard  du  ramassage,  comme  une  servante  qui,  ren- 
versant par  terre  une  statuette,  se  hâterait  d'en 
emporter  les  débris  dans  son  tablier. 


Dernièrement,  nous  étions  plusieurs  à  en  causer.  Ce 
sont  les  Impressionnistes  de  la  Littérature,  dit  l'un. 
— ^Ah!  que  non,  reprit  un  autre;  l'impressionnisme 
c'est  la -vérité  des  choses;  nous  n'en  sommes  plus, 
n'est-ce  pas,  à  le  confondre  avec  la  claquade  à  la  volée 
des  couleurs  sur  la  toile?  —  Eh  bien,  voulez-vous 
Rébusiens?  ce  ne  serait  pas  mal  pour  ces  faiseurs  de 
devinettes.  —  Penh!  le  mot  est  dur  à  l'oreille.  — 
Nébuleux  s'appliquerait  assez,  dit  Lemonnier,  l'écri- 
vain de  belle  santé  par  excellence  prenant  en  cordiale 
compassion  ces  infirmes  et  ces  détraqués  de  lettres. 

Impressionnistes,  Rébusiens,  Nébuleux!  L'approxi- 
mation était  de  plus  en  plus  exacte.  Incohérents  nous 
a  pourtant  paru  meilleur;  et  autant  pour  justifier  cette 
opinion  que  pour  permettre  de  mieux  apprécier  ce  cas 
médical,  mettons-en  deux  échantillons  sur  la  table  aux 
opérations.  Quelque  habiles  et  drôles  que  soient  les 
pastiches  mis  sur  le  compte  d'Adoré  Floupette^  on 
verra  que  la  réalité  est  bien  plus  drôle  encore. 

Voici  d'abord  un  morceau  de  Verlaine,  celui  dont 
l'auteur  des  Déliquescences  fait  Bleucoion. 

THERE 

«  Angels  ",  seul  coin  luisant  dans  ce  Londres  du  soir 
Où  flambe  un  peu  de  gaz  et  jase  quelque  foule. 
C'est  drôle  que,  semblable  à  tel  très  dur  espoir, 
Ton  souvenir  m'obsède  et  puissamment  enroule 
Autour  de  mon  esprit  un  regret  rouge  et  noir. 

Devantures,  chansons,  omnibus  et  les  danses  "    ' 

Dans  le  demi  brouillard  où  flue  un  goût  de  rhum, 
Décence,  toutefois,  le  souci  des  cadences. 


Et  même  dans  l'ivresse  un  certain  décorum,  • 

Jusqu'à  l'heure  oii  la  brume  et  la  nuit  se  font  denses.  ' 

«- Angels  »!  jours  déjà  loin,  soleils  morts,  flots  taris; 
Mes  vieux  péchés  longtemps  ont  rôdé  par  tes  voies, 
Tout  soudain  rougissant,  misère  !  et  tout  surpris 
De  se  plaire  vraiment  à  tes  honnêtes  joies, 
Eux  pour  tout  le  contraire  arrivés  de  Paris! 

Souvent  l'incompressible  enfance  ainsi  se  joue, 
Fût-ce  dans  ce  rapport  infinitésimal, 
Du  monstre  intérieur  qui  vous  crispe  la  joue 
Au  froid  ricanement  de  la  haine  et  du  mal, 
Où  gonfle  notre  lèvre  amèrc  en  luurde  mono. 

î:*e^fance  baptismale  émerge  du  pécheur 
Inattendue,  alerte,  et  nargue  ce  farouche 
D'un  sourire. non  sans. fran(;hise ou  sans  fraîcheur. 
Qui  vient,  quoi  qu'il  en  ait,  se  poser  sur  sa  bouche, 
A  lui  par  un  prodige  exquisement  vengeur. 

C'est  la  Grâce  qui  passe,  amiable,  et  nous  fait  signe. 
s-:».  0  la  simplicité  primitive,  elle  encori 

Cher  recommencement  bien  humble  !  Fuite  insigne 

De  l'heure  vers  l'azur  mùrisseur  de  fruits  d'or  ! 

«•  Angels  »!  ô  mon  >rrj<,  calme  et  frais  comme  un  cygne! 

Lecteur,  ne  dis  pas  trop  vite  :  je  ne  comprends  rien. 
Relis,  réfléchis,  pèse  et  soupèse  cette  brouillardeuse 
production.  Crois-moi,  à  la  longue,  tu  y  découvriras 
certaines  choses  se  dégageant  petit  à  petit  du  proto- 
plasme général.  C'est  comme  la  lune.  On  n'y  voit  que 
taches  vagues  et  floconneuses  et  pourtant,  il  y  a  non 
pas  des  milliers,  mais  des  millions  de  personnes  qui, 
interrogées  sur  l'aspect  de  la  lune  s'acccordent  à  répon- 
.dre  que  le  disque  de  cet  astre  contient  une  figure|^ 
liumaine  avec  les  deux  yeux,  le  nez  et  la  bouche.  Et 
de' même  que  nos  incohérents  et  leurs  admirateurs, 
ces  personnes  sont  promptes  à  se  fâcher  si  l'on  conteste 
leur  a>ssertion;  beaucoup  vont  jusqu'à  dire  que,  pour 
en  douter  il  faut  être  privé  de  sens  et  de  jugement.  Et 
pourtant,  ajoute  avec  calme  Houzeau  l'astronome, 
.  cette  observation  est  fausse  :  tous  ceux  qui  essaient  de 
dessiner  l'aspect  de  la  lune,  le  savent. 

Autre  exemple,  celui-ci  de  Mallarmé,  que  l'irrévé- 
rencieux et  anonyme  auteur  des  Déliquescences  trans- 
forme en  Arsenal. 

SONNET 

Quelle  soie  aux  baumes  du  temps 
Où  la  chimère  s'exténue 
Vaut  la  torse  et  native  nue 
Que.  hors  de  ton  miroir,  tu  tends  I 

Les  trous  de  drapeaux  méditants 
S'exaltent  dans  notre  avenue  : 
Moi,  j'ai  ta  chevelure  nue 
Pour  enfouir  mes  yeux  contents. 

Non  !  la  bouche  ne  sera  sûre 
De  rien  goûter  à  sa  morsure 
S'il  ne  fait,  ton  princier  amant. 

Dans  la  considérable  touffe 
Expirer,  comme  un  diamant, 
Le  cri  des  Gloires  qu'il  étouff'e. 


Oh!...0h!!...0h!!!... 

Positivement,  Adoré  Floupette  n'est  qu''un  déliques- 
cent de  pacotille  en  comparaison.  Sa  poésie  est  lim- 
pide à  côté  de  ce  moût  trouble.  Car  enfin,  lorsqu'il 
écrit  : 

Les  tœnias 

Que  tu  nias  ' 

Traîtreusement  s'en  sont  allés, 

on  voit  quelque  chose,  on  voit  le  départ  sournois  de 
ce.s  tœnias.  auxquels  un  incrédule  refusait  de  croître. 
Mais  qu'est  ce  ({ue  c'est  que  :  une  niie  loy^seet  nalive 
tendue  hors  d'un  miroir ?...Ei  des  trous  de  dra- 
peaux  méditants  qui  s'exaltent  dans  une  ave- 
nue ??,..  Et  faire  expirer  conifne  un  diamant  dans 
une  touffe  considérable  le  cri  de  Gloires  qu'on 
étouffe  l^h.. 

On  va  nous  accuser  d'être  des  chicanons  de  lettres, 
des  personnages  grincheux,  des  envieux  cherchant  le 
chemin  des  académies.  Pour  sûr,  on  va  nous  en  accu- 
ser. Mais  non,  braves  petits  bonshommes,  nous  sommes 
tout  simplement  des  profanes,  écai^quillant  les  yeux, 
pour  essayer  de  voir  et  ne  voyanf  rien,  comme  cet 
anglais  assistant  à  Naplesà  la  cérémonie  où  l'on  montre 
un  cheveu  de  la  vierge,  s'approchant,  regardant  et 
di.-^ant  au  prêtre  :  Mais  je  ne  le  vois  pas,  —  et  le  prêtre 
répondant  :  Il  y  a  quarante  ans  que  je  le  montre  et  je 
ne  l'ai  jamais  vu. 

Il  est  vrai  que,  comme  ultime  excuse  de  ces  incohé- 
rences, un  jeune  auteur,  dont  nous  parlerons  encore 
tantôt,  vient  d'imaginer  cette  explication  :  Que  ces 
œuvres  capricantes  sont  seulement  des  tours  de  force, 
des  dislocations  que  l'on  accomplit  pour. mieux  appren- 
dre son  métier  et  sa  langue,  et  qu'il  ne  faut  pas  juger 
autrement  cette  épilepsie  de  strophes  et  de  mots;  que 
ce  n'est  que  de  l'exercice  et  de  l'exaspération. 

Parfait,  si  c'est  comme  ça,  parfait.  Mais  il  fallait  le 
dire  tout  de  suite.  Dès  que  nous  ne  sommes  plus  dans 
le  temple  des  3fi«5^5,  mais  dans  une  salle  d'escrime, 
une  aire  de  gymnastique  ou  un  local  d'orthopédiste, 
c'est  bien  différent.  Nous  pouvons  alors  admirer  les 
culbutes,  les  sauts  au  tremplin,  les  grands  écarts  et  les 
gesticulations,  qui  sontderhy.giène  et  non  de  la  poésie. 

Nous  ajouterons  même  que,  comme  acrobatisrae  et 
funambulisme,  c'est  d'un  réussi  incomparable.  Le 
poète  ne  chante  pas,  mais  se  livre  à  des  exercices  de 
force  et  d'adresse,  des  assouplissements  et  des  rétablisse- 
ments, aux  anneaux  et  au  trapèze  ;  il  fait  des  extensions' 
et  des  rétractions  musculaires., Mais  cette  ingénieuse 
excuse  n'est  nullement  admise  par  les  virtuoses  du 
genre  qui,  très  fiers  de  leur  détraquement  mental,  sou- 
tiennent, devant  la  ville  et  le  monde,  que  leur  manière 
est  la  seule  belle,  la  seule  bonne,  la  seule  juste,  la  seule 
aimable.  Et  quand  on  se  risque  à  critiquer  l'un  d'eux, 

Il  s'immobilise  au  songe  froid  de  mépris. 


Le  jeune^rivain  auquel  nous  faisions  allusion  plus 
haut,  c'est  Francis  Nautet.   Il  vient  de  publier  des 
Noies  sur  la  littérature  moderne,  bourrées  d'excel- 
lentes choses.  C'est,  il  est  vrai,  en  certaines  parties, 
une  œuvre  de  bon  camarade,  naïvement  admirative, 
attribuant  à  chacun  des  amis  de  rau.teur  un  rôle  à  la 
rampe  dans  la  pièce  générale  que  joue  la  littérature 
belge,  s'adressânt  au  Roi,  on  ne  sait  pourquoi  :  Sire, 
Sire,  et  Sire  !  Or,  il  s'y  trouve  un  passage  qui,  miitatis 
^nutandis,    s'applique  merveilleusement   aux   vraies 
prétentions  des  /w6'o/im?n^5.  Est-ce  que  d'une  oeuvre 
d'art,  y  est-il  dit  en  substance,  si  fantaisiste,  si  nuageuse 
qu'elle  soit,  il  ne  ressort  pas  un  enseignement  très 
supérieur?  Le  moindre  d'entre  nous  en  a  plus  deviné 
peut-être  que  le  premier  des  professeurs  de.  littérature 
de  la  plus  fameuse  Université.  En  naissant  artiste,  on 
naît  lucide,  avec  un  fonds  de  science  qui,  s'il  ne  vient 
pas  du  ciel,  provient  assurément  de  l'hérédité.  Si  l'on 
savait  jusqu'à  quels  dessous  nous  avons  pénétré  !  Nous 
nous  sommes  disloqués  à  d'immenses  hauteurs  sur  le 
trapèze    des    hypothèses    vertigineuses    (toujours    la 
toquade  du  gymnase)  et  notre  esprit  s'est  complu  dans 
les  spéculations  les  plus  vastes.  Il  existe  une  science. 
Sire,   une  science  synthétique  dont  Baudelaire  (inévi- 
table) a  été  le  grand  prêtre.  Sire,  et  M.  Taine,  l'apôtre, 
car  philosophe,  moraliste,  psychologue,  Sire,  vous  trpu- 
verez  en  son  œuvre  Spinosa,  Kant,  Hegel  et  Darwin!! 

Pas  modestes,  dira  le  lecteur.  Erreur.  Simplement 
naïfs/Juvéniles.  Ils  croient  à  leurs  vastes  fronts.  Adoré 
Floupette  croit  à  son  vaste  front.  Il  plane,  répétons-le, 
^^a  fonction  est  de  planer.  Mais,  diable,  cette  fâcheuse 
incohérence  subsiste,  malgré  et  peut-être  à  cause  de 
Spinosa,  Kant  et  Hegel.  C'est  là^  l'ennui,  n'est-ce] pas, 
Sire? 

Non  point  que  nous  trouvions  que  la  poésie  vague,  réa- 
lisant Corot  en  vers,  n'ait  son  originalité  et  son*  charme. 
Décrire  les  choses  indécises  en  phrases  indécises  n'est 
pas  un  péché,  au  contraire.  Ce  doublement  dans  le  pro- 
cédé, passant  à  la  forme  après  le  fond,  est  heureux  et 
neuf.  Or,  en  principe  il  faut  aimer  le  neuf,  parce  qu'il 
devient  souvent  le  vrai  après  avoir  été  l'original.  Mais 
la  difficulté  c'est  de  rester  en  deçà  de  l'incohérent .  Elle 
est  considérable.  On  ne  la  vainct  qu'en  faisant  œuvre 
d'équilibriste  sur  la  plus  ténue  des  cordes  raides.  D'un 
côté  on  penche  vers  la  précision  ancienne,  de  l'autre  on 
tombe'  dans  l'incohérence  comique.  Comme  l'écrit 
encore  Francis  Nautet,  en  faisant  allusion  à  l'un  de  ces 
jeunes  artistes  belges  qui,  encore  à  leurs  débuts, 
atteindront,  il  n'en  faut  pas  douter,  au  premier  rang  de 
nos  écrivains,  et  certes  seraient  loués  davantage  pour 
leur  art  s'ils  pouvaient  l'être  davantage  pour  leur 
caractère,  il  s'agit  de  frôler  la  gamme  des  nuances,  de 
ne  s'occuper  dii  mondé  visible  que  pour  trouver  les  liens 
qui  le  rattachent  à  l'invisible,  de  ne  s'intéresser  qu'aux 


créatures  humaines  qui  correspondent  le  plus  à  la  sub- 
tilité des  goûts;  et,  encore,  de  les  transfigurer,  de  trans- 
poser les  voix,   d'ensourdiner  les  sons  jusqu'à  ce  que 
les  vibrations  atténuées  ne  soient  plus  qu'un  murmure, 
un  souffle  harmonieux  ;  de  faire  une  poésie  non  expri- 
mée, mais  effleurée,  avec  des  rimes  frêles  comme  une 
dentelle. 

Oui.  Eh  bien!  les  incohérents  ont  dépassé  l'obscure 
limite.  Ils  sont  dans  l'au  delà  des  hallucinations  indé- 
chiffrables.  Mais  nous  avons  chez  nous  un    esprit, 
subtil  et  rêveur  aussi,  qui,  en  se  laissant  aller  à  la  poé- 
sie du  vague,  vaguement  parlée,   a  su  demeurer  en 
dedans  des  frontières  derrière  lesquelhes  il  n'y  a  plus 
que  le  chaos.  Francis  Nautet  le  signale  avec  raison  à 
l'attention  (distraite)  de  son  Sire. C'est  Georges Khnopff*. 
Il  y  a  quelques  mois,  un  journal  parisien  l'accusait  de 
plagier  Bleu-coton......  nous  voulons  dire  Verlaine.  La 

vérité  est  qu'il  lui  est  très  supérieur  en  se  sens  qu'il  a 
su  trouver  l'exact  dosage  de  la  fluidité  permise,  n'allant 
pas  jusqu'à  Tévaporation  nébuleuse.  'Il  est  intéressant 
de  mettre  à  côté  des  morceaux  fous  que  nous  avons 
reproduits,  une  des  poésies  de  notre  compatriote.  La 
différence  est  saisissante.  Chez  lui,  en  effet,  la  réalité 
reste  perceptible,  sous  la  gaze  des  incertitudes  per- 
mises. Celles-ci  ne  sont  plus  que  la  caresse  de  l'aile  de 
pigeon  passant  'légèrement  sur  le  dessin  pour  adoucir 
et  veloûter  les  contours.  C'est  l'extrême  limite  où  la 
poésie  qui  doit  toujours  être  discernable  dans  l'idée, 
confine  à  la  musique  oti  l'impression  seule  subsiste. 
Voici  un  de  ces  délicats  et:  ravissants  poèmes  : 

Dans  les  vagues  rougeurs  du  soir,  la  symphonie 
Fait  pâmer  les  oiseaux.  Vois!  C'est  l'Ile  bénie 
Où  les  amants  heureux  rêvent  au  clair  de  lune. 
En  robes  de  satins  cassés,  en  bérets,  l'une 
Après  l'autre,  Sylvie,  Ainynthe,  Célimèiie 
Vont  embrasser  Pierrot  poudrerizé,  qui  mène 
Le  vieil  âne  pensif  au  miroir  des  fontaines. 
C'en  est  fait  des  refus  et  des  lèvres  hautaines. 
Des  désespoirs  pimpants  et  des  afféterios, 
C'est  le  règne  du  tendre  :  «  hymens  »»  et  «  bergeries  •• 
Attirent  les  amants  sur  la  carte  amoureuse. 
Entre  de  hauts  tilleuls,  la  pelouse  se  creuse, 
Exquise  ;  et,  devisant,  grignottant  des  noisettes, 
Les  belles  sous  les  plis  des  blanches  chemisettes 
Laissent  les  doigts  se  perdre  et  songer  à  leur  guise  ; 
Eres  malicieuse,  sous  les  charmilles  aiguise 

Les  traits  qui  vont  percer  le  sein  des  innocentes 

Et  c'est  l'Ile  enchantée  ou  les  amours  naissantes 
Fleurissent,  parfumant  la  lune,  qui  se  lèvç 
Entre  les  branches  d'or,  et  le  bassin  qui  rêve. 

Qu'en  dites-vous  ?  Ce  n'est  plus  de  l'incohérent.  Ce 
n'est  plus  du  rébus.  Ce  n'est  plus  la  nébuleuse  lointaine 
et  irréductible  aux  plus  puissants  télescopes.  Remar- 
quez encore,  ajoute  avec  grand  à  propos  Francis  Nau- 
tet, citant  une  autre  pièce,  que  toutes  les  rimes  sont 
féminines  et  que  le  poète,  en  s'aftranchissant  d'une 
règle,  ne  tourne  pas  une  difficulté,  mais  en  crée  une  et 


J 


la  surmonte  ;  en  désaccord  avec  les  traités  de  versifica- 
tion v  il  est  d  accord  avec  les  lois  de  rharmonie,  ce  qui 
pourrait  bien  valoir  mieux  ;  ces  rimes  constamment 
féminines  donnent  à  son  sujet,  léger  de  sa  nature,  léger 
dans  ses  teintes,  la  fluidité  qui  convient. 

Voilà  du  véritable  et  sincère  Impressionnisme.  C'est 
l'œuvre  impressionnante  d'un  cœur  impressionné. 


pHF(0;^IIQUE    JUDICIAIRE     DE^     ART^ 

Passama  contre  Verdhurt. 

(  Dan4  la  nouvelle  troupe  lyrique  du  théâtre  de  la  Monnaie  figure 
un  contralto  dont  nous  avons  annoncé  l'engagement,  M"«  Passama, 
une  fort  belle  personne,  dit-on,  douée  d'une  voix  qui  lui  valut  aiBor- 
deaux  des  succès  sérieux.  A  la  suite  d'une  audition  donnée  dans  dés 
conditions  défavorables  à  Bruxelles,  au  mois  de  mars,  M.  Verdhurt 
crut  devoir  conseiller  à  la  jeune  artiste,  dans  une  lettre  adressée  à 
son  professeur  M'"®  Sasse,  de  ne  point  risquer  l'épreuve  d'un  début 
au  théâtre  de  la  Monnaie,  le  public  ne  s'étaut  pas  montré  favorable 
à  la  tentative  quelle  avait  faite  en  se  faisant  entendre  prématuré- 
ment. M"*^  Passama  vit  dans  ce  conseil  et  dans  l'engagement  qu'avait 
conclu  le  directeur  avec  une  autre  contralto,  M"*^  Jane  Huré,  l'inten- 
tion arrêtée  de  ne  pas  la  conserver  après  sou  mois  d'essai.  Considé- 
rant cette  attitude  comme  un  manquement  aux  obligations  du  con- 
trat, elle  assigna  M.  Verdhurt  devant  le  tribunal  de  commerce  de 
Bruxelles,  aux  fins  de  s'entendre  condamner  à  lui  payer  le  dédit  de 
30,000  francs  stipulé  en  cas  de  résiliation,  plus  15,000  francs  de 
dommages-intérêts.  ' 

C'est  M''  Marcellin  Estibal,  du  barreau  de  Paris,  qui  vint,  à  l'au- 
dience de  lundi  dernier,  soutenir  les  intérêts  de  la  demanderesse.  II 
le  fit  avec  un  talent  auquel  ses  adversaires  rendirent  hommage  au 
début  de  leur  plaidoirie,  et,  pendant  deux  heures,  captiva  l'audi- 
teire  qui  avait  tenu  à  assister  jusqu'au  bout  à  ces  piquants  débats. 

Il  avait,  au  cours  de  sa  plaidoirie,  présiènté  au  tribunalune  série 
de  photogra})hies  représentant  sa  cliente  dans  les  divers  costumes  de 
son  emploi.  «  Si  je  ne  craignais  d'être  accusé  de  plagiat  (ce  qui  est  à 
la  mode),  en  me  servant  d'une  comparaison  empruntée  à  l'antiquité, 
avait  dit  un  des  avocats  plaidant  pour  la  direction  du  théâtre,  je  rap- 
pellerais que  la  distribution  que  vient  de  faire  M"«  Passama  de  ses 
photographies  évoque  le  souvenir  de  Phryné  comparaissant  devant 
ses  juges  pour  les  attendrir...  —  Oui,  sauf  la  quotité  disponible! 
répliqua  finement  M"  Marcellin-Eslival. 

Le  mot  fit  rire.  Désarma-t-il  le  tribunal  ? 

Non,  parait  il,  puisque  dans  un  jugement  prononcé  jeudi,  il  a 
débouté  la  demanderesse  de  son  action  et  l'a  condamnée  aux  dépens, 
donnant  complètement  gain  de  cause  à  M.  Verdhurt-Fétis. 

Voici  le  texte  de  cette  décision  : 

Attendu  que  le  litige,  tel  qu'il  est  déterminé  par  les  conclusions 
d'audience  de  la  demanderesse,  tend  à  faire  prononcer,  à  son  profit, 
la  résiliation  de  l'engagement  verbal  avenu  avec  le  demandeur  et  à 
lui  payer  la  somme  de  30,000  francs,  étant  le  dédit  stipulé  dans 
ladite  convention  verbale  de  louage  de  service; 

Attendu  que  la  demanderesse  prétend  que  le  défendeur  aurait 
manifesté  sa  volonté  de  considérer  la  convention  verbale  de  louage 
de  service  comme  étant  résiliée  sans  indication  de  motifs  plausibles; 

Attendu  que,  dans  la  communication  que  le  défendeur  a  faite  à 
une  personne  qui  n'avait  reçu  aucun  mandat  des  deux  parties  en 
cause,  pour  conclure  ou  résilier,  le  défendeur  n'exprime  ni  directe- 
ment ni  indirectement  sa  volonté  de  se  considérer  comme  étant  délié 
des  obligations  qui  se  dégagent  de  la  convention  verbale  de  louage 
de  services}  ..  " 


Attendu  que,  dans  cette  communication  adressée  à  la  dame  Sdsse, 
qui  a  contribué  à  faire  l'éducation  musicale  de  la  demanderesse,  le 
défendeur  est  l'écho  fidèle  des  appréhensions  funestes  pour  la  de- 
manderesse et  son  avenir  au  Théâtre  de  la  Monnaie  et  qui  sont  nées 
dans  l'esprit  des  diletlanti  devant  lesquels  elle  a  chanté,  sans  avoir 
pris  l'avis  du  défendeur;  il  émet  son  opinion  sur  l'insuccès  de  la 
demanderesse  en  cette  circonstance,  et  il  prie  M™»  Sasse  d'user  de 
son  infliience,  dans  l'intérêt  de  tous  les  trois,  pour  déterminer  la 
demanderesse  à  résilier  son  engagement  ••  Ne  vaut-il  pas  mieux, 
dit-il,  que  nous  prenions  tous  les  trois  la  sage  résolution  qui  nous 
mettrait  tous  à  couvert  ?  Je  m'en  rapporte  à  votre  tact  et  à  votre 
délicatesse  pour  faire  connaître  cette  triste  nouvelleà  M''°  Passama.*» 

Attendu  que  tel  n'eût  pas  été  le  langage  du  défendeur,  s'il  eût 
voulu  notifier  la  résiliation  de  la  convention  verbale  de  louage  de 
services; 

Attendu  que  depuis  cette  communication,  ayant  un  caractère  con- 
fidentiel, le  défendeur  n'a  posé  aucun  acte  de  nature  à  altérer, 
soit  la  réputation  artistique  de  la  demanderesse,  soit  les  droits 
qu'elle  tient  de  la  convention  verbale  de  louage  de  services; 

Attendu  que  la  demanderesse  n'étant  pas  engagée  en  chef  et  sans 
partage  pour  tenir  au  Théâtre  de  la  Monnaie  l'emploi  de  forte  chan- 
teuse iSfo^j,  contralto,  dans  le  grand  opéra,  les  traductions  et  l'opéra 
comique,  le  défendeur  pouvait  traiter  avec  une  ou  plusieurs  autres 
artistes  en  vue  de  remplir  cet  emploi  ; 

Par  ces  tnotifs,  le  tribunal  déclare  la  demanderesse  non  fondée 
en  son  action,  l'en  déboute  et  la  condamne  aux  dépens. 

Plaidants  :  MM«"  Marcellin-Estibal  (du  Barreau  de  Paris) 
c.  Edmond  Picard  et  Octave  Maus. 

Camille  Lemonnier  contre  Kistemaeckers. 

Le  tribunal  de  commerce  a  rendu  mercredi  dernier  son  jugement 
dans  un  procès  intenté  par  M.Camille  Lemonnier  à  M  Kistemaec- 
kers. M.  Camille  Lemonnier  gagne  son  procès.  Les  faits  sont  suffi 
samment  précisés  par  la  décision  que  nous  publions  ci-dessous,  et 
qui  présente  un  sérieux  intérêt  de  principe  : 

Attendu  que  le  demandeur  a  fait  assigner  le  défendeur  aux 
fi^s  de  : 

1°  Voir  prononcer  la  révocation  de  la  convention  verbale  avenue 
entre  parties  le  l'"'"  juin  1881  au  sujet  de  la  publication  du  roman 
intitulé  «  Un  mâle  «  ; 

2«  Entendre  dire  que  le  demandeur  est  rentré  de  plein  droit  dans 
la  propriété  de  son  travail  ; 

3"  Se  voir  faire  défense  de  reproduire  à  l'avenir  le  roman  litigieux 
à  peine  de  tous  dommages-intérêts  ; 

4o  S'entendre  condamner  à  payer  au  demandeur  1,500  francs  à 
titre  de  dommages -intérêts.  • 

Attendu  que  les  parties  sont  d'accord  pour  reconnaître- que  la 
convention  verbale  précitée  porte  la  clause  suivante  :  »»  L'auteur 
«•  rentrerait  de  plein  droit  et  sans  aucune  formalité  dans  la  propriété 
ti  de  son  travail,  si,  à  l'expiration  d'un  délai  de  deux  années  révo- 
«  lues  à  dater  du  jour  de  la  mise  en  vente,  l'éditeur  n'avait  pas  fait 
«  de  nouvelle  édition;  on  n'aurait  pas  une  nouvelle  édition  sous 
«  presse.  ♦» 

Sur  la  fin  de  non  recevoir  ; 

Attendu  que  le  défendeur,  se  basant  sur  ce  qu'il  n'aurait  «  rien 
fait  ni  déclaré  qui  soit  de  nature  à  infirmer  ou  à  léser  la  prétention 
soulevée  par  le  demandeur  de  se  dire  propriétaire  de  l'ouvrage  «  Un 
mâle  ♦»,  soutient  que  le  tribunal  n'aurait  qu'à  fournir  une  simple 
consultation  en  vue  de  prévenir  une  contestation  future  et  éventuelle 
et  que  l'action  ne  serait  donc  pas  recevable.  » 

Attendu  que  les  conclusions,  prises  au  fond  par  le  défendeur^ 
suffiraient  à  elles  seules  pour  faire  rejeter  la  fin  de  non  recevoir 
qu'il  propose;  qu'il  conteste  formellement  le  droit  du  demandeur  et 
se  prétend  seul  propriétaire  du  roman  ««  Un  mâle  "  ; 


"^ 


LART  MODERNE 


249 


Que,  d'ailleurs,  antérieurement  à  l'intentement  de  l'action,  le 
défendeur  a  déjà  élevé  ces  mêmes  prétentions;  que,  le  IG  jan- 
vier 1885,  en  réponse  à  la  notification  lui  faite,  à  la  requête  du  de- 
mandeur, par  exploit  de  l'huissier  Griquelion  daté  de  la  veille, 
enregistré,  il  fit  comprendre  clairement  au  demandeuv  qu'il  ne 
reconnaissait  pas  la  propriété  revendiquée  par  ce  dernier  ; 

Attendu  qu'ainsi  le  demandeur  a  un  intérêt  né  et  actuel  à  faire 
établir  en  justice  un  droit  contesté;  que  sOn  action  est  donc  rece- 
vable; 

Au  fond  : 

Attendu  que  les  parties  sont  en  désaccord  sur  l'interprétation  de 
la  clause  ci-dessus  rapportée  de  leur  convention  verbale  ;  que, 
d'après  le  demandeur,  l'expression  «  à  dater  du  jour  de  la  mise  en 
vente  »  doit  s'entendre  de  la  mise  eii  vente  de  la  dernière  édition; 
que  le  défendeur  soutient  qu'il  s'agit  de  la  première  mise  en  vente 
à  dater  de  la  convention  ; 

Attendu  que  la  clause  litigieuse  permet  les  deux  interprétations  ; 
que  le  tribunal  doit  donc  rechercher  quelle  a  été  la  commune  inten- 
tion des  parties  ;  ,  , 

Attendu  que,  dans  le  système  du  défendeur,  par  cela  seul  qu'il  a 
publié  une  nouvelle  édition  dans  les  deux  années  de  celle  prévue  au 
contrat,  il  est  devenu  irrévocablement  propriétaire  du  roman  ; 

Attendu  que  le  demandeur,  comme  prix  de  la  cession,  devait  rece- 
voir 3oÔ  francs  par  mille  exemplaires  édités; 

Attendu  que,  s  il  fallait  adopter  la  prétention  du  défendeur,  le 
demandeur  aurait  renoncé  à  tout  droit  sur  son  œuvre,  moyennant  la 
somme  de  1,050  francs,  soit  700  francs  pour  l'édition  ou  les  deux 
éditions  prévues  par  la  convention,  et  350  francs  pour  une  nouvelle 
à  faire  éndéans  les  deux  années  ;  qu'il  .est  difficilement  admissible 
que  le  demandeur  ait  entendu  se  lier  pour  une  somme  aussi  minime  ; 

Attendu,  d'autre  part,  que  le  demandeur,  indépendamment  de  son 
intérêt  pécuniaire,  n'a  pu  conférer  au  défendeur  le  droit  de  sup- 
primer à  jamais  son  roman,  après  la  publication  de  3,000  exem- 
plaires; 

Attendu  que  l'interprétation  du  demandeur  n'est  nullement  en 
contradiction  avec  les  autres  clauses  de  la  convention  verbale  ;  qu'en 
stipulant  qu'après  l'épuisement  des  tirages,  le  défendeur  serait  seul 
juge  de  refaire  des  éditions  à  3  fr.  50  c,  les  parties  ont  entendu  sim- 
plement que  le  demandeur  ne  pouvait,  en  aucun  cas,  imposer  au 
défendeur  une  nouvelle  édition  ;  que,  si  le  demandeur  s'est  réservé 
la  faculté  de  publier  son  œuvre  en  livraisons  illustrées,  après  trois 
antiées  de  mise  en  vente  d'éditions  Kistemaeckers,  cette  stipulation 
était  faite  dans  l'intérêt  de  ce  dernier  et  afin  que  l'édition  illustrée 
ne  pût  nuire  à  la  vente  de  celle  du  défendeur; 

Attendu  que,  si  un  doute  pouvait  subsister,  l'équité  commanderait 
de  consacrer  le  système  du  demandeur;  que  celui-ci  a  le  plus  grand 
intérêt  à  ce  que  son  roman  ne  reste  pas  improductif,  tandis  que  le 
défendeur  a  pu,  depuis  plus  de  deux  années,  calculer  toutes  les 
chances  d'un  tirage  nouveau,  et  que,  ne  voulant  le  tenter  lui-même, 
il  ne  peut  subir  le  moindre  dommage  si  le  demandeur  essaie  de 
lancer  dans  le  public  des  exemplaires  nouveaux  de  son  ouvrage; 

Attendu  qu'il  échet,  par  conséquent,  d'admettre  les  trois  premiers 
chefs  de  la  demande  ; 

Attendu  enfin  que  le  demandeur  ne  justifie  d'aucun  préjudice  ; 
Par  ces  motifs,  le  tribunal  déclare  le  demandeur  recevable  en 
son  action  ; 

Dit  pour  droit  que  la  convention  verbale  avenue  entre  parties  le 
l«p  juin  1881,  au  sujet  de  la  publication  du  roman  •«  Un  mâle  »•  est 
révoquée  à  compter  du  15  janvier  1885,  et  que  le  demandeur  est 
rentré,  à  partir  de  cette  date,  dans  la  propriété  de  son  travail,  fait 
défense  au  défendeur  de  reproduire,  à  l'avenir,  le  roman  litigieux; 
Condamne  le  défendeur  aux  dépens. 

Plaidants  :  MM"  Edmond  Picard  et  G.  Rodenbach  c.  Guill. 
Degreef.  y,  , 


INCIDENT  RODENBACH-COVELIERS 

A  la  suite  de  l'article  sur  lo  Plagiai,  publié  par  Georges 
Rodenbach  dans  le  dernier  numéro  de  V Art  moderne,  la 
Chronique  fit  paraître  le  lendemain  un  arJiculct  anonyme. 

Georges  Rodenbach  adressa  immédiatement  la  lettre  suivante  : 

A  hA  DIRECTION  T)E  Lx  Chronique . 

J'ai  qualifié,  dans  VAt^t  moderne^  en  signant,  les  procédés  de 
polémique  auxquels  la  Chronique  cherche  à  nous  habituer. 

En  réponse,  un  de  ceux  que  j'ai  appelés  «  les  trottins  du  journa- 
lisme w  m'injurie  sous  le  manteau  et  me  menace.  Qu'il  y  vienne  ! 

Pour  le  moment,  je  le  somme,  l'auteur  dudit  articulet,  de  se 
nommer  dans  votre.journal,  comme  je  me  suis  nommé. 

Je  ne  veux  pas  qu'il  puisse  frapper  par  derrière,  comme  il  écrit, 
anonymement. 

Vous  publierez  ceci  dans  votre  prochain  numéro. 

Georges  Rodenbach. 

La  lettre  ne  fut  pas  insérée.  Aussitôt  Georges  Rodenbach  pria 
deux  amis,  M.  Edmond  Picard,  avocat  à  la  Cour  de  cassation,  et 
M.  Ed.  Jacquet,  lieutenant  aux  grenadiers,  d'aller  demander  le 
nom  de  l'auteur  de  l'arlicle.  Aux  bureaux  de  la  Chronique,  on 
leur  désigna  M.  Covelicrs. 

Le  soir  même,  Georges  Rodenbach  lui  adressa  la  communica- 
tion ci-dessous  : 

Monsieur, 

J'apprends  que  vous  êtes  l'auteur  de  l'articulet  anonyme  paru 
dans  la  Chronique  et  qui  me  nomme.  Je  me  tiens  pour  outragé  par 
cette  publication.  MM.  Edmond  Picard  et  Jacquet  ont  bien  voulu  se 
charger  de  mes  intérêts. 

Je  vous  piie,  si  vous  le  jugez  bon,  de  désigner  les  personnes  qui 
doivent  vous  représenter,  ainsi  que  l'heure  et  le  lieu  où  ils  peuvent 
se  rencontrer  demain. 

Georges  Rodenbach. 

M.  Coveliers  désigna  M.  Paul  Jansnn,  avocat  à  la  Cour  d'appel 
et  M.  bus  I ri,  major  du  génie  en  retraite. 

Les  témoins  de  Georges  Rodenbach  demandèrent  que 
M.  Coveliers  retirât  son  article  ou  qu'une  réparation  lût  accordée 
par  les  armes.  Mais  après  doux  conférences  leur  mission  n'a 
pas  pu  aboutir. 

Voici  la  lettre  adressée  à  Georges  Rodenbach  pour  lui  com- 
muniquer ce  résultat  négatif  : 

Cher  ami,  nous  avions  accepté  de  demander  réparation  en  votre 
nom  d'un  article  anonyme  paru  dans  la  Chronique  où  vous  étiez 
nominativement  désigné.  Au  bureau  du  journal  on  nous  a  renseigné 
que  l'auteur  était  M  Coveliers.  Vous  avez  immédiatement  écrit  à 
ce  dernier  pour  lui  demander  de  désigner  ses  témoins,  M.  Coveliers 
nous  a:' mis  en  rapport  avec  M.  le  major  Dusart  et  M.  Paul  Janson. 

Après  deux  conférences  tenues  aujourd'hui,  notre  mission  n'a  pas 
abouti.  Nous  vous  en  transmettons  ci-joint  le  procès -verbal. 

Recevez,  cher  ami,  l'expression  de  nos  sentiments  dévoués. 

Jacquet.  Edmond  Picard. 

Bruxelles,  le  29  juillet  1885. 

Voici  maintenant  le  procès-verbal: 

MM.  Picard  et  Jacquet,  au  nom  de  M.  Georges  Rodenbach,  ont 
demandé  que  M.  Coveliers  retirât  purement  et  simplement  l'article 
publié  par  lui  dans  la  Chronique,  ajoutant  qu'en  cas  de  refus 
M.  Rodenbach  réclamerait  une  réparation  par  les  armes. 


250 


VART  MODERNE 


MM.  Edouard  Dusart  et  Paul  Janson,  considérant  que  rarticlc  de 
la  Chronique  n'est  qu'une  riposte  écrite  sur  le  ton  et  dans  le  stjle 
décelai  de  M.  Rodenbach;  qu'il  s'agit  donc  d'une  querelle  d'ordre 
purement  littéraire  et  qu'il  ne  peut  appartenir  à  M.  Rodenbach,  qui 
a  pris  l'initiative  de  l'attaque,  de  donner  au  débat  un  autre  carac- 
tère, d'autant  moins  que  ce  débat  a  surgi  à  l'occasion  d'un  incident 
auquel  il  est  personnellement  étranger,  estiment  qu'il  n'y  a  lieu 
dans  l'occurrence  ni  au  retrait  de  l'article  ni  à  une  réparation  par 
les  armes. 

MM.  Picard  et  Jacquet  ont  fait  observer  que  l'article  de  M.  Roden- 
bach visait  en  général  ce  qu'il  nommait  la  petite  presse,  tandis  que 
celui  de  M.  Coveliers  s'attaque  directement  et  nominativement  à 
M.  Rodenbach;  que  c'est  là  une  diflTérence  essentielle  qui  enlève  à 
la  publication  de  M.  Coveliers  le  caractère  de  pure  querelle  de 
plume  qu'il  prétend  lui  attribuer;  qu'au  surplus,  quand  M.  Roden- 
bach a  envoyé  une  réponse  à  la  Chronique  on  a  refusé  de  la  faire 
paraître  ;  qu'il  y  aurait  lieu  de  s'étonner  que  M.  Coveliers,  apr^s 
avoir  annoncé  qu'on  bétonnerait  M.  Rodenbach,  se  refuserait  à  se 
battre  ;  qu'ils  insistent  de  nouveau  et  formellement  pour  que  larticle 
soit  retiré  ou  que  raison  soit  rendue  par  les  armes  à  M,  Rodeubacli. 

MM.  Dusart  et  Paul  Janson  déclarent  qu'ils  diffèrent  complète- 
ment d'appréciation  sur  le  caractère  de  l'attaque  publiée  par  M.  Co- 
veliers; disent,  au  surplus,  que  la  non  publication  de  la  réponse 
n'est  pas,  le  fait  de  M.  Coveliers  et  persistent  dans  leur  manière  de 
voir.  *         • 

Bruxelles,  le  29  juillet  1885. 


Edouard  Jacqukt, 
lient,  aux  grenadiers. 

Edmond  Picard, 
avoc.  à  la  Cour  de  Cassation. 


Edouard  Dusart, 
major  du  génie  en  retraite 

Paul  Janson, 
avoc.  à  la  Cour  d'appel    « 


Î^XPO^ITION      UNIVERSELLE      D'^NVER^ 

Le  Salon  libre  de  l'Ecole  flamande. 

Amusante  la  déconvenue  de  certains  membres  du  jury  de  cet  le 
exposition  libre.  On  lisait,  en  effet,  dans  la  Réforme  de  vendredi  : 

«  Lundi  s'ouvrait,  à  Anvers,  dans  la  galerie  Neurenberg,  qui  fait 
face  à  l'Exposition  officielle  des  Beaux-Arts,  le  Salon  libre  de  l'Ecole 
flamande. 

•*  Libre  par  sou  jury,  par  son  but  et  par  son  éclectisme,  assuré- 
ment, mais  libre  un  peu  à  la  façon  des  mauvaises  herbes  qui  pous- 
sent au  milieu  des  pelouses  vierges.  Faisant  partie,  avec  nos  con- 
frères de  la  presse  quotidienne,  Théodore  Hannon  et  Lucien  Solvay, 
du  jury  qui  a  présidé  à  la  réception  des  tableaux  envoyés,  nous 
tenons  à  dégager  toute  responsabilité  quant  au  résultat  obtenu.  Vai- 
nement avons-nous  protesté  contre  l'acceptation  d'une  jolie  collection 
d«»  croûtes,  la  majorité  anversoise  a  écrasé  notre  protestation,  et, 
chose  plus  grave,  certains  tableaux  refusés  à  la  presque  unanimité 
ont  été  placés,  à  la  dernière  heure,  par  une  ou  des  mains  inconnues. 
Le  but  du  Salon  libre  était  excellent,  nous  y  avons  applaudi  des  deux 
mains;  aujourd'hui,  forcément,  nous  tirons  notre  épingle  d'un  jeu 
où  l'on  a  triché,  « 

Ain^i,  lors  du  Salon  officiel,  grand  tapage  parce  qu'on  refuse  les 
croùtrs.  Maintenant,  grand  tapage  parce  qu'on  les  accepte. 

Pauvres  croûtes  î  Que  votre  sort  est  affligeant  ! 

l'ne  remarque  ébouriffante  c'est  celle-ci  :  ••  Certains  tohlraii.r, 
refusas  à  la  j^resqae  unani/uifê,  ont  été  placés  à  la  dernière  heure 
par  UNE  ou  DES  mains  ineonnu^s  !  !  !  Est-ce  que  les  trères  Davenj)ort 
faisaient  partie  <le  ce  jury  ! 

Hannon  !  Solvay  !  Waller!  Qu 'allaient-ils  faire  dans  cette  galère? 
l'ne  voix  lointaine  répond:  Fallait  pas  qu'ils  aillent!  Fallait  pas 
qn  ils  aillent  !    .  •   . 


Le  jury  des  récompenses. 

Le  jury  belge  des  récompenses  vient  d'être  constitué  officiellement. 

En  font  partie  :' 

Pour  la  peinture  :  MM.  Nicaise,  De  Keyser,  ancien  directeur  de 
l'Académie  des  Beaux-Arts  d'Anvers  ;  Fétis,  membre  de  l'Académie 
de  Belgique  ;  Robbie,  artiste  peintre  à  Bruxelles,  membres  effectifs  ; 
MM.  Joseph  Delin,  artiste  peintre  à  Anvers;  Van  den  Nest,  échevin 
de  la  ville  d'Anvers;  Cluysenaer,  artiste  peintre  à  Bruxelles, 
membres  suppléants. 

Pour  la  sculpture  :  MM.  De  Groot,  statuaire  à  Bruxelles, 
membre  effectif,  et  Geefs,  directeur  ad  intérim  de  l'Académie 
d'Anvers,  membre  suppléant. 

.    Pour  l'architecture  :  MM.  Janlet,  architecte  à  Bruxelles,  membre 
effectif,  et  Dens,  architecte  de  la  ville  d'Anvers,  membre  suppléant. 

Pour  la  gravure  :  MM.  Michiels,  graveur  à  Anvers,  professeur 
à  l'Académie  des  Beaux-Arts'de  cette  ville,  membre  effectif,  et  De 
manez,  membre  de  l'Académie  de  Belgique,  membre  suppléant. 


Médailles  et   décoration^ 

La  Paix  publie  dans  son  dernier  numéro  les  réflexions  judicieuses 
qui  suivent: 

"  Parmi  les  attributions  inutiles  et  souvent  dangereuses  dont  on 
surcharge  et  embarrasse  le  gouvernement,  une  des  plus  fâcheuses  est 
la  distribution  de  prix  à  des  artistes,  à  des  littérateurs,  à  des  indus- 
triels, à  des  inventeurs  quelconques  de  choses  et  d'idées.  Cette  manie 
coût«  cher  au  grand  public  payant  et  crée. des  injustices  et  des  que- 
relles qu'il  serait  bon  et  facile  d'éviter  en  maintenant  l'État  dans  le 
cercle  déjà  assez  large  des  fonctions  sociales.  Tous  les  jurys  que 
ri'^tat  nomme  sont  accusés  d'agir  j)ar  favoritisme  arbitraire,  et  font 
plus  de  mécontents  que  d'heureux.  Nos  tribunaux  académiques  en 
font  l'épreuve  chaque  année.  Le  meilleur  et  seul  remède  à  ce  mal 
serait  la  suppression  de  tous  les  prix,  au  moins  celle  de  l'argent 
donné  aux  jurys.  Pas  d'argent,  pas  de  prix,  surtout  pas  déjuges,  et 
le  bénéfice  serait  notable  pour  tout  le  monde. 

«  Une  erreur  presque  universelle  est  le  jugement  par  l'État  de 
tous  les  mérites,  la  classification  des  citoyens  d'après  leur  valeur 
morale  oii  intellectuelle.  De  là  les  ordres  honorifiques,  les  croix  de 
tous  métaux  et  formes,  les  titres,  les  médailles,  les  brevets  sans 
garantie,  les  certificats  d'incapacité  ou  de  bêtise  délivrés  par  prété- 
rition. 

«*  En  1832,  l'ordre  de  Léopold  ne  fut  créé  qu'à  une  seule  voix  de 
majorité  parlementaire,  celle  d'un  Monsieur  qui  voulait  en  être 
décoré  à  tout  prix,  et  qui  est  cause  qu'il  compte  aujourd'hui 
28,000  confrères.  S'il  avait  dit  non,  la  Belgique  aurait  gagné  un 
gros  million  et  des  centaines  de  braves  gens  ne  seraient  pas  morts  de 
chagrin  pour  n'avoir  pas  obtenu  le  ruban  rouge.  Un  non  modeste  et 
vertueux,  un  seul,  hélas,  aurait  eu  cet  effet  plus  considérable  encore 
d'einj^cher  une  foule  de  jurys  de  gaspiller  des  millions  pour  eux  et 
pour  leurs  justiciables  de  toutes  catégories. 

"  A  peine  approuvons-nous  les  distributions  de  prix  faites  aux 
petits  enfants;  celles  qu'on  prodigue  aux  grands  nous  paraissent 
injustifiables;  l'incompétence  de  l'Élat  ou  de  ses  délégués  est  à  nos 
yeux  claire  et  naturelle.  L'Etat  n'est  qu'un  grand  anonyme,  imbécile 
et  variable,  dont  la  responsabilité  nuageuse  est  insaisissable  et  dont 
les  pouvoirs  se  résument  en  celui  d'un  Monsieur  officiel  qui  parle  et 
agit  en  son  nom.  Si  l'Etat,  cet  être  fictif  et  indéfinissable  que  nous 
ne  sommes  jamais  parvenu  à  concevoir,  se  bornait  au  strict  néces- 
saire, il  éviterait  bien  des  sottises  et  des  gaspillages  qu'il  commet 
aujourd'hui. 

Ces  remarques  sont  trop  justes  pour  être  admises  par  le  public 
abêti,  mais  nous  les  renouvelons  de  temps  à  autre  à  l'adresse  des 


lecteurs  intelligents  qui  aiment  la  vérité  nue,  sans  la  parure  budgé- 
taire à  la  mode.  .  , 


•Petite  chro^iique 


Notre  collaborateur  Eugène  Robert,  que  ses  occupations  avaient 
empêché  depuis  lougtem|)S  de  collaborer  régulièrement  à  VArt 
moderne,  nous  demande,  de  faire  connaître  qu'il  ne  fait  plus  partie 
de  notre  rédaction.  Le  motif , en  est  la  contradiction  qui  s'est  mani- 
festée entre  notre  journal  et  la  Réforme,  dont  M.  Robert  est  un 
collaborateur  habituel,  au  sujet  de  la  question  de  savoir  si,  comme 
la  Réforme  l'a  soutenu  avec  l'insistance  que  l'on  sait,  on  doit  con- 
sidérer comme  un  plagiat  littéraire  dans  le  mauvais  sens  du  mot  le 
fait  d'utiliser  dans  un  document  parlementaire,  sans  en  citer  les 
sources,  les  clichés  sur  des  matières  telles  notamment  que  l'histo- 
rique du  droit  d'auteur.  - 

Nos  lecteurs  regretteront,  nous  en  sommes  certains, de  ne  plus 
voir  paraître  dans  nos  colonnes  les  spirituelles  causeries  littéraires 
de  notre  excellent  ami  et  ces  regrets  seront  certainement  partagés 
par  tous  ceux  qui  restent  attachés  à  notre  rédaction. 

M.  Emile  Mathieu  a  lu,  la  semaine  dernière  à  M.  Verdhurt,  le 
poème  de  son  nouvel  opéra  :  Ricldlde.  Le  directeur  du  théâtre  de  la 
Monnaie  s'en  est  déclaré  fort  satisfait.  La  partition  lui  sera  présentée 
pour  l'ouverture  de  la  saison  théâtrale  1886  1887. 

Quelques  nouvelles  littéraires. 

La  Jeunesse  blanche  de  Georges  Rodenbach  paraîtra  en  février 
prochain  chez  Lemerre.  A  la  même  époque  et  chez  le  même  éditeur 
sera  publié  le  nouveau  poème  d'Emile  Verhaeren,  Les  Moines. 
Happe-Chair,  de  Camille  Lemonnier,  est  entièrement  achevé  et  sera 
mis  très  prochainement  sous  presse.  L'auteur  du  Mâle  publiera,  en 
outre,  incessamment,  chez  l'éditeur  Mounier,  un  nouveau  roman 
intitulé  Les  Concubins. 

Charles  Van  der  Stappen  vient  de  terminer  le  médaillon  pn  bronze 
qu'il  a  modelé  à  la  mémoire  de  son  ami  Louis  Dubois.  L'œuvre  sera 
déposée  eu  octobre  sur  la  tombe  du  peintre.  Ses  amis  et  ses  admira- 
teurs se  proposent  d'organiser  à  l'occasion  de  celte  solennité  une 
manifestation  de  sympathie  en  l'honneur  du  grand  artiste  qui  fut, 
durant  toute  sa  vie,  méconnu. 


Le  concert  jubilaire  du  Conservatoire  de  Gand  a  été  pour  l'or- 
chestre, son  directeur  M.  Ad.  Samuel  et  les  solistes,  MM.  Van  Dyck 
;    et  Blauwaert,  l'occasion  d'une  série  d'ovations. 

Parmi  les  compositeurs,  on  a  particulièrement  fêté  M.  Van  den 
Eeden,  après  l'audition  de  deux  de  ses  œuvres  :  un  tableau  sympho- 
nique  intitulé  Au  XVI''  siècle,  dont  le  final  a  été  bissé  avec  enthou- 
,    siasme,  et  Mignon,  mélodie  avec  accompagnement  d'orchestre. 

i  Dans  la  nouvelle  troupe  du  théâtre  royal  de  Liège  que  vient  de 
,  former,  pour  la  prochaine  saison,  M.  Verellen,  nous  remarquons 
MM.  Verhees,  fort  ténor;  —  Laurent,  ténor-léger;  —  Delersy, 
deuxième  ténor;  —  Flavigny-Thomas,  trial;  —  Plain,  basse-noble; 
—  Falchieri,  basse-chantante;  —  Paul  Claeys,  baryton;  —  Marins, 
baryton  d'opéra-comique;  —  Gourmay,  deuxième  basse;  —  etc. 

jyjmes  Chasseriaux,  forte  chanteuse  falcon;  —  Verrellen-Corva, 
chanteuse-légère  de  grand-opéra  ;  —  Wilhem,  chanteuse-légère 
d'opéra-coniique;  —  Flavigny-Thomas,  dugazon;  — Jahn,  deuxième 
dugazon  ;  etc. 

Ballet.  —  M""^'  Laura  Reutei's,  première  danseuse;  —  Hélène  et 
Elisa  Reuters. 

Le  répertoire  comprendra,  entre  autres,  Méphistophélès,  le  Tribut 
de  Zanwru,  Ri^-Rip,  In  Reine  Topaze,  le  Docteur  Crispin, 
Ernani,  Fra-Diavolo,  Mireille. 


Il  est  intéressant  de  voir  combien  nos. artistes  sont  plus  juste- 
ment appréciés  à  l'étranger  qu'ils  ne  le  sont  dans  notre  pays  Voici, 
comme  exemple,  ce  que  nous  lisons  dans  le  Politique,  journal  quo- 
tidien, paraissant  à  Prague,  sous  la  signature   Ed.  Ziegler  :        ^ 

«  On  s'étonne  que  Camille  Lemonnier  n'ait  pas  encore  vu  une 
universelle  popularité  s"'âttacher  à  son  nom.  C'est  en  partie  à  cause 
du  discrédit  dont  certaines  productions  immorales,  surtout"  à 
Bruxelles,  ont  entaché  la  littérature  belge  à  l'étranger.  Ce  pays  qui 
répand  les  obscénités  les  plus  révoltantes  sur  le  monde  entifn*  tra- 
vaille à  se  créer  une  littérature  nationale  durable,  ce  qui  ne  frappe 
pas  de  suite.  On  sait  que  l'homme  qui  se  trouve  à  la  tête  de  cette 
école  est  l'égal  des  j)remiers  artistes  de  l'Europe. 

'  «  Camille  Lemonnier  est  peu  compris  de  ses  compatriotes  :  cela 
lui  nuit  à  l'étranger.  Celui  là  même  qui  fut  son  éditeur,  Kistejnaeckeis, 
ne  perd  aucune  occasion,  depuis  que  Lemonnier  se  fait  éditer  à  J'aris, 
de  l'amoindrir  dans  l'opinion  publique.  » 


L'Art  musical  publie  l'intéressante  nomenclature  des  œuvres 
musicales  composées  sur  des  livrets  tirés  des  poèmes  de  Victor 
Hugo.  Il  ne  s'agit,  bien  entendu,  que  des  opéras,  le  nombre  de 
romances,  etc.,  inspirées  par  le  texte  du  poète  étant  incalculable. 

Trois  versions  (Vllernani,  par  Gabussi,  Théâtre-Italien,  Paris 
1834  ;  Mazzucato,  Gênes  1844  ;  et  Verdi,  Venise,  la  même  année. 

Trois  versions  de  Marion  Delorme,  Boltesini,  Palerme  1860; 
Pedrotti,  Trieste  1865;  et  Ponchielli,  Milan  1885. 

Le  Roi  s'amuse  a  fourni  le  sujet  d'un  seul  opéra,  Rigoletto  de 
Verdi,  donné  à  Venise  en  1851.  Il  en  a  été  de  même  de  Lucrèce 
Jiorcjia  qui  a  fourni  le  livret  mis  en  musique  par  Donizetti  et  repré- 
senté la  première  fois,  à  Milan,  en  1834. 

Trois  opéras  ont  été  tirés  de  Marie  Tudor  :  un  par  Pacini, 
Palerme  1843;  un  autre  par  Kochperoff,  Nice  1860,  et  un  autre  par 
Gomès,  Milan  1879. 

A  Angelo  on  doit  deux  opéras  :  il  Giuramento,  de  Mercadante, 
Milan  1837,  et  la  Gioâçnda,  de  Ponchielli,  Milan  1876. 

En  outre  de  la  Esmeralda,  <\e  Berlin,  il  y  a  eu  sept  autres  ver- 
sions du  même  sujet  dont  les  compositeurs  sont  :  Mazzucato,  Man- 
toue  1838;  —  Poniatowski,  Legnano  1847;  —  Dargomijski,  Saint- 
Pétersbourg  1847  ;  —  Lebeau,  Bruxelles  1857  ;  —  Campana,  Londres 
1862;  --  P^y  (Notre-Dame  de  Paris),  Philadelphie  1864;  —  et 
Westerhahn,  Chemnitz  1866. 

:  Ruy  Blas  a  inspiré  six  compositeurs  :  Poniatowski,  Lucques  1842; 
—  Bergonzoni,  Plaisance  1843;  —  Glover,  Londres  1861;  —  Chia- 
romonte  {Maria  di  Neuburgo),  Bilbao  1862;  —  De  Giosa  (Folco 
d'Arles),  et  Marchetti. 

Enfin  les  Burgraves  en  ont  inspiré  deux  :  Matteo  Salvi,  Milan 
1845;  —  et  Orsini,  Rome  1884. 


A  Londres,  la  saison  italienne  a  été  close  par  une  représentation 
du  Trouvère. 

M"*  Patti  a  été  l'objet  d'une  manifestation  de  sympathie.  On  lui 
a  offert  un  magnifique  bracelet  en  diamants,  acheté  à  l'aide  d'une 
styuscription,  et  présenté  une  adresse  dans  laquelle  il  est  rappelé  que 
la  cantatrice  terminait  son  vingt-cinquième  engagement  au  théâtre 
qui  avait  eu  l'honneur  de  la  faire  connaître. 

Après  le  spectacle,  la  diva  a  été  conduite  au  Midland  Hôtel,  où 
elle  habite,  escortée  par  tout  le  personnel  du  théâtre,  musique  en 
tête  et  torches  allumées. 

Sommaire  de  la  Revue  contc)npi>raine  (25  juillet  1885)  : 
Wagner  et  l'esthétique  allemande,  Edouard  Rod:  —  Génie 
posthume,  nouvelle,  Harry  Alis. —  Epilo'gue,  poésie,  Charles  Morice. 
—  Ma  chambre,  poésie,  Mathias  Morhardt.  —  Jeux  et  préludes, 
poésie,  Charles  Vignier.  —  L'Inde  :  Akedysséril,  légende  Indoue, 
C'«  Villiers  de  l'Isle  Adam.  —  Le  naturalisme  en  Espagne,  étude 
critique  (fin),  Albert  Savine.  —  Castelar  et  Zorrilla,  Un  député.  — 
Critique  littéraire  et  artistique.  —  Bibliographie. 


^52 


U ART  MODERNE 


EST  ENTRÉ  DEPUIS  LE  ]«'•  JANVIER  1885  DANS  SA  CINQUIÈME  ANNÉE 

I('ART  MODSRNEj  s'est  acquis  par  l'autorité  et  l'indépendance  de  sa  critique,  par  la  variété  de  ses 
informations  et    les   soins  donnés   à  sa   rédaction   une  place  prépondérante.   Aucune    manifestation  de  l'Art  ne 

lui  est  étran{:^ôre  :  il  s'occupe  dé  littérature,  de  peinture,  de  sculpture,  de  gravure,  de  musique, 

d'architecture,  etc.  Consacré  principalement  au  mouvement  artistique  belge,  il  renseigne  néanmoins  ses 
lecteurs  sur  toUS  les  événements  artistiques  de  l'étranger  qu'il  importe  de  connaître. 

Chaque  livraison  de  l'ART  MODEjHNEj  s'ouvre  par  une  étude  approfondie  sur  une  question  artistique 
ou  littéraire  dont  l'événement  de  la  semaine  fournit  l'actualité.  Les  expositions,  les  livres  noiiveaux^  les 
premières  représentations  d'œuvres  dramatiques  ou  musicales,  les  conférences  littéraires,  les  concerts^  les 
ventes  cCobjets  (Tart,  font  tons  les  dimanches  l'objet  de  chroniques  détaillées. 

L'ART  MODERNE  relate  aussi  la  législation  et  la  jurisprudence  artistiiiues.  Il  rend  compte  des 
procès  les  plus  intéressants  concernant  les  Arts,  plaides  devant  les  tribunaux  belges  et  étrangers.  Les 
artistes  trouvent  toutes  les  semaines  dans  son  Mémento  la  nomenclature  complote  dos  expositions  et 
concours  auxquels  ils  peuvent  prendre  part,  en  Belgique  et  à  l'étranger  II  est  envoyé  gratuitement  à 
l'essai  pendant  un  mois  à  toute  personne  qui  en  fait  la  demande. 

L'ART  •  MODERNE  forme  chaque  année  un.  beau  et  fort  volume  d'environ  450  pages,  avec  deux 
tables  -des  matières,  dont  Vune  par  ordre  alphabétique,  de  tous  les  artistes  appréciés  ou  cités.  Il  constitue  pour 
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Id.  1(1      II.  —  Mozart,  sonates  en  mi  b.  maj.,  et  fa  maj. 

21c  livraison    Cahier  I.  —  Mozart,  sonates  en  si  b,  maj  ^  et  la  maj. 

id.  Id.      II.  —  Mozart,  sonate  en  fa  maj. 


lii  uxelles.  —  Inip.  Fklix  Callbwaert  père,  rue  de  l'Industrie,  26. 


-y 


Cinquième  année.  —  N°  32 


Le  numéro  :  25  centimes^ 


Dimanche  9  Aon  1885. 


L'ART  MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,   un   an,   fr.   10.00;  Union   postalç,    fr.    13.00.    —   ANNONCES   :    On    traite   à   forfait. 


Adresser  les  demandes  d^ abonnement  et  toutes^ les  communications  à 

l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


r 


^OMMAIRE 


J 


Les  Verbolatres,  —   Xavier  Mellery.  —   Livres -nouveaux. 
Nelly  Mac  Edwards^   mœurs  américaines^  par  M,  de  Woelmont. 

—  Chronique  judiciaire  des  arts.  Les  j^otiches  japonaises  ;  .Sta- 
tuettes ou  prcsse-i^apicrs  !  —  A  propos  des  prix  de  RosiE.  — 
Théâtres.  —  Exposition  universelle  des  Beaux-Arts  d'Anvers. 

—  Petite  chronique. 


LES  VERBOLATRES 

Arrivons  à  un  nouveau  cas,  dans  ces  études  de  pa- 
thologie littéraire.  Ce  n'est  pas  qu'il  s'agisse  d'un  phé- 
nomène morhide  en  soi,  dès  l'origine.  Non.  Mais  il  le 
devient  au  cours  de  son  évolution,  par  l'exagération  de 
son  développement.  C'est  le  petit  verre  d'éau-de-vie, 
cordial  quand  on  en  prend  un,  faisant  l'ivrogne,  quand 
on  en  prend  vingt.  Le  germe  est  bon,  l'épanouissement 
est  monstrueux.  Stéphane  Mallarmé,  Paul  Verlaine, 
ont  fait  de  beaux  vers,  de  très  beaux  vers,  qui  l'ignore  ? 
Que  le  destin  nous  garde  de  passer  pour  ne  pas  discerner 
ce  qu'il  j  a  dans  leurs  œuvres  de  vraiment  supérieur. 
Mais  à  côtoyer  constamment  le  bizarre  et  le  vague,  ils 
ont  peu  à  peu  été  absorbés,  sucés  par  le  goufl're  et  ils. 
chantent  au  fond,  en  plein  dans  ses  obscurités,  croyant 
être  encore  sur  le  bord.  ,  . 

Il  en  fut  de  même,  au  début,  pour  ceux  que  secoue 
actuellement  le  delirium  verhomim,  fanatiques  pr) 
menant  par  la  cité  leur  polyphasie  lamentable. 

Résumons-en    l'histoire.  C'est    Théophile    Gautier, 
reprenant,  en  sous  ordre,  pour  l'afîiner,  la  réforme 


inaugurée  par  Hugo,  qui  prêcha,  en  apôtre  secondaire, 
le  dogme  de  la  propriété  du  terme  et  le  dogme  de  l'en- 
richi.ssement  de  la  langue.  Et  Baudelaire,  saisissant, 
plutôt  qu'il  ne  reçut,  le  double  flambeau  dont  l'auteur 
à' Emaux  et  Camées,  maintenait  la  flamme  dans  les 
dimensions  classiques  et  élégantes,  en  fit  brusquement, 
tant  il  la  flagella  de  son  souflle  révolutionnaire,  deux 
torches  qui,  flambantes,  éclairèrent  toute  la  nouvelle 
génératiph.  " 

Léon  Cladel,  dans  une  œuvre  étrange,  Dux,  a  décrit 
lé  maître  à  l'œuvre,  donnant  à  un  apprenti  ime  leçon 
f/e  m 0^5  (ne  pas  confondre  avec  les  chinoiseries  dont, 
sous  ce  titre,  la  pédagogie  moderne  empeste  les  écoles). 
Ecoutez.  Le  morceau  est  superbe.  C'est  le  disciple  qui 
raconte.  Baudelaire  a  saisi  l'écrit  qu'on  livre  à  sa  cri- 
tique. De  son  œil  ardent  il  l'examine,  le  scrute,  le 
vrille,  le  pénètre  :  - 

«  Dès  la  première  ligne,  que  dis-je?  à  la  première 
'Signe,  à  la  première  lettre,  il  fallut  en  découdre.  Etait- 
il  bien  exact,  ce  mot  ?  Rendait-il  rigoureusement  la 
nuance  voulue?  Attention!  Ne  pas  confondre  agréable 
SiYec  aùnable.  accort  avec  charmant^  avenant  sl\qg 
gentil,  séduisant  avec  provocaïit,  gracieux  avec 
amène,  holà^î  Ces  divers  termes  ne  sont  pas  syno- 
nymes ;  ils  ont  chacun  d'eux  une  acception  toute  par- 
ticulière ;  ils  disent  plus  ou  moins  dans  le  même  ordre 
d'idées,  et  non  pas  identiquement  la  même  chose  !  Il  ne 
aïïTjamais,  au  grand  jamais,  user  de  l'un  à  la  place  de 
l'autre.  En  pratiquant  ainsi,  l'on  en  arriverait  infailli- 
blement au  pur  charabia.  Les  griflonneurs  politiques, 


Vs 


et  surtout  les  tribuns  de  même  acabit,  ont  seuls  le 
droit,  d'employer  admonition  pour  conseil  y  objurga- 
tion pour  reproche^  valeur  pour  courage,  époque 
pour  siècle,  contemporain  pour  moderne.  Tout 
est  permis  aux  orateurs  profanes  ou  sacrés  qui  sont, 
sinon  tous,  du  moins  la  plupart,  de  très  piètres 
virtuoses;  mais  nous,  ouvriers  littéraires,  purement 
littéraires,  nous  devons  être  précis,  nous  devons  tou- 
jours, toujours  trouver  l'expression  absolue  ou  bien 
renoncer  à  tenir  la  plume  et  finir  gâcheurs,  comme 
tant  d'autres  qui,  tout  en  ayant  la  vogue,  n'auront 
jamais  de  succès  ni  de  considération.  Et  tandis  qu'il 
dissertait  à  voix  haute  et'  lente,  le  sévère  correcteur 
soulignait.au  crayon  rouge,  au  crayon  bleu,  les  phrases 
qui,  selon  lui,  manquaient  de  force  ou  d'exactitude,  et 
ne  s'adnptaie72t  pas  à  ridée,  ainsi  que  les  gants  à  la 
j)eau.  Cherchons!  Si  le  substantif  ou  l'adjectif  n'exis- 
tent point,  on  les  inventera  \  mais  ils  sont  là,  comme 
des  pépites  dans  la  gangue...  Et  les  dictionnaires  de 
notre  idiome  empoignés  étaient  aussitôt  compulsés, 
feuilletés,  sondés  avec  rage,  avec  amour.  On  faisait 
souvent  bonne  chasse,  mais  quelquefois  aussi  l'on  reve- 
nait bredouille.  Alors  intervenaient  les  lexiques  étran- 
gers. On  interrogeait  le  français-latin  et  puis  le  latin- 
français.  Un  pourchas  sans  merci  !  Néant  dans  les 
anciens  :  aux  modernes  !  Et  le  tenace  étymologiste,  à 
qui  la  plupart  des  langues  vivantes  étaient  aussi  fami- 
lières que  la  plupart  des  langues  mortes,  s'enfonçant 
dans  les  vocabulaires  anglais,  allemand,  italien,  espa- 
gnol, poursuivait  pour  lui,  comme  pour  moi,  l'expres- 
sion rebelle,  insaisissable  et  qu'il  finissait  toujours  par 
.créer,  si  elle  ne  se  trouvait  point  dans  la  langue.  "  Al- 
lons donc  !  un  néologisme  ne  fait  peur  qu'aux  académi- 
ciens qui,  Sainte-Beuve  et  Victor  Hugo  exceptés,  jar- 
gonnent  plus  ou  moins.  »•  En  devisant  ainsi,  l'indomp- 
table praticien  dont,  par  parenthèse,  je  n'ai  jamais  bien 
compris  l'égale  admiration  pour  ces  antipodes  ni  qu'il 
les  citât  presque  toujours  ensemble  avec  tant  d'ambi- 
guité,  s'acharnait  de  plus  en  plus  à  l'ouvrage,  et  bien- 
tôt je  le  voyais  suer  à  grosses  gouttes,  et  geindre,  et 
renâcler,  et  faire  ahan  !  comme  un  forgeron  en  butte 
aux  ardeurs  de  sa  forge  et  martelant  sans  relâche  sur 
son  enclume  le  for  rougi  qui  résiste  et  qu'il  ne  peut 
tordre  à  son  gré.  Cet  après-midi- là,  je  m'en  souviens 
comme  d'hier,  un  mot  entre  tous,  je  ne  sais  plus  lequel, 
longtemps  nous  arrêta.  De  guerre  lasse,  surexcités  au 
point  d'avoir  perdu  momentanément  la  notion  saine  des 
règles  grammaticale  et  philosophique,  à  bout  d'expé- 
dients, nous  versâmes  subitement  dans  l'extravagance, 
moi  d'abord  et  Aion  maître  ensuite.  Un  barbarisme 
monstrueux  fut  inventé  :  la  belle  trouvaille  !  Il  nous 
sembla  que  nous  avions  découvert  le  Pérou.  Quelle 
extase  profonde  et  quelle  allégresse  !  Heureux  et  triom- 
phants, nous  nous  regardions  en  silence.  Illuminés 


étaient  nos  yeux  et  nos  traits  rayonnçints.  On  eût  dit 
à  nous  voir  que,  nouveaux  Jasons,  nous  venions  de 
conquérir  la  Toison  d'or  !  Oui,  mais  au  comble  de  l'or- 
gueil, l'homme,  ce  fat,  est  toujours  précipité.  Tout  à 
coup  le  poète,  désabusé,  partit  d'un  grand  éclat  de  rire 
et  s'écria  :  «  Nous  sommes  idiots  !  simplement  idiois  !  »» 
Il  avait  raison  et  j'en  convins.  Hardi  !  Les  gros  diction- 
naires furent  bouleversés  à  nouveau.  Rien,  rien.  A 
nous,  Noël  et  Chapsal,  à  nous  les  poudreux  glossaires, 
à  nous  les  décrétales  de  l'Institut,  à  nous  Burnouf  et 
tutti  quanti.  Vive  l'idiotisme!  En  avant  tropes  et  mé- 
tonymies !  A  nous  le  néo-latin  et  le  néo-grec!  Courage, 
avançons,,  allons  encore,  allons  toujours  !  Hélas  !  hélas! 
stérile  fut  'ce  beau  travail-là.  J'en  étais  harassé.  Dévot 
à  ses  saints,  le  scholiaste  ne  savait  plus  auquel  se  vouer 
et  me  regardait  de  travers...  Soudain,  il  se  frappa  le 
front.  Archimède  avait  bien  trouvé,  lui!  Sur  le  plus 
haut  rayon  d'une  bibliothèque  bâillait  un  eff'royable 
in-folio.  S'en  saisir,  y  puiser  en  un  clin  d'œil,  mon  vail- 
lant précepteur  fit  tout  cela;  dans  ses  mains,  le  tome 
énorme  voltigeait  comme  un  fétu.  Quel  était  ce  livre? 
Avec  une  agitation  indicible,  j'y  jetai  les  yeux  à  mon 
tour.  0  terreur!  invincible  efïroi^ï de  l'hébreu!  Pierre- 
Charles  y  lisait  de  gauche  à  droite  les  caractères  chal- 
daïques,  et  tandis  qu'il  syllabisait,  effaré,  ses  noires 
prunelles  étincelantes  envoyaient  de  toutes  parts 
autour  de  lui  des  éclairs  terribles. 

—  Satis!  criai-je  en  lui  demandant  grâce,  assez, 
assez  ! 

—  Animal!  lâche!  tu  ne  veux  donc  pas  devenir 
artiste  ?  « 

Quel  tableau  !  Quelle  parabole  !  Quelle  vivante  leçon, 
sous  l'exagération  du  détail  et  la  virulence  du  coloris. 

Et  il  le  faisait  parfois,  comme  il  le  disait,  ce  légen- 
daire Pierre-Charles  dont  la  hantise  brouille  la  cervelle 
à  tant  de  jouvenceaux  littéraires. 

Veut-on  un  exemple  de  l'acharnement  avec  lequel, 
à  certains  jours,  il  poursuivait  l'expression,  fuyante, 
glissante,  capricante?  Voici  des  variantes  notées  dans 
\e^  Litanies  de  Satan  : 

Ir*  ÉDITION  :  Poulet-Malassis,  1857. 

Toi  qui  sais  tout,  grand  roi  des  choses  souterrahies, 
Aimable  médecin  des  angoisses  humaines. 

Qui  même  aux  parias,  ces  animaux  maudit», 
Enseignes  par  l'amour  le  goût  du  Paradis... 

Édition  définitive  :  Levy  frères,  1872. 

Toi  qui  sais  tout,  grand  roi  des  choses  souterraines 
Guérisseur  familier  des  angoisses  humaines. 

Toi  qui,  même  aux  lépreux,  aux  parias  maudits 
Enseignes  etc. 

l""»  édition. 

Toi  qui  peux  octroyer  le  regard  calme  et  haut 
Qui  damne  tout  un  peuple  autour  d'un  échafaud. 

0 

Edition  définitive. 

Toi  qui  fais  au  proscrit  ce  regard  calme  et  haut 
Qui  damne  etc. 


fre   KDITION. 

Toi  qui  frottes  de  baume  et-  d'huile  les  vieux  os 
De  l'ivrogne  attardé  foulé  par  les  chevaux.    . 

^     Éditîon  définitive. 

Toi  qui,  niagijquenient  assoiqilis  les  vîcuûc  os 
De  l'ivrogne  etc. 

!»■•   ÉDITION. 

7'ot  qui  mets  ton  paraphe,  o  complice  subtil, 
Sur  le  front  du  Crésus,  impitoyable  et  vil. 

Edition  définitive. 

Toi  qui  poses  ta  tnarque,  ô  complice  subtil. 
Sur  le  front  etc. 

!«■'  édition. 

,       ,    Gloire  et  louange,  à  toi,  Satan,  dans  les  hauteurs 
Du  Ciel,  où  tu  régnas,  et  dans  les  profondeurs 
De  l'Enfer  où,  fécond,  tu  couves  le  silence  ! 

<    Édition  définitive. 

De  l'Enfer  où,  vaincu,  tu  rêves  en  silence  ! 

Voilà  pour  une  seule  pièce  célèbre,  les  corrections, 
l'inquiétude,  les  hésitations  du  poète.  L'expression  défi- 
nitive n'avait  pas  été  trouvée  du  premier  |coup.  Cela 
arrivait  souvent  à  cet  -homme  énigmatique,  songeur, 
taciturne,  qui  ne  trouvait  la  réplique  qu'en  descen- 
dant l'escalier. 

Ainsi,  se  révèle  à  la  fois  l'importance  du  verbe 
et  l'âpre  désir  de  l'écrivain  de  l'atteindre,  de  le  cap- 
turer, rigoureux  devoir,  légitime  obsession.  Subissant 
ces  sensations,  l'artiste  est  encore  sain.  Elles  sont 
l'épanouissement  normal  des  nécessités  de  son  art.  Rien 
de  trop.  Pas  de  faux  pas  excentrique.  Il  marche  sur  la 
ligne  droite,  fermement  équilibré  II  veut  le  mot,  le  mot 
juste,  le  mot  adéquat. 

Qui  semblable  au  gant  fait  sur  mesure. 
Ni  trop  long,  ni  trop  court,  comme  un  cuir  assoupli, 
S'adapte  à  la  pensée  et  n'y  fait  aucun  pli. 

Mais  qu'est-ce,  en  vérité,  que  ces  mots  dont  tant  on 
s'occupe.  On  a  vu  qu'Adoré  Fioupette  en  fait  des  êtres 
vivants,  se  diversifiant  en  espèces  sans  nombre;  il 
parle  d'eux  comme  un  entomologiste  d'insectes  trou- 
blés par  des  sentiments,  en  proie  à  des  passions  : 

Les  mots  ont  peur  comme  des  poules. 

Ceci,  c'est  la  maladie  qui  commence,  le  détraque- 
ment. Quand  Fioupette  en  raisonne,  il  délire.  Ecoutons 
sur  le  même  sujet,  Taine,  qui,  pour  les  jeunes  est  à  la 
philosophie,  ce  que  le  grand,  l'unique,  Baudelaire  est 
à  la  poésie.  Terne  et  calme  est  la  physiologie  du  verbe 
tel  qu'il  la  donne  dans  son  livre  sur  Yhitelligence, 
mais  combien  vraie,  sensée,  scientifique. 

«  Lorsque,  dit-il,  en  substance,  vous  montez  sur 
l'arc  de  triomphe  de  l'Etoile,  et  que  vous  regardez 
au  dessous  de  vous  du  côté  des  Champs-Elysées, 
vous  apercevez  une  multitude  de  taches  noires  ou 
diversement  colorées  qui  se  remuent  sur  la  chaussée 
et  sur  les  trottoirs.  Vos  yeux  ne  distinguent  rien 
de  plus.  Mais   vous   savez  que  sous  chacun  de  ces 


points  sombres  ou  bigarrés  il  y  a  un  corps  vivant, 
des  membres  actifs,  une  savante  économie  d'organes, 
une  tête  pensante,  conduite  par  quelque  projet  ou  désir 
intérieur,  bref  une  personne  humaine.  La  présence  des 
taches  a  indiqué  la  présence  des  personnes.  La  pre- 
mière a  été  le  Signe  de  la  seconde.  Des  associations  de 
ce  genre  se  rencontrent  à  chaque  instant.  Or,  dans  la 
grande  famille  des  signes,  il  est  une  espèce  dont  >s 
propriétés  sont  remarquables;  ce  sont  les  mots. 
Lorsque  je  lis  ou  j'entends  ce  mot  Tuileries,  j'imagine 
plus  ou  moins  vaguement,  en  formes  plus  ou  moins 
tronquées,  un  terrain  plat,  des  parterres  encadrés  de 
grilles,  des  statues  blanches,  des  têtes  rondes  de  mar- 
ronniers, la  courbe  et  le  panache  d'un  jet  d'eau  et  le 
reste.  Cette  courte  et  petite  sensation  entrée  par  les 
yeux  ou  l'oreille  a  la  propriété  d'éveiller  en  nous  telle 
image,  ou  série  d'images,  plus  ou  moins  expresse,  et  la 
liaison  entre  le  premier  et  le  second  terme  de  ce  couple 
est  si  précise  qu'en  cent  millions  de  cas  et  pour  cent 
millions  d'hommes  le  premier  terme  amène  toujours  le 
second.  Mais  supposons  qu'au  lieu  dé  ni'appesantir  sur 
ce  mot  Tuileries  et  d'évoquer  les  diverses  images  qui 
lui  sont  attachées,  je  lise  rapidement  la  phrase  que 
voici  :  «  Il  y  a  beaucoup  de  jardins  publics  à  Paris,  des 
petits  et  des  grands,  les  Tuileries,  les  Champs-Elysées, 
les  squares.  «  Je  le  demande  au  lecteur  ordinaire  qui 
vient  de  lire  avec  la  vitesse  ordinaire  :  quand  ses  yeux 
couraient  sur  le  mot  Tuileries,  a-t-il  aperçu  intérieure- 
nient  comme  tout  à  l'heure  quelque  fragment  d'image  ? 
Non  certes,  ses  yeux  couraient  trop  vite  ;  il  y  a  une 
différence  notable  entre  l'opération  précédente  et  l'opé- 
ration présente.  Dans  la  première,  le  Signe  è\Q\\\si\i  des 
simulacres  plus  ou  moins  décolorés  de  la  sensation,  des 
résurrections  plus  ou  moins  affaiblies  de  l'expérience; 
dans  la  seconde,  le  signe  ne  les  éveillait  pas.  Ces  états 
relient  la  demi-vision  intense  à  la  notation  sèche,  par 
une  série  de  dégradations,  d'effacements,  qui  peu  à  peu 
ne  laissent  subsister  de  l'image  complète  et  puissante 
qu'un  simple  mot.  Ce  mot  ainsi  réduit  n'est  point 
cependant  un  signe  mort,  qu'on  ne  comprend  plus  ;  il 
est  comme  une  souche  dépouillée  de  tout  son  feuillage 
et  de  toutes  ses  branches,  mais  apte  à  les  reproduire; 
j[ious  l'entendons  au  passage  et  si  prompt  que  soit  ce 
passage;  il  n'entre  point  eh  nous  comme  un  inconnu, 
il  ne  nous  choque  pas  comme  un  intrus;  dans  sa  longue 
association  avec  l'expérience  de  l'objet  et  avec  l'image 
de  l'objet,  il  a  contracté  des  affinités  et  des  répugnances; 
pour  peu  que  nous  l'arrêtions,  l'image  qui  lui  corres- 
pond commence  à  se  reformer;  elle  l'accompagne  à 
l'état  naissant.  Prolongez  et  variez  l'épreuve  :  vous 
trouverez  dans  le  mot  un  système  de  tendances  toutes 
acquises  par  lui  dans  son  commerce  avec  l'image,  mais 
à  présent  spontanées,  et  qui  opèrent,  tantôt  pour  le 
rapprocher,  tantôt  pour  l'écarter  des  autres  mots  ou 


groupes  de  mots,  images  ou  groupes  d'images.  De- 
cette  façon,  le  nom  tout  seul  peut  tenir  lieu  de  l'image 
qu'il  éveillait,  et,  par  suite,  de  Texpérience  qu'il  rappe- 
lait ;il  fait  leur  office,  il  est  leur  5i<&6'^27i(^.  " 

Ainsi  parle  un  homme  de  sens,  un  observateur  ingé- 
nieux, un  penseur  pénétrant.  Les  mots  sont  des  signes, 
rien  de  plus,  et  l'exactitude  dans  leur  emploi  procédera 
d'une  connaissance  approfondie  de  ces  signes,  de  leurs 
nuances,  de  leurs  détails.  Certes,  à  l'origine,  ces  signes 
«eux-mêmes  ont  pu  être  choisis  ou  composés  dans  un 
certain  rapport  d'harmonie  avec  l'objet  qu'ils  devaient 
rappeler,  quelquefois  frappant.  Mais  la  dualité  du  signe 
et  de  la  chose  n'eri  est  pas-  moins  certaine.  Du  respect 
de  cette  dualité  vont  sortir  toutes  les  règles  et  les 
qualités  du  langage,  sa  clarté,  sa  force,  sort  rythme,  sa 
résonnance.  De  la  méconnaissance  de  cette  dualité, 
l'obscurité,  l'incohérence,  la  transformation  de  la  lan- 
gue en  simple  musique.  A  cela  aboutissent  fatalement 
ceux  qui  ne  voient  plus  que  le  mot,  ceux  qui  sont  pris 
de  sa  folie  :  les  Verbolàtres  !  dont  nous  tenterons  la 
physiologie  dans  un  prochain  article. 


XAVIER  MELIERY 

Notre  collaborateur  Camille  Lcmonnier  a  publié  récemment, 
dans  la  Gazelle  des  Beaux- Arts,  sur  cet,  admirable  artiste,  fré- 
quemment cité  dans  nos  rolonni^s,  une  vibrante  élude  dont  nous 
détachons  un  fragment.  Il  résume  excellemment  les  aspirations, 
l'art,  la  physionomie  du  peintre  : 

Son  art  est  basé  sur  la  recherche  du  caractère,  la  volonté  de 
marquer  fortement  le  type,  le  besoin  de  rendre  sensibles  les  plus 
furlives  particularités  de  l'action.  Dans  un  ordre  de  sujets  fami- 
liers, généralement  empruntés  aux  mœurs  du  peuple,  il  a  élevé 
jusqu'au  style  l'apparente  vulgarité  de  la  condition  humaine.  Un 
portefaix,  un  paysan  chargeant  ses  fumiers,  un  braconnier  appuyé 
sur  son  fusil  prennent  à  travers  son  nerveux  dessin,  brutal  par 
moments  à  force  dedécision,  une  beauté  mule  et  burinée.  Comme 
tout  véritable  artiste,  il  impose  à  la  nature  le  despotisme  de  la 
vision  qoTth^jjîst  personnelle  et  l'oblige  à  entrer  dans  les  moules 
de  sa  pensée.  Sa  manière,  une  fois  qu'on  l'a  étudiée,  s'imprime 
iiiouhliablemenl  dans  la  mémoire:  il  marque  le  Réel  d'une  estam- 
pille qui  ne  i)ermct  pas  la  confusion. 

On  lui  a  reproché  rasj)ect  gris  de  ses  dessins  et  de  sa  poin- 
ture. La.  lumière,  en  effet,  n'y  ruisselle  presque  jamais  :  il  l'en- 
trevoit à  travers  des  sourdines  et  Tégoutie  en  clartés  estompées, 
d'une  pâleur  à  la  longue  monotone.  L'air  semble  aussi  manquer 
parfois  autour  de  ses  figures  trop  durement  incrustées,  comme 
des  cloisonnés  dans  les  pâtes  d'une  potiche  japonaise.  Enfin  la 
fugacité  des  choses  soumises  à  de  brusques  variations  comme 
l'eau,  le  ciel,  les  iieures  du  paysage,  échappent  à  son  talent  un 
peu  lent  et  médiocrement  subtil.  Il  est  Ihomme  des  expressions 
patiemment  dégagées,  des  physionomies  graduellement  tirées  de 
leur  passivité,  des  mouvements  dont  il  est  permis  de  suivre  pres- 
que trait  par  trait  les  évolutions  successives.  Quelque  chose  de 
la  placidité  des  portraits  de  Holbein,  de  Pourbus,  de  Cranach, 
semble  régner  en  ses  ligures,  d'une  expression  parfois  archaïque 
en  leur  calme  concentré. 

Notre  modernité  nerveuse  ne  devait  pas  loucher  un  esprit  aussi 
peu  sensible  aux  excitations  maladives.  Aussi  s'est-il  tenu  écarté 
des  complications  et  des  raffinements  de  l'être  passionnel,  tel  que 
l'a  fait  notre  civilisation  excessive,  pour  s'attacher  de  préférence 
aux  créatures  rudimentaires,  demeurées  dans  un  demi-étal  de 


nature.  Obéissant  aux  infinités  qui  le  portaient  vers  les  humbles 
et  les  ignorés,  il  a  exprimé,  avec  une  symi)alhic  douloureuse, 
mais  sans  dogmatisme,  comme  il  convient  à  un  obsiM-valeur 
impartial,  le  délaissement  des  vieilles  gens  pauvres,  les  muettes 
tristesses  du  travailleur,  les  mélancolies  de  la  vie  de  misère.  Ce 
n'est  point  la  sentimentalité  élégiaque  d'un  Israèls  ou  d'un  de 
Groux  :  une  pudeur  de  résignalfon  préserve  ces  déshérité  des 
larmes  iuulile.  Ils  se  contentent  de  porter  au  front  la  fatalité  de 
leur  condition  souffrante  ;  la  monotonie  du  devoir  journellement 
accompli  leur  donne  un  air  d'indifférence  lassée;  ils  ont  dans  les 
yeux  et  dans  le  pli  de  h  bouche  la  nostalgie  des  bonheurs  irréa- 
lisables. • 

'■,.'••  .  ■  ■  '      '      - 

Cette  austérité  reparaît  constamment  chez  Mellerv  :  même  ses 
enfants  ne  rient  nas,  comme  s'ils  pressentaient  les  *âprelés  pro- 
chaines et  sur  leur  petite  f.ice  figée,  où  s'immobilise  le  sans,  se 
lit  déjà  l'inquiétude  des  destinées.  Avec  de  pareilles  prédisposi- 
tions, on  s'attendrait  à  des  forces  émaciées  et  rabougries,  â  des 
silhouettes  laminées,  à  un  étalage  de  maigreurs  et  de  difformités. 
Au  contraire,  le  peintre  a  le  goût  de  la  be!h>  santé,,  di  s  attitudes 
héroïques,  des  anatomies  dc'ployées  ;  In  diïchéance  du  corps  n'est 
pas  chez  lui  la  conséquence  nécessaire  des  passives  souffrances 
de  l'esprit.  Ses  ouvriers  et  ses  paysans  ont  le  robuste  tempéra- 
ment sanguin  des  Flandres;  jusqu'en  ses  béguines,  on  sent  cou- 
ler la  sève  des  matrones  saines;  et  il  aimé  modeler  la  nudité 
enfantine  dans  les  chers  potelées  et  dodues.  C'est  qu'il  se  rattache 
lui-même  à  cette  vieille  race  flamande  dont  il  déiaille  avec  tant 
de  force  les  activités  concentrées  et  les  méditatives  torpeurs. 

Une  impression  surnage  dans  l'ensemble  de  sa  production  :  le 
Silence.  Il  aftectionne  les  béguinages,  les  oratoires,  les  chambres 
closes  les  coins  d'ombre  et  de  solitude  où  la  vie  agonise.  Le  bruit, 
la  turbulence  du  geste,  la  passion  expirent  dans  le  calme  assoupi 
de  son  œuvre,  comme  au  seuil  d'un  lieu  d'apaisement.  Vous  ne 
trouverez  point  chez  lui  d'attitudes  violenter,  mais  des  mouve- 
ments rythmés.  Un  peu  de  songe  s'attache  à  tout  ce  qui  sort  de 
sa  main  et  trahit  les  habitudes  contemplatives  de  son  esprit.  Cet 
artiste  d'une  physionomie  si  à  part  vit  recueilli  dans  un  atelier 
perdu  aux  extrémités  de  lu  ville,  loin  du  monde  dont  il  déteste 
lés  sujétions,  avec  la  gravité  pensive  d'un  homme  à  qui  l'art 
suffit  et  qui  s'éi'oute  vivre  dans  les  patientes élaborations  de  l'ate- 
lier. 


JjIVRE^    NOUVEAUX 


Nelly  Mac  Edw^ards,  mœurs   américaines,   par 

M.  DE  WoELMONT.  Parls,  Plo\  Nourrit  et  G'«,  1885. 

Un  petit  calepin  retrouvé  fort  à  propos  par  Philippe  de  Luchy 
dans  le  parc  de  Hawlhornden  au  cours  d'une  excursion  en  Ecosse 
et  restitué  à  sa  propriétaire,  Miss  Nelly  Mac  Edwards,  seft  de  lien 
entre  les  deux  parties  du  livre. 

Philippe  avait  fait  la  connaissance  de  Nelly  h  bord  du  Goclnnd^ 
l'année  précédente,  durant  la  Iraversétî  de  Ne\y-York  à  Liverpool, 
et  sans  le  petit  calepin,  il  n'eût  probablement  plus  jamais  songé  à 
la  jolie  Américaine. 

11  eût  pu,  il  est  vrai,  après  après  avoir  ramassé  le  p;'tit  calepin, 
le  remettre  sans  l'ouvrir  au  concierge  du  parc  ou  au  premier 
policeman  venu.  Mais  alors,  le  lil  ténu  qui  rattache  les  uns  aux 
autres  les  éj)isodes  du  roman  eût  été  cassé  net.  Il  n'y  eût  même 
plus  eu  de  roman,  et  M.  de  Woelmonl  eût  été  obligé  d'imaginer 
aulrc  chose  pour  encadrer  ses  mœurs  américaines» 

Grâce  au  petit  calepin,  tout  s'enchaîne.  M.  de  Woelmont  est 
sauvé  et  son  héros  passe  quelques  mois  heureux  dans  l'adoration 
de  la  belle  étrangère. 

Il  est  vrai  que  sa  trouvaille,  après  avoir  donné  à  Philippe  le 
bonheur,  devient  pour  lui  la  cause  indirecte  d'une  douleur  1er- 


V 


rible  :  sa  fiancée  péril  dans  une  calaslroplie  (Je  chemin  de  fer, 
ce  qui  est  bien  américain  n'esl-ce  pas?  el  termine  le  voIum(!  d'une 
façon  nrôins  banale  qu'un  mariage. 

Fatal  petit  calepin  !  La  vie  de  Philippe  est  brisée.  Son  rêve  est 
évanoui.  L'auteur  n'a,  pour  liquider  son  héros,  que  Iç  choix  entre 
les  moyens  violents  :  le  suicide,  la  folie  ou  la  trappe.  Oh  !  que 
ncnni.  M.  de  \Yoelmonl  se  révèle  tout  à  coup  observateur  subtil 
et  analyste  profond  :  Luchy,  après  celte  dramatique  aventure, 
se  fait  remarquer  dans  les  courses  de  gentlemen-ridcrs  et  nul  ne 
met  plus  d'entrain  que  lui  h  diriger  un  cotillon. 

C'est  donc  un  égoïste,  un  être  abominable  qui  s'est  joué  de 
l'amour  de  celte  enfant  confiante?  Nullement.  Mais  l'amoin\  s'il 
est  toute  l'existence  de  la  fewme,  n'est  'qu'u7i  épisode  dans  la  vie 
de  l'homme.        . 

Et  cette  étude  tâtonnante  et  cahotée,  qui  trahit  une  main  inex- 
périmentée mais  auissi  de  la  chaleur  et  de  l'observation,  est  ter- 
mince  par  un  trait  juste,  paraphrasant  avec  netteté  la  pensée 
philosophique  de  Byron. 

Tel  est  le  livre  nouveau  de  l'auteur  des  Souvenirs  du  Far- 
West  ^,  qui  faisaient  dérouler  aux  yeux  des  lecteurs  les  charmes 
de  l'existence  nomade  dans  la  prairie,  le  winchester  à  l'épaule. 

Ce  n'est  plus  un  récit  de  voyages  que  fait  l'écrivain.  Élargis- 
sant son  horizon,  il  aborde  le  roman,  mais  un  roman  auquel 
discrètement  il  mêle  des  souvenirs  de  touriste.  Le  volume  tient 
donc  le  milieu  entre"  les  deux  genres.  Les  dialogues  de  ses  per- 
sonnages paraissent  un  peu  inspirés  de  ceux  du  Tour  du  Monde^ 
de  Jules  Verne,  et  les  silhoueltef  de  ses  personnages  ne  sont 
qu'ébauchées.  Mais  l'intérêt,  cette  chose  capitale  du  roman,  ne 
languit  pas  et,  somme  toute,  Neily  Mac  Edwards  constitue  une 
lecture  plus  attrayante  que  bon  nombre  de  ses  sœurs  littéraires. 


Nous  apprécierons  dans  notre  prochain  numéro  le  livre  de 
critique  que  M.  Francis  Naulet  vient  de  faire  paraître  sous  le. 
titre  :  Notes  sur  la  littérature  moderne  et  auquel  nous  avons 
fait  allusion  dimanche  dernier. 


fHROJMiqUE    JUDICIAIRE     DEp    ART? 

Les  potiches  japonaises. 

Une  question  de  droit  qui  présente,  au  point  de  vue  des  ventes 
publiques  dantiquités  et  d'objets  d'art,  une  importance  assez  consi- 
dérable, est  actuellement  soumise  à  la  délibération  du  tribunal 
correctionnel  de  Bruxelles, 

Sur  la  plainte  d'un  marchand  de  chinoiseries  de  celte  ville,  le 
parqu'et  a  fait  saisir  dans  une  salle  de  ventes,  au  moment  où  ils 
allaient  passer  aux  enchères,  un  grand  nombre  de  potiches,  de 
cornets,  de  plats,  de  vases,  etc.,  en  porcelaine  moderne  du  Japon, 
ces  objets  tombant,  d'après  lui,  '^sous  l'application  de  la  loi 
du  20  mai  1846  qui  interdit  les  ventes  en  détail,  à  cri  public, 
des  marchandises  neuves.  L'accroissemeni  donné  en  ces  dernières 
années  aux  ventes  de  faïences  et  de  porcelaines  de  la  Chine  et  du 
Japon  donne  à  la  solution  du  procès  un  intérêt  de  principe  capital. 

A  l'audience  de  la  78  chambre,  présidée  par  M.  Jamar,  devant 
laquelle  ont  été  renvoyés  le  directeur  de  la  vente  et  l'huissier  instru- 
mentant, MMes  Edmond  Picard  et  Octave  Maus,  conseils  des  pré- 
venus, ont  soutenu  que  les  objets  en  question  ne  penvent  rentrer 
dans  la  catégorie  des  marchandises  neuves  visées  par  la  loi. 


{*)  Voy.  l'Art  modenie,  1883,  p.  145. 


D'après  eux,  lés  porcelaines  du  Japon  constituent  des  objets  de  , 
décoration  qui  né  peuvent  être  confondus  avec  les  marchandises 
d'usage  quotidien  telles  que  les  assiettes,  les  plats,  les  tasses,  qui  se 
vendent  par  douzaines  et  que  seuls  le  législateur  a  eu  en  vue.  En 
outre,  le  caractère  de  nouveauté  exigé  par  la  loi  n'est  nullement 
étabh,  les  porcelaines  japonaises  et  autres  présentées  en  vente 
publique  ayant  pu  passer  par  divers  intermédiaires  avant  d'être 
exposées  aux  enchères.  La  défense  a,  entin,  plaidé  l'entière  bonne- foi 
des  prévenus,  la  vente  à  cri  public  des  vases,  potiches  et  plats  chinois 
et  japonais  étant,  depuis  vingt  ans  et  plus,  usitée  à  Bruxelles,  sans 
que  jamais  aucune  plainte  ait  été  formulée. 

Le  tribunal  a  retenu  l'affaire  en  délibéré  et  renvoyé  au  13  août  le 
prononcé  du  jugement,  que  nous  ferons  connaître  à  nos  lecteurs. 

Statuettes  pu  presse-papiers  ? 

Le  tribunal  correctionnel  de  la  Seine  vient  de  rendre  une  intéres- 
sante décision  en  matière  de  contrefaçon  artistique. 

Un  fabricant  de  bronzes  d'art,  M.  Soleau,  avait  acquis  la  propriété 
de  deux  statuettes  qu'il  eut  l'idée  de  monter  en  presse- papiers  et  qui 
eurent  un  débit  considérable.  C'étaient  YEnfant  à  la  gourde  et 
VAtnour  cymbalier  (ou  YEnfant  couché). 

Le  succès  de  ces  œuvrettes  tenta  la  contrefaçon,  et  bientôt 
M.  Soleau  fut  obligé  d'assigner  devant  le  tribunal  correctionnel  un 
de  ses  anciens  employés,  qui  s'était  empressé  de  copier  les  deux 
modèles  en  y  faisant  quelques  moditications  de  détail  insignifiantes. 

Le  prévenu  excipa  d'une  fin  de  non  recevoir  tirée  de  ce  que  les 
deux  statuettes  étaient  des  objets  industriels,  non  artistiques,  et 
qui  n'étaient  par  conséquent  pas  protégés  par  la  loi  de  1793.  Mais  le 
tribunal  n'accueillit  pas  ce  moyen  et  rendit  le  19  mai  dernier  uni 
jugement  dont  voici,  quant  à  cette  question,  les  principaux  consi- 
dérants :    . 

«  Attendu  qu'il  appartient  au  tribunal  d'exartiiner  si  les  deux 
sujets  litigieux  oft'rent  le  caractère  artistique  qui  permet  de  les 
placer  sous  la  protection  de  la  loi  de  1793  ; 

"  Attendu  que  ce  caractère  résuUe  au  plus  haut  degré  de  l'aspect 
présenté  par  les  objets  déposés  sur  le  bureau  du  tribunal  ; 

«  Qu'en  effet,  et  sans  qu'il  convienne  d'analyser  dans  son  ensemble 
et  dans  ses  détails  la  valeur  esthétique  de  YEnfant  à  la  gourde  et  de 
YEnfant  couché,  il  est  certain  qu'on  se  trouve  en  présence  d'une 
œuvre  évidemment  inspirée  par  une  pensée  artistique; 

«  Attendu,  il  est  vrai,  que  les  statuettes  dont  s'agit  sont  désignées 
comme  statuettes  presse-papiers,  mais  que  cette  adaptation  d'une 
œuvre  d'art  à  un  objet  faisant  partie  du  mobilier  des  bureaux  ne 
peut  en  aucune  façon  enlever  à  ces  statuettes  la  protection  de  la  loi 
de  1793;  que  cette  protection  doit  leur  rester  d'autant  plus  acquise 
que,  dans  l'espèce,  le  mariage  de  l'œuvre  d'art  avec  l'objet  usuel  est 
tel  que  la  séparation  en  serait  logiquement  impossible  ; 

Et  quant  à  la  contrefaçon  elle-même,  le  tribunal  pose  le  principe 
suivant  : 

«  Attendu  que,  tout  en  reconnaissant  qu'en  matière  d'art  on  peut 
Jraiter  un  sujet  traité  par  d'autres,  utiliser  une  idée  déjà  utilisée, 
c'est  à  la  condition  que  l'ensemble  ne  sera  pas  le  même,  et  surtout 
que  l'aspect  général  ne  sera  pas  tel  qu'il  puisse  amener  une  confu- ' 
sion  ; 

«  Attendu  qu'il  suffit  de  rapprocher  les  deux  modèles  de  Soleau 
des  objets  argués  de  contrefaçon  pour  démontrer  que  la  confusion 
est  possible  même  pour  un  regard  exercé;  que  l'on  retrouve  dans  les 
objets  saisis  un  aspect  absolument  identique  à  celui  des  modèles  du 
plaignant,  etc.  ; 

En  conséquence,  le  prévenu  est  condamné  à  200  francs  d'amende, 
à  500  francs  de  dommages-intérêts  envers  la  partie  civile  et  à  l'in- 
sertion du  jugement  dans  quatre  journaux  au  choix  de  cette  dernière. 


A 


ï 


258 


VART  MODERNE 


m 


A  PROPOS  DES  PRIX  DE  ROME 

M.  JiicqueS  Champal  —  un  pseudonyme  sous  lequel  se  cache 
un  aiiiste  d'une  rare  personnalilé —  publie  celte  semaine  dans  le 
Nationaly  au  sujet  des  prix  de  Rome,  quelques  observations 
intéressâmes  :  . 

On  discute  beaucoup  sur  la  nature  des  modificalions  que 
peuvent  apporter,  chez  un  artiste,  les  visites  aux  collections  et 
musées  étrangers.  Les  gouvernements,  par  l'inslitulion  des  «  Prix 
de  Rome  »,  ont  créé  une  recette,  établi  un  itinéraire  pour  ces 
voyages  qui  achèvent,  dans  leur  esprit,  réducalion  commencée 
par  les  écoles  et  académies  des  beaux-arts.  Quelques  artistes  véri- 
tables, faisant  une  opposition  systématique  au  codex  officiel, 
déclarent  ces  tournées  artistiques  nuisibles  à  la  personnalité.  Les 
uns  et  les  autres  pèchent  par  exagération.  On  doit  laisser  dépen- 
dre cette  question  de  rcntraînement  logique  de  chaque  tempéra- 
ment. Oui,  il  faut  que  chacun  aille  où  le  poussent  ses  aspirations, 
ot  parle  au  moment  psychologique  de  ses  désirs. 

Nous  ne  dirons  pas  que  l'artiste  doit  pressentir  h  son  départ 
quels  tableaux  l'émôlionneront  exclusivement  ;  mais  nous  sommes 
convaincus  que  voyager  pour  débrouiller  un  tempérament  récal- 
cilrantr  n'est  d'aucune  efficacité  comme  remède  'à  ce  cas  incu- 
rable. Si  l'élève  primé  n'a  rien  en  lui  de  caractérisé,  les  verdeurs 
des  maîtres  ne  le  ragaillardiront  pas  ;  ses  yeux  traîneront  avec 
lîissilude  sur  les  chefs-d'œuvre  fameux. comme  les  plumeaux  des 
musées  bien  tenus;  — à  moins  que,  faisant  pis  encore,  il  ne 
commette  lune  ou  l'autre  copie  inepte  et  fruste. 

La  silencieuse  Venise,  illuminée  comme  une  apparition,  inspira 
Wliisllor  daus  d'inoubliables  eaux-forles.  Renoir,  l'impression- 
niste parisien,  a  fait  plusieurs  voyages  h  Napks  pour  savourer  les 
décolorations  subtiles  des  fresques  trUerculaiium  et  de  Pompéï. 
On  cite  un  arlisle  moderniste  parti  dans  l'unique  but  de  voir  les 
petits  bronzes  pompéiens  ;  un  autre  pour  faire  une  religieuse  visite 
aux  œuvres  fascinalrices  du  florentin  Bolicelli.  Nous  donnons 
ces  exemples  pour  montrer  combien  on  peut  butiner  diffi^rem- 
ment  dans  ces  parterres  aux  parfums  si  variés.  Ce  que  ces  artistes 
ont  rapporté  de  souvenir  n'a  pas  atteint  les  qualités  personnelles 
de  leur  interprétation,  puisqu'ils  ne  se  sont  vus  attirés  que  par 
ce  qu'ils  comprenaient.  Ces  contemplaliDUS  artistiques,  an  con- 
traire, ont  donné  par  la  suite  h  leurs  œuvres,  outre  leur  sentiment 
de  modernisme,  une  conscience  secrète  de  leur  affiliation  logique 
au  passé,  qui  les  a  rendues  durables,  presque  éternelles. 

L'atavisme  de  l'art,  qui  accuse  d'abord  une  puissante  pénétra- 
lion,  a  souvent  donné  des  œuvres  plus  modernes,  dans  le  sens 
philosophique  du  mot,  que  celles  inspirées  uniquement  par  la  vie 
extérieure  actuelle. 

Les  voyages,  qui  ouvrent  de  tels  horizons  aux  croyants,  de- 
viennent des  pèlerinages  sacrés,  qu'une  circonstance  étrangère 
au  but  particulier  de  chaque  artiste  peut  changer  en  de  vulgaires 
excursions.  Le  règlement  des  «  Prix  de  Rome  »,  en  d  sposant 
des  artistes  comme  un  ministre  des  affiiires  étrangères  agirait  à 
l'égard  d'attachés  d'ambassade,  doit  fréquemment  brusquer  les 
intentions  des  pensionnaires.  Berlioz,  dans  ses  mémoires,  consi- 
dère son  séjour  trop  prolongé  à  Rome  comme  un  véritable  exil. 
Il  erra,  dit-il,  pendant  de  longs  mois  dans  la  campagne  de  Rome, 
désespéré,  n'écrivant  plus  une  note  de  musique.  Carpeaux  aussi 
eut  beaucoup  à  souffrir  pendant  (ju'il  habitait  la  «  Villa  Médicis  », 
essayant  de»sc  réfugier  d'anfî  le  travail  d'une  œuvre  personnelle. 


D'autres  exemples  encore  prouveraient  à  l'évidence  que  beau- 
coup de  grands  artistes  n'ont  trouvé  dans  les  avantages  du'tc  Prix 
de  Rome  »  que  la  pûtée  quotidiennement  servie.  —  Plusieurs 
d'entre  eux  sont  retournés  en  Italie,  parce  que  la  réglementation 
à  laquelle  ils  étaient  soumis,  comme  «  Prix  de  Rome  »,  avait  été 
pour  leur  tempérament  un  bandeau  agaçant,  une  entrave  com- 
plète. 


JhÉ/iTRE^ 

Nous  avons  annoncé  que  M.  Emile.  Mathieu  venait  de  lire  à 
M.  Verdhurt  le  poème  auquel  il  travaille  en  ce  moment  et  qui 
portera  pour  titre  Richilde.  Voici,  d'après  le  Joiitmal  des  Beaux- 
Art»  y  le  résumé  de  l'action,  qui  prête,  on  le  verra,  à  des  situations 
très  dramatiques  :  ^ 

Richilde,  comtesse  de  Flandre,  et  sa  fille  Odile  aiment  Ôsbern, 
preux  chevalier,  qui  soutient  leur  cause  contre  Robert  le  Frison. 
Odile  surprend  le  secret  de  sa  mère  et,  de  désespoir,  se  jette  dans  le 
fleuve.  —  Osbern  épouse  Richilde,  mais  ne  peut  s'arracher  au  tendre 
souvenir  de  la  morte;  au  contraire,  cet  amour  l'obsède  et  le  détache 
de  l'amour  de  sa  femme.  Celle-ci,  sentant  le  cœur  de  son  mari  lui 
échapper,  soupçonne  quelque  intrigue  et  le  fait  épier.  La  guerre  se 
poursuit.  Osbern,  dans  l'incendie  d'un  monastère,  sauve  une  nonne  : 
c'est  Odile,  —  qui,  échappée  par  miracle  aux  flots,  a  cherché  l'oubli 
dans  le  cloître.  Les  deux  amants,  dans  une  ardente  étreinte,  s'avouent 
enfin  leur  mutuelle  tendresse,  et  laissent  éclater  leur  amour  en 
baisers  et  en  larmes.  Osbern  est  mortellement  blessé  à  la  bataille  de 
Cassel  ;  Richilde  vient  insulter  à  son  agonie,  lui  reproche  ses  amours 
adultères,  dont  l'espion  l'a  informée,  et,  avec  une  joie  de  vengeance 
satisfaite,  lui  annonce  qu'elle  a  fait  tuer  sa  complice.  Osbern  s'écrie 
qu'elle  a  tué  non  pas  sa  rivale,  mais  sa  fille,  —  et  meurt. 

Nous  apprenons  que,  suivant  l'exemple  donné  par  les  théâtres 
parisiens,  la  nouvelle  direction  du  théâtre  de  la  Monnaie  organisera 
pendant  la  prochaine  saison,  des  matinées  à  prix  réduits  qui  auront 
lieu  le  dimanche.  M.  Verdhurt  a  engagé  pour  chaque  emploi,  outre 
les  artistes  en  renom  constituant  un  personnel  de  premier  ordre,  un 
certain  nombre  de  débutants  qui  formeront,  à  côté  de  l'armée  aguerrie 
qui  ouvrira  la  campagne,  une  jeune  troupe  dont  les  débuts  promet- 
tent d'être,  très  intéressants.  C'est  ainsi  que  parmi  les  falcons,  ou 
voit-figurer  à  côté  de  Mn>«  Montalba,  M"es  Clario  et  Fierens,  etc. 
C'est  la  jeune  troupe  qui  sera  spécialement  chargée  d'interpréter  les 
opéras  eu  matinée.  Le  premier  spectacle  de  ce  genre  se  composera 
vraisemblablement  du  Trouver 


immm  liNivtRSELiE  des  beaijx-arts,  a  mm. 

Le  jury  belge  d'admission  s'est  réuni  cette  semaine  à  Anvers  pour 
procéder  au  remplacement  de  MM.  De  Key.*er  et  Robie,  qui  n'ac- 
ceptent pas  les  fonctions  de  membres  du  jury  international  des 
récompenses. 

Ont  été  élus  :  MM.  Slingeneyer  et  Verlat.  ' 

Comme  membre  suppléant  en  remplacement  de  M.  Cluysenaer, 
démissionnaire,  M.  Van  Camp. 

ACQUISITIONS  (iiaVt'). 

Peinture  :  "Wergeland,  Maçons  de  Munich  au  déjeuner.  — 
Mert^ns,  L'imprimerie  en  taille  douce.  —  Abry,  De  garde.  — 
Runipler,  Tableau  de  genre.  —  Heyermans,  L'orage.  —  Botkine, 
Atelier  de  poterie.  —  Battaglia,  Anna  (aquarelle). 


■Mi 


Sculpture  :  Barbella,  ....  faut  me  croire  (bronze  à  la  cire  perdue). 

Peinture  :  D'Huart,  La  deivtière  neige.  —  M"'  Beernjaert,  Les 

saules  [Domburg).  —  De  Keyser^  Mignon.  — Norraann,  Naero fjord 

en  Noi^''ège.  —  Mellery,  Jeunes  filles  de  Vile  de  Marcken  (Hollaude) 

(aquarelle).  ' 

Sculpture  :  Lambeaux,  7*^'fc  cfc/anrm'stc  (marbre). 


^ETITE    CHROJ^IiqUÈ 


M.  Emile  Verhaeren,  qui  a  publié  à  diverses  reprises  dans  Y  Art 
moderne  des  articles  très  remarqués,  vient  d'être  attaché  officielle- 
ment à  la  rédaction  de  notre  journal. 

A  dater  de  la  semaine  prochaine,  l'auteur  des  Flamandes  collabo- 
rera régulièrement  à  VArt  tnodeime.  Il  sera  spécialement  chargé  de 
la  chronique  des  livres. 

Un  industriel  de  la  rue  des  Minimes  a  trouvé  le  moyen  d'ouvrir 
un  café  chantant  sans  bourse  délier.  Le  moyen  est  ingénieux  et 
vraiment  pratique.  Il  a  tout  simplement  placé  en  évidence,  à  la 
fenêtre  de  son  établissement,  un  écriteau  portant  ces  mots  :  Réou- 
verture de  l'ancien  Cheval  de  bronze.  Café  concert.  Les  ainateurs 
seront  adonis  à  chanter  toutes  les  chanchons,  sauf  les  obscènes. 

Et,  pour  allécher  davantage  encore  le  public,  le  propriétaire  de  cet 
étonnant  café-concert  a  ajouté  :  Pas  quête,  ce  qui  signifie  vraisem- 
blablement qu'il  n'est  pas  fait  de  collecte  après  les  morceaux  de 
chant.  Parbleu  !  Si  ce  sont  des  amateurs! 

Nous  souhaitons  un  vif  succès  à  Bazoef  imprésario. 


Toujours  bien  renseigné  sur  ce  qui  se  passe  à  Bruxelles,  le  Ménes- 
trel. Dans  sou  dernier  numéro,  il  annonce  que  M™»  Montalba, 
M.  Dereims  et  M.  DubuUe  ont  débuté  le  l«r  août  dans  l'Africaine 
au  théâtre  de  la  Monnaie.  C'est  M.  Verdhurt  qui  doit  avoir  été  sur- 
pris de  cette  nouvelle  imprévue,  s'il  a  déplié  cette  semaine  le  journal 
de  M.  Heugel  I 

M.  Munkacsy  est  en  ce  moment  au  château  de  Golpach,  dans  le 
grand  duché  de  Luxembourg,  où  il  travaille  à  une  toile  immense 
qui  représente  Mozart  à  son  lit  de  mort,  écoutant  ses  amis  qui  lui 
chantent  son  Requiem. 

M"'«  Bosman  a  fait  cette  semaine  son  second  début  à  l'Opéra.  Le 
succès  ne  paraît  pas  avoir  dépassé  une  moyenne  honnête.  Voici,  en 
effet,  ce  qu'en  dit  V Événement  : 

Mme  Bosman  a  fait,  hier  soir,  ce  qu'on  appelle  un  début 
••  propre  »». 

Après  sa  création  d'Hilda  de  Sigurd,  facile  il  était  de  deviner  que 
l'artiste  ne  dépasserait  jamais  certaines  moyennes. 

En  effet,  elle  n'est  pas  allée  au  delà,  mais  elle  n'est  pas  restée  non 
plus  en  deçà. 

Dans  Mathilde,  de  Guillaume,  elle  a  exhibé  —  comme  nous  nous 
y  attendions  —  une  voix  solide,  belle  et  bien  timbrée  dans  le  haut, 
un  peu  ••  faiblarde  >»  sur  le  médium. 

En  résumé,  impression  satisfaisante  après  l'air  de  :  ••  Sombres 
forêts...  n,  impression  passable  après  le  duo  qu'Escalaïs  a  détaillé  à 
ravir,  et  impression  médiocre  après  le  troisième  acte.  —  Un  coup 
d'épée  dans  l'eau,  si  vous  voulez. 

Le  Siegfried  de  Wagner,  qui  n'a  pas  encore  été  donné  à  l'Opéra  de 
Berlin,  y  passera  la  saison  prochaine,  et,  parait  il,  aussitôt  après  la 
réouverture.  Les  rôles  seront  en  partie  distribués  en  double  ;  celui 
de  Siegfried  à  MM.  Niemann  et  Ernst;  Wotan  à  MM.  Krolop  et 
Betz  ;  Brunnhilde  à  M>"e  de  Voggenhuber;  Mime  à  M.  Lieban  qui 
est  venu,  on  s'en  souvient,  l'interpréter  à  Bruxelles  et  qui  en  a  fait 
une  création  magistrale;  l'oiseau  de  la  forêt  à  M»'«  Leisinger.  La 


direction  des  études  est  confiée  à  M.  Kahl,  maître  de  chapelle  de  la 
cour.  Les  répétitions  ont  commencé. 

\jiiie  veuve  Ingres  vient  d'adresser  au  Figaro  la  lettre  suivante  : 
•♦  Monsieur  le  Rédacteur, 

-  Depuis  longtemps  je  désire  rectifier  une  assertion  qui  se  propage 
dans  les  jourr.aux  et  dans  les  mémoires  artistiques  à  propos  de  pré- 
tentions que  M.  Ingres  montrait  pour  son  violon  beaucoup  plus, 
dit  on,  que  j)our  son  pinceau.  Il  est  sûr  qu'il  était  très  bon  musicien 
et  qu'il  adorait  Mozart,  Gluck,  Beethoven.  Mais  jamais  il  n'a  eu  la 
prétention  de  se  poser  en  virtuose,  interprétant  seulement  la 
deuxième  partie  de  violon  dans  les  a<lmirables  quatuors  de  ces 
maîtres  Cette  rectification  me  paraît  nécessaire  pour  ne  pas  laisser 
passer  à  la  postc-rité  un  on-dit  qui  a  tout  l'air  d'un  ridicule.  Je  vous 
serai  très  obligée.  Monsieur,  d  iiLsérer  cette  petite  note  dans  le 
Figaro  qui,  par  sa  grande  publicité,  rectifiera,  j'espère,  une  opinion 
répandue  bien  à  tort. 

«  Recevez  d'avance,  Monsieur,  tous  mes  remerciements,  ainsi  qvie 
l'assurance  de  ma  parfaite  considération. 

«  Veuve  Ingres.  »♦  . 

Les  journaux  suédois  annoncent  que  M"'*  Christine  Nilsson  entre- 
prendra prochainement,  en  compagnie  du  violoncelliste  Adolphe 
Fischer,  une  grande  tournée  de  concerts  eu  Suède,  en  Norwège  et  en 
Danemark.  Le  premier  de  ces  concerts  doit,  avoir  lieu  à  Bergen 
(Norwège)  le  24  août.  Le  17,  le  19  et  le  22  septembre,  la  célèbre 
cantatrice  donnera  trois  auditions  dans  la  salle  de  l'Académie  de 
musique  de  Stockholm. 

Sommaire  du  n°  8  de  la  Jeune  Belgique,  l«r  août  : 

Lysiane  de  Lysias,   Max  Waller.  —  J.  Barbey  d'Aurevilly,  ses 

poésies  inédites  et  ses  livres  perdus,  Joséphine  Péladan.  —  Flemm- 

Oso  (suite),  James  Van  Drunen.  —  Mémento,  ***. 

* 

La  Société  nouvelle.  —  Sommaire  de  la  livraison  de  juillet  : 
Les  Sciences  Sociales  et  leur  méthode,  L.  Bridel.  —  Le  Grec  dans 
sa  vie  religieuse  et  de  famille,  M.  Veydt.  —  Mémoires  de  Maison 
morte,  Dostoievsky.  —  L'Alleinagne  politique,  sociale,  économique 
et  littéraire,  J.  Sketchley.  —  Sophisme  de  vocables,  H.  Brissac  — 
Lettres  des  Pyrénées,  F.  Bordé. — |La  lemme  et  le  droit,  J.  Brouez. 
—  Le  mois.  —  Les  livres. 

Concours  poétiques  du  Midi  de  la  France  (ancien  concours  poé- 
tique de  Bordeaux).  —  Trente-cinquième  concours  poétique  du 
15  août  au  1'"''  décembre  1885.  Vingt  médailles,  or,  argent  et  bronze. 

Demander  le  programme  à  M.  Evariste  Carrance,  président  <\\i 
Comité,  6,  rue  du  Saumon,  à  Agen,  Lot  et-Garonne. 

Anvers.  —  Concours  pour  le  monument  d'Henri  Conscience. 
Base  de  ce  monument  (caveau  de  la  famille  au  cimetière  de  Kiel) 
5  m.  15  de  longueur  sur  3  m.  75  de  largeur.  S'adresser  au  comité 
central,  au  Musée  Plantin. 

Les  annonces  sont  7'eçiies  au  bureau  du  journal, 
26,  rue  de  V Industrie,  à  Bruxelles. 


V^  AUX  -  HALL 

Tous  les  soirs,  à  8  heures  , .__ 


donné  par  les  musiciens  du  théâtre  de  la  Monnaie  (85  exécutants), 
sous  la  direction  de  MM.  Jehin  et  Herraann. 

Entrée  :  1  franc.  —  Enfants  :  75  centimes. 

Tous  les  jeudis  :  Concei^t  extraoï^dinaire. 

On  peut  se  procurer  une  série  de  20  cartes  d'entrée  pour"  15  francs 
et  une  série  de  20  cartes  pour  enfants  à  10  francs,  chez  MM.  Br«ilkopf 
et  Hàrtel,  Montagne  de  la  Cour,  41. 


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_ 

EST  ENTRÉ  DEPUIS  LE  \"  JANVIER  1885  DANS  SA  CINQUIÈME  ANNÉE 

L'ART   MODERNE  s'est  acquis  par  l'autorité  et  l'indépendance  de  sa  critique,  par  la  variété  de  ses 
informations  et    les   soins  donnés   à  sa   rédaction   une  place  prépondérante.   Aucune   manifestation  de  l'Art  ne 

lui  est  étrangère  :  il  s'occupe  de  littérature,  de  peinture,  de  sculpture,  de  gravure,  de  musique, 

d'architecture,    etc.    Consacré   principalement   au   mouvement   artistique  belge,   il  renseigne  néanmoins  ses 
,  lecteurs  sur  tous  les  événements  artistiques  de  l'étranger  qu'il  importe  de  connaître. 

Chaque  livraison  de  l'ART  MODERNE  s'ouvre  par  une  étude  approfondie  sur  une  question  artistique 
ou   littéraire   dont  l'événement   de   la   semaine  fournit  l'actualité.  Les  expositions,  les  livres    nouveaux,   les 
premières    représentations    d'œuvres    dramatiques    ou    musicales,   les   conférences   littéraires,    les   concerts,    les 
ventes  d objets  cCart,  font"  tous  les  dimanches  l'objet  de  chroniques  détaillées. 

L'ART   MODERNE   relate   aussi   la  législation   et   la  jurisprudence   artistiques.    Il   rend    compte  des 
procès  les  plus  intéressants  concernant  les  Arts,  plaides  devant  les  tribunaux  belges  et  étrangers.   Les 
artistes  trouvent  toutes   les   semaines   dans   son  Memènto   la   nomenclature   complète   dos   expositions   et 
concours   auxquels  ils  peuvent  prendre  part',   en   Belgique  et  à  1  étranger    11  est  envoyé  gratuitement  à 
l'essai  pendant  un  mois  à  toute  personne, qui  en  fait  la  demande. 

L'ART  MODERNE  forme  chaque   année   un  beau   et   fort   volume  d'environ   450  pages,    avec   deux 
tables  des  matières,  dont  Vune  par  ordre  alphabétique,  de  tous  les  artistes  appréciés  jm  cités.  Il  constitue  pour 
l'histoire  de  l'Art  le  document  LE  PLUS  COMPLET  et  le  recueil  LE  PLUS  FACILE  A  CONSULTER. 

PRIX    D'ABONN-KMENT    j    S";,,,   \Z  ^^^  '".  "• 

Quelques  exemplaires  des  quatre  premières  années  sont  en  vente  aux  bureaux  de  l'ART  MODERNE, 
rue  de  ITndustrie,  26,  au  prix  de  30  francs  chacun. 

-    J.  SOHAVYB,  ReUem 

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—  Chant  du  Soir  (nouvelle  édition)  .     .     .     .        '     2.00 

—  •           Balafo,  Polka-Fantaisie 2.00 

. —            Etoiles  scintillantes.  Mazurka 2.00 

KOETTLITZ,  M.  Op.    9.  Barcarolle .    .     .     .     .     .     .             2  00 

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Hollande  Van  Gelder,  25  francs. 

* 

Bruxelles.  —  Iinp.  Félix  Callbwakrt  père,  rue  de  l'Industrie,  2(5. 


Cinquième  année. 


N 


^«  :\:\ 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  16  Aocï  1885. 


L'ART 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVÏÏE  CRITIQUE  DBS  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS   :    Belgique,  un  an,   fr.   10.00;  Union  postale,   fr.    13.00.    —  ANNONCES   :    On   traite   à  forfait. 


A  dresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 

l'administrai  ION  GÉNÉRALE  DE  TApt  Modeme,  PUC  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


Sommaire 


Essai  de  pathologie  LiTriiRviKE.  Les  Verholàtres.  Second  article. 

—  Livres  nouveaux.  La  litt  rature  modetme,  par  Francis  Nautet. 

—  Le  Salon  libre  de  l'Akt  flamand.  —  Les  prix  de  Rome.  — 
Bibliographie  musicale.  Les  œuvres  complètes  de  Schubert.  — 
Chronique  judiciaire  des  arts  —  Théâtres.  Théâtre  de  la  Monnaie. 

—  Exposition  universelle  d'Anvers.  —  Mémento  des  expositions 
KT  concours.  —  Petite  chronique. 


ESSAI  DE  PATHOLOGIE  LITTÉRAIRE 

LES  VERBOLATRES  0 

Se  ond  article 

Tout  verbolâtre  a  commencé  par  être  un  écrivain 
légitimement  préoccupé  de  débarrasser  la  langue  de 
l'odieuse  pauvreté  dont  elle  est  affectée  chez  les  cuistres 
qui  osent  appeler  leur  impuissance  :  la  langue  du 
grand  siècle,  la  langue  de  Corneille.  Oui,  quand  on 
peut  mettre  dessous  la  pensée  des  écrivains  du  grand 
siècle,  la  pensée  de  Corneille.  Mais  qu'elle  apparaît 
affreusement  morne  quand  elle  ne  sert  de  vêtement 
qu'aux  cuistreries  !  Quelque  chose  alors  comme  l'armure 
des  preux  sur  un  mannequin.  En  outre,  qu'est-ce  que 
cette  manie  de  prétendre  confiner  l'Art  dans  la  forme, 
l'allure,  les  dimensions  d'une  époque?  L'art  est  essen- 
tiellement évolutif  et  changeant.  Il  ne  se  recommence 
jamais.  Toute  génération  qui  a  tenté  de  l'arrêter  ou 


(*)  Voir  nos  quatre  dernières  «^tudos  :   Les  Déliquescents,  —  les  Décadents,      I 
—  les  Incohérents,  —  la  Verbolàtres.  I 


d'en  donner  une  répétition  n'a  produit  que  des  œuvres 
misérables.  Fut-il  assez  révoltant,  le  néo-grec  et  le  néo- 
gothique !  Ne  sommes-nous  pas  près  d'en  avoir  assez  du 
néo-flamand?  Quelle  froideur  de  mort  sort  de  ces  soi- 
disant  résurrections  qui  ne  sont  que  des  exhumations  ! 
Dans  chacune  de  ses  formas  passagères  le  beau  germe 
florit,  se  fane  et  ne  repousse  pas.  Il  fut,  mais  ne  saurârl 
plus  être.  Il  faut  en  chercher  un  autre.  Il  faut  admirer 
le  passé  sans  espoir  de  le  renouveler.  Dès  lors  la  litté- 
rature du  grand  siècle  est  finie.  Elle  a  augmenté  le 
trésor  des  chefs-d'œuvre,  mais  ne  doit  pas  être  abaissée 
au  rang  de  modèle  pour  pasticheurs.  Nous  en  avons 
déjà  trop  de  ceux  qui  singent  les  modernes.  Oh!  .l'abomi- 
nable chose  qu'une  génération  occupée  d'imiter  tout  ce 
qui  l'a  précédée!  Oh!  l'horreur  qu'un  enseignement  qui 
n'a  pas  d'autre  principe  !  Athénées,  académies,  univer- 
sités, musées  des  choses  éteintes  où  l'on  s'applique  à 
anéantir  l'originalité  artistique  des  jeunes  intelligences, 
vous  êtes  les  destructeurs  du  beau  à  venir  au  lieu 
'  de  vous  contenter  de  rester  les  conservateurs  du  beau 
accompli.   Vous  confondez  ces  deux  missions  essen- 
tielles :  inspirer  le  respect  des  grandes  œuvres  d'autre- 
fois, susciter  la  volonté  de  créer  de  grandes  œuvres 
originales.  Pour  vous  le  beau  est  un,  et  une  fois  obtenu, 
il  faut  le  rééditer  sans  cesse.  En  vérité  le  beau  est  plus 
tiuctuant  que  les  nues  et  il  faut  ne  le  rééditer  jamais. 
Non,  jamais,  ni  en  peinture,  ni  en  musique,  ni  en 
littérature,  ni  nulle  part.  Cette  langue  classique  qui  fut 
un  grand  art,  ne  no^s'parlez  donc  pas  de  la  reprendre 
en  l'imitant  piteusement,  comme  l'ont  fait  notamment 


262 


VART  MODEENE 


les  fabricants  modernes  de  tragédies,  grotesques  et 
plates.  Il  fallait  pour  nous  une  autre  langue,  et  ceux 
qui  la  cherchèrent,  ceux  qui  Tout  trouvée,  furent  dans 
le  vrai  autant  que  vous  êtes  dans  le  faux. 

Mais  la  métamorphose  a  été  difficile,  et  périlleuse 
pour  plusieurs  de  ceux  qui  s'y  sont  appliqués.  Dans  les 
tentatives  destinées  à  découvrir  des  régions  nouvelles, 
tous  ne  sont  pas  également  trempés  pour  supporter  les 
fatigues  de  l'aventure. 

On  est  loin,  avec  ces  funambules,  de  l'opiniâtre 
recherche  de  l'expression  juste  que  recommandait 
Baudelaire,  l'écrivain  exact  et  prodigieusement  clair 
dans  le  rendu,  même  des  sensations  les  plus  imprévues, 
les  plus  étranges.  C'était  la  pensée  qu'il  voyait,  ljui,'et 
les  mots  devaient  despotiquement  se  soumettre  à  elle. 
Il  ne  voulait  pas  qu'ils  devinssent  une  musique  réson- 
nant pour  elle-même,  ils  restaient  un  accompagnement, 
soulignant  la  pensée,  la  réalisant  plus  forte  et  plus 
visible.  Il  n'y  a  pas  dans  tout  son  œuvre  une  obscurité. 
Son  style  est  bref,  lapidaire,  d'un  beau  son  métallique 
et  net.  Il  est  la  critique  des  bateleurs  d'aujourd'hui 
et  non  le  précurseur  de  leurs  jongleries. 

Enrichir  la  langue,  trouver  l'équation  constante  de 
la.  pensée  et  du  mot,  étaient  des  problèmes  que  seules 
les  natures  d'élite  pouvaient  résoudre  sans  fléchir.  Les 
autres  devaient  tomber  dans  les  pièges  et  les  erreurs 
des  faux  calculs.  Le  mot  toujours  poursuivi,  le  mot  tou- 
jours traqué,  le  mot  saisi,  tourné,  retourné,  le  mot,  le 
mot,  le  mot  !  devint  pour  les  esprits  faibles  une  obses- 
sion. Bien  tôt  la  pensée,  dont  il  est  le  signe,  leur  fut  moins 
visible.  Le  mot,  au  contraire,  grandit  démesurément 
en  ses  proportions,  s'affirma  avec  une  intensité  étrange 
dans  son  coloris.  Cette  dualité  nécessaire  :  la  pensée-le 
mot,  fut  mutilée.  Le  rapport  se  rompit.  Un  de  ces  ter- 
mes disparut,  l'autre  domina  seul.  Et  alors  il  devint 
l'objet  d'un  culte  :  la  vey^holâtrie  était  fondée. 

Dans  l'étude  que  nous  avons  citée  précédemment, 
Paul  Bourget,  fidèle  à  sa  systématisation,  y  voit  une 
expression  très  nette  de  la  décadence.  De  même  que 
l'anarchie  décadente  se  manifeste  dans  les  sociétés  par 
la  substitution  du  groupe  à  l'ensemble,  de  l'individu  au 
groupe,  ainsi,  d'après  lui,  en  littérature,  la  décadence 
se  révèle  par  la  substitution  de  la  phrase  au  livre,  du 
mot  à  la  phrase.  La  littérature  décadente,  c'est  la  litté- 
rature des  mots.  C'est  ingénieux  et  d'un  assez  bel  aspect 
théorique.  Mais,  outre  qu'il  y  a  trente-six  manières 
d'être  décadents  en  littérature,  il  y  a  témérité  à  prendre 
pour  un  affaissement  général  les  infirmités  de  quelques 
malheureux  insuffisamment  solides  pour  supporter  les 
dangers  des  entreprises  où  ils  se  sont  jetés.  Qu'ils  en 
deviennent  malades  et  que  le  public  assiste  au  dévelop- 
pement de  la  fièvre  mentale  qui  les  tourmente,  soit. 
C'est  le  cas  des  médecins  qui,  dans  les  épidémies,  meu- 
rent du  mal  qu'ils  soignent.  Mais  dire  que  ces  cholé- 


riques isolés  donnent  l'étiage  de  la  santé  commune,  on 
ne  saurait  l'admettre.  On  ne  juge  pas  d'une  population 
par  ceux  qui  sont  à  l'hôpital  ou  qu'il  y  faudrait  mettre. 
,  La  verbolâtrie,  à  son  dernier  paroxysme,  c'est  le  cas 
d'Adoré  Floupette.  Les  mots,  pour  lui,  ne  sont  plus  des 
signes,  destinés  à  rappeler  des  réalités.  Non.  Ils  sont 
eux-mêmes  des  réalités,  des  objets,  des  êtres,  ayant 
leur  physionomie,  leur  taille,  leur  couleur,  leur  odeur. 
Le  monde  intérieur  des  idées  n'existe  plus.  Il  n'y  a  que 
des  mots.  Ce  sont  eux  qui  vont.viennent,  parlent,  chan- 
tent, évoluent.  Chacun  d'eux  est  une  unité  douée  des 
trois  dimensions.  Figurez-vous  un  théâtre  où  s'agitent 
des  acteurs  revêtus  des  costumes  de  leurs  rôles;  ima- 
ginez, insensiblement,  sous  les  vêtements,  les  corps  se 
dissolvant  :  les  bras  disparaissant  des  manches,  les 
jambes  des  jupes,  puis  les  corps,  puis  les  têtes.  Il  ne 
reste  que  les  oripeaux,  tenant  ensemble  par  un  prodige, 
continuant  à  aller,  venir,  danser,  gesticuler.  C'est  la 
scène  fantastique  qui  se  produit  dans  le  cerveau  du 
verbolâtre.  Il  ne  s'y  trouve  plus  que  des  défroques  et 
rien  dedans,  il  ne  s'y  trouve  plus  que  des  mots. 

Et  pour  chacun  d'eux,  il  se  sent  pris  d'une  admira- 
tion cabalistique.  Il  lui  découvre  des  vertus  extraordi- 
naires. Ils  deviennent  pour  lui  plus  vivants  que  les 
choses  vivantes.  Dans  son  hallucination  à  la  fois  grotes- 
que et  funèbre,  il  fait  agir  ces  haillons  mortuaires  sur 
un  théâtre  de  marionnettes.  Lui  seul  a  la  clef  du  spec- 
tacle, et  il  le  trouve  merveilleux.  Lui  seul  sait  et  voit 
ce  qu'il  a  mis  sous  chacun  de  ces  fantoches,  lui  seul 
renifle  leur  odeur,  lui  seul  aperçoit  leur  couleur,  lui 
seul  entend  leurs  petits  cris.  Il  prend  en  pitié  quiconque 
ne  distingue  pas  ce  ballet  d*ombres  impalpables,  ettient 
pour  un  aveugle  et  un  impotent  quiconque  ne  perçoit 
pas  le  rêve  qui  se  passe  dans  son  imagination. 
Les  mots,  mis  côte  à  côte,  ont  des  résonances,  pro- 
duisent des  accords,  éveillent  des  images  qui  l'exultent 
et  le  ravissent.  Il  répétera  avec  ferveur,  avec  enthou- 
siasme des  phrases  fatidiques  qui  évoquent  en  lui  des 
sensations  surhumaines  et  qui,  sur  le  vulgaire  bien  por- 
tant, font  l'eflét  du  jeu  des  queues  de  mots  dans  lequel 
chaque  syllabe  terminale  correspond  à  la  syllabe  ini- 
tiale du  mot  suivant  :  Ris  de  veau,  Vaucluse,  use  ton 
habit,  Abimélech,  lecture,  hure  de  sanglier ^  lié  par 
les  pattes,  pathétique,  tic  tac  de  moulin  à  vent  y  qu'il 
faut  prononcer  :  Ris  de  veau-cluse  ton  hahit-mélecture 
de  san-glié  par  les  patte-té  tic  tac  de  rnoidin  à  vent. 
Souvenez-vous,  non  pas  même  des  fameuses  stances  de 
Verlaine  ayant  pour  titre  There,  mais  de  ce  tercet  de 
Floupette  si  euphonique  et  si  prodigieusement  insensé  : 

Dans  la  pénombre 
Ma  clanaeur  sombre 
À  fait  fleurir  les  azalées. 

Le  Verbolâtre  a  aussi  la  manie  du  néologisme.  C'est  la 
phrase  de  sa  maladie  correspondant  au  besoin  moderne 


si  impérieux,  si  louable,  d'augmenter  le  vocabulaire 
littéraire.  D'admirables  audaces  se  sont  produites  à  cet 
égard  et  désormais  quantité  de  mots,  les  uns  vraiment 
neufs  (ils  sont  fort  rares),  les  autres  retrouvés  dans  la 
vieille  langue,  sont  acquis  à  l'art  et  ne  sauraient  plus 
disparaître.  Nos  écrivains  modernes  réparent  ce  que  la 
sévérité  de  Malherbe  avait,  dans  son  excès,  sacrifié 
quand  il  voulut  débarrasser  le  français  de  l'encombre- 
ment qu'y  avait  introduit  le  néologiste  par  excellence, 
Rabelais.  L'assainissement  dépassa  alors  la  mesure,  et 
des  expressions,  charmantes  et  ravissantes  de  Ronsard 
et  de  ses  adeptes,  disparurent  pendant  trois  siècles.  De 
notre  temps  on  a  fouillé  sous  ces  décombres  et  tous  ces 
joyaux  ont  été  retrouvés.  Qui  pourra  se  plaindre  de 
voir  reparaître,  et  devenir  familiers,  des  mots  comme 
endeuillir,  dévelouier^  ensour dîner '^.  Le  Verbolâtre 
s'y  est  appliqué  et  a  rendu,  dans  cette  recherche  des 
trésors,  de  signalés  services.  Mais,  ici  encore,  son  tem- 
pérament n'y  a  pas  résisté.  Le  goût  a  dégénéré  en 
manie  et  le  néologisme  est  devenu  obsédant.  Le  Verbo- 
lâtre exulté  quand  il  a  bâti  une  phrase  où  il  n'y  a  que 
des  mots  ignorés.  Il  ne  se  sent  pas  de  joie  quand  il  a 
remplacé  un  terme  connu  qui  remplissait  dignement 
son  office,  par  un  terme  nouveau,  bizarre,  et,  s'il  se 
peut,  macabre. 

Il  inonde  sa  littérature  de  ces  excentricités  qui  font 
au  lecteur  l'effet  d'un  noyau  de  cerise  venant  à  l'impro- 
viste  sous  la  dent  quand  on  mange  paisiblement  un 
morceau  de  tarte.  S'il  s'en  rencontre  un  qui,  maniaque 
à  la  seconde  puissance,  s'est  composé  un  dictionnaire 
de  purs  néologismes,  et  joint  à  cette  toquade  celle  que 
nous  décrivions  plus  haut  à  laquelle  s'applique  si  bien 
le  dicton  :  verha  et  voces,  et  prœterea  nihîl,  cela 
devient  un  charabia  quij. ferait  prendre  les  armes  au 
diable.  Quant  à  lui,  il  s'y  retrouve  et  y  circule  comme 
une  araignée  sur  sa  toile. 

Mais  il  faut  être  juste.  Ces  aliénés  n'ont  pas  fait 
œuvre  inutile.  Nous  l'avons  déjà  dit,  nous  ne  saurions 
trop  le  répéter,  au  fond,  ou  plutôt  à  l'origine  de  toutes 
ces  démences,  il  y  a  une  tendance  vraiment  salutaire. 
Ce  sont  les  ouvriers  de  la  transformation  moderne  de 
l'art  littéraire.  Chacun  d'eux  accomplit  une  fonction 
du  mouvement  général.  Il  n*est  pas  une  de  leurs  folies 
qui  n'ait  eu  quelque  efficacité  pour  le  passage  d'un  art 
antérieur  à  un  art  plus  jeune.  Sans  eux,  on  resterait 
peut-être  sur  place,  ce  qui  serait  la  pire  des  infortunes. 
Ce  sont  eux  qui  osent,  qui  osent  jusqu'à  l'exaspération, 
jusqu'au  délire,  et  qui  par  cela  même  forcent  l'obstacle  et 
imposent  la  nouveauté.  Ce  sont  des  enfants  perdus,  ces 
audacieux,  ces  frénétiques  :  ils  ouvrent  les  chemins,  ima- 
ginent les  hypothèses,  préparent  l'avenir,  poussent  les 
.  timides  vers  les  continents  nouveaux.  Aussi  dans  tout  ce 
que  nous  en  avons  dit  n'y  a-t-il  pas  esprit  de  dénigrement, 
mais  désir  de  mettre  en  garde  contre  leurs  étrangetés 


maladives  ceux  qui  auraient  quelque  tendance  à  les- 
prendre  pour  des  modèlesàsuivredévotement.  Ils  tendent 
les  ressorts  avec  excès,  tant  mieux.  Après  eux  les  res- 
sorts reprendront  la  tension  normale.  Il  vient  tôt  pu  tard 
quelque  esprit  harmonique  qui,  prenatit  de  toutes  ces 
campagnes  folles  ce  qu'elles  avaient  de  bon,  fixe  la  juste 
mesure.  Pour  armer  de  pied  en  cap  l'homme  de  génie 
qui  résume  une  époque,  il  faut  qu'il  y  ait,  dans  les  arts, 
une  procession  analogue  au  cortège  de  Malborough  : 

L'un  portait  la  cuirasse, 
L'autre  le  bouclier. 
Un  troisième  le  casque, 
Uu  quatrième...  rien. 

Nos  Déliquescents,  nos  Décadents,  nos  Incohérents, 
nos  Verbolâtres,  représentent  assez  bien  ce  cortège 
fameux.  Quand  nous  y  aurons  ajouté  les  Symbolistes, 
il  sera  complet.  Nous  y  consacrerons  un  prochain 
article,  et  nous  achèverons  ces  études  de  pathologie 
littéraire  en  nous  occupant,  pour  finir,  des 

Bien  portants.. 


JiIVRJE?     [NOUVEAUX 


Notes  sur  la  littérature  moderne,  par  Francis  Nautet. 

Par  ce  temps  d'appréciation  banale  à  deux  sous  la  ligne,  où 
chacun  sa  construit  sa  petite  montagne  pour  examiner  de  haut 
les  gens  et  les  anecdotes  qui  passent,  M.  Francis  Nautet  s'est  bâti 
une  tour  d'ivoire  dans  un  pays  choisi.  Elle  est  située  non  loin  de 
celle  où  Alfred  de  Vigny  montait  chaque  soir,  car  tout  comme 
l'auteur  de  Servitude  et  grandeur  militaires^  parmi  les  mille  et  un 
points  de  vue  que  Ton  peut  choisir  pour  juger  les  choses,  c'est  le 
point  de  vue  aristocratique  que  M.  Francis  Nautet  a,  élu.  C'est  ce 
qui  détermine  l'originalité  et  l'unilé  de  sa  critique. 

L'aristocratie  de  M.  Francis  Nautet  a  quelques  nuances  très 
spéciales.  Elle  n'a  point  «  l'allure  hautaine,  la  fierté  qui  provoque, 
l'esprit  oulrancier  »,  en  un  mot,  elle  n'est  point  Varistocratie  en 
dehors  d'un  Barbey  d'Aurevilly.  Au  surplus,  ce  n'est  point  à  la 
décadence  policée  de  M.  Bourget  qu'elle  aboutit.  Elle  a  trop  de 
fermeté  pour  glisser  sur  la  pente  du  pessimisme. 

C'est  une  aristocratie  faite  de  raison  et  d'expérience  ;  une  aris- 
tocratie qui  s'analyse  et  se  contrôle  en  analysant  l'esprit  aristo- 
cratique chez  autrui,  particulièrement  dans  le  Nihilisme  litté- 
raire, la  Psychologie  de  décadents,  le  Mouvement  naturaliste  et 
les  Choses  du  temps.  Dans  cette  dernière  étude  surtout,  oh  !  com- 
bien .-on  sent  que  la  réflexion,  bien  plus  que  la  nature,  a  fait 
itf.  Francis  Nautet  aristocrate  !  Il  y  devient  polémiste,  il  se  dépar- 
tit de  toute  sérénité,  il  aborde  la  question  du  jour  —  disons  plus 
—  de  la  rue,  il  s'échauifc  contre  l'instruction  obligatoire  et  le 
suffrage  universel.  Lui,  d'ordinaire  si  prudent,  commet  celle  pro- 
phétie contre  la  société  moderne  : 

«  Alors  quelques  hommes,  les  derniers  insurgés  de  ces  lemps 
pacifiques,  livrés  k  l'insommie  de  par  leur  manque  de  vertus, 
étrangleront  dans  son  somme  l'humanité  repue.  El  ces  hommes 
seront  des  artistes,  car  l'artiste  est  le  seul  qui  refuse  de  courber 
la  télé  sous  le  niveau. 


i: 


264 


U ART  MODERNE  ^ 


«  Tout  un  mouvement  s'annonce,  mené  par  les  supérioritds 
inlelIectuoUes  en  faveur  de  la  liberté  de  In  personnalité  humaine. 
La  réaction  commence  son  œuvre  et  triomplicra  par  le  fait  do 
celte  loi  naturelle  qui  veut,  en  dépit  de  toutes  les  utopies,  en 
dépit  de  tous  les  faibles  ligués  en  masse,  que  le  droit  et  l'auto- 
rité appartiennent  aux  lucides  et  aux  forts  ». 

Ailleurs,  M.  Nauiet  s'attarde  volontiers  dans  des  sentiers  où  la 
littérature  ne  lui  sert  que  de  prétexte  à  promenade.  Le  chapitre 
de  son  livre  :  Un  romancier  catholique  abonde  en  jugements  sur 
la  puissance  et  l'esprit  de  l'Eglise,  jugements  très  personnels  et 
très  curieux,  mais  qui  prouvent  une  fois  de  plus  en  combien  de 
chami)s  de  pcnsé^différenis  il  est  allé  moissonner  son  aristocra- 
tismc.  M.  N;iutel  a  opéré  lui-même  la  sélection  de  son  esprit;  il 
en  est  fier  et  il  en  i)3rle  souvent.  Trop  souvent  peut-être,  car,  à 
dire  franc,  la  persistance  de  l'auteur  à  trancher  d'aristocratie  mé 
fait  songer  à  des  Esseiules  toujours  préoccupé  U  se  poser  en 
décadent. 

Un  autre  travers  qui  montre  à  maint  coin  de  page  le  bout  de 
l'oreille,  c'est  la  vanité  du  paradoxe.  Elle  se  quiutessencie  en  ce 
paragraphe  :  ■ 

«  Dire  que  le  Français  est  physiquement  un  être  détraqué, 
amolli,  impuissant,  gâté  par  son  luxe,  d(;sabusé  de  la  gloire, 
affaibli  par  rhérédité,.asservi  par  la  tradition,  c^esl  formtder  tme 
opinion  trop  universellement  répandue  pour  qu'elle  soit  juste.  » 

On,  abuse  trop  du  paradoxe  pour  qu'un  homme  du  goût  de 
M.  Nautet  l'affiche  encore  dans  une-  rémarque  aussi  rebattue. 
Penser  autrement  que  les  autres  et  même  penser  du  Français  ce 
qu'en  pense  M.  Nauiet,  c'est  parfiiit;  seulement  à  quoi  bon  en 
faire  étalage  dans  une  phrase  de  bravade? 

Enfin,  —  et  voici  ma  dernière  tuile  —  le  stvle  des  Notes  sur  la 
littérature  moderne  traîne  à  sa  surface  certaines  scories  qu'il  faut 
absolument  faire  disparaître  dans  une  réédition.  A  preuve  : 

«  Si  la  rivière  livrait  ses  secrets,  peut-être  saurait-oti  combien 
de  génies  étranglés  par  la  souffrance  n'ont  pu  arriver  à  la 
lumière  !»  • 

Les  secrets  de  la  rivière!...  Panson  du  Terrail  doit  être  con- 
tent. 

Ces  quelques  lares  signalées,  disons  qu'il  nous  a  été  donné 
rarement  de  lire  des  notes  sur  notre  littérature  contemporaine 
où  l'analyse  fût  plus  sûre,  plus  subtile,  plus  claire.  L'auteur 
n'abordant  que  des  sujets  de  choix  se  plaît  à  en  caractériser  les 
nuances  les  plus  légères.  Il  décompose  le  talent  et  le  génie,  il 
scrute  le  tempérament  avec  une  hardiesse  et  une  sûreté  par- 
faites. Certaine  étude  :  Psychologie  de  décadents  me  paraît  être 
une  parole  définitive  sur  Huysmans  et  Bourget. 

Avec  quelle  intelligence  il  dégage  le  barbare  dans  le  premier 
et  avec  quelle  lucidité  il  range  le  second  non  pas  dans  la  tourbe 
des  décadents  névrosés  dont  M.  Péladan  nous  parle,  mais  parmi 
les  décadents  par  perfection,  chefs-d'œuvre  des  races,  fleurs 
automnales  de  la  forêt  humaine!  Et  combien  ailleurs  sa  pensée 
illumine  âprement  et  largement  l'âpre  et  large  travail  littéraire 
d'Emile  Zola,  et  comme  plus  loin  encore  toute  une  finesse  d'ana- 
lyse s'aiguise  à  disséquer  V Education  sentimentale  ï 

En  outre,  tout  au  long  de  ses  éludes,  dans  des  digressions 
savantes,  tel  aperçu  social  témoigne  d'une  telle  sûreté  d'intelli- 
gence et,  pourquoi  pas  le  dire?  d'une  telle  devination  historique 
qu'on  se  demande  si  derrière  le  critique  un  historien  ne  grandit 
pas.  Grouper  des  faits  éloignés  les  uns  des  autres,  lés  rassembler 
puissamment  dans  les  mains  de  son  analyse,  découvrir  l'âme 


qu'ils  masquenl,  l'esprit  dont  i!s  sont  l'expression  et-couler  tout 
cela  dans  une  pensée  frap|)anre  <'t  neuve,  c'est  ce  que  l'auteur 
réussit  et  dans  le  Mouvement  nn finaliste  et  dans  les  Choses  du 
temps  et  dans  Un  romancier  callmlique. 

Le  livre  de  M.  Nautet  se  lermim'  par  quatre  lettres  au  Roi  sur 
les  écrivains  de  la  Jeune  Belgique .  Pourquoi  ces  lettres?  Si  c'est 
une  fantaisie,  tant  pis  —  sinon,  i\\nA  besoin  de  parler  au  person- 
nage le  plus  officiel  de,  la  Delgique  d'un  art  qu'il  ne  doit  guère 
comprendre? 

Au  demeurant  les  jeunes  écrivains  n'ont  rien  à  demander.  Jus- 
qu'aujourd'hui leurs  préorou|)aiif'ns  n'ont  tendu  qu'à  s'éloigner 
des  gens  à  palmes  et  à  bicorne  <'i  les  gracieusetés  constitution- 
nelles ne  sont  pas  des  mains  à  passer  dans  les  crins  de  leur  indé- 
pendance. 

Autour  d'eux  se  rangeront  tous  i-eiix  qui  ont  le  souci  des  lettres, 
des  vraies  belles  lettres,  et  ceux-là  n'aiment  point  à  se  trouver 
confondus  avec  —  pour  parler  comme  certains  académiciens  — 
des  éléments  hétérogènes. 

Grâce  à  !\l.  Nautet,  les  Jeune-Belgiciue  ont  désormais  h  côté  de 
leurs  romanciers  et  de  leurs  poètes,  h>ur  critique. 


\ 


LE  SALON  LIBRE  DE  L'ART  FUMAND 

Lâchée  par  ceux  qui  lui  avaieni  promis  leur  «  patronage  », 
éreintée  par  son  jury,  la  pauvre  ('X|>osition  languit  dans  la  soli- 
tude de  ses  hangars  déserts,  vis-ii-vis  du  Salon  officiel, -et  les 
araignées  qu'on  chasse  de  la  maison  rivale  y  viennent  tisser 
mélancoliquement  leur  toile. 

L'aspect  de  ces  grandes  salies  nues  est  si  lamentable  qu'il 
serait  cruel  d'insister.  '  r- 

On  se  rappelle  que  les  cymbales  qui  avaient  annoncé  le  bap- 
tême du  nouveau-né  se  sont  tues  subitement,  fêlées  par  on  ne 
sait  quel  accident,  et  qu'à  la  suite  de  querelles  de  ménage  dont 
l'écho  a  quelque  peu  dépassé  l'ollice  où  était  cuisinée  l'exposi- 
tion, la  mailloche  qui  avait  servi  à  frapper  les  joyeux  />om771.^ 
boum!  de  la  réclame  est  devenui*  une  arme  de  guerre  brandie 
avec  colère.  Il  y  a  eu  des  coups  dmiués  et  reçus,  paraît-il,  et  des 
épilhètes  aigres  lancées  et  renvovi'es.  On  s'est  appelé  tricheur,  et 
certains  membres  du  jury  ont  jcié  lés  cartes  avec  tolère.  Les 
autres  les  ont  ramassées  et  la  partie  interrompue  a  repris  cahin- 
caha. 

Ce  qui  manque,  c'est  l'enjeu.  (!ar  on  ne  dira  pas,  pensons- 
nous,  que  c'est  l'avenir  de  l'art  national  que  jouent,  là-bas,  quel- 
ques désœuvrés.  Ce  serait  d'une  pr/ttîntion  comique. 

Il  est  donc  peu  important  d'examiner  si  l'exposition  est  bonne 
ou  mauvaise.  Elle  est  inutile,  et  dès  lors  elle  a  le  droit  d'être 
mauvaise.  Elle  serait  môme,  ainsi  que  l'a  railleusement  qualifiée 
un  de  ses  organisateurs,  un  hospice  ou  un  hôpital,  qu'il  serait 
superflu  de  rechercher  s'il  n'y  a  |)as  d;ms  cette  boutade 'quelque 
exagération. 

Il  serait  plus  exact  de  dire,  d'ailieùrs,  que  le  Salo7i  libre  de 
l'Art  flamand  est  le  prolongenieut  des  vitrines  de  quelques 
marchands  de  tableaux  connus  qui  ont  eu  l'idée  de  profiter  du 
grand  passage  des  étrangers  par  Anvers  pour  tendre  leurs  lacets 
sur  leur  route. 

Aidés  de  quelques  amateurs  de  bonne  volonté,  ils  ont  réuni 
trois  Boulénger,  trois  Dubois,  une  petite  toile  d'Alfred  -  Stevcns, 
la  Méditation  de  chien  et  le  High-life  du  frère  Joseph,  deux 


petits  Hubcrti  insignifiants,  doux  marines  d'Arlan,  la  Boutique 
de  De  Brackcleer,  quelques  toiles  d'Agiieessens. 

Tout  cela  n'est  pas  Irôs  neuf  et  ne  représente  que  bien  imjjar- 
faitemenl  les  ariisies  dont  on  agile,  comme  dos  drapeaux,  les 
noms  illustres.  Mais,  somme  toute,  ce  maigre  contingent  repose 
la  vue  des  productions  de  l'école  anversoise  qui  forment  le  fond 
de  l'exposition  et  qui  sont  d'une  médiocrité  désarmante. 

Au  milieu  de  celles-ci  apparaît,  de  temps  à  autre,  une  élude 
signée  d'un  nom  connu  :  Mellery,  Smits,  Hermans,  Meunier, 
Binjé  ou  tel  autre  qu'on  est  surpris  de  rencontrer  dans  ce  cou- 
doiement singulier  et  sans  cohésion. 

On  éprouve,  à  les  voir  —  ou  à  les  revoir,  car  la  plupart  de  ces 
bouts  de  toile  ont  élé  exposés, —  la  satisfaction  qu'on  ressent  en 
rencontrant  des  amis  au  cours  d'un  vovai^e  dans  des  réffions  loin- 
laines.  ^ 

On  reprend  des  forces  pour  contempler  d'un  œil  ferme  les  stu- 
péfiantes imageries  qui  s'offrent,  sans  aucune  pudeur,  aux 
regards,  et  parmi  lesquelles  la  palme  revient  assurément  h  cer- 
tain tableau  de  M.  J.-B.  Huysmans,  intitulé  :  Chef  de  derviches 
bénissant  les  enfants.  —  Cérémonie  de  la  Pâque  musulmane  en 
Algérie.  ,  , 


Î^E? 


PRIX     DE 


I\OME 


Voici  quelques  excellentes  réflexions  de  Georges  Duval  dans 
VEvénement.  Elles  complètent  ce  que  nous  avons  publié  à  ce 
sujet  dans  notre  dernier  numéro. 

Quand  M.  de  Tallçyraud  disait  à  Louis  XVIII  que  les  représen- 
tants de  la  France  à  l'étranger  devaient  agir  à  l'unisson,  il  ne  pré- 
voyait certainement  pas  que  le  moment  pourrait  venir  où  ils  se  met- 
traient au  diapason  des  Folies -Rambuteau,  pas  plus  que  Bélisaire, 
le  jour  où  il  faisait  crédit  chez  son  casquetier,  ne  pensait  que  sa 
coiffure  serait  encore  de  mode  en  l'an  de  grâce  1885. 

Cette  dernière  réflexion  m'est  venue  hier  matin  en  visitant  l'expo- 
sition du  concours  de  peinture  pour  le  prix  de  Rome.  L'Institut 
avait  donné  pour  sujet  :  Th&>nistocle  exilé  danande  l'hospitalité  au 
roi  Admète,  dont  il  a  vaincu  autrefois  les  armées.  Il  fallait  s'y 
attendre.  Exiger  que  l'Institut  rompe  avec  les  vieilles  méthodes  et 
les  vieux  sujets,  c'est  comme  si  l'on  priait  Buraui  de  traduire 
Homère.  Voilà  des  jeunes  peintres  qui  ont  dû  s'amuser.  Chacun 
d'eux  a  déjà  sa  poétique  :  l'un  a  pour  idéal  les  féeries  de  l'Orient; 
l'autre,  le  naHiralisme  parisien.  Celui-ci  se  promet  d'humaniser  l'art 
à  la  façon  de  Courbet;  celui-là,  de  chanter  le  paysan  comme  Millet. 
On  leur  impose  de  remonter  les  âges  jusqu'à  Thémistocle.  Remar- 
quez bien  qtie  si  l'on  conseillait  à  M.  Cabauel  de  s'habiller  comme 
Pyrrhus,  à  M.  Meissonier  de  ne  pas  faire  un  pas  sans  bouclier  et  à 
M.  Bouguereau  de  remplacer  sa  canne  par  une  lance,  MM.  Cabanel, 
Meissonier  et  Bouguereau  nous  enverraient,  comme  on  dit  vulgaire- 
ment, à  l'ours.  L'antiquité  a  prononcé  son  dernier  mot  avec  la  Belle 
Hélène,  comme  la  mythologie  avec  Orphée  aux  Enfers.  Ça  ne  fait 
rien.  Les  vieux  druides  qui  pontifient  à  l'Institut  sont  entêtés  ainsi 
que  des  mules  classiques.  Ils  y  tiennent  comme  à  la  villa  Médicis, 
par  exemple,  où,  pendant  des  années,  les  jeunes  peintres  montant  la 
faction,  à  l'exemple  des  sentinelles  légendaires  qui,  durant  cinquante 
ans,  sont  allées  et  venues  devant  un  banc  fraîchement  peint. 

Malheureux  jeunes  gens!  malheureux  artistes  1  Je  ne  voulais  pas 
qu'on  vous  fit  traiter  :  Jules  Ferry  dégommé  demandant  l'hospita- 
lité au  roi  de  Hué  dont  il  n'a  pas  vaincu  les  armées.  Babylone  tout 
entière  se  serait  ruée  sur  vous.  Mais,  sans  pousser  l'actualité  jusqu'à 
l'exagération,  ne  pouvait-on  vous  faire  passer,  au  moins,  au  déluge? 
La  belle  affaire  quand  vous  saurez  attacher  une  tunique  athénienne, 


vous  qui  n'êtes,  pour  la  plupart,  destinés  à  peindre  que  des  portraits 
.  modernes.  C'est  comme,  lors  des  envois  de  Rome,  les  architectes  qui' 
s'pscriiiieiit  à  nous  reconstituer  le  temple  de  Jupiter,  qui  ne  revien- 
dra pas  exprès  |)our  leur  faire  des  commandes.  Le  jour  où  il  leur 
faut  distribuer  uu  appartement,  ils  n'y  sont  plus.  Vous  vous  fâchez? 
Ils  vous  répondent  :  «  Il  est  possible,  monsieur,  que  j'aie  eu  tort  de 
mettre  votre  cabinet  de  toilette  à  côté  de  votre  bibliothèque;  mais 
j'ai,  remarqué,  (hms  le  cours  de  mes  études,  que  l'atrium  du  fils  de 
Saturne  commandait  l'endroit  où  l'on  suppose  qu'il  déposait  ses 
tablettes.  »  La  })elle  affaire  encore,  lorsque  vous  aurez  reproduit  la 
binette  du  roi  des  Phèces,  dont  la  photographie  ne  n^s  est  pas 
d'ailleurs  parvenue,  et  que  des  juges  palmés  discuteront  sur  la  façon 
dont  vous  avez  compris  le  caractère  du  roi  thessalien  qu'ils  n'ont 
jamais  connu 

Tous  les  ans,  on  répète  ce  que  je  viens  d'écrire,  et  tous  les  ans 
c'est  la  même  chose.  Tas  de  Bridoisons! 


P-IBLIOQRAPHIE   MUSICALE 

Les   œuvres    complètes   de   Schubert.    Première  édition 
complète  et  critique.  —  Leipzig  et  Bruxelles,    chez  Breitkopf  et 

H^RTEL, 

«  Si  la  fécondité  est  un  signe  caractéristique  du  génie,  a  dit  Robert 
Schumann,  Schubert  doit  être  rangé  parmi  l'es  maîtres-  les  plus 
illustres.  .  De  ses  nombreuses  compositions,  la  moitié  tout  au  plus 
est  connue;  une  partie  de  ce  qui  demeure  inédit  ne  tardera  pas  à 
Voir  le  jour,  mais  le  reste  ne  sera  publié  que  bien  plus  tard,  si  tant 
est  qu'il  le  soit  jamais  !  " 

Ce  souhait,  timidement  formulé  par  l'auteur  de  Mayifred,  est 
aujourd'hui  réalisé,  ou  tout  au  moins  sur  le  point  de  l'être.  La 
maison  Breitkopf  et  Hœrtel  a  réuni,  classé  et  soigneusement  ordonné 
les  innomBrables  manuscrits  qui  forment  l'œuvre  de  Schubert.  Aidés 
par  un  groupe  de  musiciens  à  la  tête  desquels  figure  Brahms,  secon- 
dés par  la  Société  des  Amis  de  la  Musique,  de  Vienne,  dont  les 
archives  renferment  des  trésors,  après. avoir  fait  appel  à  tous  ceux 
qui  possèdent  des  documents  ou  des  renseignements  de  nature  à 
compléter  Tentrejtrise  vraiment  artistique  à  laquelle  ils  se  sont  voués, 
MM.  Bre.itkoi)f  et  Phertel  commencent  la  publication  de  l'édition 
définitive  des  compositions  du  maître. 

Elle  comprendra,  distribuées  en  vingt-deux  séries  qui  seront  suc- 
cessivement mises  en  vente,  toutes  les  œuvres  de  Schubert  gravées 
ou  inédites,  et  même  les  fragments  et  les  compositions  inachevées. 
Ce  qui  la  distinguera  des  publications  précédentes  dans  lesquelles  la 
négligence  des  éditeurs  a  laissé  prénétrer  des  fautes  d'impression 
et  même  des  pièces  ajtocryphes,  c'est  que  le  texte  en  sera  absolument 
pur 

Toutes  les  feuilles  seront,  en  effet,  soigneusement  collationnées 
avec  les  premières  éditions,  qui  ont  été  corrigées  de  la  main  de 
Schubert,  ou  avec  les  manuscrits  s'il  s'agit  d'œuvres  inédites. 

Car,  ainsi  que  nous  l'avons  dit,  et  c'est  ce  qui  constiuera  surtout 
le  grand  intérêt  de  la  nouvelle  édition  de  MM.  Breitkopf  et  Hiertel, 
celle-ci  fera  connaître  un  grand  nombre  de  compositions  qui,  jus- 
qu'à ce  jour,  ont  été  conservées  comme  des  reliques  dans  des  collec- 
tions, d'où  elles  seront,  pour  la  première  fois,  mises  dans  la  circula- 
tion. - 

Le  volume  qui  vient  de  paraître  fait  bien  augurer  de  la  publication. 
C'est  le  tome  I  de  la  première  série.  Il  comprend  des  partitions  d'or- 
chestre des  symphonies  en  ré  majeur  (n^  1),  en  si  bém.  majeur  (uo2), 
en  ré  majeur  (n»  3)  et  la  symphonie  tragique  (n»  4).  C'est  un  beau 
volume  de  250  pages;  le  texte  en  est  clair  et  gravé  avec  soin  sur 
papier  de  luxe. 

Ajoutons  que  le  prix  relativement  peu  élevé  de  l'édition  complète 
(500  marks  ou .  625  francs  pour  les  souscripteurs,  600  marks  ou 


750  francs  après  la  mise  en  vente)  est  largement  compensé  par  les 
mérites  de  son  exécution. 

***  •  '  ■• 

Parmi  les  plus  récentes  publications  des  mêmes  éditeurs,  signa- 
lons un  recueil  de  dix  ^petites  fantaisies  pour  le  piano  à  quatre 
mains,  d'une  interprétation  facile  et  à  la  portée  des  petits  doigts, 
par  Cad  Reinécke.  Les  thèmes  en  sont  empruntés  aux  plus  fraîches 
mélodies  populaix*es  de  l'Allemagne. 

Citons  aussi  un  cahier  de  Lieder  de  Ad.  Wallnôfer  (op.  35)  com- 
prenant trois  jolies  compositions,  de  style  et  de  caractère  différents. 
On  sait  que  M.  Wallnôfer  a  écrit  un  grand  nombre  de  chœurs,  de 
ballades,  de  mélodies,  très  appréciés  en  Germanie.  Les  plus  célè- 
bres de  ses  lieder  ont  été  réunis  en  un  Album  qui  en  est  à  sa 
deuxième  édition. 


Chronique  judiciaire  de^  art^ 

Le  tribunal  correctionnel  de  Bruxelles  a  rendu^  vendredi,  son 
jugement  dans  la  curieuse  affaire  des  potiches  japonaises  dont  nous 
avons  rendu  compte  la  semaine  dernière.  Il  a  décidé  que  la  loi 
de  1846  sur  les  ventes  à  cri  public  n'ayant  fait  aucune  distinction 
entre  les  diverses  catégories  de  porcelaines  ou  de  faïences,  il  faut 
appliquer  aux  potiches,  vases,  plats,  etc.,  servant  à  décorer  les 
a-ppartements,  la  disposition  qui  défend  de  les  vendre  aux  enchères, 
si  ce  n'est  par  quantités  que  la  loi  détermine  (six  douzaines  au  moins). 

Les  prévenus,  condamnés  au  minimum  de  la  peine,  soit  à  50  francs 
d'amende  payables  solidairement,  ont  néanmoins  interjeté  appel  de 
celte  décision  afin  de  faire  trancher  par  fa  cour  d'appel  la  question 
de  principe  que  soulève  ce  procès  et  qui  présente,  nous  l'avons  dit, 
au  point  de  vue  des  ventes  publiques  d'objets  d'art  et  d'antiquité, 
une  importance  considérable. 


Jhéatf(ep 

Théâtre  de  la  Monnaie. 

'  M.  Verdhurt  vient  de  faire  publier  le  tableau  de  son  personnel 
pour  la  prochaine  campagne  théâtrale. 

Parmi  les  améliorations  apportées  à  l'organisation  du  théâtre,  on 
remarquera  la  création  d'un  service  d'inspection  de  la  salle  et  de  la 
scène,  emploi  dont  M.  Potel  est  le  titulaire.  L'inspecteur  des  services 
de  la  salle  et  de  la  scène  est  spécialement  chargé  de  recueillir  les 
réclamations  qui  pourraient  se  produire  de  la  part  du  public  à  l'égard 
de  la  location  des  places,  à  veiller  à  ce  que  le  contrôle  soit  fait  d'une 
manière  irréprochable.  C'est  un  intermédiaire  utile  et  obligeant,  tou- 
jours présent  pendant  les  représentations,  et  qui  rend  au  public  des 
services  fréquents.  Cette  innovation  sera,  croyons-nous,  très  bien 
accueillie  du  public. 

Tous  les  services  sont  d'ailleurs  distincts.  Ils  ont  chacun  leurs 
titulaires,  et  tout  empiétement  d'un  service  sur  l'autre  est  impos- 
sible. 

Pour  la  partie  administrative  figurent  MM.  Waechter,  adminis- 
trateur, Copelte,  secrétaire  de  la  direction,  et  Bullens,  chef  de  la 
comptabilité.  Le  service  de  la  scène  est  ainsi  distribué  :  MM.  Lapis- 
sida,  régisseur  général  ;  Flon,  chef  des  chœurs;  Herbaut,  régisseur 
des  chœurs  ;  Perrot,  régisseur-avertisseur;  Lombaerts,  machiniste 
en  chef;  peintres-décorateurs,  MM.  Lynen  et  Devis. 

M.  Flon  est  élevé  aux  fonctions  de  troisième  chef  d'orchestre.  Les 
deux  premiers  sont,  comme  précédemment,  MM.  Joseph  Dupont  et 
Léon  .Tehin.  .    ,  ._ 

MM.  Flon  et  Léon  Dubois,  pianistes  accompagnateurs,  sont 
chargés  de  diriger  la  musique  de  scène. 


Quant  au  tableau  de  la  troupe,  le  voici  :  . 

Artistes  du  chant 

Ténor.s  :  MM.  Dereims,  Furst,  Gallois,  Nolly,  Idrac,  Franz 
Stappen,  Nerval  et  Seuille. 

Barytons:  MM.  Bérardi,  Frédéric  Boy  er  et  Renaud. 

Basses  :  MM.  Dubulle,  Herman  Devries,  Séguier,  Chappuis  et 
Frankin. 

Sopranos  dr.amatiques  :  M'"«»  Montalba,  Clario  et  Fierens. 

Chanteuses  légères  :  M^e»  Cécile  Mézeray,  Thuringer,  Gaultier, 
Wolf  et  Barria. 

Contraltos  :  Mme»  jane  Huré,  Passama  et  Caroline  Barbot. 

Coryphées  :  M>nes  Hertz,  Vleminckx  et  Defoer,  MM.  Vanderelst, 
Fleurix,  Krier,  Vandenbossche,  Vanderlinden,  Blondeau,  Pennequin 
et  Simonis.  —  80  choristes. 

Artistes  de  la  danse 

MM.  J,  Hansen,  Maître  de  ballet,  F.  Duchamps,  régisseur. 

Sujets  :  M™"  Adelina  Rossi,  Gabriel  le  Esselin,  Teresa  Magliani 
et  Angiolina  Bertoglio,  MM.  Saracco,  F.  Duchamps,  Ph.  Hansen  et 
De  Ridder. 

Coryphées  :  M"""  Van  Lancker,  Tribout,  Desmet,  Thompson, 
Baronet,  J.  Matthys,  Schacht,  Van  Goethem  et  M.  Matthys.  — 
38  danseuses,  12  danseurs. 


ÎJxpopiTioN    UNIVER^EI-LE    D'^NVER? 

Le  deuxième  gi'and  festival  de  musique  aura  lieu  le  lundi  31  août, 
dans  la  grande  salle  des  fêtes  de  l'Exposition.  Le  programme  sera 
composé  d'œuvres  des  maîtres  allemands  :  la  neuvième  symphonie 
de  Beethoven  avec  chœurs,  des  morceaux  de  Wagner  et  de  Schu- 
mann.  Cette  belle  fête  musicale  réunira  cinq  cents  exécutants  sous 
la  direction  de  Peter  Benoît  ;  elle  est  organisée  par  la  Société  de 
musique  d'Anvers. 

À  ^  .■  '       " 

La  commission  chargée  par  lé  gouvernement  de  Tacquisition  des 
lots  destinés  à  la  loterie  de  l'Exposition  universelle  d'Anvers  vient 
de  terminer  ses  opérations. 

Les  lots  de  la  première  série  comprennent  : 
Un      lot   de  100,000  francs  ; 
Deux  lots  de    25,000      id. 
Cinq  lots  de    10,000      id. 
Dix     lots  de      5,000      id. 
et  divers  lots  d'une  valeur  totale  de  250,000  francs,  soit  en  tout 
500,000  francs  de  lots. 

Le  tirage  aura  lieu  prochainement  et  sera  annoncé  par  la  voie  des 
journaux. 

On  peut  se  procurer  des  billets  dans  tous  les  bureaux  de  poste , 
les  facteurs  en  sont  également  pourvus. 


MEMENTO  DES  EXPOSITIONS  ET  CONCOURS 

Verviers.  —  Ouverture  23  août.  Délai  d'envoi  :  du  10  au  17  août. 
Gratuité  de  transport  (aller  et  retour  sur  le  territoire  belge)  pour 
les  œuvres  des  artistes  belges  ou  étrangers  invités  {petite  vitesse  n»  2). 


Anvers.  —  Concours  pour  le  monument  d'Henri  Conscience.  Base 
du  monument  :  5'", 15  de  longueur  sur  3"',75  de  largeur.  S'adresser 
au  Comité  central,  au  Musée  Plantin. 

Nice.  —  Concours  pour  le  monument  de  Garibaldi.  Projets  reçus 
jusqu'au  30  novembre.  Deux  primes  (1,500  et  1,000  francs)  sont 
allouées  aux  auteurs  des  deux  meilleurs  projets  non  adoptés.  Coût 
total  du  monument  :  70,000  francs. 


Prix  du  Roi.  —  Concours  de  1886,  1887  et  4888.  —  Un  arrêté 
royal  du  20  avril  courant  porte  que  le  prix  à  décerner  en  1886  (cou- 
cours  exclusivement  belge)  sera  attribué  à  l'ouvrage  le  mieux  conçu 
pour  développer  chez  la  jeunesse  belge  l'iotelligence  et  le  goût  des 
littératures  anciennes  et  modernes. 

,  Le  prix  à  décerner  en  1887  (concours  exclusivement  belge)  sera 
attribué  à  l'ouvrage  qui  démontrera  le  mieux  de  quelle  manière  la 
Belgique  doit  comprendre  son  rôle  dans  la  grande  famille  euro- 
péenne, tant  au  point  de  vue  politique  et  intellectuel  qu'au  point  de 
vue  matériel,  pour  servir  le  mieux  ses  propres  intérêts  en  même  temps 
que  ceux  de  la  civilisation  en  général. 

Le  prix  à  décerner  en  1888  (concours  exclusivement  belge)  sera 
attribué  au  meilleur  ouvrage  sur  l'enseignement  des  arts  plastiques 
en  Belgique  et  sur  le  moyen  de  développer  l'art  en  Belgique  et  de  1^ 
porter  à  un  niveau  de  plus  en  plus  élevé. 

Les  ouvrages  destinés  à  ces  concours  devront  être  transmis  au  mi- 
nistre de  l'agriculture,  de  l'industrie  et  des  travaux  publics,  à  savoir  : 
pour  le  prix  à  décerner  en  1886,  avant  le  1er  octobre  1886,  et  pour 
les  deux  autres,  respectivement  avant  le  i^r  janvier  des  années  1887 
et  1888. 

Concours  POÉTIQUE  du  midi  de  la  frange,  —  XXXVe  concours 
(15  aoûiJ|F  décembre  1885).  —  Vingt  médailles  en  or,  argent, 
bronze.  Demander  le  programme  à  M.  Ev.  Garrance,  président  du 
Comité,  6,  rue  du  Saumon,  à  Agen  (Lot-et-Garonne). 

Vienne.  —  Concours  pour  l'érection  d'un  monument  à  Mozart. 
La  place  sur  laquelle  doit  être  élevé  le  monument  n'étant  pas 
encore  déterminée  par  la  municipalité,  le  concours  reste  ouvert. 


^ETITE     CHROJMiqUf: 


On  achève  en  ce  moment  la  construction  au  Parc,  vis-à-vis  du 
Palais  de  la  Nation,  d'une  estrade  destinée  à  recevoir  l'orchestre  et 
les  chœurs  chargés  d'interpréter,  demain  lundi,  sous  là  direction  de 
l'auteur,  la  Kinder  cantate  de  Peter  Benoit. 

Ce  sera  pour  Bruxelles  une  bonne  fortune  que  d'entendre,  dans 
d'excellentes  conditions,  l'adorable  composition  du  maître  anversois. 

Une  audition  en  a  été  donnée  cette  semaine  au  Cirque  royal,  à 
roccasion  de  la  distribution  des  prix  aux  enfants  de  l'une  des  écoles 
de  la  ville.  Le  succès  a  été  énorme.  On  a  longuement  et  chaleureu- 
sement acclamé  le  compositeur  qui  avait  été  l'objet,  dès  son  entrée, 
d'une  ovation  enthousiaste.  -         ' 


Le  buste  dé  M.  Maton,  l'excellent  directeur  de  la  Revue  pratique 

du  notariat,  qui  vient  d'être  terminé  par  M.  Jules  Lagaë,  sera  exposé 

.  demain  lundi,  à  la  Compagnie  des  Bronzes.  II  est  parfaitement 

réussi  au  point  de  vue  artistique.  Il  est  offert  à  M.  Matou  par  ses 

collaborateurs. 

On  annonce  que  le  Capitaine  noir^  de  Joseph  Mertens,  dont  nous 
avons  relaté  le  grand  succès  à  Hambourg,  vient  d'être  reçu  au 
théâtre  de  Mayence,  sur  lequel  il  sera  représenté  dans  le  courant  de 
la  campagne  qui  va  s'ouvrir. 

Le  Conservatoire  de  musique  de  Mons  vient  de  clôturer  ses  con- 
cours, et  le  jury  a  félicité  chaleureusement  le  directeur,  M.  Van  den 
Eeden,  des  brillants  résultats  obtenus.  Dans  la  classe  de  piano  de 
M.  Gurickx  (division  des  jeunes  filles),  on  a  décerné  à  l'unanimité, 
trois  premiers  prix,  dont  tun  avec  la  plus  grande  distinction.  Dans 
la  classe  de  violoncelle  de  M.  Cockx,  un  l^"^  et  un  2"  prix  avec  dis- 
tinction ont  été  octroyés,  ainsi  qu'un  prix  d'excellence  à  l'unanimité. 
Les  classes  de  cor  et  de  flûte  ont  été  particulièremeni  bonnes., Dans 
les  classes  de  violon,  [le  cours  de  M.  Dongrie.a  été  favorisé  de  plu- 
sieurs distinctions.  La  classe  de  chant  de  M.  Huet  (division  des 
f    jeunes  gens)  a  également  donné  d'excellents  résultats. 


Enfin,  les  concours  de  solfège  ont  été  remarquables  :  six  premiers 
prix  et  un  prix  d'excellence  dans  la  division  des  jeunes  gens,  huit 
premiers  prix  et  six  prix  d'excellence  aux  jeunes  filles. 

Voilà  la  joie  et  la  sérénité  au  foyer  de  toutes  lep  familles  de  là 
ville  du  Doudou.  • 

Le  grand  festival  triennal  de  Birmingham  aura  lieu  les  25,  26,  27 
et.  28  août.  Voici  le  programme  des  exécutions.  Le  matin  du 
mardi  25,  Elie,  oratorio  de  Mendeissohn  ;  le  soir,  Sleeping  Beanty, 
cantate  nouvelle  de  M.  Frédéric- Henri  Gowen,  et  concert  varié;  le 
mercredi  matin,  Mors  et  Vita,  nouvel  oratorio  de  M.  Gouuod  ;  la 
soir,  l'MZe^tc?^,  nouvelle  cantate  de  M.  Th.  Anderton,  concerto  de 
violon  (nouveau)  de  M.  A.-C.  Mackenzie,  et  symphonie  de  M.  Ebe- 
nezer  Prout;  le  jeudi  matin,  le  Messie,  oratorio  de  Hœndel  ;  le  soir, 
the  Spectres  Bride,  cantate  nouvelle  de  M.  Anton  Dvorak,  et  Roch 
of  âges,  hymne  nouveau  de  M.  le  D""  Bridge,  organiste  <le  ra])baye 
de  Westminster:  enfin,  vendredi  matin,  the  Three  holy  Children, 
oratorio  nouveau  de  M  C.  Villiers  Stanford,  et  la  symphonie  avec 
chœurs  de  Beethoven,  et,  le  soir,  deuxième  audition  de  Mors  et 
Vita.  Les  solistes  sont  Mn'««  Albany,  Patey,  Trebelli,  Anna  Wil- 
liams, MM.  Hutchinson,  Edward  Lloyd  Wade,  Santley,  Maas,  King, 
Watkin  Mills,  Foli  et  Sarasate,  et  le  conductor  est  M.  Hans  Richter. 


Une  somme  de  34,706  fr.  82  produite  par  une  première  souscrip- 
tion pour  élever  un  monument  à  Victor  if itgro,  antérieurement  à  sa 
mort,  vient  d'être  versée  entre  les  mains  du  nouveau  comité  chargé 
de  l'emploi  des  fonds  pour  le  monument  à  élever  au  grand  poète. 


Vom  Fels  zum  Meer,  la  plus  belle  des  publications  illustrées  de 
l'Allemagne,  vient  d'agraiidir  son  format  et  d'apporter  à  la  publica- 
tion de  ses  superbes  livraisons  diverses  modifications  importantes. 
La.  livraison  par  laquelle  s'ouvre  sa  cinquième  année  contient 
227  pages  de  texte.  Elle  est  illustrée  d'un  très  grand  nombre  de 
magnifiques  gravures  parmi  lesquelles  il  en  est  quelques-unes  hors 
texte  qui  constituent  de  véritables  œuvres  d'art.  Un  supplément  est 
joint  au  numéro.  C'est  le  panorama  du  Ritig  de  Vienne,  avec  la 
reproduction  de  tous  les  monuments  qui  font  de  cette  ceintui-e  de  la 
capitale  autrichienne  une  promenade  sans  rivale.  On  remarquera 
aussi  l'excellente  description  de  Berlin  et  ses  emiirons,  illustrée  de 
gravures  sur  bois  représentant  tous  les  aspects  notables  de  la  ville. 

Bien  amusante  la  nouvelle  donnée  cette  semaine  par  le  Guide 
Musical.  Voici  comment  notre  spirituel  confrère  la  présente  : 

Tout  Bruxelles  a  lu  un  curieux  et  très  piquant  article  de  VEtoile 
belge,  intitulé  :  Physiologie  du  Conservatoire,  vive  et  amusante  cri- 
tique du  système  d'éducation  et  des  émineuts  docteurs  de  cet  établis- 
sement de  l'Etat. 

Cet  article  a  produit  une  émotion  indicible  à  tous  les  étages  de  la 
maison. 

L'illustre  directeur  a  imn^^diatement  écrit  au  Ministère  pour 
demander  une  loi  rétablissant  la  censure  et  un  décret  supprimant 
les  journaux  qui  critiquent  systématiquement  son  administration. 

Les  professeurs,  élèves,  parents  et  amis  des  élèves  ont  été  invités 
à  se  désabonner  à  XEtoile. 

Le  Conservatoire  de  Gaud  s'est  associé  à  ce  désabonnement  en 
masse. 

Enfin,  tous  ceux  qui,  de  près  ou  de  loin,  touchent  au  Conserva- 
toire, ont  été  invités  à  ne  plus  se  fournir  de  livres  et  de  journaux 
à  l'Office  da  Publicité  qui  a,  on  le  sait,  la  régie  des  annonces  de 
VEtoile. 

On  ne  peut  admettre  que  le  Conservatoire,  établissement  de  l'Etat, 
soit  plus  longtemps  exposé  à  des  attaques  aussi  injustes  et  aussi  peu 
fondées.  ' 

Que  deviendrait  l'art  musical  si  l'on  ne  muselait  les  polissons  de 
lettres  qui  ne  veulent  pas  admirer  tout  ce  qui  se  fait  rue  de  la 
Régence  ! 


268 


VkRT  MODERNE 


JOURNAL  DES  TRIBUNAUX 

PARAISSANT   LE    JEUDI    ET   LE   DIMANCHE 

FAITS.  ET  DÉBATS  JUDICIAIRES.   —   JURISPRUDENCE.  —  BIBLIOGRAPHIE.  —  LÉGISLATION.  —  NOTARIAT 


ADMINISTRATION 


A  la  librairie  FERDINAND  LARCIBR,  10,  rue  .des  Minimes,  à  Bruxelles 

Tout  ce  qui  concerne  la  rédaction  et  le  service  du  journal  doit  être  envoyé  à  cette  adresse.  —  Tout  nos  numéros 
sont  déposés. 

Toute  réclamation  de  numéros  doit  nous  parvenir  dans  le  mois  de  la  publication.  Passé  ce  délai,  il  ne  pourra  y 
être  donné  suite  que  contre  paiement  de  leur  prix.  • 


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Belgique  :  Un  an,    18  francs.  —  Six  mois,   10  francs.  —  Etranger  (Union  postale)  :  Un  an,  23  francs. 

Le  numéro  :  20  centimes. 

Il  sera  rendu  compte  de  tous  les  ouvrages  relatifs  au  droit  et  aux  matières  judiciaires  dont  deux  exemplaires 
parviendront  à  la  rédaction  du /owrna/.  " 

ANNONCES  :  30  centimes  la  ligne  et  à  forfait 

Le  Journal  insère  spécialement  les  annonces  relatives  au  droit,  aux  matières  judiciaires  et  au  notariat. 


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Bruxelles.  —  Imp.  Félix  Callbwaert  père,  rue  de  l'Industrie,  26. 


Cinquième  année.  —  N°  34 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  23  Août  1885. 


L'ART 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTERATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,  un  an,  fr.   10.00;  Union  postale,  fr.   13.00.    —  ANNONCES  :    On  traite  à  forfait. 


Adj^esser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à      -    . 

l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


? 


OMMAIRE 


Essai    de    pathologie    littéraire.    Les   Symbolistes.    Premier 
article.  —  Bibliographie.  Léon  Cladel  et  sa  kyrielle  de  chiens. 

—  La  situation  musicale  en  Belgique.  —  La  primauté  histori- 
que DE  l'art  littéraire.  —  Memento  des  expositions  et  concours. 

—  Petite  chronique.    ;  ' 


ESSAI  DE  PATHOLOGIE  LITTÉRAIRE  0 

LES  SYMBOLISTES 

Premier  article 

Adoré  Floupette  vient  d'exécuter  Zola,  Hugo,  Cop- 
pée,  le  Parnasse,  la  poésie  rustique,  le  naturalisme. 
Marins  Tapora,  épouvanté,  s'écrie  :  Mais  que  reste-t-il 
donc?  —  Floupette,  le  regard  fixe,  l'index  levé  au  ciel, 
la  voix  grave  et  tremblante,  répond  :  Il  reste  le  sym- 
bole! 

Qu'est-ce  que  le  symbole  ? 

S'il  s'agissait  de  l'activité  littéraire  commune  et  du 
mot  employé  dans  son  sens  ordinaire,  il  n'y  aurait  pas 
grande  difficulté  à  répondre.  Mais  une  solution  aussi 
simple  ferait  hausser  les  épaules  à  la  séquelle  de  Flou- 
pette. L'activité  littéraire  commune  !  Le  sens  ordinaire 
des  mots!  comme  si  cela  valait  la  peine  qu'on  s'en 
occupe.  Leur  symbolisme  est  un  symbolisme,  mais  nul- 
lement le  symbolisme  :  c'est  précisément  ce  qui  en  fait 
l'originalité  et  le  mérite.  — Oui,  mais  nous  est  avis  que 


{')  Voir  nos  n"  19  et  26  juillet,  2, 9  et  16  août  1885. 


c'est  précisément  aussi  ce  qui  en  fait  le  caractère  noso- 
logique. 

Il  faut  remonter  un  peu  haut  pour  faire  comprendre 
ce  mystère  au  vulgum  pecus,  dont  nous  sommes  et 
pour  qui  nous  écrivons.    . 

Le  symbolisme  dans  les  arts,  n'a  pas  attendu  Flou- 
pette pour  se  révéler.  Il  est  la  dominante  des  œuvres 
qui  durent.  Il  consiste  à  dégager  si  nettement  et  à  ex- 
primer si  fortement  une  ou  plusieurs  des  grandes  géné- 
ralités de  l'humanité  ou  de  la  nature,  que,  longtemps 
après  que  l'œuvre  a  été  créée,  les  générations  s'y 
retrouvent  encore  dans  quelques-uns  de  leurs  senti- 
ments, et  la  tiennent  pour  aussi  vraie,  aussi  émouvante, 
aussi  belle  qu'aux  premiers  jours.  Le  symbole  ainsi 
compris,  c'est  le  type.  Il  incarne  une  passion  redoutable 
ou  touchante,  il  résume  une  époque  brillante  ou  sinis- 
tre, il  formule  une  grande  vérité,  il  matérialise  une  loi 
naturelle.  De  là  lui  vient  sa  force  et  sa  persistance. 

Tantôt  l'artiste  qui  l'a  compris  et  réalisé  y  ajoute 
des  détails  pris  aux  mœurs  de  son  temps.  C'est  le  cas- le 
plus  ordinaire. Mais  qu'importent  ces  éléments  passagers 
s'ils  n'occupent  que  la  seconde  place,  s'ils  ne  sont  que 
des  ornements  sous  lesquels  le  type  se  dresse.  L* Iliade 
semble  la  plus  puissante  expression  de  ce  genre.  Les 
héros  et  les  héroïnes  qui  s'y  meuvent  demeurent,  mal- 
gré l'attirail  grec  et  troyen,  des  figures  symboliques 
d'une  unité  et  d'une  clarté  incomparables.  Dans  les 
temps  modernes,  Shakespeare  à  son  tour  a  sculpté  des 
types  qui  semblent  immortels  et  la  cohorte  de  ses 
personnages  fournit  pour  chacune  des  conjonctures. 


/ 


tragiques  de  la  vie  une  figure  qui  résume  en  elle,  sous 
la  concentration  la  plus  intense,  quelque  phénomène  de 
notre  âme.,  sans  que  l'abondance  du  coloris  local,  qu'il 
s'agisse  de  Venise,  de  Vérone  ou  de  Londres,  enlève  " 
quelque  chose  à  la  solide  charpente  du  type..  Wagner 
a  réalisé  le  même  art,  en  prenant  pour  matériaux  les 
légendes  germaniques.  Ses  motifs  musicaux,  si  simples 
quoi  qu'on  en  dise,  si  grandioses,  si  populaires  déjà, 
symbolisent,  sous  les  individualités  théâtrales,  les  dou- 
leurs et  les  sensations  humaines  avec  une  séduction 
irrésistible. 

Tantôt  aussi  Têtre  symbolique  apparaît  plus  dégagé 
de  toute  contingence,  dans  une  sorte  de  nudité  sacrée, 
ou  bien  encore  sous  des  formes  générales,  vagues  en 
apparence,  en  réalité  d'une  précision  parfaite  mais  plus 
difficiles  à  discerner  dansi  l'objet  que  l'artiste  a  repré- 
senté. Telles  sont  les  divinités  de  l'Olympe,  soit  qu'elles 
aient  été  chantées  par  la  poésie,  soit  qu'elles  aient  été 
modelées  par  la  statuaire  :  Vénus  :  la  beauté.  Minerve  :  la 
sagesse.  Hercule  :  la  force.  Et  leur  puissance  symbo- 
lique est  telle  qu'à  plus  de  deux  mille  ans  de  distance, 
des  races  absolument  étrangères  à  la  Grèce  en  subis- 
sent encore  la  domination.  De  même,  pour  nous  rap- 
procher de  l'époque  présente,  Molière,  dans  ses  comé- 
dies où  circulent  sous  des  noms  quelconques  des  hommes 
et  des  femmes,  que  seul  un  esprit  superficiel  peut  croire 
du  temps  de  Louis  XIV,  a  vigoureusement  dessiné  des 
types  universels  :  Tartuffe,  le  Misanthrope,  l'Avare, 
Célimène. 

Voilà  l'art  symbolique.  Le  plus  grand,  le  plus  noble 
de  tous.  Mais  le  plus  difficile  aussi,  celui  auquel  le 
génie  seul  atteint.  Il  s'oppose,  en  sa  supériorité,  à  l'art 
d'observation  minutieuse  qui  caractérise  surtout  le 
roman  contemporain  occupé  de  décrire  un  point  dans 
l'espace  et  une  heure  dans  le  temps.  Art  salutaire,  certes, 
et  ingénieux,  mais  qui  passe  vite  et  qui,  par  cela  même 
que  son  influence  comme  son  succès  est  éminemment 
transitoire,  ne  peut  prétendre  à  une  dignité  aussi  haute. 

Dans  ses  règles  et  dans  sa  réalisation,  le  symbolisme 
semble  en  contradiction  avec  l'évolution  moderne  qui 
recommande  l'étude  du  milieu  et  sa  description  minu- 
tieuse de  telle  sorte  que  le  détail  est  l'objet  principal  de 
son  attention.  Cette  contradiction  apparente  importe 
peu,  la  variété  dans  les  manifestations  étant  la  plus 
salutaire,  la  plus  vraie  et  la  plus  consolante  des  lois 
artistiques.  Mais  au  fond,  ce  n'est  point  par  le  dédain 
des  particularités  qu'on  arrive  à  concevoir  un  symbole  ; 
c'est,  au  contraire,  par  leur  observation  la  plus  péné- 
trante; ce  sont  eux  qui  mènent  l'esprit  aux  vastes 
généralités,  sauf  que  le  créateur  d'un  type,  après  les 
avoir  dégagés  et  compris,  les  abandonne  tout  à  coup 
pour  s'en  tenir  à  l'ensemble  qui  les  résume  en  une 
unité  magnifique. 

L'œuvre  symbolique  est  parfois  obscure  pour  celui  qui 


la  contemple  pour  la  première  fois.  C'est  inévitable.  La 
majorité  des  hommes  est  faite  pour  le  menu  des  choses 
bien  plus  que  pour  leur  totalité.  Dans  tous  les  domai- 
nes ce  sont  les  lois  que  notre  esprit  perçoit  en  dernier 
lieu.  L'art  spécial  dont  nous  parlons,  s'il  est  rare  par  la 
rareté  des  génies  aptes  à  le  réaliser,  est  souvent  atta- 
qué par  la  difficulté  qu'on  éprouve  à  le  comprendre.  Il 
est  mystique,  hiératique,  parlant  le  langage  d'un  oracle, 
plein,  dirait-on,  de  sous-entendus,  de  pensées  mysté- 
rieuses, d'allusions  au  monde  invisible.  Les  dernières 
poésies  de  Victor  Hugo  contiennent  des  exemples  mul- 
tiples de  ces  œuvres  énigmatiques  dans  lesquelles  le 
vulgaire  ne  se  relti^ouve  pas,  niais  qui,  pour  Je  penseur, 
ont  une  séduction  étrange.  L'inquiétude  que  ce  vague 
sacré  éveille  en  lui  est  une  sensation  qu'il  recherche  et 
qu'il  est  enclin  à  préférer  à  la  précision  des  poésies  plus 
étroitement  attachées  à  la  terre.  Il  monte  alors  dans  une 
région  faite  de  ténèbres  et  de  perçants  rayons  de  surna- 
turelle lumière.  C'est  le  symbolisme  encore,  mais  non 
plus  celui  à  l'antique,  s'incarnant  en  un  dieu,  en  un  héros 
aux  harmonieux  contours.  C'est  celui  de  la  pensée,  du 
rêve  prophétique..  Nulle  part  nous  ne  l'avons  trouvée 
mieux  caractérisée  que  dans  une  pièce  des  Quatre 
Dents  de  Xesprit,  ayant  pour  titre  X Horreur  sacrée, 
que  nous  reproduisons  comme  exemple  décisif  de  ce 
genre  spécial,  apte  à  susciter  dans  l'âme  le  trouble  de 
l'inconnu.  Le  poète  parle,  on  croirait  entendre  Ezéchiel  : 

Je  suis  fait  d'ombre  et  de  marbre 
Comme  les  pieds  noirs  de  l'arbre, 
Je  m'enfonce  dans  la  nuit, 
J'écoute;  je  suis  sous  la  terre 
D'en  bas,  je  dis  au  tonnerre  : 
.^        Attends!  ne  fais  pas  de  bruit, 

Moi  qu'on  nomme  le  poète,    ' 
Je  suis  dans  la  nuit  muette 
L'escalier  mystérieux. 
Je  suis  l'escalier  Ténèbres, 
Dans  mes  spirales  funèbres 
L'ombre  ouvre  de  vagues  yeux. 

Les  flambeaux  deviendront  cierges. 
Respectez  mes  degrés  vierges, 
Passez,  les  joyeux  du  jour! 
Mes  marches  ne  sont  pas  faîtes 
Pour  les  pieds  ailés  des  fêtes, 
Pour  les  pieds  nus  de  l'amour. 

Devant  ma  profondeur  blême 
Tout  tremble,  les  spectres  même 
Ont  des  gouttes  de  sueur. 
Je  viens  de  la  tombe  morte  ; 
J'aboutis  à  cette  porte 
Par  où  passe  une  lueur. 

Le  banquet  rit  et  flamboie. 
Les  maîtres  sont  dans  la  joie 
Sur  leur  trône  ensanglanté  ; 
Tout  les  sert,  tout  les  encense, 
Et  la  femme  à  leur  puissance  , 
Mesure  sa  nudité. 


Laissez  la  clef  et  le  pêne. 
Je  suis  l'escalier  ;  la  ]\e'me 
Médite;  l'heure  viendra. 
Quelqu'un  qu'entourent  les  ombfes 
Montera  mes  marches  sombres 
Et  quelqu'un  les  descendra. 

Ne  dirait-on  pas  d'un  oracle  sorti  de  Delphes  ou 
d'Endor,  écrivait  Emile  Verhaeren,  citant  lui  aussi 
cette  pièce  extraordinaire?  Cette  poésie  toute  d'obscu- 
rité, communiquant  Teffroi  mystérieux  et  terrible, 
accablante  comme  l'horreur,  tragique  comme  le 
châtiment,  est  un  colossal  effort  du  génie  épique 
pour  franchir  les  limites  de  l'humain.  Cela  semble  écrit 
depuis  des  siècles  sur  l'airain  par  quelqu'un  d'inconnu  ; 
cela  vient  d'au  delà  des  temps  et  des  espaces,  menaçant 
et  tranquille,  et  sûr,  et  immuable;  chacun  de  ces 
treïite-six  vers  contient  comme  une  fatalité,  comme  un 
poids  de  ^engeance.  Ils  incarnent  l'éternité,  ils  ont  des 
sonnances  de  bronze,  ils  cortègent  dans  l'escalier 
Ténèbres  avec  des  lampes  portées  par  des  mains  de  fer; 
ce  sont  des  ombres  formidables  écrivant  on  ne  sait  quel 
Mané  Thécel  Phases  sur  des  murs  de  nuit. 

Il  nous  fallait  parler  de  ce  symbolisme  mystique  pour 
arriver  à  nos  symbolistes  d'aujourd'hui.  Ils  ont  subi  la 
séduction  âpre  et  souveraine  de  cette  poésie  surhu- 
maine. Et  ils  ont  essayé  de  la  réaliser  à  leur  tour.  Mais 
leurs  mains  furent  trop  faibles  pour  manier  ces  outils 
de  géant.  Comment  leurs  efforts  impuissants  les  ont 
induits  à  se  confiner  dans  cfe  qu'ils  nomment  le  symbo- 
lisme ésotérique^  ce  que  cela  veut  dire  et  pourquoi 
nous  le  considérons  comme  une  maladie^  c'est  ce  que 
nous  exposerons  dans  un  prochain  article. 


PlBUOQRAPHIE 

Léon  Gladel  et  sa  kyrielle  de  chiens. 

Rien  de  ce  qui  touche  les  artistes  de  marque  ne  doit  être 
étranger  à  la  critique,  l^s  chats  qu'il  ^âîiyiait  traversent  la  poésie 
de  Baudelaire  et  y  mettent  leur  fôlinité.  L'amour  que  Gautier 
éprouvait  pour  les  souris  blanches  convient  à  l'auteur  de  cer- 
taines strophes  d'Emaux  et  Camées ^  et  Léon  Cladel,  glorifiant  les 
chiens,  donne  une  explication  de  son  caractère. 

Un  artiste  à  sentiments  primitifs,  simples  et  rudes,  comme 
l'auteur  de  la  Fête  de  Saint-Bar tholomé-porte-glaive^  des  Va-nu- 
pieds  et  de  Crête-Rouge,  doit  aimer  surtout  les  chiens.  C'est  dans 
l'ordre.  La  fidélité,  la  tendresse,  la  bonté,  le  dévouement,  la  vigi- 
lance, la  reconnaissance,  toute  l'âme  rudimentaire  de  l'homme 
habite  en  eux. 

Léon  Cladel,  qui  a  traversé  l'enfer  parisien  sans  se  brûler  le 
cœur  et  qui  a  laissé  se  survivre  en  lui  son  âme  d'enfant,  s'aime  en 
eux,  et  ce  n'est  que  justice  qu'il  les  célèbre  avec  toute  une  exal- 
tation de  poète,  lui,  le  chanteur  des  humbles,  des  courbés,  des 
méconnus,  des  écrasés  et  des  héros. 

Toute  sa  vie  son  amour  pour  les  chiens  l'a  fait  cohabiter  avec 
un  chien.  C'est  donc  cette  vie  à  deux  qu'il  raconte.  Le  présent 


livre  n'estqu'unc  première  série;  plus  tard  nous  serons  mis  au  fait- 
d'autres  romans  et  les  aventures  et  les  histoires  continueront  jus- 
qu'au temps  où  nous  sommes,  temps  heureux  où  le  maître  se 
montrera  tel  qu'il  nous  est  apparu,  le  jour  où  il  nous  a  été  donné 
de  l'approcher  et  de  Taimer  :  roi  chevelu  assis  dans  un  "fauteuil, 
flanqué  à  droite  et  à  gauche  de  deux  chiens  superbes  comme  ces 
princes  de  races  barbares  sur  leurs  sièges  de  chône  où  deux  têtes 
de  dogues  sculptés  se  hérissaient  k  chaque  angle  du  dossier. 

Le  premier  compagnon  dont  Cladel  se  souvienne  est  celui  qui 
aboyait  autour  de  son  berceau,  le  bien  nommé  Carabi;  puis 
Quasca,  le  farouche  gardien  de  M ontauban-tu-ne-V auras-pas  ; 
ensuite  Sévère  ;  ensuite  Torrent  et  Montagne  ;  et  encore  César  ;  et 
enfin  Monsieur  Touche.  La  biographie  de  ce  dernier  prend  plus 
de  la  moitié  du  livre. 

Tous  ces  chiens  ont  une  physionomie,  une  note,  un  caractère  ; 
tous  sont  grandis  et  comme  magnifiés.  Cladel  leur  donne  h.  foison 
les  suprêmes  dons,  les  vertus  profondes  ;  ce  sont. des  chiens  cou- 
lés dans  le  bronze  de  son  art,  ce  sont  des  chiens  nimbés. 

11  n'est  fait  exception  que  pour  Monsieur  Touche.  Celui-ci 
n'est  pas  un  Dieu,,  mais  simplement  un  homme,  — ^  il  a  des 
défauts.  i' 

Et  son  odyssée  est  superbe  h  ce  gringalet,  à  ce  diablotin,  à  ce 
tant  choyé,  tant  drôle,  tant  funambulesque  lîichon,  qui  trimballe 
et  noctambule  dans  les  équipées  bohèmes,  qui  dort  dans  les  sou- 
pentes et  pissé  dans  les  gouUières,  qui  mange  du  vent  et  boit  de 
la  pluie,  qui  brûle^  en  vrai  Parisien  détraqué  sa  vie  de  chien  — 
c'est  bien  le  terme  —  et  reste  néanmoins  joyeux,  jappant,  télé-- 
graphianl  de  la  queue,  tricotant  son  petit  trot  â  la  suite  de  son 
maître,  par  la  boue,  par  les  bises,  par  les  gelées,  par  les 
automnes  et  les  hivers,  toujours,  toujours,  toujours.  Ah  !  les 
misères  qu'il  pratique,  la  vache  enragée  qu'il  happe,  l'existence 
de  hasard  qu'il  souffre!  Et  néanmoins  il  a  ses  consolations,  ses 
joies  luronnes,  ses^  franches  lippées  d'amour.  Et  cela,  non  pas 
avec  des  chiennes  que  diable!  mais  avec  de  génies  femmes  qui 
jettent  en  son  honneur  leur  bonnet  par  dessus  les  moulins.  Où 
les  plus  fringants  des  jeunes  étudiants  sont  rabroués,  lui,  le  sul- 
tan triste-à-pattes,  se  pavane  en  vainqueur,  et,  qui  plus  est,  là 
où  Cladel  n'ose  entreprendre  le  siège,  lui,  le  don  Juan,  entre  tête 
haute  et  profite  de  la  victoire  pour  imposer  son  maître. 

Ainsi  vit-il.  Quanta  sa  mort?... 

Un  soir,  Cladel  reçoit  un  billet  de  galerie.  Il  court  applaudir 
Hugo,  désolé  de  ne  pouvoir  amener  son  chien,  mais  confiant 
Monsieur  Touche  à  son  meilleur  copain.  Les  recommandations 
les  plus  chaudes  ne  font  défaut.  La  garde  de  l'animal  est  chose 
sacrée,  c'est  une  preuve  de  confiance  excessive,  d'amitié,  de  frère 
à  frère. 

Hélas! 

Le  copain  n'avait  pas  mangé,  il  avait  une  maîtresse  qui  se 
fichait  bien  de  la  vie  d'un  chien  et  de  la  colère  d'un  maître. 

Le  chien  est  vendu  et  tué  pendant  la  représentation. 

Pauvre  Monsieur  Touche  ! 

La  tristesse,  le  désespoir,  le  remords,  la  colère,  la  rage,  qui 
les  notera  dans  le  cœur  du  pauvre  Quercynois  berné,  volé, 
perdu?... 

Toute  cette  histoire  est  menée  à  merveille.  Le  grand  style  de 
Cladel,  à  la  fois  familier  et  fier,  populaire  et  épique,  trivial  et 
grand,  s'assouplit  dans  cette  naïve,  tendre  et  originale  scène  de 
la  vie,  sans  perdre  son  allure  emportée  et  son  pas  intrépide.  Dans 
chaque  phrase,  longue  comme  un  défilé,  les  mots  d'origines 


,  diverses,  les  mots  en  blouse,  les  mots  en  burnous,  les  mots  en 
peplunn,  les  mois  en  colle  de  mailles,  les  mois  en  toges,  tous 
passent  et  l'on  entend  l'auleur  qui  sonne  la  charge,  el  le  tambour 
qui  bat,  et  le  canon  qui  tonne  et,  par  dessus  tout,  flottent  des 
drapeaux,  dos  pennons,  des  oriflammes,  comme  s'il  s'agissait  de 
monter  à  l'assaut  de  quelque  superbe  bastille. 

La  Kyrielle  de  chiens  est  un  des  meilleurs  livres  de  maître 
Léon  Cladel. 


J.A    $ITUATION    MUSICALE    EN    i^ELQIQUE 

Le  Guide  musical  publie  sous  ce  litre,  dans  ses  derniers  numé- 
ros, de  bons  articles  relatifs  à  l,a  mauvaise  orfranisalion  donnée, 
en  Belgique,  au  dévoloppcmenl  de  l'art  musical,  à  l'insuifisance 
dos  ressources,  à  l'absence  de  locaux  pour  les  concerts.  Nous 
avons  à  mainles  reprises  fait  campagne  en  faveur  des  idées  pré- 
conisées par  le  siiijnalaire  des  articles,  sur  la  personnalité  duquel 
les  initiales  ne  laissent  guère  planer  d'équivoque.  11  s'agit  d'un 
amateur  de  musique  délicat  et  très  compélent.  Voici  quelques 
observations  extraites  de  son  étude.  Elles  sont  pleines  de  bon  sens 
et  fixeront,  espérons-le,  l'attention  publique» 

Lii  où  commence  le  travail  sérieux  de  l'artiste  qui  se  recueille 
pour  chercher  sa  voie,  à  mesure  que  nous  montons  l'échelle  de 
l'art  musical,  le  vide  se  fait.  Il  n'y  a  plus  rien  ou  presque  plus 
rien  et  ceux  qui  dirigent  l'éducation  musicale  des  jeunes  artistes, 
après  avoir  trouvé  qu'il  convenait  de  demander  des  centaines  de 
mille  francs  pour  les  éludes  primaires  des  jeunes  musiciens,  n'é- 
lèvent pas  même  la  voix  pour  réclamer  le  développcmenl  du  pro- 
gramme d'éducation  supérieure  qu'ils  ont  tracé  eux-mêmes,  et 
les  administrateurs  que  nous  chargeons  de  veiller  à  ce  que  nos 
ressources  soient  réparties  de  manière  à  assurer  une  organisation 
logique  et  complète  dans  le  concours  que  le  pays  doit  donner  à 
l'art,  semblent  ne  pas  se  douter  qu'ils  se  laissent  mellro,  par  des 
gens  intéressés,  dans  la  situation  d'un  père  à  qui  son  fils  deman- 
derait de  faire  des  éludes  de  droit  et  qui  payerait  les  frais  de  son 
éducation  jusqu'en  quatrième  latine.  Ah!  dira-t-on,  vous  oubliez 
les  festivals,  les  subsides  aux  concerts  populaires!  Eh  bien!  soit, 
parlons-en.  Les  festivals,  d'abord,  ne  comptent  que  dans  une 
mesure  assez  restreinte,  puisqu'ils  se  résument  en  quelques 
heures  de  musique  par  an  et  que,  de  plus,  les  organisateurs  de 
ces  fêles,  obéissant  à  des  préoccupations  financières  qui  domi- 
nent toutes  les  autres  à  leur  point  de  vue,  négligent  le  choix  logi- 
que des  œuvres  dont  je  parlais  pour  céder  à  des  considérations 
dictées  par  les  circonstances. 

Je  demande  ensuite  où  se  donnent  les  festivals  el  les  concerts? 
Procède-t-on  pour  eux  comme  on  a  procédé  pour  le  Conserva- 
toire de  Bruxelles,  par  exemple?  Leur  donne-t-on  une  salle  leur 
appartenant  à  eux  exclusivement  bien  qu'elle  soit  payée  par  tous  ? 
Les  installe-t-on  dans  des  conditions  d'exécution  semblables,  en 
mettant  à  leur  disposition  une  salle  appropriée  comme  dimensions 
à  la  quantité  de  personnes  qui  ont  l'iiabiludo  de  composer  aussi 
bien  la  moyenne  des  exécutants  que  celle  des  auditeurs  de  con- 
cert, et  pourvue  de  l'indispensable,  parmi  lequel  figure  tout 
d'abord  l'installation  des  orgues.  Cherchons  à  Bruxelles  la  salle 
de  concerts  que  l'on  pourrait  comparer  à  celle  du  Conservatoire? 
Nous  ne  forons  pas  l'injure  à  un  seul  musicien  de  lui  laisser  pro- 
noncer le  nom  du  Palais  des  beaux-arts,  où  l'on  installe  l'orches- 
tre dans  un  vestibule,  el  les  orgues  au  dessus  d'une  porte,  au 


milieu  d'une  série  de  galeries  non  fermées  q^i  donnent  un  peu 
l'illusion  d'un  instrument  placé  au  centre  d'une  place' publique. 
Dans  le  vestibule  du  Palais  des  beaux-arts,  jamais  une  œuvre  n'a 
pu  arriver  à  être  entendue  dans  des  conditions  convenables,  à 
moins  d'être  exécutée  par  un  ensemble  tout  à  fait  extraordinaire 
de  cent  instrumentistes  et  trois  cents  chanteurs  au  moins.  Dans 
ce  même  vestibule  du  Palais  des  beaux-arls,  si  vous  ne  consen- 
tez à  payer  un  prix  fort,  unique  pour  toutes  les  stalles,  vous  êtes 
exposé  à  vous  voir  assis  à  30  mètres  de  l'orchestre  el  à  40  mè- 
tres de  hauteur  pour  entendre  la  musique  dans  des  galeries  voi- 
sines restées  ouvertes  à  toutes  les  résonances,  sans  avoir  les 
jouissances  de  la  vue  qui  ont  leur  prix  également  à  côté  de  celles, 
de  l'ouïe  dans  une  audition  musicale.  —  Non,  avouez  que  le 
triste  personnage  qui  a  imaginé  celte  salle  de  concerts  a  sa  place 
toute  marquée  dans  le  Panthéon  que  Berlioz  a  ouvert  aux  gro- 
tesques de  la  musique. 

Est-ce  à  la  porte  d'un  théâtre  quelconque  que  Ton  peut  aller 
frapper  pour  demander  l'hospitalité  alors  que  d'une  part  les 
salles  de  spectacle  sont  encombrées  par  les  travaux  de  leur  ser- 
vice quotidien  et  que  l'on  est  obligé,  lorsqu'on  parvient  à  y 
entrer,  d'entasser  au  fond  d'une  scène  encombrée  de  décors  un 
orchestre  désormais  privé  de  toute  vibration  el  qu'enfin  l'on  est 
privé  de  la  grande  voix  de  l'orgue  à  peu  près  indispensable  à 
toute  importante  exécution  musicale. 

On  ne  peut  prétendre  que  j'exagère  à  plaisir;  et  à  ceux  k  qui 
leur  ignorance  de  ces  questions  spéciales  laisserait  un  doute 
dans  l'esprit,  je  conseille  la  lecture  de  l'Annuaire  du  Conserva- 
toire d'il  y  a  quelques  années  ;  ils  y  trouveront  développés  avec 
un  talent  el  une  autorité  que  je  n'ai  certes  pas,  les  arguments  en 
faveur  de  la  nécessité  indispensable  d'une  salle  de  concerts  con- 
venable et  munie  de  grandes  orgues,  lorsqu'il  était  question 
d'établir  celte  salle  au  Conservatoire. 

Donc  à  ces  festivals  el  surtout  à  ces  concerts  populaires 
chargés  d'êlre  l'expression  de  la  musique  moderne  et  de  bien 
d'auires  choses  encore,  on  ne  donne  pas  même  un  local  conve- 
nable. 

Et  cependant,  les  propositions  n'ont  pas  manqué. Le  Gouverne- 
ment n'a^  pas  même  été  obligé  de  dépenser  une  initiative  quel- 
conque en  cette  matière,  il  s'est  trouvé  plusieurs  fois  des  musi- 
ciens faisant  une  offre  acceptable.  Il  m'en  revient,  à  l'instant, 
une  à  l'esprit  :  c'est  à  l'administration  communale  qu'elle  fut 
faite.  Au  Waux-Hall,  derrière  le  Cercle  artistique,  se  trouve  un 
espace  qui  doit  avoir  aujourd'hui  le  privilège  d'intéresser  les 
nombreux  Belges  devenus  colonisateurs,  puisqu'on  l'appelle  vul- 
gairement l'Afrique.  Un  groupe  de  musiciens  doublé  de  quelques 
capitalistes  offrait  k  l'administration  d'y  bûlir  une  salle  de  con- 
certs complètement  aménagée  el  dont  le  principal  but  devait  être 
de  permettre  aux  Bruxellois  d'entendre  l'orchestre  de  la  Monnaie 
à  l'abri  pendant  les  soirées  d'été  pluvieuses  (on  dit  qu'il  y  en  a 
chez  nous).  Et  la  ville  â  répondu...  que  le  Parc  était  déjà  insuf- 
fisant aux  promeneurs;  or,  qui  de  nous,  se  trouvant  au  Parc,  a 
jamais  songea  choisir  ce  coin  du  Waux-Hall  comme  but  de  pro- 
menade? Et  peut-on  raisonnablement  opposer  pareille  réponse  à 
une  proposition  aussi  favorable  pour  le  public  déjà  privé  de  plai- 
sirs en  été? 

Je  veux  néanmoins  passer  sur  ce  point.  Mais  n'est-il  pas  évi- 
dent que  l'on  reconnaît  pleinement  la  nécessité  d'une  salle  de 
concerts  à  Bruxelles,  puisqu'on  a  imaginé  d'en  faire  la  caricature 
au  Palais  des  beaux-arts.  Eh  bien  !  celle  nécessité  n'imposait-elle 


pas  autre  chose  qu'une  insiallalion  ridicule  dont  la  dépense  peut 
être  considérée  comme  perdue? 

Donc,  pas  de  salle  de  concerts  !  La  musique  s'installe  où  et 
comment  elle  peut,  ballottée  aux  exigences  de  l'exploitant  du 
théâtre  qui  a  été  un  peu  plus  complaisant  que  les  autres  pour  la 
recevoir,  et  qui  a  même  le  mérite  de  s'occasionner  une  véritable 
gêne  en  la  recevant. 


LA  PRIMAUTÉ  niSTOBIQUE  DE  L'ART  LIITÉBAIBË 

La  poésie  naquit  en  Grèce  bien  avant  les  arts  du  dessin. 
L'épopée  d'Homère  et  d'Hésiode  a  précédé  de  plusieurs  centaines 
d'années  les  premières  œuvres  de  la  plastique  grecque  qui  aient 
quelque  beauté.  Pendant  les  deux  siècles  que  remplit  le  dévelop- 
pement de  la  poésie  lyrique,  l'architecture,  la  sculpture  et  la 
peinture  sont  encore  bien  loin  du  libre  essor  et  de  la  perfection 
savante.  Seul,  le  drame  attique,  ce  dernier-né  de  l'imagination 
grecque,  voit  éclore  auprès  de  lui  et  sous  ses  yeux  les  chefs- 
d'œuvre  de  l'art. 

La  raison  de  ce  phénomème  est  facile  à  saisir;  dans  les  arts 
du  dessin,  la  matière  oppose  plus  de  résistance  à  l'idée  que  dans 
les  arts  oii  celle-ci  se  traduit  par  des  sons.  Cette  dernière  tra- 
duction a  quelque  chose  de  plus  direct,  de  plus  spontané,  de 
plus  rapide.  Chez  tous  les  peuples  heureusement  doués,  alors 
même  qu'ils  semblent  posséder  h  peine  les  premiers  rudiments 
de  ce  que  nous  appelons  la  civilisation,  l'esprit,  maître  d'une 
langue  dont  les  termes  ont  encore  les  vives  et  fraîches  couleurs 
de  la  jeunesse,  ne  se  contente  pas  de  disposer  les  mots  avec  une 
justesse  et  une  sûreté  merveilleuses,  dans  l'ordre  que  lui  suggère 
l'émotion  du  moment,  ordre  que  chercheront  plus  lard  à  imiter, 
sans  toujours  y  réussir,  les  écrivains  de  profession.  De  très 
bonne  heure,  l'esprit  fait  plus  et  mieux  encore;  il  devine  les 
secrets  du  nombre,  il  invente  le  rythme  poétique  ;  il  saisit  du 
premier  coup  toutes  ces  correspondances  mystérieuses  en  vertu 
desquelles  tel  concours  de  sons,  tel  changement  de  mètre  a  le 
pouvoir  de  rappeler  à  l'âme  certaines  impressions  physiques  et 
d'éveiller  en  elles  certaines  suites  de  pensées.  Parmi  toutes  les 
créations  de  l'homme  la  langue  est  la  première  qu'il  conduise 
à  la  perfection;  toute  compliquée  qu'elle  nous  paraisse  quand 
nous  venons  aujourd'hui,  par  l'analyse  scientifique,  en  démontrer 
et  en  étudier  les  pièces,  elle  est  le  premier  instrument,  le  premier 
moyen  d'expression  dont  il  apprenne  à  se  servir  avec  une  libre 
et  gracieuse  aisance.  - 

A  première  vue,  nous  pourrions  penser  qu'il  a  dû  être  plus 
facile  soit  de  modeler  en  argile  une  figure  d'homme  ou  d'animal, 
soit  d'en  crayonner  la  silhouette  sur  une  muraille,  que  d'arriver 
à  créer  la  langue  si  simple  et  si  colorée  tout  à  la  fois,  le  mètre 
si  noble  et  si  souple  dont  disposaient  déjà  ces  aèdes  que  nous 
devinons,  que  nous  entrevoyons  derrière  Homère.  Il  faut  bien 
croire..,p0urlant  qu'il  n'en  est  pas  ainsi,  puisqu'alors  le  génie 
grec  était  encore  incapable  de  revêtir  d'une  forme  vivante,  par 
la  peinture  ou  la  scuplure,  ces  types  supérieurs  de  force  et  de 
grâce  qu'avait  conçus  l'imagination  des  poètes  et  dont  elle  avait 
fait  les  dieux  et  les  héros.  Supposez  un  contemporain  d'Homère 
qui  se  serait  mis  en  tête  de  représenter  les  habitants  de 
l'Olympe  tels  qu'ils  s'oifraient  à  lui  dans  les  vers  des  poètes,  de 
figurer  un  Zeus  ou  un  Apollon,  une  Aphrodite  ou  une  Artémis  ;  que 
sa  main  se  fût  armée  d'un  morceau  de  charbon  ramassé  parmi 


les  cendres  du  foyer  ou  que  ses  doigts  eussent  péiri  et  tourmenté 
la  terre  humide,  jamais  il  ne  serait  arrivé  qu'à  produire  quelque 
informe  et  grossière  idole,  aussi  éloignée  de  la  vérité  et  de  la 
beauté  que  ces  barbouillages  où  s'essaie  le  crayon  maladroit  d'un 
enfant  de  six  ans.  La  plastique  repose  sur  un  certain  nombre  de 
conventions,  et  celles-ci  se  retrouvent,  à  qifelques  variantes  près, 
chez  tous  les  peuples  qui  ont  un  art  digne  de  ce  nom.  Ces 
conventions,  l'artiste  ne  les  propose  et  son  public  ne  les  com- 
prend et  ne  les  accepte  qu'après  bien  des  recherches  et  bien  des 
tâtonnements,  au  terme  d'une  longue  éducation  des  yeux.  Ainsi, 
de  tous  les  modes  d'interprétation,  celui  qui  se  tient  le  plus  près 
de  la  réalité,  c'est  le  modelage  d'une  figure  en  ronde-bosse; 
il  ne  donne  cependant  que  le  contour,  il  supprime  la  couleur, 
et,  par  ce  côié,  il  demeure  encore  dans  la  convention.  Pour 
suppléer  à  ce  qu'il  élimine,  il  lui  faut  recourir  à  certains  partis- 
pris,  renoncer  à  copier  exactement  le  détail  afin  d'obtenir  un 
effet  d'ensemble;  voyez,  par  exemple,  comment  la  sculpture, 
dans  le  visage  de  l'homme,  traite  l'œil  ou  les  cheveux  !  Que 
serait-ce  donc  si  nous  parlions  du  bas-relief,  de  la  peinture, 
enfin  du  dessin  proprement  dit,  lequel,  pour  rendre  la  nature, 
n'a  ni  l'épaisseur  ni  là  couleur?  avec  un  pou  de  noir  sur  du 
blanc,  il  arrive  pourtant  à  produire  l'illusion  de  la  vie,  à  distin- 
guer tous  les  caractères  de  la  forme,  toutes  les  nuances  de  l'ex- 
pression. 

Lorsque  l'expérience  a  découvert  et  que  la  pratique  a  coordonné 
tous  les  procédés  dont  la  réunion  compose  les  arts  plastiques, 
lorsqu'une  entente  s'est  établie  sur  ce  terrain  ^ntre  l'artiste  et 
son  public,  lorsque  celui-ci  sait  saisir  la  valeur  du  trait  le  plu-s 
léger  et  de  quelques  ombres  à  peine  indiquées,  il  paraît  étrange 
qu'il  ait  fa.llu  tant  d'efforts  et  de  siècles  pour  obtenir  des  résul- 
tats qui  semblent  si  simples.  Force  est  pourtant  de  se  rendre 
au  témoignage  des  faits.  La  loi  que  nous  venons  de  rappeler 
ressort  de  toute  l'histoire  du  génie  grec.  Or,  de  tous  les  grands 
peuples  qui  ont  concouru  à  l'œuvre  de  la  civilisation  occidentale, 
le  peuple  grec  est  celui  dont  l'évolution  a  été  la  plus  régulière, 
la  moins  troublée  par  l'intervention  perturbatrice  des  forces  du 
dehors.  A  prendre  celte  race  dans  son  ensemble,  comme  un  être 
collectif,  les  différents  états  de  l'âme,  avec  les  œuvres  par  les- 
quelles ils  se  manifestent,  les  différentes  phases  de  la  vie  et  de 
la  production  s'y  succèdent  dans  l'ordre  même  qui  préside  au 
développement  de  l'individu,  lorsque  celui-ci  est  placé  dans  des 
conditions  normales.  En  Grèce,  chaque  fruit  paraît  et  mûrit  en 
sa  saison.  Celte  avance  que,  chez  les  Grecs,  ce  peuple  si  bien 
doué  pour  l'art,  la  poésie  a  prise  sur  la  plastique,  n'est  donc  pas 
la  conséquence  d'un  accident  et  d'un  hasard;  il  y  a  là  l'effet 
d'une  loi  que  l'histoire  de  la  Grèce  suffirait  à  constater;  mais  que 
l'on  aura  l'occasion  de  vérifier  ailleurs  encore,  à  mesure  que  l'on 
"connaîtra  mieux  le  passé  de  l'humanité. 

Toul  ce  que  nous  avons  dit  de  l'art  s'applique,  dans  une  cer- 
taine mesure,  à  Tludustrie.  Celle-ci  ne  se  propose  pas,  comme 
l'art,  d'exprimer  des  idées;  elle  ne  vise  qu'à  satisfaire  des  besoins 
physiques;  mais  si,  dans  la  production  industrielle,  l'etTort  a 
changé  d!objet,  c'est  encore  sur  la  matière  qu'il  s'exerce;  c'est 
toujours  elle  que  l'homme  doit  dompter,  assouplir  et  façonner, 
qu'il  veuille  modeler  une  statue  ou  qu'il  s'applique  à  se  loger  et 
à  se  meubler,  à  s'armer,  à  se  parer  et  à  se  vêtir.  Dans  l'un  et 
l'autre  cas,  il  faut  tailler  la  pierre  ou  le  bois,  pétrir,  tourner  et 
cuire  l'argile,  fondre  et  ciseler  le  métal.  Le  moindre  ouvrage  de 
ce  genre  suppose  la  connaissance  de  procédés  techniques  dont 


chacun  représente  un  long  travail  de  rinlelligence,  toute  une 
suite  dé  découvertes  dues  à  des  inventeurs  qui,  pour  n'avoir  pas 
laissé  de  nom  dans  la  mémoire  des  hommes,  n'en  ont  pas  moins 
fait  preuve  d'autant  de  génie  que  ,les  Gutenberg,  les  Papin,  les 
Watt  et  les  Edison.  A  celui  qui  la  possède,  une  recelte  de  celte 
espèce  assure  de  tels  avantages  qu'il  y  a  un  intérêt  capital  à  se 
l'approprier;  c'est  tout  de  suite  une  prodigieuse  épargne  de  peine 
et  de  temps,  la  vie  rendue  plus  aisée  et  plus  douce,  un  notable 
accroissement  de  richesse  et  de  puissance.  Dès  qu'il  en  trouve 
l'occasion,  un  peuple  n'hésite  donc  pas;  il  s'empare  avec  avidité 
de  tout  ce  que  peuvent  lui  fournir,  en  ce  genre,  des  voisins  plus 
avancés;  il  commence  par  consommer  les  produits  ouvrés  qu'on 
lui  livre,  puis  bientôt,  dès  que  les  relations  deviennent  plus 
étroites,  il  aspire  à  deviner  le  mystère  des  façons  et  des  tours  de 
main  ;  en  regardant  travailler,  il's'essaie  à  dérober  tous  les  secrets 
du  métier.  S'il  a  d'heureuses  dispositions  et  que  les  circonstances 
le  favorisent,  l'élève  pourra  plus  tard  dépasser  ses  maîtres;  mais, 
chez  ceux  mêmes  qui  ont  marché  le  plus  vile  et  qui  sont  allés  le 
plus  loin,  il  y  a  toujours  eu,  au  début,  une  période  plus  ou  moins 
prolongée  au,  dans  l'art  comme  dans  l'industrie,  on  n'a  su  mettre 
la  matière  en  œuvre  que  d'après  les  types  et  par  des  procédés 
d'emprunt. 

Il  n'en  est  pas  de  même  pour  la  langue;  sauf  chez  certaines 
races  très  inférieures,  celle-ci  peut,  presque  toujours,  en  se  déve- 
loppant, se  prêter  à  l'expression  de  toutes  les  idées  et  dé  tous  leg 
sentiments;  c'est  pourquoi,  mis  en  présence  d'une  civilisation 
même  très  supérieure,  un  peuple  ne  songe  pas  à  désapprendre 
son  propre  idiome;  à  mesure  qu'il  éprouve  des  besoins  nouveaux, 
il  se  contente  d'assouplir  son  instrument  et  d'en  compliquer  le 
jeu,  d'ajouter  des  notes  à  ce  clavier  dont  toutes  les  touches 
s'ébranlent  et  résonnent  au  moindre  souffle  de  sa  pensée.  C'est 
ainsi  que,  grâce  à  la  spontanéité  de  la  parole  et  à  la  facilité  avec 
laquelle  l'esprit  la  projette  au  dehors,  le  génie  grec  put,  dès  le 
X®  ou  le  ix*"  siècle  avant  notre  ère,  créer  V Iliade  et  VOdyssée.  Ces 
deux  épopées  sont  des  ehefs-d'ceuvre  dont  rien  n'approche,  dans 
tout  ce  que  nous  connaissons  des  littératures  de  l'Egypte  et  de  la 
Chaldée.  Les  orientalistes  ont  beau  nous  traduire  et  nous  vanter 
le  Poème  de  Penta'bur  et  la  Descente  d'Istar  aux  enfers;  s'il  y 
a  là,  surtout  chez  le  panégyriste  de  Ramsôs,  du  souffle  et  de  la 
grandeur,  comme  l'épopée  grecque  est  supérieure  par  là  belle 
ordonnance  et  l'ampleur  de  sa  composition,  par  la  variété  des 
tableaux,  par  la  vie  intense  dont  sont  animés  les  personnages, 
enfin  et  surtout  par  la  franchise  et  la  noblesse  de  sentiments  qui^ 
après  tant  de  milliers  d'années,  trouvent  encore  un  écho  dans  nos 
cœurs!  La  Grèce  est  donc,  dès  lors,  en  pleine  possession  de  sa 
haute  et  souveraine  originalité.  A  la  même  époque,  son  industrie 
est  encore  dans  l'enfance;  son  art  ne  s'élève  guère  au  dessus  de 
l'ornement  géométrique,  sauf  quand  il  travaille  à  copier  plus  ou 
moins  gauchement  des  types  et  des  motifs  d'origine  orientale  (1). 


MEMENTO  DES  EXPOSITIONS  ET  CONCOURS 

Verviers.  —  Ouverture  23  août.  Délai  d'envoi  :  du  10  au  17  août. 
Gratuité  de  transport  (aller  et  retour  sur  le  territoire  belge)  pour 
les  œuvres  des  artistes  belges  ou  étrangers  innées  (petite  vitesse  n»?). 

Anvers.  —  Concours  pour  le  monument  d'Henri  Conscience.  Base 


du  monument  :  S'^^S  de  longueur  sur  S'^jTS  de  largeur.  S'adresser 
au  Comité  central,  au  Musée  Plautin.  ,  . 

Nice.  —  Concours  pour  le  monument  de  Garibaldi.  Projets  reçus 
jusqu'au  30  novembre.  Deux  primes  (1,500  et  1,000  francs)  sont 
allouées  aux  auteurs  des  deux  meilleurs  projets  non  adoptés.  Coût 
total  du  monument  :  70,000  francs. 

Prix  du  Roi.  —  Concours  de  i886,  1887  et  1888.  —  Un  arrêté 
royal  du  20  avril  courant  porte  que  le  prix  à  décerner  en  1886  (con- 
cours exclusivement  belge)  sera  attribué  à  l'ouvrage  le  mieux  conçu 
pour  développer  chez  la  jeunesse  belge  l'intelligence  et  le  goût  des 
littératures  anciennes  et  modet  nés.        x^ 

Le  prix  à  décerner  en  1887  (concours  ©\clusivement  belge)  sera 
attribué  à  l'ouvrage  qui  démontrera  le  mieux  de  quelle  manière  la 
Belgique  doit  comprendre  son  rôle  dans  la  grande  famille  euro- 
péenne, tant  au  point  de  vue  politique  et  intellectuel  qu'au  point  de 
vue  matériel,  pour  servir  le  mieux  ses  propres  intérêts  eu  même  temps 
que  ceux  de  la  civilisation  en  général. 

Le  prix  à  décerner  en  1888  (concours  exclusivement  belge)  sera 
attribué  au  meilleur  ouvrage  sur  l'enseignement  des  arts  plastiques 
en  Belgique  et  sur  le  moyen  de  développer  l'art  en  Belgique  et  de  le 
porter  à  un  niveau  de  plus  en  plus  élevé. 

Les  ouvrages  destinés  à  ces  concours  devront  être  transmis  au  mi- 
nistre de  l'agriculture,  de  l'industrie  et  des  travaux  publics,  àsavoir: 
pour  le  prix  à  décerner  en  1886,  avant  le  1er  octobre  1886,  et  pour 
les  deux  autres,  respectivement  avant  le  1er  janvier  Jes  années  1887 
et  1888. 

Concours  poétique  du  midi  de  la  frange.  —  XXX Ve  concours 
(15  août-1"  décembre  1885).  —  Vingt  médailles  en  or,  argent, 
bronze.  Demander  le  programme  à  M.  Ev.  Garrance,  président  du 
Comité,  6,  rue  du  Saumon,  à  Agen  (Lot-et-Garonne). 

Vienne.  —  Concours  pour  l'érection  d'un  monument  à  Mozart. 
La  place  sur  laquelle  doit  être  élevé  le  monument  n'étant  pas 
encore  déterminée  par  la  municipalité,  le  concours  reste  ouvert. 


t 


(1)  Extrait  d'une  étude  de  M.  Georges  Perrot,  païue  dans  la  Revue  des  Deux 
Mondes  du  15  juUlet  dernier. 


ETITE    CHROJ^lIQUf: 

^  M.  Henri  Heuschling,  l'excellent  baryton,  donnera  demain  lundi, 
à  Ostende,  un  concert  dont  il  fera  seul  les  frais.  La  tentative  est  auda- 
cieuse, mais  le  talent  et  la  réputation  de  l'artiste  sont  tels  que  la  réus- 
site est  certaine. 

Voici  le  programme  de  cette  intéressante  audition  : 

1.  Air  dlllérodiade,  Massenet.  —  2.  a.  Avec  tes  yeux  mignonne, 
Lassen;  b.  Te  souviens-tu?  Godard  ;  c.  La  vie  d'une  rose,  Massenet. 
—  3.  Biondina,  poème  de  Gounod  (lesl2  chants).  —  4.  Scène  du 
concours  de  Tannhaûser,  Wagner*.  —  5.  «.  Chanson  de  Florian, 
Godard  ;  b.  Les  enfants,  Massenet.  —  6.  Le  rêve  du  prisonnier,  Ru- 
binstein. 

Mercredi  dernier  il  nous  a  été  donné  d'applaudir  au  Waux-Hall  la 
charmante  chanteuse  qui  a  nom  Angèle  Legault  et  qui  a  été  tant 
fêtée  au  théâtre  de  la  Monnaie  pendant  la  dernière  saison. 

L'administration  des  concerts  du  Waux-Hall  s'est  assuré  le  con- 
cours de  M"e  Legault  pour  une  nouvelle  audition  qui  aura  lieu  dans 
le  courant  de  la  semaine. 

Nous  apprenons  que  le  théâtre  du  Parc  rouvrira  ses  portes  le 
5  septembre  prochain  avec  des  représentations  qu'y  donnera 
Mlle  céîine  Chaumont. 

Nous  lisons  dans  le  Ménestrel  :  * 

On  a  donné  récemment  au  Théâtre-Social,  de  Trieste,la  première 
représentation  de  la  Guardia  al  morte,  opéra  nouveau  du  maestro 
Chiappani,  dont  un  journal  de  Milan,  Asmodeo,  enregistre  discrète- 
ment le  succès  en  disant,  sans  plus  de  détails,  que  m  la  musique  a 
été  jugée  de  bonne  facture  et  riche  d'inspiration  »». 

Le  maestro  Luigi  Canepa,  auteur  de  trois  opéras  qui  n'ont  pas  été 
sans  obtenir  quelque  succès,  en  écrit  en  ce  moment  un  quatrième, 
dont  le  poème,  qui  représente  un  épisode  de  l'histoire  de  Florence 
au  temps  des  Médicis,  lui  a  été  fourni  par  M.  Eurico  Costa.  Cet 
ouvrage,  qui  est  en  quatre  actes,  aura  pour  titre  :  In  camavale. 


VÀiRT  MODERNE 


275 


EI^lsTE 


EST  ENTRÉ  DEPUIS  LE  V  JANVIER  1885  DANS  SA  CINQUIÈME  ANNÉE 

L'ART  MODERNES  s'est  acquis  par  rautorité  et  l'inxlépendance  de  sa  critique,  par  la  variété  de  ses 
informations  et  les  soins  donnés  à  sa  rédaction  une  place  prépondérante.  Aucune  manifestation  de  l'Art  ne 
lui  est  étrangère  :  il  s'occupe  de  littérature,  de  peinture,  de  sculpture,  de  gravure,  do  musique, 
d'architecture,    etc.    Consacré   principalement   au    mouvement   artistique  belge,   il  renseigne  néanmoins   ses 

lecteurs  sur  tous  les  événements  artistiques  de  l'étranger  qu'il  importe  do  connaître. 

Chaque  livraison  de  l'ART  MODERNE  s'ouvre  par  une  étude  approfondie  sur  une  question  artistique 
ou  littéraire  dont  l'événement  de  la  semaine  fournit  l'actualité.  Les  expositions,  les  livres  nouveaux,  les 
premières  représentations  d'œuvres  dramatiques  ou  musicales,  les  conférences  littéraires ,  les  concerts,  les 
ventes  d'objets  d'art,  font  tous  les  dimanches  l'objet  de  chroniques  détaillées. 

L'ART   MODERNE    relate   aussi   la  législation   et   la  jurisprudence   artistiques.    Il   rend    compte  des 

procès  les  plus  intéressants  concernant  les  Arts,  plaides  devant  les  tribunaux  belges  et  étrangers.   Les 

(artistes  trouvent  toutes   les   semaines   dans   son  Mémento   la  nomenclature   complète   des   expositions   et 

Opncours   auxquels  ils  peuvent  prendre  part,   en   Belgique  et  à  l'étranger.  Il  est  envoyé  gratuitement  à 

l'essai  pendant  un  mois  à  toute  personne  qui  en  fait  la  demande. 

L'ART  MODERNE  forme  chaque  année  un  beau  et  fort  volume  d'environ  450  pages.,  avec  deux 
tables  des  matières,  dont  Vunc  par  ordre  alplïahétique,  de  tous  les  artistes  appréciés  ou  cités.  Il  constitue  pour 
l'histoire  de  l'Art  le  document  LE  PLUS  COMPLET  et  le  recueil  LE  PLUS  FACILE  A  CONSULTER. 


PRIX    D'ABONNEMENT 


Belgique    .  lO   fl*«   par  an. 

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Quelques  exemplaires  des  quatre  premières  années  sont  en  vente  aux  bureaux  de  l'ART  MODERNE, 
rue  de  l'Industrie,  26,  au  prix  de  30  francs  chacun.  . 


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Paraissant  le  13  de  chaque  mois,  en  livraisons 
de  32  pages  au  mois. 


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Belgique  :  4  francs  par  an.  —  Union  Postale  :  5  francs. 

Toute  demande  d'abonnement  doit  être  accom- 
pagnée du  montant  en  un  mandat-poste. 


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CHRONIQUE  DES  BEAUX-ARTS 

ET  DE  LA  LITTÉRATURE 

Parait  le  10  de  chaque  mois,  en  un  fascicule  de 
64  payes  de  texte,  accompagnées  de  S  planches, 
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Pour  la  Belgique  :  25  francs  par  an,  l'Etranger 
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Fondateur  :  G.  Vextenat. 
.  Rédacteur  en  chef  :  Charles  Fuster. 
Administrateur  :  Ot.  Le  Petit. 

La  Revue  paraH  le  15  de  chaque  mois,  en  livrai- 
sons de  64  pages. 

Le  prix  de  l'abonnement  est  de  12  francs  pour 
la  France  et  de  13  francs  pour  l'étranger. 

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Sauf  le  roman,  tous  les  articles  publiés  par  la 
Revue  sont  inédits.  ^^" 

La  Revue  ouvre  ses  colonnes  aux  jeunes  écri- 
vains. Toute  œuvre  qui  lui  est  adressée  est  exa- 
minée par  son  comité  de  direction,  et  insérée,  s'il  y 
a  lieu. 


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JEUNE     BELGIQUE 

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pages  au  nioins  ei  formant  au  bout  de  tannée  un 
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Rédaction,  80,  rue  Bosquet. 


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SOCIOLOGIE,    ARTS,    SIENCES ,    LETTRES 

La  Société  Nouvelle  parait  le  25  de  chaque 
mois  par  livraisons  de  70  à  80  pages  chacune. 
Elle  publie  des  études  sociales,  historiques 
et  littéraires,  ainsi  que  des  articles  de  cri- 
tique. 

La  Revue  s'est  assurée  de  nombreux  cor- 
respondants dans  les  principaux  pays  de 
l'Europe. 

Grâce  à  l'appui  que  lui  prêtent  les  chefs 
du  mouvement  social  dans  ces  divers  pays, 
nos  lecteurs  seront  tenus  au  courant  des  prin- 
cipaux travaux  et  des  ouvrages  paraissant  à 
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LE  PALAIS 

ORGANE  DES 

CONFÉRENCES  DU  JEUNE  BARREAU  DE  BELGIQUE 
Prix  del'aboniicmentannuel  :  Belgique,  5  fr.  -  Etranger,  6  fr. 


REDACTION  : 

Les   communications    relatives   à   la  rédaction., 
doivent  être  envoyées  à  M.  Arthur  James,  avocat, 
délégué  a.\xBulletin  des  Con/'érenccs,  rue  du  Luxem- 
bourg, 10,  Bruxelles. 

ADMINISTRATION  : 

Les  demandes  d'abonnement  doivent  être  adres- 
sées aux  éditeurs  :  MM.  Brcylant-Christophe 
et  C  •,  rue  Blaes,  33,  à  Bruxelles. 


276 


U ART  MODERNE 


JOURNAL  DES  TRIBUNAUX 


PARAISSANT  LE   JEUDI   ET   LE   DIMANCHE 

FAITS  ET  DÉBATS  JUDICIAIRES.  —  JURISPRUDENCE.  —  BIBLIOGRAPHIE.  —  LÉGISLATION. 


NOTARIAT 


ADMINISTRATION 

A  la  librairie  FERDINAND  LARCIER,  10,  rue  des  Minimes,  à  BruxeUes 

-  Tout  ce  qui  concerne  la  rédaction  et  le  service  du  journal  doit  être  envoyé  à  cette  adresse.  —  Tout  les  numéros 
sont  déposés. 

Toute  réclamation  de  numéros  doit  parvenir  au  Journuldans  le  mois  de  la  publication.  Passé  ce  délai,  il  ne  pourra 
y  être  donné  suite  que  contre  paiement  de  leur  prix. 


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Belgique  :  Un  an,   18  francs.  —  Six  mois,   10  ft*ancs.  —Etranger  (Union  postale)  :  Un  an,  23  francs. 

Le  numéro  :  20  Centimes. 

Il  sera  rendu  compte  de  tous  les  ouvrages  relatifs  au  droit  et  aux  matières  judiciaires  dont  deux  exemplaires 
parviendront  à  la  rédaction  du  Vo?«'wa/. 

ANNONCES  :  30  centimes  la  lig^ne  et  à  forfait 

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id.  Id.     II. — .Mozart,  sonate  en  fa  maj. 


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Cinquième  année.  —  N°  35 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  30  AoLT  18S5. 


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MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,  un   an,   fr.  10.00;  Union   postale,   fr.    13.00.    —  ANNONCES   :    On    traite   à  forfait. 


Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à  '    - 

l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


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OMMAIRE 


Edouard  Agneessens.  —  Le  chemin  des  étoiles,  par  Armand 
Sylvestre.  —  Essai  de  pathologie  littéraire.  Les  Symbolistes 
ésotériqices.  —  Lettres  de  Londres.  L'exposition  inteiviationale 
des  inventions.  —  Livres  nouveaux.  Le  Ccomavcd  de  Nice,  par 
Durantin  ;  Ce  que  coi'itent  les  femmes,  par  Jules  Rouquette;  Pifs 
et  vallées,  par  Lafagette.  >, 


EDOUARD  AGDfEESSEKS 

Edouard  Agneessens  vient  de  mourir.  Depuis  plu- 
sieurs années  l'inspiration  du  peintre  était  brisée  par 
une  aliénation  mentale. 

Il  fut  en  Belgique  un  des  représentants  les  plus  bril- 
lants de  l'école  qui,  dans  l'évolution  artistique  de  ce 
siècle,  a  remplacé  le  romantisme.  Il  avait  déserté  la 
composition  Imaginative  pour  s'en  tenir  à  la  réalité. 
Peintre  de  figures,  la  partie  dominante  de  l'œuvre 
qu'il  laisse  se  compose  de  portraits.  Son  art  se  caracté- 
risait par  un  don  exceptionnel  de  rendre  les  nuances 
du  coloris.  Aussi  a-t-il  peint  les  chairs  avec  une  déli- 
catesse qui  n'a  été  atteinte  par  aucun  des  artistes  belges 
de  son  temps. 

Antérieur  aux  impressionnistes,  il  n'a  pas  eu  le  sen- 
timent de  la  lumière  que  ceux-ci  ont  révélé.  Il  était 
encore  peintre  d'atelier.  Il  ignorait  le  plein  air.  Plu- 
sieurs de  ses  toiles  poussent  au  noir. 

Son  œuvre  n'est  pas  considérable.  Il  n'a  pas  eu  le 
temps  de  se  manifester  dans  un  épanouissement  com- 
plet. Un  sentiment  national  très  marqué  se  montre  dans 


tout  ce  qu'il  a  fait.  Il  n'y  a  pas  le  moindre  relent  de  la 
peinture  française,  mérite  précieux  que  si  peu  chez 
nous  atteignent.  Son  coloris  est  d'une  distinction  raffi- 
née, ses  types  sont  franchement  ceux  de  son  pays. 

Sa  mort  fait  une  brèche  nouvelle  dans  l'école  qui 
était  la  jeune  école  il  y  a  vingt  ans  et  qui  peu  à  peu  s'ef- 
face par  la  disparition  de  ses  représentants  ou  par  l'af- 
faiblissement du  talent  de  ceux  qui  restent.  Ce  phéno- 
mène qui  semble  affigeant  à  quelques-uns,  n'est  qu'une 
affirmation  du  caractère  essentiellement  évolutif  de 
l'art  qui  change  toujours  pour  se  renouveler  sans  jamais 
recommencer. 

Accoutumons-nous  à  cette  idée,  sachons  clôturer  une 
école  quand  elle  a  donné  son  plein,  et  lorsqu'un  artiste 
comme  Agneessens  disparaît,  louons  son  grand  talent 
mais  sans  convier  les  jeunes  à  l'imiter.  Ge  fut  l'art  d'un 
temps  qui  n'est  plus  le  nôtre.  Il  faut  autre  chose  et  il  y 
a  autre  chose.  Ceux-là  seulement  qui  se  dégagent  du 
passé,  et  en  eux-mêmes,  comme  dans  leur  milieu  et 
leur  époque,  cherchent  du  nouveau,  sont  doués  du  don 
divin  de  l'originalité  et  marqueront  dans  lavenir. 


par  Armand  Sylvestre. 

C'est  avec  raison  qu'Arma^  Sylvestre  dédie  son  livre  à  la- 
mémoire  de  Théophile  Gautier,  que  Baudelaire  et  lui  s'accordent 
à  proclamer  le  grand  maître  en  rimes  françaises. 

La  poésie  du  Chemin  des  Etoiles  est  toute  en  plastique,  comme 


colle  d'Emaux  €l  Camées;  c'esl  h  bcaulé  grecque  qui  csl  jjlacée 
sur  chaque  strophe  comme  sur  un  trépied  cisehi,  c'est  l'irrépro- 
cliabie  ligne,  la  proportion  symétrique,  la  solennité  sculpturale 
qui  dominerit  chaque  sonnet.  Comme  Gautier,  Armand  Sylvestre 
ne  doit  point  trouver  d'idéal  au  delù  de  la  Vénus  de  Wilo,  comme 
Gautier  encore,  dû  fond  de  son  rêve  de  poète,  il  doit  regarder 
Aihèncs,  l'unique  Athènes,  émerger  et  dominer  les  horizons  du 
songe  avec  ses  marées  de  tympans  et  d'acrolèrcs  cl  ses  forêts  de 
colonnes  et  de  portiques. 

Pour  certains  écrivains,  —  Armand  Sylvestre  est  de  ce  nombre, 
—  la  poésie  ne  se  conçoit  qu'avec  la  lyre  d'ivoin»  entre  les  mains. 
Elle  est  avant  tout  statue  grandiose,  dc'esse  uiagniti(|ue.  Kllc  n"a 
j)oint  le  pied  assez  banal  pour  fouler  les  |)avés  et  les  trottoirs,  les 
asphaltes  et  les  macadams.  Elle  trouve  son  appui  sur  des  images 
qui  volent  ci  des  ailes  d'oiseaux  étendues. 

Au  surplus,  celle  préoccupation  d'esthétique  pure  et  marmo- 
réenne n'esl-cllc  point  inévitable  pour  tout  artiste  vigoureusement 
chauffé  de  sang  latin  et  (jui  chante  comme  Armand  Sylvestre  : 

Sang  latin!  sang  vermeil!  sang  fait  du  sang  des  vignes! 
Sang  rouge  et  triomphant  qui  portez  à  la  chair 
L'ambrevivant  des  tons  et  la  splendeur  des  lignes! 
0  sang  de  mes  aïeux,  doux,  héroïque  et  fier! 

C'est  \i\  l'explication,  seule  possible  de  cet  entêtement  dans 
l'antique,  si  profond  et  si  exclusif.  Quoi  qu'on  dise,  le  milieu 
parisien  ne  poite  point  à  ccJXp  persistante  inspiration  et  si  c'est 
le  rêve  despotique  qui  rejette  les  rythmeurs  contemporains  en 
arrière,  au  delà  des  siècles,  il  est  étonnant  que  ce  rêve  ne  dévie 
jamais  du  chemin  d'Athènes.  Depuis  Leconte  de  Lisle,  qui  donc 
ne  s'aperçoit  point  que  le  plus  large  champ  du  songe  mytholo- 
gique et  plastique  c'est,  non  pas  la  Grèce,  mais  l'Inde,  mais 
l'Egypte,  mais  la  Perse. 

Le  présent  volume  est  de  la  même  famille  que  les  autres 
d'Armand  Sylvestre.  Il  dénote  un  culte  très  pur  de  la  forme  et 
une  magnifique  entente  de  l'amour  charnel.  La  chair  est  apo- 
théôsée,  baisée  de  rayons,  ornée  de  fleurs,  nimbée  d'étoiles  ;  elle 
'se  lève  sur  des  fonds  glorieux  et  triomphants,  superbe  el  divine, 
hissée  au  sommet  d'un  autel  impérissable  sur  lequel  le  poète 
allume  comme  des  feux,  ses  rimes  et  ses  strophes,  devant  lequel 
il  se  met  à  genoux,  prêtre  enchaîné  à.  son  culte  avec  les  chaînes 
éphémères  des  tendresses  terrestres,  tour  à  tour  gémissant  et 
consolé,  dédaigné  et  implorant,  douloureux  et  vain(|ueur.  Tel  est 
le  thème  des  l'endresscs  perdues,  de  Te  Deum,  des  Visions,  des 
Anniversaires  et  du  Dernier  vœu. 

Le  public,  qui  ne  connaît  l'auteur  que  par  Gil  Blas  et  ignore 
quelles  superbes  pages  il  a  écrites  dans  la  Gloire  du  Souvenir, 
s'étonne  qu'il  n'y  ait  qu'un  Armand  Sylvestre  et  croit  fort  à  un 
dédoublement. 

Quoi  Laripèle,  Lekelpudubec,  Pipioli  et  toute  leur  lignée  ont 
le  même  père  que  Judith,  Kundry  et  Simèthe  ? 

Armand  Sylvestre  s'est  donné  la  peine  d'expliqu(  r  celle  dua- 
lité dans  un  parfait  sonnet  :  . 

Du  rythme  à  la  voix  d'or  uniquement  épris, 
Des  lèvres  seulement  je  lui  fus  infidèle. 
Et  la  Muse  a  bien  su  que,  même  éloigné  d'elle, 
A  ses  seules  faveurs  j'attachai  quelque  prix. 

J'en  sais  qui  cependant  me  tiennent  en  mépris 
Pour  avoir  du  grand  ciel,  descendant  d'un  coup  d'aile, 
Des  vieux  conteurs  gaulois  poursuivi  le  modèle  : 
J'en  sais,  mais  n'en  suis  pas  affligé,  ni  surpris. 


,  A  rua  feinte  galle  je  trouve  plus  de  charmes,  * 
Puisqu'aux  indifférents  elle  a  caché  mes  larmes  : 
Je  porte  leiir  dédain  sur  un  front  triomphant. 

Car  c'est  pour  ceux-là  seuls  que  j'ai  tenté  d'écrire 
Qui  savaient  bien  trouver,  même  au  fond  de  mon  rire. 
L'idéal  éperdu  qui  pleure  et  me  défend. 

Ce  sonnet  donne  bien  la  clef  de  nos  joies  modernes,  qui  toutes 
sont  des  masques  et  des  hypocrisies. 

Nous  n'aimons  plus  la  joie  pour  elle-même,  mais  uniquement 
parce  qu'elle  fait  oublier  ou  parce  qu'elle  repose  l'esprit  de  sa 
fondamentale  tristesse.  Noire  joie  est  nerveuse,  excessive,  outran- 
cière;  elle  nous  vient  par  saccades,  par  irruptions,  |)ar  décharges 
électriques;  elle  grimace.  Jadis,  qxwnd  la  certitude  habitait  les 
intelligences  et  que  le  cerveau  humain  se  reposait  dans  les 
croyances,  la  gaîté  devait  s'épanouir  hardiment  et  le  rire  sonner 
franc  et  ne  iamais  "rincer. 

Aussi,  quel  (|ue  soit  le  talent  comique  dépensé  à  fixer  dans 
leurs  allures  grotesques  les  Lekelpudubec  et  les  Laripèle,  encore 
est-il  que  ci  et  là  les  Contes  s'assombrissent,  que  leurs  entrées  en 
matière  sont  quelquefois  mélancoliques  et  que,  pour  les  clair- 
voyants, il  n'était  pas  nétîessaire  qu'Armarid  Sylvestre  fît  ce  qua- 
torzain  qu'il  rubrique  Ma  défense,  afin  de  mettre  en  lumière  sa 
vraie  nature. 

Au  cours  du  livre  dont  nous  avons  tâché  de  qualifier  le  mérite, 
plusieurs  sonnets  de  fort  belle  marque  s'étalent.  Puis  arrivent 
deux  poèmes  dialogues  dont  le  premier,  Sapho,  est  magnificiue. 

Citons  un  sonnet  : 

Voici  l'heure  où  le  jour  vers  l'horizon  recule 
Vague,  léchant  les  bords  du  ciel  et  les  frangeant. 
Comme  un  reflux  lointain,  d'une  écume  d'argent 
Où  l'are  des  parfums  dans  l'air  tiède  circule. 

Sous  le  frémissement  léger  du  crépuscule+_ i_ 


Vapeur  que  le  soleil  fait  monter  en  plongeant, 
Sur  la  colline  obscure,  apparaît,  émergeant," 
Quelque  temple  oublié  de  Diane  ou  d'Hercule. 

Et  le  recueillement  des  choses^  sous  les  cieux 
Autour  de  ce  grand  bloc,  morne  et  silencieux, 
Semble  encor  l'entourer  d'un  culte  solitaire. 

Les  mythes  glorieux  se  sont  éteints,  pareils, 
Dans  leur  chute,  aux  déclins  augustes  des  «oleils 
Dont  la  clarté  longtemps  flotte  encor  sur  la  terre. 


ESSAI  DE  PATHOLOGIE  LITTÉRAIRE  (  ) 

LES  SYMBOLISTES  ËSOTËRIQUES 

Venons-en  à  ces  êtres  bizarres,  malades  restés 
incompréhensibles  jusqu'au  moment  où,  en  ces  der- 
niers temps,  l'un  d'eux  s'est  chargé  d'expliquer, 
dans  un  journal  paiisien,  la  nature  de  l'affection  qui 
déroutait  les  symptomatologistes  les  plus  pénétrants.  Il 
va  sans  dire  qu'il  s'est  vanté  de  son  mal  comme  d'un 
insigne  honneur  qu'il  devait  à  sa  volonté  et  à  ses  apti- 
tudes littéraires.  Une  infirmité,  allons  donc?  Une  qua- 
lité d'élection,  une  expression  artistique  nouvelle,  une 


(*)  Voir  nos  n"  des  19  et  26  juillet,  2, 9, 16  et  23  août  i!?85. 


porte  ouverte  sur  un  avenir  jusqu'ici  inconnu.  Le  mot 
de  l'énigme  a  été  donné  :  c'est  I'Esotèrisme. 

Qu'est-ce  que  c'est  que  ça? 

D'après  les  dictionnaires  les  plus  accrédités,  Fsolé- 
rique,  du  mot  grec  esotéricos,  intérieur,  était  la  quali- 
fication donnée  dans  les  écoles  des  anciens  philosophes 
à  la  doctrine  secrète  réservée  aux  seuls  initiés;  son 
i)\i\)0^è  èidiii  exotérique . 

Bon. Mais  quel  rapport  avec  la  poésie? 

Voici.  Quelques  esprits,  persuadés  de  leur  nature 
exceptionnelle  et  vraiment  privilégiée,  désolés  d'avoir 
affaire  à  la  foule  pignouffm-'de  (pardon  pour  le  mot, 
mais  quelques  symbolistes  ésotériques  joignent  à  cette 
haute  qualité  celle  de  verbolâtres  néologistes),  ont  eu 
l'idée  d'organiser  pour  eux  seuls  un  rite  poétique  secret, 
quelque  chose  comme  les  mystères  de  la  bonne  déesse 
ou  de  la  franc-maconnerie.  C'est  très  simple.  Il  suffit  de 
détourner  les  mots  de  leur  sens  ordinaire,  de  le  retour- 
ner par  exemple,  de  convenir  de  certains  signes,  d'atta- 
cher à  la  disposition  des  vocables  une  vertu  spéciale, 
de  dresser  un  catalogue  de  ces  conventions,  de  préférer 
les  plus  biscornues  parce  que  le  mystère  en  est  d'une 
pénétration  plus  difficile. 

C'est,  comme  on  le  voit,  un  jeu  qui  n'est  pas  neuf 
dans  son  principe.  Le  bon  vieux,  langage  des  fleurs 
l'avait  ingénieusement  appliqué,  et  plus  récemment  les 
jeunes  filles  ont  imaginé  pour  leurs  amourettes  celui  du 
mouchoir  :  Laisse  tomber  le  mouchoir  :  je  crois  que 
nous  nous  entendrons.  —  Le  passer  sur  la  joue  :  je 
vous  'aime.  —  Le  passer  sur  les  mains  :  je  vous  dé- 
teste. —  Le  plier  :  je  veux  vous  parler.  —  Le  jeter  sur 
r épaule  droite  :  suivez  moi.  —  Et  ainsi  de  suite. 

Chose  singulière,  mais  connue,  la  pratique  de  ces 
enfantillages  aboutit  rapidement  à  donner  à  ceux  qui 
s'y  adonnent  une  confiance  extrême  dans  leur  efficacité. 
Ils  en  deviennent  fanatiques.  Ils  les  préfèrent  à  la  réa- 
lité. Leur  vague  même  et  leur  arbitraire  prêtant  à 
toutes  sortes  de  suppositions,  l'imagination  y  vaga- 
bonde, et  pour  peu  qu'elle  soit  active,  arrive  à  une 
prolifération  merveilleuse.  Ce  sont  des  effets  de  kaléi- 
doscope. Les  plus  imprévues  et  les  plus  brillantes  com- 
binaisons de  formes  et  de  couleurs  apparaissent.  L'initié 
les  voit  avec  l'intensité  de  l'hallucination.  Telle  est 
l'énergie  du  phénomène  intellectuel  qui  se  produit  chez 
lui  qu'il  vous  mettrait  en  présence  d'une  page  blanche 
en  affirmant  qu'il  y  voit  une  poésie  incomparable. 
Jugez  de  ses  transports  quand  sur  cette  page  il  y  a 
quelques  strophes  dans  lesquelles  un  œil  ordinaire  ne 
voit  qu'obscurité  et  confusion.  Il  clame^lors,  il  inter- 
pelle, il  signale  les  beautés  visibles  pour  lui  seul,  il  se 
monte  le  coup,  il  jubile,  il  rutile,  il  prend  des  airs 
inspirés,  et  finalement  éprouve  une  grande  pitié  pour 
les  infortunés  qui,  restés  calmes  devant  son  épilepsie, 
persistent  à  dire  :  Je  ne  comprends  pas. 


Cette  incrédulité  universelle  devrait,  semble-t-il, 
décider  les  initiés  à  garder  pour  eux  leurs  productions 
])ythiques.  On  se  demande,  non  sans  raison,  quelle  rage 
les  prend  de  publier  ce  qui  n'a  de  signification  que  pour 
eux  seuls,  grâce  à  la  clef  des  songes  qu'ils  gardent 
jalousement.  A  cela  ils  répondent  qu'ils  s'amusent  à 
considérer  les  contorsions  que  leurs  œuvres  provoquent 
et  que  plus  l'impossibilité  d'y  voir  quelque  chose  s'af- 
firme, plus  l'efficacité  de  leur  école  augmente.  C'est  à 
titre  d'épreuve  qu'ils  se  font  imprimer  et  le  jour  où 
leurs  secrets  seraient  pénétrés,  ils  changeraient  le 
système. 

Nous  sommes  donc  bien  et  dûment  avertis.  A  moins 
de  se  faire  admettre  dans  la  sacro-sainte  congrégation, 
il  faut  se  résigner  à  ne  rien  démêler  dans  les  oracles 
versifiés  que  l'école  de  Floupette  éjacule.  C'est  un  lan- 
gage hiératique  fait  pour  les  prêtres.  Le  commun  des 
lecteurs  le  doit  accepter  humblement  comme  articles 
de  foi,  superbes  mais  indéchiffrables.  S'il  en  était  autre- 
ment, ce  ne  serait  plus  du  symbolisme  ésotérique  : 
l'école  serait  détruite  !  Or,  rien  ne  serait  plus  fâcheux 
que  la  destruction  de  l'école. 

Elle  nous  donne,  en  effet,  de  bons  moments  et,  s'il  ne 
s'agissait  que  de  rire,  il  ne  faudrait  pas  nous  plaindre. 
Mais  il  s'agit  aussi  de  l'art  d'écrire,  et  sans  prétendre 
corriger  personne,  spécialement  les  aliénés  de  la  litté- 
rature, on  peut,  vis-à-vis  de  soi-même,  rechercher  si  ce 
mouvement  insolite  mérite  des  égards,  d'autant  plus 
qu'il  y  a  toujours  des  floppées  déjeunes  singes  en  quête 
d'un  enrôlement,  qui  volontiers  s'engagent  dans  le 
bataillon  des  excentriques,  à  moins  que  la  risée  géné- 
rale ne  les  en  dégoûte.  A  ce  titre,  quelques  réflexions 
sur  les  faits  et  gestes  de  ceux  qui  trouvent  qu'il  y  a 
trop  longtemps  que  l'on  porte  la  tête  au  des&us  des 
deux  épaules  et  qu'il  faut  tâcher  de  la  porter  sous  le 
bras,  ne  nous  paraissent  pas  sans  opportunité.  Le  /aeVe 
autrement  que  les  autres,  manie  qui  procède  de  cette 
haute  qualité  :  le  désir  d'être  original,  mais  qui  en  est 
la  perversion  quand  on  l'allonge  au  point  qu'elle  n'a 
plus  ni  consistance  ni  appui,  sévit  actuellement  avec  la 
force  d'une  folie  endémique  et  menace  de  donner  au 
Jeune  monde  littéraire  tout  entier  la  danse  de  Saint-Gui. 

Précisons  davantage  pour  ne  laisser  aucun  équivoque, 
sur  les  caractères  du  symbolisme  ésotérique  et  mettre 
dans  tout  leur  relief  ses  étrange  tés.  Prenons  un  exem- 
ple dans  les  Déliquescences.  C'est  une  parodie,  mais 
dans  les  originaux  mêmes  nous  n'aurions  aucune  peine 
à  trouver  mieux  ;  nous  l'avons  démontré  dernièrement 
en  citant  deux  morceaux,  l'un  de  Bleucoton -Verlaine, 
l'autre  d'Arsenal- Malarmée.  Mais  mieux  vaut,  nous 
semble-t-il,  procéder  in  anima  vili.  L'épreuve  n*en 
sera  que  plus  générale  en  restant  aussi  concluante. 

Reprenons  la  fameuse  pièce  des  Tœnias.  Si  c'est  du 
symbolisme  ésotérique,  elle  aura  deux  sens,  l'un  pour 


les  profanes,  l'autre  pour  les  initiés.  Elle  aura  même, 
d'après  la  doctrine  la  plus  perfectionnée,  un  troisième 
sens,  intermédiaire,  pour  une  catégorie  moins  bête  que 
le  vulgaire,  mais  pas  aussi  raffinée  que  les  initiés.  Ceci 
c'est  le  fin  des  fins,  disait  Adoré  Floupette,  en  clignant 
de  l'œil.  Il  faut  même  que  le  sens  secret  soit  obscène, 
par  imitation  sans  doute  des  mystères  antiques  où  se 
passaient,  en  ce  genre,  des  choses  soignées,  on  le  sait. 
Quand  on  prend  un  modèle,  on  ne  saurait  lui  être  trop 
fidèle. 
Ceci  posé,  relisons  :  , 

Les  tœnias 
Que  tu  nias 
Traîtreusement  s'en  sont  allés. 

Dans  la  pénombre 
Ma  clameur  sombre  ^ 

A  fait  fleurir  les  azalées. 

û         ■  ' 

Pendant  la  nuit 
Mes  longs  ennuis 
Brillent  ainsi  qu'un  flambeau  clair. 

De  cette  perte 
Mon  âme  est  verte 
C'est  moi  qui  suis  le  solitaire. 

Imaginez  la  Pythie  de  Delphes  ou  l'oracle  d'Endor, 
dont  nous  parlions  à  l'occasion  de  l'admirable  pièce 
symbolique  de  Victor  Hugo,  vaticinant  en  ces  termes. 
Les  auditeurs  devaient  se  dire.  •'  Attention.  Ne  nous 
attachons  pas  au  sens  rigoureux.  S'il  fallait  juger 
d'après  le  langage  vulgaire,  cela  ne  voudrait  rien  dire 
ou  serait  seulement  comique.  Mais  se  n'est  pas  cela  du 
tout.  Il  y  a  quelque  chose  là-dessous.  Le  tout  est  de  le 
dénicher.  »  —  Et  on  se  livrait  alors  à  des  interpréta- 
tions multiples.  On  se  mettait  l'esprit  à  la  torture.  On 
tournait  et  on  retournait  les  mots  et  les  phrases  jus- 
qu'au moment  où  l'on  aboutissait  à  quelque  chose  de 
raisonnable.  Alors-  on  s'écriait  :  Ça  y  est!  Et  l'on  agis- 
sait en  conséquence. 

C'est  ce  qu'il  faut  faire  avec  la  poésie  symbolique 
ésotérique.  Cela  devient  même  amusant  après  quelques 
essais  et  rappelle  le  jeu  :  Cherchez  le  Bulgare.  Les 
amateurs  de  logogriphes  peuvent  remplacer  avantageu- 
sement par  cet  exercice  celui  des  devinettes  offertes  à  la 
perspicacité  des  lecteurs  des  petits  journaux.  On  pour- 
rait même  donner  des  primes. 

Ainsi,  supposez  que,  pour  les  initiés,  les  tœnias  ne 
soient  pas  l'intéressante  anuélide  que  l'on  ne  connaît 
que  trop,  hélas!  mais  le  ver  rongeur  de  Ta  rime  qui 
tourmente  intérieurement  le  poète.  Le  voici,  qui  ne  lui 
laisse  pas  de  repos;  il  en  sent  les  morsures  et  il  s'en 
plaint  à  un  collègue  lequel,  peu  crédule  sur  les  voca- 
tions poétiques,  s'en  moque.  Le  défaut  d'encourage- 
ment tarit  l'inspiration  du  néophyte.  Devenu  stérile,  il 
s'adresse  avec  amertume  à  celui  qui  l'a  méconnu,  en 
ces  vers  désormais  limpides  comme  l'eau  de  roche  : 


Les  tœnias 

Que  tu  nias  .      . 

Traîtreusement  s'en  sont  allés. 

Et  comme  il  se  désole  de  son  impuissance  et  que  ses 
cris  de  détresse  éveillent  la  compassion,  il  exprime  ces 
incidents  en  disant  : 

Dans  la  pénombre 
Ma  clameur  sombre 
A  fait  fleurir  les  azalées. 

Pendant  la  nuit 
Mes  longs  ennuis. 
Brillent  ainsi  qu'un  flambeau  clair. 

De  cette  perte 
Mon  âme  est  verte 
C'est  moi  qui  suis  le  solitaire. 

Hein  !  Qu'en  dites- vous?  Que  parle-t-on  d'obscurité  ? 
Il  a  suffi  de  deux  mots  d'explication  pour  dissiper  les 
brouillards.  Prodige  du  symbolisme!  Entendons-nous 
sur  le  mot  Tœnias,  et  le  reste  se  lit  comme  un  papier  de 
musique. 

Mais  ce  n'est  pas  tout.  Ceci  est  bon  pour  la  moyenne, 
pour  les  journalistes  comme  dit  Floupette.  Descendons 
plus  profond.  Venons-en  au  troisième  sens,  celui  qui 
doit  être  contraire  aux  lois  de  la  pudeur.  Imaginez  que 
tœnias  signifie  ces  dames,  vous  savez  ces  dames  qu'on 
a  aussi  nommées  des  pieuvres.  Le  symboliste  érotéri- 
que  les  aimait  et  les  fréquentait,  leur  trouvant  des 
charmes  savants.  Son  ami  l'en  blâme  et  conteste  leurs 
mérites.  Furieuses,  elles  s'en  vont  en  emportant  indéli- 
catement  quelques  souvenirs.  Le  poète  se  lamente  et 
embouchant  son  trombone,  fait  retentir  les  airs  de 
ses  gémissements  ce  qui  éveille  les  voisins  et  les  met 
aux  fenêtres  : 

Les  toenias- 

Que  tu  nias 

Traîtreusement  s'en  sont  allés. 

Dans  la  pénombre 
Ma  clameur  sombre 
A  fait  fleurir  les  azalées. 

La  solitude  à  laquelle  il  est  maintenant  livré  le  tient 
éveillé. 

Pendant  la  nuit 
Mes  longs  ennuis 
Brillent  ainsi  qu'un  flambeau  clair. 

Ces  insomnies  ont  des  conséquences  que  ne  démen- 
tirait pas  Chariot,  l'intéressant  jeune  homme  qui 
s'amuse.  Le  poète  exprime  ce  désolant  dénouement  et 
son  avilissement  en  ces  vers  précis  : 

De  cette  perte 
Mon  âme  est  verte 
C'est  moi  qui  suis  le  solitaire. 

N'est-ce  pas  merveilleux  ? 

Eh  bien,  ces  merveilles  c'est  le  symbolisme  ésoté- 
rique qui  les  réalise.  Et  on  ne  lui  en  serait  pas  recon- 
naissant? 


Notis  sommes  loin,  on  le  voit,  du  symbolisme  dont 
nous  parlions  danï'notre  dernier  numéro,  de  celui  des 
grands  poètes,  de  celui  qui  attache  à  une  œuvre  le  don 
précieux  de  la  durée,  de  celui  qui  donne  ce  caractère 
de  mystère  tragique  et  grandiose,  éveillant  dans 
l'âme  la  terreur  de  l'inconnu  et  le  désir  de  le  pénétrer. 
Il  ne  s'agit  plus  de  prophètes  parlant  en  termes  fatidi- 
ques, maïs  de  petits  malins  s'en  tendant  entre  eux  grâce 
à  un  code  de  niaiseries.  Nous  le  disions,  le  point  de 
départ  de  cet  avortement  pitoyable  a  été  sans  doute  la 
séduction  du  symbolisme  d'épopée  que  Victor  Hugo  a 
si  puissamment  réalisé,  que  Leconte  de  Lisle  continue. 
Mais  la  difficulté  de  le  réaliser  est  énorme,  et  les  éso- 
tériques,  inaptes  à  y  réussir,  ont  tourné  court  dans 
l'étrange  et  ridicule  tourbillon  où  ils  exécutent  leurs 
évolutions  de  mouches.  Comme  pour  toutes  les  autres 
maladies  littéraires  que  nous  avons  décrites,  le  point  de 
départ  était  normal,  mais  une  déviation  s'est  faite 
et  l'infirmité  a  paru.  Comme  pour  toutes  les  autres 
maladies,  on  ne  peut  dire  que  leurs  efforts  ont  été 
complètement  inutiles  :  ils  ont  ramené  l'attention 
sur  ce  genre  qui  fut  si  souvent  condamné  parce  qu'il 
paraît  ténébreux,  et  l'exagération  de  leur  obscurité  aura 
peut-être  rendu  à  une  partie  des  poésies  du  grand 
créateur  des  Quatre  Vents  de  V Esprit  l'admiration 
qu'on  leur  marchandait.  Ils  nous  ont  habitué,  en  effet, 
à  ne  pas  exiger  comme  une  condition  essentielle  la 
clarté  immédiate  de  l'idée  et  la  précision  absolue  de  la 
forme. . 

J:>ETTF(E?     DE    JaONDRE? 

L'exposition  internationale  des  inventions. 

Comme  loul  ce  qui  existe  a  bien  dû  être  inventé  quelque  jour, 
le  lilre  de  la  très  intéressante  exposition  qui  attire  en  ce  moment 
la  foule  à  Soullî-Kensingion  n'est  qu'un  euphémisme.  C'est  en 
réalité  d'une  exposition  universelle  qu'il  s'agit,  mais  le  nom 
étant  quelque  peu  usé,  les  organisateurs  en  ont  imaginé  un 
autre  pour  faire  passer  plus  facilement  la  chose,  qui  est  restée  la 
même.  El  voilà  comment  on  trouve,  étiquetés  parmi  les  inven- 
tions nouvelles,  des  chaussures  en  cuir  verni,  des  pâtes  alimen- 
taires, des  corsets  à  buses  incassables  et  des  gibus  perfectionnés. 
On  y  voit  s'épanouir  aussi  toute  la  flore  de  l'industrie  humaine  : 
les  merveilles  de  rélcctricité,  les  engins  de  destruction  les  plus 
pratiques  (on  remarque  un  modèle  de  canon  propre  à  lancer  cin  i 
cents  projectiles  par  minute!)  les  plus  récentes  améliorations 
apportées  aux  machines  à  vapeur,  à  la  presse  à  imprimer,  à  tous 
les  appareils  de  fabrication  imaginables.  Une  promenade  dans  les 
immenses  galeries  dont  la  perspective  s'enfonce  à  perte  de  vue  est 
aussi  instructive  qu'amusante,  et  l'on  s'étonne,  en  présence  de  la 
richesse,  de  la  variété,  de  la  grandeur  de  l'exposition,  qu'elle  ait 
eu  jusqu'ici  si  peu  de  retentissement  sur  le  continent.  C'est  à 
croire  qu'on  s'est  abstenu  en  Belgique  d'en  parler  de  crainte  de 
faire  dériver  le  fleuve  de  visiteurs  que  déversent  à  Anvers  les 
vacances. 

Annoncée  modoslemcnt,  V Internalional  inventions  exhibition 


est  merveilleusement  organisée  et  disposée.  Les  Anglais  ont  le 
génie  des  expositions.  N'est-ce  pas  à  eux  que  revient  l'honneur 
d'avoir  fait  la  première  ?  Us  excellent  à  classer  méthodiquement, 
à  présenter  avec  art  les  objets  aux  visiteurs,  et  ci  leurs  musées 
sont  des  modèles  d'ordre  et  d'arrangement,  leurs  expositions  ne 
le  cèdent  en  rien,  sous  ce  rapport,  à  ces  derniers.  Tout  y  est  si 
bien  offert  à  l'examen  que  l'usage  du  catalogue  est  superflu  et 
qu'on  passe,  sans  lassitude  et  sans  ennui,  des  journées  devant  les 
vitrines  des  exposants. 

On  y  trouve  tout,  avons-nous  dit.  Même  la  cuisine,  —  qui  n'est 
certes  pas  une  invention  à  dédaigner,  —  y  occupe  une  place  con- 
sidérable. LaNatioiial  training  school  ofcookery  y  brille  au  pre- 
mier rang,  en  attendant  son  triomphe  à  l'exposition  spéciale 
qu'elle  ouvrira  en  décembre  et  qui  ne  comprendra  pas  moins  de 
cent  cinquante  divisions,  avec  médailles  d'or,  d'argent  et  de 
bronze  pour  chacune  d'elles.  Quelle  fête  pour  le  jury! 

Mais  ce  n'est  point  de  ragoûts  ni  de  sauces  que  VArt  moderne 
a  coutume  d'entretenir  ses  lecteurs,  et  quelque  attrayant  que  soit 
ce  savoureux  sujet,  force  nous  est  de  l'abandonner  aux  manuels 
de  MM.  Gouff'é,  Brisse  et  Caudcrlicr,  qui  sont  les  Codes  et  les 
Lois  usuelles  de  la  cuisine.  Sans  doute,  il  y  a  de  l'art  à  fricasser 
un  poulet  ou  à  confectionner  une  omelette,  mais  c'est  là  un  art 
spécial  qui  n'a  avec  les  autres  que  des  affinités  imparfaitement 
définies.  A  moins  toutefois  d'y  mettre  les  raffinements  exquis  du 
peintre  Whistler  qui,  lorsqu'il  invite  ses  amis  à  déjeuner,  fait 
servir  ses  convives  dans  des  assiettes  du  Japon  dont  il  harmo- 
nise les  nuances  avec  la  couleur  des  sauces  et  le  ton  des  mets. 
Chacun  sait,  d'ailleurs,  que  si  l'autour,  des  Symphonies  et  des 
Nocturnes  est  un  des  plus  grands  artistes  de  l'époque,  il  est  aussi 
le  premier  cuisinier  de  son  temps.  Qui  ne  connaît  à  Londres  la 
sauce  Whistler,  cette  sauce  d'un  jnune  si  délicat  et  d'un  goût  si 
parfait  que  nul,  sauf  le  peintre,  ne  la  réussit  jamais?  Il  faut  avoir 
vu  l'impeccable  artiste,  avec  son  dandysme  suprême,  le  monocle 
à  l'œil,  plus  correct  dans  sa  tenue  que  lord  Brummel,  occupé, 
dans  la  partie  de  son  atelier  réservée  aux  prépiirations  culinaires, 
à  trousser  un  perdreau  ou  à  griller  une  tranche  de  saumon,  pour 
apprécier  les  liens  qui  unissent  l'art  de  la  poêle  à  celui  de  la 
palette.  Malheureusement,  s'il  n'est  pas  donné  à  tout  le  monde  de 
peindre  comme  Whistler,  il  est  plus  difficile  encore  d'égaler  son 
génie  culinaire.  Et  c'est  légitimement  que  le  grand  artiste  a  l'or- 
gueil de  sa  science,  tandis  que  la  vanité  que  d'après  la  légende, 
récemment  démentie,  Ingres  lirait  de  ses  connaissances  musicales 
faisait  sourire! 

Entrez,  la  nuit  close,  dans  les  jardins  qui  unissent  aux  vastes 
salles  d'Albert-Hall  les  galeries  de  Souih-Kensington  et  dans 
les.quelles  l'exposition  déroule  ses  magnificences.  Vous  y  jouirez 
d'un  spectacle  imprévu  et  vraiment  merveilleux.  Dans  le  feuillage 
assombri  des  arbres,  des  milliers  de  lampes  électriques,  enfer- 
mées en  des  globes  de  couleur  minuscules,  s'embrasenl  subite- 
ment et  suspendent  des  fruits  inconnus  dans  la  profondeur  des 
ombrages.  Le  long  des  allées  sablées,  dans  les  bordures  des 
parterres,  sur  la  crête  des  roches  artificielles  où  s'épanouissent 
des  bouquets  de  plantes  grasses,  un  cordon  de  petites  flammes 
d'or  pâle  s'allonge,  se  recourbe,  s'insimie  entre  les  feuilles, 
glisse  parmi  les  brins  d'herbe.  Des  fleurs  lumineuses  de  nénu- 
phars mirent  dans  les  pièces  d'eau  leur  corolle  laiteuse.  Au  pied 
du  monument  du  prince  consort  bouillonne  une  cascatelle  qui 
se  brise  sur  des  flots  de  lumière  pourpre  et  s'effrange  en  filets 
cuivrés.  Et  pour  servir  de  toile  de  fond  à  ce  décor  féerique,  la 


lourde  coupole  el  les  toitures  vitrées  d'Albcrl-Ilall  se  trarisfor- 
lîîenl  en  un  clin  d'œil  el  découpent  sur  la  sérénité  du  ciel  une 
silhnuetie  incandescente.  Les  frises,  les  nervures  des  loils,  les 
ciulivs  des  fenêtres  sont  tracé?  en  traits  élincclants.  On  croirait 
voir,  haussée  ù  dés  proportions  gigantesques,  une  image  qu'un 
enfant  se  serait  consciencieusement  appliqué  à  trouer  de  coups 
d'épingle  en  suivant  avec  soin  les  contours  du.  dessin,  et  qu'on 
aurait  placée  devant  la  flamme  de  quelque  monstrueuse  bougie. 
Et  la  foule,  qui  a  les  puérilités  et  lés  naïvetés  des  enfants, 
s'amuse  de  ce  spifclacle,  tandis  que  dans  un  kiosque  la  musique 
des  Horsc-guards,  bruyante  et  reletitissante,  ébranle  l'air  de 
l'éclat  de  ses  cuivres. 

Mais  voici  le  bouquet.  Au  cehlre  des  jardins,  une  gerbe  cou- 
leur de  sang  jaillit  brusquement,  secouant  dans  la  nuit  une  pous- 
sière de  rubis.  Puis  elle  se  teinte  de  vert,  cl  les  èméraude  ruis- 
sellent. Elle  emprunte  aux  topazes  leurs  reflets  fauves,  aux  amé- 
Ihvsles  leurs  feux  violacés.  Et  d'autres  fusées  s'élancent,  mêlant 
dans  un  concert  de  nuances  vives  des  scintillements  de  pierres 
rares,  se  heurtant,  se  brisant  en  paillettes  micacées,  retombant 
en  poudre  de  diam"anls,  rejaillissant  en  panaches  argentés,  en 
pluie  d'étincelles. 

Cet  étonnant  feu  d'artifice  n'est  autre  qu'un  jet  d'eau  éclairé 
par  des  projections  électriques  et  dont  un  mécanisme  ingénieux 
permet  de  varier  à  l'infini  les  combinaisons  et  les  effets. 

La  foule  bal  les  mains  et  trépigne.  Et  la  lune,  qui  vient  de  se 
montrer  au  dessus  de  la  grosse  horloge  de  South-Kensingtonque 
domine  une  couronne  d'un  éclat  incomparable,  paraît  si  blafarde 
et  si  lamentable  en  présence  de  ceternbrascmcnl  universel  qu'elle 
s!empresse  de  se  cacher  dans  les  nuages.  C'est,  dans  sa  défaite, 
le  plus  sage  parti  qu'elle  ail  à  prendre. 

Sans  douLe  n'est-ce  pas  une  invention  nouvelle  que  d'illuminer 
un  jet  d'eau,  et  d<''jà  on  a  pu  admirer  des  applications  nom- 
breuses de  celte  ingénieuse  trouvaille.  Mais  jamais,  croyons-nous, 
on  n'y  avait  apporté  une  perfection  aussi  grande.  Aussi  avons- 
-npus  crû  devoir  lui  consacrer  quelques  lignes. 

Ceci  dit,  entrons  à  l'exposition  musicale.  Celle-ci  fera  l'objet 
d'une  prochaine  lettre. 


JnlVRE^    NOUVEAUX 


Le  carnaval  de  Nice,  par  Durantin.  Paris,  Monnier.  —  Ce 
que  coûtent  les  femmes,  par  Jules  Rouquette.  Paris,  Mon- 
nier. —  Pics  et  vallées,  par  Lafagette.  Paris,  Lemerre. 

Le  carnaval  de  Nice,  par  Armand  Durantin,  est  une  œuvre  de 
romancier  habile,  sachjjnt  son  métier  au  bout  des  doigts.  On  sait 
combien  retentit  dans  le  high-life  la  marotte  carnavalesque  que 
chaque  hiver,  sous  ua  soleil  d'été,  agile  la  folle  ville  de  Nice,  là 
bas,  au  loin,  près  des  acacias. 

M.  Durantin  noue  un  drame  conjugal  assez  sombre  aulour  de 
cette  joyeuse  et  retentissante  marotte,  ce  qui  ne  l'empêche  de 
détailler,  avec  charme,  les  mille  et  mille  noies  joyeuses  de  la 
fête  niçoise.  Un  chapitre  tout  entier  est  consacré  à  la  bataille  des 
fleurs  el  à  la  bataille  des  confetii. 

Ce  que  coûtent  les  femmes^  porte  la  signature  de  Jules  Rou- 
quette. 

Ce  roman  est  fait  sur  les  clichés  d'antan.  Une  Gorgorza  quel- 
conque, type  très  usé  de  femme  galante  traverse  le  drame  et  finit 
par  retrouver  vers  la  fin,  «on  enfant^  son  unique  enfant,  André. 
C'est  comme  on  voit  du  très  vieux  romantisme  assaisonné  de 


quel(|ues  piments  modernes  pour  ôter  le  goût  rance  et  moisi  du 
volume. 

Autant  le  Carnaval  de  Nice  se  laisse  lire,  autant  Ce  que  coûtent 
les  fenunes  domimde  d'ciïons. 

.'  '         '^    • 

Pics  et  vallées,  de  Raoul  Lafagette  est  de  la  poésie  provinciale 
et  de  terroir.      .  ' 

Comme  Rollinal  célèbre  le  Berry,  Gabriel  Vicaire  la  Bresse, 
Jean  Aicard  la  Provence,  M.  Raoul  Lafagette  s'est  donné  pour 
mission  d'exalter  les  Pyrénées. 

Dans  mort  pays  enchanté 
On  respire  en  liberté 
—  La  montagne  est  grande  — 
On  respire  à  pleins  poumons    - 
L'air  vivifiant  des  monts,  .   . 

Un  air  de  la  rande 

C'est  parfait;  néanmoins,  qu'il  nous  soit  permis  d'insinuer  que 
l'exaltation  de  M.  Raoul  de  Lafagelle  s'égare  quelquefois  et.qu'en 
magnifiant  l'ours  par  exemple,  il  mérite  que  la  bêle  lui  jette  son 
pavé.     . 

Gloire  à  l'ours 
X  Qui  marche  a  pas  lourds  ! 
Gloire  à  la  bêle  qui  va  seule  ! 
Gloire  à  ses  reins  poilus  que  nul  n'a  vus  plier! 
Gloire  à  sa  patte,  fort  pilier, 
Gloire  à  sa  gueule! 

Trop  d'Hosannas,  —  c'est  dangereux. 

M.  Lafagette  embouche  avec  plus  de  bonheur  le  galoubet.  A 
preuve  :  '  ^        _     . 

Les  cascades  échevelées 
Tombent  du  ciel  dans  les  vallées, 
Creusent  le  roc  en  entonnoirs, 
Fouettent  la  ronce  qui  s'efTare, 
Et  sonnent  leur  blanche  fanfare 
Pour  égayer  les  sapins  noirs. 

Voilà  une  bonne  strophe  qui  console  de  celle  dédiée  à  l'ours. 


MEMENTO  DES  EXPOSITIONS  ET  CONCOURS 

Anvers.  —  Concours  pour  le  monument  d'Henri  Conscience.  Base 
du  monument  :  5"', 15  de  longueur  sur  3"', 75  de  largeur.  S'adresser 
au  Comité  central,  au  Musée  Plantin. 

Nice.  —  Concours  pour  le  monument  de  Garibaldi  Projets  reçiis 
jusqu'au  30  novembre.  Deux  primes  (1,500  et  1,000  francs)  sont 
allouées  aux  auteurs  des  deux  meilleurs  projets  non  adoptés.  Goût 
total  du  monument  :  70,000  francs. 

Prix  du  Roi.  —  Concours  de  1886,  1887  et  1888.  —  Un  arrêté 
royal  du  20  avril  courant  porte  que  le  prix  à  décerner  en  1886  (con- 
cours exclusivement  belge)  sera  attribué  à  l'ouvrage  le  mieux  conçu 
pour  développer  chez  la  jeunesse  belge  l'intelligence  et  le  goût  des 
littératures  anciennes  et  mode:  nés. 

Le  prix  à  décerner  en  1887  (concours  exclusivement  belge)  sera 
attribué  à  l'ouvrage  qui  démontrera  le  mieux  de  quelle  manière  la 
Belgique  doit  comprendre  son  rôle  dans  la  grande  famille  euro- 
péenne, tant  au  point  de  vue  politique  et  intellectuel  qu'au  point  de 
vue  matériel,  pour  servir  le  mieux  ses  propres  intérêts  eu  même  temps 
que  ceux  de  la  civilisation  en  général. 

Le  prix  à  décerner  en  1888  (concours  exclusivement  belge)  sera 
attribué  au  meilleur  ouvrage  sur  l'enseignement  des  arts  plastiques 
en  Belgique  et  sur  le  moyen  de  développer  l'art  en  Belgique  et  de  le 
porter  à  un  niveau  de  plus  en  plus  élevé. 

Les  ouvrages  destinés  à  ces  concours  devront  être  transmis  au  mi- 
nistre de  l'agriculture,  de  l'industrie  et  des  travaux  publics,  àsavoir: 
pour  le  prix  à  décerner. en  1886,  avant  le  1"  octobre  1886,  et  pour 
les  deux  autres,  respectivement  avant  le  l^r  janvier  des  années  1887 
et  1888. 

Vienne.  —  Concours  pour  l'érection  d'un  monument  à  Mozart. 
La  place  sur  laquelle  doit  être  élevé  le  monument  n'étant  pas 
encore  déterminée  par  la  municipalité,  le  concours  reste  ouvert. 


--     L'ART  MODERNE 


283 


EST  ENTRÉ  DEPUIS  LE  Y'  JANVIER  1885  DAiNS  SA  CINQUIÈME  ANNÉE 

L'ART  MODERNE]  s'est  acquis  par  rautorité  et  riridépendance  de  sa  critique,  par  la  variété  de  ses 
informations  et  les  soins  donnés  à  sa  rédaction  une  place  prépondérante.  Auftunc  manifestation  de  l'Art  ne 
lui  est  étrangère  :  il  s'occupe  de  littérature,  de  peinture,  de  sculpture,  de  gravure,  de  musique, 
d'architecture,  etc.  Consacré  principalement  au  mouvement  artistique  belge,  il  renseigne  néanmoins  ses 
lecteurs  sur  tous  les  événements ' artistiques  de  l'étranger  qu'il  importe  de  connaître. 

Chaque  livraison  de  l'ART  MODERNE  s'ouvre  par  une  étude  approfondie  sur  une  question  artistique 
ou  littéraire  dont  l'événement  de  la  semaine  fournit  Tactualité.  Les  expositions,  les  livres  nouveaux,  les 
premières  représentations  d 'œuvres  dramatiques  ou  musicales,  les  conférences  littéraires,  les  concerts,  les 
ventes  d'objets  d'art,  font  tous  les  dimanches  l'objet  de  chroniques  détaillées. 

L'ART  MODERNE  relate  aussi  la  législation  et  la  jurisprudence  artistiques.  Il  rend  compte  des 
procès  les  plus  intéressants  concernant  les  Arts,  plaides  devant  les  tribunaux  belges  et  étrangers.  Los 
artistes  trouvent  toutes  les  semaines  dans  son  Mémento  la  nomenclature  complète  des  expositions  et 
concours  auxquels  ils  peuvent  prendre  part,  en  Belgique  et  à  l'étranger.  Il  est  envoyé  gratuitement  à 
l'essai  pendant  un  mois  à  toute  personne  qui  en  fait  la  demande.  . 

L'ART  MODERNE  forme  chaque  année  un  beau  et  fort  volume  d'environ  450  pages,  avec  deux 
tables  des  matières,  dont  Vuyie  par  ordre  alphabétique,  de  tous  les  artistes  appréciés  im  cités.  Il  constitue  pour 
l'histoire  de  l'Art  le  document  LE  PLUS  COMPLET  et  le  recueil  LE  PLUS  FACILE  A  CONSULTER. 


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de  32  pages  au  mois. 


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ique  :  4  francs  par  an.  —  Union  Postale  :  5  francs. 


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Administrateur  ;  G.  Le  Petit. 

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vains. Toute  œuvre  qui  lui^est  adressée  est  exa- 
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mois  par  livraisons  de  70  à  80  pages  chacune. 
Elle  publie  des  études  sociales,  historiques 
et  littéraires,  ainsi  que  des  articles  de  cri- 
tique. 

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respondants dans  les  principaux  pays  de 
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du  mouvemeut  social  dans  ces  divers  pays, 
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cipaux travaux  et  des  ouvrages  paraissant  à 
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284 


VART  MODERNE 


JOURNAL  DES  TRIBUNAUX 

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Le  Journal  insère  spécialement  les  annonces  relatives  au  droit,  aux  matières  judiciaires  et  au  notariat. 


J.  SCHAVYB,  ReKenr 

4tf,  Rue  du  Nord  j  Bruxelles 


jCARTONNAGES,  RELIURES  ORDINAIRES^  RELIURES 
DE  LUXE,  ALBUMS,  ETC. 

SPÉCIALITÉ  D'ARMOIRIES  BELGES  ET  ÉTRANBÈRES 


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Bruxelles.  —  Imp.  Félix  Callbwabrt  père,  rue  de  l'Industrie,  26. . 


Cinquième  année.  —  N°  30 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  6  Skptembre  188&;\^ 


L'ART 


MODERNE 


PARAISSANT    LE     DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,   un   an,   fr.   10.00;  Union   postale,   fr.    13.00.    —  ANNONCES   :    On    traite  à   forfait. 


Adi^sser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 
l'administration  générale  de  TArt  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruielles. 


^OMMAIRE 


Joseph  Skrvais.  —  Réouverture  du  Théâtre  de  la  Monnaie. 
—  Essai  de  pathologie  littéraihe.  Les  bien  portants.  —  Lettres 
DE  Londres.  L'ccrposition  hitcr^mtionalc  des  inventions.  — 
Petite  chronique  • 


JOSEPH  SERVAIS 

La  mort  inattendue  de  Joseph  Servais  a  produit  dans 
le  monde  des  artistes  et  parmi  les  nombreux  amis  du 
jeune  maître  la  plus  douloureuse  et  la  plus  profonde 
émotion.  C'est  pour  la  musique  une  perte  considérable, 
presque  irréparable.  De  tous  les  violoncellistes  de 
l'époque,  Servais  était  peut-être  celui  qui  réunissait  le 
plus  de  qualités  :  la  puissance  du  son, —  ce  merveilleux 
son  qu'il  paraissait  avoir  recueilli  comme  un  héritage 
^pieux,  —  le  style  ample,  le  sentiment  parfait  dans  l'in- 
terprétation des  maîtres,  la  délicatesse  des  nuances  et 
rhabileté  du  mécanisme.  Que  de  fois  nous  l'avons 
applaudi  !  Il  était  pour  ainsi  dire  de  fondation  dans 
toutes  les  séances  de  musique  qu'on  organisait  à 
Bruxelles,  et  Ton  n'imaginait  pas  une  audition  de 
musique  de  chambre  sans  lui.  Qui  ne  l'a  vu,  aux  con- 
certs du  Conservatoire,  assis  au  premier  pupitre  des 
violoncelles,  et  levant  vers  le  directeur,  de  temps'  à 
autre,  sa  tête  placide  qu'encadraient,  comme  les  Christ 
d'Albert  Diirer,  des  cheveux  ondulés  et  une  barbe 
soyeuse?  Dans  les  soli,  la  sonorité  mâle  de  son  instru- 
ment faisait  jaillir  les  applaudissements.  Très  modeste. 


il  n'en  paraissait  pas  tirer  vanité.  Il  semblait  considérer 
comme  tout  naturel  qu'il  jouât  bien  du  violoncelle,  ne 
parlait  jamais  de  ses  succès  au  retour  d'une  tournée  de 
•  concerts,  fuyait  tout  ce  qui  ressemblait  à  de  la  réclame 
ou  à  de  la  camaraderie,  et  cela  sans  orgueil  ni  pose, 
très  simplement,  en  homme  qui  n'aime  pas  le  bruit  et 
dont  le  talent  peut  se  passer  de  louanges. 

Ah  !  l'honnête  artiste,  l'esprit  droit,  calme,  se  laissant 
aller  parfois,  lorsqu'il  savait  à  qui  il  s'adressait,  mais 
impitoyablement  fermé  aux  importuns  et  aux  passants! 

Il  passait  pour  brusque,  ses  élèves  le  trouvaient 
même  un  peu  bourru.  Sous  cette  écorce,  il  y  avait  pour 
ceux  qui  parvenaient  à  pénétrer  jusqu'à  lui,  un  cœur 
dévoué  et  aimant,  prêt  à  s'échaufïer  pour  une  idée  géné- 
reuse, pour  une  pensée  artistique. 

Il  meurt  dans  la  plénitude  du  talent,  dans  la  force  de 
l'âge,  après  avoir  conquis  une  situation  qui  le  mettait 
en  vue,  non  pas  en  Belgique  seulement,  mais  à  l'étran- 
ger, où  sa  réputation  est  solidemeat  assise.  Nommé 
professeur  au  Conservatoire  au  retour  d'un,  séjour  à 
Weimaroù  son  talent  prit  son  assiette  définitive,  Joseph 
Servais  a  formé  d'excellents  élèves,  qui  perpétuent  les 
traditions  de  la  glorieuse  école  dont  il  continua  l'ensei- 
gnement. 

Mais,  jusqu'ici,  aucun  d'eux  n'a  égalé  le  coup  d'ar- 
chet sûr  et  mordant,  la  sonorité  pleine  et  harmonieuse 
de  l'artiste  que  la  mort  vient  de  nous  prendre. 

C'est  un  deuilqui  sera  de  longue  durée.  Quel  que  soit 
celui  qui  prendra,  au  Conservatoire  et  dans  nos  séances 
de  musique,  la  place  de  Servais,  on  se  souviendra  tou- 


jours  du  musicien  qui,  depuis  dix  ans,  fut  l'un  des  pré- 
vôts de  l'art  à  Bruxelles.  On  le  cherchera  au  pupitre, 
et  chaque  concert  fera  renaître  les  regrets  que  provo- 
quent sa  m.ort. 

.  RÉOUVERTURE  DU  THEATRE  DE  LA  MONNAIE 

Bataille  gagnée!  Doux  fois  gagnée,  pour  le  grand  opéra,  pour 
l'opéra-comique.  Il  y  avait  longtemps  que,  sous  les  deux  faces, 
notre  grande  scène  lyrique  n'avait  ainsi  réussi  du  premier  coup. 
Presque  toujours  Tune  des  deux  troupes  était  sacrifiée  h  l'aulrc 
et  le  public  débonnaire  s'en  contentait.  La  saison  dernière  tout 
entière  s'est  passée  h  essayer,  sans  résultat,  des  chanteuses 
d'opéra-comiqué.  Quand  l'impatience  devenait  inquiétante,  on 
disait  :  mais  vous  avez  le  grand  opéra  et  M'"®  Caron.  L'admirable 
artiste  qui,  la  première  année  chantait  pour  neuf  cents  francs  par 
mois,  devait  suftirc  à  tout. 

•  Les  journaux  sont  unanimes  à  constater  ce  double  triomphe 
emporté  malgré  les  résislances  des  inévitables  méconlenls.  Nous 
n'en  sommes  plus  aux  jours  où  quelques  dilottanti  de  pacotille 
pouvaient  s'ériger  en  arbitres  des  plaisirs  du  public  bruxellois  et 
lui  dicter  la  loi  de  leurs  caprices  et  de  leurs  camaraderies. 
L'émancipation  est  complète.  On  l'avait  bien  prouvé  l'an  dernier 
lors  des  représentations  des  M  ai  très- Chanteur  s.  Bcckmesscr 
avait  été  reconduit  avec  bastonnade.  Dorénavant  ce  sera  l'opinion 
qui  fera  le  succès  des  chanteurs  et  des  dirccleurs,  et  non  pas  une 
cabale  de  trois  pelés  et  de  quatre  tondus. 

Nous  ne  pouvons  donner  pour  le  moment  notre  appréciation 
personnelle  sur  le  mérite  des  artistes.  Nous  n'étions  pask  la  réou- 
verture, les  vacances  nous  ayant  dispersés  ;  au  surplus,  et 
nos  lecteurs  le  savent,  le  reportage  qui  met  au  cou  le  carcan 
de  l'assistance  obligatoire  à  toutes  les  cérémonies  joyeuses  ou 
tristes,  non  point  parce  qu'un  sentiment  vrai  vous  y  mène  mais 
parce  que  la  servitude  de  la  chronique  au  jour  le  jour  vous  y 
condamne,  n'est,  grâce  au  son,  point  notre  fait.  Mais  devant  la 
manifestai  ion  spontanée  et  irrésistible  de  l'opim'on,  nous  pouvons 
de  loin  crier  bravo  !  \\  la  direction  nouvelle  qui,  si  vaillamment, 
si  audacieusemenl  a  osé  faire  les  saciifices  nécessaires  pour  que 
noire  théâtre  n'apj)araisse  pas  cetle  année  comme  un  régiment 
dont  l'et^eclif  serait  incomplet.  Rien  ne  manque  aux  deux  troupes, 
et  tous  les  emplois  ont  des  artistes  de  rechange. 

Le  compatriote  que  notre  conseil  communal,  avec  beaucoup 
de  tact  et.d'à-propos,  a  mis  à  la  tête  du  théâtre,  vient  de  donner 
la  mesure  de  ce  qu'il  vaut  et  de  répondre  en  maître  aux  sottes 
méchancetés  dont  on  avait  accompagné  sa  nomination.  11  justifie 
celte  vérité  qu'il  ne  faut  pas  un  imprésario  de  profession  pour  se 
tirer  d'affaire  en  pareille  matière.  Homme  nouveau,  il  nous  a 
d'emblée  débarrassé  des  pratiques  surannées  qui  encombrent  iné- 
vitablement les  règnes  prolongés,  même  les  plus  intelligents.  Il 
a  pris  son  devoir  au  sérieux  et  a  recruté  son  personnelsans  mar- 
cliander,  songeant  moins  à  faire  des  économies  el  des  bénétices 
qu'à  ne  manquer  à  aucun  de  ses  engagements.  La  troupe  pour- 
tant, d'après  les  informations  qui  nous  sont  parvenues,  ne  dépasse 
point  ce  que  la  bonne  administration  réclame. 

C'est  au  public  \i  lui  savoir  gré  de  cette  attitude  dans  laquelle 
l'intérêt  de  l'art  est  mis  au  dessus  de  l'intérêt  personnel.' Nous 
l'avons,  on  s'en  souvient,  défjndu  des  l'origine  contre  les  aveu- 
gles préventions  dont  on  le  poursuivait  injustement.  Dès  à  pré- 


sent uq  bon  vent  ônfle  sa  voile,  malgré  les  prédictions  de  tempête 
et  de  nautjagc  dont  quelques-uns  s'étaient  plu  k  obscurcir  son 
avenir.  Certes,  noiis  ne  saurions  perdre  le  souvenir  des  directeurs 
précédents  .qui  ont  définitivemeiit  inspiré  au  public  le  goût  des 
bonnes  représentations  lyriques,  ni  des  artistes  aimés. qui  leur 
servaient  d'auxiliaires.  Nais  dans  l'art  le  renouveau  est  la  chose 
essentielle  et  sous  ce  rapport  le  départ  de  tant  de  choses  connues 
jusqu'à  la  satiété  ne  doit  pas  être,  déploré.  Le  ix^pertoire  va,  lui 
aussi,  àubir  un.e  transformation.  Il  s'agit  donc  d'une  éldpe  nou- 
velle sur  toute/ia  ligne.  Tant  mieux  et  en  avant! 


ESSAI  DE  PATHOLOGIE  LlTTÉllAIRE  (') 

LES  BIEN-PORTANTS. 

Décadents,  Incohérents,  Verbolâtre^,  Esotériques  ! 
Déliquesceiits  de  tout  poil,  rentrez  à  l'hôpitalv  Nous 
vous  avons  suffisamment  auscultés.  Vous  n  êtes  pas  les 
seuls  malades  de  l'art.  Que  d'autres  complètent  cette 
pathologie.         ,  :• 

Et  les  voilà  qui  s'en  vont,  inconscients  de  leur  mal, 
fort  joye^ux  de  leur  sort,  en  chantonnant.  Prêtons 
l'oreille  :  cela  semble  drôle.  Ils  se  moqumit  de  notre 
clinique.  Ils  fredonnent  un  sonnet  fameux  d'Arthur 
Rimbaud,  un  des  leurs  jadis,  traité  de  renégat  depuis 
qu'il  est  guéri,  V Oraison  du  Soir  : 

Je  vis  assis  tel  qu'un. ange  aux  mains  d'un  barbier,     ^ ^ 

Empoignant  une  chope  aux  fortes  cannelures,  • 

L'hypogastre  et  le  col  cambrés,  une  Gambier 
Aux  dents,  sous  l'air  gonflé  d'impalpables  voilures. 

Tels  que  les  excréments  chauds  d'un  vieux  colombier, 
Mille  rêves  en  moi  font  de  douces  brûlures  ; 
Puis  par  instants  mon  cœur  triste  est  comme  un  aubier 
Qu'ensanglante  l'or  jaune  et  sombre  des  coulures. 

Puis  quand  j'ai  ravalé, mes  rêves  avec  soin. 

Je  me  tourne  ayant* bu  trente  ou  quarante  chopes. 

Et  nie  recueille  pour  lûcher  làcre  besoin. 

Doux  comme  le  Seigneur  du  cèdre  et  des  hysopes, 
Je  pisse  vers  lés  cieux  bruns  très  haut  et  très  loin,    . 
Avec  l'assentiment  des  grands  héliotropes. 

Oui,  c'est  la  célèbre  Oraison  du  *S'o/r.  Verlaine,  dans 
sa  brochurette  les  Poètes  maudits,  la  cite  comme  un 
chef-d'œuvi^e  à  se  mettre  à  genoux  devant  !! 

Le  chœur  des  Déliquescents  s'éloigne.  Il  s'interrompt. 
Mais  il  reprend.  Qu'est-ce  encore?  Un  pantoun  à  la 
mode  malaise,  emprunté  au  plus  récent  recueil  du  même 
y evldime,  Jadis  et  Naguère,  i^sivu  en  IS84  : 

Trois  petits  pâtés,  ma  chemise  brûle. 

Monsieur  le  Curé  n'aime  pas  les  os. 

Ma  cousine  est  blonde,  elle  a  nom  Ursule, 

Que  n'émigrons-nous  vers  les  Palaiseaux.  •• 

Ma  cousine  est  blonde,  elle  a  nom  Ursule. 
On  dirait  d'un  cher  glaïeul  sur  les  eaux. 
Vivent  le  muguet  et  la  campanule  ! 
Dodo,  l'enfant  dô,  <;hantez,  doux  fuseaux. 


N 


{•)  Voir  nos  n"  des  19.  et  2o  juillet,  2, 9, 16,  23  et  30  août  1!^85. 


w 


Que  n'émigrons-nous  vers  les  Palaisoaux. 
•  Trois  petits  pâtés,  un  point  et  virgule; 

On  (lirait  dun  cher  glaïeul  sur  les  eaux, 
Vivent  le  muguet  et  la  campanule. 

Trois  petits  pâtés,  un  point  et  virgule  ; 
^        •         Dodo,  l'enfant  do,  chantez,  doux  fuseaux. 

La  libellule  crie  emmi  les  roseaux,         ... 
Monsieur  le  Curé,  jna  chemise  brûle 

•Les  derniers  vers  nous  arrivent  à  peine  distincts.  Ils 
s'éloignent,  s'éloignent,  s'éloignent.  Leur  chant,  meurt. 
Ils  sont  rentrés.  Qu'on  ferme  la  porte. 
V Jlt  maintenant  demandons-nous  si  la  santé,  la  belle 
santé,  ne  serait  point,  par  aventure,  la  meilleure  auxi- 
liaire de  l'Art  ? 

Jamais!  s'écrie  Adoré  Floupette  qui,  on  le  sait,  avait 

toutes  les  peines  du  monde  à  se  mal  porter.  Et  il  n'est 

■pas  le  seul  à  pousser  ce  cri  de  défi.  Dernièrement,  chez 

nous,  on  risquait  cet  aphorisme  :  Pour  être  bon  poète, 

/  il  faut  être  malade. 

Aussitôt  tous  les  éclopés,  les  infirmes  et  les  asthma- 
tiques de  la  littérature  se  sont  rengorgés. 

Allons  donc  !  Que  les  impuissants  et  les  petits  crevés 

;ious  lâchent  leurs  rimes  comme  des  régurgitations 

-après  les  repas  quand  l'estomac  est  trop  faible,  soit. 

-iMais    gober  cette  mystification,   nous  n'en   sommes 

pas  là.         . 

Être  bien  portant  de  corps  et  d'esprit,  est  une  des 
plus  grandes  forces  de  l'artiste,  n'est-ce  pas  Hugo, 
n'est-ce  pas  Wagner,  n'est-ce  pas  Rubens? 

La  question  n'est  pas  de  savoir  si,  quoique  malades, 
des  artistes  ont  fait  de  belles  choses,  mais  ce  qu'ils 
eussent  fait  étant  bien  portants. 
.  Ne  confondons  pas,  au  surplus,  la  santé  avec  le 
bonheur.  Certes  la  meilleure  condition  pour  exprimer 
les  mouvements  de  l'âme  est  de  les  avoir  ressentis,  et 
quand  l'infortune  secoue,  mord,  déchire  un  grand 
artiste  il  répond  par  des  cris  sublimes.  Mais  l'homme 
bien  portant,  tout  autant  et  même  plus  que  le  malade, 
subit  les  passions  et,  s'il  est  poète,  en  chante  les  souf- 
frances ou  les  délices. 

Ce  qu'il  faut  proscrire,  en  tant  qu'on  en  voudrait 
faire  la  règle  et  l'exemple,  ce  sont  les  aff*ections  mor- 
bides qui  détraquent  l'intelligence,  la  jettent  dans  les 
excentricités,  ne  lui  font  plus  trouver  supportables  que 
le  bizarre  et  entraînent  l'écrivain  à  ne  s'occuper  que 
d'une  littérature  d'exception ,  décrivant  des  faits 
d'exception,  une  littérature  de  monstruosités  et  de  phé- 
nomènes, bonne  en  passant,  mais  exaspérante  et  écœu- 
rante  quand  on  en  veut  faire  le  plat  d'anguilles  de 
tous  les  jours. 

Que  les  malheureux  qu'une  santé  compromise  et 
un  intellect  dévoyé  induisent  à  décrire  leurs  sensa- 
tions insolites,  donnent  l'analyse  de  leurs  rêvasseries, 
nul  ne  s'en  plaindra.  Le  fait  sera  curieux  et  la  poésie 
parfois  intéressante.   On  doit  à  ces  alités  quelques 


nouveautés  précieuses.  On  peut  leur  dire,  comme  l'a 
fait  l'un  d'eux,  apparemment  pendant  une  insomnie  : 

'   Enroule,  mauvaise  troupe! 
Partez  mes  enfants  perdus  ! 
Ces  loisirs  vous  étaient ^lus  : 
La,  chimère  tdnd  sa  croupç. 

Partez,  gri\npez  sur  son  dos, 
Comme  essainpte  un  vol  de  rêves 
D'un  malade  dans  les  brèves 
Fleurs  vagues  de  ses  rideaux. 

Ma  main  vous  bénit,  petites 
Mouches  de  mes  soleils  noirs 
Et  de  mes  nuits  l)lanches.  Vite, 
Partez,  petits  désespoirs. 

Petits  espoirs,  douleurs,  joies, 

Que  dès  hier  renia 

Mon  cœur  quêtant  d'autres  proies.... 

Allez,  ^ORI  SOMMA. 

jEgri  somnia!  Oui,  voilà  le  mot.  Ces  hantises  de 
fiévreux  nous  ne  les  repoussons  pas:  Les  malades,  que 
diable,  ont  le  droit  de  faire  des  vers,  et  de  dire  en  vers 
ce  qui  se  passe  dans  leurs  cerveaux  troublés.  Nous  ne 
leur  faussons  compagnie  que  lorsqu'ils  nous  convient 
à  devenir  tous  malades  comme  eux  et  lorsqu'ils  clament 
que  leur  poésie,  qui  appelle  le  médecin  et  l'apothicaire, 
est  la  seule  admissible.  «  Il  faut  être  pervers!  s'écriait 
Floupette.  Soyons  pervers.  Promets-moi,  Tapora,  que 
tu  seras  pervers  »» . 

Ah!  que  non,  que  non.  Nous  lisons  vos  vers,  mais  si 
nous  sommes  bien  portants,  nous  entendons  rester  en 
état  de  santé,  et  si  nous  sommes  poètes,  écrire  en  poètes 
bien  portants. 

Ces  groupes  de  nialadifs,  décadents  larmoyeurs,  in- 
cohérents nébuleux,  verbolâtres  néologistes,  symbo- 
listes ésotériques,  ont  eu  des  analogues  à  d'autres  épo- 
ques, et  le  discrédit,  souvent  parfumé  de  ridicule,  dans 
lequel  ces  excentriques  ont  chaviré,  devraient  valoir 
avertissement.  Qui  ne  se  souvient  des  poètes  du  déses- 
poir : 

Adieu,  trop  inféconde  terre, 

Fléaux  humains,  soleil  glacé. 

Comme  uu  fantôme  soulaire  —- 

Inaperçu,  j'aurai  passé! 

Et  ainsi  de  suite.  On  en  a  eu  par  milliers  de  ces. 
strophes.  Les  poètes  de  cette  école  aspiraient  au  rôle 
de  beaux  ténébreux.  Sont-ils  assez  finis!  Les  pervers 
farouches,  les  ultimes  décadents  de  ce  temps-ci  *jouent 
la  même  parade  et  culbuteront  dans  le  même  bourbier. 
En  vain  se  réclament-ils  de  Baudelaire,  et  ultérieure- 
ment d'Edgard  Poe,  avec  des  regards  de  côté  vers  le 
Jean  Floréas  des  Esseintes  de  J.-K.  Huysmans.  Cette 
simpiternelle  invocation  de  la  même  descendance  et 
des  mêmes  recommandations,  passée  à  l'état  de  locu- 
tion agaçante,  est  devenue  un  de  leurs  plus  visibles 
ridicules,  et  les  décalques  qui  en  dérivent  ne  sont  plus 
pris  au  sérieux  que  par  les  niais.  Baudelaire  et  Poe 


■  ^   '  ■".     ' 


s» 


ont  assez  fait  dan.'»  l.éur'getirë  pOur  que  le  pastichage 
de  ces  grands  :honiilTes  par  une  nuée  de  myrmidons 
soit  tout  à  fait  .st^ierfétatQii'ë^    v.'-;- 

Les  esprits  bien*. poHants-:n'6nt  pas  besoin  de  ces  , 
rubriques  et  de.cet-  eiribërjificotage.  De  tout  temps  ils 
ont  eu  des  maxinms  iort  simples,  difficiles  il  est  vrai 
à  suivre  quand- on  n'est  qu'un  .médiocre.  Avant  tout  ils ^ 
veulent  être  êux-mèiiïes  et  se  gardent  avec  opiniâtreté" 
des  imitations  qui  empestent  la  littérature.  Ils  savent 
admirer  ceux  qui;  les  ont  précédés,  Baudelaire  tout 
comme  un.  autrfe,  mais , se  révoltent  à  l'idée  de  recom- 
mencer ce  que  ceux-ci -onl  fait.  L'originalité  est  leur 
mot  d'ordre  suprême,  et "^pour  l'atteindre,  ils  sacrifient 
tout.  Ils  passentjiivtravers  ies  littératures  antérieures, 
mais  seulem'ent  pour  développer  .leurs  facultés  person- 
nelles, regardaiit  les  .cJçuvi^es  non  pas  comme  des  mo- 
dèles (çtupîde  expression  d'un  enseignement  fondé  tout 
entier  s«r  rihiitàtion),  mais  comme  des  excitations  des- 
tinées à  augmenter  leurs  aptitudes' propres. 

Mais,  dira-t-on,  ne. vouloir- que  des  artistes  origi- 
naux, c'.esj;'en  déduire  singulièrement  le  nombre  ;  par- 
tout on  voit  les  nouveaux-venus  suivre  les  maîtres  et  se 
réclamer  ii'eiîx,  '-^  Oest  précisément  ce^tte  odieuse  ré- 
pétition des  .belles  choses-  par  les  médiocres  qui  doit 
être  réprouvée  sans  merci  'et  dont  il  faudrait  purger 
les  arts.  Elle  est  inutile  et  misérable.  Tous  ceux  qui . 
s'y  livrent  dispajraîtraient,  qu'il  faudrait  s'en  réjouir. 
C'est  aujourd'hui  une  calamité. Pasticher  consciemment 
ou  inconsciemment  est  la  pmtique  presque  universelle.  ' 
C'est  le  -vic^abominable  q^i  .déshonore  la  littérature,  la 
peinture;  la  s.culpture,  la  musique.  Il  suffit  qu'un  grand 
homfîie  ait  sûrgî^  potJT'  que  .la  légion  des  impuissants  ' 
se  jette  sur  son'œuvrë;  et  se  le  partage  comme  les  Mé- 
nacles,  firent  des  membres  pantelants  d'Orphée.  L'ar- 
tiste bien  portant ^è  refuse  à  cette  bassesse.  Il  ne  veut 
pas  d'un  art  d'emprunt.  Il  rie  veut  pas  n'être  qu'une 
ombre  chiuolse.'.     •     -    •       . 

Il  sajtaussî  que-soji  devoir  est  d  exprimer  les  actions 
et  les  sentiments- généraux  «et  non  pas  les  raretés  psy- 
chologiques. Les  vraies-  grandes  œuvres  ont  de  tout 
temps  été  cellesr^dans  lesquelles  la  plupart  des  hommes 
ont  reconnu  lueurs  joies;  leurs  douleurs,  leurs  passions. 
L'art  est  destiné  à. révéler  avec  plus  de  clarté  et  de  force 
le  secret  de  leur  existence,  à, les  réjouir,  à  les  consoler, 
à  les  soutenir,  à  exciter  en  eux  les  émotions  qui  les  ren- 
dront plus  fiers,  plus  heureux,  plus librps.  Quel  intérêt, 
si  ce  n'est  celui- d'une/curiosité  passagère,  s'attache  à  la 
descriptio'n  .^es  complications  .psychiques  d'un  petit 
groupe.de  néo-bohêrhes  qui,  par  une  étrange  illusion, 
s'imaginent  que,  ton^  leurs  contemporains  sont  dans 
l'état  d'hallucination  qui  les  désarticule?  Il  y  a  autre 
chose  à  faire  q^e  de  narrer  sur  tous  les  rythmes  ces 
cas  pathologiques  rares,  La  société  moderne  éyolue 
rapidement  vérs^'desv  destinées  nouvelles  et  l'ensemble 


de  cette  transformation  domine,  entraîne,  étoufïë  les 
détails  auxquels  se  cramponnent  les  petits  bonshommes 
dont  les  piaulements  font  dans  la  littérature  un  si  joli 
tapage.  De  toutes  parts  on  s'impatiente  de  leurs  préten- 
tions et  le  mot  d'ordre  de  les  exécuter  est  donné  Ce  ne 
sont  point  là  les  vrais  jeunes,  ceux  à  qui  Zola  disait 
dans  son  admirable  Lettre  à  ta  Jeunesse  :  «  Si  nous 
voulons  que  demain  nous  appartienne,  il  faut  que  nous 
soyons  des  hommes  nouveaux,  marchant  à  l'avenir  par 
la  méthode,  par  la  logique,  par  l'étude  et  la  possession 
du  réel.  Applaudir  une  rhétorique,  s'enthousiasmer 
pt)ur  l'idéal,  ce  ne  sont  là  que  de  belles  émotions  ner- 
veuses. Aujourd'hui  nous  avons  besoin  delà  virilité  du 
vrai,  y,  ■ 

Justes  et  puissantes  paroles.  Elles  résument  bien 
l'évangile  de  l'écrivain  bien  portant,  résolu  à  avoir 
une  influence  sur  son  temps  et  faisant  bon  marché  des. 
simples  amusettes.  Certes,  nous  ne  saurions  assez  le 
dire,  il  faut  se  garder  de  faire  chorus  au  hasard  avec 
ceux  qui,  aveuglément  conspuent  toute  tentative  nou- 
velle. «  Le  public,  a  dit  avec  -raison  Edmond  de  Gon-- 
court,  n'entend  et  ne  reconnaît  à  la  longue  que  ceux 
qui  l'ont  scandalisé  tout  d'abord,  les  apporteurs  de 
neuf,  les  révolutionnaires  du  livre  et  du  tableau,  les 
messieurs  enfin  qui,  dans  la  marche  et  le  renouvelle- 
ment incessants  et  universels  des  choses  du  monde,  osent 
contrarier  l'immutabilité  paresseuse  de  ses  opinions 
toutes  faites  ".'Nous-même  avons  écrit  ailleurs  qu'il 
faut  être  très  attentif  à  un  livre  qu'on  ne  lit  pas,  plein 
de  respect  pour  une  pièce  sifîiée,  plein  d'égards  pour 
un  tableau  refusé.  Mais  ce  que  nous  n'admettrons  jamais 
comme  œuvre  artistique  sérieuse,  ce  sont  les  mouve- 
ments vrais  à  l'origine  qui  dégénèrent  en  manies,  la 
transformation  en  décadence  générale  des  -doutes  dou- 
loureux de  notre  époque  de  transition,  l'amincissement 
jusqu'à  l'incohérence  des  sensations  vagues  de  nos 
âmes,  1^  culture  jusqu'à  l'incompréhensible  des  nou- 
veautés dans  les  mots,  le  symbolisme  dans  la  langue 
devenant  une  énigme  pour  tous  autres  que  les  initiés. 
Et  surtout  la  prétention  de  réduire  l'art  poétique  à 
l'expression  des  maladies  mentales  dont  sont  affligés 
quelques  aliénés. 

JaETTF(E3     DE    JûONDRE^ 

L'exposition  internationale  des  inventions  (') 

L'Exposition  musicale  forme  l'une  des  deux  grandes  divisions 
de  V InLernaiional  exhibition.  Elle  se  subdivise  en  deux^  sections. 
La  première  comprend  loul  cç  qui  se  rallaclie  à  la  musique 
moderne  :  fabrication  des  instruments,  gravure  cl  impression 
des  partitions,  enseignement  musical,  etc.  La  seconde  constitue 
une  magnifique  exposition  rétrospective  d'instruments  de  mu- 
sique. CeUe  dernière  occupe  la  galerie  supérieure  d'Albert  Hall. 


('J  Voy.  l'Art  moderne  du  29  août. 


UART  MODERNE 


289 


L'autre  est  dislributîe  dans  la  jijaleric  ccnlrale  de.  Souih- 
Kensinglon  et  dans  les  galeries  adjacjsnles,  mais  comme  elle  est 
plus  considérable  qu'on  ne  Tavail  supposé,  les  locaux  qui  lui 
étaient  primilivemenl  destinés  ne  suffisent  plus,  et  elle  déborde 
de  ci,  de  là,  développant  le  formidable  appareil  de  ses  pavillons 
de  cuivre- -aux  reflets  fulgurants,  de  ses  ventres  de  contre-basse 
bombés  et  luisants,  de  ses  timbales  aux  rondeurs  énormes,  de 
ses  flûtes  effilées,  de  ses  orgues  monstrueuses,  de  ses  harmo- 
niums, de  ses  pianos. 

Oh!  les  pianos!  Il  sont  là,  en  multitude  innombrable,  serrés 
les  uns  contre  les  autres,  en  bataille,  inquiétants  et  terribles^  les 
uns  la  gueule  ouverte,  montrant  leur  denture  d'ivoire,  les  autres 
somnolents,  creinlés  par  le  martyre  que  leur  ont  fait  subir,  durant 
des  heures,  des  tortionnaires  im[)lacnblcs.Il  y  a  des  pianos  droits, 
des  pianos  obliques,  des  pianos-buffet,  des  pianos  à  queue,  des 
pianos-armoire,  des  pianos-table,  des  pianos  en  palissandre,  en 
chêne,  en  acajou,  en  noyer,  en  bois  de  cèdre  incrusté  d'ivoire, 
en  bois  de  rose  serti  de  cuivre  poli.  Tous  les  pianos  de  la  création 
paraissent  s'être  donné  rendez-vous  et  l'on  est  stupéfait  d'en  enlen-  . 
dre,  en  se  promenant  dans  les  rues  de  Londres,  encore  dans  les 
maisons.  Les  uns  sont  installés  dans  d'élégants  pavillons  tendus 
d'étoffes  rares  ;  d'autres  s'allongent,  en  files  interminables  ^ous 
une  colonnade  en  style  de  la  Renaissance  ;  ceux-ci  se  bousculent 
sur  une  estrade  autour  de  laquelle  bourdonne  la  foule  pour 
attraper  au  passage  les  bribes  d'improvisations  que  leur  jettent 
des  Absalons  spécialement  chargés  de  celle  besogne;  ceux-là 
forment  des  cités  entières,  avec  des  avenues,  des  carrefours,  des 
rues.  Et,  dominant  cet  écrasant  ensemble,  le  Piano-Dieu,  l'im- 
mense Steinway  de  concert,  dans  un  temple  d'or  aux  colonnes 
massives,  apparaît  comme  un  Bouddha  gigantesque  oiferl  à  l'ado- 
ration des  fidèles. 

La  France,  la  Russie,  la  Suisse,  l'Allemagne,  l'Amérique,  et 
naturellement  ^l'Angleterre  sont  représentées  dans  ce  congrès 
bruyant.  Il  y  a  aussi  un  piano  belge,  un  seul  :  Un  modeste  petit 
piano  droit  portant  la  mention  :  Appareil  destiné  à  remplacer 
les  chevilles  qui  servent  à  tendre  les  cordes  et  permettant  d'ac- 
corder les  pianos  avec  une  justesse  irréprochable  ;  invention  de 
MM.  Vivier  et  Oor.  Les  journaux  ont  relaté,  il  y  a  quelques 
mois,  le  perfectionnement  introduit  dans  la  fabrication  des  pianos 
par  ces  messieurs.  Nous  n'avons  pas  à  y  revenir. 

Pour  arriver  à  se  faire  remarquer  en  présence  d'une  concur- 
rence aussi  eftVayanie,  les  exposants  ont  recours  à  mille  ruses. 
L'un  annonce  qu'il  prêtera  gratuitement  ses  pianos  a  tous  les 
artistes  (jui  lui  en  feront  la  demande  pour  leurs  concerts.  Un 
autre  distribue  des  prospectus  où  l'on  voit  Richard  Wagner,  en 
béret  de  velours  et  culottes  courtes,  installé  deviinl  le  clavier. 
Celui-ci  expose  une  image  où  l'on  voit  un  jeune  homme  agenouillé 
devant  une  jeune  femme.  «  Voulez-vous  m'aimer?  dit  la  légende.  - 
—  Oui,  cher,  si  vous  m'offrez  un  piano  de  dix  guinées.  »  C'est, 
on  le  voit,  l'amour  dans  les  prix  doux.  Un  facteur  américain 
montre,  avec  ses  produits,  le  premier  cadre  en  fonte  ayant  servi 
à  la  fabrication  des  pianos,  exposé  à  Philadelphie  en  1833. 
Grand  succès  de  curiosité  pour  le  piano  de  Chopin,  exhibé  par 
MM.  Pleyel,  Wolff  et  C'^.  Quelques-uns  se  font  remarquer  par  des 
formes  bizarres,  composées  d'un  nom  répété  deux  fois,  sans  doute 
en  vertu  de  l'adage  bis  repetila  placent.  Il  y  a  les  pianos  Collard 
et  Collard,  Burling  et  Burling,  Moore  et  Moore,  Scipeo  et 
Scipeo,  etc.  Cela  fait  l'effet  du  numéro  placé  sur  les  adresses  des 
commerçants  avant  et  après  le  nom  de  la  rue. 


Les  pianos  traînent  à  leur  suite  un  cortège  de  parasites  :  des 
lampes  perfectionnées,  des  porte-musi((ue  de  tout  calibre,  des 
pupitres  de  poche,  des  chaises  à  mécanique,  des  instruments 
compliqués  pour  développer  le  mécanisme  des  doigis,  mênoïc  une 
sorte  de  phonographe  pour  recueillir  les  improvisations. 

Ainsi  que  les  pianos,  les  innombrables  instruments  à  archet,  à, 
anches,  à  embouchure,  à  percussion,  qui  s'alignent  dcjns  les 
vitrines,  et  dans  le  détail  desquels  nous  n'entrerons  pas,  ont  leurs 
satellites  de  tous  genres.  On  remarque,  parmi  les  plus  intéres- 
sants, un  vernis  à  l'ambre  qui  donne  au  violon  le  plus  récalci- 
trant l'aspect  d'un  Amati  ou  d'un  Stradivarius;  une  mentonnière 
perfectionnée  remplaçant  le  mouchoir  de  soie  que  les  violonistes 
ont  coutume  de  s'appliquer  sur  .la  gorge  avanl  de  préluder;  un 
appareil  à  pédales  pour  tourner  les  pages,  etc.,  etc. 

Le  chant  a  naturellement  sa  grande  part  dans  cette  exposition, 
ainsi  que  la  gravure  de  la  musique,  l'impression,  la  notation 
musicale  pour  laquelle  on  propose  une  foule  de  simplifications 
plus  comi)li(jU(''es  les  unes  que  les  autres.  Il  parait  que  l'une 
d'elles  a  été  adoptée  dans  certaines  écoles.  Plaignons  les  éco- 
liers. .    ,  • 

Après  les  instruments  sérieux,  qui  ont  acquis  droit  de  bour- 
geoisie dans  les  orchestres,  on  voit  apparaître  les  irréguliers,  les 
bohèmes,  les  Bachi-Bouzouks  de  la  musique  :  ocarinas  en  familles 
innombrables,  boîtes  à  musique  suisses  égrenant  leur  carillon  de 
petites  notes  grêles,  orchestrions,  harmonicas,  matophones, 
xilophones,  tambourins,  tout  ce  qui  sert  à  faire  du  bruit  en 
tapant  sur  du  verre,  du  bois,  de  l'acier,  du  cuivre,  de  la  peau 
d'âne. 

Gravisson"^  les  degrés  des  escaliers  qui  mènent  au  sommet 
d'Albert  Hall  ou  faisons-nous  hisser  par  l'ascenseur  qu'on  a  mis 
à  la  disposition  des  visiteurs.  Janaais  on  ne  vit  plus  belle  et  plus 
complète  réunion  d'instruments  de  prix,  de  manuscrits  précieux, 
de  portrails  d'artistes,  de  curiosités  musicales.  Voici,  au  hasard 
des  rencontres,  dans  le  déluge  des  épinelles,  des  clavecins,  des 
virginales,  un.e  double  épinelte  due  à  Hans  Ruckers;  une  virgi- 
nale datée  de  1666,  sur  laquelle  sont  peintes  des  vues  du  parc  de 
Saint-James;  le  luth  de  la  reine  Elisabeth,  construit  en  1580  par 
Joannes  Rosa,  de  Londres;  deux  harpes  d'origine  écossaise,  de 
la  plus  haute  antiquité,  dont  l'une  a,  dit-on,  appartenu  à  la  reine 
Marie.  Elle  est  si  massive,  si  pansue,  d'une  forme  si  rudimen- 
taire,  qu'on  pourrait,  sans  inconvénient,  la  faire  passer  pour  celle 
du  roi  David.  ' 

Les  cistres,  les  vielles,  les  violes  d'amour,  les  viola  di  Gamba 
sont  entassées  dans  les  vitrines,  évoquant  les  époques  lointaines 
où  la  musique  soupirait  doucement  de  bons  vieux  airs  naïfs.  Dos 
serpents  se  tordent  sur  les  rayons  parmi  les  guitares  et  les  man- 
dolines qui  allongent  leur  col.  Puis,  voici  l'armée  des  violons, 
des  altos,  des  violoncelles  et  des  contrebasses,  brandissant  leurs 
volutes.  Les  merveilleux  instruments  des  anciennes  écoles  de 
Crémone,  de  Brescia,  de  Venise  sont  là,  en  rangs  pressés, 
déployant  l'éblouissant  cortège  de  leurs  tons  ambrés.  On  remar- 
que particulièrement  le  plus  beau  violon  qui  soit  sorti  des  mains 
de  Mcolas  Amati,  et  qui  est  daté  de  1643;  deux  des  vingt  altos 
que  fabriqua  Stradivarius;  une  admirable  collection  de  Guame- 
rius;  le  violoncelle  fait  par  André  Amati  sur  l'ordre  du  roi 
Charles  IX,  etc. 

Le  prince  de  Caraman-Chimay  a  envoyé  son  quatuor  d'instru- 
ments du  tournaisien  De  Comble,  qui  fut,  dit-on,  élève  de  Stra- 
divarius, et  le  Conservatoire  de  Bruxelles  a,  de  son  côté,  nfis  à 


290 


VAUT  MODERNE 


la  disposilioTi  de  la  Commission  les  trésors  de  son  musée,  qui 
comporte  h  lui  seul  trois  grands  compartiments  cl  plusieurs  vitri- 
nes de  l'exposition. 

Dans  une  petite  salle  Louis  XVI^  on  montre  le  clavecin  de 
Marie-Anloinette.  Dans  un  autre  cabinet,  tendu  de  hautes  lisses, 
meublé  dans  le  goût  de  l'époque  dos  Tudor,  on  voit  la  virginale 
de  la  reine  Elisabeth  et  de  curieux  manuscrits  dû  temps. 

Les  manuscrits,  les  autographes,  les  portraits,  forment 
d'ailleurs  une  section  importante  de  l'exposition.  On  comprend 
que  nous  ne  puissions  les  décrire  en  détail.  Notons  seulement, 
parmi  les  derniers,  un  portrait  de  Mozart  daté  de  1770  et  signé 
par  Pomj)eo  Balloni  ;  un  portrait  de  Haydn  dû  a  sir  M.  A.  Sliée 
et  qui  remonte  à  1796;  et  parmi  les  innombrables  portraits 
de  Haondel,  celui  qui  le  montre,  débarrassé  de  la  perruque 
sous  laquelle  il  est  représenté  d'habitude,  et  affublé  d'un  béret 
loup,  dans  l'intimité  du  travail.  Cet  ancien  portrait,  qui  appar- 
tient au  musée  Fitzwilliam  de  Cambridge,  a  été  peint  par  sir 
James  Tornhill. 

A  en  croire  certaines  caricatures  qui  font  partie  de  lasplcndide 
collection  de  M.Julian  Marshall,  V^ixiiauv àa  Judas Machabée  n'était 
pas  seulement  le  grand  musicien  qu'on  admire.  Il  avait  pour 
1-a  bonne  chère  un  goût  prononcé.  Mais  il  était,  semble-t-il,  plu- 
tôt gourmand  que  gourmet.  Une  estampe  coloriée  le  représente, 
en  effet,  sous  les  traits  d'un  porc  énorme,  assis  à  l'orgue,  entouré 
de  victuailles,  d'écaillés  d'huitres,  de.  tonneaux  de  vins,,  de  cha- 
pons égorgés.  De  sa  poche  se  déroule  une  carte  de  restaurant  por- 
tant une  addition  fantastique.  La  légende  porte  Tlie  diarming 
brille. 

Une  autre  charge,  de  la  même  époque,  le  représente  plus 
gonflé  encore,  plus  gras,  plus  enfoncé  dans  les  comestibles, 
entouré  d'une  banderolle  sur  laquelle  sont  inscrits  ces  mots  : 
Pension  —  Dcnefil  —  Nobilily  —  Friendsliip. 

Que  de  choses  curieuses  et  rares  dans  cette  incomparable 
exposition  !  Mais  force  nous  est  d'abréger.  Un  coup  d'oiil,  pour 
finir,  aux  envois  de  l'Extrême-Orient,  à  la  musique  siamoise, 
japonaise,  chinoise,  hindoue,  et  nous  quitterons  les  galeries. 

Dans  la  section  orientale,  le  Royal  collège  of  viusic  \nU(i  do 
richesses  avec  MM.  Mahillon  et  C"'.  Les  guzla,  les  darbouka,  les 
tambours  de  toutes  grandeurs  et  de  toutes  formes  sont  entassés 
dans  un  désordre  pittoresque  et  savant.  La  Chine  a  envoyé  des 
spécimens  de  chacun  de  ses  instruments.  Voici  les  flûtes  en  jade 
couleur  de  lune,  les  conques  formées  d'un  coquillage  nacré,  les 
tambourins  minuscules  usités  par  les  ménestrels;  voici  les  flageo- 
lets taillés  dans  un  bambou  orné  d'une  tête  de  dragon  doré,  dont 
on  ne  se  sert  que  dans  les  cérémonies  à  la  gloire  de  l'empereur; 
voici  les  courtes  et  massives  flûtes  noires  qui  mènent  le  cortège 
des  funérailles,  les  violoncelles  rudimentaires  faits  d'une  peau  de 
crocodile  sur  laquelle  sont  tendues  deux  cordes,  les  diverses 
incarnations  du  c/i'nj,  cette  cithare  primitive  dont  la  forme  la  plus 
parfaite  est  la  Yuch-cfiin^  instrument  favori  des  dames  du 
Céleste-Empire;  voici  le  tigre  de  bronze  au  dos  dentelé  sur 
l'épine  dorsale  duquel  le  chef  d'orchestre  promène  son  bâton 
pour  annoncer  le  commencement  et  la  fin  des. morceaux...  Pas- 
sant au  Japon,. on  peut  s'initier  aux  mystères  du  Kola,  l'instru- 
ment classique,  représenté  par  un  grand  nombre  d'exemplaires, 
on  peut  étudier  la  conslruction  du  Biwa  et  des  instruments  à  vent  : 
le  Sho,  le  Kagura-Buye  et  le  Koma-buye...  Miixs  la  palme 
revient,  pour  l'élégance  et  la  richesse,  aux  Siamois,  qui 
incrustent  de  nacre  et  d'argent  le  bois  de  cèdre  de  leurs  instru- 


ments, sculptent  les  manches  d'ivoire  en  têtes  d'animaux  fantas- 
tiques, les  découpent  en  fines  dentelles,  ornent  de  diamants  et 
de  j)erlcs  et  de  pierres  précieuses  les  tables  d'harmonie... 

On  croirait  voir  les  objets  sacrés  d'un  culte;  et  quand,  avec 
leurs  turbans  bleus  et  leurs  visages  d'ébène,  les  musiciens  de  la 
cour  impériale  de  Siam  donnent  aux  visiteurs  le  régal  d'une 
audition,  c'est  l'idée  des  cérémonies  d'une  religion  inconnue, 
non  d'un  concert  qu'éveille  le  carillon  de  leurs  cloches  et  les 
mélopées  nasillardes  de  leurs  instruments  à  cordes. 


pETlTE    CHROJMIQUf: 


Le  théâtre  du  Parc  a  fait  sa  réouverture,  hier,  avec  le  Train 
de  Minuit  de  Meilhac  et  Halévy,  et  la  Petite  Marquise.  Dans  cette 
dernière  pièce  Céline  Chaumont  remplissait  le  rôle  de  Henriette 
de  Kergazon. 

Le  théâtre  Molière  rouvrira  le  samedi  19  septembre. 

La  Soriana,  pièce  en  cinq  actes,  fera  les  frais  de  la  première 
soirée. 

La  troupe  dont  voici  le  tableau  est  plus  complète  que  les  années 
précédentes: 

Service  de  la  scène  :  M.  Reliiez,  régisseur  général;  M.  Ghalbos, 
\er  régisseur:  M.  Ingremi.  2™®  régisseur;  M.  Petrus,  souffleur; 
M.  Jules  Miesse,  machiniste  en  chef;  M.  Léon  Favier,  costumier; 
M.  Goyens,  coiffeur. 

Artistes  :  MM""'^  Amélie  Lagneau,  grand  le»"  rôle;  Wilson,  fort 
grand  1er  rôle,  fort  jeune  l^i";  Frederickx,  forte  l»"*,  ingénuité; 
Steyaert,  jeune  1er  j-^le,  jeune  l^e;  Richard,  2'"e  jer  rôle,  jeune  l'e  ; 
Dathis,  Ire  ingénuité,  des  2<i*8  ;  Dachet,  Ire  soubrette  coquette; 
Juliot,  fortel  des  coquettes,  rôles  de  genre:  Maria,  2"'e  soubrettte 
coquette;  Ghalbos,  2'"^  ingénuité.  Ire  amoureuse;  Flore  Darcourt, 
rôles  annexés  ;  Kerby,  duègne  eu  tous  genres  ;  Juliette,  utilité  sou- 
brette. 

JMM.  G.  Tersan,  grand  l^r  rôle' en  tous  genres;  Bellefonds,  fort 
jeune,  ier  rôle;  Mirau,  grand  3n»e  rôle,  financier;  Reillez,  père 
noble,  1er  rôle  marqué;  Noël  Martin,  grand  1er  comique;  Richard, 
2'"e  le""  rôle,  rôles  de  genre;  Netter,  jeune  1er,  amoureux  comique; 
Moreau,  jeune  1er,  amoureux  fort  second  ;  Le  Roy,  jeune  l'-r,  comi" 
que;  Ghalbos,  1er  comique  grime;  Glavaudier,  grande  utilité; 
Rouff,  grande  utilité  comique  ;  Derville,  2'"®  père  et  convenance  ; 
Ingremi,  2'"e  comique,  utilité;  Paul^Bastie,  convenance,  utilité; 
G.  AVeyckmaus,  utilité. 


L'administration  du  théâtre  royal  de  l'Alcazar,  vient  à  son  tour 
de  publier  son  tableau.  Le  voici  : 

Administration  :  MM.  A.-J.  Defossez,  directeur;  H.  Lemoine, 
administrateur  ;  G.  Dezouëde,  régisseur-général  ;  Huguet,  second 
régisseur;  L.  Cosset,  préposé  à  la  location. 

Orchestre  :  MM.  Alexandre  Lagye,  chef  d'orchestre  ;  E.  Goffaux, 
second  chef;  40  musiciens  ;  45  choristes. 

Troitpe:  M™es  Victoria  Hervey,  de  l'Opéra,  Ire  chanteuse  d'opéra- 
comique;  Alice  Fernet,  2'' et  Ire  chanteuse;  A.  Durocher,  Desclau- 
zas;  Astruc,  jeune  chanteuse.  Ire  dugazon;  Lefebvre,  2e  dugazon  ; 
MM.  Lary,  du  théâtre  de  la  Renaissance,  1er  ténor  léger  ;  Garpentier, 
baryton  ;  Falchiéri,  basse  chantante;  Gautheil,  trial,  jeune  1er  comi- 
que ;  Gabriel,  1er  comique  marqué;  Poudrier,  comique  en  tou» 
genres;  Huguet,  2e  comique. 


LART  MODERNE 


291 


EST  ENTRÉ  DEPUIS  LE  P^  JANVIER  1885  DANS  SA  CINQUIÈME  ANNÉE 

L'ART  MODERNE  s'est  acquis  par  l'autorité  et  l'indépendance  de  sa  critique,  par  la  variété  de  ses 
informations  et  les  soins  donnés  à  sa  rédaction  une  place  prépondérante.  Aucune  manifestation  de  l'Art  ne 
lui  est  étrangère  :  il  s'occupe  de  littérature,  de  peinture,  de  sculpture,  de  gravure,  do  musique, 

d'architecture,  etc.  Consacré  principalement  au  mouvement  artistique  belge,  il  renseigne  néanmoins  ses 
lecteurs  sur  touS  les  événements  artistiques  de  l'étranger  qu'il  importe  de  connaître. 

CHaque  livraison  de  l'ART  MODERNE  s'ouvre  par  une  étude  approfondie  sur  une  question  artistique 
ou  littéraire  dont  l'événement  de  la  semaine  fournit  l'actualité.  Les  expositions,  \q^  livres  nouvecmXy  les 
premières  t^eprésentations  d'œuvres  dramatiques  ou  musicales,  les  conférences  littéraires,  les  concerts  y  les 
ventes  d objets  d'art,  font  tous  les  dimanches  l'objet  de  chroniques  détaillées. 

L'ART  MODERNE  relate  aussi  la  législation  et  la  jurisprudence  artistiques.  Il  rend  compte  des 
procès  lés  plus  intéressants  concernant  les  Arts,  plaides  devant  les  tribunaux  belges  et  étrangers.  Les 
artistes  trouvent  toutes  les  semaines  dans  son  Mem.ento  la  nomenclature  complète  des  expositions  et 
concours  auxquels  ils  peuvent  prendre  part,  en  Belgique  et  à  l'étranger.  Il  est  envoyé  gratuitement  à 
l'essai  pendant  un  mois  à  toute  personne  qui  en  fait  la  demande. 

L'ART  MODERNE  forme  chaque  xinuée  un  beau  et  fort  volume  d'environ  450  pages,  avec  deux 
tables  des  matières,  dont  Vune  par  ordre  alphabétique,  de  toits  les  artistes  appréciés  ou  cités.  Il  constitue  pour 
l'histoire  de  l'Art  le  document  LE  PLUS  COMPLET  et  le  recueil  LE  PLUS  FACILE  A  CONSULTER. 


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pagnée du  montant  en  un  mandat-poste.    - 


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CHRONIQUE  DES  BEAUX-ARTS 

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Paraît  le  10  de  chaque  mois,  en  un  fascicule  de 
64  pages  de  texte,  accompagnées  de  8  planches, 
phototypies  hors  texte. 


Directeur  :  Jos.  MAES 


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Fondateur  :  G.  Ventenat. 
Rédacteur  en  chef  :  Charles  Fuster. 
Administrateur  :  G.  Le  Petit. 

La  Revue  parait  le  15  de  chaque  mois,  en  livrai- 
sons de  64  pages. 

Le  prix  de  l'abonnement  est  de  12  francs  pour 
la  France  et  de  13  francs  pour  l'étranger. 

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Sauf  le  roman,  tous  les  articles  publiés  par  la 
Revue  sont  inédits. 

La  Revue  ouvre  ses  colonnes' aux  jeunes  écri- 
vains. Toute  œuvre  qui  lui  est  adressée  est  exa- 
minée par  son  comité  de  direction,  et  insérée,  s'il  y 
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mois  par  livraisons  de  70  à  80  pages  chacune. 
Elle  publie  des  études  sociales,  historiques 
et  littéraires,  ainsi  que  des  articles  de  cri- 
tique. 

La  Revice  s'est  assurée  de  nombreux  cor- 
respondants dans  les  principaux  pays  de 
l'Europe. 

Grâce  à  l'appui  que  lui  prêtent  les  chefs 
du  mouvement  social  dans  ces  divers  pays, 
nos  lecteurs  seront  tenus  au  courant  des  prin- 
cipaux travaux  et  des  ouvrages  paraissant  à 
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RÉDACTION  : 

Les  communications  relatives  à  la  rédaction 
doivent  être  envoyées  à  M.  Arthur  .James,  avocat, 
délégué  axL  Bulletin  des  Conférences,  rue  cluLuxem- 
bourg,  10,  Bruxelles. 

'    ADMINISTRATION  : 

Les  demandes  d'abonnement  doivent  être  adres- 
sées aux  éditeurs  :  MM.  Bruyi.ant-Christophe 
et  C",  rue  Blaes,  33,  à  Bruxelles.      ^ 


292 


UART  MODERNE 


JOURNAL  DES  TRIBUNAUX 

PARAISSANT   LE    JEUDI   ET    LE   DIMANCHE 

FAITS   ET   DÉBATS  JUDICIAIRES.   —  JURISPRUDENCE.  —  BIBLIOGRAPHIE.  —  LÉGISLATION.  —  NOTARIAT 


ADMINISTRATION 

A  la  librame  PBRDmND  LARCIER,  10,  rue  des  Minimes,  à  BruxeUes 

Tout  ce  qui  concerne  la  rédaction  et  le  service  du  journal  doit  être  envoyé  à  cette  adresse.  —  Tous  les  numéros 
sont  déposés. 

Toute  réclamation  de  numéros  doit  parvenir  au  Journal  dans  le  mois  de  la  publication.  Passé  ce  délai,  il  ne  pourra 
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Le  numéro  :  20  centimes. 


Il  sera- rendu  compte  de  tous  les  ouvrages  relatifs  au  droit  et  aux  matières  judiciaires  dont  deux  exemplaires 
parviendront  à  la  rédaction  du  Journal. 

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Cinquième  année.  —  N°  37 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  13  Septembre  1885. 


L'ART 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVDE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


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l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


Sommaire 


«/ 


Le  Volapuk.  —  James  M.  Neil  Whistler.  —  Les  Esthètes. 
—  Edouard  Agneessens.  —  Théâtres  —  Exposition  artistique 
A  Tournai.  —  Petite  chronique. 


LE  V0L4P11K 

M.  Sclîleyer  varierait  volontiers  le  mot  connu  d'Hugo  : 
«  au  vingtième  siècle  on  ne  parlera  plus  que  grec  ". 

M.  Schlejer  au  lieu  de  «  grec  »  prononcerait  ^  Vola- 
puk V.  ' 

Volapiik  ? 

C'est  la  nouvelle  langue  qu'il  vient  d'inventer,  de 
créer,  de  tirer  de  son  cerveau  toute  équipée,  toute 
armée,  toute  parée  de  pronoms,  d'adjectifs,  de  verbes, 
et  de  prépositions.  M.  Schleyer  est  Suisse.  Il  n'est  pas 
le  premier  qui  ait  fait  les  grands  rêves  d'unité  linguis- 
tique. Decartes  et  Leibnitz  l'ont  précédé.  Mais  seul,  il 
est  arrivé  à  susciter  autour  de  son  idée  quelque  mou- 
vement et  quelque  prosélytisme,  au  point  que  l'on 
compte  aujourd'hui  en  Allemagne,  en  Autriche,  en 
Hollande  et  en  Suède  plusieurs  adeptes  volapiikistes. 

Son  innovation  touche  de  trop  près  l'art  pour  que 
nous  n'en  disions  mot. 

Certes,  se  limite-t-elle  à  un  idiome  rudimentaire, 
presque  commercial  et  ingénieusement  sémaphorique. 
M.  Schleyer  ne  prétend  pas  d'un  coup  détruire  Babel. 
Il  n'ignore  pas  qu'il  se  parle  dans  le  monde  huit  cents 
langues.  Sa  nouvelle  langue  à  lui  adopte  d'abord  tous 


les  signes  communs  à  tous  les  peuples,  tels  que  les  chif- 
fres et  les  marques  algébriques.  Elle  a  une  grammaire 
simplifiée  au  possible,  s'appuyant  sur  les  racines  primi- 
tives. On  prononce  comme  on  écrit,  rien  n'est  aban- 
donné à  la  fantaisie,  rien  ne-sort  de  la  ligne  droite  et 
de  la  plus  sévère  mathématique. 

L'adjectif  et  le  verbe  sont  formés  du  substantif  et 
chaque  mot  aura  son  adjectif  et  son  verbe.  Pas  d'ar- 
ticle. Rien  de  superflu.  Une  phrase  tirée  au  cordeau. 
Trois  pronoms  :  ob,  ol,  om,  qui  mis  au  pluriel  de- 
viennent obSy  ois,  oms. 

Les  conjugaisons  se  fabriquent  en  ajoutant  ces  pro- 
noms comme  terminaison  à  la  racine  des  verbes  et  les 
temps  se  marquent  par  les  cinq  voyelles  a,  e,  i,  o,  u, 
mises  comme  des  coefficients  au  devant  du  présent  de 
l'indicatif. 

Ainsi  se  forme  cette  langue  étonnante,  faisant  songer 
dans  son  ordination  et  sa  réglementation  à  ces  villes 
a"méricaines,  élevées  brusquement,  sans  style,  sans 
passé,  mais  possédant  toutes  des  rues  nettes  et  une 
excellente  voirie.  La  police  s'y  ferait  grdce  à  une  syn- 
taxe très  simple  et  rien  ne  sortirait  d'un  vocabulaire 
déterminé  et  de  la  plus  entière  précision.  Ce  serait 
l'idéal,  si  c'était  possible,  si  c'était  utile  et  même  — 
bien  que  cette  considération  aux  yeux  de  plusieurs  soit 
aussi  légère  que  la  plume  qui  vole  —  si  c'était  artis- 
tique. : . 

Personne  n'invente  une  langue.  Rien  ne  s'impose  plu| 
il  est  vrai,  rien  ne  serait  plus  commode,  plus  faci-k^ 
pourtant,  dès  qu'on  essaie,  toute  une  montagne  d'im- 


possibilités  se  dresse  et  détruit  en  s'écroulant  les  plus 
simples  projets. 

Si  Ton  voulait  innover  pratiquement  c'est  plutôt  à 
la  sténographie  ou  à  la  télégraphie  qu'il  faudrait 
s'adresser. 

Toutefois,  ce  qui  nous  pousse  à  nous  occuper  du 
VolapUk  c'est  bien  plus  ses  dangers  que  son  utilité.  Une 
langue  universelle  semblable  détruirait  l'art  littéraire. 
Elle  le  broyerait,  l'écraserait,  le  pulvériserait  comme 
une  énorme  locomotive.  Il  n'y  aurait  plus  rien  de 
vivant,  de  frais,  |de  gracieux,  de  charmant,  de  prime- 
sautier,  de  fantaisiste.  Vous  figurez-vous  des  vers  en 
Volapiik,  un  quatrain  raide  comme  un  piquet  à  empaler, 
un  madrigal  coupé  à  angles  droits,  une  ode  ou  entre- 
raient Tikop  et  Olikop,  deux  vocables  du  nouvel  idiome  ? 

Toute  l'évocation  qu'ouvre  devant  vous  certains  mots 
comme  l'aube  ouvre  aux  yeux  des  paysages  de  lumière, 
où  s'en  iraient-ils?  Tels  termes,  telles  rimes,  tels  noms 
qui  datent  de  dix  siècles,  qui  doivent  leur  beauté  à  leur 
race,  à  leur  sélection  poétique,  qui  font  se  lever  dans 
l'esprit,  les  uns  des  bruits  de  clairons  sonnant,  les  autres 
des  chocs  d'armures,  les  autres  des  sanglots  de  mer, 
des  hululements  de  tempête,  des  charges  guerrières,  les 
autres. encore  des  sites  célèbres  traversés  par  des  rois 
et  des  reines  et.  des  penseurs  et  des  capitaines,  qui 
paraissent  tellement  glorieux,  tellement  pavoises  de 
souvenirs  et  de  merveilles,  qu'à  eux  seuls,  au  milieu  de 
la  phrase  où  on  les  emploie,  ils  se  dressent  énormes, 
prenant  tous  les  autres  mots  comme  piédestal. 

Et  non  seulement  les  mots  seraient  tués,  mais  les 
tours  de  style,  ses  arabesques,  ses  rinceaux.  Telle 
naïveté  de  langage,  si  douce  dans  son  incorrection, 
telle  expression  venue  des  gothiques  rimeurs,  telle 
autre  des  rimeurs  étrangers,  passerait  pour  chose 
absurde. 

Ce  serait  le  triomphe  de  la  ligne  droite,  de  la  ligne  de 
fer  et  d'acier,  ce  serait  la  canalisation  universelle.  Une 
tournure  fantaisiste,  une  sinuosité  d'incidente,  une  pro- 
menade de  période  à  travers  les  jardins  du  discours, 
tout  serait  coupé,  taillé,  gâté  comme  un  paysage  où 
passe  une  voie  ferrée. 

Le  Volapiik  aura  donc  comme  premier  adversaire 
l'homme  de  lettres  et  de  pensée,  il  aura  pour  défenseur 
l'expéditionnaire  et  le  commis-voyageur. 

Il  procède  de  ce  travers  qu'a  notre  temps  de  tout 
unifier,  de  tout  monopoliser,  de  tout  centraliser. 

Et  l'unification,  utile  en  bien  des  choses,  ne  sera 
jamais  possible  en  art. 

L'art  c'est  la  variété,  l'individualité,  l'originalité. 
Dès  qu'il  y  a  recette,  ordination,  convention,  moule, 
assujettissement,  dès  qu'on  limite  une  liberté,  dès  qu'on 
trace  des  chemins  là  où  il  était  permis  d'aller  à  tort  et 
à  travers,  au  gré  d'un  caprice,  à  travers  champs,  on  le 
diminue.  On  ne  saurait  assez  insister  sur  ce  point  évi- 


dent pour  tout  artiste.  N'est-ce  pas  une  sorte  de  langue 
esthétique  universelle  que  l'Académie  veut  imposer? 
Ses  formules,  ses  règles,  ses  lois,  coordonnées  comme 
dés  articles  d'un  code,  ne  veut-elle  pas  en  faire  une 
expression  d'art,  écrasant  toutes  les  expressions  parti- 
culières, toutes  les  manifestations  individuelles?  N'est- 
ce  pas  une  sorte  de  Volapiik  imposé  à  la  peinture  et  à 
la  statuaire? 

Pour  les  mêmes  motifs  qu'il  faut  combattre  l'un,  il 
faut  attaquer  l'autre.  Les  dangers  sont  les  mêmes  et 
viennent  des  mêmes  sources,  avec  cette  diff*érence  que 
le  Volapiik  non  seulement  n'a  souci  aucun  du  beau, 
mais  que  cette  langue  travaillée  et  maniée  à  ses  débuts 
par  les  commerçants,  les  ingénieurs  et  les  économistes, 
ces  trois  fléaux  déchaînés  sur  les  phrases  de  tout 
idiome,  n'aurait  d'autre  tendance  que  d'étouffer  le  germe 
même  de  toute  élégance  et  de  toute  poésie.  Ce  seraient 
les  hommes  du  bordereau,  du  dessin  linéaire  et  de  la 
statistique  qui  s'improviseraient  les  Homère  du  lan- 
gage nouveau  et  qui  inviteraient  après  eux  les  écri- 
vains et  les  poètes  à  la  table  où  ne  se  mangerait  que  du 
pain  sec,  des  écailles  de  noisettes  et  des  noyaux  de 
pêches. 

L'abondance  des  matières  nous  force  à  remettre 
à  huitaine  le  dernier  article  sur  la  Pathologie  litté- 
raire. 


JAMES  M.  NBILL  WHISTLBR 

Les  quatre  toiles  cl  la  série  d'eaux-forles  exposées  par  Whisller 
au  premier  Salon  des  XX  n'ont  donné  de  son  art  mystérieux  et 
obsédant  qu'une  idée  incomplète.  Pour  apprécier  les  faces 
diverses  de  ce  talent  multiple,  il  faut  forcer  la  porte  de  son  ate- 
lier, obtenir  du  maître,  dont  l'humeur  fantasque  ne  se  prêle  à 
ces  complaisances  que  lorsqu'il  y  a  entre  le  visiteur  et  l'artiste 
une  communauté  de  sentiments,  la  faveur  de  voir  défiler  le  sédui- 
sant cortège  de  ses  esquisses,  de  ses  dessins,  de  ses  aquarelles, 
de  ses  cartons.  Il  faut,  de  plus,  réclamer  d'un  arclii-millionnaire 
londonien,  M.  Leyland,  l'autorisation  de  pénétrer  dans  la  salle 
que  Whistler  a  décorée  pour  lui  et  qui  est  célèbre  en  Angleterre 
sous  le  nom  de  la  Salle  du  Paon.  La  personnalité  artistique  de 
Whistler  prend  alors  des  contours  nettement  arrêtés.  On  com- 
prend ce  qu'est  le  peintre,  ce  qu'il  veut,  où  il  tend.  Les  coins 
sombres  et  inquiétants  de  son  art  s'éclairent  par  degrés.  Whisller 
n'esl  plus  le  rêveur  qui  chevauche  ses  songes,  cavalcade  dans  les 
nuages,  accroche  un  trapèze  aux  étoiles  et  y  fait  des  culbutes, 
au  risque  de  se  rompre  le  cou.  Le  sentiment  exact  qu'il  a  des 
délicatesses  de  la  forme  et  de  l'harmonie  des  tons,  la  pénétration 
subtile  de  son  œil,  l'aptitude  très  caractéristique  de  son  esprit  à 
synthétiser  ses  impressions,  à  les  magnifier  en  quelque  sorte 
pour  faire  passer  avec  intensité  dans  l'âme  du  spectateur  ce  fris- 
son de  plaisir,  ou  de  crainte,  ou  de  mélancolie,  ou  d'horreur,  ou 
de  joie,  qui  est  l'Art  lorsqu'il  est  réalisé  par  le  pinceau,  par 
l'ébauchoir,  par  le  crayon,  ou  par  le  burin,  toutes  ces  qualités 
qui  font  l'artiste,  et  l'artiste  de  grande  envergure,  éclatent  l'une 


après  l'autre,  fixant  rimago  indécise  qu'avait  fait  deviner  à 
Bruxelles  le  premier  envoi  du  prîinlre'et  lui  assignent,  parmi  les 
artistes  contemporains,  l'une  des  premières  i)laces. 

Au  rebours  de  ce  qu'on  im:tgine,  ce  n'est  pas  l'impression 
d'effarement  que  provoquent  quelques-unes  de  ses  toiles  qui 
domine  dans  l'art  de  Whistler.  C'est  la  magie  rose,  non  la  magie 
noire,  qui  est  son  culte  prcférd.  Ne  nous  disait-il  pas  lui-même, 
ces  jours-ci  :  «  The  art  is  ajoke  »,  caractérisant  ainsi  d'un  mot, 
difficile  à  traduire  pour  en  exprimer  dans  notre  langue  la  nuance 
exacte,  ce  qu'il  doit  y  avoir  dans  l'art  de  grâce,  de  gaîté,  d'aban- 
don, de  gentillesse,  de  séduction.  Il  y  a,  parmi  ses  cartons,  une 
série  d'esquisses  qui  réalisent  à  cet  égard  l'idéal  du  peintre. 
Groupes  de  jeunes  femmes  aux  robes  flottantes,  réunissant  dans 
d'exquises  harmonies  de  couleurs  et  de  lignes  tout  ce  qui  peut 
flatter  les  yeux,  égayer,  rasséréner  l'esprit  ;  scènes  intimes,  idylles 
au  bord  d'une  fontaine  ou  sous  les  branches  fleuries  d'un  pom- 
mier, éveillant  le  souvenir  lointain  de  la  Grèce  païenne,  mais 
exprimées  dans  des  données  essentiellement  modernes  et  mar- 
quées d'une  griffe  que  personne  ne  pourrait  revendiquer  comme 
sienne. 

Ces  projets  verront-ils  le  jour?  Assislerons-nous  h  l'épanouis- 
sement de  ces  œuvres  en  germe  dont  de  nombreuses  esquisses  et 
des  études  patientes  préparent  lentement  l'éclosion?  Souhai- 
tons-le. Jamais,  pensons-nous,  l'art  décoratif  n'aura  trouvé  pareil 
interprète, 

A  cet  égard,  Whistler  a  prouvé  ce  qu'on  peut  mettre  de  raffi- 
nements dans  la  décoration  d'un  appartement.  La  Chambre  du 
Paon  est  certes  l'une  des  curiosités  do  Londres.  En  faire  la  des- 
cription serait  à  peu  près  impossible,  et  force  nous  est  de  n'en 
donner  qu'une  idée  approximative.  Qu'on  imagine  une  grande 
salle  rectangulaire  à  laquelle  deux  portes  donnent  accès  et  qui 
reçoit  la  lumière,  dans  la  journée,  par  trois  grandes  fenêtres 
ouvertes  sur  les  jardins  d'Ennismore,  près  Hyde-Park,  et 
qu'éclairent  le  soir  huit  sun-burners  dissimulés  dans  des  globes 
de  verre  dépoli.  La  décoration  ne  se  compose  que  de  deux  tons, 
le  bleu  et  l'or  :  mais  le  bleu  est  d'une  nuance  si  délicate  qu  on 
ne  saurait  dire,  à  première  vue,  si  c'est  de  bleu  ou  de  vert  qu'il 
s'agit,  et  l'or  s'éleint  dans  des  dégradations  de  tons  prdes  d'une 
douceur  infinie.  Autour  du  chambranle  des  portes,  des  guéridons 
superposés,  bizarrement  accouplés,  forment  un  réseau  de  légères 
baguettes  d'or  vierge  dans  les  entrelacs  duquel  sont  posées  des 
potiches  en  porcelaine  du  Japon  d'un  bleu  mourant.  Sur  les  pan- 
neaux, sur  les  lambris,  dans  les  caissons  du  plafond  où  se  marient 
le  cadmium  clair  et  le  bleu  d'outremer,  il  n'y  a  qu'un  ornement, 
répété  sans  cesse  mais  si  ingénieusement  disposé  que  loin  de  fati- 
guer par  sa  persistance,  il  donne  à  l'ensemble  un  attrait  singulier 
et  maintient  l'unité  de  la  composition  :  c'est  l'œil  qui  s'épanouit 
dans  le  plumage  de  l'oiseau  de  Junon,  la  plume  de  paon,  qui, 
depuis  lors,  a  fait  fureur  en  Angleterre.  Sur  les  vantaux  des  fenê- 
tres, elles  ruissellent  en  cascades  d'or  neuf,  se  détachant  sur  des 
fonds  d'un  bleu  profond  comme  la  voûte  du  ciel,  et  dans  le  grand 
panneau  du  fond,  faisant  face  à  la  cheminée  décorée  du  portrait 
d'une  jeune  femme  en  robe  japonaise,  ^-  sans  doute  la  maîtresse 
de  la  maison,  '■ —  doux  paons,  orgueilleusement  campés  sur  leurs 
ergots,  crête  au  vent,  la  queue  déployée  en  éventail  immense,  se 
défient  du  regard,  prêts  à  s'élancer  l'un  sur  l'autre.  Des  amis 
malicieux  de  l'artiste  ont  3'u  une  allégorie  dans  ce  tableau,  qui 
complète  l'étrange  et  charmante  décoration,  et  prétendent  même 
reconnaître  sous  là  forme  bouffie,  comique  de  prétention  vani- 


teuse, d'un  des  combattants,  le  propriétaire  de  l'hôtel,  que  des 
questions  d'intérêt  ont  brouillé  avec  l'artiste  avant  l'achèvement 
de  son  œuvre.  Ils  aftirment  que  le  paon  fluet,  coquet,  dégagé, 
qui  examine  son  adversaire,  la  tête  renversée  d'un  air  moqueur, 
prêt  à  le  larder  de  coups  de  bec,  n'est  autre  que  Whistler  lui- 
même,  que  ce  trait  a  vengé  des  tracasseries  du  philistin  million- 
naire. Mais  ceci,  c'est  la  légende  qui  s'est  formée  autour  de  la 
Chambre  du  Paon  et  nous  n'avons  pas  à  en  vérifier  l'exactitude. 
Propos  de  mauvaises  langues,  sans  doute,  qui  veulent'charger  de 
plus  de  méfaits  qu'il  n'en  a  commis  le  spirituel,  sarcastique, 
mordant  et  très  malicieux  artiste  ! 

Au  surplus,  quand  on  a  écrit  Art  and  Art  critics^  ce  pam- 
phlet danslequel  le  peintre  cingle  de  coups  de  cravache  les  pon- 
tifes qui,  du  haut  des  colonnes  de  leur  journal,  jugent  et  déci- 
dent les  questions  d'art  les  plus  délicates,  se  décernent  à  eux- 
mêmes  la  mission  d'arbitres  du  goût  et  ne  reconnaissent  comme 
dignes  de  remarque  que  les  œuvres  qui  ont  subi  l'estampille  de 
leur  plume  d'oie;  quand  on  a  imaginé  l'extraordinaire  catalogue 
Elchings  and  dry  points^  dont  le  titre  seul,  en  son  jeu  de  mots 
intraduisible,  indique  la  portée,  et  dans  lequel,  sous  le  titre  de 
chacune  des  œuvres  signalées,  figure  une  appréciation  de  jour- 
naliste, clouée,  avec  une  coquetterie  railleuse,  sur  le  cadre 
même  des  toiles  exposées;. quand  on  a  imaginé  de  convoquer  le 
Tout-Londres  k  une  conférence  artistique  pour  se  donner  la 
satisfaction  personnelle  de  lui  décocher,  une  heure  durant,  des 
vérités  pénibles  à  entendre,  en  enfonçanl  le  fer  rouge  dans  la 
plaie  saignante  sans  souci  des  plaintes,  des  protestations,  des 
colères;  quand  on  est  l'homme  audacieux,  batailleur,  friand  de 
coups  à  donner  et  à  recevoir,  qu'est  Whistler,  il  n'y  aurait  pas 
lieu  de  s'étonner  que  la  méchanceté  attribuée  à  l'artislc  eût  été, 
en  effet,  sciemment  et  volontairement  commise  par  lui  ! 

Oui,  Whistler  a  le  tempérament  batailleur,  et  c'est  parce  qu'il 
aime  les  bagarres  qu'il  a  exposé  avec  tant  d'empressement,  dès 
la  première  année,  avec  les  XX,  sachant  les  orages  que  soulève 
l'intransigeance  dans  les  centres  de  bourgeoisie  paisible  et  crain- 
tive. El  c'est  pour  le  même  motif  qu'il  vient  de  demander  qu'il 
soit  fait  en  sa  faveur,  pour  le  prochain  Salon,  une  exception  au 
système  de  roulement  adopté  par  les  XX  pour  les  invitations 
qu'ils  adressent  aux  artistes.  Il  tient  à  faire  le  coup  de  feu  avec 
ces  jeunes  gens,  dont  l'audace,  l'indépendance,  le  mépris  des 
conventions  et  des  faveurs,  l'attirent.  Ce  mouvement,  qui  a  pris 
brusquement  en  Belgique  un  essor  si  considérable,  il  voudrait  le 
créer  en  Angleterre.  Mais  le  moyen,  dans  un  pays  où  Alma- 
Tadema  est  dieu  et  où,  à  peu  d'exceptions  près,  tous  ceux  qui 
tiennent  une  brosse  d'une  main,  une  palette  de  l'autre,  chaussent 
les  bottes  de  Lcighton,  de  Burn-Jones,  de  Calderon  ou  de  Mil- 
-kiis,  et  ne  voient  dans  les  expositions  qu'un  tremplin  pour  arri- 
ver à  l'Académie  ! 

Whistler  exposera  probablement  à  Bruxelles  le  portrait  de  Sara- 
sate,  qu'il  vient  de  terminer,  et  qui  marque  dans  sa  carrière  une 
évolution  définitive.  Avec  une  grande  simplicité  de  moyens,  l'ar- 
tiste arrive  à  rendre,  non  la  réalité  photographique,  à  la  façon  de 
Bonnat  et  autres  peintres  que  préoccupe  uniquement  l'exactitude 
matérielle  des  traits  et  du  vêtement,  mais,  outre  la  ressemblance, 
l'impression  que  donne  la  personnalité  de  son  modèle.  Sarasate, 
dans  l'œuvre  superbe  de  Whistler,  est  presque  déifié.  Il  apparaît, 
sur  un  fond  noir,  son  violon  à  la  main,  dominant  du  regard  son 
auditoire,  comme  l'évocation  de  quelque  divinité  infernale  de  la 
musique.  Sa  chevelure  noire  encadrant  sa  face  bistrée,  l'éclat  de 


296 


UART  MODERNE 


SCS  yeux  qui  luisent  dans  l'ombre,  contribuent  à  augmenter  cette 
impression.  Le  dessin  est  parfait;  le  ton,  tenu  dans  utï  accord 
sombre  dont  le  blanc  du  plastron  de  cbeinise  et  des  manclieltes 
forme  la  note  aiguë,  est  d'une  distinction  suprême;  le  portrait  a 
du  style,  cette  qualité  rare,  si  difiicile  ii  définir,  qu'avaient  les 
grands  portraitistes  d'autrefois,  Velasquez,  Hais,  Van  Dyck. 

Il  marque,  avons-nous  dit,  une  étape  dans  la  carrière  du  peintre 
et  prend  la  tête  de  l'imposante  série  de  portraits  traités  dans  des 
harmonies  sombres  dont  la  Femme  en  noir,  vue  k  Bruxelles,  et 
le  Portrait  de  ladij  Archibald  Campbell^  exposé  cette  année  au 
Salon  de  Paris,  ont  été  jusqu'ici  les  plus  vibrantes  expressions. 
Nous  voudrions  voir,  à  côté  du  portrait  du  célèbre  violoniste, 
celui  que  l'artisle  vient  de  commencer  du  |»eintre  William  Chase, 
son  compatriote,  ou  celui  qu'il  se  propose  de  faire  de  notre  ami 
le  peintre-guitariste  Dario  de  Regoyos,  dont  il  a  fait  une  vivante 
esquisse.  Mais  un  voyage  que  compte  faire  Whistler  en  Amérique 
et  divers  travaux  commencés  ne  lui  permettront  pas,  sans  doute, 
de  terminer  pour  le  i*^""  février  ces  deux  toiles. 

En  revanche  nous  verrons  peut-être /ft  Libellule  et  TA  mazojie, 
deux  toiles  qui  n'ont  pas  quitté  encore  l'atelier  du  peintre, —^  ce 
joli  atelier  tout  blanc,  aux  meubles  de  chrome,  situé  là-bas,  dans 
la  verdure,  à  deux  pas  de  Walham-Green,  loin  des  centres 
bruyants  de  Londres,  dans  le  quartier  paisible  de  Chelsea,  si 
favorable  aux  intimités  du  travail.... 

Et  pour  compléter  son  envoi,  le  peintre  promet  d'y  joindre 
quelques-uns  des  dessins  qu'il  fit  à  Venise  et  dans  lesquels  il 
exprima,  en  quelques  traits  de  crayon  noir  rehaussés  de  légers 
frottis  de  pastels  la  poésie  mélancolique  et  les  gaîtés  tristes  de  la 
vieille  cité  endormie  dans  les  lagunes. 

Il  est  loin  ce  temps  où  l'on  mettait  en  question  le  talent  de 
Whistler  et  où  le  critique  d'art  le  plus  olTiciellement  reconnu  en 
Angleterre,  l'arbitre  infaillible  de  ceux  que  certains  pédants  nom- 
ment chez  .nous  «  les  gens  de  bon  ton,  de  bonne  compagnie  », 
Ruskin,  osait  écrire  cette  phrase  :  «  Je  connais  bien  des  impu- 
dences de  cockneys,  mais  je  n'aurais  jamais  cru  qu'un  homme 
fût  assez  insolent  pour  jeter  un  pot  de  couleurs  sur  une  toile  et 
demander  ensuite  de  celte  chose  deux  cents  guinées  !  » 

Il  ne  reste  de  cette  ûncrie  et  du  retentissant  procès  qui  en 
fut  la  conséquence  qu'un  peu  de  pitié  pour  celui  qui  atïicha  si 
ouvertement  son  incompétence  en  matière  d'art.  Le  pauvre 
homme  est  d'ailleurs  si  malade  en  ce  moment  qu'il  serait  cruel 
d'insister,  et,  Huskin  mort,  qui  se  souviendra  du  jugement  qu'il 
porta  sur  les  œuvres  de  Whistler  ? 

C'est,  pour  les  artistes,  un  dédommagement  que  de  voir  la 
rapidité  avec  laquelle  tombent  dans  l'oubli  les  critiques  imbéciles 
par  les'iuelles  sont  trop  fréquemment  accueillis  leurs  débuts 
lorsqu'ils  sortent  des  sentiers  battus  et  tentent  un  art  nouveau. 

L'exemple  de  Manetcn  France  et  avant  lui  de  tous  les  initia- 
teurs, de  Courbet,  de  Corot,  de  Rousseau,  d'Eugène  Delacroix  et 
de  vingt  autres,  est  trop  frappant  pour  (ju'il  soit  utile  d'en  dire 
davantage. 

La  gloire  de  W'hisiler  a  commencé  en  Angleterre,  et  après 
avoir  été  bafoué,  raillé,  injurié,  selon  le  vocabulaire  habituel 
aux  critiques  dont  on  n'observe  pas  les  conseils,  l'artiste  a  la  joie 
d'entendre  peu  à  peu  poindre  et  monter  jusqu'à  lui  la  rumeur 
laudativc  qui  accueille  l'exposition  de  ses  œuvres. 

Dans  cette  longue  et  implacable  lutte  avec  l'entêtement,  l'igno- 
rance et  le  parti-pris,  ses  adversaires  commencent  à  faiblir,  à 
déserter  le  champ  de  bataille,  et  l'on  voit  son  drapeau,  —  ce 


drapeau  noir  et  or  qu'il  agita  dès  le  jour  où  il  exposa,  au  grand 
scandale  du  public,  sa  première  Harmonie,  s'élever  peu  à  peu  à 
l'horizon,  tenu  haut  et  droit  par  une  main  nerveuse  qui  eût  été, 
semble-t-il,  aussi  reiloulable  si  elle  eût  brandi  une  épée,  qu'elle 
est  souple  et  agile  dans  le  maniement  de  la  brosse. 


Paul  Devigue,  Paul  Devigne  !  Cher  et  éminent  sculpteur  qu'as-tu 
fait? 

D'où  t'est  venue  la  fantaisie  de  publier  un  roman  dans  X Office  de 
I''iblicité .' 

Fi! 

Comment  peux-tu,  toi  le  modeleur  impeccable,  modeler  des 
phrases  comme  celles-ci  : 

—  jlfinp  Cordier  qui  avait  toujours  un  timbre  à  'portée  de  la 
tnaîn...         ,  . 

Et 

—  Il  ressemblait  à  Un  de  ces  voyageurs  qui,  voyant  l'immense 
route  à  parcourir  pour  atteindre  l'hôtellerie,  sont  pris  de  défail- 
lance, sentent  leurs ja^nbes  fléchir ,  etc.. 

Cette  Oeuvre  étonnante  est  intitulée  :  Aiitour  du  barreau.  On  y 
démontre  que  rien  au  monde  ne  vaut  mieux  que  de  se  glisser  sous  le 
derrière  les  coussins  doctrinaires  pour  y  asseoir  sa  vie. 

Jamais,  non  jamais,  nous  n'aurions  cru  notre  excellent  artiste 
capable  d'un  pareil  forfait.  . 


JaE?    îj^THÈTE^ 


Il  y  a  quelques  années,  à  propos  de  deux  livres  sur  l'art  mili- 
taire, du  lieutenant-général  Brialmont  et  du  lieutenant-général 
Eenens,  dans  lesquels  la  question  technique,  entremêlée  de  con- 
sidérations s.ur  notre  existence  nationale  et  les  devoirs  des 
citoyens,  était  traitée  en  un  style  vivant  et  pittoresque,  nous  sou- 
haitions voir,  dans  tous  les  champs  de  l'activité,  des  hommes  du 
métier  s'occuper  de  littérature,  non  seulement  pour  traiter  leur 
science,  mais  aussi  pour  décrire  les  mœurs  professionnelles. 
Nous  avons  des  peintres  militaires,  disions-nous,  pourquoi  n'au- 
rions-notis  pas  des  écrivains  militaires? 

C'est,  qu'en  effet,  l'art  littéraire  peut  s'accommoder  aisément, 
semble-t-il,  d'une  existence  consacrée  h  d'autres  soins.  Il  y  a, 
certes,  des  écrivains  de  profession,  mais  chez  nous  en  très  petit 
nombre,  sauf  les  journalistes  qui  de  plus  en  plus  deviennent  de 
simples  manœuvres,  bâclant  au  jour  le  jour,  en  un  langage  quel- 
conque, des  articles  qui  sont  à  l'œuvre  littéraire  ce  que  la  pein- 
tur(j  en  bâtiment  est  au  tableau  ;  car  il  suffit  d'avoir  à  faire  une 
besogne  quotidienne  dans  une  de  ces  galères  pour  perdre  rapide- 
ment, par  les  nécessités  du  reportage  et  de  l'enguoulemenl  de 
commande,  les  dons  artistiques  dont  on  a  été  gratifié  par  le  sort. 
En  dehors  de  ce  triste  gagne-pain,  nul,  en  Belgique,  à  ({uelques 
exceptions  près,  ne  vit  de  sa  plume,  et  c'est  l'origine  de  ce  phé- 
nomène spécial  à  notre  petite  nationalité,  qu'un  grand  nombre 
de  nos  auteurs  ne  le  sont  que  durant  les  loisirs  que  laisse  leur 
occupation  dominante.  Presque  tous  nos  poètes,  presque  tous 
nos  prosateurs  sont  en  même  temps  et  principalement  autre 
chose.  Il  ne  vient  à  la  pensée  de  personne,  à  moins  d'avoir  des 
rentes,  de  se  borner  à  écrire.  Les  éditeurs  ne  paient  guère  les 
œuvres  nationales  parce  que  le  public  ne  les  lit  guère  ou,  du 
moins,  ne  les  achète  ^uère,  l'usage  d'emprunter  les  livres  et  de 
se  les  passer  de  main  en  main   ayant  atteint  des  proportions 


*>-. 


étonnantes.  Aussi  est-ce  un  grand  service  que  vous  rend  un 
imprimeur  quand  il  consent  à  tirer  h  ses  propres  frais,  et  le  cas 
est-il  rare. 

Cette  situation  fâcheuse  peut  avoir  pourtant  cette  consé(|uence 
salutaire  de  susciter  des  écrivains  parmi  les  spécialistes  et  c'est 
un  point  de  vue  avec  lequel  il  est  bon  de  familiariser  nos  com- 
patrioles.  Nombre  d'hommes  ont  en  eux  tout  ce  qu'il  faut  pour  se 
mettre  du  premier  coup  au  dessus  des  gâcheurs  qui  posent  dans 
la  presse  pour  les  seuls  adeptes  de  l'art  lilléraire,  et  ils  seraient 
bien  malavisés  de  laisse  r  ces  déformés  jouir  de  leurs  grotesques 
prétentions.  Il  ne  sera  jamais  trop  lot  pour  achever  la  démons- 
tration de  cette  vérité  :  que  le  journalisme  à  reportage  qui  sévit 
comme  une  syphilis  est  une  école  de  bêtise  et  de  patois  et  que 
c'est  ailleurs  que  doit  se  former  et  s'affiimer  notre  littérature.'  Et 
puisque  c'est  présentement  encore  un  rêve  pour  la  plupart,  de 
n'être  qu'écrivains,  qu'avocats,  médecins,  militaires,  négociants, 
professeurs,  qu'ils  s'y  mettent  résolument,  à  côté  de  leurs  occu- 
pations journalières,  décrivant  leur  vie  et  leur  milieu  av(.'c  cette 
supériorité  de  réalisme  et  de  sentiment  qu'on  a  toujours  quand  on 
peint  ce  qu'on  sait,  ce  {|u'on  a  vu,  ce  qu'on  a  vécu.  Seul  ce  mou- 
vement épanouira  les  forces  littéraires  latentes  de  notre  pays,  seul 
il  nous  débarrassera  de  l'écœurante  nécessité  de  n'avoir  pour 
nourriture  intellectuelle  nationale  que  les  ragoûts  des  gratte- 
papier  du  journalisme  belge. 

Qu'on  se  persuade  que  ce  n'est  pas  aussi  difficile  qu'on  le  pour- 
rait croire.  Des  tentatives  variées  ont  déjà  été  faites  et  presque 
toujours  ont  réussi.  Aujourd'hui  que  la  principale  saveur  d'une 
œuvre  est  surtout  dans  son  originalité  et  sa  sincérité,  et  que, 
grâce  aux-  dernières  années  de  luttes,  les  questions  de  forme  sont 
devenues  familières  h  quiconque  suit  le  mouvement  dans  les 
revues  qui  mènent  la  campagne,  un  homme  qui  observe  et  qui 
pense,  peut  développer  ses  qualités  littéraires  natives.  La  lecture 
et  les  polémiques  si  vives  de  notre  époque  sont  de  très  puissants 
moyens  d'éducation  pour  la  technique  indisj)ensablc.  On  en  peut 
juger  par  cette  circonstance  caractéristique  que  nombre  de 
jeunes  gens  se  tirent  d'affaire  fort  brillamment  quoique  la 
pensée  n'ait  i)as  encore  reçu  chez  eux  le  puissant  aliment  de  la 
vie.  Combien  meilleures  seraient  les  mêmes  tentatives  faites  par 
des  hommes  h  qui  l'expérience  a  donné  la  maturité  et  la  profon- 
deur. C'est  un  préjugé  de  croire  que,  dans  l'art  d'écrire,  il  faut 
commencer  tôt  à  peine  de  ne  réussir  jamais.  A  notre  avis,  c'est, 
au  contraire,  l'art  dans  lequel  le  retard  est  le  plus  souvent  favo- 
rable. Un  esprit  que  n'ont  point  drainé  des  productions  prématu- 
rées et  trop  répéléi's  comme  c'est  malheureusement  devenu  la 
coutume,  comme  une  verdeur,  une  pénétration  et  une  abondance 
singulières. 

C'est  un  des  grands  avantages  de  l'écrivain  qui  ne  l'est  pas  de 
profession,  de  pouvoir  s'abstenir  de  ces  publications  à  jet  con- 
tinu qui  ruinent  si  prompleriient  tant  d'esprits.  Maître  de  sa  situa- 
tion, il  écrit  lorsqu'il  veut,  il  lance  une  œuvre  lorsqu'il  veut. 
Il  lui  laisse  ce  fertile  repos  qui  permet  les  revisions  salutaires, 
amène  peu  à  peu  la  correction  presque  absolue  et  l'inébranlable 
solidité.  On  expose  trop  les  tableaux  fraîchement  achevés,  qui 
apparaissent  crus  et  sans  l'harmonie  dans  laquelle  le  temps  fond 
les  couleurs.  On  publie  trop  de  livres  qui  ont  les  mêmes  défauts. 
Heureux  ceux  qui  peuvent  attendre,  heureux  ceux  qui  peuvent 
se  borner.  Autrefois,  les  grands  écrivains  mouraient  la  plupart 
avec  un  petit,  mais  puissant  bagage.  Désormais,  il  n'est  pas  d'au- 
teur qui  ne  semble  atteint  d'une  diarrhée  littéraire  incurable  :  les 


livres  succèdent  aux  livres  en  un  écoulement  incompressible  et 
ffnalement,  la  terrible,  l'insupportable,  l'odieuse  répétition  se 
montre  avec  ses  allures  lasses  et  ennuyées,  et  celui  qui  en 
souffre  le  plus  ce  n'est  pas  le  lecteur,  c'est  l'écrivain  honteux  de 
lui-même  et  découragé. 

Récemment  encore,  un  exemple  charmant  de  ce  que  peut  Un 
homme  (jui  n'est  pas  du  métier  quand  il  se  laisse  aller  franche- 
ment à  ses  impressions  à  été  donné  par  un  de  nos  jeunes  avo- 
cats. Toques  et  Robes,  par  Arthur  James,  a  été  accueilli  avec 
une  faveur  marquée.  C'est,  on  le  sait,  une  série  de  cfoquis  judi- 
ciaires dessinés  par  un  néophyte  de  la  vie  du  Palais,  durant  les 
premiers  mois  après  son  entrée  dans  ce  monde  nouveau  et  pitto- 
resque. 11  arrive,  il  regarde,  il  s'éionne,  il  est  ému,  il  essaie  de 
comprendre.  Trop  neuf  pour  pénétrer  à  fond  cet  organisme  com- 
pliqué, ses  yeux  grands  ouverts  n'effleurent  que  la  surface.  Il 
discute  avec  lui-même  sur  ce  qu'il  voit,  s'inquiète  de  tout  évé- 
nement, s'arrête  ^  tout  passant,  s'interroge,  s'abandonne  au 
hasard  des  hypothèses,  rêve,  suppose,  bâtit,  (explique  à  sa 
manière.  C'est  une  âme  novice,  élonnamm(>nl  sensible  et  imagi- 
nativiî,  que  le  tlot  des  actions  journalières  auxquelles  elle  assiste 
emporte  comme  un  esquif  lég(M',  tantôt  mené  par  un  courant, 
.tantôt  ramené  par  un  autre,  paisible  ici,  irrité  là,  laissant 
échapper  toujours  ses  vives  impressions  en*  un  style  alerte 
composé  presque  exclusivement  d'images.  Une  œuvre,  en 
résumé  admirablement  jeune  et  naïve,  que  quelqties-uns  ont 
eu  tort  d'apprécier  à  la  mesure  de  l'art  passagèrement  absolu 
dont  ils  ont  dicté  le  Code,  et  dont,  pour  nous,  le  charme  péné- 
trant est  précisément  dans  le  laisser-aller  et  dans  la  promptitude 
de  la  notation,  étrangère  à  toute  rétïexion  compassée  de  styliste. 
C'est  vraiment  un  stagiaire  qui  parle  sans  penser  qu'il  pourrait 
bien  être  un  écrivain,  mais  un  stagiaire  que  son  éducation  a 
nourri  de  moelle  littéraire  et  qui,  sans  s'en  douter,  manie  dextre- 
ment  la  plume.  Et  c'est  pourquoi  nous  citons,  ce  petit  volume 
de  jeunesse  comme  une  preuve  de  ce  que  peut,  bien  i»ieux  que 
les  cabotins  de  nos  gazettes,  usés  dans  le  marmitonnagc  de  leur 
ratatouille  périodique,  un  esj)rit  qui  ne  fait  |)as  de  la  littérature 
sa  profession,  mais  se  livre,  avec  l'indépendance  séductrice  de 
l'amateur,  à  la  confession  de  ses  pensées  et  de  ses  sentiments 
dans  la  forme  qui  lui  vient  d'elle-même. 

Amateur!  Non.  Le  mot  est  mauvais.  L'ignominie  des  médio- 
crités l'a  avili.  Il  s'entend  désormais  de  ceux  qui, se  bornent,  qui 
doivent  se  borner,  en  raison  de  leur  infirmité  naturelle,  à  n'être 
que  des  diminutifs.  Ce  sont  eux  qui,  en  peinture  notamment, 
déshonorent  les  expositions  oiî  l'on  en  est  encore  ù  ne  pas  char- 
ger, sabrer  et  massacrer  les  difformes.  Ceux  dont  nous  nous 
occupons  ici  sont  des  artistes  tout  en  étant,  en  môme  temps, 
a^utre  chose  de  par  les  nécessités  sociales  du  milieu  belge.  Le 
prototype  de  ce  genre  pourrait  être  Hans  Sachs,  le  cordonnier- 
poète.  Mais  gardons-nous  d'encourager  les  prétentions  des  im- 
puissants. Assez  de  misères  artistiques  nous  encombrent.  Prêchons 
contre  elles  la  croisade  et  rappelons  de  tous  nos  vœux  le  dépètre- 
ment.  Plus  d'amaieurs!  Plus  d'amateurs  !  Ce  fut  depuis  longtemps 
notre  cri  d'alarme  et  notre  cri  de  guerre.  Aussi  le  terme  même 
nous  est-il  odieux,  et  il  faut  en  chercher,  en  trouver  un  autre  pour 
qualifier  dignement  cette  catégorie  d'artistes  qui  ne  sont  pas  que 
cela.  Pour  eux-mêmes,  pour  le  public  il  faut  les  préserver  d'une 
dénomination  discréditante  qui,  à  elle  seule,  classe  dans  un  groupe 
ioférieur  et  ridicule. 

Or,  depuis  peu  d'années,  il  s'est  formé  en  Angleterre  une  con- 


298 


UART  MODERNE 


fréric  artistique  qui  offre  de  l'analogie  avec  ceux  dont  nous  par- 
lons et  qui  a  adopid  le  nom,  assez  singulier  à  première  vue,  qui 
sert  de  titre  au  |)résent  article  :  les  Esthètes.  Sa  racine  est 
visible  :"  il  s'agit  de  fervents  du  beau,  de  rcslhélique,  non  pas 
dans  le  sens  de  dilettante,  de  celui  qui  se  borne  à  voir,  à  écouter, 
à  lire  l'œUvre  d'art,  mais  qui  l'exécute  lui-môme  tout  en  n'étant 
pas  artiste  de  profession. 

Ce  mot,  nous  le  mettons  en  avant,  en  opposant  VesLhèle  à 
l'amateur.  S'il  n'est  pas  d'une  barmonie  parfaite,  il  est  exact  et 
neuf.  Il  rend  bien  l'idée  et  l'usacre  le  fera  moins  rocailleux. 

Ayons  donc  désormais  nos  Esthètes.  Qu'ils  se  reconnaissent  et 
qu'ils  s'aflirment.  Puisque  notre  Belgique  n'en  est  pas  encore  à 
faire  vivre  de  leur  seul  art  ceux  qui  écrivent,  qu'ils  soient  Esthètes 
à  côté  de  leur  fonction  sociale  lucrative.  Qu'ils  n'hésitent  pas  à 
se  livrer  au  besoin  de  produire  qui  est  dans  toute  âme  artistique. 
Les  temps  sont  passés  où,  comme  nous  le  disions  au  banquet 
Lemonnier,  l'avocat  qui  écrivait  perdait  sa  clientèle,  le  médecin 
sa  réputation,  le  négociant  ses  affaires,  le  temps  où  l'officier 
artiste  nuisait  à  son  avancement.  Les  idées  se  sont  dégagées, 
on  comprend  do  plus  en  plus  que  l'art  pénètre  partout,  qu'il  est 
inséparable  de  la  vie,  qu'il  faut  le  dire  et'le  montrer,  qu'on 
pourrait  prendre  pour  devise  A'w««/  in  hel  leven,  que  sans  lui  il 
n'y  a  ni  vrai  bonheur  ni  vraie  civilisation,  et  que  dès  lors  le 
devoir,  pour  qui  sent  en  soi  l'élan,  la  flamme,  le  pec/z/5,  le  démon 
de  l'écrivain,  est  d'être  Esthète  quand  il  ne  peut  être  exclusive- 
ment Artiste. 


Yhéatre? 


L'Alcazara  fait  sa  réouverture,  mafdi,  d'une  façon  très  brillante. 
Le  nouveau  directeur,  M.  Desfossez,  a  su  recruter  une  troupe  et 
un  orchestre  qui  vont  ramener  la  vogue  au  gentil  théâtre  de  la 
rue  d'Arenberg. 

On  jouait  V Etudiant  /?rt«i;r^  et,  grâce  aux  interprètes,  l'opérette 
sautillante  de  Millœcker  a  paru  plus  pimpante  que  jamais. 
M'"*'  Horvev  v  a  débuté  avec  de  la  voix  et  de  la  distinction.  C'est 
une  vraie  diva  possédant  du  style  et  du  goût.  Le  baryton  M.  Car- 
pentier,  le  ténor  M.  Lary,  la  basse  M.FalcIiieri  et  M™^*  Herer  et 
Durocher  forment  un  ensemble  parfait  et  très  supérieur  à  tout  ce 
que  nous  avons  eu  précédemment  à  l'Alcazar  même  sous  la 
direction  Humbert.  M.  Lagye,  qui  a  autrefois  si  bien  conduit  la 
Fille  Avant  et  Giroflée,  a  repris  sa  place  uu  pupitre  du  chef 
d'orchesmî.  On  voit  que  ce  choix  d'éléments  supérieurs  dénote 
l'intelligence  de  la  direction  qui  sera  certainement  récompensée 
de  son  zèle  par  l'aftluence  du  public. 


EDOUARD  AGNBESSENS  (*) 

Il  y  avait  en  ce  temps-là  —  dans  un  coin  du  vieux  Bruxelles 
—  un  atelier  de  peinture  qui  faisais  joliment  parler  de  lui. 

C'était  en  ce  quartier  de  Notre-Dame-aux-Neiges,  aujourd'hui 
disparu  et  qui  alors  s'entrecoupait  de  ruelles,  où  ça  et  là,  dans 
une  demi-obscurité,  fleurissait  encore  le  Cubaret  à  tonnelle,  avec 
les  bancs  de  bois  abrités  sous  la  verdure,  et  la  rugueuse  planche 
défoncée  par  le  roulement  pesant  des  boules. 

Là,  vers  le  milieu  de  la  rue  de  l'Abricot,  une  rue  de  silence  et 
d'ombre,  qui,  à  l'heure  des  écoles  seulement,  s'animait  d'un 
grand  cognement  de  sabots,  s'ouvrait  une  impasse,  baptisée  d'un 
nom  musical  —  l'impasse  Sainte-ApoUine,  toute  verte  de  l'épaisse 


(')  Voir  la  notice  sommaire  que  nous  avons  publiée  dans  notre  numéro 
du  6  septembre,  au  lendemain  de  la  morvt  de  l'éminent  artiste. 


draperie  d'un  lierre  qui  s'écroulait  d'un  mur  voisfn.  On  montait 
un  rude  escalier  tournant,  aux  marches  de  pierre  creusées  par 
des  ascensions  réitérées,  et  l'on  avait  devant  soi  l'entrée  de 
l'atelier.  Défejise  était  faite  aux  profanes  de  pénétrer  en  ce  lieu 
sacré  qu'un  veilleur,  vrai  Cerbère,  gardait  incorruptiblement  et 
où  n'avaient  accès  que  les  affiliés. 

Vers  le  milieu  du  jour,  la  porte  s'ouvrait  brusquement,  et  un 
homme  trapu,  solide,  la  face  sanguine,  entrait  dans  l'atelier,  se 
glissait  entre  les  chevalets,  allant  de  l'un  à  l'autre,  rappelant  au 
respect  de  la  nature  les  égarés  et  fortifiant  les  mieux  voyants 
d'un  applaudissement  discret.  C'était  le  bon  maître  de  qui  ren- 
seignement devait  imprimer  une  si  forte  poussée  à  toute  la  jeune 
école  et  qui,  dans  l'histoire  de  l'art  belge,  méritera  de  ne  point 
être  séparé  de  la  pléiade  poussée  à  ses  côtés. 

Jean  Portaels,  —  tel  est  son  nom,  —  enveloppait  d'une  égale 
sympathie  tous  ses  élèves,  mais  peut-être  ses  dilections  secrètes, 
allaient-elles  à  quelques-uns,  privilégiés  du  côté  du  talent  et  des 
espérances,  et  qui,  depuis,  se  sont  presque  tous  fait  un  nom  con- 
sidéré dans  l'art. 

Au  premier  rang  de  ceux-là  marquait  un  jeune  homme  de 
vingt  à  vingt-deux  ans,  court,  ramassé  mais  bien  pris  dans  sa 
petite  taille,  le  col  musculeux  et  supportant  une  tête  moqueuse, 
illuminée  par  la  flamme  de  l'œil,  sous  le  large  développement 
d'un  front  magnifique,  en  arrière  duquel  se  bouclait  une  chevelure 
épaisse;  ses  camarades,  avec  celte  habitude  du  sobriquet  familière 
aux  ateliers,  l'appelaient  entre  eux  «  Boule  »,  peut-être  à  raison 
de  la  rondeur  ample  de  son  buste  et  des  muscles  qui,  sur  ses 
bras  vigoureux,  roulaient  pareillement  à  de  grosses  billes.  Son 
nom  véritable,  celui  que  la  mort  vient  de  remettre  en  lumière, 
après  une  disparition  trop  longue,  était  Edouard  Agneessens,  un 
nom  d'ailleurs  toujours  retentissant  parmi  notre  population 
bruxelloise  qui  n'a  pas  oublié  l'héroïque  doyen  delà  corporation 
de  Saint-Nicolas,  montant  à  l'échafaud  pour  expier  l'inébranlable 
fidélité  à  ses  convictions.  Le  peintre  avait  ce  martyre  pour  ancêtre 
et  tirait  de  cette  hérédité  glorieuse  un  légitime  orgueil. 

Personne  ne  prévoyait  alors  l'horrible  mal  qui,  plus  tard,  avant 
même  qu'eût  sonné  l'heure  de  la  maturité,  et  bien  que  cette 
maturité,  par  l'effet  d'une  précocité  singulière,  se  fût  révélée 
•presque  aux  débuts  du  jeune  artiste,  devait  obscurcir  cette  claire 
et  saine  intelligence,  si  merveilleusement  douée  pour  la  pratique 
de  l'art.  La  vie  s'ouvrait  devant  Ed.  Agneessens,  comme  une 
large  avenue  au  bout  de  laquelle  l'attendait  une  gloire  certaine, 
et  le  maître  aussi  bien  que  les  disciples  étaient  unanimes  pour 
saluer  en  lui  le  peintre  en  qui  ressus^'iteraienl  un  jour,  dans  leur 
force  éternisée,  les  plus  éclatantes  vertus  du  génie  flamand. 

Ses  premières  apparitions  aux  Salons  de  peinture  furent,  en 
effet,  des  coups  d'éclat  et  des  victoires  que  nul,  dans  la  critique 
et  chez  les  peintres,  ne  chercha  à  contester,  et  qui,  d'emblée,  le 
rangèrent  au  nombre  des  plus  robustes  exécutants  que,  depuis 
le  xvii^  siècle,  l'art  des  Pays-Bas  eût  engendrés.  Aucune  défail- 
lance ne  s'apercevait  en  ce  dessin  serré,  nerveux,  vivant  qui, 
dans  ses  premiers  portraits,  s'unissait  à  une  exécution  grasse, 
solide,  maîtresse  d'elle-même  jusque  dans  les  plus  subtiles  com- 
binaisons du  coloris.  Van  Dyck,  dont  le  nom  a  souvent  été  pro- 
noncé à  propos  des  œuvres  d'Agneessens,  sans  que  celte  parenté 
lointaine  ait  fait  tort  à  l'un  ou  l'autre,  revivait  là  dans  les  har- 
monies exquises  des  gris  argentins,  modulés  avec  le  sens  le  plus 
parfait  des  colorations  assoupies  et  des  demi-teintes  finement 
lumineuses.  On  a  pu  voir,  on  peut  voir  encore  aujourd'hui,  à 
l'exposition  universelle  d'Anvers,  un  de  ces  portraits  des  commen- 
cements, celui  du  sculpteur  Marchand,  enlevé,  lui  aussi,  à  la 
fleur  des  ans;  et,  bien  que  la  peinture  ait  un  peu  jauni,  il 
demeure,  parmi  les  autres  portraits  non  pas  seulement  de  la 
section  belge,  mais  de  toutes  les  nations  exposantes,  un  des  mor- 
ceaux les  plus  achevés  qu'il  soit  donné  de  voir.  La  griffe  du 
temps,  les  nouvelles  recherches  des  écoles,  les  variations  de 
l'optique  et  de  l'esthétique  n'ont  rien  enlevé  de  la  beauté  tran- 
quillle  et  pensante  de  cette  œuvre  qui  pourrait  s'apparenter  aux 
nobles  interprétations  de  la  personne  humaine  consacrées  dans 
les  musées  par  l'admiration  des  âges.  Et  pourtant  l'artiste,  le  bel 


artiste  qui  s'annonçait  el  d'une  fois  donnait  sa  mesure  dans  celle 
grande  manière  d'entendre  la  figure,  ne  tlevait  pas  s'arrêter  là  : 
chaque  loile,  chaque  portrait,  car  c'est  surtout  celle  synthèse  si 
puissamment  humaine  qui  l'attirail,  signala  depuis,  un  affinemenl 
de  son  sens  artistique,  une  clarificalio^n  de  ses  procédés,  un  élar- 
gissement dans  le  style,  —  cet  irrécusable  style  qui  n'a  rien  à  voir 
avec  les  canons  ni  les  recettes  mais  consiste  tout  entier  dans  un 
certain  doji  d'exprimer  la  nature  par  les  côtés  de  force  et  de 
grandeur. 

Tourmenté  par  cette  ambilion  qui,  à  un  certain  moment,  fait 
rêver  d'appareiller  pour  des  Eldorados  nouveaux.  Ed.  Agnecssens 
cependant  caressait,  dans  les  derniers  moments  de  sa  vie  pen- 
sante, c:ir  l'autre,  hélas!  s'est  prolongée  après  que  celle-là  était 
déjà  éteinte,  le  désir  de  s'essayer,  et  se  fût  essayé  en  maître, 
dans  un  champ  d'observation  plus  vaste.  Tous  ceux  qui  l'ont  connu 
alors  ont  reçu  la  confidence  de  ses  plans  el  de  ses  projets  :  il  eût 
voulu  symboliser  les  forces  de  l'air  el  de  la  lerre  dans  une  suite 
de  compositions  qui  auraient  été  eh  même  temps  la  glorification 
du  travail  humain.  On  a  dit,  el  si  la  chose  est  vraie,  l'éternelle 
sottise  des  directions  des  beaux-arts  s'est  montrée  là  une  fois  de 
plus,  que  le  gouvernement  du  temps  n'avait  pas  prêté  la  main 
avec  empressement  à  l'accomplissement  de  celte  idée  qui,  sous 
un  tel  pinceau,  eût  été  féconde.  Je  me  souviens  avoir  vu,  pour 
ma  part,  aux  murs  de  l'atelier,  de  ce  vivant  et  joyeux  atelier  de 
la  rue  des  Epingles,  des  éludes  qui  étaient  la  préparation  à  ce 
grand  travail  demeuré  enseveli  dans  les  limbes  de  l'irréalisé,  et 
dont  il  devait  emporter  avec  lui,  au  noir  exil  de  la  maison  de 
santé,  les  combinaisons  longuement  mûries,  sans  que  le  fruit  ait 
germé  aux  branches  de  l'arlDre!  Or,  ces  éludes  avaient  toutes  la 
marque  des  choses  appelées  à  durer,  pour  peu  que  la  vie  et  les 
circonstances  leur  eussent  départi  le  vent  et  le  soleil,  sans  lesquels 
rien  ne  germe. 

Ce  fut  une  stupeur  dans  toute  la  famille  artiste  quand  on  apprit 
que  celte  vive  intelligence  s'était  brusquement  enrayée,  car 
la  maladie  ne  vint  que  par  étapes,  lui  enfonçant  un  peu  plus  à 
mesures  ses  crocs  dans  les  moelles,  comme  pour  faire  passer  à 
plaisir  ses  amis  ^t  ses  admirateurs,  el  ils  étaient  légion,  par  toutes 
les  affres  de  l'atlenle  et  de  la  désespérance.  Un  jour,  après  des 
alternatives  douloureuses  où  la  lumière  parut  combattre  les 
ténèbres  dans  cet  esprit  épris  d'harmonie  et  de  clarté,  l'horrible 
réalité  .parut  évidente.  La  dernière  étincelle  s'éteignit;  le  flam- 
beau cessa  de  brûler,  et  pendant  près  de  huit  années  nous  assis- 
tâmes à  l'agonie  de  celle  âme  qui  ne  savait  pas  mourir  el  ne  pou- 
vait plus  vivre.  Alors  seulement,  après  qu'elle  l'eût,  pendant  ces 
huit  siècles,  torturée  et  traînée  sur  les  claies,  de  la  douleur  el  de 
cette  douleur  plus  grande  que  toutes  les  autres,  la  perle  du  sens, 
un  coup  le  foudroya,  qui  fut  la  délivrance. 

Tout  l'ancien  atelier,  el  le  vieux  maître  en  têle,  souffrant  el 
paralysé  lui-même,  et  qui  cependant  s'était  fait  portera  ce|  ren- 
dez-vous de  la  mort,  pour  ne  point  manquer  le  salut  suprême  à 
ce  vivant  d'hier  qui  avait  été  sa  forte  espérance  et  en  qui,  jadis, 
il  avait  salué  un  glorieux,  tous  les  amis  du  début  se  sont  rencon- 
trés autour  du  petit  cercueil  jonché  de  fleurs  dans  lequel  s'en  allait 
le  bon  compagnon,  le  pauvre  grand  peintre  frappé  avant  d'avoir 
donné  sa  moisson. 

Ed.  Agnecssens  avait  quarante-deux  ans. 

Pas  une  œuvre  de  lui  ne  figure  au  musée  de  Bruxelles  (*). 
Comme  pour  Louis  Dubois  et  Boulanger,  on  a  eu  la  cruauté  d'at- 
tendre qu'il  ne  fût  plus  pour  s'aviser  du  vide  que  l'absence  d'un 
de  ses  ouvrages  laisserait  dans  les  collections.  Et  maintenant 
qu'il  est  mort,  la  famille,  les  amis,  les  possesseurs  de  ses  toiles 
vont  être  sollicilésà  coups  de  banknoles,  naturellement. 

Camille  Lemonnier. 


(')  N'est-ce  pas  une  erreur?  N'y  flgure-t-il  pas  un  portrait  depuis  quelque 
temps  ?  Notre  absence,  expliquée  par  les  vacances,  nous  empêche  de  vérifier. 


EXPOSITION  ARTISTIQUE  A  TOURNAI 

Nous  recevons  d'une  de  nos  plus  intéressantes  et  de  nos  plus 
vaillantes  artistes  la  lettre  que  voici  : 

Monsieur, 

Puisque  vous  vous  intéressez  tant  à  tout  effort  tendant  à  élever  le 
goût  des  arts  dans  le  public,  je  me  permets  de  signaler  à  votre  atten- 
tion le  nouveau  Cercle  artistique  de  Tournai,  formé  depuis  deux 
mois  et  dont  la  première  exposition  s'ouvrira  le  13  septembre.  Le 
secrétaire,  M.  Charles  AUard,  a  eu,  je  crois,  l'initiative  de  ce  mou- 
vement très  extraordinaire  dans  un  centre  assez  désintéressé  de  l'art 
depuis  nombre  d'années,  et  il  lui  a  fallu  beaucoup  d'énergie  pour 
mener  à  bonne  fin  une  entreprise  qui  rencontrait  peu  d'encourage- 
ments. 

Pour  ma  part,  j'ai  vivement  félicité  ces  messieurs  de  leur  projet 
et  je  leur  ai  promis  de  collaborer  à  leur  œuvre,  dans  la  mesure  de 
mes  moyens.  Je  leur  ai  procuré  l'adhésion  de  Franz  Courtens,  qui 
leur  a  envoyé  deux  toiles,  et  j'espère  pour  Tan  prochain  réunir  un 
groupe  jeune  dans  le  nouveau  local,  qui  sera  dans  de  meilleures  con- 
ditions. 

Vous  voyez,  Monsieur,  que  si  la  première  exposition  n'est  pas  ce 
que  nous  voudrions,  nous  n'eu  sommes  pas  moins  décidés  à  obtenir 
de  cette  tentative  un  résultat  sérieux  dans  l'avenir  et  je  ne  doute  pas 
que  cela  suffise  à  nous  procurer  votre  bienveillant  appui. 

Recevez,  etc. 


P 


ETITE    CHROJ^IQUE 


Excursions  dans  le  pays  de  Liège,  par  Thé\os. 

—  Un  guide  encore!  dit,  dans  sa  préface,  Thélos;  pseudonyme  qui 
cache  M.  Isidore  L'Hoest  et  son  fils,  encore  un  guide!  après  tant 
d'autres. 

—  Eh  mon  Dieu,  oui.  Et  nous  ne  croyons  pas  avoir  fait  œuvre 
superflue. 

En  effet,  le  nouveau  livriculet,  très  bien  compris  et  adroitement 
agencé,  de  TJiélos,  renferme  des  notices  et  des  détails  intéressants 
sur  le  pays  de  Liège  et  de  Huy  où  il  nous  guide,  et  les  plans  et  les 
cartes  qui  y  sont  joints,  facilitent  le  voyage. 

Avis  aux  touristes  et  aux  excursionnistes.  Letroisième  tirage  va 
paraître  chez  Decq,  à  Liège. 

Cette  multiplication  des  ouvrages  relatifs  à  notre  pays  montre 
combien  le  goût  pour  le  pittoresque  national  se  développe.  Tant 
mieux,  notre  art  y  gagnera.  Nous  habitons  un  des  pays  les  plus 
variés  et  les  plus  séduisants  du  monde  par  ses  charmes  naturels. 
On  commencé  à  le  comprendre. 

Oui,  a  dit  un  mécontent;  mais  bien  mal  habité. 


La  Société  de  gravure  de  Vienne^  tiendra  annuellement,  autant 
que  possible  vers  Noël,  dans  le  local  de  l'Association  des  Artistes 
(Kiinstlerhaus),  à  Vienne,  une  exposition  d'ouvrages  des  arts  gra- 
phiques et  particulièrement  de  ceux  qui  auront  été  publiés  dans 
l'année  même. 

L'Exposition  aura  un  caractère  essentiellement  international.  Les 
artistes  et  les  éditeurs  de  tous  pays  pourront  y  participer,  en  se  sou- 
mettant aux  conditions  d'admission. 

Les  auteurs  d'ouvrages  d'une  valeur  artistique  hors  ligne,  sans 
égard  aux  procédés  techniques  employés,  tels  que  les  dessins  exécu- 
tés pour  être  reproduits,  les  gravures  sur  bois  ou  cuivre,  les  eaux- 
fortes,  seront  récompensés  de  médailles  ou  de  diplômes. 
^-  Le  Jury  qui  sera  institué  pour  décerner  les  récompenses  se  com- 
posera des  délégués  du  Grand-Chambellan  de  l'Empereur  et  du  Gou- 
vernement et  de  sept  membres,  dont  trois  seront  désignés  annuelle- 
ment par  y  Académie  Impériale  et  Royale  des  Beaux- Arts  de 
Vienne,  et  quatre  pdiV  V Association  des  Artistes. 

Le  règlement  général  de  l'Exposition,  que  publiera  le  Conseil 
d'administration  de  la  Société  de  gravure,  déterminera  les  conditions 
relatives  aux  délibérations  et  au  vote  du  Jury  des  récompenses. 

Pour  tous  renseignements  s'adresser  au  bureau  de  la  Société  de 
Gravure  VI.  Magdalenen-Strasse,  26,  à  Vienne. 

On  a  souvent  demandé  que  l'Etat  fit  placer  au  bas  des  tableaux 
ou  sur  les  socles  des  statues  une  notice  claire  indiquant  le  sujet  traité 
par  l'artiste. 

Cette  amélioration  va  être  réalisée  par  la  ville  de  Paris  ;  en  exécu- 
tion d'une  délibération  récente  du  conseil  municipal,  des  plaques 
indicatives  seront  prochainement  apposées  sur  toutes  les  œuvres 
sculpturales  qui  décorent  les  squares  et  jardins  publics  de  la  capitale. 


300 


LART  MODERNE 


JOURNAL  DES  TRIBUNAUX 


PARAISSANT   LE    JEUDI    ET    LE   DIMANCHE 

FAITS   ET  DÉBATS  JUDICIAIRES.   —  JURISPRUDENCE.  —  BIBLIOGRAPHIE.    -     LÉGISLATION, 


NOTARIAT 


ADMINISTRATION 

A  la  librairie  FERDINAND  LARCIER,  10,  rue  des  Minimes,  à  Bruxelles" 

Tout  ce  qui  concerne  la  rédaction  et  le  service  du  journal  doit  être  envoyé  à  cette  adresse.  —  Tous  les  numéros 
sont  déposés.  '  .  -  ■ 

Toute  réclamation  de  numéros  doit  parvenir  au  Journal  dans  le  mois  de  la  publication.  Passé  ce  délai,  il  ne  pourra 
y  être  donné  suite  que  contre  paiement  de  leur  prix. 


Belgique  :  Cn  an,    18  francs.  —  Six  mois,   10  franCS.^- Etranger  (Union  postale)  :  Un  an,  23  franCS. 

Le  numéro  :  20  centimes. 

Il  sera  rendu  compte  de  tous  les  ouvrages  relatifs  au  droit  et  aux  matières  judiciaires  dont  deux  exemplaires 
parviendront  à  la  rédaction  du  t/o2*r>?«/. 

ANNONCES  :  30  centimes  la  ligne  et  à  forfait 

Le  Journal  insère  spécialement  les  annonces  relatives  au  droit,  aux  matières  judiciaires  et  au  notariat. 


J.  SCHÂVYE,  Relieur 

46,  Rue  du  Nord,  Bruxelles 


CARTONNAGES,  RELIURES  ORDINAIRES,  RELIURES 

DE  LUXE,  ALBUMS,  ETC. 

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Mozart,  sonates  en  mi  b.  maj.,  et  fa  maj. 
Mozart,  sonates  en  si  b.  maj  ,  et  la  maj. 
Mozart,  sonate  en  fa  maj. 


Bruxelles.  —  Imp.  Félix  Callbwabrt  père,  rue  de  l'Industrie,  26. 


Cinquième  année.  —  N°  38. 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  20  Septembre  1885. 


■^ 


L'ART  MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS   :    Belgique,   un   an,   fr.   10.00;  Union   postale,    fr.    13.00.    —  ANNONCES   :  '  On  traite   à  forfait. 


Adressei^  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 

l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


Sommaire 


Essai  de  pathologie  littéraire.  Les  bien  portants.  —  Jules 
Zarembski.  —  L'impressionniste  Turner.  —  En  voyage.  — 
Petite  chronique. 


ESSAI  DE  PATHOLOGIE  LITTÉRAIIIÉ  () 

LES  BIEN-PORTANTS. 

«  Stéphane  Mallarmé,  Paul  Verlaine,  ont  fait  de 
beaux  vers,  de  très  beaux  vers;  qui  l'ignore,  disions- 
nous  dans  un  de  nos  précédents  articles.  .Que  le  destin 
nous  garde  de  ne  pas  discerner  ce  qu'il  y  a  dans  leurs 
œuvres  de  vraiment  supérieur  (**).  « 

Nous  ne  saurions  donc,  sans  injustice,  parlant  des 
Bien-Portants,  ne  pas  les  ranger  parmi  ces  derniers 
pour  certaines  périodes,  certains  moments  de  leur  vie 
artistique.  Ce  ne  sont  pas  des  malades  chroniques,  mais 
intermittents,  sujets  à  des  accès  plus  ou  moins  violents, 
plus  ou  moins  fréquents.  Il  y  a  dans  les  œuvres  des 
Déliquescents  de  si  remarquables  choses,  à  côté  des  insa- 
nités, que  sou  ventes  fois  nous  avons  entendu  poserj  en 
ce  qui  les  concerne,  la  question  de  savoir  s'ils  n'avaient 
pas,  les  jours  de  leurs  bizarreries,  le  parti-pris  de  se 
moquer  de  la  critique.  Peut-être,  mais  c'est  leur  secret. 
Peu  importe.  La  critique  y  va  bon  jeu,  bon  argent  et 
a  le  droit  de  traiter  cei^x  qui  jouent  les  fous  avec  elle 
comme  s'ils  étaient  fous  véritablement 


{*)  Voir  nos  n"  des  19  et  26  juillet,  2, 9,  16,  23  et  30  août,  et  6  septembre  li-85. 
('*)  N-  du  9  août  dernier. 


Il  s'agit  donc  d'une  démence  avec  intervalles  lucides. 
Parlons  des  intervalles  lucides. 

On  se  trouve  alors  devant  des  œuvres,  non  seulement 
bonnes  d'après  la  commune  mesure  poétique,  mais, 
d'une  originalité  puissante.  Quelques  exemples  que 
nous  donnerons  tantôt  le  démontreront  avec  évidence. 
A  ce  point  de  vue  les  Déliquescents  marquent  une  étape 
que  l'histoire  littéraire  de  notre  temps  ne  peut  dédai- 
gner, que  nous  particulièrement,  qui  mettons  la  person- 
naUté  au  des.sus  de  toutes  les  autres  qualités  artistiques, 
aurions  mauvaise  grâce  à  ne  pas  signaler  avec  insis- 
tance. Dans  la  façon  de  voir  les  choses,  de  pénétrer  les 
sentiments,  dans  la  recherche.et  la  peinture  des  images, 
cette  caractéristique  de  la  poé.sie  contemporaine,  ils 
ont  <3ud,es  inspirations  et  des  audaces  étonnantes.  Quand 
ils  ne  les  forcent  pas  jusqu'à  tomber  dans  Tincompré- 
hensible  oii  l'informe,  on  ressent  à  la  lecture  de  leurs 
vers,  une  vive  sensation  de  nouveauté  séduisante  qui 
explique  le  fanatisme  de  leurs  partisans  et  que  nous 
li'hésitons  pas  à  louer  comme  un  phénomène  curieux  et 
fécond.,Ils  ont  risqué  des  au  delà  qui  sont  des  conquêtes 
de  terres  inconnues.  L'art  en  est  enrichi  et  ne  perdra 
plus  cet  accroissement  de  territoire.  Ils  *ne  se  sont  pas 
bornés  à  taire  sur  les  champs  que  l'on  possédait  de  la 
culture  intensive,  augmentant  le  produit  des  anciens 
labours;  ils  ont  défriché  des  champs  où  nul  n'avait 
jamais  cultivé.  Il  faut  ne  pas  leur  marchander  la  gloire 
que  méritent  ces  travaux  accomplis  dans  leurs  jours  de 
belle  santé,  et  si,  brûlés  par  la  fièvre  de  ces  efforts,  ils 
ont  souvent  divagué,  il  ne  faut  pas,  confondant  leurs 


exploits  avec  leurs  folies,  les  conspuer  indifféremment 
pour  toutes  leurs  œuvres.  Non.  Il  faut  seulement  en 
dire  assez  des  dernières  pour  dégoûter  les  homuncules 
qui  frétillent  dans  le  sillage  des  poètes,  se  nourrissent  de 
leur  substance,  et,  avec  leur  bêtise  de  pasticheurs, 
déglutissent  habituellement  les  éléments  les  plusimpui-s. 
A  propos  des  Incohérents  et  de  leurs  nébulosités, 
nous  avons  fait  remarquer  le  charme  des  vers  qui,  non 
seulement  décrivent  les  impressions  vagues  de  la  terre 
et  des  âmes,  mais,  dans  la  phrase  même  et  les  mots 
donnent  un  à-peu-près  qui  s'arrête  juste  à  la  délicate 
limite  après  laquelle  l'obscurité,  le  confus  apparaissent. 
Ces  écrivains  sont  les  Corot  de  la  poésie.  Certes  un  rien 
amène  le  trouble  qui  détruit  le  cristallin  à  travers 
lequel  l'image  passe,  diffuse  mais  visible  pourtant  dans 
ses  vagues  et  doux  contours.  Il  faut  une  habileté  de  fée 
pour  ne  point  passer  du  translucide  à  l'opaque.  Ce 
miracle  de  charmeur  est  toutefois  possible  et  ceux  qui 
l'ont  réalisé  sont,  des  novateurs  dignes  d'éloges.  Nous 
trompons-nous  quand  nous  disons  que  ce  fut  le  cas  pour 
Stéphane  Mallarmé  dans  la  pièce  qu'on  va  lire? 
N'est-elle  pas  vague  et  veloutée  comme  un  pastel? 
N'est-ce  pas  un  rêve  baigné  dans  une  molle  incertitude, 
oti  l'on  se  retrouve  néanmoins,  mais  comme  en  des  sen- 
tiers sur  lesquels  plane  encore  la  brume  matinière? 
Rien  de  la  sèche  netteté  des  chemins  bien  tracés, 
rigides,  allant  droit  jusqu'à  l'horizon. 

-   La  lune  s'attristait.  Des  séraphins  en  pleurs, 
Rêvant,  l'archet  aux  doigts,  dans  le  calme  des  fleurs 
Vaporeuses,  tiraient  de  mourantes  violes 
De  blancs  sanglots,  glissant  sur  l'azur  des  corolles. 
—  C'était  le  jour  béni  de  ton  premier  baiser. 
Ma  songerie  aimant  à  me  martyriser 
S'enivrait  savamment  du  parfum  de  tristesse 
Que  même  sans  regret  et  sans  déboire  laisse 
La  cueillaison  d'un  rêve  au  cœur  qui  l'a  cueilli. 
J'errais  donc,  lœil  rivé  sur  le  pavé  vieilli. 
Quand,  avec  du  soleil  aux  cheveux,  dans  la  rue 
Et  dans  le  soir,  tu  m'es  en  riant  apparue,  ^ 

Et  j'ai  cru  voir  la  fée  au  chapeau  de  clarté 
Qui  jadis  sur  mes  beaux  sommeils  d'enfant  gâté 
Passait,  laissant  toujours  de  ses  mains  mal  fermées 
Neiger  de  blancs  bouquets  d'étoiles  parfumées. 

Oh!  que  c'est  caressant  et  tendre.  Indécis  et  contes- 
table dans  certaines  images,  assurément,  mais,  c'est  là 
le  charme  et  l'originalité  de  ce  genre  spécial  :  ne  pas 
tout  dire,  dire  approximativement  aussi,  murmurer, 
esquisser,  ensoii7xlincr  tout,  donner  à  l'âme  une  sensa- 
tion exquise  de  demi-réveil,  faire  qu'elle  se  cherche, 
qu'elle  tâtonne,  mais  sans  humeur  parce  qu'elle  se 
ressaisit  dans  ce  nuage  léger  et  plein  de  senteurs 
légères. 

Voici  de  Paul  Verlaine  maintenant.  C'est  le  même 
procédé  en  demi-teintes.  Il  s'agit  d'exprimer  l'épuise- 
ment et  rincurable  lassitude  des  hautes  classes  à  la  fin 
de  l'empire  romain.  Le  poète  ne  veut  pas  décrire  en 


termes  précis  le  lugubre  ph^iomène  historique.  Il  veut 
que  la  fatigue  des  phrases  accompagne  la  fatigue  des 
hommes.  Il  a  confiance  que  l'efiët  sera  plus  puissant, 
que  tout  au  moins  il  sera  neuf.  Il  éprouve  un  invincible 
dégoût  à  répéter  ces  choses  dans  le  style  usuel  qui  lui 
semble  déclamatoire  et  usé.  Pour  lui  il  y  a  une  har- 
nionie  entre  le  faire  de  l'œuvre  et  son  sujet.  Pour  dire 
des  choses  lassées,  il  veut  des  tournures  lassées,  il  veut 
des  expressions  lassées,  il  veut  une  voix  lassée,  des  à- 
peu-près,desenfrecoupements,des  pensées  qui  commen- 
cent et  meurent  mal  achevées.  Il  s'agit  d'une  civilisa- 
tion qui  se  traîne  avec  des  lenteurs  d'agonie,  il  vase 
traîner  dans  son  langage.  Lisez,  d'une  voix  de  malade, 
le  sonnet  que  voici,  et  dites  si  l'efiet  cherché  n'est  pas 
obtenu  avec  une  intensité  singulière  : 

Je  suis  l'Empire  à  la  fin  de  la  décadence 
Qui  regarde  passer  les  grands  Barbares  blancs 
En  composant  des  acrostiches  endolents 
D'un  style  d'or  oii  la  langueur  du  soleil  dense. 

L'âme  seulette  a  mal  au  cœur  d'un  ennui  dense. 
Là-bas  on  dit  qu'il  est  de  longs  combats  sanglants.       • 
0  n'y  pouvoir,  étant  si  faible  aux  vœux  si  lents, 
0  n'y  vouloir  fleurir  un  peu  cette  existence  ! 

0  n'y  vouloir,  ô  n'y  pouvoir  mourir  un  peu  ! 

Ah!  tout  est  bu!  Bathylle,  as-tu  fini  de  rire?. 

Ah  !  tout  est  bu,  tout  est  mangé  !  Plus  rien  à  dire  ! 

Seul,  un  poème  un  peu  niais  qu'on  jette  au  feu, 
Seul,  un  esclave  un  peu  coureur  qui  vous  néglige. 
Seul,  un  ennui  d'où  ne  sait  quoi  qui"  vous  afflige  !" 

A  notre  avis,  on  ne  saurait,  de  façon  plus  pathétique 
décrire  avec  plus  de  vérité  un  sujet  aussi  navrant.  Et 
c'est  fait  en  quelques  traits  mous,  en  quelques  images 
floconneuses  mais  d'une  pénétration  poignante,  qui  s'en- 
foncent, s'enfoncent  millimètre  par  millimètre.  Qu'on 
lise  ces  vers,  non  plus  avec  langueur,  mais  du  ton  ora- 
toire accoutumé,  et  le  charme  est  rompu,  la  fleur 
étrange  referme  ses  pétales,  il  ne  reste  plus  qu'un  bou- 
ton bulbeux,  terne,  diflbrme,  sur  lequel  la  critique 
banale  peut  exercer  sa  plaisanterie. 

D'Arthur  Rimbaud  nous  avons  cité  YOraison  du 
soir.'^i  on  ne  l'avait  pas  signalée  comme  un  chef- 
d'œuvre,  si  on  l'avait  laissée  ce  qu'elle  était  d'après 
nous  :  une  boutade  de  collégien  (son  auteur  était  en 
seconde  quand  il  la  fit),  nous  n'y  aurions  rien  trouvé  à 
redire.  Voici  par  contre  une  pièce  de  la  plus  intense 
originalité,  les  Assis  .-jamais  le  don  de  l'image  exacte 
dans  son  excentricité  ne  s'est,  croyons-nous,  révélée  à 
un  plus  haut  degré.  Les  formules,  les  conventions  sont 
directement  heurtées.  Celui  qui  aime  à  retrouver  dans 
ce  qu'il  lit  les  vieux  refrains  et  les  vieilles  règles  est 
horripilé.  Mais  ce  n'est  pas  dans  ce  sentiment  qu'il  faut 
aborder  les  innovations.  N'en  sommes-nous  pas  la  plu- 
part à  subir  ce  phénomène  psychique  qu'indiquait  un 
compositeur  à  l'occasion  de  Wagner  :  «  C'est  drôle,  je 
ne  puis  souffrir  cette  musique  et  pourtant  elle  me 


dégoûte  des  autres?  "  Nous  avons  besoin  de  nouveau,  et 
quand  on  nous  le  présente,  nous  protestons.  Ces  impres- 
sions contradictoires  enseignent  qu'il  nous  faut  y  regar- 
der de  très  près  quand,  au  premier  contact,  nous  subis- 
sons un  choc.  Qu'on  examine  donc  avec  patience  la 
pièce  suivante;  qu'on  y  revienne,  qu'on  réfléchisse  à 
ses  étrangetés,  non  pas  qu'elles  soient  obscures,  mais 
elles. sont  si  imprévues,  et  peu  à  peu,  nous  en  sommes 
convaincu,  la  brutale  beauté  de  ces  vers,  l'âpreté  du 
tableau  se  divulguera  et  imposera  l'admiration.  Ces 
assis,  ce  sont  les  vieux  gratte-papier,  les  vieux  em- 
ployés de  bureaux,  les  fonctionnaires  assis.  Mauvais 
sujet  pour  des  vers.  Allons  donc!  Voyez  ce  qu'en  tire 
un  poète  original  et  téméraire. 

Noirs  de  loupes,  grêlés,  les  yeux  cerclés  de  bagues 
Vertes,  leurs  doigts  boulus  crispés  à  leur  fémur, 
Le  sinciput  plaqué  de  liargnosités  vagues  , 

Comme  les  floraisons  lépreuses  des  vieux  murs, 

Ils  out  greffé  dans  des  amours  épileptiques 
Leur  fantasque  ossature  aux  grands  squelettes  noirs 
De  leurs  chaises  ;  leurs  pieds  aux  barreaux  rachitiques 
S'entrelacent  pour  les  matins  et  pour  les  soirs. 

Ces  vieillards  ont  toujours  fait  tresse  avec  leurs  sièges. 
Sentant  les  soleils  vifs  percaliser  leurs  peaux, 
Ou  les  yeux  à  la  vitre  où  se  fanent  les  neiges. 
Tremblant  du  tremblement  doulouleux  des  crapauds. 

Et  les  sièges  leur  ont  des  Bontés;  culottée 
De  brun,  la  paille  cède  aux  angles  de  leurs  reins. 
L'âme  des  vieux  soleils  s'allume,  emmaillotée, 
Dans  ces  tresses  d'épis  où  fermentaient  les  grains. 

Et  les  assis,  genoux  aux  dents,  verts  pianistes, 

Les  dix  doigts  sous  leur  siège  aux  rumeurs  de  tambour, 

S'écoutent  clapoter  des  barcarolles  tristes, 

Et  leurs  caboches  vont  dans  des  roulis  d'amour. 

Oh!  ne  les  faites  pas  lever!  C'est  le  naufrage. 
Ils  surgissent,  grondant  comme  des  chats  gilliés, 
Ouvrant  lentement  leurs  omoplates,  ù  rage! 
Tout  leur  pantalon  bouffe  à  leurs  reins  boursouflés. 

Et  vous  les  écoutez  cognant  leurs  tètes  chauves 

Aux  murs  sombres,  plaquant  et  plaquant  leurs  pieds  tors, 

Et  leurs  boutons  d'habit  sont  des  prunelles  fauves 

Qui  vous  accrochent  l'œil  du  fond  des  corridors. 

Puis  ils  ont  une  main  invisible  qui  tue  ; 
Au  retour,  leur  regard  filtre  ce  venin  noir 
Qui  charge  l'œil  soutirant  de  la  chienne  battue, 
Et  vous  suez,  pris  dans  un  atroce  entonnoir. 

Rassis,  les  poings  crispés  dans  des  manchettes  sales,- 
Ils  songent  à  ceux-là  qui  les  ont  fait  lever, 
Et  de  l'aurore  au  soir  des  grappes  d'amygdales 
Sous  leurs  mentons  chétifs  s'agitent  à  crever. 

Quand  l'austère  sommeil  a  baissé  leurs  visières. 

Ils  rêvent,  sur  leurs  bras,  de  sièges  fécondés, 

De  vrais  petits  amours  de  chaises  en  lisières  .     - 

Par  lesquelles  de  fiers  bureaux  seront  bordés. 

Des  fleurs  d'encre,  crachant  des  pollens  en  virgules, 
Les  bercent  le  long  des  calices  accroupis. 
Tels  qu'au  pli  des  glaïeuls  le  vol  des  libellules, 
—  Et  leur  mçmbre  s'agace  à  des  barbes  d'épis  ! 


Ainsi  écrivait  un  tout  jeune  homme,  un  étudiant. 
C  était  de  l'outrance,  mais  quel  entrain,  quelle  ironie 
terrible.  La  dose  du  corrosif  liquide  était  çà  et  là  trop 
forte,  oui.  L'accès  pointait,  la  santé  chancelait.  Mais 
l'énergie  du  tempérament  était  formidable.  Et  à  qui 
ressemblait  cette  tumultueuse  nature?  Ce  n'était  plus 
la  farce  de  VOraison  du  soir,  c'était  l'originalité  dans 
une  franchise  violente  et  insolente,  qu'il  suffisait  de  con- 
tenir. 

Cette  même  exubérance  caractérise  un  poème  de 
Tristan  Corbière,  la  Fin,  sorte  de  réponse  brutale  à  la 
belle  élégie  de  Victor  Hugo  qui  commence  i)ar  ces  vers 
célèbres  : 

Oh!  combien  de  marins,  combien  de  capitaines 
Qui  sont  partis  joyeux  pour  des  courses  lointaines. 
Dans  ce  morne  horizon  se  sont  évanouis 

Corbière,  marin  lui-même,  ne  s'accommode  pas  du 
sentimentalisme  avec  lequel  le  grand  poète  pleure  la 
fin  tragique  dans  un  naufrage,  et  reprenant  le  thème 
sur  un  rythme  barbare  et  bourru,  il  'répond  par  cette 
rude,  dédaigneuse  et  superbe  apostrophe  : 

Eh  bien,  tous  ces  marins,  matelots,  capitaines, 
Dans  leur  grand  Océan  à  jamais  engloutis. 
Partis  insoucieux  pour  leurs  courses  lointaines. 
Sont  morts  —  absolument  comme  ils  étaient  partis. 

Allons  !  c'est  leur  métier  ;  ils  sont  morts  dans  leurs  bottes  ! 
Leur  boTijaron  au  cœur,  tout  vifs  dans  leurs  capottes. 

—  Morts...  Merci  :  la  Camarde  a  pas  le  pied  marin  ; 
Qu'elle  couche  avec  vous;  c'est  votre  bonne-femme... 

—  Eux,  allons  donc  :  Entiers  !  "enlevés  par  la  lame  ! 

Ou  perdus  daus  un  grain... 

Un  grain...  est-cela  mort  ça  Ha  basse  voilure 
Battant.à  travers  l'eau!  —  Ça  se  dit  encombrer... 
Un  coup  de  mer  plombé,  puis  la  haute  mâture 
Fouettant  les  flots  ras  —  et  ça  se  dit  sornhrcr. 

—  Sombrer  —  Sondez  ce  mot.  Votre  mort  est  bien  pâle 
Et  pas  grand'chose  à  bord,  sous  la  lourde  rafale... 

Pas  grand'chose  devant  le  grand  sourire  amer 
'Du  matelot  qui  lutte.  —  Allons  donc,  de  la  place!... 
Vieux  fantôme  éventé,  la  Mort  change  de  place  : 
t  La  Mer  ! . . . 

Noyés?...  Eh  î  allons  donc!  Les  noyés  sont  d'eau  douce. 

—  Coulés!  corps  et  bien!  Et,  jusqu'au  petit  mousse, 
Le  défi  dans  les  yeux,  dans  les  dents  le  juron  î 

""■      A  l'écume  crachant  une  chique  ràlée. 

Buvant  sans  haut-le-cœur  la  grand'tasse  salée. 
■ —  Comme  ils  ont  bu  leur  boujarou.  — 

—  Pas  de  fond  de  six  pieds,  ni  rats  de  cimetière  : 
Eux  ils  vont  au  requin!  Lame  d'un  matelot 

Au  Heu  de  suinter  dans  vos  pommes  de  terre. 
Respire  à  chaque  flot. 

—  Voyez  à  l'horizon  se  soulever  la  houle  : 

On  dirait  le  ventre  amoureux 
D'une  fille  de  joie  en  rut,  à  moitié  soûle... 
Ils  sont  là  !  —  la  houle  a  du  creux.  — 

—  Ecoutez,  écoutez  la  tourmente  qui  beugle!... 
C'est  leur  anniversaire.  —  Il  revient  bien  souvent.  — 


<0  poète,  gardez  pour  vous  vos  chants  d'aveuglé  ; 

—  Eux  :  le  De  profiindis  que  leur  corne  le  vent. 

Qu'ils  roulent  infinis  dans  les  espaces  vierges  !... 

Qu'ils  roulent  verts  et  nus, 
Sans  clpus  et  sans  sapin,  sans  couvercle,  sans  cierges... 

—  Laissez-les  donc  rouler,  <6'rW<?r5  parvenus! 

Qui  donc  ne  se  sentira  pas  emporté  par  cette  mâle 
clameur,  retentissante  comme  l'ouragan?  Qui  n'y  verra 
l'inspiration  d'une  grande  âme?  Et  quant  à  l'origi- 
nalité, elle  est  indiscutable,  comme  dans  les  pièces  que 
nous  avons  reproduites  plus  haut.  Ce  n'est  pas  à  leur 
propos  qu'il  faut  se  demander  s'ils  imitent  Baudelaire, 
l'éternel.  Rien  dans  leurs  vers  n'y  fait  penser.  Ils  sont 
eux-mêmes,  et  c'est  assez,  c'est  tout. 

Ah  !  oui,  tout  cela  fut  fait  en  des  heures  de  belle 
santé  !  Pourquoi  faut-il  qu'autour  de  ces  oeuvres  si 
dignes  d'être  louées,  s'étale  le  ridicule  remplissage  que 
nous  avons  condamné?  Le  mélange  est  inexplicable  et, 
bizarre  circonstance,  dans  ses  Poètes  maudits,  Ver- 
laine qui  signale  ces  pièces,  met  au  même  plan  et  admire 
autant  les  autres.  Encore  une  fois,  ne  se  moque- t-on 
pas  des  pauvres  critiques? 

Nous  n'avons  pas  voulu  terminer  ces  études  sur  des 
questions  si  neuves  et  si  intéressantes,  sans  cet  article 
qui,  après  le  blâme  souvent  rigoureux  met  la  louange 
méritée  et  essaie  de  marquer  la  place  à  laquelle  les 
Déliquescents,  malgré  leurs  folies  des  mauvais  jours, 
ont  droit  dans  l'évolution  littéraire  contemporaine. 
Leur  œuvre  est  zébré  d'ombre  et  de  lumière.  Il  faut 
s'accoutumer  à  une  critique  qui,  se  refusant  à  condam- 
ner en  bloc,  examine  une  à  une  les  productions  artisti- 
ques et  voyant  en  l'écrivain  l'homme  du  droit  romain 
quipliires  sitstinet 2)ersonas,  fait  la  ventilation  de  ses 
écrits.  Des  maladies  littéraires  régnent,  mais,  comme 
dans  les  maladies  médicales,  elles  surgissent,  dispa- 
raissent, reviennent,  sont  passagères  ou  chroniques, 
endémiques  ou  épidémiques.  Nous  en  avons  décrit  quel- 
ques-unes. A  d'autres  de  compléter.  Quant  au  remède, 
il  est  dans  leur  étude  même. 


Juj.E,S     ^/.REMBPKI 


La  mort  décime  le  Conservatoire  de  Druxellcs.  Après  Joseph 
Servais,  Jules  Zarembski  vient  de  succomber.  Comme  l'éminent 
artiste  que  nous  pleurions  il  y  a  quinze  jours,  il  meurt  h  trente- 
quatre  ans,  dans  la  plénitude  du  talent,  à  l'époque  où  le  virtuose 
et  le  compositeur,  mûris  par  des  études  complètes,  poussées  avec 
une  indomptable  énergie  dans  les  régions  les  plus  élevées  de 
l'art,  donnaient  généreusement  leur  moisson. 

Cette  mort  a  produit,  ainsi  que  l'autre,  et  quoiqu'elle  fût  moins 
imprévue,  la  plus  douloureuse  émotion.  Il  y  a  deux  ou  trois  ans, 
Jules  Zarembski  fut  atteint  d'une  cruelle  maladie  de  poitrine  qui 
l'obligea  à  suspendre  momentanément  le  cours  qu'il  donnait, 
avec  une  remarquable  autorité,  au  Conservatoire.  A  son  retour 


dé  Davos,  où  il  fit  une  cure,  on  le  trouva  si  bien  rétabli  qu'on 
cSpéra  que  le  mal  était  définitivement  vaincu.  Hélas!  ce  n'était 
qu'une  halle  sur  le  chemin  douloureux  dont  l'artiste  vient  d'at- 
teindre le  but.  Quoiqu'elle  eût  été  prédite  comme  inévitable  dans 
un  avenir  prochain,  sa  mort  semble  une  mort  subite  tant  on 
avait  repris  espoir  et  tant  on  s'était  habitué  à  voir  le  jeune  maître 
dompter  la  maladie  avec  l'énergie  qu'il  mettait  h  triompher  des 
difficultés  du  mécanisme  et  de  la  composition. 

Car  rien  ne  lui  paraissait  impossible  h  exécuter,  aucun  pbstacle 
ne  lui  semblait  insurmontable.  Elevé  h  la  forte  école  de  Liszt,  il 
avait-  étudié  le  piano  avec  passion,  avec  rage,  arrivant  rapide- 
ment ii  dépasser,  comme  virtuose,  tous  les  pianistes  de  son  tomps^ 
Et  le  piano  de  concert  ne  lui  suffisant  plus,  parce  qu'il  en  avait 
épuisé  toutes  les  ressources,  pénétré  tous  les  mystères,  fait  jaillir 
tous  les  effets,  il  imagina  d'introduire  à  Bruxelles  le  i)iano  à  deux 
claviers,  dont  l'un  était  le  renversement  de  l'autre.  Il  parvint  à 
dompter  cet  instrument,  d'une  exécution  atrocement  difficile, 
comme  il  avait  soumis  le  premier,  et  les  séances  qu'il  organisa 
h  Bruxelles,  dès  son  arrivée,  consacrèrent  sa  réputation  de  vir- 
tuose de  premier  ordre. 

Mais  Zarembski  était  plus  que  pianiste.  Il  était  musicien,  et 
musicien  dans  toute  l'acception  du  terme,  excellemment  doué 
pour  interprêter  les  maîtres  classiques,  à  en  mettre  en  relief  l'ar- 
chitecture sévère,  et  aussi  h  mettre  dans  l'exécution  des  roman- 
tiques et  des  contemporains  toute  la  fougue,  loul  l'abandon,  tout 
l'emportement  qu'ils  exigent. 

En  ces  dernières  années,  il  publia  un  grand  nombre  de  com- 
positions, dont  nous  avons  parlé  lorsqu'elles  parurent.  Toutes 
révèlent  la  nature  poétique,  un  peu  rêveuse,  très  personnelle,  de 
ce  tempérament  déhcat.  Par  dessus  tout,  elles  marquent  le  mé- 
pris souverain  qu'avait  l,e  maître  pour  la  banalité  et  le  déjà  dit, 
mépris  qui  l'entraîna  souvent  à  des  audaces  de  combinaisons 
harmoniques  ou  de  tournures  de  phrases  jugées  avec  quelque 
sévérité  par  les  Beckmesser  à  férule  et  à  perruque,  et  par  lU 
même  saluées  comme  des  trouvailles  heureuses  par  les  Walter 
de  la  Vogelweide,  dont  heureusement  le  nombre  s'accroît  chaque 
jour.  -  ■ 

Son  œuvre  la  plus  belle,  la  plus  complète,  celle  où  il  avait 
mis  le  meilleur  de  sa  nature,  reste  inédite.  C'est  ce  merveilleux 
quintette  exécuté  au  printemps  dernier  avec  Jenô  Ilubay,  Joseph 
Servais  et  J.-B.  Colyns,  et  dont  nous  fîmes  alors  l'éloge  qu'il 
mérite. 

Ses  œuvres  pour  piano,  tant  h  deux  qu'à  quatre  mains,  demeu- 
reront dans  la  bibliothèque  des  musiciens,  rappelant  h  tous  l'ex- 
cellent artiste  que  la  mort  a  frappé  dans  la  force  de  la  jeunesse 
et  dont  le  départ  laisse  de  si  profonds  regrets. 

Nous  nous  associons  de  tout  cœur  à  la  douleur  de  sa  jeune 
veuve,  qui  est,  elle  aussi,  une  artiste  de  grand  talent  et  dont  on 
était  si  habitué  à  voir,  dans  les  concerts,  la  gracieuse  image,  aux 
côtés  de  son  mari,  partageant  avec  lui  les  applaudissements  et 
les  rappels. 


L'INPRESSiaiNKISTË   Tl}R\Elt 

Turner  naquit  académicien  et  mourut  impressionniste,  au 
rebours  des  ûmes  molles  qui,  l'empreinte  officielle  reçue,  la  gar- 
dent indélébile  jusqu'au  jour  final. 

A  vingt-sept  ans,  tandis  que  le  cerveau  hanté  par  les  traditions, 


UART  MODERNE 


305 


le  dos  ployé  sous  le  bagage  d*écolicr  que  renseigncnjent  acadé- 
mique avait  accumulé  sur  ses  (^pnulcs,  il  bâtissait  péniblement 
une  toile  selon  les  conventions  adinises  et  les  données  reçues,  on 
lui  ouvrit  les  portes  du  sanctuaire.  11  connaissait  les  rites,  il  pra- 
tiquait le  culte  avec  les  génuflexions,  les  remuements  des  lèvres, 
les  gestes  consacrés  :  il  était  digne  d'entrer. 

Une  excursion  en  France  lui  ayant  révélé  l'existence  et  la  gloire 
de  Claude  Lorrain,  on  applaudit  aux  habiles  pastiches  qu'il  fil  des 
œuvres  de  l'artiste  :  l'imitation  des  maîtres  n'est-elle  pas  con- 
seillée et  hautement  appréciée  à  l'Académie?  Le  jour  où  il  exposa 
le  Soleil  levant  dans  le  brouillard,  qui  reproduit  servilement  les 
procédés,  la  couleur,  le  stylo  et  jusqu'à  la  composition  de  Claude, 
Turner  fut  proclamé  homme  de  génie. 

Quand,  à  la  suite  d'un  voyage  en  Italie,  il  ouvrit  eniin  les  yeux 
h  la  vérité,  qu'il  débarrassa  sa  palette  des  bitumes  qui  l'attris- 
taient, qu'il  ouvrit  largement  sa  fenêtre  et  s'aperçut  que  la  lumière 
qui  baigne  les  objets  au  dehors  n'est  pas  la  même  que  le  jour 
qui  tombe  d'un  lanternoau  d'atelier;  quand  il  se  mit  joyeusement 
h  peindre,  avec  des  rulilances  de  couleur  et  des  chatoiements  de 
pûtes  nacrées,  les  fulgurations  de  la  mor  baisée  par  le  soleil,  le 
rayonnement  du  matin  dans  les  clartés  pâles  du  ciel,  et  ce  scin- 
tillement de  joyaux  dans  des  vapeurs  opalines  qui  est  Venise,  alors 
on  déclara  Turner  fou  et  on  lui  tourna  le  dos. 

Si  le  mot  impressionniste  eût. éié' inventé,  on  le  lui  eût  crié 
comme  une  injure,  et  â  travers  les  années  il  eût  traîné  ce  vocable 
à  la  suite  de  son  nom.  l\lais  ni  le  mot,  ni  les  petits  journaux  dont 
le  métier  est  d'attacher  de  ces  retentissantes  casscrolles,  n'exis- 
taient encore.  ■ 
.  Aujourd'hui  que  l'épithète  est  devenue  glorieuse,  on  peut  l'ac- 
coler au  nom  de  Josoph-Mallord-William  Turner. 

Singulières  destinées  qu'ont  les  mots!  Hier  raillerie,  aujour- 
d'hui signe  de  ralliement,  demain  symbole  de  victoire.  Qui  ne  se 
souvient  de  l'exaspération  qu'eut  le  don  de  provoquer,  chez  cer- 
taines gens,  le  terme  réaliste?  Les  peintres  cjui  récrivirent  fière- 
ment sur  la  porte  de  leur  atelier,  après  l'avoir  ramassé,  selon 
l'usage,  au  bas  d'une  colonne  de  gazette,  passèrent  pour  des 
êtres  sans  j)rincipes,  sans  délicatesse,  sans  scrupules,  voire  sans 
moralité.  Une  artiste  très  ofticicllement  cotée  â  Bruxelles  dit  un 
jour,  en  notre  présence  :  «  Les  réalistes?  Sachez  que  jamais  je  ne 
voudrais  d'un  de  ces  hommes-Ui  pour  mari  ». 

L'impressionnisme  de  Turner  n'est  pas  niable.  A  partir  du  jour 
oii  il  rompit  délibérément  avec  les  anciennes  formules,  il  fit  des 
phénomènes  de  la  lumière  l'étude  constante  et  acharnée  de  sa 
yie.  Il  décomposa  le  prisme  solaire,  chercha  h  en  exprimer  sur 
la  toile  les  effets  magiques  au  moyen  de  la  combinaison  des  tons 
simples  qui  le  composent.  Les  brumes  de  gaze  lamée  d'or  que 
l'aurore  étend  sur  les  eaux,  les  incendies  allumés  dans  le  ciel  par 
le  couchant,  les  plus  subtiles  dégradations  de  tons  que  provo- 
quent la  pluie,  le  brouillard,  une  tourmente  de  neige,  la  vapeur 
que  dégag(î  la  mer  sous  les  rayons  du  soleil,  il  en  poursuivit 
obstinément  l'expression  exacte,  et  souvent  il  la  fixa,  avec  un  rare 
bonheur,  en  d'harmonieuses  coulées  de  pâle. 

Le  récent  procédé  des  impressionnistes  français,  de  Claude 
Monet  et  de  son  école,  la  juxtaposition  des  tons  simples  qui  pro- 
duit, à  dislance,  des  vibrations  d'une  intensité  prodigieuse,  on  le 
trouve  en  germe  dans  l'œuvre  de  Turner.  Dans  la  plupart  des 
tableaux  qui  datent  de  sa  troisième  manière,  de  sa  manière  défi- 
nitive, le  pourpre  pur,  le  bleu  d'outre-mer  pur,  le  cadmium  pur, 
sont  audacieusement  appliqués  sur  la  toile,  même  aux  arrière- 


plans.  L'exemple  le  plus  frappant  s'en  trouve  dans  le  tableau 
catalogué,  à  la  galerie  nationale,  sous  le  titre  Ulysse  raillant 
Polyphème,  qui  montre,  dans  un  paysage  fantastique  de  rochers 
percés  de  grottes  et  de  eavcrnes  baignant  dans  les  eaux  bleues  de 
la  mer,  le  héros  grec,  debout  sur  la  proue  d'un  navire,  défiant 
le  géant  qu'on  devine  vaguement,  par  delh  les  monts,  mêlé  aux 
nuages  (jue  déchire,  comme  des  voiles,  les  rayons  du  soleiL 
levant. 

Il  est  facile  de  se  convaincre,  en  examinant  les  nombreuses 
études  inachevées  que  possède  la  collection,  que  tel  était  le  pro- 
cédé habituel  du  peintre,  dissimulé  fréquemmerît,  il  est  vrai,  au 
rebours  des  impressionnistes  d'aujourd'hui,  sous  des  pâtes  sup- 
pcrposées  en  des  glacis. 

Les  abords  de  Venise,  les  Obsèques  en  mer  de  sir  Wilkie,  le 
(c  Soleil  de  Venise  »  prenant  la  mer,  Apollon  tuant  le  serpent 
Python,  le  Golfe  de  Balles,  la  Grotte  de  la  reine  Mab,  le  der- 
nier voyage  du  Téméraire,  toute  l'étonnante  série  de  composi- 
tions, où  le  fantastique  s'unit  h  la  vérité  d'impression,  et  jus- 
qu'à la  toile  mi-allégorique,  mi-réelle,  que  le  peintre  intitula  : 
(nous  citrons  de  mémoire  ;  i)eul-étre  le  litre  n'esl-il  pas  rigoureu- 
sement  exact)  Pluie,  soleil,  vapeur,  où  l'on  voit  un  train  du 

Great-Western-Railway  lancé  h  toute  vitesse  ^uh  un  viaduc,  

toutes  ces  œuvres,  disons-nous,  dérivent  des  mêmes  principes  et 
participent  de  procédés  semblables. 

Ce  qui  fait  l'originalité  de  Turner,  c'est  que  l'imagination  et 
l'observation  livrèrent  constamment  bataille  dans  son  âme  d'ar- 
tiste; de  celle  dualité  naquit  une  œuvre  mixte,  qui  ne  réalise  le 
vœu  ni.  des  idéalistes  purs,  ni  celui  des  amants  de  la  vérité.,  mais 
qui  n'en  est  pas  moipéTnVs  intéressante  et  dénoie  un  tempéra- 
rrient  de.choix.  On  ifourraifl  représenter  Turner  sous  l'aspect  d'un 
arbre  fictif  dont  les  racinei  plongeraient  à  la  fois  dans  les  terres 
fécondes  de  la  xéalilé  et  dans  le  champ  des  légendes.  Nourri  de 
ces  sucs  différents,  tourmenté  par  ces  sèves  contradictoires,  il 
s'épanouit  en  feuillages  bigarés,  inclinant  ses  branches  sur  les 
deux  sols  qu'il  ombrage,  sans  qu'il  soil  possible  de  discci-ner 
auquel  il  appartient  plus  particulièrement. 

De  pareils  plants,  comme  toutes  les  créations  hybrides,  ne  se 
reproduisent  pas.  Turner  n'a  pas  fait  école.  Son  individualité, 
ainsi  que  le  fait  observer  avec  raison  M.  De  Taeye,  était  absolu- 
ment trop  caraclérisliquc.  Il  reste,  dans  l'histoire  de  l'art,  un 
phénomène  isolé  et  par  là  même  exerce  une  attraction  singulière 
autour  de  lui. 

Mais  en  même  temps  qu'elle  lui  donna  une  personnalité  nette- 
ment définie,  cette  lutte  enlredeux  éléments  inconciliables  empê- 
cha Turner  de  s'élever  dans  les  hauteurs  qu'il  eût  pu  atteindre 
s'il  se  fût  résolument  débarrassé  de  l'une  ou  de  l'autre  des  théo- 
ries qu'il  chercha  à  appliquer  simultanément.  M.' Ernest  Chesneau, 
dans  le  vojumc  qu'il  consacre  dans  la  Bibliothèque  de  renseigne- 
ment des  beaux-arts,  à  la  peinture  anglaise,  regrette  qu'il  n'ait 
pas  approfondi  davantage  la  réalité.  «Turner  n'a  pas  assez  regardé 
la  nature,  dit-il.  Il  a,  dans  l'emportement  de  son  imagination 
,  impétueuse,  trop  souvent  dédaigné  l'étude  de  la  réalité.  Dédaigné, 
le  mot  est  trop  fort  :  il  n'est  point  assez  souvent  revenu  à  la  réa- 
lité. Sur  un  coin  du  réel  entrevu,  il  brodait  les  plus  éclatantes 
variations,  où  parfois  le  thème  primitif  disparaît.  » 

Cela  est  exact.  C'est  le  résultat  des  deux  courants  qui  empor- 
taient son  art  dans  des  directions  différentes  et  entre  lesquels  il 
demeura  ballolé.  En  se  laissant  audacieusement  voguer  sur  l'un 
d'eux,  Turner  eût  peut-être,  un  demi  siècle  avant  Manet,  Claude 


Moncl  et  Konoir,  créé  l'école  impressionnisic  qu'il  avait  vague- 
ment pressentie.  En  lançant  son  esquif  sur  l'autre  courant,  il  eût 
s§ns  doute  développé  davantage,  jusqu'à  leur  épanouissement 
complet,  les  riches  facultés  d'imagination  que  révèlent  ses  œuvres 
et  fût  devenu  quelque  grand  artiste  fantaisiste  à  la  façon  des 
Breuglicl,  parmi  les  maîtres  anciens,  de  Gustave  Moreau,  parmi 
ceux  de  notre  temps. 

Il  est  un  mérite  ((u'on  ne  peut  enlever  \ï  la  gloire  de  Turner, 
malgré  les  grossières  erreurs  que  recèle  son  œuvre  en  quel- 
ques-unes de  s('s  j),aities,  malgré  le  défaut  de  pondération  qui 
l'alourdit,  malixré  son  insullisante  connaissance  des  formés 
Immaines  :  c'est  (ju'ù  une  é|)n(|ue  où  régnait  la  convention  pure, 
où  tout  écart  du  sentier  tracé  par  les  canons  académiques  était 
réprimé  par  l'opinion  publitpie  à  l'égal  d'une  inconvenance  ou 
d'une  indécence,  en  ce  pays  de  rigide  austérité,  Turner  eut  le 
courage  de  renoncer  aux  faciles  succès  que  lui  valut  l'imitation 
d'aulrui,  dans  laquiîlle  il  traîna  sa  jeunesse,  pour  défricher, 
hache  îrla  main,  tm  coin  de  la  grande  forêt  de  Tart,  où  malgré 
les  ci)upes  régulières,  il  reste  encore  tant  de  fourrés  inexplorés. 

Il  avait  fait  ses  preuves,  il  avait  solidement  assis  sa  réputation, 
et  quand  il  jeta  aux  ronces  son  habit  de  gcntiliiomme  bien  en 
cour  pour  devenir  le  bûcheron  cognant  d'ahan  aux  arbres  et  pour 
s'enfoncer  dans  les  mystérieuses  solitudes  de  l'art  vierge,  il  était 
trop  tard  pour  lui  décocher  l'injure  usitée,  pour  le  traiter  d'igno- 
rant, de  barbouilleur  d'enseignes,  d'incapable  de  faire  besogne 
digne.  Alors  on  eut  recours  h  la  suprême  ressource  i)ar  laquelle 
les  imbéciles  atteigiient  de  leur  venin  ceux  (lui  leur  ont  échappé. 
On  cria  derrière  lui  :  «  Laissez-le  passer!  Cet  homme  est  fou. 
Prenez-le  en  pitié  et  ne  faites  pas  attention  à  ses  extravagances  ». 

Et  aujourd'hui  encore,  après  trente-cinq  années  accumulées 
sur  sa  tombe,  il  est  des  gens  disposés  à  affirmer  c[ue  Turner 
était,  depuis  l'époque  où  il  abandonna  les  pastiches  de  Claude 
Lorrain,  en  état  habituel  de  démence. 

Ah!  il  faut  avoir  l'âme  bien  trempée  pour  résister  aux  chocs 
sous  lesquels  on  cherclie  h  accabler  les  novateurs  !  Et  l'histoire 
d'hier  est  celle  d'aujourd'hui,  malgré  les  exemples  qui  abondent. 
Quand  donc  la  foule  s'accoutumera-t-elle  à  respecter  l'art  qu'elle 
n'est  pas  apte  h  comprendre,  à  laisser  fleurir  la  fleur  rare  de  l'ori- 
ginalité sans  la  piétiner. 

Turner  est  l'un  des  artistes  auxquels  une  énergie  indomptable, 
une  persévérante  ténacité  valurent  le  triomphe.  Sachons  profiter 
de  l'enseignement  qu'il  nous  laisse,  plus  précieux  et  plus  durable 
que  les  éphémères  productions  que  Londres  conserve*pieusemcnt, 
avec  lair  de  se  repentir  du  passé. 


EN  VOYAGE 

Non,  tout  n'y  est  pas  rose.  On  ignore  \x  quel  point,  même  aux 
plus  superbes  heures  d'admiration,  devant  tel  paysage,  tel  coin 
de  montage,  tel  coude  dé  vallée,  un  artiste  se  trouve  froissé, 
blessé,  insulté  par  la  laideur  et  la  caricature  modernes. 

On  lui  gâte  obstinément,  avec  une  audace  stupide,  avec  une 
fantaisie  ridicule,  la  seule  chose  à  laquelle  pourtant  il  a  droit, 
puisque  seul  il  la  comprend  :  la  nature.  Le  bourgeois  enrichi  dans 
la  cannelle  et  les  bonnets  de  coton,  l'architecte  qui  fait  des  lignes 
sur  du  papier,  l'ingénieur  qui  travaille  avec  des  marteaux-pilons 
et  du  béton  comprimé,  et  l'Etat,  oh,  surtout  le  monstrueux  Etat 
belge,  cet  être  gigantesque,  qui,  depuis  quatre  ans,  a  1 ,200  écoles, 


200  gares  et  3,000  boîtes  aux  lettres- sur  la  conscience,  font  cette 
horrible  besogne  de  gâcher  tout  site  charmant,  toute  perspective 
pittoresque,  toute  échappée  de  vue  grandiose,  rapetissant,  dimi- 
nuant, abattant,  déchiquetant,  plaquant  les  «  constructions  » 
comme  des  verrues  sur  le  profil  des  monts,  plantant  les  chemi- 
nées, ces  niirlitons  debout,  près  des  ruisseaux  qui  chantent, 
étalant,  comme  des  vols  de  corbeaux  figés,  les  usines  aux  toits 
énormes  et  symétri(pies  et  noirs  dans  les  vallées  et  les  plaines. 

Les  vacances  et  les  vovacres  sont  ainsi  continuellement  con- 
trariés  dans  leurs  joies  et  leurs  entliousiasmes  ;  toujours  la 
hideur  de  l'argent  se  dresse  —  et  certaines  tours  affreuses  et 
droites  ressemblent  à  des  piles  d'écus.  Le  goût  public,  —  celui 
que  les  ministres  des  travaux  publics  invoquent  comme  une 
dixième  muse  —  l'exécrable  et  terrible  goût  public  qui  permet  îi 
la  statuaire  italienne  d'entamer  du  marbre  et  aux  marchands  de 
pendules  allemands  de  torturer  le  bronze  (lui  ne  leur  ont  rien  fait, 
s'abat  sur  la  Belgi(iue  entière  comme  sur  une  proie  et  corrige  les 
Ardennes,  el  fioriture  les  bords  de  la  Meuse,  et  enjolive  le  pays 
de  Liège,  et  festonne  la  Campine,  et  marquette  la  grande  et  immor- 
telle Flandre.  Travail  de  petit  Poucet  semant  de  cailloux  gros- 
siers les  bois  magnifiques;  constructeurs  de  boîtes  à  surprises; 
coucous  méthodiques  qui  se  paient  un  i)etit  logement  nurember- 
geois;  animaux  remisés  dans  une  arche  de  Noé  peinte  ;  diablotins 
à  ressort  enfoncés  dans  leurs  cases  en  papier. 

Au  fond,  cette  guerre  du  Snob  contre  l'artiste  est  toute  simple 
h  mener;  le  génie  n'y  est  point  indispensable.  On  peut' être  tout 
uniment  épicier  du  coin.  Il  sutfit  de  deux  armes  :  la  ligne  droite 
et  la  propreté.  -  4'         .      . 

La  ligne  droite!  On  n'en  connaît  guère  la  laideur  si  l'on  n'a 
visité  les  villes  américaines  et  certaines  villes  allemandes,  telle 
qu<!  Mannheim,  ou  le  damier  le  plus  parfait  constitue  le  plan  de 
la  ville.  C'est  un  vrai  jeu  de  dominos  symétriquement  rangé  :  on 
y  habite  des  bhmcs  partout  et  des  double  six.  Les  rues  galonnées 
de  maisons,  sont  tirées  au  cordeau,  toutes.  Rien' ne  dépasse  la 
plus  uniforme  platitude;  aucune  surprise;  aucun  relief.  Tout  est 
nu  «  comme  un  plat  d'argent  »,  nu  «  comme  un  discours  d'aca- 
démicien i).  11  est  défendu,  à  certains  jours,  de  se  pencher  par 
la  fenêtre,  les  nez  faisant  saillie.  , 

En  Belgique,  le  cuUe  de  la  ligne  droite  n'a  point  encore  subi 
une  aussi  stricte  réglementation.  Pourtant  on  y  remarque  un 
boulevard  du  Hainaut  très  réussi  et  une  avenue  Louise  })arfaite. 
Plus  tard,  on  ne  pourra  comprendre  comment  une  ville,  aussi 
importante  que  Bruxelles,  ait  choisi  pour  se  transformer  le 
moment  précis  où  rien  d'artistique  n'habitait  le  cerveau  de  ses 
architectes.  On  se  persuadera  de  toute  la  monotonie,  de  toute  la 
désespérante  rectilignité,  de  toute  la  tristesse  du  chemin  le  plus 
court  d'un  point  à  un  autre.  Bruxelles  s'est  métamorphosé  cin- 
quante ans  trop  tôt  el  la  Belgique  eniière  l'a  suivi,  entraînée  par 
l'exemple.  Aujourd'hui  encore  Gand  fait  toilette  neuve  et  allonge 
sur  sa  robe  des  rubans  droits  et  uniformes  comme  des  lattis. 

Et  dire  qu'il  suffisait  de  courber  quelque  peu  les  rues  et  de  cas- 
ser, ci  et  là,  la  trop  persistante  longitudinalité,  pour  changer  tous 
les  aspects.  Que  les  voies  soient  larges;  que  le  vent,  l'air  et  le 
soleil  y  circulent  et  s'y  étendent  et  s'y  pavanent,  i)arfait.  Nous  ne 
voulons  pas  faire  un  saut  en  arrière  jusqu'au  moyen-âge,  ses 
coupe-gorges,  el  ses  culs  de  sac,  el  ses  ruelles  qui  renfermaient 
d'intimes  pestilences  comme  des  boyaux  malades  ne  séduisent 
guère.  Mais  nous  aimons  le  pittoresque  et  l'Originalité.  Nous 
renretlons  de  voir  se  construire  toutes  les  gares  sur  un  même 


UART  MODERNE 


307 


mo(l(Me,  nous  ne  nous  enlliousiasmons  point  devant  les  écoles 
communales  rayées  uniformément  (i(;  blanc  et  de  rouge  comme 
les  jaquettes  des  jokeys;  nos  bras  ne  se  hissent  pas  en  point 
d'exclamation  devant  les  boîtes  aux  lettres,  nouveau-système,  sur 
lesquelles  au  lieu  des  mille  indications  postales  il  importerait 
d'écrire  avant  tout:  Ceci  nesl  puini  ce  que  vous  pensez;  nous 
détestons  et  les  monuments  en  maussade  Renaissance  flamande,  et 
les  maisons  en  néo-gothique  prétentieuses  et  apoplectiques  d'or- 
nements, et  les  portes  cocliôres  à  têtes  de  lions,  et  les  sonnettes  en 
gueule  de  tigre,  et  les  panneaux  énormes,  et  les  grattoirs  où  toute 
une  armée,  rangée  de  front,  pourrait  se  décrotter  les  semelles. 
Nous  voulons  la  proportion,  l'adaptation  aux  besoins,  l'utilité 
pratique  et  la  raison.  C'est  peu  et  c'est  simple  —  et  pourtant 
combien  nous  craignons  que  l'on  ne  réussisse  point  h  nous  le 
donner  d'aujourd'hui  à  longtemps.  En  rien,  l'étalage  de  la  bêtise 
qui  i)aie,  n'est  plus  au  large  que  dans  les  constructions  de  nos 
rues  et  de  nos  hôtels.  Telle  façade  h  des  enflemenls  de  bedaine, 
des  empourprements  de  joues  après  boire,  des  airs  repus,  des 
orgueils  gras  et  satisfaits.  C'est  l'enseigne  —  et  l'on  devine  der- 
rièrç  les  cerveaux  aussi  étroits  que  le  ventre  est  large,  la  satisfac- 
tion étalée  au  creux  des  fauteuils  en  voloui's  et  en  peluche,  les 
meubles  en  laideur  sculptée,  les  pendules  si  lourdes  qu'elles 
écrasent  les  cheminées  de  marbre,  et  les  bibelots  suisses,  et  les 
cuivres  allemands,  et  toute  la  ferblanterie  d'étagère  et  de  foire  qui 
est  au  salon  entier,  ce  que  le  dessert  indigeste  esl  au  repas 
lourd. 

Et  dans  tous  ces  appartements,  ce  qui  règne  parallèlement  au 
mauvais  goût,  c'est  la  mesquine  et  bourgeoise  propreté  ;  la  pro- 
preté méticuleuse,  agaçante,  scrupuleuse,  bête  comme  l'écono- 
mie de  bouts  de  chandelle;  la  propreté  qui  épo^jsscte  chaque  objet, 
mais  maintient  des  résidus  dans  les  coins  des  bahuts,  qui  fait 
peindre  la  façade,  tous  les  ans,  mais  laisse  un  chaos  de  bric-à-brac 
s'étendre  au  grenier,  la  propreté  toute  en  dehors,  une  i)ropreté 
de  manchette  (juand  la  chemise  est  sale  et  de  gant  bien  tiré 
quand  la  main  est  poisseuse. 

Une  telle  propreté  niesquinise.  C'est  de  la  vétille.  C'est  elle  qui 
a  inventé  le  crépis,  la  chaux,  le  badigeonnage,  c'est  elle  qui  a 
gâté  toutes  les  églises,  mettant  une  chemise  crayeuse  sur  leur 
belle  nudité  de  pierre,  c'est  elle  qui  détruit  l'admirable  adapta- 
tion de  la  maison  au  site, de  la  brifjueà  la  Flandre  et  du  moellon 
îi  l'Ardcnne,  c'est  elle  qui  fait  peut  être  la  jietite  ville,  qui  en  est 
cause  et  ([ui  en  entretient  l'esprit. 

Qu'on  ne  s'imagine  néanmoins  pas  qu'en  haine  de  cette  pro- 
preté trop  lisse,  nous  aimions  par  ricochet  la  saleté  méridionale. 
Ce  serait  excessif,  bien  ([u'on  puisse  soutenir  qu'elle  a  plus  de 
caractère  et  de  relief.  La  propreté  n'est  au  fond  que  le  regret  du 
flambant  neuf,  le  désir  de  conserver  aux  objets  leur  apparence 
de  nouveauté.  Et  le  neuf  en  art,  quoi  de  plus  horrible? 

La  propreté  pour  bien  des  gens  n'est  que  la  blancheur, 
de  même  que  l'ordre  n'est  que  la  ligne  droite.  Double  erreur, 
comme  on  voit.  El  voilà  la  raison  pour  laquelle  Monsieur  et 
iMadanie  Timmcrmans  ou  Van  Coi)pernolle  ont  du  linge  bien 
blanc,  plié  méticuleusement,  et  rangé,  par  douzaines,  dans  une 
armoire  h  glace,  en  bon  acajou  avec  panneaux  géométriques  et 
polis. 


^ETITE    CHROJv(IQUE 


M.  Edgard  Tinel,  directeur  de  l'Ecole  de  musique  religieuse  de 
Matines,  a  fait  entendre  dans  cette  ville  quelques-unes  de  ses 
œuvres,  parmi  lesquelles  De  hlokke  Rocland,  la  cantate  qui  valut  au 
jeune  maître  le  prix  de  Rome  ;  une  ballade  inédite  avec  chœurs,  inti- 
tulée De  drie  ridders  (les  trois  chevaliers)  ;  plusieurs  lieder  pour 
ténor  et  pour  voix  de  femme,  quelques  morceaux  pour  piano  extraits 
des  recueils  liunte  hlclltcr  et  Au  printempsy  enfin,  des  chœurs  sans 
accompagnement  Vlaamsche  stemme  et  Maria  liederen. 

Cette  audition,  dont  la  presse  locale  nous  apporte  les  échos,  a 
obtenu  un  grand  succès  et  l'on  espère  décider  M.  Tinel  à  la  répéter 
au  mois  de  novembre,  les  vacances  ayant  empêché  bon  nombre 
d'amateurs  —  et  nous  sommes  de. ceux-là — '•  d'assister  à  cette  inté- 
ressante séance. 

Le  concert  serait  <lonné  cette  fois  avec  accompagnement  d'or- 
chestre. 

Nous  avons  publié  dans  un  de  nos  derniers  numéros  le  programme 
du  concert  donné  à  Ostende  par  M.  Henri  Heuschling.  On  nous  rap- 
porte que  la  tentative  hardie  de  Texcellent  baryton  —  qui  a  porté 
seul  tout  le  poids  de  cette  séance,  comprenant  vingt  morceaux  de 
musique  !  —  a  pleinement  réussi.  La  presse  fait  de  la  méthode  de 
M.  Heuschling  et  du  charme  de  sa  voix  le  plus  sérieux  éloge. 
"  C'est,  dit  le  critique  musical  ilùVEcho  d'Ostende,  un  des  rares 
chanteurs  de  l'époque  en  qui  il  serait  difficile*  de  trouver  des 
défauts  ". 

La  Société  hongroise  des  Beaux-Arts,  à  Budapest,  informe  les 
artistes  que  son  exposition  d'automne  s'ouvrira  cette  année  le  l^r  no- 
vembre prochain. 

Sommaire  de  la  Chronique  des  Beaux-Arts  (août  1885)  : 
Andy  Marks  le  Dompteur,.  P.  Agost.  —  La  vie  de  George  Eliot, 
E.  Gastelot.  —  Les  arts  déc^^^atifs  à  l'exposition,  ^'^^. —  Le  père 
Jacobus,  E.  Landoy.  —  L'art  v.ii  nous,  J.  Champal.  —  A  propos 
(ÏExcelsior,  Ghatenay.  —  L'embellissement  des  quais  d'Anvers. 
Gittens. —  Les  pianos  à  l'exposition,  Scherzo. —  Chronique  musicale. 
Six  planches  et  une  planche  double  hors  texte  [Bureaux  :  Anvers, 
rue  Gramaye,  10.  * 

Lo  Coi' nnej-  français  i)\ih\ie  aujourd'hui  un  numéro  à  sensation, 
qui  contient  : 

Le  retour  des  bains  de  mer,  charmante  composition  de  A.  Willette, 
plus  deux  pages  du  même  artiste;  Vivent  les  vacances  et  une  étude 
de  Jacquet,  plus  une  double  page  en  couleur  de  H.  Pille,  tirée  en 
supplément.  La  partie  littéraire  est  très  soignée.  Pris  du  numéro 
avec  supplément  :  30  c.  Abonnements  :  six  mois,  <5  tV  ;  un  an.  10  fr. 
Les  nouveaux  abonnés  recevront  comme  primes  le  superbe  numéro 
de  40  pages  sur  la  Charité  et  le  numéro  des  Incohérents.  S'adresser 
au  Courrier  français,  14,  rue  Séguier,  à  Paris.  Les  prochains 
numéros  du  Courrier  français  contiendront  des  dessins  inédits 
d'André  Gill,  du  Prince  Impérial,  de  H.  Somm.  Uzès,  Blass,  etc. 

*"' Sommaire  de  la  Revue  contemporaine  (2.5  août  1885,  : 

Une  esthétique  scientifique,  Charles  Henry.  —  Krotkaïa.  Récit 
fantnstiq'ue  (l^e  partie),  traduit  par  M.  E.  Halpérine,  Th.  Dos- 
toïewski.  —  Lettres  inédites  à  Sainte-Beuve,  avec  introduction  de 
M.  Eugène  Forgues,  Lamennais.  —  Cantilènes.  Poésies,  traduites 
par  Gabriel  Sarrazin,  Shelley.  —  Le  mauvais  chuchoteur.  Poésie, 
Maurice  Rollinat.  —  Abdication.  Nouvelle,  Paul  Margueritte.  — 
Ernest  Hello.  Xotes,  Charles  Buet.  —  La  république  parlementaire 
en  France,  De  Sygna.  —  Critique  littéraire  et  artistique.  —  Biblio- 
graphie. 

Un  numéro  franco  contre  2  francs  en  timbres -poste. 
Abonnements   :    Paris,   20   francs.   Départements   et   Etranger, 
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308 


UART  MODERNE 


JOURNAL  DES  TRIBUNAUX 

PARAISSANT    LE    JEUDI    ET    LE   DIMANCHE 

FAITS   ET  DÉBATS  JUDICIAIRES.   —  JURISPRUDENCE.  —  BIBLIOGRAPHIE.     -  LÉGISLATION.  —  N'OTARIAT 


ADMINISTRATION 

.  A  la  librairie  FERDINAND  LARCIER,  10,  rue  des  Minimes,  à  Bruxelles 

Tout  ce  qui  ooncorno  la  rédaction  et  le  service  du  journal  doit  être  envoyé  à  cette  adresse.  —  Tous  les  numéros 
sont  déposés. 

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Le  numéro  :  20  centimes. 

Il  sera  rendu  compte  de  tous  les  ouvrages  relatifs  au  droit  et  aux  matières  judiciaires  dont  deux  exemplaires 
parviendront  à  la  rédaction  du /o2^r«a/. 

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Dimanche  27  SEnEMUiiE  1885. 


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REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


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^OMMAIRE 


Les  origines  de  la  France  contemporaine,  par  Taine.  La  Révo- 
lution, Premier  article.  —  Londres.  —  Pathologie  littéraire. 
Correspondance.  —  Livrks  nouveaux.  La  chanson  de  la  mer, 
par  Paul  Marguerite.  —  Les  tiikatres.  —  Petite  chronique. 


LES  ORIGINES  DE  LA  FRANCE  CONTEMPORAINE 

PAR  TAINE 

liA    RÉVOLUTION 

.  Premier  article. 

h' Ancien  Régime  q^mq  Ton  connaît  et  admire  depuis 
longtemps,  la  Révolution  qui  vient  de  paraître  et  que 
l'on  discute  avec  véhémence,  VEnipiy^e  que  l'on  ignore 
et  attend,  seront,  sous  le  titre  d'ensemble  :  Les 
origines  de  la  France  contemporaine,  l'oeuvre  capi- 
tale de  la  vie  étonnamment  laborieuse  du  grand  écri- 
vain que  la  nouvelle  génération  qui  a  adopté  Baude- 
laire pour  son  poète,  proclame  son  philosophe.  Plus 
que  X Histoire  de  la  littérature  anglaise,  plus  que 
\  Intelligence  y  plus  que  Vie  et  opinion  de  M,  Frédé- 
ric-Thomas Graindorge  ce  griffant  pamphlet  des 
mœurs  parisiennes  au  temps  du  carnaval  impérial,  elle 
servira  à  asseoir  le  jugement  public  sur  ce  7iaturaliste 
de  rame  comme  il  s'est  nommé  lui-même  après  qu'il 
eut  suivi  les  cours  du  muséum  et  de  l'Académie  de 
médecine  par  une  formule  imprévue  et  ingénieuse 
d'adhésion  au  Positivisme  d'Auguste  Comte. 

Tant  pis,  car  cela  prend  une  mauvaise  tournure. 


Celui  qui,  dans  son  Ancien  Régime,  par  une  descrip- 
tion si  froidement  et  si  minutieusement  violente  du  der- 
nier siècle,  avait  fait  contre  le  passé  un  irrésistible 
réquisitoire*  et  ainsi  justifié  à  l'avance  la  Révolution,  a 
peu  à  peu  dévié  dans  les  trois  volumes  qu'il  a  consacrés 
à  celle-ci,  et,  finalement,  aboutit  contre  elle  à  un 
réquisitoire  nouveau  plus  formidable  que  le  premier, 
qui  fera  attendre  avec  impatience  la  troisième  partie, 
rFmpire,  destinée  peut-être  à  effacer  les  deux  autres 
dans,  ce  crescendo  de  véhémence,  à  moins  que  ce  vir- 
tuose de  l'inattendu  ne  nous  présente  une  apothéose 
napoléonienne. 

Un  trait  suffira  pour  donner  la  mesure  des  surpre- 
nants glissements  de  cet  artiste  littéraire  dont  on  a  dit 
avec  une  vivacité  de  critique  qui  alors  semblait  de  la 
partialité,  mais  qui  pourrait  bien  être  juste,  qu'il  n'a 
aucun  point  fixe  et  que  sa  prohxité  tient  à  une  hésita- 
tion perpétuelle  de  l'esprit  :  La  Revue  des  deux 
niondes  lui  remontre  poliment  qu'il  devient  réaction- 
naire. 

Hélas!-  oui.  Le  cas  de  Jules  Simon,  de  Vacherot  et  de 
tant  d'autres,  se  déclare.  M.  Taine  n'a  pu  franchir,  sans 
qu'il  lui  en  reste  quelque  chose,  la  formidable  crise 
communarde.  Il  en  a  subi  l'affolement  et  n'en  est  pas 
remis.  Dès  1871,  le  tremblement  qui  l'affecte  se  sentait 
dans  son  livre  :  Du  suffrage  universel  et  de  la  7na- 
nière  de  voter.  Voilà  que  ça  lui  a  repris  pour  avoir 
touché,  de  ses  mains  élégantes  de  professeur .  d'esthé- 
tique, au  drame  colossal  par  lequel  fut  emporté 
d'assaut  et  démoli,  avec  toutes  les  horreurs  du  sac  et 


I 


du  pillage,  cet  ancien  régime  qu'il  a  attaqué,  ridiculisé, 
flétri.  Il  en  est  ému  jusqu'aux  intimes  profondeurs  de 
l'estomac  bourgeois  qu'il  allie  à  son  cerveau  d'artiste; 
dans  ses  terreurs  et  ses  haines  de  conservateur  subite- 
ment éveillées,  il  résume  Marat,  Danton  et  Robes- 
pierre, en  disant  que,  sans  la  Révolution,  le  premier 
fut  mort  dans  une  maison  de  fous,  le  deuxième  eut 
passé  en  police  correctionnelle  pour  escroquerie,  le 
troisième  eut  fini  petit  avoué  de  province.  Et  dans  son 
exaltation  contre-révolutionnaire,  il  va  si  loin  que  la 
bonne  grand'maman  Revue  l'appelle  un  ingénu  violent, 
et,  lui  reprochant  doucement  son  outrance,  fait  remar- 
quer avec  son  esprit  de  vieille  bien  conservée,  que 
c'est  être  partial  que  d'enfler  ,tant  la  voix  pour  se 
faire  entendre,  et,  de  peur  de  n'être  pas  compris,  de 
mettre  imbécileotx  onédioere  pouvait  suffire;  énergu- 
mèneoti  c'était  assez  que  à' exalté;  bête  féroce,  tigre 
et  chacal,  sanglier  dans  sahauge  et  ^iorc  dans  son 
hourhier,  où  criminel  disait  tout  ce  qu'il  y  avait  à 
dire. 

M.  Taine  revient,  lui  aussi,  à  ses  origines.  On  a  pu 
longtemps  espérer  que  ce  normaliste  émancipé,  ce  dé- 
missionnaire de  l'Université,  serait,  toute  sa  vie  mili- 
tant pour  dégager  l'art  et  l'histoire  des  mesquineries 
académiques.  Mais  l'ancien  disciple  de  Comte  frise  la 
soixantaine  ;  il  a  jadis  été  question  de  lui  pour  le  Sénat; 
il  n'est  pas  de  ceux  qui,  à  l'exemple  d'Hubert  Spencer, 
quand  on  lui  parle  d'un  mandat  législatif,  répond  :  Ah  ! 
ça,  me  croyez-vous  assez  niais  pour  m'adjoindre  à  des 
imbéciles  qui  passent  leur  temps  à  amender  une  sottise 
par  une  autre  sottise?  La  gloire  de  Victor  Hugo,  pair 
de  France,  d'Alfred  de  Vigny  et  de  Sainte-Beuve,  séna- 
teurs, lui  donne  des  insomnies.  Il  a  la  préoccupation 
qui  rongeait  misérablement  Théophile  Gautier  :  il  a 
rêvé  de  couronner  sa  carrière  littéraire  par  des  hon- 
neurs politiques,  et  il  est  trop  fin  pour  ne  pas  discerner 
que  les  voies  démocratiques  et  libres  n'y  mènent  guère. 
Lorsque  l'âge  et  la  vanité  nous  tiennent,  il  est  difficile, 
même  pour  un  grand  esprit,  de  ne  pas  faiblir.  Que 
d'Hercules  filent  aux  pieds  de  ces  Omphales!  Et  quand, 
dans  ces  dispositions,  on  écrit  sur  la  Révolution  fran- 
çaise, ce  serait  miracle  de  ne  pas  s'y  montrer  conserva- 
teur. En  d'autres  termes,  étant  donnés  le  nombre  de 
lustres  et  les  visées  officielles  d'un  auteur,  c'est  une 
opération  simple  comme  les  quatre  règles,  que  de 
déterminer  comment  il  accommodera  l'histoire. 

Certes,  le  livre  dont  nous  nous  occupons  n'en  reste 
pas  moins  intéressant,  très  intéressant.  En  tant 
qu'œuvre  de  style,  ce  n'est  pas  nous  qui  le  critiquerons. 
Rarement  les  dominantes  de  la  littérature  de  M.  Taine 
qu'on  a  résumées  en  cette  formule  :  aiguiser  un  trait, 
balancer  une  antithèse,  étaler  un  rouleau  d'images, 
amener  un  choc  de  mots  phosphoriques,  exécuter 
devant  le  public  les  manœuvres  les  plus  variées  et  les 


plus  brillantes,  se  sont  révélées  une  fois  de  plus  avec 
éclat.  Les  dilettanti,  les  désœuvrés,  les  petits  lettrés, 
les  amateurs  de  la  forme  pour  la  forme  peuvent  se 
déclarer  hautement  satisfaits  ;  l'auteur  leur  a  fait  lar- 
gesse au  buffet  de  son  raout.  Mais  quand  on  se  hausse 
jusqu'à  aborder  cette  expression  suprême  de  l'art  litté- 
raire :  l'histoire,  dans  laquelle  l'artiste  a  la  chance 
divine  mais  court  le  danger  redoutable  de  devoir  unir 
la  solidité  du  fond  à  la  beauté  de  la  forme,  le  style  seul 
ne  saurait  satisfaire,  et  l'indiscrète  et  tracassière  cri- 
tique est  en  droit,  sans  qu'on  puisse  la  chicaner,  de 
demander  compte  à  l'écrivain  de  sa  méthode  et  de  ses 
jugements.  Dans  l'ôccurence  c'est  d'autant  plus  son 
devoir  qu'il  s'agit  de  défendre  l'événement  le  plus  consi- 
dérable de  la  période  moderne,  et  que  déjà,  comme 
toujours,  les  maladroits  imitateurs  pullulent.  On  les 
avait  déjà  vus  s'approprier,  avec  la  désinvolture  d'éco- 
liers accoutumés  à  copier  leurs  compositions,  sa  fameuse 
théorie  du  gendarme  par  laquelle  il  explique,  en  suppri- 
mant tout  autre  sentiment  que  la  crainte,  le  respect 
pour  le  droit  et  l'obéissance  à  la  loi.  Il  convient  de 
parler,  non  pas  pour  la  guérison  de  ces  malades,  mais 
pour  fortifier  l'opinion  dans  les  antipathies  qui,  de 
toutes  parts,  se  font  jour  contre  une  œuvre  qui  ne  tend 
à  rien  moins  qu'à  déshonorer  le  phénomène  historique 
auquel  nous  devons  tout  ce  que  nous  sommes  en  ce 
siècle. 

Il  est  désolant  de  voir  avec  quelle  petitesse  de  pro- 
cédés et  de  vues  M.  Taine  a  cheminé  tout  au  long  du 
très  lent  voyage  qu'il  a  fait  à  travers  les  souvenirs  de 
ces  années  merveilleuses  dans  le  bien  comme  dans  le 
mal.  Sa  manière  de  s'éclairer  et  sa  manière  de  plaider 
sa  thèse  sont  aussi  simples  que  fragiles.  Il  dédaigne 
les  grands  résultats  acquis  qui  règlent  encore  la  vie 
européenne  présente,  font  partout  sentir  leur  influence, 
et  en  définitive  crèvent  les  yeux.  Non,  ce  minutieux 
se  livre  à  un  prodigieux  épluchage  des  faits  minuscules 
relatés  dans  les  papiers  du  temps.  Il  attache  une 
vertu  spéciale  à  toute  publication  datant  de  l'époque. 
Il  pense  qu'il  suffit  d'avoir  vécu  alors  pour  être 
traité  en  autorité.  Il  ne  se  doute  pas  que  les  narra- 
teurs ont  subi  non  seulement  leurs  préventions  per- 
sonnelles, mais  encore  celles  de  leur  milieu.  Il  ne  sait 
pas  que  sur  le  même  épisode  chaque  spectateur 
donne  une  relation  différente  précisément  par  ces 
détails  auxquels,  lui,  l'historien  ingénu,  s'est  attaché 
avec  acharnement  comme  au  plus  sûr  des  recours.  Il 
doit  n'avoir  jamais  assisté  aux  enquêtes  dont  notre 
justice  offre  quotidiennement  des  représentations.  Il 
ignore  ce  que  n'ignore  pas  l'homme  d'affaires  le  plus 
humble.  Et  ce  n'est  pas  tout.  Après  s'être  désaltéré 
jusqu'à  la  saoulerie,  le  mot,  dans  sa  trivialité,  n'est  pas 
trop  fort,  notamment  aux  récits  de  l'anecdotier  Mallet 
du  Pan,  devenu  tout  à  coup  l'égal  de  Froissard,  voici 


L'ART  MODERNE 


311 


qu'il  s  imagine  ne  pouvoir  mieux  faire  que  de  coudre 
un  à  un,  en  un  habit  d'Arlequin  interminable,  des  lam- 
beaux de  phrases,  rassemblés  des  coins  les  plus  divers. 
Ici  encore  qu'il  nous  soit  permis  d'invoquer  la  pratique 
des  tribunaux,  ces  historiographes  forcés  de  l'histoire 
au  jour  le  jour  reconstituée  par  les  témoignages.  Il  n'est 
pas  de  stagiaire  qui  oserait  faire  une  démonstration  par 
ce  procédé  dont  la  trompeuse  malice  est  absolument 
discréditée  parce  qu'elle  permet  à  l'opinion  contraire 
de  faire  une  démonstration  opposée  équivalente,  en  pre- 
nant des  phrases  d'une  autre  couleur  et  en  les  ajustant 
à  son  tour.  Il  est  curieux,  en  lisant  la  Révolution 
de  M.  Taine,  de  voir  l'inébranlable  et  naïve  confiance 
avec  laquelle  il  bâtit  ainsi  son  pamphlet.  Et  comme  on 
s'excise  à  trotter  toujours  sur  le  même  pavé,  plus  il 
avance,  plus  il  accélère  son  allure,  plus  il  se  gaudit 
en  la  jouissance  niaise  de  ce  jeu  de  patience  pédantes- 
que,  de  cette  mosaïque  doctorale. 


JiONDREp 

Toorop,  rimpressionniste,  s'est  attaqué  aux  rues  de  Londres, 
ce  prodigieux  grouillement  de  misères,  de  vices,  d'activités  fié- 
vreuses, que  baignent  des  clartés  de  rêve,  des  jours  crépuscu- 
laires voilés  de  brumes  jaunâtres,  des  lumières  douteuses  tou- 
jours en  révolte  contre  les  fumées  et  les  brouillards  et  qui 
arrivent  avec  peine  à  se  frayer  un  passage  jusqu'au  pavé  gluant. 

Depuis  l'aube  jusqu'à  l'heure  où  les  réverbères  allumés  recu- 
lent dans  la  nuit  l'ombre  opaque  des  venelles,  on  le  rencontre, 
ballant  les  quais,  accoudé  au  parapet  d'un  pont,  planté,  en 
extase,  au  milieu  d'un  carrefour,  sans  souci  du  fracas  des  voi- 
tures ni  du  roulement  continu  des  omnibus.  Il  s'emplit  les  yeux 
de  la  vision  mouvanle,  respire  l'haleine  qu'exhale,  en  vapeurs 
épaisses,  la  cité  monstrueuse,  subit  la  fascination  des  lueurs 
fugitives  qui  glissent  sur  les  toits  humides,  font  miroiter  les 
eaux  huileuses  du  fleuve,  luisent  à  l'angle  des  trottoirs,  reflétées 
par  les  dalles  mouillées.  Les  passants,  dans  le  tumulte  de  'a 
rue,  ont  un  regard  pour  ce  grand  garçon  au  teint  olivâtre,  s'éton- 
nent dp  sa  chevelure  noire  aux  reflets  d'acier.  Lui,  les  contemple 
de  ses  yeux  doux,  notant  dans  sa  mémoire,  comme  sur  une  pla- 
que sensibilisée,  le  mouvement  des  gens  en  marche,  des  chevaux 
au  trot,  les  dégradations  du  ton,  les  multiples  phénomènes  de  la 
lumière  que  tamise,  ainsi  qu'une  gaze  tendue  par  dessus  la  ville, 
la  buée  flottante. 

Parfois  on  le  voit  sortir  un  carnet  de  sa  poche  et  griff'onner  des 
hiéroglyphes  ou  dessiner  furtivement  un  croquis.  Mais  la  foule  le 
bouscule,  il  faut  céder.  Le  carnet  est  refermé  et  le  peintre  se 
plonge  dans  le  remous  des  flots  humains  qui  s'agitent  autour  de 
lui. 

El  rentré  dans  la  chambre  meublée  qui  lui  sert  d'atelier,  dans 
la  solitude  des  quartiers  tranquilles  du  square  de  Mecklembourg, 
il  jette  sur  la  toile  la  vivante  esquisse  du  spectacle  qu'il  a  eu  sous 
les  yeux,  l'incessant  défilé  dont  le  grondement  sourd,  semblable 
au  bruit  d'une  armée  en  marche,  bourdonne  encore  à  ses  oreilles, 
la  silhouette  hâve  d'une  petite  fille  frileusement  serrée  dans  un 


châle  en  loques  cl  ofl'rant  aux  passants  des  bouquets  d'un  penny, 
l'encombrement  cl  le  désarroi  provoqués,  en  pleine  cité,  par  un  . 
cheval  de  fiacre  qui  vient  de  s'abatlrc,  la  bousculade  des  hommes 
se  ruant,  à  l'entrée  du  Sl.rand,  sur  les  marchands  de  journaux 
qui  vendent  la  Pull  Mail  Gazette,  ou  le  mélancolique  et  pitoyable 
cortège  des  hommes-sandwichs,  ces  pauvres  diables  à  qui  on 
accroche  une  afliche  sur  le  dos  et  une  sur  le  ventre,  et  qui,  l'air 
palerne  et  résigné,  déambulent  par  chapelets  de  vingt  ou  trente 
le  long  des  trottoirs,  annonçant  aux  populations  que  la  moutarde 
de  Colman  est  la  meilleure  ou  que  rien  ne  surpasse  la  sauce  de 
Worcester. 

Le  matin,  à  l'heure  oiî  s'éveillent,  surpris  par  la  fraîcheur,  les 
misérables  que  le  dénûment,  le  sommeil  et  la  faim  ont  engourdis 
Sur  les  bancs  de  pierre  de  London-Bridge,  la  haute  stature  de 
Toorop  apparaît  dans  le  brouillard.  L'artiste  est  armé,  ceUe  fois, 
de  sa  boîle  à  peindre,  —  de  celle  boîte  inquiétante  qu'un  poli- 
ceman  trop  zélé  prit  dernièrement  pour  un  réceptacle  à  dynamite 
et  qu'il  faillit  jeter  dans  la  Tamise  pour  sauver  le  pont  du  cata- 
clysme qu'il  redoutait.  Campé  sur  une  borne,  le  peintre  scrute 
les  vapeurs  grises  dont  les  volutes  se  déroulent  à  fleur  d'eau, 
baisent  les  flancs  des  navires  à  l'ancre,  enguirlandent  les  mâtures, 
se  perdent,  en  nuées  légères,  dans  les  haubans.  Il  démêle  la 
forêt  de  vergues  et  de  cordages  qui  se  dresse  dans  l'aube  gran- 
dissante, caresse  de  l'œil  les  coques  goudronnées,  les  cheminées 
noires  des  steamers,  les  grandes  voiles  brunes  dès  barques  de 
pêche.  D'une  main  calme,  il  compose  sur  le  bord  de  sa  palette 
des  tons  fins  qu'il  applique  sur  la  toile,  dans  le  ravissement  de 
la  création.  Et  voici  qu'apparaissent   sur  le  champ  vierge  du 

.  châssis  les  Silhouettes  géantes  des  bâtiments  amarrés  le  long  des 
quais,  l'architecture  des  grands  magasins  noyés  dans  le  brouil- 
lard, dominés  par  la  stature  redoutable  de  la  Tour  de  Londres, 
et  sur  les  eaux  moirées,  la  débandade  des  allèges  glissant  silen- 
cieusement entre  les  voiliers,  les  paquebots  et  les  chalands  de 
rivière,  au  bruit  naissant  des  grues  grinçant  de  leurs  ferrailles 
Touillées  au  bord  du  fleuve  et  des  trains  malinaux  ébranlant  au 
loin  les  ponts  du  chemin  de  fer. 

L'élude  achevée  ou  interrompue  par  l'envahissement  des  pas- 
sants et  des  fiacres,  l'ariiste  ferme  sa  boîle  et  reprend,  à  travers 
les  quartiers  populeux,  sa  marche  à  grandes  enjambées,  coupée 
de  longues  stations.  Puis  ce  sont  des  regards  curieux  jetés  par  la 
porte  entre-baillée  des  luncheon-rooms ,  où,  dans  le  décor  des 
dressoirs  éiincelants  de  verres,  de  flacons,  de  bouteilles,  de 
carafes,  le  long  du  comptoir  revêtu  de  marbre  blanc,  s'alignent 
à  la  file  les  déjeuneurs  silencieux,  perchés  sur  des  escabeaux 
élevés,  et  mangeant  rapidement,  le  chapeau  de  soie  sur  la  tête, 

^ne  pinte  d'élain  emplie  de  slout  ou  d'ale  posée  à  côté  de  leur 
assiette,  tandis  qu'au  fond  de  la  salle  apparaît,  devant  le  gril, 
le  cuisinier  dont  la  veste  blanche  s'enflamme  de  lueurs  fauves. 
Parfois,  l'artiste  pénètre  dans  un  bar,  choisi}>sant  de  préférence 
le  compartiment  réservé  au  peuple.  Là,  dans  l'atmosphère 
alourdie  par  la  fumée  des  pipes,  au  milieu  d'un  glapissement  de 
voix  avinées,  des  hommes  à  la  face  allumée,  des  femmes  en 
haillons  sont  accoudés  devant  un  quart  de  litre  de  brandy  ou  de 
whisky,  portefaix  à  la  carrure  énorme,  charretiers,  mégères 
ravagées  par  l'alcool,  parmi  lesquels  se  glissent  furtivement  des 
gamins  grêles,  à  la  mine  de  phtisiques,  et  des  jeunes  filles  exté- 
nuées par  le  vice,  flétries  à  quinze  ans,  n'ayant  gardé  de  la 
coquetterie  féminine  que  le  minuscule  bouquet  de  fleurs  qu'elles 
épinglent  sur  leur  corsage  fané.   Les  nouveaux  arrivés  saluent 


d'gn  geste  vague  les  misérables  entassés  sur  les  banquettes 
étroites  adossées  aux  cloisons  de  cbéne  qui  divisent  les  compar- 
timents dubai\  s'approchent  du  comploir,  leur  monnaie  de  billon 
h  la  main,  commandent  d'une  voix  causée  leur  boisson  favorite 
que  leur  tend  aussiiôi,  aveeunbroc  d'eau  fraîche,  une  fille  fleg- 
matique que  l'habitude  a  rendu  insensible  au  spectacle  de  toute 
cette  misère. 

Quelquefois  une  querelle  s'élève,  l'ivresse  excitant  les  colères. 
Les  poings  se  lèvent,  retombent,  les  hommes  jurent,  les  enfants 
que  les  fempies  traînent  avec  elles  remplissent  de  cris  la  petite 
salle  enfumée,  jusqu'à  ce  qu'un  policeman,  appelé  en  toute  hâte, 
vienne  rétablir  l'ordre  eu  jetant  à  la  porte  les  combaltunls. 

Dehors,  un  guignol  arrête  un  instant  l'artiste,  ou  des  musiciens 
ambulants,  installés  sous  un  porche,  égrenant  dans  le  gronde- 
ment continu  des  voilures  les  pizzicati  cristallins  d'une  harpe. 
Dans  l'attroupement  qui  se  forme  aussitôt,  égayé  par  les  taches 
écartâtes  des  tuniques  de  soldais,  le  peintre  découvre  de  nou- 
veaux motifs  de  croquis. 

Quand  la  nuit  est  tombée  et  que  les  lueurs  du  gaz  chassent  de 
leurs  taudis  les  hirondelles  nocturnes  qui  rasent  les  trottoirs  et 
susurrent  à  l'oreille  des  passants  des  appels  câlins,  on  retrouve 
Toorop  arrêté  au  coin  des  ruelles  qui  déversent  dans  les  grandes 
artères  le  flot  de  la  prostitution.  El,  curieusement,  il  dévisage  les 
faces  plâtrées,  les  lèvres  rougies,  les  chevelures  couleur  de  paille 
qui  vont  et  viennent  sous  ses  yeux,  emportées  dans  un  frôlement 
doux  de  robes  de  soie,  tantôt  éclairées  d'aplomb  par  la  clarté 
jaune  d'un  réverbère,  tantôt  noyées  d'ombre,  vaguement  estom- 
pées, eflfâcées,  pour  reparaître  bientôt,  après  un  virage,  dans  le 
rayon  du  réverbère.  11  assiste  aux  marchandages,  regarde  les 
couples  filer  dans  la  nuit,  disparaître  au  tournant  de  la  plus 
proche  ruelle.  Tout  est  pour  lui  sujet  d'étude.  La  composition 
des  tons,  la  valeur  exacte  des  ombres,  les  cassures  de  la  lumière 
aux  plis  des  vêtements,  il  les  observe  avec  une  attention  prodi* 
gieuse,  pénétrant  chaque  jour  plus  avant  dans  les  mystères  de  la 
couleur  et  de  la  forme,  analysant  et  disséquant  sans  cesse 
celles-ci,  jusqu'au  jour  où,  en  possession  complète  des  aspects 
de  la  ville,  des  effets  de  la  lumière,  de  Londres,  des  attitudes 
des  passants,  il  exprimera,  en  quelques  toiles  définitives,  la  Rue 
aux  difi'érentes  heures  du  jour,  avec  sa  flottante  population,  et 
criant  tout  haut  ses  insouciances,  ses  plaisirs,  ses  vices,  ses 
misères. 

Ce  qui  n'empêchera  pas  les  imbéciles  de  dire  que  l'impression- 
nisme consiste  à  maçonner  au  hasard  du  couteau  quelques  cou- 
leurs sur  une  toile,  pour  échapper  aux  études  réglées,  graduées 
et  ordonnées  par  l'Académie.       ^ 


PATHOLOGIE  LITTÉRAIRE 

CORRESPONBANGE  > 

Nous  avons  reçu  la  ti^ès  intéressante  lettre  qu'on  va 
lire,  d'un  de  nos  jeunes  poètes  qui  continue  Mallarmé  et 
Verlaine  de  la  seule  manière  légitime,  c'est-à-dire  en 
faisant  mieux;  un  poète  dont  la  vaillante  revue  la 
Basoche  a  publié  dans  son  dernier  numéro  des  vers 
excellents,  égaux  à  ceux  que  nous  avons  signalés  ici 
même  l'an  dernier  ;  un  poète  à  qui  nous  donnons  notre 
très  sincère  admiration  de  la  même  manière  qu'à  ceux 


qu'il  défend,. c'est-à-dire  :  parfois  sans  réserve,  parfois 
pas  du  tout,  car  lui  également  est  dans  cette  situation 
bizarre  d'apparaître  tantôt  comme  bien  portant  et 
tantôt  comme  malade.  La  lettre  que  nous  publions  con- 
firme, croyons-nous,  ce  diagnostic.  Qu'on  en  juge.J!lle 
fut  écrite  avant  notre  dernier  article  sur  la  Pathologie 
littéraire,  ce  qui  explique  certains  passages  qui  n'ont 
plus  de  raison  d'être  actuellement  : 

Les  Déliquescences,  un  misérable  essai  de  parodie  publié 
récemment  par  Gabriel  Vicaire,  l'auteur  médiocre  des  Emaux 
Bressans,  et  Henri  Beauclair,  aligneur,  sur  les  pages  d'un  terne 
libercuie,  de  nuls  triolets  ;  VElernelle  Chanson,  essayistes  mas- 
qués du  bien-trouvé  pseudonyme  Adoré  Floupette,  vous  amusè- 
rent longtemps.  Monsieur  le  Directeur,  trop  longtemps  pour  la 
clairvoyante  dignité  de  la  sérieuse  critique. 

Le  jeu  n'est-il  point  encore  fini? 

Nous  disons  que  les  Déliquescences  ne  sont  qu'un  essai  de 
parodie. 

La  signature-pseudonyme  est,  seule,  trouvaille  ;  le  livre  lui- 
même,  ostensiblement  dirigé  contre  l'art  de  deux  grands  poètes, 
MM.  Mallarmé  et  Verlaine,  ne  parodie  rien  :  leur  conceniration 
parfois  excessive  et,  ci  et  là,  de  rocailleuses  duretés  parmi  le  bleu 
de  ciel  fluide  de  leurs  harmonies,  on  ne  les  vit  point  chez  Flou- 
pette.  Des  alignements  de  mots  quelconques,  sans  souci  de  nulle 
synthétique  résonance,  des  enfantillages  pour  le  badaud. 

Du  moins,  si  le  but,  facile  à  toucher  certes,  n'est  pas  atteint, 
il  est  avéré  que,  une  fois  de  plus  (et  que  cela  est  de  mince  cri- 
tique!), des  médiocres  ont  voulu  ridiculiser  ces  très  fiers  et 
vierges,  superbement,  d'humiliante  popularité. 

Ils  eussent  dû  sentir,  vous  aussi,  que,  les  seuls  forts,  on  les 
parodie. 

Déliquescents,  Incohérents^  Verbolâtres,  Symbolistes  (bien 
innocent,  celui-ci).  Symbolistes  ésotériques  (un  peu  plus  aiguil- 
lon), combien  de  mots  en  subtiles  nuances!  Attention!  voici  que 
vous  glissez  dans  la  Verbolâtrie. 

Lé  qualificatif  était  simple  :  FloupeitanlSy  FloupeUantisme ; 
Floupettard,  Floupettardisme. 

Au  fait.  Incohérents,  Verbolâtres,  Floupeiiards,  qu'importe! 
Et  pourquoi  vous  défendre  ;  vous  craignez  d'être  soupçonné  de 
badaudante  moquerie  :  «  Oh  non  !  notre  critique  n'a  qu'un  but, 
le  désir  de  mettre  en  garde  contre  i'étrangeté  maladive  et  la 
dévote  admiration  ». 

Pourquoi? 

Et  pourquoi  ces  omissions  :  Tristan  Corbière,  l'auteur  des 
Amours  jaunes,  Charles  Vignier,  Morice,  le  Benjamin  de  Ver- 
laine,, celui  k  qui  il  dédia  son  subtil  et  dédaigneux  Art  poé- 
tique : 

«.  Car  nous  voulons  la  Nuance  encor, 
Pas  la  couleur,  rien  que  la  Nuance  ! 
Oh  I  la  Nuance  seule  ftauce. 
Le  rêve  au  rêve  et  la  flûte  au  cor  1 


«  De  la  musique  encore  et  toujours  I 
Que  ton  vers  soit  la  chose  envolée 
Qu'on  sent  qui  fuit  d'une  âme  en  allée 
Vers  d'autres  cieux  à  d'autres  amours; 

•  Que  ton  vers  soit  la  bonne  aventure 
Éparse  au  vent  crispé  du  matin 
Qui  va  fleurant  la  menthe  et  le  thym... 
Et  tout  le  reste  est  littérature  I •• 


—  Ecoulez  bien,  «  El  loul  le  reste  esl  lilléralure!  »  —  Jean 
Moréas,  l'auleur  àesSyrtés,  René  Ghil,  clans  les  Légendes  d'âmes 
el  de  sang^  ébauclieur  encore  ap|)renli,  mais  fulur  maîlre;  el 
pourquoi  y  échappai-je  moi-méma  à  i'éreinlenienl,  moi  qui,  seul 
parmi  les  poêles  de  la  Jeune  Belgique,  me  laisse  aller  au  Rêve 
déliquescent,  à  lel  poiut  que  je  fus  en  bulle  aux  attaques  journa- 
listiques dont  vous  avez  parlé,  h  d'autres  aussi,  de  faux  amis,  à 
qui  je  pardonne,  comme  le  Christ  «  parce  qu'ils  ne  savent  pas  ce 
qu'ils  font  »,  el  parlé  élogieusemenl,  car,  quoi?  aux  doux  con- 
certs des  instruments,  j'apparus  en  galant  Watleau  sur  la  mélan- 
colique pelouse  de  Vile  enchantée  ? 

Il  est  bien  visible,  hélas!  qu'à  propos  d'une  œuvre  de  mesquine 
envie,  vous  bafouez  sans  réflexion  des  novateurs  en  musicale 
langue  française. 

Telle  évolution  des  principes  lilléraircs  entraîne  une  corres- 
pondanie  évolution  dans  la  langue. 

Ces  novissimes  harmonistes,  les  irailer  de  funambules,  parce 
que,  après  le  mélallisme  de  Baudelaire  el  les  japonaiscries  des 
de  Concourt,  ils  essaient  d'une  concentration  en  harmonies 
el  d'une  musicale  intensité  ;  quelle  courte-vue  dans  la  clair- 
voyance el  quel  irrespect  littéraire  ! 

Vous  avouez,  dans  le  second  article  consacré  aux  Verbolâtres 
—  el  le  plus  sensé,  véritablement  —  qu'à  l'origine  tels  nova- 
leurs,  aujourd'hui  enrôlés  dans  les  troupes  fluides  de  Floupelle, 
ji'eurent  pour  principe  que  l'évolution  obligée  de  la  forme  litté- 
raire, mais  que  peu  à  peu,  pris  d'une  admiration  cabalistique,  ce 
fut  une  dégénérescence  excentrique,  une  macabre  frénésie,  où  les 
mots,  affublés  d'oripeaux  jovialement  funèbres,  démoniaquement 
ballèrent. 

Eh  bien!  de  même  que  sensés,  vous  fûtes,  ici,  maladroits. 

Car  la  seule  question  disculée  est  celle  d'un  renouveau  de 
forme  lilléraire  ;  le  reste  n'est  que  détail  d'échappatoires. 

Maladie,  obscurité,  bizarrerie,  sont  les  seules  politesses  que  l'on 
incline  devant  les  transformateurs  :  il  en  fui,  il  en  sera  toujours 
ainsi  ;  vous  l'avez  rappelé  en  parlant  de  tant  d'artistes,  peintres, 
surtout,  musiciens,  parfois;  pourquoi,  dans  l'évolution  littéraire 
stationner,  parlant  relarder? 

II  est  de  telle  facilité  de  jouer  au  Diafoirus  el  de  brandir  vos 
seringues  de  critique!  On  ausculte  en  malades  ei  en  fous  les  gens' 
qu'on  ne  comprend  pas.  Vous  devriez  savoir  que  le  critique, 
n'étant  point  créateur,  ne  peul  se  hausser  jusqu'au  front  de 
l'artiste.  El  si  le  texte  esl  obscur,  il  faut  avec  un  religieux  age- 
nouilh^menl  confesser  son  inférieure  incompréhension  :  voilà  là 
seule  forme  du  respect  qui  est  dû  à  toute  œuvre  d'art. 

Je  dirais  «  les  poèmes  que  vous  bafouez  d'incompréhensibles, 
je  les  comprends,  non  pas  toujours  à  première  lecture  comme 
une  œuvre  banale,  mais  après  une  pieuse  application  el  le  désir 
sincère  de  m'élever  jusqu'à  l'œuvre  que  je  veux  comprendre  »,  à 
quoi  bon  ? 

Vous  m'accuseriez  d'exaspérante  prélenlion,  il  y  aurait  un 
bafoué  de  plus...  El  le  résultat  critique? 

Mais  vous  clés  donc  aveugle  el  sourd  ?  Vous  vous  vantez  sou- 
vent —  et  c'est  justice  —  d'être,  en  Belgique,  l'un  des  plus 
anciens  admirateurs  de  Wagner.  Mais  souvenez- vous  donc  :  de 
quelles  outrageantes  insanités  fut  souillé  le  nom  de  ce  pur  génie; 
et  les  criiiculels  appliquant  leurs  loupioles  sur  les  ténèbres  de 
Victor  Hugo;  et  les  derniers  quatuors  de  Beethoven,  ridiculisés 
et  incompris  aujourd'hui  encore:  pourquoi  ne  pas  vous  souvenir 
de  tout  cela? 


.  El  en  opposition  à  ces  incompréhensibles  malades,  vous  citez 
comme  sains  esprits,  qui  cela?  Victor  Hugo,  dans  le  cerveau 
duquel  il  y  eut  déséquilibre  évident.  Son  œuvre  populaire  n'est- 
elle  point  le  lieu  commun  grandiose  el  son  symbolisme,  réçervé  à 
d'autres  qu'aux  Bouvard  el  Pécucliel  qui  souillèrent  ses  funé- 
railles, n'esl-ce  point  V Enigmnlique  Sacré.  Déséquilibre  aussi 
dans'les  Niehelungen  el  les  Maîtres- Chanteurs  de  R.  Wagner.  El 
quelle  crispation  maladive  dans  ce  prodigieux  chef-d'œuvre  Tris- 
tan et  Isolde,  colombes  exaltées,  si  douces  vers  le  bleu  du  ciel 
triste  el,  soudain,  en  des  croupissemcnls  d'eau  morte  leurs  sai- 
gnantes trépidations!  El  Parsifal,  les  plaintives  blancheurs  et  la 
douloureuse  bonté!  Vous  citez  aussi  Rubens;  laissons-le,  ce 
grand  décorateur  cl  déjà  le  redondant  superficiel  de  la  Renais- 
sance, une  vrai  décadence,  celle-ci  :  le  plus  petit  maître  gothique, 
oh!  combien  plus  pieusement  à  genoux  devant  son  art. 

Dans  loul  grand  artiste,  il  y  a  déséquilibre,  voyez-le  bien,  et 
l'homme  sain  de  corps  et  d'esprit,  au  sens  vrai  des  mois,  n'est  le 
créateur  que  d'œuvres  ternes  el  sans  vie  future. 

Vous  eussiez  dû  cependant,  par  respect  pour  de  vrais  artistes, 
parler,  non  de  poèmes  plus  faibles  que  d'autres,  comme  ils  se 
traînent  chez  tous,  honorer  et  faire  honorer  des  œuvres  si  pure- 
ment belles  et  sereines.  De  Verlaine,  les  slapcos  désolées  de 
Therc  CMSsenl  été  bien  vile  oubliées  à  la  lecture  de  Sagesse,  ce 
doux  chef-d'œuvre  de  candide  contrition,  et  voici,  pour  réparer, 
publié  à  côlé  de  ce  petit  panloum  dont  vous  vous  moquez, 
Dodo,  Venfajit  do,  chantez,  doux  fuseaux,  si  délicieux  dans  sa 
tendresse  de  ronde  vieillotte,  un  des  plus  admirables  sonnets  qui 
aient  été  écrits  :  r- 

«•  Trois  petits  pâtés,  ma  chemise  brûle. 
Monsieur  le  curé  u'aime  pas  les  os. 
Ma  cousine  est  blonde,  elle  a  nom  Ursule, 
Que  nemigrous-nous  vers  les  Palaiseaux. 

«  Ma  cousine  est  blonde,  elle  a  nom  Ursule. 
On  dirait  dun  cher  plaieul  sur  les  eaux. 
Vivent  le  muguet  et  la  campanule! 
Dodo,  l'enfant  do,  chantez,  doux  fuseaux. 

«  Que  n'émigrons  nous  vers  les  Palaiseaux. 
Trois  petits  pâtés,  un  point  et  virgule; 
On  dirait  d'un  cher  glaïeul  sur  les  eaux. 
Vivent  le  muguet  et  la  campanule. 

«  Trois  petits  pâtés,  un  point  et  virgule; 
Dodo,  l'enfant  do,  chantez,  do  x  fuseaux. 
La  libellule  crie  emmi  les  roseaux, 
Monsieur  le  curé,  ma  chemise  brûle.  <* 

11  me  rappelle  : 

«  Uni,  unel,  ma  tant'  Michel, 
N'entrerez  point  dans  not'  jardin  : 
Ne  cueill'rez  pas  du  romarin; 

Fric,  frac,  ma  savat'. 

Fric,  frac,  mon  sabot  n 

cl  toul  l'enfanlilîage  des  jardinets  bordés  de  gazon  d'Espagne 
avec,  au  milieu,  l'esseulemeni  d'effrités  cairans  solaires... 

LANGUEUR 

«  Je  suis  l'empire  à  la  fin  de  la  Décadence, 
Qui  regarde  passer  les  grands  barbares  blancs 
En  composant  des  accrostiches  indolents, 
D'un  style  d'or  où  la  langueur  du  soleil  danse. 

M  L'âme  seulette  à  mal  au  cœur  d'un  ennui  dense 
Là-bas  on  dit  qu'il  est  de  longs  combats  sanglants 
0  n'y  pouvoir,  étant  si  faible  aux  vœux  si  lents, 
0  n'y  vouloir  fleurir  un  peu  cette  existence  ! 


«  O  n'y  vouloir,  ô  n'y  pouvoir  mourir  un  peu  1 

Ah  1  tout  est  bu  1  Bathylle,  as-tu  fini  de  rire? 

Ah  !  tout  est  hul  tout  est  mangé  !  Plus  rien  à  direl 

-  Seul,  un  poème  un  peu  niais  qu'on  jette  au  feu, 
Seul,  un  esclave  un  peu  coureur  qui  vous  néglige, 
Seul,  un  ennui  d'où  ne  sait  quoi  qui  vous  afflige  !  » 

N'est-ce  point  merveilleux  d'alourdie  indolence?  {") 

Et  encore  le  Kaléidoscope,  où  colle  strophe  finale  avec  des 

obsessions  do  ronronnantes  abeilles  : 

«♦  Ce  sera  comme  quand  on  rêve  et  qu'on  s'éveille  ! 

Et  que  l'on  se  rendort  et  que  l'on  rêve  encor 

De  la  même  féerie  et  du  même  décor 

L'été,  dans  l'herbe,  au  bruit  moiré  d'un  vol  d'abeille.  »» 

Je  vous  abandonne  V Oraison  du  soir,  d'Arthur  Rimbaud;  ce 
n'est  qu'une  goguenarde  fantaisie  de  pince-sans  rire.  Mais,  du 
môme  poète,  pourquoi  ne  cilez-vous-pas  les  Assis  ("),  le  Bateau 

ivre  : 

•«  Je  sais  les  cieux  cuvant  en  éclairs,  et  les  trombes 
Et  les  ressacs  et  les  courants,  je  sais  le  soir, 
L'aube  exaltée  ainsi  qu'un  peuple  de  colombes, 
Etjai  ru  quelquefois  ce  que  l'homme  a  cru  voir.  » 

Les  Chercheuses  de  Poux,  cette  lumineuse  exaspération? 

Les  vers  de  Stéphane  Mallarmé,  disciple  de  Baudelaire  assuré- 
ment (mais  Wagner  ne  procède-l-il   point  de  Beethoven  et  de 
Bach  ;  Victor  Hugo,  avec  les  transformatrices  évolutions  de  lan- 
gue, ne  doit-il  point  saluer  Agrippa  d'Aubigné?)  sont  plus  connus, 
peut-^lre  :  publiés  dans  le  prcFuicr  volume  du  Parnasse,  ils  sont 
faciles  à  découvrir  et  faciles,  certes,  h'  lire,  avec  un  peu  de  cette 
attention  de  moines  et  de  poètes......  Et  quel  désir  d'admirer  le 

Placet,  V Apparition  {'*'),  le  Don  du  Poème{'***),  Hérodiade  avec 
ses  lueurs  fauves  d'antiques  pierreries. 

HÉRODIADE 


M  Oui,  c'est  pour  moi,  pour  moi  que  je  fleuris,  déserte  ! 

Vous  le  savez,  jardins  d'améthyste,  enfouis 

Sans  fin  dans  de  savants  abîmes  éblouis, 

Ors  ignorés,  gardant  votre  antique  lumière 

Sous  le  sombre  sommeil  d'une  terre  première. 

Vous  pierres,  où  mes  yeux  comme  de  purs  bijoux 

Empruntent  leur  clarté  mélodieuse,  et  vous 

Métaux,  qui  donnez  à  ma  jeune  chevelure 

Une  splendeur  fatale  en  sa  massive  allure! • 

HÉRODIADE      ^ 

....Tu  m'as  vue,  ô  nourrice  d'hiver, 

Sous  la  lourde  prison  de  pierres  et  de  fer. 

Où  de  mes  vieux  lions  traînent  les  siècles  fauves. 

Entrer,  et  je  marchais,  fatale,  les  mains  sauves, 


(*)  Nos  lecteurs  savent  que  nous  avons  reproduit,  en  le  louant,  ce  très  beau 
sonnet,  nous  disions  :  Voici  un  des  moments  où  le  poète  certes  n'était  pas 
malade. 

("*)  Nous  avons  cité,  et  reproduit,  les  Assise,  en  disant  :  admirable  chose 
venue  en  un  moment  de  *^elle  santé. 

(***)  Reproduite  par  nous  avec  grands  éloges. 

('***)  Voici  cette  pièceque  notre  correspondant  cite  en  exemple.  Nous  avouons 
la  trouver  discutHl)le.  »  N'ètatit  point  créaleur,  comme  le  dit  notre  ingénieux 
correspondant,  nous  ne  pouvons  nous  hausser  jusqu'au  front  de  lartisle. 
Ai-ec  un  religieux  agenouillement,  nous  confessons  notre  inférieure  compré- 
hension. " 

Je  t'apporte  l'enfant  d'une  nuit  d'Idumée  : 

Noire,  ù  l'aile  sanjîlante  et  pâle,  déplumée, 

Par  le  verre  brûlé  d'aromates  et  d'or. 

Par  les  carreaux  placés,  hélas!  mornes  encor, 

L'aurore  se  jeta  sur  la  lampe  angélique. 

Palmes  !  et  quand  elle  a  montré  cette  relique 

A  ce  père  es-uyant  un  sourire  ennemi, 

La  solitude  bleue  et  stérile  a  frémi. 

O  la  b'.Tceuse  avec  ta  fille  et  l'innocence 

De  vos  pieds  froids,  accueille  une  horrible  naissance. 

Et  ta  voix  rappelant  viole  et  clavecin, 

Avec  le  doigt  fané  presseras-tu  la  sein 

Par  qui  coule  en  blancheur  sybilline  la  femme 

Pour  des  lèvres  que'l'air  du  vierge  azur  atfameî 


Dans  le parfutn  désert  de  ces  anciens  rois. 
Mais  encore  as-tu  vu  quels  furent  mes  effrois? 
Je  m'arrête,  rêvant  aux  exils,  et  j'effeuille, 
Comme  près  d'un  bassin  où  le  jet  d'eau  m'accueille, 
Les  pâles  lys  qui  sont  en  moi,  tandis  qu'épris 
De  suivre  du  regard  les  languides  débris 
Descendre  à  travers  ma  rêverie  en  silence, 
Les  bêtes  de  ma  robe  écartent  l'indolence 
Et  regardent  mes  pieds  qui  calmeraient  la  mer. 

Les  ^Fenêtres,  l'Azur,  le  Sonneur,  V Epilogue,  la  Brise 
marine,  qui  débute  par  ce  prodigieux  accablement  : 

«  La  chair  est  triste,  hélas!  et  j'ai  lu  tous  les  livres  î  »» 

Et  ce  sonnet  que  je  veux  citer  entier  :  ' 

A  CELLE  QUI  EST  TRANQUILLE 

«  Je  ne  viens  pas  ce  soir  vaincre  ton  corps,  ô  bête 
En  qui  vont  les  péchés  d'un  peuple,  ni  creuser 
Dans  tes  cheveux  impurs  une  triste  tempête 
Sous  l'incurable  ennui  que  verse  mon  baiser. 

«  Je  demande  à  ton  lit  le  lourd  sommeil  sans  songes 
Planant  sous  les  rideaux  inconnus  du  remords 
Et  que  tu  peux  goûter  après  tes  noirs  mensonges, 
Toi  qui  sur  le  néant  en  sais  plus  que  les  morts  ! 

"  Car  le  vice,  rongeant  ma  native  noblesse, 
M'a  comme  toi  marqué  de  sa  stérilité, 
Mais  tandis  que  ton  sein  de  pierre  est  habité 

«♦  Par  un  cœur  que  la  dent  d'aucun  crime  ne  blesse, 
Je  fuis,  pâle,  défait,  hanté  par  mon  linceul, 
Ayant  peur  de  mourir  lorsque  je  couche  seul.  »  (*) 

Au  surplus,  à  quoi  bon  ces  citations? 

Pour  le  vulguni  pecus,  et  vous  vous  honorez  d'en  être? 

Ne  nous  humilions  point. 

Faire  sentir  qu'il  n'y  a  chez  ces  novateurs,  bafoués  comme  il 
sied  par  la  badauderie  du  journal  et,  hélas,  par  l'égarement  de  la 
critique,  ni  pastiche,  ni  excentricité,  mais  simplement  évolution 
nécessaire,  c'était  mon  but.  Et  aussi  de  l'orgueil,  certes,  désir  de 
recevoir  sur  les  épaules  un  peu  du  fouet  qui  les  cingle. 

Pour  Eux,  elle  est  inexistante  la  rumeur  de  ces  moucheronnes, 
bêles  d'encre.  Se  souiller  de  popularité  !  L'on  risque  d'être  con- 
duit au  Panthéon  par  toute  la  poliliquaillerie  de  France  —  les 
poètes  pleurent  religieusement  loin  de  tous  —  et  la  bedonnante 
bureaucratie  et  toutes  les  sociétés  de  fanfares  de  Paris  et  des 

départements.  ('*) 

Georges  Khnopff. 


JalVRE^     NOUVEAUX 

La  Chanson  de  la  Mer,  par  Paul  Marguerite. 

Avcz-vous  remarqué  la  correspondance  qui  existe  quelquefois 
entre  la  poésie  et  les  noms  des  poètes?  En  1830,  les  Hugo,  les 
Gautier,  les  Dumas,  les  Balzac  portaient  une  certaine  rudesse 
dans  leurs  syllabes;  quelques-uns  —  tels  les  deux  premiers  — 
semblaient  sortir  directement  de  ce  fier  et  barbare  i\Ioyen-Age 
qu'ils  chantaient. 

Aujourd'hui  que  l'ûprelé,  la  force,  l'éclat,  l'énergie,  la  violence 


(')  Ce  sonnet  est,  en  effet,  très  l)eau,  très  beau.  Nous  le  rangeons  Volontiers 
parmi  les  pièces  saines.  Mais  nous  serions  curieux  de  connaître  l'avis  de 
notre  ■  correspondant  sur  Jes  trois  quarts  (nous  n'exagérons  pas)  des  autres 
pièces  du  recueil  Jadis  et  naguère,  dont  il  est  extrait,  et  que  nous  trouvons 
plus  que  médiocres. 

(*')  Cher  poète,  vous  faites  des  vers  pour  vous  seul  et  sans  tenir  compte  des 
critiques.  Vous  avez  raison.  Et  bien,  nous  faisons  de  la  critique  de  la  même 
manière  :  pour  notre  distraction  personnelle  !  et  sans  nous  préoccuper  de  ses 
effets.  Nous  l'avons  écrit  vingt  fois.  Le  plaisir  est  aussi  grand  de  notre  côté 
que  du  vôtre,  et  l'orgueil  aussi  d'être  incompris!!!  Embrassons-nous. 


^ 


font  place  à  la  douceur,  sentez- vous  combien  ces  miîmes  noms 
de  poètes  se  lénifient  :  Bourget,  Co|)p('e,  Verlaine;  combien  ils 
aboutissent  à  la  tendresse  même  :  Madeleine,  Rameau,  et  voici 
Marguerite. 

C'est  le  premier  livre  de  ce  dernier  poète  que  nous  analyse- 
rons. Livre,  c'est  trop  dire;  plaquette  vaut  mieux,  mais  pla- 
quette cbarmante,  vêtue  de  papier  de  soie,  de  soie  verte  et  cou- 
leur de  vague.  Le  titre  s'y  lit,  très  faiblement,  en  lettres  d'argent  : 
Chanson  de  la  Mer. 

Tout  début  en  poésie  est  chose  mystérieuse.  On  ne  peut  trop 
scruter  les  primes  strophes  d'un  poète.  Il  est  si  rare  qu'on  n'y 
trouve  point  une  page  de  naissante  originalité,  même  cliez  les 
moins  doués  !  Si  le  poète  est  quelqu'un,  celte  page  se  multipliera 
cl  formera  volume,  sinon,  les  lectures,  les  terribles  quoique 
nécessaires  lectures  aidunl,  auront  vite  submergé  ces  quelques 
floraisons  personnelles. 

En  outre,  tout  débutant  jette  une  lueur  sur  la  poésie  de  demain; 
il  explique  les  plus  récentes  tendances,  il  dit  quelle  voie  est  la 
nouvelle  et  par  conséquent  la  meilleure.  Tout  premier  recueil  est 
un  commentaire  sur  resi)rit  jeune,  car  tout  premier  recueil  est 
naïf  et  presque  toujours  sincère. 

M.  Paul  Marguerite  l'est,  autant  qu'il  est  permis  h  un  Parisien 
de  l'clre.  il  se  plaint  de  la  vie,  de  ses  morosités,  de  ses  ennuis, 
de  ses  tortures  morales;  il  mêle  sa  mélancolie  aux  plaintes  des 
vagues  et  personnifie  ou  symbolise  sa  tristesse  dans  l'Océan  : 

Cri  des  mers  !  cri  de  douleur  universelle  ! 
Crieur,  ô  noir  crieur  Océan,  nous  t'aimons 
Pour  tout  ce  que  ton  sein  formidable  recèle 
Toi  dont  le  cri  farouche  aussi  haut  que  les  monts. 

Ah  !  c'est  que  nous  t'avons  soufflé  notre  âme  avide  : 
Oui,  colères,  amours,  chants  de  joie  et  sanglots, 
Nous  avons  fait  passer  notre  âme  dans  tes  flots, 
Et  sans  elle  ton  sein  de  géant  serait  vide... 

C'est  la  vieille  idée  de  Baudelaire  :  Homme  libre  toujours  lu 
chériras  la  mer. 

Le  volume  débute  par  ces  vers  pour  finir  par  des  strophes  /' 
d'orgueil.  On  devine  le  milieu.  Chose  Ix  noter,  c'est  que  chacun, 
et  M.  Paul  Marguerite  particulièrement,  tout  en  se  plaignant,  ne 
s'attarde  pas  à  décrire  ses  douleurs  morales,  mais  d'un  saut 
énorme  franchit  les  temps  moroses  et  hostiles  où  il  vil  pour 
s'envoler  dans  le  rêve.  C'est  que  le  rêve  pour  nous  est,  en  effet, 
la  grande  consolation  et  la  grande  envie.  Le  monde  moderne  où 
l'action  appartient  aux  ingénieurs  et  aux  peintres  de  panoramas, 
qui  seuls  encore  ont  dos  muscles,  n'est  rien  pour  les  poètes. 
C'est  le  monde  des  malhémaliciens  et  non  des  penseurs. 

Certes,  le  Paris  actuel  tente  les  romanciers  et  il  suffit  que  l'un 
d'eux  se  mêle  de  critique,  pour  qu'il  n'admette  que  \e  Petit  Epi- 
cier de  Montrouge  et  quelques  pièces  de  Jean  Richepin.  Voilà, 
croyons-nous,  une  erreur.  Le  moderne  n'existe  pas  que  dans  le 
sujet,  il  existe  surtout  dans  le  sentiment,  et  le  sentiment  qui  se 
confond  aujourd'hui  avec  le  rêve  est  très  spécial  et  1res  moderne. 
Le  rêve  poétique  qui  s'empare  de  tous  nos  poêles  est  l'expression 
la  plus  caractéristique  de  l'âme  contemporaine.  Nous  avons  d'in- 
vincibles nostalgies,  d'insurmontables  désirs  d'en  deçà  et  d'au 
delà  ;  les  uns  se  traduisent  par  des  reculs  vers  le  passé,  les 
autres  pour  des  envolées  vers  l'avenir.  Byron  n'a-t-il  pas  défini 
l'art  des  vers  :  Le  sentiment  d'un  monde  qui  n'est  plus  et  d'un 
monde  futur? 

Le  champ  de  poésie  nous  semble  ainsi  magistralement  indiqué 
et  l'on  dirait  vraiment  que  cet  axiome  a  été  écrit  pour  M.  Paul 
Marguerite,  qui  rime  :    . 

L'un  vers  l'art  païen  de  la  Grèce  porté 
Revoit  des  marbres  nus  la  splendeur  coutumière 
Et  so«s4e  ciel  profond  do  l'antique  beauté         ^ 
Luire  des  torses  blancs  dans  la  calme  lumière! 
Ou  près  du  Gange,  en  des  temples  mystérieux 
Un  autre  vit;  et,  brahme  équivoque,  pratique. 
Familier  des  hideurs  troublantes  de  ces  dieux 
Les  rites  monstrueux  d'un  culte  hiératique  ! 


Il  en  est  qui  vêtant  des  cuirasses  de  fer, 
-    Bons  .chevaliers,  s'en  vont  prendre  part  aux  tueries 
Ou  courtisent,  parmi  les  brocarts  d'un  dais  clair. 
Une  princesse,  à  la  jupe  de  pierreries  ! 
D'autres,  moines  reclus  dans  dans  un  cloître  espagnol, 
Flagellant  leur  vieux  corps  transparent  comme  un  cierge, 
Et  prosternés,  crispant  leurs  deux  mains  sur  le  sol, 
Voient  passer  avec  des  anges,  la  Sainte  Vierge! 
D'aucuns,  poudrés  d'iris,  prisant  des  tabacs  blonds 
Disent  des  madrigaux  fades  à  des  marquises 
Et  caressent  avec  un  air  doux  leurs  bichons 
Dans  un  parc  où  frémit  l'âme  {Codeurs  exquises! 
Aussi  franchissons-nous  les  barrières  du  temps 
Et,  remplis  du  dédain  magnifique  des  régies, 
Vers  l'idéal,  ainsi  qu'en  des  cieux  éclatants, 
.    Montons  avec  le  vol  désespéré  des  aigles  ! 

Soldat  du  rêve,  il  l'est  donc,  le  poète  de  la  Chanson  de  la 
Mer,  il  l'est  comme  Baudelaire,  Mallarmé,  Leconle  de  Liste, 
Hugo  —  c'est  ce  qu'il  doit  à  tous. 

Son  originalité,  elle  apparaît  ci  et  là,  dans  le  Voyage  ultra- 
marin,  dans  Magnificat,  dans  les  Roses  mortes,  mais  surtout 
dans  ces  quelques  stroplies  sur  la  mer,  strophes  d'orfèvre  où  il 
écrit  la  vague  comme  Gustave  Moreau  la  peindrait  : 

O.  vagues,  où  tous  les  changements  sont  tapis. 

Vous  savez  être  encore  d'éblouissants  tapis 

Stellés  d'ors  verts  et  de  béryls  et  de  lapis  ! 

Une  agitation  éternelle  vous  plisse. 

Tapis  frangés  d  écume  où,  dans  le  satin  lisse 

Des  fleurs  d'eau  sur  fond  vert  dessinent  leur  calice! 

Au  résumé,  la  plaquette  que  nous  avons  analysée  dénote  une 
très  intéressante  nature  littéraire  qui  s'éveille,  dont  la  Chair  et 
VEsprit,  volume  annoncé,  accentueront  le  caractère  et  détermi- 
neront le  rang  conquis. 


JaE?   Jhéatf^e^ 


Théâtre  DE  la-Monnaie. —  Le  Pré  aux  Clercs. —  Les  Huguenots. 

Théâtre  du  Parc.  —  Tous  les  soirs,  Clara  Soleil  et  la  Perruque. 

Galeries  Saint- Hubert,  —  Mam'  zelle  Nitouche. 

Alcazar  Royal.  —  L'Etudiant  pauvre  poursuit  sa  carrière 
triomphante. 

Théâtre  Molière.  —  Par  Droit  de  conquête  et  Les  Dominos  roses. 

Vaudeville.  —  Ma  femme  manque  de  chic  !...  et  Cinq  par  jour. 

Nouveautés.  —  Réouverture  le  1er  octobre,  avec  la  Dame  de 
Montsorcau. 


Y 


'ETITE    CHROf^(IQUf: 
M.  Edmond  Picard  a  adressé  aux  journaux  la  lettre  suivante  : 

Monsieur  le  Directeur, 

Un  ami  m'apprend  que  la  plupart  des  journaux  ont  annoncé  avec 
gravité  que  j'allais  devenir  le  collaborateur,  le  rédacteur  politique, 
l'inspirateur,  que  sais-je?  d'un  nouveau  journal  indépendant. 

Le  bruit  courrait  qu'un   appoiutement  de   20,000  francs  m'est 

attribué  I 

Diantre  !  Voilà  mon  concours  coté  royalement. 

Très  absorbé  par...  les  vacances,  ayant  de  plus  la  mauvaise 
habitude  de  ne  pas  lire  les  journaux,  je  ne  me  doutais  pas  de  ces 
mirtfiques  sottises,  et  je  n'aurais  pas  répondu,  les  ajoutant  aux 
innombrables  bourdes  qui  m'ont  jadis  permis  décrire  que  l'on  avait 
tout  dit  de  moi  excepté  que  j'étais  un  imbécile,  ce  dont  je  me  con- 
tentais. 

Mais  voici  que  je  reçois  des  lettres  fort  encombrantes  par  les- 
quelles on  me  demandé  des  places  dans  ce  nouvel  organe  de  nos 
belles  luttes  politiques. 

Cette  naissante  persécution  bri^e  mon  indilTérence,  et  je  vous  prie 
de  vouloir  bien  publier  que  je  tais  part  à  ceux  qui  m'honorent  de 
leurs  sollicitations,  qu'à  mon  grand  regret  pour  eux,  mais  heureu- 
sement pour  mon  repos  et  mes  occupations  sérieuses,  tout  cela  est 
faux,  arcld-faux,  faux  de  la  fausseté  dont  pas  mal  de  mes  aimables 
compatriotes  sont  coutumiers,  et  que  je  ne  sais  rien  ni  du  nouveau 
journal,  ni  des  20,000  francs,  ni  de  quoi  que  ce  soit  qui  s'y  rapporte. 

Veuillez  agréer.  Monsieur  le  Directeur,  mes  salutations  distin- 
guées. 

Huccorgne,  21  septembre  1885. 


308                                                                    V ART  MODERNE 

:     JOURNAL  DES  TRIBUNAUX 

PARAISSANT   LE   JEUDI   ET   LE   DIMANCHE 

FAITS  ET  DÉBATS  JUDICIAIRES.         JURISPRUDENCE.       '  BIBLIOGRAPHIE.        LÉGISLATION.  - 

-  NOTARIAT 

ADMINISTRATION 

A  la  librairie  FERDINAND  LARCIBR,  10,  rue  des  Minimes,  à  Bruxelles 

Tout  ce  qui  concerne  la  rédaction  et  le  service  du  journal  doit  être  envoyé  à  cette  adresse.  —  Tous  les  numéros    . 
sont  déposés. 

Toute  réclamation  de  numéros  doit  parvenir  au  Journal  dans  le  mois  de  la  publication. Passé  ce  délai,  il  ne  pourra 
y  être  donné  suite  que  contre  paiement  de  leur  prix. 

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Belgique  :  Un  an,   18  francs.  —  Six  mois,   10  fpancs.  —  Etranger  (Union  postale)  :  Un  an,  23  francs. 

"  .^-:                             Le  numéro  :  20  centimes. 

Il  sera  rendu  compte  de  tous  les  ouvrages  relatifs  au  droit  et  aux  matières  judiciaires  dont  deux  exemplaires 
parviendront  à  la  rédaction  du  Journal. 

ANNONCES  :  30  centimes  la  ligne  et  à  forfait 

Le  Journal  insère  spécialement  les  annonces  relatives  au  droit,  aux  matières  judiciaires  et  au  notariat. 

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Cinquième  année.  —  N°  41 


Le  NUMÉRO  :  25  centimes. 


Dimanche  11  Octobre  1885. 


L'ART 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQÏÏE  DBS  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,   un   an,   fr.   10.00  ;  Union  postale,   fr.    13.00.    —   ANNONCES   :    On  traite   à  forfait. 

Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 
l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


^OMMAIRE 


Exposition  des  Beaux- Arts  a  Anvers.  En  Noricège.  Premier 
article.  —  Livres  nouveaux.  BelAmiy  par  Guy  de  Maupassant. 
—  Horlogerie.  —  Beckmesser  et  C»e.  A  propos  du  Tliéûtre  de 
la  Monnaie.  —  Mémento  des  expositions  et  concours.  —  Petite 
chronique. 


.  EXPOSITION  DES  BEAUX-ARTS  A  ANVERS 

EN    NOR'WÉGE 

Pretnier  article.  - 

Nous  n'avons  pas  pris  la  parole  lors  du  congrès  de 
bavardages  qui  s'est  ouvert  aux  premiers  jours  de 
l'Exposition  des  Beaux-Arts  à  Anvers.  Ni  rapins,  ni 
reporters,  nous  n'avions  pas  à  courir  dare  dare  pour 
disputer  notre  place  dans  le  grapillage  des  nouvelles  et 
des  cancans.  Nos  lecteurs  savent  que  nous  faisons  de  la 
critique  non  par  métier  mais  par  plaisir,  pour  leur  dis- 
traction et  la  nôtre  et  non  pour  aider  soit  à  l'abonne- 
ment, soit  à  la  vente  au  numéro.  Ce  qu'ils  attendent  de 
nous  ce  n  est  pas  l'actualité  mais  la  sincérité  et  l'origi- 
nalité dans  l'information.  Venir  après  les  autres  est 
donc  fort  indifférent  pour  eux  comme  pour  nous.  Nous 
ne  faisons  point  partie  de  la  chiourme  d'un  journal  et 
grâce  au  sort  la  fantaisie  seule  est  notre  loi.  C'est  elle 
qui  nous  permet  de  ne  pas  avoir  pour  unique  science  la 


camaraderie,  et  pour  toute  opportunité  les  ordres  qu'on 
nous  donne.  Nous  ne  nous  mettons  pas  en  campagne 
quand  un  caporal  nous  crie  :  En  route  !  mais  quand  le 
hasard  nous  y  pousse  ou  quand  le  cœur  nous  en  dit. 

C'est  ce  qui  nous  sauve  de  la  critique  de  commande. 
Aussi  pouvons-nous  aujourd'hui,  dégageant  la  véritable 
opinion  qui  s'est  formée  sur  l'Exposition  des  Beaux- 
Arts  malgré  les  clameurs  intéressées  des  premiers 
jours,  la  résumer  en  ces  quelques  formules  :  "  On  a  eu 
raison  en  refusant  impitoyablement  les  médiocrités  qui 
encombraient  les  portes.  On  eût  mieux  fait  en  en  refu- 
sant plus  encore.  Il  est  à  souhaiter  que  dans  les  Salons 
futurs  on  fasse  de  même.  C'est  le  seul  moyen  de  net- 
toyer l'art  des  fausses  vocations  qui  le  déshonorent.  « 
Grâce  à  cette  sévérité  le  compartiment  belge  est  le 
meilleur.  L'exposition  rivale  par  laquelle  on  a  voulu  lui 
Jfaire  échec,  a  manqué  son  but  et  raté  son  effet  ;  les 
deux  mille  toiles  refusées  ne  s'y  sont  pas  produites  ; . 
celles  qui  s'y  sont  risquées  ont  démontré,  à  de  très 
rares  exceptions  près,  qu'on  avait  bien  fait  de  les 
exclure  ;  les  morceaux  de  mérite  qu'on  y  a  vus, 
n'avaient  plas  été  soumis  au  jury  ;  le  public  n'a  pas  pris 
au  sérieux  cette  comédie. 

Après  ces  généralités  désormais  banales,  nous  n'a- 
vons nulle  intention  de  revenir  à  l'examen  pi^ce  par 
pièce  du  Salon  auquel  les  hasards  des  vacances  nous  ont 


326 


L ART  MODERNE 


conduit  la  semaine  dernière  pour  la  première  fois 
depuis  l'ouverture.  Sur  la  peinture  belge^etsur  la  pein- 
ture française,  il  n'y  a  plus  guère  à  dire.  D'une  année 
à  la  suivante  l'intervalle  est  trop  court  pour  qu'il  y  ait 
autre  chose  à  faire  que  de  recourir  au  procédé  descrip- 
tif des  œuvres  mis  en  honneur  par  Diderot  il  y  a  un 
siècle  et  qu'il  est  permis  de  trouver  démodé.  Nul  pro- 
grès, nulle  transformation  ne  se^  révèle.  Les  deux 
écoles  maintiennent  leurs  positions  et  sauf  les  excen- 
triques qui,  heureusement  pour  le  renouveau  artistique, 
font  leurs  démonstrations  au  Salon  des  XX,  on  peut 
caractériser  la  situation  présente  en  disant  qu'elles 
se  retirent  après  fortune  faite.  Elles  se  constituent 
d'une  bonne  et  solide  bourgeoisie  d'un  renom  honorable, 
qui  vit  sur  ses  terres  ou  jouit  de  ses  capitaux  sans  ten- 
ter aucune  avanture.  Les  doctrinaires,  d'une  part  (tra- 
duisez académiques),  les  ci-devant  radicaux,  d'autre 
part  (traduisez  progressistes  modérés).  Quant  aux  in- 
transigeants, c'est  ailleurs  qu'en  ces  fêtes  officielles 
qu'on  les  rencontre.  Nous  les  reverrons  cet  hiver,  eux 
et  leurs  ennemis,  et  nous  espérons .  que  la  bataille  sera 
aussi  acharnée  que  d'ordinaire.  Vivent  la  joie  et  les 
coups  reçus  et  bien  rendus  ! 

Quant  aux  écoles  étrangères,  qui  sont  en  dehors  des 
exhibitions  habituelles,  elles  ne  donnent  d'elles  à  Anvers 
qu'une  très  médiocre  opinion.  Il  y  a,  certes,  des  badauds 
qui  s'extasient  devant  quelques  grandes  pancartes  dont 
le  MmHage  de  nous  ne  savons  plus  quel  Russe  est  la 
plus  bruyante  incarnation.  Mais  en  laissant  de  côté  les 
ébaubissements  naïfs,  on  peut  grouper  les  impressions 
que  laissent  les  diverses  nationalités  en  disant  :  Italie, 
mauvais  goût,  —  Allemagne,  bourgeoisisme,  —  Autri- 
che, déclamation,  —  Russie,  puérilité,  —  Suisse,  Kell- 
nérisme,  —  Angleterre,  banalité.  Ce  qui  n'empêche 
pas  que  chacune  produit  plaisamment  un  nombre  con- 
sidérable de  prétendus  grands  hommes,  fournisseurs 
des  cours,  cotant  leurs  machines  à  des  prix  fabuleux, 
trouvant  acquéreurs  parmi  les  Shylocks  des  grands  cen- 
tres usuraires  européens  et  marchant  avec  un  cortège 
d'admirateurs  d'une  naïveté  incurable. 

Il  n'y  a  dans  tout  cela,  si  l'on  met  à  pa^^t  de  ci  de  là 
un  tempérament,  ni  un  artiste,  ni  une  personnalité. 
C'est  une  armée  immense  d'imitateurs,  pastichant  avec 
l'ensemble  des  chenilles  processionnaires  occupées  à 
pâturer  le  feuillage  d'un  orme.  Les  uns  copient  les 
anciens,  les  autres  copient  les  modernes.  Mieux  c'est 


copié  et  plus  ample  est  la  satisfaction,  plus  éclatante  la 
gloire.  Au  dessus  de  ce  bel  atelier  de  reproduction  uni- 
verselle planent  les  cénacles  académiques  de  tous  pays 
qui,  voyant  comme  jéhovah,  que  cela  est  bien,  se 
réjouissent  de  leur  œuvre  et  savourent  les  Hosannah. 

La  Hollande  elle-même  n'échappe  pas  à  la  contagion. 
Dans  l'ensemble  elle  reste,  certes,  elle-même;  il  y  a, 
comme  toujours,  quelques  toiles  d'un  bel  art.  Mais 
l'uniformité  dans  une  même  vue  noire  et  fumeuse  des 
choses  est  étrange.  La  claire  atmosphère  néerlandaise, 
fine  et  argentée  même  par  les  temps  de  brume  et  de 
grands  nuages,  est  devenue  fuligineuse  comme  dans 
les  pays  industriels  où  les  cheminées  vomissent  inces- 
samment les  longues  traînées  des  combustions  char- 
bonnières. C'est  à  croire  qu'un  mot  d'ordre  est  donné 
et  rigoureusement  observé-  Est-ce  que  là  aussi  il  y 
aurait  des  professeurs  enseignant  que  rien  n'est  beau 
comme  d'étouffer  toute  originalité  pour  la  remplacer 
par  la  bête  imitation  du  maître  ? 

Chassé  de  salle  en  salle  par  ces  fantômes  persécu- 
teurs, nous  nous  sommes  trouvé  acculé  finalement 
dans  la  section  norwégienne.  Tandis  que  morose  et 
déçu  nous  songions  à  la  pauvreté  artistique  en  tout 
pays,  distraitement  nos  yeux  parcouraient  les  parois 
où  les  fils  de  la  Scandinavie,  marge  extrême  du  conti- 
nent, avaient  attaché  leurs  œuvres.  0  surprise  !  on  y 
voit  des  choses  originales.  Les  refrains  maudits  des 
chansons  fredonnées  par  les  rnoutons  du  vulgion  pecus 
ne  résonnaient  plus  invariablement.  Oui,  il  y  a  de  bon- 
nes œuvres,  des  œuvres  médiocres,  des  œuvres  mau- 
vaises, mais,  en  grand  nombre  personnelles,  dégagées 
des  recettes,  chaudes  d'une  émotion  propre,  naïvement 
elles-mêmes,  sentant  le  terroir  comme  un  rustique  fro- 
mage, comme  une  eau-de-vie  indigène.  Vite,  regardons 
de  plus  près.  Voici  de  quoi  tenter  l'analyse.  Du  neuf  î 
Quelle  bonne  fortune  !  Du  neuf!  Du  neuf!  Du  neuf! 


i=> 


iIVREp     NOUVEAUX  - 

Bel-ami,  par  Guy  de  Maupassant.  —  Paris,  Havard. 

On  a  fait  cfrand  bruit  autour  de  Bel-ami,  par  M.  Guy  de  Mau- 
passant. Toutes  les  queues  de  morue  de  la  presse  ont  remué 
bataiileusement  dans  leur  eau  Iroubie.  Mais  qui  donc  a  examiné 
l'art  dans  ce  livre  ?  ^ 

Bel-ami  est,  en  eftel,  un  violent  assaut,  une  âpre  insulte  aux 


UAUT  MODERNE 


327 


journalistes.  Et  précisément  ce  qui  rend  l'œuvre  peu  cstliélique  ? 
son  invariable  et  désespérant  terre  à  terre  augmente  encore  sa 
brutalité  et  sa  netteté.  L'auteur  n'a  fait  (pie  copier  la  vie  et  la 
copie  est  une  attaque  et  une  exécution. 

M.  Guy  de  Maupassant,  artiste  en  promenade  dans  les  jour- 
naux, causeur  d'art  et  de  littérature,  appréciateur  d'événements 
triés,  mais  en  rien  politiquailleur,  reporter,  fait-diversistc, 
aboyeur  payé  ou  rédigeur  d'annonces,  connaît  le  monde  dont  il 
parle  pour  avoir  stationné  dans  les  cabinetsdc  rédaction,  souvent, 
mais  sans  y  tremper  ses  mains  dans  l'encre.  Et  voici  presque,  ce 
qui  lui  en  reste  dans  la  mémoire. 

Une  vision  d'édifice  à  grand  numéro,  où  le  cliantage  jait  la 
fenêtre^  où  l'on  sert  du  vin  de  gloire  frelaté,  où  la  prostitution  de 
ridée  se  couche  sur  tous  les  lits,  où  rien  ne  brille,  n'étourdit,  ne 
flatte,  ne  chante,  ne  crie,  ne  mord  sans  qu'on  ne  paie  le  specta- 
cle, Tétourdissement,  la  flatterie,  le  chant,  le  cri,  la  morsure.  A 
chaque  étage,  des  chambres  capitonnées  pour  déshabiller  des 
réputations,  pour  violer  des  consciences,  pour  flétrir  quelque 
chose  de  lier  et  de  vierge.  Partout  du  clinquant,  de  la  poudre 
aux  yeux,  du  strass,  du  simili-or  ;  pas  de  talent,  pas  de 
littérature,  pas  d'honneur, rien.  Tous,  ratés;  tous,  épiciers;  tous, 
brctteurs.  La  pointe  de  l'épée  aussi  sale  que  la  pointe  de  la 
plume. 

Saint-Potin,  Forestier,  Walter,  Rival,  canailles,  tripotiers, 
brigands  de  plume.  Et  Georges  Duroy,  le  premier  du  roman, 
q"u'est-il  ?  Si  pas  le  plus  effronté,  le  plus  vicieux,  le  plus  ignoble, 
le  plus  bohème,  le  plus  cynique,  le  plus  gredin  d'entre  eux. 

Comme  pamphlet,  Bel-ami  esfdonc  un  livre  précieux.  Ce  n'est 
point  de  la  haute  satire;  c'est  le  bon  exposé  des  faits  d'un  réqui- 
sitoire. 

Autrement  et  plus  haulainement  porte  cette  formidable  ironie  : 
Les  deux  augures,  que  Villiers  de  l'IsIe-Adam  intercala  parmi  ses 
Contes  cruels.  La  concentration  de  cette  dernière  étude  anéantit 
le  délayage  de  Bel-ami.  Nous  reparlerons  de  ce  chef-d'œuvre, 
qui  sera  toujours  d'actualité. 

Littérairement,  Bel-ami  nous  semble  bien  surfait.  Ses  qualités? 
Du  mouvement,  de  la  prise  sur  le  vif  de  certaines  situations,  du 
charpentage  habile,  de  la  réalité  vue  et  rendue.  Un  naturaliste  se 
déclarerait  satisfait;  un  artiste  non  pas. 

Des  documents  humains,  tenus  ensemble  comme  les  bandes  de 
papier  qu'on  attache  à  la  queue  d'un  cerf-volant,  ne  seront 
jamais  un  roman  ;  il  faut  autre  chose. 

Le  Coin  de  naturel  parfait.  Mais  \2iVue  à  travers  un  tempéra- 
ment! surtout. 

Or,  il  est  de  théorie,  chez  certains  écrivains  d'aujourd'hui,  de 
supprimer  de  plus  en  plus  la  vue  personnelle,  le  style  personnel, 
l'impression  personnelle,  c'est-à-dire  l'art  entier.  Zola  prêche 
ainsi,  bien  que  nul  écrivain  plus  que  lui  ne  lâche  à  fond  de  train 
son  individualité.  L'explication?  Zola  est  un  génie  et  tout  géme 
se  contredit  quand  il  théorise. 


Mais  voici  venir  Paul  Alexis,  et  Henry  Céard,  et  Edouard  Rod. 
Aussitôt  la  doctrine  s'applicpie  et  ennuie.  Serrer  la  réalité,  noter 
le  fait,  épingler  le  document,  classer  les  notes,  étiqueter  le  détail, 
deviennent  une  préoccupation  suprême.  On  se  croirait  dans  une 
administration.  Cela  tient  du  greffe  de  Cour  d'assises,  du  labora- 
toire des  empailleurs,  de  la  boutique  des  marchands  de  fioles 
pour  pharmacies.  Immédiatement  le  procédé,  la  méthode,  le  plan 
linéaire  interviennent  tandis  que  toute  surprise,  tout  prime-saut, 
tout  soin  d'invention  et  de  style  s'envolent.  Une  vulgarité  uni- 
forme d'observation,  un  obstiné  marquetagc  d'employé,  font  de 
l'écrivain  le  contraire  d'un  artiste;  il  devient  un  ouvrier  patient, 
un  scribe  moins  rond-de-cuir,  certes,  qu'un  bureaucrate,  bien 
qu'il  en  tienne  et  qu'insensiblement  son  travail  à  compartiments 
réguliers  devienne  semblable  aux  pages  d'un  livre  de  caisse. 

Si  l'on  entend  par  art  ce  quelque  chose  d'envolé,  de  jaillis- 
sant, de  fulgarant  que  cerlains  cerveaux  produisent  comme  une 
sorte  d'électricité  spirituelle,  chose  essentiellement  inattendue  ou 
savamment  combinée,  qui  produit  ici  V Ensorcelée  de  Barbey,  là 
les  Tableaux  parisiens  de  Baudelaire,  combien  la  plupart  des 
œuvres  naturalistes  apparaissent-elles  négation  et  antithèse  esthé- 
tiques !  Le  but  n'est  pas  :  faire  exact;  au  contraire  :  faire  inexact, 
mais  beau,  mais  grandiose,  mais  évocatoire,  mais  original.  Voir 
la  vie  comme  tout  le  monde,  à  quoi  bon?  Une  telle  vision 
ne  vaut  guère  la  peine  qu'on  l'écrive.  Aucun  artiste  n'a  vu 
que  la  réalité*;  tous  l'ont  prise  comme  un  tremplin  pour  bondir 
jusqu'au  chef-d'œuvre.  Shakespeare,  non  plus  que  Balzac,  non 
plus  que  Barbey,  non  plus  que  Zola  ne  sont  réalistes.  Ils  voient 
trop  grand,  trop  haut,  trop  large.  Ils  ne  prennent  point  le  déci- 
mètre de  MM.  Champleury  ou  Duranty  pour  mesurer  les  hommes 
et  le  monde.  Ils  ne  sont  ni  méticuleux,  ni  collectionneurs  de 
riens,  ni  ramasseurs  de  vétilles  ;  ils  dominent  leur  œuvre  et  la 
haussent  jusqu'à  eux. 

Faire  ces  remarques  en  parlant  de  Bel- Ami,  c'est  condamner 
le  livre.  Car  c'est  précisément  la  myopie  dans  la  vue  des  choses, 
leur  examen  sans  originalité  et  sans  grandeur  qui  en  sont  les 
vices  littéraires.  Oh!  combien  autrement  est  caractéristique 
l'étude  de  Balzac  sur  Lucien  de  Rubempré  et  combien  la  mise  en 
parallèle  entre  ce  dernier  et  M.  Georges  Duroy  donne  tort,  non 
seulement  à  M.  Guy  de  Maupassant,  mais  à  son  système  entier 
d'investigation  sociale.  Lucien  de  Rubempré  est  un  type, 
Georges  Diiroy  est  Monsieur  un  tel,  connu  à  Paris,  sur  le  boule- 
vard, à  l'Opéra,  à  la  Chambre  et  mourra  avec  Monsieur  un  tel 
qu'il  représente.  Il  est  un  personnage  anecdotique  et  passager. 

Balzac  avait  soufflé  quelques  flammes  de  son  âme  à  sa  créa- 
tion; M.  Guy  de  Maupassant  a  fait  la  sienne  avec  des  racontars, 
des  potins,  des  faits-divers  et  des  faits-Paris. 


Ce  n'est  non  pas  M.  Paul  Margueritte,  mais-son  frèi-e  M.  A'ictor 
Margucritte,  qui  est  l'auteur  de  la  Chanson  de  la  mer  dont  nous 
avons  fait  l'analyse  dans  noire  numéro  du  îll  septembre. 


328 


UART  MODERNE 


\ 


]I0RL06ËKIE 

On  ne  s'Iiabiliic  pas  assez  \\  considérer  les  Iransformalions 
périodi(jues  de  l'Art  comme  des  évolutions  inéluctables  dont  une 
loi  demeurée  mystérieuse  gouverne  les  phases,  avec  une  autorité 
absolue.  Le  public,  généralement  hostile  ti  toute  idée  de  chan- 
gement, surtout  dans  les  arts,  où  l'assimilation  de  toute  expres- 
sion nouvelle  est  lente  et  laborieuse,  se  révolte,  depuis  des 
siècles,  contre  les  règles  de  cette  législation  qu'il  subit  sans  la 
comprendre. 

Aussitôt  que  surgit  une  école  nouvelle,  il  s'insurge.  Troublé 
dans  sa  quiétude,  obligé  de  réfléchir  pour  savoir  s'il  accueillera 
les  téméraires  qui  osent  forcer  la  consigne  de  ses  appréciations-, 
il  préfère  presque  toujours  leur  jeter  la  porte  sur  le  nez.  Tant 
pis  si  ceux  qu'il  exclut  de  la  s^tc  sont  gens  de  talent  !  Ils  n'ont 
pas  de  gants,  ils  ne  sont  pas  vêtus  comme  les  visiteurs  ordi- 
naires. Ils  n'avaient,  pour  être  reçus,  qu'à  se  présenter  dans  la 
même  toilette  que  les  autres.  —  Baptiste!  n'ouvrez  pas. 

Mais  après  avoir  fait  antichambre  pendant  un  laps  de  temps 
dont  la  longueur  dépend  de  l'humeur  maussade  de  Monsieur 
Public  et  peut-être  de  l'insistance  avec  laquelle  le  nouveau  venu 
aura  agité  le  cordon  de  sonnette,  voici  que  Baptiste  est,  de  gré 
ou  de  force,  obligé  d'entrebâiller  la  porte.  Et,  le  visiteur  introduit, 
que  d'excuses  à  lui  faire  !  —  «  Vraiment,  si  j'avais  su...  Si 
j'avais  pu  prévoir...  En  vérité,  je  suis  désolé...  Je  regrette  pro- 
fondément... »  El  l'autre  murmure  entre  ses  dents:  «  Imbécile! 
Bourgeois  à  l'échiné  de  valet!  La  comédie  sera  donc  toujours  la 
même?  »  Et  durement  il  lui  fait  expier  sa  grossièreté. 

Ce  visiteur,  qu'il  s'appelle  Eugène  Delacroix,  ou  Richard 
Wagner,  ou  Charles  Baudelaire,  ou  Edouard  Manet,  l'histoire 
en  est  toujours  la  même.  Et  comme  l'ignorance,  l'incompétence 
artistique  et  l'entêtement  sont  choses  internationales,  non  sou- 
mises aux  taxes  imposées  par  les  tarifs  douaniers,  il  n'est  pas 
difllicile  de  dresser  pour  la  Belgique  une  liste  d'artistes  auxquels 
nos  compatriotes  ont  fait  ou  font  subir  le  même  traitement  que 
leurs  co-bourgcois  de  France  et  d'ailleurs. 

Mais  s'il  est  possible  d'arrêter  un  moment,  dans  leur  essor,  les 
fiers  artistes  qui  tentent  de  s'élever  vers  les  régions  inexplorées, 
si  on  arrive  h  les  affamer,  à  les  décourager,  U  les  tuer  à  coups  de 
railleries  et  d'insultes,  ou  à  leur  prendre  les  ailes  dans  la  glu  des 
flatteries,  des  commandes,  des  croix  et  des  médailles,  jamais,  au 
grand  jamais,  la  bêtise  humaine  n'est  venue  à  bout  de  comprimer 
un  mouvement  artistique.  Aux  rires,  aux  sarcasmes,  les  écoles 
nouvelles  opposent  des  œuvres,  ainsi  que  dans  les  combats,  elles 
remplacent  les  soldats  tués  et  ceux  qui  ont  passé  à  ennemi.  Et 
toujours,  dans  cette  bataille  à  mort  contre  le  préjugé,  la  foule 
est  vaincue,  obligée  de  mettre  bas  les  armes  et  de  confesser  son 
infériorité. 


Phénomène  curieux,  vraiment  attachant  pour  ceux  qui  aiment 
l'art  dans  toutes  ses  expressions  et  qui  pensent  qu'un  de  ses  plus 
vifsatiraits  est  précisément  sa  perpétuelle  mutabilité.  Comme  la 
grande  séduction  de  la  mer  réside  dans  l'infinie  variation  des 
nuances  qui  la  colorent  et  dans  le  mouvement,  sans  cosse  renais- 
sant, de  ses  flots. 

A  peine  est-il  besoin  de  revenir  sur  ces  questions,  maintes  fois 
agitées,  et  dont  l'histoire  de  l'art  donne  la  solution.  Mais  ce  qui 
a  peut-être  passé  inaperçu  aux  yeux  de  quelques-uns,  c'est  qu'à 
rnesure  qu'apparaissent,  s'épanouissent  et  s'éteignent  dans  l'in- 
cendie d'un  couchant  glorieux  les  écoles  artistiques,  on  voit 
simultanément  grandir,  se  développer  et  disparaître  un  groupe 
littéraire  qui  en  est  le  complément  ou  la  conséquence.  Le 
parallélisme  est  frappant.  A  l'époque  où  seuls  les  alexandrins  de 
Racine,  les  vers  sonores  de  Corneille  emplissaient  la  penséo-des 
rimeurs  et  que  traînait  dans  la  poésie  une  sonorité  cliquetante 
de  glaives,  de  casques,  de  cuirasses,  —  cette  époque  qu'on 
nomme  la  période  classique  et  qu'irrévérencieusement  on  désigne 
aujourd'hui  par  le  Pompierisme,  —  la  peinture  ne  parlait  que 
de  boucliers,  de  péplums,  de  chlamydes,  de  cothurnes.  Tous  les 
meubles  étaient  des  chaises  curules  et  les  marines  n'étaient  peu- 
plées que  de  trirèmes.  Même  raideur  compassée  dans  le  mètre 
des  vers,  dans  le  rythme  solennel  de  la  phrase,  que  dans  le 
dessin  du  Mucius  Scévola  ou  de  la  Mère  des  Gracques  qui  leur 
sefvait  d'illustration. 

Quand  Victor  Hugo  agita  le  drapeau  — ^  alors  écarlate,  aujour- 
d'hui défraîchi,  —  du  romantisme  et  que  les  littérateurs  embou- 
chèrent le  cor  d'Hernani  pour  crever  le  tympan  des  classiques, 
les  peintres,  d'un  mouvement  unanime,  bossuôrent  les  casques 
romains  de  leurs  mannequins,  coupèrent  les  péplums  pour  en 
faire  des  manteaux  dans  lesquels  ils  se  drapèrent,  et  tandis  que 
la  foule  résistait  avec  rage,  cramponnée  aux  basques  de  ses  pom- 
piers tant  aimés,  Delacroix  et  toute  l'école  imposait  de  vive  force 
l'art  mil-huit-cent-trenteux  qui  finalement  triompha. 

Mais  voici  Courbet  et  le  Réalisme.  Et  tout  aussitôt  le  Natura- 
lisme littéraire,  personnifié  par  Emile  Zola.  De  part  et  d'autre, 
recherche  opiniâtre  de  la  vérité,  puissance  extraordinaire  d'ex- 
pression, abandon  absolu  des  formules  jadis  en  honneur,  sujets 
choisis  autour  de  soi,  dans  les  classes  aussi  méprisées  par  les 
amants  du  grand  art  classique  que  par  les  fervents  du  roman- 
tisme. 

Il  y  eut  des  pleurs,  des  hurlements  et  des  grincements  de 
dents.  Mais  Courbet  entra  au  Louvre,  solennellement,  et  Zola 
n'est  plus  discuté. 

Le  Naturalisme  arrivé  —  la  main  dans  celle  du  Réalisme  —  à 
son  apogée,  il  fallait,  pour  obéir  à  la  loi  dont  nous  parlions  au 
début,  que  l'art  subît  une  transformation  nouvelle.  11  se  fit,  avec 
Edouard  Manet,  impressionniste,  et,  de  même,  impressionnistes 
sont  les  écrivains  de  la  génération  nouvelle.  Que  dit  Verlaine, 
dans  son  dédaigneux  Art  poétique  qui  résume  la  doctrine  de  ceux 


que  mord,  aujourd'hui,  lo  plus  cruellenicnt,  la  dcnl  des  journa- 
lisles,  ces porle-voix  de  la  foule? 

...  Nous  voulons  la  Nuance  encor, 

Pas  la  couleur,  rien  que  la  Nuance  ! 

Oh  !  la  Nuance  seule  fiance  '  , 

Le  rêve  au  rêve  et  la  flûte  au  cor. 

Et  toule  la  pléiade  de  jeunes,  de  plus  en  plus,  s'attache  à 
exprimer,  on  des  vers  fluides,  de  fugitives  pensées,  d'une  subti- 
lité raffinée,  scmblablement  au  groupe  de  peintres  qui  saisissent 
et  fixent  sur  la  toile  les  effets  les  plus  éphémères  que  donne  le 
spectacle  de  la  nature. 

Si  bien  que  l'on  pourrait,  semble-l-il,  diviser  l'histoire  com- 
parée des  diverses  manifestations  de  l'Art  en  deux  colonnes  qui 
porteraient,  l'une  les  étapes  marquées  par  les  peintres  :  Classi- 
cisme, Romantisme,  Réalisme,  Impressionnisme,  l'autre  les  quali- 
fications adoptées  pour  indiquer  les  évolutions  des  Lettres  : 
Classicisme,  Romantisme,  Naturalisme,  Déliquescence. 

Faut-il  voir  dans  ce  parallélisme  rinlïuence  directe  d'un  art 
sur  l'autre,  les  peintres,  par  exemple,  subissant,  au  contact  des 
littérateurs,  les  modifications  q'ui  transforment  peu  à  peu  les  pro- 
ductions de  ceux-ci,  ou  réciproquement  les  hommes  de  lettres 
marchant  dans  le  sillage  dos  artistes  de  la  brosse  et  éprouvant 
toutes  les  oscillations  imprimées  au  navire  qui  les  porte? 

Nous  ne  le  pensons  pas.  Les  peintres  lisent  peu,  quand  ils 
lisent!  El  les  écrivains  n'ont  pas  toujours  lé  souci  des  toiles 
peintes  bordées  d'or  qui  sortent  des  ateliers.  Mais  les  uns  et  les 
autres  sont  mus  par  les  rouages  mystérieux  de  l'horlogerie  com- 
pliquée qui  donne  aux  arts  leur  impulsion.  A  l'heure  fatale,  le 
remue-ménage  des  ressorts,  des  poids,  des  échappements  se  pro- 
duit, invinciblement,  avec  l'irrésistible  puissance  des  mouvements 
automatiques.  La  période  est  révolue,  les  aiguilles  ont  accompli 
leur  tour,  le  carillon  sonne.  Et  tandis  que  le  public  s'étonne  de 
l'heure  qui  marche,  le  critique,  impassible,  règle  sa  montre, 
l'oreille  tendue  aux  vibrations  du  timbre,  et  attend  paisiblement 
l'heure  suivante. 


PeCKME3PER  Sf   -Ç 


le 


A  propos  du  théâtre  de  la  Monnaie. 

Dans  un  article  fort  serré,  publié  récemment  ^ar  la  Chronique  y 
Victor  de  la  Hesbaye  a  fait  très  à  propos  la  leçon  à  un  groupe 
déplaisant  de  personnages  qui,  confondant  1885  avec  183o,  s'ima- 
giiicnt  qu'il  appartient  encore  l\  une  demi-douzaine;  de  dileltanti 
de  comédie  de  régenter  le  goût  et  d'enseigner  au  commun  des 
mortels  ce  qui  est  conforme  et  ce  qui  n'est  pas  conforme  aux 
habitudes  vieillottes  de  Messieurs  les  abonnés. 

Le  public  a  eu,  l'an  dernier,  lors  des  représentations  des  Maî- 
tres-Chn7iteurs,  une  occasion  solennelle  de  réduire  h  l'impuis- 
sance les  turbulences  et  les  prétentions  de  ces  Beckmesscr  de 
seconde  main  qui  se  démènent  comme  si  l'on  on  était  encore  h 
Bruxelles  aux  temps  légendaires  où,  après  trois  débuts  réglemen- 
taires, les  dits  Messieurs  les  abonnés  se  rendaient  processionnel- 


lement  au  foyer  pour  décider  seuls,  par  boules  noires  et  par 
boules  blanches,  quels  seraient  les  artistes  des  deux  sexes  que 
l'ensemble  de  la  population  serait  tenue  de  subir. 

Nous  sommes  heureusement  débarrassés  de  ces  habitudes  de 
petite  province  et  désormais  ce  n'est  plus  la  salle  qui  doit  se  con- 
tenter de  la  partie  digérante  des  spectateurs,  mais  cette  partie 
digérante  qui  doit  subir  les  volontés  de  la  salle,  dût  le  dîner  ne 
point  passer. 

Il  n'est  pas  inutile  de  le  rappeler,  non  dans  l'espoir  de  corri- 
ger de  leur  irrémédiable  fatuité  ces  caricatures,  mais  pour  raffer- 
mir le  |)ublic  dans  la  conscience  de  ses  droits  et  l'encourager  à 
faire  prompte  justice  lorsque  trois  pelés  et  deux  tondus  s'avisent 
de  faire  tapage  à  tort  et  h  travers.  Aujourd'hui 

Tout  le  droit  qu'à  la  porte  on  achète  en  entrant 

n'est  pas  de  troubler  quand  même  le  plaisir  commun,  parce  qu'on 
est  îi  peu  près  seul  de  son  avis,  mais  de  se  tenir  coi  lorsque  de- 
vant des  manifestations  contraires  non  équivoques,  on  n'est  plus 
qu'un  trouble-féle.  C'est  ainsi  que  la  police  elle-même  interprète 
ce  droit  nouv^eau  qui  peut  contrarier  les  pachas  à  trois  cheveux 
qui  utilisaient  leur  intransigeance  pour  se  faire  bien  venir  des 
dames  menacées  de  chut,  mais  qui  met  désormais  nos  théâtres 
à  l'abri  de  coups  d'état  dont  les  mobiles  sont  la  plupart  du  temps 
peu  méritoires.  - 

Victor  de  la  Hesbaye  signalait  qu'à  une  des  représentations  de 
la  troupe  d'opéra-comique  du  théâtre  de  la  Monnaie,  qui  est  la 
meilleure  qu'on  ait  entendue  depuis  vingt  ans  peut-être,  une 
roue  de  char  ayant  grincé  à  la  fin  d'un  acte,  cette  estudiantina 
sur  le  retour  s'était  mise  h  ricaner.  Cela  donne  la  mesure  de 
ses  préoccupations  cl  démontre  qu'il  s'agit  de  ces  éternels  mécon- 
tents qui  sentent  que  rien  ne  leur  donnerait  quelque  importance 
en  ce  monde  s'ils  ne  se  démenaient  pas  hors  de  propos  et  n'y 
allaient  de  leur  petit  scandale. 

Partout  et  toujours  ce  sont  des  éléments  de  trouble  et  les  plus 
igniires  des  juges.  Chercher  la  petite  bêle  (peut-être  par  analogie 
personnelle)  est  leur  unique  aff'aire.  Ce  sont  eux  qui  chicanaient 
au  début  l'œil  bigle  de  M"«  Deschamps  et  la  grande  taille  de 
M"^«  Caron.  Si  on  les  en  eût  cru,  Gresse,  h  ses  premières  repré- 
sentations, eût  dû  être  sacrifié  pour  cause  de  vulgarité.  Et,  phéno- 
mène amusant,  dès  que  le  public  leur  a  imposé  sa  volonté,  en 
chiens  battus  ils  s'acharnent  h  ne  plus  vouloir  que  ce  qu'ils  pour- 
suivaient d'abord  de  leurs  abois,  et,  s'ils  le  perdent,  deviennent 
intraitables  pour  toute  nouveauté.  On  peut  leur  appliquer  ces 
observations  d'un  grand  artiste  :  Avec  tous  leurs  airs  rebelles,  ce 
ne  sont  au  fond  que  des  idolâtres;  ils  sont  sceptiques,  oui,  mais 
crédules;  leur  plus  impérieux  besoin  c'est  de  croire,  et  leur  habi- 
tude native  de  se  soumettre;  ils  changent  de  maître,  ils  changent 
d'idoles;  leur  nature  sujette  subsiste  l\  travers  tous  les  renverse- 
ments; ils  n'aiment  pas  qu'on  les  enchaîne,  et  ils  s'enchaînent^ 
ils  doutent,  ils  nient,  puis  ils  admirent,  et  dès  qu'ils  admirent  on 
obtient  d'eux  le  plus  coriiplet  abandon  de  cette  faculté  de  libre 
examen  dont  ils  prétendent  être  si  jaloux. 

Telle  est  bien  leur  constante  histoire.  Après  avoir  fait  la  petite 
bouche  à  l'égard  de  M""^  Caron,  de  M"»^  Deschamps,  de  Gresse, 
ils  en  sont  devenus  fanatiques.  Après  avoir  accueilli  avec  des 
sous-entendus  sans  fin,  la  direction  Sloumon  et  Calabrési,  ils  ont 
fini  par  se  persuader  qu'il  n'y  avait  que  celle-là  de  possible. 
Lors  de  la  nomination  de  M.  Verdhurt  ils  ont  mené  un  sabbat  de 
cancans  qui  a  épouvanté  les  artistes  et  les  a  entraînés  à  une  fuite 


que  plusieurs  regrollcnl  niitant  fjuo  le  public.  El  celle  belle 
besoL^iie  accomi)lie,  voici  qu'ils  recomnienccnl  leur  jeu  ineple  à 
r-tou'd  (les  nouveaux  éléments  1res  judicieusernenl  réunis  par  la 
direction  ncluelie,  donl  l'opinion  se  déclare  satisfaite  saut  les 
remanieinenls  aux(iucls  on  iféchnppc  pas  elqui  sont  celle  année 
moins  nojnijrcux  (lue  jamais.  Ces  mécontents  qui,  l'an  dernier, 
onl  pendant  i)lusieurs  mois  subi  une  Iroupe  d'opéra-comi<pie 
mutilée,  qui,  dans  le  grand  opéra  se  contentaient  de  M"'*'  Caron 
el  de  Gresse,  s'avisent  tout  h  coup  (lu'il  faudrait  (jue  même  le 
macliinisie  fût  un  demi-dieu  ! 

C'est  là  une  plaisanterie  trop  sotte  pour  durer.  Le  public,  par 
son  (mipressemenl  sans  |)récédenls  et  son  altitude  éneri,nque, 
altestc  ({u'il  s;iil  gré  ii  la  direclion  nouvelle  de  sa  bonne  volonté 
el  de  son  intelligenc(\  Il  lui  est  reconnaissant  de  ce  qu'elle  a  déjà 
iail  en  lui  donnant  pour  les  leuvres  légères  un  ensemble  admi- 
rable doill  ou  était  sevn;  depuis  M'"^'  Boulard,  el  il  attend  avec 
confiance  l;i  correction  de  ce  ([ui  manque  encore  au  grand  opéra. 


IVIE?.1ENT0  DES  EXPOSITIONS  ET  CONCOURS 

Anvers.  —  Concours  pour  le  nioiiunicnl  (rHenri  Conscience.  Base 
du  monument  :  5'", 15  de  longueur  sur  3'", 75  de  largeur.  S'adresser 
ail  Comité  central,  au  Musée  Plautin. 

Nice.  —  Concours  pour  le  monument  de  Garibaldi.  Projets  reçus 
jusqu'au  30  novemlîre.  Deux  primes  (1,500  et  1,000  francs)  sont 
allouées  aux  auteurs  des  deux  meilleurs  projets  non  adoptés.  Coût 
total  du  monument  :  70,000  francs, 

Prix  du  Roi.  —  Concours  de  1886.  1887  et  1888.  —  Uu  arrêté 
royal  du  20  avril  courant  porte  que  le  prix  à  décerner  en  1886  (cou- 
CQurs  exclusivement  belge)  sera  attribué  à  l'ouvrage  le  mieux  conçu 
pour  développer  chez,  la  jeunesse  belge  l'intelligence  et  le  goût  des 
littératures  ancieinies  et  modeuies. 

Le  prix  à  décerner  en  1887  (concours  exclusivement  belge)  sera 
attribué  à  l'ouvrage  qui  démontrera  le  mieux  de  quelle  manière  la 
Belgique  doit  comprendre  son  rôle  dans  la  grande  famille  euro- 
péenne, tant  au  point  de  vue  politique  et  intellectuel  qu'au  point  de 
vue  matériel,  pour  servir  le  mieux  ses  propres  intérêts  eu  même  temps 
que  ceux  de  la  civilisation  en  général. 

Le  prix  à  décerner  eu  1888  (concours  exclusivement  belge)  sera 
attribué  au  meilleur  ouvrage  sur  l'enseignement  des  arts  plastiques 
en  Belgique  et  sur  le  moyen  de  dévelop|)er  l'art  eu  Belgique  et  de  le 
porter  à  un  niveau  de  plus  eu  plus  élevé. 

Les  ouvrages  destinés  à  ces  concours  devront  être  transmis  au  mi- 
nistre de  l'agriculture,  de  rindustrie  et  des  travaux  publics,  àsavoir: 
pour  le  prix  à  décerner  en  1886,  avant  le  l*'''  octobre  1886,  et  pour 
les  deux  autres,  respectivement  avant  le  1er  janvier  jes  années  1887 
et  1888.  •  "  ■ 

Vienne.  —  Concours  pour  l'érection  d'un  monument  à  Mozart. 
La  place  sur  laquelle  doit  être  élevé  le  monument  n'étant  pas 
encore  déterminée  par  la  municipalité,  le  concours  reste  ouvert. 

Concours  poétique  du  midi  de  la  frange.  —  XXX Ve  concours 
(15  août-ler  décembre  1885).  —  Vingt  médailles  eu  or,  argent, 
bronze.  Demander  le  programme  à  M.  Ev.  Carrance,  président  du 
Comité,  6,  rue  du  Saumon,  à  Ageu  (Lot-et-Garonne). 


pETlTE    CHROfliqUE 


Le  directeur  du  théâtre  de  Namur,  M.  Jules  Sens,  se  propose  de 
monter  cet  hiver  Etienne  Marcel  de  Camille  Saint-Saëns,  qui 
viendrait  lui-même  diriger  son  opéra. 


Nous  ai)prenons  que  M.  Joseph  Hollman,  violoncelliste  du  roi  de 
Hollande,  l'era  une  tournée  en  Hollande  el  i)eut-être  en  Belgique,  en 
novembre  ol décembre  jjrochain.  avec  le  concours  de  M.  Raoul 
Pugno,  pianiste-compositeur,  de  Paris,  et  MUo  Elisabeth  Scharweuka, 
chanteuse  de  l'Opéra  de  Munich. 

L'organisation  de  celte  louruée  est  confiée  à  M.  René  Devleeschou- 
Aver,  à  qui  on  peut  s'adresser,  95,  rue  des  Deux-Eglises,  pour  ren- 
seignements et  engagement.^. 

Le  violoiiiste  J. -Jacques  Haakman,  l'-^'  j)rix  du  Conservatoire 
royal  de  Bruxelles,  vient  de  faire  une  tournée  artistique  au  Canada. 

Les  journaux  de  Québec,  de  Montréal,  etc.,  font  un  grand  éloge 
du  talent  du  jeune  virtuose  et  le  mettent  en  ligne  avec  les  meilleurs 
artistes  qui  se  sont  fait  entendre  dans  ce  pays. 


Le  conseil  d'administration  de  l'Union  centrale  des  arts  décoratifs 
vient  de  prendre  des  décisions  définitives  relativement  à  la  création 
projetée  d'un  musée  permanent  dans  l'ancien  palais  de  la  cour  des 
comptes  à  Paris.  . 

La  loterie  ayant  produit  une  somme  nette  d'environ  5,500,000  fr., 
on  emi)loierait  à  la  restauration  d'une  partie  du  palais  incendié  du 
quai  d'Orsay  3  millions,  somme  jugée  suffisante  i)our  assurer  uue 
installation  convenable,  et  les  2  millions  1/2  restants  seraient  consa- 
crés à  des  achats  d'objets  d'art  anciens,  qui  viendraient  augmenter 
les  précieuses  collections  que  possède  déjà  l'Union  centrale. 

Le  projet  de  création  de  ce  nouveau  musée  étant  déjà  déposé  la 
Chambre  des  députés  aura  à  se  prononcer  définitivement  sur  son 
approbation,  et  si  la  création  projetée,  reconnue  déjà  d'utilité 
publique,  ne  rencontre  pas  d'opposition,  ou  pourra  commencer,  dès 
le  mois  d'avril  prochain,  les  travaux  de  restauration  du  palais  du 
quai  d'Orsay.  - 

Il  est  probable  que  la  i)rochaine  exposition  des  arts  décoratifs  aura 
lieu  en  1889  et  coïucitl^ra  avec  la  grande  exposition  internationale 
projetée.  , 

L'Art  ornemental  fait  part  d'une  curieuse  découvert^  faite  en 
Amérique. 

Des  ouvriers  employés  à  creuser  un  puits  de  mine  près  de  Moberly 
(Missouri)  viennent  de  découvrir,  à  300  pieds  de  profondeur,  une 
antique  cité  restée  intacte  grâce  à  une  couche  épaisse  de  lave  durcie 
qui  forme  voûte  au  dessus  d'elle.  Avis  de  cette  découverte  a  été 
envoyé  à  Moberly,  et  un  certain  nombre  de  notables  de  cette  ville 
ont  entrepris  immédiatement  uue  première  exploration  qui  a  duré 
douze  heures. 

Les  explorateurs  croient  n'avoir  vu,  dans  cet  espace  de  temps, 
qu'une  petite  portion  de  la  ville  ensevelie. 

Les  rues  qu'ils  ont  parcourues  étaient  régulièrement  tracées  et 
bordées  de  murs  en  maçonnerie  grossière.  Ils  sont  entrés  dans  une 
salle  de  30  pieds  sur  100  garnie  de  bancs  de  pierre,  et  où  il  y  avait 
une  quantité  d'outils  pour  travaux  mécaniques.  Dans  plusieurs  bâti- 
ments sont  des  statues  faites  d'une  composition  ressemblant  au 
bronze,  mais  plus  terne. 

Au  milieu  d'une  vaste  cour  ou  place  se  dresse  uue  fontaine  de  pierre 
d'où  coule  une  eau  que  les  explorateurs  ont  goûtée  ;  ils  lui  ont  trouvé 
un  goût  prononcé  de  chaux. 

Près  de  la  fontaine  gisaient  des  portions  d'un  squelette  humain. 
Les  os  d'une  jambe  ont  été  mesurés  par  le  recorder  :  le  fémur  est 
long  de  quatre  pieds  et  demi,  et  le  tibia  de  quatre  pieds  trois  pouces  ; 
d'où  Ton  déduit  que  l'homme  devait  avoir  une  taille  triple  de  la  taille 
moyenne  de  nos  jours. 

Les  explorateurs  ont  trouvé  aussi  des  couteaux  de  bronze  et  de 
silex,  des  scies  métalliques  et  beaucoup  d'autres  outils  dont  le  travail, 
quoique  grossier,  comparé  à  celui  des  fabricants  d'aujourd'hui,  dénote 
un  état  avancé  de  civilisation. 


UART  MODERNE 


331 


EST  ENTRÉ  DEPUIS  LE  Y'  JANVIER  1885  DANS  SA  CINQUIÈME  ANNÉE 

L'ART  MODERNE  s'ost  acquis  par  rautorité  et  rindépendance  de  sa  critique,  par  la  variété  de  ses 
informations   et    les   soins   donnés   à   sa   rédaction   une  place   prépondérante.    Aucune   manifestation  de  l'Art  ne 

lui  est  étran.i^^ùro  :  il  s'occupe  de  littérature,  de  peinture,  de  sculpture,  de  gravure,  de  musique, 

d'architecture,  etc.  Consacré  principalement  au  mouvement  artistique  belge,  il  renseigne  néanmoins  ses 
lecteurs  sur  touS  les  événements  artistiques  de  l'étranger  qu'il  importe  de  connaitre.    ^ 

Ciiaquo  livraison  de  l'ART  MODERNE  s'ouvre  par  une  étude  approfondie  sur  une  question  artistique 
ou  littéraire  dont  l'événement  de  la  semaine  fournit  l'actualité.  Les  expositions^  les  livres  noiivcaux,  les 
X>remièr<'s  représentations  d'œuvres  dramatiques  ou  musicales,  les  conférences  littéraires^  les  concerts,  les 
ventes  dohjets  (Vart,  font  tous  les  dimanches  l'objet  de  chroniques  détaillées. 

L'ART  MODERNE  relate  aussi  la  législation  et  la  jurisprudence  artistiques.  Il  rend  compte  des 
procès  les  plus  intéressants  concernant  les  Arts,  plaides  devant  les  tribunaux  belges  et  étrangers.  Les 
artistes  trouvent  toutes  les  semaines  dans  son  Mémento  la  nomenclature  complète  des  expositions  et 
concours  auxquels  ils  peuvent  prendre  part,  en  Belgique  ,et  à  l'étranger.  Il  est  envoyé,  gratuitement  à 
l'essai  pendant  un  mois  à  toute  personne  qui  en  fait  la  demande. 

L'ART  MODERNE  forme  chaque  année  un  beau  et  fort  volume  d'environ  450  pages,  avec  deux 
tables  des  matières,  dont  Vune  par  ordre  alphabétique,  de  tous  les  artistes  appréciés  uit  cités.  Il  constitue  pour 
l'histoire  de  l'Art  le  document  LE  PLUS  COMPLET  et  le  recueil  LE  PLUS  FACILE  A  CONSULTER. 


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rue  de  l'Industrie,  26,  au  prix  de  30  francs  chacun. 


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de  32  pages  au  mois. 


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Fondateur  :  G.  Ventexat. 
Rédacteur  en  chef  :  Charles  Fuster. 
Administrateur  :  G.  Le  Petit. 

La  Revue  paraît  le  15  de  chaque  mois,  en  livrai- 
sous  de  64  pages. 

Le  prix  de  l'abonnement  est  de  12  francs  pour 
la  France  et  de  13  francs  pour  l'étranger.. 


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Sauf  le  roman,  tous  les  articles  publiés  par  la 
Revue  sont  inédits. 

La  Revue  ouvre  ses  colonnes  aux  jeunes  écri- 
vains. Toute  œuvre  qui  lui  esUadressée  est  exa- 
minée par  son  comité  de  direction,  et  insérée,  s'il  y 
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La  Société  Nouvelle  paraît  le  25  de  chaque 
mois  par  livraisons  de  70  à  80  pages  chacune. 
Elle  publie  des  études  sociales,  historiques 
et  littéraires,  ainsi  que  des  articles  de  cri- 
tique. 

La  Revue  s'est  assurée  de  nombreux  cor- 
respondants dans  les  principaux  pays  de 
l'Europe. 

Grâce  à  l'appui  que  lui  prêtent  les  chefs 
du  mouvement  social  dans  ces  divers  pays, 
nos  lecteurs  seront  tenus  au  courant  des  prin- 
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CONFÉRENCES  DU  JEUNE  BARREAU  DE  BELGIQUE 

Prix  de  l'abonnement  annuel  :  Belgique,  5  fr.  -  Etranger,  6  fr, 


RÉDACTION  : 

Les  communications  relatives  à  la  rédaction 
doivent  être  envoyées  à  M.  Arthur  James,  avocat, 
délégué  QM  Bulletin  des  Conférences,  rue  du  Luxem- 
bourg, 10,  Bruxelles. 

ADMINISTRATION  : 

Les  demandes  d'abonnement  doivent  être  adres- 
sées aux  éditeurs  :  MM.  Bruylant-Christophe 
et  C",  rue  Blaes,  33,  à  Bruxelles. 


332 


VART  MODERNE 


JOURNAL  DES  TRIBUNAUX 

PARAISSANT   LE   JEUDI   ET   LE   DIMANCHE 

FAITS   ET  DÉBATS  JUDICIAIRES.   —  JURISPRUDENCE.  —  BIBLIoaRAPHIE.  —  LÉGISLATION.  —  NOTARIAT 


ADMINISTRATION 

k  la  librairie  FERDINAND  LARCIER,  10,  rue  des  Minimes,  à  Bruxelles 

Tout  ce  qui  concornc  la  rédaction  et  le  service  du  journal  doit  être  envoyé  à  cette  adresse.  —  Tous  les  numéros 
sont  déposés.  '  , 

Toute  réclamation  de  numéros  doit  parvenir  au  Journal  dans  le  mois  de  la  publication.  Passé  ce  délai,  il  ne  pourra 
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Dimanche  18  Octobre  1885. 


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Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 
l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


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OMMAIRE 


Exposition  des  Beaux- Arts  a  Anvers.  En  Noriccgc.  Second 
article.  —  Correspondance  d'artistes.  —  Livres  nouveaux.  Vi- 
vianCy  par  Jcnu  Lorrain;  Les  conours  cocasses,  par  Alain  Bau- 
qucsne;  Précis  de  l'histoire  des  Beaux- Arts,  \)dt.v  le  D"*  Lubke. 
—  Théâtre  des  la  ^Monnaie.  —  Le  niveau  de  l'Art.  —  Gorres- 

rONDANCE    MUSICALE   DE    PaRIS.    PeTITE    CHRONIQUE. 


EXPOSITION  DES  BEAUX-ARTS  A  ANVERS 

EN   NORAVÈGE 

< 

Second  article. 

Le  catalogue  renseigne  quatre-vingt-seize  toiles  de 
cinquante-deux  peintres  norwégiens  portant  des  noms 
en  old,  en  ahl,  en  iind,  en  ohg,  en  svig,  que  n'eussent 
pas  démentis  les  plus  farouches  Vickings.  Mais,  chose 
singulière,  parmi  ces  tableaux,  il  en  est  pourtant  qui, 
eux  aussi,  sont  atteints  du  pasticha-morbus.  Voyons 
les  auteurs.  Ce  sont  bien  des  péninsulaires  riverains 
des  fiords  :  Voici  Askevold  et  Grimelund,  voici 
Heyerdahl  et  Skramstad,  voici  Gude  et  Ross  ;  on  n'est 
pas  plus  Scandinaves.  Ah!  mais,  que  c'est  curieux  : 
ceux-ci  habitent  Dusseldorf,  Paris,  Munich,  Rome, 
Berlin.  Est-ce  que  par  hasard  tous  ceux  qui  nous 
paraissent  malades  ne  seraient  pas  dans -le  même  cas? 
Auraient-ils  quitté  la  terre  natale  pour  aller  prendre 
ailleurs  les  germes  de  la  phthisie  artistique  qui  les 
ronge? 

Voyons,  comptons,  vérifions.  Page  par  page,  notons 


les  transfuges.  Ils  sont  vingt.  Les  autres  trente-deux. 
Bien.  Maintenant  examinons  les  œuvres  des  uns  et  des 
autres. 

Eloquente  expérience  !  Que  ceux  qui  ne  nous  croient 
pas,  aillent  y  voir.  Pas  un  de  ceux  qui  ont  déserté  leur 
pays  qui  ne  soit  un  imitateur,  Pas  un  de  ceux  qui  est 
resté  fidèle  à  la  glèbe  nationale  qui  n'ait,  même  en  ses 
faiblesses,  le  don  précieux  de  l'originalité.  Pour  les 
premiers  les  misères  de  l'école,  la  sauce  des  uns,  les 
conventions,  les  travers,  les  préjugés  des  autres.  Pour 
les  seconds,  la  franche  allure,  la  sincérité,  l'imprévu, 
et  surtout  ce  charme  qui  faisait  dire  par  Fromentin 
louant  les  peintres  hollandais  du  dix-septième  siècle 
d'avoir  su  rester  chez  eux  et  d'avoir  demandé  leurs 
inspirations  à  la  patrie,  rien  qu'à  la  patrie  : 

"  Même  en  ne  dépassant  pas  les  bornes  des  Sept  Pro- 
vinces, le  champ  des  observations  n'aura  pa%  de  limites. 
Qui  dit  un  coin  de  terre  septentrionale  avec  des  eaux, 
des  bois,  des  horizons  maritimes,  dit  par  le  fait  un 
univers  en  abrégé.  Dans  ses  rapports  avec  les  goûts,  les 
instincts  de  ceux  qui  observent,  le  plus  petit  pays 
scrupuleusement  étudié  devient  un  répertoire  inépui- 
sable, aussi  fourmillant  que  la  vie,  aussi  fertile  en  sensa- 
tions que  le  cœur  de  l'homme  est  fertile  en  manières  do 
sentir.  L'école  hollandaise  peut  croître  et  travailler 
pendant  un  siècle  :  la  Hollande  aura  de  quoi  fournir  à 
l'infatigable  curiosité  de  ses  peintres,  tant  que  leur 
amour  pour  elle  ne  s'éteindra  pas  ". 

Et  cet  artiste  admirable  (qui  fut  peut-être  encore 
plus  écrivain  que  peintre),  dans  le  livre  :  Les  Ma/ti-es 


834 


LART  MODERNE 


(t autrefois,  qui  devrait  Hm  le  bréviaire  de  quiconque 
tient  une  brosse,  et  même  une  plume,  tant,  à  coté 
d'appréciations  contestables  des  œuvres,  il  contient 
de  sains  et  fortifiants  conseils,  ajoute,  développant  cette 
pensée  salutaire  qu'il  faut  être  de  son  milieu  et  que  toute 
'  accointance  étrangère  est  délétère  : 

«  Il  y  a,  sans  sortir  des  pâturages,  de  quoi  fixer  tous 
les  penchants.  Il  y  a  des  choses  faites  pour  les  délicats 
et  aussi  pour  les  grossiers,  pour  les  mélancoliques,  pour 
les  ardents,  pour  ceux  qui  aiment  à  rire,  pour  ceux 
qui  aiment  à  rêver.  Il  y  a  les  jours  sombres,  et  les 
soleils  gais,  les  mers  pâles  et  brillantes,  orageuses  et 
noires;  il  y  a  les  pâturages  avec  les  fermés,  les  côtes 
avec  leurs  navires  et  presque  toujours  le  mouvement 
visible  de  l'air  au  dessus  des  espaces,  toujours  les 
grandes  brises  qui  amoncellent  les  nuées,  courbent  les 
arbres,  font  courir  les  ombres  et  les  lumières,  tourner 
les  moulins.  Ajoutez-y  les  villes  et  l'intérieur  des  villes, 
l'existence  dans  la  maison  et  hors  de  la  maison,  les 
mœurs  crapuleuses,  les  bonnes  mœurs  et  les  élégances, 
les  détresses  de  la  vie  des  pauvres,  les  horreurs  de 
l'hiver,  le  désœuvrement  des  tavernes  avec  le  tabac, 
les  pots  de  bière  et  les  servantes  folâtres,  les  métiers 
et  les  lieux  suspects  à  tous  les  étages,  —  et  d'un  autre 
côté,  l'intimité  dans  le  ménage,  les  bienfaits  du  travail, 
l'abondance  dans  les  champs  fertiles,  la  douceur  de 
vivre  en  plein  ciel  après  les  affaires,  les  siestes,  les 
chasses.  Voilà  les  éléments  d'un  art  tout  neuf  avec  des 
sujets  aussi  vieux  que  le  monde  »» . 

On  dirait  que  les  Norwégiens  qui  donnent  leur 
adresse  à  Christiania,  Bergen,  Hvidingso,  Haugesund, 
se  sont  tous  pénétrés  de  ce  superbe  évangile.  «  Chez  nous, 
autour  de  nous,  ce  qui  est  visible  pour  nous,  »  semble 
être  leur  programme.  Quelques-uns  atteignent  déjà  à 
une  supériorité  indiscutable.  Si  l'école  de  Christiania 
demeure  fidèle  à  ces  origines,  elle  ne  tardera  pas  à 
marquer.  Le  Portrait  de  G.  Munthe,  par  Christian 
Krogh,  les  Deux  sœurs,  par  Eilif  Peterssen,  le  Gamin, 
par  Erik  Werenskjold,  le  Transport  de  glace,  par 
Fritz  Thaulow,  Y  Ecolier,  par  J.  Glorsen,  une  étude  de 
M"*^  Harriet  Backer,  les  Barques  en  temps  de  neige, 
par  E.  Diriks,  Xlntérieur  d'atelier,  par  F.  Kolsto,  le 
Déjeuner  et  le  Matin,  par  Gustave  Wentzel,  sont 
dignes  de  grande  attention  et  tiendraient  brillamment 
leur  place  dans  tout  Salon  qui,  comme  celui  des  XX,  a 
pour  devise  le  mépris  du  conventionnel  et  de  l'artificiel. 

Oui,  cette  petite  exposition  norwégienne  est,  à  notre 
avis,  la  plus  intéressante  de  celles  qui  s'étalent  à 
Anvers,  parce  qu'elle  affirme  silencieusement  un  grand 
principe  et  le  démontre.  Le  thème  est  simple  :  il  s'agit 
de  rendre  à  chaque  milieu  son  intérêt,  de  se  soustraire 
aux  vieilleries  scolastiques,  de  se  passer  des  radotages 
académiques,  de  faire  moins  de  rhétorique,  moins  d'es- 
thétique à  froid,  dé  regarder  de  plus  près,  d'observer 


mieux,  de  peindre  aussi  bien  mais  autrement,  chacun 
pour  soi  et  sur  son  fumier.  Ce  sont  les  conditions  qui, 
d'après  Fromentin,  ont  caractérisé  l'éclosion  de  la 
grande  école  des  Pays-Bas.  En  pareil  cas,  dit-il,  le 
génie  consiste  à  ne  rien  préjuger,  à  ne  pas  savoir  ce 
qu'on  sait,  à  se  laisser  surprendre  par  son  modèle,  à  ne 
demander  qu'à  lui  comment  il  veut  qu'on  le  représente. 
Quant  à  l'embellir,  jamais,  quant  à  l'ennoblir,  jamais, 
à  le  châtier,  jamais  :  autant  de  mensonges  ou  de  peine 
inutile.  N'y  a-t-il  pas  dans  tout  artiste  digne  do  ce  nom 
un  je  ne  sais  quoi  qui  se  charge  (Je  ce  soin  naturelle- 
ment et  sans  effort. 

L'expérience  s'en  fait  présentement  dans  un  centre 
artistique  bien  humble,  aux  confins  de  l'Europe.  Pourvu 
que  rieri  n'aille  gâter  ces  heureuses  tendances.  Puissent 
ces  quelques  lignes  parvenir  jusqu'aux  artistes  simples 
et  bien  portants  qui  les  pratiquent,  pour  les  encourager 
et  les  fortifier. 

Et  il  est  bon  d'y  insister,  car  ainsi  que  le  dit  encore 
l'auteur  du  Sahël,  l'amour  du  chez-soi  n'a  jamais  été, 
pour  les  artistes,  qu'un  sentiment  d'exception  et  qu'une 
habitude  un  peu  singulière.  A  toutes  les  époques  il  s'est 
trouvé  des  gens  a  qui  les  pieds  brûlaient  de  s'en  aller 
ailleurs.  La  tradition  des  voyages  en  Italie  est  peut-être 
la  seule  qui  soit  commune  à  toutes  les  écoles,  flamande, 
hollandaise,  anglaise,  française,  allemande,  espagnole. 
Depuis  les  Both,  Berghem,  Claude  et  Poussin,  jusqu'au 
peintres  de  nos  jours,  il  n'est  pas  de  paysagistes  qui 
n'aient  eu  l'envie  de  voir  les  Apennins  et  la  campagne  de 
Rome,  et  rarement  il  y  eut  école  locale  assez  forte  pour 
empêcher  le  paysage  italien  d"y.  glisser  cette  fleur 
étrangère  qui  n'a  jamais  donné  que  des  produits 
hybrides.  Depuis  trente  ans,  on  est  allé  beaucoup  plus 
loin.  Les  voyages  lointains  ont  tenté  les  peintres  et 
changé  bien  des  choses  à  la  peinture.  Le  motif  de  ces- 
excursions  aventureuses  c'est  d'abord  un  besoin  de 
défrichement  propre  à  toutes  les  populations  accumu- 
lées en  excès  sur  un  même  point,  la  curiosité  de  décou- 
vrir, et  comme  une  obligation  de  se  déplacer  pour 
inventer.  C'est  aussi  le  contre-coup  de  certaines  études 
scientifiques  dont  les  progrès  ne  s'obtiennent  que  par 
des  courses  autour  du  globe,  autour  des  climats,  autour 
des  races.  Le  résultat  fut  le  genre  que  vous  savez  :  une 
peinture  cosmopolite,  plutôt  nouvelle  qu'originale,  qui 
ne  représentera  dans  l'histoire  qu'un  moment  de  curio- 
sité, d'incertitude,  de  malaise  et  qui  n'est  à  vrai  dire- 
qu'un  changement  d'air  essayé  par  des  gens  assez  mal 
portants. 

'     -pORRfl^PONDANCE    D'ARTI^TE^     -~ 

Le  trop  modeste  auteur  de  la  lettre  qui  suit,  où  sont  exprimés 
en  termes  excellenis'  quelques-uns  des  sontimenls  qui  lour- 
mcnlcnt  nombre  d'Esthètes,  ne  nous  en  voudra  pas,  nous  l'espé- 


rons,  (le, la  publier.  11  suffira  qu'on  laisc  el  son  nom  el  le  nom  de 
celui  h  qui  il  s'adresse.  Hien  n'est  plus  intéressant,  plus  profon- 
dément senti  que  ces  confidences  d'artiste  à  artiste. 


Paris,  7  octobre  1885. 


Mon  cher  ami, 


Esprits  noirs,  esprits  blancs, 
Esprits  rouges,  esprits  gris, 
'    ~  Mêlez,  mêlez,  mêlez. 

Vous  qui  savez  mêler! 

Celle  chanson  des  sorcières  de  Macbeth  autour  du  chaudron 
exprime  absolument  tout  ce  que  je  pense  de  la  chaudière  poli- 
tique et  des  ingrédients  qui  y  bouillonnent.  J'ai  eu  le  malheur 
de  lire  plusieurs  journaux  pour  tâcher  de  comprendre,  et  c'est 
ce  qui  fait  que  je  n'en  comprends  rien  du  toul.  Le  gâchis  me 
paraît  idéalement  parfait;  il  faut  attendre  que  le  temps  ait 
écume  la  mixture.  C'est  pourquoi  je  ne.vous  en  dirai  pas  davan- 
tage. Ne  vous  mettez  pas  trop  en  colère  :  ce  n'est  pas  d'aujour- 
d'hui que  les  hommes  sont  faux. 

J'aime  mieux,  puisque  je  me  suis  réservé. un  moment  pour 
causer,  causer  d'art  quelques  minutes.  Je  me  permettrai, 
si  vous  voulez  bien,  de  reprendre  la  tbèse  de  ma  dernière  lettre, 
h  mon  point  de  vue,  bien  entendu.  Notre  entente  définitive  me 
l)araîlrait  avoir  fait  un  grand  pas,  si  vous  vouliez  bien  m'accorder 
tout  d'abord  une  chose  qui  me  paraît,  à  moi,  incontestable  : 
c'est  que  Viiieœprimnble  vaut  seul  la  peine  d'être  dit.  Hc,  parbleu, 
il  est  bien  facile  de  dire  que  Serge  a  mangé  les  millions  de  la 
boulangère  ou  que  M'^«  je  ne  sais  plus  qui  a  fait  un  mariage  de 
dépit  ;  mais  il  est  évident  que  d'est  perdre  du  papier  et  de  l'encre 
que  d'écrire  des  choses  comme  ça.  La  langue,  qui  est  faite  par 
tout  le  monde  et  pour  tout  le  monde,  n'a  de  mots  que  pour  les 
choses  de  tout  le  monde,  pour  les  choses  communes,  les  gros 
Irails,  les  gros  faits.  Or,  les  nuances  infinies  de  la  pensée  ou  de 
la  passion,  les  idées  supérieures  à  leur  objet,  les  émotions  et  les 
impressions  insaisissables  et  indéfinissables  pour  nous-mêmes 
au  moment  où  nous  les  éprouvons,  —  vous  voyez  bien  que  je 
manque  de  mots,  —  enfin  tout  ce  qui  fait  que  l'âme  humaine  est 
supérieure  à  sa  destinée,  et  que  nous  valons  mieux  que  la  vie 
qui  nous  est  faite  —  tout  cela  n'a  pas  de  mot  —  est  ineffable  dans 
le  sens  rigoureux  de  l'expression.  A  peine  si  la  musique  peut  en 
rendre  quelque  chose.  Or,  c'est  cela,  ou  bien  rien,  qu'il  faut  dire. 

Je  sais  bien  que  les  grands  artistes  arrivent  à  communiquer 
des  impressions  et  des  idées  semblables;  mais  c'est  indirecte- 
ment, j'allais  dire  presque  e7i  dehors  des  mots,  et  avec  la  colla- 
boration très  active  du  lecteur. 

Us  mettront,  faute  d'une  expression  plus  juste,  une  nuance 
délicate  de  pensée  dans  un  mot  couramment  employé  dans  un 
sens  plus  commun;  ils  se  fient  à  l'imagination  du  lecteur  pour  en 
restituer  la  valeur  spéciale.  Ils  ont  l'art  suprême  de  vous  faire 
penser  ce  qu'ils  ne  disent  pas,  ce  qu'ils  ne  peuvent  pas  dire,  et  le 
sens  vrai  est  tout  le  temps  à  côté  des  mots  et  au  dessus.  On  le  lit, 
ce  sens  profond,  qui  n'est  écrit  nulle  part,  dans  sa  propre  pensée 
à  soi,  que  l'auteur  a  eu  le  talent  d'amener  à  vibrer  à  l'unisson  de 
la  sienne.  Je  trouve  de  ces  choses-là  à  chaque  instant,  dans 
Michelct,  par  exemple,  dans  Obermann....  Quand  je  dis  que  les 
mots  sont  perpétuellement  à  côté,  tenez,  je  sais  vous  citer  votre 
Baudelaire,  qui  est  un  chercheur  de  mois  :  je  prends  le  sonnet 
que  vous  me  lisiez  un  soir  :• 

Nous  aurons  des  lits  pleins  d'odeurs  légères.... 


et  convenez  avec  moi  que  la  vision  qu'on  peut  se  faire  n'a  rien  du 
sens  matériel  des  mots.  La  même  chose  dans  la  peinture  de  la 
nature;  et,  entre"  parenthèses,  plus  d'un  de  vos  paysages,  à.  vous, 
me  fait  le  même  effet.  Je  me  dessine  le  tableau,  et  puis  je 
le  regarde;  un  sentiment  indéfinissable  est  en  moi,  comme 
il  était  en  vous  probablement  ou,  du  moins,  peu  différent; 
el  je  chercherais  en  vain  le  mot  qui  dit  cela.  C'est  dans  tout, 
ce  n'est  dans  rien.  Mais  avouez  que  pour  produire  ces  effets-là 
il  faut  deux  choses  :  d'abord  une  très  grande  virtuosité  chez  l'au- 
teur et,  en  second  lieu,  une  disposition  particulière  el  conforme, 
comme  je  le  disais,  la  collaboration  du  lecteur.  11  n'y  a  pas  de 
public  pour  ces  choses-là;  il  y  en  a  un,  innombrable,  pour  les 
choses  communes  que  nous  dédaignons,  vous  et  moi. 

En  ce  qui  me  concerne  personnellement,  puisque  vous  voulez 
bien  causer  un  peu  de  moi,  il  y  a  encore  une  autre  chose  dont  je 
me  rends  très  bien  compte,  et  que  vous  sentirez  aussi.  Dès  qu'il 
s'agit  de  parler  de  faits  positifs,  scientifiques,  d'enseignement,  etc., 
je  sais  être  clair;  les  mots  ont  un  sens  précis.  Et  sur  ces  idées-là 
on  peut  s'entendre  avec  tout  le  monde.  Mais,  pour  les  choses  d'art, 
j'éprouve  tout  de  suite  une  défiance  qui  résulte  d'une  sorte  de 
malentendu  qui  a  existé  de  tout  temps  entre  moi  et  les  choses. 
Dès  mon  enfance  j'ai  été  obligé  de  m'apercevoir  que  je  ne  pen- 
sais pas  comme  les  gens  qui  m'entouraient,  et  j'ai  pris  le  parti 
de  garder  mes  pensées  pour  moi.  Le  pli  est  pris.  Ce  n'est  pas  seu- 
lement une  défiance  de  moi,  c'est  aussi,  je  ne  sais  comment  dire, 
une  sorte  de  pudeur  douloureuse. 

Tenez,  la  même  chose  m'a  empêché  d'êlre  orateur.  J'avais 
une  certaine  facilité  à  parler  que  j'aurais  pu  développer,  et  la 
présence  du*  public  ne  me  fait  rien  :  pour  une  leçon  sur 
un  sujet  de  science  ou  d'histoire,  je  me  sens  très  k  mon  aise. 
Mais  qu'il  se  présente  à  mon  esprij.,  seulement,  une  pensée  plus 
intime,  personnelle  en  quelque  chose,  un  sentiment  qui  m'émeuve, 
une  ombre  seulement  de  passion,  je  deviens  enchanté;  plus  de 
mots,  plus  rien.'  Une  sorte  d'angoisse  me  saisit,  et  je  suis  forcé 
d'éluder  ma  propre  pensée  et  de  dévier  de  mon  sujet  ;  sinon  je 
sais  très  bien  ce  qui  m'arriverait,  la  voix  me  resterait  dans  la 
gorge  et  je  serais  forcé  de  m'en  aller.  Que  voulez-vous  faire  avec 
un  tempérament  comme  ça?  C'est  une  maladie,  j'en  conviens. 
Moucher  ami,  chacun  a  sa  névrose  ;  voilà  le  sens  de  la  mienne. 

Voilà  pourquoi  votre  ami  est  muet.  Je  me  rends,  je  crois,  un 
compte  juste  de  ce  dont  je  suis  capable.  En  fait  de  style,  je  crois 
avoir  dans  la  phrase  de  la  clarté,  un  certain  mouvement,  une 
certaine  variété  de  tons,  parfois  un  trait  incisif;  il  y  a  du  dessin, 
si  vous  voulez;  mais  pas  de  couleur.  C'est  gris,  je  sais.  Je  crois 
que  je  pourrais  réussir  dans  certaines  descriptions;  j'ai  le  senti- 
ment de  la  nature,  —  de  celle  que  je  connais,  —  je  pourrais 
arriver  à  un  certain  pittoresque  par  la  simple  fidélité  du  détail  : 
qualité  de  paysagiste.  Et  c'est  ici  comme  pour  le  dessin  :  Je  ne 
sais  pas  faire  le  bonhomme.  Peut-être  —  je  ne  sais  pas,  n'ayant 
pas  essayé  —  peut-être  pourrais-je  faire  un  tableau,  tenant,  par 
exemple,  dans  le  cadre  étroit  d'une  nouvelle,  où  les  personnages 
peuvent  être  mis  en  relief  ave»  quelques  traits,  et  où  l'action  ne 
se  complique  pas,  ne  se  développe  pas  en  longueur  et  largeur. 
J'essaierai  bien  un  jour,  quand  je  trouverai  un  sujet  qui  sera  bien 
dans  mes  cordes,  pour  vous  faire  plaisir,  surtout.  Mais  comment 
voudriez- vous  que  je  fisse,  par  exemple,  un  roman?  Une  œuvre 
d'art,  pour  être  vivante,  doit  être  vécue  ;  il  faut  là  un  caraclère  à 
développer,  un  milieu,  une  action.  11  faudrait  avoir  étudié,  au 
moins,  observé.  Comment  voulez-vous  que  je  peigne  un  monde 


1 


330 


UART  MODERNE 


(|uc  je  n'ai  vu  que  de  loin,  et  dos  passions  qui  me  sont,  incon- 
nues? Je  n'ai  observé  qu'il  i)clile  distance  autour  de  moi,  je  n'ai 
point  de  psycliolocjie  sociijle.  Les  complicalions,  les  conllils  de  la 
vie,  je  n'en  sais  que  par  ouï  dire,  ayant  toujours  soigneusement 
évité  de  me  jeter  à  travers.  Je  ne  ferais  qu'une  œuvre  hasardée, 
d'intuition,  probablement  fausse  en  plus  d'une  chose.  Ou  si  je 
m'avisais  de  chercher  à  peindre  les  pensées  qui  me  sont  fami- 
liùres,  il  est  infiniment  probable  que  je  ne  trouverais  pas  de  lec- 
teurs pour  s'y  inléresser. 

Que  voulez-vous,  mon  cher  ami,  je  sais  bien  que  j'ai  manqué 
tout,  en  fait  d'art,  et  que  je  n'arriverai  à  rien.  Je  m'en  console, 
ayant  accompli  autrement  nia  destinée.  D'ailleurs,  la  vie  est  si 
courte  :  on  n'a  le  lemps  de  riei;.  Je  ne  crois  pas  être  paresseux  ; 
mais  je  n'ose  pas  me  mesurer  avec  une  œuvre  que  je  ne  pour- 
rais sans  doute  pas  exécuter. 

Allons,  voilà  ma  causerie  terminée  ;  j'ai  parlé  de  je  ne  sais 
combien  de  choses.         ^        '-  ' 

Le  jour  baisse  déjà,  et  je  ne  veux  pas  manquer  le  courrier. 

A  bientôt;  — 


h 


L 


JVRE^.    NOUVEAUX 

Viviane,  par  Jean  Lorrain-.  —  Paris,  Giraud. 

On  connaît  de  Jean  Lorrain  trois  œ'uvres  :  Le  Sang  des  Dieux, 
la  Foret  bleue,  Modcrnitcs.  Les  deux  premières,  pleines  de  visions 
grandes,  renferment  de  superbes  sonnets;  la  troisième  est  un 
elfort  raté. 

Voici  rVi'îa»^,  conte  en  un  acte.'  " 

Transporter  à  la  scène  les  galloises  féeries,  avec  leur  décor 
lunaire,  étoile  de  nénupliars,  leurs  devins  et  leurs  mages  et  leurs 
si  enchantantes  mylhologies  et  leurs  légendes  traversées  par  l'ar- 
gent des  traînes,  le  brocart  des  jupes,  la  mousseline  des  hennins, 
la  grâce  serpentine  des  tailles,  l'onduleuse  rivière  des  chevelures 
cl  surtout  les  nostalgiques  appels  des  sortilèges  au  fond  des  clai- 
rières pâles,  serait,  avec  la  fantaisie  épique  d'un  Heine  ou  l'ado- 
rable imagination  d'un  Banville,  créer  un  théâtre  nouveau.  M.  Jean 
Lorrain  veut  l'essaver.  C'est  tentative  originale. 

«•  F». 

Déjà  on  a  réussi  à  rendre  vie  sur  Ja  scène  aux  fols  person- 
nages de  la  comédie  italienne  et  à  toutes  les  carnavalesques  pan- 
talonnades, puis  sont  arrivés  les  exquis  rêveurs,  les  toqués  de 
Watteau,  qui  ont  perlé  de  larmes  le  visage,  jadis  souriant,  de 
Pierrot.  EtCylhère,et  Paphos,  et  toute  l'ascension  des  Amours,  et 
Cydalise  et  Léandre  ont  bleui  et  rosi  l'horizon;  et  les  élégances 
habillées  de  dentelles  et  de  plumes  et  de  fleurs  'sont  descendues 
sur  les  planches. 

M.Lorrain  remonte  rhisloire  et  nous  montre  Boceliande!  Oh!  le 
beau  nom  évocatoire  et  déroulé  comme  une  liane  qui  va  de 
branche  !  en  branche  !  iM.  Lorrain  nous  conte  l'aventure  de  Viviane 
et  Myrdhinn  :  Viviane  la  fée,  l'astucieuse  et  charmante,  surprend 
le  charme  que  Myrdhinn  possède,  Viviane  la  fée,  l'astucieuse  et 
amoureuse,  trompe  Myrdhinn,  qui  croit  l'endormir  par  une  incan- 
tation alors  qu'il  n'endort  que  sa  robe  et  son  hennin  et  qu'elle 
l'écoute  derrière  un  arbre  prononcer  les  paroles  consacrées  et 
qu'elle  le  voit  exécuter  les  rondes  magiques. 

Toute  cette  scène  pourrait  être  charmante. 

Cependant,  M.  Lorrain  est  poète.  Qui  ne  se  souvient  de  la 
Forêt  bleue?  Sa  nouvelle  œuvre  est  peu  scénique;  elle  languit, 
tourne  sur  place;  on  en  demande  la  fin  dès  le  milieu. 


Quelques  vers  parfaits,  ci  et  là.  Voici  un  commencement  de 
récit  niagnilique  : 

Il  était  autrefois  un  roi  de  Samarçande 
A  la  fois  mage  en  Perse  et  prêtre  dans  Assur 
Et  la  neige  des  monts,  l'or  des  blés  et  l'azur. 
Des  mers  étaient  du  Tigre  au  Gange  son  domaine. 

Supeibe,  ce  rejet  du  mot  «  domaine  »,  là  bas,  tout  à  la  fin  de 
la  phrase  comme  pour  agrandir  par  le  rythme  l'immensité  du 

rovaume.  ■  V  "" 

"  .       ■      '  -  ■ 

Lés  Amours  cocasses,  par  Alain  Bauquesxe.  Paris,  OllendortT. 

Livre  écrit  en  style  de  conversation,  au  hasard  du  mot,  avec 
des  bouts  de  phrases  soudaines  comme  des  chiquenaudes  et 
expressives  comme  des  gestes.  Beaucoup  de  talent  espiègle,, 
primesiiutier,  pailleté.  M.  Alain  Bauquesne  tient  de  Daudet,  du 
Daudet  d(?s  Contes,  myis  plus  encore  que  son  maître,  il  aime  les 
ruisselels,  ies  bosquets,  les  tonnelles,  les  charmilles,  toute  la 
poésie  facile  du  jardin  littéraire.  Bien  que  les  titres  de  ses  nou- 
velles, étiquettent  son  talent:  Cahier  (ï  une  Parisienne,  le  Poi- 
rier, Tante  Oija,  Dernier  rendez-vous.  Pour  les  Pauvres,  Rose 
de  Juin. 

Voici  une  de  ses  phrases  :  «  Où  en  étais-je?  Ah!  à  une  figure 
de  rhétorique,  qu'on  appelle...  qu'on  appelle...  Bien  la  peine 
d'avoir  son  diplôme  du  second  degré...  qu'on  appelle...  Enfin, 
n'importe,  une  figure  de  rhétorique  :  je  te  demandais  si  ton  air 
étranger...  mais  non  :  l'air  étranger,  la  fraîche  reliure,  le  private 
en  or,  les  pages  blanches,  ils  avaient  tout  cela,  les  autres.  Alors 
pourquoi  maintenant  quelque  chose  que  j'ai  là  dans  mon  corsage 
fajt-il  tape!  tape!  comme  Dolly  avec  sa  queue  quand  elle  voudrait 
rentrer.  ». 

Cette  phrase  fait  partie  d'une  apostrophe  de  Parisienne  à  son 
Master  blue.  Est-il  nécessaire  d'ajouter  qu'un  tel  livre  est  très 
amusant  à  lire  quand  on  n'a  rien  à  faire  et  qu'il  est,  comme  dirait 
M.  Frederix,le  galant  critique  de  Y  Indépendance,  en  posture  de 
plaire  à  tout  un  joli  petit  monde  de  dames  et  de  demoiselles 
honnêtes. 

Précis  de  l'Histoire  des  Beâux-Arts,  revu  par  le  Dr  Lubke. 
—  Bruxelles  et  Leipzi{^,  Muquardt. 

Voici  quelque  chose  de  lourd  et  d'allemand  : 

Le  chef  de  Junon  orne  la  couverture  et  les  yeux  de  la  déesse 
sont  comme  les  chapitres  du  livre,  vides.  M.  le  D'"  Lubke  parle 
de  l'esthétique  comme  un  boucher  parle  des  bœufs,  il  abat  des 
définitions,  il  vide  des  réputations,  il  tranche,  perfore,  assomme. 
Tout  pour  l'Allemagne,  il  n'y  a  qu'elle  ! 

Il  serait  fastidieux  de  signaler  tous  les  coups  de  boutoir  de 
M.  le  D''  Lubke  à  travers  l'art.  H  n'hésite  jamais.  Ce  doit  être 
quelque  gros  professor  de  là-bas,  mangeant  de  la  statistique  et 
brovant  des  in-folio.. 


JhÉATRE    de    la    ^ONNAIE 

Mercredi  dernier  nous  assistions  à  la  représentation  de  Roméo 
et  Juliette  avec  un  artiste  parisien  de  belle  race,  jeudi  à  celle  de 
Violetta  avec  un,  amateur  viennois.  L'un  et  l'autre  répétaient  au 
coure  de  la  soirée  :  Mais  c'est  mieux  que  chez  nous  ! 

Vraiment  il  faudrait  avoir  bien  mauvais  caractère  pour  ne  pas 
reconnaître  l'extraordinaire  supériorité  de  l'opéra  comique  cet 


hiver.  Tout  le  monde  désarme  cl  il  no  rcsle  plus  qu'une  critique, 
bizarre  assurément  de  la  part  de  ceux  rpii  n'ont  pas  à  supporter 
la  charge  pécuniaire  de  la  troupe  :  C'est  trop  bien  pour  la  iMon- 
naie;  on  gâte  le  métier.  • 

Nous  ne  sommes  pas  en  mesure  d'apprécier  exactement  le  fon- 
dement administratif  de  ce  reproche.  La  nouvelle  direction  a-t-çlle 
dépassé  les  limites  de  ce  qu'il  est  sage  de  mesurer  aux  plaisirs 
des  Bruxellois?  Eût-elle  mieux  fait  do  se  maintenir  dans  les 
anciens  errements,  qui  consistaient  h  ne  donner  qu'un  à  peu  près 
et  à  traiter  parfois  notre  public  comme  un  public  de  province 
qui  se  déclare  satisfait  dès  qu'il  a  un  ou  deux  premiers  rôles  h. 
admirer,  ne  marchandant  pas  le  surplus?  En  serait-il  ainsi  que 
nous  n'aurions  pas  le  courage  de  nous  plaindre  après  les  merveil- 
leuses exécutions  que  tous  ont  pu  entendre,  et  dans  lesquelles  les 
détails  comme  l'ensemble  sont  si  prèsr  de  la  perfection  absolue. 
Orchestre  épuré,  d'une  soui)lesse  et  d'un  fondu  étonnants. 
Chœurs  chantant  juste  et  manœuvrant  sans  maladresse.  Mise  en 
scène  harmonique.  Ballet  débarrassé  des  éléments  disgracieux. 
Une  première  chanteuse  d'une  distinction  suprême,  un  baryton 
dont  la  voix  est  sans  pareille,  un  ténor  un  peu  gros  mais  tenant 
très  correctement  son  emploi,  une  dugazon  qui  plaît  à  tous,  et 
des  rôles' subalternes  où  personne  n'est  ridicule. . 

Quoi  qu'on  fasse,  on  subit  la  séduction  de  celle  unité  qui 
s'améliore  encore  par  l'habilude  des  exécutions  en  commun;  il 
convient  de  ne  pas  oublier  que  la  plupart  des  artistes  se  trou- 
vaient pour  la  première  fois  réunis  sur  les  mêmes  planches  et 
qu'ils  avaient  îi  se  faire  les  uns  aux  autres,  à  prendre  celle  con- 
fiance qui  amène,  le  complet  épanouissement  des  qualités.  Les 
sympathies  des  spectateurs  pour  ces  agents  du  plaisir  désormais 
le  plus  cher  à  notre  population  grandissent  de  soirée  en  soirée  et 
contribuent  à  leur  tour  à  cette  évolution  vers  des  interprétations 
vraiment  dignes  de  noire  capitale.  On  a  beaucoup  remarqué 
l'assiduité  de  la  Reine  aux  représentations.  Le  bruit  s'est  répandu 
qu'à  la  Cour  on  est  très  heureux  du  diapason  auqu(3l  l'opéra 
c6mique  a  été  élevé  sur  notre  première  scène  et  qu'on  y  a  le  vif 
désir  de  voir  le  grand  opéra  monter  au  même  degré.  On  ajoute 
que  le  chef  de  notre  Conservatoire  est  aussi  tout  dévoué  à  l'orga- 
nisalion  nouvelle  et  ne  lui  marchande  pas  ses  soins. 

Le  grand  opéra  a  eu  besoin  de  remaniements  et  l'on  se  trouve 
encore  dans  la  période  transitoire.  La  direction  est  résolue, 
dit-on,  à  faire  les  sacrifices  nécessaires,  dût-elle  passer  par  une 
période  durant  laquelle  les  résultats  pécuniaires  ne  compen- 
seraltîiit  pas  ses  ellbrls.  Elle  veut,  d'après  les  bruits  qui  se  col- 
portent, faire  du  théâtre  de  la  Monnaie  une  instilulion  parfaite, 
elle  croit  que  Bruxelles  la  réclame,  elle  pense  ([ue  c'est  possible, 
elle  entend  montrer  ce  que  cela  coûte,  elle  espère  être  appuyée 
par  ceux  qui  sont  d'avis  qu'à  tous  les  points  de  vue  on  ne  saurait 
faire  dépenses  j)Ius  utiles  que  celles  qui  favorisent  l'art  4e-^ilus 
universellement  goûté  chez  nous  et  vraiment  le  plus  salutaire. 

En  somme,  tout  cela  revient  à  dire  :  Nous  n'entendons  pas  tri- 
cher au  jeu.  11  est  certes  assez  facile  de  marcher  toute  une  sai- 
son avec  une  troupe  boîleuse  quand  le  public  s'est  emballé  pour 
quelques  artistes  favoris.  Celte  façon  de  procéder  économique 
peut  être  fructueuse,  mais  elle  est  conlfaire  assurément  au 
cahier  des  charges  qui  stipule  textuellement  que  «  le  concession- 
naire devra  maintenir  le  théâtre  h  un  rang  élevé  tant  sous  le 
rajiport  du  nombre  et  du  talent  des  artistes  que  sous  celui 
du  luxe  de  la  mise  en  scène  ».  D'année  en  année,  nous  sommes 
devenus  plus  exigeants  ])récisément  parce  que  l'opéra  est  devenu 


plus  populaire.  Nous  voulons  avoir  un  des  premiers  théâtres  du 
continent.  Voici  quelqu'un  qui  l'essaie,  qui  l'a  déjà  obtenu  pour 
un  des  deux  genres,  et  qui  le  veut  pour  l'autre.  Il  lui  manque  un 
ténor  de  grand  opéra  :  il  le  cherche  et  ne  marchande  pas.  Cela 
mérite  certes  encouragement  pt  nous  ne  douions  pas  que  l'ap- 
pui vienne  de  toutes  parts,  car  c'est  fort  rare  un. directeur  qui 
pense  plus  aux  distractions  du  public  qu'à  ses  bénéfices,  et  qui 
met  dans  son  exploitation  plus  d'amour-propre  que  i'amour  du, 
lucre.  • 

Dans  l'état  d'apaisement  où  se  trouve  actuellement  le  pays,  les 
grands  intérêts  artistiques  qui  sont  attachés  au  théâtre  de  la 
Monnaie  constituent  une  des  préoccupations  principales  de  l'opi- 
nion. Il  n'y  a  pas  de  mal  à  ce  que  l'art  prenne  de  temps  en  temps 
le  pas  sur  la  politique.  Dans  Bruxelles  les  hommes  qui  résolu- 
ment s'occuperaient  de  donner  leur  aide  au  programme  nou- 
veau de  la  direction  résumé  en  celte  formule  :  Opéra  comique  de 
premier  ordre,  et  grand  opéra  égal  à  iopéra  comique,  accompli- 
raient certes  une  mission  dont  leurs  concitoyens  leur  sauraient 
gré.  Ce  n'est  pas  ditiicile  et  ce  serait  conquérir  i)romptemenl  une 
granfle  auloriléet  beaucoup  do  popularité.  L'occasion  est  belle. 
Qui  saura  la  saisir?  Nous  sommes  sortis  de  la  période  durant 
laquelle  la  lutte  s'agitait  entre  les  souvenirs  de  la  direction 
ancienne  et  les  efforts  de  la  direction  nouvelle.  Ce  petit  côté  de 
la  question  est  effacé.  Il  ne  s'agit  plus  que  de  la  prospérité  du 
théâtre  dans  le  domaine  artislicjue.  Là  tout  le  monde  peut  s'en- 
tendre. 11  ne  faut  plus  combattre  mais  encourager.  Avec  un  peu 
de  bonne  volonté  nous  pouvons  avoir  le  meilleur  théâtre  de 
l'Europe.  La  moitié  de  la  besogne  est  fuite.  Occupons-nous  de 
l'autre.  *  ;     " 


LE  NIVEAU  DE  L'ART    - 

Par  ce  temps  de  production  hâtive  et  enragée,'  où  le  tableau 
envahit  tout,  encombre  tout,  déborde  des  expositions  et  s'offre  à  vil 
prix  au  passant,  par  ce  temps  de  déconsidération  artistique,  nous 
proposons,  atin  de  réglementer  cette  prostitution  nouvelle,  un  arrêté 
ainsi  conçu  : 

Art.  l".  Toute  œuvre  d'art  n'a  le  droit  d'exister  que  pour  autant 
««  que  le  besoin  s'en  fasse  sentir  ». 

Art.  2.  Les  commissions  d'admission  aux  différentes  expositions 
sont  chargées  de  l'exécution  d\i  présent  arrêté. 

—  Attentat  à  la  liberté  du  travail!  crient  les  Alphonses  de  l'art. 

Qu'ibuous  soit  cependant  permis  de  vous  demander,  ù  peinturlu- 
reurs  nos  amis,  à  quoi  servent  ces  milliers  de  toiles  encombrant  les 
expositions,  suant  l'impuissance  de  leurs  auteurs,  commises  sans  la 
moindre  émotion  artistique,  et  répugnantes  de  banalité,  de  vulga- 
ritel 

Sont-ils  o?uvres  d'art  ces  «  tableaux  «? 

Et  combien  de  ces  choses  dans  les  expositions,  les  plus  gramles  et 
les  plus  otTicielles  même  —  et  surtout. 

Insutîisamment  mauvaises  pour  être  ret'nsées,  mais  médiocres  de 
cette  médiocrité  parfaite,  qui  s'impose  et  étouffe  sous  sou  flux  tou- 
jours grossissant  l'œuvre  saine,  émue,,  convaincue. 

Rares  sont  celles-ci.  Que  d'artistes  de  "  grand  renom  «  se  résignent 
à  ce  métier  abrutissant  du  tableau  d'amateur  ou  de  marchand,  refai- 
sant cent  fois  la  même  œuvre,  sans  oser  s'écarter  de  la  donnée  qui 
leur  a  valu  leur  notoriété  industrielle  ! 

Que  de  fois  l'artiste  devrait  se  dire  :  A  quoi  bo>i  ?  Qu'ai-jo  exprimé 
qui  ne  soit  déjà  dit,  et  mille  fois  mieux  que  je  no  l'ai  pu  dire  ? 
Pourquoi  alors  travailler  bêtement,  mécaniquement,  comme  l'ou- 
vrier abattant  l'ouvrage  de  sa  journée?  Est-ce  do  l'art  ce  que  j'ai  t^iit? 


—  Non.  Xo  valait -il  pas  inioiix  me  croiser  les  bras  que  de  faire  cette 
t'iiose  iniilile  ? 

1^1  celle  i)eînliire-là  est  cependant  encouragée,  elle  a  tous  les  pri- 
vilèirt's,  elle  est  reçue,  et  elle  se  vend. 

C'est  elle  (jui  tue  l'art  et  retarde  le  progrès,  en  envahissant  les 
expositions,  en  acca|)arant  les  encouragements,  en  entretenant  le 
mauvais  goût  du  public,  en  se  nourrissant  aux  ilépens  de  l'autre  :  la 
superbe,  l'indomptée,  mais  celle  aussi  qiii,  à  ses  mauvais  jours,  se 
ronge  les  |)oings,  désespérée  de  la  lutte  ingrate. 

L'origine  même  de  ce  mal,  on  la  trouve  dans  les  académies  et  dans 
les  bourses  d'étude.  '  -^ 

L'académie,  cet  te  couveuse  mécanique  —  usage  garanti  —  au  service 
des  tempéraments  niai  venus,  inculque  à  un  individu  quelconque 
lies  règles  et  des  recettes  Mil'aillibles  qui  iloivent  en  faire  un 
~  artiste  ". 

La  bourse,  c'est  la  somme  annuelle  mécèniennement  octroyée 
par  la  commune  mi  la  province  aux  jeunes  gens  ^toujours  quel- 
coiuiues)  qui  enibrassent  la  carrière  artistique.  — 1^1  que  de  pauvres 
diables  ont  vouhi  profiter' de  cette  maime.  refust'e  à  l'ouvrier  pour 
apprendre  le  métier  qui  doit  le  rendre  utile,  et  bêtement  jetée  alin 
d'aider  les  académies  à  faii*e  de  mauvais  artistes! 

—  Signaler  lemal,  c'est  le  détruire. 

Ilélas  !  non,  car  toujours  l'Etat  se  croira  oliligé  d'avoir  des  cou- 
veuses mécaniques  où  l'on  proclamera  avec  orgueil  avoir  quatorze 
cents  élèves!  (Voir  le  discours  de  M.  l'administrateur  de  l'Académie 
d'Anvers),  et  toujours  les  administrations  croiront  remplir  un  devoir 
patriotique  en  donnant  des  bourses  à  qui  en  veut. 


A. 


CORRESPONDANCE  MUSICALE  DE  PARIS 

Bien  que  Paris-politique  soit  bien  atTairé  en  ce  moment,  Paris - 
'  artiste,  qui  sait  que  ces  elTervescences-là  n'ont  qu'un  temps,  L'en 
luit  pas  moins  sa  toilette  pour  la  Saison  qui  va  s'ouvrir. 

La  plupart  des  théâtres  ont  repris  en  septembre  les  ouvrages  avec 

lesquels,  ils   avaient  clôturé;    les  nouveautés    vont  bientôt   éclore. 

L'Opéra-Comique  a  fait  une  éclatante  reprise  de  V Étoile  du  Nord 

avec  M.  Maurel  dans  le  rôle  de  Pierre  et  M'^^  Isaac  dans  celui  de 

Catherine. 

Le  grand  succès  artistique  de  la  soirée  a  été  pour  cette  cantatrice 
à  la  voix  merveilleusement  pure,  aux  vocalises  d'un  fini  admirable. 
De  ])lus.  M"e  Isaac  a  énormément  gagné  comme  comédienne  ; 
si  sa  physionomie  pouvait  être  plus  expressive,  l'ensemble  de  ses 
moyens  approcherait  de  la  pert'ection. 

M.  Maurel  a  composé  le  rôle  de  Pierre  avec  un  talent  conscien- 
cieux, forçant  surtout  le  côté  brutal  du  rôle'et  voulant  nous  montrer 
uu  véritable  charpentier,  aux  emportements  de  bête  fauve;  le  rôle  est 
bien  étudié  et,  ainsi  compris,  on  l'écoute  avec  intérêt  Comme  comé- 
dien, M.  Maurel  ne  donnait  aucune  crainte;  comme  baryton 
il  ])ouvait  se,  trouver  mal  à  l'aise  dans  le  rôle  de  basse  chantante 
crée  par  Bataille;  et,  dame,  il  y  a  bien  des  passages  où  les  instru- 
ments de  l'orchestre,  les  bassons  surtout,  lui  sont  venus  en  aide; 
mais  on  avait  usé  des  nombreuses  variantes  que  Meyerbeer  a  indi- 
quées et  celles-ci  ont  remis  l'artiste  sur  son  véritable  terrain. 

M.  Fournet,  jtremier  prix  d'opéra,  a  surpris  agréablement  l'audi- 
tC'ire  dans  le  rôle  de  Gritzenko,  où  il  a  trouvé  la  note  juste  des 
éfllets  comiques;  et  Dieu  sait  si  l'on  pouvait  douter  des  aptitude.s 
comiques  de  M.  Fournet! 

Les  autres  interjtrètes  sont  à  la  hauteur  de  leurs  emjihds. 

L'ouverture  a  fait  merveille  et  la  scène  finale  du  secgnd  acte  a  été 
d'une  telle  ampleur  qu'on  a  rêvé  pour  elle  la  belle  scène  de  l'opéra. 

Mais  on  sait  que  M.  Carvalho  a  monté  V Étoile  pour  faire  une 
niche  à  MM.  Ritt  et  Oailhard  ;  il  n'y  a  donc  rien  à  espérer  relative- 
ment à  une  émigration  éventuelle  de  l'ouvrage. 

(Juoi  qu'il  en  soit,  rimjiression  a  été-bonne,  contrairement  à  ce  qui 


*  s'était  pas.sé  pour  le  même  ouvrage  à  Bruxelles,  lors  de  la  clôture  de 
la  saison  dernière  et  i)our  les  adieux  de  MM.  Stoumon  et  Galabrési. 

La  semaine  dernière  a  vu  naître  au  théâtre  des  Nouveautés  une 
opérette  de  MM.  Blum  et  Toché,  musique  du  prix  de  Rome  Gaston 
^^iv\^c{[,e,'n\['\i\x\è^i  le  Petit  Chaperon  Rouge. 

Je  crains  bien  que  la  volte-face  qu'a  faite  M.  Serpette  à  sa  sortie 
du  Conservatoire,  il  y  a  quehjue  vingt  ans,  ne  lui  réussisse  jamais. 
Le  compositeur  n'a  rien  de  cette  facilité  mélodique  ni  de  cette  verve 
endiablée  qui  font  les  succès  d'opérette;  il  flotte  entre  Lecocq  et 
Otïenbach,  sans  ombre  de  personnalité,  et  reste  même  bien  loin  de 
l'Hervé  des  beaux  jours.  Jusqu'ici,  il  n'a  introduit  dans  l'opérette  que 
le  pastiche  des  grands  effets  (l'opéra,  avec  contrepoint,  fugue  et 
autres  finasseries  en  dehors  du  sujet,  et  je  crains  bien  que  le  Petit 
Chaperon  Rouge  n'aille  rejoindre  le  Château  de  Tire-Larigot, 
''Fanfreluche  et  Xsl  Brandie  cassée.  M.  Serpette  eût- il  réussi  dans  le 
genre  sérieux?  On  l'ignorera  toujours;  mais  son  éducation  musicale 
l'aurait  tout  au  moins  mis  à  même  de  produire  des  œuvres  estimables 
sinon  par  l'inspiration  du  moins  par  la  facture.  Dans  l'opérette,  il  ne 
peut,  i)as  plus  qu'un  autre,  prétendre  à  l'estime,  et  lorsque* l'ouvrage 
tombe,  il  a  travaillé  eu  pure  perte.  C'est  une  opérette  de  plus  et  voilà 
tout! 

Les  librettistes,  MM.  Blum  et  Toché,  sont  deux  courriéristes  de 
théâtres;  le  premier  au  Rappel,  le  second  au  Gaulois.  Très  lancés, 
forcément  soutenus  par  la  critiqué,  ces  messieurs  pondent  au  poids 
et  à  l'heure  en  vue  des  droits  d'auteur  qui  rémunèrent  hélas!  plus 
d'activité  que  de  talent. 

Aujourd'hui  le  goût  pour  les  théâtres  du  boulevard  est  tel  qu'uue 
pièce,  si  mauvaise  qu'elle  soit,  est  certaine  d'atteindre  cinquante 
représentations,  et  comme  c'en  est  assez  pour  que  Brasseur  retire 
honnêtement  son  épingle  du  jeu,  on  s'explique  comment  les  direc- 
teurs se  montrent  aussi  coulants  dans  la  réception  des  pièces  éma- 
nant d'auteurs  connus  et  surtout  de  journalistes  en  vogue. 

Dans  le  Petit  Chaperon  Rouge,  ou  a  revu  Brasseur  et  son  fils, 
Berthelier,  Marguerite  Ugalde  et  Juliette  Darcourt. 

Chacun  fait  de  son  mieux,  et  si  de  tels  artistes  n'interprétaient  qlie 
des  rôles  à  leur  taille,  on  passerait  de  délicieuses  soirées  au  théâtre 
des  Nouveautés.  Mais  depuis  1870,  on  n'a  compté  que  trois  opérettes 
à  succès  :  la  Fille  de  3/>ne  Angot,  les  Cloches  de  Corneville  el  la 
Mascotte.  Et  Dieu  sait  combien  ile  frais  pour. en  arriver  là! 

En  ce  qui  concerne  les  concerts,  voici  que  M.  Lamoureux  a  sduftlé 
à  M.  Pasdeloup  son  idée  de  donner  dés  concerts  à  l'Edeu-Théâtre  et 
que  la  Société  des  Nouveaux  concerts  va  y  donner  ses  séances. 

L'entreprise  de  M.  Lamoureux  restera  la  même  qu'au  Chàteau- 
d'Eau  et  vaudra  mieux,  je  crois,  que  tout  ce  que  pourra  entreprendre 
M.  Pasdeloup  qui,  après  s'être  retiré  honorablement,  ferait  bien, 
pour  sa  dignité,  de  rester  dans  la  retraite  qu'il  s'était  imposée  si 
judicieusement. 

Les  concerts  Colonne  rouvriront  prochainement;  quant  à  M.  Ben- 
jamin Godard,  j'estime  qu'il  aura  raison  de  s'en  tenir  à  l'essai  de  l'an 
passé,  et  d'abandonner  son  bâton  de  chef  d'orchestre  pour  reprendre 
la  plume  de  compositeur  qu'il  n'aurait  jamais  dû  quitter. 

GUTELLO. 


ff 


'ETITE     CHROJ^iqU£ 

Furieux  certain  reporter  de  rirrévérence  que  nous  montrons  par- 
fois à  l'égard  de  la  petite  presse. 

Il  nous  qualifie  :  -  Une  revue  plus  ou  moins  artistique,  dont  la 
spécialité  est  l'insulte  he^^iomadaire  à  la  «  petite  presse  ». 

Hélas  !  oui,  bel  ami,  nous  avons  mal  parlé  de  la  petite  presse. 
Nous  lui  ayons  même  adressé  des  coups  qui  l'ont  touchée  ])uisqu'elle 
crie.  Ce  phénomène  qui  vous  met  en  rage  s'est  produit  quand  nous 
l'avons  crue  injuste  ou  méchante. 

Et  nous  recommencerons,  pécheurs  endurcis  que  nous  sommes, 
nous  recommencerons.  Nous  avons  la  manie  de  vouloir  habituer  le 


l)ublic  à  ne  pas  subir  la  tyrannie  de  Messieurs  les  Journalistes.  Le 
meilleur  moyen  nous  a  toujotirs  paru  de  démoiitrer  qu'il  n'en  faut  pas 
avoir  peur. 

p]t  par  malheur,  voici  que  ce  puljlic  pervers  se  fait  à  cette  habitude. 
Il  ne  se  laisse  j)lus  diri},'er  par  la  petite  presse.  On  y  peut  désormais 
goguenarder  et  perrucher  à  loisir,  cela  ne  tire  plus  à  con-îéquence,  et 
les  gens  qu'elle  mord  se  portent  à  merveille. 

On  nous  informe  du  résultat  inespéré  de  la  première  exposition  du 
('ercle  récemment  installé  à  Tournai  :  3,500  entrées  et  le  i»lacemeiit 
de  3,000  billets  de  la  tombola  jirouvent  assez  que  le  public  a  tenu  à 
encourager  cette  tentative  à  laquelle,  oiitre  M.  Allard,  que  nous 
avons  cité,  ont  largement  contribué  MM.  Dç  Baere,  Cliantry-Huylo 
et  Masy. 

Matière  à  un  nouveau  chajjitre  de  notre  Pathologie  littéraire.  Un 
cas  des  plus  curieux  de  cctlemhoitrite  j)ulride  ! 

Parlant  un  jour  de  deux  oisillons  de  la  Je?<>*<?  BcUjiqiœ^  un  de  nos 
rédacteurs  a  écrit  que,  pour  abattre  de  pareils  moineaux,  ppint  n'est 
besoin  de  chevrotines. 

La  plaisanterie  a  fait  rire  la  galerie,  et  les  deux  pierrots  se 
sont  tus. 

Mais  voici  qu'après  plusieurs  mois  les  j)auvrets,  alors  encore  au 
cri  du  nid,  s'imaginant  avoir  acquis  bec  et  ongles,  viennent  donner 
de  la  tête  contre  nos  vitres  et  jjiaillent  avec  frénésie. 

Voir,  dans  le  dernier  numéro  de  leur  petite  pantalonnade  men- 
suelle, un  charabias  trijjle,  sous  ce  titre  qui  donne  un  avant-goût  du 
reste  :  Patuos.ioli. 

Il  s'agit,  y  est-il  confessé,  de  nous  mettre  en  colère. 

Oh!  que  non,  chers  mignons. 

Vous  avez  in  illo  tcntpore  reçu  votre  compte.  Il  était  bon.  C'est 
affaire  réglée.  Pas  de  revision.  La  volée  qu'on  vous  envoya  vous  fit 
alors  descendre  du  perchoir.  Gela  nous  suffit.  Nous  brûlerons  notre 
poudre  ailleurs.  Voulez- vous  bien,  petits  effrontés,  cesser  de  polis- 
sonner  chez  nous  et  retourner  à  la  volière. 

Post-scriptum.  A  ])ropos,  dites-donc  au  maître  pasticheur  don 
Giraud  de  Hérédia  Baudelar  y  Banvillès,  justement  surnommé 
Pierrot  Lunaire  en  tant  que  reflet,  qu'il  repasse  sa  prosodie  afin 
d'éviter  le  ridicule  de  proclamer  doctoralement  qiie  Bruire  a  trois 
syllabes.  Non,  deux,  mon  maître,  la  diérèse  en  trois  n'est  permise 
qu'à  titre  de  licence.  . 

C'est  le  même  expert,  chercheur  de  puces,  qui  à  propos  d'une 
erreur  de  copiste,  visible  pour  tous  excepté  pour  Madame  sa 
Loyauté,  affecte  de  lire  ce  ï^ôle  passionné  pour  ce^  air  passionné. 

Gare  à  lui  si  jamais  on  s'avise  d'écheniller  aussi  ses  faits,  dits  et 
gestes.  A  bon  entendeur,  salut  ! 


On  annonce  qu'une  partie  de  la  société  bruxelloise  s'octfupe 
d'avoir  im  jour  spécial  au  théâtre  de  la  Monnaie,  le  jeudi,  où  l'on 
se  réunirait  de  préférence  à  l'instar  des  habitudes  parisiennes.  Des 
démarches  se  font  et  une  liste  d'abonnement  circule.  Décidément  le 
goût  de  roi)éra  s'accentue. 

Les  journaux  qui  ont  annoncé  la  résiliation  à  Lyon  de  l'engage- 
ment de  M"e  Angèle  Le  Gault,  notre  charmante  première  dugazon 
de  la  saison  dernière,  ont,  en  général,  omis  de  dire  qu'elle  a  été 
nécessitée  par  la  santé  de  la  jeune  artiste,  fort  précaire  à  ce  moment. 
Elle  avait  été  très  bien  accueillie  dans  Guillaume  Tell  et  les 
Jluguowts^co  qr.i  n'étonnera  aucun  de  ceux  qui  l'ont  vue  et  entendue 
dans  ces  rôles  à  Bruxelles. 


M.  G.  Delsaux,  l'intéressant  peintre  dont  nous  avons  à  diverses 
reprises  signalés  les  efforts,  a  invité  récemment  les  artistes  et  les 
amateurs  à  visiter  dans  son  atelier  l'exposition  intime  des  études 
qu'il  a  faites  en  Zelande  durant  ces  derniers  mois.  Nous  comptons 
en  entretenir  nos  lecteurs.  . 


On  annonce  la  mort  de  M:  Mathieu  Nisen,  i)ro(7issour  de  peinture 
à  l'Académie  des  beaux- arts  de  Liège,  officier  de  l'ordre  do  Léopold. 
Il  était  âgé  de  00  ans. 

Il  laisse  .un  grand  nombre  de  portraits  de  personnages  otficiçls  do 
.Liège  entre  autres  celui  du  président  Grandgagnage. 


M.  Joseph  Geefs,  l'un  des  doyens  de  la  sculpture  belge,  est  mort 
la  semaine  dernière,  dans  sa  77"  année.  L'une  de  ses  œuvres  les  plus 
célèbres  est  la  statue  d'André  Vésale.  Il  s'était  voué,  depuis  nombr«î 
d'années,  au  professorat  et  avait  acquis  dans  l'enseignement  aca- 
démique une  autorité  considérable. 


On  nous  prie  d'insérer  le  communiqué  suivant  : 

JOSEPH  LIES. 

Nos  lecteurs  doivent  comprendre  tout  l'intérêt  que  présenterait  le 
catalogue  exact  et  coini)let  des  oeuvres  de  cet  artiste.  Il  a  laissé  une 
liste  de  ses  tableaux  comprenant  119  numéros.  M.  Emile  Lefèvre, 
qui  s'occui)e  d'un  ouvrage  sur  le  peintre  flamand,  a  retrouvé  déjà  un 
grand  nombre  d'autres  tableaux,  ébauches,  dessins  et  esquisses;  il 
nous  prie  de  demander,  à  tous  ceux  qui  ont  connu  Lies,  à  ses  amis, 
à  ses  aflmirateurs.  de  vouloir  bien  lui  donner  les  renseignements 
possibles  à  cet  égard.  . 

Il  attire  particulièrement  l'attentian  des  amateurs  de  peinture  sur 
les  titres  suivants  de  certains  tableaux  :  Charles  Vl-à  la  bataille  de 
Rosebeke.  —  Savoyards.  —  Marie  Stuart.  —  Rêve  indiscret.  — 
Brauwer.  —  Le  Billet.  —  Deux  mariages.  —  Baigneuses.  -^ 
Premier  amour.  —  Soleil  couchant.  —  Christophe  Colomb.  — 
Mauvaise  rencontre.  —  Interrogatoire  de  Jeanne  d'Arc.  —  Paysage 
avec  dames.  —  Causerie.  —  Les  plaisirs  de  l'hiver.  —  Le  page  du 
château  et  la  fille  du  moulin.  —  Un  botaniste  et  sa  fille. 

Prière  d'adresser  les  communications,  47,  rue  de  la  Justice,  à 
Anvers,  à  M.  Emile  Lefèvre; 


Franz  Liszt  quittera  bientôt  Weimar  sans  attendre  le  22  octobre, 
74*^  anniversaire  de  sa  naissance.  Le  maître  est  attendu  à  \Vilhelms- 
hôhe  où  il  passera  quelques  jours  auprès  de  son  ami  Edouard 
Lassen,  qui  y  fait  une  cure.  De  là  il  se  rendra  à  Cassel,  puis  à 
Meiningen,  à  Munich  et  enfin  à  Rome,  où  il  finira  l'année  18&5.  Il 
commencera  l'année  ISSrj  à  *Pesth.  En  avril  1880  il  se  rendra  à 
Londres  où  son  fidèle  /lisciple  Walter  Bâche  organise  en  son 
honneur  un  grand  festivol  qui  comprendra  notamment  la  Sainte 
Elisabeth,  donnée  pour  la  première  fois  en  Angleterre...  et  en 
anglais.  Il  est  possible  qu'avant  ce  voyage  à  Londres,  le  maitre 
visite  Paris,  où  il  est  question  d'exécuter  plusieurs  de  ses  œuvres 
symphoniques  aux  concerts  Colonne. 


Un  artiste  autrichien,  M.  Hlavacek,  expose  en  ce  moment  au 
Palais  des  Beaux-Arts  un  tableau  représentant  la  ville  de  Vienne 
et  ses  .environs  vue  des  hauteurs  du  Nussbetg,  la  jolie  colline  bleue 
qui  forme,  avec  le  Kahlenberg,  te  but  des  excursions  favorites  des 
habitants  de  la  ville  impériale.  L'œuvre  appartient  à  la  famille  des 
tableaux-voyageurs.  On  l'exhibe  avec  quelque" solennité,  on  recom- 
mande aux.  visiteurs  de  le  contempler  par  les  lentilles  d'une  paire  de 
jumelles  (dont  la  location  ne  coûte  que  deux  sous);  un  plan  de  la 
cité  où  fleurit  Johann  Strauss  est  ori'ert,  et,  pour  donner  un  i)eu  de 
couleur  locale  à  la  peinture,  —  qui  en  a  besoin,  —  une  jeune 
hongroise  donne  les  renseignements  utiles  avec  une  b<Mnie  grâce  qui 
inspire  l'envie  de  trouver  le  tableau  charmant. 

Les  Berlinois,  Colonais  et  Dusseldorfois.  auxquels  il  a  été  montré, 
l'ont  trouvé  tel.  Il  est,  d'ailleurs,  peint  dans  des  tons  qui,  sûrement, 
doivent  plaire  lâ-bas,  et  Oswald  Achenbach  n'eût  pas  vu  par  d'autres 
yeux  le  panorama  qui  se  déroule  dans  la  plaine  qui  arrose  le  Danube. 
Mais  cette  grande  image  est  peu  faite  pour  réjouir  nos  compatriotes. 
Espérons-le  du  moins.  Nous  avons  encore  l'illusion  de  croire  que  le 
goût  des  œuvres  artistiques  n'est  pas  absolument  perdu  en  Belgique. 


K^ 


340 


VART  MODERNE 


.    '  CINQUIÈME  ANNÉE 

L'ART  MODERNE  s'est  acquis  par  l'autorité  et  l'indépendance  de  sa  critique,  par  la  variété  de  ses 
informations  et    les   soins  donnés   à   sa   rédaction  une  place  prépondérante.   Aucune   manifestation  de  l'Art  ne 

lui  est  étrangère  :  il  s'occupe  de  littérature,  de  peinture,  de  sculpture,  de  gravure,  de  musique, 

d'architecture,  etc.  Consacré  principalement  au  mouvement  artistique  belge,  il  renseigne  néanmoins  ses 
lecteurs  sur  tous  les  événements  artistiques  de  l'étranger  qu'il  importe  de  connaître. 

Chaque  livraison  de  L'ART  MODERNE  s'ouvre  par  une  étude  approfondie  sur  une.  question  artistique 
ou  littéraire  dont  l'événement  de  la  semaine  fournit  l'actualité.  Les  expositions,  les  livres  nouveaux,  les 
premières  représentations  :  d'œuYves  dramatiques  ou  musicales,  les  conférences  littéraires,  les  concerts,  les 
ventes  d'objets  d'art,  font  tous  les  dimanches  l'objet  de  chroniques  détaillées. 

L'ART  MODERNE  relate  aussi  la  législation  et  la  jurisprudence  artistiques.  Il  rend  compte  des 
procès  les  plus  intéressants  concernant  les  Arts,  plaides  devant  les  tribunaux  belges  et  étrangers.  Les 
artistes  trouvent  toutes  les  semaines  dans  son  Mémento  la  nomenclature  complète  des  expositions  et 
concours  auxquels  ils  peuvent  prendre  part,  en  Belgique  et  à  l'étranger.  Il  est  envoyé  gratuitement  à 
l'essai  pendant  un  mois  à  toute*  personne  qui  en  fait  la  demande.  .      , 

L'ART  MODERNE  forme  chaque  année  un  beau  et  fort  volume  d'environ  450  pages,  avec  deux 
tables  des  matières,  dont  Vune  par  ordre  alphabétique,  de  tous  les  artistes  appréciés  ou  cités.  Il  constitue  pour 
l'histoire  de  l'Art  le  document  LE  PLUS  COMPLET  et  le  recueil  LE  PLUS  FACILE  A  CONSULTER. 


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\X 


Cinquième  année.  —  N°  43. 


~Le    numéro     :    25    CENTIMES. 


Dimanche  25  Octobre  1885. 


L'ART 


MODERNE 


PARAISSANT    LE     DIMANCHE 


RBVDB  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


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l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


^OMMAIRE 


Les  droits  artistiques  et  littéraires.  —  Correspondance  d'ar- 
tistes. —  Livres  nouveaux.  Le  journal  d'André  y  par  A.  Goffia; 
Le  Roitelet,  par  G.  Deml.iloii  ;  L'ccule  (m(jlaisc,\\OiV  àQT'AQyQ;  La 
théodicèe  de  Lao-Tzc,  par  l'abbé  \'aii  Weddingcu;  La  }yrovincc  de 
Namiir,  par  Camille  Lemonnier.  — Théâtres.  Théâtre  de  la  Mon- 
naie. La  Jidve,  La  fille  dit  Ràjbnoit.  Théâtre  de  l'Alcazar.  Le 
grand  Mogol.  Théâtre  Molière.  —  Correspondance  musicale  de 
Paris.  —  Bibliographie  musicale.  Publications  des  éditeurs  Katto, 
Bertram,   Breitkopf  et  lidrtcl.  —  Petite  chronique. 


LES  DROITS  ARTISTIQUES  ET  LITTÉRAIRES 

Une  des  'premières  lois  dont  s'occuperont  nos 
Chambres  dans  leur  prochaine  session,  sera,  on  peut 
l'espérer,  celle  qui  protégera  chez  nous  les  droits  des 
auteurs  dans  tous  les  domaines  de  l'Art. 

On  l'aura  longtemps  attendue.  Nous  venons  après 
tous  les  pays  de  l'Europe  dans  cette  législation  néces- 
saire. Ne  nous  en  plaignons  plus  :  ces  retards  auront 
vraisemblablement  cet  heureux  résultat  de  nous  don- 
ner un  régime  supérieur  à  tous  ceux  qui  l'ont  précédé. 
Le  projet  a  été  apprécié  déjà  par  ceux  qui  font  autorité 
en  cette  matière,  savants  ou  hommes  pratiques,  et  il  a 
été  trouvé  excellent.  Les  critiques  n'ont  porté  que  sur 
les  détails. 

Il  suffira  donc  que  nos  députés  s'en  rapportent  aux 
travaux  si  studieusement  accomplis  par  la  section  cen- 
trale et  par  son  rapporteur.  Une  bonne  loi  se  déforme 


souvent  en  passant  par  les  discussions  et  les  remanie- 
ments du  Parlement.  Quand  le  hasard  a  fait  qu'elle 
subisse  à  l'av^^nce  le  sérieux  contrôle!  de  la  science  et  d.u 
métier,  le  mieux  est  de  ne  pas  s'inquiéter  davantage  et 
de  l'entériner.  C'est  la  sacresse. 

Tout  au  plus  y  aura-t-il  lieu  de  combler  quelques 
lacunes.  On  ne  prévoit  jamais  tout.  Nous  voulons  en 
signaler  une  qui  préoccupe  à  juste  titre  tous  ceux  dont 
les  œuvres  sont  destinées  à  la  reproduction,  c'est-à-dire 
avant  tout  les  littérateurs. 

Le  cas  est  fort  simple.  Quel  est  l'écrivain  qui,  après 
avoir  traité  avec  un  éditeur  pour  un  tirage  nettement^ 
chiffré,  n'a  eu  des  arrière-pensées  sur  la  fidélité  de 
l'exécution  du  contrat  ?  Comment  savoir,  quand  il  est 
stipulé  qu'on  ne  tirera  qu'autant  de  centaines,  ou  autant 
de  milliers  d'exemplaires,  plus  la  passe  habituelle  pour 
le  journalisme  et  la  critique,  qu'on  ne  dépassera  pas  le 
nombre? 

Certes  il  y  a  des  maisons  d'une  probité  si  bien  établie 
qu'envers  elle  l'inquiétude  n'e^t  pas  de  mise.  C'est  avec 
un  scrupule  infini  qu'elles  veillent  à  ce  devoir  de 
loyauté.  ^Mais,  il  faut  bien  le  dire,  avec  d'autres  il  n'en 
est  pas  de  même.  Aucune  garantie  n'existe.  De  mauvais 
bruits  courent,  et  les  auteurs  ne  doutent  pas  qu'on  les 


gruge. 


Sous  le  régime  actuel,  il  n'y  a  pas  de  répression  sé- 
rieuse. On  est  à  la  merci  des  éditeurs.  Avec  beaucoup 
d'habileté  ils  multiplient  les  imprimeurs  qu'ils  em- 
ploient, les  choisissent  obcurs  et  en  province.  Les  exem- 
plaires d'un  même  ouvrage  sont  parfois  tirés  en  des 


lieux  différents,  ou  si  l'imprimeur  est  unique,  il  est 
tellement  sous  la  domination  de  celui  qui  l'emploie  que 
celui-ci  n'a  guère  d'indiscrétion  à  redouter. 

Dans  ces  conditions,  comment  l'auteur  pourrait-il  se 
défendre?  Il  apprend,  par  des  rumeurs,  l'exploitation 
dont  il  est  victime.  Mais  ce  sont  des  renseignements 
vagues,  insuffisants  pour  servir  de  base  sérieuse  à  une 
action  judiciaire.  Comme  il  s'agit  d'imputer  à  un 
adversaire  des  faits  de  dol,  Ija  circonspection  s'impose. 
Aussi,  dans  la  plupart  des  cas,  l'inaction  de  l'artiste 
assure-t-elle  l'impunité. 

Qu'on  remarque  que  cet  asservissement  se  présente 
aussi  fâcheux  pour  le  compositeur  d'œuvres  musicales, 
pour  le  graveur,  pour  le  sculpteur,  chaque  fois,  répé- 
tons-le, qu'il  s'agit  d'une  œuvre  destinée  à  la  reproduc- 
tion en  plusieurs  exemplaires.  L'intérêt  est  donc  consi- 
dérable. 

Le  remède  juridique  ne  nous  paraît  pas  difficile.  Il 
suffirait,  croyons-nous,  d'ériger  en  délit,  punissable 
d'amende  ou  dé  prison,  l'abus  de  confiance  qui  consiste 
à  reproduire  une  œuvre  un  plus  grand  nombre, de  fois 
qu'il  n'a  été  stipulé. 

Il  y  aurait  dès  lors,  en  premier  lieu,  le  frein  très 
efficace  résultant  de  la  crainte  de  la  répression  pénale 
en  police  '  correctionnelle.  Il  y  aurait  ensuite  les 
moyens  d'investigation  dont  disposent  les  juges 
d'instruction  et  qui  font  défaut  dans  les  procès  civils  : 
visites  domiciliaires,  dépouillement  des  livres  de  com- 
merce et  de  la  correspondance,  saisie  des  formes,  inter- 
rogatoire des  employés  et  ouvriers. 

L'érection  de  ces  faits  en  délits  n'aurait  rien  d'exces- 
sif. Le  projet  de  loi  punit  correctionnellement  la  con- 
trefaçon, c'est-à-dire  la  reproduction  d'une  œuvre  dans 
les  cas  oti  l'auteur  ne  l'a  point  permis.  Or,  l'hypothèse 
que  nous  visons  a  bien  ces  caractères;  l'éditeur,  en 
effet,  a  épuisé  l'autorisation  qu'on  lui  a  donnée  dès  qu'il 
a  atteint  le  plein  du  tirage  permis.  S'il  imprime  ne 
fût-ce  qu'un  exemplaire  en  sus,  il  reproduit  sans  per- 
mission, donc  il  contrefait. 

Une  loi  sur  le  droit  artistique  et  littéraire  doit  être 
surtout  protectrice  pour  les  artistes  trop  enclins  à  se 
laisser  faire,  trop  peu  soucieux  de  leurs  intérêts.  Cha- 
que fois  qu'on  pourra  sans  inconvénient  substituer  l'ac- 
tion du  Parquet  à  la  leur,  on  fera  chose  pratique.  Ils 
sauront  déposer  une  plainte,  chose  simple,  et  qui  suffit 
pour  mettre  l'action  publique  en  mouvement.  Mais 
attendre  d'eux  qu'ils  poursuivent  opiniâtrement  un 
long  procès  civil,  c'est  tabler  sur  une  très  fragile  base. 

Nous  soumettons  les  idées  qui  .précèdent  à  nos 
législateurs  et  spécialement  au  rapporteur  du  projet, 
qui  fut  si  attentif  à  réunir  dans  un  excellent  ensemble 
les  progrès  divers  réaUsés  à  l'étranger.  Les  inconvé- 
nients pratiques  du  genre  de  celui  que  nons  venons  de 
relever  peuvent  échapper  aux  hommes  de  cabinet.  Ils 


apparaissent  au  contraire  avec  une  grandp  clarté  à 
quiconque  s'est  trouvé  mêlé  à  la  pratique  des  arts  de 
reproduction. 

fîORRJE^PONDANCE    D'ARTI^TE^ 

L'admirable  lettre  de  Millet  que  nous  reproduisons  est  tin'e 
d'un  livre  aujourd'hui  presque  introuvable  quQ  nous  a  communi- 
qué un  grand  ami  des  arts.  C'est  le  Salon  de  1863,  par  Arthur 
Slcvens.  Nous  y  reviendrons  dans  un  prochain  numéro  pour  en 
raconter  la  curieuse  origine  et  on  donner  quelques  autres  extraits 
d'une  actualité  fort  singulière. 

Quant  h  la  lettre  de  Millet,  elle  témoigne  éloquemment  qu'un 
grand  artiste  est  presque  toujours  un  grand  penseur  et  que  c'est 
de  l'âme  et  du  caractère  que  sortent  les  inspirations  élevées. 

«  Barbizon,  2  juin  1863. 
«  Monsieur, 

«  Je  suis  très  heureux  de  la  manière  dont  vous  parlez  de  mes 
tableaux  qui  sont  à  l'Exposition.  Le  plaisir  que  j'en  ai  est  très 
grand,  surtout  à  cause  de  votre  façon  de  parler  de  l'art  en 
général. 

«  Vous  êtes  de  l'excessivement  petit  nombre  de  ceux  qui 
croient  (tant  pis  pour  qui  ne  le  croit  pas)  que  tout. art  est  une 
langue  et  qu'une  langue  est  faite  pour  exprimer  ses  pensées. 
Dites-le,  puis  redites-le,  cela  fera  peul-êlre  réfléchir  quelqu'un  ; 
si  plus  de  gens  le  croyaient,  on  n'en  verrait  pas  tant  peindre^et 
écrire  sans  but.  Y  a-t-il  pourtant  rien  de  plus  insipide  él  de  plus 
écœurant  que  de  montrer  seulement  le  plys  ou  moins  d'habitude 
qu'on  a  de  l'exercice  d'une  profession?  On  appelle  cela  de  l'habi- 
leté, et  ceux  qui  en  font  commerce  en  sont  grandement  loués. 
Mais,  de  bonne  foi,  et  quand  même  ce  serait  de  la  vraie  habileté, 
est-ce  qu'elle  ne  devrait  pas  être  employée  seulement  en  vue  d'ac- 
complir le  bien,  puis  se  cacher  bien  modestement  derrière 
l'œuvre?  L'habilelé  aurait-elle  donc  le  droit  d'ouvrir  boutique  à 
son  compte?  J'ai  lu,  je  ne  sais  plus  où  :  Malheur  à  Carliste  qui 
montre  son  talent  avant  son  œuvre.  Il  serait  bien  plaisant  que  le 
poignet  marchât  le  premier....  Je  ne  sais  pas  textuellement  ce 
que  dit  Poussin  dans  une  de  ses  lettres  à  propos  du  tremblement 
de  sa  main,  quand  il  se  sentait  la  tête  de  mieux  en  mieux  disposée 
à  marcher,  mais  en  voici  à  peu  près  la  substance  :  c<  Et  quoique 
celle-ci  (sa  main)  soit  débile,  il  faudra  pourtant  bien  qu'elle  soit 

la  servante  de  l'autre,  etc ».  Encore  un  coup,  si  plus  de  gens 

croyaient  ce  que  vous  croyez,  ils  ne  s'emploieraient,  pas  aussi 
résolument  à  flatter  le  mauvais  goût  et  les  mauvaises  passions 
à  leur  profit,  sans  aucun  souci  du  bien,  et,  comme  le  dit  si 
bien  Montaigne  :  «  Au  lieu  de  naturaliser  l'art,  ils  artialisent  la 
«  nature.  » 

«  Je  saurais  gré  au  hasard  qui  me  donnerait  l'occasion  de 
causer  avec  vous,  mais  comme  cela  ne  peut  dans  tous  les  cas 
se  réaliser  immédiatement,  au  risque  de  vous  fatiguer,  je  veux 
essayer  de  vous  dire,  comme  je  le  pourrai;  certaines  choses  qui 
sont  pour  moi  des  croyances,  et  que  je  souhaiterais  de  pouvoir 
rendre  claires  dans  ce  que  je  fais. 

«  Que  les  choses  n'aient  point  l'air  d'être  amalgamées  au 
hasard  et  par  occasion,  mais  qu'elles  aient  entre  elles  une 
liaison  indispensable  et  forcée.  Je  voudrais  que  les  êtres  que 
je  représente  aient  l'air  voués  à  leur  position,  et  qu'il  soit  im- 


possible  d'imaginer  qu'il  leur  puisse  venfr  à  l'idée  d'êlre  autre 
chose  que  ce  qu'ils  sont.  Une  œuvre  doit  élre  d'une  pièce,  et 
e[ons  et  choses  doivent  toujours  êlre  là  pour  une  fin.  Je  désire 
mettre  bien  pleinement  et  fortement  ce  qui  est  nécessaire,  et  à 
tel  point  que  je  crois  qu'il  vaudrait  mieux  que  les  choses  fai- 
blement dites  ne  fussent  pas  dites,  par  la  raison  qu'elles  en 
sont  comme  déflorées  et  gûtées  ;  ,mais  je  professe  la  plus 
grande  horreur  pour  les  inutilités  (si  brillantes  qu'elles  soient) 
et  les  remplissages,  ces  choses  ne  pouvant  amener  d'autres 
résultats  que  la  distraction  et  raffaiblissement.  Ce  n'est  pas 
tant  les  choses  représentées  qui  font  le  beau,  c'est  le  besoin  qu'on 
a  eu  de  les  représenter,  et  ce  besoin  luiTmême  a  créé  le  degré 
de  puissance  avec  lequel  on  s'est  acquitté.  On  peut  dire  que 
tout  est  beau,  pourvu  que  cela  arrive  en  son  temps  et  k  sa  place, 
cf,  par  contre,  que  rien  ne  peut  élrc  beau  arrivant  à  contre- 
temps. Point  d'atténuation  dans  les  caractères  :  qu'Apollon 
soit  Apollon,  et  Socrate,  Socrate.  Ne  les  mêlons  point  l'un  dans 
l'autre,  ils  y  perdraient  tous  les  deux.  Quel  est  le  plus  beau  d'un 
arbre  droit  ou  d'un  arbre  tordu?  Celui  qui  est  le  mieux  en 
situation. 

«  Je  conclus  donc  à  ceci  :  le  beau  est  ce  qui  convient.  Cela 
pourrait  se  développer  à  l'infini  et  se  prouver  par  d'intarissa- 
bles exemples.  11  doit  être  bien  entendu  que  je  ne  parle  pas 
du  beau  absolu,  vu  que  je  ne. sais  pas  ce  que  c'est,  et  que  cela 
me  semble  la  plus  belle  de  toutes  les  plaisanteries.  Je  crois 
bion  que  les  gens  qui  s'en  occupent  ne  le  font  que  parce  qu'ils 
n'ont  pas  d'yeux  pour  les  choses  naturelles,  et  qu'ils  sont 
confits  dans  l'art  accompli,  ne  croyant  pas  la  nature  assez  riche 
pour  toujours  fournir.  Braves  gens!  ils  sont  de  ceux  qui  font 
des  poétiques  au  lieu  d'être  poètes.  Caractériser  !  Voilà  le  but. 
Vasari  dit  que  Baccio  Bandinelli  faisait  une  figure  devant 
représenter  Eve,  mais  en  avançant  dans  sa  besogne,  il  s'est 
avisé  que  cette  figure  pour  son  rôle  d'Eve  était  un  peu  efflan- 
qiiée.  Il  s'eist  contenté  de  lui  mettre  les  attributs  de  Cérès,  et 
Kve  est  devenue  une  Cérès  !  Nous  pouvons  bien  admettre, 
comme  Bandinelli  était  un  habile  homnie,  qu'il  devait  y  avoir 
dans  cette  figure  des  morceaux  d'un  modelé  superbe  et  venant 
d'une  grande  science,  mais  tout  cela  n'aboutissant  pas  à  un 
caractère  déterminé,  n'en  a  pas  moins  dû  faire  l'œuvre  la  plus 
pitoyable.  Ce  n'était  ni  chair  ni  poisson. 

«  Pardon,  Monsieur,  de  vous  en  avoir  dit  si  long,  et  peut-être 
si  peu  ;  mais  laissez-moi  encore  vous  dire  que  s'il  vous  arri- 
vait de  rôder  dans  les  environs  de  Barbizon,  vous  vouliez  bien 

entrer  dans  ma  boutique. 

tt  J.-F.  Millet.  » 

Ailleurs,  l'auteur  du  Salo7i  de  1863  cite  ce  passage  de  Mon- 
taigne, qui  confirme  si  bien  les  idées  de  Millet  sur  les  paysans  et 
les  misérables  et  le  grand  intérêt  qui,  pour  l'artiste,  s'attache  à 
leur  vie. 

«  Regardons  à  terre  les  pauvres  gens  que  nous  y  veoyons 
espandus,  la  têle  penchante  après  leur  besogne,  qui  ne  sçavent 
ny  Aristote,  ny  Caton,  ny  exemple,  ny  précepte  ;  de  ceulx-Ià  lire 
nature  louts  les  jours  des  effets  de  constance  et  de  patience  plus 
purs  et  plus  roidcs  que  cculx  que  nous  estudions  si  curieusement 
en  l'eschole  :  combien  en  veois-je  ordinairement  qui  mcsco- 
gnoissent  la  pauvreté!  Combien  qui  désirent  la  mort,  ou  qui  la 
passent  sans  alarme  cl  sans  affliction  !  Celuy-là  qui  fouît  mon 
jardin,  il  a  ce  matin  cnlerré  son  père  ou  son  fils.  Les  noms 
mesmes  de  quoi  ils  appellent  les  maladies  en  adoucissent  et  amo- 


lisscnt  l'aspreté;  la  phlhisie,  c'est  la  toux  pour  eux  ^  la  dysscn- 
Icrie,  dcvoyement  d'cstomach  ;  une  pleurésie,  c'est  un  morfondc- 
ment,  et  selon  qu'ils  les  nomment  doulcement,  ils  les  supportent 
aussi  ;  elles  sont  bien  griefves  quand  elles  rompent  leur  travail  ; 
ils  nes'allicstent  que  pour  mourir.  » 


ri^ 


JalVREjS    NOUVEAUX 


Le  Journal  d'André,  par  M.  A.  Goffin. 

Le  Journal  d'André  de  M.  Arnold  Gofiin  a  paru  en  plaquette 
ou  plutôt  en  cahier  et  ce  formai  cadre  parfaitement  avec  .la  nature 
et  le  sens  de' cette  œuvre  au  jour  le  jour. 

M.  Gofiin  y  note  en  effet,  comme  au  courant  des  heures,  les 
impressions  douces  et  artistes  d'un  malade.  \  surprendra-l-on 
une  autobiographie?  • 

A  noire  avis,  voilà  bien  la  moins  intéressante  des  questions!  Il 
vaut  mieux  examiner  n'importe  quel  livre  comme  ayant  sa  vie  à 
part  et  non  comme  une  indiscrétion  qu'un  auteur  ferait  sur  lui- 
même  ;  juger  un  livre  et  non  une  personne. 

Nous  voulons  donc  croire  à  l'existence  d'André  -et  ce  sera  du 
Journal  d'André  (\nQ^  nous  dirons  quelques  mots.  Et  d'abord,  il 
'n'est  pas  besoin  que  M.  Goffin  nous  dise  qu'André  a  vingt-trois 
ans.  On  le  devine  à  certaines  naïvetés  fatales  à  cet  âge. 

Ily  a  là  toute  une  exagération  de  tristesse  et  de  plainte  qui  sont 
comme  des  vagissements  et  quand  j'écris  vagissements  je  me  fais 
effort.  Le  mot  bêlement  conviendrait.  C'est  le  capital  défaut  du 
Journal  d'André  :  il  renferme  trop  de  confessions  puériles. 

El  pourtant  nous  l'avons  relu  à  cause  de  son  style,  curieux 
celui-là,  el  souple  et  très  sincère.  Les  phrases  sont  neuves 
de  tour  et  de  déroulement.  Chaque  mot  prend  son  rang, 
et  dans  le  cours  de  la  période  se  plante,  ici,  comme  une  roche 
dans  un  courant,  là,  comme  une  pointe  de  barrage,  là,  comme 
une  île  de  fleurs.  Cela,  pitlorcsquement  parfois,  raisonnablement 
toujours. 

On  regrette  en  fermant  le  Journal  d'André  qu'il  ne  dise  mot 
sur  les  tristesses  que  tout  malade  artiste  se  crée  pour  le  plaisir  de 
se  les  créer.  Sa  mélancolie  résulte  trop  du  milieu  ;  cette  âme  ne 
se  torture  pas  assez  elle-même.  Un  malheureux  tel  doit  à  cer- 
taines heures  s'en  vouloir,  rager  à  cause  de  soi-même,  se  mépri- 
ser, se  pleurer,  se  haïr.  El  c'était  le  nouveau  et  intéressant  pro- 
blême à  résoudre  el  l'étal  moral  vraiment  étrange  à  analyser. 

Le  Roitelet,  par  M.  G.  Demblon.  —  Paris,  Giraud. 

M.  Céleslin  Demblon  publie  chez  Giraud  le  Roitelet  :  doux 
livriculet  parfumé  d'impressions  et  de  bons  souvenirs.  M.  Dem- 
blon a  le  lyrisme  facile,  trop  facile  peut-être  pour  faire  œuvre 
d'artiste,  mûrement  et  intelligemment  exécutée.  Il  réussit  des 
fugues,  mais  des  fugues  quelque  peu  banales  «  sur  les  lieux  où 
il  est  né  »,  sur  les  campagnes  où  ses  vols  d'enthousiasme  ont 
pris  l'essor.  C'est  d'une  âme  sincère,  certes;  cela  suffit-il? 

L'École  anglaise,  par  de  Taeye. 

V Ecole  anglaise  de  /^m/wre  est  examinée  par  M.  de  Taeye  non 
eu  critique,  mais  eu  montreur.  Cette  étude,  parue  dans  la  Revue 
de  Belgique,  apparaît  lourde  el  rétrograde.  L'auteur  v  trouve 
superbe  l'archéologie  de  Tadema  el  nôus  initie  aux  pratiques  de 
la  Royal  Academy.  Voici  une  de  ses  phrases  prise  au  hasard  : 


«  Les  couleurs  sont  franclies,  grasses,  solides  ;  on  dirait  de" 
rdmail  ».  Oh!  l'appréciation  inalhciircuseî  Ce  (jui  fait  ress(;ml)ler 
une  toile  à  tout  autre  chose  qu'à  une  peinture  serait  donc  une 
qualité?      . 

Au  teste,  M.  de  Taeye  en  est  encore  h  prôner  V unité  de  percep- 
tion et  les  théories  routinières  des  Lcii^hlon  et  des  Wals. 

.  La  théodicée  de  Luo-Tze,  par  M.  l'abbé  Van  Weddingen. 

Autre  sujet  -.La  thcudicée  de  Lno-Tze,  par  Tahbé  Van  Wed- 
dingen,  est  une  page  d'histoire  de  philosophie  où  la  science  si 
haute  du  théologien  s'enveloppe  d'une  belle  correction  littéraire 
et  d'une  netteté  de  style  remarquables.  C'est  à  ce  titre  seul  que" 
nous  la  signalons.. 

La  Province  de  Namur,  par  Camille  Lemonnier. 
—  Paris,  Hachette. 

Camille  Lemonnier  poursuit  dans  le  Tour  du  Monde  de  Char- 
ton  ses  études  sur  la  Belgique.  Voici  la  province  de  Nanuir 
décrite  et  grandie  par  ce  ))ointre  à  la  plume  qui  a  su  faire  des 
chefs-d'ceuvre  avec  les  matériaux  banals  des  Dœdeker  et  des 
Guides  Conli.  Serappelle-t-on  Bruges,  la  dolente,  pleurée  et 
dorlotée  j)ar  ses  canaux;  Gand,  toute  hérissée  de  clochers  et  de 
souvenirs  guerriers;  Anvers,  entrevue  à  travers  les  cordages  et 
les  fumées  des  transatlantiques;  Mous,  en  bonne  humeur,  coiffée 
de  sa  tour  et  de  son  carillon  comme  d'un  chapeau  chinois; 
Bruxelles,  la  ville  belge,  tandis  que  toutes  les  autres  sont  encore 
villes  flamandes  ou  wallonnes? 

Enfin,  voici  Namur  et  Dinant,  et  les  cavernes,  et  les  grottes,  et 
les  rivières  caillouteuses  et  les  montagnes  enturbanées  de  châ- 
teaux-forts. L'auteur,  d'après  qu'il  décrit  tel  ou  tel  aspect  de  pays 
varie  son  art  et  voici  que  du  soleil  et  de  la  joie  pénètrent  son 
style.  Le  pays  de  Namur  lui  paraît  gaîté  et  c'est,  de  vrai,  la  domi- 
nante de  ces  sites  tachetés  d'ardoises  et  de  murs  blancs  et  de 
plaines  vertes  et  de  roches  claires  ;  sites  frais  et  joyeux  comme 
une  nappe  de  beau  linge  avec  des  fruits  et  des  feuilles  dessus;^ 
,sites  modérés  et  sans  grandeur,  mais  attachants  par  la  bonne 
humeur  naturelle  qu'ils  jettent  au  touriste  comme  une  bouffée 
d'air  vierge. 

ri 

Où  la  puissance  descriptive  de  M.  Lemonnier  éclate,  c'est  dans 
le  tableau  de  la  Grotte  de  Han.  La  phrase  s'y  creuse  comme  des 
souterrains  terribles  où  fourmillent  dans  le  vague  les  incidentes 
énormes,  les  périodes  profondes  et  enroulées,  les  inextricables 
circonlocutions  qui  donnent  la  vision  de  monstrueux  entortille- 
ments de  pierre,  et  de  tresses  de  stalactites  et  de  nœuds  serpen- 
tins, et  de  chapelets  figés  et  filamenteux  comme  des  pûtes  gelées 
et  mortes. 

Tout  ce  passage  est  d'une  puissance  et  d'une  maîtrise  magni- 
fique; les  mots  sont  comme  les  échos'sourds  et  profonds  de  ces 
cavernes;  les  plis  et  les  replis  de  la  description  moulent  les  bos- 
ses et  les  parois  et  les  dallages  et  les  voûtes  de  l'antre;  toute  une 
vie  nocturne  apparaît. 

Ce  sera  vraie  œiivre  d'artiste  que  Camille  Lemonnier  aura  faite 
en  saisissant,  province  par  province,  les  caractéristiques  de  la 
Belgique  et  cette  indéniable  gloire  éclatera  surtout  lorsque  le 
public  verra  réunies  en  volume  les  diverses  études  parues  dans 
la  revue  de  M.  Charlon. 


.    Jhéatre^ 

Théâtre  de  la  Monnaie. 

LA    .iriVE.     —    LA    FILLE    DjJ    RÉGIMENT 

Presque  en  même  temps  que  l'Opéra  de  Paris  reprenait  la 
Juive,  le  théâtre  de  la  Monnaie  offrait  ù  ses  habitués  une  reprise 
du  même  ouvrage,  et,  coïncidence  curieuse,  tandis  que  l'œuvre 
d'Halévy  servait  h  présenter  au  public  parisien  une  transfuge  de 
la  scène  bruxelloise,  elle  était  destinée,  â  Bruxelles,  à  favoriser 
les  débuts  d'un  arlisle  qui  eut  \x  Pai-is  un  succès  considérable. 
Pour  les  deux  artistes,  l'épreuve  a  été  décisive.  On  lira  dans 
noire  correspondance  de  Paris  l'accueil  fait  par  le  public  de 
l'Opéra  à  M""-'  Uose  Caron.  Di"jâ  les  journaux  parisiens  nous  ont 
appris  qu'elle  a  conquis  la  place  à  la([uelle  lui  donnent  droit 
d'exceptionnelles  qualités  scéniques. 

M.  Villaret,  d'autre  part,  s'est,  du  premier  coup,  placé  au  rang 
qu'il  mérite  d'occuper  sur  notre  première  scène.  Nous  n'hésitons 
pas  à  le  dire  :  c'est,  de  tous  les  ténors  qui  se  sont  succédés 
dans  la  troupe  de  la  Monnaie  en  ces  dernières  années,  l'artiste 
qui  présente  l'ensemble  le  plus  complet  de  capacités. 

Il  a  composé  le  rôle  d'Eléazar  avec  une  perfection  de  détails 
qui  a  frappe  tous  ceux  qui  ont  assisté  â  la  reprise  de  mercredi. 

Ses  jeux  de  scène,  ses  gestes,  ses  attitudes  sont  ceux  d'un 
comédien  accompli,  et  si  la  voix  n'est  j)lus  ce  qu'elle  a  été  autre- 
fois, on  ne  peut  méconnaître  que  l'artiste  la  conduit  avec  un  art 
tel  que  son  charme  est  très  grand  et  impressionne  tout  autrement 
l'auditoire  que  ne  le  feraient  les  éclats  de  tel  tonitruant  ténor. 

Sachons  gré  à  la  direction  nouvelle  de  s'être  imposée  de  sérieux 
sacrifices  pour  élever  l'opéra  à  la  hauteur  otl  elle  a  (dès  le  début, 
fait  sans  exemple)  placé  l'opéra-comique.  On  est  trop  disposé  à 
oublier  que  le  point  de  comparaison  est  déplacé.  Aux  tristes  len- 
demains qui  suivaient,  l'an  dernier,  les  soirées,  où  grâce  à 
M"'''  Caron  et  à  M.  Grosse  on  faisait  recette,  ont  succédé  des  repré- 
sentations d'un  intérêt  capital.  Avant-hier  encore,  la  reprise  delà 
Fille  du  Régiment  a  établi,  une  fois  de  plus,  ce  que  vaut  la 
troupe  de' premier  ordre  qui  est  chargée  d'interpréter  l'opéra- 
comique.  M"»^  Mézeray  s'y  est  montrée  adorable  de  grâce,  d'élé- 
gance, de  finesse,  et  le  charme  de  sa  voix  a  été  égal  h  la  séduction 
de  sa  personne.  Tous  les  interprètes,  y  compris  les  choristes,  ont 
été  si  parfaits  que  l'ouvrage^  qu'on  croyait  usé  et  rebattu,  est 
apparu  rayonnant  de  gaîté,  de  jeunesse  et  de  fraîcheur.  Faire 
d'une  reprise  de  la  Fille  du  Régiment  une  soirée  à  sensation, 
c'est  presque  invraisemblable  ! 

Ne  poussons  donc  pas  l'exigence  jusqu'à  vouloir  que  l'opéra 
réalise,  dès  les  premiers  mois  d'une  direction  nouvelle  où  tout 
esta  créer,  ce  que  jamais  on  n'a  demandé  aux  directions  précé- 
dentes après  plusieurs  années  d'exploitation  théâtrale  et  ce 
qu'elles  se  seraient  nettement  refusées  à  faire. 

Le  début  de  M.  Villaret  dans  la  Juive  a  marqué  une  étape  sur 
la  voie  des  j)rogrès  constants  que  fait  \é  grand  opéra.  C'est  un 
acheminement  vers  la  composition  complète  et  définitive  de  la 
troupe,  où  figure  en  première  ligne  une  cantatrice  d'une  distinc- 
tion suprême. 

L'accueil  fait  à  M'"^  Delpralo  a  été  assez  froid.  L'artiste  a  de  la 
puissance  dans  la  voix,  particulièrement  dans  les  registres  élevés, 
mais  elle  lutte,  dans  ce  rôle  difficile  de  Rachel,  contre  des 
souvenirs  redoutables.  On  ne  lui  pardonne  pas  la  gaucherie  de 


/^ 


SCS  fl^eslGS  cl  de  sa  niarclic.  Peul-êlre  rômolion  csl-cUe  pour  une 
])art  dans  celle  absence  d'aisance. 

M.  Viilaret  fils  h  l'ail  un  débul  honorable  dans  le  personnat^e  de 
Ldopold,  l'un  des  plus  pileux  el  des  plus  ingrats  qui  soienl  au 
Ihéûtre.  Allcndons,  pour  l'apprécier,  ([u'il  se  soit  i)ro'Juil  dans 
un  rôle  plus  inléressanl  el  mieux  h  môme  de  lui  fournir  l'occa- 
sion de  se  faire  valoir.  \ 

Mademoiselle  A.  Ilossi 

Coppelin,  le  si  oriççinal  ballel  —  vrai  conle  d'iloffman,  musi- 
calisô —  vient  de  mellre  en  relief  une  aiiisle  parfaite,  M'""  Hossi. 
Nous  disions  jadis  dans  un  arlicle  sur  les  })rcmièrcs  danseuses. 
«  La  chorégraphie  moderne  devient  de  l'acrobatie.  Qu'y  a-l-il 
de  gracieux  dans  ces  tensions  de  jarrets,  avec  les  muscles  sail- 
lant en  apgle,  dans  ce  raidissement  .rpii  supprime  l'altache  cam- 
brée du  pied  qui  sert  de  pivot,  tanlis  que  l'autre  allongé  en 
'  tringle  de  |)Olence  dessine  une  afîreuse  figure  géométrique?  Les 
jambes  raidies  semblent  être  de  bois  ;  cette  rigidité  fait  songer  à 
un  tétanos;  cela  est  sec,  malingi-e,  sans  grâce.  » 

M"*^Rossi,  tant  le  suprême  talent  suj)pléc  a  tout,  donne  de  la 
grâce  aux  mouvements  les  plus  ingrats.  On  ne  peut  assez  louer 
son  interprétation  si  ingénue,  si  gaie,  si  folle  et  si  adaptée  aux 
moindres  nuances  et  indications  orchestrales.  Elle  remplit  son 
rôle  de  si  consciencieuse  manière,  qu'elle  semble  achever  el 
compléter  le  rythme  et  le  mouvement  des  phrases  de  la  partition, 
donner  une  expression  h  l'âme  musicale  flottante  et  faire,  si  j'ose 
dire,  les  gestes  de  la  musique.  Los  notes  çt  les  accords  et  les 
mesures  lui  sont  un  monde,  où  vit,  marche,  sautèle,  danse  son 
corps  eurythmique;  c'est  l'air  qu'elle  semble  boire,  le  mirage 
qu'elle  contemple,  le  rêve  qu'elle  entend  et  écoute. 

Rien  de  la  banalité  courante  :  ni  sourire  figé,  ni  poses  conven- 
tionnelles, ni  saluts  bêtes  et  engoncés.  M"*'  Kossi  ne  paraît  îi 
l'aise  qu'en  scène;  elle  y  i)asse  joyeuse^  vive,  enchantée  d'être 
Ih.  Et  c'est  la  nette  pierre  de  touche  pour  juger  un  artiste  que  de 
se  demander  comment,  soit  avec  plaisir,  soit  avec  contrainte,  il 
monte  sur  les  planches. 

Le  public  bruxellois  ne  comprend  pas,  h  vrai  dire,  tout  le  talent 
de  la  danseuse,  il  ne  distingue  point  sa  valeur  très  réelle  et  sa  supé- 
rieure originalité.  .Saisit-il  toute  la  gaminerie  qu'elle  met  l\  tra- 
duire ces  contes  fantastiques  el  follets,  ce  surnaturel  mécanisé  et 
fantoche  qui  hantait  le  cerveau  du  conteur  berlinois?  On  dirait 
que  personne  ne  se  doute  combien  M"»^^  Rossi  a  le  jeu  exact,  char- 
mant, inventif,  comluen  elle  ren  I  avec  caractère  et  tcWqÎ  Coppe- 
lia  et  combien  est  vivante  et  évocative  sa  franche  allure  et  spiri- 
tuelle sa  mimique. 

Il  est  vrai  que  depuis  longtemps  nous  n'avions  plus  eu  de 
première  danseuse  sérieuse.  On  économisait  sur  le  ballet  el  notre 
public  a  ])erdu  ainsi  l'aptitude  b  le  juger.  Nous  souhaitons  qu'il 
reprenne  promptemenl  le  goût  de  cet  arl  si  charmant  quand  il 
n'est  pas  livré  aux  médiocrités, 

Et  nous  félicitons  la  direction  Verdhurl  de  celle  réforme  si 
souvent  réclamée  sans  succès. 

Théâtre  de  l'Alcazar. 

LE   GRAND   MOGOL. 

Vive  Dieu!  Voici  l'Alcazar  désensorcelé.  Les  araignées  qui,  sous 
la  direction  précédente,  tissaient  mélancoliquement  leur  toile 
entre  les  dossiers  des  stalles  onl  été  obligées  d'aller  dresser  leurs 


l)ièges  ailleurs.  Il  y  a  tous  les  soirs  de  vrais  spectateurs^  qui 
paient  leur  place  au  contrôle  avec  de  la  monnaie  ayant  cours  et 
tintant  clair.  El  sur  la  scène,  des  artistes  sérieux,  aguerris,  des 
chœurs  disciplinés,  un  ballel  —  oui,  un  ballel  dansé  dahs  un 
nuage  de  tarlatane  doré  par  la  lumière  éleclrique,  et  même  une 
étoile,  sinon  de  première  grandeur,  du  moins  de  dimension  rai- 
sonnable, M"e  Gedda,  qui,  d'un  bond  (ces  danseuses  onl  le  j)ied 
si  léger  1)  a  franchi  l'espace  rpii  sépare  la  place  de  la  Monnaie  de, 
la  rue  d'Arenberg.  Si  liien  (jue  l'exclamMlion  du  dentiste  Jocque- 
let  qui,  dans  le  Grand  Mogol,  s'écrie  en  débarquant  à  Delhi  : 
M  C'est  rien  chouette  ici  !  »  parait  être  la  traduction,  rlans  la 
langue  châtiée  du  faubourg  Saint-Dt-nis,  de  la  surprise  salisrà-Ao 
qu'éjrrouvent,  (lès  leur  entrée,  les  Sj)e(;laleurs. 

La  pri)na  donna,  c'est  M"*-'  Hervey,  la  musicienne  accomjjlie 
qui  remplaça  au  pied  levé,  il  y  a  trois  ans,  d;ins  le  rôle  de  la 
comtesse  Sophie  de  La  Légende  de  sainte  Elisahetk.^l""-  iJu vi- 
vier in(lisj)Osée.  Comment  une  artiste  qui  semblait  destinée  h 
poursuivre  un'^  carrière  brillante  dans  l'opéra  a-l-elle  aussi 
brusquement  bifur^iué  vers  les  succès  faciles  de  l'opérette  jiour 
en  arriver  ù  chanter  à  j)leine  voix  : 

A  tire-lari^^ot 
Le  Surosnes  première  se  boit  sans  eau  1 

C'esl.ce  que  nous  ne  chercherons  pas  h  expli(juer. 

Ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est  qu'elle  n'est  pas  absolument 
déi)aysée  à  l'Alcaziir,  où  elle  a  retrouvé  un  camarade  d'autrefois, 
'l'excellent  baryton  .Morlel,  el  un  ténor  dont  la  voix  est  agréable, 
M.  Lary.  Ajoutez  h  l'intérêt  (jue  présente  la  nouvelle  IroujiC  la 
note  gaie  donnée  par  M.  .Minne,  un  comique  b  froid  qui,  secoua 
d'accès  de  foiT  rire  le  théâtre  de  M.  lirasseur,  et  l'élémenl  senti- 
menlal  aj)porté  j)ar  M"*-'  Ru  ire.  N'y  a-l-il  pas  là  i)lus  qu'il  n'en 
faut  pour  rendre  à  l'Alcazir  sa  si)leudi'ur  d'autrefois? 

C'(,'Sl  ce  qu'a  compris  le  jiublic  qui  remplit  tous  les  soirs  très 
conseii-ncieusemerit  le  Ihéâtie  de  M.  I)(''fossez.  A])rè>!  ;ivoir 
autorisé  celui-ci  îi  imprimer  tiionq>lialemenl  sur Tafiiche  :  Cen- 
tième rcprcsentaliun  de  rEtudinnl  }>auvrc,  il  est  vt.-nu  c!i  foule 
applaudir  les  grosses  plai>an'.eries  et  la  mu-i  [ueili'  Ijonne 
en  fi  ni  du  Grand  Mogcd.  ,. 

Sans  doute,  le  sujet  de  celle  pantalonnade  n'est  pas  bien  neuf 
cl  le  sel  dont  elle  est  assaisonnée  pourrait  être  plus  ratliné.  Mais 
le  rite  désarme,  et  l'on  lil  de  bon  cM-ur  aux  naïvetés  du  )»rince 
Mignapour,  aux  amliitions  du  Grand  Vizir,  aux  excentricités  du 
cai)itaine  Crakson.  El  l'on  attend  avec  i»alience  la  pri^nrière 
représentation  de  La  Guerre  Joyeuse,  la  très  musicale  opérrlle 
de  Johann  Strauss,  que  ses  adajdateurs  MM.  Maurice  Kulleralh 
et  Alfred  Hennequin  vienneiil  de  lire  aux  artistes. 

Théâtre  Molière. 

La  direction  de  M.  Mario  Widmer,  rintellig-r-nt  et  actif  impré- 
sario du  Ihéàire  d'Ostende,  porte  bonheur  h  la  scène  ixolloise. 
La  reprise  de  la  Peiilc  Fadctte  a  remporté  un  véritable  succès, 
cl  contrairemenl  aux  usages  de  la  maison,  qui  veulent  qu'on 
change  l'atliche  toutes  les  semaines,  on  a  dû  prolonger  les  repré- 
sentations. 

Le  théâtre  Molière  annonce  pour  lundi  la  première  représen- 
tation du  Mariage  au  tambour,  jùèce  en  trois  actes  mêlée  de 
chant,  par  MM.  Alexandre  Dumas,  de  Leuven  et  Brunswick. 


CORRESPONDANCE  MUSICALE  DE  PARIS 

'  Ce  que  je  puis  tirer  de  plus  intéressant  pour  vous  de  la  semaine 
écoulée  est  relatif  à  la  continuation  des  débuts  de  M"'«  Caron  et  de 
M.  Gresse  dans  la  Juive  et  aux  débuts  de  M™»  Desçhamps  dans  Une 
Nuit  (te  Cléopàtre,  de  Massé. 

M'"«  Caron  gagne  de  jour  en  jour  de  l'autorité  sur  notre  première 
scène  lyrique,  sinon  comme  chanteuse,  du  moins  comme  tragédienne. 
Elle  a  interprété  le  personnage  de  Rachel  avec  un  art  infini  d'oppo- 
sition, d'élan  et  de  retenue  :  tous  ses  rôles  sont  intéressants  à  étu- 
dier, p^arce  qu'elle  sait,  laut  par  l'attitude  du  corps  que  par  l'expres- 
sic/i  de  la  physionomie,  en  faire  une  composition  achevée.  La  voix 
ne  répond  pas  aux  qualités  que  je  viens  de  décrire  ;  elle  manque 
de  volume,  et  on  dirait  que  M^e  Lureau-Escalais  ait  voulu  rendre  la 
chose  plus  évidente  eu  forçant  son  organe  au  delà  de  l'importance 
qui  lui  est  donnée  dans  les  ensembles.  Niche  d'artiste.  Quoi  qu'il  en 
soit,  c'est  avec  plaisir  que  nous  voyons  Mm«  Caron  prendre  successi- 
vement possession  des  rôles  du  grand  répertoire,  et  s'il  y  a  deside- 
ratum quant  à  la  voix  de  la  cantatrice,  disons  hautement  que  telle 
qu'elle  est,  nous  la  trouvons  encore  de  beaucoup  supérieure  à  celle 
de  la  grande  artiste  qui  vient  de  résilier  et  que  M'"®  Caron  rempla- 
cera avant  peu, 

M.  Gresse,  dans  le  cardinal  Brogni,  ne  fait  que  continuer  la  série 
de  ses  honnêtes  débuts  ;  mais  l'artiste  ne  prend  pas  de  caractère  et 
n'affirme  encore  aucune  personnalité.  Cela  viendra  peut  être,  mais 
c'est  bien  long! 

Quant  à  M"»  Deschamps,  on  sait  que  le  rôle  de  Charmion  avait 
été  créé  par  une  artiste  sympathique,  M"«  Reggiani,  qui  n'avait  pas 
précisément  l'organe  du  i«ôle  et  qui  forçait  son  mezzo  pour  l'amener 
aux  notes  graves  du  contralto.  Ici  tout  change,  et  nous  nous  trou- 
vons en  présence  d'un  contralto  qui  se  rapproche  beaucoup  de 
celui  de  M"c  Richard,  de  l'Opéra  La  voix  est  facile,  égale  et  d'une 
grande  étendue;  l'actrice  joue  avec  naturel.  Que  l'artiste  se  défasse 
de  quelques  exagérations  de  style,  qu'elle  prenne  bien  le  ton  et  l'ac- 
cent juste  de  l'art  tel  qu'on  les  comprend  à  là  salle  Favart,  et" tout 
sera  pour  le  mieux. 

Le  reste  de  l'interprétation  est  excellent  et  entre  pour  beaucoup 
djans  le  succès  de  l'ouvrage. 


^IBLIOQRAPHIE   MUSICALE 

Publications  des  éditeurs  Xatto,  Bertram 
Breitkopf  et  Hartel. 

La  moisson  musicale  de  l'été  a  été  abondante.  Voici,  mûrie  au 
soleil  des  vacances,  toute  une  gerbe  d'œuvres  et  d'œuvrettes  sou- 
riant dans  leur  frêle  enveloppe  de  papier  rose,  de  papier  paille,  de 
papier  azuré,  de  papier  chamois.  Les  pianos  des  pensionnats  refleu- 
rissent. GaTOtles,  pavanes,  menuets  s'épanouissent  sur  les  pupitres. 
Les  fournisseurs  attitrés  ont  largement  garni  les  portes-musiques, 
ces  jardinières  qui  recèlent,  sur  leurs  rayons  d'acajou,  les  «  bou- 
quets «  de  mélodies  et  les  «  guirlandes  «  de  motifs  Que  le  caril- 
lon des  staccati,  la  tempête  des  arpèges,  lé  gazouillement  des  trilles, 
le  murmure  des  gammes  chromatiques,  le  langoureux  bercement  des 
accompagnements  commence  !  On  est  prêt.  Il  y  a  des  berceuses,  des 
nocturnes  et  des  romances  sans  paroles  sur  la  planche.  Si  la  qualité 
n'y  est  pas  toujours,  la  quantité  y  supplée. 

Et  d'ailleurs  il  en  est  des  morceaux  de  salon  comme  des  Premier- 
Paris  :  c'est,  depuis  l'invention  des  pensionnats  de  demoiselles,  la 
même  banalité  qu'on  ressasse.  Il  suffît  de  changer  la  couverture.  Le 
Nocturne  (op.  6)  et  le  Galop  brillent  (op.  7)  de  M.  Aug.  Vaster- 
saveudts,  écrits  d'ailleurs  avec  facilité,  appartiennent  à  la  catégorie 
des  compositions  de  ce  genre.  De  même  ses  deux  Romances  sans 


paroles  (op.  >2).  Et  pourtant  l'auteur  paraît  apte  à  faire  œuvre  plus 
sérieuse.  Dans  le  recueil  de  Huit  mélodies  pour  chant  et  piano  qu'il 
publie  en  même  temps  et  dont  le  texte  est  emprunté,  entre  autres, 
à  quelques  poètes  belges,  à  Paul  Siret,  à  Antoine  Clesse,  etc.  il  y  a 
un  effort,  récompensé  eu  certains  passages.  La  musique  s'enlace 
bien  aux  vers;  elle  en  exprime  avec  âme  le  sens.  Assurément  le 
compositeur  connaît  les  nuances  de  la  langue  qu'il  parle.  Sa  phrase 
est  toujours  correcte  et  ne  manque  pas  d'élégance.  A  recommander 
aux  maîtrises  d'église  son  Inviolcàa  pour  voix  de  ténor,  violon  ou 
violoncelle  et  orgue.  Une  Tarentelle  pour  piano  à  quatre  mains 
complète  le  cycle  d'œuvres  par  lesquelles  débute,  chez  l'éditeur 
Katto,  M.  Vastersavendts. 

La  maison  Bertram,  l'une  des  plus  récentes,  mais  déjà  des  plus 
renommées  pour  le  soin  qu'elle  apporte  à  ses  publications,  ouvre 
la  saison  en  offrant  â  sa  clientèle  habituelle  une  série  d'œu- 
vres nouvelles  de  M.  Oscar  Schmidt  et  de  M.  Alexis  Ermel.  Du 
premier.  Feuilles  d'automne  (l'une  des  deux  compositions  parues 
sous  ce  titre,  écrite  sur  le  rythme  des  anciennes  Siciliennes  y  est 
charmante),  Gavotte  el  menuet  (op.  40),  Cavatine  pour  violon  et 
violoncelle  (op.  41).  Du  second,  Marche  6o/iéme  (op.  36),  Poème 
d'amour  (op.  37),  Gavotte  et  musette  dans  le  style  ancien  (op.  38', 
le  tout  pour  piano  seul.  Les  compositions  de  M.  Ermel  dénotent  une 
plume  habile,  mais  l'inspiration  ne  s'élève  pas  bien  haut.  On  pres- 
sent plus  de  facilité  que  de  recherche.  La  Gavotte  a  du  caractère  : 
elle  évoque  le  souvenir  des  vieux  airs  français  du  XVI^  siècle,  qui 
disaient  en  termes  émus  la  peine  des  galants  bergers,  contant  leurs 

tourments 

Aux  échos  des  bois, 

Aux  soupirs  du  feuillage. 

A  noter  encore,  chez  le  même  éditeur,  une  Valse  sentbnentale 
de  Maurice  Kpettlitz  (op.  23),  mi-partie  Chopin,  mi  partie  Strauss, 
au  demeurant  peu  méchante. 

MM.  Breitkopf  et  Hàrtel  se  gardent  avec  soin  du  «  Morceau  de 
Salon.  «  Leur  maison,  sévèrement  owlonnée,  n'admet  qu'une  com- 
pagnie choisie.  C'est  la  Maison  Lemerre  de  la  musique.  Il  faut,  pour 
y  pénétrer,  montrer  patte  blanche.  Heureux  sont  les  élus  ! 

Niels  Gade,  le  compositeur  danois,  en  est.  Et  c'est-  justice.  Son 
œuvre,  reflet  de  Mendelssohn,  manque,  il  est  vrai,  de  caractère.  Il 
affectionne  les  harmonies  assourdies,  les  tons  éteints  d'aquarelle  ou 
de  pastel.  Mais  ce  n'en  est  pas  moins  un  musicien  sérieux,  conscieu- 
cieux,  réfléchi,  et  nombre  de  ses  compositions  ont  une  saveur  exoti- 
que qui  leur  a  créé  une  place  spéciale  dans  la  littérature  musicale 
contemporaine.  Sa  Comala,  une  sorte  de  cantate  pour  baryton,^ 
chœurs  et  orchestre  d'après  Ossian,  vient  de  recevoir  la  consécration 
de  Y  Édition  populaire.  Elle  occupe  dans  cette  excellente  bibliothè- 
que à  bon  marché  le  n»  429. 

Dans  la  même  collection  vient  de  paraître  un  recueil  de  trente 
mélodies  choisies  dans  l'œuvre  de  M.  Arno  Klessel  et  réunissant  en 
un  seul  album  celles  de  ses  œuvres  qui  avaient  paru  antérieurement 
sous  les  nos  7^  10,  12  et  14.  On  lira  avec  intérêt  ces  jolis  Lieder, 
d'un  caractère  si  foncièrement  national.  Quelques  uns  d'entre  eux, 
et  en  particulier  celui  intitulé  :  Après  l'orage  sont  d'une  tendresse 
exquise.  ■ 

Mais  voici  des  chants  plus  joyeux.  M.  Th  Hauptner  a  réuni  et 
classé  dans  un  élégant  volume  que  viennent  d'éditer  MM.  Breitkopf 
et  Hartel  cent  cinquante  des  chants  d'étudiants  les  plus  populaires. 
C'est  le  recueil  le  plus  complet  qui  ait  paru  jusqu'à  ce  jour.  Le 
Lieder  Schatz  que  publia  naguère  la  maison  Peeters  n'en  contenait 
qu'une  trentaine  II  est  vrai  que  M.  Hauptner  range  parmi  les 
chants  d'étudiants  nombre  de  mélodies  qui  devraient  être  plutôt 
comprises  sous  le  titre  de  Chants  populaires.  Mais  c'est  là  une 
chicane  de  .termes.  Puisque  les  étudiants  se  les  sont  annexés  pour 
les  hurler  dans  les  Kneipe,  autour  des  chopes  de  bière  mousseuse, 
ne  les  leur  disputons  pas.  Et  entonnons  avec  eux  le  Gaudeamus 
igitur  ou  le  Crambamhouli  des  grands  jours  ! 


Passant  à  la  musique  instrumentale,  nous  avons  à  signaler  la 
publication,  en  petit  format  de  poche,  des  œuvres  de  Jacques 
Rosenhain,  le  très-corect  et  classique  musicien  qui,  au  temps  de 
Rossini  et  de  Mendelssohn,  écrivait  dans  le  style  de  Haydn  et  de 
Mozart.  Le  premier  de  ses  trois  quatuors  pour  archets  vient  d'être 
mis  en  vente.  Il  porte  le  n"  55  dans  l'œuvre  du  compositeur  et  a  reçu 
des  éditeurs  une  toilette  charmante. 

Enfin,  deux  compositions  de  M.  Jules  de  Belîczay,  — un  auteur 
hongrois  peu  connu  ici,  mais  dont  l'Allemagne  a  entendu  un  quatuor 
pour  instruments  à  cordes,  un  trio  pour  piano  et  archets  et  diverses 
compositions  pour  piano  sur  des  théâtres  magyars.  L'une  des  deux 
œuvres  récemment  parues  de  M.  de  Beliczay  porte  lé  titre  :  Drei 
Stamincnhuchblatter  (op.  31).  Elle  se  compose  dune  Rêverie  qui 
rappelle  Schumann,  d'un  Inte-nnède  et  d'un  Chant  du  soir  d'une 
couleur  Mendelssohnienue.  L'autre  est  un  Nocturne  d'une  agréable 
tournure  mélodique. 


f 


ETITE     CHROfliqUE 


Un  artiste  sympat)iique,  Yprois  d'origine,  qui  a  pris  part  à  un 
grand  nombre  d'expositions  où  son  talent  consciencieux,  mêlé  d'une 
pointe  d'humour,  a  été  remarqué,  M.  Gustave  Goppieters,  est  mort 
inopinément  le  17  octobre.  L'artiste  û'était  âgé  que  de  45  ans.  La 
nouvelle  de  sa  mort  a  douloureusement  ému  le  monde  des  artistes, 
et  particulièrement  la  génération  à  laquelle  appartient  le  groupe  des 
anciens  élèves  de  l'atelier  Portaels,  où  M.  Goppieters  avait  fait  sou 
éducation  artistique. 

A  l'exposition  organisée  en  1883  par  ses  condiciples  d'autrefois  9t 
qui  réunit  tant  de  talents  divers  issus  de  la  même  souche,  Gustave 
Goppieters  remporta  un  succès  des  plus  honorables.  Dix-sept  de  ses 
tableaux  et  études  figurèrent  au  Salon  ouvert  au  Palais  des  Beaux- 
Arts,  et  parmi  eux  on  distingua  surtout  la  composition  fantaisiste 
intitulée  :  Le  Bourgeois  et  la  mort,  une  danse  macabre  en  cinq 
scènes  où  la  philosophie  narquoise  le  disputait  à  la  bonne  humeur. 
Il  y  avait  aussi  une  série  de  silhouettes  connues,  entre  autres  celle 
de  Franz  Servais,  d'une  frappante  ressemblance.  Quelques  portraits, 
un  tableau  intitulé  :  L'Attente,  des  paysages,  quelques  études  com- 
plétaient l'important  envoi  du  peintre. 

La  Belgique  Jierd  en  lui,  sinon  un  artiste  de  premier  ordre,  du 
moins  une  personnalité  originale  dont  le  talent  aimable  avait  un 
grand  nombre  d'admirateurs. 


Aujourd'hui  dimanche,  à  une  heure  et  demie,  on  exécutera  à  la 
séance  publique  de  la  classe  des  Beaux-Arts  de  l'Académie,  la  can- 
tate In  't  Elfenwoicd,  de  M.  Léon  Dubois,  premier  prix  du  grand 
concours  de  composition  musicale  de  1885.  Le  poème  est  de  M.  Bo- 
gaerts. 

Le  baryton  Henri  Heuschling,  qui  a  donné  avec  grand  succès 
à  Ostende  un  concert  pour  lequel  il  n'avait  réclamé  le  concours  d'au- 
cun autre  artiste,  renouvellera  sa  tentative  à  Bruxelles  le  mois  pro- 
chain. 

L'audition  aura  lieu  du  20  au  25  novembre,  à  la  salle  Marugg, 
et  comprendra  un  programme  soigneusement  choisi  sur  lequel  figu- 
reront entre  autres  des  œuvres  de  quatre  artistes  belges:  MM.  Dupont, 
Huberli,  Mathieu  et  Wauters, 


La  Nouvelle  Société  de  musique  de  Bruxelles,  dans  une  circulaire 
qu'elle  vient  d'adresser,  anùonce  la  mise  à  l'étude  de  la  dernière 
composition  de  Gounod,  Mors  et  Vita,  récemment  exécutée  pour 
la  première  fois  à  Birmingham.  L'exécution  publique  aura  lieu  vers 
la  fin  de  décembre  ou  au  commencement  de  janvier.  Le  compositeur 
dirigera. 


Un  nouveau  journal  illustré  vient  de  paraître  à  Bruxelles.  Le 
Globe  illustré,  dirigé  par  M,  Théo  Spée,  ancien  directeur- gérant  de 
Vlllustration  européenne,  donne  chaque  semaine,  en  huit  grandes 
pages,  des  illustrations  dont  l'actualité  fournit  la  grande  part.  Son 
texte  est  consacré  au  roman,  au  théâtre,  aux  beaux-arts,  auTc  let- 
tres, aux  voyages,  etc.,  et  se  garde  avec  soin  de  marcher  sur  les 
plates-bandes  de  la  politique.  L'aspect,  le  format,  le  caractère  se 
rapprochent  du  journal  français  \  Illustration.         , 

Nous  nous  félicitons  de  voir  une  tentative  nouvelle  de  publication 
illustrée  dans  notre  pays.  Les  artistes  belges  auront  l'occasion  de 
s'y  faire  connaître,  et  déjà  nous  voyons  figurei*-i)armi  les  illustra- 
teurs quelques  jeunes,  tels  que  Ed.  Duyck,  Hrîius,  Abry. 

Abonnements  pour  la  Belgique  :  10  francs  par  an,  fr.  5-50  pour 
six  mois,  3  francs  par  trimestre.  Bureaux  :  18,  rue  de  la  Madeleine, 
Bruxelles.  . 


On  lit  dans  un  journal  quotidien  : 

Peter  Benoit  est  toujours  à  la  campagne,  à  Desselghem,  Sa  santé 
s'est  beaucoup  améliorée,  et  il  n'est  pas  besoin  de  démentir  les  bruits 
de  complications  nouvelles  qui  ont  couru  ces  jours  derniers  dans  les 
journaux  de  Bruxelles,  Le  m«ës/ro  dirigera  vraisemblablement  l'exé- 
cution prochaine  de  VOorlog. 

On  vient  de  recevoir  les  exemplaires  gravés  par  une  maison  alle- 
mande de  la  grande  partition  d'orchestre  de  VOorlog.  Cette  œuvre 
de  musique  admirable  a  été  burinée  sur  acier  par  un  graveur  de  pre- 
mier ordre.  Toutes  les  parties  tiennent  sur  une  page,  et  les  portées 
sont  aussi  nettes,  aussi  claires  que  sur  une  partition  de  piano.  Cette 
partition,  tirée  à  cent  exemplaires  seulement,  coûte  cent  francs.  Le 
premier  "  tiré  »,  avant  la  lettre,  a  été  offert  par  Benoit  à  son  vaillant 
et  dévoué  ami  de  Dekeu  à  qui,  du  reste,  est  dédiée  la  partition 
entière  de  VOorlog.  • 

On  annonce  flue  M.  Galli,  le  nouveau  directeur  du  Théâtre-Royal 
d'Anvers,  se  dispose  à  monter  prochainement  Lohcngrin.  Il  prépare 
aussi  une  reprise  du  Tribut  de  Zamora.  M.  Seguin,  l'ancien  baryton 
du  théâtre  de  la  Monnaie,  qui  fitde-Hans  Sachs  la  remarquable 
création  dont  on  se  souvient,  a  remporté  à  Anvers  un  succès  considé- 
rable dans  Ernani. 

]V|me  Patti  arrivera  prochainement  à  Anvers.  Elle  se  fera  entendre 
dans  le  rôle  de  Violetta,  de  la  Traviata. 


Nous  recevons  les  premiers  numéros  d'une  nouvelle  revue  artis- 
tique que  vient  de  fonder,  à  Barcelone,  une  femme  de  lettres  con- 
nue, Esmeralda  Cervantes  (de  son  vrai  nom  Dona  Clotilde  Cerda  y 
Bosch).  Titre  :  El  Angel  del  hogar,  La  revue  est  mensuelle.  Paru  i 
les  Senores protectores  figure  M.  Merry  del  Val,  ministre  d'Espagne 
à  Bruxelles,  Bonne  chance  à  dona  Esmeralda! 


,y 


Nous  avons  reçu  ces  derniers  jours  la  première  livraison  d'une 
publication  hollandaise  portant  le  titre  de  :  De  Nicuwe  Gids. 

La  rédaction  du  Nieuwe  Gids  est  composée  de  :  MM.  F.  Van 
B«den,  F.  Vander  Goes,  Willem  Kloos,  Willem  Paap  et  Albert 
Verwey. 

Voici  le  Sommaire  du  l*'  fascicule  : 

De  kleine  Johannes,  Fred.  Van  Eeden.  —  Hendrik  IV  en  de 
prinses  Condé,  D*"  W.  Doorenbos.  —  Het  sonnet  en  de  sonnetten 
van  Shakespeare,  Albert  Verwey.  —  De  Wet  van  Bertliollet  en  de 
moderne  scheikunde,  D^"  Ch.-M,  Van  Deventer,  —  Revue  coloniale 
internationale,  Dr  H.  Bluik.  —  Persephone,  Albert  Verwey.  — 
Sonnetten,  Willem  Kloos,  —  L'esthétique  de  demain  :  L'art  sug- 
gestif, Maurice  Barrés.  —  Varia' (staatkunde,  letterkunde,  tooneel). 

Prix  de  l'abonnement  fl,  7.50.  —  Une  livraison  formant  160  pages 
fl,  1,50.  —  S'adresser  à  l'éditeur  W.  Versluys,  à  Amsterdam. 


^ 


348 


LART  MODERNE 


CINQUIÈAIE  ANNÉE 

L'ART  MODERNE  s!ost  acquis  par  l'autorité  et  rindépondance  de  sa  critique,  par  la  variété  de  ses 
informations  et  les  soins  donnés  à  sa  rédaction  une  place  prépondérante.  Aucune  manifestation  de  l'Art  ne 
lui  est  étrangère  :  il  s'occupe  de  littérature,  de  peinture,  do  sculpture,  de  gravure,  de  musique, 
d'architecture,  etc.  Consacré  principalement  au  mouvement  artistique  belge,  il  renseigne  néanmoins  ses 
lecteurs  sur  tous  les  événements  artistiques  de  l'étranger  qu'il  importe  de  connaître. 

Chaque  livraison  de  L'ART  MODERNE  s'ouvre  par  une  étude' approfondie  sur  une  question  artistique 
ou  littéraire  dont  révénement  de  la  semaine  fournit  l'actualité.  Les  expositions,  les  livres  nouveaicx,  les 
premières  représentations  d'œuvres  dramatiques  ou  musicales,  les  conférences  littéraires^  les  concerts,  les 
ventes  dohjets  cVart,  font  tous  les  dimanches  l'objet  de  chroniques  détaillées.  "  . 

L'ART  MODERNE  relate  aussi  la  législation  et  la  jurisprudence  artistiques.  Il  rend  compte  des 
procès  les  plus  intéressants  concernant  les  Arts,  plaides  devant  les  tribunaux  belges  et  étrangers.  Les 
artistes  trouvent  toutes  les  semaines  dans  son  Mémento  la  nomenclature  complète  des  expositions  et 
concours  auxquels  ils  peuvent  prendre  part,  en  Belgique  et  à  l'étranger.  Il  est  envoyé  gratuitement  à 
l'essai  pendant  un  mois  à  toute  personne  qui  en  fait  la  demande. 

L'ART  MODERNE  forme  chaque  année  un  beau  et  fort  volume  d'environ  450  pages,  avec  deux 
tables  des  matières,  dont  Vuné  par  ordre  alphabétique,  de  toits  les  artistes  appréciés  ou  cités.  Il  constitue  pour 
l'histoire  de  l'Art  le  document  LE  PLUS  COMPLET  et  le  recueil  LE  PLUS  FACILE  A  CONSULTER. 


PRIX    D'ABONNEMENT 


Belgique  lO   fl*, 

Union  postale    l  «i    fk*« 


par  an. 


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Quelques  exemplaires  des  quatre  premières  années  sont  en  vente  aux  bureaux  de  L'ART  MODERNE, 
rue  de  l'Industrie,  26,  au  prix  de  30  francs  chacun. 


J.  SCHAVYE,  Relieur 

4tf,  Rue  du  Nord,  Druscclles 


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DE  LUXE,  ALBUMS,  ETC. 

SPÉCIALITÉ  D'ARMOIRIES  BELGES  ET  ÉTRANGÈRES 


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rue  Thérésienne,  6 


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Paris  1867,  4878,  i^'  prix.  —  Sidney,  seul  1"  et  2«  prix 
EXPOSITION  AMSTERDAM  1883,  SEDL  DIPLOME  D'HOKNEOR. 

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Hollande  Van  Gelder,  25  francs. 


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RUÉ  SAINT-JEAN,  10,  BRUXELLES 


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ERMEL,  A.  Op.  30.  Confc  ovK'H^aZ,  Caprice    .     .     . 

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tus -Valses  .     .     .     , 
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DU    CONSERVATOIRE    ROYAL    DE   BRUXELLES 

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21c  livraison.  Cahier  L  —  Mozart,  sonates  en  la  min.  et  en  ré  maj. 
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Prix  de  la  liv^raison  :   5  francs  net. 


.:^ 


riMi 


Bruxelles.  —  Imp.  Félix  Callewaert  père,  ruô  de  l'Industrie,  2(5. 


Cinquième  année.  —  N^  44 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  1^'''  Novembre  1885. 


L'ART 


MODERNE 


PARAISSANT    LE     DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DÉS  ARTSJIT  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,   un   an,   fr.   10.00;  Union  postale,   fr..  13.00.    —   ANNONCES   :    On   traite   à  forfait. 


Adresser  les  demandes  d'al)onnement  et  toutes  les  conimi'Mications  à. 
l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles, 


^OMMAIRE 


Les  livres  belges.  —  Livres  'nouveaux.  Les  petits  cahiers,  par 
Léon  Gladel  ;  Les  poésies  de  Catulle  Menclès.  —  Théâtres.  Tiiéàtre 
de  la  Monnaie.  M.  Villaret;  Reprise  de  Joconde.  Théâtre  du  Parc. 
La  Duchesse  Lyly.  —  Au  nois  des  Elfes.  —  Les  funérailles  de 
M.  Perrin.  —  Petite  chronique. 


LES  IIVRES  BELGES 

"C'est  à  Bruxelles  que  sévit  Kistemaeckers. 

«  Henri  Kistemaeckers  est  un  homme  résolu,  qui 
poursuit  la  langue  française  d'une  haine  épouvantable. 
Il  a  juré  de  l'exterminer..  Il  s'est  fait  éditeur  dans  cette 
intention.  Et  quel  éditeur,  doux  Jésus!  Sa  ration  est 
d'un  roman  tous  les  deux  jours.  En  voilà  un  à  qui  il 
n'est  pas  besoin  de  crier  :  Mange  !. .. 

«  Le  jour  où  les  livrés  édités  pas  Kistemaeckers 
seront  réputés  livres  français,  si  vous  ue  savez  pas  ce 
que  c'est  qu'une  révolution  fondamentale,  vous  en  ver- 
rez une  ;  attendu  qu'il  faudra  fermer  tous  les  collèges  et 
lycées;  renvoyer  les  professeurs  d'orthographe,  de  syn- 
taxe et  de  grammaire  comparée  ;  brûler  en  effigie,  de- 
puis Montaigne  jusqu'à  Renan,  tous  les  soi-disant  écri- 
vains, stylistes  et  philologues  du  charabia  gallo-romain; 
nettoyer  l'antique  Sorbonne,  licencier  l'antédiluvienne 
Académie,  et  traduire  Voltaire  en  flamand  rose  .^.. 

"  L(3  flamand  rosé,  inv^enté  par  le  haineux  Kistemae- 
ckers, et  popularisé  par  les  papiers  qu'il  édite,  me 
paraît  être  un  ensemble  savant  de  tous  les  barbarismes, 
solécismes,  bourdes  et  pataquès  qui  valent  aux  enfants 


la  réputation  de  cancres  et  aux  hommes  faits  celle  de 
naturalistes  éminents.  Il  est  difficile  d'en  donner  une 
idée  aux  personnes  tranquilles  et  bien  portantes  qui  se 
contentent  du  mot  pot-au-feu  pour  en  commander  un 
à  leur  cuisinière. 

"  Imaginez  Dumanet  à  l'Hôtel  de  Rambouillet  ;  mais 
Dumanet  souffrant  de  cors  aux  pieds,  et  faisant,  sur 
les  talons,  du^Scudéry  pour  séduire  la  cuisinière.  Cuirs 
précieux,  liaisons  suaves  et  petits  cris  inarticulés. ... 

«  Les  critiques  qui  rendent  les  frères  de  Concourt 
responsables  de  cette  épilepsie  lexicographique,  par 
laquelle  les  mots  arrivent  à  exprimer  le  contraire  de 
ce  qu'ils  signifient,  et  les  phrases  à  caramboler  dans  le 
vide  à  huit  mille  mètres  au  dessus  du  niveau  de  l'ab- 
surdité, chargent  ces  écrivains  d'un  crime  qu'ils  n'ont 
pas  commis.  Les  Concourt  sont  parfois  contournés  et 
bistournés,  mais  ils  restent  corrects,  toujours,  et  quand 
ils  sont  heureux,  rien  n'est  comparable  au  relief  de 
lotir  réalisation  artistique.  Chez  eux  encore,  le  néolo- 
gisme garde  lallure  d'une  sorte  d'encanaillement  dis- 
tingué qui  sent  sarraceft:'ançaise.  S'ils  ôtent  leurs  bottes 
dans  le  monde,  on  devine  que,  comme  à  Lauzun,  ce 
sont  des  princesses  qui  les  leur  tirent. 

"  L'influence  des  Concourt  se  borne  donc  à  avoir 
donné  l'exemple  de  quelque  désossement  de  la  phrase 
française'.  Et  si  Ion  y  reganîe  bien,  on  verra  que  tous 
les  os  au  moins  y  sont.  Tandis  que  chez  Kistemaeckers, 
il  n'y  a  plus  d'os  du  tout.  Ni  os,  ni  lard.  On  ne  sait  pas 
comment  tient  la  couenne  ! 
'.  Cette  lutte  d'un  homme  contre  une  langue  n'est 


pas  nouvelle  si  elle  est  imposante.  Déjà  au  début  du 
dix-septième  siècle,  un  Espagnol  l'avait  soutenue  contre 
l'idiome  de  Cervantes.  Cet  Espognol,  qui  d'ailleurs  n'a 
pas  grandi,  s'appelait  Gongora,  d'où  l'on  a  fait  gongo- 
nisme,  —  presque  goncourisme.  Mais  Gongora  était 
manifestement  soutenu  par  la  Providence,  car  elle  lui 
avait,  en  sus  de  ce  nom,  donné  celui  de  «  Y  Argote,  » 
par  où  elle  prévenait  les  gens  de  la  mission  qu'il  avait 
à  remplir.  Quand  on  s'appelle  Gongora  Y  Argote,  l'ar- 
got est  une  prédestination.  Et  pourtant  il  succomba,  ce 
qui  me  laisse  l'espoir  que  Kistemaeckers,  dont  le  nom 
ne  veut  rien  dire  du  tout,  ne  réussira  pas  dans  ses 
mauvais  desseins. 

«  Non,  Kistemaeckers,  ta  haine  demeurera  stérile  ! 
Jamais  un  Caro  n'enseignera  en  Sorbonne  les  déliques- 
cences du  flamand  rose.  Jamais  Claretie  ne  transportera 
Liidine,  de  M.  Poictevin,  sur  la  scène  où  Monval  s'age- 
nouille. Jamais  nous  n'entendrons  la  charmante  Bartet 
traiter  de  ses  «  efï'ulgences  amenuisées  " ,  de  ses  "  erro- 
nées errances  »  ni  de  la  belle  eau  ikrt-lumière  illar- 
moyanie  du  fond  de  son  cèil  serti.  Scribe  serait  trop 
content.  Cela  lui  ferait  un  été  de  Saint-Martin  à  cet 
homme.  Oscar,  ou  le  mari  qui  trompe  sa  femme,  repa- 
raîtrait tout  joyeux  et  il  dirait:  «  Pardon,  je  la  trompe, 
en  style  d'épicier,  mais  clairement  du  moins,  tandis  que 
vous,  vous  la  trompez  en  un  langage  tellement  inver- 
téhré,  qu'on  ne  sait  plus  lequel  des  deux  en  doit  à  l'au- 
tre, si  votre  femme  est  une  femme  ou  un  être  efïulgent 
et  amenuisé,  d'où  vient  Oscar,  et  si  nous  sommes  là 
pour  pleurer  ou  rire.  " 

Ainsi  s'exprime  Caliban,  dans  le  Figaro  du  27  oc- 
tobre» 

Et  ses  quatre-vingt  mille  lecteurs  se  considèrent 
comme  suffisamment  éclairés  sur  l'état  présent  de  l'art 
d'écrire  en  notre  pays.  Leur  doctrine  à  cet  égard  se  for- 
mule en  une  équation  :  la  littérature  belge  égale  Kis- 
temaeckers. 

Nous  n'avons  pas  l'espoir  que  la  timide  protestation 
que  nous  allons  risquer  dans  notre  petit  coin  arrivera 
jusqu'aux  oreilles,  soit  de  Caliban,  soit  de  n'importe 
lequel  des  présomptueux  abonnés  du  Figaro.  Nous  la 
risquons  pourtant  comme  un  bêlement  d'agneau  qu'on 
égorge.  Elle  est  instinctive  sinon  utile. 

Eh!  bien,  seigneur  Caliban,  vous  faites  erreur  en 
croyant  que  Kistemaeckers  et  son  Flmnand  rose 
incarnent  notre  littérature  ;  vous  faites  encore  erreur 
en  croyant  que  la  langue  acceptée  par  nos  écrivains  est 
le  langage  invertébré  qu'il  étale  sur  les  pages  des 
livres  qu'il  publie  comme  une  couche  de  saindoux  sur 
des  tranches  de  pain  moisi. 

Daignez  permettre  qu'on  vous  en  fasse  l'observation  : 
il  y  a  autre  chose. 

Certes  Kistemaeckers,  ce  nom  dont  vous  dites  aujour- 
d'hui quil  ne  veut  rien  dire  du  tout,  a,  dans  le  temps. 


voulu  dire  quelque  chose,  grâce  à  vous,  seigneur  Cali- 
ban, et  à  certains  frères  d'armes  de  la  presse  pari- 
sienne, qui  alors,  je  ne  sais  par  quel  miracle,  vantiez 
beaucoup  le  personnage,  trouviez  très  méritantes  les 
éditions  par  lesquelles  il  jouait  au  Poulet-Malassis  de 
seconde  trempée,  et  donniez  parfois  en  premiers-Paris 
des  extraits  de  ses  livres  ou  des  appréciations  qui  les 
juchaient  en  des  rangs  distingués.  Il  était  bien  en  cour, 
alors,  le  Kistemaeckers  que  maintenant  on  éreinte,  il 
était  bien  en  cour  au  royaume  de  vos  journalistes,  si 
bien  que  plus  d'un  auteur  en  vue  de  chez  vous  ne  crut 
pas  déroger  en  lui  confiant  la  publication  de  ses  œuvres. 

Nous  assistions  non  sans  quelque  satisfaction  à  cet 
épanouissement  d'un  éditeur  national,  se  frayant  sa 
voie  avec  vaillance,  dédaigné  au  début,  mais  s'imposant 
de  vive  force.  Et  quoique  déjà  apparût  dans  le  choix 
des  livres  qu'il  éditait  une  tendance  vers  la  grivoiserie 
excessive,  nous  supposions  que  ces  écarts  resteraient 
des  exceptions.  Nous  espérions  avoir  enfin  ce  qui  nous 
manque  tant  :  un  homme  intelligent,  hardi,  ami  de  sa 
race,  résolu  à  être  le  metteur  en  scène  de  la  jeune  et 
forte  littérature  qui,  malgré  la  routine  de  l'enseigne- 
ment, malgré  l'indifférence  du  public,  surgit  chez  nous 
féconde  et  incompressible. 

Mais,  hélas  !  le  succès  que  vous  lui  fîtes  là-bas  eut 
vite  grisé  l'homme.  Il  se  crut  appelé  à  remplir,  lui  aussi, 
le  rôle  d'un  de  ces  pachas  de  la  librairie  qui  régentent  à 
Paris  les  lettres,  et  se  croient  des  Mécènes  alors  qu'ils 
ne  sont  que  des  despotes.  Il  crut  pouvoir  traiter  en 
subalternes  les  artistes  auxquels  il  fournissait  ses 
presses.  On  eut  à  faire  antichambre  pour  être  accueilli. 
Il  accorda  sa  protection  à  qui  l'encensait  davantage. 

Et  se  croyant  assez  fort  désormais,  avec  votre  aide 
très  dévouée  et  très  constante,  pour  se  permettre  toutes 
les  audaces,  il  composa  en  majeure  partie  ses  catalogues 
.de  ces  productions  et  reproductions  qui  ont  répandu 
au  loin  la  célébrité  des  livres  dits  Livres  Belges. 

Dès  lors,  veuillez  le  croire,  il  peiMit  rapidement 
les  sympathies  et  les  espérances  dont  on  accompagnait 
sa  rapide  fortune  littéraire.  Le  charme  était  rompu 
pour  nous  qu'il  vous  ensorcelait  encore.  Mais  voici  que 
vos  yeux  se  désillent  et  qu'à  votre  tour,  avec  une  âpre  té 
que  nous  n'y  avions  pas  mise,  vous  exécutez  l'homme  à 
Paris  comme  s'il  y  avait  un  mot  d'ordre. 

Il  est  loin  de  notre  pensée  d'apprécier  l'équité  de 
cette  justice  sommaire.  Nous  ne  saurions  le  faire  avec 
impartialité,  trop  de  dissentiments  ayant  terni  à  cet 
égard  la  limpidité  des  jugements .  réciproques.  Mais  ce 
que  nous  tenons  à  mettre  en  toute  clarté,  c'est  que  soit 
dans  le  passé  quand  les  relations  étaient  fraternelles, 
soit  maintenant  que  la  rupture  s'est  faite,  Kistemaeckers 
n'a  jamais  représenté  qu'une  faible  partie  de  notre  litté- 
rature. 

Il  a  certes  pu  le  croire  et  le  dire  à  Paris  quand  il 


j 


emplissait  de  ses  déclamations  bruyantes  et  quelque  peu 
fanfaronnes  les  bureaux  de  rédaction  et  les  officines 
des  libraires.  C'était  sinon  légitime,  tout  au  moins 
explicable.  Son  activité  fiévreuse  lui  donnait  quelque 
droit  à  se  proclamer  Y  Unique.  Mais  ce  fut  pure  illusion. 
Il  eût  pu  le  devenir,  mais  il  est  resté  en  chemin,  et 
irrémissiblement. 

Ce  que  vous  nommez  fort  drôlement  le  langage  inver- 
tébré et  le  flamand  rose  de  certains  auteurs  qu'il  a  édi- 
tés n'est,  soyez-en  persuadé,  qu'une  exception  en  Bel- 
gique et  encore  est-ce  avec  à-propos  que  vous  faites 
remarquer  que  la  contagion  nous  est  venue  de  France. 
Comme  vous,  nous  avons  nos  excentriques  qui,  disons-le 
à  leur  décharge,  ne  sont  la  plupart  du  temps  que  des 
chercheurs  de  neuf  dévoyés,  des  amoureux  d'originalité 
devenus  maniaques.  Récemment,  décrivant  le  phéno- 
mène dans  des  études  intitulées  :  Essai  de  patliologie, 
liitéy'aire,  nous  eûmes  l'occasion  d'attirer  l'attention  sur 
ces  malades  qui  transforment  en  hallucinés  de  vrais 
artistes  victimes  de  leur  prédilection  pour  une  forme 
exclusive.  Nous  avons  essayé  de  caractériser  nos  Déli- 
quescents, nos  Décadents,  nos  Incohérents,  nos  Verbo- 
lâtres,  nos  Esotériques.  Mais  ce  n'est  pas  là  toute  notre 
littérature.  A  côté  d'eux  nous  avons,  nous  aussi,  nos 
Bien-Portants. 

Vous  qui  n'avez  frayé  qu'avec  Kistemaeckers,  vous 
avez  pu  croire  que  sa  boutique  concentrait  notre  petit 
univers.  Détrompez-vous.  Tous  nos  écrivains  ne  sont 
pas-  férus  du  désir  fou  de  se  faire  éditer  en  France  et 
de  manger  le  sucre  candi  des  coniptes-rendus  parisiens. 
Notre  pays  a  son  originalité,  il  a  ses  amants  qui  tra- 
vaillent à  l'exprimer  et  ne  souhaitent  pas  envoyer  au 
delà  des  frontières  les  œuvres  inspirées  par  notre 
milieu  paisible,  notre  nature  fertile  et  bonne,  nos  sen- 
timents propres  et  nos  mœurs  flamandes  ou  wallonnes 
modérées  en  toutes  choses.  Nous  sommes  très  peu  por- 
nographes,  seigneur  Cahban,  notre  langage  est,  de  pré- 
férence, vigoureux  et  simple,  notre  flamand  se  sent 
encore  de  la  palette  de  Rubens  qui,  elle-même,  n'était 
qu'un  reflet  des  belles  teintes  avivées  dont  notre  humide 
climat  décore  et  nos  champs  et  nos  villes. 

Il  arrivera  peut-être  qu'un  de  vos  écrivains  s'occupe 
un  jour  de  se  rendre  compte,  autrement  que  par  les 
bavardages  intéressés  et  les  publications  isolées  d'un 
éditeur,  de  ce  qu'est  cette  littérature  belge  dont  les 
uns  se  moquent  en  disant  :  mauvais  français!  et  que 
les  autres  déshonorent,  en  disant  :  malpropreté.  Vos 
revues  publient  fréquemment  des  études  sur  l'art 
d'écrire  à  l'étranger  :  la  Russie,  l'Angleterre,  l'Es- 
pagne, l'Italie,  TAllemagne,  voire  la  Roumanie,  la 
Bohême  ont  eu  leur  tour.  Le  temps  ne  serait-il  pas 
venu  que  nous  ayons  le  nôtre?  Ou  sommes-nous  trop 
près  pour  vous  intéresser?  Y  aurait-il  dans  le  fait  que 
nous  parlons  la  même  langue  une  jalousie  dédaigneuse 


qui  nous  fera  toujours  traiter  par  vous  comme  des 
contrefacteurs  ? 

Humblement  nous  vous  prions  de  considérer  que 
nous  sommes  un  petit  peuple  qui  vraiment  est  bien 
lui-même,  dans  ce  qu'il  a  de  bon  et  dans  ce  qu'il  a  de 
défectueux.  On  a  pu,  sur  notre  sol,  durant  une  longue 
période,  croire  qu'on  ne  pouvait  mieux  faire  que  de 
vous  pasticher,  et  certes  il  ne  faut  pas  vous  irriter 
d'un  pareil  hommage.  Nos  pédants  nous  élèvent  encore 
en  ne  nous  proposant  pour  modèles  que  vos  auteurs. 
Mais  dans  nôtre  libre  et  laborieuse  jeunesse,  c'est  fini. 
Nous  vous  admirons  toujours,  mais  nous  ne  vous  imi- 
tons plus.  Les  lieux  que  nous  dépeignons  sont  ceux 
qui  sont  visibles  autour  de  nous.  Les  êtres  qui  y  vivent, 
sont  nos  compatriotes.  Les  scènes  qui  s'y  passent,  celles 
de  notre  vie.  L'originalité  est  donc  née  pour  nous  et 
grandit  chaque  jour.  C'est  elle  qui  donnera  à  nos  tra- 
vaux littéraires  la  saveur  qui  leur  a  longtemps  man- 
qué. Vous  nous  lirez  alors  comme  on  lit^  des  livres 
étrangers  décrivant  des  choses  nouvelles  parce  qu'elles 
sont  nationales.  Peut-être  alors  découvrirez -vous  chez 
nous  un  Dickens,  un  Tourgueneff*,  un  Sacher-Mazoch, 
un  Auerbach,  et  aurez-vous  pour  vos  modestes  voisins 
d'autres  compliments  que  de  les  représenter  comme  un 
troupeau  grognonnant  dont  Kistemaeckers  serait  le 
saint  Antoine. 


JalVRE^     NOUVEAUX 


Les  Petits  cahiers,  par  Léon  Cladel.  —  Paris,  Monxier. 

Les  Petits  cahiers  de  Léon  Cladel  sont  à  l'œuvre  du  maître 
ce  que  les  contes  à  Ninon  sont  à  celui  de  Zola.  Le  rapprochement 
peut  paraître  étrange,  à  prime  vue,  si  l'on  songe  combien  ces 
deux  romanciers  restent  étrangers  l'un  à  l'autre  et  combien  leurs 
domaines  littéraires  s'étendem  sous  des  zones  différentes.  Telle 
est,  néanmoins,  me  semble-t-il,  l'idée  qui  germe  dans  le  cerveau 
du  lecteur  et  doit  y  germer,  car  si  dans  les  contes  à  Ninon  vous- 
trouvez,  ici,  une  nouvelle  qui  contient  à  l'état  de  fœtus  le  géant 
Paradou,  là,  un  chapitre,  qui,  développé,  aboutira  à  l'idylle  de 
Miette  et  de  Silvère,  là,  une  histoire  qui  sera  la  Page  d'amour  et 
la  Conquête  de  PlassanSy  dans  les  Petits  cahiers  vous  rencontrez 
le  Revenant  où  passe  le  souille  de  Mère  Blanche,  Paul  des  Blés 
qui  fait  songer  à  Crète-Rouge,  Bètes  et  Gens,  qui  préparent  les 
rusticités  de  la  Fête  de  Saint- Bar tholomé  et  de  N'a-qu  un-œil. 

Les  Petits  cahiers  sont,  du  reste,  un  livre  mâle  et  fort.  Sous 
riiumilité  un  peu  bonhomme  du  titre,  ils  contiennent  des  pages 
de  grand  style  sonore  et  éclatant,  style  de  guerre  ou  plutôt  style 
de  révolution  et  de  prise  d'armes  soudaine,  où  tous  les  mots,  les 
l)lus  vulgaires,  les  plus  tiers,  les  plus  glorieux,  tantôt  des  mois 
d'argot  vêtus  d'une  blouse,  tantôt  des  mots  militaires,  képi  sur 
l'oreille,  tantôt  des  mois  savants  et  latins,  en  loge  et  en  péplum, 
forment  bataillon,  grossi  au  hasard,  au  courant  d'une  rencontre, 
mais  qui  rassemblés  marchent  au  pas,  superbement. 

Léon  Cladel,  à  chaque  page  où  il  célèbre  les  gloires  de  la  répu- 
bliiiue  et  de  l'insurrection,  autour  desquelles  il  crée  une  légende 


V 


352 


UART  MODERNE 


comme  Hugo  en  cr(^;iil  une  autour  i\i\  premier  empire  el  des 
guerres  de  Napoléon, nous  pnnjîl  ressusciter  la  belle  figure  de 
Rude,  laillnm  d'enthousiasme  sa  Marseillaise  de  marbre  (jui  hurle 
par  dessus  Tes  volontain  s  el  les  conscrits  de  4792. 

Celle  Marseillaise  est  la  muse  de  Cladel  —  mais  qu'on  ne  s'y 
trompe  j)oin(.  Ce  n'est  poinl  la  Marianne  banale,  évoquée  dans  les 
comices  agricoles,  et  dans  les  concours  de  gymnasli(|ue,  et  dans 
les  Conseils  généraux  el  même  aux  Chatnbres.  Ce  n'est  poinl  la 
Marianne  des  pièces  de  cent  sous,  des.  écussons  tricolores,  des 
fC'les  otiicielles. 

C'est  la  Marseillaise  sauvage  et  vierge  et  terrible,  parente  de  la 
Liberté  de  Barbier,  une  Marianne  sanglante  el  épi(|uc  et  qui  sonne 
la  gloire  cl  la  charge,  el  (|ui  mâche  la  cartouche  el  la  haine,  el  qui 
passe  grandie  cl  apotix'îoséc  dans  un  nuage  de  poudre  el  sous  une 
auréole  de  sabres  au  clair.  Celle  Marseillaise  là  est  diî^îne  d'être 
aiiuée  et  célébrée  par  un  poète,  elle  est  digne  de  l'art,  elle  est 
inspiratrice  el  formidable. 

A  côté  des  queUpies  nouvelles  toutes  empreintes  de  ce  terrible 
patriotisme,  Cladel  a  groupé  d'autres  études,  dont  la  dernière  : 
Bêles  et  Gens,  nous  nionlre  l'auteur  des  PelUs  cahiers  tout  prêt 
à  devenir  l'auteur  de  la  Kyrielle  des  chiens.  L'amour  des  bêtes, 
si  vif  chez  lui,  y  poind  déjà  —  on  sait  que  les  Petits  cahiers 
datent  de  1870  et  que  le  présent  volume  est  une  réédition—  el 
c'est  là  une  des  notes  les  plus  précieuses  pour  étudier  l'œuvre. 
L'ault.ir  des  Pelits  cahiers  n'a,  durant  toute  sa  carrière,  modifié 
en  rien  ses  tendresses  et  ses  goûts.  Tel  qu'il  est  venu  de  son 
Quercy,  tel  est-il  encore. 

Dernièrement,  dévalant  en  Relgirpie  avec  sa  famille  entière,  sa 
fenjme  el  ses  cinq  enfants  dont  le  plus  jeune  a  deux  ans,  nous 
le  vîmes  débanjucr  à  la  gare,  harassé,  érenné,  assonnné. 

Songez  donc,  arriver  la  nuit  de  Paris,  avec  toute  une  mai- 
sonnée ! 

Tout  ceci  ne  l'avait  pas  empêché  de  compliquer  encore  son 
voyage  el  de  l.e  rendre  plus  diHicullueux  encore.  Après  les  cinq 
enfants  nous  vîmes  sortir  du  wagon  qui  enrore?  Famine  eiPaf, 
les  deux  grands  chiens  du  maître,  dont  il  n'avait  pu  se  séparer. 
Paf  au  départ  s'était  couché  en  travers  la  porle.  Alors,  vous 
comprenez,  nous  disail-il,  a  c'était  un  ordre  ». 

Les  poésies  de  Catulle  Mendès,  nouvelle  édition. 
—  Paris,  Ollendorff. 

Catulle  Mendès  vient  de  rééditer  chez  Ollendorff:  Philomelaci 
Panléleia,  poésies  de  début,  j)eu  connues  el  totalement  épuisées 
en  leurs  éditions  originales.  Panléleia  est  un  long  poème 
mythique  dédié  à  Baudelaire  et  qui  fut  compris  jadis  dans  le 
recueil  de  Philomeln.  Suivent  les  Sérénades  el  Pagode.  Ces 
sérénades  sont  délitâtes,  étranges  et  précieuses  :  notes  de  perles 
et  de  corail,  clairs  de  lune  où  voleraient  des  papillons,  soleils 
avec  des  souvenirs  d'étoiles.  Quelque  chose  d'allemand  avec  de 
la  grâce  méridionale,  de  mélancolique  et  de  riant.  Un  vivier 
triste  où  se  mireraient  des  roses  fraîches.  Fausse  douleur  peut- 
être  mais  si  douce  à  croire  vraie,  douleuf  non  pas  à  pleurer 
mais  à  clianter;  car  : 

Jeune  ou  aime  à  parler  tréi)a?, 
Byron,  Musset,  rexenq)le  tente; 
Sais-lu  de  quoi  l'âme  est  contente  ? 
,  De  montrer  qu'elle  ne  l'est  pas. 

Le  spleen  a  de  sinistres  charmes, 
On  a  le  caprice  entêté 


D'affirnier  «a  vi;;ililé.  "  .   '     '- 

Par  le  désespoir  et  les  larmes.       ^  .    ' 

Et,  bercé  d'un  souffle  qui  vole 
De  Weimar  à  Valladolid 
J'ai  joué  les  airs  de  ifion  lied 
■  Sur  une  guitare  espagnole. 

Philomcla,  livre  lyrique  est  le  premier  volume  signé  Catulle 
Mendès.  Le  sous-titre  donné  si  crânement  indique  d'où  Mendès 
est  [)arli  el  que  dès  son  entrée  au  rrionde  littéraire  il  était  le  pur 
et  le  sincère  et  décndé  poète  qu'il  demeure.  Banville,  ce  jeune 
porteur  de  lyre  de  G.-)  ans,  se  levait  dès  cet  instant  comme  le 
grand  el  uuiipie  exemple  à  dresser  devant  soi  et  h  ne  point 
quitter  des  yeux.  Mendès  était  pauvre,  il  s'en  vante;  Mendès 
d'omme  le  pi-emier  venu  pouvait  s'enrôler  dans  le  balaiTtt)U  des 
feuilletonistes  el  des  nouvellistes  el  gai^nor  deux  sous  par  ligue. 
Il  n'y  songea  poinl  ou  plutôt  n'y  voulut  point  songer  :  il  était 
trop  fier  de  son  art. 

Ce  sont  les  sonnets  de  Phiiomela,  qui  niarquent  surtout  ici  : 

Chère  âme,  nous  irons  sur  le  haut  des  collines. 
Nous  verrons  de  plus  près  sous  les  cieux  moins  pesants, 
Les  nuages  pareils  aux  blanches  mousselines, 
Qui  flottent  sur  le  cou  des  filles  de  seize  ans. 

Plus  douce  que  la  voix  douce  des  mandolines, 
Ta  parole  épandra  ses  charmes  bienfaisants, 
Et  dans  les  buissons  verts  où  sont  les  avelines. 
Tes  deux  yeux  brilleront,  comme  des  vers  luisants. 

Pleins  de  joie,  à  travers  la  nuit  élégiaque, 

Le  front  auréolé  d'un  pâle  demi-jour. 

Nous  gravirons  les  pics  couronnés  d'ombre  opaque  ; 

Et  l'on  dira,  voyant  ton  lumineux  contour, 
Que  les  anges  vêtus  d'air  paradisiaque, 
Descendent  sur  les  mots  pour  y  faire  l'amour! 

El  encore  : 

Jeune  homme  sur  ton  front  neigeux  comme  l'hermine, 
Ta  chevelure  allume  un  céleste  halo. 
Ta  joue  immaculée  où  l'incarnat  domine, 
Èù*  ravi  cet  amant  des  roses,  Murillo. 

A  l'époque  payenne  où  Narcisse  chemine, 
Amoureux  de  ses  pieds  d'ivoire  au  bord  de  l'eau, 
La  Grèce  eût  reconnu,  voyant  ta  belle  mine, 
Le  frère  de  Diane  ou  la  sœur  d'Apollo  ! 

Mais  ces  fronts  éclatants  de  lueurs  souveraines, 

Les  Dieux  sont  en  mépris,  les  Dieux  sont  au  tombeau, 

Le  nocher  n'ouït  plus  la  chanson  des  Sirènes  ; 

Le  ceste  de  Vénus  est  un  vague  lambeau,  . 

Toi  seul,  posthume  enfant  des  époques  sereines, 
Tu  portes  fièrement  la  honte  d'être  beau. 

Fixer  dans  ces  volumes  d'adolescence  littéraire  la  personnalité 
de  Mendès  n'est  pas  chose  simj)Ie.  On  lui  a  du  reste  reproché  de 
n'y  être  jamais  lui  cl  de  ne  s'être  conquis,  que  forl  tard,  grâce  à 
des  volumes  de  j)rosc  d'une  polisj^onnerie  éroti(iue,  mais  pleine 
d'art.  ™ 

Erreur,  je  pense,  el,  pour  ne  m'appuyer  que  sur  ces  deux  son- 
nelSf  sur  le  premier  surtout,  est-ce  Banville,  est-ce  Baudelaire, 
est-ce  Hugo,  est-ce  Leconie  de  Lisle,  qui  eussent  réussi  à  donner 
à  celle  scène  mystique  sa  teinte  clair  de  lune  allemand?  Jusque 
dans  Us  mots  el  dans  ce  trait  final  cru,  mais  ne  détonnant  points 
n'est-ce  pas  déjà  Catulle  Mendès  qui  apparaît,  osant  tout,  parce 


qu'il  croil  que  la  voluplé  est  rexcuso  suprême  de  la  hardiesse 
écrite,  voguant  déjà  sur  des  Ilots  de  mousseline  et  de  dentelle 
et  de  lumière  rêvées?  D'autres  pièces  sont  tout  aussi  spéciales  que 
celle-ci.  Même  Canidie,  petit  poème  en  trois  parties,  contient  je 
ne  sais  quelle  originalité  siirpienantc  :  mélange  de  paganisme  et 
de  fantastique  à  la  Holbcin. 

Mondes  s'est  donc  soupçonné  dès  Philomcla.  Seulement  la  cri- 
tique a  vu  par  dessus  lui  des  maîtres  plus  grands,  qui  noyaient 
dans  leur  flamme  les  quelques  l'ayons  qui  lui  sortaient  du  cerveau; 
rayons  allemands  certes,  mais  inconnus  en  France  et  .que  Heine 
lui-même  n'y  a  point  dardés. 


A  signaler  pour  terminer  cette  revue  hebdomadaire  des  livres 
et  des  plaquettes  :  Les  soirs  d'Iiiver  du  docteur  Loin;  Monsieur 
Cabron  par  Albert  Bonjean;  La  jarretière  de  Cascarinetlc, 
comédie  boufte  par  Albert  de  Ruyler.  ,  , 


T> 


HEATRE^ 
Théâtre  de  la  Monnaie. 

M.  ViLLARET 

M.  V^illarel  a  trouvé  dans  le  pourpoint  de  Raoul  de  Nangis, 
dans  son  maillot  de  soie  puce,  dans  ses  brodequins  de  velours, 
une  jeunesse  merveilkuse.  Les  cinquante-cinq  ans  qu'on  lui 
prête  ont  fait  honte  aux  printemps  défraîchis  des  ténors  qui  l'ont 
précédé  dans  le  même  rôle  en  ces  dernières  années.  Il  a  été 
ardent,  tendre,  suppliant,  fier,  audacieux,  superbe,  et  le  timbre 
de  sa  voix,  si  sonore  et  si  clair  dans  les  registres  élevés,  a 
donné,  depuis  la  célèbre  romance  du  premier  acte  jusqu'aux 
coups  de  fusil  du  cinquième,  une  extrême  séduction  à  son  jeu. 

Tant  pis  pour  ceux  qui  persistent  à  voir  l'avenir  couleur  de 
suie,  à  clamer  que  le  grand  opéra  est  mort  à  Bruxelles,  que  seul 
l'opéra-comique  vit  :  nous  n'hésitons  pas  à  dire  que  l'interpré- 
tation donnée  jeudi  aux  Huguenots  a  été  de  premier  ordre,  et 
telle  qu'on  n'en  eût  pas  osé  souhaiter  depuis  longtemps. 

Le  quatrième  acte,  en  particulier,  a  été  des  plus  remarquables. 
Excellemment  secondée  par  M.  Villaret,  M"'^  Monlalba  s'est, 
cette  fois,  abandonnée  h  sa  nature  d'artiste  et  a  fait  du  person- 
nage de  Valenline  une  création  vraiment  personnelle,  d'une 
pénétration  extrême,  d'une  distinction  parfaite.  L'artiste  a~mis 
autant  d'emportement  dans  les  scènes  de  passion  que  de  réserve 
et  de  modestie  dans  les  autres.  C'est  avec  justice  que  le  public 
a  salué  d'une  salve  d'applaudissements  prolongés  et  d'un  double 
rappel  la  chute  du  rideau,  • 

Il  est  vrai  qu'il  n'y  avait  au  théâtre  que  des  connaisseurs  :  les 
abonnés  étaient,  pour  la  plupart,  absents. 

Reprise  de  Joconde 

Vendredi  a  eu  lieu  la  reprise  de  Joconde.  Salle  comble  et  déjèi 
brillante  quoique  nous  ne  soyons  pas  encore  dans  les  mois  où  la 
vie  mondaine  bat  son  plein  au  théâtre  :  c'est  à  partir  de  janvier, 
s'il  en  faut  croire  les  recettes  depuis  des  années,  qu'il  se  produit 
une  hausse  subite  attestant  qu'enfin  toute  l'armée  des  amateurs 
est  en  ligne  et  chacun  h  son  poste.  Mais  l'opéra-comique  a  cet 
hiver  une  telle  faveur  que  rien  n'y  fait  et  que  chaque  pièce  nou- 
velle, quand  chante  M"''  Mézcrây  ou  Frédéric  Boyer,  est  aussi 
courue  que  les  meilleures  premières. 


Nouveau  triomphe  i)our  l'ensemble  do  la  troupe.  Exécution 
d'une  tenue  [)arl;iite.  Rien  qui  dcHonne.  Harmonie  g(''n('rale  qui 
laisse  h  l'auditeur  une  iuq)ression  de  plaisir  son  in  et  charmant. 
Même  les  rôles  secondaires  très  convenahlement  remplis.  Une 
bonne  volonté  constante  de  tous  les  interprète  s,  un  désir  visible 
de  satisfaire  le  public  et  une  confiance  salutaiie  dans  son  impar- 
tialité, car  ici  le  mauvais  sort  est  rompu,  l'abonné  ne  ii.rinche 
plus,  il  se  laisse  aller  simplement  h  ses  jouissanc*  s,  il  applaudit 
volontiers,  il  contribue  à  constituer  cet  accord  désirable  entre  la 
salle  et  la  scène  qui  produit  les  convictions  sars  trouble  et  vrai- 
ment séduisan'es. 

A  la  fin  de  la  pièce  on  a  rappelé  tous  les  chanteurs  :  Frédéric 
Doyer,  (jui  avait  déjci  h  diverses  repr's^s  recueilli  des  applaudisse- 
ments prolong('s  et  dont  on  avait  bissé  la  romance  du  -irr-isième 
acte  :  On  revient  toujours  à  ses  premiers  amours;  .M"'' Lecomte 
dont  le  j(,'u  avait  un  naturel,  une  grâce,  une  ingénuité  que  les 
spectateursavaient  fn'quemmenl  soulignés  de  leurs  ap|)robalions; 
M.  Nerval,  un  trial  d'un  comique  parfait  autjuel  il  joint,  chose 
rare  dont  nous  étions  désaccoutumés,  une  très  bonne  voix  et 
une  diction  très  nette  ;  M"*-'  Wollî,  qui  décidément  donne  les  [)lus 
belles  espérances  et  qui  de  jour  en  jour  perd  la  gêne  qui  ôtait 
peii  de  chose  du  reste  à  ses  qualités  lors  des  premu-res  représen- 
tations; qu'elle  surveille  pourtant  les  regards  trop  constamment 
étonnés  de  ses  yeux  grand  ouverts;  enfin,  une  débutante, 
M'i'-  Bolle,  qui  s'est  bien  tirée  d'à  fia  ire,  surtout  que  le  public  ce 
soir-là  ne  jouait  pas  à  l'ogre  [»rêt  à  tout  dévorer,  même  les  jolies 
femmes. 

Les  chœurs,  l'orchestre,  les  jeux  de  scène  conservent  ces 
allures  nouvelles,  en  tous  points  louables,  que  nous  avons  déjà 
signalées  et  qi>i  dénoncent  un  esprit  plus  attentif  aux  détails  et"  à 
l'illusion.  . 

Quant  à  l'opéra  deNicoloen  lui-même  il  a  exercé  la  séduction 
habituelle  de  sa  musi(pie  care>sante  et  douce,  interprété.-  par  un 
orchestre  dont  on  avait  banni  les  cuivres.  Décidénienl  le  charme 
des  vieilles  choses  ne  s'use  jamais  quand  el'es  sont  ICeuvre  de 
véritables  artistes.  Un  n-lour  vers  les  temps  disp;rus  éveille  une 
émotion  mélancolique,  aimable  et  touchante  sur  laque  le  nous  ne 
sommes  j)oint  blasés. 

Théâtre  du  Parc. 

La  Duchesse   Lyly,   drame   en  quatre   actes 
par  M.  Charles  Flor  O'Squarr. 

il 

Le  public!  Le  public!  Combien  faut-il  de  sots  pour  fùire  un 
public? 

Nous  songions  â  cette  piquante  exclamation  de  Chamfort,  en 
a^.istanl  l'autre  soir  au  Parc  h  la  première  de  la  Duchesse  Lijlij. 

Public  gouailleur,  ignorant,  public  de  cocottes  et  de  gom- 
nuux,  public  de  femmes  du  monde,  dans  les  loges,  qui  parlent 
très  haut  pour  qu'on  les  remarque  et  qui  applaudissent  1res  peu 
pour  ne  pas  iléfraîchir  leurs  ganis. 

A  propos  d'une  pièce  inédite  sur  laquelle  on  n"a  pas  le  mol 
d'ordre  de  Paris,  on  croit  de  bon  ton  de  se  montrer  ditVicile, 
défiant,  pas  gobeur;  on  baille  à  la  moindre  longueur,  on  s'im- 
patiente pour  une  tirade,  on  rit  pour  une  inexpérience,  on  s'es- 
clafte  pour  un  jeu  de  scène  manque  —  et  alors  la  s? Ile  entière 
s'amuse  comme  une  petite  folle.  - 

Cela  est  douloureux  et  cruel  quand  il  s'agit,  comme  ici.  d'un 
homme  de  talent.  Ce  n'est  pas  que  la  pièce  soit  bien  bonne. 


J 


D'abord  nous  n'aimons  pas  ces  œuvres  d'arl  qu'on  priîlend  tailler 
sur  le  patron  d'une  histoire  ou  d'un  procès  célèbre  et  qui  alors 
deviennent  tout  au  plus  rempaillement  d'un  fait  divers  contem- 
porain. Ici  la  duchesse  de  Clèves,  c'est  celte  patricienne  fran- 
çaise qui  a  disputé  avec  acharnement  les  enfants  de  son  fils  à  sa 
veuve  adultère  et  indigne,  mais  rendue  louchante  par  son  déses- 
poir et  sa  farouche  passion  de  mère.  Celte  dispute  est  aussi  le 
sujet  de  la  pièce.  Cela  ne  suflit  pas  pour  remplir  quatre  actes 
cl  c'est  ainsi  que  tout  le  troisième  est  consacré  à  la  mort  du  mari, 
tout  le  quatrième  à  la  mort  de  la  femme.  C'est  déjii  un  défaut, 
d'autant  plus  grave  quo  cette  mort  de  la  duchesse  coupable  avait 
été  vue  au  théâtre  dans  la  Traviata  et  dans  Froufrou.  Le  rôle  de 
l'amanl  est  aussi  bien  mal  composé.  D'abord  l'auteur  imagine 
pour  le  présenter  (ju'il  a  sauvé  la  vie  du  duc  dans  une  partie  de 
chasse  el  se  rend  au  château,  en  mendiant,  pour  recevoir  sa 
récompense. 

Un  instant  après  il  reparaît,  ayant  jeté  sa  défroque,  trouve  la 
duchesse  seule  et  lui  guitarise  de  longues  el  maniérées  conii- 
dencos  d'amour  —  cela  tient  un  pou  des  contes  de  fées. 

Mais  à  l'acte  suivant,  comme  i|  est  ridicule,  le  pauvre  amou- 
reux !  La  duchesse  va  être  surprise  ;  elle  le  jette  dans  son  cabinet 
de  toilette,  puis  l'en  relire  —  car  la  fenêtre  est  ouverte  el  du 
dehors  on  le  verrait  —  puis  l'y  rejette  de  nouveau  el  l'en  relire 
encore.  Ce  n'est  plus  un  homme,  c'est  un  bilboquet. 

Ce  sont  toutes  ces  entrées  peu  préparéos  qui  ont  indisposé  le 
public;  mais  qu'il  était  malséant  de  triompher  avec  joie  de  ces 
inexpériences  d'un  jeune  autour  qui  pour  le  reste  s'aflirme 
comme  un  écrivain  et  comme  un  analyste  de  talent! 

D'un  bout  à  l'autre  la  pièce  est  littéraire  —  c'est  son  mérite, 
un  grand-mérite  à  nos  yeux  —  écrite  dans  une  langue  précieuse, 
colorée,  avec  des  reliefs  et  dos  rythmes  qui  sont  surtout  sensibles 
au  premier  açle,  un  acte. d'exposition  qui  tient  bien  el  est  ponctué 
de  jolies  choses.  Ainsi  le  mol  sur  les  neuvaines  que  le  vieux 
docteur  un  peu  sco))lique  a]>polle  de  la  morj)hine  idéale.  A  côté 
des  mots  d'esprit  il  y  a  des  mots  de  sentiment  —  que  la  plupart 
des  gens  n'ont  pas  même  comi)ris  —  comme  celui  de  la  duchesse 
mourante,  au  dernier  acte.  Le  médecin  arrive  auprès  d'elle:  Et  mes 
enfants  ?  —  Ils  vont  fort  bien. —  Quand  je  songe  que  vous  lesavez 
vus  hier  soir...  fait  la  mère,  et  elle  éclate  en  sanglots. 

C'est  superbe!  el  |)0ur  trouver  un  cri  de  passion  coriime 
celui-là  il  faut  être  un  arliste  el  aller  loin  dans  l'âme  humaine. 

Voila  pourquoi,  malgré  les  gaucheries  d'une  pièce  de  début, 
on  a  le  devoir  de  se  tenir  avec  respect  devant  elle.  C'est  ce  que 
le  public  n'a  pas  fait  el  pour  le  rappeler  à  ce  devoir  de  bon  ton 
et  dt'  déférence  artistique,  on  devrait  ])eindre  sur  les  rideaux  de 
lliéâlre,  au  lieu  d';mnonces  el  d'inscriptions  patriotiques,  la 
superbe  phrase  de  Schopenhauer  :  «  Que  le  public  se  conduise 
vis-à-vis  dune  œuvre  d'arl  comme  vis-à-vis  d'un  grand  person- 
nuge,  cl)aj>eau  bas,  en  attendant  qu'elle  lui  parle.  » 


AU  BOIS  DES  ELFES 

Lexécuti'tu  de  la  cantate  qui  a  vahi  à  M.  Léon  Dubois  le  premier 
prix  du  grand  concourti  de  coni]JOî<ition  musicale  a  reçu,  dimanche, 
dans  la  salle  du  Palais  des  Académies,  une  interprétai  ion  excellente. 
Et  le  succès  a  été  à  la  liauteur  de  lexécution. 

]l  y  a  de  sérieuse^^  qualités  dans  l'œuvre  du  jeune  ai'tiste.  Rompu 
aux   habiletés  du  ^nétier,  conMai,->aul  a  fond  l'art  de  ménai^'er  les 


effets,  de  les  graduer  pour  arriver  aux  grande"s  explosions  qui 
secouent  le  public  et  lui  arrachent  les  bravos,  M.  Léon  Dubois  a,  de 
j)his,  Un  réel  tempérament  de  musicieu  qu'on  pressent  à  travers  les 
malices  tle  sa  composition. 

Il  s'agissait  de  remporter  le  prix,  et  puis  la  banalité  du  poème  à 
«*  musitier  «  n'était  pas  faite  pour  inspirer  à  l'artiste  une  œuvre 
d'une  origiiialité  de  première  marque. 

Quand  donc  se  résoudra-t-on  à  donner  aux  coucurreuts  autre 
chose  que  des  rabâchages  comme  ce  liais  des  Elfes,  aussi  vide  de 
pensées  que  vieux  de  forme?  Obliger  un  musicieu  à  se  torturer  la 
cervelle  pour  exprimer  d'aussi  sottes  choses  que  des  Elfes  appelant 
à  leur  secours  la  Nature  pour  les  débarrasser  de  chasseurs  qui  ont 
envahi  leur  forêt,  c'est  niais  et  impertinent. 

M.  Léon  Dubois  a  sauvé  à  moitié  la  situation  en  n'insistant  pas 
trop  sur  les  parties  les  plus  usées  de  la  trame  sur  laquelle  il  avait  à 
broder  ses  arabesques  musicales. 

Mais  encore  n'a-t-il  pas  évité  la  vulgarité  de  la  chasse,  de  la 
toujours  identique  chasse  qui  peuple  les  recueils  pour  orphéons. 

L'une  des  iusi)irations  les  plus  heureuses,  c'est  le  chant  large  et 
soutenu- qu'il  a  écrit  sur  les  paroles  de  l'Elfe,  chantées  d'ailleurs 
avec  beaucoup  d'art  par  M"e  Wolff,  —  une  artiste  d'avenir  qui  sera 
bientôt  une  artiste  arrivée.  '. 

Ce  qu'il  faut  louer,  c'est  l'unité  générale  de  l'œuvre,  solidement 
charpentée,  logiquement  coordonnée,  sans  «  trous  «.  Si  la  façade  en 
est  un  peu  trop  ornée  en  vue  de  plaire  aux  passants,  la  construction 
est  bonne,  et  l'on  peut  prédire  avec  assurance  que  quand  il  s'agira 
d'autre  chose  que  d'une  cantate  pour  prix  de  Rome,  M.  Léon  Dubois 
fera  œuvre  d'art  réelle  et  complète. 


LES  FUNERAILLES  DE-  M.  PERRIN 

Voici  en  quels  termes  La  Justice  a  rendu  compte  du  convoi  funèbre 
de  Tex- administrateur  de  la  Comédie-Fmnçaise: 

La  Comédie-Française  a  fait  de  pompeuses  funérailles  à  sou 
administrateur  général.  On  a  vu  passer  ce  corbillard  que  suivaient 
le  fameux  comité  de  lecture  et  la  troupe  plus  jeune  des  pensionnai- 
res. C'est,  comme  on  dirait  dans  la  maison  de  Molière,  la  dernière 
-  cérémonie  «  que  tous  ces  glorieux  comédiens  ont  menée  en  l'hon- 
neur de  l'homme  habile,  du  directeur  intelligent  qui  a  si  puissam- 
ment contribué  à  la  prosi)érité  de  l'œuvre  commune.  Elle  était  plus 
triste  et  plus  blafarde  que  toutes  les  autres,  cette  funèbre  cérémonie 
d'acteurs  qui  cheminaient  dans  la  rue,  sans  fard,  en  habit  de  ville, 
avec  leur  démarche  gauche  et  leurs  mains  maladroites.  Si  ce  souve- 
nir n'était  malséant  en  pareille  circonstance,  quelle  jolie  page 
d'Alphonse  Daudet  on  pourrait  citer  !  Vous  avez  lu  cet  enterrement 
de  la  fille  de  Delobelle,  dans  Fromont  jeune  et  Risler  aîné,  et  vous 
y  avez  vu  tout  ce  cortège  de  masques  qui  transportent  de  la  scène  à 
la  ville,  avec  leur  grossissement  obligé,  les  expressions  diverses,  les 
attitudes  et  jusqu'aux  tics  de  leur  emploi.  Il  ne  faut  pas  sourire.  Le 
vrai  comédien  est  encore  celui  qui  ne  peut  plus  se  retrouver  lui- 
même,  c'est  celui  qui  a  si  bien  immolé  sa  propre  personnalité, 
qu'elle  a  complètement  disparu  sous  le  fard,  sous  la  perruque  et  sous 
Thabit  de  vingt  rôles  où  il  s'est  incarné.  Ce  métier  là  est  aussi  cruel, 
l)resque  aussi  inhumain  que  ces  entrées  au  Curmel  où  les  néophytes 
dérobent  éternellement  au  monde  leurs  traits  et  leur  visage.  La  prise 
de  masque  fait  j)enser  à  la  j)rise  de  voile.  Sur  le  seuil  du  couvent, 
comme  sous  le  péristyle  du  théâtre,  c'est  le  même  anéantissement 
de  l'être.  .  . 

Au  cimetière  Montmartre,  où  il  a  été  dit  des  paroles  sur  la  tombe 
du  mort,  le  spectacle  et  l'impression  n'ont  guère  changé.  Pas  une 
seule  idée  forte  ou  curieuse  n'est  venue  se  mêler  à  la  banalité  des 
adieux  officiels.  D'un  bout  à  l'autre  de  la  cérémonie,  tout  s'est  mo 
delé  sur  le  masque  funèbre  de  M.  Worms. 


LART  MODERNE 


355 


f 


ETITE    CHROJsdQUE 


UUnion  dramatique  vient  de  prendre  l'initiative  d'une  excellente 
mesure,  à  laquelle  nous  applaudissons  de  tout  cœur.  Elle  a  réuni 
en  fédération  les  six  principales  sociétés  dramatiques  de  Bruxelles 
qui  seront  chargées,  à  tour  de  rôle,  d'interpréter  des  œuvres  d'au- 
teurs belges.  Ou  sait,  en  effet,  qombien  il  est  diflicile  pour  ces 
derniers  d'arriver  à  se  faire  représenter  en  public.  L'ostracisme 
dont  les  frappent  les  directions  de  théâtres,  souvent  sans  justifica- 
tion, tarit  les  sources  de  l'art  dramatique  en  Belgique.  A  quoi  bon 
écrire,  puisqu'à  de  rares  exceptions  [)rès  toutes  les  pièces  belges, 
drames,  comédies  ou  opéras,  dorment  paisiblement  sur  les  rayons 
poudreux  des  cabinets  directoriaux,  —  à  moins  qu'elles  n'aient  pris 
le  chemin  du  panier  à  papiers,  cette  morgue  où  viennent  aboutir 
tant  d'espérances  déçues. 

La  nouvelle  association  fera  ses  débuts  au  commencement  de 
Décembre,  à  l'Alhambra,  en  attendant  l'achèvement  du  nouveau 
Théâtre  flamand  où  l'es  représentations  françaises  de  la  Fédération 
alterneront  avec  les  représentations  en  langue  néerlandaise. 

Elle  ouvrira  la  campagne  par  une  pièce  inédite  de  M.  Louis  Claes 
intitulée  :  A' os  bergers,  comédie  en  4  actes. 


sans 


Nos  souhaits  les  plus  sincères  à  l'association  dramatique.  Dirigée 
ns  parti-pris,  avec  l'unique  préoccupation  de  défendre  les  intérêts 


de  la  famille  artistique  belge,  elle  peut  avoir  des  conséquences 
considérables  et  amener,  dans  l'art  dramatique,  un  renouveau  que 
tout  le  monde  attend  impatiemment. 


Rien  n'est  encore  décidé  au  sujet  des  nominations  à  faire  au 
Conservatoire  pour  occuper  les  emplois  que  la  mort  de  MM.  Servais 
et  de  Zarembski  ont  malheureusement  laissés  vacants.  Une  combi- 
naison qui  paraît  devoir  être  adoptée,  c'est  de  donner  à  M.  Auguste 
Dupont  une  situation  analogue  à  celle  qu'avait  autrefois  V^ieuxtemps. 
Un  professeur  sur  lequel  il  exercerait  une  sorte  de  contrôle  serait 
nommé  pour  la  classe  des  jeunes  gens.  C'est  vraisemblablement 
M.  G.,  Gurickx,  actuellement  professeur  au  Conservatoire  de  Mons,  qui 
serait  choisi.  Nous  verrions  avec  plaisir  cet  excellent  artiste  élevé  à 
cette  distinction.  Elève  de  Brassin  et  de  Dupont,  M.  Gurickx  a  reçu 
une  éducation  musicale  solide  et,  comme  musicien  aussi  bien  que 
comme  virtuose,  a  fait  ses  preuves.  Il  exerce  le  professorat  avec  une 
conscience  et  une  autorité  qui  sont  de  nature  à  donner  de  sérieuses 
garanties. 

Quant  à  la  classe  de  violoncelle,  c'est  M.  Edouard  Jacobs,  l'un  des 
élèves  les  plus  distingués  du  maître  regretté,  qui  en  est  chargé 
actuellement.  Il  est  vraisemblable  que  le  jeune  et  brillant  artiste 
devienne  tôt  ou  tard  le  titulaire  définitif  de  la  haute  fonction  qu'il 
occupe  par  intérim. 

La  disparition  de  VEcho  du  Parlement,  mort  avec  la  politique 
qu'il  représentait,  a  donné  naissance  à  un  nouveau  journal  quotidien, 
la  Nation,  auquel  notre  absence  de  Bruxelles  nous  a  empêchés 
d'adresser  les  vœux  d'usage.  Réparons  donc  cette  omission,  et 
souhaitons  longue  vie  à  notre  nouveau  confrère.  Le  nom  de  M.  Lucien 
Solvay,  qui  figure  en  qualité  de  rédacteur  en  chef  dans  la  rédaction, 
nous  donne  l'assurance  qu'une  large  part  sera  faite  à  la  discussion 
des  intérêts  artistiques.  Nul  doute  que  ce  soit  dans  le  sens  des  idées 
que  nous  défendons  opiniâtrement  nous-mêmes. 


Autre  publication  nouvelle,  dans  le  domaine  littéraire  pur  celle-ci. 
Matinées  littéraires,  une  revue  jeune,  très  jeune,  puisqu'elle  débute 
par  traiter  les  Jeune-Belgique  de  gagas.  Le  format,  le  caractère, 
l'aspect  extérieur; — extérieur  seulement  —  sont  ceux  de  cette  Jeune 
Belgique  qu'elle  éreinte.  Deux  numéros  ont  paru.  A  part  celle  de 
M"e  Marguerite  Van  de  Wiele,  les  signatures  sont  inconnues.  Elles 
sont  d'ailleurs  fort  belles  et  il  en  est  peu  qui  ne  soient  ornées  d'une 
particule.  Eu  revanche  les  articles  et  les  vers  sont  faibles,  et  sentent 
leur  normalisme...  Allons!  Le  mouvement  littéraire  n'est  pas 
encore  mort  en  Belgique. 

,i 

La  Suisse  avait  déjà  la  Bibliothèque  u)iiverselle,  dont  la  création 
est  d'époque  éloi^'uée,  et  la  Suisse  Romande,  plus  jeune  d'années 
et  de  tendances,  que  nous  avons  recommandée  à  nos  lecteurs.  Voici 
une  publication  nouvelle,  la  Revue  de  Genève,  internationale  dans 
sa. rédaction,  et  appartenant  au  jeune  mouvement  littéraire. 

La  Revue  de  Genève  s"occu[ie,  dit  son  prospectus,  non  seulement 
des  questions  littéraires  et  artistiques,  mais  encore  des  sciences 
naturelles  et  sociales.  Absolument  éclectique,  elle  n'est  inféodée  à 


aucun  parti  j)olitique,  ne  soutient  aucun  système  philosophique, 
n'appartient  à  aucune  école  littéraire.  Rien  n'a  été  négligé  pour 
qu'elle  soit  une  publication  intéressante,  sérieuse  et  actuelle.  Elle 
sera  renseignée  sur  toutes  les  manifestations  intellectuelles  de 
quelque  importance  .soit  par  de.s  études  spéciales,  soit  par  des 
correspondances  périodiques.  Elle  publie  enfin,  régulièrement,- des 
romans,  nouvelles,  contes  dus  aux  écrivains  les  plus  renommés. 

Prix  des  abonnements  animels:  Suisse,  12  francs;  Union  postale, 
15  franc.s.  -^  Le  numéro,  1  franc.  Bureaux  :  Gorraterie,  24,  Genève. 


C'est  aujourd'hui,  l^^r  novembre,  à  une  heure,  qu'aura  lieu,  à 
Anvers,  dan^4a  grande-safle  des  fêtes  de- l'Exposition  universelle,  le 
quatrième  et  dernier  des  grands  festivals  de  musique  organisés  par 
la  Société  de  musique  .sous  la  direction  de  Peter  Benoit.  Le  pro- 
gramme se  compose  de  l'ouverture  de  Charlotte  Corday  et  de 
VOorlog,  deux  des  œuvres  les  plus  admirées  du  maître  flamand. 

La  saison  des  concerts  est  ouverte.  Hier  soir  a  eu  lieu,  avec  le 
concours  de  M'i«  Thuringer,  de  M.  Dubulle,  de  MM.  Degreef, 
pianiste  et  Biirger,  violoncelliste,  la  jtremière  séance  musicale  de 
ï Association  des  artistes  musiciens.  Nous  en  rendrons  compte 
dimanche.  Le  deuxième  concert  de  l'Association  .sera  consacré  aux 
œuvres  d'Henry  Litolf,.  auxquelles  la  présence  du  maître,  qui  dirigera 
l'exécution,  donnera  un  attrait  tout  particulier. 


V Association  des  artistes  a  donné  dimanche  son  dernier  concert 
à  l'Exposition,  C'est  une  jeune  pianiste  montoise  qui  a  eu  les  hon- 
neurs du  concert. 

Le  Précurseur  l'apprécie  en  ces  termes  élogieux.*:  la  soli.ste  du 
concert  était  M^'e  Louise  Luyckx,  grand  prix  du  Conservatoire  de 
Mons  et  l'élève  distinguée  de  M.  Gurickx.  Elle  a  joué  avec  aisance, 
un  grand  style  et  un  mécanisme  parfait  l'admirable  concerto  pour 
piano  de  Beethoven  en  itt  mineur,  ainsi  que  deux  pièces  de  Htendel 
et  de  Mendeissohn,  auxquelles  elle  a  réussi  à  donner  un  charme  tout 
particulier  par  ia  délicates.se  de  son  toucher,  le  fini  de  son  jeu  plein 
d'expression  et  de  sentim-ent,  , 

La  tombola  organisée  à  Dînant  en  vue  d'élever  à  Wiertz  un 
monument  sera^close  en  janvier  prochain.  S'adresser  à  M.  Nicai.se, 
receveur  communal  à  Dînant,  trésorier  de  l'œuvre. 


Le  Guide  musical  annonce  la  prochaine  publication  d'un  volume 
d'écrits  de  Richard  Wagner,  comprenant  des  fragments,  des  extraits, 
des  pensées  qui  n"ont  pas  été  insérés  dans  la  collection  complète  de 
ses  œuvres,  et  réunis  par  les  soins  de  sa  veuve,  M'"e  Cosîma  Wagner. 

Cette  publication  ne  peut  manquer  d-e  faire  sensation.  Parmi  ces 
écrits  posthumes,  il  se  trouve  des  pages  du  plus  haut  intérêt,  que  le 
maître,  pour  des  raisons  toutes  personnelles,  n'avait  pas  cru  devoir 
faire  publier  de  son  vivant.  Citons  un  chapitre  sur  le  merveilleux 
dans  lart,  qui  est  une  réplique  triomphante  à  tout  ce  que  la  critique 
terre  à-terre  a  accumulé  de  raisonnements  pour  démontrer  l'incom- 
patibilité du  théâtre  et  du  merveilleux. 

Il  y  a  un  chapitre  extrêmement  intéressant  sur  Berlioz. 

Plus  loin  une  lettre  très  curieuse  relative  aux  représentations  de 
Tannhduser  à  Paris.  Wagner  y  rappelle  le  projet  de  Napoléon  III 
d'organiser,  pendant  l'Exposition  universelle,  un  théâtre  interna- 
tional où  l'on  aurait  joué  les  œuvres  les  plus  remarquables  de  chaque 
pays  dans  leur  forme  originale  Ce  projet  ne. fut  pas  compris  par  les 
ministres  dalors.  Wagner  cite  à  ce  propos  une  conversation  de 
Liszt  avec  l'empereur,  dans  laquelle  celui-ci  exprimait  l'avis  qu'il 
fallait  donner  les  œuvres  de  Wagner  en  allemand  à  Paris..  Liszt  t'ait 
remarquer  que  même  en  français,  les  opéras  de  Wagner  s'acclimate- 
ront dîtficilement  à  Paris.  Il  ne  pense  pas  qu'à  V Opéra  il  soit  possible 
de  les  faire.-accepter,  de  même  qu'au  Théâtre  f)'anr<ùg,  ou  n'accep- 
terait pas  et  qu'on  n'a  jamais  accepte  les  grands  drames  de  Shakes- 
peare. Ces  théâtres  ont  des  traditions  et  un  publie  spécial  qui 
s'opposent  à  l'acclimatation  des  œuvres  étrangères.  Mais  Liszt  pense 
que  sur  une  autre  scène  parisienne  la  tentative  serait  couronnée  de 
succès,  par  exemple  au  théâtre  Lyrique.  Les  drames  wagnériens  y 
attireraient  certainement  um  n..imbreux  public  d'artistes  et  de  lettres 
dont  l'indépendance  d'idées  ne  s'accommode  que  tout  juste  de  l'étroi- 
tesse  de  vues  qui  règne  à  r<.)péra. 

Le  volume  contient  enfin  l'esquisse  du  drame  indien  Les  vin- 
queurs  [Die  Siéger),  que  Wagner  voulait  faire  succéder  à  Parsifal. 
Cette  esquisse  date  de  185(5. 


i     / 


356 


VART  MODERNE 


Xj'J^Œ^/T 


'E 


CINQUIÈME  ANNEE 


L'ART  MODEHNE  s'est  acquis  par  l'autorité  et  l'indépenclance  de  sa  critique,  par  la  variété  de  ses 
informations  et  les  soins  donnés  à  sa  rédaction  une  place  prépondérante.  Aucune  manifestation  de  l'Art  ne 
lui  est  étrangère  :  il  s'occupe  de  littérature,  de  peinture,  de  sculpture,  de  gravure,  de  musique, 
d'architecture,  etc.  Consacré  principalement  au  mouvement  artistique  belge,  il  renseigne  néanmoins  ses 
lecteurs  Sur  tous  les  événements  artistiques  de  l'étranger  qu'il  importe  de  connaître. 

Chaque  livraison  de  L'ART  MODERNE  s'ouvre  par  une  étude  approfondie  sur  une  question  artistique- 
ou  littéraire  dont  l'événement  de  la  semaine  fournit  l'actualité.  Les  expositions  y  les  livres  nouveaux,  les 
premières  représentations  d'œuvres  .dramatiques  ou  musicales,  les  conférences  littéraires ,  les  concerts,  les 
ventes  dohjets  cCart,  font  tous  les  dimanches  l'objet  de  chroniques  détaillées. 

L'ART  MODERNE  relate  aussi  la  législation  et  la  jurisprudence  artistiques.  Il  rend  compte  des 
procès  les  plus  intéressants  concernant  les  Arts,  plaides  devant  les  tribunaux  belges  et  étrangers.  Les 
artistes  trouvent  toutes  les  semaines  dans  son  Mémento  la  nomenclature  complète  des  expositions  et 
concours  auxquels  ils  peuvent  prendre  part,  en  Belgique  et  à  l'étranger.  11  est  envoyé  gratuitement  à 
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Paris  1867,  1878,  l*'''  prix.  —  Sidncy,  seul  4<=''  cl  2«  prix 
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LA  FORGE   ROUSSEL 

PAR  Edmond  PICARD 

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Bruxelles.  —  Imp.  Félix  Oallewaert  père,  rue  de  l'Industrie,  26. 


Cinquième  année.  —  N°  45 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  7  Novembre  1885. 


L'ART 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,   un   an,   fr.   10.00  ;  Union  postale,   fr.    13.00.    —  ANNONCES   :    On   traite  à  forfait. 


Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 

l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


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OMMAIRE 


Paul  Bourget.  —  Spijtigex  duivel.  —  Livres  nouveaux.  Gré- 
try^  sa  vie  et  ses  œuvres,  par  Michel  Breiiet;  Hartno nie  et  mélodie, 
par  Camille  Saint-Saëns,  —  Association  des  artistes  musiciens. 
Premier  concert.  —  Théâtres.  Théâtre  Molière;  Théâtre  de  TAlca- 
zar.  Les  Mousquetaires  au  couvent.  —  Gorrespondanxe  musicale 
de  Paris.  —  Petite  chronique. 


PAUL  BOURGET 

M.  Paul  Bourget  —  la  plus  récente  célébrité  litté- 
raire — est  un  poète  épanoui  en  critique.  Son  Essai 
de  psychologie  contemporaine  aimanta  lattention  et 
c'est  à  ce  succès,  suivi  bientôt  de  la  réussite  de  Cruelle 
énigme,  qu'il  dut  de  voir  ses  premiers  vers  admis 
dans  la  petite  bibliothèque  lemerrienne.  Cette  réédition 
nous  permet  d'indiquer  d'où  M.Paul  Bourget  est  parti. 

Dans  son  Essai  de  psychologie  il  se  mire  dans  les 
auteurs  qu'il  analyse;  il  soulève, à  tout  iiiMant,  au  sujet 
des  Baudelaire,  des  Renan,  des  Flaubert,  des  Taine, 
des  Leconte  de  Lisle,  des  Stendahl,  des  Amiel,  toutes  les 
questions  angouisseuses  que  les  poètes  et  lui-même 
autant  que  les  autres,  abordent  dans  leurs  vers.  Aussi 
de  même  qu'ils  a  intitulé  son  premier  recueil  la  Vie 
inquiète,  pourrait-on  appeler  sa  critique,  la  critique 
inquiète.  Inquiète  en  effet.  Car  elle  n'a  rien  de  décidé, 
de  dogmatique  ;  elle  ne  s'appuie  ni  sur  un  beau 
inflexible,  ni  sur  une  théorie  qui  est,  parce  qu'elle  est, 
ni  même  sur  un  prétendu  bon  goût  que  chevauchait 
Voltaire  et  tant  d'autres  à  son  exemple. 

Elle  n'est  en  rien  pédagogique,  en  rien  systématique, 


elle  ne  doctrinise  jamais,  elle  ne  prêche  guère,  elle 
juge  à  peine..  C'est  une  critique  qui  souff're,  qui  doute, 
qui  se  plaint,  qui  se  résigne,  qui  s'épeure,  qui  déses- 
père. Critique  de  poète,  de  rêveur,  de  désabusé,  de 
revenu  de  tout,  de  fantaisiste  même;  critique  de  dandy, 
de  dilettante,  critique  de  volupteux  d'esprit. 
M.  Francis. Nautet  a  écrit  dans  ses  Notes  : 
«  Avant  tout,  l'on  peut  dire  de  V Irréparable  —  le 
premier  roman  de  M.  Bourget— qu'il  est  un  séducteur. 
Il  n'émotionne  pas  au  sens  artiste  du  mot,  il  charme.  » 
C'est  de  parfaite  justesse  ;  mais  combien  plus  encore 
ce  charme  conquiert-il  dans  les  livres  de  critique.  Qui 
résisterait  à  cet  essayiste,  dont  la  perspicacité  émue 
détaille  et  scrute  aussi  intelligemment  les  hommes  et 
les  choses,  sans  violenter  ouvertement  aucune  opinion, 
sans  cingler  franchement  aucun  parti  pris,  sans  crava- 
cher à  coups  sifflants  aucune  tendance;  excusant  et 
expliquant  les  défauts,   ombrant   le  -trop  d'éclat  des 
qualités,    promenant   à   travers    le   jardin  littéraire 
une  admiration  et  un  blâme  élégants.   Oh!   le  doux 
sceptiqu'fe!  Oh!  le  doux  pessimiste!  Oh!  le  doux  positi- 
viste! M.  Bourget  est  tout  cela.  Il  admet  la  philo- 
sophie de  Taine  avec  son  principe  farouche  de  lutte 
pour  la  vie,  ainsi  que  les  conclusions  nihilistes  de 
Schopenhauer,  et,  les  admettant,  il  sourit  néanmoins  à 
l'art  comme  à  une  chimère  nécessaire,  il  étreint  la 
gloire,  bien  qu'il  la  sache  nuée  qui  passe  et  parfum  qui 
s'évapore,  et  tel,  semble-t-il  destiné  à  vivre  dans  une 
souriante  désespérance,  là-bas,  loin  des  banalités  con- 
temporaines et  des  idées  à  deux  sous. 


Déjà  dans  la  Vie  inquiète,  le  Bourget  futur,  le 
critique  acclamé  de  la  Psychologie  contemporaine 
s'ébauche.  Tout  comme  il  pénétrera  plus  tard  les  maî- 
tres les  plus  étrangers  les  uns  aux  autres,  il  s'approprie 
dès  son  début,  et  souvent  jusque  dans  leur  forme,  les 
poètes  lés  plus  opposés  :  Leconte  de  Lisle  et  Musset, 
Bjron  et  Coppée.  Sa  compréhensivité  éclate  immédiate- 
ment. 

L'esprit  d'analyse  marche  à  sa  suite.  Telle  pièce 
A  mon  Frè7^e,  telle  autre,  Remo7^ds  dans  Vinnocence, 
telle  autre  encore,  Défaillm%ce,  ne  sont  qtie  des  anno- 
tations de  sentiment,  qui  justifient  pleinement  ces  vers 
écrits  un  peu  plus  loin  : 

Je  sens  passer  en  moi  le  sifflement  moqueur, 
Du  Méphistophélès  que  chacun  porte  au  cœur. 
Ce  satan,  qui  jamais  n'a  cherché  que  la  cause, 
Me  prend  mes  passions,  les  tue,  et  puis  m'expose 
Ainsi  qu'un  médecin  fait  un  mort  d'hôpital.... 

Cette  citation  est  typique.  C'est  le  poète  qui,  dès  son 
premier  livre,  se  plaint  de  sa  manie  de  dissection 
morale,  qui  se  sent  comprimé,  contrarié,  cassé  par  elle 
et  qui  redoute  vaguement  la  culbute  finale  du  rythmeur 
dans  la  critique. 

On  découvre  dans  Joseph  Delojvne  des  appréhensions 
semblables.  Seulement  chez  Sainte-Beuve  la  culbute 
fut  moins  soudaine;  chez  M.  Bourget,  au  contraire, 
dès  que  le  Satan  dont  il  parle  «  eut  tué  ses  passions  »» 
—  et  ce  massacre  ne  fut  guère  long  —  la  prédominance 
exclusive  de  l'analyste  déborda  et  l'essayiste  naquit 
tout  armé  comme  Minerve. 

Mais  quelles  sont  ces  passions  que  Satan  a  tuées,  quels 
sont  les  sentiments  violents  et  fougueux,  qui  jadis  ont 
bondi  à  travers  ce  cœur  aujourd'hui  désert?  La  Vie 
i7iquiète  répond. 

Et  tout  d'abord  l'amour,  non  pas  l'amour  charnel, 
mais  un  amour  à  mi-côte  de  l'idéal,  un  amour  légère- 
ment précieux,  un  amour  habillé  dé  clair,  avec  —  note 
mélancolique  —  une  rose  noire  dans  les  cheveux,  un 
amour  assurément  aristocratique  avec  de  longs  doigts 
eflfîlés  et  des  traits  fins  et  pâles,  un  amour,  qui  fait 
souffrir  pour  ne  point  ôter  la  douceur  de  la  plainte  et 
le  raffinement  de  se  croire  un  peu  martyr  : 

Et  devant  son  sourire  et  sa  joue  amaigrie 
Je  ne  me  souviens  plus  que  sa  coquetterie 
M'avait  tiré  des  pleurs  de  sang! 

A  côté  de  cette  passion,  sommç  toute,  assez  atténuée, 
une  autre  éclate  plus  mâle  et  dans  un  vers  : 

L'amour  de  la  bataille  et  des  égorgements 

crève  aussi  aiguë  qu'un  cri  et  aussi  tragique  qu'un 
éclair.  C'est  l'héroïsme  levant  dans  la  pensée  son  glaive 
rouge,  l'héroïsme  achevai  sur  l'idéal  byronien.  Voici  : 

Oh!  le  destin  sanglant,  terrible  mais  immense! 

Oh!  donnez-moi  le  cœuï  de  Byron  et  sa  mort  ! 

Je  ne  récuse  l-ien  des  âpre  tés  du  sort, 

Rien  des  douleurs  !  —  Du  moins  que  j'aie  en  récompense 

L'impérissable  éclat  d'un  héroïque  effort! 


Et  comme  conséquence  de  cette  folie  de  vaillance,  une 
appétence  immodérée  de  gloire  : 

Tout  plutôt  que  la  vie  abîmée,  écrasée 

Sous  les  soucis  mesquins  et  l'obscure  langueur, 

0  gloire  !  quand  verrai-je,  ô  ma  seule  épousée, 

Ruisseler  de  tes  yeiix  la  divine  rosée 

Qui  pour  l'éternité  fleurira  tout  mon  cœur. 

Et  puis  l'orgueil  inévitable  et  final  : 

Je  hais  comme  la  mort  les  cœurs  étiolés 
Qui,  sans  orgueil,  ayant  borné  leur  destinée 
Au  travail  qu'apportait  avec  soi  la  journée. 
Ont  vécu  sans  génie  —  et  se  sont  consolés. 

Tel  est  le  recensement  des  passions  principales  de 
l'auteur  de  la  Vie  inquiète,  aujourd'hui  critique  et 
cœur  attiédi.  Ce  qui  lui  a  enlevé  ses  violences  sentimen- 
tales, c'est,  à  n'en  pas  douter,  son  milieu  et,  par  milieu, 
nous  entendons  avant  tout  pour  M.  Bourget  l'atmosphère 
intellectuelle,  les  livres.  Certes,  Paris  est  un  grand 
désagrégateur  de  croyances,  mais  qu'est-ce  que  le  milieu 
matériel  pour  un  esprit  aussi  renfermé,  aussi  cloîtré 
que  celui  de  l'essayiste  de  la  Psychologie.  Il  vit  dans 
un  quartier  tranquille,  près  des  Invalides,  au  fond 
d'une  chambre  sombre,  d'un  luxe  nocturne,  sur  lequel 
tranche  son  élégante  silhouette  de  dandy,  vêtue  de 
vêtements  blancs.  Nous  nous  rappelons  notre  première 
visite.  Il  parlait  triste.  Et  le  souvenir  nous  vint  de  ses 
vers  : 

Celui-là  seul  connaît  l'émotion  profonde, 

Qui,  triste,  ayant  cloîtré  son  cœur  aux  bruits  du  monde. 

Comme  un  bon  moine  vit  pour  jeûner  et  prier. 

Seuls  les  sanglots  sont  vrais,  la  joie  est  insensée, 

Malheur  au  lâche  à  qui  sa  chair  fait  oublier 

La  seule  vie  humaine  et  sainte  :  la  pensée.  . 


^PIJTIQEN    DUIVZJ- 


M.  Kistcmaeekers  nous  a  envoyé  une  réponse  k  l'article  paru 
dans  notre  dernier  numéro  sous  le  litre  désormais,  familier, 
hélas  !  les  Livres  Belges,  dans  lequel  nous  mettions  quelques 
feuilles  de  guimauve  sur  les  bleus  que  lui  avait  fait  un  article 
cruel  du  Figaro. 

Nous  la  publions  ci-dessous. 

Nous  avions,  au  prime  abord,  décide  de  lui  écrire  : 

Monsieur  l'Éditeur, 

Quelque  intéressante  que  soit  votre  lettre,  permettez-nous  de 
vous  faire  observer  qu'elle  a  été  écrite  sous  l'empire  de  l'igno- 
rance de  deux  principes  que  M.  Schuermans,  premier  président 
do  la  Cour  de  Liège,  énonce  en  ces  termes  dans  son  excellent 
traité  de  la  Presse  : 

«  Le  journaliste  a  le  droit  de  repousser  toute  réponse  qui 
«  citerait  nominativement  ou  désignerait,  même  indireclemcnt, 
«  une  personne  de  la  manière  la  plus  insignifiante.  Il  ne  faut  pas 
«  que  le  journaliste  soit  exposé  à  enter  sur  la  réponse,  une 
«  autre  réponse  du  tiers  attaqué,  puis  une  réplique,  une  Iripli- 
«    que,  etc.  w  (t.  II,  p.  113  et  114). 

«  Il  faut  que  la  défense  soit  exempte  d^injurcs  adressées  au 


«  joui-nalisle...  Le  droit  de  réponse  doit  s^e  borner  à  réfuter  1rs 
«  allégations  produites  »  {ibid.,  p.  141). 

Veuillez  accomnnoder  \oIrc  lettre  U  ces/irègles  très  sages  et 
VArt  moderne  se  réjouira  de  donner  à  scs^ecleurs  un  éclian- 
lillon  du  flamand  rose  que  Caliban  a  si  plaisamment  dénoncé  dans 
le  Figaro. 

A  celte  occasion  M.  Edmond  Picard  vous  remercie  de  lavoir 
élevé  à  votre  dignité  en  le  qualifiant  Editeur.  Malheureusement 
il  n'est  qu'auteur. 

Cette  erreur  en  a  entraîné  une  autre  :  vous  lui  avez  notifié  voire 
exploit  «  au  bureau  du  journal,  ruede  l'Industrie,  26,  à  Bruxelles.  » 
Il  est  domicilié  avenue  de  la  Toison  d'or,  47,  à  Saint-Gilles. 

Il  va  sans  dire  que  nous  aurions  passé  sur  ces  petites  irrégu- 
larités quoiqu'elles  rendent  voire  signification  par  huissier  nulle. 

Nous  vous  présentons,  Monsieur,  nos  salutations  distinguées. 

La  Rédaction  DE  r^r/ moder?ie. 

Toutes  réflexions  faites,  et  ne  sachant  pas,  au  reste,  si  noire 
honorable  correspondant  n'est  pas  de  ceux  qui  préfèrent  même 
un  procès  qu'on  perd,  mais  dont  la  Presse  s'occupe  durant  quel- 
ques semaines,  à  une  publication  qui  s'éteint  le  jour  même  où 
elle  paraît,  nous  avons  préféré  passer  outre.  La  renommée  d'édi- 
teur de  M.  Kistemaeckers,  si  brillante  jadis,  est  alteinle,  on  le 
sait,  (l'une  maladie  de  langueur  qui,  sans  doute,  la  mènera  au 
lOinbcau.  Il  est  dur  de  refuser  quelque  chose  b  ceux  qui  vont 
mourir. 

Ces  préliminaires  terminés,  disons  que  M.  Kistemaeckers  paraît 
de  fort  mauvaise  humeur. 

Nous  regrettons  de  l'avoir  tant  contrarié  en  reproduisant  l'ap- 
préciation qu'on  fait  de  lui  à  Paris.  Très  adroitement  il  affecte 
(le  confondre  son  présent  et  son  passé,  ce  qu'on  pensait  de  lui  et 
ce  (ju'on  en  pense.  Comme  nous  le  disions  Irôs  ouvertement  dans 
noire  dernier  numéro,  il  a  été  l'une  des  meilleures  espérances  de 
la  jeune  littérature  belge,  et  il  y  eut  une  époque  où  tous  chez 
nous  aidaient  à  son  succès.  Nous  ne  lui  avons  pas  ménagé  alors 
nos  éloges  et  certes  il  les  méritait.  Pourquoi  a-t-il  fallu  qu'il 
changeât,  justifiant  ainsi  l'abandon  dont  il  est  victime?  Abandon 
tel,  que  ceux  qui  jadis  souhaitaient  être  édités  par  lui,  aujourd'hui, 
en  l'obtenant,  craindraient  de  se  compromettre.  Ce  n'est  pas  notre 
faute  s'il  a  conquis  la  renommée  fâcheuse  de  père  des  Livres 
Belges.  Nous  le  déplorons  sincèremenl,  mais,  étant  devenu  tout 
autre,  il  ne  peut  vouloir  que  nous  restions  les  mêmes  à  son  égard. 
Tout  ce  que  l'on  a  dit  k  la  louange  du  Kistemaeckers  de  la  veille, 
peut  être  maintenu.  Hélas!  c'est  au  Kistemaeckers  du  lendemain 
que  l'on  a  désormais  affaire.  C'est  aussi  celui-ci  qui  se  fâche.  Il  y 
a  tant  de  raisons  pour  excuser  celte  irritation  d'un  homme,  jadis 
1res  digne  d'être  soulenu,  qui  sent  le  terrain  manquer  sous  ses 
pas,  que  ses  vivacités  ne  sont  pas  faites  pour  émouvoir. 

Le  morceau  est  adressé  spécialement  à  l'un  de  nous, 
^I.  Edmond  Picard  qui,  ayant  bon  dos,  acceple  volontiers  la 
l)référence,  bien  que  l'ariicle'  qui  a  mis  en  colère  l'éditeur  de 
Chariot  s'amuse^  exprime  l'opinion  commune  de  la  rédaction  de 
VArt  moderne^  et  même  une  opinion  commune  bien  plus 
étendue  que  celle  de  noire  modeste  journal.  Nous  le  comprenons, 
M.  Kistemaeckers  aurait  trop  de  besogne  s'il  devait,  dans  l'état 
actuel  des  choses,  répondre  h  tous  ceux  qui  lui  quittent  la  partie. 
11  y  a  du  reste  tout  honneur  h  êlre  (plutôt  que  M.  Bergerat, 
l'auteur  de  l'ariicle  du  Figaro  dont  nous  avons  reproduit  les 


parties  essentielles  et  qu'il  néglige)  l'objet  de  ses  vitupéralions 
inoffensives.  . 

Monsieur  Edmond  Picard,  directeur  éditeur 
dehkvilsloiievwe.  Bruxelles. 

Sous  le  titre  :  Les  Livres  Belges,  vous  avez  publié  contre  moi, 
dans  le  dernier  numéro  de  votre  journal,  un  article  où  le  dessin  de 
nuire  perce  à  chaque  ligne.  Cela  suffit  je  pense  pour  me  donner  le 
droit  de  vous  répondre,  et  j'en  use.  ' 

Votre  article  commence  par  une  citation,  malignement  tronquée 
du  Figaro.  Cahban,  c'est-à-dire  M.  Emile  Bergerat,  avaitécrit  ddns 
le  Figaro  (numéro  du  27  octobre  1885)  une  chronique  parisienne 
intitulée  :  Sainte  langue  française,  qui  commençait  comme  suit  : 

"  Je  gage  que  vous  n'avez  jamais  compris  pourquoi  M.  de  Bis- 
«  marck  tient  tant  à  nous  voir  prendre  la  Belgique?  moi  non  plus 
«  je  ne  l'avais  jamais  compris.  Je  demeurais  béant  devant  ce  ]>ro- 
«  blême  politique,  comme  l'est  Paris  devant  l'élection  de  Germain 
«  Casse. 

"  Qu'est-ce  qu'il  a  Bismarck,  me  disais-je,  et  pour  quel  sombre 
"  motif  nous  pousse-t-il  à  cet  excès  de  territoire  ? 

"  Dire  que  je  me  méfiais,  c'est  ne  rien  dire. 

"  Les  charges  du  chancelier  de  fer  sont  généralement- féroces.  J'en 
«  parlais  une  fois  à  Ranc  qui  fait  lui  son  Machiavel  ;  mais  il  me 
«  rembarra.  Ne  te  mêle  donc  pas  de  ces  choses-là!  Telle  fut  son 
♦«  explication. 

«  A  présent,  je  sais. 

«  M.  de  Bismarck  nous  invite  à  annexer  Bruxelles,  parce  que  c'est 
•«  à  Bruxelles  que  sévit  Kistemaeckers  ». 

Vous  avez  jugé  à  propos  de  supprimer  tout  ce  commencement  qui 
marquait  bien  le  ^caractère  humoristique  de  l'article  de  Caliban, 
et  vous  avez  commencé  votre  citation  par  ce  bout  de  phrase  :  C'est 
à  Bruxelles  que  sévit  Kistemaeckers  (1). 

Vous  supprimez  encore  dans  le  reste  de  votre  citation  tout  ce  qui 
aurait  pu  éclairer  vos  lecteurs  sur  la  nature  de  la  spirituelle  fan- 
taisie (2)  de  Caliban,  et  vous  n'en  produisez  que  ce  qui  devait  leur 
faire  croire  que  M.  Bergerat  a  dirigé  contre  liTStemaeckèrs  ëf  •«  Les 
livres  Belges  »»  un  réquisitoire  accablant  et  mérité. 

Cette  façon  cavalière  de  tronquer  les  textes,  renouvelée  d'Escobar 
prouve  jusqu'à  Tévidence  l'intention  mauvaise  qui  a  inspiré  votre 
diatribe. 

Ce  qui  la  prouve  plus  clairement  encore  c'est  la  glose  enfiellée 
dont  vous  avez  fait  suivre  la  citation  expurgée  A.  M.  D.  G.  que  vous 
avez  empruntée  au  Figaro. 

D'après  vous  ce  Kistemaeckers  en  qui  vous  espériez  «  avoir  enfin 
«  ce  qui  nous  manque  tant,  un  homme  intelligent,  hardi,  ami  de  sa 
«  race,  résolu  à  être  le  metteur  en  scène  de  la  jeune  et  forte  litté- 
**  rature,  »  ce  Kistemaeckers  se  croirait  appelé  à  «  remplir  le  rôle 
M  d'un  de  ces  pachas  de  la  librairie  qui  régentent  à  Paris  les  lettres, 
««  alors  qu'il  n'est  au  fond  qu'un  despote  »». 

Et  vous  ajoutez  : 

«  On  eut  à  faire  antichambre  pour  être  accueilli.  Il  accordait  sa 
«  protection  à  qui  l'encensait  davantage  »♦. 

Si  cela  était  vrai,  Monsieur,  personne  autant  que  vous  n'aurait 
mérité  ma  protection  car  vous  m'avez  encensé  plus  que  personne. 
Pour  vous  en  souvenir  il  vous  suflira  de  relire  les  nombreux  numéros 
de  l'Art  moderne,  où  vous  avez  parlé  de  moi  jusqu'au  jour  ou  j'eus 
la  témérité  d'éditer  les  Béotiens. 

Dans  un  des  panégyriques  que  vous  me  consacriez  alors,  vous 
disiez  (5  août  1883)  : 


(Ij  Vraiment,  cher  Monsieur,  les  passages  que  vous  venez  de  reproduire 
ne  nous  paraissent  guères  essentiels  et  de  nature  à  atténuer  l'éreintenient 
vraiment  magisti;"al  qu'a  fait  de  vous  Caliban. 

(2)  Spirituelle  fantaisie  !  Etonnant.  Dans  quel  vaudevUle  y  a-t-il  un  apothi- 
caire qui,  recevant  un  coup  de  pied  quelque  part  se  retourne  en  disant  : 
Monsieur  ces  sentiments  vous  honorent  ! 


«*  Henry  Kistemaeckers  poursuit  infatigablement  la  publication 
«♦  (le  petits  livres  curieux,  aimés  des  bibliophiles  pour  leur  rareté  et 
«  la  recherchede  leur  édilion.  Il  existe,  en  effet,  tout  un  monde 
M  d'amateurs,  moins  préoccupés  de  trouver  dans  un  livre  la  pâture 
««  intellectuelle  qu'un  objet  de  collection,  et  quiconque  subit  cette 

H  manie  sait  le  charme  qu'on  y  trouve (l)- 

•♦  La  série  des  Kistemaeckers  constitue  déjà  un  choix  intéressant  et 
,««  superbe,  que  les  délicats  veulent  avoir  comjjlet.  Beaucoup  d'oeuvres 
M  grivoises,  c'est  vrai,  mais  pas  autant  qu'on  le  dit,  quelques-unes 
M  d'une  littérature  charmante,  où  l'art  couvre  de  son  brillant  man- 
«  t^au  toutes  les  hardiesses. 

«*  Henry  Kistemaeckers  a  dès  à  présent  une  très  grande  notoriété 
««  et  tient  parfaitement  sou  rang  â  côté  de  ses  confrères  parisiens  »  (2). 

Et  cependant  malgré  vos  coups  d'encensoir  répétés  vous  avez  subi 
comme  tant  d'autres  l'humiliation  de  faire  antichambre. 

En  effet,  le  trois  octobre  1883  vous  m'adressez  des  remercîments 
pour  l'envoi  de  deux  volumes  :  Ludine  et  (Les  filles)  le  Martyre 
d'Annil  et  vous  ajoutiez  : 

"  L'Art  Moderne  rendra  compte  incessamment  des  deux  livres. 
"  Mais  dès  à  présent  je  félicite  l'éditeur  sur  ses  nouvelles  preuves 
"  d'expérience  et  de  goût.  Décidément  nul  ne  vous  égale  pour  ces 
«  soins  délicats  si  nécessaires  désormais  au  succès  (3). 

««  Editez  vous  encore  des  œuvres  Belges  et  le  cas  échéant  pourriez 
«  vous  lancer  une  des  miennes,  pas  juridique  bien  entendu,  pure- 
M  ment  littéraire  î  Je  serais  très  content  d'être  renseigné  à  ce 
«  sujet  "  (4). 

Six  semaines  après,  vous  me  faisiez  l'honneur  de  m'exposer  votre 
profession  de  foi  littéraire  dans  une  nouvelle  lettre  ou  vous  me 
disiez  :  (5) 

•«  Ma  préférence  est  pour  Vart  populaire  non  pas  dans  le  sens 
«  d'un  écrit  que  la  plèbe  seule  comprend,  mais  qui  peut  pénétrer 
«  partout,  être  compris  partout  et  émouvoir  partout,  à  tous  les  âges, 
«  dans  toutes  les  classes,  et  j'ajoute  dans  les  deux  sexes,  car  je  tiens 
"  énormément  à  toucher  les  cœurs  féminins  (6).  De  là  vient  la  forme 
•«  simple,  courante,  colorée,  imagée,  vierge  de  complications  et 
•♦  détrangetés  dont  je  ne  sors  jamais 

«♦  Vous  avez  remarqué  que  j'introduis  toujours  une  X\iè?,e  plus  ou 
««  inoins  visible  dans  ces  œuvres  que  je  fais  courtes  parce  que  j'y 
•«  vois  un  moyen  de  plus  de  les  faire  bien  lire  et  de  les  répandre.  La 
•*  thèse!  nouvelle  occasion  de  furieux  désaccords  avec  les  jeunes, 
••  avec  les  moyens  aussi,  et  les  vieux.  Encore  une  fois,  pour  moi, 
««  c'est  une  des  conditions  d'un  art  élevé.    .  ^ 

•«  Je  ne  la  fais  pas  visible.  Au  début  surtout,  je  la  cache,  je  n'en 
«♦  souffle  mot,  mais  il  me  plaît  de  la  faire  sortir  insensiblement 
«*  des  faits  que  je  développe  et  des  incidents,  des  phrases  que 
<♦  j'entremêle  peu  à  peu  à  l'ensemble. 

M  Bref,  pour  terminer  cette  apologie  d'écrivain  à  éditeur,  j'ai  tout 
«♦  un  système  auquel  je  tiens.  Je  le  laisse,  ma  foi,  se  répandre  eu 
**  écrits  comme  il  veut,  et  ne  songe  pas  à  en  changer.  Quelques-uns 
«  ne   l'aiment  point  par  un   raffinement  de  goût   que  je  trouve 


(1)  Or  ça,  pourquoi  ces  points?  Est-ce  que  vous  tronquez  aussi?  Seriez- 
vous  deux  à  imiter  Escobar  A.  M.  D.  G.  ? 

(2)  Hélas!  que  c'était  vrai  alors  !  que  ce  n'est  plus  vrai  maintenant  !! 

(3)  Il  s'agit  de  vos  soins  bibliophiliques,  n'est-ce  pas,  cher  Monsieur?  Vos 
éditions  ont  souvent  été  fort  soignées  et  nous  conservons  précieusement  quel- 
ques-unes d'entre  elles. 

(4)  Oh  oui,  alors,  comme  tant  d'autres.  Mais  oh  non,  maintenant,  comme  tant 
d'autres. 

(5)  Réplique  à  une  missive  dans  laquelle  le  père  des  livres  Belges  exposait 
son  système  littéraire,  comme  une  invite  à  le  suivre.  A  la  suite  de  sa  confession 
on  en  resta  là,  naturellement. 

(6)  M'avez- vous  jamais  lu,  marquise?  et  toi,  Lisette  ? 
Car  ce  n'est  que  pour  vous,  grande  dame  ou  grisette. 
Sexe  adorable,  absurde,  exécrable  et  charmant. 
Que  ce  pauvre  badaud  qu'on  appelle  un  poète 

Par  tous  les  temps  qu'il  fait,  sen  va  le  nez  au  vent. 
Toujours  fier  et  trompé,  toujours  humbïe  et  rêvant. 


«  excessif;  la  plupart,  (j'en  juge  par  tout  ce  qui  se  dit)  en  sont  fort 
«  charmés  et  surtout  (ce  que  je  prise  avant  le  reste),  fort  émus.  Je 
«  continuerai  donc  com mie  cela  »». 

Cette  promesse  ou  plutôt  cette  menace  de  continuer  comme  cela 
ne  fit  que  me  confirmer  dans  la  résolution  que  j'avais  prise  à  regret 
de  ne  pas  «  lancer  w  vos  œuvres,  et  c'est  ce  qui  fait  qu'elles  n'ont 
pas  figuré  dans  la  collection  de  ces  livres  bçlges  dont  vous  parlez 
aujourd'hui  avec  un  si  superbe  dédain.  (1) 

Loin  de  moi,  Monsieur,  l'idée  de  supposer  que  c'est  la  rancune  qui 
vous  a  fait  changer  d'opinion  (2).  J'aime  mieux  croire  que  vous  avez 
été  converti  par  le  discours  prononcé  à  la  tribune  parlementaire  par 
un  homme  dont  vous  avez  failli  devenir  le  collègue,  l'honorable  et 
pieux  sénateur  Lammens. 

Permettez-moi  d'ajouter  que  dans  la  sphère  sereine  dudroit,oùvous 
vous  êtes  réfugié  après  que  votre  universel  génie  (3)  se  fut  déchire 
les  ailes  aux  épines  de  la  politique  et  aux  ronces  de  la  littérature, 
vous  ne  pouviez  ignorer  que  Monsieur  le  Procureur  général  a  inter- 
jeté appel  de  l'ordonnance  de  non-lieu  rendue  tout  récemment  par  la 
chambre  du  conseil  sur  une  poursuite  dirigée  contre  plusieurs  de 
mes  volumes  (4). 

Cet  appel  n'est  pas  vidé  et  c'est  la  première  fois,  je  pense,  qu'on 
voit  un  avocat,  étranger  à  la  cause,  prendre  publiquement  parti 
pour  l'accusation  contre  le  prévenu  (5). 

Je  n'ai  donc  pas  besoin  d'insister  davantage  sur  le  sentiment  qui 
a  inspiré  votre  article.  Vous  le  terminez  en  priant  Caliban  de  ne  pas 
confondre  les  écrivains  belges  avec  le  troupeau  grognonnant  dont 
Kistemaeckers  serait  le  saint  Antoine. 

Ce  troupeau-là.  Monsieur,  vous  avez  aspiré  à  l'honneur  d'y  être 
admis,  et  ce  n'est  vraiment  pas  votre  faute  si  vous  n'avez  pu  trouver 
place  dans  le  bourbier  ou  il  se  vautre.  (6) 

Comme  j'ai  quelque  sujet  dé  douter  de  vos  bonnes  dispositions  à 
mon  égard  (7),  vous  ne  vous  étonnerez  pas,  je  pense,  de  la  précaution 
que  je  prends  de  vous  sommer  par  ministère  d'huissier  d'insérer  ma 
réponse  dans  votre  plus  prochain  numéro. 

Recevez,  Monsieur,  l'assurance  de  ma  considération  la  plus  dis- 
tinguée. 

Henri  Kistemaeckers. 

Et  voilii.  —  «  Voulez-vous  répondre  »,  dîmes  nous  h  M.  Picard. 
—  «  Pas  le  moins  du  monde  »,  a-l-il  répondu  : 

Versiciilos  in  me  narralur  scribere  Cinna  : 
Non  scribit  cujus  carmina  nemo  legit. 


JalVRE^S     NOUVEAUX 


Grétry,  sa  vie  et  ses  œuvres,  par  M.  Michel  Brenet.  — 

Bruxelles,  Breitkopf  et  Hartel. 

M.    Brenet  est  .l'auteur  d'une  Histoire  de  la  symphonie  à 
orchestre,   exposé   clair  et   complet  des  diverses   phases   par 


(1)  L'auteur  l'a  échappé  belle,  étant  donné  ce  qu'on  a  vu  depuis, 

(2)  Mais  norrj  c'est  votre  catalogue. 

(3)  Fatal  génie'.! 

(4)  Parole  d'éditeur,  nous  l'ignorions.  Et  vous,  lecteur?  Quelque  immense 
que  soit  la  renommée  kxstemaeckeriexne,  elle  ne  va  pas  jusqu'à  pareil 
retentissement. 

(5)  Voj'ons,  farceur,  ne  nous  la  faites  pas  à  la  victime.  Quelle  chance,  quelle 
réclame  si  vous  étiez  poursuivi  !  Tous  nos  vœux  pour  cette  réussite. 

(6)  Que  vous  êtes  malin,  M.  Kistemaeckers.  "Vous  mêlez  toujours  hier  et 
aujourd'hui.  A  cette  époque  on  ne  disait  pas  de  votre  troupeau  qu'il  était  celui 
de  saint  Antoine  :  c'est  depuis,  depuis,  depuis.  Ne  faites  donc  pas  le  sourd,  et 
pour  cause.  Vraiment  il  semble,  révérence  parler  et  sans  allusion  blessante, 
que  l'on  entende  un  joueur  surpris  aidant  la  chance,  s'écriant  quand  on  le 
reconduit  :  mais  il  y  a  une  heure  vous  me  faisiez  l'honneur  de  m'admettre  en 
votre  compagnie. 

(7)  Oh  !  l'ingrat. 


^^ 


lesquelles  a  passé  h  symphonie,  celte  forme  de  composition 
musicale  la  plus  spirilualisle,  la  plus  abstraite,  la  plus  propre  à 
réaliser  l'idéal  élevé  du  Deau  musical  pur. 

Le  titre  de  son  livre  nouvel  :  Grétry^  sa  vie  et  ses  œuvres 
semble  annoncer  en  même  temps  une  biographie  corrélative  de 
ses  travaux  d'artiste,  au  si  fécond  musicien  liégeois,  et  une  ap- 
profondie critique  d'un  art  vieillot  mais  historiquement  intéres- 
sant. 

L'attente,  certes,  est  dcçuc;  le  livre  est  de  ces  biographies 
anecdotiques  où  les  naïvement  bêles  légendes  coudoient  les  évé- 
nements certifiés.  L'auteur  juge  psychologique  de  noter,  comme 
indice  d'une  invincible  vocation  musicale,  l'attention  que  prélait 
le  jeune  Grétry  âgé  dp  quatre  ans  au  grêle  murmure  des  bouil- 
loires ;  il  mentionne  avec  candeur  la  dévotion  de  «  son  musicien  » 
lorsqu'il  s'approche  pour  la  première  fois  de  la  Sainte-Table,  ses 

succès  de  cbanleur  au  jubé  de  la  collégiale  de  Saint-Denis 

On  le  voit,  toujours  la  recelte  de  Y  Histoire  des  peintres  l 

L'instruction  de  Grétry  par  ses  humbles  professeurs  Leclercq, 
Moreau  et  Renekin,  son  départ  pour  Rome  sous  la  protcciion  du 
chanoine  de  Harlcy,  les  leçons  qu'il  y  reçut  de  l'abbé  Casali,  ses 
débuis  au  théâtre  par  Les  Vendangeuses  ;  son  départ  pour 
Genève,  ses  visites  h  Ferney  chez  Voltaire;  son  arrivée  à  Paris, 
le  succès  du  Huron;  sa  longue  et  laborieuse  vie  à  la  cour  et 
parmi  le  tumulte  des  gens  de  lettres,  enfin  un  résumé  critique 
de  l'œuvre  de  Grétry,  tout  cela  forme  un  total  de  trois  cents  pages, 
pour  lesquelles  l'auteur  a  peu  fructueusement  consulté  une  im- 
portante bibliographie. 

L'œuvre  considérable  du  musicien  liégeois  apporterait  un 
appoint  intéressant  h  l'opéra  comique,  que  l'actuelle  direction  de 
la  Monnaie  remet  en  honneur,  grâce  à  des  acteurs  chantants  et 
jouants  :  les  Deux  avares^  la  Fausse  Magie,  Colinette  à  la 
Cour,  V Epreuve  villageoise,  V Amant  jaloux,  Aucassin  et  Nico- 
lette,  pourquoi  ne  point  les  produire  sur  la  scène  au  lieu  d'un 
répertoire  qu'il  faut  bien  se  résoudre,  si  l'on  est  sincère,  h  dé- 
clarer poussiéreux  et  fossile  et  qui  n'est  sauvé  que  par  la  per- 
fection qu'atteignent  ses  interprètes  ? 

Harmonie  et  Mélodie,  par  Camille  Saint-Saëns.  —  Paris, 

Calmann-Lévy. 

On  s'inquiétait  beaucoup  de  savoir  si,  oui  ou  non,  M.  Saint- 
Saëns  est  wagnérien.  C'est  celte  inquiétude  qui  fait  tout  le  succès 
du  livre  qu'il  vient  de  publier  :  Harmonie  et  Mélodie. 

«  Il  n'est  pas  wagnérien,  vous  voyez  bien  !  » 

Ce  n'était  pas  très  dificile  à  voir  pour  qui  connaît  la  musique 
du  compositeur-exéculant  réputé. 

M.  Saint-Saëns  n'est  donc  pas  wagnérien,  c'est  certain  aujour- 
d'hui, les  inquiets  sont  calmés,  l'éditeur  satisfait,  l'Institut 
aussi Notre  avis  est  que  le  wagnérisme  n'y  perd  rien. 

Harmonie  et  Mélodie  est  un  de  ces  trop  nombreux  livres 
composés  d'articles  journalistiques  publiés  ci  et  là,  en  diverses 
années,  conséquemment  sans  unité  théorique  et  fâcheusement 
contradictoires. 

M.  Saint-Saëns  commence  par  s'excuser....  d'avoir  chaL^^é 
d'opinions.  C'est  son  droit;  c'est  même  la  base  de  son  esthétique  ; 
mais  les  arguments  qu'il  invoque  en  faveur  de  sa  conversion  h 
l'art  factice  sont  bien  faibles  et  bien  mesquins.  Laissez  donc 
enterrés  ces  cancans  de  vieux  abonnés  «  l'intransigeance, 
l'oppression  du  wagnérisme,  la  musique  savante  »  (vous  vous 
avouez  donc  un  âne?)....  et  tous  ce  fatras  d'arguties  avariées  et 


de  poussiéreux  journalisme.  Arrivent  même  les  inévitables  histo- 
riettes :  «  Une  dame  suppliait  le  maître  de  lui  faire  entendre  un 
accord  inouï,  prodigieux,  qu'elle  avait  découvert  dans  la  partition 
de  Siegfried.  —  «  Mais,  ma  chère  enfant,  répondait-il,  c'est  tout 
simplement  l'accord  de  mi  mineur.  »  Et,  cédant  enfin,  il  le 
frappait  et  la  dame  de  s'extasier.  —  No\d  \ç,' boulevardisme  qui 
perce.... 

N'esl-il  pa,s  évident,  pour  tout  musicien,  qu'il  s'agit  non  point 
de  tel  accord  entendu  isolément,  mais  dé  sa  suggestive  réson- 
nancc  parmi  toute  la  successive  résonnance?  M.  Saint-Saëns 
reproche  aussi  à  Wagner  d'avoir  écrit  des  choses  très  belles  mais 
qui  peuvent  gâter  la  main  des  exécutants.  Quelle  valeur  accorder 
a  pareille  critique  d'une  si  mesquine  animosilé  et  native  de  ce 
milieu  parisien  enclin  h  la  badaudanic  et  niaise  plaisanterie? 
11  y  a  maintenant,  en  face  de  la  légende  baudelairienno,  la 
légende  wagnéricnne  :'  mais  les  grands  seuls  ont  la  leur. 

M.  Saint-Saëns  n'est  point  wagnériste,  c'est  certain  aujour- 
d'hui... Heureuse  certi'ude!  Nous  eussions  eu  chez  nous  un  bien 
faux-frère  en  celui  qui  écrit  «  que  Wagner  après  avoir  supprimé 
tous  les  moyens  de  plaire  qu'avait  h  sa  disposition  l'Opéra  pour 
laisser  la  place  libre  au  drame,  a  supprimé  le  drame  pour  une" 
prétendue  philosophie  dont  la  portée  m'échappe  complètement.  » 
41  n'est  pas  possible  d'avouer  plus  cyniquement  son  ignorance 
et  nous  passerions  silencieux  si  cette  ignorance  n'était  laide  de 
mauvaise  foi  et  de  vipérine  jalousie.  Sauvons  l'article  «  Harmonie 
et  Mélodie  »  qui  définit  exactement  ces  deux  termes  ;  signalons 
quelques  pages  intéressantes  sur  Liszt,  Berlioz,  Félicien  David, 
et  saluons  l'auteur  en  lui  disant  «  adieu  ». 


ASSOCIATION  DES  ARTISTES  MUSICIENS 

Premier  cojicert. 

V Association  des  artistes  musiciens  a  ouvert  samedi  la  saison 
musicale  par  une  séance  où  le  talent  des  solistes  a  lutté  avec 
l'attrait  d'œuvres  nouvelles.  V Ouverture  académique  de  Bi-ahms, 
cette  charmante  et  spirituelle  fantaisie  sur  des  chanls  d'étudiants, 
a  eu  les  honneurs  de  la  soirée.  Célèbre  en  Allemai;ne,  où  le 
Gaudeamus  igitur  et  le  VVas  kommt  doch  von  der  hôhe  sont 
sur  toutes  les  lèvres,  elle  était  encore  inconnue  à  Bruxelles. 
Inconnue  du  public  s'entend  ;  car  tous  les  lettrés  de  la  musique 
ont  lu  tout  au  moins  l'excellente  réduction  pour  piano  à 
quatre  mains  que  Brahms  en  a  écrite  lui-même.  L'ouveiture  de 
Clcopâtre,  de  Mancinelli,  avait  également  le  mérite  de  la  nou- 
veauté, mais  n'avait  guère  que  celui-là.  L'Association  tient  a  sa 
réputation  d'éclectisme. 

Le  choix.de  ses  solistes  l'indiquait,  au  surplus,  clairement, 
d'une  pari,  les  deux  chanteurs  que  les  habitués  du  théâtre  de  la 
Monnaie  ont,  sans  hésitation  adoplés,  M'^'^  Thuringer  et  M.  Du- 
bulle,  et  l'excellent  pianiste  De  Grecf,  de  l'autre,  M.  Biirger, 
violoncelliste.  > 

La  critique  a  paru  découvrir  le  Co7icerlo  de  Gricg  joué  par 
M.  Dcgreef.  Cette  œuvre,  la  plus  belle  du  compositeur  norwégien, 
a  été  exécutée  à  Bruxelles  il  y  a  quelque  dix  ans  par  Brassin,  et 
elle  a  rendu  populaire  le  nom  de  son  auteur  dans  le  monde  mu- 
sical belge.  M.  Dcgreef  en  a  exprimé  avec  un  sentiment  délicat, 
secondé  par  un  mécanisme  très  développé,  le  charme  pénétrant. 
Et  l'auditoire  a  paru  comprendre  cette  page  de  maître,  qu'on  eût 
pu  craindre  au  dessus  de  sa  portée.  Celle  vibrante  et  émotion- 


nante  composition  a  tranché  violemment  sur  les  airs  de  Jf^rMsy^/n», 
des  Purilams.dc  Philémon  et  de  la  Traviata  dont  les  deux 
chanteurs  onl,  avec  une  généreuse  prodigalité,  gratifié  l'auditoire. 
Un  des  Nocturnes  de  Liszt,  un  Menuet  pimpant  de  Grieg  et  deux 
valses  de  Moszkowski  ont,  avec  rouverlure  de  Brahms  et  le  con- 
certo cilé,  rétabli  l'équilibre  en  faveur  de  la  musique  nouvelle. 


T' 


HEATRE^ 

THÉÂTRE  MOLIÈRE 

Voulez-vous  de  l'archéologie  littéraire?  un  peu  de  passé  res- 
tauré? un  coin  de  vieille  littérature  remise  au  jour  ? 

Que  c'est  déjà  loin  tout  cela  :  Georges  Sand,  la  Mare  au 
Diable^  François  le  Chainpi,  le  Marquis  de  Villemery  la  Petite 
Fadette!  Nos  mères  en  ont  souri,  en  ont  pleuré.  Nous  en 
avons  entendu  parler  quand  on  nous  racontait  encore  le  Petit 
Poucet  et  Barbe  Bleue,  et  nous  soupçonnions  vaguement  que  la 
Petite  Fadette  et  la  Mare  au  Diable  étaient  de  la  même  famille. 

Seulement,  si  nous  avions  lu  ou  pu  lire  dès  lors  les  majes- 
tueux journaux  flanqués  de  majestueux  critiques,  nous  eussions 
entendu  parler  de  paysanneries^  à' ^iwàixce  littéraire,  d'innovation, 
de  réalisme  peut-être  et  de  romanligme  à  coup  sûr.  Comment 
donc!  avoir  le  front  de  camper  des  paysans  en  scène,  de  leur 
faire  parler  un  brin  d'argot,  de  les  étudier  ou  du  moins  de  pré- 
tendre les  étudier  tels  qu'ils  sont  ! 

Et,  de  vrai,  Georges  Sand  est  réaliste  comparée  à  Florian  et  cq 
dernier  est  réaliste,  si  l'on  songe  aux  paslourelles  des  clj^ansons 
galantes  du  seizième  siècle.  Réaliste  très  cau-de-rosé  sans  douio. 
Oh!  avec  des  billets  de  caramel  et  des  refrains  de  romance  enru- 
bannés autour  de  la  jupe  des  bergères  et  du  sucre  d'orge  aux 
pommeaux  de  leurs  houlettes. 

Chose  inléressantc  à  suivre  que  celte  évolution  lente,  mais 
sûre,  du  drame  rustique.  Parti  de  la  chanson  du  moyen-âge,  il 
s'est  habillé  en  idylle  et  en  églogue  sous  le  règne  de  Segrais  et 
Racan,  puis  s'est  vêtu  en  pastorale  de  Derquin  et  en  bergerie  de 
Florian,  puis  en  paysannerie  de  Sand  pour  s'élaler  enfin  — 
superbe  épanouissement  —  dans  les  Paysans  de  Balzac,  la 
Faute  de  Vabbé  Mourct  de  Zola,  et  le  Bouscassié  de  Cladel.  Et 
les  noms  dont  on  l'affuble  indiquent  celte  transformation  tou- 
jours plus  nette,  plus  réelle,  plus  vraie  ;  chansons,  idylles,  pas- 
torales, paysanneries,  rusticités.  Et  nous  voici,  non  pas  au  lliéâ- 
tre,  mais  dans  le  roman,  à  la  veille  d'une  transformation  nouvelle 
dont  Guy  de  Maupassanl  indique  là  tendance  dans  Rencontre  et 
dans  les  Sabots. 

Le  ihéâlro  Molière  est  donc  un  théâtre  ou  l'on  fait  de  l'archéo- 
logie littéraire  et  —  comme  cela  se  trouve  !  —  cette  archéologie 
qui  ne  déplaît  point  aux  artistes  séduit  comme  une  nouveauté  le 
public  d'Ixelles.  Il  accourt  —  surtout  le  public  du  dimanche  — 
avec  deux  mouchoirs  dans  la  poche,  un  pour  le  nez^,  un  aulre 
pour  les  yeux  et  les  larmes,  avec  des  exclamations  en  réserve  et 
des  petits  cris  de  joie  au  fond  du  gosier,  car,  de  dix  en  dix 
minutes,  on  passe  du  rire  aux  pleurs,  de  l'espoir  à  l'angoisse, 
du  bonheur  aux  regrets.  Ou  entend  ci  et  là  craquer  des  corsets 
sous  l'émoiion. 

Le  Marquis  de  Villemer  et  la  Petite  Fadette  sont  joués  con- 
venablement d'après  les  recettes  d'antan.  C'est  ce  qu'il  faul. 


THÉÂTRE  DE   LALGAZAR 

'  Les  Mousquetaires  au  Couvent. 

Vive  l'abbé  Bridaine!  Vivent  sa  benoîte  bonhomie  et  sa  bien- 
veillance pour  les  péchés  mignons  des  écervelés  que  l'amour  a 
frôlés  de  ses  ailes  !  Les  Mousquetaires  ont  eu  un  succès  de  pre- 
mière à  l'Alcazar.  On  a  ri  au  joyeux  entrain  du  livret  tout  comme 
si  c'eût  été  la  première  fois  que  les  étonnantes  aventuiMBs  du  capi- 
taine Gontrand  et  de  son  ami  Brissac  se  fussent  déroulées  sur  la 
scène.  On  a  applaudi  à  toute  volée  la  musique  bonne  enfant  de 
M.  Varney.  El,  pour  la  troisième  fois,  l'Alcazar,  complètement 
réorganisé  a  remporté  une  victoire  sérieuse.  Vienne  la  Guerre 
joyeuse,  elle  n'a  rien  à  redouter,  et  ses  Mousquetaires  feront  une 
belle  défense  avant  de  sonner  la  retraite. 

Du  côté  des  hommes,  MM.  Morlel,  Minne  et  Lary,  du  côté  des 

artistes  féminins.  M"""  Fernet,  Buiro  et  Hervey,  cette  dernière 

alternant  avec  M*'«  Bonheur  ^  ont  assuré  le  succès  de  la  reprise. 

Il  n'y  a  vraiment  que  des  éloges  à  leur  adresser.  Le  premier  est 

inimitablement  amusant   dans  la  fameuse  scène  du   deuxième 

acte,  le  sermon  débité  aux  élèves  des  Ursulines  sur  le  petit  dieu 

malin 

Qui  n'est  au  fond  qu'un  fort  bon  diable... 

Ce  qui  a  frappé  tout  de  monde,  c'est  que  dans  la  voix,  dans 
les  intonations  et  jusque  dans  le  nez,  M.  Morlel  a  avec  un  des 
sociétaires  les  plus  populaires  du  Théâtre  Français  des  affinités 
telles  que  M.  Gustave  Frederix  lui-même  s'en  est,  dit-on,  trouve 
offensé.  Il  n'est  pas  permis  de  pousser  aussi  loin  le  pastiche. 

Celte  ressemblance  extraordinaire  et  son  joli  talent  de  chan- 
teur-comédien, ont  séduit  le  public  qui,  chaque  soir,  fait  à 
M.  Morlel  un  bruyant  succès  et  bisse  ses  couplets. 

Voilà  reconquise  cette  j)laGe  que  depuis  si  longtemps  le  théâtre 
de  l'Alcazar  essayait  vainement  de  reprendre,  parmi  Jes  scènes 
bruxelloises  favorisées  de  celle  chose  si  fragile  :  la  vogue. 


CORRESPONDANCE  MUSICALE  DE  PARIS 

Les  concerts  classiques  de  VAssociation  artistique  ont  fait  leur 
réouverture  sous  la  conduite  de  leur  chef,  M.  Colonne.  C'est  toujours 
la  même  exécution  soignée  et  finie,  mais  les  musiciens  ne  sont  pas 
encore  entrés  en  pleine  possession  de  leurs  moyens  et  il  y  manqiie 
cette  cohésion  à  laquelle  ils  arriveront  au  bout  de  quelques  concforts. 
On  a  fait  piteux  accueil  à  la  suite  d'orchestre  de  M.  Massenet  déjà 
entendue  aux  concerts  Pasdeloup.  Mauvais  indice  pour  l'auteur  du 
Cid,  dont  on  pousse  les  répétitious  à  l'Opéra,  et  qui  doit  passer  le 
27  novembre. 

A  rOpéra-Comique,  l'Etoile  du  Nord  conserve  la  faveur  du  public 
et  Haydée.  remise  à  neuf,  s'est  vue  de  nouveau  acclamée  avec  Tinter- 
prélation  de  M'^«  Merguiller  et  de  MM.  Lubert  et  Taskin,  qui  a  tort 
de  chanter  les  basses  et  qui  ne  s'en  tire  qu'à  force  d'habileté.  Et 
puisque  je  parle  de  rOpéra-Comique,  signalons  la  prédilection 
momentanée  du  public  pour  ce  théâtre;  voilà  maintenant  que  le 
high-life  s'en  mêle  et  veut  avoir  ses  samedis  à  la  salle  Favart,  comme 
il  a  ses  mardis  au  Théâtre  Français  :  l'art  n'y  gagnera  rien,  j'en  suis 
convaincu,  mais  la  caisse  de  M.  Carvalho  va  s'emplir  si  j'en  juge  par 
le  nombre  croissant  des  candidats  à  l'abonnement.  Je  crains  même 
que  l'élément  mondain  ne  fasse  échec  à  Lohengrin,  étant  donné  le 
goût  douteux  des  abonnés  tel  que  nous  le  connaissons  à  l'Opéra,  tel 
qu'il  était  aux  Italiens.  Du  reste. on  n'a  rien  appris  du  voyage  de 
M.  Carvalho  à  Vienne  et  à  son  retour  on  s'est  mis  à  la  lecture  de 
trois    ouvrages    nouveaux    de    ÎVIM.   Coquard,    Widor  et  Lecocq, 


rART  MODERNE 


363 


Après  le  Cid^  nous  aurons,  paraît-il,  une  représentation  de  la  Patti 
à  l'Opéra  ;  on  jouera  un  acte  de  Faust,  un  acte  de  Rigoletto  et  des 
fragments  de  Coppélia.  Petit  spectacle  mondain,  pas  fatiguant  et  facile 
à  suivre  même  pour  les  abonnés.  Seulement,  Coppélia  manquant  de 
nouveauté,  si  j'avais  voix  au  chapitre,  je  demanderais  qu'il  fût 
dansé  par  la  Patti...  et  alors...  quel  succès! 

Les  théâtres  d'opérette  maintiennent  les  mêmes  affiches  tout  en 
préparant  de  nouveaux  spectacles.  Aux  P'olies-Dramatiques  on  a 
repris  les  Cloches  de  Corneville,  histoire  de  ne  pas  les  laisser  voler 
par  un  autre  théâtre;  mais  il  parait  qu'elles  ne  battent  plus  leur 
plein.  Est-ce  étonnant?  Gutello. 


pETITE    CHROJMIQUE 


Un  nouveau  deuil  vient  de  frapper  la  famille  artistique.  M.  Auguste- 
Félix  Schoy,  l'un  de  nos  architectes  les  plus  distingués,  est  mort  à 
Bruxelles  mercredi  dernier,  après  une  très  courte  maladie.  Il  était 
né  le  17  janvier  1838.  C'est  à  lui  qu'on  doit  les  plans  de  l'ingénieuse 
et  très  artistique  restauration  projetée  pour  l'église  de  Notre-Dame- 
des- Victoires  au  Sablon.  M.  Schoy  avait  fait  de  ce  travail  l'une  des 
préoccupations  principales  de  sa  vie.  Il  meurt  avant  d'avoir  vu  réa- 
lisé son  vœu  le  plus  cher. 

L'artiste  était  professeur  à  l'Académie  royale  des  Beaux- Arts 
d'Anvers,  membre  correspondant  de  la  Commission  royale  des  monu- 
ments. Il  venait  d'être  créé  chevalier  de  l'ordre  de  Léopold. 

Le  bruit  a  couru  que  Germinal^  interdit  par  la  censure  à  Paris, 
allait  être  représenté  à  Bruxelles  et  Ton  citait  même  les  directeurs 
qui  se  disputaient  l'honneur  de  faire  connaître  le  drame  de  Zola. 
C'étaient,  disait-on,  M.  Humbert,  directeur  du  théâtre  de  la  Bourse 
qui  va  s'ouvrir,  et  le  directeur  du  théâtre  des  Nouveautés,  Tintelli- 
gent  imprésario  qui  a  tout  récemment  représenté,  dans  de  bonnes 
conditions,  Thérèse  Raqiiin.  Une  lette  de  M,  "W.  Busnach  vient  de 
détruire  les  espérances  qu'on  formait  ici.  «  Genninal  sera,  représenté 
à  Paris,  dit-il,  ou  il  ne  le  sera  pas.  » 

M.  Georges  Eekhoud  fera  paraître  en  février  un  nouveau  roman 
qui  portera  pour  titre  :  Les  Milices  de  Saint-François.  Il  est,  comme 
les  œuvres  qui  l'ont  précédé,  emprunté  à  la  vie  des  polders. 

Un  des  paysagistes  français  les  plus  renommés,  M.  Alexandre  Segé, 
est  mort  la  semaine  dernière  à  Coubrou  (Seine- et-Oise),  âgé  de 
soixante-sept  ans.  C'était  un  hjbitué  fidèle  des  Salons  parisiens  où 
chaque  année  on  voyait,  à  la  rampe,  une  ou  deux  toiles  de  lui. 

Les  motifs  des  paysages  de  M.  Segé  sont  surtout  empruntés  à  la 
Beauce,  à  la  Brie  et  aux  environs  de  Chartres  ;  il  a  travaillé  aussi 
en  Corse  et  eu  Suisse  et  plus  souvent  dans  le  Pas-de-Calais,  les 
Cùtes-du-Nord  et  le  Finistère.  Le  musée  du  Luxembourg  possède 
de  lui  :  Les  Chaînes  de  Kcrtregounec .  Les  tableaux  qu'il  a  peints  ces 
dernières  années  sont  :  La  Vallée  de  Courtry^.  les  Chatnps  à 
Coîibron,  l'Epine  d'Antoigni/,  les  Châtaigniers  de  Beauvoir; 
en  1883,  la  Vallée  de  Ploukermcur  ;  en  1884,  une  grande  toile 
intitulée  :  Au  Pays  chartrain;  en  1885,  enfin,  les  Près  de  Saint- 
Pair  et  la  Vallée  de  la  Sée. 

On  lit  dans  /«  Nation  : 

M.  Léon  Dubois  travaille  à  une  œuvre  importante,  Atala,  poème 
symphonique,  paroles  de  MM.  A.  Laigle  et  Edouard  Philippe. 

Rappelons  que  M.  Dubois  a,  depuis  l'an  dernier,  un  acte  en  répé- 
tition à  la  Monnaie,  la  Revanche  de  Sganarelle,  et  que  l'Union  des 
Jeunes  Compositeurs  exécutera,  cet  hiver,  une  cantate  patriotique, 
Breydel  et  De  Coninck,  terminée  depuis  un  an  déjà. 

M.  Léon  Dubois  fera  entendre  aussi  prochainement  un  petit 
poème  lyrique,  —  le  Reliquaire  d'amour,  —  paroles  de  M.  Lucien 
Solvay. 


Un  musée  Grétry  à  Liège.  —  M.  Radoux  a  pris  l'initiative  de  la 
création  d'un  musée  consacré  à  la  mémoire  du  célèbre  maître  liégeois 
et  dans  lequel  seront  réunis  tous  les  souvenirs  qui  auront  appartenu 
au  compositeur  et  qui  seront  là  à  leur  place  la  plus  naturelle. 
Un  dés  locaux  du  palais  du  nouveau  Conservatoire,  destiné  à  un 
musée  musical,  se  prête  à  merveille  à  la  réalisation  de  cette  idée 
patriotique*. 

Le  projet  de  M.  Radoux  est  entré  dès  à  présent  dans  la  période 
d'exécution  et  nous  sommes  heureux  de  pouvoir  signaler  à  la  grati- 
tude des  amis  d'e  l'artiste  l'exemple  généreux  donné  par  M.  Terme, 
le  savant  antiquaire,  qui  a  adressé  à  M.  Radoux  plusieurs  dons  extrê- 
mement précieux  : 

Un  portrait  de  Grétry  au  crayon  par  Monssiau;  un  autre  portrait 
de  Grétry  au  lavis  par  Ysabey  ;  un  portrait  gravé  d'après  M-^Vigier 
Lebrun;  une  miniature  sur  ivoire,  Grétry  à  18  ans;  enfin  une 
Correspondance  très  intéressante  de  Grétry  a  Dumont,  reliée  en  un 
volume.  Ces  lettres  (il  y  en  a  12  —  la  dernière  datée  du  25  septembre 
1813 — )  est  l'annonce  de- la  mort  de  Grétry  à  M.  Dumont,  par  les 
«  neuveux  {sic)  et  nièces  de  M.  Grétry  »  ont  été  publiées  dans  le 
Bulletin  de  l'Institut  archéologique  liégeois,  par  M.  l'archiviste 
Bormans. 

Aux  dons  de  M.  Terme  se  joignent  ceux  non  moins  précieux 
offerts  antérieurement  par  M.  et  M"'«  J.-B.  Rongé  et  consistant  : 
lo  en  une  mèche  de  cheveux  avec  ce  petit  mot  :  «  Cheveux  de  Grétry, 
offerts  par  l'amitié  et  la  reconnaissance  à  M.  J.  Ledoux,  un  des 
auteurs  du  vaudeville  intitulé  Grétry.  ». 

L'Ermitage,  ce  30  juin  1824.  (Signé]  Flamand-Grétry, 

2o  Une  photographie  représentant  le  Messager -contrebandier 
Remacle  qui  a  conduit  Grétry  à  Rome  au  mois  de  mars  1750. 

30  Une  photographie  représentant  la  physionomie  de  la  place 
Grétry  le  jour  de  son  inauguration,  le  3  juin  1811. 

40  Une  lettre  adressée  au  citoyen  Plainpel,  employé  aux  affaires 
de  la  République  au  Havre. 

50  Une  lettre  adressée  à  M.  de  Fossoul,  ancien  bourgmestre  de 
Liège,  datée  de  Paris  le  13  avril  1810. 

60  Une  lettre  adressée  également  à  M.  de  Fossoul  datée  de  Paris 
14  septembre  1811. 

70  Un  tnanuscrit  écrit  entièrement  de  la  main  de  Grétry  «  cha- 
pitre 30,  3e  volume  avec  le  titre  singulier  :  Le  malheur  de  l'homme 
est  de  n'avoir  que  des  demies  (sic)  passions,  14  pages  de  0^,19  sur 
0>n,23.  ^ 

La  Nouvelle  Société  de  m,usique  de  Bruccelles,  dans  son  assemblée 
générale  du  23  courant,  a  procédé  au  renouvellement  partiel  de  son 
Conseil  d'administration.  Ont  été  élus  :  Président  :  Ai.  Alfred  Del- 
bruyére;  Vice- Présidents  :  MM.  Oscar  Hennebert  et  François 
Wittmann;  Membres  :  MM'-'es  Bourlard  et  Girard;  MM.  Charles, 
Hoffmann,  Leemans-Portenart,  Jules  Pierret,  Gustave  Pierry  et 
Florian  Sterckx. 

Les  répétitions  de  Mors  et  Vitu  se  i)oursuivent  activement.  Elles 
ont  lieu  tous  les  vendredis,  à  8  heures,  du  soir,  au  Palais  des 
Beaux-Arts.  , 

Le  tirage  de  la  tombola  de  l'Exposition  du  Cercle  des  Aquarellistes 
et  des  Aquafortistes  a  eu  lieu  samedi  31  octobre.  Voici  les  numéros 
sortis  :  329,  323,  293,  842,  1110,  435,  1055,  105,  721,  1325,  4G9, 
178,  716,  116,  937,  327,  301,  434,  408,  27«>,  497. 

Les  lots  pourront  être  réclamés  tous  les  jours  de  4  h.  à  6  h.  chez 
M.  Karel  Van  Mossevelde,  trésorier  du  Cercle,  rue  Dupont,  00. 

Après  le  4  février  1886,  il  ne  sera  plus  fait  droit  à  aucune  récla- 
mation. '  ■ 


ATELIER   DE  PEINTRE 

A  LOUER 
I^TJE    IDE    3L..A.     OieOIXI     BILA.lSrOIïE 

PRÈS  DE  LA  MONTAGNE  DE  LA  COUR 


364 


VART  MODERNE 


CINQUIÈME  ANNÉE 

L'ART  Moderne  s'est  acquis  par  l'autorité  et  l'indéiiendance  de  sa  critique,  par  la  variété  de  ses 
informations  et    les  soins  donnés  à  sa   rédaction  une  place  prépondérante.    Aucune   manifestation  de  l'Art  ne 

lui  est  étrangère  :  il  s'occupe  de  littérature,  de  peinture,  de  sculpture,  de  gravure,  de  musique, 

d'architecture,  etc.  Consacré  principalement  au  mouvement  artistique  belge,  .il  renseigne  néanmoins  ses 
lecteurs  sur  tous  les  événements  artistiques  de  l'étranger  quïl  importe  de  connaître. 

Chaque  livraison  de  L'ART  MODERNE  s'ouvre  par  une  étude  approfondie  sur  une  question  artistique 
ou  littéraire  dont  l'événement  de  la  semaine  fournit  l'actualité.  Les  expositions,  les  livres  noiiveauoç,  les 
premières  représentations  d'oeuvres  dramatiques  ou  musicales,  les  cow/f/rences  littéraires ^  les  concerts,  les 
ventes  dCohjets  dCart,  font  tous  les  dimanches  l'objet  de  chroniques  détaillées. 

L'ART  MODERNE  relate  aussi  la  législation  et  la  jurisprudence  artistiques.  Il  rend  compte  des 
procès  les  plus  intéressants  concernant  les  Arts,  plaides  devant  les  tribunaux  belges  et  étrangers.  Les 
artistes  trouvent  toutes  les  semaines  dans  son  Mémento  la  nomenclature  complète  des  expositions  et 
concours  auxquels  ils  peuvent  prendre  part,  en  Belgique  et  à  l'étranger.  11  est  envoyé  gratuitement  à 
l'essai  pendant  un  mois  à  toute  personne  qui  en  fait  la  demande. 

L'ART  MODERNE  forme  chaque  année  un  beau  et  fort  volume  d'environ  450  pages,  avec  deux 
tables  des  matières,  dont  Viine  par  ordre  alphabétique ,  de  tous  les  artistes  appréciés  otc  cités.  Il  constitue  pour 
l'histoire  de  l'Art  le  document  LE  PLUS  COMPLET  et  le  recueil  LE  PLUS  FACILE  A  CONSULTER.    ' 


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NF  Z43  120  13 


-,  ï 


Cinquième  aknée.  — :  N*>  47, 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  22  Novembre  1885, 


L'ART 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTERATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,   un   an,   fr.   10.00;  Union  postale,   fr.    13.00.    —  ANNONCES   :    On    traite   à   forfait. 

Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  coinmunications  à 
l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


^ommairï: 


Principes  d'art.  —  De  la  publication  des  livres.  —  Joseph 
Lies.  —  Théâtre  de  la  Monnaie.  La  Favorite.  —  Gazette  de 
Hollande.  —^  Correspondance  musicale  de  Paris.  —  Petite 
chronique. 


PRINCIPES    D'AllT 

A  chaque  exposition  universelle  ou  locale,  c'est 
toujours  la  même  constatation  :  du  haut  en  bas,  une 
déroute  des  esprits;  la  méconnaissance  des  principes 
essentiels  de  l'art;  une  uniformisation  croissante  des 
manières  de  peindre  et  de  sentir;  la  vérité  de  conven- 
tion et  d'atelier,  ou,  d'autre  part,  l'étroite  et  ofïensante 
vérité  photographique,  substituée  à  la  vérité  qui,  par  la 
synthèse  et  la  simplification,  arrive  au  caractère  et  à 
la  grandeur  ;  puis  encore  la  prédominance  des  besoins 
de  lucre,  de  la  soif  des  vanités  de  la  vie  et  des  distinc- 
tions honorifiques  sur  les  préoccupations  plus  élevées, 
et,  parallèlement,  l'oblitération  graduelle  des  con- 
sciences embourgeoisées  dans  la  poursuite  des  succès 
productifs;  enfin  leffrojable  développement  de  cette 
basse  fabrication  faite  pour  la  foule  par  des  artisans 
quelconques  et  qui  submerge  les  rares  efïbrts  isolés  des 
véritables  artistes. 

Libre  aux  illusionnistes  d'expliquer  cette  immense 
confusion  par  les  sourds  tiraillements  des.  genèses  en 
train  de  se  débrouiller!  La  théorie  consolante  d'une 
époque  de  transition,  élaborant  dans  le  trouble  et  l'in- 
conscience les  éléments  d*un  art  nouveau,  n'aura  jamais 


crédit  auprès  des  réfléchis  pour  qui  l'art  n'est  pas  la 
résultante  d'une  somme  d'efibrts  réalisés  en  commun 
en  vue  d'une  perfectibilité  toujours  reculée,  mais  une 
émanation  individuelle,  spontanée,  infiniment  variable 
selon  les  temps,  les  circonstances -et  les  hommes,  et,  en 
fin  de  compte,  définitive  en  chacun  des  ses  modes  d'ex- 
pression. L'art  n'est  ni  plus  grand  ni  plus  complet  à  une 
époque  qu'à  une  autre;  il  ne  procède  pas  par  doses 
quantitatives;  même  chez  les  primitifs,  chez  les  com- 
mençants, il  porte  en  soi  sa  plénitude. 

Plus  tard,  avec  une  tradition  pour  appui,  il  ne  fait 
que  changer  ses  apparences  sensibles  et  raffiner  le  sens 
de  l'interprétation,  d'abord  malhabile  et  gauche,  mais 
déjà  perceptible  dès  les  premiers  balbutiements.  C'est 
le  moment  où  les  facultés  critiques,  les  aptitudes 
d'élection  et  d'appropriation  commencent  à  prédominer 
sur  les  facultés  de  création  et  de  découverte  :  on 
exploite  le  domaine  du  passé  en  l'élargissant  et  l'appro- 
fondissant plutôt  qu'on  ne  fait  œuvre  de  création  pro- 
prement dite.  Mais  tel  est  le  sentiment  général  sur  l'art, 
qu'il  paraît  presque  exclusivement  le  privilège  des  races 
qui  se  souviennent,  et  que  le  don  de  coordonner  les 
matériaux  acquis,  en  en  tirant  l'infinie  série  des  combi- 
naisons, fait  oublier  l'obscur  labeur  douloureux  des 
précurseurs  pour  extirper  de  l'être  l'incarnation  ini- 
tiale qui  a  servi  de  point  de  départ  à  toutes  les  autres. 

il  est  bon  de  remettre  à  son  plan  cette  gloire  des  pri- 
mitifs, quand  ce  ne  serait  que  pour  tempérer  notre 
immense  vanité  de  civilisés,  tellement  saturés  de  l'es- 
prit et  de  la  production  des  siècles  antérieurs  qu'il 


nous  est  devenu  difficile  de  démêler  notre  part  d'inven- 
tion d'avec  celle  que  les  âges  nous  ont  transmise.  Nous 
vivons  dans  une  ère  d'utilisation  et  d'expérimentation 
des  concepts  d'art  qui  nous  ont  précédés  bien  plus  que 
dans  la  recherche  d'une  appropriation  de  notre  art  à  la 
spiritualité  de  ce  temps.  La  paix  d'une  longue  hérédité 
païenne  et  catholique  nous  opprime  dans  notre  inutile 
tentative  pour  nous  dégager  des  invincibles  séductions 
de  cette  humanité  lointaine»  magnifiée  par  ses  artistes, 
et,  à  la  place  de  la  tradition  héroïque  où  notre  faiblesse 
d'esprit  et  l'excès  de  notre  mémoire  nous  font  cherclier 
les  sucs  de  notre  alimentation  intellectuelle,  construire 
à  notre  tour  les  sédiments  d'une  tradition  qui  soit^ 
comme  la  tour  où  nous  aurons  muré  notre  idéal. 

Pendant  longtemps,  et  cette  erreur  fait  encore  le 
fond  de  l'enseignement  académique,  il  a  semblé  qu'en 
dehors  de  la  Renaissance,  c'est-à-dire  d'un  mouvement 
qui,  lui-même,  n'était  que  le  renouvellement  et  la 
transformation  d'une  époque  d'art  évolue,  la  forme 
humaine,  les  ordonnances  de  la  nature,  l'idée  d'un 
ordre  supérieur  révélé  par  la  magnificence  des  choses 
ne  pouvaient  être  célébrées  dignement.  Puis  des  esprits 
hardis,  ramenés  au  bon  sens  par  l'immodération  de  ce 
culte  pour  une  restauration  après  tout  païenne  et  qui 
à  travers  la  conception  théiste  de  notre  siècle,  perpé- 
tuait la  glorification  des  théogonies  antiques,  se- 
couèrent le  joug,  mais  pour  en  porter  un  autre,  plus 
ràtionrialiste,  il  est  vrai,  et  d'une  conformité  plus  logi- 
que avec  notre  désabusement  des  belles  illusions  de  la 
fable,  du  mythe,  des  symboles  et  des  allégories.  Ceux- 
là  descendirrent  jusqu'à  l'artiste  du  moyen-âge  peignant 
ou  sculptant  l'homme  de  sa  connaissance  et  de  son 
milieu  dans  la  réalité  rude  de  sa  laideur,  de  son  vice 
et  de  son  infirmité,  avec  le  pli  et  le  poil  de  sa  peau,  la 
verrue  posée  comme  une  mouche  au  gras  du  nez  ou 
de  la  joue,  la  difïormation  et  la  grimace  amenées  par 
la  pratique  du  métier.  Au  fond,  pas  plus  que  les  latins 
latinisant,  eux,  les  néo-gothiques,  ne  parvenaient  à 
abdiquer  l'effroyable  souvenir  de  ce  passé  qui  leur  tor- 
dait le  cou  en  arrière. 

Toute  la  critique  de  l'Exposition  universelle  d'An- 
vers, aussi  bien  pour  l'art  que  pour  les  industries  d'art, 
aurait  pu  se  dégager  de  ces  considérations  générales. 
En  aucune  occasion,  peut-être,  l'habileté  manuelle,  le 
tour  de  force  du  métier,  le  jeu  des  difficultés  vaincues 
n'ont  paru  plus  extraordinaires  :  le  bois,  le  marbre,  les 
métaux  se  sont  assouplis  aux  plus  tourmentés  caprices 
de  la  main-d'œuvre,  au  point  d'y  perdre  leur  essence 
constitutive  qui  ne  se  démêle  plus  sous  les  empiéte- 
ments d'une  fabrication  sur  une  autre;  et  de  même, 
dans  la  sculpture  et  la  peinture,  les  prodigieuses  adresses 
de  la  pratique  semblent  rivaliser  avec  ce  que  l'art  de 
rémailleur,  du  ciseleur  et  du  joaillier  a  de  plus  rare  et 
de  plus  compliqué.  A  bien  considérer,  il  n'y  avait  là 


pourtant  qu'une  assimilation  magnifique  de  la  matière, 
une  extension  étonnante  du  procédé,  une  prise  de  pos- 
session de  plus  en  plus  complète  des  matériaux  qui  ser- 
vent à  faire  l'œuvre  d'art,  sans  que  toutefois  celle-ci, 
la  plupart  du  temps,  ne  fût  autre  chose  que  la  répéti- 
tion des  formes  et  des  combinaisons  antérieurement 
pratiquées. 

On  était  efï'rayé  de  la  pauvreté  d'invention  qu'à 
défaut  de  création ,  au  sens  radical  du  mot,  décelait 
l'énormité  de  ce  labeur  purement  mécanique,  perpétré 
avec  des  instruments  d'une  infinie  précision,  et  au  fond 
duquel  ne  s'apercevait  pas  la  millième  partie  de  l'hum- 
ble et  touchante  beauté  d'un  morceau  de  métal  façonné 
par  le  génie  candide  de  quelque  vieil  artisan.  C'est  que 
la  subtilité  la  plus  déliée  de  la  manœuvre  et  l'ingénio- 
sité la  plus  grande  de  la  composition  ne  valent  pas 
l'émotion  et  la  chaleur  d'humanité  d'une  image,  même 
grossièrement  travaillée,  mais  communiquant  à  l'esprit 
la  sensation  de  la  vie  d'une  époque  et  aidant  à  conjec- 
turer un  état  physiologique  et  mental  particulier. 

Dans  la  section  des  Beaux- Arts  de  l'Exposition 
d'Anvers  comme  dans  les  sections  industrielles,  la  con- 
fusion des  styles,  des  écoles  et  des  tendances  ne  faisait 
en  réalité,  que  correspondre  à  la  pluralité  des  manifes- 
tations de  l'art  archaïque  et  classique. 

Aussi,  telle  critique  nouvelle  qui,  dans  l'étude  de  la 
transcription  artiste,  tient  surtout- compte  de  ces  trois 
facteurs  essentiels  :  la  nàodernité  du  sentiment  et  de 
l'expression,  la  qualité  et  la  perception  des  atmosphères 
lumineuses,  la  conformité  de  l'œuvre  au  tempérament 
de  l'artiste,  — -  aurait-elle  eu  des  loisirs  devant  l'insuffi- 
sance et  la  sénilité  de  toute  fabrication  mnémotechnique 
si  çà  et  là  ne  s'était  révélée  la  volonté  d'appliquer  aux 
êtres  et  aux  <îhoses  l'optique  d'un  homme  de  ce  temps, 
cette  sensibilité  d'œil,  demain  et  d'esprit  qui  met  dans 
le  morceau  d'art  le  contrecoup  direct  de  l'impression 
et  comme  la  surprise  de  découvrir  après  tant  d'autres 
un  coin  de  la  nature. 


DE  LA  PUBLICATION  DES  LIVRES 

Nous  avons  reçu  1  étude  qu'on  va  lire.  Nous  la  publions  soks  toutes 
réserves.  Pour  raisons  de  forme  et  de  fond  elle  ne  représente  pas  en 
tous  points  notre  idéal.  Mais  elle  est  très  originale  et  parfois  juste. 

Tous  écrivains  arlisles  et  ceux  qu'un  de  nos  confrères  propose 
d'ennoblir  Esthètes ^sâyenl  que,  désireux  de  publier  leur  œuvre, 
ils  sont  livrés  pieds  et  poings  liés  au  cannibalisme  des  éditeurs. 

Il  serait  impossible  de  citer  un  de  ceux-ci  qui  ail  public  une 
œuvre,  si  mince  qu'elle  soii,  à  la  seule  caresse  de  son  parfum 
littéraire. 

Les  aligneurs  de  romans  bourgeois,  les  gens  babiles  qui,  pour 
flatter  les  goûts  médiocres  des  lecteurs  en  masse,  rabaissent  leur 
style  ou  ne  peuvent  même  pas  s'élever  jusqu'aux  premières  neiges 
de  l'Art,  ces  approvisionneurs  des  bibliotbèques  dans  les  gares 
de  chemin  de  fer  ou,  par  réaction,  les  petits  cochqnnierSj  les 


grivois  salemcnl  et  non  spirituels  et  les  lourdement  grossiers, 
ceux-là  seuls  empilent  les  éditions  et  signent  des  traités  gontlés 
d'or  ou  de  gros  sous.  Ce  n'est  qu'exceptionnellement  que  le  génie 
ou  le  grand  talent  attire  le  pécuniaire  et  c'est  toujours  par  une 
inclinaison  vers  le  social  ou  le  banal  :  Victor  Hugo,  Emile  Zola. 

Certains  éditeurs  ont  cependant  une  assourdissante  renommée 
de  quasi-Mécènes,  pour  avoir  humilié  leur  commerce  aux  pieds 
d'une  aristocratie  jadis  bafouée,  aujourd'hui  sans  même  un 
esclave  qui  insulte  à  son  triomphe.  Dissipons  ces  préjugés.  Les 
commerçants  savent  k  point  courber  l'échiné  et  partager  les 
affronts,  si  l'espoir  est  proche  d'un  coffre-fort  empli. 

Les  grands  artistes,  presque  toujours  enfanlinement  naïfs, 
sentez-les  aux  prises  avec  ces  visqueuses  sangsues,  heureux  si  la 
fierté  reste  sauve,  si  la  terrible  crainte  d'un  avenir  hasardeux  ne 
les  abaisse  point  aux  concessions.  Disons  bien  haut  que  Lecontc 
de  Lisle,  durant  six  années,  offrit  en  vain  le  manuscrit  des 
Poèmes  antiques.  Tous  savent  à  quel  prix  furent  acceptées  les 
traductions  de  Baudelaire  et  le  sort  de  ses  admirables  Poèmes  en 
prose.  De  pareilles  ignominies  ne  découragent  point  l'inspiration  ; 
elles  ajoutent  h  cette  gloire  future  qui  attend  les  dédaignés  par  la 
multitude  dés  sols.  Oui,  la  justice  vient  :  espérez  en  elle,  vous, 
les  grands  insultés  ! 

Une  fois  admis,  Dieu  sait  à  quel  prix,  chez  un  de  ces  sacro- 
gaints  commerçants,  que  faire? 

Pensez-vous  que  l'artiste,  avec  ce  sens  inné  de  rharmonie, 
puisse  identifier  la  reproduction  matérielle  avec  le  spirituel  de 
son  œuvre,  choisir  les  caractères  d'imprimerie,  les  varier  suivant 
la  stature  du  style,  son  demi-jour,  l'attirante  reculée  de  ses 
phrases  en  fluides  arabesques?  Non  pas.  Chaque  éditeur  a  des 
formules  d'impression  et  les  pages  se  numérotent  monotone- 
ment,  tristes  et  grises,  et  s'accroît  aussi  la  fatigue  de  lire.  La  petite 
édition  Charpentier  et  la  petite  collection  Lemcrre,  exemples. 

-Et  sont  là  réunis,  sous  la  pesée  des  mêmes  signes  de  typogra- 
phie, les  De  Concourt,  Flaubert,  Coppéo,  Cladel,  Banville,  Lcconle 
de  Lisle,  Sully-Prud'honmie,  et  personne  ne  proteste  contre  cet 
incommensurable  trait  de  Jocrisse! 

Voit-on  poindre  h  leur  front  les  premières  pousses  du  vert 
laurier  à  tous  ces  bafoués  d'anlan,  vite  qu'on  les  embrigadé  ! 

Et  les  voici  moulés  dans  l'inévitable  formule. 

Les  fadaises  de  Coppée,  l'amplitude  de  Flaubert,  mêmes 
signes  ;  l'inharmonique  subtilité  de  Sully-Prud'homme,  la  fauve 
splendeur  de  Leconte  de  Lisle,  mêmes  signes.  El  Banville  avec 
Cladel,  mêmes  signes,  et  encore  de  Concourt!  Lisez  sans  rage 
dans  ces  mesquines  éditions  Salammbô,  les  Trois  Contes,  les 
Exilés f  la  Fête  Votive^  Renée  Mauperin  !  Notez  que  je  ne  cite 
là  que  les  réputés  maîtres.  Que  dire  des  débutants,  des  tant  naï- 
vement jeunes,  que  tant  d'ineptie  étonne  avec  une  candide  tris- 
tesse, n'en  point  parler?  El  pourquoi?  Toute  œuvre  d'art  mérite 
respect  et  dans  une  œuvre  initiale  il  peut  y  avoir  le  signe  pro- 
chain du  talent  ou  du  génie.  Certes,  les  rivières  ont  beaucoup  de 
secrets,  mais  les  gargotes  des  éditeurs,  si  les  chiffonniers  croche- 
taient dans  leurs  détritus,  que  d'arlisliques  bouquets  étouffés 
parmi  les  cendres  et  les  victuailles! 

Il  arrive  parfois,  par  hasard,  que  la  typographie  soit  identique 
à  l'œuvre  :  les  Poèmes  tragiques,  de  Leconle  de  Lisle,  furent 
superbement  édités  et  ses  autres  poèmes  haussés,  après  la  gloire 
tardive,  par  plus  de  religieux  respect.  Sagesse,  de  Verlaine,  ses 
Fûtes  Galantes,  exemples  intéressants  de  presque  correcte  typo- 
graphie; récemment,  en  Belgique,  l'édition  définitive  de  h  Forge 


Roussel,  d'Edmond  Picard,  fors  l'inexpérienle  reproduction  de 
ses  aocompagnemenls  picturaux,  et  Toques  et  Robes,  de  A.James. 
Les  éditions  de  Poulet-Malassis  sont  réputées.  Pourquoi  ?  La 
seule  première  pnge  est  souvent  jolie  avec  la  gracilité  de  ses 
lettres  rouges  et  noires  et  le  petit  pouillon  mal  équilibré  .sur  un 
désagréable  perchoir,  le  coco  mal  perché.  Les  éditions  de  Lemerre, 
aussi  pourquoi  ?  Sauf  les  Poèmes  tragiques  et  la  réédition  des 
Poèmes  antiques  et  barbares  avec  les  traductions  de  Téminenl 
poète.,  sauf  encore  le  Parnasse  contemporain^  une  rareté  biblio- 
graphique et  le  commencement,  prévu,  d'une  grande  fortune, 
pécuniaire  et  artistique,  hélas! 

Beau  trait  :  pour  être  admis  chez  certain,  poète,  peu  importe 
que  l'œuvre  rêvée  comporte  cinq  cents,  mille  vers  ;  ce  personnage 
n'imprime  que  des  volumes  à  deux  mille  vers,  autant  de  pages, 
autant  de  sous.  Remplis  donc  et  gâche,  sinon  à  plus  lard! 
N'est-ce  pas  monumental  d'ineptie? 

La  plus  parfaite  typographie,  les  plus  subtiles  variantes  dans 
les  caractères  adéquats  aux  fuyantes  perspectives  de  l'œuvre  n'en 
exprimeront  point  l'essence.  Le  manuscrit  imprimé  devient  chose 
quelconque,  tous  livres,  objets  identiques.  Comparez;  ainsi,  les 
ponctuations  manuscrites  et  ces  horribles  taches  qui  représentent 
en  typographie  les  points,  points- virgules,  deux-points,  les 
tirets...,  tout  ce  qui  maintient  le  rythme  et  l'ondulation  de  la 
phrase.  Quelle  tristesse  de  revoir  en  sales  lettrines  la  cursive 
trollc-menuede  Banville!  El  la  notation  musicale,  combien  expres- 
sive et  gracieuse,  manuscrite  :  les  panses  des  rondes  et  sur  des 
fils  téuus  lout  le  piaulement  dés  doubles  et  triples  croches! 
Gravé,  tout  cela  est  vulgaire  et  lourd.  - 

Un  manuscrit  a  sa  physionomie  essentielle  qui  reflète  celle  de 
l'auteur  :  dans  l'écriture,  le  tempérament.  Qui  fait  l'intérêt  de 
l'autographe?  ladevinalion  de  la  plus  secrète  pensée  de  l'artiste 
sous  l'en-allé  de  l'écriture  tantôt  fiévreuse,  tantôt  comme  un 
beau  fleuve,  là-bas,  vers  le  si  bleu  ciel  d'un  évangélique  lointain. 
Le  manuscrit  photographié,  \o\hi  le  livre  futur,  le  respect  vengé 
des  artistes-écrivains  honnis  par  l'avidité  des  commerçants-édi- 
teurs, l'équation  enlre  le  spirituel  de  l'œuvre  el  sa  matérielle 
réalisation.  Plus  d'édiloriales  ignominies;  abolie  celte  énervante 
besogne,  le  corrigé  des  épreuves;  aboli  cet  avilissant  service  de 
presse!  L'écrivain  publiera  son  œuvre  el  la  répandra  suivant  son 
désir  et  désir  toujours  religieux  de  son  art. 

Certes,  les  procédés  de  phololypie  et  de  photogravure  peu 
perfectionnés  encore  entraîneraient  aujourd'hui  peul-êlre  à  plus 
de  frais  que  la  typographie;  mais  le  temps  est  proche  où  le  livre 
imprimé  aura  disparu  chez  les  purement  artistes  et  ne  se  rencon- 
trera que  dans  quelque  canton  désert,  ignoré  de  la  lumière  élec- 
trique et  des  bacilles  virgules. 

Et  en  attendant  les  progrès  de  cet  adjuvant,  la  photographie, 
n'avons-nous  point,  poètes,  la  récitation  :  ne  serait-ce  pas  si  doux, 
comme  autrefois  aujourd'hui  encore  les  joliets  jeux  sous  l'orme  el 
tout  le  gracieux  frivole  des  pays  d'amour?  Si  le  poème  est  bon  ne 
sera-l-il  point  bien  vite  sur  toutes  les  lèvres,  oubliées  les  morali- 
tés en  action  el  tout  le  fatras  des  intempestives  écoles  de  bon  sens  ? 
Et  nous  ne  songerons  plus  à  cette  plainle  de  Shakespeare,  les 
arlisies,  qui  la  redisons  tous  les  soirs  :  «  Il  semble  que  la  Lune 
regarde  avec  des  yeux  humides  et,  lorsqu'elle  pleure,  toutes  les 
fleurs  pleurent  aussi  se  lamentant  sur  quelque  virginité  violée.  » 
Qu'il  est  lointain  encore  ce  Paradis  des  Gens  de  Lettres  que 
xêva  le  doux  Asselineau,  quel  enfer  aux  tournoyantes  flammes, 
ici,  el  non  pas  même  pavé  de  bonnes  intentions! 


J 


«  Dans  un  pays  ferlilc,  aux  villes  opulcnlrs  el  aux  nobles  et 
riants  paysages,  les  gens  de  lettres  accomplissent  leurs  fonctions, 
entourés  de  Teslime  et  de  la  reconnaissance  de  tous,  tantôt  écri- 
vant, dictant  à  des  presses  qui  d'elles-mêmes  impriment  et  corri- 
gent le  texte,  ou  assis  à  des  festins  et  causant  joyeusement  avec 
leurs  amis,  tandis  qu'au  dehors  les  hommes  chantent  et  célè- 
brent leurs  louanges;  ou  se  promenant  avec  de  jeunes  belles, 
vivantes  images  de  leur  génie,  que  leur  pensée  diversifie  et  trans- 
forme, et  la  nuit  servis  par  des  secrétaires-sylphes  lisant  et 
,  notant  avec  soin,  pour  qu'elles  puissent  être  utilisées  au  réveil, 
les  pensées  qui  naissent  et  se  développent  dans  le  cerveau  tou- 
jours en  travail  des  gens  de  lettres  endormis. 

—  «  Que  serions-nous  sans  vous?  • —  Sans  vous,  tout  nous 
serait  ombre  et  ténèbres...  A  vous  nos  plus  beaux  fruits  et  nos 
meilleurs  vins!  A  vous  1rs  prémices  de  nos  troupeaux  et  la  pri- 
meur de  nos  récoltes!  Savourez-les  avec  délice  et  digérez-les  en 
paix  !  El  demain  nos  bras  ouvriront  de  nouveau  la  terre  pour  y 
déposer  la  semence  nouvelle;  demain  nos  mains  cueilleront  de 
nouveaux  fruits  et  des  fleurs  plus  belles;  demain  nous  foulerons 
encore  les  fruits  spiritueux  de  la  vigne  et  nous  répandrons  le 
sang  le  plus  pur  de  nos  troupeaux.  C'est  ainsi  qu'on  parle  aux 
gens  de  lettres,  dans  ce  pays  à  qui  tous  les  autres  devraient  res- 
sembler, et  où,  s'inclinant  devant  eux  avec  les  démonstrations 
du  plus  humble  respect,  un  directeur  de  revue  qui  n'a  qu'un  œil, 
comme  pour  exprimer  la  concentration  de  sa  vigilance  et  de  son 
énergie  sur  un  but  unique,  et  trois  frères  libraires  leur  offrent 
'  humblement,  en  guise  d'hommage,  des  liasses  de  papiers  trans- 
.  parents  ornés  d'une  vignette  bleue...  qui  sont  une  monnaie  du 
pays  ». 

Ces  irréalisables  souhaits,  le  respect  de  l'écrivain  et  le  respect 
de  l'œuvre  par  des  éditeurs  artistes,  quelle  fée,  quel  magicien, 
quel  grimoire  pour  les  susciter?  Evoquerons-nous  les  horrifiantes 
sorcières  de  Macbeth  et  leur  infernal  chaudron,  le  maléficieux 
Klingsor  el  les  félines  caresses  de  Kundry  parmi  les  jeunes  filles- 
fleurs  du  jardin  enchanté?  Notre  temps  est  rebelle  à  la  féerie  : 
XIX®  siècle,  siècle  de  science  et  de  progrès. 

Quel  pamphlet,  l'histoire  par  les  sacrifiés  eux-mêmes  de  toutes 
les  saletés  éditoriales,  le  corollaire,  et  plus  saignant  pout-êjTr^, 
de  celle  des  marchands  de  tableaux  !  Coups  de  brorse,  traits  de 
plume,  cotés.  Cruelle  arrogance  pour  les  débutants,  ignoble  bas- 
sesse aux  pieds  des  glorieux.  Une  œuvre  d'art,  non  pas,  un  écri- 
vain qui  «  rapporte  »;  un  livre,  non  pas,  un  nombie  de  pages! 

Le  manuscrit  admis  et  typographie.  Ton  a  vu  cofnment,  voici 
le  service  de  presse  :  il  faut  que  le  livre  fasse  de  largent,  que  la 
moindre  parcelle  d'art  se  détache  de  ces  pages  déjà  tant  tortu- 
rées par  des  mains  profanes. 

Et  l'on  s'en  va  mendier  de  ces  articulets  à  qui  le  public  —  et 
des  écrivains,  hélas!  —  attache  tellement  de  valeur,  qu'il  va 
découvrir  à  la  fin  de  la  fetnlle,  lorsqu'après  avoir  savouré  les 
faits-divers^  le  bulletin  politique,  la  ville,  bref,  ce  composé 
d'idioties  qu'on  nomme  un  journal,  il  épluche  le  menu-fretin  :  la 
nécrologie,  l'état  civil  et  les  annonces. 

Nous  avons  lu  des  compte-rendus  de  grands  et  beaux  livres 
entre  l'annonce  des  spectacles  du  soir  et  le  boniment  d'un  mar- 
chand de  charbons!  Des  artistes  doivent  encore  passer  sous  ce 
joug,  fouettés  par  leurs  éditeurs!  N'est-il  plus  en  nous  le  plus 
faible  sentiment  de  fierté,  que  nous  subissions  sans  révolte 
ouverte  une  pareille  ignominie? 

Refusons  le  salut  à  nos  confrères  assez  avilis  pour  collection- 


ner avec  les  éloges  des  maîtres  tout  ce  qu'une  presse  complai- 
sante à  prix  d'argent  aligne  d'insultes  ou  d'éloges  banals.  De 
cette  populace  journalistique  éloignons-nous  avec  mépris;  au 
rebours  de  cette  magistrature  si  fièrement  indépendante,  elle  ne 
rend  jamais  la  justice,  elle  ne  rend  que  des  services.  Laissons  la 
s'extasier  sur  tout  ce  que  la  politiquaillerie  évacue  de  brochures 
prud'hommesques,  les  poètes  de  la  zwanze  et  ces  conglommérats 
de  bonshommes  en  baudruche  que  l'on  nomme  académies  ;  mar- 
motter sa  petite  critique  d'art  bourgeoise,  exalter  ou  démolir  le 
Congo  et  publier  in  extenso  les  débats  de  nos  parlementaires,  ces 
Bouvards  et  Pécuchois  entre  les  pattes  desquels  s'éparpillent  en 
gros  sous  les  budgets  des  Beaux-Arts  ;  entre  elle  et  nous  laissons 
l'éloignement  toujours  grandissant. 

Dépendance  vis-à-vis  de  l'édi'eur,  abaissement  devant  le 
journal,  voilà  les  résuliats  de  la  publication  de  ton  œuvre,  artiste 
créateur! 


JOSEPH  LIES 

J'ai  souvent  déploré  la  funeste  habitude  qu'ont  les  artistes  de 
ne  tenir  aucune  comptabilité  des  œuvres  qu'ils  produisent  et  de 
ne  donner  aucune  date  à  leurs  tableaux  ;  il  en  résulte,  au  bout 
de  quelque  temps,  une  confusion  regrettable,  grâce  à  laquelle  on 
peut  leur  attribuer  une  foule  de  choses  pitoyables  et  contester 
raulhenticilé  de  productions  estimables. 

Malgré  le  catalogue  autographe  de  Lies,  précieux  petit  cahier 
que  j'ai  eu  le  bonheur  de  découvrir,  une  foule  de  difficultés  ont 
surgi  pour  moi  dans  les  recherches  fort  longues  auxquelles  je  me 
suis  livré;  que  serait-il  arrivé  si  ce  guide  m'avait  manqué?  Il 
n'est  pas  complet.  L'artiste  y  a  omis  plusieurs  œuvres  qui  mé- 
ritent d'être  signalées,  probablement  parce  qu'elles  avaient  été 
données  par  lui  à  des  amis.  J'ai  complété  l'ensemble  des  titres 
par  la  nomenclature  d'une  foule  d'études  du  plus  vif  intérêt.  Elles 
disent  comment  l'artiste  travaillait,  lui  à  qui  l'on  a  refusé,  pen- 
dant des  années,  le  don  d'inter^irêter  la  nature  ! 

Il  n'est  pas  un  peintre,  au  contraire,  qui  ait,  plus  vivement  que 
Lies,  senti  ce  qu'il  représentait.  Ses  compositions  historiques  sont 
le  résultat  de  longues  recherches  studieuses  au  point  de  vue  du 
fait,  des  costumes  el  des  mœurs;  ses  œ.uvres  champêtres  disent 
la  beauté  de  son  caractère,  la  bonté  de  son  cœur,  en  môme  temps 
que  son  admiration  pour  la  belle  et  douce  nature  flamande. 

Un  de  ses  amis  intimes  me  racontait  dernièrement  les  émotions 
de  Lies  au  milieu  de  la  Campine.  Le  large  cercle  de  l'horizon,  les 
lignes  agréables  et  fines  formées  par  les  villages  lointains,  le  vert 
des  arbres  isolés  ou  des  bois  de  sapin,  le  retlel  du  soleil  sur  les 
montagnes  de  sable,  la  surface  indescriptible  des  étangs  oii  le 
ciel  se  reflète  si  diversement  suivant  les  heures  du  jour  et  l'in- 
tensité de  la  lumière,  tout  cela  l'émerveillait.  Les  moindres 
plantes  excitaient  son  admiration.  Les  perles  que  la  rosée  dépose 
sur  les  toiles  d'araignée,  quand  les  nuits  commencent  à  devenir 
fraîches,  il  les  regardait  briller  jusqu'à  ce  que  le  soleil  les  eût 
fondues.  Le  beau  scarabée  parti  en  chasse,  d'un  pas  délibéré  et 
d'un  air  qui  ne  doute  de  rien,  provoquait  sa  gaîté.  Le  vent  qui 
emplit  les  sapinières  d'un  murmure  semblable  à  celui  de  la  mer 
dilatait  ses  poumons  au  point  de  lui  arracher  les  exclamations 
de  joie.  Il  se  faisait  cuire  au  soleil,  paresseusement  étendu 
sur  le  dos,  le  visage  caché  par  le  bord  de  son  chapeau,  et 
l'esprit  occupé  de  poésie.  Il  rêvait,  il  s'exaltait,  il  philosophait, 


V 


quand  il  n'était  pas  venu  là  pour  dossinor  ou  peindre.  Personne 
n'était  plus  heureux  que  lui,  au  milieu  des  riens  qui  sont  des 
bonheurs  pour  ceux  qui  savent  voir,  réfléchir,  interroger. 

Cela  fait  qu'en  face  d'un  tableau  de  Lies,  notre  pensée  voyage 
sans  cesse  autour  de  quelque  chose  de  délicat,  d'élevé,  de 
rêveur  et  d'indéfini...  Ce  quelque  chose,  c'est  la  rêverie  de  Lies. 

Plus  je  l'étudié,  et  il  y  a  dix  ans  que  cela  dure,  plus  je  l'appré- 
cie à  sa  valeur.^Plus  je  découvre  de  ses  œuvres,  plus  je  m'étonne 
dé  certains  jugements  portés  sur  lui. 

J'avouerai,  avec  la  plus  entière  nqïveté,  qu'au  commencement 
de  mes  recherches,  je  désirais  vivement  par  simple  curiosité, 
découvrir  de  ses  lellres;  on  le  donnait  comme  spirituel,  rieur  h 
ses  heures  et  homme  de  tact.  Dès  que  j'eus  une-liasse  de  ses 
écrits,  je  redoutai  d'y  découvrir  des  points  noirs.  C'est  le  corî- 
traire  qui  arriva.  Non  seulement  Lies  est  un  maître,  niais  un 
écrivain  sensiblement  au  dessus  de  la  movcnne  et  un.  homme 
de  grande  valeur  morale.  On  sent,  à  une  foule  de  détails, 
qu'il  a  considérablement  lu,  et  étudié  tout  ce  qui  concerne  son 
art.  Sa  phrase  coule  de  source  ;  elle  est  imagée,  i)oétique.  Ses 
lettres  sont  remplies  de  traits  qui  charment,  amusent  ou 
instruisent. 

Elles  me  sont  venues  de  divers  côtés.  Certains  amis  y  tiennent 
comme  à  des  reliques;  d'autres  les  ont  anéanties.  Un  heureux 
hasard,  en  sauva  un  grand  nombre.  Lorsque,  après  la  mort  de 
Lies,  on  procéda  à  l'inventaire  de  ses  biens  fort  modestes,  le 
notaire  ouvrit  un  secrétaire  où  dormaient  de  nombreux  papiers. 

—  D'abord,  dit-il,  mettons  de  côté  toutes  les  choses  inutiles. 
Une  corbeille  fut  vite  remplie".  Qu'en  faire? 

—  Mais.ce  n'est  bon  qu'à  brûler!... 

Et  on  allait  livrer  tout  cela  au  feu,  quand  une  petite  fille  s'écria  : 

—  Je  ne  veux  pas,  moi  !  Les  lettres  de  l'oncle  Joseph...  Je  les 
garderai. 

Elle  les  garda,  mais  que  pouvait-elle  en  faire?  Les  années  se 
passèrent  et^  un  beau  jour,  on  descendit,  pour  moi,  la  corbeille 
du  grenier.  C'est  d'elle  que  j'ai  tiré  les  jolies  choses  que  je 
publierai  bientôt. 

Lies  avait  un  respect  très  grand  pour  sa  mère.  A  la  mort  de 
celle-ci,  il  garda,  avec  un  soin  pieux,  tout  ce  que  l'excellente 
femn^  avait  conservé  des  lettres  de  ses  enfants.  Par  un  bonheur 
inattendu,  tout  le  voyage  de  l'artiste,  en  France,  en  Italie  et  en 
Suisse  est  complet.  *  -         . 

Ces  lellres  n'indiquent  aucune  préoccupation  de  la  part  de 
l'artiste;  elles  doivent  rester  dans  le  cercle  de  la  famille.  C'est 
seulement  pour  les  siens  qu'il  parle.  Ce  qu'il  faisait  au  foyer 
maternel,  il  continule  à  le  faire  en  voyage,  lui  dont  le  talent  de 
conteur  était  si  remarquable.  Nul  ne  disait  mieux  que  lui  ;  il 
savait,  d'un  rien,  faire  quelque  chose.  La  question  la  plus  ardue, 
il  la  présentait  sous  une  forme  aussi  facile  qu'ingénieuse  ;  Fhis- 
torieite  la  plus  gaie,  il  la  disait  avec  une  finesse  et  une  joie  con- 
tenue qui  arrachaient  le  rire  et  les  larmes  à  ceux  qui  l'enlendaienl. 
Lies  ne  connaissait  la  trivialité  en  rien  ;  il  ne  supportait  pas  faci- 
lement un  propos  risqué  et  il  s'éloignait  silencieusement  de  ceux 
qui  parlaient  de  choses  grossières.  Ses  amis  les  plus  intimes 
comptaient  parmi  les  hommes  les  plus  distingués  et  les  plus 
instruits  :  avocats,  médecins,  savants,  professeurs,  magistrats  ou 
fonctionnaires  du  gouvernement. 

A  part  quelques  intimes,  il  recherchait  peu  les  artistes.  Bien 
avec  tous,  il  ne  les  fréquentait  que  là  où  le  devoir  l'appelait, 
principalement  au  Cercle  artistique,  dont  il  s'occupa  huit  années. 


avec  un  zèle  et  un  tact  merveilleux.  Lies  savait  qu'en  général 
l'artiste  travaille  peu  à  son  éducation  seconde,  à  son  instruction 
spéciale,  à  son  perfectionnement  moral.  L'artiste  se  croit  trop  un 
être  privilégié  et  cette  persuasion  semble  le  dispenser  de  toute 
culture  propre  à  grandir  son  moi.  C'est  à  cette  prétention  qu'il 
faut  attribuer  la  décadence  de  l'art.  Dans  les  pays  où  le  goût  est 
plus  développé  et'où  les  études  faites  amènent  les  artistes  à  des 
conceptions  en  rapport  avec  l'élévation  de  leur  pensée,  on 
reinarque,  par  exemple,  que  sous  la  force  du  coloris,  il  y  a  un 
dessin  parfaitement  en  harmonie  avec  la  valeur  artistique  du 
peintre.  Là,  au  contraire,  où  la  pensée  est  moins  châtiée,  moins 
habile,  moins  agissante,  moins  éclairée,  moins  armée  de  connais- 
sances premières  qui  font  l'homme  de  goût,  de  tact  et  de  distinc- 
tion, le  coloris  l'emporte  sur  le  dessin,  parce  que  l'artiste  con- 
centre son  attention  sur  la  couleur  au  lieu  de  faire  servir  celle-ci 
h  la  composition,  à  la  sincérité,  à  la  Yorce  réelle  et  intime  de  son 
œuvre. 

Les  Flamands  d'aujourd'hui  consentent  trop  volontiers  à  n'être 

que  des  coloristes;  les  grands  Flamands,  nos  maîtres  (VautrefoiSy 

comme  l'a  si  bien  dit  Fromentin,  étaient  aussi  bons  dessinateurs 

que  coloristes  distingués.  .  - 

Emile  Lefèvre. 
\La  fin  prochainenietit.) 


yHÉyVTF(E    DE    LA    ^ONNAIE 

La  Favorite  ' 

Le  ténor  de  traduction,  Emile  Engei,  engagé  récemment  par 
M.  Verdhurf,  s'est  présenté  au  public,  mercredi,  dans  le  rôle  de 
Fernand  de  la  Favorite. 

Il  a  complètement  réussi.  , 

La  voix,  faible  au  début,  peu  à  peu  s'est  affermie,  développée, 
assouplie,  se  dévoilant  enfin,  |)ure  et  belle,  aux  auditeurs  enthou- 
siasmés. On  a  prodigué  les  applaudissements  et  les  rappels  à 
l'heureux  déhutant,  qui,  bien  loin  de  subir  l'inévitable  émotion, 
se  donnait  tout  entier,  «  s'emballait  »,  et  parfois,  même,  n'évitait 
point  des  cris  intempestifs. 

Disons  que  l'acteur  est  beaucoup  moins  guindé  que  la  plupart 
de  ses  congénères  ;  il  n'est  point  de  ces  ténors  à  accroche-cœurs 
et  gestes  en  rond;  il  a  la  virilité  élégante  et  sans  rudesse,  et  un 
jeu  souvent  chaleureux.  M.  Engel  a  eu  comme  acteur,  aux 
deuxième  et  troisième  actes,  de  très  bons  mouvements  :  le  chan- 
teur, lui,  était  accepté,  dès  son  premier  air. 

Que  le  nouvel  admis  choisisse  avec  discernement  ses  rôles  — 
créations  ou  reprises  —  en  conformité  avec  le  caractère  de  sa 
'  voix  relativement  peu  étendue  et  de  force  plutôt  moyenne,  et 
voici  tout  un  genre  d'œuvres  à  mi-chemin  de  l'opéra  comique  et 
du  grand  opéra  assuré  d'exécution  aussi  parfaite  que  l'opéra 
comique,  ressuscité,  peut-on  dire,  à  Bruxelles  grâce  au  talent  de 
ses  interprètes.  Nous  souhaitons  plutôt  des  créations  que  des 
reprises,  en  entendant  par  créations  des  reprises  d'opéras  de 
Mozart,  par  exemple,  ou  de  Grétry,  ou  de  Weber,  et  le  délaisse- 
ment prochain  d'un  répertoire  non  point  de  vieilles  choses  mais 
qui  nous  paraît  «  perruque  »  cl  «  pompier.  » 

Souhaitons  aussi  le  relèvement  définitif  du  grand  opéra,  dont 
M.  Villarel  nous  a  représenlé  les  respectables  traditions.  Souhai- 
tons enfio^une  marche  en  avant  —  elle  ne  peut  être  différée  — 
vers  cet  art  de  Vavenir  qui  est  bien  celui  du  présent,  malgré  quel- 


Â, 


qiies  sifflets  imbéciles.  Prenez  garde,  M.  Verdhiirl,  de  mécon- 
Icnler  tout  le  monde  en  cherchant  à  ménager  toutes  les  sensibi- 
lités; assez  de  l'art  factice,  sans  vie  ancienne  et  sans  vie  future  : 
atiaquez-voiis  résolument  au  drame  lyrique,  non  pas  pour  ce 
peu  rémunérateur  orgueil  de  faire  de  l'art  pour  l'art,  mais  pour 
financer,  —  car,  hélas,  un  directeur  de  théâtre  est  forcément  un 
commerçant.  Nous  sommes  persuadés  que  de  fructueuses  recettes 
récompenseraient  une  pareille  tentative;  une  inconsciente  fatigue 
paralyse  les  applaudissements  du  public  :  réveillez-le  par 
l'influence  de  Part  nouveau. 

'  Voici  donc  M.  Engel  admis,  et  à  l'unanimité.  Un  débutant,  s'il 
réussit,  accapare  tous  applaudissements.  Mais  là  sincérité  critique 
nous  oblige  à  applaudir  tous  les  participants  h  cette  représen- 
tation de  la  Favorite,  dont  se  félicite  le  directeur.  Le  talent  dra- 
matique deM"'"  Monialba  a  pu  se  dévoiler  jîomplètement  dans  la 
dernière  scène,  où  malgré  le  ridicule  de  la  réalisation  musicale, 
on  sent  quelque  chose  passer  sous  les  notes  ;  la  cantatrice  s'est 
trouvée  un  peu  gênée  dans  un  rôle  très  en  dehors  de  sa  voix. 
Quant  à  M.  Bérardi,  il  est  peut-être  trop  unitonalement  sonore. 

Les  chœurs,  très  exercés  et  1res  bien  conduits,  ont  sauvé  avec 
adresse  le  fameux  «avec  son  déshonneur  »  très  malheureuse- 
ment corrigé  par  M.  Dupont;  Laissez  lui  donc  son  rythme,  à  ce 
«  qu'il  reste  seul  ».  Il  est  stupide,  il  est  idiot,  mais  amusant, 
mais  de  l'époque. 

Quelques  corrections  h  la  mise  en  scène  sont  indispensables, 
dès  aujourd'hui,  en  attendant  nne  réforme  complète  :  il  y  a 
là  au  troisième  acte  des  moines  —  des  moineleltes  plutôt  —  en 
souliers  de  baJ,  bràcekîts  au  poignet;  et  pourquoi  les  «  premiers 
sujels  »  ont-ils  des  frocs  du  «  bon  faiseur  »,  et  tous  les  autres, 
des  frocs  assez  semblables  comme  coupe  à  ces  uniformes  de 
pioupions  que  l'on  fabrique  par  masses  dans  les  prisons? 


<![az;ette  de  ]4oi-J-andi: 

Amsterdam,  20  novembre  1885. 

Le  souffle  d'intransigeance  qui  anime  les  groupes  d'artistes 
et  de  littérateurs  dans  tous  les  pays,  commence  depuis  quelques 
années  k  pénétrer  aussi  en  Hollande.  Peu  à  peu,  lentement,  mais 
sûrement,  les  jeunes  commencent  à  se  faire  une  place. 

Ainsi  vient  de  paraître  le  premier  numéro  d'une  revue  nou- 
velle. De  Nieuwe  Gids,  rédigée  cniièrement  par  des  jeunes  gens 
dont  le  but  est  de  créer  un  organe  propagateur  des  idées  en  rup- 
ture avec  les  conventions  vieillies.  Nous  souhaitons  à  ce  premier 
ne  un  succès  durable.  Vient  de  paraître  aussi  un  volume  de  nou- 
velles îi  tendances  franchement  naturalistes,  signé  du  pseudo- 
nyme Cooplandt. 

De  même,  l'Exposition  annuelle  de  la  Société  Arii  et  Amitia 
s'épure  petit  à  petit  ;  c'est  que  les  jeunes  artistes  sont  parvenus 
à  pénétrer  dans  le  jury.  Ce  qui  était  une  collection  de  médio- 
crités où  l'on  trouvait  avec  peine,  perdues  dans  les  frises, 
quelques  rares  toiles  de  valeur,  est  absolument  transformé. 
Les  œuvres  des  impressionniste^ y  nom  que  l'on  donne  ici  à 
tous  les  peintres  qui  sortent  de  la  routine,  sont  beaucoup  plus 
nombreuses  qu'autrefois  et  généralement  bien  placées.  Parmi  les 
exceptions  se  trouvent  malheureusement  les  tableaux  de  Toorop; 
une  Vue  de  la  Tamise^  pleine  de  vie  et  de  mouvement,  est 
suspendue  dans  le  voisinage  immmédiat  du  plafond. 


A  la  rampe  :  des  Josef  Maris,  Willem  Maris,  Mesdag,  Mauve, 
de  Bock,  Blommers,  Ter  Meulen,  Daniel  et  Pierre  Oyens,  Offer- 
mans. 

Neuhuys  est  représenté  par  deux  toiles  fort  belles,  dont  l'une,  un 
portrait  d'enfants,  est  une  merveille  de  distinction;  Breitner,  par 
une  œuvre  d'un  coloris  puissant.  Jan  van  Espen  attire  l'attention. 
Son  Lion,  aquarelle  de  grand  formai,  est  d'un  travail  vraiment 
remarquable.  Jan  Velh  expose  un  portrait  très  vivant,  d'une  belle 
facture.  A  citer  encore  :  de  bons  paysages  de  Basterl,  de  Gabriel, 
de  Tholen,  Un  Berger  de  Witsen,  un  portrait  très  distingué  de 
H.  Vos.  Enfin,  les  envois  de  Wijsmuller,  de  Poggenbeek,  de 
Mil®  Moes,  et  l'exhibition  très  intéressante  du  Club  d'aqua' 
(artistes,  un  début  dont  nous  aurons  l'occasion  de  reparler, 
lorsque  son  premier  album  d'eaux-forlcs  aura  vu  le  jour. 

Etant  à  Amsterdam,  disons  quelques  mots  du  Rijksmuseum 
du  fameux  musée  dont  on  parle  de  plus  en  plus,  la  première 
impression  de  stupeur  passée. 

Immédiatement  après  l'ouverture,  nous  n'avons  pas  osé  nous 
prononcer,  ne  nous  fiant  pas  à  nos  impressions  premières,  très 
vives,  mais  peut-être  superficielles. 

Des  promenades  recueillies  ont  confirmé  notre  première  opi- 
nion à  l'égard  de  ce  bâtiment  bûtard,  sorte  d'Eden -Théâtre  à 
escaliers  et  couloirs  de  monastère  byzantin,  ressemblant  à  beau- 
coup de  choses,  sauf  à  un  musée. 

Navrant  spectacle  que  celui  de  ces  millions  dépensés,  du  tra- 
vail énorme  accompli  par  une  pareille  erreur! 

Il  est  inconleslable  que  dans  rornementation,  dans  l'architec- 
ture, il  y  a  des  morceaux  de  mérite,  de  grand  mérite  môme  ; 
que  sur  les  deux  ou  trois  cents  salles,  il  en  est  d'excellentes,  par 
exemple  les  petites,  qui  sont  éclairées  de  côté  par  une  immense 
baie  d'atelier  et  où  les  Terburg,  les  Paul  Potter,  les  Kalf  du  Trip- 
penhuis  apparaissent  plus  rayonnants  que  jamais  ;  que  les 
tristes  toiles  dos  Pienemah  et  de  la  pauvre  école  de  1830  sont 
dans  une  salle  tout  k  fait  excellente  comme  jour;  que  la  salle  de 
la  Collection  van  der  Hoop  permet  de  jouir  des  merveilles 
qu'elle  contient  comme  jamais  on  n'avait  pu  le  faire  auparavant. 
C'est  indéniable.  Mais  les  Rembrandt,  /«  Ronde  de  Nuit  et  les 
Syndics,  pour  lesquels  on  a  voulu  faire  une  salle  spéciale,  de 
grand  luxe,  un  sanctuaire  (excellente  idée),  sont  absolument 
détruits  par  l'éclairage  de  cave,  les  fonds  d'une  couleur  fausse, 
la  mosaïque  blanchâtre  du  parquet,  les  ors  neufs  et  criards  qui 
détonnent,  aigres,  autour  de  ces  chefs-d'œuvre  de  couleur  et  de 
lumière. 

La  Ronde  de  Nuit  semble  creuse  et  jaune;  le  parquet,  plus 
éclairé  que  la  toile,  est  plus  clair  que  les  lumières  du  tableau  et 
se  reflète  dans  les  ombres.  Si  bien  que  Ch.  Waltner,  de  la  Gazette 
des  Beaux-Arts,  n'a  pu  retrouver  certaines  figures  qu'il  avait 
vues  dans  les  fonds  du  tableau  au  Trippenhuis,  et  qu'il  a  repro- 
duites dans  son  eau-forte  ! 

Les  Syndics,  c'est  à  peine  si  on  s'arrête  en  passant  pour  les 
contempler!  On  a  placé,  pour  comble  de  malheur,  contre  le 
cadre,  un  divan  jus  de  groseille  sur  lequel  s'assoient  les  prome- 
neurs harassés,  épongeant  leur  crânes  qui  luisent,  étrangement 
crus,  devant  la  toile  sonore  du  peintre. 

Sur  cette  salle  entièrement  manquée  s'ouvre  une  autre  salle 
longue,  espèce  de  vestibule,  garni  de  petits  cabinets  tout  k  fait 
particuliers  grâce  aux  portières  de  peluche  qui  en  ferment  pres- 
que l'entrée  et  empêchent  tout  recul,  lequel  est  d'ailleurs  rendu 
impossible  par  leur  exiguïté.  Ici  aussi  les  tableaux  ne  reçoiven. 


qu'un  jour  furlif,  hypocrite.  Le  Repas  des  Arquebusiers  de  van 
der  Helsl  est  réduil  à  une  bonne  oléographie. 

Quel  coup  de  balai  il  faudra  pour  arracher  toutes  ces  fripe- 
ries, pour  salir  toutes  ces  petites  taches  persillées,  jaunâtres, 
rosâtres,  verdiltres,  dorées,  qui  attirent  les  regards  ;  pour 
simplifier  les  peintures  des  murs  qui  représentent,  par  place,  des 
briques  plus  ijrandes  que  nature  {peintes  comme  sur  les  décors 
de  théâtre),  et  auxquels  sont  appendues  d'autres  portières  de 
peluche  ! 

Oh!  ce  style  de  tapissier^  cet  amalgame  de  niaiseries  gothi- 
ques, de  luxe  de  mauvais  lieu,  de  tout,  sauf  de  goût  ! 

On  dit  que  l'orage  gronde,  que  les  artistes,  blessés  dans  leur 
religion  suprême,  pousseront  un  cri.  Sera-t-il  écouté?  Il  faut  l'es- 
pérer, car  placer  des  tableaux  tels  que  ceux  d'Amsterdam  d'une 
manière  aussi  honteuse,  est  un  blasphème. 

Nous  avons  entendu  des  artistes,  des  plus  grands,  dire  que 
c'était  à  en  pleurer,  et  qu'ils  ne  remettraient  plus  les  pieds  dans 
cet  édifice,  tant  que  Rembrandt  y  serait  profané  de  la  sorte. 


CORRESPONDANCE  MUSICALE  DE  PARIS 

Les  nouvelles  de  la  semaine  se  bornent  à  une  opérette  de 
MM.  Burani  et  llumberl,  musique  de  M.  Messager,  représentée 
aux  Folies-Dramatiques.  L'ouvrage  a  nom  :  la  Fauvette  du 
Temple-,  temple,  par  évocation  du  grand  marché  au  brocantage 
situé  au  3®  arrondissement  de  notre  bonne  ville  de  Paris,  fauvette, 
pour  désigner  une  jeune  fille  douée  d'une  voix  ravissante.  Au 
reste,  le  temple  et  la  fauvette  y  sont  pour  peu,  et  ce  qui  domine 
dans  la  pièce  ce  sont  les  coups  de  fusil  avec  les  Bédouins,  en 
nous  reportant  au  moment  de  la  conquête  de  l'Algérie.  C'est  donc 
presque  une  œuvre  militaire  que  nous  avons  là  et  qui  fera  suite 
à  la  Fille  du  Tambour-Major,  le  centième  ouvrage  de  feu  Otfen- 
bach. 

Il  faut  croire  que  la  pièce  de  MM.  Burani  et  Humbert  était  fort 
peu  valide  puisque  on  la  soignait  encore,  deux  heures  avant  le 
lever  du  rideau;  on  venait  de  l'amputer,  de  la  recoudre  et  de 
tâcher  de  la  mettre  sur  ses  pieds  tant  bien  que  mal.  A  vrai  dire, 
nous  sommes  si  habitués  au  décousu  de  ces  sortes  d'ouvrages 
que  nous  n'y  avons  pas  pris  garde  ici  plus  qu'ailleurs,  et  puis,  je 
vous  l'ai  dit,  les  coups  de  fusil  sont  là  pour  servir  de  dénoue- 
ment à  tout  ce  qu'on  veut,  et  à  défaut  d'intérêt  la  pièce  a  du 
mouvement. 

Le  musicien,  M.  Messager,  est  un  des  brillants  élèves  de  l'école 
Niedermeyer,  qui  ne  devrait  produire  que  des  organistes.  Aussi, 
dès  sa  sortie,  M.  Messager,  s'est-il  mis  à  écrire  des  ballets  pour 
les  Folies-Bergère,  se  rappelant  parfois  ses  études  sérieuses  au 
contact  de  MM.  Sainl-Sacns,  Fauré,  d'Indy,  Camille  Benoît,  Cha- 
brier,  dont  il  est  le  condisciple  à  la  Société  nationale  de  musique. 
Mais  depuis  quelque  temps  il  n'y  faisait  plus  que  de  courtes  appa- 
ritions, tout  occupé  d'écrire  de  la  musique  de  rapport.  C'est 
ainsi  que  nous  lui  devons  François  les  Bas-Bleus,  des  airs  de 
ballet  i)Our  le  Petit  Poucet,  la  Fauvette  du  Temple  d'aujourd'hui, 
et  la  Béarnaise  de  demain  aux  Bouffes,  puis,  pour  couronner 
l'éilifice,  le  futur  ballet  des  Deux  Pigeons  à  l'Opéra,  niveau  au- 
dessous  duquel  il  ne  descendra  plus  dans  la  suite,  nous  osons 
l'espérer.  M.  Messager  n'en  est  pas  aux  expédients  pour  vivre, 
c'est  donc  uniquement  pour  se  faire  la  main,  pour  se  créer  un 
nom,  pour  se  caler,  même  par  un  succès  de  musiquette,  qu'il  a 
doté  le  monde  musical  d'une  opérette  de  plus.  Tant  pis  pour  lui 
et  pour  nous,  car  ce  n'est  pas  son  fort. 

La  musique  de  M.  Messager  est  fine,  soignée,  rythmée  pour 
les  besoins  de  la  circonstance  mais  sans  originalité,  et  c'est  une 
erreur  de  croire  qu'à  défaut  de  théâtre  lyrique  les  compositeurs 
y  destinés  peuvent  changer  leur  fusil  d'épaule  et  viser  l'opé- 
rellc;  il  faut  un  don,  un  diable  au  corps,  l'entrain  des  Often- 


bach,  Hervé  et  Lecocq,  et  se  sentir  vraiment  porté  vers  ce  genre 
de  musique.  La  plupart  de  nos  eompositeurs  se  laissent  séduire 
par  la' facilité  du  genre,  et  voilà  tout:  pour  d'autres,  comme 
pourM.  Messager, c'est  un  moyen  d'arriver  et  ils  s'y  cramponnent. 
Aussi  ne  manquerons-nous  jamais  d'opérettes;  il  y  a  trois 
théâtres  qui  se  disputent  la  clientèle,  et  quelle  consommation  ils 
font! 

M.  MQssager  va-l-il  passer  du  coup  à  la  renommée?  Non, 
mais  il  s'y  achemine  par  le  moyen  d'œuvres  soignées  dont  il 
espère  avoir  la  commande.  Quant  à  la  Fauvette  à  laquelle  le 
compositeur  a  donné  le  jour,  comme  par  dédain,  elle  pourrait 
bien  ne  s'en  pas  porter  plus  mal  et  faire  son  nid  comme  toute 
autre,  sans  rancune  pour  son  auteur. 

GUTELLO. 


f 


ETITE    CHROJSfIQUE 


M.  Franz Rummel,  qu'on  n'a  plus  entendu  en  public  à  Bruxelles 
depuis  nombre  d'années,  viendra  prochainement  donner  à 
Bruxelles  un  concert  à  la  Grande  Harmonie.  La  date  de  ce  con- 
cert est  fixée  au  10  décembre. 


L'Union  de  Jeunes  Compositeurs  belges,  fondée  dans  le  but 
de  faire  connaître  les  œuvres  de  jeunes  auteurs  nationaux,  don- 
nera cet  hiver  trois  séances  musicales,  dont  une  à  grand  orches- 
tre, cliœurs  et  soli. 

Le  premier  concert  aura  lieu  le  jeudi  3  décembre,  à  8  heures 
précises  du  soir,  dans  le  local  de  l'a  Grande-Harmonie,  rue  de  la 
Madeleine. 

Le  prix  d'abonnement  pour  les  trois  séances  est  de  iO  francs. 
Le  prix  d'entrée  par  séance  est  de  \  francs. 

On  nous  annonce  de  Malines  que  M.  Edgard  Tinel  organise 
dans  cette  ville,  j)Our  le  29  novembre,  un  grand  concert,  aVec  le 
concours  de  M"e  FI.  Baeck,  soprano;  de  MM.  Lucien  Tonnelier, 
pianiste  ;  E.  Van  Hoof,  baryton  et  L.  Van  Hoof,  ténor,  du  Chœur 
de  Dames,  des  sociétés  l'Aurore  et  S.  Grégoire,  etc.  Le  pro- 
gramme est  composé  d'œuvres  du  jeune  maître,  entre  autres  :  la 
cantate  Klokke  Roeland,  les  Marialiederen,  la  ballade  DrieRid- 
ders,  etc.  On  peut  se  procurer  des  caries  d'entrée,  aux  prix  de 
3  fr.,  2  fr.,  et  i  fr.,  chez  MM.  Laenen-Verhulst,  Mélane  1, 
Paul  Rvckmans,  Chaussée  58,  et  Aucr.  Schevvaerts,  avocat, 
Grand'Place,  26. 

Le  concert  de  M.  Heuschling,  que  nous  avons  annoncé  déjà, 
est  fixé  au  samedi  42  décembre.  Il  aura  lieu  à  la  salle  Marugg, 
15,  rue  du  Bois-Sauvage,  à  8  1/2  heures,  et  le  programme  en  est 
extrêmement  attrayant.  L'excellent  baryton  interprétera  entre 
autres  :  le  Pauvre  Pierre,  trois  lieder  très  peu  connus  de 
Schumann;  le  Poème  d^ Amour,  d'Auguste  Dupont,  poésie  de 
Lucien  Solvay;  des  mélodies  de  Biz  t,  de  Gounod  et  de  nos 
auteurs  :  Radoux,  Huberti,  Michotle,  Deppe,  Woulers,  etc.  Le 
prix  des  places  est  de  5  francs. 

Les  journaux  de  Verviers  constatent  le  succès  obtenu  par  la 
conaSdie  de  M.  Edmond  Duesberg,  Décoré!  une  spirituelle  satire, 
dirigée  contre  les  monomanes  du  ruban,  et  par  conséquent 
une  pièce  totile  d'actualité. 

Une  nouvelle  revue  jeune,  La  Gerbe,  petite  revue  artistique, 
littéraire  et  scientifique,  paraissant  le  l*^''et  le  lodochaque  mois, 
vient  d'éclore  à  Paris.  Son  progranmie  est  résumé  en  ces  lignes  : 
Donner  à  de  jeunes  auteurs  un  moyen  de  produire  leurs  écrits, 
leurs  pensées,  et  partant,  de  les  soumettre  à  la  critique  publi- 
que. Rappeler  au  souvenir  les  hommes,  écrivains  et  artistes,  dont 
le  nom  tombe  en  un  oubli  immérité.  Rendre  un  juste  hommage 
aux  œuvres  modernes  et  contemporaines.  Enfin  tenir  ses  lecteurs 
au  courant  des  faits  récents  qui  honorent  et  les  lettres  et  les  arts 
cl  les  sciences. 


380 


UART  MODERNE 


CINQUIÈME  ANNÉE 

L'ART  MODERNE  s'est  acquis  par  l'autorité  et  l'indépendance  de  sa  critique,  par  la  variété  de  ses 
informations  et    les   soins  donnés   à  sa   rédaction  une  place  prépondérante.   Aucune   manifestation  '  de  l'Art  ne 

lui  est  étrangère  :  il  s'occupe  de  littérature,  de  peinture,  de  sculpture,  de  gravure,  de  musique, 

d'architecture,  etc.  Consacré  principalement  au  mouvement  artistique  belge,  il  renseigne  néanmoins  ses 
lecteurs  sur  tous  les  événements  artistiques  de  l'étranger  qu'il  importe  de  connaître. 

Chaque  livraison  de  L'ART  MODERNE  s'ouvre  par  une  étude  approfondie  sur  une  question  artistique 
ou  littéraire  dont  l'événement  de  la  semaine  fournit  l'actualité.  Les  expositions,  les  livres  nouveaicx,  les 
premières  représentations  d'œuvres  dramatiques  ou  musicales,  les  conférences  littéraires,  les  concerts^  les 
ventes  dohjets  cTart,  font  tous  les  dimanches  l'objet  de  chroniques  détaillées. 

L'ART  MODERNE  relate  aussi  la  législation  et  la  jurisprudence  artistiques.  Il  rend  compte  des 
procès  les  plus  intéressants  concernant  les  Arts,  plaides  devant  les  tribunaux  belges  et  étrangers.  Les 
artistes  trouvent  toutes  les  semaines  dans  son  Mémento  la  nomenclature  complète  des  expositions  et 
concours  auxquels  ils  peuvent  prendre  part,  en  Belgique  et  à  l'étranger.  Il  est  envoyé  gratuitement  à 
l'essai  piendant  un  mois  à  toute  personne  qui  en  fait  la  demande. 

L'ART  MODERNE  forme  chaque  année  un  beau  et  fort  volume  d'environ  450  pages,  avec  deux 
tables  des  matières,  dont  Vune  piar  ordre  alphabétique,  de  tous  les  artistes  appréciés  oic  cités.  Il  constitue  pour 
l'histoire  de  l'Art  le  document  LE  PLUS  COMPLET  et  le  recueil  LE  PLUS  FACILE  A  CONSULTER. 


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Quelques  exemplaires  des  quatre  premières  années  sont  en  vente  aux  bureaux  de  L'ART  MODERNE, 
rue  de  l'Industrie,  26,  au  prix  de  30  francs  chacun. 


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Bruxelles.  —  Imp.  Félix  Callewaert  père.  —  V'  Monnom,  successeur,  rue  de  l'Industrie,  26. 


u 


,  Cinquième  année.  —  N°  48. 


-.  Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  29  Novembre  1885. 


L'ART 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


RE¥UE  CRITIQDB  DBS  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,   un   an,   fr.   10.00;  Union  postale,   fr.    13.00.    —   ANNONCES   :    On   traite   à  forfait. 

Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 

l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


^OMMAIRE 


Comment  on  dirige  un  théâtre.  Première  lettre.  —  Joseph  Lies. 
Deuxième  article.  —  Chronique  littéraire.  Le  journal  d'un  officier 
tnctl(/ré  lui,  par  Tlieo-Critt;  Péché  mortel,  par  André  Theuriet; 
Rosa  Mystica,  par  Stanislas  de  Guaita.  —  Les  théâtres.  Théâtre 
de  rAlcazar.  La  Guerre  joyeuse  ;  Théâtre  Molière.  PiccoUno  et  les 
Danicheff.  —  Concert  au  Conservatoire.  —  Correspondance  musi- 
cale DE  Paris.  —  Bibliographie  musicale.  —  Petite  chronique. 


COJUIEKT  ON  DIRIGE  UN  THEATRE. 

Première  lettre. 

A  Monsieur  le  Directeur  de  l'Art  moderne. 

Est-il  possible  de  fixer  les  règles  d'après  lesquelles 
doit  être  dirigé  un  théâtre  lyrique  comme  celui  de  la 
Monnaie  à  Bruxelles.  Voilà,  mon  cher  Directeur,  la 
question  que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de  me  poser 
en  me  flattant  par  ma  qualité  de  très  ancien  amateur 
de  musique  et  de  très  vieil  abonné  de  notre  Opéra. 
Cette  consultation,  vous  la  jugez  opportune,  dites-vous, 
en  présence  des  opinions  contradictoires  qu'on  énonce 
dans  les  journaux  de  la  capitale  depuis  que  la  direc- 
tion Verdhurt  a  remplacé  la  direction  Stoumon  et  Cala- 
brési,  chacun  formulant  ses  éloges  ou  ses  critiques, 
donnant  ses  avis,  exprimant  ses  craintes  ou  ses  espé- 
rances. Vous  trouvez,  non  sans  raison,  qu'il  est  difficile 
de  se  reconnaître  au  milieu  de  ce  tohu-bohu  plus  com- 
pliqué qu'une  discussion  parlementaire  ;  vous  supposez 
qu'il  y  a  là  beaucoup  de  jugements  téméraires;  vous 


vous  demandez  s'il  n'existe  pas  des  considérations 
pratiques,  inaperçues  des  profanes,  de  nature  à  résoudre 
le  problème,  simplement  et  péremptoirement. 

Vous  ne  vous  trompez  pas. 

A  ma  qualité  extérieure  d'amateur  et  d'abonné,  j'en 
ai  joint  une  autre,  plus  discrète  :  celle  de  commandi- 
taire. J'ai  eu,  dès  lors,  bien  légitimement,  je  pense,  des 
préoccupations  qui  allaient  au  delà,  ou  plutôt  au  des- 
sous des  questions  artistiques  et  qui  m'ont  permis  de 
voir  l'envers  des  cartes,  ou,  si  vous  préférez,  le  derrière 
des  décors.  C'est  là,  en  réalité,  que  gite  le  lièvre,  et  je 
vais  essayer  de  vous  dire  en  peu  de  mots,  et  débonnai- 
rement,  tout  ce  que  j'en  sais.  Quelques  bonnes  vérités 
seraient  de  nature,  d'après  vous,  à  clarifier  singulière- 
ment les  opinions  à  cet  égard,  à  rendre  les  uns  moins 
enthousiastes  et  les  autres  moins  acerbes,  à  inspirer  à 
chacun  un  sentiment  moyen,  qui  serait  la  sagesse  et 
l'équité.  Voilà  un  beau  rêve  que  je  crois  téméraire  en 
unÊ.  matière  où  je  n'^^i  jamais  vu  régner  que  le  parti 
pris  et  récervellement.  Mais  je  ne  suis  pas  ennemi  des 
illusions.  J'en  eus  beaucoup  en  mon  temps,  et  j'en  ai 
ressenti  trop  de  jouissance  pour  ne  pas  les  respecter 
très  attentivement  chez  mon  prochain.  Qu'il  soit  donc 
fait  selon  vos  désirs  et  allons-y. 

A  mon  avis  la  dominante  d'une  exploitation  scénique 
comme  celle  du  théâtre  de  la  Monnaie,  est  qu'il  n'y  a 
dans  une  agglomération  comme  Bruxelles,  qu'un 
certain  capital,  presque  fixe,  qui  chaque  saison  passe 
par  les  guichets,  et  par  conséquent  un  certain  nombre 
de  personnes,  presque  toujours  le  même,  qui  ressen- 


/ 


382 


LART  MODERNE 


tent  l'envie,  dans  une  proportion  presque  toujours 
identique,  d  aller  écouter  le  grand  opéra  ou  Topéra- 
pomique.  Les  fluctuations  de  ce  triple  élément  aux 
facteurs  splidaires  sont  très  faibles.  Il  subit  des  en 
avant  et  des  en  arrière,  mais  peu  marqués.  Il  y  a  certes 
une  augmentation  d'année  en  année,  mais  peu  sensible 
en  général,  d'un  exercice  à  l'autre,  et  qui  dérive  de 
l'accroissement  de  la  population  ou  de  la  richesse 
générale. 

Notez  bien  ce  point  de  départ.  Il  est  typique  et  d'une 
importance  prépondérante  au  point  de  vue  d'une  bonne 
direction  :  j'entends  par  là  une  direction  qui,  établis- 
sant un  équilibre  entre  ses  recettes  et  ses  dépenses, 
donne  î\  son  exploitation  cette  stabilité  qui  finit  par 
avoir  toujours  raison  de  l'humeur  du  public.  J'y  attache 
une  telle  vertu  administrative  que  je  voudrais  que  l'au- 
torité cdmmiïuale,  à  qui  appartient  la  surintendance 
du  théâtre,  et  à  son  défaut  l'exploitant  qui  a  un  su- 
prême intérêt  à  ce  que  ses  actes  soient  jugés  en  pleine 
connaissance  de  cause  et  avec  impartialité,  publiât 
une  statistique  embrassant  les  faits  depuis  une  vingtaine 
d'années  et  mettant  en  regard  l'évolution  des  chiffres. 
Rien  ne  serait  plus  instructif  et  plus  convainquant 
que  d'avoir  à  ce  sujet  des  tableaux  schématiques 
comme  notre  compatriote  le  professeur  Hector  Denis 
a  pris  l'habitude  d'en  produire  dans  les  cours  publics 
qu'il  donne  sur  l'économie  politique.  Quelle  bonne 
idée  ce  serait  que  de  lui  confier  cette  mission  qui  tient 
à  l'un  de  nos  intérêts  très  respectables,  celui  du  plaisir 
par  l'art  le  plus  populaire  et  le  plus  éducateur  qui  soit. 

En  vain  les  directions  ont-elles  essayé  de  modifier 
cette  quasi-fixité  dans  les  recettes  en  multipliant  les 
attractions,  en  améliorant  la  troupe,  en  engageant  des 
étoiles,  en  doublant,  en  triplant  les  nouveautés,  en 
augmentant  le  prix  des  places.  La  masse  résiste,  reste 
c^  qu'elle  est,  se  meut  de  la  même  façon,  et  comme 
une  terre  qui  a  atteint  le  maximum  de  sa  production, 
malgré  tous  les  engrais,  malgré  tous  les  artifices  d'une 
culture  savante,  donne  à  peu  de  chose  près  le  même 
rendement. 

Exemples,  qui  eux  aussi  pourraient  être  résumés  en 
tableaux  par  un  statisticien.  Appelle-t-on  la  Patti, 
l'Albani  en  représentations  extraordinaires  où  le  prix 
des  entrées  est  haussé  :  huit  jours  avant  et  huit  jours 
après  les  recettes  baissent  et  le  niveau  se  rétablit. 
Monte-t-on  une  pièce  nouvelle,  y  a-t-il  un  opéra  qui  a 
la  vogue,  la  série  des  mauvais  lendemains  (terme  con- 
sacré) s'ouvre  :  hier  salle  comble,  recette  d'environ 
5,000  francs  sans  l'abonnement,  de  6,000  francs  les 
jours  d'abonnement  suspendu;  aujourd'hui  des  vides 
partout  et  quelques  centaines  de  francs. 

Le  public  verse  à  ce  sujet  dans  les  plus  étranges 
erreurs.  Comme  la  plupart  des  gens,  eût  dit  M.  de  la 
Palisse,  ne  sont  dans  la  salle  que  les  jours  où  il  y  a 


foule,  ils  s'imaginent,  dans  les  périodes  de  vogue,  que 
les  affaires  de  la  direction  sont  magnifiques  et  difï<èrent 
sensiblement  de  celles  faites  durant  les  années  calmes. 
A  qui  fera-t-on  accroire  qu  Hch^odiacle  qui  a  eu,  si  je 
ne  me  trompe,  cinquante  représentations,  n'a  pas  mar- 
qué une  année  plus  fructueuse  que  celle  où  a  été  joué 
le  Méphisto  de  Boïtô,  qui  a  été  faiblement  accueilli  ?  Eh 
bien,  au  fond,  les  deux  années  se  valurent,  et  je  crois 
même  que  celle  du  Méphisto  a  rapporté  davantage. 
N'est-ce  pas  curieux?     - 

La  direction  Verdhurt,  contrainte  par  le  mauvais 
vouloir  qui  s'est  déchaîné  au  moment  où  elle  a  obtenu 
la  concession  contre  toute  attente  de  ceux  qui  s'imagi- 
naient, bien  à  tort,  que  seuls  les  imprésarios  de  pro- 
fession sont  capables  d'administrer  un  théâtre,  a  engagé 
une  troupe  d'opéra-comique  de  premier  ordre  et  comme 
de  mémoire  d'abonné  on  n'en  avait  plus  entendu.  Il 
s'agissait,  en  effet,  de  vaincre  les  résistances  par  une 
telle  manifestation  de  bon  vouloir  et  d'égards  pour  les 
dillettanti,  que  les  plus  revêches  dussent  se  rendre.  Et 
comme  durant  les  premières  semaines,  la  troupe  de 
grand  opéra  avait  subi  des  échecs  retentissants,  la  nou- 
velle administration  a  pu  croire  que  le  public  se 
rabattrait  sur  l'opéra-comique  et  que  celui-ci  ferait  les 
grandes  recettes. 

Mais  ici  s'est  manifesté  un  phénomène  qu'un  vieil 
abonné  comme  moi,  puis-je  le  dire  sans  forfanterie, 
avait  prévu  et  a  prédit  à  qui  voulait  l'entendre  dans  les 
causeries  aux  fauteuils  d'orchestre  ou  dans  les  couloirs. 
L'opéra-comique  n'a  jamais  fait  recette  qu'aux  pre- 
mières représentations.  Le  public  bruxellois  n'y  croit 
pas.  Il  le  considère  comme  un  genre  où  l'on  n'en  a  pas 
pour  son  argent.  C'est  un  entremets.  C'est  la  petite  fête, 
et  ce  qu'il  veut,  c'est  la  grande  fête!  En  vain  l'on  aura 
la  chanteuse  la  plus  gracieuse,  la  plus  habile,  la  plus 
mélodieuse  ;  le  baryton  le  plus  souple,  le  plus  pénétrant, 
le  plus  distingué.  En  vain  on  variera  les  spectacles  jus- 
qu'à éreinter  les  interprètes.  Rien  n'y  fera.  C'est  le 
grand  opéra  qui  sera  réclamé,  et,  si  on  le  néglige,  de 
gré  ou  de  force  les  recettes  baisseront. 

Je  me  garde  bien,  remarquez-le,  de  donner  là  dessus 
mon  jugement  personnel.  Je  constate  des  faits.  Ce  n'est 
pas  l'amateur  qui  parle,  expose  ses  préférences  et  dicte 
des  oracles  artistiques.  C'est  tout  simplement  un  bon 
bourgeois  de  Bruxelles,  instruit  par  une  expérience  qui, 
hélas!  se  traduit  par  une  chevelure  très  grise,  qui 
raconte  ce  qu'il  a  vu  et  ce  qu'il  a  appris  après  avoir 
fréquenté  ce  milieu  spécial,  dans  tous  ses  recoins,  pen- 
dant plus  d'un  quart  de  siècle,  avoir  écouté  des  opéras 
sans  nombre,  assisté  au  défilé  d'une  armée  de  chan- 
teurs, respiré  des  milliers  de  fois  dans  notre  confortable 
salle,  vécu  avec  des  abonnés  de  tous  les  modèles,  fra- 
ternisé avec  des  directions  fort  diverses,  été  mêlé  à  leurs 
victoires  ou  à  leurs  désastres.  Je  parlerais  sans  doute 


autrement  si  l'on  me  disait  :  Comment  en  théorie,  et 
sans  tenir  compte  de  la  partie  financière,  administre- 
riez-vous  le  théâtre?  quels  genres  y  feriez-vous  jouer? 
à  quelle  musique  donneriez-vous  la  préférence?  quels 
interprètes  engageriez-vous?  Mais  ceci  c'est  l'idéal, 
nous  en  reparlerons  au  paradis  si  l'on  y  chante  l'opéra. 
Nous  sommes  malheureusement  sur  terre,  dans  une 
vallée  de  larmes,  ou  si  vous  le  voulez,  dans  la  vallée  de 
la  Senne. 

Et  maintenant  par  quel  chifîi-e  se  traduit  ce  phéno- 
mène que  je  viens  d'analyser  et  dont  on  peut  dire  que 

Ses  destins  sont  régis  par  des  lois  invincibles 
Que  rien  ne  peut  fléchir,  et  que  rien  n'attendrit, 

ni  les  largesses  des  directeurs,  ni  les  eflbrts  des  artistes, 
ni  les  souhaits  des  amateurs,  ni  les  louanges  ou  les 
attaques  des  journaux,  pauvres  illusionnés  qui  se 
feraient  les  dispensateurs  des  succès  ou  des  défaites  ? 
Les  comptabilités  sont  là,  rigoureusement  tenues  par 
un  agent  que  nomme  l'administration  communale, 
fatales  et  démonstratives.  Les  recettes  du  théâtre  de  la 
Monnaie  tournent  autour  de  950,000  francs  par  an  ; 
un  peu  plus,  un  peu  moins,  comme  les  balles  d'un  tireur 
au  pistolet  autour  de  la  rose  centrale.  Toute  direction, 
en  prenant  le  gouvernail  (pardonnez  ce  style  véné- 
rable) doit  se  pénétrer  de  cette  réalité  inéluctable,  et 
agir  en  conséquence. 

Le  détail  en  est  fort  simple,  malgré  l'apparente  com- 
plication à  laquelle  fait  croire  l'énormité  de  la  machine 
et  de  ses  rouages.  Subside  de  la  ville  100,000  francs, 
—  subside  de  la  Cour  100,000,  —  abonnement  110,000 
francs,  —  bals  masqués  40,000  francs,  —  recette  à  la 
porte  200  représentations  à  3,000  francs  en  moyenne, 
000,000  francs.  Total,  égal  à  celui  indiqué  ci-dessus  : 
050,000  francs.  Enlevez-y  en  certaines  années  25,000 
francs,  ajoutez-y  autant  en  certaines  autres,  et  vous  ne 
vous  tromperez  guère  sur  la  marche  générale,  foi 
d'amateur,  foi  d'abonné,  foi  de  commanditaire. 

Ceci  posé,  nous  voici  à  mi-route.  Reste  la  partie  la 
moins  agréable  du  chemin,  les  dépenses.  Permettez-moi 
de  souffler  un  peu  et  de  remettre  la  suite  au  prochain 
numéro,  à  moins  que  tout  cela  n'ennuie  et  vous  et  vos 
lecteurs. 


JOSEPH   LIES 

Dcuorume  article  (''). 

Sur  ces  ij;raves  qiieslioiis,  nous  connaissons  la  pensée  de  Joseph 
Lies.  Elle  est  contenue  dans  une  pièce  aulhcnti(iue  du  4  décembre 
1834  sur  rélernelle  (jueslion  anvei'soise,  le  projet  de  réorganisa- 
tion de  r Académie.  Voici  la  fin  de  ce  travail  : 

«  Suftit-il  de  produire  de  bons  élèves  pour  justifier  l'ancienne 
«  renommée  de  notre  école  el  lui  faire  mériter  le  beau  titre  d'L'ni- 


1*1  Voy.  l'Art  modvrnc  du  22  courant. 


«  vcrsilé  des  arls  en  Belgi(|ue?  Evidemment  non.  Pour  créer  des 
«  artistes  complets,  de  plus  grands  efforts  restent  encore  à  faire, 
«  et  un  enseignement  plus  large  doit  faire  fructifier  ces  prcmièr^'S 
«  bases  de  l'instruction. 

«  Quand  l'élève  a  surmonté  les  premières  difficultés  de  l'art, 
«  quaufl  il  a  acquis  assez  de  force  pour  suivre  sa  propre  iniagi- 
«  nation,  quand  il  n'a  plus  besoin  que  des  conseils  de  l'expérience 
«  pour  le  diriger  el  contenir  ses  premiers  efforts  personnels  dans 
«  les  limites  du  vrai  et  du  beau,  alors  ce  n'est  plus  la  voix  d'un 
M  seul  homme  qu'il  doit  entendre,  s'il  veut  développer  son  origi- 
«  nalité  et  acquérir  les  différentes  qualités  qui  forment  la  per- 
«  fection  dans  l'arl.  Il  doit,  au  contraire,  pouvoir  retremper  son 
«  inspiration  aux  sources  diverses  de  talent  qui  ne  se  rencontrent 
«  que  dans  différentes  individualités  artistiques. 

«  Aucun  genre  de  beauté  ne  doit  lui  rester  inconnu  ;  il  faut 
«  que  le  dessinateur  l'initie  à  la  grâce  et  à  la  pureté  de  la  ligne  ; 
«  le  coloriste  doit  lui  faire  comprendre  la  magie,  la  chaleur  et 
«  la  poésie  insaisissables  de  la  couleur;  l'homme  de  style  et  de 
«  sentiment  élèvera  son  esprit  et  lui  apprendra  à  donner  le 
«  caractère  vrai  îi  l'expression  de  sa  pensée.  En  un  mot,  quand 
«  toutes  ces  grandes  bases  du  beau  dans  l'art  seront  fixées  dans 
«  .son  esprit,  il  pourra  librement  suivre  son  inspiration  person- 
«  nelle,  car  elle  ne  sera  entravée  ni  par  les  limites  étroites  d'un 
«  système,  ni  par  l'ignorance  des  nombreuses  ressources  de 
«  l'art,  qui  sont  toujours  applicables  quel  que  soit  le  genre  qu'il 
«  adopte.  » 

Après  trente  années,  la  même  question  est  revenue;  qui  l'a 
mieux  compri.se  que  Joseph  Lies?  Où  trouver  un  but  plus  élevé  et 
des  moyens  pliis  pratiques  et  plus  rationnels? 

Le  brouillon  de  ce  travail  conservait  une  dernière  phrase  que 
l'artiste  a  impitoyablement  biffée,  parce  qu'elle  n'était,  suivant 
lui,  que  le  développement  inutile  d'une  pensée  déjà  exprimée.  Au 
point  de  vue  du  talent  persorjnel  de  Lies  elle  a  une  importance 
très  grande  et  je  trouve  que  tous  les  peintres  feront  bien,  d'y 
prendre  la  part  de  sagesse  qui  leur  revient  : 

«  S'il  fallait  expliquer  plus  clairement  encore,  cl  donner  la 
«  forme  tangible  à  notre  pensée,  heureuse,  dirions-nous,  l'Ecole 
«  qui  pourrait,  à  la  fois,  entendre  notre  grand  Rubens  enseigner 
«  la  vigueur,  la  hardiesse  et  la  grandeur  de  la  composition  ; 
«  Raphaël,  la  noblesse  et  la  pureté  du  style  ;  Rembrandt,  le 
«  mystère,  l'éclat  el  la  magie  de  la  couleur!  » 

Lies  comprit  que  ce  hors-d'œuvre  n'était  pas  assez  général;  à 
côlé  de  ces  grands  maîtres,  il  voyait  d'autres  individualités  que 
nul  ne  devait  oublier.  Il  est  bon  de  le  faire  remarquer,  afin  de 
ne  diminuer  en  rien  l'espoir  que  chaque  artiste  doit  avoir  en  ses 
pi«).pres  forces,  en  son  génie,  en  son  travail,  si,  par  les  moyens 
propres  à  grandir  son  habileté  el  à  épurer  ses  goûts,  il  poursuit 
son  beau  rêve,  sa  gracieuse  chimère,  rêve  el  chimère  sans  les- 
quels la  poésie  ne  vit  pas  en  nous.  Réduisez  l'artiste  au  rôle  du 
travailleur  pour  qui  tout  est  pénible,  vous  tuez  l'art. 

Le  temps  où  nous  vivons  nous  montre  cette  triste  vérité.  Le 
remède  est  connu;  pour  l'appliquer,  il  ne  faut  que  de  la  décision 
el  de  la  persévérance,  car,  après  avoir  puisé  la  force  là  où  elle 
est,  il  convient  de  la  communiquer  à  tous  ceux  qui  en  ont  réel- 
lement besoin  pour  vivre  et  s'élever. 

L'artiste  complet  n'est  point  un  homme  vulgaire.  La  vulgarité 
dos  mœurs  est  aussi  nuisible  à  l'art  qu'à  la  science  elle-même.  Si 
un  savant  marche  de  découverte  en  découverte,  parce  qu'il  réllé- 
chit  sans  cesse  à  l'objet  de  ses  recherches,  un  arlisle  ne  devient 


grand  qu'à  la  condilion  expresse  de  faire,  de  son  art,  le  biil  de 
loulc  sa  vie. 

Sous  ce  rapport,  Lies  est  encore  un  modèle.  Ses  aspirai  ions 
les  plus  chères  n'ont  qu'un  objectif.  S'il  souffre,  c'est  parce  que 
son  tableau  ne  lui  donne  pas  toute  satisfaction  ou  parce  qu'il  ne 
le  \;oit  pas  assez  complèiemenl;  s'il  est  joyeux,  c'est  que  le  Ira- 
vail  lui  cau.sc  un  ciMiliantemcnl  que  le  tâcheron  ne  comprendra 
jamais. 

Joseph  Lies  était  artiste  jusque  dans  les  moindres  détails  de 
la  vie.  D'une  nature  sonsiiive,  il  éprouvait  des  satisfactions  et  des 
souffrances  que  le  commun  des  martyrs  ne  ressent  pas.  Pour  se 
consoler  d'une  injustice  h  lui  faite,  il  se  réfugiait  dans  la  cam- 
pagne toujours  chère  ù  son  cœur;  il  y  trouvait  l'oubli,  la  paix  et 
comi)osail  alors  ces  petits  tableaux  ravissants  qui  disent  sa  dis- 
tinction et  toute  son  intelligence. 

Quand,  en  4^59,  Alexandre  Dumas  {*)  lui  décocha,  dans 
V Indépendance  belge,  des  traits  acérés,  l'artiste  flamand  en  fut 
réellement  malade.  Ses  amis  intimes  le  comprirent-ils?  Il  s'ou- 
vrit à  un  seul,  parce  que  celui-là  avait  deviné  juste.  Lies  se 
croyait  affaibli  dans  son  génie,  diminué  dans  ses  moyens,  usé 
de  toute  façon,  parce  qu'un  homme  célèbre  avait  eu  le  courage 
de  le  lui  dire  brutalement.  L'œuvra  attaquée  était  Les  Maux  de 
la  guerre,  du  Musée  de  Bruxelles. 

11  faut  la  foi  à  l'artiste,  de  môme  qu'il  faut  la  bienveillance  à  la 
critique.  D'un  trait  de  plume,  qui  nous  semble  plaisant,  nous 
pouvons  causer  des  peines  profondes.  A  quoi  bon?  Ne  pouvons- 
nous  montrer  à  l'ariisie  qu'il  s'égare  et  rester  l'homme  habile  à 
penser  juste  et  à  dire  avec  modération? 

.  Heureusement  Lies  ne 'perdit  jamais  l'espoir  de  faire  mieux 
encore.  Parti  pour  l'Italie,  à  la  fin  d'octobre  1859,  il  retrouva  son 
imagination  la  plus  chaude  pour  parler  de  ce  pays  merveilleux, 
saturé  de  chefs-d'œuvre  de  toutes  sortes  et  de  beautés  naturelles 
qu'on  ne  peut  comprendre  qu'en  les  voyant,  tant  la  lumière  qui 
les  enveloppe  leur  est  nécessaire. 

Ce  fut  son  dernier  bonheur.  La  maladie  qui  devait  l'enlever 
quatre  ans  plus  lard  avait  déjà  occasionné  des  ravages  contre 
lesquels  l'art  médical  ne  pouvait  rien. 

L'artiste  se  remit  au  travail  et  cerlaines  de  ses  dernières 
œuvres  offrent  un  grand  intérêt  pour  ceux  qui  connaissent  sa 
carrière.  Le  jour  même  de  sa  mort,  il  travailla  encore.  J'ai  vu, 
ces  jours-ci,  à  Lille,  le  portrait  inachevé  do  son  ami  Ch.  Wil- 
molle,.  qui  a  eu  le  bon  esprit  de  ne  j)as  le  faire  terminer.  Les 
mains  ne  sont  qu'esquissées,  mais  le  visage,  sans  être  du  meil- 
leur Lies,  a  des  qualités  excejlentes. 

Le  dernier  paysage  achevé  est  Le  Soir,  dont  M.  Keppenne, 
notaire  à  Liège,  prit  livraison  sept  jours  avant  le  décès  de  l'ar- 
tiste. Cette  œuvre  est  d'une  mélancolie  profonde. 

Espérons  que,  quelque  jour,  il  nous  sera  donné  de  voir  exposée 
la  plus  grande  partie  des  œuvres  de  Lies;  cela  est  nécessaire, 
parce  que  le  peintre  est  trop  incomplètement  connu  pour  être 
exactement  apprécié.  En  attendant  je  n'aurai  pas  travaillé  en 
vain,  si  j'ai  réussi  à  montrer  que  l'artiste  était  doublé  d'un 
homme  de  bien  dans  toute  la  force  de  l'expression  et  d'un 
homme  aimable. 

Emile  Lêfèvre. 


(*)  Est-ce  bien  Dumas?  Les  articles  portaient  au  pied  ce  nom,  mais  la  tra- 
dition veut  q^iiJs  soient  d'une  autre  personnalité  artistique. 


Chronique    jlittéraire 

Le  journal  d'un  offlcier  malgré  lui,   par  Tiieo-Critt.   — 

Paris,  Ollendorf. 

C'est  d'un  style  vif  que  Theo-Crilt  a  noté  le  Journal  d'un 
officier  malgré  lui.  Le  livre  est  amusant,  il  se  laisse  aimer  comme 
une  bonne  tille  joyeuse  et  insouciante,  qui  verse  son  rire  à  qui  le 
veut,  comme  lés  cantinières  servent  des  tournées  dans  les  ca- 
sernes. 

Exiger  de  grandes  préoccupations  d'art! 

M.  Theo-Critt  confesse  dès  le  début  que  son  ami  Jacques 
Balcy  —  roftîcier  malgré  lui  —  son  ami  intime,  le  seul  sur 
lequel  il  puisse  compter  en  toute  circonstance,  lui-même  enfin 
«  a  voulu  rire  un  brin  sans  avoir  la  prétention  de  graver  sur  l'ai- 
rain une  œuvre  pouvant  servir  à  l'édification  de  ses  descen- 
dants. »  ; 

El  celle  déclaration,  main  sur  le  cœur,  faite,  il  enfourche  son 
histoire,  et,  hop!  hop!  d'un  bout  du  roman  à  l'autre,. elle  trotte 
et  sonne  du  sabot  sur  la  grand'route  des  chapitres.  Nous  voici 
à  Saumur,  puis  à  Paris,  puis  à  Versailles,  puis  en  Normandie. 

Oh  !  les  bonnes  scènes'd'inspection  générale  et  d'astiquage,  et 
de  revue,  et  d'écurie,  et  de  prison,  et  d'hôpilal,  et  de  cantine,  et  de 
boxe,  et  de  bâton,  et  de  caserne!  Toute  la  vie  de  garnison  est  dé- 
crite avec  ses  farces  et  ses  ennuis,  ses  mélancolies  et  ses  joies, 
ses  heures  de  pluie  dans  le  cœur  et  de  soleil.  Mais  l'entrain  do- 
mine. Somme  toute,  Jacques  Baley  a  tort  de  ne  point  s'accom- 
moder de  runifôrmë  et  de  ne  point  le  porter  allègrement  jus- 
qu'au bout.  Le  journal,  d'un  officier  est  une  notation  habillée  de 
bonne  humeur.  C'est  l'existence  prise  du  bon  côté. 

Il  y  a  eu,  paraît-il,  un  épilogue  au  Journal  d'un  officier  malgré 
lui.  Dans  un  certain  monde  quelqu'un  s'est  reconnu.  On  parle 
d'un  général.  Et  les  querelles  et  les  duels  out  coupé  de  coups 
d'épée  et  de  gifïles  cerlaines  pages  qui  ne  demandaient,  elles, 
pour  être  tranchées  que  le  vulgaire  coupe-papier. 

Péché  mortel,  par  André  Theuriet.  —  Paris,  Lemerre. 

M.  Déglise,  industriel,  vit  à  La  Lineuse,  bourgeoisement,  en 
pantoufles  au  coin  du  feu.  11  a  une  femme  qui  vit  comme  lui, 
bourgeoisement,  à  La  Lineuse,  au  coin  du  feu.  Ils  n'ont  pas 
d'enfants.  Calme  entier. 

Un  malin  M.  Déglise  reçoit  de  M.  Lobligeois  une  lettre  deman- 
dant que  M.  Déglise  veuille  bien  prendre  chez  lui  et  instruire 
M.  Paul  Lobligeois  fils,  qui  a  fait  des  frasques  à  Paris  et  doit  être 
mis  au  vert...  «  dans  l'industrie  »  ajoute  M.  Lobligeois  père. 

M.  Lobligeois  fils  arrive  à  La  Lineuse  et  on  devine  ce  qui  va 
se  passer. 

Faut-il  continuer  l'histoire? 

M.  Déglise  est  inoffensif  et  bête;  M"i^  Déglise  est  jolie  et' 
M.  Paul  Lobligeois  n'est  pas  mal;  ces' deux  derniers  s'aiment.  Le 
roman,  c'est  donc  là  chute  de  M""^  Marthe  Déglise.  Certes  y  a-l-il 
des  stations  comme  pour  ces  ballots  qui  descendent  des  com- 
bles d'un  entrepôt  et  sont  marqués  et  arrêtés  à  chaque  étage. 
«  L'irréparable  »  n'a  lieu  que  vers  la  fin,  et  M"'«  Déglise  en 
meurt. 

Ni  l'invention  ni  l'audace  ne  sont  le  fait  de  M.  André  Theuriet. 
Péché  mortel  est  un  livre  courant,  de  valeur  telle  quelle,  ni  bon 
ni  mauvais,  d'un  intérêt  moyen  et  d'une  lilléralure  douce.  On  y 


s 


VART  MODERNE 


385 


rencontre  :  «  Loin  d'être  jaloux  de  celle  influence  croissante, 
M.  Déglise  abandonnait  d'autant  plus  volontiers  les  rênes  du 
gouvernement,  que  l'initiative  de  sa  femme  lui  permettait  de  se 
livrer  sans  remords,  etc..  »  Ce  spécimen  de  style  tendrail  à  ran- 
c;er  M.  Theuriel  parmi  les  scribes  de  faits  divers,  si,  heureuse- 
ment, telle  description  de  forêt  en  soleil  et  en  rosée  ne  le  main- 
tenait au  bon  rang,  parmi  les  artistes  de  plume.  Toutefois  est-il 
dangereux  de  se  livrer  k  de  tels  exercices  de  vulgarité,  n'importe 
pourquoi. 

L'œuvre  de  M.  Theuriel  s'allonge  de  six  en  six  mois  avec  une 
régularité  bureaucratique.  Se  perfectionne-t-elle? 

11  serait  audacieux  de  le  soutenir.  Pour  nous  les  derniers 
volumes  :  Eusèbe  Lombard,  Tante  Aurélie  et  Péché  mortel 
n'égalent  point  Le  Mariage  de  Gérard,  Raymonde  el  surtout 
Jl/"«  Guignon. 


tels-et  tels  génies,  suivie,  à  la  déroLéo,  d'irrespectueuses  chique- 
naudes sur  certains  nez  de  réputations  surfaites.  Les  chiquenaudes 
sont  plus  curieuses  que  les  prestations  de  serment. 


Rosa  Mystica,  par  Stanislas  de  Guaita. 
L'auteur  rime  : 


Paris,  Lemerre. 


Stace-Apul«ë,  et  toi,  Ghèvrepied-Martial, 

Poètes  décadents!  Notre  chant  filial 

Doit  vibrer  jusqu'à  vous,  dos  ancêtres  de  Rome, 

Jusqu'à  toi,  Glaudien  I  A  toi,  Juvénal,  homme 

Dont  la  colère  a  fait  flamboyer  sur  César 

Le  formidable  arrêt,- terreur  de  Balthazar! 

Glorifions  vos  noms  illustres,  ô  nos  maîtres! 

.  Eh  bien  !  non,  malgré  sa  profession  de  foi  en  style  de  cantate, 
M.  de  Guaita  n'est  pas  décadent  et  l'on  peut  immédiatement  lui 
appliquer  l'axiome  qu'il  détache  dans  sa  préface  «  le  droit  le 
plus  imprescriptible  de  l'homme  est  celui  de  se  contredire  ». 
M.  de  Guaita  est  l'ami  des  poètes  verlainiens;  il  leur  dédie  des 
sonnets  et  des  strophes;  il  les  comprend  et  s'efforce  de  les  imiter 
peut-être.  Mais  son  présent  livre  n'est  point  de  l'école  qu'il  adopte. 

M.  de  Guaita  ne  possède  ni  le  clair  obscur,  ni  la  ténuité  des 
sentiments;  son  art  n'est  point  un  art  de  suggestion,  il  est  d'ex- 
pression;' il  n'enveloppe  point  de  phrases  un  symbole,  il  peint  et 
sculpte  pour  peindre  et  sculpter.  Son  rythme,  c'est  le  ryihme 
ancien  ;  ses  mots  ont  toujours  une  signification  extérieure.  Musi- 
cale, sa  phrase  ne  l'est  que  par  hasard  et  rien  n'évoque  des 
au  delà  subtils  à  l'horizon  de  ses  poèmes. 

Certes,  Iraiie-t-il  des  sujets  mystiques,  mais  sa  religiosité  est 
plastique.  C'est  le  même  sentiment  religieux  qui  lui  fait  chanter 
Endymion  et  Diane,  après  avoir  célébré  la  Vierge  et  Jésus-Christ. 

M.  Stanislas  de  Guaita  est  un  faux  décadent.  Un  vrai  admet- 
trait-il que  Verlaine  fûl  fumiste  et  dirait-il  en  parlant  du  poète 
Haraucourt  :  11  ne  pense  pas  que  «  modernisme  »  veuille  dire 
évaporation  de  la  pensée,  massacre  de  la  langue,  et,  en  définitive, 
mystification  du  lecteur  :  nous  aurions  assez  mauvaise  grâce  à 
soutenir  qu'il  a  tort? 

Cela  ne  semble-l-il  point  scandaleusement  s'adresser  aux  amis 
de  M.  de  Guaita? 

En  nous  attachant  à  montrer  la  vraie  couleur  du  poète  de  Rosa 
Mystica,  nous  n'avons  d'autre  souci  que  de  signaler  combrcn  — 
une  nouvelle  école  littéraire  se  levant  —  certains  poètes  sont 
enclins  à  sauter  —  sans  colère  —  hors  de  leur  peau  pour  en 
vêtir  une  nouvelle  el  à  brûler  en  eux  le  vieil  homme,  celui  que 
la  nature  y  avait  mis,  tout  prestement,  par  mode  ou  par  dilcllan- 

lisme. 

Au  surplus,  M.  de  Guaita  est  habile  rimcur,  il  connaît  ses 
auteurs  si  bien  qu'il  les  classe  cl  les  juge  en  critique.  La  préface 
de  son  présent  volume  est  une  prestation  de  serment  de  fidélité  à 


h 


^Ef>    THEATRE^ 
Théâtre  de  l'Alcazar.  —  La  Guerre  joyeuse. 

Il  n'y  a  pas  bien  longtemps,  c'étaient,  sans  aucune  exc^îption, 
les  marmitons  parisiens  qui  alimentaient  les  gamelles  où  le 
public  apaise  son  appétit  de  musique  «  pas  savante  »  et  de  gau- 
driolante  littérature.  Ofïenbach,  le  grand  chef,  mort  vu  \^\e\n 
coup  de  feu,  une  armée  do  marmilonnets,  tourne-broche,  gûte- 
sauce  est  venue  le  remplacer.  Et  tout  ce  petit  monde  s'est  mis  à 
gratter  soigneusement  le  fond  des  casseroles  que  le  maître-queue 
n'avait  pas  eu  le  temps  de  vider,  à  rincer  les  bouteilles  dont  il 
s'était  servi,  à  vérifier  les  batardelles  où  il  avait  fait  mijoter  ses 
confitures.  Les  restes  ont  servi,  pendant  quelques  années,  ^  con- 
fectionner un  menu  présentcjble. 

Quand  tout  a  été  mangé  et  bu,  il  a'  fallu  trouver  autre  chose  cl 
l'on  a  goûté  la  cuisine  viennoise.  On  l'a  déclarée  moins  poivrée  que 
l'autre,  mais  plus  saine.  Et  c'est  elle  qui  a  en  ce  moment  la  faveur. 

L'accueil  fait  à  la  deuxième  producliori  du  genre,  la  Guerre 
joyeuse,  de  Strauss,  l'a  prouvé.  C'a  été  un  triomphe,  une  apo- 
théose de  l'opérette,  un  enlhousiasmelel  que  l'Alcazar  n'en  avait 
plus  vu  depuis  les  mémorables  soirées  de  la  direction  Humbert. 

Mais  aussi,  ce  nom  de  Johann  Strauss  sur  l'afTiche,  c'est  tout 
une  évocation  d'enlaçantes  valses,  de  rythmes  irrésistiblement 
entraînants,  de  s^'àx^yizzicati.  Nos  amis  les  Tziganes  en  ont,  à  la 
pointe  de  l'archet,  popularisé  les  motifs.  El  la  valse  surtout,  qui 
plane  sur  la  partition  et  dont  les  ailes  caressent  tous  les  person- 
nages de  la  pièce,  combien  de  nations  elle  a  déjà  réjouies  de  son 
vol! 

L'auditoire,  dès  le  premier  soir,  s'est  senti  sous  le  charme  de 
celle  musique  souriante,  point  banale,  finement  écrite  par  un 
compositeur  passé  maîlre  dans  l'art  léger  el  sautillant  de  l'opé- 
rette. Il  ne  lui  a  ménagé  ni  les  bravos,  ni  les  his  el  eût  volon- 
tiers, malgré  sa  longueur,  redemandé  toute  la  partition.  Voici 
Strauss,  dont  la  Reine  Indigo,  jouée  dans  des  conditions  d'exé- 
cution peu  favorables,  n'avait  eu  qu'un  demi  succès,  aussi  popu- 
laire à  Bruxelles  que  Franz  de  Suppé  et  Charles  Millôcki  r.  Nul 
doule  que,  le  succès  de  la  G  tienne  joyeuse  épuisé,  —  ce  ne  sera 
pas,  il  est  vrai,  de  sitôt  —  nous  entendions  à  Bruxelles  le  Baron 
Tzigane,  el  aussi  toute  la  série  d.es  autres  œuvres  récentes  de 
l'écgle  de  Vienne,  r  Aumônier  du  camp,  la  Pentecôte  à  Florence, 
Gasparone,  etc. 

Le  cadre.très  coquet  dans  lequel  est  présentée  l'opérette  a, 
dans  une  bonne  mesure,  contribué  au  succès.  Et  aussi  l'inlelli- 
genle  adaptation  qu'en  a  faite  M.  Maurice  Kufferath,  travail  diffi- 
cile et  ardu,  le  livret,  emprunté  à  une  vieille  pièce  de  Scribe, 
étant  assez  confus  et  singulièrement  compliqué  pour  ^e  prêter 
aux  fantaisies  d'une  partition  d'opérette. 

Tout  le  monde  ira  voir  la  Guerre  joyeuse.  El  tout  le  monde, 
après  l'avoir  vue,  lira  avec  plaisir  la  partition  élégante  qu'on  a 
publiée  la  maison  Cranz.  Nous  croyons  donc  inutile  d'entrer  dans 
de  plus  longs  détails  et  nous  nous  bornons  à  féliciter  les  inter- 
prètes, M'"«*  Cordier  et  Buire,  MM.  Lary  el  Thierry,  de  la  bonne 
volonté  et  du  talent  qu'ils  ont  déployés  pour  que  celle  Guerre 


joyeuse  se  icrminût,  en  faveur  du  théâtre,  par  un  bulletin  de  vic- 
toire. 

Théàtrç  Molière.  Piccolino  et  les  Danicheff. 

Nous  préférons  la  Demande  en  mariage,  piécette  qui  sert  de 
lever  de  rideau  —  mais  les  papas  et  les  mamans  ne  seront  point 
de  cet  avis  puisque,  dans  la  comédie  de  M.  Sardou,  il  y  a  toute 
une  partie  patriarcale  où  des  pasteurs  protcslanls  font  une  leçon 
aux  enfants  et  où  des  bambins  —  la  chemise  passant  par  la  fente 
du  pantalon  —  sauleni  au  cou  des  mères  avec  des  bouquets 
de  fête  k  la  main.  Si  la  scène  a  du  succès!  Diable!  il  faudrait 
être  bien  endurci  et  mauvais  cœur  pour  ne  point  adorer  tant  de 
senlimeatalilduet  d'émotion  faciles.  D'autant  que  peu  après, 
des  bohénûs^ôauAIttrgor  apparaissent  et  font  rire  tout  ce  qui 
à  Ixeiles  se^Sdomme  oul'\îst  digne  de  se  nommer  Durand,  Dubois 
et  BarbciTiuche. 

Piccolino  sera  toujours  une  opportune  reprise  et  la  direction 
du  Théâtre  Molière  le  comprend.  La  troupe  est  de  reste  excel- 
lente pour  jouer,  au  gré  du  public,  lotit  un  répertoire  aimable  et 
honnête,  fait  de  solides  ficelles  qui  forment  filet  et  amènent 
bonne  recette,  chaque  soir. 

Les  Danicliejf  ont  succédé  à  Piccolino.  La  haute  comédie  — 
haute,  pour  M.  Dumas  fils  et  ses  admirateurs  —  a  jeté  bas  les 
farces  et  les  bonhommeries  du  mélodrame. 

Nous  voici  en  pleine  Russie  :  le  pope  de  la  pièce  a  une  barbe 
blanche  —  cinq  degrés  sous  zéro  !  • 
JP  Le  premier  acte  est  froid,  mais,  dès  le  deuxième,  Taclion  s'af- 
firme dans  une  scène  décisive  entre  la  princesse  de  Danichefi'et 
son  fils.  Le  troisième  acte  fait  baisser  la  température.  Le  qua- 
trième est  dramatique  et  le  dénouement  est  inattendu.  On  dit  que 
M.  Dumas  a  remanié  la  pièce  do  M.  Newsky,  la  pointillanl  de 
mots  d'esprit  et  de  paradoxes  aigus.  On  prétend  même  que 
c'est  à  ce  remaniement  que  les  Daniche/f'  (\o\\Qnl  leur  succès. 

Pour  nous,  M.  Dumas  n'a  réussi  qu'à  gâter  la  pièce.  Là  où  se 

reconnaît  sa  main  de  resemcleur  des  bottes  d'aulrui,  immédiato- 

'    ment,  les  longueurs,  les  conversations  inutiles,  les  fugues  et  les 

virtuosités  apparaissent.  Certes,  la  première  scène  du  deuxième 

acte  vient  de  lui  ;  certes,  le  troisième  acte  lui  doit  son  ennui. 

Ob!  rétcrnelle  dissertation  fastidieuse,  oh!  l'inévitable  tirade, 
oh!  la  préoccupation  insecouable  du  colifichet  spirituel  et  facé- 
tieux. Les  mots  de  M.  Dumas  fils  sont  h  l'action  nourrie  et  forte 
d'un  drame  ce  que  serait  un  bonbon  servi  en  même  temps  qu'un 
roastbeaf  substantiel  et  saignant.  On  ne  doit  pas  les  goûter  sur 
la  même  assiette. 

j^ONCZRT    AU    Pop^^ERVATOlRE 

MM.  Dumon,  Guidé,  Mcrckx,  Ncuman,  Poncelet  cl  de  Greef, 
professeurs  au  Conservatoire,  ont  formé  une  association  ayant 
pour  but  l'interprétation  d'œuvres  classiques  et  modernes,  spé- 
cialement composées  pour  instruments  à  vent  et  piano.  A  cet 
effet,  quatre  séances  sont  données  annuellement,  pendant  la 
saison  des  concerts,  dans  la  grande  salle  du  Conservatoire. 

Voici  la  troisième  année  que  ces  messieurs  initient  le  public  Ix 
tout  un  répertoire  que  l'on  a  peu  souvent  l'occasion  d'entendre  et 
qui  mieux  que  la  musique  de  chambre,  soit  quatuor  seul,  soit 
quatuor  accompagné  de  piano,  résiste  à  l'atmosphère  des  grandes 
salles  et  d'un  nombreux  public,  grâce  aux  pleines  sonorités  des 
instruments  qui  concourent  à  rinlerprêter. 


Quand  donc  se  décidera-t-on  h  confornier  l'exécution  de  la 
musique  de  chambre  à  son  titre  :  si  elle  ne  reste  intime,  ne  perd-  ^ 
elle  point  tout  son  caracière? 

Nous  nous  souvenons  avec  regret  de  ces  jolies  séances  que 
donnait  le  quatuor  A.  L.  B.  K.  en  des  ateliers  d'artistes,  chez 
Sacré,  chez  Vanderstap|)en,  devant  un  petit  cercle  attentif  d'au- 
diteurs tout  en  comnmnion  avec  leurs  dévoués  efforts  et  cette 
même  compréhension  de  l'art  qui  relie  si  indissolublement  audi- 
teurs et  exécutants. 

Au  Conservatoire,  la  petite  salle,  qui  sert  aux  répétitions  pour 
les  grand  et  petit  quatuors,  est  très  défectueuse,  tant  au  point  de 
vu3  de  la  sonorité  qu'au  point  de  vue  de  l'aérage  :  malgré  la 
fixité  d'attention  que  l'on  donne  aux  artistes,  peu  à  peu  l'assou- 
pissement arrive  et  la  somnolence. 

Il  en  fut  ainsi,  samedi  dernier,  à  la  répétition  de  la  séance  du 
lendemain,  et  la  gêne  fut  encore  accrue  par  les  fréquentes  hési- 
tations des  exécutants. 

La  première  séance  de  la  saison  1883-86  donnée  dimanche  der- 
nier par  l'association  des  professeurs  n'a  pas  eu  autant  de  succès 
que  les  précédentes  et  cela  à  cause  du  programme,  car  l'exécu- 
tion, au  concert,  est  restée  correcte,  bien  fondue,  et  exempte 
de  ce  parfum  grêle  que  l'on  respire  au  Conservatoire  ;  recom- 
mandons pourtant  à  M.  de  Greef  un  peu  de  discrétion  et  moins 
d'éffoïsme. 

Une  seule  œuvre  intéressante  :  un  Quintette  de  Herzogenberg, 
dont  V Allegretto  est  bien  développé  et  spirituellement;  le  reste, 
disons-le  franchement,  était  médiocre  :  une  Aubade  de  Barthe; 
une  Romance  de  Saint-Saëns  et  une  Berceuse  de  Doppler,  très 
bien  jouées  par  M.  Dumon  ;  mais  d'une  banalité!  enfin,  la  grande 
sérénade  en  mi  bémol  .de  Mozart,  œuvre  sans  caractère  et  sans 
vie. 

Espérons  une  meilleure  composition  de  programme  pour  la 
prochaine  séance  et  applaudissons  ces  artistes  pour  leurs  conscien- 
cieux efforts. 


CORRESPONDANCE  MUSICALE  DE  PARIS 

Grande  atfluence  aux  concerts  du  Ghâlelet,  où  l'on  a  entendu 
jlIiHe  Durand  Ulbach  dans  la  Capiive  de  Berlioz,  et  dans  un  air  de 
Samson  et  Dalila  de  Saint-Saens.  En  général,  le  public  aime  le 
chant  et  c'est  avec  plaisir  qu'il  voit  les  cordes  vocales  de  tel  ou 
tel  chanteur  venir  faire  diversion  avec  les  cordes  de  messieurs  les 
symphonistes.  Je  ne  serais  pas  d'avis  qu'on  en  profitât  pour  nous 
servir  les  Rameaux  de  M.  Faure  ou  les  mélodies  de  M.  Gounod, 
mais,  mênie  en  dehors  des  classiques,  on  peui  aisément  trouver 
des  morceaux  (jui  s'imposent  par  l'élévation  de  l'idée. 

Aux  concerts  Lamoureux  on  nous  a  présenté  des  fragments  de 
k  Gwendolijie  (le  M.  Cliabrier,  dont  vous  aurez  bientôt  la  totalité 
au  théâtre  de  la  Monnaie.  Si  l'ensemble  est  aussi  hardi  que  ce 
que  nous  avons  entendu,  cela  donnera  diablement  à  réfléchir!  Je 
no  connais  pas  de  plus  grand  oseur  que  M.  Chabrier.  Les  disso- 
nances, les  frottements  arides,  les  mouvements  contraires  s'éloi- 
gnanl  à  perte  de  vue  en  nous  faisant  grincer  les  dents,  voilà  le 
bonheur  de  M.  Chabrier,  et  parfois  cela  est  beau.  Dès  le  lever  du 
rideau  M.  Chabrier .  commencera  k  oser  et  continuera  jusqu'à 
minuit.  Quel  effet  peut  bien  produire  un  ouvrage  où  l'on  a  osé 
tout  le  temps?  Vous  nous  le  direz,  Messieurs. 

Du  Cid  je  ne  veux  rien  vous  dire  encore,  si  ce  n'est  qu'on  a  tort 
de  trop  parler  d'un  ouvrage  qu'on  ne  connaît  pas.  La  soirée  du 


UART  MODERNE 


387 


Figaro  csl  condamnable  on  tous  points  cl  ceux  qui  ont  voulu  pro- 
nostiquer ont  été  trop  loin.  Mais  voilà,  M.  Masscncl,  avide  de 
réclame,  a  voulu  risquer  un  petit  combat  d'avant-garde  dans 
lequel  il  a  été  battu  et  si,  nous  critiques,  nous  allons  demander 
contre  c<9/)èms  un  exemplaire  de  la  partition  du  Cid  \x  M.  Hart- 
mann, ami  et  éditeur  de  Masscnet,  afin  d'étudier  l'œuvre  îi  l'avance 
et  de  nous  la  mettre  en  tête,  on  nous  le  refuse  de  crainte  que 
nous  ne  déflorions  l'ouvrage!  0  logique! 

La  deuxième  partition  de  M.  Messnger,  la  Béarnaise^  qu'on 
devait  représenter  aux  Douffes,  vient  d  être  remise  à  huitaine  et 
cela  pour  une  cnuse  grave  :  à  la  ré[)étilion  générale,  M'"''  Ugalde 
et  les  auteurs  ont  déclaré  la  prima-dona  insuffisante  et  ont  décidé 
(!e  pourvoir  à  son  remplacement.  C'est  roide!  D'autant  i)lus  que 
cela  s'adresse  î»  la  gentille  M''**  Sarah  Tillon  (dont  le  nom  est  déjà 
sur  la  partition),  une  jolie  blonde,  remarquée  aux  concours  du 
Conservatoire,  où  elle  brillait  par  l'intelligence  du  jeu  et  l'élégance 
de  la  tournure.  La  voix  était  un  peu  sèche,  mais  dans  l'opé- 
rette.... Que  faut-il  donc  à  M'"*^  Ugalde? 

GUTELLO. 

D'autre  part  on  nous  écrit  que  le  ténor  Van  Dyck  a  eu, 
dimanche,  un  succès  considérable  au  concert  Lamoureux.  Peu 
familiarisé  avec  les  dimensions  de  la  salle  de  l'Eden,  où  il  chan- 
tait pour  la  première  fois,  il  a  quelque  peu  forcé  la  sonorité  de 
sa  voix  dans  le  premier  air  qu'il  a  fait  entendre  Telemacco  de 
Gluck.  Son  second  air,  les  Adieux  de  Lohengrin  au  Cygne  a  été 
chanté  en  pleine  connaissance  de  l'effet  à  obtenir.  C'est  dire  que 
la  superbe  voix  du  jeune  ténor  a  excellemment  rendu  la  plainte 
toucliante  du  chevalier  mystérieux.  On  ne  lui  a  pas  ménagé  les 
applaudissements. 

!piBLIOQR/PHIE    MUSICALE 

Les  éditeurs  Schott  frères  ont  mis  en  vente,  celle  semaine, 
trois  partitions  nouvelles.  ' 

C'est  d'abord  la  partition  pour  chant  et  piano  de  La  Vnlkyrie 
avec  la  version  française  de  3L  Victor  Wilder.  Le  traducteur  a 
admirablement  compris  le  caractère  héroïque  de  l'œuvre.  lia 
triomphé  des  difilicu  tés  presque  insurmontables  de  sa  lâche  avec 
une  aisance  qui  lui  assure  la  reconnaissante  sympathie  de  tous  les 
musiciens,  et  en  particulier  de  tous  les  admirateurs  de  Wagner. 
Voici,  enfin,  l'œuvre  prête  à  être  représentée  sur  les  scènes  fran- 
çaises. 

Souhaitons  que  le  théâtre  de  la  Monnaie,  qui  a  eu  la  gloire 
d'avoir  fait  connaître  les  Maiires-Chanteurs,  soit  le  premier  qui 
mette  à  l'élude  La  Valkyric.  Il  ne  faut  pas  être  prophète  pour 
prédire  au  drame  de  Wagner  un  succès  certain  el  général. 

La  partition,  dont  le  lexlc  musical  a  élé  réduit  pour  le  piano 
par  M.  U.  Kleinmichel,  forme  un  beau  volume  de  300  pagvs.  Elle 
est  mise  en  vente  au  prix  de  20  francs. 

En  même  temps  que  la  Valkyrie  a  paru  le  Capitaine  N'oiTy 
opéra  en  quatre  actes  de  Joseph  Mertens,  dont  les  journaux 
allemands  ont  constaté  le  récent  succès  à  Hambourg.  L'œuvre  est 
dédiée  à  M.  Lé:)pold  du  Waal,  bourgmestre  d'Anvers.  Elle  est 
élégamment  gravé  y,  sur  papier  fort,  et  les  paroles  allemandes 
sont  imprimées  sous  le  texte  français.  Le  prix  est  de  15  francs. 

La  troisième  partition  parue  est  un  Te  Deum  pour  chœur, 
orchestre  el  orgue,  de  M.  François  Riga. 
Le  composilcur  jouit  en  Belgique  d'une  grande  notoriété.  Il 


s'est  spécialement  consacré  aux  ch(eurs  j)our  concours  orphéo- 
ni()ucs  ou  plus  généralement  aux  chœurs  non  accompagnés  d'or- 
cheslre.  La  Chanson  des  Vagues,  les  Esprits  de  la  Nuit,  le 
Tournoi,  entre  autres,  réalisent  un  but  de  vulgarisation  musi- 
cale, sans,  que  l'art  y  soit  trop  délaissé  pour  un  banal  succès. 
L'idéal  de  M.  Riga,  certes,  n'est  point  le  plus  haut;  mais 
qu'importe,  si  la  fierté  artiste  reste  sauve? 

Il  a  été  moins  bien  inspiré,  semble-t-il,  dans  sa  nouvelle  com- 
position, voulant  sortir  —  c'est  louable  —  d'un  genre  factice  et 
trop  assimilable  aux  médiocres.  H  ne  sufifit  point  d'intituler  unrî 
œuvre  7'^  De//m,  pour  qu'elle  soit  religieuse.  L'Art  contempo- 
rain n'a  jusqu'ici  produit  qu'une  œuvre  de  pure  religion,  c'est  le 
Parsifal  de  Wagner  ;  ces  si  nombreuses  messes.  Te  Deum,  ora- 
torios à  sujets  bibliques  ou  mystiques,  malgré  leur  litre' et  leur 
but  ne  sont  point  œuvres  religieuses.  Mais  Gounod?  Certain  cri- 
tique, un  jour,  le  dénommait  :  le  Révérend  Père  Tralala. 
N'est-ce  point  très  joli,  et  louché?  Laissons  cotte  réputation  de 
religiosité,  pas  même  mondaine,  que  l'on  fait  à  l'auteur  de  Faust. 
Ce  qui  nous  manque,  à  nous  modernes,  c'est  cette  pure  naïveté 
ou  celle  sauvagerie  prophétique  des  maîtres  de  l'art  religieux. 

Bref,  M.  Riga  n'a  pas  su  donner  à  son  œuvre  le  sentiment 
essentiel  de  religiosité.  Et,  ce  but  manqué,  les  procédés  de  réali- 
sation ne  sont  pas  très  heureusement  mis  en  œuvre".  L'orchestre 
est  faible,  quand  aujourd'hui  tout  musicien  doit  au  moins  savoir 
manier  l'orchestration,  fût-ce  pour  ne  rien  exprimer.  Le  compo- 
siteur ne  reste  lui  que  dans  les  chœurs,  qui  sont  écrits  avec  une 
parfaite  entente  des  moyens  vocaux  développés  avec  talent  et 
bien  conduits  vers  Vin  œternum  final. 


pETITE    CHROJVIIQUE 


La  représentation  annuelle  de  bienfaisance,  donnée  par  le 
Cercle  littéraire  et  musical,  au  bénéfice  de  la  Crèche  école  gar- 
dienne d'Ixelles,  aura  lieu  au  théâtre  royal  du  Parc,  le  jeudi 
10  décembre  prochain. 

Le  programme  sera  composé  d'un  lever  de  rideau  du  réper- 
toire et  de  la  deuxième  représenlation  du  dernier  grand  succès 
parisien  :  EAge  ingrat,  comédie  en  3  actes,  de  M.  Paillcron. 

On  peut  se  procurer  des  places  chez  le  président  du  cercle,  rue 
du  Prince-Roval,  13,  où  un  bureau  de  location  et  de  renseigne- 
menls  est  ouvert  à  partir  de  ce  jour. 


VENTE  D'UN  GAGE 

LetiotaireDE  Ruydt,  à  ce  commis,  procédera  le  14  décembre  18S5, 
à  deux  heures  très  précises,  dans  la  Galerie  Saint-Luc,  12,  rue  des 
Finances,  à  Bruxelles,  et  avec  l'assistance  de  M.  Jules  de  Br.vuwerk. 
expert,  à  la  vente  publique  d'un  gage  comprenant  les  quatre  tableaux 
dont  la  désignation  suit  : 

1.  Intérieur  zëlandais  :  Quand  elle  chantait,  par  Adolf  Dillens. 
(Toile,  h.  99  cent.  1.  133  cent  ). 

2.  Paysage  avec  grand  nombre  de  petites  figures,  par  B.-C.  Koek- 
koek.  (Toile,  h.  55  cent.  1.  73  cent.).  î 

3.  Paysage  avec  personnages  :  Le  départ  du  conscrit,  par  Charles 
De  Groux.  (Toile,  h  69  cent.  1.  79  cent.). 

4.  Paysage  en  hiver,  attribué  à  Koekkoek.  (Toile,  h.  48  cent. 
1.  60  cent.). 

Ces  tableaux  seront  exposés  publiquement  dans  la  susdite  galerie, 
le  13  décembre,  de  onze  à  cinq  heures.  —  Au  comptant  avec 
augmentation  de  10  p.  c.  pour  frais. 


'■<. ^^J^:'i>^'^^W^K-'  fi^^' 


388 


U ART  MODERNE 


iL^'jiŒtrr 


BI^IsT 


CINQUIÈME  ANNEE 


i 


L'ART  MODERNE  s'est  acquis  par  l'autorité  et  l'indépendance  de  sa  critique,  par  la  variété  de  ses 
informations  et    les  soins   donnés   à  sa   rédaction  une  place  prépondérante.   Aucune   manifestation  de  l'Art  no 

lui  est  étrangère  :  il  s'occupe  de  littérature,  de  peinture,  de  sculpture,  de  gravure,  de  musique, 

d'architecture,    etc.    Consacré  principalernent  au   mouvement  artistique  belge,   il  renseigne  néanmoins  ses 
lecteurs  sur  toUS  les  événements  artistiques  de  l'étranger  qu'il  importe  de  connaître. 

Chaque  livraison  de  L'ART  MODERNE  s'ouvre  par  une  étude  approfondie  sur  une  question  artistique 
ou  littéraire   dont  l'événement  de   la   semaine  fournit  l'actualité.  Les  ex'positions,  les  livres    nouveaux,    les 
premières   représentations    d'œuvres    dramatiques    ou    musicales,   les  conférences   littéraires,   les  concerts,    les- 
ventés  dhlyets^dartj  font  tous  les.  dimanches  l'objet  de  chroniques  détaillées. 

Xâl£Bitv  IfiS^ÉlpRNE  relate  aussi  la  législation  et  la  jurisprudence  artistiques.  Il  rend  compte  des 
procès  MS" plus"  Intéressants  concernant  les  Arts,  plaides  devant  les  tribunaux  belges  et  étrangers.  Les 
artistes  trouvent  toutes  les  semaines  dans  son  Mémento  la  nomenclature  complète  des  expositions  et 
concours  auxquels  ils  peuvent  prendre  part,  en  Belgique  et  à  l'étranger.  Il  est  envoyé  gratuitement  à 
l'essai  pendant  un  mois  à  toute  personne  qui  en  fait  la  demande.  V 

L'ART  MODERNE  forme  chaque  année  un  beau  et  fort  volume  d'environ  450  pages,  avec  deux 
tables  des  matières,  dont  Vune  par  ordre  alphabétique,  de  tous  les  artistes  appréciés  ou  cités.  Il  constitue  pour 
l'histoire  de  l'Art  le  document  LE  PLUS  COMPLET  et  le  recueil  LE  PLUS  FACILE  A  CONSULTER. 


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Quelques  exemplaires  des  quatre  premières  années  sont  en  vente  aux  bureaux  de  L'ART  MODERNE, 
rue  de  l'Industrie,  26,  au  prix  de  30  francs  chacun. 


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Boulevard  Anspach,  71,  salle  no  7,  une  importante 

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Bruxelles.  —  Imp.  Félix  Callewaert  père.  —  V  Monnom,  successeur,  rue  de  l'Industrie,  26. 


.Cinquième  année.  — 1S<*  40. 


~    Le    NUMERO    :    25    CENTIMES. 


Dimanche  0  Décembre  1885. 


L'ART 


MODERNE 


PARAISSANT    LE     DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTBRA'ÉaÈ 


ABONNEMENTS  :    Belgique,   un   an,   fr.   10.00;  Union   postale,    fr,  13.00.    —   ANNONCES   :    On    traite   à  forfait. 


Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  comynunications  à 

l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


? 


OMMAIRE 


Comment  on  dirige  un  théâtre.  Deuxième  lettre.  —  Les  Concu- 
bins. —  Théâtre  royal  de  Liège.  Direction  Verellen.  —  Opéra  de 
Paris.  Le  Çid.  -  Conférences.  —  Union  des  .ieunes  compositeurs 
belges.  Première  séance.  — •  Chronique  judiciaire  des  arts.  Les 
clichés  de  photographie  ;  Les  faussaires  artistiques.  —  Mémento 

DES  expositions  ET  CONCOURS.  —  PETITE  CHRONIQUE. 


COMMENT  ON  DIRIGE  UN  THÉÂTRE. 

Deuxième  lettre  ('^). 

A  Monsieur  le  Directeur  de  l'Art  moderne. 

Je  vous  ai  promis  de  parler  aujourd'hui  des  dépenses. 
Voyons. 

'  Ici  également  il  y  a  fixité  pour  certains  chapitres. 
L'orchestre,  les  chœurs,  le  corps  de  ballet,  le  personnel 
administratif,  le  petit  personnel,  les  affiches,  le  chauf- 
fage, l'éclairage,  les  impôts,  les  frais  des  bals,  etc.,  pro- 
voquent les  mêmes  sorties  de  caisse  avec  une  régularité 
qui  réjouira  tout  comptable  digne  de  sa  profession.  Bon 
an,  mal  an,  cela  oscille  à  droite,  à  gauche  de  60,000 
francs  par  mois,  soit  pour  huit  mois  500,000  francs  en 
chiffres  ronds. 

Mais  viennent  les  articles  variables  au  gré  de  l'habi- 
leté de  la  direction  ou  des  caprices  des  artistes. 

Il  y  a  d'abord  les  créations.  L'autorité  communale 
impose,  si  mes  souvenirs  ne  me  trompent,  six  actes 


{*)  Voir  notre  dernier  numéro. 


nouveaux  tout  montés  en  décors  et  mise  en-scène.  Elle 
ne  stipule  pas  de  coût  maximum  ou  minimum.  Or,  la 
dépense  est  susceptible  des  plus  grands  écarts.  Si(jurd 
a'  dit-on,  coûté  une  cinquantaine  de  mille  francs,  il  y  a 
deux  ans.  La  saison  dernière,  les  Maîtres-CItanteurs 
et  Ohéron  n'en  ont,  paraît-il,  exigé  qu'environ  vingt-cinq 
mille.  Influence  de  cet  écart  considérable,  sur  l'ensemble 
des  recettes,  nulle  ou  à  peu  près,  comme  je  l'écrivais 
la  semaine  dernière.  De  telle  sorte  qu'on  peut  poser  eu 
axiome  que,  lorsqu'un  directeur  monte  un  ouvrage  qui 
lui  coûte  cher,  il  travaille  pour  le  compositeur  et  jamais 
pour  lui-même  et  que,  dès  lors  (on  va  m'appeler 
cynique),  il  fera  bien  de  ne  choisir  que  les  pièces  les 
moins  onéreuses.  Pas  d'espoir  de  se  rattraper  par  un 
concours  plus  grand  du  public.  Sacrifices  stériles, 
efforts  absolument  superflus. 

Je  Uvre  ces  réflexions  à  messieurs  les  journalistes 
qui  voudraient  qu'abandonnant  les  œuvres  toutes 
montées,  en  magasins,  du  répertoire,  on  donnât  sans 
cesse  du  nouveau.  Ont-ils  jamais  pensé,  ces  farouches 
Aristarqùes,  dont  quel((ues-uns  m'assure-t-on,  étaient 
hier  encore,  ou  sont  encore  aujourd'hui  sur  les  bancs 
universitaires,  aux  modestes  observations  tirées  des 
nécessités  les  plus  élémentaires  du  Doit  et  de  l'Avoir 
que  je  me  permets  de  soumettre  à  mes  concitoyens? 
Savent-ils  que,  même  pour  reprendre  une  de  ces  vieil- 
leries qui  les  horripilent,  il  y  a  une  dépense  inévitable 
à  appliquer  au  retapage  des  costumes  et  du  reste? 
Ont-ils  réfléchi  que  le  public,  malgré  toutes  les  aga- 
ceries, se  maintient,  morose  et  rigide,  dans  la  limite  de 


sa  fréquentation  liabjtuelle,  n'ajoutant  que  peu  ou  prou 
h  son  budget  théâtral  ? 

II  y  a  ensuite  les  engagements  d'artistes.  C'est  non 
pas  la  plus' grosse  aflaire,  mais  la  plus  délicate.  Elle  l'a 
surtout  été  cette  aiinée  après  la  panique  que  les  malin- 
tentionnés ont  avec  beaucoup  de  légèreté,  car  ils  com- 
promettaient leur  plaisir  futur,  déchaîné  parmi  les 
chanteurs  de  l'an  dernier.  Je  me  souviens  de  l'affole- 
ment qui  régnait  dans  les  coulisses,  et  aussi  dans  les 
salons  d'artistes  où  les  barbons,  comme  moi,  sont  admis 
en  compagnie  des  plus  jeunes,  qui  flirtent  alors  que  nous 
observons.  Les  rumeurs,  les  potins,  les  insanités,  voire 
les  calomnies  qui  se  répandirent  demeureront  légen- 
daires. Conséquence  :  envolée  générale,  dédain  et 
délaissement  systématiques  à  l'égard  de  la  direction 
Terdhurt;  nécessité  pour  celle-ci  de  quitter  la  partie 
et  de  courir  les  agences  d'engagement  et  les  scènes 
étrangères  afin  de  recruter  la  troupe. 

Il  y  avait  dans  le  personnel  d'alors  beaucoup  de  rem- 
plissage. On  avait  peut-être  abusé  un  peu  trop  de  la 
bienveillance  du  public  pour  une  administration  qu'il 
aimait  parce  qu'il  y  était  habitué,  au  moins  autant 
que  pour  ce  qu'elle  avait  fait  durant  dix  années 
paisibles.  Des  non  valeurs  notoires  bouchaient  les  trous, 
et  l'on  était  indulgent  pour  elles.  Cependant  en  parti- 
culier on  pestait  fort,  Mais  quand  on  est  accoutumé  à 
de  vieux  chevaux,  souvent  on  préfère  les  garder,  con- 
naissant leur  fort  et  leur  faible,  plutôt  que  de  risquer 
les  hasards  d'un  maquignonnage  nouveau. 

Plus  d'une  de  ces  utilités  tolérées  eût  souhaité  être 
reprise  par  la  direction  nouvelle,  mais  c'était  impos- 
sible. Car  tel  chanteur  ou  telle  chanteuse  qu'on  enten- 
,dait  depuis  plusieurs  années  sous  le  couvert  de  la  tolé- 
rance à  laquelle  la  salle  s'était  assouplie,  eût  fait 
scandale,  j'ose  l'affirmer,  et  déterminé  la  chute  de 
M.Verdhurt  s'il  les  avait  produits  en  croyant  naïvement 
que  ce  qu'on  admettait  depuis  si  longtemps  chez  ceux 
il  qui  il  succédait,  serait  également  admis  pour  lui. 

Donc,  table  rase,  nettoyage  complet.  Départ  écla- 
tant des  artistes,  en  très  petit  nombre,  qui  avaient 
une  valeur  sérieuse.  Départ  forcé  du  résidu.  Et, 
nécessité  redoutable,  obligation  d'arriver  avec  une 
troupe  dont  chaque  élément  serait  jjcrsona  grata  pour 
un  public  frondeur,  mécontent,  grognonnant,  excité, 
ameuté.  '  * 

M.  Verdhurt  a  fait,  à  cet  égard,  les  plus  louables 
efforts,  de  jour  en  jour  on  le  reconnaît  davantage.  Il 
donne  à  l'heure  actuelle,  aux  Bruxellois,  une  double 
troupe,  successivement  épurée,  très  supérieure  à  celles 
des  saisons  antérieures.  Jusqu'au  ballet,  qui  a  enfin 
cette  première  danseuse  de  haut  mérite,  qu'on  atten- 
dait, qu'on  réclamait  toujours,  qui  toujours  devait 
arriver  et  qu'on  n'a  jamais  vue.  Divers  journaux 
qui,  plus  accessibles  à  l'équité  que  leurs  confrères. 


défendent  résolument  la  direction,  ont  mis  en  paral- 
lèle emploi  par  emploi,  le  passé  et  le  présent  :  fran- 
chement en  comparant  chacun  des  noms,  il  n'est  pas 
d'esprit  impartial  qui  ne  doive  avouer  que. nous  avons 
mieux,  beaucoup  mieux. 

Certes,  nous  regretterons  toujours  M"»®  Rose  Caron. 
Mais  c'était  le  seul  sujet  irremplaçable  (nous  aVons 
l'habitude  de  ce  néologisme  aux  fauteuils  d'orchestre). 
Tôt  ou  tard  elle  devait  nous  quitter.  Sa  place  était 
marquée  à  Paris.  Elle  ne  se  cachait  guère  de  n'être  à 
Bruxelles  qu'un  oiseau  de  passage.  Si  elle  fût  restée  un 
hiver  de  plus,  son  départ  eût  été  pour  la  saison  pro- 
chaine. Trêve  d'exagération  donc  sous  ce  rapport. 
MM.  Ritt  et  Gaillard  nous  l'ont'  soufflée  pour  avoir  le 
droit  de  congédier  M""  Krauss  qui  leur  coûtait  12,000 
francs  par  mois,  alors  qu'ils  ont  M"*^  Caron  pour 
8,000  francs.  M.  Verdhurt  lui  en  oflrait  5,000.  Elle  a 
préféré  nous  quitter;  C'était  dans  la  fatalité.  Tant  pis 
et  n'en  parlons  plus. 

La  troupe  nouvelle  est,  dit-on,  plus  coûteuse  que 
l'ancienne,  et  il  se  pourrait  que  les  sacrifices  faits  pour 
la  recruter  amenassent  cette  année  un  certain  déficit,  que 
les  commanditaires.de  M.  Verdhurt  auront  à  combler. 
Je  répète  que  je  fus  commanditaire  et  je  n'étonnerai 
personne  en  disant  que  je  sais  que  cela  arrive.  Mais 
c'est  difficile  à  éviter  en  de  pareils  débuts  quand  il 
faut  à  tout  prix  amadouer  l'ogre  devant  lequel  on 
comparaît.  L'a-t-on  .  prévu  ?  C'est  dans  toutes  les 
vraisemblances,  mais  cela  importe  peu  dès  qu'on  est  en 
mesure  d'y  faire  face. 

Seulement,  à  l'avenir?  Eh  bien,  pour  l'avenir  aussi, 
laissez-moi  vous  exposer  mes  idées.  La  conduite  à  tenir 
est  toute  tracée.  Il  ne  faut ,  pas  que  les  dépenses 
dépassent  les  recettes.  L'axiome  est  bête  d'évidence, 
mais  il  apparaît  comme  conseil  sérieux  dès  qu'on  admet 
que  les  recettes  ne  sauraient  franchir  les  chiffres  que  je 
posais  dans  ma  lettre  précédente.  A  l'actif  950,000  fr.  ; 
d'autre  part  des  dépenses  obligatoires  de  500,000  fr. 
Restent  450,000  francs  pour  la  troupe,  les  cachets, 
les  créations,  les  droits  d'auteur  et  le  bénéfice  dont  on 
ne  peut  prétendre  priver  ceux  qui  se  consacrent  à  une 
pareille  affaire,  très  lourde,  très  fertile  en  ennuis,  en 
tracasseries,  en  éventualités  redoutables  puisqu'on  y 
risque  la  faillite  et  le  discrédit.  Déduisons  00,000  francs 
pour  les  quatre  derniers  articles,  ce  qui  est  d'une  modé- 
ration qu'on  pourrait  taxer  d'excessive,  et  il  reste  pour 
la  troupe  360,000  francs,  soit  45,000  par  mois,  puisqu'il 
ne  s'agit  jamais  que  des  huit  mois  durant  lesquels  le 
théâtre  est  ouvert. 

Oui,  45,000  francs,  c'est  tout  ce  qu'on  peut  faire. 
Dès  qu'on  va  au  delà,  le  danger  du  déficit  apparaît. 
C'est  fatal  comme  la  ruine  pour  les  fortunes  fixes  dont 
on  mange  plus  que  les  revenus. 

Ici,  encore,  je  prie  MM.  les  journalistes,  de  rentrer 


en  eux-mêmes  et  de  perdre  une  fois  pour  toutes  cette 
opinion  qu'un  directeur  peut  dépenser  ce  qu'il  veut, 
sous  le  prétexte  que  s'il  a  des  sujets  hors  ligne  et  très 
coûteux,  ses  recettes  vont  compenser  le  surcroît  de 
dépenses.  Non.  La  réalité  contraint  un  directeur  à  se 
maintenir  dans  certaines  bornes.  S'il  en  sort,  il  croule, 
et  l'on  rentre  dans  la  série  des  exploitations  finissant 
en  plein  hiver  par  une  débandade,  au  grand  détriment 
du  public.  Il  ne  faut  donc  pas  crier  sans  cesse  :  Nous 
voulons  un  fort  ténor,  et  un  bon!  Nous  voulons  un 
contralto,  et  tout  ce  qu'il  y  a  de  mieux  !  Il  faut  voir 
jusqu'où  vont  les  dépenses  faites  et  se  demander  si  l'on 
peut  les  dépasser  d'après  les  prévisions  raisonnables, 
dictées  par  le  passé. 

Certaines  directions,  les  vieilles,  les  expérimentées 
(car  toutes  commencent  dans  ce  domaine  financier  par 
quelques  écoles)  ont  compris  cela  admirablement. 
Aussi  ont-elles  sacrifié  l'opéra-comique,  en  amusant  le 
public  par  toutes  sortes  de  promesses  destinées  à  ne 
pas  être  tenues,  et  les  abonnés  par  des  cajoleries. 
Azed,  de  V Indépendance,  a  très  bien  dépeint,  l'an  der- 
nier, ce  t^pe  du  directeur  futé,  adroit,  bonasse  en  appa- 
rence, caressant,  qui  a  toujours  l'air  de  consulter  tout  le 
monde  et  qui  n'en  fait  c[u'à  sa  tète,  dont  on  croit  qu'il 
s'épuise  en  efforts  pour  compléter  sa  troupe  et  qui,  au 
fond,  est  résolu  à  toujours  y  laisser  des  vides.  Je  n'ose 
pas  conseiller  à  M.  Verdliurt  d'imiter  cette  très  remar- 
quable tactique,  mais  je  la  signale  aux  amateurs  grin- 
cheuxqu'elle  enfariné  si  bien.  A  côté  d'un  opéra-comique 
allant  cahin-caha,  il  faut  avoir  un  grand  opéra  qui  va 
bon  train.  Et  pour  aller  bon  train,  point  n'est  indispen- 
sable d'avoir  tous  chanteurs  d'élite.  L'ordonnance  à 
suivre  est  aisée  à  formuler  :  tâchez  de  vous  procurer  un, 
deux  ou  trois  artistes,  représentant  les  deux  sexes, 
ayant  cette  séduction  particulière  qui  en  fera  des  favo- 
ris Qu'on  les  vante  partout,  non  seulement  pour  leur 
art,  mais  pour  leur  personne;  qu*on  les  reçoive  un  peu 
dans  le  monde;  qu'on  leur  prête,  à  tort,  quelques  aven- 
tures; qu'ils  deviennent  des  personnalités  romanesques 
qu'on  se  montre  quand  elles  passent  ;  que  les  journaux 
en  parlent  avec  une  admiration  grave;  qu'ils  aient 
leurs  fanatiques.  Au  bout  de  quelque  temps,  il  suffira 
qu'ils  jouent,  même  avec  le  plus  piteux  entourage,  pour 
qu'ils  fassent  recette.  Le  théâtre  marche  alors  sur 
eux,  et  ce  sont  eux  seuls  qui  assurent  l'encaissement 
des  950,000  francs  fatidiques.  A  Bruxelles,  cela  ne 
manque  jamais. 

Tout  le  reste  n'est  que  du  remplissage  !  Et  quel  trou 
le  jour  oii  ils  s'en  vont! 

Assurément  les  gens  raisonnables  diront  que  mieux 
vaut  un  bon  ensemble.  Que  l'art  y  gagne  et  que  c'est 
plus  digne.  Le  bon  ensemble,  c'est  ce  que  cherche  la 
direction  actuelle.  Mais  voyez  comme  on  lui  en  sait  gré. 
Il  y  a  des  gens  qui  regimbent.  Ils  geignent,  ils  débla- 


1 


tèrent.  Cest  que  le  tavori  et  surtout  la  favorite 
manque,  celle  ou  celui  dont  trois  cents  badauds  ou 
badaudes  rêvent  en  même  temps,  qui  fait  l'objet  des 
insomnies  de  tout  un  monde  de  gommeux,  d'étudiants, 
de  femmes  hystériques  et  de  pensionnaires,  à  qui  on 
envoie  des  déclarations  et  des  bouquets.  Cet  oiseau  rare 
déniché,  le  mauvais  charme  est  rompu,  et  tout  va 
comme  par  magie.  Partout  ailleurs  on  peut  sabrer, 
liarder,  économiser. 

Je  n'ai  pas  fini,  cher  Monsieur,  quoique  je  sois  au 
bout  de  l'espace  que  vous  m'octroyez.  Puis-je  conti- 
nuer ?  Si  oui,  je  vous  parlerai  dans  une  troisième 
lettre,  des  charges  nouvelles  qui  pèsent  cette  année  sur 
le  théâtre,  par  le  fait  de  notre  Conseil  communal,  et 
de  quelques  autres  points. 


JaE^    j]]!oNCUBIN3 


A  travers  son  œuvre  cnlier  ce  que  Camille  Lemonnier  a 
étudié  surtout,  ce  sont  les  terrions  et  les  campagnes.  L'évolution 
de  son  grand  talent  de  romancier.s'esl  déroulée  depuis  les  Contes 
wallons  et  flamands  jusqu'aux  quatre  nouvelles  des  Concubins, 
prenant  départ  à  la  bonhomie  et  à  la  tendresse  et  aboutissant  à 
la  force  et  à  la  brutalité;  Vignettes  au  début  ;  cau)^-fort'js  aujour- 
d'hui. 

Celle  évolution  est  logique,  quand  on  est  doué  du  tempérament 
coloriste  et  matériel  de  l'auteur.  Ceux  qui  voient  plus  par  les 
yeux  que  par  le  rêve  aboulisscnt  toujours  k  la  réalité  et  à  l'exac- 
titude; ils  s'égarent  quelquefois  à  leurs  débuts,  mais  sitôt  qu'ils 
se  sentent  en  possession  d'eux-mêmes  et  qu'ils  se  sont  conquis, 
ils  serrent  de  près  la  vie  et  font  de  la  vérité  implacable  et 
farouche. 

Camille  Lemonnier,  plus  il  avance,  plus  il  justifie  cctte^loi.  Il  y 
a  beau  temps  que  les  paysans  à  la  Madou  et  les  paysannes  à  la 
Ferdinand  De  Braekeleer,  il  y  a  belle  lurelte  que  les  diminutifs 
Riekje,  Trintje  et  Bloemenije,  ne  le  tentent  plus.  Son  art  a  laissé 
là  les  coiillons,  et  les  souliers  plais,  et  les  cornettes,  et  le 
voici  qui  marche  en  sabots  et  en  blouse,  superbement,  dans 
les  vrais  horizons  des  glèbes.  Il  prodigue  les  noirs  et  les  rouges 
où  jadis  il  appliquait  les  couleurs  tendres,  et  telles  de  ses  pages 
onl  je  ne  sais  quelle  exagération  de  tons  sombres  qui  les  fait  sou- 
dainement sinistrés. 

JLes  Concubins  sont  écrits  ou  plutôt  burinés.  Ils  donnent  titre 
au  volume  entier,  qui  se  compose,  en  surplus,  de  la  Glèbe,  le 
Pèlerinage 'Cl  les  Pidoux  et  les  Colasse.  i 

La  première  nouvelle  est  un  drame  conjugal,  la  deuxième  une 
lulte  du  serf  avec  la  glèbe,  la  troisième  une  aventure  de  pèle- 
rinage, la  quatrième  une  querelle  de  voisins  à  voisins. 

Donc,  études  sur  le  ménage,  sur  le  travail,  sur  la  religion  et 
sur  les  relations  ou  plulôt  les  haines  rustiques,  c'est-h-dire  sur  la 
vie  totale  des  campagnes  belges. 

Le  livre  dont  les  Concubins  se  rapprochent  le  plus,  d'oir  ils 
sortent,  c'est  le  Mort.  Mêmes  ûprelés,  mêmes  rudesses,  mêmes 
audaces  accentuées.  Vivant  au  village,  dans  un  coude  à  coude 
journalier  avec  les  gens  de  fermes,  Camille  Lemonnier  les  peut 
scruter,  s'empreindre  de  la  même  atmosphère  qu'eux,  les  in  1er- 


r 


302 


UART  MODERNE 


-i L. 


rogor,  los  confesser  on  plutôt  les  aleviner,  l.es  confesser  n'(?l;iril 
pas  eliosc  possible.  Il  les  voit  passer  sous  ses  yeux  (luaiul  ii  éerit, 
tel  détail  lui  est  loiinii  à  l'inslanl  même  où  il  parle  d'eux,  tel  autre 
dans  une  conversation^  du  matin  ou  du  soir.  Il  vil  ses  livres. 
Interrogez-le,  il  avouera  (pie  les  Pidoux  et  les  Colasse  habitent, 
là-bas,  siir  le  p'ateau,  (pie  l'habitation  des  Colasse  se  voit  de 
chez  lui,  (iiio  le  Forgeu  et  Lise  sont  morts  l'an  dernier,  que  telle 
aventure  est  survenue  vingt  mètres  plus  loin,  au  détour  de  tel 
cliemin,  et  (pie  tel  fait,  loin  d'cître  une  exagération,  est  mitigé, 
puiscpi'il  s'est  passé  tel  jour  ainsi.  Cet  ainsi  cache  d'ordinaire  un 
trait  si  épouvantable  et  si  grossier  (pie  l'écrivain  a  dû,  bon  gré 
mal  gré,  le  chûirer  pour  l'introduire  dans  son  livre. 

Car,  d'apr(>s  l'auteur,  le  |)aysan  moderne  est  énorme  de  vice. 
L'animal  ne  sommeille  en  lui  (pr;ï  de  tr(»s  rares  heures;  il 
n'y  fait  (pie  des  siestes,  il  est  fatalement  sale,  mesrjuin,  têtu, 
brute  et  féroce.  C'est  grâce  li  C(^s  défauts  (pi'il  a  du  carac- 
t("'re  et  nous  aimon^^  (pi'on  nous  le  montre  tel,  dans  une  vision 
d'art,  ([ui  grandit.  Z^c.v  Concuhiiis  ne  paraîtront  outrés  et  volon- 
tairement outrageants  au  goût  et  à  l'odorat,  (pi'à  ceux  qui  veu- 
lent (juc  tout  soit  habillé  de  mensonge  et  qui  ont  le  nez  trop 
(h'iicat  pour  sentir  les  rudes  odeurs  des  fermes  et  des  cassines.  Il 
sutlil  d'être  unejieure  ù  la  campagne  pour  s'apercevoir  que  l'eau 
de  Lubin  y  est  inconnue  et  (jue,  pour  être  vrai,  il  faut  bien  parler 
de  celle  qui  la  nMTiplace  et  en  parler  fré(piemmeut. 

L'analyse  de  Camille  Lemonniera  des  pointes  de  violence  que 
nulle  encore  n'avait  atteinte,  elle  n'a  peur  de  rien,  sachant  que 
seuls  les  pleutres  ou  les  hypocrites  la  traiteront  de  cyni([ue;  elle 
est  vaillante,  car  il  en  faut  de  la  témérité,  pour  affronter  de  si 
éclatante  manière  les  pn^jugés  et  les  modes.  Dardée  comme  un 
feude  réflecteur,  elle  montre  les  rustres  dans  une  nuit  sinistre, 
horrible,  effrayante.  Elle  fixe  sa  lumière  sur  leurs  instincts  les 
plus  communs,  leurs  penchants  les  plus  mornes  et  les  plus  bru- 
taux. Elle  les  montre  vivant  de  leur  vie  et  non  pas  d'uniî  vie 
inventée,  et  s'il  faut  mettre,  pour  éclairer  leur  bestialité,  certaines 
crudités  en  relief,  eh  bien,  les  voici.  El  nous  assistons  à  celle 
lutte  des  Forgeu  avec  leur  terre,  lutte  de  petites  gens  écrasés  et 
désesj)érés,  lutte  acharnée  cl  terrible,  lutte  d'avarice  et  de  sor- 
dité,  lutte  tragi(pieel  pauvre  que  l'auteur  traite  en  maître  impla- 
cable, téméraire  et  sûr.  La  Glèbe  est,  des  quatre  nouvelles,  la 
plus  poignante  et  la  plus  farouche.  Pas  de  d(;clamation,  pas 
de  phrases  apitoyantes,  pas  de  rhétorique  jalonné^e  d'excla- 
mations ni  rinceaun('e  d'interrogations;  au  contraire,  un  style 
mordant,  sec,  cru;  pas  de  comparaisons,  de  recherches  onic- 
menlales;  au  contraire,  des  faits,  des  faits  toujours,  aflirmés  net- 
tement comme  des  maximes.  C'est  le  style  qu'il  fallait  à  ce  sujet 
rude  el  simple. 

jHÉyVTRE     F(OYAL    DE    JilÉQE 

Direction  'Verellen. 

11  convient  tout  d'abord  de  signaler  le  soin  avec  lequel 
M.  \'erellen  a  composé  ses  troupes  d'opéra  et  d'opéra-coniique. 
Il  ne  s'est  pas  contenté,  comme  la  direction  précédente,  d'artistes 
plus  que  médiocres  et  souvent  si  mauvais,  que  le  public  se  deman- 
dait si  on  ne  se  moquait  pas  de  lui.  Quoique  la  ville,  qui  semble 
ne  vouloir  apporter  son  concours  à  aucune  entreprise  artistique, 
refuse  tout  subside  et  rende  ainsi  la  tâche  d'un  directeur  conscien- 
cieux extrêmement  difficile,  il  s'est  trouvé  un  homme  assez  hardi 
pour  oser  reprendre  la  succession  de  M.Gally  qui  venait  de  mener 
une  campagne  désastreuse. 


M  Verellen  a  compris  que  la  population  liégeoise  est  très  musi- 
cienne et  qu'il  suffisait  d'avoir  des  chanteurs  convenables  pour 
ramener  les  anciens  habitués  à  son  théâtre  complètement  aban- 
donné par  eux  en  ces  dernières  années. 

One  chose  peu  connue  et  digne  cependant  d'attirer  rattention, 
c'est  que  Liège  est  la  seule  ville  de  Belgique  qui  ait  encore  des 
airs  datant  de  loin,  sortis  des  classes  inférieures  et  possédant 
cette  originalité,  cette  émotion,  cette  simplicité  qui  caractérisent 
la  poésie  populaire,  nous  voulons  parler  des  cramigyions.  Il  n'en 
e^t  presque  pas  de  publiés.  Ils  se  perpétuent  cependant,  car  c'est 

I  ame  du  peuple.  Ceci  montre  que  la  musique  occupe  une  place 
considérable  dans  la  vie  des  Liégeois,  qu'ils  y  sont  fort  sensibles. 
Ils  le  prouvent  bien  maintenant  par  l'empressement  avec  lequel 
ils  se  rendent  à  l'Opéra.  Les  petites  places  surtout  sont  toujours 
occupées.  La  direction  avait  calculé  juste,  et  nous  pensons  qu'elle 
n'aura  pas  à  se  repentir  des  frais  qu'elle  s'est  cru  obligée 
de  faire,  frais  considérables  ajoutons-le.  Pour  en  donner  une 
idée,  nous  dirons  que  M.  Verhees  est  payé  500  francs  par  soirée, 
somme  très  respectable  pour  un  théâtre  qui  doit  vivre  exclusive- 
ment de  ses  propres  ressources.  Le  public  fait  toujours  un  très 
grand  succès  au  premier  ténor  et  le  quatrième  acte  des  Hugue- 
nots, avec  M"»e  Ghasserieux,  dans  le  rôle  de  Valentine,  soulève 
chaque  fois  des  acclamations  prolongées.  M"^«  Ghasserieux  a  une 
bonne  voix,  mais  malheureusement  un  physique  défectueux  : 
petite,  un  peu  épaisse,  trop  de  raideur,  jouant  pourtant  avec  con- 
science et  avec  des  mouvements  de  passion  très  sentis. 

Le  baryton  Glaeys  mérite  une  mention  toute  spéciale.  Celui-ci 
au  moins  est  véritablement  un  artiste,  on  sent  chez  lui  plus  qu'un 
chanteur  possédant  une  très  belle  voix  et  connaissant  à  fond  les 
règles  du  chant.  Il  se  laisse  aller  à  sa  nature  et  semble  toujours 
pénétré  profondément  du  personnage  qu'il  joue;  il  oublie  le  public 
et  l'on  croirait  qu'il  chante  pour  lui  seul,  on  sent  constamment  en 
lui  ce  feu  sacré  et  cet  amour  de  l'art  si  rares  chez  la  plupart  de  ses 
camarades.  La  voix  est  vibrante  et  émue,  avec  cela  un  réel  talent 
de  comédien  et  beaucoup  de  goût  dans  le  costume.  On  conçoit 
que  cet  ensemble  de  qualités  peu  communes  nous  fasse  désirer 
que  le  public  lui  rende  toute  la  justice  qui  lui  est  due;  il  n'en  est 
pas  ainsi  :  on  n'accorde  pas  à  M.  Glaeys  la  place  qu'il  mérite 
incontestablement  d'occuper. 

Nous  l'avans  entendu  dernièrement  dans  là  Favorite,  qu'il 
chantait  par  complaisance  et  sans  répétitions;  il  est  parvenu  à 
faire  écouter  jusqu'au  bout,  cet  opéra  vieilli,  tant  il  a  mis  dans 
le  rôle  d'Alphonse  de  chaleur  et  de  charme  Nous  avons  pu  l'ap- 
précier dans  d'autres  rôles  encore  et  chaque  fois  nous  avons  con- 
staté une  grande  distinction  et  la  préoccupation  constante  de  faire 
véritablement  de  l'art. 

M'ie  Wilhem,  chanteuse  légère  d'opéra-comique  qui,  après  avoir 
été  fortement  discutée,  vient  de  remporter  une  victoire  complète 
dans  le  Barbier  de  Séville,  est  une  jeune  artiste  charmante,  ne 
possédant  pas  un  volume  de  voix  considérable  mais  une  petite 
voix  travaillée,  propre  à  la  vocahse  et,  en  somme,  très  suffisante 
pour  son  emploi.  Elle  joue  d'une  façon  intelligente  et  gracieuse. 

II  fallait  réellement  être  bien  grincheux  pour  ne  pas  être  satisfait. 
Les  autres  pensionnaires  de  M.  Verellen  sont  très  convenables, 

M.  Falchicri  mérite  d'attirer  particulièrement  l'attention  par  la 
bonhomie  et  la  variété  de  son  jeu. 

Si  on  peut  faire  l'éloge  des  chanteurs,  il  n'en  est  pas  de  même 
de  l'orchestre.  Celui-ci  laisse  énormément  à  désirer.  Il  semble 
incapable  d'exécuter  convenablement  une  nuance  et  ne  cesse  de 
jouer  beaucoup  trop  fort  ;'  il  faudrait  changer  cela  et  on  aurait 
alors  à  Liège  un  ensemble  comme  on  n'en  a  plus  vu  depuis  long- 
temps. 

Le  Prisonnier  du  Caucase,  dQ  César  Gui,  est  à  l'étude  et  passera 
bientôt. 


^PÉRA     DE    py^F(I? 

LE  CID 

Il  y  a  pcut-élrc  lieu  do  sV'tonner  que  noire  opc'Ta  français  ait 
tant  attendu  pour  s'emparer  d'un  sujet  qui  semblait  bien  tait 
pour  son  cadre  et  qu'il  ait  donné  la  préférence  à  Polyeucle,  dont 
le  long  martyre  ne  paraissait  pas  abonder  en  situations  musi- 
cales. 

Je  sais  bien  que  M.  Gounod,  épris  d'un  mysticisme  feint  ou 
réel,  avait  des  litres  à  la  mise  en  musique  de  ce  Polyeucle,  car 
c'est  dans  le  même  ordre  d'idées  qu'il  a  été  amené  dans  la  suite 
à  écrire  sa  Rédemplion  et  Mors  et  Vita  qu'on  vient  d'exécuter 
à  Londres.  Toutefois,  par  son  allure  chevaleresque,  le  Cid  devait 
inspirer  bien  des  sympathies,  et  la  preuve  en  est  qu'elles  se  sont 
traduites  par  quatre  opéras  étiangers,  dont  nous  n'entendrons 
jamais  parler,  il  est  vrai,  mais  qui  avaient  leur  raison  d'être  par 
l'héroïsme  même  du  sujet. 

Notre  intention  n'étant  pas  de  faire  l'historique  de  tous  les  Cid 
légendaires,  dramatiques  où  musicaux,  j'arrive  tout  de  suite  au 
Cid  transformé  en  opéra  français  que  nous  devons  à  la  plume 
d'un  compositeur  très  fêté,  M.  Wassenet,  et  à  la  collaboration  de 
trois  auteurs  connus,  MM.  Dennery,  Blau  et  Gallet. 

Tout  d'abord,  MM.  Blau  et  Gallet  avaient  collaboré  seuls; 
puis  on  leur  adjoignit  M.  Dennery  qui,  de  son  côté,  avait  tracé 
un  scénario  inspiré  du  chef-d'œuvre  de  Corneille.  Les  trois 
auteurs  fusionnèrent,  et  c'est  ainsi  que  nous  avons  un  Cid  qui  com- 
mence à  Guilhem  de  Castro,  passe  par  Corneille  pour  finir  aux 
librettistes  déjù  nommés. 

La  besogne  de  ces  messieurs,  facilitée  par  l'idée  première, 
devait  donc  se  borner  à  un  arrangement  conforme  aux  besoins 
de  noire  grand  0|)éra  en  ce  qui  concerne  les  développements 
scéniques,el  je  m'empresse  de  reconnaître  que,  lelqu'il  est,  l'ou- 
vrage se  soutient  par  un  intérêt  inévitable,  une  variété  de  scènes 
et  une  op[)osition  de  tableaux  bien  équilibrés. 
.  Peut-être  a-l-on  eu  tort  de  réduire  l'action  à  trois  personnages 
(Chimône,  Rodrigue  et  don  Diégue)  en  diminuant  de  beaucoup 
le  rôle  du  R^,  en  supprimant  don  Sanclie,  (pii  eût  fait  un 
agréable  second  ténor,  et  en  réduisant  l'Infante  à  un  personnage 
encore  plus  insignifiant  que  ne  l'a  fait  Corneille, 

Mais  la  faute  énorme,  immense,  l'erreur  accablante,  ce  n'est 
pas  d'avoir  contrefait  le  texte  de  Corneille,  c'est  d'avoir  laissé 
survivre  à  cerlains  endroits  les  vers  de  la  tragédie,  vers  que  tout 
le  monde  sait,  que  tout  le  monde  reconnaît  au  passage  et  qui 
sont  navrants  à  entendre,  habillés  de  musicpie  !  Lorsque  de  ma 
stalle  j'ai  vu  don  Diègue  courir  à  son  fils,  lui  chanter  «  Rodrigue 
as-tu  du  cœur?  »  et  Rodrigue  lui  vocaliser  la  réponse  que  tout 
le  monde  sait,  je  fus  comme  anéanti!  C'est  horrible!  horrible!! 
horrible!!!  —  Et  il  ne  s'est  trouvé  personne  pour  éviter  aux 
quatre  auteurs  une  erreur  aussi  monstrueuse!  Mieux  valait  sup- 
primer tout  Corneille  que  de  le  faire  réapparaître  dans  des 
phrases  anti-musicales  et  d'une  telle  importance!  On  peut  mettre 
en  musique  les  stances  de  forme  lyrique,  mais  M.  Massenet  ne 
devait  pas,  par  respect  pour  la  tradition,  mirlilonncr  des  vers 
que  ne  saurait  traduire  aucune  inspiration  musicale. 

Les  autres  citations  se  trouvant  en  plein  courant  musical,  elles 
ont  moins  choqué  et  ont  passé  dans  le  flot  ;  heureusement  ! 

El  maintenant  M.  Massenet  était-il  bien  le  musicien  qu'il  fallait 
pour  écrire  Le  Cid?  Oui,  pour  les  passages  de  tendresse,  pour 


les-jolies  choses;  non,  pour  les  j)a>S'igos  de  force  et  d'héroïsme. 
Voilà  donc  l'opéra  divisé  en  deux  parties  bien  distinctes  qui 
représentent  le  fort  cl  le  faible  de  l'ouvrage. 

Aussi  l'auditoire  s'en  donnait-il  à  cœur  joie  devant  les  jolies 
cadences,  les  contours  onduleux  mis  à  la  mode  par  Gounod, 
phrases  écrites  dans  des  tonalités  sensuelles  avec  trémolos  à 
l'aigu,  phrases  éparscs  dans  la  partition,  et  qui  ont  le  seul  avantage 
de  racheter  l'inanité  de  tout  ce  qui  a  pu  les  précéder  auprès 
d'un  public  éreinlé  qui  s'empresse  alors  de  lancer  les  «  braavaa  »! 
que  vous  savez. 

Au  fond,  on  aurait  tort  d'en  vouloir  h  ces  messieurs,  car  c'est 
en  somme  dans  ce  si  y  le  et  quand  elles  sont  heureusement  déve- 
lopp(;e8  que  se  trouvent  les  meilleures  inspirations  d»i  compo- 
siteur. 

Le  talent,  h;  savoir-faire,  la  technicjue,  c'est  Ih  ce  qui  éclate 
de  la  façon  la  plus  manifeste  dans  tout  l'ouvrage  et  ce  qui  relève 
l'idée  dès  qu'elle  faiblit.  Comme  tendance,  je  n'en  vois  aucune,  et 
si  les  airs  et  les  duos  ne  sont  pas  indiqués  dans  la  forme,  on  les 
retrouve  dans  le  fond  ;  du  reste  ce  n'est  pas  Va  dessus  que  je  chi- 
canerai. 

L'interprétation  est  excellente  et  je  dirai  même^que  dans  son 
ensemble  elle  est  supérieure  à  celle  de  bien  des  ouvrages  du 
répertoire,  grâce  k  un  heureux  mélange  d'éléments  anciens  ou 
nouveaux. 

En  première  ligne,  M.  Edouard  de  Rezké  (don  Diègue),  dont 
le.  talent  de  comédien  dépasse,  s'il  est  possible,  le  talent  de 
chanteur.  Cet  artiste  a  le  jeu  ample,  la  tenue  digne  ;  toutes  qua- 
lités qui  nous  avaient  été  signalées  k  son  début  à  Paris,  dans 
Aben-Hamel  aux  Italiens  et  plus  lard  dans  FaiisL  à  l'Opéra. 

Puis  M.  Jean  de  Rezké,  frère  du  précédent,  qui  vint  l'an  der- 
nier chanter  le  rôle  de  Jean  dans  Herodinde;  c'est  lui  qui  joue 
Rodrigue  avec  une  jolie  voix  de  ténor  et  la  tournure  d'un  cava- 
lier accompli,  ce  qui  est  rare  à  l'Opéra.  Beaucoup  de  goût  et  de 
style  avec  un  registre  élevé  très  éclatant. 

M.  Melchissédec  joue  le  roi  avec  une  rudesse  d'allures  dont  il 
n'a  jamais  pu  se  départir,  et  c'est  fâcheux,  car  comme  chanteur  il 
reste  un  excellent  barvton. 

M.  Plançon  personnifie  je  comte  de  Gormas  d'une  façon  peut- 
être  un  peu  trop  jeune  pour  représenter  le  père  de  Chimène  et 
ne  pas  expliquer  le  choix  que  fait  le  roi  de  don  Diègue  comme 
précepteur  de  son  fils.  Grand,  bel  homme,  il  serait  agréable  à 
entendre  s'il  avait  plus  de  stabilité  dans  la  voix. 

Chimène,  c'est  M""^  Fidès  Devries,  le  charme  et  la  grâce  incar- 
nés, joints  à  un  talent  de  tragédienne  consommée  et  de  chauteuse 
de  race.  —  Succès  colossal  dans  la  scène  où  elle  recule  épou- 
vantée devant  Rodrigue. 

M""^  Bosman  (l'Infante)  a  eu  un  réel  succès  de  chanteuse  dans 
les  quelques  pages  qui  lui  sont  confiées. 

Décors  et  costumes  splendides.  —  A  remarquer  l'analogie  du 
dernier  décor  du  dernier  acte  avec  le  tableau  de  Clairin  :  les 
Ain  lires  en  Espagne. 

GUTELLO. 


L'abondance  des  matières  nous  oblige  à  remettre  à  la  semaine 
prochaine  notre  chronique  théâtrale  hebdomadaire  (Théâtres  de 
la  Monnaie,  du  Parc,  Molière). 


,  Conférence^ 

M"«-'  Tliénard,  de  la  Comédie  française,  a  fait  au  Jeune  liarrcau 
de  Druxelles  une  conférenre  dont  la  formo  spiriluelle  el  les  obser- 
vations ingénieuses  ont  eno.lmnté  l'audiloire.  'Etablir  un  parallèle 
entre  l'orateur  et  le  comédien,  dévoiler  au  premier  les  ficelles 
dont  se  sert  le  second  pour  on  faire  un  lilet  dans  lequel  il  prend 
son  public,  c'était  chose  nouvelle  et  captivante  pour  de  jeunes 
hommes  qui  s'exercent  à  l'art  de  la  parole.  Le  sujet  judicieuse- 
ment choisi,  restait  à  le  rendre  séduisant.  C'est  à  quoi  la  char- 
mante artis'e  excelle.  Elle  met  en  pratique,  avec  une  grâce  irré- 
sistible, ce  conseil  qu'elle  donnait  à  ses  auditeurs  :  «  Les  choses 
les  plus  ordinaires  peuvent  être  dites  avec  élégance. 

Dans  la  partie  théoricpie  de  sa  causerie,  M'*«  Thénard  est 
descendue  jusqu'aux  détails  les  plus  minutieux  de  la  diction  et 
de  tout  ce  qui  s'y  rapporte,  y  compris  la  salivation...  Elle  est 
remontée,  sans  une  éclaboussure  à  l'élégance  de  sa  parole,  dans 
les  pures  régions  littéraires  qui  lui  ont  servi  de  prétexte  à  la 
récitation  de  quelques  pièces  en  vers  et  en  prose,  et  à  ses  audi- 
teurs l'occasiou  d'applaudir  l'auteur  après  avoir  acclamé  le  pro- 
fesseur et  la  comédienne. 

Le  cadre  d'intimité  et  d'art  où  cette  aimable  leçon  de  diction  a 
été  faite  (il  s'agissait  des  salons  d'un  confrère  où  la  Conférence 
du  Jeune  Carreau  avait  été  conviée  toute  entière)  se  prétait, 
mietïx  que  l'austère  local  sollicité  d'abord,  à  la  fantaisie  de  la 
parole  imagée,  bonne  enfant,  et  parfois  railleuse  de  l'artiste. 

Le  chaleureux  iaccueil  qu'elle  a  reçu  et  dont  elle  a,  avec  beau- 
coup de  modestie,  remercié  son  auditoire  au  nom  de  la  Maison, 
lui  donnera,  nous  l'espérons,  l'envie  de  ne  pas  se  borner  à  celle 

seule  séance.  -       > 

,  * . 

■•;■.■      -.V 

W.  le  professeur  Emile  Sigognca  donné  à  Marchienne-au-Pont, 
sous  les  aus;)ices  du  Cercle  artistique  et  littéraire  très  actif 
de  cette  localité,  un  conférence  sur  l'éducation  d'après  Herbert 
Spencer. 

Un  public  nombreux  y  assistait  et  l'orateur  a  eu  un  très 
franc  succès.  Sa  conférence,  fort  bien  dite,  exprimait  en  termes 
très  clairs  des  pensées  élevées  el  résumait  fort  exactement  le 
système  du  grand  philosophe  anglais. 

Quelques  jours  auparavant  M.  Becque  avait  pris  place  à  k 
même  tribune,  el  la  semaine  suivante  ce  fut  le  tour  de 
M.  Francisque  Sarcey. 

Comme  on  le  voit,  le  Cercle  artistique  de  Marchienne-au-Pont 
n'a  rien  à  envier  à  celui  deà  plus  grands  centres  littéraires.  C'est 
assez  dire  qu'il  est  administré  d'une  manière  parfaite.  On  y  est, 
du  reste,  attiré  par  la  charmante  hospitalité  de  M.  et  de 
M"'«  Bron.  Celle  dernière,  qui  écrit  sous  le  pseudonyme  de 
Jean  Fusco,  est,  on  le  sait,  la  fille  de  feu  Louis  De  Fré  et 
l'auteur  de  l'humoristique  pamphlet  :  Iddore  Pisloiet,  doclri- 
naire  de  Vavenir. 


UNION  DE  JEUNES  COMPOSITEURS  BELGES 

Première  séance. 

La  tcntalive.de  ces  Messieurs  mérite  toute  sympathie.  Réagis- 
sant contre  l'indifférence  qui  enveloppe  toutes  les  productions 
musicales  indigènes,  ils  ont  créé  une  Association  exclusivement 
nationale,  afin  de  montrer  à, ceux  qui  l'ignorent  ou  qui  f»;ignent 


de  rignorer  (ce  sont,  ceux-lii,  les  pires  sourds)  qu'il  existe  en 
Belgique  une  évîole  jeune,  laborieuse,  intelligente,  qui  ne 
demande  qu'à  travailler  quand  on  lui  en  donne  l'occasion. 

Et  comme  chacun  des  Jeunes  compositeurs  qui  se  sont  ligués 
de  la  sorte  csl  doublé  d'un  exéculanFile  valeur,  parfois  d'un 
virtuose,  il  arrive  que  les  auditions  données  par  ri!7«iwî.  joignent 
à  l'atlMit  d'œuvres  inédites, —  tantôt  très  lâtonnant.^s  et  candides, 
il  est  vrai,  mais  tantôt  fort  intéressantes, —  le  charme  d'une  inter- 
prétation de  premier  ordre. 

C'a  été  le  cas  jeudi.  Des  compositions  de  MM.  Léon  Dubois, 
Emile  Agniez,  Léon  Jeliin,  Louis  Van  Dam,  Philippe  Flou,  Pierre 
Heekers,  Louis  Macs,  Léon  Soubre  et  Arthur  De  Greef  ont  fourni 
un  programme  très  varié,  écoulé  jusqu'au  bout  avec  le  plus  vif 
inlérèt.  L'Ave  Verum  de  M.  Flou,  peu  religieux  mais  d'une 
inconlesiable  valeur  musicale,  le  très  original  et  très  séduisant 
Album  espagnol  pour  deux  pianos  (excellemment  joué),  par  M.  De 
Greef,  le  fragment  pour  voix  de  femme  extrait  de  l'oratorio  :  Au 
Bois  des  Elfes,  de  M.  Dubois,  ont  été  les  meilleurs  morceaux  de 
cette  première  séance. 

El  les  interprètes,  parmi  lesquels  il  faut  citer  en  première  ligne 
M"*-'  Louise  Wolf,  oi\t  fait  valoir  à  merveille  les  diverses  compo- 
sitions. Pas  un  accroc,  pas  une  esqiiille  dans  celte  très  correcte 
exécution,  qui  fait  bien  augurer  de  l'avenir. 


jjHRONlQUE  JUDICIAIRE    DE$   ART,S 

Les  clichés  de  photographie. 

La  première  chaujbre  du  tribunal  civil  de  Paris  vient  de  tran- 
cher une  question  de  propriété  assez  intéressante. 

Elle  a  décidé  que,  par  le  contrat  qui  intervient  entre  un  photo- 
graphe et  son  client,  le  premier  ne  s'engage  qu'à  livrer,  moyen- 
nant un  prix  déterminé,  une  ou  plusieurs  épreuves  du  portrait 
qui  lui  est  commandé. 

Le  photographe  a  donc  le  droit  de  conserver  le  cliché,  qui  reste 

sa  propriété;  mais  le  droit  de  photographier  sur  le  cliché  est 

ctroitcmeftt  limiié,  et  la  nature  du  contrat,  aussi  bien  que  les 

convenances  sociales,  exige  qu'il  ne  puisse  en  faire  aucun  usage 

sans  le  consentement  formel  de  la  personne  dont  les  traits  sont 

i:cproduits. 

Les  faussaires  artistiques. 

M.  Bardoux  a  déposé  sur  le  Jjureau  du  Sénat  français  la 
proposition  de  loi  suivante  : 

M  Ceux  qui  auront  usurpé  le  nom  d'un  artiste  sur  une  œuvre 
d'art,  ou  qui  auront  frauduleusjmant  imité  sa  signature  ou  tout 
autre  signe  adopté  par  lui,  seront  punis  d'un  emprisonnement 
d'un  an  au  moins,  de  cinq  ans  au  plus  et  d'une  amende  de 
i6  francs  au  moins,  de  3,000  francs  au  plus,  ou  de  l'une  de  ces 
deux  peines  seulement.  » 

Notre  nouvelle  loi  consacre  ce  principe. 


MEMENTO  DES  EXPOSITIONS  ET  CONCOURS 

EoiMBOt'RG.  —  Exposition  (internationale)  de  l'induslrie,  des 
sciences  et  des  arts.  — ^  Du  4  mai  au  30  octobre  1886.  —  Mobilier 
et  arts  décoratifs,  beaux- arts,  reproduction  d'anciens  édifices  et  de 
vieilles  vues,  etc.  —  Demandes  d'emplacements  avant  le  l*'  janvier 
au  Secrétaire  de  V Eorpositiony  Frederick  Street,  18,  Edimbourg . 

Glasgow.   —  25«   exposition    (internationule    de  l'Institut    des 


Beaux-Arts.  —  Du  2  février  au  30  avril  1886. — :  Tableaux  à  l'huile 
et  aquarelles.  —  Renseiynemeuts  :  Robert  ]Valher,  secrétaire, 
Glascow. 

Nb;w-York.  —  Exposition  des  œuvres  d'Henry  Mosler.  —  Ouver- 
ture en  décembre. 

Id,  —  Exposition  des  œuvres  de  William  Chase  destinées  au 
Salou  des  XX.  —  Ouverture  décembre. 

Pakis.  —  5«  exposition  de  l'Uniou  des  femmes  peintres  et  sculp- 
teurs, —  Du  12  février  au  4  mars  18^'(i.  —  Envois  les  5  et  6  février. 
—  Reuseij5'nemcnts  :  M'"»  Léon  liertan.r,  i^résidente. 

Id.  —  Exposition  des  œuvres  du  maître  flamand  Tassaert.  — 
Galerie  Georges  Petit.  — •  Ouverture  25  décembre. 

Pau.  —  22«  exposition  (internationale)  des  Amis  des  Arts.  —  Du 
l."3  janvier  au  15  mars  1880. —  Peinture  et  sculpture.  —  Délai 
d'envoi  :  20  décembre  1885. 

CONCOUUS    POIÎTIQUE    DU    MIDI    DK   LA  FRANCP:.   XXXV"   COnCOUrS 

(15  août-l«''  décembre  1885).  —  Vingt  médailles  en  or,  argent, 
bronze.  Demander  le  programme  à  M.  Ev.  Carrance,  président  du 
Comité,  0,  rue  du  Saumon,  à  Agen  (Lot-et-Garoune). 


^ETITE    CHROJHiqUE 


La  période  dos  concerts  aura,  cette  année,  un  éclat  inaccou- 
tumé. En  attendant  les  grandes  séances  des  Concerts  populaires 
et  du  Conservatoire,  on  entendra  le  10  décembre  M.  Franz 
RumiTiei  el,  le  même  jour,  au  Grand-llôlel,  M""  Bouré,  le  -112 
M.  Henry  Hcuschling,  le  19  M.  Joseph  Wieniawski,  puis 
W.  Camille  Giirickx  dans  un  piano-recital.  Des  affiches  multico- 
lores fleurissent  b.  la  vitrine  des  magasins  de  musique  el  donnent 
le  détail  de  ces  fêl(  s  intimes. 

Mais  voici  du  nouveau.  L'A  s  soda  lion  des  artistes  musiciens 
prépare,  comme  troisième  concert  d'abonnement,  une  séance 
exceptionnelle  qui  fera  date  dans  ses  annales.  Il  s'agit  d'un  grand 
concert  dont  la  seconde  partie  sira  consacrée  aux  œuvres  de 
Lilolff",  et  qui  sera  donné  aussitôt  après  la  premitM'e  représenta- 
tion des  Templiers,  sous  la  direction  du  maître. 

On  y  jouera  le  -ballet  des  Templiers,  des  œuvres  chorales, 
un  concerto  pour  violon  de  la  jeunesse  de  Litolff  dont  l'exé- 
cution sera  confiée  à  Jenij  Hubay  et  un  de  ses  magnifiques  con- 
certos pour  piano,  vraisemblablement  le  4'^.  Pour  l'interpré- 
talion  de  ce  dernier,  le  compositeur  demanderait,  dit-on,  le  con- 
cours de  M.  Camille  (lurickx,  notre  futur  professeur  au  Conser- 
vatoire, qui  exécuterait  en  outre,  dans  la  première  partie,  une 
Rhapsodie  inédite,  pour  piano  et  orchestre,  de  sa  composition. 

Il  est  question  de  demandera  M.  Vord1)url  l'autorisation  de 
disposer,  pour  celle  solennité,  de  la  salle  de  la  Monnaie  et  l'on 
espère  qu'il  ne  s'y  refusera  pas,  l'aHivre  tle  bienfaisance  que 
poursuit  V Association  des  artistes  musicieiis  méritant  toutes  les 
sympathies. 

Le  premier  concert  du  Conservatoire  aura  lieu  le  20  courant . 
Les  Concerts  populaiees  inaugureront  le  3  janvier  leurs  séances 
par  un  concert  dont  le  programme  est  des  plus  attrayants.  On  y 
entendra  le  concerto  pour  violon  (inédit)  de  M.  Jeno  Hubay, 
la  2"'"  symphonie  de  Borodine,  les  airs  de  baUcl  i\c  Mazeppa  de 
Tschaïkowskv,  etc. 

On  nous  écrit  de  Malincs  :  Dimanche  dernier,  M.  Edgard  Tinél 
a  donné  dans  la  salle  des  fêtes  de  la  ville  une  nouvelle  audition 
de  quelques-unes  de  ses  œuvres.  Celte  musique  distinguée  el 
originale  a  obtenu  un  succès  mérité. 


L'enscmhle  vocal,  composé  d'une  centaine  de  voix,  a  soutenu 
vaillannnent  une  lâche  assez  lourde  et  s'en  est  tiré  avec  honneur. 
Néanmoins  il  faut  dire  ((u'accompagnée  par  deux  pianos  seule- 
ment, la  cantate  deKlokke  Roeland  manque  de  relief  et  d'ampleur. 
L'orchestre  forme  pour  les  compositions  de  ccitc  envergure  un 
complément  indispensable. 

Quant  aux  morceaux  de  piano,  ils  ont  trouvé  en  M.  Tonnelier 
un  inlerprèle  de  tous  points  excellent.  Le  cycle  qu'il  a  fait  enten- 
dre. Au  Printemps,  composé  de  trois  morceaux  est  un  régal  de 
gourmets.  ,     . 

Somme  toute,  M.  Tinel  n'a  qu'à  se  féliciter  du  succès  de  ce 
concert  et  de  l'estime  que  tous  les  amateurs  professent  pour  un 
travailleur  sérieux  doublé  d'un  artiste  personnel. 

Après  la  fête,  ses  amis,  par  l'organe  rythmé  dn  poète  De  Ko- 
ninck,  lui  ont  exprimé  leurs  félicitations  et  otïert  un  magnifique 
hvow/.G,  Diofjènc.  N. 

L'an  dernier,  la  Société  générale  d(  s  étudiants  de  Gand  a  pris 
l'initiative  de  la  publication  d'un  almanach  universitaire  dans 
lequel  une  large  part  était  réservée  à  la  littérature.  Nous  appre- 
nons avec  plaisir  que  les  étudiants  préparent  pour  1886  un  nou- 
veau volume  du  même  genre.  Tous  les  étudiants  belges  et 
étrangers  peuvent  y  collaborer  et  sont  priés  d'envoyer  leur 
manuscrit,  î»  l'examen,  Marché-au-Beurre,  17,  à  Gand,  avant  le 
'!'''■  janvier. 

D'autre  part,  les  étudiants  de  Liège  tiennent  à  honneur  de 
prouver  que  les  lettres  sont  aussi  honorées  chez  eux.  Ils  feront 
paraître  au  mois  de  janvier  un  almanach  de  l'Université  de  Liège, 
pour  lequel  ils  ont  demandé  le  concours  de  quelques  écrivains 
connus. 

Nous  constatons  avec  plaisir  que  notre  jeunesse  universitaire 
s'occupe  parfois  d'autre  chose  que  de  politique. 

Le  concert  de  Joseph  Wieniawski  est  fixé  au  samedi  19  dé- 
cembre, à  8  heures  du  soir,  à  la  Grande-Harmonie. 

Le  programme  contient  une  Fantaisie  pour  deux  pianos,  que 
M.  Wieniawski  vient  d'achever  et  qu'il  exécutera  avec  M.  Arthur 
De  Greef.  Il  y  aura  aussi  une  série  de  morceaux  de  différents 
maîtres  parmi  lesquels  les  trente-deux  variations  de  Beethoven 
en  ut  mineur. 

M.  le  professeur  Emile  Sigogne  donnera  au  Palais  des  Acadé- 
mies, lundi  7  décembre,  à  3  heures,  une  conférence  ayant  pour 
sujet  :  Les  orateurs  anglais  Pitt  et  Fox. 


VENTE  D'UN  GAGE 

Le  notaire  De  Ruydt,  à  ce  commis,  procédera  le  14  décembre  1885, 
à  deux  heurea.très  précises,  dans  la  Galerie  S'fint-Litc,  12,  rue  des 
Finances,  à  Bruxelles,  et  avec  l'assistance  de  M.  Jules  de  Brauwere, 
expert,  à  la  vente  publique  d'un  gage  compronant  les  quatre  tableaux 
dont  la  désignation  suit  : 

1.  Intérieur  zélandais  :  Quand  elle  cliantait,  par  Adolf  Dillens. 
(Toile,  h.  99  cent.  l.  133  cent  ). 

2.  Paysage  avec  grand  nombre  de  petites  figures,  par  B.-C.  Koek- 
koek.  (Toile,  h.  55  cent.  1.  73  cent.). 

3.  Paysage  avec  personnages  :  Le  départ  du  conscrit,  par  Charles 
De  Groux.  (Toile,  h.  69  cent.  1.  79  cent.?. 

4.  Paysage  en  hiver,  attribué  à  Koekkoek.  (Toile,  h.  48  cent. 
1.  60  cent.). 

Ces  tableaux  seront  exposés  publiquement  dans  la  susdite  galerie, 
le  13  décembre,  de  onze  à  cinq  heures.  —  Au  comptant  avec 
augmentation  de  10  p.  c.  pour  frais. 


«ih 


306 


VART  MODERNE 


CINQUIÈME  ANNÉE 

L'ART  MODERNE)  s'est  acquis  par  l'autorité  et  l'indépendance  de  sa  critique,  par  la  variété  de  ses 
informations   et    les  soins  donnés   à  sa   rédaction   une  place  prépondérante.   Aucune   manifestation  de  l'Art  ne 

lui  est  étrangère  :  il  s  occupe  de  littérature,  de  peinture,  de  sculpture,  de  gravure,  de  musique, 

d'architecture,    etc.    Consacré   principalement   au   mouvement   artistique  belge,   il  renseigne  néanmoins  ses 

lecteurs  sur  tous  les  événements  artistiques  de  l'étranger  qu'il  importe  de  connaître. 

Chaque  livraison  de  L'ART  MODERNE  s'ouvre  par  une  étude  approfondie  sur  une  question  artistique 
ou  littéraire  dont  l'événement  de  la  semaine  fournit  l'actualité.  Les  expositions,  les  livres  nouveanûc,  les 
premières  représentations  d'œuvres  dramatiques  ou  musicales,  les  conférences  littéraires^  les  concerts,  les 
ventes  d'objets  cTart,  font  tous  les  dimanches  l'objet  de  chroniques  détaillées. 

L'ART  MODERNE  relate  aussi  la  législation  et  la  jurisprudence  artistiques.  Il  rend  compte  des 
procès  les  plus  intéressants  concernant  les  Arts,  plaides  devant  les  tribunaux  belges  et  étrangers.  Les 
artistes  trouvent  toutes  les  semaines  dans  son  Mémento  la  nomenclature  complète  des  expositions  et 
concours  auxquels  ils  peuvent  prendre  part,  en  Belgique  et  à  l'étranger.  Il  est  envoyé  gratuitement  à 
l'essai  pendant  un  mois  à  toute  personne  qui  en  fait  la  demande. 

L'ART  MODERN]^  forme  chaque  année  un  beau  et  fort  volume  d'environ  450  ffe^ges,  avec  deux 
tables  des  matières,  dont  l'une  par  ordre  alphabétique,  de  tous  les  artistes  appréciés  on  cités.  Il  constitue  pour 
l'histoire  de  l'Art  le  document  LE  PLUS  COMPLET  et  le  recueil  LE  PLUS  FACILE  A  CONSULTER. 


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tus-Valses  .     .     .     ,     . 

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Cinquième  année.  —  N°  50 


-Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  13  Décembre  1885. 


L'ART 


MODERNE 


PARAISSANT    LE     DIMANCHE 


REVUE  ORITIQÏÏE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,   un   an,   fr.   10.00;  Union  postale,   fr.    13.00. 


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On   traite   à  forfait. 


Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 

l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


? 


OMMAIRE 


Comment  on  dirige  un  théâtre.  Troisième  lettre.  —   Histoiîre 

DE  LA  conquête  DE   LA    NoÙVELLE-EsPAGNE.   —   CoNCERTS.  DeUOclème 

concert  de  l'Association  des  Artistes  n-vusiciens  ;  Concert  Rionmel; 
Concert  de  M''^  Bouré ;  Concert  à  l'Esor.  —  Théâtres.  Théâtre 
de  la  Monnaie  Reprises  de  Lucie  et  du  Barbier  de  Séville.  Théâtre 
du  Parc.  Antoinette  liigaud.  Théâtre  Molière.  —  Notes  de  librai- 
rie. —  Petite  chronique. 


COWIIENT  m  DIRIGE  IN  THEATRE. 

Troisième  lettre  (*). 

A  Monsieur  le  Directeur  de  l'Art  moderne. 

Ainsi,  mon  cher  Directeur,  c'est  "vraiment  possible  : 
je  n'ennuie  pas  en  révélant  quelques-uns  des  secrets  de 
notre  maison  lyrique.  Vous  me  l'assurez;  je  le  crois. 
Vous  me  transmettez  même  quelques  communications, 
observations,  objections,  suppositions  qui  vous  sont 
faites.  Je  continue  donc  le  déroulement  paisible  de  ma 
bobine. 

On  désire  que  je  précise,  me  dites-vous,  l'établisse- 
ment du  coût  des  artistes  du  chant  et  de  la  danse  à  la 
moyenne  de  45,000  francs  par  mois  que  j'ai  indiquée. 
Voici  le  détail,  d'après  les  exigences  de  ce  très  sévère 
cahier  des  charges  qui  porte  en  un  de  ces  articles  cette 
prescription  solennelle  :  Le  concessionaire  devra 
maintenir  le  théâtre  à  un  rang  élevé ,  tant  sous  le 
rapport  du  nombre  et  du  talent  des  artistes  que  sous 


(*)  Voir  nos  deux  derniers  numéros. 


le  rapport  du  luxe  de  la  mise  en  scène.  Et  ailleurs  : 
Le  concessionnaire  devra  se  conformer  aux  usages 
reçus  en  matiè're  d'admiyiistration  théâtrale ^  et  spé- 
ciale?nent  tenir  constamment  au  grand  complet  une 
troupe  de  grand  opéra,  d'opéra  co7niqueet  de  hallet, 
lui  permettant  de  faire  jouer  toiUes  les  œuvres  du 
répertoire  mode7me.  Je  prends  les  catégories  et  le 
nombre  habituels  à  Bruxelles  et  je  pose  les  chiffres 
moyens  usuels  : 

TÉNORS  (sept). 

Fort  ténor  de  grand  opéra     .....  fr.  .'3.000 

Demi  caractère 3,500 

Premier  ténor  d'opéra  comique 4,000 

Deuxième  ténor i     .     .     ."  ,  1,500 

Troisièmes  ténors  (deux) 700 

Trial 500 

BARYTONS  (trois). 

De  grand  opéra fr.         3,500 

D  opéra  comique 2,500 

Second  baryton .     .    ^ 500 

■*-•  BASSES  (cinq). 

De  grand  opéra fr.  2,000 

Basse'chantante 1,500 

Deuxième  basse 700 

Troisièmes  basses  (deux) 900 

CHANTEUSES  (neuf) 

Première  chanteuse  dramatique  (Falcon)   fr.  3,500 

Chanteuse  légère  de  grand  opéra    .     .     .     .  1,500 

Contralto  (Stolz) 1,500 

Première  chanteuse  d'opéra  comique  .     .     .  M, 500 

Deuxième                      id.                   ...  1,500 

Première  dugazon .     .  -  .  1  200 

Deuxième      id \oO 

Troisième      id. 400 

^^^S'^e '.'.'.  500 


DANSE  (neuQ 

Maître  de  ballet.     .     .     .     .     .     .     .     .  fr.  600 

Réfrisseur 350 

Etoile 1,500       ^ 

Première  danseuse.     ........  "700 

Deuxièmes  danseuses  (deux). 1,000 

Premier  danseur     ......     ^     .     .  700 

Danseurs  (deux),     ,     .     .     .     .     .     .     .     .  700 

Je  crois  que  tous  les  prix  posés  sont  fort  raisonnables 
et  supposent  qu'on  ne  fait  pas  de  folies.  Si  je  me  main- 
tiens dans  cette  moyenne,  c'est  que  (je  ne  le  cache  pas 
davantage),  je  voudrais  arriver  à  démontrer  que  l'on  no 
peut  demander  à  notre  Opéra  des  sacrifices  extraordi- 
naires eu  égard  aux  ressources  dont  il  dispose.  Il 
importe  que  tous  ceux  qui  se  risquent  à  juger  notre 
première  scène  soient  éclairés  là-dessus.  Je  voudrais  ' 
que  le  silence  qu'on  a  toujours  gardé  à  ce  sujet  fût 
remplacé  par  une  très  large  publicité.  Que  de  préjugés 
s'envoleraient! 

Eh  bien  !  voilà  une  troupe  montée  conformément  aux 
prétentions  de  la  ville  et  du  public  :  elle  comprend 
trente-trois  sujets  et  coûte  46,450  francs.  Vous  voyez 
qu'en  disant  45,000  francs  je  n'étais  pas  loin  de  la 
vérité.  C'est  acquis,  n'est-ce  pas? 

Vous  me  dites  ensuite  que  quelqu'un  a  trouvé  exa- 
géré les  90,000  francs  que  je  réservais  pour  les  créa- 
tions, les  cachets,  les  droits  d'auteur,  le  bénéfice  de 
l'entreprise  et  l'imprévu.  Vraiment  la  plus  simple 
réflexion  démontre  combien  ici  également  j'ai  raison. 

Les  créations  ?  J'en  ai  parlé  dans  ma  première  lettre 
pour  dire  que  même  les  plus  coûteuses  n'influent  guère 
sur  le  total  des  recettes  de  l'année.  Mais  enfin,  il  y  a, 
toujours  dans  le  cahier  des  charges,  un  article  qui  dit  : 
Le  concessionnaire  sera  tenu  de  monter  chaque 
année,  avec  décors  et  costumes  entièrement  neufs, 
deux  ouvrages  nouveaux,  r^eprésentant  un  77iini- 
mum  de  six  actes.  Je  demande  aux  gens  du  métier, 
sans  craindre  le  moindre  démenti,  si  l'on  peut,  l'une 
année  dans  l'autre,  se  tirer  de  pareille  obligation  à 
moins  de  30,000  francs  ? 

Les  cachets  ?  Je  dirai  pour  les  profanes  que  ce  sont 
les  appointements  supplémentaires  qu'on  est  tenu  de 
payer  aux  artistes  qui  chantent  par  mois  2)lus  que  le 
nombre  de  fois  qu'ils  ont  accepté  dans  leur  engagement. 
Ils  reçoivent  alors  une  indemnité  supplémentaire  égale 
au  quotient  de  leur  chiffre  mensuel  divisé  par  celui  de 
leurs  représentations  obligatoires.  Ainsi  M.  Boyer  qui 
vient  d'avoir  un  succès  si  extraordinaire  et  si  mérité 
dans  le  Barbier  de  Séville,  reçoit,  dit-on,  3,500  francs 
pour  dix  représentations  :  à  partir  de  la  onzième  il 
recevra  chaque  fois  350  francs  en  sus.  ,       ' 

Un  directeur  habile  se  débat  contre  les  cachets 
comme  un  joueurs  d'échecs  contre  son  adversaire.  Il 
combine  son  répertoire  de  manière  à  éviter  ce  chancre 
toujours  renaissant.  Il  pointe  attentivement  les  soirées 
de  chacun.  Mais,  quoi  qu'il  fasse,  il  n'échappe  pas  à  une 


1 


moyenne  de  15,000  francs  par  an.  Les  indispositions, 
les  changements  de  spectacle,  la  représentation  coup 
sur  coup  des  pièces  en  vogue,  lui  font  à  cet  égard,  la  loi. 

Les  droits  d'auteur  ?  Ils  deviennent  terribles  à  la 
Monnaie.  Depuis  que  la  direction  précédente  a  perdu 
son  procès  contre  la  Société  des  auteurs,  ils  ont  été 
fixés  à  forfait  à  150  francs  par  soirée,  soit  30,000  francs 
par  an  pour  deux  cents  représentations.  La  ville  en 
remboursait  la  moitié  la  saison  dernière.  Cette  allo- 
cation est  supprimée.  On  parle  de  porter  le  chiffre  à 
250  francs  l'an  prochain.  Jedirai  plus  tard  quel  serait 
d'après  moi,  le  résultat  de  cette  exigence  eff'rayan te. 

Nous  voilà  donc  déjà,  pour  le  temps  présent,  à 
75,000  francs  sur  nos  90,000.  Reste  pour  l'imprévu  et 
le  bénéfice  15,000  francs.  Malheureusement,  cet  imprévu 
est  très  prévu  pour  partie  au  moins.  En  effet,  il  faut 
songer  d'abord  à  la  rémunération  du  capital  engagé. 
On  n'exploite  pas  un  tel  théâtre  sans  un  fonds  de  rou- 
lement. Je  ne  parle  pas  des  50,000  francs  du  cautionne- 
ment; ceux-ci  rapportent  intérêts.  Mais  en  dehors  de 
cela,  il  faut  une  centaine  de  mille  francs  pour  ne  pas 
être  constamment  gêné.  Les  trente-trois  artistes  énu- 
mérés  plus  haut,  reçoivent,  d'après  un  usage  constant, 
l'avance  de  leurs  appointements  ;  et  voilà  50,000  francs 
qui  sortent  de  la  caisse  avant  qu'on  ait  commencé; 
pour  tous  les  autres  besoins,  il  y  a  le  surplus,  soit 
50,000  francs  seulement,  ce  qui  est  l'extrême  minimum 
dans  une  aussi  grande  entreprise.  Or,  il  faut  payer  l'in- 
térêt du  capital  entier,  au  taux  du  commerce,  soit 
6  p.  °/o,  car  un  théâtre  est  une  exploitation  commer- 
ciale. C'est  donc  6,000  francs. 

Ceci  nous  réduit  à  9,000  francs.  Dire  qu'il  n'y  a  pas  des 
imprévus  en  pareille  affaire  serait  ridicule.  Un  artiste 
mal  accueilli  et  qu'il  faut  remplacer  au  courant  du  mois 
de  façon  que  la  charge  est  double,  une  série  de  jours  de 
neige,  des  maladies,  un  deuil  public,  un  autre  établis- 
sement, Cirque,  Eden,  Alcazar  qui  attire  la  foule,  et  tout 
de  suite  les  recettes  baissent.  Pour  de  telles  éventualités  ; 
ces  9,000  francs  ne  sont  pas  assez.  Et  pourtant,  d'après 
rétablissement  consciencieux  et  minutieux  que  je  fais 
de  l'affaire,  il  faudrait  qu'ils  fussent  aussi  le  bénéfice. 
Nous  marchons,  en  effet,  pas  à  pas,  chiffre  à  chiffre, 
et  je  crois  que  nulle  part  dans  les  calculs  poursuivis 
jusqu'ici  on  ne  saurait  me  prendre  en  défaut.  Or,  comme 
bénéfice,  les  9,000  francs  pris  dans  leur  total,  seraient 
risibles.  Pour  l'exercice  entier  qui  imposé  un  mouve- 
ment de  950,000  francs,  on  l'a  vu,  ce  serait  un  pour 
cent  !  Qui  se  contenterait  d'une  pareille  rémunération 
pour  un  capital  engagé  de  150,000  francs  et  pour  un 
travail  de  forçat,  car  les  misères  des  directeurs  dans 
leurs  rapports  avec  les  artistes  sont  légendaires.  De 
plus,  il  est  difficile  à  Bruxelles  qu'oil  dirige  seul,  il 
faut,  comme  on  dit,  un  directeur  derrière  le  rideau, 
pour  tout  ce  qui  concerne  la  scène,  et  un  directeur 


déliant  pour  tout  ce  qui  concerne  la  salle.  Ce  sera  donc 
un  demi  pour  cent  pour  chacun  !  !  Les  directeurs 
toucheront  le  salaire  d'un  troisième  ténor  !  !  !  Et  les 
risques  sont  énormes.  Les  pertes  vont  vite,  et  la  chute, 
c'est  la  faillite. 

Mais  il  semble  que  j'entends  quelqu'un  me  dire  : 
N'empêche  que  la  dernière  direction  a  très  bien  fait  ses 
petites  affaires. 

Ceci  c'est  vrai,  et  je  m'empresse  d'utiliser  à  ce  point 
de  vue  quelques  chiffres  qu'on  m'affirme  être  exacts  et 
qui  mettent  cette  question  au  clair.  Les  bénéfices  des 
quatre  dernières  années  auraient  été  les  suivants  : 


1881-82 
1882-83 
1883-84 
1884-85 


.  fr.  44,000 

.     .  40,000  (Hérodiade). 

.     .  41,000  {Sigurd). 

.     .  56,000  {Maîtres -Chanteurs). 


Soit.  Mais  c'est  ici  qu'apparaît  le  joint  par  lequel  je 
passerai  pour  finir  dans  une  dernière  lettre  mon  trop 
long  propos  :  Cette  bonne  administration  communale 
de  Bruxelles,  gardienne  et  protectrice  de  notre  théâtre, 
temple  du  grand  art  et  principal  champ  clos  de  nos  plai- 
sirs honnêtes,  ayant  pris  connaissance  de  ce  résultat 
d'une  administration  que  plusieurs  années  d'exercice 
avaient  rendue  très  expérimentée  et  excessivement  re- 
gardante (ils  comptent  les  allumettes,  disait-on  dans  les 
coulisses),  s'est  dit  que,  puisque  les  directeurs  gagnaient 
40,000^francs  par  an,  il  fallait  les  leur  reprendre  et 
mettre  bon  ordre  à  un  pareil  gaspillage.  C'est  pour- 
quoi, dans  son  nouveau  cahier  des  charges,  elle  a 
imposé  des  augmentations  et  rogné  des  subsides  qui  ont 
décidé  MM.  Stoumon  et  Calabrési  (du  moins  on  l'as- 
sure) à  lui  quitter  la  partie,  qui  mettent  les  choses  en 
l'état  que  j'ai  décrit,  et  dont  je  préciserai  dimanche 
prochain  le  côté  téméraire,  périlleux,  gravement 
injuste  et  vraiment  imprévoyant.  Ainsi  soit-il.  ' 


Histoire  véridique  de  la  conquête 
de  la  Nouvelle-Espagne,  par  Bernal  Diaz  del  Gastillo.  — 

Paris,  Alph.  Lemerre. 

Quel  superbe  livre  el  combien  il  esl  peu  connu  !  Il  fui  écrit,  en 
pleine  époque  de  gloire  el  de  puissance  espagnoles,  par  un 
témoin  ;  il  est  resté  ignoré  jusqu'au  jour  récent  où  le  poêle  José- 
Marie  de  Hérédia  le  traduisit  el  où  Lemerre  le  réédita. 

Voici  quelques  noies  sur  ce  livre  (Honnant  et  sur  son  autour. 

Bernai  Diaz,  dont  on  ne  sait  (lue  tbrl  peu  de  chose,  partit 
en  1514  avec  Pedro  Arias  de  Avela  pour  le  Nouveau-Monde.  Il 
mourut  1res  vieux  à  Santiago  de  Guatemala,  dont  il  était  regidor 
pcr  j)éluel . 

Les  deux  dates  extrêmes  restent  inconnues.  Retiré  de  ses 
fonctions,  il  lut  un  jour  la  chronique  de  Gomara,  rédigée  quasi 
sous  les  veux  de  Fernand  Coriès. 

Dans  son  orgueil  de  vieux  conquérant  el  dans  le  pieux  souvenir 
de  ses  compagnons  d'exploits,  il  se  sentit  révolté  de  la  scandaleuse 
partialité  du  chroniqueur  ofticieux  ;  il  enlrepril  de  raconter  lui- 
même  les  actions  grandioses  auxquelles  il  avail  pris  une  part  si 


active,  de  remettre  chaque  chose  en  sa  place  et  d'éclairer  d'une 
vive  lumière  les  admirables  fails  d'armes  de  ses  anciens  amis  ^— 
tout  en  laissant  l\  Corlés  et  son  initiative  et  ses  talents  et  sa  persé- 
vérance et  ses  fautes  et  ses  cruautés.  Il  fallait  justice.  Celte  pensée 
fut  l'inspiratrice  de  la  clironique  passionnée  et  impartiale  de 
Bernai  Diaz.  Dans  le  premier  volume  reviennent  sans  cesse  ces 
formules  :  Ici  le  chroniqueur  Gomara  erre  en  disant  que...  Los 
fails  se  sont  ainsi  passés  el  non  comme  le  relate  le  Gomara...  Et 
dans  cette  affaire  il  ne  s'en  alla  point  comme  l'écrit  le  chroniqueur 
Gomara...  Finalement  il  dit:  Laissons-là  le  Gomara  et  ses  contes 
à  dormir  debout,  —  el  il  ne  s'en  occupe  plus. 

Un  mot  comme  dans  une  litanie  revient  à  tout  moment.:  l'Or. 

Les  Gonquistadors  traversent-ils  un  pueblo  :  y  a-t-il  de  l'or 
dans  le  pays?  Los  Caciques  en  apportent-ils  peu,  ou  de  minime 
valeur,  ou  en  faible  quantité,  nonobstant  les  qualités  de  la  terre, 
la  conquête  faite,  nul  ne  veut  de  ces  repartimionlos.  S'il  y  en  a  : 
pays  ruiné,  roches  âpres,  montagnes  ardues,  Indiens  batailleurs, 
faim  et  misère,  qu'importe,  de  l'or!  Dans  le  grand  désastre  de 
Mexico  el  la  déroute  où  failliront  périr  Coriès  el  sa  fortune, 
c'est  l'encombrement  des  Indiens  Tlascaltèques  portant  l'or,  l'or 
appesantissant  les  soldats  peu  clairvoyants  ou  trop'avides  qui 
causent  le  désarroi  el  le  massacre.  El  après  dos  fatigues  surhu- 
maines, dos  dangers  sans  nombre,  des  batailles  héroïques,  dos 
assauts  furieux,  des  blessures  épouvantables,  le  Irésor  de  Moc- 
thenzo'ma  (Monlézuma)  pillé,  Quaulemotzm  (Gatimozin)  torturé, 
les  seigneurs  vendus,  que  revienl-il  aux  vaillants  aventuriers? 
Pas  môme  cent  pesos,  misère  que  tous,  désappointés  et  ulcérés, 
refusent;  ce  qui  ne  les  empêche  pas  de  courir  vers  de  nouvelles 
expéditions; 

Dans  tous  ces  événements,  Coriès  joue  un  rôle  énorme,  quelque 
peu  salanique.  Un  bonheur  inexplicable  le  poursuit  partout, 
même  au  milieu  de  ses  désastres  ;  les  autres  souvent  travaillent 
plus  que  lui,  lui  seul  en  profite  ;  el  si  généralement  il  est  présent 
à  l'heure  du  danger,  toujours  il  l'est  à  celle  du  partage,  où  la  part 
du  lion  lui  revient. 

Au  résumé,  ce  livre  étonnant  nous  montre  500  fous  (car  quel 
autre  nom  leur  donner?)  marchant  à  la  conquête  d'un  empire  orga- 
nisé, puissant,  d'une  civilisation  très  avancée,  grand  comme 
quatre  fois  l'Espagne,  parvenant  h  se  faire  passer  pour  des  dieux 
invincibles  el  invulnérables,  stupéfiant  le  monde.  Les  soldats 
pourtant  ne  portaient  que  des  cuirasses  de  carton,  faites  sur  le 
modèle  de  celles  des  indigènes  qu'ils  comballaient. 

Au  siège  de  Mexico  qui  dure  quatre-vingt-dix  jours,  sans  cesse 
aucune,  du  malin  au  soir,  el  souvent  du  soir  au  matin,  ayant  à 
combattre  sur  des  digues,  accablés  sous  le  nombre,  serrés  sur 
terre  et-sur  eau,  au  milieu  de  canaux,  criblés  de  coups  de  pierres, 
de  bâtons,  de  flèches,  à  ne  plus  avoir  sur  le  corps  une  place 
invulnérée,  ils  finissent  cependant  par  prendre  la  ville  puissante, 
capitale  de  Timmense  empire.  Puis  se  failla  conquête,  moins  glo- 
rieuse mais  plus  pénible  encore,  des  provinces  éloignées,  par  des 
sierras  sourcilleuses,  des  marécages  bourbeux  et  des  plateaux 
arides  et  calcinés. 

Ces  faits  d'armes,  ces  souffrances,  ces  exploits,  ces  marches, 
ces  désastres,  le  courage  des  ennemis,  leurs  propres  paniques, 
se  trouvent  notés  dans  ces  pages  palpitantes  de  vie  :  «  C'était 
ainsi,  je  l'ai  vu,  j'y  étais,  j'y  fus  blessé  ».  Et  la  piélé  naïve  de 
ces  étonnants  héros,  remerciant  Noire-Dame  la  Vierge  de  les 
avoir  protégés  dans  quelque  terrible  esbief  :  «  Car  sans  le  secours 
divin  nul  de  nous  n'en  aurait  échappé  ».  Un  sentiment  de  justice 


400 


VART  MODERNE 


fort  rare  k  celle  dpo!|ue  violente,  blâmanl  les  excès  commis  sur 
des  Indiens  qui  ne  savaient  ce  qu'on  leur  voulait  cl  défendaient 
leurs  pueblos,  donne  une  saveur  1res  particulière  à  certains  pas- 


sages. 


\ 


i.  Les  détails  sur  les  mœurs  ne  manquent  pas,  mais  quelles 
mœurs!  Ce  fuit  qui  chaque  jour  s'impose  davantage  :  «  Vertu, 
vice,  moralité,  immoralité,  toutes  conventions  »  y  trouve  un 
nouvel  argument.  Ceux  de  Panuco  se  distinguaient  par  des  raffi- 
nements inouïs  de  débauche.  Ils  avaient  des  notions  diamétrale- 
ment opposées  à  celles  du  vieux  monde"  sur  les  points  les  plus 
essentiels  de  la  morale. 

Les  chevaux  étaient  fort  rares.  Aussi  avec  quelle  sollicitude 
Bernai  Diaz  en  fait-il  le  dénombrement  I  11  en  note  la  robe,  les 
qualités,  les  défauts,  les  propriétaires  el  même  les  sobriquets. 
Plus  tard,  moins  rares  quoique  encore  d'un  prix  exorbitant,  ayant 
d'ailleurs  perdu  sur  les  Sudiens  leur  qualité  de  chimères,  Bernai 
s'en  occupe  moins.  A  chaque  rencontre  il  note  cependant  les 
morts  et  les  blessures  des  chevaux  aussi  bien  que  colles  des 
hommes  : 

r 

«  Quand  l'expédit'on  quitta  Cuba,  elle  comptait  16  chevaux, 
41  navires,  508  hommes,  dont  32  arbalétriers,  13  escopeltierSj 
10  canons  el  4  fauconneurs.  En  marchant  sur  Mexico,  ils  n'étaient 
plus  que  15  chevaux  et  300  f  mtassins.  » 

Voici  quelques  passages  qui  pouiront  donner  une  idée  de  la 
manière  du  chroniqueur  :  «  Car,  je  l'ai  d'autres  fois  dit,  la  cité 
de  Mexico  est  tout  contre  Tacuba.  La  nuit  se  faisait  lorsque  nous 
ouïmes  de  grandes  huées  qui  nous  venaient  de  la  lagune:  On  nous 
criait  force  vitupères  el  que  nous  n'étions  pas  hommes  à  les  venir 
combattre.  El  il  y  avait  tant  de  canoas  pleines  de  gens  de  guerre 
et  les  chaussées  pareillement  couvertes  de  guerriers,  et,  ces 
paroles  n'étant  dites  qu'à  seul  fin  de  nous  indigner  el  émouvoir 
h  guerroyer  cette  nuit  même,  nous  ne  voulûmes  point,  ayant  élé 
lant  de  fois  houspillés  aux  chaussées  et  aux  ponls,  sortir  avant  le 
jour. 

«  Nous  enlevons  la  première  barrière.  A  la  seconde,  ils  font 
léte,  puis  l'abandonnent.  Et  nous,  croyant  emporter  la  victoire, 
nous  passons  ce  perluis  d'eau  h  vole-pied  (là  où  nous  le  passâmes 
il  n'y  avait  point  de  trous)  suivant  de  près  les  ennemis  entre  de 
hautes  maisons  et  des  oratoires  d'idoles.  Ils  faisaient  toujours 
mine  de  fuir  el  reculaient,  non  sans  tirer  bâtons,  pierres  de 
fronde  el  force  flèches.  Tout  à  coup  une  multitude  de  guerriers 
qu'ils  lenaienl  cachés  en  lieux  oii  nous  ne  les  pojivions  voir  et 
d'autres  du  haut  des  terrasses  el  des  maisons,  el  les  premiers, 
qui  faisaient  semblant  de  se  retirer,  se  retournant  brusquement, 
tous  ensemble  se  ruent  à  noire  encontre  et  d'un  si  roide  choc  que 
nous  ne  le  pouvions  soutenir.  Nous  résolûmes  donc  de  battre  en 
retraite,  en  bon  ordre.  Mais  ils  avaient  posté  dans  le  perluis  d'eau 
par  nous  gagné,  à  l'endroit  où  nous  l'avions  premièrement  fran- 
chi et  où  il  n'y  avait  pas  de  trous,  une  lelle  flotte  de  canoas  pour 
nous  empocher  d'y  repasser  qu'ils  nous  conlraigirirenl  d'aller 
traverser  sur  un  autre  point,  où  j'ai  dit  que  l'eau  bien  plus  pro- 
fonde recouvrait  force  trous,  fleculant  devanl  la  multitude  de 
guerriers  qui  nous  pressait,  nous  passions  l'eau  à  la  nage  ou  à 
vole-pied  et  quasi  lous  allions  choir  dedans  les  trous.  Alors  toutes 
les  canoas  se  jelèrenl  sur  nous.  Là  les  Mexicains  happèrent  cinq 
de  nos  soldats  qu'ils  menèrent  à  Gualemuz  el  blessèrent  loul  le 
reste.  Quant  aux  bî-iganlins  dont  nous  attendions  laide,  ils  ne 
pouvaient  venir  à  noire-  rescousse,  car  ils  étaient  tous  échoués 
sur  les  eslacades,  el  des  canoas  ei  terrasses  leur  fut  baillée  si  rude 


volée  de  bâtons  et  flèches  que  deux  soldats  rameurs  furent  occis 
et  maints  autres  blessés. 

«  Retournons  aux  trous  el  perluis.  Je  dis  que  ce  fut  merveille 
s'ils  ne  nous  y  massacrèrent  lous.  Quant  à  moi,  plusieurs  Sudiens 
m'avaient  déjà  empoigné.  El  je  parvins  à  me  débarrasser  le  bras 
el  Nolre-Scigneur  Jésus-Clïrist  me  donna  la  force,  à  bonnes  esto- 
cades que  je  leur  baillai,  de  me  sauver  bien  que  blessé  à  un  bras. 

«  Le  Sandoval,  Francisco  de  Lugo  el  Andres  de  Rapia  étaient 
avec  Alvarado,  chacun  contanl  ses  aventures  el  ordres  de  Corlôs, 
lorsque  recommença  à  rouler  le  tambour  de  Hucchelobos  el 
Manchalabales,  conques,  cornets  el  autres  inslruments  comme 
trompes.  El  leur  son  à  lous  était  épouvantable  et  triste. 

«  Nous  regardâmes  au  haut  du  grand  Temple,  où  l'on  sonnait 
ainsi,  et  vîmes  mener  de  force  au  sacrifice,  à  poussée,  soufflels 
elcoup  de  bâtons,  ceux  de  nos  compagnons  qui  avaient  été  pris 
en  la  déroule  de  Corlès.  Lorsqu'ils  furent  en  haut  dans  une  i)elile 
place  qui  s'ouvrait  sur  l'oraloire  où  éiaienl  h^urs  maudites  idoles, 
nous  vîmes  que,  à  plusieurs  d'entre  eux,  on  meltait  des  pluniages 
dessus  la  tête  el  lenanl  une  sorte  d'éventails,  on  les  faisait  danser 
devanl  le  Hucchelobos.  Dès  qu'ils  avaient  balle,  les  prêtres  les 
renversaient  sur  des  pierres  à  sacrifier,  leur  sciaient  la  poitrine 
avec  des  coutelas  de  pierre  dure  et  liraient  les  cœurs  loul  bouil- 
lants qu'ils  offraient  aux  idoles  présentes.  Puis  ils  poussaient  du 
pied  les  corps  au  bas  des  degrés,  où  étaient  à  les  attendre 
d'autres  Indiens  boucliers,  lesquels  leur  coupaient  bras  et  jambes, 
écorchaienl  les  visages,  les  apprélaienl  comme  peaux  de  gants, 
et  avec  leurs  barbes,  les  gardaient  pour  en  faire  fête  en  leurs 

beuveries  cl  banquets,  mangeant  les  chairs  avec  du  chimole 

Que  les  curieux  lecleurs  qui  liront  ceci,  considèrent  quelle  dut 
•  être  notre  pitié.  Et  nous  disions  onire  nous  :  Oh  !  Grâce  à  Dieu, 
qu'on  ne  m'ait  pas  mené  sacrifier  aujourd'hui!  Il  faut  aussi 
avoir  égard  que  nous  n'éiions  pas  loin  d'eux  et  ne  les  pouvions 
secourir.  » 

Pour  terminer,  nous  dirons  un  mol  du  travail' du  traducteur, 
José  Maria  de  Heredia.  Ne  se  conieuianl  pas  de  faire  un  pâle 
décalque  du  puissant  ouvrage  qu'il  avait  sous  les  yeux,  il  a  voulu 
signer  une  œuvre  d'artiste.  Il  a  parfaitement  compris  que  la  Ira- 
duclion  dans  une  langue  étrangère  et  d'une  époque  très  posté- 
rieure risquait  de  faire  perdre  à  l'original  beaucoup  de  son 
charme  et  de  sa  saveur. 

Il  s'est  donc  servi  d'une  langue  archaïque  admirable,  qu'il 
semble  ayoir  créé  tout  exprès.  Le  résult.it  obtenu  est  extraordi- 
naire. Celle  Iraduclion  qui  peut  entrer  en  parallèle  avec  celles 
des  tragiques  grecs  de  Leconte  de  Liste  rend  jusqu'aux  moindres 
nuances,  jusqu'à  l'impression  même  du  vieux  livre. 


■   j!^ONCERT^ 

Deuxième  concert  de  lAssociation  des 
Artistes  musiciens. 

Deux  nouvelles  danses  flamandes  et  une  ouverture  de  concert 
du  jeune  musicien  anversois,  Jan  Blockx  ;  une  jeune  violoniste 
réputée,  M"^  Eissler;  l'excellent  baryton  du  théâtre  de  la  Mon- 
naie, Boyer  :  tels  étaient  les  attraits  de  ce  concert. 

L'attente  a  été  déçue,  sauf  pour  le  (hantcur,  toujours  applaudi 
dans  ses  nombreuses  créations  d'opéra-comique.  Les  nouvelles 
œuvres  de  M.  Blockx  sont  pleines  de  trous  et  manquent  de  déve- 


W- 


loppcmenls  :  les  thèmes  picHinenl  sur  place  cl  Torclieslralion  csl 
sèche  el  sans  couleur.  VOuverUire  de  cancer l^  principalenienl, 
nous  a  (It^plû.  Une  prochaine  revanclic,  n'est-ce  pas? 

Car  nous  fondons  grand  espoir  sur  M.  Blockx,  doni  les  ^pre- 
mières  danses  flamandes  firent  le  tour  de  la  Hollande  el  de  l'Alle- 
magne avec  un  1res  vif  succès.  11  y  a  en  lui  du  tempérament,  c'est 
certain.  Et  parce  que  nous  comptons  sur  lui,  nous  avons  le  devoir 
de  lui  crier  gare,  lorsqu'il  verse  dans  la  banalité. 

Nous  ne  savons  d'où  vient  là  répulation  de  M"«  Eisslcr.  Une 
déplorable  exécution  du  huitième  concerto  de  Spohr,  une  exécu- 
tion un  peu  meilleure  des  airs  russes  de  Wieniawsky,  d'une 
Rêverie  de  Schumann  cl  du  Zapaleado  de  Sarasate  suffisent  pour 
juger  cette  jeune  fille  chez  qui  l'aplomb  tient  lieu  de  talent. 

M"'*'  Cornélis-Servais  a  chanté  avec  goût  le  grand  air  d'Alcesie: 
«  Non  ce  n'est  point  un  sacrifice  »  el  deux  petites  mélodies  insi- 
gnifiantes de  Léon  Jouret. 

Ne  parlons  point  de  V Hosannah !  de  M.  Michotie,  ingénieuse- 
ment placé  à  la  fin  du  progranimc  afin  qu'on  ne  l'entende  pas. 

Tout  le  succès  du  concert  a  été  pour  M.  Boyer,  à  très  juste 
litre  et,  s'il  nous  faut  critiquer  le  choix  un  peu  vieillot  de  ses 
morceaux,  applaudissons  de  toutes  forces  le  chanteur  parfait.  Il 
est  fâcheux  cependant  que  celle  mélhodc  enlève  au  chanteur 
presque  toute  comj)réliension  de  la  musique  moderne.  C'est  ainsi 
que  rappelé  après  les  couplets  de  Joconde,  M.  Boyer  a  fait  preuve 
dans  la  Nuil  de  printemps  de  Schumann  d'une  inconscience 
étrange. 

t'orchestre,  sous  la  direction  do  M.  Jehin,  a  correctement  exé- 
cuté l'ouverture  de  Phèdre  de  Massenet,  \Ouverlure  de  concert 
et  les  Danses  flamandes  de  Blockx. 

Concert  Rummel 


M.  Franz  Rummel,  qui  avait  laissé  h  Bruxelles  les  souvenirs 
d'un  élève  bien  doué,  est  revenu  avec  l'autorité  d'un  maître 
accompli.  Un  public  choisi  de  musiciens  el  d'amaieurs  lui  a  fiiit, 
jeudi,  une  ovation  justement  méritée,  dans  laquelle  il  y  avait 
autant  d'admiration  pour  la  variété  el.  la  richesse  d'un  talent  de 
premier  ordre  que  de  reconnaissance  pour  le  plaisir  que  ressen- 
tait l'auditoire  en  constatant  qu'il  avait  bien  placé  ses  espérances. 
M.  Rummel  est  pres(iue  des  nôtres.  Elève  de  Rrassin,  et  l'un 
de  ses  plus  brillants,  il  a  fait  toute  son  éducation  musicale  k 
Bruxelles.  Il  continue  les  traditions  de  la  superbe  école  à  laquelle 
appartiennent  31  M.  Kéfer,  De  Greef,  Gurickx,  Tinel,  Riva  Berni, 
Alveniz,  qui  tous  ont  marqué,  soit  dans  le  professorat,  soit  dans 
le  domaine  de  la  virtuosité. 

M.  Rummel  est  avant  tout  virtuose,  el  actuellement  l'un  des 
premiers  virtuoses  de  l'époque.  L'élude  approfondie  qu'il  a  faite 
des  maîtres  anciens,  — de  J.-S.  Bach,  par  exemple,  dont  il  a 
exécuté  iavcc  une  merveilleuse  clarté  la  Fantaisie  chromatique 
et  fugue  (version  de  Bùlow),  ne  l'a  pas  empêché  de  consacrer  aux 
compositeurs  modernes  une  allcnlion  toute  particulière. 

Il  est  l'interprète  par  excellence  de  Liszt,  par  exemple,  dont 
les  tours  de  haute  voltige  musicale  lui  sont  aussi  familiers  que, 
sous  les  doigts  de  M.  Planté,  le  Menuet  de  Boccherini.  Chopin, 
Hensell,  Tausig,  Biilow,  Rubinslein,  Brassin,  — un  pieux  hom- 
mage au  maître  mon,  —  ont  été,  tour  à  tour,  l'occasion  pour 
M.  Rummel  de  faire  valoir  les  sérieuses  et  rares  qualités  de 
mécanisme  et  de  sonorité  qu'il  a  vaillamment  conquises.  Et 
l'exécution  de  la  Fantaisie  de  Schumann  cl  d'une  des  plus 


belles  sonates  de  Beethoven  a  montré,  à  côté  de  l'éblouissante 
virtuosité  du  pianiste,  le  sentiment  très  artiste  du  musicien  qui 
sait  donner  h  chaque  œuvre  la  couleur  et  le.  relief. 

Concert  de  M*i«  Bouré. 

Jeudj  soir  a  eu  lieu,  dans  les  Salons  du  Grand  Hôiel,  le  concert 
de  M"e  Mélanie  Bouré.  Elle  s'était  assuré,  pour  la  circonstance, 
le  concours  de  MM.  BIcstdagh,  ténor;  Lerminiaux,  violoniste,  et 
Jacob,  violoncelliste  solo  du  théâtre  de  la  Monnaie.  M.  Massage 
tenait  le  piano  d'accompagnement. 

La  cimtalrice  a  fait  successivement  entendre  le  grand  air  de 
la  Reine  de  Saba,  l'air  du  ¥  acte  de  Robert  le  Diable  el  une 
Idylle  de  Haydn.  Dans  ces  différents  morceaux,  «le  même  que 
dans  le  duo  de  Mireille,  qu'elle  a  chanté  avec  M.  .Mesldagh, 
M"e  Bouré  a  fait  preuve  d'une  excellente  méthode  el  de  beaucoup 
de  sentiment. 

M.  Mestdagh  possède  une  belle  voix  de  ténor,  bien  tinibrée,  et 
dont  il  se  sert  habilement.  Nous  croyons  cependant  i)niivoir  lui 
conseiller  plus  de  franchise  dans  l'émission  du  son  qui  semble 
enroué. 

Signalons  une  Romance  sans  paroles  de  la  ci)mposition  de 
M.  Jacob,  bien  faite  pour  mettre  en  relief  les  ressnuices  de  son 
instrument.  Le  public  a  semblé  goûter  beaucoup  la  Chanson  napo- 
litaine de  Cassela  jouée  par  M.  Jacob. 

M.  Lerminiaux  figurait  au  programme  avec  une  romance  de 
Johan  S.  Swendsen,  une  dos  Danses  hongroises  («o  2;  de  Brahms 
et  l'étourdissante  fantaisie  Plewna  Nota  de  Jenp  fhib.iy. 

Dans  ces  trois  morceaux  d'un  caractère  essentiellom<'nt  diffé- 
rent, il  a  été  donné  à  l'artiste  de  déployer  de  sérieuses  (jualilés. 

Concert  à  l'Essor. 


Le  pianiste  Kéfer  a  donné  à  V Essor,  jxyqc  le  concours  de 
MM.  Wullner,  pianiste,  Suy,  ténor,  Vander  Golcn,  ha  s»,  une 
très  intéressante  séance  Wac:ner. 

Des  fragments  des  MaUres'-Chan leurs,  de  Loktnujrin  el  des 
Nibelungen  ont  été  successivemenl  applaudis  par  un  auditoire 
très  sympathique  aux  exéculants. 


Jhéatre? 

Théâtre  de  la  Monnaie. 

Reprise  de  Lucie. 

Mii°  Cécile  Mézeray  avait  à  triompher,  dans  le  rô!«^  de  Lucie, 
de  redoutables  souvenirs  el  de  comparaisons  lou:des  à  porter  : 
la  Patli,  KAlbani,  toutes  les  cantatrices  en  renom  ont  fiil  de  la 
fiancée  de  Lammermoor  leur  création  favorite.  Elles  roni  habillée 
de  séductions,  elles  l'ont  parée  de  tous  les  joyaux  de  l'art  du 
chant;  elles  l'ont  fleurie^  parfumée;  elles  ont  eu  pour  elle  le 
culte  que  les  Byzantins  pratiquaient  à  l'égard  de  leurs  madones. 
Désormais,  sous  peine  de  sembler  nue,  la  statue  tloii  apparaître 
dans  un  ruissellement  de  perles,  dans  un  éunL-cllenient  de 
bijoux. 

El  c'est  telle  qu'elle  nous  est  apparue  la  semaine  dernière. 
W^^  Mézeray  a  assoupli  sa  voix  aux  vocalises  les  plus  échovelées 
que  la  tradition  impose  aux  chanteuses.  Elle  a  eu  le  charme,  et 
la  grâce,  et  l'élégance..  Dans  les  parties  tragiques  de  l'œuvre, 


1 


clic  a  trouvé  l'accenl  cmu,  sans  affoctaiion  cl  sans  excès.  Aussi 
6on  succès  a-t-il  élé  complet,  universel,  cl  sans  doule  le  bruil  des 
applaudissemonts  et  des  bravos  qui  l'ont  saluée  lui  a-t-il  paru 
une  nuisique  plus  douce  cl  plus  enlaçante  que  celle  qui  sorlail 
de  l'orchoslro... 

M.'  Engel  faisait  dans  le  personnage  d'Edgard  son  second  début. 
On  ne  pourrait  vraiment  jouer  mieux,  ni  cbanler  avec  plus  de 
cliarme.  Dès  l'entrée  de  l'arliste,  on  sent  qu'on  a  affaire  à  un 
comédien  accompli  rien  quà  la  façon  dont  il  marche,  dont  il  se 
débarrasse  de  son  manteau,  dont  il  salue.  Quand  il  ouvre  la 
ïjouche,  on  esl  subjugué.  Sa  voix  est  d'un  timbre  exquis,  et  il 
la  mène  avec  un  art  accompli,  en  musicien  et  en  chanteur. 
u  C'est,  disait-on  dans  l'entr'acle,  le  Boyer  des  ténors.  »  On  sait 
on  quelle  estime  on  tient  le  mérite  du  baryton  qui  a  fait,  avec 
M"''  Mézeray,  la  gloire  de  l'opéra  comique  à  Bruxelles.  Dire  de 
M.  Eugel  qu'il  doit  être  mis  sur  la  même  ligne  que  lui,  c'est  faire 
de  l'arliste  un  éloge  décisif.  Toute  autre  observation  serait  super- 
flue, et  nous  nous  bornons  à  féliciter  la  direction  de  la  bonne 
fortune  inespérée  qui  lui  a  permis  de  réunir  dans  une  même 
troupe  trois    arlisles   dont    chacun  ferait    la   réputation  d'un 

théûtre. 

Reprise  du  Barbier  de  Seville. 

Reprise  ou  création?  Il  serait  difficile  de  le  dire,  tant  l'ouvrage 
a  paru  pimpant,  neuf,  frais  et  charmant.  Jamais  on  n'avait 
pnlendu  à  Bruxelles  ensemble  plus  sémillant.  Toute  la  salle  a  été 
réjouie  de  ce  perpétuel  feu  d'artifice  dont  les  fusées  montent 
jusqu'aux  astres  en  vocalises  si  gaies,  si  folles,  qu'elles  ont  l'air 
de  se  moquer  cl  du  texte,  et  du  public,  et  du  compositeur  qui 
n'est  pas  parvenu  h  les  contenir... 

M"*-'  Mézerav,  >l.  Enc:el  et  M.  Bover  ont  été  fêlés,  acclamés, 
rappelés.  Le  premier  acte  a  été  enlevé  avec  une  verve  et  une 
gaîlé  qui  ont,  dès  cet  instant,  décidé  du  succès  considérable  de 
la  représenlaiiop. 

La  charmante  prima  dona  a  gazouillé  avec  une  virtuosité 
extrême  les  gammes  chromatiques  cl  les  trilles  dont  Rossini  a 
saupoudré  sa  partition,  —  si  souvent  défaite  et  refaite  par  les 
cantatrices  qu'on  se  demande  s'il  resie  encore  quelques  notes  de 
la  version  originale.  Elle  a  remporté,  à  l'acte  de  la  leçon  de 
chant,  un  joli  succès  dans  l'air  iVAcle'oji.  W.  Engel  est  l'un  des 
rares  premiers  ténors  que  ne  rebutent  point  les  vocalises  du 
Barbier.  On  sait  que  le  rôle  d'Almaviva  est  généralement  confié 
ô  quelque  deuxième  ou  troisième  ténor,  les  premiers  artistes  de 
l'emploi  n'étant  nullement  disposés  h  interprêter  ces  excentricités 
musicales  qu'il  a  plu  à  l'auteur  de  Guillaume  Tell  d'écrire  en  un 
niomenl  de  joyeuse  humeur.  M.  Engel,  dans  ce  rôle  difficile,  a 
donné  une  nouvelle  preuve  de  la  souplesse  de  son  talent.  Quant 
h  M-  Boyer,  il  a  été  à  la  hauteur  de  ce  qu'on  attendait  de  lui, 
c'est  tout  dire.  Il  a  compose  un  Figaro  délicieux,  gai  sans 
trivialité,  aussi  parfait  chanteur  que  musicien.  Et  si  M.  Devries 
eût  été  un  peu  moins  «  pompe  funèbre  »  la  représentation  eût 
été  irréprochable 

On  a  constaté,  avec  quelque  surprise,  une  dérogation  à  la 
défense,  prescrite  depuis  longtemps  au  théâtre  de  la  Monnaie, 
de  faire  passer  des  tîeurs  aux  artistes  au  cours  de  la  représenta- 
lion.  Celle  démonstration  galante,  mais  anti-artistique  et  qui  sent 
îsa  province,  a  choqué  bon  nombre  de  personnes.  Sans  doule  la 
direction  prcndra-t-elle  les  mesures  pour  que  le  fait  ne  se  repro- 
duise plus. 

Signalons,  poiir  terminer,'  une  heureuse  irinovalion   de   la 


direction  nouvelle,  que  nous  avions  annoncée"  au  début  delà 
campaèjne.  Dimanche  dernier  a  eu  lieu  la  première  représenta- 
tion en  matinée.  On  jouait  le  Voyage  en  Chine,  et  le  spectacle 
de  la  salle,  où  tous  les  bébés  bruxellois  ont  été  fêter  la  Sainte 
Nicolas,  a  été  aussi  curieux  que  celui  de  la  scène.  Une  deuxième 
matinée  est  annoncée  pour  aujourd'hui.  On  jouera  Le  Chalet^ 
Bonsoir,  M.  Pantalon!  cl  Coppclia.  Les  spectacles  de  jour  ont 
à  Paris  un  succès  tel  qu'on  peut  prédire  à  la  tentative  de  M.  Ver- 
dhurl  une  réussite  complète. 

Théâtre  du  Parc. 

AntoinetïeRigaud 

«  Grand  succès  du  Théâtre  Français.  » 

Bien  en  vedette,  en  grosses  leltri's,  sur  les  kiosques  des  bou- 
levards s'étalent  ces  mots  :  «  Grand  succès  du  Théâtre  Fran- 
,  çais...  » 

C'est  une  invitation  aux  Panurges  bruxellois.  On  a  applaudi 
k  Paris,  il  faut  applaudir  ici. 

Nous  avons  voulu  voir  —  comme  tout  le  monde  —  mais 
quant  aux  applaudissements,  nous  avons  fait  nos  réserves. 

Décidément,  Georges  Ohneta  fait  école.  Le  Maître  de  Forges 
a  tenu  à  rattraper  le  temps  perdu,  et  sa  famille  s'augmente, 
s'augmenle... 

Une  femme  mariée  qui  est  sur  le  point  de  succomber,  mais 
qui  s'arrête  au  bon  moment,  un  peintre  trop  entreprenant,  un 
général  très  fort  sur  les  principes,  un  capitaine  d'état-major  (un 
héros  de  dévouement  celui-là),  un  mari  comme  tous  les  maris, 
arrivant  toujours  mal  à  propos,  une  douce  jeune  tille  qui  demande 
à  être  épousée  à  la  chute  du  rideau,  quand  tous  se  sont  expliqués 
cl  embrassés... 

Il  faut  toujours  qu'une  porte  soil  ouverte  ou  fermée;  cela  est 
également  vrai  pour  les  fenêtres.  Car  il  y  a  une  fenêtre;  il  n'y  a 
même  que  cela.  Un  monsieur,  pour  des  raisons  que  vous  devi- 
nez, se  voit  obligé  de  s'enfuir;  il  saute  par  la  fenêtre.  Or,  celle 
fenêtre  esl  celle  d'une  pauvre  et  innocente  jeune  fille...  Le  len- 
demain, tapage;  le  papa,  le  général  fronce  le  sourcil,  il  se  fâche, 
il  invective  le  malheureux  capitaine;  celui-ci  se  dévoue  pour 
sauver  sa  sœur,  Antoinette.  Brave  garçon,  va  !  Il  va  même  don- 
ner sa  démission  comme  le  premier  fils  de  Coralie  venu.  Heu- 
reusement Antoinette,  prise  de  remords,  va  tout  déclarer  au 
général.  Sur  quoi  le  vieux  bonhomme  esl  si  heureux  qu'il  donne 
sa  fille  au  capitaine.... 

Tout  le  monde  se  dévoue  dans  celte  pièce-là,  et  puisque  tout 
le  monde  esl  content,  ne  nous  montrons  pas  trop  sévère. 

En  somme,  Antoinette  Rigaudon  ce  gt-and  succès  du  Théâtre 
Français,  »  ne  vaut  pas  plus,  ne  vaut  pas  moins  que  ses  devan- 
cières. Vous  connaissez  la  recette,  vous  flattez  votre  public,  ce 
public  qui  n'aime  pas  les  choses  trop  risquées.  C'est  une  excel- 
lente potion  à  prendre  après  les  repas.  Cela  facilite  la  digestion. 

Et  puis,  c'est  un  vrai  cours  de  morale.  11  y  a  des  leçons 
utiles  pour  les  femmes  mariées  trop  légères,  pour  les  rapins  trop 
imprudents,  pour  les  maris  qui  doivent  remplir  des  fonctions  de 
juré,  et  qui  sont  trop  pressés  de  rentrer  chez  eux. 

Quant  à  l'inlerprélalion,  elle  esl  très  satisfaisante.  M"'«  Sarah 
Rambert  promène  toujours  sa  majesté,  mais  semble  s'imaginer 
parfois  qu'elle  joue  la  scène  de  l'agonie  dans  la  Duchesse  Lyly, 
M"e  Sigall  joue  gentiment  son  petit  rôle.  .-       - 

Du  côté  des  hommes,  il  nous  faut  accorder  une  mention  toute 
spéciale  à  M.  Chômé.  Ce  jeune  artiste,  un  de  nos  compatriotes, 


VART  MODERNE 


403 


qui  a  débuté  récemment  dans  le  Dépit  amoureux^  nous  arrive  de 
Paris,  après  avoir  passé  par  le  Conservatoire  de  Bruxelles.  C'est 
Dclaunay,  qui  l'a  envoyé  acquérir  des  planches  chez  M.  Candcilh. 
Sa  diction  est  presque  irréprochable  ;  il  a  de  la  chaleur,  mais  son 
geste  laisse  parfois  à  désirer.  Nul  doute  qu'après  un  peu  de 
pratique,  il  n'arrive  à  se  débarrasser  des  très  petits  défauts  qui 
l'empêchenl  encore  d'être  un  acleur  de  premier  ordre,  ce  qui 
ne  manquera  pas,  nous  en  sommes  certain,  de  lui  arriver  très 
prochainement. 

Théâtre  Molière. 

Miss Mult07î  a  fait  sa  lugubre  et  mélodramatique  apparition  au 
théâtre  Molière.  Après  les  farces  académiques  de  Piccolino,  cette 
pièce  de  noir  velue  n'a  pas  été  mal  accueillie,  mais  si  le  public 
avait  pu  faire  entendre  ses  pensées  de  derrière  la  tête,  il  aurait 
afîirmé  que  décidément  celte  mère  poslhume,  qui  vient  vivrai 
auprès  de  son  époux  remarié  comme  gouvernante  de  ses  propres 
enfants,  n'est  pas  l'idéal  qu'il  cherche  pour  ses  distractions 
d'après-dîner.  Il  voit  donc  avec  une  douce  joie  Le  Gendre  de 
M.  Poirier  prendre  rang  sur  l'atïtchc  et  reconnaît  en  lui  une 
vieille  connaissance,  très  vieille  même  puisque  voici  belle  lurette 
qu'elle  sert  de  pendant  à  la  non  moins  vénérable  M"*-'  de  la 
Seiglière. 

Miss  MuUon  a  été  interprétée  au  théâtre  Molière  avec  soin  et 
conscience. 


J^' 


OTE?    DE    J-IBRAIRIE 

L" Adversaire  :  sous  ce  titre  vient  de  paraître  chez  Ollendort 
un  curieux  roman  qui  a  déjà  soulevé,  lorsque  la  Nouvelle  Revue 
Ta  donné,  la  plus  violente  polémique  de  la  presse  protestante. 
C'est,  sous  un  récit  dramatique,  poignant  et  dont  les  détails  sont 
empruntés  à  la  réalité,  l'étude  d'une  folie  "religieuse;.  Les  faits 
sont  vus.  Les  documents,  surtout  ceux  sur  l'Armée  du  Salut, 
sont  de  première  main.  L'auteur,  M.  H.  Maystre,  qui  occupe  de 
hautes  fonctions  dans  l'église  de  Genève,  a  observé  lui-même  ce 
qu'il  dépeint. 

A  la  même  librairie  voici  la  Bonne  en  Or,  d'Henri  Pagat,  une 
œuvre  de  slyle,  taillée  en  pleine  nature.  Dans  une  forme  limpide 
d'une  incontestable  originalité,  l'auteur  analyse  un  vice  grotesque 
et  meurtrier. 

Il  est  d'une  note  bien  personnelle,  ce  roman  qui,  foncièrement 
chaste,  traversé  seulement  par  un  amour  de  vierge,  vibre  aussi 
passionnément  qu'une  épopée  charnelle. 


^ETITE    CHROJNIQUE 


La  soirée  «  à  sensation  »  qui  préoccupe  depuis  quelques  jours 
le  high  life  bruxellois  et  que  nous  devrons  à  la  généreuse  initia- 
tive d'un  amateur  d'art  bien  connu,  vient  d'être  fixée  au  mardi 
2'2  courant.  On  sait  qu'il  s'agit  d'une  représentation  —  unique  — 
au  théâtre  de  la  Monnaie  des  deux  |)Ius  récents  succès  de  la 
Comédie  française,  L Hcrilièrc  ('\  iSoc raie  el  êa  femme,  ]Oués  par 
l'élite  des  sociétiircs  de  la  Maison  :  Reichemberg,  Samary, 
Tholer  et  les  deux  Coquelin.  C'est  au  bénéfice  des  pauvres  de 
Bruxelles  que  cette  représentation  sera  donnée.  Elle  fera  date 
dans  nos  annales  artisti([ues. 

Il  est  question  de  donner,  également  à  la  Monnaie,  trois  repré- 


sentalions  de  V Arlésienne  que  l'Odéon,  après  l'avoir  jouée  sans 
interruption  pendant  trois  mois  l'an  dernier,  a  reprise,  au  début 
de  la  présente  saison,  avec  grand  succès. 

Ce  seraient  les  artistes  de  ce  théâtre  qui  viendraient  interprêter 
U  Bruxelles  la  pièce  d'Alphonse  Daudet  à  laquelle  Bizet  a  donné  le 
merveilleux  cadre  musical  que  les  Concer'.s  populaires  ont  déjU 
fait  connaître  en  partie. 

Nous  apprenons  avec  plaisir  les  succès  l'cmporiés  en  Aulricbc 
par  l'un  de  nos  compatriotes  les  plus  estimés,  le  peintre  Féli.% 
Cogcn..  Invité  par  le  Kunslverein  de  Vienne  à  exposer  quel- 
ques-unes de  ses  œuvres  aux  Salons  organisés  par  les  soins  de  la 
société  dans  les  villes  principales  de  l'Autriche,  M.  Cogen  a  eu  la 
satisfaction  de  voir  ses  tableaux  —  parmi  lesquels  figurent  ses 
Femmes  de  pêcheurs  de  Scheveningue  attendant  la  vente  du  pois- 
son, ses  Naufragés  et  plusieurs  études  de  pêcheurs  —  loués  jiar 
l'ensemble  des  journaux  et  reproduits  dans  les  feuilles  illustrées. 
C'est  h  Gralz  que  sont  exposées,  depuis  quelques  jours,  les 
œuvres  de  l'artiste. 

Récemment  nous  manifestions  le  regret  de  voir  abandonnées 
par  les  artistes  les  attrayantes  séances  de  musique  dt)nnées  dans 
les  ateliers.  Nous  apprenons  avec  plaisir  que  ces  auditions  vont 
être  prochainement  reprises.  C'est  dans  le  magnifique  atelier  du 
sculpteur  Charles  Van  der  Stappen  qu'elles  auront  lieu.  Elle» 
seront  Organisées  par  MM.  De  Greef  et  Agniez.  La  première  est 
fixée  au  27  courant. 

On  a  vendu  cette  semaine  à  la  Galerie  Saint-Luc,  sous  l'intel- 
ligente direction  des  experts  Etienne  Le  Roy  et  Jules  De  Brau- 
were,  les  tableaux,  aquarelles  et  dessins  laissés  par  le  peintre 
Van  Muer.  Les  enchères  ont  été  vivement  disputées  par  la  foule 
élégante  qui  a  suivi,  quatre  jours  durant,  cette  vente  intéressante. 
La  première  vacation  a  produit  18,974  francs,  la  deuxième 
2.*), 310,  la  troisième  6,771,  soit  ensemble  51,055  francs.  La 
quatrième  vacation  n'est  pas  terminée  à  l'heure  où  paraissent  ces 
lignes.  Voici  quelques  prix  : 

L entrée  du  Grand  canal  près  de  la  Salule,  1,350  francs; 
Llle  Saint- Georges  le  «mr  (Salon  de  1866),  1,150  francs;  Le 
Grand  canal  devant  le  Môle  et  la  Piazetta,  800  francs;  Intérieur 
de  V Eglise  Sainte-Gudule,  800  francs;  la  Place  du  temple  à 
Spalato,  950  francs;  le  Sanctuaire éC Edfou,  720  francs. 

La  distribution  des  prix  décernés  aux  élèves  du  Conservatoire 
de  musique  de  Mons  dans  les  concours  de  l'année  scolaire 
1884-1885  aura  lieu  au  théâtre,'  le  27  courant,  à  11  heures. 


Le  notaii'e  Van  Halteren,  à  l'intervention  de  son  collègue  M«  De 
Keersmaecker,  vendra  publiquement,  le  lundi  28  décembre  1885,  et 
jours  suivants,  à  dix  heures  du  matins  en  la  maison  sise  à  Bruxelles, 
rue  N«uve,  26, 

LE  BEAU   MOBILIER 

GARNISSANT  LADITE  MAISON 

consistant  notamment  en  meubles  et  objets  de  salon,  de  salle  à  man* 
ger,  de  chambres  à  coucher  et  de  cuisine  ; 

Batterie  de  cuisine  en  cuivre  rouire  et  jaune;  —  Porcelaines  et 
cristaux  ;  —  Linges  de  maison,  de  table  et  de  cuisine  ; 

Argenterie  et  plaqué  ;  —  Vins  de  Bordeaux  et  de  Bourgogne  ; 

Piano-bulTet  en  palissandre  de  la  maison  Berden  ; 

Voitures  :  Un  coupé  de  la  maison  Jones  frères,  et  une  Victoria- 
mylord;  —  Harnais  pour  un  et  pour  deux  chevaux. 

Exposition  :  La  veille  de  la  vente,  Dimanche  27  décembre  courant 
de  dix  à  trois  heures. 

La  vente  aura  lieu  au  comptant,  avec  augmentation  de  10  p  %,  à 
titre  de  frais. 


404 


UART  MODERNE 


V  CINQUIÈME  ANNÉE 

.     \  ■  ■  ■  ■  •  '  ■         - 

L'ART  MODERNE  s'est  acquis  par  l'autorité  et  l'indépendance  de  sa  critique,  par  la  variété  de  ses 
informations  et  les  soins  donnés  à  sa  rédaction  une  place  prépondérante.  Aucune  manifestation  de  l'Art  ne 
lui  est  étrangère  :  il  s'occupe  de  littérature,  de  peinture,  de  sculpture,  de  gravure,  de  musique, 
d'architecture,  etc.  Consacré  principalement  au  mouvemept  artistique  belge,  il  renseigne  néanmoins  ses 
lecteurs  sur  tous  les  événements  artistiques  de  l'étranger  qu'il  importe  de  connaître. 

Chaque  livraison  de  L'ART  MODERNE  s'ouvre  par  une  étude  approfondie  sur  une  question  artistique 
ou  littéraire  dont  l'événement  de  la  semaine  fournit  l'actualité.  Les  expositions,  les  livres  nouveaux,  les 
premières  représentations  d'œuvres  dramatiques  ou  musicales,  les  conférences  littéraires,  les  concerts,  les 
ventes  cC objets  d'art,  font  tous  les  dimanches  l'objet  de  chroniques  détaillées. 

L'ART  MODERNE  relate  aussi  la  législation  et  la  jurisprudence  artistiques.  Il  rend  compte  des 
procès  les  plus  intéressants  concernant  les  Arts,  plaides  devant  les  tribunaux  belges  et  étrangers.  Les 
artistes  trouvent  toutes  les  semaines  dans  son  Memehto  la  nomenclature  complète  des  expositions  et 
concours  auxquels  ils  peuvent  prendre  part,  en  Belgique  et  à  l'étranger.  Il  est  envoyé  gratuitement  à 
l'essai  pendant  un  mois  à  toute  personne  qui  en  fait  la  demande. 

L'ART  MODERNE  forme  chaque  année  un  beau  et  fort  volume  d'environ  450  pages,  avec  deux 
tables  des  matières,  dont  Vunc  par  ordre  alphabétique,  de  tous  les  artistes  appréciés  ou  cités.  Il  constitue  pour 
riiistoire  de  l'Art  le  document  LE  PLUS  COMPLET  et  le  recueil  LE  PLUS  FACILE  A  CONSULTER. 


PRIX    D'ABONNEMENT 


Belgique  lO   fl*.   par  <an. 

Union  postale    î  îi    f*I*»        » 


Quelques  exemplaires  des  quatre  premières  années  sont  en  vente  aux  bureaux  de  L'ART  MODERNE, 
rue  de  l'Industrie,  26,  au  prix  de  30  francs  chacun. 


J.  SCHAVYB,  Relieur 

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KruxeUes.  —  Jinp.  Félix  Caliewaert  père.  —  V  Monnom,  successeur,  rue  de  rindustiie,  26. 


■MHIMMMHlÉiaMBBMÉaÉki 


Cinquième  année.  —  N*'  51 


Le  numéro  :  25  centimls. 


Dimanche  20  Décembre  188j5. 


L'ART 


DERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DIS  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 

ABONNEMENTS  :    Belgique,   uu   an,   fr.   10.00;  Union   postale,    fr.  .13.00.    —   ANNONCES   :    On    traite   à   forfait. 

Adresser  les  de77iandes  d'abo7inement  et  toutes  les  communications  à 

l'administration  générale  de  TArt  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


^OMMAIRE 


Comment  on  dirige  un  théâtre.  Quatrième  lettre. 
Parent.  —  Georgette  au  théâtre   du   Vaudeville. 
Heusciiltng.  - —  Correspondance  musicale  de  Paris. 
LIBRAIRIE.  —  Petite  ciirunique 


—  Monsieur 

—  Concert 

—  Notes  de 


COMMENT  OX  DIRIGE  IN  THEATRE. 

Quatrième  lettre  (*). 

'A  Monsieur  le  Directeur  de  l'Art  moderne. 

.  Je  finissais  ma  lettre  précédente  en  disant  :  Très 
bien  administré  par  des  liommes  expérimentés,  très 
regardants,  rompus  à  toutes  les  difficultés  du  métier, 
en  possession  de  la  faveur  de  notre  public,  le  théâtre 
de  la  Monnaie  donnait  normalement  40,000  francs  de 
bénéfices  en  ces  dernières  années. 

Vous  me  communiquez  une  note,  mon  cher  Direc- 
teur, dans  laquelle  on  affirme  qu'en  1880-81  on  a 
atteint  le  chifïre  de  122,000  francs;  vous-même  vous 
m'objectez  l'exercice  1884-85  dans  lequel  on  a  fait 
50,000  francs.  La  réponse  est  facile  :  1880  81,  c'est 
l'année  du  cinquantenaire;  tous  les  théâtres  de 
Bruxelles  ont  eu  une  prospérité  aussi  intense  que  pas- 
sagère; vous  souvenez-vous  du  succès  de  l'Eden, 
aujourd'hui  délaissé?  Nous  parlerons  de  ces  bénéfices 
inespérés  lors  du  centenaire,  si  nous  vivons  encore,  ce 
qui  certes  ne  sera  pas  mo^i  cas.  Quant  à  l'année  der- 


(*)  Voir  nos  trois  derniers  numéros. 


nière,  ce  fut  celle  des  crrandes  économies  dans  les  créa- 
tions  :  je  vous  rappelle  que  la  direction  n'a  dépensé 
que  25,000  francs  environ  \}omv  Obéron  et  les  MaîtreS' 
Clianieurs,  soit  15,000  francs  de  moins  au  minimum 
que  \iOMV  Sigurd  et  Hérodiade,  55,000  francs  de 
moins  que  pour  Aida  que  la  Ville  a  subsidié,  si  je 
ne  me  trompe,  dans  une  très  forte  proportion.  Puis  on 
avait  cette  chance  inouie  d'avoir  moyennant  3,000  fr. 
par  mois  une  première  chanteuse  d'élite  qui  faisait 
presque  constamment  recette,  M'""  Rose  Caron. 

C'était  donc  vraiment  40,000  francs  la  normale.  C'est 
bien  elle  aussi  qu'on  retrouverait  sans  doute  en  faisant 
la  moyenne  des  dix  années  de  gestion  de  MM.  Stoumon 
et  Calabrési,  car  il  y  en  eut  une,  m'assure-t-on,  après 
laquelle  ils  furent  largement  en  perte,  soit  par  la  pré- 
sence à  Bruxelles  d'un  cirque  pour  lequel  nos  dilet- 
tanti  s'étaient  inopinément  toqués,  soit  à  cause  d  une 
tentative  d'augmentation  du  prix  des  places,  soit  parce 
qu'il'^-n'avaient  pas  l'habileté  qui  depuis  les  caractérisa, 
quesais-je? 

Eh  bien!  c'est  au  moment  où  une  pratique  très 
longue,  très  nette,  ti^ès  démonstrative  vient  ainsi 
d'asseoir  le  résultat  de  cet4e  entreprise  aux  facteurs 
multiples,  que  l'administration  communale  (est-ce  sur 
l'ijiitiative  de  l'échevin  des  Beaux-Arts  ?)  a  jugé  à  pro- 
pos de  faire  dans  la  partie  financière  des  modifications 
qui,  si  elles  eussent  été  en  vigueur  sous  la  très  bonne 
direction  précédente,  auraient  eu  pour  conséquence 
nécessaire  de  lui  rafler  net  tout  bénéfice  et  même  de 
la  constituer  en  perte.  -         . 


\ 


En  effet,  d'abord  on  a  augmenté  de  3,000  francs  par 
mois  les  frais  d'orchestre,  soit  24,000  francs  de  plus 
pour  la  saison.  D'après  le  cahier  des  charges  actuel, 
l'orchestré  coûte  12,375  francs  par  mois,  non  compris 
les  deux  chefs,  le  harpiste,  les  répétiteurs,  les  accompa- 
gnateurs exécutant  les  parties  d'orgue.  On  a  certes  vu 
avec  plaisir,  en  général,  la  majoration  des  appointe- 
ments des  excellents  musiciens  dont  les  interprétations 
seraient  uniques  si  elles  n'étaient  pas  quelquefois  un 
peu  bruyantes.  C'est  surtout  depuis  que  les  examens 
récemment  institués  ont  supprimé  quelques  non  valeurs 
que  ce  merveilleux  ensemble  a  été  obtenu.  Pourtant 
j'ai  entendu  des  spécialistes  trouver  que  c'était  peut- 
être  cher.  Les  prix  actuels  sont  de  250,  225  et  200  fr. 
pour  les  chefs  de  pupitre,  de  180  à  140  francs,  pour  les 
exécutants  ordinaires  ;  nul  n'a  moins  que  cette  dernière 
somme,  sauf  la  batterie  dont  les  trois  servants  ont  cha- 
cun 100  francs. 

Ci  donc,  une  dépense  supplémentaire  de  24,000  francs, 
à  quoi  il  faut  ajouter  :  15,000  francs  au  moins  pour  le 
subside  supplémentaire  que  la  Ville  payait  pour  couvrir 
en  partie  les  droits  d'auteur  de  150  francs  par  soirée  ; 
de  plus,  10,000  francs  pour  la  rétribution  des  Concerts 
populaires,  qui  payaient  la  salle  taudis  que  mainte- 
nant on  impose  à  la  direction  d'en  donner  l'usage  sans 
autre  compensation  qu'une  légère  restitution  de  frais. 
Total  ;  49,000  francs!!! 

-Il  n'y  a  pas  lieu  de  s'étonner  que  MM.  Stoumon  et 
Calabrési  aient  tiré  leur  coup  de  chapeau. 

Mais  il  y  a  lieu  de  s'étonner  que  la  Ville  ait  commis 
pareille  injustice.  Il  faut  croire  qu'elle  n'avait  pas 
analysé  la  situation,  ni  épluché  les  comptes. 

J'ai  trouvé  singulier  au  premier  abord  que  des  direc- 
teurs nouveaux  se  présentassent.  Je  ne  cessais  de  dire  à 
cette  époque,  et  je  n'étais  pas  le  seul,  qu'une  exploita- 
tion sur  ces  bases  nouvelles  était  une  duperie,  qu'avec 
beaucoup  de  peines  et  de  soins  elle  n'arriverait  qu'à 
nouer  les  deux  bouts.  Je  serais  curieux  de  connaître  les 
derniers  bilans  mensuels  de  septembre,  octobre,  novem- 
bre :  je  suis  convaincu  qu'il  y  a  perte,  même  en  ne 
tenant  pas  compte  de  ce  que  je  qualilBerai  frais  de  pre- 
mier établissement,  c'est-à-dire  les  dépenses  inévitables 
et  passagères  résultant  des  écoles  commises  par  un 
nouveau  venu  et  de  la  mauvaise  humeur  des  abonnés 
dérangés  dans  leurs  habitudes,  ennemis  des  nou- 
veautés, et  partant  juges  trop  sévères.  Il  est  vrai  que 
les  mauvais  mois  sont  les  quatre  premiers;  il  y  a  tou- 
jours recrudescence  de  janvier  à  la  fin  (Je  la  saison;  il 
y  a  aussi  les  bals  masqués.  Mais  précédemment  on 
équilibrait,  ou  à  peu  près,  pendant  la  première  moitié. 
Je  le  répète,  je  trouvais  singulier  que  MM.  Campbcasso, 
Verdhurt,  Alhaiza  fussent  en  compétition.  Je  me 
disais  que  si  on  pouvait  se  rendre  compte,  il  n'y  aurait 
personne.  Mais  voilà  :  c'est  qu'on  ne  pouvait  se  rendre 


compte.  L'exploitation  du  théâtre  de  la  Monnaie  a  tou- 
jours été  un  mystère  quant  aux  chiffres.  On  a  laissé 
courir  à  son  sujet  toutes  sortes  de  légendes.  On  n'a 
jamais  rectifié  les  évaluations  fantaisistes  des  journaux. 
Je  crois  que  les  concurrents  n'ont  pas  le  droit  d'exa- 
miner au  préalable  la  comptabilité  de  leurs  prédéces- 
seurs. On  n'arrête  pas  un  devis  préalable  comme  en 
matière  de  travaux  publics.  On  soumet,  on  ne  sait 
pourquoi,  cette  lourde  et  obscure  entreprise  à  un 
régime  spécial  Tout  est  hasard  pour  qui  se  présente 
et  c'est  d'autant  plus  trompeur  que  les  imprésarios 
sont  sujets  à  d'étranges  illusions.  C'est  par  accident 
qu'ils  apprennent  ce  que  coûtent  les  artistes  en  exer- 
cice et  ils  ne  sont  jamais  bien  au  courant  de  ce  point 
essentiel  quand,  dès  février,  ils  sont  dans  la  nécessité 
de  recruter  leur  troupe  nouvelle.  Les  impairs  les  plus 
désastreux  peuvent  se  produire  sans  qu'ils  s'en  doutent. 

Aussi  souhaiterais-je  que,  très  franchement,  on  pu- 
bliât chaque  année  les  comptes,  afin  que  chacun  pût 
savoir  par  le  menu  ce  que  coûte  une  troupe  qui, 
pour  les  vrais  amateurs,  désintéressés  de  toute  préoc- 
cupation sentimentale  à  l'égard  du  ténor  ou  de  la  forte 
chanteuse,  serait  l'honnête  pratique  du  cahier  des 
charges  et  la  proscription  de  tout  carottage  (excusez  la 
familiarité  du  mot).  En  agissant  ainsi,  la  Ville  attein- 
drait un  triple  but  :  d'abord  elle  montrerait  si  vrai- 
ment l'accroissement  de  charges  qu'elle  a  imposé 
était  opportun.  Ensuite,  il  y  aurait  un  point  d'appui 
très  ferme  pour  discuter  avec  les  artistes  le  mon- 
tant de  leurs  engagements.  Je  ne  puis  faire  plus, 
pourrait  leur  dire  la  direction,  statistique,  officielle  en 
mains;  actuellement  ils  s'imaginent  toujours  que  la 
direction  qui  marchande  veut  les  gruger.  Enfin,  mes- 
sieurs les  journalistes  (ils  ne  m'en  voudront  pas,  je 
l'espère,  de  les  mettre  si  souvent  en  cause),  seraient  en 
mesure  de  mieux  se  rendre  compte  de  la  situation,  et 
de  ne  plus  réclamer  à  cor  et  à  cris  des  choses  irréali- 
sables, ce  qui  serait  fort  heureux  pour  ceux  qu'ils 
piquent  journellement  de  leurs  aiguillons. 

Remarquez  que  cela  ne  serait  pas  absolument  nou- 
veau. Les  journaux  parisiens  donnent  chaque  mois  le 
bilan  de  l'Opéra.  Ils  renseignent  aussi  sur  les  recettes 
des  autres  exploitations  dramatiques  ou  lyriques. 

Mais  je  reviens  à  mon  propos  principal  qui  se  résume 
en  ceci  :  à  un  théâtre  qui  faisait  normalement 
40,000  francs  de  bénéfices,  on  a  imposé  49,000  francs 
de  charges  nouvelles. 

C'est  à  n'y  pas  croire  et  que  peut-on  espérer  d'un  tel 


régime  ? 


L'état  des  choses  était  déjà  trè^  tendu.  En  eff'et, 
40,000  francs,  c'était  à  peu  près  ce  que  donnaient  les 
bals.  Ils  coûtent  5  à  6,000  francs  de  frais  et  rapportent 
de  30  à  40,000.  De  telle  sorte  que  prenant  l'affaire  à 
un  point  de  vue  nouveau,  il  était  permis  de  dire  que 


notre  première  scène  lyrique,  l'honneur  et  la  joie  de 
la  capitale,  l'expression  suprême  du  grand  art  en 
Belgique,  dépendait  tout  entière  du  point  de  savoir 
s'il  y  aurait,  au  début  du  carême  et  à  la  mi-carême,  un 
nombre  suffisant  de  pierrots,  de  bergères  et  de  postil- 
lons qui  se  décideraient  a  aller  chahuter  au  théâtre  et 
à  irriter  leurs  gastrites  avec  le  Champagne  de  pacotille 
qui  se  débite  au  foyer  et  dans  les  couloirs  ! 

La  vérité  est  que  les  avantages  financiers  anciens 
étaient  déjà  insuffisants.  Deux  directeurs  n'ayant  à  se 
partager  comme  bénéfices  que  40,000  francs,  avec  les 
chances  terribles  et  presque  toujours  foudroyantes,  en 
pareille  matière,  d'une  déconfiture,  c'est  peu.  Aussi,  à 
mon  avis,  n'a-t-on  pu  attirer  des  amateurs  pour  une 
telle  aventure  qu'en  leur  dissimulant  la  réalité,  comme 
je  l'expliquais  plus  haut.  Ce  n'est  guère  louable.  Pour 
reprendre  ma  comparaison  de  tantôt,  je  signale  que 
dans  les  adjudications  ordinaires,  l'Etat,  les  provinces, 
les  communes  acceptent  la  responsabilité  de  certains 
événements  imprévus  inhérents  à  l'entreprise  :  si,  par 
exemple,  on  tombe  sur  du  mauvais  terrain,  des  sables 
boulants,  on  indemnise  ou  on  secoure  l'entrepreneur. 
Au  théâtre  de  la  Monnaie,  rien  de  pareil  :  qu'il  y  ait 
une  crise  de  forts  ténors,  qu'une  création  dépasse  les 
prévisions  en  dépenses  de  tous  genres,  qu'il  y  ait  un 
changement  dans  la  vogue,  toutes  circonstances  qui 
sont  de  véritables  cas  fortuits,  la  Ville  se  regarde 
comme  désintéressée  et  une  subvention  nouvelle  ne 
saurait  être  obtenue  que  péniblement  et  comme  une 
faveur. 

Tout  cela  est  extrêmement  périlleux  pour  l'avenir 
du  théâtre.  En  vérité»  les  subsides  et  les  avantages 
loin  d'être  diminués  auraient  dû  être  augmentés.  Il 
était  notoire  que  la  troupe,  tout  en  présentant  quelques 
très  belles  personnalités,  était  depuis  des  années  insuf- 
fisante sous  certains  rapports  et  que  les  trous  qui  s'y 
trouvaient  n'étaient  masqués  que  par  l'adroite  urbanité 
des  directeurs.  Ils  savaient  bien,  eux,  qu'ils  ne  pou- 
vaient sans  se  constituer  en  perte,  dépenser  par  mois 
les  quelques  milliers  de  francs  de  plus  qui  eussent  été 
indispensables  pour  que  rien  ne  manquât. 

Aussi  amusaient-ils,  endormaient-ils,  détournaient-ils 
de  ce  scabreux  sujet  l'attention  du  public.  Les  46,000 
francs  que  j'indiquais  dimanche  dernier  pour  l'ensemble 
du  personnel  artiste  sont  un  minimum  embarrassant  à 
maintenir.  Vous  avez  dû  être  frappé  de  cette  circon- 
stance, que  3,500  francs  pour  la  première  chanteuse 
de  grand  opéra  et  3,500  francs  pour  la  première  chan- 
teuse d'opéra-comique  sont  des  limites  extrêmes.  On 
dit  que  M^'®  ^ézeray  a  6,000  francs  par  mois.  M"'®  Ca- 
ron  ne  voulait  rester  qu'à  5,000  francs,  plus  les  cos- 
tumes, soit  également  6,000  francs.  C'est  dans  ces  prix 
qu'était  engagée  autrefois  M'"^  Fursch-Madier.  De 
même,  est-on  assuré  d'avoir  un  bon  fort  ténor  pour  les 


5,000  francs  que  j'ai  posés?  Et  un  bon  premier  ténor 
léger  pour 4, 000  francs?  Non,  n'est-ce  pas  étant  donnéesy 
les  exigences,  légitimes,  à  mon  avis,  de  notre  public? 
Il  faut  donc  se  résigner  à  dire  que  nos  deux  troupes 
exigeraient  pour  être  ce  qu'elles  doivent  être,  non  pas 
46,400  francs  par  mois,  mais  de  50,000  à  55,000  francs. 

Aussi  suis-je  convaincu  qu'il  faudra  que  la  ville 
revienne  à  des  mesures  plus  équitables.  Elles  s'imposent 
à  qui  sait  compter.  Notre  théâtre  donne,  je  l'ai  dit,  une 
moyenne  de  950,000  francs  de  recettes  avec  les  sub- 
sides actuels  qui  s'élèvent  à  200,000  francs.  On  ignore 
qu'à  Lyon  et  à  Marseille,  pour  ne  pas  citer  d'autres 
centres,  ils  soilt  de  250,000  francs  pour  six  mois  seule- 
ment, c'est-à-dire  42,000  francs  environ  par  mois, 
contre  25,000  francs  chez  nous.  Ces  scènes  nous  dis- 
putent les  chanteurs  et  peuvent  nous  les  enlever^  parce 
qu'*elles  peuvent  mieux  les  payer.  Il  faut  admettre  cette 
loi  et  s'arranger  pour  en  triompher.  D'autre  part,  les 
dépenses  sont  connues  et  irréductibles.  Depuis  les  aug- 
mentations de  charges,  elles  atteignent  et  dépassent  les 
recettes.  Il  faut,  dès  lors,  retrouver  le  bénéfice  qui 
raisonnablement  doit  être  maintenu  à  30,000  francs  au 
moins,  et  l'augmentation  pour  les  frais  de  la  troupe 
qui  doit  s'élever  à  six  ou  huit  mille  francs  par  mois.  Il 
faut  donc  une  centaine  de  mille  francs  en  plus,  ou  si 
l'on  supprime  les  charges  nouvelles,  une  cinquantaine 
de  mille  francs.- 

Comment  les  trouver  ? 

Bien  des  combinaisons  sont  possibles.  D'abord,  un 
partage  entre  la  Ville  et  la  Liste  civile  qui,  présente- 
ment, donnent  chacune  100,000  francs.  Ou  bien  une 
suppression  de  charges,  telles  que  le  gaz,  l'emploi  à  la 
réfection  des  décors  et  costumes  d'un  quart  du  subside 
annuel,  l'obligation  d'admettre  gratuitement  les  con- 
certs populaires,  etc.,  etc. 

Une  autre  idée  que  j'entendais  émettre  ces  jours-ci 
par  un  homme  très  compétent  avec  qui  je  causais  de 
tout  ceci,  m'a  paru  particulièrement  digne  d'attention. 
«  Notre  grand  théâtre,  disait-il,  dessert  aciuellement 
le  pays  entier.  Grâce  aux  trains  de  minuit,  on  vient 
d'Anvers,  de  Gand,  de  Louvain,  de  Mons.  Aussi  les 
théâtres  de  province  sont-ils  dans  le  marasme.  Vous 
savez^les  bruits  qui  courent  à  ce  sujet.  Seul  Liège 
résiste  bien,,  précisément  à  cause  de  son  éloignement. 
Je  ne  parle  que  pour  mémoire  de  nos  grandes  com- 
munes suburbaines  qui  elles  aussi  jouissent  du  même 
plaisir  sans  payer  un  sou  de  nos  subsides.  Dans  ces  ■ 
conditions,  il  serait  juste  que  l'Etat  intervînt.  Une 
forme  me  paraissait  heureuse  pour  ce  concours  :  qu'on 
rattache  l'orchestre  du  théâtre  au  Conservatoire  qui 
mieux  que  personne,  peut  le  recruter,  le  diriger, 
l'inspirer;  qu'il  en  devienne  une  dépendance  et  une 
institution...  et  que  l'Etat  le  paie.  Il  coûte  12,000  francs 
par  mois,  cela  fera  juste  la  centaine  de  mille  francs 


f 


408 


LART  MODERNE 


qui  manque  pour  que  le  théâtre  de  la  Monnaie  soit  le 
meilleur  du  monde.  » 

Et  maintenant,  mon  cher  Directeur,  que  j'ai  dit  tout 
ce  que  j'avais  sur  le  cœur,  je  retourne  à  ma  stalle,  un 
peu  essouflé,  je  l'avoue. 


^ON^IEUR    ^ARENT 


Les  temps  où  M.  Zola  était  caricaturé  menant  en  laisse  ses  quatre 
chiens  fidèles,  MM.  Huysmans,  Maupassanl,  Alexis  et  Céard,  où 
sont-ils?  La  presse  ne  distinguait  point  entre  ces  cinq  écrivains; 
les  ({uatrc  derniers  étaient  sensés  remâcher  ce  que  mâchait  d'im- 
mondices M.  Zola  cl  faire  comme  lui  —  le  resté.  I/injure  était 
adressée  à  la  collectivité;  bien  plus,  si  quelqu'un  y  mettait  par 
hasard  une  atténuation,  il  avait  souci  d'imprimer  qu'elle  ne  visait 
que  le  maître.  On  ii(hiiollait  (|u'îi  de  rares  intervalles  ce  dernier 
sortît  de  sa  houe  et  courût  dans  la  littérature,  les  pattes  propres 
et  le  museau  net.  Les  Contes  à  Ninon,  richjlle  de  Miette  et  de 
Silvère,  In  Genèse  du  Paradou  imposaient  aux  plumes  cette 
justice.  Quant  aux  disciples,  jamais  il  ne  leur  échut  de  se  voir 
ménagés  :  ils  étaient  gale  et  lèpre  des  pieds  jus()u'à  la  léte, 
pourriture  depuis  la  pointe  du  nez  jusqu'à  la  pointe  des  orteils. 
Us  commettaient  leurs  vers  et  perj)étraient  leurs  hvres.  Oh!  les 
petits  volcans  portant  en  eux  le  feu  des  Sodomes  et  la  lave  des 
Gomorrhes. 

Il  est  de  fatalité  en  littérature,  quand  un  génie  indique  une 
voie  nouvelle,  que  tous  ceux  qui  l'y  suivent  soient  confondus  les 
uns  avec  les  autres  et  traités  de  plagiaires.  Ils  forment  troupeau, 
amas,  grappe;  on  leur  refuse  toute  individualité,  toute  personna- 
lité. Ils  n'existent  point  et  l'on  affecte  d'ignort  r  leur  nom. 

D'ordinaire  parmi  ces  artistes  il  en  est  qui  sont  eux  et  ce  n'est 
qu'une  sympathie  d'idée  qui  les  lie -à  «a-ffla'i^tfe.  Celui-ci  est 
venu  fixer  une  formule,  réaliser  une  phase  de  l'évolution 
artistique,  abattre  une  convention  vieillie  :  ils  lieniient  compte 
de  ce  changement,  et  voilà  tout.  Seulement  lî^^ycri tique  et  le 
public  sont  là,  qui  ne  jugent  que  d'après  les  apparences,  qui 
acceptent  les  jugements  faciles,  qui  les  provoquent,  qui  con- 
fondent «///oz/r  avec  a/f«/owr  niaisement  ou  malignement,  qui 
ne  distinguent  point  entre  les  plagiaires  et  les  originaux,  entre 
r  Attaque  du  moulin  et  Boule  de  suif.  Pour  eux  ces  deux  nou- 
velles sont  toutes  deux  identiques  parce  qu'elles  sont  naturalistes, 
toutes  deux  mauvaises  pour  le  même  motif,  toutes  deux  illisibles 
pour  la  même  raison.  Et  la  légende  se  crée,  énorme,  injuste, 
indéracinable.  Guy  de  Maupassant?  Un  sous-Zola.  Huymans? 
Un  sous-Zola.  Et  «  la  clique  de  Médan  »  est  désormais  un  cliché 
de  presse  si  consacré  que  les  typographes  n'en  séparent  plus  lés 
lettres  et  qu'il  sert  tous  les  jours  pour  les  nouvelles  à  la  main 
aussi  bien  que  pour  les  cousidéraiions  esthétiques  du  critique 
en  habit  noir.  On  n'examine  plus^  on  ne  discute  plus.  Zola  se 
métamorphose  en  écrivain  à  dix  mains,  les  deux  siennes  et  les 
huit  autres  de  ses  amis.  11  devient  ane  sorte  de  dieu  indoii. 

Ce  qu'il  a  fa'lu  de  talent  à  MM.  Huysmans,  de  Maupassant  et 
Céard  pour  reconquérir  leurs  mains  et  casser  l'idole,  qui  le  fera 
comprendre?  Pendant  cinq  ans  leurs  livres  n'ont  point  été  jugés 
à  part;  ils  semblaient  des  annexes  aux  Rougon-Macquart. 
Marthe  (antérieure  à  Nana),  une  imitation.  Les  Sœurs  Vatard? 
elles  habitaient  rue  Goulle-dOr.  La  Vénus  rustique?  c'était 
Albine  du  Paradou. 


Enfin  Zola,  dans  sa  célèbre  polcmi(iue  avec  Albert  Wolff,  fut  le 
premier  à  mettre  on  relief  les  talenis  si  spéciaux  de  ses  (jualre 
amis.  II  marqua  chacun  d'un  chiffre  dift'ércnl,  trancha  leur  per- 
sonialiti',  fit  de  la  lumière  par  dessus  leur  tête. et,  gi'âce  au 
retentisîremenl  de  sa  bataille,  quehiues  bonnes  oreilles,  pas 
méchantes,  entendirent  raison.  Depuis,  une  détente  s'est  mani- 
festée dans  le  parti-pris  et  l'hostililé,  si  bien  qu'on  se  résigne  à 
ne  plus  contester  ni  l'étonnante  acuité  artistique  de  Huysmans, 
ni  la  maîtresse  simplicité  de  Maupassant. 

Dans  le  groupe  d'écrivains  élicjueté  naturalistes,  ce  qui  carac- 
térise l'auteur  (le  Monsieur  Parent.,  c'est  que  plus  que  tor.t  autre 
il  sait  hausser  le  terre-à-lerre  el  la  vulgarité  de  la  vie  jusques  à 
l'art.  Tous  les  naturalistes  ont  la  volonté  de  ne  traiter  que  des 
sujets  courants,  des  scènes  banales  de  tous  les  jours,  des  faits 
ramassés  au  hasard  de  l'obseivaiion  moyenne  et  bourgeoise. 
Mais  tandis  que  les  uns,  tel  Zola,  construisent  immédiatement  à 
côté  de  leur  élude  des  monuments  de  symbolisme  épique  el  de 
fantaisie  grandiose  el  que  les  autres,  tel  Huysmans,  se  sentent 
attirés  vers  les  natures  d'exception  au  point  de  rêver  des 
Esseinles,  Guy  de  Maupassant  lire  le  drame  et  la  beauté  de  l'ob- 
servation même,  affectant  de  ne  rien  outrer,  de  ne  rien  gonfler, 
de  ne  rien  grandir,  au  contraire.  Il  tient  à  n'employer  aucun 
moyen  extraordinaire,  aucune  invraisemblance,  aucun  deus  ex 
machina^  pour  atteindre  ses  eflets.  11  n'est  pas  d'écrivain  qui 
sache  autant  que  lui  dramatiser  simplement.  Il  fait  de  l'analyse 
poignante  el  sans  tapage  et  sans  embarras.  Il  ne  crie  point  sur 
les  toits  ce  qu'il  va  démontrer;  il  n'étale  pas  son  entrée  en 
matière,  il  l'expose;  il  ne  tranche  pas  des  noeuds  gordiens,  il  les 
délie. 

Son  talent  éclale  surtout  dans  la  nouvelle.  Par  nature  celle-ci 
se  prêle  î»  l'observation  claire  et  peu  complexe  ;  sa  dimension 
est  un  cadre  parfait  pour  une  narralion  brève  et  nullement 
épique. 

Le  roman,  qui  grandit  toute  étude,  qui  se  carre  avec  des  pré- 
tentions d'épopée,  veut  autre  chose  qu'un  fait-divers  si  bien 
exposé  soit-il  ;  le  roman,  quoi  qu'on  en  ait,  prétend  rester  une 
œuvre,  d'observation  certes,  mais  d'imagination  surtout.  Je  ne 
sache  pas  qu'il  y  en  ait  un  seul  de  dissection  pure.  L'esprit 
ne  peut  s'astreindre  à  n'écouter  qu'analyse  et  pathologie,  cinq 
cents  pages  durant.  Il  faut  une  échappée  soit  description,  soit 
fantaisie,  soit  dissertation.  Un  vrai  roman  ne  sera  jamais  une 
longue  nouvelle. 

Une  Vieai  Bel-Ami  ne  sont  que  cela. 

Quant  à  Monsieur  Parent^  c'est  l'histoire  d'un  brave  homme 
timide  que  maie  sa  femme  Çt  qu'elle  trompe  et  qui  s'éloigne 
seul,  maussade,  fini,  laissant  là  son  ménage  où  r««/re  s'installe. 
11  y  a  un  fils.  De  qui  csl-il? 

Quelques  quinze  ans  après,  M.  Parent,  dans  une  guinguette  à 
Saint-Germain,  retrouve  sa  femme  el  Vautre  et  l'enfant.  Une  scène 
a  lieu.  Dramatique?  Oh  !  que  non,  bien  que  le  mouton  ait  eu  tout 
le  temps  de  devenir  enragé.  M.  de  Maupassant,  toujours  simple 
et  réel,  se  limite  à  noter  avec  une  sobriété  superbe  la  si  Irislc 
apostrophe  du  mari  à  la  femme  et  du  père  à  l'enfant.  El  la  nou- 
velle se  clôt  : 

a  El  il  s'en  alla  gesticulant,  continuant  h  parler  seul,  sous  les 
grands  arbres,  dans  Tair  vide  et  frais,  plein  d'odeurs  de  sèves. 
Il  fie  se  retourna  point  pour  les  voir.  Il  allait  devant  lui,  marchant 
sous  une  poussée  de  fureur,  sous  un  souffle  d'exaltation,  l'esprit 
emporté  par  son  idée  fixe. 


«  Toula  coup,  il  se  trouva  dcvanl  la  gare.  Un  train  parlait. 
Durant  la  route  sa  colère  s'apaisa  et  il  rentra  dans  Paris,  slu|)éfait 
do  son  audace.  »     * 

On  peut  étudier  tout  Guy  de  Maupassant  dans  ce&v  quelcjues 
phrases  de  dt^noûmenl.  ^ 

Georgette  au  théâtre  du  Vaudeville. 

M.  Victorien  Sardou  adore  (les  gazettes  ont  eux  soin  de  nous 
l'apprendre)  les  bibelots,  raretés,  curiositc^s.  Il  en  possède  une 
célèbre  collection,  quelquefois  mc'me  il  consent  à  exhiber  au 
public  quelques-unes  de  ces  vieilles  machines  et  les  amateurs 
'd'antiquités  meurent  de  jalousie.  En  furetant,  l'autre  jour,  dans 
une  boutique  de  bric-à-brac,  il  a  trouvé  une  curieuse  robe  û 
formes  monacales,  fort  usée  et  fatiguée. 

—  Quel  est  cet  objet?  a  demandé  au  marchand  l'académicien 
amateur. 

—  Monsieur,  cVsl  une  pièce  riche  et  rare.  C'est  la  robe  du 
Rév.  Père  Dumas  fils,  ce  prédicateur  dramatique  qui  monte  en 
chaire  pour  soutenir  des  thèses  sur  l'union  possible  avec  les 
cocottes,  sur  le  mariage  moral  avec  les  filles-mères,  sur  la  néces- 
sité pour  les  hommes  de  garder  leur  innocence  jusqu'à  vingt- 
huit  ans,  sous  peine  de  n'épouser  que  des  demoiselles  ayant  déjà 
servi.  L'objet  est  de  prix. 

—  En  très  mauvais  é!at!  il  a  été  beaucoup  porté,  on  voit  les 
ficelles.  - 

—  Oh!  Monsieur  Sardou,  il  est  d'un  excellent  rapport,  pre- 
nez-le, melle/.-le,  vous  aurez  chaud  là- dedans  comme  dans  un 
four. 

Et  M.  Sardou  acheta  la  robe  d'apôire.  Elle  est  un  peu  large 
pour  lui,  dedans  il  semble  trop  mince.  Cependant,  hier  soir, 
l'habile  auteur  l'a  revêtue,  et  dans  cet  attirail  il  a  présidé  une 
soirée  de  conférence  pour  hommes  et  dames  seules. 

Nous  avons  cru  d'abord  élre  au  théâtre  du  Vaudeville,  mais 
l'erreur  s'est  vite  dissipée,  nous  étions  bien  au  boulevard  des 
Capucines  à  une  conférence  contradictoire.  Pour  exposer  ses 
théories,  le  président  avait  trouvé  une  troupe  d'orateurs  éton- 
nants. Leur  force  de  parole  est  merveilleuse,  ils  parlent,  ils  par- 
lent, ils  parlent,  rien  ne  les  arrête,  rien  ne  les  fait  taire.  Ils  dispu- 
tent, argumentent,  ratiocinent,  jonglent  avec  les  «  attendus  », 
jouent  avec  les  «  considérants  »,  à  débcspérer  les  substituts  les  ' 
plus  agréables. 

Ainsi,  hier,  le  texte  choisi  était  bien  connu  : 

Un  galant  homme  peut-il  épouser  une  fille  de  fille? 

Ce  sujet  est  classique,  il  est  traité  couramment  par  les  plus 
faibles  candidats  de  philosophie  au  baccalauréat.  Eh  bien!  les 
parleurs  de  M.  Sardou  fournissent  aisément  là-dessus  un  travail 
de  une  heure  à  une  heure  et  demie. 

Très  nourri  des  textes,  très  au  courant  des  documents,  connais- 
sant et  le  Fils  de  Coraliey  et  les -Idées  de  M"^  Aubray,  et  les 
Mères  repenlies^  ils  ne  sont  pas  restés  à  court  un  seul  instant  ; 
ils  ont  parlé  quatre  acti  s,  ils  en  auraient  parlé  dix. 

Remarqué  d'ailleurs  dans  la  salle,  derrière  M*""  Barlet,  Réjane, 
Vrignaull,  Pierson,  Sizos,  MM.  Falalcuf,  Cléry,  Rousse,  Bétolaud, 
Martini,  tout  à  la  joie  d'une  pièce  qui  leur  rappelait  les  finesses 

exquises  do  la  !''<'  chambre.    ' 

Voici  les  noms  de  ces  conférenciers  infatigables  même  sans 
verre  d'eau. 

M"«  Tcssandier,  Gcorgelle,  se  donnant  comme  ancienne  im- 


pure, ex-dame  à  militaires  gradés,  ex-clianleuse  do  café-concert, 
cx-Gcojotte,  devenue  sur  le  retour  l;i  richissime  lady  Chirington, 
mais  n'étant  en  réidilé  qu'un  orateur  délégué  du  clubdes  femmes 
libres.  Dit  avec  une  rare  éloquence  dis  nouveautés  superbes 
telles  que  :  La  fille  tombée  au  vice  par  besoin  est  moins  coupable 
que  la  femme  conduite  au  mal  par  libertinage.  A  soutenu  avec 
une  réelle  vigueur  l'affirmalive  :  oui,  le  galant  homme  peut 
épouser.  Possède  d'ailleurs  un  salon  oii  tout  le  monde  dit  triste- 
ment des  choses  très  légères.  Etrange  plaisir  auquel  je  préfère 
encore  le  piano.  , 

•  M"i«  Fromentin  se  dit  comtesse  de  Chabreuil,  mais  s'habille 
comtpe  un  prince  russe,  et  n'est  qu'une  élève  de  M*"^  de  Genlis 
ou  de  quelqu'aulre  dame  horriblement  bavarde  pour  le  bon 
motif.  A  défendu  avec  talent  la  négative. 

M.  Dupuis,  Clavel  de  Chabreuil,  s'intitule  colonel  en  retraite, 
mais  n'est  qu'un  avocat  en  activité;  l'oraîenr  a  débité  avec  un 
naturel  exquis  des  tirades  de  s\  pieds,  six  pouces.  Le  seul 
reproche  que  je  lui  ferai  est  d'user  de  raisonnements  à  double 
déduction  pour  ramener  une  fille  à  l'amour  de  sa  mère  11  a  mis 
une  véritable  éloquence  an  service  du  système  mixte  :  Non,  un 
galant  homme,  lieutenant  de  vaisseau,  ne  peut  pas  (épouser  la  fille 
susdite,  mais  son  oncle,  colonel  d'infanterie  en  retraite,  peut  fort 
bien  le  faire. 

M.  Montigny,  Contran  de  Chabreuil.  Ce  personnage,  à  cô'eleltes 
bien  taillées  et  à  dignité  bien  tenue,  se  donne  comme  officier  do 
marine  en  congé  de  convalescence.  Mais  en  réalité,  c'est  un 
substitut  apprécié  au  parquet  pour  son  idéale  froideur.  Il  aime  la 
fille  de  Coralie,  non,  de  Georgelte,  mais  il  n'exprime  son  amour 
qu'en  paroles.  S'il  est  légèrement  épris,  il  plaide  une  heure;  si  sa 
flamme  augmente,  deux  heures;  si  elle  le  dévore,  trois  heures. 
Jeune  homme  de  la  «  pure  crème  »  il  raconte  à  des  jeunes  filles 
l'histoire  de  Geojotte  ou  les  scanda'es'de  Marseille. 

Cet  officier  a  été  à  Kélung  et  à  Formose;  nous  l'y  aurions  perdu 
que  nous  n'en  ferions  pas  un  gros  grief  à  M.  Ferry  et  C"".  Je 
n'aime  pas  beaucoup  son  énuméraiion  avec  dates  exactes  des 
dames  de  sa.  famille  qui  ont  contribué  au  bonheur  de  nos  rois. 
C'est  un  de  ses  arguments  pour  plaider  la  cause  de  son  nK.riagi\ 
Il  est  d'un  goût  douteux,  et  les  fils  de  famille  qui  savent  exacte- 
ment la  chronologie  des  fautes  de  leurs  aïeules  doivent  avoir  un 
arbre  de  généalogie  bien  cocasse. 

M"®  Brandès,  Paula,  la  fille  de  Georgette,  a  trouvé  entre  doux 
conférences  le  temps  de  révéler  un  grand  talent.  La  jeune  actrice 
a  joué  le  désespoir  de  Paula  apprenant  de  qui  elle  est  fiile  avec 
une  émotion  et  une  sincérité  qui  ont  enlevé  la  salle.  Ces  belles 
larmes  là  ont  empêché  la  pièce  de  se  noyer.  Le  malheur  donne 
immédiatement  à  l'héroïne  le  don  des  grandes  phrases,  dès 
qu'elle  sait  tout  elle  se  met  à  parler  Dumas.  M"^  Brandès  est  fort 
jolie,  c'est  en  vain  que  le  colonel  assure  que  Paula  est  tout  le 
portrait  de  son  père,  un  officiera  énormes  moustaches,  le  public 
n'a  pas  été  de  son  avis. 

M"®  Dharcourt,  ingénue  découverte  au  théâtre  de  Nice  par  le 
fureteur  Sardou  a  été  chargée  de  petites  tirades  sur  les  jeunes 
filles  qui  jouent  au  bon  dieu  et  veulent  se  faire  religieuses  parce 
qu'un  bel  officier  en  congé  de  convalescence  ne  veut  pas  d'elles. 
La  débutante  les  a  sjonliment  dites  et  M.  Sardou  a  découvert  là 
un  joli  bibelot  dramatique  qui,  hcureusemeat,  n'est  pas  du 
temps. 

Mil*  Marguerite  Caron  est  chargée  du  rôle  équivo«iue  d'une  dame 
qui  vient  aux  deux  premiers  actes  dire  des  plaisanteries  salées. 


^ 


r 


410 


LART  MODERNE 


Ce  besoin  d'exprimer  des  idées  polissonnes  amène  une  histoire 
de  chemin  de  fer  loulà  fait  triste  et  où  l'on  parle  d'un  monsieur 
que  le  passage  des  ponts  anime  beaucoup.  J'ignorai^  cet  aphrodi- 
siaque. 

Un  personnage  qui  rcsie  toujours  dans  la  coulisse  m'a  beaucoup 
plu.  Au  moins  celui-là  ne  parle  pas.  C'est  le  vieux  mari  de  Gcor- 
gette,  lord  Claringlon,  qui  se  meurt  au  premier  élagc  de  l'hôtel, 
tandis  qu'au  rez-de-chaussée  chacun  s'occupe  de  ses  petites 
affaires.  Son  agonie  dure  toute  la  pièce;  au  lieu  de  musique,  on 
a  mis  sur  la  brochure  :  moribond  jusqu'au  baisser  du  rideau.  De 
DeTcmps  en  temps  on  donne  de  ses  nouvelles.  C'est  très  amusant. 

Ce  rôle  muet  à  la  canlonnade  a  les  plus  jolis  mots  de  la  pièce. 

Est-ce  bien  une  robe  que  M.  Sardou  a  acheté  au  marchand  de 

bric-à-brac  de  M.  Dumas?  - 

Charles  Martel 


5!l0NCERT    ]4eU3CHL1NQ 

M.  Heusehliiig  s'est  dit  :  «  Les  piano-recilnls  sont  à  la  modo. 
Pourquoi  ne  ferais-je  pas,  moi,  un  vocal-recilall  Vite,  un  local,  un 
piano,  un  accompagnaleur,  et  en  avant  !  » 

rétait  hardi.  N'offrir  au  public,  pendant  toute  une  soirée,  que 
la  vue  (de  face)  d'un  monsieur  en  habit  noir,  tenant  à  la  main  un 
cahier  de  musique,  et  l'aspect  (de  profil)  d'un  second  monsieur 
en  habit  noir  tourmentant  le  clavier  d'un  piano!...  Et  pour  heur- 
ter davanlage  encore  les  conventions  reçues,  cet  effronlé  baryton 
ne  s'avise-l-il  pas  d'obliger  son  auditoire  à  écouter  de  la  musique 
hclgCy  <ît  de  se  doiîner  le  malin  plaisir  de  la  chanter  si  bien  que 
cet  auditoire,  vaincu,  est  forcé  de  l'applaudir  avec  énergie?... 
..  Aussi  rusé  qu'habile  chanteur,  et  connaissant  les  cordes  qu'il 
faut  faire  vibrer  pour  plaire  à  l'auditoire,  en  grande  partie  fémi- 
nin, qui  remplit  la  salle,  M.  Heuschling  choisit  traîtreusement  un 
sujet  d'irrésistible  effet  :  il  chante  l'amour,  rien  que  l'amour, 
l'amour  passionné  ou  contenu,  mélancolique  ou  ardent,  l'amour 
qui  pleure  sur  une  tombe,  l'amour  qui  guide  doucement  les 
amants  dans  les  mystères  de  la  ramée.  Il  évoque  des  bruits  doux 
de  baisers,  des  frôlements  soyeux  d'ailes  palpitantes.  Aimons- 
noHs  follement^  Chanson  du  printemps.  Chant  d'amour,  Prima- 
vcra,  Poèlue  d'amour^  Soir  dé  printemps,  variations  sur  un 
tlième  unique,  qui  finit  par  faire  tourner  toutes  les  petites  têtes 
qui  l'écoutent,  lèvres  frémissantes,  œil  humide. 

Ah!  le  séduisant  chanteur,  et  que  MM.  Dupont,  Micholte, 
lluberli,  Deppe,  Wouters,.  Radoux  doivent  lui  savoir  gré  d'inter- 
pré.er  avec  autant  de  charme  leurs  inspirations  ! 

Le  cycle  de  poésies  de  M.  Lucien  Solvay,  mises  en  musique 
pnr  M.  Auguste  Dupont,  a  eu,  avec  /e  Pauvre  Piéride,  de  Schu- 
mann,  traduit  par  M.  Kufferalh,  les  honneurs  de  la  soirée. 

El  pour  récompenser  son  auditoire  attentif,  M.  Heuschling  lui 
a  fait,  pour  finir,  la  surprise  d'un  Trio-Sérénade  de  Mozart, 
absolument  exquis,  dans  lequel  il  a  «  donné  la  réplique-»  à  deux 
de  ses  élèves.  L'amour  du  xviii*  siècle,  bandeau  sur  les  veux, 
carquois  au  dos,  est  venu,  pour  couronner  celte  amoureuse 
soirée,  saluer  son  cadet  du  xix*'. 


CORRESPONDANCE  MDSICALE  DE  PARIS. 

Tout  entier  à  mon  compte-rendu  du  Cid,,  j'ai  omis  de  vous 
informer  qu'on  avait  pendu  récemment  au  théâlre  des  Nouveautés 
une  Crémaillère  qu'il  a  fallu  dépendre  bieu  vile  ! 


La  pièce  était  de  MnM."  Burani  et  Brasseur  fils,  musique  de 
Robert  Planquette.  Par  moments  on  aurait  bien  voulu  rire,  mais 
la  presse  et  la  gent  dramatique  et  littéraire  ayant  voulu  montrer 
qu'elles  trouvaient  mauvais  que  le  fils  d'un  directeur  se  fît,  à  la 
fois,  acteur  et  auteur,  on  s'est  pincé  les  lèvres  et  on  a  laissé  les 
artistes  se  battre  les  flancs  sans  pouvoir  décrocher  le  ndoindre 
éclat  de  rire.  J'ajoute  tout  de  suite  que  la  pièce  n'avait  ni  queue 
ni  léle,  mais  elle  en  valait  bien  d'autres  qui  ont  tenu  l'affiche 
plus  longtemps.  On  a  voulu  faire  la  leçon  à  un  directeur  trop 
envahissant.  A  chacun  son  métier. 

On  a  donné  au  Conservatoire  l'audition  de  l'oralorio  Hérode^ 
ouvrage  couronné  au  concours  Rossini.  Le  poème  de  M.  Georges 
Boyer  est  d'une  forme  quelque  peu  affectée,  comme  tout  ce 
qu'écrit  cet  auteur,  mais  la  musique  qui  s'en  inspire  est  au  con- 
traire pleine  d'accent  et  fait  grand  honneur  à  M.  William  Chau- 
met,  dont  le  nom  a  été  acclamé. 


Enfin,  nous  avons  eu  la  Béarnaise l  poème  de  MM.  Lelcrrier 
et  Vanloo,  musique  de  M.  Messager.  C'était  la  première  partie 
qu'allait  jouer  la  direction  Ugalde  et  je  comprends  qu'elle  ait 
tenu  à  se  réserver  les  atouts  en  remerciant  une  partie  des  inler- 
prôtes,  à  la  veille  de  débuter,  pour  les  remplacer  par  des  artistes 
triés  sur  le  volet,  avec  Jeanne  Granier  en  tète. 

Pauvre  Jeanne  Granier,  la  voilà  déjà  passée  à  l'état  de  sou- 
venir! et  avec  elle  tout  le  répertoire  de  Charles  Lecocq  à  la 
Renaissance!  Ce  n'est  pas  que  l'artiste  ait  perdu,  non,  elle  a 
même  gagné,  surtout  en  rotondité;  mais  on  la  voit  si  peu  et 
elle  apparaît  de  si  loin  en  si  loin,  que  cela  fait  un  peu  l'effet  d'une 
résurrection.  Et-quelle  gaîlé,  quel  entrain  met-elle  encore  dans 
tout  ce  qu'elle  interprète;  quelle  finesse,  et  comme  elle  avait  l'air 
heureuse  de  se  retrouver  sur  les  planches  avec  ses  anciens  cama- 
rades :  le  tonitruant  Vauthier  el  la  fluette  Milly  Meyer! 

De  la  pièce,  je  ne  vous  dirai  rien;  c'est  long  et  inénarrable 
d'embrouillamini;  cela  repose  sur  un  travestissement  de  femme 
en  homme,  donnant  lieu  à  des  méprises  et  à  des  situations  dans 
lesquelles  Mn^'  de  Maupin  seule  a  triomphé;  mais  les  librettistes 
d'opérette  aiment  les  sentiers  battus.  Des  trois  actes  le  premier 
est  long,  le  second  est  parfait  et  le  troisième  insignifiant. 

Quant  à  la  musique  de  M.  Messager,  elle  a  meilleure  allure  et 
surpasse  en  finesse  el  en  distinction  la  Fauvette  du  Temple. 
L'orchestration  est  soignée  et  chacun  a  applaudi  une  heureuse 
inspiration  dont  il  rêve  en  secret  un  meilleur  emploi. 

Le  Cid  vient  d'être  repris  après  un  silence  d'une  huitaine  de 
jours,  silence  dû  à  l'indisposiiion  de  M.  Jean  de  Reszké.  De 
pareils  relards  dans  une  œuvre  qui  fait  Ses  premiers  pas  sont 
souvent  funestes;  on  l'a  vu  pour  Henri  VIII;  puisse-t-on  ne 
pas  le  voir  pour  le  Cid. 

Jl  faut  battre  le  fer  tant  qu'il  est  cliaud. 

11  y  a  bien  une  question  chaude  en  ce  moment,  mais  je  ne 
veux  pas  y  insister,  de  peur  de  paraître  rengaine,  c'csl  la  question 
Lohengrin.  M.  Carvalho  passe  outre,  paraît-il.  Tant  mieux. 

Au  Conservatoire,  réouverture  des  fameux  concerts,  sous  la 
conduite  du  nouveau  chef,  M.  Garcin,  un  bon  et  sincère  artiste 
auquel  des  gens  mal  intentionnés  veulent  donner  du  fil  à  retor- 
dre. Il  y  a  donc  de  ces  gens-là  parmi  les  musiciens  de  la  société 
des  concerts? 

GUTELLO. 


VART  MODERNE 


411 


JSOTE^    DE    LIBRAIRIE 


C'osU  une  rdclle  bonne  forlune  que  d'annoncer  l'apparition  d'un 
nouveau  volume  de  Paul  Sauni^re.  Fleur  de  Vertu  vient  de 
paraître  chez  Marpon  et  Flammarion.  Dans  celte  étude  1res 
fouillée  des  mœurs  de  la  vie  môd'erne,  l'auteur,  avec  beaucoup 
de  tact  et  d'habileté,  a  mis  en  scène  une  jeune  fille  aux  prises 
avec  les  nécessités  de  la  vie  et  les  mœurs  scabreuses  de  nos  cou- 
lisses. Le  lecteur  y  reconnaîlra  facilement  certains  personnages 
pris  sur  le  vif,  qui  donnent  à  ce  drame  émouvant  rinlérét  de  la 
plus  piquante  actualité. 

Les  mêmes  éditeurs  viennent  de  mettre  en  vente  :  Ladies  et 
Gcnllemen.  par  Marie  et  Robert  Hait.  Ce  nouvel  ouvrage  de  l'au- 
teur de  V Histoire  d'un  Petit  Homme  est  une  peinture  vivante 
des  mœurs  anglaises.  La  simplicité  du  style  et  la  richesse  des 
descriptions  en  font  une  lecture  attrayante  et  recommandée  aux 
jeunes  personnes.  Le  livre  se  compose  de  deux  parties.  La  pre- 
mière, «Battu  par  des  demoiselles»,  renferme  une  charmante 
intrigue,  où  le  ttirlage,  si  familier  à  nos  voisines  d'Outre-Manche, 
se  montre  dans  toute  son  ing  '«niosité.  La  seconde  nouvelle  :  «  Les 
suites  d'un  Cook's  tour  »,  indique  par  son  titre  une  succession 
d'aventures  entamées  sur  un  break  dont  l'agence  Cook  gratifie  nos 
promenades.  ' 

pETITE    CHROJSIQUE 

M.  Frantz  Meerls,  récemment  revenu  d'Italie,  a  exposé  cette 
semaine,  au  Palais  des  Beaux-Arts,  la  copie  que  le  gouvernement 
belge  l'avait  chargé  de  faire  à  Florence,  et  qui  a  nécessité  pour  le 
consciencieux  artiste  un  long  et  minutieux  travail.  Il  s'agit  d'une 
Adoration  des  Bergers,  de  très  grandes  dimensions,  vaste  trypti- 
que  composé  d'un  grand  nombre  de  figures,  par  Hugues  Van  den 
Gocs. 

Indépendamment  de  l'intérêt  qui  s'attache  pour  nous  à  avoir 
l'exacte  reproduction  du  maître  belge  dont  les  œuvres  sont  si 
rares,  le  tableau  en  lui-même  est  fort  beau,  d'une  étonnante 
pénétration,  et  d'une  originalité  de  composiiiori  qui  révèle  la 
griffe  de  l'artiste. 

M.  Meerts  a  accompli  son  travail  avec  une  habileté  extraordi- 
naire, et  un  respect  absolu  de  la  facture  et  des  moindres  inten- 
tions du  maître.  Quand  le  temps  aura  émaillé  les  couleurs,  cette 
copie  aura  certes  l'éclat  et  la  puissance  d'une  œuvre  originale. 

Un  seul  détail  fera  apprécier  l'exactitude  que  l'artiste  a 
apporté  à  l'exécution  de  son  œuvre.  Des  trois  parties  du  tableau, 
le  volet  de  droite  est  le  plus  harmonieux,  le  plus  chatoyant  de 
coloris,  le  plus  séduisant  d'aspect.  C'est  que  ce  volet,  dans  l'œuvre 
d'Hugues  Van  den  Goes  a  échappé  aux  «  améliorations  »  que  le 
gouvernement  italien  a  tentées  à  l'égard  du  panneau  central  et 
du  volet  de  gauche  en  lavant  le  tableau  et  en  le  débarrassant  des 
glacis  employés  par  le  peintre.  Cola  paraît  invraisemblable,  et 
c'est  malheureusement  vrai.  On  sait  que  le  même  procédé  de 
nettoyage  a  été  employé  à  l'égard  de  certaines  toiles  de  Rubens... 

Quoi  qu'il  en  soit,  dans  la  copie  de  M.  Meerts,  le  volet  de  droite 
apparaît  dans  le  rayonnement  de  son  coloris  chaud,  harmonique, 
sonore.  Les  deux  autres  parties  semblent  plus  froides,  ce  qu'elles 
sont  en  effet  dans  l'œuvre  originale.  Nous  ne  pensons  pas  que 
l'art  du  copiste  puisse  aller  plus  loin. 

Un  décorateur  habile  de  Bruxelles  vient  do  renouveler  la  superbe 
industrie  des  cuirs  de  Cordoue  en  faisant  exécuter  par  des 
artistes,  sur  des  feuilles  de  cuir  recouvertes  d  ur.e  touille  d'argent, 
des  compositions  polychromes  se  détachant  sur  un  fond  d'or 
martelé  à  la  main.  Pour  la  première  fois,  croyons-nous,  l'ancien 
procédé  des  maîtres  décorateurs  d'autrefois  est  employé  en 
Belgique;  aussi  pensons-nous  devoir  en  faire  mention. 

C'est  pour  le  château  de  Stccn,  h  Eppeghem,  où  vécut  Rubens, 
et  qui  appartient  aujourd'hui  au  baron  Coppons,  que  ces  tentures 
artistiques  ont  été  exécutées.  Elles  se  composent  de  cinq  grandes 


compositions  représentant  divers  épisodes  de  la  vie  de  Rubens  et 
de  six  panneaux  de  moindre  importance.  M.  Marque,  qui  a  ima- 
giné et  fait  faire  sous  ses  ordres  cet  intéressant  travail,  prend 
rang  parmi  les  spécialistes  les  plus  en  vue  du  pays. 


Le  piano-recital  de  M.  Camille  Gurickx,  qui  devait  avoir  lieu 
le  22  courant,  est  remis  à  une  date  qui  sera  ultérieurement  fixée. 


Le  premier  concert  du  Conservatoire  aura  lieu  aujourd'hui 
dimanche  h  2  heures.  On  y  exécutera  la  Cantate  de  la  Réforma- 
tion de  J.-S.  Bach  sur  le  célèbre  choral  de  Luther,  et  la  7«  sym- 
phonie de  Beethoven. 

La  représentation  organisée  par  M.  Elkan  au  bénéfice. des 
pauvres  de  Bruxelles  et  qui  sera  donnée  par  les  artistes  de  la 
Comédie  Française,  est  remise  au  mois  de  janvier.  C'est  au  théâtre 
des  Galeries,  par  suite  d'engagenient  antérieur,  qu'aura  lieu  celte 
représentation  exceptionnelle,  pour  laquelle  la  salle  est  déjà 
presque  entièrement  louée. 

Le  Conservatoire  de  Mons  prépare  un  intéressant  concert  qui 
sera  donné,  sous  la  direction  de  }t.  Jean  Van  den  Eeden,  diman- 
che prochain  27  courant,  à  l'occasion  de  la  distribution  des  prix. 
On  y  entendra  entre  autres  la  marche  turque  .des  Ruines 
d'Athènes,  \(i  Concerto  pour  violon  de  Max  Bruch;  le  Concerto 
pour  violojicelle  de  Goltermann,  \ Invitation  à  la  Valse  de  Weber, 
orchestrée  par  Hector  Berlioz,  etc. 


Les  fêtes  musicales  de  Bayrcuth  de  4886  auront  lieu  du 
23  juillet  au  20  août.  Elles  sont  consacrées  à  l'exécution  de  Tris- 
tan et  Iseult  et  de  Parsifal. 

Parsifal  sera  joué  neuf  fois,  les  lundis  et  les  vendredis.  Tris- 
tan, huit  fois,  les  dimanches  et  les  jeudis.  La  direction  de  l'or- 
chesire,  composé  de  cent  dix  artistes,  est  confiée  aux  kapellmeis- 
ter  Levi,  Richler,  Mottl  et  Anton  Seidl.  Le  professeur  Bruckner 
de  Cobourg  a  composé  de  nouveaux  décors  pour  Tris taii,  et  le 
peintre  d'histoire  Fliiggen  est  chargé  'de  dessiner  les  costumes. 


Le  tirage  de  la  tombola  de  l'Exposition  universelle  des  Beaux- 
Arts  d'Anvers  a  eu  lieu  lundi  dernier.  Les  objets  gagnés  devront 
être,  à  peine  de  déchéance  de  tout  droit,  retirés  à  Anvers,  rue  de 
Vénus,  contre  remise  du  billet  gagnant,  endéans  les  quatre  mois 
de  la  date  du  tirage. 

VAlmanach  de  V  Université  de  Liège  dont  nous  avons  annoncé 
la  publication  prochaine  est  sous  presse.  Il  formera  un  fort  vo- 
lume de  200  pages,  imprimé  sur  papier  teinté,  avec  frontispices, 
culs  de  lampe  et  lettrines.  Le  sommaire  porte,  entre  autres,  les 
noms  de  MM.  Camille  Lemonnier,  Edmond  Picard,  Théo  Hannon, 
Edmond  Caltier,  Octave  Maus,  Emile  Verhaeren,  Hector 
Chainave,  etc. 

La  Société  libre  des  artistes  français  s'est  réuni  pour  traiter  les 
questions  suivantes  : 

1°  Le  tirage  au  sort  des  jurys  du  Salon  ; 

2<>  La  défense  artistique  et  l'oi'gauisation  d'un  syndicat  concer- 
nant les  faux  tableaux. 


LE  PIANO  BLUETHNER 


DE  FEU   LE  PROFESSEUR 

Jules   ZAREMBSKI 

chez  SCHOTT  frères,  rue  Duquesnoy,  3^^,  Bruxelles 


, 


412 


VART  MODERNE 


CINQUIÈME  ANNÉE 

L'ART  MODERNE  s'est  acquis  i)ar  l'autorité  et  l'indépendance  de  sa  critique,  par  la  variété  de  ses 
informations  et    les   soins   donnés   à  sa   rédaction   une  place  prépondérante.    Aucune   manifestation  de  l'Art  ne 

lui.  est  étrangère  :  il  s'occupe  de  littérature,  de.  peinture,  de  sculpture,  de  gravure,  do  musique, 

d'architecture,  etc.  Consacré  principalement  au  mouvement  artistique  belge,  il  renseigne  néanmoins  ses 
lecteurs  sur  tous  les  événements  artistiques  de  l'étranger  qu'il  importe  de  connaître. 

Chaque  livraison  do  L'ART  MODERNE  s'ouvre  par  une  étude  approfondie  sur  une  question  artistique 
ou  littéraire  dont  l'événement  de  la  semaine  fournit  l'actualité.  Les  expositions,  les  livres  nouvemtx,  les 
premières  représentations  d'œuvres  dramatiques  ou  musicales,  les  conférences  littéraires,  les  concerts,  les 
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L'ART  MODERNE  relate  aussi  la  législation  et  la  jurisprudence  artistiques.  Il  rend  compte  des 
procès  les  plus  intéressants  concernant  les  Arts,  x)laidés  devant  les  tribunaux  belges  et  étrangers.  Les 
artistes  trouvent  toutes  les  semaines  dans  son  MeîUento  la  nomenclature  complète  dos  expositions  et 
concours  auxquels  ils  peuvent  prendre  part,  en  Bolgiqiie  et  à  l'étranger  II  est  envoyé  gratuitement  à 
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412 


VART  MODERNE 


Xj'JiŒirr   JïsJIOIDEI^IiTE     -4 


CINQUIÈME  ANNEE 

L'ART  MODERNE  s'est  acquis  par  lautorité  et  Tindépcndance  de  sa  critique,  par  la  variété  de  ses 
informations   et    les   soins   donnés   à  sa   rédaction   une   place  prépondérante.    Aucune  manifestation  de  l'Art  ne 

lui.  est  étrangère  :  il  s'occupe  de  littérature,  de.  peinture,  de  sculpture,  de  gravure,  do  musique, 

d'architecture,  etc.  Consacré  principalement  au  mouvement  artistique  belge,  il  renseigne  néanmoins  ses 
lecteurs  sur  tous  les  événements  artistiques  de  l'étranger  qu'il  importe  de  connaître. 

Chaque  livraison  de  L'ART  MODERNE  s'ouvre  par  une  étude  approfondie  sur  une  question  artistique 
ou  littéraire  dont  l'événement  do  la  semaine  fournit  l'actualité.  Les  expositions,  les  livres  noîwecmx,  les 
premières  représentations  d'œuvres  dramatiques  ou  musicales,  les  conférences  littéraires,  les  concerts,  les 
ventes  d'objets  d'art,  font  tous  los  dimanches  l'objet  de  chroniques  détaillées. 

L'ART  MODERNE  relate  aussi  la  législation  et  la  jurisprudence  artistiques.  Il  rond  compte  des 
procès  les  plus  intéressants  concernant  les  Arts,  plaides  devant  les  tribunaux  balgos  et  étrangers.  Les 
artistes  trouvent  toutes  les  semaines  dans  son  Mémento  la  nomenclature  complote  dos  expositions  et 
concours  auxquels  ils  peuvent  prendre  part,  on  Bolgiqiie  et  à  l'étranger  II  est  envoyé  gratuitement  à 
l'essai  pendant  un  mois  à  toute  personne  qui  en  fait  la  demande. 

L'ART  MODERNE  forme  chaque  année  un  beau  et  fort  volume  d'environ  450  pages,  avec  deux 
tables  des  matières,  d(mt  Vune  par  ordre  alj)hab clique,  de  tous  les  artistes  appréciés  ou  cités.  11  constitue  pour 
l'histoire  de  l'Art  le  document  LE  PLUS  COMPLET  et  le  recueil  LE  PLUS  FACILE  A  CONSULTER. 


PRIX    D'ABONNEMENT 


Belgique  Jl  O    tî*, 

Union  postale    1  Je   fiji:** 


par  an. 


Quelques  exemplaires  des  quatre  premières  années  sont  en  vente  aux  bureaux  de  L'ART  MODERNE, 
rue  de  l'Industrie,  26,  au  prix  de  30  francs  chacun. 


J.  SCHAYYE,  Relieur 

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Paris  4867,  1878,  !«'•  prix.  —  Sidnoy,  soûl  d"  cl  2«  prix 
EXPOSITION  AHSTERDÂl  1883,  SEUL  DIPLOME  D'HONMEUR. 

Le  notaire  Van  Halteren,  à  l'intervention  de  son  collègue  M^  De 
Keersmaecker,  vendra  publiquement,  le  hoidi  28  décembre  1885,  et 
jours  suivants,  à  dix  heures  du  matin,  en  la  maison  sise  à  Bruxelles, 
rue  Neuve,  2G, 

LE  BEAU   MOBILIER 

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consistant  notamment  en  meubles  et  objets  de  salon,  de  salle  à  man- 
ger, de  chambres  à  coucher  et  de  cuisine  ; 

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cristaux  ;  —  Linges  de  maison,  de  table  et  de  cuisine  ; 

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Piano-buffet  en  palissandre  de  la  maison  Berden; 

Voitures  :.Uii  coupé  de  la  maison  Jones  frères,  et  une  victoria- 
mylord  ;  —  Ilarnais  pour  un  et  pour  deux  chevaux. 

Exposition  :  La  veille  de  la  vente,  Dimanche  27  déccml^re  courant 
de  dix  à  trois  lieures. 

La  vente  aura  lieu  au  comptant,  avec  augmentation  de  10  p  "/„,  à 
titre  de  frais. 


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tus-Valses  ...,...,  2.50 

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KOETTLITZ,  M.  Op.    9.  Barcarolle 2  00 

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DU    CONSERVATOIRE    ROYAL    DE   BRUXELLES 


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\    • 


Cinquième  année.  —  N°  52 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  27  Décembre  1885. 


L'ART 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  ORITIQnE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,   un   an,   fr.   10.00;  Union  postale,    fr.    13.00.    —  ANNONCES   :    On   traite   à  forfait. 

Adresser  les  demandes  d'abonnement  et -toutes  les  coimnumcations  à 

l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles: 


?> 


OMMAIRE 


Les  apporteurs  de  neuf.  —  M™^  Rose  Garox  au  Cercle  artis- 
tique ET  littéraire.  —  Théâtre  Molière.  —  Petite  chronique,  — 
Table  des  matières. 


LES  APPOUTEUIIS  DE  NliUF 

Notre  monde  scolastice--politieoHQiédico- bourgeois 
s'est  beaucoup  occupé  en  ces  jours  derniers  de  la 
mesure  par  laquelle  Tadministration  communale  ou 
l'administration  des  hospices  (ne  savons,  mais  peu 
importe)  a  jugé  à  propos  de  prier  un  groupe  respec- 
table de  célébrités  médicales  locales  sur  le  retour,  de 
céder  la  place  à  des  personnalités  plus  jeunes  non  seu- 
lement par  l'âge,  ce  qui  eût  été  puéril,  mais  par  les 
doctrines,  les  tendances,  la  science,  ce  qui  est  autre- 
ment à  considérer. 

Circonstance  bizarre  à  première  vue,  mais  qui  s'ex- 
plique quand  on  tient  compte  de  la  tactique  d'opposition 
quand  même  qui  forme  le  fond  des  agitations  politiques 
qui  bouleversent  notre  verre  d'eau  national,  c'est  la  por- 
tion démocratique,  celle  qui  passe  pour  la  plus  vivante 
de  notre  bourgeoisie  censitaire,  qui  s'est  insurgée 
contre  ce  coup  d'état  administratif.  On  a  entendu  ses 
porte-parole  tonner  dans  nos  petites  assemblées  muni- 
cipales, on  a  pu  lire  dans  ses  journaux  les  philippiques 
usuelles  dont  elle  mitraille  assez  inoffensivement  l'ad- 
versaire, on  a  vu,  phénomène  plus  imprévu,  les  étu- 
diants, c'est-à-dire  la  jeunesse,  se  lever  et  pétitionner 
en  masse.  


Il  faut  vraiment  avoir  peu  la  notion  des  évolutions 
qui  se  font  dans  le  milieu  social  contemporain  pour 
trouver  à  redire  à  une  mesure  qu'il  serait  à  souhaiter 
qu'on  appliquât  d'une  manière  générale,  à  l'Art  par 
exemple.  Que  de  fois  il  a  fallu  déplorer  l'entêtement 
sénile  et  funeste  avec  lequel  on  maintient  dans  les 
postes  académiques  de  braves  gens  qui  purent  valoir 
quelque  chose  en  leur  temps,  en  tant  qu'éléments  de 
transition,  mais  qui  désormais  apparaissent  comme  de 
déplorables  obstacles  aux  transformations  nécessaires. 
Le  vrai  progrès,  ou  plutôt  la  vraie  logique,  car  il  est 
toujours  embarrassant  dé  discerner  si,  lorsqu'on 
change,  on  avance  ou  on  recule,  consiste  à  se  \podeler 
sur  les  inévitables  variations  par  lesquelles  se  réalise 
l'évolution  générale  des  civilisations.  Il  est  grotesque 
de  se  buter  pour  essayer  d'entraver  cette  expansion. 
Fût-on  un  éléphant  où  un  rhinocéros,  on  ne  peut  empê- 
cher de  passer  un  train  de  chemin  de  fer.  Le  seul  effet 
à  es|iérer,  en  pareil  cas,  c'est  parfois  un  déraillement 
ou  un  ralentissement. 

On  avait-cru  jusqu'ici  que  la  claire  vision  de  cette 
loi  était  la  caractéristique  des  partis  avancés.  Il  semble 
acquis  maintenant  qu'ils  la  condamnent  dès  que,  dans  le 
camp  opposé,  on  commence  à  la  démêler  et  à  l'appli- 
quer. Certes,  ces  messieurs  de  la  Faculté  qu'on  fait 
déguerpir  ont  eu  leurs  mérites  in  illo  tempore,  et  ont 
même  incarné  jadis  le  progrès  au  regard  de  leurs  devan- 
ciers. Mais  quoi  qu'on  fasse,  la  plupart  des  hommes, 
quand  ils  vieillissent  s'encroûtent  dans  des  conceptions 
surannées,  deviennent  réfractaires  aux  idées  nouvelles, 


et  non  contents  de  ne  pas  les  accepter,  les  combattent 
chez  leurs  successeurs  avec  une  âpreté  d'autant  plus 
périlleuse  qu'ils  le  font  avec  l'autorité  des  positions 
acquises.  Il  faut  avoir  été  trempé  par  le  sort  dans  un 
bain  d'indépendance  magique  pour  demeurer  jeune  tout 
en  devenant  vieux  et  conserver  ce  don  presque  surhu- 
main de  rester  accessible  au  neuf,  de  l'accueillir  sans 
humeur,  de  le  rechercher  avec  avidité,  d'y  applaudir 
quand  même,  de  l'aimer  chez  autrui,  de  le  désirer  pour 
soi.  L'effet  le  plus  naturel  des  ans  est  de  rendre  notre 
infirme  nature  conservatrice  dans  ce  sens  étroit,  vul- 
gaire, intolérant,  qu'on  exprime  en  Belgique  par  le 
qualificatif  doctrinaire.  Rarement  on  y  échappe,  et 
alors  que  quelques-uns  de  ces  gérontes  qu'une  jeunesse 
peu  réfléchie  et  des  progressistes  peu  clairvoyants  vou- 
draient maintenir  à. leurs  postes,  sont,  dans  la  politique 
de  très  remarquables  exemples  delà  palinodie  que  l'atro- 
phie impose  irrésistiblement  aux  meilleurs,  il  est  sur- 
prenant qu'on  s'imagine  qu'ils  en  sont  indemnes  dans 
la  science. 

Non,  non,  la  métamorphose  a  son  unité,  et  si  on  la 
discerne  moins  dans  les  spécialités  professionnelles, 
c'est  qu'elle  n'y  est  visible  que  pour  les  initiés. 

Ainsi  donc  on  ne  veut  plus  de  la  vieille  médecine.  On 
trouve  qu'en  régnant  vingt-cinq  ans  elle  a  suffisamment 
eu  d'influence,  d'honneurs  et  de  profits.  On  signale  ses 
retardements.  Il  serait  aisé  de  montrer  que  dans  le 
droit,  dans  les  sciences  sociales,  dans  la  philosophie,  la 
situation  est  la  même,  et  que,  de  ce  côté  également,  il  ne 
serait  pas  mauvais  de  se  débarrasser  des  augustes  por- 
teurs de  perruques  qui  se  croient  plaisamment  les  seuls 
dépositaires  de  la  vraie  vérité,  alors  que,  dans  le  nau- 
frage de  la  décrépitude,  ils  apparaissent  comme  de 
vieilles  chaloupes  échouées.  Mais  prise  dans  cette  géné- 
ralité, la  question  aurait  trop  d'envergure,  et  nous 
devons  dans  ce  journal  nous  limiter  au  domaine  artis- 
tique où  elle  se  pose  comme  ailleurs  ;  car  ce  n'est  pas 
de  la  lutte  des  jeunes  médecins,  des  jeunes  juriscon- 
sultes, des  jeunes  philosophes,  des  jeunes  historiens 
contre  les  vieux  historiens,  philosophes,  jurisconsultes, 
médecins,  qu'il  s'agit,  mais  de  la  lutte  universelle  et 
toujours  ardente  des  jeunes  contre  les  vieux,  du  présent 
contre  le  passé,  des  ingambes  contre  les  paralytiques. 

Devons-nous  faire  ici  le  tableau  de  nos  académies, 
comme  on  pourrait  faire  celui  de  nos  universités?  Non, 
n'est-ce  pas,  c'est  assez  notoire.  Mettez  à  part  quelques 
exceptions  et  le  reste  du  personnel  professoral  constitjie 
une  extraordinaire  collection  de  curiosités,  moins  anti- 
ques par  leur  état-civil  que  par  leurs  préjugés,-  leurs 
méthodes,  leur  routine;  car  les  hommes,  de  notre 
temps,  vieillissent  moins  vite  que  lés  idées,  tant  s'accé- 
lèrent les  transformations  historiques.  Quand  tout 
change  avec  une  vélocité  prodigieuse,  quand  il  suffit  de 
l'intervalle  entre  deux  Salons  de  peinture  pour  consta- 


ter dçs  métamorphoses,  quand  les  éclaireurs  d'hier 
sont  les  traînards  de  demain,  quand  nul  n'est  assuré  de 
rester  à  son  rang,  surtout  au  premier  rang,  nos  pro- 
fesseurs d'art  sont  immuables  et  répètent  après  un 
demi-siècle  des  leçons  identiques  à  celles  de  leurs 
débuts,  sans  s'apercevoir  que  ce  qui,  en  ces  jours  loin- 
tains, pouvait  passer  pour  un  évangile  nouveau,  n'est 
plus  qu'un  radotage  moisi,  prêché  non  dans  le  désert 
(ils  ont  toujours  de  nombreux  écoliers  contraints  d'aller 
là  parce  qu'il  n'y  a  pas  moyen  d'aller  ailleurs),  mais 
devant  un  auditoire  sceptique  et  gouailleur  qui  ne  les 
écoute  que  pour  les  ridiculiser. 

Viendra-t-il  aux  autorités  qui  ont,  avec  une  grande 
et  louable  opiniâtreté,  maintenu  le  remplacement  des 
chefs  de  clinique,  d'appliquer  ce  régime  salutaire  à  ces 
hôpitaux  d'un  autre  genre  qu'on  nomme  les  écoles  de 
dessin  et  de  montrer  ainsi  qu'elles  obéissent  à  autre 
chose  qu'au  désir  de  pourvoir  de  places  enviées  des 
nouveaux  venus  impatients  de  se  produire  et  fatigués 
d'attendre  la  disparition  des  ancêtres  coriaces,  résolus 
à  se  perpétuer,  qu'il  a  fallu  congédier  brutalement? 
C'est  fort  douteux  et  ce  serait  pourtant  très  hygiénique. 
Le  présent  état  de  choses  devient  criant.  Il  n'est  plus 
personne  qui  oserait  défendre  la  valeur  de  l'enseigne- 
ment artistique  de  nos  établissements  publics.  On  sait 
qu'il  est  éminemment  délétère.  Fondé  sur  ce  qu'on 
nomme  Virailation  des  modèles,  il  parjt  de  ce  principe 
reconnu  détestable  que  Tart  se  réduit  en  formules,  que 
ces  formules  ont  trouvé  leur  plus  haute  expression  dans 
certains  chefs-d'œuvre,  et  que  dès  lors  le  professeur  n'a 
pas  autre  chose  à  faire  que  de  recommander  ces  chefs- 
d'œuvre  et  d'apprendre  à  les  imiter.  Ces  imbécillités 
sont  l'âme  des  programmes  et  là  matière  des  leçons. 
Un  professeur  croirait  manquer  de  respectabilité  en 
n'en  faisant  'pas  la  base  de  ses  conseils.  Les  bons  élèves, 
ce  sont  ceux  qui  donnent  le  plus  stupidement  dans  ce 
panneau  où  se  perd  toute  originalité.  «  Comme  j'appre- 
nais avec  application  les  banalités  qu'on  enseigne  dans 
les  écoles,  a  dit  saint  Augustin,  on  m'appelait  un  enfant 
de  la  plus  belle  espérance  «.  C'est  bien  le  résumé  de  ce' 
qui  se  passe  encore.  Copier,  pasticher  est  la  règle 
suprême,  et  l'honneur.  Les  concours  n'ont  d'autre  but 
que  de  mettre  en  relief  les  malheureux  qui  réussissent 
le  plus  dans  ce  métier  honteux.  Il  ne  vient  jamais  à 
l'esprit  d'un  des  pédagogues  investis  du  droit  d'ensei- 
gner que  la  constante  recommandation  qu'il  devrait 
faire  à  ses  élèves,  ce  serait  :  Surtout  ne  m'imitez  pas. 
Au  contraire,  rien  ne  le  rend  plus  fier  que  de  se  voir 
répété  par  ses  disciples.  Il  montrera  avec  orgueil  leurs 
productions  si  elles  sont  de  purs  reflets  des  siennes. 
Plus  l'approximation  sera  grande  et  plus  il  se  réjouira. 
Cela  s'appelle  FAIRE  ÉCOLE. 

Et  pourtant,  la  vérité  artistique  désormais  visible 
pour  tous,  c'est  que  la  seule  qualité  qui  puisse  prétendre 


•  •^i«A"' 


à  quelque  saveur  et  à  quelque  dignité,  c  est  la  person- 
nalité. Être  soi  c'est  tout  ïart,  susciter  cet  éveil  des 
dons  individuels  c'est  tout  l'enseignement.  Un  profes- 
seur ne  doit  parler  et  de  lui-même,  et  des  modèles,  et 
des  chefs-d'œuvre  que  pour  dégager  chez  l'auditeur  les 
aptitudes  et  les  sentiments  propres  qui  s'éveillent  à  la 
vue  de  ce  que  d'autres  ont  fait  de  beau.  Il  ne  s'agit  pas 
alors  d'imiter,  mais  de  s'enthousiasmer.  On  regarde 
non  point  pour  tenter  de  recommencer  ce  qu'ont  fait 
les  maîtres,  effort  stérile,  mais  pour  gagner  par  conta- 
gion la  passion  qui  les  a  inspirés  et  sous  l'action  de  cette 
communicative  chaleur  partir  du  même  élan  pour  se 
révéler  soi-même  par  une  œuvre  extérieure.  Certes, 
pour  les  impuissants  le  moyen  est  inopérant  ;  quant  à 
eux  ce  n'est  qu'en  cultivant /a  fhrmule  qu'ils  peuvent 
accomplir  quelque  chose  de  présentable.  Mais  nous 
avons  assez  de  ces  fausses  vocations  qui  nous  empestent 
de  leur  médiocrité,  il  faudrait  bénir  une  méthode  qui 
aurait  pour  résultat  de  n'ouvrir  l'art  qu'à  ceux  qui  sont 
doués  de  la  flamme  artistique. 

Les  académies  sont  tellement  des  officines  où  les 
meules  tournent  à  vide,  qu'il  n'est  plus  de  véritable 
artiste  qui  y  reste.  A  peine  s  est-il  rendu  compte  de  ces 
procédés  imbéciles  par  lesquels  on  prétend  substituer 
au  génie  propre  de  chacun,  le  génie  mort  d'un  art  con- 
ventionnel, qu'il  déserte  avec  dégoût  et  s*en  va  dans 
l'étude  directe  de  la  nature  chercher  les  émotions  qui 
dégagent  les  vocations. véritables.  Il  n'y  a  plus  que  les 
médiocres  qui  fréquentent  ces  grandes  usines  de  talents 
de  pacotille.  Avouer  qu'on  y  va,  c'est  être  suspect, 
c'est  donner  la  conscience  d'un  danger  ou  d'une  infir- 
mité :  ce  qu'il  faudra  faire,  en  effet,  plus  tard  quand  on 
aura  compris  que  c'est  en  soi-même  qu'on  trouve  l'art 
pour  lequel  on  est  né,  ce  sera  d'oublier  laborieusement 
cette  éducation  qui  fausse  les  instincts  et  transforme 
l'homme  en  un  acteur  jouant  sous  un  travestissement 
la  comédie  de  l'art. 

Va  donc  pour  le  renouveau.  Que  dans  les  hôpitaux  on 
change  les  médecins,  que  dans  les  Universités  on 
change  les  pédants,  que  dans  les  Académies  on  change 
les  professeurs.  Vingt-cinq  ans  de  chaire  doctorale, 
c'est  plus  qu'il  n'en  faut  pour  vider  la  plupart.  Des 
hommes  nouveaux,  des  méthodes  nouvelles,  une  science 
et  un  art  nouveaux,  voilà  ce  que  nous  réclamons.  Et 
vivent  ces  apporteurs  de  neuf! 


^^^^   \o^Z  pARON 


Au  Cercle  artistique  et  littéraire. 

Quelques  impressions  sur  celle  apparilion  fugitive  de  la  grande 
arlislc  dont  pendant  deux  saisons  théâtrales  nous  avons  analysé 
l'éminentc  personnalité. 

Foule  compacte.    Curiosité  intense.    Depuis  sa   disparition 


regrettée,  la  sympathie  s'est  accrue  du  charme  des  choses  éloi- 
gnées, vues  à  travers  les  brumes  du  souvenir. 

Elle  paraît.  Comme  toujours  sa  haute  taille  étonne  k  première 
vue.  Mais  tOut  de  suite  rallenlion,  oubliant  tout  le  reste,  se  fixe 
sur  ce  visage  séducteur,  sur  ces  yeux  profonds.  Elle  regarde^ 
l'audiloire,*  elle  reconnaît  quelques  figures  amies,  et  entonne 
l'air  du  Freyschulz,  pardon,  de  Robi7i  des  BoiSy  car  elle  le 
chante  en  Parisienne.  Est-elle  troublée  par  ce  retour  dans  un 
milieu  délaissé,  par  la  mémoire  subitement  ravivée  de  ces  deux 
années  si  pleines  de  sympathies,  de  triomphes,  d'hommages, 
d'affections?  On  ne  sait  :  mais  l'air  marche  mal,  et  finit  même 
par  un  discord  absolu  entre  la  cantatrice  et  l'accompagnateur. 
Un  reporter  du  bel  air  s'approche  d'un  illustre  compositeur  étran- 
ger et  lui  dit  avec  l'aplomb  de  l'inconscience  :  Superbe,  n'est-ce 
pas  !  —  Le  maître  répond  :  Mon  cher,  elle  s'est  mise  dedans. 

Le  deuxième  morceau,,  ce  sont  les  Enfants,  de  Massenet.  Dic- 
tion émouvante,  vibration  impressionnante.  L'artiste  s'est  retrou- 
vée. Le  public  est  pris  visiblement  du  trouble  auquel  elle  l'avait 
accoutumé.  Le  maître  sceptique  tout  h  l'heure  est  séduit  comme 
les  autres.  D'un  mot  il  résume  les  mouvements  confus  qu'il  vient 
de  subir,  et  ce  mol  est  juste  :  Elle  est  étrange. 

Maintenant  c'est  du  Wagner  qu'elle  interprète.  On  a  raconté 
d'elle  qu'après  son  demi  succès  dans  les  MnUres-Chanteiirs 
elle  aurait  dit'  :  Je  ne  veux  plus  chanter  cette  musique.  On  a 
ajouté  qu'en  s'engageant  à  l'Opéra,  elle  avait  stipulé  qu'elle  ne 
serait  pas  tenue  de  prendre  des  rôles  dans  les  œuvres  du  grand 
Richard.  Qu'importe  :  elle  y  va  sans  conviction,  à  la  Parisienne, 
comme  tantôt  pour  Weber. 

Mais  voici  l'air  de  la  Reine  de  Saba.  Quel  déploiement  de 
grandes  ailes,  quelle  envolée  magique,  quelle  révélation  des 
qualités  tout  à  l'heure  encore  étouffées.  La  salle  éclate  en  accla- 
nialions.  Celle  fois  rartistc  montre  ce  qu'est  sa  grande  nature, 
dans  toute  sa  splendeur,  dans  toute  sa  nudité.  Ses  admirateurs 
peuvent  triompher  sans  réserve.  Elle  vient  d'expliquer  tous  ces 
phénomènes  de  séduction  qu'elle  a  su  accomplir.  Elle  n'est  plus 
ni  trop  grande,  ni  trop  ceci,  ni  trop  cela,  ni  trop  tout  ce  que  l'on 
voudra,  elle  est  belle,  séduisante...  et  toujours  étrange,  comme 
le  disait  le  maître. 

Après  cela  une  romancinette  pour  finir  et  calmer,  et  l'on  se 
retire  rêvant  d'elle,  oui,  rêvant  les  vieux  rêves  d'antan  réveillés. 


THÉÂTRE  MOLIÈRE 

Oh!  ces  bonnes  piècesde  jadis,  intéressantes  malgré  la  démode, 
pour  peîi  qu'on  se  mette  au  point  et  qu'on  n'épluche  pas  trop  ! 
Certes,  les  mots. sont  terribles  et  les  phrases  aussi.  Il  en  est  qui 
portent  en  elles  tout  le  trémolo  des  mélodrames  et  que  Ponson 
du  Terraila  si  bien  faites  siennes  qu'on  ne  les  entend  jamais  sans 
songer  k'ioules  les  friperies  des  Rocambolc. 

Mais  la  charpente,  mais  le  mouvement,  mais  les  triomphales 
exagérations  romantiques  font  plaisir  comme  toute  résurrection 
d'an.  Le  tout  esl  de  choisir  du  vieux  plutôt  que  du  démodé,  de 
l'oublié  plutôt  que  du  défraîchi. 

Les  Mémoires  du  diable  gagneraient  s'ils,  avaient  quelques 
années  de  plus.  Toutefois  paraissent-ils  déjà  intéressants  d'autant 
que  parmi  les  acteurs  plusieurs  s'efforcent  de  rendre  leur  jeu 
aussi  mil-huit-cent-trenteux  que  possible.  Ils  jouent  avec  entrain, 
redondante  allure,  gestes  enflés,  voix  vibrante.  Et  d'entre  eux 


tous,  ilfaul  sortir  le  clirecleiir  lui-même,  M.  Mario  Widmer,  qui 
réalise  ku  Robin  d'une  exccllcnlc  marque  et  d'une  certaine  per- 
sonnalité. 

Le  pianiste-compositeur  Joseph  Wieniawski  a  donné  samedi 
un  fort  beau  concert.  F.e  peu  d'espace  dont  nous  disposons 
aujourd'hui  nous  obli£;e  à  en  différer  le  compte-rendu. 

De  même,  nous  renvoyons  à  dimanche  nos  articles  sur  la  bril- 
lante reprise  d'Aida  à  la  Monnaie,  sur  le  premier  concert  du 
Conservatoire  et  notre  Chronique  liliéraire. 


pETITE    CHROJMIQUE 


L'Essor  a,  selon  sa  coutume,  ouvert  la  veille  de  Noël  ses 
portes  au  public.  Nous  rendrons  compte  prochainement  de  son 
exposition. 

C'est,  ainsi  que  nous  l'avons  annoncé,  aujourd'hui  dimanche 
qu'aura  lieu  la  première  séance  de  musique  donnée  dans  l'atelier 
de  M.  Van  dcr  Stappen.  Le  programme,  très  bien  composé, 
comprend  dos  œuvres  de  Grieg,  de  Brahms,  de  Mondelssohn,  de 
Reyer  et  de  Wagner.  Les  exécutants  sont  MM.  De  Grcef, 
E.  et  A.  Agniez,  F.  Stappen. 


L'exécution  de  Mors  et  Viia,  de  Gounod,  est  fixée  au  30  jan- 
vier. Le  Gouvernement  prêtera  pour  la  circonstance  le  Palais  des 
Beaux-Arts,  dont  on  disposera  spécialement  les  galeries.  Les 
solistes  seront  M"*'  Elly  Warnots,  M'"^-  Sclïmitzler,  M.  Heuschling 
cl  un  ténor  anglais  dont  on  dit  grand  bien. 

La  première  représentation  du  Prisonnier  du  Caucase,  de 
César  Cui,  au  Ihéûtre  de  Liège,  est  fixée,  dit-on,  au  11  janvier. 
On  sait  que  c'est  à  l'inspiration  de  M""^  la  comtesse  de  Mercy- 
Argenteau  que  l'on  fera  connaître  ù  Liège  l'œuvre  du  composi- 
teur russe. 

Celui-ci  arrivera  à  Liège  le  6  janvier  pour  diriger  les  dernières 
répétitions  de  son  opéra,  dont  les  principaux  rôles  seront  inter- 
prétés par  MM.  Verhees,  Claeys,  Plain.el  M'"e  Verellen-Corva. 


M.  Franz  Rummel,  en  quittant  Bruxelles,  n'a  fait  que  loucher 
barre  à  Berlin,  où  il  réside.  11  est  actuellement  en  Ecosse,  et 
doit  jouer  demain  à  Edimbourg,  après-demain  à  Glasgow,  la 
semaine  prochaine  à  Leeds.  Dans  les  premiers  jours  de  janvier 
il  partira  pour  les  Etals-Unis,  où  l'appellent  plusieurs  engage- 
ments importants. 

Un  renseignement  à  ajouter  à  ceux  qu'un  de  nos  correspon- 
dants a  donnés  dans  les  lettres  qu'il  nous  a  adressées  au  sujet  du 
théâtre  de  la  Monnaie.  La  municipalité  de  Toulouse  donne 
120,000  francs  de  subside  à  son  théùlre.  Il  n'y  a  U  Toulouse  que 
130,000  habitants.  A  Bruxelhjs,  le  subside  est^de  100,000  francs 
seulement,  sur  lesquels  la  Ville  reprend  25,000  pour  les  appliquer 
à  la  réfection  de  ses  décors  et  de  ses  costumes  et  impose  à 
rimpresario  l'obligation  de  monter,  en  abandonnant  les  décors 
et  les  costumes,  six  actes  nouveaux,  soit  de  30  à  50,000  francs  !! 


LE  PIANO  BLUETHNER 


DE  FEU   LE  PROFESSEUR 

Jules   ZAREMBSKI 

EST    A    VEIVOUE 

chez  SCHOTT  frères,  rue  Duquesnoy,  3''\  Bruxelles 


ÉDITEUR  DE  MUSIQUE 

RUE  SAINT-JEAN,   10,  BRUXELLES 
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ERMEL,  A.  Op.  30.  Conte  oriental.  Caprice    .     .     .     .     Fr.  2.00 

—  ■^—  3i.  Les  Soirées  de  Bruxelles,  lmpromi>' 

tus-Valses  .     .     .     ,     ...     .  2.50 

•^  —35.  /er  Air  de  Ballet 2.00 

—  Chant  du  Soir  (nouvelle  édition)  .     ...  2.00 

—  Balafo,  Polka-Fantaisie 2.00 

—  Etoiles  scintillantes.  Mazurka  .....  2.00 

KOETTLITZ,  M.  Op.    9. /?arc«ro;Ze 2  00 

—  —   i^Laendler    .......  1.35 

•^  —  2i.  Dansé  rustique 1.75 


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BREITKOPF  &  HÀRTEL 

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DU    CONSERVATOIRE    ROYAL    DE   BRUXELLES 


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Paris  1867,  4878,  1«'"  prix.  —  Sidney,  seul  1"  et  2«  prix 
EXPOSITION  ÂIISTERDÂI  1883,  SEUL  DIPLOME  D'HONNEDR. 


Le  notaire  Van  Halteren,  à  l'intervention  de  son  collègue  M^  De 
Keersmaecker,  vendra  publiquement,  le  lundi  2^  décembre  1885,  et 
jours  suivants,  à  dix  heures  du  matin,  en  la  maison  sise  à  Bruxelles, 
rue  Neuve,  26, 

LE  BEAU   MOBILIER 

GARNISSANT  LADITE  MAISON 

consistant  notamment  en  meubles  et  objets  de  salon,  de  salle  à  man- 
ger, de  chambres  à  coucher  et  de  cuisine;  - 

Batterie  de  cuisine  en  cuivre  rouge  et  jaune;  —  Porcelaines  et 
cristaux  ;  —  Linges  de  maison,  de  table  et  de  cuisine  ; 

Argenterie  et  plaqué  ;  —  Vins  de  Bordeaux  et  de  Bourgogne  ; 

Piâno-buft'eten  palissandre  de  la  maison  Berden  ; 

Voitures  :  Un  coupé  de  la  maison  Jones  frères,  et  une  victoria- 
mylord;  —  Harnais  pour  un  et  pour  deux  chevaux. 

Exposition  :  La  veille  de  la  vente.  Dimanche  27  décembre  courant 
de  dix  à  trois  heures. 

La  vente  aura  lieu  au  comptant,  avec  augipentation  de  10  p  %,  à 
titre  de  frais. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


DE 


L'ART    MODERNE 


-f-:rr5t-<S>-*0-î- 


ÉTUDES   ET   PORTRAITS 

PAGES. 

Examen  de  conscience 1 

Introduction  îi  l'élude  dès  lilléralures 81 

L'art  oratoire •  169 

L'Art  et  la  Révolution     ........    225,  233,  241 

L'œuvre  d'art 145 

Le  Rig-Véda 97 

Homère .  105 

La  fin  de  Satan 217 

Une  statue  à  Lamartine .     .     .  227 

En  Cour  d'assises,.     . 209 

Les  représentations  de  Bayreuth 249 

Un  artiste  couronné 196 

Théâtre  pour  lecture  à  haute  voix  .......  393 

Le  Symbolisme •  313 

Les  Svmbolistes 323 

Les  Visionnaires 329 

Les  lettres  devant  la  plèbe .  340 

Le  parfum  de  la  musique 297 

Le  pittoresque .^    .....     .  306 

Tirage  b  petit  nombre.     ..........  369 

Les  conférences  en  Belgique. 377 

Triomphateurs • 308 

Ua  directeur  en  grève .  401 

Les  Académies  de  province •     •     •  409 

Léon  Cladel •         .     .     ;    .  346 

Charles  de  Lovenjoul 153 

Louis  Dubois   .     .     .     .     .     • 17 

FisRNAND  Khnopff.     .  \     ......     .    281,289,321 

Ernest  Hello 107 

Franz  Liszt 251,  25â,  259 

Xavier  Mellery 219 

Catulle  Mendès 125 

Constantin  Meunier 73,  215 

Odilon  Redon  .............  92 

Félicien  Rops 99 

L'infâme  FÉLY . 337 

Villiers  de  l'Isle-Adam  ..........  363 

PEINTURE,  SCULPTURE 

Les  Gothiques  allemands     .     .     .     .     .     .     .     .     .  257 


PAGES. 

Le  nouveau  musée  du  Luxembourg     ......  265 

Les  Vinglistes  parisiens  .     .     .     . 203 

L'Impressionisme  aux  Tuileries 300 

Aux  enrégimentés.  Paul  Baudry.     .......  36 

Le  concours  de  Rome 339 

Le  jury  d'admission 140 

L'artiste  dislancé  .     .     .     .     .     .•* 236 

Le  plein  air 269 

Le  travail  de  l'artiste 333 

Sculpture 253 

La  nature  et  l'art 561 

La  leçon 37 

La  vie  d'un  paysagiste 373 

Le  métier .,....„      236 

Un  vieux  salon.     ....     .     .          .     .     .               .  115 

Millet  et  Rousseau.     .     .     .     , 173 

Odilon  Redon  . .     .  92 

Le  Don  de  majorité,  de  Xavier  Mellery 219 

Le  Marteleui\  de  C.  yieunier   .     .          •_    .     .     .     •  215 

Cérémonie  Dubois 17,  28 

Une  curieuse  aquarelle 109 

Les  bœufs  gras  académiques     ........  372 

Le  déménagement  du  Musée  de  Bruxelles     ....  252 

Le  jury  de  Gand 254 

Le  Salon  de  Gand 273,  293 

Le  Salon  des  XX .  49 

A  propos  du  Salon  des  XX. —  L'Impressionisme  .     .57,  65 

Rue  de  la  Régence  (les  XX)     ........  90 

Sottisier  des  Vingtistes.  —  Menus  propos  butinés  à 

l'ouverture 51 

Sottisier  des  Vingtistes.  —  Fleurs  de  reportage  ...  58 

Id.                       Fleurs  de  zwanse.     ...  86 

L'exposition  du  Cercle  artistique -.  132 

Le  S> ALO^  DES  Aquarellistes 139,145 

L'exposition  dçs  Hydrophiles i  94,  100 

Id.         de  L'Essor 9 

Exposition  des  tableaux  de  maîtres  anciens  au  Palais 

des  Beaux-Arts 299 

Exposition  Théodore  Baron  au  Cercle  artistique.     .     .  89 

Id.      Agneessens 78,  83 

Id.      Deisaux    . 2? 

Id.      Jef  Lambeaux.  —  Franz  Courtens    ...  22 


? 


■■     PAGES. 

Exposition  Midtlcloçr.     .     .     ....     .     .     .     .23 

Le  Christ  devanlPilale    .     .     .     .     .     .     .     .     •     .  19^ 

La  famille  royale  du  Danemark,  par  M.  Tuxen  ...  366 

Deux  tableaux  de  Lambert  Lombard 247 

Peintures  ddcoratives  d'A.  Marque.     ......  158 

La  peinture  Bogaerts . 94 

Anvers.  —  Exposition  Théodore  Verstraele  ....  76 

Bruges.  —  Exposition  du  Cercle  artistique  .     .     .     .    .       397 
Le  Salon  de  Paris     .     .     ...     .  163,  171 ,  477,  185, 193 

Soc'iéiô  dos  Aquarellistes  français 62 

Gazette  de  Hollande 14,  69 

Dix  compositions  à  l'eau-fortc  de  M.  Hannoteau  pour 

illustrer  Baudelaire 397 

Vente  Karl  Daubigny .  399 

Id.    Defoër-Bey  / 166,  175 

Id.    de  Knvff .  413 

Id.    Morgan 166 

•Id.   Paniazis. .     .     .  390 

Id.   Scliœnewerk 23 

Id.    von  Niescwand.     .     .     .     .     .     .     .     .     .     .  168 

Id.    Nieuwcnlmvs 263 

Moniento  des  expositions  et  concours  :  7,  44,  38,  46,  54,  94, 

442,  167,  239,  263 

ARCHITECTURE 

Exposition  nnlionale  de  1886 464 

Architecture  grecque  et  romaine^  par  L.  De  Waele  .     ,  349 

Le  Château  des  mendianîs    .     . 325 

Lecliemin  de  fer  méiropolilain  à  Bruxelles  ....  499 

La  suppression  du  Pont  de  fer  .     .     ...     .     .     .  275 

LITTÉRATURE 

iE\^  A jAL]iEKT.  —  Paysages  de  femmes  .     ....  380 

Victor  Arnould. —  Le  Brame  social     .....  44 

Ch.  Baudelaire.  —  Dix  eaux-fortes  de  M.  Hannoteau 

pour  illustrer  ses  œuvres.     .     .     .     .     .     .     .     .  397 

Paul  Berlier.  —  Scherzandoï    .......  213 

Paul  Bourget.  —  Le  Crime  â'amour 77 

Léon  Cladel.  —  Mi-Diable     ........  35 

Id.  Titi  Foyssac  iV 305 

Frédéric  Cousot.  —  Lettres  du  fond  des  bois    ...  365 
Jean  D'Ardenne  (Léon  Dommartin).  —  Guide  du  touriste 

en  Ardenne. 465 

A.  DE  Keersmaecker.  —   Le  sens  des  couleurs  chez 

Homère ,       22 

Gabrielle  de  Villers.  —  A  la  mémoire  du  capitaine 

Marechalle  .............  244 

^l.  \)E%}\o\}Lm^.  —  Récits  d* une  Lorraine  ....  360 

Jules  Destrée.  —  Lettres  à  Jeanne  .     .\     .     .     .  379 
H.  Du  Cleuziou.  —  La  création  de  V homme  et  les  pre- 
miers âges  de  V humanité 263 

É.  Dujardin.  —  Mes  hantises 78 

G.  ?.EKHom.  —  Les  Milices  de  Saint- François.     .     .  488 

T.  Ferret.  —  Les  Faunesses 458 

AmsTiDE  FKEài^Ê. -^  La  légende  de  Normandie    .     .  212 

René  Ghil. —  Le  Traité  du  Verbe    ......  387 

Grosciaude.  —  Les  gaîtés  de  Vannée 424 

Paul  Hagemans.  —  Les  nuits  du  garde 18 

■■    ■        '         ^  •   . 


*  Psaov. 

Hahel.  —  Aux  champs 212 

Armand  H AYEM. — Le  Don  Juanism'e 464 

Id.               Don  Juan  d'A  rmana.     ....  396 

Paul  Hervieu.  —  Les  yeux  verts  et  les  yeuùc  bleus.  379 

\icjOK  HvGO.  —  Le  théâtre  en  liberté    .     .     .     .     .  443 

Id.              La  fin  de  Satan  .     .     .     .     .     .     .  217 

Pierre  Kropotkiné.  —  Paroles  d'un  révolté.     .    225,  233,  244 
Joseph  KilRSCHNER.  —  Richard  Wagner  Jahrbuch.     .    86,245 

Jean  Lahor.  —  Le  Cantique  dc!>  cantiques  ....  84 

La  Ma'ra.  —  Musikalische  Siudienkopfe 86 

Jules  Leclercq.  — La  Terre  des  merveilles.     .     .     .  221 

Id.  Légende  des  Eddas.,  de  M.  Ander- 

,           son     ........     .  238 

L.  Leefson. —  Voor  onze  kleinen .     .     .     .     .     .     .  238 

Jules  Lemaître.  —  Scverus 38o 

Camille  Lemonnier.  —  Happe-Chair 84 

Id.  La  Belgique  dans  «  le  Tour  du 

monde» 371 

Charles  Lexpert.  —  Nouvelles  gauloises     .     ...  380 

R.  Maizeroy. — Bébé  Million 22 

Louis  Marsolleau. —  Les  baisers  perdus     ...     ,  211 

Catulle  Mendès.  —  Zo'Har    .     .     .     .  • .     .     .     .  275 

Louise  Michel.  —  L'Atlantide.     .......  311 

Octave  Mirbeau.  —  Lettres  de  ma  chaumière  ...  78 

Jean  Moréas.  —  Les  Caniilènes 204 

Jean  Moréas  et  Paul  Adam.  —  Les  demoiselles  Gou- 

bcrt.  —  Le  thé  chez  Miranda   .     .     .     .     .     .     .  387 

Henri  Naquet.  —  Haute  école  ........  .3 

JosÉPHiN  Péladan.  Cwncz/5^.'    . 68 

Ernest  Praroud. — Le  Jardin  des  racines  noires  .     .  396 

F.  R  ABBE.  —  Traduction  des  œuvres  de  Schelley   .     .  396 
Jean  Robie.  —  Fragment  d'un  voyage  dans  l'Inde  et  à 

Ceylan  (IP  partie)  .......'.....  85 

Georges  Rodenbach. — La  Jeunesse  blanche    ...  133 
Princesse  de  Sayn-Wittgenstein.  —  Une  famille  priii- 

cière  d'Allemagne 22 

Robert  Schumann.  —  Jugend-Briefe.     .....  86 

SiENKiEWicz.  —  Bar  tek  vainqueur. 117 

A.  Stevens.  — Impressions  sur  la  peinture     .     .     .  -69 

Sully-Prudhomme. — Le  prisme.     .     .  '.     .     .  212 

SmTkc.  -^  Les  morales  du  rastaquouère.     ....  243 

SuTTER  Laumann.  —  Pah  !es  routes 360' 

Albert  Tinchant 473 

Roland    de  Tomenlow  (Biiron    de   Woelmont).    — 

Chasses  fantaisistes  au  pays  walUm. 294 

Léon  Tolstoï.  —  La  mort  d' Ivan  Iliilch  .     .     .     .     .  403 
Léo  Trézl^nik.  —  Proses  décadentes  et  les  Gens   qui 

s'amusent    .     .     .     .     ....     .     .     .     .  450 

Jules  Vallès.  —  L'Insurgé    ......     225,  233,  204 

James  Vandrunen.  —  Elles. 334 

H.  Varesco. — Les  chants  d'aurore  ........     242 

Jacques  Vingtras  (Voir  Jules  Vallès) 

Paul  Verlaine.  —  Les  mémoires  d'un  veuf   Loujse 

Leclercq . 361 

ViLLiERs  de  lTsle  Adam. — L'Eve  future    ....  353 
Richard  Wagner.  — Esquisses,  pensées,  fragments 

(œuvres  posthumes) '.  30 

Le  livre  de  Pochi  .     .     ...,.,..     .     .     .     .  7 


Pages. 
Pathologie  littéraire  .     .     .     .     .     ■     .       259,  302,  315,  325 

CausiTic  sur  les  revues 479 

La  Revue  d'Art  dramatique .  255 

Conférences  des  XX ^1»«  J.  Thdnard 55 

Id.                 M.  Georges  Rodenbach     .     .     .  78,84 
Id.                 M.  Edmond  Haraucourt    ...  62 
Conférences  du  Cercle  artistique.  M.  Georges  Roden- 
bach  .........  38 

Id.                 M.  Henri  Becquc 246 

Id.                 M.  Arsène  Houssaye     .     .     .     .  377 

Conférence  de  M.  Lemaître  à  Liège.     ......  75 

Id.      de  M.  Sigogne "au  Palais  des  Académies  .     .  449 

Matinée  littéraire  du  Cercle  d'escrime ......  83 

Un  poète  belge  jugé  à  Paris.  Georges  Rodenbach     .     .  320 
Correspondance  d'artistes.  Lettres  de  Gustave  Coppie- 

tors 5,20 

La  littérature  au  Congo 4  75 

Notes  de  librairie.     7,  38,  46,  94,  448,  443,  350,  358,  365,374 

MUSIQUE 

Antoine  Rubinstein     ...........  439 

Franz  Liszt ■     •     •  254 

Don  Juan  pianiste.     .     .     ...     .     .     .     .     .     .  258 

Les  poèmes  symphoniques  de  Liszl.     .     .     .     .     .     .  388 

Wagner  au  répertoire .     .     .     .  245 

Un  chef  d'orchestre  viennois 277 

Le  parfum  de  la  musique.     . .  297 

Conservatoire  de  Bruxelles.  —  Premier  concert  [Can- 
tate de  la  Réformation}     .........  6 

Id.  Deuxième  concert.  (Wagner. — Symphonie  en  .si7;m6>i 

de  Scliumann) 52 

Id.  Toisicme  concert  (^/ce5/e)  .     .......  92 

Id.  Quatrième  concert  (Cantate  de  la  Réformntionct 

Symphonie  pastorale) 135 

Concert  historique 339 

Musique  de  chambre  (irio  Hubiiy,  Wieniawski,  Jacobs)  64 

Concours  du  Conservatoire 207,222,228 

Troisième  séance  de  musique  de  chambre.     .     .     .     .  102 

Qualrième'séance  de  musique  de  chambre     .     .     .     .  126 

Séance  d'instruments  à  vent .  405 

Correspondance     .\ ,  406 

Concerts  POPULAIRES. — Saison  488")-4886.  Premier 

concert  (Musique  russe.  —  Jeuô  Hiibny)     ....  19 
Id.  Deuxième  concert  (Z/'/>;//^/;/r^(///  C/<//.s7  de  Berlioz).  67 
Id.  Troisième   concert   (Franz    Servais.  Radoux.  Troi- 
sième symphonie  de  nralinis) •  110 

Id.  Quatrième  concert  [Tristan  et  Iseult.  L'Anneau  du  ^- 

Nibelung) .     .     .  150 

Saison  4886-4887.  Premier  concerl  (Ci-SLir  Thomson. 

Le  Tasse)    .     .     • 

Association  des  artistes  misiciens.  —  Saison  4885- 

4886.  Deuxième  concert 64 

Id.  Quatrième  concert 85 

Saison  4886-4887.  Premier  concert    ......  357 

Jd.             Deuxième  concert 406 

Union  des  jeunes  compositeurs.  —  Deuxième  séance.  102 

Id.  Troisième  séance 158 

Concert  de  la  Société  de  musique  [Mors  et  Vita)     .     .  ,44 


Pages. 
Q.onQ,Gn  ]\\h\\i\uQ  àe  \'à  Grande-Harmonie     ....       -   405 

Concert  Cornélls-Servais .     .     .  52 

Concert  Louise  Derscheid  aux  XX.     ......  74 

Concert  Dratz 135 

Piano-recital  de  M.  Gurickx .     .     .     .     .     .     .     .     .  148 

Piano-recital  de  M.  Gurickx  à  Mons 143 

Audition  Maes ,  406 

Audition  Mailly     ............  15 

Concerts  Rubinstein   .     .     .     .     .     ...     .     .     .139,154 

Audition  d'œuvres  de  M.  Sandre     . 147 

Séance  musicale  de  Franz  Servais  ..,-....  389 

Audition  César  Franck 406 

Concert  Van  Dooren   . 148 

Concert  Wieniawski    ..,....;...  6 

Audition  Wilford 55 

Séance  de  musique  chez  M.  Van  der  Stappen.     ...  45 

Audition  de  musique  religieuse  aux  Carmes  .     .     .     .  448 

Le  chœur  russe 109 

Séance  Grieg  à  TjE'wor 126 

Séance  Wagner  à  TJS'wor. 31 

Séance  Wagner  chez  C.  Meunier 93 

Concert  au  théâtre  de  la  Bourse 224 

Concert  de  charité  au  Palais  des  Académies   .     ...  126 
Audition   intime   du    Chant  de  la  Cloche  de  Vincent 

d'hidy      . ...     .    7    •  .127 

Conservatoire  de  Liège.  —  Premier  concert     .     .     .  37. 

Id.  Deuxième  concert.     .     -. 143 

Concours  du  Conservatoire  de  Liège    .  ,   .     .     .     .     .  262 

Conservatoire  DE  Mons.  —  Concert  annuel.     .     .     .  119 

Ecole  DE  musique  de  Louvain.  —  Concert  annuel    .     .  111 

Société  de  musique  d'Anvers     .     .     .     .     .     .     .     .  339 

Concert  de  Liszl  à  Luxembourg.     .     .          ....  247 

Concerts  Rubinstein  à  Vienne 23 

Concerts  Rummel  à  Berlin    .........  391 

Concerts  populaires  de  Nantes .  375 

Départ  de  Jenô  Hubay 231 

Correspondance  musicale  de  Paris 34,54,70 

Bibliographie  musicale    .     .    44,  86,  440,  467,  182,  191,  334, 

358,391,442 

THÉÂTRE 

Le  théâtre  belge    ............  129 

Les  budgets  des  théâtres  lyriques  .     .     .     .     .     .     .  238 

Le  théâtre  à  Bruxelles 333 

Théat|ie  de  la  Monnaie  :  Interview  à  propos  du  théâtre 

de  la  Monnaie 11 

Le  ihéâlre  de  la  Monnaie.  (Lettre  d'un  abonné)  .     .     .  121 

Correspondance .......  4 

"Appointements  de  la  troupe  durant  la  période  1875 

à  4885 448 

Renseignements  administratifs 456 

Tableau  synoptique  des  recettes  et  des  dépenses     .     .  157 . 

Los  droits  d'auteur  au  théâtre  de  la  Monnaie.     .     .     .  109 

L'abonnement  au  théâtre  de  la  Monnaie 45 

Le  théâtre  royal  de  la  Monnaie.  (Brochure  de  M.  Waech- 

ter) 181 

Campagne  1885-86.  —  Les  Templiers    ....     25,  33,  41 

M"«  Thuringer  dans  les  Templiers  .......  70 


418 


TA  BLE  DES  MA  TIÈRES 


f:f^-y--m^': 


"  PAGES. 

Saint-Mégrin  .     .*    .     .     .     .     .     ...     ..."  74 

Gwendoliiie.     .     .     .     .     .     .     ....     .     .     .  115, 124 

Pierrot  Macabre  . .     .  93 

.4 ïdfl  (reprise)  . 4 

Faust  (reprise) 83 

Représentations  Carôn-Escalaïs .     .     .     .     .     .     .     .  135 

Campagne  1886-87.  —  La  direction  nouvelle     .     .     .  309 

Lakmé 385 

Hérodiade  {reprise)    .     ...     .     .     .     .     .     .     .  348 

Les  Dragons  de  Villars  (reprise)  .......  356 

TuÉxiRE  DU  ?kKC  :  La  Doctoresse .     ......  13 

Théâtre  Molière  :  La  Belle  Gabrielle   .     ...     •  30 

Les  Ganaches 71 

Le  Père  prodigue .     .     ..........  326 

La  Servante    ...    '.     .     . 355 

UArlésienne  .     .     .     .     .     .     .     .     .     .     .  -^ .     .  413 

Théaihe  pE  iJAhCkZAK  :  Le  Saxe 53 

Jeanne  Bijou 53 

Théâtre  DE  la  Bourse:  Paul  Martinetti.  — Pantomimes 

et  pantalonnades    .     .     ....     ...     .     .     .  206 

Vu  duel  dans  la  neige 229 

Le  Petit-Poucet  . .  283 

Patriel       ..............  398 

Eden  théâtre  :  Charles  Lauri  ........  206 

PusS'Puss 214 

Cercle  d'Escrime  :  Socrate  et  sa  femme  .....  42 

Cercle  artistique  :  Dans  un  tombeau. —  La  Gorgone.  110 

Fridolin,  de  MM.  Agniez  et  Courtier  ......  39 

Théâtre  de  Liège  :  Le  prisonnier  du  Caucase  ...  21 
Théâtre  de  Dayreuth  :  Tristan  et  Iseult.  —  Parsifal.  236,  249 
Renseignements  divers  :  63,  79,  lo9,  191,  223,  248,  255,  279, 

287 

Théâtre  Français  :  Hamlet     .     . 345 

Correspondance  d'une  Parisienne  à  propos  d'Hamlet.  364 

Le  duel  d'/^am/p/ 341 

Théâtre  de  l  Odéon  :  Re7iée  Mauperin  .....  412 

Correspondance  théâtrale  de  Paris .......  375 

W"'«  Rose  Caron  dans  Faust  à  l'Opéra  de  Paris.     .     .  264 

M"*^  Deschamps  dans  Carmen  à  l'Opéra  comique     .     .  183 

Le  théâtre  au  Chat-Noir  . 310 

Théâtre  pornographique  :  La  Mandragore        .     .     .  410 

Le  roi  Maboul 359 

L'Opéra  de  Berlin 205 

Théâtres  (renseignements  divers)  :  7,  23,  39,  63,   103,  111, 

119,  126,134,142,  147,  159, 
255,  270,  278,  365,399,407 

ARTICLES  DIVERS 

L'art  dans  la  rue 266 

L'admiration  parisienne 291 


PAGES. 

282 

362 

.  137,  318 

278 


284 
315 
411 
386 
316 
334 

46 

59 


Un  sermon  à  la  mer  .     .     .  ...     . 

Les  liaisons  dangereuses.     . 

L'incident  Coquelin    .     .     .     .  ' 

L'élagage  des  arbres  .     . 

La  foire  et  les  platanes  du  boulevard  .     .     .... 

Vandalisme ..../. 

Vandalisme  botanique     .     .     .     ...     .     .     . 

Paysage  sylvestre 

Un  événement  littéraire  .     .     .     .     .     .     .     ,     .     . 

Un  événement  musical , 

Documents  à   conserver  :  le   Journalisme   (lettre   de 

Louis  Veuillot) 

Documents  à  conserver:    le    Journalisme   (lettre   de 

J.Vallès) 

L'agence  Gargaro  . \\i 

De  mortuis  nil  nisi  bene 378 

Livres  autographiés    ...........  398 

L'art  à  travers  les  journaux  .     .     .     .     .     .     .    380, 398,  406 

Réception  à  l'Académie 53 

Les  libéralités  aux  collections  publiques  .     .     .     .     .  260 

Volapûk.     .     .     .     .     .     .     . 181 

Le  bon  peintre 162 

Mort  de  Scaria .     .     .    63,255 

Incident  Rochefort-Garnier  . 303 

Glanures     .     .     .     .    116,  189,  213,  254,  259,  285,  293,  367 
Lettre  de  Berlioz  à  M.  Ernst .     .     .     .     .     ...     .  367 

Id.    de  Catulle  Mendès 303 

Id.     d'Auguste  Rodin 231 

Id.     d'Octave  Maus 102 

Correspondance    ........     .38,222,335,358 

Petite  chronique    .     7,  15,  23,  31,  39,  47,  55,  62,  71,  78,  86, 

94,  103,  111,  119,  126,  135,  143,  158,  183,  191,  200,  207, 

223,  231,  247,  255,  270,  278,  286,  294,  303,  311,  319,  327, 
\  335,  341,  351,  339,  362,  365,  375,  390,  398,  407,  413 

CHRONIQUE  JUDICIAIRE  DES  ARTS 

Le  sifflet  au  théâtre 1 

À  propos  de  tapisseries 22 

Benvenuto  Cellini     .         .....     .     .     .    .  71 

M.  Coquelin  sifflé .     ..........     .154,190 

Les  chansons  en  justice  .     . 201,413 

Une  artiste  disputée .222,230 

Art  ou  pornographie?     .     .     .     .     . 230 

Le  truquage     ........    .•.;..     ...  230 

Photographies  de  M"«»  Grille-d'Egoût,  la  Goulue  al  la 

Sauterelle 

Proh  pudor!     .     .     .     .     .     .     .     .     .     .     •     . 

La  blanchisseuse  de  Jeanne  Granier         .     .     •     • 

L'art  dans  les  égUses.     . 

Jurisprudence  du  Bibelot     ....•••• 


239 
247 
351 
362 
365 


-0i^=r-«^0- 


BruxeUes,  —  Imp.  Félix  Callewaert  père.  —  V»  Monnom  successeur,  rue  de  l'Industrie,  26. 


Sixième  année.  —  N°  1 


Le  NUMÉRO  :  25  centimes. 


Dimanche  3  Janvier  1886. 


MODERNE 


■        -1  . 

PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


RBVIIE  CRITIQÏÏE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 

ABONNEMENTS  :    Belgique,   un   an,   fr.   10.00;  Union  postale,   fr.    13.00.    —  ANNONCES   :    On   traite   à  forfait. 
"  Adresser  les  demandes  d' abonnement  et  toutes  les  communications  à 

l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


^OMMAIRE 


ExAîA£';N  DE  coxsciEMCE.  —  LivRES  NOUVEAUX.  Haute  école,  par 
Henri  Naquefc  ;  Richard  Wagner  (œuvres  posthumes).  Esquisses, 
pensées,  fragments.  —  Théâtre  de  l\  Monnaie.  —  Correspon- 
dance —  Correspondance  d'artistes.  —  Premier  concert  du 
Conservatoire.  —  Concert  Wieniawski.  —  Chronique  judiciaire 
DES  arts.  Le  sifflet  au  théâtre.  —  Mémento  des  expositions  et 
concours.  —  Notes  de  librairie.  —  Petite  chronique. 


EXAMEN  DE  CONSCIENCE 

Cinq  ans  depuis  que  nous  avons  fondé  VArtmodeyme. 
Cinq  ans  d'études,  d'efforts,  de  luttes.  Et  aujourd'hui, 
après  cette  laborieuse  étape,  le  sentiment  d'avoir  beau- 
cou;,  fait  sans  doute,  mais  aussi  la  claire  vision  de  tout 
ce  qu'il  faut  faire  encore. 

Nous  allons  commencer  un  nouveau  lustre,  l'esprit 
dispos,  le  cœur  vaillant,  avec  l'aide  grandissante  de 
ceux,  plus  nombreux  à  mesure  que  notre  campagne  se 
prolonge,  qui  se  sont  ralliés  à  notre  devise  :  Rechercher 
et  défendre  le  beau  en  pleine  liberté  et  sans  distinction 
d'écoles  ;  afficher  ses  préférences  artistiques,  sans  croire 
qu'elles  sont  tout  l'art;  pourchasser  le  laid  même  chez 
ses  amis  ;  se  moquer  des  abois  en  lesquels  s'égosillent 
les  roquets  de  la  zwanze. 

Certes,  quand  au  début  de  1881,  en  présence  de  la 
camaraderie  partout  régnante  dans  la  presse,  pris 
d'impatience  et  de  dégoût,  nous  formulions  ce  pro- 
gramme, nous  ne  pensions  pas  que  notre  tentative  de 
faire  un  journal  dégagé  de  toute  pratique  du  métier 


aurait  un  résultat  si  durable.  Des  circonstances  variées 
nous  faisaient  croire  qu'il  en  serait  de  cette  fantaisie 
comme  de  tant  d'autres  du  même  genre  :  un  feu  de 

papier.  Au  bout  d'un  an  ou  deux,  devaient  selon  toutes 
les  vraisemblances  se  produire  chez  nous  la  fatigue, 
chez  nos  lecteurs  la  satiété.  Que  pouvaient  espérer 
comme  constance  et  succès  trois  ou  quatre  person- 
nages qui,  au  jour  où  ils  se  décidaient  à  faire  de  l'art 
par  ce  journal,  mettaient  quelque  affectation  à  déclarer 
qu'ils  n'étaient,  par  profession,  ni  artistes  ni  journa- 
listes? Il  s'agissait  pour  eux  de  manier  la  plume  du 
critique  dans  les  moments  perdus  de  leurs  occupations 
habituelles,  en  simples  amateurs,  en  Esthètes  comme 
ils  l'ont  écrit  depuis.  C'était,  en  réalité,  une  partie  de 
plaisir,  une  escapade  artistique  et  littéraire,  une  sorte 
de  gageure  où  il  s'agissait  de  jouter  contre  les  gens  du 
métier  maîtres  du  monopole  de  ces  sortes  de  choses  et 
persuadés  que  seuls  ils  ont  les  aptitudes,  les  influences, 
-l'autorité  nécessaires  pour  y  réussir. 

Il  est  arrivé  que  cet  essai  en  apparence  fort  téméraire 
s'est  transformé  en  une  publication  présentement  bien 
assise,  en  possession  de  son  public  spécial,  intéressante 
peut-être  pour  ceux  qui  la  lisent,  assurément  pour 
ceux  qui  la  font,  produite  avec  entrain,  recherchée 
avec  quelque  faveur,  ayant  eu  cette  bonne  fortune,  à  de 
très  rares  exceptions  près,  de  n'avoir  jamais  ni  sou- 
tenu, ni.  attaqué  qui  que  ce  soit,  ni  quoi  que  ce  soit 
sans  que  l'événement  ne  lui  ait  donné  raison,  le  plus 
souvent  à  brève  échéance. 

Alors  que  nous  faisons,  non  sans  joie  et  non  saiiâ 


I 


f 


ÉMIMHMMMÉi 


VART  MODERNE 


l 


confiance,  ce  retour  sur  notre  passé,  il  est  naturel  que 
Fun  de  nos  sentiments  les  plus  vifs  soit  celui  de  la  gra- 
titude pour  ceux  qui,  par  leur  assiduité  à  nous  rester 
fidèles,  à  nous  revenir  après  de  courts  éloignements,  à 
se  constituer  nos  propagateurs,  ont  donné  à  notre 
œuvre  modeste  et  sincère  le  puissant  auxiliaire  de  leurs 
sympatl^ies  et  de  leurs  encouragements. 

Et  de  même  nous  remercions  en  souriant,  et  avec 
quelque  ironie,  les  plaisantins  qui  ont  parfois  essayé 
sur  nous  l'effet  de  leurs  jappements  et  la  force  de  leurs 
petites  mâchoires.  Quoique  inoffensifs,  ils  nous  ont 
tenus  en  haleine,  et  si  notre  zèle  eût  pu  se  ralentir  ils 
l'auraient  ravigoté.  Mais  à  eux  merci,  grand  merci,  et 
souhaitons  que  ces  chatouillements  bienfaisants  ne  nous 
manquent  jamais.         -  ' 

Ce  que  nous  avons  fait  jusqu'ici  nous  donne  la  règle 
de  ce  que  nous  devons  faire  à  l'avenir.  Il  y  a  place  en 
^Belgique,  dans  un  petit  monde  de  lettrés  et  de  dilettanti 
indociles  à  tout  mot  d'ordre,  à  tout  engouement  com- 
mandé par  la  mode,  pour  une  revue  critique  vierge 
d'enthousiasmes  factices  et  de  parti-pris  aveugles, 
n'ayant  pour  formule  que  la  libre  et  sereine  expression 
des  opinions  de  ceux  qui  la  font,  d'après  leurs  sensa- 
tions du  moment  à  l'occasion  des  œuvres  et  des  événe- 
ments. Il  faut  que  les  jugements  portés  avec  cette  indé- 
pendance aient  une  saveur  particulière  pour  qu'avec 
tant  de  persévérance  on  les  accueille  et  on  les  fête. 
Peut-être  aussi  que  le  développement  incessant  des 
notions  artistiques  chez  ceux  qui  se  livrent  à  ce  stu- 
dieux travail  a  un  intérêt  spécial  pour  ceux  qui  y  assis- 
tent. Peut-être  que  ceux-ci,  subissant  à  mesuré  les 
mêmes  transformations,  éprouvent  à  leur  tour  la  satis- 
faction intime  d'un  progrès  constant  vers  des  vues 
artistiques  de  plus  en  plus  nettes,  de  plus  en  plus 
saines. 

Car  le  chemin  parcouru  depuis  les  premiers  articles 
de  VArt  moderne,  encore  hésitant,  presque  naïf, 
imprégné  des  inévitables  préjugés  que  la  détestable 
éducation  scolaire  qui  a  cours  en  Belgique  dépose  en 
mauvais  germes  dans  le  cerveau  de  chacun  de  nous, 
apparaît  à  ses  rédacteurs,  plus  qu'à  tous  autres,  dans 
son  long  panorama  de  transformations  successives  et 
d'approximation  chaque  semaine  plus  grande  deà  prin- 
cipes qui  président  à  l'art  nouveau. 

Nous  n'avons  jamais  été  exclusifs.  Nous  nous  sommes 
gardés  attentivement  des  étroites  conceptions  de  ces 
écoles  qui  rejettent  tout  ce  qui  n'est  pas  elles.  Avides 
de  jouissances  multiples,  l'homme  contemporain  va  à 
rencontre  de  ses  instincts  quand  il  se  confine  dans  une 
manifestation  isolée  du  beau.  Chacun  de  nous  est  assu- 
rément doué  plus  spécialement  pour  comprendre  et 
réaliser  une  formé  artistique  déterminée  :  C'est  à  elle 
que  vont  ses  prédilections.  Mais  il  y  a  loin  de  cette 
naturelle  préférence  au  rejet  de  tout  le  reste.  Aussi 


avons-nous  eu  soin  de  ne  pas  nou^  cantonner  dans 
quelque  petit  territoire,  proclamé  sacré,  seul  asile  des 
vrais  initiés,  en  dehors  duquel  il  n'y  aurait  qu'igno-* 
rants  et  infirmes.  Au  risque  de  scandaliser  ceux  qui 
comprennent  la  critique  comme  un  état  dé  guerre 
où  l'on  doit,  sous  peine  de  trahison,  n'être  que  de  son 
corps  d'armée  et  traiter  en  ennemis  quiconque  n'est 
pas  enrôlé  sous  le  même  étendard,  nous  avons  plus 
d'une  fois  loué,  nos  adversaires  et  refusé  notre  concours 
à  ceux  avec  qui  nous  marchons  d'ordinaire  coude  à 
coude. 

Dans  la  manière  de  traiter  les  personnes  et  les 
choses,  nous  croyons  avoir  mis  en  général  cette  modé- 
ration Courtoise  qui  n'existe  plus,  hélas  !  dans  les 
mœurs  d'une  presse  exaspérée  par  la  polémique  à 
outrance  des  discussions  politiques  ou  par  l'intolé- 
rance fanatique  des  petites  chapelles.  Parfois,  nous  le 
confessons,  nous  avons  répondu  avec  âpreté,  mais 
c'est  quand  les  attaques  justifiaient  par  leur  allure  et 
leur  violence  des  représailles  énergiques.  Et  à  cet  égard 
nous  n'hésitons  pas  h  dire  que  mieux  eût  valu  peut- 
être  ne  jamais  se  départir  de  cette  façon  sereine 
d'écouter  et  de  répondre  qui  est  la  caractéristique  de 
la  vraie  force  et  le  gage  du  vrai  succès.  Nous  espérons 
nous  en  souvenir  désormais  et  nous  3-  astreindre,  quoi- 
que dans  ces  temps  d'universelle  dispute  et  de  contro- 
verses toujours  tintantes,  il  faille,  en  certaines  conjonc- 
tures, forcer  le  ton  ne  fût-ce  que  pour  se  faire  écouter. 

Le  dédain  pour  les  clabaudages  du  reportage  a  été 
invariablement  une  de  nos  consignes.  On  est  saturé 
jusqu'au  dégoût  de  ces  balivernes  qui  encombrent  notre 
atmosphère  intellectuelle  au  point  d'obscurcir  toutes 
les  généralités  salutaires  auxquelles  aspirent  les  esprits 
de  bon^^aloi.  Sans  craindre  de  nous  exposer  à  passer 
pour  dogmatiques,  nous  nous  sommes  essayés  à  dégager 
les  principes  plutôt  que  de  nous  amuser  aux  détails. 
Les  anecdotes  nourrissent  la  mémoire,  mais  font  peu 
pour  la  raison.  A  se  préoccuper  sans  cesse  de  petits 
faits  on  perd  l'aptitude  à  saisi^  les  vues  d'ensemble 
alors  pourtant  que  celles-ci  formoûMes  intelligences 
solides  et  assurent  la  rectitude  des  jugeinents. 

Comme  dominante  de  notre  critique,  nous  avons 
tenté  de  délivrer  le  public  de  la  manie  du  convenu.  Sans 
répudier  l'art  accompli,  nous  avons  montré  notre  pré- 
dilection pour  l'art  nouveau,  pour  l'art  jeune,  en  signa- 
lant sans  cesse  la  pauvreté  qui  résulterait  de  la  répéti- 
tion indéfinie  des  mêmes  choses  par  des  malheureux 
réduits  à  la  misérable  condition  de  pasticheurs.  Nous 
avons  formulé  cette  règle  qui  ouvre  les  esprits  à  toutes 
les  nouveautés  et  met  en  garde  contre  les  condam- 
nations prématurées  :  qu'il  faut  être  très  attentif  à  une 
pièce  sifflée,  plein  de  respect  pour  un  tableau  refusé, 
rempli  d'égards  pour  un  livre  qu'on  ne  lit  pas.  La 
semaine  dernière  encore  nous  défendions  les  Appor- 


tfift 


:"^i^sm-§. 


ieurs  de  neuf,  ces  Argonautes  sans  cesse  en  quête  de  la 
toison  d'or.  C'est  cette  évolution  constante  de  l'art 
qui,  sous  l'aspect  transitoire  qu'elle  lui  donne,  le  rend  si 
attachant  et  ravive  incessamment  nos  sensations  et  nos 
jouissances.  Rien  que  la  conception  de  cette  loi  qui 
condamne  la  théorie  funeste  des  formules  et  des 
receltes  enseignées  dans  nos  écoles,  change  l'axe  de 
la  critique  et  lui  donne  une  liberté  et  un  élan  qui  la 
rajeunissent  sans  trêve. 

Mais  s'il  n'était  pas  sans  opportunité,  alors  que  s'ou- 
vre pour  nous  une  période  quinquennale  nouvelle,  de 
faire  ce  rapide  examen  de  conscience  et  de  causer  libre- 
ment avec  ceux  qui  nous  comprennent  et  qui  nous 
aiment,  nous  ne  voulons  pas  manquer  à  la  convenance 
qull  y  a  à  ne  point  en  dire  trop  long  à  ce  sujet.  Nos 
rapports  sont  assez  familiers  avec  nos  lecteurs  et  déjà 
assez  anciens  pour  qu'on  nous  comprenne  à  demi-mot 
^t  que  l'insistance  soit  superflue.  C'est  une  bonne 
poignée  de  main  que  nous  leur  donnons,  une  cordiale 
assurance  de  sympathie  et  de  l'accord  qui  règne  entre 
eux  et  nous,  un  de  ces  témoignages  qui  montent  natu- 
rellement aux  lèvres  pour  les  amis  au  moment  où  la 
vieille  année  se  couche  et  meurt,  où  l'année  nouvelle 
s'éveille  à  la  vie.  Tant  de  choses  écrites  qui  reposent 
dans  les  cinq  volumes  déjà  parus  de  PArt  moderne 
n'ont  point,  quelque  ait  été  leur  drainage,  épuisé  nos 
pensées  parce  que  le  renouveau  de  l'art  est  inépui- 
sable. Nulle  récolte  ne  stérilise  le  soldece  jardin  fertile, 
et  les  jardiniers  que  nous  sommes  ne  se  plaignent  pas 
d*y  jardiner.  C'est  une  douce  et  reposante  distraction 
après  les  préoccupations  et  les  fatigues  des  affaires 
quotidiennes  et  un  moyen  commode  et  charmant  de  se 
tenir  en  bonne  santé  de  corps  et  d'esprit. 

Bonne  année  donc  à  tous!  Et  à  nous  bon  courage! 


^IVRE^     NOUVEAUX 

Haute  Ecole,  par  Henri  Naq.uet.  Paris,  Charpentier. 

Livre  original,  quoique  peu  artiste,  avec  des  abracadabrances 
voulues  et  des  pétards  mis  au  coin  des  strophes. 
L'auteur  dit  quelque  part  : 

Je  soupçonne,  ô  Parisienne,  .  "" 

L'ennui  de  ton  cœur  débauché, 
Je  saisis  ton  rêve  ébauché, 
*-  Car  avec  Renan  j'ai  pioché 
L'esthétique  néronienne. 

Chose  drôle,  le  nom  de  M.  Renan  ne  détonne  pas  énormé- 
ment sous  la  plume  de  M.  Naquet.  Il  y  a,  en  lui,  de  la  graine  de 
Rbiian,  mais  d'un  Renan  qui  ne  serait  plus  grave  el  rirait  de  soi- 
même.  Dans  Haute  Ecole  s'épanouissent  de  page  en  page  un 
dilettantisme  falot,  une  science  étonnante  qui  batifole,  une  philo- 
sophie fumiste,  un  joyeux  revenu  de  tout.  L'œuvre  est  une  ency- 
clopédie de  chansons,  elle  débute  par  le  Livre  juif  ci  aboutit  au 
Livre  moderne  à  travers  le  Livre  pdien  et  le  Livre  chrétien.  Son 


allure  est  alerte  et  zutiste.  L'auteur  tient  à  honneur  de  montrer 
qu'il  sait  tout  el  qu'il  ne  prend  rien  au  sérieux,  pas  même  l'art. 
Voilà  pourquoi,  le  chanson  seule  l'attire.  Elle  déroule  toutes  ses 
gammes.  Elle  adore  les  «  oh!  ricardaine!  oh!  ricardoh  !  »  elles 
«  Tourlourirette-Liroula  ». 
Mais  citons  quelques  preuves,  tant  charmantes  que  fantasques  : 

DÉCADENDE 

Aux  heures  de  décadence, 
Débauche  et  honte  entrent  en  danse. 
Les  corps  sont  las,  les  cœurs  cruels, 
Plus  d'exil,  plus  d'art,  plus  de  muise, 
La  morne  humanité  s'amuse 
Avec  des  joujous  sexuels.  • 

Superbe  !  l'image  de  la  fin.  De  même  le  chant  d'Hélène  : 

On  m'offrait  des  présents,  des  vœux, 
Au  bruit  des  crotales  de  cuivre. 
Et  l'Asie  entière  était  ivre 
Pour  une  fleur  dans  mes  cheveux. 


Les  fines  reines  du  désert 
Syriennes,  Israélites 
Etaient  les  humbles  acolytes   • 
De  la  reine  grecque  à  l'œil  vert. 

Pour  entretenir  mon  sourire 
Au  son  des  flûtes,  du  tambour. 
Des  vierges  dansaient  tout  le  jour 
Entre  des  tourbillons  de  myrrhe. 

Qui  croirait  que  c'est  le  même  M.  Naquet  qui  rime  un  peu  plus 

loin  :  • 

Depuis  environ  sept  ans, 

^J'assiste  tous  les  printemps 

Au  concours  hippique. 

J'y  suis  heureux,  c'est  mon  droit. 
Car  je  trouve  cet  endroit  — ^ 

Bizarre  et  typique. 

Sur  ce  tableau  plein  d'accent 
Je  braque  un  lorgnon  puissant 
Et  périscopique. 


C'est  entre  de  tels  extrêmes  qu'oscille  le  livre.  Malheureuse- 
ment, c'est  le  mauvais  extrême  qu'il  heurte  le  plus  souvent.  A 
preuve  :  Fin  de  juillet,  Au  faubourg.  Chanson  de  Vécaillère,  Le 
Pousse-café.., 

Richard  Wagner  (œuvres  posthumes^  Esquisses,  pensées, 
fragments.  —  Leipzig,  Breitkopf  et  H^rtel,  1885. 

C'est  le  dixième  volume  des  écrits  théoriques  du  maître  que 
vient  d'éditer  I9  maison  Rreitkopf,  par  les  soins  de  M.  Hans  de 
Wolzogen,  le  célèbre  wagnérologue. 

Il  se  compose  de  notes,  pensées,  projets,  recueillis  dans  ses 
papiers.  Le  texte  en  a  été  religieusement  respecté  dans  sa  forme, 
dans  ses  abréviations,  son  orthographe,  sa  ponctuation.  Une 
table  de  concordance,  placée  à  la  fin  du  volume,  renvoi^  aux 
passages  de  ses  OEuvres  complètes  qui  peuvent  servir  à  éclairer 
le  sens  des  fragments  ou  à  compléter  la  pensée  qui  les  a  dictés. 

On  trouvera  dans  ce  volume  de  précieux  renseignements.  La 
partie  la  plus  importante  est  une  esquisse,  en  deux  parties,  d'un 
ouvrage  sur  l'art  dans  l'avenir,  dans  lequel  le  maître  développe 


^ 


UART  MODERNE 


h  thèse  que  l'art,  œuvre  commune  de  l'universalité  des  hommes, 
est  la  fin  suprômc  de  l'humanité,  et  que  la  science  n'est  qu'un 
moyen  d'y  atteindre.  "  . 

Un  grand  nombre  de  notes  du  plus  grand  intérêt,  le  plan  d'un 
drame  ihdicn,  celui  vraisemblablement  qui  devait  succéder  h. 
Parsifaly  le  comnfienlaire  des  préludes  de  Tristan,  de  Parsifal^ 
du  3«  acte  des  Maîtres  chanteurs,  des  pensées  religieuses  et  phi- 
losophiques, complètent  ce  superbe  volume,  que  la  maison 
Brcitkopf  a  édité  avec  le  soin  et  l'élégance  qu'elle  consacre  û 
toutes  ses  publications.  , 


THEATRE  DE  LA  MONNAIE 

Pendiml  quelques  jours,  le  public  a  été  ])ris  d'un  véritable 
engouement  pour  le  théâtre  de  la  Moimiiie.  Journellement  on  y 
fut  contraint  de  refuser  des  places.  L'insuffis;inle  exécution  de 
Fra-Diavolo  est  venue  fiire  tache  dans  celte  bonne  situation. 
C'est  l'incomparable  .exécution  du  Barbier  de  Scville,  avec  ce  trio 
de  chanteurs  de  premier  ordre:  M"*^  Cécile  Mézeray,  MM.  Dover 
et  Encfel,  qui  a  été  l'occasion  de  celte  vogue,  accélérée  du  reste 
par  l'insuffisance  de  la  pluparl  des  autres  théâtres  actuellement 
ouverts  h  Bruxelles.  C'est  aussi,  d'après  les  statistiques,  l'époque 
où  s'ouvre  la  période  la  plus  fructueuse  pour  notre  première 
scène  lyrique.  Le  phénomène  est  donc,  au  fond,  trèS'  naturel, 
mais  il  peut  paraître  étrange  à  ceux  (jui  craignaient,  dès  la 
seconde  représentation,  que  le  Barbier,  malgré  l'éclat,  la  grâce 
et  la  sûreté  de  son  interprélation  cet  hiver,  ne  fût  exposé  à  la 
froideur  qui,  d'après  certaines  opinions,  devrait  accueillir  tout  ce 
qui  n'est  pas  absolument  neuf.  La  majorité  des  auditeurs  ne  chi- 
cane pas  autant  sur  ses  jouissances,  et  quand  elle  a  afl'aire  à  de 
véritables  artistes  elle  se  laisse  aller  volorîtiers  au  pbisir  délicat 
qu'ils  lui  donnent,  fût-ce  en  prenant  pour  prétexte  un  opéra  ita- 
lien datant  d'un  demi-siècle.  L'occasion  de  l'entendre .  jouer 
comme  il  ne  le  fut  jamais  chez  nous,  y  attirera  assurément 
quicontjue  aime,  sans  parti-pris  d'exclusivisme,  1rs  belles  choses 
dans  tous  les  genres,  et  alors  même  que  les  préférences  seraient 
pour  les  chefs-d'œuvre  plus  puissants  de  la  musique  nouvelle. 

La  re|)rise  d'Aïda  s'est  faite  avec  un  luxe  de  mise  en  scène 
qui  appelle  les  adjectifs  les  plus  admiratits.  On  sait  que  lors  de  la 
création,  il  y  a  quelques  années,  la  ville  mit  un  subside  de 
50,000  francs  à  la  disposilion  de  la  direction.  On  a  pu  revoir, 
rafraîchies,  toutes  les  j)ompes  qui  à  celle  époque  firent  pâmer  les 
Bruxellois,  et  vraiment,  pour  qui  aime  les  décors  prestigieux,  les 
défilés  éclatants,  les  figurations  encombrant  la  scène,  les  ballets 
élégants,  il  y  a  prodigalité.  Avec  le  goût  que  l'on  a  chez  nous 
pour  les  splendeurs  de  cortège,  il  est  vraisemblable  que  cette 
brillante  reprise  sera  l'une  des  plus  fructueuses  de  ta  saison. 

Quant  à  nous,  dans  ce  compte-rendu  rapide,  nous  nous  arrête- 
rons surtout  au  grand  art  avec  lequel  M'"*^  Monlalba  a  rendu  le 
rôle  principal.  Sous  tous  les  rapports,  chant,  jeu,  cOstume,  elle  a 
fait  preuve  d'une  autorité  qu'elle  n'avait  pas  montrée  jusqu'ici. 
Certes,  sa  voix  est  paifois  faible  dans  le  haiJt  et  gêne  alors 
l'oreille.  Mais  quelle  belle  et  profonde  sonorité  dans  le  grave,  et 
comme  il  serait  injuste  d'exiger  d'elle  une  double  supériorité 
qu'on  ne  rencontre  guère,  spécialement  chez  les  cantatrices  qui, 
ayant  le  registre  élevé,  ont  la  voix  sourde  dans  le  bas.  Son  duo 
avec  Bérardi,  au  troisième  acte,  a  été  superbe.  Elle  s'y  est  montrée 
artiste  plus  préoccupée  de  rendre  avec  passion  et  vérité  son 


personnage  que  de  faire  sur  les  auditeurs  des  effets  de  séduction 
•par  les  notes.  *     ' 

C'est  là  une  grande  e.t  belle  qualité,  la  principale  h  notre  avis, 
trop  souvent  sacrifiée.  Notre  public  avait  fini  par  la  démêler  chez 
M""^  Caron  qui,  elle  aussi,  est  plus  tragédienne  que  chanteuse, 
nous  avons  été  les  premiers  à  le  dire  ici  même.  Cet  hiver, 
peut-être  h  cause  des  virtuosités  ensorcelantes  de  notre 
opéra-comique,  on  semble  de  nouveau  priscrr  surtout  la  voix. 
C'est  fort  bien  dans  les  œuvres  légères,  mais  c'est  sans  à  propos 
dans  les  œuvres  dramatiques.  Nous  ne  douions  pas  que  notre 
public  ne  se  fasse  à  celte  nécessité  de  vai'ier  ses  façons  de  juger 
selon  les  genres,  et  qu'après  l'excellente  éco'e  qu'il  a  eue  l'an 
passé  dans  le  grand-opéra  et  qu'il  a  cette  année  dans  l'opéra- 
coini(jue,  il  no  comprenne  enfin,  par  ce  double  et  salutaire 
enseignement,  ce  qu'il  faut  qu'il  exige  de  part  et  d'autre. 

Le  succès  de  M""^  Krauss  fut  fondé  surloul  sur  ses  aptitudes  de 
tragédienne;  c'est  ce  qu!il  faut  demander  aux  fortes  chanteuses; 
la  voix  doit  certes  être  belle,  mais  elle  vaut  surtout  par  ses  qua- 
lités d'expression  et  d'émotion,  j)ar  ce  que  le  geste,  l'allure,  le 
visage  y  ajoutent  de  passion  et  de  force.  M"'«  Monlalba  a  ces  dons 
et  est  digne  d'être  accueillie  comme  une  grande  artiste.  Nous 
attirons  l'attention  sur  son  interprétation  d'Aïda.  Nous  sommes 
cpnvaincus  qu'elle  y  conquerra  l'admiration  des  amateurs  véri- 
tables.     • 

Bérardi  mérite  de  participer  largement  h  ces  éloges.  Le  rôle  du 
roi  d'Ethiopie  lui  convient  pleinement.  Par  sa  belle  stature,  la 
noble  simplicité  de  son  jeu,  la  puissance  de  sa  voix,  il  seconde 
superbement  sa  partenaire. 

La  salle,  trop  imprégnée  sans  doute  des  récents  et  charmants 
souvenirs  du  BUrbier,  a  fait  aux  deux  interprètes  un  succès  seu- 
lement discret.  Ce  n'est  pas  assez.  Il  grandira  sans  doule  aux 
représentations  prochaines.  Notre  public,  toujours  défiant  au 
début,  est  au  fond  sensé  et  équitable.  Il  aime  à  réfléchir  un  peu, 
mlîs  il  est  rarement  passé  sans  les  voir  devant  des  artistes  sérieux 
et  conciencieux.  Lorsqull  aura  frotté  ses  lunettes,  vu  et  revu,  il 
dira  sans  doute,  comme  nous,  que  le  troisième  acte  de  la  reprise 
du  chef-d'œuvre  de  Verdi  est  une  des  choses  les  mieux  rendues 
que  l'oa  ait  vues  cel  hiver  au  théâtre  de  la  Monnaie. 


^■ 


j]0RRE?P0NDANCE 


MoNSiECR  LE  Directeur  de  VA  rt  moderne^ 

Je  lis  dans  votre  dernier  numéro  :     - 

«  Un  renseignement  à  ajouter  à  ceux  qu'un  de  nos  correspon- 
a  dants  a  donnés  dans  les  lettres  qu'il  nous  a  adressées  au  sujet 
«  du  théâtre  de  la  Monnaie.  La  municipalité  de  Toulouse  donne 
«  120,000  francs  de  subside  à  son  théâtre.  11  n'v  a  à  Toulouse 
a  que  430,000  habitants.  A  Bruxelles,  le  subside  est  de 
«  400,000  francs  seulement,  sur  lesquels  la  Ville  reprend  23,000 
«  pour  les  appliquer  h  la  réfection  de  ses  décors  et  de  ses  cos- 
«  lûmes  et  impose  h  l'imprésario  l'obligation  de  monter,  en 
«  abandonnant  au  théâtre  les  décors  et  les  costumes,  six  actes 
«  nouveaux,  soit  30  îi  50,000  francs!!  » 

Permettez-moi  d'ajouter  une  réflexion.  La  ville  de  Bruxelles 
faii  piiyer  à  la  direction  du  théâtre  le  gaz  que  celle-ci  emploie. 
Cela  monte  par  année  à  27,000  francs,  h  savoir  425  francs  par 
soirée,  et  il  y  en  a   208  par  saison  théâtrale,  soit   24  à  28 


i 


■MÉMMHlMHliÉiMMÉiÉta 


VAUT  MODERNE 


^ 


MMi«ha^^b^M^^i^ 


par  mois  pendant  huit  mois.  I!  en  résulte  que  la  Ville  reprend 
presque  en  entier  le  subside  de  400,000  francs  qu'elle  semble 
allouer,  savoir  :  25,000  francs  pour  réfection  des  costumes  et 
décors  qui  sont  sa  propriété,  30  b  50,000  francs  pour  mise  en' 
«scène  de  six  actes  nouveaux  qui  resté  également  sa  propriété, 
25,000  francs  pour  le  gaz  qu'elle  fournit.  C'est  aussi  ingénieux 
que  peu  équitable  et  je  trouve,  comme  vouSj  qu'il  n'est  pas  mau- 
vais que  le  public  le  sache. 

Une  autre  réflexion.  Votre  correspondant  a  fait  remarquer  que 
cette  année  la  Ville  a  imposé  à  la  direction  de  livrer  sa  salle  gra- 
tuitement aux  Concerts  Populaires  moyennant  ristourne  de  quel- 
ques frais.  Chaque  concert  procurait  à  la  direction  précédente 
'4,200  francs  de  loyer,  et  il  y  en  avait  cinq,  auxquels  il  fallait 
•ajouter  deux  ou  trois  autres  concerts  publics.  C'est  donc  bien, 
comme  on  vous  l'écrivait,  une  recette  de  40,000  francs  que  l'on  a 
•enlevée  pour  obliger,  sur  le  dos  de  la  direction,  les  organisa- 
teurs de  ces  fêles.  J'ajoute  qu'on  a  remarqué  les- années  précé- 
dentes que  les  concerts  de  l'après-midi  nllaquenl  la  recette  du 
soir,  c'est-à-dire  la  diminue  :  donc  nouvelle  oecasion  de  perte. 

Je  voudrais  bien  savoir  si  le  collège  échevinal,  le  conseil  com- 
munal ou  l'échevin  des  beaux-arts  connaissaient  ces  détails  et 
ceux  que  votre  correspondant  a  révélés,  quand  ils  ont  grevé  de 
49,000  francs  de  charges  nouvelles  la  direction  qui  devait  suc- 
céder à  celle  de  MM.  Stoumon  et  Calabresi  !  Cela  paraît  impos- 
sible. 

Recevez,  Monsieur  le  directeur,  mes  salutations  distinguées. 

E.  E. . .. 


i^ 


ORRE^PONDANCE    D'ARTI^TEP  ^*^ 

Ypres,  jour  de  Noël,  1873. 


Mon  cher  ^**, 

A  propos  de  musique,  il  faut  que  tu  m'aides  à  franchir  un 
obstacle  devant  lequel  je  me  promène  depuis  quelque  temps.  En 
d'autres  termes,  il  faut  que  tu  m'aides  à  compri^ndre  Wagner.  Je 
commence  à  saisir  mais  je  suis  bien  loin  d'avoir  saisi.  Je  ne  vois 
pas  encore  la  porte  d'entrée  de  ce  sanctuaire  ;  je  végète  dans  le 
corridor  et  tu  sais  que  je  n'aime  pas  les  courants  d'air.  Bref,  je 
déchiffre  le  soir  des  partitions  (chant  et  piano)  avec  ***  qui  m'a 
aidé  à  naviguer  avec  bonheur  sur  l'océan  Beethoven. 

Je  ne  suis  pas  encore  initié.  Quelques  mots  de  loi  pourraient 
m'initier;  mais  pour  cela,  je  dois  te  décrire  ce  que  j'éprouve  et 
c'est  ce  que  je  vais  faire.  Prenons  deux  chaises,  asseyons-nous 
dans  ce  corridor  et  causons  b  l'aise.  —  Mais  avant  tout,  fermons 
les  portes,  —  Je  ne  sais  ce  qui  se  passe  dans  ce  sanctuaire,  mais 
le  vent  vient  de  là  et  il  est  de  force  à  décorner  un  bœuf. 

Nous  voici  donc  assis.  —  Mais  tout  à  coup  les  portes  s'ouvrent 
avec  fracas.  —  Ce  n'est  pas  une  conversation,  c'est  une  vision  qui 


(*)  Nous  aimons  à  publier  des.  lettres  d'artistes.  Presque  toujours, 
elles  présentent  un  très  grand  intérêt,  soit  eu  égard  à  la  personnalité 
qui  ouvre  ainsi,  dans  rintimité  de  la  correspondance,  les  secrets  de 
sa  pensée,  soit  parce  que  chez  les  artistes,  même  de  talent  "modeste, 
là  vue  des  choses  et  la  façon  de  les  exprimer  a  une  originalité  qui  ne' 
se  rencontre  guère  ailleurs. 

La  lettre  que  nous  publions  aujourd'hui  est  de  Gustave  Coppieters, 
que  la  mort  vient  de  frapper  avant  que  l'artiste  ait  donné  sn  moisson. 
Elle  est  adressée  à  un  ami  intime,  artiste  lui-même,  et  de  grand 
mérite,  Tune  des  illustrations  de  notre  pays.  Nous  donnerons  ulté- 
rieurement d'autres  fragments  de  cette  correspondance,  brusquement 
interrompue  par  la  mort. 


commeuce  pour  moi?!....  debout  paresseux!  me  crie  une  voix  âe 
stentor  avec  un  accent  léijjèrement  allemand.  Debout  !  svbarite!... 
Alors,  l'esprit  me  prend  par  le  poil  de  la  tête,  comme  dit  l'Ecri- 
ture, et  me  traîne  rapidement  jusqu'au  bout  du  corridor.  Voici 
mon  sanctuaire!  me  crie  la  Voix.  Et  l'esprit  m'enlève  de  terre  et  me 
fait  tourbillonner  dans  la  tempête  tout  saisi  d'effroi,  mais  plus 
encore  d'ahurissement  de  trouver  le  plein  air  et  le  tumulte  des 
éléments  déchaînés  là  où  je  croj^ais  admirer  en  recueillement  les 
merveilles  d'une  architecture  élégante  et  sévère. 

Cependant,  l'on  se  fait  h  tout.  Malgré  le  malaise  que  me  fait 
éprouver  mon  enlèvement  de  la  terre  ferme,  je  reprends  assez 
de  sangfroid  pour  écouter  les  séries  d'accords  richos  d'harmonie 
qui  sortent  du  sein  de  la  tempête,  car  enfin  je  me  sons  enlevé 
du  sol.  Cependant,  une  grêle  drue  et  nourrie  me  fait  souvenir  que 
je  n'ai  pas  quitté  la  matière  en  quittant  la  terre  ferme.  De  \l\  naît 
un  malaise  assez  semblable  au  mal  de  mer.  J'insiste  do.  nouveau 
pour  demander  une  base  ou  tout  au  moins  un  point  de  repère, 
quand  tout  h  coup,  par  des  revirements  brusques,  l'harmonie 
devient  vraiment  sublime  et  me  fait  oublier  que  je  tournoie  dans 
l'espace.  Les  dièzes  s'empilent  et  se  molamor|>h'Tsenl  en  bémols 
de  la  façon  la  plus  heureuse.  Il  est  vrai  que  certninos  enharmo- 
nies parlent  plus  aux  yeux  du  lecteur  qu'aux  oreilles  de  l'audi- 
teur; mais  encore,  en  décomptant  ces  superchfTios,  il  resie,  en 
fin  de  compte,  une  harmonie  poussée  jusqu'à  l'ivresse,  parfois 
jusqu'à  l'orgie.  Quant  à  la  mélodie,  elle  non  plus  n'a  pas  de  chaise  • 
pour  s'asseoir;  elle  a  à  faire  partout,  cl  surtout  dans  les  basses. 
Elle  tournoie  et  ne  se  montre  généralement  que  de  profil  ou 
même  de  dos.  Elle  est  fatiguée  du  fauteuil  où  Rossini  lavait 
laissé  trôner  trop  longtemps.  Elle  préfère  sa  liberté  à  tout  et  crie 
avec  le  reste  :  Vive  la  tempête!  amusons-nous....  Comme  elle  est 
généreuse  de  sa  nature,  elle  empoigne  l'harmonie  par  la  taille  et 
ces  deux  anciennes  ennemies  commencent  la  danse  la  plus  animée 
qu'ait  jamais  entreprise  le  jarret  d'une  immortelle.  y^ 

Et  moi,  chétif,  je  tourbillonne,  je  m'élève,  je  m'exalte  et  je 
m'écrie  :  Celte  fusion  des  éléments  élail  nécessaire!  Wagner  est 
l'artiste  de  notre  siècle.  C'est  l'homme  du  présent  que  les  vieux 
et  les  infirmes  prennent  pour  l'homme  de  l'avenir!  J'ai  compris 
enfin. 

Cependant  l'harmonie  se  soutient  et  la  fraîcheur  du  vent,  loin 
de  me  déplaire,  me  fait  regretter  d'avoir  respiré  une  atmosphère 
artistique  trop  renfermée.  Je  me  bats  les  flancs  pour  me  donner 
de  l'énergie  et  je  me  repens  de  naon  existence  artistique  de 
harezzeux  et  de  zyparidey  comme  disait  la  Voix. 

Je  me  sens  donc  mûr  pour  comparaître  dans  le  sanctuaire,  quand 
tout  à  coup  une  énorme  vague  d'eau  fraîche,  salée,  amère  et 
cependant  fade,  m'enveloppe  des  pieds  à  la  tête  et  par  une  force 
-irrésistible  me  fait  dégringoler  des  hautes  régions  av(  c  une  rapi- 
dité vertigineuse.  Je  touche  terre  et  je  suis  contusionné  et  trempé 
comme  une  soupe  !  —  Sais-tu  ce  que  c'est  que  cette  vague?...  un 
accord  en  do  majeur,  pur,  inflexible  et  inexorable,  orné  d'un 
rythme  saccadé  et  nohveau  (de  peur  de  ne  pas  trancher  assez  sur 
le  reste)  — de  la  neige  sur  du  velours  écarlate,  —  des  navets 
après  des  truffes.  —  Je  suis  à  terre,  relève-moi! 

Mais  je  veux  me  rendre  compte  de  cette  réputation  plus 
grande  que  nature.  L'histoire  de  l'art  m'apprend  que  le  Dernin 
lui  aussi  a  joui  d'une  réputation  plus  grande  que  nature  et  je  me 
demande  s'il  n'y  a  pas  un  cerlain  rapport  entre  le  Bernin  et 
Wagner... 

Quand  le  Bernin  parut,  on  le  crut  le  continuateur  et  le  couron- 


nement  de  Michel-Ange.  Esl-ce  que  Bernin  n'est  pas  à  Michel- 
Ange  comme  Wagner  est  k  Beethoven  ????!... 

Voilà  ce  que  je  me  dis  en  fermant  la  partition  du  Vaisseau 
Fantôme^  et  puis  j'ouvre  un  autre  livre;  mais  voici  un  phéno- 
mène nouveau  qui  se  présente. 

Ma  lettre  devient  longue;  néanmoins  je  veux  continuer  pendant 
que  j*y  suis  : 

Donc,  il  m'arrive...  que  le  plaisir  que  me  causaient  mes 
anciens  intimes  parmi  les  compositeurs  diminue  sensiblement. 
Sauf  les  chefs-d'oeuvre  qui  résistent  aux  bourrasques  et  même 
aux  tremblements  de  terre  et  s'épurent  même  à  chaque  épreuve  ; 
les  œuvres  que  j'aimais  répandent  à  travers  les  parfums  des 
fleurs  que  je  ne  méconnaîtrai  jamais  une  certaine  odeur  que  je 
n'ose  nommer  sans  craindre  de  blasphémer...  Ce  parfum  unique 
dans  son  espèce  est  celui  qui  se  trouve  à  l'état  latent  entre  les 
feuillets  des  vieux  et  inimitables  manuscrits  du  moyen-âge  et 
entre  les  boucles  ondoyantes  de  l'incomparable  perruque  de 
Mozart. 

Qu'il  y  ait  de  la  poussière  dans  cette  perruque,  c'est  ce  que  je 
n'ai  jamais  nié,  mais  faut-il  que  la  main  robuste  de  Wagner  la 
secoue  au  point  de  m'aveugler?  Et,  parce  qu'il  y  a  de  la  poussière 
dans  une  perruque,  doit-on  noyer  le  monde  pour  noyer  cette 
poussière???? 

Voilà  tout  ce  que  je  me  dis,  mais,  si  je  me  dis  le  contre,  je  me 
dis  le  pour.  En  somme,  nous  avons  eu  au  théâtre  assez  de  jolies 
tempêtes  qui  se  taisaient  pour  permettre  à  monsieur  le  ténor  de 
débiter  sa  petite  phrase  musicale.  Il  n'est  pas  mauvais  de  voir  là. 
tempête  embrasser  tout  un  acte  et  mugir  encore  de  loin  au  second 
acte. 

Quand  le  petit  matelot  du  Vaisseau  Fantôme  chante  sa  courte 
et  adorable  chanson,  on  sent  si  bien  qu'il  n'est  qu'un  épisode 
dans  ce  vaste  élément!  La  moindre  de  ces  vagues  suffirait 
pour  l'abîmer,  lui,  la  belle  qu'il  chante  et  toutes  ses  illusions. 
Cela  est  nature.  Rossini  l'aurait  mis  sur  l'avant-plan  pour  qu'on 
l'applaudisse.' 

Quand  on  est  au  bord  de  la  mer,  est-ce  que  tout  ne  prend  pas 
la  couleur  et  la  saveur  du  fond?  Voilà  pourquoi  j'admire  celte 
atmosphère  saline  et  âpre  dans  laquelle  tous  les  personnages  sont 
impitoyablement  noyés. 

Le  désespoir  est  parfaitement  rendu  dans  les  récits  de  la 
basse.  . 

Mais  dis-moi  ce  qui  m'empêche  de  comprendre  cette  vigou- 
reuse harmonie,  moi  qui  ai  saisi  si  facilement  les  dissonances 
les  plus  stridentes  de  Chopin  et  deSchumann??  Et  dis-moi  pour- 
quoi je  trouve  plus  vulgaii'es  que^  Vair  :  Viens  belle  nuit,  etc.,  les 
passages  gais  et  chantants  de  la  pièce?... 

Est-ce  que  Wagner  a  prouvé  que  l'art  est  autre  chose  que  ce 
que  tout  le  monde  croit  qu'il  est?  Où  veut-il  en  venir  avec  son 
réalisme  mystique  ou  son  mysticisme  réaliste?  Comprends-tu 
quelque  chose  au  librelto  du  Tannhaiiser  et  du  Vaisseau  Fan- 
tôme? 

Autre  chose.  Mon  tableau  avance  et  est  déjà  encadré.  Je  suis 
sorti  du  coup  du  mystique  et  du  vieux  et  j'ai  sur  le  chevalet  un 
tableau  sur  lequel  tout  le  monde  peut  me  donner  de  bons  con- 
seils. En  vérité,  si  mon  art  d'agrément,  la  musique,  m'embête  en 
ce  moment,  je  puis  dire  que  la  peinture,  mon  art  de  désagrément, 
m'amuse.  Je  me  donne  des  peines,  mais  je  ne  me  fais  pas  une 
goutte  de  bile.  J'espère  réussir  cette  fois.  . 


PREMIER  CONCERT  DU  CONSERVATOIRE 

Trop  rarement  le  Conservatoire  inscrit  en  ses  programmés  le 
nom  de  Jean-Sébastien  Bach;  depuis  l'installation  de  notre  Ecole 
de  musique  rue  de  la  Régence,  c'est  la  deuxième  grande  œuvre, 
seulement,  qu'elle  produit  au  public  :  la  Cantate  de  Noël  et  la 
Cantate  delà  Réjormation. 

La  Cantate  de  la  Reformations  composée  sur  le  choral  de 
Luther  Eine  [este  Burg  isl  miser  Oott^  a  été  exécutée  assez  mé- 
diocrement :  il  devient  de  jour  en  jour  apparent  que  les  masses 
chorales  dont  dispose  M.  Gevaert  sont  bjjipucOup  trop  faibles  et 
mollement  conduites  ;  l'entrée  du  premier  chœur  fugué,  par 
exemple,  était  manquée  et  dans  le  dernier  choral  l'orgue  et  l'or- 
chestre étaient  trop  puissants.  Nous  ne  chicanerons  pas  le  direc- 
teur sur  les  coupures  qu'il  a  cru  devoir  infliger  à  la  partition.  Ces 
mi^tilations  sont,  hélas!  de  mode  à  Bruxelles,  et  il  est, peu  d'ou- 
vrages qui  y  échappent.  On  est  en  droit,  toutefois,  de  s'étonner 
que  le  Conservatoire,  qui  devrait  être  le  gardien  fidèle  des  œuvres 
des  maîtres  et  dont  le  devoir  est  de  les  faire  respecter,  donne 
l'exemple  de  ces  libertés  d'interprétation. 

Un  détail  d'exécution  curieux  :  aucune  trompette  ne  pouvant 
donner  les  notes  élevées  sur  lesquelles  débute  le  thème  du  choral, 
on  a  fait  fabriquer  par  M.  Mahillon  des  trompettes  semblables  à 
celles  qui  étaient  en  usage  au  temps  de  Bach.  Le  timbre  perçant 
de  ces  instruments  a  surpris  l'auditoire,  qui,  n'étant  pas  prévenu, 
ne  savait  à  quoi  l'attribuer.  Le  succès  a  été  pour  le  duo  de 
contralto  et  ténor,  accompagné  discrètement  par  le  violon 
(M.  Colyns)  et  le  cor  anglais  (RI.  Guidé),  inspiration  délicieuse, 
d'un  mysticisme  de  pur  croyant. 

Les  solistes,  M'"^^  Cornélis- Servais  et  Degive-Ledelier, 
MM.  Engel  et  Vandergoten  ont  été  bruyamment  applaudis.  On  a 
fait  fêle  surtout  à  l'excellent  pensionnaire  de  la  Monnaie. 

Le  programme  contenait  encore  une  ouverture  de  Hsendel  peu 
intéressante,  et  la  très  banale  et  très  mince  ouverture  à*Athaliey 
de  Mendelssohn,  interprétée  avec  le  concours  de  la  nouvelle  classe 
de  harpes. 

Où  l'orchestre  du  Conservatoire  a  été  parfait,  c'est  dans  l'exé- 
cutipn  de  la  septième  symphonie  de  Beethoven,  particulièrement 
dans  la  deuxième  partie  :  un  mouvement,  une  chaleur  superbes. 
Nous  ne  nous  souvenons  point  d'une  pareille  exécution  en 
Belgique. 

JiE    CONCERT    ^lENIAW^KI 

M.  Wicniawski  est  un  brillant  et  séduisant  pianiste.  Sans 
'  chercher  à  éblouir  ou  à  étonner,  il  émeut  par  là  sincérité  et  la 
noblesse  d'une  interprétation  dont  le  respect  des  maîtres  est  la- 
caractéristique.  Classique  et  correct  dans  les  32  Variations  en 
ut  mineur  de  Beethoven  et  le  Prélude  en  si  bémol  mineur  de 
Bach,  il  a  mis  dans  l'exécution  des  œuvres  de  Chopin,  de  Liszt 
et  de  Wicniawski  lui-même,  la  fantaisie  et  la  fougue  que  celle 
musique  comporte. 

Son  succès  a  été  très  grand  et  très  mérité,  et  l'on  a  autant 
applaudi  le  virtuose  que  le  compositeur,  dont  deux  morceaux 
surtout,  une  Sonate  pour  piano  et  violoncelle^  bien  conçue  et 
développée  avec  talent,  et  une  Fantaisie  pour  deux  pianos ^  moins 
originale,  mais  d'une  étonnante  variété  d'effets  et  d'un  merveilleux 
entrain,  ont  été  très  goûtés  de  l'auditoire  choisi  qui  remplissait 
la  salle. 


VART  MODERNE 


M"®  Anna  Grégoir  a  prêté  au  concert  le  charme  d'une  voix  peu 
puissante,  mais  d'un  limlre  agréable.  On  l'a  surtout  applaudie 
dans  deux  mélodies  aimables  de  Wieniawski,iSt  vom5  n'avez  rien 
à  me  dire,  sur  la  poésie  de  Victor  Hugo,  et  II  m'aimait  tant.  Que 
la  jeune  artiste  s'en  tienne  à  ce  genre-là,  elle  deviendra  une 
chanteuse  appréciée  pour  son  goût  et  sa  fine  diction,  i^r* 

Pour  rexéculion  de  la  Fantaisie  à  deux  pianos ^  M»«  Louisa 
Merck  a  remplacé  M.  De  Greef,  qu'une  indisposition  empêchait 
de  prendre  part  au  concert.  El  elle  l'a  fait  avec  un  réçl  talent. 


pHRONIQUJE    JUDICIAIRE   DEp    ART^ 

Le  sifllet  au  théâtre. 

Le  tribunal  de  simple  police  de  Gand  a  tranché  la  question 
de  savoir  s'il  est  permis  au  public  de  siffler  pendant  une  repré» 
senlalioa  théâtrale.  Un  étudiant  de  cette  ville,  poursuivi  pour 
avoir  nnanifeslé  de  celte  façon  le  déplaisir  que  lui  causait  un 
artiste,  a  été  acquitté.  La  décision,  conforme  à  la  jurisprudence 
établie  en  France  par  plusieurs  arrêts  de  cassation,  se  fonde  sur 
l'impossibilité  où  se  trouve  le  public  de  faire  connaître  autre- 
ment son  opinion  au  sujet  du  mérite  des  acteurs,  en  l'absence 
de  ballottage. 

"~" r-    , 

MEMENTO  DES  EXPOSITIONS  ET  CONCOURS 

Brux:elles.  —  Exposition  et  concours  de  la  Société  centrale 
d'architecture.  —  Ouverture  !«'  mai  1886.  Section  rétrospective, 
section  contemporaine.  Envoi  avant  le  15  avril.  Renseignements  : 
Secrétaire  de.  la  Commission  organisatrice,  rue  Royale  Sainte- 
Marie,  128,  Schaerheek. 

Edimbourg.  —  Exposition  (internationale)  de  l'industrie,  des 
sciences  et  des  arts.  —  Du  4  mai  au  30  octobre  1886.  —  Mobilier 
et  arts  décoiratifs,  beaux- arts,  reproduction  d'anciens  édifices  et  de 
vieilles  rues,  etc.  —  Demandes  d'emplacements  au  Secrétaire  de 
V Exposition,  Frederick  Street,  i^,  Edimbourg. 

ChLA.scow.  —  25«  exposition  (internationale)  de  l'Institut  des 
Beaux- Arts.  —  Du  2  février  au  30  avril  1886.  —  Tableaux  à  l'huile 
et  aquarelles.  —  Renseignements  :  Robert  Walker,  secrétaire, 
Qlascow. 

New-York.  —  Exposition  des  œuvres  d'Henry  Mosler. 

Id.  —  Exposition  des  œu.vpes  de  William  Chase  destinées  au 
Salon  des  XX". 

Paris.  —  5«  exposition  de  l'Union  des  femmes  peintres  et  sculp- 
teurs. —  Du  12  février  au  4  mars  1886.  —  Envoi*  les  5  et  6  février, 
—  Reaseig^neraents  :  M™»  Léon.  Bertaxicc,  présidente. 

Pau.  —  22«  exposition  (internationale)  des  Amis  des  Arts.  ■ —  Du 
15  janvier  au  15  mars  1886.  —  Peinture  et  sculpture.  —  Délai 
d'envoi  expiré. 


J^OTZP    CE    jLIBRAIRIE 


Pour  paraître  prochainement  chez  M.  Krcutzmann,  à  Saint- 
Gall  :  Ètiiàes  et  compositions,  par  Jean  Stautfacher,  une  superbe 
publication  contenant  un  grand  nombre  de  planches  pour  servir 
à  renseififiement  et  à  l'élude  des  arts  décoratifs. 

Prix  de  la  livraison  :  10  francs  en  grand  formai,  fr.  5-50  en 
petit.  

A  demi  mot  vient  de  paraître  chez  Monnier  dans  la  môme 
collection  que  les  Concubins.  Nous  voici  en  plein  monde  pari- 


sien; d'un  côté  les  talons  rouges  et  les  monocles  sur  l'œil,  de 
l'autre  les  pieds  à  mettre  dans  un  écrin  et  les  tailles  ^  serrer 
dans  une  boîte. 

L'auteur  nous  fait  voyager  en  pays  rose  el  grivois,  et,  parmi 
les  voyages  les  plus  agréables,  voici  le  Petit  coupé,  le  Pauvre 
Chavaix  et  le  Récit  de  la  Camériste, 


f' 


'ETITE    CHROJ^iqUE 

Le  Moniteur  nous  a  annoncé,  mercredi,  la  nomination  de 
M.  Edouard  Jacobs  aux  fonctions  de  professeur  de  la  classe  de 
violoncelle  au  Conservatoire  de  Bruxelles.  Elève  de  Joseph 
Servais,  et  le  meilleur,  le  jeune  artiste  mérite  à  tous  égards  cette 
haute  distinction,  à  laquelle  nous  applaudissons  de  tout  cœur. 
Quelque  lourde  que  soit  la  lûche  qu'il  aura  h  remplir  pour  se 
rendre  digne  de  son  prédécesseur,  il  sera  capable  de  la  remplir 
dignement. 

Nous  apprenons  que  M»«  Fierons  débutera  à  la  Monnaie  dans 

le  rôle  de  Puck,  d'06^rc?7i.     ,  • 

■  •— — ^— • 

Nos  remerciements  h  la  revue  néerlandaise  De  Nieuwe  Gids 
pour  les  lignes  aimables  qu'elle  nous  consacre  dans  sa  deuxième 
livraison.  Parlant  de  l'abaissement  du  niveau  de  l'art  en  Hollande, 
elle  dit  : 

«  Cette  situation  semble  ne  pas  devoir  changer  aussi  long- 
temps que  l'éducation  artistique  du  public  n'aura  pour  guides 
que  les  feuilles  quotidiennes.  Elle  ne  peut  préjudicier  ù  l'art 
même,  mais  ceux  qui  s'intéressent  réellement  à  celui-ci  se 
réjouiraient  de  la  création  d'un  organe  artistique  indépendant 
qui  se  vouerait  exclusivement  à  la  discussion  des  principes  d'es- 
thétique. Et  à  ce  propos,  un  journal  belge,  VArt  moderne,  nous 
donne  un  exemple  à  suivre  :  champion  infatigable,  il  combal 
pour  les  principes  artistiques  purs  sans  se  préoccuper  aucune- 
ment des  parvenus  ni  des  puissants. 

«  11  serait  à  désirer  que  chez  nous  aussi  se  trouvât  un  homme 
intelligent  et  actif,  qui  assumât  la  tâche  de  fonder  el  de  conduire 
avec  autant  de  talent  que  son  confrère  bruxellois  un  journal 
arlistique. 

«  Nous  pourrions  laisser  alors  les  criliculets  à  leur  petite 
besogne,  et  enfin  artistes  el  amateurs  pourraient  se  délecter 
dans  la  lecture  d'une  critique  sérieuse  pour  le  plus  grand  bien 
de  l'Art  ».  . 

On  lit  dans  la  Justice  sous  la  signature  de  l'excellent  critique 
Charles  Martel  dont  nous  donnions  dernièrement  un  spirituel 
ariicle  sur  Georgette  : 

*"  «  Qu'on  nous  permette  de  dire  commeni''îiélé^omposé  le 
Livre  de  Pochi,  ce  volume  d'étrennes  dont  le  succès  est  si  grand 
en  ce  moment. 

«  Un  jour  de  l'été  dernier,  Judith  Cladcl,  la  fille  de  l'auteur 
du  Bouscassié,  se  plaignait  à  un  journaliste  de  n'avoir  pas  un 
livre  écrit  par  les  amis  de  son  père,  livre  que  puissent  lire  les 
jeunes  filles  de  son  âge,  de  douze  à  quinze  ans.  —  Vous  l'aurez 
pour  vos  étrennes,  répondit  notre  confrère. 

«  De  fait,  le  livre  vient  de  paraître  magnifiquement  imprimé 
avec  de  superbes  illustrations.  '^''  - 

«  C'est  le  livre  des  adolescents  composé  tout  exprès  par  les 
premiers  littérateurs  de  ce  temps  el  qui  d'ordinaire  n'écrivent 
que  pour  les  grandes,  très  grandes  personnes. 


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8 


UART  MODERNE 


«  Partni  les  collaborateurs,  nous  relevons  les  noms  de  Paul 
Arène,  Jules  f.larelio,  Alphonse  Daudca,  Delon,  Marie  Desmoulins, 
Hector  France,  Jean-Bernard,  Camille  Lemonnier,  Lugol,  Catulle 
Mendès,  Louis  Mullem,  Edmond  Picard,  Henri  Passerieii,  Pouvi-. 
lion,  Armand  Sylvestre  et  Talmeyr.' 

«  Ajoutez  h  cela  une  reliure  qui  est  à  elle  seule  un  objet  d'art 
et  vous  aurez  un  livre  unique  constituant  la  plus  belle  élrenne  (juc 
l'on  puisse  imaginer.  » 

La  Socie'lé centrale  d\irchitecture  orcfanise,  avec  le  concours  du 
gouvernement,  une  exposition  nationale  d'architecture  compre- 
nant une  section  rétrospective  et  une  section  contemporaine, 
pour  laquelle  elle  fait  appel  à  tous  les  architectes  du  pays.  L'ex- 
position s'ouvrira  le  i'^''  mai  1886.  Les  œuvres  (dessins,  maquettes, 
photographies)  devront  parvenir  avant  le  15  avril  au  Palais  des 
Beaux-Arts.  Un  concours,  auquel  .est  affectée  une  somme  de 
500  francs,  aura  lieu  à  l'occasion  de  cette  exposition.  Pour  tous 
renseignements,  s'adresser  au  secrétaire  de  la  commission  orga- 
nisatrice, rue  Royale-Sainte-Marie,  128,  à  Schaerbeek. 

Concerts  populaires.  —  Dimanche  10  janvier,  à  1  4/2  heure, 
au  théâtre  royal  de  la  Monnaie,  premier  concert  de  la  saison,  avec 
le  concours  de  M.  Jenô  Hubay,  professeur  au  Conservatoire  de 
Bruxelles. 

Programme  :  Symphonie  n°  2  en  si  mineur,  de  Borodine 
(inédite);  Concerto  pour  violon  et  orchestre,  de  Jono  Hubay  (pre- 
mière exécution);  Suite-Miniature  de  César  Cui  (première  exécu- 
tion); Fantaisie  Serbe,  de  Rimski-Korsakoff  (première  exécution). 

Nous  apprenons  que   notre  excellent  confrère  de  la  presse 


parisienne  Edmond  Sloullig,  dont  le  nom  s'altache  à  des  publi- 
cations théiitrales  déjà  si  im[)orlant(;s^  viont  d'élre  désigné  pour 
diriger,  à  partir  du  l*^""  janvier,  une  revue  de  quinzaine,  dont  le 
titre  définit  suliisamment  le  but  :  Revue  d'art  dramatique. 

Tous  nos  souhaits  l'accompagnent  dans  cetie  entreprise,  où, 
h  côté  de  son  expérience  personnelle,  il  apporte  le  concours  des 
écrivains  les  plus  brillants  et  des  crititjues  les  plus  autorisés  en 
matière  théâtrale. 


Sommaire  de  VAlmanach  de  VUniversité  de  Liège.  (Paraîtra 
le  10  janvier). 

Avant-propos.  —  Partie  universitaire  :  Calendrier  universitai- 
re; Notre  nouveau  recieur  ;  Autorités  académiques  et  corps  ensei- 
gnant; Histoire  de  l'Université,  par  A.  Orlh  ;  Les  Cours  prati- 
ques, par  E.  Mahaim;  Cercles  universitaires  anciens  et  actuels  ; 
Chances  d'étudiants. 

-  Partie  littéraire  :  Liège,  par  C.  Lemonnier;  Les  Femmes- 
artistes,  par  Edm.  Picard;  A  la  mer,  par  A.  Fontainas  ;  Outre- 
Meuse, par  A.  Chainaye;  Variations  sur  un  vieil  air,  par  A.  Giraud; 
Croquis  bruxellois,  par  Edm.  Cattier;  Delzire  Moris,  par  A.  Goffin; 
La  Complainte  du  carabin,  par  Théo  Hannon;  Mon  premier 
roman,  par  A.  Jottrand;  Fragment  de  deux  carrières  artistiques, 
par  Ch.  Magnette  ;  La  fin  d'un  jour  de  gloire,  par  E.  Mahaim; 
La  Saint-Sylvestre,  par  Octave  Maus;  Dégoût,  par  Georges  Roden- 
bàch  ;  Le  Bonhomme,  par  A.  Mockel  ;  On'  n'  môho'n,  par  H. 
Simon  ;  Primes  neiges,  par  P.  Poirier;  Vers,  par  F.  Vander  Est  ; 
Une  biedasserie,  par  P.  Olin;  Nuit  boréale,  par  E.  Verhaeren; 
Miss  Dispute  (mœurs  universitaires),  par  G.  Rahlenbeck;  Cadeau 
de  Fée,  par  M.  Siville. 

Dessin  originaux  de  MM. Chainaye,  Keiffer,  Masui  et  H.  Simon. 

Prix  de  souscription  :  2  francs.  S'adresser  à  M.  G.  Rahlen- 
beck, président  du  Comité  de  rédaction,  rue  de  la  Cathédrale, 
63,  à  Liège.  


.im: 


ÉDITEUR  DE  MUSIQUE 

RUE  SAINT-JEAN,  10,  BRUXELLES 

Nouveautés  musicales. 

DE   SWERT,   Jules.   Sérénade  de  l'opéra  :  Les  4Z6î- 

yeow.  Transcription  pour  violon- 
celle, avec  accomp.  de  piano     .     Fr.  2,00 
BORIS  SCHEEL.  Op.  155.  Trois  mélodies  pour  chant, 

avec  accomp.  de  violoncelle  (ou 
violon)  et  piano.  Paroles  françaises 
et  anglaises.  " 

N'o  1    Venez  ma  tnie.  Sérénade.  [Ar'ise, 

beloved) 1.35 

No  2  Pour  l'absrni.  {To  my  ahsent\o\e)  1.75 

N°  3.  C/ianf  dV<mo?<r.  (Love  song)  .     .  i.75 

ERMEL,  A.  Op.  40.  Scherzetto,  pour  piano 2,50 

VIENT  DE  PARAITRE  CHEZ 

BREITKOPF  &  HÀRTEL 

ÉDITEURS   DE   MUSIQUE 

BRXj^ELLES,  41,  MONTAGNE  DE  LA  COUR     . 


ECOLE    DE    PIANO 

DU    CONSERVATOIRE    ROYAL    DE   BRUXELLES 


33«  livraison,  cahier  1  et  2  ;  Beethoven,  variations) 
à  5  francs  net. 


J.  SCHAVYE,  Relieur 

46,  Rue  dit  Nord,  Bruxelles 


CARTONNAGES,  RELIURES  ORDINAIRES,  RELIURES 
DE  LUXE,  ALBUMS,  ETC. 

SPÉCIALITÉ  D'ARMOIRIES  BELGES  ET  ÉTRANGÈRES 


PIANOS 


BRUXELLES 
rue  Thérésienne,  6 


VENTE 

ÉCHANGE 

LOCATION 


GUNTHER 


Paris  1867,  1878,  1"'  prix.  —  Sidney,  seul  1"  et  2«  prix 
EXPOSITION  AMSTERDAM  1883,  SEUL  DIPLOME  D'IONNEOR. 

EN   VENTE 

A  LA   Maison   Féiix   CALLEWAERT    Père 

V-  MONNOM  Successeur 

26,  RUE  DE  L'INDUSTRIE.  A  BRUXELLES 


LA  FORGE  ROUSSEL 

PAR  Edmond  PICARD 

Édition  définitive,  tirée  à  petit  nombre 

Prix  :    Grand  Japon,   60   francs;  Chine  genuine,  40  francs; 
Hollande  Van  Gelder,  25  francs. 

Il  reste  quelques  exemplaires. 


Bruxelles.  —  Imp.  Félix  Callewaert  père.  —  V*  Monnom,  successeur,  rue  de  l'Industrie,  26. 


Sixième  anj^ée.  —  K»  2. 


Le  numéro  :  25  centim&s. 


Dimanche  10  Janvier  1886. 


n 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


l^YDE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 

■  ■>"•"■ 

ABONNEMENTS  :    Belgique,  un   an,  fr.   10.00;  Union  postale,   fr.    13.00.    —  ANNONCES  :    On  traite   à  forfait. 


Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 

l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


^OMMAIRE 


L'Exposition  de  l'Essor.  —  Interview.  A  propos^  du  Théâtre  de 
la  Monnaie.  —  La  Doctoresse  au  Théâtre  nu  Parc.  —  Livres 
NOUVEAUX.  Le  drame  social,  par  V.  Arnould.  —  Gazette  de 
Hollande.  —  Bibliographie  musicale.  —  Mémento  des  exposi- 
tions et  concours.  —  Petite  chronique. 


L'EXPOSITION  DE  L'ESSOR 

Nous  souhaitions  vivement  trouver  dans  l'exposition 
nouvelle  de  l'Essor  y  une  occasion  d'atténuer  notre  juge- 
ment sévère  de  l'an  dernier  et  de  donner  aux  artistes 
de  ce  groupe  un  témoignage  de  la  sincérité  de  nos 
appréciations,  même  quand  elles  ne  sont  pas  agréables. 
On  nous  assurait  que  sous  le  coup  de  fouet  des  critiques, 
un  vigoureux  effort  avait  été  fait  et  que  cette  fois  les 
plus  acerbes  pourraient  rendre  hommage  à  la  bonne 
volonté'  et  aux  progrès  de  cette  phalange.  Nous  savions 
que  dans  l'examen  des  œuvres  à  exposer  on  avait  fait 
preuve  de  beaucoup  de  fermeté  et  que  l'admission  pres- 
que en  masse  au  Salon  précédent  avait  été  singulière- 
ment restreinte. 

Hélas!  les  meilleures  dispositions  d'encouragement 
et  de  paix  doivent  céder  devant  k  fort  triste  réalité.  A 
part  quelques  exceptions  dont  nous  parlerons  tout  à 
l'heure,  l'ensemble  est  médiocre,  morose,  vulgaire,  ou 
plus  exactement*  en  employant  un  mot  usité  chez  nous 
dans  un  sens  spécial,  commun,  gemeen.  Pas  d'élan, 
pas  d'entrain  artistique.  Des  productions  mornes,  sans 


vibration,  maladroitement  établies,  mélancoliquement 
bourgeoises.  On  ne  sait  quelle  impression  de  découra- 
gement et  de  torpeur.  Rien  qui  sente  la  jeunesse,  l'en- 
thousiasme, la  vaillance  pour  réaliser  un  but  clairement 
vu. 

Cette 'fois  nous  ne  sommes  pas  seuls  à  le  dire.  Des 
amis  avérés  de  F  Essor  ont,  dans  les  comptes-rendus, 
laissé  percer  une  impi:*ession  analogue.  Ce  n'est  plus  la 
furie  louangeuse  de  jadis.  Les  éloges  sont  dispensés 
avec  discrétion,  les  réserves  de  tous  genres  pointent. 
On  a  le  sentiment  que  la  faiblesse  du  résultat  est  trop 
apparente  pour  que  le  public  se  laisse  prendre  aux 
boniments  bruyamment  proférés  et  emboite  le  pas  sur 
la  marche  que  tambourinent  les  fidèles. 

L'Essor  fait  donc  une  campagne  malheureuse,  rien 
ne  le  peut  dissimuler. 

Où  en  est  la  cause  ? 

Nul  sans  doute  ne  saurait  dégager  les  facteurs  mul- 
tiples qui  ont  amené  cet  avortement.  Certes,  l'exode 
des  artistes  qui  ont  fondé  les  XX  l'a  privé  de  quelques- 
unes  de  ses  forces  les  plus  énergiques.  Mais  il  lui  restait 
quelques  personnalités  dont  on  pouvait  espérer  le  déve- 
loppement. Or,  l'événement  montre  plusieurs  d'entre 
elles  demeurant  sur  place,  s'il  ne  faut  même  pas  dire 
plutôt  qu'elles  rétrogradent.  Il  semble  que  les  excita- 
tions artistiques  font  défaut,  que  le  milieu  est  appauvri, 
que  ces  jeunes  hommes  ne  subissent  plus  l'influence 
d'une  ambiance  qui  relève,  élargit  les  pensées,  leur 
donne  cette  envolée  qui  justifiait  ce  nom  bien  sonnant  : 
l'Essor, 


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/ 


Est-ce  que  vraiment,  comme  nous  en  exprimions  la 
crainte,  il  y  a  un  an,  la  zioanze  aurait  cette  propriété 
de  tarir  les  enthousiasmes  sains  et  les  entreprises  labo- 
rieuses, pour  y  substituer,  sous  la  direction  de  quel- 
ques farceurs  déclassés,  une  aptitude  à  la  goguenardise 
facile  qui  est  à  la  vie  de  l'artiste  sérieux,  ce  que  la  fré- 
quentation des  tavernes  est  au  travail?  L'habitude  de 
ridiculiser  chez  les  autres  les  convictions  excentri- 
ques, les  efforts  téméraires,  les  recherches  acharnées, 
le  fanatisme  de  l'originalité,  tous  ces  instincts  qu'il  faut 
respecter  même  quand  de  prime  abord  on  les  trouve 
saugrenus,  porterait-elle  avec  elle  cette  pénalité  redou- 
table de  tarir  chez  le  zicanzeur  toutes  les  qualités, 
toutes  les  forces  dont  il  se  moque  sottement  quand  il  en 
voit  l'expansion  chez  un  adversaire.  Est-ce  que  les 
circonstances  réaliseraient  ce  propos  cruel  tenu  anti- 
cipativement  il  y  a  quelques  mois  :  Vous  verrez  que 
la  Great-  Zivans  -  Exhibition  deviendra  leur  vrai 
Salon?  " 

Nous  n'en  sommes  pas  encore  là,  et  si  la  poussée 
dans  cette  voie  funeste  et  piteuse  a  déjà  été  loin, 
le  retour  n'est  pas  impossible.  Il  suffit  pour  cela  de 
revenir  à  des  préoccupations  plus  hautes,  et  d'enlever  à 
quelques  loustics  le  panache  de  général  en  chef  avec 
lequel  ils  se  pavanent  dans  les  sentiers  qui  mènent  aux 
fossés  des  irréparables  culbutes.  Il  y  a  derrière  eux 
quelques  artistes  sincères,  magnanimes  autant  que  les 
meilleurs,  qui  doivent  souffrir  d'être  compromis  dans 
ces  escapades  et  tournent  sans  doute  les  regards  vers 
les  cantons  où  l'on  travaille  sans  se  gausser  de  tout, 
sans  avoir  pour  unique  préoccupation  d'aboyer  aux 
jambes  de  ceux  qui  vont  droit  leur  chemin  vers  ce  beau 
pays  de  l'art  qui  est  dans  une  autre  partie  du  monde 
que  le  pays  de  la  zioanze.  Sans  grandes  idées  et  sans 
nobles  sentiments  pour  soi-même  et  pour  autrui,  un 
artiste  n'est  jamais  qu'un  médiocre,  parce  qu'il  n'est 
jamais  qu'un  mesquin. 

Oui,  c'est  la  vieille  histoire.  C'est  elle  que  nous  racon- 
tions l'an  passé  quand  nous  écrivions  :  Quelle  vieille 
histoire  que  la  mauvaise  humeur  des  envieux,  aidés 
des  ratés  de  tous  les  acabits,  contre  l'élément  vivace, , 
remuant,  entreprenant,  progressif  de  l'art  !  Quelle 
vieille  histoire  que  l'emploi  des  calomnies  et  des  plai- 
santeries pour  tenter,  toujours  vainement,  de  l'enrayer! 
Quelle  vieille  histoire  que  son  triomphe  final  inévitable, 
coïncidant  avec  le  discrédit,  puis  l'oubli,  ou  la  conver- 
sion (c'est  l'élément  comique  après  l'élément  chagrin)  de 
ceux  qui  l'ont  malencontreusement  attaqué!  A  ce  triste 
métier  les  résultats  sont  toujours  les  mêmes.  L'art  se 
transforme  en  cancan,  le  peintre  en  jongleur.  On  com- 
mence par  la  brosse,  on  finit  par  la  zioanze.  Et  comme 
en  ces  œuvres  de  dénigrement  on  entraîne  inévitable- 
ment à  ses  trousses  une  tourbe  polissonnante,  on  finit 
par  s'entendre  chanter  ce  couplet  de  ballade  : 


.    Au  début,  en  quittant  le  port 
Ils  étaient  quarante  brosseurs. 
Hélas  !  après  dix  ans  d'Essor, 
Ils  étaient  quatre-vingts  zwanzeurs  ! 

Et  maintenant  passons  au  détail. 

Trente-huit  exposants.  Cent  cinquante-et-une  œuvres. 
Dans  cet  ensemble  assez  considérable,  à  notre  avis  les 
suivantes  sont  à  signaler,  en  suivant  l'ordre  du  cata- 
logue : 

De  Bièvre  :  Un  marais  (Calmpthout).  —  De  Groux  : 
Pèlerinage  de  Saint-Columban  (esquisse).  —  Delsaux  : 
La  vieille  digue  au  crépuscule.  —  Dillens  :  Figure 
tombale.  —  François  :  Hiver  sous  bois,  —  Vieilles 
masures,  Boitsfort, —  Site  aux;  environs  de,  Bruxelles, 

—  Frédéric  :  Le  paysan  mort  (triptyque),  —  Le 
repas  des  funérailles,  —  Vacher,  —  La  prière  du  soir 
(dessin).  — Halkett  :  Ouvriers  attendant.  —  Heins  : 
Le  moulin  de  Hautem,  —  Marché  aux  poissons  à  Gand 
(aquarelle).  —  Hoeterickx  :  Brouillard.  —  Lacroix  : 
Jeune  paysan,. étude  (dessin).  —  M"'®  Lacroix  :  Décem- 
bre (effet  de  neige).  —  Lynen,  Amédée  :  Piano  décoré 
pour  la  maison  Gunther.  —  Mayné  :  Le  moissonneur. 

—  Meunier,  Georgette  :  Apprêts  de  bal.  —  Van  Leem- 
PUTTEN  :  Dentellières  en  Flandre. 

Beaucoup  de  restrictions  sont  certes  à  faire,  même 
en  ce  qui  concerne  ce  choix.  Mais  au  moins  y  sent-on 
par  certains  côtés  l'artiste.  Plusieurs  peuvent  être  con- 
sidérées comme  des  œuvres  sérieuses  de  transition  dans 
le  développement  de  leurs  auteurs.  Tel  est  le  cas  spé- 
cialement pour  Delsaux,  dont  à  diverses  reprises  nous 
avons  noté  l'opiniâtre  esprit  de  recherche.  Il  a  toutes 
chances  de  se  conquérir  lui-même,  de  sortir  de  ses  hési- 
tations et  de  ses  tâtonnements,  et  d'affirmer  un  jour  sa 
personnalité  qui,  à  chaque  exposition,  montre  quelque 
qualité,  nouvelle,  robuste  mais  isolée,  et  différente  de 
celles  qui  semblaient  le  caractériser  à  l'exposition  pré- 
cédente. 

C'est  Frédéric  qui  tient  la  tête.  Ses  défauts  sont, 
nous  ne  le  contestons  pas,  très  visibles.  Sa  facture  est 
lourde,  dure,  crue.  Mais  avec  ces  moyens  d'exécution 
imparfaits  et  dont  se  dégagera  vraisemljlablement  tôt 
ou  tard  une  virtuosité  spéciale,  imprévue  et  très  per- 
sonnelle, il  arrive  à  un  rendu  d'émotion  puissant. 
L'expression,  entendue  comme  indiquant  cette  belle  ap- 
titude à  arrêter  le  spectateur,  à  éveiller  en  lui  la  pensée, 
à  émouvoir  le  sentiment,  il  la  possède  à  un  haut  degré. 
C'est  la  dominante  de  son  Paijsan  mort,  de  son  Bepas 
des  funérailles,  mêlne  de  son  Vacher.  C'est  elle  qui 
donne  à  ces  productions  singulières  et  à  première  vue 
déplaisantes  dans  leur  coloris,  le  charme  qui  fait  remar- 
quer le  jeune  peintre  et  lui  a  acquis  une  place  très 
honorable.  Quiconque  analysera,  par  exemple,  une  à 
une  les  physionomies  des  villageois  attablés  après  l'en- 
terrement, sera  promptement  saisi  par  la  vérité  de  cette 


LART  MODERNE 


11 


remarque.  Il  y  a  là  un  fonds  précieux  digne  d'être 
signalé  et  vivement  encouragé. 

Nous  ne. voulons  point  terminer  sans  féliciter  la  mai- 
son Gunther  de  l'élégante  application  qu  elle  a  faite  de 
Fart  à  l'industrie  en  appelant  trois  artistes  :  le  peintre 
Amédée  Lynen,  l'architecte  Baes  et  le  sculpteur  Cham- 
bon,  à  l'exécution  d'un  piano  de  grand  luxe.  Au  siècle 
dernier,  il  n'était  guère  de  clavecin  ou  d'épinette  qu'on 
ne  crût  devoir  décorer  de  sujets  délicats  s'harmonisant 
avec  la  musique  et  entremêlés  de  devises  ingénieuses. 
Depuis  on  était  platement  tombé  dans  les  uniformes 
panneaux  de  palissandre  et  de  noyer.  A  peine  y  ajou- 
tait-on parfois  de  lourds  modelages,  des  découpages 
vulgaires,  \ies.  sculptures  banales.  Les  amateurs  corri- 
geaient le  déplaisant  aspect  du  Buffet  ou  de  la  Queue 
en  y  attachant  des  bandes  d'étoffes  anciennes  ou  en  les 
couvrant  d'une  draperie.  On  peut  se  réjouir  de  voir  une 
maison  intelligemment  dirigée  revenir  aux  pratiques 
délaissées  qui  faisaient  de  l'instrument  d'art  un  objet 
d'art.  La  tentative  est  heureuse  dans  son  principe  et 
heureuse  dans  sa  réalisation.  Quelle  extension  impré- 
vue prendra  la  peinture  le  jour  oti  elle  s'occupera 
sérieusement  d'ornementation.  Cela  vaudra  assurément 
mieux  que  de  continuer  la  pitoyable  production  de 
tableaux  médiocres  qui  encombrent  le  marché  et  qui 
devient  exaspérante. 


INTERVIEW 

A  propos  du  théâtre  de  la  Monnaie 

Nous  donnons  le  compte-rendu  dune  conversa- 
tion  que  nous  avons  eue  avec  M.  VeixUiiu^t.  Elle 
paraîtra,  croyons-nous,  intéressante  au  moment 
oit  le  théâtre  de  la  Monnaie  est  V objet  des  préoccupa- 
tions Wun  grand  nombre  de  nos  concitoyens. 

—  On  s'occupe  beaucoup  de  voire  Ihdûlrc,  de  sa  silualion 
■prcsenic,de  son  avenir.  Vous  le  savez  s.ins  doule? 

—  Parfaitement.  Un  directeur  ihéâiral  n'est  pas  comme  les 
maris,  instruits  les  derniers  des  fredaines  qu'on  prêle  à  leurs 
femmes.  Tant  de  monde  les  entoure  et  les  remarque  que  pour 
eux  la  police  est  toujours  faite.  Sanscomptci*  les  gens  qui  se  font 
un  vrai  plaisir  de  vous  annoncer  un  mauvais  propos. 

—  Ne  pensez-vous  pas  qu'il  serait  utile  de  dire  au  juste  ce  qui 
en  est?  Ne  croyez-vous  pas  que  les  lettres  parues  dans  VArt 
moderne  ci  qui  ont  commencé  à  tirer  le  rideau  des  mystères 
administratifs  du  théâtre  de  la  Monnaie  auront  leur  utilité? 

—  C'est  tout  à  fait  mon  avis.  Sans  regretter  le  moins  du 
monde  d'être  devenu  directeur,  je  dois  pourtant  reconnaître  que 
je  me  faisais  une  idée  de  l'entreprise  en  certains  points  pécu- 
niaires fort  différente  de  la  réalité.  Si  depuis  longtemps  on  ne 
s'était  pas  fait  une  loi  de  tenir  tout  cela  secret,  j'aurais  mieux  su 
à  quoi  je  m'engageais. 

—  Ainsi,  vous  n'avez  pu  vous  rendre  un  compte  exact  de 
l'affaire  avant d'v  entrer? 


—  Non,  ni  personne  h  ma  place,  je  le  pense.  La  base  d'une 
appréciation  exacte  eût  été  la  connaissance  des  comptes  des 
années  antérieures  ou  un  devis  comme  dans  les  concessions 
ordinaires.  Or,  on  ne  communique  pas  les  comptes,  quoique  la 
Ville  les-  contrôle^  jour  par  jour,  parce  que  ce  sont  ceux  d'une 
entreprise  privée.  Quant  au  devis  il  n'en  a  jamais  été  question. 

—  On  achète  donc,  chat  en  poche. 

—  C'est  tout  à  fait  cela.  Et  même  la  concession  accordée, 
qiiand  il  s'agit  de  recruter  la  nouvelle  troupa,  on  reste  (ians  la 
même   indécision,   ce   qui  est    1res    fâcheux  parce  qu'on   ne 

■  sait  pas  jusqu'où  l'on  peut  aller  dans  les  appointements  à  accor- 
der. On  agit  au  petit  bonheur  en  se  renseignant  comme  on  j)cut 

j    par  les  cancans  qui,  vous  vous  en  doutez,  sont,  en  cette  matière, 

'.    plus  nombreux  et  plus  fantaisistes  que  partout  ailjeurs. 

I  —  Vous  pensez  donc  que  la  Jbase  d'une  telle  affan*e  est  dans  la 
connaissance  complète  des  budgets  antérieurs? 

—  C'est  de  toute  évidence,  parce  que  d'une  année  h  l'autre, 
les  recettes  du  théâtre  de  la  Monnaie  ne  varient  que  bien  peu. 
J'ai  pu  m'en  assurer  depuis  que  je  suis  dans  la  maison  ei  que  j'ai 
connu  le  passé. 

—  Cette  allégation  de  notre  correspondant  que  les  recettes 
sont  à  peu  près  chaque  année  les  mêmes  est  donc  exacte?  Voilà 
un  point  de  départ  qui  est  très  important  mais  qui  paraît  assez 
extraordinaire  étant  données  les  variations  du  répertoire  et  des 
interprètes. 

—  11  est  absolument  exact.  La  moyenne  est  une  recette  de 
950,000  francs,  tout  compris.  Cela  monte  parfois  un  peu  au  delà, 
cela  descend  parfois  un  peu  au  dessous.  Le  répertoire  et  la 
troupe  ont  tcès  peu  d'influence.  11  suffit  qu'ils  soient  convenables. 
La  presse,  les  abonnés,  les  amateurs  ont  beau  ou  se  féliciter  ou 
se  plaindre,  le  gros  public,  qui  représente  les  six  septièmes 
de  ceux  qui  vont  au  théâtre,  ne  varie  pas  ses  habitudes.  11  dépense 
à  Bruxelles  lous  les  ans  à  peu  près  la<|même  somme  pour  ce  plai- 
sir spécial.  Cela  n'est  pas  un  raisonnement,  c'est  un  fait  attesté 
par  des  chiffres. 

—  Mais  les  années  où  l'on  a  mon'é  des  opéras  nouveaux  et  à 
succès? 

—  Cela  n'a  pas  eu  d'influence  sérieuse  sur  le  budget.  On  pour- 
rait même  dire  que  les  années  où  l'on  s'est  donné  le  moins  de 
peine  et  où  l'on  a  dépensé  le  moins,  le  bénéfice  a  été  le  plus  fort. 

—  Pensiez-vous  cela  quand  vous  avez  pris  la  direction? 

—  Nullement.  Je  croyais  comme  tout  le  monde  que  le  chiffre 
des  recettes  dépend  des  efforts  et  des  dépenses,  alors  qu'en  réa- 
lité si  ceux-ci  améliorent  les  représcnlalions  et  rendent  le  plaisir 
plus  délicat,  ils  n'influent  guère  sur  ce  qu'on  reçoit. 

—  Mais  êles-vous  d'avis  alors  qu'il  faut,  sinon  négliger  la 
troupe  et  le  reste,  tout  au  moins  se  contenter  d'un  à  peu  près 
suffisant  ? 

—  Cent  fois  non.  Le  théâtre  de  la  Monnaie  Ici  que  je  le  con- 
çois, tel  que  je  le  désire,  doit  être  après  Paris,  le  meilleur  théâtre 
de  l'Europe.  Je  crois  même,  qu'en  certaines  choses  nous  pou- 
vons avoir  mieux  qu'à  Paris  comme  ensemble.  11  faut  qu'on  se 
résigne  aux  dépenses  que  cela  réclame.  Il  faut  qu'on  sache  ce 
que  cela  coûte.  Toute  malice  destinée  à  masquer  des  imperfec- 
tions sur  certains  points,  en  amusant  le  public  avec  des  perfec- 
tions sur  certains  autres,  avec  une  étoile  qui  passe  et  disparaît, 
doit  être  proscrite.  C'est  le  programme  que  j'avais  en  entrant  et 
que  j'entends  maintenir,  quoiqu'il  faille  du  temps  et  de  la  persé- 
vérance pour  l'accomplir  étant  donné  le  bon  vouloir  relatif  qu'une 


I 


12 


VART  MODERNE 


partie  du  public  a  toujours  montré  au  début  envers  une  nouvelle 
direction. 

—  Ces  éléments  peu  bienveillants  sont-ils  nombreux. 

—  Je  nfc  le  crois  pas.  Dans  tous  les  cas  ils  occupent  une  très 
petite  place  dans  les  recettes  du  ihéâlrc.  C'est  fort  simple  à 
établir.  Le  théûire  reçoit  200,000  francs  de  subside  de  la  ville 
et  de  la  cour,  40,000  francs  des  bals  masqués,  600,000  francs  h 
la  porte.  Sur  la  recette  totale  de  950,000  francs  il  reste  donc 
HO, 000  francs  pour  rabonnemcnt,  donc  un  neuvième.  C'est 
là  que  sont  tous  ceux  qui  s'occupent  du  Ihéûlre.  La  moitié 
est  passive,  un  quart  soutient  la  direction,  le  dernier  quart 
l'attaque.  C'est  donc  un  groupe  qui  représente  25,000  francs  de 
receltes  qui  mène  la  campagne.  Ce  seul  fait  explique  comment 
tout  ce  tapage  reste  sans  influence  sur  la  recette  totale. 

—  Où  en  étcs-vous  pour  le  moment? 

—  Comment  l'cntcndcz-vous.  Est-ce  au  point  de  vue  des 
receltes  et  du  budget? 

—  Oui.  C'est  de  cela  qu'on  parle  surtout. 

—  En  effet.  On  dit  que  je  compte  ne  pas  continuer.  On  répand 
h  ce  sujet  toutes  sortes  d'histoires.  Pas  plus  tard  qu'il  y  a  liuit 
jours,  on  disait  qu'un  notaire  s'était  pendu  de  dés(?spoir  après 
avoir  constaté  les  perles  qu'il  avait  faites  chez  moi  depuis  l'ou- 
verture. C'est  aussi  ridicule  que  méchant. 

—  Mais,  enfin,  êtes- vous  en  gain  ou  en  perle? 

—  En  perte  naturellement,  comme  presque  toutes  les  direc- 
tions qui  commencent,  surtout  les  quatre  premiers  mois  qui  sont 
les  mauvais  de  l'année  théâlralo.  Mais  entendons-nous.  Je  n'ai  pas 
fait  une  seule  recetic  mensuelle  inférieure  b  celle  de  Fan  dernier, 
au  contraire.  Mais  j'ai  eu  îi  subir  les  changements  de  troupe 
imposés  par  le  goût  du  public.  In  artiste  renvoyé  garde  ses 
avances  entières  et  il  faut,  en  outre,  payer  son  successeur.  Cela 
grève  en  double  le  budget  du  mois.  Puis  il  y  a  les  cachets  que  le 
bouleversement  du  personnel  multiplie.  Donc,  toute  une  série  de 
dépenses  auxquelles  un  nouveau  venu  (on  s'en  défie  toujours 
quelque  peu)  ne  saurait  échapper.  De  là  un  déficit,  mais  qui  n*a 
rien  d'inquiétant. 

—  Le  correspondant  dont  nous  avons  publié  les  lettres  a  parlé 
aussi  des  charges  nouvelles  imposées  par  la  Ville  au  théâtre. 

—  Tout  ce  qu'il  a  dit  là-dessus  est  vfai  à  quelques  détails  près. 
Il  est  vrai,  notamment,  qu'alors  que  la  direction  précétiente 
gagnait  en  moyenne  dans  les  dernières  années  40,000  francs, 
en  sus  du  prélèvement  mensuel  à  litre  d'appointement  qui 
met  le  directeur  au  même  rang  pécuniaire  qu'une  dugazon,  la 
Ville  a  i m pos(é~dëS" charges  ou  retiré  des  subsides  particuliers  qui 
ont  grevé  la  direction  nouvelle  d'environ  49,000  francs  de  plus. 
^  —  Saviez-vous  cela  en  demandant  la  concession? 

—  Je  connaissais  les  charges  nouvelles,  mais  j'ignorais,  et 
tout  le  monde  ignorait,  que  celles-ci  dépassaient  de  plusieurs 
milliers  de  francs  le  bénéfice  moven. 

—  Mais  que  va-t-il  en  résulter!  Vous  avez,  dites-vous,  d'une 
part  des  frais  de  premier  établissement,  d'autre  part  des  charges 
nouvelles.  Croyez-vous  pouvoir  faire  des  bénéfices  dans  ces  con- 
ditions? 

—  Non,  non,  non.  Je  clôturerai  l'année  théâtrale  avec  un 
déficit  que  je  puis  chiffrer  dès  ti  présent.  Mais  cela  n'est  rien.  On 
doit,  en  pareille  matière,  s'attendre  à  des  pertes  pour  la  pre- 
mière saison.  Mes  commanditaires  se  sont  rendus  compte  de 
ces  prévisions.  Ils  n'y  voient  rien  d'extraordinaire.  Mes  prédéces- 
seurs  ont,   une  année,   perdu   plus   de   80,000   francs.   C'est 


l'ensemble  de  la  concession,  qui  est  de  peuf  ans»  qu'il  faut 
considérer.  Il  n'y  a  dans  ce  qui  se  passe  maintenant  rien 
d'anormal,  et  les  bruits  que  l'on  répand  à  ce  sujet  sont  parfaite- 
ment ineptes. 

—  Soit.  Vous  exploiterez  donc  en  perle  celle  année.  Mais  les 
années  suivantes? 

—  Entendons-nous.  Je  suis  lié  pour  trois  ans  avant  de  pouvoir 
renoncer.  A  la  rigueur,  la  Ville  peut  me  dire  :  Tant  pis,  il  fallait 
mieux  vous  rendre  compte.  Soit,  je  subirai  celle  nécessité.  Je 
n'entends  nullement  déserter,  qu'on  le  tienne  pour  certain.  Je 
puis  rester  et  je  resterai.  Mais  j'aime  à  croire  que  devant  une 
iniquité  patente  le  Conseil  communal,  tout  au  moins  ceux  qui 
m'ont  fait  l'honneur  de  voter  pour  moi,  ne  maintiendront  pas  les 
conditions  actuelles  qui  me  paraissent  vraiment  léonines.  Peut-on 
admettre  que  la  Ville  retire  à  la  direction  les  40,000  francs 
qui  fohl  la  totalité  du  bénéfice  moyen  et  lui  impose  encore  quel- 
ques milliers  de  francs  de  charges  de  plus?  Ou  bien  c'est  le 
résultat  d'une  erreur,  ou  bien  c'est  que  la  Ville  a  supposé  qu'on 
pouvait  exploiter  à  meilleur  marché  que  mes  prédécesseurs,  ou 
bien  c'est  qu'elle  ignorait  qu'à  Bruxelles  les  recettes  restent  les 
mêmes  et  qu'elle  a  cru  qu'on  pouvait  les  augmenter,  ce  qui  est 
faux,  je  vous  le  disais  tantôt. 

—  N'esl-il  pas  possible  d'exploiter  à  meilleur  marché. 

—  C'est  absolument  impossible.  Il  y  a  au  théâtre  des  dépenses 
qui  sont  toujours  les  mêmes  et  qui  sont  depuis  des  années 
réduites  au  minimum.  Puis  il  y  a  la  troupe.  Celle  de  mes  prédé- 
cesseurs coûtait  46,500  francs,  la  mienne  49,000  francs.  Or,  ni 
l'une  ni  l'autre  ne  peuvent  être  considérées  comme  réalisant  ce 
que  le   public  bruxellois  est  en  droit  d'exiger,  car  je  suis  le 

\    premier  à  reconnaître  que  certaines  réclamations  sont  fondées; 

I  je  me  bornerai,  à  cet  égard,  à  cette  seule  observation  que,  pour 
mes  prédécesseurs,  on  était  très  indulgent  quand  il  manquait 
quelque  chose,  et  pour  moi  bien. sévère,  j'entends  certains  ama- 
teurs et  certains  journaux.  Il  faut  à  Bruxelles  une  troupe  qu'on 
ne  saurait  avoir  à  moins  de  55,000  francs  par  niiois,  étai^t  donné 
la  concurrence  des  théâtres  étrangers  beaucoup  mieux  subsidiés 
que  le  nôtre.  Je  suis  prêt  à  discuter  la  question  avec  n'importe 
qui  et'à  démontrer  qu'à  moins  on  n'a  jamais  que  des  cadres 
incomplets  au  prix  où  en  sont  les  artistes. 

—  Tout  ce  que  vous  me  dites  là  paraît  très  pertinent,  mais 
c'est  un  renvei^omeut  de  beaucoup  d'idées  reçues.  11  faudra  faire 
entrer  ces  aperçus  dans  l'espril  du  public.  C'est  fort  difficile. 

—  Mais  pas  tant  :  Je  me  propose  de  publier  à  la  fin  de  mon  ;. 
année  tous  mes  comptes,  de  dresser  des  statistiques  très  pré- 
cises, de  faire  des  états  comparatifs  divers  entre  le  passé  et  le 
présent,  entre  le  théâtre  de  Bruxelles  et  celui  d'autres  villes.   Ce 
sont  les  lettres  de  votre  correspondant  qui  m'en  ont  donné  l'idée. 
Je  les  enverrai  non  seulement  au  conseil  communal,  mais  à  tous 
les  abonnés,  à  tous  les  amateure,  à  tous  les  journaux.  Je  ferai  un. 
appel  à  la  discussion.  Je  ne  doute  pas  que  la  vérité  n'en  sorte  et 
qu'on  ne  comprenne  que,  pour  avoir  un  théâtre  vraiment  sérieux", 
le  meilleur  moyen  n'est  pas  de  mettre  un  directeur  et  ses  com- 
manditaires dans  l'embarras,  mais  de  leur  donner  les  moyens  de. 
réussir,  plus  un  bénéfice  raisonnable  pour  tous  les  risques  que 
l'on  court  et  toutes  les  peines  qu'on  doit  se  donner  dans  une 
entreprise  pareille. 

—  Mais  si  quelque  autre  directeur  accourait  et  disait:  Eh  bien, 
moi  je  me  coulenle  sans  changement  de  la  situation  actuelle  ! 

—  Ce  ne  serait,  maintenant  que  les  détails  et  les  chiffres  sont 


révélés,  qu'un  imprudent,  qui  risquerait  de  rester  en  place  en 
pleine  saison.  Je  vous  répèle  que  le  Ihéûtre  ne  rapporte  qu'une 
somme  à  peu  près  invariable.  C'est  là  ce  qii'il  faut  considérer  avant 
tout.  Dès  lors  les  dépenses  ne  peuvent  dépasser  un  certain  chiifre 
sans  amener  un  déficit.  Or,  dans  l'état  présent,  [ce  chiffre  ne 
donnerait  qu'un  personnel  inférieur  et  une  exploitation  insuffi- 
sante pour  la  capitale.  La  ville  doit  donc  se  résoudre  à  augmenter 
les  avantages  de  la  direction  et,  si  elle  les  augmcnie,  ce  ne  peut 
être  au  profit  d'un  nouveau  venu  après  qu'elle  me  les  aurait 
refusés  à  moi  qui  aurais  révélé  le  vice  de  la  situation  et  qui  aurais 
perdu  une  somme  plus  ou  moins  élevée  pour  faire  l'expérience. 
Ce  serait  souverainement  injuste. 

—  A  ce  sujet,  je  dois  vous  dire  qu'on  prétend  que  vous  ne 
vous  occupez  pas  assez  du  théâtre,  que  vous  laissez  trop  faire 
par  d'autres,  attachés  au  théâtre  depuis  longtemps. 

—  Oui,  on  me  Ta  dit  aussi.  Vraiment  on  n'est  jamais  au  bout 
de  la  malignité  de  certaines  gens.  Je  suis  au  théâtre  constam- 
ment, je  ne  m'occupe  et  ne  me  préoccupe  que  du  théâtre.  C'est 
bien  naturel,  puisque  mes  intérêts  et  ceux  d'aulrui  y  sont  engages, 
puisque  j'y  ai  mon  présent  et  mon  avenir.  J'ai  couru  six  mois  la 
France,  la  Belgique,  la  Hollande  pour  recruter  les  deux  troupes. 
A  chaque  changement  j'ai  dû  courir  encore.  J'ai  traité  avec  les 
auteurs  des  pièces  nouvelles  que  je  vais  représenter  :  les  Tem- 
pliers, Sainl-Me'grin,  Gwendolinej  Pierrot  Macabre.  J'ai  dû  suf- 
fire à  des  négociations  sans  nombre.  Il  est  vrai  qu'il  y  a  au 
théâtre  des  hommes  d'une  grande  expérience  et  d'une  grande 
autorité  que  tout  Bruxelles  connaît,  dont  j'écoute  les  conseils. 
Qui  pourrait  m'en  blâmer,  moi  nouveau  venu  dans  une  maison 
où  ils  sont  des  vétérans?  Mais  de  plus  en  plus  je  me  rends  compte 
de  tout  et  je  puis  dire  que  ma  direction  devient  de  plus  en  plus 
personnelle  et  efficace. 

—  Tant  mieux.  Mais  en  fait  d'opéras  nouveaux  dont  vous  venez 
de  parler, quand  passeront  les  Templiers?  On  en  parle  beaucoup. 
On  signale  les  retards. 

—  Ils  passeront  le  jeudi  21  janvier,  et  ce  sera  vite.  Mes 
décors  sont  achevés.  Mes  répétitions  marchent  à  merveille.  On 
ne  comprend  pas  ce  que  nécessite  la  création  d'une  œuvre 
pareille.  Elle  me  coûtera  environ  45,000  francs  de  mise  en  scène, 
que  je  dois  abandonner  à  la  ville  en  vertu  de  mon  cahier  des 
charges.  C'est  une  lourde  affaire,  mais  dont  tout  me  fait  croire 
que  nous  sortirons  avec  honneur. . 

—  Voilà  à  peu  près  tout  ce  que  je  désirais  sa\oir.  A  l'occasion 
nous  en  causerons  encore? 

—  Mais  certainement.  Je  souhaite  que  d'autres  journaux 
emploient  le  même  procédé.  Je  me  considère  comme  remplissant 
une  charge  qui  me  rend  responsable  vis-à-vis  du  public  et  je 
trouve  très  légitime  que  la  presse,  qui  a  mission  de  l'éclairer, 
vienne  m'inlerroger.  U Indépendance  l'avait  déjà  fait  dernière- 
ment et  je  me  suis  vis-à-vis  d'elle  exécuté  aussi  volontiers  que  je 
viens  de  le  faire  vis-à-vis  de  vous.  Mais,  pour  Dieu,  qu'on  ne 
parle  pas  de  tout  cela  sans  connaître  le  fond  des  choses.  On  me 
connaît  peu  à  Bruxelles.  D'un  côté  on  m'attaque,  de  l'autre,  on 
me  défend  vivement.  Je  crois  que  lorsqu'on  saura  mieux  qui  je 
suis,  ce  que  je  fais,  ce  que  je  veux  faire,  on  trouvera  que  je  ne 
suis  pas  au  dessous  des  devoirs  que  j'ai  assumés  et  qui  se  résu- 
ment en  ceci  :  donner  à  Bruxelles,  sans  restriction  et  sans 
marchandage,  le  théâtre  dont  elle  est  digne.  Si  cette  année 
j'ai  eu  quelques  mécomptes  à  cet  égard,  instruit  par  l'expérience, 
je  vous  garantis  que  l'an  prochain  les  plus  difficiles  seront 


satisfaits.  A  Namur,  ma  patrie,  il  y  a  à  ce  sujet  un  proverbe 
familier,  un  peu  trivial  :  Il  faut  laisser  p. . . .  le  mouton. 


JaA     ÇOCTORJEP^E 
au  théâtre  du  Parc. 

La  Doctoresse  est  une  de  ces  pièces  qui  font  en  trois  actes  ce 
que  le  vieux  vaudeville,  avec  ou  sans  couplets^  faisait  en  un  seul  : 
distraire,  amuser.  Des  situations  drôles,  des  personnages 
baroques,  des  mots  d'esprit,  des  quiproquos  hilarants,  de  l'im- 
prévu à  tout  propos,  le  rire  provoqué  surtout  par  le  contraste, 
des  sous-entendus  grivois,  des  allures  risquées^  bref  tout  un 
bagage  excentrique,  gouailleur,  moqueur,  babillard.  Autrefois  on 
sortait  de  là  eu  fredonnant  un  refrain.  Maintenant  on  en  sort  en 
répétant  quelque  plaisanterie.  Ce  n'est  ni  moins  bien,  ni  mieux, 
c'est  autre,  mofns  bourgeois  peut-être,  plus  élégant,  plus  hardi, 
plus  erotique.  Une  fantaisie  vivement  menée  comme  une  joute 
de  paroles  dans  un  gai  repas,  sans  tête  ni  queue,  sans  prétention 
à  rien  prouver,  sans  logique,  sans  rime  ni  raison.  Une  broderie 
sur  un  canevas  ingénieux,  une  guirlande  de  folies,  de  bêtises, 
s'enroulant  autour  d'une  donnée  quelconque  comme  des  pampres 
autour  d'un  ihvrsc. 

Cette  fois,  le  thème  était  le  suivant  :  La  femme  est  faite  bien 
plus  pour  Vamour  que  pour  la  médecine.  Pas  difficile  à  justifier 
cet  aphorisme.  Voici  comment  les  auteurs  s'y  sont  pris  :  ils 
habillent  leur  femme  en  médecin,  lui  font  négliger  son  mari  et 
soigner  ses  clients.  C'est  le  premier  acte.  Le  mari  décampe,  les 
clients  restent.  C'est  le  deuxième  acte.  La  femme  court  après  son 
mari;  le  rattrape  et  chasse  ses  clients.  C'est  le  troisième  acte. 
Compliquez  cette  trame  d'un  joji  costume  mi-parti  noir  cl  blanc, 
ni  masculin  ni  féminin  tant  que  l'héroïne  est  Madame  le  Docteur, 
d'un  non  moins  joli  costume  mi-parti  lilas  et  grenat  fjuand  elle 
redevient  Madame  l'épouse. de  son  mari.  Ajoutez-y  quelques  plai- 
santeries très  lestes  sur  ce  qu'une  femme  paraît  quand  elle  joue  à 
l'homme,  et  sur  ce  que  l'homme  fait  supposer  quand  il  joue  à  la 
femme,  et  vous  avez  toute  la  pièce  qui  vous  laisse  au  sortir  une 
excitation  agréable  mi-spirituelle,  mi-sensuelle.  ,. 

Pas  malnoué  au  théâtre  du  Parc.  Huguenet,  le  mari,  très  natu- 
rel, très  aluïiat,  très  comique,  avec  entrain.  Numa  (un  domestique 
solennel  et  canaille),  très  comique,  avec  gravité.  Les  femmes, 
tristes.  M''«  Maria  Legault  (la  Doctoresse),  charmante.  Un  peu 
gênée  quand  elle  marche  sur  les  brisées  d'Hippocrate,  mais  très 
séduisante  quand  elle  se  retrouve  de  son  sexe.  Rappelée  après 
chacun  des  deux  derniers  actes,  par  une  salle  archi-comble.  Elle 
tâte  le  pouls  à  un  monsieur  qui  en  frémit  des  pieds  à  la  tête  : 
nous  avons  compris  ça.  Il  conserve  amoureusement  ses  ordour 
nances  :  Âqua  distillata,  60  grammes,  Extractum  sacchari, 
20  grammes  :  nous  avons  encore  compris  ça.  Il  veut  prendre 
d'elle  des  leçons  d'anatomie  comparée  :  nous  avons  continué  à 
comprendre  ça.  Car  c'est  un  gentil  médecin  dont  doivent  rêver 
tous  ses  malades  et  dont  la  seule  présence  pourrait  guérir  de  bien 
des  choses,  excepté  des  affections  qui  entrent  par  les  yeux. 


^IVREP     NOUVEAUX 
Le  drame  social,  par  V.  Arnoulp.  —  Bruxelles,  Larder. 

Disons  immc'diarcmcnl  à  la  dc^chargc  de  M.  Victor  Arnould  que 
tous  les  poètes,  à  moins  qu'ils  ne  soient  sui)r<îrnes  comme 
Lucrèce,  ont  échoué  dès  qu'ils  ont  tenté  de  rimer  de  la  philoso- 
plïie.  Les  vérités  générales  et  scientifiques,  les  lois  et  les  règles, 
les  maximes  et  les  rubriques  conviennent  à  des  entêlcs  de  cha- 
pitres, au  besoin  à  des  quatrains  li  la  Pibrac,  mais  grâce  à  je  ne 
sais  quoi  de  raideel  d'anguleux,  ne  se  peuvent  plier  ni  se  façon- 
ner à  la  poésie.  Certes  "on  peut  les  aligner  en  vers  et  les  quadri- 
latércr  en  strophes,  on  peut  les  couper  en  carrelages  de  typogra- 
phie, c'est  tout. 

Vinlrodiiclion  au  drowc  social  est  donc  de  la  peu  véritable 
poésie.  Elle  est  froide,  lourde,  morne.  Le  style  de  l'auteur,  remar- 
quable en  prose,  devient  gauche  et  ne  sait  comment  marcher.  Le 
terme  parlementaire  arrive  sous  sa  plume  avant  l'expression  évo- 
catrice.  Quand  il  s'échauffe,  on  songe  à  des  péroraisons  de  dis- 
cours sur  les  questions  sociales  et  le  rylhmc  n'est  plus  que  de 
la  mécanique. 

En  outre,  pourquoi  des  vers  de  huit  pieds,  quand  l'alexandrin 
semble  tout  indiqué  pour  les  pensées  larges  et  fortes  qu'on  veut 
dresser  devant  nous? 

Cette  critique  de  forme  achevée,  disons  que  M.  Arjiould  a 
mille  fois  dit  en  prose  parfaite  ce  qu'il  a  si  malheureusement 
ébauché  en  vers. 

^I^A2;ETTE   DJE  Jp{oj-I.y^NDE 

Amsterdam,  7  janvier. 

Il  y  a  quelque  temps,  nous  constations  que  le  mouvement 
artistique  s'accentuait  sensiblement  ici;  voici  deux  nouvelles 
preuves  de  ce  que  nous  avancions.  En  même  temps  que  l'Expo- 
sition des  XX  à  Bruxelles,  s'ouvrira  à  Amsterdam,  au  Cercle 
artistique  international  et  comme  suite  à  l'Exposition  générale 
des  œuvres  de  Mesdog,  une  Exposition  libre  de  MM.  de  Bock, 
van  dcr  Maarcl,  Brcilner,  Zilcken  et  de  Zwart. 

Les  dispositions  adoptées  sont  les  mêmes  que  celles  de  l'Asso- 
ciation des  XX,  dont  la  bonne  organisation  a  frirppé  les  artistes 
hollandais  qui  ont  eu  Thoimeur  de  participer  à  ses  Salons  annuels. 

Pas  de  jury;  placement  par  les  artistes  eux-mêmes;  rien  de 
limité,  ni  le  nombre,  ni  l'espèce  des  œuvres.  Espérons  que 
l'année  prochaine  celle  association  étendra  le  nombre  de  ses 
membres,  limité,  cette  fois,  par  l'exiguité  des  locaux  et  qu'elle 
pourra,  comme  les  A'A',  donner  l'hospitalité  k  quelques  artistes 
invités. 

En  ces  derniers  lemps,  un  volume  de  poésies  a  passionné 
violemment  la  critique  hollandaise,  d'ordinaire  si  apathique. 
M.  Albert  Verwey  a  publié  un  volume  original,  contenant  bon 
nombre  de  poèmes  d'une  distinction  qui,  jusqu'à  présent,  n'a 
pas  encore  été  égalée  ici.  La  Hollande  est  riche  en  faiseurs  de 
vers  vides  d'idées  et  sans  aucun  intérêt  artistique.  En  voici 
lout-k-coup  qu'une  personnalité  marque  de  sa  griffe  et  qui  allient 
à  une  fantaisie  adorable  une  facture  délicate,  d'un  caractère 
toujours  artiste.  Cela  suffit  pour  faire  dégorger  aux  roquets  de 
la  basse  critique  un  flot  de  sottises.  Saluons  ce  volume 
(Persephone  en  andere  gcdichten)  dis'cc  le  respect  qu'il  mérite. 


iPlBLIOQRAPHIE    MUSICALE         ,      / 

Meyerbeer,  —  Quarante  mklodies,  nouvelle  édition.  Paris, 
Brandus  et  G'",  Bruxelles,  Schott  frères. 

Durant  toute  sa  carrière,  Meyerbeer  a  composé  des  mélodies. 
Il  les  écrivait  au  gré  de  son  inspiration  et  selon  qu'il  se  laissait 
séduire  par  les  poésies  qu'on  lui  soumettait.  Ses  premières  mélo- 
dies viennent  d'Allemagne  et  d Italie;  mais  les  plus  belles  sont 
françaises  et  s'étendent  de  4830  à  1864.  Il  est  même  facile  de 
leur  donner  un  âgé,  tant  chacune  se  ressent  de  son  époque  et 
trahit  ses  affmités  avec  l'Opéra  dont  elle  est  contemporaine.  On 
y  distingue  les  mêmes  transformations  que  dans  l'ensemble  des 
quatre  opéras  dont  le  Prophète  est  le  couronnement,  car  V Afri- 
caine resta,  on  le  sait,  dans  les  carions  du  maître  de  1845  à 
4864. 

Et  pourtant  ces  mélodieâ  ne  sont  pas  répandues!  On  dirait 
qu'elles  ont  eu  à  souffrir  des  triomphes  de  leur  auteur  au 
Ihéâlre  ;  on  dirait  que  la  renommée  acquise  au  répertoire  drama- 
tique de  Meyerbeer  a  empêché  que  le  jour  se  fît  sur  ces  œuvres 
d'un  ordre  secondaire,  mais  dont  quelques-unes  sont  dos  mer- 
veilles d'inspiration. 

La  maison  Brandus  vient  de  faire  [une  nouvelle  édition  en  six 
volumes  de  ces  mélodies  classées  ou  transposées  pour  les  diffé- 
rentes voix.  — ■  C'est  un  hommage  rendu  à  la  mémoire  du  maître 
et  qui  intéresse  tout  musicien  soucieux  de  son  art. 

GUTELLO. 


MEMENTO  DES  EXPOSITIONS  ET  CONCOURS 

Beri.in.  Exposition  du  Centenaire  des  Salons  berlinois.  Ouverture, 
15  mai.  Fermeture,  15  octobre.  Délais  d'envoi,  i-r  mars-l^""  avril. 
Deux  ouvrages  seulement  par  exposant.  Renseignements  :  jusqu'au 
1er  mars,  Académie  royale  des  Beaux- Arts,  rue  de  l'Université, 
6,  I  ;  après  le  le  mars,  Commission  de  l'EjcpositioHy  près  la  gare 
de  Lehrte,  N.  W.  •  . 

Bruxelles.  IIl®  Exposition  internationale  des  A'X  (limitée  aux 
membres  et  aux  artistes  invités).  Ouverture,  6  lévrier.  Fermeture 
7  mars.  Délais  d'envoi  :  notices,  10-15  janvier;  œuvres,  15^25  jan- 
vier. Renseignements  -.Secrétaire  des  A'A',  me  du  Jiêrger,  27, 
Bruxelles. 

Bruxelles.  —  Exposition  et  concours  de  la  Société  centrale 
d'architecture.  —  Ouverture  l*"!"  mai  1886.  Section  rétrospective, 
section  contemporaine.  Envoi  avant  le  15  avril.  Renseignements  : 
Secrétaire  de  la  Commission  organisatrice,  rue  Royale  SaintC' 
Marie,  12^^,  Schaerbeek. 

i  Edimbourg.  —  Exposition  (internationale)  de  l'industrie,  des 
sciences  et  des  arts.  —  Du  4  mai  au  30  octobre  1886.  -—Mobilier 
et  arts  décoratifs,  beaux- arts,  reproduction  d'anciens  édifices  et  de 
vieilles  rues,  etc.  —  Demandes  d'emplacements  au  Secrétaire  de 
l'Exposition,  Frederick  Street,  i^,  Edimbourg. 

Glasgow.  •—  25»  exposition  (internationale)  de  l'Institut  des 
Beaux-Arts.  —  Du  2  février  au  30  avril  1880.  —  Tableaux  à  l'huile 
et  aquarelles.  —  Renseignements  :  Robert  Walker,  secrétaire^ 
Glascotv. 

Pakis.  —  5*  exposition  de  l'Union  des  femmes  peintres  et  sculp- 
teurs. —  Du  12  février  au  4  mars  1886.  —  Envois  les  5  et  6  février. 
—  Renseignements  :  Afme  Léon  Bertaux,  présidente. 

Paris.  Salon  annuel.  Ouverture,  le*  mai.  Fermeture,  30  juin. 
Délais  d'envoi  :  Peinture,  10-14  mars  ;  sculpture,  gravure  en  méd. 
f<  sur  jj.  Z'.,  20  mars  5  avril;  architecture,  gravure,  lithographie^ 
2-5  avril. 

N.  B.  Le  maximum  pour  la  dimension  des  cadres  sera  de  ^0  cen- 
timètres en  largeur  ee  de  20  centimètres  en  épaisseut*.  Seuls  seront 
admis  les  cadres  dorés,  noirs  ou  en  bois  naturel  foncé. 

Id.   Exposition   des  miniaturistes,   émaillistes,  pastellistes,   etc., 


UART  MODERNE 


15 


chez  M.  Cliamagno  et  C'**,  rue  de  Caumartin,  22.  Ouverture,  25  jan- 
vier. Fermeture,  25  février.  Délais  d'envoi,  15-20  janvier.  Organisée 
par  le  Moniteur  des  Arts. 

Pau.  —  22°  exposition  (internationale)  des  Amis  des  Arts.  —  Du 
15  janvier  au  15  mars  1880.  —  Peinture  et  sculpture.  —  Délai 
d'envoi  expiré. 

Rome.  Exposition  annuelle  des  amateurs  des  Beaux- Arts  (limitée 
aux  artistes  italiens  et  aux  étrangers  qui  résident  à  Rome).  Ouver- 
ture, 21  février.  Fermeture,  18  avril.  Délais  d'envoi  :  ler-9  février. 
Renseignements  :  Secrétaire  de  la  société,  palais  des  Beaux -Arts^ 
rue  Nazionale. 


pETITE    CHROJ^iqUE 


Les  A'A' ouvriront  leur  Iroisième  Salon  annuel,  au  Palais  des 
Jjeaux-Arls,  dans  les  i)rcniiers  jours  de  février. 

Comme  les  années  précédentes,  l'exposition  sera  internationale. 
Elle  comprendra  des  œuvres  de  vingt  artistes  belges  et  de  vingt 
français,  italiens,  hollandais,  norwégicns,  américains,  etc.  Parmi 
les  artistes  invités,  on  cite,  comme  devant  exciter  particulièrement 
rinlérêl,les  impressionnistes  Claude  Monet, Pierre-Auguste  Renoir, 
dont  l'envoi,  des  plus  importants,  comprendra  les  célèbres  pan- 
neaux de  la  Danse  et  le  magnifique  Porlrail  deM"^'^  Cliarpenlier 
cl  de  SCS  deux  eufanls,  Frédéric  Zandomeneglii,  etc.  Wliisller  a 
obtenu  le  privilège  d'être  réinvité,  quoiqu'il  eût  exposé  déji» 
parmi  les  XX,  Il  enverra  au  Salon  le  Porlrail  de  Sarasale  qu'il 
a  terminé  cet  été  à  Londres.  La  Norwègc  sera  représentée  par 
M.M.  Kols'.o  et  Krogh.  La  Hollande,  par  MM'.  Isaac  Israëls  cl 
Breilner.  L'Italie,  par  M.  Monticelli,  un  maître  presque  inconnu 
à  Bruxelles  et  dont  l'exposition  sera,  assnre-t-on,  une  révélation. 
Dans  la  section  de  sculpture,  on  parle  surtout  d'une  nombreuse 
série  de  bustes  et  de  figures  du  jeune  maître  français  Joseph 
Carrics. 

Une  louchante  cérémonie  réunira  dimanche  prochain,  17  cou- 
rant, au  cimetière  de  Schaerbeek  (prolongement  de  la  chaussée 
de  Haechl),  la  famille  artistique. 

Les  amis  du  peintre  Louis  Dubois  inaugureront  ce  jour-là,  h 
%  heures,  le  médaillon  que  vient  d'achever,  pour  en  orner  sa 
tombe,  le  sculpteur  Van  der  Stappen.  Camille  Lemonnier,  l'un 
des  amis  les  plus  intimes  du  maître,  a  été  prié  d'exprimer  les 
sentiments  de  regret  cl  d'admiration  qui  accompagnent  l'arlisie 
dans  la  mort. 

Loiiis  Dubois,  l'une  des  gloires  de  l'Ecole  belge  et  l'un  des 
peintres  qui  incarnent  avec  le  plus  d'intensité  les  caractères  de 
notre  art  national,  fut  l'un  des  plus  maltraités  par  la  destinée. 
L'hommage  tardif  qui  lui  est  rendu  rencontrera  certes  l'adhésion 
unanime  des  artistes.  Ceux-ci  auront  à  cœur  de  se  joindre  tous 
aux  amis  qui  accompliront  dimanche  le  pieux  pèlerinage. 


La  première  séance  de  musique  donnée  dans  le  superbe  atelier 
de  M.  Charles  Van  der  Stappen,  en  présence  d'un  nombreux 
auditoire  d'artistes  et  d'amis,  a  eu  un  plein  succès.  On  a  applaudi 
MM.  De  Greef,  Emile  Agniez,  Alphonse  Aguiez  et  Franz  Stappen 
qui  ont  interprêté  avec  talent  un  programme  de  choix,  composé 
d'importants  fragments  des  œuvres  de  Wagner  :  Parsifal^ 
Tristan ^  la  ^Valkyrie^  le  Rheingold^  et  de  divers  morceaux  de 
Grieg,  Brahms,  etc. 

M.  De  Greef,  entièrement  remis  de  la  fouUirc  qui  l'a,  durant 
quelque  temps,  éloigné  de  l'estrade  des  concerls,  a  exécuté,  pour 
finir,  avec  une  virluosité  rare,  la  Chevauchée  des  Walkyries, 


Belle  et  agréable  matinée,  en  parfaite  harmonie  avec  le  cadre 
dans  lequel  elle  était  donnée. 


Le  même  jour,  à  la  même  heure,  M.  Alphonse  Mailly  donnait, 
au  Palais  des  Beaux-Arts,  une  audition  de  quelques-unes  de  ses 
œuvres  et  transcriptions  inédites,  avec  le  concours  de  M'"«  Cor- 
nélis-Servais,  de  MM.  Ed.  Jacobset  Van  Cromphout. 

Nous  avons  eu  le  regret  de  ne  pouvoir  assister  à  celte  séance, 
qui  a  été;  d'après  tous  les  journaux,  fort  intéressante. 


La  représentation  de  la  Comédie  française  au  théâtre  des  Gale- 
ries Saint-Hubert  au  bénéfice  des  pauvres  de  Bruxelles,  est  retardée 
par  une  indisposition  de  M"«  Ueichemberg  et  ne  pourra  avoir  lieu 
que  dans  la  seconde  quinzaine  de  janvier.  La  première  représen- 
lalion  au  Théâtre-Français  du  Parisien,  de  M.  Gondinet,  dans 
laquelle  la  charmanle  sociétaire  et  M.  Coquelin  aîné  créent  des 
rôles  a  dû  être  remise  pour  le  même  motif. 


Les  Concerls  populaires  débutent,  celle  année,  par  une  séance 
à  sensation  qui  met  en  rumeur  tout  le  monde  musical  bruxellois. 
Outre  le  concerto  de  violon,  de  Jenô  Hubay,  exécuté  pour  la  pre- 
mière fois,  on  entendra  trois  œiivres  de  l'Ecole  russe,  entre  autres, 
une  admirable  symphonie  de  Corodine,  qui"  a  produit  hier,  k  la 
répétition  générale,  une  grande  impression.  Les  deux  autres 
ouvrages  sont  une  Suite-Miniature,  de  César  Cui,  et  la  Fantaisie 
Serbe,  de  Rinski-Korsakoff. 

MM.  Borodine  et  César  Cui  sont  arrivés  de  Sainl-Pélershourc: 
pour  surveiller  les  dernières  répétitions  et  assister  k  l'audition  de 
leurs  œuvres. 

Rappelans  que  c'est  aujourd'hui,  à  2  1/2  heures,  qu'aura  lieu, 
le  concert,  au  théâtre  de  la  Monnaie. 


M"'°  van  der  Meerc,  née  Vanda  de  Kleczowska,  donnera  le  19  cou- 
rant, à  la  salle  Marugg,  un  concert  avec  le  concours  de 
M.  E.  Triaille,  pianiste. 

M"'<'  van  der  Meere,  dont  la  voix  a  laissé  d'excellents  souvenirs 
aux  habitués  du  théâtre  lîalien,  est  élève  de  M"'«  Viardol.  Elle  est 
membre  fondateur  de  l'Académie  de  Rome.  Elle  revient  d'Alle- 
magne, où  la  cantatrice  et  la  femme  ont  remporté  mêmes  succès. 


Le  concert  annuel  de  la  Nouvelle  Société  de  Muslcjuc  de 
BruxeHcs  aura  lieu,  ainsi  que  nous  l'avons  annoncé  déjà,  le 
JJ0  janvier  prochain  à  8  heures  du  soir,  dans  la  grande  salle  du 
Palais,  des  Beaux-Arts.  Il  sera  consacré  à  la  première  exécution 
sur  le  continent  de  Mors  et  Vita,  la  dernière  œuvre  de  Charles 
Gounod,  qui  viendra  lui-même  la  diriger. 

Les  solistes  seront  :  M""^  Schnitzler-Selb,  M"«  Ellv  Warnols, 
-^MM.  Lloyd  et  Heuschling. 

Les  chœurs  et  l'orchestre  ne  compteront  pas  moins  deoOO  exé- 
cutants'. 

On  peut  dès  h  présent  retenir  des  places  pour  ce  concert  chez 
MM.  Schoil  frères,  éditeurs  de  musique,  82,  Montagne  de  là 
Cour. 

Pour  commémorer  l'anniversaire  de  la  mort  de  Mendeissohn, 
l'un  de  ses  arrière-neveux,  le  conseiller  Franz  Mendeissohn,  a  fait 
un  don  de  130,000  marcs  à  l'Université  de  Berlin  pour  être  réparti, 
sous  forme  de  bourses,  à  des  étudiants  de  la  Faculté  de  philoso- 
phie, sans  dislinclion  de  croyances.  11  a  en  même  lemps  fait  dis- 
tribuer une  somme  de  30,000  marcs  aux  pauvres  de  Berlin. 


_/ 


16 

UART  MODERNE 

-  ■ 

>                    ■  •  ■             •                '   .     ' 

■       SIXIÈME  ANNÉE 

L'ART  MODERNE]  s'est  acquis  par  l'autorité  et  l'indépendance  de  sa  critique,  par  la  variété  de  ses 
informations  et    les   soins  donnés  à  sa   rédaction   une  place  prépondérante.   Aucune   njanifostation  de  l'Art  ne 

lui  est  étrangère  :  il  s'occupe  de  littérature,  de  peinture,  de  sculpture,  de  gravure,  de  musique, 

d'architecture,    etc.    Consacré  principalement   au   mouvement   artistique  belge,   il  renseigne   néanmoins  ses 

lecteurs  sur  tous  les  événements  artistiques  de  l'étranger  qu'il  importe  de  connaître. 

Chaque  numéro  de  L'ART  MODERNE  s'ouvre  par  une  étude  approfondie  sur  une  question  artistique 
ou  littéraire  dont  l'événement  de  la  semaine  fournit  l'actualité.  Les  expositionSy  les  livres  nouveauXy  les 
premières  représentations  d'œuvres  dramatiques  ou  musicales,  les  conférences  littéraires,  les  concerts,  les 
ventes  dobjets  d'art,  font  tous  les  dimanches  l'objet  de  chroniques  détaillées. 

L'ART  MODERNE  relate  aussi  la  législation  et  la  jurisprudence  artistiques.  Il  rend  compte  des 
procès  les  plus  intéressants  concernant  les  Arts,  plaides  devant  les  tribunaux  belges  et  étrangers.  Les 
artistes  trouvent  toutes  les  semaines  dans  son  Mémento  la  nomenclature  complète  des  expositions  et 
concours  auxquels  ils  peuvent  prendre  part,  en  Belgique  et  à  l'étranger.  Il  est  envoyé  gratuitement  à 
l'essai  pendant  un  mois  à  toute  personne  qui  en  fait  la  demande. 

L'ART  MODERNE  forme  chaque  année  un  beau  et  fort  volume  d'environ  450  pages,  avec  table 
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No  1.  T''(?ïi^^  »i«  ?nîc.  Sérénade.  (Arise, 

beloved) 1.35 

No  2  PQur^a6s<^Jl^(Tomy  absent  love)  1.75 

No  3.  Chant  d'amour.  (Love  song)^ .     .  1.75 

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Sixième  année.  —  N°  3. 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  17  Janvier  1886. 


V 


L'A  R  T 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTERATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,  un  an,  fr.  10.00;  Union  postale,   fr.   13.00.    —  ANNONCES  :    On  traite   à  forfait. 

Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à  . 

l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


^OMMAIRE 


Louis  Dubois.  Un  indotnptable.  —  Le  premier  concert  popu- 
laire. Musique  russe;  Jenô  Hubay.  -^  Correspondance  d'artistes. 
—  Le  Prisonnier  du  Caucase.  —  Exposition  Delsaux.  —  Expo- 
sition de  Jef  Lambeaux  et  de  Franz  Courtens  au  Cercle  artis- 
tique. —  Nouveautés  littéraires.  Le  sens  des  couleurs  chez 
Homère,  par  A.  De  Keersmaecker  ;  Bébé  Million,  par  R.  Maizeroy; 
Une  famille  pynncière  d'Allemagne,  par  la  veuve  du  prince  Louis 
de  Sayn-Wittgensfcein-Sayn.  —  Chronique  judiciaire  des  arts.  Tor 
^isseries.  —  Petite  chronique. 


LOUIS    DUBOIS 

Un  Indomptable 

Aujourd'hui,  des  amis  de  Louis  Dubois,  joint  quel- 
ques amants  des  gloires  méconnues,  joint  quelques 
fanatiques  d'indépendance  artistique,  joint  quelques 
inconscients  allant  d'instinct  où  l'on  proteste,  consacre- 
ront sur  sa  tombe,  au  cimetière  de  Schaerbeek,  un 
médaillon  où  Charles  Van  der  Stappen  a  modelé  le 
noble,  puissant  et  mélancolique  visage  que  le  maître- 
peintre  portait  aux  derniers  jours  de  sa  vie  tourmentée. 

Il  paraît  qu'on  commence  à  comprendre  ce  que  valait 
l'homme  et  nous,  qui  l'avons  connu,  suivi,  admiré  tou- 
jours et  toujours  défendu  dans  la  bataille  qu'il  a  sou- 
tenue tout  au  long  du  chemin  où  il  marcha  sans  repos 
de  l'adolescence  à  la  mort,  nous  voulons  dans  ce  journal 
qui  peut  se  faire  honneur  d'avoir  pris  parti  de  préfé- 
rence pour  les  opprimés  de  l'art,  rappeler  ce  qu'il  fut 
en  ce  monde,  ce  qu'il  reste  dans  notre  souvenir  fidèle. 


Non  pas  que  nous  pensions  à  faire  ici  la  physiologie 
de  sa  peinture  et  à  répéter  ces  banalités  par  lesquelles 
on  essaie  puérilement  de  résumer  le  mystère  de  son 
art  :  que  s'il  fut  un  grand  coloriste,  il  fut  un  dessina- 
teur contestable,  que  c était  un  flamand!  Oh!  qui 
nous  délivrera  de  cette  creuse,  énigmatique,  usée  et 
démodée  formule. 

Non.  Ses  tableaux  sont,  et  ils  parlent  assez  haut 
eux-mêmes.  Dessin,  coloris,  qu'importe  :  ses  œuvres 
émeuvent,  séduisent,  cela  suffit.  Qu'importe  surtout 
qu'on  puisse,  à  tort  ou  à  raison,  l'enrégimenter  dans 
un  de  ces  bataillons  chers  aux  classifîcateurs,  heureux 
de  profaner  inconsciemment  une  gloire  originale  en  la 
rattachant  douteusement  à  un  ancêtre  ou  à  une  école. 
Ce  n'est  pas  du  talent  de  l'homme  que  nous  comptons 
parler  mais  de  son  caractère.  Des  talents,  il  y  en  a  tou- 
jours, des  caractères  il  en  manque  toujours. 

Louis  Dubois  fut  un  indomptable.  Ce  qui  résume  sa 
-vie,  c'est    le    dédain   superbe  pour  la  courtisanerie 
dans  le  domaine  de  l'art. 

On  la  connaît  cette  honteuse  faiblesse  qui  conduit  en 
phalange  pressée  la  plupart  des  nouveaux  venus  dans  le 
sillage  des  arrivés,  qui  leur  inspire  toutes  les  basses 
flagorneries  et  spécialement  la  plus  raffinée  et  la  plus 
désolante  :  l'imitation  des  burgraves  officiels,  parce 
que  c'est  le  meilleur  moyen  de  se  concilier  ces  dispensa- 
teurs des  faveurs  et  ces  distributeurs  des  commandes. 
La  première  fois  que  nous  entrâmes  dans  un  de 
ces  ateliers  successifs  où  le  hasard  et  la  rigueur  des 
propriétaires  ballottaient   l'existence  besoigneuse  de 


) 


Dubois,  tournant  le  dos  aux  toiles  étalées  sur  les  che- 
valets et  nous  accoutumant  la  vue,  pour  mieux  juger, 
au  jour  de  la  salle,  nos  regards  tombèrent  sur  une  litho- 
graphie de  Granville,  piquée  au  mur  par  quatre 
punaises,  représentant  un  grand  singe  en  béret,  dessi- 
nant, les  yeux  bandés,  à  califourchon  sur  un  cheval  de 
bois,  dont  là  queue  était  garnie  d'une  kyrielle  d'autres 
singes,  de  grandeur  décroissante,  tous  en  béret,  dessi- 
nant chacun  lemême  sujet  que  le  singe-major.  Dessous, 
cette  devise  :  Voulez-vous  devenir  maître?  Coiffez  le 
bonnet  du  maître,  chaussez  les  sotdiers  du  maître, 
copiez  sans  fin  le  tableau  du  7naît7'e,  et  la  ftcelle  vous 
se7^a  à  jamais  propice. 

Quand  nous  nous  retournâmes  :  «  C'est  l'art  d'au- 
jourd'hui, dit  Dubois  en  riant  d'un  gros  rire  «.  —  Il  y 
a  vingt  ans!  Il  riait  encore.  Son  propos  était  vrai  :  pour 
le  public  les  artistes  d'avenir  étaient  alors  les  parfaits 
pasticheurs. 

Et  il  ajouta  :  «  Le  difficile,  voyez-vous^  est  de 
découvrir  le  petit  bonhomme  personnel  qu'on  a  en  soi. 
Ce  que  ce  gaillard  se  cache  et  se  fait  poursuivre  avant 
de  se  laisser  attraper,  c'est  inimaginable.  Dans  les  aca- 
démies, on  en  glisse  un  autre  à  la  place,  un  polichinelle 
fait  à  la  ressemblance  du  professeur.  Ce  postiche,  qui 
est  rempli  de  son,  se  laisse  prendre  tout  de  suite.  L'élève 
alors  pousse  des  cris  de  joie  et  on  l'acclame.  Il  joue 
avec  cette  poupée  toute  sa  vie  et  le  vrai  moi  dessèche 
et  meurt.  Si  on  faisait  l'autopsie  des  artistes  dévoyés, 
on  trouverait  dans  tous,  quelque  part,  un  petit  cadavre 
oublié  et  raccorni.  » 

Depuis,  longtemps  après,  quand  il  eut  appris  à  ses 
dépens  ce  qu'il  en  coûte  de  fronder  la  cuistrerie  triom- 
phante, lorsqu'il  ne  riait  plus  guère  que  douloureuse- 
ment, la  lithographie  de  Granville  ayant  disparu  dans 
un  de  ses  innombrables  déménagements,  il  la  remplaçait 
par  une  anecdote  qu'il  disait  avoir  lue  dans  Bagehot  :  Un 
chef  des  îles  Fiji  suivait  un  sentier  de  montagne  escorté 
par  une  longue  file  d'hommes  de  sa  peuplade,  quand  il 
lui  arriva  par  hasard  de  faire  un  faux  pas  et  de  tomber; 
tous  en  firent  immédiatement  autant,  à  l'exception 
d'un  seul  sur  lequel  les  autres  se  jetèrent  aussitôt  et 
qu'ils  rouèrent  de  coups  en  l'accusant  de  croire  qu'il 
valait  mieux  que  le  chef.  —  «  C'est  moi,  ce  seul,  »  ajou- 
tait Dubois  à  demi-voix. 

A  cette  époque,  il  était  au  déclin  de  ses  jours,  mais 
encore  dans  tout  l'éclat  de  sa  flamme  artistique,  flamme 
sombre  éclairant  d'une  lumière  funeste  son  dernier 
tableau  brossé  à  larges  touches.  Un  grain  dans  la  mer 
du  Nord,  que  nous  avons  le  bonheur  de  posséder  dans 
sa  majesté  tragique  comme  s'il  s'ouvrait  sur  l'infini  du 
néant  où  notre  ami  allait  pénétrer.  On  pouvait  dire  de 
lui  ce  que  les  de  Goncourt  racontent  des  derniers  mois 
de  Gavarni,  car  l'analogie  de  ces  existences  d'artistes 
est  navrante  dans  l'uniformité  du  malheur  :  Il  était 


devenu  tout  à  coup  casanier,  l'homme  seul  des  coins  du 
feu,  se  retirant  tous  les  jours  un  peu  du  monde  des 
vivants,  de  la  vie  sociale,  ne  voyant  plus  personne, 
n'allant  nulle  part,  se  couchant  à  l'heure  des  poules, 
pris  d'une  espèce  de  sauvagerie  à  la  Rousseau  qui 
l'éloignait  de  tout  commerce  avec  ses  semblables, 
enfermé,  muré  dans  sa  solitude  d'où  on  ne  pouvait  plus 
le  faire  sortir  à  cause  de  son  refus  de  mettre  des  sou- 
liers neufs  et  des  chemises  amidonnées  qui,  disait-il,  lui 
faisaient  mal  au  cou. 

Et  de  temps  à  autre,  un  crachement  de  sang  venait 
révéler  le  secret  de  cette  misanthropie  et  de  cet  affais- 
sement, en  même  temps  qu'il  hâtait  le  dénoûment  ter- 
rible. 

Dubois  n'était  pourtant  parvenu  qu'à  l'âge  où  >]a 
maturité,  qui  arrête  le  développement  du  corps,  donne 
à  l'intelligence,  sur  laquelle  semble  se  concentrer 
toute  la  force  vitale,  l'impulsion  qui  la  mène  à  l'épa- 
nouissement complet.  Il  était  grand,  robuste,  large- 
ment découplé,  portant  haut  sa  belle  tête,  abondam- 
ment ornée  d'une  barbe  noire  grisonnante.  Il  avait  la 
race,  le  fond  qui  conduisent  aux  longues  et  vertes  vieil- 
lesses. Mais  cette  organisation  de  bel  homme  et  de 
compagnon  solide  avait  subi  l'irréparable  usure  des 
misères  que  déchaîne,  comme  des  bêtes  sans  cesse  har- 
celantes et  mordantes,  le  milieu  social  contre  les 
insurgés. 

Car  Dubois  fut  un  insurgé,  dressant  sa  barricade, 
lançant  ses  pavés,  se  ruant  et  vociférant  sans  cesse 
contre  l'organisation  artistique  de  son  temps.  Il  maniait 
la  plume  comme  un  sabre,  il  envoyait  les  paroles  comme 
des  balles,  il  donnait  des  coups  de  sarcasme  comme  on 
donne  des  coups  de  couteau.  On  peut  retrouver  dans 
VA7't  modeyme  (*)  l'article  fameux  qu'il  publia  dans 
V Art  libre  sous  le  titre  :  Les  biographes  et  les  bio- 
graphies,, dans  leqiiel  il  escarbottait  les  pontifes  alors 
régnant,  faisant  m  ordre  l'acide  de  son  esprit  violent 
sur  les  plaisanteries  mortelles  dont  il  les  tailladait. 

Ses  javelots  trempés  de  poison  allaient  frapper  en 
plein  muscle  les  demi-dieux  officiels  :  ils  lui  vouèrent 
une  haine  irrémissible.  Jamais  cet  être  à  courte  vue, 
n'ayant  d'idées  que  celles  d'autrui,  à  l'apparence 
bonasse,  au  fpnd  inconsciemment  féroce,  qu'on  nomme 
le  bourgeois  et  qui  a  pris,  en  lui  donnant  une  exten- 
sion très  méritée,  la  place  restreinte  autrefois  dévolue  à 
l'unique  épicier^  ne  vit  en  Dubois  qu'un  peintre  abso- 
lument dépourvu  de  talent,  et,  chose  plus  grave  â  ses 
yeux,  très  mal  éduqué.  Il  dénonçait  en  lui,  un  cynique, 
un  artiste  impuissant  et  grossier.  C'était  le  thème 
exprimé  doctoralement  dans  les  hautes  sphères  et  qui 
de  là  descendait  comme  un  évangile  dans  les  couches 
inférieures.  • 


(*)  Année  1884,  p.  190. 


Au  bout  de  quelques  années  cette  discréditante 
légende  était  sans  remède.  Nous  nous  souvenons  d'une 
vente  que  le  peintre  tenta  Galerie  Saint-Luc,  une  sai- 
son qu'il  était  à  bout  de  ressources  et  qu'on  ne  lui 
achetait  rien,  mais  rien,  pas  même  pour  rien.  Il  y 
avait  là  entre  autres,  les  deux  belles  copies  des  Régents 
et  des  Régentes  de  Frans  Hais,  deux  ou  trois  plantu- 
reuses natures-mortes,  étalant  ces  grands  poissons  aux 
écailles  argentées,  ces  grands  chaudrons  de  cuivre 
rouge,  ces  grands  choux  verts  tels  que  ceux  du  tableau 
superbe  qui,  avec  les  mystiques  et  évocatives  cigognes, 
orne,  depuis  qu'il  n'est  plus,  le  Musée  où  jamais  il  ne 
fut  admis  de  son  vivant,  ni  même  complètement  depuis 
sa  mort,  puisque  sa  magistrale  copie  de  la.  Ronde  de 
nuit  gît  reléguée  dans  les  greniers.  Louis  Dubois  pré- 
sidait, en  redingote  boutonnée,  en  chapeau  noir  de  haute 
forme,  correct,  imposant  comme  un  ministre.  On  mit 
aux  enchères  devant  un  public  restreint.  Ce  n'étaient  que 
des  curieux.  Personne  ne  voulut  de  ces  chefs-d'œuvre 
même  pour  cent  sous.  Il  s'en  alla,  le  torse  droit,  l'œil 
brillant,  moulinant  de  la  canne,  magnifique  de  mépris, 
mais  la  bourse  plate,  l'estomac  vide,  souhaitant  sans 
doute,  lui  aussi,  que  les  bourgeois  n'eussent  qu'une  tête 
pour  l'abattre  d'un  seul  coup  de  flamberge. 

Mais  il  ne  transigea  pas.  Il  continua  sa  croisade  im- 
placable contre  le  convenu,  contre  l'imitation  du  passé, 
contre  la  pastiche  des  professeurs  d'académie.  Les 
jeunes  d'aujourd'hui,  qui  prennent  pour  des  batailles 
formidables  les  combats  joyeux  qu'ils  livrent  à  vingt,  ou 
à  quarante,  contre  les  troupes  débandées  de  l'art  vieux, 
ne  se.doutent  pas  de  la  vaillance  héroïque  qu'il  fallut  à 
leurs  devanciers  pour  lutter  seuls  contre  les  conspira- 
teurs cruels  et  froids  qui,  muets  comme  des  inquisi- 
teurs, faisaient  autour  d'eux  le  silence  et  le  vide.  Ces 
ancêtres  ont  prouvé  ce  qu'était  leur  martyre  en  mourant 
presque  tous  avant  d'avoir  accompli  leur  destinée.  Et 
jamais  ils  n'ont  faibli  dans  la  montée  de  ce  rude  calvaire, 
frayant  les  chemins  où  devaient  passer  ceux  qui  vien- 
draient après  eux,  et  finalement,  comblant  de  leur  cada- 
vre quelque  ravine.  Dubois  avait  conscience  de  cette 
mission  qu'il  remplissait  et  qui  l'épuisait;  il  apercevait 
clairement  le  service  qu'il  rendait  et  auquel  quelques 
autres,  non  loin  de  lui,  se  sacrifiaient  de  même,  chacun 
dans  son  isolement  et  dans  sa  souff'rance.  Alfred  de 
Musset,  maintenant  dédaigné,  était  une  de  ses  lectures 
favorites  et  nous  nous  souvenons  lui  avoir  entendu  lire 
de  sa  voix  mâle  et  richement  timbrée,  comme  le  résumé 
de  sa  vie,  cette  prosopopée  éloquente  de  la  Confession 
d'un  Enfant  du  Siècle,  qui  alors  nous  remuait  si  pro- 
fondément et  fait  sourire  les  sceptiques  générations 
présentes: 

«  0  hommes  des  temps  futurs,  lorsque  par  une  chaude 
journée  d'été,  vous  serez  courbés  sur  vos  charrues  dans 
les  vertes  campagnes  de  la  patrie  ;  lorsque  vous  verrez, 


sous  un  soleil  pur  et  sans  tache,  la  terre,  votre  mère 
féconde,  sourire  dans  sa  robe  matinale  au  travailleur, 
son  enfant  bien-aimé;  lorsque,  essuyant  sur  vos  fronts 
tranquilles  le  saint  baptême  de  la  sueur,  vous  pro- 
mènerez vos  regards  sur  votre  horizon  immense,  où  il 
n^y  aura  pas  un  épi  plus  haut  que  l'autre  dans  la  mois- 
son humaine,  mais  seulement  des  bleuets  et  des  mar- 
guérites  au  milieu  des  blés  jaunissants;  ô  hommes 
libres  !  pensez  à  nous  qui  n'y  serons  plus,  dites-vous  que 
nous  avons  acheté  bien  cher  le  repos  dont  vous  jouirez  ; 
plaignez-nous  plus  que  tous  vos  pères  ;  car  nous  aurons 
eu  beaucoup  des  maux  qui  les  rendaient  dignes  de  pitié  ; 
et  nous  avons  perdu  ce  qui  les  consolait.  »» 


.     JaE    PREMIER    pONCERT    POPULAIRE 

Musique  russe  —  Jenô  Hubay 

L'inldrcl  capital  de  la  première  audili(in  des  Concerts  populaires 
résidait  dans  la  première  exéciuiorr  d'œuvres  dues  aux  composi- 
teurs slaves  dont  une  femme  que  ses  quartiers  de  noblesse  n'em- 
pôchcnt  pas  de  se  jeter  dans  les  batailles  de  l'Art  a  introduit  la 
musique  en  Belgique.  M"^«  de  Mercy-Argenleau  a  la  foi  et  l'infa- 
tigable ténacité  de  l'apostolat.  L'active  et  intelligente  pi  opagande 
qu'elle  fait,  depuis  quelques  années,  en  faveur  de  ses  protégés,  a 
reçu  dimanche  sa  récompense  dans  la  victoire  remportée  k 
Bruxelles  .par  trois  de  ses  musiciens  préférés,  Borodine,  César 
Cui  et  Rimski-Korsakoff. 

Les  deux  premiers,  présent^  avec  celle  qu'ils  ont  baptisée 
leur  «  bonne  Marraine  »,  dans  une  loge  de  fond,  ont  été  salués 
d'acclamations  él  rappelés  par  l'assistance. 

La  présentation  faite,  M.  Joseph  Dupont,  dont  raclivilé  et  le 
dévouemonl  sont  bien  connus,  tiendra  sans  doute  à  donner  au 
public^  qui  ne  demande  pas  mieux,  l'occasion  de  juger  plus  com- 
plètement la  jeune  école  russe.  Trois  œuvres,  c'est  peu  pour 
apprécier  un  nnouvemenl  musical  qui  remonte  à  4836,  et  qui 
comprend,  indépendamment  des  compositeurs  cités,  un  grand 
nombre  d'artistes  parmi  lesquels  Balakireft*,  Seroff,  Moussorgski, 
tout  k  fjil  inconnus  ici,  brillent  au  premier  rang. 

Et  encore,  les  trois  œuvres  entendues  sont-elles  d'inégale 
valeur  et  de  portée  différente.  La  Fantaisie  Serbe  de  Rimski- 
Korsakoff,  qui  couronnait  le  concert,  est  une  ingénieuse  et  1res 
I  pittoresque  transcription  de  thèmes  populaires,  de  motifs  sur 
L^  lesquels,  en  Serbie,  les  paysans  dansent  une  sorte  de  farandole. 
C'est  un  tableau  animé,  coloré  et  séduisant,  dont  l'orchestration 
a  des  axîcouplements  de  timbres  audacieux  et  neufs.  Mais  c'est  le 
côté  pittoresque  seul  qui  rend  l'œuvre  attrayante. 

Dans  la  Symphonie  en  si  mineur  de  Borodine,  au  contraire, 
l'élément  pittoresque  n'entre  que  pour  une  part  minime.  Ce  qui 
domine,  c'est  le  côté  dramatique.  Chacun  des  thèmes  est  drama- 
tique, et  la  façon  dont  l'auteur  les  développe  tient  peut-être  plus 
du  théâtre  que  de  la  symphonie  proprement  dite.  L'impression 
qui  s'en  dégage  est  saisissante.  Dès  les  notes  initiales  de  la  pre- 
mière partie,  on  sent  qu'on  a  affaire  à  un  artiste  de  puissante 
envergure. 

Les  motifs  se  présentent,  s'enchaînent,  se  développent  lo£ji- 
quemenl,  s'épanouissent,  éclatent  dans  une  explosion  grandiose. 


20 


rART  MODERNE 


et  le  souffle  du  matlre  porte  jusqu'à  la  fin  des  quatre  parties  de 
son  œuvre  une  inspiration  originale  dont  l'intérêt  ne  languit  pas 
un  instant. 

Les.  audaces  harmoniques  de  Tschaïkowski  avaient  fait  pré- 
sager en  Borodine  un  novateur  d'une  témérité  inégalée  jusqu'ici. 
L'innovation  consiste  chez  lui,  répétons-le,  car  c'est  pour  nous 
la  caractéristique  de  son  art,  et  l'observation  n'a  pas  été  faite 
jusqu'ici,  à  dramatiser  la  symphonie,  à  la  grandir.  C'est  l'idée  de 
Berlioz,  mais  elle  est  réalisée  avec  plus  de  simplicité,  dans  une 
forme  plus  «  architecturale  »,  et  avec  une  connaissance  plus 
grande,  semble-t-il,  dos  ressources  instrumentales.  A  ce  point  de 
vue,  VAndaniese  place  spécialement  parmi  les  plus  belles  pagcsi, 
qu'ait  produites  la  musique  moderne. 

Présentée  après  l'éloquent  et  grave  discours  de  Borodine,  la 
causerie  de  Cosar  Cui  a  paru  un  simple  babillage.  L'auteur  doit 
évidemment  n'avoir  voulu,  dans  cette  Suite-miniature,  (le  titre 
seul  suffirait  à  rétablir),  que  jascr  de  choses  et  d'autres,  dans 
l'intimité  de  la  conversation.  Sa  pensée  se  reporte  vers  ses  com- 
positeurs aimés,  vers  Schumann  surloul.  Il  ne  s'en  cache  pas,  il 
parle  d'eux,  il  fait  leur  éloge.  Et  dans  une  série  de  petits  chapi- 
tres sans  prétention,  il  exprime  rapidement  quelques  idées 
agréables  h  entendre.  - 

Le  nom  de  César  Cui,  l'un  des  plus  énergiques  défenseurs  do 
la  Jeune  Russie  devait  naturellement  figurer  sur  le  programme 
du  premier  concert  destiné  h  faire  connaître  les  ouvrages  de 
celle-ci.  Mais  on  eût  pu  trouver  dans  l'œuvre  de  l'artiste  des 
pages  plus  importantes  et  plus  personnelles.  Quoi  qu'il  en  soit, 
la  Suite-miniature  à  reçu  de  l'auditoire  un  excellent  accueil. 

Lne  part  était  réservée  dans  ce  concert  k  la  virtuosité,  et  c'est 
Jenô  Hubay,  le  violoniste  au  coup  d'archet  caressant  et  sûr,  qui 
en  a  été  chargé.  II  y  a  dans  le  Concerto  de  sa  composition  qu'il 
a  fait  entendre  un  dé>ir  non  dissimulé  de  bien  faire,  et  ce  désir 
est  souvent  réalisé.  Mais,  disons-le  franchement,  le  compositeur 
n'est  pas  arrivé  à  oublier  le  virtuose,  et  ce  dernier,  comme  un 
démon  familier  et  malfaisant,  a,  tandis  que  le  musicien  écrivait, 
griffonné  sur  sa  partition  quantité  de  traits,  d'arpèges,  de  «  voca- 
lises »  bien  compliquées  et  bien  difficiles,  mais  d'une  absolue 
banalité  au  point  de  vue  musical.  Il  y  a  aussi  une  chose  qui  nuit 
à  l'œuvre  du  jeune  maître  :  c'est  sa  longueur.  Beaucoup  de 
détails  délicats  échappent  à  l'attention  du  public,  dans  la  fatigue 
que  provoquent  les  répétitions  inutiles.  Et  pourtant  l'œuvre  est 
supérieure  à  la  plupart  des>>compositions  du  genre.  Jenô  Hubay 
est  trop  artiste  pour  voir  dans  cette  appréciation  autre  chose  que 
le  désir  de  le  pouvoir  applaudir  aussi  chaleureusement  comme 
compositeur  que  comme  exécutant.  Nous  attendons  à  cet  égard 
avec  confiance  sa  prochaine  créalion. 


pORRE^FONDANCE    D'ARTI^TE^ 


(*) 


Ypres,  le  8  janvier  1873. 


Mon  cher  *** 


J'ai  bien  plus  qu'une  lettre  à  t'éo rire.  J'ai  toute  une  brochure 
à  te  développer.  C'est  pourquoi  je  serai  bref.  Et  tout  d'abord  je 
te  dirai  en  deux  mots  que  tu  n'es  pas  philosophe.  Pourquoi  le 
professorat  te  dégoûle-t-il?  Rien  n'est  plus  estimable,  plus  néces- 


{*]  Voir  notre  avant-dernier  numéro. 


saire,  plus  utile,  ni  plus  amusant  (sic,  sic^  mille  fois  sic...  et  tu 
sais  si  j'ai  l'habitude  de  justifier  mes  sicl)  C'est  pourquoi,  écoute, 
je  commonce  ma  démonstration. 

Tu  entres  à  l'académie  pour  remplir  tes  devoirs  de  professeur 
et  au  moment  où  tu  passes  le  seuil,  tu  te  tiens  à  toi-même  h  peu 
près  ce  langage  :  «  Moi  qui  aspire  au  beau,  moi  qui  ai  traversé  les 
^terres  et  les  mers  pour  voir  les  plus  belles  œuvres  du  génie 
humain  et  les  admirer  sous  le  plus  beau  ciel  de  l'univers,  moi 
qui  sens  tout  mon  être  tressaillir  h  la  vue  d'un  chef-d'œuvro, 
moi,  ***,  je  suis  en  ce  moment  voué  à  un  travail  de  galérien, 
non  soulemcnt  mes  yeux  sont  offensés  par  la  vue  d'une  horrible 
collection  de  magots  en  terre  qui  calomnient  la  nature,  mais 
encore  je  dois  mettre  la  main  îi  cette  pâte  d'enfer.  Ce  travail' 
cependant  me  fait  venir  la  nausée  en  me  montrant  en  perspective 
tous  les  essais  infructueux  de  mon  enfance,  et  je  sais  d'avance 
qu'aucun  de  ces  gamins  ne  me  sera  reconnaissant  de  l'effort  que 
je  ferai  pour  élucider  cette  série  de  productions  dans  les- 
quelles les  trois  quarts  sont  dus  au  hasard  et  le  quart  qui  reste 
à  la  routine  de  l'Académie.  Moi-mémo  ne  me  suis-jc  affranchi  de 
ces  entraves  que  pour  y  voir  les  autres  et  y  frayer  avec  eux? 
Dieu  !  Quelle  odeur  de  gaz,  de  moisissure,  de  pieds,  de  chique  de 
tabac,  de  vieille  veste  de  paysan  mouillée  par  la  pluie  !...  Quelle 
odeur!!  Et  comme  cette  symphonie  de  l'odorat  me  rappelle  tous 
mes  embêtements  passés  ! ...  » 

Voilà  ton  langage,  ô  ami  peu  philosophe,  et  voici  le  langage 
que  lu  tiendrais  si  tu  voyais  la  chose  du  bon  côté  : 

«  0  atmosphère  plus  délicieuse  que  le  parfum  de  la  rose,  tu  me 
rappilles,  à  moi  qui  ai  fait  tant  de  chemin,  le  port  que  j'ai  quitté 
jadis.  Tu  m'infectes,  jeunesse  incapable,  mais  je  te  bénis  et  le 
ruisseau  dans  lequel  lu  croupis  me  fait  sentir  vivement  le  bon- 
heur de  voguer  à  pleines  voiles  dans  l'océan  de  mes  désirs. 
Comme  ta  vue  est  bornée!  comme  mes  horizons  sont  vastes  les 
jours  où  je  ne  me  renferme  pas  dans  le  fond  de  cale  de  mes 
préoccupations!...  Les  grands  maîtres  m'ont  montré  par  où  l'on 
touche  au  ciel;  loi,  jeunesse  chéiive,  tu  memontres  par  où  l'on 
touche  à  la  terre.  Si  ceux-là  m'ont  parfois  humilié  de  leur  gran- 
deur, toi,  tu  me  rends  des  proportions  plus  avantageuses.  Cou- 
rage, jeunes  gens,  en  vous  stimulant  je  me  stimulerai  encore 
moi-môme.  De  plus,  je  veux  reiirer  mon  bénéfice  de  la  peine 
que  je  me  donnerai;  j'y  gagnerai  une  sûreté  de  coup-d'œil  plus 
grande  et  je  songerai  que  le  juste  pêche  sept  fois  par  jour,  afin 
de  m'inspircr  à  moi-même  la  patience  nécessaire  pour  passer  à 
côté  de  vos  infâmes  magots  sans  les  envoyer  au  plafond  d'un 
coup  de  pied.  0  parfum  plus  pénétrant  que  l'ail,  tu  me  fais  jouir 
de  toute  l'intensité  des  embêtements  qui  n'existeront  plus  jamais  . 
pour  moi...  plus  jamais,  plus  jamais.!...  » 

Après  ce  discours  tu  corrigerais  le  moindre  d'entre  eux  comme 
si  c'était  ton  fils. 

Cette  idée  autrement  combinée,  cette  passion  de  faire  entrer  le 
soleil  quand  môme  jusque  dans  les  plus  noirs  corridors  du  pas- 
sage de  la  vie,  fournira  le  sujet  d'une  histoire  extraordinaire  que 
je  suis  trop  paresseux  pour  te  détailler  parce  que  Vandante  du 
4«  concerto  de  piano  de  Beethoven  m'attend  (le  connais-tu?),  mais 
voici  en  peu  de  mots  la  chose. 

Le  héros  de  l'histoire  voyage  à  pied  en  Egypte,  ou  en  Grèce  ou 
en  Asie-Mineure,  peu  importe,  mais  dans  une  solitude.  Il  tombe 
dans  un  puits.  Après  avoir  essayé  tout  et  s'être  convaincu  qu'il 
n'en  sortirait  jam^w  (le  puits  a  la  forme  d'un  entonnoir  renversé), 
il  s'assied  tranquillement  et  commence  à  manger  tranquillement 


une  ration  ordinaire  de  ses  provisions  et  à  boire  une  ration  de  vin 
un  peu  plus  grande  parce  que  la  chute  est  un  événement  peu 
commun  et  qu'il  doit  s'en  remettre.  Tout  en  prenant  son  repas  il 
bénit  la  Providence  :  1°  de  ce  que  le  puits  soit  sec  ;  2°  de  ce  qu'il 
n'y  ait  ni  'scorpions,  ni  araignées,  ni  mille-pieds;  3»  de  ce  qu'il 
soit  tombé  avec  ses  bagages  de  façon  à  ne  pas  se  tuer.  —  Il  énu- 
mère  toutes  ces  misères  absentes  avec  délices.  —  Enfin  il  prend 
son  calepin  et  il  annote  le  fait.  Puis  tout  à  coup  une  idée  lui 
vient  et  il  compose  une  chanson  sur  les  plaisirs  du  foyer.  Sa 
position  critique  fait  naturellement  valoir  à  ses  yeux  le  plaisir  de 
la  famille  et  il  exploite  celte  disposition  au  profit  de  l'Art...  Enfin 
il  s'endort... 

Le  lendemain  matin  il  chante  sa  chanson,  non  sans  admirer  la 
sonorité  du  puits. 

0  bonheur!  dans  cette  solitude  un  être  humain  a  paru...  il  est 
sauvé,  On  lui  jette  des  cordes... 

Mais  hélas!  les  gens  qui  le  sauvent  sont  des  brigands,  il  est 
captif,  elc. 

Plus  tard,  c'est  à  cause  de  sa  chanson  qu'on  lui  rend  la  liberté. 
Plus  tard,  au  foyer  où  il  est  retourné,  il  pense  avec  délices  à  son 
séjour  dans  le  puils.  11  n'a  qu'un  regret,  c'est  de  ne  pas  avoir 
pris  en  souvenir  la  petite  plante  unique  qui  avait  trouvé  moyen 
de  pousser  à  cette  profondeur  dans  les  pierres.  Si  c'était  à 
refaire,  dit-il,  il  serait  encore  plus  à  l'aise  que  la  première  fois. 

La  morale  contenue  dans  cette  histoire  sera  que,  dans  la  cir- 
constance extraordinaire  de  la  chute  dans  le  puits,  la  paresse  et 
le  découragement  auraient  un  effet  plus  désastreux  que  l'événe- 
ment même  de  la  chute. . 

Voilà  comment  je  raisonne  pour  rendre  toutes  les  circonstances 
douces  à  supporter. 

Je  n'ai  jamais  été  malheureux  que  quand  j'étais  paresseux. 

Jadis  nos  réunions  d'ajnis  à  Bruxelles  étaient  pétillantes  de 
gaîté,  mais  toujours  déflorées  par  l'idée  d'une  journée  perdue. 

Pourquoi  n'es-tu  pas  plus  philosophe? 

Gustave  Coppieters, 


LE  PRISONNIER  DU  CAUCASE 

S'il  est  des  âmes  naïves  qui  s'attendaient  à  trouver  dans  le 
Prisonnier  du  Caucase^  œuvre  de  jeunesse  du  compositeur  russe 
César  Cui,  un  déchaînement  d'intransigeances,  elles  en  ont  été 
pour  leurs  illusions  déçues  ou  leurs  alarmes  calmées. 

La  musique  de  M.  Cui,  —  celle  du  Prisonnier  du  moins, 
puisque  nous  ne  connaissons  ni  William  Ratcliff  ni  Angelo 
dans  lesquels,  dil-on,  le  compositeur  a  plus  franchement  mis  en 
œuvre  la  théorie  de  la  Jeune  Russie  musicale,  —  n'est  rien  moins 
que  révolutionnaire.  Elle  est  correctement  vêtue  à  la  mode  de 
l'épOque  où  elle  fut  présentée  dans  le  monde,  —  il  y  a  vingt- cinq 
ans;  elle  se  conduit  en  personne  bien  élevée,  parle  une  langue 
châtiée.  Elle  s'est  même,  avec  une  facilité  grande,  assimilé 
plusieurs  idiomes  et  se  sert  indifféremment  de  l'allemand,  du 
français,  de  l'italien.  Le  très  léger  accent  slave  qui,  par  inter- 
valles, donne  du  pitjuant  h  sa  conversation  n'est  guère  perçu  que 
des  oreilles  exercées.  Quand  elle  danse,  c'est  autre  chose  :  le  sang 
russe  reparaît.  En  un  clin  d'œil  elle  s'est  débarrassée  de  sa  robe 
à  falbalas,  elle  a  revêtu  la  saraphane,  et  la  voici  lancée,  torse 
cambré,  poing  sur  la  hanche,  frappant  fièrement  le  sol  du  talon 


de  sa  botte  moscovite,  pleine  de  séduction  en  ses  attitudes  pro- 
vocantes, audacieuses,  nonchalanlos  ou  abandonnées. 

Jean  Lorrain  prépare  un  volume  qu'il  intitule  Très  Russe, 
transformant  bizarrement  en  qualificatif  à  degrés  la  -désignation 
d'une  nationalité.  L'opéra  que  Liège  a  représenté  mercredi  n'est, 
dans  ce  sens,  pas  très  russe,  quoi'^que  le  sujet  soit  tiré  de  Pousch'- 
•kine,  qui  n'a  chanté  que  son  pays  et  qui  l'a  fait  aimer.  C'est  la 
légende  d'une  jeune  Circassiennc  éprise  d'un  prisonnier  chrétien 
que  le  hasard  des  armes  a  jeté  dans  un  camp  de  Tcherkesses. 
Fatima  est  la  fiancée  du  vainqueur,  le  prince  Aboubeker.  Si  le 
secret  de  son  amour  pour  le  prisonnier  esjt  dévoilé,  le  malheu- 
reux sera  immolé  sans  merci.  Un  vieux  prêtre  fanatique  pénètre 
le  mystère,  excite  la  colère  du  père  de  Fatima,  mais  quand  la 
fouie  se  rue  vers  la  hutte  où  a  été  enfermé  le  prisonnier,  celui-ci 
a  disparu,  délivré  par  4a  jeune  fille,  et  Falima  s'est  poignardée 
pour  échapper  à  l'hymen  abhorré. 

M.  Céï^ar  Cui  a  fait  de  ce  petit  drame  un  opéra  en  trois  actes. 
Il  a  tiré  parti  des  situations  diverses  de  l'action  pour  écrire,  dans 
les  formes  usitées,  une  partition  tantôt  aimable,  taniôl  drama- 
tique, jamais  vulgaire.  Une  mélancolie  plane  sur  l'ouvrage,  qu'on 
écoute  avec  intérêt  d'un  bout  à  l'autre  et  quITévèle  un  musicien 
intelligent  et  habile.  Les  chœurs,  discrèlQmcnl  semés  dans  la 
partition,  sont  particulièrement  bien  traités,  et  l'orchestre  a  un 
rôle  suffisamment  intéressant. 

Le  compositeur  a  naturellement  reçu  de  l'audiioire  un  accueil 
enthousiaste.  Les  uns  applaudissaient  en  lui  le  représeniant  de 
l'école  russe,  dont  les  œuvres  commencent  à  être  connues  et 
admirées  en  Belgique  comme  elles  le  méritent;  les  autres  lui 
savaient  gré  de  n'être  qu'un  Russe  trèscompréhensif,  de  ne  cho- 
quer aucune  conviction,  de  respecter  les  canons  édictés  par  nos 
pères  en  matière  de  théâtre.  A  la  bonne  heure!  Voilà  qui  est 
plus  amusant  que  Wagner,  et  plus  clair,  et  plus  mélodique!  Déjà 
tous  les  petits  messieurs  de  Liège  fredonnent  l'air  du  prisonnier 
qui  «  regrette  sa  paine  »  et  le  sextuor  du  deuxième  acte  fait  les 
délices  des  soirées  bourgeoises. 

Pour  BOUS,  la  représentation  du  Prisonnier  du  Caucase  est  une 
date.  Elle  montre  qu'on  peut,  même  sur  un  théâtre  de  second 
plan,  sortir  des  banalités  du  répertoire  courant  et  donner,  sinon 
d'une  façon  parfaite,  du  moins  d'une  manière  suffisante,  des 
représentations  attrayantes.  C'est  faire  œuvre  d'artiste  que  de 
rompre  ainsi  avec  les  traditions,  et  la  tentative  de  Mr  Verellen 
doit  être  approuvée  et  encouragée  par  tous  ceux  que  préoccupe 
le  souci  de  l'art.  Depuis  trente  ans  la  jeune  école  russe  travaille, 
lutte  et  souffre.  Aucune  de  ses  productions  n'est  connue  en  pays 
latin.  Voici  enfin  une  brèche  dans  cette  muraille  que  l'indiôe- 
rence  ou  l'hostilité  avait  éditiée.  Chose  curieuse,  il  a  fallu  une 
main  de  femme  pour  donner  les  premiers  coups  de  pioche.  Mais 
ces  coups  ont  été  donnés  avec  une  sûreté  et  une  force  peu 
communes.  Désormais  on  peut  espérer  que  le  très  inléressanl  art 
slave  nous  sera  bientôt  aussi  familier  que  l'art  germanique,  l'art 
italien  cl  l'art  gaulois. 


î^xpo3iTio]^   Jel^aux 

Les  trente-deux  toiles  exposées  par  G.  Djlsaux  à  la  salle 
Janssens,  rue  du  Gentilhomme,  donnent  de  l'é'at  actuel  de  sa 
peinture  une  idée  très  nette  qu'on  peut  résumer  ainsi  :  Observa- 
tion très  intense  de  la  nature,  volonté  opiniâtre  de  l'exprimer 


dans  sa 'vérité  el  dans  les  émotions  qu'elle  excite,  réussite  encore 
approximative,  couleur  plulôt  crue  que  puissante,  facture  large 
mais  brutale,  impression  dominante  de  lourdeur.  Celte  lourdeur 
est  IT'Cueil  dont  le  jeune  peintre  doit  se  méfier.  Elle  se  montre 
dans  tout  un  groupe  de  notre  jeune  école.  Elle  y  marque  appa- 
remment une  transition, 

Nous  disions  dimanche  dernier  que  G.  Delsaux  se  cherche 
encore.  L'exposition  dont  nous  rendons  compte,  nous  confirme 
dans  cette  opinion.  Elle  montre  mieux  qu'à  VEssor  ses  efforts 
persévérants  et  dégage  plus  nettement  les  espérances  qu'il  donne. 

Nous  signalons  si)écialemenl  h  l'attention  :  L'Ecluse  {unsoir)^ 
—  Viahe  :  le  Marais,  —  Vent  nord-est,  —  Soleil  couchant,  — 
Zierikzee,  —  Le  Heule,  —  Moisson,  —  Les  an  te  Korre. 


EXPOSmOU  DE  JEF  LAMBEM  ET  DE  FRAI  COGRTE^S 

au  Cercle  artistique 

Les  tableaux  de  Franz  Courtens  n'apprennent  sur  lui  rien  de 
nouveau .  Nous  avons  î»  diverses  reprises  signalé  sa  sincérité 
robuste,  atteinte,  elle  aussi,  de  la  lourdeur  dont  nous  parlions 
plus  haut  à  propos  de  Delsaux.  Il  n'y  a  guère  de  moditications 
depuis  sa  belle  toile  Termonde  Vhiver,  qui  fut  son  premier  début 
éclatant,  et  dont  nous  avons  fait  ici  même  l'éloge.  On  souhaiterait 
un  développement  plus  rapide  de  ses  solides  qualités.  Mais  ne 
montrons  pas  d'impatience  :  Tarliste  est  dans  toute  la  force  de  sa 
jeunesse.  Un  jour  ou  l'autre,  il  aura  sans  doute  une  avancée  nou- 
velle et  notable.  - 

Jef  Lambeaux  est  toujours  le  maître  sculpteur  que  l'on  connaît, 
mais  on  dirait  qu'il  devient  sage,  rangé  :  est-ce  qu'il  va  passer 
académique?  Gare,  oh!  gare!  Nul  n'ignore  que  des  fantaisies 
aussi  bistournées  que  le  Baiser,  les  Lutteurs,  la  Fontaine  sym- 
bolique d'Anxers,  tout  en  forçant  l'admiration  du  monJe  officiel, 
lui  ont  paru  bien  osées,  et  ont  provoqué  les  réserves  de  tous  les 
gens  du  bel  air.  On  sait  aussi  que  Lambeaux,  sous  la  direction 
des  personnages  bien  sages  et  bien  prévoyants,  a  quitté  la  partie 
à  la  fraction  indépendante,  téméraire,  novatrice  de  l'école.  Est-ce 
que  cette  malice  tournerait  en  maladresse,  et  l'effet  de  l'inévitable 
chaponnage  que  subit  l'ariisie  pai*mi  les  gens  dits  comme  il  faut 
se  faiî-il  déjà  sentir?  Que  le  destin  en  préserve  une  des  plus 
originales  personnalités  de  notre  art  national.  Encore  une  fois 
gare,  oh  !  gare  ! 

J^OUYEAUTÉ^  LITTÉRAIRE? 

Le  sens  des  couleurs  chez  Homère,  par  A.  de  Keersmaecker. 

L'évolution,  qui  est  devenue  loi  universelle,  ne  plaît  que  médio- 
crement àTauieurdecelivre.  Desévolutionnistes  ont  prétendu  que 
le  sens  chromatique  s'est  perfectionné  depuis  Homère  et  que 
celui-ci  ne  distinguait  que  vaguement  les  couleurs.  M.  A.  de 
Keersmaecker  prouve  combien  fausse  est  cette  assertion  à  grand 
renfort  de  textes  et  de  citations  et  de  controverses.  Victorieuse- 
ment, car  il  est  rare  de  rencontrer  plus  serrée  discussion  et  meil- 
leure prise  à  partie  de  l'opinion  hostile. 

Bébé  Million,  par  R.  Maizeroy.  —  Pai-is,  Ollendôrflf. 

Bébé  Million,  oui,  fait  songer  à  Georgetie.  Drame  de  mère  à 
fille,  ù  cette  différence  près,  qu'ici  c'est  une  parvenue  et  Ui-bas  une 


courlisaac  qui  expient  leur  faute  dans  leur  enfant.  Certes,  l'étude 
cs\>  intéressante,  mais  —  remarque  à  faire  au  compte  de  M.  René 
Maizeroy  et  à  celui  d'un  bon  nombre  de  ses  confrères  —  n'est 
que  parisienne  et  parisienne  dans  le  sens  étroit  et  fait-diversisle 
du  mot.  Un  scandale  pourrit  sur  la  voirie;  et  voici  qu'arrivent  aus- 
sitôt mille  bêles  d'encre  sucer  du  pus  à  chroniques  pour  ensuite 
le  déposer  dans  les  livres.  L'ennui  vient  de  celte  littérature 
spéciale,  de  ses  doubles  fonds  avec  une  gravure  galante  sur 
les  parois,  de  ces  envers  de  médaille  sorties  d'un  musée  secret. 
L'alcôve  parisienne  a  été  par  trop  montrée  el  les  draps  en  sont 
salis  depuis  assez  longtemps  pour  qu'on  les  change.  Au  reste, 
toujours  le  même  adultère,  le  même  suicide,  le  même  blasphème 
de  nouvelle  à  la  main.  On  en  arrive  à  souhaiter,  non  par  moralité 
mais  uniquement  par  intérêt,  une  littérature  plus  théologale, 
fût-ce  avec  un  saint  comme  héros.  Au  moins  serait-ce  une  idée 
neuve.  Le  vice  hystérique  est  connu.  A  quand  la  folie  de  la 
vertu?... 

Bébé  Million  est  suivi  de  l'Apothéose,  la  Punition  des 
cloches,  A  pointe  d'aube,  la  Défaite,  Don  Juan  (dernier  acte), 
toutes  nouvelles  de  bonne  allure,  de  courante  fabrication  et  d'ha- 
bileté artistiques.  Mais  la  nouveauté,  mais  l'effort  vers  l'origina- 
lité, où  ? 

Une  famille  princière  d'Allemagne,  par  la  veuve  du  prince 
Louis  de  Sayn-Wittgexstein-Sa"yx.  —  Paris,  Ollendorfr. 

Eucoreun  livre  k  tapage.  Pourtant  ce  n'est  point  un  volume  à 
scandale,  ce  sont  des  pages  de  colère.  Oh  !  le  bruit  qu'elles  ont 
fait.  Les  journaux  les  ont  commentées,  disséquées  ;  on  sentait  la 
joie  des  Français  à  crever  à  coups  de  plume  tout  ce  plairas 
d'honnêteté  dont  l'Allemagne- masque  ses  vices.  Les  articles 
avaient  un  ton  altier  de  représailles  et  tenaient  de  la  vengearicc 
serrée  entre  leurs  lignes  comme  des  cartouches  entre  les  dents. 
C'a  été  une  fâcherie  assez  banale  en  somme,>  mais  qui  donne 
appétit  pour  une  indignation  sérieuse. 

Le  livre  s'ouvre  par  le  testament  du  prince  insti.uant  sa  femme 
Amélie  de  Lilienthal  légataire  universelle  de  tous  ses  biens.  Dans 
les  chapitres  suivants  est  raconté  tout  un  drame  familial  :  des 
frères  disputant  le  bien  à  leur  belle-sœur,  la  traquant,  l'attrayant 
devant  les  juges  et  obtenant  gain  de  cause  contre  elle.  Des  scènes 
tragiques  sont  présentées,  brutalement;  des  fenêtres  sont  large- 
ouvertes  sur  la  partialité  de  la  justice  toutbne;  tout  un  désespoir, 
toute  une  haine  de  femme  sont  étalés,  et  l'on  reçoit  h  bout  por- 
tant le  contre-coup  de  cette  révolte  et  de  cette  colère  h  la  lecture 
du  livre. 

Ln  préci/eux  document  humain  pour  les  naturalistes  d'antan. 


jjHRONIQUE    JUDICIAIRE    DE^    AI\Tp 

Tapisseries 

Le  tribunal  de  Nancy  vient  de  rendre  une  décision  intéressante 
sur  la  question  de  savoir  si  des  tapisseries  fixées  au  mur  d'une 
maison  doivent  être  considérées  comme  immeubles  par  destina- 
tion. Il  s'agissait  d'une  maison  léguée  à  la  ville  de  Nancy  par 
M.  l'abbé  Malglaive  et  qui  contenait  des  tapisseries  anciennes, 
lesquelles  avaient  été  revendiquées  par  l'héritier.  Le  tribunal  a 
décidé  qu'on  doit  considérer  comme  immeubles  par  destination 
les  tapisseries  fixées  aux  murs  par  des  encadrements  et  des  latt.^s 
retenues  elles-mêmes  par  dos  pattes  et  crochcls,  l'intention  du 


mm 


propriéUiiro  ayant  élc  dans  ce  cas  de  les  attacher  à  son  fonds  à 
perpéluellc  demeure.  . 


pETITE    CHRO]V(IQUE 


M.  Joseph  Middeleer,  un  jeune  peinire  qui  a  accomp.icjné 
M.  VnmVi  Mcerls  dans  son  voyaiçe  à  Florence,  dont  le  but  était 
la  copie,  pour  le  gouvernement  belge,  du  triptyque  d'Hugo  Van 
dcrGoes  dont  nous  avons  rendu  compte  dans  notre  numéro  du 
20décembre,a  exposé  cesjours  derniers, dans  l'atelier  deM.Meerts, 
rue  Kindermans,  une  série  d'études  brossées  en  Italie.  Elles  révè- 
lent de  bonnes  qualités,  un  coloris  brillant,  une  touche  large, 
souvent  de  la  fuiesse  dans  les  tous.  C'est  une  individualité  qui 
cherche  à  se  conquérir,  à  se  dégager  des  souvenirs  d'une  éduca- 
tion basée  au  début  sur  l'initiative.  Il  y  a  donc  beaucoup  h  espé- 
rer, comme  il  rosie  beaucoup  h  faire,  et  il  conviendra  de  suivre 
ces  efforts.  L'artiste  va  s'appliquer  aux  scènes  et  aux  paysages 
nationaux.  Nous  en  reparlerons  après  avoir  vu  les  ré.sullats  de 

cette  nouvelle  lent  itive. 

♦  .  .  ' 

Nous  rappelons  aux  amis  du  peinire  Louis  Dubois  que  le  pré- 
sent avis  leur  tiendra  lieu  d'invitation  h  la  cérémonie  de  l'inau- 
guration de  sa  tombe. 

L'on  se  réunira,  dimanche  à  2  heures,  place  Sainte-Marie, 
pour  se  diriger  vers  le  cinrietière  de  Schaerbeek  où,  à  2 1/2  heures, 
Camille  Lemonnier  prononcera  un  discours  sur  la  tombe  de  notre 
regretté  artiste.  {Communiqué.) 

Pour  taire  suite  aux  renseignements  que  nous  avons  publiés 
sur  les  projets  de  la  Fédération  dramatique^  qui  vient  d'ouvrir 
sa  campagne  à  l'Alhambra  par  Nos  bergers,  de  M.  Louis  Claes, 
et  par  la  Question  d'Occident^  de  M.  de  Coninck,  voici  la  liste 
des  ouvrages  qu'elle  a  mis  à  l'élude  : 

DenisCy  drame  en  quatre  actes,  par  M.  G.  Dubosch;  les  Certi- 
ficats de  Caniclietle.,  comédie  en  un  acte,  par  M.  Coveliers;  Une 
Grève,  comédie  en  trois  actes,  par  M.  Stoumon  ;  Après  un  an 
de  mariage,  comédie  en  un  acte,  par  M.  Lefèvre;  la  Quittance 
d'André,  comédie  en  deux  actes,  par  M.  Van  Laethcm;  Le 
ménage  d'Ernest,  comédie  en  un  acte,  par  M.  L.  De  Coninck;  A 
bas  les  masques,  comédie  en  quatre  actes,  par  M.  J.  Guilliaume; 
la  Devise  du  grand-père,  drame  en  un  acte,  par  M.  A.  Léclercq; 
Jacques  Gervais,  comédie  en  quatre  actes,  par  M.  L.  Claes. 

Pièces  inédites  :  Gauthier  père  et  fils^  comédie  en  quatre 
actes,  par  M.  A.  Léclercq  ;  les  Bâtisseurs,  comédie  en  quatre 
actes,  par  M.  Van  Laelhem;  V Employé,  comédie  en  cinq  actes, 
par  M.  L.  Claes;  A  la  buvette^  comédie  en  un  acte,  par 
M.„de  Coninck. 


Ont  été  récemment  promus  au  grade  d'officier  de  la  Légion 
d'honneur  :  MM.  Delaplanche,  sculpteur,  et  Gaillard,  graveur.  Au 
grade  de  chevalier  :  MM.  Le  Blant,  peintre,  Carlier,  sculpteur, 
et  Roly,  graveur  en  médailles.  Des  œuvres  de  MM.  Gaillard  et 
Roty  seront  exposées  au  prochain  Salon  des  XX. 

La  vente  Schœnevverk  a  été  un  vrai  désastre,  dit  Le  Temps. 
Il  semble  que  la  fatalité  ait  voulu  poursuivre  cet  infortuné  sta- 
tuaire jusque  dans  la  tombe. 

L'expert  avait  demandé  H, 000  francs  de  la  Salomé e\poséc  au 
dernier  Salon.  Il  n'y  a  eu  d'acheteur  qu'à  300  francs.  Les  autres 
œuvres  n'ont  pas  obtenu  un  meilleur  sort  :  La  Jeune  fille  à  la 


fontaine,  bOo  francs;  Au  matin,  350  francs;  La  Vendaiige, 
groupe  de  40  centimètres  de  hauteur,  MO  francs;  La  Moisson, 
60  francs;  Zc  Gué,  61  francs;  La  Jeune  fileuse,  5i  francs; 
Deux  bas-reliefs,  Psyché  et  Pondaré,  iOO  francs. 

Quelques  nouvelles  de  Dereims,  le  ténor  dont  les  Bruxellois 
n'ont  pas  voulu.  On  lit  dans  les  journaux  français  : 

«  La  saison  théâtrale  îi  Marseille  est  exce[)lionncllemenl  bril- 
lante celle  année.  Après  le  grand  succès  du  Songe  dune  nuit 
dété,  voilà  Rigoletto  qui  a  lait  les  délices  de  tous  les  diletlanli. 
Le  ténor  Dereims,  qu'on  avait  acclamé  dans  l'œuvre  d'Ambroise 
Thomas,  a  obtenu  un  succès  sans  précédent  dans  les  annales 
marseillaises.  On  lui  a.  bissé  les  couplets  du  premier  acte,  et 
après  le  quaiuor,  il  a  été  rappelé  quatre  fois  par  un  public 
enthousiaste.  » 

Le  roi  Ferdinand  âe  Portugal,  qui  vient  de  mourir,  laisse  une 
importante  collectiqi  d'objets  d'art  et  de  curiosité,  laquelle, 
d'après  certains  bruils,  sérail"  probablement  vendue  aux  enchères 
à  Paris. 

Rubinstein  a  donné  à  Vienne  la  série  deyèopi  concerts  histo- 
riques du  piano  dont  il  a  favorisé  Berlwlfrqu'il  répétera  ensuite 
à  Saint-Pétersbourg,  à  Londres  et  à  Paris.  Le  triomphe  remporté 
par  le  maître  dans  la  capitale  autrichienne  â  égalé  le  succès  qu'il 
a  obtenu  à  Berlin. 

Et  l'accueil  que  lui  a  fait,  dans  celle  dernière  ville,  le  monde 
artistique  a  été  merveilleux.  Qu'on  en  juge.  La  veille  de  son 
départ,  un  banquet,  auquel  assimilait  toute  la  haute  société  de 
Berlin,  lui  a  été  offert  au  Kaiserhof.  Le  maître  a  fait  son  entrée 
dans  la  salle  des  fêtes  au  son  d'un  orchestre  invisible  qui  jouait 
la  marche  de  Feramors;  puis,  une  adresse  en  vers  russes  lui  a 
été  présentée  par  une  dame  de  la  société,  revêtue  du  costume 
national  russe.  Ce  n'est  pas  tout;  une  nouvelle  surprise  était 
ménagée  par  les  organisateurs  du  banquet  à  leur  hôte  illustre  : 
on  avait  orchestré  pour  la  ciccon.stance  sa  charmante  suite  de 
piano,  le  Bal  costumé,  et  on  l'avait  ingénieusement  illustré  de 
tableaux  vivants  de  l'effet  le  plus  magique.  Les  numéros  intitulés 
Berger  et  Bergère,  Toréador  et  Andalouse,  Royal^Tambour  et 
Vivandière  et  le  dernier  surtout.  Valse,  Polka,  Gnlop,  ont  par- 
ticulièrement charmé  l'assistance,  qui  gardera  longtemps  le  sou- 
venir de  celle  fête  splendide. 

A  Vienne,  on  a  exécuté,  la  veille  de  son  départ,  son  ballet 
La  Vigne. 

Sommaire  du  numéro  de  décembre  188o  de  la  Société  nou- 
velle :  ■        -       W 

L'Ardonne,  Camille  Lemonnier.  —  Du  rôle  social  des  banques 
en  Europe,  E.  Pignon.  —  En  vacances,  J.  Vandrunen.  —  Les 
forces  et  leurs  effets  dans  la  nature  :  Réfutation  expérimenlale  de 
la  loi  de  la  conservation  de  l'énergie.  H,  Girard.  —  La  question 
agraire,  Henry  George.' —  Lettre  politique  et  sociale,  Borde.  — 
Courrier  parisien,  Jean  Bernard.  —  Chronique  littéraire,  James. 
—  Chronique  musicale,  Ch.  Delgouffre.  —  Le  mois.  —  Les 
livres.  *^ 

Sommaire  du  numéro  du  2o  décembre  de  la  Revue  contempo- 
raine. 

La  nouvelle  politique  de  l'Angleterre  et  de  la  France.  Deuxième 
article  II.  —  La  philosophie  de  .M.  Renan.  A  propos  du  Prêtre  de 
Némi,  T.  de  Wizewà.  —  Le  docteur  Pelrus.  Nouvelle,  Pierre 
Cœur.  —  L'écho  et  nocturne.  Poésies,  André  Lemovne.  —  Le 
rouge-gorge.  Légende  bretonne,  Georges  Nardin.  —  Notes 
d'esthétique.  La  suggestion  en  art,  Charles  Vignier.  —  La  bir- 
manie,  Edoi\ard  Dujardin.  —  Critique  littéraire  el  artistique. — 
Théâtres.  La  femme  de  Socraie,  Georgette,  Sapho.  —  Musique. 
Le  Cid.  —  Bibliographie.  Livres  d'étrennes. 


24 


VART  MODERNE 


SIXIÈME  ANNÉE   ',    ^  ; 

L'AUT  MODSHNS  s'est  acquis  par  rautoritô  et  rindépcndance  de  sa  critique,  par  la  variété  de  ses 
informations  et    les  soins   donnés  à  sa   rédaction   une  place  prépondérante.    Aucune   manifestation  de  l'Art  ne 

lui  est  étrangère  :  il  s'occupe  de  littérature^  de  peinture,  de  sculpture,  de  gravure,  de  musique, 

d'architecture,  etc.  Consacré  principalement  au  mouvement  artistique  belge,  il  renseigne  néanmoins  ses 
lecteurs  sur  tous  les  événements  artistiques  de  l'étranger  qu'il  importe  de  connaître. 

Chaque  numéro  de  I^'ART  MODERNE  s'ouvre  par  une  étude  approfondie  sur  une  question  artistique 
ou  littéraire  dont  l'événenient  de  la  semaine  fournit  l'actualitér  Les  expositions,  les  livres  nouveaux^  les 
premiû7\'s  représentations  d'œuvrcs  dramatiques  ou  musicales,  les  conférences  littéraires,  les  concerts,  les 
ventes  dvhjels  (Vart,  font  tous  les  dimanches  l'objet  de  chroniques  détaillées. 

L'ART  MODERNE  relate  aussi  la  législation  et  la  jurisprudence  artistiques.  Il  rend  compte  des 
procès  les  plus  intéressants  concernant  les  Arts,  plaides  devant  les  tribunaux  belges  et  étrangers.  Les 
artistes  trouvent  toutes  les  semaines  dans  son  Mémento  la  nomenclature  complète  des  expositions  et 
concours  auxquels  ils  peuvent  prendre  part,  en  Belgique  et  à  l'étranger.  Il  est  envoyé  gratuitement  à 
l'essai  pendant  un  mois  à  toute  personne  qui  en  fait  la  demande. 

L'ART  MODERNE  fM^me  chaque  année  un  beau  et  fort  volume  d'environ  450  pages,  avec  table 
des  matières.  Il  constitue  pour  l'histoire  de  l'Art  le  document  LE  PLUS  COMPLET  et  le  recueil  LE  PLUS 
FACILE  A  CONSULTER. 


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beloved) 1.35 

^"«2  Pour r absent. {To m\ ab^çn\.\o\e)  1.75 

îs°3.  Chant  damoiir.  (Love  song)  .     .  1.75 

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Sixième  année.  —  N°  4 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  24  Janvier  1886. 


L'ABT 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


RBVÏÏE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,   un   an,   fr.   10.00;  Union   postale,    fr.    13.00.    —   ANNONCES    :    On' traite   a   forfait. 

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Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 
l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


^OMMAIRE 


Les    Templiers.  —    Cérémonie  Duboïs.  ■ —   Théâtre  Molière. 
-  Correspondance  musicale  de  Paris.  —  Petite  chronique. 


lES  TEMPLIERS 

Sans  nous  prononcer  ici  sur  le  point  de  savoir  si 
rhistoire  s'accommode  aisément  des  exigences  du 
théâtre  lyrique,  constatons  que  le  poème  tiré  par 
MM.  Jules  iÂdenis,  Armand  Sylvestre  et  Bonnemère 
d'un  feuillei  sanglant  dé  la  chronique  de  France  est, 
dans  toute  la  force  du  terme,  un  bon  livret  d'opéra.  II 
a  le  mouvement  et  la  variété,  —  le»  deux  qualités  exi- 
gées avant  toute  autre  pour  les  productions  de  ce 
genre.  Il  déroule,  en  ses  cinq  actes  bien  coupés,  une 
succession  de  situations  offrant  au  compositeur  l'occa- 
sion d'exprimer  des  sentiments  tantôt  dramatiques  et 
passionnés,  tantôt  tendres  et  joyeux,  au  metteur  en 
scène  un  prétexte  à  figuration,  à  décors  et  à  cortèges. 
Et  l'action  côtoie  d'assez  près  la  vérité  historique  pour 
donner  au  public  Tillusion  d'événements  réels,  estam. 
pillés  au  millésime  d'une  année  déterminée,  et  mêlés 
d'épisodes  tout  au  moins  vraisemblables. 

Telle,  en  ce  qui  concerne  ces  derniers,  l'idylle  qui 
traverse  le  drame  et  l'éclairé  d'un  reflet  d'amour.  C'est, 
pensons-nous,  dans  une  tragédie  bien  oubliée  de  Ray- 
nouard,  jouée  au  commencement  de  ce  siècle  au  théâtre 
français  sous  le  titre  Les  Templiers  [*),  que  les  auteurs 


(*)  Les    Templiers,    représentés  pour   la  première  fois  sur   le 


ont  trouvé  l'idée  du  personnage  de  René  de^  Marigny, 
devenu  leur  héros.  «  Quelle  heureuse  idée,  écrivait  à 
propos,  de  ce  rôle  Joseph  Chénier  dans  son  Tableau 
de  la  littérature  française,  que  celle  du  jeune  Marigny 
associé  secrètement  à  ces  Templiers  dont  son  père  a 
juré  la  ruine,  osant  prendre  leur  défense  au  fort  du 
péril,  révélant  son  secret  quand  il  ne  peut  plus  que 
partager  leur  infortune,  se  dévouant  pour  eux,  mou- 
rant avec  eux,  et  commençant,  par  un  héroïque  sacri- 
fice, le  châtiment  de  son  père  coupable!  Voilà  un  per- 
sonnage bien  inventé  jeté  au  milieu  de  l'action;  voilà 
des  incidents  qui  produisent  un  intérêt  puissant  sur 
tous  les  cœurs,  '»  etc. 

Ce  jeune  Marigny,  dans  les  TeriipUers  d'aujourd'hui, 
enfouit,  avec  sa  vie,  son  amour  dans  les  mvstères  du 
Temple  le  jour  oii  il  apprend  que  cet  amour  ne  peut 
être  récompensé,  le  roi  ayant  disposé  de  la  main  de  sa 
fille.  Et  par  une  fiction  habile,  c'est  un  rendez-vous  du- 
chevalier  avec  Isabelle,  le  rendez-vous  des  adieux, 
surpris  par  le  roi  et  interprété  par  lui  comme  un  guet- 
apens  dressé  contre  sa  personne,  qui  arme  son  bras, 
contre  le  Temple  et  prépare  le  bûcher  dans  lequel 
s'écroulent  les  dernières  splendeurs  de  l'Ordre. 


théâtre  français  par  les  co»>édie}is  ordinaires  de  l'erupereur,  le 
24  floréal  an  XIII  (14  mai  1805  .  Publié  chez  GiLTuet  et  Michaiid. 
rue  des  Bons-Enfants,  an  XIII  jlSOÔ).  Voici,  pour  les  curieux,  la  dis- 
tribution des  rôles  :  , 

Phiuppe-le-Bel,  m.   Lafond.  Jeanne  pf  Navarre,  M'^«  Georges 
Gaucher    de    Chatillon,    M.    Damas.    Enguerrand   de    Marigni, 
M.  Baptiste    Marigni,  son  tîls,  M    Talnia.  Guillaume  de  Nogaret, 
M.  Desprez.  Jacques  de  Molay,  M.  Saint -Prix. 


Cela  permet  aux  librettistes  d'enjamber  sans  hésita- 
tion les  sept  années  que  dura  le  célèbre  procès  sus- 
cité contre  la  chevalerie  monastique  par  la  cupidité  du 
roi.  Cela  les  autorise,  en  outre,  à  faire  brûler  de  com- 
pagnie, par  la  même  flamme,  sur  le  terre-plein  de  la 
cité,  Jacques  de  Molay,  qui  ne  fut  exécuté  que  le 
18  mars  1314,  et  les  cinquante-six  chevaliers  du  Temple, 
(certains  auteurs  disent  trente-six,  Michelet  affirme  qu'il 
y  en  eut  cinquante-quatre), condamnés  par  leSynode  de 
Paris  et  morts  sur  le  bûcher,  avec  de  lents  raffine- 
ments de  torture,  en  1307,  hors  la  ville,  dans  les  prés 
où  s'élève  aujourd'hui  Vincennes. 

C'est  licence  tolérée  aux  faiseurs  de  livrets  que  de 
rapprocher  ainsi,  comme  en  une  mosaïque  de  pierres 
rares  cimentées  ensemble,  des  événements  connexes 
que  les  années  séparaient.  Des  peintres  ont  employé  le 
même  procédé  ;  mais  ici  la  vérité  s'en  est  trouvé 
choquée,  et,  non  sans  raison,  a  protesté.  On  a  vu, 
par  exemple,  réunir  dans  une  vue  de  Prague,  et  le 
Pont,  et  le  Hradschin,  et  les  tours  effilées  des  églises, 
et  un  bout  des  remparts,  sans  que  d'aucun  point  de  la 
vieille  capitale  bohémienne  il  soit  possible  d'embrasser 
l'ensemble  des  monuments  ainsi  dépeints.  C'est  si  loin, 
la  Bohême,  s'est  dit  le  peintre. 

Et  Philippe-le-Bel  est  mort  depuis  tant  de  siècles  ! 
ont  pensé  les  librettistes.. 

Aussi  ont-ils  placé  sans  scrupule,  au  début  de  l'ac- 
tion, qui  se  passe  en  1307,  la  sédition  populaire 
qu'avaient  fait  éclater  en  1306  l'altération  des  monnaies 
de  l'Etat  et  la  charge  toujours  croissante  des  impôts. 
La  populace  détruisit  la  maison  d'Etienne  Barbette, 
vo3'er  de  Paris  et  maître  de  la  Monnaie,  et  le  roi  lui- 
même,  pour  échapper  à  sa  fureur,  dut  réclamer  asile 
aux  Templiers.  Les  portes  massives  de  leur  palais  le 
garantirent  contre  le  déchaînement  des  colères,  et  un 
an  s'écoula  avant  que  Philii^pè  eût  oublié  ce  bienfait. 
Dans  les  Templiers,  le  lendemain  même  du  jour  où 
Jacques  de  Molay,  grand-maître  de  Tordre,  lui  sauve 
la  vie,  le  roi  prononce  son  arrêt  de  mort  et  consomme 
la  ruine  de  la  corporation. 

C'est  raccourcir  singulièrement  la  reconnaissance  du 
monarque. 

Mais  quel  est  le  librettiste  qui  oserait  dévider  le  tra- 
gique écheveau  des  événements  historiques  sans  en  rien 
modifier  !  Et  quel  sera  le  compositeur  assez  puissant 
pour  trouver  dans  l'enchaînement  des  accords  et  dans 
la  succession  des  sons  l'équivalent  des  impressions  que 
nous  fait  éprouver  la  sévère  leçon  du  Temps?  Ne  faut- 
il  pas  dire  plutôt  que  la  légende  seule,  avec  son  symbo- 
lisme qui  permet  d'exprimer  sans  contrainte  tous  les 
sentiments  de  l'âme  humaine,  peut  trouver  au  théâtre 
une  réalisation  musicale  parfaite  ?  Ou  ce  doute  ne  nous 
hante-t-il  que  parce  que  nul,  jusqu'à  ce  jour,  n'a  trouvé 
d'une  manière  adéquate  la  transcription  musicale  d'une 


grande  page    d'histoire?  Les   Templiers^  que  nous 
entendrons  demain,  dissiperont-ils  nos  hésitations  ? 

Quoi  qu'il  en  soit,  et  pour  l'intelligence  complète  du 
livret,  plaçons  dans  leur  décor  les  héros  du  drame 
émouvant  auquel  les  auteurs  nous  font  assister. 

Saint-Bernard  a  tracé  des  Templiers  un  superbe 
tableau  que  nous  croyons^ intéressant  de  reproduire. 
«  Ils  vivent  sans  avoir  rien  en  propre,  dit-il,  pas  même 
leur  volonté;  ils  sont,  pour  l'ordinaire,  vêtus  simple- 
ment et  couverts  de  poussière  ;  ils  ont  le  visage  brûlé 
des  ardeurs  du  soleil,  le  regard  fixe  et  sévère.  A  l'ap- 
proche du  combat,  ils  s'arment  de  foi  au  dedans  et  de 
fer  au  dehors;  leurs  armes  sont  leur  unique  parure  ;. 
ils  s'en  servent  avec  courage  dans  les  plus  grands 
périls,  sans  craindre  ni  le  nombre,  ni  la  force  des  bar- 
bares. Toute  leur  confiance  est  dans  le  dieu  des  armées, 
et,  en  combattant  pour  sa  cause,  ils  cherchent  une  vic- 
toire certaine  ou  une  mort  sainte  et  honorable.  Oh  ! 
l'heureux  genre  de  vie  dans  lequel  on  peut  attendre  la 
mort  sans  crainte,  la  désirer  avec  joie,  et  la  recevoir 
avec  assurance!  « 

Et  le  caractère  religieux  de  cette  chevalerie  héroï- 
que était  accentuée  par  la  devise  brodée  sur  la  bannière 
noire  et  blanche  qu'ils  nommèrent  Beauséant  :  Non 
nobis.  Domine,  sed  nomini  tua  da  gloriam. 

Chose  étrange,  et  qui  montre  la  fatalité  qui  préside 
aux  destinées  humaines,  c'est  l'Eglise  qui  écrasa,  après 
un  siècle  et  demi  de  gloire,  cet  ordre  issu  de  l'Eglise. 
Comblés  d'immunités  et  de  privilèges,  les  Templiers, 
que  leurs  aventureuses  expéditions  en  Palestine,  leur 
bravoure  à  Tibériade,  à  Gaza,  à  Damiette,  sous  les 
murs  de  Jérusalem,  à  Saint-Jean  d'Acre,  avaient  ren- 
dus fameux  par  toute  la  terre,  possédaient  neuf  mille 
manoirs  dans  la  chrétienté.  Au  royaume  de  Valence 
seul,  ils  avaient  édifié  dix-sept  places  fortes.  Ils  avaient 
acheté  l'île  de  Chypre.  A  Paris,  le  Temple  enfermait 
dans  son  enceinte  le  tiers  de  la  ville,  soit  une  superficie 
de  cent  vingt  à  cent  trente  hectares. 

La  haine  qui  lentement  s'infiltra  dans  les  cœurs 
contre  le  formidable  sanctuaire  où  étaient  religieuse- 
ment gardées  ks  mystérieuses  coutumes  d'autrefois, 
provient,  selon  les  historiens,  de  causes  diverses. 

De  la  part  du  roi,  c'était,  d'une  part,  la  cupidité;  le 
trésor  épuisé  avait  grandement  besoin  d'être  renouvelé, 
et  comme  déjà  les  juifs  avaient  été  chassés  du  royaume 
(le  roi  avait  donné,  précisément  en  1307,  la  dernière 
synagogue  à  son  cocher  Jean  Pruvin),  les  Templiers 
seuls,  avec  leurs  richesses  colossales,  pouvaient  répa- 
rer les  désordres  financiers  du  gouvernement.  C'était, 
en  outre,  une  blessure  aiguë  faite  à  son  amour  propre. 
Il  avait  brigué  l'honneur  d'être  reçu  Templier,  aspi- 
rant secrètement  à  la  gloire  de  devenir  grand-maître  de 
l'Ordre.  Jamais  sa  vanité  n'oublia  le  refus  qu'il  essuya. 
Enfin,  les  Templiers  passaient  pour  avoir  off'ert  au 


pape  Boniface  VIII,  dans  ses  démêlés  avec  le  roi,  des 
secours  en  hommes  et  en  argent.  Et  le  bruit  courut 
même  que  les  Templiers  n'avaient  pas  été  étrangers  ' 
au  soulèvement  populaire  qui  aboutit  au  sac  de  la  mai- 
son d'Etienne  Barbette. 

De  la  part  de  l'Eglise,  c'était  la  colère  de  voir  son 
influence  balancée  par  celle  d'un  ordre  qui,  ne  dépen- 
dant directement  que  du  pape,  était  en  réalité  son 
propre  juge  et  tenait  son  autorité  en  échec. 

D'ailleurs,  le  pape  n'était-il  pas  une  créature  du  roi? 
Toujours  est-il  qu'aussitôt  l'arrestation  des  malheureux, 
le  lendemain  des  funérailles  de  la  comtesse  de  Valois, 
une  bulle  d'excommunication  fut  lancée  par  Clément  V, 
contre  toute  personne  qui  leur  prêterait  secours,  aide 
ou  asile. 

A  ces  causes,  certains  historiens  en  ajoutent  une 
autre,  d'une  philosophie  raffinée.  C'est  que  le  peuple, 
prosaïque  et  avili,  avait  perdu  la  notion  du  symbole, 
avait  renié  la  poésie  des  époques  disparues.  Il  tourna 
sa  fureur  contre  le  Temple,  parce  que  dans  ses  murs 
s'étaient  réfugiés  les  derniers  vestiges  des  mystères 
pieusement  légués  par  les  âges  naïfs.  «  Cet  événement, 
dit  un  chroniqueur,  n'est  qu'un  épisode  de  la  guerre 
éternelle  que  soutiennent  l'un  contre  l'autre  l'esprit  et  la 
lettre,  la  poésie  et  la  prose  «.  Et  selon  la  belle  expres- 
sion de  Michelet,  'avec  le  Temple  s'évanouit  la  dernière 
rêverie  du  moyen-âge.  Peut-être  peut-on,  y  joindre 
aussi  la  haine  instinctive  des  masses  contre  toute  aris- 
tocratie. 

Les  auteurs  moins  favorables  à  nos  héros  ont  semé, 
il  est  vrai,  cette  légende  chevaleresque  de  quelques 
points  noirs.  Non  pas  uniquement  qu'on  accusât  ces 
moines-soldats  d'avoir  à  l'égard  du  dieu  Bacchus  des 
complaisances  exagérées.  Il  est  acquis,  aujourd'hui, 
que  l'expression  "  boire  comme  un  Templier  «  a  été 
créée  de  toutes  pièces  postérieurement  à  la  destruction 
de  leur  ordre  M.  Baluze,  à  qui  rien  n'a  échappé, 
affirme  ne  l'avoir  jamais  rencontrée  auparavant.  En 
revanche,  on  disait  couramment  :  «  boire  comme  un 
pape  ».  Au  surplus,  n'est-ce  pas  «  boire  comme  un 
temprier  "  qu'il  faudrait  dire,  c'est-à-dire  comme  un 
verrier,  les  souffleurs  de  verre  ayant  toujours,  et  pour 
cause,  la  gorge  altérée? 

Mais  ce  n'est  pas  à  ce  mignon  péché  que  se  réduisent 
les  accusations  dirigées  contre  les  chevaliers  du  Temple. 
Des  habitudes  trop  orientales,  certaines  compromis- 
sions avec  les  Sarrazins,  l'usage  de  la  magie,  qu'on  leur 
reprochait  à  tort  ou  à  raison,  finirent  par  exciter 
contre  eux  la  réprobation  générale. 

Pour  donner  une  idée  du  procès  qu'on  leur  fit,  nous 
détachons  des  cent  vingt- sept  chefs  d'accusation  quel- 
ques-uns des  plus  curieux.  Qu'on  nous  pardonne  l'exten- 
sion que  prend  cette  étude.  Les  détails  historiques  que 
nous  groupons  ici  nous  paraissent  plus  attrayants  pour 


nos  lecteurs  que  l'analyse  du  livret,  qui  a  été  publiée  par 
tous  les  journaux  quotidiens;  et  d'ailleurs,  la  brochure 
sera  demain  dans  toutes  les  mains. 

Voici  ces  étranges  griefs  sur  lesquels  eut  liefu  une 
enquête  horrible,  accompagnée  de  tortures  dans  les- 
quelles trentre-six  chevaliers  expirèrent  et  dont  la 
solution  fut  le  supplice  du  feu  qui,  dans  l'opéra  de. 
MM.  Adenis,  Silvestre  et  Bonnemère,  termine  le  der- 
nier tableau  du  cinquième  acte. 

i°  Que  les  Templiers  no  croyaient  pas  en  Dieu  ; 

2"  Qu'aijssilôl  après  avoir  616  reçus  clans  TOrdre,  tout  nouveau 
Templier  était  tenu  de  renier  Dieu,  de  marcher  sur  la  croix  et  de 
cracher  dessus  ; 

H'^  Qu'ils  adoraient  une  tête  de  bois  aux  yeux  brillants  comme 
la  clarté  du  ciel  et  portant  le  nom  de  Baffomet. 

Michelet  donne  sur  cette  idole  des  détails  intéi^es- 
sants.  Selon  les  uns,  c'était  une  tête  barbue,  d'autres 
disaient  une  tête  à  trois  faces.  Selon  quelques-uns, 
c'était  un  crâne  d'homme.  D'autres  y  substituaient  un 
chat.  D'après  les  plus  nombreux  témoignages,  c'était 
une  tête  effrayante  à  longue  barbe  blanche,  aux  yeux 
étincelants.  Ce  qu'il  y  a  de  certain,  ainsi  que  le  rap- 
porte Raynouard,  c'est  qu'on  saisit  une  tête  au  cha- 
pitre de  Paris.  Les  Templiers  déclarèrent  que  c'était 
une  relique,  la  tête  d'une  des  onze  mille  vierges.  Elle 
avait  une  grande  barbe  d'argent. 

•  • 

4"  Qu'ils  avaient  trahi  saint  Louis  quand  il  avait  été  fait  pri- 
sonnier en  Terre-Sàinto; 

5°  Qu'ils  avaient  vendu  les  chrétiens  aux  infidèles; 

6°  Qu'ils  avaient  puisé  dans  le  trésor  royal  confié  k  leur  garde; 

7°  Qu'ils  commettaient  entre  eux  des  actions  contraires  aux 
mœurs  ;  "  . 

8"^  Que  lorsqu'un  enfant  venait  à  naître  d'une  femme  et  d'un 
Templier,  ils  se  rangeaientjous  en  rond,  se  passaient  l'enfant  de 
mains  en  mains  jus(|ii'à  ce  qu'il  fût  mort,  après  quoi  ils  le  fai- 
saient rôtir  et  se  servaient  de  la  graisse  pour  oindre  leur  idole  h 
la  tête  de  bois  ; 

9*^  Qu'ils  avaient  coutume  d'avaler  les  ccgidres  des  frères  morls; 

10'*  Qu'ils  se  ceignaient  les  reins  d'une  ceinture  destinée  h 
détruire  certains  maléfices; 

11»  Qu'ils  recevaient  la  défense  de  baptême  et  qu'ils  n'entraient 
qu'à  reculons  dans  une  maison  où  se  trouvait  une  femme  nouvel- 
Jement  accouchée. 

Tels  sont  les  »  cas  et  forfaits  pour  quoy  les  Templiers 
furent  pris  et  condamnés  à  mourir  ". 

L'exécution  eut  lieu,  ainsi  que  nous  le  disons  plus 
haut,  à  deux  reprises.  Et  très  habilement,  les  auteurs 
ont  tiré  parti,  comme  d'un  puissant  élément  scénique, 
de  la  malédiction  que  Jacques  de  Molay,  au  moment 
suprême,  prononça  contre  le  roi  et  contre  le  légat  du 
pape,  en  les  ajournant  tous  deux  à  comparaître  dans 
Tannée  devant  le  tribunal  de  Dieu.  On  sait  que  l'un  et 
l'auti'e  moururent  avant  l'expiration  de  l'année.  Peut-^ 
être  la  légende  populaire  a-t-elle,  dans  la  suite,  créé  la 


scène.  Mais  elle  est  actuellement  si  bien  mêlée  au  récit 
du  supplice  qu'elle  est  désormais  acquise  à  Tliistoire. 
Ceux  qui  auront  bien  voulu  nous  suivre  dans  ce  petit 
exposé  d'une, des  plus  émouvantes  périodes  de  l'histoire 
de  France  apprécieront  ce  qu'il  y  a  dans  les  Tenij)liers 
de  réel,  et  la  part  faite  à  l'imagination,  à  ce  qu'en  com- 
mençant nous  avons  nommé  les  exigences  du  théâtre, 
si  souvent  incompatibles  avec  la  rigoureuse  exactitude 
des  faits.  ^ __^ 

CÉKÉHOiME  DUltOIS 

Le  discours  de  Camille  Lomonnier,  que  nous  reproduisons  ici,  a 
précisé  la  porlée  et  le  caractère  de  la  superbe  manifestation  dont  la 
mémoire  de  Louis  Dubois  a  été  l'objet.  Deux  cents  artistes  furent 
présents  au  .cimolière,  douloureusement  émus  au  ressouvenir  des 
injustes  dédains  dont  on  affecta  d'entourer  l'artiste  durant  sa  vie  et 
dont  la  mort  même  ne  le  délivra  pas. 

Le  double  X  des  Viugt,  formé  d'immortelles  rouges,  fut  déposé  sur 
la  toiiibe  qu'orne  désormais  le  médaillon  modelé  par  Charles  Van 
der  Stappen  à  la  ressemblance  du  peintre  mort.  Et  religieusement, 
tète  nue,  dans  une  comnmnauté  de  regrets  et  d'aspirations,  l'assis- 
tance écoula  ces  belles  paroles,  prononcées  d'une  voix  vibrante  par 
celui  qui  a  été  l'ami  le  plus  intime  du  maître  : 

3IESDAMES,  Messieurs^ 

Je  viens  saluer  dans  la  gloire  cl  la  tombe  la  ûrrandc  conscience 
d'arlisie  qui  fut  Louis  Dubois.  Nul  ne  poussa  plus  loin  la  probité 
du  travail  ;  nul  ne  lit  i»rcuve  d'un  plus  ferme  attachement  à  son 
art;  nul  ne  porta  plus  superbement  le  nom  de  peintre.'  El  c'est 
pourquoi,  niiiimcnanl  qu'il  n'est  plus,  il  nous  apparaît  très  grand, 
debout  sur  son  œuvre,  dans  l'universel  et  respectueux  silence  de 
ses  contemporains. 

La  mort,  du  moins,  i>our  lui  qui  ne  connut  que  les  affres  de 
la  vie,  a  clé  la  jiislicière  et  la  réparatrice.  Elle  l'a  vengé  du 
dédain  des  sols,  de  l'indifférence  des  foules,  de  l'oubli  de  ceux 
qui,  dans  ses  détresses,  auraient  dû  lui  tendre  la  main  et  ne 
l'ont  }ias  fail.  Sur  la  pierre  qui  le  recouvre,  elle  a  buriné  :  «  Ici 
repose  un  maître.  »  En  sorte  que  cette  même  terre,  sur  laquelle 
il  a  peiné  et  souffert  plus  qu'aucun  autre,  lui  est  devenue  seule- 
ment clémenle  el  légère  le  jour  où  par  dessus  ses  os  elle  a  scellé 
rélernilé. 

■  Je  veux  m'atlarder  à  ces  mélancolies  avant  de  passer  à  des 
paroles  plus  sereines.  Aussi  bien  la  lutte  fut-elle,  chez  ce  vaillant 
trempé  pour  le  combat,  si  intimement  associée  à  l'existence  que, 
même  pendant  les  secousses  de  l'agonie,  alors  qu'il  voulait  vivre 
encore  et  que  la  vie  ne  voulait  plus  de  lui,  il  semblait  ne  pou- 
voir se  résigner  à  quitter  la  bataille.  Tout  couvert  de  son  sang, 
la  bouche  ouverte  aux  rouges  hoquets  par  lesquels  s'en  allait 
son  souftle,  il  défiait  la  camarde  comme  jusqu'au  dernier  jour  il 
avait  défié  la  bêtise  el  la  cruauté  de  ses  contempteurs.  Jamais  sa 
maturité  n'avait  été  plus  puissante;  il  portait  dans  la  tête  un 
monde  de  sensations  longuement  couvées  el  qui  allaient  ruisse- 
ler sur  ses  toiles;  par  un  travail  douloureux  el  incessant,  il  avait 
enfin  conquis  le  secret  d'évoquer,  dans  >es  miroirs  sacrés 
de  l'art,  la  lumière,  la  chair,  les  éblouissantes  visions  aux- 
quelles s'étaient  allumées  ses  prunelles.  Qui  oserait  encore  le 
contester  îi  présent?  Dans  cette  alchimie  de  la  peinture  qui  subli- 
mise  en  les  élernisanl  l'émotion  el  l'éclair  perçus  par  l'âme  el  les 


yeux,  il  pouvait  compter  des  rivaux,  m^is  des 'supérieurs,  bien 
peu  !  Et  c'est  en  ce  moment,  c'est  dans  la  j)leine  circulation  de 
ses  sèves  spirituelles  (ju'il  est  frappé.  En  le  touchant  au  cœur, 
ce  cu^ur  généreux  dont  les  battements  pressés  semblaient  ryth- 
mer le  vol  ailé  de  ses  louches,  l'inexorable  destinée  a  pour 
jamais  tari  la  source  des  beaux  songes  qu'il  eût  glorifiés  dans 
la  splendeur  de  ses  pinceaux. 

Au  moins  voudrait-on  s'illusionner  do  l'idée  que  celle  vie  si 
brève  et  si  reniplie  tout  à  la  fois  de  traverses  et  de  labeurs,  con- 
nut les  trêves  pacifiantes.  Il  n'en  fut  rien;  la  médiocrité  bour- 
geoise ne  sut  point  lui. pardonner  sa  rude  intransigeance  ni  sa 
libre  pousse  de  belle  plante  humaine  engendrée  en  plein  terreau, 
loin  des  atmosphères  desséchantes  et  des  méthodes  d'élevage 
artificiel.  Alors  que  son  art,  si  cordial  el  si  franc,  s'offrait  natu- 
rellement aux  conciliations,  le  dénigrement,  la  mauvaise  foi,  le 
sarcasme  s'efforçaient  de  circonvenir  cet  homme  qui  marchait 
seul  dans  ses  voies.  Jusqu'au  bout  il  connut  le  supplice  de  se 
voir  livré  aux  risées  stupides.  Jusqu'au  bout  il  dut  disputer  el  sa 
chair  el  son  cerveau  aux  crocs  des  bêtes.  S'il  ne  fui  pas  entamé, 
c'est  qu'il  portait  une  cuirasse  contre  laquelle  les  morsures 
s'émoussaient,  je  veux  dire  son  ironique  et  indéfectible  fierté. 
Fièrement  il  vécut,  portant  sa  pauvreté  comme  une  pourpre, 
plutôt  que  de  mendier  les  faveurs.  Ses  amis  mêmes  ne  savaient 
pas  toujours  démêler  l'amer  désenchantement  qui  chez  lui  se 
déguisait  sous  un  rire  méprisant.  Il  pratiqua  l'art  à  la  façon  de 
ceux  qui,  dédaignant  d'en  vivre,  se  résignent  h  en  mourir.  Et  il 
en  mourut,  en  effet,  il  mourut  de  tout  son  grand  labeur  inulile, 
de  toutes  ses  aspirations  avilies,  de  cette  flamme  de  génie  qu'il 
avait  dépensée  inépuisablement  et  qui  n'avait  pas  apitoyé  les 
foules  imbéciles.  " 

A  présent  que  la  paix  s'est  faite  autour  de  celle  mémoire,  à 
présent  que  ceux-là  même  cjui  le  méconnaissaient  l'acclament  et 
revendiquent  une  place  parmi  ses  admirateurs,  on  se  ferait  malai- 
sément une  idée  des  basses  et  féroces  rancunes  que  soulevait, 
partout  où  elle  se  produisait,  cette  peinture  d'un  peintre  de  race, 
trop  personnel  pour  se  rallier  aux  esthétiques  courantes  et  qui 
menait  sa  dignité  à  n'accepter  de  leçon  que  de  la  nature.  Il  exis- 
tait une  entenle  commune  pour  ridiculiser  la  structure  inégale, 
mais  toujours  volontaire  el  nourrie  de  son  dessin,  déprécier  l'in- 
tensité et  la  chaude  harmonie  de  son  coloris,  remettre  en  discus- 
sion, en  les  analysant  séparément  au  lieu  de  les  prendre  dans  leur 
indissoluble  unité,  les  éléments  de  ce  temj)érament,  l'un  des  plus 
vigoureux  et  des  plus  sains  qu'ait  produits  l'école  belge.  On  ne 
voulait  pas  convenir  qu'en  ce  riche  organisme  tout  d'une  pièce, 
les  irrégularités  Venaient  de  l'excès  el  du  despotisme  des  qualités 
dominantes.  La  critique  elle-même  se  faisait  l'écho  des  brocards 
qui  amusaient  la  galerie  devant  ces  morceaux  de  vie  grasse,  dans 
lesquels  une  main  à  la  fois  sanguine  el  nerveuse  avait  versé  les 
sensualités  de  la  chair,  répandu  le  frisson  électrique  de  l'être,  fait 
passer  un  peu  du  souffle  et  de  la  palpitation  de  l'animalité  éparse 
sur  la  terre.  Une  épithète,  une  injure  servait  surtout  gi  ce  temps 
à  caractériser  l'unanime  réprobation  contre  cet  art  qui  opposait 
la  vérité  du  modèle,  mais  magnifiée  par  les  prestiges  de  l'exécu- 
tion, aux  illusoires  et  déconcertantes  conventions.  Si  incompres- 
sible encore  était  l'attrait  de  la  friperie,  du  mannequin  et  de  la 
routine  qu'il  semblait  allenlaioire  aux  bonnes  mœurs  de  se 
départir  du  canon  traditionnel  et  de  représenter  la  nature  aulrc- 
menl  qu'à  travers  les  exécrables  poncifs  inventés  par  d'ignares 
pédagogues.  Réaliste!  clamaient  en  chœur  les  oies  du  Capilole, 


cliariTéos  cl(^  vcilliM-  au  salut  do  la  Doctrine  académicîiio;  réaliste  ! 
gémissaieiil  los  personnes  bien  éhîvées,  entrelenu(>s  dans  la  con- 
sidt';ration  des  vérins  doinesli(nios  de  l'ail;  réaliste!  répélail  la 
badand(M-ic  ahoyeuse  à  la  vue  de  ces  piii^es  allumées  d'un  reflcît 
de  soleil  et  pétries  avec  une  poignée  du  limon  dont  nous  sommes 
fails  nous-mêmes.  Ainsi,  h  peu  près  vers  la  même  épo(|uc,  un 
aulre  grand  peintre,  avec  lequel  Dubois  devait  par  monjents  se 
rencontrer  en  de  si  fra[)pantes  analogies,  Courbet,  était  bafoué 
par  la  mociuerie  des  cuistres.  El  cetK;  qualification  (pie  b^s  maîtres 
du  passé,  surlout  les  nôtres,  eussent  acce|)lée  avec  orgueil,  parce 
qu'elle  convenait  à  leur  bon  i?ens  natif  et  à  leur  rude  franchise, 
impliquait  le  blâme  d'on  ne  sait  (pielle  grossièreté  incurable  (|ui 
s'étendait  à  Texislence  même  de  l'homme.  Réaliste!  comme  si,  à 
travers  ce  tamis  des  siècles  qui  crible  les  nniommées  et  ne  garde 
que  l'essenciî  des  génies,  ceux-lli  uni(piement  ne  se  sont  pas 
émiellés  en  poussière  qui  ont  aHirmé  [)Our  le  vrai  leur  tendresse 
immortdie  ! 

Peut-êire,  après  tout,  convient-il  de  ne  point  se  montrer  trop 
rigoureux  pour  les  esprits  rétifs  (pii,  il  y  a  (|U('biiie  vingl-cincj  ou 
trente  ans,  n'acc(,q)laient  r(euvi(!  d'art  que  comme  un  mécanisme 
cérébral  régi  par  un  idéal  abstrait,  sans  rapport  immérlial  avec 
les  évidences.  Constamment,  il  s'est  vu  des  natures  inquiètes  et 
mal  débrouillées  que  la  vérité  offensait  et  qu'un  besoin  puéril 
d'illusion  inclinait  vers  les  ilalteries  et  le  mensonije  d'une  sorte 
de  transfiguration  de  l'humanité  et  de  la  nature.  Même  auiour- 
d'hui,  malgré  les  philosoi)hies,  les  méthodes  expérimentales  et 
l'immense  soif  de  cerlilude  qui  dislingue  cette  fin  de  siècle,  ne 
fait-on  pas  encore  un  grief  à  l'artiste  de  s'attacher  trop  impérieu- 
sement à  l'exactitude  delà  notation  sous  prétexte  qu'il  faut  laisser 
une  part  h  des  aspirations  chimériques  et  crépusculaires  qui  sont 
comme  l'hystérie  des  âmes  anémiées,  incapables  d'affronter  la 
lumière  des  fails;  et  n'est-il  pas  toujours  entendu  que  certaines 
vérités  seules  sont  bonnes  à  exprimer,  peut-être  parce  que  les 
autres  aboutiraient  à  de  pénibles  aveux  et  de  désolantes  consta- 
tations? La  même  horreur  du  vrai  qui  ameulait  les  résistances 
devant  les  œuvres  de  Courbet  et  de  Dubois,  poursuit,  à  travers 
le  temps,  les  i)onseurs  trop  probes  pour  abdiquer  leurs  attaches 
avec  les  frères  malheureux  qui  autour  d'eux  'raient  et  panlèlent 
sur  les  calvaires  de  la  vie. 

Dubois,  lui,  incarnait  la  passion  vivace  des  matérialités,  la 
sensibilité  de  l'œil,  la  joie  si  humaine  de  la  lâche  chatoyante  et 
lumineuse.  Observez  combien,  à  travers  les  soucis  et  les  tiraille- 
ments de  l'existence,  sa  couleur,  toujours  opulente,  glorieuse, 
royale,  donne  l'impression  d'un  esprit  invulnéré,  célébrant  en 
des  strophes  éclatantes  les  splendeurs  sidérales,  les  triom- 
phes de  la  vie,  les  délectations  de  l'âme  et  du  corps.  Sur 
cette  palette  où  les  vermillons,  les  cinabres,  les  laques  sanglantes 
s'aUernent  avec  les  bleus  lazulites,  les  pâles  lurquoises,  les  verts 
véronésiens,  dans  des  accords  profonds  et  soutenus  évocjuant  de 
bien  autres  enchantements  pour  l'esprit  que  les  fadaises  et  les 
reiigaines  des  prétendues  idéalisations,  c'est  comme  l'apogée 
éternisée  d'un  automne  sous  déclin,  à  la  fois  apaisé  et  fulgurant, 
où,  dans  les  halliers  roux,  sous  les  flambes  mourantes  d'un  ciel 
d'améthystes  et  de  saphirs,  se  promèneraient  de  belles  femmes 
mûres,  tordant  entre  leurs  poings  des  crinières  embrasées  de 
soleil.  Celte  peinture  aux  tons  de  fleurs  et  de  fruits,  chauffée  en 
ses  clairs-obscurs,  d'un  magique  rayon  septentrional,  est  comme 
une  aspiration  au  bonheur,  mieux  encore,  comme  une  gourman- 
dise satisfaite,  un  désir  des  sens  accompli.  Sa  plénitude  et  sa 


.   richesse  font  qu'elle  s'associe  à  des  pensées  bonnes,  sereines, 

joyeuses,  comme  si  l'arliste  (pii  en  attisa  les  lumières  aux  brasiers 

de  son  rêve,  avait  chaulé,  en  cette  musi(ju(;  des  yeux,  les  calmes 

et  les  douceurs  d'une  vie  immobilisée  dans  la  possession  des 

,  choses  heureuses. 

Hélas!  ce  n'était  là  que  l'illusion  d'un  court  moment  d'oubli 
pa'rmi  les  heures  lourdes  qui,  pareilles  h  des  mailles  de  plomb, 
enchaînaienl  ce  grand  travailleur.  Le  songe  finissait  avec  la  vibra- 
lion  du  dernier  coup  de  |)inceau;  â  peine  resj)rit,av,iil-il  re[)loyé 
son  aile  (pie  la  malforliine  venait  raitacher  le  boulet  des  ennuis 
quotidiens.  Quelques  amateurs  raOinés  donnaient  l»ien,  en  lui 
acheianl  ses  tableaux,  la  fireiive  d'une  intelligence  affranchie  de 
préjug(''S,  S'il  en  esl  ici,  (|u'ils  accueillent,  au  nom  des  fidèh-s  de 
Dubois,  un  hommage  mt-rité  jjour  leur  foi  dans  un  falenl  alors 
suspect  et  volonlaii-ement  tenu  sous  le  boisse;iu.  )lais  ces  amis 
généreux  n'abondaient  |)as;  aux  Salons,  un  même  aeharnement 
s'alta(|uail  toujours  â  ses  toiles.  Quanta  un  ajtpui  parii  (h;  plus 
haut,  on  sait  de  quelle  cécité  sans  bornes  sont  allligf's  les  admi- 
nistrateurs chargés  des  Beaux-Arts.  Je  ne  veux  plus  savoir  leur 
nom;  une  fois  disparus,  ils  échappent  à  la  mémoire  parleur 
obscurité;  il  suffit  (ju'ils  s'a[)peilent  Bureaux,  Or,  do  toutes  les 
sottises  humaines,  la  soitise  otïiciello  esl  peulnîlre  la  plus  inamo- 
vible. On  s'en  aperçut  bien  h  propos  de  Dubois,  de  Dubois 
insoup(;onné  d'eux  et  qifils  hiissèrent  mourir  à  la  peine,  alors 
qu'un  ir.tvail  —  non  une  aumône  —  eût  allégé  à  ses  épaules  le 
faix  sous  Ie(iuel  il  ployait,  et  du  même  coup  eût  honoré  l'Elal. 

Il  fallut  s;i  d'sjtai-ition  d'cMilre  les  vivants,  il  fallut  le  deuil  et  la 
clameur  gé-n^rale  de  ses  confrères  pour  ((u'on  rema-rquât  que 
là-bas,  au  Musée,  au  panlhéon  des  modernes,  une  place  manquait 

■  à  côté  des  vrais  maîtres,  qui  eût  été  bien  faite  pour  un  maître  de 
sa  carrure,  et  qu'un  vide  demeurait  béant  qu'il  eût  dû  occuper 
pendant  la  vie  et  qu'il  ne  pourrait  plus  occuper  (Qu'après  la  mort. 
Peut-être  avait-on  redouté,  pour  ces  collections  nationales  infes- 
tées par  la  décrépitude,  l'absence  de  personnalité,  un  étalage  de 
médiocrités  ronflantes  et  chamarrées,  le  contagieux  exemple  de 
ce  tempérament  insoumis,  mal  discipliné,  outrancier,  qui,  en  un 
pays  où  il  faut  être  quehjue  chose  pour  être  quelqu'un,  el  où  on 
ne  pardonne  pas  à  un  homme  de  n'avoir  simplement  que  du 
talent,  s'était  imaginé  pouvoir  se  passer  d'une  médaille,  d'une 
place  ou  d'un  ruban  ! 

Il  est  de  iradilion  chez  nous,  je  le  sais,  d'ignor.r  la  jeunesse, 
le  mérite,  l'honneur  jusqu'au  jour  où  le  irou  ((u'ils  laissent  der- 
rière eux,  en  disparaissant,  réveille  enfin  la  conscience  publi([ue. 
Il  faut  que  la  mon  vienne  secouer  celte  stupéfiante  léthargie  d'un 
peuple  pour  lui  apprendre  (juelles  âmes  il  a  penkn^s.  El  tantôt 
elle  lui  jette  le  nom  de  Charles  De  Cosler,   tué  par  le  silence  el 

l'isolement  sur  ses  pages  inachevées,  lanlôl  le  nom  de  Bouleng(T 
expiant. à  quarante  ans  la  misère  et  le  délaissement  des  débuts; 
tantôt  le  nom  de  Louis  Dubois,  fra[)pé  comme  le  taureau  entre 
les  cornes  pour  n'avoir  point  pàluré  l'herbage  officiel.  Ah!  il 
s'allonge  le  funèbre  mariyrologe,  il  s'étend  le  désespérant  cor- 
tège des  ombres!  Quiconque  d'en're  nous  porte  un  cœur  libre 
dans  sa  poitrine  el  se  refuse  à  reconnaître  le  despotisme  des 
majorités,  quelles  qu'elles  soient,  n'est  pas  assuré  de  ne  point 
aller  à  son  tour,  sur  ce  chemin  des  suppliciés,  les  bras  en  croix, 
grossir  le  nombre  de  ceux  qui  avaient  mérité  l'universel  respect 
et  meurent,  la  face  déchiiiuetée  par  les  corbi^aux,  payant  de  leurs 
jours  la  folle  illusion  d'illustrer  lé  coin  de  terre  où  ils  sont  nés. 
Patrie  ingrale  el  marâtre,  faudra-l-il  toujOurs  que  le  meilleur  el 


le  j)Iiis  pur  de  ton  sang  s'immole  sur  les  autels,  pour  laisser  la 
place  aux  Ihiiriléraires  de  la  routine,  aux  flatteurs  du  goût 
public,  aux  empoisonneurs  de  l'An  et  des  Lettres,  h  l'encombrant 
troupeau  des  intelligences  desquelles  il  est  permis  de  tout  atten-, 
dro,  hormis  un  poète  et  un  artiste? 

Un  groupe  d'amis  dévoués,  presque  tous  ses  compagnons  de 
luttes  et  plusieurs  ses  compagnons  de  souffrances,  a  permis,  du 
moins,  (ju'un  témoignage  matériel  survécût  au  peintre  qui  a 
illustré  noire  école.  Il  semble,  devant  ce  médaillon  où  Dubois 
revit  avec  son  masque  concentré  cl  pensif,  par  le  secret  d'un  art 
avivé  a  la  ferveur  du  souvenir,  il  semble  que  les  liens  qui  nous 
unissaient  Îï  lui  ne  se  sont  rompus  qu'il  moiiié,  qu'il  est  toujours 
j)résent  et  qu'il  va  descendre  vers  nous,  les  mains  ouvertes,  avec 
les  paroles  r/'ccnfortanles  el  viriles  que  rencontraient  invariable- 
ment, chez  ce  découragé  de  la  vie  jamais  découragé  de  son  art, 
les  hésitations. des  débuis,  les  tentatives  hardies  el  les  doutes  de 
soi-même,  plus  cruels  que  les  inexorables  certitudes.  Lai  forme 
périssable  qu'il  a  emportée  avec  lui,  ne  se  dissoudra  pas  tout 
entière  :  elle  rayonne  d;;ns  celte  recomposition  de  son  front  puis- 
sant, de  ses  sourcils  recourbés  pour  mieux  absorber  la  lumière, 
de  sa  lèvre  où  frémissait  l'éternel  mépris  de  la  sottise  et  des  pali- 
nodies. El  celui  dont  Thonnéte  latiT'wU'ut  si  mal  payé  tandis  qu'il 
était  de  ce  monde,  celui  qui  allait  oublié,  perdu  parmi  la  tourbe 
hostile  ou  indifférente,  maintenant  voit  s'empresser  autour  de 
lui,  dans  une  suprême  réhabilitation,  ses  émules,  ses  disciples 
el  ses  cadets.  Le  moment  est  solennel;  il  pèse  d'un  poids  décisif 
dans  les  balances  où  se  mesurent  les  renommées;  il  est  comme 
celte  minute  dans  le  temps,  la  seule  dont  nous  disposions  pour 
•tresser  des  couronnes,  et  qui  précède  l'entrée  dans  la  gloire  sans 
lendemain. 

Si  toutes  les  peines  ne  sont  pas  effacées  par  la  grandeur  do 
cette  cérémonie;  s'il  en  reste,  au  cœur  des  êtres  chers  qui  ont 
souffert  avec  lui,  une  inguérissable  amertume;  si,  comme  je  l'ai 
fait  tout  h  l'heure,  il  est  juste  qu'une  voix  en  perpétue  l'écho  et 
le  souvenir,  alhi  de  rendre  plus  éclatante  celle  noble  ligure, 
l'heure  présente  suffit  à  venger  l'artiste  des  opprobres  par  les- 
quels li's  esprits  sujjérieurs  s'acheminent  à  leur  douloureuse  et 
tardive  acceptation.         "*• 

Comme  les  soleils  roulant  derrière  l'horizon  enflannné  de  ses 
paysages,  Louis  Dubois  s'est  endormi  dans  les  pourpres  et  les 
ors  qui  lui  servaient  à  exaller  ses  visions.  C'est  à  travers  ce  lin- 
ceul magnifique,  composé  des  prismes  et  des  éclairs  de  sa  cou- 
leur, qu'il  apparaîtra  aux  hommes  de  plus  tard. 

Magicien  dans  l'art  de  fixer  les  tons,  il  appartenait  par  l'héré- 
dité à  celle  race  des  dérobeurs  de  lumière  dont  Rubens  el  Jor- 
daens  furent  les  Prométhées  souverains.  Comme  eux,  après  eux, 
il  fut  un  Mai  peintre  flamand,  nourri  des  chyles  du  terroir  et  qui 
n'aurait  pu  s'engendrer  ailleurs  (jue  dans  nos  atmosphères  miroi- 
tantes et  moites.  Un  peu  des  sèves  coulant  à  torrent  chez  ses 
sublimes  devanciers,  continue  à  bouillonner  à  travers  l'admirable 
sens  de  l'animalité  qui  le  caractérise.  Il  aimait  les  chairs  grasses 
el  fleuries,  les  viandes  palpitâmes  et  chaudes,  les  salins  de  la 
peau,  les  moires  veloutées  des  fourrures.  Une  sorte  d'épicurisme 
sensuel  ajoute  à  ses  natures-mortes  comme  le  rêve  de  s'absorber 
dans  l'ivresse  et  la  bonté  des  choses,  il  se  révéla  non  pas  uni- 
quement ouvrier  robusle  parmi  les  robustes,  mais  puissant  poète 
de  la  matière  traduisant  en  un  mode  presque  lyrique  les  voluptés 
de  la  table  et  <le  l'alcove.  Grande  leçon  qu'il  donne  à  ses  fds 
intelle(  tuels  :  il  fut  le  peintre  de  son  tempérament,  de  ses  dilcc- 


tions,  de  l'espèce  d'humanité  qu'il  portail  sous  sa  mamelle.  Dans 
un  temi)s  où  un  artiste  qui  ne  traitait  pas  Thistoire,  le  sujet  de 
piété,  le  mythe,  réputés  seuls  genres  nobles,  était  considéré 
comme  un  manouvrier  de  l'art,  il  donna  l'exemple  du  renonce- 
ment aux  dislinclions,  aux  faveurs,  aux  titres  en  n'écoutant  que 
son  génie  naturel  el  en  refusant  de  pactiser  avec  tout  ce  qui 
n'était  pas  son  instinct.  Il  apparaît  sinon  comme  un  novateur,  au 
moins  comme  l'initiateur  des  modernes  libertés  de  l'art,  à  l'en- 
trée de  cette  évolution  courageuse,  continuée  par  une  génération 
comblée  de  dons,  mais  concertée  au  début  par  un  groupe  d'élite, 
la  petite  chapelle  d'alors,  comme  on  a  toujours  appelé  en  notre 
immiséricordieux  pays  les  minorités  insurreclionnelles,  el  qui 
depuis  est  devenue  la  grande  église,  l'église  de  la  communion 
universelle. 

Vous  l'avez  bien  compris,  jeunes  artistes  qui  apportez  sur  celte 
tombe,  comme  un  fdial  tribut,  vos  palmes  et  vos  hommages.  Le 
peintre  que  vous  honorez  ainsi,  méritait  ce  large  et  sympathique 
concours  :  il  vous  a  ouvert  la  voie.  Il  a  fait  plus  :  de  son  sang, 
égoutté  sous  vos  pas,  il  vous  a  marqué  le  but.  Que  son  enseigne- 
ment soit  impérissable!  c'est  celui  d'une  existence  loul  entière 
vouée  à  la  religion  de  l'art  el  d'une  haute  conscience  que  ni  les 
rigueurs  du  sort,  ni  l'injustice  de  ses  compatriotes,  n'ont  pu  faire 
fléchir. 

L'aube  s'est  enfin  levée  pour  Louis  Dubois  :  nous  en  voyons  ici 
reluire  sur  ce  bronze  les  premières  clartés.. 

Au  seuil  de  la  postérité  qui  s'ouvre  devant  lui,  abrogeons 
donc  les  regrets  :  le  voilà  entré  dans  l'auguste  famille  des  esprits 
toujours  vivants.  Et  bien  plutôt  suivons-le  d'une  âme  tranquille 
à  travers  son  ascension  dans  l'admiration  et  la  gratitude  des 
hommes! 


Jhéatre   ^OLIÈRE 


De  plus  en  plus  romantique  el  mil-huil-cent-trente,  le  Molière. 
Et  voici  les  rapières,  el  les  justaucorps,  et  les  cuirassés,  et  les 
Jarnidieu!  et  les  meurtres,  et  les  poisons,  et  les  prisons,  et  les 
gibets,  el  les  «  je  t'aime  el  tu  vas  mourir  »,  ou  les  «  sois  à  moi 
dans  la  tombe  et  dans  l'enfer  ».  Quelle  diablesse  d'époque  et 
quelle  folie  de  tête  et  de  cœur!  Amusante  et  superbe  quand  même, 
surtout  si  derrière  Auguste  Maquet  on  devine  Hugo  et  derrière 
la  Belle  Gabrielle  la  tragique  Marion  Delorme. 

Raèonler  la  Belle  Gabrielle  nous  paraît  superflu.  Qui  n'en  con- 
naît, depuis  l'enfance,  la  populaire  histoire?  On  la  sait  dès  qu'on 
apprend  Henri  IV,  el  ce  dernier  nous  est  familier  depuis  le  col- 
lège et  le  temps  des  lectures  en  cachette  dans  les  pupitres  et  au 
dortoir. 

La  troupe  qui  nous  a  donné  la  Belle  Gabrielle  est  passable. 
Mais  les  rôles  <5laienl  étudiés  tant  bien  que  mal.  Aux  représenta- 
lions  suivantes,  bien  des  lares  ont  disparu,  paraîl-il,  et  aujour- 
d'hui la  mémoire  ne  fait  plus  défaut  au  cœur  dans  la  célèbre 
déclaration  d'amour  d'Espérance  à  Gabrielle. 

La  Maison  du  Baigneur  a  fait  suite  k  la  Belle  Gabrielle.  C'a 
été  un  succès. 


CORRESPONDANCE  MUSICALE  DE  PARIS 

A  défaut  de  nouveauté  musicale,  on  vient  de  disserter  à  perle 
de  vue  sur  la  question  du  Loliengrin  à  l'Opéra-Comique. 


LART  MODERNE 


31 


Du  plus  pclit  au  plus  grand,  chacun  a  voulu  dire  son  mol;  on 
a  versé  des  fiels  d'encre  cl  il  n'esl  pas  jusqu'il  M'"*-'  Adam  qui 
n'ail,  dans  une  émotion  trop  violente  et  par  elle  reconnue  comme 
telle,  remué  toutes  les  considérations  connues  et  archi-rcssassées. 

Cela  devient  fastidieux  :  env  oilà  assez.  M.  Carvalho  ne  jouera 
pas  Lchengrin  ;  il  n'y  tenait  pas  et  ce  n'esl  pas  à  lui  de  le  jouer. 
Attendons  une  entreprise  libre  —  ou  un  Lamoureux  du  théûlre. 

Les  concerts  Colonne  ont  reçu  les  avant-derniers  adieux  de 
M^^Krauss  au  public  parisien.  Ce  fut  une  bc-llç  séance,  oij  la  can- 
tatrice a  donné  loul  le  talent  dont  elle  dispose  et  dont  elle  sait  si 
bien  user  quand  elle  veut  remporter  un  succès.  Le  hnallieur  est 
qu'à  l'Opéra  M""^  Krauss  ne  se  donnait  pas  assez  souveni  la  peine 
d'émouvoir  son  public,  et  les  rôles  qu'elle  tenait  ne  pouvant  se 
contenter  d'un  jeu  pour  la  forme,  il  en  résultait  parfois  des  soirées 
médiocres. 

Dimanche  dernier,  c'est  Joachim  que  nous  prcsenlaienl  les 
mêmes  concerts  Colonne. 

Paris  n'avait  plus  entendu  le  grand  artiste  depuis  dix-huit  ans. 
La  guerre,  l'affreuse  guerre,  ayant  éloigné  de  nous  tout  virtuose 
germanisant,  c'est  de  loin  que  nous  entendions  parler  de  ce 
colosse  du  violon  qui  porta  ombrage  même  à  Vieuxtemps. 

Le  succès  de  Joachim  a  été  colossal,  et  c'est  justice.  Jeu  sobre, 
large,  précis,  sans  viser  à  la  sonorité,  d'une  émotion  sincère  et 
puissante,  classique  dans  la  force  du  terme,  c'est  le  violon  dans 
toute  sa  majesté!  El  après  l'exécution  du  concerto  de  Beellioven, 
qu'il  a  interprété  avec  beaucoup  d'autorité,  c'est  dans  une  Suite 
de  Bach  pour  violon  seul  qu'il  nous  a  ému  le  plus  profondément, 
tant  la  polyphonie  dans  un  violon  de  cette  force  a  de  charme  et' 
de  séduction. 

LaPatli  a  annoncé  ses  trois  concerts  à  l'Edcn-Théâtre,  où  elle 
chantera  les  cavatines  de  la  Traviata,  de  Linda  di  Chamounix 
et  V Ave  Maria  de  Gounod.  Ce  n'est  pas  précisément  nouveau, 
mais  ce  sera  si  bécarre  que  nos  millionnaires  font  déjà  queue  au 
bureau  de  location.  —  0  musique,  que  de  crimes  on  commet  en 
ton  nom.  Gutello. 

La  presse  a  accueilli  avec  la  plus  vive  sympathie  les  débuis  à 
Paris,  aux  Concerts  Lamoureux,  d'un  jeune  violoncelliste  belge, 
M.  Liégeois,  dont  nos  lecteurs  se  souviennent  pour  l'avoir,  à 
diverses  reprises,  vu  citer  avec  éloges  dans  ces  colonnes.  Voici, 
entre  autres,  ce  qu'en  dit  Gil  Blas  par  la  plume  autorisée  de 
M.  Victor  Wilder  : 

«  Ce  M.  Liégeois,  qui  sort  modestement  de  la  troupe  instru- 
mentale, où  il  fait  sa  partie,  tout  comme  un  autre,  pour  venir  se 
placer  à  l'avant-scène,  est  un  artiste  de  premier  ordre.  Je  con- 
nais beaucoup  de  violoncellistes  qui  se  donnent  comme  des  vir- 
tuoses et  rougiraient  de  se  confondre  dans  le  personnel  d'une 
troupe  instrumentale,  et  qui  pourtant  ne  vont  pas  à  la  cheville 
de  ce  modeste  musicien  d'orchestre.  Sans  embarras,  comme 
sans.|)0S'^,  M.  Liégeois  a  joué  son  bel  adiago,  avec  une  sonorité 
large  cl  une  ampleur  de  style  vraiment  admirable?.  On  peut  dire, 
en  empruntant  l'expression  pittoresque  échappée  à  la  plume 
d'un  de  mes  confrères,  qu'il  l'a  chaulé,  de  main  de  maître.  » 


Belgique:  Charles  Hermans,^  Léopold  Speekiert,  peintres; 
Auguste  Danse,  graveur. 

France  :  Albert  Dcsnard,  Claude  Monet,  Auguste  F^onoir,  Fré- 
déric Zandomeneghi,  peintres;  Ferdinand  Gailard,  |)eintre  et 
graveur;  Henri  Guérard,  graveur;  Odilon  Fiedon,  dessinateur; 
Joseph  Carriès,  sculpteur;  Oscar  Roty,  graveur  en  médailles. 

Pays-Bas  :  Isaac  Israëls,  G. -H.  Brcilnor,  peintres. 
.  ^?j^/e/e/re:  Clara  Montalba,  aquarelliste. 

//!rt/ig:  Adol[)lie  Monticelli,  peintre. 

Norwège:  Fredrik  Kolstô,  Christian  Krohg,  peintres. 

Etals-Unis:  William  Chase,  James  M.  Nei'll  Whisller,  peintres. 

LEssor  a  donné  vcnrlredi  une  séance  Wagner  fort  intéressante, 
dans  laquelle  on  a  en'endu  notre  excellent  pianiste  M.  Kéfer, 
M.  Lerminiaux,  violoniste,  MM.  Suy  et  Vandergoten,  clianleurs. 
Progr.imme  de  choix,  composé  de  fragments  de  Siegfried, 
Parsifal,  In  Wnlkiire,  les  Mai  très- Chanlèiirs,  Lohengrin. 

M.  Emile  Agniez  vient  de  composer  un  npéra-comiqne  en  un 
acte  sur  des  paroles  de  M.  Courtier.  La  première  aura  lieu  mardi 
prochain,  dans  les  salons  d'un  amateur  d'art  b<'ux(dlois. 


pETITE    CHROJ^iqUE 


Voici  la  liste  complète  et  détinitive  des  artistes  qui  participe- 
rout  au  prochain  Salon  des  A'A". 


Dans  l'universelle  sym[)athie  que  rencontra  le  touchant  hom- 
mage à  Louis  Dubois,  qu(^  nous  rapportons  ci-dessus,  il  s'est 
trouvé  une  voix  discordante.  El  cette  voix  a  élécelle  d'un  journal 
jeune,  qui  passe  pour  dévoué  aux  idées  jeunes.  Un  Monsieur  qui 
signé  -Millie-Chistinne,  sans  doute  p;irce  qu'il  est  à  double  face 
et  que  tandis  qu'il  guen-oie  pour  l'arl  indépendant,  il  fait,  en 
même  temps,  ris.'tie  aux  gi-ronics  de  l'art  officiel,  goguenarde  à 
propos  de  la» cérémonie,  lévlame  des  morts  complaisants  pour  la 
prochaine  manifestation,  se  met  en  dépense  de  plaisanteries. 

Cette  fornmle  nouvelle  de  «  zwansc  »  n'esl  pas  neuve.  Elle  est 
empruiilée  à  larsi'nal  de  M.  Frédérix,  (jui  l'inaugura  l'an  dernier 
à  propos  d'André  Van  Hassell. 

Nous  a.vons  dit  alors  ce  que  nous  pensions  de  ces  attaques 
d'hommes  qui  ne  mesurent  les  événements  qu'au  mètre  de  leur 
mesquinerie.  Elles  n'ont  pour  effet  que  de  marquer  définitivement, 
en  chiffres  connus,  la  valeur  de.ceux  qui  les  emploient. 

M'"^IdaCornélis-Servais,  cantatrice,  donnera  un  grand  concert, 
le  lundi  8  février  1886,  à  8  heures  du  soir,  en  la  salle  de  la 
Société  rovale  de  la  Grande-Harmonie,  avec  le  concours  de  : 
M"*^  Sophie  Cornélis,  .M'"'*  Flon-Botman, cantatrices;  M.  Alphonse 
Mailly^  l"  organiste  du  roi  ;  M.M.  Edouard  Jacobs,  violoncelliste, 
et  .Arthur  De  Greef,  planiste,  professeurs  au  Conservatoire  royal 
de  Bruxelles,  et  de  la  Société  royale  l'Orphéon,  sous  la  direction 
de  M.  Edouard  Bauwens. 

Un  grand  concert  de  charité  sera  donné,  le  vendredi  o  février, 
à  8  heures  du  soir,  dans  la  salle  du  Palais  di'S  Bi^aux-.\rts 
(entrée  rue  de  la  Kégence),  avec  le  gracieux  concours  de  : 
M"^»^  Lemmens-Sherringion,  M"»^*  .\lphonsine  Douilly  et  Evelyn 
Ponsonby,  MM.  Joseph  VVieniawski  et  Jenô  Hubay. 

MM.  Joseph  Wieniawski,  Jeno  Hubay  et  Edouard  Jacobs,  don- 
neront deux  concerts  (musique  de  chambre),  les  m;irdis  16  février 
el  2  mars  1886,  à  8  heures  du  sjir,  dans  l'une  des  grandis 
salles  du  Palais  des  Beau.\-Arls. 

Le  programme  contiendra  des  œuvres  de  Beeihovea,  Mozart, 
Schuuiann,  Bargiei,  Wieniawski  el  F\ubinstein. 

ET   JOURS   SUIVANTS   A  4   HEURES   DE   RELEVÉE 
aura  lieu  à  l'hôtel  des  ventes,  Boulevard  Auspach, 

à  Bruxelles 

ME  VENTE  DE  LIVRES  RARES 

dont   le    catalogue   sera  envoyé   gratuitement,    sur  demande,    par 
M«  Ed.  Cuarle,  huissier,  rue_du  Persil,  chargé  de  cette  vente. 


32 


V ART  MODERNE 


SIXIÈME  ANNÉE 

L'ART  MODERNE  sVsi  acquis  par  l'antoritô  ot  rindéiJcndanco  (1(î  sa  critiquo,  par  la  vai'iôié  do  ses' 
informations  et    l(»s   soins   donnés   à   sa    rédaction   une   place   prépondérante.    Aucnm^    nianitostaiion  de  l'Art  ne 

lui  est  étranirèro  :  il  s'occupe  de  littérature,  de  peinture,  de  sculpture,  de  gravure,  de  musique, 

d'architecture,  etc.  Consacré  principalement  au  mouvement  artistique  belge,  il  rcMiseigne  néanmoins  ses 
lecteurs  sur  tOUS  les  événements  artistiques  de  l'étranger  qu'il  importe  de  connaitre. 

Chaque  numéro  de  L'ART  MODERNE  s'ouvre  par  une  étude  approrondic^  sur  une  question  artistique 
ou  littéraire  dont  révénemcnt  de  la  semaine  fournit  l'actualité.  Les  expositions,  les  livres  nouveaux^  les 
prcmii'Tes  représentations  d'œuvres  dramatiques  ou  musicales,  les  conférences  littéraires,  les  concerts,  les 
ve)it('s  ({(iltjets  (rart,   font  tous  les  dimanches  l'objet  de  chroniques  détaillées. 

L'ART  MODERNE  relate  aussi  la  législation  et  la  jurisprudence  artistiques.  Il  rend  compte  des 
procès  les  plus  intéressants  concernant  les  Arts,  plaides  devant  les  tribunaux  belges  et  étrangers.  Les 
artistes  trouvent  toutes  les  semaijies  dans  son  Mémento  la  nomenclature  complète  des  expositions  et 
concours  aux(iuels  ils  piMivcnt  prendre  part,  en  Belgique  et  à  l'étranger.  11  est  envojé  gratuitement  à 
l'essai  pendant  un  mois  à  toute  personne  qui  en  fait  la  demande. 

L'ART  MODERNE  fo-rme  chaque  année  un  beau  et  fort  volume  d'environ  450  pages,  avec  table 
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beloved) 1.35 

N'o  2  Pour  l'absent. {Tomy  a\)sen\\o\e)  1.75 

îs*^3.  Chant  cC amour.  (Love  song)  .     .  1.75 

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.Sixième  année.  —  N^  5. 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  31  Janvier  1886. 


L'ART 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS.  :    Belgique,    un   an,    fr.    10.00;  Uniou   postale,    fr.    13.00.    —   ANNONCES    :    On    traite   à  forfait. 

Adresser  les  demandes  d  ahonnement  et  toutes  les  corninunico.tions  à 

l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


^OMMAIRE 


Le.s  Te.mpliers.  Deuxième  article. —  Mi-Diable,  par  Lëon  Cladel. 
—  Aux  ENRÉGIMENTÉS.  Paul  liaudry  —  Consp:rvatoire  royal  de 
Liège  Premier  concert.  —  Conférence  au  Cercle  artistique.  — 
Correspondance.  —  Mémento  des  expositions  et  concoure.  — 
Notes  de  librairie.  —  Petite  chronique. 


LES  TFJIPÙEKS 

Deuxième  diHicle. 

Tous  ceux  qui,  depuis  six  mois  qu'il  est  venu  planter 
sa  tente  à  Bruxelles,  ont  été  admis  à  Ihonneur  d'ap- 
procher Henry  Litolff,  ont  subi  le  charme  de  sa  nature 
expansive  et  coi^diale,  de  son  esprit  délié,  prompt  à  la 
répartie,  de  sa  fine  bonhomie,  galante  et  aimable,  nar- 
quoise parfois  sans  aller  jamais  jusqu'au  sarcasme.  Et 
la  verte  jeunesse  de  ce  petit  vieillard  alerte  qui  porte, 
dans  chaque  ride,  la  griffe  des  plus  romanesques  aven- 
tures, a  d'emblée  conquis  toutes  les  sympathies.  L'éclat 
de  ses  prunelles,  scintillantes  dans  le  parchemin  du 
visage,  éclaire  un  passé  si  tourmenté,  si  enchevêtré,  si 
fantasque,  à  la  fois  si  glorieux  et  si  douloureux,  qu'à  la 
séduction  de  son  accueil  toujours  courtois  se  mêle  l'at- 
trait des  mystères  dans  lesquels  a  plongé  sa  vie.  On  les 
pressent,  on  les  devine  à  demi  à  travers  de  rares  con- 
fidences, et  petit  à  petit,  à  mesure  qu'on  pénètre  dans 
l'intimité  de  ce  cœur  dont  l'âge  n'a  pas  ralenti  les  pul- 
sations, on  reconstitue  pièces  à  pièces  la  chevaleresque 
et  indomptable  figure  d'artiste  qui  tint  d'une  main  si 
robuste  sa  lyre  de  poète,  que  ni  la  cruauté  des  hommes. 


ni  les  colères  du  sort  ne  parvinrent  à  la  lui  arracher. 
«  Sa  vie  est  une  angoisse,  écrivait,  il  y  a  vingt-cinq 
ans,  Jules  Janin,  un  supplice,  un  charme  aussi.  Pas 
une  passion  qu'il  n'ait  épuisée,  et  pas  une  ivresse  qu'il 
n'ait  subie.  Il  est  dans  le  ciel,  il  est  dans  l'enfer.  Il  rit, 
il  chante,  il  pleure,  il  se  lamente,  il  désespère,  il  est 
plein  d'espoir.  Il  joue  avec  le  suicide,  avec  la  fortune, 
avec  la  renommée,  avec  la  gloire,  avec  la  misère,  avec 
les  tombeaux.  Que  de  plaintes  muettes,  que  de  gémis- 
sements sans  nom,  que  de  visions  douloureuses  dans 
cette  âme  au  dé.sespoir!  La  plus  extrême  fantaisie, 
enfant  des  liqueurs;  fortes  et  des  tabagies  silencieuses, 
Hoffmann  lui-même  aurait  peine  à  compo.ser  un  fan- 
tôme égal  à  celui-là  •'. 

Le  triomphe  remporté  par  Henry  Litolff  au  théâtre 
de  la  Monnaie  a  été  l'apothéose  de  cette  existence  que 
la  fièvre  a  menée  jusqu'à  la  vieillesse  sans  la  consumer. 
Et  ceux-là  même  qui  professent  sur  l'art  lyrique  des 
jdées  opposées  à  celles  du  maître  ont  joint  leurs  applau- 
dissements à  ceux  de  la  foule.  Tous  se  .sont  réjouis  'le 
voir  cette  carrière  d'artiste  recevoir  des  mains  d'un 
public  réputé  dithcile  un  couronnement  digne  d'elle. 
Los  factions  qui  divisent  l'Art,  ainsi  que  sur  le  terrain 
de  la  Politique  les  partis  se  livrent  bataille,  ont,  d'un 
consentement  tacite,  proclamé  un  armistice.  Entre  les 
escarmouches  d'hier  et  les  bagarres  de  demain,  le 
triomphal-Cortège  de  l'opéra  romantique  a  passé,  avec 
ses  défilés  d'armures,  ses  belli(iueuses  sonneries  de 
trompettes,  ses  claquements  d'étendards,  ses  rondes  de 
ballerines,  avec  toute  l'emphase  du  théâtre,  avec  l'em- 


:-^- 


phase  aussi  do  radaptation  musicale.  Et  tel  est  le  res- 
pect qu'inspire  une  conscience  d'artiste  réalisant  un 
idéal  cnergi(pionient  poursuivi  à  travers  les  âpres  che- 
mins'de  l'Art,  que  les  adversaires  les  plus  déterminés  de 
la  forme  adoptée  par  le  maître  ont  salué  son  œuvre  et 
se  sont  félicités  de  sa  réussite. 

Il  ne  pouvait  être  question  d'uneiutte  entre  l'école 
nouvelle  dont  l'aurore  se  lève  et  celle  dont  les  der- 
nières lueurs  empourprent  l'horizon.  Henry  Litolifeût 
menti  à  ses  convictions,  ;\  son  éducation  musicale,  à  la 
foi  de  toute  sa  vie  s'il  eût  donné  à  son  anivre  une  autre 
forme  que  celle  dans  laquelle  il  a  moulé  son  inspiration. 
Et  l'on  est  en  droit  de  s'étonner  de  la  naïveté  de  ceux 
qui  reprochent  au  maître,  en  des  articles  amers,  de  ne 
pas  avoir  attaché  la  diligence  dans  laquelle  il  voyage 
ainsi  qu'oiji  voyageait  à  l'époque  de  sa  jeunesse,  au  train 
express-tîui  emporte  notre  génération. 

Non,  l'auteur  des  Templiers  n'a  pas  guigné  le  drame 
lyrique,  et  celui-ci  n'a  rien  à  voir  en  cette  affaire.  L'ou- 
vrage de  Litolff  n'est  pas  une  machine  de  guerre).  Le 
Capitole  n'est  pas  menacé.  Que  tout  le  monde  se  rassure. 
Il  fallait,  pour  terminer  le  feu  d'artifice  qui  illumine 
depuis  lin  demi-siècle  la  scène  de  l'opéra,  un  ^  bouquet  ^ 
de  fusées,  de  bombes  étincelantes  et  de  chandelles 
romaines.  Henry  Litolff  a  été  le  Ruggieri  de  ce  "  fire- 
work  ^,  Il  a  réuni  en  une  gerbe  éclatante  toutes  les 
ressources  de  la  pyrotechnie  imaginée  par  Meyerbeer, 
le  grand  artificier.  Il  a  égalé,  sinon  dépassé,  ce  qui 
a  été  fîiit  dans  ce  genre  avant  lui,  et  l'on  peut  affir- 
mer que  son  œuvre  est  l'un  des  opéras  les  plus  brillants, 
les  plus  entraînants,  les  plus  habilement  conçus  qui 
soient,  l'un  de  ceux  qui  produisent  le  plus  d'effet  et 
dans  lesquels  rien  n'a  été  oublié  de  ce  qui  peut  impres- 
sionner, intéresser,  enthousiasmer  les  masses. 

Il  clôt  dignement  le  cycle  des  ouvrages  lyriques  issus 
du  romantisme.  Et  nous  ajoutons  que  s'il  fût  né  vingt 
ans  plus  tôt,  il  eût  eu,  sans  nul  doute,  dans  toute 
l'Europe  un  retentissement  égal  à  celui  que  provo- 
quèrent jadis  le  Prophète,  Rohefi- le -Diable,  les 
Huguenots,  l Africaine. 

,.  A  l'exemple  de  Meyerbeer,  c'est  dans  les  contrastes, 
dans  les  oppositions  violentes  de  coloris  qu'Henry 
Litolfî  cherche  ses  effets  principaux.  Ainsi  procédaient 
les  peintres  de  lécole  de  mil-huit-cent-trente,  contem- 
poraine des  splendeurs  de  l'opéra,  avec  lequel  elle  a 
d'étroites  affinités.  Ils  faisaient  valoir  les  lumières  par 
des  ombres  disposées  suivant  une  formule  transmise 
dans  les  académies-  et  qu'on  nommait  repoussoirs. 

Après  lès  sombres  récits  du  premier  acte,  après  les 
imprécations  d'Enguerrand  de  Marigny  contre  la  croix 
rouge  des  Templiers,  après  les  violences  de  l'émeute  et 
le  formidable  ensemble  qui  couronne  l'exposition  du 
drame  (et  que  le  public  a  redemandé  d  une  seule  voix, 
comme  il  redemande  le  quatuor  de  Rigoletto  et  le 


sextuor  de  Lucie),  le  rideau  se  lève  sur  des  jardins 
fleuris,  et  tout  aussitôt  apparaissent  dans  l'orchestre 
les  timbres  délicats  des  flûtes,  des  cors  et  des  clari- 
nettes modulant  des  cantilènes  aimables. 
René  chante  : 

N'entends-tu  pas  dos  bruits  d'ailes? 
Dans  les  voûtes  tUornelles 
Les  anges  planent  sur  nous. 
Notre  amour  les  rend  jaloux  ! 

Isabelle  répond  : 

Ah!  je  comprends  que  le  ciel  nous  enivre 
L'amour,  c'est  le  bonheur  suprême! 

et  d'un  bout  k  l'autre  de  l'acte,  ce  ne  sont  que  bruits  de 
baisers,  chuchottements  de  mots  tendres,  frôlements 
soyeux,  jusqu'à  ce  que  le  rideau  tombe  sur  un  rayon 
de  lune  dans  lequel  Isabelle  laisse  choir,  de  son  balcon, 
une  rose  que  René  porte  à  ses  lèvres 

Dès  le  début  du  troisième  acte,  premier  tableau,  les 
trombones  emportent  de  leur  voix  rauque  la  pensée 
vers  les  luttes  qui  se  préparent.  C'est  le  nœud  de  l'ac- 
tion, l'acte  capital  de  l'opéra,  et  le  compositeur  a 
déployé  dans  les  deux  scènes  qui  le  composent,  — le 
duo  du  roi  et  du  Grand-Maître  et  le  duo  de  Philippe  et 
d'Isabelle,  —  de  sérieuses  qualités  dramatiques.  Ce  sont 
là,  selon  nous,  les  meilleures  pages  de  la  partition. 

Nouveau  contraste.  Le  ballet,  auquel  les  fiançailles 
d'Isabelle  servent  de  prétexte,  fait  brusquement  oublier 
la  tragédie,  et  joyeusement  sautille  la  musique.  Mais 
bientôt  le  quatrième  acte  ramène  l'esprit  à  des  idées 
austères.  L'auditeur  est  introduit  à  l'intérieur  du  Tem- 
ple dont  il  n'a  vu  au  premier  acte  que  les  murailles. 
Ici  la  musique  se  fait  religieuse,  en  même  temps  que 
René  vêt  le  manteau  blanc  des  moines-chevaliers.  L'or- 
gue est  naturellement  l'élément  principal  de  cette  trans- 
formation. Le  thème  des  Templiers,  présenté  dans  l'ou- 
verture, ébauché  dans  la  coulisse  au  premier  acte,  est 
ici  développé  et  l'auteur  en  tire  de  grands  effets. 

Le  cinquième  acte,  enfin,  qui  peint  le  supplice  des 
Templiers,  débute  par  un  chœur  de  soldats  insouciants, 
joyeux,  buveurs  et  joueurs,  qui  n'a  d'autre  but  que 
d'être  le  «  repoussoir  •»  de  la  marche  funèbre  dont  on 
peut  sans  présomption  présager  la  venue  prochaine. 

Tel  est  le  procédé  employé,  la  ficelle  si  on  veut,  et 
le  public  s'y  est  cramponné  avec  joie.  Litolff'  excelle 
d'ailleurs  dans  l'art  de  tout  mettre  en  œuvre  pour 
amorcer  son  auditoire.  Il  le  sait  friand  de  chœurs  à  la 
cantonnade,  de  barcarolles,  de  sonneries  de  trompes, 
de  jeux  d'orgues,  de  cloches  mêlées  à  l'orchestre,  de 
bruyants  ensembles,  d'airs  pathétiques  chantés  par 
le  ténor  devant  le  trou  du  soufffeur.  Aussi  n'a-t-il 
épargné  aucun  de  ces  moyens  d'action  sur  la  foule,  et 
la  foule  lui  a  témoigné  sa  reconnaissance  en  lui  faisant 
un  accueil  enthousiaste. 

Mais  s'il  a  prouvé  dans  les   Templiers  son  expé- 


rience,  nous  allions  dire  sa  rouerie,  il  a  aussi  affirmé 
une  incontostahle  sciericfi  musicale.  Liiolfl" connaît  son 
métier  comme  pas  un.  Il  n'y  a  dans  cette  partition 
touffue  ni  tâtonnement,  ni  fnîsitation.  L'œuvre  est 
écrite  d'un  jet,  et  le  slyle  en  est  d'un  bout  à  l'autre, 
également  soutenu.  Si  les  idées  n'ont  pas  toujours 
une  originalité  bien  grande,  elles  sont  du  moins  tou- 
jours présentées  avec  adresse,  et  décemment  vêtues. 

Ce  n'est  pas,  est-il  besoin  de  le  dire?  le  développe- 
ment i)sychologique  des  caractères  que  poursuit  l'au- 
teur. Il  se  borne  à  décrire,  en  une  succession  de 
tableaux,  les  phases  de  l'action,  et  le  rôle  de  l'orchestre 
n'est  jamais  autre  que  de  soutenir  les  voix,  ce  qui  ne 
l'empêche  pas  d'être  écrit  avec  talent,  parfois  avec  un 
rare  bon?ieur  d'ex  pression.. Ses  personnages  parlent  la 
langue  conventionnelle  du  théâtre,  mais  ils  la  parlent 
convenablement.  Selon  les  préceptes  de  l'école,  les 
divers  morceaux  que  chantent  ses  héros  sont  reliés 
par  un  récitatif  qui  remplace  le  dialogue  et  auquel 
l'auteur  semble  n'attacher  qu'une  importance  secon- 
daire. Quant  aux  chœurs,  ils  sont  écrits  avec  une 
entente  parfaite  des  registres  de  la  voix  et  ont  tous  une 
sonorité  excellente.  Quelques-uns  sont  même  d'un 
rythme  intéressant.  Nous  citerons  entre  autres  Fépi- 
thalame  adressé  à  Isabelle  par  ses  suivantes,  et,  au 
premier  acte,  le  chant  des  bohémiennes  accompagnant 
l6  divertissement  dansé  par  M'^®  Rossi  et  M.  Saracco  : 

Un  doux  papillon  f'pris  (l'une  rose 

Depuis  l'aube  éclose 
Bat  l'air  embaumé  du  rapide  essor 

De  ses  ailes  d'or. 

Chose  singulière,  parfois  l'auteur  paraît  regretter  le 
patron  un  peu  démodé  sur  lequel  il  s'oblige  à  tailler  ses 
inspirations  mélodiques.  Les  procédés .  de  l'école 
actuelle  lui  passent  sous  les  yeux  en  visions  hantantes. 
Tels,  au  quatrième  acte,  les  rappels  de  motifs  du  duo 
d'amour  chanté  au  deuxième.  La  \)hra.se  Ai mov s- nous 
est  soupirée,  dans  la  coulisse,  par  un  chœur  invisible 
et  dont  la  présence  est  inexplicable.  Pourquoi?  L'or- 
chestre n'est-il  pas  tout  naturellement  indiqué  pour 
remémorer  -ainsi  des  scènes  antérieures  et  fortifier 
l'impression  du  texte  par  l'exposé  des  pensées  flot- 
tantes ?  Le  vide  du  théâtre  d'autrefois,  sa  superfîcialitê, 
apparaissent  ici  en  évidence,  et  peut-être  à  ce  point  de 
vue  l'opéra  que  nous  venons  d'entendre  fera-t-il  faire 
aux  détracteurs  de  l'art  nouveau  de  sérieuses  et  salu- 
taires réflexions. 

Telle  est,  rapidement, esquissée  en  ses  traits  princi- 
paux, la  physionomie  de  la  volumineuse  partition  qui 
concentre  en  ce  moment  les  préoccupations  artistiques  de 
nos  concitoyens.  Montée  avec  un  luxe  de  mise  en  scène 
qui  n'a  guère  été  atteint  jusqu'ici  à  la  Monnaie,  repré- 
sentée dans  un  cadre  de  décors  neufs  d'une  sérieuse 
valeur  artistique,  interprétée  d'une  fac^ou  remarquable 


tant  par  les  solistes  que  par  les  ehœ.urs  et  par  l'or- 
chestre, l'o'-uvre  ne  pouvait  manquer  de  réussir.  Et  la 
réussite  a  été  éclatante.  Les  ovations  et  les  rappels  se 
sont  succédés  durant  toute  la  représentation  et  l'on  a 
confondu  dans  une  même  tempête  d'applaudissements 
l.'auteur  de  la  musique,  les  pa»roliers,  les  artistes,  le 
ballet  et  son  chef,  l'orchestre  et  son  directeur,  les 
peintres-décorateurs, et  jusqu'au  costumier... 

Il  est  vrai  que  ce  dernier  a  eu  la  chance  de  rencon- 
trer, comme  «  interprète  «,  M"**  Esselin,  dont  l'entrée 
a  fait  sensation,  ce  qui  a  fait  dire  à  un  peintre  Vingtiste, 
qui  pousse  le  calembour  jusqu'à  la  férocité  :  «  Voici  le 
plus  joli  page  de  la  partition  !  '. 


MI  DIABLE 

par  Lkox  Gladel.  —  Un  vol.,  Paris,-  Monni'^r. 

Nous  nous  rapptîlons  ce  soir  rlo  l'automne  dernier  où  Léon 
Cladel  nous  lui  les  deux  prenniers  chapilrt^s  fie  Mi- Diable,  d't^^àii 
après  une  longue  excursion  en  Condroz  ;  on  se  sentait  las,  et  cha- 
cun, le  dîner  lerminfl,  cherchait  un  t'aud-uil  pour  rêver  au  sommeil 
et  au  repos. 

Je  vais  vous  servir  >/i-/>wi5?/<3,  trancha  rjadel. 

Il  se  fit  venir  le  OU  Blas,  où  le  roman  paraissait  en  feuilleton, 
commença  aussitôt. 

Oh!  Léon  Cladel  lisant!  Mimiijue  brutale,  naïve,  omporlée;  les 
yeux  luisent  ;  les  mois  sont  foulés  dans  l'emportement  de  la 
parole;  le  geste  souligne  à  peine,  si  ce  n'est  quelque  grande 
période  redondante  dont  la  fin  est  brusquée  en  coup  de  faulx.  La 
voix  se  fait  douce,  câline;  elle  a  je  ne  sais  quoi  de  bon  enfant. 
Oui,  mais  voici  qu'elle  s'entle  et  roule,  et  qu'elle  évoque  soudain 
une  vision  de  Quercinois,  sonore  d'éloquence  à  l'emporte-pièce, 
qui  parlerait  et  parlerait  jusques  à  quand?  Le  récit  est  vivifié,  il 
.prend  une  couleur  endiablée,  un  mouvement  étrange,  il  se  pré- 
cipite, et  toutes  les  invraisemblances  sont  franchies  comme  des 
obstacles  banals,  et  le  grandissement  colossal  des  choses  qu'iné- 
vitablement tout  poète  réalise,  apparaît  parmi  des  gloires  d'apo- 
théose. 

Certes,  le  livre  lu  ne  s'impose  point  aussi  souverain  que  le 
livre  déclamé  et  —  passez-nous  l'expression  —  geste,  mais 
encore  est-il  superbe  dans  sa  trépidante  envolée.  Il  est  de  la 
lignée  de  ces  chefs-d'œuvre  :  Celui  de  la  Croix-aux- Bœufs, 
Sainù-Bartholomê-Porte-glaive,  Ompdrailles. 

Ce  qui  le  distingue  de  ses  aînés,  c'est  la  donnée  macabre  a 
travers  laquelle  il  court,  emporté,  lui  aussi,  comme  son  liérns. 
sur  quelque  phénoménal  jumart  d'inspiration,  levant  la  poussière 
des  mots  et  des  vocables,  battant  le  pavé  des  rythmes  rocailleux 
et  miles,  et  toujours  frénétiquement.  La  langue  de  Ckuiei.  si 
étonnante  ailleurs,  s'exaspère  ici  en  spasmes  invus.  en  irepida- 
tions  inédites.  Lave  qui  roule,  bouillonnement  qui  silfle,  coièi-e 
qui  écume.  Tout  cela,  ijualre  cent  cin({iianîe  pages  durant,  sans 
relais,  sans  prendre  haleine.  La  tin?  plus  exacerbée  encore.  La 
fin?... 

Voici  le  drame.  Mi-Diable,  dès  le  début,  apparaît,  le  gars 
superbe,  sauvage,  extraordinaire,  qui,  en  une  fête  de  tuerie  et  de 
combat,  en  présence  de  tout  un  peuple,  conquiert  à  l'amour 
Vertu,  la  guerrière,  la  vierge  de  chair  et  de  force  splendide,  admi- 
rable personuificalioa  de  fierté,  de  jeunesse,  de  grandeur  et  de 


riislicit(^  Ail  cours  do  l'hisloirc,  cet  accouplago  est  brisé  par 
Scrpino,  doiil  ITtnio  nVsl  que  perversité  cl  inlrij^ue.  Le  roman,  on 
le  devine.  Mi-Piable  est  disputé  par  ces  deux  femmes.  Au  dénoue- 
menl.  Vertu  j=e  venge  tragiquement.  Elle  lue  Mi-I)iable  d'un  coup 
de  faucille  el  Serpine  h  coups  d'ongles  et  de  rage. 

Le  sujet  clu/  Léon  Cladel  est  toujours  simple.  Ses  personnages 
sont  des  symboles.  Les  Homèrcs  chantaient  ainsi.  Le  mal  et  le 
bien  ont  (li>s  noms  propres,  et  agissent,  et  combattent,  et 
triomphent,  personnifiés.  Telle  déjà  la  poétique  dans  Saint- 
BarlhoUmic-Porle-glaive  et  plus  tard  dans  Ompdrailles.  Ce 
procédé  i)rimilif  augmente  l'impression  de  grandeur  et  d'épisme, 
outre  (pi'il  est  de  parfaite  convenance  pour  les  sujets  rustiques. 
L'auteur  en  tire  de  violents  contrastes  et  sa  langue  qui  a,  malgré 
sa  science,  je  ne  sais  quelles  apparences  de  Lingue  barbare  en 
train  de  se  former,  ajoute  encore  h  celte  illusion  d'art  rapsodique. 

Le  présent  volume  se  spécialise  dans  l'œuvre  de  Cladel,  par 
sa  note  fantastique.  L'extraordiuiiire  l'avait  déjà  hanté  lorsqu'il 
publia  le  Mystère  de  Vincarnnlion;  il  subissait  en  ce  temps  Tin- 
fluence  baudelairienne  el  son  originalité  n'avait  point  encore 
jailli.  Aujourd'hui  il  y  revient,  mais  armé  de  sa  propre  force, 
de  sa  propre  expérience  et  de  son  style  si  personnel.  El  c'est 
miracle  de  voir  se  fondre  dans  la  réalité  et  la  brutalité  de  son 
tempérament  cet  élément  nuKabre  el  farouche,  qu'à  première 
vue,  on  rejetterait  comme  incompatible. 

La  nouveauté  du  li\re?  elle  est  là  toute. 

Le  fantastique  de  Cladel  est  rouge-sang.  11  est  féroce,  il  hurle, 
il  <2[rinee.  11  n'a  rien  de  silencieusement  eflVavant  ;  souvent  c'est 
le  bruit  qu'il  fait  qui  cnij>éche  d'avoir  peur.  Au  reste,  il  est  plus 
phénoménal  encore  que  tragique.  El  d'abord  le  héros  Yufko, 
ensuite  le  Jumari  el  enlin  Serpine.  El  les  scènes,  celle  de  la 
conquéie  de  Vertu,  au 'pied  do  la  montagne,  sous  l'arbre  énorme 
et  celle  du  dénouement,  traversé  par  la  course  épouvantable  d'une 
bêle  apocalyptique  et  d'un  cadavre. 

Avant  d'éire  soil  un  poète,  soit  un  philosophe,  Cladel  est  un 
dramalurgi'.  La  moindre  action  humaine  devient  sousi  sa  main 
d'écrivain  une  hilte  énorme  épanouie  dans  un  décor  farouche. 
11  rêve  de  géants  même  quand  il  n'e?l  en  présence  que  de  simples 
moniaubauais.  Il  les  décrit  tragicjues  el  les  pose,  héi'os.  Ses 
femmes  ont  toutes  du  sang  de  venus  rustique  dans  les  veines;. 
ses  ijars  sont  des  Achilles  qui  culiivenl  des  choux.  Le  monde 
aijresle  (ju'il  a  suscité  dans  ces  livres  est  prodigieux;  c'est  ce 
qu'il  faut  pour  qu'il  reste  debout  et  vainqueur  en  littérature. 

Au  total,  un  beau  livre  personnel,  que  seul  Cladel  pouvait 
présenter  au  public  avec  ses  audaces  multiples,  ses  couleurs 
violentes  el  ses  grandissemenis  prestigieux.  Il  y  maintient  sa 
hère  'répulalion  de  romancier,  il  LilluiiHlie  davantage  et  désor- 
mais Celui  de  la  Croix-aux- Bœufs  à  un  pendant  :  Yufko.  > 


^UX    ENRÉqiMENTÉ^ 


Paul  Baudry 

Le  {)einlre  qui  vient  de  mourir  a  connu  tous  les  honneurs  de  la 
carrière  académique,  tous  les  succès  dispensés  par  la' direction 
officielle  des  Beaux-Arts.  Depuis  ses  débuis  jusqu'à  sa  mort,  il  a 
gravi  progressivement,  corieclement,  sans  un  faux  pas,  tous  les 
échelons  de  réehelle  administrative.  Pension  de  la  ville  natale, 
admission  à  l'Ecole,  oblenlion  du  prix  de  Kome,  séjour  de  sept 


ans  à  la  villa  Médicis,  envois  favorablement  ajccueillis,  succès  au 
Salon,  médailles,  rajipels  de  médailles,  tous  les  gradçs  de  la 
Légion  d'honneur,  entrée  à  l'Institut,  commandes  de  l'Etat, 
caresses  de  la  critique  bien  élevée,  des  modèles  historiques  sous 
les  yeux,  des  palais  nationaux  à  décorer,  —  Paul  Baudry  a  eu  tout 
cela,  tout  ce  qui  conslitiie  l'habituel  idéal  du  peintre  au 
XIX''  siècle.  On  dit  pourtant  qu'un  ennui  pesa  sur  les  dernières 
années  de  cette  existence  occupée,  qu'un  doute  s'implanta  dans 
cet  esprit  généralement  tenu  pour  satisfait.  Ce  serait  la  preuve  (juc 
l'homme  fut  supérieur  à  sa  fortune  el  à  ses  grades,  qu'une  déli- 
catesse cachée  en  lui  soutTrild^^s  vulgarités  de  la  réussite,  qu'une 
clairvoyance  (le  jugement  se  lit  jour  à  travers  les  habitudes  intel- 
lectuelles et  la  routine  du  talent. 

Paul  Baudry,  en  eUel,  habita  un  atelier  discret  et  ne  se  livra 
qu'avec  réserve  aux  investigations  des  reporters.  11  semble  avoir 
eu  en  partage  le  caractère  d'un  silencieux,  la  contraction  d'un 
délicat,  — el  relïorl  inutile  vers  l'original.  ^ 

La  pauvreté  de  son  enfance,  la  rigueur  de  ses  débuts,  ne  lui 
servirent  de. rien  pour  l'actpiisition  de  rinexjilicable,  du  mysté- 
rieux don.  Peut-être  même  fut-il  desservi  par  ces  inévitables  con- 
ditions premières.  Il  sort  de  Vendée,  à  grand  peine,  fait  une 
courte  station  dans  la  vie,  et  entre  en  serre  chaude.  C'est  dans  la 
même  serre  chaude  qu'il  est  mort  ;  jamais  plus  il  ne  put  en  sortir. 
11  crut  aux  récompenses,  aux  distinctions,  —  à  l'iîlcole.  Il  fut 
comblé  de  ces  prix,  de  ces  honneurs  recherchés.  Il  fut  adopté  à 
jamais  par  celte  Ecole  imprudemment  souhaitée.  Il  entra  là 
ignorant,  mais  enfiévré  par  l'aspiration  arlisticpie.  il  y  devint  une 
façon  de  lettré,  un  pres(pu}  érudit,  mais  en  même  temps  il  se 
trouva  impuissant  à  dire  autre  chose  que  ce  qui  avait  été  dit 
avant  lui,  à  peindre  autre  chose  (jue  ce  qui  avait  été  peint. 

Quand  une  fois  on  a  été  bouclé  en  loge  dans  la  prison  artis- 
tique du  quai  Malaquais,  il  est  biiui  rare  qu'on  puisse  s'évader 
hors  de  ce  cachot  symbolique.  Il  y  a  trop  de  barreaux  à  desceller, 
trop  de  murailles  à  descendre.  On  s'y  arrache  les  ongles,  on  s'y 
casse  les  .reins,  on  s'y  brise  le  crâne.  Il  y  faut  une  souplesse  el  une 
force  rares.  Non,  on  est  entré,  on  reste.  On  se  fait  à  cette  vie,  on 
accepte  ces  travaux  forcés,  cet  évidemenl  des  noix  creuses  de 
l'Idéal.  On  finit  même  par  se  trouver  bien,  le  geôlier  apportant  à 
des  heures  fixes  des  vivres  el  des  décorations.  Alors,  toute  la  vie, 
on  reste  dans  cette  loge  bienfaisante.  Où  qu'on  se  trouve,  on  se 
sent  environné  de  ses  quatre  murs,  respirant  dans  son  atmo- 
sphère, maniant  les  objets  familiers.  Les  yeux  ne  verront  plus 
autre  chose,  le  cerveau  s'est  imbibé  pour  toujours.  Passer  les 
frontières,  aller  dans  les  pays  à  chefs-d'œuvre,  ne  sert  à  rien. 
Même,  le  mal  s'aggrave.  C'est  la  loge  qu'on  a  laissée  à  Paris, 
c'est  la  loge  qu'on  retrouve  en  Italie.  Ou  plutôt,  on  ne  l'a  pas 
quittée  ;  elle  a  été  mise  sur  les  rails  comme  un  wagon  cellulaire. 
Ou  peut  revenir  ensuite,  connaître  le  succès,  connaître  la  faveur 
persistante,  connaître  l'ivresse  des  commandes,  être  célébré  avec 
chaleur  par  de  sûrs  amis  des  premiers  jours.  Bien  ne  change. 
Seul,  le  médiocre  d'esprit  et  de  talent  s'endort  dans  le  sommeil 
des  béatitudes  et  dans  la  digestion  des  triomphes.  Celui  à  qui 
l'inlelligence  est  venue,  chez  qui  le  sens  crili(|uc  s'est  éveillé, 
commence  à  frapper  à  coups  de  poings  la  muraille  qui  l'enserre, 
à  se  meurtrir  les  doigts  contre  les  serrures  énormes  et  les  verrous 
triplés.  Il  peut  appeler  et  se  désespérer  dans  sa  solitude  morale. 
Les  efforts  seront  vains.  Il  est  trop  lard.  Il  a  même  toujours  été 
trop  tard.  L'œil,  la  main,  l'inlelligence,  sont  façonnés  pour 
la  vie. 


., 


VAUT  MODERNE 


^^T 


'  C'est  lo  cas  IrJ'-s  douloureux  (l(;s  simôros  qui  gémissent  sur  leur 
enrcgimentcrnont.  C'est  le  eas  de  l»aul  IJaiidry.  Parti  pour  Tîlre  un 
fin  dessinateur  et  un  coloriste  délicat  de  la  chair,  il  ne  put  jamais 
dépasser  les  promesses  <'onsii,mées  dans  les  portraits  distingués 
de  s'es  débuts,  dans  hi  Gui//)l,dans  le  Beulé.  Sa  toile  de  concours 
pour  le  prix  de  Koma,  Zéuùhie  trouvée  sur  les  bords  de  L'A  raxe, 
reste  comme  l'emblème  de  sa  destinée.  Il  dut  passer  sa  vie  k 
côtoyer  le  triste  fleuve,  et  son  sort  fut  autant  h  plaindre  que  celui 
de  la  princesse  lamentable.  Les  sept  ans  Av.  Fiome  auxrpiels  il  fut 
condamné  par  un  impitoyable  jury,  l'achevèrent.  Il  y  prit  le  mal 
inguérissable,  la  .mal'aria  passée  h  l'état  d'indiscutable  document 
dans  r(euvre  de  M.  Hébert.  Oui,  di'puis,  il  fui  impossibh;  au 
peintre  d'écliapixT  aux  leçons  et  aux  intluonces.  Il  nr;  vit  pas  que 
le  plus  haut  et  le  m(iilleur  enseignement  donné  [)ar  les  maîtres 
est  f[u'il  faut  regarder  la  vie,  f{ue  rien  ne  doit  s'interposer  entre 
l'artiste  et  Paaitalion  humaine.  liaudrv  se  noit  en  dehors  de  son 
temps,  remonta  les  siècles,  et  ne  c(.'ssa  d'errer  entre  Rome  et 
Venise,  entre  F*arme  et  Florence.  Le  jour  oTi  il  fut  chargé  de  la 
décoration  de  l'Opéra,  il  [)artil  pour  l'Italie,  se  prouvant  inca- 

.  pable  \i  trouver  son  inspiration  eu  France  et  dans  F'aris,_chez  le 
peuple,  dans  la  ville  et  dans  l'art  qu'il  était  chargé  de  raconter. 
iNe  s'aperçut-il  donc  jamais  que  c'est  ici  seulement,  et  non  par 
delà  les  Aljx'S,  qu'il  a  trouvé'  les  choses  rares  et  su[)érieures  de 
son  œuvre  :  les  visages  de  f|uel([U''S-unes  de  ses  Muses  et  de  sa 

-  fine  Comédie. 

Le.  reste  est  de  là-bas.  Le  reste  esl  do  tout  le  monde.  Les 
paysages  sont-  di!S  FMimilifs,  les  archilcctiires  sont  de  Véronèse. 
Les  personnag(,'s  sont  faits  avec  les  lignes,  les  attitudes,  les 
expressions  de  tous  ceux  du  \\T  siècle.  Tous  les  musées, 
tous  les  palais,  toiiies  les  églises  sont  nnises  à  contribution.  Le 
peintre  a  pris  une  quantité  effroyable  de  noies.  Il  a  passé  des 
années  à  copier  des  toiles.  Il  a  reproduit,  dans  leur  grandeur,  les 
Michel-.VniîC  de  la  SiX'ine.  Il  a  été  le  fournisseur  abondant  du 
Musée  des  coj)ies  jadis  institué.  Qu'on  ne  s'étonne  donc  pas  des 
ressemblances"  fa'aits  et  des  réminiscences  forctM  s.  Quand  on 
regarde  une  toile  eu  une  fresque  de  Baudry,  on  songe  à  autre 
chose,  lu  du  connu,  à  du  déjà  vu.  L(}scnfan:s  font  penser  à  ceux 
du  Corrège,  l't^corcheur  du  .Marsvas  au  Remouleur,  l'ance  de 
sainte  Cécile  ii  l'auge  du  Tubie  dt3  Rembrandt,  Iî<'llone  à  la 
*  Marseillaise  de  Rude,  le  guerrier  qui  monte  à  l'as-aiit  au 
Gladiateur,  la  ]tosture  de  la  Comi'die  à  r.VpoUou  de  DelaiM-oix. 
les  postures  d(  s  Muses  aux  Sybilles,  rilomère  à  l'Homère  d'Iiii^res. 
Toujours  le  [)einlr(.'  est  sons  la  siijt'iion  de  rAuliiinilé,  ou  de  la 
Renaissance, —  ou  (pielquefois,  d'un  modern(\  Il  dresse  sa  loiL', 
il  prend  sa  palette  et  ses  brosses,  et  il  ne  peut  empèclur  sa 
pensée  d'aller  à  Orphée,  à  Melpomène,  à  Uranie,  à  Eralo,  à  Léda, 
à  Vénus,  à  P(''gase,  au  Parnasse.>  Il  a  beau  essayer  des  assem- 
blages de  couleurs,  des  combinaisons  de  lignes,  il  a  beau  oser 
ses  dernières  peintures  décoratives  pour  Chantilly,  il  a  be^u  être 
délicat,  nuancé,  chercheur,  c'est  toujours  Raphaid,  Véronèse, 
Tiepolo,  c'est  toujours  le  livre,  le  tableau,  la  statue,  la  ruine,  la 
mvlliologie,  l'archéoloçfie.  —  L'n  tableau  d'histoire  moderne  est 
essayé  :  — c'est  la  Charlotte  Corday  qui  semble  une  illustration 
de  Ponsard. 

Les  défenseurs  de  cet  art  de  tradition  disent  que,  malgré  tout, 
Baudry  sut  rester  lui-même.  Hélas!  oui,  c'est  vrai,  il  fut  sincère 
et  consciencieux  dans  l'élude,  fut  lui-même  dans  la  tidélilé  res- 
pectueuse et  danS' la  savante  imitation. 

GiSTAVE  Geffroy  hIc  la  Justice). 


j^OK^ERVATOIRE   F^OYAL    DE  JiIÈQE 

Premier  concert. 

[Corrcspoyidance  particulière  de  l'Art  moderne.) 

Décidément,  ici  aussi  les  idées  nouvelles  prennent  pied.  Non 
seulement  on  ose  exécuter  de  la  musique  russe  et  du  Wagner, 
mais  le  public  semble  comprendre;  il  n'est  même  pas  rare  de 
rencontrer  df  réels  enthousiastes,  s'erniiortant  outre  mesure,  exa- 
gération [)ropre  au  caractère  liégeois,  impressionnable,  suscep- 
tible de  beaux  élans.  Les  Liégeois  sont  musiciens,  mais  ils  sont 
surtout  entichésde  leur  ville;  ils  n'aiment  pas  à  en  sortir  et  restent 
fatalement  confinés  dans  le  mouvement  artistique  local,  si  tant  est 
qu'il  y  en  ail  un  :  on  rencontre  bien  de  temps  en  temps  un  artiste, 
mais  c'est  rare;  la  plupart  d'entr(!  eux  se  sont  exilés,  éc(eurésdo 
l'inditTérence  à  laf[r.elle  ils  se  huilèrent,  puis  du  manf}ue  complet 
de  stimulant. 

Nous  pensons  cepenrlant  qu'au  point  de  vue  sp(;r,iî)l  de  la 
musi(iue  il  serait  possible,  de  secou'r  cette  apathie.  Chiz  beau- 
coup ce  goût  se  trouve  à  l'é'tat  latent:  une  simp.'e  cause  phy- 
sique suffirait  pour  le  dégager.- 

Les  concerts  du  Conservatoire  peuvent  contribuer  largement  ^à 
atteindre  ce  but  ;  c'est  ponrrpioi.  ici  plus  qu'ailleurs,  nous  ne 
pouvons  ((ue  féliciter  !a  Socié'itj  dt-s  conct'rls  de  pers('Vi''rer  depuis 
vingt-cin((  ans  dans  cette  voie  'ie  vuliiarisalion,  <-\.  son  clief, 
M.  Radou.x,  de  se  décider  a  fiir**  entendre  enfin  du  Wagner,  fort 
peu  connu  ici,  e!  ipii  p;i>-^i'  '•neore  p'iur  un  bruyant  <,'chevi'i<'. 

Les  fr-ig  ut-nu  de  Parsiful  (p!'i'!ude  (H  finale  du  itremier  acte* 
ont  été  accu(,'i!lis  pai-  de  longs  ajiplaudissements  :  la  sal'e  a  été 
réellement  empoignée. 

On  a  (b'buté  par  la  deuxième  symphonie  de  Borodine,  exécutée 
dernièrement  à  Bruxelles.  Con'-tatous  ici  encore,'  un  succès, 
pas  bien  franc  pour  les  diMix  preiiii,"T''s  partiras,  mais  l'-clalant  à 
partir  de  la  troisième.  Ces  iK'siîiiiiou"^  d'i  commeu«'rm"nf  prove- 
naitmt  il'uni!  petite  rancune,  ovt  trouvai!  que  M'"^  [u  ('oniless^i  ,\^■, 
Mercy-Argenleau  [iroduis;!!!  nn  pe;i  ir^p  ses  P»ii>s,.s  ;  on  vrulait 
lui  montr.'r  que  l'on  n'a(N'epii'r;i!t  p;is  uveM^ltunenL  toui  e.\'  (juii 
lui  pi, tirait  d'en  produire.  Ajouions  .pie  leiut  s"''st  !e:':uiné  par 
des  batl''menls  di?  mains,  l.'n  nuiut-ro  de  î.i  S.niiy-Minin-tnre  'le 
(Ali,  que  vous  avez  egaiemi^nt  ''Utj-niiUi'  aux  Ci>ncerl.<  vovi-dnires, 
a  même  ru  les  lionn-Mir-  d'i  t>i<. 

M"'"  Ph.  D'EdeUb.Tg  [fws,".,ie  i!;e  iuqi  -Noix.  r-'Ui  u' juabiement 
étendue,  dont  elle  ••ait  ses>'r\ir:  ei'iMUiahiU;'  un  peu  de  L-iiarme, 
h's  notes  basses  si,r  out  onL  un-'  viriliM.'  ch0({uante.  Elle  a.  du 
resii?,  bi"n  chanti'  l'air  de  lu  Clcmeiire  de  Tiiu-'^.  une  Berceuse 
vénitienne  ci  la  Chanson  de  hi  roipe  d' Herrnlanu}n. 

M.  Wieniawski  a  joué  un  ':nur.':-.o  pour  piano  et  orolirsîre  de 
sa  corrtposition  ;  leuvre  bien  écriie,  soignée  dans  rc'U'.e"^  ses 
parties,  faisant  valoir  h^s  res.;.n::\  es  multiples  du  juano.  mais 
révélant  plus  la  préoccu[talion  de  t'aire  iriomplior  le  pianiste  de 
ditîioulies  ardues  que  celle  de  lais-^-r  le  musicirn  s'abandi^nner  a 
finspii'atjon. 

FI  a  exécute  après  cela  des  variatious  de  Haydn,  délicatement 
jouées  avec  le  caraclèr'?  manière  .le  cette  musique.  N'His  avons 
entendu  ensuite  le  Perpetuuin  inobile.  puis  la  T'alse  caprice  de 
Schubert,  et  entin  une  Pnlcnaise  de  Chopin.  Dans  cette  seconde 
partie  le  pianiste  a  été  très  remarquable  et  ne  se  plaindra  pas. 
pensons-nous,  de  l'accueil  reçu. 

Nous  espérons  ilonc  voir  M.  Radlnix  continuer  comme  il  vient 


do  commencer,  ne  pas  reculer  plus  qu'il  ne  l'a  fait  celte  fois 
devant  les  diiïicullds  irès  sérieuses  que  suscite  rexéculion 
d'œuvres  telles  que  le  iruii^ment  de  Parsifal.  Qu'il  ne  désespère 
pas  non  plus  de  corriger  les  petites  imperfections  de  son 
orchestre,  un  peu  mou  et  quelquefois  négligent.  Ce  sera  un  lilrô 
de  gloire  pour  le  directeur  du  Conservatoire  d'avoir  introduit  des 
idées  -jeunes  dans  une  ville  très  amoureuse  de  la  routine. 


CONFERENCE  AU  CERCLE  ARTISTIQUE 

M.  Georges  Kodenbacli  a  donné  la  se'niainc  passée,  au  Cercle 
artistique,  une  conférence,  piquée  d'anecdotes  el  d'apprécialions 
intéressantes,  sur  la  Poésie  contemporaine.  Il  a  débuté  par  une 
glorification  enthousiaste  de  Victor  Hugo,  qu'il  a  proclamé  roi 
littéraire  du  siècle.  Baudelaire,  Leconte  de  Lisle,  Coppée,  Riche- 
pin,  Rollinat,  Mallarmé,  Verlaine,  ont  été  présentés  ensuite,  les 
uns  exaltés,  les  autres  condamnés  -^  en  tout  ou  en  partie,  dirait 
un  orateur  parlementaire  —  et  M.  Hodenbach  a  lerniiné  par  la 
lecture  de  quelques  vers  de  Jeune-Belgique  et  par  deux  pièces 
de  son  volume  prochain  :  la  Jeunesse  blanche.  On  pourrait  con- 
lesler  mainte  atïirmalion  de  i\l.  Hodenbach,  mais  s'il  n'a  pas 
l'exactitude,  au  moins  a-t-il  la  bonne  foi.  Le  sujet,  d'ailleurs, 
était  très  vaste,  il  n'a  été  qu'eflîeuré.  Le  public  du  Cercle  ne 
supporterait  point  une  étude  approfondie,  et^lc  mener  fort  loin 
dans  un  examen  quelconque  s<'rait  du  reste  impossible. 

On  a  reproché  jadis  ii  M.  Hodenbach  ses  gestes  à  manchettes 
el  ses  phrases  en  péplum.  Péplum  et  manchettes,  cela  va  mal 
ensemble.  Quoi  qu'il  en  soit,  la  diction  et  l'allure  du  conférencier 
ont  acquis  une  sûreté  entière  :  il  est  aujourd'hui  pa^faitement  à 
l'aise  devant  son  auditoire  cl  pour  satisfaire  ses  plus  aigrc-dôux 
critiques  d'anlan,  il  se  résigne  à  ne  pas  manquer  d'élégance.  Il 
rencontre  des  mois  spirituels  qu'il  n'a  pas  l'air  de  chercher. 
Il  se  fait  applaudir  h  raconter  des  détails  inédits  el  à  trouver  des 
comparaisons  pimpantes.  Sa  causerie  est  vive  et  lég,ère.  C'a  été 
pour  son  auditoire  une  bonne  soirée. 


j]ORRE^PONDANCE 


On  nous  écrit  : 

Dans  l'intérêt  de  VArt  moderne  et  pour  le  parfaire,  ne  serait-il 
pas  bon  de  réserver  hebdomadairement  une  ou  deux  colonnes 
aux  meilleurs  extraits,  en  vers  et  en  prose,  de  nos  auteurs  con- 
temporains? 

Cette  innovation  sourirait  surtout  aux  professeurs,  comme  à 
tout  amateur  de  recueils  de  littérature  française.  Ce  serait  collec- 
tionner dans  l'écrin  de  VArt  moderne  les  perles  de  la' liltéralure 
de  notre  temps. 

Recevez,  etc. 

Houdeng-Goegnies,  le  27  janvier  1886. 

Nous  ne  pourrions  déférer  au  désir  de  notre  correspondant  sans 
modifier  le  caractère  de  notre  publicalion.  Les  recueils  littéraires 
sont  nombreux  en  Belgique  et  nous  n'avons  jamais  songé  à  mar- 
cher sur  leurs  plates-bandes.  En  créant  VArt  moderne.,  nous 
avons  voulu  fonder  un  journal  de  critique^  et  de  critique  impar- 
tiale, désintéressée,  absolument  indépendante,  ce  qui  nous  a 


semblé  nouveau.  Le  succès  qui  a  accueilli  noire  revue  est  la 
meilleuni  preuve  que  notre  programme  est  approuvé.  Nous  ne- 
croyons  donc  pas  devoir  y  apporter  de  changements. 


MEMEHTQDES  EXPOSITIONS  ET  CONCOURS 

Berlin.  Exposition  du  Centenaire  des  Salons  berlinois.  Ouverture, 
15  mai.  Fermeture,  15  octobre.  Délais  d'envoi,  i'*"  mars-l^""  avril. 
Deux  ouvrages  seulement  par  exposant.  Renseignements  :  jusqu'au 
i<"'  mars,'  Académie  royale  des  Beaux- Arts,  rue  de  l'Universilé, 
0,  I  ;  après  le  lc«;  mars,  Commission  de  l'Exposition,  près  la  gare 
de  Lchrte,  N.-  W. 

Bruxelles.  III^  Exposition  internationale  des  XX  (limitée  aux 
membres  et  aux  artistes  invités).  Ouverture,  6  février.  Fermeture 
7  mars.  Renseignements  :  Secrétaire  des  XX,  rue  du  Berger,  27, 
Bruxelles. 

Bruxelles.  —  Exposition  et  concours  de  la  Société  centrale 
d'architecture.  — 'Ouverture  l«r  mai  1880.  Section  rétrospective, 
section  contemporaine.  Envoi  avant  le  15  avril.  Renseignements  : 
Secrétaire  de  la  Commission  organisatrice,  rue  Royale  Sainte- 
Marie,  128,  Schaerbeck  [Briixelles). 

Edimbourg.  —  Exposition  (internationale)  de  l'industrie,  des 
sciences  et  des  arts.  —  Du  4  mai  au  30  octoLi-e  1886.  —  Mobilier 
et  arts  décoratifs,  beaux- arts,  reproduction  d'anciens  édifices  et  de 
vieilles  rues,  etc.  —  Demandes  d'emplacements  au  Secrétaire  de 
VExposition,  Frederick  Street,  18,  Edimbourg . 

Glasgow.  —  258  exposition  (internationale)  de  l'Institut  des 
Beaux-Arts.  —  Du  2  février  au  30  avril  1886.  —  Tableaux  à  l'huile 
et  aquarelles.  —  Renseignements  :  Robert  Walker,  secrétaire, 
Glascow.  . 

Paris.  —  5®  exposition  de  l'Union  des  femmes  peintres  et  sculp- 
teurs. —  Du  12  février  au  4  mars  18S6.  —  Envois  les  5  et  6  février. 
—  Renseignements  :  M"e  Léon  Bertaux,  présidente. 

Paris.  Salon  annuel.  Ouverture,  i^^  mai.  Fermeture,  30  juin. 
Délais  d'envoi  :  Peinture,  10-14  mars  ;  sculpture,  gravure  en  méd. 
et  sur  p.  f.,  20  mars-5  avril;  architecture,  go^avure,  lithographie, 
2-5  avril, 

N.  B.  Z<?  maxitnum  potir  la  dimension  des  cadres  sera  de  SOcen- 
tiinètres  en  largeur  et  de  2Ô  centimètres  en  épaisseur.  Seuls  seront 
admis  les  cadres  dorés,  noirs  ou  en  bois  naturel  foncé. 

Rome,  Exposition  annuelle  des  amateurs  des  Beaux- Arts  (limitée 
aux  artistes  italiens  et  aux  étrangers  qui  résident  à  Rome),  Ouver- 
ture, 21  février.  Fermeture,  18  avril.  Délais  d'envoi  :  ler-9  février. 
Renseignements  :  Secrétaire  de  la  société,  palais  des  Beaux -Arts, 
rue  Nazionale,  Rome. 


JSOTE^     DE    LIBRAIRIE 


Les  Propos  d'un  Bourgeois  de  Paris,  éililé  par  Paul  OllcndorfF, 
est  un  de  ces  livres  rares,  où,  sous  une  forme  élégante  et  humo- 
ristique, sont  traitées  les  questions  les  plus  intéressantes  dé  noire 
vie  journalière.  -  ' 

L'auleur,  M.  Jules  Legoux  qui,  depuis  plusieurs  années,  colla- 
bore à  un  grand  nombre  de  journaux,  el  qui  s'est  essayé  avec 
succès  au  Ihéâtrej  a  apporté  dans  ce  nouvel  ouvrage  son  esprit 
d'observation  sévère  et  quelquefois  paradoxale  qui  est,  il  fau 
l'avouer,  un  charmé  de  plus  pour  le  lecteur. 

M.  Robert  Milchell  a  écrit  un  ayant-propos  d'une  charmante 
venue,  qui  est  une  spirituelle  préface  à  ce  spirituel  volume. 


-:? 


Clairs  de  Soleil,  de  M.  Noël  Blaclic,  csl  ^un  succès.  Dans  le 
cadre  ensoleillé  du  naidi  de  la  France,  que  l'auteur  nous  avait 
appris  à  aimer  dans  le  livre  :  Au  Pmjs  du  Mistral,  Noël  Blaclie 
a  su  placer  des  types  originaux,  gais  ou  dramatiques,  qui  ressor- 
tent  avec  une  grande  vigueur,  grâce  h  son  talent  plein  de  verve  e^ 
de  sincérité. 

Voici  le  Roman  d'un  Officier  de  Fortune,  par  M.  de  Beaure- 
paire,  livre  chevaleresque  dont  les  héros  sont  des  types  d'hon- 
neur; le  style  est  frappé  à  l'ancienne  marque  et  l'action,  très 
dramatique,  est  un  reflet  de  ce  moycn-àge  auquel  les  querelles 
religieuses  et  les  épisodes  de  la  Ligue  ont  donné  tant  d'attrait. 


pETITE     CHROJMIQUE 


C'est  samedi  prochain,  6  février,  à  2  heures,  que  s'ouvrira,  au 
Palais  des  Beaux-Arts,  le  troisième  Salon  annuel  des  XX.  Il 
comprendra  des  œuvres  de  peinture,  de  sculpture,  de  gravure, 
des  dessins  et  des  lithographies,  et,  d'après  les  indiscrétions 
commises,  promet  de  présenter  un  grand  intérêt  artistique. 

Le  prix  d'entrée  est  fixé  à  cincj  francs  le  jour  de  l'ouverture. 
Les  personnes  qui  auront  reçu  une  invitation  sont  priées  de 
vouloir  bien  s'en  munir  :  elle  sera  réclamée  au  contrôle.  L'entrée 
est  par  la  porte  principale  du  Palais,  rue  de  la  Régence. 


Un  comité  compose  de  MM.  Blanc-Garin,  Hennebicq,  docteur 
Lequime,  Lucien  Solvay  et  Van  der  Stappen,  prépare  une  Expo- 
sition des  œuvres  d'Edouard  Agneessens,  que  la  mort  a  frappé 
l'été  dernier.  L'Exposition  est  placée  sous  le  patronage  de  MM.  Jean 
Rousseau,  directeur  des  Beaux-Arts,  et  Jean  Portaels,  le  maître 
de  l'artiste  reffrelté.      - 

Le  gouvernement  a  mis  à  la  disposition  du  comité  deux  salles 
du  Palais  des  Beaux-Arts.  L'Exposition  s'ouvrira  en  mars,  après 
la  clôture  du  Salon  des  XX. 


C'est  vendredi  prochain,  5  février,  qu'aura  lieu,  au  théâtre  des 
Galeries,  la  représentation  de  bienfaisance  donnée  par  les  artistes 
de  la  Comédie  française.  Le  spectacle  se  composera,  outre  la 
pièce  de  Théodore  de  Banville,  Socrnte  et  sa  femme.,  de  C Etin- 
celle, iouée  par  M'"^^  Reichemberg  et  Tholer  et  par  M.  Delaunay; 
les  Espérances,  par  M'"*^  Tholer  et  M.  Coquelin  cadet;  V Héritière, 
par  M"*«  Reichemberg  et  MM.  Coquelin.  Enfin,  dans  un  inter- 
mède, quatre  monologues  dits  par  MM.  Coquelin  aîné,  Coquelin 
cadet  et  Delaunay.  Le  bureau  de  location  est  ouvert. 


La  première  de  Fridolin,  le  petit  opéra-comique  dont,  nous 
avons  annoncé  la  naissance,  a  eu  lieu  mardi,  chez  l'un  des 
auteurs.  11  y  avait  «  salle  comble  »,  cela  va  sans  dire,  et  le  sym- 
pathique auditoire  a  fait  un  accueil  chaleureux  au  musicien, 
M.  Emile  Agniez,  au  parolier,  M.  Courtier,  ainsi  qu'aux  inter- 
prêtes, parmi  lesquels  la  maîtresse  de  la  maison  s'est  particu- 
lièrement distinguée  par  le  naturel  et  l'aisance  de  son  jeu. 

L'oeuvretle,  qui  est  plutôt  un  vaudeville  à  couplets  qu'un 
opéra-comique,  est  semée  de  mois  spirituels  et  renferme  plu- 
sieurs scènes  amusantes.  Allégée  de  quelques  longueurs,  elle 
trouverait  place  sans  peine  sur  un  théâtre  de  genre.  La  musique 
de  M.  Agniez,  pour  n'être  ni  bien  originale,  ni  bien  nouvelle,  est 
gaie,  alerte,  sautillante,  en  parfaite  harmonie  avec  le  texte. 


La  Nation  nous  apprend  qu'on  va  monter  au  grand  théâtre  de 
Gand  un  opéra  inédit  intitulé  la  Reine  des  Fées,  d'un  composi- 
teur belge  qui  se  cache  derrière  le  pseudonyme  de  Paul  d'Acosla, 
Les  répétitions  vont  commencer  bientôt. 


On  annonce  pour  demain,  au  théâtre  royal  d'Anvers,  la  pre- 
mière représentation  de  Dianca  Capello,  opéra  inédit  en  5  actes. 
La  musique  est  de  M.  Hector  Salomon,  chef  du  chanl  à  l'Opéra, 
et  le  livret  de  M.  Jules  Barbier,  le  librettiste  bien  connu. 


Le  théâtre  des  Nouveautés  prépare  pour  samedi  une  soirée 
attrayante.  Le  spectacle  sera  composé  d'œ.uvres  dues  à  la  plume 
d'écrivains  belges  :  Le  Saxe  (un  acte),  de  Francis  Nautet;  Jeanne 
Bijou  (trois  actes),  de  Max  Waller;  et  Décoré!  (un  acte), 
d'Edmond  Duesberg. 


EN  VENTE 

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I 


40 


L'ART  MODERNE 


TJJiŒUJ: 


E 


SIXIÈME  ANNEE 


o 


L'ART  MODSHNEj  s'est  acquis  par  rautorité  et  rindéi)endancc  de  sa  critique,  par-  la  variété  do  ses 
informations  et    les   soins  donnés   à   sa   rédaction   une  place   prépondérante.    Aucune   manifestation  de  l'Art  ne 

lui  est  étrani;,^ùre  :  il'  s'occupe  de  littérature,  de  peinture,  de  sculpture,  de  gravure,  de  musique, 

d'architecture,    etc.    Consacré   principalement   au    mouvement   artistique   belge,    il   renseigne  néanmoins   ses 

lecteurs  sur  tous  les  événements  artistiques  de  l'étranger  qu'il  importe  de  connaitre. 

I  Chaque  numéro  de  Li'ART  MODERNE  s'ouvre  par  un.e  étude  approfondie  sur  une  question  artistique 
ou  littéraire  dont  l'événement  de  la  semaine  fournit  l'actualité.  Les  expositions,  les  liv7^es  nouveaux,  les 
premières  représentations  d'œuvres  dramatiques  ou  musicales,  les  conférences  littéraires,  les  concerts,  les 
ventes  cl  objets  dart,   font  tous  les  dimanches  l'objet  de  cliroitiques  détaillées. 

L'ART  MODERNE  relate  aussi  la  législation  et  la  jurisprudence  artistiques.  Il  rend  compte  des 
procès  les  plus  intéressants  concernant  les  Arts,  plaides  devant  les  tribunaux  belges  et  étrangers.  Les 
artistes  trouvent  toutes  les  semaines  dans  sf)n  Mémento  la  nomenclature  complète  des  expositions  et 
concours  auxquels  ils  peuvent  prendre  part,  en  Belgique  et  à  l'ptranger.  Il  est  envoyé  gratuitement  à 
l'essai  pendant  un  mois  à  toute  personne  qui  on  fait  la  demande. 

L'ART  MODERNE  fo.rme  chaque  année  un  beau  et  fort  volume  d'environ  450  pages,  avec  table 
des  matières.  Il  constitue  pour  l'histoire  de  l'Art  le  document  LE  PLUS  COMPLET  et  le  recueil  LE  PLUS 
FACILE  A  CONSULTER. 


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geois. Transcription  pour  violon- 
celle, avec  accomp.  de  piano     .     Fr.  2.00 
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avec    accomp.    de    violoncelle    (ou 
violon)  et  piano.  Paroles  françaises 
et  anglaises. 
No  1    Venez  ma  mie.  Sérénade.  (Arise, 

heloved) 1.35 

No  2  Pour  l'absent. {TomySih^eï\i\o\e)  1.75 

No  3.  C/ufîif  d'awîoîo*.  (Love  song>.     .         -•  1.75 

ER,MEL,  A.  Op.  40.  Scherzetto,  pour  piano.     .     .     .     .  2.50 

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Sixième  année.  —  N^  G 


Le  numéro  :   25  centimes. 


Dimanche  7  Février  1886. 


L'ART 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVDB  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,   un   an,   fr.   10.00;  Union  postale,   fr.    13.00.    —  ANNONCES   :    On    traite,  à   forfait. 

Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 
l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


^OMMAIRE 


Les  Templiers.  Troisième  article.  —  Socraïe  et*  sa  femme,  par 
Théodore  de  Banville.  —  Mors  et  Vita,  par  Ch.  Gounod.  — 
L'abonnement  au  Théâtre  de  la  Monnaie.  -^  Documents  a 
CONSERVER.  Lc  joumaltsme.  —  Notes  de  liurairie.  —  Mémento 
des  expositions  et  CONCOURS.  —  Petite  chronique. 


LES  TEMPLIERS 

Troisième  article. 

Le  souci  des  détails  matériels  prend  au  ithéâtre  une 
place  de  plus  en  plus  marquée.  Nous  sommes  loin  du 
temps  où  les  acteurs  des  drames  shakespeariens  don- 
naient leurs  représentations  dans  des  cours  sans  toit, 
sans  décors,  sans  coulisses.  Les  rôles  de  femmes,  Des- 
demona,  Juliette,  Ophélie,  étaient  tenus  par  des 
hommes  —  sans  travestis  ;  l'habit  râpé  que  le  comé- 
dien pauvre  portait  à  la  ville  était  censé  représenter 
le  manteau  du  roi  Lear  ou  la  tunique  éclatante 
d'Othello  ;  les  personnages,  assis  sur  un  banc  en  face 
du  public,  se  levaient  tour  à  tour  pour  jouer  leur 
scène  et,  le  dialogue  terminé,  regagnaient  simplement 
leur  place  ;  pour  les  changements  à  vue,  transportant 
subitement  l'action  du  palais  d'Elseneur  au  milieu  des 
plaines  du  Danemark,  ou  du  jardin  de  Capulet  à  la 
grotte  du  Frère  Laurent,  Shakespeare  avait  trouvé 
mieux  que  toutes  les  inventions  des  machinistes  : 
l'imagination  des  spectateurs. 

Cette  simplicité  primitive  fut  longtemps  maintenue  ; 
il  y  a  cent  ans,  elle  était  encore  à  peu  près  la  même. 


Aujourd'hui,  le  gamin  qui  pour  dix  sous  s'est  fau- 
filé au  paradis,  réclame  davantage  pour  son  argent. 
Il  ne  transige  pas  sur  l'exactitude  historique  des  cos- 
tumes et  la  .couleur  locale.  Il  tolère,  sur  les  tables  des 
festins,  des  poulets  en  carton  et  des  coupes  en  bois 
doré  ;  mais  il  veut  des  costumes  de  soie  en  vraie  soie 
et,  sur  les  épaules  des  reines,  des  rivières  de  diamants 
en  vrais  diamants.  Les  décors  doivent  être  signés  d'un 
nom  célèbre. 

Des  gens,  disposés  par  tempérament  à  trouver  que 
tout  va  de  mal  en  pis,  regrettent  vivement  la  bonne  sim- 
plicité des  temps  passés.  Maintenant,  on  est  distrait  de 
l'art  par  des  préoccupations  mesquines  ;  le  compositeur 
et  le  poète  sont  supplantés  par  le  tapissier  et  le  costu- 
mier. L'émotion  ne  va  plus  au  drame,  accaparée  par 
les  surprises  des  trucs. 

Tel  n'est  pas  notre  sentiment;  le  côté  matériel,  acces- 
soire si  l'on  veut,  mais  indispensable  des  œuvres  théâ- 
trales nous  paraît  mériter  mieux  que  le  dédain.  Un 
décor,  compris  et  exécuté  comme  celui  de  Théodora, 
peut  être  considéré  comme  une  des  grandes  forces  des- 
tinées à 'produire  l'effet  scénique,  comme  une  œuvre 
d'art  digne  d'être  louée  ou  critiquée  à  l'égal  du  livret 
de  la  pièce  lui-même.  Aussi,  rien  de  ce  qui  contribue  à 
placer  l'action  dans  son  cadre,  à  l'éclairer,  à  l'expli- 
quer, décors,  costumes,  accessoires,  ne  doit  être  livré 
au  hasard  ni  à  la  fantaisie.  Le  gamin  du  paradis  n'a 
pas  tout  à  fait  tort  :  le  bon  goût  ne  suffit  pas;  l'exacti- 
tude historique,  la  précision  du  style,  que  les  manuels 
et  les  livres  à  gravures  ont  du  reste  mis  à  la  portée  de 


tous,  s'imposent  aux  rc'^gisseurs  de  théâtre  et  aux 
artistes  cliargés  do  faire  apparaître,  sur  quelques 
toiles  brossées  à  la  vapeur,  les  silhouettes  des  villes 
anciennes,  Tintérieur  des  palais  détruits  dans  lesquels 
le  poète  fait  revivre\ses  héros. 

Ces  idées  sont  comprises  et  intelligemment  appli- 
quées par  la  direction  du  théâtre  de  la  Monnaie.  Les 
décors  montés  pour  les  Templiers,  lentente  de  la  mise 
en  scène,  la  richesse  deé  costumes  marquent  un  effort 
sincère  et  non  stérile  et  donnent  aux  yeux  de  l'amateur 
instruit  une  véritable  récréation  ;  pour,  le  spectateur 
peu  familiarisé  avec  les  choses  anciennes,  ils  consti- 
tuent ce  que  le  vocabulaire  pédantesque  des  institu- 
teurs appelle  un  enseignement  intuitif. 

Après  avoir  donné  ce  satisfecit,  nous  qualifiera-t-on 
de  critiques  grincheux,  nous  accusera-t-on  de  nous 
attacher  à  des  minuties  si  nous  signalons  des  imperfec- 
tions de  détail,  des  à  peu  près  défectueux  mettant  trop 
fréquemment  leurs  tons  faux  dans  l'harmonie  de 
l'ensemble,  d'impardonnables  bévues  choquant  les  yeux 
les  plus  indulgents?  Certes,  l'architecture  peut  pren- 
dre, au  théâtre,  quelques  licences  :  on  ne  doit  point 
l'examiner  avec  les  lunettes  d'un  président  de  société 
archéologique  de  province.  Mais  l'éclectisme,  le  goût 
du  bibelot,  la  mode  ont  trop  répandu  la  connaissance 
de  l'art  ancien,  pour  que  les  plus  ignorants  ne  soient 
pas  stupéfaits  de  voir,  au  second  tableau  des  Tem- 
2oliers,  la  princesse  Isabelle  s'accouder  au  balcon  d'un 
pavillon  en  style  du  xv®  siècle;  au  quatrième  tableau, 
la  cour  de  France  réunie  devant  la  façade  d'un  palais 
d'architecture  flamboyante.  Et  quel  style,  quelle  archi- 
tecture! Du  gothique  de  pendule,  comme  on  le  com- 
prenait en  1825;  des  clochetons,  des  pinacles,  des 
trètles  assemblés  au  hasard  ;  un  moyen-âge  de  paco- 
tille, de  contrebande,  de  AValter  Scott.  Les  maisons 
qui  entourent  la  place  publique,  au  dernier  tableau, 
sont  importées  de  Nuremberg  ;  certaines  d'entre  elles 
montrent  des  arcs  Tudor,  des  fenêtres  à  croisillons  de 
pierre,  des  détails  qui  datent  de  la  transition  entre 
l'époque  ogivale  et  la  Renaissance  ;  d'autres  ont  le  toit 
percé  de  fenêtres  à  lancettes  qui  ne. tiennent  à  rien  et 
s'élancent  en  pleine  fantaisie.  Cela  représente  Paris,  à 
la  fin  du  xiii'^  siècle. 

A  cùté  de  ces  anachronismes  progressistes,  il  y  a  des 
anachronismes  qui  rétrogradent.  L'intérieur.du  Temple, 
du  Temple  construit  presqu'au  moment  de^^l'apogée  de 
l'art  gothique,  est  en  style  roman.  Les  voûtes  en  plein 
cintre,  les  piliers  massifs  et  trapus,  les  dais  surmontant 
les  statues  sont  du  xii®  siècle.  Côte  à  côte,  on  a  juxta- 
posé des  morceaux  de  style  ogival,  des  fenêtres  à 
meneaux*  flamboyants  découpées  dans  des  vignettes 
romantiques.  Cela  fait  compensation. 

Rien  n'échappe  à  la  convention  et  à- la  fantaisie  :  une 
couleur  indécise,  mélange  de  terre,  de  poussière  et  de 


chocolat,  sert  à  indiquer  la  pierre  blanche,  le  granit, 
le  bois  dp  chêne, les  statues, le  carrelage,  les  planchers; 
tout  est  enduit  de  la  même  sauce. 

Quelques  parties  sont  plus  satisfaisantes  :  la  chambre 
de  travail  du  roi,  décorée  de  fresques  d'un,  archaïsme 
hardi;  l'appartement  d'Isabelle,  tendu  de  tapisseries 
d'un  bon  dessin  et  meublé  avec  assez  de  goût;  la 
chaire  à  baldaquin,  le  coffre  polychrome,  le  triptyque 
aux  sujets  religieux,  les  petits  anges  volant  sur  la 
tapisserie,  et  qu'un  artiste  du  xiii®  siècle  eût  certaine- 
ment détachés  en  couleurs  plus  vives,  ont  suffisamment 
r  "  air  moyen-âge  «.  Les  lambris  exagérés,  la  grande 
poi^e  du  fond  au  cintre  surbaissé  sont  plus  discutables. 

Un  mot  des  costumes.  En  général,  ils  sont  bien  des- 
sinés, riches,  harmonieux  de  couleurs,  mais  ils  ne 
sont  pas  du  temps.  Les  modes  si  caractéristiques  du 
XIV®  siècle,  les  vêtements  mi-partis,  les  souliers  à  pou- 
laines,  les  houppelandes  étriquées,  les  braies  collantes, 
les  manteaux  taillés  en  barbes  d'écrevisses,tous  ces  cos- 
tumes excentriques  qui  faisaient  ressembler  les  person- 
nages du  temps  dlsabeau  de  Bavière  à  des  diablotins 
facétieux,  si  étroits  que,  selon  une  chronique  contempo- 
raine, il  «^  fallait  aide  à  eux  vestir  et  au  despoillier  «, 
n'ont  pris  cours  que  vers  1350,  sous  les  Valois,  c'est-à- 
dire  près  d'un  demi-siècle  après  la  condamnation  des 
Templiers.  Jusque-là,  le  costume  ample  du  xiii®  siècle, 
la  cotte  à  longs  plis  flottants  règne  sans  rivale,  surtout 
à  la  cour  des  rois  de  France.  Nous  n'insisterons  pas  sur 
la  toilette  d'Isabelle,. au  deuxième  tableau,  si  excessive- 
ment moderne,  ni  sur  celle  de  la  suivante  dont  les  man- 
ches à  crevés  sont  en  avance  de  deux  siècles.  Mais  que 
dire  des  bachelettes  qu'on  voit,  au  second  tableau, 
passer  la  Seine  en  une  barque,  de  leurs  coiffures  fantas- 
tiques, de  ces  hennins  dont  l'apparition  ne  date  que 
du  deuxième  quart  du  xv"  siècle  ?  Assistons-nous  à  un 
carnaval  historique? 

Ces  quelques  critiques  sommaires  sont  bien  loin 
d'épuiser  tout  ce  que  l'on  pourrait  dire  sur  la  mise  en 
scène  des  Templiers.  Mais  elles  suffiront,  croyons- 
nous,  à  indiquer  d'une  façon  générale,  les  côtés  faibles  : 
l'incorrection,  le  manque  de  précision,  la  négligence 
des  détails,  l'abus  des  poncifs,  le  laisser-aller  du  der- 
nier coup  de  main. 


SOCRATE    ET    SA    FEMME 

par  Théodore  de  Banville. 

A  lire  les  journaux  on  est  pousse  à  décider  que,  le  2  décembre 
188."),  le  tout  Paris,  cette  soi-disant  suprême  circonvolution  du 
cerceau  du  monde,  s'est  douté  pour  la  première  fois,  qu'il  exis- 
tât un  auteur  dramatique  du  nom  de  M.  Théodore  de  Banville,  dont 
le  talent  n'était  pas  précisément  celui  du  premier  d'Enner^'  qui 
passe.  On  lui  a  fait  fêle  et  les  critiques  de  théâtre,  qui  souvent 


^    LART  MODERNE 


43 


ne  sont  que  tics  monlrcurs  d'ours,  onl  désii^né  celte  fois  une  vraie 
pièce  cl  consigné  plus  qu'un  succès. 

Cela  ulonne. 

Car  ce  M.  Théodore  de  Hanviilc  n'a-t-il  point  rimé  les  Odes 
funambules  elles  Occidentales'!  u^-i-W  point  évoqué  les  Exilés  : 
Dante,  Hugo,  les  Dieux, dans  une  j)oésie  de  pouri)i'e  et  de  soleil? 
Alors  esl-il  possible  d'adnnellre  que  ce  grandissime  tout  Paris 
l'adopte,  lui  (jui  met  dans  une^  niche  d'admiration  et  dans  un 
ossuaire  de  vénération,  Augier  et  Dumas,  Delavignc  et  Scribe? 

Théodore  de  Banville  était  dc|)uis  longtemps  un  admirable 
écrivain  dramaticpie.  Dès  sa  pnMuière  pièce  Florise,  on  aurait 
dû  battre  des  mains.  Zc5  Fourberies  de  Nérine  sont  charmantes, 
le  Beau  Leandre  est  exquis,  Deidamia  est  peut-être  la  seule 
su[)erl)e  iragédie  moderne.  Et  qui  parlera  assez  louangeusement 
de  Gringoirc? 

De  toutes  ces  pièces  on  n'a  eu  cure.  A  peine  de  la  dernière. 
Elles  étaient  prisées  comme  jeux  innocents  et  fanfreluches 
qui  volent.  Florise  ne  fut  point  jugée  digne  d'être  représentée. 

Certes,  U^jeune  poète  de  G5  ans  qui  l'ime  Riquet  à  la  Houppe 
cl  Nous  Tous  ne  s'en  est  jamais  énm.  Depuis  les  temps  lointains 
Socrale  el  sa  femme  dormaient  dans  un  tiroir,  quelque  part,  à  la 
Comédie  française,  sans  que  l'auteur  fût  allé  les  réveiller.  Il 
était  trancpiille  el  pensait  à  qiKîlqu'autre  rêve.  Il  fallut  que  M.  Cla- 
retie  vint  et  eut  pour  Socrate  et  sa  femme  d'autres  entrailles  que 
M.  Perrin. 

Et  voici  que  ce  coui)  de  pitié  réussit  et  r(ue  le  parterre  aussi 
bien  ({ue  les  loges  comprennent  el  qu(^  les  journaux  s'emballent 
cl  que  le  succès  est  tel  qu'il  est  possible  que  Théodore  de 
Banville  en  ait  honte.  Il  se  dit  peut-être  (pie  ceux  qui  n'ont  pas 
applaudi  comme  des  chefs-d'œuvre  Deidamia  el  Leandre,  ne 
\n'henl,Sucrale  et  sa  femme  que  pour  quelques  mots  de  cir- 
constance el  i)our  la  tirade  sur  les  arts  el  la  patrie.  Aurait-il 
ton? 

Le  tout  Paris  qu'Alexandre  Dumas  fds  décrivit  un  jour  est  si 
peu  artislc  dans  le  sens  pur  du  mol,  que  rien  n'en  doit  srur- 
prcndrc.  C'est  le  public  de  Theodora,  de  Denise  el  du  Roman 
parisien,  public  intelligent  mais  (jui  pousse  néanmoins  la 
distraction  au  point  d'accueillir  le  Maître  de  Forges,  public 
qui  chicane  Oeorgelte  non  point  parce  que  la  pièce  est  mauvaise, 
mais  uniquement  parce  que  M.  Sardou  ne  coQclut  pas,  public  de 
cour  d'assises  et  de  prêche,  de  tribune  et  de  synagogue  peut-être, 
mais  de  vrai,  sain,  lyrique  et  littéraire  théâtre,  pas. 

A  croire  M.  Dumas  fds,  le  tout  Paris  juge  avec  une  subtilité  et 
une  sûreté  infaillibles;  c'est  une  sorte  de  franc-maçonnerie,  une 
société. d'initiés  que  rien  ne  trompe  et  qui  décide  en  remuant  le 
petit  doigt  si  telle  pièce  brillera  plus  tard  sur  les  hauteurs  esthé- 
tiques comme  un  phare  où  sera  la  petite  flamme  flagellée  de  vent 
et  bientôt  élcinle  «  dans  la  nuit  des  temps  ». 

11  serait  piquant,  mais  long,  de  compter  combien  de  fois  le 
petit  doigt  a  remué  bêlement. 

Socrate  et  sa  femme  prennent  beau  rang  dans  l'œuvre  de 
Théodore  de  Banville.  Le  premier?  Pas  le  moins  du  monde. 

En  voici  le  sujet  : 

Socrate  enseigne  à  Athènes  entouré  de  disciples.  «  Il  n'a  que 
la  femme  qu'il  a  »,  Xantippe,  une  acariâtre  bougonneuse,  qui, 
cinq  fois  le  jour,  se  fùche  el  sort  de  sa  peau,  espérant  que  le  bon 
Socrate,  lassé,  poussé  îi  bout,  finira  par  se  livrera  la  même  opé- 
ration indécente  et  douloureuse.  Peine  inutile.  Socrate  reste 
calme,  désespérément.  , 


Or,  un  jour,  rentre  chez  le  philosophe  l'indignée  Myrrhine  qui 
lui  reproche  de  débaucher  inlellectuelh^ment  son  époux  Draces, 
un  de  ses  élèves.  Cette  fois  Xantipi)e  croit  tenir  son  moyi^n.'Mais 
ce  n'est  pas  iMyrrhine  qui  fâche  Socrale,  c'est  Socrale  (pii  calme 
Myrrhini?  et  la  conquiert  à  ses  doctrines.  Xantippe,  furieusi*,  se 
tourne  contre  eux  deux,  tempête,  vacarme  et  lond)e,  étoufleé  de 
colère.  Le  bon  Socrate  est 'tout  naïvement  émolionné.  Il  s'em- 
presse, pleure,  regrette  Xantippe,  la  croit  morte.  Mais  Myrrhine 
le  rassure,  «  elle  est  femme,  elle  connaît  cela  ».  Socrale,  néan- 
moins, se  prodigue  en  pleurs,  il  loue  sa  femme  de  sa  rudesse 
même,  il  la  supi)lie  de  revenir  h  la  vie,  il  «  l'aimait  ».  Ce  mol 
•réveille  Xantippe.  C'est  une  réconciliation  entière  et  bien  qu'une 
giflle  —  dernière  épreuve  —  vienne  traverser  encore  le  dénoue- 
ment, le  rideau  tombe  sur  le  repentir  de  Xantippe  et  ces  paroles 
de  son  mari  : 

Adorons-la  pourtant  (la  femme)  i)uisque  les  Dieux 
L'ont  faite...  Et  c'est  encore  ce  qu'ils  ont  fait  de  mieux. 

Ce  qui  originalise.le  théâtre  de  Théodore  de  Banville,  c'est,  en 
premier  lieu,  la  poésie.  Aucun  des  dramaturges  modei'nes  n'est 
poète.  Non  pas  à  cause  de  la  prose  qu'ils  emploient  au  lieu  du 
vers,  mais  à  cause  du  sens  poétique  dont  ils  sont  diminués,  tous. 
Les  grands  classi(|ues  étaient  i)oèles  :  Corneille,  Racine  ;  les 
grands  romantiques  :  Hugo  el  Dumas  l'élaienl  aussi.  Depuis 
M.  Scribe,  les  faiseurs  d'actes  se  mo(iuenl  de  la  muse  comme 
dune  maîtresse  chaude.  Banville  est  une  exception.  Sa  phrase, 
sa  concei^tion,  sa  j)enséc  sont  lyricpics.  On  y  sont  une  envolée,  un 
rythme  d'aile.  Ses  pièces  demeurent  illuminées,  tandis  que  toutes 
celles  qu'on  nous  f/m^«;;c  actuellement  apparaissent  circonstan- 
cielles, faites  en  épilogue  de  tels  procès,  inventées  comme 
plaidoyers  pour  tels  scandales.  La  littérature  devient  un  com- 
mentaire léger  de  la  vie  du  boulevard  parisien;  elle  ouvre  bouti- 
que et  les  célébrités  de  l'heure  y  passent  el  se  font  photographier 
par  séries  de  cent  représentations. 

L'étude  de  riiumanité,  telle  que  l'entend  encore  M.  Henry 
Becque,  n'es.l  plus  de  mise.  L'excentricité  d'un^î  Princesse  de 
Bagdad  et  la  bizarrerie  d'une  Fédora  s'imposent.  A  moins  qu'on 
ne  préfère  travailler  pour  telle  actrice  ou  tel  acleur  en  renom,  ce 
qui  simplifie  Tétude  et  augmente  les  bénéfices. 

Ah!  combien  est  autrement  vrai  et  solide  tout  en  restant  lyrique, 
le  théâtre  de  Théodore  de  Banville!  Ici  régnent  la  vraie  devina- 
lion  de  la  vie  à  travers;  le  grand  bon  sens  ironique.  Socrate?, 
Xantippe?  ils  furent  tels  qu'on  nous  les  montre;  l'un,  le  sage 
imperturbable,  l'autre,  la  mégère  incoercihle  ;  ils  onl  en  eux  un 
fond  d'humanité  éternel  et  quoique  d'Athènes,  ils  sont  de  Paris 
cl  de  partout. 

^Au  surplus,  à  l'encontre  de  tous  ses  confrères,  ce  n'est  pas 
le  mauvais,  le  vicieux,  le  pervers,  ce  n'est  point  le  côté  noir  et 
sinistre  de  l'homme  que  Théodore  de  Banville  met  on  lumièro; 
c'est  de  préférence  les  vertus  et  plus  encore  les  dons  qu'il 
célèbre.  H  aime  tout  ce  qui  est  bellement  hardi,  superbement 
\ierge,  hèrement  tragique,  comme  aussi  tout  ce  qui  est  ingénu, 
naïf,  bon.  Et  le  voici  dressant  dans  la  lumière  Achille,  Diane, 
Gringoire,  Socrale. 

Celte  faculté  découle  d'ailleurs  de  sa  poésie  elle-même  qui  a 
des  soifs  de  pureté  et  de  grâce,  qui  le  force  à  voir  l'homme  en 
beau,  qui  le  détourne  du  pessimisme,  qui  lui  fait  belle  la  mort 
même. 

Théodore  de  Banville  a  cet  art  suprême  de  rajeunir  la  vcrlu. 


> 


en  yim^ant  jo  ne  sais  ([uoi  il'nntiqiïfi  cl  de  primilif.  Il  lui  donne 
du  sanij;  nouveau,  du  sang  (1(;  rose  el  d'aurore;  il  l'iiabillo  d'une 
ckair  nouvelle,  de  la  pulpe  des  lys  el  de  la  splendeur  des  nacres 
cl  des  ivoires.  , 

l'eul-êlrfc  les  éerivains  de  demain  s'apercevronl-ils  que  c'esl 
lui  le  vrai  maître  ([il'il  taul  suivre  et  non  pas  les  Uumas  el  les 
Sardou,  dont  Tari,  qui  a  lire  toutes  les  lieelles,  (jui  a  diibiié  tous 
les  paradoxes,  qui  a  redoré  tontes  les  vieilles  bibeiotterics,  qui  a 
crevé  toutes  les  j)âles  vessies,  mérite  bien  qu'on  enregistre  son 
décès  entre  un  procès  d'adultère  el  une  naissance  d'entant  nalu- 
rel.  Il  a  toujours  tenu  eutrc  ce  double  fail-divers. 

Au  surplus,  c'est  Tbéodore  de  Banville  el  non.  Dumas  cl  non 
Sardou,  (\m  continue  la  tradition  et  l'esprit  du  i^rand  Will. 
Shakespeare  a  ouvert  la  voie  moderne  du  drame  cl  il  faut  sortir 
de  lui  ou  n'être  pas. 


MORS  ET  VITA 


Irilofiie  sacrée,  j)ar  M.  Cn.  Gounod.     • 

M.  Gounod  est  de  ces  vieux  comédiens  enracinés  aux  planches 
(jue  la  seule  politesse  empêche  de  reconduire  avec  des  silllels. 

De  Faust  à  Ronico,  le  compositeur  épancha  toute  la  sève 
musicale  qui  circulait  en  lui,  sève  mondaine  et  parfumée,  s'ex- 
halanl  en  accords  caressants  et  suaves,  à  Heur  de  peau,  harmo- 
nieuscmont  distinguée  et  pianissimemenl  tendre. 

A  partir  de  Romco^  décadence  complète,  el  il  est  temps  que 
l'auteur  ferme  à  clef  la  petite  armoire  de  sacristie  où  sont  entas- 
sées ses  guirhindes  de  gloire  en  papier  rose  cl  ses  couronnes  de 
mois  de  Marie. 

Mais  à  côté,  ou  [)Iutôt  au  dessus  du  compositeur  dramatique 
qui,  certes,  a  son  apparence  d'originalité,  élargisseur  de  l'opéra- 
comi(iue  et  fondateur  d'un  minuscule  théâtre  lyrique,  il  y  a  le 
compositeur  sacré,  le  doux  pasteur  d'un  pieux  troupeau  de 
fidèles 

Qui  vont  broutant  les  cœurs  et  bêlant  aux  délires, 

Tapôtre   de   cette   religiosité  mondaine,  pénitence    du  second 
empire  ruiné,  toute  en  .  — 

Sauvez  la  France  au  nom  du  Sacré-Cœur. 

L'habitude  est  prise  de  considérer  les  sujets  religieux  sous  un 
aspect  purement  pittoresque  :  le  musicien,  le  peintre  n'ont  pas 
même  un  instant  la  pensée  de  voir  quelle  est  la  réalité  qu'ils  vont 
saisir.  Pas  le  moins  du  monde  :  ils  ont  des  couleurs,  des  har- 
monies à  leur  disposition,  des  tierces,  des  quintes,  du  bleu,  du 
rouge. 

Que  leur  importent  les  sujets  religieux? 

Si  l'on  proposait  h  un  peintre,  à  un  musicien  religieux,  s'il  en 
existe,  de  nous  faire  Saint-Julien  l'Hospitalier 

Il  s'en  alla  mendiant  sa  vie  par  le  monde,  t 

qui  pourrait  répondre? 

Dénomination  religieuse  de  l'œuvre,  une  réclame  bruyante  el 
longuement  préparée,  des  solistes  aimés  du  public,  des  masses 
chorales  et  instrumentales  bien  exercées,  l'auteur  dirigeant  en 
personne  l'exécution  de  son  œuvre,  tout  cela  n'a  point  emporté 
le  succès  de  Mors  et  Fita,  le  pendant  de  Rédemption^  la  trilogie 
exécutée  dans  les  mêmes  conditions  el  avec  aussi  peu  de  succès 
cn  1883  à  Bruxelles. 


Celle  fois,  c'esl  la  liu,  et  remisons  notre  bâton  de  chef  d'or- 
chestre, M.  (lounod!  Kvil/)ns  ce  ridicule  d'être  le  vieux  beau  de 
la  musi(pn^,  ne  jjorlons  |)as  surr.otre  miroitante  calvitie  une  pcr- 
riKiue  en  doubles  croches,  poim  de  cosmétiipu;  u  a  la  capella!  » 

In  manque  d'harmonie  absolu  entre  le  texte- et  la  musiciue, 
une  étrange  ignorance  de  l'orchestration,  l'abus  monotone  de 
rylhures  identiques,  tels  sont  les  aveuglants  défauts  de  Mors  cL 
Viia,  celte  œuvre  mort-née. 

Au  texte  latin,  parfois  rigide  comme  sur  du  marbre  les  sen- 
tences préceptorales,  une  musique  appliquée  de  doux  pij)eaux  au 
soir  tombant  (C  embrassez  qui  vous  voudrez»;  les  instruments 
détournés  de  leur  sens  music;d  (un  emploi  obstiné  de  grosse 
caisse  et  de  cymbales);  un  risible  trémolo  des  cordes  sur  le  thème 
Dies  irae;  des  chocs  de  gong  comme  à  l'entrée  en  niagasins  de 
chinoiseries;  la  répétition  de  la  sempiternelle  mesure  h  quatre 

temi)s.... 

.  .  .  '  î 

Ni  la  partition,  ni  le  poème  ne  méritent  uniî  analyse  appro- 
fondie ;  à  part  quehiues  bouts  de  phrase  où  réapparaît  le  (iounod 
baise-mains  de  jadis,  tout  est  unilonalemenl  terne  el  gris  el  con- 
firme que,  pas  plus  dans  iT/t^r^  et  Viia  que  dans  Rédemption^  il 
n'a  réussi  à  réaliser  cet  idéal  de  naïve  diaplianéilé  religieuse  qui 
tente,  comme  elle  ennoblit  les  primitifs,  rascendanle  génération 
poétique  et  musicienne.  Car  l'art  de  demain,  tout  entier  contenu 
en  Parsifal,  le  vrai  poème  musical  de  la  religion,  c'esl  la  can- 
deur d'être  saint  et  pur  et  celte  foi  aussi  dans»  la  sérénité  de  la 
compassion. 


L'ABONNEMENT  AU  THEATRE  DE  LA  MONNAIE 


Nous  rappelions  dernièrement  que  l'abonnement  au  théâtre  de 
la  Monnaie  représente  h  peu  près  un  neuvième  des  recetlcs 
totales,  soit  110,000  francs  sur  950,000  en  moyenne. 

Elant  donnée  l'influence  énorme  de  cette  fraction  restreinte 
du  public  sur  le  sort,  non  pas  des  recettes,  qui  sont  soumises  à 
une  évolution  presque  fatale,  mais  sur  la  troupe  el  les  embarras 
que  les  remaniements  de  celle-ci  causent  à  Ka  direction,  à  la  marche 
du  répertpire  et  surtout  à  la  production  des  nouveautés,  il  n'est  pas 
Irrutite^ d'insister  sur  cette  matière. 

A  la  production  des  nouveautés,  disons-nous.  Oui,  et  c'est  là 
le  point  dominant.  Un  oxcm^^lc  :  les  Templiers  n'ont  pu  être 
représentés  que  le  25  janvier,  parce  que  le  renvoi  du  ténor 
DereimS,  brusquement  congédié  après  une  représentation  disculée, 
malgré  son  mérite  actuellement  encore  brillamment  consacré  à 
Marseille,  malgré  ses  succès  des  premiers  jours  ici,  a  empêché 
de  commencer  les  répétitions  au  moment  espéré  et  les  a  retar- 
dées jusqu'à  l'arrivée  de  M.  Engel,  six  semaines  après.  De  là 
retard  forcé  dans  toutes  les  autres  créations  ou  reprises  impor- 
tantes. 

C'esl  un  groupe  d'abonnés  qui  a  fait  le  coup,  moins  parce  que 
le  ténor  avait  eu  un  moment  de  défaillance  que  parce  qu'on 
espérait  culbuter  la  direction. 

Or  voici,  d'après  le  tarif  inscrit  à  l'art.  48  du  cahier  des  charges 
de  la  Ville,  à  quelles  conditions  de  bon  marché  invraisemblable, 
on  peut  s'enrôler  dans  ce  groupe  despotique,  solidement  établi 
au  théâtre,  occupant  une  partie  connue  de  la  salle.  Remarquons 
que  tous  les  abonnés  ne  font  point  partie  de  ces  Romains  à 
rebours.  Une  moitié  est  indifférente  (toujours),  un  quart  est  favo- 
rable à  latlirociion  (toujours),  le  dernier  quart  seul  forme  l'oppo- 


'ar  an. 

Par  mois. 

Par  soirée. 

Le  non  abonn 
paio. 

500 

i'v.     70 

(V.     3-80 

fr. 

7 

480 

GO 

3-30 

^      . 

480 

GO 

3-30 

7 

'520 

65 

3-60 

7 

440 

55 

3-00 

7 

400 

50 

2-70 

6 

320 

40 

2-20 

5 

silion  (loujoiirs),  de  icUo  .sorle  ((ue  le  sort  des  arlisles  est  allacli<; 
à  Topinion  (le,  c^ens  qui  fout  cnlrei'  dans  la  cais,S(!  du  ihéâli'e  le 
quart  de  1 10,000  francs,  ou  25,000  francs  en  chillVes  ronds  tous 
les  ans  !  La  irenlièine  prfl-lie  de  l'actif!! 

Ceci  dit,  voici  le  barème  pour  les  places  [)rincipales  et  pour 
cent  quarante-quatre  re|)résentalions  composant  la  saison  entière 
de  rabonncment,  soit  di.\-huit  pour  chacun  tics  huit  mois. 

Il"''  loge  de  face  .     .  fr. 
i^<i  log-e  de  côté  .     .     . 
Fauteuil  d'orchestre     . 
Baig-noire  de  côté    . 
Baignoire  de  face    . 

Balcon 

Parquet    ...     . 

Les  abonnés  ayant  toujours  leurs  places  retenues  à  l'avance, 
c'est  avec  les  places  prises  en  location  par  les  personnes  non 
abonnées  que  la  comparaison  doit  s'établir. 

Notons  entre  autres  celte  chose  stupéfiante  :  pour  50  francs  par 
mois  on  est  abonné  au  balcon,  pour  40  francs  au  panjuct.  Le 
brillant  et  dédaigneux  abonné  au  balcon,  cravaté  de  blanc  et  on 
queue  de  morue,  ne  paie  pas  \)\us  que  le  petit  employé  qui  relient 
son  parterre,  que  la  bourgeoise  modeste  qui  retient  une  troisième 
loge.  L'abonné  au  par(|uet  paie  moins;  à  vingt  centimes  près,  le 
spectateur  de  l'amphithéâtre  de  troisième  paie  autant  que  lui  ! 

Lecteur,  si  vous  rencontrez  dans  les  couloirs  un  quidam  mau- 
gréant tout  haut  contre  la  direction,  mettant  la  main  à  la  bouche 
des  calorifères  pour  savoir  s'ils  chauffent,  trouvant  mauvais  tout 
y  compris  les  ouvreuses,  soyez  persuadé  que  c'est  un  de  ces  heu- 
reux mortels  qui  ont  payé  leur  place  fr.  2-70.  Vraiment  pour  leur 
argent  ils  en  ont. toujours  trop. 

Ajoutons  cette  clause  spéciale  consacrée  à  Bruxelles  par 
l'usage  :     , 

Abonnement  en  partage.  —  «  Une  majoration  d'un  tiers  sur  le 
prix  de  l'abonnement  donne  au  titulaire  d'une  loge  de  quatre  ou 
six  places  la  faculté  de  partager  son  abonnement  avec  quatre  ou 
six  autres  personnes  déterminées.  » 

Et  cette  autre  : 

«  MM.  les  abonnes  ont  le  droit  de  retenir  leurs  places  pendant 
toute  la  journée  (pii  suit  l'apposition  des  affiches  annonçant  les 
spectacles  abonnement  suspendu.  » 

Moyennant  quoi  ce  groupe  de  privilégiés  a  le  droit  de  faire 
échec  à  tout  ce  qui  lui  plaît  et  de  ren'dre  ses  ukases,  selon  ses 
camaraderies  et  ses  caprices.  Il  a  fallu,  l'an  dernier,  que  durant 
les  dix-huit  rcprésenlations  des  Maîtres -Chanteur  s  quelques 
amateurs  se  constituassent  en  quelque  sorte  abonnés  (Vo/Jice,  ne 
manquant  aucune  des  soirées,  pour  empêcher  que  cette  phalange 
macédonienne  ou  plutôt  béotienne  ne  mît  pas  en  capilotade  le 
chef-d'œuvre  de  Wagner  qu'elle  avait  proclamé  commun  et 
insupportable. 


ÇoCUMENTp    A    CON^JERVZF^" 
LE  JOURNALISME  () 

A  Monsieur  Léon  Qui(ïbœu[. 

30  septemhrc  1871. 
Monsieur,  '      ^ 

Je  suis  doublement  satisfait  d'apprendre  qu'un  journal  catho- 
lique et  monarchique  \a  paraître  au  Mans,  et  que  la  rédaction 
vous  en  est  confiée.  Mes  sentiments  sur  la  presse  vous  sont  con- 
nus. Je  l'ai  i)ratiquée  toute  ma  vie  et  je  ne  l'aime  pas;  je  pourrais 
dire  que  je  la  hais  :  mais  elle  appartient  ii  l'ordre  redoutable  des 
maux  nécessaires.  Les  journaux  sont  devenus  un  tel  péril,  qu'il 
est  nécessaire  d'en  créer  beaucoup.  La  presse  ne  peut  être  com- 
battue que  par  elle-même,  et  neutralisée  que  par  sa  multitude. 
Ajoutons  des  torrents  aux  torrents  et  qu'ils  se  noient  les  uns  les 
autres  en  ne  formant  plus  qu'un  marais  ou,  si  l'on  veut,  une  mer. 
Le  marais  a  ses  lagunes  et  la  mer  ses  moments  de  sommeil.  Nous 
verrons  si  là  dedans  il  sera  possible  de  bâtir  quelque  Venise. 

Je  vous  vois  avec  plaisir  prendre  une  carrière  où  depuis  long- 
temps je  vous  crois  appelé.  L'expérience  du  métier  vous  manque, 
mais  ce  n'est  rien  :  vous  ave/,  l'élude,  .vous  avez  les  principes,  cl 
surtout  la  grande  expérience  de  la  vie.  Rousseau  prétend  qu'il  ne 
faut  pas  commencer  d'écrire  avant  d'avoir  quarante  ans.  Il  aurait 
raison,  s'il  s'agissait  des  journalistes,  j'entends  de  ceux  qui  diri- 
gent. Nulle  fonction  ne  requiert  davantage  la  maturité;  mais  il 
faut  en  même  temps  conserver  la  spontanéité  et  l'ardeur.  La  soli- 
dité des  principes  vous  donnera  cette  promptitude  mûre;  le  feu 
vivant  de  la  foi  entretiendra  en  vous  cette  ardeur  généreuse,  plus 
constante  que  l'élan  de  la  jeunesse, 

Vous  connaissez  le  devoir  du  journalisle  parce  que  vous  avez 
réfléchi  sur  celui  du  chrétien.  Le  journaliste  est  un  citoyen  arriié 
pour  la  cause  publique  ;  son  péril  est  de  ne  guère  relever  que  de 
lui-même  ;  mais,  s'il  sait  remplir  ses  obligations  envers  Dieu  et 
envers  la  patrie,  ce  péril  devient  sOn  avantage  cl  sa  force  II  me 
semble  que  le  journaliste  catholique  est  le  dernier  reste  de  la 
chevalerie.  Il  ne  quitte  pas  les  armes;  il  va  devant  lui  proclamant 
sa  foi  et  portant  secours.  11  se  propose  de  ne  point  commettre 
d'injustice  et  de  n'en  point  souffrir,  si  ce  n'est  contre  lui-même. 
S'il  en  commet,  il  les  répare,  s'il  en  voit  faire,  à  ses  risques  et 
périls  il  combat  pour  en  procurer  la  réparation.  Saint  Grégoii'e  VII 
citait  souvent  ce  verset  de  Jérémic  :  «  Maudit  soit  l'homme  qui 
retient  son  glaive  pour  ne  pas  verser  le  sang  !  car  le  respect  de  la 
justice,  qui  est  la  loi  de  Dieu,  doit  passer  avant  la  déférence  qui 
peut  être  due  à  l'homme.  » 

C'est  un  métier  laborieux.  Il  y  faut  du  cœur  et  encore  du  cceur. 
Noire  temps  n'aime  pas  la  vérité,  vous  le  savez  de  reste;  et  dans 
le  petit  nombre  de  ceux  qui  aiment  la  vérité,  plusieurs,  pour  ne 
pas  dire  beaucouj),  n'ainient  point  ceux  qui  se  mettent  en  avant 
pour  la  défendre.  On  les  trouve  indiscrets,  importuns,  inoppor- 
tuns. 0[i  ne  leur  pardonne  pas  volontiers  leurs  défauts;  on  leur' 
sait  plus  volontiers  mauvais  gré  de  ne  pas  mettre  tout  le  monde 
d'accord  cl  de  ne  pas  se  mettre  d'accord  avec  tout  le  monde.  J'ai 


(*)  Nous  pubUerons  prochainement  sur  le  même  sujet  une  lettre  curieuse  de 
Jules  Vallès.  Par  ces  temps  de  reportage  anaioliique,  il  n'est  pas  inutile  de 
rafraîchir  quelques  principes. 


enloiitlii  sniivoiit  iin|)iit('r  ('(MiuM'ail  ;i  un  joiii'ii:»lisU>  de  vnii'ocon- 
iiaissniicc.  Je  l";ii  «'uU^ndii  aussi  iuipulcr  au  P;i|h\  et  il  va  loul  a 
l'heure  (lix-iuMif  ceiils  ans  (jik'  le  Piipe  renleiid  iiiipuler  au  Fils 
uni(iiie  ile>l)ieu.  Il  f;+iil  en  jn-emlre  son  parli,  même  loi-siiu'on 
(>sl  l)oaucoiip  moins  innoeenl  <juo  le  Pape.  \/,\  souOVaiice  (jui 
résulli^  (le  e(^s  peiil(>s  ini(pii;r's,  u'empêehe  pas  de  marcher  el 
cnlin  elle  chnienl  nulle.  (Vol  lt>  cas  de  dire  :  Douleur  lu  n'es 
([u'un  nom.  -     - 

Quant  à  d'aulres  adversaires  (pie  Ton  rencontre  en  ahondanco, 
el  (]ui  sont  en  nu*'me  leniiis  les  advorsnin^s  el  Les  ennemis  de 
toute  V('ril('  relii^ieuse,  morale  et  politiciue,  il  faudrait  se  i)laindro 
de  ne  pas  l(>s  i(>iU'ontrer,  puisqu'on  les  cherche.  On  s'est  mis  en 
armes  justemenl  pouj'  les  comhaltre.  Le  mérite  du  soldat  qui 
i;arde  un  l'on  n"esl  pas  de  consommer  ses  |)i'Ovisions  dans  la- 
eas(Muale,  mais  de  ])araitre  sur  h*  rempart  et  de  l'aire  des  sorties. 
Faites  donc  des  sorlics.  laites-eu  toujours.  Sous  rélendard  (]ue 
vous  j)orle/.  on  en  revient  toujours  avec  honninir  el  l'on  ramC'ne 
des  prisoimi(>is.  Dans  ces  sortes  de  b<ilaillt^.s,  les  ennemis  (]ui 
croient  avoir  des  armes  (M  (pii  vinilenl  loyalement  combattre  se 
lonl  prendiv.  Cau\  qui  n'ont  (pie  des  ai)j)(''tits  et  des  passions, 
n'ont  aussi  p^ur  aruus  (jue  des  injures;  ils  s'(''cliapp(ml,  mais  ils 
ne  hli'ssenl  point.  Au  temps  où  nous  sommes,  il  n'y  a  plus  de 
distanc,>  ni  de  Paris  h  Pc'kin,  ni  du  bouge  etdu  bagne  aux  grands 
emplois,  ni  de  la  fausse  clef  au  colVre-fort,  ni  du  poignard  au 
canir;  mais  la  dislance  est  encore  infranchissable  entre  la  renom- 
m('e  de  riionnète  homme  et  la  plume  du  gredin.  On  dort  fort 
tranquille  sous  les  plus  fortes  averses  d'encre  empoisonn('e.  Elle 
ne  lue  pas  et  ne  noircit  i>as.  La  j>robit(3  a  ({ueUiue  chose  en  elle 
f{ui  dissout  ce  venin.  ■ 

.Marchez  (Fun  pas  fi^rme  dans  votre  bonne  voie,  a  travers  les 
(^onlradiclions.  Vous-y  trouvi-rez  le  conlenlemenl  de  ceux  (jui  tra- 
vaillent jiour  la  justice  el  (jui  ont  la  cerlilude  du  rassasiement 
fulur.  Dieu  ne  i)erd  pas  de  vue  l'avenir.  Quand  les  fortes  mains 
du  monde  ne  s'occupent  ({u'à  des  destructions  ineptes  quoique 
nécessaires,  sa  miséricorde  fait  mouvoir  quanlitc'  de  petites 
mains  inconnues  et  presque  invisibles,  (jui  pn-parent  de  glo- 
rieuses reconstructions.  Quel  (jue  soit  sui"  eux  le  jugement  du 
monde,  heureux  les  ouvriers  qui  li'aui'ont  pas  un  jour  à  maudire 


leurs  travaux, 


Louis  Velii.lot. 


]S^CT£3     DE     LIBRAIRIE 


LEdcn  dit  ]n>ctt\  par  Henri  de  Classant.  Paris,  >lerlens.  : — 
L'Eden  du  pnUe  ?...  Non,  on  y  rythmerait  mieux,  on  y  verrait 
moins  de  vulu,irités  cl  de  banalités  éi^renées  au  bord  des  che- 
juins.  Le  titiv  du  'ivre  est  une  raillerie. 

Le  ji  'l'te  en  ce.s  lieu.r.  rythmei-a  de  beaux  vers. 

Coimncnt  dire'  ]dus  opéra-eomiquemeut  les  choses  «  En  ces 
lini.r!  El  cela,  dès  le  premier  sonnet;  et  cela,  sous  forme  de  sen- 
t'uce  (^  pour  (pic  nul  n'en  ignore  ». 

Si  -M.  Henri  de  Classant  veut  nous  jtasser  notre  franchise  nous 
lui  conseillerons  de  condamner  lui-même  EEden  du  poêle  et  de 
ne  relire  ce  livriculet  que  s'il  veut  savoir  comment  il  ne  doit  pas 
faire  h  s  vers.  Peut-être,  grâce  à  cet  antidote  nous  apporlera- 
t-il  de  la  bonne  jioésie,  Fan  prochain. 


"^ 


Voici  un  litre  qui,  ;i  premii'Mv  viu',  peut  paraître  ])ien  particulier 
et  bien  spéciii^l  :  llisloire  de  la  coi/j'nre  des  feiuines  eu  Franee, 
par  (iabrielhî  d'Eze  el  (L  Marcel.  C(!l  ouvrage,  illustn;  de  "ii'i  gra- 
vures par  J.  Hocaull  est  au  contraire  d'une  lecture  lr(''scaplivanle. 
Ce  n'c^st  pas  comme  on  pourrait  croire  tout  d'abord  une  étude 
sc'che  cl  didacli(iue  de  la  coilbire  des  fennnes,  mais  bien  une 
histoire  bon(l('e  d'anecdoU's  sur  la  mode  en  général,  avec  force 
récils  el  épisodes  cpii  en  l'ont  b  la  fois  un  document  hislori(|ue  de 
choix  el  un  livre  d'agrément.  (Paul  OllcndorlT,  éditeur.) 


Vient  de  paraître  à  la  même  librairie  un  volume  de  C.  Cassot, 
sous  ce  tilie  :  llonovcc.  C'est  une  élude  de  femme,  extrêmement 
fouill(''e,  livs  audacieuse,  traitée  avec  une  grande  force  d'obser- 
vation. . 

■'.■*. 

Encore  un  '  roman  de  M.  Henri  Danay  :  Les  Deux  Amours 
de  Uene.  Lue  étude  moderne  dans  la(pu^]le  Fautt^fr  n  a  pas  reculé 
devant  des  constatations  cruelles.  Tout  est  vibrant  dans  ce  livre 
qui  met  en  scène  les  passions  les  plus  violentes  dans  une  intrigue 
simple  el  dramati(iue. 


MEMENTO  DES  EXPOSITIONS  ET  CONCOURS 

Bkri.ix.  Exposition  du  Conlenairo  des  Salons  berlinois,  Oiivortui-o, 
15  mai.  Feruiolure,  15  octobre.  F)i''lais  d'envoi,  l'i"  inar.s-l<""  avril. 
Deux  ouvrages  seulenieid  j)ar  exp(isaMl.  Renscignemeids  :  jusqu'au 
IÇ'' mai-s,  AcddrDiie  voycde  des  Beaux- Arts,  i'ue.de  l'Vniversité, 
0.  1;  après  le  1'"' mars,  Coi}imissi<))i  de  rE.rposîtio)i,  près  la  gare 
de  Lehrte,  .V.   IT. 

Buuxf:i,les.  III*'  Exposition  internationale  des  XX  (liniilce  aux 
meml)res  et  aux  artistes  invités).  Ouverture,  0  lévrier.  Formolure 
7  mars.  Renseignements  :  Seeré taire  des  XX,  rue  du  Ikrger,  27, 
Briurelles.   .'  ; 

Bruxelles.  —  Exposition  el  concours  de  la  Société  centrale 
d'architecture.  —  Ouverture  1<"'  mai  188G.  Section  rétrospective, 
section  contemporaine.  Envoi  avant  le  15  avril.  Renseignements  : 
Secrétah'e  de  la  Conunissioa  organisatrice,  rue  Royale  Sainte- 
Marie,  128,  Schaerheek  [Bruxelles). 

Edimbourg.  —  Exposition  (internationale)  de  l'industrie,  des 
sciences  et  des  arts,  -r-  Du  4  mai  au  30  octobre  188G.  —  Mobilier 
et  arts  décoratifs,  beaux- arts,  reproductiou  d'anciens  édifices  et  de 
vieilles  rues,  etc.  —  Demandes  d'emplacements  au  Secrétaire  de 
l'Exposition,  Frederick  Street,  18,  Edimbourg . 

Glasgow.  —  25^  exposition  (internationale^  de  l'Institut  des 
Beaux-Arts.  —  Du  2  février  au  30  avril  1886.  —  Tableaux  à  l'huile 
et  aquarelles.  —  Renseignements  :  Robert  Walker,  secrétaire, 
Glascotc.  1 

Paris.  —  5®  exposition  de  FUinu.n  des  femmes  peintres  et  sculp- 
teurs, —  Du  12  février  au  4  mars  1886.  —  Envois  les  5  et  6  février, 
—  'Ren&Q\g\\eme\\\.i  :  M^^  Léon  Ber taux,  présidente. 

Paris.  Salon  annuel.  Ouvertui-e,  l*""  mai.  Fermeture,  30  juin. 
Délais  d'envoi  :  Peinture,.  10-14  mars  ;  sculpture,  gravure  en  méd. 
et  sur  p.  f.,  20  rnars-5  avril;  architecture,  gravure,  lithographie  ^ 
2-5  avril. 

X.  B.  Le  maximum i^ur  la  dimension  des  cadres  sera  de  ^0  cen- 
timètres en  largeur  et  de  20  centimètres  en  épaisseur.  Seuls  seront 
admis  les  cadres  dorés,  noirs  ou  en  bois  naturel  foncé. 

Rome.  Exposition  annuelle  des  amateurs  des  Beaux -Arts  (limitée 
aux  artistes  italiens  et  aux  élrangei's  qui  résident  à  Rome).  Ouver- 


vT 


i 


turc,  21  février.  Fermeture,  iS  avi-il.  Dt'l.'n.s  (renvoi  :  1''' -9  février. 
Rciiseif^'nonieiits  :  SccrrUdvc  de  la  société,  palais  des  Beaux- Arts, 
rue  N((zion(d<',  Rome. 


^ETITE     CHROJMIQUE 


Exjwsiiioa  des  XX.  —  Pour  s;il.isfiiiro  a  de  nombroiiscs 
demandes,  (les  cai'lcs  pei'manfîuti.'S,  au  prix  de  10  francs,  sont 
mises  en  vente  au  Salon  des  .YA'. 'C<'s  cartes  donneront  accès  à 
toutes  les  conférences  artisti(jues  organisées  par  les  .Y.Y.  Elles 
sont  stricteinenl  |)ersonnelles. 

La  prernièn^  conférenc(î  est  fix(;e  au  samedi  43  février,  à 
3  heures.  Klle  sera  faite  par  M""  Jenny  TrrKNATU),  do  la  Comédie 
française.  Le  sujet  choisi  par  l'aimable  conf(''rencière  ne  peut 
manquer  d'allirer  un  nombreux  auditoire.  Il  porte  pour  titn;  : 
Les  femmes  peintes  par  elles-mêmes.  Les  Comédiennes  peintres. 


M.  Yerdhurt  compte  termin(M-  la  cami)agne  théâtrale  par  une 
reprise  (le  Lohengriii,  dont  le  succès  ne  peut  être  douteux.  Des 
journaux  ont  donné  la  distribution  diis  rùh.'s.  Ces  renseij^niemen  ts 
sont  pnhnalurés  rien  n'étant  encore  définitivement  arrêté  à  cet 
égard.  Seuls  les  rôles  d'honnncs  sont  arrêtés.  M.  Ent^el  chantera 
Loliengrin  ;  !\I.  lîerardi,  Frédéric  de  Tclramund  ;  M.  iUjbulhî,  le 
roi  Henii;  M.  Renard,  le  héros. 

On  le  voit,  les  rôles  accessoires  mêmes  seront  tenus  |)ar  des 
artistes  do  valeur.  Quant  à  Eisa,  il  est  question  de  M"'"  Wolf  ou 
de  M"'''  Thuriniiçier.  M""'  xMontalba  ser.dl,  en  ce  cas,  chargée  du 
rôle  d'Ortrude,  qui  conviendrait  admirabliMnenl  à  son  tempéra- 
blement  dramatique. 

La  Basoche  aHîrmc  sa  prospérité  par  une  rédaction  de  plus  en 
plus  audacieuse  et  jeune.  Le  format  en  est  augmenté,  l'impres- 
sion renouvelée  et  la  typographie  parfaite.  Elle  n'entre  que  dans 
sa  deuxième  année,  et  déjà  elle  s'est  fait  sa  place  et  choisi  son 
ih'a[)enu:  Tiuuge  Belgique  pdiTuil-'û. 


Les  Hamburger  Nachrirliten,  le  plus  important  journal  de 
Hambourg,  contiennent,  dans  leur  numéro  du  13  janvier,  un 
feuilleton  artistique  consacré  à  l'Exposition  permanente  du  Cercle 
des  Beaux- Arts  dans  lequel  nous  relevons  une  appréciation  très 
ilatteusedes  tableaux  de  notre  compatriote,  M.  Félix  Cogen. 


La  commune  d'Anderlecht  prépare  une  audition  des^ œuvres  de 
M.  Léon  Van  Cromphout,  un  de  nos  artistes  de  valeur.  C'est, 
dans  le  inonde  nuisical  une  figure  connue,  sympathique,  et  dont 
la  cécité  augmente  le  caractère  touchant.  Cette  audition  aura  lieu 
dans  une  des  salles  de  l'hôtel  communal  deCureû;hem-.\ndcrlecht. 
11  y  auraà  cette  occasion  un  banquet;  une  œuvre  d'art  sera  remise 
ît  Farliste,  etc. 

On  nous  prie  d'annoncer  que  le  concert  de  M'"-  Cornélis-Servais 
est  remis  au  jeudi  11  février. 


M.  Ciovis  Hugues  va  prendre  Finitialive  de  constituer  un  groupe 
parlementaire  qui  prendra  le  titre  de  Groupe  de  In  Défense  des 
inlércts  artistiques. 

M.  Ciovis  Hugues  s'adressera  à  tous  ses  collègues  de  la/,ham- 
bre,  sans  distinction  de  couleur  politique.  Il  a  déjà  réuni  un  cer- 
tain nombre  d'adhésions. 


Un  riche  Américain  vifînt  d'acheter,  [)Oiir  la  somme  de. 
117,000  francs, deux  lal)leaux  de  François  .Millet,  provenant  de 
la  galerie  du  général  comte  L...  Sujet  :  le  Soir  vx  le  Matin. 

Ces  deux  tableaux  étaient  absolument  inconnus  des  marchands, 
l'artiste  les  ayant  donnés  au  général  L...,  en  souvenir  d'un  grand 
service  rendu,  et  sous  la  condition  qu'ils  ne  seraient  jamais 
exposés  ni  gravés. 

Sommaine  de  la  Jeune  lielgiipie,  n"  du  l"--  février  1880  : 
Odilon  Redon,  Jules  Désirée.  —  F'iévation,  André  Fonlainas. 

—  Ballade,  Jacques  Coriolis.—  Ernest  \W,u\\x\  (fin),  Fran^îis  Nau- 
tet.  —  Airs  de  flûte,  Siebel.  —  Chronique  littéraire,  .Max  Waller. 

—  Chronique  artistique,    Emile   Vcrhaeren..   —    .Mémento.   — 
Mémento  musical,  H.  3L  , 


Sommaire  du  Nieuwe  Ciids,  n"  de  ïé-sncv  1880  : 
Justusvan  Maiirik,  Frans  Xf.tschcr.— [)(•  kleine  Joli;innes  (slot), 
Frederik  van  Eeden.  —  HuniaiK'  polilick,  Mr.  M!  C.  L.  Lotsij.  — 
De  studio  van  het-RomeinsHie  redil  fslot;,  Willem  Paap.—  Onze 
Oosl.  Vergeefsehe  arbeid,  (;.  r.iiit.'ndijk.— Ganymedcs  op  aarde, 
Willem  KIops.  —  Verlaten  .s'r.iat,  Hélène  Swartli.  —  Kinderen, 
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48 


U ART  MODERNE 


SIXIÈME  ANNÉE 

L'ART  MODERNE  s'est  acquis  par  l'autorité  et  rindépondaiieo  de  sa  critique,  j)ar  la  variété  de  ses 
inforinatioiis   et    les   soins   donnés   à   sa    rédaction    une   place  prépondérante.    Aucune   nianifeslation  de  l'Art  ne 

lui  est  étranij:èr(^  :  il  s'occupe  de  littérature,  d(^  peinture,  de  sculpture,  de  gravure,  de  musique, 

d'architecture,    etc.    Consacré    principalement   au    mouvement   artistique   belge,    il   renseigne   néanmoins   ses 
lecteurs  sur  tous  les  événements  artistiques  de  l'étranger  qu'il  importe  de  connaitre. 

Chaque  numéro  de  L'ART  MODERNE  s'ouvre  par  une  étude  approfondie  sur  une  question  artistique 
ou  littéraire  dont  l'événement  de  la  semaine  fournit  l'actualité.  Les  c.i'posîiioyis,  les  liv/^cs  nouveaux^  les 
prcmû'rcs  rcpré.<cnéatiO)(s  d'œuvres  dramatiques  ou  musicales,  les  conférences  littéraires,  les  concerts,  les 
voitcs  (tohjch  (Fart,   font  tous  les  dimanches  l'objet  de  chroniques  détaillées. 

L'ART   MODERNE    relate   aussi   la   législation    et   la  jurisprudence   artistiques.    11    rend   compte  des 
procès  les  plus  intéressants  concernant  les  Arts,  plaides  devant  les  tribunaux  belges  et  étrangerST'Tiles^ 
artistes   trouvent  toutes    les   semaines   dans    son   Mémento   la   nomenclature   complète   des   expositions   et 
concours   auxquels   ils   peuvent   prendre   part,   en   Belgique  et  à  l'étranger.   11  est  envoyé  gratuitement  à 
l'essai  pendant  un  mois  à  toute  personne  qui  en  fait  la  demande.  • 

L'ART  MODERNE  forme  chaque  année  un  beau  et  foi't  volume  d'environ  450  pages,  avec  table 
des  matières.  Il  constitue  pour  l'histoire  de  l'Art  le  document  LE  PLUS  COMPLET  et  le  recueil  LE  PLUS 
FACILE  A  CONSULTER. 


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Quelques  exemplaires  des  cinq  premières  années  sont  en   vent(^    aux  bureaux    de  L'ART   MODERNE, 
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Sixième  année.  —  N°  7 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  13  Février  1886. 


L'ART 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique/un   an,   fr.   10.00;  Union   postale,    fr.    13.00.    —   ANNONCES   :    On   traite   à  forfait. 

Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 

l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


^OMMAIRE 


Le  Salon  dks  Vingt.  —  Sottisikr  des  Vingtistes.  —  Deuxième- 
concert  DU  Conservatoire.  —  Concert  Cornélis-Servais.  \^ 
RÉCEPTION  a  l'Académie  —  Théâtre  de  la  Monnaie.  Faust.  — 
Théâtre  de  l'Alcazar.  —  Corrkspondance  musicale  de  Paris.  — 
Mémento  des  expositions  et  concours.  —  Petite  chronique. 


lE  SAION  DES  VINGT 

Un  Vingtiste  pérorait.  Un  Tout-Bruxelles  écoutait, 
avec  commisération. 

«  Il  ne  m'en  coûte  rien,  disait  l'énergumène,  de 
manquer  de  charme,  lorsque  le  charme  n'est  pas  le 
caractère  essentiel  de  l'objet  que  je  représente.  On 
trouve  mes  figures  grises,  estompées.  Moi  je  les  dis 
parfaitement  construites,  sans  contours  visibles,  mode- 
lées par  l'intérieur,  en  tout  vivantes  d'une  vie  particu- 
lière. Je  peins  en  coloriste,  parce  que  dans  la  nature  je 
perçois  la  couleur  plus  délicatement  que  les  formes.  Il 
faut  que  la  plus  large  part  soit  faite  aux  aptitudes, 
aux  habitudes,  aux  instincts,  aux  caprices,  aux  sensi- 
^jilités  subites  de  chaque  artiste.  J'ai  la  haine  des  con- 
tradictions, des  contre-coift^ants,  des  traditions  acadé- 
miques qui  continuent  de  filtrer  à  travers  le  vaste  mou- 
vement qui  nous  porte  au  vrai  naturel.  J'ai  la  préten-. 
tion  d'arrêter  la  vision,  de  hi  poser  sur  la  toile,  de  lui 


donner  sa  forme,  son  relief,  sa  contexture  fragile.  Je 
trouve  extraordinairement  intéressant  un  cerveau  servi 
par  un  œil  de  noctiluque.  A  l'heure  actuelle,  il  s'agit 
de  rendre  à  chaque  chose  son  intérêt,  de  remettre 
l'homme  à  sa  place  et  au  besoin  de  se  passer  de  lui.  Le 
moment  est  venu  de  penser  moins,  de  viser  moins 
haut,  de  regarder  de  plus  près,  d'observer  mieux  et  de 
peindre...  autrement.  Désormais,  le  génie  doit  con- 
sistera ne  rien  préjuger,  à  ne  pas  savoir  ce  qu'on  sait, 
à  se  laisser  surprendre  par  son  modèle,  à  ne  demander 
qu'à  lui,  comment  il  veut  qu'on  le  représente.  Quant  à 
embellir,  jamais  ;  à  ennoblir,  jamais  ;  à  châtier,  jamais  : 
autant  de  mensonges  ou  de  peine  inutile.  Il  y  a  dans 
tout  artiste  digne  de  ce  nom  un  je  ne  .sais  quoi  qui  se 
charge  de  ce  soin  naturellement  et  sans  effort.  ^ 

Le  Vina'tiste  se  tut.  Le  Tout-Bruxelles  leva  les  bras 
..au  ciel.  On  entendit  une  voix  de  joie  et  d'orgueil  pleine, 
qui  disait  en  ricanant  :  ^  Encore  un  d'enrégimenté- 
sous  le  drapeau  du  paradoxe!  De  ma  suite  tu  es.  Je 
ma  suite  tu  resteras  ".  On  vit  aussi  s'enfuir  en  ûvmis- 
sant  un  chroniqueur  de  Y  Étoile  hchje  qui  passait  par  là 
en  appelant  la  malédiction  du  ciel  sur  un  mystérieuN:  ' 
personnage  qualifié  par  lui,  avec  des  intentions  téné- 
breuses :  Le irrotagonîste  du  mourenient  naturaliste- 
inti'ansigeaïit  et  comparé  à  Méphistophélès! 

Puis,  la   vision   s'évanouit.  Là   où  était    le   Tout- 


Bruxelles,  il  ne  resta  qu'un  peu  de  cendre.  Là  où  était 
le  chroniqueur  de  ï Étoile,  il  lie  resta  rien. 


Lecteur,  je  plaisante.  C'est  une  rêverie  qui  m'était 
venue  en  lisant,  sous  ma  lampe  à  vert  abat-jour 
Ce  que  j'ai  mis  dans  la  bouche  arrogante  du  Vingtiste, 
c'est  tout  bêtement  de  l'Eugène  Fromentin.  Oui,  voici 
son  livre  sur  les  Maîtres  d autrefois,  l'exemplaire  de 
Louis  Dubois,  emporté  jadis,  de  son  atelier,  et  que  je 
garde  comme  une  relique  depuis  sa  mort,  pieux  larcin. 
Les  phrases  ci-dessous  sont  prises  parmi  celles  que 
Dubois  avait  soulignées  tantôt  d'un  crayon  léger,  tantôt 
d'un  crayon  lourd,  menaçant,  vengeur,  comme  celle-ci  : 
J'ai  la  haine  des  traditions  académiques  qui 
continuent  à.  filtrer  partout,  tantôt  d'un  trait 
net,  ferme,  résolu,  dominateur,  comme  cette  autre  : 
Le  momei^t  est  venu  de  peindre  autrement. 

Oui,  du  Fromentin.  Est-ce  drôle  que  toutes  ces  pré- 
tendues insanités  vaniteuses  soient  d'un  maître  si  fort... 
et  si  accepté  ?  Comme  elles  paraissent  raisonnables  sor- 
tant de  sa  plume  !  Comme  elles  surgissent  révoltantes 
venant  d'un  Vingtiste  ! 

Oh!  la  bonne  et  plaisante  leçon.  Et  combien  inutile! 
Penser  que  ce  sera  toujours  comme  ça.  C'est  bien 
fait  pour  donner  courage  et  entêtement  aux  novateurs. 
Hurrah  !  pour  les  apporteurs  de  neuf. 

Car  ils  le  sont,  cette  fois,  plus  scandaleusement 
encore  qu'à  Tordinaire,  ces  vingt  qui  ne  sont  que 
dix-huit,  comme  dit  la  Xation,  variant  le  jeu  de  l'an 
dernier  où  l'on  disait  :  qui  ne  sont  que  dix-sept,  et  celui 
de  Tan  prochain  où  l'on  dira  :  qui  ne  sont  que  dix-neuf. 
Jamais  Bruxelles  et  son  beau  monde  de  femmes  savantes 
et  d'hommes  iirnorants  ne  virent  en  une  fois  un  tel  lot 
d'œuvres  sauvagement  originales  et  brutalement  dédai- 
gueuses,  se  moquant  plus  clairement  de  leurs  juge- 
ments, et  de  leur  argent.  Jamais  les  hirondelles  des 
premières  en  tous  genres  ne  se  sont  envolées  plus  effa- 
rouchées et  avec  plus  de  petits  cris  perçants. 

Et  pourquoi?  - 

Les  journaux  bien  montés,  qui  ont  un  critique  d'art 
comme  dans  les  hôtels  on  a  un  cuisinier,  ont  donné  là- 
dessus  des  consultations  longuement  motivées.  Et  d'une 
bienveillance,  dune  bienveillance égale  à  leur  per- 
spicacité, à  leur  impartialité,  et  à  leur  science.  Si 
c'était  il  V  a  deux  ans,  ou  même  l'année  dernière. 


quelle  kermesse  de  ripostes  nous  nous  serions  donnée  ! 
Mais  on  se  calme,....  en  vieillissant,  et  voici  que  nous 
ne  nous  sentons  plus  la  moindre  fringale.  Débonnaires 
et  souriants,  comme  au  spectacle  des  clowneries  coutu- 
mières,  nous  avons  regardé  et  sommes  demeurés  aussi 
peu  émus  que  si  nous  avions  pris  la  veille  une  sédative 
potion  bromurée.  Nous  avons  lu  sans  broncher  ces 
phrases,  fulgurantes  dans  lesquelles  ITmerie  bourgeoise 
exaspérée  braie  ses  fureurs  :  «  La  peinture  impres- 
sionniste (tépasseen  extravagance,  en  inouisme  tout 
ce  que  Von  ose  exhiber  jusqu'ici  à  Bruœeltes!  —  ce 
sont  de  vraies  satiomales  de  la  palette!  —  encore  si 
Ion  pouvait  croire  à  un  égarement  momentané!  — 
ce  soi-disant  art  déjeunes  est  un  art  de  roublards! 
—  la  contagion  de  V erreur  s'est  rdremenï  manifestée 
dune  manière  plus  lamentable!  v   —  etc.,  etc.,  etc. 

Oh  !  le  joli  bouquet  de  fleurs  de  marécage,  dirait  Odi- 
lon  Redon,  un  des  exposants. 

Mais  creusons  la  question. 

C'est  dur,  il  en  faut  convenir,  pour  tous  ces  mes- 
sieurs, toutes  ces  dames  et  damoiselles,  de  se  sentir  en 
présence  d'un  art  qui,  par  les  toiles  novatrices  de 
Monet,  de  Renoir,  de  Whistler,  d'Ensor,  de  Vogels, 
de  Toorop,  leur  crie  à  tue-tête  :  Malheureux,  votre 
éducation  est  à  refaire  !.  et  condamne  les  critiques 
influents  à  faire  peau  neuve  (opération  de  toilette  et  de 
'propreté  très  nécessaire  pour  quelques-uns).  Avoir  tout 
au  long  d'une  existence  de  reportage  quinquagénaire 
défendu  des  théories  esthétiques  qu'on  croyait  impec- 
c'ables.  Avoir  cru  à  l'infaillibilité  académique.  Avoir 
prêché  le  dogme  du  beau  unique,  du  beau  éternel. 
S'être  vu  appuyé  par  tous  les  gens  du  bel  air,  par  toutes 
les  femmes  de  vie  élégante  et  par  tous  les  hommes  en 
bonne  posture.  S'être  endormi  chaque  soir  dans  la 
paix  d'un  gouvernement  artistique  qu'on  croyait 
immarcessible  (ô  l'horripilant  mot,  n'est-ce  pas,  mes 
vieux?).  Ne  pas  avoir  compris  que  l'art  évolue  sans 
cesse,  passant  d'une  forme  à  une  autre,  et  que  ce  n'est 
point  parce  que  les  geôliers  officiels  l'ont  tenu  sous  les 
verroux  pendant  cinquante  ans,  qu'il  va  se  pétrifier.  Et 
tout-à-coup  se  trouver  eti  présence  d'une  explosion 
d'originalités  trop  longtemps  comprimées  qui  font  tout 
sauter,  théories,  systèmes,  cervelles,  hommes-ët  bons- 
hommes! Oui,  c'est  dur,  très  dur,  infiniment  dur. 

Les  culbutés  crient  au  meurtre.  Les  écrivassiers,  qui 
ont  derrière  eux  un  déroulement  plusieurs  fois  kilomé- 


trique  de  chroniques  devenues  sans  valeur  comme  un 
mauvais  papier- mou naie,  vocifèrent  à  la  spoliation.  Les 
bourgeois  qui,  sur  la  foi  des  enseignements  do,  leur 
journal,  ont  acheté  les  médiocrités  des  grands  hommes 
de  pacotillè,'ne  se  i^ésignent  pas  à  des  changements  dé 
dynastie  qui  diminuent  le  prix  de  leur  mobilier.  Les 
jeunes  filles  qui  ont  reçu  les  leçons  de  dessin  des  pro- 
fesseurs en  vogue  dans  le  monde  oti  l'on  s'ennuie,  résis- 
tent à  confesser  que  ces  Maîtres  n'étaient  que  des 
imbéciles.  Bref,  ces  récents  venus  qui  ouvrent  si  large- 
ment les  écluses  pour  laisser  passer  le  torrent  des  ondes 
artistiques  jusque-là  refoulées,  sont  assaillis  par  la 
foule  menaçante,  hurlante,  indignée  de  tous  ceux  que 
leurs  audaces  et  leurs,  mépris  pour  les  routines  attei- 
gnent en  plein  nez. 

Tel  est  le  sens  caché  du  phénomène  au  point  de  vue, 
tant  de  son  irrésistible  avancée,  que  des  obstacles  par 
lesquels  on  essaie  de  l'entraver.  Peines  académiques 
perdues  !  Il  faudra  qu'on  y  passe.  Eh  !  nous  savons  aussi 
bien  que  personne  que  tout  n'est  pas  merveilleux  dans 
ces  trois  cents  <]euvres  fièrement  mises  à  nu  devant  la 
badauderie  du  Tout-Bruxelles.  Il  ne  manquerait  plus 
que  cela  !  Trois  cents,  alors  que  dans  les  Salons  trien- 
naux on  en  trouve  une  demi-douzaine!  Mais  ce  qu'on 
peut  prédire  sans  crainte,  c'est  que  dans  cette  Exposi- 
tion, il  y  au  moins  trente  œuvres  qui  resteront  au  pre- 
mier rang,  qu'il  y  a  parmi  les  Vingtistes  au  moins 
trois  artistes  que  l'avenir  consacrera  maîtres,  et 
que  ces  œuvres  et  que  ces  artistes  sont  ceux  contre  qui 
grondent  surtout  les  aboyeurs,  ceux  dont  l'Art  paraît 
sacrilège,  ceux  qui  donnent  aux  autres  la  clef  des  trans- 
formations rajeunissantes.  Oui,  de  trois  cervts,  nous 
passons  à  trente,  et  de  trente  à  trois,  alors  même  que 
cette  descente  décimale  devrait  réjouir  les  détracteurs 
de  cette  belle  et  saine  évolution .j^utour  et  derrière  ces 
chefs  et  ces  bannières  cortègent  les  autres,  tous  pris  de 
l'enthousiasme  des  idées  nouvelles,  ayant  foi  dans 
l'évangile  qu'on  leur  révèle,  marchant  serrés,  joyeux, 
couvrant  de  leurs  chants  les  clameurs,  donnant  au 
mouvement  cette  consistance  et  cette  énergie  qui  résul- 
tent des  forces  secondaires  étoffant  les  forces  princi- 
pales. Il  n'y  a  point  de  luttes  sans  une  hiérarchie  entre 
les  combattants.  Ce  qui  importe,  ce  n'est  pas  l'égalité 
du  triomphe,  c'est  l'unité  du  drapeau.  Cette  unité,  les 
Vingt  l'ont  et  la  proclament;  elle  se  résume  en  ces  cris  : 
A  bas  la  servitude  académique^  Vive  l'artiste  qui  ne 


relève  que  de  lui-même,  qui  obéit  à  son  instinct  et  non  . 
pas  au  public  ! 


^OTTipiER     DE3     'jyiNQTI3TE?^ 
Menus  propos  butinés  à  l'ouverture  (*) 

Un  ÉMiNENT  PROFESSE LR.  —  Il  faudrait  brûler  tout  ça  de  fond 
en  comble  et  qu'on  n'onlendo  plus  parler  de  ces  gcns-lk. 

-y- 

I'n'e  jeune  fille  du  monde,  diplômée.  —  On  devrait  faire  venir 
des  médecins  célèbres  pour  traiter  ces  aliénés. 

L'ne  p>ourgeoise  mure.  —  Le  comte  de  Flandre  lui-même  a 
dit  qu'il  ne  viendrait  pas  à  cause  du  dessin  de  Rops. 


Devant  les  fillettes  de  Khnopff.  —  Le  mallieurcux  égaré! 
Que  vient-il  faire  parmi  ces  bàdigeonneurs  ? 


-^ 
*    ^ 


Un  banquier  connaisseur.  —  Enfin,  vous  ne  me  direz  pas 
qu'un  cheval  n'a  que  trois  pattes? 

Son  interlocuteur.  —  Et  la  patte  de  l'artiste? 


Un  vieillard  vénérable  a  un  jeune  père.  —  Vous  avez  fait 
peindre  vos  filles  par  l'un  de  ces  énergumènes  !  Quand  elle  sera 
grande  elle  vous  le  reprochera  !  - 


Un  ex-ministre.  —  C'est  à  croire  que  des  peintres  ont  oublié 
leurs  palettes  dans  l'établissement  d'Uccle  et  que  tous  les  fous 
s'en  sont  servi. 


-*■  T*- 


Une  peintresse  plus  que  majeure.  —  Jamais  je  n'épouserai 
un  Viniïtiste.  J'aimerais  mieux  un  nihiliste. 


Un  grand  peintre  officiel.  —  Il  faudrait,  après  un  tel 
esclandre,  fermer  le  Palais  des  Beaux-Arts  pendant  trois  mois  et 
le  désinfecter  chaque  jour  avec  du  chlore. 

Un  provincial.  —  Qui  est  donc  cet  Hermans  qui  expose  avec 
les  Vingt  1  •  . 

Son  interlocuteur.  —  Mais  Charles  Hermans,  l'auteur  de 
VAube.  * 

Le  provinxial.  —  Allons  donc!  Jamais  de  la  -'■le.  II  est  trop 
comme  il  faut. 

■■*^ 
*    '   <: 

Deux  académiciens  sont  arrivés  en  chancelant  d'épouvante 
jusqu'aux  Claude  Monet.  L'un  :  Ah!  Ganachard,  maintenant  c'est 
assez,  n'est-ce  pas?  Allons  nous-en. 


(')  Absolument  historiques. 


**■ 


52 


UART  MODERNE 


In  monsieur,  allant  do  labloau  en  lablcau  ;  sans  inlerriipiion 
il  murmure  :  Nom  de  Dieu!  Nom  de  Dieu!  Nom  de  Dieu!  Nom 
de  Dieu  !...         ' 

Détail  curieux  :  la  première  personne  qui  est  entri^e  b  Tcxposi- 
tion  est  un  prêtre.  Il  a  demandé  à  voir  avant  tout  les  Claude 
Monet.  In  passant  a  dit  :  Pour  sûr,  c'est  l'abbé  Bernard. 

Plusieurs  visiteurs  indignés  ont  interpellé  en  pleine  exposition 
M.  le  bourgmestre  de  Bruxelles,  en  lui  demandant  avec  vivacité 
s'il  n'allait  pas  faire  enlever  le  dessin  de  Rops.  Disons  à  riion- 
neur  de  M.  Buis  qu'il  accueillait  ces  réquisitions  en  riant  aux 
éclats. 

■Si. 

On  remarque  depuis  quelques  jours,  dans  la  petite  salle  du 
fond,  une  Anglaise  Agée,  envoyée,  dit-on,  par  l'Armée  du  Salul, 
qui,  postéi?  près  du  dessin  de  Rops,  en  défend  l'approche.  Seuls 
les  vieillards  î»  l'aspect  libidineux  trouvent  grâce  devant  son 
ombrelle. 

A  côté  des  A'A'  est  une  salle  où  sont  exposées  quelques  toiles 
à  l'aspect  solennel.  Un  visiteur,  se  trompant  d'escalier,  éveille  le 
gardien  de  ces  chefs-d'œuvre  :  Est-ce  ici  les  Vingt?  —  Non,  ce 
sont  les  envois  de  Rome.  —  Vous  avez  beaucoup  de  monde?  — 
Vous  êtes  le  premier.  (Textuel.) 


PosT-ScRiPTUM.  A  relire  dans  vinctt  ans. 


DEUXIEME  CONCERT  DU  CONSERVATOIRE 

M,  Gcvaert  a  compris  qu'il  est  des  mouvements  arlisliques 
qu'il  faut  suivre,  n'ayant  pu  les  précéder.  Il  s'eï>t  donc  décidé  à 
diriger  dimanche  IVxi'Cution  d'œuvres  de  Wagner,  du  Wagner  de 
la  seconde  manière,  bien  entendu,  car  il  ne  faut  pas  effaroucher 
trop  vile  son  public,  et  aussi  du  Wagner  de  transition  enlre  la 
seconde  et  la  troisième  munière. 

Beaucoup  riroiil  de  celle  nuance,  mais  il  est  nécessaire  de  l'in- 
diquer :  Touverlure  de  Faust,  dont  nous  voulons  parler,  que 
Wagner  composa  à  Paris  lorsqu'il  se  trouvait  dans  Ja  plus  lanci- 
nante misère,  réduit,  afin  d'avoir  du  pain  pour  lui  et  son  chien, 
à  écrire  des  quadrilles  pour  les  guinguettes,  et  à  arranger  des 
fragments  d'opéra  pour  le  cornet  à  pistons. 

Cette  ouverture  occupe  une  place  spéciale  dans  l'œuvre  de 
Richard  Wagner  :  parmi  des  harmonies  wéberiennes  transparais- 
sent déjà  des  thèmes  que  Ton  entendra  plus  lard  dans  la  colossale 
Tétralogie.  Ne  fût-ce  que  pour  celte  intéressante  particularité, 
Taudiiion  de  ce  fragment,  un  peu  cahoté  parfois,  était  instruc- 
tive :  elle  est  connue  des  musiciens  et,  après  eux,  le  jjublic  doit 
la  connaître  aussi  pour  pouvoir  suivre  l'intlexible  logique  avec 
laquelle  le  musicien  s'éloigna  de  «  ce  b;igage  convenu  qui  sert  à 
fabriquer  un  opéra  »  pour  arriver  a  édifier  le  hautain  édifice  du 
drame  lyrique. 

Après  l'ouverture  de  Faust,  irréprochailement  exécutée  par 


l'orchestre  du  Conservatoire,  noiis  avons  entendu  l'ouverture  du 
Vaisseau  Fantôme,  celle  dont  on  écrivit  naguère  qu'elle  est  «  un 
amas  de  sons,  d'accords  discordants  et  de  sonorités  étranges  où 
il  est  impossible  à  l'oreille  de  se  reconnaître,  de  saisir  un  plan, 
un  dessin  quelconque,  qui  porte  h  l'esprit  l'idée  du  compositeur, 
le  chaos  peignant  le  chaos,  d'où  il  ne  surgit  que  quelques  bouf- 
fées d'accords  exhalés  par  les  trompettes  ». 

Heureusement,  de  même  que  les  yeux  du  public  s'habituent 
peu  à  peu  à  une  nouvelle  vision  des  choses  extérieures,  ses 
oreilles  [)erçoivent  aujourd'hui  ce  que  jadis  on  appelait  chaos. 
Les  quelques  lioulTées  d'accords  exhalés  par  les  trompettes,  tout 
le  monde  sait  maintenant  que  c'est  une  des  réalisations  instru- 
mentales du  Hollandais  Volant;  tout  le  monde  aussi  a  compris  le 
thème  de  Senta  et,  parmi  le  tumultueux  des  vagues  sauvages,  la 
^  danse  des  fantomatiques  matelots.  Ajoutons,  |)our  préciser  notre 
observation  au  sujet  de  l'ouverture  de  Faust,  que  le  Vaisseau 
Fantôme  appartient  à  la  deuxième  manière  de  l'auteur,  encore 
sous  l'influence  du  romantisme  musical  allemand  personnifié  en 
Weber.  , 

I/exéculion  de  cette  ouverture  a  manqué  de  vigueur  et  de 
coloris  :  signalons  surtout  le  premier  mouvement  en  6/4,  que 
M.  Gevaert  a  pris  trop  lent. 

Au  programme  figuraient  encore  la  symphonie  en  si  bémol  de 
Schumann  ;  des  fragments  de  la  symphonie  en  si  inachevée  de 
Schubert,  insignifiants  vl  tachés  de  vulgarité,  comme  beaucoup 
de  compositioLis  de  ce  nuisicien;  d'un  frcigment  du  Prométhée  de 
.  Beethoven,  bourre  de  formules,  où  !\I.  Jacobs,  le  distingué  Rem- 
plaçant de  Servais,  a  fait  preuve  de  talent  énut  et  délicat. 

Nous  avons  insisté  avec  intention  sur  le  caractère  nettement 
progressif  du  concert  au  Conservatoire.  Partout,  en  musique,  en 
littérature,  en  peinture,  en  sculpture  (rarchitecture,  seule, 
cherche  encore  le  style  du  xix.^  siècle),  il  y  a  une  tendance  irrésis- 
tible vers  une  réalisation  suggestive  de  l'art. 

Qu'on  le  comprenne  enfin,  résister,  c'est  provoquer  dans  l'ave- 
nir une  irruption  d'autant  plus  violente. 

Les  Maîtres  Chanteurs  représentés  au  grand-théâtre;  Wagner 
joué  au  Conservatoire;  les  impressionnistes,  tant  raillés  et  insultés 
par  les  badauds,  près  d'entrer  dans  la  gloire,  n'est-ce  point  une 
consolante  émotion  pour  ceux  que  toute  compromission  insulte 
dans  leur  artiste  fierté? 


j]!l0NCERT    j30RNÉLI?-^ERVAI3 

Le  concert  donné  à  la  Grande-Harmonie  par  M""^  Cornélis- 
Servais  a  été  extrêmement  brillant.  Un  public  nombreux  a  vive- 
ment applaudi  la  cantatrice  pour  l'exécution  de  V'd'w  de  Proseiyiiie^ 
de  Paesiello,  et  de  VAve  Maria,  de  Gounod.  Le  Golfe  de  Baïa^ 
de  Micholte,  chanté  par  M">«  Cornélis-Servais  et  M"'«  Flon-Bot- 
man;  un  duo  du  Capitaine  H eniot^  chanté  par  M'"*^  Cornélis-Ser- 
vais et  M'^^  Cornélis-Servais,  et  un  Clair  de  lune,  de  Wallace,  où 
les  trois  cantatrices  ont  fait  j)reuve  de  fine  légèreté,  complétaient 
la  partie  du  programme  réservée  aux  dames  chantantes. 

Le  pianiste.  De  Greef,  dont  nous  avons  souvent  parlé  avec 
grand  éloge,  a  été  accueilli  avec  un  bruyant  enthousiasme  et 
même  rappelé. 

Môme  succès  pour  MM.  Mailly,  Jacobs  et  Cornélis,  et  pour  la 
Société  royale  V Orphéon,  dirigée  par  M.  Bauvvens,  qui  a  chanté, 
sanslrop  de  nuances  et  avec  quelques  accrocs,  deux  œuvres 


chorales  bien  insii^niilianlos  :  un  très  drôle  Magnificat,  de 
M.  Chiararnonle,  et  le  Nid,  de  M.  C.  Dcwos.  Nous  avons  di'jh 
dit  combien  était  nécessaire  une  prompte  réforme  dans  le  ré[)er- 
toirc  (les  sociétés  chorales;  tout  enfant,  nous  avons  entendu /e 
Tombeau  des  Janismires  et  les  Emigranls  irlandais,  Pepila  et 
le  Tyroly  (\iù  sont  encore  les  «  pièces  de  résistance  »  pour  les 
nombreuses  réunions  chorales  de  Beli];ique,  et  les  enfants  d'au- 
jourd'hui entendront  sans  douie  encore  dans  vingt  ans  le  Nid,  de 
M.  Devos,  et  le  Magnificat,  de  M.  Chiaramontc.  I.es  <li recteurs 
de  clueurs  ne  savent-ils  pas  qu'il  existe  un  réj)erloire  de  chœurs 
allemands  où  il  n'y  a  ,qu'^  puiser?     ■  - 


F(ÉCEPTÎON     A    L'ACADÉMIE 

A  mettre  \\  côté  des  comptes-rendus  officiels  d(;s  journaux 
oflicieux  d(>  cet  hos[)ice  qui  a  nom  Académie  française,  l'Iiumo- 
risticfuc  passage  (pie  voici  d'un  article  de  Camille  Pellelan  dans 
La  Justice.  11  n'est  pas  mauvais  tt'accouiumer  les  contempo- 
rains ti  la  juste  notion  de  ces  vieilleries  ^  la  sohînnité  desquelles 
les  cervelles  naïves  se  laissent  encore  entraîner  : 

«  Je  l'avoue,  je  n'ai  jamais  pu  prendre  au  sérieux  les  cérémo- 
nies, renouvelées  du  Malade  imaginaire,  qu'on  accomplit  d(; 
temps  à  autre  au  bout  du  pont  des  Arts.  En  plein  dix-neuvième 
siècle,  des  vaudevillistes,  des  romanciers,  quelques  grands 
seigneurs,  qui  ont  chargé  leurs  secrétaires  de  leur  créer  des 
titres  académiques,  un  bon  paquet  de  savants,  de  peintres,  de 
sculpteurs  et  de  musiciens,  se  déguisent  ridiculement,  hors  du 
carnaval,  avec  des  habits  à  ramages  verts-,  et  se  donnent  rendez- 
vous  dans  la  cuvette  de  l'Académie,  pour  transpirer  ensemble 
pendantque  deux  d'entr'eux  échangent  des  compliments  écrits  à 
l'avance  dans  un  galimatias  parliculii^r  :  cela  me  semble  infini- 
ment plus  chinois  que  tout  le  Céleste-Empire.  J'ai  assisté,  par 
pénitence,  deux  ou  trois  fois,  à  cette  petite  fête  de  famille;  — 
j'ai  vu  papilloter  sous  le  jour-  tombé  de  la  coupole  ce  noble 
assemblage  de  crânes 'et  de  perruques  multicolores,  allant  du 
violet  lie  de  vin  au  jaune  chiendent;  j'ai  été  mêlé  aux  dévots  de 
ce  culte  bouffon,  hochant  la  tête  ou  poussant  des  soupirs  volup- 
tueux aux  épigrammcs  rococo  dont  on  use  dans  ce  milieu  bizarre; 
j'ai  eu  la  surprise  de  voir  là,  parmi  les  académiciens  générale- 
ment étrangers  à  toute  espèce  de  littérature,  comme  l'on  sait,  des 
écrivains  justement  célèbres,  qui  se  mêlaient  publi({uement  à  ce 
mardi-gras  dénué  de  prétexte.  El  je  ne  reviendrais  certainement 
pas  sur  la  séance,  si  je  ne  croyais  qu'il  y  a  un  mot  à  dire  sur 
l'académicien  qu'il  s'agissait  de  remplacer. 

«  Deux  auteurs  dramatiques  se  sont  donné  la  réplitpie.  Que 
M.  Pailleron,  pour  rajeunir  le  genre,  parle  lu  une  langue  nou- 
velle, ù  coups  de  oh!  et  de  ah  !  et  introduise  sous  la  vénérable 
coupole,  entre  deux  couplets  à  effet,  un  style,  qui  rappelle  les 
endroits  marqués  de  l'indication  «  parlé  »  dans  les  chansons  de 
café-concert;  je  n'y  vois,  pour  ma  part,  aucun  inconvénient. 
Qu^it  h  M.  llalévy  ([ui,  dans-  ses  œuvres  littéraires,  a  créé  une 
très  remarijuable  figure  de  prêtre  (je  ne  pai  lé  pas  de  u  l'abbé 
Constantin  »,  mais  de  Calchas  de  la  Belle-Hélène)  on  lui  dit  que 
son  théâtre  était  1'  «  âme'de  l'humanité  »  :  c'était  la  |)remière 
ïo\s  (\\x  Orphée  aux  Enfers  recevait  ce  compliment.  L'âme  de 
l'humanité!  Le  mol  est  peut  être  un  peu  vif.  » 


^HÉATRE     DE    LA    ^jVloNNAIE 

FAUST 

La  reprise  de  Fuust  a  éU;  révénemenl  dé  la  semaine.  Le  ban 
et  l'arrière-ban  des  abonnés,  les  eriiiipies,  les  habitués,  les  jolies 
femmes  et  les  autres,  se  sont  portés  en  foule  à  celle  première 
d'une  œuvre  qui  remonte  à  un  qu'n.rt  de  siècle,  mais  dont  l'effet 
sur  le  public  est  loin  d'être  é[)uisé.  H<!ureuse  fortune  que  celle  de 
celle  parliiion,  demeurée  [)resque  iniactc  dans  la  tourmente 
qui,  chaque  jour,  arrache  aux  autres  quelques  feuillets  ! 

On  la  joue  en  opéra-comi([ue  :  le  f)ublic  accourt.  On  confie  sa 
destinée  aux  artistes  du  grand-opéra  :  on  s'arrache  les  billets.  Et, 
sans  cesse,  le  roucoulant  amour  du  ténor  rend  rêveuses  les  jeunes 
filles  que  leur  mère  mène  au  s|)eclacle;  le  chœur  des  soldats 
enthousiasme  le  parterre  ;  la  conf-rence  de  Marguerite  avec  le 
démon  inquiète  vaguement  les  âmes  sensibles;  le  ballel  agite  les 
lorgnettes  et  le  trio  de  la  i)rison  fait  passer  dans  l'auditoire  de 
grands  frissons  d'aise. 

Jamais  on  n'imagina  musique  plus  ingénieusement  adaptée  aux 
dilections  bourgeoises:  l'amour  ygardc  une  distinction  de  bonne 
compagnie  et  le  diable  n'a  pas  le  pied  trop  fourchu. 

Aussi  le  succès  de  Faust  est-il  toujours  certain.  Ces  cinq 
lettres,  en  vedette  sur  l'atïi'lie,  fout  Teffet  d'un  appel  bref,  impé- 
ratif. Les  porte-monnaies  s'ouvrent  d'eux-mêmes,  comme  une 
fleur  au  soleil,  dans  la  serrc-elinude  du  bureau  de  location. 

L'intérêt  de  la  représentation  de  jeudi  résidait  surtout  dans 
l'interprétation,  et,  quoique  très  dilft3rente  de  celle  de  la  saison 
dernière,  de/ l'avis  de  tous,  celte  interprétation,  a  été  remar- 
quable. iM"*^  Mézeray  a  prêté  au  personnage  de  Marguerite  le 
charme  de  sa  voix  cristalline,  de  son  ingénuité  séduisante,  de 
son  jeu  gracieux  et  plein  de  goût.  M.  Furst  s'est  révélé  artiste  de 
sérieuse  valeur.  Le  rôle  de  Faust,  qui  louche  aux  rôles  de  grand 
opéra,  lui  convient  admirabKînvenl,  et  il  y  a  remporté  un  succès 
considérable.  On  nous  assure  que,  frappée  des  aptitudes  de  l'ar- 
tiste, la  direction  de  la  Monn;iie  compte  lui  confier  prochaine- 
ment l'interprétation  du  personnage  de  Raoul  dans  les  Huguenots, 
Ce  sera  une  épreuve  intéressante  et  de  nature  â  exciter  bien  des 
curiosités.  ' 

Le  reste  de  l'interprétation  a  été  excellent.  M.  Renaud  a  trouvé, 
dans  le  rôle  de  Valentin,  l'occasion  de  faire  valoir  son  superbe 
baryton.  M.  Devries  a  fait  un  très  beau  Méphislo,  d'une  belle 
prestance.  Sa  voix,  certes,  n'a  pas  la  puissance  de  l'ancien  titu- 
laire du  rôle,  M.  Gresse  :  mais  il  la  conduit  avec  art  et  en  bon 
musicien.  11  lui  manque  toutefois  de  faction  dans  le  jeu  drama- 
tique. 

Si  M.  Dupont  consentait  à  ailAuiMr  un  peu  la  sonorité,  de  son 
trop  brillant  orchestre,  tout  -M'rait  pirt'ait. 

La  prochaine  représentation  aura  lieu  jeudi  prochain.  Saint- 
Mégrin  passera  le  "23. 


THÉÂTRE  DE  L  ALCAZAR. 

Samedi  dernier,  c:rlains  cri.liipies  lourds  et  mûrs  des  journaux 
quotidiens  se  sonl  rendus  à  l'Alcazar  d;ins  le  but  de  trouver  mau- 
vaises les  (.Wu\  pièces  :  le  Saxe  et  Jeanne  Bijou,  qu'on  y  repré- 
sentait. Ils  ont  poussé  le  zèle  jusqu'à  trancher  qu'il  n'y  avait 
dans  la  deuxième  ni  une  scène  ni  un  mot.  Ce  qui  n'a  pas  empé- 


elle  d'on  signaler  un  immcHliaUMnonl  :  Celui  qui  finil  le  premier 
aclc.  Messicnirs  les  crili(|iies  lourds  el  mûrs  ne  poussent  i)as  lou- 
joiirs  leur  |)oinle  galamment  avec  des  façons  du  bel  air,  el  notam- 
ment xians  l'article  (pie  le  plus  lourd  ?.l  le  plus  mùr  d'entre  eux 
consacre  h  MM.  Naulet  el  Waller,  la  malveillance  a  l'air  de  se 
doubler  de  dépit.  C'est  le  travers  commun  aux  criliijues  d'en 
vouloir  li  tous  ceux  (pii  se  k^'veni  avec  la  volonté  de  faire  des 
(inivres. 

On  aurait  dû  faire  meilleur  accueil,  nous  semble-l-il,  li  ces 
deux  ou  trais  petites  piécettes.  Un  théâtre  belge  e>t  h  ciéer. 
Notre  lillérature,  (jui  depuis  v'nu\  ans  ressuscite  el  d'année  en 
année  niarclie  d'un  pas  plus  décisif  dans  l'art,  doit  inévilable- 
menl  aborder  la  scène,  li  faut  qu'elle  mar(|ue  partout  (ju'aujour- 
d'iuii  les  écrivains  divers  (ju'elle  a  suscités  ont  fait  des  leuvres 
fortes  et  lumineuses  :  romans  el  poésies.  Lequel  d'entre  eux  sera 
auteur  dramatique? 

M.  Max  Waller  semble  désigné,  non  certes  à  faire  des  pièces 
dramatiques  el  profondes,  mais  à  s'essayer  et  à  se  ris(pier  dans 
des  scènes  de  mœurs  drôles  el  s|)iriluelles  avec  des  mots  abraca- 
dabrants el  des  situations  excenlricpies.  ,\  cet  égard  il  s'est 
trompé',  croy-ons-nous,  en  écrivant  Jeanne  Bijou.  F*our  (jui  le 
suit  ;t  travers  ses  Airs  de  flûte,  et  ses  1res  gamins  comptes-rendus 
de  livres,  et  ses  audacieuses  a  trapades  avec  ses  correspondants 
<le  la  bi  lie  aux  lel/tys,  où  tant  tie  bon  comique  el  de  joyeux  et 
disloqué  esprit  gambade  et  turbule,  surtout  pour  qui  le  connaît 
causant,  gesticulant,  mimant,  M.  Max^ Waller  a  une  originalité 
nelle.' 

Le  théâtre  mettrait  parfaitement  en  évidence  ses  qualités  : 
moquerie  à  travers  tout,  chiquenautle  appliquée  au  nez  des  tra- 
vers bourgeois,  chanson  folle  jetée  au  nez  de  toutes  les  conven- 
tions empesées  el  ridiculement  graves. 

.M.  Naulet  sait  mieux  que  M.  Waller  caler  se>  pièces.  Le  Saxe 
vaut  bien  des  levers  de  rideau  qu'on  applaudit  au  Parc.  Les  per- 
sonnages ont  de  la  vie  et  intéressent.  Certes  M"^'  de  Brun  n'est 
pas  une  Parisienne  jusqu'au  bout  des  ongles  et  son  ratîinenient 
de  goûts  et  de  manières  est  quelconque,  mais  le  MonsieurRobineau 
.étonne  de  vérité  el  d'observation.  C'est  bien  le  maquignon  carré 
d'allures,  l'homme  de  'province,  le  premier  de  son  chef-lieu  qui 
marche  à  la  conquête  des  femmes  à  épouser  en  carrick  et  en 
grosses  boites.  C'est  le  Saxe  qui  a  obtenu  le  plus  franc  succès, 
samedi  soir.  Il  dépaysait  moins  que  Jeanne  Bijou,  pièce  non  pas 
à  thèse  mais  simplement  h  dialogues.  Les  mots  charmants  de 
M.  Wailer.  les  discussions  de  sentiment  et  de  dillettantisme  ont 
été  peu  ce  mpris.  Jranne  Bijou  qu'est  qu'une  intéressante  poupée. 
Il  n'y  a  jtas  de  drame  qui  saisisse  ou  de  situation  bien  dessinée. 

Comme  nous  le  disions,  l'originalité  de  M.  Waller  devrait  appa- 
reiller vers  d'autres  éludes  scéniques. 

Chose  à  constater  encore  :  c'est  qu'à  cette  heure,  le  mouve- 
ment Jeune-Belgique  a  son  public,  qu'il  est  assez  pris  en  hon- 
neur j»our  attirer  à  lui  l'attention  de  tout  ce  que  Bruxelles  ren- 
fiTuie  d'esprits  critiques  et  d'esthètes.  La  salle  était  remplie 
comme  a  une  première  de  choix. 

Nous  regrettons  beaucoup  que  les  circonstances  nous  aient 
empêché  d'assister  à  l'acte  de  M.  Ducsberg  :  Décoré! 


CORRESPONDANT  MUSICALE  DE  PARIS 

Le  théâtre  de  rOpéra-Comi(iue  vient  de  voir  s'envole  les 
espérances  (pi'il  avait  pu  foniler  sur  te  Mari  d'un  jour,  trois 
actes  de  MM.  D'Knnery  et  Armand  Sylvestre,  nuisiquc  d'Arthur 
Coijuard. 

Cela  pouvaif,  être  gai,  amusant;  le  genre  en  était  léger  et 
venait  faite  diversion  au  répertoire  acluel,  qui,  trop  souvent 
contine  au  drame,  vl  cela  n'a  été  qu'une  soirée  fade  el  insipide. 

I.,a  faute  en  est-elle  h  D'Knnery  (pii  a  trop  assombri  Armand 
Sylvestre,  ou  h  Armand  Sylvestre  qui  a  trop  .égayé  D'Ennery  ? 
Toujours  esl-il  (|ue  nous  sommes  en  i)résence  d'un  livret  tenant 
il  tous  les  bouts  et  ne  tirant  profit  d'aucun.  Il  y  a  là  un  monsieur 
qui,  i)our  se  suicider,  a  l'idée  de  passer  sur  un  pont  délabré  (jui 
croulera  et  l'entraînera  an  fond  de  l'eau.  Heureusement,  à  l'insu 
du  monsieur,  le  pont  a  élé  réparé  cl  la  pièce  peut  ainsi  finir  j)ar 
un  mariaijje! 

Comme  moyen,  c'est  puéril. 

Comme  musicpie,  c'est  insignifiant. 

M.  Coqnard  qui  n'avait  jus(]u'ici  touché  au  théâtre  que  par  un 
opéra-comique,  l'Epée  du  Roi,  représenté  ii  Angers,  nous  était 
connu  par  quelques  morceaux  symphoni(|ues  qu'il  avait  fait  exé- 
cuter aux  concerts  classiques.  Comme  tendance,  le  compositeur 
semblait  vouloir  aller  au  rebours  du  mouvement  acluel  el  je  sais 
que  maintes  fois  il  a  maugréé  contre  le  comité  de  la  Société  natio- 
nale de  musique,  composé  de  wagnériens  trop  exclusifs.  On  ne 
peut  en  vouloir  à  M.  Cocjuard  de  n'être  pas  wagnérien  ;  ni 
Guiraud,  ni  Massenet,  ni  Delibes,  ne  sont  wagnériens.  Aussi,  ce 
que  je  reprocherai  uni(|uement  à  J\L  Cô(iuard,  c'est  de  ne  pas 
avoir  d'idées  personnelles. 

Son  œuvre  est  celle  d'un  musicien  inexpérimenté,  ignorant  du 
théâtre  et  qui  ne  voit  pas  l'acteur  en  scène.  En  maint  endroit,  il 
a  fait  creux,  vide,  et  nous  a  laissé  dans  une.indéci.sion  (jui,  à  la 
fin  des  trois  actes,  nous  a  absolument  exaspéré. 

Ce  qu'a  écrit  M.  Coxjuard  pour  l'orchestre  est  de  beaucoup 
su[iér\Qur  'âu.  lUari  d'un  jour. 

Je"  sais  bien  que  le  théâtre  est  un  excellent  marche-pied  el  que 
par  lui  on  arrive  vite  â  la  renommée.  Mais  il  y  a  tant  de  compo- 
siteurs qui,  à  bon  droit,  se  sentent  attirés  vers  le  genre  lyrique, 
(jue  M.  Coquard,  après  cet  échec,  fera  bien  de  leur  laisser  la  place 
pour  retourner  à  sa  symphonie,  à  ses  quatuors,  à  la  musique 
pure. 

Parmi  les  interprètes,  je  ne  vois  à  signaler  que  Fugère,  qui  a 
sérieusement  Inlté  jusqu'au  bout.  Les  autres  avaient  sombré 
avant  la  fin. 

Après  bien  des  tergiversations,  M""^  Caron  a  bien  voulu  enfin 
prendre  la  succession  de  M""®  Fidès  Devries,  dans  le  Cid. 

C'est  une  autre  incarnation  de  Chimène,  qui,  avec  moins  de 
grâce  el  plus  de  passion,  nous  offre  cependant  un  rôle  intérçs- 
sant  à  suivre  sous  ses  aspects  nouveaux. 

GUTELLO. 


MEMENTO  DES  EXPOSITIONS  ET  CONCOURS  . 

Berllv.  Exposition  du  Centenaire  des  Salons  berlinois.  Ouverture, 
15  mai.  Fermeture,  15  octobre.  Délais  d'envoi,  l'-r  mars-l*""  avril. 
Deux  ouvrages  .seulement  par  exposant.  Renseignements  :  jusqu'au 
l*""  mars.  Académie  royale  des  Beaux- Arts,  rue  de  T Université, 


\ 


^ 


i — 


G,  I;  après  le  l*""  mars,  Cornmissioa  (h:  V  Exposition  y  pn^s  la  gare 
dç  Lehrtc,  N.  W. 

Bruxelles.  —  Ex|)Ositioii  ot  concours  de  la  Société  centrale 
d'architecture.  —  Ouverture  l*""  ruai  1880.  Section  rétrospective, 
section  contemporaine.  I<]nvoi  avant  io  15  avi'ii.  Renseif^nements  : 
Secrétaire  de  la  Cotmnission  orr/anisatrice,  rue'  Royale  Sainte- 
Marie,  128,  Schacrbeek  [BruTclles), 

Edimuouug.  —  Ex|)osition  (internationale)  de  l'industrie,  des 
sciences  et  des  arts.  —  Du  4  mai  au  30  octobre  1880.  —  Mobilier 
et  arts  décoratifs,  beaux  arts,  re[)roduction  d'anciens  édifices  et  de 
vieilles  rues,  etc.  —  Demandes  d'emplacements  au  Secrétaire  de 
VEcrposition,  Frederick  Street,  18,  Edimbourg . 

f*Aius.  Salon  aniMiel  Ouverture,  l^""  mai.  Fermeture,  30  juin. 
Délais  d'envoi  :  Peinture,  10-14  mars  ;  sculpture,  gravure  en  ynéd. 
et  sur  p.  f.,  20  mars-5  avril;  architecture^  gravure,  lithograpihie, 
2-5  avril. 

N.  13.  Le  niacriinji'in  pour  la  dimension  des  cadres  sera  de  30  cen- 
thnètr.es  en  largeur  et  de  20  centimètres  en  épaisseur .  Seuls  seront 
admis  les  cadres  dorés,  7ioirs  ou  en  bois  naturel  foncé. 

Rome.  Exposition  annuelle  des  amateurs  des  Beaux -Arts  (limitée 
aux  artistes  ilaliens  el  aux  étrangers  qui  résident  à  Rome).  Ouver- 
ture, 21  févri(!r.  Fermeture,  18  avril.  Délais  d'envoi  :  l'^^-fj  février. 
Renseignements  :  Secrélfdre  de  la  société,  palais  des  Beaux -Arts, 
rue  Nazio7iale,  Rome. 


f 


ETITE     CHROJMIQUZ: 


M"*'  Jcnny  Thénard  a  donné  hier  aux  XX,  devant  un  auditoire 
très  nombreux  el  fort  éiétfnnl,  une  causerie  cbarnianle,  émaillée 
de  nfiols  S|)iriluels,  (robs(;rvalions  pi(|uanles,  d'une  exquise 
fémiiiililé.  L(;  litre  :  Les  femmes  peintes  par  elles-mêmes  était 
d'autant  plus  vrai  qu(;  la  séduiranle  artisie,  qui  manie  si  habile- 
nnenl  Tanne  la  |)lus  redoutable  di.'S  tV'mmes,  s'est  servie,  non  «^ans 
succès,  de  la  brosse  el  de  la  palette.  Comme  peintre,  elle  a  eu 
hier  des  envolées  vers  l'art,  el  les  (lé'taiis  anecdoiiijues  qu'elle  a 
donnés  sur  M""'  Vigier,  sur  Hosa  Bonheur,  sur  3I""=  Mayer,  etc., 
ont  révélé  une  artisie  connaissant  l'Iiisloire  des  peintres,  aimant 
à  .en  parler.  Comme  ténime,  elle  a  finement  distribué,  de  ci  el 
de  là,  des  coups  de  patte  amusants,  mai.s  d'une  patte  dont  les 
gritïV'S  étaient  à  peine  visibles. 

Du  coup,  elhî  s'est  acquis  la  sympathie  de  tous  ceux  -qui, 
n'ayanl  pas  assisté  à  l'une  de  ses  causeries,  n'étaient  pas  encore 
de  ses  amis. 

Voilà,  pour  les  A'A',  un  début  qui  j)romet.  La  prochaine  con- 
férence, qui  sera  annoncée  dans  quelques  jours,  aura  lieu  samedi 
prochain  ;  elle  sera  faite,  dit-on,  par  Edmond  Haraucourt,  le  poète 
l'Ame  nue.  Ce  sera,  comme  hier,  un  tin  régal  littéraire. 

Constantin  Meunier  ouvrira  demain  à  deux  heures,  au  Palais 
des  Beaux-Ans  (dans  la  salle  correspondant  à  la  f)remière  salle 
du  Salon  des  A'A')  une  exposition  de  tableaux,  d'études  et  de 
sculptures,  reproduisant  principalement  notre  population  ouvrière 
du  Borinage.  Ou  sait  avec  (juelle  puissance  d'émotion  il  s'est 
toul-à-cou[>  révélé  dans  l'interprétation  de  ces  scènes  et  de  ces 
paysagers. 


Le  Guide  musical  annonce  ([ue  M""'  Materna,  la  célèbre  tragé- 
dienne lyrique. viennoise,  vient  de  commencer  une  tournee\ie 
représeniations  en  Allemagne.  Elle  se  propose,  nous  assure-t-on, 
de  visiter  également  la  Belgiiiue  et  la  Hollande. 

Les  Mailrcs-Ckanleurs  oui  passé  l'Océan.  Le  bel  ouvrage  de 
Richard  Wagner  a  été  accueilli  avec  enthousiasme  par  le  public 
du  Metropolitan  Opéra  House  de  >'e\v-York. 

Jeuili  soir,  après  rinléressante  reprise  de  Fau.'^t  au  théâtre  de 
la  Monnaie,  (lUtdques  amateurs,  notamment  MM.  .\uguste  el 
Joseph  Dupont  el  Verdhur',  se  sont  réunis  dans  les  salons  de 
M.  Goldschmidl,  rue  de  l'Kcuyer,  pour  écouler  rexéculion  au 


piano,  par  l'auteur, .  d'un  ballet  d'une  récitation  lyrique  de 
M.  VVilford,  ancien  élève  fort  remarqué  de  notre  Conservatoire. 
Musicpjc  très  originale  et  très  goûtée  des  auditeurs. 

La  Nuit,  la  |)rochaine  série  de  lithographies  d'Odilon  fiedon, 
paraîtra  incessamment.  11  y  aura  0  pl'mches  tirées  à  oO'oxem- 
plaires.  Les  séries  précédentes  :  Dans  le  Rêve,  Hommage  à 
Poë,  Hommage  à  Goya,  sont  tolaleme'hl  épuisées.  On  [)eut  juger 
les  productions  de  l'artiste  à  rexj)Osition  des  XX.  Redonna  déjà 
son  public  d'amateurs  et  de  dilettantes. 

C'est  à  la  fin  de  ce  mois  que  M.  Camille  Guriekx  donnera  à  la 
Grande-Harmonie  son  Piano-recilal.  L'excellent  ))ianisle  fera 
entendre  un  choix  d'ccuvres  de  Bach,  Beelhoven,  Scarlalti,  Schu- 
mann,  W(dji'r,  Mendeissohn,  Chopin,  Liszt  et  Auguste  Di)i)ont. 

Antoine  Buhinstein  donnera  trois  concerts  à  Bruxelles,  au 
mois  de  mai  [irochain,  dans  la  salle  de  la  Grande-Harmonie. 

C'est  la  dernière  tournée  de  concerts  du  célèbre  pianiste  com- 
positeur. 

Commencée  à  Sainl-Pélerbourg,  continuée  à  Vienne  el  à  Ber- 
lin, elle  aura  pourdcrnières  étap-^.'s  Paris,  Bruxell.îs  el  Londres. 

Les  journaux  ont  dit  l'éclaianl  succès  de  ces  séances,  où  le 
maître  passe  en  revue  les  chefs-d'fiiijvres  anciens  el  modernes  de 
la  littérature  du  [)iano. 

Rubinstein  a  tenu  à  se  pré.senter  une  fois  encore  devant  notre 
public  d'artistes  et  d'amateurs,  dont  il  n'a  pas  oublié  l'accueil  et 
dont  les  suffrages  lui  sont  précieux. 

Ces  séances  seront  une    bonne  fortune   pour  tout  Bruxelles 

musical. 

■^» 

Les  programmes  détaillés  en  seront  [trochainement  publiés,  et 
l'on  pourra  s'inscrire  bientôt,  ïîoil  pour  une  séance,  soll  par 
abonnement,  pour  la  série  des  (.oiicerts. 

Le. chiffre  d<'s  entrées  au  Salon  des  A'A'pendanl  la  première 
semaine  s'élève  à  l,o46  francs.  Ce  chiffre  (.-si  dès  à  prt.seni  beau- 
•coup  en  avafice  sur  celui  des  deux  années  précédentes. 

M.  Victor  Wilder  à  complètemt'nl  terminé  la  version  française 
de  Tristan  et  Isâlde  ({\ii  paraîtra  procliiiinemenl. 

Il  travaille  en  ce  moment  à  la  version  de  Siegfried,  la  troisième 
partie  de  la  tétralogie  des  Xibelungen.  Le  premier  acte  est  ter- 
miné et  les  deux  autres  ne  larderont  pas  à  l'éire. 


HJMOI    1  o    FÉV'ItlER 

ET   JOURS    SUIVANTS   A  4    HEURES   DE    RELEVÉE 
aura  lieu  à  l'hôtel  des  vente-,  Boulevard  Anspach. 

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^ 


56 


VART  MODERNE 


SIXIÈME  ANNÉE 

L'ART  MODBjHNE  s'est  acquis  par  l'autorité  et  l'indépendanco  de  sa  critique,  par  la  Variété  de  ses 
informations   et    les   soins   donnés   à  sa   rédaction   une   place   prépondérante.    Au'ciine   manifestation  de  l'Art  ne 

lui  est  étrangère  :  il  s'occupe  de  littérature,  de  peinture,  de  sculpture,  de  gravure,  de  musique, 
d'architecture,  etc.  Consacré  principalement  au  mouvement  artistique  belge^  il  renseigne  néanmoins  ses 
lecteurs  sur  tous  les  événements  artistiques  de  l'étranger  qu'il  importe  de  connaître. 

Chaque  numéro  do  L'ART  MODERNE  s'ouvre  par  une  étude  approfondie  sur  une  question  artistique 
ou  littéraire  dont  l'événement  de  la  semaine  fournit  l'actualité.  Les  expositions^  les  livres  nouveaux,  les 
Xwemières  représentations  d'œuvres  dramatiques  ou  musicales,  les  conférences  littéraires,  les  concerts,  les 
ventes  dohjets  cTart,  font  tous  les  dimanches  l'objet  do  chroniques  détaillées. 

L'ART  MODERNE  relate  aussi  la  législation  et  la  jurisprudence  artistiques.  Il  rend  compte  des 
procès  les  plus  intéressants  concernant  les  Arts,  plaides  devant  les  tribunaux  belges  et  étrangers.  Les 
artistes  trouvent  toutes. les  semaines  dans  son  Memènto  la  nomenclature  complète  des  expositions  et 
concours  auxquels  ils  peuvent  prendre  part,  en  Belgique  et  à  l'étranger.  11  est  envoyé  gratuitement  à 
l'essai  pendant  un  mois  à  toute  personne  qui  en  fait  la  demande. 

L'ART  MODERNE  forme  chaque  année  un  beau  et  fort  volume  d'environ  450  pages,  avec  table 
des  matières.  Il  constitue  pour,  l'histoire  de  l'Art  le  document  LE  PLUS  COMPLET  et  le  recueil  LE  PLUS 
FACILE  A  CONSULTER.  .  .     ■     ■ 


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Quelques  exemplaires  des  cinq  premières  années  sont  en    vente    aux  bureaux   de  L'ART   MODERNE, 
rue  de  l'Industrie,  20,  au  prix  de, 30  francs  chacun. 


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DE    SWEllT,   JuLhs.    Sérénade  de  l'opéra  :  Les  Albi- 
geois. Transcription  pour  violon- 
celle, avec  accomp,  de  piano     .     F'r.  2.00 
BORIS  SCriELL.  Op.  155.  Trois  méluclies  pour  chant, 
,;  avec    accomp.    de    violoncelle    (ou 

violon)  et  piano.  Paroles  françaises 
et  anglaises. 
No  1    J'enez  7na  wîc.  SèrênQ(\e.  (Avise, 

beloved). 1.35 

No  2  Pour  l' abs  fil  t.  {Tomy  ixh»en[\o\'e)  1,75 

N"  3.  Chant  cV amour.  (Love  song)  .     .  1.75 

ERMP^L.  A.  Op.  40. -Sc/to-ve^o,  pour  piano 2.50 

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1^    ; 


/ 


Sixième  année.  —  N°  8 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  21  Février  1886. 


L'ART 


MODERNE 


y. 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  GRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,   un   an,   fr.   10.00;  Union  postale,   fr.    13.00.    —  ANNONCES   :    On   traite  à  forfait. 

Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  a 

l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


^ommaire 


A  PROPOS  DU  Salon  des  XX.  L' impressionnisme .  —  Sottisier 
DES  ViNGTiSTES.  Fleurs  de  reportage.  —  Documents  a  conserver. 
Le  journalisme.  — Association  des  Artistes  musiciens.  Deuxièfne 
concert.  —  Musique  de  chambre.  —  Correspondance  parisienne. 
Société  des  aquarellistes  français.  —  Petite  chronique 


^f<   PROPOê     DU     ^ALON     DE?    ^}( 

L  IMPRESSIONNISME 
I  . 

C'est  Claude  Monet  qui  créa  le  terme,  en  baptisant 
«  Impression  »  lune  de  ses  toiles.  Le  mot  fit  rire 
d'abord,  puis,  on  le  jeta  comme  une  injure  au  visage 
de  ceux  qui  cherchaient  leur  voie  dans  l'Art  nouveau  à 
l'épanouissement  duquel  nous  assistons  aujourd'hui  : 
«  Impressionniste!  '»  Et  comme  il  arrive  toujours, 
comme  il  est  advenu  pour  l'épithète  de  "  gueux  " 
fièrement  relevée  par  les  compagnons  de  Philippe  der 
Marnix,  le  groupe  de  peintres  alors  en  formation 
s'empara  de  la  qualification,  l'adopta,  s'en  fît  gloire  ni 
plus  ni  moins  que  d'une  lettre  de  noblesse. 

Et  l'Impressionnisme  fut  officiellement  reconnu; 
comme  l'avait  été  le  Réalisme  qui  le  précéda  et  qui 
favorisa  son  éclosion,  comme  aussi  le  Romantisme,  et 
le  Classicisme,  irrévérencieusement  dénommé  actuelle- 
ment Pompiérisme.  Il  marque  une  évolution  dans  l'Art 
de  la  peinture.  Il  est  le  dernier  tour  de  roue  de  ce 
vaste  engrenage,  toujours  en  mouvement,  dont  aucune 
force  humaine  ne  pourrait  entraver  le  fonctionnement, 


qu'il  est  au^si  puéril  d'attaquer  qu'absurde  de  nier.  Il 
correspond  aux  lois,  plus  mystérieuses  encore,  qui  gou- 
vernent la  transformation  des  sociétés  dans  leurs 
goûts,  leurs  idées,  leurs  aspirations,  leur  idéal.  Peut- 
être  des  influences  physiques  se  mêlent-elles  même  aux 
causes  morales  qui  opèrent  ces  lentes,  fatales,  inéluc- 
tables évolutions.  Question  complexe,  difficile  à  résou- 
dre avec  précision. 

Le  bon  sens  indique  l'attitude  à  prendre  :  examiner 
avec  soin  les  phénomènes  auxquels  le  hasard  des  événe- 
ments nous  fait  assister,  en  noter  scrupuleusement  les 
phases,  observer  les  distinctions  que  crée  la  diversité 
des  races  parmi  ceux  qu'emporte  le  courant.  De  ces 
documents  naîtra  l'histoire  de  l'Art  contemporain.  Et 
à  cet  égard,  le  Salon  des  XX  fournit  une  merveilleuse 
occasion  de  s'instruire,  attendue  d'ailleurs  de  tous 
ceux  qui  ont  pénétré  le  but  social  énergiquement  pour- 
suivi par  la  jeune  association. 

--  On  peut  y  voir,  opposés  les  uns  aux  autres,  les 
-groupes  d'artistes  qui  cherchent  avec  ténacité  une 
expression  personnelle  de  la  nature,  en  rapport  avec 
les  sensations  —  inconnues  à  nos  aïeux  —  qu'elle  nous 
fait  éprouver,  mais  sur  lesquels  la  nationalité,  le 
climat,  le  miheu,  l'éducation  artistique,  exercent  leur 
puissante  influence. 

Et  dans  chacun  de  ces  groupes,  un  œil  clairvoyant 
peut  démêler  des  tempéraments  variés,  les  uns  calmes, 
féminins,  aimant  les  colorations  adoucies  et  sourdes, 
d'autres  robustes,  n'envisageant  la  nature  que  sous  ses 
aspects  les  plus  chatoyants. 


1 


S'il  fallait  donner  une  qualification  logique  aux  mem- 
bres de  cette  famille  dans  laquelle  la  foule  ignorante 
englobe  tous  ceux  qui  ne  peignent  pas  un  petit  motif 
aimable  dans  un  paysage  propret,  nous  établirions 
entre  eux  plusieurs  divisions.  Il  y  a  des  «  sensation- 
nistes  »  qui  recherchent  avant  tout,  et  qui  souvent 
l'atteignent  avec  un  bonheur  inouï,  la  sensation  exacte 
que  font  éprouver  les  divers  aspects  de  la  nature  :  l'âpre 
froid  des  hivers  neigeux,  la  mélancolie  poignante  des 
crépuscules  tombant  sur  le  délabrement  des  pignons, 
le  réconfort  des  matinées  de  juin  qui  font  monter  la 
sève  au  cœur  des  arbres.  Ils  notent  les  sifflements  de  la 
bourrasque,  ils  font  chanter,  en  des  paysages  d'une 
fraîcheur  extrême,  la  chanson  du  printemps,  ils 
expriment  la  gloire  solennelle  des  automnes.  Les 
phénomènes  les  plus  fugaces  de  la  nature  n'échappent 
pas  à  leur  analyse  pénétrante  Ce  n'est  pas  un  «  motifs 
qu'ils  peignent,  un  «  paysage  «  ou  une  «  marine  « 
c'est,  répétons-le,  la  sensation  que  procure  ce  motif, 
ce  paysage,  cette  marine,  en  telle  saison,  sous  telle 
lumière,  à  tel  moment  du  jour. 

D'autres  réalisent  cette  très  moderne  expression 
picturale  :  l'atmosphère  qui  circule  dans  leurs  intérieurs 
d'appartements,  dans  la  perspective  des  rues  qu'ils 
représentent  est  d'une  fluidité  telle  qu'elle  paraît 
être  réellement  celle  qui  baign^les  visiteurs  du  Salon. 
Si  bien  qu'au  lieu  d'aligner,  comme  c'est  l'usage,  aux 
parois  de  l'exposition  une  succession  d'images  bordées 
de  cadres  dorés,  l'œuvre  de  ces  «  atmosphéristes  »» 
oflre  des  échappées  de  vue  sur  un  monde  vrai,  présenté 
dans  l'air  où  il  se  meut,  avec  ses  valeurs  exactes,  ses 
reflets,  avec  ses  plus  subtiles  dégradations  de  tons, 
éclairé  par  les  jeux  de  lumière  les  plus  caressants.  Par 
quelles  vibrations  de  couleurs,  par  quelle  magie  de  la 
palette  obtient-on  cet  effet,  si  séduisant  qu'au  regard 
des  toiles  où  il  est  réalisé,  les  autres,  conçues  suivant 
les  anciennes  formules,  paraissent  terreuses,  noirâtres, 
sans  vie  et  sans  gaîté?  Quel  œil  délicat,  impressionnable, 
perçant,  n'exige  pas  cet  art  où  l'observation  la  plus 
scrupuleuse  s'unit  au  sentiment  le  plus  parfait  de  l'har- 
monie? 

D'autres  encore,  les  «  intimistes  »  ceux-ci,  ou  les 
«  caractéristes  «,  s'écartent  des  sensationnistes  eu  ce 
qu'ils  se  préoccupent  peu  de  saisir  et  de  fixer  sur  la 
toile  un  effet  passager.  Ils  étudient  la  nature  même,  la 
structure,  l'essence,  des  objets  qu'ils  choisissent  pour 
modèles.  L'un  d'eux,  à  qui  on  disait  :  «  L'île  de  Wight 
n'est  pas  picturale.  Elle  est  trop  arrangée,  trop  ratissée, 
trop  peignée  "  répondait  :  "  Eh  bien  !  il  faut  exprimer 
ce  caractère  arrangé,  ratissé,  joliet  du  pays.  C'est  une 
étude  aussi  intéressante  que  de  rendre  l'aspect  sauvage 
d'une  contrée  plus  austère.  « 

Mais  à  quoi  bon  multiplier  les  subdivisions  et  les 
néologismes  ?  Les  quelques  exemples  que  nous  venons 


de  citer  ne  suffisent-ils  pas  à  montrer  combien  dans  ce 
mouvement  artistique  qui  nous  occupe,  il  y  a  de  patien- 
tes recherches,  d'ingénieuses  observations,  d'efforts 
vers  un  art  neuf? 

Les  noms. dont  on  affuble  les  groupes  dont  la  nais- 
sance, l'épanouissement  et  le  déclin  suivent  leur  cours 
normal  à  travers  l'ahurissement  perpétuel  des  généra- 
tions successives  n'est  d'ailleurs,  est-il  besoin  de  le 
dire?  que  d'importance  infime.  «  Ces  mots  en  isme, 
disait  l'an  dernier  Raffaëlli  au  cours  de  la  conférence 
qu'il  fit  au  Salon  des  XX,  sont  des  cris  de  ralliement 
jetés,  à  un  moment  donné,  dans  la  circulation  et  qui 
aident  à  se  reconnaître,  à  se  compter,  à  s'unir  en  vue  de 
la  défense  de  l'art.  Rien  de  plus.  « 

Le  public  veut  y  voir  autre  chose.  N'assistons-nous 
pas,  en  ce  moment  même,  au  spectacle  plaisant  d'un  lot 
considérable  de  bourgeois  convaincus  que  les  XX  ont 
fondé  un  sorte  de  religion  artistique  nouvelle,  qualifiée 
par  les  gazettes  :  le  Vingtisme,  quelque  chose  d'abo- 
minablement subversif,  et  que  tous  ceux  qui  sont 
entrés  dans  cette  secte  que  l'autorité  publique  devrait 
supprimer,  pratiquent  le  culte  imposé  selon  les  rites 
prescrits  par  un  évangile  révolutionnaire.  Le  Journal 
des  Beaux- Arts  parle  gravement,  dans  le  niais  compte- 
rendu  qu'il  consacre  au  jeune  Salon,  du  «  Monstre  qui 
s'appelle  Vingtisme.  «      | 

Combien  on  rit,  derrière  le  rideau,  dans  les  cou- 
lisses d'où  les  XX  examinent  curieusement  la  bêtise 
humaine,  de  l'ignorance  et  de  la  sottise  qui,  depuis  une 
quinzaine,  éclatent  avec  sérénité  ! 

Faut-il  répéter  encore  qu'il  n'existe  pas  plus  de 
Vingtisyne  que  de  Cercle  artisticisme  ou  de  Salon 
triennalisme  :  qu'en  fondant  une  association,  les  vingt 
artistes  qui  se  sont  tendus  les  mains  ont  eu  la  pensée 
de<îréer  une  exposition  qui  réalisât  le  plus  complète- 
ment possible  la  forme  moderne  de  l'art,  chacun  s'ins- 
pirant  d'ailleurs,  pour  l'expression  de  cet  art,  de  son 
tempérament  ;  que  pour  donner  à  leurs  Salons  annuels 
la  portée  d'un  enseignement  salutaire  et  pour  en  dou- 
bler l'intérêt  artistique,  les  XX  ont  eu  l'ingénieuse 
pensée  de  joindre  à  leurs  envois  ceux  de  vingt  artistes, 
choisis  avec  soin  parmi  ceux  qui,  dans  tous  les 
domaines,  chercj^nt,  pour  atteindre  leur  idéal  artis- 
tique, des  voies  non  frayées  ;  qu'au  demeurant,  la  qua- 
lification de  Vingtistes,  dont  ils  se  font  gloire  depuis 
^u'on  l'agite  comme  un  épouvantail,  n'indique  ni  une 
école,  puisque  chacun  suit  librement  sa  route,  ni  même 
une  tendance,  puisque  d'année  en  année  s'affirment 
avec  plus  d'intensité  les  natures  les  plus  opposées; 
qu'elle  exprime  un  caractère  :  celui  d'artistes  qui 
repoussent  le  servage^  des  formules  transmises,  de 
génération  en  génération,  par  les  officines  suspectes  des 
académies;  qui  marchent  résolument,  coude  à  coude,  È 
la  conquête  d'un  art  neuf,  fier  et  libre  ;  qui  n'ont  pas 


V 


plus  de  souci  des  protestations  timorées  du  public  qus 
des  remontrances  séniles  ou  puériles  de  la  critique. 

Le  Vingtisme,  puisqu'on  persiste  à  vouloir  introduire 
dans  la  langue  ce  néologisme  bizarre,  le  voilà.  Il  élève 
sa  taille  déjeune  athlète  au  dessus  des  échines  courbées 
par  la  courtisanerie  artistique,  plus  avilissante  encore 
que  celle  des  cours.  Les  colères  que  soulève  son  passage 
triomphal  le  font  rire,  parce  que  seules  l'envie  et  l'igno- 
rance les  déchaînent  contre  lui.  Ses  audaces  tranquilles 
étonnent  les  âmes  craintives  qui  n'ont  jamais  soupçonné 
qu'on  pût  refuser  de  suivre  aveuglément  les  ordon- 
nances de  la  Faculté  des  Beaux- Arts.  Mais  déjà  il  a  ses 
défenseurs,  ses  amis,  ses  admirateurs,  et  le  cortège 
qui  l'accompagne  dans  son  expédition  contre  la  rou- 
tine grossit  dte  jour  en  jour. 

Il  n'est  donc  pas  question  d'enfermer  la  jeune  pein- 
ture belge,  personnifiée  aujourd'hui  par  le  groupe,  dans 
le  cercle  restreint  d'une  tendance  déterminée.  Si  nous 
avons  eu  en  vue,  en  écrivant  cette  rapide  étude,  de 
parler  plus  spécialement  de  l'impressionnisme,  c'est 
que  cette  manifestation  de  notre  art  contemporain, 
largement  représentée  aux  XX,  est  la  plus  récente, 
la  moins  connue,  celle  de  toutes  au  sujet  de  laquelle 
on  a  débité  et  imprimé  le  plus  d'erreurs. 

„  Nous  avons  sommairement  indiqué  déjà  quelques- 
unes  de  ses  aspirations.  Dans  un  prochain  article,  nous 
examinerons  de  plus  près  ses  caractères,  et  nous  les 
étudierons  dans  leur  comparaison  avec  l'impression- 
nisme français,  qui  n'a  avec  l'impressionnisme  créé  en 
Belgique  par  quelques-uns  des  Vingtistes  que  des  rap- 
ports éloignés. 

^OTTI^IER    DE3    Y^^^'^^^'^^^ 

Fleurs  de  reportage. 

Voici  quelques  extraits  textuels  des  af^ticles  de 
journaux  ou  Von  s'est  occupé  des  XX.  Lecteurs  ne 
vous  effrayez  ni  de  la  hardiesse,  ni  de  V obscurité 
de  ces  lambeaux  de  galimatias  double. 

MM.  Vogcls,  Ensor,  Finch,  Toorop,  Schlobach,  Fr.  Charlel, 
même  Van  Strydonck  dans  ses  esquisses,  tous  ennboîtenl  le  pas 
derrière  Claude  Monel,  derrière  Renoir  et  Besnard  qui  eux-mêmes 
sont  les  copistes  du  Norvvégien  Kolslô  et  de  l'Italien  Zandome- 
rieghi. 

♦  ♦  * 

Michel-Ange,  un  vieux.,  a  dit  un  jour  :  celui  qui  en  suit  un 
autre  ne  marchera  jamais  devant!... 


Si  nous  citons  encore  Delvin  (?),  Dario  de  Regoyos  qui  a  assez 
réussi  des  artilleurs  espagnols  descendant  une  côte  (!!!),  nous 
aurons  à  peu  près  vidé  le  monstre  qui  s'appelle  vingtisme. 


Nous  ne  sommes  plus  à  l'époque  où  des  maçons,  des  tailleurs 


de  pierre,  des  peintres  en  bâtiments,  vivant  seuls,  ignorés  même 
de  leurs  proches  voisins,  bornaient  leurs  vœux  et  leur  existence 
à  exécuter  dans  l'ombre  des  travaux  d'une  puissance  inouïe  et 
dont  la  vue  fait  passer  dans  notre  chair  un  frisson  de  fièvre  et 
d'admiration. 

Cq  trio  d'artistes  dévoyés  s'abîme  en  pleine  lumière.  Hanté  par 
la  vision  des  taches  éclatantes,  il  se  fourvoie,  croyant  trouver  au 
cœur  d'affreux  barbouillages,  la  vérité  artistique. 


* 
»  * 


M.  James  Ensor  est  trop  vingtiste  pour,  s'effondrer  piteuse- 
ment dans  l'insociabilité. 

♦. 

D'un  geste  il  montrait  ses  tons  chauds,  ardents,  restés  lettre 
close  pour  le  vulgaire, 

* 

D'autres,  chez  qui  la  doctrine  du  point  central  avait  soulevé 

une  gaîté  énorme..... 

« 

Ressassant  le  livre  de  sa  doctrine,  à  l'exemple  des  derviches, 
qui  ne  connaissent  pas  la  fatigue..... 


* 
♦  » 


Ses  rébus,  exempts  de  toute  incohérence,  ont  le  mérite  d'être 
dessinés  d'une  main  experte  avec  un  œil  harmonieux. 


L'exécution  minutieuse,  serrée,  n'enlève  rien  au  charme  qui 
s'en  dégage;  et  l'émotion  qui  l'enveloppe  parle  à  tous  les  amis  du 
sentiment  traduit  sans  apparence  d'exagération. 

*  .  ■      ■     ■ 
•  « 

Le  portrait  de  son  père,  plus  achevé,  échappe  aux  cruelles 
atteintes  des  bruns  et  des  gris. 


Un  bouquet  d'arbres  jeté  au  bord  de  l'onde,  retrace  fidèlement 
un  coin  de  paysage. 

L'exposition   des   XX  est   d'un   grotesque   sans   précédent. 
Impossible  d'Imaginer  une  plus  audacieuse  grossièreté  artistique. 


pOCUMENT|    A    C0N3ERVEÎ\ 
LE  JOURNALISME 

•■  17  novembre  1879. 

Mon  cher  Ami, 

Pourquoi  cette  forme  un  peu  rhétoriciênne  : 

«  Faut-il  nous  indigner,  faut-il  nous  réjouir?  » 

Pourquoi  ces  autres  tropes  (appelle-t-on  cela  un  trope?)  :  . 

«  Nous  l'avigns  pensé  d'abord,  en  aristocrates  que  nous 
étions.  »  —  «  Nous  nous  étions  dit  tout  cela.  » 

Je  Iro^uve  môme  le  sans  doute  un  procédé. 

Autre  chose. 

Il  y  a  dans  votre  article  un  passage  grand  et  juste,  celui  où 
vous  dites  :  «  Ne  sont-ils  pas  de  la  foule?  »  Mais  si  éloquent  quil 


I 


60 


LART  MODERNE 


soit  (et  il  l'est),  il  perd  sa  force  parce  qu'il  i)araît  encadré  et  non 
adhérent.  Il  est  cousu  au  papier,  non  colU^  aux  os. 

Ladiscutaillerie  politiculardo  nous  fait  du  lort  .'i  tons.  Le  mérite 
de  ce  pauvre  D...,  qui  avait  tant  de  taienl,  tHail  d'élre  humain  et 
élevé  d'ensemble,  de  souille,  d'un  bloc. 

'  Je  vous  conseille — du  droit  que  donne  Tamilié  et  du  droit 
qu'on  doit,  prendre  au  nom  de  fidée  qu'il  faut  défendre  le  mieux 
possible.  —  Jc  vous  conseille  dé  surveiller  celte  tendance,  natu- 
relle aux  journalistes  de  tout  temps,  hors  Proudhon,  Veuillot, 
hors  les  nets  et  les  vise-droit.  Je  vous  conseille  de  faire  comme 
je  fais,  de  ne  jamais  commencer  un  article  sans  en  avoir  nu^suré 
les  paragraphes.  Les  idées  ne  doivent  pas  empiéter  les  unes  sur 
les  autres,  s'enclaver  h  faux,  arriver  sans  être  amenées  d'emblée 
par  la  logi(jue  ou  l'émolion.  Il  y  a  plus  dé  modestie  que  d'inexpé- 
rience dans  voire  cas,  modestie  d'ancien  collégien,  qui  croit  aux 
formes  du  discours,  ou  dont  la  plume  y  croit  malgré  l'écrivain. 
Vous  n'osez  pas  penser  et  rédiger  sans  les  précautions  oratoires 
caiwenues.  Vous  "vous  trompez,  vous  vous  trompez!  C'est  vous 
qui  devez  faire  votre  moule,  on  plutôt,  c'est  voire  pensée  qui 
créera  le  moule  de  la  rédaction.  Donc,  avant  d'écrire  un  article 
quelconque,  cherchez  iidcr-mère,  précisez-vous  à  vous-même  le 
coup  principal  que  vous  voulez  porter,  la  résultante  que  vous 
tenez  h  oblenir  et  à  faire  jaillir  sous  les  yeux  de  la  foule.  Ne 
partez  pns  en  flAneur  de  rémoiion,  elle  s'évaporerait  dans  les 
nuages  de  la  phrase  et  le  méli-mélo  des  para.^raphes  grimpant  les 
uns  sur  les  aulres. 

Vous  avez  de  la  force  saine,  vous  éles,  h  voire  âge,  porteur  du 
viatique  du  vrai,  vous  avez  l'idée,  vous  avez  la  forme.  C/esl  le 
moule,  vous  dis-je,  c'est  l'allure  ferme,  sobre,  san.s  bavures,  qu'il 
faut  absolumeut  imprimera  vos  statuettes.  Il  faut  médailliser  son 
sentiment,  son  paysage  ou  son  portrait.  Je  me  répète  :  avant  de 
partir  en  guerre,  ayez,  en  cinq  ou  six  lignes  parliculières  et  sépa- 
rées, défini  voire  marche,  enchaîné  vos  paragraphes.  Moi,  je  le 
fais  dans  ma  léle  par  habitude.  Cependant,  pour  un  article  de 
longueur  et  de  poids,  je  fixe  impérieusement  mon  plan  sur  une 

feuille  que  j'ai  devant  moi  iH  que  je  consulte  de  côté  comme  un 

' 

musicien  regarde  le  chef  "dl)reheslre.  Celle  règle  a  un  grand 
avantage.  Elle  vous  oblige  à  avoir  des  idées,  puis,  chaque  para- 
c:ra}»he  dail  contenir  sa  balle  propre,  tout  en  suivant  la  ligne  que 
la  pensée-mère  a  tracée  j^our  que  loul  arrivât  dans  le  mille.  Elle 
vous  évite  de  vous  tromper,  de  tâtonner,  de  faire  un  brouillon. 

11  n'y  a  que  l'ironie  qui  puisse  venir  d'un  jet,  l'ironie  ad 
honii7icm.  qui  a  souvent  besoin  du  débraillé  du  geste  :  et  encore 
doit  avoir  son  bout  de  fer. son  mol  de  la  fin, limé  (t  empoisonné, 
jiour  qu'il  déchire-  et  salisse.  Le  mépris  condensé  dans  un  mot 
vaut  la  goutte  de  viiriol.  ^  ' 

Revenons,  ma  foi,  a  voire  article.  Je  viens  de  le  relire  et  de  le 
sabrer.  Tout  ce  que  j'ai  sabré  n'éiail  ))as  cou]U)ble,  mais  n'était 
j»as  en  place.  J'insisterai  énergiquemenl  sur  les  i"éj»étilions  d'idées 
qui  ne  vous  ont  pas  eu  l'air  de  redites,  parce  que  la  forme  était 
n  'uve  et  de  nouveau  pittoresque,  mais  ^euil^•z  suivre  mes  sen- 
tiers rouges  et  vous  retrouverez  ces  répétitions. 

Maintenant,  quoique  le  dernier  feuillet  soit  vigoureux,  lais>-ez- 
nioi  vous  crier  (^ue  vous  n"avez  pas  serré  la  réalité  de  la  question. 
La  patrie  veul  enn'giinevlcr  lc!<  aiens.  Encore  un  exemjile  du 
hors  propos!  Très  vrai,  très  juste,  bien  frappé.  Mais  celle  fois, 
au  contraire,  on  n'a  pas  voulu  les  ré-enrégirnenter .  Hétléchissez-y  ! 

Il  faudrait  conclure,  je  crois,  par  la  doul-'ur  qu'il  y  a  à  regar- 
der celle  question  sous  le  côté  du  pain...  qui  doit  en  préoccuper 


quelques-uns.  Ne  dites  pas  tous,  il  faut  ménager  les  tiers... 
Ceux-là  mettront  leur  orgueil  h  signer  «  dégradé  ».  J'ai  fait  celte 
longue  et  impitoyable  opération  du  crayon  rouge,  point  tant  sur 
l'article  que  sur  la  tendance,  point  tant  pour  condanjner  que  pour 
indiquer  :  vous  me  comprenez  bien. 

Tout  article  doit  être  planté  droit,  ne  s'affaisser  d'aucun  côté, 
avoir  d'avance,  comme  la  maquette  du  sculpteur,  sa  tête,  ses 
pieds,  son  corps  logi(iuement  bâti  et  dans  la  pose  —  en  littéra- 
ture, dans  le  ton  —  on  l'idée  doit  être. 

Ayez  le  courage  que  j'ai  eu.  Sabrez-vous  comme  jc  vous  ai 
sabré;  je  veux  dire  :  sabrez  par  la  réllexion,  d'avance,  les  choses 
hors  de  place  ou  hors  de  proportion,  ayez  vos  points  marqués  cl 
vous  irez  droit  au  but.  Il  faut  (|ue  ce  soit  vous,  pour  que  je  vous 
en  écrive  si  long.  Mais  vous  pourriez  vous  égarer  dans  voire 
|)ropre  talent.  Prenez  vos  mesures  comme  un  ouvrier,  avant 
d'écrire  comme  un  artiste.  Je  vous  le  crie  une  bonne  fois!  Astrei- 
gnez-vous h  cette  loi,  si  vous  voulez  profiler  des  dons  ipic  vous 
avez  et  en  faire  profiter  les  aulres. 

Richepin  ne  peut  décidéinenl,  m'a-t-il  dit,  venir  maintenant 
avec  nous.  Ne  crions  pas  sur  lui.  Cardons-le  comme  un  ami  litté- 
raire. 11  nous  reviendra  blessé  ou  dégoûté.  Il  devait  faire  les 
théâtres. 

Eh  bien!  mon  cher  Gautier,  il  faut  qu'ils  soient  faits  par  vous 
ou  un  de  vos  amis.  N'allez  pas  me  dire  que  ce  n'est  pas  dans  vos 
cordes!  Au  contraire!  Je  vous  répondrai  qu'il  faut  rajeunir  cette 
vieillerie  qu'on  appelle  la  critiipie  théâtrale,  vaniteuse,  pédante, 
niaisarde,  à  tête  de  cuistre  ou  de  lèchc-cul,  qui  parle  en  provin- 
ciale de  ce  qui  est  la  véritable  littérature  du  peuple  :  le  théâtre, 
Allons!  prenons  les  pièces. par  les  entrailles,  les  pièces^  et  le 
public,  la  scène  et  le  paradis.  Devant  notre  tribunal,  Victor  Hugo, 
avec  ses  papolâtreries,  ses  .moinarderies,  ses  Hernanis,  ses  Bur- 
graves,  ses  bons  dieux,  ses  monstres,  sera  un  enfant  ou  plutôt  un 
routinier  de  l'Eglise  et  de  la  cour  b  côté  de  Dennery,  qui  a  pris 
le  peuple  pour  héros,  qui  a  eu  quelquefois  du  génie,  qui,  en  tous 
cas,  est  dans  la  vraie  voie,  style  à  part.  Mais  encore  sa  prose  est- 
elle  moins  bêle  que  les  vers  romantiques?  Le|  «  merci,  mon 
Dieu  !  »  pullulent  et  puent  dans  les  tragédies  même  modernisées. 
Assez.  Et  c'est  vous,  ou  un  de  vos  amis,  qui  ferez  les  théâtres.  Ordre 
du  commandant  des  barricades.  Il  nous  faut  là  le  plus  fort  de  nos 
pointeurs. 

Je  voudrais  que  personne  ne  sût,  personne,  qui  fait  les  théâ- 
tres, si,  à  votre  place,  vous  en  mettez  un  autre.  Tel  que  la  poli- 
tique me  défend  d'accepter  pour  ne  pas  compromettre  un  instant 
le  drapeau ,  —  qui  serait  compromis,  si  honnête  au  fond,  que  puisse 
être  le  compromelteur,  —  tel  écrivain  qui  a  de  la  hauteur  et  la 
grande  note  sociale,  pourrait  se  charger  de  ce  soin.  Et  je  tiendrais 
,  formellement,  absolument,  à  ce  que  l'incognito  le  plus  impéné- 
trable fût  gardé  pour  étonner  tout  d'un  coup  le  monde  du  théâtre 
qui  entendrait  la  Rue  interpeller  la  scène  au  nom  de  ses  passions, 
de  ses  vertus,  de  ses  douleurs  !  Vous  me  comprenez.  Ce  mystère 
serait  une  force,  une  grande  force.  11  faudrait  ne  pas  se  montrer' 
à  l'orchesire,  ne  pas  aller  aux  premières  représentations  :  puisque 
nous  sommes  hebdomadaires,  il  n'y  aurait  pas  grand  mal.  11  fau-' 
drait  se  déguiser  et  déguiser  son  style,  mais  viser  bien  et  haut. 

Donc,  mon  cher  ami,^le  théâtre  sera  fait;  personne,  même  de 
la  rédaction,  ne  saura  par  qui.  La  politique  sera  bannie  de  ces 
articles,  impitoyablement  bannie,  mais  l'ironie  et  l'émotion  sociale 
auront  la  parole.  Nous  pouvons  provoquer  une  révolution  drama- 
liciue  et  enfoncer  les  portes  pour  que  les  réalistes  arrivent.  Donc, 


y 


r 


gjirdoz  pour  vous  celUî  proposilion.  Pr(''p.'jre/,  co.Ue  révoliilion 
lilténiire  cl  en  rncrrio  l(ïm[)S  col  inripciiclr.ihlo  incoi^^nito.  Il  fiiiit 
qu'on  ne  se  doiilc  pas  une  sccomle  du  nom  du  nouvcîiu  juge  lU&h- 
Iral.  I.cs  sup[>osilions  iroril  N'tir  Iniiii,  et  nos  iddcs  îiiissi  !  ^ 

Je  suis  efïV.'ivïj  de  votre  nveu  [)onr  l.ouisf;  Miclicl.  Vas  encore 
*  fait,  —  pas  archi-fitil!  —  Diable!  il  nous  f.uidra  nous  organiser 
pour  ne  pas  man(|uer  de  combustible  en  route. 

La  Rue  a  tout  ce  fju'il'  taul  f>our  paraîtrt;.  Ce  n'est  plus  la  faulc 
du  commanditaire,  c'est  la  faute  de  la  r(''daclion. 

J(;  n'ai  rit-n  (ju(;  l(!s  vers  fpjo  vous  savez.  Heuzy  m'a  envoy/; 
deux  articles,  dont  un  interminable  et  je  crois  inimprimable,  dont 
l'autn;  bon,  mais  inactur-l.  Il  nous  faut  de  l'actualilc';  (!t  de  la  viva- 
cil(^'  au  début. 

Knfin,  je  vois  (pu;  nous  n(;  [taraitrons  pas  le  22.  Mais,  le  ^2, 
il  est  i7i-(lis-peii-s(ihle  (pie  j'aie  toute  la  copi(;,  hors  l(s  éclios,  et 
une  colonne  laissée,  en  cas  (raclualité,  ii  cette  acUialilé,  eu  tous 
cas,  consacré*;  h  un(;  chose  fraîche. 

Donc,  tout,  tout,  chez  moi,  samedi.  A  f)eine  aurons-nous  le 

temps,  même  avec  cette  avance,  d'arriver  pour  le  28.  Je  veux  un 

premi(;r  lujméro  superbe,  —  comme  réilaction  et  aspect,  superbe. 

Si  j'étais  Giiulier,  je  laisserais  reposer  là  «  croix  d'honneur  »  et 

je  me  mettrais  î»  un  article  judiciaire  ou  à  [)eu  [)rès,  mais  pas  si 

Agé  que  l'alTaire  de  Tapprî-nli.  Du  [)lns  neuf,  flu  plus  neuf!  Vous 

pouvez  voir  dans  la  lisîe  des  assis*^'S  futur^s  un  cas  que  vous  |)r(;n- 

drez  tout  de  suite,  quille  ^  rajeunir  au   dernier  moment  (lar  un 

autre  en-lêle,  ou   une  queue  fraîche.  Je  v0!:s  n'-crirai,  du  reste, 

mais  h  l'œuvre,  li  l'oMivre,  et  soyons  humain,   rir-ur  ou  attendri. 

Coléreux  aussi,  mais  contre  les  noms  propres,  Kjs  individus,  pas 

devant  les  idées.   Faites  voire  siège  —  el  le  théâtre  absolument 

—  et  iucoynito.  '  - 

Jl'les  Vallès. 


ASSOCIATION  DES  ARTISTES  MUSICIENS 

Deuxième  concert 

Le  deuxième  concert  de  VAssociaiioji  des  Artistes  musiciens. 
consacré  îi  Henry  Litolff,  a  été  pour  le  vieux  maître  le  glorieux 
couronnement  de  son  séjour  à  Bruxelles.  Les  ovations  du  Waux- 
Hall,  le  triomphe  des  Templiers  h  la  Monnaie,  la  cordiale  sym- 
pathie manifestée  h  ï Association  tant  par  les  artistes  de  l'orches- 
trç  que  par  l'auditoire,  ont  tour  à  tour  réjoui  le  cœur  du  musi- 
cien, désormais  populaire  en  Belgique.  Il  n'est  point  de  solennité 
de  ce  genre  sans  quelque  emblème  destiné  à  en  perpétuer  le  sou- 
venir. L'Association  a  donc  offert  au  maître  une  lyre  de  papier 
doré  enrubanée  et  enguirlandée  d'un  discours  de  M.  Dumon.  Il 
y  a  eu  des  effusions,  des  accolades.  L'u  instant  interrompue  par 
rémolion  qui  a  gagné  jusqu'aux  cymbales,  la  séance  musicale  a 
repris  ensuite  son  essor,  et  sous  la  fébrile  direction  du  maître, 
dont  tout  le  monde  a  admiré  la  verte  vieillesse,  la  Grande- 
Harmonie  a  retenti  des  plus  vigoureuses  sonorités  de  l'œuvre  de 
Litolff. 

L'ouverture  de  Robespierre,  bien  connue  à  Bruxelles,  le  l'  Con- 
certo que  Brassin  joua  jadis,  dans  celte  même  salle,  les  airs  de 
ballet  des  Templiers,  indissolublement  liés  i\  la  vision  de  la 
charmante  ballerine  .Vdelina  Rossi,  composaietu  le  programme. 

M.  Camille  Curickx,  chargé  par  le  maître  de  la  partie  do  piano 
du  concerto,  l'a  joué  en  musicien  de  haute  valeur  el  eu  pianiste 
consommé.  L'école  de  Brassin  transparaît  "dans  son  jeu  sérieux, 


consciencieux,  respectueux  des  intentions  de  l'auteur,,  moelleux' 
de  toucher  el  puissant. 

Dans  la  première  partie,  M.  Curickx  avait  fait  entendre  une 
œuvre  de  lui,  un  poème  symphonique  révélant,  à  côté  du  pianiste, 
un  compositeur  de  mérite.  L'intérêt  du  concert  étant  concentré 
sur  l'auteur  des  Templiers,  on  n'a  peut-être  pas  donné  k  la 
conaposilion  du  jeurie  artiste  toute  l'attention  qu'elle  mérite. 
D'une  facture  distinguée,  écrite  avec  une  recherche  approfondie 
des  timbres  et  une  entérite  parfaite  des  ressources  orchesi raies, 
l'œuvre  a  une  belle  a'Iure,  particulièrement  dans  sa  seconde 
'  partie,  où  elle  a  quelque  parenté  avec  les  poèmes  de  Liszt.  Les 
etïéts  du  piano  y  sont  habilement  combinés  avec  la  polyphonie 
de  l'orchestre  (^  manière  \ï  former  un  ensemble  d'un  intérêt 
soutenu,  mi-concerto,  mi-symphonie,  mais  dans  une  forme 
nouvelle  qui  n'est  ni  le  concerto,  ni  la  symphonie.  M.  Gurickx 
est  un  rêveur  dont  rin-^[)iraiion  ne  s'accommode  pas  volontiers 
des  canons  ni  de  la  a  Tabulalure  »..  La  composition  qu'il  a  jouée 
samedi  est,  pensons-nous,  la  première  qu'il  ail  fiil  exécuter. 
C'est  assurément  le  début  !e[)lus  briHanl  qu'on  ait  ftit,  depuis 
bien  des  années,  en  BeUioue.. 


'JMuSIQUE    DE    CHAMBRE 


Marrli  ;i  eu  lieu,  rhm.s  une  <jrs  ^alle,  du  Pa!ais  des  B.'aux-Arls, 
a'^sez  peu  favorable  a  l'acous' iipi'-,  lu  [iremière  des  deux  si-ances 
annonct'-es  pcl-'irio  Hubay,  Wienia\v>ky,  Jucohs. 

Le  [)ut)!ic  ;i  t'iiJL  excelietu  iiecueil  aux  irois  musiciens  qui.  avec 
tant  de  dèvuuemt.'nl  et  de  science  artiste,  s'efforcent  de  lui  donner 
une  éducation  musicale  sérieuse  el  profonde. 

Souvent  nous  avons  loué  chez  M.  Hubay  le  jeu  à  la  fois  élé- 
gant el  grandiosement  emporti;,  V,{  tenue  correcte  el  si-mple,  la 
virtuo>'il(;,(|ui  ne  s't'carte  jamais  de  \A  synthèse  de  Ta^uvre  ei  ne 
d<-'ai!le  que  juste  assez  pour  iuiliijuer  l'importance  du  d.-tâil 
dans  l'importance  générale.  Jamai>^  l'excelient  violoniste  n"  i  fait 
preuve  d'autant  de  lalent  i[ue  dans  sou  interprtHation  de  la  >onale 
de  Beethoven  op.  47,  dè'di<M,>  à  Kriniizer.  l..-s  nombrewses  for- 
mules qui  [)eu  a  peu  meiienl  des  rides  daiis  une  pai'iii.'ile  !'.i'!ivre 
de  Beethoven  disparai.^saient  pr-sque  '.'ompielt.'menl  de'  l'iTeille. 
et  seul  demeurait  l'attachant  intérêt  d'un  travail  harmoni([ue  bien 
conduit  el  droit  au  but. 

M.  Jacobs  a  fait  remar(|uer  <on  talent  distingué  et  délicat  dans 
le  Quintette'  de  Schumann,  où  l'auteur  réserve  au  violoncelle  an 
rôle  important.  Et  nou.s  nous  ."apneiions,  en  écoutant  W  diurne 
successeur  de  Servais  au  prnfN<oral  ih^  ni^lre  Ecole  ilê  musique, 
le  Des  Esseinies  d'.l  rebours  que  certaine"^  pages  pour  violoncelle 
Ite  Schumann  posiiivemeui  laissaient  haielanl. 

(.Quelle'  belle  in>^pirati')n  que  l'iii  modo  inna  marcui  el  {'■dlegro 
ma  non  iroppo,  de  désolation  et  d'emotiou'aigué  (H  lancinante .' 

Le  numéro  deux  du  [trogramme  t.'tait  une  nouveile  composition 
du  très  t'econd  [uaniste  Wirn:a\v<ki  :  un  irio  pour  [)iano.  violon 
et  violoncelle  i/i,  ()ù  les  trois  oi-gaiiisaieurs  de  cette H^xceilenie 
séance  de  musitpie  de  chambn'  ont  j^art  égale,  ("lar  une  des  t(ua- 
lités  lie  t;ette  œuvre  esl  !a  t^omlération  exacte  des  trois  instra- 
uîetUs;  h'  pianiste,  l'hose  ww^i,  a  pu  s'oublier  el,  au  lieu  de  rete- 
nir pour  soi  le  premier  rôle,  ne  tiguivr  qu'à  son  itiLin  daus> 
l'harmonie  L!:euerale.  ■        - 


"    Reoemiiient  publie  chez  Sciiott  trères. 


A  celle  qualité,  il  faut  joindre  l'ëlégancc.  M.  Wicniawski,  s'il 
n'évite  point  d'élrc  banal  parfois  et  teinté  de  réminiscences,  ne 
tombera  jamais  dans  la  vulgarité  :  ses  compositions  pour  piano, 
par  exemple,  déjà  fort  nombreuses,  ne  loucheront  jamais  ces 
écuoils  :  le  morceau  de  salon,  la  lantaisie  brillante,  le  bouquet  de 
mélodies,  la  pluie  de  perles,  et  quelle  volonté  ne  faut-il  pas  au 
professeur  mondain  pour  ne  point  devenir  l'approvisionneur  des 
pensionnats  en  vogue  et  des  maisons  d'éducation  bien  notées! 

Nous  louons  fort  dans  son  trio,  déjà  sa  40"'"  œuvre,  les  numé^ 
ros  d,  2  et  4  :  le  premier,  d'une  bravoure  un  peu  romantique, 
d'une  tournure  de  mélodie  voisine  de  Chopin  et  de  Liszt;  le 
deuxième,  développement  d'un  thème  désolé,  d'une  mélancolie  de 
.chant  populaire  polonais,  avec,  ci  et  là,  des  réminiscences  de 
Grieg;  le  quatrième,  plus  grandiose  et  emporté,  mais  aussi 
émaillé  de  souvenirs,  de  Wagner  celte  fois.  Le  scherzo  nous  plaît 
moins;  il  manque  de  développement  et  fmit  avec  une  intempestive 
brusquerie. 

La  deuxième  séance  que  donnera  le  mardi  2  mars  l'excellent 
trio  no  peut  manquer  d'attirer  au  Palais  des  Beaux-Arts  tous  Ic^ 
musiciens  et  amateurs  sérieux;  le  programme  comprend  des 
œuvres  de  Mozart,  Rnbinslein,  Waldemar  Bargiel.  Nous  la 
recommandons  vivement  et  félicitons  encore  MM.  Hubay, 
Wieniawski  et  Jacobs  pour  leur  artiste  interprétation. 


fl0F(RE?P0NDANCE    PARISIENNE 

Société  des  aquarellistes  français. 

Voici  venir  T-oiiverlure  de  toutes  les  expositions  dont  souffre 
Paris  de  février  à  juin.  La  plus  belle  «  première  »  a  été,  jusqu'à 
présent,  celle  des  Aquarellistes,  à  la  galerie  Petit.  Cette  aimable 
compagnie  de  fournisseurs  brevetés  des  Cours  et  des  riches  ban- 
quiers Mécènes,  très  fermée  au  ^début,  s'est  agrandie  et'  a  admis 
en  son  sein  quantjté  de  nouveaux  venus.  Plus  de  Delaille  :  les 
panoramas  ]e  tiennent  loin  de  là  rue  de  Sèze;  de  Neuville  n'est 
plus;  31"'^  Lemaire,  lasse  de  ses  succès,  abandonne  ses  pin- 
ceaux de  martre  pour  ne  plus  s'occuper  que  de  pastel.  (Le  pastel 
est  le  nouveau  joujou  parisien.)  H  y  a  encore  d'autres  désertions 
et  de  la  société  primitive  il  ne  reste  guère  que  des  vieillards 
respectables  mais  peu  intéressants,  comme  l'exact  Français,  l'or- 
léaniste Eugène  Lami,  Ed.  de  Beaumont,  le  calembour  fait  peintre, 
Viberl  l'illustrateur  de  Léo  Taxil,  Lambert  le  faiseur  de  chats 
pouf  Palais-Royal,  l'Espagnol  Worms,  qui  n'existe  plus,  même 
pour  ses  anciens  admirateurs...,  et  enfin  M""^  la  baronne  Natha- 
niel  de  Rothschild,  qui  n'est  pas  la  moins  bien  douée. 
^  Les  jeunes  recrues  sont,  pour  la  plupart,  bien  dans  la  tradi- 
tion. M.  Maurice  Courant  représente  la  marine  française;  M.  Le 
Blant  est  fauteur  de  chouans  qui  ravissent  le  public;  M.  Roger 
Jourdain  copie  tout  doucement  M.  Duez;  M.  Maurice  Leloir  est 
le  frère  de  fou  Louis;  .M.  Gros  est  l'élève  dur  du  dur  Meissonnier; 
M.  Aimé  Morot  modèle  aussi  implacablementà  l'eau  qu'à  l'huile; 
M.  François  Fiameng  «  papillolte  »  entre  feu  Forluny  el  M.  Heil- 
buth,  dont  les  gouaches  mondaines  s'alourdissent  d'année  en 
année;  M.  Zùber  fait  des  paysages  de  chef  de  bureau  en  vacances. 
M.  Guillaume  Dubufe  obtient  un  regard  en  illustrant  une  page 
inédile  de  son  oncle  Ch.  Gounod,  dont  l'archet  est  emporté  par 
un  cacatoès  qui  tient  lieu  de  Saint-Esprit.  Serait-ce  un  souvenir 
de  Un  cœur  simple,  le  petit  chef-d'œuvre  de  Flaubert?  Les  anges, 
drapés  d'étoffes  aux  couleurs  «  les  plus  modernes  »  font  les  yeux 


doux.  M.  Boutel  de  Monvel  pille  Miss  Ka^e  Greenaway  et  réussit 
si  bien  que  tous  ses  éventails  sont  déjà< vendus. 

Dans  ce  bazar  aux  njédiocrilés,  quelques  rares  notes  d'art  nous 
consolent  un  peu.  M.  Albert  Besnard,  peut  être  moins  heureux 
que  souvent,  a  cependant  envoyé  une  Nuit  d'un  effet  très  curieux 
et  d'un  grand  caractère,  deux  belles  têtes  de  paysannes  el  un 
joli  bébé  jouant  avec  ses  pieds.  Nous  aim(fhs  moins  ses  fantai- 
sies lunaires  et  solaires,  tout  en  les  tenant  |)our  des  œuvres  dis- 
tinguées. M.  Ernest  Duez,  qui  a  point  autrefois  si  bien,  et  (|ue 
son  Saint- Çuthbcrt  avait  lancé  dans  la  grande  peinture,  où  il 
s'était  fatigué,  est  revenu  avec  intelligence  à  ses  ileurs  délicate- 
ment exécutées  et  à  son  métier  si  précieux.  Aussi  brille-t-il  chez 
M.  Petit  d'un  vif  éclat.  Ses  Hortensias  bleus  sont  exquis; 
ses  Chrysanthèmes  jaunes  sont  d'une  couleur  extraordinaire  sur 
la  mer  satinée  qui  leur  sert  de  fond.  M.  James  Tissot  est  infé- 
rieur à  lui-même  :  son  essai  d'aquarelles  sur  soie  ne  prouve  pas 
grand'chose.  C'est  évidemment  œuvre  d'artiste,  mais  c'est  peu 
réussi,  sec  et  dur.  Enfin  M.  John-Lewis  Brown,  toujours  rafliné, 
n'a  envoyé  que  des  aquarelles  médiocres  pour  lui,  et  M.  Har- 
pignies  des  paysages  ennuyeux,  bien  que  d'une  certaine  gran- 
deur. 

Telle  est  cette  pauvre  exposition.  On  y  assiste  à  l'agonie  d'une 
société  qui  n'a  plus  de  raison  d'être  et  dont  la  mode,  seule,  pro- 
longe l'existence. 


f> 


ETITE    CHROJMIQUE 


M.  Edmond  Haraucourl  a  fait  hier  aux  XX  une  conférence 
dans  laquelle  il  a  attaqué  avec  violence  la  jeune  école  littéraire 
que  nous  avons,  ici.  même,  étudiée  récemment  dans  ses  manifes- 
tations diverses.  Son  titre,  les  Reines  de  villages^  est  emprunté 
à  Pascal  dont  il  a  lu,  pour  débuter,  l'ingénieuse  comparaison  : 

«  Comme  on  dit  beauté  poétique,  on  devrait  dire  aussi  beauté 
géométrique  et  beauté  médicinale.  Cependant,  on  ne  le  dit  point  :  et 
la  raison  eu  est  qu'on  sait  bien  quel  est  l'objet  de  la  géométrie  et  quel 
est  l'objet  de  la  médecine  ;  mais  pn  ne  sait  pas  en  quoi  consiste 
l'agrément  qui  est  l'objet  de  la  poésie.  On  ne  sait  ce  que  c'est  que  ce 
modèle  naturel  qu'il  faut  imiter,  et  faute  de  cette  connaissance  on  a 
inventé  de  certains  termes  bizarres  :  siècle  d'or,  merveille  de  nos 
jours,  fatal  laurier,  bel  astre,  etc.;  et  on  appelle  ce  jargon  beauté 
poétique  !  Mais  qui  s'imaginera  une  femme  vêtue  sur  ce  modèle  verra 
une  jolie  demoiselle  toute  couverte  de  miroirs  et  de  chaînes  de 
laiton  ;  et  au  lieu  de  la  trouver  agréable,  il  ne  pourra  s'empêcher 
d'en  rire,  parce  qu'on  sait  mieux  en  quoi  consiste  l'agrément  d'une 
femme  que  l'agrément  des  vers  Mais  ceux  qui  ne  s'y  connaissent  pas 
l'admireront  peut-être  en  cet  équipage;  et  il  y  a  bien  des  villages  où 
on  la  prendrait  pour  la  reine;  et  c'est  pourquoi  il  y  en  a  qui  appel- 
lent des  sonnets  faits  sur  ce  modèle  des  Reines  de  village.  »» 

Ce  sont  les  précieux  d'il  y  a  deux  siècles  que  Pascal  caractéri- 
sait ainsi.  Le  mot,  selon  M.  Haraucourt,  s'applique  à  merveille 
aux  poètes  décadents,  qui  sont  les  précieux  d'aujourd'hui. 

Et  à  l'appui  de  son  affirmation,  ri  a  lu  des  vers  de  Stéphane 
Mallarmé,  de  la  prose  de  Verlaine,  des  vers  de  René  Ghil.  Il  les 
a  analysés,  pesés,  pour  se  justifier  d'un  reproche  qui  lui  avait  été 
adressé  à  propos  d'une  conférence  qu'il  fit,  ces  jours-ci,  sur  le 
même  mouvement  littéraire.  Sa  conclusion,  résumé  de  sa  cam- 
pagne, —  car  c'est  une  véritable  campagne  qu'il  poursuit  el  qu'il  ' 
mène  depuis  quelques  jours  à  Marcinelle,  à  Anvers,  à  Bruxelles, 
la  voici  :  les  Décadenls'tuent  la  langue  française;  ce  sont  des  êtres 


i- 


UART  MODERNE 


63 


dangereux  el  m:ilf;iisanis/qui  ddlournenl  du  chemin  d'un  art  sain 
et  robuste  des  poôlcs  d'avenir,  tels,  par  exennpie,  que  Charles 
Morice.  Ils  ont  du  talent,  ou  ils  en  ont  eu.  Mais  leur  influence  est 
pernicieuse  el  doit  êlre  comballue  au  nom  de  l'art  français. 

El  avec  une  énergie  dont  la  crùneric  a  plu  même  aux  adver- 
saires de  sa  th(îorie,  M.  Haraucourl  a,  pendant  près  de  deux 
heures,  développé  une  série  d'arguments  en  faveur  de  celte 
thèse,  sachant  fort  bien  que  son  auditoire  était  en  partie  composé 
d'artistes  qui  ne  partageaient  en  aucun  point  ses  opinions. 

Mais  les  sifil(Us  sont  restés  au  fond  des  poches.  M.  Haraucourl 
parle  avec  conviction,  avec  chaleur.  Il  est  de  ceux  dont  on  peut 
comballn;  les  idées,  mais  dont  il  faut  respecter  les  convictions. 
El  sa  conférence  aura  eu,  tout  au  moins,  une  conséquence  effi- 
cace :  celle  de  pi^iuer  la  curiosité  de  ceux  des  assistants  pour  qui 
les  noms  des  poètes  décadents  ne  sont  pas  encore  familiers,  et 
de  soulever,  {)armi  les  autres,  des  discussions  el  des  polémiques, 
qui  toujours  sont  salutaires  k  l'Art. 

La  prochaine  conférence  des  XX  sera  faite  par  M.  Jules 
Lemaîlre,  le  critique  apprécié  du  Journal  des  Débats.  Elle  sera 
annoncée  prochainement. 

Le  Comité  de  l'exposition  des  œuvres  d'Edouard  Agneessens 
prie  les  personnes  possédant  des  tableaux  de  ce  maître  de  vou- 
loir bien  en  prévenir  la  famille  Agneessens,  rue  de  la  Com- 
mune, 28.  Le  Comité  se  chargera  de  -faire  prendre  les  œuvres  k 
partir  du  25  de  ce  mois  et  elles  seront  renvoyées  à  leurs  proprié- 
taires dans  les  Trois  jours  qui  suivont  la  clôture  de  l'exposition, 
fixée  au  6  avril  prochain. 

Le  deuxième  con(;erl  populaire  aura  lieu  aujourd'hui  dimanche, 
à  1  i/2  heure,  au  Ihéâtre  royal  de  la  Monnaie. 

Programme  :  i»  L Enfance  du  Christ,  oratorio  de  Hector  Ber- 
lioz. Solistes  :  M'"''  Moriani  (de  C...);  MM.  Heuschling.  Dubulle, 
Engel  ;  2o  Symphonie  n"  2,  de  Borodine  (redemandée). 

Voici  le  chiffre  d'entrées  atteint  par  le  Salon  des  XX  durant 
cette  première  quinzaine.  Entrées  à  un  franc  :  437.  Entrées  k 
cinquante  centimes  :  4,782,  soit  ensemble  5,204. 

Les  trois  concerts  Rubinstein,  que  nous  avons  annoncés,  sont 
défmitivemenl  décidés,  et  les  dates  fixées  : 

Vendredi  30  avril,  concert  Beethoven.  Mardi  2  mai,  séance 
Schumann. 

Jeudi  4  mai,  séance  Chopin. 

Ces  concerts  auront  lieu  k  la  Grande-Harmonie. 


L'œuvre  que  M.  Ernest  Renan  a  promise  k  la  Comédie-Fran- 
çaise pour  le  premier  anniversaire  de  la  mort  de  Victor  Hugo 
sera  en  prose  et  s'appellera  Dix-huit  cent  deux. 

C'est  une  sorte  de  Dialogue  des  moris,  auquel  prennent  part 
plusieurs  personnages  de  l'époque.  Les  interprètes  de  ce  dialogue,, 
plutôt  épique  que  dramatique,  seront  MM.  Gol,  Febvre,  Worms, 
ailles  Roichemberg,  Cartel,  etc.        '  ^ 

Le  même  soir,  la  Comédie-Française  donnera  un  acte  de  Ruy- 
Blas,  un  acle  d'Hernani  et  un  acte  de  le  Roi  s'amuse. 

A  rOpéra-Comique  de  Paris,  M.  Carvalho  va  mettre  eu  répéti- 
tion le  Benvenuto  Cellini  de  Berlioz. 

Voici  la  distribution  :  Benvenuto  Cellini,  M.  Talazac  ;  Balducci, 
M.Fugère:  Fieramosca,  M.  Bouvel;  Le  cardinal,  M.  Fournels; 
Teresa,  M"*^^  Merguilier;  Ascanio,  Mi''^  Deschamps. 

Le  festival  rhénan  de  celle  année  aura  lieu  k  Cologne,  du  13 
au  15  juin,  sous  la  direcliondu  capellmeister  Wullnçr,  directeur 
du  Conservatoire  de  Cologne.  Le  programme  porle  la  nouvelle 
symphonie  de  Brahms,  Balihasar  (oratorio)  de  Ha.Mulel,  le  finale 
du  premier  acle  de  Parsifal  et  la  neuvième  symphonie  de  Beel- 
hoven. 


On  commence  k  parler  du  successeur  de  Paul  Baudryk  l'Institut;' 
on  nomme  comme  devant  se  présenter  cl  par  ordre  alphabétique  : 
MM.  Jules  Breton,  Henner,  Jean-Paul  Laurens,  Jules  Lefebvre, 
Gustave  ^loreau,  Puvis  de  Chavannes. 

La  liste  est  intéressante,  comme  on  le  voit. 

L'exposition  de  l'œuvre  de  l'artiste  sera  ouverte  k  l'Ecole  des 
Beaux-Arls  le  !«»•  avril. 

Un  comité  est  en  voie  de  formation.  Des  lettres  vont  êlre  adres- 
sées aux  directeurs  des  musées  de  province  et  aux  amateurs  qui 
possèdent  des  tableaux  du  maître. 

Un  des  plus  grands  artistes  de  l'Europe  vient  d'être  enfermé 
dans  une  maison  de  sanlé.  Sraria,  la  basse  chanlanle  de  l'Opéra 
de  Vienne,  a  élé  transporté  k  Badiiwitz,  en  Saxe.  Les  représenta- 
tions de  Bayreuth,  qui  ont  lieu  sans  souffleur,  l'avaient,  l'an  der- 
nier, surmené;  puis  sont  venus  uno  tournée  en  Amérifjue  et  le 
service  régulier  de  l'Opéra  de  Vienne  qui  l'ont  achevé.  Il  a  perdu 
la  mémoire  au  milieu  d'une  représentation  du  Tannhauser,  el, 
sans  la  présence  d'espril  du  chef  d'orchestre,  qui  a  sauié  un 
finale,  la  r.présenlalion  aurait  é'é  iiit(Trom[)ue  de.  lu  façon  la  plus 
pénible.  Scaria,  passait  k  juste  titrr  pour  le  meilleur  Wotan 
des  Niebelungen,  le  meill; ■nr  Hans  Sachs  d(!S  Maîtres  Chanteurs, 
avait  été  le  créateur  de  Gurnemans  drjns  ParsijaL 

Voici  le  tableau  comparatif  des  recet'.es  dans  les  théâtres  de 
Paris  : 

MOIS  1880         1881  1882 

Janvier  . _  l,S10,:/j«  2,0&8,850  2,#y),;^ 

f'évrier _.     ,  l,%>,.y..^  2,2a{,2J2  2.r><l,4f/j 

Mars. l,.T;i,r>^.ô  2,.325,812  1,'j5  1,272 

Avril XfiJir^'n  Vfr;,TS)  l,8?2,4-r4 

Mai 1,419,724  l,72.ô„S6'.)  l,760,.Vja 

Juin l.fji)l,9:^  1,127,74.3  1,03:^,227 

Juillet f>43,212  4Ô&,(>30  6.>1,.%7 

Août 5.54,201  7:S,26.3  65rJ,19I 

Septembre; 1,154,058      .    1,664,670  1,44Û..598 

Octobre  ..*.........  1,886,420  2,095,787  2,015,231 

Novembre  .    .    .    . 1,967,992  2,140,756  2.019,683 

Décembre 2,229,138  2,1(08,769  2,269,875 

'l7,689,7.S8         21,391,211      '  20,18rt,359 

MOIS  1883  1884  1885 

Janvier 2/J00.123  2,250,397  2,r«3,620 

Février  . 1,997,423  2334.;«i9  2,010,»99 

Mars 1,'J'J1,479  2,030.522  XSf^i^fA 

Avril 1,718.221  1,S88.',>58  l..vjl,24t) 

Mai 1,418,^34  1,517,761  l,6,Si,!X'7 

Juin 757,206  979.42"3  r35.^,328 

Juillet 542,484  242,172  373,243 

Août 594,078  246.258  403,4.54 

Septembre i;î32,716  1,060.137  1,141.292 

Octobre 1,'J88,282  1,688,349  1,672.575 

Novembre 2.084.839  l,7ri2,721  2,018.935 

Décembre  ......     .    .     ,    .  2,394,446  1,82.5,360  2,002,708 

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L'ART  MODEHNS  sVst  acquis  par  l'autorité  et  rindépcndauco  do  sa  critique,  par  la  variété  de  ses 
informations   et'  les   soins   donnés   à   sa    rédaction    une  place  prépondérante.    Aucune   manifestation  de  l'Art  ne 

lui  est  étrani^^èio  :  il  s  occupe  de  littérature,  de  peinture,  de  sculpture,  de  gravure,  de  musique, 

d'architecture,    etc.    Consacré    principalement   au    mouvement   artistique   belge,   il  renseigne   néanmoins   ses 

lecteurs  sur  tous  les  événements  artistiques  de  l'étranger  qu'il  importe  de  connaître. 

Chaque  numéro  de  L'ART  MODERNE  s'ouvre  par  une  étude  approfondie  sur  une  question  artistique 
ou  littéraire  dont  l'événement  de  la  semaine  fournit  l'actualité.  Les  expositions,  les  livres  mmveaux,  les 
premières  représentations  d'œuvres  dramatiques  ou  musicales,  les  conférences  littéraires,  les  concerts,  les 
ventes  cfobjcts  (fart,   font  tous  les  dimanches  l'objet  do  chroniques  détaillées. 

L'ART  MODERNE  relate  aussi  la  législation  et  la  jurisprudence  artistiques.  Il  rend  compte  des 
procès  les  plus  intéressants  concernant  les  Arts,  plaides  devant  les  tribunaux  belges  et  étrangers.  Les 
artistes  trouvent  toutes  les  semaines  dans  son  Mémento  la  nomenclature  complète  des  expositions  et 
concours  auxquels  ils  peuvent  prendre  part,  en  Belgique  et  à  l'étranger.  Il  est  envoyé  gratuitement  à 
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L'ART  MODERNE  forme  chaque  année  un  beau  et  fort  volume  d'environ  450  pages,  avec  table 
dès  matières.  Il  constitue  pour  l'histoire  dé  l'Art  le  document  LE  PLUS  COMPLET  et  lé  recueil  LE  PLUS 
FACILE  A  CONSULTER. 


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N°  3.  CAr;»?  c?"o?/?oî<r.  (Love  song)  .     .  1.75 

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Sixième  année.  —  N°  9. 


L'ART 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  28  Février  1886. 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,   un   an,   fr.   10.00;  Union  postale,   fr.    13.00.    —   ANNONCES   :    On   traite   à  forfait. 


Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 


l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelleâi; 


I 


? 


OMMAIRE 


A    PROPOS    DU    Salon   des    XX.    —   L'Enfanxe  du   Christ.   — 
Curieuse!  par  Joséphin  Péladan.  —  Impressions  sur  la  peinture. 

—  Gazette  de  Hollande.  —  Correspondance  musicale  de  Paris. 

—  Théâtres.  Théâtre  la  Monnaie;  Théâtre  Molière.  —  Chronique 

judiciaire  des  ARTS.  —    PETITE   CHRONIQUE. 


^  ^    PROPO?    DU     ^ALON     DE^    }(^ 

L  IMPRESSIONNISME 
II 

Il  y  a  un  bon  nombre  de  personnes  pour  qui  les 
impressionnistes  sont  d'affreux  barbouilleurs  qui  ne 
respectent  ni  la  forme,  ni  l'aspect  des  choses  ;  qui 
écrasent  au  couteau  à  palette  des  tons  quelconques 
sur  de  la  toile  et  se  soucient  fort  peu  de  ,ce  que  l'amal- 
game qu'ils  triturent  doit  représenter.  A  la  vue  des 
œuvres  lumineuses  des  impressionnistes  français,  ces 
gens  éclatent  de  rire.  Devant  les  savoureuses  colora- 
tions de  nos  impressionnistes  à  nous,  ils  se  mettent  en 
colère,  montrent  le  poing  ou  menacent  les  tableaux  de 
leur  canne.  Et  les  journaux  que  lisent  ces  malheureux 
publient  des  âneries  telles  que  celle-ci,  extraite  textuel- 
lement d'un  compte-rendu  qui  eût  mérité  une  place 
d'honneur  dans  le  Sottisier  des  Vingtis'tes  :  «  Jamais 
^palais  des  arts  n'a  offert  quelque  chose  d'aussi  auda- 
cieusement  grotesque  ;  jamais  commission  d'exposition 
n*a  tenté  pareil  défi.  Tradition,  réalisme,  école,  com- 
position, nature,  sentiment,  couleur,  dessin,  tout  au 


rancart.  Les  Vingtistes  renversent  et  répudient  toutes 
les  créations  artistiques  des  temps  passés.  Arrière  la 
glorieuse  époque  du  xvi^  siècle  où  Rubens  trônait  au 
centre  d'une  pléiade  de  grands  hommes.  Arrière  Rem- 
brandt, Van  der  Est,  Vouwermans,  Brauwer  et  bien 
d'autres  en  Hollande.  Arrière  Albert  Durer  et  les 
siens  et  toute  pette-  immortelle  école  italienne  qui  a 
rempli  l'Europe  de  ses  chefs-d'œuvre.  Arrière  !  LesXX" 
vont  remplacer  tout  cela,  comme  si  c'était  un  rien,  par 
la  débauche  artistique  la  plus  effrénée  qui  se   puisse 


imaginer.  « 


Nous  plaignons  sincèrement  le*  malheureux  qui  a 
signé  ces  lignes  ;  son  cas  est  intéressant,  mais  ce  n'est 
ni  pour  lui,  ni  pour  ses  semblables  que  nous  écrivons, 
et  si  nous  aVons  cité  ce  curieux  extrait,  c'est  qu'il  nous 
a  paru  typique.  Le  jour  où  les  XX  ne  seront  plus  har- 
celés par  la  meute  que  si  joyeusement  ils  exaspèrent, 
l'heure  du  déclin  sera  peut-être  proche. 

Il  y  a,  à  côté  de  ces  fanatiques,  des  esprits  plus 
-réfléchis  qui,  n'étant  pas  encore  familiarisés  avec  l'art 
nouveau  que  poursuit  le  groupe  dont  nous  nous  occu- 
pons, "ont  quelque  peine  à  classer  les  sensations  diver  es, 
souvent  contradictoires,  qu'il  leur  fait  ressentir  Ceux- 
ci  éprouveront  peut-être  quelque  satisfaction  à  nous 
lire.  On  dit  que  pour  les  Japonais,  tous  les  Européens 
se  ressemblent,  et  cela  n'a  rien  d'impossible  puisque 
pour  nous,  rien  n'est  plus  semblable  à  un  Japonais 
qu'un  autre  Japonais.  L'obsers-ation,  l'étude,  l'analyse, 
la . comparaison  dissipent  peu  à  pçu  cette  impression 
superficielle.  Or,  il  en  est  des  arts  comme  des  phvsiono- 


mies.  Il  faut  les  pénétrer,  les  scruter,  les  approfondir, 
en  comparer  entre  elles  les  manifestations  pour  arriver 
à  les  comprendre.  Et  ce  n'est  pas,  semble- t-il,  chose 
aisée  ni  rapide,  si  l'on  en  juge  par  les  appréciations 
que  chaque  épanouissement  d'un  ai*t  neuf  voit  éclore. 
Témoin  les  lignes  citées  plus  haut. 

Sans  nous  étendre  au  delà  du  cercle  restreint,  mais 
profondément  attachant,  des  impressionnistes  belges, 
nous  avons,  la  semaine  dernière,  cherché  à  démêler  ce 
que  réalisent  les  individualités  qui  le  composent.  Com- 
bien leur  art  diffère  de  celui  des  artistes  français  qui, 
sous  le  même  drapeau,  guerroient  chez  eux  contre  les 
préjugés  d'école  et  l'éternel  aveuglement  des  bourgeois! 
Constatons-le  avec  orgueil.  Car  cette  diversité  d'expres- 
sions dans  une  même  tendance  est  l'une  des  plus  belles 
prérogatives  de  l'Art.  N'est-il  pas  consolant  de  penser 
que  nul  n'a  épuisé  la  formule  du  beau,  que  malgré  les 
gloires  qui  ont  successivement  occupé  les  hautes  cîmes 
de  l'Art,  il  est  encore,  et  il  y  aura  toujours,  dans  ce 
vaste  monde  des  tons  et  des  formes,  des  sommets  à 
gravir?  Qu'il  est  puéril  et  faux  d'essayer  de  faire  croire 
quc'ceux  qui.  tentent  cette  ascension  périlleuse,  lente 
et  pénible,  font  fi  de  ceux  qui,  au  prix  des  mêmes  fati- 
gues, ont  atteint  l'idéal  rêvé!  Quel  thème  ressassé, 
démodé,  digne  tout  au  plus  d'être  encore  modulé  par 
quelqu'ignorée  gazette  de  province  !        ^ 

Comme  si  tous  les  artistes,  —  les  vrais,  les  seuls 
dignes  de  ce  nom 'et  dont  nous  ayons  à  nous  préoccuper, 
—  n'étaient  pas  unis  dans  une  commune  aspiration  et 
n'avaient,  avec  le  respect  de  l'Art,  le  sentiment  indélé- 
bile de  la  dignité  de  ceux  qui  ont  souffert  pour  lui  ! 

On  s'est  efforcé  en  France,  de  trouver  en  peinture  la 
réalisation  d'une  idée  neuve:  celle  d'exprimer  la  sen- 
sation que  provoque  la  nature,  non  pas  étudiée  à  tra- 
vers des  souvenirs  ou  examinée  à  la  lumière  des  lanter- 
neaux  d'ateliers,  mais  surprise  dans  l'air  qui  la  caresse, 
sous  le  jour  qui  la  baigne;  on  a  décomposé  le  prisme 
solaire  pour  faire  vibrer  sur  la  toile  l'éclat  du  soleil  ; 
on  a  poussé  jusqu'aux  recherches  les  plus  minutieuses 
les  dégradations  du  ton  par  la  lumière,  au  lieu  d'en 
donner  l'illusion  '  par  l'opposition  des  claire  et  des 
ombres,  comme  l'avaient  fait  des  artistes  —  des  plus 
grands — autrefois. 

Le  groupe  des  impressionnistes  est  né.  Est-ce  bien  le 
nom  qui  convenait  à  ces  amants  de  la  lumière?  Et 
n'eût-il  pas  fallu  plutôt  les  baptiser  «  luministes  "? 
Mais  qu'importe  l'étiquette  !  Nous  avons  dit  déjà  qu'on 
n'y  doit  pas  prendre  garde. 

Et  ce  groupe  a  produit  des  œuvres  remarquables, 
d'une  clarté  et  d'une  intensité  qui  n'avaient  guère  été 
égalées  avant  lui. 

Claude  Monet,  dont  on  peut  voir  aux  XX  dix 
tableaux,  tous  importants,  est  celui  qui  est  allé  le  plus 
loin  dans  ce  voyage  à  la  conquête  des  rayons  d'or.  Il  a 


de  la  nature  une  vision  sereine  et  son  œil,  merveilleuse- 
ment organisé,  fouille  implacablement  l'horizon  qui 
apparaît,  dans  chacune  de  ses  toiles,  radieux  et  illu- 
miné. N'eût-il  apporté  à  l'évolution  artistique  que  ce 
trésor,  il  eût  droit  au  respect  de  tous.         ' 

Que  de  palettes  décrassées  de  leurs  tons  bitumeux  et 
sales  depuis  que  l'artiste  a  osé  peindre  la  nature  aussi 
lumineuse  qu'il  la  voyait! 

Sans  doute,  l'élément  subjectif  entre  ^our  une  part 
dans  cette  obstinée  recherche. 

Claude  Monet,  qui  unit  à  l'observation  constante  qu'il 
fait  des  dégradations  du  ton  sous  la  morsure  du  soleil 
une  maîtrise  étonnante  et  un  dessin  d'une  sûreté  impec- 
cable, interprète  la  nature  comme  il  la  sent.  On  peut 
ne  pas  avoir  la  même  vision  que  lui.  Mais  il  est  impos- 
sible de  nier  son  mérite.  A  Paris,  il  n'est  plus  contesté 
que  par  les  ignorants  et  les  imbéciles. 

Il  interprète,  disons-nous,  la  nature  comme  il  la 
sent.  C'est  ce  que  font  aussi  nos  impressionnistes.  Mais 
la  diversité  des  tempéraments  et  des  races  crée  entre 
Claude  Monet —  et  en  parlant  du  chef  nous  entendons 
parler  du  groupe  tout  entier  —  et  les  impressionnistes 
belges  des  divergences  profondes.  Nos  compatriotes  ont 
un  sentiment  plus  raffiné  des  colorations.  Ils  sont,  sans 
contredit,  plus  peinty^es  au  sens  exact  du  terme.  La 
qualité  des  tons  est,  chez  eux,  plus  riche;  leurs 
rapports  sont  plus  harmonieux  ;  les  accords  dont 
retentit  leur  palette  sont  plus  sonores,  plus  graves.  A 
ce  point  de  vue,  la  balance  penche  de  leur  côté.  Et  s'il 
fallait  chercher,  dans  la  peinture  contemporaine,  une 
famille  artistique  à  laquelle  se  puissent  rattacher,  par 
des  liens  d'affinité,  nos  artistes,  c'est  vers  la  jeune  école 
hollandaise,  non  pas  vers  l'art  français,  qu'il  convien- 
drait de  tourner  les  regards. 

En  revanche,  quel  exemple  que  l'exacte  expression 
des  valeurs  dans  les  toiles  profondes,  bien  établies  et 
solidement  charpentées  de  Claude  Monet!  Les  plans 
sont  tous  indiqués,  «  calés  «,  comme  on  dit  en  argot 
d'atelier.  Rien  n'est  laissé  au  hasard  de  la  brosse  ou  du 
couteau  à  palette.  Et  le  côté  superficiel,  décoratif,  qu'on 
reproclie  à  certains  peintres  belges,  est  rarement  sen- 
sible chez  leur  confrère  de  Giverny. 

Quelle  belle  et  suprême  expression  d-'art  réaliserait 
celui  qui  parviendrait  à  unir  la  claire,  limpide  et  calme 
vision  de  Monet,  sa  science  et  son  autorité,  au  savou- 
reux régal  de  couleurs,  aux  délicates  harmonies  des 
impressionnistes  belges!  Mais  quel  sera  le  tempéra- 
ment assez  complet  pour  accomplir  ce  prodige  ? 

Il  y  a  aussi,  chez  nos  voisins,  une  préoccupation  qui 
ne  hante  point  nos  compatriotes,  absorbés  presque 
exclusivement  par  l'observation  des  relations  de  tona- 
lités :  c'est  V esprit  de  la  scène  à  représenter,  ce  côté 
quasi-littéraire  que  dédaignent,  en  général,  les  vir- 
tuoses de  la  brosse. 


Examinez,  par  exemple,  les  fi<]çures  des  Paniwaux 
de  la  Danse  :  l'onlaceineiii  des  c()r[)S  des  danseurs  est 
souligné,  les  visages  ont  une  inlention;  et  cliez  le;^ 
artistes  d'envolée  moindre,  Zandomeneghi  entre  autres, 
cette  recherche  est  plus  accentuée  encore. 

C'est  que  ces  artistes,  moins  sensibles  que  les  nôtres 
au  charme  des  colorations,  ne  peuvent  séparer  une 
expression  picturale  du  sujet  à  peindre.  Il  y  a  du  récit 
dans  leur  art,  récit  épique  parfois,  quand  il  est  incarné 
par  Millet,  par  exemple,  anecdotique  presque  toujours. 

Et  fréquemment  des  souvenirs  classiques  poursuivent 
ces  enragés  de  modernisme.  L'école  d'Italie  transparaît 
dans  le  Payerait  de  il/'""  Charpeniier.  Changez  les 
costumes,  et  vous  aurez,  dans  toute  sa  pureté,  le 
groupe  de  la  Madone,  de  l'enfant  Jésus  et  de  saint  Jean- 
Baptiste.  Le  chien  seul  devrait  disparaître  pour  faire 
place  à  un  mouton.  -■ 

Rien  de  semblable,  est-il  besoin  de  le  faire  remarquer, 
dans  les  intérieurs  peints  par  les  impressionnistes  belges. 

Nous  ne  parlerons  pas  ici  du  prdcédé,  qui  nous 
entraînerait  en  des  considérations  techniques  que  le 
cadre  de  ces  brèves  observations  ne  comporte  pas.  On 
sait,  en  effet,  et  il  est  facile  de  s'en  convaincre  en  exa- 
minant une  des  toiles  de  Monet  ou  de  Renoir,  que  les 
impressionnistes  parisiens  emploient  des  tons  purs,  le 
bleu,  le  rouge,  le  vert,  juxtaposés,  ce  qui  produit',  à 
distance^  des  combinaisons  harmoniques,  au  rebours  de 
nosartistes  qui  cherchent  le  ton  sur  la  palette  et  ne 
l'appliquent  sur  la  toile  que  quand  ils  l'ont  trouvé. 

Le  métier  importe  peu  dans  les  arts.  Tout  au  plus 
peut-on  dire,  en  ce  qui  concerne  ce  point,  qu'il  est  pru- 
dent de  ne  pas  se  prononcer  à  la  légère  sur  certaines 
brutalités  de  coloration  qui  choquent,  au  premier 
abord,  dans  quelques-unes  des  œuvres  de  Claude-Monet 
et  de  Renoir.  Qu'on  compare,  par  exemple,  le  portrait 
de  M""^  Charpentier,  qui  remonte  à  quelques  années, 
aux  Panneaux  delà  Danse,  ïvsàohemeïii  peints.  Dans 
l'un,  le  travail  chimique  des  couleurs  s'est  opéré.  Les 
tons  se  sont  fondus.  La  couleur  s'est  émaillée,  adoucie 
dans  une  nuance  d'ambre  fin  d'une  grande  délicatesse. 
Dans  les  autres,  les  bleus  détonnent.  Les  rouges  crient. 
Les  jaunes  paraissent  trop  bruyants.  Quel  sera  le 
résultat  des  années  jetant  sur  ces  compositions  leur 
patine  ? 

Rien  n'est  plus  instructif,  dans  le  même  ordre  d'idées, 
que  d'étudier  les  toiles  de  Monet  réunies  par  les  XX. 
Le  pont  d'Argenteiiil,  qui  appartient  à  M.  Faure,  et 
qui  date,  croyons-noi^s,  d'une  douzaine  d'années,  est 
velouté,  délicieux.  Le  clapotement  de  l'eau  est  exprimé 
à  miracle.  L'air  y  circule,  —  cet  air  spécial  des  envi- 
rons de  Paris  qui  semble  parfumer  de  gaîté  tous  les 
paysages  qu'il  enveloppe.  Ici  le  travail  des  années  a 
accompli  son  œuvre.  N'est-il  donc  pas  périlleux:  de 
déclarer,  ex  cathedra,  que  les  Palmiers  de  Bordi-- 


ghe^a  ou.  les  Soleils  sont  peints  dans  d^s  tons  trop  crus? 
Ne  faut-il  pas  attendre  la  réalisation  du  phénomène 
fOi^Zw  par  l'artiste? 

Nous  ne  poursuivrons  pas  plus  loin  cette  étude, 
restreints  que  nous  sommes  par  le  format  de  notre 
journal.  Mais  c'est  à  regret  que  nous  quittons  la  plume, 
et  sans  doute  aurons-nous  encore  l'occasion  de  revenir 
sur  ces  observations,  qui  touchent  de  si  près  à  l'avenir 
de  notre  art.  Les  polémiques  passionnées  que  soulève 
cette  manifestation  très  particulière  de  l'école  contem- 
poraine nous  donnent  le  droit  de  supposer  que  nous 
sommes  dans  le  vrai  en  la  défendant  :  car  les  forts  seuls 
sont  attaqués.  Et  devant  les  haussements  d'épaules,  les 
rires,  les  menaces  du  public,  nous  ne  pouvons  nous 
empêcher  de  songer  à  ce  mot  profond  de  Whistler  : 

«  Mon  art  a  été  abreuvé  d'injures.  Mais  j'espère  que 
jamais  on  ne  lui  fera  celle  de  la  popularité.  »   ^ 


L'E.\FA\GE  DU  ClIftlST 

«  Si  nous  revenons  souvent  à  parler  de  M.  Berlioz,  e'esl  qu'il 
esl  un  exemple  curieux  du  genre  d'industrie  qui  caractérise  émi- 
nemment notre  époque,  l'art  de  se  faire  prôner.  Voilà  vingt  ans 
qu'il  escompte  avec  son  feuilleton  .la  fiction  d'une  «  prétendue 
gloire  musicale  qui  n'existe  que  dans  une  demi-douzaine  de  cer- 
veaux fêlés.  »  Toutes  les  fois  que  le  vrai  public  a  été  admis  h 
entendre  quelque  chose  des  «  essais  bouffons  de  M.  Berlioz,  il 
s'est  sauvé  en  riant  aux  éclats,  »  commç  on  l'a  vu  aux  derniers 
concerts.  »  • 

Ces  lignes,  qui  vous  font  rire,  n'est-ce  pas?  sont  de  M.  Seudo. 
Elles  ont  paru,  encadrées  dans  un  compte-rendu  de  l'Enfance 
du  Christ,  le  15  décembre  1854,  dans  la  Revue  des  Deux- 
AfoHdes  naturellement. 

Si  M.  Scudo  vivait  encore,  il  écrirait  aujourd'hui  dans  l'Indé- 
pendance. Après  cela,  peut-être  M.  Scudo  vit-il  toujours  et  col- 
labore-t-il  k  ce  journal  sous  l'un  des  pseudonymes  mis  au  bas  des 
appréciations  qui  réjouissent  nos  contemporains. 

Ainsi  rien  n'est  changé.  Il  y  aura  toujours  des  grotesques  char- 
gés de  dire  leur  fait  aux  artistes,  et  ces  grotesques,  Berlioz  lui- 
môme  les  a  flagellés  de  maîtresse  façon  dans  des  pages  qui  les 
cinglent  comme  des  coups  de  cravache. 

C'est  pourquoi  il  imagina  d'attribuer  cette  œuvre  curieuse, 
l'Enfance  du  Christ,  qui  ressuscite  de  vieux  et  naïfs  mystères,  à 
un  maître  de  chapelle  du  xvn^  siècle,  Pierre  Ducré,  ce  qui  four- 
nit l'occasion  à  un  critique  de  s'apitoyer  sur  le  malheur  de  ce 
pauvre  ancien  maître  et  d'écrire  :  «  Aucun  de  nous  n'avait  encore 
entendu  parler  de  lui,  et  le  Dictionnaire  biographique  des  musi- 
ciens de  M.  Fétis,  où  se  trouvent  pourtant  des  choses  si  extraor- 
dinaires, n'en  fait  pas  mention.  » 

Il  se  trouva  naturellement  des  gens  qui  s'écrièrent  :  c<  Voilà  de 
la  musique!  Le  temps  ne  lui  a  rien  ôté  de  sa  fraîcheur.  C'est  la 
vraie  mélodie,  dont  les  compositeurs  contemporains  nous  font 
bien  remarquer  la  santé.  Ce  n'est  pas  votre  M.  Berlioz,  en  tout 
cas,  qui  fera  jamais  rien  de  pareil.  —  Hélas!  répondit-on,  c'est 
pourtant  M.  Berlioz  qui  l'a  fait!  »  (*) 


{')  Les  Grotesques  de  la  musique,  par  H.  Berlioz,  p.  173. 


; 


Aujourd'hui  il  serait  prodigieusement  niais  de  discuter  Berlioz. 
Mais  on  se  rattrape  sur  d'autres,  et  rien  n'est  changé  dans  les 
rapports  entre  la  critique  et  les  artistes.  Ceux-ci  n'ayant  pas  tou- 
jours la  malice  de  Berlioz  (ou  celle  de  Wierlz  qui  fil  refuser  au 
Salon  de  Paris  un  Rubens  authentique  affubjé  de  sa  signature  à 
lui),  les  critiques  deviennent  un  peu  plus  imprudents  et  aventu- 
reux que  jadis.  Voilà  toute  la  différence. 

L'Enfance  du  Christ  a  charmé  par  son  étonnante  fraîcheur. 
La  petite  marche  de  la  première  partie,  les  passages  symphoni- 
ques  de  la  deuxième,  le  joli  duo  de  flûtes  de  la  troisième  ont  été 
particulièrement  goûtés.  Exécution  d'ailleurs  soignée,  tant  sous 
le  rapport  de  l'orchestre  et  des  chœurs  (des  chœurs  surtout)  que 
sous  celui  des  solistes,  à  l'excoption  du  rôle  de  la  Vierge  rempli 
par  une  artiste  dont  la  voix  est  aujourd'hui  insuffisante,  M'"«  de  C. . . 
Les  autres  chanteurs  :  MM.  Engel,  Ileuscliling  et  Dubulle  ont 
chanté  avec  beaucoup  de  goût  et  avec  les  qualités  qu'on  leur 
connaît,  les  divers  rôles  de  cet  intéressant  ouvrage. 

La  superbe  symphonie  de  Borodine,  interprétée  avec  un  bel 
ensemble  par  l'orchestre,  a  terminé  cette  deuxième  séance  des 
Concerts  populaires. 

Il  est  question,  pour  la  troisième,  de  l'exécution  d'un  acte  de 
Tristan  et  Iseult.  Si  la  nouvelle  est  vraie,  on  fera  fête,  ce  jour-là, 
à  Joseph  Dupont  et  à  ses  aides-dc-camp. 


p 


L 


URIEUpE  ! 
par  JosÉPHiN  PÉLADAN.  Paris,  Laurent. 

L'art,  nous  semble-l-il,  doit  ;!-.^  (infini  subjectivement.  Tous  les 
axiomp^ -ji  le  concernent  :  Homo  additus  natures,  nature  vue  à 
travers  un  tempérament^  splendeur  du  vrai,  d'autres  encore, 
ont  le  commun  défaut  d'être  outre  mesuré  objectives.  L'art  et  le 
beau  sont  une  création  de  l'homme,  une  invention  contingente  et 
l'on  pourrait,  croyons-nous,  le  reconnaître  par  cette  proposition  : 
Est  art,  ce  que  l'artiste  veut.  Les  grands  et  les  forts  ont  toujours 
imposé  leur  rêve,  ils  ont  tiré  un  monde  d'eux-mêmes  et  l'ont 
fait  admettre  comme  réalité.  Tout  génie  est  despote.  Que  de 
penseurs  et  de  poètes  ont  vécu  des  jours,  des  nuits,  avec  un  vers 
de  Shakespeare,  de  Virgile,  d'Hugo,  de  Baudelaire,  de  Mallarmé, 
se  le  répétant,  se  le  chantant,  se  le  clamant  interminablement, 
et  qui  leur  battait  le  cerveau  à  coups  de  cloche  ou  le  leur  flattait 
à  caresses  d'ailes  !  Ce  vers  était  chose  incréée  avant,  dédaignée 
peut-être,  jugée  inesthétique,  condamnée  par  le  goût  régnant.  Il 
fallait  que  de  rien  on  fît  de  la  splendeur;  elle  fut. 

Du  reste,  cette  définition  subjective  met  plus  qu'une  autre  en 
lumière  la  personnalité  de  l'artiste.  Elle  l'accuse  à  l'avant-plan 
—  et,  n'est-ce  pas,  après  tout,  celte  personnalité  qui,  pour  les 
esthètes  d'aujourd'hui,  surgit  seule  parmi  tant  de  ruines  de  discus- 
sions inutiles  sur  cet  éternel  problème  :  l'art.  Être  un  peintre,  un 
musicien,  un  écrivain  original,  peu  importe  où  et  comment,  oh! 
la  force  des  forces  ! 

Ces  réflexions  nous  viennent,  à  l'endroit  de  M.  Joséphin  Péla- 
dan,  dont  une  œuvre  :  Curieuse!  vient  de  paraître.  Livre  remar- 
quable mais  inférieur  au  Vice  suprême. 

Le  sujet?  Un  roman  à  deux  personnages  :  Nebo  et  PauleRiazan. 
Nebo? 

«  Etrange  Brummel,  qui  mettait  son  dandysme  à  disparaître, 
à  échapper  à  ratlention,  à  se  perdre  dans  la  figuration  mondaine, 
cachant  sa  supériorité  comme  ce  philanthrope  qui  ôtait  la  chaîne 


de  sa  montre  pour  aller  voir  les  pauvres...  au  rcspir  des  alca- 
loïdes de  la  décadence,  gardant  une  attitude  de  diamant  sur 
laquelle  rien  n'avait  prise...  dont  on  dit  qu'il  est  en  commerce 
avec  les  esprits  comme  Berruguier,  qu'il  cherche  la  pierre  philo- 
sophale  comme  Levy,...  trop  fier  pour  être  un  vaincu  de  la  Vie, 
trop  calme  pour  un  combattant,  ne  manifestant  pas  même  de 
l'ennui...  » 
Paule,  la  princesse  Paule  Riazan?  ■     , 

«  Une  nature  garçonnière,  volontaire,  vierge...  une  andro- 
gyne.  »  ■ 

Le  roman  ? 

Un  périple  dans  l'enfer  parisien  avec  relais  partout  oii  le  vice 
et  la  perversité  et  la' monstruosité  de  la  décadence  latine  se 
montrent.  Nebo  sera  le  Mentor  de  Paule,  et  voici  son  but  : 

«  Je  lui  ferai  parcourir  le  cycle  du  mal,  écrit-il  à  >ïero- 
dack,  en  désignant  Paule,  et  j'éteindrai  dans  le  dégoût  sa  dernière 
curiosité,  je  l'écœurerai  pour  toujours  par  la  succession  ascen- 
dante des  nausées,  je  lui  commenterai  si  subtilement  les  spec- 
tacles turpides,  qu'elle  se  réveillera  do  ce  cauchemar,  haineuse 
de  l'amour  et  méprisant  les  hommes.  Alors,  ce  tendre  cœur 
n'aura  plus  que  mon  cœur,  cette  pensée  désorbitée,  ne  pourra 
pas  sortir  dé  l'orbe  de  la  mienne;  et  la  Béatrice,  la  dame  des 
néo-platoniciens,  sœur  par  l'effacement  du  sexe,  homme  par  le 
développement  de  la  conception,  femme  par  la  tendresse,  existera 
pour  la  première  fois.  » 

Tels  SOïït  lés  personnages  et  la  donnée  de  CumM^e/  présen- 
tés par  l'auteur  lui-même,  et  ces  quelques  extraits  instruisent 
combien  l'œuvre  sera  étrange  et  supra-humaine.  Un  Raziel  mys- 
térieux veille  sur  le  couple  périplant,  qui  échappe  aux  plus 
extraordinaires  périls  à  force  de  volonté  et  de  cabalistique  puis- 
sance. Voici  des  duels  oii  l'on  magnétise  les  adversaires,  des 
meurtres  provoqués  par  des  jets  d'acide  prussique,  des  incen- 
dies et  des  ruines,  qui  rappellent,  tant  ils  sont  fantastiques,  les 
envoûtements  du  Vice  suprême.  On  est  noyé  dans  un  mélodrame 
aux  scènes  bizarres,  violentes,  aiguës,  allumées  d'invraisem- 
blance et  brûlées  de  fantasmagories. 

Le  Paris  que  M.  Péladan  nous  décrit  est  un  Paris  de  rêve,  un 
Paris  qu'aurait  produit  Satan  Trismégisle  et  qu'habiteraient  des 
entités  perverses,  parlant  un  langage  inouï,  vivant  artificielle- 
ment, faux  des  pieds  à  la  tête.  Et  néanmoins,  l'illusion  artistique 
est  réalisée  et  l'œuvre  vit  d'une  vie  littéraire.  Elle  s'impose;  l'au- 
teur est  quelqu'un.  Tout  en  la  déclarant  irréelle,  nous  y  croyons, 
et  nous  pensons'  par  elle  et  comme  lui,  aussi  longtemps  que  le 
livre  est  entre  nos  mains.  Il  nous  fait  voir  de  ses  yeux  et  imagi- 
ner avec  son  cerveau,  il  crée  ce  que  nul  avant  lui  n'avait  produit, 
il  invente  un  dramatique  inusité  et  des  moyens  inédits,  il  a  sa 
griffe  et  sa  force,  il  est  l'artiste  tel  que  nous  le  définissions  au 
début  de  cette  critique. 

Et  même  ses  romans  apparaissent  si  inattendus  et  neufs  qu'on 
n'a  su  à  quelle  tradition  les  rattacher.  Certains  ont  cité  Barbey, 
d'autres  Sue;  le  Prêtre  marié  et  les  Mystères  de  Paris.  Certes, 
il  V  a  voisinage  entre  ces  livres  et  Curieuse!  mais  descendance? 
L'atmosphère  est  toute  autre.  Elle  est  traversée  d'effluves  sur- 
naturels;  les  héros  sont  d'un  androgynisme  spécial;  ils  tien- 
nent de  l'ange  et  du  diable;  ils  ont  des  cerveaux  à  la  Pic  de  la 
Mirandole,  encyclopédiques  et  quinzième  siècle,  ils  sont  mages, 
devins,  sorciers.  On  s'étonne  de  les  voir  surgir  aujourd'hui  que 
le  réalisme  trône  encore,  et  pour  les  expliquer,  il  faut  noter 
tous  ces  tâtonnements  de  la  science  contemporaine  autour  des 


phénomènes  nerveux  et  ces  mystères  non  encore  expliqués  de 
suggestion  et  de  magnétisme  si  hantants  et' si  brusquement  séduc- 
teurs. L'une  tendance  explique  l'autre  ;  la  littérature  reflétant  tou- 
jours un  coin  de  nos  mœurs  et  de  nos  préoccupations. 

Aussi  bien  peut-être  les  Nebo  et  les  Merodack,  tant  excep- 
tionnels aujourd'hui,  seront-ils  majorité  demain,  si  les  éludes  des 
Charcot  progressent.  Ils  dévêtiront  leur  caractère  cabalistique  et 
leurs  dehors  chaldéens.  Ils  deviendront  de  héros  de  romans 
qu'ils  sont,  de  simples  -messieurs  en  habit  noir,  athées  par 
dessus  le  marché  et  jeunes  premiers  dans  les  dumaseries  de 
l'avenir. 

Ainsi  présentée.  Curieuse!  ne  descend  ni  dès  Mystères  de  Paris, 
ni  des  Rocamboles,  mais  bien  des  romans  philosophiques  de 
Balzac  :  Séraphita-Sérnphitus  et  Louis  Lambert.  Même  surnatu- 
rel, môme  mystérieux,  mêpe  impossible  vraisemblance,  mêmes 
héros  et  même  atmosphèrlé,.  Et  voilà  sa  lignée  littéraire. 

Avant  de  clore,  notons  ^n  défauts  la  trop  multiple  grécisation 
et  latinisation  des  mots  et  surtout  ce  style  de  pédagogue  très 
contrariant  et  malsonnant  quelquefois. 


IMPRESSIONS  SUR  LA  PEINTURE 

En  une  édition  tirée  à  petit  nombre,  telle  que  sait  en  composer 
Jouaust,  ce  maître  délicat  de  la  Librairie  des  Bibliophiles,  Alfred 
Stevens  jette  au  public  une  poignée  de  vérités  sur  l'Art,  telles 
qu'il  en  vient  aux  grands  artistes;  réflexions  ingénieuses  mais 
pas  toujours  très  neuves,  improvisations  frappantes  à  l'occasion, 
mais  parfois  aussi  des  réminiscences,  et  il  les  dédie  à  la  mémoire 
de  Corot  qu'il  qualifie  le  plus  moderne  des  peintres  du  xix.^  siècle. 

Nous  détachons  quelques-unes  de  ces  pensées,  persuadés 
qu'elles  donneront  aux  artistes  et  aux  esthètes  la  curiosité  de  con- 
naître les  autres. 

Il  faut  le  plus  possible  apprendre  à  dessiner  avec  son  pinceau. 

Il  ne  faut  pas  confondre  les  grands  travailleurs  avec  ceux  qui 
ne  sont  que  des  piocheurs. 

Il  vaut  mieux  donner  mince  comme  un  ongle  de  soi-même  que 
gros  comme  le  bras  de  ce  qui  appartient  aux  autres. 

On  n'est  un  grand  peintre  qu'à  la  condition  d'être  un  maître 
ouvrier. 

En  peinture  on  peut  se  passer  de  sujet.  Un  tableau  ne  doit  pas 
avoir  besoin  d'une  notice. 

Les  petits  maîtres  hollandais  se  font  pardonner  leurs  défauts, 
parce  qu'ils  ont  toujours  l'air  de  vous  dire  :  «  J'ai  fait  de  mon 
mieux.  Que  ne  puis-jc  en  savoir  davantage!  » 

Un  peintre,  môme  médiocre,  qui  aura  peint  son  temps  sera 
plus  intéressant  dans  l'avenir  que  celui  qui,  avec  plus  de  talent, 
aura  peint  une  époque  qu'il  n'a  pas  vue. 


Un  peintre  ne  doit  pas  vivre  de  ses  souvenirs,  il  doit  peindre 
ce  qu'il  voit,  ce  qui  vient  de  l'émouvoir. 


* 

*  * 


Plus  on  s'élève  dans  l'Art,  moins  on  est  compris. 


Du  moment  où  le  peintre  a  une  grande  âme  artistique,  la  tortue 
devient  aussi  intéressante  que  le  cheval  et  beaucoup  plus  difficile  à 
exécuter,  l'âme  du  peintre  donnant  sa  marque  de  fabrique  à  toute 
chose. 


■s 


On  ne  juge  équitablement  un  tableau  que  dix  ans  après  son 
exécution. 


* 
*  * 


tJn  peintre  travaille  constamment  même  en  dehors  de  son 
atelier. 


.% 
*  * 


Plus  on  sait,  plus  on  simplifie. 


Malheur  au  peintre,  qui    n'obtient   que    l'approbation    des 
femmes  ! 


La  main  a  une  expression  qui  appartient  à  la  physionomie. 


Il  n'est  pas  nécessaire  d'aller  en  Orient  chercher  de  la  lumière 
et  des  motifs  pittoresques.  Tout  est  beau  partout  pour  un  peintre 
pénétrant. 


* 

*  * 


Une  vieille  pantoufle  est  plus  pittoresque  que  l'escarpin  d'un 
élégant. 


La  commande  d'un  tableau  est  déjà  presque  un  empoisonne- 
ment pour  l'artiste,  puisqu'elle  porte  atteinte  à  son  initiative. 


On  n'est  pas  un  moderniste  parce  qu'on  peint  des  costumes 
modernes.  11  faut  avant  tout  que  l'artiste  épris  de  modernité  soit 
imprégné  de  sensations  modernes. 


¥ 
*  * 


En  regardant  la  palette  d'un  peintre  on  sait  à  qui  l'on  a  affaire. 


{^A2;ette  de  ]4ollande 

La  Haye,  25  février. 

L'Exposition  des  œuvres  de  MM.  de  Bock,  Zilcken,  Breitner, 
de  Zwart  et  van  der  Maarel,  que  nous  avons  annoncée  dernière- 
ment, s'est  ouverte  à  Amsterdam  au  commencement  de  ce  mois. 
Elle  a  réussi  au  delà  de  ce  que  l'on  pouvait  espérer.  Le  qualifi- 
catif «  impressionniste  »,  qui  constitue  encore  une  injure  en 
Hollande,  a  été  jeté  au  visage  de  ces  artistes  par  la  grande  majo- 
rité des  journaux.  On  a  consenti,  toutefois,  par  exception,  à  leur 
reconnaître  beaucoup  de  talent.  El  en  toute  justice,  on  est  forcé 
d'admettre  que  cette  exposition  esl  remarquable.  L'harmonieuse 
succession  des  toiles  généralement  d'une  couleur  juste  et  raffinée, 
le  goût  qui  a  présidé  à  l'arrangement,  et  qui  fait  que  rien  ne 


\ 


détonne,  qu'aucun  tableau  n'est  écrasé  par  t^on  entourage,  ont  élu 
Irùs  appréciés.  C'est  (lécitlémcnl  une  ère  nouvelle  que  celle  expo- 
sition indépendante  inaùsjure  en  Hollande. 

TH.  de  Bock  remporte  sans  contredit  la  palme.  A  côté  de  ses 
cinq  ou  six  tableaux  importants,  démontrant  la  savante  recberclie 
qui  préside  chez  lui  h  la  combinaison  des  lignes  et  des  tons,  nplre 
sympathique  paysagislç  a  exposé  une  quinzaine  d'études,  choisies 
avec  un  goût  sûr,  peintes  savoureusement.  Toutes  sont  d'une 
couleur  vigoureuse  et  chaude,  et  forment  un  ensemble  des  plus 
distiniîués. 

De  Zwart  et  Ziicken  ont  envoyé  des  tleurs,  des  natures-mortes, 
des  figures  et  des  paysages.  De  Zwart  se  révèle  coloriste  de  grand 
avenir.  Outre  le  sentiment  délicat  qu'il  a  dos  couleurs,  il  possède 
une  grande  finesse  dans  l'expression  des  pélulcs  tendres,  des 
étoiles,  des  fonds. 

Ziicken  est  le  plus  complet  dans  ses  impressions  el  éludes, 
morceaux  enlevés  de  verve,  aussi  facilement  que  certaines  de  ses 
toiles  sont  voulues  et  travaillées.  A  cc|lé  de  celles-ci,  il  expose  une 
parlii»  de  son  œuvre  h  l'eau -for  te,  déjà  considérable,  une  quaran- 
taine d'essais  en  différents  genres,  parmi  lesquels  on  remarque 
surtout  ses  études  d'après  nature  et  ses  grandes  reproductions 
d'après  Jacques  Maris. 

Bi-eitner  n'a  pas  envoyé  autant  de  toiles  qu'il  aurait  pu  le  faire 
en  d'autres  temps.  Son  exposition  suffit  néanmoins  pour  faire 
apprécier  ses  grandes  qualités  de  coloriste  raffiné  et  de  dessina- 
teur nerveux.  •; 
'  De  van  der  Maarel,  on  admire  une  superbe  esc|uisse,  des 
Pivoines  roses,  très  bien  exprimées,  un  beau  Chien  mort  el 
quelques  petites  toiles  révélant  une  personnalité  distinguée. 
Notons  encore  une  aquarelle,  une  tête  pleine  de  caractère. 

Répc'lons-le,  celle  exposition,  qui  compte  environ  quatre-vingts 
nunivros,  est  uU  grand  succès.  Déjà  les  artistes  qui  l'ont  créée 
ont  été  invités  à  la  transporter  en  bloc  dans  une  ville  de  pro- 
vince. \ 


CORRESPONDANCE  MUSICALE  DE  PARIS 

A  enregistrer  aiix  Bouffes  une  opérette  de  plus  :  Les  Noces 
improviséeSy  de  MM.  Lioral  €l  Fonleny,  musique  de  M.  Chas- 
saigne. 

Le  héros  est  Rakoczy,  le  fameux  Hongrois  qui  marchait  à  la 
lêle  de  ses  Kurusces  au  son  de  la  belle  marche  que  Berlioz  nous 
a  conservée.  - 

Aussi,  d'un  bout  à  l'autre,  entend-on  la  marche  en  question; 
on  la  chante,  on  la  danse  el  on  la  marche.  Quant  à  Rakoczy,  il  ne 
pouvait  faire  que  mauvaise  figure  dans  une  opérette,  où  l'hé- 
roïsme  n'est  pas  de  mise. 

La  musique  de  M.  Chassaigne  est  facile  et  pimpante  sans  tri- 
vialité; mais  elle  brille  surtout  par  le  rythme  et  ne  conserve 
aucune  saveur,  aucun  caractère  dans  les  passages  de  tendresse  ou 
de  sentiment;  on  dirait  qu'elle  n'abandonne  les  flons-flons  que 
pour  prendre  le  voile  et  que  la  foi  lui  manque  absolument. 

M"^  Milly  Meyer,  en  danseuse  du  Grand-Opéra  de  Vienne,  fait 
loui  le  succès  à  elle  seule.  Maugé  et  M''^  Jeanne  Thibaut  font  de 
leur  mieux;  les  autres  ne,  laissent  qu'une  médiocre  impression. 

M.  Maurel  a  chanté  avec  succès  aux  Concerts  Colonne  le  grand 
air  à'Elie,  de  Meudelssohn,  et  l'acte  d'^?mcr^6>n,  de  Gréiry. 


Aux  Concerts  Lainoureux,  première-audition  du  l'^'"  acte  de  la 
Walkyre,  ayec  traduction  française  de  Wilder. 

C'est  certes  plus  agréahle  à  entendre  que  ne  le  fut  Tristan 
exécuté  précédemment  dans  les  mêmes  conditions,  conditions 
désastreuses,  puisque  nous  sommes  réduits  aux  proportions  du 
concert  dans  un  ouvrage  où  la  musiciue  ne  se  dévelopj)e  que 
sous  l'action  dramatique. 

Quelle  idée  exacte  voulez-vous  qu'on  se  crée?  Quand  la  Palli, 
dans  un  coucert,  nous  chante  un  air  de  ces  opéras-salon* du 
répertoire  italien,  elle  est  bien  mieux  en  situation  que  M""'  Brunel- 
Latleur,  par  exemple,  qui  se  démène  en  vain  pour  représcnicr 
Sieglinde.  Assez  de  Wagner  de  concert  :  il  nous  faut  du  Wagner 
de  théâtre.  ,  Guteli.o. 


T^ 


HEATRE^ 

THÉÂTRE  DE  LA  MONNAIE 

Chambrée  complète,  vendredi,  pour  le  début  de  Mu«  Thurin- 
gier,  dans  le  rôle  dTsabelle  des  Templiers.  La  débutante  succé- 
dait dans  ce  rôle  à  M'"*^  Monlalba  dont  nous  avons  relaté  ici  le 
succès  el  loué  les  qualités  dramatiques. 

Constatons  tout  d'abord  le  succès  obtenu  par  M"«  Thuringier, 
dans  un  rôle  qui  nous  semble  peu  convenir  à  son  tempérament. 
Ce  succès  est  le  résultat  plutôt  des  qualités  de  virtuosité  el  de 
voix  que  des  qualités  dramatiques  de  la  cantatrice.  Déjà  aux  pre- 
miers jours  de  la  saison  théâtrale,  après  quelques  représentations 
de  Rigoletto  où  elle  chantait  le  rôle  de  Gilda,  nous  avons  pu  nous 
rendre  compte  de  l'incontestable  supériorité  de  la  chanteuse. 

Le  côté  dramatique,  malheureusement,  reste  dans  L'ombre  ;  le 
souffle  qui  caractérise  le  jeu  si  expressif  de  M""^  Monlalba  fait 
défaut  ici.  Ainsi  dans  les  scènes  d'amoui-  du  2"  el  du  ¥  actes  des 
Templiers,  nous  aurions  voulu  voir, Isabelle  se  rendre  avec  plus 
d'abandon  aux  sollicitations  amoureuses  de  son  amant  el  seconder 
un  peu  M.  Engel,  qui  faisait  de  visibles  efforts  pour  communiquer 
à  sa  parlenaire  le  souffle  dramatique  qui  l'anime  et  qui  traverse 
la  pièce  comme  un  rayon  ardent. 

'De  même,  dans  la  scène  entre  Isabelle  et  son  père,  nous  aurions 
voulu  plus  de  justesse  dans  l'expression  d'effroi  et  de  désespoir 
dont  elle  est  saisie,  en  apprenant  l'odieux  marché  dont  elle  est 
l'objet  de  la  part  de  Philippe-le-Bel  pour  servir  les  desseins  poli- 
tiques de  celui-ci. 

Nous  avons  pu  constater  une  fois  de  plus  tous  les  soins  que 
met  la  direction  à  accentuer  encore  l'attrait  des  Templiers.  Les 
chanteurs  mieux  familiarisés  avec  leurs  rôles  en  ont  creusé 
davantage  le  caractère;  les  chœurs,  le  corps  de  ballet  et  la  figu- 
ration de  jour  en  jour  plus  disciplinés  réalisent  un  ensemble 
d'une  homogénéité  que  nous  avons  rarement  vu  atteindre  au 
théâtre  de  la  Monnaie  avec  un  opéra  dont  la  mise  en  scène  et  la 
décoration  fussent  aussi  brillante  que  celles  des  Templiers. 

Hâtons-nous  de  dire  que  le  public  se  rendant  de  jour  en  jour 
plus  compte  des  soins  el  de  la  sollicitude  de  M.  Verdhurdt  pour 
ses  plaisirs,  est  pris  d'un  véritable  engouement  pour  l'opéra  de 
M.  Lilolff.  Comme  preuve,  il  suffira  de  dire  que  les  habitants  de 
certaines  villes  de  province  ont  demandé  et  obtenu  de  l'admini- 
stration des  chemins  de  fer  l'organisation  de  trains  spéciaux  leur 
permettant  de  rentrer  chez  eux  le  spectacle  terminé. 

Mercredi  prochain  cinq  cents  Louvanisles  assisteront  à  la 
représentation. 


UART  MODERNE 


71 


THÉÂTRE  MOLIÈRE 

Les  Ganaches,  une  dos  meilloures  «  fantaisies  sur  mœurs  »  de 
M.  Sardou.  Pas  une  phrase  profonde,  mais  do  la  bonne  pclile 
observation  de  calepin  faile  après  une  huitaine  on  province.  Un 
spirituel  voyaûjour  les  noterait  dans  une  lettre  écrite  à  un  ami  ; 
M.  Sardou  les  déploie  en  comédie.  Cela  intéresse  d'ailleurs  la 
critique  francisquesarceyse,  dont  la  bonhomie  sourit  au  caniche 
brodé  sur  les  pantoufles  do  M.  Fromanlol.  M,  de  la  Uochopean 
est  de  reste  tout  ce  qu'elle  peut  passer  à  l'orgueil  nobiliaire.  La 
pièce  est  donc  admirablement  faite  pour  plaire  îi  la  lorgnette 
d'un  public  bourgeois.  Aussi  la  salle  est-elle  garnie  comme  une 
cboucroute.  Les  acteurs  du  théâtre  Molière  s'acquittent  bien  de 
leur  tûcho,  M.  Tersant  excepté. 


j^HRONiqUE    JUDICIAIRE    DE^yVRT^ 

II  paraît  qu'un  procès  s'engage  entre  M.  LitolfFet  MM.  Chou- 
dens  père  et  fils,  éditeurs,  au  sujet  de  la  propriété  de  la  partition 
de  Benvenuto  Cellini,dc  Berlioz,  qu'il  est  question  de  reprendre 
à  rOpéra-Comique  de  Paris.' 

Cette  partition  avait  été  gravée  d'abord  et  publiée  par  la  mai- 
son Litolff  ;  mais  les  planches  en  avaient  été  détruites  et  l'ouvrage 
était  épuisé,  lorsque  MM.  Choudens  achetèrent  à  Berlioz  sa  parti- 
lion  des  Troyens,  de  la  Prise  de  Troie,  etc.,  qu'il  publièrent. 
Celle  de  Benvenuto  fut  comprise  dans  le  marché  et  une  lettre  de 
M.  Litolff  prouve  qu'il  avait  laissé  tomber  en  désuétude  l'exploita- 
tion de  cet  ouvrage. 

MM.  Choudens  se  sont  donc  crus  fondés  en  droit  à  prendre 
possession  d'un  ouvrage  abandonné  par  un  premier  éditeur,  et 
d'accord  avec  l'auteur.  De  là  le  procès. 


^ETITE    CHROJMIQUZ 


Les  XX  ont  donné,  hier  après-midi,  une  intéressante  audi- 
tion. M"^  Louise  Derscheid,  une  jeune  pianiste  qui  habite  Saint- 
PétersboUrg,  de  passage  à  Bruxelles,  s'est  fait  entendre  dans  le 
concerto  de  Schumann.  Elle  l'a  joué  en  excellente  musicienne  et 
en  virtuose  déjà  assouplie  aux  nombreuses  difficultés  de  méca- 
nisme dont  l'œuvre,  —  lune  des  plus  belles  du  maître  —  est 
parsemée.  M"<=  Derscheid  a  un  jeu  très  brillant,  coloré,  énergique. 
Dans  les  passages  qui  exigent  de  la  puissance,  elle  a  une  sonorité 
qui  ne  trahit  en  rien  une  main  féminine.  Elève  de  Brassin,  elle 
garde  les  traditions  de  l'admirable  école  qu'avait  fondée  l'artiste 
regretté.  On  peut  prédire  à  la  jeune  fille  un  très  bel  avenir. 

Deux  jeunes  violonistes,  élèves  de  notre  Conservatoire, . 
M"^s  Aima  et  Léonié  von  Nelzer,  ont  également  fait  aux  XX  un 
excellent  début.  Dans  Y  Adagio  du  duo  de  Spohr,  sans  accompa- 
gnement et  dans  diverses  œuvres  pour  violon  avec  accompagne- 
ment de  piano,  —  entre  autres  des  variations  d'une  grande  diffi- 
culté de  Tarlini  sur  un  thème  de  Corelli,  M'i'^*  von  Nctzer  ont  fait 
preuveu  d'un  sentiment  délicat  et  de  beaucoup  de  goût.  Elles 
jouent  avec  pureté  et  l'oreille  la  plus  délicate  ne  les  surprend 
jamais  en  flagrant  délit  de  notes  fausses.  -— 

L'ouverture  des  Maîtres-Chanteurs ,  transcrite  pour  piano  à 
quatrc-imains  par  Cari  Tausig,  terminait  ce  petit  concert  impro- 
visé, auquel  assistait  un  public  choisi  qui  a  fait  aux  artistes  un 
accueil  des  plus  sympathiques. 


La    conférence  de   M.    Jules   Lemaître   au   Salon   des  XX, 
annoncée  pour  lundi,  ne  pourra  avoir  lieu,  un  événement  de- 
famille  empêchant  le  conférencier  d'arriver  à  Bruxelles  avant 
lundi  soir. 

Le  prix  d'entrée  à  l'Exposition  restera  donc  fixé  à  cinquante 
centimes,  cohime  d'habitude. 


,Çs 


Le  troisième  concert  de  la  saison  au  Conservatoire,  aura  lieu 
le  44  mdrs.  Il  sera  consacré  tout  entricr  à  l'exécution  intégrale 
do. VAleeste,  de  Gluck.  Ce  sera  une  véritable  résurrection  artis- 
tique, à  laquelle  M-^^  Montalba  et  M.  Engel  qui  chanteront  les 
«o/t,  auront  leur  part. 

Le  programme  du  Piano-Recital  que  donnera  demain  lundi 
M.  Camille  Gurickx  à  la  Grande- Harmonie  est  fort  attrayant. 
Nous  y  remarquons  entre  autres  les  XII  éludes  symphoniques  de 
Schumann,  la  sonate  op.  57  de  Beethoven,  la  transcription  d'Au- 
guste Dupont  de  la  fugue  de  Bach  an  sol  mineur  pour  orgue,  etc. 

'  C'est  après-demain,  mardi,  qu'aura  lieu,  au  Palais  des  Beaux- 
Arts,  la  deuxième  séance  de  musique  de  chambre  donnée  par 
MM.  Wieniawski,  Hubay  et  Jacobs.  On  y  entendra  le  ier  quatuor 
de  Mozart,  la  sonate  en  ré  majeur  da  Rubinslein  pour  piano  et 
violoncelle,  et  le  trio  en  fa  majeur  de  Bargiel. 

Notre  compatriote  M.  Th.  Radoux,  directeur  du  Conservatoire 
de  Liège,  vient  de  remporter  un  très  grand  succès  au  13*^  concert 
de  l'Association  artistique  d'Angers,  presque  exclusivement  con- 
sacré ai'x  œ,nvres  de  l'éminoni  artiste.  M.  Louis  de  Romain  lui 
consacre  dans  Angers-Revue  une  étude  élogieuso  dont  nous 
extrayons  les  lignes  suivantes  : 

«  Ce  qui  dislingue  surtout  la  musique  de  ce  maître,  c'est  la 
sûreté  de  main  avec  laquelle  elle  est  écrite.  On  se  sent,  dès  les 
premiers 'accords,  en  présence  d'un  homme  possédant  à  fond 
toutes  les  ressources  et  tous  les  secrets  du  métier.  Rien  n'est  livré 
au  hasard;  tout  est  pesé,  raisonné,  voulu.  La  sciencçxle  l'instru- 
mentation, ce  qu'on  appelle  aujourd  hui  le  coloris  musical,  est 
poussée  jusque  dans  ses  plus  extrêmes  limites  et  je  ne  crois  pas 
que  M.  Radoux  ignore  un  seul  des  [)lus  ptHils  côtés  de  l'art  si 
délicat  de  manier  les  sonorités  de  l'orchestre.  L'équilibre  entre 
les  différents  timbres  des  cuivres  et  de  Tharruonie  est  obtenu 
d'une  façon  merveilleuse  et  l'oreille  loujotirs  satisfaite  n'est  jam.iis 
heurtée  par  une  de  ces  duretés  qui  résultent  le  plus  souvent  de 
l'inexpérience  et  du  manque  de  pratique.  » 

Et  l'article  se  termine  par  un  mol  aimable  à  l'égard  de  notre 
pays  : 

«  Je  suis  heureux  d'avoir  une  fois  de  plus  à  constater  à  nos 
concerts  le  juste  et  légitime  succès  de  l'un  des  nialires  de  cette 
hospitalière  Belgique,  où  l'on  sait  si  bien  accueillir  aujourd'hui 
les  œuvres  de  nos  compositeurs  français  oublies  k  Paris.» 

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72 


UART  MODERNE 


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SIXIÈME- ANNÉE  ,         .  '   ' 

L'ART  MODERNE  s'est  acquis  par  l'autorité  et  l'indépendance  de  sa  critique,  par  la  variété  de  ses 
informations  et  les  soins  donnés  à  sa  rédaction  une  place  prépondérante.  Aucune  manifestation  de  l'Art  ne 
lui  est  étrangère  :  il  s'occupe  de  littérature,  de  peinture,  de  sculpture,  de  gravure,  de  musique, 
d'architecture,  etc.  Consacré  principalement  au  mouvement  artistique  belge,  il  renseigne  néanmoins  ses 
lecteurs  sur  tous  les  événements  artistiques  de  l'étranger  qu'il  importe  de  connaître.  '  ( 

Chaque  numéro  de  L'ART  MODERNE  s'ouvre  par  une  étude  approfondie  sur  une  question  artistique 
ou  littéraire  dont  l'événement  de  la  semaine  fournit  l'actualité.  Les  expositions,  les  livres  nouveatix,  les 
premières  représentations  d'œuvres  dramatiques  ou  musicales,  les  conférences  littéraires}  les  concerts,  les 
ventes  d'objets  d'art,  font  tous  les  dimanches  l'objet  de  chroniques  détaillées. 

L'ART  MODERNE  relate  aussi  la  législation  et  la  jurisprudence  artistiques.  Il  rend  conipte  des 
procès  les  plus  intéressants  concernant  les  Arts,  plaides  devant  les  tribunaux  belges  et  étrangers.  Les 
artistes  trouvent  toutes  les  semaines  dans  son  Mémento  la  nomenclature  complète  des  expositions  et 
concours  auxquels  ils  peuvent  prendre  part,  en  Belgique  et  à  l'étranger.  Il  est  envoyé  gratuitement  à 
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No  1    Veinez  ma  mie.  Sérénade.  (Arise, 

beloved) 1.35 

No  2  Pour  V absent.  {Tom^abseuilove)  1.75 

N»  3.  Chant  d'amour.  (Love  song)  «    .  1.75.. 

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Sixième  année.  —  N°  10 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  7  Mars  1886. 


L'ART 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,   un   an,  fr.   10.00;  Union  postale,    fr.    13.00.    —  ANNONCES   :    On  'traite   à  forfait. 


Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 
l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


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AIRE 


Constantin  Meunier.  —  Saint-Mégrin.  —  Conférence  de 
M.  Lemaitre  a  Liège.  —  L'exposition  Théodore  Verstraete  a 
Anvers.  —  Livres  nouveaux.  Le  crime  d'amour  !  par  Paul 
Çourget  ;  Les  nuits  du  garde,  par  Paul  Hagemans  ;  Lettres  de 
ma  chaumière,  par  Octave  Mirbeau  ;  Mes  hantises,  par  E.  Du- 
jardin,  —  Petite  chronique. 


CONSTANTIN  MEUNIER 

Nous  avions  si  fréquemment  signalé  la  salutaire 
transformation  qui  se  faisait  dans  l'art  de  Constantin 
Meunier  se  dégageant  de  plus  en  plus  des  vieilles  for- 
mules, résidus  de  son  éducation  académique,  pour 
entrer  libre,  sincère  et  fier  dans  la  connaissance  et  la 
reproduction  de  son  époque  et  de  ses  contemporains, 
que  nous  avons  voulu  laisser  clore  son  exposition  et  se 
former  l'opinion  avant  de  renouveler  les  observations 
et  les  chaleureuses  louanges  dont  nous  avons  accom- 
pagné ses  tentatives  antérieures.  Il  n'était  pas  sans 
intérêt  pour  nous  d'apprendre  si  le  public,  de  lui- 
même  enfin,  allait  rendre  à  cet  art  nouveau  et  à  cette 
personnalité  si  compatissante  pour  les  misères  plé- 
béiennes, l'hommage  d'admiration  qui  vraiment  leur 
est  dû. 

Les  prévisions  de  ceux  qui  croient  que  désormais 
l'originalité  se  donnant  telle  qu'elle  est,  sans  préten- 
tions et  sans  habiletés,  est  le  moyen  le  plus  -sûr  de 
plaire  et  de  grandir,  ont  reçu  pleine  confirmation.  Le 
succès  de  cette  exposition  tranquille  dans  ses  efforts, 


vraiment  grande  par  sa  noble  simplicité,  le  douloureux 
caractère  des  œuvres,  la  sombre  puissance  d'exécution, 
a  été  considérable.  A  côté  du  bruyant  Salon  des  XX, 
de  la  vogue  de  curiosité  qui  est  allée  à  eux,  des  polé- 
miques virulentes   qui   se  sont   déchaînées  sur  leurs 
jeunes  hardiesses  et  la  triomphante  notoriété  qui  mal- 
gré toutes  les  résistances  les  enveloppe  de  son  auréole, 
la  petite  salle  où  Meunier  a,   sans  tapage,  réuni  les 
expressions  dernières  de  ses  rêveries   mélancoliques 
dans  les  usines  et  dans  les  charbonnages,  a  attiré  sans 
interruption  les  spectateurs,  et  l'émotion  qu'ont  susci- 
tée ces  types  navrants  de  prolétaires,  ces  paysages 
ûirouches  et  pauvres,  ces  scènes  d'esclavage  moderne, 
a  été  universelle.  Il  n'a  pas  fallu  la  lettre  où  Zola  lui 
a  dit  que  son  pinceau  pouvait  être  mis  en  panoplie 
avec  sa  plume,  comme  deux  vaillantes  épées  croisées  et 
serrées  par  le  même  lien,  pour  que  chacun  pensât  :  ce 
sont  les  illustrations  de  Geryninal.  Hélas!  oui,  c'en  est 
le  navrant  et  épique  commentaire.  Les  deux  œuvres' 
se  racontent  en  se  complétant.  Le  peintre  a  mis  la 
forte  note  du  dessin  et  du"  coloris  dans  le  concert  des 
phrases.  Celles-ci  ont  trouvé  un  accompagnement  digne 
d'elles,  et  la   grande  cause  de    pitié   et   d'humanité 
qu'elles  défendent,  en  prend  une  éloquence  nouvelle, 
une    actualité    plus   instante,  une  lamentation   plus 
poignante. 

Il  n'était  pas  mauvais  d'entendre  ^out  à  coup,  après 
la  joyeuse  sarabande  des  fantaisies,  ce  grave  rappela 
l'art  qui  vise  à  autre  chose  qu'à  distraire.  C'est  à  ces 
résultats  où  les  cruautés  du  sort  sont  dévoilées  par 


l'artiste  en  des  spectacles  qui  restent  touchants  malgré 
leurs  "sinistres  décors,  que  se  reconnaissent  lès  maîtres 
supérieurs.  Constantin  Meunier  n'est  plus  le  peintre 
timide  et  parfois  gauche  de  ses  tableaux  d  antan.  Il 
s'est  conquis  soi-même.  Il  a  trouvé  les  sujets  en  équa- 
tion avec  sa  nature  pénétrante,  démocratique  et  tendre. 
Il  sait  maintenant  oii  il  doit  aller  pour  sentir  s'éveiller 
au  i}Jus  profond  de  son  âme  les  voix  mystérieuses  qui 
lui  chantent  les  symphonies  pour  lesquelles  il  était  né 
et  dont  si  longtemps  les  conventions  avaient  étouffé  le 
concert.  Le  salutaire  phénomène  se  produit  tard  chez 
lui,  alors  que  déjà  le  déclin  de  la  vie  commence,  mais 
encore  à  temps  pourtant,  car  ses  œuvres  ont  la  beauté 
et  la  force  de  la  maturité.  Il  y  avait  là  cinq  ou  six  toiles 
de  premier  ordre.  Il  y  avait  là  une  tète  de  porion, 
expression  saisissante  du  travail  bestial  et  héroïque, 
qui  est  une  admirable  sculpture. 

Quatre  ans  passés,  nous  écrivions  :  "  Si  Constantin 
Meunier  persiste,  si  par  ses  efforts  consciencieux  il 
arrive  à  démêler  fout  à  fait  ce  qui  donne  aux  arti.sans 
leur  poésie  sauvage  et  douloureuse,  c'est  à  lui  qu'on 
devra  chez  nous,  plus  qu'à  bien  des  discours  et  à  bien 
des  livres,  les  mesures  qui  feront  sortir  ces  malheu- 
reux de  l'abîme  de  privations  et  de  souffrances  dans 
lequel  ils  sont  aujourd'hui  plongés.  L'œuvre  qu'il 
poursuit  est  d'une  portée  qui  dépasse  celle  à  laquelle  il 
songe  ;  mais  c'est  surtout  quand  l'artiste  est  inconscient, 
qu'il  reste  sincère  et  c'est  surtout  quand  il  est  sincère 
qu'il  devient  éloquent.  « 

Aujourd'hui  l'épahouissement  est  complet.  La  vie 
ouvrière  apparaît  intimement  pénétrée  et  magistrale- 
ment rendue.  Ce  spectacle  est  émouvant  par  lui-même. 
Toute  la  mission  de  l'artiste  consiste  à  en  négliger  les 
détails  pour  représenter  avec  énergie  leurs  effets  carac- 
téristiques. La  plupart  des  hommes,  quand  ils  regar- 
dent autour  d'eux,  ne  voient  pas  les  choses  dans  ce 
qu'elles  ont  de  plus  significatif,  de  plus  triste  ou.de 
plus  beau.  On  doit  le  leur  signaler,  attirer  leur  atten- 
tion sur  ces  côtés  troublants  :  l'écrivain  le  fait  par  la 
plume,  l'orateur  par  la  parole,  le  peintre  par  ses 
brosses.  C'est  après  avoir  vu  un  ciel  d'hiver  peint  par 
un  grand  artiste  qu'on  en  comprend  toute  la  grandeur 
lorsqu'on  le  revoit  dans  la  nature.  C'est  depuis  Millet 
que  les  côtés  dramatiques  du  paysan  frappent  ceux  qui 
le  rencontrent  dans  les  champs.  Les  mendiants  sont 
vus  d'une  autre  façon  par  celui  qui  connaît  l'œuvre 
de  Degroux.  Désormais  le  mineur  sera  autrement  com- 
pris, grâce  à  Meunier. 

Ce  qui  est  tout  à  fait  à  son  éloge,  c'est  que  nulle  part 
on  ne  rencontre  la  préoccupation  de  prêcher  la  question 
sociale  et  de  faire  par  ses  tableaux  un  programme 
démocratique. 

C'était  là  un  écueil  qu'il  était  difficile  d'éviter;  mais 
en  véritable  artiste  il  a  compris  que,  lorsqu'on  mêle 


des  arts  différents,  on  n'arrive  la  plupart  du  temps 
qu'à  rapetisser  l'un  par  l'autre.  Si  la  vue  des  misères 
auxquelles  la  vie  industrielle  soumet  tous  les  âges  et 
tous  les  sexes  est  de  nature  à  inspirer .  le.  désir  des 
réformes,  le  peintre  fait  assez  en  reproduisant  les 
mœurs  des  artisans,  leurs  fatigues  et  leurs  j)rivations. 
A  d'autres  à  déduire  les  conséquences  et  à  provoquer 
les  remèdes.  L'art  ne  sert  qu'à  leur  donner  une  plus 
profonde  sensation  des  choses  et  plus  d'élan  pour  les 
lancer  en  avant. 


SAINT-MÉGRIN 

Lorsqu'il  écrivit  le  drame  d'où  esl  lire  Saint-Mégrin,  premier 
cri  du  romantisme  dont  le  panache  devail  onduler  au  théâlre 
durant  tant  d'années,  Dumas  se  préoccupa  surtout  de  restituer 
avec  une  fidélité  archaïYjue  la  physionomie  d'une  époque.  Le  litre 
l'indique  :  Henri  III  et  sa  Cour,  et  l'importance  du  cadre 
balance  rinlérêl  de  l'action.  Ce  qui  fil  le  succès  de  l'oiivraûje, 
plus  encore  que  les  amours  de  Saint-Mégrin  et  de  la  duchesse  de 
Guise,  ce  fut  la  curieuse  évocation  des  mœurs  de  la  Cour  de 
France  à  la  fin  du  xvi*'  siècle.  La  fiible  imaginée  par  l'œuvre 
lirait  du  milieu  dans  lequel  elle  se  déroule  une  saveur  piquante, 
inconnue  aux  spectateurs  qui,  en  1829,  applaudirent  l'ouvrage. 

Noire  génération  esl  blasée  sur  ces  recherches.  Le  souffle  du 
naturalisme  a  éteint  la  flamme  du  romantisme,  el  la  semi-vérité 
historique  réalisée  par  Dumas  a  été  dépassée  de  si  loin  qu'elle  ne 
suffil  plus  à  captiver  l'allenlion. 

3Iais  voici  qu'un-  intérêt  nouveau  jaillit,  cinquante  ans  plus 
tard^  noh  pas  de  l'époque  ressuscitée  par  le  romancier-drama- 
turge, mais  du  temps  où  vécut  colui-ci,  de  l'arl  qu'il  créa,  du 
monde  littéraire  qu'il  éclaira  de  son  génie. 

L'attrait  de  Sninl- Mégr in ,  pour  nous,  c'est  Dumas.  On  le  suit 
à  travers  les  péripéties  du  drame  poussé  au. noir  qu'il  marqua  de 
sa  griffe  puissante;  il  apparaît  dans  ses  phrases  ronflantes,  dans 
ses  périodes  où  sonne  un  cliquetis  d'armes,  dans  les  ripostes  du 
dialogue,  dans  les  coups  de  ihéûlre  qui  marquent  le  développe- 
ment de  l'action. - 

C'est  ce  que  les  auteurs,  M>L  Ernest  Dubreuil  et  Eugène  Adenis, 
ont  comj)ris  en  dérangeant  le  moins  possible  le  drame  dans  lequel 
ils  ont  découpé  le  livret  de  Saint-Mégrin. 

A  part  le  dénouement,'  qu'ils  ont  légèrement  modifié,  h  part  la 
suppression  du  rôle  de  la  reine-mère,  qui  reste  à  la  cantonnade 
mais  dont  l'influence  domine  le  drame,  à  part  l'élagage  nécessaire 
de  quelques  scènes  qui  ne  se  fussent  guère  accommodées  du 
théâtre  lyrique,  telles  que  les  passages  où  la  politique  seule  est 
en  jeu,  le  livret  de  MM.  Dubreuil  el  Adenis  esl  presque  textuel- 
lement le  drame  de  Dumas,  adapté  avec  beaucoup  d'intelligence 
el  respecié  scrupuleusement. 

L'élément  dramatique  tiré  des  artiours  du  héros  a-^lé  mis  en 
relief,  comme  étant  le  ressort  le  plus  puissant  de  l'opéra,  el  c'est 
ce  qui  a  amené  la  modification  du  litre.  C'est  l'épisode  du  drame 
de  Dumas  qui  esl  devenu  l'action  principale  du  livret.  L'axe  de 
l'ouvrage  est  ainsi  déplacé. 

Chose  à  noter  —  la  remarque  peut  paraître  subtile,  mais  nous 
la  croyons  exacte  —  les  auteurs  de  la  très  intéressante  partition  que 
vient  de  faire  entendre  la  Monnaie,  n'ont  pas  suivi  les  librettistes 


LART  MODERNE 


75 


dans  celle  voie,  cl  leur  musique  est  plutôl  celle  A'IIenn  III  et 
sa  Cour  que  celle  de  Sainl-Mcgrin.  , 

C'esl  l'exposé  pillores(iue  cl  cliarmanl  des  diverses  scènes  du 
drame,  mêlé  de  la  poinle  d'archaïsme  donl  les  a  assaisonnées 
Dumas,  pUilôt  que  l'expression  de  la  passion  croissanle,  exas- 
pérée par  les  obstacles,  de  Tintlammable  seigneur  pour  la  belle 
Callierine. 

La  musique  de  MM.  Flillemaclier  ne  descend  pas  dans  les  pro- 
fondiHirs  de  l'analyse.  Elle  n'a  pas,  pensons-nous,  celle  visée,  et 
la  forme  même  de  l'opéra-comiciue  adopléc  piir  les  auteurs  pour 
traiter  un  aussi  grave  sujet,  le  prouve  suftisammenl. 

Mais  ce  qu'elle  dit,  elle  le  dit  for!  bien.  Saint-Mégrin  est  sans 
contredit  la  parlilion  la  plus  remarf[uable  qu'ait  j)ro(luile  la  jeune 
école  française.  Elle  a  toutes  les  qualilés  de  clarté,  d'élégance,  de 
sentiment  raffiné,  de  charme,  qu'on  souhaite  depuis  tant  d'an- 
nées voir  s'épanouir.  Saint-Megrin  fera  date,  comme  l'a  fait 
Carmen. 

On  souhaiterait  voir  MM.  Hillemacher,  dont  le  talent  sérieux, 
modeste,  déjà  sûr  de  lui-même  quoiqu'il  soit  à  son  aurore,  s'af- 
firme avec  éclat  dans  celte  œuvre  de  début,  renoncer  aux  conces- 
sions qu'ils  ont  cru  devoir  faire  soit  au  public,  soit  aux  artistes. 
Les  «  airs  »  ajoutés  pour  plaire  à  tel  ou  tel  chanteur  en  vogue 
détonnent  étrangement  dans  cette  parlilion,  donl  toutes  les  pages 
ont. été  combinées  en  vue  de  l'unité  k  sauvegarder.  Les  «  voca- 
lises »  et  «  fioritures  »  donl  sont  soi-disant  agrémentés  d'autres 
passages,  pourquoi  les  avoir  autorisées? 

C'est  compromettre,  dans  l'espril  des  musiciens,  une  œuvre 
qui  doit  leur  plaire,  sinon  par  la  puissance  et  l'étendue  de  l'in- 
spiraiion,  du  moins  par  l'agréable  facilité  avec  laquelle  elle  est 
écrite,  par  le  goût  parfait  qui  a  présidé  h  sa  conception  et  par  le 
charme  de  sa  riche  et  ingénieuse  instrumentation. 

Celle-ci  est  tout  à  fait  intéressante  et  dénote  de  la  part  des 
compositeurs  une  entente  parfaite  des  timbres  et  une  connais- 
sance approfondie  des  ressources  de  l'orchestre.  On  remarquera 
principalement,  à  cet  égard,  les  deux  enlr'actes,  dont  l'un  a  été 
bissé  le  soir  de  la  première,  la  Sarabande  dansée  et  chantée  au 
début  du  deuxième  acte,  les  quatre  jolis  morceaux  formant  le 
divertiss;Muent  du  qualrième,  pastiche  aimable  des  vieux  airs 
dé  danse,  et  la  Rumanesca,  traitée  en  forme  de  mélodrame, 
doucement  soupirée  par  l'orchestre  sur  des  paroles  du  page 
Robert. 

Les  musiciens,  au  succès  desquels  nous  applaudissons  d'autant 
plus  cordialement  qu'il  s'agit  de  deux  «jeunes  »,  dégagés  de 
tous  liens  d'école,  (jui  cherchent  courageusement  leur  voie  et 
ne  comptent  que  sur  leur  talent  pour  réussir,  ont  eu  l'heureuse 
fortune  d'être  bien  secondés  par  les  artistes  chargés  de  l'interpré-^ 
talion.  M"*^  Cécile  Mézeray  a  la  distinction,  la  réserve,  les  atti- 
tudes delà  grande  dame  qu'elle  représente.  Sa  voix,  on  la  con- 
naît :  elle  est  d'une  rare  pureté  et  se  joue  des  difficultés.  La  créa- 
tion de  la  duchesse  de  GuisiC  est  l'une  des  plus  belles  de  Parliste. 
Dans  les  scènes  pathétiques  mêmes,  qu'on  aurait  pu  croire  hors 
de  ses  moyens,  elle  atleinl  une  grande  justesse  d'expression. 
M.  Fursi  chaule  bien,  mais  le  comédien  reste  liu  dessous  de  sa 
lâche.  M.  Boyer,  enroué  le  soir  de  la  première  et  néanmoins 
très  applaudi,  a  retrouvé  sa  voix  à  la  deuxième  représentation. 
Il  incarne  avec  une  verve  de  bonne  humeur  elun  tact  parfait  le 
personnage  épisodique  du  vicomte  de  Joyeuse.  M.  Rehaud  acréé 
un  Balafré  d'une  belle  et  robuste  allure  :  il  chanle  d'une  voix 
mâle,  d'un  timbre  excellent,  un  rôle  qui  lui  convient  ii  merveille. 


M.  Dcvries  tient  fort  bien  le  rôle  sacrifié  de  l'astrologue  Ruggieri 
et  le  chanle'en  oxcollent  musicien.  M.  Nerval  f.iil  un  ilenri  III 
d'une  ressemblance  frappante.  Un  petit  accidimt  à  la  voix  a  nui, 
le  soir  de  la  première  représentation,  au  prestige  du'roi.  ne|)uis, 
le  «  chat  »  qui  lui  était  reslé  dans  la  gorge  a  lâché  prise  et 
l'excellent  trial  a  chanté  son  rôle  avec  humour.  Il  n'est  pas 
jusqu'à  M'"''  Barbot  qui  se  soit  surpassée  dans  son  air  des  Sou- 
venirs. Mais  pourquoi  s'obsline-l-elle  à  appeler  Rousard  le  poêle 
Ronsard?  Y  a-l-il  une  «  coquille  »  dans  son  manuscrit?  Quant 
\i  M"*-  Wolf,  elle  a  trouvé  —  par  hasard,  M"*^  Lecornte  ayant,  au 
dernier  moment,  renoncé  à  son  rôle  de  page  —  l'occasion  de  se 
faire  le  plus  joli  des  succès  en  chantant  d'une  voix  charmante 
un  air  au  troisième  acte  et  en  récitant  des  vers  de  Rousard,  — 
pardon  de  Ronsard. 


CONFERENCE  DE  M.  LEMAITEE  A  LIÈGE    - 

{Correspondance  particulière  de  l'Art  moderne). 

C'est  jeudi  que  M.  Lemaître,  du  Journal  des  Débats,  est  venu 
répéter,  plus  exactement  relire,  devant  un  public  peu  nombreux, 
k  la  Société  d'Emulation,  la  conférenciculelte  sur  Alphonse  Dau- 
det, le  Midi  et  les  Tarlarins  de  tous  formats,  qu'il  avait  faite  au 
Cercle  artistique  de  Bruxelles  et  dont  V Indépendance  belge  avait 
dit  miracle.  Il  eût  été  difficile  que  de  Journal  des  Débats  à  Indé- 
pendance belge  il  n'y  eût  pas  les  compliments  d'usage  avec  les 
grossissements  habituels.  Si  par  Tartarin,  ainsi  que  l'a  expliqué 
l'orateur,  pardon  le  liseur,  il  faut  entendre  les  Irâbleurs,  quels 
qu'ils  soient,  au  nord,  au  midi,  au  levant,  au  ponant,  dans  le 
présent,  les  temps  évanouis  et  les  temps,  â  venir,  la  classe  riche 
et  la  classe  nécessiteuse,  la  littérature,  la  finance,  le  clergé,  le 
journalisme,  certes  il  y  a  un  Tartarin  d'un  assez  fort  calibre  dans 
le  journal  du  Bel-Air  où  l'on  a  représenté  M.  Lcmaîire  comme 
un  conférencier  émérite. 

Il  serait  temps  de  délivrer  la  Belgique,  et  Liège,  de  cette  manie 
d'exotisme  qui,  par  voie  d'importation,  nous  amène  tous  les 
hivers  un  défilé  de  messieurs  très  peu  faits  pour  les  discours,  qui 
donnent  lecture,  d'une  voix  qui  ne  dépasse  guère  les  premières 
banquettes,  avec  des  gestes  incertains,  d'un  article  de  revue, 
mi-partie  feuilleton  et  chronique,  qui  passerait  h  peu  près  ina- 
perçu s'il  paraissait  dans  la  livraison  pour  laquelle  il  était  né; 
article  qu'on  promène  chez  nous  de  ville  en  ville,  comme  un 
monologue  ou  plutôt  un  monocoquelogu<3  du  nom  de  l'inventeur 
de  ce  çrenre  ai?açant.  Nous  devons  avoir  un  ijrand  fond  de  naïveté 
ou  de  bêtise  pour 'tolérer  aussi  longtemps  ce  jeu  bizarre  cl  niais 
qui  ferait  reconduire  avec  des  huées  ou  des  rires  celui  de  nos 
compatriotes  qui  se  le  permettrait.  Car  il  est  remarquable  que 
nos  conférenciers  belges  qui  se  risquent  à  essayer  de  distraire  de 
la  même  façon  nos  cercles  d'amateurs 'doivent  y  mettre  dix  fois 
plus  de  soins  pour  n'avoir  que  dix  fois  moins  de  succès. 

L'Art  Moderne  ne  se  gêne  pas,  je  le  sais,  pour  dire  sur  toutes 
les  manies  son  très  franc  avis.  Votre  journal  n'aurait  plus  de 
raison  d'être  s'il  répétait  les  phrases  toutes  faites,  complimen- 
teuses et  vides,  des  grands  journaux  rédigés  par  des  façons  de 
fonctionnaires  payés  pour  psalmodier  les  louanges  des  écrivains 
bien  pensants  qui  prennent  au  sérieux  les  prétentions  bourgeoises. 
A  ce  titre,  j'espère  qu'il  accueillera  ma  protestation,  écho  de  plu- 
sieurs autres,  contre  celte  comédie  artistique  el  littéraire  qui  fait 
faire  un  voyage  à  un  personnage  en  habit  noir  apportant  pour  nous 


Tcxliiber  la  verroterie  de  sa  confçVcnce,  el  déverse  sur  lui  les 
fleurs  du  reportage  h  propos  d'une  amplification  quelcon<|ue. -On 
se  demande  ce  que  la  personne  cl  la  figure  de  l'auteur  [)ouvent 
ajouter  d'intérêt  au  petit  morceau  de  rhétorique  qu'il  débile  d'un 
air  ennuyé  et  que  le  premier  instituteur  venu  pourrait  lire  à  sa 
place. 

La  conférence  do  M.  Lemaîlrc  n'est  pas  sortie  de  ces  données 
auxquelles'noire  public  est  résigné.  Comme  ses  prédécesseurs,  le 
discoureur  a  pris  pour  texte  une  donnée  plus  ou  moins  ingé- 
nieus(»,  amusante  dans  une  certaine  mesure,  mais  discutable 
parce  quelle  est  superficielle,  îi  savoir  :  Alphonse  Daudet  est  un 
Tariarin  libéré,  corrigé,  el  par  cela  même  éminemment  propre  à 
dépeindre  les  Tartarins;  aussi  s'y  complait-il;  il  y  a  des  Tarta- 
rins  dans  toutes  ses  œuvres,  il  y  en  aura  toujours;  le  Nabab,  un 
Tariarin;  Numa  Houmcstan,  un  Tariarin;  c"esl  l'air  des  Tartarins 
qu'il  chante  le  mieux;  dans  l'avenir,  il  vivra  par  Tariarin. 

Comme  on  le  voit,  il  s'agit  d'une  fantaisie  en  laquelle  s'est 
complu  un  normalien  (ils  sont  tous  normaliens  au  Journal  des 
Débats  comme  à  la  Revue  des  Deux- Mondes)  et  il  l'a  développée 
avec  la  gravité  el  la  distinction  pédantes  qui  conviennent  à  d'aussi 
sérieux  personnages.  Tout  a  été  débité  d'un  ton  mesuré,  digne 
et  légèrement  mélancolique.  Il  y  a  eu  quelques  citations,  il  y  a 
eu  quehiues  traits  d'esprit  parfumés  d'une  grande  convenance 
bourgeoise  :  bref  un  embryon  présentable  de  discours  de  réception 
future  b  l'Académie.  Pas  un  mot  plus  haut  que  l'autre,  pas  le 
reflet  d'une  incartade,  nul  sentiment,  cela  va  sans  dire,  la 
passion  évitée  comme  une  chose  qui  souille  les  mancbettes,  une 
monotonie  décente  et  triste,  des  gestes  vagues  et  caressants,  une 
voix  de  confesseur,  un  accord  parfait  avec  la  cravate  blanche.  Le 
public  a  écouté  avec  la  même  décence.  Des  bravos  discrets,  très 
rares.  Dref,  une  conférence  crépusculaire. 

.  La  Belgique  accueille  poliment  ces  prétendues  distractions.  Il 
y  a  même  un  contingent  d'habituées  des  cours  supérieurs  pour 
dames  et  de  déléguées  du  monde  où  l'on  s'ennuie  qui  rêvent  de 
perpétuer  ce  régime  de  lymphatisme  artistique  qui  nous  met  à 
la  cure  du  petit-lait.  Mais  le  public  robuste  et  sain  commence 
à  avoir  assez  de  ces  pratiques  de  sociélés  de  tempérance  et 
redemande  les  bonnes,  fraîches  et  réconfortantes  boissons  natio- 
nales. Les  normaliens,  les  oratoricns,  les  académiciens,  chantant 
les  psaumes  de  la  fausse  distinction  artistique,  avec  Bellac  pour 
chef  d'Orchestre,  dans  une  onde  de  lumière  électrique  pâlissante, 
nous  deviennent  franchement  antipathiques.  Déjà  quelques  jour- 
naux de  Bruxelles  ont  ose  faire  des  restrictions  en  ce  qui  con- 
cerne M.  Lemaître,  el  comme  vous  le  voyez,  à  Liège  on  s'est 
retiré  de  la  petite  fête  en  trouvant  le  régal  un  peu  fade. 

Fasse  le  sort  que  nous  nous  émancipions  tout-à-fail  et  que  les 
conférenciculeltes,  comme  je  disais  plus  haut,  aillent  rejoindre  les 
monocoquelogues!  Nous  ne  sommes  pas  faits  en  ce  pays  de  libre 
allure  el  de  gaîté  pour  trouver  plus  longtemps  acceptables  les 
gesticulations  soupirantes  avec  lesquelles  les  demi-virtuoses  qui 
peuplent  les  salons  de  M"'«  Adam,  cette  muse  départementale 
perchée  à  Paris,  séduisent  les  Français  de  la  décadence.  Nous 
avons  de  plus  énergiques  appétits  el  sommes  mécontents  quand, 
nous  levant  de  table,  nous  nous  disons  qu'on  ne  nous  a  donné 
îi  manger  que  quelques  sardines  arrosées  de  verres  d'orgeat. 


L'EXPOSITION  THÉODORE  VERSTRAETE  A  ANVERS 

{Correspondance  particulière  de  V\kï  ^\Ohm\,'SE.) 

A  considérer  le  milieu  dans  lequel  cet  artiste  s'est  développé, 
il  faut  reconnaître  l'effort  qu'il  a  fait  vers  un  art  plus  neuf,  plus 
sincère  que  celui  pour  lequel  Anvers  juscju'ici  n'a  eu  qu'encou- 
ragements et  adulations.  Deux  peintres  se  sont  longtemps  partagé 
celte  faveur  :  Lamorinière  et  Van  Luppen.  Le  premier  a  voulu  se 
poser  en  Meissonier  du  paysage;  maintenant  encore  le  monde 
officiel  se  pâme  devant  ses  tableaux  glacés,  achevés  à  outrance, 
ne  laissant  ni  un  doute,  ni  une  pensée.  Le  second.  Van  Luppen, 
a  toujours  fait  les  délices  des  boutiijuiers  enrichis  :  une  certaine 
habileté  manuelle,  des  tons  conventionnels,  un  mélangt^  invariable 
de  vert  cinabre  el  de  bruns  bitumineux,  dos  compositions 
agréables,  en  un  mot  une  recette  infaillible,  imperturbablement 
même,  il  n'en  fallait  pas  plus  pour  qu'il  passât  pour  un  grand 
homme  :  voilà  oi^i  l'on  en  est  encore  dans  la  «  métropole  des 
arts.  » 

Rien  d'étonnant  alors  que  les  très  sage  Verslraetc  fût  long- 
temps considéré  comme  un  révolutionnaire. 

Somme  toute,  c'est  le  seul  paysagiste  anversois  qui  ail  fait 
preuve  de  quelque  indépendance. 

Dépouillant  au  plus  tôt  les  principes  académiques  er aban- 
donnant l'atelier,  cher  aux  Anversois,  pour  la  «  vraie  »  nature,  il 
s'en  alla  à  Brasschaet,  ce  joli  village  perdu  dans  la  bruyère  cam- 
pinoise. 

Quelques  jeunes  l'y  suivirent,  el  l'on  vil  en  petit  ce  qui  se  pro- 
duisit autrefois  à  Tcrvueren.  En  citant  ce  nom,  j'y  vois  plus  qu'un 
rapprochement  de  mots  :  il  y  a  aussi  une  similitude  de  tendances 
enlre  ces  deux  écoles. 

A  Brasschaet  comme  b  Tcrvueren,  on  a  voulu  faire  de  l'art 
neuf,  mais  l'on  n'a  su  se  dépouiller  entièrement  de  certaines 
préoccupations  du  déjà  vu.  Les  grands  paysagistes  français  d'il  y 
a  vingt  ans  ont  exercé  une  grande  influence  sur  la  manière  de 
sentir  nos  paysagistes  belges,  cl  lorsqu'on  est  allé  s'installer  à 
Tcrvueren  ou  à  Brasschaet,  on  a  affirmé  ne  vouloir  s'inspirer  que 
de  la  nature,  mais  on  l'a  vue  à  travers  Daubigny,  Rousseau, 
Corel,  Diaz,  etc. 

La  facture  de^  Verslraetc  resle  cependant  timide  et  indécise 
dans  ces  primes  œuvres,  el  il  n'a  su  emprunter  ni  la  sûreté  de 
plan,  ni  la  distinction  de  coloris  de  ces  maîtres. 

Deux  choses  paraissent  avoir  tout  d'abord  séduit  le  jeune  pay- 
sagiste :  l'immensité  de  la  bruyère  aux  heures  crépusculaires  et 
les  sous  bois-maigres,  aux  troncs  noyés  dans  la  buée  automnale, 
aux  feuillages  fauves  el  légers  qu'il  aime  à  jeter  rapidement  sur 
la  toile,  à  la  poinlo  du  couteau. 

C'est  la  note  caractéristique  de  la  plupart  de  ses  premières 
toiles.  C'est  par  là  aussi  qu'il  a  commencé  à  séduire  les  botis 
bourgeois  anversois,  les  acheteurs  encombrés  de  Van  Lup[>en. 

Cette  noie  sentimentale,  ces  idylles  campagnardes  d'un  sous- 
Millel  débilité,  affadi,  où  l'on  voit  des  Roméo  niais  roucoulant 
avec  des  Juliette  bébêtes  dans  des  immensités  de  bruyères  tou- 
jours les  mêmes,,  avec  des  ciels  que  nous  avons  autrefois  irrévé- 
rempient  qualifiés  chromolithographiques,  conduisirent  l'artiste  à 
des  succès  faciles. 

D'aucuns,  lors  de  son  aventure  aux  XX^  trouvèrent  les 
anicles  de  VA  rt  moderne  trop  sévères  pour  Vcrslracte  ;  on  accusa 


même  noire  crlliquo  cla  parii-pris,  et  copendnnt,  lorsque  nous, 
revoyons  ces  loi  les,  combien  nous  paraissent  exactes  nos  appré- 
ciations d'alors  ! 

Je  ne  sais  si  VArl  moderne  peut  se  vanler  d'avoir  contribué 
à  secouer  la  torpeur  qui  envahissait  Verslracte,  et  si  ses  critiques, 
brutalement  franches,  ont  été  le  coup  de  fouet  qui  l'a  réveillé  et 
poussé  à  des  efforts  nouveaux. 

Son  art,  en  effet,  vers  cette  époque,  semble  subir  une  trans- 
formation radicale.  Sans  que  ce])endant  Verslracte  ait  acquis  des 
tendances  bien  neuves,  la  pûto  est  devenue  plus  savoureuse,  la 
main  plus  puissante,  les  effets  plus  variés  :  c'est  à  ne  plus  .le 
reconnaître,  et  on  aime  ù  le  voir  ainsi,  arlistc  évidemment  intel- 
liiTcnt,  se  lancer  li  la  découverte  d'horizons  nouveaux.  Nous  ne 
nous  jiâmerons  pas  d'admiration,  mais  nous  lui  crierons  bon 
courage,  et  en  avant  ! 

Les  derniers  tableaux  de  ce  que  nous  appellerorfs  sa  première 
manière  ont  été  vus  U  la  dernière  Exposition  d'Anvers.  Ce 
sont  V Allée  de  hêtres  et  le  Viatique.  Nous  n'y  reviendrons  pas. 

Un  voyage  en  Hollande  que  l'artiste  fait  ensuite  lui  procure 
des  sensations  nouvelles.  La  nature  hollandaise,  grasse,  humide, 
semble  l'enthousiasmer  par  son  contraste  avec  la  sablonneuse  et 
morne  Campine.  Sa  palette  se  transforme.  Les  verts  puissants, 
les  indigos  bruyants  se  mêlent  avec  une  saveur  amusante.  Cela 
n'a  pas  la  distinction,  l'imprévu  de  Maris,  mais  c'est  de  la  pein- 
ture robuste  et  saine.  Citons  sa  Ferme  en  Hollande,  Juillet, 
Octobre  et  Dans  les  prairies . 

Dès  lors  Verstraele  a^défmitivement  dépouillé  ses  tons  ané- 
.  miques,  sa  sèche  et  ennuyeuse  coloration  ;  il  peint  avec  une  réelle 
maestria  son  effet  de  nuit  En  novembre  —  rappelant  vaguement 
Dupré,  son  Village  deBrasschaet  dans  la  neige,  brossé  en  pleine 
pâle  et  d'un  effet  d'air  remarquable,  son  Soleil  du  matin  aux 
feuillages  légers,  bien  éclairés,  aux  ombres  fraîches  tachant  les 
gazons  humides.  C'est  certes  l'œuvre  la  plus  personnelle,  Ja  plus 
simple  et  la  plus  sincère  de  toute  cette  exposition. 

Nous  le  répétons,  la  nouveauté  est  évidemment  ce  qui  manque 
le  plus  à  Verstraele,  et  c'est  ce  qu'il  devrait  rechercher  avec  le 
plus  de  persévérance;  ce  sera  le  moyen  le  plus  sûr  de  se  créer 


un  art  origmal 


h 


iIVREP    NOUVEAUX 

Le  Crime  d'amour,  par  P.\ul  Bourget.  Paris,  Lemerre. 

~  Et  tout  d'abord,  n'abusons  par  du  nouveau  volume  de 
M.  Bourget  pour  aborder  celte  déjà  rabâchée  question  du  pessi- 
misme qui,  de  la  cuve  où  bouillonnent  les  suprêmes  idées,  est 
chue  dans  la  marmite  des  premiers-Paris.  A  «  l'hazard  de  la 
plume  »,  tous  les  courriéristes  l'ont  embrochée  et  l'on  se  serait 
cru  chez  Paul  Niquet,  jadis.  Docteur  Tant-pis,  docteur  Tant- 
mieux,  Oberman  et  Roger  Bontemps,  Pnngloss  et  Schopenhauer 
tournaient  en  sarabande  et  l'on  piquait  dans  le  tas,  différemment 
lente,  selon  la  bonne  ou  mauvaise  humeur  du  moment.  Si  l'on 
avait  dîné  bien,  on  était  optimiste,  si  mal,  pessimiste.  Les  chro- 
niqueurs laissaient  aux  cuisiniers  de  la  31aison  d'or,  le  soin  de 
les  déterminer  en  philosophie. 

Ce  n'est  pas  dans  les  journaux:  que  de  tels  problèmes  se 
devraient  traiter  entre  une  nouvelle  k  la  main  et  un  concours  de 
pigeons.  Le  livre  seul  convient  et  encore  le  livre  sévère,  qui  lient 
en  respect  Gaudissart  et  Prudhomme.  Dès  qu'une  question  grave 


en  sort  elle  se  déshonore  parmi  lesparloltes  de  taverne  et  les  dis- 
cussions de  table  d'hôte  —  et  ce  sont  d'ordinaire  les  gazetiers 
qui  l'y  conduisent. 

Le  nouveau   livre  de  M.  Paul  Bourget  :   Crime  d'amour  est 
celui  qui  met  le  plus  en  marge  la  personnalité  de  l'écrivain. 
La  Crime  (T amour?  ' 

Tuer  une  âme  pure  de  femme,  sans  avoir  l'excuse  de  j 'aimer. 
Le  roman  est  une  scène  à  trois  personnages  :  Alfred  Chazel, 
ingénieur  confiant,  Hélène  sa  femme,  provinciale  naïve  et  char- 
mante débarquée  à  Paris,  qui  se  laisse  séduire  par  Armand  de 
Querne,  gentilhomme  de  petite  noblesse  comme  elle,  viveur 
correct,  moitié  Don-Juan,  moitié  Ilamlet,  habillé  à  la  mode 
moderne  avec  du  dandysme  et  d(;  l'ennui.' 

La  donnée  est  très  banale,  c'est  rélernelle  histoire  à  la  Boc- 
cace  el  à  la  Musset  de  l'amant  fringuant,  du  mari  grave, 
sérieux  et  de  l'épouse  trop  neuve  d'amour  pour  un  tel  mari. 
C'est  vieux  comme  la  lune  et  pourtant,  combien  cet  immuable 
drame  à  trois  a  été  remouvementé  par  M.  Paul  Bourget,  el  de 
combien  de  détails  nouveaux  il  l'a  embelli  !  11  a  mis  des  papil- 
lottes  aux  dernières  mèches  d'un  front  chauve  et  leur  a  donné  le 
tour  bouclant  des  cheveux- parfumés  et  jeunes,  il  a  restauré  de 
vieilles  situations  passées  de  couleur  el  de  ton  et  les  a  fait  resr 
'plendir  encore  sous  les  nimbes  de  son  analyse. 

Au  reste,  ces  données  quelconques  de  roman  sont  recherchées 
parW.  Paul  Bourget  pour  mettre  en  relief  celle-ci. 
AnaivJ^e? 

Esl-ce  le  mol  exact  qu'il  faut  employer?  Balzac  el  Barbey  sont 
analystes,  Bourget  est  plutôt  critique.  L'analyste  «  s'emballe  >} 
dans  §es  personnages,  il  se  laisse  entraîner  par  la  vie  qu'il  leur 
souffle,  il  les  étudie  avec  emportement  el  réalité,  il  les  voit  autant 
qu'il  les  pense;  ils  agissent,  ils  sont  variés,  multiples,  objectifs. 
Le  critique,  lui,  les  raisonne  el  les  didactise.  On  assiste  chez  lui 
k  des  leçons  de  mathématique  morale,  à  des  résolutions  de  pro- 
blèmes de  passion,  à  des  déductions  habilement  faites  et  claires 
comme  l'eau  filtrée.  On  ne  peut  s'empêcher  de  mettre  en  rapport 
les  romans  et  les  éludes  psychologiques  de  M.  Paul  Bourget  el  de 
remarquer  aussitôt  que  ceux-là  sont  le  complément  de  celles-ci: 
les  héros  du  narrateur  ayant  tous  subi  l'inlluence  des  écrivains 
que  le  critique  examine  et  donne  comme  éducateurs  à  la  jeunesse 
d'aujourd'hui. 

Enfin  pour  dire  toute  notre  pensée,  M.  Paul  Bourget  n'a-t-il  pas, 
simultanément  ou  tour  à  tour,  subi  lui-même  ces  dominations 
littéraires  et  philosophiques  el  ne  s'esl.-il  pas  représenté,  et  dans 
le  Georges  Liauran  de  Cruelle  Enigme  et  dans  Armand  de  Querne 
de  Crime  d'Amour? 

Car  voilà  le  trait  nouveau  qui  le  distingue  des  analystes.  Ceux-ci 
sont  bien  plus  impersonnels  dans  leurs  livres,  ils  créent  un  mo  nde 
d'êtres,  différents  d'eux-mêmes,  tandis  que  lui,  critique,  se  lient 
lui-même  au  bout  de  sa  plume  el  se  répète. 

Joseph  Delorme  encombre  l'œuvre  de  Sainte-Beuve.  Tout  poète 
doublé  d'un  critique  ou  tout  critique  compliqué  d'un  poète  ne 
prend  modèle  que  sur  soi  dans  ses  œuvres  d'imagination  et  se 
recommence  dans  la  série  de  ses  volumes.  Défaut,  certes  —  mais 
défaut  qui  se  tourne  en  qualité  quand  on  fait  du  roman-critique 
aussi  subtilement  que  M.  Paul  Bourget.  Son  acuité  est  telle  que 
les  plus  intimes  profondeurs  d'une  situation  ou  d'une  intelligence 
sont  frappées  de  clarté.  Où  les  uns  finissent,  lui  commence  ;  où 
les  autres  terminent,  lui  se  met  à  raffiner.  Aussi  paraissent -ils 
impatientants  ses  récits  à  tous  ceux  qui  ne  savent  goûler  un 


plaisir  (lélical  Ix  voir  se  démonter  dos  triples  fonds  de  caractères 
el  lu  suivre  le  ni.'tleiir  à  nn  des  mobiles  sccrets.de  l'âme  jusque 
dans  ses  exj)Ioralions  les  plus  souterraines.  Crime  cV Amour  n'a 
d'iiutre  inlérêl.  C'est  un  roman  sans  action,  sans  mirages,  sans, 
phrases,  sans  décor..  C'est  un  voyage  à  travers  les  cœurs  el  les 
cerveaux. 

Certains  reprochent  h  M.  Paul  Bourgel  sa  veulerie  de  style. 
Exagération.  Artiste?  Certes,  la  phrase  ne  l'est  point,  mais  les 
in'éciosilés  (mol  inexact)  sont  transportées  de  l'extérieur  à  l'inté- 
rieur et  se  développent  en  des  rinceaux  de  fine  el  infinie  obser- 
vation psychologique.  C'est  de  la  nuance  de  la  nuance.  El  les 
délicats  ont  la  bonne  part. 

Nous  redoutons,  néanmoins,  pour  M.  Bourget,  rengouemenl 
que  le  public  lui  t('Mnoigne  —  nous  ignorons  pourquoi.  Nous 
doutons  qu'il  soit  compris.  Alors,  connnenl  justifier  la  rapide 
moulée  de  ses  livres  à  l'échelle  des  éditions,  sinon  par  sa  mise  en 
évidence  au  rez  de  chaussée  des  ({uotidiens  qui,  sous  prétexte  de 
désaler  leurs  Tecleui's  du  naturalisme,  leur  vantent  la  littérature  de 
Cruelle  Enigme  comme  une  décoction  de  celle  de  M.  Feuillet. 
L'auteur  de  Sybillc  se  nommera  dorénavenl  Ohnet  pour  les 
imbéciles  el  Bourg(îl  pour  les  intelligents.  C'est  le  Figaro  qui 
décide.  - 

Les  Nuits  du  Garde,  par  Paul  Hagemans.  Bruxelles,  Maison 
F.  Callewaert  père,  veuve  Moimom,  successeur. 

M.  Paul  Hagemans  réuni! ,  sous  l'étiquette  les  Nuits  du  Garde, 
une  poigiKîc  de  nouvelles  forestières,  écrites  de  bonne  encre  et 
sentant  bon  leur  terroir  ardennais.  Artiste-chasseur,  mais  artiste 
et  poète  bien  plus  que  chasseur.  «  Si  j'aime  la  chasse  avec  pas- 
sion, dit-il,  c'est  surtout  parce,  que  j'aime  les  grands  bois  de 
chez  nous;  l'attrait  de  l'imprévu  ne  sont  j)0ur  moi  que  secon- 
daires. »  * 

Les  récils  sont  faits  durant  les  nuits  d'élé  el  d'automne  par  le 
garde,  Martin  Leroux;  l'auteur  est  censé  les  transcrire.  Naïf  men- 
songe. Les  histoires  sont  bien  trop  soignées  pour  être  d'un  rus- 
tique patoisant.  La  meilleure  est  celle  du  Grand-Abbé. 

La  maison  Monnom  a  fait  belle  toilette  au  livre  :  excellent 
papier,  net  caractère,  exacte  justification,  titre  de  bon  goût. 

Nous  ne  faisons  pas  à  Bruxelles  assez  de  cas  de  nos  impri- 
meurs. Tel  et  tel  réussissent  d'irréprochables  œuvres  typogra- 
phiques, moins  élégantes  que  les  parisiennes  certes,  mais  d'ap- 
parence plus  solide  el  plus  résislanle.  Pourquoi  nos  écrivains 
vont-ils  II  Paris?  On  n'y  trouve  d'autre  explication  que  l'inexpé- 
rience totale  de  nos  imprimeurs  à  lancer  leurs  volumes.  Autant 
l'impression  est  bonne,  autant  la  mise  en  vente  est  défectueuse. 
On  manque  de  correspondants,  de  débouchés,  de  montres.  Même 
aux  vitrines,  à  Bruxelles,  les  bouquins  belges  sont  relégués  dans 
les  coins  de  lélalage.  On  ne  les  voit  que  de  dos,  à  la  dérobée, 
expirants  sous  des  las  de  livres  français.  Fortuné  de  Boisgobey, 
Emile  Richebourg  el  Xavier  de  Monlépin,  jusqu'à  Monsieur  Ohnet 
les  accablent. 

Qui  donc  nous  trouvera  un  bon  el  intelligeni  éditeur? 

Lettreà  de  ma  chaumières,  par  Octave  Mirbeau. 

Paris,  Laurent. 

M.  Octave  Mirbeau,  le  critique  hardi  el  le  diseur  en  face  de 
vériiés,  le  plus  nel  el  le  plus  audacieux,  vient  de  publier  quel- 
ques nouvelles  :  Lettres  de  ma  chaumière.  Ce  sont  des  croquis 
paysans,  très  observés,  écrits  avec  l'âme  de  la  campagne  dans  le 


cœur  el  une  plimie  bien  française  entre  les  doigts.  Les  coules  les 
mieux  venus  nous  paraissent  être  :  La  mort  du  père  Dugué  el 
Les  eaux  muettes.  Xjïïq  ç,0(\\i(ii\.G  é(\\\!\oi\. 

Mes  hantises,  par  E.  Oujari^in.  Paris,  Vanier. 

Livre  tentant  el  bien  de  notre  temps,  mieux,  de  notre  heure.  II. 
reflète  nos  états  d'âme,  non  sans  puissance  esthétique.    Une 
nouvelle  surtout  attire  :  La  vierge  de  fer. 

Là,  on  é|)rouve  vraiment  le  petit  frisson  que  M.  Dujardin  a  dû 
chercher  à  chaque  page  de  son  livre.  Le  récit  est  fait  avec  la  sou- 
daineté voulue,  il  angoisse.  Ce  conte  lui  seul  vaut  le  reste  du 
volume. 

M.  E.  Dujardin  a  fondé  la  Revue  ivagnérienne  qui  bientôt 
comptera  une  année  d'existence.  Il  y  soutient  les  théories  les  plus 
avancées  en  art,  vaillannnenl.  C'est  lui  qui  a  publié  cette  série  de 
sonnets  à  la  gloire  de  Wagner,  que  tant  de  critiques  ont  insulté 
sans  le  comprendre. 


pETITE    CHROJS(IQUE 


L'afiluencc  des  visiteurs  au  Salon  des  XX  a  décidé  les  organi- 
sateurs à  en  reculer  d'une  semaine  la  clôture.  C'est  irrévocable- 
ment le  dimanche  i  i  courant,  à  5  heures,  que  l'exposition  sera 
fermée. 

Le  chiffre  des  entrées  dépasse  8000. 

Voici  les  acquisitions  faites  jusqu'à  ce  jour  : 

'Sç\\\o\yAQ\\,  Quaid^Ostende.         . 
Id.         Hiver. 

Ensoi\  Salon  bourgeois  en  \SS\. 
Id.     Musique  russe. 

Théo  Van  Rvss'*lberc:he,  Le  Boulevard. 

Fernand  Khnopft",  En  écoutant  du  ScJiunmnn. 

R.  Wvlsman,  Pastel. 

F.  Kolslô,  Intérieur  d'atelier. 

Dario  de  Regoyos,  La  baie  de  Pasajès. 

Anna  Boch,  Dimanche  matin. 


M.  Georges  Rodenbach  a  fait  hier  aux  XX,  devant  un  auditoire 
de  choix,  une  excellente  conférence  sur  Camille  Lcmonnier. 
L'heure  de  notre  tirage  ne  nous  permet  pas  d'en  donner  l'analyse, 
que  nous  publierons  dimanche  prochain. 

Théodore  Baron,  l'excellenl  paysagiste,  prépare  une  exposi- 
tion d'œuvres  inédiles.  On  reverra  avec  plaisir  ce  vaillant  d'au- 
trefois qu'on  disait  endormi  à  Namur,  et  qui  se  recueillait.  Il  y  a 
toujours  place  pour  les  anciens,  pour  les  bons  :  Voyez  Constantin 
Meunier.  Baron  fut  un  des  fondateurs  de  lArt  libre,  il  v  a  bientôt 
vingt  ans,  c'est-à-dire  un  des  révolutionnaires  d'alors.  Nous  ne 
l'avons  pas  oublié  el  nous  saluons  son  retour. 

L'Exposition  rétrospective  des  œuvres  de  feii  Edouard  Agnees- 
àens  s'est  ouverte  hier  à  deux  heUrcs.  Elle  occupe  deux  salles  du 
Palais  des  Beaux-Arts  et  comporte  environ  150  tableaux.  Nous 
parlerons  dans  notre  prochain  numéro  de  cette  réhabilitation 
d'un  artiste  pour  qui  se  lève  enfin  le  soleil  de  gloire.  Pour  le 
moment,  bornons-nous  à  engager  tous  nos  amis  à  aller  vour  cette 
superbe  exposition,  synthèse  d'une  carrière  d'artiste  brisée  avant 
qu'elle  ail  donné  sa  moisson  complète. 

Eh  bien,  el  la  Zwanzc?  Esl-clle  malade?  Esl-eJle  morte?  Nous 


LART  MODERNE 


79 


comptions  sur  son  exposition.  Elle  se  fait  bien  allcndrc.  Ce  n'est 
pas  fini  n'est-ce  i)as?  Nous  n'aimons  pas  les  morts  prématùri^'cs, 
surtout  celles  de.  gens  dont  les  maladresses  servent  les  bonnes 
idén§.  Allons,  voyons,  sursum  corda!  Réveillez-vous,  pantins, 
bouffons.  El  en  avant  ! 

A  lire  dans  le  numéro  d'hier  de  VEloile  belge  un  des  plus 
étonnants  échantillons  qui  se  soient  vus  du  reportage  lartino- 
funambulcsque.  il  s'agit  de  la  fête  qui  a  eu  lieu  chez 
M.  et  W""'  de  Monlebello.  Uareiiient  on  a  assisté  à  un  pareil 
déchaînement  de  Ivrismc  en  fait  de  réclame  mondaine.  Ce  n'est 
pas  rutilant,  c'est  rugissant. 

].e  Cercle  (VEser une ^  présidé  |)ar  M.  Ficriants,  organise  pour 
aujourd'hui  dimanche,  a  deux  heures,  un(!  intéressante  matinée 
littéraire  et  artistique.  M.  Eugène  Monrose,  professeur  au  Conser- 
vatoire, donnera  lecture  de  la  comédie  de  Théodore  de  Banville  : 
Socrate  et  sa  femme,  que  nous  avons  analysée  >  récemment, 
jyime  Vanda  Van  dcr  Mecrc,  MM.  Ilcrmann  et  Massage  feront 
ensuite  «  un  peu  de  musique.  » 

Les  Concerts  populaires  feront  très  probablement  entendre  le 
1^'"  acte  de  Tristan  et  IseiiU  à  leur  prochaine  matinée.  M.  Van 
Dyck  serait  chargé  du  rôle  de  Tristan;  on  confierait  celui  dTscult 
à  M"'*-'  Von  Edelsberg. 

ho.  Schiller- Verein  de  Druxelles  donnera  vendredi  prochain, 
42  mars,  au  Palais  des  Académies,  un  concert  au  bénéfice  des 
Allemands  nécessiteux  habitant  la  Belgique. 

MM.  Flintz,  baryton,  Ed.  Jacobs,  violoncelliste  et  Jokisch, 
violoniste,  prêteront  leur  concours  à  cette  œuvre  de  bienfai- 
sance. 

Le  i'"'"  concert  du  Conservatoire  de  musique  de  Mons  aura  lieu 
vers  la  lin  de  mars.  On  y  entendra,  entre  autres  œuvres  impor- 
tantes, la  Symphunie  n^  II  de  Ratï\ 

Une  indisposition  a  empêché  M.  Camille  Gurickx  de  donner 
lundi  son  piano-recitnl.  La  date  de  cette  audition  sera  fixée  pro- 
cbain^'ment.  Les  billets  pris  pour  le  1^'"  mars  restent  valables. 

Nous  venons  de  recevoir  le  catalogue  de  la  ^o*"  exposition  de 
l'Institut  des  Beaux-.Vrts  de  Clascow.  Trois  artistes  belges  seule- 
ment V  fiiîurent  :  M.  Jules  Monlic^nv,  M"'^  Ronner  et  M.  Alfred 
Ronner.  Les  Hollandais  ne  sont  représentés  que  par  MM.  Mauve 
et  Gabriel.  Les  artistes  français  sont,  de  même,  très  clairsemés. 
L'exposition  comprend  798  œuvres  de  peinture,  de  sculpture, 
d'architecture,  etc. 

Les  trois  concerts  que  donnera  Antoine  Rubinslcin  h  la  Grande- 
Harmonie,  ainsi  (juc  nous  l'avons  déjà  annoncé,  seront  la  plits 
grande  attraction  de  la  saison  musicale.  Rappelons  les  dates  : 

Vendredi  30  avril,  à  8  heures  du  soir,  séance  Beethoven  ; 
dimanche  2  mai,  à  2  heures,  matinée  Schumann;  mardi  4  mai,  à 
8  heures,  séance  Chopin.  ' 

Le  prix  des  places  est  ainsi  arrêté  : 

Pour  une  séance  :  stalle  (numérotée),  10  fr.  ;  galerie  (non 
numéroiée),  6  fr.  Pour  les  trois  séances  :  stalle  (numérotée), 
2o  fr.  ;  galerie  (non  numérotée),  15  fr. 

On  poihra  se  procurer  des  stalles  numérotées  et  des  galeries  à 
la  Grande-Harmonie  du  2  au  46  avril,  les  lundi,  mercredi  et  ven- 
dredi, de  3  à  5  heures,  et  à  partir  du  lundi  49  avril,  tous  les  jours 
de  40  ù  44  heures  et  de  3  à  5  heures.  Des  places  non  numérotées 


se  trouveront  chez  les  éditeurs  de  musique  et  le  soir  des  concerts 
à  l'entrée  de  la  salle. 

Pour  autres  renseignements,   s'adresser  h  M.  René  Deylees- 
chouwer,  95,  rue  des  Deux-Eglises,  à  Bruxelles. 


Les  artistes  choisis  pour  interprêter  celle  année  à  Bayreuth 
Parsifnl  cl  Tristan  sont  :  M'"'-?  Materna,  Thérèse  Malien,  Rosa 
Papier  et  Rosa  Sucher  ;  MM.  Belz,  Antoine  Fuchs,  Gudehus, 
Niemann,  Planck,  Siehr,  Vogl,  Wiegand  et  Winkelmann. 

L'orchestre  sera  placé  sous  la  direction  de  MM.  Lévi,  Hans 
Richler,  Félix  Molli,  Antoine  Seidl.. 


Nous  recevons  le  4 '""numéro  (IT«  année)  de  iElan  littéraire^ 
une  courageuse  petite  revue  de  la  jeunesse  universitaire  liégeoise . 
Nous  remar(jUons  dans  sa  rédaction  les  noms  de  MM.  Albert 
Mockel,  Maurice  Siville,  Hector  Chainaye,  etc.,  qui  signent  des 
nouvelles  lestement  écrites,  des  criti([ucs  intéressantes,  des 
chroniques  littéraires  et  artistiques,  etc. 

L'administration  de  cette  revue,  dont  le  prix  d'abonnement 
n'est  que  de  3  francs  par  an,  esl  rue  Sainl-Adalbert,  8,-  à  Liège. 

La  vente  Gustave  De  .longlie  a  produit  26,000  francs.  Voici 
quelques  prix  : 

Jules  Breton,  Glaneuses  ••  4,500  (acquis  par  M.  Vanderdonckt). 
—  (^'a\V.\\{,  Blankenbercjke  :  1,^^{)  (acquis  pour  le  Musée  de 
l'Etat).  —  AU.  Stevens,  Vue  de  Saint- Adresse  :  4,000  (acquis 
par  le  duc  de  Camposelice).  —  J.  Israëls,  E Orpheline  :  560 
(acquis  par  M.-  Vanderdonckt).  —  Lieberman,  Jeu  des  quatre 
coins  :  4,300  (acquis  par  le  duc  de  Camposelice).  —  Coomans, 
Jeunesse  :  400.  —  Bonnai,  Intérieur  arabe  :  800  (acquis  par 
M.  Vanderdonckt).  —  Robbe,  Bergerie:  420.  —  Slingeneyer, 
Souvenirs  du  Désert  ;  440. 


La  Revue  Wagnérienne  publie  la  note  suivante  : 
Le  bruit  courant  que  M.  Schurman,  imprésario  inconnu,  avait 
le  projet  de  donner  à  Paris  très  prochainement  des  représenta- 
tions" wagni'Tiennes,  nous  avons  été  voir  M.  Sehurmann,  qui  nous 
a  affirmé  qu'il  allait  monter  Lohengrin  à  rEden-Théâlre  :  chœurs 
et  orchestre  de  Paris;  interprèles  autrichiens  chantant  en  alle- 
mand, ou  peut-être  bien,  inlerj)rèles  français  chanlant  en  fran- 
çais; douze  représenlalions,  du  L5  mai  au  45  juin;  en  cas  de 
succès,  reprise  en  octobre  de  Lohengrin,  avec  le  Vaisseau-Fan- 
tôme, les  Maîtres-Chanteurs,  la  Valkyrie  ;  mise  en  scène  très 
soignée;  prix  des  places  de  40  à  40  francs. 

CONSTRUCTIONS    HORTICOLES 

CHARPENTES,    SERRES,    PAVILLONS 

VOLIÈHES,  FAISANDERIES,  GRILLAGES,  CLOTURES  EX  FER 

CLOTURES  DE   CHASSE  EN   TREILLAGE  GALVANISÉ 

En  général  entreprise  de  tout  travail  en  fer 


Jules   MAESEN 

Fournisseur  breveté  de  S.  A..  R.  Mgr  le  Comte  de  Flandre  et  de  la 

ville  de  Bruxelles 

Décoration  industrielle  de  première  classe 

4  0.    AVENUE    LOUISE,    4  0,    BRUXELLES 


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Dépôt  de  la  grande  usine  américaine. 


80 


LART  MODERNE 


SIXIÈME  ANNÉE 

L'ART  MODERNE  s'est  acquis  par  rautbrité  et  rindépendance  de  sa  critique,  par  la  variété  de  ses 
inforinations  et    les   soins   donnés   à   sa   rédaction   une   place   préi)ondérante.    Aucune   manifestation  de  l'Art  ne 

lui  est  étrangère  :  il  s'occupe  de  littérature,  de  peinture,  de  sculpture,  de  gravure,  de  musique; 

d'architecture,  etc.  Cimsacré  principalement  au  mouvement  £^rtistique  belge,  il  renseigne  néanmoins  ses 
lecteurs  sur  touS  les  événements  artistiques  de  Tétranger  qu'il  importe  de  connaitre. 

Chaque  numéro  de  Ij'ART  MODERNE  s'ouvre  par  une  étude  approfondie  sur  une  question  artistique 
ou  littéraire  dont  l'événement  de  la  semaine  fournit  l'actualité.  Les  expositions,  les  livres  nouveaux,  les 
premières  représentations  d'œuvres  dramatiques  ou  musicales,  les  conférences  littéraires,  les  concerts,  les 
ventes  dohjets  cFart,   font  tous  les  dimanches  l'objet  de  chroniques  détaillées.  .       . 

L'ART  MODERNE  relate  aussi  la  législation  et  la  jurisprudence  artistiques.  Il  rend  compte  des 
procès  les  plus  intéressants  concernant  les  Arts,  plaides  devant  les  tribunaux  belges  et  étrangers.  Les 
artistes  trouvent  toutes  les  semaines  dans  son  Mémento  la  nomenclature  complète  des  expositions  ,  et 
concours  auxquels  ils  peuvent  prendre  part,  en  Belgique  et  à  l'étranger.  Il  est  envoyé  gratuitement  à 
l'essai  pendant  un  mois  à  toute  personne  qui  en  fait  la  demande. 

L'ART  MODERNE  forme  chaque  année  un  beau  et  fort  volume  d'environ  450  pages,  avec  table 
des  matières.  Il  constitue  pour  l'histoire  de  l'Art  le  document  LE  PLUS  COMPLET  et  le  recueil  LE  PLUS 
FACILE  A  CONSULTER. 


PRIX    D'ABONNEiMENT 


Belgique  1  O   f I*. 

Union  postale    \  3    fV** 


par  an. 


Quelques  exemplaires  des  cinq  premières  années  sont  en   vente    aux  bureaux    de  L'ART   MODERNE, 
rue  dp  l'Industrie,  2G,  au  prix  de  30  francs  chacun. 


ÉDITEUR  DE  MUSIQUE 

RUE  SAINT-JEAN,   10,  BRUXELLES 
Nouveautés  musicales. 

DE  SWERT,  JuLKS  Sérénade  de  l'opéra  :  Les  Albigeois.  Tran- 
scription pour  violoncelle,  avec  accomp.  de  piano,  fr.  2.00. 

BORIS  SGHEPX.  Op.  155.  Trois  mélodies  pour  chant,  avec 
accomp.  de  violoncelle  (ou  violon)  et  piano.  Paroles  françaises  et 
anglaises  :  N^  1  Venez  ma  mie.  Sérénade.  (Arise,  beloved),  fr.  1.35; 
no  2  Pour  l'absent.  (To  my  absent  love),  fr.  1.75;  n»  3.  Chant 
d'amour  (Love  song),  fr.  1.75. 

ERMEL,  A.  Op.  40.  Scherzetto,  pour  piano,  fr   2.50. 

VIENT  DE  PARAITRE  CHEZ 

BREITKOPF  &  HARTEL 

ÉDITEURS   DE   MUSIQUE 

BRUXELLES,  41,  MONTAGNE  DE  LA  COUR 


EXTRAIT  DES  NOUVEAUTÉS 

Février  1886. 

Chopin,  marche  funèbre  (de  l'œuvre  35).  Arr.  p.  orch.  Nouvelle 
édition.  Partition,  fr.  2-50.  Parties,  fr.  5-00. 

Ecole  de  piano  du  Conservatoire  royal  de  Bruxelles. 
Livr.  XIII.  Haydn,  Son.  en  la  maj.,  ré  maj.,  sol  min.,  fr.  5-00. 
Id.    XXVII.  Cah.  L,  Dusseck,  Son.  en  ut  maj.,  fr.  5-00. 
Id.         id       Cah.  IL,  Dusseck,  Son.  en  ut  min  ,  fr.  5-00. 
Van  Elewyck,  Chev.  X.,  op.  39.  Ecce  Panis.  Motet  pour  4  voix 
égales  a.  ace',  fr.  1 

RosENHAiN,  F.,  op.  74.  Sonate  pour. le  piano,  fr.  4-50. 

ÉDITION  POPULAIRE 

N0428.  LiEDERKREis,  100  Lieder  p  une  voix  basse  avec  p.»fr.  6-25. 
N"  556.  Reinecke,  C,  ouvertures  pour  piano  à  4  mains,  fr.  11.25. 
N°  554.  Tàubert,  W.  œuvres  pour  piano  à  2  mains,  fr,  3  75. 


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Paris  4867,  1878,  l^"-  prix.  —  Sidney,  seul  1"  et  2«  prix 
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LA  PEINTURE,  LA  SCULPTURE,  LA  GRAVURE 

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Bruxelles.  —  Imp.  Félix  Callewaert  père.  —  Y*  Monnom  successeur,  rue  de  l'Industrie,  26. 


Sixième  année.  —  N°  11 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  14  Mars  1886. 


L'ART 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  M  LA  LITTERATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,   un   an,   fr.   10.00;  Union  postale,   fr.    13.00.    —   ANNONCES   :    On   traite   à  forfait. 


Adresser  les  demandes  d'ahonnement  et  toutes  les  communications  à  " 

l'administration  générale  de  l'Art  Moderne^  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


^OMMAIRE 


Introduction  a  l'étude  des  littératures.  —  Exposition 
Agneessens.  —  Happe-Chair,  par  Camille  Lemonnier.  —  Le 
Cantique  des  cantiques.  —  Association  des  artistes  musiciens. 
Quatrième  concert.  —  Fragment  d'un  voyage  dans  l'Inde  et  a 
Ceylan,  par  Jean  Robie.  —  Bibliographie  musicale.  Musikali- 
sche  Studienkôpfe, \on  La  Mara  ;  Juhendhriefe,  von  Robert  Schu- 
mann  ;  Richard  Wagner-Jahrhuch. . —  Petite  chronique. 


INTRODUCTION  A  L'ÉTDDB  DES  LITTERATURES 

Vous  souvient-il  de  votre  rhétorique?  J'entends  JDar 
là  cette  classe  qui  termine  les  Humanités,  dans  laquelle 
on  se  retrouve  une  vingtaine  dés  cent  avec  lesquels  on 
était  entré  en  septième.  Vous  souvient-il  d'avoir  entendu 
dire  par  quelque  vicaire  de  village,  appréciant  avec 
dédain  la  rusticité  d'un  de  ses  paroissiens  :  On  voit  bien 
qu'il  n'a  pas  fait  sa  rhétorique? 

C'était  le  temps  où  courait  le  bruit  que  le  style  s'ap  - 
prenait  par  recettes  et  que  le  biau  langage  n'éteit 
qu'une  question  de  formules.  L'art  d'écrire  formait  un 
code  dont  de  savants  professeurs  étaient  les  , déposi- 
taires et  on  l'apprenait  comme  une  liturgie.  On  se 
croyait  écrivain  quand  on  était  ferré  sur  les  tropes 
et  il  y  avait  des  manuels  qui  divulguaient  tous  les 
secrets  littéraires.  Il  y  avait  aussi  une  littérature  type, 
officielle  et  respectable,  dite  classique,  seule  digne 
d'être  vraiment  admirée  et  qui  synthétisait  en  un  sym- 
bole désormais  immuable  le  bon  goût  et  le  beau.  Tout 
ce  qui  s'en  départait  était  tenu  pour  choquant  et  anar- 


chique.  Faire  sa  rhétorique  c'était  passer  par  cette 
discipline  sévère.  Montrer  qu'on  avait  fait  sa  rhéto- 
rique, c'était  apporter  dans  ses  écrits,  voire  dans  ses 
actes,  une  dignité,  une  gravité,  une  mesure,  une 
décence  vraiment  classiques. 

Sortant  de  là,  on  abordait  les  littératures  dans  l'in- 
finie variété  de  leurs  manifestations,  les  contempo- 
raines, les  anciennes,  les  nationales,  les  étrangères.  Et 
soit  pour  les  juger,  soit  pour  les  goûter  on  utilisait  la 
norme,  l'étalon  dévotement  reçu  durant  cet  enseigne- 
ment bizarre.  Tout  était  mesuré  aux  dimensions  régle- 
mentaires et  de  confiance  on  réprouvait  ce  qui  ne 
s'adaptait  pas  exactement  au  patron  emporté  du  col- 
lège. 

Vous  souvient-il  aussi  des  conséquences  de  ce  régime  ? 
D'abord  l'intolérance  pour  toutes  les  œuvres  originales 
et  libres.  Le  trouble  et  la  répulsion  qu'elles  suscitaient. 
Plus  tard  1  etonnement  de  les  voir  si  nombreuses,  Tin- 
quiétude  causée  par  leurs  protestations  muettes  et 
incessantes?  Puis  l'ennui  de  n'oser  se  permettre  d'admi- 
ration que  pour  les  mêmes  choses,  toujours.  Enfin,  la 
révolte,  l'explosion,  le  bonnet  jeté  par  dessus  les  toits 
et  la  galoppade  effrénée  à  travers  tout  ce  qu'on  croyait 
pouvoir  être  beau,  sans  distinction  ni  de  règles,  ni 
d'écoles,  ni  de  maîtres,  ni  d'églises.  L'indépendance,  la 
belle  et  saine  indépendance  de  l'art,  consciente  de  cette 
vérité  suprême,  expression  de  l'éclectisme  en  lequel  se 
résout  toute  expérience  :  Il  n'y  a  pas  de  principe  qui 
n'ait  été  démenti  par  un  chef-d'œuvre? 

Oui,  vous  en  souvient-il?  Et  vous  en  souvenant  quel 


82 


LART  MODERNE 


i 


est,  d'après  vous,  le  procédé  le  meilleur  pour  développer 
dans  un  jeune  esprit  l'intelligence  et  le  goût  des  littéra- 
tures? 

.  Nous  y  avons  beaucoup  pensé,  ayant  eu  charge 
d'âmes.  Observant  en  nous-mêmes  les  phénomènes  dé  la 
jouissance  littéraire,  guettant  comment  elle  naît,  sui- 
vant son  développement,  savourant  les  délices  de  son 
épanouissement,  nous  avons  compris  que  c'est  la  cher- 
cher à  rebours  que  de  vouloir  y  préparer  par  un  ensei- 
gnement dogmatique,  séparant  les  règles  des  faits  et  les 
dégageant  une  à  une  pour  les  montrer  au  néophyte 
abstraites  et  dégarnies,  en  un  édifice  exclusivement 
échafaudé  de  charpentes  creuses,  laissant  partout 
paraître  le  vide  entre  les  poutrelles  et  les  madriers. 

De  même  qu'aujourd'hui  la  botanique  est  enseignée 
une  fleur  à  la  main,  la  littérature  doit  l'être  un  livre  à 
la  main.  De  même  que  pour  les  étudier,  on  arrache  les 
pétales,  on  montre  les  étamines,  on  dégage  le  pistil,  il 
faut  analyser  le  livre  page  à  page,  et  à  l'occasion  de  ce 
qu'on  y  rencontre  exposer  les  vérités,  les  ingéniosités, 
les  préceptes  de  l'art  d'écrire.  Et  il  faut  passer  de  livre 
en  livre,  comme  on  passe  de  plante  en  plante,  choisis- 
sant certes  les  exemples  les  plus  caractéristiques,  variés 
surtout,  s'opposant  en  contraires,  révélant  l'inépuisable 
puissance  de  changement  qui  fait  de  la  fée  artistique  la 
'  plus  capricieuse  et  la  plus  séduisante  des  fées. 

Si  le  maître  adopte  cette  méthode,  les  disciples  le 
suivront  gaiement.  L'intérêt  du  voyage  se  renouvellera 
sans  cesse  et  pour  la  vie  ils  auront  le  goût  des  distrac- 
tions littéraires,  parce  qu'il  leur  aura  appris  à  les  res- 
sentir à  l'occasion  de  toute  œuvre  nouvelle.  Il  leur 
aura  donné  l'aptitude  à  discerner  le  beau  en  toutes 
circonstances,  sans  exclusivisme,  simplement,  loyale- 
ment, comme  par  une  opération  naturelle  et  de  tous  les 
instants.  Ils  n'auront  plus  l'intransigeance  du  sectaire 
instruit  à  ne  voir  et  à  n'aimer  qu'un  seul  côté  des 
choses.  Ils  seront  ouverts  à  toutes  les  sensations  et  se 
laisseront  aller,  avec  une  fantaisie  qui  est  la  sagesse,  à 
toutes  les  séductions  du  beau  d'où  qu'il  vienne,  où  qu'on 
le  rencontre. 

Prenons  la  journée  d'un  esthète,  d'un  de  ces  hommes 
comme  on  souhaiterait  l'être,  qui,  sans  être  artiste  de 
profession,  sans  non  plus  sacrifier  à  l'art  ses  de  voirs 
sociaux,  cueille  en  passant,  comme  une  distraction 
qui  caresse  sans  absorber,  les  émotions  du  spectacle 
de  la  vie.  Il  n'a  pas  un  programme  de  jouissances 
artistiques,  mais  il  compte  sur  les  hasards  des  rencon- 
tres, et  il  a  la  sensibilité,  l'adresse  qui  les  saisit. 
Afï'ranchi  du  pédantisme  qui  ne  comprend  pas  qu'on 
puisse  se  sentir  ému,  charmé  à  l'improviste,  au  tour- 
nant des  circonstances,  il  s'abandonne  et  dans  l'analyse 
des  incidents  littéraires  quotidiens  découvre  ample 
matière  à  philophopher  et  à  faire  métier  de  critique, 
sinon  pour  l'éducation  des  autres,  au  moins  pour  sa 


distraction  personnelle.  Son  existeiice  entière  s'im- 
prègne ainsi  de  préoccupations  élevées  ou  intéres- 
santes, il  a  pris  goût  véritablement  aux  choses  de  style, 
il  est  amateur  dans  le  sens  exact  du  mot,  il  a  l'intelli- 
gence des  œuvres,  parce  que  sa  pensée  et  son  sentiment 
se  sont  affinés  dans  cette  pratique  constante. 

Un  grand  écrivain,  un  bel  artiste,  Eugène  Fromen- 
tin, alaissé  un  exemple  merveilleusement  suggestif  qui, 
promenant  le  lecteur  non  pas  à  travers  un  traité  d'esthé- 
tique; mais  à  travers  les  œuvres,  atteint  une  intensité 
incomparable,  parce  que  devant  chacune  d'elles,  sans 
en  avoir  l'air,  et  sous  le  coup  de  l'émotion  qu'elle  excite, 
il  énonce  les  hautes  vérités  qui  éveillent  l'âme  aux 
lumières  artistiques.  Quiconque  à  lu  les  Maîtres  d'au- 
trefois, ce  pèlerinage  aux  sanctuaires  flamands  et 
hollandais  de  la  peinture,  aime  la  peinture  pour 
jamais.  Il  a  subi  l'aimantation  magique  qu'il  n'est  pas 
donné  à  un  cours  professoral  d'exciter.  Il  a  acquis  la 
faculté  de  s'animer  au  contact  des  belles  choses,  et  par- 
tout où  il  ira,  s'il  y  a  un  tableau  à  proximité,  il  sera 
attiré  par  la  curiosité,  le  besoin  devenu  instinctif  de 
retrouver  les  sensations  divines  qui  ont  troublé  son 
âme.  .    " 

Oui,  c'est  là  tout  le  secret.  Il  est  superflu  de  dogma- 
tiser. 

Il  est  curieux  de  voir  en  quelles  formules  simples 
Fromentin,  au  moment  de  se  mettre  en  route,  résumait 
ce  qu'il  voulait  faire  et,  comme  prêt  à  devenir  un  pro- 
fesseur d'élite,  il  croyait  n'être  qu'un  touriste  en 
vacances.  Je  vais  traverser  des  musées,  écrivait-il,  et 
je  n'en  ferai  pas  la  revue  Je  m'arrêterai  devant  certains 
hommes,  je  ne  raconterai  pas  leur  vie  et  ne  cataloguerai 
pas  leurs  œuvres.  Je  définirai  tout  juste,  comme  je  les 
entends,  autant  que  je  puis  les  saisir,  quelques  côtés 
-physionomiques  de  leur  génie  ou  de  leur  talent.  Je 
n'aborderai  pas  de  trop  grosses  questions;  j'éviterai  les 
profondeurs,  les  trous  noirs.  Petites  ou  grandes,  les 
voies  de  l'art  sont  semées  de  problèmes  qu'il  est  permis 
de  sonder  pour  soi  comme  des  vérités,  mais  qu'il  est 
bon  de  laisser  dans  leur  nuit  comme  des  mystères.  Je 
dirai  seulement,  devant  quelques  œuvres,  les  surprises, 
les  plaisirs,  les  étonnements,  et  non  moins  précisément 
les  dépits  qu'elles  m'auront  causé.  En  cela,  je  ne  ferai 
que  traduire  avec  sincérité  les  sensations  sans  consé- 
quences d'un  pur  dilettante.  Il  n'y  aura  ni  méthode 
aucune,  ni  marche  suivie  dans  ces  études.  On  y  trou- 
vera beaucoup  de  lacunes,  des  préférences  et  des'  omis- 
sions sans  que  ce  manque  d'équilibre  préjuge  rien.  Il 
est  possible  que  certaines  de  mes  opinions  jurent  avec 
les  opinions  reçues;  je  ne  cherche  pas,  mais  je  ne  fuis 
pas  les  révisions  d'idées.  Au  vrai,  ces  études  ne  seront 
que  des  notes,  comme  une  sorte  de  conversation  où  les 
gens  du  métier  reconnaîtront  leurs  habitudes,  où  les 
gens  du  monde  apprendront  à  mieux  connaître  les  gens 


L ART  MODERNE 


83 


du  métier  et  le  métier.  Mon  programme  sera  d'oublier 
tout  ce  qui  a  été  dit  sur  ce  sujet,  mon  but  de  soulever 
des  questions,  de  donner  l'envie  d'y  réfléchir  et  d'ins- 
pirer à  ceux  qui  seraient  capables  de  nous  rendre  un 
pareil  service,  la  curiosité  de  les  résoudre.  Je  suppo- 
serai d'ailleurs  que  le  lecteur,  à  qui  je  m'adresse,  est 
assez  semblable  à  moi  pour  me  suivre  sans  trop  de 
fatigue,  et  cependant  assez  difï'érent  pour  que  j'aie  du 
plaisir  à  le  contredire,  et  que  je  mette  quelque  passion 
à  le  convaincre. 

Ainsi  parlait  l'écrivain  dont  la  verve  (il  l'a  dit  d'un 
autre)  était  en  quelque  sorte  du  bon  sens  exalté.  Cette 
instruction  pour  l'éducation  des  peintres,  on  peut  l'ap- 
pliquer à  rinstru<îtion  des  littérateurs.  Elle  est  la  salu- 
taire méthode  pour  développer  l'intelligence  et  le  goût. 
Elle  condamne  les  pratiques  surannées  de  la  pédagogie. 
Elle  est  la  seule  qui  soit  de  notre  temps.  Nous  nous 
y  essayons  hebdomadairement  dans  VArt  moderne 
déplu is  cinq  ans  et  plus,  et  nous  avons  l'espérance, 
qu'en  faisant  ainsi,  nous  ne  sommes  pas  resté  sans 
influence  sur  ceux  qui  nous  ont  lu. 


EXPOSITION  AG\EESSEi\S 

Ce  qui  frappe  surtout  dans  la  gerbe  d'œuvres  que 
pieusement  un  groupe  d'amis  a  réunies  à  la  mémoire  du 
peintre,  c'est  la  maîtrise  dé  l'exécution.  Dans  ses  plus 
belles  toiles  comme  dans  ses  esquisses  de  premier  jet, 
elle  domine,  elle  s'impose,  elle  rayonne,  et  n'eût-il  à 
son  actif  que  cette  qualité  rare,  l'artiste  mériterait 
d'être  salué  comme  un  des  chefs  de  la  jeune  école. 

Mais  là  n'est  pas  le  mérite  unique  d'Agneessens.  Jean 
Portaels,  qui  dirigea  ses  débuts,  avait  été  vivement 
frappé  de  ses  précoces  dispositions.  A  l'époque  déjà 
lointaine  où  la  turbulente  école  emplissait  de  sa 
remuante  jeunesse  l'atelier  de  la  rue  de  l'Abricot  —cet 
(Relier  dont  Camille  Lemonnier  évoquait  ici  même  le 
vivant  souvenir  à  la  mort  de  l'artiste  f),  — Agneessens 
était  considéré  comme  la  plus  ferme  espérance  de  l'art 
belge.  On  sentait  sourdre  dans  ses  moelles  la  sève 
fécondante  de  l'antique  génie  national.  Son  œuvre, 
brusquement  interrompu  en  pleine  maturité,  justifie  la 
confiance  que  placèrent  en  lui  son  maître  et  ses  cmidis- 
ciples. 

L'un  des  premiers,  Agneessens  se  dégagea  du  cycle 
de  compositions  imaginatives  dans  lesquelles  le  roman- 
tisme avait  empêtré  la  peinture.  La  réalité  attirait  ce 
tempérament  sanguin,  robuste,  observateur,  mais  la 
pénétration  de  son  esprit  réfléchi  lui  faisait  découvrir, 
sous  les  splendeurs  de  la  matière,  la  vie  mystérieuse  qui 
échappe  souvent  aux  peintres  absorbés  dans  la  contem- 
plation des  colorations 


/*)  Voy.  l'Art  moderne,  1885,  p.  298. 


De  là  cette  expression  intense  qui  donne  à  certaines 
de  ses  toiles  un  charme  si  séduisant,  bien  que  les 
accords  de  tons  qu'elles  font  vibrer  n'aient  qu'une  sono- 
rité assourdie.  Nous  citerons  entre  autres,  à  cet  égard, 
les  portraits  de  l'avoué  Claes  et  du  docteur  Victor  De 
Smeth.  Parfois,  —  dans  le  portrait  de  M""®  de  Pach- 
tere  par  exemple,  —  l'expression  devient  énigmatique. 
C'est  plus  qu'un  portrait.  C'est  une  évocation  sugges- 
tive. Mais  la  banalité  du  milieu  bourgeois,  que  profes- 
sionnellement il  étudiait,  l'enveloppant  de  son  atmo- 
sphère tièder  il  retombait  dans  l'ordinaire  donnée  du 
portrait,  sans  qu'on  pût  toutefois  lui  reprocher  une 
défaillance  de  dessin  ou  une  faiite  d'harmonie. 

Et  ainsi  nous  apparaît  son  œuvre,  sérieuse  et  digne 
toujours,  magistrale  d'exécution,  alternant  les  envolées 
vers  les  plus  hautes  régions  de  l'art  avec  la  réalisation 
d'un  idéal  placé  plus  bas,  à  port-ée  de  la  main. 

Au  lendemain  de  sa  mort,  VArt  moderne  caracté- 
risait ainsi,  sommairement,  son  art  (*)  :  «  Antérieur 
aux  impressionnistes,  il  n'a  pas  eu  le  sentiment  de  la 
lumière  que  ceux-ci  ont  révéla  II  était  encore  peintre 
d'atelier.  Il  ignorait  le  plein  air.  Plusieurs  de  ses 
toiles  poussent  au  noir.  Un  sentiment  national  très 
marqué  se  montre  dans  tout  ce  qu'il  a  fait.  Il  n'y  a  pas 
le  moindre  relent  de  la  peinture  française,  mérite  pré- 
cieux que  si  peu  cJiez  nous  atteignent.  Son  coloris  est 
d'une  distinction  raffinée.  Ses  types  sont  franchement 
ôeux  dé  son  pays.  « 

L'exposition  qui  vient  de  s'ouvrir  confirme  cette 
appréciation,  formulée  au  souvenir  des  œuvres  qui,  une 
à  une,  nous  étaient  apparues,  depuis  le  délicieux  torse 
d'adolescent  où  revivent  les  délicatesses  de  modelé  des 
écoles  d'Italie,  jusqu'aux  grandes  esquisses  devant  les- 
quelles le  mal  le  frappa,  ses  études  de  briquetiers,  par 
exemple,  et  l'admirable  ébauche  cataloguée  sous  le 
titre  :  Dans  une  loge. 

Le  Salon  en  miniature  où  l'on  suit  dans  son  évolution 
tranquille  la  carrière  du  pauvre  et  charmant  artiste 
dont  le  souvenir  reste  si  vivace  dans  la  mémoire  de 
tous  est  d'un  attrait  captivant  et  doux.  On  s'étonne  que 
le.  peintre  de  style  dont  l'art  est  ainsi  révélé  après  que 
la  mort  a  fauché  l'homme,  ne  soit  pas  déjà  dignement 
représenté  au  Musée.  Et  l'exact  et  intime  portrait  qu'a 
tracé  d'Agneessens  son  ami  et  condisciple  Isidore  Ver- 
heyden,  du  chevalet  où  il  trône,  enveloppé  de  crêpe, 
sourit  sans  amertume  aux  regrets  des  amis  qui  défilent 
avec  émotion  devant  l'œuvre  d'une  vie  prématurément 
brisée. 


(^/  Voy.  y  Art  moderne,  1885,  p.  277. 


.* 


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.    .,•■      »... 


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84 


L'ART  MODERNE 


V    /v     ]piAPPE-{^HAIR 
par  Camille  Lemonnier.  Paris,  Monnier  et  Bruiihofï'. 

Samedi  dernier,  M.  Georges  Kodcnbacli,  h  l'occasion  de  la  mise 
en  vente  du  livre  dont  nous  allons  parler,  a  donné  une  confé- 
rence aux  XX  fort  goiilde  el  dont  plusieurs  remarques  sont  îi 
retenir.  Les  anecdotes  qu'il  a  conlL'es  ont  piqué  ces  aperçus;  et 
les  dames  elles-mêmes,  ptrâce  à  ce  .1res  habile  moyen  de  leur 
épincjler  l'atlenlion  sur  un  canevas  de  conférence  littéraire,  ont 
compris  peut-être  pour  la  première  fois,  combien  est  grand  et 
souverain  le  romancier  Camille  Lemonnier,  suzerain  des  écrivains 
belges. 

M.  Rodcnbach  a  spécifié  le  côté  tragique  du  talent  de  son  ami 
en  affirmant  que,  depuis  les  Charniers,  CamiJle  Lemonnier  évo- 
quait dans  ses  livres  la  vision  du  sang.  Du  sang,  il  en  met,  en 
effet,  el  dans  le  Mâle,  cl  dans  le  Mort,  el  dans  Y  Hystérique, 
el  dans  les  Concubins,  el  dans  Happe-Chair.  A  ses  débuts 
c'était  en  bien  et  en  beau  qu'il  observait  les  hommes  et  les 
choses  ;  des  notes  sentimentales  sonnaient  sur  ses  œuvres  comme 
les  carillons  sur  les  toits  plies  en  livres  entr'ouverls;  ses  Contes 
flamands  et  wallons,  ses  Gras  et  ses  maigres  étaient  liitérature 
reposante  et  de  gaie  venue;  il  scrutait  la  vie  et  l'exprimait, 
comme  un  petit  maître  de  Hollande  la  peignait,  jadis,  aux  temps 
des  bonnes  santés  d'esprit  el  d'eslomac.  Toutes  les  illusions 
benoîtes  sur  la  bonté,  sur  la  douceur,  sur  la  bienveillance  el  la 
charité  des  gens  encombraient  ses  créations  d'artiste. 

Sedan  lui  a  retourné  l'esprit,  d'un  coup.  Il  faut  lire  ce  livre 
(plus  tard  les  Charniers)  pour  comprendre  combien  le  change- 
ment a  été  complet.  Lemonnier  a  reçu  là  une  telle  impression  de 
sauvagerie  el  de  haine  humaines,  une  telle  preuve  de  férocité  et 
de  cruauté,  qu'elles  s'en  sont  allées  vers  les  régions  de  la  fable  et 
de  l'amusetlc,  toutes  les  Bloemenijes  et  les  Truinijes  du  monde. 
Ces  flaques,  ces  mares,  ces  fleuves  de  §ang  se  sont  mirées  dans 
ses  prunelles  el  il  lui  en  est  resté  du  rouge  sur  la  rétine. 

Au  reste,  ne  l'avoue-t-il  pas  lui-même? 

«  Ce  livre,  dit-il,  en  un  avant-propos,  a  été  écrit  dans  le  sang. 
Nul  étonnement  donc  qu'il  sbil  rjôuge  dans  le  fond  et  dans  la 
forme.  Il  a  été  écrit  comme  il  a  élé  vu,  avec  l'horreur  réfléchie 
de  la  guerre.  » 

Heureux  changement  de  vision  artistique  après  tout  et  qui  a 
renouvelé  le  maîlre  :  tempérament  de  douceur  et  de  force. 
C'est  la  force  qui,  dès  ce  jour,  musclera  son  œuvre. 

Happe-Chair  esl  un  livre  de  fort.  Il  fait  songer  à  quelque 
lutteur  de  style,  s'attaquant  à  une  masse  d'art  qu'il  s'agit  d'abattre 
el  qui  se  dresse  devant  lui  comme  un  géant  marmoréen,  les  bras 
croisés  el  les  pieds  énormes.  Ou  plutôt  ne  vous  apparaît-il  point 
comme  le  laminoir  lui-même,  sombre  et  phosphorescent,  avec 
ses  descriptions  étalées  comme  des  brasiers  et  sa  rhétorique 
laminée  et  battue  comme  un  morceau  de  fer.  Ne  trouvez-vous 
point  dans  la  forme,  el  tourmentée,  et  âpre,  el  comme  brûlée,  la 
sensation  du  milieu  borain  ?  Et  ses  phrases  toutes  plaquées  d'ar- 
got, el  ces  dialogues  si  minutieusement  exacts  el  vrais  ne  sonl-ils 
point  l'esprit  même  des  villages  houillers? 

Enfin,  pour  bien  indiquer  la  descendance  du  livre,  l'auteur 
n'aurail-il  pu  dans  une  nouvelle  préface  qui  serait  le  pendant  de 
celle  des  Charniers,  écrire  : 

t(  Ce  livre  a  été  écrit  comme  il  a  été  vu  avec  l'horreur  réfléchie 
de  la  vie  ouvrière.  » 


Et  vrai,  dans  quels  enfers  ne  sommes-ngus  point  menés? 

Ménages  traversés  de  coups  de  poing,  maisons  heurtées  et  , 
sonnantes  de  disputes,  rues  sillonnées  de  soulards  el  de  fdles, 
villages  hurlants  de  misère,  de  colère  et  de  rut,  campagnes 
sinistres  et  meurtrières,  nocturnes  et  tragiques.  Tous  les  types 
de  travailleurs  :  Simonard,  Zinque,  Leurquin,  Picferl,  Gaudot, 
Bleu  —  el  Félicité,  el  Flipinc,  cl  Dédèlc,  et  Phrasie,  les  uns  les 
mains,  les  autres  les  jupes  puantes  de  vices,  apparaissent.ainsi 
que  des  brutes  vautrées  dans  l'égoul  de  l'existence.  Et  par 
dessus  tout,  tels  que  deux  figures  coupées  sur  fond  de  souff're, 
voici  Clarinetteel  Jacques  Huriaux  :  elle,  la  vicieuse  choisie,  la 
diablesse  d'élection  qu'on  a  comparée  h  quelque  Bovary  ouvrière, 
plus  perverse,  plus  intraitable  el  plus  toquée  de  mal  ;  lui  l'ou- 
vrier, non  pas  honnête  au  sens  philanihropique  du  mol,  mais 
l'homme  du  peuple,  normal,  moyen  ;  vraie  complication  de  bonté 
et  de  force,  que  Camille  Lemonnier  a  dû  rêver  avec  le  plus  de 
paternité  bienveillante  el  où  peut-être  il  a  mis  un  peu  de  lui- 
même,  de  ses  tendresses,  de  ses  idées,  de  ses  luttes,  de  ses 
labeurs  ;  nature  de  flamand  développée  en  pays  wallon  ;  belle 
incarnation  de  mâle  compatissant,  probe,  loyal,  superbe  et 
doux. 

Le  Culot  et  Happe-Chair  servent  de  décors  aquafortés  aux 
drames  sauvages  et  terribles  que  produisent  l'enlrechoquement 
passionnel  de  ces  personnages.  La  lutte  esl  partout,  la  bataille 
des  instincts  à  chaque  coin  de  page  —  el  des  bagarres  rouges,  et 
des  empoignades  d'homme  à  homme,  et  des  crânes  fendus,  et 
des  catastrophes,  el  des  tueries  :  les  Charniers  enfin,  revus  à 
quinze  ans  d'intervalle.  On  esl  toujours  entre  deux  rixes  ou  deux 
disputes.  Clarinette  et  Huriaux  ne  se  sont  noués  en  ménage  que 
pour  se  battre  de  plus  près  et  avoir  à  tout  instant  quelqu'un  sous 
le  poing.  Les.  injures  et  les  engueulements  sifflent  à  travers  le 
livre  drus  comme  grêle  et  toujours  en  grondante  ascension.  Si 
fort  el  si  continu,  que  tout  autre  que  Lemonnier  en  eût  fait  chose 
monotone  el  lympanante. 

Ce  qui  frappe  à  la  lecture  de  Happe-Chair,  c'est  la  grande 
sûreté  d'exécution.  Le  sujet  est  dominé  el  rené.  Les  scènes,  trop 
multiples  peut-être,  sont  toutes  néanmoins  venues  comme  l'an- 
.teur  les  voulait.  On  v  sent  de  la  maîtrise.  Par  contre,  le  défaut 
dominant,  c'est  le  manque  de  surprise.  Ou  devine  trop  le  livre- 
Les  cent  premières  pages  vous  renseignent  sur  le  reste  el  à  part 
le  dernier  caprice  de  Clarinette  [)Our  Gustave  Bleu,  ne  prévoit-on 
pas  toutes  les  stations  du  ménage  vers  le  détraquement  final? 

Au  résumé,  œuvre  bien  bâtie  sur  la  formule  naturaliste,  par 
un  rude  ouvrier  de  stvle  et  un  habile  architecte  de  caractères. 

M.  Rodenbach  a  défini  Camille  Lemonnier  :  «  un  émotionné 
par  les  yeux  ».  Cette  définition  est  affirmée  à  nouveau  par  Happe- 
Chair. 


LE  CANTIQUE  DES  CAVTIQl'ES 

Traduction  en  vers,  par  Jean  La  Hor,  d'aprèsta  version  de  Reuss.  — 

x^_  Paris,  Lemerre,  1885. 

A  M.  le  docteur  Cazalis,  à  Paris. 

Cher  JHïgnsieur, 

Je  m'acquitte  tardivement  des  remerciements  que  je  vous  Vlois 
pour  votre  traduction  du  Cantique  des  Cantiques,  ^c  n'ai  pu  la 
lire  à  l'aise,  comme  je  tenais  à  le  faire,  que  ces  jours  derniers. 
Je  l'ai  fait  avec  un  très  vif  intérêt.  J'avais  sur  ce  sujet  les  vieilles 


>     } 


idées  classiques  :  que  c'était  un  poème  du  roi  Salomon,  —  quMl 
s'y  agissait  de  ses  amours  avec  une  beauté  célèbre  de  son  ttimps^ 
—  que  la  Su!amite  était  une  personnalité  historique  comme 
Judith  ou  la  Reine  de  Saba,  —  bref  qu'il  y  avait  là  un  poème  de 
cour,  —  et  d'éiçlise.       . 

Je  sais  maintenant,  içrâcc  à  votre  inc^t'-nieusc  et  précieuse  pla- 
quette, que  ces  poésies  charmantes  sont  tout  bonnement,  et  heu- 
reusement, des  chants  populaires  par  lesquels  un  berger  de  Judée 
chante  sa  bergère,  et  la  bergère  son  bf?rger;  que  le  roi  Salomon 
n'intervient  en  tout  cela  que  comme  motif  à  comparaison;  que 
toutes  les  suppositions  pédanlesques  et  métaphysiques  sur  le 
caractère  symbolique  de  ces  couplets  directement  sortis  du  cccur 
et  de  l'imagination  de  la  plèbe  sont  ridicules;  qu'il  n'y  a  pas  Ih 
dedans  de  la  religion  mystique  mais  de  l'amour  vivant  et  poéti- 
quement sensuel  :  qu'en  somme  ce  n'est  pas  le  Cantique  des  Can- 
tiques, mais  la  Chanson  des  Chansons,  ou  mieux  la  Bonne  Chan- 
son, —  l'Eternelle  Chanson,  et  encore  pas  telle  que  la  chantent 
les  lettrés  et  les  virtuoses  de  la  vcrsificatfon,  mais  un  barde 
rustique,  élevé  en  pleine  naturedisant  les  choses  comme  elles  lui 
viennent,  instinctivement,  tantôt  avec  douceur  et  soupirs,  tantôt 
avec  véhémence  et  grands  cris  de  [)assion. 

Merci  pour  m'avoir  ôté  des  yeux,  en  ce  qui  concerne  ce 
recueil  célèbre  et  si  simple,  le  voilé  bête  de  la  savantise  :  une 
fois  de  plus  me  voici  dans  la  joie  de  voir  la  caste  littéraire  aris- 
tocratique obligée  h  restitution  au  profil  des  lettres  populaires, 
ces  grandes  dépouillées  et  ces  grandes  productrices  des  plus 
savoureuses  et  des  plus  touchantes  inspirations. 

Et  dire  que  vous  êtes  de  profession  non  pas  écrivain,  mais  mé- 
decin !  Il  le  fallait  par  ces  temps  où  dans  l'art  d'écrire  fourmillent 
les  petits  crevés  qui  ne  se  trouvant  compris  que  de  leurs  congé- 
nères ont  inventé  que  les  belles  choses  ne  pouvaient  être  faites 
que  par  des  ratîlnés  et  ne  devaient  être  destinées  qu'aux  raffinés. 
Quelle  humiliation  leur  inflige  cette  gardeusc  de  chèvres  de 
Sulem,  et  celui  (pfelle  nomme  son  beau  chevreuil,  le  pâtre  des 
vignes  d'En-Guédi,  pour  qui  elle  murmure,  celte  paysanne  : 

—  Il  est  à  moi;  je  suis  sa  colombe  chérie; 

Je  suis  au  beau  berger  qui  va  par  la  prairie,  — 

Par  la  prairie  aux  lis,  par  la  verte  prairie  ; 
Et  lorsque  la  fraîcheur  du  soir 
Descendra  sur  les  bois  plus  sombres 
A  l'heure  où  s'allongent  les  ombres, 

0  nion  beau  chevreuil,  reviens  pour  me  voir. 

Votre  reconnaissant  et  très  dévoué, 


E.  P. 


Bruxelles,  43  mars  1886. 


ASSOCIATION  DES  ARTISTES  MUSICIENS  ^ 

Quatrième  concert. 

L" Association  des  artistes  est  retombée  dans  les  fioritures,  les 
vocalises,  les  trilles,  les  arpèges.  V Association  nous  a  accou- 
tumés, de  longue  date,  à  ces  alternatives  de  séances  sérieuses  et 
de  soirées  dont  la  virtuosité  seule  fait  les  frais.  Et  ceux  qui  gou- 
vernent ses  destinées  connaissent  à  fond  le  cœur  de  ceux  que 
réunit  chaque  audition  dans  la  salle  de  la  Grande-Harmonie,  lis 
savent  que  des  amateurs  de  vraie  musique  se  glissent  parmi  les 
auditeurs,  mais  combien  plus  nombreux  sont  ceux  que  le  prélude 
(.\e  Lohen g rin  cndoril 


La  chanteuse  à  roulades,  c'était  M"«  Mézeray,  charmante 
d'ailleurs,  et  toujours  séduisante,  même  lorsqu'elle  chante  des 
\ùrhlions  s[ir  \e  Carnaval  de  Venise  el  l'air  du  Domino  noir. 

Le  violoniste,  c'était  M.  Vivien,  professeur  estimé,  attaché  k 
deux  établissements  d'enseignement  musical  à  Mons  età  Namur. 

Le  pianiste  était,  cette  fois,  une  jeune  pianiste,  très  jeune  el 
très  pianiste.  Son  maître,  l'excellent  professeur  Auguste  Dupont, 
fonde  sur  elle  dos  espérances  d'avenir  sérieuses,  et  h  bon  droit, 
croyons-nous.  M"^  Uhlman,  qui  en  est  encore  à  la  période  des 
jupes  courtes  et  des  chevoux  dénoués,  se  présente  snr  l'estrade 
armée  d'un  mécanisme  sérieux,  d'une  connaissance  assez  cçrandé 
de  l'art  de  phraser,  et  de  dispositions  naturelles  qui  paraissent 
nombreuses  el  de  bonne  qualité.  Le  concerto  de  Mondelssohn  et 
ûivers  soli,  entre  autres  des  pièces  d'Auguste  Dupont  et  de  Scar- 
latti,  OiUt  valu  à  la  jeune  fdie  un  succès  flatteur. 

Quant  à  VOffrande  à  Diane  de  M.  Cahen,  qui  formait  l'un  des 
numéros  de  ce  programme  varié,  il  n'y  a  rien  à  en  dire.  C'est, 
banal  et  pauvrement  écrit. 

Une  séance  littéraire  et  musicale  a  interrompu,  dimanche  der- 
nier, la  série  des  assauts  dont  frémissent  les  murs  du  Cercle 
d'escrime.  M.  Monrosea  lu  à  un  auditoire  choisi  et  très  mondain 
la  jolie  comédie  de  Banville  :  Socratè  et  sa  femme,  dont  nous  ont 
privés  les  sociétaires  de  la  Comédie-Française.  Il  l'a  lue  avec 
talent  el  de  manière  à  eu  faire  comprendre  les  finesses.  M.'"*^  Van 
der  Meere,  qui  n'est  pas  de  Delft,  MM.  iïerrmann  et  Massage  ont 
ensuite  organisé  un  petit  concerl.  très  applaudi  dans  lequel  la 
cantatricf}  a  dérangé  le  plus  gentiment  du  monde  l'air  du  Barbier 
de  Séville  sur  l'accompagnement  duquel  elle  a  chanté  une  foule 
de  notes  joyeuses,  ce  qui  lui  a  valu  un  succès  considérable, 
accentué  par  l'air  de  la  «  véritable  »  Manola,  qu'il  ne  faut  pas 
confondre  avec  les  Manolas  de  pacotille  dont  l'Espagne  el  le 
monde  pullulent.  M"'«  Van  der  Meere  ayant  «  créé  »  la  Manola  à 
Paris,  il  ne  peut  s'élever  aucun  doute  sur  son  authenticité. 

Matinée  d'ailleurs  charmante,  dont  les  honneurs  étaient  faits 
avec  une  courtoisie  parfaite  par  le  président  du  Cercle,  aidé  de 
ses  commissaires. 


Fragment  d'un  Voyage  dans  rinde  et  à  Ceylan  (*),  par 

Jean  Robie,  Ile  partie.  —  Bruxelles,  Parent  et  C'%  18S5. 

«  Je  prie  le  lecteur  de  se  rappeler  que  je  ne  suis  qu'uji  simple 
touriste  de  la  secte  des  adorateurs  du  soleil,  —  un  Globe  trotter, 
ne  parlant  habituellement  que  de  ce  qu'il  voit,  dans  la  crainte  de 
grossir  le  nombre  des  vova^eurs  qui  se  sont  fourvovés  en  voulant 
traiter  dos  questions  qui  demandent  toute  une  existence  d'études.  » 

On  ne  pourrait  réclamer  avec  plus  de  modestie  l'indulgence  du 
public.  Et  comme  il  arrive  généralement  en  pareil  cas,  l'auteur 
n'a  nullement  besoin  de  cette  indulgence.  Il  fait  avec  une  bon- 
homie charmante  le  récit  d'un  voya^je  dans  l'Inde,  note  au  jour 
le  jour  les  incidents  qui  l'égaient,  l'émeuvent,  l'enlhousiasment. 
En  homme  habile  à  manier  la  brosse,  il  décrit  de  verve,  sous  des 
couleurs  chatoyantes,  la  vision  des  contrées  qu'il  parcourt,  et  le 
Temple  d'or  d'Amritsir,  et  leTadj,  le  chef-d'œuvre  de  l'art  indo- 
sarrasin, et  les  palais  de  Lahore,  de  Jeypore  et  d'Ambcr,  se  dres- 
sent, en  ses  descriptions  colorées,  dans  la  gloire  de  leurs  archi- 
tectures merveilleuses. 


C)  Voy.  VArt  moderne  iSSZ,  p.  208. 


Quand  parut  la  première  partie  de  celte  très  intéressante  rela- 
tion de  voyage,  en  1883,  nous  la  signalâmes  comme  l'œuvre  d'un 
artiste  sincère,  observateur  et  conteur  aimable.  On  lira  avec 
autant  de  plaisir  le  voyage  de  M.Jean  Robiede  Calcutta  à  Bombay 
qu'on  avait  eu  d'intérêt  à  le  suivre,  il  y  a  deux  ans,  dans  son 
escale  h  l'île  de  Ceylan,  dans  ses  promenades  et  ses  chasses  à 
dos  d'éléphant,  dans  ses  courses  qu'inspiraient  à  la  fois  l'amour 
de  l'art  et  la  passion  du  grand  air. 

Ajoutons,  pour  les  raffinés  de  bibliophilie,  que  ce  livre  eït 
rare;  qu'il  n'a  été  tiré  qu'à  un  nombre  très  restreint  d'exem- 
plaires ;  que  M''®  Parent  a  mis  tous  ses  soins  à  l'éditer  avec 
coquetterie  et  que  M.  Alexandre  l'a  orné  de  dix  belles  planches 
photographiques  tirées  d'après  des  esquisses  du  peintre-écrivain. 


PlBLIOQRAPHlÈ    MUSICALE 


^  Musikalische  StudienkOpfe,  von  I.a  Mara.  Leipsit 

Breitkopf  et  Hartel. 

MM.  Breitkopf  i't  Hartel  viennent  de  fiiire  paraître  une  nou- 
velle et  très  élégante  édition  du  cinquième  volume  des  études 
biographiques  que  consacre  M.  La  Mara  aux  musiciens.  L'ou- 
vrage est  orné  d'une  planche  contenant  les  portraits  des  vingt- 
deux  héroïnes  du  livre. 

Car  c'est  sur  les  femmes-artistes  que  l'auteur  fixe  cette  fois  son 
alténlion,  sur  les  femmes  qui  se  distinguent,  selon  soii  expres- 
sion, dans  le  Royaume  des  Tons. 

Clara  Schumànn,  Sophie  Menler,  Anna  Mehlig,  Marie  Krebs, 
Annetle  Essipoflf",  Wilma  Neruda,  Pauline  Viardot,  Adelina  Patti, 
Christine  Niisson,  Pauline  Luçca,  toules  les  virtuoses  du  piano, 
du  violon,  de  la  voix  passent  successivement  dans  le  champ  de 
la  lorgnette  que  braque  sur  elles  le  musicologue.  Défilé  char- 
mant, varié,  d'un  intérêt  soutenu,  et  dont  un  trio  de  wagnérisles 
ferme  la  marche  :  M'"^''  Brandi,  Vogl  et  Materna,  les  créatrices 
des  plus  grandes  figures  du  théâtre  lyrique  :  Kundry,  Iscult, 
Brùnehilde. 

L'histoire  de  l'art  musical  contemporain  revit  dans  ces  pages* 
attrayantes,  auxquelles  une  abondance  de  détails  et  d'anecdotes 
donne  une  valeur  documentaire  considérable. 

Le  volume  est  dédié  à  Liszt,  l'artiste  féministe  par  excellence, 
que  l'auteur  dénomme  :  l'idéal  des  virtuoses.  ' 

Jttg^endbriefe  von  Robert  Schumànn,  nach  den  originalen  mitge- 
theilt  von  Clara  Schumànn.  Leipsig,  Breitkopf  et  Hartel. 

Montrer  Schumànn  dans  l'intimité  de  sa  correspondance,  le 
suivre  pas  à  pas  dans  ses  rêves,  dans  ses  affections,  dans  ses 
laborieux  efforts  k  la  conquête  de  l'Art,  c'était  certes  faire  œuvre 
intéressante. 

C'est  la  tâche  que  s'est  imposée  M""*  Clara  Schumànn  en 
publiant  un  choix  des  lettres  de  jeunesse  du  maître.  La  mémoire 
de  l'artiste  exquis  grandit  encore  sous  le  jour  de  celte  correspon- 
dance pleine  d'élévation  et  de  cœur. 

De  ces  lettres,  qui  forment  un  joli  volume  de  315  pages, 
coquettement  édité,  les  unes  sont  adressées  à  la  mère  du  compo- 
siteur, d'autres  à  son  frère,  d'autres  à  des  amis  d'enfance,  les 
dernières  à  Clara  Wieck,  qui  bientôt  devait  devenir  sa  compagne. 
Elles  embrassent  une  période  de  treize  années,  de  1827  à  1840, 
époque  où  il  enlevait  sa  vingt-deuxième  œuvre  et  où,  tout  entier 


k  son  art,  il  écrivait  à  sa  fiancéç  :  «  Je. ne  souhaite  pas  vivre  en 
un  endroit  plus  délicieux  que  dans  le  voisinage  d'un  piano  et  de 
toi.  » 

Cet  album  fait  revivre  d'une  vie  intense  la  figure  sympathique 
et  souffrante  qui  éclaire  d'un  rayon  si  doux  un  coin  du  monde 
musical.  ^ 

Richard  Wagner- Jahrbuch.  1886.       ' 

M.  Joseph  Kurschner,  de  Stuttgart,  a  pris  l'initiative  d'un 
Amiuaii'e  de  Richard  Wag7iei\  auquel  collaboreront  tous  les 
écrivains-et  musiciens  wagneristes  de  l'Allemagne,  MM.  Ernest 
von  Wblzogen,  Wilhelm  Tappert,  Emerich  Kaslnor,  Hans  von 
Bulow,  Karl  Glasenapp,  Richard  Pohl,  etc.,  etc.  L'ouvrage,  qui 
sera  magnifiquement  imprimé  si  l'on  en  juge  par  le  prospectus, 
sera  mis  en  vente  chaque  année  le  22  mai,  date  anniversaire  de 
la  naissance  de  Wagner,  et  pour  la  première  fois  en  1886,  dix 
ans  après  l'inauguration  du  théâtre  de  Bayreuth.  Il  comprendra 
des  docjumenls  inédits  sur  le  maître,  une  partie  bibliographique 
et  historique,  des  articles  critiques,  la  statistique  des  œuvres  de 
Wagner,  des  premières  représentations  de  ses  ouvrages.  Bref, 
tout  un  ensemble  d'études  et  de  renseignements  du  plus  haut 
intérêt.  Le  prix  est  de  10  mks.  50  pf.,  ou  20  mks.  sur  hollande, 
tirage  à  150  exemplaires. 


pETITE    CHROJMiqUE 


C'est  aujourd'hui  dimanche,  k  5  heures,  que  sera  close  l'expo- 
lilion  des  XX. 


Finis  Zwanz.le!  —  La  zwanze  est  morte!  Hélas!  trois  fois, 
hélas!  Bien  morte.  A^oici  le  billet/de  faire  part  publié  par  ses 
moniteurs  officiels,  V Etoile  belge  et  la  Chronique  : 

«  L'organe  des  Vingtistes  n'a  pas  encore  pardonné  la  Zwans- 
Exhihilion  organisée  il  y  a  un  an  par  les  Essoriens. 

«  Eh  bien,demande-t-il,et  la  Zwanze?  Est-elle  malade? Est-elle 
«  morte?  Nous  comptions  sur  son  exposition.  Elle  se  fait  bien 
«  attendre.  Ce  n'est  pas  fini,  n'est-ce  pas?  »  — 

«  La  preuve  que  ce  n'est  pas  fini,  c'est  que  les  Vingtistes  s'en 
sont  chargés.  La  Zwans- Exhibition  existe.  Elle  est  ouverte.  Les 
Essoriens  n'entendent  pas  faire  double  emploi. 

«  L'année  dernière  la  parodie  était  déjà  difficile.  Cette  année-ci, 
elle  est  impossible.  On  ne  parodie  pas  le  grotesque.  » 

On  ne  peut  pas  plus  piteusement  confesser  sa  déconfiture.  Ils 
auraient  pourtant  bien  voulu  bouffonner  encore  :  à  preuve  qu'ils 
ont  redistribué  gratis  leur  catalogue  aux  cercles,  aux  amis  et 
connaissances,  avec  autant  de  prodigalité  qu'un  prospectus  de 
Pillules  suisses.  Finis  ZvvANZiiE  ! 


—  A  propos  du  Salon  des  XXj  un  mot  curieux  attribué  k 
Degas  : 

Il  n'y  a  que  les  œuvres  supérieures  pour  faire  rire  tant  d'im- 
béciles k  la  fois. 


—  Sur  Iç  même  sujet,  une  fleur  de  zwanze  : 

Un  prolecteur  d'Essorisme  devant  le  Pas- Volant  de  Schlo- 
bach  :  Qu'est-ce  que  c'est  que  ces  petites  filles  qu'on  tire  par  les 
bras?  — Madame  son  épouse  :  Ce  doit  être  une  scène  de  l'Inqui- 
sition. 


LART  MODERNE 


87 


Une  amusanle  remarque  devant  Pornocralès  de  Rops  : 
C'est  une  figure  symbolique?  —  Mais  non,  c'est  un   tableau 
religieU  :    madame  Saint-Antoine  qui  promène  le  cochon  tradi- 
tionnel pendant  la  sieste  de  Monsieur. 


Le  troisième  concert  populaire  aura  lieu  le  28  mars.  Il  sera 
donné  avec  le  concours  de  W^"  Von  Edelsberg  et  de  M.  Engel. 

Le  programme  comprendra  comme  œuvres  principales,  fa 
Symphonie  n^  3  de  J.  Brahms,  exécutée  l'an  dernier;  parmi  les 
œuvres  nouvelles  figurent  l'inlroduction  du  troisième  acte  de 
V Appollonide  de  Franz  Servais,  Une  scène  d'amour^  d'après  le 
poème  de  Baudelaire,  Le  jet  d'eaUj  du  même  auteur,  ainsi 
qu'une  Fantaisie-Ouverture,  de  Th.  Radoux,  du  Conservatoire 
de  Liège. 

MM.  Catulle  Mendès  et  Chabrier  ont  lu  lundi  aux  artistes 
ihvendoline,  l'œuvre  nouvelle  par  laquelle  M.  Verdhurt  compte 
terminer  la  saison.  C'est  un  opéra  en  trois  tableaux,  dont  les 
rôles  sont  confiés  à  M"«  Thuringer,  àMM,  Engel  et  Bérardi.  L'ou- 
vrage passera  dans  les  premiers  jours  d'avril. 


Samedi  20  mars,  à  8  heures  du  soir,  au  Palais  des  Beaux-Arts, 
concert  donné  par  M.  Arthur  Van  Dooren,  pianiste  (élève  de  De 
Zarembski),  avec  le  coticours  de  M"<^  Alphonsinc  Douilly,  canta- 
trice, et  de  M.  Georges  Mûller,  violoniste  (élève  de  Joachim). 

Au  prochain  concert  du  Conservatoire  de  Liège,  fixé  au  20  mars, 
on  entendra  pour  la  première  fois  en  Belgique  la  symphonie 
Scandinave  (en  ut  mineur)  de  Frédéric-H.  Cowen,  le  compositeur 
anglais  bien  connu.  M.  Cowen  viendra  à  Liège  pour  assister  à 
l'exécution  de  son  œuvre.  Sébastien  Bach  figurera  au  programme 
avec  sa  cantate  Gotte's  Zeit  et  Berlioz  sera  représenté}  par  le 
3^  acte  des  Troyens.  M.  Radoux  a  engagé  toute  une  compagnie 
d'artistes  de  talent  pour  s'acquitter  des  solis  :  M'"^*  de  Saint- 
Moulin,  Fick-Wéry,  M"«  Joachim,  M.M.  Verhees,  Davreux,  Roussa 
et  R(^my. 

Ce  concert,  exceptionnellement  intéressant,  sera  complété  par 
l'audition  d'un  violoncelliste  très  estimé  en  Allemagne,  M.  Schrœ- 
der,  professeur  au  Conservatoire  royal  de  Leipzig. 

Pour  le  troisième  concert,  qui  est  déjà  fixé  au  iO  avril,  le  pro- 
gramme porte  deux  actes  de  la  Walkyrie. 

Le  25  maj,  jour  de  l'Annonciation,  on  exécutera  à  l'église 
Saint-Euslache,  à  Paris,  en  présence  de  l'auteur,  la  Messe  de 
Gran  de  Franz  Liszt. 

Outre  l'orchestre  de  M.  Colonne,  l'exécution  aura  lieu  par  les 
maîtris<>s  de  Saint-Euslacho,  de  Saint-Sulpice,  de  Notre-Dame,  de 
Sainl-Germain-des-Prés  et  de  Saint-Lambert  de  Vaugirard^çe  qui 
représente  un  ensemble  de  cent  cinquante  enfants,  sans  compter 
les  chœurs  des  concerts  du  Châtelet., 

Cette  audition  aura  lieu  au  bénéfice  de  la  Caisse  des  écoles. 


On  lit  dans  une  correspondance  d'Anvers  :     - 

Notre  concitoyen  M.  Maurice  Gevers,  dont  le  talent  de  compo- 
siteur s'est  déjà  révélé  dans  plusieurs  produciions  très  estimables, 
a  lu  dernièremenl,  dans  une  réunion  chez  M.  Menzel,  président 
de  la  Société  de  Musique,  la  réiluciion  au  piano  d'une  ballade 
barcarolle  pour  solo,  chœurs  et  orchestre  qu'il  a  composée  sur  des 
paroles  de  M.  Julius  Vuylsteke  :  Wat  murmelen  de  baren?  Wat 
fluistertde  wind?  Bemint!  Bemint! 


M.  Gevers  s'est  assimilé  son  sujet  par  un  contre  point  élégant 
et  facile;  c'est  une  œuvre  sérieuse,  remplie  de  qualités,  dont  la 
Société  de  Musique  aura  la  primeur. 

Le  monument  de  Berlioz  au  cimetière  Montmartre  vient  d'être 
achevé.  Il  se  compose  d'une  haute  dalle  de  marbre,  dressée  au 
chevet  de  la  pierre  tombale,  et  sur  laquelle  sont  inscrits  les  noms 
des  principales  œuvres  du  musicien. 

Au  dessus  de  l'inscription  rayonne  un  demi-soleil  d'or,  du 
milieu  duquel  émerge  en  lettres  noires  le  nom  de  Berlioz.  Le 
médaillon,  qui  représente  le  maître,  est  encore  voilé.  Le  jour  de 
l'inauguration  n'est  pas  fixé. 

Il  est  fâcheux  que  M.  Scudo  ne  puisse  assister  à  la  cérémonie. 

M.  Strauss  vient  de  proposer  au  Conseil  municipal  de  donner 
le  nom  du  peintre  Manet  à  la  rue  Nouvelle. 

Un  moyen  infaillible  de  conjurer  la  crise  théâtrale  et  de  com- 
bler les  salles  de  spectacles.  Il  suffirait  d'assigner  à  chaque  caté- 
gories de  spectateurs  des  places  en  harmonie  avec  sa  position 
sociale.  Ainsi,  l'on  placerait  : 

Les  magistrats,  au  parquet. 

Les  académiciens,  aux  fauteuils. 

Les  canotiers,  sur  la  scène. 

Les  jardiniers,  au  parterre. 

Les  perruquiers,  dans  les  frises. 

Les  cardeurs,  aux  secondes. 

Les  concierges,  dans  les  loges. 

Les  maîtres  nageurs,  dans  les  baignoires. 

Les  orateurs,  au  balcon. 

Les  femmes  potelées,  aux  avant-scènes. 
*    Les  dévotes,  au  paradis. 

Les  cocottes,  au  poulailler. 

Les  médecins,  à  l'amphithéâtre. 

Et  les  agents  de  change,  dans  bp6.coulisses. 

Ça  n'est  pas  plus  malin  que  ça. 


•VEIDTTE     DE 


Beaux  Tableaux 

ANCIENS  ET  MODERNES 


Lundi  22  mars  1886,  à  2  heures  de  relevée,  à  l'Hôtel  des  Ventefs, 
Boulevard  Anspach,  71,  par  le  ministère  de  M.  Ed.  Charles,  huis- 
sier, à  Bruxelles.  —  Envoi  du  catalogue  sur  demande. 

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88 


VAUT  MODERNE 


i 


■       SIXIÈME  ANNÉE 

L'ART  MODERNE  sVst  acquis  par  l'autorité  et  l'indopondanco  do  sa  critiquo,  par  la  variété  de  ses 
informations   et    los  soins   donnés   à  sa    rédaction   une   placé  prépondérante.    Aucune   manifestation  de  l'Art  ne 

lui  est  étrangôpo  :  il  s'occupe  de  littérature,  do  peinture,  de  sculpture,  de  gravure,  de  musique, 
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lecteurs  sur  tous  les  événements  artistiques  de  l'étranger  qu'il  importe  de  connaître. 

Chaque  numéro  de  L'ART  MODERNE  s'ouvre  par  une  étude  approfondie  sur  une  question  artistique 
ou  littéraire  dont  révénement  de  la  semaine  fournit  l'actualité.  Les  expositions,  les  livres  nouveaux^  les 
premières  représentations  d'œuvres  dramatiques  ou  mi^sicales,  les  conférences  littéraires,  les  concerts,  les 
ventes  cl' objets  d'art,  font  tous  les  diinanclies  l'objet  de  chroniques  détaillées. 

L'ART  MODERNE  relate  aussi  la  législation  et  la  jurisprudence  artistiques.  Il  rend  compte  des 
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Dimanche  21  Mars  1886. 


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L'exposition  d  œuvres  de  Théodore  Baron  que  nous 
avions  anponcée  dans  notre  n»  du  7  mars,  est  ouverte 
et  attire  de  nombreux  visiteurs.  Nul  ne  s'en  éton- 
nera, étant  connues  les  sympathies  qui  ont  toujoui*^ 
entouré  cet  artiste  sincère  et  modeste,  un  des  protago  • 
nistes  de  la  réforme  artistique  de  l'école  du  paysage 
dans  notre  pays,  dont  les  premiers  eiïbrts  et  les  pre- 
miers succès  furent  contemporains  de  ceux  de  Boulen- 
ger,  d'Artan,  de  Chabry,  de  Dubois,  de  Heymans, 
d'Asselbergs.  "* 

L'ensemble  des  toiles  exposées  est  important  et  inté- . 
ressaut,  plus  peut-être  comme  document  historique  que 
comme  expression  de  l'art  présent.  C'est,  en  effet, 
•chose  extraordinaire  que  la  rapidité  des  transforma- 
tions contemporaines  dans  tous  les  domaines  de  la 
pensée.  Avec  son  caractère  sévère,  souvent  terne,  un 
peu  sec,  sans  atmosphère  sensible,  les  œuvres  de  Baron 
revêtent  déjà  un  aspect  ancien,  et  le  charme  qu'ont 
plusieurs  d'entre  elles  réside  en  partie  dans  le  senti- 
ment qu'elles  donnent  d'une  peinture  qui  s'éloigne,  qui 
va  bientôt  s'endormir  dans  Ja  douceur  et  la  majesté  du 


passé. Ce  sont  particulièrement  les  paysages  des  premiers 
temps  de  sa  carrière,  solides,  d'un  très  beau  style, 
•  sobres  et  sombres,  qui  ont  cette  impression  séductrice 
et  mélancolique.  Il  en  est  quelques-uns  qui  réalisent 
puissamment  les  .données  qui  constituaient  il  y  a  une 
vingtaine  d'années  ce  qu'il  y  avait  de  plus  hardi  et  de 
plus  révolutionnaire  dans  la  réforme  que  poursuivaient 
alors  les  jeunes  peintres  de  VArt  libre,  avec  une  vail- 
lance et  une  discipline  qui  en  ont  amené  le  triomphe. 

Depuis  sont  venues  les  nouvelles  couches,  celles  des 
amants  de  la  lumière  et  du  plein  àir  absolu,  avec  la 
fraîcheur,  l'éclat,  la  transparence,  et  aussi  le  caractère 
tremblant  des  contours,  leur  insaisissabilité,  le  chatoie- 
ment des  couleurs,  leur  variat)ilité  caressante,  la  vibra- 
tion douce  de  toutes  choses,  Ylmpressionisme  en  un 
mot,  cette  école  du  vague  qui  voit  la  nature  ambiante 
avec  les  yeux  affaiblis  des  travailleurs  de  notre  temps, 
et  donne  au  spectateur  sincère  l'aspect  de  ce  qui  l'en- 
toure sous  le  brouillard  léger  et  mollement  étendu 
comme  un  glacis  dans  lequel  baignent  en  un  rêve,  les 
merveilleuses  scènes  du  monde  extérieur  pour  ceux  que 
ne  hante  plus  la  manie  de  tout  rendre  net.  Curieux 
phénomène  d'optique  causé  par  la  transformation  de 
nos  prunelles  sous  le  coup  de  l'emploi  immodéré  du  gaz 
pour  le  travail,  la  lecture  ou  les  plaisirs,  durant  ces 
longues  soirées  modernes  qui  nous  ont  transformés  la 
plupart  en  noctambules. 

Dans  une  plaquette  tirée  à  très  petit  nombre  et 
devenue  introuvable  en  librairie,  un  de  nos  écrivains, 
il  y  a  deux  ans,  esquissa.it  cette  évolution  en  mettant 


I 


dans  la  bouche  d'un  médecin  de  fantaisie,  cette  bou- 
tade : 

"  Là  vue  des  contemporains  se  gâte,  les  rétines  s  afifài- 
blissent,  les  cornées  s'aplatissent  ou  se  bombent  bête- 
ment, scandaleusement.  Partout  de  mauvais  yeux.  Tout 
ce  qu'on  regarde  apparaît  fluide,  vague,  mal  défini.  Les 
contours  disparaissent  et  s'embrpuillardent.  Les  teintes 
font  l'effet  de  taches.  Les  lunettes,  les  binocles,  les  mono- 
cles corrigent  à  peine  cette  infirmité  et,  du  reste,  on  ne 
les  a  pas  toujours  sur  le  nez,  c'est  trop  gênant.  Consé- 
quence :  la  peinture  va  changer.  Elle  deviendra  la 
peinture  des  mal-vojants.  On  bâclera  sur  les  toiles  des 
impressions  incertaines  comme  des  rêves  de  conva- 
lescents. Ce  sera  l'école  du  myopisme.  Elle  n'est  pas 
nouvelle.  Rembrandt, .  dans  les  dernières  années  de  sa 
vie,  était  myope,  ses  grands  effets  de  clair- obscur  sont 
des  eff'ets  de  clignotement.  De  notre  temps,  Corot  aussi 
était  myope^  chacun  le  sait.  Et  alors  qu'un  médecin  dit 
sobrement  :  «  Il  a  les  yeux  malades  »> ,  les  critiques 
diront  d'un  ton  pénétré  (stupendum  I]  :  «  Corot  ne  voit 
pas  une  ligne  dans  la  nature  :  tout  est  pour  ses  yeux 
souffle,  atmosphère  ;  il  ne  dessine  pas  un  arbre,  il  fait 
d'abord  l'air,  le  ciel,  la  lumière,  puis  il  songe  au  reste. 
Le  reste  se  compose  de  teintes  produites  par  les  ren- 
contres de  la  lumière,  ses  hasards,  ses  mirages.  Il  est 
grand,  surtout  pour  avoir  su  peindre  le  fugitif  et  l'on- 
doyant de  la  nature.  Il  a  donné  un  corps  à  l'insaisis- 
sable, il  a  su  arrêter  l'ombre,  le  frisson  des  choses.  Il  a 
rendu  perceptible  l'agitation  légère  qui  précède  l'au- 
rore dans  le  ciel,  le  pli  léger  du  nuage  au  moment  où  le 
jour  levant  bouscule  Tombre  devant  lui,  il  a  compris 
que,  pour  l'œil,  l'essence  d'une  chose  est  dans  la  tache, 
que  chaque  objet  dans  le  champ  visuel  n'est  qu'une 
tache  modifiée  par  d'autres  taches  et  qu'ainsi  le  prin- 
cipal personnage  d'un  tableau  est  l'air,  dans  lequel  les 
figures  sont  plongées  comme  les  poissons  dans  la 
mer,  etc.,  etc.,  etc.  ;»,  à  perte  d'haleine. 

«  Oh!  les  crétins!  Non,  non,  non,  trente  mille  fois 
non  !  C'est  un  malheureux  qui  voit  mal,  comme  à  travers 
une  gaze,  parce  qu'il  a  l'œil  déprimé,  affaibli,  déformé. 
Et  voilà  tout.  Appliquez-lui  des  compresses  et  non  des 
éloges.  Quant  à  moi,  si  je  devais  le  soigner,  j'exciterais 
sa  maladie,  je  l'exaspérerais,  puisqu'elle  produit  des 
tableaux  qui  m'émerveillent.  Je  le  traiterais  comme  le 
fabricant  de  foie  gras  traite  les  oies  dont  les  produits 
sont  d'autant  meilleurs  qu'elles  sont  plus  malades. 
Quand  il  n'est  pas  atteint  d'un  mal  presque  incurable, 
un  artiste  n'est  jamais  qu'un  médiocre.  " 

Théodore  Baron  a  commencé  à  peindre  quand  ses 
yeux  étaient  encore  bons  et  perçants.  Virilement  il  a 
exprimé  alors  nos  grands  paysages  campinois  et  mo- 
sains  dans  la  netteté  de  leur  profonds  horizons  et  de 
leurs  superbes  Jignes,  dans  la  puissance  de  leur  coloris 
procédant  par  grandes  plaques  de  teiîilès   intenses, 


avec  l'enveloppement  sombre  de  "nos  ciels  nuageux, 
vus  à  travers  la  transparence  miraculeuse  de  l'atmo- 
sphère humide.  Actuellement  la  tentation  lui  est  venue 
d'attraper  la  fraîcheur  et  la  fluidité  des  peintres  à  pru- 
nelle clignotante,  ces  poètes  inconscients  de  la  nature 
vue  partout  incertaine  et  brumeuse.  Il  n'y  a  guère  réussi. 
Ce  qui  le  gêne  dans  cet  essai,  c'est  le  souvenir  indélé^ 
bile  et  l'habitude  de  sa  ferme  et  nette  peinture  d'autre- 
fois. La  fraîcheur  de  ses  tons  est  crue,  elle  manque  de 
finesse.  La  légèreté  qu'il  essaie  de  donner  à  ses  terrains, 
à  ses  rochers,  les  rend  creux,  les  réduit  à  l'état  de 
simples  écorces.  C'est  qu'on  ne  se  change  pas.  On  ne 
dépouille  pas  ses  instincts  et  son  tempérament.  Né  pour 
une  des  périodes  de  l'art,  on  ne  passe  pas  à  une  autre, 
comme  un  passager  qui  saute  de  son  vaisseau  qui  som- 
bre sur  un  vaisseau  qui  passe.  L'excellent  artiste  a 
brillamment  accompli  sa  tâche  dans  la  transformation 
de  notre  peinture  nationale.  On  lui  doit  une  part  de 
l'affranchissement  initial,  dont  il  fut  un  des  plus  mili- 
tants artisans.  Son  art  forme,  par  quelques  œuvres 
d'élite,  une  des  brillantes  étapes  de  cette  marche  en 
avant.  Mais  qu'il  ne  pense  pas  à  faire  peau  neuve.  Il  a 
encore  en  lui  des  ressources  fécondes  pour  plaire  et 
réussir  en  restant  ce  qu'il  est.  Le  tableau  du  Cercle 
qui  représente,  en  un  superbe  paysage  doré,  une 
bruyère  couverte  de  graminées  mûries  par  le  soleil,  au 
dessus  desquelles  frissonnent  des  bouleaux,  en  témoigne 
éloquemment. 


Î\UE    DE    LA    F^ÉQENCE 

«  L'Exposition  des  XX,  je  voiis  prie? 
-*•  Elle  est  fermée,  Monsieur. 

—  Fermée? 

—  Oui,  depuis  huit  jours.        ' 

—  Fermée!  Et  j'arrive  tout  exprès  de  Furnes-Ambacht  pour  la 
voir.  J'ai  lu  qu'on  y  voyait  des  choses  très  comiques. 

—  Très  comiques,  en  effet. 

—  Des  paysages  bleus,  des  intérieurs  rouges,  des  chevaux 
sans  pattes,  des  portraits  sans  yeux.-... 

—  El  des  yeux  sans  portrait.  Voyez  Redon,  par  exemple. 

—  Redon? 
r-Oui. 

—  Un  impressionniste? 

—  Nullement. 

— >lors,  pourquoi  a-t-il  exposé  aux  XX? 

—  Parce  qu'on  l'a  Invité. 

—  On  invite  donc  d'autres  peintres  que  des  impressionnistes? 

—  Mais  il  paraît.  On  n'a  jamais  dit  qu'Hermans  fût  un  impres- 
sionniste, ni  Speekaert,  ni  Danse,  ni  Besnard.... 

—  Besnard,  rauteui"  du  portrait  de  femme  qui  a  eu,  l'an  der- 
nier, tant  de  succès  au  Salon  de  Paris?  J'y  suis  allé  avec  mon 
épouse,  et  nous  l'avons  remarqué. 

—  Précisément.  Et  c'est  ce  même  portrait  qu'il  a  exposé 
aux  XX.  ,        - 


V 


1     I 


.   I 


—  Vous  melouncz.  Mais  .sans  doulc  qu'il  part  ces  qualrtj 
noms....  . 

—  Pardon.  Je  vais  continuer.  Vous  connaissez  Roty,  le  gra- 
veur? 

—  Sans  doute.  Un  artiste  de  premier  ordre. 

—  Il  a  exposé  aux  XX  pour  la  seconde  fois.  Et  Guérard,  et 
Gaillard,  et  le  sculpteur  Carriès,  et  M"«  Montalba,  et  Monticelli.... 

—  Comment?  Eux  aussi?  Vous  voulez  rire.    ■ 

—  Et  Whislier.... 

—  Whislier?  rAmcricain?  Il  consent  à  exposer  avec  ces  fous? 

—  On  assure  qu'il  ne  souhaite  rien  lant  que  de  faire  partie  de 
leur  cercle. 

—  Mais  cela  bouleverse  mes  k\6es.  Les  journaux  prétendent 
qu'il  n'y  a  aux  XX  que  des  charlalans  frappant  tous  sur  la  même 
grosse  caisse. 

—  «  Charlatans  »  est  dur. 

-r-  C'est  ce  que  je  me  suis  dit,  mais  enfin,  le  mot  est  imprimé. 
Il  n'y  a  sans  doute,  dans  ces  XX^  que  des  rien  du  tout,  des 
zwanzeurs,  des  gens  incapables  de  produire  une  œuvre? 

—  Incapables  est  le  terme.  Le  nommé  Rops  n'a  jamais  rien 
fait  qui  vaille.  Quant  à  Verheyden,  il  est  incompréhensible  que 
l'Etat  lui  ait  acheté  un  tableau  !  Van  Strydonck  a  eu  le  prix  Gode- 
charle.  C'est  une  croûte.  Vogels  n'achève  pas  ses  tableaux. 
Khnopff  les  termine  trop.  C'est  impatientant.  Van  Rysselberghe 
est  lin  peintre  de  sujets  marocains:  Pourquoi  se  méle-l-il  de  vou- 
loir faire  autre  chose?  Son  Conteur  arabe  pari  pour  Berlin,  à  la 
demande  du  directeur  des  Beaux-Arts.  Quelle  triste  idée  les  Alle- 
mands vont  avoir  de  nos  artistes!  El  Paul  Dubois!  Encore  un 
qu'on  a  jugé  incapable.  On  lui  a  campé  le  prix  Godecharle  pour 
le  flétrir  dans  l'opinion  publique! 

— -  Mais  on  m'a  dit  qu'il  avait  été  très  disputé,  ce  prix? 

—  Qu'importe?  On  l'a  décerné  au  plus  détestable  concurrent. 
Et  Chainaye,  et  Ensor,  et  Finch,  et  Toorop.... 

—  Oh!  Toorop!  "    ^ 

—  Encore  un  incapable  !  Le  roi  de  Hollande  l'a  déshonoré 
d'une  boursç.  Sans  doute  l'usage  est-il,  en  ce  pays,  de  conférer 
des  encouragements  aux  plus  mauvais  peintres  du  royaume. 

—  Vous  persiflez,  et  moi  qui  vous  écoutais  sérieusement!  Il 
n'est  pas  possible  qu'une  exposition  qualifiée  de  grotesque  par 
les  journaux  ait  réuni  de  pareils  éléments. 

—  C'est  cependant  ainsi.  El  si  vous  ajoutez  à  la  liste  Dario  de 
Regoyos  le  guitariste,  Wylsman,  Willy  Schlobach,  Guillaume 
Charlier,  M"e  Boch,  Frantz  Charlet... 

—  Pardon.  11  doit  v  avoir  confusion.  Vous  me  citez  des 
artistes  n'ayant  aucun  lien  entre  eux.  Il  n'est  pas  possible  que 
tous  ces  gens-là  aient  fondé  une  école. 

—  Quelle  école?  -  ^ 

—  Mais  le  Vingtisme,  parbleu  ! 

—  Où  avez-vous  pris  ce  mot-là? 

—  Dans  les  journaux.  Pour  être  vingtiste,  il  faut  n'avoir 
aucune  notion  du  dessin,  ni  de  la  couleur,  ni  des  valeurs,  ni  des 
plans.  Or,  parmi  les  artistes  que  vous  citez 

—  Ajoutez  qu'il  faut  avoir  tué  son  père,  sa  mère,  ses  frères  et 
sœurs  de  sa  propre  main,  se  nourrir  de  viande  crue  et  porter  un 
anneau  d'or  dans  le  nez.  ; 

—  Vous  raillez. 

—  Ne  l'avez-vous  pas  lu  dans  les  journaux? 

—  Non. 

—  Cela  m'étonne.  Si  on  ne  l'a  pas  encore  dit,  on  le  dira. 


—  Mais  enfin,  les  gens  sensés  se  gardent  bien  d'aller  voir  ces 
horreurs?  .  ,  ^ 

—  Ils  s'en  gardent,  mais  il  y  en  a  tant  d'autres  qui  y  vont! 

—  J'entends,  la  première  année,  par  curiosité.  Et  puis,  on 
a  été  fixé,  je  pense.  On  lésa  laissés  seuls  avec  leur  impuissance. 

—r-  Je  regrette  de  devoir  vous  contredire.  On  m'a  précisément 
communiqué  des  chiff'res...  Tenez,  la  première  année  la  recette 
a  été  de  fr.  2,466-50,  la  deuxième  de  3,052  francs,  la  troisième 
de  fr.  4,611-50.   Cela  progresse  assez  bien,  comme  vous  voyez. 

—  Mais  V Etoile  belge  a  parlé  d'un  maigre  boni  de  900  francs. 

—  Il  paraît  que  V Etoile  belge  ncsi  pas  toujours  bien  ren- 
seignée. 

—  Alors,  celle  histoire  qu'elle  a  raconté,  ces  querelles,  ces 
horions,  celle  bagarre  dans  un  banquet  des  XX... 

—  Vous  n'avez  donc  pas  lu  le  numéro  suivant? 

—  Qu'est-ce  qu'il  y  avait  dans  ce  numéro  î  . 

—  Rien,  sinon  que  ce  que  la  commère  avait  raconté  la  veille 
était  faux.  -  : 

—  Vraiment?  A  Furnes  nous  croyons  que  tout  ce  qui  est 
imprimé  est  vrai.  - 

—  Je  vous  plains  sincèrement.  On  a  imprimé,  rien  qu'au  sujet 
des  XX  dont  nous  parlons,-assoz  de  sottises  pour  alimenter,  pen- 
dant plusieurs  années,  les  «  Musées  comiques  »  que  publient 
certains  journaux. 

—  Vous  ne  me  direz  pas  cependant  qu'on  trouve,  tout-à-coup, 
vingt  maîtres  poussés  d'un  jet,  au  même  endroit,  ni  même  quinze, 
ni  dix? 

—  D'accord.  Mais  si  de  ces  dix,  de  ces  quinze  ou  de  ces  vingt 
sortent  cinq  artistes  que  la  prudente  organisation  des  Salons  offi- 
ciels, avec  sa  garde-bourgeoise  de  jurés  qui  en  surveillent  l'enlrée 
aussi  soigneusement  que  les  bons  propriétaires  ferment  leurs 
volets  quand  passe  l'émeuie,  eût  laissés  toute  leur  vie  piétiner  à 
la  porte,  dans  la  boue,  que  direz-vous?  Et  supposez  qu'il  n'y  en 
eût  que  trois  destinés  à  arriver.  Admettez  qu'il  n'y  en  eût  même 
qu'un.  Le  mouvement  serait-il  inutile?  Si  le  pauvre  Boulenger, 
qu'on  a  laissé  mourir  de  misère,  eût  fait  parlie  d'un  groupe 
comme  celui  des  XX^  pensez-vous  qu'il  n'eût  pas  forcé  la  porie 
qu'impitoyablement  on  lui  jetait  sur  le  nez?  Et  J^ouis  Dubois!  Son 
histoire  est  si  triste  que  je  ne  veux  pas  m'en  souvenir.  El  tant 
d'autres,  morts  à  la  peine,  repoussés  des  Salons  triennaux, 
ignorés  du  public,  écartés  par  les  critiques  qui  ne  jugeaient 
même  pas  à  propos  de  leur  faire  l'aumône  d'un  éreintement  ! 

Dites-le  à  vos  amis  de  Furnes.  S'il  se  trouve  parmi  eux  des 
gens  de  cœur,  ils  ne  se  laisseront  pas  mener  par  quelques  pitres 
forcés  par  état  d'amuser  la  galerie  et  par  de  crainlits  vieillards 
que  tout  changement  inquiète  et  dérange.  Ils  comprendront  que 
les  aspirations  indépendantes  qui  font  battre  le  cœur  des  artistes 
comme  elles  soulèvent,  à  certains  jours,  les  foules,  doivent  être 
epcouragéeseï  non  étouffées.  Ils  reconnaîtront  d'ailleurs  que  ces 
mouvements  là  on  ne  les  arrête  pas.  Tant  pis  pour  les  essoufflés. 
La  roule  de  l'art  est  semée  de  traînards  harassés.  Ce  sont  eux 
qui  geignent,  et  se  lamentent,  et  insultent  de  loin  la  colonne  en 
marche. 

A  quoi  bon  prêter  l'oreille  à  leurs  pileuses  criaillerics?  Elles 
s'éteignent  d'elles-mêmes  dans  l'éloignement.  Mais  je  m'attarde 
et  j'ai  aff'a ire.  Venez  un  peu  plus  tôt  à  Bruxelles  l'an  prochain.  En 
février.  Je  vous  donne  rendez-vous  au  prochain  Salon  des  A'A'.  » 


92 


UART  MODERNE 


<    ^i^cE^Tz  AU  j;!!on3ef(vatoiri: 

M.  Gevaert  adore  Gluck.  Chacun  le  sait.  Il  pratique  même  î» 
régand  du  vieux  maître  un  tel  culte  que  pour  en  savourer  plus 
longtemps  la  splendeur,  il  ralentit  le  plus  qu'il  est  possible  le 
mouvement  des  œuvres  qu'il  fait  ex(5cutor  sous  sa  direction. 

Alccslc,  dimanche  dernier,  a  été  plus  que  solennelle.  Elle  a 
été  pompeuse.  Elle  s'est  drapée  dans  des  plis  de  péplums  avec 
une  majesté  telle  que  les  cris  de  passion,  d'humanité,  de  vie,  qui 
retentissent  dans  la  |)artilion  ont  été  presque  élouflos  par  les 
étoffes. 

Mais  il  n'importe.  Celait  une  bonne  fortune  que  d'entendre 
dans  son  intégrité  l'œuvre  superbe  qui  a  ouvert  la  roule  au 
drame  lYri((ue,  si  radieusemcnl  épanoui  depuis  lors. 

Car  il  ne  faut  pas  l'oublier  :  les  cinq  cents  personnes  qui 
applaudissent  consciencieusement  Alcesle  parce  qu'il  serait  de 
très  mauvais  ton  de  bâiller  ou  de  critiquer  pareille  musique, 
sont  les  mêmes  qui  déclarent  les  Maîtres-Chanteurs  assommants 
et  la  Walkyrie  épouvanlable. 

.  Récriez-vous.  Quoi  de  commun  entre  Wagner  et  Gluck!  Ceci, 
d'abord  :  c'est  que  les  mêmes  insultes  dont  l'un  est  abreuvé, 
l'autre  les  a  essuyées,  ce  qui,  entre  parenthèses,  ne  lui  a  pas  fait 
de  mal.  Grimm  écrivait  de  Gluck  :  «  Son  chant  paraît  triste  et 
monotone,  barbare  ou  commun  »,  et  Grimm,  c'était  la  quintes- 
cencc  de  la  critique  du  temps,  quelque  chose  comme  les  jour- 
nalistes du  bel-air  qui  dictent  aujourd'hui  leurs  arrêts,  avec 
moins  d'esprit  mais  avec  tout  autant  de  suffisance.  Et  Bachau- 
mont,  dans  ses  Mémoires  qui  étaient  les  Chroniques  de  la  ville 
de  ce  temps  éloigné,  disait  :  «  Sa  Majesté  a  fait  de  son  mieux 
pour  soutenir  le  chef-d'œuvre  prétendu  du  chevalier  Gluck;  mais 
tous  les  efforts  des  parfisans  de  cet  Allemand  n'ont  pas  pu  garan- 
tir le  mauvais  efïci  dû  troisième  acte,  qui  n'a  obtenu  aucun 
applaudissement...  Les  ballets  mêmes  sont  misérables.  Point 
d'air  de  violon,  rien  de  gai,  etc.  » 

Cet  Allemand  est  écoule,  admiré,  louange,  applaudi  par  les 
sous-Grimm  et  les  Bachaumont  de  rencontre  qui  pullulent  de  nos 
jours.  Ils  ont  braqué  ailleurs  leurs  inoffensives  arbalètes.  Et  dans 
un  siècle  les  journaux  ramasseront  avec  curiosité  leurs  petites 
flèches  pour  les  empapilloller  dans  le  papier  de  leurs  comptes- 
rendus. 

L'histoire  est  vieille,  et  c'est  banalité  que  de  la  répéter. 

Mais  il  y  a  d'autres  points  communs  entre  Wagner  et  Gluck. 
Le  même  souffle  les  anime.  La  même  conception  du  drame  a 
germé  dans  leur  puissant  cerveau.  Ils  ont  même  instinct  du  déve- 
loppement psychique  des  sentiments,  même  recherche  dans  le 
détail  d'une  expression  orchestrale  exactement  adoptée  à  la 
situation  du  récit.  _ 

Ne  poussons  pas  plus  loin  ces  remarques.  Elles  n'avaient  pour 
but  que  de  nous  amuser  de  la  pieuse  et  recueillie  attention  que 
consacre  au  Conservatoire  un  auditoire  qui,  à  la  Monnaie,  trouve 
bon  de  protester  contre  un  art  analogue.  El  toujours  nous  diver- 
tit la  sottise  des  hommes,  surtout  quand  elle  est  gonflée  de  pré- 
tention et  accompagnée  d'ignorance. 

yi""^  Montalba  a  remporté  dans  le  rôle  d'Alceste  (ir^succès 
sérieux,  do  nature  à  apporter  quelque  adoucissement  aux  égra- 
tignurcs  dont  on  Ta  griffée  au  cours  de  l'hiver.  Elle  l'a  oîianté  avec 
un  réel  sentiment  dramatique,  avec  beaucoup  de  chaleur,  et  un 


style  parfait.  M.  Engel  a  créé  un  Admète  à  la  voi;c  harmonieuse. 
Peut-être  a-t-il  mis  dans  l'expression  quelque  exagération,  mais 
il  serait  injuste  de  le  chicaner  sur  ce  point  en  présence  de  la 
beauté  de  son  interprétation,  prise  dans  l'ensemble  du  rôle. 
Personnages  secondaires  convenables,  orchestre  excellent. 


ODILON  IIEDON 

L'artiste  étranger  qui  a  été  le  plus  contesté  à  l'exposition  des 
XX,  c'est  Odilon  Redon,  l'auteur  de  ces  dessins  et  de  ces  litho- 
graphies archi-étranges  qui  apparaissent  comme  des  énigmes, 
des  cauchemars,  des  visions  maladives,  des  hallucinations. 

Les  uns,  violemment  remués  par  ce  surextrait  de  nouveauté, 
sont  allés  aux  extrêmes  de  l'admiration  dithyrambique  la  plus 
exaltée.  Tel  Jules.  Destrée  dans  un  article  très  remarquable. 
D'après  lui,  Goya  est  dépassé.  Nous  sommes  en  présence  du 
génie  de  l'Invisible,  chargé  de  le  révéler  h  nos  courtes  vues. 

Les  autres,  tantôt  avec  colère,  tantôt  avec  mépris,  invectivant 
ou  haussant  les  épaules,  ont  parlé  de  folie  grotesque,  de  fantas- 
magorie macabre.  Odilon  Redon  surtout  était  visé  quand  quel- 
ques exaltés  demandaient  qu'on  envoyât  en  masse  les  XX  et 
leurs  invités  à  Uccle. 

La  vérité  nous  semble  être  que  l'on  se  trouve  en  présence 
d'une  personnalité  très  digne  d'attention  et  d'observation.  Le 
genre  est  nouveau  et  fait  pour  dérouter  ceux  qui,  poussant  le 
naturalisme  à  l'excès,  prétendent  exclure  du  domaine  de  l'Art  ce 
qui  ne  correspond  h  aucune  réalité  tangible.  Mais  si  l'Art  doit 
même  exprimer  la  vie  humaine  entière,  dans  ses  rêves  et  ses 
conceptions  chimériques,  folles  ou  maladives,  aussi  bien  que 
daris  ses  réalités,  comment  pourrait-on  avec  raison  critiquer  ceux 
qui  se  confinent  dans  l'expression  de  ces  derniers  faits? 

C'est  à  quoi  Odilon  Redon  se  consacre  avec  une  persistance, 
un  exclusivisme  et  une  ingéniosité  singuliers.  Il  n'est  pas  dou- 
teux que  ses  œuvres,  interprétées  par  les  brèves  légendes  dont  il 
les  accompagne,  troublent  violemment  le  spectateur  qui  se  laisse 
aller  5ans  parti-pris  à  L'effet  que  produit  l'œ^uvre,  ce  qui  est  la 
seule  façon  de  juger  impartialement  les  productions  artistiques. 
11  est  bientôt  saisi  par  une  sensation  particulière,  extrêmement 
suggestive,  qui  éveille  un  monde  de  doutes,  de  suppositions, 
de  recherches,  d'interrogations  tristes  et  inquiétantes.  L'Invisible 
apparaît  véritablement  avec  sa  multitude  d'êtres  ingénieusement 
et  douloureusement  informes  et  mystérieux. 

Gardons-nous  donc  de  tomber  clans  l'éternel  travers,  le  plus 
souvent  tôt  et  honteusement  démenti,  d'appeler  insensés  les 
novateurs.  Ne  méritons  pas  la  leçon  du  quatrain  célèbre  : 

Vieux  soldats  de  plomb  que  nous  sommes, 
Au  cordegu  nous  alignant  tous, 
Quand  des  rangs  sortent  quelques  hommes, 
Tous  nous  crions  :  Ce  sont  des  fous  ! 

Alors  même  qu'Odilon  Redon  semblerait  un  maniaque,  réser- 
vons notre  avis.  La  question  n'est  pas  mûre.  Un  groupe  très 
sérieux  d'Esthètes  n'hésite  pas  k  reconnaître  le  sérieux  mérite  de 
cet  étonnant  apporlcur  de  neuf. 

Beaucoup  d'exemplaires  des  séries  de  lithographies  d'Odilon 
Redon  ont  été  achetés  au  cours  de  l'exposition  des  XX.  Comme 
on  le  verra  ci -dessous  par  le  catalogue  des  œuvres  déjà  parues, 
plusieurs  sont  épuisées.  Un  seul  dessin,  celui    intitulé  Les 


VART  MODERNE 


93 


.  Masques  de  la  Mort  rouge,  rcslc   en  Bolgiquo.  On  peut  être 
assuré  que  tout  cela  deviendra  d'une  extrême  rareté  et  atteindra 
une  grande  valeur  marchande  ;  nous  le  disons  pour  ceux  qui  ne 
séparent  point  la  question  ^'argent  de  la  question  artistique. 
Voici  le  Catalogue  :  - 

Albums  lithographiques  grands  in-folio,  imprimés  sur  papier 
de  Chine,  par  E.  Lemercier  et  C''. 

1"  Dans  le  Rêve,  10  planches,  tirées  ^  2o  exemplaires.  (Epuisé.) 

2°  A  Edgard  Poë,  6  planches.  (Epuisé.) 

a.  L'œil  comme  un  ballon  bizarre  se  diri2;e  vers  l'Infini.  — 

b.  Devant  le  noir  Soleil  çle  la  Mélancolie,  Lénore  apparaît.  — 

c.  A  l'horizon,  l'Ange  des  Certitudes,  et,  dans  le  ciel  sombre,  un 
regard  interrogateur.  —  d.  Un  masque  sonne  le  Glas  funèbre.  — 

e.  Le  souffle  qui  conduit  les  êtres  est  aussi  dans  les  Sphères.  — 

f.  La  Folie.  —  Tirées  à  50  exemplaires. 

3"  Les  Origines,  8  planches,  tirées  h  2o  exemplaires;  restent 

5  exemplaires,  portés  à  2a  francs.  (Epuisé.)  , 

¥  Hommage  à  Goya,  6  planches;  restent  4  exemplaires. 

1.  Dans  mon  rêve,  je  vis  au  ciel  un  Visage  de  Mystère.  ^^2,  la 
Fleur  du  Marécage,  une  tête  humaine  et  triste.  —  3.  Un  Fou,  dans 
un  morne  paysage.  — -i.  Il  y  eut  aussi  des  êtres  embryonnaires. 
—  5.  Un  étrange  Jongleur.  —  6.  Au  réveil,  j'aperçus  la  Déesse 
de  rinlelligible,  au  profil  sévère  et  dur.  —  Tirées  à  oG  exem- 
plaires, à  20  francs. 

S"'  Profil  de  lumière,  tiré  à  50  épreuves,  prix  10  francs. 

En  préparation  : 

Les   Pensées    de    Pascal,   6    planches;   Pièces    modernes, 

6  planches  ;  Les  Dieux  d^autrefois,  6  planches. 

Eh  vente  chez  L.  Dumont,  quai  des  Grands-Auguslins,  21. 
Paris. 

Pour  paraître  le  8  août,  dans  la  Revue  Wagnérienne  mensuelle, 
une  planche  :  Brûnnhildc.  Au  bureau  de  la  Revue,  rue  Blanche,  79, 
Paris. 


PIERROT  MACABRE 

La  bonne,  vieille,  naïve  pantomime  bergamasquc  a  repris  pos- 
session de  la  scène.  Pierrot,  l'enfariné  Pierrot,  coraiquement 
pleurard  dans  sa  calotte  noire,  déplore  avec  des  gestes' pileux  les 
séduisantes  agaceries  d'Arlequin  à  l'égard  de  Golombine,  et  tout 
un  petit  monde  de  picrrettes,  d'arlequines  et  de  polichinelles, 
voire  de  feux-follets  et  d'araignées,  sautille  et  gambade  autour 
du  classique  trio.  Colombine  est  morte.  Pierrot  est  navré.  Colom-  ^ 
bine  ressuscite  dans  son  coeur  en  la  personne  de  L?eiilia,  une 
nouvelle  venue,  celle-ci,  et  si  agréable  à  voir  sous  les  traits  Tte 
M"*^  Adelina  Rossi  qu'on  ne  lui  en  veut  pas  de  bouleverser  les 
traditions.  Un  m»^chant  polichinelle  tue  Pierrot  d'un  coup 
d'épée.  Mais  Pierrot  n'est  pas  mort.  Les  airs  gais  de  M.  Lanciani 
le  font  revivre.  Et  il  tombe  dans  les  bras  de  Colnmbine,  qui  n'a 
jamais  été  défunte,  qui  s'est  échappée  du  lit  de  roses  blanches  où 
elle  reposait,  sous  les  ifs  du  cimetière,  aux  retlets  ardents  des 
prunelles  d'un  hibou... 

Tout  cela  n'est  pas  méchant.  Il  y  a  deux  auteurs  pour  les 
paroles, —  pardon,  pour  le  scénario  :  MM.  Hannon  et  Hansen. 
Il  y  en  a  encore  bien  d'autres,  mais  ils  sont  morts  depuis  si  long- 
temps qu'il  serait  inutile  de  les  mettre  sur  l'at^iche.  La  musique 


n'a  qu'un. père  responsable  :  M.  Lanciani,  mais  plusieurs  ancêtres, 
dont  il  est  superflu  de  drosser  ici  la  généalogie.  ' 

M.  Lanciani,  qui  est  un  modeste  et  charmant  garçon,  n'a  pas 
eu,  d'ailleurs,  la  prétention  d'écrire,  pour  les  cabrioles  de  Pierrot 
Macabre,  de  musique  bien  neuve,  ni  bien  compliquée.  Il  s'est 
contenté  de  faire  une  petite  partition  bien. dansante,  bien  claire, 
bien  gaie  —  mélancoliquement  gaie  dans  les  passages  qui 
l'exigent  —  et,  sans  chercher  bien  loin,  a  trouvé  des  thôjnajes 
d'une  application  directe  dans 


et  dans 


Au  clair  de  la  lune, 
Mon  ami  Pierrot 

J'ai  du  bon  tabac  dans  ma  tabatière. 


Très  ingénieuse,  s'enlaçapl  habilement  aux  scènes  qui  se 
déroulent,  cette  musique  légère,  finement  instrumentée,  a  eu  un 
succès  très  décidé.  A  part  un  malheureux  divertissement  dont  on 
ne  s'explique  pas  la  raison  d'être,  elle  mérite  les  applaudissements 
qu'on  lui  a  prodigués  sans  marchander.  El  M''^  Adelina  Rossi,  la 
charmante  étoile  dont  les  «  pointes  »,  les  «  jeflés  »,  les  «mouli- 
nets »  et  les  «  dégagements  »  rivalisent  de  séduction  avec  les 
vocalises  de  l'autre  .Adelina,  sa  célèbre  compatriote,  a  emporté 
haut  le  pied  le  succès.  II  faut  joindre,  dans  ce  bulletin  de  vic- 
loir€,  M"*^*  Magliani  et  Rossi  cadette,  M.  Hansen,  excellent  mime, 
et  M.  SaraccO',  auf|uel  nous  faisons  toutefois  le  sérieux  reproche 
d'avoir  substitué  au  classique  et  coquet  costume  d'Arlequin,  un 
affreux  accoutrement  do  trapéziste,  pailleté  comme  un  vêtement 
de  clown  forain. 


Séance  "Wagner  chez  C.  Meunier. 

Lundi  a  eu  lieu,  dans  le.  vaste  atelier  de  C.  Meunier  et  devant 
un  auditoire  nombreux  et  choisi,  la  première  des  séances-Wagner 
organisées  par  le  comté  belge  de  l'Association  Wagnérienne  uni- 
verselle. .  • 

Lé  programme  comprenait  tout  le  premier  acte  et  la  scène 
troisième  du  troisième  acte  de  la  Walkiire,  traduits  par  M.  H.  La 
Fontaine.  Cette  tentative  de  traduction  rythmée  est  à  coup  sur 
intéressante  el  très  supérieure  à  celle  de  V.  Wilde?,  qui  souvent 
mutile  inartistiquement  le  texte  musical.  M.  La  Fontaine,  lui,  est 
plus  scrupuleux  et  nous  l'en  félicitons,  car  l'habitude  est  prise  de 
manquer  le  respect  aux  œuvres  d'art,  et  tel  qui  pousserait  les  i 
hauts  cris  pour  une  statuette  égratignée  dans  un  parc  public 
écoute  sans  prolester  des  œuvres  d'art  qu'un  directeur  de  théâtre, 
un. régisseur,  un  parolier,  un  chef  d'orchestre  ont  absolument 
défigurée.  Mais  nous  pensons  ([ue  traduire  hi's  drames  de  Wagner 
est  impossible:  la  prosodie  desdeux  langues  soint  trop  différentes 
pour  atteindre  cette  identité  du  texte  littéraire  eî  du  texte  musi- 
cal qui  est  une  des  caractéristiques  du  maître  de  Bayreulh. 
L'énoncé  el  l'exposition  des  thèmes^el  un  court  sommaire  de 
chaque  scène  nous  semblera  toujours  préférable  à  une  traduction 
inévitablement  irréalisée.  . 

Nous  félicitons,  à  côté  du  traducteur,  les  exécutants  conscien- 
cieux, M'"^  Van  Soust  de  Borkenfeld,  MM.  Sivery,  Van  der 
Goten  et  Kefer  qui  ont  interprété  avec  talent  celte  musique  ditîi- 
cile  et  fait  oublier,  même-  aux  critiques  les  plus  exigeants,  cet 
admirable  orchestre  de  Wagner  tantôt  sauvage  et  passionné,  tan- 
tôt si  pénétrant  d'exquise  douceur. 


M.  et  M"'*'  Meunier  1res  ffracieusemoiil  reeevaienl  les  nombreux 
invités.  ^ 

La  deuxième  séance,  qiii  comprendra  des  fragments  de  Parsi- 
fl/,  aura  lieu  dans  le  courant  du  mois  d'avril. 


MEMENTO  DES  EXPOSITIONS  ET  CONCOURS 

-S' 

Berlin.  Exposition  du  Centenaire  des  Salons  berlinois.  Ouverture, 
15  mai.  Fermeture,  15  octobre.  Délais  d'envoi,  l-r  mars-le»"  avril. 
Deux  ouvrages  seulement  par  exposant.  Renseignements  :  Commis- 
sion de  l'Exposition^  pr^s  la  gare  de  Lehrte,  N.  W. 

Bruxelles.  —  Exposition  et  concours  de  la  Société  cetitrale 
d'architecture.  —  Ouverture  l^r  mai  1886.  Section  rétrospective, 
section  contemporaine.  Envoi  avant  le  15  avril.  Renseignements  : 
Secrétaire  de  la  Commission  organisatrice^  rue  Royale  Sainte- 
Marie,  128,  Schacrbeek  [Bruxelles). 

GouRTRAi.  —  Exposition  de  tableaux,  dessins,  gravures,  sculp- 
tures et  lithographies.  Du  22  août  au  30  septembre  1886.  Délai 
d'envoi  :  15  juillet.  Renseignement  :  L.  De  Gcyne,  secrétaire  de 
l'exposition,  directeur  de  l'Académie  et  de  l'école  industrielle. 

DuNKERKE.  —  Exposition  internationale.  Du  14  juillet  au  22  août 
1886.  Aquarelles,  dessins  et  cartons,  pastels,  miniatures,  émaux  et 
faïences,  gravures,  lithographies.  Délai  de  rigueur  :  5  juillet. 
Adresse:  Exposition  des  Beaux- Arts,  Musée  communal,  Dunkerke. 

Edimbourg.  —  Exposition  (internationale)  de  l'industrie,  des 
sciences  et  des  arts.  —  Du  4  paai  au  30  octobre  1886.  —  Mobilier 
et  arts  décoratifs,  beaux- arts,  reproduction  d'anciens  édifices  et  de 
vieilles  rues,  etc.  —  Demandes  d'emplacements  au  Secrétaire  de 
l'Exposition,  Frederick  Street,  18,  Edimbourg . 

Paris.  Salon  annuel.  Ouverture,  l^""  mai.  Fermeture,  30  juin. 
Délais  d'envoi  :  Peinture,  10-14  mars  ;  sculpture,  gravure  en  méd. 
et  sur  p.  f.,  20  mar.s-5  avril;  architecture,  gravure,  lithographie, 
2-5  avril. 


JSOTE^     DE    LIBRAIRIE 


Les  Pensées  d'im  Sceptique,  par  Pli.  Gerfaut,  forment  le 
septième  volume  de  cette  jolie  collection  à  laquelle  on  doit  déjà 
la  Morale  Mondaine,  les  Roses  de  Noël  et  les  Maximes  de  la 
Vie.  Pli.  Gerfaut,  l'auieur  du  Passé  de  Clandie,  a  su  réunir  les 
pensées  les  plus  fortes  et  les  plus  ingénieuses  dans  une  forme 
concise,  ce  qui  est  une  qualité  bien  rare  pour  une  femme  ;«ce 
recueil  est  empreint,  ainsi  que  l'indique  son  titre,  d'un  scepti- 
cisme et  d'un  désenchanleiuentqui  laissent  place,  cependant,  par 
une  contradiction  curieuse,  à  une  gaîté  réelle  qui  ressort  des 
décernions  même  de  la  vie.  (Paul  Ollendorff,  éditeur.) 


La  Fille  du  Singe  :  tel  est  le  titre  plein  de  fantaisie  dû  volume 
que  Maurice  Sand  vient  de  faire  paraître  à  la  même  librairie. 
C'est  un  roman  humoristique  et  gai,  rempli  d'observations. 


Grèce.  —  Turquie.  —  Le  Danube!  Que  d'horizons  nous 
ouvre  un  pareil  voyage.  Et  quel  charme  ne  peut^il  pas  acquérir 
lorsqu'il  est  conté  par  le  lettré  et  l'artiste  qui  signe  Charles  Bigot. 
La  Grèce  et  ses  vermeilles,  ses  mœur^,  ses  aspirations  si  accusées 
récemment  dans  la  question  bulgare;  Conslanlinople  et  son 
avenir  dans  la  politique  européenne,  tout  est  passé  en  revue  par 


latine  critique  qui  a  su  égayer  son  récit  par  les  descriptions  pitto- 
resques de  toutes  les  merveilles  de  ces  superbes  contrées.  (Paul 
Ollendorff,  éditeur.) 


Viennent  de  paraître  ii  la  même  librairie:  Jfû7i  Méronde,  par 
M"'^  Jeanne  Mairel  ;  Jacques  Kerdraint,  par  George  Aragon  ;  La 
Faute  d'une  mère,  par  Antoine  Albalal. 


pETITE    CHROJMIQUE 

Les  Hydrophiles  ont  ouvert  hier  leur  troisième  Exposition 
annuelle.  Une  vingtaine  d'artistes  (le  chilfre  est  décidément  fatal) 
ont  réuni  cent  quarante  aquarelles  et  dessins.  Nous  reparlerons 
dimanche  de  ce  Salon  en  miniature,  dans  lequel  brillent  au  pre- 
mier rang  Jan  Toorop  et  un  nouveau  venu  qui  paraît  destiné  à 
faire  parler  de  lui  :  Jakob  Smits. 


Nous  avons  sous  les  yeux  un  prospectus  dans  lequel  se  trouve 
la  description  d'un  procédé  de  reproduction  très  intéressant  dit 
peinture  Bogaerts.  Nous  alons  également  vu  une  toile  donnant  la 
reproduction  d'un  tabk;*u  hippique  d'après  ce  procédé.  Nous  ne 
sommes  guère  amatdirs  de  l'art  mécanique,  et  la  chromolitho- 
graphie n'a  jamais  eu  pour  nous  de  charme.  Nous  devons  cepen- 
dant dire  que  jusqu'ici  on  n'avait  pas  atteint  un  résultat  aussi 
complet  pouvant  faire  illusion  à  tous  ceux  qui  ne  sont  point  de 
véritables  esthètes. 

L'invention  nouvelle,  permettant  d'imprimer  directement  sur 
toile,  Ce  qui  réduit  le  prix  de  revient  de  plus  de  la  moitié,  consti- 
tue un  champ  d'exploitati(wrinimense. 

L'industrie  de  la  reproduction  des  tableaux,  qui  est  à  la 
peinture  ce  que  le  moulage  est  à  la  sculpture,  est  destinée  à 
prendre  un  immense  essor. 

Le  goût  du  beau  se  répand  de  plus  en  plus;  on  peut  dire  que 
l'art  se  démocratise;  le  bourgeois  et  l'artisan  qui  ne  peuvent 
acquérir  un  taMeWririginal  ne  se  contentent  plus  des  grossières 
enluminures  qui  faisaient  le  bonheur  de  leurs  pères;  à  mesure 
que*rinstruclion  et  le  bien-être  pénètrent  dans  toutes  les  classes 
de  la  société,  le  niveau  du  goût  s'élèi:ej^^t_l!£aivrier  qui  aura  reçu 
l'instruction  primaire,  qui  aura  appris  à  lire,  à  desfeiner,  connaî- 
tra au  moins  de  réputation  les  chefs-d'œuvre  de  la  peinture 
ancienne  et  moderne  et  aimera  îi  s'entourer  de  ces  chefs-d'œuvre, 
s'ils  sont  à  sa  portée  par  une  reproduction  fidèle  en  même 
temps  qu'économique. 

Nul  n'ignore  que  la  chromolithographie  esî  aujourd'hui  une 
des  branches  les  plus  étendues  et  les  plus  productives  de  l'in- 
dustrie moderne  et  qu'elle  occupe  en  Europe  des  centaines  d'ate- 
liers. Le  système  de  reproduction  Bogaerts  permettant  de  produire, 
à  un  prix  assez  mjnime,  au  lieu  de  ces  papiers  coloriés,  des 
tableaux  véritables,  il  est  probable  que  la  chromolithographie  a 
vécu  et  que,  dans  un  temps  peu  éloigné,  les  produits  d'après  cette 
nouvelle  invention,  la  remplaceront. 

L'enseignement  primaire  devient  de  plus  en  plus  démonstratif, 
c'esl-k-dire,  enseignement  par  les  yeux:  tout  ce  qui  est  aujour- 
d'hui tableaux  en  papier  sera  remplacé  dans  les  écoles  par  des 
toiles  solides.  Quelle  utilité  ne  présenterait  pas  une  histoire  en 
tableaux?  et  quelle  école  voudra  se  passer  de  ce  puissant  moyen 
d'imprimer  dans  l'esprit  des  jeunes  enfants  les  grands  faits  histo- 
riques? 


LART  MODERNE 


95 


MM.  Diimon,  Guidd,  Merçk,  Poncolot,  Neumans  et  De  Greof, 
professeurs  au  Conservatoire,  donneront  leur  troisième  séance 
aujourd'hui,  h  2  heures  de  relevée,  dans  la  grande  Salle  des 
Coucerls  du  Conservatoire. 

.  On  y  exécutera  un  Octelte,  de  Lachnor;  un  Rondo,  de  Beetho- 
ven; des  pièces  pour  hautbois,  de  R.  de  BoisdefFre,  et  un  diver- 
tissement de  Mozart. 

Le  concert  du  Conservatoire  de  Mons  est  remis  au  o  avril  pro- 
chain. X. 

Sommaire  du  numéro  du  23  février  1886  de  la  Revue  contem- 
poraine :  Leconte  de  Lisle,  étude  critique;  Emile Michelet.  — Le 
Cierge,  conte,  Léon  Tolstoï,  traduit  par  M.  E.  Halpérine.  —  La 
Pensée,  poème,  Maurice  Rollinat.  —  La  question  Wagner,  Alfred 
Ernst.  ^-  Daisy  Miller,  nouvelle  (fin),  Henri  James.  — M.  Ludovic 
Halévy  à  rAcadémie,  Maurice  Barrés.  —  Le  ministère  Freycinet 
et  sa  majorité,  J.  R.  —  Les  ouvriers  mineurs  (fin),  Henry  Duha- 
mel. —  Critique  littéraire  et  artistique.  —  Théâtres  :  reprises 
diverses.  —  Musique  :  Les  Templiers,  à  Bruxelles.  —  Situation 
financière. 


Un  journal 

parisien  publie 

la  statistique  suivante  de  tous  les 

compositeurs  dont  les  bustes 

ornent  les  façades 

de  rOi 

)éra  : 

Gossec, 

mort  à  96 

ans. 

Halévv, 

mon 

k  63  ans. 

Aubert, 

» 

90 

» 

Boïeldieu, 

)) 

m   « 

Monsigny, 

» 

88 

^ 

Beethoven, 

» 

57     » 

Campra, 

» 

84 

Dalayrac, 

» 

56     » 

Chérubini, 

» 

82 

Lulli, 

)) 

54     » 

Rameau, 

)) 

81 

Méhul, 

» 

54    » 

Haydn, 

)) 

77 

A.  Adam, 

» 

53     » 

Spontini, 

» 

77 

Donizelti, 

» 

50     « 

Rossini, 

» 

76 

Cimarosa, 

» 

47     » 

Salieri, 

)> 

75 

Nicolo, 

» 

>43     » 
^41     w 

Hîendel, 

» 

74 

Hérold, 

» 

Paisiello, 

» 

74 

Weber, 

» 

40    » 

Lesueur, 

>  mort 

h  74  ans. 

Chopin, 

mort*à  39  ans. 

Gluck, 

73     » 

Mendelssohn, 

» 

38    » 

Piccini, 

72     » 

Mozart, 

)) 

33    » 

Grétry, 

72     » 

Beilini, 

» 

33    » 

Meyerbeer, 

70     » 

Schubert, 

» 

31     » 

S.  Bach, 

65     » 

Pergolèse,  . 

» 

26    » 

"VEISrTE     IDE 


Beaux  Tableaux 

ANCIENS  ET  MODERNES 


Lundi  22  mars  1886,  à  2  heures  de.relevée,  à  l'Hôtel  des  Ventes, 
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JOURNAL  DES  TRIBUNAUX 

PARAISSANT   LE   JEUDI   ET   LE   DIMANCHE 

FAITS   ET  DÉBATS  JUDICIAIRES.   —  JURISPRUDENCE.  —  BIBLIOGRAPHIE.  -  LÉGlSLATrON.  —  NOTARIAT 


ADMINISTRATION 

A  la  librairie  FERDINAND  LARCIER,  10,  rue  des  Minimes,  à  Bruxelles 

Tout  ce  qui  concerne  la  rédacîion  et  le  service  du  journal  doit  être  envoyé  à  cette  adresse.  —  Tous  les  numéros 
,sont  déposés.  •  ■ 

Toute  réclamation  de  numéros  doit  parvenir  au  Journal  dans  le  mois  do  la  publication.  Passé  ce  délai,  il  ne  pourra 
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Le  numéro  :  20  centimes. 

Il  sera  rendu  compte  de  tous  les  ouvrages  relatifs  au  droit  et  aux  matières  judiciaires  dont  deux  exemplaires 
parviendront  à  la  rédaction  du  Journal, 

ANNONCES  :  30  centimes  la  ligne  et  à  forfait 

Le  Journal  insère  spécialement  lés  annonces  relatives  au  droit,  aux  matières  judiciaires  et  au  notariat. 


96 


UART  MODERNE 


Hi'JiL 


E 


SIXIÈME  ANNEE 


■  L'ART  MODERNE  s'est  acquis  par  l'autorité  et  l'indépendance  de  sa  critique,  par  la  variété  de  ses 
informations  et  les  soins,  donnés  à  sa  rédaction  une  place  prépondérante.  Aucune  manifestation  de  l'Art  ne 
lui  est  étrangère  :  il  s'occupe  de  littérature,  de  peinture,  de  sculpture,  de  gravure,  de  musique, 
d'architecture,    etc.    Consacré  principalement  au   mouvement   artistique  belge,   il  renseigne  néanmoins  ses 

lecteurs  sur  tous  les  événements  artistiques  de  l'étranger  qu'il  importe  de  connaître. 

Chaque  numéro  de  L'ART  MODERNE  s'ouvre  par  une  étude  approfondie  sur  une  question  artistique 
ou  littéraire  dont  l'événement  de  la  semaine  fournit  l'actualité.  Les  expositions^  les  livres  nouveaux,  les 
premières  représentations  d 'œuvres  dramatiques  ou  musicales,  les  conférences  littéraires  y  les  concerts,  les 
ventes  d  objets  dCart,  font  tous  les  .dimanches  l'objet  de  chroniques  détaillées. 

L'ART  MODERNE  relate  aussi  la  législation,  et  la  jurisprudence  artistiques.  Il  rend  compte  des 
procès  les  plus  intéressants  concernant  les  Arts,  plaides  devant  les  tribunaux  belges  et  étrangers.  Les 
artistes  trouvent  toutes  les  semaines  dans  son  Mémento  la  nomenclature  complète  des  expositions  et 
concours  auxquels  ils  peuvent  prendre  part,  en  Belgique  et  à  l'étranger.  Il  est  envoyé  gratuitement  à 
l'essai  pendant  un  mois  à  toute  personne  qui  en  fait  la  demande.  - 

L'ART  MODERNE  forme  chaque  année  un  beau  et  fort  volume  d'environ  450  pages,  avec  table 
des  matières.  Il  constitue  pour  l'histoire  de  l'Art  le  document  LE  PLUS  COMPLET  et  le  recueil  LE  PLUS 
FACILE  A  CONSULTER. 


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Belgique  1  O    f I*. 

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Quelques  exemplaires  des  cinq  premières  années  sont  en  vente   aux  bureaux   de  L'ART  MODERNE, 
rue  de  l'Industrie,  26,  au  prix  de  30  francs  chacun. 


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BORIS  SCHEEL.  Op.  155.  trois  mélodies  pour  chant,  avec 
accomp.  de  violoncelle  (ou  violon),  et  piano.  Paroles  françaises  et 
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Sixième  année,  —  N°  13 


Lé  NUMÉRO  :  25  centimes. 


Dimanche  28  Mars  1880. 


L'ART 


MODERNE 


PARAISSANT    LÉ    DIMANCHE 


/  REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS.  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,   un   an,   fr.   10.00;  Union   postale,   fr.    13^00.    —  ANNONCES   :  'On   traite   à  forfait 

Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 
l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


? 


OMMAIRE 


Le  Rig-Véda.  —  Félicien  Rops.  —  Les  Hydrophiles.  —  Cer- 
cle ARTISTIQUE  ET  LITTÉRAIRE.  Dcius  loi  tombcau.  La  Govgoue. 
—  Union  des  jeunes  compositeurs  Deii.rième  séance.  — :  Au 
Conservatoire.  Troisième  séance  de  musique  de  chambre.  — 
Petite  chronique. 


lE  RIG-VÉOV 

Longtemps  les  études  sur  la  littérature  des  peuples 
primitifs  qui  ont  occupé  l'Asie  méridionale  sont  restées 
confinées  dans  le  monde  discret  de  la  science.  Il  y  avait 
à  accomplir  pour  elles  ce  travail  de  recherche  et  de 
coordination  qui  précède  la  phase  de  la  vulgarisation. 
Ces  préliminaires  sont  achevés  et  les  révélations  sur.  le 
Rig-Véda  des  Aryens,  habitants  du  nord-ouest  de  la 
péninsule  indoustanique,  sur  le  Zend-Avesta  des  Ira- 
niens, disciples  de  Zoroastre,  habitants  de  la  Perse 
avant  qu'elle  ne  portât  son  nom,  commencent  à  pertluer 
et  à  intéresser  profondément  ceux  qui,  dans  le  passé 
littéraire,  n'allaient  pas  jusqu'ici  au  delà  de  Rome  et 
de  la  Grèce. 

Marins  Fontane  a  inauguré  par  deux  volumes  l'un 
sur  rinde  Védique,  l'autre  surTXwHi,  l'immense  entre- 
prise de  ^o\ï  Histoire  universelle,  que  Lemerre  publie 
depuis  1881  et  dans  laquelle,  abandonnant  résolument 
la  vieille  méthode  anecdotique  qui  se  borne  au  récit 
des  batailles  et  des  événements  politiques  notables, 
il  s'attaque  très  hardiment  à  la  peinture  d'une  race  prise 
dans  son  ensemble,  comme  une  grande  individualité 


qui  absorbe  les  contingences,  réduit  aux  proportions 
de  détails  négligeables  les  milliers  de  circonstances 
auxquelles  on  s'attachait  autrefois,  et  raconte  la  vie 
d'un  peuple,  de  son  origine  à  sa  disparition,  ainsi 
qu'on  raconterait  la  vie  d'un  homme  de  sa  naissance  à 
sa  mort,  non  pas  en_parlant  de  chacun  de  ses  membres, 
de  ses  organes,  de  ses  viscères,  mais  en  le  prenant  dans 
son  unité.  '    • 

Ces  premiers  spécimens  d'une  modification  si  impor- 
tante dans  les  procédés  historiques,  auxquelles  sont 
venues  s'ajouter  depuis  les  Egyptes,  —  les  Asiatiques, 
—  la  Grèce,  sont  certes  encore  empreintes  de  quelque 
confusion.  L'auteur  ne  semble  pas  encore  complète- 
ment maître  de  sa  méthode.  Les  exposés  généraux  qui 
composent  chacun  des  chapitres   n'apparaissent   pas 
avec  toute  la  netteté  souhaitée.   Les  répétitions  sont 
fréquentes.   La  matière  brute  est  solide  et  originale,^ 
mais  les  bavures  se  voient  et  la  ciselure  manque.  N'im- 
porte. Malgré  le  languissemeut  de  quelques  parties, 
malgré  la  fatigue  qu'on  ressent  parfois',  si  l'on  persiste 
à  aller  jusqu'au  bout  on  sort  de  ces  lectures  très  nour- 
rissantes avec  une  vue^nette  et  élevée  des  civilisations 
décrites,  fort  différente  et  beaucoup  plus  vraie  que 
celle  procurée  par  les  manuels,  petits  ou  grands,  essen- 
tiellement narratifs   et   chronologiques,   en  lesquels, 
depuis  si  longtemps,  se  résumait  l'histoire. 

Qu'on  n'aille  pas  croire  pourtant  qu'il  s'agisse  d'une 
application  nouvelle  de  ce  qu'on  a  nommé  il  y  a  un 
demi-siècle  la  philosophie  de  l'histoire,  cette  façon  de 
rechercher  les  causes  et  de  prédire  les  effets,  qui  avait 


des  tendances  métaphysiques  nettement  accusées.  Non. 
L'auteur  se  garde  avec  rigueur  de  cette  manie  de 
riijpothèse  qui  prétendait  réduire  l'ondoyante  huma- 
nité en  formules  et  l'historien  en  dogmatiste  ou  en  pro- 
phète. Il  ne  vise  pas  si  haut  et  s'arrête  avec  scrupule 
aux  résultats  les  plus  immédiats  de  l'observation  posi- 
tive. Il  n'est  pas  philosophe".  Il  reste  chroniqueur  au 
sens  restreint  du  terme,  il  parle  de  ce  qu'on  sait  et  non 
de  ce  qu'on  suppose.  Seulement,  au  Heu  de  narrer  les 
faits  par  le  menu,  il  les  narre  par  masses.  C'est  l'exposé 
à  grands  coups  de  brosse  de  Michelet,  c'est  son  procédé 
par  tranches,  avec,  toutefois,,  moins  de  raisons  et  de 
comparaisons,  de  suppositions  et  de  suggestions,  avec 
plus  de  simplicité  et  de  prosaïsme,  sans  autant  de 
charme  mais  avec  plus  de  vérité. 

Dans  rinde  Viklique  et  dans  les  h^anicns  le  fond  des 
observations  positives  dont  Marins  Fontane  tire  parti 
est  pris  presque  tout  entier  dans  les  traces  littéraires 
laissées  par  un  passé  qui  remonte  à  environ  deux  mille 
ans  avant  notre  ère.  Ces  civilisations  lointaines  eurent 
des  recueils  analogues  à  la  Bible,  suivant  de  plus 
près,  au  moins  chez  les  Aryas,  les  vicissitudes  et  les 
événements. 

Pour  ces  derniers  c'est  le  Rig-Vcda.  Ce  livre 
extraordinaire  n'est  pas  seulement  un  document  histo- 
rique unique  eil  son  genre,  c'est  encore  une  œuvre 
littéraire  prodigieuse,  éminemment  populaire  et  par 
cela  même  inestimable.  Il  ne  s'agit  pas  de  poètes 
d "une  époque  avancée,  conscients  de  leur  art,  s'exami- 
nant  et  se  contrôlant  eux-mêmes  comme  des  phéno- 
mènes curieux,  rompus  à  une  versification  raffinée, 
chantant  pour  le  plaisir  que  cela  donne  à  qui  chante, 
s'amusant  dés  fantaisies  et  se  laissant  aller  à  des  inspi- 
rations quelconques.  C'est  une  production  spontanée  et 
interminable,  allant  avec  le  temps,  allant  avec  le 
peuple,  montant,  descendant,  gémissant,  se  réjouis- 
sant, racontant  toutes  les  choses  de  la  vie  publique  et 
de  la  vie  privée,  de  la  nature  ambiante  ou  de  l'âme, 
instinctivement,  sincèrement,  impiédiatement.  C'est, 
en  un  mot,  une  nation  se  dévoilant  elle-même  en  des 
milliers  de  vers,  au  cours  des  siècles,  sans  jamais  s'ar- 
rêter, des  annales  rimées  et  rythmées  eu  hymnes,  con- 
servées d'abord  par  des  récits  sans  cesse  renouvelés  au 
foyer  domestique  ou  dans  les  cérémonies,  plus  tard 
transcrites  sur  des  feuilles  de  palmier,  et  finalement 
réunies  en  un  corps,  un  Digeste,  il  n'y  a  pas  si  long- 
temps du  reste,  vers  le  douzième  siècle. 

Jamais  la  poésie  populaire  n'a  donné  un  tel  témoi- 
gnage de  vitalité,  de  durée  et  de  puissance.  Jamais  la 
poésie  des  lettrés  factices  n'a  élevé  un  pareil  monu- 
ment. C'est  un  témoignage  de  premier  ordre  pour 
l'histoire  de  la  littérature  ..et  contre  ceux  qui  pensent 
qu'il  n'y  a  d'art  véritable  que  l'art  aristocratique,  fait 
pour  quelques  pinvilégiBsr 


C'est  dans  le  chapitre  VI  que  Marins  Fontane  décrit 
à  grands  traits  le  Rig-Véda  auquel  il  va,  parla  suite, 
faire  des  emprunts  constants  pour  édifier  son  œuvre. 
Car  il  lui  est  venu  cette  pensée  ingénieuse  et  presque 
inspirée  de  décrire  la  civilisation  aryenne  en  se  ser- 
vait de  sentons  empruntés  à  cette  poésie  merveilleuse. 
Constamment,  sa  plume  expose  par  des  mots,  par  des 
phrases,  par  des  images  empruntés  à  cet  abondant 
réservoir.  Il  met  bout  à  bout  ces  lambeaux  poi\r  faire  un 
vaste  tableau  et.  arrive  ainsi  à  une  puissance  de  sincé- 
rité et  d'évocation  remarquable,  en  même  temps  qu'il 
séduit  par  l'intérêt  que  suscite  cette  méthode  imprévue. 

Voici  les  renseignements  caractéristiques  qu'il  donne 
sur  ces  Iiymnes,  traces  légères  qui  ont  servi  à  reconsti- 
tuer un  peuple  comme  les  linéaments  de  la  flore  et  de 
la  faune  préhistoriques,  retrouvés  sur  les  feuilles  de 
charbon,  ont  servi  à  reconstituer  les  végétations  et  les 
animalités  disparues.  Ce  sont  ces  hymnes  eux-mêmes 
qui  en  ont  fourni  les  données. 

On  les  chantait  trois  fois  par  jour.  Les  chanteurs 
n'ayant  ni  temples  ni  sanctuaires,  se  tenaient  .debout 
devant  un  tertre,  sous  le  ciel  bleu.  La  cérémonie  com- 
mençait à  l'aube,  au  moment  où  les  étoiles  pâlisaient 
dans  le  jour  venant,  et  elle  devait  être  terminée  lorsque 
le  disque  du  soleil  était  entièrement  visible  au  dessus 
de  l'horizon.  Aussi  les  premiers  hymnes  du  recueil 
sont-ils  courts.  On  les  déclamait  ensuite  à  midi  et  le 
soir.  - 

Les  auteurs  ne  se  préoccupent  nullement  des  consé- 
quences de  leurs  improvisations;  ce  sont  des  poètes 
donnant  leurs  œuvres  simplement,  ou  des  chefs  de 
famille  formulant  des  vœux ,  interprétant  la  pensée 
védique,  modulant  cette  interprétation  avec  goût,  au 
gré  d'un  caprice  poétique  inconscient.  Chaque  famille 
avait  son  rite  spécial,  chaque  poète  disait  son  cantique. 

La  tendance  aryenne  est  descriptive,  utilitaire, 
franche  :  le  poète  exprime  ce  qu'il  voit,  il  donne  fine- 
ment son  impression,  il  étale  sincèrement  ses  désirs;  sa 
parole  est  concise,  puissante,  vraie;  la  nature  y  est 
sainement  résumée  dans  ses  caractères  essentiels,  rapi- 
dement, d'un  trait  vigoureux  et  exact,  qui  frappe  une 
grande  image  sur  l'esprit.  Il  n'a  pas  de  dédains,  il  ne 
sait  rien  qui  ne  puisse  être  chanté  ;  si  quelque  chose  de 
bas  attire  son  attention  et  stimule  sa  pensée,  il  se 
baisse,  il  prend  son  sujet,  il  l'élève,  l'ennoblit;  la  misère 
lâche  et  l'envie  banale  deviennent  elles-mêmes  pour  de 
tels  artistes,  de  supportables  faiblesses.  On  trouve  çà 
et  là  quelques  élans  épiques,  certaines  inspirations 
vers  une  universelle  générosité,  mais  ce  sont  des  œuvres 
exceptionnelles;  l'individualisme  est  le  ressort  prin- 
cipal, presque  unique.  . — ^        / 

Et  l'auteur  continue  par  ces  observations  touchantes 
qui,  si  elles  étaient  comprises  et  appliquées  de  notre 
temps,  pourraient  rajeunir  la  poésie,  la  faire  sortir 


de  ses  préoccupations  tourmentées  et  alambiquées  et  la 
rapprocher  de  la  masse  dont  elle  se  retire  de  plus  en 
plus  :  Le  poète  védique  ne  semble  pas  pouvoir  résister  au 
besoin  de  réduire  en  vers  purs  toutes  ses  pensées;  à  la 
guerre,  à  la  paix,  aux  labours,  aux  soins  que  réclament 
les  troupeaux,  aux  voyages,  aux  hymens,  à  la  mort, 
à  tout  il  est  capable  de  dédier  un  chant.  C'est  j6ie 
réelle  pour  l'Arya  déchanter  et  c'e&t  plaisir  pour  TArya 
d'entendre  la  poésie,  soit  qu'elle  dise  un  symbole,  soit 
qu'elle  raconte  un  fait,  soit  qu'elle  célèbre  la  gloire 
d'une  famille  ou  la  libéralité  d'un  ami.  Et  la  sincérité 
des  chantres  est  éclatante.  Ils  disent  tout,  sans  hésita- 
tion, animant  et  colorant  l'impression'  de  leur  cerveau. 
Si  le  poète  admire  un  phénomène  naturel,  ilile  décrit 
sans  le  dénaturer.  A-t-il  un  ennemi,  il  demande  haute- 
ment sa  mort.  Forniule-t-il  un  vœu,  sa  parole  pleine 
est  aussi  ardente  que  son  ambition.  Et  s'il  offre  un 
sacrifice  aux  dieux,  c'est  à  la  copdition  bien  expresse 
que  la  divinité  invoquée  lui  rendra  son  offrande  au 
centuple,  en  lignée  valeureuse  et  productive,  en  vaches, 
en  chevaux,  en  or. 

On  distingue  assez  facilement  dans  le  Rig-Véda  les 
œuvres  d'au  moins  trois  cents  poètes.  Les  uns  se 
nomment,  les  autres  sont  cités.  Il  en  est  qui  se  cachent 
sous  un  nom  fictif.  C'est  donc  une  compilation  de 
poèmes  très  vivants.  Le  chantre  ne  fait  pas  œuvre 
voulue  d'historien,  mais  son  œuvre,  dit  Marins  Fon- 
tane,  est  de  l'histoire,  histoire  d'une  société  en  qui, 
toute  bouillonnante  d'une  vitalité  extraordinaire,  la 
sève  donne  des  fruits  immédiats.  Durant  de  longs 
siècles  le  Rig-Véda  fut  le  livre  unique,  l'œuvre  par 
excellence,  l'Ecriture  sainte.  Il  dit  toute  l'histoire  des 
Aryas,  leur  langue,  leur  religion,  leur  société,  leur 
philosophie,  leur  littérature.  Et  tout  cela  est  purement 
original.  Aucune  civilisation  antérieurô^^aucun  peuple 
étranger  ne  semblent  avoir  concouru  à  la  formation  du 
peuple  aryen. 

La  langue  employée  est  ce  fameux  sanscrit  qui  appa- 
raît aujourd'hui  comme  la  plus  morte  et  la  plus  savante 
des  langues,  alors  courante  comme  nos  idiomes  contem- 
porains. Son  alphabet  est  stupéfiant  :  il  comprend  cin- 
quante lettres  répondant  aux  plus  délicates  nuances  du 
son.  L'euphonie  y  est  des  plus  raffinées;  on  y  a  reconnu 
des  règles  reposant  sur  dés  principes  d'acoustique  si" 
délicats  que  nos  oreilles  blasées  ne  peuvent  en  saisir 
les  nuances  que  très  difficilement.  La  grammaire  a  trois 
genres,  trois  nombres,  huit  cas  ;  les  verbes  s'y  conjuguent 
par  trois  personnes,  six  modes  et  six  temps  ;  elle  est 
considérée  comme  l'une  des  plus  riches.  Quant  aux 
mots,  ils  dérivent  de  trois  mille  racines  monosylla- 
l)iques  subissant  des  tours  nouveaux,  figurés,  sous  la 
volonté  capricieuse  et  tourmentante  de  l'orateur  ou  de 
l'écrivain;  leur  formation  est  d'une  liberté  absolue;  on 
y  connaît  des  mots  qui  ont  cent  cinquaiite  syllabes. 


On  a  dit  de  cette  langue,  ajoute  MariUs  Fontane, 
qu^elle  était  riche  et  flexible  comme  celle  de  Platon, 
inspirée  et  magique  comme  le  français  et  l'allemand, 
rigoureusement  précise  comme  le  latin  primitif.  En 
sanscrit  l'échelle  des  sons  parlés  a  la  régularité  d'une 
gamme  musicale;  c'est  un  instrument  merveilleux;  le 
mot  même  y  fait  image;  il  n'est  pas  de  langue  capable 
de  peindre  mieux  les  magnificences  de  la  nature.  C'est 
le  type  parfait  des  langues  à  flexion.  Sanscrit  veut 
dire  :  ce  qui  est  achevé  en  soi-même. 

Et  si  maintenant  vous  voulez  savok^  où  habitait  au 
juste  ce  peuple  primitif,  dont  on  dit  que  nous  descen- 
dons, prenez  la  carte  de  l'Indoustan^  remontez  au  nord- 
ouest  l'Indus  depuis  son-embouchure.  Vous  le  verrez 
aux  deux  tiers  du  trajet  qui  sépare  celle-ci  des  premiers 
contreforts  de  l'Himalaya  se  diviser  en  sept  branches, 
comme  le  chandelier  sacré  des  "Hébreux.  C'est  le 
Septa-Sindhou,  le  pays  béni  des  sept  rivières  aux  noms 
étranges  et  harmonieux  :  le  S.indh,  la  Vitasta,  l'Asikni, 
le  Parouschni,  la  Vipaça,  la  Coutoudri  et  la  Sarasvati. 
C'est  la  patrie  des  Aryas.  C'est  de  là  qu'ils  partirent 
en  conquérants  pour  s'étendre  jusqu'au  Gange,  et  plus 
tard  jeter  leurs  essaims  sur  l'Em^ope  et  préparer  notre 
descendance.         _^_ 

FÉLICIEN  ROPS 

Le  Matin  a  consacré,  par  la  plume  d'Octave 
Mirbeau,  un  article  de  tête  à  Félicien  Rops.  Il  montre 
qu'en  France  on  sait  reconnaître,  et  louer  comme  il 
convient,  le  mérite  de  l'artiste  qu'on  ose  encore  discuter 
en  Belgique. 

La  publicalion  chez  Alphonse  Lcmcrre  dos  dix  caiix-forles  de 
Félicien  Rops,  pour  illuslrer  les  Diaboliques  de  ir.on  liéroïque  et 
vénéré  maître  Barbey  d'Aurevilly,  me  donne  roccasiojj  de  parler 
(te  cet  arliste  admirable  et  1res  peu  connu  et  qui  est  ccrlainemenl 
une  des  plus  puissantes,  des  plus  hautaines,  des  plus  élrancçes 
expressions  de  l'art  au  dix-neuvième  siècle.  Je  ne  peux,  malheu- 
reusement, en  un  article  de  journal,  montrer  Rops  sous  les  faces 
multiples  de  son  grand  talent,  et  m'élendre  sur  son  œuvre  déji 
considérable,  [jn  livre  suffirait  à  peine  à  ce  travail. 

Félicien  Rops,  ai-jedit,  est  très  peu  connu.  11  y  a  à  cela  beau- 
coup de  bonnes  raisons.  D'abord,  il  déteste  le  suffrage  des  foules 
et  des  académies,  et  il  met  une  sorte  de  dandysme  à  cultiver  lui- 
même,  comme  une  plante  qu'on  aime,  sa  relative  obscurité. 
Ensuite,  son  œuvre  est  tellement  particulière,  elle  tranché  avec 
de  tels  éclats  sur  Tuniverselle  médiocrité,  elle  indique  des  préoc- 
cupations tellement  élevées,  qu'il  faut  pour  la  comprendre  un^ 
forte  culture  intellectuelle,  et  aussi  un  goût  très  éclairé,  très 
dégagé  des  s?rvililés  de  la  mode  et  des  routines  où  se  complai- 
sent nos  déplorables  éducations  artistiques.  En  Angleterre,  en 
Russie,  partout  où  se  rencontrent  encore  de  vrais  amateurs,  Rops 
jouit  d'une  très  grande  réputation,  et  l'on  s'y  dispute  la  moindre 
de  SOS  œuvres.  C'est  là  d'ailleurs  que  s'en  va  le  meilleur  de  notre 
art,  et  nous  autres  Français,  qui  nous  vantons  toujours  de  la 
supériorité  de  notre  goût,  nous  continuons  à  mépriser  le  génie, 


'^ 


\ 


on  nous  conlcntant  d'exallerla  m(^diocrit<''.  Mais  Félicien  Rops  ne 
travaille  pas  pour  les  autres,  il  travaille  pour  lui,  sans  s;vsoucier 
de  ce  que  les  imbt^ciles  pensent,  et  il  poursuit  dans  la  sérénitcS 
dans  1q  dédain  de  la  fortune  et  de  la  gloire  ëphdmère,  un  des 
œuvres  les  plus  cHonnanls  que  ce  siècle  ait  enfantés. 

En  pprlanl  des  Diaboliques,  je  me  suis  servi  de  l'horrble  mol: 
illustrer,  et  c'est  bien  à  tort,  car  Félicien  Rops  ïCillustre  pas,  il 
fait  œuvre  à  côté  d'une  œuvre.  Il  ne  s'assouplit  point  aux  créations 
des  autres,  il  crée  de  toutes  pièces.  Que  de  fois  n'a-t-il  pas  animé 
de  11  flamme  de  sa  seule  imagination  des  livras  mo|t»^qui  ne 
vivront  que  parce  qu'ils  auront  eu,  en  tête  de  leurs  pages,  un 
frontispice  signé  de  lui!  Que  de  feis  n'a-l-il  pas  donné  à  des 
auteurs  l'illusion  et  l'orgueil  d'avoir  pensé  des  choses  trop  ^'Ues 
pour  entrer  dans  la  nuit  de  leur  cerveau!  Avec  des  écrivains 
comme  Barbey  d'Aurevilly,  c'est  nne  autre  affaire;  de  celle  colla- 
boration naissent  deux  œuvres  distinctes  et  parallèles,  aussi 
magnifiquement  senlifs  et  exprimées  l'une  que  l'autre,  l'œuvre  du 
poêle  et  l'œuvre  du  peintre.  Ainsi  de  Bolicelli,  qui  refit  la  Divine 
Comédie  avec  ses  propres  visions;  ainsi  de  Delacroix,  qui  recréa, 
de  son  propre  génie,  Hamiel  et  Julielle. 

La  série  des  Diaboliques  est  une  merveille  d'art  grandiose  et 
de  pensée  évocalrice.  Elle  ouvre  un  vaste  el  lumineux  horizon  sur 
le  mystère  passionnel  de  l'homme,  A  la  regarder,  on  se  sent 
^ireint  par  l'admiration;  à  y  réfléchir,  on  se  sent  angoissé  par 

I  inquiétude,  car  elle  nous  fait  descendre,  avec  d'effrayants  ver- 
liges  de  mort,  jusque  dans  le  tréfonds  le  plus  obscur  de  la  vie. 

II  m'est  impossible  de  m'arrêler  à  chaque  composition  des  Dia' 
boliques,  mais  le  fron'ispice,  qui  peut  s'appeler  la  Cliimère,  suf- 
fira à  donner  une  idée  de  leur  puissance  et  de  la  hauteur  de 
pensée  où  plane  l'imagination  de  l'artiste.  Albjrl  Durer  eût 
reconnu  là  un  génie  frère  du  sien. 

La  femme  esl  couchée  voluptueusement  sur  l'énorme  colosse 
de  granit  dont  la  face  nubienne,  impassible,  se  tourne  vers  l'im- 
mense azur,  el  dont  les  ailes  s'incurvent  en  conque.  Satan,  en 
habit  noir,  esl  assis  entre  les  ailes  du  monstre.  Il  écoute  grave- 
ment la  femjne  qui,  pour  dire  son  secret, -s?  hausse  jusqu'aux 
oreilles  de  la  Chimère,  qu'elle  enlace  de  ses  bras,  qu'elle  caresse, 
sur  le  dos  de  la  pielle  son  beau  corps,  aux  ondulations  serpcn- 
ilines,  se  lord  el  frissonne.  Quel  plus  beau  symbole  du  péché  que 
celte  femme  qui,  les  yeux  pleins  de  désirs  et  les  lèvres  pleines 
de  baisers,  se  vautre  sur  l'idole  de  pierre  pour  lui  confier  son 
secret  que  le  diable  recueille?  Et  quel  est  le  peintre  d'aujour- 
d'hui qui  pourrait  dessiner  el  modeler  ujMîPrps  comme  c  lui  de 
cette  femme  el  donner  h  ces  chairs  qui  s*offrQiil  un  tel  frémisse- 
mennie  passion,  une  lelle  intensité  de  Vie  amoureuse  ! 

Dans  les  visions  de  Rops,  si  profondément  humaines,  malgré 
l'outrance  apparent"  avec  la  luelle  il  les  fixe  sur  la  loilc  ou  sur  la 
plaque  de  enivre,  la  créature  y  esl  toujours  douloureusement 
synthétisée  dans  la  torture  de  l'amour.  Son  corps  n'a  pas  les 
calmes  rigides  des  héros  d'académie,  les  carnations  ambrées  et 
cireuses  des  nymphes  antiques^")^(les  vierges  renaissantes.  Rops 
ramène  sans  cesse  l'homme  ati  squelette,  el  sur  celle  ossature 
macabre,  il  lui  crispe  des  muscles  suppliciés,  lui  lord  des  chairs 
0Ù7 s'enfoncent  le^  griffes  des  chimères  et  que  fouettent  les  pas- 
sions furieuses.  Comme  Augustin  Rodin,  le  seul  ariisie  avec 
lequel,  en  nôtre  époque  de  talents  craintifs  et  de  pauvres  con- 
cepts, on  puisse  le  comparer,  il  courbe  l'homme  sous  les  poids 
écrasants  de  l'universelle  douleur.  11  nous  le  montre  halelanl  sous 
l'amour  qui  enlace  el  meurtrit  sa  c\mr  de  ses  bras  de  pieuvre. 


Ah!  ce  n'est  point  Tamour  idéalisé,  qui  voltige  parmi  les  fleurs, 
un  sourire  dans  sa  face  joufïlue  et  stupidement  rose  de  sanlé, 
l'amour  qui  chante  dos  romances  aux  hcnres  de  la  lune,  l'amour 
qui  fail  se  pâmer  les  oiseaux  sur  les  branches  el  les  insectes  sur 
les  pétales  odorants  de  l'égianline.  C'est  l'amour,  avec  son  masqué 
saianique  qui  vous  terrasse,  vous  élreinl  de  ses  genoux  de  fer, 
vous  écrase  de  ses  ruts  qui  déchirent,  vous  ride  le  cœur,  le  cer- 
veau, les  moelles,  el  vous  laisse  brisés,  anéantis,  souillés.  El  ce 
qu'il  y  a  d'admirable,  c'est  que  loule  celle  philosophie,  Félicien 
Rops  l'exprime  par  le  nu,  le  nu  vrai,  qui  sent  la  peau  et  le  sexe 
avec  une  hardiesse  el  une  fr.mehisequi  font  grand  honneur  ii  son 
courage.  Il  n'a  pas  craint  de  jeter  le  défi  à  l'imbécile  pudeur  de 
son  temps,  et,  au  risq  le  de  choquer  l'hypocrisie  des  tartufes  el 
l'ignorance  des  imbéciles,  il  a  compris  comme  l'ont  fail  tous  les 
grands  el  vieux  maîtres  «  le  côté  héroïque  el  beau  des  emhras- 
sements  huitiains  ».  '  • 

Je  ne  connais  pas  un  artiste  qui  s:che  évoquer  la  vie  avec  une 
plus  extraordinaire  intonsilé,  el  dont  l'œuvre  par  les  pensées 
profondes  qui  s'en  exhalent  fasse  réfléchir  davantage.  Je  n'en 
connais  pas  un  dont  le  dessin  soil  plus  admirable,  plus  personnel, 
plus  serré  et  plus  beau  de  celte  beauté  mystérieuse,  qui  donne 
aux  êtres  el  aux  choses  une  intelligence,  une  âme.  Peintre,  litlé- 
râleur,  philosophe,  savant,  Rops  esl  tout  (ïela.  Ses  eaux-fortes, 
ses  aquarelles,  ses  tableaux,  portent  tous  l'empreinle  magnifique 
de  ce  cerveau,  à  qui  rien  n'est  caché  de  la  science  humaine,  et 
de  ce  cœur  qui  vibre  à  lou>  les  frissons. 

■  r  Octave  Mirbeau. 


JaE^    ]4yDF^0PHILEP 


Une  barricade  de  banquettes  el  de  plantes  vertes  coupe  bru- 
la!ement  en  deux  le  salonnet  des  Hydrophiles.  C'esl  qu'il  a  plu 
au  Musée  de  s'annexer  la  salle  n»  40  du  palais  des  Beaux-Arts 
i^our  y  C2iiicr  h  Peste  de  Touriiai. 

Il  n'y  a  pas  grand  mal  à  ce  que  celle  salle  n»  40,  mal  éclairée, 
Irisle,  vaste  comme  le  liall  d'une  gare  de  chemin  de  fer,  serve  de 
Teh¥^(t  h  h  Peste  de  Tournai . 

Mais  ce  qui  constitue  un  abus  contre  lequel  nous  protestons 
énergiquement  — el  tous  les  artistes,  'ù  l'exception  d'un  seiil  sans 
doute,  uniront  leur  voix  ii  la  nô  re,  —  c'est,  que  l'a  lminislrali"»n 
du  Musée  prétende  exercer  sur  la  salle  n«  44,  aliénante  k  la  salle 
des  pestiférés,  une  serviluilede  passage. 

La  salle  n»  44  esl,  avec  la  salle  n"  4  2,  le  meilleur  local  d'exf^)- 
silion  du  Palais  des  Beaux-Arts.  Elle  convient  aux  exposilj/ns 
inlimes,  auxquelles  elle  a  servi  dès  l'origine.  V Essor,  les  XX 
en  4884,  les  Hydrophiles,  s'y  sonl  succédés.  La  lumière  y  est 
favorable.  On  y  a  un  accès  facile  par  la  rue  du  Musée.  El  voici 
qu'en  raison  de  l'usurpation  commise  par  le  Musée,  la  salle  n»  44 
devient  une  sorte  de  vestibule,  ouvert  à  tout  venant. 

Les  XX,  qui  o'cupaient  la  salle  n«  4  4,  on  s'en  souvient,  outre 
la  grande  galerie  de  droite  el  ses  annexes,  s'étaient  tirés  d'affaire 
en  construisant  une  cloison  qui  coupait  la  salle  aux  Iro's  quarts  ; 
on  n'y  pénétrait  que  par  la  galerie,  el,  au  point  de  vue  décoratif, 
les  apparences  étaient  sauvées^  Mais  ce  que  personne  n'a  oublié, 
c'esl  qu'à  travers  la  baie  toujours  ouverte  du  couloir  menant  à  la 
peste  s'engouffraient  les  vents  coulis,  les  courants  glacés, 
véhiculant  le  cortège  des  bronchites,  des  pleurésies  el  des 
corvzas. 


V ART  MODERNE 


loi 


V 


Claude  Monot,  lo  peintre  du  soleil,  se  déballait  vainement,  de 
toute  la  chaleur  de  sa  palelle,  contre  celle  abominable  lemp(?ra- 
ture.  (Ce  qui  n'a  pas  empêché,  il  esl  vrai,  i'adminis'.ralion  de 
réclamer  444  francs  pour  frais  de  chauffage  des  salles  pondant  le 
mois  d'exposition  des  JTX.  0  dérision!)  '  ;- 

Les  Hydrophiles,  dont  l'exposition  plus  restreinte  nr;  pouvait 
s'accommoder  d'une  des  galeries,  ont  été  forcés  de  subir  la  servi- 
tude en  question.  On  passe  chez  eux  comme  dans  la  rue. 

Lés  inconvénients  pratiques  de  col  étal  de  choses  sautent  aux 
yeux.  11  faut  un  personnel  double  pour  surveiller  le  contrôle  des 
e:ilrées.  «  Où  loue-t-on  des  gendarmes  en  bourgeois?  »  deman- 
daient, désespérés, en  nage,  les  malheureux  Hydrophiles  obligé-!, 
le  jour  de  rouverture,  de  poursuivre,  de  traquer,  de  pourchasser 
ceux  qui  s'insinuaient  dans  leur  exposition  par  le  ouloir  de 
W.  Gallait. 

Il  faut  que  cela  ccs:e.  On  a  pris  une  partie  du  Palais  qui  avait 
été  construit  pour  h's  artistes.  Ils  se  sont  laissé  fairc\  Aujour- 
Vriiui,  on  va  plus  loin.  11  n'y  aura  bientôt  plus  un  coin  du 
Palais  où  ils  pourront  installer  leurs  œuVres.  Le  Palais  des  Deaux- 
Arls  n'est  pas  un  Musée.  Du  train  dont  vonl  les  choses,  les  expo- 
siiions  devront  bientôt  retourner  à  leurs  baraques  de  bois,  îi 
moins  qu'on  ne  désire  les  voir  mourir  tranquillement. 

Celle  impression  pénible  est  accentuée  par  un  étalage  de  lapis 
d'Orient  accompagnés  de  caries  d'adresse  et  de  prospectus  du 
plus  piteux  effet.  Elia  Souhami  Sadullah  est-il  des  vôtres,  Mes- 
sieurs les  Hydrophiles?  Que  signifient  ces  peintures  à  la  laine 
dans  un  Salon  de  peintures  à  l'eau? 

Le  marchand  était,  à  l'ouverture,  près  de  sa  marchandise,  le 
chef  orné  d'un  fez,  les  muins  pleines  d'avis  au  public.  Volontiers 
il  eût  fait  une  distribution  de  Rahat-Loucoum  et  allumé  quelques 
pastilles  du  sérïyil.  Qu'est-ce  que  ce  carnaval?  La  zivanze  gagne- 
l-elle  d:i  terraii 

Malgré  tout  c(^a,  l'exposition  est  intéressante.  Elle  est  jeune. 
Elle  est  remuantejk  Elle  n'a  pas  la  solenn"té  glacée  des  aquarel- 
listes a  royjux  »\  des  toujours  immuables  quaranlis'.es  qui 
siégeaient  jadis  — Vêlait  une  prédestination,  —  au  Palais  des 
Académies. 

On  regrette  l'absenîe  de  quelques-uns  des  meilleurs  Hydro- 
philes :  Vogels,  Schlobach,  Chjinaye.  En  revanche,ily  aToorop, 
Jakob  Smiis  et  Van  der  Maarel.  Trois  Hollandais.  Trois  intransi- 
geants. Trois  jeunes. 

Toorop  nous  paraîi  tenir  le  premier  rang.  Il  y  a  loin  de  son  art 
ému,  fier,  ^MijpJe  noblesse,  aux  triviales  images  de  M.  Hannon, 
aux  «  vues  »  de  M.  Crabbe,  "^hx  petites  noies  de  voyage  de 
W.  Combaz,  aux  fleurettes  de  M™^  Dupré,  aux  banals  croquis  de 
M.  Ecrevisse,  k  toutes  les  feuilles  de  papier  coloré  qui  malheu- 
reusement forment,  aux  Hydrophiles,  la  tapisserie  sur  laquelleLèe 
dHachenl  les  œuvres  de  valeur. 

Ses  dessins,  Chez  l'avocat  entre  autres,  sont  une  triomphante 
réponse  à  ceux,qui  l'ont  accusé  de  n'être  qu'un  «  tachisle  »,  et 
quelle  séduction  dans  le  coloris  de  ses  aquarelles,  lavéos  à  pleine 
eau,  fluides  et  claires,  d'une  harmonie  exquise  et  d'une  justesse 
rare!  Celle  que  nous  prisons  le  plus  es!  la  Chambre  dore'e.  On  ne 
pourrait  traiter  l'aquarelle  avec  plus  de  brio,  de  goût  et  de  légô- 
raé  de  main.  ^.^-^ 

Les  compatriotes  de  Toorop,  MM.  Jakob  Smits  el  Van  der 
Maarel,  —  ne  parlons  pas  d'isaac  Israëls,  dont  l'envoi  esl  plus 
que  médiocre  —  ont  une  facture  plus  lourde.  Us  arrivent  à  des 
effets  qui  rappellent  la  peinture  à  l'huile. 


Le  premier  est  un  nouveau  venu,  qui  débute  britlamment.  Il 
aligne  une  quinzaine  d'œuvres,  aquarelles  et  dessins,  dont  quel- 
ques-unes, Vlntérieur  d'c'ylise  principalement,  dénotent  un 
peintre  de  race.  C'est  puissant,  gran  lement  vu,  très  artiste.  Seul 
assombrit  les  espérances  que  fait  naître  ce  talent"  j(;une  le  regret 
devoir  M.  Smits  imiter  trop  servilement  les  procédés  de  quelques 
maîtres  actuellement  à  la  tête  du  mouvement  hollandais  :  les 
Maris,  les  Mauve,  etc. 

Le  second  esl  l'un  des  jeunes  arlistes  les  plus  militants  des 
Pays-Bas.  11  est  de  ceux  qui  .avec  Zilcken,  de  Zwart,  de 
Bock,  etc.,  ont  fondé  à  Amsterdam  une  exposition  in  lépendanle, 
a' laquée  avec  autant  de  violence  que  celle  des  XX  à  Bruxelles, 
el  sans  doute  destinée  à  remporter  les  mômes  victoires.  L'aqua- 
relle qu'il  intitule  le  Soir  esl  superbe.  Elle  est  d'une  grande  inlcn- 
sité  d'expression;  le  dessin  en  est  serré  ;  la  couleur  harmonieuse 
et  riche.       ■  . 

En  ces  trois  noms  se  résume  la  note  vraiment  artistique  et 
nouvelle  du  Salon  .des /Tt/rirop/tî/^^.  C'est  sur  eux  que  se  con- 
centre l'attention.  C'est  d'eux  seuls  que  nous  avions  à  parler. 

Les  autres  restent  semblables  k  eux-mêmes,  avec  leurs  défauts 
el  leurs  qualités  habituels.  Bornons-nous  donc  à  citer  les  noms 
de  ceux  que  nous  n'avons  pas  encore  rencontrés  d.ms  ce  rapide 
compte-rendu  :  MM.  Cassiers,  Hermamus,/de  Zwart,  Delsaux, 
Halkell,  Gilleman,  Rombouts,  Mundeleer,  Van  Acker,  Speekaert 
el  Vrolvk. 


jjERGLE    ARTISTIQUE   ET   J-ITTERAIRE    '     ^ 

Dans  un  tombeau.  —  La  Gorgone. 

M.  Charles  Ruelens,  conservateur  à  la  Bibliothèque  royale, 
fonctionnaire,  personnage  officiel,  vient  de  faire  rep-  ésenter  deux 
comédies,  et  en  vers,  s'il  vous  plaît.  C'est  d'une  b  lie  audace,  en 
ce  pays  où  se  promenor  avec  un  bagage  littéraire  est  absolument 
aussi  comprometlant  que  si  on  iransportail  de  la  dynamite.  Heu- 
reusement qu'il  y  a  ici  une  circonstance  atlénuante  :  l'auteur  a 
fait  jouer  ses  pièces  au  Cercle  arlisliqui»,  un  pavillon  qui  couvre 
les  marchandises  les  plus  st»«|i£Ctes/grûce  aux  gens  du  bel  air 
qui  y  donnent  le  ton  et  au  critique  mondanisant  qui  s'y  tirent  tou- 
jours en  posture  devant  la  rampe,  comme  le  souffleur  de  la  litlé- 
raiure!  y 

M.  Charles  Ruelens  fait  donc  de  la  pOï^sie,  ou  plutôt  il  en  a 
fait,  car  ses  deux  pièces,  Daiis  un  tombeau  el  la  Gorgone,  onl 
été  écrites  sans  doute  il  y  a  des  aimées.  L'auteur  vivait,  du  reste, 
dans  un  milieu  littéraire,  puistffie  c'est  à  son  foyer  que  souriait 
celle  douce  figure  de  notre  ancienne  liltéralure,  Caroline  Gra- 
vière,  le  romancier  de  fine  analyse  el  de  senimentému  qui  a 
écrit  le  Vieux  Bruxelles  el  la  Servante. 
:  M.  Charles  Ruelens  a  fait,  lui,  de  la  littérature  par  alliance. 

Quoi  qu'il  en  soil,  ses  deux  pièces  sont  des  meilleures  qu'on, 
ail  écrites  en  Belgique  durant  celle  période.  Avec  notre  baJau- 
derîe  belge  habituelle  il  a  fallu  que  le  Tombeau  fût  joué  à  Paris, 
avec  succès,  chez  M™*  Adam,  pour  qu'on  eût  l'idée  de  nous  le 
faire  entendre  ici. 

C'est  aussi  un  peu  grâce  k  M'*«  Weber,  le  grand  succès  récent 
dans  les  Jacobites  de  Coppée  :  une  lêt.»  superbe,  noire,  tragique, 
qui  rappelle  le  masque  de  Rachel,  dil-on,  une  voix  grave,  avec 
des  vibrations  de  métal  ;  se,uls  les  g<  stes  sont  un  peu  saccadés  el 
manquent  de  celle  ampleur  aveo  laquelle  les  grandes  Iragé- 


l 


(liçnncs  allongonl,  rcprenncril  leurs  bras,  jusqu'à  ce  que,  (jlans 
un  filial  lyrique,  elles  s'en  enveloppenl  loul  enlières^^ 

Kii  loul  cas,  elle  est  loin  encore  de  Sarah  Bernhardl  ou  d'Agar. 
Kt  les  cniifouemcnls  de  Paris  soûl  parfois  excessifs. 

iNéanmoins,  elle  a  donné  du  caractère  au  rôle  de  Cornélia 
Servia  dans/c  l'ombean.  CvH  l'épouse  de  Sexlus  qui  est  réveillt3e 
dans  son  loml^eau  par  un  statuaire  français  de  passage.  Il  veut 
l'emmener  avec  lui  versLutèce  mais  elle  rencontre  l'urne  funéraire 
de  son  mallieureux  époux  assassmé  par  Octave.  Il  refuse.  Elle 
aime  mieux  demcuror,  se  recoucher  dans  sa  tombe.  Elle  a  as^ez 
soullerl;  elle  ne  veut  plus  recommencera  vivre.  f/iJée  esl  philo- 
sophique et,  plus  indiquée,  elle  aurait  éié  émouvante.  Tel  le  pas- 
sage de  Schopeuhauer  qui  dit  que  quaud  sonneront  les  Irom- 
peltes  du  jugement  dernier,  les  morts  réveillés,  trébuchant  dans 
les  plis  des  linceuls,  ne  voudront  pas  revivre  et  se  recoucheront 
do  force  dans  leurs  tombeaux. 

El  tandis  (|ue  Cornélia  s'affaisse,  l'arlisle  pleure  son  idéal 
entrevu,  sa  Musc  à  peine  é  FvMnle,  son  rêve  irréalisé. 

La  situation  est  heureuse  et  le  style,  sans  être  éclatant,  est 
juste  de  ton  et  ferme  de  lignes. 

Dans  la  6'oy'j/o»e,  c'est  encore  un  sculpteur  —  quelle  passion 
pour  la  terre  glaise!  — ([ue  deux  femmes  se  disputent  :  Marietta, 
une  Bohémienne,  un  modèle,  et  une  riche  veuve,  Gemma. 

Seulement  le  modèle  a  appris  la  sculpture,  autrefois  ;  elle 
corrige  admirablement  les  bustes  de  son  maître,  ce  qui  est  une 
raison  décisive  pour  se  faire  épouser  par  lui,  surtout  qu'elle 
l'aime. 

Lui,  pour  le  savoir,  a  pris  un  moyen  h  la  portée  de  tout  le 
monde  :  il  s'est  mis  derrière  un  paravent.  C'est  un  peu  naïf.  Cette 
pièce-ci  vaut  moins  que  le  Tombeau. 

Quant  aux  vers,  les  rimes  sont  si  pauvres  qu'elle  se  tendent 
comme  des  mains  pour  mondier  des  consonnes  d'appui;  à  part 
cela,  la  coupe  en  est  parfois  heureuse  et  quelques-uns  sont  bien 
fraj)p(''s,  comme  ceux-ci  : 

•*  Oui  c'est  rillusion  qui  couvre  rindigence 

"  Le  rêve  favori  dont  se  berce  l'orgueil, 

••  Mais  du  palais  rêvé  combien  passent  le  seuil  ! 

«  Avec  un  masque  d'or  la  laideur  est  jolie.  ». 


UNION  DES  JEUNES  COMPOSITEURS 

Deuxième  séance. 

Oftt  les  voudrait  un  peu  plus  jeunes,  ces  jeunes  compositeurs. 

Le  chiffre  des  années  n'a,  bien  cn'.endu,  rien  à  voir  ici.  Il  s'agit 
de  tendances,  d'art,  d'aspirations.  Ce  qu'ils  font  entendre  aux 
auditions  de  choix  qui  se  succèdent,  à  des  intervalles  irréguliers, 
en  la  salle  de  la  drande-IIarmonie,  est  inléressanl,  sans  doute, 
d'autant  plus  intéressant  qu'une  vive  sympathie  accompagne  les 
premiers  pas  de  l'Associa^ion^Iais  c'est  très  sage,  très  calme, 
très  posé,  un  tantinet  trop  rétléchi.  On  a  envie  de  leur  crier  : 
Mais  lancez-vous  donc!  N'ayez  pas  peur!  Jamais  on  iCa  appris  à 
nager  sans  so  jeter  à  l'eau. 

M.  Lapon  joue  très  correctement  du  violon,  c'est  convenu.  Il 
écrit  de  petits  morceaux  destines  h  faire  valpir  agréablement  son 
coup  d'arcbel.  Très  bien,  mais  on  demande  davantage. 

La  céciljé  de  M.  Van  Cromphoutémousse  la  critique.  11  est  lou- 
chajit  de  le  voir  jouer,  et  nous  applaudissons  de  grand  cœur  à 


son  talent  de  pianiste  habile.  Mais  le  compositeur  manque  d'ori- 
ginalité. •  ' 

Le  quatuor  pour  instruments  à  cordes  de  M.  Paul  Lebrun, 
récemment  couronné  à  Gand,  est  écrit  avec  facilite.  Allégé  de 
quelques  longueurs,  il  prendra  place  dans  la  littérature  courante 
de  la  musiijue  de  chambre. 

On  connaît  les  compositions  aimables.de  M.  Emile  Agniez.  Sa 
Chanson  pour  piano  est  l'une  de  ses  inspirations  les  plus  heu- 
reuses. Sa  False  est  bien  écrite,  mais  elle  est  moins  personnelle. 
Les  deux  œuvres  ont  d'ailleurs  été  supérieurement  exécutées  par 
M.  De  Grcef,  qui,  a  son  tour,  s'est  produit  comme  compositeur 
dans  deux  mélodies  chantées  admirablement  par  M.  Heuschling. 

A  citer  encore  deux  très  jolies  mélodies  de  M.  Flon,  interprétées 
par  le  même  artiste  avec  non  moins  de  séduction,  un  Air  de  ballet 
de  M.  Léon  Dubois  pour  flûte,  hautbois,  clarinette,  basson,  cor, 
violoncelle  cl  harpos,  délicatement  instrumenté  et  développé  avec 
beaucoup  de  goût,  un  Menuet  assez  insignifiant,  du  même,  et 
enfin,  le  succès  de  la  soirée,  quatre  adorables  mélodies  de  Jan 
Blockx  sur  des  paroles  flamandes  :  Ik  ging  (kinderlied)  ;  Avond- 
groet;  Moederlied;  De  Spinster. 

C'a  été  la  perle  de  cet  écrin  musical.  Sans  hésiter,  le  public  a 
distingué  le  jeune  maître  anversois  et  lui  a  fait  une  ovation  par 
liculière.  Bien  secondé  par  M^'«-'  Flament,  dont  la  voix  timbrée  et 
harmonieuse  rappelle  celle  de  M"«  Antonia  Kufferalh,  M.  Blockx 
a  remporté  jeudi  un  succès  qui  lui  donnera  l'envie  de  revenir  aux 
Jeunes  compositeurs.  Il  est  l'un  de  ceux  qui  donnent  dans  la  géné- 
ration présente  les  plus  belles  espérances  d'avenir. 


^U  j]ÎONpf:RVATOIRE 

Troisième  séance  de  musique  de  chambre. 

L'Association  des  professeurs  d'instruments  à  vent  a  donné 
dimanche  sa  troisième  audition.  Exécution  correcte,  respectueuse 
de  la  pensée  des  maîtres,  d'un  bon  effet  d'ensemble  et  suffisam- 
ment colorée.  Le  choix  des  morceaux,  seul,  n'a  pas  paru  heu- 
reux. Au  soporifique  et  interminable  Odette  de  Lachner  a  suc- 
cédé un  Amiante  de  la  première  manière  de  Bcolhoven,  dont  un 
Divertissement  de  Mozart,  vieillot  tout  h" fait  celui-ci,  n'a  pas  dis- 
sipé l'influence  léthargique.  Entre  ces  deux  œuvres,  M.  Guidé, 
hautboïste  de  talent,  a  produit  des  pièces  d'un  M.  de  Boisdeffre, 
jeune  compositeur  français  qui  paraît,  à  en  juger  par  ses  inspi- 
rations, intimement  lié  avec  M.  Palhadilhe,  l'auteur  de  la  Man- 
dolinata.  Il  ne  doit  pas  être  très  commun  de  trouver  de  bonnes 
compositions  pour  hautbois.  Les  pièces  de  M.  de  Boisdeffre 
dépassent  évidemment  le  niveau  ordinaire  de  ce  genre  d'élucu- 
bra'.ions.  Elle5.ont  une  tournure  distinguée,  un  air  «  de  bonne 
famille  »  MM.  Degreef  et  Guidé- les  ont  d'ailleurs  si  bienfouées 
qu'on  les  a  écoutées  avec  une  vive  satisfaction. 


M.  Octave  Maus  a  adressé  au  journal  la  Meuse  la  lettre  sui- 
vante : 

Monsieur  "le  Directeur,  ' 

La  correspondance  bruxelloise  de  la  Meuse  contenait  hier  les 
lignes  salivantes  :  . 

«  Les  beaux-arts  ont  également   leurs  destructeurs,  c'est  à-dire 
leurs  anarchistes  :  ce  sont  ces  peintres  qui  voient  rouge  quand  c'est 


bleu,  et  noir  quand  c'est  rosé,  I^a  dernière  exhibition  des  A'X  l'a 

•s 

prouvé  surabondamment.  Aucun  de  leurs  tableàujt  nia  été  vendu,  et 
}é  ne  pense  pas 'Qu'ils  aient  fait  un  seul  prosélyte.  »» 

Votre  correspondant  rcçil  prudemment  en  se  gnrdnnl  de  rien 
affirmer  au  sujet  du  prosélytisme  des  XX. 

Que  n'a-t-il  montré  la  même  réserve  dans  l'allégalion  qui  pré- 
cède! ^ 

Aucun  InbleaUy  dit-il,  na  été  vendu.  Eii  réponse,  voulez-vous 
avoir  l'obligeance  de  reproduire  la  liste  ci-après,  publiée  par 
VArl  moderne  dans  son  numéro  du  7  mars. 

Schlobach,  Qkcû  d'Ostende.  —  Idem.,  Hiver.  —  Ensor,  Salon 
bourgeois  en  1881,  —  Idem.,  Musique  tousse.  —  Théo  Van  Ryssel- 
berghe,  I^fi  BoiiUvard.  —  Fcrnand  KhuopflT,  En  écoutant  du  Schii- 
mami.  —  R.  Wytsman,  Pastel.  —  F.  Koislo,  Intérieur  d'atelier. 
—  Dario  do  Regoyos,  La  haie  de  Pasagès.  —  Anna  Boch,  Dimanche 
matin,  t. 

Vous  voudrez  bien  ajouter  que  depuis  lors  deux  œuvres  ont 
trouvé  acquéreur: 

Isidore  Verheyden,  La  glèbe.  —  Odilon  Redon,  Les  masques  de 
lu  mort  rouge, 

et  que  sur  les  250  tableaux  cl  dessins  expoî-és,  quatre-vingt- 
huit  avaient  été  achetés  antérieurement  \x  l'ouverlure  ou  com- 
mandés. 

Je  ne  suis  pas  de  ceux  qui  mesurent  le  succès  d'une  exposition 
au  nombre  des  tableaux  vendus,  mais  j'aime  la  vérité.  El  j'espère 
que  vous  l'aimerez  as-ez  pour  publier  ma  lellrc. 

Recevez,  Monsieur  le  Direcleur,  mes  salutations  les  plus  dis- 


tmguecs. 


Bruxelles,  20  mars  1886. 


(Signé)  Octave  Maus. 
Secrétaire  des  XX. 


f 


ETITE    CHROJS[iqUE 


Jeudi  a  eu  lieu,  au  Palais  de  l'Industrie,  le  vole  des  artistes 
peintres  pour  l'élection  du  jury  do  la  section  de  peinture,  dessins, 
aquarelles,  pastels,  etc.,  au  Salon  de  Paris. 

Le  scrutin  a  été  ouvert  h  neuf  lienres  du  matin  sous  la  prési- 
dence de^MM.  Dailiy,  président  de  la  Société  d^s  artistes  français. 

Le  résultat,  qui  n'a  clé  proclamé  qu'à  dqux  heures  du  matin, 
est  celui-ci  :  '^ 

Elus,  MM.  Bonnal,  4,200;  Jules  Lefebvre,  1,204;  J.-P.  Lau- 
rens,  4,499;  Harpiguies,  4,193;  Henner,  4,180;  Tony  Robert- 
Fleury,  4,409;  Puvis  de  Chavanne,  4,101;  Bougiiereau,  4,084; 
Cabaiiel,  4,042;  Français,  4,005;  Humbert,  4,00;!;  Busson, 
4,002;  Guillemet,  996;  Benjamin  Constant,  982;  Vollon,  974  ; 
Boulanger,  965;  Roll,  940;  Duoz,  934  ;  Pille,  910;  Hapin,  888; 
Jules  Breton,  885;  Bernier,  847;  Yon,  834;  Détaille,  820;  (niil- 
laumel,  798;  Vuillefroy  (de),  793;  Cormon,  787;  (iervex,  787; 
Carolus  Duran,  784;  Morot,  762;  Vayson,  755;  Saint-Pierre, 
740  ;  Maignan,  736;  Lansyer,  729  ;  Barrias,  707  ;  Luminais,  690; 
Hector  Leroux,  689;  Hano:eaux,669;  Renouf,  625;  Lalanne,  574. 

Viennent  ensuite  : 

MM.  Feyen-Perrin,  509;  Cazin,  483;  Dngnan-Bouveret,  457; 
Delaunay,'430;  Merson,  426;  Gérome,  420;  Hibot,  417;  Van 
Marck,  409;  Rixeus,  391;  Léon  Glaize,  390;  Lhermitte,  344; 
Pelouze,  337;  Philippe  Rousseau,  314;  Prolais,  310;  Bafillot, 
304;  D.  Rozier,  280;  Bernard,  279;  Meissonier,  256;  Emile 
Lévv,  250;  Lavieille,  250;  Beauverie,  185;  Bonvin,  479;  Colin, 
470';  Courtois,  463;  J.  Blanc,  430,  etc. 

Les  votants  étaient  au  nombre  de  4800.  Le  chiffre  des  envois 
dépasse  7,000.      •  , 


M.  Verdhurl  vient  d'erigagér,  pour  la  campagne  prochaine, 
une  contralto  dont  on  dit  merveille.  M"'-  Balensi.  ' 

La  nouvelle  pensionnaire  de  la  Monnaie  (  si  actuellement  atta- 
chée au  Grand  Théâtre  de  Rouen.  Elle  est  tout  naturellement 
indiquée  pour  chanter  le  rôle  d'OrIrude  d:ns"  L(;/t^;/</n:?t,  qui 
sera,  avec  Sigurd,  l'un  des  premiers  ouvrages  que  montera 
la  direction  au  débul  de  la  siison.  -       * 

La  Walkyrie  viendra  ensuite. 

Les  Choîurs  russes,  qui  viennent  de  remporter  à  Lyon  et  a 
Nice  un  très  grand  succès  et  qui  sont  engngés  au  Cliâlolel  pour 
le  mois  d'avril,  se  feront  entendre  celle' semaine  à  la  Monnaie. 
Le  premier  concert  est  fixé  mardi.. 

Aujourd'hui  dimanche,  à  4  1/2  heure,  au  théâtre  de^  la  Monnaie, 
troisième  concert  populaire,  avec  le  concours  de  M'^'  F.  Von 
Edeisberget  de  M.  Engel.  Programme  :  ii"  symphonie  (\c  Bralims. 
—  Air  de  \di  Clemenza  di  Tito  de  Mozart  (M»»-'  Von  Edelsberg).-- 
Introduclion  au  3«  acte  (\q  VApoUonide  i\(i  Franz  Servais.  — 
Scène  d'a.mour,  d'a|>rès  le  poème  dç  Baudelaire  ^-.  Le  jel  d\mu  » 
de  Franz  Servais  (M"«  Von  Edeisberget  'M.  Eflgel).  —  Adagio  du 
1''  quinleue  de  Mendelssohn  (exécuté  par  tous  les  archets)  — 
Air  de  FidcHo  de  Beethoven  (M"*-'  Von  Edelsberg).  —  Fanlaisie- 
Ouverlureûfi  i.-'ïh.  Wmloux^ 


Mardi  6  avril  4886,  à  8  heures  du  soir,  à  la  Grande-Harmonie, 
concert  de  M.  Arthur  Van  Dooren,  pianiste,  avec  le  concours  de 
M"«  Alphonsine  Douilly,  canlairice,  et  de  M.  Georges  Millier, 
violoniste  (élève  de  Joachim). 

On  nous  prie  d'annoncer  l'audition  de  musique  religieuse  qui 
aura  lieu  à  l'église  des  Carmes,  le  mercredi  7  avril,  à  une  heure 
et  demie,  au  profil  d'une  œuvre  de  charité.  Les  exécutants  sont  : 
M'^'^MaxcleVillers-Grandchamps,  M"'^*  WirixelBovy,.M.  Alphonse 
Maillv  et  un  chœur  de  cent  dames  amateurs  sous  la  direction  de 
M.  François  Riga.  On  entendra  diverses  œuvres  de  Bach,  Cheru- 
bini,  Schubert,  Mendelssohn,  Lachner  et  Riga. 

Le  concert  de  M.  Camille  Gurickx,  retardé  par  indisposition, 
aura  lieu  le  vendredi  9  avril,  à  8  4/2  heures  du  soir,  à  la  Grande- 
Harmonie. 

Les  billets  restent  valables. 

Pour  tous  renseignements  s'adresser  à  M.  Défasses,  38,  rue 
Sainl-Josse.        ' 

Sommaire  de  VElnn  littéraire  (numéro  du  15  mars)  : 
Le  temps  des  chèvrefeuilles,  G.  Giran.  —  Pauvre  bébé,  conte 
Blanc,  Albert  Mockel.  —  Critique  littéraire  (suite),  Léon  Morel. 
Sicul  Dcus,  Fernand  Severin.  — In  excelsis,  Fernand  Severin.  — 
Glissez  mortels,  Maurice  Siville.  —  Chronique  ariislique, 
L.  Hemma.  —  Chronique  musicale,  X.  —  Chronique  liitéiaire, 
Alberl  Mockel.  _      ^ 

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104 


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:.      ■  -,  SIXIÈME- ANNÉE    ■  ■■'  , 

'LàA'RT  MODEHNE  s'est  acquis  par  Tautorité  et  rindéi)cnclancc  de  sa  critique,  par  la  variété  de  ses 
informations  et    los  soins  donnés   à  sa   rédaction   une  place  prépondérante..  Aucune   manifestation  de  l'Art  ne 

lui  est  étranf^^çre  :  il  s'occupe  de  littérature,  de  peinture,  de  sculpture,  de  gravure,  do  musique, 

d'architecture^  etc.  Consacré  principalement  au  mouvement  artistique  belge,  il  renseigne  néanmoins  ses 
lecteurs  sur  tous  les  événements  artistiques  de  l'étranger  qu'il  importe  de  connaître. 

Chaque  numéro  do  L'ART  MODERNE  s'ouvre  par  une  étude  approfondie  sur  une  question  artistique 
ou  littéraire  dont  révénemont  de  la  semaine  fournit  l'actualité.  Les  expositions,  les  livres  nouveaux^  les 
premières  représentations  d'œuvros  dramatiques  ou  musicales,  les  conférences  littéraires,  los  concerts,  les 
ventes  cl(hjets  dart,  font  to-us  les  dimanches  l'objet  de  chroniques  détaillées. 

L'ART  MODERNE  relate  aussi  la  législation  et  la  jurisprudence  artistiques.  Il  rend  compte  des 
•procès  les  plus  intéressants  concernant  les  Arts,  plaides  devant  les  tribunaux  belges  et  étrangers.  Les 
artistes  trouvent  toutes  les  semaines  dans  son  Mémento  la  nomenclature  complète  des  expositions  et 
concours  auxquels  ils  peuvent  prendre  part,  en  Belgique  et  à  l'étranger.  Il  est  envoyé  gratuitement  à 
l'essai  pendant  un  mois  à  toute  personne  qui  en  fait  la  demande.  v 

L'ART  MODERNE  forme  chaque  année  un  beau  et  fort  volume  d'environ  450  pages,  avec  table 
des  matières.  11  constitue  pour  l'histoire  de  l'Art  le  document  LE  PLUS  COMPLET  et  le  recueil  LE  PLUS 
FACILE  A  CONSULTER. 


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acconip  dç  violoncelle  (ou  violon)  et  piano.  Paroles  françaises  et 
anglaises  .  N^^  1  Venez  vui  mie.  Sérénade.  (Arise,  beloved),  l'r,  1^35; 
n»  2  P(>iir  l'absnit.  (To  niy  absei'.t  love),  fr.  1.75;  n^  3.  Chant 
tVawtntv   (Love  sonj,^),  fr   1  75, 

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Sixième  année.  —  N°  14 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  4  Avril  1886. 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,  un  an,   fr.   10.00;  Union  postale,   fr.    13.00.    —  ANNONCES  :    On   traite  à  forfait. 


Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 
l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  Tlndustrie,  26,  Bruxelles. 


^OMMAIRE 


Homère.  —  Ernest  Hello.  —  Le  chœur  russe  —  Une  curieuse 

AQUARELLE.  —   Le  TROISIÈME  CONCERT   POPULAIRE. BIBLIOGRAPHIE 

musicale.  Publications  nouvelles.  —  Petite  chronique. 


HOUEaE 

Les  malentendus  que  l'éducation  classique  a  répandus 
sur  la  nature  et  la  portée  des  poèmes,  longtemps 
attribués  à  Homère  alors  qu'ils  apparaissent  désormais 
comme  Tœuvre  de  plusieurs  chantres  et  de  plusieurs 
générations,  sont  à  la  fois  étonnants  et  risibles. 

Il  n'est  pas  de  collégien  qui  n'en  soit  sorti  persuadé 
que  les  héros  qui  s'y  meuvent  sont  de  la  même  troupe 
que  ceux  qui  déclament  dans  les  tragédies  de  Corneille, 
de  Racine  et  de  leur  suite  innombrable.  Pompeux, 
majestueux,  d'une  dignité  aristocratique  ne  se  démen- 
tant jamais.  Ayant  les  mœurs  d'apparat  de  la  cour  de 
Louis  XIV.  Superbes  en  toutes  leurs  habitudes  et  d'une 
grandeur  pleine  de  mesure.  Des  rois,  des  princes,  des 
seigneurs,  de  nobles  dames  dans  la  plus  haute  acception 
des  termes.  Bref,  un  personnel  de  théâtre  réalisant  les 
meilleurs  rêves  officiels. 

Bitaubé  a,  dans  sa  traduction  fameuse,  donné  l'ex- 
pression suprême  de  cette  conception  baroque  de 
YUiade  et  de  VOdyssée.  "  - 

Or,  ce  n'est  pas  cela  du  tout,  mais  pas  du  tout. 
L'école  réaliste  a  eu  cette  vertu  imprévue  d'amener  la 
revision  des  traductions  ayant  cours  de  la  littérature 


antique,  Les  savants  qu'elle  a  mordus  ont  été  pris, 
tout  comme  s'ils  étaient  des  romanciers  naturalistes, 
d'une  rage  de  vérité,  et  jetant  aux  quatre  vents  les  ver- 
sions acceptées,  ils  ont  recommencé  sur  nouveaux  frais 
l'interprétation  des  chefs-d'œuvre  grecs  et  romains. 
Les  découvertes  ont  été  stupéfiantes.  " 
On  s'est  aperçu  d'abord  que  ce  qui  caractérisait  sur- 
tout ces  vieilles  œuvres,  c'était  une  simplicité  forte,  sans 
le  moindre  relent  de  la  pompe  académique  dont  on  les 
croyait  inséparables.  De  déclamation,  point.  De  préten- 
tion, jamais.  Un  naturel  constant,  une  sobriété  puis- 
sante, une  virilité  tranquille.  Pas  de  rhétorique,  non, 
pas  de  rhétorique,  même  dans  les  harangues  dites 
Cicé^'oniennes.  Tout  cela  était  inventé,  tout  cela  était 
le  produit  d'hallucinations  professorales.  Le  correct  et 
solide  édifice  de  l'antiquité  avait  été  recouvert  d'un 
badigeon  multicolore  ridicule.  Fresques  imposantes, 
graffites  ingénieux,  fines  sculptures,  tout  en  avait  été 
déshonoré.  Un  grattage,  un  nettoyage  universels  s'im- 
posaient comme  dans  nos  cathédrales  gothiques.  Pour 
trouver  une  accommodation  qui  ne  fût  pas  une  trahi- 
son, il  fallait'  remonter  jusqu'à  Amyot  et  à  la  langue 
ingénieuse  par  laquelle  il  avait  interprété  La  vie  des 
hommes  illustres  de  Plutarque. 

C'est  particulièrement  à  l'occasion  des  poèmes  homé- 
riques que  le  phénomène  s'est  accentué.  Comme  si  l'on 
arrachait  à  des  acteurs  leurs  travestissements  de  costu- 
miers, diçux,  rois  et  héros,  dépouillés  des  oripeaux 
dont  on  les  afï'ublait,  sont  apparus,  à  l'émerveillement 
de  tous,  dans  la  simplicité  primitive  qui  en  fait  les 


égaqx  des  divinités  qu'on  adore  et  des  grands  chefs 
qu'on  honore  dans  la  Malaisie  et  la  Polynésie,  ou,  si 
l'on  veut  une  comparaison  moins  hardie,  comme  les 
analogues  des  personnages  qui  s'agitent  dans  les 
Nihelimgen.  Plus  rien  d'une  civilisation  royale  raf- 
finée, avec  étiquette  cérémonieuse,  allures  de  la  haute 
vie,  cortèges  bien  réglés,  pompes  de  toutes  sortes.  Il  a 
fallu  se  résoudre  (avec  quelle  joie  des  vrais  artistes)  à 
abandonner  la  légende  du  grand  poète  unique,  aveugle 
et  solennel,  parcourant  la  Grèce  en  créant  de  toutes 
pièces  les  deux  immortels  chefs-d'œuvre.  Ces  chefs- 
d'œuvre  sont  tout  bonnement  des  chansons  populaires, 
le  Romancero  de  l'HelIade,  des  fantaisies  brodées  sur 
de  vieux  souvenirs,  des  lambeaux  de  poésie  sortis  sans 
ordre  de  l'âme  collective  d'une  jeune  nation  vaguement 
consciente  de  ces  origines  et  de  quelques  aventures 
ancestrales.  S'ils  furent  pieusement  conservés,  c'est 
qu'ils  avaient  la  saveur  ingénue  des  choses  embryon- 
naires et  qu'ils  caressaient  l'héroïsme  un  peu  gros  de  la 
Grèce  par  le  récit  merveilleusement  pittoresque  d'un 
grafid  siège  et  d'un  grand  voyage,  ces  deux  sources 
inépuisables  d'intérêt  pour  un  peuple  enfant.  Et  encore 
aujourd'hui,  même  pour  nos  générations  vieillissantes, 
ils  se  révèlent  avec  le  charme  des  contes  naïfs,  tantôt 
innocemment  cruels,  tantôt  brutalement  héroïques. 

A  quiconque  s'imaginerait  que  nous  nous  méprenons, 
il  suffirait  de  signaler  d'une  part  la  traduction  de 
Leçontede  Lisle,  sévère  et  lapidaire,  d'autre  part,  celle 
d'un  de  nos  compatriotes,  Eugène  Hins,  familière  et 
populaire.  L'une  et  l'autre,  par  des  voies  différentes, 
laissent  la  même  impression  irrésistible  :  il  s'agit  dans 
YOdysséecommQ  dans  V Iliade,  de  sauvages  peu  dégros- 
sis, de  paysans,  de  bouviers,  de  chevriers,  de  labou- 
reurs, de  chasseurs,  vivant  surtout  en  plein  air,  habi- 
tant des  cabanes  ou  des  huttes,  se  nourrissant  comme 
les  nègres  africains,  se  livrant  à  tout  propos  à  des 
scènes  de  violence.  Troie  n'était  qu'une  bourgade 
entourée  de  palissades  et  de  remparts  en  boue  durcie. 
La  flotte  grecque  se  composait  de  pirogues.  Le  palais 
de  Priam  ou  d'Ulysse  étaient  des  baraques  un  peu  plus 
grandes  que  les  autres. 

Voici,  d'après  Leconte  de  Lisle  le  récit  homérique 
d'un  tournoi  auquel  prennent  part  les  chefs  les  plus 
illustres.  Cladel  en  a  fait  le  prologue  de  son  Omp- 
drailles.  Vous  allez  voir  ce  que  sont  les  prix  que  se 
disputaient  les  rois.  Vous  allez  aussi  les  voir  s' empoi- 
gnant et  se  talochant  en  vrais  portefaix. 

*'  Le  Péléïde  déposa  les  prix  pour  le  rude  combat 
des  poings.  Il  amena  dans  l'enceinte  et  il  lia  de  ses 
mains  une  mule  laborieuse  de  six  ans^  indomptée  et 
presque  indomptable;  et  il  déposa  une  coupe  ronde 
pour  le  vaincu.  Debout  il  dit  au  milieu  des  Argiens  : 
Atréîdes  et  vous  Akhaiens  aux  belles  knémides,  j'ap- 
pelle pour  disputer  ces  prix  deux  hommes  vigoureux  à 


se  frapper  de  leurs  poings  levés.  »  —  Se  présentent 
p]péiôs,  fils  de  Panopeus  et  Euryalos  «  fils  du  roi 
Mékisteus  Talionide  qui,  autrefois,  alla  dans 
Thèbes  aux  funérailles  d'Oidipous.  Les  deux  com- 
battants s'avancèrent  au  milieu  de  l'enceinte.  Et  tous 
deux,  levant  à  la  fois  leurs  mains  vigoureuses,  se  frap- 
paient à  la  face,  en  mêlant  leurs  poings  lourds.  Et  on 
entendait  le  bruit  des  mâchoires  frappées,  et  la  sueur 
coulait  chaude  de  tous  leurs  membres.  Mais  le  divin 
Epéios,  se  ruant  en  avant,  frappa  de  tous  les  côtés  la 
face  d'Euryalos  «. 

Voilà  de  singuliers  fils  de  roi,  pas  du  tout  à  la  mode 
de  Versailles  et  fort  loin  de  ceux  qui  nous  sont  repré- 
sentés dans  les  cinq  actes  (ÏAgamemno7i  et  de 
Phèdre,  ou  dans  les  Aventm^es  de  Télémaqiie, 
manuel  d'éducation  française  par  M.  de  Fénelon.  Ce 
concours  de  boxe  anglaise  est  suivi  d'une  lutte  à  main 
plate  pour  laquelle  les  prix  sont  un  brasero  et  une 
esclave  que  se  disputent  Ulysse  et  Ajax.  C'est  Ulysse  qui 
met  Ajax  parterre,  grâce  à  un  croc-en-janlbe,  oui,  un 
vulgaire  croc-en-jambe  que  la  chanson  homérique  note 
avec  soin  comme  une  bonne  ruse. 

A  n'en  pas  douter  donc,  il  s'agit  de  récits  rythmés 
de  la  vie  patriarcale,  déclamés  parles  meilleurs  ora- 
teurs de  villages  ou  par  des  chanteurs  ambulants  de 
la  plèbe,  dans  les  veillées,  sous  les  arbres  et  sur  les 
prés.  ; 

Dans  le  même  goût,  voici  l'extraordinaire  exposé  des 
soins  que  prend  la  divine  Calypso  pour  préparer  le 
retour  du  magnanime  Ulysse,  lorsque  ce  dernier,  après 
de  beaux  discours  où  ellele  qualifie  constamment  d'arti- 
ficieux alors  que  lui  la  nomme  respectablCy  a  persuadé 
à  la  nymphe  qu'il  doit  retourner  chez  lui.  Nous  citons 
la  traduction  d'Eugène  Hins.  Elle  donne  une  idée  par- 
faite des  occupations  auxquelles  descendaient  les 
déesses  et  les  princes  du  temps.  On  se  croirait  aux  îles 
Fidji. 

«  Elle  lui  donna  une  grande  hache  d'airain,  aiguisée 
des  deux  côtés,  qui  se  maniait  des  deux  mains  ;  celle-ci 
avait  un  très  beau  manche  d'olivier  solidement  fixé. 
Elle  lui  donna  ensuite  une  hachette  bien  polie  et  le  con- 
duisit à  l'extrémité  de  l'île  où  croissent  de  grands 
arbres,  l'aune,  le  peuplier  noir,  le  sapin  qui  s'élève 
jusqu'au  ciel,  tous  arbres  bien  secs,  qui  flotteront  faci- 
lement. Lorsqu'elle  lui  eut  montré  oCi  croissaient  les 
grands  arbres,  Calypso,  la  noble  déesse,  s'en  retourna  à 
la  maison.  Cependant  Ulysse  coupait  les  arbres  et  il  eut 
vite  fini  la  besogne.  Il  en  abattit  en  tout  vingt,  les 
équarrit  avec  l'airain,  les  polit  soigneusement  et  les 
aligna  au  cordeau.  Alors  Calypso,  la  noble  déesse,  lui 
apporta  une  tarière.  Il  fora  tous  les  troncs  et  les  fixa 
les  lins  aux  autres  par  des  chevilles  et  des  liens.  Il  fit 
ensuite  le  tillac,  qui  reposait  sur  de  nombreux  étais  ; 
enfin  il  termina  le  radeau  en  fixant  sur  les  côtés  de 


grandes  planches.  Puis  il  fît  le  mât  et  la  vergue  qui  s'y 
attache.  Ensuite  pour  diriger  le  navire,  il  fit  tin  gou- 
vernail, qu'il  entoura  tout  à  fait  de  claies  d'osier  pour 
le  protéger  contre  les  vagues.  Enfin  il  remplit  le  radeau 
de  bois.  Alors  Câlypso,  la  noble  déesse,  lui  apporta  des 
tissus  pour  faire  des  voiles  et  il  les  fit  ;  il  y  attacha  des 
cordages  et  des  écoutes,  puis,  au  moyen  de  perches,  il 
fit  glisser  son  radeau  vers  la  mer  divine.  Le  quatrième 
jour  tout  était  fini.  Le  cinquième,  la  divine  Calypso  le 
congédia  de  son  île,  après  lui  avoir  donné  des  vête- 
ments parfumés.  Elle  plaça  sur  le  radeau  une  outre  de 
vin  noir  et  une  outre,  plus  grande,  pleine  d'eau.  Elle 
lui  donna  aussi  un  sac  avec  des  vivres  en  quantité  suf- 
fisante et  fit  soufiier  un  vent  favorable  et  doux;  Joyeux, 
le  divin  Ulysse  déploya  sa  voile  au  vent  et  assis  au  gou- 
vernail, dirigea  adroitement  son  navire.  »» 

Est-ce  assez  conte  de  Perrault  à  la  mode  grecque  ? 

Une  scène  très  significative  également,  est  la  fameuse 
idylle  de  Nausicaa,  fille  d'Alcinoos,  roi  des  Phéaciens 
dans  l'île  de  Schérie.  Tout  le  monde  l'a  présente  à  l'es- 
prit telle  que  le  pédantisme  l'avait  transformée  :  une 
princesse,  une  vraie  princesse  qui  se  promène  noble- 
ment sur  le  rivage  de  la  mer,  recueille  Ulysse  naufragé 
et  le  mène  cérémonieusement  au  palais  de  l'auguste 
auteur  de  ses  jours! 

Voici  la  bourgeoise  vérité.  Nausicaa  désire  aller  faire 
la  lessive  et  s'adresse  à  son  père  :  «  Cher  papa,  ne  me 
prépareras-tu  pas  un  char  élevé,  aux  belles  roues,  pour 
que  je  transporte  nos  beaux  habits  vers  le  fleuve,  et 
que  j'y  lave  ceux  qui  sont  au  linge  sale?  »»  (Textuel.) 

Le  roi  consent.  Nausicaa  part  sur  une  grande 
brouette  à  roues  pleines,  commes  celles  de  nos  paysans, 
tirées  par  des  mules.  Elle  emmène  avec  elle  des  lavan- 
dières : 

«  Elles  arrivèrent  au  bord  du  beau  fleuve  :  là  se 
trouvaient  de  nombreux  lavoirs,  où  coulait  une  eau 
abondante  et  limpide  pour  nettoyer  le  linge  sale.  Elles 
dételèrent  les  mules  du  char  et  les  lâchèrent  le  long  du 
fleuve  sinueux  pour  y  paître  une  herbe  aussi  douce  que 
le  miel.  Puis  elles  prirent  du  char  les  vêtements,  les 
plongèrent  dans  l'eau  profonde  et  les  foulèrent  en  riva- 
lisant de  vitesse.  Lorsqu'elles  eurent  lavé  et  frotté  tout 
le  linge,  elles  retendirent  en  ordre  sur  le  rivage  de  la 
mer  à  l'endroit  où  le  flot  a  roulé  le  plus  de  cailloux. 
Puis  s'étant  lavées  et  ointes  grassement  d'huile,  elles 
prirent  leur  repas  sur  les  bords  du  fleuve,  laissant  les 
habits  sécher  aux  rayons  du  soleil.  Lorsqu'elle-même 
et  ses  suivantes  eurent  savoufé  leur  nourriture,  elles 
ôtèrent  leurs  ornements  de  tête  et  se  mirent  à  jouer  à 
la  balle  :  c'était  Nausicaa  aux  bras  blancs  qui  condui- 
sait le  jeu.  »  ■ 

Allez  en  Ardenne,  au  bord  de  la  Semois  ou  de 
l'Ourthe,  ainsi  procèdent  les  jeunes  villageoises  d'Her- 
beumont  ou  de  Maboge. 


Mais  voici  qu'Ulysse,  qui  s'était  caché  dans  un  taillis, 
vu  qu'il  était  couvert  de  boue,  se  montre,  talotiné  qu'il 
est  par  la  faim.  Il  se  tient  à  distance,  car  il  est  tout  nu 
et  demande  «  un  haillon  pour  se  couvrir  ou  quelque 
morceau  de  toile  dont  on  enveloppe  le  linge  «,  en- 
français  moderne,  une  serviette.  Nausicaa  le  trouve  à 
son  gré  et  l'engage  tout  d'abord  «  à  se  laver  dans  le 
fleuve,  dans  un  endroit  à  l'abri  du  vent  «.Puis,  quand 
il  est  réconforté  et  présentable,  la  princesse  remonte 
dans  son  ;char,  fouette  ses  mules  et  l'on  part  pour  la 
ville;  le  divin  Ulysse galoppe  à  pied  avec  les  ser- 
vantes à  côté  du  véhicule. 

Et  ainsi  d'un  bout  à  l'autre  de  ces  sublimes  poèmes  ! 

Qu^on  n'aille  pas  nous  prêter  l'intention  de  les 
amoindrir.  Nous  n'avons  voulu  que  rectifier  des  préju- 
gés absurdes,  remettre  au  point  deux  œuvres  char- 
mantes d'ingénuité,  et  aussi  de  férocité,  car^ces  deux 
dominantes  de  l'humanité  enfant  s'y  révèlent  constam- 
ment avec  une  innocence  incomparable.  A  notre  avis, 
ce  changement  de  décor  rend  plus  savoureuse  cette 
poésie  lointaine,  elle  en  prend  un  imprévu  délicieux, 
une  vie  d'une  intensité  séductrice.  Ce  n'est  plus  la 
Troade  factice,  ce  n'est  plus  la  Grèce  de  comédie,  c'est 
la  réalité,  fraîche,  colorée,  remuante;  le  convention- 
nel et  le  faux  font  place  au  vrai  et  grandissent  ces 
chansons  de  gestes  aux  proportions  harmonieuses  d'un 
art  instinctif,  admirablement  descriptif  et  sincère. . 


Î^RNEPT    J4ELI-0 


Si  l'uniié,  la  ncllelé  et  la  domination  du  jugement,  si  le  ramas- 
sement  des  faits  épars  autour  de  l'idée  génératrice,  si  la  force 
tyrannique  d'une  conviction  totale,  si  la  sûreté  d'aperçus  aboutis- 
sant à  une  souveraineté  intellectuelle  superbe  sont  les  qualités 
suprêmes  d'une  analyse  forte  et  décisive,  Ernest  Hello  est  le  pre- 
mier critique  de  noire  temps.         ^ 

Ernest  Hello  ?  Un  inconnu,  n'est-ce  pas? 

Il  a  vécu  toute  sa  vie  solitaire,  fermé.  La  presse  à  réclames  ne 
l'a  point  désigné  à  l'attention  publique.  Il  a  écrit  d'elle,  faisant 
allusion  U  l'oubli  qu'elle  étend  autour  des  plus  grands  artistes. 

«  Elle  n'osera  pas  dire  devant  l'œuvre  d'un  homme  encore 
ignoré  :  Voilà  la  gloire  et  le  génie.  Voit-elle  un  homme  débordant 
de  vie  et  d'amour  elle  l'entoure  d'un  cimetière.  » 

ET*nest  Hello  est  mort  le  11  juillet  dernier.  Il  est  mort  de  souf- 
frir. Il  est  mort  d'obscurité.  Non  pas  qu'il  appelât  la  notoriété  ou 
la  célébrité  parisienne,  mais,  comme  le  remarque  Barbey,  c'élait 
le  seniiment  exaspéré  d'un  apostolat  sublime  et  cet  apostolat 
jamais  il  n'a  pu  l'exercer.  Il  était  mystique,  inébranlablement.  Son 
mysticisme  se  levait,  étayé  sur  la  conviction  et  la  foi  catholiques. 

Plusieurs  de  ceux  qui  suivent  le  mouvement  artistique  à  cette 
heure  se  sentent  attirés  par  de  lointains  appels  vers  les  mondes 
religieux  et  surnaturels;  les  uns  en  rêvent,  les  autres  y  croient. 
Hello  était  de  ces  derniers.  11  n'avait  aucun  doute,  aucune  réti- 
cence, aucune  hésitation  dans  la  pensée  et  dans  le  cœur.  On  lit 
sur  sa  carte  mortuaire  : 

■     .      ■        ".  ^     ■ 


a  Monsieur  Ernest  Uello,  par  la  misdricordft  de  Dieu  a  éié. 
soustrait  aux  peines  dô  ce  monde  et  appelé  au  Seigneur,  muni 
des  Sacremcnls  de  Noire  Très  Sainle-Mère  l'Eglise.  » 

D'une  laiUe  moyenne,  dit  M.  Charles  Buel,  fort  maigre,  les 
dpàules  très  larges  et  un  peu  courbées,  il  avait  les- traits  de  ces 
bourgeois  du  moyen-âge  qu'on  voit  souvent  transparaître  dans 
les  vitraux  du  quinzième  siècle.  Je  ne  me  représente  pas  autre- 
ment Louis  Xll,  le  père  du  peuple,  l'n  profil  très  net,  parfaite- 
ment découpé  et  qu'on  dessinerait,  semble-t-il,  d'un  trait  :  le  nez 
long,  droit,  carré  du  bout  ;  la  bouche  large,  bien  dentée,  les  lèvres 
charnues  qui  trahissent  la  bonté,  le  menton  proéminent  et  rond 
qui  annonce  la  volonté  ;  le  front  développé,  les  tempes  unies  et 
sans  rides ,|cnciiclrées  de  boucles  flottantes  de  tempes  jadis  brunes 
et  maintenant  de  couleur  indécise,  et  les  yeux,  sous  des  sourcils 
épais,  d'un  arc  très  pur. 

Les  œuvres  sont  no:Tibreascs  :  Contes  exlraordinàires  ; 
Uhomme  ;  Le  P.  Lacordaire;  Les  paroles  de  Dieu  ;  La  physio- 
nomie des  saints  ;  Les  plateaux  de  la  balance  ;  Œuvres  choisies 
de  Rusbrock  Vadmirable;  Le  livre  des  visions  et  instructions  de 
la  bienheureuse  Angèle  de  Foligno;  Œuvres  choisies  de  Jeanne 
Chezard  de  Matel;  Le  style,  i'ic.         , 

Dans  cette  série  de  livres, 'dont  quelques-uns,  V Homme  Qt  les 
Plateaux  de  la  balance  surtout  prouvent  le  psychologue  quasi  de 
génie,  dont  tous  témoignent  une  intelligence  éprise  du  rare  et  de 
la  splendeur,  nous  choisissons /eiS/y/e  pour  juger  le  critique. 

On  lit  à  la  première  page  : 

tt  Le  style  est  une  puissance,  qui,  comme  toutes  les  puiss:»nces 
a  besoin  d'être  vengée.  » 

Et  voici  l'auteur  parti  en  guerre  avec  l'allure  des  prophètes,  et, 
souvent,  leur  style.  Il  apparaît  exterminateur  âpre  et  inflexible, 
vis-à-vis  de  l'idée  fausse,  l'idée  basse,  l'idée  mesquine;  il  tord 
comme  une  épée  entre  ses  mains  les  paroles  de  sa  violence  et  de 
sa  colère,  il  abal  les  jugements  ennemis  des  siens,  il  redresse  les 
notions  déviées,  il  tue  les  renommées  injustes,  il  hisse  de  nou- 
velles statues  surles  pié  des  taux  qu'il  vide,  etallume  sa  magni  fique 
logique  de  penseur  impeccable  par  dessus  tous  les  débris  incen- 
diés. La  plus  rigoureuse  simplicité  règne  dans  son  analyse.  A 
chaque  page,  il  la  résume  en  quelques  phrases  courtes  qui  lui 
servent  de  justification.  Il  étale  les  armes  dont  il  va  faire  usage, 
ne  voulant  aucune  surprise,  aucune  caponnière,  aucune  manœu- 
vre oblique.  Il  est  d'une  sincérité  totale,  il  ne  trahit  pas  ombre 
d'arrière-pensée.  Il  pense  haut  et  fort;  il  pense  droit. 

La  démonstration  entamée,  il  divise  et  définit  et  limita  son 
travail.  C'est  l'idée  pure  qu'il  exprime,  mais  les  faits  et  les  exem- 
ples viendront  confirmer  ce  qu'il  avance  ;  sa  méthode  sera  victo- 
rieuse avec  tranquillité.  , 

Sa  phrase  possède,  avant  tout,  .la  clarté.  L'harmonie  et  le  pit- 
toresque n'arrivent  qu'au  hasard,  au  petit  bonheur.  Elle  est  taillée 
à  angles  droits;  elle  est  de  cristal  on  d'acier.  L'idée  s'y  voit  au 
travers  ou  s'y  mire.  Les  chapitres  sont  rigoureusement  limités  au 
problème  à  résoudre.  Pas  de  digression.  Rien  de  charmant. 
Aucune  fleur,  mais  des  champs  superbes,  admirablement  tenus 
et  plantés.  En  un  mol,  domination  du  sujet  par  l'écrivain,  car 
tt  nul  ne  peut  juger  ce  qu'il  ne  domine  pas.  L'engouement  vul- 
gaire entraîne  la  partialité.  L'enthousiasme  supérieur  entraîne 
l'impartialité,  qui  est  le  sacrifice  du  juge.  L'enthousiasme  donne 
le  courage  et  le  courage  a  deux  accents.  Il  admire  ce  qui  est  beau, 
il  flétrit  ce  qui  ne  l'est  pas.  » 

Quand  on  s'est  initié  à  la  critique  tatillonne  mais  très  intelli- 


gente de  Sainte-Beuve,  à  la  méthode  forte  mais  lrop.absolue.de 
Taine,  à. la  psychologie  curieuse  de  Bourget,  on  est  quelque  peu 
surpris  à  cnlendre  le. ton  tranchant  et  sans  répliques  d'Hello.  C'est 
que  lui,  contrairement  à  tous  les  autres,  juge  d'après  un  code  de 
vérités  qu'il  proclame  au  dessus  de  toute  discussion.  Son  livre  se 
résume  en  une  unité  que  n'admellent  point  ses  confrères  : 

«  La  loi  de  l'Art  est  la  loi  de  la  vie. 

«  La  vérité,  qui  est  la  loi  de  la  pensée  et  la  loi  de  la  vie,  est 
9ussi  la  loi  de  la  parole  humaine,  c'est-à-dire  du  style. 

«  L'erreur  qui  scinde  tout  a  trouvé  le  moyen  de  donner  une 
certaine  direction  à  la  pensée,  une  autre  à  la  vie,  une  troisième  à 
la  parole,  d'inventer  pour  toutes  ces  choses  des  règles  diverses 
et  contradictoires. 

c<  Ainsi  l'homme  doit  : 

«  Vivre  dans  la  vérité. 

«  Penser  comme  il  vil. 

«  El  parler  comme  il  pense. 

«  Voilà  la  loi  du  style.  Nous  sommes  ici  en  pleine  simplicité 
parce  que  nous  sommes  en  pleine  vérité.  » 

Nous  avons  voulu  désigner  ce  soubassement  austère  sur  lequel 
Hello  a  bâti  son  livre.  Ce  qui  en  découle,  comme  ces  eaux  jaillis- 
sant au  bas  des  fontaines  de  pierres,  c'est  le  rejet  complet  de 
l'éclectisme  si  en  honneur  dans  noire  crjitique,  et  l'abolition 
totale  de  toute  préoccupation  autre  que  celle  de  faire  le  bien.  La 
critique  devient  une  propagande  entreprise  au  nom  de  ce  que 
l'auteur  cro't  le  vrai.  Aussi  bien,  écoutez-le  cingler  toute  autre 
critidue  que  la  sienne  : 

«  La  critique,  telle  qu'on  la  pratique  habituellement,  est  une 
bavarde  lâche  et  complaisante,  qui  ne  sait  parler,  ni  ne  le  peut, 
ni  l'ose...  Offrez  au  critique  vu'gaire  un  chef-d'œuvre  inconnu; 
il  attendra  votre  avis  avant  d'oser  donner  le  sien.  Avant  d'avoir 
une  opinion,  il  consultera  tous  ses  intérêts  et  le  visage  de  tous 
ses  amis...  En  général,  la  petite  critique  croit  tout  impossible, 
elle  n'admet  comme  pouvant  être  que  ce  qui  est  dans  ses,  habi- 
tudes. Or,  le  génie  n'est  pas  dans  ses  habitudes,  aussi  le  Iraite- 
t-elle  comme  elle  traitait,  il  y  a  quelques  années,  les  locomo- 
tives... Quant  au  génie  dos  gens  morts,  elle  le  proclame  à  tort  et 
à  travers...  Elle  lance  à  pleines  mains,  à  drs  personnes  qu'elle 
croit  abitraites,  des  couronnes  abstraites  qui  ne  lui  coûtent  ri  n 
à  distribuer,  car  elles  n'existent  pas.  Que  le  passj  ait  ses  gloires, 
elle  y  consent,  car  elle  ne  croit  ni  au  passé,  ni  à  la  gloire;  mais 
le  présent?  mais  l'avenir?  Allons  donc!...  La  petite  critique,  ner- 
suadéeque  les  grands  hommes  n'ont  jamais  été  jeunes,  ni  même 
vivants;  que  de  tout  temps  ils  étaient  anciens,  morts  depuis 
quarante  mille  ans,  ricane  et  se  détourne  en  présence  d'une  gran- 
deur vivante.  Pour  se  venger  elle  montre  dans  les  conceptions 
du  génie,  la  virgule  qui^manque,  et  la  médiocrité  applaudit.  »     . 

Superbes,  n'est-ce  pas,  ces  paroles,  et  vraies,  donc  ! 

Et  maintenant,  voulez-vous  savoir  ce  que  devient  aux  yeux 
d'Ernest  Hello  la  grande  critique  dont  il  a  souci?  Exaniinez  sa 
dissertation  sur  les  Passions,  les  caractères  et  les  âmes,  ses  con- 
sidérations sur  la  Langue  française  et  surtout  ses  Pensées.  Au 
surplus,  n'a-t-il  pas  dit  : 

M  Comprenez -vous  la  tâche  sublime  qui  se  présente  à  la  cri- 
tique vraie?  Il  faut  qu'elle  se  fasse  ass(îz  grande  pour  devenir 
consolatrice.  Il  faut  qu'elle  entre  dans  le  champ  delà  vie,  il  faut 
qu'elle  prenne  d'une  main  la  main  froide  de  celui  qui  marche 
seul  et  que  de  l'autre  main  elle  le  désigne  aux  regards  des 
hommes.  11  faut  qu'elle  soit  capable  d'oser  assez  pour  admirer  et 


pour  flcHrir  librement.  Il  faut  qu'elle  fasse  honte  au  troupeau  de 
sa  docilité  stupiJe  envers  les  aveugles  qui  le  mènent,  de  sj  résis- 
t'jnce  stupide  vis-à-vis  de  ceux  qui  voient  le  jour.  » 

Ernest  Hello  n'est  pas  encore  à  sa  place  dans  les  lettres.  Les 
hommes  hostiles  à  ses  idées  et  qui  cjassent  h  s  tuKn's  contempo- 
rains n'admettent  point  son  droit  au  rang  suprême.  A  quand  la 
justice  haute  et  sereine,  au  dessus  des  partis  politiques? 

Quand  un  homme,  quel  qu'il  soit,  fait  cet  honneur  à  1  Imma- 
nil'j  d'avoir  du  génie  et  de  refléter  ce  génie  sur  elle,  a  quoi  bon 
épiloguer,  et  discuter,  et  hier?  On  devrait  tenir  à  bonheur,  au 
coniraire,  de  le  crier  dans  le  vont  et  de  publier  les  gloires  qui 
surgiss:)nt.  Ernest  Hello  n'a  trouvé  jusqu'à  ce  jour  que  deux  clai- 
roîineurs  de  renommée  :  Barbev  d'Aurevillv  et  Henri  Lasserre. 
Quand  Taine  ou  Bourget  comprendront  ils  qu'on  attend  d'eux  la 
parole  d'équité?  Au  surplus  «  le  courage  de  l'homnie  de  génie 
consis'.e  à  attendre  Tlieure  où  la  gloire  inclinera  devant  lui  ceux 
qui  n'auront  pu  Tincliner  devant  eux  ». 


LE  CIIOËIR  RISSE 

F^e  rideau  se  lève  sur  l'oratoire  de  la  duchesse  de  Guise  dans 
lequel  sont  alignés  les  choristes  mâles  :  une  quinzaine  d'hommes, 
autant  d'adolescents,  coiffés  d'astrakan,  véius  du  pittoresque 
costume  des  paysans  moscovites.  La  porte  du  fond  s'ouvre,  et  au 
li<  u  de  la  figure  farouche  d'Henri  de  Lorraine  apparaît  le  lent 
coriège  de  deux  théories  de  jeunes  filles,  charmantes  dans  leur 
saraphanG  rouge  ou  bleue  brodé-»  d'or  qu'enveloppent,  ainsi  que 
dos  ailes  repliées,  de  longs  et  flottants  voiles  de  mousseline.  Avec 
leur  haut  bonnet  où  s'épanouissent  des  fleurs  de  pourpré,  l'apparilt 
de  leur  jupe  hiératiquement  taillée  en  forme  de  cône,  la  chasteté 
de  leur  corsage  éiroitemenl  fermé  sur  lequel  ruiss-^lh'nt  des 
rosaires  de  perles,  la  prodigalité  des  chamarrures  et  des  orfèvre- 
ries, elles  évoquent  l'imago  de  madones,  —  de  ces  madones  que 
la  crédulité  naïve  des  campagnes  a  faites  miraculeuses  et  que  la 
piélé  des  fidèles  enrichit,  à  l'épique  des  octaves,  de  denielles,  d'ex- 
votos  et  de  bijoux.  Divisées  en  deux  groupes,  elïes  défilent  dans  la 
solennité  d'une  marche  quasi-religieuse  et  prennent  pliice_  à  la 
rampe,  le  chœur  des  robes  d'azur,  d'inJigo  et  d'outre-mer  à 
d toile,  la  symphonie  des  éioffes  ros^s,  sanguines  et  incarnadines 
à  gauche.  El.  quand,  suivi  de  ses  pages,  se  présente,  clô'.urant  le 
défdé,  dans  la  splendeur  orientale  des  velours,  des  orfrois  et  des 
brocarts,  avec  la  majesté  d'un  pope  et  l'altitude  d'un  souverain, 
Dinitri  Slavianski  d'Agréneff,  le  chef  et  le  directeur  de  la  cha- 
pelle, les  bonnets  de  fourrure  sont  respectueusement  enlevés.  De 
profonds  saluts  inclinent  loules  les  têtes.  Les  jeunes  filles  s'as- 
seyent, et  le  chef  monte  à  l'estrade. 

Comme  mise  en  scène,  on  le  voit,  c'est  très  curieux,  d'une 
impression  nouvelle,  mi-théâtrale,  mi-religieuse;  admirablement 
comprise  et  vraiment  artistique. 

L'effet  produit  sur  les  regards,  la  fascination  commence  sur 
les  oreilles  de  l'auditoire. 

D'une  voix  de  ténor  sans  grand  éclat,  mais  d'un  timbre  mor- 
dant, le  chef  entonne  une  mélopée  sur  trois  notes,  assez  semblable 
aux  chants  liturgiques.  C'est  la  gloire  d'un  héros  du  xi^  siècle  que 
célèbre  le  poème.  Il  décrit  les  adieux  du  guerrier  à  sa  mère,  il 
exalte  sa  bravoure,  il  raconte  ses  combats  et  ses  victoires.  El  le 
chœur,  avec  d'infinies  délicatesses  de  nuances,  accompagne  ces 


chants  tantôt  mélancoliques  et  doux,  tantôt  héroïques,  auxquels 
les  plaintes  d'un  harmonium  donnent  une  teinte  spéciale. 

Au  poème  épique  succèdent  des  chants  d'amour,  des  ron  leg 
enfantines,  des  danses  nationales,  touies  empreintes  du  chaçme 
ingénu  de  la  chanson  populaire. 

Quelques-unes,  celle  intitulée  Ei  mchnem^  par  exemple,  qui 
expose  la  résignation  souffrante  des  haleurs  remorquant  sur  le 
Volga  les  lourdes  barques  de  blé,  ou  des  charpentiers  enfonçant 
leurs  pilotis  dans  les  eaux  limoneus  s  du  fleuve,  sont  d'une 
extrême  pénélralion.  Le  tour  mélodique  en  est  si  saisissant  qu'au 
retour  du  concert  on  pouvait,  entendre,  dans  les  rues  de  Bruxelles, 
au  milieu  du  silence  de  la  nuit,  retentir  au  loin,  comme  un  écho, 
la  douloureuse  complainte,  chantée  par  des  groupes  d'audi'.eurs 
impressionnés 

Ces  motifs,  d'un  caractère  si  profond,  ont  servi  de  canevas  à 
l'école  néo-russe,  aux  Borodine,  aux  Balakircfï,  aux  Liadofî, 
pour  leurs  superbes  compositions  musicales.  Le  chœur  russe  les 
donne  à  l'état  fruste,  tels  que  les  cliantent  et  se  les  t'ransmeltent 
les  villageois  assemblés,  par  les  soirs  étoiles,  à  la  porte  de  quelque 
kabak,  mêlant  leurs  voix  aux  sons  flûtes  de  l'accordéon. 

Mais  l'interprétation  que  leur  donuQ  M.  Slavianski  est  d'un  raf- 
finement extrême.  Son  chœur  est  discipliné  et  souple.  Il  passe 
sans  transition  des  écliits  les  plus  puiss.nts  aux  passages  les  plus 
d)ux  et  parfois  le  chant  s'éleint  dans  des  murmures  à  peine 
perceptibles,  sans  que  la  justesse  en  souffre. 

L'impression  la  plus  forte  a  été  celle  dune  voix  de  ba^se  qui 
descend  dans  des  profondeurs  de  registre  invraisemblables  et 
domine,  comme  le  bourdon  d'une  cathédrale,  le  carillon  des 
fraîches  voix  de  jeunes  filles  et  d'enfants. 

"Une  chose  nous  a  déplu  :  l'introduction  dans  un  programme 
vraiment  intéressant  ei  d'un  attrait  nouveau,  de  certaines  œuvres 
banales,  valses  allemandes  ou  mélodies  suisses,  que  seule  la 
virtuosité  des  exécutants  a  pu  faire  applau  Jir  et  bisser. 


INE  CURIEUSE  AQUAItELLE 

Nous  avons  sous  les  yeux  une  apiarelle  au  sujet  de  laquelle 
mus  ne  serions  pas  fâchés  d'avoir  quelques  renseignements. 

Elle  représente  la  bataille  de  Waterloo  dans  des  conditions  que 
nous  n'avons  pas  encore  vues.  On  sait  que  d'ordinaire  tout 
l'intérêt  porte  sur  un  groupe  principal  composé  soit  do  Napoléon 
et  de  ses  maréchaux,  soit  de  Wellington  et  de  son  état-major, 
soit  de  Bliicher.  Quant  à  la  disposition  des  troupes  elle  est 
habituellement  lout  à  l'hoancur  sôit  des  Français,  soit  des  .\nglais, 
soit  dos  Prussiens. 

Dlrttô  l'aquarelle  dont  nous  parlons  c'est  lout  le  contraire: 
Prussiens,  Anglais,  Français,  sont  au  dernier  plan.  On  les  aper- 
çait à  peine.  Toute  la  place  est  en  redite  pour  les  Belges  ei  les 
Hollandais.  Dans  le  groupe  principal,  bien  en  vue,  on  remarque 
le  prince  d'Orange  qui  vient  d'avoir  un  cheval  tué  sous  lui  et  qui 
en  enfourche  un  autre.  Il  excite  du  geste  et  de  la  voix  ses  cava- 
liers (des  hussards)  et  ses  fantassins  (des  grenadiers)  qui  se  préci- 
pitent sur  les  cuirassiers  et  les  lanciers  français  cl  les  font 
reculer,  dégageant  les  Anglais  que  l'on  voit  en  nombre  culbutés 
el  massacrés  avec  leur  artnierie  dans,  le  chemin  creux  d'Ohain. 

La  topographie  du  champ  de  bataille  est  d'une  exactitude  sin- 
gulière, les  routes  et  les  différents  plis  du  terrain  sont  indiqués 
avec  précision.  Sur  la  droite  on  voit  la  ferme  d'Hougoumont  en 


; 


flammes;  sur  la  cfnnche  la  roule  de  Charlcroi  se  développe 
jusqu'au  dernier  plan  sans  les  arbres  que  l'on  y  met  d'ordinaire: 
à  celle  époque,  il  n'en  existait  pas. 

La  pièce  mesuro  50  ccnlimèlrcs  de  hauteur  sur  80  cenlimètres 
de  largour,  sans  les  marges.  Elle  est  faite  aii  Irait  et  coloriée  avec 
line  grande  exactitude  dans  les  uniformes.  Los  petits  personnages 
qui  s'agitent  par  cenlaines,  sont  tous  d'une  grande  animation  et 
d'une  grande  vérilé.  La  composition  est  très  habile  et  saisissante. 

C'est,  comme  on  le  voit,  une  œuvre  très  originale  au  point  de 
vue  belge  et  qui  mérite  d'attirer  l'attention. 

Nous  prions  toutes  personnes  qui  pourraient  nous  éclairer  l\ 
son  sujet  de  vouloir  bien  le  faire. 


LE  TROISIEME  CONCERT  POPULAIRE 

L'événement  de  celle  troisième  malimîe  des  Concerts  popu- 
laires a  été  le  succès  considérable  remporté  par  un  compositeur 
belge.  Franz  Servais  eût  élé  russe  ou  hongrois,  qu'on  n'eût  pas 
applaudi  davantage.  El  ce  concert  «  sacrifié  »  à  la  musique  belge, 
aux  termes  d'une  convention  avec  l'Etat  qui  concède  un  petit 
subside  moyennant  la  mise  aux  programmes  de  quelques  œuvres 
nationales,  est  devenu,  chose  assez  inattendue,  l'une  des  audi- 
tions marquantes  de  l'hiver. 

VApolloïiide^  dont  on  jouait  dimanche  rintroduclion  au  troi- 
sième acte,  est  un  drame  lyrique  auquel  le  jeune  maître  travaille 
depuis  des  années  avec  passion.  Le  caractère  de  Franz  Servais 
est  de  n'être  jamais  satisfait  de  ce  qu'il  fait.  Défiance  de  soi-même, 
excès  de  modestie,  orgueil  de  vouloir  que  sDn  début  soit  un 
Iriomplie,  qu'il  s'jgisse  d'une  qualité  ou  d'un  défaut,  peu 
importe.  .Ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est  que  l'auteur  n'avait  jamais 
voulu  livrer  la  plus  petite  parcelle  de  son  œiivrè  au  public. 
Quelques  rares  amis  avaient  seuls  reçu  la  confidence  d'auditions 
fragmentaires  au  piano.  Et  voici  que  ce  public,  auquel  le  musi- 
cien donnait  en  imagination-  une  tête  de  dragon  menaçant, 
gueule  ouverte,  crachant  du  feu  et  prêt  à  le  dévorer,  est  un 
agneau  docile.  On  l'a  vu  dimanche.  Rien  ne  pouvait  encourager 
davantage  le  comp'^siteur.  Nous  entendrons  cnCmV A pollonide. 
L'ouvrage  est  entièrement  terminé,  et  après  l'accueil  qu'on  a 
fait  a  l'un  doses  passages  symphoniques,  l'auteur  peut  affronter 
sans  crainte  la  publicité. 

La  musique  de  Franz  Servais  est,  en  cfïet,  d'un  charme  qui  ne 
peut  manquer  d'exercer  sa  séduction  sur  un  public  auquel 
quelques  œuvri's  de  dioix  on  fait  une  éducation  déjà  sérieuse. 
Elle  est  d'une  rare  distinction  de  pensée,  et  la  forme  qui  l'habille 
est  élé£;anle  cl  harmonieuse. 

Il  faudrait,  pour  apprécier  exactement  V Introduction  qu'on 
nous  a  fait  entendre,  connaître  l'ensemble  de  l'œuvre.  Nous  nous 
abstiendrons  donc  d'en  parler  en  détail  aujourd'hui,  nous  bor- 
nant à  constater  que  si  le  reste  est  à  la  hauteur  de  cet  extrait, 
nous  nous  trouvons  en  présence  de  la  partition  la  plus  remar- 
quable qui  ail  élé  produite  en  Belgique  jusqu'ici. 

M"'^  von  Edelsberg  et  M.  Engel,  excellemment  secondés  par 
l'orchestre  de  M.  Dupont,  ont  donné  un  relief  intense  à  la 
poétique  et  douce  scène  d'amour  inspirée  à  Franz  Servais  par 
le  Jet  d'eau  ûc  bmdchire. 

L'œuvre  eéi  belle,  d'une  beauté  réfléchie  et  aristocratique  qui 
donne  à  chaque  strophe  sa  noblesse.  Tandis  que  devisent  les 
amants  à  la  clarté  de  la  lune,  Porchcslre  chante  obstinément  le 
murmure  des  eaux,  de  celte  gerbe  épanouie  qui 


Tombe  comme  une  pluie       -  ; 

De  larges  pleurs. 

Scène  descriptivç  et  pittoresque  avant  tout,  mais  d'une  facture 
et  d'une  grûce  charmantes.  * 

Combien  vide  a  paru  après  cehV Ouverture- fantaisie  àe 
M.  Radouxî  On  eût  dit,  après  la  vision  troublante  d'une  toile  de 
Corot,  quelque  Wappers  exaspéré,  tonitruant  une  bataille  à  grand 
renfort  d'ocre,  de  cinabre  et  d'oulre-mer. 

Les  effets  de  M.  Radoux  sont  gros  —  dans  celle  Ouverture  tout 
au  moins,  car  son  œuvre  renferme  nombre  de  pages  d'une  valeur 
supérieure. 

Les  cuivres  jouent  très  fort,  ce  qui  ne  veut  pas  dire  que  ce 
qu'ils  ont  à  dire  est  puissant.  Ils  répètent  à  l'infini  la  même 
phrase,  tantôt  dans  la  coulisse,  tantôt  sur  la  scène.  L'ensemble 
est  déplaisant,  lourd,  massif.  Ce  qui  domine,  c'est  la  préoccupa- 
tion que  fait  naître  la  manœuvre  de  la  porte  de  communication 
entre  reslradc  et  la  coulisse,  et  qui  doit  être  tantôt  ouverte,  tantôt 
fermée.  Nous  attendons  mieux  que  cela  dé  l'éminenl  directeur  du 
Conservatoire  de  Liège. 

M'"^  von  Edelsberg  s'est  produite  encore  dans  deux  airs  clas- 
siques, l'un  de  Mozart,  chanté  en  italien,  l'autre  de  Beethoven, 
chanté  en  allemand.  L'excellent  souvenir  qu'avaient  gardé  les 
Bruxellois  de  la  créatrice  du  rôle  d'Ortrude  a  été  confirmé.  11  s'y 
est  mêlé  la  satisfaction  de  constater  que  les  années  n'ont  rien 
enlevé  au  prestige  d'une  chanteuse,  dont  la  voix  parcourt  un 
registre  étendu  et  qui  met  autant  de  sentiment  et  de  chaleur  que 
de  style  dans  l'exécution  des  œuvres  qu'elle  interprète. 

La  première  partie  du  concert  avait  été  consacrée  à  la  3«  sym- 
phonie de  Brahms,  entendue  l'an  dernier,  et  dont  une  exécution 
insuffisante  n'a  pas  permis,  plus  que  la  première  fois,  d'apprécier 
les  beautés.  Le  premier  allegro  a  été  pris  trop  vite.  Brahms  le 
fait  jouer  beaucoup  plus  lentement',  et  de  façon  à  donner  à  chacun 
de  ses  motifs  le  caractère  qu'il  comporte.  Le  poco  allegiv  a  élé 
travesti  en  valse.  Le  finale  —  cet  adorable  finale  qui  débute  par 
un  thème  tragique  et  meurt  dans  des  bruissements  éveillant  la 
suggestion  de  la  paix  verte  des  forêts  —  a  élé  joué  en  pas- 
redoublé. 

L'épreuve  est  h  recommencer.  Il  ne  sera  pas  dit  que  Bruxelles 
ne  comprend  pas  et  n'admiré  pas  le  plus  grand  des  compositeurs 
acluellemenl  sur  la  brèche. 


i^lBLIÔQRAPHIE    J^U^lCAj-E 
Pablications  nouvelles 

S,cHOTT  FRÈRES.  —  En  même  tomps  qu'ils  publiaient  le  très 
intéressant  trio  pour  piano,  violon  et  violoncelle,  de  Joseph 
Wieniawski,  que  nous  avons  récemment  analysé,  les  éditeurs 
Schotl  frères  mettaient  en  vente  le  trio  fantastique  de  B.-C.  Fau- 
conier,  œuvre  estimable,  d'une  originalité  contestable,  mais  de 
bonne  facture.  Elle  ne  se  compose  que  de  trois  parties  :  un 
allegro^  un  adagio,  un  scherzo,  qui  termine  l'ouvrage  de  façon 
assez  inattendue.  '^ 

Breitkoi'F  et  HyiîRTEL.  —  Nous  signalons  spécialement  à  l'at- 
tention des  musiciens  la  superbe  édition  des  œuvres  de  Schumann 
qui  paraît  en  ce  moment,  par  livraisons  et  en  séries,  chez 
MM.  Breitkopf  et  Hartel.  M"*«  Clara  Schumann  a' revu  tous  les 
manuscrits,  les  a  classés,  coordonnés.  On  peut  donc  élre  assuré 
d'avoir,  dans  sa  pureté^la  plus  absolue  et  avec  l'indication  exacte 
des  nuances,  le  texte  des  inspirations  du  maître. 


La  série  XIII,^ui  vient  de  paraître,  contient  quelques-unes  des 
œuvres  pour  cliant  avec  accompagnement  de  piano  :  les  Trois 
légendes^  sur  des  paroles  d'Ém.Geibel  (op.  30);  les  Douze  légendes^ 
de  Justin  Kerncr  (op.  35)  ;  le  Cycle  de  douze  mélodies,  sur  un  lexto 
de  J.  d'Eichendorff  (op.  39)  et  l'admirable  poème  :  V Amour  d'une 
femmeiop.  42). 

Les  mfîmes  éditeurs  poursuivent  la  publication  de  V Ecole  de 
piano  du  Conservatoire  de  Bruxelles^  excellente  publication  que 
dirige  M.  Auguste  Dupont  et  qui  est  la  chrestomaihie  musicale  la 
plus  complète  qui  ait  paru  jusqu'ici.  Les  livraisons  XXIV  et  XXV 
sont  en  vente.  Elles  renferment  chacune  trois  sonates  deClementi, 
que  l'auteur  appelle  avec  raison  le  créateur  de  la  technique 
moderne  du  piano.  «  Le  premier,  parmi  les  grands  virtuoses,  dit 
M.  Auguste  Dupont,  il  a  deviné  k  quel  développement  le  méca- 
nisme pouvait  atteindre  par  l'élude  approfondie  de  l'indépen- 
dance de^  doigts  et  les  combinaisons  variées  du  doigter.  Son 
grand  ouvrage,  le  Gradus  ad  Parnassum,  véritable  monument 
par  lequel  il  s'est  immortalisé,  reste  et  restera  toujours  la  base 
de  l'étude  sérieuse  du  piano.  » 

C'est  donc  une  bonne  fortune,  au  point  de  vue  pédagogique, 
que  cette  édition  de  démenti  spécialement  annotée  et  revisée  par 
le  savant  professeur  de  notre  classe  de  piano  au  Conservatoire. 

A.  Cranz.  —  Vient  de  paraître  la  partition  pour  piano  et  chant 
de  Pierrot  Macabre,  Vùlégant  ballet  de  Pietro  Lanciani  dont  nous 
avons  rendu  compte  dans  notre  avant-dernier  numéro. 

R.  Bertram.  —  Trois  mélodies  pour  chant,  avec  accompagne- 
ment de  violoncelle  (ou  violon)  et  piano,  sur  des  paroles  fran- 
çaises de  L.  de  Casembroot  (paroles  anglaises  de  Wyatt-Smith), 
par  Boris  Scheel,  un  musicien  russe  dont  le  nom  commence  à  se 
répandre;  un  Scherzelto  pour  piano,  écrit  avec  faj^ilité  par 
M.  Alexis  Ermel  ;  h  Sérénade  des  Albigeois  de  Jules  dé  Svvert, 
transcrite  par  l'auteur  pour  violoncelle,  telle  est  la  dernière 
gerbe  mûrie  chez  l'excellent  éditeur  de  la  rue  Saint-Jean. 


f 


ETITE    CHROJMIQUE 


.  C'est  décidé.  Nous  entendrons  le  premier  acte  de  Tristan  au 
quatrième  et  dernier  Concert  populaire,  exclusivement  consacré 
à  l'œuvre  de  Wagner.  Les  interprètes  seront  M.  Van  Dyck, 
M"'^^  Van  Edelsberg  et  ^yolf.  M.  Van  Dyck,  quia  chanté  le  rôle,  à 
Paris  nombre  de  fois  avec  un  succès  très  grand  était  naturelle- 
ment désigné.  Quant  à  M"*^*  Von  Edelsb^Tg  et  Wolf,  toutes  deux 
excellentes  musiciennes,  douées  de  voix  supeibes,  on  peut  être 
assuré  qu'elles  chanteront  à  merveille  les  rôles  des  deux  femmes. 
Avec  Tristan,  M.  Dupont  fera  entendre  la  scène  des  Filles  du 
Rhin,  le  Walhall  (fragment  symphoni(iue)  et  la  scène  de  l'Oi- 
seau de  la  forêt  extraite  de  Siegfried. 


Le  jury  de  peinture  au  Salon  de  Paris  a  élu  son  bureau.  Le 
scrutin  a  donné  les  mêmes  résuUUs  que  lannéc  dernière  : 
W.  Douguereau  a  été  nommé  président;  MiM.  Donnât,  Cabanel  et 
Busson,' vice-présidents;  .M>1.  Humbcrt,  T.  Roberl-Fleury,  Guil- 
lemet et  de  Vuillefroy,  sccrélaires. 

Le  chitTredo  tableaux  présentés  est  exactement  de  cinq  mille 
trente-six.  Les  dessins,  a(|uarelles  et  pastels  sont  au  nombre  de 
deux  mille  cinq  cent  dix-sept. 


C'est  Jules  Breton  qui  a  été  élu  k  l'Académie  des  Beaux-Arts 
en  remplacement  de  Paul  Baudry.  Sur  37  volants,  l'arlisle  a,  au 
quatrième  tour  de  scrutin,  réuni  20  voix  contre  il  donnécoà 
Henner,  3  à  Lévy,  3  ù  Lefebvre. 


Un  grand  nombre  de  personnes  se  présentent  encore  journel- 
lement au  Palais  des  Beaux-Arts  pour  visiter  l'exposition  des 
XX.  On  nous  prie  de  rappeler,  pouréviler  au  public  une  course 
inutile,  que  l'exposition  est  fermée  depuis  le  14  mars. 

Aussitôt  après  Gwendoline,  donl  la*  première  aura  lieu  le 
8  courant,  le  théâtre  de  la  Monnaie  donnera  l'opéra-comique 
primé  :.la  Revanche  de  Sganarelle,  dont  la  musique  est  d'un 
jeune  compositeur  belge,  M.  Léon  Dubois,  et  le  livret  de 
M.  Docquier. 

Les  interprètes  seront  :  M"'^"  Lecomte  et  Macs,  M.M.  Nerval  et 
Séguier. 

M.  Nestor  Massart  est  engagé  pour  quelques  représentations  en 

avril. 

» 

Après  la  clôture  de  la  saison,  la  Monnaie  rouvrira  ses  portes. 
La  direction  vient  de  traiter  avec  le  théâtre  du  Châtelet  qui  lui 
enverra  sa  troupe  et  ses  décors  aux  fins  de  donner  aux  Bruxel- 
lois le  spectacle  de  sa  dernière  féerie  :  le  Petit  Poucet, 


Efïets  de  la. crise  sur  nos  théàtn^s.  Voici  le  relevé  comparatif 
dfs  receltes  des  bals  l'an  passé  cl  celle  année  au  théâtre  de  la 
Monnaie.  Nous  prenons  les  bais  pour  qu'on  ne  dise  pas  :  c'est  à 
cause  de  la  troupe. 

1885  1886 


!•''•  bal  ......  fr.     4,323 

2«  bal     .......     9,139 

3«  bal 43,179 


3,360 
7,131 
9,413 


26,641  19,904 

Différence  en  moins  :  6,737  francs  soit  25  "'o. 

Ils  tst  vrai  que  les  restaurateurs  gémissent  en  disant  qu'ils  ont 
fait  50  °/o  de  moins. 

Les  Templiers  qui  avaient  marché  avec  des  recettes  allant 
jusque  fr.  5,618-50,  sont  tombés,  depuis  les  derniers  événements 
à  fr.  1,644-25.  Faust  est  tombé  à  fr.  1,442-50. 

On  nous  assure  qu'à  Liège,  du  jour  au  lendemain,  la  campagne 
qui  avait  éié  si  brillante  s'est  achevée  devant  des  salles  presque 
vides.  On  l'a  clôturée.  On  n'a  pas  le  cœur  au  théâtre  quand  ou  a 
l'esprit  à  l'émeute. 


L'Ecole  de  musique  de  Louvain  a  donné,  le  21  mars,  un 
intéressant  concert  dans  lequel  elle  a  fait  entendre,  entre  autres, 
la  Fille  du  roi  des  Aulnes,  de  Niels  Gade,  la  Marche  avec  chœur 
de  Tannhaiiser,  le  concerto  pour  piano  en  ré  mineur  de  Rubin- 
stein,  une  ballade  d'Emile  Mathieu  :  le  Chercheur  de  trésors,  etc. 
Les  journaux  locaux  sont  pleins  d'éloges  pour  l'excellent  direc- 
teur et  pour  les  solistes  :  M"**  Hamaekcrs  et  de  Saint-Moulin, 
M.  Byrom,  M"**  Carry-Mess,  M.  Lucien  Tonnelier. 


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CHARPENTES,    SERRES,    PAVILLONS 

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112 


UART  MODERNE 


SIXIÈME  ANNÉE 

*  -  '  '  ' 

L'ART  MODEHNE  s'est  acquis  par  l'autorité  et  l'indépendance  de  sa  critique,  par  la  variété  de  ses 
informations  et    les  soins  donnés  à  sa   rédaction   une   place  prépondérante.   Aucune   manifestation  de  l'Art  ne 

lui  est  étrangère  :  il  s'occupe  de  littérature,  de  peinture,  de  sculpture,  de  gravure,  de  musique, 

d'architecture,  etc.  Consacré  principalement  au  mouvement  artistique  belge,  il  renseigne  néanmoins  ses 
lecteurs  sur  tous  les  événements  artistiques  de  l'étranger  qu'il  importe  de  connaître. 

Chaque  numéro  de  L'ART  MODERNE  s'ouvre  par  une  étude  approfondie  sur  une  question  artistique 
ou  littéraire  dont  l'événement  de  la  semaine  fournit  l'actua^té.  Les  expositions,  les  livres  nouveaux^  les 
premières  représentations  d'œuvres  dramatiques  ou  musicales,  les  conférences  littéraires,  les  concerts^  les 
ventes  cCi.hjets  cVart,  font  tous  les  dimanches  l'objet  de  chroniques  détaillées. 

L'ART  MODBRN El  relate  aussi  la  législation  et  la  jurisprudence  artistiques.  Il  rend  conipte  des 
procès  les  plus  intéressants  concernant  les  Arts,  plaides  devant  les  tribunaux  belges  et  étrangers.  Les 
artistes  trouvent  toutes  les  semaines  dans  son  Mémento  la  nomenclature  ^  complète  des  expositions  et 
concours  auxquels  ils  peuvent  prendre  part,  en  Belgique  et  à  l'étranger.  Il  est  envoyé  gratuitement  à 
l'essai  pondant  un  mois  à  toute  personne  qui  en  fait  la  demande. 

L'Art  moderne  forme  chaque  année  un  beau  et  fort  volume  d'environ  450  pages,  avec  table 
des  matières..  Il  constitue  pour  l'histoire  de  l'Art  le  document  LE  PLUS  COMPLET  et  le  recueil  LE  PLUS 
FACILE  A  CONSULTER. 


PRIX    D'ABONNEMENT 


Belgique  lO   fk'*   par  an. 

Union  postale    1  3   ft*.       » 


Quelques  exemplaires  des  cinq  premières  années  sont  en   vente   aux  bureaux   de  L'ART  MODERNE, 
rue  de  l'Industrie,  26,  au  prix  de  30  francs  chacun. 


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RUE  SAINT-JEAN,  10,  BRUXELLES 

Nouveautés  musicales. 

DE  SWERT,  JuLKS  Sérénade  de  l'opéra  :  Les  Albigeois.  Traa- 
scrij)tion  pour  violoiicelle,  avec  accomp.  de  piano,  fr.  2.00. 

BORIS  SCHEEL.  Op.  155.  Trois  mélodies  pour  chanl,  avec 
accomp  (le  violoncelle  (ou  violon)  et  piano.  Paroles  françaises  et 
anglaises  .  N'o  1  Venez  ma  mie.  Sérénade.  (Arise,  beloved),  fr.  1.35; 
«o  2  Puuv  l'absent.  (To  my  absei.t  love^,  fr.  1.75;  n^  3.  Chant 
d'amour   (Love  song),  fr   1  75. 

ERMEL   A.  Op.  40.  Schtrzetto,  pour  piano,  fr.  2  50. 

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EXTRAIT  DES  NOUVEAUTÉS 

Fivrier  1886. 

CHOpi>f,  marche  funèbre  (de  l'œuvre  35).  Arr.  p.  orch.  Nouvelle 
édition.  Partition,  fr.  2-50.  Parties,  fr.  5-00. 

Ec*  If  de  piano  du  Conservatoire  royal  de  BriaiceU es. 
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Id.    XXVn   Cah.  L,  Dussek,  Son.  en  ut  maj.,  fr.  5:00. 
Id.         id       Cah.  IL,  Dussek,  Son.  en  ut  min  ,  fr.  5-00. 
Van  ELEwvrK,  Chev.  X.,  op.  39.  Ecce  Panis.  Motet  pour  4  voix 
égales  s.  acc^,  fr.  1. 

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N°  154.  Taubert,  W.  œuvres  pour  piano  à  2  mains,  fr.  3  75. 


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Sixième  ANNÉE.  — -  N°  15 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  U  Avril  1886. 


L'ART 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  ORITIQÏÏE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS   :    Belgique,  un   an,   fr.   10.00  ;  Union  postale,    fr.    13.00.    —ANNONCES  :    On  traite   à  forfait. 

Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 

l'administration  GÉNÉRALE  DE  l'Art  Modeme,  rue  de  l^Industrie,  26,  Bruxelles. 


^OMMAIRE 


Le  théâtre  en  liberté,  par  V.  Hugo.  —  Gwendoline.  —  Un 
VIEUX  salon.  ' —  Bartek  vainqueur,  par  Sienkiewicz.  —  Notes 
de  musique,  l.  Audition  d' œuvres  de  m.  Gustave  Sandre.  II.  Con- 
cert VanDooren.  III.  Audition  de  musique  religieuse  à  l'église  des 
Carmes.  IV.  Piano-récital  de  M.  Gurickx.  —  Notes  de  librairie. 
—  Petite  chronique. 


LE  THEATRE  EN  LIBERTE    : 

par  Victor  Hugo.  Paris,  Hetzel  et  Quantin. 

Hugo  mort,  on  se  mil  à  le  nier:  C'était  fatal. 
,  «  Pathos,  piédestal  en  carton  avec  des  fleurs  de  réihorique 
autour.  Pas  de  pensée,  pas  de  moelle,  pas  de  chair.  Rien  que  du 
style,  léger  fard,  poudre  parfumée  et  colorante.  Magasin  de 
tropes  avec  des  anlilhèses  et  des  synecdoques  dans  les  rayons. 
Accumulations  de  vétilles,  paquets  de  mauvais  goût,  grosses  de 
charabia.  Banalités  montées  sur  un  fil  d'or,  comme  les  perles 
soufflées  d'un  collier.  OEuvre  toute  en  façade.  Baudruche  dorée. 
Cuirasse  ciselée  avec  un  mannequin  dedans.  » 

Des  colosses  de  la  taille  de  ce  mort  devraient  être  gardés  par 
le  plus  immuable  respect.  Ni  les  modes  littéraires,  ni  les  doc- 
trines nouvelles,  ni  surtout  les  poètes  ne  devraient  y  loucher. 
Quelles  que  soient  les  préoccupations  présentes  et  peu  importe  les 
recherches  de  Testhétique  toujours  en  progrès,  Eschyle,  Shake- 
speare, Hugo  devraient  n'en  jamais  voir  une  ombre  sur  leur 
marbre  passer.  Il  faudrait  les  maintenir  aussi  divins  qu'il  est 
possible  pour  satisfaire  l'impérieux  besoin  d'adoration  artistique. 


Qui  les  nie,  blasphémerait.    Ils  sont  au  dessus  de  toutes  discus- 
sion; ils  imposent  la  foi. 

Aussi  bien  toutes  les  rumeurs  soulevées  en  poussière  autour 
d'eux  se  dissipent  bien  vile  à  l'étude  de  leurs  inoindres  œuvres 
el  devant  des  Vers  tels  : 

Dans  XE'pée  :  - 

SlagistJii  (aw -peMp/e). 

Savez- vous  seulement  quels  aïeux  vous  avez 
Vos  pères  souriaient  devant  les  rois  bravés. 
Aux  hallebardes  d'or,  aux  riches  pertuisanes 
Ces  patres  opposaient  les  piques  paysannes  ; 
Pour  garder  leur  paix  sainte,  ils  étaient  belliqueux  - 
.  Leur  lance  était  leur  femme  et  couchait  avec  eux. 
Ah!  ni  czar,  ni  sultan,  ni  duc  sérénissime. 
Ils  veillaient,  ils  faisaient  des  feux  de  cime  en  ciijie 
Si  bien  qu'à  chaque  mont,  porteur  de  la  clarté, 
Ils  mettaient  cette^toile  au  front,  la  liberté... 
Ils  guerroyaient  au  vent,  au  soleil,  sous  les  pluies 
Ils  faisaient  frissonner  leurs  mères  éblouies... 
C'était  un  fier  frisson  dans  les  rocs  et  les  bois 
Quand  ces  chasseurs  des  loups  donnaient  la  chasse  aux  rois 

.a  ^ 

Aujourd'hui,  l'on  me  dit  «  Quoi!  bandit  tu  persistes  »» 
—  On  !  que  dans  vos  tombeaux  vous  devez  être  tristes, 
Géants! 

■^  •  -  ■ 

Dans  Etre  aimé  : 

Je  veux  pour  mon  bonheur  comme  pour  mon  souci, 
Retrouver  dans  un  autre  un  moi-même  adouci... 

])3ins  Sur  la  lisière  d'im  bois  :  .  "     ' 

Lui  a  Elle. 

0  charme  tout-puissant  de  la  pudeur  farouche  ! 
Ma  bouche  ne  doit  pas  même  effleurer  ta  bouche 
Ta  robe  est  le  rideau  du  temple.... 


1        1 


Tu  semblés  une  rose  ouverte  dans  les  flaitimes 
Envolons-nous,  mêlons  les  ailes  de  nos  âmes 
Soyons  un  couple  honnête  et  céleste  et  si  pur 
Qu'on  ne  nous  puisse  pas  distinguer  de  l'azur... 

Le  livre  entier  élale  des  vers  aussi  superbes.  Par  endroits, 
l'oreille  est  rocaillcusemenl  choquée  ;  des  tirades  di^jà  entendues 
défilent;  des  mots  îi  rime  fatale  se  plantent  à  la  fin  d'une  strophe; 
ce  sont  phrases  souvent  rencontrées  et  contre  les  papes  et  contre 
les  prêtres  et  contre  les  rois  —  qu'importe  !  Voici  soudain  un  vol 
génial  qui  passe  sur  cet  étang  comme  un  glissement  subit  de 
soleil  sur  l'eau.  Et  tout  s'éclaire  el  s'enflamme  et  s'incendie  et 
tout  ce  qui  déplaisait  paraît  détail  mesquin  et  miettes  infinitési- 
males. 

Nous  avons  indiqué  l'année  dernière,  l'horreur  sacrée  qui 
traverse  la  dernière  phase  de  l'œuvre  d'Hugo.  Nous  voudrions 
aujourd'hui  en  délaillei"  un  aperçu  moins  ténébreux.  Hugo  a  été, 
devant  la  nature,  tantôt  un  effrayant  visionnaire,  tantôt  «  un  ami 
de  la  maison  ».  Voici  ce  dernier  :.  ' 

LE  MOiiXEXu  {chantant) 

Gomme  j'allais  entrer  pour  lorgner  dans  l'église 

Cidalise, 
Je  me  suis  arrêté  pour  prendre  le  menton 

A  Gothon. 

LE  HOCHEQUEUE 

Que  chantes-tu  là? 

LE  MOINEAU 

J'ai  cueilli  cette  morale 
Du  temps  où,  ne  rêvant  qu'églogue  et  pastorale. 
Dans  les  bois  de  Meudon  j'avais  pris  pour  palais 
La  barbe  d'un  vieil  arbre  ami  de  Rabelais. 

AUX  OISEAUX 

Hé,  venez  voir,  pinsons,  verdiers,  les  geais,  les  merles! 
La  toile  d'araignée  est  un  sac  plein  de  perles. 


LE  MOINEAU 


Charmant  ! 


UN  NENUPHAR  [se  penchant) 

l'araignée 
J'aimerais  mieux  des  mouches. 


LES  OISEAUX 


Nous  aussi. 


UNE  ORTIE 


L'oiseau  vaut  le  chat. 


Ut. 


LES  GOUTTES  DE  PLUIE  {tombant) 

Ut,  ré,  mi,  fa,  sol,  la,  si. 

LE  MOINEAU 

Ça,  jouons. 

LE  HOCHEQUEUE 

Faisons  un  horrible  vacarme. 


DENARIUS 


Frais  silence  ! 


UNE-GOUTTE  D*EAU  {tOmhOnî) 

J'étais  diamant,  je  skis  larme. 
Femmes  ne  tombez  pas.. 


^  La  femme,  ô  goutte  d'eau, 

Ne  tombe  pas!  Va  voir  à  Mabille.,  au  Prado. 

Et  ce  dialogue  se  continue  vingt  pages  durant,  familier, 
moqueur,  jeune,  abracadabrant  et  fol. 

Celle  si  personneUe  interprétation  des  èhoses  s'indique  pour 
la  première  fois  dans  les  Contemplations^  livre  trop  négligé  dans 
l'œuvre  entière  et  qui  apparaît  comme  un  pont  superbe  reliant  le 
Hugo  lyrique  au  Hugo  épique,  le  Hugo  de  talent  au  Hugo  de 
génie. 

Elle  s'accentue  ensuite  dans  les  Châtiments  où  quelques  stro- 
phes idylliques  semblent  jeter  de  la  fraîcheur  sur  des  brasiers  de 
colère  ;  .elle  s'aftirme  tout  entière  el  avec  une  intensité  continue 
dans  les  Chansons  des  Rues  et  des  Bois.  Enfin,  dans  V Art  d'être 
grand-père,  elle  se  condense  cl  s'affine  et  c'est  elle  qui  donne 
l'exquise  grâce  de  bonne  et  géniale  enfance  à  ce  chef-d'œuvre. 

Peut-être  est-il  vrai  que  la  nature  si  familièrement  surprise 
manque  un  taulinct  de  tenue.  Au  poète  qui  l'inlerroge  elle  répond 
tantôt  en  Gavroche,- tantôt  en  Gothon,  tantôt  en  Pierrot,  tantôt 
en  Petit  Bob.  Elle  est  d'une  espièglerie  et  quelquefois  d'une 
inconvenance  audacieuse.  Elle  se  souvient  plus  des  Satyres  que 
des  Naïades  et  des  Chloés  plus  que  des  Dianes.  Parfois  —  et  ce 
n'est  point  alors  que  nous  la  préférons  —  elle  se  fait  Parisienne 
et  parle  argot. 

Mais,  quoi  qu'elle  soit,  elle  est  de  bonne  humeur  et  spirituelle. 
Oui.  Si  nous  n'avions  crainte  d'abuser  des  citations  nous  aime- 
rions à  détruire,  textes  en  main,  cet  absurde  cliché  qui  banalise  : 
Hugo  n'a  jamais  eu  de  l'esprit.  Mainte  page  dé  la  nouveauté  la 
plus  inattendue  et  de  la  drôlerie  la  plus  verveuse  démentent  ce 
courant  axiome.  On  oublie  que  le  substantif  ^^pn*/  n'a  pas  inévi- 
tablement pour  qualificatif /rfl7?ffli5.  L'esprit  d'Hugo  a  une  saveur 
toute  originale  ;  il  est  fait  d'imagination  plus  que  d'observation; 
il  a  plus  de  couleur  que  de  trait.  S'il  se  rattache  û  quelque  chose 
c'est  à  l'esprit  de  Rabelais.  Il  est  rudement  el  grossement  railleur, 
il  a  de  l'embonpoint  certes.  Aussi  bien  ou  est-il  dogmatisé  que 
l'unique  esprit  ne  sera  jamais  que  maigre,  sauliWant,  fluet  et  à 
pointes  ? 

Or,  c'est  surtout  en  faisant  parler  les  choses,  les  oiseaux,  les 
fleurs,  les  insectes  el  en  composant  ainsi  des  fables  à  sa  façon 
que  le  grand  poète  a  répondu  k  cet  apophthegme  par  un 
démenti.  Exemples?  La  forêt  mouillée  tout  entière. 

Au  total,  le  Théâtre  en  liberté,  bien  que  ne  contenant  aucune 
surprise  ^'arl  nouveau,  souligne  néanmoins  les  qualités  souve- 
raines du  maître.  VEpée  fait  songer  aux  Burgraves,  la  Grand'- 
mère  à  Y  Art  d'être  grand  père,  les  Gueux  au  Pape  el  la  Lisière 
du  bois  aux  Chansons  des  Rues  et  des  bois. 

Le  livre  est  donc  un  commentaire  de  l'œuvre  entière.  ^ 


&WEND01IXE 

■  '^  .1   ;       '  -  ■'  '^    ■     . 

Le  texte  de  Gwendôline,  c'isclô  en  jolis  vers  par  l'harmonieux 
poète  Catulle  Mendôs,  est  une  légende  qu'Augustin  Thiéry  a 
placée  dans  les  brumes  des  côtes  de  la  Grande-Bretagne.  Mais  au 
fond,  c'est  une  variante  de  la  ballade  populaire,  si  émouvante, 
qu'ont  créée  les  superstitions  et  les  terreurs  naïves  des  malelots  : 
le  roi  de  mer  dont  l'autorité  est  sans  bornes,  qui  domine  l'ou- 
ragan, dont  le  rire  énorme  éclate  dans  les  tempêtes,  garotté  par 
le  sourire  d'une  jeune  fdle  et  régénéré  par  l'amour. 
.  Wagner  en  a  tiré  le  Vaisseau  fantôme;  Chabrier,  Gwendoliney 
en  modifiant  toutefois  le  dénouement.  A  cer.  analogies  de  sujets 
—  et  encore  les  milieux  sont-ils  différents  —  se  borne  d'ailleurs 
la  ressemblance  que  des  myopes  ont  cru  voir  entre  Wagner  et 
M.  Chabrier. 

Le  talent  de  ce  dernier  est  très  personnel.  S'il  révèle,  eomme 
l'art  du  premier,  des  audaces  harmoniques  qui  dépassent  ce  qui 
a  été  osé  avant  lui,  il  s'en  écarte  au  point  de  vue  du  principe 
même  de  l'idée  mélodique  et  de  la  coupe  qu'il  lui  donne.  Nous 
nous  expliquerons  à  ce  sujet  dans  un  article  consacré  à  la  parti- 
tion. Il  serait  téméraire,  en  effet,  d'asseoir  un  jugement  sérieux 
et  définitif  sur  une  seule  audition,  et  nous  nous  bornerons 
aujourd'hui  à  résumer  le  poème. 

Le  roi  de  mer  dont  les  exploits  terrifient  dans  Gwendoline 
toutes  les  côtes  en  cette  époque  reculée  où  l'auteur  place  son 
récit  (fin  du  viii^  sicèle),  est  Harald,  un  Danois.  Le  poète  lui 
donne  trente  ans.  Il  le  dépeint  farouche,  les  cheveux  roux,  la 
barbe  touffue  et  longue.  La  jeune  fille  qui,  ainsi  que  dans  le 
Vaisseau  fanlôme,  rêve  aux  exploits  du  mystérieux  héros,  a  seize 
ans.  Elle  estjolie,  blonde,  frôle,  légère,  encline  au  rire,  avec  des 
pitiés  et  des  rêveries.  L'aime-t-elle?  Pourquoi? 

Danois  ou  non,  Corsaire  ou  non,  un  amoureux  ' 

Est  toujours  charmant,  Gwendoline, 
Et  c'est  une  douceur  d'aimer  un  furieux 
Qui  devant  nous  s'incline. 

Eheyo  !  les  Danois  sont  là,  les  rôdeurs  de  grèves,  pique  levée, 
terribles  dans  leur  rage  de  destruction.  Ils  somment  le  maître 
des  pêcheries  du  village,  le  vieux  Armel,  père  de  Gwendoline,  de 
leur  livrer  l'or  qu'il  possède.  Sur  son  refus,  Harald  s'élance, 
l'épée  haute,  mais  la  jeune  fille  paraît,  se  jette  devant  le  vieil- 
lard pour  le  protéger,  et  la  colère  du  géant  tombe,  la  vision 
l'émerveille. 

Harald, 

Qui  donc  est  tu?  dis -le.  \  - 

Gwendoline. 

• 

Tu  le  vois  bien, 
Une  femme. 

Harald, 

Oh  !  c'est  donc  ainsi  que  sont  les  femmes  1 
Leurs  cheveux  sont  de  miel  et  leurs  yeux  sont  des  flammes. 

Et  insensiblement,  les  câlineries  charmantes  de  la  jeune  fille 
ensorcèlent  le  brutal  héros,  ainsi  qu'Orphée  apaisait  les  monstres. 

Les  Danois,  qui  s'étaient  éloignés  sur  l'ordre  de  leur  chef,  le 
trouvent,  au  retour,  assis  au  rouet,  de  la  frêle-enfant  qui  l'a 
dompté.  ^ 


Harald!  Harald!  Est-ce  un  délire? 
.   Ton  ancien  orgueil  est-il  mort?  -        . 

L'invincible,  le  fort 
S'est  pris  au  piège  d'un  sourire. 

Vaincu,  l'écumtiur  de  mers  demande  au  vieux  Saxon  la  main  de 
sa  fille.  Il  y  consent,  avec  le  secret  dessein  de  le  faire  assassiner 
par  elle, 

C'est  au  second  acte  que  se  place  la  scène  capitale  du  drame. 
Gwendoline  aime  le  héros  auquel  elle  vient  d'être  unie.  Ce 
couteau  que  lui  a  glissé  dans  les  mains  son  père  avec  ces  mots  : 

Ce  soir  même  tu  frapperas 
L'époux  endormi  dans  tes  bras. 

jamais  elle  ne  s'en  servira  contre  lui.  Qu'il  fuie!  Dût-elle  mourir 
de  tristesse  dans  son  isolement,  elle  veut  le  sauver.  Mais  Harald 
l'enlace  :  . 

Dans  le  ciel  infini  de  l'amour  pur  et  beau, 

Nos  deux  cœurs  sont  les  deux  ailes  d'un  même  oiseau! 

En  ce  moment,  des  cris  de  détresse  s'élèvent.  Les  Saxons  mas- 
sacrent traîtreusement  leurs  hôtes.  Harald  est  sans  armes.  Il  est 
perdu.  Mais  Gwendoline  lui  tend  le  couteau  que  lui  a  remis  Armel. 
Une  lutte  sanglante  éclate.  Le  vieillard  poursuit  Harald  blessé, 
le  frappe  de  son  glaive.  Et  Gwendoline,  apparaissant  soudain 
dans  la  mêlée,  pousse  un  cri  terrible  : 

Du  même  coup,  père,  tu  m'as  frappée  ! 

Elle  se  plonge  le  couteau  dans  le  cœur  et  meurt  dans  les  bras 
d'Harald,  tandis  que  l'horizon  s'embrase  de  reflets  de  pourpre  : 
les  Saxons  incendient  le  navire  danois,  qui  disparaît  lentement 
dans  les  flots. 

Telle  est,  à  grands  traits,  la  donnée  de  l'œuvre  nouvelle  sur 
laquelle  est  actuellement  concentrée  l'attention  du  monde  musi- 
cal et  qui  va  glorieusement  terminer  la  saison  théâtrale.  Elle  est 
habilement  faite,  d'un  intérêt  dramatique  soutenu,  bien  coupée, 
en  ses,  trois  tableaux  qui  se  déroulent  sans  longueurs,  et  très 
favorable  aux  développements  musicaux  que  lui  a  donnés  le 
compositeur. 


Ï?J  VIEIX  SALOX 

On  nous  saura  gré  de  remettre  sous  les  yeux  une  page  oubliée, 
et  toujours  vraie,  de  M.  Arthur  Stevens,qui,  sous  le  pS'?udonyme 
deJ.  Graham,  envoya  jadis  au  Figaro  une  série  de  feuilletons 
artistiques  justement  remarqués.  L'extrait  suivant  date  de  1863, 
Près  d'un  quart  de  siècle  s'est  écoulé  depuis  lors,  et  pourtant, 
combien  de  réflexions  suggérées  à  l'auteur  par  le  Salon  d'alors 
sont  d'actualité! 

Savez-vous  que  ce  serait  chose  instructive  et  inléressanle  que 
d'aligner' les  jugements  divers  des  critiques  d'art  sur  le  même 
tableau?  L'œuvre  que  M.  Paul  de  Saint-Victor  trouverait  magni- 
fique de  couleur,  Théophile  Gautier  la  trouverait  certainenient 
incolore;  ainsi  des  autres.  Le  résultat  serait  comique.  Exemple  : 

M.  Paul  de  Saint-Victor,  qui  a  loué  sans  réserve  le  dernier 
Salon  de  M.  Puvis  de  Chavannes,  criii(^ue  sévèrement  cotte  année 
les  tableaux  du  même  artiste.  Comment  ne  s'aporçoit-il  point 
qu'il  fait  un  rude  faux  pas  dans  cette  voie  funeste  de  la  contra- 
diction où  sont  engagés  tant  d'écrivains?  Les  nouvelles  œuvres  de 
M.  Puvis  de  Chavannes  sont  de  tous  points  semblables  à  leurs 
aînées;  le  peintre  serait  plutôt  en  progrès  dans  le  genre  qu'il  a 


adopté.  C'est  toujours  la  même  nature,  le  môme  sentiment  et  la 
,    même  inspiration.  ^ 

Chose  inouïe!  tous  les  deux  ans,  les  chefs  de  file  de  la  critique 
parisienne  pôchonl,  dans  le  catalogue  des  noms  nouveaux,  des 
célébrités  nouvelles.  Ils  en  découvriraient  des  milliers  en  un 
siècle!  Quels  coups  de  filet!  —  Heureux  pourtant  le  siècle  qui 
produit  deux  hommes  hors  ligne  ! 

Hélas!  messieurs,  ces, succès  que  vous  croyez  faire,  ces  succès 
que  fait  le  public,  quand  le  jugement  des  artistes  ne  vient  point 
les  consacrer,  sont  semblables  aux  étoiles  des  feux  d'artifice  qui 
brillent  quelques  secondes  dans  le  ciel.  Ou  se  retourne,  dispa- 
rues !  Les  peintres  que  vous  créez  à  coups  dé  phrases  et  que  le 
public  étourdit  d'acclamations,  vous  les  abandonnez,  vous  les 
reniez,  vous  ne  les  saluez  plus  d'une  simple  politesse  au  bout  de 
deux  ans. 

Voyez  Knauss  au  Salon  de  celle  année! 

M.  Paul  de  Saini-Vidor  a  fait  autrefois,  dans  ce  style  chatoyant 
que  vous  lui  connaissez,  un  éloge  pompeux  des  œuvres  de 
M.  Trayer  :  que  va-l-il  nous  en  dire  cette  année?  Ce  n'est  ni 
mieux  ni  pis  :  c'est  vulgaire  et  médiocre,  comme  toujours.  Sera- 
t-il  dieu,  table  ou  cuvette?  Sera-ce  une  ëpigramme  ou  un  point 
d'admiration?  Ma  foi,  au  hasard  de  la  fourchette!  comme  vous 
dites  à  Paris.  Quoi  qu'il  en  soit,  même  lorsqu'il  élève  M.  Trayer 
au  pinacle,  le  style  de  M.  Paul  de  Saint-Victor  reste  toujours 
féerique  :  c'est  l'important.  Mais  que  l'écrivain  de  la  Presse  y 
prenne  garde!  Si  les  splendeurs  de  sa  prose  nous  enivrent  quand 
elles  sourient  à  un  Delacroix,  elles  nous  donnent  sur  les  nerfs 
quand  elles  ruissellent  amoureusement  pour  un  Trayer. 

Un  philosophe  de  mon  pays  a  dit  quelque  part  :  «  Que  nous 
importe  la  forme  !  Nous  n'avons  pas  besoin  d'être  flattés  par  de 
belles  formes.  Dans  une  œuvre  d*art,  le  fond  seul  est  important  ». 
Musset  ne  s'est-il  pas  écrié  un  jour  : 

Qu'importe  le  flacon,  pourvu  qu'on  ait  l'ivresse  ! 

Or,  pour  M.  Paul  de  Saint-Victor,  le  flacon  c'est  tout.  Il  en 
admire  la  forme,  les  ciselures,  la  pureté.  Il  y  verse  ensuite  de 
l'eau  ou  du  vin,  au  hasard  :  goûlez,  si  cela  vous  plaît  !  Ni  Carlyle 
ni  Musset  ne  l'ont  converti. 

Ce  qui  a  fait  la  grandeur  de  la  France,  ce  qui  a  répandu  au 
loin  ses  mœurs,  sa  langue  et  son  nom,  c'est  le  côlé  littéraire  de 
son  génie. 

Aussi,  quand  vos  critiques  d'art  analysent  un  tableau, 
cherchent-ils  d'abord  ce  que  j'appellerai  le  côté  littéraire  de 
l'œuvre,  c'est-à-dire  le  sujet,  l'anecdote,  le  programme,  l'esprit. 
Ils  ne  voient  point,  par  exemple,  que  la  Joconde  et  la  Vénus  de 
Milo  sont  des  sujets  splendides.  Parlent-ils  d'un  tableau!  Comme 
leur  phrase  est  be!le,  correcte,  séduisante,  tirée  à  quatre 
épingles!  —  Mais,  pour  la  peinture,  ils  n'y  entendent  rien.  Au 
fond,  leur  système  est  toujours  que  les  arls  plastiques  sont  des 
arts  matériels.  Pourtant,  ce  n'est  ni  le  marbre  ni  le  panneau,  ce 
ne  sont  point  les  couleurs  qui  font  l'œuvre  d'art.  —  Que  de  fois 
ai-je  vu  les  boaux  esprits  les  mieux  reniés  apprécier  savamment 
un  tableau  dans  un  coin  de  leur  feuilleton,  et  montrer  une  igno- 
rance increvable  en  face  de  l'œuvre  elle-même!  Passez-moi  celte 
comparaison  bourgeoise,  mais  que  diriez-vousd'un  négociant  de 
Lyon,  fort  expert  en  soieries,  et  néanmoins  incapable  de  dépister 
la  trame  du  coton  dans  une  pièce  en  soie?  Veuillez  m'expliquer 
par  quelle  secrète  infirmité  d'esprit  vos  critiques  sont  tous  d'ac- 
cord sur  un  tableau  du  Louvre,  et  ne  peuvent  s'entendre  sur  un 
tableau  moderne? 


Je  parlais  tout  à  l'heure  des  artistes  dont  la  presse,  au-^ré  de 
son  caprice,  fait  et  défait  la  réputation.  L'expérience  nous 
apprend  que  les  élus  de  la  peinture,  que  la  critique  caresse  de 
ses  périodes  les  plus  séduisantes,  que  le  public  comble  de  ses 
plus  chaleureux  applaudissements  dès  leur  apparition,  restent, 
au  demeurant,  de  pures  médiocrités.  Il  faut  que  l'artiste  prenne 
le  public  au  collet,  l'arrête  de  force  en  face  de  son  œuvre  :  c'est 
un  homme  marqué  pour  la  lutte  et  la-souffrance.  Que  les  autres 
s'engraissent  !  ce  sont  des  eunuques. 

C'est  à  ces  complaisances  de  la  critique  parisienne  que  nous 
devons  quelquefois  ces  peintres  et  ces  sculpteurs  dont  les  pro- 
ductions sont  autant  de  rébus.  Heureux  catalogue,  providence 
des  médiocrités!  interprète  officiel  des  peintures  où  l'on  ne  voit 
goutte!  Un  tableau  qui  ne  s'explique  que  par  une  note  imprimée 
est  une  œuvre  manquée.  Il  faut  que  celui  qui  ne  sait  pas  lire 
saisisse  du  premier  coup-d'œil  l'idée  de  l'artiste.  La  clarté  est  une 
qualité  fondamentale  en  peinture,  comme  en  littérature.  Une  autre 
qualité  fontamentale  en  peinture,  c'est  la  personnalité. 

Pensez-vous  que  Gérôme  intéresserait  le  public,  en  peignant, 
comme  Rembrandt,  dans  le  tableau  qui  est  à  Dresde,  un  homme 
taillant  un  crayon?  Evidemment  non,  car  dans  un  sujet  sem- 
blable l'artiste,  pour  nous  intéresser,  est  obligé  de  se  raconter. 
Que  représente  M.  Gérôme  pour  intéresser  le  public  et  la  presse? 
Des  anecdotes  spirituelles  :  le  Duel  d\in  Pierrot^  la  Mort  de 
César,  un  Boucher  épyptien,  un  Prisonnier,  un  Rembrandt  II 
Louié  XIV  déjeunant  avec  Molière,  cent  sujets  diff'érents;  il 
raconte  son  esprit,  mais  où  est  sa  nature,  son  cœur,  son  tempé- 
rament, sa  foi,  sa  religion  ?  Quel  homme  est-ce?  Pouvez- vous  le 
connaître  d'après  ses  œuvres  ?  Non. 

J'ajoute  que  j'estime  fort  le  lalent  de  M.  Gérôme  ;  il  apporte 
dans  son  art  un  voulu  qui  manque  à  ses  confrères  en  succès, 
MM.  Hébert,  Cabanel,  etc.  —  Le  jour  Où  les  portes  de  l'Instilut 
s'ouvriront  aux  hommes  de  sa  génération,  il  y  entrera  le  premier 
îiux  applaudissemente  même  de  ses  rivaux. 

Regardez  aii  contraire  les  Millet  de  cette  année,  voyez  l'œuvre 
entière  de  ce  maître,  c'est  un  seul  et  même  sujet,  une  seule  et 
même  croyance.  Millet  est  trop  grand  artiste  pour  montrer  de 
l'esprit.  Il  dédaigne  ce  poison  moderne  qui  gâte  tout.  Il  ne  fait 
pas  des  mo/5  avec  son  pinceau.  Il  chante  une  épopée  rustique. 

Sa  vie  entière  se  trouve  comme  répandue  dans  ses  œuvres. 

Dans  son  portrait  de  l'empereur,  Flandrin  a  trouvé  tout  un 
sujet  pictural  et  artistique.  Un  autre  que  lui  n'eût  pas  exprimé 
cette  figure  de  la  même  façon,  tandis  que  tout  artiste  peut  racon- 
ter l'anecdote  de  Molière  déjeunant  avec  Louis  XI V . 

Voyez  les  anciens.  N'onl-ils  pas  tous  répété  ce  même  sujet  qui 
n'en  est  pas  un  :  la  Vierge  et  Venfant  Jésus  ?  Comment  donc 
ont-ils  créé  des  œuvres  immortelles?  C'est  que  chacun  d'eux  a 
fait  rayonner  son  idéal  sur  cette  mère  et  sur  cet  enfant;-  chacun 
d'eux  y  a  mis  son  âme  et  sa  nature. 

C'est  peut-être  ici  le  lieu  de  placer  une  seconde  anecdote  qui 
se  lie  à  ces  réflexions  générales.  Je  la  tiens  d'un  artiste  de  grand 
riiérile  et  de  grand  esprit. 

Il  reçut,  il  y  a  quelque  temps,  la  visite  d'un  marchand  de 
tableaux  très  connu,  qui  lui  raconta  un  fait  dont  il  avait  été  témoin 
le  matin  même,  en  ajoutant  qu'il  y  voyait  un  très  intéressant 
sujet  de  tableau.  Vers  cinq  heures,  au  lever  du  soleil,  en  face  du 
café  Foy^  une  jeune  chiffonnière  causait  avec  un  chiffonnier,  à 
deux  pas  d'un  monceau  d'ordures,  d'immondices,  d'écaillés 
d'huîtres,  de  carapaces  de  homards,  etc.,  couronné  d'un  bouquet 


VART  MODERNE 


117 


fané.  Le  chiffonnier  aperçiil  ce  bouquet,  lé  cueillit^  et  Tofifrit 
galamment  à  la  jeune  chiffonnière.  ^ 

Le  marchand  fui  tellement  enthousiasmé  du  côté  spirituel  de 
ce  motif,  qu'il  commanda,  séance  tenante,  le  tableau  à  l'artiste. 
—  Celui-ci  refusa.  Le  marchand,  surpris,  sollicita  alors  l'autori- 
sation de  le  donner  à  un  autre  peintre.  —  L'artiste  y  consentit, 
mais  fil  part  de  ce  sujet  à  nombre  de  ses  confrères,  qui  tous  lui 
demandèrent  la  permission  de  le  traiter  ;  nous  trouverons  sans 
doute  à  la  prochaine  exposition  des  Beaux-Arts  vingt-deux 
tableaux  sur  ce  motif.  Tous  les  littérateurs  mis  dans  la  confidence 
s'écriaient  à  l'envi  :  «  Quel  artiste  spirituel  !  quel  admirable 
sujet!  »  Pauvres  artistes!  Faites  donc  des  Marchands  de  draps 
comme  Rembrandt,  et  vous  aurez  peint  une  toile  immortelle,  et 
vous  aurez  dépensé  des  trésors  d'imagination  ! 

Mais  non,  il  faut  des  sujets!  le  public  veut  des  sujets!  La  cri- 
tique aussi.  Croyez-vous  qu'aux  expositions  de  race  bovine  le 
public  s'arrêtera  devant  le  plus  bel  animal  reproducteur?  Jamais, 
k  moins  que  la  médaille  d'honneur  ne  pende  à  son  cou,  mais  il 
courra  droit  au  bœuf  à  deux  têtes.  La  critique  et  le  public  ne  font 
pas  autre  chose  aux  expositions  d'œuvres  d'art.  Gloire  aux  pein- 
tres à  deux  têtes  ! 


i^ARTEK    Y^ÏNqUEUR 


par  SiENKiEwicz.  Traduit  du  polonais  par  Neyroud,  introduction 
par  T.  de  Wyzewa:  —  Paris,  A.  Laurent,  1886. 

M.  Teodor  de  Wyzewa  s'est  chargé  de  présenter  Bartek  au 
public  français.  Il  le  fait  avec  tact  et  mesure,  en  une  préface  où 
il  peint  à  grands  traits  le  tableau  de  la  Pologne  artistique  con- 
temporaine, et  qui,  au  mérite  d'un  document  critique  de  valeur, 
joint  l'attrait  d'un  exposé  de  choses  inconnues,  à  peine  pressen- 
ties :  des  batailles  pour  l'art  que  livrent  des  écrivains,  des  pein- 
tres, des  musiciens,  là-bas,  dans  les  plaines  de  la  Podolie,  de  la 
Wolhynie,  de  la  Lithuanie,  si  loin  que  nous  ne  pouvons  en  perce- 
voir l'écho. 

Il  dit  le  fort  et  le  faible  de  ses  compatriotes,  le  rêve  qui  les 
séduit,  l'extraordinaire  facilité  d'hallucination  de  leur  esprit  qui 
les  fait  vivre  en  des  mondes  fictifs,  l'acuité  de  leur  intelligence, 
leur  compétence  naturelle  à  embrasser  toutes  les  formes  de  l'art, 
et  aussi  l'infériorité  dans  laquelle  les  enferment  leur  admiration 
exagérée  et  irraisonnée  des  grands  artistes  antérieurs,  transmise 
héréditairement  sans  subir  de  contrôle,  et  lès  crovances  irréflé- 
chies  qui  les  détournent  du  sérieux  travail  artistique  et  les 
empêchent  de  réaliser  leurs  rêves. 

Les  nouvelles  de  Sienkiewicz  ouvrent  la  série  des  volumes  qui 
formera  la  Nouvelle  bibliothèque  internalionale^  fondée  par  la 
Librairie  de  la  Presse.  On  a  choisi  l'auteur  parce  qu'il  est  l'un 
des  écrivains  polonais  les  plus  en  rc'lief  dans  son  pays,  et  aussi, 
pensons-nous,  parce  que  la  nouvelle  qui  a  donné  son  nom  à  l'ou- 
vrage, Bartek  Vainqueur,  chatouille  la  fibre  patriotique  fran- 
çaise et  assurera  au  livre  un  débit. 

Bartek,  c'est  l'histoire  d'un  lourd  paysan  de  Posnanie  que  la^ 
levée  en  masse  des  réserves  de  l'armée  allemande,  en  1870,  jette 
dans  le  train  de  chemin  de  fer  qui  charrie  vers  la  France  un 
tleuve  de  baïonnettes  et  de  mitrailleuses.  Il  se  bat  avec  la  fureur 
aveugle  du  malheureux  qui  craint,  plus  encore  que  les  balles 
ennemies,  le  revolver  de  l'officier  qu'il  sent  braqué  sur  sa  nuque 
et  qui  lui  cassera  la  tête  s'il  recule.  Revenu  dans  son  village, 


décoré,  vainqueur,  il  est  devenu  abominablement  ivrogne  et 
paresseux;  il  brutalise  sa  femme,  il  néglige  son  champ,  et,  à  la 
suite  d'une  correction  donnée  à  un  instituteur  prussien,  les 
magistrats  allemands  le  cortdamnent  aux  fers.  Sorti  de  prison,  il 
est  forcé  de  voter  pour  le  candidat  prussien.  Les  usuriers  se 
jettent  sur  son  bien.  Et  la  misère  noire  le  pousse  hors  de  son  vil- 
lage, —  lui,  le  Vainqueur!  et  l'oblige  à  aller  s'enivrer  ailleurs. 

Telle  est,  dans  sa  morne  tristesse,  l'aventure  du  héros. 

Tout  un  drame  bout  dans  ce  conte,  et  quoique  la  thèse  ne  soit 
indiquée  nulle  part,  que  seules  les  sensations  du  héros,  analysées 
selon  le  procédé  des  psychologues  russes,  donnent  au  livre  sa 
vie,  elle  éclate  avec  violence:  c'est  le  cri  de  révolte  de  la  Pologne 
contre  l'autocratie  de  l'Allemagne  qui  l'écrase,  qui  la  maintient 
dans  une  ignorance  propre  à  servir  ses  calculs,  et  qui,  après 
l'avoir  fait  marcher  au  feu,  ne  trouve  pour  la  remercier  que  cette 
injure,  crachée  à  sa  face  par  les  sous-officiers  prussiens  :  Bétail 
polonais]  Polnisches  vieh! 

L'ouvrage  a  eu  là-bas  un  retentissement  énoi*me.  Il  était  inté- 
ressant de  le  faire  connaître,  et  sans  doute  la  traduction  qu'en 
offre  M.  Neyroud  est- elle  appelée  à  la  popularité. 

On  trouvera  dans  le  volume,  outre  Bartek  Vainqueur,  quatre 
autres  nouvelles,  parmi  lesquelles  nous  signalpns  Janko-Muzy- 
kant  (Petit-Jean  le  musicien)  et  V Allumeur  du  Phare,  puissante 
et  profonde  description  des  mélancolies  de  l'Océan,  qui  évoque, 
ainsi  que  juge  M.  de  Wyzewa,  «  la  singulière  émotion,  plastique 
ensemble  et  musicale,  que  nous  pourraient  donner  telles  pages 
du  comte  Villiers  de  l'Isle-Adam  enluminées  par  M.  Monet  ». 


¥' 


OTZ^    DE    f4U3iqUE 

I.  —  Audition  d'œuvres  de  M.  Gustave  Sandx*é. 

Auditions  sur  auditions,  au  début  de  ce  mois  d'avril.  Les  mélo- 
manes n'ont  plus  assez  d'oreilles  pour  lout  écouter  :  le  Cercle,  le 
Palais  des  Beaux-Arts,  la  Grande-Harmonie  et  le  Conservatoire 
s'arrachent  les  amateurs. 

Et  bien  que  cette  série  continue  d'auditions  impose  un  surcroît 
considérable  d'énergie  nerveuse,  nous  ne  pouvons  qu'applaudir 
vivement,  car  elle  prouve  une  vitalité  artistique  que  l'on  ne  voyait 
point  il  y  a  quelques  années  à  Bruxelles. 

M,  Sandre  a  foi  dans  son  art,  il  l'aime  avec  passion,  et  il  le 
fait  aimer.  Le  danger  est  que  sa  pensée  reste  enfermée  dans  le 
cercle  des  compositions  un  peu  grises,  dont  la  pénétration  n'est 
pas  assez  aiguë  pour  faire  vivre  l'âme.  On  peut  dire  de  ce  qu'il 
fait  :  «  C'est  bien.  »  Quand  pourrons-nous  dire  :  «  C'est  empoi- 
"gnant!  »  Cet  empoignement  que  seules  produisent  les  œuvres 
profondément  senties,  nous  ne  l'avons  subi  en  écoutant  les  quatre 
numéros  qui  composaient  le  programme  du  concert  du  Conser- 
vatoire. Le  jour  où  M.  Sandre  se  livrera  entièrement  à  l'inspira- 
tion, il  atteindra  cette  élégance  qu'il  vise  :  pour  l'instant  il  n'en 
est  encore  qu'à  la  grisaille  et  à  ce  point  de  l'échelle  Ihermomé- 
trique  que  l'on  pourrait  désigner  :  chaleur  distinguée,  serre 
tempérée. 

Notons  parmi  les  fragments  intéressants  qu'il,  nous  a  été  donné 
d'entendre,  Vadagio  du  quatuor  inédit,  d'un  joli  développement, 
et  le  scherzo  de  la  Sérénade  pour  instruments  à  archets. 

Les  pièces  pour  piano  à  quatre  mains  et  surtout  les  trois 
lœjidler  pour  violon  sont  faibles,  très  faibles. 


II.  —  Concert  Van  Dooren. 

Mardi,  dans  la  salJe  de  la  Grande-Harmonie,  concert  de  M.  Van 
Dooren,  pianiste,  avec  le  concours  de  M"«  Douilly,  cantatrice,  et 
de  M.  Georges  Millier^  violoniste,  élève  de  Joacliim. 

M.  Van  Dooren  a  fait  preuve  de  talent  correct  et  pondéré,  dans 
l'exécution  doAaSom/e  op.  S  de  Grieg,et  de  \â Légende  de  Saint- 
François  marchant  sur  les  flçls  de  Liszt.  La  Tarentelle  de 
^oszkowskl  cl  h  Fantaisie  pour  deux  pia7ios  de  Wieniawski, 
jouée  avec  M"«  H.  Van  Dooren,  ont  valu  à  l'exécutant  de  très  vifs 
applaudissements. 

Nous  n'aimons  pas  son  interprétation  de  Chopin:  la  légende 
du  poitrinaire  et  de  l'éiégiaque  ne  disparaîtra-t-elle  donc  jamais? 

Louons  M"«  Douilly  pour  la  justesse  de  sa  voix,  un  peu  fluette 
encore,  mais  reprochons  lui  d'avoir  choisi  l'air  de'^é'miramw  : 
on  ne  chante  plus  pareille  musique.  Sa  diction  élégante  dans  les 
Soirs  d'X.  Wauters  (l'auteur  accompagnait  la  cantatrice),  ont  été 
appréciés  par  l'auditoire  connaisseur  et  allenlif. 

M.  Millier  s'annonçant  comme  élève  de  Joachim,  l'on  devait 
s'attendre  à  un  jeu  artislement  sévère  et  noble  '.  le  grand  maître 
du  violon  n'a  pu  sans  doute  s'occuper  longuement  du  jeune  violo- 
niste. Car  il  a  vraiment  presque  tout  à  apprendre  et  la  sincérité 
nous  oblige  ii  lui  conseiller  de  retourner  à  l'école  et  à  y 
étudier  sérieusement  cette  fois.  Et  l'école  est  excellente  qui  a 
produit  déjà  tant  d'exécutants  distingués,  entre  autres  un  jeune 
maître  dont  nos  compa''trioles  n'ont  certes  pas  perdu  le  souvenir, 
Fernandez  Arbos. 

III.  —  Audition  de  musique  religieuse  à  l'église  des 

Carmes. 

Mercredi,  dans  la  jolie...  comment  dire?  salle,  byzantine  des 
RR.  PP.  Carmes,  audition  de  musique  religieuse  sous  la  direc- 
tion de  M.  F.  Riga,  avec  le  concours  de  M"'®  De  Villers-Grand- 
diamps  et  de  M.  Alphonse  Mailly,  premier  organiste  du  roi  et 
professeur  à  notre  Ecole  de  musique.  . 

Vraiment  nous  avons  été  choqués  de  tout  ce  fracas  mondain 
envahissant  de  ses  frivoles  toilettes,  de  ses  perruchantes  causeries, 
le  temple  de  l'avenue  de  la  Toison-d'Or.  Pourquoi  cette  mauvaise 
pensée  de  suivre  ici  la  décadence  latine?  El  quel  texte  de  sermon 
pour  le  père  Alta  que  toute  celte  mondanité  tournant  sans  ver- 
gogne le  dos  îi  l'autel  pour  lorgner  les  choristes  du  jubé  et,  lent 
et  large,  comme  bénissant,  le  geste  djj  maître-dirigeant!  Nous  ne 
critiquons  point  l'introduction  de  l'art  dans  les  églises:  nous 
croyons  que  le  sentiment  religieux  peut  exaller  une  âme  d'artiste. 

Mais  un  temple  ne  doit  servir  qu'à  une  cérémonie  religieuse  et 
non  point  à  un  concert,  et  si  même,  parmi  les  œuvres  qualifiées 
religieuses  il  en  esi  d'absolument  profanes  et  triviales  comme  ce 
ridicule  Ave  Maria  de  Cherubini,  il  convient  de  les  écouter 
pieusement,  la  face,  sinon  l'esprit,  tournée  vers  l'autel. 

C'est  à  regret  que  nous  félicitons  les  exécutants,  puisque  nous 
devons  les  applaudir  comme  chanteurs  de  concert,  vraiment,  et 
non  point  comme  participants  d'une  cérémonie  adorante.  Si  l'on 
avait  pu  applaudir  M"»^  de  Villers-Grandchamps  dont  la  belle  voix 
résonnait  dans  la  nef  résonnante,  l'organiste  de  talent  et 
le  chœur  bien  discipliné  que  dirigeait  fermement  M.  Riga  ! 

IV.  —  Piano-recital  de  M.  Giirickx. 

M.  Gurickx  a  fait  mentir  le  proverbe  :  Fôte  remise,  fête  mar- 
quée. Il  y  avait  foule,  vendredi,  à  la  Grande-Harmonie,  pour 


l'applaudir,  et  tel  a  été  rintérêt  qu'a  su  exciter  lepianiste-que, 
tout  seul,  sans  rarlifice  d'aucun  adjuvant,  livré  aux  ressources 
uniques  de  son  instrument,  il  a  tenu,  deux  ligures  durant,  l'au- 
ditoire attentif  et  recueilli- 
Cette  fois,  le  compositeur,  dont  nous  avons  eu  occasion  de 
parler  récemment,  s'est  effacé,  et  le  pianiste  seul  s'est  livré.  II  l'a 
fait  généreusement,  sans  restriction,  ne  redoutant  ni  les  compli- 
cations techniques,  ni  les  difficultés  de  style  ou  d'expression,  ni 
la  fatigue  des  œuvres  de  longue  haleine,  telles,  par  exemple,  que 
les  XII  études  sympkoniques  de  Schumann,  l'une  des  plus  belles 
compositions  qui  aient  été  écrites  pour  le  piano. 

L'audition  de  vendredi  classe  M.  Gurickx  parmi  les  pianistes 
les  plus  sérieux  et  les  plus  consciencieux  de  l'époque.  Car  c'est 
la  conscience  artistique,  en  particulier,  qui  domine  dans  cette 
organisatio.n  de  musicien  épris  de  la  gloire  des  maîtres,  soucieux 
d'en  faire  valoir  la  personnalilé,  avec  le  dédain  des  petits  moyens 
par  lesquels  on  séduit  lé  public  ignorant. 

Bach,  Beethoven,  Schumann,  plus  que  Chopin,  dont  le  roman- 
tisme spécial  s'accommode  moins  bien  du  talent  de  M.  Gurickx, 
ont  reçu  une  interprétation  excellente,  large,  bien  sentie,  mon- 
trant, sous  le  virtuose,  le  musicien. 

Et  \'d-2'^  Polonaise  de  Liszt,  qui  clôturait  le  concert,  après  un 
hommage  rendu  par  l'artiste  à  son  ancien  maître  Auguste  Dupont, 
a  montré  qu'au  point  de  vue  du  mécanisme,  de  l'égalité  des  traits 
et  de  la  douceur  du  toucher  dans  les  vocalises  pianistiques  les 
plus. ardues,  le  virtuose  était  à  la  hauteur  du  musicien. 


j^OTE?     DE    I-IBRAIRIE 


M.  A.  Gagnière  vient  de  faire  paraître  à  la  librairie  Ollendorff, 
sous  ce  titre  :  La  Reine  Marie-Caroline  de  Naples^  un  volume 
d'un  grand  intérêt  historique.  L'auteur  a  reconstitué,  presque 
jour  par  jour,  et  sur  des  documents  définitifs  et  irréfutables,  la 
période  tourmentée  du  règne  de  Ferdinand  IV  et  nous  voyons 
enfin,  dans  ce  livre,  quel  a  été  le  rôle  véritable  et  occulte  de  la 
trop  célèbre  Emma  Lyon. 

*•  * 
Etincelle  vient  de  faire  paraître  chez  Ollendorff  un  roman, 
L' Impossible ^  puissamment  observé.  Dans  le  cadre  de  toutes  les 
élégances  de  la  vie  parisienne,  les  personnages  se  trouvent  aux 
prises  avec  les  événements  les  plus  dramatiques  et  les  plus  inat- 
tendus. C'est  encore  un  grand  succès  pour  l'auteur  du  Voyage 
autour  des  Parisiennes. 

M.  Robert  de  Bonnières  est  de  ceux  qui  veulent  surprendre  le 
public.  Le  nouveau  roman  qu'il  publie  chez  Ollendorff  porte  le 
titre  :  Le  Baiser  de  Mdina. 

Quitter  brusquement  ce  monde  où  nous  vivons,  ce  monde  où 
l'auteur  des  Monach  se  retournait  avec  l'aisance  d'un  Parisien 
raffiné  et  mondain,  pour  s'enivrer  les  yeux  des  splendeurs 
magiques  des  Indes,  cette  fantaisie  de  poète  et  d'artiste  était  faite 
pour  séduire  un  esprit  original.  M.  de  Bonnières  a  vu  l'Inde  en 
observateur  précis.  Il  l'a  peinte  en  chaud  et  puissant  coloriste. 
Il  a  tracé  un  tableau  plein  dé  vie  des  mœurs  anglaises  et  indi- 
gènes dans  l'immense  enipire  des  Indes. 

Le  curieux  trouvera  dans  le  roman  de  M.  Robert  de  Bonnières 
des  renseignements  variés  et  inédits  sur  les  peuples,  les  villes, 
la  nature.  Mais,  au  travers  des  enchantements  et  des  étonne- 


menls,  se  déroule  un  drame  vivant,  intime,  conduit  dramatique- 
ment jusqu'au  dénouement. 

La  vie  des  bayadères,  ces  noires  prêtresses  de  Vénus,  les  vio- 
lences de  leurs  libres  amours  sous  les  ardeurs  d'un  ciel  de  feu, 
l'allilude  curieuse  des  Anglais  devant  des  mœurs  si  différentes 
des  leurs,  les  bizarres  aventures,  les  paysages  étranges,  tout 
contribue  à  rendre  ce  livre  altravant. 


f 


ETITE    CHROJ^IQUE 


Le  Conservatoire  de  Mons  a  donné  lundi,  au  théâtre,  sous  la 
direction  de  M.  Jean  Van  den  Eeden,  son  concert  annuel,  et  mal- 
gré les  quelques  vides  que  présentait  la  salle,  conséquence 
nécessaire  des  événements  derniers,  la  réussite  a  été  brillante. 

La  Symphonie  n^  II  de  Raff  composait  le  plat  de  résislance 
du  menu  délicat  dressé  par  le  directeur.  Elle  a  été  bien  conduite 
et  exécutée  avec  brio.  Le  Ruisseau,  de  Rheinberger,  et  les 
Nymphes  des  bois^  de  Léo  Dclibes,  ont  permis'  d'apprécier  les 
progrès  réalisés  par  les  élèves  du  cours  d'ensemble.  Le  second 
de  ces  chœurs  a  été  pourvu  d'un  accompagnement  d'orchestre 
par  itf"^  Ballhazar  Florence,  une  jeune  violoniste  namuroise,  qui 
s'est  produite  comme  soliste  dans  le  Concerto  de  Mèndelssohn  et 
dans  une  berceuse  du  ballet  de  son  père,  la  Vision  d'Harry. 
Elle  a  remporté  dans  l'nne  et  dans  l'autre  de  ces  œuvres  un  suc- 
cès si  grand  que,  rappelée,  elle  a  dû  ajouter  au  programme  une 
des  danses  de  Brahms,  transcrites  par  Joachim. 

Etranglée  par  l'émotion  dans  /e  Rêve  d'Eisa,  M"«  Jordano, 
une  cantatrice  amateur,  a  repris  possession  de  ses  moyens  dans 
l'air  d'Armide,  et  a  finalement  interprété  avec  beaucoup  de 
charme  le  Coffret,  de  Georges  Rodeubach,  mis  en  musique  avec 
talent  par  M.  Van  den  Eeden. 

M.  Daille,  lauréat  du  Conservatoire,  a  apporté  à  ce  concert  de 
choix  l'appoint  de  sa  belle  voix. 

On  a  remarqué  avec  quelque  surprise  que  l'usage  est,  à  Mons, 
quand  on  joue  une  œuvre  en  plusieurs  parties,  de  semer  ces  par- 
ties dans  le  programme,  en  intercalant  entre  les  œuvres  les  autres 
ouvrages  annoncés.  C'est  ainsi  que  sous  le  n»  1  figurait  Vallegro 
de  la  symphonie  de  Raff.  h'andante  et  Vallegro  vivace  se  sont 
présentés  sous  le  n»  5,  après  un  air  de  Don  Juan,  après  le 
concerto  de  violon  et  le  Rêve  d'Eisa.  Enfin  Vandante  maestoso  et 
X allegro  ïnvA  ont  ouvert  la  deuxième  partie  du  concert.  Qu'est-ce 
que  cette  macédoine,  ô  Van  den  Eeden  ? 

Lundi  dernier  M.  E.  Sigogne  a  fait,  au  Palais  des  Acadé- 
mies, une  conférence  sur  Fox.  Comme  le  conférencier  a  passé 
plusieurs  années  en  Angleterre,  il  a  pu  décrire  avec  exactitude 
la  vie  anglaise  et  donner  ainsi  un  attrait  particulier  à  sa  causerie. 
Possédant  le  secret  de  dire  des  choses  difficiles  dans  un  langage 
très  simple,  il  a  été  vivement  applaudi  par  son  auditoire,  com- 
posé en  majorité  de  dames. 

Voici,  pour  compléter  les  renseignements  que  nous  avons 
donnés  sur  les  recettes  atteintes  par  les  bals  de  la  Monnaie,  le 
chiffre  de  la  recette  encaissée  au  bal  de  la  Mi-Carême  : 

1885 fr.     10,641 

1886 6,050 

Soit  une  différence  en  moins  de  .     .     .  fr.      4,591 

Sur  l'ensemble  des  quatre  bals,  la  différence  en  moins  pour  1886 
se  chiffre  par  un  total  de  11,407  francs!!  On  le  voit,  la  crise  exerce 
son  influence  dans  tous  les  domaines. 


La  fermeture  de  l'Exposition  Agneessens  est  reculée  jusqu'au 
15  courant.  Afin  de  rendre  plus  populaire  le  succès  obtenu,  le 
Comité  a  décidé  que  l'entrée  serait  réduite  à  10  centimes  pour 
les  trois  derniers  jours. 

La  quatrième  séance  de  la  société  de  musique  de  chambre 


pour  instruments  à  vent  et  piano  sera  donnée  aujourd'hui,  à  deux- 
heures  de  relevée,  dans  la  gran^de  salle  du  Conservatoire,  avec 
le  concours  de  M"«*  Régis,  Césarlôn^^t'Keyser,  harpistes,  et  de 
MM.  Colyns,  Agniez,  Ed.  Jacobs  et  Vanderheyden,  professeurs  au. 
Conservatoire. 

Cette  séance  offrira  un  attrait  tout  particulier.  On  y  exécutera 
\q  trio  de  Brahms  pour  piano,  violon  et  cor;  des  airs  de  ballet 
de  Léon  Dubois  et  \q  septuor  (redemandé)  de  Beethoven. 


Une  soirée  musicale  aura  lieu  jeudi  prochain,  15  avril,  chez 
M.  Léon  Somzé,  au  profit  d'une  œuvre  charitable.  On  y  entendra 
M'"^  Lemmens-Sherrington,  MM.  Heuschling,  Hubay,Wieniawski. 
Ce  dernier  jouera  deux  des  dernières  compositions  de  Zarembski 
et  la  marche  funèbre  de  Chopin. 


L'Ecole  de  musique  de  Saint-Josse-ten-Noode-Schaerbeek, 
organise  un  grand  concert  qui  aura  lieu  le  vendredi  16  avril 
courant,  au  Palais  des  Académies,  à  8  heures  du  soir. 

Le  produit  de  cette  fêle  est  destiné  à  trois  institutions  charitables 
dignes  de  la  plus  vive  sympathie  :  la  crèche  Henriette  de  Schaer- 
beek,  la  crèche-école  gardienne  de  Saint-Josse-ten-Noode  et 
l'œuvre  de  l'Hospitalité  de  nuit. 

Le  programme  promet  une  soirée  des  plus  attrayantes.  Les 
élèves  des  cours  supérieurs  de  l'école  feront  entendre,  sous 
l'habile  direction  de  M.  Henry  Warnots,  les  plus  jolis  chœurs  de 
leur  répertoire.  Le  concert  nous  réserve  une  charmante  surprise  : 
l'interprétation  d'une  œuvre  complètement  inédite,  d'un  des  plus 
célèbres  compositeurs  du  siècle.  Plusieurs  artistes  de  grand  mérite 
prêteront  leur  concours  à  cette  fête.  On  cite  entre  autres  M"«  Elly 
Warnots,  cantatrice,  M.  Ernest  Van  Dyck,  ténor  $olo  des  Concerts 
Lamoureux  de  Paris. 

On  peut  se  procurer  des  places  numérotées,  au  prix  de 
10  francs,  en  s'adressant  au  secrétaire  de  l'Ecole  de  musique, 
rue  des  Plantes,  90,  à  Saint-Josse-ten-Noode. 


M.  Joseph  Wieniawski  donnera  le  17  avril,  à  la  Société  royale 
des  Chœurs,  à  Gand,  un  concert  avec  le  concours  de  M"^^  Anna 
Grégoire  et  Louisa  Merck.  Le  programme  porte  des  œuvres  de 
Mozart,  Beethoven,  Scarlatti,  Moscheles,  Schumann,  Schubert, 
Massé,  Chopin,  Liszt  et  Wieniawski. 


M"™^  Nilsson  vient  de  signer  un  engagement  en  vertu  duquel 
elle  va  faire  une  tournée  d'adieux^en  Amérique.  La  célèbre  can- 
tatrice quittera  l'Europe  en  septembre.  Son  engagement  en  Amé- 
rique part  du  11  octobre. 

Il  s'est  formé  à  Francfort  une  société  pour  l'érection  d'un 
monument  à  la  mémoire  de  Joachim  Raft\ 


CONSTRUCTIONS    HORTICOLES 

CHARPENTES,    SERRES,    PAVILLONS 

VOLIÈRES,  FAISANDERIES,  GRILLAGES,  CLOTURES  EN  FER 

CLOTURES  DE  CHASSE  EN  TREILLAGE  GALVANISÉ 

,■  En  général  entreprise  de  tout  travail  en  fer  ^ 


Jules   MAESEN 

Fournisseur  breveté  de  S.  A.  R.  Mgr  le  Comte  de  Flandre  et  de  la 
-    -       ■  ville  de  Bruxelles 

Décoration  industrielle  de  première  classe  :l 

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120 


UART  MODERNE 


SIXIÈME  ANNÉE    •    ,   ■  ' 

L'ART  MOiyEHNE  s'est  acquis  par  l'autorité  et  l'iiidépendancc  de  sa  critique,  par  la  variété  de  ses 
informations ,  et   les  soins  donnés   à   sa   rédaction   une  place  prépondérante.   Aucune   manifestation  de  l'Art  ne 

lui  est  étrangère  :  il  s'occupe  de  littérature,  de  peinture,  de  sculpture,  de  gravure,  de  musique, 

d'architecture,    etc.    Consacré   principalement   au   mouvement  artistique  belge,   il  renseigne  néanmoins   ses 
lecteurs  sur  tous  les  événements  artistiques  de  l'étranger  qu'il  importe  de  connaître. 

Chaque  numéro  de  L'ART  MODERNE  s'ouvre  par  une  étude  approfondie  sur  une  question  artistique 
ou  littéraire  dont  l'événement  de  la  semaine  fournit  l'actualité.  Les  expositions,  les  livres  nouveaux^  les 
premières  représentati07is  d'oeuvres .  dramatiques  ou  musicales,  les  conférences  littéraires,  \q^  concerts  y  les 
ventes  dohjets  d'art,   font  tous  les  dimanches  l'objet  de  chroniques  détaillées. 

.  L'ART  MODERNE  relate  aussi  la  législation  et  la  jurisprudence  artistiques.  Il  rend  compte  des 
procès  les  plus  intéressants  concernant  les  Arts,  plaides  devant  les  tribunaux  belges  et  étrangers.  Les 
artistes  trouvent  toutes  les  semaines  dans  son  Mémento  la  nomenclature  complète  des  expositions  et 
concours  auxquels  ils  peuvent  prendre  part,  en  Belgique  et  à  l'étranger.  Il  est  envoyé  gratuitement  à 
l'essai  pendant  un  mois  à  toute  personne  qui  en  fait  la  demande. 

L'ART  MODERNE  forme  chaque  année  un  beau  et  fort  volume  d'environ  450  pages,  avec  table 
des  mîvtiôres.  Il  constitue  pour  l'histoire  de  l'Art  le  document  LE  PLUS  COMPLET  et  le  recueil  LE  PLUS 
FACILE  A  CONSULTER. 


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par  an, 


Quelques  exemplaires  des  cinq  premières  années  sont  en'  vente   aux  bureaux   de  L'ART   MODERNE, 
rue  de  l'Industrie,  26,  au  prix  de  30  franCS  chacun. 


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Nouveautés  musicales. 

DE  S^^'ERT.  Jules  Sérénade  de  l'opéra  :  Les  Albigeois.  Tran- 
scription pour  violoncelle,  avec  accomp.  de  piano,  fr.  2.00. 

BORIS  SCHP:EL.  Op.  155.. Trois  mélodies  pour  chant,  avec 
accomp,  de  violoncelle  (ou  violon)  et  piano.  Paroles  françaises  et 
anglaises  ;  N^  i  Venez  7na  9)iie.  Sérénade.  (Arise,  beloved),  fr,  1.35; 
n»  2  Poicr  l'absfut.  (To  my  absent  love),  fr.  1.75;  n»  3.  Chant 
d'anwur   (Love  song),  fr.  1.75. 

ERMEL,  A.  Op.  40.  Scherzetto,  pour  piano,  fr.  2.50.  


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Menuet,  fr.  2-00;  N»  6,  Schubert,  Marche,  fr.  1  25. 
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SuLZER,  J.  Op.  5  novelles  p.  piano  et  vjolonc"*  fmi-maj.^,  fr.  2-00. 
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ressemblance,  fr.  20-00. 

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No  571.  Bach,  J.  S.  Gant.  «O  flamme  éternelle  »  piano  av.  texte,  fr.  2-00 
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*  Sixième  année.  —  N°  IG 


Lé  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  18  Avril  1886. 


)  1 1  j  11.  p   il  I 


L'ART 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,   un   an,   fr.   10.00;  Union  postale,   fr.   13.00.    —   ANNONCES   :    On   traite  à  forfait. 

A  d7^esse7^  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 

l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


^OMMAIRE 


Le  Théâtre  de  la  Monnaie.  —  Gwendoune.  —  Catulle 
MENDiis.  —  Livres  nouveaux.  L^s  Gaietés  de  l'année,  par  Gros- 
claude  ;  Madonoiselle  Cotn-in,  par  Jean  Fusco.  — '■  Notes  de  musique. 
I.  Quatrième  séance  de  musique  de  chambre.  II.  Concert  de  charité 
au  Palais  des  Académies .  III.  Séance  Qrieg.  —  Petite  chronique. 


LE  THEATRE  DE  U  IIOX^AIE 

A  Monsiew  le  Direcleur  de  /'Art  moderne. 

Vous  souvenez- vous  de  mes  quatre  lettres?  Vous 
sou  venez- vous  entre  autres  de  celle  où  je  disais,  après 
avoir  donné  les  chiffres  des  bénéfices  de  l'ancienne 
direction  pendant  les  quatre  dernières  années  : 

"  La  bonne  administration  communale  de  Bruxelles, 
gardienne  et  protectrice  de  notre  théâtre,  temple  du 
grand  art  et  principal  champ  clos  de  nos  plaisirs  hon- 
nêtes, ayant  pris  connaissance  de  ce  résultat  d'une 
administration  que  plusieurs  années  d'exercice  avaient 
rendue  très  expérimentée  et  excessivement  regardante, 
s'est  dit  que,  puisque  les  directeurs  gagnaient  40,000  fr. 
par  an,  il  fallait  les  leur  reprendre  et  mettre  bon  ordre 
à  un  pareil  gaspillage.  C'est  pourquoi,  dans  son  nou- 
veau cahier  des  charges,  elle  a  imposé  des  augmenta- 
tions et  rogné  des  subsides  qui  ont  décidé  MM.  Stoumon 
et  Calabrési  (du  moins  on  l'assure)  à  lui  quitter  la 
partie.  "  .. 

Et  dans  une  lettre  suivante  j'ajoutais  :'• 
OWla  vérité  est  que  les  avantages  financiers  anciens 


étaient  déjà  insuffisants.  Deux  directeurs  n'ayant  à  se 
partager  comme  bénéfices  que  40,000  francs,  avec  les 
chances  terribles  et  presque  toujours  foudroyantes,  eu 
pareille  matière,  d'une  déconfiture,  c'est  peu.  Aussi,  à 
mon  avis,  n'a-t-on  pu  attirer  des  amateurs  pour  une 
telle  aventure  qu'en  leur  dissimulant  la  réalité.  Ce  n'est 
guère  louable.  Dans  les  adjudications  ordinaires,  l'Etat, 
les  provinces,  les  communes  acceptent  la  responsabilité 
de  certains  événements  imprévus,  inhérents  à  l'entre- 
prise ;  si,  par  exemple,  on  tombe   sur  du  mauvais 
terrain,    des    sables   boulants,  on  indemnise  ou   on 
secoure  l'entrepreneur.   Au  théâtre   de  la  Monnaie, 
rien  de  pareil  :  qu'il  y  ait  une  crise  de  forts  ténors, 
qu'une  création  dépasse  les  prévisions  en  dépenses  de 
tous  genres,  qu'il  y  ait  un  changement  dans  la  vogue, 
toutes  circonstances  qui  sont  de  véritables  cas  fortuits, 
la  Ville  se  regarde  comme  désintéressée  et  une  subven- 
tion nouvelle  ne  saurait  être  obtenue  que  péniblement 
et  comme  une  faveur. 

«  Tout  cela  est  extrêmement  périlleux  pour  l'avenir 
du  théâtre.  En  vérité,  les  subsides  et  les  avantages 
loin  d'être  diminués  auraient  dû  être  augmentés.  Il 
était  notoire  que  la  troupe,  tout  en  présentant  quelques 
très  belles  personnalités,  était  depuis  des  années  insuf- 
fisante sous  certains  rapports  et  que  les  trous  qui  s'y 
trouvaient  n'étaient  masqués  que  par  l'adroite  urbanité 
des  directeurs.  Ils  savaient  bien,  eux,  qu'ils  ne  pou- 
vaient, sans  se  constituer  en  perte,  dépenser  par  mois 
les  quelques  nrilH^rs  de  francs  de  plus  qui  eussent  été 
indispensables  pour  que  rien  ne  manquât. 


é- 


X 


De  toutes  parts  on  reprend  ce  thème  et  on  tombe 
sur  radministration  communale.  Certes,  elle  a  eu  sa 
part  dans  l'événement  par  la  sottise  qu'elle  a  faite 
(il  serait  intéressant  de  savoir  qui  en  a  eu  l'initiative)  en 
imposant  à  la  direction  nouvelle  des  charges  telles  que 
si  MM.  Stoumon  et  Calabrési,  dont  on  fait  volontiers 
des  dieux,  avaient  eu  à  les  subir  pendant  les  dix  années 
durant  lesquelles  ils^ont  fait  fr.  394,279-39  de  béné- 
fices, ils  auraient  fini  avec  un  déficit,  puisqu'ils  auraient 
eu  400,000  francs  au  moins  de  dépenses  en  plus,  et 
cela  malgré  les  chances  inouies  qu'ils  ont  eues  :  Prospé- 
rité publique,» cinquantenaire  national  (ils  ant  gagné 
cette  année-là  fr.  122,107-30)  engagements  d'excellents 
artistes  à  bas  prix  (M'"^  Caron  recevait  la  première 
année  1,100  francs,  M"«  Duvivier  1,000,  M"«  Bosman 
1,000,  M'"^  Deschamps  1,200;  pour  la  saison  1883-84, 
*toute  la  troupe  ne  coûtait  que  39,235  francs  par  mois, 
et  pour  1882-83,  39,825  francs);  de  plus,  complaisance 
du  public,  fermant  les  yeux  sur  bien  des  imperfections. 
Avec  les  charges  nouvelles  et  avec  les  droits  d'auteur 
tels  qu'ils  sont  aujourd'hui  (32,000  francs  au  lieu  de 
2,000),  MM.  Stoumon  et  Calabrési  eussent  été  en  perte 
la  première  année  de  23,000  francs,  la  deuxième  de 
35,000  francs,  la  troisième  de  1.35,000  francs  (!!),  la 
quatrième  de  16,000  francs. 

Etait-ce  assez  fou  d'imposer  de  telles  conditions?  Il 
est  indiscutable  que  si,  lundi  dernier,  M.  Verdhurt 
avait  eu  à  sa  disposition  les  40,000  francs  qu'on  lui 
a  rognés  au  minimum,  la  saison  eût  pu  finir  sans 
encombre,  le  directeur  était  en  règle  avec  la  Ville,  et 
n'avait  qu'à  s'arranger  avec  son  personnel  pour  régler, 
après  la  clôture,  le  dernier  mois,  ce  qui  se  fait  d'ordi- 
naire sans  grandes  difficultés. 

La  ^'ille  mérite  donc  de  recevoir  son  paquet.  Mais  on 
l'exagère  dans  un  but  facile  à  discerner.  On  veut  lui 
imposer  un  cahier  des  charges  nouveau  vis-à-vis  des 
personnages,  pour  le  moment  encore  dans  la  coulisse, 
qui  surgiront  au  dernier  moment  comme  des  sauve- 
teurs. " 

La  vérité  est  que  la  presse,  qui  mène  tout  à  coup 
cette  campagne  nouvelle,  eût  bien  fait  de  s'en  aperce- 
voir durant  la  direction  Verdhurt,  et  d'engager  l'auto^ 
rite  communale  à  revenir,  au  profit  de  celle-ci,  sur  les 
conditions  draconiennes  inventées  par  on  rie  sait  quel 
économiste  de  paccotille.  Mais  cela  ne  convenait  pas  à 
MM.  les  journalistes.  Pour  comprendre  leur  jeu,  il  faut 
savoir  qu'il  va  dans  Bruxelles  une  camarilla  composée 
de  musiciens,  d'amateurs  et  de  chroniqueurs,  qui  se 
croient  vraiment  titulaires  du  théâtre.  Ils  ont  leurs 
préjugés,  leurs  protégés,  leurs  habitudes,  leurs  préro- 
gatives. La  nomination  de  M.  Verdhurt  est  venue  jeter 
le  trouble  dans  cette  confrérie.  Ils  ne  se  sont  plus  sentis 
chez  eux,  et  ont  commencé,  dès  avant  l'ouverture  du 
théâtre,  cette  guerre  malveillante  dont  tout  le  monde 


se  souvient.  Ils  l'ont  continuée  durant  tout  l'hiver  avec 
un  acharnement  féroce.     . 

Cela  a  eu  sur  la  situation  du  théâtre  une  influence 
déplorable.  Le  bon  public  (je  n'ose  pas  dire  imbécile)  a 
suivi,  conformément  à  la  tradition  qui  le  rattache  direc- 
tement au  troupeau  dé  Panurge.  Il  s'est  montré  tracas- 
sier  sur  tout.  Il  a  mal  accueilli  des  artistes  bien  meil- 
leui;s  que  plus  d'un  de  ceux  qu'il  supportait  bénévolement 
depuis  des  années.  Il  a  occasionné  des  remaniements 
de  troupe  des  plus  coûteux.  Il  a  été  cause,  en  renvoyant 
le  ténor  Dereims,  qu'il  a  fallu  engager  le  ténor  Villai'et  à 
1,500  francs  par  soirée,  et  encore  a-t-on  fait,  pour  cet 
excellent  artiste,  la  petite  bouche.  Avec  de  tels  boule- 
versements, pas  de  répétitions  de  nouveautés  possibles. 
Les  Templiers,  qui  eussent  dû  passer  en  décembre, 
n'ont  pu  passer  qu'en  février.  Il  a  fallu  abuser  du  vieux 
répertoire.  Les  cachets  de  la  très  remarquable  troupe 
d'opéra  comique  se  sont  multipliés. 

Voilà  déjà  trois  facteurs  très  nets  et  très  énergiques 
de  mauvaise  fortune  :  la  ville,  la  presse,  le  public.  Il  y 
faut  ajouter  la  crise.  Et  d'abord  la  crise  matérielle. 
Trente-et-un  théâtres  ont  fermé  prématurément  cet 
hiver.  A  Bruxelles,  la  province  n'a  presque  pas  donné. 
Depuis  les  troubles  de  Liège  et  de  Charleroi,  les  recettes 
ont  baissé  formidablement.  Les  Templiers,  qui  avaient 
donné  jusques  5,600  francs,  sont  tombés  à  1,600  francs. 
Faust  a  eu  une  recette  de  1,400  francs.  Les  quatre  bals 
du  carnaval  et  de  la  mi-carême  ont  laissé  un  déficit 
d'environ  12,000  francs  sur  l'an  dernier.  Une  des  d<^- 
nières  représentations  de  l'opéra  comique  n'a  guère 
dépassé  700  francs. 

Et  la  crise  intellectuelle  est  venue  brocher  sur  le 
tout.  On  ne  peut  nier,  en  effet,  que  les  prédilections 
musicales  du  public  sont  dans  un  état  de  transition 
funeste  pour  le  théâtre.  On  n'aime  plus  guère  le  réper- 
toire ancien  et  on  n'est  pas  encore  fait  au  nouveau.  Les 
fanatiques  du  vieux  et  les  fanatiques  du  neuf  sont  en 
petit  nombre.  Entre  ces  deux  groupes  extrêmes  il  y  a 
une  masse  flottante  énorme  qui  ne  sait  plus  ce  qu'elle 
veut.  Elle  ne  s'amuse  plus  que  médiocrement  aux 
Huguenots,  à  Guillaume  Tell,  k  Robert  le  Diable; 
elle  ne  comprend  pas  bien  Lohengrin  et  les  Maîtres- 
Chanteurs.  Il  faudra  des  années  avant  que  l'assiette 
soit  retrouvée. 

Ah!  si  l'on  pouvait^  comme  en  Allemagne,  changer 
l'aflflche  tous  les  huit  jours,  et  faire  chanter  les  artistes 
tous  les  jours,  et  les  mettre  aux  répétitions  tous  les 
jours,  et  imprimer  ainsi  au  répertoire  un  roulement 
d'une  variété  inépuisable.  Mais  non.  Dans  nos  troupes, 
les  cantatrices  qui  jouent  le  soir  ne  reçoivent  même  pas 
de  visites  dans  la  journée  de  peur  de  se  fatiguer  la  voix. 
Les  hommes  ne  veuleùt  paraître  que  de  deux  soirées 
l'une  et  maugréent  si  les  répétitions  se  multiplient.  Ce 
qui  ne  les  empêche  pas,  malgré  la  crise,  de  trouver  que 


ippp 


VAUT  MODERNE 


W^ 


pour  eux  il  n'y  a  jamais  de  crise  et  d'exiger  les  prix 
exorbitants  que  l'on  sait. 

^t  bien,  imaginez  un  directeur  aux  prises  avec  toutes 
ces  malechances.  Ajoutez-y  le  mauvais  vouloir  de  ceux 
qui  ne  lui  pardonnent  pas  d'avoir  été  choisi  contre  leur 
gré,  les  intrigues  des  candidats  futurs,  les  mauvais  pro- 
pos des  coulisses,  le  découragement  personnel  d'un 
Jiomme  qui  se  sent  partout  mal  secondé,  et  ne  vous 
étonnez  pas  si,  malgré  l'appui  sérieux  de  quelques-uns, 
il  succombe.  M.  Verdhurt  devait,  à  sa  personnalité, 
l'avance  qui  lui  avait  été  faite  des  50,000  francs  pour 
le  cautionnement  et  d'un  crédit  de  75,000  francs; 
pendant  sept  mois  et  demi  sur  huit  il  n'y  a  pas  eu  un 
paiement  en  souffrance.  Mais  il  a  bien  fallu  que,  finale^ 
ment,  devant  un  désastre  qui  prenait  des  proportions 
absolument  imprévues,  et  alors  que  personne  ne  lui 
venait  en  aide  de  ceux  qui  eussent  dû  être  ses  naturels 
soutiens  dans  la  tentative  qu'il  faisait  pour  affranchir 
Bruxelles  du  joug  d'une  coterie,  on  se  résignât  à  mettre 
un  terme  à  des  sacrifices  sans  issue. 

Et  pourtant  la  saison  avait  été  active  et  féconde  II  y 
a  eu  plus  de  reprises  que  dans  les  exercices  antérieurs. 
Il  y  a  eu  quatre  nouveautés  importantes  montées,  for- 
mant treize  actes  et  dix-sept  tableaux,  ce  qui  ne  s'était 
jamais  vu.  L'avant- veille  de  la  faillite  on  jouait  Gwen- 
doline  avec  un  succès  considérable. 

De  ces  efforts  inutiles,  de  ces  forces  perdues  d'autres 
vont  profiter.  Comme  si  le  charme  d'un  méchant 
enchanteur  était  rompu,  tout  le  monde  redevient  sym- 
pathique au  théâtre.  Des  artistes,  qui  n'avaient  pas 
voulu  venir  chanter,  maintenant  accourent.  La  bien- 
veillance qui  eût  tant  servi  pour  faire  de  la  saison. une 
de  nos  belles  années  lyriques,  est  retrouvée. 

La  clef  de  ce  secret  est  facile  à  découvrir.  La  camarilla 
reprend  courage.  Elle  espère  rentrer  dans  la  maison. 
Vous  allez  la  voir  arriver  avec  ses  routines  et  ses  hom- 
mes. Vous  la  verrez  obtenir  et  au  delà  ce  qu'on  a  refusé 
au  directeur  qui  courageusement  a  essayé  de  ce  régime 
nouveau  sous  lequel  il  est  tombé  écrasé.  Peut-être  le 
théâtre  sera-t-il  confié  à  l'un  où  l'autre  de  ces  impres- 
sarios  de  profession  parmi  lesquels  il  en  est  qui,  mal- 
gré quatre  ou  cinq  faillites,  restent  personœ  gratœ. 

Il  est  à  souhaiter  que  lundi,  au  conseil  communal, 
ceux  qui  ont  voté  pour  M.  Verdhurt  et  qu'on  accuse 
dWoir  fait  chose  téméraire,  aient  la  fermeté  de  dire 
tout  cela  à  ceux  qui  leur  chercheront  noise,de  remettre 
chaque  chose  à  sa  place,  de  fermer  la  bouche  à  ceux, 
qui  se  proposent  de  les  attaquer,  de  dire  hautement  la 
vérité,  de  démasquer  les  machinations,  et  d'articuler 
nettement  contre  les  vrais  auteurs  du  désastre  les 
reproches  très  fondés  qui  sont  à  leur  faire.  Pas  d'équi- 
voques et  surtout  pas  de  malices. 

Il  faudra  aussi  que  l'on  se  résigne  aux  sacrifices 
nécessaires.  Il  faut  rendre  au  théâtre  les  40,000  francs 


qu'on  lui  a  pris.  Il  faut,  de  plus,  qu'on  majore  ses  sub- 
sides. Si  la  Ville  ne  le  peut,  que  se  soient  les  faubourgs, 
les  provinces,  ou  l'Etat.  .Je  vous  écrivais  à  ce  sujet  ici, 
le  20  décembre  : 

«  Je  suis  convaincu  qu'il  faudra  que  la  ville  revienne 
à  des  mesures  plus  équitables.  Elles  s'imposent  à  qui 
sait  compter.  Notre  théâtre  donne  une  moyenne  de 
950,000  francs  de  recettes  avec  les  subsides  actuels 
qui  s'élèvent  à  200,000  francs.  On  ignore  qu'à  Lyon 
et  à  Marseille,  pour  ne  pas  citer  d'autres  centres,  ils 
sont  de  250,000  francs  pour  six  mois  seulement,  c'est- 
à-dire  42,000  francs  environ  par  mois,  contre  25,000 
francs  chez  nous.  Ces  scènes  nous  disputent  les 
chanteurs  et  peuvent  nous  les  enlever,  parce  qu'elles 
peuvent  mieux  les  payer.  Il  faut  admettre  cette  loi  et 
s'arranger  pour  en  triompher.  D'autre  part,  les 
dépenses  sont  connues  et  irréductibles.  Depuis  les  aug- 
mentations de  charges,  elles  atteignent  et  dépassent  les 
recettes.  Il  faut,  dès  lors,  retrouver  le  bénéfice  qui 
raisonnablement  doit  être  maintenu  à  30,000  francs  au 
moins,  et  l'augmentation  pour  les  frais  de  la  troupe 
qui  doit  s'élever  à  six  ou  huit  mille  francs  par  mois.  Il 
faut  donc  une  centaine  de  mille  francs  en  plus,  ou  si 
l'on  supprime  les  charges  nouvelles,  une  cinquantaine 
de  mille  francs. 

«  Comment  les  trouver? 

«  Bien  des  combinaisons  sont  possibles.  D'abord,  un 
partage  entre  la  Ville  et  la  Liste  civile  qui,  présente- 
ment, donnent  chacune  100,000  francs.  Ou  bien  une 
suppression  de  charges,  telles  que  le  gaz,  l'emploi  à  la 
réfection  des  décors  et  costumes  d'un  quart  du  subside 
annuel,  l'obligation  d'admettre  gratuitement  les  Con- 
certs populaires,  etc.,  etc. 

«  Une  autre  idée  que  j'entendais  émettre  ces  jours-ci 
par  un  homme  très  compétent  avec  qui  je  causais  de 
tout  ceci,  m'a  paru  particulièrement  digne  d'attention. 
«  Notre  grand  théâtre,  disait-il,  dessert  actuellement 
le  pays  entier.  Grâce  aux  trains  de  minuit,  on  vient 
d'Anvers,  de  Gand,  de  Louvain,  de  Mons.  Aussi  les 
théâtres  de  province  sont-ils  dans  le  marasme.  Je  ne 
parle  que  pour  mémoire  de  nos  grandes  communes 
suburbaines  qui,  elles  aussi,  jouissent  du  même  plaisir 
^  sans  payer  Un  sou  de  nos  subsides.  Dans  ces  conditions, 
il  serait  juste  que  l'Etat  intervînt.  Une  forme  me 
paraissait  heureuse  pour  ce  concours  :  qu'on  rattache 
l'orchestre  du  théâtre  au  Conservatoire  qui  mieux  que 
personne,  peut  le  recruter,  le  diriger,  l'inspirer  :  qu'il 
en  devienne  une  dépendance  et  une  institution...  et  que 
l'Etat  le  paie.  Il  coûte  12,000  francs  par  mois,  cela  fera 
juste  la  centaine  de  mille  francs  qui  manque  pour  que 
le  théâtre  de  la  Monnaie  soit  le  meilleur  du  monde.  •» 

Et  maintenant,  mon  cher  Directeur,  que  j'ai  dit  tout 
ce  que  j'avais  sur  le  cœur,  je  retourne  à  ma  stalle,  un 
peu  essoufflé,  je  l'avoue. 


GWPDOLINE 

■'.  n  ■ 

Une  rliapsodie  pour  orclicslre,  Espanâ^  joiu^c  aux  Concerts 
populaires  et  au  Waux-Hall,  a  claironn(^  à  Bruxelles  le  nom  de 
M.  Emmanuel  Chabrier.  BAlie  sur  des  motifs  populaires  rapportés 
d'un  voyage  au  pays  des  castagnettes,  l'œuvre  a  nettement 
esquissé  la  physionomie  artistique  de  son  auteur  :  un  tempéra- 
ment exubérant,  expansif,  amoureux  des  rylhmes  neufs  et  des 
timbres  inusités,  habile  h  saisir  au  vol  toutes  les  inspirations, 
bonnes  ou  médiocres,  et  h  les  habiller  si  coquettement  que  les 
pires  deviennent  séductrices;  une  verve  et  une  bonne  humour  que 
rien  ne  déconcerte;  le  culte  de  la  musique,  non  l'afliliation  h. 
telle  ou  telle  chapelle  fractionnant  la  religion  des  sons,  mais  la 
foi  en  l'universelle  église  musicale  et  le  respect  de  ses  desser- 
vants, depuis  le  pape  Wngner  jusqu'au  derviche  Offenbach  ;  une 
personnalité,  somme  toute,  marquant  chaque  page  d'une  griifc 
qui  n'appartient  à  personne;  un  fantaisiste  ayant  su  trouver,  hors 
des  rangs  où  sont  confondus,  enrôlés  sous  le  même  drapeau, 
presque  tous  les  musiciens  français,  un  terrain  où  il  cavalcade 
tout  seul,  avec  des  envies  gamines  de  tirer  la  langue  à  ses  con- 
frères. 

Gwendoliiie,  jouée  celle  semaine,  avec  quel  succès!  —  aucun 
ouvrage  ne  remporta  pareil  triomphe  à  Bruxelles  —  complète  le 
portrait  de  M.  Chabrier. 

Et  tel  qu'il  apparut  sur  la  scène,  h  la  chute  du  rideau,  court  et 
potelé,  vif,  la  bouche  rieuse  et  le  geste  bon  enfant,-  telle  on  ima- 
gine la  personnification  de  son  arl,  qui  exclut  jusqu'à  l'ombre  du 
pédantisme. 

-On  a  parlé,  à  propos  de  Gwendoline,  de  musique  compliquée 
et  savante.  C'est  du  Wagner,  a-t-on  dit. 

Il  esl  d'usage  d'évoquer  le  fantôme  du  Maître  toutes  les  fois 
qu'une  partition  s'écarte  de  la  formule  rossinienne  qui,  durant 
cinquante  années,  a  imprégné  le  théâtre. 

Nous  cherchons  en  vain  ce  qu'il  peut  y  avoir  de  commun  entre 
M.  Chabrier  cl  Wagner.  Ce  n'est  pas,  sans  doute,  parce  que  la 
jolie  légende  de  Catulle  Mondes  rappelle  le  sujet  du  ]'aisseau 
Fantôme  que  cette  ressemblance  existe.  Elle  ne  réside  pas  non 
plus  dans  la  forme  de  l'ouvrage  :  M.  Chabrier  a  écrit  un  opéra, 
non  un  drame  lyrique;  sa  partition  se  compose  d'une  série  de 
morceaux  détachés,  d'où  la  romancera  couplets  même  n'est  point 
bannie.  Ce  qui  forme  dans  l'œuvre  de  W^agner  la  trame  mélo- 
dique :  \e  thème  caractéristique  typant  un  personnage,  un  sen- 
timent, n'existe  pas  dans  Gwêndoline.  L'auteur  rattache,  à  la 
vérité,  les  uns  aux  autres  les  épisodes  de  l'action  par  certaines 
phrases  qui  jalonnent  la  partition  :  mais  il  semble  les  reproduire 
plutôt  au  point  de  vue  décoratif,  pour  faire  ce  qu'en  peinture  on 
nomme  un  «  rappel  de  tons  »,  que  parce  que  le  développement 
psychologique  le  commande.  Ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est  que  ces 
rappels  ne  sont  pas  systématiquement  réglés.  El  cette  absence  de 
parti-pris  dans  un  mode  d'écrire  déterminé,  ce  laisser-aller  au  fil 
de  l'inspiration,  esl  une  des  marques  dislinctivesdu  compositeur, 
qui  suit  sa  roule  et  ne  se  préoccupe  ni  de  théorie,  ni  de  formule. 

Où  la  science  du  musicien  se  révèle  —  et  sur  ce  point  unique 
l'influence  de  Wagner  est  sensible  —  c'est  dans  l'ingéniosité  avec 
laquelle  il  présente,  sous  des  formes  différentes,  un  ihème  donné. 
Suivez,  par  exemple,  le  dessin  mélodique  qui  ouvre  le  prélude, 
et  qui,  dans  le  cours  de  l'ouvrage,  sert  de  base  au  chant  des 


Danois,  Reproduit  cinq  fois,  on  suivant  une  pr'Ogression  ,j|scon- 
damte,  jusqu'à  son  épanouissement,  il  est  ensuite  scindé  en  deux 
parties,  et  tandis  que  les  basses  clament  la  première  moitié  du 
motif,  modifié  par  la  transformation  des  croches  en  noires,  la 
seconde  moitié,  réduite  en  triolets,  sert  d'accompagnement.  On 
en  retrouve  la  structure  dans  les  tierces  que  font,  peu  après, 
furieusement  retentir  les  trompettes.  Il  se  poursuit,  souS  forme 
d'accompagnement  syncopé,  sur  un  thème  nouveau,  d'abord  en 
mouvement  double,  puis  en  mouvement  simple,  en  progressant 
par  demi-ions  depuis  le  la  jusqu'au  ré.  Plus  loin,  il  reparaît  en 
doubles  croches,  tandis  qu'à  l'octave  supérieure  il  esl  exprimé 
en  même  temps  en  croches  pointées.  Et  pendant  toute  la  durée 
de  la  grande  phrase  tonnée  par  les  cuivres  (le  duo  final  du 
3me  tableau),  vers  la  fin  de  louverture,  c'est  encore  le  même 
dessin  que  les  violons  répètent  désespérément,  comme  une 
pédale  obstinée... 

On  retrouve,  en  plusieurs  endroits  de  l'ouvrage,  celle  préoc- 
cupation symphonique.  Mais  c'est  dans  l'ouverture  qu'elle  atteint 
son  maximum  d'inlensilé.  Et  l'ouverture  forme  sans  conteste  la 
page  la  plus  remarquable  de  l'œuvre.  L'orchestre  tient  conslam- 
ment,  dans  Gwe7îdoline,  un  rôle  important,  qui  n'est  pas,  toute- 
fois, comme  chez  Wagner,  le  rôle  prépondérant.  Il  est  habilement 
et  inlclliïîemmenl  traité.  L'instrumentation  de  M.  Chabrier  a  un 
coloris  particulier,  d'une  grande  richesse  et  d'une  variété  amu- 
sante. Tous  les  effets,  jusqu'à  celui  des  cors  successivement 
ouverts  et  bouchés  pour  donner  l'intervalle  d'une  seconde  dimi- 
nuée, sont  employés,  et  presque  toujours  avec  un  rare  bonheur. 
Souvent  délicate  et  charmante,  la  sonorité  paraît  quelquefois  trop 
exubérante  et  atteindre  la  vulgarité.  Tel  le  passage  de  l'ouverture 
que  nous  citions  plus  haut  dans  lequel  les  cuivres  chantent  la 
phrase  du  duo  final  sur  un  trait  répété  de  violons. 

L'une  dés  plus  jolies  choses,  au  point  de  vue  du  charme  de 
rinslrumenlalion,  esl  l'entrée  du  premier  acte,  que  Mondes  a 
qualifiée  «  le  réveil  heureux  d'une  femme  »  et  que -M.  Chabrier  a 
traduite  de  façon  exquise. 

Comme  compositeur  dramatique,  l'inspiration  du  musicien 
semble  s'accommoder  mieux  des  sentiments  violents  que  des  sub- 
tilités psychologiques.  Le  rôle  d'Harald  esl,  selon  nous,  très 
supérieur  à  celui  de  Gwêndoline. 

H  esl,  peut-on  dire,  irréprochablement  écrit,  dans  la  donnée 
exacte  du  personnage  étrange,  mi-barbare,  mi-raffmé,  qu'a  créé 
l'imagination  de  Catulle  Mendès,  plus  apte  à  concevoir  les  héros 
de  notre  civilisation  décadetate  que  les  frustes  guerriers  des  épo- 
pées Scandinaves.  ' 

Par  moments,  le  rôle  d'Harald  s'élève  à  une  hauteur  peu  com- 
mune. Le  chant  des  épées,  repris  par  le  chœur  des  Danois,  esl 
l'une  des  pages  maîtresses  de  cette  très  intéressante  partition.  Au 
l*'  tableau  du  second  acte,  la  scène  entre  Harald  et  Gwêndoline 
est  également  fort  belle,  et  la  voix  de  M.  Bérardi  a  donné  une 
extrême  pénétration  à  la  phrase  :  «  Viens  sur  mon  cœur,  ô  jeune 
femme!  Viens!...  Viens!...  »  '  ' 

L'entr'acte  entre  le  i«'"  et  le  2*^  tableau,  du  second  acte,  qui  con- 
tient un  développement  symphonique  de  la  phrase  des  Danois, 
moins  complet  que  dans  l'ouverture,  est  d'une  vigoureuse  cou- 
leur orchestrale.  C'est  de  la  musique  descriptive,  curieusement 
timbrée.  A  citer  encore  le  chœur  à  deux  voix  des  hommes 
d'armes  dans  la  coulisse,  sur  un  rythme  sauvagiç,  très  caracté- 
ristique,, et  auquel  rintervalle  qui  sépare  les  voix,  sans  parties 
intermédiaires,  donne  un  timbre  spécial. 


)  .  1 


En  un  mot,  Gwendolme,  malgré  quelques  imperfcclions  sen- 
sibles, la  banale  chanson  de  rouet  qui  clôt  le  premier  acte,  entre 
autres,  n'en  est  pas  moins  Tune  des  œuvres  les  plus  remarquables 
qu'aient  fait  épanouir  la  scène  de  la  Monnaie,  à  laquelle  nul  ne 
fera  le  reproche  de  vivre  de  vieilleries. 

Elle  a  été  la  dernière  création  de  la  direction  Verdhurt,  tombée 
au  lendemain  du  plus  grand  succès  de  l'année. 

A  part  l'insuffisance  de  M"«  Thuringer,  k  qui  la  bonne  volonté 
n'a  pas  pu  donner  ce  qui  lui  manque  sous  le  rapport  vocal,  l'in- 
terprétation a  été  h  h  hauteur  de  l'œuvre.  MM.  Berardi  et  Engel 
ont  été  très  appréciés,  le  premier  dans  le  rôle  principal,  le  second 
dans  le  rôle  épisodique  d'Armel,  que  la  complaisance  du  compo- 
siteur s'est  prêté  ^  allonger  quelque  peu.  Les  chœurs  ont  chanté 
avec  ensemble,  malgré  les  difticullés  résultant  de  parties  divisées 
à  l'infini  et  de  rvlhmes  inusités,  et  l'orchestre  a  très  vaillamment 
contribué  au  triomphe  général. 


j^ATUI-LE    ^EJ^DÈp 


C'est  l'un  des  héros  du  jour.  On  relira  avec  plaisir  le  joli  por- 
trait qu'en  a  tracé  Théodore  de  Banville  : 

Avec  son  jeune  visage  apollonien,  et  son  menton  ombragé  d'un 
léger  duvet  frissonnant  que  n'a  jamais  touché  le  rasoir,  rien  n'em- 
péchorait  ce  jeune  poète  d'avoir  élé  le  Prince  Charmant  d'un  des 
contes  de  M""^  d'Aulnov,  ou  mieux  encore  d'avoir  élé  dans  la 
Sicile  sacrée,  à  l'ombre  des  grêles  cyprès  et  du  lierre  noir, 
Damitc  ou  le  bouvier  Daphnis,  jouant  de  la  syrinx  et  chantant 
une  chanson  bucolique  alternée,  si  ses  yeux  perçants  et  calmes, 
et  sa  lèvre  féminine,  résolue,  d'une  grâce  un  peu  dédaigneuse, 
n'indiquaient  tous  les  appétits  modernes  d'un  héros  de  Balzac. 
Son  front  droit,  bien  construit,  que  les  sourcils  coupent  d'une 
ligne  horizontale,  est  couronné  d'une  chevelure  blonde  démesu- 
rée, frisée  naturellement,  et  longue  comme  une  perruque-  à  la 
Louis  XIV.  C'est  sans  doute  d'une  pareille  chevelure  dorée,  enso- 
leillée et  lumineuse  qu'était  coiffé  le  fils  de  la  muse  Calliope, 
quand  cet  excellent  musicien  déménageait  les  arbres  tout  venus 
par  un  procédé  élégant  et  économique,  dont  il  n'a  malheureuse- 
ment pas  légué  le  secret  à  nos  jardiniers  actuels. 


JalVREP     NOUVEAUX 


Les  Gaietés  de  l'année,  par  Grosclaude.  ^  Paris,  Laurent. 

«  Au  surplus,  si  nous  en  croyons  certains  détails  qui  nous 
sont  communiqués,  l'anthropophagie  commence  à  se  répandre 
un  peu.  La  viande 'de  boucherie  humaine  sera  bientôt  sur  toutes 
les  tables.  Cependant  aucun  de  nos  compatriotes  ne  s'est  encore 
risqué  à  donner  un  dîner  d'hommes  dans  le  sens  primitif  du 
mol.  »  ' 

Et  plus  loin,  faisant  allusion  au  capitaine  Greely,  dont  on  se 
rappelle  l'aventure  :  il  avait  permis  à  son  équipage  de  se  nourrir 
in  extremis  de  quelques  marins  mis  à  mort. 

«  Ce  ne  fut  pas  seulement,  comme  on  serait  tenté  de  le  croire, 
le  commerce  de  la  boucherie  qilî  protesta  contre  une  concurrence 
nuisible  à  ses  intérêts  :  l'Amérique  tout  entière  faisait  un  crime 
à  M.  Greely  d'avoir  utilisé,  pour  sa  nourriture,  quelques-uns  de 
ses  anciens  subordonnés,  ce  qui  était  pourtant  la  seule  façon  de 


rapporter  quelque  chose  de  ces,  braves  citoyens  dans  la  môre^ 
pairie.  » 

Ces  deux  textes  ne  sont  traduits  ni  de  l'anglais,  ni  de  l'améri- 
cain, ils  sont  écrils  en  français  par  un  Français  pour  les  lecteurs 
français.  Je  ne  connaissais  jusqu'à  ce  jour  que  M.  Taine  qui  fût 
apte  à  les  penser  et  les  écrire.  M.  Grosclaude  lui  succède. 

M.  Grosclaude? 

Un  chroniqueur  hebdomadaire  de  Gil-Blns,  où  ilvoisine  à  la 
première  page  avec  Mendès,  Silvestre  et  Maizoroy.  Il  s'est  prouvé, 
voici  un  an.  Ses  chroniques  étaient  non  banales.  Ce  qu'il  a 
quintessencié  dans  les  texies  cités  :  la  blague  féroce,  la  plaisan- 
terie noire,  le  pince-sans-rire  humorisliquo,  apparaissait  dès*  ses 
premières  causeries,  bien  qu'atténué  et  craintif.  Pou  à  peu,  il 
est  parvenu  à  chanter  ou  plutôt  h  grincer  sa  note  dans  la  caco- 
phonie du  journalisme,  et  le  voici  i)a.ssé  au  rang  de  chef 
d'emploi. 

Au  nom  de  Caliban  claironné  par  le  Figaro^  Gil-Blns  répond 
Grosclaude,  et. les  doux  font  écho  et  ricochet. 

L'esprit  américanisé  de  M.  Grosclaude  n'a  pas  eu  —  chose 
étrange  —  grand'peine  à  plaire;  on  s'y  est  fait,  et  à  cette  heure, 
on  le  recherche  vivement.  Il  n'a  rien  de  saulillanl,  de  léger,  de 
bienveillant,  de  sentimental,  de  coquet.  Il  est  peu  français,  pas 
gaulois!  Il  est  d'importation.  Il  était  contenu  dans  l'envoi  que 
jadis  quelque  libraire  anglais,  du  temps  de  Swift,  a  fait  à  Paris. 
Avec  Gulliver,  il  a  passé  la  Manche.. 

Au  surplus,  l'esprit  boulevardier  qui,  majeur  sous  l'Empire,  se 
décrépite  sous  la  République,  a  besoin  de  sang  nouveau.  En 
voici.  Outre  que  Ciiliban  le  restaure  également  avec  des  rapi- 
nades  et  des  clowneries  telles  que  tout  Montmartre  semble  être 
descendu  aux  Italiens. 

Il  a,  de  reste,  bonne  saveur.  Avec  nos  vicieux  instincts,  nous 
acceplons  joyeusement  tout  ce  qui  nous  arrive  do  barbare.  Aussi 
bien  la  préciosité  n"est-clle  pas.commune  aux  mondes  très  enfants 
et  très  civilisés?  La  cruauté  raffinée  n'est-elle  pas  notre  fait  et 
notre  précieuse  distraction?  Et  cette  féroce  plaisanterie  à  froid 
une  excellente  manière  d'être  inhumain  avec  décence? 

Thomas  Graindorge  et  Swift  né  prennent-ils  pas  le  plus  intime 
rayon  dans  nos  bibliothèques? 

Le  talent  de  M.  Grosclaude  n'est  d'ailleurs  pas  anglo-saxon  de 
pure  race.  Il  y  a  eu  croisement.  Le  Parisien  se  révèle  dans  le  jeu 
de  mots,  et  le  tour  d'esprit  dans  le  choix  des  comparaisons  et  dans 
les  transitions  d'un  sujet  à  un  autre. 

Mais  quelle  que  soit  la  dose  de  ce  mélange,  toujours  est-il  que 
l'actuel  chroniqueur  de  Gil-Blas  témoigne  d'une  originalité 
entière  parmi  ses  confrères  et  a  bien  fait  de  réunir  en  volume 
les  Gaietés  de  Vannée^  sos  principales  causeries. 

Les  illustrations?  De  Caran  d'Ache,  peiii-fils  de  Biisch. 

Mademoiselle  Gorvin,  par  Jean  Fusco.  —  Paris,   Ollendorff. 

Jean  Fusco,  c'psl  un  nom  de  guerre  qui  avait  déjà  servi  à  un 
de  nos  anciens  hommes  politiques,  pamphlétaire  ardent,  et  qui 
est  repris  aujourd'hui  par  sa  fille,  une  de  nos  plus  charmantes 
mondaines. 

Un  nom  de  guerre  —  pourquoi?  pour  signer  ce  livre  qui  n'esl 
pas  une  bataille;  qui  raconte  simplement  une  touchante  histoire 
d'amour  !  L'histoire  d'une  jeune  fille  se  rencontrant  aux  bains  de 
mer  avec  un  officier  de  haute  aristocratie;  tous  deux  s'adorent, 
mais  le  mariage  esl  impossible  parce  que  le  père  du  jeune  homme 
refuse  de  voir  son  fils  épouser  la  fiJle  d'un  simple  juge,  une 


petite  bourgeoise  sans  fortune.  Celle-ci  est  traînée  lamentable- 
ment dans  un  laâ  tie  bals  ofli(;iels,  au  niinistm^  i  la  cour,  par  sa 
mère  qui  cherche  à  tout  prix  à  la  présenter  au  vieux  comte  de 
Douras.  Mais  elle  en  revient  chaque  fois  l'âme  défraîchie  et  fanée 
autant  que  la  tarlatane  de  sa  robe.  A  la  fin,  son  père  s'obstinant, 
le  jeune  officier  se  tue.  Hélène  manque  de  mourir;  puis  pendant 
douz'2  ans,  elle  le  pleuré  jusqu'à  ce  qu'elle  se  résigne  à  faire  un 
mariage  de  raison. 

Le  sujet,  comme  on  le  voit,  n'est  pas  d'une  grande  nouveauté, 
mais  certains  croquis  mondains  sont,  bien  enlevés  et  certaines 
analyses  de  passion  sont  piquantes,  surtout/quand  on  songe  que 
l'auteur  est  une  femme.  Par  exemple,  en  matière  de  galanterie, 
il  y  est  dit  qu'il  n'y  a  pas  de  citadelles  imprenables,  mais  seule- 
ment de  mauvais  capitaines. 

Le  mariage  final  de  M"«  Corvin  donne  tort  aussi  à  la  jactance 
des  femmes,  qui  nous  prétendent  seuls  oublieux,  inconstants, 
légers,  égoïstes,  tandis  qu'elles  s'enorgueillissent  de  savoir  aimer 
jusqu'à  la  mort.  C'est  donc  fini,  mesdames,  de  plaider  les  dou- 
leurs éternelles.  Vous  devenez  plus  sincères  et  vous  avouez  que 
sur  les  plus  folles  cl  les  plus  vraies  passions  le  temps  apporte 
son  herbe  d'oubli. 

En  résumé.  Mademoiselle  Corvin,  avec  les  deux  jolies  nou- 
velles qui  complètent  le  volume,  est  une  œuvre  à  succès,  un 
pastel  délicat,  atténué,  vaporeux,  où  l'on  sent  la  caresse  des 
doiffts  d'une  femme. 

A  quand  les  Histoires  de  chez  nous^  cet  autre  volume  en 
préparation  de  Jean  Fusco,  qui  seront  des  pastels  tragiqiles, 
exprimant  la  vie  ouvrière,  des  pastels  noirs,  empâtés  celte  fois 
avec  de  la  poudre  à  canon  et  de  la  poussière  de  charbon  ? 


J^OTEP    DE    MU^iqUE 

I.  —  Quatrième  séance  de  musique  de  chambre. 

L'Association  des  professeurs  d'instruments  à  vent  au  Conser- 
vatoire a  donné,  dimanche  dernier,  une  quatrième  et  probable- 
ment dernière  séance  de  musique.  Le  trio  de  Brahms  pour 
piano,  violoncelle  et  cor  formait,  avec  les  airs  de  ballet  de 
M.  Léon  Dubois,  récemment  entendus  à  l'Union  des  jeunes  com- 
positeurs, et  le  septuor  de  Beethoven  (exécution  redemandée),  le 
programme  de  celte  matinée. 

Le  trio  de  Brahms  n'a  été  que  rarement  joué  à  Bruxelles  tel 
qu'il  a  été  écrit  :  les  dif!icultés  techniques  de  la  partie  de  cor 
exigent  un  soliste  de  première  force,  et  l'on  préfère  générale- 
ment substituer  à  cette  version  celle  dans  laquelle  le  cor  est 
remplacé  par  un  violoncelle.  Mais  les  sonorités  du  cor  donnent  à 
l'ensemble  une  saveur  que  ne  peut  lui  communiquer  un  instru- 
ment à  cordes,  particulièrement  dans  le  finale  qui  dépeint  une 
chasse  fantastique  à  travers  bois.  C'était  donc  une  bonne  fortune 
pour  les  musiciens  que  d'entendre  l'œuvre  dans^son  intégrité,  et 
il  faut  féliciter  M.  Merck  d'avoir  osé  l'entreprendre. 

Exécution  d'ailleurs  excellente  dans  les  trois  numéros  du  pro- 
gramme, et  digne  des  artistes  qui  ont  organisé  ces  intéressantes 
auditions. 

II.  —  Concert  de  charité  au  Palais  des  Académies. 

Vingt-cinq  morceaux  au  programme.  C'était  peut-être  beaucoup 
pour  une  seule  soirée.  Il  est  vrai  qu'il  y  avait  trois  institutions 
de  bienfaisance  à  secourir  :  l'Hospitalité  de  nuit,  la  Crèche  Hen- 


riette de  Schaerbeeket  la  Crèche-école  gardienne  de  Sainl-Josse- 
teu'-Noode.  Le  nombre  des  morceaux  avait  été  évidemment  cal- 
culé en  raison  directe  du  chiffre  des  bénéficiaires. 

Le  public  ne  s'est  pas  plaint,  d'ailleurs.  11  en  a  même  bissé 
uq.  Il  est  vrai  que  ce  morceau,  c'était  £'5/)aHa,  l'irrésistible 
Espana  d'Emmanuel  Chabrier,  le  lion  du  jour.  Et  qu'à  l'agré- 
ment d'enlen«lre  chanter  Espana  par  M"«Elly  Warnots  s'ajoutait 
le  charme  de  pouvoir  applaudir  l'auteur  en  personne,  assis  au 
piano,  Ici  que  l'a  peint  M.  Fantin-Latour,  et  d'acclamer  dans 
l'auteur  d'Espana  le  compositeur  de  Gwendoline. 

Comme  dans  tous  les  concerts  de  charité,  on  a  entendu  des 
choses  variées,  des  chœurs  avec  et  sans  accompagnement,  des 
soli  de  violon,  des  romances,  les  variations  de  Proch,  naturelle- 
ment, chantées  avec  une  virtuosité  transcendante  par  M"®  War- 
nots, même  un  trio  pour  voix  de_ femmes,  de  M.  Wallace,  — de 
la  musique  qui  coule- de  source,  disait,  non  loin  de  noijs,  un 
affreux  Vingtiste,  —  une  barcarolledeRossini,  restée  inédite,  ce 
dont  on  ne  peut  lui  faire  un  reproche. 

Les  lauréats  de  cette  distribution  de  prix  charitable  ont  été, 
outre  M"«  Warnots  —  déjà  nommée,  —  M.  Jenô  Hubay,  l'artiste 
prestigieux  qui  a  le  don  de  donner  de  l'attrait  même  à  une  cava- 
line  de  Raff,  el  M.  Ernest  Van  Dyck,  le  ténor  toujours  applaudi, 
à  la  voix  puissante  et  timbrée,  trop  puissante  même  el  trop  tim- 
brée lorsqu'il  s'agit  de  dire  des  choses  murmurantes  et  douces 
telles  que  le  Sonnet  de  Ronsard^  mis  en  musique  par  Bf .  Hubcrti, 
ou  h  Sérénade  printanière  de  M"«  Holmes,  «  des  riens  pesés 
dans  des  balances  de  toiles  d'araignée  »,  comme  disait  feu  Arouet. 

Il  ne  faut  pas  oublier  Y  Ecole  de  musique  que  dirige  %.  Ifcnry 
Warnots,  organisateur  du  concert,  et  donl  un  fort  détacliemenl^ 
trois  cents  élèves,  masquant  la  toile  patriotique  de  M.  Slingeneyer, 
ont  chanté  avec  beaucoup  d'ensemble  du  Schubert,  du  Mendc)g- 
sohn,  du  Schumann,  du  Gounod,  du  Micholle. 

De  ce  dernier,  un  petit  poème  en  musique,  4/yr/<?,  qualifié 
scènes  rustiques,  poésie  d'Armand  Silvestre.  La  plus  jolie  inspi- 
ration de  celle  petite  œuvre  pas  méchante,  esl  le  n«'3,  un  duelto  : 

Myrto  n'est  pas  joyeuse 

Comme  elles.  —  Elle  vit  solitaire      ' 

Et  ne  sait  pas  de  chansons. 

Mais  elle  sait  le  chant 

Qui  vibre  au  cœur  silencieux. 

Myrto  sait  la  chanson  des  cieux. 

III.  —  Séance  Griei;. 

V Essor  a  terminé  la  série  de  ses  auditions  intimes  par  un  petit 
concert  consacré  aux  œuvres  du  Nofwégien  Edward  Grieg. 
M.  Kefer,  le  maître  de  chapelle  ordinaire  el  extraordinaire  du 
Cercle,  s'était  assuré  le  concours  d'un  excellent  violoniste,  M.  Ler- 
miniaux,  d'un  ténor  de  choix,  M.  Sivery,  et  du  piaoisle-compo- 
siteur  Wallner.  Le  résultat  de  celte  collaboration  a  été  une  séance 
agréable  dans  laquelle  quelques-unes  des  plus  jolies  œuvres  ds 
Griog  ont  été  exécutées  avec  talent.  Citons  entre  autres  la  musique 
d'entr'acle  el  les  danses  du  drame  Peer  Qynt  et  les  Scènes  popu- 
laires pour  piano. 


pETlTE    CHROJ^IQUE 


M.  Lapissida,  administrateur  de  la  Société  des  artistes  de  la 
Monnaie,  a  eu  la  bonne  fortune  d'obtenir  le  concours  gracieux  de 


M""*  Caron  et  de  M.  Escalaïs  pour  quatre  représentations  qui 
auront  lieu  cette  semaine. 

M""^  Caron  chantera  :  lundi,  Fausl,  et  mercredi,  la  Juive; 
M.  Escalaïs,  Guillaume  Tell,  mardi  et  samedi. 


Le  quatrième  concert  du  Conservatoire  sera  donné  aujourd'hui 
dimanche. 

On  y  exécutera  la  Cantate  de  la  réformation,  de  J.-S.  Bach, 
avec  le  concours  de  M'"^*  Degive-i.edelier  et  Cornélis-Servais,  et 
de  MM.  Engel  et  Vandorgolen,  et  la  Symphonie  pastorale  de 
Beethoven. 

M"*'  Eugénie  Dralz,  pianiste,  donnera  un  concert  à  la  Grande- 
Harmonie,  demain  lundi,  à  8  4/2  heui^cs,  avec  le  concours  de 
M"«  C.  Laurent  et  du  quatuor  Hermaun,  Coclho,  Van  Hamme  et 
Jacob.  , 

Le  public  monlre  un  grand  empressement  îi  s'inscrire  pour  les 
trois  séances  de  piano  que  donnera  Antoine  Rubinstein  U  la 
Grande-Harmonie  et  qui  clôtureront  glorieusement  la  saison 
musicale.  Rappelons  que  ces  concerls  de  haute  allraclion  restent 
fixés  au  vendredi  30  avril,  à  8  heures;  dimanche  2  mai,  k 
2  heures,  et  mardi  4  mai,  à  8  heures. 

Nous  apprenons  que  M.  Henri  Heuschling,  l'excellent  baryton 
si  souvent  applaudi  à  Bruxelles,  se  décide  à  accepter  des  élèves. 
C'est  une  bonne  fortune  pour  les  aspirants-chanteurs  et  pour  les 
artistes  qui  désirent  se  perfectionner  dans  l'art  du  chant. 

A  l'issue  de  la  première  représentation  de  Gwendoline,  un 
souper  offert  par  M.  Goldschmidt  a  réuni,  suivant  un  usage  qui 
commence  à  s'établir  pour  toutes  les  grandes  premières,  les 
auteurs,  leurs  invités  parisiens,  les  chefs  d'orchestre,  le  directeur 
du  théûtre,  ïes  membres  de  la  presse,  etc.,  etc.  On  a  célébré  les 
héros  du  jour,  MM.  Chabrier  et  Mendès,  et  Ton  a  bu  à  l'heureuse 
continuation  d'une  collaboration  si  brillamment  inaugurée. 

Dimanche,  h  une  soirée  intime  à  laquelle  assistaient  les 
auteurs  de  Gwendoline,  Henry  Litolff  et  Vincent  d'Indy,  ce  der- 
nier a  fait  entendre  quelques  fragments  de  l'œuvre  couronnée 
par  la  ville  de  Paris  à  son  dernier  concours  musical  :  Le  Chant 
de  la  Cloche,  légende  dramatique  en  un  prologue  et  sept  tableaux, 
est,  autant  qu'on  a  pu  en  juger  par  cette  exécution  incomplète, 
une  partition  de  haute  valeur,  d  une  inspiration  élevée  et  puis- 
sante, qui  place  M.  Vincent  d'Indy  au  premier  rang  de  la  jeune 
école  française.  Nous  espérons  que  les  Concerts  populaires  ne 
tarderont  pas  à  la  mettre  îi  l'étude.  Nous  pourrons  alors  en 
parler  avec  tout  le  développement  que  commandent  l'importance 
cl  le  mérite  de  l'ouvrage.  i 

A  la  suite  du  grand  succès  remporté  à  la  Grande-Harmonie  par 
M.  Camille  Gurickx,  le  bourgmestre  de  Mons  a  invilé  ce  dernier 
à  donner  le  même  piano-recital  à  Mons.  Cette  audition  aura  lieu 
demain  lundi. 

Peter  Benoît  a  engagé  M.  Gurickx  pour  le  concert  de  l'Ecole 
de  musique  d'Anvers.  Le  concert  a  eu  lieu  hier.  Le  programme 
portait,  entre  autres,  ïEsquisse  symphonique  du  jeune  maître. 

Le  succès  du  dernier  roman  de  Camille  Lemonnier,  Happe- 
Chair,  s'accentue  à  Paris.  L'auteur  vient  de  traiter  avec  M.  Piégu, 
directeur  du  Petit  Parisien,  pour  une  édition  populaire  de  son 
livre.  Celui-ci  sera  publié  en  livraisons  à  dix  centimes,  dans  la 
série  des  Romans  pour  tous,  avec  des  illustrations. 


On  nous  communique  un  document  bien  amusant  de  l'admi- 
nistration des  Chemins  de  fer.  Un  artiste  français  qui  avait  exposé 
au  Salon  des  XX  ayant,  p;ir  erreur,  refusé  la  caisse  contenant 
son  envoi  lorsqu'elle  lui  fut  retournée,  avis  en  fut  aussitôt  trans- 
mis au  chef  de  gare  bruxellois  qui  avait  été  chargé  de  l'expédi- 
tion. Son  collègue  parisien  le  priait,  selon  l'usage,  de  demander 
aux  expéditeurs  leurs  instructions.  Le  digne  fonctionnaire  se 
borna  à  écrire  sur  l'avis  de  refus,  de  sa  'plus  belle  écriture  : 
«  Le  Cercle  des  XX  est  inconnu  à  Bruxelles.  Le  Palais  des 
Beaux-Arts  est  tenu  par  une  autre  compagnie  »., (Textuel.) 

Voici  la  liste  des  jurés  élus  pour  le  Salon  de  Paris  dans  les 
sections  de  sculpture,  de  grvure  et  d'architecture.,  ' 

Gravure.  Burin:  MM.  Gaillard,  didiav,  Blanchard, iWallner. 

Eau-forte  :  MM.  Hédouin,  Boilvin,  Couriry,  Chauvel. 

Bois  :  MM. -Robert,  Barbant,  Baudc,  Pcrrichon. 

Lithographie  .-  MM.  Chauvel,  Sirouy^  Gilbert,  J.  Laurens. 

Sculpture  :•  MM.  Math.  Moreau,  Et.  Leroux,  Ch;q)u,  Mercié, 
Doublemard,  Paul  Dubois,  Barrias,  Guillaume,  Falguière,  Tho- 
mas, Gaulerin,  Truphème,  Hiolle,  Boisseau,  Saint-Marccaux, 
Cavelier,  Aimé  Millet,  Guilberl,  Dolaplanche,  Barlholdi,  Cambou, 
Captier,  Oiiva,  Albert  Leffeuvre. 

Animaliers  :  MM.  Frémiet  et  Gain. 

Graveurs  en  médailles  et  sur  pierres  fines  :  MM.  Alphée- 
Dubois,  Levillain,  Chapelain,  Vaudet. 

Architecture:  MM.  Bailly,  Garnier,  Vaudremer,  Questel, 
Brune,  André,  Diet,  Pascal,  Hénard,  Daumet,  Baulin,  Sédille. 

Jurés  supplémentaires  :  MM.  Normand  et  Bœswilwald. 

La  sixième  exposition  internationale  et  triennale  des  beaux- 
arts,  orgnnisée  à  Namur  par  le  Cercle  artistique  et  littéraire,  avec 
le  généreux  concours  du  gouvernement,  de  la  province  et  de 
l'administration  communale,  s'ouvrira  le  20  juin  1886. 

Tout  les  artistes  belges  et  "étrangers  sont  invités  a  y  prendre 
part. 

Les  acquisitions  réalisées  au  Salon  de  4883,  soit  par  des  par- 
ticuliers, soit  pour  la  tombola  ou  pour  le  musée  de  là  ville  de 
Namur,  sont  au  nombre  de  62. 

235  œuvres  ont  été  acquises  pendant  les  cinq  expositions  pré* 
cédentes;  elles  représentent  une  valeur  d'environ  220,000  fi\ 

Ces  chiffres  s'imposent  à  l'atleniion  des  artistes. 

La  clôture  étant  fixée  au  lo  juillet,  les  œuvres  ayant  figuré  au 
Salon  namurois  pourront,  le  cas  échéant,  être  adressé.,  s  en  temps 
utile  à  l'exposition  de  Gand. 

Les  autres  dispositions  réglementaires  sjront  incessamment 
portées  à  la  connaissance  des  miéressés. 

Pour  tous  renseignements,  s'adresser  à  M.  J.  Ti-epagne,  secré- 
taire de  l'Exposition  des  beaux-arts,  à  Namur. 


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>   , 


128 


U ART  MODERNE 


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SIXIÈME  ANiNÉE 

L'ART  MODERNE!  s'est  acquis  par  l'autorité  et  l'indépondancc  do  sa  critique,  par  la  variété  de  ses 
informations  et    les   soins   donnés   à  sa   rédaction,  une   place   prépondérante.    Aucune   manifestation  de  l'Art  ne 

lui  est'  étrangère  :  il  s'occupe  de  littérature,  de  peinture,  de  sculpture,  de  gravure,  de  musique, 

d'architecture,  etc.  Consacré  principalement  au  mouvement  artistique  belge,,  il  renseigne  néanmoins  ses 
lecteurs  sur  tOUS  les  événements  artistiques  de  l'étranger  qu'il  importe  de  connaître.  ' 

Chaque  numéro  de  L'ART  MODERNE  s'ouvre  par  une  étude  approfondie  sur  une- question  artistique 
ou  littéraire  dont  l'événement  de  la  semaine  fournit  l'actualité.  Les  expositions,  les  livres  nouveaux^  les 
premi(}ri's  reprè-ientations  d'œuvres  dramatiques  ou  musicales,  les  conférences  littéraires^  les  concerts,  les 
ventes  dohjets  (Vart,   font  tous  les  dimanches  l'objet  de  chroniques  détaillées. 

L'ART  MODERNE  relate  aussi  la  législation  et  la  jurisprudence  artistiques.  Il  rend  compte  des 
procès  les  plus  intéressants  concernant  les  Arts,  plaides  devant  les  tribunaux  belges  et  étrangers.  Les 
artistes  trouvent  toutes  les  semaines  dans  son  Mémento  la  nomenclature  complète  des  expositions  et 
concours  auxquels  ils  peuvent  prendre  part,  en  Belgique  et  à  l'étranger.  11  est  envoyé  gratuitement  à 
l'essai  pendant  un  mois  à  toute  personne  qui  en  fait  la  demande. 

L'ART.  MODERNE  forme  chaque  année  un  beau  et  fort  volume  d'environ  450  pages,  avec  table 
des  matières.  Il  constitue  pour  l'histoire  de  l'Art  le  document  LE  PLUS  COMPLET  et  le  recueil  LE  PLUS 
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(Tanioni'   (Love  song),  fr.  1  75. 

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Sixième  année.  —  N°  17 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  25  Avril  1886. 


L'ART 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 

ABONNEMENTS   :    Belgique,   un   an,   fr.   10.00;  Union   postale,    fr     13.00.    —  ANNONCES   :    On    tl-aite   à  forfait. 

Ad7^esser  les  demandes  cC abonnement  et  toutes  les  communications  à 

L  administration  générale  de  TArt  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


^OMMAIRZ 


Le  Théâtre  belge.  —  Exposition  du  Cercle  artistique  — 
La  Jeunesse  blanche,  par  Georges  Rodenbach.  —  Le  Théâtre 
DE  LA  Monnaie.  —  Musique.  Quatrième  concert  du  Conserva- 
toire. Concert  Dratz.  —  Petite  chronique.  , 


LE  THÉÂTRE  BELGE 

Au  cours  de  cet  hiver,  notre  jeline  littérajture  s'est 
essayée  au  théâtre.  Cette  tentative  était  dans  la  logique 
de  son  évolution.  Elle  avait  fait  des  campagnes  heu- 
reuses dans  le  roman  et  la  poésie.   L'un  des  siens, 
Francis  Nautet,  revenait  d'un  brillant  voyage  dans  le 
pays  de  la  critique.  Elle  a  voulu  passer  à  des  expéditions 
nouvelles^   plus  lointaines,  plus  aventureuses.  Quel- 
ques-uns ont  parlé  de  l'Histoire,  voire  de  la  Philoso- 
pliie,  de  la  Science  sociale,  du  Pamphlet.  Les  noms  et 
l'exemple  de  grands  écrivains,  admirables  stylistes  en 
ces  genres  redoutables,  ont  été  prononcés.  Mais  le 
théâtre  était  plus  proche  des  régions  récemment  par- 
courues, mieux  en  accord  avec  le  programme  de  la 
néo-doctrine  de  l'Art  pour  l'Art,  plus  ambiant  aussi 
quand  on  considère  que  les  mœurs  littéraires  actuelles 
se  sont  en  bonne  part  formées  dans  les  tavernes,  les 
officines  de  reportage  et  ^es  eaux  du  cabotinage.  On  à 
donc  poussé  sa  pointe  de  ce'côté,  et  sinon  avec  succès, 
du  moins  avec  grand  intérêt  dans  le  groupe  des  esthètes, 
on  y  a  fait  la  petite  promenaUe  élégante  et  maniérée 
que  nous  avons  vue  à  l'Alcazar. 
Cette  démonstration  a  été  remarquée  et  accueillie 


avec  l'espoir  que  le  mouvement  continuerait.  Les  hardis 
essayeurs  qui  s'y  sont  risqués  ont  eu  la  conviction 
qu'ils  étaient  les  premiers  chez  nous  à  la  faire.  C'est  la 
même  illusion  qui  leur  a  fait  croire  qulls  avaient  créé 
notre  littérature,  alors  que  depuis  longtemps,  avec 
moins  d'ensemble  et  de  tapage,  il  est  vrai,  on  vendan- 
geait la  vigne  d'où  on  les  a  vu  faire  irruption  un  beau 
jour  avec  un  si  vif  entrain  et  de  si  joyeuses  clameurs. 
L'un  d'eux,  Arthur  James,  a  récemment  esquissé,  dans 
un  article  de  bel  humour  de  \2i  Société  Nouvelle,  \n\Q 
démonstration  qui,  rendant  justice  au  passé,  révélait 
quels  eifïbrts  ont  été  faits  depuis  longtemps  pour  fonder 
notre  littérature  dramatique  et  quelle  indifférence 
notre  public,  pourri  de  prédilections  françaises,  a  con- 
stamment montré  pour  elle. 

Le  moment  est  venu  de  reprendre  cette  histoire  si 
ignorée,  de  la  creuser  à  fond,  de  remettre  en  lumière 
certaines  pièces  qui,  certes,  ne  méritaient  pas  l'oubli 
profond  qui  les  submerge.  En  rétablissant  la  filiation 
on  donnera  à  la  descendance  meilleure  conscience  du 
point  où  elle  reprend  l'œuvre  ébauchée  et  de  ce  qui  lui 
reste  à  faire.  Il  est  inutile  qu'elle  s'exerce  à  tout  recom- 
mencer comme  si  rien  n'avait  été  accompli.  C'est  à 
développer  qu'il  faut  qu'elle  s'applique.  Une  large  et 
salutaire  préparation  existait  déjà.  On  y  rencontre 
même  une  qualité  essentielle  qui  manque  aux  derniers 
venus,  le  sens  scénique,  de  même  qu'ils  peuvent  à  bon 
droit  revendiquer  le  goût  et  la  correction  qui  faisaient 
trop  défaut  à  leurs  devanciers.  Il  y  a  là  une  combinaison 
d'éléments  essentiels  à  réaliser.  Ce  labeur  apparaîtrait 


plus  clair  dans  le  but  à  atteindre  et  dans  les  moyens  à 
employer,  si  nous  connaissions  mieux  la  bibliographie 
de  notre  théâtre  depuis  1830,  Le  développement  logi- 
que, très  lent,  il  en  faut  convenir,  mais  ininterrompu, 
en  ressortirait;  il  donnerait  une  base  très  ferme  aux 
nouvelles  tentatives,  éveillerait  à  foison  les  idées  et 
montrerait  comment  il  est  possible,  quoi  qu'on  en  dise, 
de  faire  chez  nous  du  théâtre  national,  sinon  au 
point  de  vile  assez  banal  des  épisodes  historiques,  au 
moins  à  celui  de  nos  mœurs,  pour  l'observateur  sagace 
si  nettement  distinctes  des  mœurs  françaises  malgré 
l'identité  de  langue.  Et  quand  nous  écartons  l'histoire, 
ce  n'est  pas  s^ns  hésitation  au  moment  même  oCi  l'on 
reprend  à  Paris,  avec  un  succès  considérable,  ce  drame 
que  l'on  s'accorde  à  proclamer  le  meilleur  de  Sardou, 
PatrHe,  dont  le  sujet  éminemment  Belgique  eût  certes 
été  plus  naturellement  traité  par  l'un  des  nôtres. 

Lorsque  Jeanne  Bijou  et  le  Saxe  ont  été  joués  à 
l'Alcazar  avec  l'importance  qu'y  ont  attachée  les  intimes 
joints  à  ceux  qui  désirent  ardemment  restreindre  sur 
nos  scènes  les  importations  étrangères,  nous  nous 
sommes  bornés  à  des  observations  critiques  très  spé- 
ciales, visant  les  qualités  et  les  défauts  le  plus  immé- 
diatement visibles  et  nous  réservant  de  revenir  sur  cet 
intéressant  sujet  par  des  considérations  quelque  peu 
plus  hautes.  C'est  à  cela  que  nous  nous  risquons  aujour- 
d'hui, non  sans  appréhension,  tant  la  matière  est  déli- 
cate, car,  dans  l'art  d'écrire,  le  théâtre  a  toujours  été 
le  sujet  sur  lequel  on  s'est  le  moins  accordé,  à  cause  sans 
doute  de  son  caractère  éminemment  complexe,  le  livre 
s'y  grandissant  aux  proportions  de  la  scène,  le  lecteur 
devenant  spectateur,  le  milieu  simplement  pensé  appa- 
raissant en  décor,  les  personnages  décrits  se  transfor- 
mant en  personnages  vivants,  les  dimensions  se  rédui- 
sant à  la  durée  usuelle  des  représentations,  bref  l'œuvre 
entière  subissant  un  élagage  et  un  remaniement  qui 
rendent  si  difficile  l'adaptation  d'un  roman  au  théâtre, 
et  qui  sont  des  mutilations  lamentables  quand  on  ne 
peut  les  grandir  jusqu'à  la  métamorphose  éclatante. 

Les  deux  piécettes  que  nous  rappelions  plus  haut 
sont  des  succédanées  immédiates  des  ouvrages  drama- 
tiques parisiens  tels  qu'on  les  a  conçus  depuis  qu'Alexan- 
dre Dumas  fils,  impuissant,  à  quelques  épisodes  près,  à 
réaliser  la  doctrine  savamment  exposée  en  plus  d'une 
préface,  a  fait  de  ses  drames  plutôt  des  œuvres  de  style 
que  des  œuvres  d'action.  Il  y  a  là  une  remarque 
primordiale  qu'il  importe  de  signaler  avec  insistance  à 
nos  jeunes  dramaturges,  d'autant  plus  que  très  férus, 
on  le  sait,  de  tout  ce  qui  touche  à  la  f^rme,  ils  sont 
enclins  à  exagérer  le  mal  qui  fait  si  froid  et  si  démodé 
dès  aujourd'hui,  non  seulement  le  théâtre  de  l'auteur 
du  Demi-MondCy  mais  encore  celui  d'Emile  Augier, 
d'Octave  Feuillet,  de  Georges  Sand  et  de  leurs  imita- 
teurs. N'est-il  pas  curieux  que  malgré  le  très  beau  lan- 


gage qu'ils  ont  passionnément  affectionné,  leurs  succès 
ont  été  constamment  contrebalancés  par  celui  de 
Victorien  Sardou,  et  que,  phénomène  plus  étrange 
encore,  ils  commencent  à  passer  derrière  cet  Alexandre 
Dumas  père  qu'ils  dédaignaient  si  solennellement. 

La  raison,  très  facile  à  dégager,  en  est  que  le  théâtre 
est  surtout  fait  d'action,  soit  dans  le  mouvement  maté- 
riel des  personnages,  soit  plutôt  et  plus  hautement  dans 
le  mouvement  intellectuel  de  leurs  passions,  et  que 
l'escrime  des  mots  et  le  beau  discours  écrit  par  un  maî- 
tre du  langage  a  vraiment  peu  d'importance  à  la  scène 
quand  il  n'y  est  pas  uiytrès  grave  inconvénient.  Tout 
au  moins  faut-il  dire,  pour  ne  pas  s'exjwser  au  reproche 
de  défendre  le  patois  que  ne  manqueraient  pas  de  faire 
les  imbéciles,  que  si  la  langue  de  la  scène  doit  certes 
être  toujours  correcte,  elle  doit  se  borner,  en  une 
sobriété  et  une  énergie  qui  lui  sont  spéciales,  à  ce  qu'il 
faut  pour  mettre  dans  tout  leur  relief  pour  le  spectateur 
qui  regarde  et  écoute  à  distance,  ce  mouvement  maté- 
riel et  ce  mouvement  passionnel  dont  nous  venons  de 
parler  et  qui  doit  sans  interruption  animer  le  jeu  et 
entraîner  le  public  dans  son  courant,  sans  un  instant 
d'arrêt. 

Entendons-nous  bien  toutefois.  Souvent,  au  cours 
des  études  littéraires  parues  dans  ce  journal,  nous 
avons  montré  de  quelle  importance  est,  pour  la  critique, 
la  question  de  hiérarchie  des  œuvres  et  combien,  en 
certains  coins  qui  sont  aux  confins  dé  chaque  art,  la 
confusion  est  proche  entre  des  genres  opposés.  Telle 
œuvre  faite  pour  être  lue  peut  être  agréable  déclamée 
à  la  scène.  Même  sans  action,  ou  avec  une  action 
affaiblie,  une  pièce  peut  plaire,  surtout  si  elle  est 
courte  et  vient  comme  intermède.  Cela  s'est  vu  beau- 
coup de  notre  temps  par  l'accoutumance  qu'en  a  prise 
le  public.  Mais  est-ce  du  théâtre  au  sens  vrai  du 
terme?  N'est-ce  pas  une  simple  transposition  au  régime 
de  l'œuvre  jouée  d'une  œuvre  destinée  à  la  lecture.  La 
courte  durée  du  succès,  en  pareil  cas,  permet  de 
répondre  affirmativement.  N'a-t-on  pas  vu  des  malen- 
tendu.«5  analogues  dans  la  musique  descriptive  et  dans 
la  peinture  philosophique?  Toute  une  partie  de  la  lit- 
térature actuelle  n'en  est-elle  pas  à  essayer  de  contre- 
faire par  l'harmonie  des  mots,  perçue  par  les  oreilles  ou 
par  les  yeux,  l'harmonie  des  instruments?  Il  y  a  donc, 
grâce  à  ce  mélange  et  à  ces  confusions  qui  font  s'inter- 
pénétrer des  arts  distincts,  plus  d'un  exemple  d'œuvres 
dramatiques  qui  échappent  au  principe  que  nous  énon- 
cions, et  nous  sommes  prêts  à  confesser  qu'en  cette 
matière  comme  en  toute  autre  il  est  des  exceptions  qui 
vont  parfois  jusqu'à  la  démonstration,  quand,  par 
exemple,  il  s'agit  d'iin  de  ces  miracles  du  génie  qui  a 
permis  de  formuler  cet  aphorisme  fameux  :  il  n'y  a  pas 
de  règle  qui  n'ait  été  démentie  par  un  chef-d'œuvre. 
Mais  nous  amusant  à  dogmatiser  ici,  plus  peut-être 


^ 


^_ 


pour  notre  distraction  personnelle  que  poui*  Tavance- 
ment  de  ces  êtres  éminemment  réfractaires  aux 
influences  extérieures  et  aux  leçons  doctorales,  qu'on 
nomme  les  véritables  artistes,  nous  prenons  le  quod 
plerumqiie  fit  et  non  les  phénomènes  ;  d'autant  moins 
inopportunément,  croyons-nous,  que  les  véritables 
artistes  sont  toujours  denrées  rares  et  que,  normale- 
ment, ce  sont  de  simples  gens  de  talent  moyen,  aux 
aptitudes  fongibles,qui  s'occupent  de  pratiquer  les  arts. 
Pour  ceux-ci,  comme  pour  le  public  qui  les  juge  et  y 
trouve  son  plaisir  en  ce  siècle  o(i  l'on  suit  moins  son 
instinct  que  ses  réflexions,  quelques  éclaircissements 
de  nature  à  classifier  et  à  clarifier  les  idées  ne  sont  pas 
sans  valeur,  non  plus  que  quelques  conseils  sur  les  che- 
mins à  suivre  et  les  chemins  à  éviter. 

Il  faut  donc  l'action  au  théâtre,  oui,  l'action,  même 
des  gens  immobiles  sur  les  planches  mais  dont  l'âme 
s'agite  dans  le  champ  infini  des  passions,  car  c'est  encore 
un  préjugé  ridicule  que  de  croire  que  pour  que  l'action 
vive  et  marche,  il  faut  nécessairement  que  les  corps  se 
remuent.  Et  c'est  pour  cette  action,  pour  la  dénuder, 
pour  la  renforcer,  pour  en  augmenter  la  puissance  et 
la  force  émotionnelle,  que  le  langage  doit  intervenir 
avec  les  seules  qualités  par  lesquelles  il  atteint  ce  but 
essentiel. 

Tout  de  suite,  moyennant  cette  simple  réflexion,  on 
se  rend  compte  de  ce  qu'il  y  aura  le  plus  souvent 
d'inopportun  dans  l'emploi  du  style  orné  des  raffine- 
ments qui  peuvent,  nous  le  savons  aussi  bien  que  qui- 
conque, faire  les  délices  du  lecteur  d'un  livre.  La  jouis- 
sance que  celui-ci  recherche  dans  la  position  tranquille 
où  il  satisfait  son  goût,  est  d'un  tout  autre  ordre.  Elle 
peut  se  confiner  dans  les  régions  purement  intellec- 
tuelles, dans  la  rêverie,  la  paix  intime,  la  satisfaction 
que  donnent  les  jolies  phrases  et  les  belles  rimes.  Mais 
dans  une^alle  de  spectacle,  devant  l'ouverture  béante 
que  découvre  le  rideau  qui  monte,  à  la  vue  des  décors 
et  des  acteurs,  c'est  tout  autre  chose.  Le  besoin  d'une 
vie  intense  surgit,  l'appétit  dramatique  s'éveille,  la 
rêverie  se  dissipe,  on  désire  l'action,  on  l'attend,  on  la 
veut. 

Cela  est  tellement  vrai,  que  la  renommée  des  drama- 
turges qui,  rares,  se  dressent  en  grands  hommes  dans, 
le  déroulement  des  siècles,  est  en  proportion  directe  de 
l'action  qu'ils  ont  mise  dans  leurs  œuvres.  Témoins  les 
plus  fameux,  Eschyle  et  Shakespeare. 

Si  la  langue  des  œuvres  dramatiques  doit  avoir  ce 
caractère,  on  discerne  bientôt  comment  elle  l'atteindra. 
Force,  clarté,  sobriété  surtout,  couleur,  à  propos, 
devront  être  ses  qualités  dominantes.  Et  cela  est  bien 
en  accord  avec  les  conditions  que  réclame  la  scène 
dans  tous  les  autres  éléments  qui  concourent  à  l'effet. 
Voyez  le  décor^  :  quelle  différence  avec  la  peinture, 
quel  contraire  pourrait-on  dire  !  Minutie,  raffinement, 


élégance  du  détail,  recherche  de  la  distinction  fine, 
toutes  ces  données  du  tableau  de  chevalet  aux  époques 
d'esprit  aiguisé,  non  seulement  seraient  des  défauts, 
mais  aboutiraient  au  néant.  Même  observation,  en  ce 
qui  concerne  l'acteur,  l'actrice  :  il  faut  que  les  visages 
soient  grimés  au  rebours  de  ce  qui  serait  la  convenance 
et  le  bon  sens  partout  ailleurs.  Les  gestes,  la  démarche, 
les  intonations  commandent  la  même  appropriation 
pour  produire  à  cette  distance  et  dans  ces  conditions 
l'impression  nécessaire  pour  qu'ils  semblent  naturels  et 
appropriés.  Qui  ignore  que  pour  valoir  à  la  scène,  la 
musique  doit  subir  des  déformations  analogues?  Apprécié 
de  près,  ou  d'ailleurs  que  du  point  de  vue  où  est  le 
spectateur,,  sans  la  reculée  matérielle  et  intellectuelle 
inévitables,  le  théâtre  apparaît  comme  un  art  de 
convention  suprême,  et  pourtant,  si  tout  a  été  propor- 
tionné par  un  grand  artiste,  l'impression  de  vérité  et 
d'émotion  sera  plus  intense  que  celle  de  tout  autre  art. 

Comment  pourrait-il  se  faire  que  dans  cet  ensemble 
de  facteurs  soumis  à  ce  régime  si  particulier,  le  langage 
fît  exception?  Il  faut  l'accommoder  comme  le  reste;  et 
perdre  de  vue  cette  loi  si  nécessaire,  c'est  s'exposer, 
pour  l'effet,  aux  plus  navrants  mécomptes.  Dire  d'une 
pièce  qu'elle  est  bien  écrite,  au  sens  ordinaire  des  mots, 
c'est  n'en  rien  dire  qui  vaille  au  point  de  vue  scénique. 
La  composer  en  ayant  la  préoccupation  du  style 
comme  pourrait  l'avoir  un  poète  faisant  un  sonnet  ou 
un  romancier,  c'est  se  lancer  dans  le  plus  stérile 
malentendu.  Il  n'y  a  pas  lieu  en  pareille  occurence 
d'arrondir  la  phrase,  *  d'amenuiser  l'expression,  de 
rechercher  les  trouvailles.  Il  faut  avoir  la  préoccupa- 
tion unique  de  l'effet  à  produire  sur  les  âmes  de  ces 
spectateurs  qui  sont  là  à  écouter  et  à  regarder,  qui 
demandent  des  impressions  immédiates,  qui  ne  sont 
pas  venus  pour  consommer  du  style,  mais  pour  être 
remués  par  un  ensemble  compliqué  de  moyens  et  d'ar- 
tifices donnant  un  résultat  total  qui  est  la  seule  chose  à 
considérer.  Cela  n'implique  nullement  la  pauvreté  du 
langage,  la  négligence,  l'a  peu  près  misérable.  Au 
contraire,  car  la  difficulté  est  énorme  et  vraiment  digne 
de  tenter  les  plus  grands  maîtres  :  il  s'agit  d'exprimer 
la  pensée  la  plus  forte  par  le  moins  de  mots  et  par  le 
plus  puissant  coloris.  C'est  la  peinture  à  touches  et  à 
traits  rares,  mais  il  faut  que  tout  porte,  que  tout 
frappe.  Il  s'agit  d'approcher  de  ces  ébauches  prodi- 
gieuses par  lesquelles  le  génie,  en  moins  de  rien,  dit 
plus  que  par  les  œuvres  les  plus  fortes.  La  perfection 
est  dans  ces  formules  brèves  et  décisives  qui  s'emparent 
de  l'esprit  avec  la  force  invincible  que  les  ciseaux  des 
machines  mettent  à  raboter  le  fer.  C'est  le  sublime. 
Pas  de  langue!  pas  de  style!  allons  donc-,  c'est  le 
surextrait  de  l'un  et  de  l'autre  qu'il  s'agit  de  conquérir. 

Si  nous  ne  nous  trompons   pas  dans  ces  rapides 
réflexions,  on  comprendra  quels  obstacles  se  dressent 


4* 


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devant  nos  jeunes  écrivains  qui  s'attaquent  au  tliMtre. 
Ils  ont  vécu  jusqu'ici  dans  la  préoccupation  exclusive, 
et  parfois  maladive,  de  la  forme  littéraire  poussée  jus- 
qu'aux derniers  rafïinements.  Ils  y  ont  attaché  une 
vertu  presque  magique,  en  ce  sens  que  d'après  leur 
doctrine,  ofi  eut  la  forme,  est  tout,  ou  du  moins  on 
peut  se  passer  de  tout.  La  musique  linguistique  suffit. 
C'est  vraiment,  si  ce  que  nous  avons  dit  est  vrai,  comme 
s'ils  confondaient  les  théâtres  et  les  concerts.  Les  efï'ets 
de  cette  fausse  notion  ont  apparu  avec  évidence  dans 
les  premières  pièces  sorties  de  leur  école.  On  les  a 
trouvées  charmantes  par  certains  côtés,  et  d'une  lec- 
ture agréable,  eiU-on  pu  dire.  Mais  à  la  scène  elles 
furent  anémiques  et  décolorées. 


L'EXPOSITION  DU  CERCLE  ARTISTIQUE 

Comme  le  coup  de  talon  d'un  pnssanl  fnit  sortir  d'un  tronc 
vermouhi  des  l(5gions  d'insec'es  monstrueux,  scorpions,  myria- 
podes, fourmis-lions  et  cnncrehits,  les  expositions  du  Cercle 
Artislique  ramènent  périodiquement  à  la  lumière  un  lamentable 
cortège  de  peintures  saugrenues,  d'asj  cet  convque  à  la  t'ois  et 
repoussant,  étalées  toutes  nues  dans  leur  misère,  si  pauvres,  si 
tristes,  si  noires,  si  grotesques,  qu'on  ne  pourrait  décider  si  elles 
méritent  plus  de  dédain  que  de  compassirn.  Parmi  elles  se  glis- 
sent les  naïfs  essais  des  demoiselles  doi.t  l'ambition  n'est  plus 
salisfai'e  d'une  a?si<  t'e  en  porcelaine  décorée  ou  d'une  paire  de 
pantoufles  brodées.  Et  le  groupe  des  petits  jeunes  gens  échoués 
-dans  la  peinture  par  fausse  honte  de  répicerie  paternelle  com- 
plète le  lot. 

Tel  est,  drns  son  ensemble,  le  bilan  du  j^résent  Salon.  Les- 
rares  artistes  qui  consentent  îi  se  compromettre  en  pareille  com- 
pagnie subissent  fatalemc  nt  l'intUience  du  milieu.  Et  rimj)re>sion 
qui  domine  dans  l'esprit  du  visi'eur  qui  a  le  cournge  d'examinn* 
jusqu'au  dernier  les  260  tableaux,  dessins  et  morceaux  de  sculp- 
ture exposés  est  celle-ci  :  Embourgeoiî^emenl  universel.  Pas  une 
envolée  d'art,  pas  une  tentative  nouvelle,  pas  une  aspiration.  Le 
règne  absolu  de  la  médiocrité.  La  somnolence  d'une  école  épuisée 
et  l'invasion  d'une  tourbe  d'amateurs,  justifiant  ce  mot  d'une 
femme  d'esprit  :  «  Autrefois,  les  ratés  se  réfugiaient  dans  la 
diplomatie.  Aujourd'hui,  ils  se  font  peintres  ». 

Le  MIP  Sajon  du  Cercle  est-il  plus  mauva's  que  ceux  qui  l'ont 
précédé?  Il  n'est  guère  pire.  Parmi  les  peii.tres  qu'on  y  retrouve, 
les  uns  n'ont-ils  pus,  toute  leur  vie,  exercé,  avec  la  même  séré- 
nité placide,  leur  commerce  d'imageries?  Les  autres  recopient 
imperturbablement  la  même  es^tampe  coloriée,  sur  laquelle  ils 
collent  des  étiquettes  variées. 

Le  Sa'on  n'a  donc 'pas  changân  mais  nos  yeux  s'Iiabiluent  à 
voir  ph'.s  clair.  Ceux-là  même  qu'exaspèrent  les  intransigeances  de 
l'art  jeune  sont  frappés  du  phénomène.  Ils  sont  dégoûtés  de  la 
peinture  qu'i's  prisaient  jadis.  Ils  trouvent,  d'année  en  année, 
plus  mauvaises  les  toiles  de  ceux  qui,  obstinément,  la  perpètrent. 
Les  chroniqueurs  d'art  que  les  Salons  vingtistrs  rendent  apo- 
p'rctiques  sont,  eux-mêmes,  contraints  de  remiser  leurs  admi- 
rations prssées  et  d';ibandonner,  dans  la  crotte  Gh  ils  pataugent, 
les  malheureux  quilslouangeaient jadis. 

Il  en  ç<\,  de  la  pein'ure  comme  de  la  musique.  Le  vieux  réper- 


toire est  usé,  et  l'on  n'est  pas  encore  accoutumé,  au  nouveau. 

Pourtîint,  dans  la  médiocralie  qui  gouverne  des  destinée  s  du 
(?^;t/^ /l/7;.v//V///c  apparaissaient  jadis  quelques  panaches  domi- 
nant la  coluic,  soldats  d'élite  qu'on  saluait  joyeusement  comme 
les  chefs.  Il  nous  souvient  du  début,  de  Franz  Cor.rtens,  dont 
y  Hiver  à  Termonde  tenait  une  partie  du  panneau  du  fond,  dans 
la  grande  salle.  On  n'a  pas  oublié  non  plus  la  Descenle  des 
Mineurs  de  Constantin  Meunier.  Et  en  ré!rogradr.nt  sur  la  route 
des  souvenirs,  telle  toi'e  de  Clj,arles  llermans,  de  Louis  Artan, 
d'Alfred  Verwée,  de  Théodore  Baron  fait,  dans  les  ténèbres  qui 
se  sont  refermées  sur  ces  expositions  oubliées,  une  tache  lumi- 
neuse. 

Le  Salon  de  1886  ne  laissera  point  de  trace  semblable  dr.ns  la 
mén  oire.  A  peine  qu(l(|ues  toiles  peuvent-elles  être,  après 
réflexion,  mises  au  rang  des  œuvres  dignes, d'intérêt.  Le  remor- 
queur de  Courtens  est  dii  nombre,  mais  combien  lourd  el 
pâteux,  matériel  (le  facture,  inexactement  observé  dans  s<  s 
valeurs!  Et  aussi  ;  Trois  enfanls  d'ouvrier,  de  Léon  Frédéric: 
Florent,  Justine  et  Joseph,  ainsi  qu'a  pris  soin  de  nous  rensei- 
gner le  peintre,  peinture  noire,  fumeuse  et  triste,  commune 
d'aspect,  dans  laquelle  se  confine  le  jeune  artis'e,  et  malgré  tout 
attirante;  V Hiver,  de  Mellery,  inf«''rieur  à  celui  qu'if  exposa  l'an 
dernier  aux  XX \  deux  p;.ys;'ges  d'Heymans,  l'un  sonore, 
embrasé  des  premières  lueurs  de  l'aulomne,  l'autre  tintant  fai- 
blement l'angelus  du  printemps;  quelques  notes  d'un  sentiment 
aimable,  .flottant  entre  Stac(:uet  et  feu  Iluberti, de  Binjé;  une 
marine  estimable  de  Le  Maveur;  des  études  des  frères  Ovens  et 
de  Storni  de  Griivesande;  un  buste  en  bronze  de  Paul  Oe  Vigne  ; 
une  plage  de  Cnssiers  el  son  aquarelle  :  Enterrement  à  Roux. 

Hors  ce  contingent,  assez  maigre,  on  en  conviendra,  l'ensemble 
du  Salon  nous  apparaît  comme  un  résidu  de  manufactures  rrtis- 
tiques  dont  la  flamme  est  éteinte.  A  peine,  ci  et  là,  des  veilleuses 
continuent-elles  à  éclairer  d'une  lueur  douce  le  petit  rayon  accou- 
tumé :  on  pointe,  au  catalogue,  rytieischaut,  Stac(|uet,  Deu 
Duyts,  Crépin,  Mundeleer,  P>ouvier,  Abry,  M'^^  M'ngers,  Seeî- 
drayers.  Mais  p:is  une  des  œuvrettes  ne  chante  l'enVliousiasme,  la 
joie  de  peindre,  l'émotion,  la  vie. 

Poup  la  treizième  fois  sont  mises  en  ligne  les  forces  artistiques 
du  Cercle.  Et  les  années  qui  s'écoulent  creusent  plus  profond('- 
ment  l'abîme  qui  sépare  les  tendances  vieillotîes,  affadies,  bour- 
geoises de  la  branlante  association,  des  aspirations  ardrnles, 
éprises  d'art  neuf  et  personnel,  qui  c:  ractérisrnt  les  corclies 
nouvi  lies. 

Peut-être  ne  Irouvrra-t-on  p'us  exagérée. celte  boutade,  qtn'  fil 
scandale  en  4883,  quand  VArt  Moderne  !a  publia  :  «  Hélas! 
combien  de  prétendus  rriistesr~que  d'hypocrites  éloges  maintien- 
nent dans  une  c;  rrièrc  pour  laquelle  ils  n'ont  pa^  la  moindre 
aptitude  et  sur  le  nez  de  qui  on  devrait  fermer  la  porte  des  expo- 
sitions! Il  faut  que  définitivement  on  leur  apprenne,  à  eux  et  {\ 
leurs  protecteurs,  que  des  expositions  comme  celle  du  Cercle 
sont  faites  pour  former  le  goût  du  public,  et  non  pour  faire  la 
foire  des  vanités  au  profit  de  leurs  prétentions.  Qu'ils  grrdent 
leurs  élucubrations  pour  le  cercle  de  la  famille  et  non  pour  le 
Cercle  Artù tique.  Avec  leurs  peinlurlurages,  on  souhaite  la  fête 
à  sa  tante,  mais  on  ne  vient  pas  exrspérer  les  spectateurs.  Nous 
nous  étonnons  qu'il  n'y  ait  pas  de  temps  en  temps  quelque  ama- 
teur qui,  sous  le  coup  de  ces  provocations,  n'aille  donne  r  de  la 
canne  ou  de  la  crosse  de  son  parapluie  dans  ces  vomitifs  enca- 
drés, numérotés  el  catalogués.  Que  de  toiles  exposées  devraient 


être  mises  au  pilon  avo'c  les  vieilles  gazelles  Cl  l-es  coupons  de 
chemin  do  fer  hors  de  service  !  Que  de  soi-disant  peintres 
devraient  (iMre  renvoyés  îi  leur  vocation,  parmi  les  m;irbricrs,  les 
tapissiers  et  lespoëliers!  » 

Des  choses  niaisement  senlimenla'cs,  propres  à  illustrer  des 
couvertures  de  romances;  de  lourds  porîrails  plantés  devant  le 
public  dans  la  pose  du  Iradîlionnel  :  «  Ne  bougeons  plii>.  Une, 
(U'ux,  trois,  je  commence!  »  des  paysages  sans  imp!(»ion  et 
stms  fraîchejir,  des- tableaux  de  fleurs  en  papier  et  en  car!on- 
pieire,  des  marines  i appelant  le  mol  de  Zola  :  une  tem[)êle  dans 
un  pot  de  crème,  à  cela  près  que  la  tempête  manque,  to»  tes  l' s 
baiiali'és  dont  les  imagiers  patejités  x^t  décores  dévident  l'échc- 
Vi  an  dofiuis  i8)>0,,fornjent  le  stock  de  l't  xposiiion. 

Cela  ne  d<!vrait  plus  être  toléré.  Et  plutôt  que  d'agacer  le  public 
par  un  pareil  déballage,  m'eux  vaudrait  fei'mer  brulique. 

On  se  rappelle  l'aitiludc  épi(|ue  de  U'.u  Fiancia,  inscrivant  au 
registre  du  Cercle^Ac  8  mars  1884,  après  une  exposition  partielle 
des  oeuvres  de  Vrgtds  et  d'Ensor,  qui  avaient  (u  la  candeur  de 
vouloir  introduire  un  rayon  de  soleil  dans  la  soupente  de  la  rue 
de  la  Loi,  la  note  suivante  : 

«  Je  crois  qu'il  serait  indispensable  de  revoir  le  lèglemeni  ({ni 
autorise  à  exposer  au  Cercle,  sa7is  contrôle  de  In  commission,  des 
œuvres  comme  celles  qui  ornent  actuellement  la  salle  des  exposi- 
tions. Un  artiste  étranger  de  passage  à  Bruxelles  porterait  un 
singulier  jugement  sur  l'Art  belge  contemporain  et  uiie  médiocre 
appréciation  sur  le  jugement  d'une  commission  qui  tolère  de 

SEMBLABLES  TURPITUDES.    »,  - 

M.  Francia  e>t  mort  [eu  de  temps  après.  On  n'a  pas  dit  que 
MM.  Ensor  et  Vogels  eussent  ce  décès  prématuré  sur  la  con- 
sci(  nce.  Mais  ce  qui  est  certain,  c'est  qu'on  pourrait  songt  r, 
aujourd'hui,  à  mettre  à  profit  le  consi  il  de  l'aquarelliste,  qui  se 
préoccupait  avec  tant  de  sollicitude  de  l'opinion  des  é;rangers.  Il 
est,  au  Cercle,  pas  mal  de  turpitudes  qu'une  commission  sou- 
cieuse de  sa  dignité  ferait  bien  de  ne  plus  tolérer  k  l'avenir. 


JiA  Jeune^^e  blanche 

par    G.    RoDENBACH.    —   Paris,    Lemerre.   , 

Les  Tristesses,  publiées  en  1879,  était  un  livre  de  sentiment 
et  de  sentimentalité  mêh's,  que  les  critiques  selon  la  formule 
archilraditionnelle  étiquetèrent  de«  belle  promesse  ».  Les  vers  en 
étaient  inspirés  par  des  souvenirs  de  famille  et  de  foyer  el  le 
Coffret  devient  pres(;ue  célèbre.  Depuis  M.  Rodenbach  a 
recherché  de  fix(  r  les  élés^ances  modernes  et  les  amours  distin- 
gués,  non  pas  à  la  suile  de  M.  Mendès  qui  a  élevé  la  volupté  à 
la  soixanie-neuvième  puissance,  ni  même  seus  l'invocation  de^ 
M.  Coppée  dont  on  a  si  souvent  rapproché  le  poète,  mais  de 
manière  assez  personnelle  pour  qu'on  lui  passe  certaines  mala- 
dresses de  recherche  et  de  conception. 

Aujourd'hui,  nous  voici  revenus  au  point  de  départ  et  la  Jeu- 
nesse blanche  est  d'intéressante  intimité  et  de  littérature  char- 
mante. Peut-être  plus;, h  preuve  la  superbe  :  Veillée  de  gloire»  .  - 

Ce  qui  s'est  accentué  de  volume  à  volume  dans  l'œuvre  de 
M.  Rodenbach,  c'est  le  souci  artist^\  Au  début  il  commettait 
certaines  pièces  pour  lecteurs  bourgeois  et  même  dans  la  Mer 
élégante  on  trouve  des  strophes  sur  les  Huîtres  d'Oslende  qui 
ne  prouvaient  pré'endre  à  d'aulrc  auditoire  qu'à  celui  des  verres 
de  chablis.  La  cubure  de  la  rime  riche  ne  suftisail  point  à  mar- 


quer de  poésie  ces  quatr.iins  de  prose,  Qu.îlq,ues  prud'hommismes 
mettaient  en  ou're  des  ombies  de  visière  et  de  faux  col  sur  les 
alexandrins  les  pii;s  ensoleill. 's. 

La  Jeunesse  blanche,  Llliver  mondain  effacent  celle  tare. 
Ce  sont  deux  livres  de  [loète.  Surtout  le  dernier.    ,' 

Il  s'y  affirme  une  persistante  <  oqu*tterie  d'art,  'une  recherche 
de  rythmes  neufs  etd'r'clipses  heureuses  : 

Douceur  d'aller  le  soir  lorsque  les  chaumes  blonds 

Flamblent  sur  les  toitures^  ,  ^ 

Et  qu'au  milieu  des  blés  les  perches  de  houblons,  ' 

Ont  des  airs  fie  matures. 

une  audace  dans  Ter  janf^bf^fn^-nt  souvent  mrtivée  par  l'idée  ou  le 
mot,  comme  ici  par  le  mol  caprice,  indiquant  quelque  chose  do 
contournant  el  d'irn'irulirr  :  , 

L"ai-je  vraiment  aimée  ou  n'e-t  ce  qu'un  léger 
Caprice  qui  m'a  fait  un  nioment  fleurir  l'àme  .. 

une  soudaine  et  téméraire  exqui>-itéd"imarres  : 

Et  l'on  devine  au  loin  un.mu>-icien  sombr»^, 
,    Pauvre,  morue,  qui  joue  au  bord  croulant  des  toits, 
■La  tristesse  du  soir  a  passé  dans  ses  doigts, 
Et  dans  sa  flûte  à  trous,  it  fait  chanter  de  Vônxbv^. 

et  enfin  l'imprévu  de  certains  vers  et  de  certaines  coupes,  que 
seuls  se  permettent  en  art  ceux  qui  sont  auire  chose  que  d»  s 
miroirs  réflecleur'^.  - 

Le  souci  ariisle  qui  s'est  emp  ré  de  M.  Rodenbach  lui  a  jiH)l 
balayer  enfin  de  ses  meilleurs  vers  la  'errible  et  plaie  banalité. 
Certaines  pièces  sont  irréprochables  sur  ce  point  et  paraissent 
d'autant  plus  remarquahles  ([ue  les  sujets  en  sont  battus  et 
rebattus  comme  des  ch  m'ns  de  foire.  Ah  !  la  n-  tle  difficulté  de 
retrailT^r  en  vers  et  «.la  Maison  paterni  lie  »  et  «  le  Berceau  »  et 
«  la  Première  Communion  »  el  le  «  Collèfre  »  sars  se  nover  dans 
des  mares  de  d('jà  dit.  El  plus  liin  «  Prrmier  Amour  »  et  «  les 
Soirs^mauvais  »  qui  s-mbleni  des  ihèmes  imposés  dès  qu'on 
prend  en  main  ce  que  Bansille  a  seul  encore  le  droit  d'i.ppeler' 
sans  qu'on  éclate  de  rire,  la  Lyre. 

M.  Rodenbach  a  trouvé  les  >tro[)hes  suivantes  : 

Inoubliable  est  la  demeure 
Qui  veut  fleurir  nos  premiers  jours 
Maison  des  mères  1  C'est  toujours 
La  plus  aimée  et  la  meilleure. 

Rien  n'a  changé;  les  glaces  seules 

Sont  tristes  d'avoir  recueilli 

Le  visage  un  peu  vieilli  -        < 

Des  mélancoliques  aïeules. 

Tout  est  pareillement  rangé  ; 
Et  dans  la  lumière  amortie 
S'éternise  la  sympathie 
Du  logis  qui  n'a  pas  changé. 

Fauteuils  des  anciennes  années 
Où  l'on  nous  couchait  endormis 
Fauteuils  démodes  vieux  amis 
Avec  des  étofl:es  t'auees. 

Meubles  familiarises 

Par  une  immuable  attitude  ^^ 

Mettant  des  charmes  d'habitude 

Dans  les  salons  tranquillises. 

N'est-ce  pas  que  celle  mélancolie  des  choses  est  nouvellement 
et  artistcmenl  notée? 

On  peut  croire  que  .M.  Rodenbach  a  voulu  faire  une  Unlative 


(le  monognpliic  ou  plutôt  qu'il  s'csl  imposé  de  rcflélcr  dans  la 
Jeunesse  blanche  la  vie  dos  poêles  d'aujourd'hui.  Il  nous  mène  à 
travers  sin  livre  depuis' l'enfance  jusqu'au  déclin  des  vingt  ans. 
L'enfance,  il  la  teinte  de  douceur  cl  de  naïveté;  la  jeunesse,  de 
blancheurs  qui  lentement  se  ternissent  et  se  souillent  si  bien  que, 
ridéai  féminin  tué,  et  l'ennui  dominant,  l'art  reste  le  seul  refuge 
ouvert  aux  cerveaux  non  encore  fous  ni  morts. 

Ces  not'-'s  psychologiques  se  rencontrent  principalement  dans 
Choses  (htales,  ihns  les  Solitaires,  dans  Analyse,  dans  VAme 
des  bons,  dans  Dégoût  et  enfin  dans  la  dernière  partie. 

A  lire  ces  pièces  nous  nous  reconnaissons  ci  et  là  et  nos  pas- 
sions y  sont  criblées,  comme  la  cible  tle  flèches,  d'exacts  aperçus. 
Nous  nous  V  vovons  dans  nos  contradictions,  nos  doutes,  nos 
subits  retours  de  douleur  ù  consolation,  nos  soudains  abatte- 
ments et  nos  brusques  orgueils.  Le  poète,  tel  que  M.  Rodenbach 
le  conçoit,  est  essonliel'ement  bon,  mais  faible,  énergique  par 
soubresauts,  mais,  de  nature,  calme,  doux,  plaintif,  trop  délicat 
pour  la  vie  et  trop  dédaigneux,  îi  moins  qu''l  ne  .soit  trop  lùchc 
pour  l'action.  C'est  parfait,  mais  il  est  une  autre  race  de  poètes 
plus  modernes.  Ce  sont  les  égoïstes  raffinés,  qui  se  taisent  sur  les 
Couleurs  cl  les  joies  quelconques,  qui  vivent  d'art  non  pour  se 
guérir  de  la  femme  ou  de  la  vanité,  mais  parce  qu'ils  s'aiment 
eux-mêmes  dans  leur  rêve  et  leur  pensée,  qui  font  état  bien  plus 
de  leurs  vices  que  de  leurs  vertiis  et  les  cultivent  et  ne  s'en 
caehenl  guère  et  dont  le  dédain  est  entier  pour  tout  ce  qui  n'est 
pas  leur  art,  c'esl-îi-dire  pour  ce  qui  n'est  pas  eux. 
.  Nous  nous  sommes  expliqués  souvent  sur  des  poètes  de  cette 
famille-là  et  sévèremeut;  toutefois  nous  confessons  que  le  type 
en  sérail  intéressant  à  é;udier  dans  une  sorte  de  confession  en 
vers. 

Au  début  j'ai,  affirmé  que  la  Jeunesse  Blanche  est  plus  qu'un 
livre  charmant  et  aimable  et  qu'il  renferme  quelques  pièces  de 
haut  Ivrisme.  En  voici  une  : 

VEILLÉE  DE  GLOIRE.     . 

Quel  orgueil  d'être  seul  à  sa  fenêtre,  tard, 

Près  de  la  lampe  amie,  à  travailler  sans  trêve, 

Et  sur  la  page  blanche  où  l'on  fixe  son  rêvé 

De  planter  un  beau  vers  tout  vibrant,  comme  un  dard. 

Quel  orgueil  d'être  seul  pendant  les  soirs  magiques 
Quand  tout  s'est  assoupi  dans  la  cité  qui  dort, 
Et  que  la  Lune  seule,  avec  son  masque  d'or, 
Promène  ses  pieds  blancs  sur  les  toits  léthargiques. 

L'orgueil  de  luire  encor  lorsque  tout  s'est  éteint, 
Lan'ipe  du  sanctuaire  aii  fond  des  nerfs  sacrées, 
Survivance  du  phare  au  dessus  des  marées 
Dont  on  ne  perçoit  plus  qu'un  murmure  indistinct. 

Lorgueil  qu'ont  les  amants,  les  moines,  les  poètes, 
D'être  en  communion  avec  l'obscurité, 
Et  d'avoir  à  leur  cœur  des  Vitraux  de  clarté 
Qui  ne  s',  teignent  pas  pendant  les  nuits  muettes. 

Quel  orgueil  d'être  seul,  les  mains  contre  son  front, 
A  noter  des  vers  doux  comme  un  accord  de  lyre 
Et,  songeant  à  la  mort  prochaine,  de  se  dire  : 
Peut  être  que  j'écris  des  choses  qui  vivront! 


LE  THEATRE  DE  li  MO.\NAIË 

Sont-ils  bien  sérieux  les  avantages  accordés  à  la  nouvelle 
direction?  Vonl-ils  meître  le  théâtre  dans  des  fondilions  qui 
garantiront  contre  la  déconfiture  et  contre  l'amoindrissemenl 
au  point  de  vue  artistique.' 

On  en  peut  douter.  Examinons  : 


U orchestre  [Kvi.  38,  al.  4.  du  Cahier  des  chai'ges)  :  On  n'im- 
pose plus  les  augmentations  de  la  saison  dernière,  qui  étaient  de 
21,000  francs  pour  l'année,  mais  on  livre  la  direction  aux  exi- 
gences des  musiciens,  qui  viennent  de  se  confédérer,  qui  orga- 
nisent la  résistance  et  qui,  accoutumés  k  la  majoration,  ne  seront 
pas  aisément  ramenés  au  passé.  Au  surplus,  il  est  peu  équitable 
de  faire  tomber  l'économie  sur  ces  auxiliaires  modestes^  dévoués 
et  très  artistes. 

Contributions  (Art.  16.  Ib.)  :  La  Ville  les  garde  pour  elle.  Une 
bagatelle.  On  a  dit  3,000  francs  au  Conseil  communal.  Ce  n'est 
pas  autant,  paraît-il. 

Buffet  (Art.  6.  Ib.)  :  La  location  est  abandonnée  à  la  direction. 
C'est  10,000  francs,  dit-on.  Encore  une  bagatelle.  On  n'aura  pas 
un  pareil  loyer.  Ce  n'est  pas  le  chiffre  actuel. 

Foyer  (Art.  26.  Ib.)  :  Autorisation  de  se  servir  du  grand  foyer 
pour  un  autre  usage  que  le  buffet  et  la  promenade.  Qu'est-ce  que 
cela  rapportera  ? 

Créations  (Art.  36.  Ib.)  :  Plus  d'obligation  de  monter  chaque 
année,  avec  décors  et  costumes  entièrement  neufs,  deux  ouvrages 
nouveaux  représentant  au  minimum  six  actes.  C'est  illusoire. 
Lorsqu'il  n'y  a  pas  de  création  sérieuse,  lorsque  l'exploitation  se 
maintient  dans  le  répertoire  courant  sans  le  coup  de  tam-tam  de 
nouveautés  brillantes,  la  saison  est  compromise. 

Répétons-le,  tout  cela  est  fragile.  Il  n'y  a  pas  là  un  avantage 
sûr.  La  direction  nouvelle  va  se  retrouver  aux  prises  avec  les 
incertitudes  d'une  exploitation  qui  vacille  sur  cette  éventualité 
incroyable  que,  selon  que  la  recette  augmente  ou  diminue  de 
200  francs,  oui,  200  francs  pas  plus,  par  soirée,  le  théâtre  est 
ou  n'est  pas  en  perte.  En  effet,  on  joue  208  fois  par  saison,  et  le 
bénéfice  moyen  de  la  direction  Stoumon  et  Calabresi,  pendant 
dix  ans,  a  été  de  40,000  francs,  donc  200  francs  par  jour  de 
représentation. 

Autre  observation  qui  frappera  tout  .financier  :  le  théâtre 
donne  par  an  une  moyenne  de  950,000  francs  de  recettes,  tout 
compris.  Le  bénéfice,  en  le  supposant  de  40,000  francs,  n'est 
donc  pas  de  5  p.  c;  et  cela  dans  une  entreprise  exposée  k  des 
chances  formidables.  Janfjais,  dans  l'industrie  ou  le  commerce, 
on  ne  consentiridt  à  l'exploiter  à  95  p.  c.  de  frais.. 

Il  faut  donc  avoir  aff'aire  au  monde  aventureux  des  directeurs, 
tous  plus  ou  moins  joueurs.  C'est  une  base  terriblement  chance- 
lante. 

A  notre  avis,  et  pour  les  raisons  exposées  dans  nos  numéros 
des  29  novembre,  6,  13  et  20  décembre  1885,  notre  théâtre  ne 
s^ra  sérieux  et  stable  que  si  l'on  augmente  la  situation,  telle 
qu'elle  existait  l'an  dernier,  de  d 00,000  francs.  Sinon  nous 
sommes  exposés  k  retomber  dans  les  troupes  incomplètes,  dans 
les  chanteurs  douteux  et  dans  le  répertoire  banal,  tout  allant  au 
petit  bonheur.  ' 

***    ■ 

Nous  avons  dit  l'hiver  dernier  :  Représentation  d'apparat,  len- 
demains sans  receltes.  —  Exemple  :  lundi,  brillante  soirée  avec 
M'"«  Caron  ;  mardi,  relâche  forcée,  sous  prét'^xte  d'indisposition  ; 
motif  vrai,  pas  de  location. 

Aulre  observation  :  Los  quatre  représenlalions  de  M*"^  Caron 
et  d'Escalaïs  donnt^rônt  20,000  francs,  abonnement  suspendu. 
Les  autres  jours,  on  est  tombé  dans  les  receltes  à  700  francs. 
Faites  la  moyenne.  Cela  donne  2,500  francs  par  soirée.  Or,  il 
faut  3,000  francs  pour  couvrir  les  frais  normaux  du  théâtre 
année  courante. 


LART  MODERNE 


135 


Encore  un  renseignement  qui  monlrc  bien  que  les  beaux  jours 
sont  passés  et  que  le  lliéâlre  subit  les  effets  de  la  crise  de  plus 
en  plus  intense. 

Voici  les  recettes  au  guichet  depuis  quelques  années  : 

1878-79  .     .     .     .     .  *  .     .     .     .  629,741. 2-i    ; 

d879-80  .     .     .'    .     ...     .     .  626,520.25 

1881-82  .     .     .     .     .   •.     .     .     .  612,294 

1882-83  .........  579,611.75 

1883-84  .........  595,627.25 

-  1884-85  .........  579.566 

Ainsi,  diminution  constante,  avec  un  seul  léger  retour  en 
1883-84. 

Nous  avons  laissé  de  côté  1880-81,  année  du  cinquantenaire, 
où  Ton  a  joué  deux  mois  de  plus,  juillet  et  août.  La  récolte  a  alors 
monté  à  tV.  701,314.25. 

Tous  ces  chiffres  sont  1res  éloquents. 

Nous  renouvelons  une  demande  formulée  ici  en  décembre  der- 
nier :  Pourquoi  l'adminislration  communale  ne  puhlie-l-eilc  pas 
la  statistique  du  théâtre,  tous  les  ans,  et  pour  chaque  diieclion? 
On  verrait  beaucoup  plus  clair  dans  loules  les  questions  que 
soulève  celle  administration  compliquée.  "^ 


^1 


UNIQUE  / 

Quatrième  concert  du  Conservatoire. 

M.  Gevaert,  selon  sa  coutume,  a  repris,  dans  son  dernier  con- 
cert, une  grande  œuvre  exécutée  dans  un  des  concerts  précédents 
de  celle  saison. 

Nous  ne  nous  plaindrons  pns,  cette  fois,  du  résultat  de  cette 
douce  manie,  car  l'œuvre  roprist}  était  la  supeib.»  Cantate  de  la 
Réfurmation  de  Jean-Sébastien  Bach,  d'une  religion  si  noble  et 
si  pure. 

L'exécution  a  laissé  beaucoup  à  désirer  :  mollesse  de  l'or- 
chestre et  insuffisance  des  masses  chorales.  Les  soliiles,  très 
applaudis,  étaient  les  mêmes  qu'à  la  première  audition  : 
Mnies  Cornélis  el  De  Give,  et  M.M.  Eiigel  et  Vandcrgoien. 

A  M.  Engel  les  honneurs,  bien  que  l'acteur  ne  disparût  pas 
ass.'z  complèleuienl. 

Nouvelle  audition  de  la  Symphonie  Pastorale  de  Beethoven, 
qui,  il  y  a  quelques  années,  fui  si  mal  jouée  et  occasionna,  entre 
gens  officiels  et  critiques  indépendants,  une  désopilante  mais  iné- 
gale escrime.  L'exécution,  quoi  qu'en  disent  certains  gazetiers  fort 
épris  d'un  répertoire  frelaté,  a  été  tout  aussi  médiocre  qu'alors  •. 
exécuter  une  symphonie,  n'est  pas  fignoler  certains  irails  après 
un  nombre  incalculable  de  répétitions,  mais  donner  la  synthèse 
de  l'œuvre,  sans  ailacher  au  détail  plus  que  sa  valeur.  On  expose 
au  Conservatoire  de  la  musique  moiiiilié'e,  devant  qui  les  ama- 
teurs chauves  et  ventrus  sagL'nouilk-nl  dans  une  atmosphère  de 
poussière  et  de  vieillolerie;  nous  voulons  plus  de  vie,  nous,  plus^ 
d'air,  et  c'était  nécessaire  ici,  une  exécution  vivante,  pour  cette" 
symphonie  toule  de  lumière  et  de  plein  air,  que  nous  admirons, 
certes,  mais  que  nous  plaçons  au  rang  des  compositions  ordi- 
naires du  maître. 

Les  ouvertures  iVÀgrippinc  de  Hiindel  et  d'Oberon  complé- 
taient le  programme  de  ce  dernier  concert.  Et  mainlenant,  sou- 
hailons,  pour  l'an  prochain,  des  programmes  plus  variés  el  moisis 
de  momitication. 

Concert  Dratz. 

M""  E.  Dralz  a  donné,  lundi  dernier,  dans  la  salle  de  la  Grande- 
Harmonie,  un  charmant  concert  doul  le  programme,  pour  la 
partie  de  piano,  était  composé  de  fa(,'on  artiste  :  du  Bach,  du 
Mozart,  du  Chopin,  du  Rubinslein  el  celte  œuvre  de  choix,  que 


l'on  a  si  rarement  occasion  d'(  hiendre  :  le  Carnaval  de  Schn. 
mann  avec  Pierrot,  Arlequin,  Panialon,  Colombinc  el  la  Mar- 
che des  pavidsbiindler  contre  les  Philistins.  (Que  ne  sont-ils  h 
j:»mais  dispersés?) 

La  jeune  pianiste  a  réalisé  de  grands  progrès  comme  sonorité» 
finesse  de  nuances  el  compréhension,  et  nous  la  félicitons  spé- 
cialement pour  son  exécution  du  Prélude  et  fugue  de  Bach,  du 
Nocturne  de  Chopin,  de  la  Sonate  de  Mozart  et  du  Canir/y^//. 

M"«  Laurent  et  M.  Eldering  prêiaienl  leur  concours  à  celte 
séance  musicale,  ce  dernier,  remplaçanl  le  quatuor  Herrmann, 
Coëlho,  Van  Hamme  el  Jacob,  empéi-hé  au  d,ernier  moment,  à 
cause  de  la  reptés''nlalion  de  M'"«  Caron,  h  la  Monnaie.  Le  public 
a  fait  bon  accueil  à  la  canialrice  qui  n'est  encore  qu'une  élève, 
mais  bien  douée  :  l'Idylle  de  Haydn  convient  surtout  à  sa  voix 
genlillelle;  M.  Eldering  a  eu  sa  pari  méritée  d'applaudissements 
pour  une  bonne  exécution  d'une  ma/ourka  de  Wieniavvskv. 


^ETITE    CHROJ^IQUE 


Les  représentations  de  M'"«  Caron  et  de  M".  Escalaïs  au  théâtre 
de  la  Monnaie  ont  éié  triomphales.  Les  fli^urs  par  brassées^  par 
corbeilles,  par  gerbes,  et  les  applaudissenrienls  par  volées 
furieuses.  Ont  été  prodigués  à  l'arlisle  dont  le  masque  tragique, 
les  gestes  de  statue,  la  voix"  vibrante  et  mordante  donnent  tant 
de  noblesse  et  de  charme  aux  rôies  quVIle  inlerpréte.  Dans 
Faust  el  dans  la  Juive,  M'"*^  Caron  a  trouvé  l'occasion  d'un  succès 
considérable  qui  la  récompensera  de  liniliativi;  qu'elle  a  prise 
en  venant  offrir  générousenunl  son  concours  à  ses  anciens  cama- 
rades. 

Le  corps  professoral  du  Conservatoire  royal  do  Bruxelles  va 
faire  prochainement  une  perte  sensible.  M.  Jeno  Hubay,  l'émmenl 
professeur  de  la  classe  de  violon  et  le  virtuose  dont  nous  avons 
eu  fréq.uemmenl  à  louer  le  .sérieux  talent,  est  appelé  aux  fonc- 
tions de  professeur  de  violon  à  l'Académie  de  musique  de  Pcsth, 
où  une  position  Slip 'rbe  est  offerte  au  jeune  maître.  On  conser- 
vera toujoursà  Bruxelles  le  souvenir  de  l'artiste  délicat  ijui  a  su, 
durant  les  quatre  années  qu'il  a  passées  en  Belgique,  conquérir 
la  sympathie  dé  tous  ceu.x  qui  l'onl  connu. 

Le  Panorama  du  Caire,  d'Emile  Waulors,  est  revenu  de 
Vienne.  Il  est  visible  tous  les  jouis,  bouleviird  du  Hainaul,  8, 
dans  le  local  occupé  jadis  par  la  Bataille  de  Wateilou. 

On  reverra  avec  plaisir  cette  composiiion,  qui  joint  à  l'intérél 
d'une  grande  exactitude  le  sérieux  mérite  d'une  œ'uvre  d'art  de 
valeur. 


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136 


UART  MODERNE 


'  -       ■■  SIXIÈME  ANNÉE 

L'ART  MODBiRNE  s'est  acquis  par  rautorité  et  rindépendancc  de  sa  critique,  par  la  variété  de  ses 
informations  et    les   soins   donnés   à  sa    rédaction   une  place   prépondérante.    Auciine   manifestation  de  l'Art  ne 

lui  est  étrangère  :  il  s'occupe  de  littérature,  de  peinture,  de  sculpture,  de  gravure,  do  musique, 

d'architecture,    etc.    Ctmsacré   principalement   au    mouvement   artistique  belge,    il  renseigne  néanmoins   ses 

lecteurs  sur  toiis  les  événements  artistiques  de  l'étranger  qu'il  importe  de  connaître. 

Chaque  numéro  de  Lj'ART  MODERNE  s'ouvre  par  une  étude  approfondie  sur  une  question  artistique 
ou  littéraire  dont  l'événement  de  la  semaine  fournit  l'actualité.  Les  expositions,  les  livres  nouvecmoc,  les 
premières  représentations  d'œuvres  dramatiques  ou  musicales,  les  conférences  littéraires^  les  concerts^  les 
ventes  ctobjeis  d'art,  font  tous  l(^s  dimanches  l'objet  de  chroniques  détaillées. 

L'ART  MODERNE  relate  aussi  la  législation  et  la  jurisprudence  artistiques.  Il  rend  compte  des 
procès  les  plus  intéressants  concernant  les  Arts,  plaides  devant  les  tribunaux  belges  et  étrangers.  Les 
artistes  trouvent  toutes  les  semaines  dans  son  Mémento  la  nomenclature  complète  des  expositions  et 
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Sixième  année.  —  N®  18 


Le  numéro  :  2 S  centimes. 


Dimanche  2  Mai  1886. 


L'ART 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,   un   an,   fr.   10.00;  Union  postale,   fr.    13.00".    —   ANNONCES   :    On  traite  à  forfait. 

Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 

L  administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  Tlndustrie,  26,  Bruxelles. 


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OMMAIRE 


L'incident  Coquelin.  —  Rubinstein.  —  Le  Salon  des  Aquarel- 
listes. —  Le  Jury  d'admission.  —  Le  Théâtre  de  la  Monnaie. 
Mémento  des  expositions  et  concours.  Petite  chronique. 


L'mCIDEKT  COQUE  im 

On  a  sifflé  Coquelin  !  ! 

Que  de  tapage  vingt-quatre  heures  durant  autour  de 
ce  petit  fait.  Que  d'explications  saugrenues.  C'était  une 
vengeance  au  profit  de  M"®  Dudlay,  à  qui  nul  ici  ne 
songe.  C'était  une  protestation  au  profit  du  théâtre 
national  contre  un  exotique  encombrant.  C'était,  pour 
quelques  gamins  en  appétit  de  notoriété,  une  façon 
d'adapter  à  notre  temps  la  queue  coupée  du  chien 
d'Alcibiade.  C'était  une  représaille  contre  un  prétendu 
sans  gêne  du  fondateur  des  monologues  à  l'égard  de  la 
province.  C'était  une  explosion  d'envie  contre  le  plus 
grand  comédien  de  l'époque  !  !  !  C'était. . .  c'était. . .  et 
tous  les  sots  y  allaient  de  leur  sottise. 

En  vérité,  pour  qui  a  pénétré  la  mécanique  de  notre 
monde  bruxellois,  c'était  bien  moins  et  bien  plus  que 
toutes  ces  suppositions.  Etant  donné,  d'une  part,  un  vif 
désir  de  protestation  contre  l'admiration  ridiculement 
exagérée  qui,  depuis  trop  longtemps,  déborde  au  profit 
d'un  homme  de  talent  qu'on  grandit  aux  proportions 
d'un  homme  de  génie  ;  étant  donnée,  d'autre  part,  une 
très  légitime  inclination  à  réprimer  les  manigances  fort 
bêtes  d'une  coterie  mondaine  qui  s'imagine  être  en 
possession  du  droit  de  dicter  au  public  ses  opinions; 


frottez  l'un  contre  l'autre  ce  désir  et  cette  inclination,  et 
ne  vous  étonnez  pas  de  voir  jaillir  l'éclat  que  l'on  sait  et 
qui,  soyez'en  certain,  se  renouvellera  àla  première  occa- 
sion. Des  centaines  de  gens  partagent,  en  effet,  ce  double 
sentiment  qui  s'est  bruyamment  traduit  par  les  coups 
de  sifflet  qui  ont  paru  au  Tout-Bruxelles  de  contre- 
bande qui  inonde  nos  premières,  aussi  scandaleux  que 
les  coups  de  pierre  des  anarchistes  dans  les  vitrines  des 
magasins  du  bel  air,  et  ont  fait  perdre  aux  gandins  et 
aux  gandines  en  bonne  posture  les  attitudes  élégantes 
qui  les  rendaient  si  satisfaits  d'eux-mêmes. 
Creusons  la  situation. 

Coquelin  n'est  certes  pas  le  premier  venu.  Grâce  à  son 
naturel  vulgaire  très  franchement  accusé  et  à  une  figure 
dans  laquelle  le  classique  nez  en  pied  (de  marmite  et  la 
houche  en  boîte  aux  lettres,  dons  précîêlKc  de  dame 
Nature,  réalisaient  l'idéal  du  valet  de  comédie,  il  avait 
pleinement  réussi  dans  tous  les  rôles  de  larbin  au  vrai 
et  au  figuré,  depuis  Scapin  jusqu'à  Figaro,  avec  des 
excursions  chez  les  personnages  qui  incarnent  la  domes- 
ticité d'un  plus  haut  étage  :  homme  d'affaires  de  grands 
seigneurs,  reitre  mercenaire,  noble  déchu  se  vendant  à 
qui  le  paie.  11  rendait  très  habilement  à  la  scène  ces 
types  où  la  vulgarité  se  double  de  coquinerie.  Il  y 
marquait,  toutefois,  un  défaut  capital  et  caractéristique 
du  comédien  qui  n'atteint  jamais  le  degré  suprême  : 
sous  tous  ces  déguisements,  il  restait  incurablement 
Coquelin  l'aîné  !  Dévoré  de  la  rage  de  vanité  qui  actuel- 
lement avilit  l'art  dramatique  dans  toutes  ses  régions 
et  le  ravale  au  cabotinage,  il  n'avait  qu'une  préoccupa- 


.X 


tion  :  faire  penser  à  lui,  toujours;  être  en  scène,  lui, 
toujours;  ne  jamais,  par  cette  sublime  abnégation  du 
génie  que  nous  avons  vue  dans  Salvini  et  dans  Rossi, 
disparaître  "  sous  le  rôle  pour  ne  faire  saillir  que  la 
conception  de  Técrivàin  ;  refuser  de  changer,  à  chaque 
pièce,  par  l'admirable  grimage  familier  aux  grands 
artistes;  vouloir  que  le  spectateur  n'ait  jamais  qu'une 
pensée  :  c'est  Coquelin  !  au  lieu  d'être  entraîné  dans 
l'artifice  du  personnage;  être  au  masculin  ce  que  Sarah 
Bernhardt  est  au  féminin  :  maintenir  impudemment 
l'acteur,  comme  l'actrice,  en  dehors  du  rôle,  encoque- 
/mer  tout  et  triompher  personnellement  au  dessus  de 
toutes  les  trames,  de  toutes  les  légendes,  de  toutes  les 
fictions  dramatiques. 

Cette  agaçante  manie,  cette  insupportable  infatua- 
tion  s'étaient  récemment  juchées  à  une  prétention  plus 
monumentale.  Les  emplois  de  haute  et  basse  domes- 
ticité, en  lesquels  s'était  complu  Molière,  avaient 
affecté  l'orgueil  grandissant  de  celui  qui,  blotti  dans' le 
large  manteau  de  Gambetta,  avait  eu  l'espoir  d'être 
emporté  par  lui  aux  sommets  où  alors  le  conduisait  la 
Fortune.  Il  s'est  mis  à  rêver  de  conquête  universelle  et, 
oubliant  la  bouche  et  le  nez  que  nous  rappelions  tantôt, 
il  s'est  essayé  aux  rôles  héroïques  et  plus  particulière- 
ment (on  l'a  plaisamment  remarqué)  à  ceux  qui  sup- 
posent l'heureux  don  de  plaire  aux  femmes.  Sans 
entendre  le  rire  qui  a  gagné  la  foule  à  l'aspect  de  ces 
baroques  tentatives,  il  s'est,  Prudhomme  imprévu, 
lancé  dans  ces  aventures  avec  une  audace  sans  bornes. 
Le  laquais  a  voulu  passer  maître.  Avec  quel  succès? 
demandez  à  ceux  qui  se  connaissent  en  parvenus.  Il  a 
forcé  son  talent  sans  pouvoir  forcer  sa  figure,  et  a 
jdonné  une  adaptation  vraiment  comique  du  garçon 
d'hôtel  jouant  à  l'homme  du  monde. 

C'est  cette  malheureuse  métamorphose  qui'a  comblé 
la  mesure.  On  commençait  à  en  avoir  assez  du  sempi- 
ternel Coquelin-Scapin,  Coquelin-Mascarille,  Coquelin- 
Frontin,  Coquelin- Annibal,  Coquelin-Figaro,  Coque- 
lin-ci,  Coquelin-lâ.  Mais  quand  on  a  vu  le  valet  jouer 
au  monsieur  au  lieu  de  se  confiner  prudemment  dans 
les  aptitudes  que  lui  imposaient  son  physique  spécial 
parfaitement  approprié  et  inaltérable,  la  croisade  s'est 
déclarée  :  à  Paris  comme  chez  nous,  on  a  commencé  à 
montrer  de  l'impatience.  Jamais  elle  n'avait  été  jus- 
qu'aux sifflets,  mais  on  les  sentait  proches,  et  quoiqu'en 
aient  dit  les  fanatiques,  la  manifestation  d'il  y  a  huit 
jours  n'a  pas  pris  tout  le  monde  à  l'improviste 

Voilà  le  phénomène  expliqué  pour  le  côté  qui  touche 
à  ce  demi-dieu  désormais  découronné,  ou,  si  l'on 
préfère,  couronné,  mais  comme  un  cheval  qui  a  cédé 
des  genoux. 

Venons-en  à  ce  qui  concerne  la  petite  caste  qui  a 
poussé  des  rugissements  indignés  quand  elle  a  entendu 
conspuer  son  idole. 


On  la  connaît.  Il  s'agit  de  deux  ou  trois  cents  per- 
sonnes, toujours  les  mêmes,  bourgeois  et  bourgeoises  à 
prétentions,  pas  transcendants,  tous  se  croyant  du  bel 
air  et  en  bonne  posture,  suivant  les  expressions  roco- 
côs  rapetassées  par  leurs  chroniqueurs  attitrés.  Ce 
sont  eux  qui,  avec  un  aplomb  indémontable,  prennent 
la  tête  de  toute  solennité  artistique,  sans  qu'on  les 
en  prie,  fort  gênants,  s'imaginant  avec  l'audace  de  la 
sottise  que  sans  eux  rien  ne  marcherait,  se  félicitant 
les  uns  les  autres  de  former  V opinion,  se  qualifiant 
beau  monde,  gens  de  bon  ton,  belle  société,  etc.,  etc. 

Cette  remuante  et  fastidieuse  cohorte  pèse  lourde- 
ment sur  les  épaules  du  public,  très  indépendant  chez 
nous  et  très  résolu  à  ne  pas  accepter  les  jugements  des 
perroquets  de  salon  et  de  leurs  perruches.  Déjà,  l'an 
dernier,  aux  Maîtres-Chanteurs,  l'antagonisme  entre 
ces  demi-cervelles  et  les  spectateurs  sérieux  s'était  révélé 
en  quelques  rudes  algarades.  Coquelin,  que  le  Tout- 
Bruxelles  qui  ne  représente  pas  plus  la  Ville  que  le 
panache  du  tambour-major  ne  représente  le  régiment, 
avait  pris  sous  sa  protection  particulière  et  dont,  avec 
le  tact  à  rebours  qui  le  caractérise,  il  avait  fait  un  de 
ses  grands  favoris,  a  fourni,  dans  le  rôle  idiot  de  Cha- 
millaç,  une  nouvelle  occasion  de  donner  un  exutoire  à 
cette  antipathie  qui  a,  on  le  voit,  des  raisons  autrement 
profondes  que  les  billevesées  que  les  reporters  et  les 
flatteurs  de  cette  camarilla  ont  énoncées. 

On  en  a  assez  de  toutes  ces  conventions.  On  s'irrite  de 
retrouver  invariablement  les  mêmes  plumes  écrivant 
les  mêmes  fadaises  à  propos  des  mêmes  inepties.  On  est 
résolu  à  bousculer  ces  obstacles,  toujours  identiques, 
se  mettant  en  travers  de  tout  effort  vers  le  neuf,  l'ori- 
ginal, le  réel,  lâchant  les  mêmes  injures  avec  la  même 
arrogance,  pontifiant,  se  rengorgeant,  dictant  des  arrêts 
que  plus-  personne  n'écoute,  amenant  chez  nous  de 
l'étranger  un  flot  intarissable  de  lieux  communs,  ne 
donnant  d'éloges  qu'à  ce  qui  est  vieux  et  à  ce  qui  n'est 
pas  du  pays,  ayant  à  son  passif  ce  ridicule  d'avoir  atta- 
qué tout  ce  qui  a  fini  par  triompher,  ayant  aussi  cette 
honte  d'avoir  écrasé  des  tentatives  généreuses  et  d'avoir 
'étouffé  des  artistes  véritables. 

Aussi  est-il  bon  que  des  protestations  viennent  affir- 
mer (peu  importe  le  prétexte,  que  ce  soit  Coquelin  ou 
Beckmesser),  la  révolte  qui  gronde  contre  cette  parodie 
du  bon  goût  et  de  la  critique,  et  préparent  l'affranchis- 
sement définitif  qui  remettra  à  son  plan  ce  clan  qui  se 
croit  appelé  à  faire  la  loi,  alors  que,  pétri  de  préjugés 
et  de  mesquineries,  il  n'a  ni  les  aptitudes,  ni  les  con- 
naissances que  commande  un  pareil  rôle  devant  un 
public  intelligent  et  libre. 


LART  MODERNE 


139 


7^ 


«t;-- 


^NTOINE    Ï\UBINPTEIN 

Ah!  l'incomparable  arlisle!  Et  qu'il  fait  oublier,  dans  ses 
auditions  merveilleuses,  tous  les  pianistes  dont  la  virtuosité 
séduit,' mais  dont  la  personnalité  encombrante  ne  parvient  pas  à 
s'effacer. 

Il  y  avait  huit  ans  qu'on  n'avait  plus  entendu  Rubinstein  à 
Bruxelles.  C'est  en  1878,  fin  mars,  qu'il  donna,  dans  celle  même 
salle  de  la  Grande-Harmonie  où  il  était  acclamé  avanl-liier  par 
une  foule  enthousiaste,  ces  séîinces  qui  sont  encore  dans  la 
mémoire  de  tous.  Il  les  termina  par  un  grand  concert  avec 
orchestre  donné,  au  commencement  d'avril,  au  ihéâlre  de  la 
Monnaie,  où  le  compositeur  apparut  à  côté  du  virtuose. 

Cette  fois,  c'est  uniquement  comme  intorprèlc  des  grands  maî- 
tres qu'il  nous  revient.  Il  a  choisi  diins  la  lilléralure  du  piano 
trois  grands  noms,  les  plus  grands  après  Jean-Sébastien  Bach  : 
Beethoven,  Schumannel  Chopin.  Et,  pour  chacun  d'eux,  il  a  fait 
un  programme  complet,  exprimant  la  synthèse  de  son  art.    , 

Beethoven,  auquel  était  consacré  la  première  séance,  est 
représenté  par  huit  sonates,  les  plus  belles.  Elles  embrassent 
toute  sa  vie  depuis  l'œuvre  vingt-septième,  l'une  des  premières, 
qui  date  de  4801,  jusqu'à  la  dernière  qu'il  composa,  la  célèbre 
sonate  en  iil  mineur,  qui  porte  le  n9 111  et  parut  en  182-2.  Entre 
ces  deux  dates  extrêmes,  V Appassionnata ,  écrite  en  1804,  puis 
la  sonate  en  mi  mineur  (op.  90)  publiée  en  1814,  l'une  des  in- 
spirations les  plus  délicieuses  du -Maître,  et  quatre  autres,  ainsi 
classées  :  op.  31  {re'  mineur),  op.  o8  [ut  majeur) ,  op.  101  (la 
majeur),  op.  109  (mi  majeur). 

On  ne  peut  imaginer  chez  l'exécutant  interprétation  plus  par- 
faite, chez  l'auditeur  impression  plus  profonde.  Cela  dépasse  les 
prévisions,  cela  déconccrlc  et  rend  muet. 

Que  dire  d'un  artiste  qui  unit  à  la  mémoire  la  plus  prodigieuse 
un  mécanisme  foudroyant,  une  puissance  de  sonorité  qui  trans- 
forme le  piano  en  orchestre;  une  délicatesse  de  nuances  et  de 
toucher  qui  n'a  jamais  été  égalée;  la  plus  extraordinaire  vélocité 
et  une  égalité  absolue  dans  les  difficultés  techniques  les  plus 
ardues  !.  .      , 

Les  adjectifs  admiratits  dont  le  cliché  a  servi  pour  tous  les 
virtuoses  que  chaque  année  fait  éclore  ne  peuvent  convenir  à  un 
artiste  de  cette  envergure.  Ils  ne  peuvent  exprimer  ce  que  fait 
ressentir  Rubinstein,  —  ces  frissons  d'art,  celte  joie  intime,  mys- 
térieuse, immense,,  que  donne  seule  la  sensation  d'un  chef- 
d'œuvre. 

Et  chose  merveilleuse,  ce  vîrluose  prestigieux  n'apparaît  qu'au 
second  plan.  C'est  le  musicien  qui  domine  de  toute  sa  hauteur, 
et  écrase  le  pianiste. 

M.  Reyer,  dans  son  feuilleton  des  Débats,  l'a  très  justement 
fait  remarquer,  en  quelques  lignes  qui  résument  l'artiste  :  «  Le 
secret  de  sa  force  et  de  son  action  sur  le  public,  à  ce  grand  vir- 
tuose incomparable,  c'est  qu'il  dédaigne  toute  virtuosité.  Vous  ne 
le  verrez  préoccupé  ni  de  ses  gestes,  ni  de  ses  attitudes,  ni  des 
évolutions  de  ses  dix  doigts;  sa  seule  préoccupation,  le  seul 
effort  de  sa  volonté  et  de  son  génie,  c'esi  de  reproduire  fidèle- 
ment, lui  qui  est  un  maître,  la  pensée  des  maîtres  qu'il  interprète, 
c'est  d'en  pénétrer  les  intentions  les  plus  cachées,  c'est  de  s'in- 
carner en  eux-mêmes  et  de  donner  l'illusion  que  l'on  entend 
tour  à  tour  Chopin  et  Schumanu,  Schubert  et  Weber,  Men- 
delssohn  et  Beethoven.  »  . 

Quel  enseignement  et  quel  exemple. 


LE  SALON  DES  AQUARELLISTES 

Ceux-ci  sont  les  anciens  de  l'Ordre,  les  vétérans,  les  véritables 
Jean-Marie  de  la  goutte  d'eau  colorée.  11  ne  faut  pas  les  confondre 
avec  les  Hydrophiles,  ces  Vingtistes  déguisés,  ni  avec  1^  Aqua- 
tellisles  et  Aquafortistes,  qu'une  éclipse  a  récemment  dérobés 
aux  observations.  _ 

Depuis  un  quart  de  siècle,  aussitôt  que  le  soleil  baise  les  pre- 
miers lilas  et  que  s'épanouissent  sur  les  nappes  les  radis  roses, 
les  asperges  en  branches  et  les  fraises  hâtives,  aux  murailles  du 
Salon  fleurissent  les  aquarelles  de  la  Société  royale,  en  bouquets 
éclatants.  Tradilionnellt'menl  se  fait  l'ouverture.  Ln  tapis  écarlate 
rouie  de  marche  en  marche  un  larcje  fleuve  de  san£f.  La  commis- 
sion,  correctement  vêtue  de  noir,  gantée  de  beurre  frais  et  cra- 
vatée de  blanc,  introduit  la  Cour,  et  durant  toute  une  après-midi, 
les  présentations,  les  compliments,  les  courbettes,  les  révérences 
emplissent  de  réminiscences  gerolsteiniennes  la  petite  église  con- 
sacrée au  culte  de  la  peinture  à  l'eau. 

La  promenade  ofTicielle  terminée,  les  grands  larbins  rouges 
remontés  sur  les  carosses,  le  caquetage  mondain  éteint,  on  fait  le 
tour  et  l'on  examine  les  œuvi'es. 

Le  nombre  des  exposants  ne  varie  guère.  Il  est  de  cent  en 
moyenne,  comprçnanl  un  fort  lot d'Ilaliens,  un  choix  de  Hollan- 
dais, pas  mal  de  Belges,  puis  quelques  repn'-senlants  isolés  des 
autres  pays  civilisés.  Les  Belges  sont  immuablement  au  nombre 
de  quarante.  Du  moins,  ils  devraient,  aux  termes  des  statuts,  ne 
pas  dépasser  ce  chiffre.   En  réalité,  ils  sont  plus  nombreux. 

On  remarque,  en  effet,  parmi  les  membres  honoraii'es  «  choisis, 
dit  le  catalogue,  jiarmi  les  artistes  étrangers  h.'s  plus  ('-minenls  », 
MM.  Emile  Wauters,  Charles  Verlal,  Fernand  de  Beockman, 
Joseph  Stevens,  Alfred  Slevens,  Jean  Portaels,  le  major  Pecque- 
reau,  etc. 

Eminents,  ces  Messieurs,  sans  doute.  Mais  étrangers?  Nous 
protestons  au  nom  de  la  patrie. 

Peu  nous  importe,  au  surplus,  et  nous  ne  chercherons  pas 
querelle  à  la  Société  pour  cet  innocent  subterfuge.  D'autant 
moins  que  parmi  les  nouvelles -recrues  qu'on  a  pu  ainsi  enrégi- 
menter, il  y  a  quelques  personnalités  intéressantes. 

Dé  la  collaboration  des  membres  effectifs  el  honoraires,  naît, 
chaque  année,  une  exposition  qui  ne  varie  que  modérément.  Le 
champ  donne  régulièrement  sa  moisson,  à  pleines  gerbes.  On 
n'entend,  dans  ce  vallon  paisible,  ni  le  crépitement  de  la  fusillade, 
ni  le  bruit  du  canon,  qui  retentissent  ailleurs.  Les  Aquarellistes 
en  sont  à  leur  vingt-sixième  année  diî  paix  et  de  prospérité.  Le 
public  n'a  jamais  songea  les  discuter,  parce  qu'ils  se  sont  gardés 
de  heurter  les  opinions  de  leurs  benoîts  admirateurs. 

.\ussi,  la  critique  peut-elle  se  borner  à  signaler  l'exposition  et 
à  passer  outre,  en  se  réservant  pour  les  jours  de  bataille. 

Les  remarques  que  suggèrent,  en  eti'et,  les  neuf  dixièmes  des 
œuvres  exposées  sont  dans  le  domaine  public.  A  quoi  bon  les  répé- 
ter? Tout  le  monde  sait  que  les  Italiens  ont  des  malices  de  singes 
el  qu'ils  se  servent  de  leurs  pinceaux  avec  plus  d'adresse  que  les 
Chinois  de  leurs  bagueltes  d'ivoire  pour  manger  le  riz.  Le  jongleur 
le  plus  étourdissant  est,  celle  année,  M.  Simonr,  Gustave,  qui 
cote  quatre  mille  francs  un  passe-parlout  dénommé  :  Danse  de 
nègres  devant  la  mosquée  de  Sidi-Boumédineà  Thlemcem  S\<^én^) . 
Passe-parloul  est  ici  synonyme  de  tour  de  passe-passe. 

On  sail  aussi  que  les  peintres  hollandais  usent  d'un  procédé 


différent,  qu'ils  empâtent  la  légèreté  de  la  peinture  à  l'eau  par 
des  épaisseurs  de  gouache  et  qu'ils  arrivent  ainsi  à  des  effets 
particuliers.  On  sait  qu'ils  affectionnent  la  mélancolie  des  ciels 
noirs  roulant  des  nuages  opaques  sur  des  moulins  éplorés  au 
bord  d'un  canal,  où  ils  n'ont  d'autre  ressource  pour  se  distraire 
que  de  s'y  mirer.  Il  y  a,  comme  d'habitude,  un  stock  d'aquarel- 
listes néerlandais  des  deux  sexes,  répétant  consciencieusement  la 
formule  adoptée  :  M™*  Bilders-Van  Bosse,  M.  Henkes,  M.  Weis- 
senbruch,  M.  Roelofs,  M.  Poggenbcek,M.  Wysmuller,  M.  Zilcken, 
qui  pourrait  faire  mieux,  M.  Vander  Waay,  M.  Stortenbckcr, 
M.  Kever,  M.  Bastert^  etc.  A  remarquer  M"«  Bramina  Hubrechl, 
que  nous  avions  déjà  signalée  à  l'attention  l'an  dernier,  et  dont 
le  Vieux  Thovias,  virilement  peint,  à  pleine  eau,  sans  le  secours 
de  la  gouache,  est  l'une  des  œuvres  captivantes  de  l'envoi  d'outre 
Moerdijk. 

A  classer  aussi  à  une  place  d'honneur  le  Troupeau  de  moutons 
de  M.  Mauve,  une  jolie  page  d'un  sentiment  subtil,  vraiment 
artiste^  dans  la  plus  belle  acception  du  terme,  et  certes  l'une  des 
œuvres  les  plus  remarquables  du  Salon. 

M.  Mauve  traîne  à  sa  suite  M.  Ter  Mculen,  qui  expose  un  trou- 
peiau  de  moulons  semblable  au  précédent,  très  habilement  pas- 
tiché. 

Quant  aux  Belges,  nul  n'ignore  que  MM.  Uytterschaut,  Slac- 
quet,  Binjé  font  de  jolis  petits  paysages  et  de  non  moins  élé- 
gantes petites  marines;  que  M.  Lanneau  s'est  fait  une  spécialité 
de  dahlias,  de  roses,  de  tournesols  et  de  coquelicots;  que 
MM.  David  et  Pierre  Ovens  trouvent  moven  de  mettre  de  l'intérêt 
dans  une  casserolle,  dans  un  coin  de  poêle  et  dans  une  brosse  à 
dents;  que  M.  Jean  Baes  excelle  à  croquer  toutes  les  flèches, 
tours  et  tourelles  de  Belgique  ;  que  M.  Hubert  aime  à  dessiner  les 
petits  soldats  et  que  M.  Abry  lui  fait  une  concurrence  sérieuse; 
que  M.  Aelbrecht  De  Vriendt  a  une  patience  incomparable  dans  ses 
recherches  archéologiques;  que  M.  Hoeterickx,  à  Londres,  et 
M.  Hagemans,  à  Anvers,  ont  trouvé  une  inépuisable  source  de 
croquis  de  rues  et  de  marchés,  dont  ils  rapporlenl  chaque  année 
un  déballage  important.... 

Il  est,  au  Salon  de  celte  année,  trois  artistes  dont  l'art  est  plus 
élevé,  et  dont  les  œuvres  simples,  émotionnantes  et  fortes  domi- 
nent la  cohue  des  aquarelles  dont  le  public  dit  :  «  C'est  ravis- 
sant ». 

Ces  artistes  sont  MM.  Xavier  Mellery,  Constantin  Meunier  et 
Eugène  Smits. 

Nous  parlerons  d'eux  dans  un  prochain  article.  Avec  le  paysa- 
giste Harpignies,  dont  nous  avons  également  à  entretenir  nos 
lecteurs,  ils  constituent  le  réel  intérêt  du  présent  Salon. 


LE  JURY  D'ADMISSION  (*) 

Bongrand  se  trouvait  en  continuelle  hostilité  avec  Mazel, 
nommé  président  du  jury,  un  maître  célèbre  de  l'école,  le 
dernier  rempart  de  la  convention  <5]éganle  et  beurrée.  Bien 
qu'ils  se  traitassent  de  chers  collègues',  en  échangeant  de 
grandes  poignées  de  main,  celte  hostilité  avait  éclaté  dès  le  pre- 
mier jour,  l'un  ne  pouvait  demander  l'admission  d'un  tableau, 
sans  que  l'aulre  voiâl  un  refus.  Au  contiaire,  Fagerolles,  élu 
secrétaire,  s'était  fait  l'amuseur,  le  vice  de  Mazel  qui  lui  pardon- 


1 

(')  Zola  décrit  dans  YŒuvre  les  opérations  du  jury  du  Salon.  Le  morceau 
que  nous  reproduisons  est  d'une  observation  cruelle,  et  il  est  d'actualité. 


nait  sa  défection  d'ancien  élève,  tant  ce  renégat  Tadulait  aujour- 
d'hui. Du  reste,  le  jeune  maître,  très  rosse,  comme  disaient  les 
camarades,'  se  montrait  pour  les  débutants,  les  audacieux,  plus 
dur  que  les  membres  de  l'Institut;  et  il  ne  s'humanisait  que 
lorsqu'il  voulait  faire  recevoir  un  tableau,  abondant  alors  en 
inventions  drôles,  intriguant,  enlevant  le  vote  avec  des  souplesses 
d'escamoteur. 

Ces  travaux  du  jury  étaient  une  rude  corvée,  où  Bongrand  lui- 
même  usait  ses  fortes  jambes.  Tous  les  jours  le  travail  se  trouvait 
préparé  par  les  gardiens,  un  interminable  rang  dé  grands  tableaux 
posés  à  terre,  appuyés  contre  la  cimaise,  fuyant  k  travers  les 
salles  du  premier  étage,  faisant  le  tour  entier  du  Palais;  et  cha- 
que après-midi,  dès  une  heure,  les  quarante,  ayant  à  leur  tête 
le  président  armé  d'une  sonnette,  recommençaient  la  même 
promenade,  jusqu'à  l'épuisement  de  toutes  les  lettres  de  l'alphabet. 
Les  jugements  étaient  rendus  debout,  on  bâclait  le  plus  possible 
la  besogne,  rejetant  sans  vole  les  pires  toiles;  pourtant  des  dis- 
cussions arrêtaient  parfois  le  groupe,  on  se  querellait  pendant 
dix  minutes,  on  réservait  l'œuvre  en  cause  pour  la  revision  du 
soir;  tandis  que  deux  hommes,  tenant  une  corde  de  dix  mètres 
la  raidissaient,  à  quatre  pas  de  la  ligne  des  tableaux,  afin  de 
maintenir  à  bonne  distance  le  flot  des  jurés,  qui  poussaient  dans 
le  feu  de  la  dispute,  et  dont  les  ventres,  malgré  tout,  creusaient 
la  corde.  Derrière  le  jury  marchaient  les  soixante-dix  gardiens 
en  blouse  blanche,  évoluant  sous  les  ordres  d'un  brigadier,  fai- 
sant le  tri  à  chaque  décision  communiquée  par  les  secrétaires, 
les  reçus  séparés  des  refusés  qu'on  emportait  à  l'écart,  comme 
des  cadavres  après  la  bataille.  Et  le  tour  durait  deux  grandes 
heures,  sans  un  répit,  sans  un  siège  pour  s'asseoir,  tout  le  temps 
sur  les  jambes,  dans  un  piétinement  de  fatigue,  au  milieu  des  cou- 
rants d'air  glacés,  qui  forçaient  les  moins  frileux  à  s'enfouir  au 
fond  de  paletots  de  fourrure. 

Aussi  la  collation  de  trois  heures  était-elle  la  bienvenue  :  un 
repos  d'une  demi-heure  à  un  buffet,  où  l'on  trouvait  du  bor- 
deaux, du  chocolat,  des  sandwichs.  C'était  là  que  s*ouvrait  le 
marché  aux  concessions  mutuelles,  les  échanges  d'influences  et 
de  voix.  La  plupart  avaient  de  petits  carnets,  pour  n'oublier  per- 
sonne dan?  la  grêle  de  recommandations  qui  s'ébattait  sur  eux  ; 
et  ils  le  consultaient,  ils  s'engageaint  à  voter  pour  les  protégés 
d'un  collègue,  si  celui-ci  volait  pour  les  leurs.  D'autres,  au  con- 
traire, détachés  de  ces  intrigues,  austères  ou  insouciants  ache- 
vaient une  cigaretle,  le  regard  perdu.     ^. 

Puis,  la  besogne  reprenait,  mais  plus  douce  dans  une  salle 
unique,  où  il  y  avait  des  chaises,  même  des  labiés,  avec  des 
plumes,  du  papier,  de  l'encre.  Tous  les  tableaux  qui  n'attei- 
gnaient pas  un  mèlre  cinquante,  étaient  jugés  là  «  passaient  au 
chevalet  »,  rangés  par  dix  ou  douze  le  long  d'une  sorte  de  tré- 
teau, recouvert  de  serge  verte.  Beaucoup  de  jurés  s'oubliaient 
béatement  sur  les  sièges,, plusieurs  faisaient  leur  correspondance, 
il  fallait  que  le  président  se  fachûl,  pour  avoir  des  majorités 
présentables.  Parfois,  un  coup  de  passion  souftlail,  tous  se  bous- 
culaient, le  vote  à  main  levée  était  rendu  dans  une  telle  fièvre, 
que  des  chapeaux  et  des  cannes  s'agitaient  en  l'air  au  dessus  du 
flot  tumultueux  des  tôles. 

Et  ce  fut  là,  au  chevalet,. que  l'Enfant  mort  parut  enfin.  Depuis 
huit  jours,  Fagerolles,  dont  le  carnet  débordait  de  notes,  se 
livrait  à  des  marchandages  compliqués  pour  trouver  des  voix  en 
faveur  de  Claude,  mais  l'affaire  était  dure,  elle  ne  s'emmanchait 
pas  avec  ses  autres  engagements,  il  n'essuyait  que  des  refus,  dès 


qu'il  prononçait  le  nom  dé  son  ami  ;  et  il  se  plaignait  de  ne  tirer 
auçuneaide  de  Bongrand,  qui,  lui,  n'avait  pas  de  carnet,  d'une  telle 
maladresse  d'ailleurs,  qu'il  gûlail  les  meilleures  causes  par  des 
éclats  de  franchise  inopportuns.  Vingt  fois  Fagerolles  aurait  lâché 
Claude,  sans  l'obstination  qu'il  mettait  à  vouloir  essayer  sa  puis- 
sance, sur  cotte  admission  réputée  impossible.  On  verrait  bien  s'il 
n'était  pas  de  taille  déjà  à  violenter  le  jury.  Peut-être  y  avait-il 
en  outre,  au  fond  de  sa  conscience,  un  cri  de  justice,  le  sourd 
respect  pour  l'homme  dont  il  volait  le  talent. 

Justement  ce  jour-là,  Mazel  était  d'une  humeur  détestable.  Dès 
le  début  de  la  séance,  le  brigadier  venait  d'accourir. 

«  Monsieur  Mazel,  il  y  a  eu  une  erreur  hier.  On  a  refusé  un 
hors-concours...  Vous  savez,  le  numéro  2,530,  une  femme  nue 
sous  un  arbre.  » 

En  effet,  la  veille,  on  avait  jeté  ce  tableau  à  la  fosse  commune, 
dans  le  mépris  unanime,  sans  remarquer  qu'il  était  d'un  vieux 
peintre  classique  respecté  de  l'Institut;  et  l'effarement  du  brigadier, 
cette  bonne  farce  d'une  exécution  involontaire,  égayait  les  jeunes 
du  jury,  qui  se  mirent  à  ricaner,  d'un  air  provocant. 

Mazel  abominait  ces  histoires,  qu'il  sentait  désastreuses  pour 
l'autorité  de  l'école.  Il  avait  eu  un  geste  de  colère,  il  dit  sèchement  : 

—  Eh  bien  !  repêchez-le,  portez-le  aux  reçus.  .  .  .  Aussi,  on 
faisait  hier  un  bruit  insupporiable.  Comment  veut-on  qu'on  juge 
de  la  sorte,  au  galop,  si  je  ne  puis  pas  même  obtenir  le  silence! 

Il  donna  un  terrible  coup  de  sonnette. 

—  Allons,  messieurs,  nous  y  sommes...  Un  peu  de  bonne 
volonté,  je  vous  prie. 

Par  malheur,  dès  les  premiers  tableaux  posés  sur  le  chevalet, 
il  eut  encore  une  mésaventure.  Entre  autres,  une  toile  attira  son 
attention,  tellement  il  la  trouvait  mauvaise,  d'un  ton  aigre  à 
agacer  les  dents  ;  et,  comme  sa  vue  baissait,  il  se  pencha  pour 
voir  la  signature,  en  murmurant  : 

—  Quel  est  donc  le  cochon...  ?  '_^ 

Mais  il  se  releva  vivement,  tout  secoué  d'avoir  lu  le  nom  d'un 
de  ses  amis,  un  artiste  qui  était  lui  aussi,  le  rempart  des  saintes 
doctrines.  Espérant  qu'on  ne  l'avait  pas  entendu,  il  cria  : 

—  Superbe!...  Le  numéro  un,  n'est-ce  pas,  messieurs? 

On  accorda  le  numéro  un^  l'admission  qui  donnait  droit  à  la 
cimaise.  Seulement,  on  riait,  on  se  poussait  du  coude.  II  en  fut 
très  blessé  et  devint  farouche. 

Et  ilsen  ilaienl  tous  là,  beaucoup  s'épanchaient  au  premier 
regard,  puis  rattrapaient  leurs  phrases,  dès  qu'ils  avaient  déchiffré 
la  signature  ;  ce  qui  finissait  par  les  rendre  prudents,  gonflant  le 
dos,  s'assurant  du  nom,  l'œil  furlif  avant  de  se  prononcer.  D'ail- 
leurs, lorsque  passait  l'œuvre  d'un  collègue,  quelque  toile  suspecte 
d'un  membre  du  jury,  on  avait  la  précaution  de  s'avertir  d'un 
signe,  derrière  les  épaules  du  peintre  :  «  Prenez  garde,  pas  de 
gaffe,  c'est  de  lui  !» 

Malgré  l'éncrvement  de  la  séance,  Fagerolles  enleva  une  pre- 
mière affaire.  C'était  un  épouvantable  portrait,  peint  par,  un  de 
ses  élèves,  dont  la  famille,  très  ,riche,  le  recevait.  Il  avait  dû 
emmener  Mazel  à  l'écart,  pour  l'attendrir,  en  lui  contant  une 
histoire  sentimentale,  un  malheureux  père  de  trois  filles,  qui 
mourait  de  faim  ;  et  le  président  s'était  longtemps  fait  prier  ;  que 
diable!  on  lâchait  la  peinture,  quand  on  avait  faim!  on  n'abusait 
pas  à  ce  point  de  ses  trois  filles!  Il  leva  la  main  pourtant  seul 
avec  Fagerolles.  On  protestait,  on  se  fâchait,  deux  autres  mem- 
bres de  l'Institut  se  révoltaient  eux-mêmes  lorsque  Fagerolles 
leur  souftîa  très  bas  : 


—  C'est  pour  Mazel,  c'est  Mazel  qui  m'a  supplié  de  voler...  Un 
parent,  je  crois.  Enfin,  il  y  tient.  Et  les  deux  académiciens 
levèrent  promptement  la  main  et  une  grosse  majorité  se  déclara. 

Mais  des  rires,  des  mots  d'esprit,  des  cris  indignés  éclatèrent; 
on  venait  de  placer  sur  le  chevalet  C Enfant  mort.  Est-ce  qu'on 
allait  maintenant  leur  envoyer  la  morgue.'  Et  les  jeunes  bla- 
guaient la  grosse  tête,  un  singe  crevé  d'avoir  avalé  une  courge, 
évidemment;  et  les  vieux,  effarés,  reculaient. 

Fagerolles,  tout  de  suite,  sentit  la.  partie  perdue.  D'abord,  il 
tâcha  d'escamoter  le  vole  en  plaisantant,  selon  sa  manœuvre 
adroite. 

—  Voyons,  messieurs,  un  vieux  lutteur...  Des  paroles  furieuses 
l'interrompirent.  Ah!  non,  pas  celui-là!  On  le  connaissait,  le 
vieux  lutteur!  Un  fou  qui  s'entêtait  depuis  quinze  ans,  un  orgueil- 
leux qui  posait  pour  le  génie,  qui  avait  parlé  de  démolir  le  Salon, 
sans  jamais  y  envoyer  une  toile  possible!  Toute  la  haine  de  l'ori- 
ginalité déréglée,  de  la  concurrence  d'en  face  dont  on  a  eu  peur,\ 
de  la  force  invincible  qui  triomphe,  même  battue,  grondait  dai 
l'éclat  des  voix.  Non,  non,  à  la  porte! 

Alors,  Fagerolles  eut  le  tort  de  s'irriter,  lui  aussi,  cédant  à  la 
colère  de  constater  son  peu  d'influence  sérieuse. 

—  Vous  êtes  injustes,  soyez  justes  au  moins! 

Du  coup  le  tumulte  fut  à  son  comble. -On  l'entourait,  on  le 
poussait,  des  bras  s'agitaient  menaçants,  des  phrases  portaient 
comme  des  balles. 

— r  Monsieur,  vous  déshonorez  le  jury. 

—  Si  vous  défendez  ça,  c'est  pour  qu'on  mette  votre  nom  dans 
les  journaux. 

—  Vous  ne  vous  y  connaissez  pas. 

Et  Fagerolles,  hors  de  lui,  perdant  jusqu'à  la  souplesse  de  sa 
blague,  répondit  lourdement  : 

—  Je  m'y  connais  autant  que  vous. 

—  Tais-toi  donc!  reprit  un- camarade,  un  petit  peintre  blond 
très  rageur,  lu  ne  vas  pas  vouloir  nous  faire  avaler  un  pareil 
navet! 

— •  Oui,  oui,  un  navet!  Tous  répétaient  le  nom  avec  convic- 
tion, ce  mot  qu'ils  jetaient  d'habitude  aux  dernières  des  croûtes, 
à  la  peinture  pâle,  froide  et  glate  dés  barbouilleurs. 

—  C'est  bon,  dit  enfin  Fagerolles,  les  dents  serrées,  je  demande 
le  vote. 

Depuis  que  la  discussion  s'aggravait,  Mazel  agitait  sa  sonnette 
sans  relâche,  très  rouge  de  voir  son  autorité  méconnue. 

—  Messieurs,  allons,  messieurs...  C'est  extraordinaire,  qu'on 
ne  puisse  s'entendre  sans  crier...  Messieurs,  je  vous  en  prie... 

Enfin  il  obtint  un  peu  de  silence.  Au  fond  il  n'était  pas  mau- 
vais homme.  Pourquoi  ne  recevrait-on  pas  ce  petit  tableau,  bien 
qu'il  le  jugeât  exécrable?  on  en  recevait  tant  d'autres  ! 

—  Voyons,  Messieurs,  on  demande  le  vote. 

Lui-même  allait  peut-être  lever  la  main,  lorsque  Bongrand, 
muet  jusque-là,  le  sang  aux  joues,  dans  une  colère  qu'il  conte- 
nait, partit  brusquement,  hors  de  propos,  lâcha  ce  cri  de  sa 
conscience  révoltée  : 

—  Mais,  nom  de  Dieu!  Il  n'y  en  a  pas  quatre  parmi  nous 
capables  de  foutre  un  pareil  morceau  ! 

Des  grognements  coururenl,  le  coup  de  massue  était  si  rude, 
que  personne  ne  répondit. 

—  Messieurs,  on  demande  le  vote,  répéta  Miizel,  devenu  pâle, 
la  voix  sèche. 

Et  le  ton  sufiit,  c'était  la  haine  latente,  les  rivalités  féroces 


sons  la  bonhomie  des  poignées  dé  main.  Rarement,  on  en  arri- 
vait h  ces  querelles.  Presque  toujours,  on  s'entendait.-  Mais,  au 
fond  dos  vanités  ravagées,  il  y  avait  des  blessures  à  jamais  sai- 
gnantes, des  duels  au  couteau  dont  on  agonisait  en  souriant. 

Bongrand  et  Fagcrolles  levèrent  seuls  la  main,  et  V Enfant 
tnnrly  refusé,  n'eut  plus  que  la  chance  d'être  repris  lors  de  la 
revision  générale. 

C'était  la  besogne  terrible,  cette  revision  générale.  Le  jury, 
après  ses  vingt  jours  de  séances  quotidiennes,  avait  beau  s'accor-. 
der  deux  journées  de  repos,  afin  de  permettre  aux  gardiens  de 
préparer  le  travail,  il  éprouvait  un  frisson,  l'aprcs-midi  où  il  tom- 
bait au  milieu  de  l'étalage  des  trois  mille  tableaux  refusés,  parmi 
leqnels  il  devait  repêcher  un  appoint  pour  compléter  le  chiffre 
réglementaire  de  deux  mille  cinquante  œuvres  reçues. 

Ah  !  ces  trois  mille  tableaux  placés  bout  à  bout,  contre  les 
cimaises  de  toutes  les  salles,  autour  de  la  galerie  extérieure,  par- 
tout enfin,  jusque  sur  les  pnrquets,  étendus  en  mares  stagnantes, 
entre  lesquelles  on  ménageait  de  petits  sentiers  filant  le  long  des 
cadres,  une  inondalion,  un  débordement  qui  montait,  envahis- 
sait le  Palais  de  l'Indiislrie,  le  submergeait  sous  le  Ilot  trouble 
de  tout  ce  que  l'art  peut  rouler  de  médiocrité  et  de  folie  !  El  ils 
n'avaient  qu'une  séance,  d'une  heure  à  sept,  six  heures  de  galop 
désespéré,  au  travers  de  ce  dédale!  D'abord,  ils  tenaient  bon 
contre  la  fatigue,  les  regards  clairs;  mais,  bientôt  leurs  jambes 
se  cassaient  à  celle -marche  forcée,  leurs  veux  s'irritaient  h  ces 
couleurs  dans.inlos  ;  et  il  fallait  marcher  toujours,  voir  et  juger 
toujours,  jusqu'il  défaillir  do  lassiiude.  Dès  quatre  heures,  c'était 
une  déroule,  une  débâcle  d'armée  battue.  En  arrière,  très  loin, 
dos  jurés  se  traînaient,  hors  d'haleine.  D'autres,  un  à  un,  perdus 
entre  les  cadres,  suivaient  les  sontior;s  éiroils,  renonçant  à  en  sor- 
tir, tournant  snns  espoir  de  trouver  jamais  le  bout.  Comment  être 
justes,  grand  Dieu?  Que  reprendre  dans  ce  tas  d'épouvante?  Au 
petit  bonheur,  sans  bien  distinguer  un  paysage  d'un  portrait,  on 
complétait  le  nombre.  Deux  cents,  deux  cent  quarante,  encore 
huit,  il  en  manquait  encore  huit.  Celui-là  ?  Non,  cet  autre  !  Comme 
vous  voudrez.  Sept,  huit,  c'était  fait!  Enfin,  ils  avaient  trouvé  le 
bout,  ils  s'en  allaient  en  béquillanl,  sauvés,  libres! 


THEATRE  DE  li  MOKXAIE 

Nous  continuons  à  donner  des  renseignements  statistiques  sur 
l'exploitation  du  théâtre  de  la  Monnaie. 

Abonnements.  —  On  ignore  absolument  qu'alors  que  l'abon- 
nement était  la  première  année  de  la  direction  Stoumon-Calabrési 
(4875-76)  de  fr.  128,824-1.5,  il  n'était  plus  la  dernière  que  de 
fr.  103,201-16.  Ainsi  qu  il  était  dit  dans  les  lettres  que  nous 
avons  publiées  en  décembre,  il  faut  le  tenir  actuellement  pour 
procurant  une  moyenne  de  100,000  francs,  en  tablant  sur  les 
quatre  dernières  années. 

Bals,  —  Les  bals,  par  contre,  ont  monté  de  26,427  francs  à 
37,282  francs.  Les  frais  y  relatifs,  (jui  étaient  de  fr.  8,781-40,  ne 
sont  descendus  qu'Jj  fr.  7,743-50.  On  peut  donc  admettre  qu'ils 
rapportaient  dans  les  derniers  temps  30,000  francs  nets  au  lieu 
de  40,000  comme  le  croyait  notre  correspondant. 

Edairagti.  —  L'éclairage  au  gaz  est  une  de  ces  dépenses  qu 
la  ville  pourrait  éviter  à  la  direction  en  le  donnant  gratuitement. 
Elle  est  considérable:  fp.  25,069-74  en  1875-76;  fr.  31,091-44 


en  1884-85.  11  y  a  eu  augmentation  lente,  mais  presque  con- 
stante. 

Chauffage.  —  Progression  de  dépenses  beaucoup  plus  forte  : 
fr.  2,750-55  en  1875-76;  fr.  7,518-10  en  1884-58. 

Droits  d^auteur.  —  Ici  progression  formidable  :  fr.  2,197-70 
à  fr.  32.056-10!!!  *      ' 

Récapitulons  :  A  l'actif,  en  moins  :  abonnement 25,000  francs; 
chauffage  5,000  francs;  droits  d'auteur  30,000  francs;  total 
60,000  francs.  —  En  plus  :  Bals  10,000  francs.  —  Donc  augmen- 
tation de  charges  sur  ces  seuls  articles,  en  dix  années, 
50,000  francs.  Ajoutez-y  la  diminution  des  recettes  au  guichet, 
que  nous  avons  signalée  dimanche  dernier  :  50,000  francs. 
Diminution  totale  en  dix  ans  sur  les  points  que  nous  avons 
examinés  100,000  FRANCS  !!  ! 

Nous  nous  arrêtons  là  pour  le  moment.  Conclusion  :  dépenses 
toujours  augmentantos,  Recettes  diminuantes.  Et  c'est  dans  ces 
comliiions  que  la  Ville,  qui  assurément  n'a  pas  connu  ces  chif- 
fres, s'est  avisée  l'an  dernier  d'ajouter  40,000  francs  de  charges, 
et  cette  année-ci  de  n'adoucir  que  faiblement  cette  mesure  d'une 
inopportunité  qui  désormais  saute  aux  yeux.  -- 

Nous  répétons  notre  formule  :  Il  faut  100,000  francs  de 

PLIS. 

Dimanche  prochain  nous  donnerons  le  coût  annuel  de  la  troupe 
telle  (ju'olle  a  existé  depuis  nombre  d'années,  c'est-à-dire  avec 
des  trous  on  permanence.  Notre  conclusion  sera  plus  claire 
encore. 

MEMENTO  DES  EXPOSITIONS  ET  CONCOURS 

Amsterdam.  Exposition  ^internationale)  d'artistes  contemporains 
organisée  par  la  ville  d'Amsterdam.  Peinture,  sculpture,  architec- 
ture, gravure,  dessin,  lithographie.  Du  27  septembre  au  30  octo- 
bre 1886.  Délai  d'envoi  :  23  aoùt-7  septembre.  Frais,  à  charge  de 
l'exposant  à  l'aller,  à  charge  de  la  Commission  au  retour.  —  Six 
médailles  d'or,  chacune  de  100  florins.  —  Jury  de  sept  membres, 
dont  quatre  élus  par  les  exposants.  Joindre  à  l'envoi  le  nom  de  quatre 
candidats.  —  Les  jurés  ne  peuvent  concourir  pour  les  médailles.  — 
Renseignements  :  Commission  executive  de  l'Exposition  commu- 
nale, Amsterdam,.  (J.  Luden,  secrétaire). 

Berlin.  Exposition  du  Centenaire  des  Salons  berlinois.  Ouverture, 
15  mai.  Fermeture,  15  octobre.  Renseignements  :  Commission  de 
l'Exposition,  près  la  gare  de  Lelirte,  N.  W. 

Bruxelles.  —  Exposition  et  concours  de  la  Société  centrale 
d'architecture.  —  Ouverture,  2  mai.  Section  rétrospective,  section 
contemporaine.  Renseignements  :  Secrétaire  de  la  Commission  orga- 
nisatrice, rue  Royale  Sainte-Marie,  128,  Schaerbeek  [Bruxelles). 

CouRTRAi.  —  Exposition  de  tableaux,  dessins,  gravures,  sculp- 
tures et  lithographies.  Du  22  août  au  30  septembre.  Délai  d'envoi  : 
15  juillet.  Renseignements  :  L.  De  Geyne,  secrétaire  de  l'exposi- 
tion, directeur  de  l'Académie  et  de  l'école  industrielle. 

DuNKERKE.  —  Exposition  (internationale)  d'aquarelles,  dessins  et 
cartons,  pastels,  miniatures,  émaux  et  faïences,  gravures,  lithogra- 
phies. Du  14  juillet  au  22  août.  Délai  de  rigueur:  5  juillet.  Adresse: 
Expositioyi  des  Beaux- Arts,  Musée  C07nmunal,  Dunkerke. 

Edimbourg.  —  Exposition  (internationale)  de  l'industrie,  des 
sciences  et  dés  arts.  —  Du  4  mai  au  30  octobre  1886.  —  Mobilier 
et  arts  décoratifs,  beaux- arts,  reproduction  d'anciens  édifices  et  de 
vieilles  rues,  etc.  — ■■  Renseignements  :  Secrétaire  de  V Exposition, 
Frederick  Street,  i9>,  Edimbourg. 

Florence.  —  Concours  (offert  à  tous  les  artistes  résidant  en  Italie) 
pour  les  trois  portes  de  bronze  de  la  façade  de  Santa- Maria-del-Fiore 


(cathédrale).  Primes  de  4,000  francs  pour  la  porte  centrale,  de 
5,000  francs  pour  chacune  des  portes  latérales,  accordées  aux  pro- 
jets choisis  (dessin  géométrique  en  clair-obscur,  développé  au  tiers 
de  la  grandeur  d'exécution).  Délai  de  rigueur  :  31  octobre  1866.  Siège 
du  comité  :  Place  du  Dôme,  24,  Florence. 

Gand.—.  Exposition  (internationale)  de  la  Société  royale  pour 
l'encouragement  des  Beaux-Arts.  Du  15  août  au  24  octobre.  Délai 
d'envoi  :  18  juillet.  Secrétaire  de  la  conitnission  directrice  :  M.Ferd. 
Vander  Haeghen. 

Milan.  —  Concours  (international;  pour  la  reconstruction  de  la 
façade  de  la  Cathédrale  (le  Dôme)  en  harmonie  avec  le  style  du  mo- 
nument. —  S'adresser,  pour  le  programme,  à  l'hôtel  de  ville  de 
Bruxelles,  bu;'eaux  de  la  6«  division,  de  dix  à  quatre  heures. 

Namur.  — -  Exposition  du  Cercle  artistique  et  littéraire.  Du 
20  juin  au  15  juillet.  Renseignements  :  M.  J.  Trepagné,  secrétaire. 


A  propos  de  notre  Mémento,  un  abonné  nous  demande  d'y  rensei- 
gner, en  même  temps  que  les  concours  artistiques,  les  concours  lit- 
téraires. Nous  nous  rendrons  volontiers  à  son  désir  et  prions  en 
conséquence  les  sociétés  littéraires,  cercles,  associations,  etc.,  qui  les 
organisent  de  nous  faire  parvenir  régulièrement  leurs  programmes. 


^ETITE    CHROJSllQUE 


On  lit  dans  le  Journal  des  Tribunaux  : 

Celui  de  nos  rédacteurs  qui  a  écrit  Tarlicle  inlitulé  -.Chiennes 
d'Enfer,  dirigé  contre  le  reportage  effréné  et  mauvais  qui  a 
enlevé  toute  influence  au  journalisme  en  Belgique,  a  été,  à  ce 
sujet,  pris  à  partie  dans  un  de  ces  Premiers-Molenbeek  dont  les 
Nouvelles  du  Jour  ont  la  spécialité. 

Désirant  connaître  l'auteur  de  ces  amabilités  qui  se  dissimu- 
lait sous  un  pseudonyme,  il  a  écrit  dans  ce  JDÛt  au  directeur  du 
journal. 

Voici  la  plaisante  réponse  qui  fut  faite  à  cette  invitation  : 
Veuillez  passer  au  bureau,  on  vous  renseignera. 

Ah  !  que  non.  Il  faut  d'abord  savoir  si  le  particulier  vaut  le 
déplacement.  Un  gaillard  vous  éclabousse,  caché  sous  une  grille 
d'égout,  et  quand  on  lui  demande  son  nom,  il  crie  :  Descendez 
voir. 

On  ne  se  risque  en  certains  lieux  qu'avec  la  certitutlc  d'y  trou- 
ver ce  que  l'on  cherche.  La  belle  aubaine  que  ce  serait  de  déni- 
cher un  cuistre  où  l'on  voulait  trouver  un  homme. 

Ce  n'est  pas  la  première  fois  qu'en  conjoncture  journalistique 
analogue  on  a  pu  chanter  le  refrain  : 

Attendez-les  sous  l'orme, 
Vous  attendrez  longtemps. 


La  dernière  séance  de  la  Société  des  concerts  du  Conserva- 
toire de  Liège  a  brillamment  clôturé  la  saison. 

L'orchestre  a  fait  entendre,  sous  la  direction  de  M.  Rndoux,  la 
symphonie  on  ut  d*^  Beethoven,  l'ouverture  de  Benvenuto  Cel- 
lini  et  les  Danses  villageoises,  de  Grétry.  Exécution  colorée  et 
vraiment  artistique. 

Comme  solistes,  on  a  applaudi  M"»^'  Cécile  Mézcrdy,  dont  la 
voix  charmante  et  la  grâce  ont  conquis  d'emblée  la  ville  de 
Liège,  et  M.  César  Thompson,  Timpeceable  virtuose,  dont  le 
succès,  dans  le  concerto  de  Beeihoven,  a  été  considérable. 

-  Une  œuvre  de  M.  Radoux  figurait  au  programme,  un  Te  Deum 
pour  soli,  chœurs  et  orchestre,  composition  d'un  grand  carac- 
tère, écrite  avec  une  connaissance  approfondie  des  masses  cho- 


rales. Le  Salvum  fac  populum  a  particulièrement  été  apprécié 
par  le  public.  Les  solistes,  MM.  Verhees  et  Davroux,  M"'«  Fick- 
Wéry  et  Grégoire  ont  contribué  à  donner  à  cet  ouvrage  une 
excellente  interprétation. 

Le  Piano -récital  donné  à  Mons  par  M.  Camille  Gurickx 
a  pleinement  réussi.  Les  journaux  sont  unanimes  à  louer  le  style, 
\e  mécanisme,  le  jeu  brillant  et  très  personnel  de  l'artiste,  la 
sûreté  et  la  vigueur  de  ses  attaques,  ainsi  que  sa  sonorité. 


M.  Louis  Cardon  a  publié  en  une  élégante   plaquette  tirée  à 
très  petit  nombre  la  notice  biographique  sur  Alfred  Stevens  qui  a 
paru  dans  la  Fédération  artistique  (\w  3  avril  1886.  Cette  petite, 
curiosité  est  en  vente  à  l'imprimerie  de  Kuz.snich,  29,  rue  Vander 
Haeghen,  au  prix  de  cinq  francs. 

C'est  demain,  lundi  3  mai,  qu'au.ra  Iieu,k  8  heures  du  soir,  au 
théâtre  de  la  Monnaie,  le  dernier  comiû^t  populaire  do  la  saison. 
Nous  en  avons  déjà  fait  connaître  le  programme,  exceptionnelle- 
ment bien  composé  :  Premier  acte  de  Tristan  et  Iseult,  Marche 
de  Walhall  [Rheingold),  L'oiseau  do  la  forêt  {Siegfried),  Scène 
des  filles  du  Rhin  {Gotterdammerung)  et  Chevauchée  des  Valky- 
ries  {La  Val  kyrie).  ". 

^Ime  Vanda  van  der  Meere  nous  prie  d'annoncer  qu'elle  don- 
nera le  vendredi  7  mai,  à  la  salle  Marugg,  une  seconde  soirée 
musicale.  '  ■ 

Pour  le  10  mai,  l'Union  des  jeunes  compositeurs,  qui  a,  déjà 
donné  cet  hiver  deux  très  intéressants  concerts,  prépare  Une 
audition  à  orchestre  d'œuvres  de  ses  membres.  Outre  la  cantate 
Breydel.et  de  Coninck,  de  M.  Léon  Dubois,  le  programme  dé 
cette  soirée  porte  une  Suite  pour-  orchestre,  de  M.  Léon  Jehin,. 
une  symphonie ,, de  M.  Jan  Blockx,  un  poème  symphonique.  Can- 
tique des  Cantiques  pour  soli, chœur  et  orchestre,  de  M.  Degréef, 
un  Prélude  et  Andante,  de  M.  Agn'ez,  enfin  une  partition  com- 
plète de  musique  ^e  scène,  introduction  et  entr'aclcs  pour  le 
drame  Patrie,  de  Sardou.  Voilà  une  tentative  à  encoura^t^r  et 
qui  piquera,  certes,  la  curiosité  do  tous  ceux  qui  s'intéressent  à 
l'avenir  de  la  jeune  école  belge  de  musique. 


M.  J.  Massenet  travaille,  en  ce  moment,  un  opéra  dont  lo  sujet 
est  tiré  du  Werther,  de  Gœlhe.  C'est  M.  Paul  .Milliet,  le  libret- 
tiste à^Hérodiadé,  qui  lui' a  fourni  le  poème  de  cet  opéra  senti- 
mental et  romantique. 

CONSTRUCTIONS    HORTICOLES 

CHARPENTES,    -SERRES,    PAVILLONS 

VOLIÈRES,  FAIS.\>DERIES,  GRILLAGES,  CLOTlfRES  EN  FER 

CLOTURES  DE  dkiiï.  U  TREILLAGE  GALVA.NI.SÉ 
En  général  entreprise  de  tout  travail  en  fer 


Jules   MA.ESEN 

Fournisseur  breveté  de  S.  A.  R.  Mjr  /'•'  Comte  de  Flandre  et  de  la 

ville  de  Bnijcelles 
Décoration  imiustrieile  de  première  classe 

10,    AVENUE    LOUISE,    10,    BRUXELLES 


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Dépôt  de  la  grande  usine  américaine. 


(* 


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144 


UART  MODERNE 


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SIXIÈME  ANNEE 


L'ART  MODERNE  s'est  acquis  par  rautorité  et  l'indépendance  dé  sa  critique,  par  la  variété  de  ses 
informations  et    les  soins  donnés   à  sa   rédaction   une  place  prépondérante.   Aucune   manifestation  de  l'Art  ne 

lui  est  étrangère  :  il  s'occupe  de  littérature,  de  peinture,  de  sculpture,  de  gravure,  de  musique, 

d'architecture,  etc.  Consacré  principalement  au  mouvement  artistique  belge,  il  renseigne  néanmoins  ses 
lecteurs  sur  tous  les  événements  artistiques  de  l'étranger  qu'il  importe  de  connaître. 

Chaque  numéro  de  L'ART  MODERNE  s'ouvre  par  une  étude  approfondie  sur  une  question  artistique 
ou  littéraire  dont  l'événement  de  la  semaine  fournit  l'actualité.  Les  expositions,  les  livres  nouveaux,  les 
premières  représentations  d'œuvres  dramatiques  ou  musicales,  les  conférences  littéraires,  les  concerts,  les 
ventes  d'objets  cCart,  font  tous  les  dimanches  l'objet  de  chroniques  détaillées. 

L'ART  MODERNE  relate  aussi  la  législation  et  la  jurisprudence  artistiques.  Il  rend  compte  des 
procès  les  plus  intéressants  concernant  les  Arts,  plaides  devant  les  tribunaux  belges  et  étrangers.  Lès 
artistes  trouvent  toutes  les  semaines  dans  son  Mémento  la  nomenclature  complète  des  expositions  et 
concours  auxquels  ils  peuvent  prendre  part,  en  Belgique  et  à  l'étranger.  Il  est  envoyé  gratuitement  à 
l'essai  pendant  un  mois  à  toute  personne  qui  en  fait  la  demande. 

L'ART  MODERNE  forme  chaque  année  un  beau  et  fort  volume  d'environ  450  pages,  avec  table 
des  matières".  Il  constitue  pour  l'histoire  de  l'Art  le  document  LE  PLUS  COMPLET  et  le  recueil  LE  PLUS 
FACILE  A  CONSULTER. 


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Belgique  lO   fl*.   par  an. 

Union  postale    13    ff.        » 


Quelques  exemplaires  des  cinq  premières  années  sont  en   vente   aux  bureaux  de  L'ART   MODERNE, 
rue  de  l'Industrie,  26,  au  prix  de  30  francs  chacun. 


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RUE  SAINT-JEAN,  10,  BRUXELLES 

Nouveautés  musicales. 

DE  SWERT,  Jules  Sérénade  de  l'opéra  :  Les  Albigeois.  Tran- 
scription pour  violoncelle,  avec  acconip.  de  piano,  fr.  2.00. 

BORIS  SCHEEL.  Op.  155.  Trois  mélodies  pour  chanl,  avec 
accomp.  de  violoncelle  (ou  violon)  et  piano.  Paroles  françaises  et 
anglaises  :  N^  1  Venez  ma  mie.  Sérénade.  (Arise,  beloved),  fr.  1.35; 
no  2  Pour  V absent.  (To  my  absent  love),  fr.  1.75;  n»  3.  Chant 
d^awonr  (Love  song),  fr.  1.75. 

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BREITKOPF  &  HARTEL 

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BRUXELLES,  41,  MONTAGNE  DE  LA  COUR 


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EXTRAIT  DES  NOUVEAUTÉS 

Mars  1886. 


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ScHARAVENKA,  H.  Op.  3.  Danscs  polonaises  pour  piano  à  2  mains. 

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L'ARCHITECTURE    &    LE    DESSIN 


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I       '.jâaJK^-''' 


'% 


Sixième  année.  —  N°  19 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  9  Mai  1886. 


y 


\  ' 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE' 


REVUE  ORITIQÏÏE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


V 


ABONNEMENTS  :    Belgique,   un   an,   fr.   10.00;  Union   postale,   fr.    13.00.    —   ANNONCES   :    On  .traite   à  forfait. 


Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 

l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


^ 


O-MMAI.RE    ,  , 

L'œuvre  d'art.  —  Théorik  de  l'applaudissement.  —  Théâtre 
DE  LA  Monnaie.  —  L.  Trézenik,  Proses  décadentes  et  les  Gens 
qui  s'amusent.  — ,  Kees  DooiHk.  par  Georges  Eekhoud.  —  Le 
quatrième  concert  populaire.  —  Concerts  Rubinstein. 


L'OEUVRE  D'ART 

Xavier  Mellery,  Constantin  Meunier,  Eugène  Smits  : 
ces  trois  noms,  disions-nous  dans  notre  analyse  du 
Salon  des  Aquarellistes,  constituent  le  réel  intérêt  de 
l'exposition. 

C'est  à  eux  que  revient,  après  la  fatigue  des  papil- 
lonnantes images  qui  irritent  la  rétine,  le  spectateur 
attentif,  curieux  de  pénétrer  l'au-^edans  des  choses. 
Dans  trois  ex:pressions  différentes,  dissemblables  par  la 
facture,  par  le  sentiment  et  par  le  genre  de  sujets,  ils 
réalisent,  dans  sa  plus  belle  et, sa  plus  noble  acception, 
ridée  d'une  œuvre  d'art.  - 

De  loin,  ce  mot  flamboie  sur  le  cadre.  Impossible  de" 
confondre  Mellery,  Meunier  et  Smits  parmi  la  foule  des 
peintres  qui  ont  simplement  du  talent,  dont  on  vante 
la  finesse  de  coloris,  la  distinction,  la  délicatesse,  la 
facture  habile. 

Il  y  a  beaucoup  d'hoinmes  de  talent  en  Belgique.  Les 
artistes  sont  rares,  nous  entendons  :  les  artistes  qui 
font  ŒUVRE  d'art.  Aux  Aquarellistes,  on  en  peut 
compter  à  coup  sûr  trois. "^Et  ces  trois  artistes,  on  les 
croirait  réunis  tout  exprès  pour  prouver  à  quel  point  la 
question  d'écoles,  de  tendances,  de  réalisme,  de  roman- 


tisme,  d'impressionnisme,  de  mode,  de  vogue,  est  étran- 
gère au  résultat  souhaité. 

Dans  la  formidable  production  que  l'activité  inces- 
sante des  ateliers  jette  chaque  jour  dans  la  circulation, 
à  quel  caractère  reconnaît-on  l'œuvre  d'art  ?  A  ce  qu'au 
lieu  de  la  sensation  fugitive  que  provoquent  les  repro- 
ductions quelconques  d'une  scène,  d'une  figure  ou  d'un 
paysage,  l'œuvre  d'art  fait  éprouver  une  émotion  intense, 
forte  et  durable,  dont  le  souvenir,  loin  de  s'éteindre 
quand  l'œuvre  n'est  plus  sous  les  yeux,  grandit  au 
contraire  et  laisse  dans  la  mémoire  un  sillon  lumineux. 
Faites-en  l'expérience.  De  la  multitude  des  Wath- 
man  de  tous  formats  et  de  toutes  couleurs  qui 
tapissent  actuellement  le  bâtiment  des  Beaux-Arts, 
évoquez  le  souvenir  des  quelques  pages  devant  les- 
quelles vous  avez  ressenti  une  impression  aiguë. 
Celles-là  sortiront  des  rangs,  s'avanceront,  grandiront, 
s'imposeront  autoritairement.  Ce  seront  de  véritables 
œuvres  d'art.  , 

Quel  est  donc  le  philtre  mystérieux  que  possèdent 
certains  hommes  pour  faire  vivre  ainsi  de  la  vie  intense 
de  l'Art  les  productions  de  leur  cerveau?  Quelle  est  la 
formule  algébrique  qui,  scrupuleusement  suivie,  donne 
sans  faute  la  solution  désirée  ?  Est-ce  en  s'approchant 
le  plus  possible  de  la  nature,  en  en  pénétrant  les  secrets 
en  l'exprimant  dans  sa  réalité  adéquate  qu'on  atteindra 
le  plus  sûrement  le  but?  Est-ce,  au  contraire,  en  s'en 
éloignant,  en  éliminant  de  la  vision  qu'elle  provoque 
tout  ce  qui  s'écarte  de  la  beauté  idéale  entrevue  par 
quelques  organisations  spéciales  ? 


Faut-il  rechercher  la  clarté,  la  grâce,  la  gaîté?  Est-il 
préférable  de  se  cantonner  dans  une  harmonie  assourdie 
et  terne,  de  se  complaire  dans  l'austérité  recueillie  de 
la  vie  ? 

Questions  oiseuses.  Jamais  nous  n'avons  senti  plus 
vivement  qu'en  présence  des  aquarelles  de  Mellery,  de 
Meunier  et  de  Smits  la  vérité  de  cet  aphorisme,  dont 
nous  nous  sommes  servi  si  fréquemment  :  Eïi  art,  pas 
de  théorie.  Il  ny  a  pas  de  système  qui  n  ait  été 
démenti  par  un  chef  d'œui'^re. 

Mellery  peint,  d'après  nature,  une  famille  de  rem- 
pailleurs de  chaises.  L'homme  est  à  son  travail,  dans 
une  échoppe.  Il  sourit  à  sa  compagne,  qui  s'en  va,^n 
enfant  dans  chaque  main  et  un  échafaudage  de  chaises 
sur  la  tète,  porter  à  la  pratique  l'ouvrage  achevé.  C'est 
tout.  La  coniposition  est  noire,  triste.  Sur  le  groupe 
pèse  le  silence  morne  des  villes  de  province.  On  pressent 
que  les  dalles  eu  pierre  bleue  du  trottoir  vont  résonner 
soUs  les  pas  traînants  de  la  bonne  femme  :  clic,  cloc, 
clic.  Et  l'intensité  du  sentiment  est  telle  qu'il  est  impos- 
sible d'oublier  le  regard  du  rempailleur  de  chaises,  et 
que  la  suggestion  de  tout  un  petit  monde  humble, 
ignoré,  souffrant,  laborieux  vous  poursuit  d'obsédantes 
visions. 

Ou  bien  il  juche  sur  un  des  escahers  de  bois  de  l'île 
de  Marken  une  petite  fille,  comme  au  haut  d'un  mât 
une  vigie.  Ou  encore,  devant  une  maison  aux  lignes 
géométriques,  goudronnée,  vernie,  la  porte  passée  au  "^ 
vert  pomme,  telle  que  seuls  les  Markenois  en  con- 
struisent, il  campe,  adossés  à  une  balustrade,  le 
promis  et  la  promise;  elle,  rougissante,  sérieuse, 
recueillie,  lui,  caressant,  insinuant,  tous  deux  enve- 
loppés.de  la  sérénité -rayonnante  des  amours  rustiques. 

Ces  œuvres  qui  déroutent  par  leur  coloris,  par  la 
minutie  invraisemblable  du  dessin,  n'en  font  pas  moins 
éprouver  des  sensations  profondes,  vivaces,  durables. 
Ce  sont,  dans  toute  la  force  du  terme,  des  œuvres 
d'art. 

Tout  autre  est  Meunier,  dont  les  études  du  pays 
borain,  qui  suffiraient  -seules  a  lui  assurer  la  gloire, 
ont  même  puissance,  même  grandeur,  même  pénétra- 
tion. La  jeune  hiercheuse  qui  se  détache  sur  la  san- 
glante chevauchée  des  toitures  du  coron,  tandis  qu'à 
l'horizon,  sous  un  ciel  lamentable,  se  dressent  mena- 
çantes les  cheminées  de  l'usine,  raconte  plus  éloquem- 
ment  que  tous  discours,  dissertations,  études  et  décla- 
mations, la  misère  qui  dévore  les  contrées  du  charbon. 
Elle  fait  percevoir  les  rumeurs  qui,  de  temps  en  temps, 
éclatent  comme  un  roulement  de  tonnerre.  L'impres- 
sion qu'elte  fait  naître  est  saisissante.  Et  pourtant,  quoi 
de  commun  entre  la  patte  emportée  et  rapide  de  Meu- 
nier, les  coups  de  pinceaux  dont  il  sabre  ses  œuvres,  ses 
violences  de  coloration,  et  l'art  de  Mellery,  qui  a  au 
service  d'un  œil  de  gothique  la  patience  d'un  primitif. 


Et  Eugène  Smits  !  Voyez  son  Affaire  de  famille,  sa 
T^te<i'6^^2<^c  encapuchonnée  de  noir  sur  un  fond  grenat, 
la  jolie  et  poétique  composition  qu'il  intitule  :  Regard 
dans  la  campagne.  Ces  séduisantes  jeunes  femmes, 
dont  les  vêtements  rappellent  soit  Florence,  soit  l'An- 
dalousie, n'ont  d  autre  mission,  semble-t-il,  que  de  faire 
mouvoir  des  formes  harmonieuses  dans  la  joie  de  l'air. 
Elles  sont  très  peu  réelles.  Le  réalisme,  l'impression- 
nisme n'ont  rien  à  voir  en  l'occurence.  D'autre  part, 
elles  n'ont  rien  de  commun  ni  avec  le  génie  concentré, 
impeccable,  de  Mellery,  ni  avec  l'art  de  Meunier,  dans 
lequel  fermentent  toutes  les  douleurs,  toutes  les  souf- 
frances, toutes  les  hontes  sociales.*^ 

Et  malgré  cela,  les  aquarelles  de  Smits  sont  de  fort 
belles  œuvres  d'art,  d'un  art  en  surface,  touchant  à  la 
décoration,  mais  d'un  goût  parfait  et  d'une  délicatesse 
charmante^ 

Clôturons  ces  observations.  Puissent-elles  faire  com- 
prendre, en  même  temps  qu'elles  affirment  notre  admi- 
ration pour  quelques  artistes  dont  nous  sommes  heu- 
reux de  vanter  la  maîtrise,  qu'il  est  absurde  de  vouloir 
renfermer  l'art  dans  une  expression  déterminée. 

L'éducation  pernicieuse  que  notre  génération  a 
reçue,  tant  au  point  de  vue  artistique  qu'au  point  de 
vue  littéraire,  comme  nous  le  faisions  récemment 
encore  remarquer  à  propos  de  poèmes  d'Homère,  si 
étrangement  travestis  par  les  pédants  chargés  de  les 
expliquer,  est  la  cause  de  ce  préjugé  qui  porte,  en 
général,  les  hommes  à  n'admettre  qu'un  art  déterminé 
et  à  combattre  à  outrance  tout  ce  qui  s'en  éloigne. 
Sachons  nous  garder  de  ces  excès.  Mais  réservons  nos 
éloges  pour  les  manifestations  artistiques-dans  lesquelles 
luit  la  flamme  artistique.  Celles-là  seules  méritent  de 
fixer  l'attention. 

TIIËOIUE  DE  L'APPLAlDISSenENT 

Il  s'est  produit  aux  admirables  concerts  de  Rubin-. 
stein,  avec  la  persistance  et  la  surdité  de  la  sottise,  un 
spectacle  ridicule. 

Le  Maître  a  exécuté  trois  séries  d'œuvres  choisies  et 
groupées  avec  un  tact  artistique  parfait,  de  façon  à 
amener  par  leur  déroulement  une  impression  d'ensemble 
grandissante,  grandissante  jusqu'à  l'épanouissement 
complet,  donnant  à  l'auditeur,  qui  eût  pu  se  recueillir, 
une  jouissance  harmonique  presque  surhumaine,  une 
pleine  compréhension  des  trois  hommes  de  génie  qu'il 
s'agi.ssait  de  révéler  dans  des  conditions  qui,  jusqu'ici, 
n'avaient  jamais  été  atteintes  ;  vraies  gammes  chroma- 
tiques faisant  passer  et  frissonner  les  âmes  sur  les 
claviers  héroïques  et  merveilleux  de  Beethoven,  de 
Schumann  et  de  Chopin. 

Le  bon  sens  et  le  bon  goût  commandaient  de  se  laisser 
faire,  d'écouter  sans  souffler  et  pieusement,  de  s'envoler 


en  silence  sur  les  ailes  de  cette  harmonie  divine,  d'en 
subir  le  magnétisme  prodigieux  comme  en  un  rêve, 
comme  dans  la  mort  quand  tout  se  tait  pour  ne  plus 
laisser  qu'une  illusion,  celle  du  départ  vers  les  sphères 
infinies. 

Or,  il  s'est  trouvé  là  une  horde  d'imbéciles,  ou  plutôt 
de  sauvages,  qui,  entre  chaque  morceau,  entre  chaque 
grain  de  ce  rosaire  en  lequel  Rubinstein  mettait  un  de 
ses  hymnes  fervents  de  musicien  incomparable,  ont 
déchaîné  la  meute  discordante  de  leurs  applaudisse- 
ments ineptes.  Oui,  il  y  a  eu  deux  cents  Peaux-Rouges 
qui  n'ont  pas  eu  le  sentiment  que  le  tapage  de  la  claque 
était  la  plus  odieuse  réponse  à  l'harmonie  des  sons,  et 
qu'il  survenait  là  comme  une  échappée  de  pestilences 
entre  les  plats  fins  d'un  repas  bien  ordonné. 

Il  fallait  voir  les  efforts  de  l'artiste  pour  comprimer 
ces  incongruités.  A  peine  finissait-il  un  morceau  qu'il 
en  entamait  un  autre,  jetant  à  poignées  les  notes  sur 
le  roulement  de  mains  qui  s'ébrouait,  comme  on  jette 
un  seau  d'eau  sur  un  incendie  qui  commence.  On  sentait 
qu'il  eût  voulu  crier  :  Silence  dans  la  ménagerie  ! 
Occupé  à  faire  rentrer  ces  bruits  dans  leur  néant,  il 
apparaissait  involontairement  tel  qu'un  écolier  qui 
repousse  des  hannetons  dans  leur  boîte.  On  voyait 
qu'il  pensait,  avec  cette  brutalité  légitime  dont  les 
artistes  sont  coutumiers  devant  les  âneries  bour- 
geoises :  «  Mais,  crétins,  ne  comprenez-vous  pas  que  ce 
vacarme  est  stupide  venant  comme  conclusion  des 
mélodies  profondes  que  je  vous  ai  fait  entendre.  Vous 
êtes  des,  chiens  aboyant  à  la  musique.  Tenez-vous 
tranquilles,  nom  de..  !  « 

Mais  non,  joyeux  et  inconscients,  les  bonshommes 
et  les  petites  femmes  réprenaient  et  leur  charivari 
retentissait  ignoble  et  bête. 

Richard  Wagner,  le  premier  auteur  d'un  code  de 
police  artistique,  avait  strictement  prescrit  qu'on  ne 
pourrait  applaudir  ses  œuvres  qu'après  exécution  com- 
plète, et  il  faisait  jeter  à  la  porte  du  théâtre  de  Bay- 
reuth  où  il  était  souverain  maître,  le  malheureux 
novice  qui  se  rendait  coupable  de  scandale  en  inter- 
rompant un  acte  par  un  battement  de  mains  ou  une 
exclamation.  L'inconvenance  d'un  pareil  bruit  lui  appa- 
raissait aussi  forte,  disait-il,  quun pet  dans  un 

dÎ7ïer  de  cour. 

L'immortel  révélateur  de  tant  de  vérités  artistiques, 
cette  fois  encore  avait  raison.  Il  faut  s'accoutumer,  et 
surtout  accoutumer  les  artistes,  assoiffés  de  louanges  et 
pourris  de  cabotinage,  à  plus  de  sens  commun  et  à 
plus  de  dignité. 

N'est-il  pas  comique  et  étrange  que,  pour  exprimer^ 
le  plaisir  que  causent  des  bruits  harmonieux,  on  se  livre 
incontinent  à  des  bruits  vulgaires  ?  Quand  on  a  l  heu- 
reuse chance  de  voir  paraître  un  beau  visage  de  femme, 
montre-t-on  son  enthousiasme  par  des  grimaces  ? 
Répond-on  à. des  caresses  par  des  coups  ?  Jamais  amant 
a-t-il  interrompu  les  baisers  de  sa  maîtresse  par  des 
giffles  ?  Vraiment,  quand  on  rétiêchit  à  ce  bizarre 
usage,  on  se  demande  si  ce  n'est  pas  un  vestige  de 
cette  animalité  primitive  dont,  au  dire  de  Darwin,  des 
traces  se  maintiennent  dans  les  civilisations  les  plus 
raffinées. 

Il  serait,  certes,  difficile  d'empêcher  les  foules  de 
manifester  leur  admiration  et  leur  enthousiasme  par 


des  hurlements  et  des  frappements.  Il  y  a  en  elles  un 
besoin  bestial  de  s'esclaff*er  en  un  affreux  vacarme  cïès 
qu'elles  se  sentent  remuées  par  des  sentiments  héroï- 
ques Elles  se  livrent  alors  à  des  vociférations  et  à  des 
gesticulations  analogues  aux  hennissements  et  aux 
péta.rades  des  étalons  auxquels  on  ouvre  l'écurie.  Soit. 
Subissons  ces  infirmités.  Mais  modérons-les  et  tâchons, 
en  gens  bien  élevés  du  xix^  siècle,  de  ne  partir  en  ces 
fusées  qu'au  moment  opportun.  Permettons  aux  œuvres 
de  se  manifester  sans  être  en  pleine  exécution  sabrées 
par  ces  charges,  fauchées  par  ces  grêles,  déclanchées 
par  ces  tremblements.  Et  surtout  n'appliquons  pas  à 
un  Maître  comme  Rubinstein,  le  régime  des  applaudis- 
sements par  rasades  répétées  auquel  nous  ont  accou- 
tumés, fort  misérablement,  nos  chanteurs  et  nos  chan- 
teuses d'opéra,  ces  gloutons  féroces,  ces  insatiables 
voraces,  enragés  de  vanité  puérile. 


THEATRE  DE  Li  MOXXAIE 

MM.  Joseph  Dupont,  chef  d'orchostre,  et  Lapissida,  régisseur 
depuis  longues  années  du  théâl.rc  do  la  Monnaie,  en  ont  été  nom- 
més directeurs  par  le  conseil  communal.   - 

La  chose  a  été  parfaitement  accueillie  par  le  public.  Ces  mes- 
sieurs ont,  en  effet,  de  nombreuses  sympathies  dans  le  monde 
bruxellois.  Ils  ont  l'habitude  de  notre  première  scène,  con- 
naissent apparemment  tous  les  détails  de  son  administration  et 
ont  dos  mérites  artistiques  incontestés. 

Ils  n'ont  obtenu  d'avantages  pécuniaires  autres  que  ceux  dont 
nous  ayons  discute  l'importance  dans  notre  dernier  numéro,  que 
la  restitution  du  subside  complémentaire  de  15,000  francs  que 
la  ville  faisait  h  la  direction  Sloumon  et  Calabresi  pour  couvrir 
en  partie  l'augmentation  des  droits  d'auteurs. 

Dans  ces  conditions,  l'entreprise  est  hardie  et  commande,  de 
>la  part  du  public,  beaucoup  de  bienveillance,  dans  les  premiers 
temps  surtout,  à  l'occasion  du  recrutement  de  la  troupe  et  des 
remaniements  presque  toujours  désastreux,  que  trop  de  rigueur 
lors  des  débuts  occasionnent.  On  juge  chez  nous,  presque  tou- 
jours dès  le  premier  soir,  par'"ois  même  dès  le  premier  morceau. 
C'est  fort  téméraire  et  peu  raisonnable.  Les  artistes  du  ch:int 
sont  d'une  impressionnabilité  excessive  ;  ils  arrivent  k  Bruxelles 
avec  des  craintes  exaçjérées  sur  la  sévérité  de  nos  auditeurs,  ils 
ehaneent  de  climat  et  leurs  cordes  vocales  en  souffrent  ;  ils  sont 
donc  généralement  dans  des  conditions  mauvaises  pour  se  taire 
apprécier.  La  patience  et  la  réserve  s'imposent.  La  nécessité  de 
remplacer,  d'engager  alors  presque  au  hasard,  de  payer  d'avance 
sans  que  cela  serve  à  quelque  chose,  est  fréquemment  l'origine 
des  crises  dans  l'exploitalion".  Même  quand  le  désastre  n'arrive 
qu'au  cours  de  la  saison,  il  a  le  plus  souvent  pour  cause  ces 
embarras  des  premiers  mois.  Avec  ([uelque  sagesse  et  quelque 
impartialité  on  l'éviterait. 

Nous  donnons  aujourd'hui  le  tableau  de  la  troupe  pend:int  les 
dix  avant-dernières  années.  Nous  laissons  1885-86  de  côté  a  rai- 
son de  son  caractère  anormal.  Il  en  e^t  de  même  de  l'année  du 
cinquantenaire  1880-81,  que  nous  avons  déjà  à  diverses  reprises 
signalée  comme  exceptionnelle. 

Nous  tirerons  dimanche  prochain  des  conclusions  de  ces  chif- 
fres auxquels  nous  en  ajouterons  quelques  autres  aussi  intéres- 
sants. 

X 


Ti" 


148 


VAUT  MODERNE 


w^ 


1875-1876 


/, 


Ténors 


Svlva 
Warol     ',. 
Berlin 
Hurl  Libcrt 
Giich'in 
Lislcllicr 


Ir. 
» 


Barytons 


Devovod 
Morlol 


Basses 


Echelio 
Neveu 
Chappuis 
Meclielaoré 


fr. 
» 


Chanteuses 


Bernard  i    ;^ 

Ronnux 

Hamaekers 

Dérivis 

Reine 

Dclanoux 

Ismael 

Vandenberghe 


fr 


La  in  y 
Ducliamps 


Danseurs 

fr. 


» 


Danseuses 


7,000 
5,()00 
2,200 
\  ,400 
000 
-;>00 


1876-1877 


Ténors 


fr.    5,000     Devovod 


Tournir 

l'ertin 

Peliin 

Lemeroier 

(iiiérin 


ïv. 


» 


Barytons 


1.500 


2,200 

1,800 

500 

550 


Morlel 


2,500 

>i  500 

«  4,000 

»  4,000 

»  2,000 

»  .     300 

«  500 

>)  1,500 


M  on  l  fort 
Dan  pli  in 
Chappuis 
Mcehelaen 


Basses 

•    .  fr. 


» 
>> 


Chanteuses 


825 
275 


Fiirscli-Madier 

Berna rdi 

Hamaekers 

Dérivis 

Rénaux  ^ 

F.nigini 

Richard 

Ismael 

Toslanie  . 

Bhim 


» 
» 
» 


Danseurs 


Lamy 
Viale 
Mail  ri 
Zuliani 


fr.  J^,350 
»  '  '850 
>î  -  475 
w        500 


To:al  pafr  année  :     \v.  48,425    Total  j)ar  annc'r  •     fF.  48,850 


Hansen 
r^oiflrnv 
Ducharnps 


fr 


» 


Danseuses 


8,000 

2,<)00 

1,200 

500 

000 


tV.  J,o00 
«1,600 


1,500 

1,500 

550 

550 


fr.  0,000 
»  2,000 
»  4,000 
»  4,600 
>>  500 
900 
300 
500 
600 
1,200 


550 
500 
275 


David 
Zuliani 
Viale 
Mail  ri 


fr.    2,000 

500 

»        850 

>)        475 


APPOINTEMENTS    DE    LA    TROUPE.    - 


1877-1878 


Ténors 


'Tourni('' 
BiMlin 
Lefebvre 
Lemercier 
Guéri  n 


fr.  8,000 

»  3,000 

»  1,350 

»  500 

»  000 


Barytons 


Devovod; 
Gui  lien 


fr.    5,500 
»     1,350 


Baïises 


Quii'el 
Dauphin 
Chappuis 
Mechelaere 


fr. 
» 

» 


Chanteuses 


Fursch-Madier 

IJe  mardi 

Hamaekers 

Blum. 

Liirix 

Ismael 

Redouté 


fr. 

» 
» 
» 
» 


Danseurs 


I|iin««en 
Poigny 
Diichamps 


fr. 
» 


Danseuses 


Ricci 
Vi;de 
Zuliani 
Ponlebillo 


fr. 


» 
» 


800 

1,800 

550 

550 


5,000 
2,000 
4,000 
1,200 
800 
500 
1,800 


500 
550 
300 


700 
950 
500 
475 


1878-1879 


Ténors 


Touruié 
Rodier 
Lefebvre 
(iuérîn 
Von  lot 


Barytons 


Couturier 
Soulacroix 


^9 

■  - 

1879-1880 
Ténors 

" 

fr. 

8,000 

Svlva                      tr. 

9,500 

» 

3,500 

Massart                     » 

,600 

)) 

1 ,350 

Rodier                      » 

3,500 

)) 

600 

Lefebvre                    » 

l,3oO 

)) 

500 

Voulel                       » 

.  500 

Guéri  n                      » 

600 

'^ 

Masson                     » 

-  îm 

S 

Barytons 

fr. 

3,000 

Devovod                 fr. 

4,000 

» 

1,000 

Soulacroix               » 

'  1,200 

Basses 


Gresse 
Dauphin 
Chappuis 
Mechelaere 


fr. 


» 
» 


1,300 

1,800 

550 

550 


Chanteuses 


Basses 


Gréssc 
Dauphin 
Chappuis 
Lonati 


fr. 
» 

.';>)■■  ■ 


1,600 

2,000 

550 

4O0 


Fursch-Madier 

Bernard i 

Hamaekers 

Vaillant 

Warnols 

Lonali 

Dupouy 

Ismael 


fp.  .5,000 
2,000 
3,000 
1,800 
1,800 
1,000 
400 
500 


» 


Chanteuses 

Fursch-Madier  fr. 

Duvivier  » 

R(-bel            ^  V 

De  Vries  ,     » 

Warnots  » 

Lonali  » 

Ismael  » 

Deschamps  » 

Stella  Corva  » 


5,000 
1,000 
1,200 
3,500 
2,000 
i,200 

500 
1,000 

400 


Danseurs 


Hansen 
Poigny 
Ducharnps 


fr. 


500 
550 
300 


Danseuses 


Total  par  année:     fr.  43,275     To'al  par  année  :     fr.  41,950 


Coia,  Adriana 
Vifile       ' 
Zuliani    . 
Ferra  ri  0     ' 


fr.    1,000 

^> ^950 

»,       500 
»        500 


Danseurs 


Poigny 
Ducharnps 


» 


550 
300 


Gedda 

Bariholetli 

Esselin 

Francesca 

Dewilte 


Danseuses 

fr. 


» 
>> 

» 


850 
.875 
500 
450 
200 


Total  par  année  :     ir.  45,575 


V ART  MODERNE 


140 


DE  LA  MONNAIE 

PÉ  R I O  D  E  D  ÉC  E  N  N  A  LE   DE    18  7  5  AI  8  86 


1880-1881 


Ténors 


Sviva 

Massarl 

Rodior 

Lcfoljvre 

Voulet 

Guérin 

Masson 


fr.  9,500 
))  1,500 
»  4,000 
«  1,33.0 
500 
600 
250 


Devoyod 
Soulacroix 


Barytons 

-fr. 


» 


Basses 


Gressc 

fr 

Dauphin 

» 

Cliappuis    j^ 

■'•,""» 

Lanali 

>■.,':» 

Chanteuses 

Fursoh-Madior 

fr. 

Duvivier 

)) 

Rebol 

» 

Bosman 

» 

Heirwegh 

)) 

Lontiti    . 

» 

Ismaël 

» 

Doschamps 

» 

Danseurs 


Poigny 
Duchamps 


Gedda 
Bicci 
Esselin 
Valain 


Danseuses 

fr. 


)> 


)> 


4,500 
1,500 


1,800 

?,00'0 

550 

550 


5,000 

1,400 

1,800 

800 

350 

1,500 

500 

1,200 


o  w ,. 
ooO 


1881-1882 


Vergncl 

Massarl 

Hodier 

Joantics 

Mansucdo 

Guérin 


Ténors 

fr. 


8,000 
2,500 
4,000 
1,400 
150 
600 


Manotiry 

Soulacroix 

Fontaino 


Barytons 

fr. 


)) 


3,500 

1,800 

450 


Basses 


Grosso 

Dauphin 

Chaj)puis 


fr 


» 
)) 


1,800 

2,000 

550 


Hamaekors 

Duvivier 

Calvé 

Rabany 

Doschamps 

Bosman 

Lohali 

Horvoy 

Ismaël 


Chanteuses 


» 


2,000 

2,000 

700 

1,800 

1,000 

1,000 

1,500 

400 

500 


1882-1883 


Ténors 


Jounhiin 

Massarl 

Rodior 

D(î!aquerriôro 

Mansuèdo 

Guérin 


fr. 


» 


Barytons 


Dovriès 

Soulacroix 

Boussa 


Basses 


Grasse 

Dauphin 

rii;ippuis 


Chanteuses 


Duvivier 

Hamaekors 

Dtschamps 

Ci'lvé 

Bosman 

Bogond 

Loguull 

Lonali 

D'Argonl 

Ismaël 

M  a  5a  ri 


)) 
)) 

» 

» 
» 


Danseurs 


Pcii^nv 
Duchamps 


fr 


» 


V  •»  c» 

o  lO 

323 


850 
700 
500 
500 


Total 


par  année:     fr.  44,275 


Godda 
Ricci 
Gedda 
André 


Danseuses 

» 

'  ■  ■  » 


900 
700 
300 
350 


Danseurs 


Poiijnv 
Diihamp? 


fr. 


Danseuses 


Tot;d  par  année  :     fr.  4 1 ,000 


Gedda 

Ricci 

Godda 

Gis^'iio 


tr. 
» 


4,300 
3,000 
4,000 
1,300 
173 
600 


fr.  3,000 
»  2,000 
»     1,300 


fr.     2,400 

»     2,000 


ïr.    3,500 
1,800 
1,20(1 
1,200 
1,200 
600 
500 
1,500 
300 
500 
230 


1888-1884 


Ténors 


Jourdain 

Massarl 

fiodier 

fJolaquerrière 

Gofîocl 

Mansuède 

(iuérin 


fr. 

» 

» 
» 


Devriès 
Soulacroix 
Boussa 
.Renaud 


Barytons 

,.   fr. 


Basses 


Grosso 

Schmill 

Chappuis 


fr. 
» 


Arnaud 

Caron 

H.imaokers 

Deschamps 

Bosman 

Legault  . 

BojdTond 

Ismaël 

Maijari 


Chanteuses 

fr. 


)) 
» 


Danseurs 


\3  m»  K."- 

O  iO 

323- 


Poiofnv 
Du('liamps 


fr. 


» 


900 
700 
500 
450 


Total  par  année  :     fr.  40,823 


Rossi 
Ricci 
Rossi 
Pastora 


Danseuses 

fr. 


4,500 

3,000 

4,000 

1,400 

350 

200 

600 


;^,500 

2,000 

450 

250 


2,400 
400 

V  V  l\ 

o.)0 


3,000 

1,100 

1,800 

1,500 

1,300 

1,200 

600 

500 

325 


1884-1885 


Ténors 


Jourdain 

VVrhoes 

Rodier 

Dolaquorriôro 

Voulel. 

Disv 

V 

Guérin 


fr. 


5^00 

3,500 

4,000 

1,800 

400 

250 

600 


Barytons 


Seguin 
Sou  Lacroix 
Renaud 


fr 


3,500 
»  2,200 
»        500 


J 

Basses 

•  ' 

Grosse                     fr. 

2,500 

Durai     "                   n 

1,000 

Schmill         '    t^;-  .-» 

700 

Frankin              '      »  ■ 

373 

Chappuis                  » 

330 

Chanteuses 

C;iron                 ..  ir. 

3,000 

Hamman 

Doschamps 

Bosman 

LOiT;iult 

Vi  rhtyden 
Ismaël 
Foulon  ■ 
Vaillant 


0  1. :> 
323 


(r. 

3,000 

» 

2,300 

» 

1,300 

)) 

1,700 

)) 

1,350 

» 

500 

>j 

500 

« 

230 

n 

3,300 

Danseurs 


Poiijnv 
Duchamps 


fr. 


» 


D  t  O 

325 


1,300 
700 
300 
300 


Tola!  par  année:     fr.  39,225 


Danseuses 


La  m  y 
Ricci 
M  agi  ia  no 
Paslora 


Total  par  année  :     fr.  43,023 


» 

1.000 

» 

700 

1) 

430 

» 

500 

L.  TREZENIK. 

Proses  décadentes  cl  les  Gens  qui  s'amusent, 

Paris,  Giraud. 

Deux  volumes  de  M.  Troz(Miik  ont  paru  proscju'cMi  iiiêine 
icmps  :  les  Proses  décadentes  ol  les  Gens  qui  s'amnseni. 

M.  Trozonik,  rc^dnrlcur  on  cliof  de  Lu/èce,  semble  élire  sa  place 
dans  ce  groupe  de  jeunes  écrivains  i\u6n  a  hi\\tihé^  décadènls. 
Le  mol  est  déjî»  bien  vieux.  La  chose  a-l-elle  existé?  Certes,  nous 
a-t-il  fallu  souvent,  nous  servir  de  ce  terme  dans  nos  critiques  pour 
nous  faire;  comprendre  ;  mais,  en  réalité,  la  décadence  est-elle 
possibbî  et  ne  faul-il  pas  toujours  se  souvenir  de  ces  lignes 
d'Hugo?  - 

«  Ces  mots  si  souvent  eiiiployés  même  par  les  lettrés  \  déca- . 
dence,  renaissance,  prouvent  îi  (piel  j)oinl  l'essence  de  l'art  est 
ignorée.  Les  intelligences  superticieJles,  aisément  esprits  pédants, 
prennent  pour  renaissance' ou 'décadence  des  elTels  de  juxla|)0si- 
tioiî,  des  mirages  d'oplicjue,  des  événements  de  langues,  des  flux 
et  des  reflux  d'idées,  tout  le  vaste  mouvement  dé  création  et  de 
pensée  d'où  résulte  l'art  universel... 

«  11  n'y  a  de  phénomènes  vus  que  du  point  eulminant;  et,  vue 
du  point  culminant,  la  poésie  est  immanente.  Il  n'y  a  ni  hausse 
ni  baisse  dans  l'art.  Le  genre  humain  est  toujours  dans  son 
plein...  Non!  ni  décadence  ni  renaissance,  ni  plagiat  ni  répéti- 
tion, ni  redite.  Identité  de  cœur,  diftérence  d'esprit,  tout  est  là.  » 

M.  Trez^enik  n'a,  je  crois,  qu'un  système,  c'est  d'écrire  le  moins 
mal  possible  sur  des  sujets  peu  banals.  Sa  langue  est  claire, 
nette;  elle  ue  se  risque  que  rarement  dans  un  tour  bizarre  et 
inéilil;  elle  a  ferme  allure,  bon  pas  et  bon  rythme.  Rien  d'in- 
vertébré ni  de  cahotant,  mais  aussi  rien  de  particulièrement 
curieux  comme  certain  style  de  quelques  tout  jeunes  Français 
très  obstinés  aux  infimes  délicatesses  des  phrases  musicales. 

M.  Trczenik  narre  avec  intérêt.  Il  présente  les  choses  à  leur 
plan,  au  moment  voulu,  avec  le  relief  nécessaire.  Ce  qu'il  redoute 
avant  tout,  c'est  le  déjà  dit.  Certes,  ne  le  tourne-t-il  point  tou- 
jours. Bien  des  contes  indiquent  des  situations  de  début  mille 
fois  étudiées,  mais,  sitôt  une  brève  exposition  faite,  les  cartes 
sont  changées,  les  aperçus  nouveaux  sont  dévoilés  et  les  analyses 
inattendues  apparaissent.  Un  net  exemple,  c'est  :  le  Cocu,  des 
G ejis  qui  s'amusent. 

L'art  de  M.  Trezenik  est  très  moderne.  11  observe  avec  une 
attention  sceptique  et  cruelle,  il  n'admet  aucune  réticence  et  ne 
s'emporte  rarement.  11  dit  indifféremment  le  bien  et  le  mal,  le 
propre  et  le  pas  propre.  Avant  tout^  il  étudie  le  monde  bour- 
geois, ce  monde  tranquillement  criminel  et  calmement  horrible, 
derrière  le  paravent  des  bonnes  manières  et  des  conventions. 
C'est  sur  lui  qu'il  seringue  à  bonne  place  toute  son  ironie.  Lisez 
Madame  Jasquin,  la  Voix  du  sang  et  Mariage  de  7mson.  La 
première  étude  est  froidement  sinistre.  Parfois  la  note  est 
forcée  ;  à  preuve,  Le  secret  de  petite  sœur  dont  la  fin  est  ratée 
parce  que  l'étude  est  factice. 

Nous  préférons  le  style  des  Proses  décadentes  à  celui  des  Gens 
qui  s'amusent.  Celui-ci  estri'une  uniformité  et  d'un  laisser,  aller 
eni  icr,  celui-là  varie  souvent  de  sujet  à  sujet,  se  moule  au  sentiment 
à  faire  naître,  se.  lie  à  l'émotion.  Dans  la  nouvelle  qui  est,  je  crois, 
intitulée  le  Cocher  et  qui  raconte  un  aulomédon  flegmatiquemenl 
assassin  d'une  petite  vieille  qu'il  écrase  «  sans  le  faire  exprès, 
dit  il,  mais  avec  une  savante  et  astucieuse  malice  »,  la  phrase  est 


rapide,  angois!>éc,  (Iranialifjue,  toute  vibrante'  de  la  seusation  î« 
transmettre. 


Kees  Doorik,  p»r  Okoroks  Eekhoud  (édition  définitive). 
—  Bruxelles,  Kisteniaeckers,  1886. 

Nous  signalons  à  rattenlion  des  bibliophiles  et  des  artistes  la 
coquette  édition  dans  hupielh;  M.  Georges  Eekhoud  vient  de  fain; 
paraître  son  superbe  roman  de  mœurs  campinoises.  L'ouvrage 
fornu^  deux  petits  volumes  iji-i 8  sur  papier  fort.  Le  premier  con- 
tient le  livre  |)remier,  /«  Ferme  blanche,  le  second  les  livres 
deuxième  et  troisième,  la  Kermesse  de  Putteoiles  Gansrijders. 
C'est  charmant.  Prescjue  trop  charmant,  car  le  format,  ladimeri- 
sion  du  caractère  paraissent  devoir  s'accommoder  mieux  d'un 
bréviaire  d'amour  que  d'une  rude  élude  qui  a  pour  épigraphe  : 

)  Nous  arrivons  de  Tord-le-cou 

Wou  !  Wou  1 

Le  "20  de  ce  mois  paraîtra  chez  M"'"  V*'  Monnom  (Callcwaerl 
père),  le  nouveau  volume  de  M.  Georges  Eekhoud  :  Les  Milices 
de  Saint- François. 


■     LE  QUATRIÈME  CONCERT  POPDUIRB 

Tristan  et  Yseult.  Fragments  de  l'Anneau  dti  Nibelnng. 

Le  critique  musical  de  la  Gazette  a  découvert  quelques 
lueurs  dans  le  premier  acte  de  Tristan  et  Yseult  que  les  Con- 
certs populaires  ont  audacieusement  inscrit  à  leur  dernier  pro- 
fijramme.  Il  a  approuvé  une  chanson  de  matelot,  deux  ou  trois 
entrées  de  chœurs,  un  final  émouvant,  auquel  il  reproche  de  ne 
durer  que  deux  minutes.       ^^^         '  \ 

Cela  rappelle,  mot  pour  mot,  l'appréciation  que  faisaient,  ti 
l'époque  des  premières  auditions  de  la  neuvième  symphonie  de 
Beethoven,  les  cuistres  du  temps.  Ils  daignaient  y  apercevoir 
quelques  lueurs. 

Pauvres  gens  !  Si  leur  instinct  musical  ne  les  sert  pas  suffisam- 
ment pour  leur  éviter  le  ridicule  d'être  culbutés  par  l'œuvre 
contre  lat|^uclle  ils  se  démènent,  que  ne  prennent-ils  pour  guides 
les  leçons  que  leur  administre  l'histoire?  Elle  est  là.  Jouet  levé, 
la  terrible  matrone,  prèle  pour  la  fessée;  A  chaque  évolution  de 
l'Art,' c'est  une  dégelée  nouvelle  qui  s'abat.  Et  malgré  cela,  le 
phénomène  est  constant,  la  critique  ne  manque  jamais  de  sujets 
zélés  qui  tendent  complaisamment...  la  face. 

Il  sera  curieux  de  relire  dans  dix  ans,  quand  seront  définitive- 
ment assis  les  principes  du  drame  lyrique  dont  Tristan  est,  jus- 
qu'à ce  jour,  l'expression  la  plus  complète,  les  ûnerics  qui  ont 
été  débitées,  écrites  et  imprimées  à  l'occasion  de  ce  premier  acte. 

Tristan,  le  cri  d'amour  le  plus  passionné,  le  plus  perçant 
qui  soit  sorti  d'une  poitrine  de  poète;  Tristan,  l'expression  la 
plus  intense  des  ardeurs  sensuelles,  en  même  temps  que  l'hymne 
le  plus  sublime  des  mystiques  adorations;  Tristan,  l'élan  de 
deux  cœurs  consumés  d'une  flamme  inextinguible,  «  tout  le  vou- 
loir de  la  passion  humaine,  déshérité  dé  pouvoir  »,  comme  a  dit 
magistralement  Catulle  Mendès,  n'est  pas,  il  est  vrai  une  œuvre 
qui  puisse  être  comprise  d'emblée  par  le  public. 

Il  faudra  plusieurs  auditions  pour  en  dévoiler  les  splendeurs. 
On  se  passionnera  pour  Tristan  comme  se  sont  passionnés  bon 
nombre  de  personnes  pour  les  Maîtres- Chanteurs.  D'ordre  plus 
élevé,  bondissant  plus  Jiaut  dans  les  pures  régions  de  l'art, 
l'œuvre  dépass<ra,  selon  nous,  la  gloire  de  cette  dernière  parti- 


lion,  hû^d  ii  Paris  les  auditions  du  concert  Lamoureux  lui  ont 
conquis  une  sorte  de  popularil('î. 

A  la  vérité,  i'exécnlion  d(!  Trislan  lundi  n'est  pas  de  nature 

à   présenter  l'ouvrage;   dans   de    parfaites    conditions.    Il    faut 

louer  sans  rése/rve  la  bonne  volonté  qu'ont  mis  les  exécutants, 

(tant  les  solistes  qiu;  les  chœurs  el  l'orchestre,  «i  mener  ^  bonne  fin 

l'entreprise  périlleuse  qui  leur  était  confiée. 

Mais  la  bonne  volonté  ne  suffît  pas.  Il  eût  fallu  plus  de  voix  à 
Yseull,  plus  d'art  surtout  dans  l'émission  de  cette  voix,  plus  de 
douceur  dans  la  tendresse,  plus  d'autorité  dans  les  ordres  que 
dicte  l'altière  souveraine.  II  eût  fallu  aussi  plus  de  netteté  dans 
l'articulation.  M'"*' Von  Erlelsberg  a  donné  ce  qu'elle  possède  : 
une  intellig(!nce  remarquable,  \\n^  orifanisation  musicale  de  pre- 
mier ordre,  une  voix  étendue  et  forte.  Elle  ne  pouvait  donner 
davantage. 

M.  Van  Dyck  a  chanté  d'une  voix  superbe  le  rôle  (h^  Tristan, 
mais  on  le  sentait  insuffîsammenl  soutenu.  Il  ne  s'est  pas  livré. 
II  a  été  un  Tristan  correct,  discret,  galant,  presque  madrigali- 
sanl.  Dans  le  final  seul  il  a  eu  des  moments  de  vraie  passion,  de 
vrai  emportement.    . 

Enfin,  M"™^  Flon-Botman,  disons-le  tout  net,  a  été  m'édiocre 
dans  le  personnage  très  beau,  très  étudié  et  très  caractéristique 
de  Brang;iine. 

M.  Renaud  a  été,  selon  sa  coutume,  excellent,  et  M.  Gandubert 
convenable. 

Quoi  qu'il  en  soit,  voici  Tristan  (^  dans  la  circulation  ».  Quand 
les  Concerts  populaires  pourront  réunir  les  éléments  nécessaires 
à  une  exécution  digne  de  Tœuvre,  nul  doute  que  le  succès  ne  soit 
éclatant.  Tant  pis  pour  le  critique  de  la  Gazelle  si  le  public,  plus 
perspicace  que  lui,  y  découvre  autre  chose  (^ue  de  fugitives 
lueurs  traversant  un  chaos. 

Il  va  peu  de  chose  à  dire  de  la  seconde  partie  du  concert, 
consacrée  à  des  fragments  des  Nibeliuigen.  On  connaît  la  pom- 
peuse entrée  des  dieux  au  Walhalla  par  l'arc  en  ciel  que  Donner 
a  jeté  sur  le  gouffre  au  fond  duquel  coule  le  Rhin;  on  connaît 
aussi,  pour  l'avoir  entendu  jou(;r  par  la  troupe  d'Angelo  Neumann, 
la  scène  où  Siegfried,  qui  vient  de  tuer  le  géant  Fafuer  et  de  se 
débarrasser  de  l'odieux  nain  Mime,  babille  avec  l'oiseau  mvsté- 
rieux  qui  le  convie  à  le  suivre  sur  la  montagne  où  repose,  dans 
un  cercle  de  flammes,  la  Walkyrie.  Et  aussi  cette  idylle, exquise 
des  trois  filles  du  Rhin,  Voglinde,  Velgunde  et  Flosshilde,  épui- 
sant ^e  charme  de  leurs  séductions  pour  engager  le  jeune  héros  à 
leur  abandonner  l'anneau  magique  qu'il  porte  au  doigt. 

Ces  deux  scènes  ont  été  très  heureusement  rendues  par  les 
solistes  précités,  et  par  M"*^  Wolff,  dont  la  voix  fraîche  convenait 
à  merveille  au  rôle  de  l'oiseau  de  la  forêt. 

El  la  Chevauchée  des  Walkyries,  le  «  célèbre  galop  »,  ain^. 
que  disait,  au  balcon,  une  femme  très  élégante,  a  clôturé  celte 
intéressante  séance,  la  dernière  de  la  saison. 


€0NCERT3    Î\UBIN3TEIN 

Nous  avons  dit  l'impression  profonde  causée  par  la  première 
séance  d'Antoine  Rubinslein,  consacrée  à  Beethoven.  Les  deux 
dernières  auditions,  dont  l'une  a  évoqué  la  physiouomie  inquiète 
el  souffrante  do  Schumann,  dont  l'autre  a  magistralcmonl  décrit 


la  chevaleresque,  sensible,  féminine  figurede  Chopin,  ont  haussé 
le  succès  dont  on  l'a  accueilli  aux  proportions  d'un  triomphe  tel 
que  jamais  virtuose  n'en  obtint  îi  Bruxelles. 

C'est  que  Rubinslein,  nous  l'avons  rappelé,  malgré  son  étour- 
dissante cl  vertigineuse  virtuosité,  n'est  pas  un  virtuose  au  sens 
usuel  du  terme.  Il  a  dompté  lé  piano.  Il  en  est  le  maître  absolu. 
Aucune  difficulté  technique  ne  peut  l'arrêter  dans  l'interprélation 
qu'il  entend  dormer  d'une  œuvre.  Mais  cette  maîtrise  dans  l'exé- 
cution passe  chez  le  grand  artiste  au  second  plan.  Il  ne  veut  pas 
d'intermédiaire  entre  le  public  et  1(;  compositeur.  Il  fait  parler 
directement  celui-ci.  Ainsi  que  les  gr^inrls  tragédiens  s'incarnent 
dans  un  rôle,  Rossi  par  exemple,  av(;c  tant  de  désiniéressement 
el  d(;  respect  pour  l'œuvre  que  sur  la  scène  c'est  Hamlel,  c'est  le 
roi  Lear,  c'est  Roméo,  c'est  .Macbeth  qui  se  meut  et  non  lartisie, 
ainsi  s'efface  Rubinslein.   , 

Comme  eux,  il  luiarrive  parfois  de  grandir  le  personnage  qu'il 
représente.  Tel  a  été  le  cas  pour  Chopin,  qui  jamais  n'a  produit 
pareille  impression.  La  nature  de  Rubinslein  a  complété  un  tem- 
pérament moins  nettement  défini  que  celui  de  Schumann,  el  l'a 
placé  dans  un  Panthéon  où  il  a  pris  son  rang  définitif. 

Tous  ceux  qui  ont  eniendii,  mardi,  l'interprétation  que  donne 
Rubinslein  aux  Préludes,  aux  Eludes,  aux  Mazourkes,  aux 
Nocturnes,  aux  Valses,  aux  Polonaises,  à  la  Fantaisie  en  fa 
mineur,  a  la  Sonate  (tn  si  bémol  n/);?if?ttr,dans  laquelle  se  lamente 
la  Marche  funèbre,  nous  comprendront. 

Quant  à  Schum;mn,  il  a  exprimé  de  façon  complète,  telle  que 
lui  seul  peut  le  faire,  la  poésie  intense  de  la  F;intaisie.jiQ  «^  le 
caprice  et  la  fougue  du  cycle  drs  Kreisleriana,  la  délicatesse 
infinie  deVOiseau  prophète,  la  grandeur  de  la  Sonate  en  fa  dièze 
mineur,  \a  puissance  des  Eludes  symphoniques,  la  folle  gaieté  et 
la  sédu('lion  piquante  du  Carnaval.  v' 

Toute  analyse  d'un  maître  lebque  lui  est  superflue.  Il  a  tra- 
versé la  Belgique  comme  un  météore.  Félicitons-nou.':,  dans  le 
souvenir  recueilli  de  ses  admirables  auditions,  d'avoir  eu  l'heu- 
reuse fortune  d(?  l'entendre.  - 


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L'ART  MODEHNS  s'ost  acMiuis  par  Vraiitoi-iié  ci' l'ind('*i»(>M(iaii(*(>  tic  sa  critique,  j)ai'  la  varicto  do  ses 
inlbi'maiions   et    les   soins   donnes   à   sa    rédaction    une    place   prépondérante.    AnciuK^    manifestation  de  l'Art  ne 

lui  est  étrani;-ùr(^  :  il  s'occupt^  de  littérature,  de  peinture,  de  sculpture,  de  gravure,  d(>  musique, 

d'architecture,    cte.    Consacré   principalement   au    mouvement   artistiiiirc   Ixdj^o,    il   renseigne   néanmoins   ses 

lecteurs  sur  tous  les  événements  artistiques  de  l'étranger  qu'il  importe  de  connaitré. 

Chaque  numéro  do  L'ART  MODSRNEj  s'ouvre  par  une  étude  api)rolbndie  sur  une  question  artistique 
ou  littéraire  dont  l'événement  de  la  semaine  fournit  l'actualité.  Les  c\r positions,  les  livres  noiivcciux,  les 
p^^cmiOrcs  l'cprcscntatiiDfs  iVœnwcs  dramati(|ues  ou  musicales,  XiS'è  confier cncc^  littéraires,  les  concerts,  les 
iH'ntcs  dohjets  (Tart,   l'ont   tons  les  dimanches  l'objet  de  clironiqu(^s  détaillées. 

L'ART  MODERN>E  relate  aussi  la  législation  et  la  jurisprudence  artistiques.  Il  rend,  compte  des 
procès  les  plus  intéressants  concernant  les  Arts,  i)laidés  devant  les  tribunaux  belges  et  étrangers.  Les 
artistes  trouvent  toutes  les  semaines  dans  son  Mémento  la  nomenclature  complète  des  expositions  et 
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Sixième  année.  —  N°  20 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  15  Mai  1886. 


L'ART 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


Di. 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,   u«   an,  fr.  .10.00  ;  Union  postale,   fr.    13.00.    —  ANNONCES  :    On   traite  à  forfait. 

Adresser  les  dernandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 

l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


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OMMAIRE 


Charles  de  Lovenjoul.  —  Chronique  judiciaire  des  arts. 
M.  Coquelin  sifflé.  —  Théâtre  de  la  Monnaie.  —  Livres  nou- 
veaux. Les  Faunesses ,  par  T.  Ferret.  —  Union  des  jeunes  com- 
positeurs belges.   Troisième  séance.  —  Petite  chronique. 


CHARLES  DE  LOVEBIJOCL 


Quand  il  s'agit  de  débrouiller  à  Paris  quelqu'inextri- 
cable  question  de  bibliophilie  et  de  tracer  des  chemins 
dans  un  taillis  d'œuvres  enchevêtrées  et  mal  catalo- 
guées, on  rencontre  à  chaque  instant  cette  phrase 
typique:  «  Il  faudra  qu'un  Charles  de  Lovenjoul  s'en 
mêle...  »» 

Charles  de  Lovenjoul? 

Inconnu  ou  presqu'inconnu  ici;  célèbre  en  France. 
Et  néanmoins,  Charles  de  Spoelberch  de  Lovenjoul  est 
bel  et  bien  un  Belge  authentique,  habitant  Bruxelles, 
mêlé  à  notre  vie  artistique,  visible  à  l'œil  nu  dans  sa 
stalle  d'abonné  à  la  Monnaie  et  rencontrable  ici,  là,, 
partout,  dans  ses  promenades  hygiéniques  aux  quatre 
coins  de  Bruxelles. 

Le  livre  qu'il  publia,  il  y  a  quelques  années,  sous  le 
titre  de  :  Histoire  des  œuvres  de  Honoré  de  Balzac, 
vient  de  reparaître  en  deuxième  édition  chez  Calmann- 
Lévy.  Ce  livre,  nous  venons  de  le  lire  et  nous  sommes 
encore  sous  l'impression  d'étonnement  et  d'admiration 
qu'il  nous  a  boutée.  C'est  une  œuvre  de  recherche 
acharnée,  d'intelligence  diplomatique  et  fine,  de  pa- 
tience bénédictine,  de  sagacité  entière  et  de  travail 
merveilleux.   Avant    lui,  les   collectionneurs    et   les 


curieux  des  livres  de  Balzac  n'avaient  pour  pénétrer  cet 
énorme  génie  que  des  indications  vagues,  sorte  de 
clair  de  lune  embrouillardé  projeté  sur  les  346  romans, 
nouvelles,  études  et  notices  que  Balzac  réussit  à  par- 
faire durant  sa  vie,  la  plus  encombrée  de  littérature 
qu'on  ait  menée  pendant  ce  siècle.  On  ouvrait  Larousse 
et  les  erreurs  abondaient,  de  dates,  d'éditions  et  surtout 
d'aperçus;  on  interrogeait  Querard  et  l'on  était  surpris 
de  constater  combien  était  iîicomplète  la  seule  nomen- 
clature des  livres.  Vapereau  faisait  rire.  Un  livriculet 
entièrement  consacré  à  Balzac  fut  édité  par  Rouquette  : 
rien,  si  ce  n'est  quelques  bons  renseignements  sur  la 
Comédie  humaine,  parue  d'abord  sous  le  titre  de  : 
Etudes  de  mœurs  du  XIX^  siècle.  Quant  aux  volumes 
publiés  sous  les  pseudonymes  :  Henri  de  Saint-Aubin  ou 
lord  R'hoone,  et  qui  forment  un  ensemble  aussi  impor- 
tant que  la  Comédie  elle-même,  renseignements  faux, 
dissonants,  nuls. 

Ceux  qui  savaient  quel  marais  il  fallait  drainer  pour 
étaler  quelque  chose  de  clair  aux  yeux  des  bibliophiles 
ne  -'s'étonnèrent  point  de  ces  résultats  incomplets. 
L'œuvre  de  Balzac  est,  en  etïet,  le  plus  formidable 
cahos  à  débrouiller.  Il  se  faisait  imprimer  à  droite,  à 
gauche,  chez  tel  éditeur  périclitant,  chez  tel  autre  qui 
revendait  en  stock  ses  livres  à  des  commis  et  à  des  cour- 
tiers de  lettres.  Les  volumes  étaient  démarqués,  tri- 
potés, bouleversés.  Puis  il  se  faisait  éditeur  lui-même 
et  sautait  et  vendait  son  fonds  à  des  meutes  de  broean-  / 
teurs,  qui  inauguraient  une  série  de  nouveaux  rema- 
niages  et  retripotages  et  recollages. 


Fixer  la  première  édition  d'un  roman,  avec  sa  firme 
d'imprimerie,  son  recto  et  son  verso,  son  nombre  de 
pages,  son  appendice  et  ^s  erratas  devenait  travail  ter- 
rible. Démêler  les  nouvelles  authentiques  des  apocry- 
phes épouvantait  les  plus  souriciers  fureteurs  de 
bibliothèque.  C'était  à  croire  que  le  très  commercial 
écrivain  et  le  très  mystérieux  signataire  de  telle  et  telle 
étude  ou  critique  s'était  imposé  de  dérouter  et  defumis- 
ter  ses  commentateurs  futurs.  Les  plus  Jacobs  des 
bibliophiles  y  perdaient  leur  flair. 

A  peine  le  savaient-ils  auteur  de  Argoio  le  Pirate 
et  de  Madame  Toute^iclieu  et  de  Fragoletta  et  de 
Jane^la  Pâle  et  de  V Histoire  impartiale  des  jésuites 
et  du  Vicaire  des  Ardennes  et  d'une  vingtaine  de 
proses  aussi  introuvables  et  aussi  mystérieuses. 

Eh  bien,  voici  de  la  lumière  et  du  soleil  sur  ce  tas 
de  nuit  et  des  voies  larges  et  sûres  dans  ce  dédale.  Tout 
livre  de  Balzac  a  désormais,  le  plus  obscur  comme  le 
plus  célèbre,  son  état  civil,  net,  précis,  complet.  Sa 
date?  la  voici;  son  format?  le  voilà;  son  histoire,  ses 
à  côtés  et  ses  dessous?  Lisez.  Même  les  variations  et  les 
passages  essayés,  même  les  suppressions  les  plus 
introuvables  sont  maintenant  restitués.  Plus  d'erreurs, 
plus  de  confusion,  pas  une.  négligence.  Tout  ce  que 
nous  avons  contrôlé  apparaît  exact  et  définitif,  grâce 
à  cet  énorme  commentaire  de  403  pages,  qu'achève 
une  brochure  publiée  en  1880,  chez  Dentu  sous  le  titre  : 
Un  dernier  chapitre  de  VHistoi^^e  des  œuv7^es  de 
H.  de  Balzac,  Et  un  nouveau  Balzac  en  surgit  avec 
une  physionomie  criante  de  vérité  et  de  vie.  Car  plus 
que  personne,  Charles  de  Lovenjoul  est  compétent. 
Il  connaît  le  Balzac  intime  des  écrits  non  encore 
publiés,  il  a  chez  lui  des  lettres  innombrables,  lettres 
de  collège  où  des  mots  apparaissent  si  mal  écrits 
qu'on  ne  parvient  pas  à  les  déchiffrer,  lettres  de 
jeunesse  et  d'entrée  dans  la  bataille,  lettres  d'affaires, 
lettres  où  Balzac  se  farde,  lettres  où  il  se  montre  cyni- 
que jusqu'à  ôter  la  dernière  feuille  de  vigne  à  son  natu- 
rel. Il  a  acquis,  lors  du  décès  de  Balzac,  toutes  ses 
fardes,  manuscrits,  paperasses,  par  tas.  Il  les  conserve 
et  les  classe,  et  les  annote,  et  les  complète.  Aujourd'hui 
la  moindre  vente  d'un  autographe  de  son  auteur  le  sol- 
licite. Oh  !  la  bonne  aubaine,  découvrir  quelque  part 
une  ligne  révélatrice  qui  éclairera  d'autres  lettres  déjà 
en  sa  possession  et  lui  permettra  de  résoudre  quelque 
mystère  bibliographique  !  Et  le  si  cher  orgueil  d'avoir 
là  sous  la  main,  dans  un  rayon  de  bibliothèque  toute 
une  liasse  de  confessions  sur  lui-même,  du  plus  formida- 
ble cerveau  de  ce  siècle  !  Et  d'être  seul  à  les  lire  et  à  les 
étudier  et  n'en  rien  montrer  et  n'en  presque  rien  dire  !, 

Cependant,  tel  n'est  pas  son  égoïsme  et  son  livre  le 
prouve.  Chaque  fois  qu'il  est  utile  de  confirmer  une 
affirmation  par  une  preuve  qu'il  est  seul  à  pouvoir 
donner,  l'inédit  est  Uvré,  j'allais  dire  défloré. 


Le  Balzac  que  Charles  de  Lovenj.oul.  nous  présente 
reste  le  travailleur  çyclopéen  et  l'écrivain  de  génie  que 
tous  connaissent,  mais  l'homme  est  légitimement  poussé 
au  noir.  Je  crois  que  l'opinion  de  l'auteur  sur  Balzac 
doit  être  celle-ci  :  un  Lucien  de  Rubempré  compliqué 
d'un  Nuncingen  ;  argent  et  femmes  ;  intérêt  et  amour 
supérieurement  euienàus pour  pai'^venir.  Beaucoup  de 
vanité,  rêves  énormes,  appétits  de  géant,  par  mal  de 
cynisme.  Les  preuves  foisonnent.  Une  surtout  est  à 
citer.  Elle  est  fournie  par  Baudelaire  dans  son  article  : 
Comment  on  paie  ses  dettes  quand  on  a  du  génie. 
On  y  voit  Balzac  pauvre,  poursuivi  par  une  traite  de 
1,200  francs,  s'adresser  à  Curmer  et  lui  demander 
1,500  francs  pour  deux  études  à  faire  dans  les  Débats 
ou  dans  te  Siècle  sur  les  Français  peints  par  eux- 
7nêmes.  Curmer  accepte.  Aussitôt  Balzac  harponne 
Ourliac. 

Yeux-tu  gagner  150  francs?.—  Oui.  —  Alors  immé- 
diatement fais-moi  un  article  sur  les  Français  peints 
par  eux-mêmes,  apporte-le  moi  demain  matin  pour 
que  je  le  copie  et  que  je  le  signe  et  que  je  l'envoie  à 
Curmer.  —  Parfait. 

Théophile  Gautier  — gros,  paresseux,  lymphatique, 
pas  d'idées  et  ne  sachant  qu'enfiler  et  perler  des  mots 
en  manière  de  colliers  d'Osages  (Baudelaire  scripsit  !)  — 
est  assailli  à  son  tour  et  consent  à  livrer,  pour  le  même 
prix  et  la  même  destination  et  la  même  petite  mal- 
propreté, un  second  article  sur  le  même  sujet.  Curmer 
fut  satisfait  et  Balzac  aussi.  Celui-ci  défalqua  de  la 
somme  totale  deux  fois  150  francs  pour  ses  deux... 
secrétaires  et  paya  sa  traite. 

Ces  anecdotes  ne  salissent  d'ailleurs  d'aucune  ombre 
'  le  génie  lumineux  qui  fit  Isl  Comédie  humaine.  J'ose 
même  dire  qu'elles  sont  utiles  pour, bien  séparer  ses 
vraiâ  de  ses  faux  admirateurs,  ses  vrais  qui  ont  l'en- 
thousiasme assez  solide  pour  considérer  comme  des 
vétilles  tout  ce  qui  n'est  pas  art,  ses  faux  qui  se  sentent 
froissés  par  ces  peccadilles  de  conduite  et  ne  sont  au 
fond  que  des  bourgeois. 


P 


.HF(ONIQUE    JUD1CI/.IRE    D£^    /RT^.        • 
M.  GOQUELIN  SIFFLÉ. 

Le  tribunal  de  simple  police  a  eu  mercredi  le  régal  de  débats 
n'ayant  avec  les  préventions  habituelles  de  vagabondage,  d'in- 
jures, de  voies  de  fait  ou  violences  légères  qu'un  rapport  extrê- 
mement éloigné.  Il  s'agissait  de  la  poursuite  intentée  contre 
quatre  jeunes  gens  pour  avoir,  au  théûtre  des  Galeries,  le 
24  avril  1886,  sifflé  M.  Coquelin  dans  Chamillac. 

Les  criminels  ayant  avoué  le  forfait,  ayant  même  affirmé  que 
c'était  avec  préméditation  et  dans  la  plénitude  de  leur  libre  arbitre 
qu'ils  l'avaient  accompli,  ce  petit  procès  se  haussait  aux  propor- 
tions d'une  question  de  principe.  —  De  là  le  grand  intérêt  de 
curiosité  qu'il  éveillait. 

Détail  à  noter  :  les  quatre  prévenus  étaient  absolument  étran- 


gers  l'un  à  l'autre.  Ils  se  sont  rencontrés  pour  la  première  fois 
dans  l'audiloire  du  tribunal.  L'un  d'eux  est  M.  Maurice  Warlo- 
monl,  que  son  pseudonyme  lilléraire,  Max  Waller,  a  fait  con- 
naître de  tous  ceux  qui  lisent;  les  autres  sont  MM.  François  Van 
Hootere,  docteur  en  médecine,  Armand  Joos,  employé,  et  Pierre 
Lechcin,  étudiant.  A  l'audience,  que  présidait  M.  Ilayois,  juge  de 
paix  suppléant,  remplaçant  le  titulaire  effectif,  M.  Anlheunis,  ils 
ont  été  respectivement  défendus  par  M**  Rodenbach,  Brunet,  Gil- 
kin  et  Iresch. 

Après  une  très  courte  instruction,  M«  Rodenbach  a  exposé  l'af- 
faire avec  humour  et  dégagé  nettement  la  question  de  droit  sur 
laquelle  le  juge  aura  à  statuer. 

«  C'est  une  question  doublement  intéressante,  a-t-il  dit  en  sub- 
stance, que  celle  qui  nous  amène  ici;  inléressante  pour  le  public, 
qui  entend  connaître  quel  est  son  droit  dans  les  salles  de  spec- 
tacle et  savoir  s'il  est  livré  à  l'arbitraire  du  premier  policier  venu; 
intéressante  aussi  pour  les  artistes,  car  les  sifflets,  comme  les 
applaudissements,  sont  l'expression  publique  de  la  liberté  litté- 
raire..   ■  ; 

«  L'incident  qui  a  donné  naissance  aux  poursuites  était  une 
manifestation  artistique,  purement  artistique,  et  l'on  ne  saurait  y 
trouver  autre  chose.  Ce  n'est  certes  pas,  comme  on  a  essayé  de 
le  faire  croire,  à  cause  de  l'attitude  prise  par  31.  Coquelin  à 
l'égard  de  M"''  Dudlay,  que  ce  comédien  a  été  sifflé  à  Bruxelles. 

«  Pourquoi  a-t-on  sifflé  M.  Coquelin?  On  trouvait  que  l'acteur 
se  relâchait,  qu'il  afiichait  dans  ses  excursions  périodiques  k 
Bruxelles,  la  «  province  »  pour  lui,  un  orgueil  et  un  cabotinage 
assez  agaçants.  On  voulait  exprimer  son  avis.  On  a  sifflé.  Com- 
ment manifester  autrenrîent,  au  théâtre  son  opinion? 

«  Et  remarquez  que  M.  Warloment  a  été  gentil  et  délicat. 

Comme  journaliste,  il  a  ses  entrées  au  théâtre.  Il  n'a  pas  voulu 

profiter  d'une  faveur  qui  lui  eût  enlevé  sa  libenté  d'appréciation. 

Il  a  payé  son  fauteuil,  afin  îde  pouvoir  user  du  droit  qu'à  la  porte 

'  on  achète  en  entrant. 

*  «  Et  qu'on  ne  parle  pas  de  cabale,  d'affaire  montée.  Grimm 
répondrait  que  les  cabales  peuvent  s'enrhumer  tout  exprès  la 
veille  d'une  représealation  ! 

c<  Donc,  M.  Warlomont  a  sifflé.  En  quoi  ce  fait  conslitue-t-il 
une  infraction  à  la  loi?  Le  sifflet,  par  lui-même,  n'est  pas  un 
trouble  au  spectacle.  Il  ne  peut  constituer  un  trouble  que  s'il  se 
prolonge,  s'il  amène  des  désordres. 

«  Les  applaudissements  intempestifs  du  public  troublent,  eux, 
les  représentations  bien  plus  que  ne  l'a  fait  le  coup  de  sifflet  du*- 
prévenu. 

«  Les  concerts  de  Rubinstein  nous  en  ont  fourni  un  exemple 
récent.  Et  les  applaudissements,  on  les  tolère,  on  les  encourage. 
Dans  les  théâtres  où  la  claque  officielle  n'existe  pas,  on  organise 
une  claque  officieuse.  M.  Coquelin,  chaque  fois  qu'il  joue  à 
Bruxelles,  en  a  une  qui  fonctionne  b  mervedle.  Elle  est  composée 
d'abord  des  gens  qui  lui  ressemblent.  Puis,  de  ceux  qui  l'invitent 
à  dîner.  Car  il  est  d'usage,  en  Belgique,  de  trouver  du  'génie  à . 
tous  ceux  qu'on  traite  chez  soi. 

«  La  vérité  est  que  les  sifflets  sont  aux  bravos  ce  que  le  revers 
est  à  la  médaille,  ce  que  la  doublure  est  à  l'habit.  On  pourrait 
dire  aussi  qu^  si  les  applaudissements  sont,  pour  la  vanité  des 
artistes,  le  poison,  les  sifflets  servent  de  contre-poison  salutaire. 

«  Qu'on  ne  transforme  point,  n'est-ce  pas,  les  salles  de  spec- 
tacle en  salles  de  digestion,  d'où  toute  manifeslal^ion  artistique 
doive  être  bannie. 


«  L'art.  22  de  l'arrêté  communal  de  la  ville  de  Bruxelles.,  sur 
lequel  est  fondée  la  j)révention,  est  d'ailleurs  formel.  Ne  dit-il 
pas  :  c(  Il  est  interdit  d'interpeller  ou  !d'aposlropher  les  acteurs 
et  de  troubler  l'ordre  du  spectacle.  » 

«  A  ce  sujet,  laissez-moi  vous  rappeler  un  souvenir.  A  Trianon, 
la  reine  Marie-Antoinette  aimait  à  jouer  elle-même  la. comédie, 
Les  mémoires  secrets  rapportent  qu'elle  joua,  un  soir,  le  rôle  de 
Jennie  dans  le  Roi  et  le  Fermier  et  que,  dissimulé  dans  une  loge, 
Louis  XVI  siffla  sa  royale  épouse  qui  chantait  faux.' 

«  Sans  remonter  au  siècle  dernier,  qui  ne  se  souvient  des 
représentations  bruxelloises  où  les  siftlels  et  les  cris  interrom- 
pirent le  spectacle,  sans  que  jamais  la  police  intervînt?  -    '. 

«  A  la  Renaissance,  au  Casino  des  galeries  Saint-Hubert,  aux 
Nouveautés,  c'était,  paraît-il,  une  habilutie  Les  directeurs  et 
secrétaires  écrivirent  maintes  fois  aux  commissariats  de  police, 
demandèrent  aide  et  protection,  mais  on  respecta  le  droit  du 
public. 

«  Et  l'an  dernier,  ne  vous  rappelez-vous  pas  les  sifflets  qui, 
aux  Maîtres-Chanteurs,  tinrent  tête  aux  applaudissements  des 
partisans  de  Wagner?  Ce  quL  est  piquant,  c'est  que  ces  sifflets 
partaient  invariablement  de  celte  même  loge  qui  donne,  en  faveur 
de  M.  Coquelin,  le  signal  des  applaudissements.  C'est,  du  reste,  . 
logique.  ■ 

«  Mais  pourquoi  ces  précautions   inusitées,  ce  déploiement 
d'agents  de  police?  M.  Warlomont,  dès  son. entrée  au  théâtre,  a" 
été  filé  par  deux  agents.  Et  pourquoi  ces  poursuites  quand  il . 
s'agit  de  M.  Coquelin? 

«  Est-ce  parce  qu'il  failli  élre  décoré?  Qu'il  faillit  être  député? 
Qu'il  tutoyait,  dit-on,  Gambetla?  qu'on  le  consi<lère,  à  chacune 
de  se^s  excursions  en  Belgique,  comme  un.  envoyé  extraordi- 
naire? 

«  Serait-ce  parce  qu'on  espérait  voir  M.  Coquelin  se  constituer 
partie  civile  et  donner  ainsi,  gratuitement,  le  plaisir  au  public 
d'un  monologue  en  justice? 

ce  Si  ce  n'est  pas  dans  ce  but,  nous  demandons  Tapplicalion, 
à  tous  les  cas  analogues,  des  mêmes  poids  et  des  mêmes 
mesures.  » 

L'avocat  termine  en  citant  les  auteurs  et  la  jurisprudence, 
notamment  MM.  Vivien,  Blanc  et  Dalloz,  un  arrêt  de  la  Cour  de 
cassation  de  France  de  1840,  un  jugement  du  tribunal  de  Rouen 
de  1841  et  un  jugement  du  tribunal  de  Gand,  rendu  en  décem- 
bre 188o  (•). 

«  La  Belgique  passe  pour  être  la  terre  classique  des  libertés.. 
C'est  ainsi  que  s'expriment  tous  les  Prudhommes  étrangers.  3fais 
ces  libertés,  on  les  restreint  tous  les  jours.  Et  bieniôt,  si  l'on 
continue,  noire  pays  fera  l'effet  d'un  de  ces  cafés-concerts  sur 
lesquels  on  lit  en  lettres  de  feu  :  Entrée  libre,  mais  où  les  con- 
sommations se  paient  très  cher.  » 
.•MM.  Gilkin,' Brunet  et  Iresch  ont  pris  ensuite  la  parole  et  ont 
ajouté  quelques  considérations  à  la  plaidoirie  de  M.  Rodenbach. 

M.  Iresch  a  fait  remarquer,  notamment,  que  l'arrêté  du 
23  juillet  1883,  qui  défend  de  troubler  Tordre  et  doni 
on  demande  l'application,  abolit  un  arrêté  antérieur,  aux 
termes  duquel  les  marques  d'improbation  ou  d'approbation 
étaient  interdites.  «  Aujourd'hui,  non  seulement  il  n'est 
pas  défendu  de  siffler,  dit-il,  mais  le  public  a  en  quelque  sorte 
reçu  l'ordre  de  le  faire.  Le  cahier  des  charges  du  théâtre  de  la 


(*)  V.  l'Art  moderne,  1886,  p.'  6. 


156 


UART  MODERNE 


Monnaie,  pisir  exemple,  stipule,  dans  son  arl.  25,  que  le  conces- 
sionnaire devra  remplacer  immédiatement  tout  artiste  dont  le 
public  n'aura  pas  été  satisfait.  En  l'absence  du  vote  par  boules 
-blanches  cl  noires,  selon  le  mode  existant  encore  dans  certains 
théâtres  de  province,  comment,  si  ce  n'est  par  des  sifflets,  le 
public  pourra-t-il  s'exprimer  au  sujet  de  l'artiste  qu'on  lui  pré- 
sente? » 

Le  ministère  public,  M.  Cremers,  a  maintenu  néanmoins  la 
prévention. 

Le  jugement  a  été  rendu  hier.  On  le  trouvera  reproduit  in 
extenso  dans  lo  Journal  des  Tribunaux  d'aujourd'hui.  Il  décide 
d'abord  que  l'autorité  communale  a,  nonobstant  la  disposition 
constitutionnelle  qui  consacre  la  liberté  d'opinion,  le  droit  de 
prendre  des  mesures  de  police  pour  empêcher  que  l'ordre  soit 
trOublé  dans  les  lieux  publics,  notamment  dans  les  théâtres. 

Il  décide  ensuite  que  généralement  les  applaudissements  ne 
troublent  pas  l'ordre,  parce  qu'on  ne  les  fait  entendre  le  plus 
souvent  qu'à  la  fin  des  actes  ou  des  morceaux  et  que  ceux  qui  s'y 
livrent  ont  intérêt  à  les  cesser  pour  que  la  représentation  puisse 
continuer. 

.  Qu'il  en  est  autrement  des  sifflets,  surtout  quand  ils  sont  le 
résultat  d'un  projet  concerté  et  qu'ils  se  font  entendre  dès  que 
l'acteur  entre  en  scène,  et  avant  qu'il  ait  commencé  son  jeu  ; 
qu'il  y  a  lieu  à  cet  égard  de  rechercher  quelle  a  été  l'intention  des 
siffleurs. 

Ce  jugement  bizarre  contient  aussi  un  éloge  du .  talent  de 
M.  Coquelin  et  un  examen  des  décisions  antérieures,  rendues  en 
sens  contraire,  comme  bien  on  pense. 

Bref,  les  quatre  prévenus  sont  condamnés  à  cinq  francs 
d'amende  et  aux  frais. 

II. est  presque  inutile  d'ajoiilér  qu'il  y  a  appel/^^^^^^-^^^^^^^^^;^     •       : 


THÉÂTRE  DE  là  MOMAIE 

D'abord,  une  rectification  que  nos  lecteurs  auront  sans  doute 
faite  d'eux-mêmes.  C'est  par  mois  et  non  par  année  qu'il  faut 
prendre  les  totaux  portés  dans  notre  tableau  de  la  semaine  der- 
nière. Pour  avoir  le  total  par.  année,  il  faut  multiplier  par  huit, 
la  saison  théâtrale  durant  huit  mois  à  Bruxelles. 

Aujourd'hui,  nous  donnons  le  tableau  des  dépenses  et  des 
recettes  de  tous  genres  pour  trois  années  qu'on  peut  considérer 
comme  assez  normales,  la  première,  la  moyenne  et  la  dernière 
de  la  direction  qui  a  précédé  la  direction  Verdhurt  (1875-76;  — 
1881-82;  —  1884-85). 

Ces  tableaux  suscitent  les  réflexions  suivantes  : 

Recettes.  —  L'abonnement  a  diminué  de  plus  de  25,000 
francs;  nous  l'avions  déjk  signalé  dans  notre  numéro  du  2  mai 

Les  recettes  î»  la  porte  ont  d'abord  monté;  (elles  ont  même  été 
en  1878-79  jusques  fr.  629,741-25  (voir  notre  numéro  du 
25  avril),  mais  elles  sont  finalement  redescendues  à  un  chiffre 
inférieur  à  celui  d'il  y  a  dix  ans. 

Les  représentations  de  société  ont  baissé  aussi,  mais  peu  en 
dernière  analvse. 

Les  receltes  diverses  se  sont  maintenues. 

Los  bals  seuls  ont  monté  d'environ. 11, 000  francs  (voir  aussi 
notre  numéro  du  2  mai),     .  . 

Conclusion.  — ^  Il  v  a  décroissance,  crise  :  on  va  moins  au 
théâtre  de  la  Monnaie.  Et  à  tous  les  théâtres,  pourrait-on  dire, 
tant  en  Belgique  qu'en  France.  Voir  les  statistiques. 


Il  est  à  noter  que  les  deux  dernières  années  que  nous  donnons 
portent  en  recette  15,000  francs  de  subside  spécial  (rétabli  pour 
MM.  Dupont  et  Lapissida)  représentant  la  moitié  environ  des 
droits  d'auteur.  Sans|ce  secours  imprévu  donné  par  la  Ville,  les 
chiffres  des  recettes  eussent  été  les  suivants,  montrant  mieux 
encore  la  diminution. 

1875-76     fr.  969,584  35.  —  1881-82     fr.  960,609  63. 
1884-85    fr.    935,945  97.  ^ 

Dépenses.  —  Les  dépenses  contiennent  vingt-six  articles.  Sur 
un  grand  nomère,  les  chiffres  se  maintiennent  avec  des  oscilla- 
tions faibles.  On  peut  donc  les  admettre  comme  à  peu  près  con- 
stants; pourtant  la  tendance  est  plutôt  à  l'augmentation.  Dans  ce 
premier  groupe,  en  effet,  n'ont  diminué  que  les  frais  de  bureaux, 
les  frais  de  voyage  et  les  frais  des  bals,  tandis  qu'ont  augmenté 
les  gratifications,  les  contributions  et  patentes,  l'armurier,  le 
tapissier,  le  serrurier,  les  frais  à  répartir,  les  bénéfices  C  et  R  (?). 

Se  sont  maintenus  .à  peu  près  à  égalité,  les  affiches,  les  machi- 
nistes et  réparations,  la  retenue  de  25,000  francs  par  la  Ville 
pour  réfections. 

Mais  un  autre  groupe  se  compose  des  articles  sur  lesquels  les 
changements  en  plus  ou  en  moins  ont  été  notables,  savoir  : 

Dépenses  en  plus  :  l'éclairage,  le  chauffage,  les  droits  d'au- 
teur, les  divers. 

Dépenses  en  moins  :  Tout  ce  qui  concerne  la  troupe  et  la 
SCÈNE  :  figuration,  musique  de  la  scène,  lumière  électrique, 
peintres-décorateurs,  costumier,  personnel  des  artistes,  cachets 
d'artistes  en  représentation. 

Voilà  qui  est  significatif.  Cela  se  traduit  par  la  formule  sui- 
vante :  Pour  arriver  à  nouer  convenablement  les  deux  bouts,  la 
direction  doit  s'attaquer  à  la  troupe  et  à  la  mise  en  scène. 

La  conséquence  saute  aux  yeux  :  la  valeur  artistique  du 
théâtre  doit  diminuer.  C'est  à  quoi  aboutissent  fatalement  de 
pareilles  économies. 

Parfois  le  mal  est  peu  sensible,  quand  la  direction  a  l'heureuse 
chance  de  tomber  sur  des  artistes  encore  inconnus  du  public  et 
d'eux-mêmes  qu'on  engage  pour  une  croûte  de  pain.  Mais  outre 
que  cela  n'arrive  pas  toujours,  dès  la  seconde  année,  quand  le 
succès  se  dessine,  il  faut  qu'on  les  paie  cher  ou  ils  partent,  alors 
que  l'intérêt  artistique  serait  de  les  retenir.  r 

Le  remède  n'est  pas  de  liarder  sur  la  troupe,  la  mise  en 
scène  et  les  créations,  mais  de  les  maintenir  à  leur  hauteur  et 
pour  cela  de  majorer  les  subsides. 

Nous  répétons  qu'il  faut  iOOjOOO  francs  de  plus.  La  Ville  vient 
d'en  accorder  15,000  seulement.  La  troupe,  pour  être  telle  qu'il  le 
faudrait,  doit  coûter  55,000  francs  par  mois  (voir  notre  numéro 
du  9  mai).  On  est  obligé  de  la  faire  descendre  à  45,000  et 
môme  à  40,000,  francs  et  de  diminuer  les  artistes  en  représenta- 
lion.  Si  MM.  Stoumon  et  Calabrési  ne  l'avaient  pas  fait  leur  der- 
nière année  (ils  n'en  ont  eu  que  pour  2,227  francs),  ils  ne 
gagnaient  rien,  et  pourtant  ils  avaient  40,000  francs  au  moins 
d'avantages  en  plus  que  la  direction  Verdhurt.         . 

Ces  100,000  francs  peuvent  être  trouvés  en  supprimant  le 
paiement  du  gaz  (fr.  31,091-44),  les  contributions  et  patentes 
(fr.  7,456-25)  et  en  majorant  le  subside  royal  et  le  subside  com- 
munal à  concurrence  de  moitié  chacun. 

Ils  peuvent  aussi  être  trouvés  eii  mettant  l'orchestre  à  la  charge 
de  l'Etat,  en  en  faisant  une  dépendance  du  Conservatoire.  (Voir 
notre  numéro  du  18  avril). 

Sans  cette  mesure  radicale,  le  théâtre  oscillera  constamment 
entre  ces  deux  extrêmes:  la  faillite  ou  l'insuffisance. 

Aussi  MM.  Dupont  et  Lapissida  qui  reprennent  l'affaire  avec 
15,000  francs  de  plus  seulement,  devront  veiller  attentivement 
au  grain  et  le  public  devra  leur  être  commode.  Sinon,  gare  la 
saison  prochaine  ! 


)    ' 


THÉÂTRE  ROYAL  DE  LA  MONNAIE 


TABLEM  SYNtmOllE  DES  RECETTES 


NATURE  DES  RECETTES. 

Abonnements.    ...     .     .     .     ...     .     .     .     ;  .     Fr. 

Locations.     .     .     .     .     .     .     .     . •     • 

AJlXx  y^CilJij^          m                •                •                •                «                •                •                »               •                •                  •                •                •'•  •               •'• 

Subsides    .     .     .     .     .     .     ....     .     .     •     .  .     .     . 

Représentations  de  sociétés,  etc.     ."    .     .     .     .     .  .     .     . 

■ilOiLo                 ■                «'•                •                •                •                ■                •                •.-                •                •'•'•                •  •               ^          ■     m 

XJk\  ^M.  0«            •            •            •             •             •             •             •            a          ••             •'•_•"          •            »,  ••            • 

;                        '                 Total.     .     .  .    fr. 


TABLEAl]  SYKOPTIOO  DES  DÉPENSES 


NATURE  DES  DÉPENSES. 

Frais  de  bureaux    .     .     .....     .    .     .     .     .     .    ,     . 

Frais  de  voyages  et  port  de  bagages    .     .     ,     .     .     .     .     . 

Affiches  et  afficheurs  .     .     .     ......     .;  ^..    .     . 

Chauffage.     .     .     .     ...     :    ....     .     .     .     .     . 

Service  de  la  scène  :  figiiratioyis ,  accessoires,  etc.  .    .     . 

Musique  de  la  scène  .;    .     .    .     .     .     ....     .     .     . 

Limiière  électrique  et  feu  d'artifice  .     i     .     .     .     .     .    . 

Gratifications .....' 

Droits  d  auteurs,  copies  de  musique,  location  de  piano    .     . 

Location  de  partitions. , 

Contributions  et  patentes .     .     .     .     .     .     .     ....     . 

Machinistes,  réparations  et  fournitures  diverses     .     .     .     . 

Peintres-décorateurs      id.  id.  .     .     .     . 

Costumier  id.  id.  .     .     .     . 

Armurier  id.  id.  .     .     .     . 

Tapissier  id.  id.  .... 

Serrurier  id.  id.  .  ^.     .     . 

Frais  à  répartir 

Retenue  par  la  ville,  art.  8  du  cahier  des  charges  .     .     .    ". 

Divers 

Frais  des  Bals 

Bénéfices  C.  et  R.  .............. 

Achat  décors  divers    .     .     .     .     .     ....     .     ...     . 

Personnel  y  appointemeyits ,    .   ^    .    .    ..     .     .     .    .     . 

Cachets  d- artistes  ciî  représentation.    .     .     .    ...     . 

Total.     .     .     .    fr. 


TOTAUX 

TOTAUX 

TOTAUX. 

1875-1876 

1881-1882 

1884-1885  • 

1.038  86 

801  26 

574  14 

3.654  65 

2.381  10 

1.593  35 

9.051  90 

8.901  20 

9.152  79 

25.069  74 

.  27.823  92 

31.091  44 

-  2.750  55 

6  231  04 

,.  •  7.518  10 

10.761  95 

,  12.655  05 

7.552  87 

6.210  50, 

8.474  55 

.4.768  25 

5.120  ^ 

5.271  50 

4:412  . 

,  1.769  25 

3.203  « 

^         2.276  n     . 

2  197  70 

21.127  65 

32.056  10 

1.050  - 

2.000  ^ 

3.400  » 

6.458  88 

6.881  91 

7.456  25 

9.301  06 

10.637  22 

9.280  9f^ 

9.653  54 

14.058  24 

5.692  98 

27.257  40 

46  667  80 

11.485  18 

167  . 

838  45 

422  35 

1.344  29 

1  8.35  64 

2.580  92 

947  15 

1  833  26 

1.531  94 

20.091  01 

27.033  48 

23.272  91 

25.000  - 

25.000  " 

•  25.000  n 

2.045  43 

6.261  70 

8.551  36 

8.781  40 

8.102  20 

7.743  50 

3444  »». 

4.946  75 
15.416  70 

5.559  25 

699.901  60 

637.199  16 

679.507  95. 

54.724  98 

27.507  65 

0  007  . 

937.792  84 

931.910  43  -1 

894.708  60 

'  .   TOTAUX 

TOTAUX 

TOTAUX 

1875-1876 

1881-1882 

1884-1885 

128.824  13 

105.078  87 

103.201  16 

549  250  50 

587.294  " 

534.566  - 

204.000  « 

219.000  « 

219.000  « 

49.200  r, 

25.000  - 

45.000  « 

26.427  n 

.39.049  r 

37.282  r, 

11.882  72 

5.187  76 

11.896    r, 

969  584  35 

975.609  63 

950.945  97 

(} 


JaIVREP     f^lOUVEyVUX 

Les  Faunesses,  par  T.  Ferret.  —  Paris,  Oiraud. 

Ce  n'est  pas  que  les  Faunesses^  de  M.  T.  Ferret  mènent 
bruyante,  et -sonore  sarabande  à  travers  son  livre.  L'auteur  n'a 
pas  eu  la  vision  rouge  de  ces  superbes  scènes  de  rut  qui  ont 
tenté  tous  ceux  qui  en  art  sentent  la  chair  et  la  couleur.  Ses 
Vénus  sont  tout  plutôt  que  sensuelles,  et  il  a  beau  les  lâcher  avec 
des  cris  étranges  dans  certains  de  ses  sonnets,  il  n'en  reste  pas 
moins  le  caractéristique  rimcur  de  ces  tercets  mornes  : 

Pour  les  ruts  douloureux  son  cadavre, allongé 
A  l'air  d'un  beau  sujet  de  clinique,  rongé, 
Dont  les  yeux  révulsés  ressemblent  aux  opales. 

Sur  son  front,  par  le  suint  des  mèches  fustigé. 
Ainsi  qu'une  couronne  aux  tempes  triomphales,     ^ 
Vénus  Dolorosa,  saignent  tes  Roses  pâles  I 

Les  Faunesses  de  M.  Ferret  sont  donc  bien  chlorotiques, 
mais  tant  mieux  puisqu'elles  nous  apparaissent  ainsi  neuves  et 
étranges.  M.  Ferret  adore  Villon  et  le  célèbre  archaïquement, 
avant  de  rimer  quatre  sonnets  charmants  sur  le  Luxembourg. 

Voici  l'Automne  :  ,  ' 

Décor  d'octobre,  roux  sous  les  soleils  obliques, 

—  Sa  courte  queue  en  arc  sur  la  flûte  en  roseaux, 
Un  Satyre  redit  de  mornes  bucoliques. 

Les  brises  en  passant  sanglotent  sur  les  eaux. 

Comme  un  long  râle  d'orgue  aux  vieilles  basiliques. 

—  L'amante  est  veuve.  Ils  sont  partis  les  damoiseaux, 
L'esseulée  erre  sous  les  cieux  mélancoliques. 

'  Des  brumes  fuient  au  loin  comme  de  blancs  oiseaux. 

Et  tristes  de  donner,  ô  belles  suzeraines. 

Au  sénat  populaire  un  blanc  cercle  de  Reines, 

Vos  cols  se  fout  hautains  sentant  l'affront  reçu. 

Il  pleut,  le  cœur  a  froid  dans  le  frisson  des  choses. 

Des  vases  débordant  sur  leur  socle  moussu 

En  pleurs  mélodieux  plaignent  la  mort  des  Roses, 


UNION  DE  JEUNES  COMPOSITEURS  BELGES 

Troisième  séance. 

Les  Jeunes  ont  élargi  leur  cadre.  C'est  un  grand  concert  avec 
orchestre  et  chœurs,  comportant,  au  dire  de  l'affiche,  200  exécu- 
tants, qu'ils  ont  donné  lundi.  Nous  voilà  loin  des  petites  audi- 
tions intimes  dans  lesquelles  une  suite  pour  violon  servait  d'in- 
termède à  deux  romances. 

Comme  programme,  deux  scènes  lyriques,  l'une  de  M.  Léon 
Dubois,  Breydel  et  De  Coninck^  l'autre  de  M.  Arthur  De  Greef, 
le  Cantique  des  cantiques^  et  quelques  pièces  symphoniques  :  un 
Prélude  et  andante^  ûe  M.  Emile  Agniez;  àe?,  Scènes  de  ballet j 
par  M.  Léon  Jehin;  un  tableau  symphonique  d'après  le  drame 
Patrie^  par  M.  Flon;  des  fragments  d'une  symphonie  de  M.  Jan 
Blockx,  et,  pour  finir,  une  Marche  caractéristique,  de  M.  Léon 
Soubre.  Les  solistes  étaient  M™^^  Cornélis-Servaiset  Fjon-Botraan, 
MM.  Van  Dvck  et  Renaud. 

Un  auditoire  sympathique  a  fait  bon  accueil  aux  divers  mor- 
ceaux, généreusement  applaudi  les  interprètes  et  rappelé  les 
auteurs.  --^^^  -        —     ^     :^.      ^^ 

Il  est  d'usage,  aux  Jeunes  compositeurs  y  que  chaque  composi- 
teur dirige  son  œuvre,  ce  qui  varie  agréablement  l'aspect  du 
pupitre  directorial.  M.  De  Greef,  seul,  s'est  fait  remplacer.  La 


manière  dont  Rubinstein  joue  du  piano  aurait-elle  dégoûté  ce 
pianiste  de  l'orchestre?  Sa  retraite  ne  l'a  d'ailleurs  nullement  dis- 
pensé do  venir  sur  l'estrade  recevoir  l'ovation  que  lui  a  adressée 
le  public.  M"^*^  Cornélis-Servais,  qui  avait  été  chargée  du  rôle  de 
la  Sulamiie,  —  et  qui  s'est  acquitté  de  sa  mission  avec  beaucoup 
de  talent  —  a  eu  soin  de  faire  à  l*  modestie  du  jeune  musicien 
une  douce  violence. 

Et  de  fait,  le  Cantique  des  cantiques  est  peut-être  l'œuvre  la 
plus  remarquable  qui  ait  été  jouée  lundi.  On  peut  lui  reprocher 
une  certaine  parenté  avec  Félicien  David,  dont  M.  De  Greef  imite 
■ —  peut-être  inconsciemment  —  le  rythme  et  le  coloris.  Mais  le 
morceau  est  bien  écrit,  soutenu,  et  le  chant  de  la  Sulamite  ter- 
mine avec  beaucoup  de  majesté' la  composition. 

Parmi  les  œuvres  symphoniques,  les  Scènes  de  ballet,  de 
M.  Jehin,  composées  do  trois  parties  :  2^.  Introduction.  —  Jeux 
et  danses;  b.  Pas  guerrier;  c.  Apparition.  —  Bacchanale,  ont 
été  particulièremeni  appréciées.  M.  Jehin  paraît  plus  préoccupé 
des  sonorités  du  plein  air  que  de  l'acoustique  d'une  salle  de 
théâtre.  C'est,  pourrait-on  dire,  de  la  musique  pour  Waux-Hall, 
mais  de  la  musique  très  bien  faite,  écrite  avec  talent  et  d'un  joli 
tour  mélodique.  L'Apparition  nous  semble  un  peu  banale.  Elle 
évoque  le  souvenir  d'une  apothéose  dans  un  ballet  de  féerie,  la 
toile  levée  sur  des  mousselines,  des  gazes  lamées  d'argent,  der- 
rière lesquelles  pleurent,  roses  et  vertes,  des  fontaines  sur  la 
cambrure' des  danseuses  pâmées. 

M.  Jan  Blockx,  l'un  des  plus  forts  de  VUnion,  le  jeune  maître 
anversois  aux  efforts  duquel  nous  avons,  des  premiers,  applaudi, 
a  été  si  mal  exécuté  qu'il  serait  téméraire  de  porter  sur  son 
œuvre  une  appréciation.  Nous  attendons,  pour  la  juger,  des  cir- 
constances plus  favorables. 


^ETITE    CHROJMiqUE 


M.  A.  Marque  a  exposé  cette  semaine  à  la"  Galerie  des  Arts^ 
15,  rue  de  la  Croix  de  fer,  une  vaste  peinture  décorative  de 
45  mètres  de^ongueur  destinée  au  nouveau  Casino  de  Blanken- 
berghe. 

C'est  naturellement  la  mer  qui  sert  de  thème  à  l'allégorie  de 
M.  Marque.  Un  grand  nombre  de  personnages,  naïades,  syrènes, 
tritons,  prennent  leurs  ébats  dans  les  eaux  vertes,  que  les  vagues 
secouent  furieusement. 

Les  cartons,  esquisses,  croquis  qu'expose  en  même  temps 
l'artiste  montrent  chez  celui-ci  un  grande  sensibilité  d'œil,  une 
main  experle,  un  goût  sûr  dans  la  combinaison  des  lignes  et 
l'harmonie  des  tons.  C'est  de  la  décoration  très  française. 

L'exécution  de  la  grande  toile  ne  répond  malheureusement  pas 
à  ce  que  font  espérer  les  cartons.  Il  y  a  des  lourdeurs,  des  gau- 
cheries, des  colorations  heurtées.  L'industrie  de  M.  Marque 
est  encore  presque  à  ses  débuts.  Si  les  résultats  sont,  dans  une 
certaine  mesure,  déjà  satisfaisants,  étant  donné  qu'en  Belgique 
l'art  décoratif  est  nul,  on  peut  espérer  que  sous  l'intelligente 
direction  de  M.  Marque,  la  petite  école  privée  qu'il  a  fondée 
prospérera  et  se  perfectionnera.  Déjà  elle  rend  des  services. 
Elle  occupe  bon  nombre  de  dessinateurs,  de  peintres,  d'ouvriers. 
A  ce  titre,  l'initiateur  de  cette  industrie  a  droit  à  une  mention 
spéciale. 

L'exposition  contemporaine  et  rétrospective  d'architecture  que 


>   , 


nous  avons  annoncée  est  ouverte  au  Palais  des  Beaux-Arts. 
Elle  est  visible  tous  les  jours.  Nous  en  publierons  dimanche 
prochain  le  compte-rendu.        ' 


Décidément,  il  est  dangereux  d'élre  défendu  par  les  détracteurs 
de  l'art  jeune.  Ce  ne  sont  pas  des  pavés  que  ces  ours  brandissent, 
ce  sont  des  pierres  de  taille.  Témoin  réchanlillon  suivant 
textuellement  extrait  du  Journal  des  Beaux- Arts ^  qui  a  déjà 
fourni  au  Sottisier  des  Vingtistes  quelques  joyeux  échantillons  : 

«  La  XIIP  exposition  du  Cercle  artistique  de  Bruxelles  n'a  pas 
subi  l'influence  fatidique  de  son  numéro  d'ordre,  car  elle  marque 
un  progrés,  une  sorte  d'effort  qui  mérite  d'être  signalé.  Non  seu- 
lement LA  DIMENSION,  mais  la  qualité  des  œuvres  a  gagné,  et  si  le 
sujet  est  encore  toujours  négligé,  si  rien  n'empoigne,  on  peut 
reconnaître  cependant  que  le  niveau  général  s'est  élevé.  La  note 
vingtiste  manque  cependant,  et  c'est  dommage,  car  il  ne  nous 
déplairait  pas  de  voir  là  négation  de  toutes  oijoses  se  dresser 
AU  milieu  de  cet  ensemble  consciencieux.  » 

Parole  d'honneur!  Nous  n'inventons  pas  un  mot.  Et  plus  loin  : 

«  Cette  exposition-ci  semble  pourtant  annoncer  une  réaction 
devenue  plus  que  nécessaire,  et,  surtout  dans  le  paysage,  nous 
voyons  des  peintres  qui  ont  été  les  porle-élendards  du  régiment 
moderne,  serrer  leur  dessin,  étudier  leur  arrangement  et  leurs 
plans,  en  cherchant  le  caractère.  Témoins  les  tableaux  de 
MM.  Van  der  Hecht,  Van  der  Meulen,  Van  Gelder,  Tscharner, 
Montigny,  très  complet  dans  sa  Soirée  de  novembre,  Crépin,  tous 
travaillés  celte  fois.  , 

«  Les  exagérations  des  Vingtistes  commenceraient-elles  à 
porter  leurs  fruits?  Toujours  est-il  que  nous  pouvons  enregistrer 
un  progrès  marquant  dans  la  forme,  le  choix  et  la  délicatesse  des 
tons,  etc.  »  ■ 

Comme  c'est  ça,  hein?  ;       ^       ' 

Le  baryton  Henri  Ileuschling  a  épousé,  le  6  mai,  à  Maestricht, 
M"^  Léonie  Dumonceau,  qui  s'est  fait  entendre  cet  hiver  à 
Bruxelles.  Nos  félicitations  au  jeune  ménage.  7^ 


Voici  la  statistique  des  représcnlations  données  au  cours  de  la 
campagne  qui  vient  de  finir  :  . 

Les  Templiers^  31  représentations;  Roméo  et  Juliette,  i6; 
le  Barbier  de  Séville,  15;  Si  fêtais  roi!  le  Pré  aux  Clercs  et 
\e  Maître  de  Chapelle,  13;  Coppelia.  12;  les  Huguenots^  12; 
le  Farjadet,  10  ;  le  Voyage  en  Chine,  Ondine,  Saint-Mégrin,  9  ; 
Aida,  l'Africaine,  Pierrot  macabre  et  Bonsoir  M.  Pantalon,  8  ; 
le  Chalet^  7;  Faust,  le  Docteur  Crispin,  6;  la  Favorite,  la 
Traviata,  Joconde  et  Haydée,  o;  la  Juive,  la  Fille  du  régiment, 
Lucie  de  Lammermoor,  Maître  Pathelin  et  Gwendoline,  4; 
Rigoletto,  le.  Trouvère,  3;  Guillaume  Tell,  Giralda,  e^^un 
divertissement,  2  ;  Fra  Diavolo,  1  ;  soit  266  représentations 
d'ouvrages  joués  seuls  ou  en  spectacles  coupés.  Elles  compren- 
nent 115  représentations  de  grand-opéra,  120  représentations 
d'opéra-comique  et  31  représentations  de  ballet.  Il  y  a  eu,  en 
outre,  le  concert  Lasalle,  3  concerts  du  chœur  russe,  l'exécution 
d'un  acte  de  la  Muette  de  Portici  et  5  bals  masqués. 


Le  Comité  belge  de  V Association  Wagncrienne  vient  de  dis- 
tribuer une  circulaire  d'où  nous  extrayons  les  renseignements 
pratiques  suivanis  :  '  ;         -    .  : 

Le  prix  du  parcours  en  chemin  de  fer  de  Bruxelles  à  Bayreuth 
est  fixé  comme  suit,  pour  l'aller  seulement  : 


i     •  .  '  Train  express.     Train  ordinaire. 

Première  classe    ,     .    .    04.20  75.30 

Billet  mixte     .     .     ,         75.30 

Seconde  classe     .     .        68.30  54.65 

Le  billet  mixte  donne  droit  au  parcours  en  première  classe  en 
Belgique  et  en  seconde  classe  en  Allemagne.  Le  train  le  plus 
rapide  et  le  plus  direct  part  de  Bruxelles  à  5  h.  50  du  soir  pour 
arriver  à  Bayreut"h  le  lendemain  à  3  h.  35  du  soir.  Il  faut  prendre 
à  Bruxelles  un  billet  direct  pour  Mayence,  qui  est  la  première 
station  allemande  où  l'on  délivre  des  billets  directs  pour  Bay- 
reuth. 

Il  n'existe  pas  de  billets  aller  et  retour^  Par  contre,  on  délivre 
à  Cologne  des  billets  circulaires  qui  permettent,  pour  un  prix 
moindre  que  celui  du  voyage  aller  et  retour  de  Cologne  à  Bay- 
reuth, de  visiter  Nuremberg,  Munich  et  quelques  autres  villes 
importantes. 

Rappelons  que  lès  représentations  sont  ainsi  fixées  : 

Parsifal,  les  23,  26,  30.juillet,  2,  6,  9,  13,  16,  20  août. 

Tristan,  les  25,  29  juillet,  l"',  5,  8, 12,  15,  19  août. 

On  annonce  que,  vu  l'état  déploi-able  du  trésor  royal,  le 
roi  de  Bavière  n'interviendra  pas  cette  année  dans  les  frais  des 
représentations  au  théâtre  de  Bayreuth.  L'orchestre  devra  être 
payé  par  l'entreprise.  Les  artistes  du  chant  ont  généreusement 
renoncé  à  leurs  honoraires  afin  de  ne  pas  augmenter  les  frais. 

M.  Vianesi  prépare  une  audition  de  V Elisabeth,  de  Liszt,  qui 
aura  lieu  en  mai  au  Trocadéro.  Voici  la  distribution  des  rôles  : 

Ludovic,  M.  Faure;  un  noble  hongrois,  M.  Auguez;  Hermann, 
M.  Soum;  Elisabeth,  M™«  M.  Schroeder;  Sophie,  M"™®  Marie 
Masson  ;  Ludvvig,  M""«  Cremer. 

Liszt  assistera  à  la  répétition  générale  de  son  oratorio  et  à  son 
exécution.  L'orgue  sera  tenu  par  M.  Guilmant;  l'harmonium,  par 
M.  Georges  Lamothe.       • 

M.  Sedelmeyer  expose  en  ce  moment  dans  sa  galerie,  rue  de 
la  Rochefoucauld,  U  Paris,  trois  portraits  de  Liszt  :  celui  que 
Mnnkacsy  a  exécuté  récemment,  le  portrait  peint  en  1870  par 
Legrand,  lorsque  Liszt  avait  59  ans  :  et,  enfin,  le  portrait  de 
Liszt  à  28  ans,  par  Lehmann,  qui  appartient  à  M.  Emile  Ollivier. 

On  vient  d'ouvrir  à  Paris  une  exposition  des  tableaux  et  des 
pastels  du  peintre  J.  de  Nittis.  L'organisateur  est  M.  Bernheim, 
8,  rue  Laffite. 

Les  Anglais  se  modernisent.  Lord  Turlow  vient  de  faire  triom- 
pher, à  la  Chambre  des  Lords,  une  motion  relative  à  l'ouverture 
des  musées  le  dimanche. 

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CHARPENTES,    SERRES,    PAVILLONS 

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I 


160 


UART  MODERNE 


A 


■     SIXIÈME-ANNÉE 

L'ART  MODERNE  s'est  acquis  par  raatorité  et  l'indépendance  de  sa  critique,  par  la  variété  de  stes 
informations  et    les  soins  donnés  à  sa   rédaction  une  place  prépondérante.  -Aucune   manifestation  de  l'Art  ne 

lui  est  étrangère  :  il  s'occupe  de  littérature,  de  peinture,  de  sculpture,  de  gravure,  de  musique, 

d'architecture,  etc.  Consacré  principalement  au  mouvement  artistique  belge,  il  renseigne  néanmoins  ses 
lecteurs  sur  tous  les  événements  artistiques  de  l'étranger  qu'il  importe  de  connaître. 

Chaque  numéro  de  L'ART  MODERNS  s'ouvre  par  une  étude  approfondie  sur  une  question  artistique 
ou  littéraire  dont  l'événement  de  la  semaine  fournit  ractualité.  IiQ^  expositions,  les  livres  nôuvemix,  les 
premières  représentations  d 'œuvres  dramatiques  ou  musicales,  les  conférences  littéraires ,  les  concerts,  les 
ventes  dobjets  d'art,  font  tous  les  dimanches  l'objet  de  chroniques  détaillées. 

L'ART  MODERNE  relate  aussi  la  législation  et  la  jurisprudence  artistiques.  Il  rend  compte  des 
procès  les  plus  intéressants  concernant  les  Arts,  plaides  devant  les  tribunaux  belges  et  étrangers.  Les 
artistes  trouvent  toutes  les  semaines  dans  son  Mémento  la  nomenclature  complète  des  expositions  et 
concours  auxquels  ils  peuvent  prendre  part,  en  Belgique  et  à  l'étranger.  Il  est  envoyé  gratuitement  à 
l'essai  pendant  un  mois  à  toute  personne  qui  en  fait  la  demande. 

L'ART  MODERNE  forme  chaque  année  un  beau  et  fort  volume  d'environ  450.  pages,  avec  table 
des  matières.  Il  constitue  pour  l'histoire  de  l'Art  le  document  LE  PLUS  COMPLET  et  le  recueil  LE  PLUS 
FACILE  A  CONSULTER. 


PRIX    D'ABONNEMENT 


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Quelques  exemplaires  des  cinq  premières  années  sont  en   vente   aux  bureaux   de  L'ART  MODERNE, 
rue  de  l'Industrie,  26,  au  prix  de  30  francs  chacun. 


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DE  SWERT,  Jules  Sérénade  de  l'opéra  :  Les  Albigeois.  Tran- 
scription pour  violoncelle,  avec  accomp.  dé  piano,  fr.  2..00. 

BORIS  SCHEEL.  Op.  155.  Trois  mélodies  pour  chant,  avec 
acGomp.  de  violoncelle  (ou  violon)  et  piano.  Paroles  françaises  et 
anglaises  :  N^  1  Venez  ma  mie.  Sérénade.  (Arise,  beloved),  fr.  L35; 
no  2  Pour  l'absent.  (To  my  absent  love),  fr.  1.75;  n»  3.  Chant 
cCainonr  (Love  song),  fr.  1.75. 

ERMEL,  A.  Op.  40.  Scherzetto,  pour  piano,  fr.  2.50. 


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turnes, fr.  5-00.  Cah.  II,  Concerto  en  mi-b.,  fr.  5-00. 

Erb,  m.  J.  Tableaux  et  légendes  d'Alsace,  5  more,  de  piano,  fr.  4-70. 

FoRSTER,  A.  Op.  96.  Huit  more,  de  piano  pour  la  jeunesse,  fr.  2-50. 
Op.  97.  Pour  la  jeunesse,  6  more.  fac.  à  4  mains,  4-10. 

Gade,  N.  W.  Les  Croisés.  Partition  de  piano,  fr.  5-00. 

HoFMANN,  H.  Op.  78.  Dans  la  cour  du  château,  suite  p.  orch.  Parti- 
tion, 17-50.  Parties.  26-25.  Op.  79.  Légende  de  la  forêt.  8  more, 
pour  piano  à  4  mains.  Cah.  I,  fr.  4-70.  Cah.  II,  fr.  5-35. 

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Sixième  année.  —  N°  21 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  23  Mai  1886. 


L'ART 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


RE?ÏÏE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,   un  an,  fr.  10.00;  Union  postale,   fr.   13.00.    —  ANNONCES  :'0n  traite   à  forfait. 

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Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 
l'administration  GÉNÉfeALE  DE  l'Apt  Modeme,  PUG  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


^OMMAIRE 


Architecture.  Exposition  nationale  de  1886.  —  Le  Salon  de 
Paris.  Premier  article.  —  Le  Don  Juanisme.  —  Guide  du  touriste 
EN  Ardenne,  par  Jean  d'Ardenne.  —  Deux  ventes  de  tableaux.  — 
Glanures.  —  La  vente  ^ÎORGAN.  —  Bibliographie  musicale.  Sonates 
•pour  piano  y  par  Beethoven.  Trois  sonates,  par  Philippe  Schar- 
wenka.  —  Mémento  des  expositions  et  concours. 


ARCHITECTURE 

EXPOSITION  NATIONALE  DE  1886 

Le  public  s'occupe  peu  d'architecture  en  Belgique. 
Il  en  est  apparemment  de  même  dans  les  autres  pays. 
Il  est  délaissé  par  l'opinion,  cet  art  admirable,  le 
premier  en  rang  parmi  les  arts  du  dessin,  celui  qui  les 
englobe  tous,  parce  que  tous  peuvent  être  appelés  à  le 
servir  en  se  subordonnant  à  lui.  Et  c'est  pourtant  celui 
qui  s'affirme  sans  cesse  en  la  forme  la  plus  visible,  et 
pour  tout  le  monde,  à  la  ville  et  au  village,  dans  les  rues 
et  sur  les  routes,  partout  où  il  faut  abriter  Thomme, 
c'est-à-dire  en  tous  lieux.  Et  comme  enseignement, 
c'est  le  plus  puissant,  le  plus  permanent  puisqu'il  forme 
le  décor  même  de  la  vie  sociale  en  des  manifestations 
humaines,  comme  le  paysage  en  est  le  décor  en  des 
manifestations  naturelles.  Au  lieu  d'être  un  accident 
aperçu  en  passant,  tel  qu'un  tableau,  une  statue,  un 
livre,  un  chant,  il  est  l'enveloppe  même  de  l'existence, 
son  ambiance  de  jour  et  de  nuit,  le  MiLiEu'dans  l'éner- 
gique expression  du  terme  et  dans  son  influence  inévi- 
table. 


Est-ce  parce  qu'il  est  toujours  là  qu'on  ne  le  voit 
guère,  comme  les  choses  dont  l'accoutumance  quoti- 
dienne émousse  nos  sensations  et  nous  rend  pour  elles 
aveugles  ou  indifférents?  Ou  bien  sa  supériorité  même 
le  met-elle  au  dessus  de  la  foule  et  la  vue  basse,  la  cer- 
velle sans  pénétration  de  la  plupart,  ne  peuvent-elles 
aller  jusqu'aux  hauteurs  et  aux  profondeurs  où  se 
dégagent  et  s'épanouissent  les  sereines  splendeurs  et 
•  les  fortes  beautés  qui  le  caractérisent  ? 

Qu'importent  les  causes?  Ce  qu'il  faut,  c'est  ramener 
les  préoccupations  et  les  prédilections  vers  ce  domaine 
peu  fréquenté,  c'est  aider  aux  efforts  de  ceux  qui  ont 
commencé  chez  nous  ce  retour  en  nous  sauvant  peu  à 
peu  des  affreuses  banalités  qui  si  longtemps  ont  désho- 
noré nos  édifices  et  nos  demeures.  Oh  !  la  platitude  des 
maisons  bâties  vers  1830!  Oh  !  la  vulgarité  des  monu- 
ments! La  sourde  et  plate  imitation  des  architectures 
mortes,  la  maladroite  et  stérile  répétition  du  passé! 

Là,  comme  dans  tous  les  autres  arts,  a  régné  long- 
temps la  doctrine  académique  des  modèles  à  copier,  à 
•accommoder,  à  dénaturer.  Après  l'art  grec,  ce  fut  l'art 
gothique  qu'on  proposa  aux  profanations  inconscientes 
des  malheureux  soumis  à  ce  régihie  déformateur,  des- 
tructif de  toute  originalité.  Nous  sommes  encore  empes- 
tés de  ces  théories  nauséabondes  qui,  durant  des  lustres 
et  des  lustres,  ont  monté  en  miasmes  délétères  dans 
toutes  nos  écoles.  Que  d'opiniâtreté  il  faudra  pour  en 
désinfecter  la  commune  intelligence,  que  de  générations 
vierges  pour  retrouver  l'élan  spontané,  la  vive  nature, 
la  personnalité  franche  qui  seuls  font  surgir  un  art 


-j 


162 


VART  MODERNE 


approprié  à  une  époque  !  Comme  s'ils  étaient  des  vieil- 
lards, on  a  habitué  nos  jeunes  artistes  à  ne  vivre  que 
de  souvenirs.  Comme  s'ils  étaient  des  vaincus  et  des 
captifs  on  leur  a  imposé  une  langue  artistique  qui 
n'était  pas  la  leur.  On  leur  a  donné  pour  conquérants 
les  maîtres  morts  et  on  ne  les  a  longtemps  loués  que 
dans  la  mesure  où  ils  recommençaient  ceux-ci. 

Heureusement  ces  vieilles  erreurs  se  dissipent.  Les 
derniers  représentants  de  ce  système  funeste  dispa- 
raissent un  à  un.  Même  dans  les  académies,  leurs  der- 
niers refuges,  l'évangile  nouveau  pénètre  et  les  jeunes 
âmes  résistent  quand  on  ne  leur  ofïre  d'autre  idéal  que 
de  reprendre,  sans  espoir  sérieux  de  les  égaler,  les 
œuvres  des  ancêtres.  Elles  veulent  vivre  de  leur  vie 
personnelle,  éclore  en  leurs  propres  aptitudes,  et  n'ac- 
ceptent plus  leurs  devanciers  que  comme  des  excitants 
à  l'enthousiasme  d'où  jaillissent  les  vraies  originalités. 

Dans  V Avant' Propos  du  catalogue  de  la  deuxième 
exposition  de  la  Société  centrale  d'architecture,  actuel- 
lement ouverte  au  Palais  des  Beaux-Arts,  ces  principes 
salutaires,  directoires  de  fart  nouveau,  ne  sont  pas 
explicitement  affirmés,  mais  il  y  règne  pourtant  un 
souffle  de  bonne  volonté  et  d'indépendance  qui  révèle 
chez  les  organisateurs  une  conscience  instinctive  de 
leur  exactitude  et  de  leur  opportunité.  Aussi  est-ce 
de  bon  cœur  et  avec  l'espérance  d'un  avenir  meilleur 
qu'il  faut  signaler  leur  tentative  et  lui  souhaiter  la 
bienvenue.  T  > 

L'exposition  est  importan^je.  Elle  couvre  les  murs  de 
toutes  les  salles  du  premier  étage.  Elle  est  variée  et 
intéressante,  quoique  d'un  niveau  peu  élevé.  Elle  ne 
révèle  pas  des  tendances  bien  nettes.  Elle  s'attarde 
encore  dans  le  passé,  mais  de  ci,  de  là,  au  milieu  du 
vieux  gazon  ras,  sort  une  pousse  de  bonne  et  franche 
végétation,  qui  présage  les  vigoureuses  récoltes  futures. 

De  même  qu'à  l'Exposition  triennale  précédente,  il  y 
a  une  section  rétrospective  et  une  section  contempo- 
raine, la  première  réunissant  des  dessins  de  construc- 
tions projetés  ou  exécutés  avant  1830  par  des  archi- 
tectes nés  ou  de  résidence  habituelle  dans  les  provinces 
bèlge§.  Cette  partie  comprend  472  numéros,  parmi 
lesquels  quelques-uns  de  Guimard  et  de  Montoyer. 
Signalons  aussi  293  demandes  d'autorisation  de  bâtir, 
adressées  à  l'administration  communale  de  la  ville  de 
Gand  de  1685  à  18G0,  établissant  une  très  curieuse 
filière  de  la  lente  et  peu  féconde  transformation  de 
l'architecture  privée  en  Flandre  durant  cette  période. 

L'esthète  sera  surtout  attiré  par  les  photographies 
appartenant  à  MM.  A.  Massaux  et  H.  Coenraets,  des 
décorations  intérieures  du  château  de  La  Motte  à  Bous- 
val,  cette  ruine  d'une  charmante  demeure  Louis  XV, 
perdue  dans  notre  Brabant,  où  Eugène  Van  Bemmel  a 
placé  quelques  épisodes  de  son  Dom  Placide,  Cette 
merveille,  que  le  temps  ronge  dans  la  solitude  ravis- 


sante qui  l'enserre,  est  peu  connue  de  nos  concitoyens, 
quoiqu'elle  ne  soit  qu'à  un  quart'de  lieue  de  la  station 
de  Noirhat  sur  la  ligne  d'Ottignies  à  Nivelles.  Ainsi  que 
le  rappelle  une  note  du  catalogue,  le  château  fut  con- 
struit, il  y  a  environ  un  siècle,  par  le  lieutenant-colonel 
autriciièen  de  Rameau.  Il  est  à  la  lisière  du  bois  de  la 
Tombe  des  Romaines;  ses  jardins  en  terrasses,  devenus 
sauvages,  dominent  le  val  tranquille  où  serpente  le 
Cala.    .   '     ■'  "^  ''■■;'■' 

L'énumération  des  œuvres  anciennes  est  suivie  de 
quelques  feuilles  intéressantes  donnant  le  fac-similé  de 
signatures  et  d'écritures  de  quelques-uns  de  leurs 
auteurs^  Voilà  une  idée  qui  plaira  à  quiconque  aime  à 
se  figurer  l'homme  d'après  les  originalités  de  sa  main. 

La  section  contemporaine  réunit  554  numéros.  Elle 
est  divisée  en  neuf  classes:  Architecture  religieuse, 
funéraire,  civile,  scolaire,  hospitalière,  domestique, 
militaire,  travaux  d'édilité,  croquis  et  fragments. 

Beaucoup  de  morceaux  très  faibles,  il  faut  l'avouer, 
il  faut  le  dire.  La  commission  organisatrice  déclare 
qu'elle  s'est  montrée  plus  sévère  qu'à  la  première  expo- 
sition, estimant  qu'il  fallait  préférer  la  qualité  au  nom- 
bre. C'est  bien,  mais  ce  n'est  pas  assez.  Il  y  a  un  rem- 
plissage considérable  de  choses  d'une  banalité  désolante. 
C'est  ce  qu'il  faudra  sa'crifier  sans  pitié  pour  réserver 
toute  la  place  et  tous  les  honneurs  aux  conceptions  ori- 
ginales. •         ., 

C'est  dans  l'architecture  domestique  que  nous  avons 
rencontré  les  œuvres  d'après  nous  les  plus  dignes  d'atten- 
tion. M.  Jules  Brunfaut  expose,  en  photographies,  des 
façades  de  maison  et  des  portes,  un  peu  trop  pastichées 
de  la  Renaissance  flamande,  mais  de  beaucoup  de  goût. 
M.  Jean  Baes  a  une  série  de  cottages  exécutés  en  Bel- 
gique, en  France  et  en  Angleterre,  qui  forment  une 
charmante  suite  d'aquarelles,  non  égale  toutefois  à 
l'inoubliable  série  de  ses  clochers  (*) 

Parmi  les  travaux  d'édilité,  on  remarque  vingt- 
deux  projets  relatifs  à  ce  que  l'un  des  exposants  qua- 
lifie le  problème  de  la  transformation  de  la  Montagne 
de  la  Cour!  Vraiment  quand  on  les  voit,  on  ne  peut 
s'empêcher  de  trouver  que  la  question  n'est  pas  mûre. 
Ce  que  les  auteurs  y  ont  accumulé  de  banalités  bour- 
geoises est  inimaginable.  Presque  tous  sont  empêtrés 
dans  le  style  dit  Badinguet.  Rien  du  pays,  rien  de  nos 
mœurs.  Un  amalgame  de  tous  les  lieux  communs  de 
l'architecture  contemporaine  boulevardière.  Et  ce 
serait  cela  qui  remplacerait  le  pittoresque  ensemble 
formé  par  la  Montagne  actuelle,  flanquée  de  ces 
romantiques  retraites  :  la  riante  place  du  Musée,  l'in- 
comparable quartier  Terarcken  avec  ses  quatre  esca- 
liers, ses  admirables  vieilles  demeures,  le  défilé  serpen- 
tant de  la  rue  des  Douze- Apôtres  et  la  rue  d'Isabelle, 


(*)  Voir  notre  numéro  du  7  mai  1882,  p.  147. 


r 


u 


LAUT  MODERNE 


163 


et  les  sombres  diverticula  de  la  ruelle  Saint- Roch! 
Pourquoi  détruire  ces  restes  qui  font  la  joie  des  artistes, 
et  excitent  étonnamment  la  curiosité  des  étrangers? 
Voilà  du  vrai  Bruxelles,  ayant  toute  sa  saveur,  qu'au- 
cun bouleversement  ne  pourrait  égaler  en  étrangeté 
séduisante.  Quand  on  possède  un  aussi  merveilleux^ 
imprévn,  on  le  conserve  jalousement,  on  l'améliore  en 
réparant,  en  complétant  dans  les  mêmes  données.  On 
ne  détruit  pas;  ce  serait  bête.  En  vain  parle-t-on  des 
communications  entre  le  haut  et  le  bas  de  la  ville.  On 
les  supporte  comme  elles  sont  depuis  toujours.  Qu'on 
ne  sacrifie  pas  à  des  manies  d'alignement  une  des  plus 
incontestables  beautés  de  notre  cité.  Ce  n'est  pas  droit, 
c'est  un  peu  rai  de,  c'est  étroit,  déhanché,  contourné  : 
tant  mieux,  nous  avons  tant  de  grrrandes  artères  l 
Goûtons  un  peu  d'autre  chose.  Il  en  reste  si  peu.  Puis- 
qu'on parle  de  problème,  nous  le  poserons,  nous,  ainsi  : 
Maintenir  tout  le  quartier,  en  améliorant  ses  détails, 
dans  son  style.  .  • 

Pour  finir  une  réflexion  secondaire.  La  ville  a  exposé 
.un  grand  tableau  donnant  les  modèles  des  objets  divers 
qu'elle  installe  dans  ses  promenades  publiques  :  candé- 
labres, bancs,  écriteaux,  etc.  (l'etc.  cache  décemment 
les  urinoirs  dont  on  voit  des  spécimens).  Or,  il  est  à 
noter  que  les  candélabres  les  plus  anciens  sont  les  plus 
corrects  et  les  mieux  en  style.  Days  les  temps  plus 
récents,  on  s'est  laissé  aller  à  des  horreurs  sous  pré- 
texte d'ornementation  :  témoins  le  tortillage  grotesque 
des  candélabres  MONUMENTAUX  de  la  place  du  Congrès. 


L£  SALON  DE  PARIS 


Premier  article. 


Parlons-en,  puisque  c'est  l'usage.  -  — 

Chaque  année,  quand  les  murs  du  Palais  des  Champs- 
Elysées  revêtent  leur  tapageur  caparaçon  et  que  sous 
les  vastes  lanterneaux,  parmi  les  lataniers,  s'agite  la 
pantomime  des  statues  de  plâtre  et  de  marbre,  peintres 
et  sculpteurs  accaparent  de  vive  force  l'attention.  On  se 
rend  au  Salon  comme  à  la  reprise  d'un  opéra  connu. 
Dans  un  même  décor  se  déroule  une  action  qui  ne  varie 
pas.  Les  interprètes  eux-mêmes  reprennent  périodique- 
ment possession  d'un  rôle  qu'ils  savent  sur  le  bout  des 
doigts.  Le  fort  ténor,  la  prima-dona,  le  baryton,  la 
basse,  recueillent  régulièrement  leur  moisson  d'applau- 
dissements. Le  public  les  connaît,  les  aime,  s'est  accou- 
tumé à  leur  jeu,  et  même  à  leurs  défauts.  Il  sait  le  fort 
et  le  faible  de  chacun.  Il  les  veut  tels  qu'il  les  a  admis, 
à  leurs  débuis,  et  tels  que  les  dépeignent,  à  chaque  sai- 
son nouvelle,  les  porte-voix  du  Figaro  et  de  YÉcene' 
ment.  Si  M.  Bannat  modifiait  sa  couleur  sèche,  noire, 
immuablement  figée  dans  la  sauce  dont  il  transmet 
orgueilleusement  la  recette  aux  marmitons  qui  s'ef- 


forcent d'atteindre  au  génie  du  cuisinier-chef,  il  y  aurait 
sans  doute  des  murmures.  Et  qu'il  prenne  fantaisie  à 
M.  William- Adolphe  Bouguereau  de  sub.stituer  de  la 
vraie  toile  et  de  la  vraie  couleur  à  la  porcelaine  émaillée 
qui  l'a  conduit  à  Tlnstitut,  ou  à  M.  Henner  de  voir 
autrement  la  nature  que  sous  l'aspect  d'une  tache  d'un 
blanc  de  lait  sur  un  fond  chocolat,  ou  à  M.  Cabanel 
d'animer  d'un  semblant  de  vie  l'agonie  de  ses  modèles, 
la  perturbation  sera  à  son  comble.  ■  ' 

Le  public  n'aime  pas  à  être  dérangé  dans  ses  habi- 
tudes, et  si  les  artistes  étaient  vraiment  galants  pour 
lui,  ils  pousseraient  1^  polite.sse  jusqu'à  réserver  chaque 
année  la  même  place  aux  mêmes  peintres.  Il  y  aurait  le 
panneau  des  Lefebvre,  la  salle  des  Benjamin-Constant, 
le  pan  coupé  des  Gérôme,  la  cloison  des  Laurens,  celle" 
des  Benner,  celle  des  Boulanger'.  On  pourrait,  pour  ce 
dernier,  installer  tout  auprès  de  ses  toiles  une  tribune 
pour  ses  conférences.  Et  l'on  n'oublierait  point  de  gar- 
der pour  Vibert  une  place  spéciale.  Ainsi  tout  serait 
aussi  bien  rangé,  ordonné,  classé,  étiqueté  qu'au  Louvre 
(nous  parlons  des  Magasins  et  non. du  Musée)  les  rayons 
des  nouveautés  —  le  mot  fait  ici  contraste!  —  des 
chaussures,  des  gants  et  des  articles-Paris. 

Quel  temps  gagné  pour  les  neuf  dixièmes  des  visi- 
teurs, qui  vont  uniquement  au  Salon  pour  contempler 
ces  choses-là  !  Et  que  d'erreurs  évitées  désormais  dans 
lès  comptes-rendus  des  critiques  patentés  ! 

C'est  alors  que  serait  tout  à  fait  vrai  le  mot  d'Arthur 
Stevens,  qui  nous  di-sait,  au  lendemain  de  l'ouverture  : 
«  Oh  !  le  Salon,  je  l'ai  vu  depuis  longtemps.  —  Depuis 
longtemps!  —Mais  oui,  depuis  des  années!  N'est-ce 
pas  toujours  le  même?  « 

De  fait,  il  semble  qu'aujourd'hui  on  se  contente  de 
battre  les  cartes,  sans  changer  de  jeu.  Le  valet  de  car- 
reau, la  dame  de  pique,  le  roi  de  cœur  reparaissent 
invariablement.  L'ordre  seul  dans  lequel  ils  reviennent 
en  cette  immense  -  réussite  "  varie  quelque  peu. 

En  attendant  même  que  ceci  disparaisse,  qu'un  clas- 
sement vraiment  méthodique  et  parfait  évite  aux  uns  la 
fatigue  de  rechercher  à  travers  les  salles  les  peintres 
en  vogue,  en  épargnant  aux  autres  la  peine  de  les  fuir, 
promenons-nous  dans  les  galeries  et  abandonnons-nous 
au  hasard  des  rencontres. 

L'excursion  présentera,  somme  toute,  quelqiie  inté- 
rêt. Car  s'il  est  superflu  pour  la  critique  de  redire  à 
propos  de  r Amour  désarmé  ce  qu'elle  avait  dit  de 
la  Naissance  dé  Vénus  ou  de  la  Consolabnce  des 
affligés  et  de  servir  sous  une  autre  forme,  en  parlant 
de  Justinien  et  de  Judith,  les  réflexions  que  lui 
avaient  suggérées  la  Justice  duShérifeiHérodiade, 
il  se  présente  parfois  telle  toile  âpre,  fruste,  qui  sonne 
brusquement  comme  un  clairon  de  bataille. 

Ce  n'est  pas,  on  le  sait,  sous  les  vitres  du  Palais  des 
Champs-Elysées  que  crépite  la  mousqueterie.  On  n'y 


164    ' 


UART  MODERNE 


tire  qu'à  blanc,  comme  dans  la  plaine  de  Ten-Bosch  les 
gardes  civiques  de  Bruxelles  et  de  ses  faubourgs.  Si 
l'on  y  peut  admirer  de  jolis  déploiements  d'aigrettes  et 
de  plumets,  des  c'aracolades  de  chevaux  et  des  défilés 
de  troupes,  c'est  ailleurs  qu'on  s'empoigne  corps  à  corps 
et  qu'on  porte  les  coups  qui  tuent. 

Mais  parfois  un  soldat  vient  se  mêler,  en  curieux,  en 
flâneur,  r—  est-ce  par  un  besoin  inassouvi  de  combats  et 
par  amour  de  ce  qui  en  évoque  l'image?  —  à  ces  parades 
inoffensives.  Ceux-là  nous  les  distinguerons  et  les  place- 
rons au  premier  rang.  Signalons  déjà,  dès  à  présent, 
Puvis  de  Chavannes,  RaffaéHi,  Fantin-Latour,Whistler. 
Ou  encore  remarque-t-on  parfois  une  récrue  dont  la 
bonne  tenue  attire  l'attention. 

Mais  avant  de  passer  cette  revue,  occupons-nous  de 
ceux  de  nos  compatriotes  qui  ont  bravé  les  rigueurs  du 
jury  et  l'ingéniosité  de  la  commission  de  placement, 
habile  à  réparer  les  bévues  commises  par  ses  collègues 
de  l'admission,  en  reléguant  aux  rangs  supérieurs,  dans 
les  coins  sombres  ou  tout  au  moins  dans  les  galeries 
excentriques,  les  œuvres  de  valeur  qu'on  a  eu  la 
faiblesse  d'accepter.  ,  . 

Les  Belges  qui  exposent  cette  année  ne  sont  pas  tous, 
il  est  vrai,  de  première  marque,  et  l'on  ne  saurait  faire 
un'grief  aux  placeurs  de  ne  pas  les  avoir  tous  mis  à  la 
cimaise; 

Celui  de  tous  qui  semble  avoir  tiré  le  meilleur 
numéro  à  cette  loterie  est  M.  Halkett,  dont  on  a  vu, 
à  r Essor,  le  grand  tryptique  :  Dans  la  Sapinière. 
C'est  cet  ouvrage  qui  figure  au  Salon,  et  les  conditions 
de  lumière  dans  lesquelles  il  est  présenté  lui  sont  très 
favorables.  Rien  d'étonnant  à  ce  qu'on  songeât  au  jeune 
artiste  pour  une  médaille. 

L'Escaut  à  Anvers,  de  M.  Franz  Courtens,  est  éga- 
lement à  la  rampe,  mais  l'œuvre  est  moins  bien  éclairée 
que  la  précédente.  Elle  paraît,  dans  ce  milieu  parisien, 
quelque  peu  lourde.  L'eau  est  opaque,  le  ciel  manque 
de  fluidité.  C'est  néanmoins  une  peinture  saine,  con- 
sciencieuse, dénotant  un  labeur  tenace. 

M.  Aelbrecht  de  Vriendt  expose  une  vaste  composition 
d'exécution  récente,  mais  de  tendances  anciennes.  Elle 
est  intitulée  :  Comment  ceux  de  Gand  rendirent 
hommage  à  Charles-Quint  enfant.  On  connaît  l'art 
spécial,  d'une  archéologie  savante  et  minutieuse,  de 
M.  De  Vriendt.  ^La  nouvelle  œuvre  est  semblable  aux 
précédentes  et  ne  nous  apprend  rien  sur  son  auteur,  si 
ce  n'est  qu'il  demeure  fidèle  à  la  foi  de  sa  vie. 

M.  Hennebicq  montre,  dans  un  pan  coupé,  bien  en 
vue,  un  portrait  assez  vulgaire,  mais  ressemblant,  de 
M.  Jules  Bara.  M"*^ Marie  Colart,  deux  paysages,  l'un 
d'hiver,  l'autre  d'été.  M.  Coosemans,  un  Chemin  en 
Campine,  qu'il  est  téméraire  de  vouloir  regarder  tant 
il  est  haut  placé.  M .  Clays,  à  la  cimaise,  deux  marines. 
M.  Carpentier,  que  nous  classons  parmi  les  Belges, 


quoiqu'il  habite  depuis  longtemps  Paris  et  que  son  art 
n'ait  plus  avec  notre  pays  que  des  attaches  lointaines, 
exhibe  une  assez  grande  composition  dans  le  genre  de 
François  Flameng  et  que  l'artiste  intitule  :  M^^  Roland 
à  Sainte-Pélagie: 

Il  faut  citer  encore,  parmi  ceux  de  nos  compatriotes 
qu'on  découvre  au  Salon,  les  uns  passablement  bien 
placés,  les  autres  perdus  dans  les  frises,  MM.  Florent 
Willems,  qui  est  dans  le  cas  de  M.  Carpentier  sous  le 
rapport  de  la  nationalité,  Théodore  Verstraete,  Frans 
Van  Leemputten,  Henri  Van  der  Hecht,  Louis  Tim- 
mermans,  Alexandre  S truys,  Nicolas  Van  den  Eeden, 
Georges  Van  den  Bos,  Jules  Van  Biesbroeck,  Edmond 
Van  der  Meuleri,  Robert  Mois,  Emile  Motte,  Cari  Nys, 
Antoine  La  Boulaye,  Alfred  Hubert,  Léon  Herbo, 
Gustave  Denduyts,  François  Gailliard,  Emile  Claus, 
Léon  Dansaert,  Charles  Baugniet,  Jan  Van  Beers  et 
M""^'  Ronner  mère  et  fille,  Alix  d'Anethan,  Hélène 
Gevers  et  Clémence  Van  den  Broeck. 

Peut-être  en  est-il  davantage,  nous  ne  citons  que 
ceux  que  nous  avons  vus. 

M.  Jan  Van  Beers  excite  le  plus  de  curiosité.  Rien 
de  plus  normal,  puisque  l'artiste  s'éloigne  de  plus  en 
plus  des  conceptions  artistiques  pour  devenir  l'amuseur 
et  le  loustic  de  la  foule.  On  verra  bientôt  chez  tous  les 
marchands  de  cigares,  reproduit  par  le  plus  récent  per- 
fectionnement de^  la  chromolithographie,  son  gentle- 
man en  costume  de  bain  tendant  les  bras  à  une  petite 
dame  qui  descend,  dans  là  même  toilette,  l'escalier 
d'une  cabine.  Et,  ce  qu'il  y  a  de  charmant,  c'est  que  ce 
chromo  produira  la  même  impression  que  la  peinture 
elle-même.  ^___: ^-^_ l 1 , _^^ .__ 

Les  amateurs  auront  la  faculté  de  s'offrir,  à  bon 
marché,  quelque  chose  qui  pourra  être  pris  pour 
l'œuvre  originale  elle-même.  —  * 

Art  d'exportation,  art  de  pacotille,  art  odieux. 

Et  maintenant,  voyons  ce  qu'ont  produit  de  neuf  les 
peintres  français.  La  colonie  exotique  aura  son  tour 
ensuite,  et  nous  terminerons  par  une  excursion  au  pays 
des  sculpteurs. 

lE  DON  JDAKISME 

Il  arriva  souvent  à  Balzac  de  réunir  et  de  concentrer  ses  obser- 
vations sur  un  travers  ou  un  vice  humain  en  de  petites  études 
—  petites  est  maigre  quand  on  écrit  de  Balzac  —  éditées  en  des 
«  bibliothèques  de  poche  »  et  d'une  intimité  de  Vade-Mecum. 
La  Théorie  de  la  Démarche  et  le  Code  des  gens  honnêtes  ont  été 
publiés  ainsi.  Plus  tard,  Barbey  d'Aurevilly  a  imité  sur  ce  point 
son  maître.  Il  a  fait  le  Dandysme.  Et  voici  M.  Armand  Hayem  qui 
donne  un  pendant  à  ce  dernier  volume  et  le  dédie  à  Barbey.  — 
\jQ  Don  J nanisme. 

Les  observations  contenues  dans  ces  diverses  études  pourraient 
à  merveille  se  particulariser  dans  une  histoire  et  se  vivifier  en 
personnages.  Quand  on  a  approfondi  un  type  comme  Brummel 


ou  Don  Juan,  il  est  naturel  qu'on  soit  tenté  deraccommodeï'àunc 
forme  moderne  et  de  le  découper  en  pages  de  format  Charpentier. 
Barbey,  sondant  le  type  deBrummel,  en  crée  un  nouveau  où  il 
incarne  ses  idées  ^  travers  son  observation;  de  njêmeM.  Armand 
Hayem.  L'un  et  l'autre  sont  sincères  et  vrais. 

Rien  ne  leur  eût  donc  été  plus  facile  que  de  narrer  leur 
personnage;  tous  deux  à  une  certaine  heure  ont  dû  le  sentir 
vivre  en  eux  bien  plus  qu'ils  n'ont  vécu  en  lui.  L'affabulation  la 
moins  compliquée  aurait  pu  leur  servir  et  un  roman  de  plus  jau- 
nissait aux  montres  de  librairie. 

M.  Armand  Hayem  ne  l'a  point  voulu  —  heureusement. 
Et  tout  d'abord  le  roman  n'est-il  pas  devenu,  grâce  à  des 
indiscontinues  marées  de  volumes,  la  forme  la  plus  banale  et  la 
plus  bourgeoise  en  littérature. /De  la  main  des  maîtres  il  est 
passé  aux  mains  des  confectionneurs  qui  le  coupent  comme  des 
«  petits  complets  »  et  en  habillent  les  pensées  les  plus  moyennes 
et  les  plus  neutres.  Qui  n'a  son  roman  sur  la  conscience  parmi 
tous  les  amateurs  de  lettres  poussés  dans  les  librairies  éphémères 
de  Paris.  La  moindre  peine  d'amour,  le  moindre  petit  accroc 
dans  l'existence,  la  moindre  observation  faite  au  coin  des  rues 
où  les  chiens  lèvent  la  patte  ^ —  et  voilà  une  prose  de  plus  coupée 
en  chapitres  en  délayée  en  300  pages.  Nous  sommes  submergés 
de  volumes  à  fr.  3-50,  nous  n'en  voulons  plus,  nous  crions  grâce. 
L'idéal  serait  dix  romans  par  saison,  et  encore  ! 

Voilà  pourquoi  des  livres,  pareils  au  Don  Juanisme,  courts, 
serrés,  concentrés,  attirent  à  celte  heure.  Outre  que  l'affabulation 
manquant  —  cette  fameuse  affabulation  qu'on  devine  toujours 
dès  les  cinquante  premières  pages  et  qui  devient  par  la  suite 
un  agacement  et  se  tourne  en  reproche  contre  l'auteur  —  rien 
ne  distrait  de  l'analyse  fine,  calme,  profonde  et  qu'avec  les 
observations  et  les  vérités  recueillies  on  peut  soi-même  forger 
un  type  et  l'orner  égoïslemeni  de  tous  les  attraits  et  de  tous  les 
mystères  d'un  rêve  personnel. 

Tel  se  présente  le  livre  de  M.  Armand  Hayem.  C'est  bien  plus 
qu'un  roman  —  et  pour  cela  même  magnétique  aux  dilettantes  et 
aux  esprits  tournés  au  rare  et  au  délicat.  Il  est  un  résumé  parfait, 
il  est  la  quintessence  non  pas  d'un,  mais  de  vingt  romans  qu'on 
a  faits  et  qu'on  pourrait  faire  sur  Don  Juan.  Il  s'impose  comme 
la  loi  et  comme  la  philosophie  d'une  passion  ou  plutôt  d'un 
caractère,  si  bien  qu'avec  ses  axiomes  et  ses  résultats  exposés, 
l'esprit  le  plus  inquiet  de  déHnitif  se  sen;  à  peu  près  satisfait. 

Pour  M.  Armand  Hayem  «  le  dandysme  est  la  science  de  la 
fatuité;  le  Don  Juanisme  la  science  de  la  séduction.  Les  dandys 
visent  à  l'effet,  les  Don  Juan  à  la  jouissance.  Les  dandys  veulent 
paraître  supérieurs  aux  autres  hommes,  les  Don  Juan  n'en 
veùlenl  imposer  qu'aux  femmes.  Spencer,  d'Orsay,  Brummel,  le 
Brumniel  de  d'Aurevilly  et  d'Aurevilly  lui-môme,  sont  impassi- 
bles, impertinents,  imperturbables.  Ils  dédaignent  les  petits 
moyens  de  produire  dé  l'effet,  ils  sont  supérieurs  aux  résultats  : 
Don  Juan,  nullement.  Il  n'est  aucun  moyen  capable  de  l'amener 
au  but  qu'il  ne  finira  par  employer.  Il  n'a  pas  recours  à  cette 
grande  faculté  essentiellement  anglaise  toute  nationale  :  V excen- 
tricité. » 

Comme  ce  dernier  trait  est  juste!  Et  comme  il  lève  une  nette 
barrière  entre  M.  Armand  Hayem  et  les  poètes  de  ce  siècle  qui 
n'ont  pas  coiijjpris  que  Don  Juan  était  un  caractère  essentiellement 
latin  et  ont  voulu  nous  poser  un  Byron  comme  type  de  Don 
Juanisme  !  ' 

Don  Juan,  ardent,  inassouvi,  irréfléchi, brûlant  la  vie,  n'a  rien 


à  démêler  avec  ces  être's  de  brouillard  et  «  d'arbre  secoué  et  hur- 
lant.» que  produisent  les  septentrionaux.  Nerfs  et  sang,  mais  plus 
de  sang  que  de  nerfs.  Voilà  Don  Juan.  Rêveur  !  Allons  donc,  il  n'en 
a  pas  le  temps.  Il.esi  le  Juif-Errant  glorieux  de  l'amour  et  non  pas 
un  Werther,  et  non  pas  un  Hamlet  raisonneurs  et  mélancoliques 
qui  s'attardent  dans  des  sentimentalités  transcendantes  Oui  non. 
«  Le  tempérament  nervoso-lymphatique  caractérise  bien  les 
amours 'germaniques.  C'est  une  sorte  de  tendresse  dans  une  pas- 
sion qui  bat  l'amble  de  la  violence  à  l'impuissance,  de  l'extase  à 
la  rage  contenue,  k  l'humiliation  volontaire,  aux  regrets,  aux 
repentirs,  aux  dégoûts,  amenant  parfois  le  suicide.  Don  Juan,  en 
fait  d'humeurs  n'a  que  de  la  bonne  humeur.  H  en  donnerait  aux 
autres  tant  il  s'en  sent  empli.  Il  en  donne  aux  femmes  les  moins 
disposées  à  en  montrer.  » 

Une  note  neuve  ou  presque,  ou  du  moins  peu  frappée. 

«  Il  y  a  en  Don  Juan  un  homme  d'étal  qui  dédaigne  de  l'être, 
un  diplomate,  un  despote  et  un  despote  généreux.  Don  Juan  est 
optimiste...  Sa  grande,  sa  seule  surprise  sera  la  mort.  Il  ne  pou- 
vait la  croire  faite  pour  lui  et  n'aura  jamais  eu  le  temps  d'y  pen- 
ser :  et  sans  doute  il  aura  eu  raison,  car  il  est  éternel  et  nous  le 
retrouverons  par  delà  les  mondes,  s'il  s'y  rencontre  encore  des 
hommes  pour  séduire  et  des  femmes  pour  être  séduites.  » 

Ces  raccourcis  de  citations  indiquent  le  livre  et  le  particula- 
risent. 

«  Il  y  a  des  hommes  d'amour  comme  il  y  a  des  femmes 
d'amour  »  et  qui  passent  avec  des  airs  de  roi  et  marchent  vers 
leurs  conquêtes  comme  des  capitaines  heureux,  sûrs  de  vaincre. 
Comme  Bossuel  représente  Condé  devant  Rocroi,  on  se  les  figure, 
eux,  les  coureurs  d'aventures  galantes,  et  tels  laissent-ils  leur  sil- 
lage dans  l'esprit  :  au  xvii^  siècle,  Lauzun,  au  xviii^  siècle,  Riche- 
lieu —  mais  aujourd'hui?  M.  Armand  Hayem,  dès  le  chapitre  il, 
impose  pourquoi  ils  sont  impossibles. 

Il  résulte  donc  de  cette  «  psychologie  »  coquettement  serrée 
en  livriculet  par  Lemerre,  que  Don  Juan  est  un  type  du  passé  bien 
plus  que  du  présent,  qu'il  appartient  à  la  race  des  héros  nor- 
maux et  psychologiquement  bien  constitués,  tandis  qu'aujour- 
d'hui les  personnages  littéraires  qui  nous  symbolisent,  ont  tous 
celte  caractéristique  :  la  névrose. 


Guide  du  touriste  en  Ardenne,  par  Jean  d'Ardenne  (Léon 
Dommartin'.  —  Edition  refondue  et  considérablement  augmentée. 
—  Bruxelles,  Rozez,  1885. 

Il  y  a  cinq  ans,  lorsque  parut  la  première  édition  de  l'ex- 
cellent guide  de  M.  Léon  Dommartin,  nous  disions,  parlant  de 
l'Ardenne,  ce  coin  aimé  de  la  patrie  où  l'on  revient  sans  cesse  : 
«  Enfant  de  ce  pays,  qu'avec  un  filial  amour  il  a  dans  tous  les 
sens- parcouru,  fouillé,  caressé,  Jean  d'Ardenne,  plume  élégante 
et  infatiguable  jarret,  mieux  que  tout  autre  peut,  doit  nous  en 
montrer  les*  originales  beautés  et  nous  le  faire  admirer,  soit  dans 
les  sourires  du  printemps,  soit  dans  les  sévérités  de  l'automne, 
soit  que  les  coteaux  se  revêtent  du  tendre  émeraude  des  jeunes 
pousses,  soit  que  les  bois  allument  dans  le  flamboiement 
farouche  de  leur  agonie  ces  rouges  âpres,  ces  jaunes  violents, 
qui  donnent  l'impression  d'un  incendie  (*)  ». 

L'ouvrage  a  fait  son  chemin,  et  voici  que  l'auteur  en  publie 
une  nouvelle  édition.  Mais  cette  nouvelle  édition  est  presqu'un 


(*)  V.  VArt  moderne^  1881,  p.  148. 
■   ^ 


« 


166 


V ART  MODERNE 


\ 


nouveau  livre,  lanl  le  volume  a  élé  remanié,  auiçrnenlé,  corrigé, 
com|)|(H<'^  iM'.  Léon  Dommarlin  a  refait  loules  les  étapes  de  ce 
voyûgo  charmant  qu'il  décrit.  Et  pour  donner  à  son  Guide  un 
èaraclère  d'utilité  pratique  en*  mémo  temps  que  celui  d'un 
allrayant  compagnon  de  route  dont  la  conversation  —  lisez  lec- 
ture —  charmera  les  haltes,, snr  la  lisière  des  hois,  à  l'ombre  des 
hêtres,  ou  sous  l'auvent  des  auberges,  il  a  intercalé  dans  le  texte 
tous  les  rensoiijfiuMnenls  nécessaires  au  touriste  :  hôtels,  movens 
(le  locomotion,  etc.  11  a,  de  plus,  groupé  autour  des  principaux 
centres  de  villégiature  toutes  les  excursions  et  promenades 
qu'offre  le  pays:  El  le  texte,  qui  comportait  356  pages,  eh  a 
aujourd'hui  483.  .         " 

Cinq  cartes  détaillées  accompagnent  le  Guide,  que  l'éditeur 
a  élégamment  vêtu  de  toile  grrse,  —  un  vrai  costume  de  tou- 
riste. 

Les  Milices  de  Saint- François,  par  Georges  Ecklroud,  vien- 
nent de  paraître  chez  Wonnom.  Nous  6n  rendrons  compte  pro- 
chainement. -    j 


DEUX  VENTES  DE  TABLEAUX 

Le  Journal  des  Arts  de  Paris  du  18  mai,  donne  à  sa  qua- 
trième page,  et  très  en  évidence  l'annonce  de  la  vente  Defoer, 
M.  Defoer  est  connu  en  Belgique  sous  le  nom  de  Le  bey  de 
Jodoigne.  C'est  ce  Belge  qui  est  revenu .  d'Egypte  avec  une 
grande  fortune,  après  avoir  été  quelques  années  au  service  fruc- 
tueux du  Khédive. 

Voici  l'annonce  :  Tableaux  modernes  de  premier  ordre. 
OEuvres  de  Corot,  Daubigny,  Decamps,  Delacroix,  Diaz,  Dupré, 
Fromentin,  Géricaull,  Isaboy,  Marilhat,  Meissonier,  Millet,  Pru- 
d'hon,  Ricard,  Rousseau,  Stevens,  Troyon,  Ziem. 

Vente  Galerie  Georges  Petit,  rue  de  Sèze,  8,  le  samedi  22  mai 
4  886,  à  3  heures.  Commissaire-'priseur  :  M.  Paul  Chevalier,  10, 
rue  de  la  Grange-Batelière.  —  Expert  :  M.  Georges  Petit,  12,  rue 
<iodol-de-Mauroi,  chez  lesquels  se  trouve  le  Catalogue. 

Exposition  particulière:  le  jeudi  20  mai  1886.  —  Exposition 
publique  :  le  vendredi  21  mai  1886,  de  i  heure  à  5  heures.  — 
Catalogue  illustré.  Prix  :  50  francs.  • 

D'autre  j)arl,  l'imprimerie  Paul  Weissenbruch  vient  de  publier  , 
le  catalogue  de  la  galerie  de  iM.  le  baron  Edouard  von  NIESE^VA^•D, 
landrath  à  Mulheim.  Rédigé  par  M.  Jules  de  Brauwere,  expert  à 
Bruxelles,  directeur  de  la  salle  Saint-Luc,  ce  catalogue,  illustré 
de  nombreuses  photolypies  de  W.  Otto  (très  médiocres,  soit  dit 
en  passant),  est  accompagné  d'une  lettre  de  MM.  Fosler  annon- 
çant que  la  vente  de  ces  nombreases  et  souvent  remarquables 
œuvres  anciennes,  aura  lieu,  54,  Pall  Mail  à  Londres,  mercredi 
9  juin  à  1  heure. 

M.  dé  Brauwere  signale  spécialement  un  Croesbeek,  un  Boursse, 
un  Bakhuisen,  un  J.-B.  Weenix,  un  Teniers,  un  Salomon  Ruys- 
dael,  deux  Miereveld,  un  Albert  Cuyp,  un  Thomas  de  Keyser, 
un  Martin  Pœpyn. 


11  n'y  a  point  de  milieu  :  quand  on  s'en  tient  à  la  nature  telle 
qu'elle  se  présente,  qu'on  la  prend  avec  ses  beautés  et  ses 
défauts,  et  qu'on  dédaigne  les  règles  de  convention  pour  s'assu- 


jettir à  un  systèméoù,  sous  peine  d'être  ridicule^t  choquant,  il 
faut  que  la  nécessité  des  difformités  se  fasse  sentir,  on  est  pauvre, 
mesqain,  plat,  ou  l'on  est  sublime. 

11  y  a  entre  l'œuvre  d'art  réalisée  et  la  théorie  purement  philo- 
sophique de  l'art  presque  toujours  incompatibilité,  eh  ce  sens, 
du  moins,  qu'une  seule  tête  est  rarement  capable  de  les  taire 
tlcurir  loules  deux  k  la  fois.  '         :  ■ 

*  ■■■',. 

*    •  '■'.','"". 

Un  esprit  imaginalifet  créateur  grossit  naturellement  et  maté- 
rialise les  points  de  théorie  afin  de  les  mieux  apercevoir.  II  leur 
donne  un  relief  saisissant,  mais  par  là  il  les  dénature. 

♦  /      ,        ■ 

L'artiste  vraiment  original  ne  s'enferme  jamais  dans  l'étude  des 
grands  modèles,  qu'ils  soient  d'hier  ou  d'aujourd'hui.  Le  mot 
modèle  n'est  pas  fait  pour  lui.  Il  peut  même,  par  parti-pris,  affecter 

de  les  ignorer  tout  à  fait. 

*    ■■  ■  -    •   ■ 

*  *■  " .  •     ■  ' 

Le  succès,  le  grand  succès,  est  assuré  à  la  médiocrité,  l'heu- 
reuse médiocrité  qui  met  le  spectateur  et  l'artiste  comme  de 
niveau.  Quant  à  l'artiste  de  génie,  il  n'a  pour  vrais  juges  que  ses 
pairs,  qui  sont  le  plus  souvent  ses  rivaux.  Il  est  donc  seul,  — 
seul  en  face  deîa  postérité.  De  là  son  angoisse.       . 

* 
»  ♦ 

Travaillez,  suez  sang  et  eau,  étudiez  la  nature,  épuisez-vous  de 
fatigue,  faites  des  poèmes  sublimes  avec  vos  pinceaux,  et  pour 
qui?  pour  une  petite  poignée  d'hommes  de  goût  qui  vous  admi- 
reront en  silence. 

Celui  qui  devance  son  siècle,  celui  qui  s'élève  au  dessus  du 
plan  général  des  mœurs  communes  doit  s'attendre  à  peu  de  suf- 
frages; il  doit  se  féliciter  de  l'oubli  qui  le  dérobe  à  la  persécu- 
tion. Ceux  qui  tombent  au  plan  général  et  commun  sont  à  la 
portée  de  la  main,  ils  sont  persécutés;  Ceux  qui  s'en  élèvent  à. 
une  grande  distance  ne  sont  pas  aperçus,  ils  meurent  oubliés  et 
tranquilles,  1 

i  *  '"■■'■♦» 

Le  génie  doit  se  féliciter  de  n'être  compris  que  d'une  élite  sur 
le  moment  :  c'est  par  là  seul  qu'il  est  assuré  d'être  compris  géné- 
ralement plu^  tard,  quand  son  heure  sera  venue.  Il  n'en  doute 

pas  et  n'en  peut  douter. 

* 

Entre  l'artiste  de  génie  et  la  nation,  il  n'y  a  pas  de  malentendu 
proprement  dit.  11  n'y  a  qu'un  retard  au  rendez-vous  et  c'est  le 
public  qui  est  en  retard.  Il  en  a  le  droit  puisqu'il  est  éternel  et 
qu'il  se  renouvelle  sans  cesse.  A  quoi  bon  l'insulter,  l'appeler 
niais,  imbécile,  bourgeois  ? 

* 

L'indifférence  de  ses  contemporains  est  pour  l'artiste  créateur 
et  original  la  condition  même  de  son  génie. 


LA  VENTE  MORGAN 

La  lumière  commence  à  se  faire  sur  la  vente  Morgan  ;  cette 
vente  dont  les  résultats  avaient  surpris  tout  le  monde,  serait 
simplement  une  affaire  lancée  par  des  banquiers  américains  et 
quelques-uns  de  nos  confrères  vont  même  jusqu'à  dire  aujour- 
d'hui que  les  prix  annoncés  sont  fictifs. 


Mais  laissons  parler /«  Guide  de  V Amateur  : 

Toul  d'abord,  la  collection  vendue  à, New-York  avait  appar- 
tenu non  pas  h  Mo7isieur  Mor^w,  mais  à  Madame  Morgan,  pro- 
priétaire de  la  ligne  de  bateaux  à  vapeur  entre  New-York  et  la 
Nouvelle-Orléans. 

Cetle  collection,  estimée  environ  six  millions  de  francs,  com- 
prenait deux  parts  bien  distinctes  :  la  première  représentée  par 
des  ^tableaux  modernes,  évaluée  environ  trois  millions;  la 
seconde  comprenant  des  curiosités,  des  faïences,  des  porcelaines» 
des  objets  d'art,  des  meubles,  etc.,  évaluée  la  même  somme. 

Pour  en  finir,  d'abord,  avec  les  prétendues  appréhensions  qu'on 
avait  k  New-Y'ork  sur  le  sort  de  cette  vente,  appréhensions  pes- 
simistes dont  plusieurs  journaux  de  Paris  s'étaient  fait  l'écho,  je 
me  hâte  de  dire  que  la  collection  de  M'"^  iMorgan  avait  été  achetée 
bien  avant  la  vente,  par  un  syndicat  de  banquiers,  pour  le- compte 
desquels  seuls  la  vente  a  eu  lieu. 

Ce  syndicat  avait  acheté  ferme  la  collection  Morgan  pour  la 
somme  de  cinq  millions. 

Si  Ton  considère  :  d'une  part,  que  l'exposition  qui  a  précédé 
la  vente  (k  cinq  francs  d'entrée)  avait  déjà  rapporté  environ  cent 
mille  francs  —  car  on  est  venu  de  toutes  les  villes  d'Amérique 
pour  admirer  une  dernière  fois,  avant  sa  dispersion,  cette  collec- 
tion fameuse;  et  que,  d'autre  part,  la  vente  des  tableaux 
modernes  a  produit,  k  elle  seule,  quatre  millions  quatre  cent 
mille  francs,  il  est  facile  de  conclure  que  les  banquiers  ont  eu, 
pour  bénéfice,  toute  la  partie  curiosités  et  objets  d'art  de  la  col- 
lection, soit  plus  de  trois  millions,  ce  qui  n'est  pas  une  spécula- 
lion  k  dédaigner. 


'  '       V       .   ^IBJ-IOQRAPHIE    MU^ICALE 

Beethoven.  Sonates  pour  piano,  publiées  par  Carl  Reinecke. 
—  Leipzig  et  Bruxelles,  Breitkopf  et  Hàrtel. 

Au  lendemain  de  la  soirée  oîi  Rubinslein  a  évoqué  l'ombre  de 
Beethoven,  la  nouvelle  édition  que  mettent  en  vente  M.M.  Breit- 
kopf et  Hârtel  dos  sonates  du  maître  ne  peut  manquer  d'être  bien 
accueillie  k  Bruxelles. 

L'ouvrage  forme  deux  forts  volumes  in-folio,  gravés  avec 
beaucoup  de  netteté  sur  papier  4e  choix,  et  renfermant  chacun 
une  table  thématique.  Toiites  les  sonates  ont  été  doigtées  par 
M.  Carl  Reinecke,  et  les  signes  d'accentuation,  les  nuances,  les 
indications  de  mouvements,  etc.,  ont  fait  l'objet  d'un  examen 
attentif  de  la  part  du  savant  professeur.  L'édition  est  adoptée  par 
le  Conservatoire  de  Leipzig.  C'est  en  dire  le  mérite. 

Les  Sonates  font  partie  de  la  collection  populaire  Breitkopf  et 
Hârtel,  dans  laquelle  elles  sont  calaloguées  sous  le  n"  4181,  et 
coûtent  fr.  o. 75  le  volume. 

Philippe  Scharwexka.  Trois  sonates  (op.  61).  —  Leipzig. 

Breitkopf  et  Hàrtel. 

MM.  Xavier  et  Philippe  Scharwenka  sont  connus  en  Allemagne 
par  un  grand  nombre  de  compositions  pour  piano  et  pour  chant. 

L'une  des  derniiTes  parues  de  la  «  firme  »  est  un  cycle  de  trois 
sonates  dont  l'auteur  est  le  frère  Philippe,  et  auxquelles 
MM.  Breitkopf  et  Hàrtel  ont  fait  les  honneurs  d'une  édition  très 
élégante. 

La  meilleure  des- trois  œuvres  est  la  dernière,  \a  Sonate  en  Ja 
mineur.    A    défaut   d'originalité,   les   compositions    de 


MM.  Scharwenka  se  recommandent  par  des  qualités  de  facture 
qui  les  font  apprécier  des  pianistes.  /  " 

Les  Sonates  op.  61,  en   particulier,  seront  utilement  mises  ^ 
entre  les  mains  des  commençants,  pour  qui  elles  serontHin  ensei- 
gnement eftîcace. 

■      '        -  '  '  ■  .  ' 

MEMENTO  DES  EXPOSITIONS  ET  CONCOURS 

Amsterdam.  Exposition  (internationale)  d'artistes  contemporains 
organisée  par  la  ville  d'Amsterdam.  Peinture,  sculpture,  architec- 
ture, gravure,  dessin,  lithographie.  Du  27  septembre  au  30  octo- 
bre 1886.  Délai  d'envoi  :  23  août-7  septembre.  Frais  à  charge  de- 
l'exposant  à  l'aller,  à  charge  de  la  Commission  au  retour.  —  Six 
médailles  d'or,  chacune  de  100  florins.  —  Jury  de  sept  membres, 
dont  quatre  élus  par  les  exposants.  Joindre  à  l'envoi  le  nom  de  quatre 
candidats.  —  Les  jurés  ne  peuvent  concourir  pour  les  médailles.  — 
.Renseignements  :  Conimission  executive  de  V Exposition  commu- 
nale, Amsterdam,.  (J.  Luden,  secrétaire). 

GouRTRAi.  —  Exposition  de  tableaux,  dessins,  gravures,  sculp- 
tures et  lithographies.  Du  22  août  au  30  septembre.  Délai  d'envoi  : 
15  juillet.  Renseignements  :  L.  De  Geyne,  secrétair»  de  l'exposi- 
tion, dit^eçteicr  de  l'Académie  et  de  l'école  industrielle. 

Dunkebke.  —  Exposition  (internationale)  d'aquarelles,  dessins  et 
cartons,  pastels,  miniatures,  émaux  et  faïences,  gravures,  lithogra- 
phies. Du  14  juillet  au  22  août.  Délai  de  rigueur:  5  juillet.  Adresse: 
Exposition  des  Beaux- Arts,  Musée  cotnrnunal,  Bunkerke. 

Florence.  —  Concours  (offert  à  tous  les  artistes  résidant  en  Italie) 
pour  les  trois  portes  de  bronze  de  la  façade  de  Sarita-Maria-<lel-Fiore 
(cathédrale).  Primes  de  4,000  francs  pour  la  porte  centrale,  de 
5,000  francs  pour  chacune  des  portes  latérales,  accordées  aux  pro- 
jets choisis  (dessin  géométrique  en  clair-obscur,  développé  au  tiers 
de  la  srrandeur d'exécution).  Délarde  ricrueur  :  31  octobre  1886.  Siègre 
du  comité  :  Place  du  Dôme,  24,  Florence. 

Gand.  —  Exposition  (internationale)  de  la  Société  royale  pour 
l'encouragement  des  Beaux- Arts.  Du  15  août  au  24  octobre  Délai 
d'envoi  :  i^  '}\n\\e\i.  Secrétaire' de  la  coramission  directnce  :  M.  Ferd. 
Vander  Haeghen. 

Milax.  —  Concours  (international;  pour  la  reconstruction  de  la 
façade  de  la  Cathédrale  (le  Dôme)  en  harmonie  avec  le  style  du  mo- 
nument. —  S'adresser,  pour  le  programme,  à  l'hôtel  de  ville  de 
Bruxelles,  bureaux  de  la  6«  division,  de  dix  à  quatre  heures. 

Namur.  —  Exposition  du  Cercle  artistique  et  littéraire.  Du 
20  juin  au  J 5  juillet.  Renseignements  :  3/.  /.  Trepagne,  secrétaire. 

A  propos  de  notre  Mémento,  un  abonné  nous  demande  d'y  rensei- 
gner, en  même  temps  que  les  concours  artistiques,  les  concours  lit- 
téraires. Nous  nous  rendrons  volontiers  à  son  désir  et  prions  en 
conséquence  les  sociétés  littéraires,  cercles,  associations,  etc.,  qui  les 
organisent  de  nous  faire  parvenir  régulièrement  leurs  programmes. 

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10,    AVENUE    LOUISE,    10,    BRUXELLES 


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Dépôt  de  la  grande  usine  américaine. 


I 


7 


168 


LART  MODERNE 


,■■-■'.,  .      SIXIEME  ANNÉE      ■,• , 

L'ART  MODERNS  s'est  acquis  par  l'autorité  et  rindépendance  de  sa  critique,  par  la  variété  de  ses 
informations  et  les  soins  donnés  à  sa  rédaction  une  place  '  prépondérante.  Aucupe  manifestation  de  l'Art  ne 
lui  est  étrangère  :  il  s'occupe  de  littérature,  de  peinture,  de  sculpture,  de  gravure,  de  musique, 
d'architecture,  etc.  Consacré  principalement  au  mouvement  artistique  belge,  il  renseigne  néanmoins  ses 
lecteurs  sur  toùs  les  événements  artistiques  de  l'étranger  qu'il  importe  de  connaitre.      ;    ■ 

Chaque  numéro  do  L'ART  MODEjRNE  s'ouvre  par  une  étude  approfondie  sur  une  question  artistique 
ou  littéraire  dont  l'événement  de  la  semaine  fournit  l'actualité.  Les  expositions,  les  livres  nouveaux^  les 
premières  représentations  d'œuvres  dramatiques  ou  musicales,  les  conférences  littéraires,  les  concerts,  les 
ventes  (^objets  dart,  font  tous  les  dimanches  l'objet  de  chroniques  détaillées. 

L'ART  MODERNE  relate  aussi  la  législation  et  la  jurisprudence  artistiques.  Il  rend  compte  des 
procès  lés  plus  intéressants  concernant  les  Arts,  plaides  devant  les  tribunaux  belges  et(-  étrangers.  Les 
artistes  trouvent  toutes  les  semaines  dans  son  Mémento  la  nomenclature  complète  des  expositions  et 
concours  auxquels  ils  peuvent  prendre  part,  en  Belgique  et  à  l'étranger.  Il  est  envoyé  gratuitepient  à 
l'essai  pendant  un  mois  à  toute  personne  qui  en  fait  la  demande. 

L'ART  MODERNE  forme  chaque  année  un  beau  et  fort  volume  d'environ  450  pages,  avec  table 
des  matières.  Il  constitue  pour  l'histoire  de  l'Art  le  document  LE  PLUS  COMPLET  et  le  recueil  LE  PLUS 
FACILE  A  CONSULTER. 


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Union  postale    1  ît   fk*.  ^      » 


Quelques  exemplaires  des  cinq  premières  années  sont  en   vente   aux  bureaux   de  L'ART   MODERNE, 

rue  de  l'Industrie,  26,  au  prix  de  30  francs  chacun.  --'         ^ 


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scription pour^ioloncellé,  avec  accomp.  de  piano,  fr.  2.00 
'  BORIS  SCHEEL.  Op.  155.  Trois  mélodies  pour  chant,  avec 
accomp.  de  violoncelle  (ou  violon)  et  piano.  Paroles  françaises  et 
anglaises  ;  N°  1  Venez  ma  mie.  Sérénade.  (Arise,  beïoved),  fr.  1.35; 
11°  2  Pour  l'absent.  (To  my  absent  love),  fr.  1.75;  n»  â.  Chant 
d'amour  (Love  son  g),  fr.  1.75. 

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Op.  97.  Pour  la  jeunesse,  6  more.  fac.  à  4  mains,  4-10. 

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HoFMANN,  H.  Op.  78.  Dans  la  cour  du  château,  suite  p  orch.  Parti- 
tion, 17-50.  Parties.  26-25.  Op.  79.  Légende  de  la  forêt.  8  more, 
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Sixième  année.  —  N°  22 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  30  Mai  1886. 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQnE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,  un  an,  fr.  10.00;  Union  postale,   fr.   13.00.   —  ANNONCES  :.   On  traite  à  forfait. 

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Adresser  les  demandes  cC abonnement  et  toutes  les  communications  à 
l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26^  Bruxelles. 


^OMMAIRE 


L'art  oratoire.  -^  Le  Salon  de  Paris.  Deuxième  article.  — 
Albert  Tinchant.  —  Millet  et  Rousseau.  —  Vente  Defoer-bey. 
—  La  littérature  au  Congo.  —  Petite  chronique.  ...  '. 


L'ART  ORATOIRE 

Comment  apprendre  à  parler  en  public?  Quelle  est  la 
méthode  la  plus  efficace  ?  Où  s'en  occupe-t-on  d'une 
façon  didactique?  Y  a-t-il  là-dessus  des  livres,  des 
cours,  un  enseignement? 

Telles  étaient  les  interrogations  d'un  jeune  homme  à 
qui  nous  avions  développé  cette  thèse  :  De  notre  temps, 
tout  le  monde  doit  savoir  faire  un  discours,  comme  tout 
le  monde  doit  savoir  faire  un  article. 

Non.  Il  n'y  a  guère  d'enseignement  réglé  en  cette 
matière  et  les  cours  se  bornent  à  des  leçons  de  pronon- 
ciation. Heureusement  !  On  n'a  pas  encore,  pour  l'art 
de  la  parole,  organisé  d'académies  ayant  pour  but  de 
substituer  le  convenu  à  l'original  et  de  transformer  la 
salutaire  éducation  naturelle  en  un  pastichage  des 
modèles  chers  au  professeur,  si  le  modèle  n'est  pas  le 
professeur  lui-même.  Tout  au  plus  dans  les  collèges, 
particulièrement  dans  ceux  des  jésuites,  ces  incurables 
amateurs  des  déclamations  oratoires  et  littéraires, 
(leurs  élèves  en  conservent  toujours  quelque  chose), 
énonce-t-on  à  l'occasion  des  Olynthiennes  ou  des  Cati- 
Unaires  quelques  règles  sur  l'exorde  et  la  péroraison, 
l'apostrophe  ou  l'invective.  Des  livres  aussi,  en  petit 


nombre  et  fort  délaissés,  ont,  à  propos  dé  ces  friches, 
essayé  de  codifier  un  Manuel  du  Bon  Jardinier. 
.  Finalement,  par  un  privilège  dont  les  autres  ne  jouissent 
pas,  l'art  oratoire  a  été  presque  entièrement  abandonné 
à  la  bonne  nature  et  chacun  s'y  tire  d'affaire  comme  il 
■■peut.  ■  '    '''■^'  '":■'-■■         -.-.-■■-.■■.■■■ 

Non  pas  que  tout  soit  avantage  dans  cette  salutaire 
anarchie.  Livrés  à  eux-mêmes,  les  apprentis,  timides  et 
inquiets,  jugeant,  par  comparaison,  de  l'éducation 
qu'ils  croient  nécessaire,  commettent  de  fâcheuses 
méprises.  La  grande  école  de  Y  Appris -par-cœur  fait 
de  nombreuses  victimes  parmi  les  débutants.  L'autre 
grande  école,  celle  de  Ylniitationf  sévit  aussi  sans 
interruption. 

Dans  l'espoir  de  dissiper  les  malentendus  qu'elles  entre- 
tiennent Tune  et  l'autre,  il  n'est  pas  inutile  de  traiter  ce 
sujet,  moins  pour  dire  ce  qu'il  faut  faire  que  pour  mon- 
trer ce  dont  il  faut  s'abstenir,  et  mettre  en  lumière 
cette  vérité  qu'ici  comme  ailleurs  les  périls  et  les  retards 
proviennent  des  mêmes  causes,  partout  identiques, 
hélas!  dans  renseignement  artistique  :  le  défaut  de 
naturel,  la  crainte  de  s'en  remettre  à  ses  propres  impul- 
sions, l'asservissement  à  des  préceptes  uniformes,  le 
préjugé  détestable  qui  représente  les  Maîtres  non  pas 
comme  des  excitants  à  l'enthousiasme  pour  développer 
les  qualités  personnelles,  qu'on  admire  sans  se  façonner 
sur  eux,  mais  comme  des  exemples  à  copier  qui  étouffent 
les  instincts  originaux. 

Et  d'abord  dégageons  les    différences  entre  l'art 
d'écrire  et  l'art  de  parler  qui,  si  elles  sont  bien  saisies. 


170 


vplET  moderne 


/ 


guérissent  pour  toujours  de  la  manie  de  rédiger  le  dis- 
cours et  de  le  réciter.  La  pensée  écrite  n'est  pas  la 
pensée  parlée.  Elles  sortent,  dirait-on,  de  deux  réser- 
voirs distincts  reposant  en  nos  cerveaux.  Certes,  elles 
ont  un  fond  commun  dérivant  de  l'unité  de  la  person- 
nalité, mais  dans  la  qualité,  l'allure,  le  caractère,  quelle 
diversiité  !  Ce  sont  deux  sexes.  Le  vulgaire  l'exprime  en 
disant  de  ce  qui  lui  vient  difficilement  aux  lèvres  :  «  Je 
vous  l'écrirai,  je  n'ose  pas  vous  le  dire  ".  Il  le  met  sur 
le  compte  de  la  crainte.  En  réalité,  c'est  l'instinct  obscur 
de  l'opposition  entre  ces  deux  mécaniques  de  l'intellect 
qui  s'affirme. 

Prenez  la  plume,  commencez  à  écrire,  laissez-vous 
aller  aux  hasards  du  phénomène  qui  va  se  produire, 
diminuez  autant  que  possible  votre  volonté,  ne  soutirez 
pas,  laissez  ,couler,  prenez  le  pas  d'abord,  lentement, 
abandonnez- vous. à  l'accélération  qui  va,  si  vous  avez  la 
moindre  parcelle  de  virus  artistique,  vous  faire  pren- 
dre le  trot,  puis  le  galop,  tantôt  à  fond-de-train,  che- 
veux au  vent,  coiffure  en  arrière,  tantôt  en  belle  et  vive 
allure,  cavalière  et  bien  tenue,  avec  l'échauff'ement  de 
l'exercice  et  la  joie  de  se  sentir  rythmiquement  porté. 
Est-ce  que  le  déroulement  d'idées,  de  mots,  de  formes 
qui  se  produit  alors,  dans  la  douce  liberté  du  tête-â- 
tète  avec  le  papier,  n'est  pas  d'une  autre  venue  que 
celle  de  la  parole?  Hésitez-vous  à  le  croire  ?..  Levez- 
vous,  déposez  cette  plume  dont  le  mouvement,^calme 
ou  fébrile,  faisait  le  remous  des  idées  en  son  sillage 
magique.  Mettez-vous  à  dicter,  à  parler  si  vous  avez  un 
sténographe,  développez  les  mêmes  choses,  en  usant 
de  cet  autre  instrument,  la  voix,  livrez-vous  à  elle 
comme  tantôt  vous  vous  livriez  à  la  plume.  N  y  aura-t-il 
pas  changement  de  décor  immédiat? 

Il  n'est  pas  un  écrivain  qui  le  démentira,  il  n'est  pas 
un  orateur.  Aussi  est-ce  un  pauvre  compliment  que  de 
dire  de  qui  a  parlé  :  lu,  son  discours  semble  avoir  été 
écrit/C'est  comme  si  on  louait  un  sculpteur  d'égaler  un 
peintre  ou  réciproquement,  de  faire  avec  le  ciseau  ce 
qu'on  fait  avec  la  brosse.  Les  facteurs  sont  diff'érents, 
les  factures  doivent  être  différentes,  d'elles-mêmes  :  on 
ne  les  identifie  que  par  une  déformation,  par  la  tyran- 
nie du  voulu,  ce  fléau  de  l'originalité. 

Ne  voit-on  pas  dès  lors  quelle  erreur  c'est  d'écrire 
son  discours  pour  l'apprendre  et  le  déclamer,  même  de 
récrire  pour  se  préparer  k  le  parler?  Ce  n'est  pas  seu- 
lement la  gêne  que  cause  l'effort  de  mémoire  qui,  en 
pareil  cas,  refroidit  fatalement  l'œuvre,  c'est  aussi,  et 
surtout  peut-être,  qu'on  donne  hypocritement  le  pro- 
duit de  la  plume  comme  produit  de  la  parole.  Nul  audi- 
teur ne  s'y  trompe,  quelque  adresse  qu'y  mette  le  réci- 
tateur.  Il  y  a  la  marque  d'origine,  indélébile.  Les 
éléments  de  production,  ^multiples,  enchevêtrés,  ont 
laissé  leurs  traces,  Cela  sonne  autrement.  On  ne  donne 
pas  le  change. 


.  Quand  on  parle,  il  faut  parler;  quand  on  écrit,  il 
faut  écrire;  c'est-à-dire  que,  dans  le  premier  cas,  c'est 
la  parole  qui  doit  fonctionner,  et  dans  le  second  la 
plume,  pas  uniquement  en  tant  qu'objets  matériels  dif- 
férents, mais  en  tant  que  procédés  évocatoires  qui  ne 
se  ressemblent  pas  dans  la  floraison  intellectuelle  qu'ils 
suscitent.  Sous  leur  action  spéciale,  sous  leur  excitation 
propre,  notre  nature  prend  d'autres  teintes,  manœuvre 
d'autres  ressorts,  s'établit  en  d'autres  poses.  Parfois 
même,  chez  les  plus  grands,  orateurs  ou  écrivains,  les 
deux  aptitudes  s'excluent  par  la  puissance  à  laquelle 
leurs  dons  particuliers  atteignent.  N'est-ce  pas  la 
démonstration  évidente  de  leur  diversité  ?  N'y  aurait-il 
pas  sinon  toujours  équation? 

Encore  un  coup,  n'écrivez  donc  pas  vos  discours,  ô 
vous  qui  voulez  parler.  Et  ne  parlez  pas  vos  écrits, 
ô  vous  qui  voulez  écrire.  Confinez-vous  rigoureusement 
dans  l'opération  propre  à  chacun  de  ces  arts  et  hardi- 
ment, quand  vous  voulez  exercer  l'un  d'eux,  abstenez- 
vous  de  recouHr  à  l'autre.  Pour  féconder  l'une  de  ces 
muses  et  en  avoir  des  rejetons,  ne  vous  accointez  pas  à* 
l'autre. 

Non  pas  qu'il  faille  dire  que  l'étude  de  la  littérature 
nuise  à  l'éloquence.  Celle-ci  a  besoin  de  tant  de  res- 
sources, suppose  une  éducation  si  vaste,  un  emmaga- 
sinage antérieur  si  complet,  par  cela  même  qu'elle 
demande  beaucoup  pour  la  forme,  le  détail,  les  trou- 
vailles heureuses,  à  l'inspiration  du  moment,  que  tout 
ce  qui  enrichit  le  goût  et  la  science  de  l'orateur  doit 
être  recherché.  Pour  lui,  plus  que  pour  tout  autre 
artiste,  la  fréquentation  constante  des  beaux  écrivains, 
des  hautes  pensées,  des  grands  spectacles,  excitant  le 
goût,  l'élan,  l'enthousiasme,  l'ingéniosité,  sont  néces- 
saires. Mais  il  ne  faut  pas  confondre  la  compagnie  de 
ces  puissants  toniques  de  l'esprit, avec  leur  imitation. 
Ils  nourrissent  et  fortifient,  ils  entrent  dans  l'organisme 
par  cette  assimilation  intime,  on  en  retrouve  dans  les 
œuvres  la  secrète  influence,  ils  font  l'artiste  de  sang, 
mais  il  est  ridicule  et  bas  de  les  rendre,  tels  qu'on  les  a 
pris,  sans  les  avoir  digérés. 

Supposons  un  néophyte  sentant  en  lui  quelque  incli- 
nation pour  la  parole,  ou  contraint  par  état  de  s'y 
former.  Comment  faudra-t-il  qu'il  commence  ce  difficile 
apprentissage  ? 

Bien  simplement.  Qu'il  se  garde  soigneusement  de  ce 
qu'on  nomme  un  brillant  début,  cette  chose  qui,  d'après 
un  dicton  du  Barreau,  porte  malheur  et  qu'on  n'obtient 
qu'en  recourant  aux  deux  pestes  que  nous  isignalions 
tantôt  :  l'Imitation  et  l'Appris-par-cœur.  Qu'après 
avoir  longtemps  médité  l'objet  de  son  discours,  il  en 
établisse  en  une  série  logique  les  parties  principales, 
en  petit  nombre.  Qu'il  lés  fixe  dans  sa  mémoire  ou  sur 
un  feuillet.  Qu'il  lés  voie  dans  leur  ensemble  et  ne 
s*inquiète  pas  de  ne  pouvoir,  en  esprit,  apercevoir 


MM 


».•»■ 


leurs  détails  d'un  coup  d'œil.  Qu'il  s'en  remette  pour 
ceci  au  hasard  de  l'inspiration.  Qu'il  sache  que,  même 
les  orateui^s  les  plus  sûrs  de  leur  fait,  ne  parleraient 
jamais  s'ils  devaient,  considérant  le  peu  qu'ils  voient  en 
eux  quand  ils  vont  commencer  et  ce  qu'ils  doivent 
dire,  se  laisser  impressionner  par  le  vide  du  présent 
comparé  à  l'abondance  nécessaire  du  discours.  Entre 
un  disciple  et  un  maître,  la  principale  différence,  à  cet 
égard,  est  que  celui-ci  sait  qu'il  peut  compter  sur  la 
fécondation  du  moment,  tandis  que  l'autre  l'ignore  et 
s'en  épouvante.  ' 

Et  alors  qu'il  se  lance,  comme  on  se  jette  à  l'eau. 
Qu'il  aille,  comme  il  peut,  parlant  comme  il  le  ferait  en 
conversation,  avec  le  désir  de  démontrer,  d'émouvoir, 
de  convaincre  ce  qui  doit  être  le  sentiment  dominant 
de  l'orateur.  Qu'il  ne  s'écoute  point  parler,  qu'il  ne 
pense  qu'à  l'auditoire  et  se  dise  :  jl  faut  qu'il  me  com- 
prenne. Qu'il  n'ait  pas  la  moindre  préoccupation  de  la 
forme,  ni  des  mots,  ni  des  phrases,  ni  des  images,  ni 
de  la  correction.  N'en  est-il  pas  à  un  premier  essai  et 
ne  serait-ce  pas  miracle  s'il  réussissait  pleinement  de 
ce  premier  coup? 

Et  que  cet  exercice,  poursuivi  ainsi  de  bonne  foi  et 
sans  prétentions,  il  le  renouvelle  le  pliis  souvent  pos- 
sible. C'est  surtout  pour  l'éloquence  que  le  proverbe 
Fahricando  fit  Faber  est  vrai.  Promptement  il  pren- 
dra confiance,  parce  que  cette  saine  simplicité,  à 
laquelle  il  s'en  remettra  comme  un  jeune  oiseau  à  ses 
ailes,  lui  rendra  l'œuvre  de  plus  en  plus  facile.  Les 
découragements  et  les  mécomptes  viennent,  en  ce 
domaine,  à  ceux  dont  l'amour-propre  ne  se  résigne  pas 
à  être  d'abord  médiocres  devant  le  public  et  qui  ten- 
tent inutilement  dé  franchir  d'un  bond  tous  les  degrés. 

Dès  qu'il  saura  qu'il  peut  se  confier  aux  ressources 
imprévues  que  chaque  parole  fait  surgir  dans  le  cer- 
veau, qu'elle  y  éveille  intarissablement,  dont  les 
essaims  se  lèvent  pour  animer  les  discours,  avec  une 
abondance  croissante  telle  que  plus  tard  il  n'aura 
plus  qu'un  embarras,  celui  du  choix,  alors,  libre  de  ses 
mouvements,  ayant  conquis  l'assurance  et  l'aisance,  la 
forme  reprendra  ses  droits  et  il  pourra  s'en  préoccu- 
per, de  jour  en  jour  plus  correct,  plus  riche,  plus  har- 
monieux, plus  doux,  plus  fort,  plus  promptement 
pathétique  quand  il  le  faudra.  Alors  c'est  l'inspiration, 
le  souffle  :  flat  iibi  viilt.  C'est  la  liberté,  c'est  la  grâce, 
le  grandissement  de  l'esprit  par  l'irruption  de  la  clarté, 
la  beauté  de  la  violence  faite  à  une  àme  par  la  logique 
et  la  vérité. 

Voilà  la  vraie  leçon  d'art  oratoire;  Celle  qui  tient 
lieu  de  toutes  les  autres.  Celle  que  la  plupart  ignorent 
toute  leur  vie.  Elle  est  conforme  au  principe  souverain 
de  l'éducation  artistique  :  qu'il  faut  apprendre  à  l'ar- 
tiste à  se  découvrir  et  à  se  conquérir  soi-même  ;  que 
c'est  ce  qu'il  y  a  de  plus  difficile  dans  l'état  présent  de 


l'enseignement  où  règne  la  manïe  de  substituer  les 
morts  aux  vivants;  que  c'est  le  seul  moyen  de  nous 
libérer  de  l'odieux  pastichage  et  de  faire  de  chaque  ora- 
teur un  homme  se  montrant  tel  qu'il  est,  avec  la  saveur 
de  son  individualité,  au  lieu  d'un  comédien  répétant 
misérablement  un  devancier  ou  un  contemporain. 


LE  SAIOX  DE  PARIS 

Deuçcième  article. 

L'œuvre  maîtresse  du  Salon,  celle  dont  le  rayonne- 
ment donne  à  l'expasition  présente  sa  lumière  d'art, 
c'est  le  vaste  tryptique  de  Puvis  de  Chavannes.  C'est 
lui  qu'on  aperçoit,  en  face  de  l'entrée,  couvrant  tout  le 
panneau  de  la  salle  carrée,  dès  qu'on  met  le  pied  au 
Salon.  C'est  à  lui  qu'on  revient,  avec  quelle  impression 
sereine!  quand,  la  rétine  irritée  par  les  ardentes  flam- 
bées de  tons  crus  qui  incendient  les  murailles,  on  cher- 
che pour  le  regard  un  coin  de  fraîcheur,  un  bain  léni- 
fiant. 

L'artiste  en  expose  ainsi  la  genèse  :  -  Le  bois  sacré 
cher  aux  AWs  et  aux  Muses ,  panneau  décoratif 
exposé  en  1884  et  placé  dans  l'escalier  du  Musée  de 
Lyon,  était  la  composition  générative  de  deux  autres 
sujets  :  Vision  antique  et  Inspiration  chrétienne , 
l'art  étant  compris  entre  ces  deux  termes  dont  l'un 
évoque  l'idée  de  la  forme,  et  l'autre  l'idée  du  sentiment. 
Un  quatrièlne  panneau  représente  le  Rhône  et  la 
Saône,  svmbolisant  la  Force  et  la  Grâce.  " 

Les  reproductions  photographiques  ont  déjà  popula- 
risé la  conception  dans  laquelle  le  génie  du  maître  a 
réalisé  sa  pensée.  Dans  un  limpide  paysage^  étoile 
de  narcisses,  parmi  les  cytises  et  les  figuiers,  un 
pâtre  garde  ses  chèvres  au  milieu  d'un  groupe  de 
jeunes  femmes  aux  gestes  hiératiques  Sur  le  rivage  de 
la  mer,  dont  l'azur  miroite  à  l'horizon,  une  blanche 
chevauchée  de  cavaliers  évoque  la  lointaine  image  de  la 
frise  du  Parthénon.  Et  comme  opposition  à  cette 
radieuse  vision  de  paix,  d'humanité  abandonnée  aux 
douceurs  de  la  vie  contemplative,  le  cloître  d'un  cou- 
vent dans  lequel  un  frère  au  profil  ascétique,  entouré 
de  disciples  studieux,  ébauche  une  fresque,  ramène  la 
pensée  aux  ferveurs  de  la  religion  chrétienne,  au  tra- 
vail intellectuel,  aux  concentrations  de  l'esprit,  aux 
délicatesses  intimes  du  sentiment. 

Le  Rhùne  est  personnifié  par  un  pêcheur  robuste 
marchant  sur  une  rive,  le  filet  ramené  sur  l'épaule  ;  la 
SaO»ne  par  une  femme  à  demi  renversée  sur  le  tronc 
d'un  saule,  la  chevelure  dénouée  mêlée  aux  enlacements 
des  liserons  et  tombant  presque  jusqu'aux  nénuphars 
dont  la  blancheur  mate  vogue  sur  des  eaux  de  corail  rose. 

Ce  qui  fait  la  séduction  et  le  charme  de  l'œuvre,  c'est 
que  la  peinture  y  est  en  quelque  sorte  immatérialiste. 


Le  métier  disparaît.  La  composition  elle-même  est  * 
d  une  simplicité  élémentaire,  et  si  loin  des  formules 
transmises  par  les  académies  qu'elle  paraît  gauche  et 
maladroite  à  tous  ceux  qu'infecte  la  malheuveuse 
éducation  de  l'œil  dont  notre  génération  est  victime. 
Autant  que  la  couleur,  dont  l'harmonie  et  l'unité  exer- 
cent sur  les  artistes  leur  prestige,  le  dessin  est  antipa- 
thique au  public  qui  exprime  son  opinion  en  disant  : 
«  C'est  vu  à  travers  un  brouillard  ». 

Nous  l'avons  dit  souvent,  l'art  de  Puvis  de  Chavannes 
est  de  ceux  qu'on  ne  discute  pas.  Il  faut  le  prendre 
avec  ses  mérites  et  ses  imperfections,  se  laisser  aller  au 
bercement  de  sensations  qu'il  procure,  le  contempler 
comme  on  écoute  une  musique  harmonieuse.  C'est  la 
rêverie  de  la  peinture.  Tant  pis  pour  ceux  qui  n'en  ont 
point  la  perception  :  une  jouissance  intense  leur 
échappe.  .  ,  ; 

De  plus  en  plus  se  creuse  l'abîme  qui  sépare  cet  art 
de  sensations  affinées  de  celui  qui  puise  son  intérêt 
Oinique  dans  l'exacte  réalisation  d'un  épisode,  histo- 
rique ou  contemporain,  ou  dans  une  exécution  habile. 

Dans  les 'arts,  l'exécution  est  à  la  portée  de  tout  le 
monde.  C'est  dans  ce  sens  que  Wiertz  a  pu  dire  cette 
énormité:  Le  génie  est  une  affaire  de  temps. 

Si  le  génie  consiste  à  exprimer  des  étoffes  cha- 
toyantes, des  chamarrures,  des  tapis,  avec  une  perfec- 
tion si  grande  qu'on  s'imagine  avoir  ces  objets  devant 
soi,  ce  qui  fait  crier  d'aise  les  badauds,  Benjamin 
Constant  est  certainement  un  peintre  de  génie.  Il  n'est 
pas  de  virtuose  plus  habile,  de  plus  prestigieux  manieur 
de  brosses.  «  Pas  un  décorateur  de  Paris,  disait,  le 
jour  du  vernissage,  un  artiste  dont  l'esprit  critique  est 
à  la  hauteur  du  talent,  n'imiterait  aussi  bien  le  marbre 
que  ne  l'a  fait  Benjamin-Constant  dans  Jitstinien  «. 

On  n'a  guère  poussé  plus  loin  l'art  du  trompe-l'œil ,  les 
vêtements  de  l'empereur,  les  colonnes  entre  lesquelles 
il  siège,  sur  un  trône,  au  pied  d'une  statuette  de  la  vic- 
toire, les  ruissellements  des  pierreries  dont  l'éclat  illu- 
mine la  toile,  les  plus  minutieux  détails  de  la  composi- 
tion sont  rendus  à  miracle.  Il  en  est  de  même  dans  la 
Judith,  dn  même  artiste,  sur  laquelle  les  visiteurs 
s'écrasent  le  nez. 

Benjamin  Constant  est  aux  antipodes  de  Puvis  de 
Chavannes.  Un  placement  malicieux  les  a  mis  l'un  en 
face  de  l'autre,  comme  pour  forcer  le  public  à  établir  la 
comparaison.  A  eux  deux,  ils  symbolisent  les  deux  ten- 
dances de  la  peinture  actuelle.  Tout  le  Salon  pourrait 
être  résumé  en  ces  deux  noms,  placés  chacun  à  l'extré- 
mité d'une  des  routes  que  suivent  les  artistes. 

L'une  est  encombrée  et  bruyante.  Les  artistes  de 
métier  sont  aussi  nombreux  que  les  étoiles  du  ciel,  et  la 
plupart  sont  pleins  de  talent.  Oh  !  le  talent  foisonne  au 
Salon,  nous  entendons  ce  talent  spécial,  professionnel, 
qui  permet  à  tout  jeune  brosseur  sorti  de  l'école,  qu'il   ' 


s'appelle  Rochegrosse  ou  François  Flameng,  de  s'élever 
du  premier  coup  au  rang  de  ses  maîtres  dans  labenoite 
admiration  de  la  foule.  Ce  qui  faisait  dire  â  Raflfàëlli  : 
f  ♦*  Dans  dix  ans,  tout  le  monde  saura  peindre,  comme 
tout  le  monde  sait  écrire.  Quelle  est  la  jeune  fille  inca- 
pable de  jouer  une  valse  au  piano,  ou  même  une  sonate! 
Ne  pas  savoir  peindre,  ce  sera  le  signe  d'une  mauvaise 
éducation.  » 

L'autre  route,  celle  des  peintres  qui  n'envisagent  le 
métier  que  comme  une  chose  secondaire,  qu'il  faut 
savoir  comme  il  faut  connaître  les  lettres  pour  écrire, 
mais  qui  n'est  qu'un  mode  d'exprimer  une  pensée  pro- 
fonde, ingénieuse,  admirative  ou  critique,  cette  route-là 
est  solitaire.  Les  pèlerins  qui^s'y  engagent  sont  rares. 
Mais  si  c'est  la  plus  longue  pour  arriver  à  la  célébrité, 
c'est  la  seule  qui  mène  à  la  gloire. 

Laissons  la  cohue  des  virtuoses  du  pinceau  se  disputer 
le  lambeau  de  renommée  qu'ils  convoitent  et  qui,  en 
langage  vulgaire,  s'exprime  par  les  mots  médaille, 
décoration,  mention,  commande.  Ils  ont  succédé  à  la 
génération  des  Bouguereau,  des  Cabanel,  des  Lefebvre, 
des  Gérôme,  des  Jean-Paul  Laurens,  des  Léon  Glaize, 
des  Lu  minais,  des  Benner,  dont  la  critique  indépen- 
dante a  cessé  depuis  longtemps  de  s'occuper,  puisque  la 
formule  dans  laquelle  ils  ont  emprisonné  leur  exercice 
annuel  de  composition  est  invariablement  la  même. 

Et  qu'on  ne  parle  pas,  n'est-ce  pas,  à  propos  du 
Cabanel  d'aujourd'hui,  de  rénovation,  de  rajeunisse- 
ment, de  tendances  modernes.  Le  Portrait  du  fonda- 
teur de  l'ordre  des  Petites-Sœurs  des  pauvres  et  celui 
de  là  Supérieure  générale,  fondatrice  du  même  ordre  y 
sont  aussi  glacés,  aussi  vides,  aussi  ternes  que  les 
images  de  poupées  aux  yeux  vitreux  dont  lé  fournis- 
seur attitré  du  high-life  a  peuplé  les  Salons  de  la  rive 
gauche.  Non,  le  vieux  serpent  n*a  pas  fait  peau 
neuve. 

Fermons  cette  parenthèse.  Ce  n'est  pas  ce  groupe 
tombé  depuis  tant  d'années  dans  l'indifférence  que  nous 
songeons  à  attaquer.  Il  a  d'ailleurs  servi  si  souvent  de 
cible  aux  balles  de  la  critique  qu'il  n'y  a  plus  de  place 
pour  y  efifoncer  même  une  épingle. 

Une  couche  nouvelle  a  envahi  les  Salons  parisiens, 
mêlée  aux  Américains  dont  le  débordement  devient 
inquiétant.  Ce.  t  celle  des  peintres  dont  nous  parlions 
plus  haut,  qui  font  «  le  tableau  du  Salon  *»  comme  une 
femme  commande  chez  sa  modiste  «  le  chapeau  du 
grand-prix  »,  préoccupés  uniquement,  non  de  la  pensée 
artistique  à  exprimer,  de  la  sensation  ressentie  à  fixer 
sur  la  toile,  mais  de  l'efïet  à  produire  sur  la  foule. 

Les  journaux  quotidiens  en  découvrent  tous  lès  ans 
quelques-uns  et  embouchent  pour  eux  la  trompette.  Il 
est  donc  inutile  que  nous  vantions  l'ingéniosité  avec 
laquelle  ces  commerçants  en  toiles  peintes  attirent  le 
chaland  et  leur  habileté  à  faire  leur  étalage. 


Allons  droit  aux  œuvres  devant  lesquelles  le  public 
ne  s'arrètei  pas,  ou  n'interrompt  ses  banales  exclama- 
tions laudatives  que  pour  hausser  les  épaules  de  pitié 
ou  pour  se  mettre  en  colère. 


ALBERT  TINCHAKT 

Ainsi  Mussel  ne  sera  jamais  repris,  —  disions-nous  un  soir 
entre  amis  —  el,  bien  que  tout  jeune  poêle  doive  tenir  de 
quelqu'un,  nul  des  nouveaux  conquérants  ne  tiendra  de  lui  ? 

On  aifirma  qu'il  était  en  décours,  que  son  vers  était  sans  art, 
que  son  rythme  était  banal,  que  Ninon  et  Ninclte  étaient  mortes 
le  môme  jour  que  la  Mimi  de  Murger  et  qu'on  avait  d'autre 
besogne  que  chanter  des  barcaroUes  et  s'escrimer  avec  l'épée  de 
don  Paëz. 

Pendant  ce  temps  M.  Tinchant,  sans  les  crier  sur  les  Pâmasses, 
rimait  ces  vers  : 

J'écris  pour  mes  amis  ce  petit  livre  intime. 
Le  style  n'en  est  pas  d'un  coloris  très  pur. 
Je  ne  suis  pas  de  ceux  qui,  rêvant  dans  l'azur, 
Gardent  au  fond  du  cœur  un  coin  de  ciel  sublime. 

Quant  à  ces  hommes  forts  qui  repassent  la  lime 
Longuement  sur  un  vers  pour  le  rendre  moins  dur, 
Et  ne  cueillent  le  fruit  que  lorsqu'il  est  bien  mûr, 
Ils  valent  mieux  que  moi,  certe,  et  Je  les  estime. 

J'ai  grand  peine  à  voir  clair  dans  ma  profonde  nuit 
Et  sais  encor  trop  peu  pour  mépriser  autrui. 
Flagelle  qui  voudra  les  vices  de  son  frère.  • 

V        Pour  reprendre  les  gens  naïfs  ou  corrompus,  ■ 

La  nature  m'a  fait  la  tète  trop  légère,  .        ' 

Mon  vers  comme  mon  cœur  parle  à  bâtons  rompus. 

N'est-ce  pas  Musset  qui  dit  et  n'est-elle  pas  de  lui  celle  préface 
en  sonnet?  et  n'a-l-il  pas  toujours  fait  parler  son  vers  comme  son 
cœur? 

Inutile  de  faire  remarquer  que  celle  poésie  ne  s'adapte  nulle- 
ment à  nos  préférences,  mais,  faisant  de  la  critique,  nous  voulons 
avant  tout  faire  connaître  les  personnalités  que  nous  désignons  el 
nous  borner  pour  l'instant  à  ce  rôle. 

Aussi  ce  nous  a-t-il  été  une  surprise  de  revoir  Tinfluence  de 
Mussel  réapparaître  en  lillérature.  Nous  notons  le  fait. 

Du  reste,  confirme-l-il  combien  les  jeunes  lettres  françaises 
sont  diverses  et  tiraillées  en  tous  sens.  Que  de  vieux  saints  dont 
on  baise  les  reliques!  Que  d'ossuaires  fouillés  et  que  de  pieds 
ravis  aux  lombes  pour  faire  marcher  la  poésie  moderne!  Plus  de 
maîlre-aulel  qui  commande  là-bas,  du  fond  des  temples,  mais  de 
petites  chapelles  latérales,  avec  des  cierges  dévols,  partout. 

La  poésie,  tombée  d'Hugo  en  Lcconle  de  Lisle,  s'était  affinée 
de  forme  et  de  stvle.  Aux  cheveux  sauvasses  et  désordonnés  des 
Romantiques,  les  Parnassiens  avaient  fait  de  belles  boucles  régu- 
lières, nobles  comme  les  plis  du  péplum.  Il  fallait  faire  froide- 
ment de  beaux  vers.  Telle  était  la  théorie,  démentie  que  de  fois  ! 
La  rime  riche  et  les  vers  uniformément  coupés  étaient  des  conven- 
tions dont  la  logique  ne  devait  faire  qu'une  bouchée.  Un  beau 
jour  les  baleines  de  ce  banal  corset  craquèrent  et,  depuis,  on  est 
à  la  recherche  d'une  forme  aniipodique  à  l'ancienne.  Réaction 
fatale. 

Aujourd'hui  la  forme  impeccable  n'est  plus  recherchée  et  toute 


une  harmonie  de  rythme  nouveau  conquiert.  Lie  vers  coloré?  — 
Avant  tout,  le  vers  musical  !  — La  rime  riche?  —  Avani  tout,  la 
rime  logique! 

Pourtant  ce  n'est  pas  la  facture  ni  la  versification  de  M.  Tin- 
chant qui  tranche  Ic  plus;  c'est  l'âme  de  son  art.  Il  y  a  mis  son 
esprit,  sa  verve^  sa  gaîié,  un  peu  de  sa  bravachorie  et  beaucoup 
de  sa  jeunesse.  Nous  revenons  à  dos  printem»  s  d'amoureux  et 
d'amoureuses  poussant  au  bon  petit  soleil  do  l'insouciance  et  de 
la  vie  hrureusc.  Los  contes  refleurissenl,  toujours  les  mêmes  : 
des  rendez-vous,  dos  baisers,  vingt  ans,  un  oncle  naïf,  une  blague 
mousseuse  comme  du  vin  d'Aï,  une  couclierie  sur  l'herbe  ou  sur 
un  banc  de  jardin  et  les  étoiles  qui  forment  les  yeux  pour  ne 
point  voir.  Borcare,  Lafonlaine,  Di  sperriers,  tamisés  à  travers  le 
Musset  do  Mardoche  el  do  Sylvin,  sont  ses  maîtres, 

Nous  n'insisterions  pas  autant  sur  les  sérénités  do  M.  Tinchant, 
si  le  livre  n'avail  eu  un  réel  sucrés  el  s'il  no  tranohnit  point  autant 
sur  tel  el  tel  nouveau  venu,  fatalemenl  parnassien  ou  pessi- 
miste. 


MIllET  ET  RÔlSSEAl 

Au  moment  où   'a  vente  do  la  galerie  du   bey  do  Jodoigne, 

M.  Do  Foop,  ramène  rat'ontionsur  eos  grands  arti'iies,  nous  nous 

Fommes  souvenus  d'une  lotiro  du  sceond  et  du  pas-ai^e  où  Arthur 

•  Stevons  parle  du  premier,  dans  un  Salon  aujourd'hui  une  rareté 

bibliogr.iphiquo  :  -  :' 

«  Millet,  dit-il,  ce  peintre-pensour,  qu'une  certaine  frr.ction 
du  public  prend  pour  un  ariisto  d'opinion  avancée,  n'a  jamnis, 
hasardé  un  pas  sur  le  terrain  scabreux  de  la  politique.  Ou 
a-t-on  vu  que  la  peinture  pouvait  so  substituera  la  |  oîiiique?  Ses 
créatures  du  bon  Dieu,  homnios  el  bôles,  onl-olli  s  donc  dos  airs 
jacobins?  Comment!  mais  ellos  n'ont  jamais  voygé  on  chemin 
de  fer!  elles  mourront  où  elles  sont  nées!  — ^^  Cosi  une  des 
grandes  qualités  de  >liIIol  (h-^  si.voir  exprimer  rolle  vérité.  Il 
raconto,  avec  un  sonlimtMit  si  jusio  ol  si  vrai,  les  durs  labeurs  du 
paysan,  que  certaines  gens  le  tionnoni  pour  socialiste.  Erreur! 
Ma's  il  est-  si  facile  do  pass*  r  pour  rôvolulionuaire  en  peinture 
quand  on  ne  s'inspire  que  de  la  nature!  * 

Millet  a  compris  que  la  source  de  l'in^^piration  artistique  n'était 
pas  ou  Louvre,  mais  dans  la  nature,  e'esl-à-dire  là  où  les  maî;r<^ 
ont  puisé  leurs  inspirations. 

Millet  est  une  nature  grave,  un  esprit  indépendant,  un  peintre 
convaincu'.  Ses  œuvrrs.  dépourvues  de  tout  chirme  convention- 
nel, sont  austères.  .Milh't  est  un  croyant.  Il  traite  avec  religion  ses 
travailleurs  et  ses  paysans;  il  les  voit  ponsifs.  graves,  simples, 
mélancoliques.  «  La  belle  chose,  dit  M.  Champ'floury,  dars  une 
remarquable  étude  sur  los  Le  Nain, (\n  un  artiste  qui  ala  croyance 
■  en  son  sujet,  qui  le  respecte  et  qui  l'aime  !  » 

Dans  le  Berger  ramenant  son  troupeau,  le  paysage  représente 
une  plaine  unie.  Le  soleil  so  couthe  à  l'horizon.^ On  voit  son 
disque  rooge,  sans  rayons,  à  demi  voilé  par  Us  nuages.  La  terre 
>st  dms  la  pénombre.  Un  berger  suivi  de  son  troupeau  s'avance 
vers  le  spectateur.  C'est  tout,  f/est  bien  simple.  Le  paysage  n'a 
rien  de-romantique,  mais  il  n'a  rien  non  plus  des  poncifs 
classiques.  Le  berger  est  un  pauvre  travailleur,  un  homme  qui 
souffre,  mais. ne  proteste  pas.  Ce  n'est  point  un  socialiïiie, 
soyoz-en  sûr.  Il  n'envie  pas  la  fortune  des  riches;  c'est  à  peine 
s'il  sait  qu'il  y  a  des  riches!  S'il  lui  tombait  une  fortune,  peut- 
être  garderaii-il  son  troupeau  à  cheval?  11  ne  doit  rien  désirer 
de  plus.  Vêtu  de  guenilles,  il  ne  s'y  drape  piis;  il  n'est  ni  fier, 
ni  honteux. 

Millet  est  un  réaliste,  sans  doute,  mais  il  n'imite  personne.  Il 
peint  ce  pauvre  di'uble,  parce  que  ce  pauvre  diable  a  une  âme  de 
chrétien,  el  que»  par  conséquent,  il  vaut  la  peine  d'être  repré- 
senté. Millet  proleste,  au  nom  de  la  réalité,  contre  l'idéalisme 


Classiqiie  cl  les  gamities  monldes  des  colorislos.  II  ouvre  le 
domaine  do  l'art  au  travail,  jadis  proscrit,  cl,  par  le  cachet  puis- 
sant qu'il  lui  imprime,  il  l'élève  jusqu'au  style,  et  lui  donne  ses 
lellres  de  noblesse. 

.  Dans  tous  les  i>ays,  on  a  vu  des  peintres  rdalisics  s'appliquant 
à  retracer  le  tableau  des  misères  humaines.  Les  lialicns  ont  idéa- 
liste ia  pauvreté  cl  la  souffrance.  Les  Flamands  ont  admis  les 
types  faniiliers,  bourgeois,  mais  ils  n'ont  pas  représenté  le 
peuple  proprement  dit*.  Les  Espagnols  ont  peint  des  bandits  pil- 
'  Ipresjues,  fauves,  aux  cheveux  hérissés;  des  mendiants  vaniteux 
se  croyant  de  meil'eure  maison  que  le  roi.  Les  Flamands  rient  de 
leurs  gueux;  les  Espagnols  vantent  les  leurs.  Pour  Millet,  il  vil 
avec  les  siens;  il  les  peint,  parce  qu'il  les  aime,  en  grand,  avec 
une  tiivialilé  courageuse  et  sincère,  avec  une  intensité  do 
réalisme  saisissinie,  car  on  trouve  en  eux  je  ne  sais  quoi  de 
vivace  et  d'allachanl  qui  brave  le  dédain  et  ne  songe  pas  à  implo- 
rer la  pitié.  Ces  paysans  sont  pauvres,  mais  ils  ne  sont  jamais 
abjects.  En  eux,  la  misère  n'a  pas  tué  le  courage,  et  il;^||rpuvenl 
leur  soulagement  dans  la  résignation. 

Peignant  l'homme  et  non  des  costumes,  Millet  comprend  que 
l'art  doit  gt'nt'raliser,  et  non  individualiser,  onccdotiser. 

Un  trbfcau  d'histoire  resserre  l'histoire  dans  un  fait,  tandis 
que  les  maîtres  anciens  ont  su  montrer  toute  une  époque  dans  le 
seul  aspect  d'une  ligure.  Le  Carabinier  de  Géricaull,  c'est  le 
premier  Empire  toulenlier;  c'est  le  chant  d'une^époque,  en  une 
page. 

Millet  csl  un  peintre  mâle,  primitif,  une  nature  calme  et  hon- 
nête. Toutes  ses  œuvres  respirent  la  santé  morale  et  la  santé 
physicjue.  Il  voit  la  nature  cl  Thumanilé  d  un  regard  doux  et 
bienveillant. 

Un  paysan  se  reposant  sur  sa  houe,  nous  montre  un  travail- 
leur exténué  de  fatigue,  arcbouté  sur  sa  béehe.  L'air  et  la  vie  cir- 
culent dans  ce  tableau  ;  sur  le  visage  du  paysan  éclate  une  robuste 
virginité.  Cet  homme  sert  à.la  terre,  il  à  la  physionomie  qu'il  doil 
avoir;  il  n'est  pas  plus  laid  que  le  bœuf  tirant  la  charrue.  Si 
rFarlisle  nous  avait  peint  une  têie  byronienne,  impériale,  il  aurait 
fait  une  œuvre  fausse,  et  chaeun  de  nous  voudrait  arracher  ce 
prolétaire*  né  ministre,  h  sa  iris'e  et  pénible  pojsilion.  Il  aurait 
peint  iine  exception,  et  l'artiste  ne  doit  point  raconter  les  excep- 
tions. 

Celte  créaiure  humaine,  surchargée  de  travaux  quotidiens, 
lient  de  la  bêle  de  somme.  11  semble  que  si  l'aiguillon  venait  l'ex- 
cikir,  elle  souffrirait  sans  se  plaindre.  Ce  tableau,  c'est  l'épopée 
du  travail,  la  prière  sublime  à  Dieu.  Cet  humble  travailleur  est 
un  méritant;  ce  n'est  ni  un  malheureux,  ni  un  misérable. 

J'aime  peul-élre  moins  la  Femme  cardanl  de  la  laine,  tableau 
dans  leciuel  je  retrouve  pouriaui  le  grand  style,  la  physionomie 
de  Millet.  Celte  ligur»î  e<t  d'une  réalité,  d'un  relief,  d'un  modelé 
saisissants  et  d'une  coloration  distinguée.  Ce  sont  des  ions  de 
nature  ei  non  des  ions  de  vieux  tableaux.  La  cardeuse  fait  bien 
ce  qu'elle  fait;  elle  n'a  pas  de  gesîe  théâtral;  elle  ne  pose  pas 
pour  le  spejlat»ur;  elle  est  tout  entière  à  son  utile  besogne,  et 
tous  ses  mouvements  sont  pratiques. 

Que  d'artistes,  capables  de  nous  intéresser  par  une  composi- 
tion remplie  de  personn:ige>,  font  preuve  d'une  incroyable  fai- 
blesse, comme  pensée  el  i  omme  science,,  dans  un  tableau  d'une 
seule  figure!  Millet  prinl-il  une  femme  tenant  un  enfanl?  Il  ne 
crée  pas'  une  mère,  mais  la  mère  EVE.  Sur  ses  genoux,  on  dirait 
qu'elle  convie  à  prendre  plaee  l'humanité  entière  :  le  geste  csl 
juste,  utile  et  grand,  —  car  tout  geste  utile  est  grand. 
.  Ne  cherchez,  dans  les  tableaux  de  Millet,  aucune  agacerie 
d'exécuiion  :  ils  soni  beaux  avant  d'être  inléressanis.  Chacune  de 
ses  œuvres,  je  le  répète,  est  une  épopée  rustique. 

Nous  avons  été  si  souvent  accablés  de  mauvais  tableaux  d'his- 
toire, gavés  de  mélodrames  sur  toile,  de  pastiches  gothiques, 
grisés  d'an  fermenté,  que  nous  avonij  soif  de  simplicité,  de  natu- 
rel, de  vérité. 

Après  ^exii^tence  empoisonnée  des  usines  et  des  ateliers  indus- 
triels, il  fuul  retremper  la  race  par  le  retour  à  l'air  salubre  des 
cham|>s,  à  la  vie  rustique.  - 


.    Les  personnages  de  Millet  sont  vrais  comme  ceux  de  la  Bible,  » 
Voilà  Tarlicle  du  critique,  voici  la  lettre  du  peintre. 

-  Barbizon,  le  4  février  1864. 

,  Mon  cher  monsieur  {Théophile  Gautier), 

Je  suis,  allé  hier  passer  la  journée  h  Paris  et  j'y  ai  trouvé  votre 
lettre.  Je  regrette  qu'elle  ail  été  si  longtemps  sans  que  j'y  puisse 
répondre.  A  peine  rétabli  d'une  maladie  grave,  bien  arriéré  dans 
mon  travail,  il  me  sera  impossible  de  pârliciperà  l'Exposition  qui 
^va  s'ouvrir,  et  je  ne  me  vois  que  le  temps  bien  juste  pour  termi- 
ner un  tableau  que  je  compte  mettre  au  Salon  prochain.  Ceci 
m'excuse  tout  naturellement.  Mais  j'ai  en  outre  des  raisons  pour 
m'abstenir;  laissez-moi  vous  les  dire,  el  ne  vous  formalisez  pas 
si  je  m'en  prends  h  vous  des  choses  que  vous  vous  laissez  aller 
un  peu  légèrement  h  patronner. 

Vous  avez  exploré  l'art  depuis  1830;  comme  sur  un  océan, 
vous  y  avez  doublé  bien  des  caps,  passé  sur  bien  des  brisants, 
et  en  fin  de  compte,  à  ceux  qui  vous  ailendaienl  dans  le  port, 
vous  avez  rapporté  une  vraie  substance,  une  histoire  poétique  de 
notre  art  qu'ont  lue  tous  vos  contemporains  et  que  lira  la 
postérité.  Donc,  vous  avez  résumé;  h  travers  ce  que  l'aclualité 
avait  de  tumultueux,  vous  avez  eu  le  génie  de  savoir  toujours  où 
rallier  et,  comme  Christophe  Colomb,  vous  saviez  d'avance  où 
était  l'Amérique. 

Eh  bien!  prenez  garde  maintenant.  Vous  étiez,  dis-je,  sur  un 
océan,  et  un  océan  a  des  ports,  j'aperçois  la  pointe  de  votre 
barque  sur  des  cascades,  et  les  cascades  ne  mènent  qu'à  des 
abîmes.  De  Papety  en  Cabanel  cl  de  Cabanel  en  Baudry,  on  ne 
liwdiÈ  guère  à  être  étourdi  dans  les  gnrgouillades.  Vous  savez  de 
l'art  tout  ce  que  l'on  en  peut  savoir,  vous  avez  pu  constater  que 
le  public  n'a  été  retenu  do  génération  en  génération  que  par 
ceux  qui,  patients  et  solitaires  dans  le  travail,  n'étaient  animés 
que  du  désir  de  bien  faire,  et  non  pas  ceux-là  qui  prétendaient  le 
mettre  de  leur  côté  en  se  vouant  à  ses  caprices  el  flattant  ses  goûts 
éphémères. 

Ouvrez  donc  les  yeux  sur  ce  qui  se  passe  maint'^nanl,  que 
chacun  n'est  plus  occupé  qu'à  coller  une  affiche  qui  déborde  celle 
de  son  voisin,  pour  attirer  les  regards,  ne  fût-ce,  que  pour  un 
instant.  El  votre  société,  à  quoi  se  laisse-l-elle  entraûKT!  Elle 
avait  d'abord  pour  but  d'exposer  librement,  c'était  mieux,  mais 
elle  n'a  pas  tardé  à  progresser.  L'année  dernière  je  disais  à  Mar- 
tinet qu'il  finirait  par  nous  faire  tenir  un  calé,  et  il  me  semble 
que  nous  y  sommes.  Voilà  que  nous  avons  la  peinture  avec  la 
musique  et  [c  grog.  Nous  aurons  la  danse  et  les  fleurs,  nous 
pourrons  écrire  sur  notre  bannière  :  a  Ici  les  cinq  sens  sont 
charmés»,  et,  ma  foi!  nous  l'aurons  conquis,  le  public,  car  il 
f  ludrait  qu'il  fût  bien  ennemi  de  son  plaisir  pour  ne  pas  entrer 
chez  nous;  mais  croyez-vous  que  la  digniié  de  l'art  en  sorte 
bien  intacte?  N'y  a-t-il  pas  des  avances  voluptueuses  qui  sont  un 
outrage  à  l'amour? 

Nous  voici  donc  enfin,  peintres,  donnant  des  concerts  el  des 
bals  et  pouvant  offrir  des  rafraîehisscmcnls  ;  nous  sommes  pein- 
tres ayant  un  almanach  à  notre  ceinture,  afin  de  ne  manquer 
aucune  foire  de  province,  comme  les  marchands  de  bœufs.  Par 
le  monopole  de  l'Etal  nous  allons  devenir  peintres  assermentés 
pour  ies  armées,  les  ambassades  et  les  mcnus-pjaisirs  de  cour, 
avec  une  casquette  brodée.  Que  ne  fera-t-on  pas  de  nous,  bon 
Dieu!  C'est  vraiment  trop  d-e  faire  el  trop  de  faconde,  el,  je  vous 
le  demande,  qu'est-ce  que  l'art  a  donc  à  faire  avec  tout  cela? 
Viendra-l-il  jamais  d'ailleurs  que  d'un  petit  coin  ignoré  où  un 
homme  scrute  les  mystères  d(^  la  nature,  bien  convaincu  que  la 
solution  qu'il  en  relire,  et  qui  lui  est  bienfaisante,  l'esi  au*rsi  pour 
rhumanilé,  quel  que  soit  le  numéro  d'ordre  des  générations. 

Oui,  l'art  s'étiole  cl  s'use  dans  toute  celte  pompe  el  cette  jac- 
tance qu'on  en  fait.  Lue  grande  cité  ne  se  décrète  pas  un  fleuve 
parce  qu'elle  est  assez  riche  pour  faire  d'immenses  amas  d'eau  el 
lés  contenir  dans  de  spicndidcs  réservoirs;  s'il  coule  majestueux 
entre  ses  quais,  elle  ne  le  doil  qu'au  travail  incessant  de  petites 
sources,  qu'elle  ignore  presque  et  envers  lesquelles  elle  se  montre 


UART  MODERNE 


175 


toujours  ingrate.  Vous  ovoz  le  secret  de  ces  sources,  riez  donc  au 
nez  de  ceux  qui  croient  (ju'il  n'y  a  la  Seine  que  parce  qu'il  y  a  Paris. 
Vous  qui  n'avez  jamais  été  Vuli^aire,  n'allez  pas  vous  l;iisser 
engager;  passez  les  coudes  dans  cette  foule  remuante  de  la^ médio- 
crité actuelle.  Dans  votre  génie  aventureux,  s'il  vous  plaisait  de 
fouiller  des  bouges,  on  serait  sans  crainte  à  votre  égard,  vous  en 
sortiriez  les  mains  pleines  de  poésies;  mais,  au  contact  de  la  vul- 
garité, je  vous  mets  bien  au  défi  d'y  rester  sans  en  éprouver  les 
atteintes.  ^ 

Déjà,  tenez,  vous  avez  subi  les  entraînements  de  la  badauderie, 
en  accueillant  mal  le  seul  vrai  peintre  qui  se  soit  manifesté  depuis 
1830,  vous  qui  êtes  doué  pour  cela  d'un  sens  si  exquis  :  je  veux 
parler  de  François  Millet.  El  tous  les  jours,  sous  vos  yeux, 
presque  sous  voire  responsabilité.  Martinet  vous  étourdit  dans 
son  journal  de  réclames  honteuses,  avec  je  ne  sais  quels  noms, 
tout  ce  qu'il  y  a  de  commun  au  monde.  Taisez,  si  vous  voulez, 
toutes  mes  généralités,  mais  prenez  note  de  ces  faits  :  ils  prouvent. 

Vous  commandez  maintenant,  pour  la  plus  grande  partie,  une 
jeune  armée,  et  vous  lui  dites  :  «  En  avant!  »  Vous  faites  bien, 
mais  je  la  crois  plus  ambitieuse  que  vraiment  dévouée.  Elle 
pourra  surprendre  un  succès,  je  douté  qu'elle  puisse  garder  une 
position,  * 

Permettez  donc  à  un  de  vos  grognards  de  rester  p6ur  sa  part 
dans  la  réserve,  avec  quelques  autres  qui  vous  restent  encore  et 
qui  ont  la  dent  bonne  pour  la  cartouche.  On  pourra  sauver  la 
chose  en  temps  utile.  Comptez  sur  eux,  leur  prudence  n'est  pas 
défection. 

Excusez-moi,  mon  cher  Monsieur  Théophile  Gautier,  d'avoir 
mis  aussi  longtemps  sous  vos  yeux  un  langage  barbare,  ayant 
toutes  ces  choses  à  vous  dire  à  propos  de  l'organisation  inconsi- 
dérée qui  se  fait  au  nom  de  l'art,  et  croyez^moi  bien  à  vous  de 
tout  cœur,  lié  par  sympathie  et  par  l'admiration  qiie  j'ai  pour 
votre  talent. 

Je  serais  charmé  si,  à  mon  retour  à  Paris,  au  mois  de  mars, 
vous  vouliez  bien  me  donner  quelque  rendez-vous  pour  causer  un 
peu- avec  vous  sur  ce  sujet. 

Je  suis  tout  à  vous,  y  U  "        , 

~'    Théodore  Rousseau. 

Quelle  leçon  donnée  par- ce  rude  homme  de  peintre  à  l'écrivain 
qui  tournait  au  courtisan.  Il  jugeait  en  Parisien  les  pavsans  de 
Millet. 

A  son  jugement,  disait  Arthur  Slevens,  j'oppose  celui  de 
Montaigne,  qui  ne  faisait  point  métier  de  sensiblerie.  Ecoulez  : 

«  Regardons  à  terre  les  pauvres  gens  que  nous  y  vcoyons 

«  espandus,  la  tête  penchante  après  leur  besogne,  qui  ne  sçavent 

«  ny  Arislole,  ny  Caton,  ny  exemple,  ny  précepte;  de  ceulx-là 

«  tire  nature  touts  les  jours  des  eft'els  de  constance  et  de  patience 

«  plus  purs  et  plus  roides  que  ceulx  que  nous  esludions  si 

c<  curieusement  en  l'eschole  :  combien  en  veois-je  ordinairement 

«  qui  mescognaissent  la  pauvreté!  combien  qui  désirent  la  mort, 

c<  ou  qui  la  passent  sans  alarme  et  sans  aftlietion!  Celuy-là  qui 

«  fouît  mon  jardin,  il  a  ce  matin  enterré  son  père  ou  son  fils. 

«  Les  nonis  mesmes  de  quoi  ils  appellent  les  maladies  en  adous- 

c<  cissent  et  amolissent  l'aspreié  :  la  phlhisie,  c'est  la  toux  pour 

«  eux;  la  dyssenterie,  dévoyement  d'cstomach;  une  pleurésie, 

«  c'est  un  morfondonient,  et  selon  qu'ils  les  nomment  doulce- 

c<  ment,  ils  les  supportent  aussi  ;  elles  sont  bien  griefucs  quand 

«  elles  rompent  leur  travail;  ils  ne  s'alliestent  que  pour  mou- 

«  lir.  n 


VENTE  DEFOER-BEY  • 

Les  enchères  ont  atteint  //«  million  trente  cinq  mille  cinq  cent 
cinquante  francs.  Voici  quelques  uns  des  prix  auxquels  ont  été 
adjugées  les  plus  belles  œuvres, 

Mil-huit-cent-quatorze^  de  Meissonnier,  a  été  acheté  128,000 
francs,  par  M.  Montagnac.  L'artisie  l'avait  vendu  dans  le  temps 
25,000    francs    à    M.    Ruskin.    La   Fantasia   de    Fromcniiu, 


68,000  francs;  Le  Garde  chasse,  dé  Decamps,  36,000  francs; 
Le  Christ  en  cmx.  de  Delacroix,  !29,.')00  francs;  Nymphes  et. 
(aunes;  de  Corot,  65,000  francs;  Le  Coucher  de  Soleil,  ù^\)i\\^T6, 
15,000  frtmcs;  Lesjoueursde  boules,  de  Meissonnier,  46,700  fr.; 
Le  Voyageur,  du  même,  30,500  francs  ;  Le  rieur,  du  même, 
23,000  francs;  L'homme  à  la  houe,  de  Millet,  57,000  francs;  La 
lessiirduse,  iJHi  même,  35,100  francs;  La  b râleuse  dlierbes,  du 
même,  25,000  francs  ;  Le  pâturage,  deTrovon,  33,000  francs; 
Les  bords  de  la  Loire,  i\i^l\\.\\o\i^^iZ\\,  55,000  francs;  Le  Trom- 
pe tiède  hussards,  de  Géricaull,  19,500  fratics  ;  onze  pastels  de 
Millet  ont  atteint  une  moyenne  de  5,000  francs  chacun. 


JûA    LITTÉRATURE    AU    ^^ONQO 

Il  ne  s'agit  pas  de  livres  rédigés  par  les  nègres.  Notre  civilisa- 
lion  ne  les  a  pas  encore'  amenés'à  ce  point.  Mais  des  écrits  variés 
que  le,  nouvel  Etat  libre  suscite  en  Belgique. 

Jusqu'ici  on  n'en  est  encore  qu'aux  publications  scientifiques. 
Les  œuvres  purement  littérnires  naîtront  sans  doute  plus  tard. 
Les  Indes  hollandaises  ont  enrichi  les  Hollandais  non  seulement 
de  denrées  coloniales,  mais  de  quelques-uns  de  leurs  plus 
beaux  livres.  Qui  n'a  lu  Max  Havelaar,  de  Multatuli?  et  chez 
nous-mêmes  Batacia  n'est-il  pas  au  premier  rang-des  œuvres  de 
Conscience  ?  ' 

Patience,  le  temps  viendra,  cOmme  il  viendra  pour  une  appré- 
ciation plus  équitable  de  ce  grand  projet  africain  jusqu'ici  tant 
vilipendé  par  nos  étroites  cervelles  belges.  En  altendynl  l'empire 
colonial,  la  Belgique  préfère  être  l'empire  où  l'on  fête  toutes  les 
médiocrités,  idées,  hommes  et  choses. 

Nous  avons  sous  I.s  yeux  deux  brochures.  L'une  émane  de  la 
Société  belge  des  Ingénieurs  et  Industriels.  Elle  est  intitulée  :  Le 
Congo.  Elle  réunit  neuf  conférences  résumant  le  présent  de  la 
colonie  et  ses  espérances  sa  description,  ses  produits,  ses  débou-" 
chés.  L'autre  est  une  élude  du  capitaine  Albert  Thvs  exposant 
quelle  figi/re  le  Congo  a  fdiie  à  l'exposition  d'Anvers.' 

Ces  lectures  sont  très  inléressmtes.  C'est  un  voyage  scientifique 
du  meilleur  aloi.  Style  simple,  idées  justes,  appuyées  de  bonnes 
preuves,  logiquement  déduites,  animées  d'un  soultle  de  counigo, 
de  confiance,  de  bonne  volonté  qu'on  a  plaisir  à  sentir.  Sous  ce 
rapport  l'opuscule  du  capitaine  Thys  e^t  particulièrement  suggesr 
tif  et  séduisant.  L'isprii  ferme,  liiuelligence  claire,  le  rarae'ière 
tenace  et  droit  se  révèlent  à  toutes  les  pages.  Il  justifie  cette 
parole  que  nous  disions  en  parliint  jadis  des  écrits  du  général 
Bnalmont  et  du  général  Eenens  :  «  Il  est  bon  qiie  l'homme  ait 
porté  quelque  t^mps  l'uniforme.  »  Si  licet  parva  cnmponere 
magnis,  Cervantes  n'arrive-i-il  pas  de  Lépanie,  comme  Djflte  de 
Caujpalbiuo,  comme  Eschyle  de  Salamine?  Juvéïial  n'a-l-il  pas 
été  tribun  militaire?  Tous  'soldats  :  Hugo  en  a  tait  la  remarque. 


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176 


UART  MODERNE 


,■■:'.'■■■,■■.•■■■■  SIXIÈME  ANNÉE  '  ■./•"'"■"■■-■■  :-^' ^ 

L'ART-  MODERNEj  s'est  acquis  par  l'autorité  et  l'indépendance  de  sa  critique,  par  la  variété  de  ses 
informations   et    les  soins  donnés   à  sa   rédaction   une  place  pi*épondérante.   Aucune   manifestation  de  l'Art  ne 

lui  est  étrangère  ;  il  s'occupe  de  littérature,  de  peinture,  de  sculpture,  de  gravure,  de  musique, 

d'architecture,  eic.  Consacré  principalen^ent  au  mouvement  artistique  belge,  il  renseigne  néanmoins  ses 
lecteurs  sur  tous  les  événements  artistiques  de  l'étranger  qu'il  importe  de  connaître. 

Chaque  numéro  de  L'ART  MODERNE  s'ouvre  par  une  étude  approfondie  sur  une  question  artistique 
ou  littéraire  dont  l'événement  de  la  semaine  fournit  l'actualité.  Les  expositions^  les  livres  nouveaux,  les 
premières  représentations  d'œuvres  dramatiques  ou  musicales,  les  conférences  littéraires,  les  concerts,  les 
ventes  cf objets  cTàrt,  font  tous  les  dimanches  l'objet  de  chroniques  détaillées. 

L'ART  MODERNE   relate  aussi  la  législation   et  la  jurisprudence   artistiques.   Il   rend  compte  des 

procès  les  plus  intéressants  concernant  les  Arts,  plaides  devant  les  tribunaux  belges  et  étrangers.   Les 

.  artistes  trouvent  toutes   les   semaines   dans   son  Mémento   la   nomenclature   complète   des   expositions   et 

concours  auxquels  ils  peuvent  prendre  part,   en   Belgique  et  à  l'étranger.  Il  est  envoyé  gratuitement  à 

l'essai  pendant  un  mois  à  toute  personne  qui  en  fait  la  demande. 

L'ART  •  MODERNE  forme  chaque  année  un  beau  et  fort  volume  d'environ  450  pages,  avec  table 
des  matières.  Il  constitue  pour  l'histoire  de  l'Art  le  document  LE  PLUS  COMPLET  et  le  recueil  LE  PLUS 
FACILE  A  CONSULTER. 


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Quelques  exemplaires  des  cinq  premières  années  sont  en  vente   aux  bureaux   de  L'ART  MODERNE, 
rue  de  l'Industrie,  26,  au  prix  de  30  francs  chacun. 


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scription pouv  violoncelle,  avec  accomp.  de  piano,  fr.  2.00. 

BORIS  SOyKKL.  Op.  155,  Trois  mélodies  pour  chant,  avec 
accomp  de  violoncelle  (ou  violon)  et  piano.  Paroles  françaises  et 
anglaises  .  N''  1  Venez  iua  mie.  Sérénade.  (Arise,  beloved),  fr.  1.35; 
no  2  Pour  l'absent.  (To  my  absent  love),  fr.  1.75;  u^  3.  Chant 
d'amour  (Love  song),  fr*  175. 

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Op.  97.  Pour  la  jeunesse,  6  more,  fac.  à  4  mains,  4-10. 

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tion, 17-50.  Parties.  26-25.  Op.  79.  Légende  de  la  forêt.  8  more, 
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1     I 


#■ 


Sixième  année.  —  N°  23 


Le  numéro  :  25  centimes. 


*  Dimanche  6  Juin  1886. 


■id 


L'ART  MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTERATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,  un  an,  fr,  10.00;  Union  postale,   fr.   13.00.  —  ANNONCES   :   On  traite  à  forfait. 


Adresser  les  demandes  d^ abonnement  et  toutes  les  communications  à 
l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


? 


OMMAIRE 


Le  Salon  de  "Paris.    Troisième  article.  —   Causerie'  sur  les 

REVUES.    —   VOLAPUK.  —    Le   ThÉATRE   DE  LA   MONNAIE.  —  Le   BON 

PEINTRE.  —  Bibliographie  musicale.  Heinrich  Schûtz.  —  Petite 

CHRONIQUE.       ,  .    ■.   :,  ,-■ 


LE  SALON  DE  PARIS 


Troisième  article. 

M.  Raftkëlli  exposait  naguère  avec  les  Impression- 
nistes, et  Ton  a  si  bien  pris  l'habitude  de  le  considérer 
comme  un  intransigeant;  comme  un  révolutionnaire, 
comme  un  anarchiste  de  l'art,  qu'on  le  discute  à 
outrance  au  Salon,  où  depuis  deux  ans  il  lui  a  plu  de 
reparaître. 

Son  nom  seul  soulève  des  tempêtes.  On  répète  devant 
les  deux  toiles  qu'il  expose  cette  année  :  Chez  le  fon- 
deur, et  Midi,  effet  de  givre,  de  même  que  devant  les 
deux  dessins  rehaussés  que  nos  lecteurs  connaissent 
pour  les  avoir  vus  à  l'Exposition  des  Vingt  :  Le 
dimanche  au  cabaret  et  r  Armée  du  Salut  y  les  plai- 
santeries insipides  et  les  appréciations  erronées  dont 
son  Clemenceau  fit,  l'an  dernier,  éclater  le  concert 
saugrenu. 

Pour  nous,  l'envoi  de  M.  Raffaëlli  au  Salon,  honore 
singulièrement  l'art  français.  Personne  n'a  mieux  que 
ce  laborieux  et  intelligent  artiste  typé  l'une  des  classes 
de  la  société  moderne:  l'ouvrier  parisien.  Qu'il  le 
déci4ve  durant  les  heures  de  peine  ou  lorsqu'il  se 
délasse,  dans  le  tumulte  du  chantier  ou  dans  les  inti- 


mités du  foyer,  il  en  note  le  geste,  l'attitude,  la 
marche,  la  physionomie,  avec  une  incomparable 
justesse  d'expression. 

Comme  nous  l'avons  fait  remarquer  déjà,  Raffaëlli  a 
créé  l'ouvrier  comme  Millet  a  inventé  le  paysan,  et  nul 
ne  pourra  désormais  lui  contester  cette  gloire. 

Ceci  soit  dit  sans  qu'on  puisse  établir  entre  l'art  de 
pensée  de  l'un  et  l'art  d'observation  de  l'autre  la 
moindre  comparaison  Raffaëlli  a  sa  personnalité  bien 
distincte.  Il  ne  procède  que  de  lui-même,  et  d'année  en 
année  s'accentue  l'acuité  de  sa  vision.    . 

Par  des  procédés  sommaires,  sans  analogie  avec 
ceux  qu'emploient  la  plupart  de  ses  confrères  en  pein- 
ture et  qui,  de  plus  en  plus,  marchent  vers  la  simplifi- 
cation absolue,  il  rend  avec  une  pénétration  rare  le 
caractère  de  ses  modèles.  Voyez  son  fondeur  Gonon, 
en  blouse  blanche,  préparant,  au  milieu  de  ses  ouvriers, 
la  fonte  du  bas-relief  de  Mirabeau;  voyez,  d'autre  part, 
la  femme  de  l'ouvrier  qu'il  représente  portant  la  soupe 
à  son  mari  à  travers  les  tristesses  mornes  d'un 
paysage  de  banlieue.  Et  demandez -vous  s'il  est  possible 
d'exprimer  avec  plus  de  sincérité,  avec  plus  de  concen- 
tration, ces  deux  épisodes  pris  en  pleine  réalité. 

L'artiste  a  acquis,  en  ces  dernières  années,  une 
maîtrise  que  nous  sommes  heureux  de  saluer.  Sa 
science  est,  chose  rare,  absolument  exempte  de  pédan- 
terie. Et  l'on  remarque,  à  travers  l'amertume  de  son 
esprit,  naturellement  tourné  à  l'ironie,  une  sorte  de 
bonhomie  qui  en  corrige  l'âpreté. 

A  côté  de  Rafï'aëlli,  il  est  un  artiste,  moins  connu. 


4^ 


178 


n ART  MODERNE 


qu'attire,  comme  le  premier,  la  réalité  contingéhte. 
C'est  M.  Albert  Bartholomé.  Il  a  jadis  suivi  dans  ses 
pérégrinations  de  la  rue  Le  Peletier  à  ravenue 
de  l'Opéra  le  groupe  intransigeant  dont  la  huitième 
Exposition  s'est  ouverte  récemment,  rue  Lafitte 
cette  fois,  et  dont  nous  parlerons  incessamment. 
Depuis  peu  de  temps,  il  est  rentré  dans  les  rangs  de 
l'armée  régulière.  Il  expose  au  Salon,  comme  tout  le 
monde,  et  si  le  public,  pour  qui  les  œuvres  modestes  et 
consciencieuses  ont  peu  de  prix  dans  cette  halle 
bruyante,  passe  avec  indifférence  devant  la  ronde  de 
petites  filles  qu'il  intitule  L(?  furet,  les  artistes  admirent 
son  coloris  discret  et  subissent  le  charme  de  son  inter- 
prétation personnelle  et  sobre.    .  , 

Toute  autre  est  l'attitude  des  visiteurs  devant  le  por- 
trait de  M'"''  Roger.  Jourdain,  par  M.  Albert  Besnard. 
Ici  on  s'attroupe,  oh  rit,  on  proteste,  on  s'indignB. 
«  Superbe!  disent  les  uns. —  C'est  insensé!  clament  les 
autres.  —  Besnard  se  moque  de  nous  !  «  s'écrient  exas- 
pérés, les  gens  graves  pour  qui  le  Po^Hrait  de  M.  Pas- 
teur  par  Bonnat  réalise  le  comble  et  l'idéal  de  l'art. 
«  Il  a  tiré  un  coup  de  pistolet  pour  forcer  l'attention  !  » 
prononcent  dédaigneusement  les  confrères. 

Et  la  belle  dame,  dans  le  frémissement  soyeux  de  sa 
robe  rose,  —  la  joue  gauche  illuminée  par  la  flamme 
orangée  du  gaz,  la  joue  droite  noyée  dans  les  lueurs 
bleuâtres  que  le  crépuscule  fait  filtrer  à  travers  les 
vitres  d'une  vérandah,  sourit  aux  colères  qu'elle 
déchaîne. 

M.  Besnard  est,  pensons-nôus,  un  artiste  trop  con- 
sciencieux, trop  respectueux  de  son  art  pour  avoir 
sacrifié  au  désir  de  faire  parler  de  lui.  Il  a  vu  ou  cru 
voir  l'eff'et  qu'il  a  cherché  à  exprimer  :  la  lutte  des  der- 
niers instants  du  jour  contre  la  lumière  factice  de  nos 
appartements,  et  s'il  a  exagéré  la  coloration  jaune  de 
celle-ci,  si  les  lèvres  de  son  modèle,  qui  s'ouvrent  en 
œillet  sanglant  dans  l'ovale  du  visage,  paraissent  d'une 
intensité  excessive,  l'exécution  a  sans  douté  trahi  l'im- 
pression ressentie. 

Peindre  de  mémoire  ou  à  l'aide  d'artifices  compliqués 
l'éclairage  du  gaz  n'est  pas  facile,  et  l'on  ne  saurait 
faire  un  grief  à  M.  Besnard  d'avoir,  cette  fois,  manqué 
le  but  pour  avoir  visé  trop  haut.  Ce  qu'il  faut  louer, 
c'est  la  merveilleuse  élégance  de  ce  portrait,  qui 
incarne  toutes  les  grâces  de  la  femme.  L'envolée  de 
l'allure,  l'ondoyante  souplesse  du  corps,  la  féminilité  du 
geste  dénotent  une  observation  attentive  et  révèlent 
un  esprit  spécialement  préoccupé  de  beauté  aristocrati- 
que, de  distinction  raffinée,  d'harmonie  dans  la  combi- 
naison des  lignes. 

Deux  portraits  de  M.  Jacques  Blanche,  l'un  de 
M"«  0.  C.  .  debout,  en  robe  rose,  l'autre  de  W^^  0.  C... 
assise,  en  robe  bleue,  affirment  des  qualités  analogues. 

M.  Blanche  est  admirablement  doué,  et  l'esprit  criti- 


que qu'il  possède  à  un  degré  élevé  le  porte  à  analyser, 
à  scruter^  à  pénétrer  l'art  de  ses  contemporains  pour  en 
extraire  la  quintessence  de  ce  qui  fait  leur  séduction. 

Ces  procédés  d'esthète  et  de  critique  sont  dangereux 
pour  un  artiste.  Le  souhait  que  nous  formulons  à 
l'égard  du  jeune  peintre  dont  nous  suivons  avec  intérêt 
les  progrès,  c'est  de  le  voir  s'abandonner  librement  à  sa 
nature,  repousser  délibérément  tous  souvenirs,  ne  son- 
ger nia  Whistler,  ni  à  Sargent,  en  un  mot  être  et  rester 
Jacques  Blanche  Et  si  nous  nous  exprimons  ainsi,  c'est 
qu'il  y  a,  croyons-nôus,  chez  lui,  suffisamment  de  fond 
pour  lui  permettre  d'aller  très  loin  san^  subir  l'inspira- 
tion et  l'influence  de  qui  que  ce  soit. 

Ses  deux  portraits  sont,  cette  année,  fort  bien  placés 
et  remportent  un  succès  sérieux.  Il  en  est  de  même  de 
son  dessin,  qui  complète  une  exposition  remarquable, 
propre  à  mettre  en  évidence  le  charmant  garçon  dont 
tout  Paris  connaît  l'humeur  serviable  et  la  courtoisie. 

C'est  un  portrait  aussi  qu'expose,  M.  Roll,  qui 
délaisse  pour  des  tableaux  de  chevalet  ses  immenses 
compositions  décoratives.  Le  portrait  est  celui  du  pay- 
sagiste Damoye,  dont  la  figure  souriante,  ouverte, 
bonhomme,  est  rendue  avec  une  grande  sûreté  de 
main.  Peinture  saine,  sincère,  sobre  de  colorations, 
se  faisant  remarquer  sans  appel  au  public,  par  les 
seules  ressources  d'une  exécution  de  bon  aloi.  Pourtant 
ce  portrait  laisse  des  regrets.  M.  Roll  reste  sur  la 
limite  de  la  peinture  moderne  et  des  poncifs.  Le  dernier 
pas  à  faire,  cet  enjambement  qu'on  attend  de  lui,  il  ne 
le  fait  pas.  Il  semble  même  qu'il  ait  reculé.  Rien  n'est 
plus  faux  que  le  milieu  dans  lequel  l'artiste  a  placé  son 
modèle.  Celui-ci  est  censé  revenir  de  la  campagne.  Il 
sort  de  la  gare,  son  chapeau  à  la  main,  ce  qui  paraît 
déjà  assez  peu  naturel,  et  n'a  pas  le  plus  petit  atome  de 
poussière  sur  les  bottines  ni  sur  les  vêtements.  Mais  ce 
n'est  là  qu'une  question  secondaire.  Un  reproche  plus 
grave,  c'est  que  ce  paysagiste  propret  est  évidemment 
peint  à  râtelier,  qu'il  «•  pose  «,  dans  toute  la  force  du 
terme,  qu'il  subit  (à  contre-cœur  sans  doute,  lui, 
l'amoureux  du  plein  air!)  un  éclairage  tombant 
d^aplomb  sur  sa  tête,  ce  qui  est  peu  compatible  avec  la 
vue  de  la  gare  que  M.  Roll  a  cru  devoir  placer  derrière 
ses  épaules. 

L Étude,  variation  assez  lourde  d'aspect  du  taureau 
noir  et  de  la  blonde  enfant  dont  la  nudité  étonna  les 
Parisiens  l'an  dernier,  ne  rachète  guère  les  défauts 
sensibles  du  portrait. 

C'est  à  regret,  répétons-le,  que  nous  présentons  ces 
observations  à  l'égard  d'un  artiste  qui  semble  appelé  à 
prendre  l'une  des  premières  places  dans  le  mouvement 
contemporain. 

•  Pour  M.  Henri  Gervex,  la  chute  est  plus  grave.  A 
l'époque  où  il  peignit  les  décorations  pour  la  mairie  du 
10*'  arrondissement,  nous  saluâmes  l'artiste  comme  une 


des  futures  gloires  de  la  jeune  école.  Tout  le  monde 
avait  foi  en  lui.  Mais  la  Femme  au  masque,  cette 
pitoyable  poupée  vide,  exsangue,  —  et  prétentieuse 
avec  cela!  —  laisse  peu  de  place  à  une  espérance  quel- 
conque d'avenir.  M.  Gervex  est  retombé  du  haut  dans 
le  marécage  académique.  Il  refait  Cabanel,  avec  le 
talent  en  moins.  Mais  jamais  Cabanel  n'eût  donné  à  la 
jambe  gauche  de  son  modèle  la  longueur  dispropor- 
tionnée dont  la  gratifie  le  peintre  de  Rolla. 

Le  Portrait  de  mon  ami  Haucche,  dans  lequel 
M.  Gervex  essaie  de  donner  l'illusion  du  plein  air,  est 
aussi  pâlot,  aussi  insignidant,  aussi  pauvre,  que  la 
Dame  au  masque  est  ^véieTiiieuse. 

Ah!  si  c'est  là  que  conduit  la  convention  élégante  et 
beurrée,  plaignons  les  malheureux  que  leur  éducation  a 
placés  sous  cette  pernicieuse  influence. 

Mieux  valent  les  anciens  qui,  fidèles  à  leurs  convic- 
tions, s'enferment  hermétiquement  dans  les  formules 
délaissées  par  les  nouvelles  couches,  mais  qui  s'impo- 
sent de  vive  force  par  le  caractère,  par  l'intensité  du 
sentiment. 

•  Tel  Ribot.  Ses  têtes  d'hommes  barbus,  de  vieillards 
aux  yeux  profonds,  d'énigmatiques  visages  de  jeunes 
filles,  demeurent  dans  la  pensée  en  visions   hantantes. 

A  côté  de  lui,  dans  le  coude  à  coude  de  la  lutte  artis- 
tique, sa  fille  Louise  montre  qu'elle  a  suivi  avec  ponc- 
tualité les  préceptes  du  père.  Mais  combien  l'élève  est 
loin  d'égaler  le  vieux  maître  ! 

Tel  aussi  Elie  Delaunay,  dont  le  Portrait  de  femme 
et  le  Portrait  d'Henri  Meilhac  marque  une  étape  glo- 
rieuse dans  sa  carrière.  :    — .^. —         -^ ^-l 

Tel,  enfin,  Fantin-Latour,  que  chaque  Salon  retrouve 
sur  la  brèche  également  fort,  également  puissant, 
également  parfait.  Le  portrait  d'homme  qu'il  expose 
cette  année  est  d'une  pénétration  extrême.  La  pose 
du  Monsieur  en  redingote  qui  passe  dans  Le  cadre,  le 
chapeau  à  la  main,  la  canne  sous  le  bras,  est  d'un 
naturel  parfait.  Rien  ne  paraît,  en  apparence,  plus 
facile  à  faire,  et  rien  n'est  plus  ardu  :  car  en  cette 
simple  figure  de  gentlemen  l'art  admirable  du  peintre 
résume  toute  une  époque.  Quiconque  a  vu  ce  portrait 
n'en  oubliera  jamais  la  physionomie. 

Il  en  est  de  même  de  la  composition  que  le  peintre- 
musicien  a  peinte  d'après  Tannhaiiser.  Les  flottantes 
figures  de  femmes  qui  enveloppent  de  leurs  caresses  le 
chevalier,  ont  une  séduction,  une  grâce,  une  élégance 
dont  le  charme  obsédant  ne  s'efiace  point. 


CAUSERIE  SUR  LES  REVUES 

»  Paris,  3  juin  1886. 

Mon  cher  Directeur, 

Vous  m'avez  demandé  de  vous  parler  de  Revues  qui  tombent 


en  pluie  multicolore  chez  les  critiques,  non  pas  du  ciel,  mais  des 
magasins  des  libraires  et  des  ateliers  d'imprimerie. 

Tous  les  jours,  des  brochures  à  couverture  audacieuse  ou 
timide,  intransigeante  ou  modérée,  naissent  et  nncurent.  Voici 
l'immuable  et  Iriomplianle  couverture  saumon  qui,  depuis 
LXi  années,  parcourt  les  deux  mondes  et  justifie  brillamment 
sou  titre;  puis,  le  jeune  Correspondant  y  vivotant  des  préférences 
d'une  caste;  puis,  la  Nouvelle  Revue,  ni  bleue  ni  verte,  pour 
bieo  marquer  sans  doute  qu'elle  ne  sait  trop  si  elle  doit  garder 
l'espérance  de  vivre  à  côté  d<3  sa  sœur  aînée  et  de  son  heureuse^ 
rivale  la  Revue  des  Deux-Mond^;  enfin,  nous  apparaît,  dans 
des  destinées  plus  solides,  la  couverture  bleue  de  la  Revue  Lit- 
téraire, hebdomadaire,  classique,  un  peu  normalienne.  A  côté 
des  nouvelles  Revues,  le  Mouvement  des  jeunes,  comme  on  dit  : 
la  Revue  Contemporaine,  premier  asile  des  amis  d'Adoré  Flou- 
pelte,  et  la  Revue  Wagnérienne,  pauvre  essai  indigne  de  son 
titre  et  de  son  leint  ;  la  Revue  de  Genève  et  la  Suisse  Romande,  et  la 
Revue  Littéraire  et  Artistique,  sans  compter. les  innombrables 
Revues  illustrées,  dont  la  vogue  s'accroît  chaque  jour. 

Dans  toute  celte  agitation,  votre  pays  se  distingue  par  la  har- 
diesse, l'indépendance  et  l'activité  de  ses  mouvements.  Sans 
conipter  VArt  moderne  lui-niéme,  vos  Jeune-Belgique,  sou9 
leur  modeste  enveloppe  grise,  mènent,  tambour  battant,  la  bande 
décàdende;  à  Bruxelles  encore,  la  Basoche,  sœur  cadette  de  la 
Jeune  Belgique,  la  Société  Nouvelle,  et  bien  d'autres.  A  Liège, 
une  toute  petite  brochure  :  VElan  Littéraire  s'offre  aux  tout 
jeunes  et  publie  des  «  Contes  blancs  »  en  imitation,  sans  doute, 
des  prédilections  du  jeune  chef,  Max  Waller,  pour  les  «  pensées 
blanches  »  et  en  l'honneur  de  la  «  jeunesse  blanche  »  du  poète 
Rodenbach,  une  des  gloires  de  la  Jeune  Belgique. 

Il  serait  malaisé  de  distinguer  en  un  premier  article,  et  à 
première  lecture,  le  bon  grain  de  l'ivraie.  Il  me  suffira  pour 
aujourd'hui  de  dire  que  je  suis  sûr  que  parmi  les  très  jeunes 
combattants  il  y  en  a  qui,  certainement,  auront  un  jour  du 
talent,  et  qui,  après  avoir  publié,  par  exemple,  une  petite  pièce 
de  vei*'s  inlliulce:  Amour-Hôtel  (car  ils  ont  la  manie  du  titre 
incompréhensible)  où  se  trouve  celte  strophe  : 

«  Je  les  reçois  sans  leur  rien  dire, 
Porte  leurs  malles  doucement. 
Puis  elles  suivent  mon  aimant. 
«  Mon  aimant  aimant  :  le  sourire  1  » 

après  cela,  dis-je,  nous  donneront  peul-élre  la  preuve  d'un 
tempérament  de  vrais  poètes.  Quelques  jours  encore,  et  dans 
cette  innombrable  cohorte  de  poètes,  prosateurs,  critiques,  musi- 
ciens, peintres,  romanciers,  l'on  pourra  reconnaître  ceux  qui, 
dans  leur  maiurilé,  remplaceront  par  de  la  vraie  originalité,  et 
l'emploi  d'une  langue  nette  et  simple,  les  lourmentements  bizarres 
de  leur  pensée  et  de  leur  style. 

A  \'X)us  dire  vrai,  mon  cher  Directeur,  je  compte  consacrer  à 
ces  très  intéressantes  jeunes  Revues  mes  plus  prochaines  lec- 
tures, et  vous  faire  part  d'une  réflexion  devenue  conviction 
absolue  aujourd'hui. 

C'est  qu'aucune  Revue  publiée  soit  en  France  soit  h  l'étranger 
ne  vaut  pour  le  vrai  libéralisme  de  ses  opinions  littéraires  et  artis- 
tiques, non  plus  que  pour  la  valeur  de  ses  écrivains,  la  vieille  et 
solennelle  Revue  des  Deux-Mondes.  J'ai  passé  moi-même  par 
l'épreuve  du  doute;  et,  acquis  depuis  longtemps,  vous  le  savez, 
au  mouvement  de  révolution  et  de  rénovation  qui  s'est  accompli 
dans  toutes  les  branches  de  l'art  et  de  la  critique,  j'ai  cru  d'aborj 


180 


LART  MODERNE 


que  la  Revue  des  Deux-Mondes  allait  baisser,  se  laisser  dépasser  et 
mourir  dans  sa  vieille  gloire.  N'en  croyez  rien  :  il  est  absolument 
évident  pour  tout  esprit  leliré  et  indépendant  qu'elle  ne  s'est 
refusée  ù  aucun  progrès.  Les  essais  malheureux  qui  s'élaieni  faits 
autour  d'elle  ont  prouvé  surabondamment  rexc<îllcnce  de  sa 
méthode.  Ni  la  Nouvelle  Revue  de  M"*®  Adam,  ni  môme  la  Revue 
Bleue  (comme  on  dit  familièrement)  de  M.  Yung,  bien  que  supé- 
rieure, ne  peuvent  la  dépasser,  soit  pour  rhospilalilé  libérale 
donnée  à  tous  les  écrivains,  soit  pour  la  valeur  môme  de  ses  colla- 
borateurs. Et,  chose  intéressante  à  noter,  c'est  précisément  depuis 
la  création  de  toutes  les  jeunes  Revues  destinées  à  apprendre  au 
monde  entier  une  loi  nouvelle,  que  la  vieille  couverture  saumon  et 
sa  nourrissante  pûlUrc  littéraire  ont  acquis  un  regain  de  célébrité. 
Signe  des  temps.  Les  romanciers  et  les  critiques  d'écoles  diverses 
s'y  rendaient  pour  ne  parler  que  d'art.  A  M.  Blaze  de  Bury,  cri- 
tique musical  et  amateur  érudit,  mais  imprégné  d'idées  précon- 
çues et  de  partis-pris  systématiques  qui  ne  daignaient  pas 
dépasser  Mozart  et  Beethoven  pour  la  symphonie  et  Mcycrbcer 
pour  l'opéra,  a  succédé  un  jeune  pianiste  de  talent,  amateur 
mondain.  Ce  n'est  pas  la  perfection,  me  direz-vous,  comme 
critique.  Ôh!  non!  mais  le  nouvel  élu  de  la  Revue  des  Deux- 
Mondes  n'a  pas  trente  ans;  il  possède  un  esprit  fin,  du  zèle,  et 
si  M.  Camille  Bellaigue  voulait  dépouiller  un  peu  le  vieil  homme, 
c'est-à-dire  «  le  dilettante  »  pour  entrer  franchement  dans  des 
fonctions  qui  demandent  plus  de  qualités  que  le  public  et  môme 
les  écrivains  ne  le  croient  généralement,  son  dernier  article  : 
«  Un  Siècle  de  Musique  française^  VOpéra  Comique  »,  pourrait 
être  suivi  de  beaucoup  d'autres  plus  larges  d'idées,  plus  philoso- 
phiques d'esprit,  et  aus.si  faciles  et  agréables  de  style. 

.La  critique  n'est  pas  seulement  intéressante  dans  le  présent, 
elle  l'est  encore  dans  le  passé.  :  • 

M.  Blaze  de  Bury  aime  à  chercher  les  figures  inconnues  de  la 
masse  du  public  pour  les  faire  revivre.  C'est  ainsi  que  dans  la 
livraison  du  15  mars  dernier  il  écrit  une  jolie  élude  sur  le  poète 
Grillparzer,  contemporain  de  Mozart  et  de  Beethoven,  dont  il  eut 
l'honneur  de  devenir  un  jour  le  collaborateur.  -On  sait  que  le 
dieu  musical  de  M.  de  Bury  est  Mozart,  et.  c'était  aussi  celui  du 
poète-critique  Grillparzer.  Et  il  est  très  intéressant,  non  pas  de 
savoir  les  préférences  musicales  de  M.  Blaze  de  Bury,  mais  le 
mouvement  de  la  critique  musicale  au  xviii*  siècle,  et  combien 
elle  différait  de  la  nôtre.  L'auteur  s'inspire  d'abord,  pour  com- 
mencer son  étude  sur  Grillparzer,  d'une  boutade  spirituelle  que 
nous  avons  sur  les  livres,  nous  tous  qui  aimons  la  musique:  c'est 
la  singulière  antipathie  des  poètes  en  général  pour  la  belle- 
musique,  et  au  xviii«  siècle,  comme  aujourd'hui,  un  poète  goû- 
tant et  connaissant  la  musique  était  un  oiseau  rare  :  tel  nous 
apparaît  Grillparzer,  «  venu  du  pays  d'Autriche,  le  pays  de 
Haydn,  de  Mozart,  de  Schubert». 

C'est  un  poème  d'opéra  intitulé  Mélusine  que  Grillparzer  com- 
posa pour  Beethoven.  La  mort ,  hélas  !  empêcha  Beethoven 
d'écrire  la  musique,  et  il  disait,  en  se  frappant  le  front  :  «  Ma 
partition  est  là  tout  entière,  je  n'ai  plus  qu'à  l'écrire  ». 

Et,  chose  bizarre,  ce  poème  rappelait  en  tout  point  la  situation 
du  chevalier  Tannhauser  sur  leVénusberg.  En  nous  apprenant  et 
en  commentant  les  idées  du  critique  Grillparzer  sur  la  musique, 
M.  Blaze  de  Bury  touche  à  dessein,  et  de  très  près,  les  dissen- 
sions actuelles,  connues  faussement  sous  le  nom  de  :  théories 
wagnéricnries  ou  anliwagnériennes,  et  c'est  à  cause  de  celte  actua- 
lité que  je  vous  demande  la  permission  de  m'élendre  un  peu  sur 


ce  sujet,  goûlé  généralement  des  lecteurs  de  i'i4r/  moderne. 

On  verra  qu'au  xviii"  siècle  les  adversaires  de  ce  quon  appelle 
aujourd'hui  le  parti  wagnérien  étaient  aussi  intransigeants  que 
l'est  aujourd'hui  la  petite  çhapdlo  qu'il  ne  faut  pas  confondre 
avec  les  vrais,  utiles  et  désintéressés  partisans  du  génie  de 
Wagner. 

L'esthétique  de  Grillparzer,  dit  M.  Blaze,  est  celle  de  Mozart, 
et  se  fonde  sur  le  principe  du  beau  musical  absolu  :  l'idée 
de  son  développement  harmonique,  rien  de  plus,  rien  de 
moins.  La  musique  n'emploie  pas  des  mots,  autrement  dit  des 
signés  arbitraires  et  variables  selon  ce  que  vous  hurs  faites 
exprimer..  Le  son,  en  mémo  temps  qu'il  est  un  signe,  est  une 
chose  existante  en  soi.  Une  suJle  de  sons,  pour  plaire  à  l'oreille, 
n'a  nul  besoin  d'avoir  un  sens;  de  môme  que  dans  les  arts  plas- 
tiques les  belles  formes  charment  nos  yeux,  un  accord  faux  est 
une  laideur  dont  s'offense  notre  oreille. 

Conlrairemenl  à  l'effet  deja  parr)le,  qui  n'agit  sui*  nos  sens  que 
par  l'intermédiaire  de  notre  intelligence,  les  sons  agissent  sur 
nos  sens  directement,  et  rinlclligcncc  n'intervient  qu'en  deuxième 
instance. 

Avançons  d'un  pas;  ce  son,  qui  déjà  porte  en  soi  de  quoi 
plaire  ou  déplaire,  combiné  de  certaine  façon,  éveillera  dans 
l'âme  certains  sontimenis  de  joie,  de  tristesse,  de  rêverie.  Mais 
gare  à  la  paraphrase  littéraire,  et  souvenons-nous  toujours  que 
les  sons  ne  sont  pas  des  mots  pour  servir  soit  à  la  description, 
soit  à  la  narration!  La  musique  a  ses  symphonies,  ses  sonates, 
ses  quatuors,  pour  dévelopiier  son  architecture  et  remuer  en 
nous  un  monde  de  sensations  qu'il  ne  faut  pas  vouloir  trop  définir 
sous  peine  d'intervertir  les  rôles,  vu  que  le  musicien  qui  s'entête 
à  raisonner  avec  son  auditoire,  à  faire  œuvre  de  romancier,  de 
peintre  et  de  dramaturge  sans  paroles,  joue  un  personnage  aussi 
ridicule  que  le  poète  qui  se  Iravailleniil  en  assonances  mélodi- 
ques ;  d'oii  celle  conclusion  que  Mozart  est  le  musicien  par  excel- 
lence et  Berlioz  un  grand  homme  de  lettres  fourvoyé.  Grillparzer 
professe  à  outrance  la  thèse  du  chacun  chez  soi,  et  ne  connaît 
en  musique  que  le  beau  musical!  Par  conséquent,  la  théorie  du 
théâtre  moderne  l'horripilait.  «  Mozart,  disait-il,  est  plein  de 
fautes  de  texte,  Gluck  n'en  connaît  pas,  et  cela  seul  juge  la  ques- 
tion !  (Arrêtons-nous,  mon  cher  directeur,  ou  sans  cela  nos  cher 
veux  de  criliijue  esthéticien  ne  vont-ils  pas  se  dresser  siir  nos 
têtes).  Grillparzer  est  mort,  mais  M.  Blaze  de  Rury  ne  l'e-t  pas. 

Ne  pensez-vous  pas  que  je  me  suis  beaucoup  trop  attardé  à  ma 
boutique,  c'est-à-dire  à  la  musiqui%  et  qu'il  faut  m'imposer  pour 
le  mois  prochain  une  lettre  un  peu  plus  élastique,  où  je  vous 
parlerai  avec  ravissement  de  tout  auire  chose,  entre  autres  d'un 
article  de  M.  Valbert  sur  l'adorable  Henri  Heine,  donl  les  biogra- 
phes et  les  critiques  daignent  s'occuper  un  peu  aujouwi'hui? 

Jacques  Uërmann. 


n 


OLAPUK 


Est-ce  que  M.  Gustave  Frédéi  ix,  l'éminent  ci  itique  du  bel-air 
(pour  employer  les  expressions  raffinées  qu'il  affectionne),  le 
Guillol  du  troupeau  de  bachelières  qui  broutent  à  Bruxelles 
les  pelouses  du  monde  où  l'on  s'ennuie,  l'heureux  Sosie  de 
M.  Coquelin  l'aîné,  serait  menacé  de  perdre  la  bonne  posture  qui 
faisait  de  lui  l'un  des  princes  de  la  critique  belge? 

On  se  pose  avec  inquiétude  cette  question  dans  le  monde  litlé- 


raire  depuis  le  feuilleton  qu'il  a  consacré  à  la  Jeunesse  blanche 
de  Georges  Rodenbach,  où  florissaient  des  phrases  comme 
celles-ci  : 

Se  souvenir  avec  quelque  manière,  ce  peut- élre  un  souvenir 
plus  délicat,  s'il  a  ainsi,  avec  évidence,  un  accent  plus  personnel. 

.  "  *       ■.     ..•'-■  ■'    ■  ■ 

■■    "  '■  •  ■  .   •  ♦ 

Cette  tristesse  des   glaces  ne  nous  déplaît  pas,  et  elle  a  un 

juste  reflet  sur  les  elioscs  de  l'enfance,  même  les  plus  riantes, 

qui  repassent  devanlnos  yeux. 

'        *■   . 
»  ♦ 

Ce  premier  amour  est  abondant  en  comparaisons,  développe- 
ments, et  en  vers  qui  ont  résolu  d'être  sublimes.    , 

* 

Pourquoi  ce  dernier  vers  n*esi-il  pas  superbe?  Il  le  serait  si 
quelque  vue  narquoise  ne  s'y  mêlait,  si  l'image  hardiment  pro- 
longée ne  prêtait  à  quelque  mouvement,  à  quelque  geste  fan- 
tasque. , 

#  ♦ 

Un  poète  serait  bien  malheureux,  s'il  n'avait  pas  de  ces  visions 
dé  durée,  et  sa  main  ne  s'affermirait  et  ne  s'assouplirait  pas,  à 
n'assembler  que  des  paroles  vailles,  aussitôt  dispersées. 

Tout  cela  est  textuel  !  On  disaif  hier  soir  au  Cercle  Artistique 
et  Littéraire  que  M.  Gustave  Frédérix  s'essaie  au  Volapuk.  On 
disait  aussi  que  de  trop  nombreuses  occupations  mondaines  l'ont 
empêché  en  ces  derniers  temps  de  s'alimenter,  autant  qu'il  en 
avait  l'habitude,  des  écrits  de  Bachaumont,  son  habituel  inspira- 
teur. 

Espérons,  pour  l'honneur  des  lettres  nationales,  que  ce  ne  sont 
que  défaillances  passagères  de  l'éminenl  écrivain  auquel  on  doit 
le  compte-rendu  du  Banquet  des  Misérables  et  que  l'heure  où  il 
prendra  sa  retraite  dans  le  Royal  Gaga  ne  sonnera  pas  aussi  tôt 
que  le  redoutent  ceux  qui  écrivent  déjà  :  Lugete  vénères  cupi- 
dinesque!  La  situation  présente  ne  commande  qu'une  mesure  : 
Tenir  en  observation.  Nous  nous  en  chargeons. 


JaE    JhÉ;\TRE    ROY/JL    de    l/i    *jVl0NNAIE 

M.  Alfred  Waechter,  ancien  administrateur  du  théâtre  de  la 
Monnaie,  vient  de  publier  une  brochure  de  52  pages,  imprimée 
chez  Guyot,  dans  laquelle  il  réunit  d'intéressants  documents  sur 
la  situation  du  théâtre. 

C'est,  en  grande  partie,  la  reproduction  des  études  que  nous 
avons  publiées  et  des  tableaux  statistiques  qui  ont  sei'vi  de  point 
de  départ  aux  considérations  que  nous  avons  fait  valoir  en  faveur 
de  la  nécessité,  imposée  à-  la  ville  par  les  circonstances,  d'aug- 
menter la  subvention  du  théâtre  (*). 

La.conclusion  de  M.  Waechter  est  celle  que  nous  indiquions, 
et  le  chiffre  de  100,000  francs  qu'il  propose  est,  on  s'en  souvient, 
celui  que  nous  proposions  nous-mêmes. 

«  Si  la  Ville  de  Bruxelles,  dit-il,  a  réellement  le  désir  de  voir 
le  théâtre  de  la  Monnaie  rester  la  seconde  scène  lyrique  de  l'Eu- 
rope et  ses  directions  se  dévouer  à  l'accomplissement  des  devoirs 
que  cette  situation  leur  impose,  que  directement  ou  indirecteinent 


n  V.  l'Art  moderne  1885,  pp.  381,  388,  397,  405;  et  1886,  pp.  4, 
11,  44,  121,  134,  147,  156. 


elle  accorde  à  l'entrepreneur  100,000  francs  de  plus  comme  sut»- 
vention.  Tôt  ou  tard  on  reconnaîtra  que  cet  accroissement  du 
concours  financier  de  la  Ville,  est  une  rigoureuse  nécessité,  une 
question  de  vie  ou  de  mort  pour  le  théâlrejlê^  Monnaie.  Les 
campagnes  théâtrales  qui  vont  se  succéder  apporîeronl,  nous  en 
avons  la  conviction,  dans  leurs  résultats  annu»^ls,  la  triste 
démonstration  de  celte  thèse.  Nous  osons  le  prédire  avec  assez 
de  certitude  pour  qu'il  no  nous  di^plaise  point  de  prendre  date 
dans  l'énoncé  de  nos  prévisions.  »  ' 

Nous  sommes  heureux  de  voir  le  témoignage  de  M.  Waechter, 
auquel  ses  fondions  ont  permis,  durant  les  sept  mois  qu'il  a 
passés  à  la  Monnaie,  d'en  étudier  à  fond  les.  dessous  au  point  de 
vue  de  l'adminislralion,  confirmer  ainsi  la  thèse  que  nous  avons 
développée.  , 

La  cause  signalée  par  M.  Waechter  comme  génératrice  des 
périls  qui  menneont  l'exploilalion  du  théâtre  est  celle  que  nous 
avons  exposée  et  dont  nos  lecteurs  se  souviennent  : 

«  Il  V  a  à  lafois,  dit-il,  crise  théâtrale  et  crise  commerciale. 

«  Ce  que  nous  appelons  crise  théâtrale  se  ralt  che  à  la  ditfn  uUé 
chaque  jour  plus  grande  que  l'on  rencontre  dans  le  choix  et  des 
nouveautés  qui  se  font  larcs  et  des  ouvrages  du  répertoire 
moderne;  choix  aride  en  raison  de  la  diversité  des  goûts.  Lo 
domaine  musical,  tout  comme  le  domaine  social,  paraît  être 
dans  l'enfantement  d'un  ordre  nouveau.  Les  productions  vviigné- 
riennes  semblent  vouloir  révolutionner  de  plus  en  plus  Is  goûts 
musicaux  du  public.  On  devine  par  là  combien  il  est  difficile  et 
ingrat  pour  une  direction  de  combiner  les  spectacles  de  manière 
à  donner  une  égale  saiisfaclion  aux  deux  écoles  qui  se  disputent 
là  prépondérance  sur  le  terrain  musical.  Et,  notons-le  bien,  l'im- 
portant est  de  ne  pas  laisser  naître  de  ces  rivalités  dangereuses 
qui  s'exercent  faliilcmenl  au  détriment  du  directeur,  ou  plutôt  de 
sa  caisse.  Ce  qu'il  faut  savoir  éviter,  c'est  que  le  public,  qui 
forme  le  noyau  de  la  clienlè!eliabilue!le  du  ihéâlre,  ne  se  sépare 
en  deux  camps;  atiendu  que,  s'il  y  a  hiiie,  ,c'cî>t  li  recette  que 
l'on  vise!  Le  Wiigiiérien  et  l'anii-wagnérien,  l'apôtre  de  la  nou- 
velle école,  manifi'Sient  l'uu  comme  l'autre  leur  foi  artistique  en 
s'absienant  de  se  montrer  au  Ihéâire  lorsque  la  composition  des 
spectacles  ne  répond  ni  à  leurs  goûts  ni  â  leurs  tend;inces. 

«  Ou  le  voit,  la  situation  du  théâtre  de  la  Monnaie  est,  sous  ce  „ 
rapport,  éTninemmenl  critique;  car  nous  ne  faisons  qu  entrer 
dans  cette  période  de  quasi-transition  artistique  dont  on  ne  peut 
encore  pressentir  Vissue.  Est-ce  â  l'école  moderne  ou  â  l'école 
ancienne  que  l'on  donnera  celte  palme  si  chaudement  disputée 
aujourd'hui?  Nul  ne  saurait  le  dire.  En  attendant,  les  wagnériens 
et  les  anti-wagnériens  se  livrent  bataille...  sur  le  dos  du  direc- 
teur du  théâtre  royal  de  la  Monnaie,  et  au  grand  préjudice  de  la 
recette. .  - 

a  Mais  ceci  n'est  rien  encore  en  comparaison  de  la  crise  com- 
merciale, de  sa  gravité  et  de  ses  conséquences.  Là  est  l'ennemi  le 
plus  dangereux  du  théâtre  de  la  M 3nai  i  e 

«  Cette  crise  commerciale,  qui  a  commencé  5  montrer  le  bout 
de  l'oreille  il  y  a  deux  ans,  qui  se  manifeste  de  plus  en  plus  dans 
ses  symptômes  les  plus  caradérisliques  et  dont  l'intensité  est 
loin  d'avoir  dit  son  dernier  mot;  celte  crise,  disons-nous,  attaque 
d'une  façon  menaçante  toutes  les  industries  de  luxe  sans  excep- 
'  lion.  Interrogez  plutôt  ceux  qui  professent  de  ces  industries-là  ; 
demandez-leur  où  ils  on  sont  aujourd'hui  ?...  à  se  dire  que  la 
situation  actuelle  i\\i\  les  épuise  ne  saurait  se  prolonger  longtemps 
sans  qu'une  ruine  complète  s'ensuive  pour  eux! 


a  C'est  fatnl,  d'ailleurs»  et  sans  vouloir  Iracer  ici  un  trop 
sonnbre  tablenu  de  la  situation  économique,  nous  sommes  bien 
forcé  de  reconnaître  que  l'étal  des  choses  créé  h  la  fois  et  par 
une  surabondance  excessive  de  production  et  par  le  déplacement 
des  forces  qui  rengendrcnt,  est  destiné  à  se  traduire  longtemps 
encore  par  ks  mêmes  effets  que  ceux  qui  se  révèlent  en  ce 
moment,  effets  qui  se  résument  ainsi  :  dépréciation  considérable 
de  la  richesse  et  du  revenu,  et,  par  voie  de  conséquence  logique, 
nécessaire,  inévitable  :  restriction  des  dépenses  de  luxe. 

«  Les  receltes  des  exploitations  ihéùtrales  sont  donc  atteintes 
dans  leur  source  même.  » 

On  lira  aussi  avec  intérêt  ce  que  dit  M.  Waechter  des  causes 
qui  ont  amené  la  catistrophe  de  M.  Verd^vurt.  Lç  passage  que 
nous  citons  fuit  justice  des  calomnies  dont  on  a  cherché  à  acca- 
bler un  homme  victime  des  charges  exorbitantes  dont  son  exploi- 
tation a  élé  frappée  et  dos  événements  impossibles  à  prévoir  qui 
ont  marqué  la  canpa^ne  théâtrale.  Voici  cet  extrait  : 

«  Le  budget  annuel  de  dépenses  ayant  été  pour  la  Direction 
Verdhurl  de  1,032,368  francs,  il  est  rationnel  de  croire  qu'il  sera 
aussi  élevé  pour  la  Direction  qui  lui  succède,  vu  que  celle-ci  a 
exactement  les  mêmes  charges.  Et  que  Von  ne  vienne  pas  pré- 
tendre  ici  que  des  gaspillages  aient  été  commis  par  la  Direction 
Vefdhurt.  Les  frais  de  troupe,  cachets  compris,  ont  été,  on  l'a 
vu,  pondant  les  sept  mois  de  la  campagne  1885-1886,  de 
54,000  francs  en  moyenne  par  mois,  c'est-à-dire  supérieurs  de 
2,000  francs  seulement  à  la  movenne  des  dix  années  Stoumon- 
Calabrcsi  ei  de  7,000  francs  k  la  moyenne  relevée  pour  les  huit 
mois  de  l'année  précédente.  Les  autres  augmentations  du  budget 
de  l'année  1885-1886,  si  on  le  compare  à  celui  de  l'année  1884- 
1885,  s'appliquent  principalement  à  l'orchestre  (20,600  francs) 
et  aux  frais  de  mise  en  scène  nécessités  par  les  Templiers  et 
Saint'Mégrin^  les  deux  œuvres  nouvelles  montées  par  la  Direc- 
tion Verdhurl.  En  y  ajoutant  quelques  dépenses  occasionnées  par 
Gwendoline  et  Pierrot  Macabre^  on  arrive  à  un  total  de- 
70,000  francs  environ,  représentant  la  somme  dépensée  en  1885- 
1886  pour  les  nouveautés.  Tandis  qu'en  18^4-1885,  dernière 
année  de  la  Direction  Stoumon-Calabresi,  il  n'a  élé  dépensé  que 
15,000  francs  pour  remettre  à  la  scène  0/>erow  et  7,000  francs 
pour  monter  les  Maîtres  Chanteurs  ;  total  22,000  francs  affectés 
aux  nouveautés. 

a  Les  dépenses  accusées  par  la  Direction  Verdhurl  onl  été 
assurément  mal  réparties;  et  il  n'est  pas  douteux  un  seul  instant 
que  l'inexpérience  directoriale  soit  pour  une  part  importante  si 
l'on  veut,  dans  le  résultai  final  de  cette  campagne  désastreuse 
entre  toutes.  Mais  il  n'en  est  pas  moins  vrai  qu'en  totalisant  les 
dépenses  mensuelles,  on  doit  reconnaître,  après  les  avoir- exa- 
minées article  par  ariicle,  que  Vensemble  Ji'est  que  la  résultante 
des  charges  imposées  au  concessionnaire  à  la  fois  par  un  contrat 
onéreux  et  par  les  circonstances  au  milieu  desquelles  il  s'est 
trouvé  placé  et  auxquelles  nulle  autre  Direction  que  la  sienne 
n'aurait  pu  se  soustraire,  y* 


LE  BON  PEINTRE 

La  Jeune  Belgique  reproduit  un  conte  bien  amusant  du  Chat 
noir  :y   ;   '  '  ■  :'     '  -■  ■  /_  ■        .  ■-■  •■: 

11  était  à  ce  point  préoccupé  de  l'harmonie  des  tons,  que  cer-^ 
laines  couleurs  mal  arrangées,  dans  des  toilettes  de  provinciales 
ou  sur  des  toiles  de  membres  de  l'Insiitul  le  faisaient  grincer 


douloureusement,   comme  up   musicien   en   proie  à  des   faux 
accords.    . 

Ace  point,  que  pour  rien  au  monde  il  ne  buvait  du  vin  rouge 
en  mangeant  des  œufs  sur  le  plat,  parce  que  ça  lui  aurait  fait  un 
sale  ton  dans  l'estomac.  ^ 

Une  fois  que,  marchant  vite,  il  avait  poussé  un  jeune  gom- 
mcux  à  pardessus  mastic  sur  une  devanture  verte  fraîchement 
peinte  (Prenez  garde  à  l(t  peinture,  S.  V.  P,)  cl  que  le  jeune 
gommeux  lui  aviail  dit  : 

—  Vous  pourriez  faire  attention... 

Il  avait  répondu  en  clignant, àla  façon  des  peintres  qui  font  de 
l'œil  h  leur  peinture  :    , 

—  De  quoi  vous  plaignez-vous?...  C'est  bien  plus  japonais 
comme  ça. 

L'autre  jour,  il  a  reçu  de  Java  la  carte  d'un  vieux  camarade  en 
train  de  chasser  la  panthère  noire  pour  la  Grande  Maison  de 
Fauves  de  Trieste. 

Un  attendrissement  lui  vint  que  quelqu'un  pensât  à  lui,  si  loin 
et  de  si  longtemps,  et  il  écrivit  à  son  vieux  camarade  une  bonne 
et  longue  lettre,  une  bonne  lettre  très  lourde  dans  une  grande 
enveloppe. 

Comme  Java  est  loin  et  que  la  lettre  était  lourde,  l'affranchis- 
semenl  lui  coûta  les  yeux  de  la  tête. 

L'employé  des  Poste  et  Télégraphe  lui  avança,  hargneux,  cinq 
ou  six  timbres  dont  la  couleur  variait  avec  le  prix. 

Alors,  tranquillement,  en  prenant  son  temps,  il  colla  les  tim- 
bres sur  la  grande  enveloppe,  verticalement,  en  prenant  grand 
soin  que  les  tons  s'arrangeassent  —  pour  que  ça  ne  gueule  pas 
trop. 

Presque  content,  il  allait  enfoncer  sa  lettre  dans  la  fente  béante 
de  Vétranger,  quand  un  dernier  regard  cligné  le  fil  rentrer  pré- 
cipitamment. 

—  Encore  un  timbre  de  trois  sous? 

—  Voilà,  monsieur. 

Et  il  le  colla  sur  l'enveloppe  au  bas  des  autres. 

—  Mais,  monsieur,  fit  sympathiquement  remarquer  l'employé, 
votre  correspondance  était  suffisamment  affranchie. 

^-  Ça  ne  fait  rien,  dit-il.  .      __. 

Puis  très  complaisamment: 

—  Cest  pour  (aire  un  rappel  de  bleu.     - ^_J_i_. ^ 


-  ^PlBLIOQRAPHIE    MU^ICAJ-E 

Heinrich  Schûtz.  Sâmmtliche  werke,  herausgegeben  von 
Philipp  Spitta.  —  Leipzig,  Breitkopf  et  Hârtel,  1885. 

Henri  Schutz  est  né  le  8  octobre  1585.  11  est  mort  en  1672. 
Ses  compositions,  dont  le  nombre  est  considérable,  le  classent  au 
premier  rang  des  musiciens  de  l'Allemngne. 

On  ne  possède  que  les  parties  détachées  de  ses  œuvres. 
A  l'époque  où  elles  furent  gravées,  c'est-à-dire  du  vivant  de  leur 
auteur,  l'usage  n'était  pas,  comme  aujourd'hui,  d'en  publier  des 
partitions  complètes. 

De  plus,  ces  éditions,  qui  remontent  à  deux  siècles  et  demi, 
sont  devenues  presque  introuvables. 

L'initiative  qu'a  prise  M.  Philippe  Spitla  en  publiant  une  édi- 
tion complète  du  vieux  maître,  est  donc  digne  d'éloges. 

La  publication  qu'il  entreprend  se  composera  de  dix  volumes. 
La  maison  Breitkopf  etHartcl  vient  de  mettre  en  vente  le  lome  I, 
qui  comprend  194  pages  in-folio,  et  contient  la  Rêsurrectùm  du 
Christ,  les  Quatre  évangiles,  les  Sept  paroles  prononcées  par 
Jésus  sur  la  croix  et  la  Nativité. 

Le  texte  de  ces  œ-uvres,  dont  la  forme  naïve  n'exclut  pas  la 
puissance,  est  précédé  d'un  commentaire  explicatif  de  30  pages. 

Deux  volunics  paraîtront  tous  les  ans,  jusqu'en  1890.  Le  prix 
de  chaque  lome,  pour  les  souscripteurs,  est  de  15  marks 
(fr.  18-75). 


1^- 


»  • 


V 


Nous  recevons  una  Mazurka  pour  piano  de  M.  Victor  Nypols, 
dédiée  à  noire  confrère  liégeois  Maurice  Sivilie,  et  inliiulée  : 

Ange  ou  Diable. 

■■•■■■.  ;  •  ^-  ■  ■  .  , 

'•  • 
l-a  maison  Breili^opf  met  en  vente  une  planche  contenant  les 
photographies  de  78  musiciens  belges, compositeurs  ou  virtuoses, 
actuellement  sur  la  brèche. 


pETITE    CHRO;>(iqUE 


On  nous  a  demandé  quel  était  le  Salon  d'Arthur  Stevens  dont 
nous  avons  extrait  l'élude  sur  Millet  qui  a  paru  dans  notre  der- 
nier numéro.  C'est  un  volume,  aujourd'hui  épuisé,  intilulé  :  Le 
Saion  de  4863,  suivi  d'une  étude  sur  Eugène  Delacroix  et  d'une 
notice  bibliographique  sur  le  prini^e  GortschakofF,  in-i2  de 
286  pages,  publié  à  Paris  à  la  Librairie  centrale,  24,  boulevard 
des  Italiens,  en  1866. 

Ce  n'est  pas  la  première  fois  que  nous  en  avons  fait  des 
extraits.  Cet  excellent  petit  livre  contient,  en  effet,  quantité  de 
renseignements  intéressants  et  des  remarques  ingénieuses. 

On  a  certes  remarqué  avec  quelle  prévision  de  l'avenir  ont  été 
formulées  les  appréciations  sur  Millet  dès  1863,  c'est-à-dire  il  y 
a  plus  de  vingt-trois  ans,  quand  l'artiste  était  encore  méconnu 
de  tout  ce  qui  tient  au  monde  officiel. 

Littérature  de  l'épée.  — Le  Cercle  d'escrime  de  Bruxelles, 
dont  on  connail  les  magnifiques  locaux.  Marché  au  Bois,  et  qui  a 
pour  président  M.  Fierlants  si  sympathiquement  connu,  avait 
ouvert,  entre  ses  fondateurs  et  ses  membres,  un  concours  pour 
une  devise  destinée  à' caractériser  cette  société  qui  compte  pa^mi 
ses  fidèles  quelques-uns  des  meilleurs  tireurs  belges.  Le  prix 
était  une  paire  d'épées  de  combat.  Il  a  éié  donné  à  M.  Edmond 
Picard  pour  la  devise  :  La  droite  voie  et  nul  souci. 

M"«  Louise  Derscheid,  la  jeune  pianiste  qui  s'est  fait  entendre 
h  l'exposition-  des  XXj  a  remporté  le  maximum  des  points  dans 
l'examen  qu'elle  vient  de  subir  au  Conservatoire  de  Saint-Péters- 
bourg. On  lui  a  donné  le  brevet  d'artiste  libre,  et  le  directeur, 
M.  Davidoff,  en  lui  annonçant  la  décision  prise  par  le  jury,  lui  a 
dit  :  «  Nous  vous  félicitons  de  la  manière  parfaite  dont  vous  avez 
exécuté  le  concerto  de  Schumann  et  le  trio  en  si  bémol  majeur 
de  Beethoven.  Toute  notre  sympaihie  vous  est  acquise,  car  vous 
nous  rappelez,  non  sans  regrets,  notre  cher  et  excellent  Brassin 
dont  nous  tonserverons  toujours  le  meilleur  souvenir.  Nous  vous 
souhaitons  la  plus  belle  carrière  musicale  et  nous  espérons  bien 
vous  revoir  parmi  nous.  »  -- 

Le  Guide  musical  rapporte  un  joli  mol  de  Rubinslein.  Malgré 
la  perfection  et  la  si!ireté  de  son  mécanisme,  tellement  extraordi- 
naire qu!il  efface  la  notion  du  difficile  et  du  facile,  il  lui  arrivait 
autrefois  assez  fréquemment  de  faire  des  fausses  noies  dans  l'em- 
porlenfient  et  la  fougue  de  son  jeu.  Il  disait  à  ce  propos,  en  riant, 
à  un  confrère  : 

«  On  pourrait  faire  un  concerto  avec  les  notes  que  j'ai  laissé 
tomber.  » 

Le  même  journal  publie  une  piquante  anecdote  relative  aux 
récents  concerts  de  Hans  de  Bulow  à  Sa-int-Pétersbourg. 

On  répétait  sous  la  direclion  de  M.  do  Bulow  un  fragment  de 
Glinkà.  Dans  un  trait  de  clarinette,  Bulow  crut  remarquer  une 
erreur,  un  fa  naturel  au  lieu  d'un  fa  dièze.  Il  pria  en  consé- 
quence l'instrumontiste  de  rectifier,  mais  celui-ci  répondit  que  la 
parlilion  portait  un  fa  naturel  et  que  toujours  il  avait  joué  fa 
na'urel.  Grande  colère  de  Bulow  qui  n'entend  pas  qu'on  lui 
apprenne  le  contre-point.  Echange  de  paroles  aigres  douces. 
Finalement  de  Bulow  obtient  le  fa  dièze  désiré."- 

Mais  l'afî'aire  ne  devait  pas  en  rester  là.  Les  professeurs  du 
Conservatoire  s'émurent  de  ce  qu'un  étranger  osât  relever  des 
erreurs  dans  une  partition  de  Glinka,  le  maîire  russe  par  excel- 
lence, le  grand  compositeur  national,  le  Beethoven  de  la  Neva; 


tant  et  si  bien  que  le  récit  de  l'incident  vint  aux  oreille^  du  grand 
duc  Constantin.  ,  / 

Grand  amateur  et  fin  connaisseur  en  musique,  le  grand  duc 
Constantin  est,  on  le  sait,  l'ordonnateur  des  fétcs  m'usicalcs  à 
Saint-Pétersbourg. 

Il  fit  prier  discrètement  M.  De  Bulow  de  respecter  le  texte  de 
Glinka.  ♦ 

On  juge  du  dépit  de  l'irascible  et  mordant  chef  d'orchestre, 

mais  il  n'y  avait  pas  à  barguigner,  il  fallait  se  soumettre. 
M:  de  Bulow  se  soumit,  m;iis  en  jurant  de  se  venger. 
En  effet,  le  lendemain,  au  beau  milieu  du  concert,  au  moment 

du,  fameux  trait  de  clarinette,  on  vil  M.  de  Bulovy  se  tourner  vers 

l'instrumentisle  : 

•    «  Monsieur,  dit-il  à  haute  voix,  veuillez  jouer /a  naturel...  par 

ordre  supérieur.  » 

Pas  tendre,  Panscrose  dans  son  Courrier  des  théâtres  de 
l'Evénement.  Qu'on  en  juge  : 

«  Au  momciïlde  terminer  ses  réengagements  en  vue  de  la  sai- 
son prochaine,  M.  Carvalho  a  vouhi  essayer  M"«  Deschanips,  à 
l'Opéra- Comique,  dans  un  genre  où  le  public  ne  l'avait  pu  v^ir 
encore.  C'est  Carmen  qui  a  été  choisie.  ' 

«  M"«  Deschamps  n'a,  bien  évidemment,  lâehé  de  faire  oublier  ni 
M"'^  Galli-Marié,  l'inimitable  créatrice,  ni  M"«  Adèle  Isaac,  fin- 
comparable  chanteuse  qui  a  repris  le  rôle  en  1881. 

«  M"''  Deschamps,  malgré  ses  dix  mos  de  séjour  dans  la  mai- 
.son  Favart,  n'a  pu  prendre,  jusqu'ici,  le  ion  général  de  la  troupe. 
Elle  recherche  les  effets  de  voix  comme  on  t'ait  en  province  ;  elle 
tâche  d'accaparer  l'aitcntion  publique  touîes  les  fois  que  la  situa- 
tion fobligerail  à  garder  le  second  plan  ;  elle  donne,  en 
un  mol,  beaucoup  plus  que  ce  que  l'auteur  lui  demande  et,  en 
résumé,  elle  se  débat  beaucoup  dans  le  vide.  — Cs  gros  défauts, 
je  lèà  avais  déjà  signalés  lors  de  ses  débuts  dans*  la  Nuit  de 
Cléopâtre,  et  à  un  moment  où  M,  Carvalho, découragé  déjà  par 
cette  extfbérance  inutile,  par  cette  contrefaçon  be'ge,  avait  refusé 
à  l'artiste  son  début  dans  Carmen  primitivement  annoncé. 

«  Pourtant  —  et  quelles  que  soient  les  réticences  de  la  cri- 
.  tique  —  il  faut  bien  reconnaître  que  la  nature  de  M"«  Deschamps 
est  une  nature  très  passionnée,  dont  les  emportements,  les  excès 
et  les  vigueurs,  d'une  distinction  relative  mais  d'une  force  incon- 
testable, seraient  fort  louables  duns  le  grand  drame  lyrique,  à 
l'Opéra  par  exemple,  si  la  jeune  chanteuse,  ambitieuse  de  con- 
quérir le  goût  —  après  les  applaudissements  bruxellois  —  voulait 
s'astreindre  à  refaire  et  à  pondérer  son  éducation  artistique. 

«  Les  bravos  d'un  public  complaisant  et  aussi  stylé  que  pos- 
sible n'ont  pu  guère  illusionner,  hier,  la"^  quisi-débutante,  qui 
sait  d'une  part  quel  prix  on  attache  aux  applaudissements  d'un 
parterre  enthousiaste,  et  d'autre  pari  quel  cas  on  tait  d'un  éloge 
sincère  et  spontané. 

«  Les  applaudissements,  M''«  Deschamps  les  a  abondamment 
obtenus.  Il  lui  reste  à  conquérir  les  louanges  sans  restriction  des 
dilletlanli  et  des  habitués  de  la  maison. 

«  Il  est  aussi  dangereux  de  chanter  sur  le  chevalet  que  sur  la 

touche.  Il  ne  faut  pas  confondre  la  véhémence  a,vec  la  irivialilé. 

'  Il  importe  plus  de  garder  sa  place  que  de  chan.er  inutilement  au 

premier  plan.  Tels  soûl  les  préceptes  —  entre  autres  —  que 

M'^*  Deschamps  fera  bien  d'étudier.  » 


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184 


UART  MODERNE 


;:;:■■■'   /^-'.y  ;■■  "^:  .■'■■■■■;     ■■    SIXIÈME  ANNÉE  . 

L'ART  MODERNE  s  est  acquis  par  l'autorité  et  rindépcndance  de  sa  critique,  par  la  variété  de  ses 
informations  et   les   soins   donnés  à  sa   rédaction  une  place  prépondérante.   Aucune  manifestation  de  l'Art  ne 

lui'  est  étrangère  :  il  s'occupe  de  littérature,  de  peinture,  do  sculpture,  de  gravure,  de  musique, 

d'architecture,  , etc.    Consacré   principalement   au   mouvement   artistique  belge,   il  renseigne  néanmoins  sçss 
lecteurs  sur  tous  les  événements  artistiques  de  l'étranger  qu'il  importe  de  connaître. 

Chaque  numéro  de  L'ART  MODERNE  s'ouvre  par  une  étude  approfondie  sur  une  question  artistique, 
ou  littéraire  dont  révénement  de  la  semaine  fournit  l'actualité.  Les  expositions^  les  livres  nouveauoOf  les 
premières  représentations  d'œuvres  dramatiques  ou  musicales,  les  conférences  littéraires^  les  concerts,  les 
ventes  cCuhJeis  (Tart,  font  tous  les  dimanclies  l'objet  de  chroniques  détaillées. 

L'ART   MODERNE    relate  aussi  la  législation   et  la  jurisprudence  artistiques.   Il  rend  compte  des 
procès  les  plus  intéressants  concernant  les  Arts,  pi  aidés,  devant  les  tribunaux  belges  et  étrangers  .-''•4>^s^ 
artistes   trouvent  toutes   les   semaines   dans   son   Mémento  la   nomenclature   complète  des   expositions   et 
concours  auxquels  ils  peuvent  prendre  part,   en   Belgique  et  à  l'étranger.  Il  est  envoyé  gratuitement  à 
l'essai  pendant  un  mois  à  toute  personne  qui  en  fait  la  demande. 

L'ART  MODERNE  forme  chaque  année  un  beau  et  fort  volume  d'environ  450  pages,  avec  table 
des  matières.  II. constitue  pour  l'histoire  de  l'Art  le  document  LE  PLUS  COMPLET  et  le  recueil  LE  PLUS 
P^ACILE  A  CONSULTER. 


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SlXlÈME'  ANNÉE.  N°  24. 


Le  numéro  :  25  centimes. 


•  Dimanche  13   Juin  1886. 


L'ART 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


RBVDE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,   un   an,   fr.   10.00;  Union  postale,   fr.    13.00.    —   ANNONCES   :    On    traite   à  forfait. 

:*  Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 

l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


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OMMAIRE 


Le  Salon  de  Paris.  Quatrième  article.  —  Les  Milices  de  Saint 
François,  par  Georges  Eekhoud.  —  Glanures.  —  Chronique 
JUDICIAIRE  DES  ARTS,  M.  Coquelin  sifflé.  —  Bibliographie  musicale. 
Publications  nouvelles  de  l'éditeur  L.  Bertram.  —  Petite  chronique. 


LE  SA10\  DE  PARIS 

.    Quatrième  article. 

Un  journal  parisien  publiait  ces  jours-ci  la  note 
suivante  :  . 

La  France  compte  aciuellçnienl  2'2,3o7  peintres,  dissémines 
sur  toute  l'étendue  du  territoire,  ce  qui  fait  une  proportion 
de  i260  peintres  par  déparlement! 

On  a  également  calculé  que  la  superficie  des  toiles  couvertes 
chaque  année  de  couleurs  variées,  par  nos  artistes  nationau.x 
représente  une  étendue  de  15  kilomètres  carrés,  se  divisant 
ainsi  : 

Paysages  .     ..    .     ......     -2  kil.  300 

Portraits .     1  -200     - 

Scènes  militaires 2         900 

Scènes  d'intérieur    ......     1     , 

Peinture  décorative  ......     2  100 

Peinture  antique 1  oOO 

Peintures  diverses 3 

Eminemment  fantaisiste,  dressée  en  vue  de  riposter 
par  une  boutade  gamine  à  Ja  Gazette  de  Cologne  qui 
avait  proclamé  la  décadence  de  la  peinture  française, 
cette  statistique  n'en  est  pas  moins  décourageante. 

Ces  chifl'res,   tout  imaginaires  paraissent-ils,  sont 


vraisemblables.  Ils  précisent  la  situation  inquiétante 
d'une  époque  dont  la  production  —  parlons  comme  les 
économistes  —  dépasse  notablement  la  consoinmation. 

Que  deviennent,  le  Salon  fermé,  les  cinq  ou  six  mille 
œuvres*  qui  ont  obtenu  le  privilège  d'y  être  accueillies? 
0(1  vont  celles  devant  lesquelles  les  portes  sont  restées 
closes,  et  dont  le  nombre  n'est  pas  moindre?  Et  encore 
les  tableaux,  aquarelles,  pastels,  dessins,  statues,  médail- 
lons, gravures,  envoyés  à  ce  marché  international  ne 
constituent-ils  qu'une  traction  de  ce  que  créé  l'inces- 
sante activité  des  ateliers.  - 

L'Etat  fait  quelques  acquisitions,  dont  il  tapisse  des 
Musées  de  province  ;  la  ville  de  Paris  en  distribue  un 
lot  dans  les  salles  de  ses  conseils  municipaux  :  les  jar- 
dins publics  et  les  carrefours  happent  de  temps  à  autre 
un  groupe  en  bronze  ou  une  figure  de  marbre;  parfois 
s'ouvre,  devant  une  œuvre  à  succès,  signée  d'un  nom 
bien  coté,  la  bourse  d'un  amateur. 

Mais  le  reste?  L'incommensurable  quantité  de  com- 
positions allégoriques,  mythologiques,  historiques,  reli- 
gieuses, de  scènes  épisodiques,  de  paysages,  de  marines, 
de 'nature-mortes,  d'intérieurs,  de  tableaux  de  fleurs? 
Qu'en  fait-on?  Il  ne  peut  y  avoir  en  France  assez  de 
foyers  pour  justifier  la  fabrication  d'un  tel  stock  de 
devants  de  cheminée.  Les  enseignes  ne  sont  plus  guère 
de  mode.  Peintes  sur  toile  ou  sur  bois,  les  produits  de 
ces  innombrables  usines  ne  peuvent  même  pas  être 
utilisés  comme  stores  de  campagne  ou  paravents.  7       ^ 

Repeindrait-on  autre  chose  par  dessus  ?  Ou  le  Nou- 
veaii-Monde  est-il  à  ce  point  assoiffé  de  p.einture  fran- 


çaise  que  les  22,357  brosseurs  dont  sont  actuellement 
gratifiés,  à  ce  qu*on  affirme,  nos  voisins,  suffisent-ils 
à  peine  à  le  désaltérer  par  rasades  annuelles? 

Qu'on  se  figure  lahurissement  d'un  homme  peu  versé 
dans  les  choses  de  l'art  et  pénétrant  pour  la  première 
fois  dans  ce  hall  immense  où  est  entassé,  de  la  cimaise 
aux  frises,  le  résultat  d'une  année  d'application. 

Ce  qui  le  frappera  sans  doute  avant  tout,  c'est  que 
les  neuf  dixièmes  des  œuvres  exposées  —  laissons  de 
côté  les  portraits  qui  ont  leur  destination  connue 
—  sont  de  tel  format  et  de  telle  conception  qu'on  ne 
peut  imaginer  l'usage  pour  lequel  elles  sont  créées. 

C'est  à  croire  qu'à  mesure  que  notre  existence 
moderne  se  restreint,  qu'aux  palais  d'autrefois,  —  aux 
palais  florentins,  génois,  vénitiens  dans  lesquels  on 
déroulait  de  vastes  toiles  et  qu'on  peuplait  de  statues 
—ont  succédé  les  appartements  parisiens,  si  exigus  et  si 
mignons,  les  peintres  ont,  en  manière  de  protestation 
narquoise,  élargi  leur  cadre.  Et  que,  tandis  que  s'af- 
firment les  dilections  des  gens  de  goût  pour  ces  deux 
expressions  de  l'art,  qui  résument  toutes  les  tendances 
de  notre  époque  :  la  peinture  documentaire,  éveillant 
les  sensations  que  provoque  la  nature  avec  une  intensité 
que  seul  l'artiste  peut  exprimer,  et  la  peinture  d'imagi- 
nation pure,  qui  s'élève  sur  des  ailes  de  flamme  vers  les 
régions  mystiques  fermées  aux  intelligences  vulgaires, 
toute  la  horde  des  manieurs  de  brosses  qui  régnent 
au  Salon  en  pays  conquis  s'acharne  à  perpétuer  le 
mélodrame,  la  romance  niaise  ou  le  couplet  de  vaude- 
ville que  les  artistes  ont  bannis  de  leurs  préoccupations 
esthétiques.  .  :      -  .    . 

Les  seize  colonnes  de  ce  journal  ne  suffiraient  pas 
s'il  nous  les  fallait  cataloguer.  C'est,  après  le  genre  sen- 
timental qui  a  préyalu  autrefois,  le  genre  sombre  qui 
triomphe  aujourd'hui.  «  Le  sang  du  dernier  cuiras- 
sier "  remplace  «  Les  prés  ont  reverdi  «.  Romance 
pour  romance,  autant  valait  l'ancienne. 

Il  parait  qu'il  y  a  des  gens  que  ces  choses-là  secouent 
d'un  petit  frisson  déUcieux.  «  J'aime  tant  les  spectacles! 
dit  Adélaïde  à  Vermouth  dans  la  saynète  de  Verconsin. 
Surtout  ceux  où  l'on  pleure  »». 

C'est* pour  Adélaïde  que  M.  Fernand  Pelez  a  peint 
une  grisette  étendue  morte  à  côté  du  réchaud,  qui  lui 
a  fait  oublier  un  amant  volage.  C'est  pour  elle  que 
M.  Louis  Deschamps  a  imaginé  ce  sujet  affriolant  : 
Froid  et  faim,  et  cet  autre  :  Folle  !  qui  montre  une 
pauvre  petite  Fantine  berçant  dans  ses  bras  un  lapin 
coiffé  d'un  bonnet.  C'est  pour  elle  aussi  que  M.  Jean 
Geoff'roy  a  peint  Un  malheureux  et  Les  affamés  ; 
M.  Charles  Perrandeau,  La  misère,  modulation  (en 
mineur  naturellement)  sur  le  thème  de  M.  Pelez  ; 
M.  Nicolas  Sicard,  une  autre  Misère-,  M.  François 
Maury,  La  fin  dun  Bohême  (ce  n'est  pas  un  mariage  ; 
la  chanson  du  jour  est  :  Tout  à  la  mort  !)  M.  Victor 


Marec,  Un  lendemain  de  paye  ;  M.  Rojas,  une  Misère, 
plus  effroyable  encore  que  les  autres  ;  M.  Tessier,  un 
Chômage,  etc.  Il  n'est  pas  jusqu'à  M.  Renouf,  cet 
honnête  peintre  de  pilotes  et  de  matelots,  qui  n'ait, 
cédant  à  l'entraînement  général,  éprouvé  le  besoin  de 
représenter  un  enfant  que  le  flot  entraîne  à  la  dérive. 

Entendons-nous.  Ce  n'est  pas  le  choix  du  sujet  dont 
nous  nous  plaignons.  Dans  les  arts,  le  sujet  n'est  rien.  ' 
L'interprétation  seule  doit  préoccuper  la  critique.  Si  la 
misère,  que  chaque  année  voit  grandir,  est  là,  devant 
nos  yeux,  avec  son  cortège  de  douleurs,  de  souffrances, 
de  crimes,  il  est  naturel  qu'un  artiste  en  soit  obsédé.  Il 
est  logique  que  son  pinceau  s'efforce  de  retracer  la 
scène  tragique,  funèbre  ou  lamentable  à  laquelle  il  a 
assisté.  A  cet  égard,  le  Salon  de  1886  affirme  doulou- 
reusement la  terrible  situation  sociale  que  nous  traver- 
sons. 

Mais  ce  qui  choque  le  sentiment  et  offusque  les 
regards,  c'est  que  la  misère  que  mettent  en  scène  ces 
messieurs  est  une  exhibition  théâtrale  et  non  l'expres- 
iiion  d'une  émotion  ressentie.  On  attend  le  trémolo 
d*un  orchestre  invisible,  soulignant  le  sens  du  tableau, 
ainsi  que  l'a  fait  M.  Munkacsy  (ô  honte!)  pour  son 
Requiem  do  MozsLvt 

Les  morts,  lés  mourants,  les  suicidés,  les  ivrognes, 
les  gueux,  les  noyés  du  Salon  posent  tous  pour  la  gale- 
rie. Ils  sont  comme  les  acteurs  qu'on  poignarde  en 
scène  et  qui  reviennent,  le  rideau  levé,  rassurer  le 
public.  C'est  la  grimace  de  la  mort.  Ce  rayon  de  crêpes 
funèbres,  de  langes  sanglants  et  de  linceuls,  pour  avoir 
été  tout  récemment  «  créé  «  —  ainsi  que  s'expriment 
dans  leurs  prospectus  les  directeurs  de  maisons  de 
confections  —  ne  contient  pas  autre  chose  que  les 
rubans,  les  soieries,  les  batistes  d'autrefois  passés  au 
noir,  —  ou  au  rouge,  La  mode  a  changée.  Une  simple 
teinture  a-rendu  les  rossignols  méconnaissables. 

Qu'on  ne  croie  pas  toutefois  que  les  peintres  incrus- 
tés dans  les  admirations  badaudes  aient  changé  le  rou-; 
leau  de  leur  boîte  à  musique.  A  quoi  bon?  C'est  affaire 
aux  nouveaux,  à  ceux  dont  l'air  n'est  pas  encore  dans 
les  oreilles  de  la  foule.  M.  Commerre  sévit  dans  la  cru- 
dité de  ses  roses  purpurins.  M.  Jacquet  singe  de  son 
mieux  les  solennelles  têtes  de  cire  de  son  maître  Bou- 
guereau.  M.  Feyen-Perrin  en  est  à  sa  cent  quatre-vingt- 
dix-septième  Ny^nphe  et  à  la  mille  deux  cent  vingt- 
neuvième  reproduction,  de  ses  Cancalaises.  Puis  il  y  a 
les  amuseurs  habituels  :  M.  Jean  Béraud,  dont  la  Salle 
des  filles  au  Dépôt  partage,  avec  VEntr'àcte  d'une 
première  à  la  Comédie-Française,  de  M.  Dan  tan, 
l'enthousiasme  du  public.  Songez  donc  :  on  peut  recon- 
naître dans  cette  petite  toile  —  nous  parlons  de  la 
seconde  — ^^  et  M.  Sardoù,  et  M.  Alexandre  Dumas,  et 
M.  Francisque  Sarcey,  et  M.  Alphonse  Daudet,  et 
M.  Albert  Wolff'  lui-même  !  Pas  flatté,  par  exemple,  ce 


I 


dernier.  Plus  laid  que  nature.  Le  miel  du  Figaro  a  dû 
être  coupé  de  vinaigre  le  jour  du  compte-rendu. 

Le  trio  de  sculpteurs  devenus  peintres  :  Paul 
Dubois,  Antonin  Mercié,  Alexandre  Falguière,  est  à  la 
recherche  d'une  originalité  aussi  insaisissable,  paralt-il, 
que  la  Fortune.  Falguière  ne  sort  pas  des  recettes 
d'Henner  :  chairs  laiteuses  noyées  dans  une  sauce 
brune.  Le  sang  de  Vénus,  de  Mercié,  pourrait  être 
signé  Bouguereau  sans  que  nul  s'aperçût  de  la  super- 
cherie. Quant  aux  deux  portraits  de  Paul  Dubois,  ils 
sont  de  tout  le  monde  et,  si  nous  les  citons,  c'est  que  le . 
sérieux  talent  du  sculpteur  rend  l'omission  de  son  nom 
dans  un  compte-rendu  à  peu  près  impossible. 

Combien  nous  préférons  à  cet  art  froid,  d'une  correc- 
tion de  bonne  compagnie,  d'un  sentiment  factice  et 
d'un  coloris  qui  évoque  on  ne  sait  quels  souvenirs  de 
pommade  ou  de  bonbons  fondants,  des  œuvres  frustes 
dont  la  sincérité,  Tabsence  de  recherche,  la  foi  artis- 
tique font  oublier  les  imperfections! 

hePortrait  deM^^^  Julie  Feurgard,^2iV  M»*  Louise 
Breslau,  est  au  nombre  de  celles-ci.  Il  montre  une 
jeune  fille  peignant  en  plein  air,  sous  un  pommier  en 
fleurs.  La  peinture  est  saine,  robuste,  d'une  virilité  qui 
surprend.  Elle  place  la  jeune  artiste  à  la  tête  du 
groupe  féminin  qui  tient  une  place  prépondérante  au 
Salon  et  dans  lequel  on  distingue  spécialement 
M™««  Roth,  Vegman  et  Zillhardt.  Quant  à  M"e  Louise 
Abbéma,!elle  s'égare  de  plus  enlplus  dans  un  art  insup-  . 
portable,  mi-crême  àla  vanille,  mi-confiture  de  cerises, 
dont  la  vulgarité  prétentieuse  éloigne  définitivement. 

On  remarquera  encore,  parmi  les  efforts  dignes  d'in- 
térêt : 

La  Nausikaa  de  M.  Ménard,  composition  semi- 
réelle,  semi-allégorique,  fraîche  de  coloris,  séduisante 
d'aspect,  qui  place  brusquement  son  auteur  en  lumière. 

Deux  toiles  d'un  débutant,  M.  Ary  Renan,  fils  de 
l'auteur  de  la  Vie  de  Jésus.  Ceci  ne  signifie  pas  qu'on 
puisse  dire  de  lui  :  «  C'est  l'artiste  dont  le  père  a  tant 
de  talent  ».  La  fille  de  Jepkté,  qui  s'avance,  suivie  de 
ses  femmes,  dans  la  gorge  du  Cédron,  à  la  clarté  des 
étoiles  dont  le  ciel  est  criblé,  et  la  scène  tragique  que  le 
jeune  peintre  intitule  Da7îs  le  cimetière  de  Tyr, 
révèlent  au  contraire  un  tempérament  délicat,  flottant 
encore  dans  les  eaux  de  Puvis  de  Chavannes,  mais  qui,  ' 
lorsqu'il  sera  en  pleine  possession  de  lui-même,  sera 
sans  nul  doute  un  peintre  et  un  poète. 

Une  petite  composition  charmante  de  M.  Louis 
Picard  :  Sans  asile,  qui  rappelle,  en  ses  colorations 
éteintes,  son  dessin  précis,  la  raideur  hiératique  de  la 
figure  principale,  les  tableaux  de  début  de  M.  Fernand 
Khnopff".  '  ' 

Deux  portraits  de  M.  Alexis  Axilette  :  l'un,  très  res- 
semblant, du  poète  Edmond  Haraucourt,  «  Sire  de 
Chambley  «  (fichtre  !) ,  l'autre  d'une  jeune  fille. 


Un  portrait  de  M.  Armand  Berton  d'une  intimité 
attachante,  très  supérieur  à  la  Vénus  dans  laquelle 
s'est  fourvoyé  le  jeune  peintre. 

Le  Portrait  du  violoncelliste  Delsart,  parM .  Rixens. 
Un  portrait  de  M.  Rachou.  Un  autre,  très  curieux, 
d'une  audace  attirante,  par  M.  Thévenot.  Le  portrait 
de  mon  chien  et  Un  dessert  par  M.  Amand  Gautier. 
Une  Etude  de^  fleurs  de  M.  Cormon  (dont  le  Déjeuner 
d'amis  n'est  pas  heureux)  et  une  grande  composition 
de  son  élève  Ernest  Bordes  :  La  mort  de  V.évêque 
Prœteœtatus. 

Force  nous  est  d'abréger.  Dans  l'impossibilité  où 
nous  sommes  d'allonger  outre  mesure  cette  promenade 
en  parlant  du  paysage,  de  la  nature-morte,  des  fleurs, 
largement  représentés  au  Salon,  nous  nous  bornerons 
à  citer,  dans  ces  sections  spéciales,  les  artistes  dont  les 
oeuvres  méritent  quelque  attention.  Messieurs*  les  pay- 
sagistes, messieurs  les  peintres  de  fleurs  et  de  natures- 
mortes,  vous  voudrez  bien  nous  pardonner  ce  procédé 
sommaire.  Il  nous  est  imposé  par  notre  format  et  com- 
mandé par  la  fermeture  qui  approche.  Vous  nous  accor- 
derez qu*il  nous  faut  encore,  avant  de  prendre  un  congé 
définitif,  saluer,  en  passant,  les  artistes  étrangers  qui 
ont  participé  au  Salon  et  faire  avec  nos  lecteurs  le  tour 
des  jardins  où  s'épanouit  la  sculpture,  ainsi  que  celui 
des  salles  où  fleurissent  les  caprices  de  la  pointe  sèche 
et  du  vernis  mou. 

Combien  il  est,  de  peintres  dont  nous  eussions  voulu 
apprécier  les  œuvres,  discuter  les  tendances,  vanter  ou 
attaquer  la  vision  artistique!  MM.  Humbert  et  Bau- 
douin, par  exemple,  dont  les  vastes  décorations,  inspi- 
rées de  Puvis  de  Chavannes,  mériteraient  un  examen 
attentif;  Aimé  Morot,  que  le  Salon  actuel  montre  sous 
un  aspect  nouveau  ;  Jules  Garnier,  à  qui  le- jury  a  joué 
le  tour  d'accepter  son  Baptême  par  immersion  ^  ce 
qui  enlève  au  très  médiocre  talent  de  lauteiir  du  Fla- 
grant délit  l'auréole  qui  avait,  les  années  précédentes, 
donné  quelque  éclat  à  son  nom  ;  et  Carolus-Duran,  et 
Bonnat,et  Duez,  et  Maignan,et  Jules  Breton,  et  Julien 
Dupré,  et  tant  d'autres,  qui  constituent  le  «  Tout- 
Paris  «  des  Salons  annuels,  ceux  que  la  critique  n'a 
garde  d'oublier  dans  ses  comptes-rendus  et  dont  les 
noms  reviennent  périodiquement,  accompagnés  des 
mêmes  adjectifs,  dans  les  journaux. 

Dpnc,  et  sans^ous  attarder  davantage,  signalons 
parmi  les  paysagistes  intéressants  : 

MM.  Emile  Breton,  Harpignies,  Pointelin,  Binet, 
Nozal,  Pelouse,  Sauzay,  Emile  Bastien-Lepage,  Yon, 
Petitjean,  Vauthier,  Montenard,  Casile,  Allègre,  Le 
Camus,  Olive,  —  ces  cinq  derniers  épris  des  ciels  écla- 
tants et  des  colorations  ardentes  de  la  Provence  ;  enfin 
un  nouveau  venu  sur  lequel  nous  attirons  très  particu- 
lièrement l'attention  :  Albert  Lebourg. 

Celui-ci  s  écarte  trop  résolument  des  chemins  battus 


188 


UART  MODERNE 


V 


pour  que  nous  nous  contentions  de  le  citer.  On  trou- 
vera son  œuvre  dans  l'une  des  dernières  salles  de 
droite,  à  la  rampe.  C'^est  un  site  de  l'Auvergne  enseveli 
dans  un  linceul  de  neige.  Au  premier  plan,  une  rivière 
coupée  par  un  pont  sur  lequel  passe  une  diligence. 
L'horizon  est  fermé  par  des  coteaux  par  dessus  lesquels 
le  ciel  roule  des  nuages  plombés.  L'impression  est  sai- 
sissante. C'est  la  solitude  morne  des  campagnes  glacées 
par  la  bise,  le  silence  sonore  des  vastes  paysages  que 
l'hiver  a  dénudés,  exprimée  avec  une  puissance  rare. 

Parmi  les  marinistes  :  MM.  Boudin,  Le  Sénéchal  de 
Kerdréoret,  Vernier  et  Thioilet. 

Parmi  les  peintres  d'accessoires  et  de  fleurs  : 
MM.  Vollon,  Bergeret,  Philippe  Rousseau,  Zakarian 
—  celui-ci  ressuscitant  l'art  délicat  et  harmonieux  de 
Chardin,  —  M.  Jeannin  et  M™<^  Prévost- Roqueplan. 

Nous  avons  gardé  à  dessein,  pour  finir  cet  article  sur 
une  impression  gaie,  la  délicieuse  composition  de  W\\- 
\eiie  :  La  veuve  de  Pier?vt. 

C'est  la  première  fois,  croyons-nous,  que  M.  Willette 
expose  au  Salon.  Il  est  connu  de  tous  les  artistes  par 
d'étourdissantes  fantaisies,  répandues  avec  profusion 
dans  les  journaux  illustrés  :  le  Chat  noir,  le  Courrier 
fr^ançais. 

Son  thème  de  prédilection,  c'est  Pierrot,  mais  un 
Pierrot  neuf,  d'une  modernité  déconcertante,  un 
Pierrot  en  habit  noir,  qui  n'a  avec  le  blafard  amant  de 
la  lune  qu'une  affinité  éloignée,  un  Pierrot  charmant, 
spirituel,  narquois,  à  qui  le  boulevard  Rochechouart  a 
fait  oublier  la  rêverie  des  paysages  de  Bergame,  ^ 
Pierrot-Willette  en  un  mot  (ces  deux  noms  sont  désor- 
mais inséparables),  efïeuillant  sa  vie  fantasque  avec 
une  série  de  Colombines  qui,  toutes,  ont  joyeusement 
lancé  leur  bonnet  par  dessus  les  ailes  des  moulins  de 
Montmartre. 

Le  jour  où  l'on  songera  à  réunir  les  mille  improvisa- 
tions exquises  qu'il  a  éparpillées  au  gré  de  son  caprice, 
M.  Willette  sera  proclamé  grand  artiste.  En  attendant, 
les  murs  des  cabarets  de  Montmartre  chantent  sa 
jeune  gloire.  Dans  les  salles  du  Chat  noir,  du  Clou,  de 
vingt  autres  lieux  que  fréquente  la  Bohême  parisienne, 
mêlée  à  des  familles  bourgeoises  qui  roulent  des  yeux 
effarés  à  l'aspect  des  garçons  qui  servent  des  bocks  en 
habits  d'académiciens,  —  palmes  vertes  et  culottes 
courtes, —  il  a  brossé,  avec  une  verve  et  une  souplesse 
de  main  merveilleuses,  des  panneaux  entiers.  Et  sou- 
vent cette  imagination  lancée  bride  abattue  porte,  soli- 
dement en  selle,  une  pensée  profonde.  Un  seul  exemple  : 
pas  un  des  articles  qui  ont  flagellé  la  désastreuse  cam- 
pagne du  Tonkin  n'est  plus  cinglant  que  la  superbe 
esquisse,  appendue  au  Chat  noir,  qui  montre,  sur  un 
cheval  de  guerre,  la  Mort  menant,  tambours  battant, 
un  régiment  français  à  travers  une  mer  de  sang.   " 

Dans  le  tableau  que  l'artiste  a  eu  l'originahté  d'en- 


voyer au  Salon,  Pierrot  est  mort.  Il  montée  raidi,  porté 
sur  des  ailes  blanches,  vers  les  empyréés.  Au  sortir  du 
cimetière,  dans  une  guinguette  proche  du  Moulin  de  la 
Galette,  la  veuve,  toute  mélancolique,  un  petit  voile  sur 
son  costume  de  danseuse^  une  pensée  au  corsage,  se 
repose  en  compagnie  de  croque-morts  et  de  l'ordonna- 
teur de  la  cérémonie.  On  boit  du  Picolo,  on  mange  du 
fromage  pour  se  remettre,  et  le  cocher  des  pompes 
funèbres,  le  petit  bébé-pierrot  sur  les  genoux,  lui  donne 
à  boire.  •  ! 

Espérons  que  la  mort  de  Pierrot  est  un  mensonge, 
une  simple  plaisanterie  de  ce  personnage  mystificateur 
et  capricieux.  Nous  tenons  à  ce  qu'il  vive  —  dans  les 
jolies  et  fines  compositions  de  Willette. 


LES  MILICES  DE  SAINT-FRANÇOIS 

par  Georges  Eekhoud.  —  Bruxelles,  veuve  Monnom  éditeur. 

Parmi  les  personnages  des  Milices  de  Sain L- François,  celui  qui 
allire  le  plus  c'est  M.  Eekhoud  lui-môme.  11  s'est  mis  partout, 
non  en  entier,  sous  un  pseudonyme  quelconque,  mais  fragmen- 
tairement  et  dans  Sussei  Waarloos  et  dans  Clara  Merisel  et  môme 
dans  le  curé  de  Sanllioven.  Ceux-ci  représentent  ses  opinions, 
ses  passions,  ses  rêves  et  les  représentent  bien. 
.  M.  Eekhoud  fait  dire  au  prêtre,  en  parlant  aux  Xavéricns  : 
«  Notre  sainte  milice  ne  guerroyera  pas  uniquement  contre  d'im- 
pies compatriotes,  elle  enrayera  l'influence  de  l'étranger,  celle 
des  Français  sans  Dieu  autant  que  celle  des  Allemands  hérétiques. 
Voyez  Anvers,  la  grande  ville;  c'est  à  peine  si  elle  appartient 
encore  aux  Anversois  de  race.  Les  Allemands  y  foisonnent. 
Débarqués  sans  sou  ni  maille  sur  les  bords  de  l'Escaut,  aujour- 
d'hui ils  tiennent  le  haut  du  pavé  et  affament  les  enfants  de  la 
vill^  La  néfaste  influence  wallonne,  «  la  doctrine-  )>  comme  on 
l'appelle,  avait  déjà  préparé  cette  spoliation.  Je  vous  le  dis,  la 
conquête  de  la  grande  ville,  joyau  de  ce  royaume,  résulte  de  la 
coalition  d^es  marchands  wallons  et  allemands  et  de  la  complicité 
de  quelques  Anversois,  traîtres  ou  dupes,  ceux-ci  inspirés  par  le 
mépris  de  l'autonomie  patriale,  le  lucre  égoïste,  l'ambition  d'une 
puissance  illusoire,  la  haine  de  Dieu  et  de  son  Eglise;  ceux-là 
bernés  par  de  grands  mots  libérùlres  ».  —  M.  Eekhoud  ne  dirait- 
il  point  de  même? 

El  Sussei  Waarloos  ne  sort-il  pas  du  cœur  de  M.  Eekhoud  tout 
comme  le  curé  de  Sanihoven  sort  de  son  cerveau?  Il  représente 
l'idée  superbe  que  se  fait  l'auteur  de  la  force,  du  courage,  ^e 
l'honneur,  de  la  probité,  de  la  jeunesse  mule  et  fièrc.  Adorant  son 
terroir,  il  le  peuple  de  gars  brutaux,  bons,  tranquilles,  mais 
qu'un  rien  rend  farouches  et  tragiques.  On  sent  qu'il  les  veut 
magnifiquement  rustauds'et  qu'il  sait  leur  nature  et  leur  histoire. 
Il  aime  à  les  montrer  descendant  de  ces  paysans  héroïques  — 
Nos  Vendéens  à  nous,  écrit-il  quelque  part  —  qui  taquinèrent  si 
obstinément  les  troupes  républicaines  à  la  ftn  du  dernier  siècle. 
Il  les  désigne  nobles  dans  le  passé,  pleins  de  vie  dans  le  présent 
et  indéracinablement  «  eux  »  pour  l'avenir.  Ainsi  crée-t-il  l'épopée 
de  sa  race,  non  pas  à  la  suite  d'un  roman,  mais  en  conclusion  de 
son  œuvre  entier.  Dès  aujourd'hui  l'on  sent  que  tout  son  enthou- 
siasme se  dépensera  pour  elle,  qu'il  la  glorifiera  toujours,  qu'elle 
lui  sera  «  sa  raison  de  vivre  »  et  remplacera  pour  lui  les  croyances 


perdues,  les  illusions  tuées,  tout  ce  qu'on  rêve  et  tout  ce  qu'on 
attend. 

Quant  à  Clara  Merisel,  comtesse  d'Adombrode,  elle  s'indique 
avant  tout  comme  le  résultai  de  l'éducation  inlcllecluelle  do 
M.  Eekhoud.  Elle  résulte  de  ses  lectures,  de  srs  réflexions,  de 
SCS  prédileclions  liltéraircs.  Elle  sorl  des  doubles  fonds  de  sa 
pensée.  Il  a,  lui  aussi,  été  tenté  par  la  femme  fatale.  In  femme 
étrange,  la  femme  énigmatique.  Certes  a-l-il  travaillé  habilement 
pour  la  rendre  vraisemblable  ;  il  nous  a  initié  k  son  enfance,  k  sa 
jeunesse  capricieuse  et  fantasque,  à  sa  nature  complexe  et  dédal- 
liennc.  Il  n'est  point  parvenu  pourtant  k  la  fondre  dans  son  livre 
comme  un  peintre  réussit  k  marier  un  ton  hardi  avec  les  autres 
tons  de  son  tableau.  Ce  qui  n'empêche  que  telle  ou  telle  scène 
où  Clara  joue  un  rôle  dominant  ne  soit  purement  belle  :  exemples, 
la  scène  de  somnambulisme  et  la  dernière  de  toutes,  celle  dans 
l'auberge  de  Montaigu,  où  elle  avoue  son  amour  pour  Sussil 
Waarloos  et  salaniquement,  tout  en  se  perdant  elle-même,  tue  k 
tout  jamais  rentier  bonheur  dans  le  cœur  du  superbe  Campinois, 
«chérissant  toujours  Trine,  mais  s'avouant  l'aimer  avec  moins 
de  plénitude  et  de  sérénité  ». 

Ces  deux  scènes  sont  magistrales.  Toutes  les  difficultés  de 
narration  y  ont  été  résolues  sans  qu'on  sentît  l'effort.  Elles  sont 
fortes  et  mieux  —  originales.  La  dernière  surtout.  L'étonne- 
mcnl,  l'hébêlemenl,  la  réVolle,  la  colère  de  Sussel  sont  admira- 
blement amenés  et  surtout  la  compassion  finale.  El  d'autre 
part,  l'audace,  l'astuce  de  la  comtesse,  puis  le  cynisme,  puis 
riiystéri'e,  puis  le  satanisme,  suivis  de  cette  admirable  détente 
soudaine  de  passion  et  de  celte  ineffable  pardon  demandé, 
témoignent  d'un  talent  magnifique.  Si  bien  qu'on  s'interroge  : 
M.  Eekhoud  ne  s'imposerait-il  point  au  théâtre,  dans  les  drames 
les  plus  ailiers? 

Après  cela,  il  importe  médiocrement  n'est-ce  pas,  que  le  roman 
cahote,  de  ci,  de  là,  qu'il  se  traîne  parfois  en  longueur  et  s'arrête 
et  piétine  sur  place.  Les  cent  premières  pages  sont  dures  à  ava- 
ler. On  croirait  que  le  romancier  s'amuse  k  prouver  ((u'il  connaît 
tous  les  détails  et  tous  les  mots  spéciaux  de  certains  métiers,  et 
qui  allonge  ses  descriptions  afin  de  nous  instruire.  C«  ries,  est-il 
utile  dé  nous  montrer  Clara  s'allendiissanl  sur  le  Moulon,  mais 
cet  attendrissement  épisodique  est  si  long  qu'k  certain  moment 
on  s'imagine  que  le  roman  va  se  nouer  Ik.  Trop  longue  aussi  la 
course  de  Clara  à  travers  les  quartiers  du  Rit-Dyk.  La  descripiion 
quoiqu'intéressante  et  bien  faite  est  une  disproportion  dans 
l'œuvre.  Seulement,  il  est  juste  de  tenir  compte  k  M.  Eekhoud, 
de  son  dédain  de  toute  convention  dans  le  plan  el  la  construction 
de  son  livre.  De  tant  de  patrons'taillés,  les  uns  par  les  natu- 
ralistes, les  autres  par  les  romantiques,  il  n'en  a  adopté  aucun. 
II  a  préféré  se  tromper  parfois,  il  a  préféré  être  maladroit  que 
banal.  Heureusement. 

En  écrivant  au  début  de  cet  article  que  M.  Eekhoud  menait 
beaucoup  de  lui  dans  ses  personnages,  nous  n'avons  voulu  faire 
qu'une  constatation..  L'impersonnalité  en  art  ne  doit  pas,  nous 
semble-t-il,  être  recherchée.  La  simple  raison  ?  Elle  est  impos- 
sible. Ses  plus  décidés  partisans  ne  l'ont  point  pratiquée  :  ni 
Flaubert,  ni  Zola.  Le  premier  a  fait  de  son  ûme  ses  plus  célèbres 
héros,  le  deuxième  ne  se  contente  plus  même  de  s'incarner  dans 
ses  types,  il  se  prodigue  dans  les  choses  —  et  la  nature  devient 
une  sorte  de  Zola  débordant  et  grandiose,  ^^r^uisant  des  tleurs 
et  des  fruits  avec  la  même  prolixité  que  le  maître  prodigue  des 
phrases  et  des  livres.  Au  reste,  comment  imaginer  une  œuvre 


dont  on  s'ôle,  alor^quo  nécessairement  l'art  résulte  d'un  lyrisme 
des  sens  ou  de  la  pensée  ?  Les  ceuvres  les  plus  froides  d'appa- 
rence, ne  sont  que  des  rniliousiasmes  k  rebours.  Et  pourquoi 
défendre  k  l'écrivain  do  se.  manifester  ?  N'est-il  pas  un  cerveau 
de  choix,  un  œil  d'artiste  et,  souvent  du  moins,  un  cei'ur  de  race  ? 
Les  Milices  de  Sninl- François  en  font  prouve  pour  M.  Eek- 
houcl.  Le  croquis  qu'il  nous  fait  du  comte  d'Adombrode  démontre 
■vers  quelle  philosophie  son  esprit  est  attiré;  tel  labhau  :  «  Clara 
Mortsel  était  arrivée  à  Sanlhoven,  en  août,  lorsque  les  bruyères 
fleuries  roulent  k  perle  de  vue  les  vagues  d'une  mer  rose.  De  dis- 
tance en  distance,  des  sapinières  et  des  chenayes  tranchent  par 
leur  feuillf'ge  sombre  et  velouté  sur  cotte  floraison  adorabl<3  et 
l'arôme  de  ces  arbres  k  essence  forte  se  combine  avec  les  parfums 
sauvages  des  brandes.  Plus  tard  (on  septembre),  vers  le  soir,  dos 
monceaux  d'essaris,  torchères  pâles  et  fumeuses,  cassoléllosd'ijn 
farouche  encens  s'ar.umenl  dans  les  landes  aux  mains  hier,  tiques 
des  bergers  el  ces  brûlis  auxquels  ils  réchauffent  leurs  doigts 
gourds,  glacent,  Ik-bas,  le  cœur  du  rare  passant  »  impose  le 
peintre  (  t  il  suffit,  n'est-ce  pas,  de  lire  {'Ex  Volo  pour  c;  raclé- 
riser  l'homme.  M.  Eekhoud  a  crié  aux  Poldciiens  qu'il  nomrrie 
ses  Frères  «...  En  at!etiTJanl,.moi  qui  ne  vous  .survivrai  pas, 
votre  sang  rouge  el  rebelle  coulant  dans  ma  veine,  je  vctix 
abstrayant  mon  esprit,  m'imprégncr  de  votre  essence,  m'oindre 
de  vos  truculents  dehors...  »  Il  est  tel.  Les  Milices  de  SaiiU- 
François  sont  jusqu'à  ce  jour,  le  plus  puissant  livre  de  l'auteur. 


'      '  •     ' .  •C^LANURE3  .' 

Notre  liiléralure  réaliste  ne  nous  a  laissé  que  le  choix  entre  les 
formes 'diverses  du  pessimisme,  parce  qu'elle  a  manqué  du  sens 
divin  et  du  sens  humain.  Inaugurée  par  Stendhal,  puis<|u'on  y 
tient,  consommée  par  Flaubtri,  vulgarisée  dans  le  même. esprit 
par  les  successeurs  de  ce  dernier,  elle  a  failli  k  une  partie  de  sa 
lâche,  qui  était  de  consoler  les  humbles  et  de  nous  rapprocUer 
d'eux  en  nous  les  faisant  mieux  connaître.  Au  point  de  vue  pure- 
ment littéraire,  elle  a  payé  ses  torts  moraux  en  ne  nous  otfranl 
qu'une  représeLlalion  du  monde  partielle  et  d«-f(  rmée,  sans 
air  ambiant,  sans  perspeciive  loinlnine.  Du  précopie  de  la  créa- 
tion elle  n'a  retenu  que  la  première  moitié  :  elle  a  pélri  le  limon, 
elle  l'a  curieusement  feuille,  elle  en  a  lire  tout  ce  (lu'elle  con- 
lient;  elle  a  oublié  de  lui  mspirer  le  soulïle  qui  fait  «  une  âme 
vivante  ».  Cette  littérature  a  cru  suppléer  k  tout  par  des  raffine- 
ments d'art  égoïsies;  ce  travers  l'a  conduite  k  se  constituer  en 
mandarinat,  k  s'isoler  de  la  vie  générale  dont  elle  devrait  être  la 
servante.  Elle  se  dessèche  el  péril  comme  la  verveine  du  poêle 
dans  le  vase  fêlé  d'où  l'eau  nourricière  a  fui'.  On  s'en  éloiîjne,  on 
cliercbe  autre  chose;  pour  tout  observateur  désintéressé,  ce  mou- 
vement de  recul  est  très  sensible.  Depuis  vingt-cinq  ou  trente  ans, 
l'irislinct  des  générations  nouveiks,  lassé  des  invenlions  puériles 
et  affamé  de  vérité,  domanduil  impérieusement  qu'on  revint  k 
l'étude  consciencieuse  de  la  vie  et  qu'on  la  ren'lîl  avec  une  grande 
simplicité.  Mais  sous  les  variations-  du  goût,  le  fond  de  l'être 
humain  ne  change  pas,  il  demeure  avec  son  éternel  b»scin  de 
synij'athie  et  d'espérance  ;  on  ne  nous  prend  que  par  ces  nobles 
faiblesses,  on  ne  nous  prend  bien  qu'en  nous  soulevant  de  terre. 
Celui  qui  nous  abaisse  cl  mulilo  nos  espérances  peut  assurément 
nous  amuser  une  heure;  il  ne  nous  garde' a  pas  longtemps.  Ou 
oublie  aujourd'hui  ces  vérités  aussi  durables  que  l'homme,  parce 


que  nous  sommes  dans  un  momcnl  de  transition  el  d'universelle 
incertitude.  Les  Ames  n'appariiennent  à  personne,  elles  tour- 
noient; cherchant  un  guide,  comme  les  hirondelles  rasent  le 
marais  sous  J'orage,  éperdues  dans  le  froid,  les  ténèbres  el  le 
jjruil.  Essayez  de  leur  dire  qu'il  est  une  retraite  où  l'on  ramasse 
et  réchauffe  les  oiseaux  hJessés;  vous  les  verrez  s'assembler, 
toutes  ces  ûmes,  monter,  partir  à  grand  vol,  par  delà  vos  déserts 
arides,  vers  l'écrivain  qui  les  aura  appelées  d'un  cri  de  son  cœur. 
Oh  !  je  sais  bien  qu'en  assignant  à  l'art  d'écrire  un  but  moral,  je 
vais  faire  sourire  les  adeptes  de  la  doctrine  en  honneur  :  l'art  pour 
l'art.  J'avoue  ne  la  comprendre  pas.  Je  ne  croirai  jamais  que  des 
hommes  sérieux,  soucieux  de  leur  dignité  et  de  l'estime  publique, 
veuillent  se  réduire  à  l'emploi  de  gymnastes,  d'amuseurs  forains» 
Ces  délicats  sont  singuliers,  Ils  professent  un  beau  mépris  pour 
fauteur  bourgeois  qui  s'inquiôle  d'enseigner  oïl  de  consoler  les 
hommes,  et  ils  consentent  à  faire  la  roue  devant  la  foule,  à  celte 
seule  fin  de  lui  faire  admirer  leur  adresse;  ils  se  vantent  de 
n'avoir  rien  h  lui  dire  au  lieu  de  s'en  excuser.  Comment  concilier 
cette  abdication  avec  la  part  de  pontificat  que  les  littérateurs  de 
notre  temps  sont  si  empressés  à  réclamer?  Sans  doute,  chacun  de 
nous  cède  quelquefois  à  la  tentation  d'écrire  pour  se  divertir  : 
que  celui  qui  est  sans  péché  jette  la  première  pierre  !  Mais  il  est 
inconcevable  qu'on  érige  en  doctrine  ce  qui  doit  rester  une 
exception.  Si  c'est  là  de  la  littérature,  je  demande  pour  l'autre  un 
nom  moins  exposé  aux  usurpations;  sauf  l'usage  des  plumes  el 
de  l'encre,  —  on  s'en  sert  aussi  pour  les  exploits  d'huissiers,  — 
notre  noble  profession  n'a  rien  de  commun  avec  ce  commerce  ; 
il  est  légitime  à  coup  sûr,  si  l'on  y  apporte  de  la  probité  et  de  la 
décence,  mais  il  ressemble  à  la  littérature  autant  qu'une  boutique 
de  jouets  à  une  bibliothèque.  Je  n'entends  point  ici  déclasser  tel 
ou -tel  genre,  réputé  léger  :  un  roman,  une  comédie,  peuvent  être 
plus  utiles  aux  hommes  qu'un  traité  de  Ihéodicée.  Je  m'élève  uni- 
quement contre  le  parti-pris  de  n'y  mettre  aucune  intention 
morale.  Heureusement,  ceux-là  même  qui  défendent  celle  hérésie 
sont  les  premiers  à  trahir,  quand  ils  ont  du  cœur  et  du  talent  (*). 


> 


jjHROJ^iqUE    JUDlCIyMRE    DZP    A^T? 

M.  GOQUELIN  SIFFLÉ 

Le  procès  fait  aux  quatre  jeunes  coupables  de  l'abominable 

rfuil  d'avoir  osé  siffler  M.  Çoquelin  dans  Chamillac,  a  été  plaidé 
hier,  en  instance  d'appel,  devant  la  7*  chambre  (correctionnel) 
du  tribunal  de  première  instance,  présidée  par  M.  le  juge 
Robvns. 

Nous  avons  relaté  l'intéressant  débat  auquel  a  doneé-lteu  la 
question  de  principe  que  soulevait  l'affaire,  et  nous  avons  ana- 
lysé l'étrange  sentence  rendue  par  M.  le  juge  de  paix  suppléant 
Hayois,  contre  laquelle  les  prévenus  se  sont  pourvus  en  appel  (**). 

C'est  M®  Brunel  qui  a  pris  le  premier  la  parole  hier.  Il  a 
démontré  au  tribunal  que  ce  que  le  règlement  communal  de 
police  des  théâtres  vise  dans  l'article  dont  on  réclame  l'applica- 
tion, ce  ne  sont  pas  les  sifflets,  chacun  étant  libre,  aux  termes  de 
la  Constitution,  de  manifester  librement  ses  opinions,  mais  uni- 
quement le  trouble  porté  à  la  représentation.  Or,  la  repré- 
sentation de  Chamillac  n'a  pas  été  troublée,  les  mesures  de 


(♦}  Melchior  de  Vogué. 

(**)  V.  l'Art  moderne,  1886,  p.  154. 


police  ayant  été  si  bien  prises  à  l'avance  que  chacuudes  siffleurs 
s'csl  vu  prié,  dès  la  première  bordée,  de  quitter  la  salle  ou  de 
cesser  la  charivari. 

Dans  un  réquisitoire  minutieusement  rédigé,  M.  le  substitut 
Verhaegen  a  demandé  la  confirmation  du  jugement  qui  condam- 
natit,  on  s'en  souvient,  les  siffleurs  à  5  francs  d'amende.  Il  ne 
eontesle  pas  le  droit  qu'a  tout  spectateur  de  siffler  au  théûlre,  et 
fait  remarquer  que  l'ordonnance  de  1883  elle-même  semble  le 
consacrer  en  éiablissant  une  distinction  entre  les  manifestations 
interdites  aux  musiciens  de  l'orchestre  et  celles  dont  les  specta- 
teurs sont  tenus  de  s'abstenir.  Aux  premiers,  le  règlement  détend 
«  d'applaudir^  de  majiifester  d'une  manière  quelconque  leur  opi- 
nion ».  Aux  seconds,  il  interdit  «  d'interpeller  y  d'apostropher  les 
acteurs  et  de  troubler  le  spectacle  ».  Néanmoins,  il  faut  condam- 
ner les  siffleurs  de  M.  Coqueliu,  parce  qu'ils  ont  troublé  l'ordre, 
qu'ils  ont  interrompu  même  durant  quelques  instants  la  représen- 
tation. M'i^  Barlet  en  a  été,  paraît-il,  suffoquée,  et  M.  Coquelin 
lui-même  a  perdu  son  aplomb. 

Si  les  sifflets  eussent  éclaté  à  la  fin  d'un  acte,  il  n'y  eût  eu  rien 
à  dire.  Mais  le  moment  était  inopportun.  El  en  sifflanl,  les  pré- 
venus savaient  parfaitement  que  leurs  sifflets  soulèveraient  immé- 
diatement une  protestation  énergique  dont  le  bruit  troublerait  le 
spectacle.  Ils  ont  donc,  soit  directement,  soit  indirectement,  con- 
trevenu, aux  dispositions  du  règlement  communal. 

M^  Rodenbach  s'était  chargé  de  la  réplique.  Il  n'a  pas  eu  de 
peine  à  dissiper  la  confusion  qu'on  a  cherché  à  établir  entre  la 
situation  de  droit  créée  par  la  Constitution  et  l'état  de  fait  que 
vise  le  règlement  de  la  Ville. 

Le  trouble  apporté  au  spectacle  est  la  seule  restriction  apportée 
à  la  libre  manifestation  des  opinions.  Mais  quand  commence  le 
trouble?  Voilà  toute  la  question.  Est-ce  lorsque  M"«  Bartet  en  est 
incommodée?  C'est  le  trouble  de  l'artiste,  cela,  et  lion  le  trouble 
de  la  représentation.  Est-ce  dans  le  cas  où  les  sifflets  sont  en 
minorité?  Mais  alors,  comment  un  homme  qui  ne  veut  pas  s'in- 
cliner devant  l'autocratie  des  foules  en  matière  artistique 
devra-t-il  s'y  prendre?  11  faut  bien  siffler,  puisqu'on  ne  peut  pro- 
noncer de  réquisitoire  contre  le  mauvais  goût  de  ce  cabotinage. 

Les  siffleurs  de  M.  Coquelin  ont  voulu  réagir  contre  l'engoue- 
ment excessif  dont  ce  comédien  est  l'objet.  Rien  de  plus.  Ils 
avaient  le  droit  de  le  faire,  de  même  qu'une  dame  qui  n'aimait 
pas  la  vivisection  a  pu  légitimement  —  un  jugement  parisien  du 
13  mai  1886  le  reconnaît  —  pousser  des  cris  de  paon  dans  l'as- 
semblée solennellement  réunie  pour  inaugurer  la  statue  élevée  à 
Claude  Bernard. 

Le  tribunal  a  fait  droit  aux  conclusions  des  prévenus  par  le 
jugement  suivant  : 

Attendu  que  le  règlement  de  1883  sur  la  police  des  théâtres  se 
borne  en  son  art.  22  à  défendre  de  troubler  le  spectacle; 

Attendu  que  les  sifflets  ne  peuvent  tomber  sous  l'application 
de  celte  disposition  que  s'ils  ont  eu  pour  but  et  pour  effet  de 
troubler  l'ordre  el  non  s'ils  ont  été  simplement  une  manifesta- 
tion ou  une  marque  de  désapprobation  à  l'adresse  d'un  acteur 
déterminé  ; 

Qu'en  fait,  dans  l'espèce,  il  n'est  pas  établi  que  les  appelants 
aient  eu  l'intention  de  troubler  le  spectacle  ; 

Que  l'interruption  du  spectacle,  qui  n'a  duré,  au  dire  de  la 
plupart  des  témoins,  que  quelques  secondes  seulement,  et  qui 
est  due  tant  aux  applaudissements  qui  ont  répondu  aux  coups  dé 
sifflet  qu'à  ces  coups  de  sifflet  eux  mêmes,  ne  peut  être  consi- 


\  ..s 


ddrée  comme  le  trouble  du  spectacle  que  l'art.  22  a  pour  but 
de  r(''primçr; 

Par  ces  motifs^  recevant  l'appel  et  y  faisant  droi,t,  le  tribunal 
met  à  néant  le  jugement  a  quo,  renvoie  les  prévenus  des  fins  des 
poursuites  sans  frais.  ':'::-.■ 


!PlB]LIOQRAPHIE    MUSICALE 
Publications  nouvelles  de^réditeur^R.  Bertram. 

Un  chef  de  musique  autrichien,  M.  Czibulka,  a  ressuscité  l'ère 
des  gavottes.  Elles  ont  refleuri  sur  les  pianos,  après  avoir  jadis 
fait  la  fortune  des  clavecins.  Et  voici  que  les  violonistes  adoptent 
à  léurtour  la  forme  archaïque.  Marion-Gnvolte,  de  M.  Th.  îferr- 
mann,  premier  vioion-solo  au  théâtre  de  la  Monnaie,  plaira  par 
la  tournure  mélodique  de  la  phrase  principale  et  par  l'exactitude 
archéologique  de  celte  «  restitution  ». 

En  même  temps  que  la  Gavotte  de  M.  Ilerrmann,  ont  paru 
chez  R.  Bertram  un  Impromptu  pour  violoncelle,  de  M.  Jules  De 
Swert  et,  du  même  auteur,  deux  morceaux  de  salon  pour  violon 
avec  accompagnement  de  piano  :  le  Désir  et  Rêverie.  Ces  mor- 
ceaux portent  les  n<^*  44,  43  et  46  de  son  œuvre. 

A  citer  encore  deux  Feuillets  d'album  {n^  1  -.Chanson  du  prin- 
temps^ n"  2  :  Valse),  élégamment  écrits  par  M.  Maurice  Koeltlitz; 
une  réédition,  revue  et  corrigée,  du  chœur  à  quatre  voix  d'homme, 
écrU  par  M.  Adolphe  Wouters  sur  des  paroles  de  M.  Delisse  et 
intitulé  :  Vers  l'avenir.  Ce  chœur  fut  imposé  en  première  division 
au  Concours  international  de  V Orphéon  ti  en  division  d'excellence 
au  Concours  international  de  Rouen.  Enfin,  une  Tarentelle- 
Scherzo  "^omt  piano  à  quatre  mains'(op.  14),  de  iM.  Edouard 
Samuel,  œuvre  de  bonne  facture,  qui  révèle  la  main  d'un  ouvrier 
habile  et  consciencieux. 


^^^^^^^^^^^^^;^      ;  '  ^^      ;    pETITE    CHROJ^iqUE  ' 

La  Sphynge  de  M.  Fcrnand  Khnopff,  entièrement  refaite  par 
l'artiste  et  merveilleusement  mystérieuse,  vient  d'être  acquise  par 
M.  C...,  de  Venise.  Que  reste-t-il  des  cris  de  paon  et  des  «  Sho- 
king  »  de  mi^s  anglaises  poussés  autour,  jadis,  dans  les  caves  de 
l'Exposition  des  Beaux- Arts?  Et  des  traquenards  posés  par  certains 
journalistes  pour  attraper  la  juste  admiration  qui  s'en  allait  vers 
cette  œuvre.  Oli  !  les  pièges  d'antan  ! 


M™^  Rosa  Papier  n'ayant  pu  obtenir  de  l'intendance  générale 
des  théâtres  de  Vienne  l'autorisation  de  prendre  part  aux  repré- 
sentations de  Bayreuth,  elle  sera  remplacée  dans  le  rôle  de  Bran- 
gaine  par  M""^  Angelina  Luger,  du  théâtre  de  Francfort. 

Rappelons,  à  ce  sujet,  que  ces  représentations  modèles  restent 
fixées  ainsi  qu'il  suit  :,  .  . 

Vendredi  23  juillet.     .     .     .,    .     .     .  ' Parsifal. 

Dimanche  23  ........  Tristan  et  Iseult. 

Lundi  26  »     .     .     .     .     .     .     .  Parsifal. 

Jeudi  29  ........  Tristan  et  Iseult. 

Vendredi  30      » Parsifal. 

Dimanche  1"  août Tristan  et  'Iseult. 

Lundi  2       » Parsifal. 

Jeudi  3      » Tristan  et  Iseult. 

Vendredi  6  ».     .     .     .     .     .     .  Parsifal. 

Dimanche  8  ........  Tristan  et  Iseult. 

Lundi  9       »     . Parsifal. 

Jeudi  12  ».     ,     .     .     .     .     .  Tristan  et  Iseult. 

Vendredi  13  .......     .  Parsifal. 

Dimanche  15      » Tristan  et  Iseult. 

Lundi  16  ........  Parsifal. 

Jeudi  19      » Tristan  et  Iseult. 

Vendredi  20  .  »     .     .     .     .     .     .     .  Parsifal. 

-  Les  places  coûtent  20  marks  (23  francs)  par  représentation. 


Pour  les  logements,  s'adresser  à  M.  Ullrich,  secrétaire  du  comité 
des  logements,  à  Bayreuih. 

Les  représentations  commenceront  à  4  heures  pour  finir  vers 
10  heures.  A  11  heures  des  trains  rapides  partiront  de  Bayreuth 
dans  toutes  les  directions. 


Le  théâtre  de  Cologne  prépare  pour  la  saison  prochaine  des 
représentations  de  r^«;t^flîf  rfw  A'^MM^7gr. 

Voici  la  série  des  charmants  voyages  que  Y  Excursion  organise 
pour  le  mois  de  juin  : 

13  juin.  —  Excursion  à  Luxembourg,  à  Trêves,  à  Echter- 
nach,  à  Vianden  et  à  Diekirch,  à  l'occasion  des  fêtes  de  la  Pen- 
tecôte et  du  célèbre  pèlerinage.  Durée  :  4  jours.  —  Prix  du 
voyage  :  l'«  classe,  93  francs  ;  2*^  classe,  83  francs.       .       ._ 

24  juin.  —  Excursion  à  Londres  et  aux  environs  :  ïfampton- 
Court,  Richmond,  Kew,  Palais  de  Cristal  et  Groenvvich.  —  Durée: 
8  jours,  —  Prix  :  l"""  classe,  230  francs. 

14  juin.  —  Excursion  en  Ecosse.  Durée  :  13  jours.  —  Itiné- 
raire :  £'dimôr'wrgr,Stirling,  le  lac  Catherine,  Invernaid,  le  lac 
Lomond.  Glasgow,  le  canal  de  la  Cly.le,  le  lac  Kiles,  le  canal 
Crinan  et  le  hc  Lorn.  Oban,  le  fort  William,-  la  grotte  de  Fingal," 
le  canal  Calédonien.  Inverness.  Retour  par  Edimbourg  et  Liver- 
pool.  Visite  des  deux  magnifiques  expositions.  Prix  du  voyage  : 
tous  frais  compris,  en  l'«  classe,  330  francs  et  en  2«  cla'sse, 
493  francs. 

12  juin.  —Excursion  en  Normandie  et  en  Bretagne  à  l'Ile  de 
Jersey.  —  Durée  :  12  jours.  ~  Prix  :  l'*^  classe,  333  francs; 
2'*^  classe,  313  francs. 

12  juin.  —  Excursion  en  Touraine  et  aux  Châteaux  des  Bords 
de  la  Loire.  —  Durée  :  1 1  jours.  —Prix  :  V^-  classe,  375  francs  ; 
2«  classe,  330  francs.  / 

20  juin.  —  Excursion  en  Zélande.  —  Itinéraire  :  Bruxelles, 
Malines,  -Tamise,  Terneuzen,  les  bords  de  TEscaut,  Flessin^ue,  la 
Campagne  zélandaise  et  Middelbourg.  —  Prix  :  l""®  classe, 
23  francs;  2«  classe,  23  francs. 

27  juin.  —  Excursion  en  Hollande.  —  Itinéraire  :  Bruxelles, 
Rotterdam,  La  Haye,  Scheveninguè,  Amsterdam,  Zaandam, 
Bruxelles.  —  Durée  :  4  jours.' —  Prix  :  l""»  classe,  130  francs; 
2«  classe,  120  francs. 

Deux  magnifiques  voyages  s'organisent  en  ouLre,  le  premier,  au 
13  juillet,  pour  la  Norwègeet  l'Islande;  le  second,  au  4,  septem- 
bre, pour  Constantinople  et  l'Orient. 

D'autres  excursions  en  Normandie,  en  Bretagne,  aux  Pyrénées, 
en  Suisse,  en  Autriche,  etc.," auront  lieu  pendant  les  mois  de 
juillet,  août  et  septembre.  Elles  seront  annoncées  ultérieurement. 

Les  personnes  qui  désirent  obtenir  gratuitement  le  programme 
détaillé  de  chacun  de  ces  voyages  voudront,  bien  le  demander  à 
M.  Charles  Parmenlier,  directeur  de  ['Excursion,  Boulevard 
Anspach,  109,  â  Bruxelles. 


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L'ART  MODERNE  s'est  acquis  par  rautorité  et,  Findépcndance  de  sa  critique,  par  la  variété  de  ses 
informations  et  les  soins  donnés  à  sa  rédaction  une  place  prépondérante.  Aucune  manifestation  de  l'Art  ne 
lui  est  étrangùrc  :  il  s'occupe  de  littérature,  de  peinture,  de  sculpture,  de  gravure,  de  musique, 
d'architecture,  etc.  Consacré  principalement  au  mouvement  artistique  belge,  il  renseigne  néanmoins  ses 
lecteurs  sur  tous  les  événements  artistiques  de  l'étranger  qu'il  importe  de  connaître. 

Chaque  numéro  de  L'ART  MODERNE  s'ouvre  par  une  étude  approfondie  sur  une  question  artistique 
ou  littéraire  dont  l'événement  de  la  semaine  fournit  l'actualité.  Les  expositions,  les  livres  noiweauXy  les 
premières  représentations  d'œuvres  dramatiques  ou  musicales,  les  conférences  littéraires ,  les  concerts,  les 
ventes  d objets  cTart,  font  tous  les  dimanches  l'objet  de  chroniques  détaillées. 

L'ART  MODERNE  relate  aussi  la  législation  et  la  jurisprudence  artistiques.  Il  rend  compte  des 
procès  les  plus  intéressants  concernant  les  Arts,  plaides  devant  les  tribunaux  belges  et  étrangers.  Les 
artistes  trouvent  toutes  les  semaines  dans  son  Mémento  la.  nomenclature  complète  des  expositions  et 
concours  auxquels  ils  peuvent  prendre  part,  en  Belgique  et  à  l'étranger.  Il  est  envoyé  gratuitement  à 
l'essai  pendant  un  mois  à  toute  personne  qui  en  fait  la  demande. 

L'ART  MODERNE  forme  chaque  année  un  beau  et  fort  volume  d'environ  450  pages,  avec  table 
des  matières.  Il  constitue  pour  l'histoire  de  l'Art  le  document  LE  PLUS  COMPLET  et  le  recueil  LE  PLUS 
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Maison  F.  MOMMEN 

BREVETÉE 

25,  RUE  DE  LA  CHARITÉ  &  26,  RUE  DES  FRIPIERS,  BRUXELLES 


TOILES  PANORAMIQUES 


Bruxelles.  —  Imp.  Félix  Callewaert  père.  —  V  Mon.ncm  successeur,  rue  de  l'Industrie,  f6. 


■» 


Sixième  année/ —  N°  25. 


Le  noméro  :  25  centimes. 


Dimanche  20  Juin  1886. 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,  un   an ,   fr.  10.00  ;  Union  postale,   fr.   13.00.    —  ANNONCES  :    On   traite  à  forfait. 


y^  dresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 

l'administration  générale  de  TArt  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


^ 


OMMAIRE 


Le  Salon  de  Paris.  Cinquième  et  dernier  article.  —  Ux  artiste 
COURONNÉ.  —  Le  Christ  devant  Pilate.  —  Les  droits  d'auteur 
AU  Théâtre  de  la  Monnaie.  —  Le  chemin  de  fer  MÉTaopoLiTAiN 
A  Bruxelles.  —  Petite  chronique,  —  Réparation  judiciaire. 


-~^^^— lE    S.A10X    DE    PARIS --^- 

Cinquième  et  dernier  article  {')  '        , 

Il  y  a  au  Salon  de  Paris  trois  cent  quatre-vingt-six 
exposants  étrangers,  ainsi  répartis  ;. 

Etats-Unis  d'Amérique,  91;  Belgique,  54;  Angle- 
terre, 33  ;. Italie,  30  ;  Suisse,  29  ;  Autriche- Hongrie,  28  ; 
Suède,  22;  Allemagne,  19;  Espagne,  18;  Hollande,  17; 
Russie,  13;  Danemark,  G;  Pérou  et  Chili,  6;  Nor- 
wège,  5;  Finlande,  4;  Portugal,  2;  Roumanie,  2; 
Canada,  2  ;  Australie,  1  ;  Californie,  1  :  Iles  Philip- 
pines, 1;  Uruguay,  1;  Brésil,  1;  Egypte,  1. 

Notre  pays,  on  le  voit,  vient  en  deuxième  ligne  d^ns 
cette  curieuse  statistique,  mais  avec  un  effectif  qui  ne 
constitue  presque  que  la  moitié  du  formidable  contin- 
gent fourni  par  les  Etats-Unis  d'Amérique. 

N  appréciant  ..point  le  mérite  au  chiffre  d  œuvres 
exposées,  nous  ne  tirons,  bien  entendu,  aucune  con- 
clusion de  ce  bilan.  Mais  il  est  piquant  de  voir  les  Amé- 
ricains, si  soucieux  de  leur  nationalité  artistique,  —  au 
point  de  vue  des  dollars  tout  au  moins,  —  si  impitoya- 
bles douaniers  quand  il  s'agit  d'une  importation  de 


(^)  V.  VArt  moderne  deS  23  et  30  mai,  6  et  13  juin. 


tableaux  venus  d'Europe,  s'installer  au  Salon  en  aussi 
nombreuse  compagnie.  , 

Au  surplus,  leur  voisinage  n'est  guère  gênant.  On 
pa'sseavec  indifférence  devant  les  plus  bruyants,  d'entre 
eux.  M.  Stewart  lui-même,  dont  le  Hunting  hall 
avait  ébloui  les  badauds,  n'a  cette  fois  qu'un  succès 
modéré  avec  la  toile  intitulée  :  Full  Speed,  qui  montre 
le  pont  d'un  yacht  à  vapeur  peuplé  de  marins-amateurs 
et  de  canotières  en  robes  claires. 

M.  Sargent  ne  donne  pas  ce  qu'on  attendait  de  lui. 
Ses  portraits  de  M"^^  et  de  M^^^  B...,  dans  un  appar- 
tement dont  le  tapis  rouge  forme  avec  l'ameublement 
sévère  un  bel  accord  de  tons,  sont  d'un  modelé  sec,  à 
l'emporte-pièce,  qui  fait  regretter  les  toiles  d'autrefois, 
le  Portrait  de  Carolûs,  El  Jaleo,  les  Porti^aits  d  en- 
fants exposés  en  1883,  même  la  belle  Madame  Gau- 
therot,  dont  nous  disions,  l'an  dernier  :  «  Est-ce  une 
voie  nouvelle  qui  s'ouvre  pour  l'artiste?  Est-ce  un 
simple  incident  dans  sa  carrière?  ^  M.  Sargent  n'a  pas 
persisté  dans  les  théories  modernistes  qui  avaient 
•donné  naissance  à  son  sphinx  parisien.  Sa  présente 
exposition  est  faible.  Mais  il  est  homme  à  nous  ménager, 
l'an  prochain,  quelque  surprise. 

Il  y  a,  heureusement,  Whistler  pour  représenter  la 
jeune  école  américaine,  et  il  le  fait  avec  une  autorité  et 
une  élégance  suprêmes.  Le  portrait  du  Senor  Pablo  de 
Sarasate  (arrangerae)it  en  noir  n^  9y,, exposé  il  y  a 
trois  mois  au  Salon  des  XX  et  dont  personne  n'a  oublié 
la  suggestive  interprétation,  serait  l'une  des  œuvres  les 
plus  justement  remarquées  de  l'Exposition,  si  la  Com- 


194 


V ART  MODERNE 


j-  -  ■ 


mission  déplacement,  la  jugeant  sans  doute  d'un  voisi- 
nage périlleux,  n'avait  pris  le  soin  de  la  dissimuler 
adroitement  contre  une  porte,  en  faisant  savamment 
miroiter  les  luisants  de  la  peinture  de  manière  à  rendre 
tout  examen  impossible.  C'est  adroit  et  intelligent. 

A  citer  encore  :  le  Sirocco  à  Venise,  de  M.  Gurtis, 
un  peu  terne  de  coloris,  mais  d'une  grande  élégance; 
Le  jiigemeïit  de  Paris,  de  M.  Walter  Mac-Ewen,  à 
qui  on  reproche  avec  quelque  raison  de  chausser  les 
pantoufles  deM.Uhdè;  En  Arcadie,  très  intéressante 
composition  de  M.  Harrison,  l'auteur  de  là  Vague  qui 
eut,  l'an  passé,  un  certain  retentissement,  artistQ.bien 
doué,  mais  obsédé  par  les  principes  et  les  pro- 
cédés de  l'Ecole;  Le  prêche,  de  M.  Gari  Melchers,  et 
Le  retour  des  ^ngeons  voyageurs,  de  M.  Rhodes, 
Américain  très  authentique  qui  a  eu  l'originalité  de 
s'établir  à  Saventhém  lez-Louvain.  - 

Passons  à  l'Angleterre,  car  pour  ce  qui  concerne  la 
Belgique,  nous  avons  déjà,  et  dès  le  début  de  notre 
série  d'articles,  signalé  les  meilleurs  envois  de  nos  com- 
patriotes. Ici,  c'est  une  femme  qui  l'emporte,  M"®  Anny 
Ayrton,  très  connue  par  les  savoureux  garde-mangers 
dont  chaque  Salon  voit  dresser  sur  des  nappes  blanches, 
dans  des  corbeilles,  «ur  des  plats  de  porcelaine,  l'appé- 
tissant contenu. 

M.  Wilham  Stott,  dont  on  se  rappelle  la  Baignade, 
exi^ose  le  Po7^trait  de  Miss  White  et  Un  jour  d'été. 
La  première  de  ces  deux  toiles,  très  bien  placée  dans 
un  pan  coupé,  ne  dépasse  guère  la  médiocrité.  Ce  serait 
bien  pour  un  débutant.  Ce  n'est  pas  suffisant  pour  l'ar- 
tiste. La  seconde,  accrochée  si  haut  qu'on  a  peine  à 
l'examiner,  paraît  plus  intéressante.  Sur  une  plage  où 
la  marée,  en  se  retirant,  a  laissé  de  petits  lacs  dans  les- 
quels se  mire  l'azur  du  ciel,  trois  galopins,  entièrement 
nus,  prennent  leurs  ébats.  C'est,  on  le  voit,  une  nou- 
velle Baignade,  mais  cette  fois  la  gracilité  des  mem- 
bres, la  simplicité  des  tonalités,  une  certaine  raideur 
voulue  dans  le  dessin,  donnent  à  l'œuvre  une  saveur 
très  particulière.  L'exécution  minutieuse,  allant  jusqu'à 
la  sécheresse,  nuit  à  l'efïet.  C'est  presque  bien,  et  pour- 
tant l'^il  n'est  pas  entièrement  satisfait.  A  remarquer 
deux  pastels  du  même  peintre. 

M.  Franz  Skarbina,  un  habitué  de  nos  expositions 
d'aquarelles  bruxelloises,  représente  l'Allemagne.  Il  a, 
dans  le  compartiment  des  dessins,  quelques  gouaches 
traitées  avec  talent,  mais  d'un  faire  assez  lourd.  Comme 
pointure  à  l'iiuile,  un  grand  diable  de  chiffonnier  des- 
cendant, à  l'aube,  un  escalier,  hotte  sur  le  dos,  crochet 
à  la  main.  Art  de  transition  entre  Dusseldorf  et  Paris. 

C'est  Paris  d'ailleurs  qui  attire  presque  irrésistible- 
ment les  artistes.  Combien  en  est-il  que  le  catalogue 
renseigne  comme  étrangers,  mais  que  leur  éducation  a 
naturalisés  Parisiens? 

Les  Hollandais  gardent,  mieux  que  tous  les  autres. 


leur  originalité.  Ils  ont  la  poésie  de  leurs  plaines 
humides  et  brumeuses.  Leur  œil  aff'ectionne  les  colora- 
tions savoureuses,  les  pâtes  épaisses.  Ils  sont  peintres, 
dans  la  vraie  acception  du  terme.  Exemples  :  MM.  Mes- 
dag,  dont  les  deux  marines  tranchent  sur  toutes  les 
autres,  Jozef  Israëls  {Quand  on  devient  vieux),  J)diV\A 
et  Pierre  Oyens  [La  Correspondance  et  Les  Collègues), 
Storm  \8in 's  GrâYesdinde  (Maiwais  tem2^s) . 

L'Autriche  ne  peut  guère  revendiquer  comme  sien 
M.  Luigi  Loir,  l'artiste  charmant  dont  La  fumée  du 
chemiîi  de  fer  est  une  des  jolies  toiles  du  Salon.  Il  est 
né  à  Gorlitz^de  parents  français,  a  fait  son  éducation 
artistique  à  Parme,  et  habite  Paris.  Résultat  final  : 
Parisien  parisiennant,  d'un  brio  étonnant  et  trouvant 
le  long  des  quais,  sur  les  boulevards  extérieurs,  dans  le 
Jardin  des  Tuileries,  sans  jamais  sortir  de  l'enceinte  des 
fortifications,  la*  série  la  plus  variée  et  la  plus  attrayante 
de  motifs  à  peindre. 

Terminons  par  une  excursion  dans  le  Nord,  aux  pays 
Scandinaves,  en  Suède,  en  Norwège,  en  Danemark. 

Les  XX  ont  déjà  fait  connaître  à  Bruxelles  M.  Peter 
Severin  Kroyer,  dont  on  a  apprécié  le  talent  délicat. 
Le  départ  pour  la  pêche  de  nuit  est  d'une  belle 
impression  et  rappelle  la  Halte  de  pêcheurs  sur  la 
plage  de  Skagoî,  exposée  an  Palais  des  Beaux-Arts.  Ils 
ont  également  présenté  à  nos  compatriotes  M.  Richard 
Bergh,  dont  le  portrait  de  femme  est,  cette  année, 
l'une  des  œuvres  les  plus  séduisantes  du  Salon.  On 
remarquera,  outre  les  envois  de  ces  deux  artistes,  les 
paysages  de  M.  Rosenberg,  de  Stockholm,  surtout  son 
Hiver,  le  Portrait  de  M.  Pasteur  par  M.  Edelfelt, 
et  la  Toilette  pour  la  première  commu7iion,  de 
M.  Georges  Pauli. 

^  Dans  la  section  des  gravures,  signalons  les  deux 
planches  dé  M.  Albert  Besnard,  d'après  ses  composi- 
tions décoratives  pour  l'École  de  pharmacie,  et  le  cadre 
que  l'artiste  intitule  :  Épisodes  de  V affaire  Clé^nen- 
ceau  ;  la  Rixe,  àe  Meissonier,  gravée  par  M.  Brac- 
quemond;  la  Vieillesse,  de  M.  Odilon  Redon,  litho- 
graphie extraite  de  son  dernier  album  :  Dans  le  rêve  ; 
la  Marchande  d'allumettes  à  Londres  et  /.  Mahhy, 
par  Henri  Guérard  (glissons  sur  son  malencontreux 
essai  de  gravure  en  couleur  :  Au  jardin);  les  superbes 
lithographies  de  Faritin-Latour,  inspirées  de  Wagner 
et  de  Brahms;  deux  pointes  sèches  de  M.  Zilcken, 
d'après  J.  Maris;  les  portraits  de  M.  Gaillard;  enfin, 
l'œuvre  de  deux  de  nos  compatriotes  :  M.  Danse,  dont 
on  retrouve  une  partie  de  ce  qu'il  avait  exhibé  aux  XX, 
et  M.  Louis  Lenain. 

Parmi  les  médailleurs,  M.  Roty,  artiste  délicat, 
ingénieux  dans  la  composition  et  dans  la  disposition  des 
accessoires,  d'un  goût  raffiné,  mérite  une  mention 
toute  spéciale. 

Les  statues  à  signaler  sont  aussi   rares   que  les 


tableaux.  Mêmes  influences  académiques  et  bfficielles, 
même  banalité.  La  sculpture  française  a  dominé  en  ce 
siècle.  Elle  a  eu  Rude,  David  d'Angers,  Barye,  Gar- 
peaux,  créateur  d'une  grâce  nouvelle.  Aujourd'hui  elle 
est  aux  mains  de  M.  Antonin  Mercié.  Il  est  vrai  qu'il 
lui  reste  Rodin,  i^n  génie,  et  tel  jeune  sculpteur  de 
grande  race. 

M.  Mercié  «  poitrine  «  en  son  art  cqmme  M.  Bou- 
guereau  ou  M.  Cabanel  ou  M.  Lefebvre  dans  le  leur.  Il 
est  correct;  il  sait  son  métier  ou  plutôt  un  métier;  il 
satisfait  à  l'idée  que  se  font  d'une  belle  œuvre  le  Pari- 
sien cossu  qui  veut  orner  son  tombeau  et  le  ministre 
qui  veut  célébrer  par  du  bronze  «  son  pa.ssage  aux 
affaires  ".  La  statuomanie  exige  des  mains,  des  bras  et 
dés  ciseaux  comme  ceux  de  M.  Antonin  Mercié.  Il 
faut  garder  «  une  honnête  moyenne  d'art  «  quand  on 
travaille  pour  les  places  publiques.  Unheau  socle  suffit 
d'ordinaire.  Le  caractère,  la  fougue,  la  grandeur? 
Allons  donc!  Les  bronzes  ne  doivent  pas  être  révolu- 
tionnaires et  la  Marseillaise  de  l'arc  de  triomphe  est 
dangereuse.  Une  statue  puissante  et  fière,  grande  de 
gestes,  tragique  et  belle,  peut  devenir  le  plus  redou- 
table des  orateurs  populaires.  Il  faut  embourgeoiser 
tout. 

Aussi  M.  Antonin  Mercié,  et  à  sa  suite  tous  les 
fabricants  «  de  dessus  de  squares  ",  aveulissent-ils  et 
atténuent-ils  l'art.  Ils  font  très  honnêtement  et  très 
proprement  leur  besogne.  Ils  choisissent  de  beaux 
blocs  blancs  et  leur  font  une  toilette. 

Cette  année' M.  Antonin  Mercié  expose  un  groupe 
pour  le  tombeau  du  roi  Louis-Philippe  et  de  la  reine 
-  Amélie  :  le  roi  est  debout,  la  reine  à  genoux  ;  l'ange  de 
la  mort  sommeille  derrière.  Certes,  le  sujet  était  peu 
tentant,  mais  avec  M.  Antonin  Mercié  il  ne  faut  déses- 
pérer de  rien.  Il  a  de  la  ressource,  il  a  des  trucs  pour 
donner  de  la  tenue  et  une  certaine  dignité  sculpturales 
à  tout.  Il  a  son  moule  et  il  est  assez  intelligent  pour  y 
tout  faire  rentrer.  Les  personnages  de  son  groupe  sont 
quelconques.  Quant  au  Génie  endormi,  c'est  ce  qu'il  y 
a  de  plus  mou,  de  plus  cireux,  de  plus  romantiquement 
pleureur  au  monde.  Aucune  piété,  aucune  virilité, 
aucune  grandeur  n'est  arborée  ;  l'œuvre  est  mondaine- 
ment  distinguée,  et  voilà. 

M.  Falguière,  dont  nous  admirons  beaucoup  le-petit 
martyr  chrétien  du  Luxembourg,  a  signé  :  Bacchantes 
ivres.  La  lutte,  chignons  crêpés,  de  ces  deux  femelles 
n'est  certes  pas  traitée  banalement.  Il  y  a  des  surprises 
dans  les  lignes  et  des  audaces.  Mais  la  bataille  manque 
d'entrain,  elle  est  trop  jolie  et  les  corps  sont  si  peu 
païens!  Après  tout,  pourquoi  parler  de  bacchantes 
quand  chacun  songea  des  modèles  d'ateliers,  à  des  corps 
modernes  et  tentants?  Oh  !  cette  rage  de  dénominations 
mythologiques  qui  nous  ferait  attribuer  l'orteil  de 
M.  Prudhomme  au  pied  de  Jupiter! 


Bien  qu'il  sbit  difficile,  d'après  une  minuscule 
maquette,  de  s'imaginer  l'efï'et  d'un  monument  tout 
en  •  proportions  colossales,  nous  osons  admirer  dès 
aujourd'hui  l'œuvre  de  M.  Dalou  :  le  moniiment  Victor 
Hugo,  Le  poète  est  couché  sur  un  cénotaphe  dans  une 
chapelle  haute,  en  plein  cintre,  avec  des  fresques  de 
marbre  et  des  groupes  symboliques  aux  angles.  Ce 
projet  est  très  décoratif  :  c'est  du  Delacroix  en  sculp- 
ture. Au  fond,  un  paysage  épique  immortalisé  de 
soleil.  A  la  base  des  colonnes,  des  génies  ailés  sonnant 
la  gloire  du  mort.  Eclat  et  grandeur,  c'est-à-dire  les 
qualités  suprêmes  du  maître  et  du  romantisme  entier. 

Et  maintenant,  passons  à  de  plus  humbles  mais  aussi 
à  de  plus  chères  renommées.  Voici  M""®  Marie  Cazin. 

Nous  aimons  ces  deux  bustes  accolés  et  qui  semblent 
détachés  d'un  haut  relief.  L'œuvre  est  intitulée,  croyons- 
nous,  ■  Z^5  Z>^i«Jt?  Sœurs.  Elle  est  pénétrante  et  belle:- 
naïveté,  enfance,  pudeur,  simplicité,  avec  des  sous- 
entendus  bibliques  et  lointains  et  des  souvenirs  ita- 
liens modérés  mais  évidents.  Puis,  à  gauche,  un  plâtre, 
triptyque  aujourd'hui,  mais  qui  se  complétera  demain 
et  qui  représente,  chacun  dans  son  panneau,  les  évan- 
gélistes  :  Marc,  Jean,.  Mathieu.  L-es  trois  premiers 
sont  symbolisés  avec  leurs  compagnons  traditionnels  : 
le  bœuf,  l'aigle,  l'ange.  L'œuvre  est  très  originale  d'al- 
lure et  de  composition.  L'artiste  met  en  tout  une  «  pri- 
mitivité  »  charmante,  recueillie  et  touchante.  On  sent 
la  femme  dans  la  facture  et  la  poésie  du  morceau,  nous 
allions  dire  la  religieuse.  - 

Et  maintenant  les  Belges  :  S 

M.  Charlier  a  été  très  remarqué  des  '  artistes.  Sa 
statue  le  Senieur  du  riial,  et  son  groupe  la.  Prière 
marquent  sur  les  précédents  envois  du  Jeune  sculpteur 
iin  progrès  sérieux.  Nous  aimons  surtout  la  Pt'ièrc, 
d'une  religiosité  concentrée,  d'une  pureté  de  sentiment 
que  l'artiste  n'avait  pas  encore  atteinte  ju.squ'ici.  ^ 

M.  Meunier  s'est  imposé  de  vive  force  à  l'admiration 
des  Parisiens,  qui  n'admettent  pas  facilement  la  supé- 
riorité d'un  étranger. 

Cette  fois,  il  a  fallu  reconnaître  le  mérite  sérieux  de 
notre  compatriote.  On  ne  lui  a  pas  marchandé,  les 
éloges.  Nous  n'en  voulons  pour  preuve  que  l'article  que 
lui  a  consacré,  dans  la  France,  M.  Octave  Mirbeau,  et 
que  nous  sommes  heureux  de  reproduire.  Nous  ne 
pouvions  mieux  clôturer  la  série  de  nos  appréciations 
sur  le  Salon  de  Paris  qu'en  citant  cet  hommage  rendu 
au  peintre  des  3///?t'«^r5. 

Voici  l'article.  Il  contient,  sur  la  sculpture  en  géné- 
ral, des  opinions  que  nous  avons  souvent  professées  : 

-  Ce  qui  m'a  le  plus  vivement  empoigné  au  Salon  de 
sculpture,  c'est  le  Marteleur  de  M.  Constantin  Meu- 
nier. Voilà  une  belle  œuvçe,  simple,  grandiose  et  d'un 
art  tel  que  je  le  rêve.  Ce  qui  m'étonne  prodigieuse- 
ment, c'est  qu'on  ait  attribué  à  cette  héroïque  tigure 


tÊm 


f 


196 


V ART  MODERNE 


d'ouvrier  une  mention  honorable.  Car  de  deux  choses 
l'une  :  ou  le  jury  admire  cet  art,  et  le  Marteleiir  méri- 
tait la  médaille  d'honneur;  ou  il  ne  l'admire  pas,  et 
alors  pourquoi  une  mention  honorable?  Les  opérations 
et  jugements  du  jury  garderont  toujours  quelque  chose 
de  mystérieux  qui  déroutera  le  raisonnement.  Je  pense 
que  M.  Constantin  Meunier  restera  indifférent  à  cette 
récompense  ;  quand  on  pratique  un  art  comme  le  sien 
et  de  la  façon  qu'il  le  pratique,  ce  n'est  pas  les  médailles, 
décorations  et  mentions  qui  sont  la  récompense  rêvée. 
Ces  artistes  AU  grand  cœur  voient  plus  haut  que  l'idéal 
d'un  boutiquier. 

«  La  tête  rase,  protégée  par  un  morceau'  de  cuir,  la 
chemise  lui  collant  à  la  peau,  le  tablier  de  cuir  épais  lui 
couvrant  Te  ventre  et  les  jambes,  le  marteleur  est 
debout;  la  main  gauche,  aux  doigts  noueux,,  s'appuie 
sur  la  hanche;  sa  main  droite  tient  une  pince.  Les 
jambes  sont  emprisonnées  dans  des  houzeaux  de  fer 
blanc;  et  ces  houzeaux  de  l'ouvrier  ont  je  ne  sais  quelle 
grandeur  épique  qui  les  font  ressembler  aux  jambards 
d'un  gladiateur  romain.  Il  est  impossible  de  rêver  une 
plus  belle  carrure  d'homme.  La  construction  de  ce 
corps,  résumée  impitoyablement  par  les  accents  néces- 
saires, exempte  de  tous  détails  inutiles,  est  admirable. 
Nous  ne  sommes  pas  en  présence  d'une  académie,  nous 
sommes  devant  la  nature  même.  M.  Constantin  Meu- 
nier a  rencontré  cet  ouvrier  puissant  et  superbe  dans 
le  Borinage,  et  il  l'a  fait  tel  qu'il  Ta  vu  et  tel  qu'il  est. 
La  poitrine,  sur  laquelle  l^  chemise  plaque,  a  des 
accents  superbes  qui  indiquent  la  rude  charpente  du 
thorax.  Le  dos  est  un  peu  voûté,  comme  celui  des  tra- 

;  vailleurs,  et  les  omoplates  saillissent  dans  un  mouve- 
ment si  juste  et  si  bien  ordonné,  qu'elles  animent  toute 
la  figure  d'une  expression  de  force  et  de  souffrances 

.  d'héroïsme  sauvage  et  de  mélancolie  rude.  Voilà  donc 
un  homme,  un  homme  qui  vit,  qui  agit  et  qui  souffre. 
Pour  animer,  comme  l'a  fait  l'artiste,  un  corps  humain 
par  ses  seules  lignes  synthétiques,  pour  lui  donner  ces 
accents  inoubliables,  jDar  ce  procédé  de  simplification 

"  savante,  il  faut  être  un  maître  dans  l'art  du  dessin. 
Cette  mâle  figure  de  marteleur  a  véritablement  l'odeur 
même  du  peuple;  mais  voyez  la  puissance  de  la  sincé- 
rité et  l'absolue  supériorité  de  la  nature.  M.  Meunier  a 
su,  tout  en  restant  fidèle  au  modèle,  lui  donner  un 
aspect  grandiose,  une  noblesse,  une  élégance  —  la  vraie 
élégance  —  une  beauté  — 'la  vraie  beauté.  C'est  dans 
cette  voie  —  dans  cette  voie  seule  —  que  la  sculpture 
peut  retrouver  sa  grandeur  ;  comme  la  peinture,  elle 
doit  être  la  reproduction  de  la  vie,  d'une  époque,  d'un 
milieu  social,  d'une  classe.  Quand  on  veut  représenter 
le  travail,  il  ne  s'agit  pas  de  faire  une  femme  nue,  ou 
drapée  méthodiquement,  dont  le  profil  se  tourne  vers 
un  instrument  quelconque  ;  il  s'agit  de  planter  sur  un 
socle  un  ouvrier,  avec  son  costume  spécial,  son  ana- 


tomie  déformée  ou  exagérée  par  l'exercice  violent  et  le 
halètement  du  labeur.  Mais  le  temps  où  les  gouver- 
nements, les  ministères,  les  collectionneurs  et  les  ama- 
teurs comprendront  ces  choses,  n'est  pas  encore  venu.  « 


Ui\  ARTISTE  COURONiVÉ 

En  ce  siècle,  la,  vie  des  vrais  artistes  est  misérable.  Presque 
tous  ceux  qui  furent  vraiment  grands  et  vraiment  novateurs 
firent  leur  pèlerinage  terrestre  \\  travers  les  injustices,  les 
oulrages  et  les  persécutions.  Malhô,  le  héros  de  Flaubert,  les 
symbolise,  dans  son  supplice  final  :  la  course  sanglante  dans  les 
rues  de  Carlhnge,  sous  les  coups,  sous  les,  cris  de  la  populace 
formant  la  luiie,  et  tombant  enfin  exténué,  défiguré,  pantelant, 
mourant  aux  pieds  de  Salammbô,  la  vierge  impassible  et  adorée, 
image  de  l'idéal  auquel  la  victime  a  tout  sacrifié.  ' 

Ce  sort  est  le  même,  quelle  que  soit  sur  la  pente  de  l'organisme 
social,  l'allitude  où  l'arlisle  est  gîté  :  citoyen  ou  roi.  La  propor- 
tion des  événemenis  changera  seule,  rentourage  sera  différent, 
les  catastrophes  seront  plus  retentissantes  :  la  haine  du  vulgaire 
et  rintensilé  du  malheur  seront  les  mêmes.  De  notre  temps, 
pour  être  heureux  et  avoir  la  paix,  il  faut  être  médiocre,  il  faut 
surtout  ne  pas  être  un  précurseur.  L'histoire  contemporaine 
entière  est  assombrie  de  morts  désormais  illustres  qui  de  leur 
vivnnl  furent  des  méconnus  et  des  martyrs. 

Il  manquait  à  cette  scène  lugubre  un  échanlillon  royal.  La 
logique  implacable  des  lois  naturelles  vient  de  remplir  ce  vide  en 
ajoutant  au  cortège  Louis  II  de  Bavière.    ■  .     ^    -i        __ 

Un  fou  !  Oui,  comme  tant  d'autres  à  qui  l'on  jette  celle  injure 
pour  faire  accroire  que  la  foule  bourgeoise  n'est  composée  que 
de  sages.  C'est  la  plate  légende  du  prosaïsme.  Mais,  pour  qui- 
conque a  l'horreur  de  la  banalité,  il  s'agit  d'un  héros.  Le  prince 
qui,  encore  adolescent,  sut,  avant  tous  ses  contemporains, 
deviner  AVagner,  et  plutôt  que  de  s'occuper  de  canons  et  de  cour- 
tisanes, seul  contre  tous  soutint,  mit  rn  pleine  lumière  et  fit  épa- 
nouir en  son  amplitude  démesurée  le  plus  grand  génie  musical  de 
tous  les  tcmpè,  se  relèvera  dans  la  mémoire  des  hommes  de 
l'avilissement  où  on  le  plonge  à  l'heure  présente,  et  de  tous  les 
souverains  de  son  époque  apparaîtra  le  plus  glorieux. 

Sans  lui,  qu'eût  été  Wagner?  Rien,  peut-être.  Comment  eût-il 
vécu?  Dans  la  misère,  assurément. 

Et  penser  que  c'est  parce  que  les  gôûls  puissants  qui  lui 
donnèrent  cette  devinalion  se  manifestaient  avec  l'excentricilé 
inséparable  des  qualités  héroïques,  qu'on  l'a  ignominieusement 
renversé  pour  une  question  de  dettes,  alors  que  s'il  eût  été 
prince  de  Galles  rongé  par  l'usure  pour  payer  des  filles,  ou 
prince  royal  de  Prusse  ruiné  pour  payer  des  soldats,  une  sou- 
scription nationale  l'aurait  en  une  semaine  libéré  et  remis  à  flot 
au  milieu  de  la  joie  universelle. 

Fou  !  parce  que  les  arts  ont  dévoré  sa  liste  civile.  Allons  donc  ! 
Assoiffé  d'art.  —  Fou  !  parce  qu'il  s'est  tué.  Allons  donc  !  Déses- 
péré de  n'être  pas  compris.  .     "  . 

Ecoutez  ce  que  vient  de  dire  Schleiss,  son  médecin  ordi- 
naire :  '  - 

«  Le  roi  avait  seulement  ses  excentricités.  Peut-on  insinuer 
que  c'était  «  la  folie  !  »  Que  l'on  interroge  les  nombreux  artistes, 
avec  lesquels  il  s'est  trouvé  en  communication  tout  récemment 


V  .-■■:      ^:i!¥i:^'-^f-^'-IM^ 


M\m 


L'ART  MODERNE 


197 


encore,  les  architectes,  les  fabricants  d'objets  d'arl,  les  erilrepre- 
neurs,  qu'on  leur  demande  si  le  roi  3lait  atteint  d'aliénation  men- 
tale, et  l'on  entendra  leurs  réponses  :  on  saura  qu'ils  étaient  sur- 
pris du  goût  délicat  et  de  l'cntcnle  .des  choses  artistiques  du 
souverain,  de  son  esprit  distingué,  de  sa  connaissance  profonde 
des  questions  d'art,  de  l'ingéniosité  de  ses  plans.  » 

Des  excentricités.  Oui.  Mais  au.  milieu  des  ambitions  de  cour, 
des  vilenies  politiques,  des  intrigues,  des  vices  qui  veulent  qu'on 
s'occupe  d'eux  et  non  de  l'art,,  pareilles  excentricités  c'est  la 
folie!  C'est  la  folie  furieuse!!  Aussi  l'a-t-on  traité  comme  un  fou 
furieux.  EcOulez-encore.  C'est  toujours  Schleiss  qui  parle  : 

«On  avait  disposé  ses  appartements  comme  pour  un  fou 
furieux.  Les  fenêtres  avait  ni  dos  barreaux;  on  avait  muré  une 
partie  du  parc,  on  en  avait  dérobé  la  vue  avec  des  armoires.  Tout 
avait  été  organisé  d'après  le  mode  adopié  dans  les  maisons  de 
fous.  Le  roi  n'avait  que  deux  chambres  :  une  chambre  à  coucher 
et  une  autre  pièce;  la  salle  U  manger  avait  été  transformée  en 
cabinet  pour  le  docteur  Grachey,  un  des  aliénistos.  » 

Du  temps  de  Jésus,  roi  des  Juifs,  on  l'eût  crucifié,  ce  roi  des 
Bavarois,  ce  Prince  Pâle^  comme  on  le  nommait  par  anlij)hrase 
du  Prince  Noir,  ce  dément  qui,  les  jour*^  de  bals  officiels  s'échap- 
pait, montait  à  cheval  et  se  réfugiait  chez  sa  vieille  nourrice  dans 
les  montagnes,  et  dont  Catulle  Mondes,  dans  son  Roi  Vierge,  a 
écrit  qu'il  avait  l'air  d'un  très  jeune  Hamlet  U  qui  Shakespeare 
aurait  donné  un  rôle  dans  une  pièce  intitulée  :  le  Songe  d'un 
malin  dliiver.  .  * 

Ce  beau  livre  est  plein  d'images  louchantes,  de  récits  pathé- 
tiques, et  aussi  de  prophéties  navrantes  sur  le  sort  de  ce  fiancé  de 
la  musique,  qui  ne  connut  guère  d'autre  amour  et  qui,  un  jour 
qu'il  écoulait  le  chant  du  Solitaire,  le  mystérieux  rossignol  dos 
Alpes,  disait  à  un  courtisan  dont  la  venue  avait  fait  taire  l'oiseau  : 
«  Toutes  les  paroles  qui  furent  proférées  depuis  le  babil  du  pre- 
mier né  sous  les  lèvres  de  la  première  mère,  ne  valent  pas  le 
chant  de  l'oiseau  que  vous  avez  fait  envoler!  ». 

Et  il  ajouta  :         — __— ^-^ __^ — ^_ ^^ — 1___.^ — 

Je  veux  fuir.  Loin  de  ma  ville,  loin  de  ma  cour,  loin  des  res- 
pects qui  m'écœurent  et  des  intrigues  qui  me  gênent,  loin  de  tous 
ceux  qui  me  possôdeni  parce  que  je  suis  leur,  maître!  Je  romprai 
mes  chaînes,  et  les  leurs.  Le  Irône  est  un  siège  de  torture  où  je 
ne  veux  plus  être  assis.  Comme  Wulter  de  la  Vogelvveide,  j'ai 
l'ûme  d'un  oiseaii  dans  un  corps  sans  ailes.  A  la  pesanteur  d'ê  re 
homme,  je  n'ajouterai  plus  la  gravité  d'être  roi.  Il  faut  que  je 
m'échappe  et  disparaisse  !  Il  y  a  bien,  sur  une  rive  inconnue, 
quelque  pûle  solitude  encore  où  cacher  à  tous  les  yeux  la  honte 
et  le  regret  de  vivre.  Je  veux  être  parmi  les  humains  le  souvenir 
de  quelqu'un  qui  a  passé  pour  ne  jamais  revenir. 

Ame  de  poète  trop  haute  et  trop  pure  pour  être  celle  d'un  roi. 

El  comme  un  de  ses  proches  le  raillait  de  sa  passion  pour  les- 
Niebelungen,  il  disait,  en  souriant  : 

Nous  sommes  tous  quelque  peu  fous  dans  notre  race,  cl,  des 
trois  ou  quatre  insensés  qui  ont  une  apparence  de  droit  à  régner 
sur  la  Bavière,  je  suis  encore  le  moins  extravagant,  puisque  je 
me  borne  à  la  belle  fantaisie  de  me  vêtir  en  héros  ou  en  Dieu  et 
au  souriant  caprice  d'écouler,  quand  je  ne  puis  entendre  la  divine 
musique  de  Wagner,  les  paroles  chantantes  des  oiseaux. 

Mondés,  sous  le  voile  transparent  de  son  ingénieux  roman, 
raconte  des  épisodes  de  sa  jeunesse.  C'était  un  enfant  bizarre, 
qui  s'en  allait  jouer  les  Karl  Moor  elles  Schinderhannes  sur  les 
grand'roules,  en  veste  couleur  de  feu.  Un  enfant  mélancolique, 


qui  se  tenait  h  l'écart,  pensif,  aycc  l'air  de  vouloir  se  garer  dt3  la 
vie.  Il  y  avait  dans  la  limidi  é  furtivc  de  ses  gestes,  dans  l'atljr 
lude  presque  toujours  détournée  de  sa  tête,  dans  le  regard  de  ses 
yeux  vagues,  qui  tout  à  coup  se  formaient  comme  éblouis  d'un 
jour  trop  vif,  un  désir  poignant  d'éloignement,  de  disparition. 
Où  qu'il  fût,  il  éprouvait  le  besoin  farouche  d'être  ailleurs.  Pareil 
à  quelqu'un  qui  arrive  de  très  loin,  il  avait,  au  milieu  de  toutes 
choses,  l'air  inquiet  d'un  étranger. 

Ce  qu'il  éprouvail  c'était  le  sentiment  d'une  vacuité  profonde, 
et  la  tristesse  de  ce  néant.  Son  ûme  était  comme  ces  paysages  où 
rien  n'apparaît  ni  ne  chante  et  qui  semblent  vides,  à  cause  de  la' 
nuit  ;  mais  ils  ne  sont  qu'obscurs,  et  il  suflit  que  l'aube  se  lève 
pour  qu'ils  se  révèlent,  tout  \orls  de  fraiches  fouilles  ou  tput 
jaunes  de  blés  mûrs,  avec  leurs  rivières  que  secoue  en  mousses 
déneige  la  roue  bavarde  du  moulin,  avec  leurs  chaumes  d'or  qui 
s'allument  sous  un  gazouillis  reveillé  d'oiseaux,  au  penchant  bru- 
meux des  collines!  , 

Plus  loin,  le  délicat  et  profond  écrivain  fait  le  récit  de  l'épisode 
qui  à  jamais  donna  au  Pioi  Vierge  sa  n-pugnance  pour  !a 
femme.  C'élail  un  jour  de  promenade,  au  bord  d'un  lac,  horde  de 
roseaux  hauts  et  touff'us.  Il  v  entend  remuer.  Il  regarde.  H 
demeure  stupide,  les  prunelles  élargies,  la  bouche  béante,  avec 
l'air  de  quelqu'un  (jui  coiitem])le  l'horreur  d'un  gouffre. 

Ce  qu'il  avait  vu,  c'élail  une  fille  de  village,  grasse,  suan'e 
et  débraillée,  sa  jupe  de  colonnade  en  l'air,  se  livrant  k  un 
robuste  garçon  qui  lui  tenait  les  épaules  entre  ses  grosses  mains. 

En  quelques  minutes  de  contemplation  effrayée,  ij  avait,  tout 
gonflé  d'un  immense  dégoût,  appris  les  vils  mystères  des  sexes 
et  la  hidcur  sale  de  l'accouplement.  -      . 

Quoi!  telle  était  la  femme,  et  tel  était  l'amour?  C'était  à 
celte  chose  immonde  qu'aboutissaient  enfin  les  rêves  et  les  ten- 
dresses? Derrière  les  sourires  des  vierges,  el  leur  pudeur  rougis- 
sante, derrière  les  hardis  dévouements  dos  jeunes  hommes 
épris,  il  y  avait  cette  ordure!  Cotait  à  cette  boue  que  condui- 
saient les  pentes  du  Paradis!  Tous,  les  chastes  guerrières  el  les 
beaux  chevaliers,  les  fiancées  qui  baisent  une^  petite  fl<  ur  pen- 
dant que  les  fiancés,  partis  pour  quelque  voyage,  leur  écrivent  h 
la  hiour  d3  l'éloile  choisie,  el  les  fées  dos  poèmes^el  les  princesses 
des  tragédies,  devant  qui  s'agenouillent  les  ObiM-ons  et  les  Xiplia- 
rès,  tous,  ces  déesses,  ces  dieux,  ces  angrs  finissaient  par  être 
les  porcs  de  la  même  auge  ! 

Il  se  révolta  contre  celle  idée.  Il  n'était  pas  |)Ossible  que  la 
sublimité  des  songes  fût  doublée,  en  tout  temps,  en  tous  lieux, 
chez  tout  être  vivant,  de  cet  accouplement  ignoble.  Il  ne 
croyait  pas,  il  ne  voulait  pas  croire  que  l'élan  de  la  passion 
vers  l'idéal  ne  tendait  qu'à  celte  réalisa' ion  basse  el  laide. 
Quoi  !  C'était  ôela  que  Roméo  demandait  k  Juliette?  Ce  que 
Saint-Preux  attendait  de  Julie,  ce  que  Virginie  aurait  donné  à 
Paul  si  elle  n'était  pas  morte  sur  la  grève,  ce  que  Claire  ne  refj- 
saitpas  à  Egmonl,  c'était  cela,  c'était  cela!  0  déchéance!  0  tur- 
pitude! 

Et  alors  vint  aussi  le  dégoût  de  la  royauté. 

Roi  !  lui  !  roi  des  hommes  et  des  femmes  !  Non  seulement  il 
faudrait  qu'il  restât  parmi  ceux  qui  se  vautrent  dans  la  bt.ssesse 
dos  sens,  mais  il  faudrait  qu'il  fût  leur  chef!  Il  serait  l'un  deS 
maîtres  de  celle  humanilé  qui  lui  apparaissait  désormais  comme 
un  grouillement  obscène  de  fornicateurs  "el  de  prostituées  !  On 
prétendait  faire  de  lui  le  bouc  do  ce  troupeau,  le  taureau  de  celte 
éiable,  l'élalon  de  ce  haras!  Qu'était-ce  qu'un  roi?  Le  Rutficn 


couronné  d'une. immonde  maison  publique.  H  fuyait,  plein  de 
dégoût.  I 

Dans  colle  vie  dCsencharttéc  surgit  un  jour  Wagner.  Voici  Ifl 
porlrail  qu'en  faii  Mendùs.  Oli!  combien  vrai  pour  quiconque  l'a 
connu  ! 

■Cet    homme,    petit,    maigre,  étroitement   enveloppé  d'une 
longue  redingote^  drap  marron  ;  et  tout  ce  corps  grêle,  quoique 
très  robuste  peut-être  —  l'air  d'un  paqyel  de  ressorts  —  avait  le 
-tremblement  presque  convulsif  d'une  femme  qui  a  ses  nerfs; 
mais  le  visage,  quand  il  n'était  pas  déformé  par  la  grimace  de  la 
.  colère,  avait  une  mnguifiquc  expression  de  haiitour  et  de  séré- 
nité.  Tandis  que  la  bouche,  aux  lèvres  très  minces  et  pâles, 
à  peine  visibles,  se  lord;iit  dans  un  pli  méchant,  le  beau  fronl, 
>  vaste  Gl  pur,  uni  entre  d<;s  choveux^  très  daax,  dtVjà, grisonnants, 
qui  fuyaieni,    gardait  la    paix  inaltérable  d'on    ne  sait  quelle 
immense  pensée,  et  il  y  avait  dans  la  transparence  ingénue  des 
yeux  — •  dos  yeux  pareils  à  ceux  d'un  enfant  ou  d'une  vierge  — 
toute  la  belle  candeur  d'un  rêve  inviolé. 

Si  solitaire  qu'il  eut  vécu,  la  renommée  de  cet  homme  était 
arrivée  jusqu'à  u-Hoi.  Quoi!  il  venait  de  voir  cet  être  fantasque  et 
prodigieux,  exalté  et  rabaissé,  adoré  et  haï,  qui,  h  force  de  génie 
et  d'audace,  avait  secoué  la  léthargie  allemande,  avait  imposé  au 
plus  tlegmatiqué  l'enthousiasme  ou  la  colère,  ce  révolutionnaire 
qui  s'était  jeté  -d  travers  l'art,  rompant  les  vieilles  règles,  ruinant 
les  fausses  gloires  et  violant  l'antique  musique  pour  engendrer 
en  elle  le  drame  vivant  et  palpitant,  enfin  Richard  Wagner,  ce 
fou,  Richard  Wagner,  ce  Dieu! 

Et  alors  naît,  grandit,  jusqu'aux  proportions  démesurées,  cette 
passion  pour  la  musique  qui  rendra  Louis  II  immortel. 

La  musique  seule,  pouvait  satisfaire  cette  âme  pour  qui  toute 
réalité  était  un  objet  de  dégoût.  La  peinture  et  la  sculpture,  par 
la  couleur  et  la  forme,  expriment  la  vie;  elles  devaient  donc 
être,  à  Louis  II,  aussi  odieuses  que  la  vie  elle-même.  La  poésie 
chante,  mais  elle  parle;  si  magnifiquement  spirituelle  qu'on  la 
conçoive,,  elle  montre,  grâce  au  relief,  des  images  et  à  la  préci- 
sion du  verbe,  la  beauté  des  choses  intellectuelles  ou  physiques. 
Mais  la  musique  ne  dit  rien  d'une  façon  définie;  elle.est  comme 
un  bégaiement  divin,  qui  ne  peut  pas  devenir  parole  ;  elle  s'ef- 
force toujours  vers  un  idéal,  qu'elle  ne  saisit  jamais,  comme 
quoiqu'un  qui  marcherait  toujours  et  jamais  dans  l'humanité, 
de  sorte  qu'elle  était  délicieusement  et  désespérément  l'expres- 
sion même  do  toute  l'âme  de  Louis  II,  l'ineffable  désir  obstiné 
de  l'impossible  ne  pouvant  être  formulé  que  par  un  perpétuel 
inachèvement.  . 

A  peine  couronné,  il  se  précipita'  dans  la  solitude  et  dans  la 
musique,  comme  un  désespéré  qui  s'enferme. Vainement,  sa  mère, 
qui  possédait  une  vaste  ambition,  voulut  mêler  son  fils  aux  choses 
politiques,  l'initier  aux  subtilités  de  la  diplomatie  ;  il  ne  compre- 
nait pas,  n'écoulait  pas,  s'effarait. 

Car,  en  se  résignant  à  la  royauté,  il  n'avait  eu  d'autre  but 
que  de  faire  triompher  l'art  nouveau  qui  s'était  révélé  à  lui,  et  le 
créateur  de  cet  art.  Il  fit  venir  Wagner  à  Munich,  l'enrichit,  l'ho- 
nora, l'adora.  Le  roi,  ce  n'était  pas  Louis,  c'était  Wagner.  Le 
peuple  obéissait  au  prince,  le  prince  obéissait  à  l'artiste;  le 
sceptre  de  Bavière  était  au  bâton  du  chef  d'orchestre. 

Et  Louis  s'épanouissait  dans  une  extase  continue.  Dans  les 
paradis  artificiels  de  son  chimérique  palais,  il  passait  de  longues 
joi^rnées  —  pendant  que  ses  ministres  se  consultaient,  humiliés 
—  à  épeler  Ics^  parlilions  du  maître,  à  entendre  sortir,  de  la  con-     1 


fusion  noire  et  blanche  des  notes,  les  tout-puissants  accords  et 
les  souveraines  mélodies.  Le  théâtre  de  sa  capitale  fut  l'une  des 
plus  illustres  scènes  de  l'Allemagne;  tous  les  chanteurs,  toutes 
les  canlatrices  eh  renom  étaient  engagés,  venaient  chanter,  les 
œuvres  de  Wagner,  et  lui  Louis,  au  fond  d'une  loge,  seul  dans 
toute  la  salle,  —  car,  fréquemment,  personne  n'élait  admis  à  ces 
représentations  dont  le  roi  se  réservait  j'alousement  la  joie,  —  il 
absorbait  par  tous  ses  sens,  nerveusement  et  délicieusement 
affmés',  l'ivresse  miraculeuse  des  sons  où  planaient  ses  rêveries 
avec  des  ailes  d'anj^es! 

Mondes  rappoHc' pourtant  l'épisode  célèbre  de  l'amour  de 
Louis  II  pour  l'impératrice  Eugénie. 

Celle  seule  chose,  —  après  quelques  années,  de  règne,  — ■  le 
détourna,  paraît-il,  de  sa  passion  unique;  la  musique,  dans  son 
âme,  faillit  avoir  une  rivale.  Ce  fut  quand  il  alla  à  Paris,  — 
l'étiquelte  royale  l'exigeait,  -^  pour  assister  aux  fêtes  d'inau- 
guration de  l'exposition  universelle.  Il  vit  la  reine  de  cette 
cour,  et  demeura  ébloui.  Blonde  et  si  blanche,  —  et  souve- 
raine d'un  immense  empire,  —  elle  lui  apparut  comme  un  être 
vague,  insaisissable,  différente  de  toutes  les  femmes!  Si  elle 
avait  été  l'âme  de  celles  qui,  par  la  familiarité  du  sang,  permet- 
tent l'approche,  autorisent  l'espoir,  il  l'aurait  à  peine  vue,  ou  se 
serait  détourné  d'elle  avec  dédain  ;  mais  même  pour  lui,  roi,  elle 
était  si  loin,  si  haut,  qu'elle  lui  semblait  idéale,  il  pouvait  la 
mêler  à  ses  chimères,  parce  qu'elle  leur  ressemblait;  et  à  cause 
de  l'impossibilité  d'être  aimé  d'elle,  il  en  devint  amoureux.  D'ail- 
leurs il  ne  conçut  même  pas  le  désir  de  demeurer  près  d'elle,  et, 
quand  il  ne  la  vil  plus,  de  la  revoir;  toute  proche,  elle  fut  deve- 
nue, elle  aussi,  la  réalité  maussade  ou  vile.  Ce  qu'il  aimait  d'elle, 
c'étail  la  pensée  qu'il  en  avait  gardée. 

Mais  bientôt  Louis  II  retourna  à  sa  passion  dominante.  Là  femme 
redevint  pour  lui  l'être  impur,  et  k  cette  aversion  se  mêla  peu 
à  pou  l'idée,  Je  désir  de  là  mort  qui  devait  mystérieusement  l'ab- 
sorber dans  l'inconnu   au  milieu  des  eaux  lorpides  du  lac  de 


S  ra  r  n  bc  rg .  ^__i__i_ii-.  J^ '■ — - -^. — ■- — '■ ^^ — "" 

Les  femmes,  pensait-il,  sont  le  péché  et  la  honte.  Celles  qui 
ordonnent  comme  celles  qui  supplient.  Infâmes,  toutes!  Le  sexe 
est  la  plaie  purulente  des  êtres.  Même  vivants,  les  corps  sont 
plein  de.  grouillements  de  vers.  Le  baiser  n'est  que  la  fleur  de  la 
pourriture!  Qu'elles  meurent  toutes,  celles  qui  veulent  qu'o^ 
aime!  Lui  aussi,  mourir...  sortir  do  la  vie,  secouer  toute  celle 
boue...  Mais  dans  l'agonie  même  l'ignominie  humaine  persiste. 
L'homme  crève  comme  un  animal.  Oh!  s'éteindre  comme  un 
dieu,  dans  la  joie  de  sentir  sa  chair  martyrisée,  dans  L'orgueil 
de  châtier  son  corps  coupable,  puis  .renaître,  libre  des  sales 
entraves,  parmi  les  puretés  impalpables  du  rêve,  —  flamme, 
lumière  esprit^   '  °.  . 

Ce  vœu  de  l'étrange  et  fantastique  rêveur  est  désormais  accom- 
pii.  Et  sa  mort  reste  d'accord  avec  sa  vie,  le  vulgaire  se  moque 
et  outrage.  Seuls  les  vrais  artistes  le  comprennent  el  le  pleurent. 


"■~\ 


■  wLB  CHRIST  DEVANT  PILATB 

Le  «  célèbre  tableau  »  de  Munkacsy,  comme  le  qualifient  les 
afiiches,  est  exposé  depuis  quelques  jours  à  la  vénération  de  la 
foule,  au  Palais  des  Beaux-Arts.  L'exhibition  ne  paraît  pas  ren- 
contrer la  faveur  publi(iue,  et  les  journaux  ne  se  gênent  pas 
pour  dire  tout  net  leur  façon  de  penser  sur  Tart  théâtral,  conven- 


-^ 


m 


tiohnel,  archi-fàux,  du  peintre  hongrois.  H  y  a  quelques  ann<?es, 
l'arrivée  à  Bruxelles  de  celle  grande  toile  eût  l'ait  pousser  des 
clameurs  laudalives.  La  campngne  que  nous  n'avons  cessé  de 
poursuivre  en  faveur  des  idées  nouvelles  comniencerail-elle  à 
porter  ses  fruits?  Il  va,  le  fait  ei?t  acquis,  un  revirement  signifi- 
catif de  l'opinion. 

Pous  nous,  nous  n'avons  rien  h  ajouter  h  l'article  que  nous 
avons  consaeré  à  la  grande  composition  de  M.  Munkaçsy  lors- 
qu'elle fut  exposée  pour  la  première  fois.  Celait  en  mai  1881,  h 
Paris,  dans  la  Galerie  Sedelmcver.  ^ 

Nous  disions  entre  autres  : 

«  Le  défaut  capital  du  Christ  devant  Pilate  est  que  la  com- 
position manque  d'unité.  Le  Christ  et  Pilate,  traités  avec  un  soin 
égal,  vêtus  de  blanc  tous  deux,  éclairés  avec  la  même  inlcnsilé, 
placés  au  même  plan,  se  partagent  l'intérêt.  Ils  sont  chacun  le 
centre  d'un  groupe,  disposé  avec  art,  mais  qui  forme  h  lui  sei  1 
un  tableau.  Ces  deux  groupes  sont  reliés  par  l'accusateur,  dont 
le  geste  un  peu  théâtral  attire  tout  d'abord  les  regards  ;  de  sorte 
que  ce  personnage,  amoureusement  caressé  par  l'arlisle  el  qui 
constitue  un  des  meilleurs  morceaux  de  l'œuvre,  devient  la  figure 
principale,  alors  que  le  Christ,  qui  logiquement  devrait  avant 
tout  fixer  l'attention,  passe  au  second  plan.  Ce  qui  contribue 
encore  à  amener  ce  résultat,  c'est  que  Jésus  n'a  en  lui-même  ni 
grandeur,  ni  résignation  ;  l'expression  du  visage  est  mal  définie  et 
manque  d'intérêt.  Chose  singulière,  c'est  de  toute  celle  immense 
toile  la  partie  la  moins  faite  :  il  n'y  a  dans  ce  corps  blanc,  posé 
sur  un  fond  noir,  ni  relief,  ni  modelé  :  c'est  une  figure  découpée, 
dans  une  feuille  de  carton  (*). 


lES  DROITS  D'AUTEl'R  AU  THÉIIBE  DE  LA  NOIAIË 

■  Les  journaux  de  Paris,  disait  dernièrement  V Indépendance,  ont 
parlé  d'un  dissentiment  qui  se  sérail  élevé  entre  MM..  Dupont 
et  Lapissida  el  la  Société  des  auteurs  dramatiques,  à  propos 
des  droits  d'auteurs.  Un  journal  avait  même  annoncé  à  ce  pro- 
pos que  la  Société  réclamait  des  nouveaux  directeurs  du  théâtre 
de  la  Monnaie  un  droit  fixe  de  300  francs  par  représentation. 
Cette  information  était  absolument  inexacte.  Il  n'en  est  pas 
moins  vrai  qu'on  a  discuté  assez  longuement  sur  les  conditions 
du  contrat  que  les  nouveaux  directeurs  avaient  h  signer  avec  la 
Société  des  auteurs  pour  s'assurer  le  répertoire  de  celle-ci.  Il  a 
été  convetHu  qu'au  système  des  droits  fixes  serait  substitué  le  sys- 
tème des  droits  proportionnels.  Ce  droit  proportionnel  avait  été 
d'abord  fixé  à  6  p.  %.  Mais,  sur  l'observation  de  M.  Dupont,  que 
la  situation  actuelle  du  théâtre  de  la  Monnaie  était  très  difficile,, 
des  concessions  ont  été  faites.  En  résumé,  après  délibération,  les 
directeurs  ont  signé  un  traité  de  trois  ans  qui  fixe  les  droits  d'au-' 
leur  à  4  l/!2  p.  «/ola  promière  année,  o  p.  «'/o  la  seconde  el  3  1,2 
p.  "/o  la  troisième  sur  la  recette  brute.  31.  Camille  Doucet,  repré- 
sentant de  la  Société,  a  insisté  sur  la  très  grande  bienveillance 
de  la  commission  pour  les  nouveaux  directeurs,  en  abaissant  â 
4  ^/2  p.  °/o  le  taux  proportionnel  qui  est  à  6  p.  "/o  dans  toutes 
les  villes  de  France.  Il  a  même  cité  comme  exemple  le  Grand- 
Théâtre  de  Lille,  qui,  actuellement  dans  une  situation  ditlicile, 
paie  6  p.  °/o  de  droits  d'auteur  et  est  de  plus  frappé  d'un  droit 
des  pauvres  considérable  qui  n'existe  pas  en  Belgique.  »         '- 


(*)  V.  l'Art  tnoderne, li^"  année,  1881,  p.  117. 


Ces  renseignements  ne  sauraient  avoir  de  signification  pour  le 
^  public  que  sKon  les  traduit  en  chiffres  et  si  on  les  compare  aa 
régime  antérieur. 

Voici  cette  opération  d'arithmétique  : 

Les  droits  d'auteur,  comme  nous  l'avons  dit  dans  nos  articles 
sur  la  matière,  ont  été  en  1884-1885  de  32,000  francs,  à  raison 
de  150  francs  en  moyenne  par  représentation. 

'Les  recettes  k  abonnements,  locations,  bureaux,  représenta- 
tions diverses,  avaient  atteint  682,767. 

Les  droits  d'auteur  représentaient  donc  pour  cette  année 
4.70  p.  o/o. 

Il  en  résulte  que  si  pour  la  première  année  de  MM.  Dupont  et 
Lapissida,  ils  n'étaient  que  de  4.50,  ces  messieurs  ne  gagneraient 
au  chinge  que  vingt  centimes  pour  cent!  Bénéfice  global  : 
1,300  francs!!  •  . 

L'année  suivante  ils  seraient  de  5  p.**/©.  Augmentation  de 
30  centimes.  Avec  ce  taux,  et  en  supp'^sunl  une  recette  analogue 
à  celle  de  1884-1885,  la  direction  aurait  à  payer  au  total  34,000 
francs,  soit  2,000  francs  de  plus. 

La  troisième  année,  à  5.50,  ce  serait  37,300,  soit  5,500  de 
plus.  .  . 

Elquandonarriveraitaux6p.  »/od'usage,cescrait4i,000  francs, 
soit  9,000  francs  de  plus. 

Ces  rcnsiMgnenifcnts  étaient  \nG\BCis.  L'Indépendante  \es  a 
rectifiés.  Elle  annonce  que  MM.  Dupont  el  Lapissida  n'ont  pas 
accepté  les  propositions.  Ils  insistent,  paraît-il,  pour  obtenir  une. 
nouvelle  réduction  sur  le  tanlième  par  représentation.  Ils  font 
observer  qu'un  droit  de  4  1/2  à  5  p.  c.  pour  de  vieux  ouvrages 
tels  (\i\e.le  Barbier,  par  exemple,  constitue  un  droit  très  élevé. 
Ils  ne  demandent  pas  mieux  que  de  payer  un  tantième  équitable 
pour  les'œuvres  nouvelles  qui  exercent  une  attraction  réelle  sur 
le  public.    ,  '  v"         ;     '    -     ^  •        : 

En  outre,  les  directeurs  de  la  Monnaie  désireraient  que  la 
Société  consentît  à  signer  un  contrat  de  trois,  six,  neuf,  afin  que 
les  conditions  ne  pussent  êire  aggravées  à  l'expiration  de  la  pre- 
mière période  de  leur  exploitation.  Le  chiffre  do  4  .p.  %  leur 
■  paraît  être  le  maximum  de  ce  que  la  Société  dos  auteurs  peut 
exiger  d'un  théâtre  qui  est,  après  tout,  un  théâtre  étranger  à  la 
France.      .      ^  _  - 

La  Société  n'a  pas,  jusqu'à  présent,  accepté  les  propositions 
de  MM.  Dupont  el  Lapissida.  >^ 

L'affaire  en  est  là. 

On  ne  peut  qu'engager  la  direction  à  maintenir  ses  réclama- 
lions.  Le  théâtre  a  besoin  d'être  aidé,  el  partout  ce  sont  des 
réductions  et  des  secours  qu'il  lui  faut. 


LE  CDEM1\  DE  FER  MÉTROPOLITAIN'  A  BRGIELLES 

On  piirle  de  grever  Bruxelles  d'un  chemin  de  i'er  mélropojitain. 

0  manie  de  l'imitation  quand  serons-nous  débarrassés  de  toi  ! 

Il  y  a  à  Bruxelles  en  tramways  tout  ce  qu'on  peut  désirer.  Quel 
besoin  d'établir  celle  nouvelle  concurrence? 

Mais  ce  qui  nous  touche  surtout,  c'est  que  cette  nouvelle  entre- 
prise menace  de  gâter  un  pou  plus  qu'il  ne  l'est  tJiéyà  notre  pay- 
sage urbain,  si  pittoresque,  si  plein  d'imprévu  si  on  eût  su  le 
respecter,  ,•  <       .     , 

Voici«ritinéraire  tel  qu'on  l'annonce  : 

La  ligne  prend  naissance  à  la  bifurcation  d"bsla  vallée  de  Josa- 


'  \ 


phat  {({[l'en  resle-l-il,  hélas!  de  celle  ravissante  reiraiie?),  sur  le 
cluMniii  (je  ceiiiliirc  ni*uxcIlcs-Nor(l. 

Kilo  passe  îi  ciel  ouveri  tj  iravers  les  lerrains  ï\  l)âtir  de  Sclurei'- 
\nH'k  \your  eiilrer  en  luiinel  sous  la  ciiaussée  de  Haechl,  au  carre- 
four des  rues  Hubens  elVerwce. 

Elle  suil,  ôiisoulerrain,  la  chaussée  de  Ilaechl,  la  rue  du  Méri- 
.  (lien  et  la  place  Quelclel  jusque  sous  le  bâlimenl  de  l'Observa-^ 
''  loire.  ■ .,-  ■.. 

Elle  passe,  h  ciel  ouveri,  sur  tout  le  parcours  du  jardin  de 
rOb>ervatoire  pour  continuer  en  tunnel  sous  la  rue  des  Cultes,  la 
place  de  là  Libérien  la  rue  de  rEnseignement,  la  place  de  Lou- 
vain,  la  rue  Hoyale,  la  place  Hoyale,  la  rue  de  la  Récjence,  la 
place  Poolaerl,  la  rue  des  Qualre-Bras  et  sous  l'avenue  Louise 
jiis(|u'îi  la  hauteur  de  la  rue  des  Pâquerettes. 

A  piirlir  de  cel  endroit,  la  liûtne  se  dirige  h  ciel  ouveri  sur 
Hoilsfort,  en  côtovant  le  bois  de  la  Cambre,  et  la  chaussée  de 
WatM'loo.  . 

A  l'inlerseclion  de  la  route  de  Boilsfort  et  de  l'avenue  des 
Gen  larmes,  la  ligne  plongcdans  la  forêt  de  Soignes  pourrepasser, 
en  viaduc,  sous  la  route  de  Boilsfort,  à  proximité  de  l'Hippo- 
drome, desserv'ir  le  hameau  de  Boeiulael  et  faire  sa  jonction  avec 
la  ligne  du  Luxembourg,  en  deç'a  de  la  slation  de  Boilsfort. 

In  branchemenl  desservant  Vivicr-d'Oie  se  détache  de  la  ligne 
décrite  h  l'endroit  où  celle-ci  plonge  dans  la  forêt  de  Soignes. 

Ain>i,  il  s'agit  :  de  déiruire  le  jardin  de  l'Observatoire,  cette 
oasis,  de  profaner  le  bois  de  la  Cambre  et  la  forêt  de  Soignes  par 
les  hideuses  balafres  des  remblais  et  des  tranchées. 

>'ous  prolestons  avec  énergie. 

Nous  espérons  que  M.  Buis,  qui  a  un  si  juste  sentiment  du 
rcppecl  dû  aux  choses  existâmes  él  qui  comprend. que  ce  qu'on 
petit  faire  de  nvieux  c'est  de  les  maintenir  en  les  accommodant 
de  manière  à  mieux  les  faire  saillir,  ne  donnera  pas  dans  le  pan- 
neau de  celle  ridicule  et  inutile  entreprise.  „ 

Qii'^»  améliore  ce  que  nous  avons,  qu'on  embellisse  les  voies 
aciuelk's  (jui  relient  la  ville  à  nos  charmants  environs,  qu'on  les 
nelloie  des  décombres  qui  les  salissenl,  qu'on  rende  plus  riants 
le;irs  abor.ls.  Mais  pour  l'amour  de  l'Art,  qu'on  nous  sauve  de 
celte  rage  de  transformations  industrielles  banales  et  bêlement 
.  g(''Omélii(iues.  ;■  .  . 


"Petite^  chrojmiquje: 


Les  Moines,  le  nouveau  volume  de  vers  de  noire  collaboraleur 
Emile  Verlnieien,  vient  de  paraître  chez  Alphonse  Lemerre, 
h  Paris.  Il  forme  un  volume  de  iOO  pages  in-12  et  est  dédié  au 
poêle  Georges  Kîmoptf. 

A  huitaine  le  compte-rendu ,:     , 


L'inaugural  ion  du  monument  élevé  îi  la  mémoire  d'Hippolyte 
Meldepehniiig.m  aura  lieu  aujourd'hui  dimanche,  à  onze  heures 
précises  du  matin,  dans  le  Square  du  Palais  de  Justice,  à 
Gand.  ; 

La  sla'ue  de  l'éminent  jurisconsulte  est  due  à  M.  Juliaan 
Dillens.  C'est,  dit-on,  une  œuvre  remarquable,  digne  du  jeune 
sculpteur  h  qui  elle  a  éié  confiée,  et  de  l'homme  dont  elle  per- 
pétue les  traits. 


VElanlilléraire,  la  revue  universitaire  liégeoise  dont  nous 
avons  eu  ï'o;'casion  de  parler  quelquefois,  fait  peau  neuve.  Sous 
lelilre:  /rt  IVaUOnie,  elle'  paraîl  eh  livraisons  mensuelles  de 
32  pages,  et  annonce  la  publication  de  plusieurs  dessins  hors 
lexie. 

Le  Comité  de  rédaction  est  composé,  de  MM.  Albert  Mockel, 
Gustave  Uahlenbeck,  Maurice  Siville.  Le  prix  d'abonnement  est 
d3  5  francs  par  an  pour  la  Belgique,  de  fr.  6-0O  pour  l'élranger. 
Les  bureaux  :  rue  Saint-Adalbert,  8,  à  Liège.  Toute  notre  sympa- 
thie est  acquise  à  la  Wallonie.  .        . 


Mariages  d'artistes  :  Le  i"""  juin,  M.  Jan  Toorop,  des  XX,  a 
épausé  îi  Kenley,  près  Londres,  M"*-' Anny  Hall.  Le  même  jour 
on  célébrait  l\  l'église  de  la  Chapelle,  à  Bruxelles,  le  mariage  de 
M.  Léon  Dubois,  de  V Union  des  jeunes  compositeurs,  avec 
M"*'  Siegerist.  On  annonce,  pour  le  30  juillet,  le  mariage  de 
M.  Ernest  Van  Dyck,  le  ténor  des  Concerls  Lamoureux  et  des  Con- 
cei-ts  populaires,  avec  M""  Augusla  Servais,  sœur  de  Franz  Ser- 
vais et  du  regretté  Josqih  Serv'ais 


Un  de  nos  confrères  parisiens,  le  Progrès  arlislique,  a  fart  le 
relevé  des  rues  de  Paris  auxquelles  l'édiliié  communale  a  donné 
.ou  conservé  les  noms  de  musiciens  célèbres.  Le  nombre  n'en  est 
pas  grand,  une  trentaine  tout  au  plus. 

Dans  le  IX»^  arrondissement,  les  rues  Auber,  Gluck,  Halévy, 
Meyerbeer,  situées  près  du  grand  Opéra  ;  la  rue  Rossini,  près  de 
l'emplacement  de  l'ancienne  salle  Le  Peletier,  et  la  rue  Choron, 
non  loin  du  marché  Maubeugc. 

'  Dans  le  II'-'  arroudissemenl,  quartier  de  la  Bourse,  les  rués  Ché- 
rubini,  TDalayrac,  Grétry,  Méhul,  Monsigny,  Rameau,  la  place 
Boieldieu  et  la  rue  Lulli. 

Dans  le  XVP  arrondissement,  les  rues  Mozart,  Berton,  Bellini, 
Berlioz,  Beethoven,  Cimarosa,  Donizelti,  Félicien  David,  Nicole, 
Pergo'.èse,  Piccini,  Spontini  et  Weber. 

Dans  le  l\^  arrondissement,  la  rue  Adolphe  Adam;  dans  le 
P":  arrjondissement,  la  rue  Hérold,  et  enfin  dans  le  quartier  de 
l'avenue  de  Villiers,  la  rue  Gounod. 

Dans  l'agglomération  bruxelloise,  pareille  recherche  donne 
également  un  résultat  peu  important. 

La  Ville  se  borne  h  honorer  par  des  désignalions  de  voies 
publiques  Grétry  et  les  auteurs  delà  Brabançonne  :  Van  Campen- 
hout  et  Jenneval. 

Saint-Josse-ten-Noode  a  sa  rue  de  Bériot,  Ixelles  sa  rue  Mali- 
bran,  Ellerbeek  sa  rue  Félis. 

Anderlecht  a  plus  généreusement  fait  unô  part  au  mérite  musi- 
cal. On  y  trouve  les  rues  Auber,  Gossec,  Gevaert,  Grisar,  Limnan- 
der  et  Rossini. 

En  somme,  les  noms  de  musiciens  sont  fort  peu  prodigués 
dans  l'agglomération.  Et  cepandant  la  liste  des  célébriiés  musi- 
cales fournil  aux  administrateurs  des  communes  une  belle  occa- 
sion de  rendre  hommage  au  talent  et  d'échapper  à  la  eorvée  de. 
chercher  des  noms  de  rues  dépourvus  de  signification  et  parfois 
assez  saugrenus. 

-  :  -  — ■  {Echo  musical.) 


Bruxelles.  —  Iiijp.  Félix  Çalle'A'aert  père.  —  V'  Monnom  successeur,  rue  de  l'Industrie,  26. 


,-'  j'y -.','?';'••  ■S.Srf-.l, ':r.'W  ;>«« 


ftÉPAUATIO?»  JUDICIAIRE 

Cour  d'appel,  séant  à  Bruxelles.  Chambre  des  appels 
de  police  correctionnelle.  ' 

En  cause  du  Ministère  public  et  i^  Hrlaine,  rue  ilo  Lancry.  22; 
2»  Bas.serp:au,  rue  Saint-Martin,  240;  ^^  LxTiuÉ,  rue  du  Crois- 
sant, 20;  4*^'  Tralix,  rue  du  Croissant,  5';  5°  Bruant,  rue  Fiat,  48; 
()«  Eveillard,  boulevard  Saint-Martin,  35;  Le  Bailly,  rue  Cardi- 
nale, G;  8^  Bigot,  rue  du  Temple,  157;  9'^' Berger  et  C'^,  rue*d"En- 
gbien,  47;  tous  à  Paris,  éditeurs  et  membres  de  l'Association  des 
éditeurs  de  musique;  dont  le  président  est  le  sieur  Le  Baiï:ly  et  le 
représentant  à  Bruxelles  le  sieur  Auguste  Herx,  gérant  de  la  maison 
Gra^z,  rue  de  la  Bourse,  2,  à  Bruxelles  —  parties  civiles. 

Appelants  et  intimés.  Le  Ministère  public  n'est  pas  appelant 
quant  au  riuatï^ièmc  prévemi  —  tous  x'cprésentés  par  Me  Duvivier, 
avoué,  à  Bruxelles.  •  ,; 

-  Gon'tre  : 

!«  Balencourt,  typographe;  2"^  Landucci,  commerçant-;  3"^  Lan- 
puGci,  éditeur;  4'*  Àvoxdstont,  typographe;  5*^  SMkestrrs,  impri- 
meur; 0°  Serp:s,  imprimeur;  7»  Sannes,  typographe;  tous  résidents 
à  Bruxelles,  intimés  et  les  l^r,  2^-,  3«,  ye,  6«,  7e  appelants, 

La  Cour  rend  l'arrêt  suivant  :  '       - 

Vu  l'appel  interjeté  par  les  parties  civiles;  vu  l'es  appels  interjetés 
le  24  octobre  1885,  par  les  2«,  3«.  5^  Ce,  7«  prévenus  et  le  28  du 
même  mois,  par  le  Ministère  public  et  par  le  premier  prévenu  du 
jugement  rendu  le  24  octobre  1885,  par  le  tribunal  de  1'"^  instance  de 
l'arrondissement  de  Bruxelles,  lequel,  jugeant  en  matière  de  police 
correctionnelle,  se  déclare  compétent,  condamne  lesdits  Balencourt, 

\  Landucci,  J.-J.,  Smèester.s,  Seres  cI.Sannes,  cliacun  à  20  francs 
d'amende  ;   Landucci,  J.-R.    et   Avondstont,   chacun    à   1(J   francs 

.  d'amende  ;.  les  condamne  chacun  à  un  septième  des  frais  envers  la 
partie  publique  liquidés  en  totalité  à  quinze  francs  soixante  centimes  ; 

Les  condamne  à  payer  à  la  partie  civile,  à  titre  de  dommages-inté- 
rêts :  "  •  .,  ,      '  ' 
1'^  Balencourt,  cent  francs; 

'2^'  Landucci  fils,  cinquante  francs;  "      >.      '     .'  .    .;       '     ,'     . 
3*^  Landucci  père,  cinquante  francs  ;      /  :      *"'  ,'. 

-  40  Avondstont,  vingt-cinq  francs;"  :•.■:'./    '■:.;" 

.  S'^  S.MEE.STERS,  cinquante  francs; 
G'^  SerivS,' cinquante  francs  ; 
~       7°  Sanne.-=:,  vingt-cinq  francs  ;    __I^ • 

Ordonne  l'insertion -du  présent  juirement  dans  un  journal  au  choix 
de  la  partto  civile  et  ce  dans  les  vingt-quatre- heures  do  la  significa- 
tion du  présent  juge,ment  ; 

Dit  que  les  frais  d'insertion  qui  ne  jiourront  d^^passer  la  somme  do 

trois   cents  francs,   seront    récupérables    contre  les  prévenus   sur 

.  simple  quittante,  dans  les  proportions  suivantes:   un  tiers  à  charge 

du  premier;  un  sixième  à  charge  du  deuxième  ;  un  sixième  à  cliargo- 

du  troisième;  un  douzième  à  charge  do  chacun  des  quatre  dorniers  ; 

Condamne   les  préveiuis,  chacun  dans  les  mêmes  proj)orti(nis.  aux 

.   frais  envers  la  partie  civile   taxés  à  vingt-un  francs  soixante-quinze 

centimes  ; 

Dit  qu  a  défaut  Je  paiement  dans  le  délai  légal  chaque  amende  de 
vingt-six  francs  pourra  être  remplacée  par  un  emprisonnement  de 
huit  jours  ;  celles  de  dix  francs  par  trois  jours  ; 

Ordonne,  en  outre,  la  confiscation  au  profil  de  la  partie  civile  de 
tous  les  exemplaires  saisis,  des  planches,  moules  ou  matrices  des 
objets  contrefaits  ;  ^^ 

Peur  avoir,  à  Bruxelles  ou  ailleurs  daus  l'arrondissement,  en  1885 
^ ou  antérieurement,  depuis  moins  île  trois  ans,  soit  édité,  soit  ilebite 
des  écrits  ou  autres  productions  imprimées  et  notamment  les  chan- 
sonnettes intitulées  :  Vcrsc-i>ioi  du  Jiourgof/ne,  Le  refrain  de 
Ni)u»i,  La  chanson  des  blés  d'or,  Les  cieu.r  étaient  bleus.  Le  jijur 
de  l'an  du  paurre.  Vendue,  Le  portrait  de  Marguerite,  Le  rossij>iul 
n'a  pas  encore  cha>ité,  Buvo)i^  à  la  gloire.  Le  vendu.  Le  facteur 
des  aniou)'s.  Je  vous  ai  vu  pleurer.  Cclina,  Les  pretnières  cerises. 
J'enterre  ma  vie  de  garçon.  Il  }ie  faut  pas  m'en  vouloir  pou)'  ';a. 
Viens  dans  ma  nacelle.  Le  Jupon  de  Madelo>i,  et  ce  au  méj)ris  des 
lois  et  règlements  relatifs  ù  la  propriété  des  auteurs. 

Oui  le  rapport  lait  ù  l'audience  publique  du  8  février  188G  par  M  le 
■  conseiller  du  Pont  ; 

Entendu  Me  Octave  Maus,  avocat,  pour  les  parties  civiles  et  vu 
ses  couclusious  prises  au  nom  de  ces  parties  ;  "- 


.    Entendu  M.  Laurent,  avocat  général,  en  ses  réquisitions  ;      ^ 

Entendu  les  prévenus  en  leurs  moyens  de  défense  présentés  tAnt 
par  eux-mêmes  que  par  l'organe  de  leurs  conseils  M*"-  î^ul7.her.o^:r 
pour  Balencourt;  >!«  Lerot  i)Our  Landucci  père  et  fils  Serres  et 
Sannes,  et  M''  Philippart  pour  tons  les  prévenus; 

Attendu, en  ce  qui  concerne  le  quatrième  prévenu,  que  la  Cour  n'est 
saisie  que  de  l'appel  de  la  partie  civile;  •  .      *.  ' 

Attendu  que  si  le  législateur  a  accordé  des.privilèges  aux  délits  de' 
presse,  c'est  uniquement  pour  éviter  que  la  liberté  dé  manifester  sa 
pensée  soit  illusoire  (Laurent,  page  28j  ;  que  les  délits  reprochés  aux 
prévenus  ne  se  rattachent  en  rien  rà  la  manifestation  de  la  pensée  et 
que  ce  serait  interpréter  illogiquement  l'art.  08 de  la  Constitution 
que  (le  décider  qu'il  protège  des  délits  purement  matériels  tels  que 
ceux  de  l'espèce  ; 

Attendu  que  le  dépôt  -le  plus  ancien  dont  il  est  argumenté  par  la 
partie  civile  est  le  dépôt  effectué  le  29  juill^87Û  pour  la  chanson 
intitulée  Vendue;        ' 

Qu'il  s<^it  des  termes  de  la  convention  du  7 janvier  18^jO  (Pasi- 
no/n/c  18G9.  page  5),  et-des  arrêtés  des  26  février  et  0  mars  suivants 
(idem.,  pages  30  et  41)  que  les  formalités  du- dépôt  et  de  Tenregis- 
trement  stipulées  par  les  art  3  et  6  de  la  convention  du  l'-""  mai  18G1 
ont  été  supprimées  le  7  janvier  1860; 

Que  c'est  donc  à  tort  que  Serres,  dans  ses  conclusions  prises 
devant  le  premier  juge,  invoque  l'art.  2  de  la  convention  du 
22  août  1852  remplacé  dans  la  suite  par"  l'art.  3  de  celle  du 
ier  mai  1861  ;  .  . 

Attendu  qu'il  résulte  des  dispositions  de  l'art.  3  de  la  convention 
conclue  le  31  octobre  1881  entre  la  Belgique  et  la  France,  convention 
approuvée  par  la  loi  du  13- mai  1882,  que  ce  n'est  que  lorsque  l'on 
veut  exercer  des  poursuites  contre  les  contrefacteurs  que  l'on  .do^t 
produire  un  certificat  légalisé  pour  justifier  du  droit'de  propriété; 
(t'où  il  suit  que  la  législation  peut  n'être  réclamée  que  postérieure- 
ment à  la  contrefaçon  dont  on  se  plaint  et  ne  doit  être  apposée  que 
sur  le  certificat  à  produire  en  justice  ;     , 

Attendu  qu'il' est  demeuré  établi  par  l'instruction  faite  devant  la 
Cour  que  dans  l'arrondissement  de  Bruxelles,  depuis  juin  1882,  les 
prévenus  ont,  le.'^  premier  et  deuxième,  édite, 'es  autres  débité  un. 
t;ertain  nombre  d'exemplaires  de  toutes  ou  partie  des  chansons  et 
chansonnettes  énumérées  au  jugement  a  quo  chansons  et  chanson- 
nettes'imprimées  au  mépris  des  lois  et  règlements"  relatifs  à  la  pro- 
priété des  auteurs;  :.      ■"  "■'■*'■'.-'■■-'"■::"■'::  -^r-'-'  ■'.:::. 

Attendu-  que  les  peines  prononcées  à  charge  des  six  prévenus 
appelants  sont  proportionnées  à  la  gravité  des  infractions  ; 

Que  les  dommages-intérêts  ont  ete  équitablemen't  appréciés  à 
l't'gard  des  sept  prévenus  ; 

Adoptant,  pour  le  surplus,  les  motifs  du  jugement  dont  appel  ; 

Vu  les  articles  de  lois  visés  au  jugement  et  l'art. '426  du  Code 
pénalde  1810  lu  par  M.  le  Présiilent, 

Par  ces  môtits  :  .       .       ;  '     , 

'     La  Cour,  c-cartaut  toutes  conchusians  contraires. 

Dit  n'y  avoir  lieu  à  s'occuper  quant  au  quatrième  jtréveuu  île  la 
partie  du  jugement  intervenue  sur  lan^quisition  du  Ministère  public  ; 
Confirme  le  jugement  pour  le  surplus;  .   ,! .. 

Autorise,  en  outre,  la  partie  civile  à  faire  in.sérer  une  f(.>ls  les 
motit">  et  le  dispositif  du  [U'ésent  arrêt  à  la  suite  de  la  décision  de 
preniii-ro  instiiii.'e  dans  un  journal  à  sou  choix  et  ce  aux  frais  des  six 
provenus  ap[^elant;  ; 

Dit  que  les  tVais  ilinsertion  pour  ce  qui  concerne  l'arrêt  ne  pour- 
riMit  dépasser  deux  cents  francs  et  qu'ils  seront  récupérables  sur 
sini[des  quittances  de  l'éditeur  du  journal  ; 

Dit  que  chacun  des -six  prévenus-  appelants  sera  tenu  de  ce  chef  à 
un  sixième  de  ces  frais  d'insertii.ni  ; 

Condamne  chacun  des  six  jn-^venus  appelants  à  un  septième  de- 
t'rais  d"ap[)el  vis-à-vis  de  la  ['ariie  publique  et  vis-à-vis  île  la  {.'artio 
civile  ;     ■ 

C 'udanine  cette  derni'H'e  au  septième  restant  des  frais  engendres 
par'  Sou  ap['el; 

.  Mot  le  ^eptii^iue  restant  des  frais  île  la  [)artie  publique  à  charge  île 
l'Etat.  Les  t'rai-  d'api>el  vis  a-vis  de  la  partie  publi(iue  liquides  ù  la 
souinio  do  on/o  francs  <e[!tau.te-six  centimes. 

Ainsi  jugo  et  priju'jnco  eu  uudieuctî  publique  le  0  février  188^3, 
Présidence  de  M.  Joly. 


^' 


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par  la  maison  Veuve  Monnoçi,  à  Bruxelles.  Prix  en  souscription, 
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Il  sera  tiré  quelques  exemplaires  sur  grand  papier  de  Hollande, 
qui  ne  seront  pas  mis  dans  le  commerce.  Le  prix  en  est  provisoire- 
ment fixé  à  5  francs  pour  ceux  qui  enverront,  avant  le  l^r  juillet, 
leur  souscription  à  l'imprimeur:.  Veuve  Monnom,  26,  rue  de  l'In- 
dustrie, Bruxelles. 


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de  TABLEAUX  MODERNES  surtout  do  maîtres  belges  :  Vjvn 
ScHENDEL,  Emile  Levy,  Bossuet,  Bakalowicz,  H.  Bellis,  Gabriel, 
Impens,  Van  Moer,  Euphrosine  Beernaert,  I.  Verheyden,  Gara- 
bain,  Coosemans,  une  œuvre  importante  d'un  ancien  maître  bruxel- 
lois :  Brick  (Vue  de  Bruxelles),  Gust.  De  Jônghe,  Courbet,  Léon 
Herbo,  Alb.  De  Vriendt,  Jul  De Vriendt,  Meerts,  Diaz,Walckiers, 
WouTERMAERTENS,  EuGÈNE  Verboeckhoven,  Wiertz  et  quclqucs 
tableaux  anciens,  entre  autres  un  très  beau  BREUonELrDE  Velours, 
une  œuvré  capitale  d'OTTO  Venius,  et  des  productions  de  Sciioe- 
vaerdts,  Rottenhamer,  Bonnington,  Vangoyen,  Teniers,  Thomas 
De  Keyser,  Gérard  de  Lairesse,  etc. 

Exposition  les  deux  jours  qui  précèdent  la  vente. 


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DE  SWERT,  Jules  Sérénade  de  l'opéra  :  Les  Albigeois.  Tran- 
scription pour  violoncelle,  avec  accomp.  de  piano,  fr.  2.00. 

BORIS  SCHEEL.  Op.  155.  Trois  mélodies  pour  chant,  avec 
accomp.  de  violoncellç^  (ou  violon)  et  piano.  Paroles  françaises  et 
anglaises  :  N^  1  Venez  tna  mie.  Sérénade.  (Arise,  beloved),  fr.  1.35; 
no  2  Pour  l'absent.  (To  my  absent  love),  fr.  1,75;  u»  3.  Chant 
d^amour  (Love  song),  fr.  1.75. 

ERMEL,  A.  Op   40.  Scherzetto,  pour  piano,  fr,  2.50. 

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EXTRAIT  DES  NOUVEAUTÉS 

Avril  1886. 

École  de  piano  du  Conservatoire  royal  de  Bruxelles,  Liv.  XXVI. 
Clementi,  2  sonates,  fr.  5-00.  Liv.  XXXII.  Gah,  I,  Field,  5  Noc-* 
turnes,  fr,  5-00.  Cah.  II,  Concerto  en,mi-b.,  fr.  5  00. 

Erb,  m,  J,  Tableaux  et  légendes  d'Alsace,  5  more,  de  piano,  fr,  4-70. 

FoRSTER,  A.  Op.  96,  Huit  more,  de  piano  pour  la  jeunesse,  fr.  2-50. 
Op.  97.  Pour  la  jeunesse,  6  more.  fac.  à  4  mains,  4-10. 

Gade,  N.  W.  Les  Croisés.  Partition  de  piano,  fr.  5-00. 

HoFMANN,  H.  Op.  78,  Dans  la  cour  du  château,  suite  p  orch.  Parti- 
tion, 17-50.  Parties,  26-25.  Op.  79,  Légende  de  la  forêt.  8  more, 
pour  piano  à  4  mains.  Gah.  I,  fr.  4-70.  Cah.  II,  fr,  5-35. 

Lemmens,  F.  N.  Œuvres  inéd.  Tome  3«.  Messes  et  Motets,  fr.  15-00. 

NicoDÉ,  J.  L.  Op.  29.  Tableaux  du  Midi,  6  more,  p.  piano  à  4  m. 
Gah.  I,  fr.  3-75.  Gah.  II,  fr.  3  45.  Gah.  III,  fr.  4  10.  , 


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Sixième  année.  —  N°  26. 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  27   Juin  1886. 


MODERNE 


"Sf: 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,  un   an,  fr.  10.00;  Union  postale,   fr.    13.00.    —  ANNONCES  :    On   traite   à  forfait. 

Adresser  les  demandes  d'ahonnement  et  toutes  les  communications  à 

l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


^OMMÀIRE 


Les  Vingtistes  parisiens.  —  Les  Caxtilènes,  par  Jean  Moréas. 
—  L'Opéra  de  Berlin.  —  Pantomimes  et  pantalonnades.  Paul 
MartincUi  Charles  Lauri.  —  Concours  du.  Conservatoire.  — 
Petite  chronique.  -  .        :,         '   V ,     ;  .* 


LES  VIXGTISTES  PARISIENS 


Au  début  de  nos  articles  sur  le  Salon  de  Paris,  nous 
disions  :  "  Ce  n'est  pas  sous  les  vitres  du  Palais  des 
Champs-Elysées  que  crépite  la  mousquetterie.  On  n'é- 
tire qu'à  blanc,  comme  dans  la  plaine  de  Ten-Bosch  les 
gardes  civiques  de  Bruxelles  et  de  ses  faubourgs  ". 

Il  y  a,  en  effet,  à  Paris,  loin  de  cette  esplanade  de 
parade  qu'on  nomme  le  Salon,  un  champ  de  bataille  où 
l'on  mitraille  l'esthétique  bourgeoise,  où  l'on  sabre  les 
conventions  académiques,  et  le  drapeau  qu'agitent  les 
victorieux  ressemble  fort  à  celui  que  certain  groupe 
d'artistes  bruxellois,  pas  mal  bousculés  à  l'origine, 
aujourd'hui  certains  du  triomphe,  ont  audacieusemeiit 
.déployé. 

Là-bas,  comme  ici,  il  signifie  :  affranchissement  de 
l'art  à  l'égard  des  formules  dans  lesquelles  on  l'empri- 
sonne ;  expression  sincère  d'une  émotion  ressentie  ; 
dédain  des  petits  moyens  par  lesquels  on  séduit  les 
foules;  indifférence  absolue  au  sujet  des  distinctions 
par  lesquelles  on  classe  les  artistes,  comme  les'ôommis 
dans  les  ministères.  '   ,  ,; 

A  Paris,  on  a  baptisé  Impressionnistes  ceux  que  ce 
drapeau  a  ralliés.  A  Bruxelles,  on  les  nomme  Vingtistes. 


I 


Et  ce  double  néologisme  sonne  comme  un  appel  de  clairon 
aux  oreilles  des  timorés. 

Le  symbole  du  drapeau  nettement  précisé,  passons  la 
revue. 

Dix-sept  exposants,  campés  durant  un  mois  rue  Laf- 
fitte,  à  l'angle  du  boulevard  des  Italiens,  au  2®  étage. 
Trois  de  plus  :  MM.  Claude  Monet,  Renoir  et  Caille- 
botte,  par  exemple,  qui  ont  pris  part  jadis  aux  bagarres: 
de  la  rue  Le  Peletier  et  de  l'avenue  de  l'Opéra,  et  les 
forces  mises  en  ligne  eussent  été  identiques,  numéri- 
quement, à  celles  qui  bataillent  à  Bruxelles  pour  les 
mêmes  principes. 

Parmi  ces  dix-sept  exposants,  quelques  noif  valeurs. 

Même  méthode  de  placement  qu'au  Palais  des  Beaux- 
Arts  :  à  chaque  artiste  un  panneau  distinct,  dans  lequel 
il  dispose  ses  œuvres,  en  nombre  illimité,  selon  sa  fan- 
taisie. Ce  n'est  pas  l'aspect  décoratif  des  salles  qu'on 
recherche,  cet  idéal  de  tous  les  jurys  officiels  :  la  symé- 
trie, les  pendants  savamment  équilibrés.  Seul  le  désir 
de  mettre  chaque  toile  dans  son  jour,  à  la  hauteur  qui 
lui  convient,  guide  les  exposants. 
'  ••  L'iinpression  que  dégage  une  exposition  ainsi,  com- 
prise est  réconfortante.  On  se  sent  dans  un  milieu  d'art, 
à  mille  lieues  des  banalités  érigées  en  dogmes  par  les 
commissions  officielles. 

Le  local  n'est  pas  grand.  Qu'importe  ?  Il  fauf%fimper 
deux  étages  pour  y  arriver.  Tant  mieux  î  Cela  éloigne 
les  bourgeois.  Il  n'y  a  ni  tentures,  ni  plantes  vertes 
endormies  dans  des  cache-pots.  Tant  mieux  encore! 
Toute  l'attention  est  dirigée  sur  les  œuvres. 


c 


•^T 


202 


V ART  MODERNE 


_    Et  maintenant,  les  exposants.  -      "  ,  V 

Celui  dont  le  nom  vient  le  premier  sur  les  lèvres,  lô 
plus  ancien  et  aussi  le  plus  fort,  c'est  Degas.  Un  maître, 
dans  toute  la  splendeur  du  terme.  Nous  avons  maintes 
fois  dit  ici  l'admiration  que  nous  éprouvons  à  l'égard  de 
son  art.  hautain,  dépouillé  de  tous  les  artifices  par  les- 
quels  on  conquiert  une  renommée  populaire,  —  cette 
gloire  en  gros  sous.  - 

L'atelier  de  la  rue  Fontaine,  hermétiquement  clos, 
entouré  de  mystères  que  la  légende  grossit,  a,  par 
exception,  entrebâillé  sa  porte.  Et  le  public  parisien  a 
pu  voir,  rue  Lafîitte,  une  partie  de  l'œuvre  déconcor- 
tante*  d'une  réalité  cruelle,  amèrement  évocative,  que 
le  peintre  consacre  à  la  femme.  Ce  ne  sont  plus  les 
coulissesXdont  M.  Degas  scrute  les  promiscuités  inat- 
tendues./Ce  n'est  plus  la  grâce  pimentée  des  filles 
d'opérar^nvéloppées  de  tarlatane  qu'il  décrit.  Les  ate-. 
liers  de  modes,  dont  il  a  dessiné  d'un  crayon  impec- 
cable la  population  malingre,  perverse,  usée  à  vingt 
ans  sous  le  double  coup  de  lime  du  travail  et  du  plaisir, 
sont  déjà  loin  de  nous.  Son  implacable  scalpel  s'en- 
fonce davantage.  Ce  qu'il  exprime  aujourd'hui,  c'est  la 
femme  dévêtue,  dans  sa  simplicité  animale,  non  la 
femme  dont  la  nudité  triomphante  sait  à  point  cambrer 
une  hanche,  lever  un  bras  pour  faire  saillir  la  gorge, 
trouver  l'attitude  propre  à  faire  valoir  l'élégance  du 
torse  ou  la  rondeur  de  la  cuisse  ;  uniquement  le  préoc- 
cupe la  femmequi  se  croit  seule,  absolument  seule,  et 
qui,  dépouillant  toute  coquetterie,  s'abandonne  sans 
arrière- pensée,  naïvement,  naturellement,  comme  un 
jeune  chat,  aux  soins  de  sa  toilette,  aux  ablutions  dans 
la  fraîcheur  du  tub,  aux  frictions,  aux  lénifiantes 
caresses  de  l'eau.    !  -  .  • 

Cette  très  sincère  expression  de  la  réalité,  où  l'on  a 
bien  à  tort  cru  voir  une  satire»  est  intitulée  :  Suite  de 
niids  de  femmes  se  baignant,  se  lavant,  se  séchant, 
se  peignant  ou  se  faisant  peigner. 

Ce  sont  ces  morceaux,  a  très  justement  dit  dans  7a 
Justice  M.  Gustave  Gefîroy,  qui  peuvent  donner  aux 
regards  surpris  l'idée  la  plus  exacte  et  la  plus  haute  de 
ce  grand  talent  qui  se  laisse  mal  approcher.  Il  y  aura 
surprise  pour  les  yeux  habitués  aux  chairs  en  bois,  en 
sucre,  en  mousse  de. savon,  en  albâtre,  en  nacre  rose, 
aux  chairs  ratissées,  blanchies,  rosées,  soufflées,  aux 
chairs  selon  la  formule  académique  ou  mondaine  qui 
encombrent  les  cimaises  des  Salons  et  des  expositions 
gracieuses.  Mais  si  c'est  un  esprit  loyal  qui  force  à 
regarder  ces  yeux  ,d'abord  offusqués  par  les  attitudes 
et  les  colwations,  un  revirement  se  fera  bien  vite,  et  la 
sincérité  et  la  vérité  apparaîtront.  Sans  qu'il  soit 
besoin  de  recourir  à  des  précédents  artistiques,  sans 
que  la  Bethsabée  de  Rembrandt  soit  citée  a  l'appui,  on 
se  figurera  aisément  le  peintre  en  face  de  réalités  de 
cette  nature  et  s'eflorçant  à  les  transcrire  par  les  signes 


visibles  du  dessin  et  de  la  couleur.  C'est  bien  la  femme 
qui  est  là  en  ces  six  postures,  mais  la  femnle  sans  l'ex- 
pressi(m  du  visage,  sans  le  jeu  de  l'œil,  sans  le  décor 
trompe-l'œil  de  la  toilette,  la  femme  réduite  à  la  gesti- 
culation de  ses  membres,  à  l'aspect  de  son  corps,  la 
femme  considérée  en  femelle,  exprimée  dans  sa  seule 
animalité,  comme  s'il  s'était  agi  d'un  traité  de  zoologie 
réclamant  une  illustration  supérieure. 

L'artiste  a  voulu  peindre  la  femme  telle  qu'on  la 
verrait,  cachée  par  un  rideau,  ou  par  le  trou  d'une 
serrure.  C'r^st  ainsi  qu'il  est  parvenu  à  la  voir  se  bais- 
sant, se  redressant  dans  son  tub,  les  pieds  rougis  par 
l'eau,  «'épongeant  la  nuque,  se  levant  sur  ses  courtes 
jambes  massives,  tendant  les  bras  pour  remettre  sa 
chemise,  s'essuyant,  à  genoux,  avec  une  serviette, 
debout,  la  tète  basse  et  la  croupe  tendue,  ou  renversée 
sur  le  côté.  Il  l'a  vue,  à  hauteur  du  sol,  près  des  marbres 
encombrés  de  ciseaux,  de  brosses,  de  peignes,  de  faux 
cheveux,  —  et  il  n'a  rien  dissimulé  de  ses  allures  de 
batracien,  du  mûrissement  de  ses  seins,  de  la  lourdeur 
de  ses  parties  basses,  des  flexions  torses  de  ses  jambes, 
de  la  longueur  de  ses  bras,  des  apparitions  stupéfiantes 
des  ventres,  des  genoux  et  des  pieds  dans  des  raccourcis 
inattendus.  C'est  ainsi  qu'il  a  écrit  ce  navrant  et  lamen- 
table poème  de  la  chair,  en  artiste  épris  des  grandes 
lignes  qui  enveloppent  une  figure  depuis  la  chevelure 
jusqu'à  l'orteil,  en  savant  qui  connaît  la  place  des  os, 
le  jeu  des  muscles,  les  crispations  des  nerfs,  les  mar- 
brures et  l'épaisseur  de  la  peau. 

Les  Petites  modistes  et  \3l.  Fem7ne  essayant  un 
chapeau  chez 'sa  modiste  appartiennent  à  un  cycle 
antérieur,  à  la  série  deyiteliers  dont  nous  parlions  plus 
haut  Elles  éveillent,  eiïSa  simplicité  de  leur  dessin, 
l'idée  de  quelque  intaiile  nettement  découpée  à  la  pointe 
d'un  burin  et  typant  d'une  façon  définitive  un  coin 
d'humanité. 

Enfin,  \q  portrait  du  peintre  Zakarian,  œil  fier, 
moustache  relevée,  visage  énergique,  main  nerveuse, 
affirme  la  pénétration  et  la  puissance  d'évocation  du 
maître-peintre.  - 

Miss  Mary  Cassatt,  dont  l'éducation  artistique  est 
dirigée  par  Degas,  a  de  réelles  et  sérieuses  qualités  de 
coloriste  qui  la  font  hautement  apprécier  des  artistes 
parisiens.  Son  art  n'a  heureusement  pas  encore  pénétré 
dans  le  public.  On  ne  peut  lui  reprocher  aucune  des 
petites  lâchetés  qui  entraînent  petit  à  petit  les  mieux 
doués  vers  les  succès  faciles.  M"*'  Cassatt  peint  ce 
qu'elle  voit,  et  comme  elle  le  sent.  Les  six  peintures 
à  l'huile  et  le  pastel  qu'elle  expose  cette  année  sont  des 
figures  étudiées  en  plein  air  ou  à  l'angle  d'une  fenêtre, 
sous  la  lumière  franche  et  claire  du  jour.  Aucun  esca- 
motage d'effet  dans  cette  peinture  robuste,  qui  ne 
trahit  point  l'hésitation  d'une  main  féminine.  Aucune 
difficulté  de  dessin  ou  de  couleur  éludée.  Une  persôn- 


I  "- 


nalité,  certes,  accusée  spécialement  dans  la  tr^s  sédui- 
sante étude  qui  montré  une  jeune  fille  en  chemise, 
dans  le  désordre  du  cabinet  de  toilette,  tordant  sur  sa 
nuque  sa  chevelure  blonde,  d'un  geste  simple  et  vrai. 
La  Jeune  fille  à  la  fenêtre  ei  la  Jeune  fille  au  jardin, 
l'une  coiffée  d'un  chapeau  rose  que  traverse  et  illumine 
un  rayon  de  soleil,  l'autre  épanouie  parmi  les  géra- 
niums et  l'éclat  des  verdures  d'été,  ont  une  séduction 
rare. .  -  .•.'.,.■  -:■'  ■-     '  -.  '  ■  ■ 

«  En  quel  temps  vivons-nous  donc,  • — nous  citons 
encore  M.  Geffroy,  —  pour  qu'une  exposition  sembla- 
ble, ajoutée  à  l'exposition  faite  en  1881,  n'arrête  pas.  la 
critique,  ne  fasse  pas  venir  la  foule,  ne  désigne  pas 
définitivement  M"<^  Mary  Cassatt  comme  l'artiste  distin- 
guée et  savante  qu'elle  est  déjà  pour  quelques-uns?  » 

Avec  plus  de  féminilité,  mais  peut-être  avec  le  sens 
moins  exact  des  colorations.  M'"®  Berthe  Morisot  a 
pris  rang  à  côté  de  l'artiste  américaine.  On  croit  voir 
revivre  dans  ses  toiles  délicatement  composées,  peintes 
d'une  main  souple,  dans  ses  aquarelles  aux  tonalités 
d'opale,  dans  ses  éventails  clairs,  soyeux,  nacrés,  l'art 
raffiné  et  discret  d'Eva  Gonzalès.  La  jeune  femme 
qu'elle  montre,  arrachée  à  la'tiédeur  du  lit,  dans  les 
blancheurs  flottantes  de  la  chemise,  cherchant  du  pied 
ses  mules,  a  la  grâce  mignarde  d'un  dessin  du 
XVIII®  siècle.  Quelle  séduction  dans  la  jeune  fille  au 
bain,  dont  les  chairs  humides,  resplendissent  sur  un 
fond  rose!  Et  quelle  candeur  ingénue  dans  Xa  Jeune  file 
sur  Vherhe,  jolie  comme  une  figure  de  Greuze,  ouvrant 
dans  l'ombre  de  son  chapeau  de  paille  de  grand  yeux 
doux  !  La  petite  servante,  un  Paysage  à  Nice,  con- 
stellé d  oranaes,  des  Roses  trémières,  des  Portraits, 
le  Jardin  à  Bougival,  montrent  la  variété  d'un  tem- 
pérament qui  ne  redoute  point  les  difficultés  du  métier 
et  qui  porte  la  marque  d'une  réelle  aristocratie  de  sen- 
timents et  de  goût.  . 

Artiste  inégal,  glissant  souvent  sur  la  pente  de 
l'illustration  anecdotique,  comme  dans  sa  Place  de  la 
Concorde  et  son  SoiLvenir  de  Chantilly,  M.'  J.-L.  Fo- 
rain arrive  fréquemment,  quand  il  étudie  sur  le  vif 
nos  mœurs  élégantes  et  vicieuses,  à  donner  à  ses 
œuvres  une  saveur  particulière.  C'est  le  poète  de  la 
corruption  en  habit  noir,  du  dandysme  des  boudoirs, 
de  la  haute  vie  masquant  les  vides  du  cœur.  Déjà  notts 
avons  signalé  le  Buffet  et  le  Veuf  relégués  l'un  et 
l'autre  dans  les  combles  du  Salon,  ce  v.iste  magasin 
d'images,  oti  l'artiste,  fiuite  de  mieux,  les  exposa 
naguère.  A  remarquer  rue  Latïitte  :1a  Femme  fumant 
une  cigaretteyXvi  Femme  respiiroit  des  ffeu/'s,\a 
Jeune  fdle  au  bal.  Un  coin  à  V Opéra,  Pompier  dans 
les  coulisses  de  VOpéra,  et  aussi  :  le  Portrait  de 
Jacques  Blanche,  un  peu  chargé,  mais  somme  toute 
ressemblant,  et  le  grand  Port)'ait  de  lU'""-"  W. . . 

Nous  ne  parlerons  pas  ici  de  MM.  Odilon  Redon  et 


Frédéric  Zandomeneghi.  On  a  pu  étudier  récemment, 
au  Salon  dos  XX,  l'art  étrangement  suggestif  de  Tun, 
de  l'autre  l'habileté  à  croquer  prestement,  dans  le  va- 
et-vient  des  cafés  et  le  vacarme  des  rues,  les  silhouettes 
fugaces  de  Texistence  parisienne.  M:  Redon  n'expose 
pas  moins  de  quinze  dessins,  parmi  lesquels  il  en  est 
plusieurs  de  premier  ordre,  tels  que  :  Béatrix,  Fin- 
telligence,  Im  désespérance.  Profil  de  Iwnière, 
M  Zandomeneghi  aligne  quatre  peintures  à  l'huile  et 
huit  pastels.  Signalons  particuUèrement  la  ,  Jeune 
femme  à  sa  toilette,  épongeant  attentivement,  avec 
une  quasi-dévotion,  devant  une  èuv^elle  de  marbre, 
le  gloire  délicatement  modelé  de  sa  gorge,  et' aussi 
V Enfant  faisant  chauffer  sa  chemise,  le  Jeune 
homme  au  pnano,  la  Jeuyie  femme  nue,  accroupie 
devant  la  flambée  du  foyer. 

Quelques  paysagistes  complètent  ce  remarquable 
ensemble.  Eh  premier  lieu,  citons  M.  Camille  Pissarro, 
l'un  des  rares  artistes  que  n'a  pas  infectés  la  formule 
qui  englobe  depuis  un  demi -siècle  les  soi-disants 
chantres  des  plaines,  des  rivières  et  des  bois. 

M.  Pissarro  affectionne  les  coteaux  baignés  de  soleii, 
les  horizons  étendus,  la  campagne  féconde,  riche  de 
blés  mûrs,  de  vignes,  d'herbages  où  paît  le  bétail.  Il 
garde  à  travers  l'affadissement  du  paysage  moderne, 

—  un  instant. traité  avec  la  dignité  à  laquelle  il  a  droit, 
aujourd'hui  défiguré,  arrangé,  composé,  malmené 
compie  un  simple  tableau  d'histoire,  —  la  vision  per- 
sonnelle, intense,  émue,  qui  l'a  placé  depuis  longtemps, 
à  coté  de  Claude  Monet,  parmi  les  maîtres  du  genre. 

Son  fils  Lucien  débute  cette  année  par  quelques  pein- 
tures et  aquarelles  intéressantes, et  par  une  curieuse  série 
de  gravures  sur  bois,  d'une  naïveté  primitive  attirante. 

Autre  début  :  M.  Signac.  Il  est  difficile  de  discuter 
dès  à  présent  l'avenir  du  jeune  peintre  qui,  dans  cer- 
taines toiles,  les  Gazomètres  de  Clichy,  j)slv  exemple, 
et  Icc  Berge  dWsnieres,  affirme  des  qualités  d'observa- 
tion peu  communes,  mais  dont  les  Modistes  de  la  /ve 
du  Caire,  d'une  tonalité  crue,  dure,  sèche,  et  telles 
toiles  bâclées  à  la  diable,  ou  trop  visiblement  imitées, 

—  motif,  couleur,  mise  en  cadre  et  facture, —  de  Claude 
Monet,  n'annoncent  rien  qui  vaille. 

L'envoi  de  M.  Armand  Guillaumin  aurait  saoné, 
semble-t-il,  à  être  plus  restreint.  Quelques-uns  des 
sites  de  Damiette,  que  l'artiste  reproduit  avec  une  fer- 
veur attendrie,  sont  heureusement  rendus.  D'autres 
pèchent  par  absence  de  plans,  par  la  sécheresse  et  la 
crudité  du  ton,  particulièrement  du  vert,  ou  par  uiu? 
exécution  pénible  et  fatiguée. 

M.  Paul  Gauguin,  un  nouveau  venu,  crovons-nou>, 
parmi  les  Impressionnistes,  marche  dans  la  voie  du 
précédent.  A  examiner  l'Eglise,  le  Parc,  le  Château, 
peints  avec  fermeté.  Mais  les  Vaches  au  repos!  Mais 
li\  Vache  dans  Te  au  a 


.  ! 


Enfin,  pour  terminer  le  défila,  un  original  aut-our 
duquel,  en  cette  exposition  intransigeante,  les  intran- 
sigeants eux-mêmes  livrent  bataille,  les  uns  exaltant 
outre' mesure,  les  autres  critiquant  sans  ménagement. 
Ce  messie  d'un  art  nouveau, ou  ce  mystificateur  à  froid, 
c'est  M.Georges  Seurat.  Une  personnalité,  assurément, 
mais  de  quelle  sorte?  A  ne  le  juger  que  par  l'immense 
toile  qu'il  intitule  :  Un  dimanche  à  la  Grandè-Jatte 
en  i 854,  montrant,  sous  la  verdure  des  arbres,  les 
berges  de  la  Seine  encombrées  d'une  infinité  de  person- 
nages de  grandeur  naturelle,  assis,  debout,  se  prome- 
nant, causant,  dormant,  j<)ij^nt  du  cor,  péchant  à  la 
ligne,  oii  pourrait  ne  pas  le  prendre  au  sérieux.  Les 
figures  sont  en  bois,  naïvement  sculptées  au  tour 
comme  les  petits  soldats  qui  nous  viennent  d'Alle- 
niagne  en  des  boîtes  d'esquilles  de  sapin  qui  sentent 
bon  la  résine,  et  qu'on  fait  manœuvrer  sur  un  appareil 
de  lattes,  peintes  en  rouge,  ingénieusement  chevillées. 

La  composition  a  un  aspect  géométrique.  Peinte 
d'un  bout  à  l'autre  à  petits  coups  de  pinceaux  d'égale 
dimension,  sorte  de  pointillé  minuscule,  on  la  croirait 
brodée  sur  canevas  au  moyen  de  laines  de  couleurs,  ou 
tissée  ainsi  qu'une  toile  de  haute-lice.  A  Bruxelles,  la 
Grande-Jatte  ferait  scandale.  Il  y  aurait,  si  elle  était 
exposée,  des  cas  subits  d'aliénation  mentale  et  des  apo- 
plexies foudroyantes  (*).  Et  pourtant,  même  dans  cette 
toile  déconcertante,  quelle  profondeur,  quelle  exacti- 
tude d'atmosphère,  quel  rayonnement  de  lumière! 

Une  mystification  ?  Nous  ne  le  pensons  pas.  Quelqnes 
.  paysages,  peints  au  moyen  du  même  procédé  :  le  Fort 
Sanisoyi,  le  Bec  du  Hoc,  la  Rade  de  Grand- Camp, 
où  passe  sur  une  mer  d'azur  une  blanche  envolée  de 
yachts,  et  la  Seine  à  Courbevoie,  révèlent  une  nature 
artistique  singulièrement  apte  à  décomposer  les  phéno- 
mènes de  la  lumière,  à  en  pénétrer  le  prisme,  à  en 
exprimer,  par  des  moyens  simples  mais  savamment 
combinés,  les  efi'ets  les  plus  compliqués  et  les  plus 
intenses.  Nous  prenons  M.  Georges  Seurat  pour  un 
peintre  sincère,  réfléchi,  observateur,  que  l'avenir  clas- 
sera. 

Nous  terminons  ici  cette  revue  rapide  des  Vingtistes 
parisiens,  —  qui  ne  sont  que  dix-sept,  dirait  quelque 
imbécile.  Nous  n'avons  examiné  que  ceux  qui  sortent 
des  cheminfï  battus  et  constituent  le  réel  intérêt  du 
Salon  de  la  rue  Laiîitte. 

Nous  laissons  au  public,  qui  n'aime  pas  ces  auda- 
cieuses initiatives,  le  loisir  de  se  consoler  à  la  vue  des 
œuvres  sages,  routinières  et  vieillottes  de  MM.  Rouart, 
Schuffenecker,  Tillot,  Vignon,  et  de  M"™®  Marie  Brac- 
quemond.  ■ 


.  ( 


(*)  Donc,  mon  cher  Maus,  il  faut  l'exposer  aux  XX,  l'an  prochain. 
—  Note  du  correcteur.  Ed.  P. 


•  ■"'■■■■■.■>■ 

JiE^  j!3antilène3  . 

par  Jean  MoRiÎAS. —  Paris,  Léon  Vànier. 

On  s'est  d(^jà  beaucoup  moqué  do  M.  Moréas  et  de  sa  mousiachc 
en  pointe  d'yatagàn  et  de,  sa  phrase  :   «  Je  suis  un  Baudelaire 
avec  plus  de  couleur  »,  et  de  sa  canicature,  la  main  appuyée  sur 
un  tas  de  livres  fùtiifs. 
.  Il  y  a  deux  ans  parurent  les  Syrtes;  voici  /^.s  CauJtUènes. 

Leur  début? 

Le  soir  n'est  plus  des  ganses  et  de  la  danse.    '  » 

Tel  un  petit  vieillard  qui  tombe  en  enfance 
Nous  prenons  le  goût  des  vieux  colifichets  :        . 
Souvenirs  flétris  comme  un  jardin  d'octobre, 
Rêves  radoteurs,  orgueils  que  voifs  fauchez, 
Faulx  de  l'opprobre. 

M.  Moréas  se  présente  mal.  Ce  «  petit  vieillard  »  assis  au  seuil 
de  ses  vers  a  peu  à  y  voir.  «  Tombé  on  enfance  »  —  Pardon,  il 
est,  au  contraire,  plein  de  fiertés  et  passe  quel^quefois  très  fringam- 
ment  avec  des  éperons,  et  des  épées,  et  des  cuirasses  h  chacun 
de  ses  quatrains,  le  livre  !  Nous  ne  voyons  dans  le  «  petit  vieillard 
tombé  en  enfance  »  qu'une  boutade  pour  donner  prétexte  à 
quelques  plumes  sarceyesques  d'ouvrir  leur  bec,conlrc  la  Déca- 
dence, la  fameuse  Dc'cadence,  aussi  morte  déj^  que  le  rat  de  la 
place  Pigalle.  Aucune  théorie  ne  fait  longue!  flamme  en  notre 
temps.  L'année  dernière  a-ton  lutté,  bataillé,  crié  autour  des  Dec  a- 
denls.  Et  Bourde,  et  Chanipsaur,  et  tous!  Demain  l'on  avoueia  : 
quelques-uns  dos  poètes  attaqués  étaient  de  vrais  artistes,  le  bruit 
hostile  les  a  laissés  calmes,  et  bien  mieux,  les  a  imposés^ 

Le  livre  de  M.  Moréas  se  compose  de  :  Funérailles,  Interlude, 
Aftso7ia7ices,  Cantilènes,  Le  pur  Concept,  Histoires  merveilleuses. 
Les  deuxième,  quatrième  et  sixième  subdivisions  renferment  des 
pièces  moins  caraclérisli(iuos  que  les  autres.  Nous  n'en  parlerons 
pas. 

Ce  qui  marque  la  poésie  des  trois  autr-es  parties,  c'est  la 
rechei^che  de  rythmes  nouveaux,  d'harmonies  nouvelles,  de 
cadences  évccatives,  de  formes  adéquates  h  telle  ou  telle  idée, 
de  Ipns  bien  plus  que  de  couleurs,  de  rafïinés  entrechoquements 
de  mots,  de  délicatcsi^es  très  frêles  et  de  cotte  rêverie  du  vers 
toujours  flottante  autour  dis  slroplus  comme  un  vèî^emenl  de 
nuage  autour  des  corps  célestes.  Dans  les  sonnets  de  Funérailles 
il  y  a  non  seulement  les  rimes  qui  se  font  écho,  mais  les  tours, 
mais  les  coupes,  mais  les  (iuiilificatifs.  Ici  : 

Roses  de  Damas,  pourpres  roses,  blanches  roses,  " 

Où  sont  vos  parfums,  vos  pétales  éclatants? 
Où  sont  vos  chansons,  vos  ailes  couleur  de  temps, 
Oiseaux  miraculeux,  oiseaux  bleus,  oiseaux  roses? 

la  phrase  interrogalivc  répétée,  la  facture  lente,  la  correspon- 
dance entre  les  roses  et  les  oiseaux,  une  confusion  de  couleur  de 
parfum  et  de  chanl  ne  donnent-ils  point  l'air  do  lointain  et  d'effa- 
cement de  certaines  tapisseries  vieilles  et  la  note  «couleur  de 
temps  »  n'enveloppe-t-elle  point  le  quatrain  tout  entier? 
Et  plus  loin  : 

Surpris,  les  essors  aux  embûches  malitornes. 

Les  cerfs  s'en  sont  allés,  la  flèche  emmi  les  cornes. 

Aux  durs  accords  du  cor  les  cerfs  s'en  sont  allés. 

La  chasse  sonore  et  sauvage  ne  passe-t-elle  point  dans  le 
final?  Et  non  seulement  faut-il  noter  l'harmonie  imilative,  mais 
tel  vieux  vocable  «  malilornc  »  plein  de  détours  mauvais  et 
d*embûches  comme  une  forêt. 


> 


El  plus  loin  encore  ce  lercel  avec  un  rappel  de  conte  de  fée  et 
CCS  njct  (  t  inversion  de  la  fin,  qui  t'ermenl  si  définitivement  le 
sonnet  : 

Et  nous  sommes  au  bois  la  Relie  dont  les  sommes 
Pour  éternellement  demeureront  sce-llés....  - 

/Comme  une  ombre  en  un  manoir  rétrospectif,  nous  sommes. 

Voici  une  s! ro plie  très  douce  et  très  musicale  : 

,—     Voix  qui  revenez-,  bercei:-nous,  berceuses  voix, 
.     Refrains  exténués  de  choses  en  allées 
Et  sonnailles  de  mule  au  détour  des  allées, 
__  Voix  qui  revenez,  bercez-nous,  berceuses  voix. 

Remarquez  ce  troisième  alexandrin  se  redressant  soudain  en 
apostrophe  pour  figi.rcr  la  ti<  rlé  d'un  port  de  tê  e  : 

Ses  mains  qu'elle  tend  comme  pour  les  théurgies 
Ses  deux  mains  pâles,  ses  mains  aux  bagues  barbares; 
^    Et  toi  son  cou  qui  pour  la  fête,  lu  te  pares! 
Ses  lèvres  rou|jes 

Voici  un  morceau  que  les  poètes  d(  s  temps  nouveaux  admire- 
ront vers  par  vers  :     v 

\  ."*"_.-■  ■ 

Pleurer  un  peu,  si  je  pouvais  pleurer  un  peu, 

Pleurer  comme  l'orphelin  et  comme  la  veuve, 

Et  comme  le  pêcheur  naïf  implorant  Dieu. 

Simple  qu'il  soit  mon  ccêur,  simplement  qu'il  s'émeuve. 

Sur  ma  guiilai^Je  fanée  et  ma  robe  neuve. 
Tissée  au  ciel  avec  du  blanc,  avec  du  bleu, 
Sur  ma  guirlande  fanée  emportée  au  fleuve, 
Pleurer  un  peu,  pouvoir  pleurer  un  peu. 

~Mais,  cependant,  que  votre  main  cruelle  et  sûre,    . 
Sûre  et  cruelle  fait  vibrer  dans  ma  blessure 
L'inexorable  trait,  ma  Dame,  ma  Douleur,  . 

■   Il  faut  que  je  vous  loue  et  que  je  vous  célèbre,     . 
Et  que  je  tresse  la  gemiue  rare  et  la  fleur 
Dans  vos  cheveux  qjtii  sont  couleur  de  la  ténèbre. 

Les  Assonances,  formes  niiïves,  cmp'oyces  à  narrer  les  légr  ndes 
de  Maryôf  la  Mauvaise  mère  et  V Epouse  fidèle.  M.  Moréas 
'réussit  dans  ces  rythmes  simples  à  réaliser  beaucciip  de  lointain 
et  de  caractère. 

Du  Pur  ct>«c^p/  citonsjajiremière  pi^'ce,  toute  en  songe 
hiératique  :,  '.-  '  '        '^ 

Le  Burg  immémorial,  de  .<5es  meurtrières  i        - 

Semble  darder  un  œil  dur  sur  les  temps  mal  nés. 

Et  de  ses  porches  les  silences  obstinés 

Récèlent  les  serments  gardés  et  les  prières.  -     • 

Au  jardin  de  la  Fée  où  les  échos  sott  tus, 
Du  prime  éveil  qui  se  résorbe  en  l'immuable,  '^ 
Baume,  elle,  contre  la  vie  irrémédiable, 
S'ouvre  la  fleur  dispensatrice  des  vertus. 

Et  c'est  ici  le  beau  Palais  de  la  Huée, 
Où  dansent  les  Goulpes  en  loquets  de  grelots. 
—  Tel  le  Burg,  gésir  d'austère  silence  clos, 
Fleurir  en  soi,  telle  la  fleur  insexuée. 

Nous  avons  énuméré  touls  les  titres  des  subdivisions  du  livre. 
De  tous,  l'aiiteur  n  pris  le  plus  poétiquement  sonore  pou*,  en 
couvrir  l'œuvre  entière,  bien  qu'il  ne  s'applquàt  lui  seul  qu'à 
la  moins  importante  pariie. 

La  poésie  de.  M.  Moréas  est  donc,  on  a  pu  le  deviner,  toute 
spéciale.  Il  a  brisé  définitivement  avec  le  parnassisme  et  l'impec- 
cabilisme.  Rimes  riches,  coupes  géométriques,  vers  tailles  en 
angles,  toujours,  uniformément,  immanquablement,  sous  pré- 
texte de  correction  dogniatique  et  de  pureté  lyrique,  il  n'en  fait 
cas.  Pour  lui,  les  règles!  excellentes,  si  on  peut  les  enfreindre 
quand  la  poésie  le  veut;  les  traités!  parfaits,  quand  on  peut  se 
les  faire  soi-même,  comme  Gautier  se  faisait  un  dictionnairq  de 
Times.  '      ,        -  , 


On  est  las?é  d'ailleurs,  dons  une  partie  de  la  jeune  école,  (\(s 
alexandrins  passant  tous  en  même  uniforme,  pareils  h  des, élèves 
de  lycée. Leur  cadence  fatale  las^e,  énerve,  crispe.  Plus  de  liberté, 
que  diable  !  et,  somme  toute,  plus  de  liberté  pour  aboutir  parfois 
à  plus  de  logique.  Autant  de  sentiments,  autîint  do  rythmes  et 
de  tournures;  aul;  nt  de  sensations  aulantdç  dilférenlos  corres- 
prndances  dans  les  rimrs  et  les  architcc'uros  dos  strophes.  Au 
besoin  des  rimes  'rès  pauvres,  au  besoin  des  rimes  très  riches. 
Au  besoin  une  césure,  au  besoin  priS,  E.n  un  mot  :  compos(r 
non  point  sur  le  p;  tron  des  lois  exposées  dm, s  les  lexiques  (  t 
les  dictionnaires  de  rimes,  mais  en  écoutant  la  musique  iniériouro 
que  chacun  surprend  chanter  en  soi,  quand  il  se  sont  poète. 

La  poésie,  non  seulement  dans  ses  idées  et  ^es  inspirations:, 
mais  dans  sa  fo'me  rythmique  et  colorée,  doit  être- surprie  en 
nous  et  chacun  doit  en  exjtrimer  le  plus  qu'il  peut.  Il  est  préfé- 
rable de  se  tromper  que  d'ê:ro  correct  banulomoirt.  Après  tout 
quel  est  l'écrivain  qui,  après  cinq  ans  de  pnitique,  no  peit  faire 
un  soni,el  de  ferme  impoccabîe,  suivant  les  an(  ionnes  reeottes? 
Le  bon  ^onnet,  tîmt  loué  par  Boilcaii,  maisjl  croît  aujourd'hui 
.comme  de  l'heib.;  le  long  dos  roules  ol  tout  ànc  neadémique 
peut  en  brouter  et  s'en  remplir  la  panse! 

Pour  exprimer  l'âme  moderne,  la  si  comph'qiiée  âme  moderne, - 
il  faut  une  langue  ryihmée,  autrement  libre  et  subtil\  autrement 
pliable  et  scindablo  que  la  langue  approuvée  par  celte  clianoi- 
nesse  de  Tours,  la  Grammtiiro,  et  par  cet  évéque  trop  pou  in 
pariibus^  le  Style.  On  a  tellement  abusé  do  ces  deux  personriai^os 
que  l'on  pourrait  formuler  p;»radox;demenl  :  il  faui  que  tout 
poète  s'en  passe  le  mieux  qu'il  peut. 

Ainsi  parle,  répétons-le,  cette  p.iriie  de  'a  jeune  écolo.  Il  v  a 
du  bon  dans  ce  discours  l;i.  Mais  bien  dangereux  pour  les  demi- 
nakires.  .    ■.  .. 


p^()pi 


ERA     DE 


P^RLIN 


Dans  la  période  de  transition  musicale  où  nous  somrni^  en 
Bilgique,  les  uns  n'aimant  p'us  la  musique  ancienne,  les  autres 
n'aimât  t  pas'encoro  la  mu>ique  nou\elle,  tous  noi  rrissaiit  plus 
d'antipaihies  (jue  de  sympathies,  il  est  curieux  et  utile  d'examiner 
ce  qui  se  passe  à  l'étranger  et  de  voir  si,  en  Allemagne  par 
exemple,  l'un  ou  l'autre  réptTloiie  est  en  possession  exclusive  de 
la  scène.  Ou,  s'ils  al:ernfnt  encore,  dans  quelle  mesure  cliaouu 
obtient  la  préférence  du  public. 

Lu  Xeue  Berliner  Musikzei/U7î(j  publie  la  statistique  d»  s 
représonlaliéns  données  h  l'Opéra  de  Berlin  p(  ndanl  la  sa'son 
qui  vienl  de  se  terminer,  c'esl-à-dire  du  13  août  1885  au  14  juin 

\^m  :  .  ' 

-ri 

Der  Trompeter  von  Siickingen  (30  représentations);  Carmen 
(13  représentations);  Siegfried  (Il  représentations);  Wikhchïilz 
(10  représentations);  Lohengrin  (9  représeulationsj;  le  Chevalier 
Jean,  la  Walkiire,  Joli  Gilles  {chacun  8  représentations);  Fitlelio, 
la  Fille  du  Régiment,  la  Muette,  Reisende  Student  (chacun 
7  Tvpré^enidùons);  Czar  und  Zimmermann,  l'aisseau  Fantôme, 
Ondine,  Bavbier  de  Seville  (chacun  6  rep'résentiuions);  Joyeuses 
Commères,  Widerspenstige,  Tannhœuser,  le  Maçon,  le  Pro- 
phète, les  yoces  de  Figaro  [dvàcnn  o  repnsontaiions);  Stradella, 
Aida,  Don  Juan,  Golden  Kreuz,  Meistersinger,  Freyschiitz,  la 
Juive  [chacun  4  reprcsontation>)  ;  Lucrèce  Borgia,  Belrogene 
Kadi,  Jean  de  Paris,  i Africaine,  la  Flûte  enchantée,  la  Tra- 


206 


i: ART  MODERNE 


viala,  Rigokflo  (chacun  3  ropréscnlalions);  Mignon,  Fnilst, 
Feldlngerin  Schlesicn,  Gnillnunm  Teli,  Obcron,  les  Huquenols, 
Annule,  Orphée,  le  Domino  noir,  la  Somnfnnbiila  (chacun 
2  roprcscntalions)  ;  Nonna,  la  Dame  blanche,  Abon-Ilaasan,  la 
Reine  de  Saba  (de  Oolihnai-k),  Jessonda,  Belmonle  el  Conslanze, 
le  Trouvère,  Fernaml  Corlez,  Euryanthe  (chacun  1  représen- 
lalion),  ;  \- 

Ce  qui  donne  un  lolal  de  257  roprésenlalinns  t'ornid  par 
55  œuvres  de  28  compositeurs  ditTérenls.  I/arl  français  y  figure" 
pour  iC)  œuvres,  de  neuf  auteurs,  formant  en  loul  74  représen- 
talious.  I/art  italien  i)Our  13  œuvres  et  31  reprc''senlalions. 
Richard  Wagner  pour  6  œuvres  el  43  représentations  (soit  un 
sixième  environ),  ce  qui  étonnera  apparemment  ceux  qui  croient 
qu'il  n'est  plus  question  que  de  lui  en  Allemagne  (H  inspirera 
quelque  inquiétude  si  l'on  compte  sur  lui  pour  relever  le  théâtre 
chez  nous.  Aimé  des  vrais  esthètes,  mais  ,pres(pie  i)ar  eux  seuls, 
tel  paraît  être  le  bilan  actuel  de  son  art.  .  • 

Ajoutons  que  le  personnel  du  théâtre  de  B;Tlin  se  compose  de 
trente  premiers  sujets  du  ch:inl  ;  cent  vingt-six  choristes,  hommes, 
femmes  et  enfanis;  soixante-quatorze  danseurs  et  danseuses; 
cinquante-deux  figurants  el  cent  qualre-vingt-dix  musiciens. 

Inutile  de  dire  que  ces  490  musiciens  ne  jouent  pas  tous  à 
chaque  représentation;  il  y  a  des  titulaires  el  des  surnuméraires,  + 
ce  qui  permet  d'établir  un  certain  nombre  decong('S  par  semairiiî  '' 
h  chaque  pupitre.  C'est  ainsi  (ju'il  y  a  quaire  chefs  d'orchestre 
ayanl  chacun  leur  répertoire  d'ouvrages  à  dirigM*.. 

Ce  qui  frappe  surtout  îi  première  vue  dans' celle  sia'.islique, 
c'est  la  variété  du  réperloire.  Elle  n'est  pourtant  pas  sensible- 
ment plus  grande  que  ne  le  fut  la  saison  dernière  celle  de  la 
direction  Verdhurl  qui,  pour  les  175  représenlalions  (sept  mois) 
qu'elle  a  données,  avait  atteint  le  chilTre  de  35œuvres.  • 

Où  la  difierence  est  énorme,  c'est  dans  le  nombre  des  premiers 
sujets  du  chant  :  30  à  Derlin,  contre  une  douzaine  au  plus  à 
Bruxelles.  La  moyenne  pour  l'ensemble  dos  suj  'is  du  chant  est 
chez  nous  de  20,  Il  est  évident  qu'une  troupe  nombreuse  permet 
de  mener.de  front  les  répétitions  el  les  représentations  dans  des 
conditions  excellentes,  et  d'arriver  à  une  grande  perfection  dans 
l'exécution. 

Il  est  fâcheux  que  nous  ne  connaissions  pas  pour  Berlin  les 
chitïres  des  dépenses,  recettes  et  s^ibsides.  La  Ville  de  Bruxelles 
ferait  bien  de  dresser  ces  statistiques  pour  les  pri.ncip;iux  théâtres 
de  l'Europe.  Il  importe,  en  effet,  nous  l'avons  dit  souvent,  que 
l'entreprise  de  notre  théâtre  de  la  Monnaie^  sorte  des  incertitudes 
financières  au  milieu  desquelles  errent  les  directeurs. 


? 


ANTOMIMEp    ET    PANTALONNADE^ 
Paul  Martinetti.  —  Charles  Lauri. 


Qui  de  nous  n'a  entendu  parler  de  la  dynastie  des  Deburau,  du 
père  surlout,  Jean-i3aptiste-Gaspard,  ce  mime  incomparable  dont 
Théophile  Gautier  osa  écrire  :  «  Deburau  était  dans  son  genre  un 
acteur  comme  Frederick,  Talnia,  M"«  Mars  et  .M"*-*  Iiachel  :  un 
accident  heureux  el  rare,  » 

C'était  aux  alentours  de  1830,  dans  ce  théâtre  des  Funambules 
dont  s'affola  un  instant  Paris,  guidé  vers  les  lumignons  fumeux 
qui  lui  servaient  de  rampe  par  la  i)lume  alerte  de  Charles  Nodier 
et  de  Jules  Jauin.  , 


;  Les  odeurs  de  beignets  el  de  pommes  de  terre  frites  qui  péné- 
traient dans  la  salle  de  speclacUî  semblèrent  —  à  en  croire  les 
historiens  de  ces  époqiMîs  lointaines  —  parfums  choisis  et  déli- 
cats aux  mondaines  dont  le  «  théâtre  à  quatre  sous  »,  selon  l'ex- 
pression du  temps,  fut,  durant  quelques  années^  le  spectacle 
favori.  .   ' 

Après  Jean-Baplisle-Gaspard,  on  applaudit  son  fds  Charles, 
puis  Paul  Legrand,  que  récemment  encore  on  a  pu  voir  à 
Bruxelles,  Pierrot  blafard  et  mélancolique,  pleurant  sa  vieillesse 
comme  gémissent,  à  l'âge  des  rides,  tous  les  conquérants, 
artistes,  capitaines  ou  femmes.  Mais  Jules  Janin  était  allé  retrou- 
ver au  pays  des  ombres  l'Ane  qu'il  illustra,  el  de  Charles  Nodier 
il  ne  reste  désormais  qu'une  sorte  de  musique  lointaine,  J'mo?" 
des  fèves  el  Fleur  des  pois  étant  remontés  au  pays  du  rêve. 

La  pantomime  a  pris  le  deuil;  elle  n'a  pas  voulu  troubler  le 
sommeil  de  ceux  qui  lui  avaient  donné  la  vie.. 
:  Mais  voici  qu'un  artiste  canadien  vient  de  renouer  la  chaîne 
interrompue  des  mimes,  dont  les  premiers  chaînons  datent  de  la 
'Grèce  el  de  Rome.  Cet  audacieux  rénovateur  d'un  art  disparu, 
c'est  M.  Paul  Marlinelli,  un  artiste  —  et  un  grand  artiste,  s'il 
voiis  plaît.  Que  les  incrédules  nous  fassent  la  grâce  d'entrer,  sur 
le  coup  de  dix  heures,  au  théâtre  de  la  Bourse,  cette  étonnante 
sallq  de  spectacle  inaugurée  avant  que  les  Bruxellois  aient  eu  le 
temps  de  s'apercevoir  qu'on  en  avait  jeté  les  fondations. 

Ils  assisteront  îi  la  représentation  de  la  classique  et  toujours 
amusante  pièce  créée  par  le  grand  Frederick,  VA  uberge  des 
Adrets,  adaptée  et  accommodée  par  le  mimographc  Paul  Marti- 
netti selon  la  fantaisie  el  les  aptitudes  du  même  Paul  Martinetti, 
mime  souple,  tout  à  la  fois  clown  et  tragédien.  Ils  verront  un 
inimitable  Bertrand,  famélique,  sournois,  espiègle,  plus  gibier  de 
potence  que  Cartouche,  plus  gueujt  que  Mandrin,  mâtiné  d'ime 
genlilhommerie  digne  de  Don  César,  el  finissant,  après  une  exic* 
tenco  écoulée  dans  les  culbutes,  les  coups  de  pied  au  derrière, 
les  dislocations  inattendues,  les  gourmandises  effrénées,  les 
rapines  opérées  avec  dextérité,  par  une  mort  poignante,  superbe, 
où  .tout  à  coup  l'art  du  comédien  prend  un  élan  stupéfiant  :  des 
affolements  d'animal  blessé,  une  agonie  mélé^de  cabrioles,  le 
râle  suprême  exhale  dans  une  culbute,  ainsi  que  tombe,  foudroyé, 
le  lièvre  roulé  d'un  coup  de  fusil. 

Dans  ce  rôle,  M.  Paul  Martinetti  parcourt  toute  une  gamme  de 
sentiments.  La  i!eur,la  convoitise,  la  fourberie,  le  dédain,  l'insou- 
ciance, el,  dans  celte  fin  tragique,  le  dévouement  à  son  camarade 
d'aventures,  trouvent  en  lui  un  interprète  de  premier  ordre.  La 
lutte  (ju'il  soutient  contre  lui-même  au  momont  où  il  va  se  préci- 
piter, couteau  levé,  sur  l'effigie  baroque  qu'il  prend,  à  la  clarté 
indécise  de  la  lune,  pour  un  gendarme,  est  d'un  comédien  accom- 
pli. On  pourrait  lui  appliquer,  aussi  justement,  pensons-nous, 
qu'à  son  illustre  prédécesseur,  ces  mois  de  Gautier  :  «  C'est  un 
accident  heureux  et.  rare.  » 

Le  public  ne  saisit  qu'une  partie  de  l'art  complexe  du  mime  : 
ses  clowneries^  ses  grimaces.  Il  rit  à  des  scènes  qui  devraient  le 
faire  frissonner.  . 

Cela  n'a  rien  d'anormal.  La  pantomime  n'a  plus  guère  de  sens 
pour  lui  si  elle  est  autre  chose  qu'une  volée  de  claques,  de  coups 
de  bâton  el  de  coups  de  pied,  animant  d'un  retentissement  sonore 
et  non  interrompu  le  plus  incompréhensible  des  imbroglios. 
C'est  un  genre  de  pantomime,  cela,  ou  plutôt  de  pantalonnade,  et 
dans  ce^lomaine  spécial  les  Anglais  sont  nos  maîtres.  Justement 
on  peut  applaudir  en  ce  moment  à  Bruxelles,  à  l'Eden,  l'un  des 


inlcrprôlcs  les  plus  ropiilds  de  ces  farces  énormes  dont  le  mdPiHe 
est  mesuré  par  les  connaisseurs  à  l'invraisemblance  des  situa- 
lions,  au  décousu  de  l'inlrigue,  îi  l'imprévu  du  coq-ù-l'âne,  au 
chiffre  de  laloclies  échangées.  ,^ 

Depuis  que  les  Hanlon-Lees,  ces  clowns  délicals<îlcliarmanls, 
scsonl  dénnilivemcnt  débarbouillé  la  figure  cl  ont  Iroijué  leur 
houppe  bicolore  contre  un  chapeau  de  saie,  on  n'avail  pUis.  guère 
vu  que  de  grossiers  imilaleurs,  Cbarles  Lauri  est  arrivé,  el  k 
Iravers  les  complications  d'une  affubulalion  folie,  sous  des  })luies 
de  chats,  parmi  des  rencontres  de  trains  de  chemin  de  fer  sus- 
pendus sur  les  loils,  il  fait  applaudir. l'agilité  merveilleuse  de  j^es 
muscles.  Il  sait,  comme  pas  un,  faire  la  culbute,  rebondir  ainsi 
qu'une  balle,  se  lancer  dans  l'air,  se  rattraper  à  quelque  câble, 
repartir,  franchir  la  scène  d'un  bond.  La  gymn^isliqueenrugée  k 
laquelle  il  se  livre  tous  les  soirs  lui  vaut  une  pO|)ularilé.' 

Telle  est  la  pantomime  anglaise,  et  certes  Charles  Lauri  y  est 
passé  maître.  r 

Tiraillée;  par  ses  deux  Edcns,  celui  du  quartier  Nolre-Dame- 
aux-Neiges  el  celui  du  quartier  ^dc  la  Bourse,  qui  se  défient 
comme  dans  les  petites  villes  deux  aubcrgçs  rivales,  la  population 
bruxelloise  fera,  entre  les  deux  mimes  célèbres  que  le  hasard  a 
rapprochés,  une  comparaison  intéressante.'  Peut-être  se  passion- 
nera-l-clle  pour  l'un  ou  pour  l'autre.  Il  serait  curieux  de  voir 
.  renaître  les  classiques  démêlés  dos  partisans  de  Pylade  el  de 
Bathylle.  Nous  savons  deux  directeurs  qui  ne  man(|ueraieul  pas 
d'alliser  la  ([uerelle,  deux  augures  qui,  certes,  ne  pourraient  plus 
se  regarder  sans  riro  aux  larmes. 


;■    :V    V    'JIÎONCOUR^   DU.  j^^ION^ZRVATOIRE    ^    '    ■ - 

Comme  d'habitude,  le  Conservaloire  inaugurait,  samedi  la 
période  des  concours  par  un  concert  où  s.i  faisaient  entendre  les 
classes  d'ensemble  vocal  et  instrumental  sous  la  direction  de 
MM.  Warnots,  Jourcl,  Bauvvens,  Colyus  el  Jchin  et  spécialement,' 
les  élèves  de  M.  Jaiobs,'  le  remplaçant  du  regretté  Servais,  à  la 
classe  de  violoncelle.  '  . 

L'exécution  précise  et  déîailléo,  avec  ses  qualilés  de  finesse  et 
ses  défauts  d'éparpillement  que  nous  avons  souvent  reprochée  à 
Torcheslre  du  Conservatoire,  il  nOus  la  faut  reprocher  di'jà  à  cet 
orchestre  d'élèves,  de  très  jeunes  élèves  où  la  vie  est  déjà  refroi- 
die et  l'essor  artiste  pédantesquemenl  mutilé.  Le  public  a  choisi 
pour  manifester  bruyamment  sa  joie  l'instant  où  les  élèves  de 
31.  Jacobs  exécutaient  un  andante  pour  quatre  violoncelles,  d'une 
absolue  médiocrité,  el  donné  peu  d'allenliOn  aux  Ihigments  de 
la  Messe  eii  si  inineur  de  Jean-Sébastien  Bach,  cette  œuvre  de 
dimensions  colossales,  prodigieuse  de  savoir  musiciil,  et  du 
plus  haut  inlérêl  comme  témoignage  de  la  '  largeur  d'iUres 
du  grand  maître  dans  la  foi  religieu.se,  ce  Credo  qui  donne 
réellement  l'impression  de  l'immutabilité  de  l'Eglis.?,  ce  Sancdts 
où  le  musicten  a  bu  à  la  source  même,  s'inspiranl  des  paroles  dû 
prophète  Isaïe  :  «  Je  vis  le  Seigneur  séant  sur  son  trône  haulel 
élevé;  el  ses  pans  remplissaient  le  temple.  Les  séraphins  se 
tenaient  au  dessous  de  lui,  el  chacun  d'eux  avait  six  aijes.  Ils 
criaient  l'un  à  l'autre  :  Saint,  saint,  saint  est  rElernel  des  années, 
el  tout  ce  qui  est  dans  toute  la  terre  est  sa  gloire.  Et  les  poteaux 
des  seuils  furent  ébranlés  par  la  vqix  de  celui  qui  criait^  el  la 
maison  fui  remplie  de  fumée.  »  (Es.  VI,  '2.) 

Ces  fragments  ont  d'ailleurs  éié  «  exécutés  »  au  vrai  sen^  du 


mot,  di»s  masses  chorales  surlnut,  hésitantes  el  sans  sonorité. 
(iu;ind  sera-t-il  donné  aux  admirateurs  du  Père  de  la  Musique, 
d'euli'iuhV,  rps|)ectueu<ernenl  et"  saintement  jouée,  cette  œuvre 
(|ui,  avec  la  Passion  de  SaiiU-Malhien,  la  neuvième  symphonie, 
Trl^lmi  et  Prtr.si"/;'//, devraient  être  les  images  d'adoration  pour 
toutes  11  s  piières?     .  ,  ,.    .   '      , 

Cijons  encore,  un  chueur  de  Blanche  d,e  Provence,  cl,  bien 
souvent  emendus,  la  médiorri}  ouverture  de  Lodv'iska  et'Ios  très 
fins  airs  de  ballet  de  Castor  et  Pollnx,  de  Hameau,  qui,  on  son 
tem[)S,  é'ail  accusé  d'écrire  de  la  musique  charivarique,  scienti- 
fique, savante,  lonilruanle,  incompri'hensihle,  tout  comme  le 
proiégé  du  très  vénéré  défunt,  le  r')i  Louis  II  de  Bavière,  prince 
des  ariisles,  el  Jésus  crucifié  pour  la  rédemption  des  sots. 

Le  lundi  suivant  ont  commencé. les  concours  dont  ci-après  les 
résultais  :        .  ,  ^ 

TuoMBONH.  Professeur  :  M.  Paque.  —  Pas-  de  prix  décerné. 
i'''"à(cessit  au  seul. concurrent  1  M.  Heilenbertr. 

Cornet  a  pistons.  Professeur^  M.  Duhom.  —  Pas  de  1"  prix. 
2'-  prix  :  M.  Vilcz,  seul  concurrent.         .       •' 

Trompette.  Professeur  :  M.  Duhom.  —  Pas  de  l""^  prix. 
2'-  prix  avec  dislinclioa  :  M.  Maton,  concurrent  unique. 

Cor.  Professeur  :  M.  .Merck.  ; —  Pas  de  prix  pour  le  cor  basse. 
M.  Lemal  obtient  un  l'^'"  accessit.  Pour  le  cor  alto,  2*^  prix  : 
M:  Droiiard;  l""  accessit  :  MM.  Mahy,  "Buelle,  >'uzei  et  Lelièvre. 

Saxophone.  Professeur  :  M,  Beeckman.  —  l^""  prix  avec  dis- 
lincliori  :  .M.  Mayeur;  I*^'"  prix  :  M.  De  Becker.  "         " 

Basson.  Professeur  :  M.  Neumans.  —  2*^  prix  :  M>I.  Leclercq 
elDom;  l^""  acce^îsil  :  M.  Lenom.  ' 

Hautbois.  Professeur  :  M.  Guidé.  —  1'"''  prix  :  .>I..Dovaux; 
i"  accessits  M.,  Nahon.      ■ 

•  Clarinette.  Professeur  :  M.  Poncelet.  —  1«'"  prix  :  MM.  Roe- 
landls  el  Devveerdt;  2*-  prix  :  MM.  Van  den  Abeele,  Morenier  et 
Imberl;  l^""  accessit  :  MM.  Robert,  Van  Elewvck  et  Ser2:vsel3. 

Flûte.  Professeur  :  M.'  Dumon.  —  l'-""  prix  :  .MM.  Demonl  el 
Slerckx  ;  i*''' accessit  :  M.  Massay.'  -  -  •^•v 

Contrebasse.  Professeur  :  M.  Vanderheyden..  —  1*""  prix  : 
M.  Faelen;  2'^' prix  :  MM.  Sury  et  Eeckhaulle  ;  P""  accessit  : 
M.  Jadol. 

Alto.  Professeur  .:  M;  Firkef.  —  l^*"  prix  avec  dislinctron  ■: 
M.  Haus;  'i«'  prix  :  M.  .\dams;  2«  prix  :  M.  Hecq  ;  P^'' accessit  : 
M.M\  Deraedt,  Debloe,  Vandeputte  et  Va*i  Hutï(}I. 

Violonxelle.  Professeur  :  M.  Jacobs.  —  i"""  prix  :  M.  Lam- 
pens;  2«-  prix  :  M.VÎ.  Schoofs  elSansoni;  l"  accessit  :  M.  .Merck; 
2*^  accessit  :  M.  Rolhenheisler. 


pETlTE    CHROJMiqUÊ 


La  Classe  des  Beaux -.\rts  de  l'Académie  de  Belgique  organise 
une  E.xposilion  de  tableaux  anciens  au  profit  de  la  Caisse  renirale 
des  artistes.  Ce.te  ex[)Osition,  qui  aura  lieu  à  Brux'.'lles  au  Palais 
di  s  Beaux-Ans,  s'ouvrira-  au  mois  de  septembre.  Les  adhésions 
reçues  jus(|u"ci  ce  jour  assurent  un  grand  succès  à  l'entreprise. 

Le  Roi  qui,  dès  l'origine,  a  pris  la  Caisse  des  artistes  sous  son 
patrouiige,  a  promis  de  faire  figurer  à  l'Exposition  des  œuvres  de 
sa  galerie.  i  Commun iqué). 

La  clôture  du    Salon  de  Paris  csl   t\\(!(i  irrévocablemenL   au- 
30  juin  à  six  heures  du  soir. 

M.  le  Ministre  de  l'inslruciion  publique  fixera  inoes-amment  le 
jour  div la  dislribuliou  des  récompenses.  Cette  cérémonie  aura 
probableincnl  lieu  le  samedi  3  ou  le  lundi  o  juillet. 


1  -'*\', 


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Il  sera  tiré  quelques  exeniplairés  sur  grand  papier  de  Hollande, 
qui  ne  seront  pas  mis  dans  le  commerce.  Le  prix  en  est  provisoire- 
ment fixé  à  5  francs  pour  ceux  qui  enverront,  avant  le  1er  août, 
leur  souscription  à  limprimeur  :  Veuve  Monnom,  26,  rue  delln- 
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I      I 


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Sixième  année.  —  N°  27. 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  4   Juillet  1886. 


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PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQÏÏB  DBS  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,  un   an,  fr.  10.00;  Union  postale,   fr.   13.00.    —  ANNONCES   :    On  traite  à  forfait. 


r—i—   Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 
l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  rindustirie,  26,  Bruxelles. 


^0  M  M  AI  RE 


En  cour  d'assises.  —  Quelques  volumes  récents.  —  Olanurks. 
—  Concours  du  Conservatoire.  —  A  l'Eden.  -^  Me>iento  des 
expositions  et  concours.  —  Petite  chronique. 


EX  COUR  D'ASSISES 

La  dernière  session  des  Assises  du  Brabant,  loin- 
taine déjà  (que  les  jours  contemporains  vont  vite  avec 
leur  surcharge  d'événements!)  a  fait  surgir  non  seule^ 
ment  des  préoccupations  judiciaires,  mais,  qui  le 
'  croirait?  des  discussions  artistiques. 

Oui,  grâce  à  l'envolée  d'un  des  avocats,  M®  Jules 
Lejeune,  en  des  sphères  élevées,  on  s'est  avisé  que  de 
pareils  débats  pouvaient  parfois  ne  pas  être  seulement 
des  barbotages  de  canards  dans  une  mare,  et  qu'il  était 
possible  d'y  voir,  en  quelque  rare  occasion,  un  essor 
d'aigle.  Et  tout  de  suite,  à  ce  spectacle,  les  propos  vul- 
gaires de  s'assourdir,  et  partout,  dans  la  presse  et  les 
conversations,  un  souffle  d'enthousiasme  de  se  répaji- 
dre,  tôt  épuisé,  hélas!  car  rien,  en  notre  morne  temps 
de  prose,  n'est  moins  durable  qu'un  élan  d'héroïsme. 

L'éloquence  judiciaire  !  La  seule  éloquence  qui,  chez 
nous,  se  surveille  encore,  aujourd'hui  que  la  chaire  ne 
sert  plus  de  tribune  aux  grands  croyants  en  froc,  et 
que  le  Parlement  s'encanaille  volontiers  en  des  disputes 
de  cochers  de  fiacre.  Elle  aussi  sommeillait  et  l'on 
disait  que  le  nouveau  Palais  de  Justice  ne  la  favorisait 
guère  avec  ses  proportions  colossales  amoindrissant 
les  œuvres  humaines,  et  ses  salles  trop  sonores  rendant 


confuse  la  parole.  On  croyait  peu  au  réveil,  on  se  rési- 
gnait presque  au  niveau  modeste  que  prenaient  toutes 
choses  en  cette  arche  écrasante  pour  tout  et  pour  tous, 
excepté  pour  elle-même.        v 

Et  dans  cette  salle  des  Assises,  baignant  tout  entière 
dans  le  clair  obscur  d'un  tableau  du  xvi®  siècle  alors 
que  les  yeux  moins  Usés  par  la  lumière  artificielle  de 
la  vie  nocturne  perçaient  sans  effort  les  pénombres  et 
trouvaient  suffisant  le  jour  qui  tombait  des  fenêtres 
hautes  tamisé  par  les  verrières,  on  acceptait  le  drame 
des  procès  criminels  se  déroulant  en  des  actions  mal 
vues  et  des  discours  mal  entendus,  comme  une  scène 
crépusculaire  où  se  mouvaient  des  ombres.  On  était 
gagné  peu  à  peu  par  ce  cérémonial  où  l'on  ne  percevait 
plus  que  des  murmures  et  des  allées  et  venues  à  demi- 
mystérieuses,  que  sabrait  parfois  une  énorme  lame  de 
clarté  solaire  descendant  son  plan  incliné  de  poussière 
dorée  à  travers  l'entrebâillement  des  épais  rideaux 
masquant  mal  les  baies  qui,  à  trente  pieds  de  haut, 
découpent  le  mur  du  fond  au  dessus  des  juges,  comme 
si  un  archange,  pris  de  pitié,  avait  ouvert  à  l'accusé  un 
•chemin  pour  la  fuite  dans  l'air  libre. 

C'est  là  que  dernièrement  s'est  levé  pour  plaider  un 
homme  que  depuis  longtemps  nous  nous  étions  accou- 
tumés au  Palais  à  considérer  comme  un  grand  artiste, 
monnayant  en  cent  propos  divers,  à  la  barre  ou  dans 
les  couloirs,  sa  saisissante  originalité.  Car,  il  a  vrai- 
ment ce  stigmatum  diabolicum  qui  marque  l'art  véri- 
table :  être  soi-même,  ne  ressembler  à  quiconque, 
n'imiter,  ne  rappeler  personne.  < 


4'      . 


Et  Ton  a  assisté  à  un  spectacle  étrange. 

Tel  qu'un  peintre  devant  une  toile  vierge,  laissant  aller 
sa  main  en  de  vagues  contours,  ignorant  ce  qu'il  va 
faire  et  cherchant  dans  son  travail  même  la  direction 
et  l'inspiration.,  l'avocat  s'est  mis  à  parler  au  hasard, 
sortant  une  à  une  ses  idées,  comme  elles  venaient, 
comme  il  les  tâtait,  les  présentant»  telles  que  des 
pièces  de  monnaie  prises  au  fond  d'une  bourse,  entre 
deux  doigts,  sans  souci  de  l'ordre,  les  décrivant,  au 
moment  de  leur  exhibition,  pour  l'auditoire  et  pour 
lui  même,  aussi  surpris  que  ceux  qui  l'écoufaient,  de 
l'imprévu  et  des  trouvailles.  Et  continuant  cet  égre- 
nage  imperturbablement,  un  quart  d'heure,  deux 
quarts  d'heure,  trois  quarts  d'heure,  prenant  une  idée, 
la  regardant,  l'expliquant,  la  laissant  tomber,  en  pre- 
nant une  autre,  recomniençant.et  sans  se  lasser,  allant, 
allant  toujours,  guettant  l'occasion,  battant  les  buis- 
sons de  la  cause,  sûr  qu'il  ferait  tôt  ou  tard  lever  ce 
qu'il  fallait  pour  transformer  cette  chasse  aux  oisillons 
en  une  chasse  royale,  ne  se  souciant  pas  de  l'indécision 
oiï  restait  la  foule,  de  la  stupéfaction  en  laquelle 
s'hypnotisait  le  jury,  vaguant  toujours,  poussant  tout  le 
monde  en  un  trouble  fait  d'admiration  et  d'inquié- 
tude, s'engageant  dans  une  voie,  se  jetant  de  côté, 
revenant  sur  ses  pas,  annonçant  une  merveille,  l'ou- 
bliant aussitôt.  Quelque  chose,  en  résumé,  comme  un 
musicien,  essayant  un  à  un  toiis  les  instruments  d'un 
orchestre  pour  en  trouver  un  à  son  embouchure, 
comme  un  dégustateur  éprouvant  tous  les  vins  d'un 
chais  pour  en  découvrir  un  à  son  goût. 

Le  moment  vint  où  il  fut  enfin  en  présence  de  la  for- 
mule cherchée.  On  la  sentit  approcher.  Dans  ce  cer- 
veau graduellement  échauffé  au  rouge  voulu  pour  en 
faire  jaillir  l'étincelle  suprême,  la  mystérieuse  alchi- 
mie s'accomplissait,  se  révélant  par  une  parole  de  plus 
en  plus  vibrante,  de  mieux  en  mieux  ordonnée.  On 
entendait,  semblait-il,  le  bruissement  intense  des  molé- 
cules se  vaporisant  dans  la  masse  pour  arriver,  au 
bouillonnement  final.    • 

L'explosion  eut  lieu,  en  un  jet  superbe.  Et  alors, 
durant  une  heure,  ce  fut  une  échappée  fougueuse 
et  sublime,  dans  une  direction  unique  désormais, 
entraînant  toutes  les  âmes,  faisant  miroiter  un  prodi- 
gieux arc-en-ciel  d'images,  de  pensées,  d'arguments, 
de  cris,  d'apostrophes,  d'appels,  enlevant  l'auditoire  a 
lui-même,  l'emportant  dans  une  sensation  artistique 
irrésistible,  faisant  frémir  les  corps  de  ceux  dont 
l'esprit  ne  sait  plus  percevoir  l'idée  quand  elle  pointe  à 
cette  hauteur.  - 

Car  il  est  vrai  qu'on  a  pu  se  demander,  après  cette 
étonnante  exécution,  si  le  jury  qui  était  là  était  fait 
pour  comprendre  intellectuellement  pareille  éloquence. 
On  a  conté  qu'un  de  ces  douze  augures,  frappé  de  ce  que 
M®  Lejeune,  franchissant  une  à  une  les  étapes  qui  mar- 


quaient, dans  soi!  exposé,  la  marche  vers  la  scène  finale 
du  meurtre,  avait  dit  à  diverses  reprises  comme  posant 
des  jalons  :  «  Ne  me  demandez  pas  où  je  vais  :  je  suis 
sur  le  chemin  de  la  rue  Verte  «,  n'était  point  parvenu 
à  se  rendre  compte  de  ce  que  cela  signifiait,  alors  que, 
loin  d'être  sur  le  chemin  de  la  rue  Verte,  l'avocat  était 
là  devant  lui  à  son  banc.  Oui,  nos  bourgeois  auront  beau- 
coup à  faire  ayant  d'être  à  cette  hauteur  et,  si  l'on  nous 
demandait  ce  que  nous  pensons  de  l'effet  de  cette  admi- 
rable plaidoirie  pour  le  profit  de  l'accusé,  nous  hésite- 
rions peut-être  à  dire  qu'elle  lui  a  servi  à  grand'chose. 
Mais  ici,  dans  ce  journal  d'art,  qu'il  nous  soit  permis 
de  tenir  moins  compte  de  l'effet  utilitaire  et  de  consulter 
surtout  l'impression  que  nous  avons  subie.  Il  est  triste 
de  penser  que,  pour  mieux  parler  au  point  de  vue  de 
l'effet  pratique  à  obtenir,  il  faut  chez  nous  moins  bien 
parler  au  point  de  vue  de  l'éloquence.  C'est  bien  la 
caractéristique  de  notre  Belgique  parlementaire,  cette 
terre  promise  des  médiocrités.  Il  ne  faut  pas  viser  trop 
haut,  on  parlerait  au  dessus  de  la  foule. 

En  France,  plus  particulièrement  à  Paris,  où,  par  le 
fait  seul  du  milieu,  chacun  reçoit  une  éducation  singu- 
lièrement affinante,  on  peut  davantage  être  un  artiste 
de  la  parole,  sans  risquer  de  devenir  un  incompris.  Là, 
les  jurés  ne  sont  pas  au  dessous  de  la  compréhension 
d'une  métaphore.  Il  n'est  pas  nécessaire  de  s'en  tenir 
avec  eux  aux  quatre  à  cinq  cents  mots  qui  composent 
l'idiome  de  la  plupart  de  nos  concitoyens.  Un  avocat, 
comme  M®  Lejeune,  peut  s'y  laisser  aller  aux  inspirations 
ingénieuses  sans  qu'on  dise  de  lui  :  Belle  musique, 
mais  c*est  comme  s'il  parlait  espagnol. 

C'est  à  cause  décela  que  le  véritable  avocat  de  cour 
d'assises  est  impossible  en  Belgique.  Il  y  faut' être  un 
argumentateur  sans  style,  car,  si  l'on  a  du  style,  on  ne 
vous  entend  plus.  Il  y  faut  être  un  discoureur  sans 
émotion,  cai^si  vous  êtes  ému  on  crie  à  la  comédie.  Il  y 
faut  être  un  avocat  sans  habileté,  car  si  vous  êtes 
habile  on  vous  taxera  de  mauvaise  ruse.  De  telle  sorte 
qu'on  n'y  peut  bien  plaider  qu'à  la  condition  de  ne  ser- 
vir en  rien  la  défense.  Vos  amis  et  les  amateurs  vous 
louent,  mais  savent  comme  vous  que  l'accusé  ne  bénéfi- 
ciera guère  de  ces  belles  choses.  Il  faut  être  prosaïque 
et  vulgaire  :  c'est  là  seule  chance  de  ne  pas  être  inutile. 

Récemment,  un  magistrat  fra^içais  a  dépeint  l'avocat 
de  cour  d'assises  tel  qu'il  peut  s'épanouir  chez  nos  voi- 
sins. Il  a  pris  pour  type  Lachaud.  Il  est  curieux  de  lire 
cet  éloge  qui  se  compose  presque  exclusivement  de  cir- 
constances qui,  ici,  manqueraient  toutes  leur  eff'et  parce 
qu'on  n'y  verrait  qu'hypocrisie  et  malice,  déclamation 
et  pose. 

-  Lachaud,  dit-il,  fut  un  tacticien  de  premier  ordre. 
Que  de  campements!  que  de  belles  marches!  que  de 
hardiesse!  que  de  précautions!  que  de  périls!  que  de 
ressources  !  Il  savait  même,  comme  ce  grand  capitaine 


X 


que  Bossuet  a  dépeint,  profiter  des  infidélités  de  la  fort 
tune.  Le  jury  n'aime  pas,  en  général,  les  fanfarons 
d'impiété.  On  peut  se  rendre  compte,  en  lisant  la  plai- 
doirie prononcée  pour  l'impie  La  Pommerais,  de  l'ha- 
bileté singulière  avec  laquelle  Lachaud  se  dégage  d'une 
situation  fausse,  provoquant  la  sympathie  du  jury  par 
une  profession  de  foi  personnelle,  l'attendrissant  sur  un 
homme  d'autant  plus  à  plaindre  «  qu'il  pense  que  tout 
se  termine  avec  la  vie  de  ce  monde  »,  affirmant  enfin 
que,  si  l'empoisonneur  n'avait  pas  eu  de  croyance  reli- 
gieuse, «  il  doit  en  avoir  une  aujourd'hui  «,  et  que,  «  s'il 
a  douté  de  Dieu,  son  malheur  le  ramènera  à  Dieu  ".  Le 
client  a-t-il,  d'aventure,  la  figure  d'un  imbécile?  Il  tirait 
de  cette  figure  un  parti  merveilleux,  transformait  le 
voleur  ou  le  faussaire  «  en  un  bon  bourgeois  qui  aime 
à  faire  sa  partie  de  dominos  et  à  lire  le  Consliiution- 
net  n.  Il  disait  aux  jurés  :  «  Regàrdez-le  donc  ",  et  les 
faisait  rire  :  un  juge  qui  rit  est  bien  près  de  pardonner, 
ir  excellait  d'ailleurs  à  lire  sur  leurs  traits  tout  ce  qui 
se  passait  ou  même  ce  qui  allait  se  passer  dans  leur 
âme  :  «  Je  touche  ici,  je  le  sens  bien,  dit-il  dans  l'afifaire 
Troppmann,  aux  délicatesses  les  plus  grandes  de  la 
cause,  et  j'entends  déjà  tout  ce  qu'on  pourra  me  répon- 
dre; je  vois  tous  les  sourires  que  ma  parole  fera 
éclore...  w.  «  Croyez-vous,  dit-il  encore  aux  jurés  dans 
l'affaire  de  La  Pommerais,  que  je  ne  lise  pas  sur  Vos 
figures?  que  je  ne  sois  pas  en  communication  avec 
vous?  n  II  disposait  en  conséquence  ses  raisonnements 
et  ses  mouvements  oratoires,  comprenant  mieux  que 
tout  autre,  dans  le  feu  même  de  l'action,  s'il  devait  par- 
ler à  l'esprit  ou  au  cœur,  exciter  la  colère  ou  la  pitié, 
ce  qu'il  devait  dire  et  ce  qu'il  devait  taire. 


•'  Lachaud  était  doué  d'une  certaine  chaleur  d  ame 
très  communicative  alliée  à  une  apparence  de  bonhomie 
qui  devait  attirer  à  lui  cette  classe  spéciale  d'auditeurs. 
Il  n'avait  pas,  pour  atteindre  ce  but,  un  grand  effort  à 
faire.  Il  était,  lisons-nous  dans  l'introduction  qui  pré- 
cède la  récente  édition  de  ses  plaidoyers,  **  doux  et 
compatissant  »  ;  nous  le  croyons  après  l'avoir  lu  comme 
après  l'avoir  en-tendu.  Il  apportait  en  général  dans  la 
lutte  beaucoup  d'ardeur  sans  violence  ;  il  ne  déchirait 
pas  ses  contradicteurs  et  parfois  même,  au  lieu  de  rail- 
ler ou  de  pourfendre  l'avocat-général,  il  savait  lui  faire 
un  compliment.  On  n'imagine  pas  l'effet  qu'un  tel  com- 
plinaent,  bien  placé,  peut  produire  sur  le  jury  !  Celui-ci 
finit  par  se  convaincre  que  tout  le  monde  est  près  de 
s'entendre  et  qu'en  accordant  tout  à  un  homme  à  la  fois 
si  éloquent  et  si  charmant,  il  ne  fâchera  personne.  Tout 
cela,  bien  entendu,  ne  s'applique  pas  au  terrible  plai- 
doyer de  l'affaire  de  La  Meilleraye,  qui  offre  un  saisis- 
sant contraste  avec  les  autres  discours  du  maître. 
Lachaud  jugea  peut-être  un  aussi  complet  changement 
de  méthode  nécessaire  au  succès  de  sa  cause  et  se  con- 
traignit, sans  doute,  pour  n'épargner  personne.  Pour 


le  mettre  à  son  vrai  point,  il  faut  l'étudier  dans  les 
affaires  où  il  ne  se  contraignait  pas. 

«  Il  a  fait  couler  bien  des  larmes  !  Après  avoir  com- 
muniqué sa  propre  émotion,  d'abord  un  peu  factice,  à 
ses  juges  improvisés,  il  se  laissait,  à  son  tour,  gagner 
par  l'émotion  des  autres  ;  il  s'attendrissait  sincèrement 
à  force  d'avoir  attendri  son  auditoire  La  sensibilité  des 
jurés  ne  fut  jamais  exposée  à  de  tels  assauts  !  C'est  ainsi 
qu'il  les  amenait,  quand  les  faits  incriminâ~s'étaient 
reproduits  pendant  une  assez  longue  période,  à  s'api- 
toyer sur  les  tortures  morales  des  coupables,  «  assistant 
à  l'agonie  de  leur  honneur,  dont  chaque  minute  sonnait 
le  glas  funèbre  »,  qu'il  s'associait  avec  un  élan  irrésis- 
tible aux  angoisses  du  père  et  de  la  mère,  aux  douleurs 
de  l'épouse  :  >«t_Vous  avez  une  famille,  disait-il  aux 
jurés,  vous  savez  comment  l'on  s'aime,  vous  comprenez 
les  horribles  douleurs  de  ceux  qui  aiment  «.  Le  comble 
de  l'art  était  d'ajouter  :  ♦*  Eh  bien!  de  tout  cela  il  ne 
faut  tenir  aucun  compte  »».  Mais  qu'il  était  malaisé  de 
suivre  ce  dernier  conseil!  Il  essaya  d'attendrir  le  jury 
sur  Troppmann  lui-même,  cherchant  à.  prouver  «  que 
dans  cet  être  si  triste,  si  solitaire  et  dont  la  vie  était  en 
même  temps  si  remplie,  un  coin  du  cœur  était  resté.pur 
et  lumineux  :  l'amour  de  sa  mère!  «  Le  pathétique  fut 
son  arme  favorite,  et  c'est,  le  plus  souvent,  pour  en 
avoir  fait  un  habile  emploi  qu'il  resta  maître  du  champ 
de  bataille.  Les  Athéniens  auraient  peut-être  aggravé, 
si  Lachaud  avait  vécu  dans  leur  république,  la  défense 
d'exciter  les  passions  qu'un  héraut  adressait  à  leurs 
orateurs.  Mais  les  Français,  se  défient  moins  de  leur 
propre  faiblesse  et,  quand  ils  auraient  tous  les  autres 
genres  de  courage,  il  en  est  un  qui  leur  manquera  tou- 
jours :  celui  de  fermer  la  bouche  à  leurs  avocats.  '^ 

Or,  chez  nous,  fermer  la  bouche  aux  avocats,  ou  plu- 
tôt les  laisser  parler  pour  ne  pas  les  écouter,  pour  s'en 
défier,  voilà  le  mot  d'ordre. 

Ce  n'est  pas  avec  cela  qu'on  fait  un  grand  Barreau 


QUELQUES  LIVRES  RECENTS 

-  Les  Baisers  perdas,  par  Louis  Marsolleau  ;  Le  Prisme, 
par   Sully-Prud'homme  ;    La    Légende    de    Normandie,  par 

^^RisTiDE  Fbemine  ;   Les  Chants   d'aurore,  de  H.   Varesco  : 
Aux  Champs,  de  Harel    Paris,  Lemerre,  éditeur. 

Les  Èaisers  perdus  dôhuieni  :    ,. 

J'ai  dans  mon  sang,  le  sang  des  époques  hautaines, 
Je  suis  le  petit -filsdes  marquises  lointaines  ,  - 

Et  des  trouvères  blond?  de  grâce  revêtus... 
Je  suis  le  descendant  des  pages  chevelus  ,; 

Qui  sveltes  se  levaient  après  les  vidrecomes, 
A  la  fin  des  repas,  poètes  gentilhommes 
Dont  la  couronne  avait  le  baiser  pour  fleurons 
\    Et  qui,  réj)ée  au  flanc,  coupe  en  main,  fleurs  au  front, 
Parmi  l'or  héraldique  et  tin  des  marjolaines. 
Chantaient  le  hennin  blanc  des  hautes  châtelaines. 
—  Et  quoique  le  fil  des  beaux  siècles  soit  rompu, 
J'ai  gardé  de  leur  race  autant  que  je  l'ai  pu. 


:t 


M.  Louis  Marsolleau  est  plus^  quoi  qu'il  dise.  Et  sa  chanson 
vaut  mieux  qu'une  chanson  de  dessert.  Certes,  le\  Rmidely  ie\ 
Souhaii  vain,  telle  Pastorale  ne  sont  que  des  mignardises  heu- 
reuses assez  comparables  aux  roulades  pour  voix  italiennes. 
Pour  nous,  ce'qui  domine  le  livre  ce  ne  sont  ni  les  Jours  où 
Von  aimé,  ni  les  Regards  au  dehors,  ni  les  Petils  poèmes,  ni  les 
Couronnes^  ce  sont  les  Féminités  et  aussi  —  mais  moins  —  les 
Sonnets  en  couleur. 

Les  Féminités  sont  dédicacées  à  Charles  Morice.  En  voici 
quelques  extraits.  C'est  l'aimée  qui  dit  : 

Plus  rien  ne  m'intéresse  et  plus  rien  ne  nie  touche^ 
J'ai  des  yeux  de  mépris  où  vos  regards  d'amant 
Lisent  l'indifférence  ennuyée  et  farouche. 

Je  vous  vois  devenir  tout  triste  et  c'est  charmant 
De  penser  qu'il  suffit  d'un  seul  mot  de  ma  bouche 
Pour  jeter  votre  cœur  à  ce  crucifiement. 

Et  cependant  mes  yeux  mentent,  ma  bouche  ment. 
Ces  heures  où  je  fais  saigner  votre  âme  ouverte 
Sont  celles  où,  lassée  et  faible  et  presqu'offerte, 
Je  voudrais  te  sentir  en  moi,  profondément. 

Et  ailleurs  :  • 

Je  tiens  à  votre  .amour  que  je  porte  en  parure. 

Mon  plan  contre  tout  mal  et  toute  déchirure  , 

Est  de  ne  plus  aimer  et  d'être  aimée  encor  ; 

Mais  j'ai  peur  du  passé,  de  moi-même,  j'ai  crainte 

De  céder  au  bonheur  retrouvé  de  l'étreinte 

Je  ne  veux  pas  que  tu  me  reprennes  mon  corps. 

Ceci  n'est  plus  sujet  à  chanson.  C'est  plus  haut  et  plus  fort.  Il 
y  a  dans  ces  strophes  je  ne  sais  quelle  méchanceté  calme  quoi- 
qu'un peu  plate  dans  l'expression  «  mon  plan  contre  le  mal...  il 
suffit  d'un  seul  mot...»  dont  refîcl  est  très  coupant  sur  le  lecteur. 

LcsSofineisen  couleur  sont  parfois  d'une  tragique  enluminure 
rehaussés.  A  lire  :  sonnet  en  rouge  et  sonnet  en  vert. 

Depuis  que  Sully-Prud'homme  s'est  forgé  poète-philosophe, 
ou  plutôt  philosophe-poète,  son  art  est  allé  s'afFaiblissant.  Il  y  a 
eu  certes,  des  relais  dans  celle  descente  vers  le  quelconque  et 
le  tel  quel,  mais  rares.  Je  me  souviens  de  certains  sonnels, 
publiés  dans  les  Epreuves j  qui  étonnaient  par  la  difficulié  et 
l'aridité  du  sujet  et  qui  apparaissaient  splendides  néanmoins.  On 
aurait  dit  des  théorèmes  de  géométrie  pavoises  et  éclatants  d'or. 

La  Justice  a  décidé  que  désormais  M.  Sully-Prud'homme  ne 
serait  qu'épilogueur  et  raisonneur.  Ce  livre  a  été  décisif  en  sa 
défaveur.  De  poésie?  plus. 

Aujourd'hui,  le  Prisme  n'est  qu'un  recueil  de  banalités  graves 
et  d'aphorismes  cravatés  de  prudhommerie.  Le  lieu  commun  y 
est  tiré  à  quatre  épingles  au  moyen  des  quatre  vers  de  chaque 
strophe  et  certaines  pièces  apparaissent  comme  ces  jardins  si 
assommamment  anglais  dont  aucun  imprévu  ne  dérange  la  régle- 
mentaire tenue  de  quatrains  «  comme  il  faut.  » 

Les  litres  seuls  condamneraient  le  livre  si*on  les  lisait  un  à  un, 
sans  commentaire. 

Et  dire  que  l'auteur  qui  a  signé  ce  récent  livre  a  fait  les  Ecu- 
ries d'Augtas  ci  les  Vaines  Tendresses  \  M.  Sully-Prud'homme 
le  termine  par  une  série  d'alexandrins  «  pour  son  lycée  ».  Volon- 
taire ou  non,  celte  reculade  vers  le  passé  est  très  bien  en  situa- 
tion. Bien  des  poèmes  du  Prisme  ne  sont  guère  plus  honnêtes 
que  des  devoirs  de  rhétorique.  On  y  sent  le  thème  appris,  la 
période  fatale,  l'adjectif  cliché,  le  tour  appris  par  cœur  et  con- 
seillé par  les  professeurs  les  p!us  savants,  pzrce  que  les  plus 
routiniers. 


Somme  toute,  livre  ntalheureux,  indigne  du  grand  poète  de 
les  Yeux,  Idéal,  le  Meilleur  moment  des  amours,  le  Long  du 
quai  et  doiit  la  leclure  attriste  comme  une  décomposition  de  soleil 
couchant  dans  les  brouillards  mornes  d'un  soir  d'hiver. 
.  Voici  M.  Fremino;  la  Légende  de  Normandie.  Très  fière  et 
héroïque,  cette  légende,  et  rudement  et  vaillamment  chantée.  Le 
début?  Lfl  Tombe  de  Viking.  La  fin?  La  Mer  normande.  Au 
milieu?  El  Oisèle  et  le  Chant  de  Robert  Guiscart  et  \e  Mont 
Saint-Michel  et  Ouernesey  et  Gersey  et  Armont.  Tous  poèmes 
de  belle  étendue,  pleins  de  vers  savants  et  quelquefois  évocatoires 
et  célébrant  les  exploits,  les  guerres  et  les  morts  célèbres  en 
Normandie.  L'auteur  dit  : 

A  ces  traditions,  ami,  soyons  fidèles, 

La  science  et  l'esprit  ouvrent  à  grands  coups  d'ailes, 

Dans  l'horizon  borné  de  nos  temps  nébuleux, 

Les  horizons  lointains  de  pays  merveilleux. 

Allons  vers  eux,  la  main  dans  la  main  des  ancêtres  I 

Et  plus  tard,  tout  là-bas,  parmi  les  bois  des  hêtres, 

Les  vallons  d'herbe  drue  et  les  plants  de  pommiers, 

Au  chant  gaulois  des  coqs  sonnant  l'heure  aux  fermiers, 

Nous  aurons  pour  dormir,  car  c'est  notre  demande, 

Un  bon  lit  de  six  pieds  fait  de  terre  normande. 

Il  est  de  mode  parmi  les  poètes  français  de  se  consacrer  cha- 
cun k  son  coin  de  patrie.  Theuriet  célèbre  l'Ardenne,  Aicard  la 
Provence,  Fabié  le  Quercy.  C'est  une  curieuse  décentralisation 
qu'Aristide  Frcmine  aggrave  de  son  volume  nouveau.  11  çst  à 
regretter  toutefois  que  ces  différents  poètes  s'occupent  plus  du 
décor  que  de  l'âme  même  de  leur  terroir.  Le  Normand  est  un 
être  [d'une  particularité  profonde.  L'auteur  de  la  Légende  ne  l'a 
point  analysé.  Il  est  vrai  que  Guy  de  Maupassanl,  un  prosateur, 
s'en  est  chargé  si  supérieurement  qu'il  n'a  guère  laissé  à  glaner. 

M"*  Hélène  Varesco,  une  roumaine,  ne  s'est  point  encore  suffi- 
samment acclimaté  l'esprit  pour  habiller  sa  pensée  en  français 
littéraire.  Ci  et  là  des  lourdeurs  ou  des  na'ivetés  d'expression,  ou 
bien  des  vocables  démod(^s  et  flasques.  «  Premier  bégaiement  » 
tel  devrait  être  le  titre,  du  livre  au  lieu  d'être  une  fin  de  phrase 
dans  la  préface.  Mais  l'auteur  n'a  que  vingt  ans  et  c'est  son  pre- 
mier pas.  Musset  a  fait  jadis  un  sonnet  indulgencier  pour  sem- 
blable cas.  '  . 

Alix  Champs  ?  Harel  Scripsit.  j'' 

Dans  la  première  parlie  du  volume,  les  douze  mois  sont  célé- 
brés par  une  pièce  de  circonstance,  celle  de  janvier  est  char- 
mante :  -,  ^  - 

Aux  petits  oiseaux  du  bon  Dieu 
Les  hall iers  servent  dé  patrie, 
Fougère,  viorne  défleurie, 
Bonce  fauve  et  houx  au  milieu. 
Le  vieux  houx  est  l'hôtellerie 
-       ,  Des  petits  oiseaux  du  bon  Dieu. 


A  la  vieille  auberge  du  Houx,- 
Au  crépuscule  et  dans  la  brume. 
Jamais  chandelle  ne  s'allume, 
On  s'y  couche  au  lever  des  loups, 
Tout  le  monde  dort  sous  la  plume. 
A  la  vieille  auberge  du  Houx. 

Hôtel  des  biseaux  du  bon  Dieu,  - 
Qui  dans  le  fond  de  tes  chambrettes, 
A  travers  des  ombres  discrètes, 
Introduis  le  firmament  blau. 
Ah  1  fais  donc  chanter  les  poètes. 
Gomme  les  oiseaux  du  bon  Dieu. 


Cela  sent  spirituel lenient  la  campagne.  C'est  peut-être; un  peu 
trop  joli  et  trop  apprêté  mais  telle  n'était  elle  point  la  chanson  des 


I     f 


si  ddlicicui  poètes  de  la  pléiade  Dubellay  el  Bellau  d'abord,  el  de 
Sainl-AmanJ  après  eux.  Avril  ne  fait-il  point  songer  à  la  Mare 
de  ce  dernier.  Et  plus  loin,  Août  n'évoquc-l-il  point  la  langue  et 
le  rythme  de  Gustave  Mathieu,  un  autre  poète  des  herbes  et  des 
oiseaux  et  des  vignes  el  des  blés. 

M.  Harel  est  resté  dans  la  traJition  française  en  nous  décrivant 
uni  nature  où  certes  les  paysans  frustes  et  grands  de  Millet  n'au- 
raient que  faire,  mais  où  la  Perretle  —  cotillon  simple  et  souliers 
plais  —  de  la  Fontaine,  marche  gaîment  le  long  des  strophes. 

■■■.  .         -    ■    ^-  '        .'■.'**  '    ■     ,    ' 

Soherzando  ?  Rimes  folles,  avec  un  frontispice  de  Léon  Dar  • 
denne.  —  Tiré  à  228  exemplaires  sur  lés  presses  de  J.-B.  Moens  et 
fils,  Bruxelles,  1886. 

Ces  vers  ont  été  lus  dans  l' Etudiant  el  la  Jeune  Belgique  ;  vers 
bien  faits,  de  rigoureuse  technique  et,  ci  el  là,  de  jolie  el  mîgnarde 
éclosion.  La  meilleure  partie  du  recueil  nous  semble  être  :  Vers 
Pompadour. 

Voici  un  rondel  : 

Les  Colombines,  les  Gilles, 
Tournent  au  son  des  crincrins, 
Mignards  vaporeux  et  fragiles, 
Langueur  aux  yeux,  flamme  aux  reins. 

Cachant  sous  les  romarins 
Leurs  enlacements  agiles, 
-  Les  Colombines,  les  Gilles, 

Tournent  au  son  des  crincrins. 

A  l'écart  les  tabarins. 
En  vrais  poètes  d'idylles, 
Pour  oublier  leurs  chagrins 
Chantonnent,  en  gais  refrains, 
Les  Colombines,  les  Gilles. 

Les  Morales  du  Hastaquouëre,  par  Surtac 
Paris,  Ollendorff. 

Pas  longs,  mais  très  amusants  Les  Morales  du  Raslaqumère, 
de  Surlac.  Dix  fables,  plus  la  dernière  el  l'avant  dernière.  Voici 
les  morales  à  la  file  :  La  petite  vient  en  mangeant.  Proudence  est 
mère  de  la  soûreté.  La  tenue  délivre.  Oo  ne  paiine  pas  avec 
l'amour.  Dans  le  Doubs  absinthe  loi.  Ne  fais  pas  aux  truies  ce 
que  tou  né  voudrais  pas  qu'où  fasse  à  ta  fille.  Chassez  le  natourel 
il  revient  o  galop.  Tant  va  lé  cachalot  qu'à  là  fin  il  se  prise.  A 
tous  les  cœurs  bien  nés  que  la  Pairie  est  chère!  Laissez  les 
enfants  a  Lord  Maire.  Un  bain  fail  n'est  jamais  perdou.  Après  la 
plouie  le  Boltin. 

Comment  l'auteur  est  arrivé  a  ces  funambulesques  transposi- 
tions le  livre  l'apprend  et  Caran  d'Ache  le  commente  par  des 
dessins  exquis  el  Coquelin  cadet  l'annonce  à  la  foule.  Lisez. 


-GJlanurep 

Ce  qui  manque  à  notre  temps,  ce  n'est  pas  ractivilé»  mais  la 

réflexion  dans  l'activité. 

* 

*  * 

On  ne  pense  guère  avant  de  peindre,  on  pense  peu  en  peifaant, 
on  ne  pense  plus  après  avoir  peint. 

Toute  idée  qui  peut  mellre  l'artiste  en  hostilité  avec  la  vie, 
est  une  idée  mauvaise.  C'est  par  l'observation  dé  la  vie  ^u'il  se 
renouvelle  et  qu'il  se  crée.  ^"^ 


Michel-Ange,  entrant  dans  la  chapelle  Sixlin'^,  aperçut  des 
jeunes  peintres  en  train  de  copier  s'yn  Jugemefit  dernier  :  «  Oh! 
que  de  gens  ma  peinture  va  perdre  !  0  quanti  questi  opéra  mia 
ne  vuoU  ingoffire!  »,  ne  put-il  s'empêcher  de  dire.  ;, 


•Un  tableau  vit  de  sa  propre  vie;  il  peut,  il  doit  conlenir*nître 
action  concentrée  ou  un  spectacle  complet. 


*■ 
*  ■  * 


Si  rien  n'est  plus  émouvant  qu'une  scène  bien  jouéî  au  théâtre, 
rien  n'est  plus  déplaisant  dans  l'art  que  les  attitudes,  les  mouve- 
ments, les  physionomies  de  théâtre.  _    . 


La  curiosi'é  littéraire  mal  dirigée  est  plus  dangr^reuse  pour 
un  artiste  qu'un  manque  de  lettres  presque  complet. 


Ce  qui  s'exprime  bien  par  la  plume  ne  s'exprime  pas  bien  par 
le  pinceau;  l'on  n'est  peintre  qu'à  la  condition  de  parler  d'abord 
aux  yeux  par  les  formes  et  par  les  couleurs. 


*  * 


Il  suffit  de  se  mettre  au  vert  pour  se  sauver.  Le  vert,  pour  un 
peintre,  c'est  l'étude  de  la  nature,  l'observation  de  la  vie,  la 
méditation  sur  les  œuvres  des  maîtres  simples  el  sains,  la  pra- 
tique du  nu,  du  portrait,  du  paysage. 


Presque  tous  les  peintres  qui  se  tiennent  en  commerce  con- 
stant avec  la  nature  s'assurent  un:  longévité  particulière  de  pro- 
duction. Lors  même  que  les  chaleurs  de  la  jeunesse  se  sont  apai- 
sées, ils  continuent  à  progresser  ou  ils  s'affaiblissent  avec  moins 
de  rapidité  que  les  compositeurs  de  fantaisie. 


La  vie  est  la  qualité  essentielle  dans  une  œuvre  d'art  ;  lorsque 
la  vie  y  apparaît,  même  imparfaite,  on  est  bien  prêt  de  tout  par- 
donner. 


Le  naturalisme  n'est  point  l'acceptation  en  blo:  de  tous  les 
détails  qu'offre  pêle-mêle  la  nature,  mais  le  choix  de  ceux  qui 
peuvent  communiquer  plus  de  clarté,  plus  d'éclat,  plus  de  force, 
plus  de  charme  au  sujet  traité. 


Il  serait  inutile  et  impossible  de  rendre  la  natare  d'un  seul 
coup,  sous  tousses  aspects,  loui  entière,  et  il  arrive  toujours  un 
moment  où  l'artiste  est  obligé  de  choisir  el  de  simplifier  :  la 
science  des  sacrifices,  dans  l'art  eomme  dans  la  rie,  est  le  con»- 


mencement  de  la  sagesse. 


Toute  espèce  de  sujet  gagne  à  être  condensée  dans  un  petit 
cadre.  Une  toile  de  chevalet  suffit  à  dire  tout  ce  qu'un  peintre, 
môme  le  phis  profond,  peut  sentir  et  penser. 


Nous  avons  beaucoup  de  peine  à  éire  sensibles  sans  sentimea- 
lalilé,  attristés  sans  pessimisme,  tragiques  sans  déclamation. 


* 


La  science  esjl  une  parîie  essentielle  du  talent,  elle  le  forliâe, 
l'agrandit,  le  soutient,  le  perpétue! 


J 


En  vieillissant,  les  maîtres  s'efforcent  non  plus  de  s'annihiler 
devant  les  choses  comme  il  est  naturel  et  salutaire  à  l'caudianlde 
le  faire,  mais  de  dégager  d(i  leur  for  intérieur,  avec  toute  la  sin- 
cérité possible,  l'impression  personnelle  qu'ils  ont  reçue  de  ces 
chos.^s.  C'est  lorsque  le  paysagiste  est  arrivé  à  cette  pleine  pos- 
session de  lui-même  qu'il  eisl  vraiment  un  maître,  c'est  alors 
qu'il  fait  rayonner  dans  son  œuvre  une  émotion  communicalivc 
dont  une  partie  dé  la  nature  se  trouve  tout  à  coup  éclairée. 


pONCQUR^    DU    f!0NPEI\V/T0IRE 

(Suite)  {*). 

Musique  oï  chambre  pour  instruments  a  archet.  Professeur  : 
M.  Alex.  €ornélis.  —  1<^''  prix  :  MM.  Lejeune  (violon)  et  Dubin 
(alto);  2*^  prix  avec  distinction  :  MM.  Lampens  (violoncelle)  et 
Queeckers  (violon);  S*'  prix  :  MM.  Adams  et  Vandeputle  (alto)  et 
M"*'  A.  von  Netzer  (violon);  l»""  accessit  :  MM.  Collin-Fiévez, 
Merck  et  M'"«  Slirling. 

Orgue.  Professeur  :  M.  MaiHy.  —  1''''  prix  avec  distinction  : 
M.  Vilain;  i''^  prix  :  M.  Marivoet;  2«  prix  :  M"«  Botte  et  M.  Vot- 
quenne;  l"  accessit  :  M.  Devaere. 

QrATUOR.  Professeur  :  M.  Jonô  Ilubay.  —  i*'""  prix  :  MM.  Sau- 
veur (violon)  elRigo  (violon);  2'^  prix  avec  distinction  :  M.  Hans 
(alto)  ;  2«  prix  :  M.  Darmaro  (violon). 

Violon.  Professeurs  :  MM.  Jenô  Hubay  et  Alexandre  Cornélis. 
—  i"  prix  avec  distinction  :  M  Sauveur  (élève  de  M.  Hubay),  et 
M^'*  Mees  (élève  de  M.  Cornélis);  i"  prix  :  M.  Laoureux  (élève 
de  M.  Hubay);  M.  Drèze  (élève  de  M.  Cornélis),  et  M.  Darmaro 
(élève  de  M.  Hubay);  2^  prix  avec  distinction  :  M*'«  A.  von  Net- 
zer (élève  de  M.  Cornélis)  ;  2«  prix  :  M.  Collin  (élève  de  M.  Cor- 
nélis), et  M.  Godebski  (élève  de  M.  Hubay);  accessit:  M''®  Lam- 
biolte  et  M.  Liégeois  (élèves  de  M.  Cornélis),  et  M'*«  Siegel  (élève 
de  M.  Hubay). 


^    X-'Î^DEN 


Par  ces  temps  de  clôture  théâtrale,  les  Martinetti  et  les  Lauri 
préoccupent  beaucoup. 

Nous  avons  rendu  compte  àe  Robert  Macaire  et  \o\ç\  Pmsl 
Piiss  !  Plus  de  culbutes  et  de  sauts  et  de  cumulels  dans  celte 
dernière  pantomime.  Au  théâtre  de  la  Bourse  on  étudie  un  type 
admirablement  exprimé,  à  l'Eden  on  s'étonne  d'une  gymnastique 
effrénée  et  d'une  clownerie  transcendante. 

Depuis  les  Hanlon-Lees  la  pitrerie  pure  disparaît  des  scénarios 
pour  faire  place  à  certaine  étude  de  caractères  fantasques  et  fols 
que  d'inédits  tours  de  force  font  valoir.  Les  Lauri  tiennent  des 
Hanlon-Lees;  ils  ont  adopté  et  perfectionné  leurs  sauls  périlleux, 
leur  adresse  de  jambes  et  de  bras,  leur  dextérité  et  leur  sou- 
plesse de  muscles.  Ce  sont  d'audacieux  clowns  et  de  très  embal- 
lés et  verveux  farceurs.  La  gifle  allongée  par  l'un  d'eux,  le  coup 
de  pied  envoyé,  le  sont  avec  une  instantanéité  suprême. 

Une  dislocation  cocasse  plie,  replie  et  déplie  leur  corps  vingt 
fois  en  une  minute;  ils  ont  inventé  des  immobilités  grotesques 
et  compliquées  au  possible,  des  grimaces  où  le  ridicule  est  qui n- 


lessenclé  h  merveille,  telle  plastique  semble  donner  une  illusion 
de  guivre  et  de  gargouille  à  cheval  sur  un  angle  de'tour  gotliique. 
ta  pantomime  Pitss!  Piiss!  met  toutes  ces  rares  qualités  en 
lumière. 


{*)  V.  l'Art  moderne  du  27  juin  dernier. 


MEMENTO  DES  EXPOSITIONS  ET  CONCOURS 

Amsterdam.  Exposition  (internationale)  d'artistes  contemporains 
organisée  par  la  ville  d'Amsterdam.  Peinture,  sculpture,  architec- 
ture, gravure,  dessin,  lithographie.  Du  27  septembre  au  30  octo- 
bre 1886.  Délai  d'envoi  :  2J  aoùt-7  septembre.  Frais  à  charge  de 
l'exposant  à  l'aller,  à  charge  de  la  CommissiiQn  au  retour.  —  Six 
médailles  d'or,  chacune  de  100  florins.  —  Jury  de  sept  membres, 
dont  quatre  élus  par  les  exposants.  Joindrai» l'envoi  le  nom  de  quatre 
candidats,  —  Les  jurés  ne  peuvent  concourir  pour  les  médailles.  — 
Renseignements  :  Commission  executive  de  l' Eorposition  commu- 
nale, Amsterdam.  (J.  Luden,  secrétaire). 

Bruxelles.  —  Prijr  du  Roi,  25.000  francs  offerts  : 

Eu  1886  (concours  exclussivement  belge),  à  l'ouvrage  le  mieux 
conçu  pour  développer  chez  la  jeunesse  belge  l'intelligence  et  le  goût 
des  littératures  anciennes  et  modernes. 

En  1888  (id.),  au  meilleur  ouvrage  sur  renseignement  des  arts 
plastiques  eu  Belgique  et  sur  le  moyen  de  développer  l'art  en 
Belgique  et  de  le  porter  à  un  niveau  de  plus  en  plus  élevé. 

Les  ouvrages  destinés  à  ces  concours  devront  être  transmis  au 
Ministre  de  l'Agriculture^  de  l'Industrie  et  des  Travaux  publics,  à 
savoir  :  pour  le  prix  à  décerner  en  1886,  avant  le  l*»"  octobre  1886, 
et  pour  celui  à  décerner  en  1888  avant  le  l^»"  janvier  1888. 

CouRTRAi.  —  Exposition  de  tableaux,  dessins,  gravures,  sculp- 
tures et  lithographies.  Du  22  août  au  30  septembre.  Délai  d'envoi  : 
15  juillet.  Renseignements  :  L.  De  Geyne,  secrétaire  de  l'exposi- 
tion, directeur  de  l'Académie  et  de  l'école  industrielle. 

DuNKERKE.  —  Exposition  (internationale)  d'aquarelles,  dessins  et 
cartons,  pastels,  miniatures,  émaux  et  faïences,  gravures,  lithogra- 
phies. Du  14  juillet  au  22  août.  Délai  de  rigueur:  5  juillet.  Adresse: 
Ecrposition  des  Beaux- Arts,  Musée  communal,  Dunkerke. 

Florence.  —  Concours  (offert  à  tous  les  artistes  résidant  en  Italie) 
pour  les  trois  portes  de  bronze  de  la  façade  de  Santa-Maria-del-Fiore 
(cathédrale).  Primes  de  4,000  francs  pour  la  porte  centrale,  de 
5,000  francs  pour  chacune  des  portes  latérales,  accordées  aux  pro- 
jets choisis  (dessin  géométrique  en  clair-obscur,  développé  au  tiers 
de  la  grandeur  d'exécution).  Délai  de  rigueur  :  31  octobre  1886.  Siège 
du  comité  :  Place  du  Dôme,  24,  Florence. 

Gand.  —  Exposition  (internationale)  de  la  Société  royale  pour 
l'encouragement  des  Beaux-Arts.  Du  15  août  au  24  octobre.  Délai 
d'envoi  :  18  juillet.  Secrétaire  de  la  commission  directtnce  :  M.  Ferd. 
Vander  Haeghen. 

Milan.  —  Concours  (international;  pour  la  reconstruction  de  la 
façade  de  la  Cathédrale  (le  Dôme)  en  harmonie  avec  le  style  du  mo- 
nument. —  S'adresser,  pour  le  programme,  à  l'hôtel  de  ville  de 
Bruxelles,  bureaux  de  la  6«  division,  de  dix  à  quatre  heures. 

Spa.  —  Exposition  des  Beaux-Arts  Du  !«''  août  à  fin  septembre. 
Délai  d'envoi  :  2-22  juillet  Adresse  :  Commission  directHce  de 
l'exposition  à  Spa  ^M.  Louis  Sosset,  secrétaire). 

Concours  Rubinstein.  —  Une  somme  de  vihgt-cinq  milles  roubles 
a  été  placée  à  la  Banque  de  Russie  par  M.  Rubinstein.  Les  intérêts 
de  cett€  somme  serviront  à  décerner  des  primes  musicales  aux 
compositeurs  et  aux  pianistes,  ainsi  qu'à  payer  les  frais  d'^organisa- 
tion  des  concours,  qui  seront  internationaux. 

Ces  concours  auront  lieu  tous  les  cinq  ans;  deux  primes,  chacune 
de  cinq  mille  francs,  seront  accordées  soit  à  deux  concurents,  soit  à 
un  seul  qui  serait  désigné  comme  compositeur  et  pianiste  de  premier 


. 


ordre.  Au  cas  où  cea  primes  ne  seraient  point  décernées,  les  concur- 
rents n'ayant  pas  fait  preuve  de  supériorité  réellp,  on  pourra  accorder 
des  primes  secondaires  d'une  valeur  de  deux  mille  francs. 

Le  premier  concours  aura  lieu  en  1800.  Les  villes  désignées  pour 
les  jugements  à  intervenir  et  l'organisation  des  concours  sont  :  Saint- 
Pétersbourg,  Berlin,  Vienne  et  Paris. 

Toute  personne  du  sexe  masculin,  âgée  de  20  à  2f)  ans,  peut 
concourir,  quelle  que  soit  sa  nationalité. 

Le  programme  des  concours  comporte  :  {°  Pour  les  compositeurs.: 
concertos  avec  orchestre  ;  musique  de  chambre  et  autres  composi- 
tions pour  piano  sans  accompagnement  ;  2  '  Pour  les  çxécutnnts  : 
exécution  de  concertos  avec  orchestre,  musique  de  chambre  et  de 
solos  de  tous  genres  (style  classique  ou  style  moderne). 


pETITE    CHROfiiquz: 


Le  Salon  de  Paris  a  pris  fin.  La  clôlure  de  celte  exposition  a 
eu  lieu  mercredi.  Dès  jeudi  malin,  on  commençait  à  décrocher 
les  lableaux,  la  cérémonie  de  la  dislribulion  des  récompenses 
devant  avoir  lieu  hier  samedi,  dans  One  des  salles  du  premier 
étage  du  palais. 

Le  déménagement  de  celle  exposition  devra  éiro  fait,  celle 
année,  en  un  tour  de  main,  le  local  occupé  par  la  Société  des 
artistes  devant  être  évacué  le  12  ou  le  15  au  plus  lard,  pour 
faciliter  les  installations  de  la  nouvelle  exposiiion  induslrielle 
annoncée. 

Ouvert  le  1"  mai,  le  Salon  de  1886  a  eu  une  durée  de 
cinquanle-six  jours,  non  compris  les  quatre  jours  pendant  les- 
quels celle  exposition  est  restée  fermée  à  la  fin  du  mois  dernier. 

On  y  a  compté  37-2,000  entrées,  chiffre  qui  dépasse  d'environ 
30,000  le  nombre  enregistré  l'année  dernière. 

Sous  le  rapport  financier,  les  résultats  sont  1res  satisfaisants. 
.    L'année  dernière  on  a  encaissé  une  somme  de  30 1,000 'francs. 

Or,  lundi  soir,  la  recette  du  prissent  Salon  dépassait  déjà 
308,000  francs.  Quand  on  aura  ajouté  à  celle  somme  le  produit 
des  entrées  des  deux  dernières  journées  et  la  somme  fournie  par 
les  abonnements,  on  obtiendra  une  recelte  totale  d'environ 
315,000  francs.  A  celle  somme  viendra  s'ajouter  la  redevance 
payée  par  l'entrepreneur  du  buffet  soit  11,000  francs),  puis  le 
produit  de  la  vente  des  catalogues  et  quelques  autres  menues 
recelles,  qui  porteront  à  bien  près  de  330,000  francs  le  total  des 
sommes  encaissées. 

D'autre  part,  la  Société  des  artistes  étant  aujourd'hui  proprié- 
itaire  de  la  plus  grande  pariie  du  matériel  qu'elle  emploie  pour 
i'organisalion  de  ses  expositions,  il  s'ensiit  que  les  frais  seront 
relativement  peu  élevés.  Selon  les  prévisions  du  moment,  le 
Salon  de  1886  laissera,  tout  compte  fait,  un  bénéfice  net  d'envi- 
ron 240,000  francs. 


•  Le  succès  remporté  par  l'œuvre  de  Constantin  Meunier  au 
Salon  de  Paris  a  décidément  été  général.  Voici  l'éloge  que  lui 
consacre,  dans  la  Justice.  M.  Gustave  Giffrov,  et  qui  confirme 
pleinement  l'apprécialion  de  M.  Octave  Mirbeau.  que  nous  avons 
reproduite  : 

«  C'est  une  des  œuvres  remarquables  de  ce  Salon,  dit  M.  Gcf- 
froy.  On  a  pu  reléguer  ce  Marleleur  dans  l'un  des  bas-cotes,  loin 
des  promenades  habiluclles,  —  quelques-uns  ont  pourlanl  bien 


su  le  découvrir.  L'artiste  qui  a  .sculpié  ce  Marleleur  est  bien  prè§ 
d'avoir  réalisé  le  rêve  d'une  représentation  moderne  du  travail. 
Les  plis  de  la  blouse  sont  durs  et  coupants,  les  mains  sont  fines, 
mais  le  tablier  de  cuir,  les  lourdes  chaussures  qui  dessinent  des 
pieds  de  pachydermes,  la  coiffure  en  visière,  la  signification  de 
l'outil,  le  torse  nerveux  et  la  face  brutale  et  mélancolique,  sont 
autant  d'indications  justes,  d'ime  rare  valeur  d'oécution.  » 


C'est  par  erreur  que  rAri  Moderne  a  annoncé  un  comple- 
rendu  dcs1l/oi«g,ç,  le. nouveau  volume  de  poésies  de  M.  Emile 
Verhaeren.  La  règle  est,  en  effet,  que  le  journal  ne  rend  pas 
compte  des  écrits  de  ses  rédacteurs,  afin  de  conserver  dans  sa 
critique  l'indépendance  la  plus  absolue.  Depuis  six  ans  qu'il 
paraît,  il  n'a  jamais  été  fait  d'exception  à  ce  principe. 


M.  Blauwaerl  est  revenu  d'Angleterre,  oiî  il.  a  remporté  des 
succès  relenlissanls.  L'excellent  baryton  est  engagé  pour  six 
mois,  à  partir  d'octobre,  pour  une  série  de  concerts  en  Alle- 
magne, en  Autriche,  en  Hongrie  et  en  Russie. 


L'administration  des  concerts  du  Waux-Hall  donnera  aujour- 
d'hui dimanche,  à  une  heure  et  demie,  un  grand  concert  au 
théâtre  de  la  Bourse,  avec  le  concours  de  M"«  VVolf,  du  théâtre 
de  la  Monnaie,  de  M.  Ysaye,  violoniste,  et  de  l'orchestre  complet 
du  théâtre  de  la  Monnaie. 

La  seconde  partie  du  concert  sera  consacréeà  l'audition  d'ceu- 
vres  de  Richard  Wa^jncr,         .      - 


Un  comité  syndical  est  institué  par  VUnion  littéraire  pour  la 
protection  des  intérêts  des  gens  de  lettres.  Ce  comité  est  chargé  : 

1**  De  l'étude  des  que^:i)nsse  rattachant  aux  droits  des  auteurs; 
S**  de  donner  des  avis  et  consultations  sur  les  ditficuilés  de  fait  et 
de  droit  que  soulève  l'application  des  lois  et  arrêtés  concernant 
ces  droits  ;  3"  d'indiquer  la  marche  à  suivre  pour  assurer  le  règle- 
ment ou  la  défense  des  droits  des  auteurs,  en  Bel!][ique  ou  à 
l'étranger;  4"  des  jugements,  à  titre  d'amiable  compositeur,  des 
différends  qui  lui  sont  soumis;  .ï"  des  arbitrages  qui  lui  seraient 
déférés  par  les  parties  ou  parles  tribunaux;  6*^  de  servir  d'inter- 
médiaire entre  les  auteurs,  les  éditeurs  et  la  presse  pour  la  publi- 
cation des  œuvres  littéraires^.  •. 

Les  avis  et  consultations  sont  donnés  gratuitement  aux  rnavci' 
h?es  de  V Union  littéraire. 

Le  comité  syndical  se  compose  de  MM.  Edouard  De  Linge, 
"Henri  Merzbach,  Edmond  Picard,  Adolphe  Prins,  Alphonse  Van 
Camp  et  Frédéric  Descamps,  secrétaire.  Prière  d'adresser  fa  cor- 
respondance au  secrétaire,  14,  rue  Saint-Jean,  à  Bruxelles. 


Dans  quelques  jours  paraîtra  l'Epoque,  revue  mensuelle 
illustrée  de  100  à  150  pages,  formant  chaque  année  4  beau.\ 
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spécimen,  fr.  1-75.  —  S'adresser  à  M.  Lefebvre,  administrateur 
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ment fixé  à  5  francs  pour  ceux  qui  enverront,  avant  le  1"  août, 
leur  souscription  à  l'imprimeur  :  Veuve  Monnom,  26,  rue  de  l'In- 
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No»  .563/65.  Raff,  J.  Œuvres  pour  piano.  3  vol.  Vol.  1  et  3  à 
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'1 


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La  fin  de  Satan.  —  Xatier  Melleky.  Le  Don  de  Majorité.  -^ 

LiTTÉRATUBE    VAGABONDE.    CoNCERT    ATJ  ThÈATRE    DE    LA    BOU-RSE. 

—    CORRESPOXDANCE.    —    CONCOURS    DU    CONSERVATOIRE.    —    CHRONI- 
QUE JUDICIAIRE  DES  ARTS.  Une  artiste  disputée.  —  Petite  chronique. 


LA  ï\\  DE  SATAX 

L'œuvre  a  paru  voici  déjà  longtemps.  Mais  il  n'est 
jamais  trop  tard  pour  parier  des  livres  éternels. 

Jadis,  dans  l'enfance  des  cerveaux  et  des  coeurs, 
c'était  la  gloire  d'un  peuple  entier  d'en  faire  de  sembla- 
bles L'Inde,  la  Perse,  la  Grèce,  la  Judée,  la  Scandi- 
navie tiraient  delles-mèmes,  au  bout  de  plusieurs  siè- 
cles, des  fables  magnifiques,  d'une  poésie  mystique  et 
humaine  à  la  fois,  d'une  hantise  et  d'un  symbolisme 
8uprèmes.  Elles  s'imposent  aujourd'hui  avec  leur 
immensité  d  âge  et  de  splendeur  dressées  devant 
elles,  et  nous  les  étudions  encore  soit  documents,  soit 
épopées  :  la  vie  héroïque  et  quotidienne  des  peuples  y 
est  scellée.  Autant  d'ailleurs  que  les  conceptions  surna- 
turelles :  et  ce  sont  les  Vedas  qui  disent  l'émigraion 
des  Aryas  vers  l'Indus,  la  pensée  et  les  espérances  des 
lointains  ancêtres,  et  le  Zend  ou  le  dualisme  religieux 
est  pour  la  première  fois  réalisé  en  légende  persane,  et 
les  llliades  dont  les  rhapsodes  célèbrent  la  vie  humaine 
et  divine  autour  d'un  idéal  de  conquête  et  de  guerre,  et 
les  Bibles  d'où  l'Europe  entière  est  jaillie  avec  ses  dog- 
mes, ses  cultes,  ses  forces  d'àrae  et  d'intelligence,  et  les 
Sagas  y  chants  de  mythes  norses  et  teutons,  où  toute  la 


tragédie  de- la  nature  s'échevèle.,  Ces  poèmes  apparais- 
sent énormes  comme  des  monuments.  Ils  se  bâtissaient 
comme  les  séculaires  pyramides,  comme  les  Thèbes  et 
les  Babylones  et  les  Ninives.  Fourmillement  dans  la 
construction,  unité  géante  dans  l'achèvement.  Et  comme 
ces  villes  immenses,  incessamment  aussi  ils  se  transfor- 
maient, les  dieux  changaient  de  nom,  les  épisodes  de 
signification,  les  théogonies  de  caractère.  Dans  l'Inde, 
après  Varuna,  Agni  et  Indra  venaient  Brahmâ,  Vishnu 
et  Siva,  en  Perse  les  Devas  étaient  peu  à  peu  aban- 
donnés, les  divinités  grecques  émigraient  et  changaient 
d'appellation  à  Rome.  Et  ces  métamorphoses  restaient 
aussi  bien  que.  les  premières  versions  —  collectives. 

La  Fin  de  Satan,  troisième  p)artie  d'un  poème  dont 
Dieic  et  la  Légende  des  siècles  font  l'unité,  appartient 
à  cette  catégorie  d'écrits  énormes,  et  peut  être  pris  pour 
une  continuation  de  la  légende  chrétienne,  venue  jus- 
qu'à nous  depuis  la  Bible  à  travers  l'Evangile.  Elle  a 
toute  la  grandeur,  toute  la  beauté,  toute  l'immensité, 
.  tout  le  vague,  toute  l'horreur  nécessaires.  Elle  f^iit 
rêver,  par  sa  construction  géante,  aux  œuvres  faites  de 
siècles  et  de  lointain,  si  hautes  et  si  magnifiques  qu'elles 
semblent  au  dessus  de  l'efibrt  humain.  Elle  contient  sa 
part  d'absurdité  mythique,  elle  n'est  pas  vraisemblable, 
elle  n'e^t  guère  un  poème  épique,  voisin  du  roman. 
Elle  semble  inspirée. 

Seulement,  ce  qui  la  nette  des  légendes  d'antan,  c'est 
qu'elle  est  signée  d'un  nom,  d'un  seul. 

Au  degré  de  civilisation  et  d'incrédulité  où  nous 
sommes,  les  peuples  sont  inaptes  à  construire  des  épo- 


218 


VART  MODERNE 


pées  religieuses.  Le  «  cœur  d'une  nation  »»  qui  les 
créait  n'est  plus  qu'un  terme  banal  pour  discours  parr 
lementaire  ou  pour  cantate.  La  poésie  patrioiique  elle- 
même  est  morte  et  ensevelie  dans  un  drapeau  tricolore 
quelconque  avec  un  aigle  héraldique  qui  lui  mange  le 
foie.  Finis!  tout  enthousiasme  collectif  vers  les  idéals 
anciens  :  Dieu,  gloire,  renommée  ;  tout  empoitement 
d'âme  qui  partait  des  ancêtres  pour  traverseï*  les  descen- 
dants, tout  rêve  de  matin  ou  de  soir  qui  montait  de  la 
terre  vers  les  inaccessibilités  surnaturelles.  Pour  per- 
sonne plus  Anadyomène  n'est  l'aurore,  ni  Indra  la  cha- 
leur tiède  ni  la  pluie  fertile. 

Nous  serions  sans  poésie  colossale,  si  tels  g*' nies  ne  se 
levaient  soudain  et  n'incarnaient  en  eux  l'utopie  de  tout 
un  siècle.  C'est  ce  qu'Hugo  a  fait. 

Afin  qu'un  tel  phénomène  artistique  se  réalise,  il 
faut  des  circonstances  spéciales  qu'il  a  eu  le  malheur 
de  traverser;  il  faut  la  solitude.  Pour  lui  elle  a  été 
l'exil.  Banalisés  par  l'incessante  et  quotidienne  vie  les 
cerveaux  les  plus  magnifiques  se  dépannent  dans  le 
moment  et  s'émiettent  dans  les  jours.  Aussi  long- 
temps qu'il  vécut  en  France,  ce  furent  la  famille  et  la 
patrie  qui  l'attirèrent.  Il  fit  les  Feuilles  tVautomne  et 
\e^  Chants  du  crépuscule.  Il  ne  vit  rien  au  delà  de 
Canaris  et  de  Napoléon.  Sortir  hors  du  temps  et  hors 
du  siècle  pour  écrire  Hors  de  la  terre  y  c'était  le  but. 

Là-bas  à  Jersey,  la  mer  lui  fut  ce  que  l'Aigle  et  l'Ange 
et  lé  Lion  furent  aux  évangélistes.  Il  se  conquit  aux 
inspirations  suprêmes,  aux  vivions  énormes,  aux  trem- 
blements de  la  chair  devant  l'infini,  aux  ennuis  et  aux 
dégoûts  de  l'homme  et  des  choses.  Il  vécut  dans  les 
perpétuelles  épouvantements  de  la  nature,  dans  lés 
tempêtes  de  nuit  et  d'ombre  et.de  flots,  dans  les  cris 
immenses  des  vents  aux  quatre  coins  de  l'espace.  Il 
était  visité  par  les  grands  souvenirs,  Jean  à  Pathmos, 
la  Pythie  à  Delphes,  Prométhte  au  Caucase,  Jérôme 
au  fond  de  son  désert.  Il  sortait  bouillonnant  d'huma- 
nité d'une  révolution  tragique  et  tout  à  coup  ce  con- 
trastant silence  et  cette  immensité  de  seul  à  seul 
entrèrent  dans  son  esprit  antithétique.  La  fin  de 
Satan  et  la  Légende  des  siècles  y  devaient  fatalement 
éclore. 

Aussi  est-ce  des  premières  années  d'exil,  après  les 
Châtiments^  qui  ne  sont  qu'une  préparation  à  rebours 
au  grand  œuvre  que  les  plus  superbes  poèmes  sont 
datés.  Il  y  a  eu  brusquement  une  telle  impression 
superhumaine  dans  l'imagination  et  le  cœur  du  poète 
qu'il  n'en  a  pu  différer  la  confession  en  art.  C'est  de 
logique  entière. 

La  Fin  de  Salait,  c'est  Satan  pardonné.  Depuis  que 
le  porteur  de  lumière  et  d'orgueil  a  été  précipité  des 
Empyrées  aux  Enfers,  il  rêve  dans  le  silence  immensé- 
ment ténébreux  et  suppliciant.  Tortures  d'âme  conti- 
nues comme  des  grincements  de  vrille  ;  pas  de  sommeil, 


jamais  ;  pas  un  espoir  debout,  là-bas,  derrière  des  mil- 
lards  de  siècles  ;  pas  une  halte,  le  temps  d'un  soupir, 
dans  la  diurne  et  nocture  gyre  sur  place  des  remords  ; 
regrets,  prières,  blasphèmes,  poings  levés  et  regards  — : 
inuiiles  et  indifférents.  Satan,  pour  se  venger,  a  jeté 
sur  terre  le  mal  qui  s'incarne  dans  le  Glaive,  le  Gibet 
et  la  Prison.  Les  héros  des  deux  premiers  livres  sont, 
ici,  Nemrod,  et  plusloin,  Jésus  de  Nazareth,  le  Christ. 
Un  jour,  l'Ange  Liberté,  naît  d'une  plume  échappée 
jadis  à  l'aile  du  Maudit.  Cet  Ange,  du  consentement  de 
Dieu,  délivre  son  père,  Satan,  qui  redevient  Lucifer. 

N'est-ce  pas,  comme  nous  le  disions,  la  légende 
chi-étienne,  modifiée  d'après  les  utopies  modernes  de 
bonté  universelle  et  Hugo  ne  semble-t-il  point  conti- 
nuer la  série  des  prophètes  interrompue?  Quand  le 
Christ  prêchait  la  doctrine  de  charité,  sa  philosophie 
ne  détonnait  guère  plus  dans  l'égoïsmè  et  le  matéria- 
lisme de  l'époque  césarienne.  La  clémence  et  la  pitié 
pour  tous,  —  Pitié  suprême  —  marquent  d'unité  l'œuvre 
entier  d'Hugo.  La  Fin  de  Satan,  en  est  la  plus 
sublime  expression.  Au  reste,  quand  on  écrit  qu'Hugo 
incanie  le  siècle,  on  ne  songe  assurément  point  à  l'au- 
jourd'hui  scientifique  et  positiviste.  Depuis  vingt  ans 
nous  vivons  d'une  autre  âme  que  nos  pères;  à  l'enthou- 
siasme, à  là  foi,  à  la  croyance  au  bien  universel  nous 
avons  substitué  un  désenchantement  général. 

Hugo  a  incarné  cette  période  de  renaissance  énorme 
et  cette  heure  magnifique  où  l'esprit  sorti  de  la  révolu- 
tion française  s'est  le  plus  largement  déployé  :  1830. 
Cette  date  est  un  sommet  qu'il  domine.  Alors  tout  était 
espoir  dans  l'avenir,  rêve  de  félicité  et  de  joie.  Fourier 
et  Saint-Simon  étaient  grands  hommes.  Tous  les  écri- 
vains, de  Lamartine  à  Georges  Sand,  détaillaient  une 
philosophie  de  bonheur.  Une  trinité  d'idéal  politique  : 
la  liberté,  l'égalité,  la  fraternité  s'inscrivait  en  dogmes 
dans  les  lois.  Les  plus  larges  plans  humanitaires  des- 
cendaient des  plus  larges  fronts.  Les  penseurs,  c'étaient 
les  poètes. 

Aujourd'hui  que  le  terre  à  terre  sage  et  savant  de 
M.  Auguste  Comte  règne,  la  Fiii  de  Satan  ne  sera 
plus  considérée  que  comme  une  fantaisie  un  peu  lourde. 

Cependant,  guère  envolée  de  vers  plus  large  n'a  passé 
dans  les  lettres.  On  a  sans  cesse  la  vision  d'un  énorme 
oiseau  fait  d'éclairs  qui  aveugle  et  monte.  A  certains 
passages  capitaux,  telle  la  mort  du  Christ,  telle  la  mon- 
tée de  Nemrod  dans  les  airs,  les  strophes  magnifiques 
jaillissent  comme  des  flammes  infatigables  d'un  brasier 
énorme.  Il  y  a  —  passez  nous  le  mot  —  des  décharges 
de  génie,  des  éblouissements  répétés  de  grandeur  et  de 
forces  littéraires,  des  faisceaux  d'alexandrins  hérissés 
de  gloire  et  de  légende  comme,  une  panoplie  de  glaives 
d'or.  Aucune  poésie  du  passé  n'est  aussi  immutable- 
ment  grandiose,  de  la  préface  à  la  table.  Et  toutes  les 
inspirations  y  trouvent  miroir.  Elles  se  réfléchissent,  la 


UART  MODERNE 


^\^ 


vigueur  épique  et  barbare  dans  le  Glaive,}^  douceur 
biblique  et  pascale  dans  le  Gibet,  et  surtout  l'horreur 
tragique  dans  Satan  dans  la  Nuit,  Hugo  a  réalisé  des 
rêves  de  chaos  plus  saisissants  que  les  plus  effï^ayants 
abîmes.  Use  dépense  à  donner  voix  à  l'ombre  afin  de 
la  rendre  plus  muette  et  lumière  afin  de  la  rendre  plus 
noire.  C'est  un  des  plus  curieux  mystères  d'art  que 
cette  aperception  de  clarté  et  de  son,  terrifiant  plus  que 
du  silence  et  de  l'obscurité.  L'esprit  a  l'impression 
d'avoir  perdu  sol'  et  de  baller  dans  un  grand  vide 
hostile  fait  d'épouvantement  et  d'une  douleur  de 
pierre.  L'horreur  tragique  s'agrandit  en  horreur 
cosmique  et  l'on  se  souvient  des  cataclysmes  lointains, 
des  infinis  de  ténèbres  et  des  nuits"  éternelles  où  les 
dieux  vaincus  s'engloutissaient. 

La  nuit  qu'aucun  jour  n'interrompt, 
Gisait  dans  rétendue  effroyable  et  sublime, 
-     Ce  précipice  était  de  la  mort,  fait  d'abîme.  ^ 

Gu  y  sentait  flotter  du  sépulcre  dissous, 
Gn  voyait  de  la  nuit  sous  la  nuit,  au  dessous 
De  l'ombre  dans  un  vide  étrange  on  voyait  l'ombre... 

C'était  du  vide  en  pleurs  et  du  miasme  qui  souffre, 
D'affreux  rocs  ébauchaient  de  noirs  décharnements, 
Gn  croyait  dans  la  brume  épaisse  par  moments 
Entrevoir  le  cadavre  eflfrayant  de  la  Cause. 
Tout  était  mort  ;  Satan  flottait  dans  quelque  chose 
D'informe  et  de  hideux  qui  paraissait  détruit, 
De  sorte  qu'au  milieu  de  la  fétide  nuit,  ' 

Tout  étant  noirceur,  peste,  épouvante,  misère, 
Lividité,  ruine,  il  semblait  nécessaire 
,    Qu'au  fond  de  cette  tombe  on  vit  ramper  ce  ver... 

Ge  style  souterrain,  brouillé  comme  des  laves  de 
volcan,  continue  pareil,  vingt  pages  durant,  et  reprend 
à  chaque  partie  du  livre  pour  nous  montrer  la  géhenne 
où  Satan  pleure.  Il  est  de  la  plus  sombre  et  de  la  plus 
vivante  splendeur,  toujours.  r^-r^ 

C'est  pour  nous  la  plus  géniale  marque  d'art  du  livre. 
Certes  l'immense  figure  de  Nemrod  nous  fixe  eff  rayam- 
ment  grandie  et  fabuleuse,  et  l'inoubliable  et  blanclie 
face  du  Christ  n'a  guère  été  nimbée  de  plus  de  clarté 
tendre  et  mystique.  Mais  remuer  du  néant  et  du  vide, 
des  ténèbres  et  de  l'effroi  et  leur  donner  une  vie  ou  plu- 
tôt une  mort  plus  sinistre  que  dans  la  Bible  elle-même 
ne  fut  jamais  aussi  victorieusement  réalisé.  Certaines 
phrases  avec  leurs  déroulements  de  vers  prodigieux 
apparaissent  comme  des  hydres  monstrueuses.  D  autres 
se  roulent,  s'embrouillent,  se  ramassent,  se  vomissent 
et  s'épandent  en  vapeurs  noires.  Pas  une  rime  ratée, 
pas  une  expression  fausse.  Si  l'on  a  cru  voir  de  la 
rhétorique  parfois  c'est  que  les  facultés  du  lecteur  n'ont 
pu  monter  jusqu'à  comprendre  le  texte.  La  Fin  de 
Satan  est  donc  un  livre  suprême  et  justifie  une  fois  de 
plus  ce  qu'un  autre  grand  poète,  Stéphane  Mallarmé, 
dont  certes  la  poétique  est  étrangère  à  la  pratique 
romantique  disait  :  Hugo  c'est  le  plus  grand  poète  du 
passé. 


}(avier    ^eIlery 

Le  Don  de  Majorité. 

Xavier  Mollory,  comme  ses  pairs,  les  solitaires  et  les*  contem- 
platifs, demeure  limité  à  racceplaiion  du  petit  nombre.  Le 
public,  au  sons  étendu  du  mot,  n'a  rien  à  voir  dans  son  œuvre; 
ce  n'est  pas  la  banale  auberge  ouverte  à  tout  venant  et  qui  se 
remplit  des  rirds  bruyants  de  la  foule  ;  la  maison  est  grave  et 
discrète,' au  contraire;  on  n'y  pénètre  qu'à  la  condition  d'appor- 
ter une  compréhension  volontaire  et  refléchie.  L'artiste,  en  effet, 
no  fait  appel  h  aucune  excitation  extérieure;  il  ne  recherche  ni  le 
compliqué  dos  épisodes, ni  les  malices  de  la  composition  ;  encore 
moins  songe-t-il  ^  violenter  les  yeux  par  la  supercherie  du  colo- 
ris. D'une  pesée  constante  de  son  cerveau,  il  s'efforce  d'exprimer 
avec  clarté  et  intensité,  d'après  les  indications  de  la  nature, 
l'émoi  ion  secrète  et  intérieure  de  son  sujet  tout  autant  que  ses 
dehors  Sensibles.  Par  moments  même,  ks  réalités  ne  lui 
semblent  plus  qu'un  prétexte  à  identifier  des  sensations  tout 
immatérielles.  Tantôt,  dans  l'austérité  recueillie  d'un  coin  d'ate- 
lier décoré  d'un  bahut  hollandais  qui  semble  le  personnage 
vivant  d^  cette  solitude,  il  arrivera  par  d'irrécusables  prestiges 
à  fixer  l'impression  du  silence;  tantôt  un  vieux  jardin  claustral, 
ombrant  une  masure  aux  briques  effritées,  dans  une  lumière 
raréfiée  et  crépusculaire,  lui  permettra,  grâce  à  une  mystérieuse 
spiriiualisalion  de  la  couleur,  de  ductiliser  le  songe  de  l'âme 
heureuse  dans  la  paix  des  déclins. 

Il  n'a  point  recours,  dans  ce  cas,  au  témoignage  de  la  figure 
humaine  :  il  lui  paraîtrait  condescendre  pour  matérialiser  l'illu- 
sion; cellç-ci  naît  des  seules  suggestions  des  choses,  d'un  don 
spécial  d'en  saisir  les  significations  intimes,  d'un  art  pénétrant  à 
grouper  leurs  particularités  commle  les  traits  physionomiques 
d'un  portrait.  Si  bien  que  rien  lï'est  plus  subtil  et  plus  multiple 
que  celte  laborieuse  simplicité  qui  sacrifie  aux  détails  essentiels 
toutes  les  végétations  parasites  et  qui  ne  frappe  si  fort  que  parcs 
qu'elle  frappe  toujours  au  bon  endroit,  c'est-k-dire  dans  le  vif  et 
le  plein  de  l'humanité. 

La  simplicité  dans  l'expression  et  la  composition,  par  l'épura- 
tion du  contingent  et  la  concentration  du  sentiment  sur  un  point 
déterminé,  tel  est,  en  effet,  le  signe  par  excellence  de  ce  talent. 
On  pourrait  en  rencontrer  les  origines  dans  la  discipline  d'un 
esprit  sévèrement  nourri  de  la  moelle  des  précurseurs  immédiats 
de  la  renaissance  italienne,  mais  surtout  dans  les  aptitudes  con- 
stiîutives  de  cet  esprit,  concerté,  réfléchi,  logique,  peu  variable, 
épris  de  rectitude  et  de  symétrie,  enclin  naturellement  à  recher- 
cher l'aliment  intellectuel  dans  le.s  milieux  simples  du  peuple. 
Cela  seul  serait  déjà  une  cause  de  discrédit  pour  le  public  ;  la 
noie  grave  et  appuyée  chagrine  sa  futilité,  plus  à  l'aise  chez  les 
artistes  dispersés;  il  veut  qu'on  lui  plaise  et  qu'on  flatte  son  goût 
du  joli.  Au  contraire,  la  simplicité  touche  à  la  grandeur  :  sa 
médiocrité  s'insurge  contre  tout  ce  qui  la  dépasse.  Et  pourtant, 
malgré  ce  désaccord,  l'invincible  respect  pour  un  art  supérieur 
opère  ici  en  partie  le  charme  que  déterminent  ailleurs  la  curio- 
sité et  la  naturelle  sympathie  pour  les  œuvres  simplement 
aimables.  Je  veux  dire  qu'à  chaque  labeur  nouveau  du  penseur  et 
du  poète,  car  les  deux  se  fondent  dans  celte  douce  et  sérieuse 
physionomie,  le  cercle  de  l'indifférence  est  rompu.  On  l'a  vu  ces 
jours  derniers  encore,  à  propos  de  la  belle  composition  exposée  aq 
Cercle  artistique  de  Bruxelles. 


Celle  noble  pnge  a  une  histoire  :  elle  sort  d'une  pensée  fami- 
liale. Comme  elle  esl  du  nombre  de  celles  qui  ne  périront 
qu'avec  la  matière  fragile  à  laquelle  l'nrlisie  lésa  confiées,  peul- 
élre  n'esi-il  pas  inuiile  de  dire  corhmonl'  eH(*a  vu  le  jour.  Un  ami 
de  Tyrl,  un  écrivain  du  plu»  rare  mériie,  un  père,  W.  Edmond 
Picard,  féiaul  la  majprilé  de  son  (ils  aîné,  eut  la  touchante  idée 
d'illusircr  celte  date  par  un  monument  durable.  11  s'adressa  à 
Xavier  Mellery.  Celui-ci  se  mit  aussitôt  au  travail;,  Tœuvre,  au 
bout  de  deux  mois,  vint  s'associer  aux  sympathies  qui  entou- 
rèrent l'avènement  ^  l'indépendunce  du  jeune  homme.  Elle  fut 
le  cadoau  des  fiançailles  de  Gcorgrs-David  Picard  avec  la  Vie. 
L'événement  hiimémc  est  commémoré  par  deux  dates  inscrites 
sur  le  socle  :  4865-'I886,  à  côté  du  nom  du  destinataire.  C'est  le 
premier  stade;  au  dtlà  s'ouvre  l'illimilé  des  destinées  humaines. 

L'artiste,  avec  une  grande  élévation,  a  su  (évoquer  tout  à  la 
fois  la  fin  des  ccriitudcs  et  le  commencement  des  conjectures.  Il 
a  combiné  le  moiiicnl  où  1;  lion  dos  tendresses  parentales  se 
dénoue  avec  l'instant  où  la  société,  à  son  tour,  enlace  de  ses 
réseaux  l'homme  naissant.  Ce  n'est  déjà  plus  h  présent,  et  ce 
n'est  pas  tout  à  fait  l'avenir.  Minute  anxieuse  pour  ceux  qui,  du 
poct,  regardent  se  carguer  la  voile  au  hasard  dès  vents  et  accom- 
pagnent de  leurs  vœux  le  jeune  argonaute  en  sa  conquête  des 
Hespérides. 

Toutes  ces  significations  sont  perceptibles  dans  l'enthousiasme 
sacré  du  jeune  héros  et  dans  la  mélancolie  du  groupe  familial, 
le  père  et  la  mère  sans  larmes,  tous  deux  déjà  à  demi  entrés 
•»  dans  la  pénombre  dos  souvenirs,  tandis  que  s'éclaire  dans  les 
hauteurs  la  théorie  ascendante  des  Parques,  symboles  vivants 
des  heures  nouvelles.  Une  solennité  particulière  résulte  de  la 
gravité  des  visages  pendant  ce  douloureux  arrachement  et  com- 
munique la  sensation  correspondante  d'un  acte  solennel,  dont 
l'importance  va  cliangor  l'existence  commune.  On  dirait  de  ce  bel 
adoloscent  nu,  aux  narines  palpitantes,  et  qui  lève  sa  tète  inspi- 
rée vers  le  ciel,  Achille  partant  pour  sa  première  bataille  ou  bien 
encore  \}  radieux  éplièbe  courant  à  la  défe;isj  de  la  Patrie,  dans 
l'immorlol  bas-relicf  de  Rude.  Un  souffle  prophétique  semble  le 
transporter;  il  ne  conn[iît  rijn  encore  d.'s  sanglantes  défaites  de 
la  vie;  la  foi  dans  sa  force  lui  donne  réuivratU  délire  des 
prochainiîs  victoires  dont  seulement  se  berce  sa  chimérique 
i;naginalion. 

C'est,  en  eff'el,  comme  la  Marseillaise  des  vingt  ans  qui  exulte 
de  cette  prom:ère  renconire  avec  la  liberté.  Il  croit  être  libre  et 
il  ne  s'aperçoit  pas  que  dc\jù  les  impitoyables  Fatalités,  sous  la 
forme  des  Parques,  s'apprêtent  à  lui  noiier  aux  membres  les  iné- 
luctables rets  qui,  pour  la  plupart  des  hommes,  pénètrent  dans 
la  chair,  cruels  çomm;^des  la  liôres.  La  mère,  elle,  semble  prise 
d'un  doutj  au  moment  où  1  oirreau,  couvé  par  son  giron,  ouvre 
ses  ailes  et  se  dispose  à  prendre  son  vol.  Là  lé  te  appuyée  à  la 
poitrine  de  l'époux,  ses  soucieuses  prunelles  emplies  des  obscu- 
rités de  l'avenir,  elle  semble  se  demander  ce  que  recèle  l'échc- 
veau  des  filandières  :  le  fil  qu'elles  déroulent  sur  la  tète  du  jeune 
affranchi  sera-t-il  fait  d'un  rayon  de  soleil  ou  tissera-t-il  des 
ténèbres?  Ilien  ne  répond  à  cette  question  an-xieuse  :  la  chanson 
^ilée  du  départ  vibre  seule  sur  les  lèvres  de  celui  qui  s'offre  aux 
Providences  inconnues,  cependant  que  là  haut,  dans  h*  silence 
des  airs,  on  croit  entendre  la  rumeur  des  fuseaux  qui  se  dévident. 

Examinons  de  plus  près  cette  belle  image  de  la  vie.  Au  centre, 
comme  le  nœud  logique  de  la  composition,  se  dresse  la  silhouette 
du  jeune  homme.   Sa  droite  est  entre  les  mains  d'une  des 


Parques;  elle  rentr»tnc;  déjà  il  fait  un  pas  en  avant  de  ce  côlé. 
li  si^mble  qu'elle  vienne  de  lui  passer  au  doigt  l'anneau  mysté- 
rieux qui  le  marie  à  l'humanité.  Mai»  il  n'est  pas  entièrement 
détaché  encore  dé  la  famille;,  les  doigts  maternels  noués  aux 
siens,  lardent  à  ronipre  le  dernier  chaînon  qui  le  retient  à  la  terre 
sainte  du  foyer.  Sa  main  à  elle  est  pareille  à  l'ancre  sur  laquelle 
se  balance  le  navire  frémissan',  dans  l'instant  qui  précède  l'àppa^ 
reillage.  Quant  au  père,  il  paraît  comprendre  l'inulililé  dbs 
révoltes;  une  nouvelle  mission  lui  incombe,  celle  do  consoler' 
l'épouse  dépossédée  de  sa  géniiure.  Un  bras  enlacé  autour  de  ses 
épaules,  les  yeux  abaissés 'vers  le  sol,  il  a  l'air  de  vouloir  la 
défendre  contre  les  obsessions  dont  il  ne  sait  pas  se  détendre  lui- 
même.  D'ailleurs,  la  famille,  im'e  par  un  bout,  recommence  par 
un  autre  :  c'est  pour  montrer  son  éternité  renaissante  que  l'arlisle, 
sans  doute,  a  dessiné,  dans  ce  coin  d'affliction  et  d'ombr<?,  la 
grâce  d'un  joli  enfant,  encore  inconscient  du  mal  des  adieux  et 
qui  ébauL'lie  le  g.îstre  folâtre  d'une  partie  de  jeu  avec  les  oiseaux 
et  les  papillons.  Tout,  en  effet,  a  son  sens  dans  crtle  allégorie  : 
le  remplissage  n'y  a  point  de  part;  jusqu'aux  sinuosités  du  fil 
volant  par  l'espace  semblent  indiquer  le  flollanl  caprice  des  des- 
tinées. 

Cependant,  l'œuvre  énigmalique  s'accomplit.  Tandis  qu'une 
des  sombres  ouvrières,  celle  qui  s'aperçoit  à  gauche,  demi- 
envolée  dans  uu  mouvement  qui  signale  le  graduel  détachement 
des  affections  filiales,  déroule  les  fuseaux  de  la  vie,  la  troisième 
filandière,  suspmdue  et  planante  au  dessus  de  la  scène,  imprime 
au  fil  une  courbe  aiifilée  qui  l'enferme  elle-même,  comme  si  par 
ce  symbole  était  rendue  sensible  la  dépendance  aux  lois  d'une 
volonté  supérieure.  Le  fil,  à  cet  instant,  décrit  les  serpenlaisons 
d'une  sorte  de  lazzo  joté  autour  du  jeune  homme  :  son  ardeur 
bientôt  sera  maîtrisée  par  celte  bride  dont  la  main  de  Dieu  tient 
les  bouts,  dans  l'infini  du  Temps  et  de  la  Conjecture.  Chacune 
des  trois  sœurs  obéit  visibljmenl  à  une  prédestination  dilfrrente  : 
toutes  trois,  prrsqie  tragiques  à  force  d'être  scellées,  sont  comme 
ridér.le  projection  de  la  Destinée  par  dessus  la  volonté  des 
hommes;  l'une  entraîne  d'un  geste  qui  garde  encore  de  la  dou- 
ceur; l'autre  déchjvèle,  inexorable,  la  trame  des  jours;  la  troi- 
sième, ceile-là  qui  couronne  la  composition,  tourne  la  face  vers 
les  parents  cl  se  rattache  à  l'idée  du  berceau  par  cette  contem- 
plilion.  On  voudrait  trouviT  un  encouragemenl  dans  leur  visage; 
l'Inconnu  auquel  elles  sont  soumises  ni  le  leur  ponnel  pas;  elles 
cèdent  à  la  Fatalité  dont  elles  sont  les  aveugles  ins'rumenls  et 
qui,  tout  à  l'heure^  emportera  l'Homme  engendré  de  ses  vingt  airs. 
L'arlisle,  toutefois,  en  leur  donnant  le  mystère,  leur  a  donné 
aussi  la  beauté;  sévères  comme  le  Devoir  et  la  Nécessité,  elles 
gardent,  dans  leurs  lignes  magnifiques,  comme  un  charme  secret 
d'esp('Tance;  ce  sont  les  servantes  du  Destin,  mais  avec  des  corps 
de  défcsses,  pareils  d'éternité.  Et  rau>tériié  de  l'allégorie  semble 
vouloir  se  soulager  volontairement  dans  leur  grâoe  aérienne  et 
volante,  comme  dans  la  pensée  d'une  intelligence  que  la  vie  a 
détachée  de  sa  souche  originelle  et  qui  monte  toujours  plus  haut 
vers  le  Bien  et  le  Vrai. 

Ces  décevantes  figures  s'enlèvent  sur  les  clartés dun  fond  d'or,, 
sombres  comme  la  nuit  de  laquelle  elles  procèdent.  Autour 
d'elles,  le  vent  des  étendues  secoue  les  plis  de  leurs  luniques; 
elles  ont  les  élégances  pleines  et  déliées  des  plus  nobles  bas- 
reliefs.  C'est  tout  à  la  fois,  selon  qu'on  veut,  comme  une  fresque 
en  miniature  qu'elles  semblent  emplir  de  leurs  attitudes  ailées,  et 
comme  une  sculpture  ciselée  dans  le  bronze,  avec  un  mélange  des 


formes  longues  de  Bcnvonuto  et  des  rvUimcs  souples  de  Prudhon. 
Celle  double  évofiaiion  s'émane^  en  elfel,  dos  graves  ordonnances 
cljoisies  par  le  peinlre  en  même  téntps^ue  des  aspects  extérieurs 
dont  l.'s  revôl  la  patine  chaude  de  l'or  combinée  avec  les  estompes 
de  l'en  Te  de  Chine. 

Je  n'héniie  pas  à  dtre  que  le  cerveau  d'où  est  sortie  cette  b  ;lle 
œuvre,  a  donné  là  toute  sa  mesure  :  il  entre  par  cotte  porte  dans 
la  grande  famille  des  esprits  qui  ont  su  extraire  de  la  vie  ses; 
sigiii-fîeations  complexes;  le  Dtm  de  viajonlé  de  Geopg*'S- David 
Picard,  pour  lui  consTver  son  nom,  propose  l'obscur  problème 
humain  qui  se  dresse  chaque  fois*  qu'un  enfunt  prend  îa  loge 
virile.  La  Poésie  et  la  Philosophie,  ces  fîllesjumcllos  de  l'Art,  s'y 
donnent  la  main,  dans  un  accord  absolu  de  la  faculté  qui  conçoit 
et  de  la  faculté  qui  exprime;  et  l'une  se  recueille,  tindis  que 
l'autre  sourit.  Je  n'ai  qu'un  regret,  c'est  que  cotte  commémoration 
émouvant;  d'une  date  de  s^n  existmce  demeure  uniquement 
vouée  aux  mé iiiations  ei  aux  jouissances  spiriiuelies  de  celui 
pour  qui  elle  fui  faite.  La  nohb  allégorie,  qui  alimentera  désor- 
mais son  bonheur  solitaire,  aurait  pu  servir  à  de  plus  1  irjîes 
admirations,  si  h  malheur  des  directions  de  beaux-arts  ne  con- 
sistait à  s'aviser  de  Toxisience  des  ch^fs-xl'œuvre,  quand  déjà 
ceux-ci  se  sont  d 'robes  à  leurs  prises. 

Camille  Lehonnier  {Le  Progrès). 


JiITTÉRATURE  VAQABONDE 

lia  teppe  d«s  merveille».  — ^  Promenad«  au  Parc  national  de 

rAώrique  du  Nord,  \nuc  Jules  Lbglercq.  Paris,  Hachette  et  G'*. 
r 

La  Terre  des  merveilles  que  décrit  M.  Jules  Leplercq  dans  le 
volume  qu'il  vient  de  fa're  parjîire,  c'est  la  région  située  au 
cœur  des  Montagnes  Ro/heuses  qu'une  loi  du  Congrès  des  Etats- 
Unis  à  érigée  en  Parc  public  plicé  sous  la  surveillance  de 
l'Elut. 

Neuf  mille  kilomètres  carrés  de  superficie,  c'est-îi-dirc  le  t'ers 
environ  du  territoire  de  la  Belgique,  inaliénables,  uniquement 
réservés  à  l'agrément  et  ù  l'instruction  de  \.\  nation,  et  compre- 
nant un  lac  immens?,  —  la  Yellowslone,  —  les  sources  du  Mis- 
souri, la  rivière  du  Serpent  qui  se  dirige  de  là  vers  la  Colombie 
et  l'Océan  Pacifique,  la  Rivière  verte,  dont  le  ours  se  précipite 
vers  le  Colorado  et  le  colfe  do  Californie, -un  réseau  de  vallées 
dont  l'altitude  varie  de  4,800  h  2,500  mètres,  des  massifs  de 
montagnes  qui  les  surplombent  de  3,000  à  3,700  mètres,  voilù 
ce  qu'est  ce  Parc  national,  qui  nous  paraît  laisser  quehiuc  p:^u 
derrière  lui  les  pares  el  les  squares  de  Ii  vieille  Europe,  —  y 
compris  la  partie  «  réservée  aux  artistes  »  de  la  forêt  de  Fontai- 
nebleau. 

M.  Jules  Lec'orcq  est  b  premier  voyageur  qui  ait  publié  en 
français  la  relation  complète  d'une  excursion  à  la  Terre  dos  .Mer- 
veilles. Sa  hauto  compétence  en  matière  de  voyages  feront 
rechercher  son  livrj  au  point  de  vue  documentaire,  ei  le  charme 
de  sa  plume  alerte,  enjouée,  aimable,  le  fera  lire. 

Invinciblement  on  se  soni  pris,  en  parcourant  ces  360  pages 
nourries,  subslanlicllcs,  ég:iyées  d'anecdotes  el  de  souvenirs,  <ie 
la  griserie  du  voyage,  et  l'esprit  galope,  en  croupe  du  récit,  par 
de  lli  les  Allaniiques,  vers  «  celte  terre  d'enchantements  el  de 
prodiges,  où  la  nalure  semble  avoir  voulu  meure  en  œuvre 
toutes  ses  forces  et  déployer  lout  »s  ses  magnificences;  où  elle  a 
réuni  les  beaulés  alpestres,,  les  vallées  verdoyantes,  les  forêts. 


les  gorges,  les  lacs,  les  cascades,  les  torrenia,  et  comme  cadres. 
sttblioEies  à  ces  tableaux  oncb  inleurs,  des  nionlz^ies  sourcillcuses^ 
dont  les  éternels  diadèmes  do  noige  élincelleiit  sous  le  ciel  pur 
et  lumineux  dos  hautes  altitudes.  » 

Ou  croit  voir,  eu  lisant  les  enthousiastes  description^  que  fait 
le  voyageur  des  sources  du  Mammouth,  des  blocs  d'obsidienne, 
de  la  vallée  de  la  Firehole  où  jaillissent  des  fusées  d'eau  bouil- 
lante avec  dessifilomcnts,  des  soupirs,  des  grondeaients  évocaifs 
de  quelque  monde  mystérieux,  les  merveilles  auxquelles  donna 
naissance  l'imagination  des  trappeurs  :  les  montagnes  de  cristal, 
les  lacs  de  poix  bouillante,  les  palais  el  1  îs  le  np'.es  aux  archilcc- 
turts  inconnues,  aux  portes  serties  de  perles,  aux  murailles 
élincelanles  d'éméraudcsel  d'opales,  les  peuples  pétrifiés  en  châ- 
timent de  crimes  monstrueux  et  condamnés  k  défendre  dans 
l'immobiliti)  glacée  do  la  mort  l'accès  des  soliludos  mornes  dans 
lesquelles  est  anéanti  leur  royaume. 

Celle  crainte  superstitieuse  qui  écarta  jusqu'en  1870  la  curio- 
sité des  visiteurs,  .M.  Leclercq  nous  la  fjil  partager,  el  aussi  la 
joie  de  chovaueher,  au  galop  d'un  poney  indien,  à  travers  colle 
prodigieuse  contrée,  do  dormir  sous  la  lento,  au  bruit  do  l'inces- 
sant tumulte  des  geysers  en  travail,  parmi  les  volcans  de  boue,  les 
vomissements  sulfureux.,  les  expoctoraiions  laiteijses,  nacrées  ou 
sang'a;Ucs  do  la  terre. 

Il  noie  avec  une  extrême  exactitude  tous  les  phénomènes  aux- 
quels  il  assiste,  sans  perdre  do  vue  le  côlé  anecdotiquo  du  récit, 
fidèle  au  programme  que,  dans  les  ouvrages  précédon's  dont 
nous  avons  fait  1  éloge^  la  Terre  de  glace,  Foyige  au  Mexique  y 
Un  été  en  Amérique,  etc.,  l'auteur  s'est  tra  ç. 

C'est, pensons-nous,  la  qualité  doininanîe  de  M.  Jules  Leclercq 
que  celte  .précision  dans  les  renseignements  scieatifiq  les  ou 
ethnographiques  qu'il  donne  sans  pédantcTio,  au  cours  d'une 
narration  sincère  el  sobre.  Peu  do  voyageurs  sont  aussi  con- 
sciencieux (jue  l'auteur  do  la,  Terre  des  Merveilles,  et  nul  ne  met 
dans  ses  relations  tant  do  scienee  modeste  el  sûre  diollo-même. 

M.  Leclereq  occupe  dans  1 1  litléraiure  des  voyages  la  première 
place.  El  néanmoins,  par  suiio  du  phénomène  qu*  nous  avons  eu 
di'jà  l'occasion  de  signaler  el  qui  résulte  de  l'exiguïté  du  pays, 
il  n'est  connu  en  Belgique  que  d'un  noyau  res'roint  do  lecteurs. 
Avec  ses  goûts,  su  passion  d'ind i'pontance,  les  jouissances  qie 
lui  f )nl  éprouver  les  sp^itacles  do  la  nature,  notre  auteur  ne 
doit  guère  se  préoccuper  de  la  céiébriié.  Peut-être  que  le  jour  où 
la  poj)ularité  ira  îi  lui,  il  en  sera  fort  surpris.  Tel  que  nous  le 
connaissons,  il  est  capable  de  reprendre  aussitôt  la  mor  et,  pour 
échapper  aux  obi  galions  que  crée  li  situation  offieielle  d'un 
homme  en  vue,  do  retourner  dans  les  contrées  lointaines  où  la 
corne  do  l'élan  et  du  bison  foulent  le  sol  vierge  dans  le  silence 
g' acé des Monlagn 'S  Rocheuses. 


CONCERT  AU  THEATRB  DE  LA  BOURSE 

L'orchcs're  du  Waux-Hall  s'est  transporté,  dimanche  dernier, 
dans  la  salle  du  théâtre  de  la  Bourse,  afin  d'ajouter  un  concert 
final  à  la  série  des  Concerts  populaires,  concert  Wagner  destiné 
peut-être  à  consoler  les  esthètes  effarouchés  par  le  très  terrible 
Tristan  el  qui  réclamaient  à  cors  el  îi  cris  le  concert  extraordi- 
naire composé  annuellement  d'œuvros  du  maître  de  Bayreuth. 

Les  habitués  qui,  par  crainte  de  torridiié,  se  sont  abstenus, 
furent  dans  leur  lort,  car  les  présents  ont  pu  applaudir  une  des 


mt 


\  • 


meilleures  inlerprétalions  orchestrales  de  l'année  :  l'on  eût  dil 
que,  parmi  ce  public  rcslreinl  de  fidèles,  les  musiciens  du  théûlre 
se  sentaient  si  parfaitement  compris! 

Des  auditeurs  spéciaux  étaient  venus  écouler  le  violonisie 
Ysaïe  (quij  d'après  les bn-dit,  remplacera  ou  essayera  de  rempla- 
cer au  Conservatoire  Jenô  Hubay,  démissionnaire)  et  lui  ont  fiit 
des  ovations  trop  enthousiastes  et  trop  répétées.  Nous  ne  cont.'S- 
lons  pas  au  violoniste  une  facilité  de  doigts  remarquable,  mais 
le  coup  d'archet  manque  d'ampleur  et  le  son  est  mince  :  en 
somme,  un  beau  virtuose,  un  artiste  point.  S'il  taut,  nommer  au 
professorat  un  belge,  hâtons-nous  de  réparer  une  cruelle  injus- 
tice, tirons  de  son  demi-jour  une  admirable  nature,  un  tçlo- 
r!eux  de  demaiUj  le  liégeois  César  Thompson,  le  frère  de  lutte 
d'Erasme  Kaway,  un  autre  glorieux  de  l'avenii;,  que  les  médio- 
crités et  les  envies  encerclent  d'obscurité. 

M"®  Wolff,  du  théâtre  de  la  Monnaie,  était  le  second  snljsie  et, 
vraiment,  nous  ne  pouvons  lui  adresser  aucun  éloge,  mais  plutôt 
le  sincère  conseil  de  soigner  sa  voix,  très  fatiguée,  et  de  ne  point 
choisir  des  mt)rccaux  trop  lourds  pour  son  joli  talent. 


Correspondance 

^       "  .    Bruxelles,  5  juillet  1886. 

Monsieur  le  Rédacteur  en  chef,    - 

VArt  moderne  du  27  juin,  que  je  lis  tardivement,  publie  la 
statistique  des  représentations  données  à  l'Opéra  de  Berlin  pon- 
dant la  saison  1885-1886,  et  ajoute,  h  propos  des  quaranie-trois 
représentations  d'oeuvres  de  Wagner  (soit  un  sixième  environ  du 
nombre  total  des  représentations)  :  '■ 

«  Ce  qui  étonnera  apparemment  ceux  qui  croient  qu'il  n'est 
«  plus  question  que  de  lui  en  Allemagne  et  inspirera  quelque 
«  inquiétude  si  Von  compte  sur  lui  pour  relever  le  théâtre  chez 
«  nous.  Aimé  des  vrais  esthètes^  mais  presque  par  eux  seulsy 
«  tel  paraît  être  le  bilan  actuel  de  so7i  art.  » 

Il  m'est  impossible  de  partager  l'inquiétude  de  VArt  moderne j 
au  simple  examen  (le  la  statistique  en  question. 

J'y  vois,  en  effet,  que  les  auteurs  sur  lesquels  on  compte  habi- 
tuellement, chez  nous,  pour  faire  des  recettes,  ont  obtenu  res- 
pectivement.: 

Meyerbeer,  12  représentations;  Rossini,  8;  Verdi,  11;  Halévy, 
4;  Auber,  14;  Donizetti,  10. 

Ne  pensez-vous  pas,  en  supposant  que  l'Opéra  de  Berlin  soit  le 
thermomètre  de  la  vogue,  qu'il  y  a  bien  plus  d'inquiétudes  à  con- 
cevoir au  sujet  des  compositeurs  ci-dessus  et  qu'il  semble  dan- 
gereux de  compter  sur  eux  pour  relever  notre  théâtre  qui,  d'ail- 
leure,  ne  me  semble  pas  tombé  si  bas? 

Une  statistique  de  1881,  que  j'ai  par  hasard  sous  la  main,  donne, 
pour  l'Opéra  de  Berlin,  toujours,  les  chiffres  de  représentations 
ci-après  : 

Wagner,  33;  Meyerbeer,  29;  Verdi,  9;  Rossini,  5;  Halévy,  3; 
Auber,  16,  etc.,  etc. 

De  quel  côté,  M.  le  Rédacteur  en  chef,  voyons-nous  qu'il  y  a 
progrès,  en  1886,  si  l'on  compare  enlr'eux  Wagner  et  Meyer- 
beer? 

Une  conclusion,  d'après  la  statistique  des  représentations  de 
l'Opéra  de  Berlin  pour  la  saison  de  1885-1886,  est  que  M.  J.  Du- , 
pont  peut,  eu  toute  confiance,  monter  des  ouvrages  de  Wagner, 


les  seuls\\i\],  dans  l'état  actuel  du  théâtre,  soient  appelés  à  un 
succès  durable  et  qui  ne  coûtent  pas  les  yeux  de  la  tête  en  frais 
de  décor»,  de  mise  en  scène,  etc. 

Veuillez  agréer,  Monsieur  le  Rédacteur  en  chef,  l'assurance  de 
mai  considération  très  distinguée: 

EdM.  EVENEPOËL. 

Communiqué  b  MM.  Joseph  Dupont  et  Lapissida  avec  tous  nos 
encnuragemenis.  Pour  notre  part,  tious  ne  xiemandons  pas  mieux 
que  d'iniendre  jouer  du  Wagner  tous  les  soirs,  niais  nous  ne 
savons  pas  si  tous  les  Bruxellois  partageront  cet  avis.  C'est  tout 
ce  que  nous  avons  voulu  dire. 


j30NC0UR?    DU    fîoN^ERYATOIRE 

Suite  (*).  ,  ■ 

Piano  (hommes).  Chargé  du  cours  :  M.  De  Greef.  —  1*"^  prix  : 
MM.  Stranwen,  Vanden  Broeck  et  de  Rademakers;  2**  prix  : 
M.  Gonzalez, 

Piano  (jeunes  filles).  Professeur:  M.  Aug.  Dupont.  —  l*""  prix  : 
M"«  Junca;  2«  prix  avec  distinction  :  M"«  Lecomle;  1^»"  accessit  : 
M"'''»  Roman  et  Herpain.  Prix  Laure  van  Cutsem  :  M"«  Rachel 
Ulhmann  a  remporté  le  prix  à  l'unanimité. 

Chant  (jeunes  filles).  Professeurs  :  M""*  Lemmens,  MM.  Cornélis 
et  Warnois.  —  \"  prix  avec  distinction:  M"e  Van  Bcsten; 
1"  prix.:  M"«  Gérard;  2^  prix  avec  distinction:  M"«  Corroy; 
2"  prix:  M""  Lagye,  Brass,  Neyt  et  Joostens;  1"  accessit  : 
mîtes, piuys^  Nachtsheim,  Slypsleen,  Falize,  Milcamps,  Burlion  et 
Poispocl;  2«  accessit:  M"«  Godineau.  M"^^  Urbain  et  Passmore 
ont  obtenu  un  rappel  du  2«  prix  avec  distinction  qui  leur  avait 
été  accordé  l'année  dernière. 

Chant  (hommes).  Professeurs  :  MM.  Cornélis  et  Warnots.  — 
{*'  prix  avec  distinction:  M.  Vandergoten;  1«'  prix:  M.  Van 
Ruyskensvelde;  2«  prix  avec  distinction  :  MM.  Peeters,  Boon  et 
Danlée;  2«prix  :  MM.  Raquez,  Vanderstappen  et  Frère;  l*""  accessit: 
M.  Suys;2«  accessit  :  M.  Dony. 

Chant  italien.  Professeur  :  M.  Chiaromonte.  —  l*'  prix  avec 
distinction  :  M"«  Dedeyn;  1"  accessit  :  M"«  Pelyt. 

Le  prix  de  duos  de  chambre  a  été  accordé  à  M"«»  Milcamps  et 
Polspoel. 

Diplôme  de  capacité.  —  M.  Abraham  Eldering,  élève  de 
M;  Jenô  Hubay,  a  obtenu  le  diplôme  de  capacité  à  l'unanimité  et 
avec  la  plus  grande  distinction,  après  une  épreuve  qui  n'a  pas 
duré  moins  de  deux  heures. 

Jeudi  aura  lieu  la  clôture  des  concours. 


JIÎHRONIQUE    JUDICiy^IRE    DE?    ART? 

Une  artiste  disputée. 

La  nouvelle  direction  du  théâtre  de  la  Monnaie  a  reçu  cette 
semaine  le  baptême  judiciaire.  Le  premier  carré  de  papier  timbré 
aux  armes  du  royaume  a  franchi  le  seuil  de  la  maison  Dupont  et 
Lapissida,  et  lundi  le  tribunal  de  commerce  a  retenti  des  mots  : 
Engagement  —  Résiliation  —  Dommages-inlérêts  —  Dédit^  etc. 

Voici  le»  fait.  Une  jeune  artiste  actuellement  au  théâtre  de 
La  Haye,  M"«  Marie  Vuillâume,  a  été  engagée  par  les  directeurs 
de  la  Monnaie  en  qualité  de  première  chanteuse  d'opéra-comique. 
Protestation  énergique  du  directeur  de    La   Haye,  M.   Lucien 


(^)  V.  VArt  moderne  des  27  juin  et  4  juillet. 


Desuitcn.  «  Méprendre  ma  pensionnaire,  jamais  !  Je   l'ai  réen- 
gagée. Elle  m'apparlienl.  » 

De  là  le  procès.  M.  Desuiten  actionne  dmnnt  le  iribiinal  de 
commerce  MM.  Dupont  et  Lapissida  et  leur  tient  ce  langagt»  : 
a  Rendez-moi  ma  chanteuse.  J'ai  l'âme  grinde  et  ne  vous 
demande  môme  pas  de  dommages-irtlérûts.  Mais  si  vous  la  gnr.lcz, 
payez-moi  le  dédit  stipulé  dans  rengagement  que  j'ai  conlradé 
avec  elle.  C'est  trente  mille  francs.  A  prendre  ou  i\  hns^ev.  » 

La  direction  de  la  Monnaie  préfère  natureliemont  ronsf^rvor 
M'Je  Vuillaume,  qui  a  paraîl-il  du  talent  —  on  se  l'arniclK»  !  — 
et  ne  pas  laisser  s'échapper  de  sa  caisse  les  trente  pnVionx  bilVts. 
Il  oppose  à  la  demande  une  foule  de  moyensde  proré-hiro  p'us 
ingénieux  les  uns  que  les  autres,  et  sur  lesquels  le  tribunal  sta- 
tuera demain. 


^ETITE    CHROJMiqUE 


Nous  apprenons  avec  plaisir  que  l'Ecole  dos  arts  décoratifs,  on 
faveur  de  laquelle  nous  avons  à  maintes  ropri'^os  f lii  campigm», 
est  enfin  en  formation.  EUe  est  rattachée  à  l'Académie  dos  Benix- 
Arts,  et  ses  cours  s'ouvriront  dès  le  mois  d'octobre,  h  la  rontrce 
des  classes. 

Le  Conseil  communal,  dans  sa  séance  du  21  juin,  a  m's  h  la 
tête  de  l'Ecole,  avec  le  titre  de  sous-diroclonr,  M  Jo;  n  lîaos, 
architecte.  C'est  là  un  choix  excellent.  La  compélenc  île  l'iirtisle 
est  bien  connue  et  son  dévouement  à  l'enTepriso  est  ao(|ui><.  Nul 
doute  que  sous  sa  direction  l'Ecole  ne  donne  rapidcMnenl  les 
résultats  qu'on  est  en  droit  d'espérer.  ,     . 

VAssociation  wagnériénne  universelle^  dan*^  une  circulaire 
adressée  b  ses*  membres,  préconise,  pour  le  vovi'ge  de  Uayr  u  h, 
l'emploi  des  billets  circulaires  combinés  que  l's  clhMnins  do  f  r 
allemands  mettent  à  la  disposition  dos  voy»g'urs.  Ces  billots 
donnent  le  droit  de  séjourner  dans  les  priijcipa'es  villes  du  par- 
cours choisi  ;  en  outre,  les  coupons,  p>ur  les  lig'.es  qui  loijgnt, 
le  Rhin,  assurent  aux  voyageurs  la  faculté  de  fatre  en  bateau  à 
vapeur  le  trajet  de  Mayence  à  Cologne. 

Les  billets  combinés  sont  valables  pour  45  jours  ei  assurent 
un  bénéfice  de  30  p.  **/o  environ.  La  cirruhiire  pn'codonio  du 
comité  fixait  le  prix  du  voyage,  a'Ier  et  roiour,  en  jiremiènî 
classe  à  fr.  188-40,  en  secomle  classe  à  fr.  130  60;  il  so  trouve 
réduit,  par  l'emploi  du  billet  spéoialomi'ut  c  )niposé  on  vue  du 
voyage  de  Bayrcuth,  rospectivemenl  ù  fr.  132-2o  el  à  fr.  98-50.. 

Les  personnes  qui  désireraient  combiner  un  auliv  iiitiéi'aire 
peuvent  s'adresser  au  secrélain;  du  comi  é,  luo  Joseph  il,  39.  Il 
tient  à  leur  disposition  les  documents  néc(S>airos. 

Voici  les  villes  comprises  dans  le  parcoui's  dj  rilinéraire  pro- 
posé : 

Herbeslhal,  Aix,  Cologne  ou  Deuiz,  Bonn  ou  BcuM,  Coblonce 
ou  Ehrenbreilsiein,  Bingen  ou  Rudeshoim,  Dirnisiadi  ou  Kranc- 
fort,  Aschaft'enbourg,  Wurzbourg,  ObL'nidorf-Schwcinfurt,  Bain- 
berg,  Lichienfels,  Bayreiitli. 

Nuremberg,  Wiirzbourg,  Aschaffenbiurg,  Darmslîult  ou  Franc- 
fort, Bingon,  Coblence  ou  Ehrenbreilsioin,  Bonn  ou  IJvuel, 
Cologne  ou  Deulz,  Aix,  Herbesthal. 

Pour  tous  renseignements,  M.  La  Fontaine  se  lient  SjK'cia'e- 
ment  à  la  disposition  des  intéressés,  le  vendn  di,  de  4  à  6  liouros. 

L'administration  des  concerts  du  Wanx-ILdI  annonce  pour 
demain,  lundi,  un  deuxième  grand  concert  avec  h?  concours  de 
M"*  Blanche  Deschamps  et  pour  jeudi  une  audition  d  œuvres  dues 
à  des  compositeurs  russes. 

Il  manquait  aux  Vinglisles  h  gloinvde  la  caricature,  co'te 
suprême  expression  de  la  populariti'.  Désormais  ils  n'ont  jdus 
rien  à  souhaiter.  Voici,  en  effet,  ce  qu'on  lit  dans  un  (juoîilien  : 

«  Quelques  habitués  de  réiabllssemoni  ^/l  la  Ville  de  l'erviers^ 
66,  rue  Haute,  inspirés  par  la  dernière  exposition  di-s  XX,  ont 
fondé  un  cercle  intitulé  :  Les  Peinlistes,  do«it  la  pre;nièro  exp)- 
sition  vient  de  s'ouvrir  dans  ce  local.  Le  Cercle  des  PcinlUlés^ 


voulant  donner  un  but  pratique  à  son  œuvre,  a  transformé  son 
exposition  en  une  tombola  au  profit  de  l'OEuvre  de  l'Hospitalité 
de  nuit.  » 

Le  ihoAtre  de  la  Bourse  inaugurera  la  direction  Maurice  Simon 
par  une  grande  féerie  :  Le  Pedt  Poucet,  déjà  en  répétitions,  el 
qui  sera  montée  avec  un  grand  luxe  de  costumes  et  de  décors. 

En  attendant,  les  Martinetti  donnent,  concurremment  avec 
U auberge  des  Adrets,  une  pantomime  nouvelle  ^  Un  duel  dans 
la'neige.  ,  ^ 

La  9«  exposition  du  Cercle  Als  ikkan  «st  ouverte  à  Anvers,  en 
la  salle  Vorlat  (du  4  au  11  juillet).  Elle  se  compose  d'une  cin- 
quantaine d'œuvros  signées  Rosa  Loigh,  Adriaenssens,  Alhracht, 
Roland,  Rrunin,  Chappel,  Desmeth,  De  Wit,  Hanno,  Lùylen, 
Mortons,  Pielers,  Rink,  Rul,  Van  EngeFen,  Van  Snick  et*  Van 
Bourdon. 

Le  bulletin  mensuel  du  Club  Alpin  français  a  annoncé  demie-» 
rcmoMl  que  les  conseils  provinciaux  du  Salzkammcrgul  et  de 
Styrie  ont  pri.s,  pour  la  protection  de  l'Edelweiss,  la  fleur  de 
volnurs  dosAlpes,  dos  arrélés  qui  punissent  d'une  amende  de  10  k 
100  francs  (200  francs  en  cas  de  récidive),  l'extraction  de  la 
plante  avec  ses  racines.  " 

Mesure  louable,  on  tant  surtout  qu'elle  témoigne  d'une  ten- 
dance à  protéger  les  trésors  naturels  du  pittoresque.  11  est  k 
souhaiter  (juo  choz  nous  oij  tous  les  ans  on  détruit,  où  l'on  gâte 
quel  jnos  uns  doi  nos  paysag'S  ardennais  par  la  stupide  industrie 
de^  rocluM-s  qui  niei  en  coupe  les  plus  belles  vallées,  un  tel  esprit 
so  répande.  Lo  dommage  est  déjà  incalculable  et  irréparable. 
D'aniros  brûles  ont  fait  disparaître  des  bois  charmants,  ou  des 
pièces  d'oau.  11  n'osl  vraiment  en  Belgique  que  deux  hommes 
publics  qui  se  soient  préoccupés  de  conserver  ou  d'améliorer 
SOS  boanlés  :  le  Roi,  à  qui  l'on  doit  la  conservation  des  vues  sur 
le  Bas-!.>:rllos  et  sur  les  prairies  de  la  Senne,  le  Bourgmestre  de 
Bruxelles,  proj»agatoiir  de  la  verdure  dans  tous  les  coins  où  elle 
est  possibli'îi  Bruxelles,  et  qui  nous  préservera,  espéi*ons-le,  du 
MétropnliUiin  et  de  la  iransformalion  du  quartier  de  la  Montagne 
de  la  Cour. 


Nous  recevons  les  premiers  numéros  (2^  année)  du  Musical 
Standard,  revue  mensuelle  p;iraissanf  à  Cincinnati  (Ohfo)  et 
publiant  des  articles  de  fond  sur  la  musique,  des  portraits  d'ar- 
li>tos,  d(  s  compositions  pour  chant  el  piano,  etc.  La  r^îvue  a  des 
coirespondîints  à  New-York,  Boston,  San  Francisco,  Providence 
(R.  I.)  et  Sali>bury(N.  C).     ^  - 

Cl  si  le  17  octobre  prochain  qu'aura  lieu,  au' square  Vinli- 
millo,  rinaiiguration  de  la  statue  de  Berlioz,  œuvre  du  sculpteur 
Lonoir. 

La  musique  de  la  garde  républicaine  et  des  chœurs,  dirigés 
par  M.  Colonno,  foronl  entendre  la  Marche  des  Troyens  el  V Apo- 
théose (le  la  Symphonie  funèbre  et  triomphale. 

M.  Ambroist^  Thomas  et  M.  le  vicomte  Delaborde,  de  l'Institut, 
prononceront  des  discours. 

L'ne  pièce  de  vers  de  M.  Charles  Grandmougin  sera  récitée 
par  un  artiste  do  la  Comédio-Française. 

Lé  Moniteur  des  Arts,  journal  qui,  certes,  ne  peut  être  soup- 
çonné do  ftvorisor  l'S  tendances  modernistes  de  l'art,  publie  à 
propos  de  TExposilion  inlornalionale,  acluellement  ouverie  rue 
dj  Sèz'',  à  Pari^,  ce  qui  suit  : 

«  FMisicurs  noms  nouveaux  sont  venus,  rue  de  Sèze,  se 
joindre  à  ceux  d?  Cazin,  <le  Gcrvex,  de  Van  Beers,  que  nous 
sommes.accontumés  d'y  voir  el  ce  ne  sera  pcut-êlre  pns  l'une  des 
moindres  atiractions  de  l'Exposition,  de  savoir  qu'à  côté  de 
Ribora  el  Pnkitonow,  nous  avons  P.  Renoir  el  Claude  Monet. 

«  Ce  dernier  surtout  —  voilez-vous  la  face,  ô  M.  Bouguereau  ! 
—  est  paraîl-il  le  héros  du  jour,  le  triomphateur. 

tt  Tout  ce  qu'il  a"  exposé  est  vendu,  il  apporte  une  toile  à 
9  lieuî«  s,  à  midi  elle  a  trouvé  acquéreur.  Qu'on  vienne  donc  dire 
mainionanl  que  les  innovateurs  sont  toujours  méconnus  et  que 
l'avenir  n'est  pas  à  l'impressionnisme  !» 


m 


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PAR  Edmond  PICARD 

Un  superbe  volume  de  400  pages,  tiré  à  petit  nombre  sur  papier  raisin  chromo  gi'and  in-S»  de  ciive  spéciale, 
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Il  aéra  tiré  quelques  exemplaires  sur  grand  papier  de  Hollande, 
qui  ne  seront  pas  mis  dans  le  commerce.  Le  prix  en  est  provisoire- 
ment fixé  à  5  francs  pour  ceux  qui  enverront,  avant  le  1"  août, 
leur  souscription  à  l'imprimeur:  Veuve  Monnom,  26,  rue  de  1  In- 
dustrie, Bruxelles. 


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SAMULL,  Kd.  Op.  14.  Tarentelle  Scherzo.  Fragment  tympho- 
niqne,  à  4  mains,  fr.  2-50.  , 

DE  SWlvllT,  J.  Op.  44.  TmpromptH,  pour  violoncelle  avec 
accompagnement  de  piano,  fr.  2  00.  —  Op.  45.  Le  Désir,  morceau 
de  salon,  pour  violon  avec  accompagnement  de  i)iano,  fr  1-75.  — 
Op.  46.  Rêverie,  pour  violon  avec  accompagnement  de  piano,  fr.  1-75. 

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nes pour  piano  et  violon.  Seconde  série,  fr.  5  00. 


I  - 


I 


Bruxelles.  —  Imp.  Félix  Callewaert  père.  —  V'  Monnum  successeur,  rue  de  l'Industrie,  26. 


•     I 


Sixième  année.  —  N°  20. 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  18  Juillet  1836. 


L'ART 


MODERNE 


PARAISSANT     LE     DIMANCHE 


REVUE  ORITIQnE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS':    Belgique,  un  an,   fr.   10.00;  Union  postale,   fr.    13.00.    —   ANNONCES   :    On   traite   à  forfait. 

Adresser  les" demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 

l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


? 


OMMAIRE 


L'Art  et  la  Révolution.  Paroles  d'un  révolté,  par  Pierre 
Kropotkine.  L'Insurgé,  par  Jules  Vallès.  —  Une  statue  a 
Lamartine.  —  Concours  du  Conservatoire.  —  Pantomimes.  — 
Chronique  judiciaire  des  arts.  Une  artiste  disputée.  Art  ou 
jWi'nùgraphie.  Le  truquage: —  Petite  chronique. 


—    L'ART  Et  LA  RÉVOLUTION  ^^^ 

Paroles  d'un  Révolté,  par  Pierre  Krapotkine,  publié,  annoté 
et  accompagué  d'une  préface  par  Elisée  Reclus.  Paris,  G.  Mar- 
pon  et  Ë,  Flammarion.  —  L'Insurgé,  par  Jacques  Vingtras 
(Jules  Vallès).  Paris,  Charpentier. 

Premier  article. 

Rien  n'y  fait  !  En  vain  artistes  et  esthètes  souhai- 
teraient se  maintenir  dans  le  pays  de  Cocagne  de  l'art 
pour  lart  ofi  sous  des  cieux  toujours  sereins,  se 
déroulent  élégantes  et  paisibles  le&>4{fylles  delà  fan- 
taisie pure.  Du  dehors,  dïipres  clameurs  viennent 
se  mêler  aux  airs  de  fl fîtes  et  les  couvrent  de  leurs 
discords.  Malgré  elle,  l'oreille  des  élus  de  ce  paradis 
fermé,  devient  attentive,  la  pensée  s'émeut  et  rêve  déjà 
de  s'envoler  pour  aller  voir,  et  prendre  part,  peut-être^ 
à  ces  tumultes  approchant. 

C'est  qu'en  vain  dans  ce  monde,  solidaire  et  fraternel 
quand  même,  on  veut  soustraire  son  àme  au  trouble 
des  iniquités  sociales. 

«  Poète,  l'heure  est  venue  de  ne  mettre  à  la  lyre  que 
des  cordes  d'airain  «,  s'écriait  Tvrté  saisi  de  la  fureur 
guerrière  qui  allait  armer  ses  Messéniennes.  Maintenant 


que  les  poètes  ne  jouent  plus  de  la  lyre,  on  pourrait 
leur  crier  :  «  L'heure  est  venue  de  tremper  la  plume 
dans  de  l'encre  rouge  ".  ^      -, 

Car,  en  effet,  le  reflet  de  ce  drapeau  redoutable, 
dressé  ef  claquant  au  dessus  de  notre  scène  contempo- 
raine, chaque  jour  davantage,  illumine  toutes  choses 
de  sa  lueur.  '  '    • 

On  sent  venir ,  invisible  et  effrayant ,  le  phéno- 
mène. La  nue  qui  contient  l'orage  n'esi  pas  encore  à 
l'horizon,  mais  déjà  l'universel  instinct  en  annonce 
l'arrivée,  et  comme  des  prophètes,  les  écrivains  se 
dressent,  non  plus  seulement  les  simples  écriveurs, 
mais  les  artistes,  pour  décrire  le  présent  et  ses  iniqui- 
tés, pour  prédire  l'avenir  et  ses  catastrophes.      . 

La  critique  a  beau  s'en  défendre  et  vouloir  mainte- 
nir sa  vieille  et  rassurante  démarcation  entre  l'œuvre 
d'art  proprement  dite  et  l'œuvre  d'art  social.  Périodi- 
quement et  de  plus  en  plus  nombreux  dés  livres,  forts 
et  retentissants  comme  des  projectiles  d'airain,  viennent 
battre  et  ébranler  la  muraille,   déconcertant  la  garni- 
son musquée  qui  se  croyait  capable  de   la  défendre. 
Les  criailleries  se  changent  déjà  en  simples  murmures 
et  bientôt  se  taira  tout  ce  tapage  de  cigales.  Le  temps 
n'est  plus  aux  chansons  et  ceux  qui  sont  assez  aveugles 
pour  l'espérer  encore,  seront  surpris  dans  leurs  collo- 
ques byzantins,  comme  les  docteurs  de  Sainte-Sophie, 
par  Mahomet  vainqueur  entrant  dans  la  basilique  et 
dispersant  les  pupitres  sous  les  sabots  de  son  cheval. 

Déjà,  à  propos  de  Crenninal,  nous  avons  signalé  le 
mouvement  irrésistible  qui  ramène  l'Art  vers  les  mou- 


. 


226 


L'ART  MOÈERNE 


vements  sociaux  qui  deviennent  l'obsédante  préoccupa- 
tion de  cette  fin  de  siècle.  Le  Barbare,  plus  tard  le 
Normand,  plus  tard  le  Turc,  aujourd'hui  I'Ouvrier,  à 
toute  époque,  un  spectre  inquiéta  en  sa  tranquillité, 
l'opulence.  Et  ce  spectre,  tourmentant  prodige,  veut 
qu*on  parle  de  lui.  Déjà  dans  le  livre,  le  tableau,  la 
statue  il  s'impose,  il  apparaît,  il  gagne  :  sa  fantastique 
et  sombre  silhouette  fait  paraître  fade  le  reste  et  en 
dégoûte.  Après  un  accueil  passager,  le  public  délaisse 
ou  classe  au  second  rang  ceux  qui  s'en  tiennent  aux 
fariboles.  Il  va  de  plus  en  plus  à  qui  l'entretient  de  cet 
avenir,  pour  les  uns  objet  de  terreurs,  pour  les  autres 
foyer  d'espérances. 

Deux  livres,  l'un  nouveau  :  les  Paroles  cV un  RévoUé, 
par  Pierre  Kropôtkine,  le  prisonnier  de  Clervaux,  l'au- 
tre réédité  :  l'/nster^/cvpar  Jules  Vallès,  l'ancien  mem- 
bre de  la  Commune,  donnent  à  ces  considérations  une 
actualité  singulière  et  combinés  avec  les  événements 
tragiques  qui,  de  plus  en  plus  nombreux,  se  déroulent 
autour  de  nous,  jettent  une  clarté  nouvelle  sur  des 
idées  qui  nous  furent  toujours  chères  et  que  nous  déve- 
loppions dans  Y  Art  Moderne  k  une  époque  où  les  temps 
paraissaient  moins  proches. 

Car,  de  l'avis  de  tous  les  penseurs,  en  vérité  ils  sont 
proches  et  les  incrédules  d'hier  eux-mêmes  perdent  de 
leur  assurance.  Ce  n'est  pas,  comme  lé  remarque  Kro- 
pôtkine, l'imagination  surexcitée  d'un  groupe  de  turbu- 
lents qui  l'affirme,  c'est  l'observation  calme  et  scienti- 
fique qui  le  dévoile,  si  bien  que  même  ceux-là  qui,  pour 
excuser  leur  indifférence,  disaient  :  «  Tranquillisons- 
nous,  il  n'y  a  point  de  péril  »»,  laissent  échapper  l'aveu 
que  la  situation  s'envenime.  Et  si,  se  détournant  de  ce 
cuisant  ennui  et  ruminant  à  nouveau  leur  pensée,  ils 
murmurent  :  «  On  l'a  si  souvent  annoncée  cette  révolu- 
tion. Pourquoi  y  croire?  Elle  n'arrivera  pas  «,  tout  de 
suite,  une  secrète  logique  leur  répond:  «  Pour  tarder,  elle 
n'en  sera  que  plus  mûre  et  plus  ravageante.  A  deux 
reprises  la  révolution  de  89  fut  sur  le  point  d'éclater, 
en  1754  et  en  1771.  Souviens-toi  de  1848  et  de  1870. 
Penses-tu,  peux-tu  penser  ne  fût-ce  qu'un  instant,  que 
cet  immense  travail  intellectuel  de  revision  et  de  trans- 
formation qui  s'opère  dans  toutes  les  classes  puisse 
aboutir  et  s'apaiser  en  faisant  banqueroute?  » 

A  l'analyse,  à  la  description,  à  l'accélération,  à  l'exci- 
tation de  ce  mouvement  gigantesque  qui  changera  la 
direction  des  marées  sociales,  va  l'art,  invinciblement. 

Qu'il  l'ait  voulu  ou  qu'il  y  ait  résisté,  toujours  il  a 
obéi  a  cette  mission  que  lui  marque  la  nature.  Quel- 
ques individualités  ont  pu  s'y  soustraire  par  exception, 
mais  le  mouvement  de  l'ensemble  s'y  est  irrésistible- 
ment conformé,  et,  par  une  récompense  héroïque,  ceux 
qui  s'y  sont  le  plus  docilement  laissés  entraîner  ont, 
daiîs  le  cours  des  siècles,  toujours  été  les  plus  grands. 
Les  ftvntaisistes  sont  restés  à  un  rang  amoindri,  parmi 


le  groupe  aimable,  mais  à  demi  estimé,  des  amuseurs, 
quelque  chose  comme  les  vivandières  et  les  bateleurs  qui 
suivent  1  armée  des  vrais  combattants. 

Un  art  prend  promptement  sa  place  quand,  incon- 
sciemment ou  non,  il  entre  dans  le  détroit  où  roule, 
énergique  et  rapide,  le  courant  de  ces  idées.  Il  laisse 
bientôt  loin  derrière  lui  les  écoles  légères,  exclusive- 
ment amoureuses  de  la  forme,  attardées  dans  les  cri- 
ques qui  dentellent  les  riyes,  valsant  dans  les  remous 
qui  ne  mènent  à  rien,  sautillant  ,sur  les  petites  vagues 
qui  viennent  mourir  près  des  bords.  Heureux  ceux  qui 
sont  repris  par  le  flot  central  et  qu'il  emporte  vers  la 
haute  mer!  leur  destin  pourra  paraître  plusTude,  mais 
c'est  le  seul  où  soit  tout  l'honneur. 

La  mission  dé  la  littérature,  comme  force  adjuvante 
du  progrès  humain  et  comme  agent  le  plus  efficace  des 
transfori|iations  sociales,  est  singulière  et  souvent  dif- 
ficile à  démêler,  soit  qu'elle  détruise  ce  qui  doit  dispa- 
raître, soit  qu'elle  édifie  les  institutions  nouvelles.  Voyez 
l'action  de  l'école  réaliste,  dissolvant  avec  l'âcreté  d'un 
acide,  l'organisation  bourgeoise  qui,  fera  place,  dans 
un  avenir  prochain,  à  l'épanouissement  des  classes 
populaires.  Ses  œuvres  exposent  dans  une  forme  origi- 
nale, étrange,  choquante  pour  ceux  qui  sont  attaqués 
.  et  en  péril,  des  faits,  des  sentiments,  des  mœurs.  Ils 
sont  entraînants,  curieux,  ingénieux;  ils  laissent  dans 
les  âmes  des  impressions  profondes  d'où  résulte  un 
glissement  général  vers  les  conceptions  inaperçues  et 
un  déplacement  de  l'axe  sur  lequel  tournent  les  préoccu- 
pations humaines.  Ce  que  les  livres  de  ce  groupe  ont 
fait  pour  miner  la  domination  bourgeoise  est  effrayant. 
En  dépeignantles  infirmités  de  la  classe  où  ils  prenaient 
leurs  sujets,  ils  ont  atteint  leur  but  artistique,  mais  sans 
se  douter  du  rôle  de  destructeurs  qu'ils  accomplissaient. 

Quiconque  délaissera  la  fantaisie  pure,  et  regardant 
autour'de  lui,  dans  le  monde  où  il  est  plongé,  fera  le 
tableau  de  ce  qui  s'y  passe,  non  plus  en  s'emparant  du 
côté  anecdotique  de  la  vie,  mais  en  recherchant  le 
drame  ou  la  comédie  véritables,  celui-là  grandira,  parce 
qu'il  réalisera  l'art  dans  son  expression  la  plus  réelle  : 
celle  de  servir,  en  le  préparant  ou  en  le  facilitant,  à 
l'accomplissement  des  destinées  historiques. 

Quand,  parvenu  à  la  maturité,  qui  seule  donne  le 
sens  des  situations  d'ensemble,  on  établit  un  rapport 
entre  notre  temps  et  certaines  périodes  de  l'antiquité, 
on  ne  peut  s'empêcher  de  faire  un  rapprochement  qui 
trouble  et  sert  à  mieux  montrer  ce  que  l'art  doit  accom- 
plir. Le  monde  où  dominait  Rome  était  arrivé  à  l'état 
d'épanouissement  qui  précède  celui  où  la  pourriture 
commence.  On  sentait  qu'il  serait  remplacé,  et  c'est 
des  invasions  barbares  que  sortirent  les  éléments  rajeu- 
nissants qui  couvrirent  de  leurs  couches  la  civilisation 
mourante.  Avant  que  se  produisirent  ces  irruptions, 
les  écrivains  avaient  promené  sur  l'écorce  de  l'empire 


«      / 


.    r 


leur  stylet  littéraire  et  l'avaient  partout  profondément 
scarifiée  et  déchiquetée.  Leur  art  âpre  et  courroucé 
avait  ébranlé  cet  organisme,  et  ce  furent  eux  qui  en 
firent  crouler  les  premiers  matériaux.  Par  un  exemple 
pathétique  et  formidable,  ils  ont  montré  ce  que  peut  la 
plume  quand  elle  s'attaque  à  n'importe  quoi.  Ce  qui 
résiste  à  tout  ne  résiste  jamais  à  Tart,  et  par  cela  même 
son  devoir  est  d'intervenir,  comme  réserve  suprême, 
pour  donner  les  dernières  poussées  qui  ruinent  les 
choses  usées.  C'est  par  les  brèches  que  Tacite  et  Juvénal 
avaient  faites  aux  murailles  impériales,  pendant  que 
TibuUé  roucoulait  et  que  trinquait  Horace,  que  les 
barbares  ont  pénétré. 

Aujourd'hui  on  n'imagine  pas  que  de  nouvelles  inva- 
sions intérieures  puissent  renouveler  nos  sociétés  décré- 
pites. Il  n'est  plus,  aux  frontières  des  nations  modernes, 
des  vastes  espaces  mal  connus  d'où  pourraient  sortir 
desi  essaims  brutalement  destructeurs,  portant  avec  eux 
Jes  germes  d'une  civilisation  rajeunie.  C'est  de  nos 
sociétés  elles-mêmes  que  viendra  l'invasion,  ce  sont  les 
classes  sacrifiées  qui,  montant,  submergeront  les  clas- 
ses dominantes  quand  elles  seront  aussi  épuisées  que 
celles  de  l'Empire.  C'est  par  elles  que  se  réalisera  le 
salutaire  phénomène,  effrayant  dans  sa  lente  venue, 
mais  légitime  et  fécond  comme  les  coupes  qui  rasent, 
daps  une  forêt,  les  arbres  mûrs,  prêts  à  devenir  bois 
mort,  pour  faire  place  aux  rejetons  nouveaux. 
•  Èh  bien,  nos  temps  ont  leurs  écrivains  préparant  les 
enftmt^ments  sociaux.  Eux  aussi  piochent  le  vieil  édi- 
fice, eux  aussi  y  font  les  brèches  par  lesquelles  se  pré- 
cipitera l'invasion.  Cette  grandeur  s'attache  à  leurs 
efforts. 

Quai)d  la  mission  artistique  prend  ces  proportions, 
que  deviennent  les  théories  sur  l'art  pour  l'art,  sur  l'art 
fantfiisiste,  sur  l'art  réduit  à  la  forme,  sauf  à  mettre 
sous  la  forme  une  pensée  quelconque,  comme  on  fourré 
du  son  dans  une  poupée.  Dans  nos  jours  de  combat, 
il  ne  nous  faut  pas  des  opérettes,  bonnes  au  plus  à 
faciliter  la  digestion  des  dîners  bourgeois.  Il  faut  penser 
à  descendre  sur  la  place  publique  et  à  montrer  ce  que 
l'art  peut  apporter  de  secours  aux  réformes  que  la 
politique  doit  réaliser. 

Les  deux  livres  dont  nous  allons  rendre  compte, 
V Insurgé  et  les  Paroles  d'un  Révolté  en  sont  des 
exemples  mémorables. 


«yNE   STATUE   A  JaAMy^RTINE 

Î^Hi  semaine  dernière,  il  nous  a  été  donné  de  célébrer 
Fauteur  du  livre  superbe,  la  Fin  de  Sata^i,  —  et  voici 
Lajwartine. 

Nous  avons  dit  pourquoi  Hugo  dominait  le  siècle  ;  il 
est  Incontestable  toutefois  qu'immédiatement  après  lui 


se  place  l'auteur  des  Méditations.  On  les  a  souvent 
opposés  l'un  à  l'autre  ;  il  est  temps  de  les  unir.  La  statue  ' 
qu'on  vient  d'élever  à  l'un  s'érige  sur  une  place  qui 
porte  le  nom  de  l'autre.  On  ne  pouvait  mieux  choisir. 

On  sait  leur  amitié  durant  la  vie.  Ils  s'adressaient 
des  odes  magnifiques  qu'ils  s'envoyaient  en  présents, 
comme  des  rois.  Hugo,  le  plus  jeune,  ne  s'est  jamais 
départi  d'un  respect  cher  et  d'une  admiration  complai- 
sante. Depuis  ses  premiers  recueils  il  parle  «'  du  couple 
homérique  »  qu'ils  forment  et  tandis  que  lui  «  tient  les 
coursiers  «  Lamartine  ^  porte  la  lance  dans  les  combats 
lyriques  «.  Ces  présents  se  renouvellent  et  dans  les 
Orientales  et  dans  les  Feuilles  d'automne.  Les  esprits 
des  deux  poètes  se  confondent,  ici,  en  littérature,  plus 
loin,  en  philosophie,  enfin,  en  politique  Tous  les  deux 
ont  senti  l'utopie  moderne  souffler  sur  leurs  cerveaux. 

Et  pourtant  que  de  différence,  si  pas  d'opposition, 
entre  leurs  natures. 

Hugo  est  rénovateur  et  s'impose  maître  rimeur  ;  il 
révolutionne  à  coups  d'alexandrins;  il  renverse  les 
bastilles  officielles  et  monte  aux  remparts,  avec  du 
rouge  et  de  la  flamme  échevelés  en  drapeau  ;  il  lutte 
partout,  au  théâtre,  dans  la  critique,  dans  le  poème;  il 
fait  des  préfaces  hurlantes  d'imprévu;  il  n'est  et  ne 
veut  être  qu'un  poète -artiste  et  la  forge  de  sa  rhétori- 
que flambe  et  rutile  à  travers  la  nuit  classique  comme 
les  fabuleuses  alchimies  à  travers  l'orthodoxie  dés 
sciences.au  moyen-âge.  Il  attaque  le  dogme,  renverse 
Boileau  sur  Campistron,  multiplie  ses  audaces  —  et  les 
Orientales  k  peine  éteintes,  il  allume  Notre-Dame  de 
Paris  et  les  Feuilles  d'automne  à  peine  fanées,  il 
étale  au  soleil  les  Contemplations.  Son  vers  apparaît 
paré,  royal,  décoratif;  sa  strophe,  toute  grandie  de 
pourpre,  marche  dans  la  lumière  et  se  reflète  dans  les 
miroirs,  l'un  en  face  de  l'autre,  des  rimes.  On  crie  à  l'in- 
cendie et  des  glas  d'alarme  tintent  sous  les  cloches 
chauves  des  crânes  académiques.  Tout  ce  que  la  haine 
et  l'ignorance  vomissent  est  délayé  sur  son  œuvre  et 
Gustave  Planche  invente  un  nouveau  fiel  pour  en  ocrer 
les  Voix  intérieures  et  les  Chants  du  Crépuscide. 
C'est  de  la  rage,  de  l'envie,  de  l'épilepsie.  On  lui  con- 
teste tout,  le  style,  l'honnêteté  artistique,  la  langue.  On 
demande  un  asile  pour  interner  ce  dément  qui  a  tué  le 
français  et  viole  la  grammaire. 

Lamartine  tout  en  provoquant  une  renaissance  aussi 
heureuse  dans  les  lettres  n'affiche  point  une  telle  intran- 
sigeance. Il  se  dresse  grand  seigneur  et  ne  discute 
point.  Au  reste,  la  poésie  ne  lui  est  que  passe-temps.  Il 
eii  fait  à  ses  moments  perdus.  Il  improvise  ses  chefs- 
d'œuvre  à  cheval,  en  promenade,  en  voyage.  Le  but  de 
sa  vie  est  celle  des  fils  de  famille  ;  arriver  à  quelque 
haut  rang  dans  l'Etat.  Dominer  politiquement. 

Peut-être  n'aurait-il  voulu  se  commettre  avec  les 
journaux  et  les  critiques.  Il  semble  reprendre  la  tradi- 


mmt 


y 


< 


1 


228 


U ART  MODERNE 


tion  où  Chateaubriand  l'a  laissée.  Révolutionnaire? 
Oui,  mais  sans  le  savoir  ou  tout  au  moins  sans  le  crier. 

Il  est  inopportun  d'analyser  ses  œuvres  et  de  citer 
toutes  les  farces  de  collège  et  les  supercheries  de  potache 
dont  elles  ont  été  l'occasion.  Les  journaux  n'ont  pas 
tari  d'anecdotes  à  ce  sujet  et  chaque  chroniqueur  a  cité 
la  sienne.  Ce  que  Graziella,  l'innocente,  a  fait  infliger 
de  pensums! 

Nous  ne  voulons  insister  que  sur  un  point  exclusive- 
ment littéraire.  Comment  se  fait-il  qu'après  un  exil  de 
vingt  ans,  Lamartine  se  réinstalle  tout  à  coup  dans  la 
cité  bâtie  de  marbre  et  d'or  des  poètes  et  triomphale- 
ment soit  acclamé  par  les  plus  jeunes  et  les  plus  hardis 
des  rimeurs?  .      \ 

Et  tout  d'abord  :  un  jour  de  causerie  bien  intime, 
là-bas,  chez  Lemonnier,  quelqu'un  de  nous  ouvrit  au 
hasard  Jocelyn,  et  lut  une  centaine  de  vers. 

C'était,  voici  deux  ans,  c'était,  avant  la  rentrée  en 
gloire  du  poète.  Une  fin  d'automne  flottait  au  loin, 
parmi  le  paysage.  Les  feuilles  par  poignées  se  disper- 
saient. On  eût  dit  des  ailes  de  pensée  meurtries,  qui 
tombaient  à  terre.  La  pénétrance  des  choses  doulou- 
reuses entrait  en  nous  comme  des  plis  de  linceuil  dans 
le  corps  des  trépassées  à  peine.  Lecture  faite,  chacun 
exulta  de  la  poésie  suprême  qu'il  venait  d'entendre. 

—  Et  pas  de  littérature  !  dit  l'un  de  nous. 

En  effet,  les  vers  semblaient  tous  trouvés,  aucun 
cherché;  pas  le  moindre  effort  vers  le  moindre  tour  de 
force.  Beaucoup  de  rythme,  peu  de  rimes.  L'idée, 
toujours  venue  sans  la  collaboration  des  lexiques  et  des 
règles,  qui  déforment  comme  des  corsets. 

Il  y  a  deux  espèces  de  formes  :  la  foi'me  parnassienne 
et  la  forme  logique.  La  première  ne  se  conçoit  pas  sans 
rime  riche,  sans  régulière  césure,  sans  accablements  de 
substantifs,  sans  impeccabilisme.  L'autre  saisit  la  pen- 
sée ou  plutôt  le  tout  à  coup  de  la  pensée,  telle  qu'elle 
se  présente  d'abord  à  l'esprit  C'est  de  l'impressionnisme 
ou  plutôt  l'émotionnisme  littéraire.  Toute  idée  a  sa 
couleur  et  sa  musique  sans  lesquelles  on  ne  peut  la 
concevoir  et  qui  apparaissent  aux  yeux  et  aux  oreilles 
exercés  au  moment  même  qu'elle  naît.  C'est  cette  Cou- 
leur et  cette  musique  intimes  que  le  poète  doit  saisir, 
musique  très  variable  et  nullement  calquée  sur  celle 
des  dictionnaires  de  rimes,  couleur  si  immatérielle  par- 
fois que  les  draperies  du  banal  alexandrin  l'étoufïent  au 
lieu  de  la  faire  valoir.  La  forme  parnassienne,  sous  pré- 
texte de  correction,  aboutit  au  ronronnement;  l'autre, 
c'est  la  vie,  c'est  l'imprévu  artistique,  c'est  l'envolée 
franche  vers  l'inconnu,  désert  ou  hespéride,  qu'im- 
porte !  pourvu  qu'on  se  désemprisonne  d'entre  les  qua- 
torze barreaux  ciselés  du  sonnet  bêtement  sans  défauts. 

Lamartine  n'a  jamais  été  un  officiant  marmoréen 
comme  Gautier  ni  Leconte  de  Lisle.  Il  n'aurait  voulu 
rimer  : 


Oui,  l'œuvre  sort  plus  belle    . 

D'une  forme  au  travail  *  '  ." 

Rebelle,  '  ' 

Vers,  marbre,  ouyx,  email.  > 

,  Pour  lui,  le  poète  n'était  pas  l'ouvrier  qui  lime  et 
cisèle,  c'était  le  visionnaire  qui  crée  et  parle  superbe- 
ment de  ce  qu'il  voit.  Il  n'avait  certes  pas  une  forme 
individuelle  et  spéciale  comme  nous  la  désirerons  pour 
chaque  écrivain,  mais  combien  son  vers  tranchait  sur 
les  rimes  en  jeu  de  quilles  de  son  temps  et  comme  il 
était  loin  d'être  collectif  ! 

Ce  sont  ces  qualités  de  prime-saut  et  de  «  bonne  aven- 
ture •»  en  poésie  qui  refont  aujourd'hui  une  apothéose 
à  Lamartine.  Ce  qu'on  aime  en  lui,  c'est  sa  bonne  Ibi, 
c'est  son  expression  première  venue,  c'est  sa  notation 
directe  de^entiment  et  de  sensation,  sans  aucune  inter- 
position de  souvenir  classique  ou  autre,  c'est,  en  un 
mot,  son  instantanéité  d'art.  Outre  qu'il  a  fait  un  livre, 
le  plus  pénétrant  peut-être  qui  soit  et  qui  appartient  à 
cette  grande  race  d'écrits  :  Werther,  René,  Ober- 
mami,  Volupté,  le  Rouge  et  le  Noir,  Charles  de 
Mailly,  V Education  sentimentale.  Ce  livre?  Raphaël. 
On  en  a  beaucoup  diminué  la  splendeur  en  n'y  voulant 
voir  qu'un  commentaire  du  Lac.  - 

Raphaël  est  une  monographie;  il  renferme-  des 
vérités  psychologiques  très  profondes  ;  il  est  plus  qu'une 
expression  d'époque,  il  est  une  confession  d'humanité. 
La  fin  en  est  admirable.  A  la  grande  envolée  vers 
l'amour  de  la  première  partie,  l'existence  quotidienne 
succède.  Et  c'est  merveilleux  de  voir  Lamartine  traiter 
des  scènes  de  salon  et  de  rue  et  nous  grandir  tant  de 
vie  réelle  à  la  suite  d'une  exaltation  de  passion  si 
idéale,  en  romancier  subtil  et  en  psychologue  suprême . 
Raphaël  séduit  les  prosateurs  autant  que  les  Médita- 
tiens  et  les  Ha7vnonies  sollicitent  les  poètes. 

Et  ainsi  en  sera-t-il  à  jamais,  puisque  dès  qu'un 
auteur  en  lumière  survit  à  la  démode,  conséquence 
ordinaire  de  sa  mort,  son  immortalité  s'établit  indes- 
tructible. Hugo  qui  paraît  en  décours  aujourd'hui  res- 
suscitera de  même.  A  quand  le  tour  de  Musset? 


5^0NC0UR^    DE    j]!l0N^ERVAT0IRE  (*^ 

L'arlisle  se  forme  lui-même.  L'éducation  des  AcadJmies  musi- 
cale, piclurale  et  architecturale,  sont  à  la  pure  éducation  artis- 
tique ce  que  le  pot  à  tabac  en  grès  barbare  est  à  l'amphore  élé- 
gamment pansue,  ce  que  les  formes  à  beurre  du  Marché-aux- 
Fromages  sont  aux  œuvres  des  jolis  «  imajgiers  »  d'autrefois. 

Des  rapins  —  bien  vêtus  —  à  qui  l'on  commande  des  chemins 
de  la  croix  dans  les  églises  de  province  ou  du  gâchago  de 
murailles  dans  nos  monuments  publics  trop  rarement  et  trop 
incompïèiemenl  incendiés  ;  des  manouvriers  qui,  sous  la  direc- 
tion de  l'Esprit   supérieur,   édifient    les   bâtisses   comme    les 


(*)  V.  VArt  mode^me  des  27  juin,  4  et  U  juillet. 


•     ,.' 


X 


esclaves.  d'Egypio,  nourris  d'oignons  crus  dans  le  sable  brû- 
lant, ddifiaienl  les  énigmaliqiics  pyramides,  c  est  loul  ce  qui 
pousse,  sur  ce  terrain  académico-conscrvaiorien,  où,  après  la 
prochaine  Iranslbrmalion  lerreslr<%  les  géologues  futurs  recueil- 
leront une  bien  intéressante  collection  de  fossiles. 

L'Ecole  de  musique  de  Bruxelles  est  respeciiieusement  nommée 
h  l'étranger  tout  comme  l'Ecole  de  peinture  d'Anvers  représente 
pour  les  bourgeois  la  ronlinuation  de  l'art  de  Rubens,      . 

Ce  public  qui,  chaque  année,  s'écrase  aux  portes  pour  écouter 
des  concours  banals;  ces  curieux  qui,  s'extasient  si  pou  nom- 
breux, c'est  vrai,  —  (pourquoi?  car  les  Ecolcs-de  musique  et  les 
Académies  sont  officines  semblables)  —  devant  des  «  composi- 
tions »  flasques  et  mortes,  où  le  vide  d'ins|)iration  se- cache  sous 
le  pompeux  des  atliludes  corporelles  et  les  formules  expressives; 
comment  ne  voient-ils  point,  comment  n'entendenl-ils  point,  que 
chaque  année,  le  speclacle,  l'audition  sont  les  mêmes,  alors  que 
l'originalité,  précisément,  exclut  toute  rép:';lition,  s'éloigne  des 
gestes  appris,  des  leçons  enfoncées  dans  le  cerveau  comme  la 
pAtée  dans  le  gosier  des  canards  et  des  dindons.  Que  n'imagine- 
l-on  une  immense  gavcuse  installée  sur  les  places  publiques  pour 
cette  instruction  laïque  et  obligatoire,  si  chère  à  toute  politiquail- 
lerie,  pour  cet  enseignement  de  crétins  si  chère  à  toule  la  profes- 
saillerie  subsidiée  et  qui,  patentés  de  l'Etat,  transportent  leurs 
élèves  dans  la  vie  artistique  comme  les  commissionnaires,  pla- 
ques aux  bras,  transportent  vers  les  gares  rauques  et  tumul- 
tueuses, les  sacs  de  nuits  en  tapisserie  et  les  valises  en  cuir-car- 
ton? 

L'artiste  vrai  se  forme  lui-même  ;  il  doit  savoir  qu'après 
l'énorme  travail  dans  la  solitude  et  le  silence  rien  n'est  à  espérer 
en  celle  vie,  et  n'attendre  pour  son  front  que  la  couronne  posée 
sur  le  front  des  morts.  Il  doit  avoir  une  âme  d'enfant  avec  la 
toute-puissance  du  cerveau  ;  il  doit  ne  pouvoir  lire,  sans  chaudes 
larmes  découlant  des  yeux,  des  paroles  de  conviction  comme 
celles  que  nous  allons  citer  ici,  admirables  et  si  peu  connues, 
dites  par  un  extraordinaire  génie  à  une  enfant  de  10  ans,  qui  lui 
avait  écrit  pour  lui  exprimer  sa  vénération. 

M  Continue  à  travailler,  ne  te  contente  pas  d'une  étude 
superficielle  de  la  musique  et  tâche  de  pénétrer  dans  son  inti- 
mité. Elle  est  digne  de  cet  effort,  car  l'art  et  la  science  peuvent 
seuls  nous  élever  jusqu'à  la  dignité., Si  tu  penses  un  souhait  que 
je  puisse  satisfaire,  adres«^e-toi  franchement  à  moi  ;  le  véritable 
artiste  n'a  point  de  dédain  pour  les  humbles.  Il  le  sait,  l'art  est 
infini  :  dans  les  ténèbres  qui  l'environnent,  il  sent  trop  bien 
l'énorme  distance  qui  le  sépare  de  son  but.  Aussi,  tandis  qu'on 
admire,  il  s'afflige  et  se  désole  de  ne  pouvoir  atteindre  à  ces 
régions  sublimes  où,  de  bien  loin,  il  voit  resplendir  le  soleil 
rayonnant,  dont  son  génie  rêve  la  conquête.  »  X 

Il  doit  sentir  que  jamais  un  enseignement  de  compression  ne 
les  lui  feront  dire;  il  doit  les  avoir  en  soi  et  les  dire  avec  simpli- 
cité, avec  naïveté,  comme  on  cueille  une  fleur,  comme  on  baise 
le  front  de  sa  mère,  comme  on  prie,  au  milieu  des  rires,  peut- 
être,  mais  avec,  dans  la  conscience,  une  lumineuse  fraîcheur  et 
celte  purolé  de  compassion  de  Parsifal  pour  les  saignantes  bles- 
sures d'Amfortas. 

Il  faul,  maintenant,  retomber  à  des  phrases  énumératives,  à  de 
sèches  conslalalions,  à  l'ordinaire  compte-rendu  :  regretter,  pour  * 
les  concours  d'instrumcntg  în  vent,  la  successive  diminution  des 
concurrents,  danger  à  redouter,  puisque  l'orchestration  moderne 
établit  l'équilibre  entre  les  bois  et  les  cuivres,  puisque  les  musi- 


ciens contemporains  expriment  pnr  ces  sonorités  de  colère  et  de 
désolation  ce  que  ce  siècle  a  mis  en  nous  de  (loiile  et  de  tumulte  ; 
noter  une  fois  de  plus  l'évidcnle  supériorité  de  la  classe  d'orgue, 
un  instrument  auquel  un  de  ces  cloportes,  qui  pullulent  dans  les 
murailles  belgiques,  reprocliail  d'être  «  calotin  »;  signaler  une 
artiste  parmi  tant  de  médiocrités,  M"«  Mess,  une  violoniste  de 
beau  maintien  et  de  beau  son,  émue  et  troublante,  lui  conseil- 
lant de  ne  point  se  contenter  d'un  titre  bon  à  figurer  sur  les  pro- 
grammes de  concert,  mais  de  sscouer  tout  cet  enseignement  pous- 
siéreux, qui  lieur»3u.scnient  n'a  point  fait  tache  encore  sur  son 
originalité,  et  l'inciler  à  voir  que  le  réel  travail,  aujourd'hui, 
commence,  sérieux,  profond,  continu,  comme  le  comprit  hy 
j^une  maître  ent-^ndu,  il  y  a  quelques  années,  Fernandoz  Arbos  ; 
hausser  les  épaules  après  les  concours  de  piano,  d'une  uniforme 
médiocrité;  hausser  les  épaules  après  les  concours  de  chant,  une 
réclame  de  marchande  à  la  toilette,  une  cacophonie  de  gosiers 
malades,  l'étalage  de  la  femme  sotte,  criarde,  petitement  féroce 
sous  SCS  toiles  d'arai^^f'e  en  donielle  et  ses  feuilL^s  de  vigne  en 
salin;  s'indigner  de  l'igno/'ancc  el  de  la  pré:ehlion  cjbotines  de 
toutes  ces  «  étoiles  en  herbe  »  comme  l'écrivait  cet  é  rivain 
pour  portiers  du  Marais,  le  ventripotent  Francisque  Sarcey. 

Il  faudrait  abattre  ces  forêts  de  formules,  brûler  jusqu'à  la 
cendre  tout  ce  fatras  de  m.Uhorlcs  ineplcsel.de  préjugés  conser- 
valoriens;  refuser  ses  encouragements  à  des  exhibitions  bour- 
geoises dont  peuvent  se  contenter  des  sociétaires  provinciaux, 
mais  où  le  mot  sacré,  l'art,  connu  dans  le  dictionnairej)hiloso- 
phique  de  Voltaire,  est  absent;  lever  les  voiles  d'iijarieux  silence 
dont  on  couvre  les  purs  et  les  solitaires;  oser  dire  —  tout  seul, 
qu'importe?  —  «  ceci  est  beau,  ceci  est  grand  »,  quand  toute  la 
cohue  imbécile  va,  répétant  après  une  prisse  ignare  et  nulle  : 
«  ceci  est*  incompréhensible  »  ;  -oser  tendre  la  coupe  à  la  soif  de 
ceux  que  Banville,  dans  sa  compatissante  fierté,  nommait  les 
Exilés:  Il  y  a  en  Bc'gtque,  d'admirables  artistes,  connus  de 
quelques-uns, "dans  la,  misère  peut-être,  mais  qui  se  refusent  de 
sacrifier  l'art  à  des  agenouillements  humilianlfs  :  allons  à  eux, 
tendons-leur  les  mains,  si  leur  fière  sauvagerie  leur  faif  craindre 
la  lumière,  menons-les  au  soleil,  à  la  vie,  que  tous  les  voient, 
que  tous  se  découvrent,  que  tous  les  aiment.   -     T~ 


Contours  de  déclamation.  —  Professeur,  M.  Monrbse.  {«"^Prix  : 
MM.  Hendrix  et  Camis;  2«  prix  :  MM.  Knauff,  Baquet,  Danlée, 
Nysl;  !«•■  accessit,  MM.  Collart  et  Vennekens. 


PABiTOMIMES 

Les  Martinetti  donnent  un  Duel  dans  la  neige.  Deux  masques 
se  sont  pris  de  querelle  —  une  même  fenime  les  sollicite  —  et 
se  rendent  sur  le  terrain,  immédiatement  après  le  bal.  L'un  est 
habillé  en  pierrot  moderne;  l'autre?  — costume  quelconque. 

La  rencontre  a  lieu  dans  une  forêt  à  l'aube.  Les  témoins  et  le 
médecin  arrivent,  la  barbe,  le  chapeau  et  le  parapluie  poudrés 
de  neige.  On  déroule  devant  les  adversaires  des  bandages  et  des 
compresses  el  la  peur  commence. 

Le  Duel  dans  la  neige  est  une  étude  de  la  peur.  Paul  Marlinelli 
y  est  admirable.  Tremblements  soudains,  fuites  brusques,  reprises 
faloites  de  courage;  craintes  naïves,  excentriques,  foliesques; 
une  attaque  déviée  dans  le  fessier  des  témoins;  une  et  plusieurs 
giffles  égarées   sur  leurs  joues;    les  adversaires  veulent  s'en 


\ 


I 


230 


VAUT  MODERNE 


aller,  on  les  ramène,  il  se  rapprochenl  cl  ctac!  voici  Pierrot  qui 
l'ail  sauter  le  nez  en  cari  on  de  son  ennemi;  nouvelle  insulte, 
nonvcaii  duel,  celle  fois,  au  pistolet;  un  corbeau  passe,  une  balle 
au  hasard  l'atleint,  il  tombe  et  épouvante  et  met  en  fuite  loul  le 
monde;  les  tc^moins  donnent  le  signal  et  reçoivent  en  réponse 
des  balles  dans  les  jambes;  ils  se  sauvent  et  on  les  poursuit  à 
coups  de  feu  si  bien  qu'ils  reviennent  écloppés,  avec  des  linges 
sanglants  autour  du  front  et  du  menton;  les  adversaires  se  cher- 
chent, s'évitent,  se  dissimulent  derrière  des  troncs  d'arbre,  se 
visent  à  travers  les  trous  de  vieux  saules,  se  rencontrent  nez  à 
nez,  dos  à  dos,  pistolet  à  pistolet  —  et  ce  jeu  de  cache-cache 
dure  jusqu'h  rarrivéc  delà  dame  ou  pUilôl  de  l'amante,  qui  toute 
t'parde,  se  jette  sur  Pierrot,  faisant  le  morl,  long  et  droit,  sur 
son  manteau,  précaulieusement  étendu  sous  lui.  La  dame  appelle 
ses  gens,  mais  soudainement  l'adversaire  a  fait  déloger  Pierrot 
Cl...  est  morl  b  sa  place.  Surprise.  Pierrot  revient,  hésite  à  couper 
Ja  léte  de  son  rival  et  se  résoud  î»  s'élendrc  en  travers  de  son 
corps.  Puis  finit  par  fuir  en  bonne  compagnie,  au  nez  du  méde- 
cin cl  de  l'adversaire  ébahis^ — 

Le  Duel  dans  la  neige  est  une  pantomime  toute  en  farce.  Il 
n'est  plus  question  de  créer  ou  de  faire  revivre  un  caractère  — 
nniquemenl  de  simuler  des  sentiments  ridicules  et  de  varier  des 
effets  de  physionomie. 

Les  Martinelti  les  réalisent  avec  des  instantanéités  et  des 
précisions  parfaites,  leur  figure  autant  que  leur  corps  est  un 

.  perpétuel  tour  de  Ïotco;  ils  sont  acrobates  suprêmes,  soit 
qu'ils  culbutent  télé  en  bas  et  pieds  en  l'air,  soit  qu'ils  jonglent 
avec  leurs  regards,  soit  qu'ils  simulent  avec  leurs  Irails  toutes 
les  surprises,  toutes  les  joies,  toutes  les  tristesses  des  comédies 

,  humaines.;  ■;■  .;./■.;■•';-.,;••"■'■■"'  ■  '  '  "•'  ■- -   '■'''''■'■''".'■■■}',  ^-:  ■.:':},.[.' .-'^'C 

.  V       ^HROJ^iqUE    JUDICIAIRE    DE?    yVRT? 

tJNE    ARTISTE    DISPUTÉE  (*) 

Nous  avons  rapporté  le  différend  soulevé  devant  le  tribunal  de 

-commerce, de  Bruxelles  par  M.  Lucien  Desuiten,  directeur  du 

théâtre  de  La  Haye,  au  sujet  de  l'engagemcml  conclu  parMM.  Dupont 

cl  Lapissida,  les  nouveaux  directeurs  de  la  Monnaie,  avec  M"*=  Marie 

Vuillaume. 

Le  tribunal  a  rondu  lundi  son  jugement.  Sans  juger  le  fond  du 
débat,  il  autorise  le  demandeur  à  faire  la  preuve,  par  tous  moyens 
légaux. 

40  Que,  connaissant  l'engagement  de  M"^  Vuillaume  envers 
lui,  MM.  Dupont  cl  Lapissida  lui  ont  néanmoins  fait  signer  un 
second  engagement  envers  eux,  pour  la  même  saison  théâtrale, 
incompatible  avec  le  premier  ; 

2"  Que,  lors  de  ce  second  engagement,  les  directeurs  du  théâtre 
de  la  Monnaie  se  sont  obligés  envers  la  demoiselle  Vuillaume  à 
la  tenir  indemne  des  conséquences  de  la  violation  du  premier 
contrat  envers  M.  Desuiten. 

Le  tribunal  se  prononcera  définitivement  après  l'enquête. 

ART    OU    PORNOGRAPHIE? 

Où  finit  l'art,  où  commence  la  pornographie?  La  question,  qui 
n'est  pas  toujours  facile  à  résoudre,  a  été  disculée  celle  semaine 
au  Palais  de  Justice.  Voici  le  récit  que  donne  la  Réforme  de  ces- 
débats  un  peu...  crouslillanls  : 


(*)  Voir  notre  dernier  numéro. 


Grille  d'Egoul,  la  Goulue  et  un  millier  de  jeunes  personnes 
plus  folles  que  vierges  comparaissaient  mercredi,  dans  l'exercice 
de  leurs  fonctions,  devant  le  tribunal  correclionnel  de  Bruxelles 
—  bien  entendu,  sous  le  voile  de  la  photographie,  comme  dirait 
Mu  Prudhomme.  C'était  d'ailleurs  le  seul  voile  interposé  entre 
elles  et  la  pudeur  des  messieurs  qui  venaient  les  contempler  îi  la 
vilrine  de  divers  photographes  du  Passage  el  de  la  Montagne  de 
la  Cour.  Il  était  curieux  de  voir  l'effet  que  produiraient  sur  la 
sévérité  du  tribunal  ces  Phrynés  en  effigie.  C'est  qu'il  faut  entendre 
comme  elles  ont  raffmé  et  modernisé  celle  primitive...  exception 
de  procédure  in;iugurée  jadis  devant  l'Aréopage.  Les  unes  n'ont 
pour  tout  «  complet  »  qu'un  tambour  de  basque  ;  les  autres  fonU 
penser  à  la,  petite  Zo  de  Catulle  Mondes,  qui,  surprise  sans  vert, 
dans  son  boudoir,  avise  une  houppe  b  poudre  de  riz  et  se  la  met, 
éperdue,  rougissante,  devant  la  bouche. 

M.  le  substitut  en  voulait  parliculièremenl  h  une  de  ces  demoi- 
selles qui  donnait  le  sein  h  un, singe  (cachez, "cachez  ce  singe  que 
je  ne*saurais  voir)  cl  aussi  à  une  autre,  juchée  sur  une  échelle,  et 
qu'il  n'aurait  d'ailleurs  pas  poursuivie  sans  la  présence  d'une 
brosse,  qui,  paraît-il,  se  conduisait  d'une  façon  .affreusement 
inconvenante. 

Quant  à  la  Goulue  et  Grille  d'Egout,  elles  ont  trouvé  grâce 
auprès  du  ministère  public,  probablement  parce  qu'un  article  de 
journal,  dont  il  a  été  donné  lecture  à  l'audience,  constatait 
qu'elles  élevaient  le  pied...  à  la  hauteur  d'une  institution.  C'est 
la  seule  explication  que  nous  ayons  trouvée. 

Après  des  plaidoiries  qui,  à  grand  renfort  de  «  plats  d'argent, 
de  discours  d'académiciens  et  de  murs  d'église  »,  ont  cherché  à 
établir,  comme  de  juste,  que  la  Goulue  est  une  madone  à  côté  de 
la  vierge  à  la  chaise  et  la  Vénus  de  Milo,  le  tribunal  s'est  retiré 
à  une  heure  avec  les  pièces  à  conviction,  en  annonçant  qu'il 
prononcerait  à  quatre  heures.  Il  est  rentre^  avec  un  jugement 
.condamnant  chacun  des  prévenus  à  huit  jours  de  prison  et 
à  500  francs  d'amende.  Le  tribunal  a,  de  plus,  ordonné  la  confis- 
cation de  toutes  les  imagr's  saisies  par  le  parquet. '^^^^     -— ^— ~    — 

L.E  TRUQUAGE 

Tout  le  monde  connaît  les.,  améliorations  arlisliques  aux- 
quelles se  livrent  certains  commerçants  peu  délicats  qui  transfor- 
ment tour  à  tour  des  tessons  de  grès  eu  poteries  phéniciennes,  des 
vieux  chaudrons  en  armure  du  moyen  âge,  el  des  toiles  peintes, 
à  20  francs  le  mètre,  en  tableaux  de  grands  maîtres;  mais  on 
s'imagine  ditficilcmenl  jusqu'où  peut  aller  la  hardiesse  de  certains 
industriels  de  ce  genre.  Un  jour,  M.  René-Paul  Huet,  fils  d'un 
paysagiste  distingué  du  commencement  de  ce  siècle,  aperçoit  àja 
devanture  de  M.  Garnier,  marchand  de  tableaux^  une  élude  peinte 
portant  le  monogramme  bien  connu  de  Th.  R...,  abréviation  du 
nom  de  Théodore  Rousseau,  el  il  reconnaît  une  œuvre  de  son 
père,  parfailemenl  connue  de  lui.  Il  introduit  contre  le  marchand 
un  procès  tendant  à  la  suppression  du  faux  monogramme,  à 
1  franc  de  dommages-intérêts,  et  à  rinserlion  du  jugement  dans 
les  journaux.  M.  Garnier  résis'.e  et  une  experiise  est  ordonnée. 

Celle-ci  donne  les  résultats  les  plus  précis.  M.  Cli.  Pillet,  l'an- 
cien commissaire-priseur  bien  connu,  et  M.  Français,  le  paysa- 
giste éminent,  contemporain  de  Paul  Huet,  sont  d'accord  pour 
reconnaître  une  œuvre  de  cet  artiste,  ayaut  figuré  à  sa  vente  en 
4878  sous  le  n^  83  du  catalogue  el  sous  un  litre  spécial;  il  est 
conslant  que  le  monogramme  Th.  R...  a  été  ajouté  après  coup  ; 


Vi 


mais  il  y  a  mieux,  sous  la  feuillure  du  cadre,  ils  découvrent 
vaguement  dissimulé  le  mot  «  d'après  »  précédant  le  mono- 
gramme, et  Iracé  évidemment  pour  ménager  au  vendrur  une 
échappatoire  vis-à-vis  d'un  acquéreur  récalcitrant,  en  lui  prou- 
vant qu'il  lui  aurait  vendu  non  un  original,  mais  une  simple 
copie!  Ces  résultats  n'ont  pas  découragé  M.  Garnicr,  qui,  après 
avoir  affirmé  que  l'esquisse  élait  bien  dc^Rousseau,  soutint  que 
c'est  une  copie  du  mémemallre,  et  non  une  peinture  de  P.  Huet. 
Ces  systèmes  variés  n'ont  pas  eu  le  don  de  séduire  M.  le  sub- 
stitut de  la  République  près  le  tribunal  de  la  Seine,  qui  a  conclu 
énergiquement  U  l'admission  de  la  demande  entière  de  M.  René- 
Paul  Huet,  notamment  en  ce  qui  concerne  la  publicité.  Le  tribu- 
nal a  remis  son  jugement  à  huitaine. 


pETITE    CHROJ^IQUE 


M.  Jenô  Hubay  a  quitté  avant-hier  Bruxelles  pour  aller  occu- 
per, à  Peslh,  la  situation  brillante  a  hiqucllc  il  vient  delre  appelé. 
C'est  à  la  nouvelle  Académie  de  musique,  fondée  par  Liszt  et 
placée  sous  son  haut  patronage,  que  l'émineut  artiste  est  atta- 
ché. Il  dirigera  la  classe  de  violon,  et  Popper,  le  célèbre  violon- 
celliste, nommé  en  même  temi)s  que  lui,  dirigera  celle  de  vio- 
loncelle. 

Ce  qu'il  y  a  de  remarquable 'dans  cette  académie  modèle,  c'est 
que  chaque  professeur  est,  dans  sa  sphère,  absolument  indépen- 
dant et  organise  son  enseignement  comme  il  l'entend  :  il  ne  subit 
le  contrôle  d'aucun  directeur  et  il  n'est  astreint  à  aucun  règle- 
ment. 

L'institution  comprend  six  sections  :  composition,  orgue, 
chant,  violon,  violoncelle,  piano.  Elle  est  superbement  installée 
dans  un  palais  fraîchement  construit  dont  la  façade  s'élève  vers 
le  milieu  de  la  Radial  Slrasse,  l'avenue  qui  mène  au  bois. 

M.  Jeno  Hubay  laisse  en  Belgique  un  souvenir  charmant. 
Durant  les  quatre  années  qu'il  professa  au  Conservatoire  de 
Bruxelles,  soh  caractère  aimable  et  cordial  conquit  tous  les 
cœurs.  Quant  à  l'admiration  qu'excita  son  talent  sérieux,  étran- 
ger a  tout  cabotinage,  puisant  ses  inspirations  aux  sources  pures 
de  l'art,  il  n'est  pas  nécessaire  dç  le  ra°i)peler  aux  lecteurs  de  ce 
journal.  Comme  homme  et  comme  artiste,  Jenô  Hubay  sera  vive- 
ment regretté.  Son  départ  est  un  vrai  désastre  pour  la  musique 
de  chambre,  agonissante  depuis  la  mort  de  Joseph  Servais  et  de 
Jules  Zarembski. 

Heureusement,  les  statuts  de  l'Académie  de  Pesth  donnent  aux 
titulaires  des  six  chaires  de  professeurs  cinq  mois  de  congé. 
Jenô  Hubay  n'oubliera  pas  qu'il  sera  toujours  le  bien-venu  en 
Belgique. 

La  Hongrie  prépare  pour  le  10  août  un  grand  festival  de 
musique  qui  aura  lieu  ii  Pècs  (Funfkircheu)  sous  la  direction  de 
M.  Jenô  Hubay.  On  exécutera  des  chœurs  (avec  accompagnement 
d'orchestre)  écrits  par  des  compositeurs  hongrois,  entre  autres 
de  Liszt,  de  Szentirmay,  d'Erkel,  de  Jenô  Hubay,  etc.  Le  festival 
durera  quatre  jours.  Il  promet  d'être  très  attrayant  et  réunira 
l'élite  des  musiciens  du  pays.  ^ 


Le  maire  de  Compiègne  vient  de  prendre  l'arrêté  suivant  : 
«  Nous,  maire  de  la  ville  de  Compiègne  ; 


>    Vu  les  observations  justifiées  de  M.  Mazier,  archilrcle  munici' 
pal,  sur  Tétat  de  vétusté  de  la  salle  de  la. rue  Vivènel  ; 

Considérant  que  c'est  une  insuite  k  l'art  de  la  musique  fran- 
çaise de  la  faire  acompagner  au  piano  ; 

Considérant  que  pour  placer  un  orchestre,  il  faudrait  supprimer 
les  fauteuils  d'orchestre,  le  parterre  et  les  baignoires;' 

Considérant  qu'il  appartient  au  maire  de  la  ville  de  veiller,  avec 
tout  pouvoir  discrétionnaire,  à  la  dignité  des  beaux^arts; 

Considérant,  enfin,  que  les  proportions  de  la  salle  du  théâtre 
sont  trop  i-éduiles  pour  y  autoriser,  sans  danger,  la  représenta- 
tion d'un  grand  opéra. 

Arrêtons  :  .   :^ 

Article  \*".  —  Vno  nouvelle  représentation  de  Fausl,  dans  les 
conditions  où  elle  a  eu  lieu  le  12  mai  dernier,kist  inlerdiîe. 

Art.  2.  —  Le  Petit  /'(TZW.î/ est  seul  autorisé. 

Art.  3.  —  M.  Vilelte,  inspecteur  du  théâtre,  est  chargé  de 
l'exécution  du  présent  arrêté.  « 


Une  pensée  touchante  du  grand  sculpteur  Rodin.  La  Réforme 
avait  récemm.ent  rappelé  le  séjour  que  fit  l'artis'e  k  Bruxelles  et 
signalé  ^  rallenlion  du  public  les  deux  caryatides  qu'il  exécuta 
pour  une  maison  du  boulevard  Anspach  et  pour  lesquelles  un 
soldat  de  la  garnison  lui  servit  de  modèle. 

On  adressa  le  numéro  de  La  Réforme  à  Rodin,  et  celui-ci 
s'empressa  de  répondre  par  la  lettre  suivante  : 

-    « -Mon  cher  Monsieur,  . 

«  Je  vous  remercie  de  pensera  moi  et  à  m'envoyer  le  journal 
qui  est  ami.  Mais  vous  feriez  un  plaisir  extraordinaire  en  en  adres- 
sant un'exemplaire  à  l'excellent  garçon  qui  a  posé  pour  moi.  Ce 
soldat  était  dans  les  télégraphistes  de  campagne,  sous  le  comman- 
dant Malevé.  Il  est  à  Gand.  Voici  son  adresse  :  Monsieur  Auguste 
Neyl,  menuisier,  chaussée  de  Langeibrugge,  à  Oostacker-lez- 
Gand.  Vous  ferez  un  heureux  et  me  rendrez  service. _. 


«  Agréez,  cher  Monsieur,  l'expression  de  ma  vive  sympathie. 

«  A.  Rodin.  >> 


L'Excursion  otfre,  le  9  août  prochain,  par  train  spécial,  une 
série  de  charmants  voyages  en  Suisse  à  prix  réduits. 

On  visitera  Bâie,  Lucerne,  le  Rigi,  le  lac  des  Quatre-Cantons, 
ie  Brunig,  Inlerluken,  Lauterbrunnen,  le  lac  de  Thoune,  Berne» 
Fribourg,  Lausanne,  le  lac  Léman,  Genève,  Chamounix  et  les 
Glaciers  du  .Mont-Blanc.  Un  séjour  de  8  jours  coûtera  160  francs; 
1 1  jours,  "2^25  francs  ;   14  jours,  :>20  francs,  tous  frais  compris. 

Au  mois  d'août  auront  lieu  également  de  superbes  voyages  en 
Ecosse,  à  Londres,  en  Normandie  et  en  Bretagne,  en  Autriche- 
Hoqgrie,  à  Consîanlinople,  aux  Bords  du  Rhin,  en  Hollande,  ^c. 

Le  programme  de  ces  voyages  sera  gratuitement  envoyé  ^  toute 
personne  q'ui  en  fera  la  demande  en  désignant  le  voyage  préféré. 
Il  M.  Cil.  Parmeniier,  directeur  de  l'Excursion,  lOi),  boulevard 
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qui  ne  seront  pas  niivS  dans  le  commerce.  Le  prix  en  est  provisoire- 
ment fixé  à  5  francs  pour  ceux  qui  enverront,  avant  le  1er,  août, 
leur  souscription  à"  rimprimeur  :  Veuve  Monnom,  26,  rue  de  l'In- 
dustrie, Bruxelles.  - 


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SAMITEL,  Ed.  Op.  14.  2 arcntelle- Scherzo.  Fragment  sympho- 
nique,  à  4  mains,  fr,  2-50. 

DE  SWERT,  J.  Op.  AA.  Inipron-iptu,  pour  violoncelle  avec 
accompagnement  de  piano,  fr.  2  00.  —  Op.  45.  Le  Désir ^  morceau 
de  salon,  pour  violon  avec  accompagnement  dé  piano,  fr  1-75.  — 
Op.  46.  Réi^erie,  pour  violon  avec  accompagiiement  de  piano,  fr.  1-75.. 

HERRMANN,  Tu.  Op.  'Z'6.  Marion-Gavotle,  pour  violon  avec 
accompagnenient  de  piano,  fr.  1-35. 


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BRUXELLES,  41,  MONTAGNE  DE  LA  COUR 


EXTRAIT  DES  NOUVEAUTÉS 

Juillet  1886. 

Dupont,  Aug.-  et  Sandre,  Gu.st.  Ecole  de  piano  du  Conservatoire 
royal  de  Bruxelles.  Livr.  XXXI.  Hummel,  concerto  la  bémol,  fr.  5-00. 

NicôDÉ,  F.-L.  Op.  17.  Suite  symphonique.  Partition,  fr.  18   75. 

ScHARWENKA,  X.  Op.  34.  2  dauscs  polonaises  pour  piano.  N»*  .1 
et  2  à  fr.  1-25.  —  Op  58.  '4  danses  polonaises  pour  j)iano.  N»»  1,  3 
4  à  fr.  2-00.  N-ï  2  à  fr.  1-60. 

Wagner,  Rich.  Prélude  de  Lohengrin.  Arr.  pour  piano  à  4  mains 
par  Gust.  Sandre,  fr.  1-60.  —  Morceaux  lyriques  tirés  de  Fristan  et 
Yseult.  Arr.  pour  piano  à  4  mains,  fr.  5-70. 


i; 


Bruxelles.  —  Imp.  Félix  Callewaert  père.  —  V*  Monnom  successeur,  rue  de  l'Industrie,  26. 


.t      1 


-.'A 


Sixième  année.  —  N°  30. 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  25  JuIillet  1886. 


L'A  R  T 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DBS  ARTS  ET  DE  LA  LITTERATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,  un  an,   fr.   10.00;  Union  postale,   fr.    13.00.    —  ANNONCES  :    On  traite  à  forfait. 


'  Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 

l'administration  générale  de  r  Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


? 


OMMAIRE 


■-  L'Art  et  la  Révolutiox.  Paroles  d'un  révolté,  par  Pierre 
Kropotkine,  L'Insurgé,  par  Jules  Vallès.  Deuxième  article.  — 
Les  représentations  de  Bayrelth.  —  Le  Métier.  —  L'artiste 
DISTANCÉ.  —  Livres  nouveaux.  Mythologie  Scandinave,  par  R.  B. 
Anderson.  Voor  on2e  Kleinen!  par  L.  Leefson.  —  Les  budgets 
des  théâtres  lyriques.  —  Chronique  judiciaire  des  arts.  — 
Mémento  des  expositions  et  concours. 


L'ART  ET  lA  RÉVOLUTION 

Paroles  d'un  Révolté,  par  Pierre  Kropotkine,  publié,  annoté 
et  accompagné  d'une  préface  par  Elisée  Reclus,  Paris,  G.  Mar- 
pon  et  E.  Flammarion.  —  L'Insurgé,  par  Jacql'es  Vingtras 
(Jules  Vallès).  Paris,  Charpentier. 

Deuxième  article. 

Les  Paroles  cVun  Révolté,  de  Pierre  Kropotkine, 
sont  le  pendant  socialiste  de  ce  livre  chrétien,  égale- 
ment révolutionnaire  :  les  Paroles  cVwi  Croyant^ 
de  Lamennais.  Tous  deux  sont  des  œuvres  d'art,  le 
second  davantage  assurément,  car  Lamennais  oublié 
de  la  génération  actuelle,  demeure  un  des  grands 
écrivains  du  siècle  en  sa  période  la  plus  ardente, 
celle  qui  suivit  1830. 

Le  style  de  Kropotkine  se  ressent  de  son  origine 
étrangère.  Il  prend,  en  français  une  certaine  gaucherie 
exotique.  Le  Russe  se  révèle.  C'est  à  peine  un  défaut 
par  ces  temps  de  préférence  pour  la  littérature  des 
Dostoïewski  et  des  Tolstoï?  D'autant  plus  qu'il  puise 
dans  cette  extranéïté  la  fureur  froide,  étrange  et  sau- 
vage que  le  nihilisme  donne  à  ses  adeptes. 


Les  Paroles  (Vun  Révolté  forment  un  bréviaire  à 
l'usage  de  ceux  qui  rêvent  d'une  insurrection  sociale. 
Elles  disent,  ou  plus  exactement  elles  clament  en  des 
colères  brûlantes  et  avec  des  gestes  prophétiques,  la 
décomposition  des  Etats,  la  nécessité  de  la  Révolution, 
les  minorités  asservies,  la  lédtimité  de  la  çruerre  des 
classes,  le  devoir  de  se  préparer  à  l'attaque,  les  hypo- 
crisies de  Tordre  bourgeois,  les  iniquités  de  la  situation 
présente.  Elisée  Reclus  résume  ainsi  à  la  fois  l'œuvre 
et  l'homme  :  Son  crime  est  d'armer  les.  pauvres,  son 
forfait  de  plaider  leur  cause. 

Nous  allons  parcourir  ce  livre  en  relevant,  le  plus 
souvent  dans  les  termes  mêmes  de  l'auteur,  les  pensées 
et  les  images  qui  le  caractérisent.  Ainsi  apparaîtra 
mieux  ce  poème  farouche  et  inquiétant,  politique  et 
humain,  si  près  de  la  vie  et  de  ses  bouillonnements. 

Voici  le  point  de  départ,  le  proémium  dont  le  chantre 
s'est  inspiré  : 

Une  grande  révolution  marquera  la  fin  du  dixT 
neuvième  siècle.  Historiens,  philosophes,  la  tiennent 
désormais  pour  une  fatalité.  Pour  y  croire,  il  sutïit  d'ob- 
server le  tableau  qui  se  déroule  ;  du  fond  grisâtre, 
deux  faits  se  dégagent  :  la  banqueroute  morale  des 
classes  régnantes,  le  réveil  des  classes  populaires. 

Dans  l'usine  suffocante,  comme  dans  la  triste  çrar- 
gote,  sous  le  toit  du  grenier,  comme  dans  la  galerie 
ruisselante  de  la  mine,  s'élabore  tout  un  mondé  nou- 
veau. Dans  ces  sombres  masses  que  la  bourgeoisie 
méprise,  mais  dont  est  toujours  parti  le  souffle  qui  a 
inspiré  les  grands  réformateurs,  les  problèmes  de  l'éco- 


A 


r^ 


f 


nomie  sociale  et  de  la. politique  se  posent  l'un  après 
l'autre,  sont  discutés  et  reçoivent  leurs  solutions  dic- 
tées par  la  justice. 

L'idée  peut  sommeiller.  Si  on  la  comprime  quand  elle 
vient  à  la  surface,  elle  minera  le  sol,  et  reparaîtra 
plus  vigoureuse,  La  vague  tombée  un  moment  se  relève 
plus  haute. 

Le  peuple  est  las.  Il  se  demande  où  il  en  est  après 
tant  d'années  de  misères  assaisonnées  de  charité  humi- 
liante. Comment  croirait-il  à  la  légitimité  de  l'organi- 
sation présente  quand  le  mineur  qui  entasse  des  mon- 
tagnes de  houille  n'a  pas  de  quoi  se  payer  un  feu  au 
plus  rude  de  l'hiver,  quand  le  tisserand  qui  tisse  des 
kilomètres  d'étoflie  doit  refuser  une  chemise  à  ses 
enfants  déguenillés,  quand  le  maçon  qui  bâtit  les  palais 
loge  dans  un  taudis,  quand  l'ouvrière  qui  transforme 
les  femmes  bourgeoises  en  chefs-d'œuvre  de  poupées 
habillées,  n'a  qu'un  châle  troué  pour  la  garantir  contre 
les  intempéries. 

Oui,  partout  se  sent  la  décomposition  galopante  d'une 
société  dans  laquelle  l'agiotage  tue  l'industrie,  dans 
laquelle  grâce  à  ce  qu'on  nomme  la  direction  intelligente 
des  Etats,  il  y  a  déjà  des  causes  de  guerre  pour  trente 
ans.  La  plèbe  en  prononcera  la  faillite  et  enverra  les 
banquiers  bêcher  la  terre  s'ils  ont  faim.  Tout  pour  le 
propriétaire  fainéant,  tout  contre  le  prolétaire  travail- 
leur :  l'instruction  bourgeoise  qui  dès  le  bas-âge  cor- 
rompt l'enfant  en  lui  inculquant  les  préjugés  anti-éga- 
litaires  ;  la  religion  qui  trouble  le  cerveau  de  la  femme; 
la  loi  qui  empêche  les  idées  de  solidarité  et  d'égalité  ; 
l'argent  pour  corrompre  celui  qui  se  fait  apôtre  ;  la  pri- 
son et  la  mitraille  pour  fermer  la  bouche  à  ceux  qui  ne 
se  laissent  pas  corrompre. 

Il  y  a  des  époques  dans  la  vie  de  l'humanité  où  la 
nécessité  d'une  secousse  formidable,  d'un  cataclysme, 
qui  remue  la  société  jusque  dans  ses  entrailles,  s'im- 
posent. A  ces  époques,  tout  homme  de  cœur  commence 
à  se  dire  que  les  choses  ne  peuvent  plus  marcher  ainsi, 
qu'il  faut  de  grand.s  événements  qui  rompent  brusque- 
ment le  fil  de  l'histoire,  jettent  l'humanité  hors  de  l'or- 
nière où  elle  s'est  embourbée  et  la  lancent  dans  des 
voies  nouvelles,  vers  l'inconnu,  à  la  recherche  de  l'idéal. 
On  sent  la  nécessité  d'une  révolution  implacable,  qui 
non  seulement  bouleverse  le  régime  économique  basé 
sur  l'exploitation,  la  spéculation  et  la  fraude,  renverse 
Tordre  politique  fondé  sur  la  domination  de  quelques- 
uns  par  la  ruse,  l'intrigue  et  le  mensonge,  mais  aussi 
assainit  la  société  dans  sa  vie  intellectuelle  et  morale, 
secoue  la  torpeur,  refasse  les  mœurs,  apporte  au  milieu 
des  passions  viles  le  souffle  vivifiant  des  passions  nobles, 
des  grands  élans,  des  généreux  dévouements.  A  ces 
époques,  où  la  médiocrité  orgueilleuse  étouflé  toute 
intelligence  qui  ne  se  prosterne  pas  devant  les  pontifes, 
où  la  moralité  mesquine  fait  la  loi,  où  la  bassesse  règne 


victorieuse,  la  révolution  devient  .un  besoin.  Les 
hommes  honnêtes  de  toutes  les  classes  appellent  la 
tempête,  pour  qu'elle  vienne  brûler  de  son  haleine 
enflammée  la  peste  qui  a  tout  envahi,  pour  qu'elle 
emporte  la  moisissure  qui  ronge,  enlève  dans  sa  marche 
furieuse  les  décombres  du  passé,  donne  enfin  au  monde 
un  nouveau  souffle  de  jeunesse  et  de  vie. 

Ce  n'est  plus  seulement  la  question  du  pain  qui  alors 
se  pose;  c'est  une  question  de  progrès  contre  l'immo- 
bilité, de  développement  humain  contre  l'abrutisse- 
ment. 

L'histoire  a  conservé  le  souvenir  d'une  pareille 
époque,  celle  de  la  décadence  de  l'empire  romain  ;  l'hu- 
manité en  traverse  maintenant  une  seconde. 

La  grande  industrie  basée  sur  l'exploitation,  le  com- 
merce basé  sur  la  fraude;  l'enfant  devenu  chair  à 
machine,  quand  il  n'est  pas  chair  à  prostitution  ;  une 
littérature  immonde  fabriquée  pour  ou  par  la  bour- 
geoisie; pour  règle  :  «  Aime  ton  prochain,  mais  pille-le 
quand  tu  peux  «  ;  les  massacres  à  coup  de  grisou  ou  à  coup 
de  fusil;  la  soif  du  gain  poussée  jusqu'au  mépris  absolu 
de  toutes  les  lois  de  la  sociabilité,  la  guerre  industrielle 
en  permanence,  tout  fait  souhaiter  l'aurore  du  jour  où 
ce  cri  :  La  déchéance  de  la  bourgeoisie  !  s'échappera 
des  poitrines  avec  l'unanimité  qui  jadis  jaillissait  pour 
la  déchéance  des  dynasties.  Et  cette  révolution  se  dis- 
tinguera des  précédentes  en  ce  que  ce  ne  sera  plus  un 
pays  qui  se  lancera  dans  la  tourmente  ^ce  seront  tous 
les  pays  de  l'Europe!  -  ^      v 

Tant  qu'il  y  aura  une  caste  d'oisifs,  entretenus  par  le 
travail,  sous. prétexte  qu'ils  sont  nécessaires  pour  diri- 
ger la  plèbe,  ces  oisifs  seront  un  foyer  pestilentiel  pour 
la  moralité  publique.  L'homme  qui  toute  sa  vie  est 
en  quête  de  nouveaux  plaisirs,  chez  qui  les  sentiments 
de  solidarité  avec  les  autres  hommes  sont  tués  par  les 
principes  mêmes  de  son  existence,  chez  qui  l'égoïsme 
est  nourri  par  la  pratique  même  de  sa  vie,  cet  homme- 
là  penchera  toujours  vers  la  sensualité -grossière  ;  il 
avilira  ce  qui  l'entoure.  Avec  son  sac  d'écus  et  ses 
instincts  matériels,  il  prostituera  la  femme  et  l'enfant  ; 
il  prostituera  l'art,  le  théâtre,  la  presse  ;  à  l'occasion  il 
vendra  son  pays,  il  en  vendra  les  défenseurs  et,  trop 
lâche  pour  massacrer  lui-même,  il  fera  massacrer  le 
jour  où  il  aura  peur  de  perdre  son  argent,  unique 
source  de  ses  jouissances. 

Et  le  petit  artisan,  blotti  dans  les  ténèbres  de  sa  cave 
humide,  les  doigts  gelés  et  l'estomac  creux,  se  débat- 
tant du  matin  au  soir  pour  trouver  de  quoi  payer  le 
boulanger?  Et  l'homme,  qui  a  couché  sous  la  pre- 
mière arcade  venue  parce  qu'il  n'a  pu  se  payer  le  luxe 
d'entrer  pour  un  sou  dans  le  dortoir  commun,  croit-on 
qu'ils  n'aimeraient  pas  voir  si  dans  les  palais  somptueux 
il  ne  se  trouve  pas  un  coin  sec  et  chaud, x s'ils  n'aime- 
raient pas  avoir  assez  de  pain  pour  ne  pas  mourir  len- 


tement  d'inanition,  assez  de  vêtements  pour  habiller 
les  maigres  épaules  des  enfants  du  travailleur  aussi 
bien  que  les  chairs  grasses  des  enfants  du  bourgeois? 
Croit-on  que  ceux  qui  portent  les  haillons  ne  savent 
pas  qu'il  se  trouve  dans  les  magasins  d'une  grande  ville 
de  quoi  suffire  aux  besoins  de  tous,  et  que  si  tous  s'appli- 
quaient à  la  production  d'objets  utiles  au  lieu  de  s'étio- 
ler à  la  confection  d'objets  de  luxe,  on  produirait 
assez  pour  tout  le  monde.       •      ' 

Décadence  et  décomposition  des  formes  existantes, 
mécontentement  généra-l,  élaboration  laborieuse  des 
formes  nouvelles,  désir  impatient  d'un  changement, 
élan  de  la  critique  dans  le  domaine  des  sciences,  de 
la  philosophie,  de  l'esthétique,  fermentation  générale 
de  l'opinion;  d'autre  part,  indifférence  paresseuse  ou 
résistance  criminelle  de  ceux  qui  détiennent  le  pouvoir 
et  qui  ont  encore  la  force,  et,  par  soubresauts,  le  cou- 
rage de  s'opposer  au  développement  des  idées  réforma- 
trices; tel  fut  toujours  l'état  des  sociétés  à  la  veille  des 
grandes  révolutions,  tel  il  est  aujourd'hui. 

Ainsi  parle,  dans  un  brutal  langage,  le  prisonnier  de 
Clervaux,  et  l'on  comprend  comment  on  a  tout  fait  pour 
le  réduire  au  silence  et  à  l'impuissance.  On  frissonne  à 
l'entendre  et  pourtant  il  faut  l'écouter  pour  se  rendre 
compte  du  grouillement  de  ces  laves  prêtes  à  faire 
irruption.  Cette  éloquence  d'appel  aux  armes,  ces  âpres 
clameurs  qui  évoquent  dans  l'imagination  la  figure  for- 
midable de  la  déesse  de  la  Révolution,  casquée,  volante 
et  armée  telle  que  Rude  l'a  faite  dans  le  bas-relief  de 
l'arc  de  l'Etoile,  ne  s'essouffle  pas.  Les  paroles  du 
révolté  intarissablement  s'échappent  tout  au  long  de 
son  livre,  sans  jamais  baisser  de  ton,  sans  perdre  un 
degré  de  leur  chaleur  poussée  au  rouge  insurrection- 
nel. Toujours  il  chante  la  Marseillaise,  toujours  il 
bat  la  charge  avec  la  violence  des  implacables  et  des 
désespérés.  Les  libertés,  dit-il  quelque  part,  ne  se'  don- 
nent pas,  elles  se  prennent  ! 

Et  à  ces  imprécations,  qui  font  penser  à  Isaïe  et  à 
Ezéchiel,  se  mêlent  de  brûlantes  exhortations.  -  C'est 
aux  jeunes  gens  que  je  veux  parler  aujourd'hui!  ^ 
s'écrie-t-il  en  tête  d'un  de  ses  chants.  -  Que  les  vieux 
ferment  aujourd'hui  mon  Uvre  et  ne  se  fatiguent  pas 
inutilement  les  jeux.  «  / 

Et  alors  commence  une  homélie  étrange  :  -  Je  sup- 
pose que  vous  allez  avoir  vingt  ans.  Je  suppose  que 
vous  n'êtes  pas  un  de  ces  gommeux  qui  promènent  sur 
les  trottoirs  leurs  pantalons  mexicains  et  leurs  faces  de 
singe.  Je  suppose  que  vous  avez  le  cœur  à  sa  place. 
Voilà  pourquoi  je  vous  parle.  " 

Médecin,  ingénieur,  avocat,  professeur,  artiste,  il 
prend  à  p4j?ti,unà  un,  lesjeunes  bourgeois  modernes.  A 
chacun,  il  demande  ce  à  quoi  il  aspire,  il  montre  ce  qu'il 
sera  contraint  de  faire  dans  le  monde  où  il  est  élevé. 
Vainement  il  résisterait  et  chercherait  à  réaliser  ses 


rêves  d'humanité  et  de  justice  Un  jour,  fatigué,  il  leur 
donnera  congé  et  cherchera  à  s'emparer  pour  lui-même 
de  ce  qui  donne  droit  aux  jouissances  ;  il  ira  dans  le 
camp  des  exploiteurs.  Ecoutez  comment  il  s'adresse 
plus  spécialement  au  jeune  artiste,  comment  il  l'inter- 
pelle, le  vitupère,  l'objurgue,  lui  montre  le  danger,  lui 
signale  sa  mission  : 

«  Vous,  sculpteur,  peintre,  poète,  musicien,  ne  remar- 
quez-vous pas  que  le  feu  sacré  qui  avait  inspiré  vos 
prédécesseurs,  vous  manque?  que  l'art  est  banal,  que  la 
médiocrité  règne?  La  joie  d'avoir  retrouvé  le  monde 
antique,  de  s'être  retrempé  aux  sources  de  la  nature, 
qui  fit  les  chefs-d'œuvre  de  la  Fienaissance,  n'existe 
plus  pour  l'art  contemporain  ;  l'idée  révolutionnaire 
l'a  laissé  froid  jusqu'à  présent  et,  en  l'absence  d'idée,  il 
croit  en  avoir  trouvé  une  dans  le  réalisme,  lorsqu'il 
s'évertue  à  photographier,  en  couleurs  la  goutte  de 
rosée  sur  une  plante,  à  imiter  les  muscles  fessiers  d'une 
vache,  à  dépeindre  minutieusement,  en  prose  et  en 
vers,  la  boue  suffocante  d'un  égoùt,  le  boudoir  d'une 
femme  galante.  Si  le  feu  sacré  que  vous  dites  posséder, 
n'est  qu'un  «  lumignon  fumant  ",  alors  vous  continue-. 
rez  à  faire  comme  vous  avez  fait,  et  votre  art  dégéné- 
rera bientôt  en  métier  de  décorateur  pour  les  salons  du 
boutiquier,  de  pourvoyeur  delibretti  aux  Bouffes,  et  de 
feuilletons  à  un  Girardin  quelconque.  La  plupart 
d'entre  vous,  descendent  déjà  cette  pente.  Mais  si  votre 
cœur  bat  à  l'unisson  avec  celui  de  l'humanité,  si,  en  vrai 
poète,  vous  avez  «une  oreille  pour  entendre  la  vie,  alors, 
en  présence  de  cette  mer  de  souffrances  dont  le  flot 
monte  autour  de  vous,  de  ces  peuples  mourant  de  faïra,  , 
de  ces  cadavres  entassés  dans  les"  mines,  de  ces  dorps 
mutilés  gisant  en  monticules  au  pie^  des  barricades,  de 
ces  convois  d'exilés  qui  vont  s'enterrer  dans  les  neiges 
de  la  Sibérie  et  sur  les  plages  des  lies  tropicales,  de  la 
lutte  suprême  qui  s'engage,  des  cris  de  douleur  des 
vaincus  et  des  orgies  des  vainqueurs,  de  rhéroïsme  aux 
prises  avec  la  lâcheté,  de  l'enthousiasme  en  lutte  avec 
la  bassesse,  vous  ne  pourrez  rester  neutres  ;  vous  vien- 
drez vous  ranger  du  côté  des  opprimés,  parce  que  vous 
savez  que  le  beau,  le  sublime,  la  vie  enfin,  sont  du  côté 
de  ceux  qui  luttent  pour  la  lumière,  pour  l'humanité, 
pour  la  justice!  "  ^, 

Voilà  un  de  ces  appels  de  la  dévolution  à  l'art 
dont  nous  parlions  au  début  de  ces  études.  C'est  signifi- 
catif et  c'est  redoutable.  C'est  le  signe,  en  effet,  que  le 
mouvement  obscur  des  transformations  sociales  arrive 
à  ses  formules  définitives  et  irrésistibles.  Jamais  le 
danger  n'aura  pu  paraître  plus  proche.  Les  historiens 
ont  parlé  les  premiers.  Les  économistes  ont  fini.  Les 
artistes  commencent.  C'est  la  fin  Que  les  esprits  à 
courte-vue  trouvent  la  remarque  puérile.  Soit.  Ceux  . 
qui  doivent  périr  dans  les  soulèvements  sociaux  les  ont 
toujours  niés  jusqu'au  moment  fatal  de  l'effondrement. 


236 


UART  MODERNE 


C 


Nous  aussi,  nous  tenons  à  marquer  ici  des  prévisions 
qui  ne  sont  plus  ni  isolées,  ni  merveilleuses.  Nos  lec-r 
teurs  en  seront  peut-être  choqués.  Et  pourtant  il  fal- 
lait le  leur  dire.  Rien  ne  sert  de  cacher  les  périls  pro- 
chains. Le  sage  et  le  fort  veulent  les  connaître  et  savent 
les  regarder.  Le  livre  de  Vallès,  V Insurgé,  que  nous 
analyserons  dans  un  prochain  article,  fournira  une 
confirmation  nouvelle  de  cet  avenir  qui  serait  lugubre 
s'il  ne  devait  pas,  dans  les  fatalités  de  l'histoire,  mar- 
quer, malgré  ses  inévitables  cruautés,  une  rénovation. 


LES  REPRESENTATIONS  DE  BAYREUTH 

.La  première  représentation  du  ihéûlre  de  Bayrculh  a  eu  lieu 
avanl-hier.  On  a  joué  Par&ifal.  Ce  soir,  on  donne  Tristan  et 
Iseiilt. 

11  y  a  eu,  pour  chacun  des  deux  drames  lyriques  rcprésenlés 
celle  année  à  Bayreuili,  vingt  répétitions,  tant  partielles  que 
d'ensemble. 

Voici,  au  sujet  des  interprclçs,  dont  nous  avons  précédemment 
publié  le  tableau,  quelques  détails  spéciaux. 

M.  Hcrmann  Lévi,  l'un  des  deux  chefs  d'orchestre,  dirige  depuis 
quatorze  ans  l'orchestre  du  théâtre  de  Munich.  C'est  un  homme 
de  quarante-sept  ans,  très  estimé  en  Allemagne.  Il  est  également 
connu  en  Hollande,  où  il  a  dirigé  FOpéra  allemand  de  1861 
à  4864. 

•  L'autre  chef  d'orchestre,  M.  Félix  Molli,  un  Autrichien,  n'a 
que  trente  ans.  Il  est  depuis  i880  chef  d'orchestre  à  l'Opéra  de 
Carlsruhe. 

Il  y  a  en  outre  huit  répétiteurs  et  assistants  :  MM.  Forges,  de 
Munich  ;  Frank,  de  Briinn;  Weingartner,  de  Dantzig;  Armbruster, 
de  Londres  ;  Merz,  de  Munich  ;  Gorler,  de  Munich  ;  Wirlh,  de 
Hanovre,  et  Harder,  de  Hambourg. 

C'est  M.  Fliiggén,  de  Munich,  qui  a  dessiné  les  costumes  de 
Tristan;  ceux  de  Parsifal  sont  dus  à  M.  de  Joukowsky.  Les 
décors  ont  été  peints  pour  Tristan  par  M.  Brùchner,  de  Cobourg, 
pour  Parsifal,  par  MM.  de  Joukowsky  et  Brùchner. 

La  plupart  des  artistes  du  chant  soiit  connus  des  habitués  de 
Bayreuth.  Citons  en  première  ligne  M""^  Friedrich  Materna,  l'ad- 
mirable chanteuse  que  nous  avons  eu  la  bonne  fortune  d'entendre 
à  Bruxelles  lors  des  représentations  données  par  M.  Angelo 
Neumann.  M""^  Materna  est  née  en  Stvrie  en  4847.  Elle  a  créé  à 
Bayreuth  les  rôles  de  Brunnhilde  en  1876,  de  Kundry  en  1882. 
Son  jeu  dramatique,  sa  voix  pleine,  son  geste  ample  feront  du 
rôle  d'Iseult  une  création  merveilleuse. 

Les  rôles  de  Kundry  et  d'Iseult  seront  également  tenus  par 
M""  Malien  et  Sucher.  La  première  l'a  joué  déjà  à  Bayreuth. 
Elle  est  très  appréciée  à  Dresde,  où  elle  réside,  avec  le  titre  de 
Kammersaengerin,  depuis  1873.  La  seconde  est  attachée  au 
théâtre  de  Hambourg  depuis  1878.  Elle  a  épousé  le  chef  d'or- 
chestre, M.Joseph  Su(-,her,  et  s'est  fait  une  réputation  bien  assise 
dans  l'interprétalion  des  principaux  rôles  du  répertoire  wagné- 
rien. 

Les  rôles  de  Tristan  et  de  Parsifal  sont  confiés  à  MM.Gudehus, 
Vogl,  Winkelmann.  Tous  trois  sont  très  connus  des  vvagnéristes. 
Lt;  premier  et  le   troisième  ont  chanté  Parsifal,  et  quant  à 


M.  Vogl,  son  nom  est  intimement  mêlé  à  l'hisloire  anecdoliquQ, 
du  répertoire,  Il  a  notamment  fait  du  dieu  Loge,  dans  les  Nibe- 
lungen,  une  création  étonnante.  Il  a  joué,  avec  sa  femme,  après 
M.  et  M"'»  Schnorr  von  Carolsfeld,  Tristan  et  Iseult, 

Amfortas  sera  chanté  par  M.  Gura,  qui  remplit  en  1876,  à 
Bayreuth,  les  rôles  de  Donner  et  de  Gunlher,  el  par  M.  Reich- 
mann,  créateurs  du  rôle. 

MM.  Plank  et  Scheidemantel,  le  premier  créateur  du  rôle, 
représenteront  successivement  Klingsor,  —  le  magicien  de  Pfl?'- 
5î/ai,  el  Kurwenal,  le  fidèle  écuyer  de  Tristan. 

Les  rôles  du  roi  Marke  el  de  Gurnemanz  sont  confiés  à 
M.  Siehr,  l'ancien  Hagen  de  1876  et  le  titulaire  du  rôle  de  Gur- 
nemanz en  1882,  1883  el  1884,  et  à  M.  Wiegand,  du  Ihéûlre  de 
Hambourg. 

Enfin,  M'i'=  Standigl,  du  ihéûlre  de  Carlsruhe,  personnifiera 
Brangaene.      . 

Le  chœur  des  Filles-fleurs  est  chanté  par  24  chanteuses,  et  les- 
solos  par  M'"''^  Fritsch,  Forstcr,  Ledinger,  Kauer,  Reuss-Belce  cl 
Sieber. 

Le  chœur  de  la  coupole  par  12  chanteuses,  15  chanteurs, 
45  enfants. 

Enfin,  la  composition  de  l'orchestre  est,  comme  précédem- 
ment, ainsi  arrêlée  :  32  violons,  12  altos,  12  violoncelles, 
8  contre-basses,  4  flûtes,  6  clarinettes,  5  haulbois.fil  cor  anglais, 
5  bassons  el  contre-basson,  9  cors,  4  irompelles,  4  trombones, 
1  tuba,  4  harpes,  2  paires  de  timbales.  En  tout  108  instru- 
menlistes. 


La  facture,  le  procédé,  c'est  le  métier  qu'il  faut  avoir  dans  la 
main,- comme  l'ouvrier  qui  doit  savoir  se  servir  de  son  outil,  mais 
quand  même  il  en  connaît  l'emploi,  cela  ne  dit  -pas  qu'il  fera 
bien  sa  besogne.  Non,  le  moyen  est  presque  indifférent  et  tou- 
jours bon,  pourvu  qu'on  [se  fasse  bien  entendre.  Les  grands  maî- 
tres sont  là  pour  le  prouver;  ils  n'ont,  quand  à  l'exécution, 
aucune  théorie  absolue,  aucune  règle  fixe,  aucun  parti  préconçu  ; 
chacun  a  sa  manière,  résultat  de  l'habitude;  c'est  ce  qui  consti- 
tue le  tour  de  main,  qu'on  appelle  le  faire  du  maître,  mais  ils 
n'en  sont  jamais  les  serviteurs,  puisqu'il  leur  arrive  de  changer 
leur  manière  selon  lés  conceptions  nouvelles  el  le  développement 
de  leur  génie. 

Les  lalents  supérieurs,  arrivés  à  leur  force,  ne  subissent  aucun 
joug  traditionnel,  el,  quelle  que  soit  l'habileté  de  l'exécution,  le 
véritable  mérite,  tout  moyen  mis  à  part,  est  dans  ce  qu'on  a 
voulu  faire,  dans  ce  qu'on  parvient  à  exprimer  el  à  rendre  sen- 
sible, puisque  tel  est  le  but  suprême  de  l'art. 


|a'AF(TI^TE     DISTANCÉ 


Claude  aperçut,  le  tableau  de  Bongrand,  en  pendant  avec 
celui  de  Fagerolles.  Et,  devant  celui-là,  personne  ne  se  bouscu- 
lait, les  visiteurs  défilaient  avec  indifférence.  C'était  pourtant 
l'effort  suprême,  le  coup  que  le  grand  peinlre  cherchait  à 
porter  depuis  des  années,  une  dernière  œuvre  enfantée  dans  le 
besoin  de  prouver  la  virilité  de  son  déclin.  La  haine  qu'il  nour- 
rissait contre  la  Noce  au  village,  cer premier  chef-d'œuvre  dont 


/ 


on  avail  dcrasé  sa  vie  de  travailleur,  venait  de  le  pousser  à  choisir 
le  sujet  contraire  et  synuîtrique  :  V Enlerremenl  au  village^  un 
convoi  de  jeune  fille,  débandé  parmi  des  champs  de  seigle  et 
d'avoine.  Il  luttait  contre  lui-même,  on  vorrail  bien  s'il  dtait  fini, 
si  l'expérience  de  ses  soixante  ans  ne  valait  pas  la  fougue  heu- 
reuse de  sa  jeunesse;  et  l'expérience  était  battue,  l'œuvre  allait 
être  un  insuccès  morne,  une  de  ces  chutes  sourdes  de  vieil 
homme,  qui  n'arrêtent  même  pas  les  passants.  Des  morceaux  de 
maître  s'indiquaient  toujours,  l'enfant  de  chœur  tenant  la  croix, 
le  groupe  des  filles  de  la  Vierge  portant  la  bière,  et  dont  les  robes 
blanches,  plaquées  sur  des  chairs  rougeaudes,  faisaient  un  joli 
contraste  avec  l'endimanchement  noir  du  cortège,  au  travers  des 
verdures;  seulement,  le  prêlre  en  surplis,  la  fille  à  la  bannière,, 
la  famille  derrière  le  corps,  toute  la  toile  d'ailleurs  était  d'une 
facture  sèche,  désagréable  de  science,  raidie  par  l'obstination.  Il 
y  avait  Vd  un  retour  inconscient,  fatal,  au  romantisme  tourmenté, 
d'où  était  parti  l'artiste,  autrefois.  Et  c'était  bien  le  pis  de  l'aven- 
ture, l'indifférence  du  public  avait  sa  raison  daLs  cet  art  d'une 
autre  époque,  dans  cette  peinture  cuite  et, un  peu  terne,  qui  ne 
l'accrochait  plus  au  passage,  depuis  la  vogue  des  grands  éblouis- 
sements  de  lumière.  - 

Justement,  Bongrand,  avec  l'hésitation  d'un  débutant  timide, 
entra  dans  la  salle,  et  Claude  eut  le  cœur  serré,  en  le  voyant 
jeter  un  coup  d'œil  à  son  tableau  solitaire,  puis  un  autre  à  celu; 
de  Fagerolles,  qui  faisait  émeute.  Eh  cette  minute,  le  peintre  dut 
avoir  la  conscience  aiguè  de  sa  fin.  Si,  jusque-là,  la  peur  de  sa 
lente  déchéance  l'avait  dévoré,  ce  n'était  qu'un  doute;  et,  main- 
tenant, i]  avait  une  brusque  certitude,  il  se  survivait,  son  talent 
était  mort,  jamais  plus  il  n'enfanterait  des  œuvres  vivantes.  II 
devint  très  pâle,  il  eut  un  mouvement  pour  fuir,  lorsque  le  sculp- 
teur Chambouvard,  qui  arrivait  par  l'autre  porte  avec  sa  queue 
ordinaire  de  disciples,  l'interpella,  de  sa  voix  grasse,  sans  se 
soucier  des  personnes  présentes. 
.  —  Ah  !  farceur,  je  vous  y  prends,  à  vous  admirer  ! 

Lui,  cette  année-là,  avait  une  Moissonneuse  exécrable,  une  de 
ces  figures  stupidement  ratées,  qui  semblaient  des  gageures,  sor- 
ties de  ses  puissantes  mains  ;  et  il  n'en  était  pas  moins  rayonnant^ 
certain  d'un  chef-d'œuvre  de  plus,  promenant  son  infaillibilité  de 
dieu,  au  milieu  de  la  foule,  qu'il  n'entendait  pas -rire. 

Sans  répondre,  Bongrand  le  regarda  de  ses  yeux  brû^és/^V-A;^ 
fièvre.        .  ^-^ 

—  Et  ma  machine,  en  bas,  continua  l'autre,  l'avez-vous  vue?... 
Qu'ils  y  viennent  donc,  les  petits  d'à  présent  !  Il  n'y  a  que  nous 
la  vieille  France! 

Déjà,  il  s'en  allait,  suivi  de  sa  cour,  saluant  le  public  étonné. 

—  Brute!  murmura  Bongrand,  étranglé  de  chagrin,  révolté 
comme  de  l'éclat  d'un  rustre  dans  la  chambre  d'un  mort. 

Il  avait  aperçu. Claude,  il  s'approcha.  N'était-ce  pas  lâche  de 
fuir  cette  salle?  Et  il  voulait  montrer  son  courags,son  àme  haute, 
où  l'envie  n'était  jamais  entrée. 

—  Dites  donc,  notre  ami  Fagerolles  en  a,  un  succès!...  Je 
mentirais,  si  je  m'extasiais  sur  son  tableau,  que  je  n'aime  guère; 
mais  lui  est  très  gentil  vraiment...  Et  puis,  vous  savez  sans  doute 
qu'il  a  été  tout  à  fait  bien  pour  vous. 

Claude  s'otî'orçait  de  trouver  un  mot  d'admiration  sur  VEnter- 
rement.  ,     ' 

—  Le  petit  cimetière  au  fond,  est  si  joli  !...  Est-il  possible  que 
le  public...  1- 

D'une  voix  rude  Bongrand  l'arrêta.  "         . 


—  Hein!»mon  ami,  pas  de  condoléances...  Je  vois  clair... 

A  ce  moment,  quelqu'un  les  salua  d'un  geste  familier,  et 
Claude  reconnut  Naudet,  un  Naudet  grandi,  enflé,  doré  par  le 
succès  des  affaires  colossales  qu'il  brassait  à  présent.  L'ambition 
lui  tournant  la  tête,  il  parlait  de  couler  tous  les  autres  marchands 
de  tableaux,  il  avait  fait  bâtir  un  palais,  où  il  se  posait  en  roi  du 
marché,  cehtralisant  les  chefs-d'œuvre,  ouvrant  les  grands  maga- 
sins modernes  de  l'art.  Des  bruits  de  millions  sonnaient  dès  son 
Vestibule,  il  installait  chez  lui  des  expositions,  montait  au  dehors 
des  galeries,  attendait  en  mai  l'arrivée  des  amateurs  américains, 
auxquels  il  vendait  cinquante  mille  francs  ce  qu'il  avait  acheté 
dix  mille  ;  et  il  menait  un  train  de  prince,  femme,  enfants,  maî- 
tresse, chevaux,  domaine  en  Picardie,  grandes  chasses.  Ses  pre- 
miers gains  venaient  de  la  hausse  des  morts  illustres,  niés  de 
■leur  vivant,  Courbet,  Millet,  Rousseau;  ce  qui  avait  fini  par  lui 
donner  le  mépris  de  toute  œuvré  signée  du  nom  d'un  peintre 
encore  dans  la  lutte.  Cependant,  d'assez  mauvais  bruits  cou- 
raient déjà.  Le  nombre  des  toiles  connues  étant  limité,  et  celui 
des  amateurs  ne  pouvant  guère  s'étendre,  l'époque  arrivait  où  les 
affaires  allaient  devenir  difficiles.  On  parlait  d'un  syndicat,  d'une 
entente  avec  des  banquiers  pour  soutenir  les  hauts  prfx  r^â^'tS'' 
salle  Drouot,  on  en  était  à  Texpédient  des  ventes  fictives,  des 
tableaux  rachetés  très  cher  par  le  marchand  lui-même  ;  et  la  fail- 
lite semblait  être  fatalement  au  bout  de  cesopérations  de  Bourse, 
une  culbute  dans  l'outrance  et  les  mensonges  de  l'agio. 

—  Bonjour,  cher  maître,  dit  Naudet,  qui  s'était  avancé.  Hein? 
vous  venez,  comme  tout  le  monde,  admirer  mon  Fa£îorolles.  '  ■ 

Et  il  causa  de  Fagerolles  comme  d'un  peintre  à  lui,  d'un 
ouvrier  à  ses  gages,  qu'il  gourmandait  souvent.  C'était  lui 
qui  l'avait  installé  avenue  de  Villiers,  le  forçant  à  avoir  un 
hôtel,  le  meublant  ainsi  qu'une  fille,  l'endettant  par  des  four- 
nitures de  tapis  et  de  bibelots,  pour  le  tenir  ensuite  à  sa  merci  ; 
et,  maintenant,  il  commençait  à  l'accuser  de  manquer  d'ordre,  de 
se  compromettre  en  garçon,  léger.  Par  exemple,  ce  tableau, 
jamais  un  peintre  sérieux  ne  l'aurait  envoyé  au  Salon  ;  sans 
doute,  cela  faisait  du  tapage,  on  parlait  même  de  la  médaille 
d'honneur;  mais  rien  n'était  plus  mauvais  pour  les  hauts  prix. 
Quand  on  voulait  avoir  les  Américains,  il  fallait  savoir  rester  chez 
soi,  comme  un  bon  dieu  au  fond  de  son  tabernacle. 

—  Mon  cher,  vous  me  croirez  si  vous  voulez,  j'aurais  donné 
vingt  mille  francs  de  ma  poche  pour  que  ces  imbéciles  de  jour- 
naux ne  tissent  pas  tout  ce  vararme  autour  de  mon  Fagerolles  de 
cette  année. 

Bongrand,  qui  écoutait  bravement,  malgré  sa  souffrance,  eut 
un  sourire. 

—  En  eff'el,  ils  ont  peut-être  poussé  les  indiscrétions  un  peu 
loin...  Hier,  j'ai  lu  un  article,  où  j'ai  appris  que  Fagerolles  man- 
geait tous  les  matins  deux  œufs  à  la  coque. 

Il  riait  de  ce  coup  brutal  de  publicité,  qui.  depuis  une  semaine, 
occupait  Paris  du  jeune  maître,  à  la  suite  d'un  primier  article  sur 
son  tableau,  que  personne  eocore  n'avait  vu.  Toute  la  bande  des 
reporters  s'était  mise  en  campagne,  on  le  déshabillait,  son 
enfance,  son  père  le  fabricant  de  zinc  d'art,  ses  études,  où  il 
logeait,  comme  11  vivait,  jusqu'à  la  couleur  de  ses  chaussettes, 
jusqu'à  une  manié  qu'il  avait  de  se  pincer  le  bout  du  nez.  Et  il 
était  la  passion  du  moment,  le  jeune  maître  selon  le  goût  du  jour, 
ayant  eu  la  chance  de  rater  le  prix  de  Rome  et  de  rompre  avec 
l'Ecole,  dont  il  gardait  les  procédés  :  fortune  d'une  saison  que  le 
vent  apporte  et  remporte,  caprice  nerveux  de  la  grande  détraquée 


7«4K    E;;.;.^.-.- 


de  ville,  succès  de  Pb  peu  près,  de  l'audace  gris  perle,  de  racci- 
dcnl  qui  bouleverse  la  tpule  le'maiin,  pour  se  perdre  le  soir  dans 
l'indifférence  de  tous. 

Mais  Naudei  remarqua  V Enterrement  au  village. 

—  Tiens!  c'est  votre  tableau?...  Et,  alors,  vous  avez  voulu 
donner  un  /pendant  à  la  Noce'!  Moi,  je  vous  en  aurais  détourné... 
Ah  \  la  Noce!  la  Noce! 

Bongrand  i'écoutait  toujours,  sans  cesser  dé  sourire;  et,  seul, 
un  pli  douloureux  coupait  ses  lèvres  tremblantes.  Il  oublait  ses 
chefs-d'œuvre,  l'immortalité  assurée  à  son  nom,  il  ne  voyait  plus 
que  la  vogue  immédiate,  sans  effort,-  venant  h  ce  galopin  indigne 
de  nettoyer  sa  palette,  le  poussant  à  l'oubli,  lui  qui  avait  lutté  dix 
années  avant  d'être  connu.  Ces  générations  nouvelles,  quand  elles 
vous  enterrent,  si  elles  savaient  quelles  larmes  de  sang  elles  vous 
font  pleurer  dans  la  mort  ! 

Puis,  comme  il  se  taisait,  la  peur  le  prit  d'avoir  laissé  deviner 
son  mal.  Est-ce  qu'il  tomberait  U  celle  bassesse  de  l'envie?  Une 
colère  contre  lui-même  le  redressa,  on  devait  mourir  debout.  Et, 
au  lieu  de  la  réponse  violente  qui  lui  montait  aux  lèvres,  il  dit 
familièrement  :    .  . 

—  Vous  avez  raison,  Naudel,  j'aurais  mieux  fait  d'aller  me 
coucher,  le  jour  où  j'ai  eu  l'idée  de  cette  toile  {'^).  * 


|alVRE^    NOUVEAUX 


Mythologie  Scandinave.  Légende  des  EJddas,  par  R.  B.  Ander- 
soN.  Traduction  de  M.  Jules  Leclercq.  —  Paris,  Ernest  Leroux, 
.1886. 

Presqueen  même  temps  qu'il  publiait  la  Terre  des  Merveilles  ("), 
M.  Jules  Leclercq  faisait  paraître  chez  Leroux  la  traduction  d'un 
très  intéressant  ouvrage  de  M.  Anderson  sur  la  mythologie  Scan- 
dinave. 

L'auteur,  né  en  Amérique  de  parents  norwégiens,  a  professé 
le  cours  de  langues  Scandinaves  à  l'université  "de  Madison,  en 
Wisconsin.  «  C'est,  dit  M.  Leclercq,  un  dés  rares  savants  qui 
-peuvent  étudier  dans  les  textes  originaux  les  monuments  de  cette 
admirable  langue  islandaise  dont  la  grammaire  est  la  plus  com- 
pliquée et  la  plus  rebutante  qu'il  y  ait  au  monde.  Connaître  l'is- 
landais, c'est  posséder  un  trésor  d'un,  prix  inestiirtable,  car  c'est 
la  seule  langue  vivante  qui  donne  la  clef  de  la  vieille  littérature 
norraine,  c'est  le  seul  parler  du  moyen-âge  qui  n'ait  subi  aucune 
altération.  » 

On  conçoit  l'importance  que  présente,  au  point  de  vue  de 
l'exactiinde  scientifique,  l'ouvrage  de  M.  Anderson. 

On  y  trouvera,  dans  une  première  partie  consacrée  à  la  créa- 
tion et  à  la  conservation  du  Monde,  la  genèse  telle  que  l'ensei- 
gnent les  Eddas  :  la  naissance  des  dieux,  le  déluge  Scandinave, 
l'origine  du  ciel  et  de  la  terre,  la  création  du  premier  homme  et 
de  la  première  femme,  les  divisions  du  monde,  etc.  Et  ce  qui 
frappe  à  la  leclfîfe  de  cet  exposé,  c'est  l'affmité  qui  unit  à  la 
mythologie  du  Nord  les  dogmes  chrétiens  sur  l'origine  de  l'huma- 
nité. 

Le  cortège  des  dieux,  Odin  et  ses  femmes,  ses  fds  :  Hermod, 
Tyr,  Heimdal,  Brage,  Balder,  les  Valkyries,  etc.,  défilent  ensuite, 


emplissant  la  deuxième  partie  de  leur  existence  aventureuse  et  de 
leurs  amours  compliquées.  Le  Ragnarok,  ou  «  Crépuscule  des 
die.ux  »,  clôture  l'ouvrage. 

La  tétralogie  des  Nibelung^n  est,  comme  on  sait,  empruntée 
à  ces  fabuleuses  épopées.  Ilest  curieux  de  constater,  en  lisant  les 
textes  que  donne  l'auteur,  le  parti  qu'en  a  tiré  Wagner  et  la  philo- 
sophie qu'il  en  a  déduite.  Qu'on  ne  s'imagine  pas  que  ces  dieux 
Scandinaves  soient  des  personnages  solennels,  exempts  des  pas- 
sions de  l'humanité.  Ils  sont  tels  que  les  dieux  de  l'Olympe  hel- 
lénique chantés  par  Homère  et  dont  des  travaux  récents  ont 
détruit  la  fausse  auréole  qui  leur  nimbait  le  front,  imaginée  par 
la  pédanterie  des  académies.  Ils  sont  sensuels,  paillards,  gour- 
mands, fourbes  et  rusés.  Ainsi  Thor,  à  qui  le  géant  Thrym  vola 
son  marteau,  s'affuble  des  vêtements  et  des  parures  de  Frcyja,  et 
sous  la  conduite  de  Loke,  pénètre  sournoisement  chez  son  adver- 
saire, récupère,  grâce  à  ce  stratagème,  sa  terrible  arme,  et 
assomme  aussitôt  Thrym  et  tous  les  géants.      - 

Nées  des  conceptions  de  peuples  à  leurs  premiers  bégaiements, 
ces  légendes  ont  une  saveur  rare.  Rien  ne  peut  donner  une  idée 
plus  exacte  de  l'humanité  naissante.  Toutes  les  passions  de 
l'homme  s'y  reflètent,  et  à  travers  les  caprices  d'imagination  qui 
prêtent  aux  héros  les  plus  merveilleuses  aventures,  il  n'est  pas 
difficile  de  démêler  un  exposé  fidèle  des  mœurs,  des  sentiments 
et  de  la  civilisation  de  ces  époques  lointaines.  C'est  là  le  réel 
intérêt  et  la  force  du  livre. 

Voor  onze  Kleinen  !  Ëen  bundeltje  fabeltjes,  door  L.  Leefson. 
Roeselare,  De  Seyn-Verhougstraete. 

M.  L.  Leefson,  un  poète  flamand,  artiste  en  coiffure  aimé  de 
nos  élégantes  bruxelloises,  comme  il  est  artiste  en  littérature, 
vient  de  publier  chez  l'éditeur  De  Seyn-Verhougstraete,  à  Roulers, 
un  petit  livre  charmant,  qui  rappelle  les  jolies  collections  de 
fabliaux  pour  enfants  publiés  jadis  en  Hollande  par  Van  Alphen 
et  en  Belgique  par  André  Van  Hasselt.  Ce  petit  livre,  imprimé  sur 
papier  parcheminé,  est  intitulé  :  Voor  onze  Kleinen.  —  Een 
bundeltje. fabeltjes  (Pour  nos  enfants.  —  Un  petit  bouquet  de 
fabliaux).  Il  y  en  a  cinquante,  un  véritable  bouquet  de  fljeurs 
enfantines^  plein  de  fraîcheur  et  de  simplicité;  le  tout  répand  un 
parfum  de  douce  morale,  qui  fait  songer  au  mot  de  Ségur  : 

Mettez  la  morale  eu  chanson. 
Pour  la  graver  dans  la  mémoire. 


(*)  Emile  Zola,  l'Œuvre. 

(**)  Voy.  notre  dernier  numéro. 


LES  BUDGETS  DBS  THEATRES  LYRIQUES 

A  l'Opéra  de  Paris,   l'exercice  du   1"  novembre  1884,   au 
31  décembre  1885  a  donné  : 

Dépendes  .     ...     .     .     .  fr.    4,620,638  94 

Recettes 4,374,616  94 

Déficit fr.        246,022     » 

Du  1"  janvier  au  30  avril  1886  (quatre  mois)  les  recettes  ont 

été  de  .     . fr.     1,489,806  41 

Les  dépenses  de .     .     .     .     .     .     1,409,651  86 

Il  y  a  donc  un  excédent  sur  ces 

quatre  mois  de    .     .     .     .  fr.         80^154  25 

Mais  il  faudra  voir,  hélas!  ce  qu'amèneront  les  huit  autres. 


UART  MODERNE 


239 


y    Les  directeurs  annoncent  qu'ils  préparent  :  ^ 

Patrie,  de  MM.  Sar4ou  et  Paladilhe,  opéra  en  cinq  actes. 

Les  Deux  pigeons,  ballet  en  deux  actes,  de  MM.  Régnier  fils 
et  André  Messager. 

La  Dame  de  Monsoreau^  opéra  en  cinq  actes  de^MM.  Auguste 
Maquet  et  Salvayre.  •( 

La  Tempête,  ballet  avec  chœurs,  d'après  Shakespeare,  par 
M.  Jules  Barbier,  musique  d'Ambroise  Thomas. 

•••-■'■  *  •.'        ■  ,  ;     ■■'  '    ';■. 

A  rOpéra-ConiKjue,  l'exercice  financier  va  du  31  juillet  d'une 
année  à  la  même  date  de  l'année  suivante  : 

L'exercice  du  !«' août  1884  au  31  juillet  1885  a  donné  : 

Recettes    ...     .     .     .     .  fr.     1,979,257  01 

Dépenses.     .     .....     .2,088,90995 

Soit  un  déficit  de     .     .     .     .  fr.        109,652  94 

L'exercice  du  l^»- août  1885  au  30  avril  1886  (neuf  mois)  a 
donné  :  - 

Receltes   .     ...     .     .     .  fr.   'l,666,630  80 

Dépenses 1,650,961  55 

Soit  un  excédent  de     .     .     .  fr.  45,669  25 

Mais  il  reste  trois  mois  d'été,  et  déjà  mai  a  amené  des  perles 
sensibles. 

M.  Carvalho  a  annoncé  qu'il  préparait  pour  les  premiers  mois 
de  l'année  prochaine  : 

Benvenuto  Cellini,  de  Berlioz;  ^ 

La  iSimie,  d'Auber  ; 

Le  iSïci/ie72,  de  Wekerlin  ; 

Le  Signalj  de  Paul  Bugel.    ;  :  "  ^    ■ 

*   :'  ■      ;:,;■■-/■  •;;'  '•■-.  ■■■".y.    ■ 

En  résumé,  tout  cela  est  peu  brillant.  Des  déficits  acquis  pour 
les  exercices  complets.  Des  déficits  probables  pour  les  exercices 
commencés. 

Et  quant  au  répertoire,  rien  de  saillant. 

Une  autre  remarque  faite  pour  frapper  à  Bruxelles,  concerne 
les  chiffres  du  budget  de  l'Opéra-comique.  Voilà  un  théâlre  dont 
les  dimensions  ne  sont  pas  celles  du  nôtre,  dont  le  répertoire 
n'embrasse  que  la  moitié  du  nôtre,  qui  ne  doit  monter  que  le 
personnel  d'une  de  nos  deux  troupes.  Or,  il  dépense  et  reçoit  le 
double.  Nous  avons,  en  effet,  dit  à  diverses  ^reprises,  que  le 
théâtre  de  la  Monnaie  a  un  budget  qui  à  l'actif  et  au  passif 
tourne  autour  de  950,000  frs. 

Conclusion  :  Comme  il  doit  être  difficile  de  se  soutenir  à 
Bruxelles  avec  les  ressources  présentes,  et  d'entretenir  un  troupe 
suffisante! 


cepter  les  photographies  représentant  des  personnes  dans  des 
1  attitudes  et  des  costumes  dans  lesquels  elles  se  produisent  en 
scène  ou  dans  des  lieux  de  divertissements  publics; 

En  ce  qui  concerne  spécialement  certaines  images  et  photo- 
graphies que  le  prévenu  Schmidt  prétend  former  une.  collection 
particulière  non  destinée  à  la  vente  et  comprise  dans  la  saisie; 

Attendu  qu'elles  ont  été  trouvées  dans  une  annexe  de  son 
magasin  où  se  trouvaient  également  d'autres  photographies  que 
le  prévenu  a  déclaré  être  destinées  à  la  vente  ; 

Qu'elles  doivent  donc  être  considérées  comme  tombant  aussi 
sous  l'application  de  l'art.  383  du  Code  pénal  ; 

Vu  les  art.  383,  42  et  43  du  Code  pénal,  1931  du  Code  d'in- 
struction criminelle; 

Condamne  les  prévenus  à  8  jours  d'emprisonnement  et  à 
500  francs  d'amende; 

Ordonne  la  confiscation,  etc. 


jlÎHRONiqUE    JUDICIAIRE     DE^^RT^ 

Il  faudrait  dire  plutôt  :  Chronique  judiciaire  des  mœurs. 

Voici  le  texte  du  jugement  prononcé  la  semaine  dernière  dans 
la  curieuse  affaire  des  photographies  de  M""  Grille  d'Egout,  La 
Goulue  et  la  Sauterelle  : 

Attendu  qu'il  est  résulté  de  l'instruction  faite  à  l'audience  que 
les  prévenus  ont,  à  Bruxelles,  en  1886,  exposé  ou  distribué  des 
figures  ou  images  coniraires  aux  bonnes  mœurs  et  notamment 
les  photographies  et  dessins  saisis  chez  eux,  qu'il  y  a  lieu  d'ex- 


MEMENTO  DES  EXPOSITIONS  ET  CONCOURS 

■  ,     '    ■'■■    ■     .  '■'>•'  .      .  ■  . 

Amsterdam..  Exposition  (internationale)  d'artistes  contemporains 
organisée  par  la  ville  d'Amsterdafli.  Peinture,  sculpture,  architec- 
ture, gravure,  dessin,  lithographie.  Du  27  septembre  au  30  octo- 
bre 1886.  Délai  d'envoi  :  23  aoùt-7  septembre.  Frais  à  charge  de 
l'exposant  à  l'aller,  à  charge  de  la  Commission  au  retour.  —  Six 
médailles  d'or,  chacune  de  lOO  florins.  —  Jury  de  sept  membres, 
dont  quatre  élus  par  les  exposants.  Joindre  à  l'envoi  lé  nom  de  quatre 
candidats.  —  Les  jurés  ne  peuvent  concourir  pour  les  médailles,  — 
Renseignements  :  Commission  executive  de  l'Exposition  com,mu~ 
nale,  Amsterdam,.  (J.  Luden,  secrétaire). 

■   Bruxelles.  —  Prix  du  Roi,  25.000  francs  offerts  :  ' 

En  1886  (concours  exclussivement  belge),  à  l'ouvrage  le  mieux 
conçu  pour  développer  chez  la  jeunesse  belge  l'intelligence  et  le  goût 
des  littératures  anciennes  et  modernes. 

En  1888  (id.),  au  meilleur  ouvrage  sur  l'enseignement  des  arts 
plastiques  en  Belgique  et  sur  le  moyen  de  développer  l'art  en 
Belgique  et  de  le  porter  à  un  niveau  de  plus  en  plus  élevé. 

Les  ouvrages  destinés  à  ces  concours  devront  être  transmis  au 
Ministre  de  l'Agriculture,  de  l'Industrie  et  des  Travaux  publics,  à 
savoir  :  pour  le  prix  à  décerner  en  1886,  avant  le  1er  octobre  1886, 
et  pour  celui  à  décerner  en  1888  aN'ant  le  1"  janvier  1888. 

Florence.  —  Concours  (offert  à  tous  les  artistes  résidant  en  Italie) 
pour  les  trois  portes  de  bronze  de  la  façade  de  Santa-Maria-del-Fiore 
(cathédrale).  Primes  de  4,000  francs  pour  la  porte  centrale,  de 
5,000  francs  pour  chacune  des  portes  latérales,  accordées  aux  pro- 
jets choisis  (dessin  géométrique  en  clair-obscur,  développé  au  tiers 
de  la  grandeur  d'exécution).  Délai  de  rigueur  :  31  octobre  1886.  Siège 
du  comité  :  Place  du  Dôme,  i4,  Flot^ence. 

Milan.  —  Concours  (international;  pour  la  reconstruction  de  la 
façade  de  la  Cathédrale  (le  Dôme)  en  harmonie  avec  le  style  du  mo- 
nument. —  S'adresser,  pour  le  programme,  à  l'hôtel  de  ville  de 
Bruxelles,  bureaux  de  la  6^  division,  de  dix  à  quatre  heures. 

Concours  Rubinstein.  —  Une  somme  de  vingt-cinq  milles  roubles 
a  été  placée  à  la  Banque  de  Russie  par  M.  Rubinstein.  Les  intérêts 
de  cett«  somme  serviront  à  décerner  des  primes  musicales  aux 
compositeurs  et  aux  pianistes,  ainsi  qu'à  payer  les  frais  d'organisa- 
tion des  concours,  qui  seront  internationaux. 

Ces  concours  auront  lieu  tous  les  cinq  ans;  deux  primes,  chacune 
de  cinq  mille  francs,  seront  accordées  soit  à  deux  concurents,  soit  à 
un  seul  qui  serait  désigné  comme  compositeur  et  pianiste  de  premier 
ordre.  Au  cas  où  ces  primes  ne  seraient  point  décernées,  les  concur- 


-«^, 


240 


U ART  MODERNE 


rents  n'ayant  pas  fait  preuve  de  supériorité  réelle,  on  pourra  accorder.' 
des  [îrimes  secondaires  d^une  valeur  de  deux  mille  francs.  " . 

Le  premier  concotirs  aura  lieu  en  1890.  Les  villes  désignées  pour 
les  jugements  à  intervenir  et  Torganisation  des  concours  sont  :  Saint- 
Pétersbourg,  Berlin,  Vienne  et  Paris. 

Toute  personne  d il  sexe  masculin,  âgée  de  20  à  26  ans,  peut 
concourir,  quelle  que  soit  sa  nationalité. 

Le  programme  des  concours  comporte  :  1°  Pour  les  compositeurs  : 
concertos  avec  orchestre;  musique  de  chambre  et  autres  composi- 
tions pour  piano  sans  accompagnement  ;  2"  Pour  les  exécutants  i- 


exécution  de  concertos  avec  orchestre,  musique  de  chambre  et  de 
solos  de  tous  genres  (style  classique  ou  style  moderne).   ' 

CouRTRAi.  —  Exposition  de  tableaux,  dessins,  gravures,  sculp- 
tures et  lithographies.  Du  22  août  au  30  septembre. 

DuNKERKE.  —  Exposition  (internationale)  d'aquarelles,  dessins  et 
cartons,  pastels,  miniatures,  émaux  et  faïence^,  gravures,  lithogra- 
phies. •  > 

.    Spa.  —  Exposition  des  Beaux-Arts.  Du  i  «^r  août  à  fin  septembre. 


Pour  paraître  le  20  octobre  prochain 


PAR  JULES  DESTRÉE 

Un  beau  volume  de  250  pages,  grand  in-S»,  imprimé  avec  luxe 
par  la  maison  Veuve  Monnom,  à  Bruxelles,  Prix  en  souscription, 
4  francs. 

Il  sera  tiré  quelques  exemplaires  sur  grand  papier  de  Hollande, 
qui  ne  seront  pas  mis  dans  le  commerce.  Le  prix  en  est  provisoire- 
ment fixé  à  5  francs  pour  ceux  qui  enverront,  avant  le  1er  août, 
leur  souscription  à  l'imprimeur  :  Veuve  Monnom,  26,  rue  de  l'In- 
dustrie, Bruxelles. 


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par  Georges  EEKHOUD 
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Prix  :  5  francs. 


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Un  volume    Paris,  Alphonse  Lemerre. 
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SAMUEL,  Ed.  Op.  14.  Tarentelle-Scherzo.  Fragment  sympho- 
nique,  à  4  mains,  fr.  2-50. 

DE  SWERT,  J.  Op.  44.  Impromptu,  pour  violoncelle  avec 
accompagnement  de  piano,  fr.  2  00.  —  Op.  45.  Le  Désir,  morceau 
de  salon,  pour  violon  avec  accompagnement  de  piano,  fr.  1-75.  — 
Op.  46.  Rêverie,  pour  violon  avec  accompagnement  de  piano,  fr.  1-75. 

HERRMANN,  Th.  Op.  28.  Marion- Gavotte,  pour  violon  avec 
accompagnement  de  piano,  fr.  1-35. 

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royal  de  Bruxelles.  Livr.  XXXI.  Hummel,  ciimcerto  la  bémol,  fr.  5-00. 

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ScHARWENKA,  X.  Op.  34.  2  dauscs  polonaises  pour  piano.  N^»  1 
et  2  à  fr.  1-25.  —  Op.  58.  4  danses  polonaises  pour  piano.  N^»  1,  3 
4àfr.  2-00.  NO  2  à  fr.  1-60. 

Wagner,  Rich.  Prélude  de  Lohengrin.  Arr.  pour  piano  à  4  mains 
par  Gust.  Sandre,  fr.  1-60.  —  Morceaux  lyriques  tirés  de  Fristan  et 
Yseult.  Arr.  pour  piano  à  4  mains,  fr.  5-70. 


Bruxelles.  —  Imp.  Félix  Callewaert  père.  —  Y*  Monnom  successeur,  rue  de  l'Industrie,  S6. 


-  ^  SW-^'  s.    ^    ;..    ^-^ 


Sixième  année.  —  N<>  31. 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  l^-^  Août  1886. 


L'ART 


iV*^' 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


J 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


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Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 

L  administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


^OMMAIRE 


L'Art  et  la  Révolution.  Parolçs  d'un  révolté ^  par  Pierre 
Kropotkine.  L'Insurgé, ,  par  Jules  Vallès.  Troisième  articie.  — 
Bibliographie  artistique.  A  la  mémoire  du  capitaine  Mare-, 
challe.  —  "Wagner  au  répertoire.  —  Richard  "Wagner  jahrbuch,  • 
par  Joseph  Kiirschner.  —  Molière  et  l'école  des  femmes.  Confé- 
rence par  M.  Becque.  -^  Chronique  judiciaire  des^  arts.  Proh 
pudor!  —  Petite  chronique.  , 


L'ART  ET  lA  RÉVOWJTION 

Paroles  d'un  Révolté,  par  Pierre  Kropotkine,  publié,  annoté 
.  et  accompagné  d'une  préface  par  Elisée  Reglus.  Paris,  Q-.  Mar- 

pon  et  E.  Flammarion.  —  Llnsurgé,  par  Jacques  Vingtras 

(Jules  Vallès).  Paris,  Charpentier.    ' 

Troisième  article. 

Dans  le  livre  de  Kropotkine,  ce  qu*on  entend,  c'est  le 
mugissement  de  la  multitude.  Dans  le  livre  de  Vallès, 
c'est  le  gémissement  de  l'individu.  Celui-là  parle  au 
nom  de  tous,  celui-ci  parle  de  lui  seul.  D'une  part,- 
tout  est  présenté  par  masses,  avec  une  tendance  con- 
stante à  la  généralisation.  D'autre  part,  le  détail, 
Tanecdote  occupent  exclusivement  l'écrivain  qui  spécia- 
lise toujours.  Mais  chez  l'un  et  l'autre  grondent  perpé- 
tuellement l'indignation  et  la  colère,  avec  une  fureur 
ardente  quand  c'est  le  Russe,  avec  une  ironie  froide 
quand  c'est  le  Français. 

Et  l'effet  obtenu  est  égal  en  puissance  :  le  virus  litté- 
raire est  aussi  corrosif,  qu'il  coule  de  la  plume  du  nihi- 
liste ou  de  la  plume  de  l'intransigeant.  Son  acide  mord 


aussi  profondément  la  carapace  des  institutions  bour- 
geoises. L'art  est  pourtant  plus  souple,  plus  ingénieux, 
plus  équilibré,  plus  fort  chez  Vallès.  Il  soutient  mieux 
le  lecteur,  rend  pour  lui  l'oeuvre  plus  séduisante  et 
plus  pénétrante.  Elle  apparaît  merveilleusement  rap- 
prochée de  cette  vie  quotidienne  où  nos  âmes  contem- 
poraines positives  cherchent  désormais  le  vrai  drame 
des  choses  et  dont  le  fourmillement  désormais  visible 
pour  nos  yeux  guéris  des  longs  regards  promenés  sur 
le  passé  ou  sur  Tidéal  suprasensible,  devient  l'unique 
aliment  de  nos  curiosités  et  de  nos  émotions.  Cet 
Insurgê^que  Vallès  fait  mouvoir,  penser,  parler,  agir,* 
souffrir,  nous  le  sentons  à  nos  côtés,  circulant  dans 
cette  foule  que  nous  coudoyons,  mêlé  à  notre  existence. 
Nous  nous  souvenons  l'avoir  rencontré,  nous  l'incar- 
nons dans  telle  figure  misérable  et  sombre,  nous  le 
reverrons  demain,  nous  le  pressentons  surtout  pour  les 
jours  inévitables  et  prochains  des  bouleversements 
suprêmes  qui  seront  pour  les  uns  la  ruine  cruelle  et 
sauvage,  pour  les  autres  la  divine  équité  enfin  con- 
quise. 

A  tous  ceuœ 

qui  victimes  de  l'injustice  sociale 

prirent  les  arm£s  contre  un  monde  mal  fait 

et  formèrent 

sous  le  drapeau  de  la  Comm,une  ''  "' 

la    grande   fédération    des    douleurs 

Je  dédie  ce  livre. 

Voilà  comme  il  commence.  Et  tout  de  suite,  récitant 
sa  vie  d'opprimé,  achevée  récemment  dans  la  mort,  il 
dit: 


[  J'ai  eu  faim  si  longtemps!  J'ai  si  souvent  serré  mes 
côtes,  pour  étouffer  cette  faim  qui  grognait  et  mordait 
mes  entrailles,  j'ai  tant  de  fois  brossé  mon  ventre  sans 
faire  reluira  l'espoir  d'un  dîner.  Gibier  de  garni,  obligé, 
pendant  des  années,  d'accepter  n'importe  quel  trou 
pour  alcôve  et  de  ne  rentrer  dans  ces  trous-là  qu'à  des 
heures  toujours  noires,  de  peur  de  l'insomnie  ou  de  la 
logeuse,  affamé  de  grand  air  qui  n'a  pu  renifler  que 

;  des  miasmes  dans  des  hôtels  à  plomb,  affamé  de  pain 
qui  n'a  jamais  mangé  son  comptant. 

Pion  dans  une  pension  quelconque,  il  dépeint  Tefïet 
que  produisent  bientôt  son  poil  de  sanglier,  son  œil 
clair,  son  coup  de  talon,  si  mou  qu'il  s'efforce  de  rendre 
son  pas,  sur  le  menton  glabre,  le  regard  louche,  le 
traînement  de  semelles  des  cagôts  et  des  proviseurs. 
On  a  décidé  qu'il  sauterait  et  le  voilà  de  nouveau  sur 
le  pavé  de  Paris.  Va-t-il  descendre  jusqu'au  cimetière 
en  ne  faisant  que  se  défendre  contre  la  vie,  sans  sortir 
de  l'ombre,  sans  avoir  au  moins  une  bataille  au  soleil  ? 
Se  mêlera-t-il  en  goguenardant  aux  pouilleux  d'esprit, 
aux  lâches  de  cœur  qui  ne  verront  pas  qu'il  jette 
l'ironie  sur  les  douleurs  comme  on  mettrait  un  faux  nez 
sur  un  cancer,  et  que  l'émotion  ronge  ses  entrailles 
tandis  qu'il  étourdit  la  misère  commune  à  coups  de 

1  blague,  ainsi  qu'on  crève  un  carreau  à  coups  de  poing 
pour  avoir  de  l'air  dans  un  étouffoir. 

Non!  A  l'œuvre!  et  l'on,  verra  ce  qu'il  a  dans  le 
ventre,  quand  la  famine  n'y  rode  pas  comme  une  main 

■  d'avorteuse  qui,  de  ses  ongles  noirs,  cherche  à  crever 
les  ovaires!  Il  va  faire  l'histoire  des  gueux  qui  n'ont 

.   pas  trouvé  leur  écuelle.  C'est  bien  le  diable  si,  avec  ce 

j_  bouquin-là  il  ne  sème  pas  la  révolte  sans  qu'il  y 
paraisse,  sans  qu'on  se  doute  que  sous  les  guenilles  qu'il 
pendra,  comme  à  la  morgue,  il  y  a  une  arme  à  employer 
pour  ceux  qui  ont  gardé  de  la  rage  ou  que  n'a  pas 
dégradés  la  misère.  Ils  ont  imaginé  une  Bohême  de 
lâches,  il  va  leur  en  montrer  une  de  désespérés  et  de 
menaçants  ! 

C'est  avec  ce  terrible  programme  qu'il  saisit  la  plume 
comme  une  pince  monseigneur  pour  faire  sauter  les 
verrous  et  les  écrous.  Mais  il  fait  lugubre  dans  sa 
chambre,  une  chambre  de  trente  francs  qui  a  vue  sur 
un  boyau  de  cour  où,  au  dessus  d'un  tas  de  débris,  est 
juché  un  pigeonnier  dont  les  roucoulements  le  déses- 
pèrent. Il  n'entend  que  cette  musique  irritante  et  les 
sanglots  d'une  femme  qui  occupe,  à  côté,  un  cabinet 
sombre  qu'elle  ne  parvient  pas  à  payer^  institutrice  à 
cheveux  gris  dont  on  ne  veut  plus  et  qui  cherche  des 
leçons  à  dix  sous.  Il  l'a  rencontrée  l'autre  soir  qui,  pour 
^^e  prix-là,  ofl'rait  à  des  garçons  d'hôpital  ses  caresses 
4b  vieille  et'  entrouvrait  sa  robe  pour  laisser  prendre 
ses  seins  flétris. 

;.  Il  gèle  dans  sa  chambre  et  il  est  long  à  faire  flamber 
son  tas  de  houille.  S'il  a  le  courage  de  s'asseoir  devant 


sa  table,  sans  feu  dans  la  cheminée,  peu  à  peu  le  frisson 
vieniet  la  pensée  s'en  va.  Il  achète  à  crédit  une  houp- 
pelande à  capuchon  en  drap  de  couvent.  Al^!  bourgeois 
qui  l'avez  taillée,  mercier  qui  l'avez  vendue,  vous  ne 
savez  pas  ce  que  vous  venez  de  faire  !  Vous  venez  de 
donner  une  guérite  à  la  sentinelle  d'une  armée  qui  vous 
en  fera  voir  de  dures  !  '    . 

Et  alors  le  livre  sort,  s'épanche,  grandit.  Il  ne 
regarde  pas  si  ce  qu'il  écrit  ressemble  à  du  Pascal  ou  à 
du  Marmontel,  à  du  Juvénal  ou  à  du  Paul-Louis  Cour- 
rier, à  Saint-Simon  ou  à  Sainte-Beuve  ;  il  n'a  ni  le  respect 
des  tropes,  ni  la  peur  du  néologisme,  il  n'observé  pas 
Tordre  nestorien  pour  accumuler  les  preuves.  Il  prend 
des  morceaux  de  sa  vie,  il  les  coud  aux  morceaux  de  la 
vie  des  autres,  riant  quand  l'envie  lui  en  vient,  grin- 
çant des  dents  quand  des  souvenirs  d'humiliation  lui 
grattent  la  chair  sur  les  os  comme  la  viande  sur  un 
manche  de  côtelette,  tandis  que  le  sang  pisse  sous  le 
couteau.  Il  déchire  les  bandages  de  ses  blessures  pour 
montrer  quel  trou  font,  dans  un  cœur  d'homme,  dix 
ans  de  jeunesse  perdue  ! 

Et  les  cravatés  de  blanc  qui  le  lisent  sont  déroutés, 
les  cuistres,  par  ses  attaques  d'ïrrégulier,  déchaînées 
contre  la  carcasse  de  la  société  tout  entière,  telle 
quelle  est  bâtie,  la  gueuse,  qui  n'a  que  du  plomb  de 
caserne  à  jeter  dans  le  sillon  où  les  pauvres  se  tordent 
et  meurent  de  faim,  crapauds  à  qui  le  tranchant  du  soc 
a  coupé  les  pattes  et  qui  ne  peuvent  même  pas  faire 
résonner,  dans  la  nuit  de  leur  vie,  leur  note  désolée  et 
solitaire  !  Seulement  c'est  le  dédain  plus  que  le  déses- 
poir qui  gonfle  son  cœur  et  le  fait  éclater  en  phrases 
qu'il  croit  éloquentes.  Dans  le  silence,  il  -lui  paraît 
qu'elles  frappent  juste  et  luisent  clair.  Mais  elles  ne 
sont  pas  barbelées  de  haine.  Ce  n'est  point  la  générale, 
c'est  la  charge  qu'il  bat  en  tapin  échappé  aux  horreurs 
d'un  siège,  et  qui,  porté  tout  d'un  coup  en  pleine 
lumière,  crâne  et  gouailleur,  riant  au  nez  de  l'ennemi, 
se  moquant  des  ordres  de  l'officier,  et  de  la  consigne,  et 
de  la  discipline,  jette  son  képi  dans  le  fossé,  déchire  ses 
chevrons  et  tambourine  la  diane  de  l'ironie.  Ma  foi, 
pendant  qu'il  y  est,  il  leur  dégoisera  tout  ce  qui 
l'étouôe.  Et  si  parfois  il  adoucit  ce  style  d*émeute  et  de 
barricade,  il  y  glisse  toujours  un  géranium  sanglant, 
une  immortelle  rouge  perdue  sous  les  roses  et  les  œil- 
lets. S'il  parle  des  va-nu-pieds,  comme  Léon  Cladel, 
cet  autre  apôtre  puissant  de  la  plèbe,  c'est  en  saupou- 
drant de  soleil  leur  misère  et  en  faisant  cliqueter  les 
paillettes  de  leurs  haillons. 

On  le  lit  et  les  gazettes  le  signalent,  le  jugent.  Elles 
ne  frémissent  pas,  elles  ne  crient  pas.  Où  donc  le  bruit 
d'orage  qu'il  aime?  Il  a  honte  maintenant,  par  moments, 
quand  c'est  seulement  le  styliste  que  la  critique  louange, 
quand  elle  ne  démasque  pas  l'arme  cachée  sous  les  den- 
telles noires  de  sa  phrase.  Il  a  peur  de  paraître  lâche  à 


i       t   ■:.)' 


L'ART  MODERNE 


243 


ceux  qui  l'ont  entendu,  dans  les  cénacles  de  gueux,  pro- 
mettre que  le  jour  où  il  échapperait  à  la  saleté  de  la 
misère  et  à  Tobscurité  de  la  nuit,  il  sauterait  à  la  gorge 
de  l'ennemi. 

Des  lettres  lui  viennent  d'il  ne  sait  où,  qui  l'ont 
rejoint  il  ne  sait  comment,  des  poignées  de  mains  d'igno- 
rés et  d'inconnus,  de  conscrits  effarés  ou  de  vaincus 
saignants.  Il  a  donc  pénétré  dans  la  foule,  il  y  a  donc 
derrière  lui  des  soldats,  une  armée.  Ah  !  il  passe  des 
nuits  à  roder  dans  «a  chambre,  tenant  ces  chiffons  de 
papier  dans  ses  doigts  crispés,  ruminant  l'assaut  sur  le 
monde  avec  ces  correspondants  pour  capitaines! 

Son  style  sonore,  flamboyant,  superbe  de  pièces  et  de 
morceaux  qu'on  dirait  ramassés,  à  coups  de  crochets, 
dans  des  cours  malpropres  et  navrantes ,  apparaît 
comme  un  attrape-mouches  à  un  journal  qui  nourrit 
une  clientèle  d'insouciants  et  d'heureux,  d'actrices  et  de 
mondaines.  Une  fois  par  hasard,  du  Vallès,  c'est  drôle 
comme  uiie  escapade  dans  un  tapis  franc,  comme  une 
visite  d'élégante  dans  un  logis  de  blousier.  Mais  bientôt 
on  en  a  assez.  On  lui  insinue  de  changer.  Mais  il  ne 
veut  pas  être  l'amuseur  du  boulevard,  un  chroniquail- 
leur  d'atelier  ou  de  boudoir,  un  guillocheur  de  mots, 
vun  écouteur  aux  portes,  un  fileur  d'actualités.  «  Vous 
voulez  un  égayeur,  je  suis  un  révolté.  Révolté  je  reste, 
et  je  reprends  mon  rang  dans  le  bataillon  des  pauvres,  n 

Et  il  recommence,  avec  les  souvenirs  de  sa  jeunesse 
empestée  et  meurtrie,  des  pages  pleines  de  rages  sourdes 
et  hérissées  de  fureur.  Mais  il  est  signalé  et  partout  on 
le  repousse.  Célèbre,  il  se  sent  moins  libre  que  lorsqu'il 
traînait  la  guenille  dans  les  coins  sombres.  Il  avait  l'in- 
dépendance de  celui  qui,  dans  un  cul  de  basse  fosse, 
peut  creuser  la  pierre,  et  faire  un  trou  par  lequel  il 
sautera  sur  l'ennemi  pour  l'égorger.  C'était  sa  force. 
Maintenant  la  mèche  est  éventée.  Il  est  signalé,  il  est 
signalé  !  Et  comme  la  bête  noire  des  gardes  chiourmes, 
au  bagne,  il  voit  s'écarter  de  lui  ceux  qui  ont  peur  du 
bâton  aussi  bien  que  ceux  qui  le  manient. 

Vallès  fonde  un  journal.  Au  mur  les  affiches!  Ce  fut 
cette  célèbre  Rue,  éphémère  mais  inoubliable.  Au  jour 
où  elle  va  apparaître  dans  son  aveuglante  intransi- 
geance, il  écrit  :  «  J'ai  envie  de  rire  un  peu  au  nez  de 
cette  société  que  je  ne  puis  attaquer  de  vive  force, 
fut-ce  au  péril  de  ma  vie.  L'ironie  me  pète  du  cerveau 
et  du  cœur.  Je  sais  que  la  lutte  est  inutile,  je  m'avoue 
vaincu  d'avance,  mais  je  vais  hurler  mon  mépris  pour 
les  vivants  et  pour  les  morts.  »»  Plus  tard  ;  «  Un  beau 
jour  j'ai  écrit  une  page  brutale,  les  Cochons  vendiis, 
qui,  en  paraissant  souffleter  des  maquignons,  giflait 
ministres  et  magistrats,  légalité  et  tradition.  J'ai  osé 
toucher  aux  idoles.  Chaque  barreau  de  l'échelle 
sociale  porte  un  des  coqs  que  j'ai  déplumés,  dont  j'ai 
fait  saigner  le  croupion.  L'huissier  est  venu.  On  va 
nous  tuer.  J'ai  eu  vraiment  une  riche  idée  en  écrivant 


ces  deux  cents  lignes.  Elles  me  désignent  à  la  calomnie 
et  à  la  mort.  —  Elles  vous  désignent  au  peuple  aussi! 
m'a  dit  un  vieil  insurgé,  en  me  prenant  le  poignet  et 
avec  un  éclair  dans  les  yeux.  Tenez  bon,  nom  de  Dieu! 
et,  aux  jours  de  révolution,  c'est  vous  que  le  faubourg 
appellera,  c'est  eux  qu'il  collera  au  mur  !  »» 

Et  il  reprend,  tout  célèbre  qu'il  est,  le  collier  des 
anciennes  détresses.  Cette  fois,  si  l'on  appelle  aux 
armes,  quand  il  apparaîtra,  on  le  reconnaîtra,  et  s'il 
est  vêtu  en  gueux,  on  saluera  sa  misère.  Seulement  il 
faut  pouvoir  attendre  le  moment  de  bien  mourir.  Ah  ! 
s'il  avait  seulement  la  miche  assurée.  C'est  dur  d'être 
en  complet  de  commissionnaire  lorsqu'on  a  été  un 
moment  sur  le  chemin  de  la  fortune  et  de  la  gloire. 
Pourquoi  n'a-t-il  pas  baissé  d'un  cran  son  pavillon? 
Pourquoi  a4-il  défendu  les  pauvres?  Mais  où  serait  le 
mérite,  s'il  vivait  d'eux,  comme  leui*  vermine! 

Et  ainsi  roule  et  soubresaute  ce  livre  extraordinaire 
durant  quatre  cents  pages,  marquant  les  cahots  de  la 
vie  de  misère  par  des  empreintes  de  boue  et  de  sang 
laissées  aux  murailles  entre  lesquelles  trébuche  le 
sublime  misérable  poussé  par  l'ouragan  des  malheurs 
quotidiens.  Il  va  à  travers  les  dernières  années  de 
l'Empire,  à  travers  la  guerre  allemande,  racontant  par 
hoquets,  par  sanglots,  par  malédictions,  par  blasphèmes 
l'épopée  d'un  va-nu-pieds,  avec  la  puissance  de  concen- 
tration qui  en  fait  l'épopée  haletante  et  terrible  de  tous, 
jusqu'au  jour  où  la  Commune  sonne  le  tocsin  et  déve- 
loppe sous  la  rafale  révolutionnaire  son  formidable 
étendard.  • 

18  mars.  —  Pan,  pan!  —  Qui  est  là?  —  C'est  un 
ami,  il  est  essoufflé  et  pâle.  —  Qu'y  a-t-il  ?  -—  Un  régi- 
ment de  ligne  a  passé  au  peuple!  —  Alors  on  se  bat? 

—  Non,  mais  Paris  est  au  Comité  Central.  Deux  géné- 
raux ont  eu  ce  matin  la  tête  cassée  par  les  chassepots. 

—  Où?...  Comment?...  —  L'un  avait  commandé  le  feu 
contre  la  foule.  Ses  soldats  se  sont  mêlés  aux  fédérés, 
l'ont  entraîné  et  massacré  ;  c'est  un  sergent  en  uniforme 
qui  a  tiré  le  premier.  L'autre,  c'est  Clément  Thomas 
qu'un  ancien  de  Juin  a  reconnu.  Au  mur  aussi.  Leurs 
cadavres  sont  maintenant  étendus,  troués  comme  des 
écumoirs,  dans  un  jardin  de  la  rue  des  Rosiers,  là  haut, 
à  Montmartre. 

Allons  !  C'est  la  Révolution  ! 
.  La  voilà  donc,  la  minute  espérée  et  attendue  depuis 
la  première  cruauté  du  père,  depuis  la  première  gifle^ 
du  cuistre,  depuis  le  premier  jour  passé  sans  pain, 
depuis  la  première  nuit  passée  sans  logis  —  voilà  la 
revanche  du  collège,  de  la  misère,  et  de  Décembre! 

Il  a  eujm  frisson  tout  de  même.  Il  n'aurait  pas 
voulu  ces  taches  de  sang  sur  leurs  mains,  dès  l'aube 
de  leur  victoire.  Peut-être  aussi  est-ce  la  perspective 
de  la  retraite  coupée,  de  l'inévitable  tuerie,  du  noir 
péril,  qui  lui  a  refroidi  les  moelles...  moins  par  peur 


244 


rART  MODERNE 


d'être  compris  dans  l'hécatombe,  que  parce  qu'elle 
glace  l'idée  qu'il  pourrait,  un  jour,  avoir  à  la  com- 
mander. »» 

Quel  élan'  d'espérance  assombri  de  prévisions  sinis- 
tres !  C'est  l'âme  toujours  volant  vers  l'idéal,-  toujours 
ramenée  au  malheur!  C'est  le  symbole  de  cette  masse 
populaire  souffrante,  mais  jamais  découragée,  quoique 
constamment  déçue,  croyant  néanmoins  à  la  rédemp- 
tion, et  par  cette  opiniâtreté  même  affirmant  son  inévi- 
table avènement. 

Charles  Longuet  rappelait,  à  l'occasion  de  la  mort 
de  Jules  Vallès,  que  Zola,  dans  un  article  loyal  et  cou- 
rageux, où  il  exprimait  son  admiration  pour  les  romans 
de  ce  mort  regretté  et  si  violeinment  attaqué,  lui 
reprochait  d'être  allé  perdre  ses  dons  littéraires  aux 
iti^rates  besognes  et  aux  basses  œuvres  de  la  poli- 
tique. Etrange  critique  répliquait-il,  qui  caractérise 
pourtant  une  société  en  décadence,  ou  plutôt  un  inter- 
règne entre  l'ancien  monde  et  le  nouveau.  Certes,  s'il 
est  des  cœurs  que  la  politique  courante  doit  soulever, 
on  les  rencontrera  parmi  les  hommes  qui  en  touchent 
de  près  les  misères  ou  les  hontes.  Mais  est-ce  donc  là 
toute  la  vie  sociale?  Pour  î'esprit  qui  n'en  fait  pas 
métier,  n'y  a-t-il  donc  pas  un  au  delà  plus  réconfor- 
tant, plus  réchauffant  mille  fois  que  les.  plus  hautes 
aspirations  de  la  littérature,  de  l'art  et  de  la  science 
même?  Et  depuis  quand  les  héros,  les  hommes  d'action, 
ne  sont-ils  plus  ceux  qui,  mourant  jeunes  ou  vieux,  ont 
le  mieux  épuisé  la  coupe  de  la  vie  ?  L'histoire  de  tous 
les  siècles,  l'humanité  tout  entière  proteste  contre  ce 
blasphème  des  littérateurs,  aux  époques  .décadentes 
oii  la  poésie  a  divorcé  d'avec  V action  au  point  de 
ne  plus  7nême  la  comprendre.  L'auteur  de  r Insurgé ^ 
lui,  eût  donné  tout  son  bagage  littéraire  pour  revivre 
encore  la  minute  passagère  où,  dans  l'orage  des  événe- 
ments historiques  qui  un  jour  lui  donnèrent  la  puis- 
sance, il  avait  cru  saisir  et  tenir  en  sa  main  l'ombre 
fuyante  de  la  société  et  de  l'humanité  qu'il  concevait,  le 
rêve  de  sa  jeunesse  et  de  sa  maturité.  Il  avait  raison; 

Oui,  il  avait  raison,  et  ceux  qui  l'imitent  ont  raison, 
aujourd'hui  surtout  que  le  destin  lève  les  derniers  voiles 
qui  cachaient  les  rénovations  sociales.  En  vain,  durant 
des  trêves  passagères,  on  se  fait  illusion  sur  la  lutte 
prochaine,  décisive  et  bouleversante.  Sous  les  amabi- 
lités dernières  qu'échangent  les  bourgeois  de  race 
avec  les  ouvriers  beaux  parleurs  en  train  de  se  trans- 
former en  bourgeois,  gi^ondent  inexorables  les  colères 
qui  tiennent  aux  disproportions  effroyables  entre  la 
richesse  des  uns  et  le  dénûment  des  autres.  Là  est  le 
mal,  là  est  le  problème  effrayanrt  qu'aucun  palliatif 
légal  ne  peut  ni  guérir,  ni  résoudre.  C'est  de  ce  côté  que 
va  cette httérature  violente  et  sinistre.  C'est  là  qu'écla- 
tera la  catastrophe  finale  et  que  roulera  l'ouragan. 


!PlBLiOqRAPHIE   ARTISTIQUE 

A  lia  mémoire  du  capitaine  Marechalle,  souvenir  reconnais- 
sant d'une  de  ses  élèves.  —  Bruxelles,  V®  Monnom,  1886. 

Une  dédicace  à  la  veuve  du  capitaine  Marechalle  révèle  que  ce 
très  simple,  mais  très  louchant  écrit  énia ne  d'une  artiste  vail- 
lante et  charmante  dont  nous  avons  parfois  cité  le  nom  dans  nos 
comptes  rendus  d'exposition,  M"«  Gabrielle  de  Villers. 

Vaillante,  disons-nous,  car  non  seulement  elle  s'e^t  ouverte- 
ment lancée  dans  la  vie  artistique,  quoique  appartenant  à  un 
monde  qui  s'en  inquiète,  et  même  s'en  épouvante,  mais  elle 
arbore  hardiment  le  guidon  des  écoles  les  plus  avancées,  nou- 
velle cause  d'émoi,  sans  doute,  dans  un  milieu  dont  la  tradition 
et  l'honneur  sont  de  n'être  que  le  juste  milieu.  Deux  exemples  : 
elle  rappelle  avec  fierté^  à  la  gloire  du  capitaine  Marechalle,  son 
premier  maître,  qu'il  a  écrit  :  «  Je  déplore  que  le  musée  de 
Bruxelles  ne  possède  rien  de  Manet.  Je  ne  m'explique  point  de 
pareilles  choseg.  A  tous  les  points  de  vue  Manet  est  indispen-.. 
sable  dans  un  grand  musée.  Manet  plus  que  Courbet,  »  —  et  qu'il 
a  écrit  aussi  :  «  Comment  Taine  met-il  au  dessus  de  Rubens 
Vinci,  Michel-Ange  et  Raphaël?  Rubens  est  le  plus  grand  peintre 
du  monde.  ». 

M"^  de  Villers  résume  son  panégyrique  du  capitaine  Marechalle 
par  ces  mots  :  «  Enthousiaste,  rêveur  parfois,  franc,  loyal,  il 
était,  dans  la  belle  et  grande  acception  du  mot  :  un  caractère.  » 
Et  de  fait,  quand  on  lit  les  extraits  des  lettres  et  des  notes  de  cet 
artiste  devenu  militaire  et  professeur  de  perspective  résigné, 
parce  qu'une  mère  craintive  et  imbue  de  préjugés  bourgeois 
redoutait  pour  lui  la  vie  du  peintre,  on  sent,  avec  tristesse,  que 
l'homme  avait  vraiment  ces  qualités  et  qu'il  fut  détourné  de 
sa  vocation.  Quand,  plus  tard,  occupé  de  polygones  et  de 
polyèdres,  il  se  voyait  réduit  à  la  pédanterie  de  l'art  scolastique, 
il  disait  à  sa  jeune  élève  :  «  On  n'est  vraiment  artiste  qu'en 
peignant  ce  qu'on  croit  et  ce  qu'on  aime.  >ï-  Et  une  autre  fois  : 
«  Que  vous  êtes  heureuse  de  peindre  toujours  !» 

M.  Marechalle  a  été,  semble-t-il,  une  de  ces  natures  artistes  de 
pensée,  autant  qu'on  peut  l'être,  mais  que  les  circonstances  ou  une 
imperfection  de  mains  empêche  d'arriver  à  la  réalisation,  pri- 
sonniers d'eux-mêmes,  belles  âmes  servies  par  un  corps  impar- 
fait, Tantales  qui  n'ont  pas  cueilli  les  fruits  d'or  de  l'œuvre 
matérialisée.  Les  saines  et  grandes  vues  sur  l'art  lui  arrivaient 
sans  effort  et  en  abondance,  telles  que  n'en  ont  guère  les  profes- 
seurs d'établissements  officiels,  car,  k  les  exprimer,  on  risque  sa 
situation.  Comment,  en  effet,  juger  autrement  ces  aphorismes  qui 
sentent  lé  roussi  :  «  Craignez  l'atelier,  il  n'y  a  que  la  nature;  — 
Dans  les  feuillages,  je  vois  des  masses  et  des  ensembles  et  ne 
veux  pas  voir  la  feuille  ;  — -.  Nous  devons  attendre  l'instruction  de 
nous-mêmes  et  de  nos  contemporains  plutôt  que  des  écoles 
mortes,  toutes  mortes  sans  résurrection  possible; —  Plantez 
définitivement  votre  chevalet  en  plein  champ,  mettez  vous  en 
plein  air  et  vous  verrez;  —  Il  faut  peindre  sous  le  ciel  et  faire  ce 
qu'on  voit  comme  on  le  voit;  — La  peinture  d'imagination  ne 
conduit  à  rien;  —  L'enseignement  officiel  jette  tous  les  artistes 
dans  le  même  moule  et  donne  à  leurs  œuvres  une  déplorable 
uniformité  ;  —  Qui  s'attache  à  la  manière  d'un  autre,  annihile 
ses  dispositions,  captive  son  génie,  reste  inférieur  à  son  guide; 
—  La  décadence  de  l'art  dérive  des  imitateurs;  ^-  Lorsqu'on 


/ 


■■•m 


veut  transformer  une  nature  artistique,  on  la  déforme;  —  Peindre 
de  soi-même  et  pour  soi-môme-sans  souvenir  de  leçons  apprises  ; 
—  C'est  la  difficulté,  la  liilte,  l'obstacle  qui  fait  les  forts.  » 

Voilk  un  évangile  qui  mène  d'ordinaire  au  Calvaire,  sauf  à 
être  glorifié  après  exécution.  Vous,  Mademoiselle,  qui  proclamez 
voire  foi  en  ces  préceptes  insurrectionnels,  vous  vous  rendez 
compte  de  ce  qu'ils  ont  de  salutaire,  mais  comprenez-vous  ce 
'qu'ils  ont  de  périlleux?  Dans  ce  cas,  vous  avez  un  courage  au 
dessus  de  votre  caste.  Vous  qsjbz  peindre  d'après  les  règles  des 
écoles  intransigeantes  et  vous  osez  écrire  qu'elles  sont  dans  le 
vrai.  Seriez-vous  de  là  lignée  héroïque  des  Jeanne  Hachette  et 
des  princesse  d'Epinoy?  Aujourd'hui,  les  femmes  qui  leur  ressem- 
blent ne  se  montrent  plus  l'épée  k  la  main  derrière  les  créneaux  ; 
l'occasion  manque;  mais  il  est  d'autres  batailles  où  les  héroïnes 
peuvent  apparaître  la  brosse  ou  la  plume  à  la  main  et  se  faire 
autant  admirer.  Vous  vous  émancipez  par  l'esprit,  le  caractère  et 
le  talent,  ce  qui  est  la  noble  manière' de  s'émanciper.  L'art  jeune 
avait  pour  lui  la  force.  Voici  que  par  vous  et  quelques  autres  il 
obtient  la  grâce.  Nous  le  disions,  il  y  a  un  an,  à  M^'®  Anna  Boch 
lorsqu'elle  s'enrégimentait  bravement  parmi  les  XX. 
.  Honneur  à  ces  guerrières  qui,  dédaigneuses  des  diplômes  qui 
garantissent  l'instruction  bourgeoise  des  régentes  du  beau  monde, 
vont  aux  doctrines  indisciplinées,  c'esi-à-dire  à  l'art  libre,  salu- 
taire et  charmant.  - 


•^AQNER    AU     RÉPERTOIRE         . 

^  Le  tableau  synoptique  des  représentations  données  en  1885 
dans  toute  l'Allemagne,  que  publie  le  professeur  Kûrschner  dans 
Y  Annuaire  qu'il  vient  de  faire  paraître,  indique  exactement 
quelle  est  la  situation  actuelle  des  œuvres  de  Wagner  dans  les 
prédilections  du  public  germanique. 

Si  l'on  excepte  un  opéra  de  Nessler,  le  Trompette  de  Sâckinge'n,  " 
qui  a  été  joué  la  même  année  sur  vingt-quatre  scènes  allemandes 
et  qui  a  atteint  l'invraisemblable  chiffre  de  300  représentations, 
l'œuvre  qui  a  été  jouée  le  plus  souvent  en  Allemagne  en  1885  est 
Lohengrin  et  après  elle  Tannfiaiiser.  Carmen,  de  Bizet,  arrive 
en  troisième  lieu,  puis  i^iMw,  de  Beethoven. 

Au  surplus,  voici  un  extrait  de  cet  intéressant  et  instructif 
tableau.  Nous  n'avons  pris  que  les  plus  gros  chiffres. 

Lohengrin  (Wagner)   ....     .     .     .  i23  fois.   . 

Tannhauser  (Wagner) i09  » 

Carmen  (Bïzel) .     ...     .     .     .     .     .  405  » 

jPîddw  (Beethoven)     .     .     ....     .  94  »       - 

Le  Trouvère  (Verdi) 92  » 

Freischutz  (Weber)    .......  88  »      . 

Les  Huguenots  (Meyerbeer)  .....  82  » 

Le  Vaisseau  FANTOME  (Wagner)  .     ...  73  » 

Martha  (ï\oio\\)    .     ...     .     .     .     .     .72  » 

La  Walkure  (Wagner)     ......  71  » 

Les  Noces  de  Figaiv  {Mozart)    .     .     é     .  71  » 

Don  Juan  (id.). 68  » 

Le  Barbier  de  Séviile  (Rossini)  ....  68  » 

Silvana  Ç^eher)     .     .     .     .     .     .     .     .  66  » 

Ondine  [Lorlzins;)  ........  59  » 

.        L'Empereur  et  le  Charpentier  {là.).     .     .  58  » 

Les  joyeuses  Commères  (Nicolaï)     .     .     .56  » 


55  fois. 

55 

» 

55 

»  , 

52 

» 

"48 

» 

48 

» 

45 

» 

43 

» 

41 

» 

40 

» 

La  Flûte  enchantée  {MoiSiri) ,     ,     .    .  . 

La  Dame  blanche  iJ^oialà'iGM)     .... 

.    Mignon  (Thomas)  .     .     .     .     .     .     .  . 

i^awi/ (GoUnod).     ...     ....  . 

Les  Maîtres-Chanteurs  (Wagner)    .     .  . 

Le  Postillon  de  Lonjumeau  (Adam)     .  . 

L'Africaine  (Meyerbeer)  .     .     .     .-    .  . 

Guillaume  Tdl{^0'ism\).     .     .     .     .  . 

.    La  Juive  {)\2\és'^)  .     .     ....     .  » 

Euryanthe  (Vfeho.r)     .     ...     .     .  . 

Il  convient  de  ne  pas  perdre  de  vue  que  les  drames  dé  Wagner, 
qui  donnent  dans  la  statistique  où  nous  puisons  ces  renseigne- 
ments un  total  de  526  représentations  (Tristan  et  Iseult  a  été 
joué  25  fois,  le  Rheingold  22  fois,  Siegfried  19  fois,  la  Gôtter- 
dammerung  10  fois)  ne  sont  qu'au  nombre  de  dix,  alors  qu'il  a 
fallu  147  opéras,  dus  k  71  compositeurs  différents,  pour  produire 
un  ensemble  de  2,879  représentations.  • 

Ce  qui  ressort  de  tout  ceci,  c'est  qu'en  Allemagne  Wagner  est 
au  répertoire.  Ses  drames  les  moins  intransigeants  ont  beaucoup 
plus  de  succès  —  nous  entendons  ce  mot  dans  un  sens  spécial  — 
que  les  œuvres  du  vieux  répertoire.  Quant  aux  autres,  elles 
occupent  une  place  fort  honorable  dans  le  tableau.  Il  est  même 
curieux  de  constater  que  les  opéras  qui,  chez  nous,  constituent 
le  fond  des  représentations,  celles  dont  la  recelte  est  certaine  et 
sur  laquelle  comptent  les  directeurs  d'une  manière  absolue": 
La  Juive,  Guillaume  Tell,  par  exemple,  sont  représentés  moins 
souvent  en  Allemagne  que  les  Maîtres-Chanteurs.  La  Walkilre 
a  atteint  un  nombre  de  représentations  double  de  celui  de  la 
Juive  et  vingt  représentations  de  plus  que  Faust! 

On  né  peut  assurément  pas  dire  qu'en  Belgique  le  goût  soit  le 
même,  qu'en  Allemagne,  et  l'argument  par  analogie  serait  ici, 
plus  que  jamais,  dangereux  à  appliquer.  Il  n'en  est  pas  moins 
vrai  que  la  question  est  intéressante,  et  qu'il  y  a  beaucoup  à  faire 
de  ce  côté.  Nous  soumettons  le  petit  travail  auquel  nous  venons 
de  nous  livrer  aux  méditations  de  MM.  Dupont  et  Lapissida. 


■  ^ 


RICHARD  WAGNER  JAHRBUCH 

Herausgegeben  von  Joseph  Kûrschner.  —  Erster  band,  1886.  — 

Stuttgart,  chez  l'auteur. 

L'annuaire  wagnérien,  dont  nous  avons  annoncé  la  publication, 
paraît  au  moment  précis  où  les  représentations  de  Bayreulh  con- 
centrent rallention  générale.  La  date  ne  pouvait  être  mieux 
choisie.  - 

Le  volume,  qui  comprend  500  pages  de  texte  compact,  est 
orné  d'un  très  curieux  portrait  de  Wagner  exécuté  d'après  un 
daguerréotype  reproduisant  un  dessin  de  M.  Ernest  Benedict 
Kietz,  daté  du  14  novembre  1850.  Ce  dessin,  exécuté  pour  une 
admiratrice  des  œuvres  du  Maître,  une  dame  Laussot,  de  Bor- 
de-aux,  n'existe  plus.  L'épreuve  qui  a  servi  à  la  reproduction 
phototypique  que  publie  l'Annuaire  est,  paraît-il,  unique.  C'est 
donc  une  rareté  fort  intéressante  que  le  patient  auteur  de  l'ou- 
vraçe  offreà  ses  lecteurs. 

'^-  Quant  aux  articles,  aux  renseiguements,  aux  documents  divers, 
aux  tableaux  statistiques  qu'il  a  réunis,  ils  témoignent  d'une 
conscience  et  d'une  ténacité  dans  les  recherches  tout  à  fait  extra- 
ordinaires.  C'est  une  compilation  de  bénédictin,  embrassant  les 


246 


L'ART  MODERNE 


faiis  les  plus  minimes  qui  peuvent  intéresser  les  amis  de  Wagner, 
et  que  seul  un  écrivain  allemand,  passionnément  épris  de  son 
sujet,  pouvait  mener  à  bonne  fin. 

On  trouvera  dans  ce  compendium,  dont  nous  devons  nous 
borner  à  signaler  les  principales  divisions,  une  partie  biogra- 
phique dans  laquelle  M.  Glasenaff  expose  la  généalogie  complète 
de  Wagner,  des  «  Souvenirs  et  rencontres  »  rappelant,  sous 
diverses  sigiî^res,  certains  épisodes  de  la  vie  de  l'artiste,  puis 
une  série  d'articles  critiques  sur  son  œuvre,  l'histoire  anecdolique 
de  la  construction  du  théâtre  de  Bavreulh,  des  études  sur  les 
MaUreS'Chanteurs^  sur  Tristan^  elc,  un  chapitre  consacré  à 
l'art  wagnéricn  à  l'étranger,  et  particulièrement  en  France,  une 
chronique  de  Tannée  wagnérienne,  la  bibliographie  des  oeuvres 
du  compositeur  depuis  4829  jusqu'en  1836  avec  reproduction 
graphique  des  titres,  publication  des  premiers  articles  de  jour- 
naux qui  s'occupèrent  de  l'arlisle,  etc. 

Enfin,  les  comptes-rendus  de  tous  les  ouvrages  édités  au  cours 
de  l'année  sur  Wagner  et  Vanalyse  détaillée  des  principaux  arti- 
cles parus  dans  les  journaux  allemands,  belges,  français,  etc.,  le 
tableau  synoptique  de  toutes  les  œuvres  théâtrales  représentées 
sur  les  vingt-huit  scènes  de  l'A liemagne  en  1842  (date  de  la  pre- 
mière exécution  de  Rienzï),  1843,  1844,  1845  et  1885. 

L'a  statistique  de  toutes  les  oeuvres  de  Wagner  jouées  dans  les 
concerts,  et  ce  dans  toute  l'Europe,  dans  le  cours  de  l'année  1885, 
des  extraits  curieux  et  inédits  de  lettres,  la  jeunesse  de  Wagner 
(1830  à  1840),  de  petites  nouvelles  piquantes  sur  l'extension  du 
mouvement  wagnéricn  clôturent  le  volume,  que  complète  une 
table  de  tous  les  noms  cités. 

Cet  excellent  annuaire,  qui  ajoute  à  la  bibliographie  wagné- 
rienne, déjà  si  considérable,  de  précieux  renseignements,  coûte 
dix'marcs,  relié  en  toile,'  ou  vingt  marks  sur  Hollande,  tiré  à 
100  exemplaires,  reliure  en  peau. 

Il  est  dédié  à  la  Mémoire  du  roi  Louis  II  de  Bavière^  le 
a  royal  ami  »  du  Maître  et  le  protecteur  de  son  art  national. 


fil 


lOLIERE  ET  L't^COLE  DE?  FEMME? 
Conférence  par  M.  Bkcque.  —  Tresse,  éditeur. 
La  critique  n'en  a  jamais  fini  avec  les  grands  écrivains.  Chaque 
siècle  les  comprend  à  sa  guise;  les  novateurs  ne  s'autorisent  pas 
moins  de  leurs  exemples  que  les  défenseurs  de  la  tradition.  On 
leur  prête,  là  môme  où  ils  sont  le  plus  clairs,  des  sens  inatten- 
dus. Nos  idées  nous  paraissent  moins  contestables  quand  nous 
les  offrons  au  public  avec  de  tels  garants;  il  faut  qu'ils  soient, 
en  toute  chose,  nos  auxiliaires  pu  nos  complices.  Quand  il  s'agit 
d'un  poète  comme  Molière,  c'est-à-dire  de  la  raison  même,  il 
n'est  pas  étonnant  qu'on  veuille  l'avoir  pour  soi.  On  lit  son  texte, 
on  le  relit,  on  le  tourne  en  tous  sens,  on  l'étend  et  l'on  fait  si 
bien,  qu'on  y  trouve  tout  ce  qu'on  y  cherchait.  Ce  que  le  premier 
a  cru  voir,  d'autres  le  voient,  en  effet;  ils  en  parlent  et  avec  le 
temps  une  opinion  s'accrédite.  La  foule  des  lecteurs  l'accepte  et 
les  lettrés  eux-mêmes  ne  peuvent  s'en  défendre,  car  on  la  leur 
inculque  d'abord.  C'est  ainsi  que  la  postérité  tout  entière  col- 
labore aux  chefs-d'œlivre;  elle  leur  fait  comme  une  escorte  qui 
se  grossit  sans  cesse  :  ' 

Recevant  d'âge  en  âge  une  nouvelle  vie, 
Ainsi  s'en  vont  à  Dieu  les  gloires  d''autrefoi8  ; 
Ainsi  le  vaste  écho  de  la  voix  du  génie 
Devient  du  genre  humain  l'universelle  voix. 


L'oèuvrei.d'un  grçind  homme  se  transforme  au  cours  des  siècles; 
le  temps  l'agrandit;  il  la  complète,  il  l'épure  et  elle  reste  éter- 
nellement jeune.  Ce  travail  de  la  critique  est  vraiment  fécond; 
rien  de  ce  qu'il  a  créé  ne  meurt  tout  à  fait.  Les  contemporains  de 
Molière  ne  voyaient  dans  Alceste  qu'un  misanthrope  :  l'œuvre  du 
poète  se  résumait  pour  eux  dans  ces  deux  vers  : 

La  parfaite  raison  fuit  toute  extrémité 
'      V        -    Et  veut  que  l'on  soit  sage  avec  sobriété.  - 

Alceste  est  devenu,  pour  nous,  le  modèle  même  de  l'honnête 
homme,  incapable  de  dire  ce  qu'ilne  pense  pas.  C'est  lui  qu'on 
estime,  et  c'est  Philinte  qu'on  méprise.  On  riait  autrefois  des  tra- 
vers d'Alceste;  nous  sommes,  aujourd'hui,  touchés  de  sa  vertu. 
On  n'avait  pas  tort  autrefois  et  nous  avons  raison  aujourd'hui. 
C'est  le  privilège  des  chefs-d'œuvre  d'éveiller  des  idées  fort  di- 
verses; tout  ce  qu'on  y  peut  voir  raisonnablement  s'y  trouve  en 
réalité.  Une  conférence  récemment  faite  par  M,  Becque,  sur 
Molière  elY Ecole  des  femmes,  en  fournit  la  preuve. 

V Ecole  des  femmes  est,  après  les  quatre  grands  chefs-d'œuvre 
dé  Molière,  l'un  de  ses  meilleurs  ouvrages.  Les  deux  personnages 
principaux,  Arnolphe  et  Agnès,  sont  restés  justement  célèbres. 
Agnès,  l'ingénue,  triomphe  d'Arnolphe  qui  se  croit  fort  habile, 
comme  Agnelet  triompha  de  Pathelin.  La  critique  avait  toujours 
cru  que  Molière,  là  comme  dans  VEcole  des  Maris,  avait  surtout 
réclamé  plus  de  liberté  dans  l'éducation  des  femmes.  On  avait  vu 
Sganarelle  vaniteux  et  sol  joué  par  Isabelle,  sa  pupille,  une  fille 
de  tête  et  d'esprit;  Arnolphe,  non  moins  vaniteux  que  Sganarelle, 
mais  plus  fin,  était  berné  par  Agnès,  l'ignorance  même.  En 
revanche,  Ariste,  le  plus  indulgent  des  tuteurs,  épousait  Léonor. 
Il  était  aimé,  malgré  son  âge,  parce  qu'il  ayait  toujours  été 
aimable  ;  Sganarelle  et  Arnolphe,  pour  avoir  été  bourrus  et  sur- 
tout égoïstes,  étaient  également  bafoués.  La  leçon  avait  de  tout 
temps  paru  fort  claire. 

Elle  n'a  point  semblé  telle  à  M.  Becque.  Molière,  à  l'en  croire, 
se  serait  jîlfcposé  de  montrer  «  que  Vamour  est  le  privilège  de  la 
jeunesse.  »  Ce  gérait  là  toute  la  pensée  de  la  pièce,  ou  si  l'on 
veut,  la  thèse  qu'aurait  soutenue  le  poète. 

M.  Becque  analyse  les  caractères  principaux  de  VEcole  des 
femmes,  et  c'est  de  ces  caractères  mêmes  qu'il  lire  tous  ses  argu- 
ments. Arnolphe,  à  l'entendre,  bien  qu'il  soit  défiant  à  l'excès, 
est  bien  près  d'avoir  toutes  les  qualités,  mais  il  a  quarante-deux 
ans.  A  cet  âge  on  n'a  plus  le  droit  de  penser  au  mariage,  et  l'on 
ne  peut  plus  sans  ridicule  essayer  de  plaire.  S'il  était  raison- 
nable, il  reconnaîlrait  qu'il  a  passé  le  temps  d'aimer.  C'est  une 
chose,  il  est  vrai,  qu'on  ne  s'avoue  que  le  plus  lard  possible,  et 
avec  des  restrictions  à  déconcerter  Escobar  lui-même.  Arnolphe 
donc  ne  se  rend  pas  à  l'évidence  el  il  se  disposa  à  épouser  Agnès. 
Horace  arrive  ;  c'est  un  jeune  honime.  «  Il  est  leste,  coquet,  il 
est  aventureux  », 

Charmant,  jeune,  traînant  tous  les  cœurs  après  soi. 

Il  rencontre  Arnolphe  et  il  lui  emprurite  de  l'argent,  puis  il  le 
prend  pour  confident  el  il  lui  révèle  son  amour.  Il  agit  ainsi 
naturellement,  et  comme  on  fait  à  sou  âge,  «  Est-ce  que  tout 
cela  n'esl  pas  charmant,  demande  M.  Becque^  et  qu'est-ce  que 
cela  veut  dire?  Cela  veut  dire  qu'Horace  a  pour  lui  la  jeunesse,  la 
grâce,  la  fraîcheur  d'impressions,  l'abondance  de  cœur,  en  un 
mot  toutes  les  qualités  que  l'amour  exige  et  qui  entraînent 
l'amour  ».  A  ce  portrait  opposons  celui  d'Arnolphe.  Il  ne  rentre 
chez  lui  que  pour  interroger  ses  valets,  il  fait  surveiller  Agnès  ; 


^ 


UART  MODERNE 


247 


il  se  défie  d'elle.  Il  est  perplexe,  agité,  tourmenté,  il  reconnaît 
qu'il  a  tort  et  il  n'en  persiste  pas  moins  dans  son  dessein.  En 
présence  d'Agnès  il  ne  sait  que  lui  rappeler  les  obligations  qu'elle 
lui  doit,  il  reifraye  par  une  sombre  peinture  des  devoirs  du 
mariage  ;  il  travaille  à  se  faire  détester.  «  Eh  bien,  ajoute  alors 
M.  Becque,  est-ce  que  cette  peinture  d'Arnolphe  et  d'Horace,  de 
deux  personnages  si  différents,  ne  vous  a  pas  déjà  avertis?  Est-ce 
que  le  contraste  ne  vous  paraît  pas  suffisant?  Est-ce  qu'en  voyant 
d'un  côté  cet  Horace  qui  n'a  qu'à  se  montrer  pour  être  aimé  et  de 
l'autre  Arnoiphe  qui  a  passé  l'âge  de  plaire  et  qui  n'y  songe  même 
plus,  le  secret  de.  la  comédie  ne  se  manifest(^  pas  à  vos  yeux? 
Est-ce  que  vous  ne  vous  dites  pas  :  Eh  oui,  c'est  bien  cela,  c'est 
la  vérité  même,  l'amour  est  le  privilège  de  la  jeunesse  »? 

C'est  surtout  avec  Agnès  que  M.  Becque  triomphe.  Soumise 
aussi  longtemps  qu'Arnolphe  n'a  été  pour  elle  qu'un  tuteur,  elle 
se  révolte  dès  qu'il  parle  de  l'épouser;  ni  menaces,  ni  prières 
Tie  pmirront  l'émouvoir.  C'est  en  vain  qu'Arnolphe  lui  rappelle 
les  services  qu'elle  a  reçus  de  lui;  c'est  en  vain  qu'il  parle  de 
son  propre  amour;  tout  le  cœur  d'Agnès  se  révèle  dans  ce  vers 
décisif  : 

Horace  avec  deux  mots  en  fait  bien  plus  que  vous. 

«  El  maintenant,  continue  M.  Becque,  est-ce  que  nous  ne  pou- 
vons pas„  saisir  la  comédie  tout  entière,  jusque  dans  ses  détails. 
Pourquoi  Molière  a-t-il  donné  des  qualités  à  Arnoiphe?  C'est  qu'il 
a  voulu  que  ces  qualités  fussent  inutiles.  Arnoiphe  a  rendu  des 
services  à  Agnès;  ces  services  ne  compteront  pas.  Arnoiphe 
disait  :  Une  fille  avisée,  savante,  habile,  me  ferait  courir  trop  de 
risques;  Molière  lui  répond  :  Avec  une  simple  et  une  ignorante, 
ce  sera  bien  pis  encore  ;  elle  ne  voudra  de  toi  à  aucun  prix.  Et 
pourquoi  Molière,  a-l-il  fait  d'Agnès  une  enfant  abandonnée? 
C'est  qu'il  a  voulu  qu'elle  fût  seule  et  libre,  sans  aucune  considé- 
ration à  observer.  Pourquoi  nous  l'a-t-il  montrée  d'une  simplicité 
atisolue?  Pour  qu'il  n'y  eût  chez  elle  aucun  calcul  et  aucune 
hésitation,  Il  l'a  prise  en  quelque  sorte  à  l'étal  brut,  afin  qu'elle 
n'écoulât  que  la  pensée  de  la  nature  qui  est  en  même  temps  la 
pensée  de  la  comédie  :  L'amour  est  le  privilège  de  la  jeu- 
nesse (*)  ».  ^ 

jjHf\OJS(IQUÈ    JUDICI^IF^E    DE^   /RT^ 

PROH  PUDOR! 

C'est  d'Amérique  que  nous  arrive,  cette  semaine,  une  fabu- 
leuse chronique  artistique  du  Palais.  Il  s'est  trouvé  à  Montréal  un 
parquet  pour  poursuivre  —  el  un  tribunal  pour  condamner  — 
des  joaillers  dont  le  délit  consistait  dans  le  fait  d'avoir  exposé  à, 
leur  vitrine...  Non,  c'est  trop  drôle!  cela  ne  peut  pas  être  vrai!... 
Les  reproduclions  des  deux  figures  de  Michel  Ange,  le  Jour  et 
la  Nuity  qui  ornent  le  superbe  tombeau  des  Médicis,  à  Florence. 

En  vain,  les  prévenus  ont-ils  revendiqué  les  immunités  de 
l'Art.  La  considération  que  ces  viles  reproduclions  sont  exposées 
dans  tous  les  Musées  de  l'Europe  n'a  pas  louché  davantage  les 
juges.  Ils  ont  décidé  que  ces  deux  chefs-d'œuvre  portaient  atteinte 
aux  mœurs,  qu'elles  excitaient  les  passions,  portaient  à  la  sen- 
sualité et  corrompaient  le  peuple.  i 

Rien  que  cela  !  El  le  clergé  protestant  de  l'endroit,  consulté, 
paraît-il,  préalablement  au  prononcé  de  la  sentence  sur  le  cas  de 


(•)  Extrait  d'une  étude  de  M.  F.  Lefranc  dans  la  nouvelle  Revue 
d'Art  dramatique. 


conscience  qui  tourmentait  lès  juges,  s'est  déclaré  à  ^l'unanimité 
en  faveur  de  la  condamnation. 

Afi^!  on  ne  plaisante  pas  sur  les  mœurs  à  Montréal!  Michel- 
Ange  n'est  qu'un  vulgaire  polisson  auquel  le  pape  a  dû  intimer 
l'ordre  de  voiler  les  figures  de  la  Chute  des  anges.  Urt  polisson, 
vous  dis-je.  Heureusement  que  les  juges  de  Montréal  veillent  sur 
la  vertu  de  leurç  concitoyens,  et  tant  que  ces  vigilants  gardiens 
de  la  moralité  publique  seront  investis  de  leuf*  mandai,  ni  le  Jour^ 
ni  la  Nuit,  —  ces  obscénités  auprès  desquelles  les  photogra- 
phies de  M"e«Grille  d'Egout  et  la  Goulue  sont  images  de  sainteté 
à  distribuer  dans  les  pensionnats  du  Sacré-Cœur,  —  ne  ravage- 
ront Montréal. 

C'est  ce  qu'on  peut  appeler  un  jugement  écrit  sur  feuille...  de 
vigne. 

-   -^^.  ^  ^       pETITE    CHRÔJ^iqUE        -^  ~- 

Waux-Hall:  —  Lundi  2  août,  grand  concert  extraordinaire 
donné  avec  le  concours  de  M"«  B.  Hamaekers,  cantatrice.  L'ad- 
ministration organise  de  nouveanx  concerts  où  se  feront  entendre 
des  artistes  en  vue. 

Un  extrait  du  Bulletin  des  Commissions^  royales  d'art  et  d'ar- 
chéologie, signé  par  M.  Joseph  Gielen,  l'inlelligenl  amateur  de 
Maeseyck,  dont  la  collection  contient  quelques  objets  de  lout 
premier  ordre,  mentionne  la  découverte  de  deux  tableaux  du 
xviç  siècle,  de  Lambert  Lombard. 

Lambert  Lombard,  né  à  Liège  en  1506,  étudia  sous  la  direc- 
tion de  Raphaël.  Il  abandonna  sa  première  manière  de  peindre 
en  s'inspirant  d«s  œuvres  de  ce  maître.  \\  s'établit  à  Lîége  et 
forma  de  nombreux  élèves. 

Le  premier  de  ces  tableaux,  acquis  par  M.  Gielen  lors  de  la 
vente  de  M.  Schaepkens  à  Maestricht,  représente  le  portrait  de 
l'historien  Chapeauville.  Peint  sur  bois,  il  mesure  16  centimètres 
de  hauteur  sur  10  centimètres  de  largeur;  l'œil  d'un  amateur 
reconnaît  facilement  qu'il  a  été  peint  sous  l'influence  de  l'école 
italienne. 

Chapeauville  (Jean),  né  en  lool,  fut  examinateur  syndical  en 
1378,  à  Liège,  curé  de  Saint-Michel,  inquisiteur  de  la  foi  en  loo'â, 
chanoine  de  la  cathédrale,  grand  pénitencier  et  l'année  d^'appès 
vicaire,  archidiacre  et,  enfin,  prévôt  de  Saint-Pierre. 

C'est  en  grande  partie  à  ses  soins  que  l'on  doit  l'érection  du 
séminaire  épiscopal  de  Liège.  Il  mourut  l'an  1607,  nyant  consa- 
cré presque  quarante  ans  de  sa  vie  au  service  de  ce  vaste  diocèse. 

Le  second  tableau,  également  peint  sur  bois,  représente  /^5 
Sept  péchés  capitaux-,  il  mesure  32  centimètres  de  hauteur  sur 
51  centimètres  de  largeur.  Il  provient  de  feu  M.  Vlecken,  doyen 
de  la  cathédrale,  à  Liège.  Malheureusement  cette  peinture  a  été 
sciée  en  deux,  il  y  a  quarante  ans,  parce  que  la  partie  inférieure 
ne  réprésentait  qu'un  portique  peint  en  grisaille  !!! 

On  nous  écrit  de  Luxembourg  : 

La  population  a  fêlé  la  semaine  dernière  le  passage  de  Liszt. 
On  avait  organisé  en  son  honneur  un  concert  dont  le  principal 
attrait  était  précisément  la  bonne  fortune,  devenue  fort  rare, 
d'entendre  le  grand  artiste.  Il  s'est  mis  au  piano  de  bonne 
grâce  et  a  joué  diverses  œuvres,  enir'autres  Tune  de  ses  transcrip- 
tions des  Valses  de  Schubert.  La  perfection  avec  laquelle  il  l'a 
interprétée  a  enthousiasmé  l'auditoire.  Acclamé  à  son  entrée 
dans  la  salle,  Liszt  a  été,  au  moment  où  il  s'est  relire,  l'objet  d'iin 


248 


V ART  MODERNE 


véritable  triomphe.  Au  premier  rang  des  auditeurs,  on  remar- 
quait M.  et  M"'"  Munkacsy,  dont  la  propriété  de  Colpach,  voisine 
de  Luxembourg,  avait  été  mise  à  la  disposition  de  l'éminent 
musicien,  et  qui  avaient  été  les  principaux  organisateurs  de  la 
fôte.  •    "    ■■.    ______   ; 

Le  théâtre  royal  de  Munich  prépare  des  représentations  de 
deux  cycles  complets  de  V Anneau  du  Nihelung^  qui  auront  lieu 
à  l'issue  des  auditions  de  Parsifal  et  de  Tristan^  Bayreuth,  les 
23,  25,  27  et  29  août,  et  les  13, 15, 17  et  19  septembre. 


"\ 


Pour  paraître  le  20  octobre  prochain 


PAR  JULES  DESTRÉE 

Un  beau  volume  de  250  pages,  grand  in  8o,  imprimé  avec  luxe 
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Il  sera  tiré  quelques  exemplaires  sur  grand  papier  de  Hollande, 
qui  ne  seront  pas  mis  dans  le  commerce.  Le  prix  en  est  provisoire- 
ment fixé  à  5  francs  pour  ceux  qui  enverront,  avant  le  i^  août, 
leur  souscription  à  l'imprimeur  :  Veuve  Monnom,  26,  rue  de  l'In- 
dustrie, Bruxelles. 


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A  Leipz^ig,  la  direction  de  l'Opéra  se  propose  de  donner  cet 
hiver  des  représenlalions  modèles  de  Tannhaiiser  cl  de  Lohen- 
grin.  Les  deux  drames  de  la  première  manjère  de  Wagner  seront 
représxînlés  dans  Tinlégralilé  de  leur  texte,  sans  aucune  des  cou- 
pures par  lesquelles  il  est  d'usage  de  les  mutiler,  et  avec  des 
décors  entièrement  neufs.  On  rétablira,  notamment,  la  scène  du 
Venusberg  telle  que  Wagner  l'avait  écrite,  en  vue  de  la  faire  jouer 
à  rOpéra  de  Paris. 


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nique,  à  4  mains,  fr.  2-50. 

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accompagnement  de  piano,  fr.  2  00.  —  Ôp.  45.  Le  Désir,  morceau 
de  salon,  pour  violon  avec  accompagnement  de  piano,  fr.  1-75.  — 
Op.  46.  Rêverie,  pour  violon  avec  accompagnement  de  piano,  fr.  1-75. 

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Dupont,  Auo.  et  Sandre,  Gust.  Ecole  de  piano  du  Conservatoire 
royal  de  Bruxelles.  Livr.  XXXI.  Hummel,  concerto  la  bémol,  fr.  5-00. 

NicoDÉ,  F.-L.  Op.  17.  Suite  symphonique.  Partition,  fr.  18  75. 

ScHARWENKA,  X.  Op.  ^4.  2  dauscs  polonaises  pour  piano.  N°"  1 
et  2  à  fr.  1-25.  —  Op.  58.  4  danses  polonaises  pour  piano.  N®»  1,  3 
4  à  fr.  2-00.  NO  2  à  fr.  1-60. 

Wagner,  Righ.  Prélude  de  Lohengrin.  Arr.  pour  piano  à  4  mains 
par  Oust.  Sandre,  fr.  1-60.  —  Morceaux  lyriques  tirés  de  Fristan  et 
Yseult.  Arr.  pour  piano  à  4  mains,  fr.  5-70. 


•-:-> 


Bruxelles.  —  Imp.  Félix  Callevaert  père.  —  V*  MoNMOirvuccessejar.  rue  de  l'Industrie,  26. 


<h. 


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Sixième  annse.— N°*32 


'Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  8  Août  1886. 


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MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVDB  CRITIQUE  DBS  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :   Belgique,  un  an,  fr.  10.00  ;  Union  postale,  fr.   13.00.   —  ANNONCES  :    On  traite  à  forfait. 

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l'administration  GÉNÉRALE  DE  l'Art  Modeme,  rue  de  Plndustrie,  26,  Bruxelles. 


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OMMAIRE 


Les  représentations  de  Bayreuth.  ,—   Franz   Liszt.    —   Le 

DÉMÉNAGEMENT     DU    MuSÉE    DE    BRUXELLES.     —    La    SCULPTURE.    — 

Le  JURY  DU  Salon  de  Gand.  —  Glanures.  —  La  revue  d'art 

DRAMATIQUE. PETITE   CHRONIQUE. 


LES  REPRÉSENTATIONS  DE  RAYREDTH 

Nous  partions  pour  Bayreuth  !  - 

Parmi  ces  paysages  de  chromolithographie  —  les 
bords  du  Rhin,  -—  parmi  ce  ratatinement  de  la  Hesse, 
parmi  ces  étiques  lointains  de  la  Bavière,  toujours  cette 
pensée  :  c'est  la  dernière  fois  que  le  Temple  s'ouvre  aux 
fidèles  !  C'est  la  dernière  fois  ! 

La  grande  œuvre  par  le  génie  édifiée  au  dessus  des 
foules,  soutenue  par  le  grandiose  enthousiasme  d'un  roi  — ■ 
artiste  incliné  vers  l'artiste-roi,  elle  va  s'écrouler!  Il 
faudra  retourner  dans  ces  salles  médiocres  ;  revoir,  réen- 
tendre dans  ces  logettes  aux  [ornementations  de  mauvais 
lieux  tout  ce  monde  des  soirs  d'hiver  coquetant  et  caque-* 
tant. 

L'arrivée  dissipa  toutes  craintes  et  les  premières  nou- 
velles, qu'elles  furent  bien  heureusement  reçues  :  le 
théâtre  sauvé  pour  plusieurs  années,  et  même^le  prochain 
festival  déterminé  —  les  Maîtres- Chanteurs  et  Parsifal, 

Et  déjà  nous  nous  imaginons,  sur  cette  merveilleuse 
scène  de  Bayreuth,  l'immense  bagarre  de  la  populace 
tout  entière  lancée  aux  trousses  du  charivarique  Beck- 
messer  et,  avec  toutes  ces  si  fines  délicatesses  de  machi- 
nation, la  lune  montant  entre  les  grêles  pignons  de  la 


ville  endormie.  Car  ici  seulement,  sur  cet  émotionnant 
amphithéâtre,. aux  premières  notes  émanées  de  l'abîme 
mystique  soudainement  obscurci,  l'on  a  ce  recueillement 
qui  perçoit  jusqu'aux  plus  infinis  battements  de  cœur  du 
silence  ;  l'esprit  tout  entier  est  tendu  vers  la  scène  ;  l'esprit 
se  délecte  à  l'atmosphère  poétique  et  musicale  qui  enve- 
loppe le  drame;  l'esprit  s'apaise  dans  ee  monde  divin  de 
la  sérénissime  harmonie;  ici  seulement,  tout  est  Beau! 

Qui  n'a  point  vu  ceci,  n'a  rien  vu  ;  qui  n'a  entendu  ces 
chefs-d'œuvre  que  mutilés  par  des  directeurs  peureux  et 
d'ignares  metteurs  en  scène  n'a  rien  entendu.  Ici,  l'entier 
oubli  du  monde  réel,  l'entière  identification  des  acteurs 
avec  leurs  personnages  ;  admirable  plastique,  déclamation 
précise,  impression  inouïe  de  plein  air  et  de  libre  vie... 
Tristan  est  mort,  etK6uwenal,et  sur  ces  cadavres  encore 
chauds  retombe,  extasiée,  la  plaintive  Isolde  :  c'est  vrai- 
ment la  mort,  la  mort  fatale  ;  ils  étaient  conduits  au 
néant  ;  cette  nuit  profonde,  cet'  empire  merveilleux  où 
devait  les  sacrer  l'amour  souverain,  ils  y  entrent;  Tris- 
tan et  Isolde,  non  plus  :  Tristan,  Isolde,  un  seul  nom, 
l'unité  primitive  de  l'être,  l'éternelle  fusion...  et  le  vieux 
Marke  en  pleurs  devant  ce  désastre,  c'est  nous,  nous 
mêmes  qui  sortons  de  ce  théâtre,  tandis  que  le  soir 
auguste  tombe  sur  les  lointaines  collines,  une  sufibcation 
au  cœur,  et,  pourtant,  l'esprit  rasséréné  et  si  haut  dans  les 
plus  sublimes  altitudes  ! 

Ce  prodigieux  chef-d'œuvre,  tant  de  fois  relu  et  encore 
relu,  l'ristan  et  Isolde^  enfin  il  nous  était  donné  de  l'en- 
tendre ! 

Depuis  ces  premières  notes  maladives  jusqu'à  l'ultime 


^ 


extase,  la  passion  la  plus  exaspérée,  le  plus  profond  désir 
d'anéantissement  allaient  être  en  nous  impérieux,  verti- 
gineux, inextinguibles  ;  comme  Isolde,  après  tant  d'aiguës 
souifrances,  nous  allions  délaisser  la  terre,  notre  âme 
allait  se  donner,  dans  la  transfiguration  de  l'amour,  tout 
entière  à  l'âme  du  monde  ! 

Le  fiis  de  la  délaissée  Blancheflor,  le  héros  Tristan  ;  la 
princesse-magicienne  Isolde,  experte  en  la  science  des 
philtres  guérisseurs;  le  fidèle  Kouwenal,  doux  et  bourru  ; 
ce  débonnaire  surhumain,  le  vieux  Marke,  quels  acteurs, 
pourraient  incarner  toute  cette  épopée?  cette  vie  pas- 
sionnelle alternant  entre  le  plus  excessif  désir  de  volupté 
et  la  plus  ferme  aspiration  au  néant,  la  vivraient-ils?  Cet 
orchestre  extraordinaire  où  grandit  jusqu'à  Teffroi  la 
malédiction  d'amour,  en  aurions-nous  la  sensation?  et  de 
même  que  Wagner,  finissant  par  regarder  comme  un  crime 
d'admettre  que  Schnorr  renouvelât  ce  prodigieux  exploit 
d'une  torturante  interprétation,  se  sentit  for^é  de  décla- 
rer résolument  à  son  entourage  qu'on  ne  jouerait  plus 
TVù^ttw,  attendrions-nous  cette  émotion  si  aiguë  de  vou- 
loir que  cette  première  audition  soit  la  dernière,  par 
Tincapçicité  de  verser  encore  de  si  brûlantes  larmes,  par 
l'effroi  de  mettre  encore  à  notre  front  la  lourde  couronne 
des  ténèbres  ! 

Oui,  un  tel  son  est  inoubliable  où  toute  notre  âme  suit 
le  geste  d'un  acteur,  où  l'on  étreint  la  nuit  comme 
s'étreignent  Tristan  et  Isolde  sur  le  banc  de  fleurs  ;  un 
tel  soir  est  inoubliable  où  l'on  a  levé  sur  la  faute  le  bénis- 
sant pardon;  un  tel  soir  est  inoubliable  où  l'on  a  bondi 
de  joie  exaspérée,  quand  la  toile  blanche  s'est  détachée  de 
l'horizon,  vers  l'agonie  délirante  et  la  souffrance  au 
paroxysme,  après  une  malédiction;  un  tel  soir  est  inou- 
bliable où,  mj'stiquement  transfigurés,  coipme  la  merveil- 
leuse mélodie  nous  nous  sommes  abîmés  sans  conscience, 
sous  le  soufile  vivant  de  l'Univers! 

Oui,  après  une  seule  audition  do  Tristan^  et,  après  la 
douceur  de  Parsifal^  nous  avons  quitté  la  petite  ville  où 
vient  s'agenouiller  toute  l'Europe  devant  celui  qu'elle 
souilla  d'injures;  nous  avons  quitté  Bajreuth  avec  cette 
impression  ineffaçable  d'avoir  soulevé,  une  fois  pour 
toutes,  les  merveilleux  voiles  de  l'Eternelle  Beauté  ! 

Un  vertige  de  paroles,  de  gestes,  d'harmonies  ;  une  vie 
torentielle  infinie  et  toute  puissante,  et  cette  grandiose 
simplicité  d'un  amour  fatal,  irrésistible  ;  **  félicité  et 
noire  détresse,  néfaste  mort  et  vie  divine  »»  —  c'est 
Tristan  et  Isolde. 

Et  comment  dire  toute  notre  admiration  pour  ce 
noble  caractère  du  roi  Marke,  tant  raillé  et  tant  bafoué, 
cette  âme  si  magnanime  qu'elle  semble  ridicule  et  niaise 
à  la  plaisanterie  narquoise  et  béate  de  tant  et  de  si 
minces  médiocres. 

«  Le  Jour  varie  et  la  Nuit  ».  Sur  le  banc  de  fleurs, 
les  amants  désespérément  étreints,  les  voila  ;  regarde, 
ô  roi,  l'aube  blafarde  éclaire  sur  ces  lèvres,  sur  ces  joues. 


,r»» 


sur  ces  fronts,  l'inextinguible  flamme  des  ardents  baisers. 
Eux  à  qui  souriait  le  rêve,  ils  n'ont  pas  pris  garde,  ils  n'ont 
pas  pris  garde!  Ils  ont  juré  de  ne  se  réveiller  jamais! 
«  Le  Jour  varie  et  la  Nuit". —  «  Fantômes.du  Jour,  dispa- 
raissez, hors  d'ici,  disparaissez  «,  clame  Tristan  et,  la 
tête  détournée,  Isolde  voudrait  demeurer  en  la  Nuit.  Et 
ni  colère,  ni  menace  :  l'affliction  de  cotte  grande  âme 
s'incline  dans  un  geste  de  pardon  :  «  Tristan  a  trahi  ! 
Honneur  et  loyauté,  où  sont-ils?  Tristan  a  trahi  «  tout  ce 
qu'il  avait  dé  beau  et  d'idéal  encore,  devant  le  vieux  roi 
s'est  écroulé.  «  Tristan  a  trahi  !» 

Oui,  par  une  irrésistible  fatalité,  Tristan  a  trahi  et 
même  après  le  pardon  —  quel  trait  du  plus  haut  génie, 
—  il  se  souvient  encore  du  philtre  terrible  qui  les  préci- 
pita l'un  vers  l'autre  pour  l'éternel  embrassement,  devant 
ceux  que  le  jour  envoya  les  surprendre  dans  la  convul- 
sive  étreinte,  il  baise  encore  le  front  d'Isolde,  il  outrage 
encore  celui  qui  lui  témoigna  le  respect  d'un  père. 

On  peut  placer,  on  doit  placer  le  troisième  acte  de 
Tristan  au  plus  haut  sommet  de  Tart  musical  :  voici  le 
dernier  degré  d'intensité  harmonique  et  d'amplitude 
expressive. 

Les  moindres  pulsations  de  l'agonie  de  Tristan,  enten- 
dez-les dans  ce  merveilleux  orchestre  ;  penchez-vous  sur 
lui,  lorsque  résonne  le  thème  d'amour,  comme  se  penche, 
à  cet  instant,  sur  la  poitrine  de  son  maître  le  fidèle 
désespéré  et  les  larmes  jalliront,  incompressibles,  suffo- 
cantes. . .  Montez  à  la  tour  :  «  Joie  et  bonheur  !  Un  navire  ! 
Comme  les  voiles  se  gonflent!  Comme  il  court!  Le  pavil- 
lon? couleur  de  joie,  il  danse  auvent!  »  Et  tout  l'orchestre, 
frémissant,  bondit  et  vers  le  bleu  de  la  mer,  le  vieux 
Kouwenal  agite  ses  vieux  bras,  parmi  ces  murailles  ébré- 
chées,  ces  solitaires  broussailles,  il  sautille  comme  un 
enfant  barbare.  «  Joie  et  bonheur!  Comment  Isolde  n.e 
serait-elle  plus  de  ce  monde  !  Comment  le  monde  serait-il 
sans  Isolde  ?  »  Isolde  appelle  du  dehors  :  «  J'entends  la 
lumière  »,  crie  l'expirant  et  de  ses  lèvres  avec  la  sublime 
mélodie  d'amour  s'échappe  le  dernier  soufiie... 

De  cet  amphithéâtre,  aux  premières  mesures  émanées 
de  l'abîme  mystique  soudainement  obscurci,  çà  et  là,  des 
suffocations  répondent  aux  nôtres;  cette  effrayante  tra- 
gédie de  l'amour  fatal  nous  étreint  tous,  nous  qui  sommes 
venus  ici  pour  sentir,  pour  comprendre,  pour  voir  ce  qui 
est  Beau  et  qui  ne  craignons^ point  de  montrer  notre  émo- 
tion épandue  en  larmes  comme  on  a  le  devoir  de  les  cacher 
à  l'indifférence  médiocre. 

«  Nés  en  même  temps,  l'Amour  et  la  Mort  sont  frères  ; 
le  monde  ici-bas,  les  étoiles  là-haut  ne  possèdent  rien  de 
plus  beau  »,  a  écrit  Leopardi.  Que  ce  soient  les  dernières 
paroles  après  Tristan  :  le  monde  ici  bas  ne  possède  rien 
de  plus  beau,  et  malheureux  ceux  qui  restent  éloignés 
encore  de  la  complète  compréhension. 

Après  les  convulsions  de  Tristan^  la  perfection  spiri- 
tuelle de  Parsifal]  après  les  aigles  noirs  du  néant,  les 


A 


colombes  de  la  compassion  ;  après  les  thèmes  bardés  de 
fer,  les  thèmes  en  manteaux  blancs,  couleur  de  cygne 
et  de  prière.  • 

Des  paroles,  des  gestes  de  candeur;  une  musique  dia- 
phane; à  peine,  çà  et  là,  du  sang  et  du  mal;  tout  semble 
un  rêve,  tout,  encens,  tout,  pureté;  tout  est  béni,  et  voici, 
dans  ce  saint  jour  du  vendredi  saint,  le  Péché  à  genoux 
devant  le  divin  Pardon  ;  la  lance  touche  et  guérit,  le 
rayon  descend  des  hauteurs,  le  Gr'aal  resplendit  et  sa 
gloire  inonde  les  chevaliers  d'un  baptême  de  feu. 

L'émotion  est  plus  sereine  ;  «  nous  entendons,  la 
lumière  «;  «  les  fleurs,  jamais,  ne  les  vîmes  si  belles  ". 

Comme  la  neuvième  symphonie  s'élance  vers  la  grande 
religion  humaine  et  confie  à  ses  chœurs  transfigurés  le 
verbe  nouveau  de  cet  évangile  de  fraternité  et  de  joie, 
Parsifal  nous  initie  à  la  pure  compassion  et  choisit  parmi 
les  harmonies  les  plus  candides  ses  appels  à  la  charité. 

DdiWS Parsifal^  nous  avons  tout  vu,  tout  entendu  ;  main- 
tenant nous  pardonnons  à  tout.  Plus  jamais  un  cri  de 
colère,  plus  jamais  un  blasphème,  plus  jamais  le  déses- 
poir; nous  sommes  purs,  nous  sommes  bénis,  nous  pou- 
vons exalter  le  Graal  aiî  temple  sacré.  La  Faute,  de  ses 
longs  cheveux  noirs,  essuya  nos  pieds  oints  de  baume  et 
de  pleurs*;  elle  est  à  genoux,  les  regards  baissés  de  honte 
et  de  repentir,  relevons-la  :  «*  Voici  la  vie,  marchez,  et 
soyez  pardonné!  »»  .. 

Toutes  les  agitations  humaines,  toutes  les  souillures  du 
monde,  celui  qui  écrivit  Parsifal  les  délaissa  ;  plus  de 
haine  pour  les  insulteurs;  toute  la  vie  d'autrefois,  hagarde 
et  misérable,  la  voici  oubliée.  «  Salut  au  Sauveur  «. 
«  L'art  a  sauvé,  qu'il  soit  sauvé!  « 

Et  dans  ce  merveilleux  théâtre,  par  ces  tragédiens 
admirables  qui,  sans  préoccupation  d'applaudissements 
médiocres,  se  sont  donnés  tout  entiers  à  la  vérité,  l'art 
sera  Wuvé.  Tout  passera,  ceci  ne  passera  point.  Tant 
qu'il  y  aura  des  Malten  et  des  .Materna,  tant  qu'il  y  aura 
pour  défendre  cette  œuvre  héroïque  des  acteurs  comme 
ceux  de  Bayreuth,  n'ayons  nulle-  crainte  :  la  Beauté  ne 
périra  point;  nous  ne  serons  point  réduits  à  entendre,  à 
voir,  mutilés,  ces  drames  de  haute  énergie  et  d'exaspérée 
passion  ;  nous  ne  serons  point  réduits  à  voir  caricaturer 
ces  héroïques  figures  d'une  grandiose  épopée. 

Vraiment,  il  est  difficile  de  dire  :  nous  parlerons  main- 
tenant des  interprètes.  Il  y  avait  là  des  chanteurs,  cTes 
acteurs,  un  orchestre  ;  pouvions-nous  séparer  -de  cet 
orchestre  toutes  les  catégories  d'instruments  ;  pouvions- 
nous  séparer  du  drame  toutes  les  catégories  de  person- 
nages ?  N'était-ce  point  l'un,  le  tout,  l'atmosphère  poétique 
et  musicale  enveloppant  le  drame;  le  dernier  degré  de 
perfection  ? 

Laissons  ces  scrupules  afin  de  pouvoir  saluer  en 
M"®  Malten  la  princesse-magicienne  Isolde  comme  nous 
avions^  peur  de  la  rêver,  celle  qui,  dans  un  rôle  de 
nuances  infinies,  n'eut  pas  un  geste  faux,  pas  une  défail- 


lance de  déclamation,  pas  une  insûreté  musicale,  celle  que 
depuis  la  première  note  jusqu'à  l'ultime,  nous  suivions  la 
poitrine  gonflée  et  les  yeux  rougis,  celle  que  nous 
revoyions  au  fond  de  nous-mêmes  durant  ces  troublants 
entractes,  lorsque  le  soir  descendait;  celle  que  nous 
n'avions  plus  la  force  d'applaudir,  lorsque  dans  une 
admirable  transfiguration,  elle  s'en  allait  à  jamais  vers 
l'empire  de  l'extase  et  de  la  nuit  !  Après  une  telle  inter- 
prétation, il  n'y  a  plus  rien,  jjIus  rien  :  tout  est  faux, 
tout  est  médiocre,  tout  est  mauvais. 

M.  Scheidemantcl  donne  au  personnage  de  Kouwenal 
une  allure  superbe  :  c'est  bien  le  fidèle  qui,  frappé  à 
mort,  vient  se  coucher  aux  pieds  du  maître  pour  lequel  il 
a  vécu.  ■ 

Kundry,  c'est  M'^^  Materna,  la  grande  créatrice  de 
Brûnehilde,  toujours  merveilleuse  de  plastique  et  dont  la 
belle  voix  sonore  n'a  rien  perdu  de  son  ampleur. 

M™®  Sucher  alterne  avec  M^^®  Malten  et  M"^®  Materna, 
dans  les^  rôles  de  Kundry  et  d'Isolde;  MM.  Gudehus, 
Vogel  et  Winkelmann.dans  ceux  de  Tristan  et  de  Par- 
sifal ;  d'autres  artistes  réputés  secondent  de  leur  talent 
l'école  des  chanteurs  wagnériens. 

L'orchestre  est  merveilleux  de  précision  et  de -finesses; 
la  mise  en  scène  sans  un  accroc,  sans  un  grincement, 
sans  une  faute  de  perspective  ou  d'ambiance  :  citons  le 
jardin  de  Tristan  et  la  scène  des  filles-fieurs  de  Parsifal 
coname  modèles  à  nos  metteurs  en  scène  tant  amoureux 
de  clinquant  et  de  nippes  pailletées. 

L'admiration  de  tous  les  auditeurs  est  complète,  et  de 
plus  en-  plus  loin  l'on  arrive  au  temple  de  V^^agner.  On 
nous  a  cité  un  voyageur  venant  du  Cap  de  Bonne-Espé- 
rance pour  entendre  Tristan;  un  autre  se  dirigeant  à  pied 
vers  là  colline  de  Bayreuth...  Une  œuvre  qiii  produit  de 
telles  convictions  est  grande  et  ne  peut  périr;  longtemps 
encore,  on  viendra  saluer  dans  la  petite  ville  le  Grand 
Insulté  de  jadis.  ^ 

Il  y  a  huit'  jours,  la  petite  bonne  rechignée  que  Frau  Stahl- 
niann,  notre  hôtesse  de  Bayreuth,  avait  préposée  au  service  de 
notre  café  au  lait  quotidien,  entrait  le  malin,  très  agitée,  dans 
notre  appartement  avec  cette  retentissante  nouvelle  :  «  Der  Meis- 
ter  is  geslorben!  », 

Depuis  quelques  jours,  les  nouvelles  étaient  alarmantes.  Les 
voyages  rapides  qu'avait  faits  l'illustre  virtuose  à  Paris,  à  Lon- 
dres, à  Luxembourg,  ù  Bayreuth,  l'avaient  fatigué.  Il  s'était  fait 
transporter,  malade,  au  théâtre  Wagner  pour  assister  aux  pre- 
mières représentations  de  Parsifal  et  de  Tristan,  «  comme  les 
pères  conscrits  se  faisaient  conduire  au  sénat  de  Rome  »,  disait 
avec  quelque  emphase  un  journal  local.  Il  était  atteint  d'une 
pneumonie,  et,  à  Luxembourg  déjà,  l'avis  des  médecins  avait  été 
qu'il  s'abstînt  de  paraître  au  concert  organisé  par 'la  petite  ville 
en  son  honneur.  Non  seulement  il  refusa  de  suivre  le  conseil  de 
la  Faculté,  mais  il  se  mil  au  piano  —  pour  la  dernière  fois  —  et 


éblouit  les  auditeurs  par  la  verve  juvénile  avec  laquelle  il  exécuta 
Tune  de  ses  Soirées  de  Vienne. 

Un  de  nos  amis  le  vit,  quelques  jours  après,  à  Nuremberg, 
arpentant  le  quai  de  la  gare  en  attendant  le  irain  de  Bayreuth, 
toujours  droit  et  superbe,  malgré  le  poids  de  ses  soixante-quinze 
années,  et  éclairant  les  alentours  de  l'auréole  de  sa  prodigieuse 
chevelure. 

Il  s'est  éteint  le  samedi  31  juillet,  à  onze  heures  du  soir,  dans 
la  villa  de  M,  Frolich,  proche  de  la  maison  de  Wagner,  au  bout 
de  la  Siegfriedgasse.  Les  étrangers  que  les  représentations 
avaient  réunis  à  Bayreuth  ont  pu  le  voir,  le  lendemain,  exposé 
avec  quelque  cérémonie,  sous  la  garde  pieuse  de  M""®  Cosima 
Wagner  et  de-sa  fille  Elsa^  toutes  deux  voilées  de  deuil,  parmi 
les  palmes  et  les  couronnes,  et  gardant  dans  la  mort  la  sérénité 
et  la  douceur  que  les  dernières  années  avaient  définitivement 
gravées  sur  ses  traits,  jadis  d'une  expression  hautaine  et  décon- 
certante. 

Mardi  matin,  il  a  été  inhumé  au  cimetière  de  Bayreuth.  Ses 
funérailles  ont  été  d'une  grandeur  touchante.  Car  quel  cortège 
plus  beau,  pour  un  artiste  tel  que  lui,  que  celui  dans  lequel 
prirent  place  Tristan  et  Parsifal,  Isolde  et  Kundry,  Kouwenal  et 
Gurnemanz!  Tous  les  interprètes  des  drames  wagnériens  voulu- 
rent rendre  hommage  à  celui  qui,  le  premier,  fit  comprendre  et 
aimer  ces  héros  aujourd'hui  dans  la  gloire.  Et  par  les  rues  tendues 
de  noir,  sous  la  lueur  douce  des  réverbères  voilés  de  crêpe,  au 
feu  des  torches  portées  par  les  élèves  du  maître,  en  téie  desquels 
marchait' Siloli,  le  cortège  se  déroula,  imposant  dans  sa, simpli- 
cité, tel  que  devait  être  le  convoi  funèbre  àc  cette  grande  figure 
abattue  par  la  mort. 

Avec  Liszt  disparaît  toute  une  époque  de  l'art.  Il  symbolisait  la 
virtuosité  transcendante  qui,  durant  un  demi-siècle,  éblouit 
l'Europe.  Depuis  longtemps  il  était  entré  dans  la  légende,  avec 
son  profil  dantesque,  la  renommée  de  ses  aventures  et  l'éclat 
extraordinaire  de  son  nom.  il  y  a. eu  des  pianistes  avant  lui,  il  en 
est  né  bien  d'autres  depuis  qu'il  a  cessé  d'étonner  le  monde  : 
mais  il  demeure,  par  excellence,  le  pianiste,  une  sorte  de  génie 
du  piano,  qui,  durant  cinquante  années,  a  stupéfait  toutes  les 
nations  et  dont  nul  n'atteindra  jamais  la  célébrité. 

Celte  gloire  personnelle  du  virtuose  s'éclaire  de  rayons  plus 
purs,  qui  lui  assurent  dans  la  succession  des  générations  d'ar- 
tistes des  souvenirs  de  reconnaissante  admiration.  Liszt  a  été  le 
propagateur  de  la  musique  sérieuse.  A  l'époque  où  le  public 
n'avait  d'oreilles  que  pour  les  fantaisies  de  salon,  les  airs  variés 
et  les  transcriptions  d'opéras  —  et  quelles  transcriptions!  — 
il  entreprit  d'introduire  dans  le  répertoire  des  concerts  l'austé- 
rité des  œuvres  dignes  de  respect.  Il  fit  sortir  de  l'ombre 
Beethoven,  comme  plus  tard  il  imposa  h  la  foule,  toujours  réfrac- 
taire  aux  évolutions  logiques  de  l'art,  le  puissant  génie  qui 
devait  le  récompenser  en  l'incarnant  dans  la  plus  noble  figure 
qu'ait  créée  le  drame  lyrique,  celle  du  cordonnier-poète  Hans 
Sachs. 

Comme  compositeur,  Liszt  laisse  un  œuvre  très  considérable, 
trop  considérable  peut-être  pour  que  tout  ce  qui  sortit  de  sa 
plume  féconde  soit  irréprochable.  La  virtuosité. tient  tout  natu- 
rellement une  place  importante  dans  la  liste  de  ses  écrits.  Au 
début  surtout,  il  fit  paraître  quantité  d'arrangements  d'opéras, 
transformés  par  la  merveilleuse  habileté  du  pianiste  en  étince- 
lantes  fantaisies,  et  qui  demeurent  le  type  des  préférences  d'une 
époque.  Mais  bientôt  son  esprit  élevé  devait  le  mener  à  des  con- 


ceptions plus  grandes.  El  parmi  les  composilions.qu'il  publia,  il 
faut  citer  en  première  ligne  ses  deux  oratorios  :  la  Légende  de 
Sainte-Elisabeth  de  Hongrie  et  le  Christ^  la  messe  qu'il  composa 
pour  l'inauguration  de  la  basilique  de  Gran,  sa  Messe  du  couron- 
nementy  ses  concertos  pour  piano  et  orchestre,  sa  célèbre  Fan- 
taisie hongroise^  ses  douze  poèmes  symphoniques  pour  orches- 
tre :  Ce  qu'on  entend  sur  la  montagne,  d'après  Victor  Hugo;  le 
Tasse,  les  Préludes,  d'après  Lamartine  ;  Orphée,  Prométhée, 
Mazeppa,  Festklânge,  Heldenkliinge,  Hungaria,  Hamlet,  Hun- 
nenschlacht,  /'/rf^a/,  d'après  Schiller,  puis  ses  deux  grandes  sym- 
phonies que  nous  considérons  comme  ses  chefs-d'œuvre  :  Faust, 
qui  fut  exécutée  à  Bruxelles  sous  la  direction  de  Franz  Servais, 
son  disciple  favori,  et  le  Dante.  Enfin,  la  partie  la  plus  pitto- 
resque de  son  œuvre,  ses  quatorze  Rhapsodies  hongroises,  dans 
lesquelles,  en  une  forme  neuve  et  avec  la  connaissance  la  plus 
complète  des  sonorités  du  piano,  il  a  fait  chanter  l'ûme  de  son 
pays  natal. 

L'infatigable  activité  de  Liszt,  outre  les  compositions  que  nous 
venons  de  citer  et  quantité  de  lieder,  de  morceaux  de  piano,  de 
transcriptions  d'orchestre,  etc.,  produisit  quelques  curieux  écrits. 
Ce  sont,  entre  autres,  des  éludes  sur  Lohengrin  et  Tannhaûser 
(Leipzig,  1854),  sur  Chopin  (id.  1852),  un  ouvrage  intitulé  :  De 
la  fondation  Gœthe  à  IVeimar  (Leipzig,  1851)  et  une  très  inté- 
ressante étude  sur  les  Bohémiens  et  leur  musique  (Paris,*  1859). 

L'Europe  entière  portera  le  deuil  de  Liszt,  car  il  n'est  guère 
de  ville,  ni  même  de  bourgade  où  le  prodigieux  artiste  n'ait 
trouvé  moyen  de  se  faire  applaudir.  Sa  vie,  la  plus  romanesque 
qui  soit,  aura  ses  biographes  :  nous  n'avons  voulu  que  rappeler 
ici  quej.  était  l'artiste  que  la  mort  vient  de  prendre.  D'autres  que 
nous  parleront  des  excentricités  de  ses  débuts,  des  concerts  qu'il 
donna  en  habit  à  la  française,  l'épée  au  côté,  dans  la  fervente 
admiration  d'un  auditoire  féminin  qui  se  disputait  les  gants  du 
virtuose  et  jusqu'à  ses  bouts  de  cigares  !  Extraordinaire  causeur, 
le  seul,  a  dit  Alexandre  Dumas,  qui  connût  le  secret  de  converser 
avec  une  femme,  il  exerça  jusqu'aux  heures  dernières  une  séduc- 
tion irrésistible.  C'est  dans  une  sorte  d'apothéose  qu'est  mort  cet 
homme  étrange,  dont  la  vie  a  été  une  série  ininterrompue  de 
fêtes  et  dont  le  bruit  des  applaudissements  n'a  jamais  cessé  de 
caresser  l'oreille.  Par  une  fortune  singulière,  qui. grandit  le  dou- 
loureux événement  de  la  mort,  c'est  à  Bayreuth  qu'il  s'est  éteint, 
et  c'est  \h  qu'il  a  voulu  être  inhumé.  La  mort  a  rapproché,  et  la 
postérité  ne  séparera  pas,  la  mémoire  de  Liszt  de  celle  de 
Richard  Wagner. 


LE  DÉMÉNAGEMENT  DU  MUSÉE  DE  BRUXELLES 

C'est  dit.  C'est  presque  commencé.  Le  musée  des  tableaux 
anciens  va  être  installé  dans  le  Palais  des  Beaux-Arts,  rue  de  la 
Régence. 

C'est  la  question  d'incendie,  dont  l'urgence  s'est  affirmée 
depuis  le  sinistre  de  l'Université  libre,  qui  a  emporté  la  résolu- 
tion. 

Nous  en  sommes  surtout  satisfaits  au  point  de  vue  de  la  sépa- 
ration entre  les  œuvres  anciennes  et  les  œuvres  modernes. 
Celles-ci  souffraient  vraiment  trop  du  voisinage.  L'affreuse 
médiocrité  de  la  plupart  des  tableaux  contemporains  achetés  par 
le  gouvernement  s'affirmait  lamentablement  quand,  sans  transi- 
lion,  on  allait  du  passe  au  présent.  _^ 


*••  ■ 


Désormais  ces  tristes  machines,  qui  furent  pendant  quelques 
années  considérées  comme  des  chefs-d'œuvre,  seront  entre  elles 
et  pcul-éire  paraîtront-elles  moins  piteuses. 

Cette  raison  devrait  être  signalée  comme  la  principale,  alors 
que  de  tous  côtés  on  ne  parle  que  de  précautions  administratives 
au  point  de  vue  de  la  conservation.  Y  a-t-il  de  la  logique,  en 
effet,  si  vraiment  les  modernes  ont  une  valeur  sérieuse,  à  les 
laisser  exposés  aux  dangers  du  feu  dont  on  va  préserver  leurs 
aînés?  .  .  ■ 

Il  y  a  des  incendies  intelligents.  Celui  qui  récemment  a  détruit 
la  hideuse  salle  académique  de  l'Université  a  fait  preuve  d'une 
raison  supérieure.  L'avenir  nous  en  réserve  peut-<ître  de  non 
moins  perspicaces  pour  l'expurgation  du  Musée  moderne,  tant  de 
peinture  que  de  sculpture.  •  . 

Tout  au  moins  notre  direction  des  Beaux-Arts  devrait-elle, 
plutôt  que  de  se  fier  à  cet  heureux  hasard,  y  regarder  davantage 
avant  d'acquérir  les  choses  nauséeuses  qui  rendent  le  Musée 
moderne  aussi  désagréable  que  le  pont  d'un  navire  secoué  par  le 
langage  et  le  roulis. 

Les  événements  ne  cessent  de  lui  faire  la  leçon  :  depuis  cin- 
quante ans  elle  n'a  pas  su  acheter,  au  bon  moment,  un  bon 
tableau.  Toutes  les  personnalités  que  le  temps  a  consacrées  ont 
été  méconnues  par  elle.  Nest-il  pas  désolant  de  n'avoir  à 
Bruxelles  ni  un  Courbet,  ni  un  Manct,  ni  un  Millet,  ni  un 
Monet?  On  n'\'  pense  que  lorsqu'ils  sont  hors  de  prix.  Louis 
Dubois,  de  son  vivant,  n'a  jamais  eu  les  honneurs  du  Musée. 
Agneessens,  pas  davantage.  De  Groux  y  est  très  mal  placé. 

Il  faudrait  crier  sans  cesse  contre  un  système  qui  n'accorde  de 
faveurs  qu'aux  médiocrités  sournises  et  bien  en  cour,  et  s'obs- 
tine à  tenir  à  la  porte  les  vrais  latents  s'ils  sont  insoumis  et  libres 
de  toute  attache  académique  ou  officielle. 

Toujours  a  côté,  toujours  trop  tard,  semble  être  la  devise 
de  nos  acheteurs  patentés. 


SCUIPTCRE 

C'est  dans  l'architecture  qu'aurait  dû  persister  tenacement  l'ori- 
ginalité. C'est  dans  le  monument  appartenant  à  tous,  c'est  dans 
la  maison  intime,  que  doit  être  marqué  par  les  traits 'tes  plus 
profonds  le  caractère  national.  C'est  là  où  doivent  être  accrochées 
aux  murailles,  enclavées  dans  les  cours,  encastrées  par  les  façades, 
les  toiles  des  peintres,  les  statues  et  les  sculptures  en  bas-reliefs 
des  sculpteurs,  c'est  là  que  devrait  tout  d'abord  se  rencontrer  la 
complète  expression  du  génie  artistique  d'un  peuple  et  d'une 
époque.  Chaque  civilisation  nouvelle  comporte  comme  un  nouvel 
arpentage  du  sol,  comme  un  inventaire  des  matériaux.  La  part 
du  passé  est  à  faire,  très  respectueusement,  mais  très  nettement. 
Certes,  il  faut  admettre,  pour  les  œuvres  de  ceux  qui  ont  vécu 
avant  nous,  tout  l'espace,  tous  les  soins  qui  vont  avec  les  conces- 
sions à  perpétuité  pieusement  accordées.  Les  pics  et  les  mar- 
teaux des  bandes  noires  sont  de  misérables  et  vils  instruments, 
trop  souvent  encore  maniés  aujourd'hui.  Les  vieilles  masures  ne 
doivent  pas  plus  être  démolies  que  les  livres  ne  doivent  être  brû- 
lés. Mais  ceci  dit,  n'apparaîi-il  pas  que  nul  rapport  ne  peut  exis- 
ter entre  l'art  d'hier  et  l'art  de  demain?  L'art  d'hier  n'est  grand 
et  admirable  que  parce  qu'il  a  rompu,  lui  aussi,  avec  l'art  de  la 
veille.  L'humanité  vivante  ne  peut  s'acharner  à  ressusciter  l'hu- 
manité morte.  Quelques  efforts  qu'elle  y  dépense,  elle  ne  pourra, 


d'ailleurs,  y  parvenir.  D'avance,  il  peut  être  prédit  que  le  but  ne 
sera  jamais  atteint.  Passer  son  temps  à  imiter  est  la  basse  occu- 
pation des  époques  de  transition,  sans  désir  et  sans  passion,  plus 
nulles,  plus  haïssables  que  les  époques  de  décadence.  Les  tem- 
ples écroulés,  les  cathédrales  rongées  par  la  rouille  des  mousses 
parasites,  les  tours  démantelées,  les  pierres  effritées,  les  inscrip- 
tions tombales  où  manquent  des  lettres,  sont  faits  pour  la  rêve- 
rie des  historiens  et  des  philosophes,  et  non  pour  servir  de 
modèles  aux  artistes.  Chaque  siècle  doit  apporter  sa  formule.,  Le 
siècle  révolu  ne  doit  que  l'exemple  de  son  originalité. 

Ces  réflexions  élémentaires  no  peuvent  constituer  une  explica- 
tion louangeuse  des  œuvres  exposées  chaque  année  par  les  archi- 
tectes. La  critique  chercheuse  de  nouveau  ne  trouve  pas  son 
compte  dans  ces  agglomérations  de  copies  et  de  pastiches.  Quel- 
ques artistes,  pourtant,  parmi  cette  cohue,  montrent  dès  inquié- 
tudes, font  des  tentatives.  Il  est  possible  qu'un  mouvement  se 
produise,  qu'un  courant  se  forme,  si  quelques  études,  quelques 
discussions,-  quelques  vives  polémiques  s'engagent  autour  des 
vieillots  et  académiques  recommencements,  aulour.des  essais  et 
des  trouvailles.  • 

C'est  l'Ecole  qui  règne  en  maîtresse,  ce  sont  les  architectes 
dits  Romains  qui  sont  en  majorité.  Le  type  de  construction  habi- 
tuellement admis,  c'est  la  Maison-Carrrée.  La  colonne  est 
employée  partout  et  toujours,  à  tort  ou  k  raison.  Le  chapiteau 
est  ordinairement  dorique,  ionique  ou  corinthien,  rarement 
toscan  ou  composite.  Tout  est  calculé,  mesuré  d'avance,  sans 
qu'un  écart  soit  possible,  sans  que  l'imprévu  vienne  déranger  une 
combinaison.  La  longueur,  la  largeur,  la  hauteur  des  différentes 
parties  de  l'édifice  sont  établies  d'après  des  proportions  invaria- 
bles, .banales  et  usées  comme  des  modèles  d'écriture.  Les 
dimensions  d'une  colonne  étant  données,  on  peut  dire,  sans  une 
erreur  d'un  centimètre,  ce  que  seront  l'architrave  et  l'entable- 
ment, la  frise,  la  corniche  et  le  fronton.  Il  ne  s'agit  plus  des 
nécessités  d'atmosphère,  des  conditions  de  vie  sociale,  supé- 
rieurement comprises  par  les  architectes  de  l'antiquité.  Ce  n'est 
plus  aujourd'hui  qu'une  question  de  règle  et  d'équerre.  L'humi- 
dité de  notre  air  désagrégeant  la  pierre,  on  découpera,  on  tri- 
chera, on  obtiendra  les  effets  d'ensemble  par  des  armatures  de 
fer  cachées.  Le  fronton,  qui  doit  dessiner  exactement  le  toit, 
servira  à  tous  les  usages,  deviendra  un  dessus  de  porte,  sera 
appliqué  sur  un:  fond.  La  corniche,  détournée  de  son  rôle,  sera 
employée  à  tout  hasard,  comme  un  ornement  sans  utilité.  Ce 
n'est  même  pas  de  l'art  grec  qu'on  s'inspire,  de  cet  an  si  facile 
aux  adaptations,  si  habile,  si  souple.  Cet  arl-Ià  n'Ja  pas  encore  la 
rigidité  de  règles  nécessaire;  il  admet  que  les  proportions  soient 
brisées  par  l'élargissement  d'une  porte,  que  la  base  des  colonnes 
soit  grossie  et  que  leur  sommet  subisse  une  inclinaison,  que  les 
allées  de  colonnes  soient  plantées  obliquement  pour  que  le 
regard  en  enfile  la  perspective  entière.  Non,  c'est  l'art  romain 
qui  est  proclamé  impeccable  et  immuable.  C'est  cet  art,  qui  a  sa 
raison  d'être,  cet  art  des  durs  faiseurs  de  roules  et  d'aqueducs 
qui  ont  militarisé  la  grâce  de  l'Atlique,  c'est  cet  art  d'ingénieurs 
qui  inspire  le  xix*  siècle.  Quand  une  nécessité  de  coquetterie 
vient  s'ajouter  à  ce  respect  d'écoliers,  on  enjambe  quelques  siè- 
cles, on  va  jusqu'à  la  Renaissance  italienne,  on  mélange  les  styles 
et  les  époques,  on  recherche  les  impossibles  mariages  de  lignes, 
on  incruste  des  colonnes  de  temple  dans  des  murs  de  cathédrale. 

11  ne  s'agit  pas  seulement  des  reconstructions,  des  adaptations, 
des  reproductions  de  mosaïques  et  de  corniches.  Ce  sont  là,  pour 


les  élèves  de  l'Ecole,  les  travaux  de  début,  les  notes  de  voyages. 
On  sait  que  les  professeurs  se  prononcent  furieusement  contre 
l'art  dit  «  utilitaire  »,  que  les  compositions  sont  mal  classées 
lorsqu'il  y  a  eu  préoccupation  de  l'échappement  de  la  fumée,  de 
Técoulcmenl  dos  eaux.  Mais  qu'on  passe  sur  ces  exercices,  qu'on 
rcfijarde  l'ensemble  et  les  détails  des  monuments  «  modernes  » 
réalisés  par  ceux  qui  ont  reçu  renseiçjnement  ofliciol.  On  sera 
stupétié  de  voir  à  quel  point  l'Ecole  continue.  Et  il  arrive  que  ceux 
qui  n'ont  jamais  passé  le  seuil  de  l'Ecole,  sont  soumis  et  allcn- 
lifs  autant  que  les  lauréats.  Que  ce  soit  niaisan  particulière  ou 
établissement  national,  tombeau  ou  monument  comniémoralif, 
que  la  construction  doive  s'élever  à  Paris  ou  à  Marseille,  à  Lyon 
ou  à  Moscou,  h  Barcelone  ou  îi  Bucharest,  jamais  le  rapport  ne 
sera  aperçu  entre  l'atmosphère  et  l'architecture  extérieure,  entre 

/  la  destination  spéciale  du  monument  et  sa  disposition.  Ce  seront 
toujours  les  mêmes  aspects,  les  mêmes  proportions,  les  mêmes 
ornemenlations.  y 

Le  travail  érudil  de  recherches,  l'application  au  pastiche, 
constatés  chez  les  architectes  romains,  se  retrouvent  dans  l'école 
adverse, -ce.'le  des  architectes  diocésains.  Mais  ceux-ci,  au  moins, 
n'ont  pas  été  quérir  leur  idéal  au  delà  des  inontagnes  et  des 
mors.  Ils  ne  sont  partis  ni  pour  la  Grèce,  ni  pour  Rome,  ils  sont 
restés  en  France  aux  xiv*' et  xv''  siècles.  Ils  ont  voulu  retrouver  l'art 
national,  ils  se  sont  consacrés,  à  la  suite  de  Violet-le-Duc,  leur 
maître  incontesté,  à  sauver  les  monuments  du  passé.  L'art  qu'ils 
pratiqui^t,  quelques-uns  avec  une  admirable  science,  est  surtout 
un  art  de  réparation,  de  reconstitution.  Oh  a  pu  en  voir  un  bel 
exemple  dans  la  restauration  de  l'hôtel  de  Bourgthéroulde  à 
Rouen.  L'agencement  des  portes,  des  fenêtres,  des  cheminées, 
des  escaliers,  des  balcons,  est  combiné  pour  la  facilité  de  notre 
vie  usuelle.  On  devine  la  structure  interne  des  logements  à  la 
simple  inspection  des  murs.  Les  vastes  toits  en  ptsntes,  les  mou- 
lures tombantes,  les  escaliers  extérieurs  bien  couverts,  indiquent 
la  prévision  des  neiges  qui  sc^ournent,  des  ondées  de  pluies  qui 
remplissent  des  journées  entières.  Lh,  dans  ces  constructions  rai- 
sonnées,  fiiites  par  des  artistes  et  des  ouvriers  du  pays  qui  savaient 
pourquoi  ils  disposaient  de  cette  façon  et  non  de  telle  autre,  les 
poutres  et  les  moeHons,  il  est  évident  qu'on  peut  trouver  des  indi- 
cations précieuses,  des  points  de  repère  d'une  incontestable  utilité. 
Mais  notre  vie  a  changé.  Nous  ne  sommes  plus  des  mystiques  épris 
des  clairs-obscurs  de  l'art  gothique.  Les  métiers  ne  s'exercent 
plus  guère  dans  les  étroites  maisons  des  artisans.  Les  aggloméra- 

■  lions  d'individus,  la  démoralisation  de  la  société,  la  possibilité 
d'employer  des  matériaux  nouveaux,  commandent  une  nouvelle 
architecture,  moins  en  pittoresque  et  en  dentelures,  toute  de 
grandeur  et  de  simplicité,  l'architecture  de  nos  halles,  de  nos 

•  gares,  de  nos  palais  d'exposition  trop  vile  démolis,  tout  charpen- 
tés de  fer,  tout  éclairés  par  les  dômes  et  les  murailles  de  verre. 

Gustave  Geffroy.  [La  Juslice). 


JiE    JUF(Y    DE    -GJaND 


La  sévérité  du  jury  belge  de  l'Exposition  internationale  des 
Beaux-Arts  d'Anvers  qui,  l'an  dernier,  refusa  2,000  tableaux 
sur  2,400,  semble  avoir  fait  école.  Les  refus  d'admission  pour  le 
prochain  Salon  de  Gand  ont  dépassé  de  beaucoup  la  moyenne  à 
laquelle  on  s'était  débonnairement  accoutumé  avant  la  règle 
brusquement  et  énergiquement  pratiquée  à  Anvers. 


Tant  mieux  !  Il  est  temps  de  purger  notre  monde  artistique  des 
médiocres  qui  l'encombrent,  grûco  aux  fûcheuses  complaisances 
des  jurys  passés.  Aujourd'hui  que  tout  le  monde  peint,  écrit, 
versifie,  sculpte  et  musicole  dès  l'ûge  de  douze  ans,  il  est  plus 
que  jamais  opportun  de  n'admettre  en  public  que  les  vrais  artistes 
et  de  rénvover  les  autres  aux  distractions  de  la  vie  de  famille. 
Nous  sommes  obsédés  et  navrés  par  les  médiocrités. 

Certes,  ce"  nouveau  système  n'ira  pas  sans  quelques  injustices 
dans  les  deux  sens.  De  bonnes  œuvres  seront  écartées,  de  mau- 
vaises seront  admises.  Mais  mieux  vaut  cela  que  l'inondation  de 
misères  qui  déshonorait  les  expositions.  L'an  dernier,  nous  avons 
avec  opiniâtreté  défendu  les  membres  du  jury  d'Anvers  qui 
avaient  inauguré  ce  régime.  L'un  des  nôtres  était  parmi  eux. 
Cette  année,  nous  félicitons  vivement  MM.  Emile  Wauters  et 
Thomas  Vinçolte,  que  les  mécontents  accusent  d'avoir  été  les 
agents  actifs  de  cette  légitime  et  salutaire  proscri[)tion. 

Il  est  à  espérer  que  dans  l'avenir,  maintenant  que  la  glace  est 
rompue,  on  maintiendra  cette  discipline.  Nous  sommes  con- 
vaincus que  l'Art  sera  alors  rapidement  débarrassé  de  l'invasion 
qui  le  livre  à  une  concurrence  désespérante,  et  que  nos  exposi- 
tions ne  produiront  plus  sur  le  visiteur  cette  impression  immé- 
diate d'horreur  et  d'envie  de  fuir  qu'on  y  ressentait  en  ces  der- 
niers temps.  ,        "^^ 


^G^LANURE? 


Il  est  des  choses  qui  déplaisent  sans  que  la  plus  minutieuse 
analyse  puisse  dire  pourquoi;  ce  n'est  qu'au  goût  et  au  sentiment 
à  donner  raison  de  ce  qui  échappe"  à  toutes  les  règles. 


Après  les  belles  années  d^élan,  d'enthousiasme  et  d'audace  de 
la  jeunesse,  l'artiste,  à  part  la  pratique,  ne  fait  plus  de  sensibles 
progrès. 


La  philosophie  du  langage  est  une  histoire  naturelle,  et  lés 
langues  particulières  sont  autant  d'organismes. 


Il  ne  faut  pas  se  laisser  cristalliser  dans  les  cornues  acadé- 
miques. 


^ 

*■  * 


C'est  seulement  sur  le  terrain  des  principes  que  l'on  combat 
utilement  la  médiocrité. 


Ceux  qui  sont  constamment  à  la  recherche  de  la  nouveauté 
dans  l'expression,  ont  parfois  de  mauvaises  fortunes  :  ils  tombent 
dans  le  précieux  et  dans  le  phébus. 


Quand  les  œuvres  elles-mêmes  n'offrent  pas  une  certaine  con- 
sistance, il  n'y  a  rien  de  plus  puéril  que  d'attaquer  les  personnes. 


^ 
*  * 


On  peut  prendre  pour  médiocres,  et,  à  ce  titre,  négliger  des 
œuvres  que  la  postérité  se  chargera  de  remettre  en  leur  place;  on 
peut  aussi  discerner  de  prétendues  qualités  là  où  Tayenir  ne 
reconnaîtra  qu'irréparable  médiocrité. 


* 
*  * 


Si  la  valeur  classique  d'une  œuvre  dépend,  pour  une  part,  du 
degré  d'avancement  et  de  perfection  des  langues,  elle  dépend, 


pour  une  autre,  de  la  fidéliié  avec  laquelle  les  œuvres  traduisent 
l'esprit  national. 


JaA   f\EVUE   D'ART  DRAMATIQUE        \    ■ 

Le  journalisme  quotidien  répond  amplement  aux  besoins  de 
Taclualité,  et  lellc  est  la  rapidité  de  ses  inforniations  que,  dans 
son  désir  de  prévenir  la  curiosité  publique,  il  $e  trouve  parfois 
obligé  de  renoncer  à  la  satisfaire  complètement.  C'est  à  cette  loi 
du  renseignement  immédiat  qu'il  faut  attribuer  la  disparition 
graduelle  du  feuilleton,  et  cette  forme  de  la  critique  n'est  plus 
défendue  aujourd'hui  que  par  le  grand  talent  de  quelques  maîtres 
qui  laisseront  derrière  eux  la  place  vide. 

Aufisi  le  moment  a-t-il  paru  bien  choisi  pour  offrir  aux  amis 
dos  éludes  sérieuses  et  réfléchies  une  Revue  spéciale  et  unique 
en  son  genre,  —  si  l'on  veut  bien  considérer  que,  parmi  tant  de 
Revues  consacrées  aux  beaux-arts  et  à  la  littérature,  il  n'en  est 
pas  qui  traite  exclusivement  d'art  dramatique. 

La  matière  est,  d'ailleurs,  suffisamment  vaste.  En  effet,  elle 
embrasse  toutes  les  questions  relatives  à  la  littérature  drama- 
tique, à  l'esthétique  et  à  l'histoire  du  théâtre,  à  la  critique  musi- 
cale, à  l'art  de  la  scène  et  à  ses  branches  accessoires,  comme  le 
costume,  la  décoration  et  la  chorégraphie,  en  un  mol  tout  ce  qui 
louche  au  théâtre  de  tous  les  iemps  et  de  tous  les  pays. 

En  dehors  des  articles  de  fond,  la  Revue  d'art  dramatique 
accorde  la  place  qu'il  convient  îu  mouvement  dramatique,  et 
chaque  numéro  contient  la  critique  des  pièces  jouées  dans  la 
quinzaine,  une  chronique  musicale,  un  courrier  de  l'étranger 
rendant  compte  dos  œuvres  représentées  sur  les  principaux 
théâtres  des  pays  voisins,  enfin  une  revue  bibliographique  des 
ouvrages  relatifs  à  l'art  dramatique. 

Une  part  aussi  large  que  possible  sera  réservée  en  outre  aux 
recherches  piquantes  dans  le  passé,  — et  sous  diverses  rubriques, 
on  trouvera  classés  :  les  éphémérides,  faits  divers,  variétés, 
découvertes,  communications,  correspondances,  etc.,  qui  consti- 
tuent à  la  longue  l'histoire  théâtrale  d'une  époque. 

Lsi  Revue  a  art  dramatique  s'est  assuré  le  concours  des  écri- 
vains les  plus  compétents  sur  les  questions  de  théâtre.  Elle  paraît 
le  •1^''  et  le  lo  de  chaque  mois.  Elle  forme  quatre  forts  volumes 
in-S*^  par  année.  Paris,  un  an,  2o  francs  ;  étranger  (union  pos- 
tale), un  an,  28  francs;  le  numéro,  fr.  l-:2o. 

On  s'abonne,  sans  frais,  dans  tous  les  bureaux  de  poste  ou  en 
faisant  parvenir  le  montant  de  l'abonnement  à  M.  Dupret,  admi- 
nistrateur gérant,  3,  rue  de  Médicis,  à  f*aris. 


pETITE    CHROJSfIQUE 


On  écrit  de  Paris  au' (7wùfe7?2W6'itvz/ : 

MM.  Joseph  Dupont  et  Lapissida  viennent  de  s'arrêter  quelque 
temps  ici.  l'ne  des  principales  raisons  qui  ont  fait  quitter  un 
instant  le  Midi  à  M.  Dupont  était  l'audition  concertée  des  plus 
importants  fragments  de  la  Hulda^  de  César  Franck.  Cei  opéra 
Scandinave,  de  date  assez  récente,  est  de  M.  Charles  Grandmou- 
gin  pour  les  paroles.  Je  vous  en  ai  déjà  parlé,  à  propos  de  l'exé- 
cution, au  Trocadérp  et'  ailleurs,  des  charmants  fragments  -du 


ballet  et  de  la  belle  Marche  avec  chœurs.  La  musique  est  d'e  la 
pleine  maturité  du  maître,  et  les  directeurs  de  la  Monnaie  ont  été 
frappés  de  ses  beautés  expressives,  de  ses  effets  de  vigueur  et  de 
grâce;  M.  Dupont  en  particulier,  et  je  le  sais  de  la  meilleure  façon 
dont  on  puisse  le  savoir,  pense  de  cette  partition  le  plus  grand 
bien.  Il  n'y  aurait  donc  rien  d'impossible  à  ce  que  vous  entendis- 
.siez  quelque  jour  k  h  Monnaie  cette  «'uvre  qui,  bien  qu'écrite 
sur  une  donnée  Scandinave,  ne  rappelle  nullement,  ni  par  la  cou- 
leur de  l'ensemble,  ni  par  les  procédés  divers,  ni  par  le  système 
musical  général,  les  œuvres '.de  sujets  analogues,  tels  que  la 
Gwendoline  de  Chabrier,  le  Sigurd  de  Reyer,  ou  la  Tétralagie 
de  Wagner.  Tout  au  plus  pourrait-on  trouver  parfois  dans  l'har- 
monie une  teinte  de  Grieg  ou  de  Svendsen,  les  compositeurs 
norvvégiens. 


Il  n'y  a  pas  que  les  théâtres  de  France  et  de  Belgique  qui  tra- 
versent une  crise. 

Le' dernier- exercice  à  l'Opéra  de  Dresde  3  laissé  un  déficit  de 
466,708  marks,  plus  de  oOO, 000  francs. 

Le  roi  de  Saxe  est  généreusement  intervenu  ;  il  a  payé  la  diffé- 
rence. '  ,      "    , 


L'intendance  de  l'Opéra  de  Munich  annonce  deux  séries  de 
représentations  de  h  Tétralogie,  coïncidant  avec  les  fêtes  de 
Bayreulh.  La  première  série  de  représentations  aura  lieu  les  23, 
2o,  27  et  29  août,  la  seconde  les  13,  to,  17  et  il)  septembre. 


Les  représentations  de  Bayreulh  ont  réussi,  an  point  de  vue 
pécuniaire,  au  delà  de  toute  espérance.  Les  frais,  qui  sont  d'en- 
viron 300,000  marks  (37.ï,000  francs)  sont  largement  couverts. 
Il  y  aura  même  un  excédent,  qui  sera  remis  par  le  comité  des 
fêtes  aux  héritiers  de  Wagner.  Il  est  donc  dès  à  présent  certain 
que  l'an  prochain  les  représentations  pourront  avoir  lieu.  Le 
choix  des  œuvres  à  interpréter  ,n'est  pas  encore  définitivement 
arrêté.  On  parie  de  mettre  à  la  scène  les  Maîtres- Chanteurs  et 
de  reprendre  Parsifal. 

L'enthousiasme  provoqué  par  les  représentations  de  Tristan 
et  de  Parsifal  a  été  énorme.  La  salle  du  théâtre,  qui  contient 
près  de  quinze  cents  places,  est  pleine  tous  les  soirs.  Les  der- 
nières représentations  auront  lieu  les  19  et  20  courant. 

Les  journaux  quotidiens  ont  annoncé  déjà  la  grande  perle  que 
l'art  wagnérien  a  faite,  à  la  veille  des  représentations  de  Bay- 
reulh. Scaria,  l'un  des  plus  remarquables  chanteurs  des  drames 
de  Wagner,  vient  de  mourir.  Dans  une  de  ses  dernières  cause- 
ries, Jean  d'.\rdenne  lai  consacre  quelques  lignes  très  justes  : 

La  mon  de  ce  pauvre  Gurnemanz,  qui  vient  de  s'éteindre,  en 
la  .personne  de  Scaria,  dans  une  maison  de  fous,  à  l'heure  où 
l'on  reprenait  le  Parsifal,  à  Bayreulh,  offre  un  nouveau  prétexte 
aux  variations  exécutées  sur  le  thème  de  la  démence  wa-^^nérienne 
par  des  gens  que  leur  manque  de  cervelle  garaniit  eu.x-mémes 
conlre  toute  folie.  •         ^ 

Lorsque  Scaria,  après  avoir  créé  ce  rôle  de  Gurnemanz  en 
juillet  18S2,  vint  à  Bruxelles,  au  mois  de  janvier  suivant,  avec  la 
troupe  d'Angelo  Neumaun,  et  parut  dans  le  rôle  de  Wotan,  des 
Xibelungen,  il  n'avait  déjà  plus  la  puissance  que  nous  lui  avions 
connue;  le  Waiulerer  sembla  fatigué;  ce  crépuscule  des  dieux, 
que^Wotan,  las  d'errer,  appelle  de  ses  vœux,  dans  l'euirevue 


256                                                                  E ART  MODERNE                                                               • 

suprême  avec  Erda,  la  mère  des  abîmes,  commençait  (JoucerT|enl 
à  envelopper  l'homme. 

On  mit  cola  sur  le  compte  d'une  faiblesse  passagère.  Et  en 
effet,  quelques  mois  plus  tard,  à  Bayreulh,  le  vieux  Gurnemanz 
réapparaissait  avec  la  même  autorité  que  l'année  précédente.  On 
le  revit  "une  dernière  fois  en  1884  (l'an  passé,  le  théâtre  chôma), 
puis,  un  jour,  on  apprit  que,  atteint  d'un  accès  de  folie  subite, 
il  était  interné  dans  une  maison  de  santé.  Il  vient  d'y  mourir. 
Un  faux  Gurnemanz  conduit  maintenant  le  héros  Parsifal  à  ses 

destinées,  sur  la  scène  de  Bayreulh.  Jamais  on  ne  remplacera  le 
premier,  le  vrai,  le  seul  Gurnemanz  disparu  avcc'Scaria. 

La  Pléiade,  revue  littéraire,  artistique,  musicale  et  drama- 
tique. —  Sommaire  de  la  cinquième  livraison.  —  René  Ghil, 
Traité  du  Verbe.  —  Ephraim  Mikhael,  La  Dame  en  Deuil,  poésies. 
—  Charles  Van  Lerberghe,  Au  bois  dormant,  au  bois  rêvant, 
Invocation,   poésies.  —  Emile  Michelel,  Abischag,  poésie.  — 
Raphaël  De  Valero,  Paphos,  poésie.  —  Rodolphe  Darzens,  Chro- 
nique artistique.  —  Rodolphe  Darzens,  Chronique  littéraire. 

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leur  souscription  à  l'imprimeur  :  Veuve  Mpnnom,  26,  rue  de  l'In- 
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/ 


1^ 


^ 

«' 


Sixième  année.  —  N°  33. 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  15  Août  1886. 


L'ART 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


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REVUE  CRfflQÏÏE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,  un  an,  fr.  10.00  ;  Union  postale,  fr:  13.00.    —  ANNONCES  :    On  traite  à  forfait. 


Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 
t  administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


? 


OMMAIRE 


En  voyaoe.  Les  Gothiques  allemands.  —  Don  Juan  pianiste. 
—  Glanures.  —  Pathologie  littéraire.  —  Les  libéralités  aux 

COLLECTIONS    PUBLIQUES.    —    La    NATURE   ET   l'aRT.    —    PETITE  CHRO- 
NIQUE, —  Mémento  des  expositions  et  cokcouRS. 


ÎJN    VOYAQE 
LES  GOTHIQUES  ALLEMANDS. 

Un  Dieu  en  Irois  personnes  :  Durer,  Holbein  et  Cranach,  tel 
apparaît  l'art  gothique  allemand  à  ceux  qui  ne  l'ont  guère  étudié. 
Pour  le  connaître  et  le  dresser  superbe,  complexe,  grandiose,  il 
faut  avoir  la  patience  de  s'attarder  dans  les  musées  secondaires 
et  interroger  tels  tableaux  d'église  de  petite  ville  :  Augsbourg, 
Nuremberg,  Bambcrg,  Cassel.  Alors,  comme  il  se  hausse  d'une 
poussée  à  belle  hauteur,  comme  il  apparaît  profond,  multiforme, 
ténébreux,  comme  il  incarne  magnifiquement  cette  Germanie  du 
moyen-ûge  avec  ses  croyances  sauvages,  ses  piétés  barbares,  ses 
coutumes  mystiques,  et  combien  tel  maître  peu  connu  fait  oublier 
parfois  et  diminue  ceux  qui  portent  seuls  aux  yeux  de  tous  la 
gloire  artistique  de  leur  pays.  - 

Oh  !  les  primitifs  de  Cologne,  les  inconnus  d'abord,  qui  multi- 
plièrent sur  fond  d'or  gauflfré  toutes  les  douleurs  du  Christel 
toutes  les  joies  de  Marie,  puis  les  Willem  et  les  Stéphan,  et  cet 
étonnant  De  Bryn,  portraitiste  admirable,  caractérisant  avec 
minutie  et  puissance  les  grands  bourgeois  de  sa  cité  :  loque  de 


velours  sur  l'oreille,  loge  noire  à  plis  lourds  sur  l'épaule,  mains 
gantées  longuement  avec  des  bagues  à  l'index.  Enfin  les  vieux 
peintres  des  dessus  d'autel,  celui  de  la  Passion,  celui  de  la  Vierge, 
et  le  1res  chrétien  maître  du  Lijversbergh,  qui  s'en  vint  prendre 
à  Memling  sa  toute  divine  douceur  pour  y  mêler  de  la  suave 
mélancolie  allemande. 

Plus  tard,  l'école  de  Nuremberg  s'impose  victorieuse.  Durer  et 
Holbein  resplendissent.  Mais  à  côié  d'eux,  et  pourquoi  pas  au 
même  rang,  voici  Zeilblom,  Wolgemulh  et  surtout  Burgmair  et 
Grunewald.  Nous  désirons  souligner  ces  deux  derniers  noms. 

Burgmair  pèche  souvent  par  sécheresse  de  dessin  et  peint  noir. 
Ses  ciels  ont  des  dais  d'encre  suspendus  dans  leur  azur,  ses  per- 
sonnages, creusés  d'ombre,  se  découpent  en  images  crues.  Au 
moins  en  est-il  ainsi  au  musée  de  Munich  et  à  celui  d'Augsbourg. 
Pour  apprécier  les  meilleures  œuvres  de  l'arlisle,  il  faut  lui  faire 
visite  à  Nuremberg.  Ce  n'a  pas  été  un  de  nos  moindres  étonne- 
ments  que  de  l'admirer  là.  Deux  tableaux  :  quelques  Sainis  et  la 
Vierge  avec  Jésus.  Ce  dernier  est  un  des  plus  merveilleux 
gothiques  qui  soient.  •      ■ 

La- madone  est  assise  sur  un  banc  de  marbre,  surmonté  de 
panneaux.  L'architecture  en  est  curieuse  et  les  détails  annoncent 
la  Renaissance.  L'enfant,  dans  une  pose  un  peu  gauche,  s'apprête 
à  s'asseoir  aux  pieds  de  sa  mère.  A  droite,  un  paysage  embrouillé 
de  fleurs,  de  branches.  L'n  ciel  alourdi  de  nuages  sombres. 

Ce  n'est  pas  autant  l'expression  qui  frappe  —  quoiqu'elle  soit 
délicieuse  —  que  la  couleur.  Elle  fait  songer  aux  cuirs  dorés,  aux 
lâches  glorieuses  de  sang  et  de  pourpre,  aux  couchers  de  soleil 
à  travers  des  vitraux  anciens.  La  disposition  de  la  scène  rappelle 


certains  Gustave  Moreau,  où  des  Bethsabéos  et  des  Dianes  se  pareni 
sur  des  terrasses  d'ivoire.  La  végétation  inextricable,  et  pout-élre 
symbolique,  accentue  cette  ressemblance.  Outre  que  la  Vierge  a 
on  ne  sait  quel  mystère  de  physionomie  e^quelle  étrangeté  d'atti- 
tude. Ni  DUror,  ni  Holbein,ni  Cranach  n'ont  réussi  à  réaliser  une 
telle  apothéose  de  tons  chauds  et  fastueux  —  cela  lient  du  très 
grand  art,  cela  rayonne  comme  une  œuvre  unique,  cela  dépasse 
le  siècle  d'origine  et  parle  la  langue  de  notre  temps  avec  une 
divination  miraculeuse  d'accent. 

Grunewald  est  plus  surpreniant  encore.  A  Bamberg,  son  Rosaire 
le  montre  dessinateur  expérimenté.  A  Augsbourg,  sa  peinture  est 
quelconque.  A  Munich,  elle  se  hausse  jusqu'au  faire  d'un  maître. 
A  Cassel  resplendit  l'homme  de  génie.  Deux  panneaux  :  une 
Mo7Uée  an  Calvaire  ei  un  Crucifiement. 

Dans  cet  art  allemand  si  austère,  si  pur,  si  catholique,  que 
rien  ne  rebutait,  ni  les  réalités  du  corps,  ni  les  scènes  grotesques» 
Grunewald  sonne,  on  plutôt  tocsine  les  notes  féroces:-  Son  idéal 
semble  sortir  des  forêts  ;  son  pinceau  n'est  tenté  que  par  do  l'hor- 
reur et  de  répouvante,  sa  verve  disparaît  si  elle  ne  peut  exprimer 
de  la  torture  et  de  l'exaspération.  Ses  personnages,  ce  sont  des 
brigands  rencontrés  au  coin  des  bois,  ses  Christs,  des  larrons, 
ses  saint  Jean,  des  assassins.  Leurs  faces  griiflacent  de  méchan- 
ceté, leurs  corps  athlétiques  et  leurs  mains  sont  taillés  pour  des 
batailles,  la  nuit.  Même  les  Vierges,  Grunev^'ald  les  dessine  ter- 
ribles. Rien  ne  se  dévoile  moins  religieux  à  prime  vue,  et  pour- 
tant ce  n'était  qu'un  croyant  profond  et  naïf  qui  pouvait  peindre 
ainsi.  "•■  ..'^  :■•"■      "  ■"'■  ■•'■'■■■;    '•,•- 

Quand  on  parcourt  certairts  coins  de  pays,  en  Belgique,  l'Ar- 
denne,  en  Allemagne,  la  Souabe,  un  art  farouche  se  découvre 
encore  aujourd'hui  dans  certains  calvaires  construits  au  long  des 
routes  ou  parmi  des  carrefours  sylvestres.  Les  sculpteurs  de  ces 
pendus  divins  sont  soit  des  sabotiers  de  village,  soit  des  scieurs 
de  long.  Ils  croient  k  un  Dieu  sauvage  comme  eux  et  le  taillent  tel. 

Grunewald  obé-issail  à  une  inspiration  pareille. 

Son  crucifié  du  musée  de  Cassel  est  vert  et  pustule  de  caillots 
de  sang.  Les  pieds,  ils  sont  crispés,  tortionnairement;  la  tête,  un 
buisson  d'épines,  la  troue  et  la  dépèce;  les  mains,  elles  sont 
larges  ouvertes  et  les  bouches  de  leurs  deux  plaies  énormes  crient 
à  la  mort.  » 

Un  ciel  bourré  de  douleur  et  de  ténèbres,  stagne  sur  la  mon- 
tagne. Une  nature  sinistre  se  tait  effrayamment  autour.  Des  cas- 
sures rouges  la  zèbrent  ci  et  là. 

Marie  et  l'apôtre  regardent,  et  toute  une  menace  et  toute  une 
vengeance  luisent  en  eux. 

.   Là  couleur  du  tableau  semble  faite  avec  le  vinaigre  qui  imbi- 
bait l'éponge  du  bourreau  ;  elle  grince  et  hurle. 

Grunewald  était  contemporain  de  Durer  :  toute  la  gloire  est 
allée  vers  ce  dernier.  Celui-ci  est  plus  accessible,  plus  mesuré, 
plus  parfait.  Il  est  classique  et  rien  ne  heurte  l'admiration  quand 
elle  monte  jusqu'à  lui.  Pourtant,  on  ne  sait  quoi  d'excessivement 


personnel,  de  caractéristiquoment  teuton,  de  désespéramment 
humain  nous  attire  vers  l'autre.  Nous  trouvons  injuste  qu'on  ne 
place  pas  à  même  hauteur  ces  deux  gothiques,  et  pour  dire  toute 
notre  pensée,  nous  nous  sentons  enclin  à  dire  que  Grunewald 
mérite  le  premier  rang;  s'il  a  moins  de  talent  et  d'acquis  que 
Diircr,  il  a  peut-être  plus  .de  génie. 


ÇoN  Juan  pianiste 


Liszt  est  mort  !  De  mortuis  nil  nisi  bene.  Est-ce  dire  du  mal 
de  ce  mort  illustre  que  de  signaler  pour  quelle  part  des  circon- 
stances étrangères  à  l'art  contribuèrent  à  son  illustration? 

Permettez-moi,  lecteur,  de  m'y  risquer.  Il  y  a  huit  jours  vous 
avez  lu  ici  môme  une  très  décentCL  oraison  funèbre.  Place  aujour- 
d'hui, petite  place,  à  un  plus  libre  discours. 

Virtuose  extraordinaire,  crie-t-on  partout  dans  les  gazettes. 
Révélateur  de  Beethoven,  de  Mozart,  .de  Chopin!  Soit.  C'est 
l'écho  des  enthousiasmes  d'il  y  a  vingt-cinq  ans,  et  plus.  Il  était 
naturel  que  ces  vieux  bruits  revinssent  dans  les  articles  fabriqués 
à  la  veille  des  décès  imminents  des  hommes  éminents,  par  les 
reporters  habiles  au  maniement  des  encyclopédies  et  des  diction- 
naires de  la  conversation.  Croyons-en  sur  parole  nos  devanciers, 
nous  qui  ne  l'entendîmes  guère  et  admettons  que  sans  le  piano 
de  ce  Hongrois  célèbre,  Chopin,  Mozart  et  Beethoven  fussent 
demeurés  incompris.  '.     ^ 

Mais  cela  n'explique  que  la  moitié  du.  phénomène.  Rubinstein 
est,  lui  aussi,  un  grand  pianiste,  n'est-ce  pas?  lui  aussi  est  un  révé- 
lateur au  sens  qu'on  peut  attacher  à  ce  mot  lorsqu'il  s'agit  d'un 
instrument  si  singulier  et  si  notoirement  approximatif.  El  pour- 
tant il  n'a  jamais  joui  et  ne  jouira  jamais  de  la  notoriété  spéciale 
qui  résonne  autour  du  nom  peu  euphonique  de  ce  tzigane  adoré 
des  femmes. 

Car  on  peut  se  demander  ce  qui  subsiste  davantage  dans  le 
souvenir  quand  on  se  reméniore  l'existence  tapageuse  de  ce  con- 
dottiere de  l'art,  du  bruit  qu'a  fait  son  piano,  ou  du  bruit  qu'ont 
fait  ses  aventures,  toutes  du  même  ordre,  l'ordre  féminin  et  éro- 
tique.  Dès  les  premières  heures  de  sa  notoriété,  les  lauriers  musi- 
caux s'entremêlent  aux  myrtes.  Quand  il  apparaît  dans  un  concert, 
ce  que  regardent  avec  curiosité  et  gourmandise  les  centaines 
^'êtres  enjuponnés  serrés  sur  les  banquettes,  c'est  moins  le 
fameux  révélateur  que  le  grand  coureur.  Ce  dont  rêvent  les 
Danaés  sur  lesquelles  pleuvent  les  notes  à  défaut  des  disques 
d'or,  ce  n'est  pas  de  ses  mains  agiles  et  nerveuses  tracassant  son 
instrument,  mais  tracassant  leurs  personnes.  Comme  des  mouettes 
autour  d'un  phare,  c'est  par  nuées  que  voltigent  autour  de  lui  les 
cœurs  féminins,  et  la  nature  ayant  libéralement  doué  le  héros 
pour  faire  honneur  à  tant  de  convoitises,  la  légende  sans  cesse 
nourrie  d'aliments  nouveaux  prit  des  proportions  épiques.  Liszt 


ne  voyageait  plus  sans  ce  cortège  plaisant  de  femmes  de  tout  âge 
et  de  toute  condition,  admiratrices  à  moitié  folles  du  maître, 
rivales  jalouses  et  parfois  violentes.  Amour  et  musique,  hystérie 
et  virtuosité  se  combinaient  sans  cesse,  produisant  les  effets  ner- 
veux et  les  effets  magnétiques  les  plus  étranges  et  aboutissant  à 
une  renommée  compliquée,  résultante  de  facteurs  divers,  dans 
lesquels  finalement  on  ne  se  reconnut,  plus.  Il  s'agissait  d'un  grand 
homme,  à  n'en  pas  douter,  .ayant  le  masque,  l'allure,  la  mise  en 
scène  des  plus  grands,  mais  pourquoi  l'élait-il  :  élait-ce  Orphée 
ou  Don  Juan  que  l'on  admirait?  Cette  gloire  éblouissante,  qui 
l'avait  conquise,  du  mâle  ou  du  pianiste? 

Vraiment  quand  on  considère  la  situation  relativement  modeste 
en  comparaison  d'une  telle  royauté,  qu'a  pu  conquérir  Rubinstein, 
on  incline  à  croire  que  si  Liszt  n'eut  pas  été  si  vort  galant  il 
eut  eu  un  moindre  triomphe.  Quand  les  femmes  se  mêlent  de 
célébrer  ou  de  vilipender  quelqu'un,  les  résultats  sont  merveil- 
leux, toujours.  Que  de  ténors  en  pourraient  témoigner!  Heureux 
ceux  dont  elles  se  toquent.  Or,  jamais  ces  brebis  ne  se  toquèrent 
de  quiconque  plus  universellement  et  plus  éperduement  que  de  ce 
brillant  charlatan  de  musique  et  d'amour.  Et  comme  la  plupart 
sont  cousines  germaines  des  ouailles  de  Panurge,  aussitôt  que 
quelques-unes  des  plus  imposantes,  comtesses  et  princesses, 
eurent  sauté,  non  pas  à  la  mer,  mais  au  cou  de  notre  héros,  il 
n'y  en  eut  plus  guère  qui  ne  souhaitassent  en  faire  autant. 
Orphée,  écrivions-nous  tout  à  l'heure,  oui,  mais  à  rebours,  en  ce 
sens  qu'au  lieu  d'être  déchiré  par  les  ménades  en  proie  au  délire 
des  sens,  il  en  fut  baisé,  caressé,  délicieusement  obsédé  comme 
jamais  il  n'arriva  ni  à  mortel  ni  à  immortel. 

Dans  ces  derniers  temps  le  vieux  pacha,  fatigué  et  blasé,  mon- 
trait moins  d'ardeur.  Il  acceptait  encore  les  baisemfehts,  mais  de 
-^  main  seulement,  et  les  génuflexions,  pourvu  qu'il  n'eut  pas  à  les 
faire,  ir ne  jouait  plus  de  son  piano  magique,  dont  les  sons  fai- 
saient malgré  elles  venir  les  belles  entre  ses  bras.  Il  composait,  mais 
médiocrement  ;  ce  n'était  pas  son  affaire  de  donner,  mais  de  pren- 
dre; son  âme  n'avait  pas  les  prodigalités  du  génie.  On  a  fait  remar- 
quer avec  raison  qu'il  ne  s'était  brouillé  avec  aucune  de  ses  maî- 
tresses ;  il  les  quittait  simplement,  calmement,  comme  on  fait  quand 
on  n'a  pas  aimé  véritablement,  car  l'amour  vrai,  quand  il  rancit, 
devient  poison  et  déchaîne  la  fureur.  11  se  distrayait,  voilà  tout, 
et  l'a  fait  tout  au  Jong  de  sa  vie.  M  était  bien  exactement  Don- 
Juan,  ayant  remplacé  la  guitare  par  le  piano  et  ne  considérant 
cet  outil  amoureux  que  comme  un  accessoire.  Il  subsiste  de  lui 
le  sentiment  qu'il  fut  un  artiste  incomparable,  c'est  certain.  Mais, 
certes.  Don  Juan  en  était  un,  le  plus  enviable  peut-être,  et  certes 
le  plus  envié.  Ce  que  nous  venons  d'en  dire  n'est  donc  pas  fait 
pour  lui  nuire.  Quel  plus  bel  éloge  peut-on  faire  de  quelqu'un, 
que  de  proclamer  qu'il  fut  l'homme  le  plus  aimé  de  son  temps, 
que  jamais  être  humain  ne  produisit  rut  plus  universel  et  qu'il 

n'est  pas  de  femme  qui,  pensant  à  lui,  n'ait  eu  le  désir de  se 

livrer  à  lui! 


-G^LANURE? 


On  a  grande  chance,  en  semant  des  rapins,  de  récolter  plus 
tard  de  bons  bourgeois; 


^  '  Un  romantique  est  tout  simplement  un  classique  en  train  de 
parvenir,  et,  réciproquement,  un  classique  n'est  rien  de  plus 
qu'un  romantique  arrivé. 

■  *  * 

La  femme  est  essentiellement  réfractaire  aux  choses  de  la 
poésie  quand  son  amour-propre  n'y  est  pas  intéressé,  et  elle  ne 
comprend  vos  vers  et  vos  hommages  que  le  jour  où  votre  gloire 
les  lui  envoie. 

*•*■.■■ 

Abondance,  outrance,  impertinence!  chez  les  grands  comme 
chez  les  moindres,  effort  constant  vers  le  trivial  et  l'obscène 
qu'ils  vous  donnent  sous  couleur  locale,  tel  est  le  résumé  de 
tout  un  canton  de  l'art  actuel.  -       . 

Ce  qui  égratigne  l'épiderme  de  l'homme  du  monde  et  de  l'ar- 
tiste n'entame  seulement  pas  le  cuir  épais  de  l'homme  politique. 

■         ".*  •'■■■,.' 

•     .     ,.    ■  *  *  •       - .    .       ' 

Aujourd'hui,  de  très  jeunes  écrivains  publient  en  tête  de  leur 
premier  volume,  des  préfaces  d'auteurs  aussi  jeunes  et  aussi 
notoirement  inconnus  qu'eux-mêmes.    ' 

Cela  rappelle  l'histoire  de  cet  intrigant  qui  amène  un  de  ses 
pareils  dans  une  soirée  de  ia  haute.  "^^ 

—  Présente-moi,  dit-il,  je  te  présenterai  ensuite! 


PATHOLOGIE  LITTÉRAIRE 

Nos  lecteurs  se  souviennent  apparemment  des  éludes  que  nous 
publiâmes  l'été  dernier  sur  les  Déliquescents,  Décadents,  Incohé- 
rents, Verbolâlres,  Esotériques,  sous  le  titre  :  Essai  de  pathologie 
litlêraîre.  Ils  se  souviennent  moins  peut-être  des  criailleries  et 
piaulements  divers  qu'elles  provoquèrent  dans  les  hôpitaux  oxi 
avions  recueilli  nos  observations. 

Quelques-uns  de  ces  malades  en  sont  arrivés  à  la  crise  finale. 
Voici  le  résultat  d'un  accès  d'une  violence  qui  dépasse  tout  ce 
qui  avait  été  vu  jusqu'ici.  Le  cas  est  relaté  dans  la  revue  parisienne 
la  Vogiiej  n°  1  du  tome  II,  sous  la  signature  de  son  directeur 
M.  Gustave  Kahn.  , 

Vraiment  quand  nous  nous  risquions  à  prophétiser  ces  déli- 
quescences finales  et  incurables,  nous  ne  croyions  pas  si  exacte- 
ment dire.  Qui  donc  écrivait  dernièrement  que  c'était  fini,  ce 
mouvement  nosologique  ?  .       ^ 


A 


260 


UART  MODERNE 


Perdu  dans  le  regret  d'on  ne  sait  quel  vécu  — 
Il  susurre  en  la  ville  un  sou  d'inexpiable  — 
Et  lassés  sous  ce  morne  soleil  mal  convaincu 
De  sa  nécessité  d'apôtre  d'or  potable. 

■'■■  ■  '■   ■  r- 

Si  frêle  dans  les  soirs,  si  mornes  dans  les  laines 
Villes  qui  dormez  vos  ruines  à  ces  lacs 
Sabbats  fî^és  d'écarlates  aux  entrelacs     " 
Des  vitraux  éclaboussés  d'amour  pur  et  de  haine 
Remémorez  les  fictives  scènes. 

Sous  le  lourd  faix  du  temps  voûtez  les  épaules  — 
C'était  aux  soirs  envoûtés  le  ci'ime  inoubliable. 
Depuis,  les  pieds  au  feu,  un  manteau  de  pôles 
Et  passez,  et  passez  sous  la  lourde  relique 
Relique  au  crâne,  aux  yeux,  aux  mains 

Et  puis  passez 
Aux  sempiternels  demains 
f  Monotones  rongeurs  d'éternelle  réplique 

Dites-nous  vos  entités  ' 

Vos  blafardes  déités 
Vos  robustes  mentent  leur  obscurité 
Et  puis  passez,  souffrez,  évoquez  et  mentez. 

Très  lents, —  où  aller 
Placides,  —  que  faire 
Et  l'orgueil  confère     . 
.         Un  rythme  en  allé 

-•    Boire  et  puis  disparaître  aux  remous 

Résonner  et  disparaître  en  cycles  mous  • 

.     Courir  vers  la  fin  seule  de  la  faim* 

Dormir  enfin.         '  ;    - 

'.    Et  le  rêve  si  gris  de  simples  ambitions 
Et  de  vous  humbles  possessions 
Mirages  d'orages. 


Et  tout  est  tranquille  aux  plus  reculés 
Des  ramages  et  d'inutiles  forages 
En  des  sois  éculés. 


Le  mirage  trompeur  du  toi  que  tu  devais  — 
Regards  aux  boulevards  et  sourires  aux  lacs 
'     Emmitouflé  de  tes  la'cs 
Terne  je  m'en  vais. 

Ton  sourire  élargi  fut  le  leurre 

Et  les  fleurs 
Ont  paré  vainement  les  ors  de  ton  heure 

Tes  rythmes  vernis  par  des  mages  mercenaires 
Tes  yeux,  ta  bouche,  ta  voix 
Sans  cesse  s'exonère 

En  un  vague  aparté  d'un  merveilleux  pavois. 

Et  tes  reins  et  tes  seins 

Et  ta  lèvre  et  ta  fièvre 

Tout  est  mièvre,  tout  est  vain. 

Et  je  me  débats  des  ébats 
De  ta  norme  difforme.     • 


***' 


Chère  apparence  viens  aux^ouchants  illuminé» 
Veux  tu  mieux  des  matins  albes  et  calmes 

Les  soirs  et  les  matins  ont  des  calmes  rosâtres 

Les  eaux  ont  des  manteaux  de  cristal  irisé 

Et  des  rythmes  de  calmes  palmes 

Et  l'air  évoque  de  calmes  musiques  de  pâtres. 

Viens  sous  des  tentelets  aux  fleuves  souriants 

Aux  lilas  pâlis  des  nuits  d'Orient 
Aux  glauques  étendues  à  falbalas  d'argent 

A  l'oasis  des  baisers  urgents 
Seulement  vit  le  voile  aux  seuls  Orients  ; 

Quel  que  soit  le  spectacle  et  quelle  que  soit  la  rame 
Et  quelle  que  soit  la  voix  qui  s'affame  et  brame. 
L'oublié  du  lointain  dès  jours  chatouille  et  serre, 
Le  lotos  de  l'oubli  ^'est  fané  dans  mes  serres. 

Cependant  tu  m'aimais,  à  jamais 
Adieu. pour  jamais. 


LES  LIBÉRALITÉS  AUX  COLLECTIONS  PUBLIQUES 

La  Justice  annonce  que  M.  Cernuschi,  qui  possède  une  mer- 
veilleuse collection  de  bronzes  chinois  et  japonais  vient  de  faire 
don  à  la  ville  de  Paris  de  son  inestimable  musée.  Seulement,  ce 
don  ne  sera  suivi  d'effet  qu'après  la  mort  du  testateur,  La  collec- 
tion de  M.  Cernuschi  viendra  compléter  le  musée  Guimet,  com- 
posé de  tous  les  objets  relatifs  aux  religions  orientales.  Le  musée 
Guimet,  que  l'on  construit  en  ce  moment  avec  le  concours  de 
l'Etal  et  de  la  ville  de  Paris  sur  un  vaste  terrain  situé  en  bordure 
de  l'avenue  d'Iéna,  sera  complètement  installé  d'ici  à  dix-huit 
mois.  .  . 

Les  dons  aux  riiusées  publics  sont  fréquents  en  France.  Chez 
nous  ils  sont  rares.  Ils  témoignent  du  développement  de  l'esprit 
démocratique  chez  nos  voisins.  On  s'y  accoutume  de  pluà  en  plus 
à  celle  vérité  sociale  que  la  vraie  richesse  artistique  consiste  à 
jouir  par  la  vue  et  par  l'esprit  de  ce  qui  appartient  à  tous,  et  que 
la  manie  de  la  propriété  exclusive  est,  en  pareille  matière,  une 
très  misérable  infirmité. 

En  Hollande  cette  tendance  se  fait  jour  d'une  autre  façon.  Les 
amateurs  mettent  leurs  tableaux  ou  leurs  objets  curieux  en  pen- 
sion dans  les  musées  pour  un  temps  plus  ou  moins  long.  C'est  un 
bon  acheminement  vers  le  don  définitif. 

Les  grands  collectionneurs  ne  devraient  jamais  mourir  sans 
laisser  au  moins  un  bel  objet  au  public.  Qu'ils  songent  que  la 
plupart  du  temps  leurs  héritiers  s'empressent  de  tout  vendre, 
très  platement.  Par  haine  anticipée  de  ce  procédé  vulgaire,  les 
véritables  amateurs  ne  devraient-ils  pas  leur  enlever  la  disposition 
des  collections  qu'ils  ont  lentement  et  amoureusement  amassées. 


/ 


LA  NATURE  ET  L'ART. 

•    Squs  ce  tilre,  M.  Octave  Mirbeau  a  adressé  à  M.  de  Fourcoudj 
•  dans  le  Gil  Blas,  une  lettre  dont  nous  extrayons  ce  qui  suit  : 

A  propos  de  l'exposition  internationale  de  peinture,  vous  blâ- 
mez les  gens  de  se  laisser  aller,  ingénument,  à  une  admiration 
que  vous  jugez  inopportune  et  surtout  irraisonnée.  Pour  vous, 
qui  êtes  toujours  de  sangfroid,  qui  planez  dans  des  hauteurs 
sacerdotales,  inaccessibles  au  vulgaire,  celte  exposition  ne  sau- 
rait avoir  aucune  signification  artistique;  elle,  vous  est  même 
suspecte,  parce  que  vous  y  avez  vu  des  tableaux  de  M.  Roybel, 
de  M.  Charlemont,  de  M.  Van  Beers,  qui  dégageaient  une  mau- 
vaise odeur  de  commerce.  Vous  les  avez  donc  vus?  Moi  pas,  je 
vous  en  donne  ma  parole  d'honneur.  J'avais  cru,  au  contraire, 
qu'une  exposition  qui  réunit  les  œuvres  des  Cazin,  des  Claude 
Monet,  des  Renoir,  des  Rodin,  des  Besnard,  des  RafFaclii  —  vous 
ajoutez  môme  les  œuvres  de  M.  Edelfult,  qui  ne  sont  point 
quelconques,  en  effet,  et  celles  de  M.  Gervex,  qui  a  fait  votre 
portrait  —  pouvait  passer  pour  intéressante  et  significative;  car, 
il  n'y  a  i)as  si^longtemps  de  cela,  la  plupart  de  ces  artistes  étaient 
dans  l'impuissance  d'arriver  jusqu'au  public  ou  n'y  arrivaient 
qu'à  Iraftçrs  les_rires  des  uns  et  les  huées  des  autres.  Reportez- 
vous  aux  premières  expositions  des  Impressionnistes,  où  l'on 
allait  en  partie  de  plaisir,  ainsi  qu'on  va  à  la  foire  de  Neuilly, 
où  les  tableaux  étaient  traités  de  la  même  façon  que  les  monstres 
à  trois  tètes  et  à  dix  pattes  des  baraques  foraines,  où  des  hommes 

•  d'esprit  et  de  gaieté  déposaient  des  sous  sur  le  rebord  des  cadres, 
comme,  on  fait  dans  la  sébille  d'un  mendiant,  A  cette  époque, 
MM.  Claude  Monet  et  Renoir  n'étaient  point  parmi  les  plus  épar- 
gnés et  les  moins  insultés.  Ce  .qu'on  a  écrit  d'eux,  vous  vous  en 
souvenez.  Un  peu  plus  tard,  le  jury  du  Salon  reÏMSSi'itYAge  dai- 
rain.  une  très  belle  figure  de  M.  Auguste  Rodin,  sous  le  prétexte 
excessivement  comique  que  le  grand  sculpteur  avait  moulé  un  sol- 
dat belge,  —  de  ce  même  Rodin  dont  vous  admirez  si  fort  les 
bustes  et  dont  vous  n'admirez  pas  assez  les  superbes  éludes,  qui 
sont  d'un  art  tellement  puissant  et  tellement  nouveau  qu'elles 
vont,  soyez-en  persuadé,  révolutionner  toute  la  sculpture  mo- 
derne. Or,  voyez  ce  qui  se  passe  aujourd'hui.  Jadis,  les  Roybe^. 
les  Charlemont  et  les  autres,  dont  vous  parlez  si  justement, 
n'eussent  jamais  consenti  à  exposer  côte  à  côte  avec  les  Impres- 

*  sionnisles.  Aujourd'hui  ce  sont  les  Impressionistes  qui  tolèrent 
que  ces  mêmes  peintres  exposent  avec  eux.  La  différence  est 
notoire  et  significative  —  pardonnez-moi  ce  mot  que  vous  n'ai- 
mez pas  ;  —  elle  prouve  au  moins  que  nous  avons  fait  quelques 
progrès  et  marché  de  l'avant. 

Oh!  je  ne  prétends  pas,  croyez-le  bien,  que  l'éducation  du 
public,  en  matière  d'art,  soit  parfaite,  et  qu'elle  est  arrivée  au 
poml  où  nous  la  voudrions  voir.  Ces  lumières  franches  et  har- 


dies offusquent  toujours  un  peu  son  œil,  encrassé  par  les  bitumes 
anciens;  il  ne  peut  encore  se  plier  à  la  simplification  très  com- 
pliquée et  très  difficile  de  ce  dessin,  qui  dessine  l'impalpable  de 
l'air,  le  frisson  de  l'ombre,  qui  met  les  êtres  et  les-choses  en  leur 
milieu  atmosphérique,  au  risque  de  les  enlaidir  et  de  les  défor-~ 
mer,  comme  disent  \e^  doctrinards  de  l'Ecole.  Le  public  a  été 
depuis  si  longtemps  dérouté  par  le  dessin  à  contours  fixes,  par 
l'invariable  représentation  des  formes  convenues,  par  l'inflexibi- 
lité ennuyeuse  et  jolie  des  ensembles  académiques,  qu'il  s'étonne 
bien  un  peu,  n'y  étant  point  habitué,  dès  qu'il  se  trouve  en  pré- 
sence d'un  coin  de  nature  ou  d'hum'anilé  recréé  par  un  cerveau 
et  par  une  main  d'artisle.  Mais  il  ne  crie  plus,  mais  il  ne  rit  plus, 
mais  il  ne  lève  plus  les  bras  au  ciel  de  stupeur.  Trouvez-vous 
donc  que  ce  résultai  soit  aussi  indifft^rent  que  vous  le  dites? 

La  Nature!  voilà  un  mot  qui  revient  souvent  dans  vos  mani- 
festes !  La  nature  est  ceci;  la  nature  est  cela  ;  la  nature  est  tout. 
II  n'y  a  que  la  nature  !  Sans  doute.  Mais  le  malheur  est  que  la 


nature  pà^r  elle-même,  la  nature  telle  que  vous  la  comprenez, 
n'existe  paS;  La  Nature  n'est  visible,  elle  n'est  palpable,  elle 
n'existe  réellement  qu'autant  que  nous  faisons  passer  en  elle 
notre  personnalité,  que  nous  l'animons,  que  nous  la  gonflons  de 
notre  passion.  Et  comme  la  personnalilé  et  la  passion  sont  dif- 
férentes à  chacun  de  nous,  il  en  résulte  que  la  nature  et  fart  sont 
différents  aussi  et  qu'ils  revêtent,  les  formes  infinies  de  cette  per- 
sonnalité et  de  celle  passion.  ,  .   ;.  '• 

En  art,  il  n'y  a  point  de  règles  implacables  et  de  vérité  unique 
et  l'on  ne  peut  pas  dire  d'un  genre  qu'il  est  supérieur  à  un  autre. 
A  côté  du  métier  qui  importe,  certes,  mais  doit  rester  dans  les 
limites  restreintes  de  la  technique,  il  y  a  la  sensation,  c'est-à-dire 
l'expression  de  la  personnalilé.  Or,  le  mystère  d'art  consiste  dans 
le  plus  ou  moins  de  développement  de  celte  sensation.  Et  je 
retrouve  en  M.  Puvis  de  Chavannes,  avec  ses  hiéroglyphes  de, 
rêvé,  comme  vous  appelez  ses  œuvres,  des  sensations  plus 
inteinses,  et,  par  conséquent,  plus  nature  que  dans  M.  Roll,  qui 
se  borne  à  copier  la  nature,  froidement,  sans  émotion,  dans  son 
apparence  photographique  et  morte. 

C'est  ce  qui  vous  explique  que,  moi  et  beaucoup  de  gens 
comme  moi,  nous  admirons  des  œuvTes  très  dissemblables,  et 
que  tout  semble  beau  qui  contient  une  parcelle  de  personnalité 
et  de  passion,  c'est-à-dire  dé  nature.  L'art  ne  se  résume  point 
tout  entier  en  M.  Roll,  à  la  gloire  de  qui  vous  sacrifiez  le  passé, 
le  présent  et  l'avenir.  Je  suis  le  premier  à  rendre  justice  à  son 
talent  et  à  ses  efforls.  Je  sais  que  M.  Roll  sait  déjà  beaucoup. 
Mais,  en  vérité,  croyez-moi,  il  y  en  eut,  il  en  a,  il  y  en  aura 
d'autres  que  lui.   ,     .       '       ■ 


t 


262 


VART  MODERNE  v^ 


^ETITE    CHROjMlQUZ: 


Nous  parlions  derniôrdmonl  des  incendies  intelligents.  Le  bruit 
court  dans  les  ateliers  (lu'il  a  failli  se  former,  pour  la  manifes- 
tation d'aujourd'hui,  une  section  qui  se  serait  donncC'  pour  mot 
d'or.dre  de  mettre  en  pièces  les  statues,  bustes  et  monuments  qui 
déshonorent  quelques-unes  de  nos  rues  et  de  nos  places.  Voilà 
assurément  des  actes  de  vandalisme  auxquels  les  gens  de  goût 
auraient  applaudi.  Espérons  que  ce  sera  pour  une  autre  fois. 
Nous  prédisons  un  acquittement  triomphal  à  ceux  qui  accompli- 
raient celle  (jeuvre  d'assainissement. 


Les  concours  du  Conservatoire  royal  de  musique  de  Liège,  ont 
été  brillants  cette  année.  Un  fait  unique  dans  les  annales  des 
conservatoires  s'est  produit.  Un  concurrent,  M.  Smulders,  qui 
aspirait  à  la  pHis  haute  distinction  comme  pianiste,  a  pris  part 
au  concours  en  exécutant  un  concerto  de  sa  composition. 

Ce  concerto  appartient  au  mouvement  moderne  de  l'Art  ;  il  a 
obtenu  un  grand  succès.  Le  jury  el  le  nombreux  public  qui  se 
pressait  à  cette  audition  ont  salué  le  jeune  pianiste  de  leurs 
acclamations. 

De  pareils  résultatsfonthonneur  à  M.  Th.  Radoux,  le  directeur 
vigilant  et  éclairé  du  Conservatoire  el  dont  M.  Smulders  est 
l'élève  pour  la  composition. 


Très  vif,  très  inattendu,  très  encourageant,  le  succès  de  vente 
obtenu  \x  la  sixième  exposition  intei^nationale  el  triennale  des 
Beaux-Arts  de  la  ville  de  Namur.  ^ 

En  voici  le  relevé  officiel  :  J     . 

^'  '         Acquisitions  par  des  "particuliers.    , 

Arden,  Henry;  L'Escaut  en  Flandre.   _:, . ^_ _, :,__ 

,Capcinick,  Jean  ;  Fleurs.  <  «^ 

Cassiers,  Henri  ;  Haute  mer  à  Roscofï  (aquarelle). 

Caslilji},  Firmin  ;  Une  mare  à  Evere. 

Coenraets,  Charles  ;  Dans  la  serre. 

Coosemans,  J.-T.  ;  L'Amblève  à  Aywaille.  —  Automne. 

Crepin,  Louis;  Vue  des  quais.  —  Bruxelles. 

Daq^doy,  Armand;  Route  de  Forest.  —  Environs  de  Namur. 

Dandoy,  Auguste;  La  Meuse  à  Béez. 

Id.  Environs  de  Namur. 

De  Qucbedo,  M"«  Jeanne;  Paysage.  —  Un  coin  de  Campine. 
Id.  Géraniums. 

Id.  Pivoines  et  marguerites. 

De  Villermont,  M"«  Marie  ;  Les  rocbes  des  Adugeoirs,  à  Petigny. 

Gabriel,  P.-J.-C.  ;  Un  coin  de  ferme. 

Genisson,  G.  ;  Rue  «  Padry  les  Ro'ches  ».  —  Dinant. 

Godarl-Meyer,  M""";  Marina 

Godding,  Emile;  Deux  vietif  amis. 

Heymans,  Adrien-Joseph;  Chemin  en  Campine. 

Madiol,  Ad.-J.;  Le  docleur. 

Marinus,  Ferd.  ;  Prairies  de  l'Escaut. 
__  Id.  Embarquement  sur  Meuse. 

.    Monta,  Ed.  ;  Partition  nouvelle.  • 

Monligny,  Jules;  Chevaux  de  relais. 

Plasky,  Eugène  ;  Automne;  —  Campine. 


Raeymaekers,  J.  ;  Paysage. 

Ronner,  M"«  Alice  ;  Fruits  et  accessoires. 

Serrure,  Auguste;  Un  accident. 

*     Id.  ,  En  retard. 

Stallaeri,  Jos.;  L'éventail. 

Thémon,  Paul;  Bouges.  —  Effet  de  neige  (aquarelle),  '^ 

Van  Damme,  Franz:  Une  plage.  —  Escaut.         \ 
Webb,  Charles;  Chez  le  notaire. 

Acquisitions  par  la  Commission  {pour  la  tombola). 

Cassiers,  Henri  ;  La  marée  basse  à  Blankenberghe  (aquarelle). 

Dandoy,  Auguste;  Le  verger. 

Dassonville,  M"e  Maria  ;  Pavots. 

Dubois,  Paul-Maurice;  Flora  (buste  bronze). 

Ermel,  Alexis;  Dans  la  vallée  de  Burnot. 

Gabriel,  P.-J.-C.  ;  Vue  d'un  polder  hollandais.—  Vers  le  soir. 

Genisson,  G.;  Abbaye  de  Villers.  —  Le  cloître.  —  Effet  de 


neiffe. 


Heymans,  Adrien-Jos.;  Avril. 

Jochams,  H.  ;  La  diligence. 

Portielje,  Gérard;  Le  déjeuner  manqué. 

Tonglet,  Th.;  Paysage.  —  Crépuscule. 

Van  der  Haeghen,  Ed.  ;  Marin  au  repos. 

Van  Seben,  Henri;  L'élude. 

VVauters,  Camille;  Le  lever  du  brouillard. 

..  Acquisitions  par  la  province  de  Namur. 

Hagemans,  Maurice;  L'Escaut  à  Anvers. 

Hubert,  Alfred  ;  Trompette  d'artillerie. 

Vervloet,  Victor;  Le  baptistère  de  Borkhem.         :: 

Acquisitions- proposées  pour  le  musée  de  la  ville  de  Namur. 

Baron,  Th.  ;  Plateau  de  la  Mehaigne.  '  - 

Bouvier,  A.;  L'ouragan.  —  Marine. 

Marcelle,  Al.  ;  Le  bassin  de  la  maison  Hanséalique.  —  Anvers. 

Smits,  Eugène;  La  leçon  de  chant. 

Van  der  Hechl  ;  Germinal.  —  Verger  dans  le  Limbourg. 

Total  général  :  53  œuvres!  Nos  compliments  aux  organisa- 
teurs. Par  les  temps  de  crise  qui  courent,  c'est  un  résultat  mer- 
veilleux. ' 


La  Société  des  artistes  indépendants  ouvrira  le  21  août,  bâti- 
ment B,  rue  des  Tuileries,  près  du  pavillon  de  Flore,  son  expo- 
sition annuelle. 

Renseignements  :  19,  quai  Saint-Michel. 

Les  tableaux  appartenant  à  feu  Nieuv^renhuys,  vendus  par 
MM.  Christie,  Mansons  et  Woods,  formaient  une  partie  de  sa 
collection  car  quelques-uns  des  plus  importants  ont  été  vendus 
à  Bruxelles  en  1883.  H  y  avait  120  tableaux  dont  35  par  des 
peintres  modernes  de  l'école  hollandaise,  et  flamande,  le  reste 
étant  surtout  des  vieux  maîtres  de  la  même  école  avec  quelques- 
uns  d'italiens  el  français,  enlr'autres  un  chef-d'œuvre  du  Titien, 
intitulé  :  Tarquin  el  Lucrèce;  ces  tableaux  ont  atteint  en  général 
leur  valeur  quoique  dans  certains  cas  ils  ont  été  bien  en  dessous 
du  prix  qu'ils  avaient  ob(bnu  aux  ventes  précédentes.  Voici  les 
plus  hauts  prix  atteints  :  La  vision  de  Saint-Roch,  par  A.  Carracci, 
peint  pour  l'église  Sainl-Eustache- mais  acheté  par  le  Régent 


r,. 


UART  MODERNE 


263 


d'Orléans,  5,775  francs.  —  La  madone  et  l'enfant,  par  Perru- 
gino,  4,825  francs.  —  La  vierge  et  l'ejifant,  par  Raphaël,  5,000 
francs.  —  Tarquin  el  Lucrèce,  par  le  Titien,  i0,900  francs.  — 
Jeune  fille  occupée  à  traire  une  vache  rousse,  13,125  francs. — 
Une  fêle  champêtre,  4,200  francs,  son  pondant,  2,500  francs. — 
Portrait  de  Jean  Van  Eyck,  peint  par  lui-même,  acheté  par 
Sedelmeycr,  10,000  francs.  —  Un  cuisinier,  par  Rembrandt, 
acheté  par  le  même,  4,300  francs,  prix  peu  élevé  parce  que,  au 
moment  de  l'adjudication,  on  a  supposé  qu'il  pouvait  être  de 
Nicolas  Macs.  —  Perdrix  et  autres  oiseaux  par  Hondekœler, 
4,200  francs.  —  Faisans  dans  un  jardin,  11,000  francs.  —  Fleurs 
et  nids  d'oiseaux,  par  Van  Huysum,  10,000  francs.  — Un  vieux 
paysan,  par  Ostade,  7,000  francs.  —Une  rivière  en  Norwège, 
par  Ruysdacl,  10,800  francs.  —  Un  paysage,  13,750  francs.  — 
Le  coup  de  canon,  par  Van  Devell,  7,875  francs.  —  Chasse  à 
l'ours  en  1700,  grand  tableau,  19,700  francs.  —  Le  gardien, 
tableau  de  Teniers  ayant  appartenu  au  duc  de  Choiseul-Praslin, 
21,525  francs.  {Moniteur  des  Arts), 

Le  Moniteur  des  Arts  annonce  que  des  Américains,  admira- 
teurs de  François  Millet  viennent,  paraît-il,  d'acquérir  la  petite 
maison  qu'il  habitait  à  Barbizon  pour  en  faire  hommage  à  sa 
veuve. 

Nous  ne  pouvons  que  féliciter  les  hommes  de  cœur  qui  ont  eu 
celte  bonne  pensée  et  qui  vont  permettre  à  la  veuve  du  grand 
artisle,  si  méconnu  pendant  sa  vie,  si  admiré  après  sa  mort,  de 
vivre  désormais  tranquille  sous  ce  toit  jadis. témoin  de  tant  de 
labeurs  et  qui  vit  tant  d'espérances  déçues. 

On  sait  que  la  vente  des  tableaux  et  dessins  de  Millet  ne  pro- 
duisit pas  des  sommes  suffisantes  pour  l'entretien  de  sa  nom- 
breuse famille. 

La  ville  de  Cherbourg  doit,  assure-t-on,  lui  élever  un  monu- 
ment et  il  est  question  de  réunir  dans  une  exposition  à  Paris  les 
ceuvres  de  cet  artiste  sincère  dont  les  œuvres,  vendues  ii  bas  prix 
de  son  vivant,  ont  atteint  depuis  des  chiff*res  fabuleux  et  sont 
allé  enrichir  les  collections  étrangères. 

Bibliothèque  scientifique  populaire  publiée  sous  la  direction 
de  Camille  Flammarion.  —  La  Création  de  Vhomme  et  les 
premiers  âges  dé  l'humanité,  par  H.  à\i  Clcuziou. 

Une  nouvelle  science  vient  de  naître  :  la  Préhistoire. 

Les  premiers  âges  de  l'humanité  étaient^  naguère  encore,  ense- 
velis sous  le  voile  du  passé,  mais  des  milliers  de  vestiges  vien- 
nent d'être  découverts,  outils  et  armes  de  pierre  de  toutes  formes, 
haches,  marteaux,  flèches,  lances,  racloirs,  ossements  cassés  et 
taillés,  ustensiles  de  la  vie  quotidienne,  débris  de  cuisine,  orne- 
ments divers,  etc.,  etc. 

Le  ^ccès  de  la  publication  du  Monde  avant  la  création  de 
VHûmme  montre  quel  intérêt  on  attache  à  ces  questions  d'origi- 

>.  Après  avoir  assisté  à  la  formation  de  la  terre,  on  aimera  avoir 
^ous  les  yeux  l'histoire  primitive  de  l'humanité. 

L'ouvrage  paraît  en  livraisons  U  10  centimes  el  en  séries  à 
50  centimes.  Il  sera  illustré  d'environ  300  figures,  représentant 
lies  scènes  du  monde  primitif,  les  mœurs  et  coutumes  de  nos 
ancêtres,  leurs  outils  et  leurs  armes. 

On  peut  s'abonner  à  l'ouvrage  complet  reçu  franco  au  fur  et  à 
mesure  de  l'apparition  des  séries,  contre  un  mandat  de  dix  francs 
envoyé  aux  éditeurs  Marpon  el  Flammarion,  ^  Paris,  26,  rue 
Racine. 


MEMENTO  DES  EXPOSITIONS  ET  CONCOURS 

Amsterdam.  Exposition  (internationale)  d'artiste?  cont^emporains 
organisée  par  la  ville  d'Amsterdam.  Peinture,  sculpture,  architec- 
ture, gravure,  dessin,  lithographie.  Du  27  septembre  au  30  octo- 
bre 1886.  Délai  d'envoi  :- 23  aoùt-7  septembre.  Frais  à  charge  de 
l'exposant  à  l'aller,  à  charge  de  la  Commission  au  retour.  —  Six 
médailles  d'or,  chacune  de  100  florins.  —  Jury  de  sept  membres, 
dont  quatre  élus  par  les  exposants.  Joindre  à  l'envoi  le  nom  de  quatre 
candidats.  —  Les  jurés  ne  peuvent  concourir  pour  les  médailles.  — 
Renseignements  :  Commission  executive  de  l'Exposition  commu- 
nale, Amsterdam.  (J.  Luden,  secrétaire). 

Bruxelles.  —  Prix  du  Roi,  25.000  francs  offerts  : 

En  1886  (concours  exclussivement  belgo),  à  l'ouvrage  le  mieux 
conçu  pour  développer  chez  la  jeunesse  belge  l'intelligence  et  le  goût 
des  littératures  anciennes  et  modernes. 

En  1888  (id.),  au  meilleur  ouvrage-  sur  l'enseignement  des  arts 
plastiques  en  Belgique  et  siX^  le  moyerï  de  développer  l'art  en 
Belgique  et  de  le  porter  à  un  niveau  de  plus  en  plus  élevé. 

Les  ouvrages  destinés  à  ces  concours  devront  être  transmis  au 
Ministre  de  l'Agriculture,  de  l'Industrie  et  des  Travaux  publics,  à 
savoir  :  pour  le  prix  à  décerner  en  188^),  avant  le  le""  octobre  1886, 
et  pour  celui  à  décerner  en  1888  avant  le  "1"  janvier  1888. 

Florence.  —  Concours  (offert  à  tous  les' artistes  résidant  en  Italie) 
ipour  les  trois  portes  de  bronze  de  la  façade  de  Santa-Maria-del-Fiore 
(cathédrale).  Primes  de  4,000  francs,  pour  la  porte  centrale,  de 
5,000  francs  pour  chacune  des  portes  latérales,  accordées  aux  pro- 
jets choisis  (dessin  géométrique  en  clair-obscur,  développé  au  tiers 
de  la  grandeur  dexécution  ).  Délai  de  rigueur  :  31  octobre  188Ô.  Siège 
du  comité  :  Place  du  Dôme,  ^4,  Florence.  ' 

Milan.  —  Concours  (international;  pour  la  reconstruction  de  la 
façaile  de  la  Cathédrale  (le  Dôme)  en  harmonie  avec  le  style  du  mo- 
nument. —  S'adresser,  paur  le  programme,  à  l'hôtel  de  ville  de 
Bruxelles,  bureaux  de  la  6«  division,  de  dix  à  quatre  heures. 

Concours  Rubinstein.  —  Une  somme  de  vingt-cinq  milles  roubles 
a  été  placée  à  la  Banque  de  Russie  par  M.  Rubinstein.  Les  intérêts 
de  cette  somme  serviront  à  décerner  des  primes  musicales  aux 
compositeurs  et  aux  pianistes,  ainsi  qu'à  payer  les  frais  d'organisa- 
tion des  concours,  qui  seront  internationaux. 

Ces  concours  auront  lieu  tous  les  cinq  ans;  deux  primes,  chacune 
de  cinq  mille  francs,  seront  accordées  svit  à  deux  concurents,  soit  à 
un  seul  qui  serait  désigné  comme  compositeur  et  pianiste  de~premier 
ordre.  Au  cas  où  ces  primes  ne  seraient  point  décernées,  les  concur- 
rents n'ayant  pas  fait  preuve  de  supériorité  réelle,  on  pourra  accorder 
des  primes  secondaires  d'une  valeur  de  deux  mille  francs. 

Le  premier  concours  aura  lieu  en  1890.  Les  villes  désignées  pour 
les  jugements  à  intervenir  et  l'organisation  des  concours  sont  :  Saint- 
Pétersbourg,  Berlin,  Vienne  et  Paris. 

Toute  personne  du  sexe  masculin,  âgée  de  20  à  26  ans,  peut 
concourir,  quelle  que  soit  sa  nationalité.    ..  . 

•'  Le  programme  des  concours  comporte  :  1°  Pour  les  compositeurs  : 
concertos  avec  orchestre;  musique  de  chambre  et  autres  composi- 
tions pour  piano  sans  accompagnement  ;  2*  Pour  les  exécutants  : 
exécution  de  concertos  avec  orchestre,  musique  de  chambre  et  de 
solos  de  tous  genres,  (style  classique  ou  style  moderne). 

CouRTRAi.  —  Exposition  de  tableaux,  dessins,  gravures,  sculp- 
tures et  lithographies.  Du  22  aoiit  au  30  septembre. 

DuNKERiUE.  —  Exposition  (internationale)  d'aquarelles,  dessins  et 
cartons,  pastels,  miniatures,  émaux  et  faïences,  gravures,  lithogra- 
phies. 

Spa.  —  Exposition  des  Beaux- Arts.  Du  i*'  août  à  fin  septembre. 


Pour  paraître  le  20  octobre  prochain 


PAR  JULES  DESTRÉE  . 

Un  beau  volume  de  250  pages,  grand  in  8»,  imprimé  avec  luxe 
par  la  maison  Veuve  Monnom,  à  Bruxelles,  Prix  en  souscription, 
4  francs. 

Il  sera  tiré  quelques  exemplaires  sur  grand  papier  de  Hollande, 
qui  ne  seront  pas  mis  dans  le  commerce.  Le  prix  en  est  provisoire- 
ment fixé  à  5  francs  pour  ceux  qui  enverront,  avant  le  25  août, 
leur  souscription  à  l'imprimeur  :  Veuve  Monnom,  26,  rue  de  l'In- 
dustrie, Bruxelles. 


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poésies  par  Emile  VERHAERElSp 

Un  volume.  Paris,  Alphonse  Lemerre 

Prix  :  3  francs. 


LES  HILIGES  DE  SAINT-FRANÇOIS 

par  Georges  EEKHOUD 

Un  volume  Bruxelles,  Veuve  Monnom. 

Prix  :  5  francs. 


poésies  par  Georges  RODENBAGH 
Un  volume.  Paris,  Alphonse  Lemerre.       .. 
Prix  :  5  francs. 


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Nouveautés  musicales. 

KOETTLITZ,  M.  Op.  24.  -2  Feuillets  d'album,  pour  piano,  fr.  2-00. 

SAMUEL,  Ed.  Op.  14.  Tarentelle-Scherzo.  Fragment  sympho- 
nique,  à  4  mains,  fr.  2-50.  «^ 

DE  SWERT,  J.  Op.  44.  Impromptu,  pour  violoncelle  avec 
accompagnement  de  piano,  fr.  2  00.  —  Op.  45.  Le  Désir,  morceau 
de  s^on,  pour  violon  avec  accompagnement  de  piano,  fr.  1-75.  — 
Op.  46.  Rêverie,  pour  violon  avec  accompagnement  de  pian(),  fr.  1-75. 

HERRMANN,  Th.  Op.  28.  Marion-Ckivotte,  pour  violon  avec 
accompagnement  de  piano,  fr.  1-35.  ;     .  ^ 


BREITKOPFJL.HARTEL 

.JEPITEURS  DE  MUSIQUE 

BRUXELLES,  41,  MONTAGNE  DE  LA  COUR 


EXTRAIT  DES  NOUVEAUTÉS 

Juillet  1886.  '    • 

Dupont,  Auo.  et  Sandre,  Gust.  Ecole  de  piano  du  Conservatoire 
royal  de  Bruxelles.  Livr.  XXXI.  Hummel,  concerto  la  bémol,  fr.  5-00. 

NicoDÉ,  F.-L.  Op.  17.  Suite  symphoni que.  Partition,  fr.  18  75. 

ScHARWENKA,  X,  Op.  34.  2  dauses  polonaises  pour  piano.  N<>^  1 
et  2  à  fr.  1-25.  —  Op."  58.  4  danses  polonaises  pour  piano.  N°»  1,  3 
4  à  fr.  2-00.  NO  2  à  fr.  1-60.  '        ;  -      . 

Wagner,  Rich.  Prélude  de  Lohengrin.  Arr.  pour  piano  à  4  mains 
par  Gust.  Sandre,  fr.  1-60.  —  Morceaux  lyriques  tirés  de  Fristan  et 
Yseult.  Arr.  pour  piano  à  4  mains,  fr.  5-70. 


\ 


Bruxelles.  —  Imp.  Félix  Callewaert  père.  —  V*  Monnom  successeur,  rue  de  l'Indastvjl,  26. 


_r    ' 


Sixième  année.  —  N°  34. 


Le  NtrsiÉRO  :  25  centimes. 


Dimanche  22  Août  1886. 


L'ART 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


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ABONNEMENTS  :    Belgique,  un  an,  fr.  10.00;  Union  postale,   fr,   13.00.    —  ANNONCES.:    On  traite  à  forfait. 


Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  cornmunicàtions  à 
l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  Tlndustrie,  26,  Bruxelles. 


^OMMAIRZ 


En  voyaoe.  Le  nouveau  Musée  du  Luxembourg.  —  L'art  dans 
LA  RUE.  —  Pathologie  littéraire.  —  L'art  nouveau  dans 
4»  l'œuvre  ♦»,  par  Emile  Zola.  Le  plein  air.  —  Petite  chronique. 


ÎJn    YOYAQE 


LE  NOUVEAU  MUSÉE  DU  LUXEMBOURG 

On  entre  par  la  sculpture  :  une  salle.  On  passe  à  la 
peinture  :  plusieurs  salles,  grandes,  petites.  Jour  superbe, 
venant  d'en  haut,  franc,  abondant,  cru  dirait  un  classi- 
\  que,  le  vrai  jour  des  vrais  nausées,  montrant  tout,  ne 
mettant  pas  sur  tout  un  glacis  discret  d'ombre  et  une 
patine  uniforme,  comme  si  l'on  voulait  ménager  les  jeux 
malades  des  académiques  et  éviter  le  scandale  des  couleurs 
trop  bruyantes;  un  jour  qui  eût  réjoui  Rubens,  un  jour 
qui  rend  joyeux  parce  qu'il  rappelle  le  soleil  et^qu'on  y 
voit  resplendir  les  jeunes  chairs  ^es  spectatrices  qui  n'ont, 
pas  encore,  par  le  maquillage,  m  réparer  des  ans  l'irré- 
parable outrage.  Ah!  les  musées  où  illfait  toujours  plu- 
vieux par  la  grâce  des  lanterneaux  doubles  soigneusement 
matés;  où,  sous  prétexte  de  maintenir  une  lumière  égale 
on  engrise  toutes  choses,  et  qui,  lorsqu'il  pleut  vraiment, 
c'est-à-dire  lorsque  la  foule  bête  y  vient  en  vertu  de  cet 
absurde  préjugé  qu'on  ne  doit  pas  visiter  les  musées  quand 
il  fait  beau  dehors  et  que  le  soleil  nuit  à  l'aspect  de  la 
peinture,  se  transforment  en  caves  lamentablement 
tristes. 
La  sculpture  :  un  magasin  soigneusement  arrangé  qui. 


au  Bruxellois,  ramène  immédiatement  le  souvenir  impor- 
tun du  fameux  et  inévitable  chantier  de  Blaton-Aubert, 
étalant  sa  réclame  perpétuelle  jusques  au  franc-bord 
des  voies  du, chemin  de  fer  au  faubourg  de  Cologne. 
Une  demi-douzaine  de  belles  œuvres  se  perdant  dans  l'en- 
combrement des  achats  officiels  de  ces  vingt  dernières 
années,  plats,  vulgaires,  navrants,  grimaçants.  Un  assem- 
blage digne  de  la  double  rangée  de  fadaises  en  marbre 
qui  vous  reçoivent,  immobiles  et  maussades,  quand  on 
entre  au  musée  de  Bruxelles,  sauf  que  celles-ci  sont 
égayés  par  les  joviales  sarabandes  des  magots  de  Teniers 
qui  gambadent  sur  les  superbes  tapisseries  cachant  les 
murs.  Au  Luxembourg  cinq  séries  de  blancs  sujets  se 
développent  avec  la  régularité  d'un  cimetière  et  son  entas- 
sement bourgeois.  Blanc  partout,  comme  aux  dominos. 
L'impression  froide,  nénupharesque  que  produit  cette 
couleur  de  la  propreté,  sans  art  aussi  odieuse  que  la 
ligne  droite.  On  passe  vite  en  boutonnant  machinalement 
sa  jaquette  :  n'est-on  pas  en  Islande  ou  au  Spitzberg,  dans 
un  paysage  éclairé  par  le  pâle  soleil  du  cercle  polaire  ? 

Bon,  nous  voici  en  lieux  plus  tiôdes.  Peinture  partout^ 
Oui,  peinture  moderne,  contemporaine  plutôt,  puisque  ce 
Luxembourg  représente  les  limbes  où  les  tableaux  font 
dix  ans  de  purgatoire  avant  de  passer  au  Louvre,  ce  para- 
dis des  grands  dieux  où  n'entrent  que  les  élus,  sacrés 
par  deux  lustres  d'admiration  continue.  Voilà  juste 
devant  nous  les  éternels  Romains  de  la  décadence^  par 
Couture  :  il  parait  que  cette  œuvre,  tant  célébrée  jadis 
au  temps  du  romantisme  prenant,  reste  douteuse,  puis- 
qu'on la  maintient  ici  et  qu'elle  attend  en  vain  le  démé- 


nagement  sauveur.  Pas  mal  pourtant.  Quelques  bons 
morceaux  qui  ne  devaient  pas  déplaire  à  ces  messieurs  de 
la  commission.  Qu'est-ce  qui  les  empêche  de  donner  le 
passavant  ?  Les  nus  y  sont-ils  trop  réalistes  ?  Ces  bons 
romains  font-ils  trop  ouvertement  les  nécessités  de  la 
décadence  ?  Faudrait-il  une  décence  plus  dignement  offi- 
cielle ?  Ne  savons  :  qui  pénétrera  les  secrets  des  incon- 
séquences de  ces  aliborons  qui  se  mêlent  d'art  comme 
l'âne  de  la  fable  se  mêlait  de  gracieuseté. 

Passons.  Cherchons  vite  toiles  qui  vaillent.  Où  sont  les 
Millet,  les  Courbet,  les  Manet/les  Monet,  les  Rousseau, 
les  Daubigny,  les  Degas,  tout  ce  qui  fait  la  gloire  de 
l'École  française?  Ah  !  ben  oui  !  Nous  vous  en  donnerons 
des  Monet,  des  Degas  !  Nous  prenez-vous  pour  des  gens 
de  nôtre  époque?  Il  ne  manquerait  plus  que  cela.  Et  la 
mode,  monsieur!  et  les  formules!  et  les  règles  d'un  sage 
enseignement,  le  moyen  de  faire  du  beau  à  coup  sûr,  en 
suivant  des  recettes,  en  imitant  les  grands  maîtres!!! 
Voici  Monsieur  Bouguereau  et  voici  Monsieur  Cabanel, 
des  anciens  vraiment  respectables.  Que  dites-vous  de 
leur  excellente  tenue,  de  leur  distinction  parfaite?  Voyez, 
leurs  tableaux  ont  une  raie  au  milieu  de  la  tête  ;  si  vous 
pouviez  les  retourner,  vous  verriez  comme  elle  descend 
correcte  jusqu'au  bas  de...  la  nuque.  Voilà  des  peintres 
bien  élevés,  qu*on  peut  recevoir  dans  le  high-life.  Leurs 
toiles,  parfaitement  cirées,  ont  mérité  d'être  nommées  le 
désespoir  des  mouches,  ces  diptères  incongrus  n'ayant 
jamais  trouvé  le  moyen  de  s'y  promener  verticalement 
tant  la  surface  en  est  admirablement  lisse. 

En  effet,  voici  Monsieur  Bougereau  et  voici  Monsieur 
Cabanel,  et  autour  de  leurs  œuvres  d'autres  œuvres, 
avec  d'autres  noms,  mais  de  faux  noms  apparemment, 
car  ce  sont  encore  des  Cabanel  et  encore  des  Bouguereau. 
On  tombe  de  Chose  en  Machin,  alternativement  et  avec 
la  périodicité  d'un  pendule.      "     \ 

Où  sont  les  Regnault  ?  Le  Portrait  du  Général  Primy 
VExécution  au  Sérail?  Au  Louvre,  ceux-ci.  Non  pas  que 
la  direction  les  trouvât  meilleurs  que  d'autres  (c'eût  été 
forfaire  à  sa  nature  et  à  son  institution).  Mais  le  peintre 
est  mort  pour  la  patrie  :  ceci  lui  a  valu  de  faire  trouver 
sa  peinture  digne  d'entrer.  Une  distinction  civique,  quoi  ! 

Les  Courbet  aussi  au  Louvre,  sauf  un  buste  d'homme, 
accroché  dans  un  coin,  de  grand  style,  poussant  au 
noir  comme  trop  de  productions  du  Maître  ;  un  paysage 
aussi,  superbe,  contre  un  chambranle.  Ils  sont  au  Louvre, 
les  autres,  disons-nous  :  ÏEnterrement  à  Ornans,  le 
Combat  de  cerfs ^  le  Jeune  homme  tué  en  duel;  oui.  Mais 
dans  quelles  traitreuses  conditions  !  Ils  encombrent  une 
salle  sombre,  un  dessous  de  pavillon  ;  on  les  devine,  on  ne 
les  voit  pas,  et  le  mauvais  vouloir  des  arrangeurs  officiels 
est  tel  que,  si  Ton  a  de  bons  yeux,  les  trois  œuvres, 
admirables  on  le  sait,  dignes  des  plus  grands,  apparais- 
sent défigurées,  décomposées,  désemparées,  lamentables, 
horribles.  0  les  abominables  farceurs  qui  griment  ainsi 


d'obscurité  ou  de  fausse  lumière  les  redautaWes  rivales 
dont  la  force,  et  la  simplicité,  et  la  profonde  originalité 
rendraient  nauséeuses  leurs  fades  et  plates  productions. 
Voici  un  Millet  !  grand  comme  un  buvard,  et  dans  le  coin, 
^jaturellement.  Voici  un  Rousseau,  tout  aussi  important, 
tout  aussi  bien  colloque  :  «'Gardien,  où  sont  les  Manet?  »» 
— -  "  Il  n'y  en  a  pas.  Monsieur  ».  —  -  Et  les  Monet?  *— 
«♦  Oh!  Monsieur,  fi  donc?  »»  —  «  Les  Degas,  au  moins?  »• 
—  Il  ne  me  répond  plus  et  me  tourne  le  dos  ;  je  le  vois 
qui  me  signale  à  son  chef;  on  me  suit  maintenant,  je  suis 
surveillé;  je  me  ,hâte  d'aller  me  pâmer  et  m'exclamer 
devant  un  Tony  Robert  Fleury  (je  crois  que  c'est  ainsi 
que  ça  se  nomme  et  s'orthographie).  On  me  laisse  tran- 
quille. . 

Vous  lô  voyez,  lecteurs,  partout  les  mêmes,  ces  offi- 
ciels :  protecteurs  et  encourageateiirs  de  la  médiocrité, 
acquéreurs  de  platitudes,  dénigreurs  des  vrais  talents, 
contempteurs  de  toute  originalité,  admirateurs  de  leur 
nombril,  et  quel  nombril!  Le  Luxembourg  ne  le  cède  en 
rien  à  notre  galerie  moderne.  Il  n'a  acheté  un  Corot  que 
lorsque,  depuis  dix  ans,  on  cornait  aux  oreilles  de  ses 
administrateurs  que  Corot  était  un  des  plus  grands  du 
siècle;  et  encore  en  ont-ils  alors  acheté  un  mauvais  : 
allez-y  voir.  Ils  ont  carotté,  dans  des  ventes  de  deuxième 
ordre,  les  quelques  pauvres  petits  Millet  et  Rousseau  dont 
il  semble  qu'ils  ont  honte,  puisqu'ils  les  dissimulent  dans 
les  encoignures.  Ils  étalent  en  belle  place  les  émanations 
lunaires  de  M.  Henner,  mais  consignent  à  la  porte  tous 
les  jeunes  maîtres  comme  s'ils  étaient  de  simples  Dela- 
croix. ''  '■   '■-■■'■>,"■  ■  -  ■ 

Je  m'en  vais,  repassant  à  travers  les  cinq  rangées  des 
marbres,  toujours  à  la  gelée  blanche,  satisfait,  mais  seu- 
lement dans  la  case  cervicale  où  gîte  ma  logique  :  chez 
eux,  chez  nous,  toujours  la  même  chanson  finissant  par  le 
même  refrain  : 

Tout  pour  les  pasticheurs, 
Rien  pour  les  novateurs. 


L'ART  DANS  U.  RUE 

L'Art  dans  la  rue  !  L'Art  inconscient,  qui  se  fait  par  le  grou- 
pement des  foules,  dans  le  dëcor  d'un  quartier,  avec  le  soleil 
menant  sur  tout  son  glacis  jaune  pâle.  Les  forces  naturelles  tra- 
vaillant en  artistes  à  la  construction  d'une  œuvre  colossale,  mou- 
vante, éblouissante,  et,  par  l'impression  qu'il  s'agit  d'un  grand 
et  touchant  phénomène  social,  donnant  au  spectateur  l'efFerves- 
cence  et  l'ivresse  d'une  émotion  incompressible. 

Dimanche  dernier  nous  avons  subi  ce  trouble  durant  la  repré- 
sentation admirable  qui  fut  donnée  à  Bruxelles  par  vingt  mille 
acteurs  d'occasion  sur  la  scène  du  boulevard  Anspach,  dans  le 
décor  merveilleux  de  la  perspective  qui  a  pour  premiers  plans  la 
Bourse  à  droite,  l'Hôtel  Central  à  gauche,  et  pour  toile  de 
fond  le  Temple  des  Augustins,  auquel  le  regard  est  amené  par  les  . 
deux  profils  pittoresques  des  maisons  variées  qui  font  de  cette 
avenue  une  des  plus  curieuses  beautés  de  Bruxelles. 


LART  MODERNE 


267 


Il  faut  vraiment  ^Hrc  alleinl  de  celle  infirn)il(î  qui  rend  invisible 
le  monde  extérieur  qui  nous  enveloppe  en  rejetant  obstinémenl 
l'esprit  vers  les  conceptions  imaginalives,  pour  ne  pas  comprendre 
que  le  spectacle  auquel  on  a  assisté  là,  pendant  deux  heures,  vaut 
les  plus  belles  crdalions  artistiques,  auxquelles  s'ajoutait  la  vie, 
la  vie  vraie  n'ayant  pas  besoin,  pour  animer  la  scène,  d'un  effort 
de  notre  faculté  illusionnante.  Quand  nous  débarrasserons-nous 
de  la  manie  de  ne  trouver  l'art  que  dans  certaines  productions 
convenues,  tableau,  statue,  poème,  rattachées  à  une  personnalité 
unique,  et  discernerons-nous  qu'il  en  peut  surgir  de  plus  gran- 
dioses quand,  sans  le  savoir,  des  masses  travaillent  à  leur  tour, 
dans  les  villes  devenues  aleliers.  Esl-cc  là  fausser  la  notion  de 
l'art?  Non,  certes,  si  l'art  c'est  l'a'uvre  produite  par  l'homme  et 
dans  laquelle  nous  retrouvons  la  flamme  de  ses  sentiments,  de 
ses  joies  ou  de  ses  souffrances.  Qu'importe  qu'il  se  soit  dit  k 
l'avance  qu'il  voulait  faire  œuvre  d'artiste?  Pourquoi  faudrait-il 
qu'il  prît  ainsi,  avant  de  commencer,  une  posture  spéciale  et 
qu'il  fît  une  annonce  de  son  dessein?  En  quoi  de  pareilles  con- 
ventions pourraient-elles  influer  sur  ce  qui  sort  de  ses  efforts? 

Si  le  déroulement  de  la  vie  humaine,  dans  l'infinie  multiplicité 
de  ses  combinaisons,  amène,  pour  nous,  à  la  rampe,  des  comé- 
dies, des  drames,  des  pompes,  pourquoi  refuserions-nous  de  les 
voir  et  d'en  jouir  comme  si  un  autour  habile  les  avait  accom- 
modées? La  vue  d'une  belle  femme  qui  passe  ne  peut-elle  nous 
donner  la  commotion  artistique,cette  sensation  suprême  et  trou- 
blante qui  est  le  signe  du  beau  latent  comme  rétincelle  révèle 
l'électricité?  Certes  la  complexité  de  notre  sensibilité  nous 
masque  la  plupart  du  temps  ce  côté  délioal  des  choses.  Il  n'est 
pas  facile  de  s'abstraire  de  ses  sensations  les  plus  usuelles  et  de 
ne  voir  que  l'art  là  oii  la  vie  nous  sollicite  à  l'amour,  à  la  pitié, 
à  la  colère,  à  la  douleur.  Mais  n'est-ce  pas  habitude  plutôt  que 
réalité,  et  si  nous  recherchions  davantage  dans  les  fluctuantes 
ondes  des  événements  qui  nous  enveloppent  ce  qu'il  s'y  produit 
de  beau  sous  toutes  les  formes,  n'acquerrions-nous  pas  une  apti- 
tude que  nous  avons  limitée  faussement  aux  œuv.res  d'art  propre- 
ment dites? 

Voici  donc,  dans  ce  prodigieux  décor  urbain  que  nous  esquis- 
sions tout  à  l'heure,  un  cortège  étrange  qui  s'avance,  baigné  dans 
une  atmosphère  d'une  transparence  admirable  :  un  de  ces  jours 
de  soleil  venant  après  une  nuit  pluvieuse,  mettant  la  lumière 
dans  la  fraîcheur,  la  tiédeur  dans  le  froid,  en  si  justes  proportions 
que,  le  corps  assoupli  et  l'âme  heureuse,  on  pense  que  c'est  le 
vrai  temps  qu'il  devrait  faire  toujours.  Au  dessus  des  toits  et  des 
façades  non  encore  séchées  et  conservant  cette  belle  intensité  des 
tons  humides  qui  émerveilla  Fromentin  quand  il  connut  nos  pays 
du  Nord,  non  pas  l'azur  uniforme,  mais  une  marqueterie  vigou- 
reuse de  bleus  crus  et  de  blancs  mais  :  les  nuages  stagnants 
comme  de  gigantesques  nénuphars.  Sur  celte  immobilité  du  ciel 
et  des  édifices,  au  sommet  des  pignons,  à  tous  les  étages,  aux 
balcons,  aux  fenêtres,  au  dessus  des  portes,  le  balancement  et  le 
clapotement  vibrant  et  multicolore  de  centaines  de  drapeaux, 
énormes  papillons  agitant  leurs  ailes  de  rubis,  de  lapis,  d'émc^ 
raude,  de  topaze,  de  corail  sur  l'archileciure  de  la  ville 
enchantée. 

Dessous,  entre  les  berges  solides  et  hautes  des  maisons,  une 

onde  noire,  la  foule  contemporaine  avec  les  sombres  vêtements 

du  XIX*  siècle,  emplissant  tout  d'un  bout  à  l'autre,  tournant  en    ' 

■  remous  sans  fin  avec  une  rumeur  continue  comme  le  bruissement 

sonore  qu'on  entend  sous  bois  à  midi,  quand  faisant  silence,  on 


prête  l'oreille  aux  harmonies  du  monde  infini  des  insectes  bour- 
donnant dans  l'atmosphère.  - 

F'uis,  au  loin,  au  fond,  tout  à  coup,  un  bouillonnement,  et 
latéralement  l'apparition  d'une  bannière  vague,  horizontalement 
tendue,  glissant,  venant,  approchant  au  milieu  d'une  musique 
faible  encore  comme  un  rêve  :  effacement  des  couleurs  et  des  sons 
qui  semble  une  aube.  A  cet  appel  indécis  flottant  à  l'horizon, 
s'éveille  là,  près  de  nous,  un  clairon  :  il  lance  brutalement  sa 
fanfare  comme  s'il  criait  aux  armes,  et  des  soldats  courent, 
prennent  leurs  rangs,  s'alignent,  massant  un  bataillon  gris  et 
vert  sur  les  marches  et  contre  les  colonnes  de  la  Bourse  :  au 
dessus  des  shakos  les  baïonnettes,  droites  comme  des  paraton- 
nerres, ■ 

L'attention  n'est  pas  eux  :  tous  les  regards  vont  là-bas,  vers 
cette  coîonne  qui  arrive  au  pas  accéléré  :  devant  elle  un  dra- 
peau :  le  drapeau  rouge.  Maintenant  on  disg^ne  la  musique  : 
la  Marseillaise. 

Le  drapeau  rouge!  sa  hampe  est  foi/mée  d'un  faisceau  de 
piques.  Du  milieu  sort  la  hache.  Elle  poilte  le  bonnet  phrygien. 
Et  derrière,  les  hommes  ont  tous  un  runan,  une  cocarde,  une 
fleur  rouge,  rouge,  toujours'  roilgo.  Pourquoi  pas  les  couleurs 
nationales?  Si,  pourtant,  les  voici  :  mais' voilées  d'un  crêpe  et 
portées  bas,  humiliées  sous  le  farouche  emblème  écarlate,  dres- 
sant lui,  avec  audace,  avec  insolence,  sa  sanglante  flambée. 
Douloureux  symbolisme!  Que  d'espoirs  déçus  il  atteste  par  sa 
farouche  ironie!  Quelle  affirmation  impitoyable  qu'on  n'a  plus 
de  patrie,  qu'on  ne  veut  plus  avoir  confiance  !  '        , 

Le  défilé  roule  avec  sa  palpitation  continue  de  têtes  comme  si 
le  cortège  entier  était  un  long  serpent  précipitant  sa  respiration. 
Les  visages  s'imbnquent  les  uns  aux  autres  comme  des  écailles 
et  les  jambes  fonctionnent  actives  comme  les  pattes  d'un  mon- 
strueux myriapode.  De  temps' à  autre  une  grande  clameur,  un 
meuglement  de  plésiosaure,  ou  bien  une  mélopée,  sourde  et  sou- 
terraine, dirait-on,  quand  ce  sont  des  gosiers  de  mineurs  qui  la 
chantent,  perçante,  lénorisante,  moins  lugubre  si  ce  sont  des  voix 
habituées  au  plein  air. 

Et  constamment  des  drapeaux  rouges  succédant  aux  drapeaux 
rouges,  plantés  dans  la  masse  et  surgissant  pareils  à  l'empennage 
de  flèches  gigantesques  dont  un  archer  invisible  aurait  criblé  le 
python  populaire.  Et  constamment  le  bonnet  phrygitn  dressant 
au  dessus  sa  corne  symbolique.  El  constamment  la  Marseillaise 
sortant  ici  bruyante  et  claire,  là -bas  moins  distincte,  plus  loin 
seulement  murmurante,  respiration  harmonique  et  farouche, 
scandant  la  marche,  et  par  le  désordre  même  des  rythmes  se 
mêlant  à  contretemps,  avec  des  appuis  sourds  de  tambour  et  de 
grosse  caisse,  donnant  au  défilé  de  celte  immense  théorie  une 
allure  barbare  et  épique. 

Les  métiers  succèdent  au.x  métiers  avec  leurs  cartels,  leurs 
écussons,  leurs  banderoles,  leurs  gonfauons  portant  des  inscrip- 
tions menaçantes  ou  suppliantes,  ironiques  ou  terribles.  Partout 
où  tombe  le  regard,  sur  les  casqueltes,  sur  les  brassards,  sur  les 
poitrines,  sur  le^  rubans  en  sautoir  des  femmes,  sur  les  tonneaux 
des  canlinières,  un  cri,  muet  mais  d'une  étonnante  éloquence, 
français,  tlamand  :  Suffrage  universel,  Algemeen  .stemrecfU !  Et 
un  autre  priant  et  ordonnant  sous  les  hampes  à  pique  des  éten- 
dards :  Amnistie!  Voici  les  Bruxellois,  voici  les  Ixellois,  voici 
ceux  de  Saint-Gilles  et  de  Molenbeok.  Voici  Anvers,  voici  Gand, 
marchant  avec  la  discipline  et  la  décision  d'hommes  qui»  mieux 
peut-être  que  les  autres,  savent  ce  quils  veulent  et  où  ils  vont, 


268 


UART  MODERNE 


où  ils  iront.  Voici  Liège  avec  une  buée  de  gaîlé  qui  circule  de  la 
colonne  à  la  foule,  joyeux  saluls,  interpellations  goguenardes, 
poignées  de  mains  à  des  inconnus,  appels  plaisants  allant  et 
venant  en  une  partie  de  raquettes  ininterrompue.  Voici  les  bouil- 
leurs, les  puddleurs  :  la  fatigue,  raffaissemenl,  l'épuisement  de 
leurs  travaux  d'esclaves  traînent  leurs  pas  même  en  ce  jour 
solennel.  Quand,  derrière  la  haie  de  la  foule,  ils  aperçoivent  les 
uniformes,  postés  là  et  guettant,  leurs  durs  visages  de  martyrs 
prennent  quelque  cbose  des  contractions  qu'ils  avaient  sans  doute 
lors  des  fusillades  de  Roux  et  des  incendies  de  Jumet.  Gare  à 
vous,  les  aveugles,  qui  pensez  qu'on  résout  de  tels  problèmes 
avec  des  cartouches  !  Gare  à  vous!  Si  le  fusil  bourgeois  a  ses  tra- 
ditions, la  pique  plébéienne  a  les  siennes. 

Depuis  une  heure  le  flot  coule.  Le  soleil  épanche  sur  lui  sans 
interruption  sa  brillante  rosée  d'or.  Maintenant  les  cris  et  les 
applaudissements  des  spectateurs  font  au  cortège  un  accom- 
pagnement continu  comme  le  calme  grondement  des  marées  sur 
le  sable.  Le  public  a  compris  le  sens  de  ce  grand  spectacle  et  y 
sympathise.  Les  bravos  partent  comme  au  théâtre.  On  ne  voit 
plus  simplement  des  hommes  qui  passent,  curieusement  regar- 
dés :  l'émotion  s'est  éveillée,  elle  a  gagné  de  proche  en  proche, 
la  salle  est  électrisée.  La  salle,  oui,  la  salle  immense,  la  rue,  les 
places,  les  carrefours.  C'est  le  peuple  qui  joue  et  c'est  le  peuple 
qui  assiste.  Si  un  instant  l'esprit  se  reporte  vers  les  représenta- 
tions du  théâtre,  comme  il  les  sent  petites  et  artificielles  devant 
cet  art  imprévu  et  grandiose,  layarit  son  symbolisme  comme  s'il 
avait  été  imaginé  et  combiné  par  le  cerveau  d'un  poète.  Le  cœur 
vibre  et  s'émeut,  l'ivresse  vient,  le  désir  et  l'élan  vont  vers  les  évé- 
nements héroïques.  . 

C'est  Byron,  n'est-ce  pas,  qui,  décrivant  le  prélude  épique  de 
Waterloo,  les  régiments  impériaux  allant,  au  son  des  musiques 
militaires,  avec'leurs  uniformes  étranges,  prendre  leur  position 
de  bataille,  sous  un  ciel  chargé  de  nuages,  dans  une  trombe 
d'acclamations  frénétiques,  a  dit  :  «  Quiconque  vit  cela,  éprouva 
en  une  heure  les  sensations  de  dix  années  de  vie  !  » 

Oui,  l'art  est  là,  dans  son  expression  la  plus  sublime,  quand 
les  foules  prennent  les  rôles,  surtout  aux  jours  de  tragédies 
héroïques.  Ce  que  nous  avons  vu  dimanche  n'est  sans  doute 
qu'un  prélude.  La  pièce  suivra.  Inutile  de  retenir  sa  place.  Le 
destin  se  charge  de  la  donner  à  chacun,  comme  acteur  dans  le 
cirque  ou  comme  spectateur  sur  les  gradins. 


PATHOLOGIE  IITTÉRAIRE 

t  ■  ■         ■ 

Nous  avons  donné  dans  noire  dernier  numéro  un  échantillon 
de  la  poésie  déliquescente  telle  qu'elle  se  comporte  présentement, 
parfaitement  insolente  et  fière  nonobstant  les  attaques  dont  elle 
a  été  l'objet. 

Nous  passons  aujourd'hui  à  un  morceau  de  prose.  Assurément 
il  vaut  l'autre. 

Nous  l'extrayons  de  la  cinquième  livraison  (juillet  4886)  d'une 
revue  parisienne  :  La  Plé'iade,  dont  nous  avons  dernièrement 
donné  le  sommaire.  Il  est  signé  René  Ghil. 

C'est  extraordinaire,  comique,  et,  finalement,  lassant. 

TRAITÉ  DU  VERBE         ' 
Une  œuvre 

A  Quelques-uns,  hautains  et  humbles  vouloirs  que  sacre  une 


tristesse  quand  ils  songent  à  l'Art  qui  n'agenouille  maint  fervent, 
le  salut  du  poète  dont  ils  ne  dédaignèrent  le  livre.  Ce,  malgré  de 
l'Avant-propos  mis  à  de  premières  pages  la  candide  déraison  par 
eux  généreusement  négligée  pour  aller  droit  aux  Vers,  amour  un 
peu  de  ces  esprits. 

Quand  la  Méthode  est  déterminée  et  lorsque  je  respire  en 
l'adéquate  possession  de  mon  idée,  quelques  mots  sont  à  dire  de 
l'œuvre  qu'elle  réglera  :  les  livres,  aux  Titres  divers,  mais 
logiquement  et  étroitement  liés  qui  sous  le  Titre  générique  — 
«  légendes  de-Réve  et  de  Sang  »  —  s'harmonieront. 

Au  Terme  par  mon  signe  montré  six  arriveront  :  mais  qu'à 
mon  caprice  cher  l'on  n'en  veuille,  alors  qu'en  pleine  ouverture 
du  dessein  quant  au  dernier  il  met  sur  mes  lèvres  son  doigt 
rappelant  le  respect  au  silence  saint. 

Avec  une  naïveté  glorieuse,  en  mes  yeux  éblouis  des  gestes  de 
la  Vie  le  désir  s'énamoura  dé  les  toutes  mouvoir,  les  inextricables 
gloires  rameuses  !  en  l'horizon  de  mes  lointaines  pages. 

Savoir  éluder  et  savoir  élire  est  le  propre  de  vieillir.  Or  le  laps 
de  mois,  il  me  "semble  que  les  rivières,  des  saisons,  se  sont 
fleuries  et  désolées,  et  que  des  ans  sur  mes  épaules  se  sont 
aggravés. 

Ne  discernant  des  deux  phrases  au  latin  rude  (Propter  solum 
uterum,  mulier  est  id  quod  est.  Totus  homo  semen  est)  la  simple 
et  dernière  vérité,  aveuglément,  moi  qui  voudrais  en  la  magné- 
tique atmosphère  des  Etres  émanée  donner  du  Vivre  l'intime  et 
rythmique  symbole  et  sa  raison  sereine,  je  me  perdais  aux  détails 
oiseux. 

Car  la  seule  digne  Histoire  du  sang  et  du  rêve,  n'est-ce  pas,  de 
l'initial  Tressaillement  du  prime  plasma  qui  veut  sentir  à  l'extase 
de  l'Homme  génial,  la  lutte  par  la  dualité  charnelle  et  idéale,  qui, 
dans  l'Amaliviié,  s'angoisse  de  ne  pouvoir  goûter,  égoïste,  le 
victorieux  repos  d'animal  ou  de  mage. 

Sous  les  détails,  intérêts  tristes  par  la  digression  des  Civilisa- 
tions créés,  au  profond  du  désir  de  Jouir  seule  et  puissante  vit 
l'éternelle  Caresse  :  oui,  qui  épand  la  Vie  ou,  blanchement 
stérile,  sourd  pour  le  rêve  des  Ames  :  Et  c'est  pourquoi  de 
l'esse^ntielle  Amativilé,  sang  et  rêve,  mes  «  légendes  »  seront  le 
Combat  intestin,  faisant  vers  l'apothéose  concluante  élue  par  la 
sévère  déduction  un  Vainqueur  s'ériger. 

Sans  visage  et  sans  âme,  aux  énormités  du  Rien-encore,  en  la 
vaporeuse  touffeur  de  la  Terre  première,  d'une  palpitation  advient 
le  Désir  seul  d'être  et  de  multiplier  :  et  parmi  les  époques  de 
végétations  en  rut  de  vagues  et  monlucux  amours  accomplissent 
la  loi  d'où  sort  le  Mieux.  Mais  les  âges  luiront,  où,  par  les  portées 
meilleures,  à  la  noble  attitude  s'étant  érigée,  du  regard  vers 
l'aurore,  de  l'Homme  et  son  Amante  soupçonnant  le  Baiser  s'en 
ira  sur  la  route  sentimentale  la  prime  Marche  songeusement 
amoureuse. 

Ayant,  aux  monstrueux  lointains,  à  leurs  genèses  assisté,  du 
sang  et  du  rêve  désormais  le  moderne  regard  notera  la  lutte  :  ,el 
passeront  sous  le  regard  l'Homme  présent  et  l'Amie. 

Tendre  émoi  de  l'ignare  sommeil,  onde  sur  l'onde  et  vent  aux 
rameaux,  s'étonnant  de  l'antagonisme  l'Adolescence  écoute  en 
les  plumes  des  cieux  monter  l'orage  :  et  le  heurt  des  cris  de 
l'Age-mûr  appelle  :  et  du  malaise  silencieux  d'eau  morte  sur  les 
Ans-de-retour  plane  :  et  sur  la  Vieillesse  qui,  se  remémorant, 
s'en  va,  implore  le  doute  interrogateur  d'une  méditation  qui  de 
moins  en  moins  évague  :  car  à  l'interrogation  qui  n'est  sûre  du 
Vainqueur  par  le  retour  aux  souvenirs  une  réponse  quasi-pleine 


/ 


7 


est  donnée,  permellanl  d'ouvrir  à  la  lumière  le  livre  dernier. 
Si  me  garde  la  Vie,  el,  prenant  pitié  du  Travailleur,  vaillant  ! 
voilà  l'œuvre  qui  sera  :  après  ma  Poétique,  ma  Poésie. 


Ja'Af^T  NOUVEAU    DAN?    ((  L'C^UVRE  » 
*  par  Emile  ^ola.  .   . 

LE    PLEIN    AIR. 

Claude  vivait  dans  une  excitation  croissante. 

Les  courses  au  milieu  des  rues  tumultueuses,  les  visites  chez  les 
camarades  enfiévrées  de  discussions,  toutes  les  colères,  toutes  les 
idées  chaudes  qu'il  rapportait  ainsi  du  dehors,  le  faisaient  se  pas- 
sionner à  voix  haute,  jusque  dans  son  sommeil.  Paris  l'avait 
repris  aux  moelles,  violemment;  et,  en  pleine  flambée  de  cette 
fournaise,  c'était  une  seconde  jeunesse,  un  enthousiasme  et  une 
ambition  à  désirer  tout  voir,  tout  faire,  tout  conquérir.  Jamais  il 
ne  s'était  senti  une  telle  rage  de  travail,  ni  un  tel  espoir,  comme 
s'il  lui  avait  suffi  d'étendre  la  main,  pour  créer  les  chefs-d'œuvre 
qui  le  mettraient  à  son  rang,  au  premier.  Quand  il  traversait 
Paris,  il  découvrait  des  tableaux  partout,  la  ville  entière,  avec  ses 
rues,  ses  carrefours,  ses  ponts,  ses  horizons  vivants,  se  déroulait 
en  fresques  immenses,  qu'il  jugeait  toujours  trop  petites,  pris  de 
l'ivresse  des  besognes  colossales.  Et  il  rentrait  frémissant,  le  crâne 
bouillonnant  de  projets,  jetant  des  croquis  sur  des  bouts  de  pa- 
pier, le  soir,  à  la  lampe,  sans  pouvoir  décider  par  où  il  entame- 
rait la  série  des  grandes  pages  qu'il  rêvait. 

Un  obstacle  sérieux  lui  vint  de  la  petitesse  de  son  atelier.  Que 
faire,  dans  cette  pièce  en  longueur,  un  couloir,  que  le  propriétaire 
avait  Teff'ronlerie  de  louer  quatre  cents  francs  à  des  peintres,  après 
l'avoir  couvert  d'un  vitrage?  Et  le  pis  était  que  ce  vitrage,  tourné 
au  nord,  resserré  entre  deux  murailles  hautes,  ne  laissait  tomber 
qu'une  lumière  verdâtre  de  cave.  Il  dut  donc  remettre  à  plus  tard 
ses  grandes  ambitions,  il  résolut  de  s'attaquer  d'abord  à  des  toiles 
moyennes,  en  se  disant  que  la  dimension  des  œuvres  ne  fait  point 

le  génie. 

Le  moment  lui  paraissait  si  bon  pour  le  succès  d'un  artiste 
bravé,  qui  apporterait  enfin  une  note  d'originalité  et  de  franchise, 
dans  la  débâcle  des  vieilles  écoles  !  Déjà,  les  formules.de  la  veille 
se  trouvaient  ébranlées,  Delacroix  était  mort  sans  élèves,  Courbet 
avait  à  peine  derrière  lui  quelques  imitateurs  maladroits  ;  leurs 
chefs-d'œuvre  n'allaient  plus  être  que  des  morceaux  de  musée, 
noircis  par  l'âge,  simples  témoignages  de  l'art  d'une  époque  ;  el 
il  semblait  aisé  de  prévoir  la  formule  nouvelle  qui  se  dégagerait 
des  leurs,  cette  poussée  du  grand  soleil,  cette  aube  limpide  qui 
se  levait  dans  les  récents  tableaux,  sous  l'influence  commençant*^ 
de  l'école  du  plein  air.  C'était  indéniable,  les  œuvres  blondes 
dont  on  avait  tant  ri  au  Salon  des  Refusés,  travaillaient  sourde- 
ment bien  des  peintres,  éclaircissaient  peu  à  peu  toutes  les  palet- 
tes. Personne  n'en  convenait  encore,  mais  le  branle  était  donné, 
une  évolution  se  déclarait,  qui  devenait  de  plus  en  plus  sensible 
à  chaque  Salon.  Et  quel  coup,  si,  au  milieu  de  ces  copies  incon- 
scientes des  impuissants,  de  ces  tentatives  peureuses  et  sour- 
noises des  habiles,  un  maître  se  révélait,  réalisant  la  formule 
avec  l'audace  de  la  force,  sans  ménagements,  telle  qu'il  fallait  la 
planter,  solide  et  entière,  pour  qu'elle  fût  la  vérité  de  cette  fin  de 
siècle  ! 

Dans  cette  première  heure  de  passion  et  d'espoir,  Claude,  si 


ravagé  d'habitude  par  le  doute,  crut  en  son  génie.  Il  n'avait  plus 
de  ces  crises,  dont  l'angoisse  le  lançait  pendant  des  jours  sur  le 
pavé,  en  quête  de  son  courage  perdu.  Une  fièvre  le  raidissait,  il 
travaillait  avec  l'obstination  aveugle  de  l'artiste  qui  s'ouvre  la 
chair,  pOur  en  tirer  le  fruit  dont  il  est  tourmenté.  Son  long  repos 
à  la  campagne  lui  ayait  donné  une  fraîcheur  de  vision  singulière, 
une  joie  ravie  d'exécution  ;  il  lui  semblait  renaître  à  son  métier, 
dans  une  facilité  et  un  équilibre  qu'il  n'avait  jamais  eus;  et 
c'était  une  certitude  de  progrès,  un  profond  contentement,  devant 
des  morceaux  réussis,  où  aboutissaient  enfin  d'anciens  efforts  sté- 
riles. Il  tenait  son  plein  air,  cette  peinture  d'une  gaieté  de  tons 
chantante,  qui  étonnait  les  camarades,  quand  ils  le  venaient  voir. 
Tous  admiraient,  convaincus  qu'il  n'aurait  qu'à  se  produire,  pour 
prendre  sa  place,  très  haut,  avec  des  œuvres  d'une  notation  si 
personnelle,  où  pour  la  première  fois  la  nature  baignait  dans  de 
la  vraie  lumière,  sous  le  jeu  des  reflets  et  la  continuelle  décom- 
position des  couleurs.  ' 

Et,  durant  trois  années,-  Claude  lutta  sans  faiblir,  fouetté  par 
les  échecs,  n'abandonnant  rien  de  ses  idées,  marchant  droit 
devant  lui,  avec  la  rudesse  de  la  foi.  ' 

D'abord,  la  première  année,  il  alla,  pendant  les  neiges  de  dé- 
cembre, se  planter  quatre  heures  chaque  jour  derrière  la  butte 
Montmartre,  à  l'angle  d'un  terrain  vague,  d'où  il  peignait  un  fond 
de  misère,  des  masures  basses,  dominées  par  des  cheminées 
d'usine  ;  et,  au  premier  plan"  il  avait  mis  dans  la  neige  une  fil- 
lette et  un  voyou  en  loques,  qui  dévoraient  des  pommes  volées. 
Son  obstination  à  peindre  sur  nature  compliquait  terriblement 
son  travail,  l'embarrassait  de  difficultés  presque  insurmontables. 
Pourtant,  il  termina  cette  toile  dehors,  il  ne  se  permit  à  son  ate- 
lier qu'un  nettoyage.  L'œuvre,  quand  elle  fut  posée  sous  la  clarté 
morte  du  vitrage,  l'étonna  lui-même  par  sa  brutalité  :  c'était 
comme  une  porte  ouverte  sur  la  rue,  la  neige  aveuglait,  les  deux 
figures  se  détachaient,  lamentables,  d'un  gris  boueux.  Tout  de 
suite,  il  sentit  qu'un  pareil  tableau  ne  serait  pas  reçu  ;  mais  il 
n'essaya  point  de  l'adoucir,  il  l'envoya  quand  même  au  Salon. 
Après  avoir  juré  qu'il  ne  tenterait  jamais  plus  d'exposer,  il  éta- 
blissait maintenant  en  principe  qu'on  devait  toujours  présenter 
quelque  chose  au  jury,  uniquement  pour  le  mettre  dans  son  tort; 
et  il  reconnaissait  du  reste  l'utilité  du  Salon,  le  seul  terrain  de 
bataille  où  un  artiste  pouvait  se  révéler  d'un  coup.  Le  jury  refusa 
le  tableau. 

La  seconde  année,  il  chercha  une  opposition.  Il  choisit  un 
bout  du  square  des  Batignolles,  en  mai  :  de  gros  marronniers 
jetant  leur  ombre,  une  fuite  de  pelouse,  des  maisons  à  six  éta- 
ges, au  fond  :  tandis  que,  au  premier  plan,  sur  un  banc  d'un  vert 
cru,  s'alignaient  des  bonnes  et  des  petits  bourgeois  du  quartier, 
regardant  trois  gamines  en  train  de  faire  des  pâtés  de  sable.  Il 
lui  avait  fallu  de  l'héroïsme,  la  permission  obtenue,  pour  mener 
à'bien  son  travail,  au  milieu  de  la  foule  goguenarde.  Enfin,  il 
s'était  décidé  à  venir,  dès  cinq  heures  du  matin,  peindre  les 
fonds  ;  et,  réservant  les  figures,  il  avait  dû  se  résoudre  à  n'en 
prendre  que  des  croquis,  puisT^finir  dans  l'atelier.  Celte  fois,  le 
tableau  lui  parut  moins  rude,  la  facture  avait  un  peu  de  l'adou- 
cissement morne  qui  tombait  du  vitrage.  Il  le  crut  reçu,  tous  les 
amis  crièrent  au  chef-d'œuvre,  répandirent  le  bruit  que  le  Salon 
allait  en  être  révolutionné.  Et  ce  fut  de  la  stupeur,  de  l'indigna- 
tion, lorsqu'une  rumeur  annonça  un  nouveau  refus  du  jury.  Le 
parti  pris  n'était  plus  niable,  il  s'agissait  de  rétranglémenl  systé- 
matique d'un  artiste  original.  Lui,  après  le  premier  emportement. 


^ s_/~V 


tourna  sa  colère  contre  sou  tableau,  quil  déclarait  menteur, 
déslionnôle,  exécrable.  C'était  une  leçon  méritée,  dont  il  se  sou- 
viendrait :  est-ce  qu'il  aurait  dû  retomber  dans  çc  jour  de  cave  de 
l'atelier?  est-ce  qu'il  retournerait  îi  la  sale  cuisine  bourgeoise  des 
bonshommes  faits  de  chic?  Quand  la  toile  lui  revint,  il  prit  un 
couteau  et  la  fendit. 

Aussi,  la  troisième  année,  s'enrac^ea-t-il  sur  une  œuvre  de 
révolte.  Il  voulut  le  plein  soleil,  ce  soleil  de  Paris,  qui,  certains 
jours,  chaufteà  blanc  le  pavé,  dans  la  réverbération  éblouissante 
des  façaJes:  nulle  part  il  ne  fait  plus  chaud,  les  gens  des  pays 
brûlés  s'épongent  eux-mêmes,  on  dirait  une  terre  d'Afrique,  sous 
la  pluie  lourde  d'un  ciel  en  feu.  Le  sujet  qu'il  traita  fut  un  coin 
de  la  place  du  Carrousel,  îi  une  heure,  lorsque  l'astre  tape 
d'aplonib.  Du  tiacre  cahotait,  au  cocher  somnolant,  au  cheval  en 
eau,  la  tête  basse,  vague  dans  la  vibration  de  la  chaleur;  des 
passants  semblaient  ivres,  pendant  que,  seule,  une  jeune  femmec, 
rose  cl  gaillarde  sous  son  ombrelle,  marchait  à  l'aise  d'un  pas  de 
reine,  comme  dans  l'élément  de  ilamme  où  elle  devait  vivre. 
Mais  ce  qui,  surtout,  rendait  ce  tableau  terrible,  c'était  l'étude 
nouvelle  de  la  lumière,  celte  décomposition,  d'une  observation 
très  exacte,  et  qui  crontrecarrait  toutes  les  habitudes  de  l'œil,  en 
accentuant  des  bleus,  des  jaunes,  des  rouges,  où  ])ersonne  n'était 
accoutumé  d'en  voir.  Les  Tuileries,  au  fond,  s'évanouissaient  en 
nuée  d'or;  les  pavés  saignaient,  les  passants  n'étaient  plus  que 
des  indications,  des  lâches  sombres  mangées  par  la  clarté  trop 
vive.  Celte  fois,  les  camarades,  tout  en  s'exclamant  encore,  restè- 
rent gênés,  saisis  d'une  même  inquiétude  :  le  martyre  était  au 
bout  d'une  peinture  pareille.  Lui,  sous  leurs  éloges,  comprit 
très  bien  la  rupture  qui  s'opérait;  et,  quand  le  jury,  de  nouveau, 
lui  eut  fermé  le  Salon,  il  s'écria  douloureusement,  dans  une  mi- 
nute de  lucidité  :  .  • 
—  Allons!  c'est  entendu...  j'en  crèverai  !  '^^ 
Peu  à  peu,  si  la  bravoure  de  son  obstination  paraissait  grandir, 
il  retombait  pourtant  à  ses  doutes  d'autrefois,  ravagé  parla  lutte 
qu'il  soutenait  contre  la  nature.  Toute  toile  qui  revenait,  lui 
semblait  mauvaise,  incomplète  surtout,  ne  réalisant  pas  l'effort 
tenté.  C'était  celte  impuissance  qui  l'exaspérait,  plus  encore  que 
les  refus  du  jury.  Sans  doute,  il  ne  pardonnait  pas  à  ce  dernier  : 
ses  (ouvres,  même  embryonnaires,  valaient  cent  fois  les  médio- 
crités reçuc§^;  mais  quelle  souffrance  de  ne  jamais  se  donner 
entier,  dans  le  chef-d'œuvre  dont  il  ne  pouvait  accoucher  son 
génie!  Il  y  avait  toujours  des  morceaux  superbes,  il  était  content 
de  celui-ci,  de  celui-là,  de  cet  autre.  Alors,  pourquoi  de  brus- 
ques trous?  pourquoi  des  parties  indignes,  inaperçues  pendant  le 
travail,  luant  le  tableau  ensuite  d'une  tare  ineffaçable?  Et  il  se 
sentait  incapable  de  correction,  un  mur  se  dressait  à  un  moment, 
un  obstacle  -infranchissable,  au  delà  duquel  il  lui  était  défendu 
d'aller.  S'il  n'prenait  vingt  fois  le  morceau,  vingt  fois  il  aggravait 
le  mal,  tout  se  brouillait  et  glissait  au  gâchis.  Il  s'énervait,  ne 
voyait  plus,  n'exécutait  plus,  en  arrivait  à  une  véritable  para- 
lysie de  la  volonté.  Elaient-ce  donc  ses  veux,  étaient-ce  ses 
mains  qui  cessaient  de  lui  appartenir,  dans  le  progrès  des  lésions 
anciennes,  qui  l'avait  inquiété  déjà?  Les  crises  se  multipliaient, 
il  recommençait  à  vivre  des  semaines  abominables,  se  dévorant, 
éternellement  secoué  de  l'incerlitude  k  l'espérance  ;  et  l'unique 
soutien,  pendant  ces  heures  mauvaises,  passées  à  s'acharner  sur 
l'œuvre  rebelle,  c'était  le  rêve  consolateur  de  l'œuvre  future, 
celle  où  il  se  satisferait  enfin,  où  ses  mains  se  délieraient  pour  la 
création.  Par  un  phénomène  cons'.ant,  son  besoin  de  créer  allait 


ainsi  plus  vite  que  ses  doigts,  il  ne  travaillait  jamais  k  une  toile, 
sans  concevoir  la  toile  suivante.  Une  seule  hûte"  lui  restait,  se 
débarrasser  du  travail  en  train,  dont  il.  agonisait;  sans  doute,  ça 
ne  vaudrait  rien  encore,  il  en  était  aux  concessions  fatales,  aux 
triche.ries,  à  tout  ce  qu'un  artiste  doit  abandonner  de  sa  con- 
science; mais  ce  qu'il  ferait  ensuite,  ah!  ce  qu'il  ferait,  il  le 
voyait  superbe  et  héroïque,  inattaquable,  indestructible.  Perpé- 
tuel mirage  qui  fouette  le  courage  des  damnés  de  l'art,  mensonge 
de  tendresse  et  de  pitié  sans  lequel  la  production  serait  impos- 
sible, pour  tous  ceux  qui  se  meurent  de  ne  pouvoir  faire  de  la 
vie  ! 

El,  en  dehors  de  celle  lutte  sans  cesse  renaissante  avec  lui- 
même,  les  difficultés  matérielles  s'accumulaient.  N'était-ce  donc 
point  assez  de  ne  pas  arriver  à  sortir  ce  qu'on  avait  dans  le 
ventre?  Il  fallait  en  outre  se  battre  contre  les  choses!  Bien  qu'il 
refusât  de  le  confesser,  la  peinture  sur  nature,  au  plein  air,  deve- 
nait impossible,  dès  que  la  toile  dépassait  certaines  dimensions. 
Comment  s'installer  dans  les  rues,  au  milieu  des  foules?  comment 
obtenir,  pour  chaque  personnage,  les  heures  de  pose  suffisantes. 
Cela,  évidemment,  n'admettait  que  certains  sujets  déterminés, 
des  paysages,  des  coins  restreints  de  ville,  où  les  figures  ne  sont 
que  des  silhouettes  faites  après  coup.  Puis,  il  y  avait  les  mille 
contrariétés  du  temps,  le  vent  qui  emportait  le  chevalet,  la  pluie 
qui  arrêtait  les  séances.  Ces  jours-là,  il  rentrait  hors  de  lui, 
menaçant  du  poing  le  ciel,  accusant  la  nature  de  se  défendre, 
pour  ne  pas  être  prise  el  vaincue.  Il  se  plaignait  amèrement  de 
n'être  pas  riche,  car  il  rêvait  d'avoir  des  ateliers  mobiles,  une  voi- 
ture à  Paris,  un  bateau  sur  la  Seine,  dans  lesquels  il  aurait  vécu 
comme  un  bohémien  de  l'art. 

Mais  rien  ne  l'aidait,  tout  conspirait  contre  le  travail!     , 


pETlTE    CHROf^iquz: 


L'ouverture  du  théâlre  de  la  Monnaie  est  annoncée  pour  le 
samedi  4  septembre  prochain. 

On  jouera  Robert  le  Diable y^^onv  la  rentrée  du  ténor  Sylva. 

Zrt?w/}rt  servira  de  rentrée  à  M"*^  Wolf  elà  M.  Engel.  Viendront 
ensuite  la  Statue  et  Mireille^  dans  lesquelles  se  produira  la  nou- 
velle chanteuse  d'opéra-comique.  •  - 

Parmi  les  modifications  apportées  à  notre  première  scène 
lyrique,  signalons  le  remplacement  de  l'ancien  orgue  ;  on  enten- 
dra le  nouvel  orgue  le  jour  de  la  réouverture  dans  l'opéra  de 
Meyerbeer.  En  outre,  le  niveau  du  plancher  de  l'orchestre  a  été 
abaissé  de  quelques  centimètres.  De  celle  manière,  les  spectateurs 
des  stalles,  du  parquet  et  du  parterre  ne  seront  plus  incommodés 
par  le  mouvement  de  va  et  vient  des  archets. 


M.  Ph.  Zilcken,  le  peintre  hollandais  dont  nous  avons  à  maintes 
reprises  fait  1  éloge  ici,  se  propose  de  publier  un  Album  de  dix 
eaux-fortes  d'après  les  principales  aquarelles  qui  ont  figuré  à  la 
onzième  exposition  de  la  Société  hollandaise  de  dessin. 

Cet  alburn  paraîtra  en  deux  livraisons.  Il  sera  imprimé  à 
100  exemplaires.  •  . 

Les  planches  auront  0"\35  X  0'", 50  sur  beau  papier  du  Japon; 
elles  seront  toutes  avant  la  lettre. 

Les  œuvres  à  reproduire  sont  de  MM.  Blommers,  Bosboom, 
Harpignies,  J.  Israëls,  J.  Maris,  VV.  Maris,  Mauve,  Mesdag, 
A.  Neuhuvs  et  Termeulen. 


LART  MODERNE 


271 


Le  prix  de  souscription  est  de  20  florins  hollandais. 
Les  souscriptions  sont  reçues  chez  M.  Ph.  Zilckcn,  7,  rue  de 
Java,  ou  chez  MM.  Mouton  et  C'«,  rue  du  Berger,  o,  îi  La  Haye. 

De  la  Ville  Eternelle  arrive  un  bon  exemple  donné  par  le  roi 
d'Italie  aux  autres  monarques,  en  faveur  de  la  grande  littérature. 

Le  roi  Humbert  vient  de  faire  publier,  sous  sa  direction  et 
pour  son  fils,  une  nouvelle  "édition  de  la  Divine  Comédie  du 
Dante.  En  voici  la  dédicace  : 

«  Humbert  V'\  roi  d'Italie,  en  publiant  ce  commentaire  anti- 
que du  Dante,  le  dédie  à  son  fils  bien-aimé,  Victor-Emmanuel,  en 
récompense  de  son  amour  pour  les  études  et  afin  que  ce  poème 
divin  fortifie  son  esprit  et  dispose  son  cœur  au  culte  de  la  litté- 
rature de  son  pays.  » 

Un ,  épisode  dramatique  vient  de  se  produire  au  théâtre  de 
Casale  (Italie).  Un  des  directeurs  de  la  troupe,  qui  remplissait  en 
méine  temps  l'emploi  de  premier  comique,  venait  d'entrer  en 
scène.  Le  public  l'aceueillit  par  des  sifflets.  L'acteur,  sans  dire 
un  mot,  tira  de  sa  poche  un  revolver  et  se  brûla  la  cervelle.  Sa 
femme,  qui  assistait  à  la  représentation  dans  une  loge,  voulut 
sauter  par  dessus  la  balustrade  sur  la  scène,  et  ce  ne  fut  qu'avec 
beaucoup  de  peine  qu'on  réussit  à  l'en  empocher.  Le  rideau  fut 
immédiatement  baissé  et  on  arrêta  la  représentation. 

On  annonce  trois  représentations  anglaises  qui  seront  données, 
les  2,  3  et  4  septembre  prochain  au  théâtre  du  Vaudeville  de 
Paris,  par  la  troupe  ainéricaine  de  M.  Daly.  La  pièce  sera  A 
Night  offy  qui  a  fait  courir  tout  Londres  à  Gaiiy-théâtre. 

Nous  avons  déjà  signalé  l'excellente  Revue  d'art  dramatique 
qu'on  vient  d'inaugurer  à  Paris.  (Voir  notre  n»  du  8  août),  En 
voici  encore  un  curieux  extrait  d'un  article  de  M.  Fouquier.  Il  est 
relatif  aux  circonstances  qui  décident  les  artistes  dramatiques  à 
se  lancer  dans  leur  difficultueuse  carrière. 

«  Pour  les  hommes  en  général  it  y  a  une  vocation  nettement 
déclarée...  Mais  pour  les  femmes,  la  vocation  du  théâtre  est  dé- 
terminée par  des  raisons  bien  plus  complexes.  Je  ne  parle  pas  des 
cantatrices  ;  pour  elles,  la  voix  est  tout.  Je  ne  m'inquiète  que  des 
comédiennes.  Qui  les  amène  au  conservatoire?  Presque  toujours 
un  double  besoin  de  fortune  et  d'indépendance.  Le  métier  d'ar- 
tiste est  un  des  plus  lucratifs  —  quand  on  y  réussit  —  qu'une 
femme  puisse  exercer.  De  plus,  il  permet  une  liberté  précieuse 
de  mœurs,  les  actrices  pouvant,  dans  nos  habitudes,  suivre  leur 
cœur  ou  môme  écouter  leurs  caprices  sans  déchoir,  sans  se  dé- 
qualifier aux  yeux  d'un  monde  qui  leur  permet  beaucoup  de  cho- 
ses, parce  qu'elles  l'amusent  et  le  charment...  Pensez  ce  que  c'est 
pour  une  femme,  en  général  sans  fortune,  qu'une  carrière  qui  lui 
permet  de  vivre  à  sa  guise  sans  cesser  d'appartenir  au  monde  des 
honnêtes  gens  !  L'actrice"  qui  se  tient  bien  peut  même  espérer, 
de  récents  exemples  l'ont  montré,  se  marier  —  sans  dot  !  Aussi 
les  jeunes  femmes  mal  mariées,  les  jeunes  filles  intelligentes  à 
qui  répugne  l'idée  de  la  galanterie  brutale  et  vénale,  aussi  bien 
que  l'étroitesse  de  la  vie  d'institutrice,  les  habiles,  stylées  par  des 
mères  qui  savent  quel  piédestal  est  le  théâtre,  toutes,  venues  de 
maisons  jadis  riches  ou  échappées  de  quelque  modeste  intérieur, 
filles  de  veuve  sans  fortune  ou  filles  de  M'"^  Cardinal,  se  précipi- 
tent au  conservatoire  avec  une  ardeur  sans  égale  et  des  ambitions 
semblables.  Il  en  résulte  que  dans  les  classes  de  femmes  on  re- 
marque une  inégalité  singulière  d'aptitudes  et  que,  pour  quelques 
vocations  sincères,  on  trouve  une  quantité  de  fausses  vocations». 


L'auteur  touche  ensuite  à  la  question  de  savoir  si  une  femme 
de  théâtre  fait  bien  d'avoir  une  vie  o^mplaire.  Le  probl-me 
pourrait  être  étendu  aux  femmes  artistes  de  tous  les  genres. 

u  A  faire  jouer  la  comédie  par  des  innocentes,  on  risque  de  la 
faire  jouer  par  trop  innocemment...  C'était  l'opinioh  d'une  des 
Brohan  qui,  après  l'audition  d'une  jeune  fille  très  rccommanda- 
ble  par  ses  mœurs  excellentes,  lui  posa  une  question  indiscrète 
et  lui  donna  un  conseil  très  abominable,  si  vous  voulez,  au  point 
de  vue  des  mœurs,  mais  très  pratique  et  très  sérieux  au  point  de 
vue  du  théâtre.  Il  s'agissait  d'une  fleur  d'oranger  à  laisser  sur 
l'autel  de  Thalie  et  de  Melpomène  ». 


/\ 


La  question  des  femmes  artistes  et  des  femmes  savantes  vient 
d'être  remise  sur  le  tapis  par  le  D""  Withers-Moore,  au  congrès 
annuel  de  la  British  médical  Association  de  Brighton. 

L'honorable  président  du  congrès,  abandonnant  le  côté  psycho- 
logique du  ^ujet,  en  a,  pour  la  première  fois,  abordé  le  côté 
physiologique';  il  a  conclu  par  un  cri  d'alarme;  il  a  demandé 
«  des  femmes  »,  c'est-à-dire  des  êtres  qui  sont  encore  nombreux 
en  France,  mais  qui  en  Russie,  en  Angleterre,  en  Amérique 
tendent  à  disparaître  pour  faire  place  à  des  êtres  hybrides  : 
artistes,  médecins,  -  philosophes,  professeurs,  n'ayant  de  la 
femme  que  le  sexe...  sans  la  manière  de  s'en  servir. 

Il  établit  que  «  tout  travail  intellectuel,  toute  dépense  de  force 
résultant  des  hautes  études  est  pour  la  femme  une  réduction 
d'énergie  dans  sa  fonction  pfopre,  celle  qui  consiste  à  perpétuer 
l'espèce  en  la  perfectionnant...» 

L'activité  cérébrale  se  manifeste  de  deux  façons,  moralement 
et  physiquement. 

Tout. effort  de  l'activité  cérébrale  est  une  dépense;  que  cet 
effort  augmente,  la  dépense  augmente,  naturellement;  si  l'effort 
tend  vers  une  manifestation  morale,  la  dépense  cérébrale  étant 
augmentée,  la- dépense  physique  sera  fortement  diminuée.  Il  faut 
au  cerveau  ,1e  parfait  équilibre  entre  les  manifestations  physi- 
ques. Plus  simplement,  si  le  cerveau  a  vingt  sous  à  dépenser  par 
joui;  et  qu'il  en  dépense  quinze  pour  ses  travaux  intellectuels,  il 
ne  lui  en  restera  que  cinq  pour  ses  travaux  physiques. 

C'est  pourquoi  les  hommes  de  lettres,  les  artistes  ont  généra- 
lement peu  d'enfants;  pourquoi  encore  les  sculpteurs  en  ont' plus 
que  les  peintres,  pourquoi  les  ouvriers  qui  travaillent  de  leurs 
mains  ont  les  plus  nombreuses  familles. 

Dans  ces  conditions,  le  docteur  Moore  affirme  que  les  femmes 
qui  auront  usé  leur  esprit  dans  les  éludes  supérieures  seront  des 
mères  inférieures,  quand  ces  hautes  études  n'empêcheront  pas 
précisément  de  devenir  mères  celles  qui  eussent  été  les  meilleures. 

Herbert  Spencer  et  d'autres  biologues  sont  du  même  avis  :  plus 
l'éducation  de  la  femme  est  raffinée,  plus  les  enfants  sont  faibles. 
«  Une  stérilité  relative  ou  absolue,  dit  Herbert  Spencer,  est  géné- 
ralexnent  le  résultat  des  travaux  intellectuels.  » 

«  Presque  toujours,  écrit  aussi  sir  Benjamin  Brodie,  dans  les 
classes  riches  l'intelligence  des  filles  est  cultivée  aux  dépens  de 
leur  vigueur  physique,  parce  quil  leur  faut  plus  de  temps  et  plus 
d'effort  quà  leurs  frères  pour  arriver  au  même  résultat.  » 

Tout  cela  est  concluant  ;  les  examens,  les  concours,  qui  sont 
cause  d'efforts  déjà  dangereux  pour  les  garçons,  sont  plus  dange- 
reux encore  pour  les  filles. 

Le  docteur  Clarke,  de  New-York,  s'est  ému  de  ces  constata- 
tions; il  a  lait  des  expériences  et  est  arrivé  aux  mêmes  conclu- 
sions que  le  médecin  de  Brighton.  {L'Evénement}, 


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272                                 .                     .           U ART  MODERNE                                                                    * 

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Sixième  année.  —  N®  35. 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  29  Août  1886. 


L'ART 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVDE  ORraQUE  DBS  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


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Adresser  les  demandes  d*ab<mnement  et  toutes  les  communications  à 

l'administration  générale  de  TArt  Moderne,  nie  de  Tlndustrie,  26,  Bruxelles. 


^OMMAIRE 


Lb  Salon  de  G- and.  —  La  suppression  du  pont  de  fer.  — 
Zo*  Har.  Roman  contemporain,  par  GatuUe  Mandés.  —  En 
VOYAGE.  Un  chef  d'orchestre  viennois.  —  L'elaoaoe  des  arbres. 
—  Petite  chronique. 


^-^   LE  SALON  DE  GAND 

Quand  irez- vous  au  Salon  de  Gand,  disais-je  il  y  a 
trois  semaines  à  un  ami?  —  Je  l'ai  déjà  vu,  répondit-il. 
—  Comment,  mais  il  n'est  pas  ouvert.  —  Ça  ne  fait 
rien,  j'ai  déjà  vu,  vous  dis-je.  —  Quand?  —  Il  y  a  trois 
ans,  il  y  a  six  ans,  il  y  a  neuf  ans.  C'est  toujours  le 
même.  . 

Dure  et  ironique  parole  qu'on  pourrait  appliquer  à 
toutes  nos  expositions  triennales  depuis  trois  lustres. 
Et  il  n'y  aurait  aucune  injustice  à  y  comprendre  le 
Salon  de  Paris. 

Oui,  plus  ça  change,  plus  c'est  la  même  chose.- 
Lamentable  banalité  de  l'art  vieilli  et  pasticheur  dont 
nous  a  dotés  l'enseignement  académique.  Son  symbole, 
c'est  Un  de  ces  cirques  de  vélocipèdes  qu'on  trouve  à 
nos  kermesses  :  tout  le  monde  à  califourchon  sur  des 
machines  attachées  à  la  queue  leu  leu,  remuant  furieu- 
sement les  jambes  avec  l'illusion  que  cela  sert  à  quelque 
chose,  alors  que  c*est  tout  bonnement  un  cheval 
aveugle,  caché  derrière  un  oripèau  de  draperie  qui 
s'éreinte  à  tirer  le  tourniquet  au  bruit  d'un  orgue  de 
barbarie. 

Le  public  s'en  rend  compte  immédiatement  :  il  ne  va 


plus  guère  à  ces  congrès  d'ennui  et  de  choses  mortes. 
Nous  fûmes  au  Salon  de  Gand  le  dîinanche  22  août, 
huit  jpurs  après  l'ouverture.  Nous  y  restâmes  l'après- 
midi  entière.  Malgré  la  nouveauté  du  sujet  et  la  solen- 
nité du  jour,  nous  n'y  vîmes  pas  quarante  visiteurtf  : 
Apparebant  rari  nantés  in  gurgite  vasto. 

Aux  murailles  un  étalage,  eût-on  cru,  de  souvenirs 
funéraires.  Des  malheureux  par  douzaines  copiant  les 
maîtres  ou  se  copiant  les  uns  les  autres.  Rarissimes  les 
œuvres  qu'on  ne  peut  au  premier  coup  d'oeil  rattacher 
à  une  célébrité  qui  a  eu  ou  qui  a  la  vogue.  Tiens,  un 
Bastien-Lepage.  Tiens,  un  Leys.  Tiens,  un  Corot. 
Tiens,  un  Gallait.  Tiens  un  De  Braekeleer.  Tiens,  un  ci. 
Tiens,  un  ça!  Et  pourtant  l'article  9  du  r^lement  pros- 
crit les  copies  de  quelque  nature  qiCeiles  soient.  Com- 
ment en  serait-il  autrement,  alors  que  dans  nos  écoles, 
partout,  toujours,  on  réduit  Fart  en  recettes  et  on  éta- 
blit des  formules  immuables  du  beau,  alors  aussi  que 
le  nombre  des  pseudo-artistes  augmente  incessamment 
ce  qui  est  le  résultat  logique  d'un  enseignement  qui 
produit  les  peintres  mécaniquement  comme  si  les  aca- 
démies étaient  des  manufactures.  Usine  pour  la  fabri- 
cation des  pasticheurs,  telle  est  l'enseigne  qull  faudrait 
leur  mettre.  Visitant  les  résultats  d'un  concours  de 
paysages,  l'an  dernier,  nous  vîmes  cet  étonnant  spec- 
tacle :  huit  machines  reproduisant  toutes  la  manière 
du  professeur.  Et  quelle  manière  !  La  règle  est  donc  : 
Imitez-moi  !  Les  modestes  (y  en  a-t-il)  disent  :  Imitez 
tel  autre  !  Mais  imiter,  imiter,  imiter  est  la  consigne. 

Abominable  profanation!  Grotesque  hérésie!  Nous 


voudrions  que  le  professeur  menaçât  de  jeter  ;\  la  porte 
quiconque  serait  surpris  faisant  autre  chose  que  d'es- 
sayer de  conquérir  son  originalité.  Qui  n'est  pas  soi- 
même,  n'est  pas  artiste.  C'est  un  malheureux  égaré 
dans  l'art  par  une  fausse  vocation.  C'est  un  imbécile 
à  prétention  qu'il  faut  renvoyer  à  un  métier.  C'est  un 
conscrit  qui  n'a  pas  la  taille.  ^, 

On  n'a  admis  à  Gand  que  six  cents  tableaux.  Bien, 
c'est  un  progrès.  Mais  il  eût  fallu  en  renvoyer  quatre 
cents  de  plus.  Les  membres  du  jury  se  sont  laissés 
aller,  comme  toujours,  aux  faiblesses  pour  les  gens  en 
vue,  pour  les  personnages  influents  même  lorsqu'il  est 
avéré  que  ce  sont  de  ridicules  croutailleurs.  Par 
dessus  le  marché,  ce  sont  des  centres  de  panneaux  que 
cette  basse  courtisanerie  alloue  ^ux  mêmes  infirmes, 
lors  du  placement.  Vous  souvient-il  de  cet  amusant 
épisode  dans  rÊE'wfr^  de  Zola.  Un  tableau  est  présenté 
au  jury.  Le  président  s'écrie  :  "Quel  est  le  cochon 
qui.....  -  Mais  s'approchant,  il  lit  au  bas  de  la  cochon- 
nerie le  nom  d'un  professeur  de  l'école  des  Beaux-Arts, 
et  aussitôt  :  Messieurs;  admis  sans  discussion,  n'est-ce 
pas?  —  Il  y  a  à  Gand  cinquante  toiles  qui  auraient  pu 
servir  d'occasion  à  cette  scène.  Si  on  présentait  les 
tableaux  en  cachant  les  noms,  et  sans  cadres,  il  y 
aurait  des  blackboulages  ébouriffants. 

Comme  d'habitude  les  Gantois  se  sont  mis  en  quatre 
pour  amener  les  étrangers.  C'est  un  cliché,  vous  savez  : 
Le  Salon  de  Gand  c'est  là  qu'il  faut  aller  pour  voir  les 
Français  !  Il  n'y  a  que  lui  pour  ça,  il  n'y  a  que  lui  !  — 
Le  moyen  de  réussir  en  cette  affaire  est  connu.  On 
promet  médailles,  croix  et  surtout  achats.  N'est-il  pas 
déjà  question  d'acquérir  pour  le  musée,  à  gros  prix, 
une  faribole  d'Aimé  Morot,  intitulée  Toro  cotante,  où 
l'on  voit  un  taureau,  parfaitement  dressé,  présenter  au 
public  un  cheval  empaillé,  dans  une  arène  figurée 
par  un  devant  de  cheminée.  Du  temps  des  grands  Fran- 
çais, on  mettait  à  Gand  leurs  œuvres  dehors,  ou  on  les 
exposait  dans  un  cabinet  secret  comme  ce  fut  le  cas 
pour  le  Retour  de  la  conférence  et  pour  la  Dame  à  la 
vague  de  Courbet.  Maintenant  qu'il  n'y  a  plus  guère 
en  France  que  des  décadents,  on  leur  fait  signe  et  on 
les  introduit  en  triomphe.  Il  y  a  au  Salon  plus  de  cent 
cinquante  étrangers,  représentés  par  plus  de  deux  cents 
toiles,  soit  un  tiers  en  nombre;  mais  par  les  dimensions 
c  est  au  moins  la  moitié.  On  y  trouve  Benjamin  Constant 
et  son  Jtistinien,  immense  devanture  d'un  magasin 
d'étoffes  byzantines.  On  y  trouve  Gervex  et  son  Junj 
cC admission,  cohue  brossée  en  décor.  On  y  trouve 
Toudouze  et  sa  Salomé  triomphante,  grande  étiquette 
pour  le  cigare  Paméla  ou  Carmencita.  On  y  trouve 
Robert-Fleury  avec  une  Léda,  pour  changer,  Comerre 
avec  le  portrait  de  M"«  Théo,  superbe  séraphine  de 
coiffeur,  Bonnat  avec  d'invraisemblables  Scheiks 
arabes    au    Sinaï    peints    avec    du   plum-pudding 


délayé  dans  du  sirop.  Brozik  aussi,  cette  grande  admi- 
ration bourgeoise,  reparaît  avec  un  Rodolphe  II  chez 
son  alchimiste. 

A  peine  est-on  quelque  peu  réconforté  par  Une  soi- 
rée  de  Béraud,  le  Portrait  de  Af^®  Feurgard,  sous  les 
pommiers,  de  M"«  Breslau,  le  Portrait  de  senor  Pablo 
de  Sarasate  par  Mac  Neil  Wistler,  le  Portrait  de 
M.  L.  M.  par  Fantin-Latour,  et  encore  ce  dernier  est- 
il  faiblement  peint,  en  touches  grêles,  minces,  vides. 

Quant  aux  Belges,  triste  impression.  Un  affaisse- 
ment presque  général  chez  les  anciens  et  peu  d'élan 
chez  les  jeunes.  Il  nous  serait  pénible  de  nommer, 
parmi  les  premiers,  ceux  dont  on  peut  dire  :  Finis. 

Il  y  a  sous  ce  rapport  des  révélations  '  navrées;  La 
notoriété  s'en  établit,  du  reste,  et  si  dans  les  articles 
destinés  à  la  publicité  on  se  tait,  dans  les  conversations 
on  ne  se  tait  guère.  Qu'est-ce  donc  qui  tarit  si  vite  les 
aptitudes  à  notre  désolante  époque?  Comment  se  fait-il 
que  tant  de  belles  vocations  qu'on  applaudissait,  abou- 
tissent à  l'impuissance  ou  retombent  dans  les  vieilles 
saletés.  De  jeunes  artistes  surgissaient  auréolés  d'espé- 
rance, superbes  d'indépendance.  Les  premières  distinc- 
tions viennent  :  c'est  comme  si  on  les  marquait  pour 
l'abatage.  Le  monde  officiel  les  attire,  les  séduit,  les 
enveloppe,  puis  les  émascule  et  les  dévore.  Ils  sont  là 
comme  des  mouches  prises  à  la  toile  d'une  araignée 
féroce.  Ils  deviennent  quelconques  parce  que  ce  milieu 
ne  respire  que  conventions  et  concessions.  Ils  s'embour- 
geoisent, mollissent,  et  bientôt  leurs  brosses  radotent 
et  leur  originalité  se  noie  dans  la  banalité.  On  les  décore 
de  plus  en  plus,  mais  ces  caparaçons  font  sur  eux 
l'effet  des  harnachements  d'apparat  sur  les  chevaux 
dont  on  veut  cacher  les  tares.  Il  semble  vraiment  en 
Belgique,  dans  tous  les  domaines,  que  dès  qu'on  a  qua- 
rante-cinq ans  on  est  voué  au  ramollissement. 

Pour  les  anciens,  nous  aurions  si  peu  de  bonnes  œuvres 
à  citer  que  nous  préférons  n'en  mentionner  aucune. 
Devant  une  pareille  faillite  on  éprouve  le  dédain  mécon- 
tent du  créancier  à  qui  le  curateur,  après  liquidation, 
offre  un  dividende  de  cinquante  centimes  pour  cent  et 
qui  refuse  en  jurant.  ^ 

Les  jeunes  !  Ici  un  peu  de  bonne  germination. 
Pourvu  que  cela  dure.  Nous  sommes  si  habitué  aux 
tourne-court. 

Franz  Courtehs  marque  un  avancement  avec  sa 
Rade  d'Anvers.  Edouard  De  Jans  a  de  la  justesse 
d'observation  et  de  la  vérité  d'expression  dans  Une 
distraction  des  vieux  jours,  mais  sa  facture  se  ressent 
de  l'école  :  rien  de  personnel.  Les  parqueurs  d'huî- 
tres, de  G. -W.  Delsaux,  dignes  d'être  cités,  sont  moins 
vigoureux  que  l'étude  vue  à  Bruxelles,  salle  Janssens, 
croyons-nous,  hd^  Réunion  d'amis,  d'Omer  Dierickx, 
nous  parait  la  plus  remarquable  des  toiles  des  jeunes  à 
Gand  :  les  physionomies,  noyées  dans  une   demie- 


obscurité,  sont  pénétrantes  d'expression;  la  fluidité  de 
Fombre  est  très  habilement  exprimée  sauf  dans  le  bas 
dii  tableau,  confus  et  sommaire.  Léon  Frédéric  expose 
de  nouveau  son  Repos  des  funérailles  en  Ardennes, 
lourd  d'exécution  mais  d'une  vérité  impressionnante. 
Karl  Meunier  doit  tâcher  d'oublier  son  père  dont  il 
reste  un  reflet.  Van  Strydonck,  qui  semble  un  écho 
d'Ensor  dans  Le  dimanche  après-midi  chez  les  Cra- 
ckers, expose  un  fort  beau  pastel,  à  l'instar  des  grandes 
productions  de  ce  genre  qui  ont  été  signalées  au  dernier 
Salon  de  Paris  :  Lassitude, 

Nous  n'avons  pas  à  dire  davantage  sur  la  peinture. 
Quant  à  la  sculpture,  ou  voit  à  Gand  le  Marteleur  de 
Meunier  atiquèl  ià  pressé  française  a  feit  lin  vif  succès 
et  qui  le  mérite.  Vinçotte,  outre  son  Dompteur  de 
chevaux,  d'un  mouvement  bien  rendu  mais  qui  laisse 
l'impression  du  déjà  vu,  expose  l'un  des  meilleurs  bus- 
tes qu'il  ait  modelés,  celui  de  M*"®  la  comtesse  de 
Lalaing. 

Quant  à  l'œuvre  considérable  de  Jef  Lambeaux,  Fo7î- 
taine  avec  figures  représentant  la  légende  et  Vori- 
gine  de  la  ville  d^ Anvers,  elle  ne  produit  pas  l'effet 
puissant  qu'en  attendaient  ceux  qui  se  préoccupent 
depuis  longtemps  de  cette  tentative  du  jeune  maître. 
Les  remaniements  qu'il  lui  a  fait  subir  l'ont  apparem- 
ment empêché  de  pousser  certaines  parties  autant  qu'on 
le  souhaiterait.  De  plus,  la  partie  inférieure  est  deve- 
nue confuse  :  lui  aurait-on  trop  dit  qu'il  était  le  sculp- 
teur du  mouvement  et  se  laisserait-il  aller  à  quelque 
exagération  de  ce  côté?  C'est  à  revoir  et  à  reprendre. 
Il  faut  que  cet  édifice  artistique  soit  amené  au  point  où 
il  sera  tout  à  fait  digne  d'asseoir  d'une  manière  défini- 
tive la  gloire  de  son  auteur.  Jef  Lambeaux  a  tous  les 
dons  qu'il  faut  pour  cela. 

Voilà,  lecteur,  tout  ce  que  nous  avions  à  dire.  Comme 
nous  quittions  le  Salon  peu  réjoui,  un  ami  du  terroir 
qui  avait  entendu  nos  vitupérations  amères,  nous  dit 
d'un  ton  narquois  :  N'empêche  que  c'est  à  Garid  qu'on 
vend  le  plus. 

LA  SUPPRESSION  DU  PONT  DE  FER. 

Des  affiches  placardées  sur  les  murs  de  la  capitale  annoncent 
officiellement  que  l'aulorité  supérieure  a  transmis  à  Tadminisira- 
ti(M  communale  de  Bruxelles,  pour  raccomplissement  des  for- 
malilés  prescrites  par. la  loi,  le  plan  des  expropriations  en  vue 
de  la  suppression  du  pont  de  fer  et  du  détournement  de  la  rue  de 
Ruysbroeck  vers  l'angle  do  la  rue  de  Bodenbroeck. 

A  ditïércntcs  reprises  nous  avons  proteste  contre  le  stupide 
système  qui  consiste  à  ne  concevoir  une  amélioration  que  par 
un  bouleversement.  On  n'en  fmirait  pas  s'il  fallait  dresser  la  liste 
des  choses  pittoresques  qui  ont  ainsi  disparu  dans  Bruxelles  et 
ses  environs.  Rectifications  de  rues  charmantes  dans  leurs  sinuo- 
sités; démolitions  de  vieilles  demeures  qui  taisaient  la  joie  de 
l'amateur;  aplanîssemenl  d'accidents  de  terrains  délicieux  d'im- 


prév^u;  suppression  d'étangs  et  de  cours  d'eau  ;  abatage  d'arbres 
séculaires,  tous  ces  crimes  du  vandalisme  bourgeois,  possédé  du 
grotesque  amour  de  la  ligne  droite  cl  de  la  couleur  blanche,  ont 
déformé,  gâté,  déshonoré  une  des  villes  les  plus  curieuses  du 
monde  aussi  bien  par  les  vestiges  du  passé  que  par  la  configuration 
de  son  sol.  *        ^  " 

'  Voici  qu'on  va  supprimer  le  Pont  de  Fer  et  ses  aboutissants, 
ce  surprenant  carrefour  que  le  badaud  bruxellois  ne  comprend 
pas  tant  son  milieu  est  invisible  pour  lui,  mais  auquel  s'arrêtait 
frappé  tout  étranger  artiste.  Nulle  part  ailleurs  on  ne  trouvait 
cette  superposition  de  deux  rues,  dont  l'une,  en  défilé  sombre^ 
avec  sa  pente  extraordinaire,  ses  deux  escaliers  descendant  en 
sous  sol,  et  l'autre  avec  sa  vue  montant  ici,  descendant  lîi  et 
ouvrant  sur  la  ville  basse  une  perspective  mystérieuse.  Quand 
on  n'a  pas  de  ces  imprévus  si  rares  on  fait  ce  qu'on  peut  pour 
les  créer  artificiellement.  Chez  nous  on  iie  sait  quels  imbéciles 
trouvent  que  ça  n'est  pas  beau,  que  ça  n'est  pas  propre,  que  ça 
n'est  pas  commode  et  qu'il  faut  abolir.  Aidés  par  les  intérêts 
dé  ceux  qui  souhaitent  élre  expropriés  à  bon  prix,  ils  procèdent 
à  l'œuvre  de  renversement  et  amènent  peu  à  peu  Bruxelles  à  la 
grande  banalité  des  capitales  en  style  Badinguet. 

Quand  donc  comprendrez-vous,  crétins  -{que  le  lecteur  excuse 
notre  indignation  :  elle  est  légitime  h  cause  de  l'irréparable)  que 
la  sagesse  c'est  de  maintenir  en  appropriant.  Il  se  peut  qu'il  y 
ait  certains  changements  à  faire,  par  exemple  dans  la  présenté 
occurcnce  élargir  et  solidifier  le  pont,  élever  à  ses  angles  des 
maisons  moins  plates  que  celles  qu'on  y  voit.  Mais  faire  dispa- 
raître la  double  percée  sur  laquelle  il  s'ouvre,  cent  fois  non  !  Toute 
vue  sur  nos  lointains  urbains  est  à  sauvegarder,  surtout  quand 
ce  lointain  est  une  rue  comme  la  rue  de  Ruysbroeck,  assurément 
une  des  plus  caractéristiques  de  Bruxelles.  Imaginez  que  l'on  y 
remplace  peu  à  peii  les  façades  existantes  par  d'autres  en  style 
flamand  ou  espagnol,  quel  spectacle  ce  sera  d'en  voir  la  fuite 
dans  le  détail  de  sa  variété,  quel  contraste  avec  la  rue  de  la 
Régence,  la  Place  Royale,  le  Palais  de  Justice,  et  pariant  quel 
charme! 

C'est  la  possibilité  de  ce  pittoresque  que  vous  voulez  détruire, 
malheureux!  Pour  l'amour  de  Bnixclles,  abstenez-vous!  Assez  de 
pareilles  sottises  ont  déjà  été  accomplies  sans  retour. 


ZO'  HAR 

Roman  contemporain,  par  Catulle  Mendès,       j 
Paris,  G.  Charpentier  et  cé,  1886. 

D'après  les  légendes  chaldéennes,  sur  le  territoire  maudit  qui, 
dévoré  par  le  feu  divin^  devait  devenir  le  lac  asplialtite,  la  Mer 
Morte,  de  son  lugubre  nom,  il  y  avait  non  pas  seulement  les 
classiques  Sodome  et  Gomorrhe,  mais  cinq  villes  réalisant  cha- 
cune à  sa  manière,  un  des  vices  de  luxure  criant  vengeance 
au  ciel  et  qui,  il  faut  bien  l'avouer,  nonobstant  le  formidable 
exemple,  n'en  ont  pas  moins  continué  à  tîorir  chacun  dans  sa 
spécialité  monstrueuse.  C'est  ce  ((ue  Barboy  d'Aurevilly  a  con- 
staté, à  ce  que  l'on  raconte,  en  celte  déclaration  célèbre  :  «  Les 
exemples  foisonnent,  mes  instincts  m'y  poussent,  la  religion  le 
permet,  mais  mes  contemporains  me  dégoûtent.  » 

Comment  exprimer,  non  pas  décemment,  la  chose  est  impos- 
sible, mais  en  une  forme  élégante  et  littéraire,   les  pratiques 


I': 


odieusement  burlesque  de  la  Pcntapolc  biblique?  Voici  comment 
M.  Catulle  Mendès  s'y  est  pris,  page  il5  et  aussi  page  303  : 

«  Le  cri  des  Cinq  Villes  est  monté  vers  le  Seigneur!  Ton  cri, 
Sédôm,  impure  devant  rElernel,  loi  qui  as  dit  à  Thôte.  des 
anges  :  «  Où  sont  les  beaux  voyageurs  qui  entrèrent  chez  vous 

«  ce  soir?  faites-les  sortir  afm  que  nous  les. connaissions.  » 

Et  le  cri  de  Zoboïm,  où  les  vierges  refusent  de  s'unir  avec  les 
jeunes  bommes  et  les  épouses  de  concevoir,  mais  elles  dorment 
ensemble  deux  à  deux,  et  se  réveillent  lasses.  Et  le  cri  de 
Gomorrbe,  pleine  toute  la  nuit  de  hurlements  et  de  bêlements 
parmi  la  musique  des  kinnors  et  le  bruit  des  cymbales,  car  on 
y  célèbre  les  mariages  de  Thomme  avec  la  louve,  de  la  femme 
avec  le  bélier.  Et  le  cri  d'Adama  où  les  vivants  baisent  sur  la 
bouche,  dans  les  tombeaux  qu'éclaire  une  horrible  lampe  nup- 
tiale, la  pourriture  des  mortes  désensevelies.  Et  ton  cri,  Zo'  Har, 
Zo'  Har,  lit  des  filles  et  des  pères,  des  mères  cl  des  fils,  mon- 
strueux lit  du  frère  et  de  la  sœur!  » 

Comme  on  le  voit,  roccasion  est  bonne  de  dire  :  c'est  du 
propre. 

Zo'  Har,  avec  sa  virgule  bizarre,  sérail  donc  un  nom  de  ville. 
Mais  la  tradition  en  a,  paraît-il,  fait  aussi  le  nom  d'un  démon. 
C'est  ce  que  nous  apprend  l'épigraphe  du  livre,  extraite  de  la 
Géographie  de  V Enfer  terrestre  par  Rabbi  Ben-Aliaz  :  «  Quand 
le  soufre  et  le  feu  du  Seigneur  eurent  dé,truit  les  demeures  des 
hommes  et  les  temples  des  idoles,  il  sortit  de  la  fumée  un  Démon 
appelé  Zo*  Har  du  nom  de  la  ville  où  on  lui  sacrifiait,  le  premier 
jour  de  la  troisième  lune,  un  agneau  et  une  agnelle  engendrés 
du  même  bélier.  »  Voici  le  signalement  du  personnage,  M.  Catulle 
Mendès  ne  laissant  sur  ce  croustillant  sujet  aucun  point  sans 
renseignements  scientifiques  précis:  «  Sur  une  plate-forme 
jonchée,  par  grands  amas,  de  lotus  blancs  et  de  lotus  écarlates, 
mêlant  des  splendeurs  demeige  à  des  rougeurs  de  massacres, 
s'érigeait  colossalemcnt  sur  ses  pattes  de  derrière  une  hideuse 
idole  d'or,  mâle  et  femelle,  humaine  et  bestiale,  barbue,  ma- 
melue,  homme-chèvre,  fcmnie-bouc,  s'unifiant,  bi-sexuelle  et 
bi-forme,  en  un  seul  monstre,  qui  se  riait  à  lui-même  de  ses 
deux  bouchés,  semblables  à  des  gueules  sous  une  mîtrc  d'airain 
allumée  d'escarboucles.  » 

Tels  sont  les  éléments  de  l'affaire.  Comment  M.  Catulle  Mendès 
en  a-l-  il  fait  ce  qu'il  nomme  <<  un  roman  contemporain  »  ?  En 
supposant,  ce  qui  n'a  rien  d'invraisemblable,  que  le  culte  de 
Zo'  Har  n'est  pas  sans  être  pratiqué  à  Paris  de  notre  temps.  Un 
monsieur  Léopold  de  la  Roquebrussane,  marquis  (car  pour  cer- 
tains écrivains  les  personnages  ne  valent  pas  la  peine  d'être  mis 
en  scène  s'ils  ne  font  partie  de  raristocratie  !)  marquis,  disons- 
nous,  mais  bâtard,  fruit  d'un  yiol  consommé  par  le  général  mar- 
quis son  père  en  Hongrie,  a  pour  sœur  mademoiselle  Stéphana 
de  la  Roquebrussane  issue  du  mariage  du  même  général  mar^ 
quis  avec  une  femme  de  théâtre.  Ces  deux  jeunes  gens  se  mettent 
sur  le  pied  d'un  inceste,  combattu  par  Icf  mâle  avec  force 
remords,  recherché  par  la  femelle  avec  force  joies.  Ils  se  ma- 
rient même,  ayant  trouvé  en  Norwège  un  prêtre,  homme  simple, 
on  nous  en  croira,  pour  leur  donner  la  bénédiction  nuptiale. 
Mais  l'affaire  finit  mal.  Monsieur  Léopold  ne  se  remet  pas  de  ses 
remords  et  finit  par  se  jeter  dans  quatre  cataractes,  pas  une  de 
moinSf  qui  se  sont  arrangées  pour  tomber  dans  le  même  gouffre. 
Madame  Stéphana  à  qui  on  a  rapporté  son  cadavre,  congédie  ses 
domestiques,  et  profite  de  la  solitude  qui  en  résulte  pour  s'en- 
fermer dans  le  sépulcre  et  y  mourir  comme  une  simple  Aida  ou 


plutôt  comme  vun  Quasimodo.  Quelques  années,  .après  m; 
voyageur  qui  se  rend  au  pôle  nord  sur  les  traces  du  docleuç 
Nordenskjôld,  aborde  dans  le  Qord  où  s'élève  le  tombeau,  pénètre 
dans  celui-ci  et  y  trouve  deux  squelettes,  plus  un  supplément; 
en  effet  :  «  Il  aperçut,  au  dessous  des  grêles  blancheurs  des 
côtes,  à  la  place  où  fut  le  ventre,...  oh!  quoi?  une  chose  petfte 
et  pâle,  faite  de  frêles  os,  tordue  et  comme  cassée,  qui  resseifii'- 
blait  à  un  squelette  d'oiseau,  —  le  néant  de  ce  qui  n'avait  ^s 
été  !  »  En  d'autres  termes,  un  squelette  de  fœtus  :  Stéphana  était 
morte  enceinte!  >%[ 

Nous  goguenardons.  A  tort  dans  une  certaine  mesure,  ^%p: 
l'œuvre  contient  de  réelles  beautés,  non  pas  d'invention  (le  thème 
est  vieux  depuis  OEdipe  et  Jocaste,  depuis  M.  de  Chateaubriand) 
et  René,  ei  même  depuis  M.  Octave  Feuillet  et  sa  Julia  de 
Trécœur)  non  pas  de  composition  (rinvraisemblâncc  enfantine  jr 
foisonne)  mais  de  beautés  de  style  en  divers  morceaux  superbes. 
El  là  dessus  il  convient  d'insister.  ' 

M.  Catulle  Mendès,  après  avoir  été  un  Parnassien  1res  correct, 
un  impassible^  s'est  adonné,  on  le  sait,  à  une  littérature  spéciale 
qui  avait  pris  naissance  dans  un  journal  gaiement,  spirituellement 
polisson  :  la  Vie  paiisieiine.  Celle  littérature  est  fille  de  notre 
siècle,  on  peut  même  préciser  en  disant  qu'elle  est  fille  de 
l'Empire,  le  second  s'entend.  Elle  est  sortie  des  jupes  et  des 
corsages  cantharidés  de  cette  cour  demi-mondaine  qui  adorait  la 
galanterie  grivoise  avec  les  allures  du  high-lifê.  Tout  dire  en 
gazant  jusque  dans  les  plus  petits  détails,  tout  faire  avec  une 
audace,  une  maestria  porcine.  Sans  jamais  se  départir  de  l'élé- 
gance suprême,  pratiquer  le  vice  suprême. 

M.  Catulle  Mendès  a  été  et  est  encore  le  chantre  de  cette 
corruption  abominablement  séductrice.         v 

Ce  n'est  pas  la  sensualité  d'Apulée,  cynique  et  rieur;  de 
Suétone,  cynique  el  terrible;  ou  de  Boccace,  spirituel,  ingénieux 
dans  ses  aventures  où  rien  ne  contredit  la  nature  ;  ou  de  l'Arélin, 
effrontément  brutal;  ou  de  La  Fontaine,  d'une  polissonnerie 
charmante  et  drolatique;  ou  de  Diderot,  ne  se  gênant  guère 
mais  d'une  belle  santé;  ou  du  marquis  de  Sade,  s'exaspérant 
en  fureurs  cruelles  ;  ou  d'Armand  Sylvestre,  rabelaisien,  narrant 
des  contes  pantagruéliques.  Non,  c'est  du  neuf,  du  pas-vu,  du 
pas-entendu;  le  sur-extrait  du  venin  erotique,  la  titillation 
voluptueuse  jusqu'à  l'exacerbation,  la  description  raffmée,  avec 
une  discrétion  irritante,  de  toutes  les  corruptions  du  gourmet 
eu  œuvre  de  chair.  Un  de  ses  derniers  livres  :  les  Boudoirs  de 
verre  ont  marqué  l'apogée  de  ce  genre  redoutable  qui  a  fait,  et 
fait  encore  le  succès  de  vente  du  Gil  Blas.  Ce  qu'il  y  a  osé  dire 
depuis  quelques  années  et  jeter  en  pâture  au  public  â  des  milliers 
d'exemplaires,  fera  l'élonnement  de  la  postérité  et  classera 
M.  Catulle  Mendès  au  rang  des  pornocrates  illustres. 

Une  directrice  de  cabinet  de  lecture  nous  disait  dernièrement  : 
«  Dès  qu'une  jeune  fille  a  demandé  du  Mendès,  elle  ne  veut  plus 
autre  chose  et  au  bout  de  trois  mois  la  plus  fraîche  devient 
décharnée  comme  une  phtisique.  »  A  bon  entendeur,  $alul. 

Que  le  bon  goût  nous  garde  de  tonner  contre  ce  phénomène. 
Si  les  écrivains  réagissent  sur  leur  époque,  il  est  surtout  vrai 
qu'ils  sortent  de  leur  époque.  M.  Catulle  Mendès  est  un  arrière- 
faix  de  la  période  impériale.;  Il  faut  bien  que  celle-ci  se  vide 
entièrement.  Il  est  à  croire  que  l'évacuation  touche  à  sa  fin.  Sous 
ce  rapport  l'œuvre  dont  nous  rendons  compte  n'est  peut-être  pas 
dépourvue  de  signification. 

En  effet,  si  la  donnée  «  un  inceste  »  parait  un  nouvel  effort 


vers  les  voluptés  étranges,  le  ion  badin,  l'allure  polissonne  habi- 
tuels à  l'auteur,  sont  abandonnés.  Il  a  fait  un  effort  très  visible 
pour  donner  à  son  histoire  ce  caractère  épique  et  terrible  qui 
sauve  des  plus  formidables  audaces.  Quitter  le  domaine  de  la 
fornication  était  pour  lui  impossible  :  il  s'y  est  tellement  cantonné 
que  cela  eût  paru  une  abdication.  Haiî}  on  peut  s'y  grandir: 
Wagner,  dont  M.  Catulle  Mondes  est  «n  fervent  admirateur,  n'en 
a-t-il  pas  donné  l'exemple  dans  un  des  drames  de  sa  tétralogie  où 
Siegmund  aime  sa  sœur  Sieglinde  et,  avec  elle  donne  la  vie  à 
Siegfried?  Qui  pense  à  y  redire?  Le  vice,  même  en  ses  abomina- 
tions, peut  être  héroïque  et  ne  pas  déshonorer  qui  le  chante, 
surtout  quand  il  en  décrit  les  terreurs,  les  désespoirs,  et  le  châti- 
ment. 

M.  Catulle  Mendôs  s'v  est  mis,  et  dans  ce  roman  ou  l'on  trouve 
enchevêtré  le  Parnassien  d'autrefois  et  le  Gilblasisle  d'aujourd'hui, 
les  procédés  de  Wagner  dans  les  Nibelungen  et  ceux  de  Flaubert 
à2ins  Salammbô j  ila  essayé  sa  réhabilitation  en  frappant  un  grand 
coup.  Plus  de  finesses,  plus  d'ingéniosités,  d'attouchements  sub- 
tiles et  vicieux,  de  propos  adroitement  équivoques,  d'aphrodi- 
siaques sournoisement  distribués  en  pastilles  littéraires  :  le  grand 
jeu,  le  grand  drame,  les  airs  de  bravoure,  le  romantisme  à  crinière 
abondante.  Car  c'est  une  des  plus  curieuses  caractéristiques  de 
cette  tentative  à  grand  spectacle  :  l'œuvre  est  mil-huil-cent-tren- 
tique  en  diable.  Les  situations,  les  interventions,  les  incidents, 
les  aventures,  sont  plus  invraisemblables  les  unes  que  les  autres. 
Les  personnages  renouvellent  des  types  usés.  Les  discours  qu'ils 
tiennent  nous  reportent  à  quarante  ans  en  arrière. 

Mais  c'est  très  bien  écrit.  Et  certes  à  ce  point  de  vue  l'esthète 
y  trouve  son  compte.  Quoique  dite  contemporaine^  l'œuvre  est 
plutôt  légendaire.  Elle  devrait  être  illustrée  cu.mulalivement  par 
Félicien  Rops,  Gustave  Moreau,  Fernand  Khnopff  et  Odi Ion  Redon. 
Elle  en  prendrait  une  tournure  fanlastico  —  héroïco  —  érotico 
moderne  qui  en  fixerait  le  vrai  sens. 

Voyez  ceci  par  exemple,  le  départ  de  Stéphana  pour  le  sépulcre 
où  elle  va  s'ensevelir  vivante  à  côlé  de  Léopold  mort,  et  sa  montée, 
un  carcel  à  la  main. 

«  Elle  se  leva,  prit  la  lampe,  poussa  la  porte,  longea  le  vesti- 
bule, se  trouva  dehors,  dans  la  nuit.  La  froidure  était  âpre  ;  elle 
n'y  prit  point  garde.  Elle  tenait  la  lampe  haute  pourvôTr  Te^e- 
min  ;  elle  marchait  dans  la  blancheur  mouvante  qu'arrondissait 
l'abat-jour.  Elle  commença  de  gravir  l'escalier  de  roches;  il  y 
avait  derrière  ses  pas  le  long  murmure  de  sa  robe  traînante.  Elle 
montait  encore.  Elle  suivit  l'étroit  sentier  qui  grimpe  vers  la 
pointe  extrême  du  promontoire.  Elle  ne  se  hâtait  pas.  Elle  che- 
minait paisiblement,  la  lampe  à  la  main.  Elle  s'arrêta  devant  la 
porte  du  tombeau.  Dans  la  haute  solitude  où  s'élevait,  vers  le  ciel 
sans  étoiles,  la  plainte  râlante  de  la  mer,  tout  était  sombre, 
hormis  le  sépulcre,  qui  était  pâle.  Elle  mit  la  clef  dans  la  ser- 
rure ;  le  battant  céda,  vers  l'intérieur.  Elle  retira  la  clef,  la  jeta 
au  loin,  dans  les  ténèbres.  Mais,  au  moment  d'entrer,  elle  vit 
au  dessus  de  la  porte  un  crucifix  de  cuivre  scellé  dans  la  pierre, 
qui  luisait  vaguement.  Le  crucifix  !  Jésus  !  le  Dieu  réprobateur 
des  baisers  et  des  joies  !  D'un  geste  brutal,  elle  empoigna  la 
croix,  la  secoua,  l'arracha,  la  jeta  sur  le  sol,  la  frappa  du  talon. 
Dans  cette  violence  la  lampe  avait  failli  s'éteindre  ;  la  ilamme  se 
reforma,  directe,  immobile.  Stéphana  entra  dans  le  tombeau  et 
repoussa  le  battant  de  fer  qui  sonna  sourdement.  Â  présent,  le 
voulût-elle,  elle  ne  pourrait  plus  sortir  de  la  tombe,  elle  était 
pour  jamais  à  l'écart  de  la  vie  ;  et  si  les  déchirements  de  la  faim, 


si  les  affres  de  l'agonie  lui  arrachaient  de  lâches  cris,  nul  ne  les 
entendrait,  ces  cris  !  Elle  ne  pouvait  plus  se  délivrer  ni  être 
secourue.  Elle  avança.  Entre  les  planches  de  la  bière  ouverte, 
sous  la  jonchée  de  sauvages  tleurs  mortelles,  Léopold,  pâle,  avec 
les  yeux  clos,  avait  l'air  de  dormir.  Le  couvercle  du  cercueil, 
profond,  semblait  un  autre  cercueil.  C'était  comme  de  funèbres 
lits  jumeaux.  Stéphana  mit  la  lampe  î»  terre,  vers  le  chevet  ;  et, 
lentement,  elle  se  dévêtit.  Les  étoffes  tombèrent  avec  un  bruit 
soyeux;  des  blancheurs  chaudes  de  chairs  vivaient  dans  la  pé- 
nombre lumulaire.  Elle  s'étendit  à  côté  de  Léopold.  Elle  prenait, 
à  pleines  mains,  les  pâles  aconits,  les  rouges  belladones,  l'en 
couvrait,  s'en  couvrait,  se  rapprochait  de  lui  parmi  les  caresses 
des  fraîches  touffes  vénéneuses.  El  elle  mil  ses  lèvres  à  la  bou- 
che morte,  en  tirant  sur  le  baiser  le  rideau  sombre  de  ses  che- 
veux. Puis  ellfr  ferma  les  yeux.  «  Bonne  nuit,  mon  amant  !  bonne 
nuit,  mon  frère!  »  Et  elle  attendit  délicieusement  le  sommeil  de 
réternelle  nuit  incestueuse  » 

Qu'en  dites-vous,  lecteur  érudit?  C'est  du  rornantisme,  n'est-ce 
pas?  El  de  fond  cl  de  forme.  N'est-ce  pas  amusant  et  intéressant 
que  ces  bouts  de  phrases  :  «  Tout  était  sombre,  hormis  Te 
sépulcre  qui  était  pâle.  »  —  «.  Stéphana  entra  dans  le  tombeau 
et  repoussa  le  bailanl  de  fer  qui  sonna  lourdement.  »  —  «  Si 
les  déchirements  de  la  faim,  si  les  affres  de  l'agonie  lui  arra- 
chaient de  lâches  cris,  nul  ne  les  entendrait,  ces  cris!  »  — 
Ah!  la  Tour  de  Nesles!  Ah!  Buridan! 

M.  Catulle- Mendès  conlinucra-t-il  l'exploitation  de  celte  veine. 
En  le  faisant  il  sort  assurément  de  son  talent  tel  qu'il  est  présen- 
tement fixé  et  on  s'en  aperçoit  à  ses  gaucheries.  N'importe, 
l'essai  fait  plaisir.  Peut-être  se  rendra-t-il  bientôt  maître  de  cette 
forme  nouvelle,  quoique  son  icmpérament  calme  d'écrivain, 
sinon  son  tempérament  d'homme  qui  à  tort  ou  à  raison  passe 
pour....  brillant,  semble  peu  en  rapport  avec  l'épopée.  II  va 
quatre  autres  villes  à  visiter  pour  faire  le  tour  entier  du 
lac  :  Sédôm,  Zoboïm,  Gamora,  Adama.  Le  cycle  pourrait 
prendre  le  nom  de  Penlapole.  Peut-être  qu'après  le  voyage 
accompli  il  sera  débarrassé  de  sa  manie  pornographique  el 
apte  à  s'adonner  à  un  art  moins  corrupteur.  Cette  évolution 
sera  curieuse  à  suivre.  Mais  le  bagne  du  journalisme,  la  nécessiié 
de  vivre,  la  voracité  du  public  accoutumé  désormais  à  sa  ration 
hebdomadaire  de  polissonneries,  ne  le  rejetteront-ils  pas,  quoi 
qu'il  fasse,  dans  le  tub  aux  eaux  de  boudoir  où  il  a  batifolé  si 
longtemps  qu'il  est  difficile  de  se  le  représenter  ailleurs? 


ÎJn  VOYAQE 

UN  CHEF  D  ORCHESTRE  VIENNOIS 

Les  cheveux  lustrés,  la  moustache  formant,  sous  le  nez  un  peu 
retroussé,  un  V  correct,  tranchant  net  sur  la  peau  basanée  du 
visage,  le  sourcil  légèrement  froncé,  comme  il  convient  à  un 
homme  qui  a  des  préoccupations  absorbantes,  chef  d'Etat  ou 
directeur  d'orchestre,  Edouard  Strauss  s'avance  sur  l'estrade  à 
pas  rapides,  bien  mesurés,  et  prend  place,  face  au  public,  devant 
un  petit  pupitre  recouvert  de  reps  incarnadin. 

Pupitre  d'ailleurs  inutile,  car  Strauss  va  diriger  par  cœur. 
Toutes  les  valses  de  la  dynastie,  toutes  les  polkas  écloses  dans  la 
mousse  de  la  Pilsen-bier,  tous  les  quadrilles  qui  font  lever,  à 
VOrpheumy  au  Diana  bail,  au  Colosseum,  les  jolis  bas  de  soie 


278 


VART  MODERNE 


viennois,  il  les  connaît,  il  les  lient  au  bout  de  son  archet,  il  peut 
même  les  faire  sautiller  sur  le  violon  luisant,  coquet,  élégantqu'il 
lient  de  la  main  gauche,  la  mentonnière  appuyée  sur  la  cuisse. 

D'un  geste, onctueux  il  a  levé  le  bras,  faisant  saillir  de  l'habit 
noir  un  bout  de  manchette  blanche.  Enlevez  rarcliet,  Strauss  vous 
fera  songer  à.  un  diplomate.  Oh!  l'extérieur  seulemenl,  la  cor- 
rection de  la  toilette,  la^  régularité  géométrique  de  la  raie  qui 
partage  la  chevelure  d'ébène,  l'exacte  pondération  du  geste,  la 
gravité  un  peu  froide  de  Tattilude.  Allongez  au  contraire  cet 
arcliel.  Donnez-lui  en  imagination  environ  deux  mètres,  —  la 
dimension  d'une  chambrière,  par  exemple,  —  l'artiste,  chose 
remarquable,  sera  l'image  d'un  écu ver.  Très  exactement  M.  Loyal. 
«Une,  deux!  Pii^ouette!  ». 

Et.sur  ce  «  Une,  deux!  »  voici  la  musique  qui  part,  gargouil- 
lant dans.le&,çpntre]>a$;$es,.piaulaHt  dans  les  clarinettes,  hoquetant 
dans  les  bassons,  sifflante  et  douce  sur  le  chevalet  des  violons. 

Edouard  Strauss  la  balance  d'un  bras  souple,  et  son  corps  suit 
le  dandinement  de  ce  bras.  Oui,  ilidanse  en  dirigeant.  Ses  pieds 
s'agitent,  son  bustiî  se  cambre,  ses  épaules  marquent  les  trois 
temps. 

L'archet  du  maître  fouille  l'orcheste,  à  droite, à. gauche;  ici,  là, 
plane  sur  la  léte  des  premiers  violons,  menace  les  cors,  passe 
comme  un  éclair,  en  zig-zaguant,  sous  le  nez  de  la  harpiste.  Il  y 
a  dans  Strauss  du  magnétisme. 

Et  du  pécheur  h  la  ligne  aussi.  Tout  en  promenant  son  bAton 
de  crins,  il  cherche,  c'est  évident,  à  agripper  quelque  chose  dans 
le  courant  d'harmonie  qui  roule  à  ses  pieds.  Ça  y  est!  Il  le  tient. 
C'est  le  rythme,  qu'il  a  harponné  d'une  main  ferme.  Il  le  garde 
suspendu,  frémissant,  durant  quelques  secondes,  et  lentement, 
sans  secousses,  abaissant  l'archet,  il  lui  donne  du  champ,  pour 
le  ramener  un  instant  après,  haletant,  et  recommencer  sans  cesse 
le  même  jeu.    .  ,  , 

Ah?  il  est  habile  homme,  Edouard  Strauss,  le  grand  Strauss; 
il  sait  mener  la  valse  comme  il  convient,  avec  les  retards  langou- 
reux qui  gonflent  les  poitrines,  les  silences  subits  pleins  de 
, battements  de  cœur,  les  mouvements  rapides  qui  précipitent 
l'impatience  dos  jambes. 

Ecoutez,  c'est  une  valse  de  sa  composition  que  l'orchestre 
lance  aux  marronniers  du  Volks-Garlen,  aux  feuillages  desquels 
s'enroule  en  spirales  la  fumée  des  Cigarettes  traversée  par  des 
vols  rapides  de  phalènes.  Le  programme  porte  Dfictrinen- 
Walzer^  et  devant  le  kiosque,  sur  le  gravier  grinçant,  la  foule 
s'est  amassée.  Des  gorges  pointées  en  batterie  sur  des  affûts  de 
velours  rouge,  des  uniformes  bleu  d'azur  ou  marron,  le  va-et- 
vient  des  garons  décorés  d'un  numéro  de  cuivre  et  passant  des 
plateaux  chargés  de  glaces  et  de  gâteaux,  sur  ce  fourmillement 
multicolore  qu'animent  des  cliquetis  de  sabres  et  des  jacasse- 
ments de  femmes,  Edouard  Strauss  lâche  le  vol  tournoyant  de  sa 
musique,  la  retenant  d'une  aile^  parfois,  pour  la  faire  palpiter 
plus  fort,  et  la  lance,  et  la  ramène,  avec  des  gestes  ronds,  et  la 
fait  rebondir,  fouettée  de  deux  coups  d'archet,  et  la  laisse 
s'échapper,  et  la  rattrape,  et  enfin  l'arrête  net,  avec  une  autorité 
souveraine,  tandis  que  le  tumulte  des  claquements  de  mains 
domine  les  bavardages,  et  que  Strauss,  le  grand  Strauss  s'enfuit 
modestement  pour  se  soustraire  aux  ovations. 

Ce  n'est  plus  le  diplomate,  ni  l'écuyer,  ce  n'est  plus  le  magné- 
tiseur ou  le  pêcheur  à  la  ligne  :  c'est  la  danseuse  qui  se  sauve 
en  courant  pour  j|voir  le  temps  de  revenir  avant  que  le  bruit 
des  applaudissemenls  ait  cessé. 


Le  long  du  Ring,  dans  le  lintinnabulement  des  clochettes  du 
tramway.  Vienne,  eh  allant  se  coucher,  le  gaz  d\i  Volks-Garlen 
éteint,  fredonne  les  valses  d'Edouard  Strauss,  le  clicf  d'orchestre 
favori. 


la'ÉLAQAQE   DE^   ARBRES 

Nous  avons  parcouru  ces  jours-ci  les  beaux  boulevards  établis 
sur  les  anciens  remparts  de  Mons.  Dans  dix  ans  ils  seront  une 
des  belles  promenades-,de  Belgique  et  entoureront  l'élégante  et 
délicate  Tour  du  Château  d'une  ceinture  digne  d'elle. 

Mais  pourquoi  élaguer  si  bas  les  ormes,  les  marronniers,  les 
platanes,  les  tilleuls,  les  peupliers  d'Italie  qui  s'y  alignent?  C'était 
aussi  la  nmnie  à  Bruxelles  avant  qu'un  homme  de  goût,  amant 
de  la  belle  verdure,  le  bourgmestre  actuel.  M-.  Bufïs,  n'eut  dé* 
fendu  de  traiter  les  futaies  de  nos  promenades  comme  des  futaies 
de  rapport  devant  pousser  en  hauteur  afin  d'arriver  à  un  plus 
grand  débit  de  planches  après  l'abatage  et  la  mise  en  sciage. 
Cela  est  opportun  pour  les  bèis  destinés  à  être  mis  en  coupe 
marchande,  mais  c'est  ridicule  et  barbare  pour  les  arbres  d'orne- 
ment. La  coutume  s'en  élaH  établie  parce  qu'on  chargeait  les 
bûcherons  de  la  Forêt  de  Soignes  dciî'émondage  et  que  ces 
braves  gens  ne  connaissaient  que  la  meiUeure  manière  de  faire 
grossir  les  troncs. 

Dans  les  promenades  il  faut  l'ombre,  l'ombre  basse  et  la  fraî- 
cheur, commençant  tout  de  suite,  formant  berceau,  mystérieuse 
et  épaisse.  Toutes  les  branches  doivent  donc  être  respectées, 
tous  les  bourgeons  advenlices  sauvegardés  et  laissés  k  leur  libre 
croissance,  ceux  qui  poussent  le  plus  près  du  sol  surtout.  Il  ne 
faut  supprimer  que  ce  qui  gèue  évidemment  le  passage.  On 
obtient  ainsi  des  allées  magnifiques  et  charmantes. 

Pourquoi  aussi,  h  Mons,  avoir  planté  près  de  la  gare  des 
marronniers,  des  ormes  et  des  tilleuls  dont  le  feuillage  noircit 
tout  de  suite  et  horiblement  quand  il  est  exposé  aux  fumées? 
Le  platane,  l'acacia  résistent  mieux  et  restent  d'un  vert  agréable. 

De  plus,  au  lieu  de  donner  en  location  les  pelouses  à  des  fau- 
cheurs d'herbes,  pourquoi  ne  pas  les  donner  en  location  à  des 
bergers  comme  au  bois  de  la  Cambre  et  dans  les  parcs  de 
Londres?  On  a  alors  une  herbe  rase,  bien  foulée,  constamment 
engraissée,  d'un  aspect  superbe,  au  lieu  des  longues  tiges  de 
graminées  sèches  et  jaunâtres  qui  laissent  l'impression  d'un 
défaut  de  soin. 

Grâce  enfin'pour  ces  peupliers  d'Italie  de  Mons,  déjà  d'un  hcli/ 
âge,  qu'on  abat  ?ur  les  côtés  latéraux  quand  on  y  bâlit  une 
maison.  Ne  pourrait-on  imposer  un  léger  recul?  Nous  avons  le 
culte  des  arbres.  11  n'en  faudrait  jamais  abattre  aux  environs  des 
villes  et  dans  les  villes,  sans  mûre  délibération.  Ici  encore  nous 
répéterons  notre  formule  pour  l'embellissement  de  nos  cités  : 
Maintenir  en  appropriant. 


M'- 


Petite  chroj^ique 

Mercredi  prochain,  à  2  heures,  s'ouvre,  au  Palais  des  Beaux- 
Arts,  l'Exposition  des  tableaux  de  Maîtres  anciens,  organiisée  par 
l'Académie  royale  de  Belgique,  au  profit  de  la  Caisse  centrale  des 
artistes.  Nous  en  rendrons  compte  prochainement. 

Voici  le  tableau  complet  et  définitif  de  la  troupe  de  la  Monnaie. 


'    ■ ,  ■  7. 


UART  MODERNE 


279 


Chefs  de  service  :  MW.  Joseph  Dupont,  premier  chef  d*OPclies- 
Ire;  Léon  Jehin,  chef  d'orchestre;  Ph.  Flon,  second  chef  d'opchcs- 
Ire  ;  Lapissidoy  régisseur  général  ;  Falchieri,  régisseur  de  la  scène 
parlant  au  public;  Léon  Herbaut,  second  régisseur;  Saracco, 
maître  de  ballet;  Ducliamp,  régisseur  du  ballet  ;  Beaiuvais, 
Trailie  et  Paul  Mailly,  piani&les-accompagnateurs;  Fiével,  biblio- 
thécaire; Bullens,  chef  de  comptabilité;  Charles  Lombaerls, 
machiniste  en  chef;  Feignaert,  costumier;  Bardin,  coiffeur; 
Colle;  armurier;  Jean  Cloetens,  préposé  à  la  location,  contrôleur 
en  chef;  Maillard,  percepteur  de  l'abonnement;  Lyncn  et  Devis, 
peintres  décorateurs. 

Grand  opéra,  traductions,  opéra-comique.  —  Ténors  : 
MM.  Sylva,  Engol,  Berroney,  Gandubert,  Labaudière,  Nerval 
et  Durand,  -—^rtry/0715  :  MM.  Séguin,  Giraud  et  Renaud.  — 
Basses  :  MM.  Bourgeois,  Isnardon,  Chappuis,  Frankin  et 
Séguier. 

Chanteuses  ;  M"™**  Litvinne,  Marie  Vuillaume,  Martini,  Balensi, 
Thuringer,  Wolf>  Angèle  Legault,  Gayet  et  Gandubert. 

Coryphées  :  M™®*  Vieminckx,  Legros,  Tilman,  Zoé,  et 
MM.  Fleurix,  Léonard,  Krierj  Vanderlinden,  Blondeau,  Schmier, 
Simonis,  Pennequin  et  Dobbelaere. 

Artistes  de  la  danse.  —  Danseurs  :  MM.  Saracco,  Duchamp, 
Desmet  et  De  Ridder. 

Danseuses  :  M"»^"  Cleofe  Lavezzari,  l'^  danseuse;  Consuelo 
De  Labruyère,  l'®  danseuse- demi-caractère;  Terèsa  Magliani 
el  Emilia  Righeltmi,2««  danseuses;  Enrichelta  Righettini,  3«  dan- 
seuse. 

Coryphées  :  M*""*  Vanlancker,  Tribout,  Desmet,  Echacht, 
J.  Matthys,  Zuccoli,  Vangoelhem  et  M.  Matthys.  —  Trente-huit 
danseuses.  —  Douze  danseurs. 

Chœurs.  —  Orchestré.  —  Musique  de  scène. 

Une  société  d*aquaforlistes,  ayant  pour  but  de  répandre  el 
d'encourager  l'art  de  la  gravure,  vient  d'élre  ^  constituée  à 
Bruxelles  sous  le  tilrc  de  Société  des  Aquafortistes  belges. 

Cette  société  publiera  annuellement  un  album  composé  de 
quinze  planches  inédites;  elle  pourra  organiser  des  expositians 
de  blanc  et  noir.  Elle  invite  les  artistes  à  prendre  part  aux 
concours  qu'elle  organise,  et  les  engage  à  lui  adresser  le  plus 
tôt  possible  les  planches  qu'ils  destineraient  aux  publications  de 
la  société. 

La  cotisation  annuelle  pour  les  membres  effectifs  et  honoraires 
est  fixée  au  chiffre  de  quinze  francs  et  donne  droit  à  un  cxem- 
plâirie  de  l'album  (édition  ordinaire). 

Les  membres  qui  en  feront  la  demande  par  écrit  au  directeur 
des  publications  recevront,  moyennant  une  cotisation  de 
soixante  francs,  un  exemplaire  de  luxe  de  l'album  (édition  de 
bibliophile).  Les  exemplaires  formant  cette  édition  spéciale 
seront  numérotés  et  porteront  l'indication  du  nombre  auquel  ils 
auront  été  tirés. 

La  commission  administrative  est  composée  de  MM.  C.  Van 
Camp,  président;  J.-B.  Meunier,  vice-président;  Em.  de  Munck, 
directeur  des  publications;  F.  Khnopff,  membre;  M.  Benoidt 
(avocat),  secrétaire-trésorier. 

Le  Cercle  artistique  de  Tournai,  dont  nous  nous  sommes 
occupés  l'an  dernier  et  dont  la  première  exposition  avait  dépassé 
toutes  les  espérances,  vient  d'en  organiser  une  nouvelle  qui  sera 
ouverte  du  12  au  26  septembre. 

MM.    Constantin    Meunier,    Terlinden,  Alexandre    Marcelle, 


M"«  Terlindcn,  etc.,  ont  déjà  répondu  à  son  appel.  On  compte 
sur  d'autres  adhésions  intéressantes.  On  nous  assure  que  M"«  Ga- 
brielle  de  Villers  est  parmi  les  orgnisaieurs  les  plus  actifs. 

Dans  le  dernier  et  fort  intéressant  numéro  de  la  Revue  (tan 
dramatique  que  nous  avons  déjà  recommandée  à  diverses  reprises, 
citops  un  article  de  M.  Alphonse  Pages  :  «  Comment  faul-il 
traduire  Shakespeare  »  el  une  jolie  étude  de  M.  Ballieu  :  «  La 
pantomime  française  ».  Il  contient  en  outre  une  curieuse  lettre 
inédile  de  Bocage. 

Quelques  nouvelles  théâtrales.  L'Opéra-Comique  de  Pans  verra 
éclore  celte  année  plusieurs  nouveautés  intéressantes.  D'abord,  le 
Roi  malgré  lui,  trois  actes  de  M.  Emmanuel  Chabrier,  paroles  de 
MM.  de  Najac  et  Burani,  tirés  d^u ne  pièce  d'AhccloiV  puis 
Madame  Scapin,  de  M.  Théodore  de  Laparic  ;  le  Signal,  un  acte 
écrit  par  un  débutant,  M.  Paul  Pugel,  sur  des  paroles  de 
MM.  Dubrenil  el  Busnach.  On  parle  aussi  d'un  ouvrage  en  trois 
actes  el  quatre  tableaux  de  M.  Sainl-Saëns,  sur  un  poème  de 
M,  Louis  Gallet,  tiré  d'un  drame  de  Vacquerie.  Le  titre  de  l'œuvre 
sersi  Proserpine,  Enfin,  il  est  question  d'un  Circe\  dont 
M.  Jules  Barbier  vient  d'écrire  le  livret  et  dont  la  musique  serait 
confiée  à  M.  Ambroise  Thomas, 

A  Vienne,  il  y  aura  celte  année  une  première  à  sensation,  celle 
.'  de  Merlin  Venchanteur,  le  nouvel  opéra  de  Goldmark.  Au 
théâtre  An  der  Wien,  on  va  mettre  à  l'élude  le  Vice-Amiral^ 
opérette  nouvelle  de  Millôcker;  paroles  de  MM.  Zell  el  Genee. 

Les  deux  pigeons,  le  ballet  en  deux  actes  de  M.  Messager,  est 
en  répétitions  à  l'Opéra  de  Paris  et  passera  très  prochainement. 

Plusieurs'journaux  ont  annoncé  que  Liszt  était  mort  pauvre 
Celte  nouvelle  est  inexacte.  Il  laisse  environ  30,000  francs  de 
rente.  Son  testament  attribue  toute  sa  forjune  à  la  princesse 
W^éltgenstern.  N'est-ce  pas  elle  dont  Liszt,  en  son  jeune  temps, 
avait  refusé  la  main,  étanl  d'avis  (très  sage  d'après  nous)  qu'un 
artiste,  comme  un  homme  d'action,  no  doit  jamais  s'engager 
dans  la  servitude  du  mariage  et  de  la  famille. 

On  avait  dit  également  que  les  restes  du  maître  n'avaient  été 
inhumés  que  provisoirement  à  Bayreulh  et  qu'ils  seraient  ulté- 
rieurement transportés  soit  à  Weimar,  à  la  demande  du  grand- 
duc,  soit  à  Peslh.  On  écrit  de  Vienne  ^  VJnde'peyidance  que 
M""®  Wagner,  fille  de  l'illuslre  défunt,  s'oppose  formellemenl  à 
toute  exhumation. 

11  y  avait  dix  ans  le  i3  août  que  le  rideau  se  leraponr  la  pre- 
mière foia  au  théâtre  de  Bayreulh  pour  les  représentations  du 
Rheingold.  Les  interprèles  du  maître  qui  ont  pris  part  à  cette 
j;eprésenlalion  mémorabje  se  rappellent  encore  le  dernier  conseil 
de  Wagner,  que  chacun  d'eux  trouva  le  soir  même  affiché  dans 
sa  loge.  .En  voici  le  texte.  Beaucoup  de  nos  chanteurs  d^op^ras, 
qui  ne  se  visent  qu'à  des  effets  de  voix,  feraient  )i)içn  de  le 
méditer  : 

«  Dernière  prière  à  mes  chers  collaborateurs  :  Soyers  clairs  ! 
Les  grandes  notes  viennent  d'elles-mêmes  ;  ce  sont  les  petites 
avec  leur  texte  qui  sont  la  grande  affaire.  Ne  dites  jamais  rien 
au  public  ;  adressez-vous  toujours  à  vos  partenaires  ;  dans  les 
monologues,  portez  toujours  le  regard  en  haut  ou  en  bas;  ne 
regardez  jamais  devant  vous. 

«  Dernière  prière  :  Continuez  à  m'aimer. 

«  Bavreuth,Me  43  août  1876. 

«  Richard  Wagner. 


/ 


T  •:••'■'        )>. 


m 


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nique,  à  4  mains,  fr.  2-50. 

DE  SWERT,  J.  Op.  44.  Impromptu,  pour  violoncelle  avec 
accompagnement  de  piano,  fr.  2  00.  —  Op.  45.  Le  Désir ^  morceau 
de  6alon>  pour  violon  avec  accompagnement  de  piano,  fr.  1-75.  — 
Op.  46.  Rêverie,  pour  violon  avec  accompagnement  de  piano,  fr.  1-75. 

HERRMANN,  Th.  Op.  28.  Marion- Gavotte,  pour  violon  avec 
accompagnement  de  piano,  fr.  1-35. 


BREITKOPF  &  HÀRTEL 

ÉDITEURS  DE  MUSIQUE 

BRUXELLES,  41,  MONTAGNE  DE  LA  COUR 


EXTRAIT  DES  NOUVEAUTÉS 

Août  1886. 

Bach,  Joh.-Seb.  Cantate,  Notre  Dieu  est  un  Rempart.  Parties 
d'orchestre,  fr.  14  00.  Orgue  seul,  fr.  2-50. 

Dupont,  Auq.  et  Sandre,  Gust.  Ecole  de  piano  du  Conservatoire 
royal  de  Bruxelles.  Livr.  XV.  Haydn,  3  sonates,  fr.  5-00. 

Ljszt,  Franz*  Tannhâuxer,  Transcription  arrang.  pour  2  pianos 
à  8  mains,  fr.  6-60. 
r  Pàlestrina.  Œuvres.  Vol.  XVIII  (Messes  9«  livre),  fr.  18-75.    - 

Waoner.  Tristan  et  Yseult    Partition  chant  et  piano.  Version 
française  de  Victor  Wilder,  fr.  20-00.  —  Id.,  Livret,  fr  1-50. 


:l  ï 


Bruxelles.  —  Imp.  Félix  Callewaert  père.  —  V«  Monnom  successeur,  rue  de  l'Ind  us  trie,  ta. 


>    f 


Sixième  année.  —  N**  36. 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  5  Septembre  1886. 


L'ART 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTERATURE 


ABONNEMENTS  i    Belgique,  un  an,  fr.  10.00;  Union  postale,   fr.    13.00.-  —  ANNONCES  :    On  traite  à  forfait. 


Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 

l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


? 


OMMAIRE 


Silhouettes  ^'aï^tistes.  Fer n and  Khnop^.  —    En  voyage.  Un 
sermon  à  la  mer.  —  Petit  Poucet.  —  La  foire  et  les  platanes 

DU    BOULEVARD.     —    M»"»    RoSE    CaRON    DANS    FauSt    A    l'OpÉRA   DE 

Paris.  —  Glanures.  —  Petite  chronique. 


SILHOUETTES    D'ARTISTES 


FERNAND  KHNOPFF  (') 

Fernand  Khnopff? 

Un  entêté,  un  artiste.  "  . 

Oui,  plus  encore  qu'un  artiste  —  et  Dieu  sait  combien 
il  l'est!—  un  entêté.  Ce  n'est  un  défaut  que  pour  les 
imbéciles.  Aussi  fais-je  l'éloge  de  Fernand  Khnopff. en  le 
qualifiant  tel,  lui,  le  serré,  le  froid,  le  fermé,  le  britan- 
nique, qui  réfléchit  plus  qu'il  ne  parle,  qui  observe  plus 
qu'il  n'explique. 

Certes  est-il  trop  poli  pour  afficher  que  son  plus  entier 
bonheur  serait  de  n'être  interrogé  ni  distrait  par  per- 
sonne. Toutefois,  il  ne  cause  que  pour  ne  point  déso- 
bliger, il  ne  rit  que  pour  ne  point  fâcher,  il  né  se  mêle 
aux  discussions  —  toujours  inutiles  —  que  pour  n'en 
point  paraître  dédaigneux.  S'il  le  voulait,  il  serait  un 
causeur  sarcastique  et  subtil;  néanmoins,  si  nul  ne 
l'attaque,  son  désir  de  faire  parade  d'esprit  ne  va  point 
jusqu'à  trancher  n'importe  quoi.  11  passe  inaperçu  et  les 
dames  doivent  le  trouver  quelconque. 


(*)  L'étude  sur   Fernand  Khnopff,  dont  nous  commençons  aujourd'hui  la 
pubUcation,  paraîtra  dans  plusieurs  numéros  successifs  de  l'Art  moderne. 


Et  pourtant  quelle  physionomie  curieuse  au  repos 
aussi  bien  qu'en  mouvement  :  deux  petits  yeux  métal- 
liques très  aigus,  le  menton  légèrement  effilé,  une  bouche 
méprisante  et  une  chevelure,  oh!  la  belle  chevelure  rousse 
et  barbare  faisant  des  boucles  multipliées  autour  du  front 
et  donnant  à  l'ensemble  je  ne  sais  quel  couronnement 
farouche.  Attitude  raide,  tenue  correcte,  très  simple. 
Horreur  de  tout  débraillé.  Clergyman  en  train  de  devenir 
dandy. 

Si  Fernand  Khnopff  est  peu  expansif,  combien  ne 
doit-il  pas,  dans  le  seul  à  seul  de  l'étude,  discuter  avec 
lui-même!  Que  de  luttes  et  de  tensions  d'esprit  en  face 
de  l'œuvre,  le  matin,  le  jour,  le  soir,  la  nuit,  toujours  ; 
oui,  la  nuit  quand  l'idée  s'ébauche  et  qu'il  faut  la  saisir 
et,  sautant  du  lit,  la  clouer  sur  le  papier  ou  sur.  la  toile. 
Le  lendemain,  ce  frêle  tremblement  d'étoile,  on  ne  le 
verrait  plus. 

Aussi  la  vie  de  Fernand  Khnopff  est-elle  une  claustra- 
tion perpétuelle.  Pénétrer  chez  lui,  c'est  le  diable.  Et 
quand  on  s'y  trouve,  il  faut  qu'il  ait  en  vous  une  confiance 
absurde  pour  délier  un  à  un  ses  cartons,  montrer  une  à 
une  ses  études,  dévoiler  point  par  point  sa  marche  eh 
avanxTQuant  à  tel  tiroir,  jamais  vous  ne  saurez  ce  qu'il 
contient;  ce  sont  ses  pensées  de  derrière  la  tête. 

Bonne  et  seule  vie  d'artiste  après  tout  et  avec  ses 
mystères  et  avec  ses  cachotteries  et  avec  ses  réticences! 
Il  n'est  pas  d'âme  haute  qui  ne  soit  solitaire  et  d'un 
recueillement  continu,  prolongé  et  mystique.  Quelquefois 
elle  s'hypocritise  de  joie  ou  de  factice  distraction  mais  le 
fond  ne  change  point. 


On  peut  s'isoler  au  milieu  des  réunions  les  plus  mon- 
daines,  s'abstraire  des  bruits  do  soie  et  de  babil  féminins, 
passer  dos  heures  en  habit  noir  et  revenir  chez  soi  et 
reprendre  le  pinceau  ou  la  plume  comme  si  l'on  était 
allé  regarder  à  sa  fenêtre  un  nuage  qui  passait.  Même  il 
est  certains  penchants  que  cette  excursion  au  dehors 
aiguisent  :  les  impressions  d'ennui. 

Aussi  bien  vivre  à  part,  vivre  loin  de  tout,  n'est-ce  pas 
une  question  d'orgueil  nécessaire?  Une  œuvre  à  créer, 
;  quoi  do  plus  grand  et  quel  respectueux  tête  à  tête  ne 
demande-t-elle  point.  Il  est  dos  heures  où  elle  nous  est 
tout.  Sa  vie?  plus  sacrée  que  l'existence  de  n'importe 
quoi  et  de  n'importe  qui.  Quel  est  l'artiste  qui  n'ait  senti 
cette  totale  passion,  lequel?  et  ne  se  soit  dit,  ne  fut-ce 
qu'un  instant,  instant  d'exultation  suprême  où  tout  ce 
qu'il  avait  de  talent  se  dépensait,  que  le  monde  entier  et 
parents  et  amis  pourraient  périr  plutôt  que  son  travail  ! 
^  Claustration  et  égoïsme,  tels  sont  donc  les  vertus  et  les 
goûts  des  créateurs  de  beau  et  des  apporteurs  de  mer- 
veilles. Rien  ne  peut  les  remplacer  et  il  est  lâche  de  ne 
point  oser  proclamer  devant  certain  monde  scandalisé  et 
qu'on  est  un  reclus  et  qu'on  est  un  égoïste.  L'artiste  n'a 
qu'un  amour,  c'est  son  travail,  il  n'a  pas  le  temps  d'en 
avoir  d'autres;  l'artiste  n'a  qu'une  demeure,  c'est  son 
atelier,  il  ne  peut  se  plaire  ni  aux  salons,  ni  aux  boudoirs, 
les  meubles  y  affichant  un  goût  affreux  et  les  dames  y 
parlant  comme  chez  la  tailleuse  ou  la  modiste. 

Ce  que  veut  Fernand  Khnoplf  il  le  veut  aussi  immua- 
blement qu'il  est  possible  de  vouloir.  Mais  il  a  la  volonté 
'muette.  Y  ena-t-il  une  autre?  Il  avance  lentement  en  ce 
qu'il  projette  et  mystérieusement;  il  ne  lâche  jamais  une 
résolution,  il  n'atténue  jamais  un  oui  ni  un  non.  Il  ne  sait 
pas  ce  qu'est  douter.  Décider,  c'est  accomplir. 

Si  donc  on  cherche  l'unité  qui  scellera  cette  étude,  la 
Voici:  L'art  de  Fernand  Khnopffest  plus  encore  basé  sur 
une  force  morale  que  sur  une  faculté  intellectuelle.  La 
volonté  le  pénètre,  le  vivifie,  l'épanouit.  Elle  ne  crée  pas  le 
peintre  —  ce  qui  serait  impossible  —  mais  elle  le  dessine 
tel  qu'il  apparait  non  pas  de  profil  ni  en  buste  mais  en 
pied. 

Jadis  dans  une  conférence  aux  XA',  Edmond  Picard 
tranchait  que,  dans  des  batailles  esthétiques,  avoir  du 
caractère  primait  avoir  du  talfent.  Oh!  marcher  sans 
jamais  dévier  d'un  pas  ;  s'avancer  avec  le  désir  bien  plus 
qu'avec  la  crainte  d'effaroucher  ses  adversaires.  Ne  pas 
même  prendre  garde  à  leurs  dents  parce  qu'on  les  juge  en 
carton,  à  leurs  yeux  parce  qu'ils  viennent  de  chez  le 
critique  du  coin,  à  leurs  griffes  parce  que  ce  sont  d'inof- 
fensives  virgules,  à  leur  rage  parce  qu'elle  écume  comme 
une  savonnée  de  ménagère.  Passer!  Ou  bien,  si  la  bêtise 
trop  persistante  pousse  à  bout  la  patience,  se  délecter 
parfois  dans  une  fumisterie  charmante,  supérieurement 
menée,  cruellement  accomplie  et  ponctuée  d'un  rire  final 
et  discret  qui  est  de  la  joie  concentrée  et  sublimée! 


Fernand  Khnopff  arbore  une  telle  conduite  et  connaît  un 
tel  rire. 

Quand  on  est  égoïste,  solitaire  et  obstiné  comme  lui, 
l'art  qu'on  fait  doit  être  logiquement  un  art  de  patience 
de  précision  et  de  raisonnement.  C'est  le  sien.  Telles  pré- 
misses, telle  conclusion. 

Et  tout  d'abord  sa  facture.  A  voir  peindre  tel  artiste 
au  doigt  léger  et  élégant,  on  songe  vaguement  à  des  vir- 
tuosités de  pianiste.  Tel  enthousiaste  est  superbe  et  pres- 
que dandy  à  jouer  du  pinceau  comme  d'une  badine,  à  se 
reculer  pour  voir  l'effet  cherché,  l'îippuie-main  moulinant 
au  bout  du  bras,  à  se  laisser  emballer  par  sa  fougue  de 
nerfs  habiles  et  heureux.  Son  corps  entier  participe  à 
telle  touche  passée  vivement,  à  tel  coup  do  brosse  décisif, 
à  tel  effleurement  de  toile. 

Fernand  Khnopff?  tout  au  contraire,  ne  bouge  presque 
ni  ne  s'emballe.  Minutieux,  à  petits  coups  brefs,  avec  une 
lenteur  à  peine  inquiète,  sa  pointe,  brosse  ou  crayon, 
griffe  le  panneau  ou  le  papier.  Mais  son  regard  est  aigu  à 
l'extrême,  on  sent  un  vouloir  cruel,  on  y  surprend  toute 
une  observation  tendue  vers  les  choses,  implacable  et 
incessante,  La  main  ne  fait  aucun  mouvement  que  n'ait 
déterminé  et  contrôlé  la  pensée.  Elle  n'hésite  point, 
toutefois  elle  n'a  aucun  entrain,  aucune  folie,  elle  est 
d'une  réserve  et  d'une  prudence  nettes.  Point  de  belle 
liberté  de  dessin,  point  de  facture  forte  et  caractérisante, 
-mais  des  traits  minces,  fureteurs,  nienus,  secs,  décisifs, 
mais  presque  de  l'écriture. 

Est-il  besoin  d'ajouter  que  tout  minutieux  que  soit  le 
faire  de  Fernand  Khnopff,  il  n'est  en  rien  semblable  aux 
lècheries  et  aux  pointillés  et  aux  marquetteries  de  pan- 
toufles des  peintresses  et  des  imagiers.  S'il  rappelle 
quelqu'un,  c'est  les  grands  gothiques. 

(A  suivre/. 

ÎJn   voyaqe  ■ 

un  sermon  a  la  mer 

«  Eglise  des  SS.  Pierre  et  Paul.  Mercredi  18  août  1886,  à 
3  heures  de  relevée.  Sermon  de  charité  prêché  par  Sa  Grandeur 
Monseigneur  Perraud,  Evêque  d'Autun,  de  V Académie  Fran- 
çaise, au  profit  de  V Orphelinat  de  St.-  Vincent  à  Ostende.  Carte 
d'entrée  place  réservée,  5  francs.  » 

Je  ramassai  ce  morceau  de  carlon  en  pleines  dunes,  sur  le 
sable  d'un  sentier  vagabondani  entre  les  durs  aiguilles  de  i'Oya 
frissonnante,  entre  Middelkorke  et  Weslende,  non  loin  de  la 
cabane  longue  et  basse  oii  je  m'éiais  blotti  depuis  quelques  jours 
comme  entrée  de  jeu  de  vacances.  Un  promeneur  d'Ostende 
apparemment  qui  l'avait  laissé  tomber. 

Un  sermon  par  un  évoque,  diable!  Par  un  évéque  académicien, 
diable!  diable!!  C'est  rare  les  bons  sermons  désormais.  Combien 
loin  le  jour  où  j'entendis  Lacordaire.  Plus  de  père  Hyacinthe,  à 
peine  de  temps  en  temps  un  Monsabré.  Et  encore  çst-ce  la 
France,  loul  ça.  Chez  nous,  rien.  Si  j'allais  en  l'église  des 
SS.  Pierre  et  Paul,  pour  voir.  Peut-être  csl-il  orateur  cet  évéque 


d'Aulun,  sncccsscur  éloigné  de  Sicycs,  Tliomme  qui  dit  en  1789  : 
Coupons  le  câble.  Risquons.  Oui,  nnais  le  mercredi  18  août,  c'est 
aujourd'hui.  A  3  heures  de  relevée  :  il  est  une  heure  ;  à  déf;iutde 
montre,  je  le  seniirais  à  l'îiplomb  du  soleil.  Je  suis  en  vareuse 
gros  bleu  tricotée,  en  pantalon  de  toile  à  voile,  avec  un  chiipoau 
déformé  par  la  pluie  d'hier,  en  souliers  gris.  Il  faudrait  changer; 
je  n'ai  pas  le  temps:  douze  kilomètres  à  faire  en  deux  heures! 
Bah!  partons  comme  je  suis.  Un  pécheur,  fut-ce  un  pseudo- 
pécheur, à  l'église,  ça  se  voit.  C'est  le  cas  de  dire  :  Un  chien 
regarde  bien  un  évéque. 

Au  pas  accéléré,  en  avant!  sur  la  route  plate  qui  joint  le  clocher 
de  l'Ouest  au  clocher  de  l'Est,  droite  comme  une  barre.  .Par  le 
travers  de  Leffinghe,  le  nouveau  Iram  à  vapeur  me  rejoint,  j'y 
saute.  Je  descends  derrière  le  Kursaal,  monstrueuse  construction 
du  genre  Bastringa  major.  Dix  minutes  après  je  suis  sous  le 
porche  sacré  et  au  grand  étonnement  d'un  des  bedeaux  qui 
vendent  les  cartes,  j'en  prends  une  de  cent  sous. 

Très  élégante  l'assemblée  aux  places  réservées;  Des  clairs  vifs 
de  toutes  les  nuances:  des  blancs  écume  de  vague,  des  rouges 
soleil  couchant,  des  jaunes  sable  de  dune,  des  bleus  marine,  des 
verts  algue  fraîche.  Ma  bordée  vers  une  chaise  que  je  vois  libre 
h  quelques  brasses,  fait  sensation.  Qu'est-ce  que  ce  pieux  mate- 
lot venu  de  Oostduinkerk  ou  de  Mannekensvere?  Un  vœu  pro- 
bablement à  Notre-Dame  de  la  Délivrance.  A  cinq  pas  j'aperçois 
un  confrère  Liégeois  qui  me  regarde  curieusement.  Je  ne  bronche 
pas.  Au  contraire,  je  gonfle  la  joue  comme  si  j'y  roulais  une 
chique. 

La  cérémonie  commence  par  un  peu  de  musique.  Je  me 
retourne  vers  le  jubé.  Une  dame  mûre  en  chapeau  et  manteau 
chante  de  la  gorge,^  assez  agréablement  dans  le  haut.  On  dirait 
une  Anglaise  sopranisant  en  allemand.  C'est  sentimental  avec 
onction...  -.,,.,;:. 

Pendant  les  dernières  notes,  une  apparition  violette  a  gravi 
l'escalier  de  la  chaire.  Voici  qu'elle  émerge  dans  la  hune  sacer- 
dotale. Personnage  de  petite  taille.  Figure  sèche,  maigre,  gothi- 
que. Physionomie  distinguée  :  bon  ton  d'évêque  el  d'académi- 
cien, plutôt  d'académicien.  Des  mains  selon  l'ordonnance.  Sur 
la  poitrine  la  croix  .pastorale,  lourde.  Au  doigt,  l'anneau  pastoral, 
lourd. 

Premier  geste  :  se  débarrasser  d'un  coussin  qui  eût  rendu  le 
rebord  de  la  chaire  un  peu  haut  pour  l'orateur.  Premiers  mois,  du 
latin  :  Grnii  estote. 

Grati  estotel  C'est  de  ce  petit  bout  que  va  sortir,  conformé- 
ment à  ja  recelte  de  tout  bon  sermon,  le  discours  entier.  Suivons 
l'ingénieuse  opération. 

Rien  de  saillant  d'abord.  Une  voix  sans  vibration,  corrode  el 
froide,  nette  et  lente.  Un  geste  monolone,  sans  accord  avec  la 
pensée.  De  sentiment  point.  Des  phrases  :  «  Grati  estote,  soyez 
reconnaissants.  C'est  le  fond  de  la  religion,  mes  frères.  Fussiez- 
vous  adeptes  de  la  religion  naturelle,  que  le  principe  serait  encore 
vrai.  Le  soleil  qui  fait  mûrir  les  moissons  d'où  nous  vient  le 
pain,  n'aurait-il  pas  droit  à  votre  reconnaissance?  Grati  estote. 
Les  étoiles  qui  guident  le  navigateur?  Grati  estote.  La  mer  qui 
favorise  le  commerce?  Grati  estote.  Et  qui,  pour  vous,  baigneurs 
d'Oslende,  fournit  la  sanlé  en  même  temps  que  le  poisson?  Grati 
estote.  » 

Une  demi-heure  durant,  l'académicien  el  Tévêquo,  l'un  por- 
tant l'autre,  font  mouvoir  ainsi  le  double  aviron  de  la  périphrase 
rhétoriciennc  el  du  texte  biblique.  Très  banale  celte  navigation 


de  plaisance,  tout  au  plus  une  amplification  pour  un  concojurs 
de  discours  français.  L'assistance  ne  paraît  pas  émue. 

Mais  voici  que  tout  \i  coup  l'orateur  vire  de  bord.  Il  se  met  à 
parler  de  lui  et  de  nous,  quittant  les  déclamations  scolasliques 
pour  toucher  à  la  vie  vraie.  Quel  changement!  Il  raconte  simple- 
ment qu'il  n<î  voulait  [)as  venir.  Pensez  donc,  faire  deux  cents 
lieues.  Qu'il  avait  déjîj  écrit,  que  la  lettre  était  cachetée,  prèle  à 
partir.  Et  qu'alors  (il  ne  sait  comment  cela  est  arrivé),  dans  sa 
mémoire  chanta  inopinément  le  texte  :  Grati  estote.  Et  il  pensa 
que  c'étaient  des  Belges  qui  lui  demandaient  de  venir  aider  à  une 
œuvre  de  charité.  Des  Belges  qu'il  avait  vus  k  Sedan,  après  la 
bataille,  dans  les  villages ardennais,  soignant  les  blessés  français, 
et  plus  tard  en  Belgique  accueillant  les  exilés,  prodiguant  leurs 
biens  et  leurs  secours,  sans  compter.  Et  ce  serait  k  ceux-là  qu'il 
refuserait  son  aide.  Oh!  non,  non,  non,  Grati  estote.  Et  il 
déchira  la  lettre,  et  il  partit,  et  il  arriva,  el  il  prêcha! 

Heût  fallu  voir  comme  ces  dix  minutes  durant  lesquelles 
l'évéque  et  l'académicien  firent  place  à  l'homme,,  à  l'homme  de 
cœur,  changèrent  lé  sort  du  sermon.  On  allait  sortir  en  disant  : 
Déclamateur  !  Maintenant  chacun  pensait  :  Brave  cœ^ur  !  Pour 
faire  hi  miracle  el  revenir  à  l'art  véritable,  il  lui  avait  sutfi  de  se 
dégager  des  oripeaux  du  convenu,  et  d'habiller  sa.  pensée  de 
sincérité  et  de  simplicité,  en  vareuse  et  en  toile  grise,  comme 
j'étais  moi-même. 

Est-ce  que  par  hasard  celte  figure  de  dur  pêcheur  qu'il  avait 
fixé  à  deux  ou  trois  reprises  durant  son  homélie  et  qui  le  fixait 
aussi  en  homme  de  bonne  volonté,  n'illumina  pas  inopinément 
sa  diplomatie  de  beau  parleur  en  lui  donnant  la  vision  de  ce. que 
vaut  le  langage  simple  pour  convaincre  et  pour  séduire.  Dans  ce 
cas  il  eût  pu  dire  une  fois  encore  comme  un  dernier  bonjour, 

•  ■■■■■■ 

comme  un  dernier  bonsoir:  6rma' 6.s/o/é. 


lE  PETIT-POICET 


Il  y  avait  une  fois  un  brave  homme  d'auteur  qui"  s'appelait 
Perrault.  Sa  marraine,  qui  était  fée,  avait  mis  dans  son  berceau 
une  belle  plume,  toute  en  or,  pour  qu'il  pût,  quand  il  serait 
grand,  écrire  de  jolis  contes  pour  les  petits  enfants.  Un  encrier 
taillé  dans  un  bloc  de  cristal  était  placé  à  côté,  plein  d'une  encre 
bleue,  d'une  limpidité  admirable,  et  cette  encre,  spécialement 
composée  par  la  fée,  renfermait  les  germes  d'histoires  merveil- 
leuses où  il  élait  question  de  princesses  endormies  dans  des 
palais  enchantés,  et  réveillées,  après  -cent  ans,  par  un  prince 
beau  comme  le  jour, "de  vilains  loups  ([ui  se  travestissent  en 
mère-grand  pour  dévorer  les  petits  enfants,  de  rats  et  de  souris 
qui  se  transforment,  sur  le  coup  de  minuit,  en  chevaux  magniti- 
ques  et  en  gros  cochers  conduisant  au  bal,  dans  des  carosses 
dorés,  une  pauvre  Cendrillon  dont  le  pied  est  si  mignon  que  le 
fils  du  roi  en  devient  amoureux,  et  vingt  autres  récits  tout  aussi 
beaux. 

Une  vieille  et  méchante  fée,  très  en  colère  à  cause  qu'on  avait 
oublié  de  l'inviter  au  ba[>tême  du  petit  Perrault,  entra  par  la 
fenêtre,  pondant  que  tout  le  monde  élait  à  l'église,  el  jeta  dans 
l'encrier  tout  un  sac  de  saletés  qu'elle  avait  apj)Ortées  avec  elle  : 
des  crapauds,  des  calembours,  des  coqs-à-l'àne,  des  salaman- 
dres, dos  joux  de  nxols,  puis  elle  éclata  de  rire  et  disparut  dans 
la  cheminée  po.ur  retourner  dans  la  tour  où  elle  passait  ses  jour- 
nées il  filer. 


f 


284 


UART  MODERNE 


Heureusemenl,  la  bonne  fée,  en  revenant  de  IVççlise,  eut  l'idée 
de  regarder  dans  l'encrier,  et  elle  s'ai)crçut  que  l'encre  était 
trouble.  Elle  devina  que  la  sorcière  en  était  cause,  et,  ne  i)ouvant 
empêcher  complètement  le  mal  qui  était  fait,  elle  l'atténua  de  son 
mieux  en  enfonçant  bien  au  fond  les  calembours,  les  crapauds  et 
les  coqs-h-l'Ane,  et  comme  il  y  avait  de  bonne  encre  pour  environ 
deux  cents  ans,  elle  fut  rassurée.  Puis  elle  laissa  tomber  dans 
l'encrier  un  peu  de  poussière  de  diamant,  afin  de  corrigoi*  autant 
que  possible  l'effet  des  horreurs  qui  s'y  trouvaient,  et  remonta 
sur  le  pétale  de  rose  qui  lui  servait  de  voiture,  attelé  de  deux 
papillons. 

Voilà  pourquoi,  l'an  4886,  la  plume  féconde  et  spirituelle  de 
MM.  Lelerrier,  Van  Loo  et  Mortier  a  fait  jaillir  des  monstres  de 
l'encrier  de  Perrault.  Et  aussi  pourquoi  ces  monstres  ont  pris 
leur  vol  dans  des  palais  magnifiques,  bûlis  expi'essément  pour  eux 
par  l'habile  architecte  Maurice  Simon,  qui  ne  s'est  pas  contenté 
de  leur  donner  des  palais,  mais  les  a  revêtus  de  riches  babils,  les 
a  éclairés  avec  prodigalité,  a  fait  composer,  pour  les  divertir,  de 
la  musique  nouvelle  par  des  coiijposileurs  presque  célèbres,  tels 
que  M.  André  Messager,  et  a  fait  défiler  sous  leurs  yeux  les  plus 
jolies  femmes  qu'il  a  pu  réunir  après  les  avoir  déshabillées  avec 
élésancc;  "  ' 

Grâce  à  la  poudre  de  diannant  de  la  fée,  tout  est  donc  arrangé. 
Il  s'est  trouvé  à  propos,  dans  Bruxelles,  non  loin  de  la  Bourse, 
une  salle  avec  beaucoup  de  praticables  pour  y  faire  circuler 
beaucoup  de  brillantsdéfilés,  avec  beaucoup  de  coulisses  pour  y 
planter  beaucoup  de  châssis  somptueusement  enluminés,  avec 
beaucoup  de  trappes  pour  y  faire  disparaître  beaucoup  de  carton- 
nages amusants,  avec  beaucoup  de  tringles  pour  y  suspendre 
beaucoup  de  femmes  dans  des  nuages  de  tarlatane,  dans  des 
brouillards  de  gaze  lamée  d'or,  dans  des  éblouissements  de  feux 
'"    de  Bengale  et  de  lumière  électrique. 

El  il  y  a  tant  de  tout,  tant  de  forêts  enchantées',  tant  de  grottes 
mystérieuses,  tant  de  jardins,  tant  d'escaliers,  tant  de  cortèges, 
-  de  lustres,  de  danseuses,  de  maillots,  de  Chais  bottés^  de  Barbes 
Bleues^  de  Chaperons  Rougfis^  de  Princesses  Azurines,  de 
'  Princes  Charmants,  qu'on  n'est  guère  tenté  de  dire  avec  Ban- 
ville, s'adressant  à  MM.  Bertrand  et  Plunkett  dans  une  de  ces 
iMLres  chimériques  dont  chacune  est  un  chef-d'œuvre  :  «  Il  me 
faut  encore  plus  de  tapis,  encore  plus  d'étoffes,  encore  plus  d'or, 
encore  plus  de  femmes  !» 

Ne  croyez  pas  que  Banville  se  plaignit  par  là  de  la  pauvreté  des 
décors  de  l'Eden  ou  reprochât  à  ses  directeurs  quelque  parci- 
monie. Non!  Mais  avec  son  clair  jugement  il  a  démêlé  tout  de 
suite  combien,  dans  le  royaume  de  la  féerie,  la  réalité,  même  la 
plus  extraordinaire,  reste  au  dessous  du  rêve. 

«  La  poésie  crée  des  visions  illimitées,  et  un  vers  de  Shake- 
speare me  montre  la  forêt  de  ïitania  pleine  de  sylphes,  d'âmes,  de 
lutins,  de  fées  envolées.  Là  les  ailes  bruissent  et  frissonnent  en 
si  grand  nombre  que  je  n'en  saurais  désirer  plus.  Mais  notre 
esprit  a  cela  de  particulier  qu'il  s'habitue  tout  de  suite  à  la  réa- 
lité, qu'il  se  blase  immédialenu  ni  sur  les  choses  matérielles,  et  il 
ne  saurait  être  satisfait  par  rien  qui  soit  visible  avec  les  yeux  de 
la  chair...  >» 

Aussi  \q  Petit-Poucet,  malgré  M.  Maurice  Simon,  malgré  les 
jambes  admirables  de  M"''  Carpenlier,  malgré  l'humour  de 
M"e  Jenny  Rose^  malgré  la  petite  voix  fraîche  de  M"«-  Noelly, 
malgré  le  comique  irrésistible  de  MM..  Moch  et  Petit,  malgré  les 
décors    à    transformations,    et    les    danses   mathématiquement 


réglées,  et  le  défilé  carnavalesque  des  bottes,  et  la  forêt  qui 
bouge,  malgré  toutes  ces  choses  splendides  ou  divertissantes,  ne 
sera  jamais  qu'un  Petit-Poucet  bâtard,  introduit  par  fraude  au 
foyer  du  bûcheron  et  de  la  bûcheronne,  au  sourire  en  grimace, 
à  la  voix  éraillée,  un  Petit-Poucet  gavroche,  une  fleur  du  bitume, 
né  sous  un  réverbère  et  non  sur  les  mousses  de  la  forêt,  un 
Petit- Poucet  dyiïowà  de  l'encrier,  gardant  le  signe  indélébile 
dont  l'a  marqué  en  ricanant  sa  monstrueuse  marraine,  la  Plati- 
tude bourgeoise,  pour  faire  la  nique  à  la  Poésie,  en  allée  sur  le 
pétaL'  de  rose  qui  lui  sert  de  voiture,  attelé  de  deux  papillons... 

Oh  !  le  charme  ingénu  et  charmant  du  conte  de  Perrault,  en  sa 
naïvelé  touchante  : 

«  Il  y  avait  une  fois  un  bûcheron  et  une  bûcheronne...  » 


LA  POIRE  ET  LES  PLATANES  DU  BOULEVARD 

M.  Buis,  dont  nous  citions  récemment  l'amour  pour  la  verdure 
urbaine,  sait-il  quels  dégâts  la  foirp  du  Boulevard  du  Midi  a 
causés  dans  la  quadruple  et  superbe  plantation  de  platanes  qui 
s'y  développe  en  une  allée  destinée  à  devenir  triomphale  si  on  ne 
la  ravage  pas  sottement? 

Sait-il  que  pour  faire  place  à  la  ménagerie  Redenbach  on  a 
abattu  huit  arbres  d'une  douzaine  d'années  d'âge  et  fait  un  grand 
vide  dans  l'avenue?  Sait-il  que  pour  le  Musée  anatomiqué  on  en 
a  sacrifié  quatre?  Plusieurs  aussi  pour  les  carrousels?  Que  par- 
tout, en  résumé,  oîi  il  a  fallu  choisir  entre  l'ornement  naturel 
si  difficilement  réparable,  et  les  grotesques  échoppes  de  ces  fêtes 
de  sauvages,  on  n'a  pas  hésité  à  sacrifier  le  premier? 

On  nous  assure  qu'au  moment  de  l'abatage,  quand  on  a  vu 
s'écraser  sur  le  sol  les  cimes  verdoyantes  et  déjà  opulentes,  des 
protestations  ont  surgi  parmi  les  spectateurs.  Nos  bourgeois 
auraient-ils  plus  que  nos  édiles,  le  respect  de  ces  végétations 
charmantes? 

Il  importe  qu'il  soit  mis  un  terme  à  ce  vandalisme.  Le  paysage 
urbain  (c'est  ainsi  que  nous  l'avons  nommé)  nous  préoccupe 
beaucoup.  Il  devrait  devenir  le  souci  de  tout  le  monde.  Notre  ville 
est  notre  milieu  le  plus  constant.  Il  faut  le  sauvegarder.  Il  faut 
surtout  empêcher  les  changements  idiots  qui^sacrifient  ce  que 
nous  avons  déjà  à  ce  que  nous  i)ourri0ns  avoir,  ou  à  des  plaisirs 
passagers  et  grossiers. 


.  ^"^^Ï^OPE    pARON     DANP     ((   f  AU^T  » 
A  L'OPÉRA  DE  PARIS 

M""*  Rose  Caron  vient  d'obtenir  dans  Faust,  à  l'Opéra,  un 
succès  qui  consacre  définitivement  à  Paris  la  haute  situation  artis- 
tique que  V Art  Moderne  lui  prédisait  lorsqu'ignorée  du  public 
bruxellois,  et  même  du  public  parisien,  elle  se  produisit  pour 
la  première  fois  chez  nous  aux  Concerts  populaires  dans  l'inter- 
prétation des  œuvres  de  Wagner.  II.  y  a  de  cela  un  peu  plus  de 
trois  ans:  c'était  en  mars  1883. 

L'hiver  suivant  M'"*^  Rose  Caron  était  engagée  au  théâtre  de  la 
Monnaie. 

Immédiatement  VArt  Moderne  signala  en  elle  la  tragédienne 
plus  encore  que  la  cantatrice  el  l'appela  la  Rachel  du  chant.  C'est 
ce  côté  de  son  talent  ([ue  la  jresse  parisienne  loue  surtout.  II 
n'est  peut-être  pas  sans  intérêt  de  rappeler  dans  quels  termes 


LART  MODERNE 


285 


cet  élogo  se  produisait  dans  noire  journal,  alors  que  la  grande 
artiste  était  encore  presque  inconnue,  et  niOme  méconnue  par 
plusieurs. 

«  Après  tant  de  banalités  dont  nous,  abreuvent  depuis  des 
années  le  cortège  de  nos  clianlours  d'opéra,  incurablement 
infiiclés  des  vulgaires  Iradilions  d'une  mimique  idiote,  la  nouvelle 
canlalrice,  libre  d'elle-même  et  se  laissant  alUr  aux  élans  de  son 
âme  ardente,  a  enlr'ouvert  ce  bo'au  domaine  délaissé,  [)Our  nous 
qui  Téçoutions  aulanl  des  yeux  que  des  oreilles,  tant  le  rythme 
de  ses  gestes  ajoutait  de  puissance  et  de  pénétration  au  charme 
de  sa  voix. 

«  Que  notre  public  soit  attentif  h  ces  débuts  d'une  artiste  pour 
qui  se  prépare,  croyons-nous,  un  magnifique  avenir,  si  sa  santé 
et  ses  forces  ne  s'épuisent  pas  au. brasier  qu'elle  allume.  11 
dépend  de  lui,  de  ses  [)révisions  et  de  son  intelligence  d'aider  au 
complet  épanouissement  d'un  talent  qu'il  aura  l'heureuse  fortune 
de  voir  éclore.  Certes  l'accueil  qu'il  a  fait  k  M'"**  Caron  démontre 
qu'il  a  le  sjns  de  la  supériorilé  de  celte  héroïque  nature,  mais 
démêle-t-il  exactement  ce  qui  la  place,  hors  de  pair?  Ne  voit-il 
pas  en  elle  surtout  la  voix  qui  assurément  est  pathétique  et 
superbe,  même  quand  l'excès  de  l'émoiion  lui  donne  momen- 
tanément une  sorte  {l'â|)reté?  Accorde-t-il  assez  d'importance  au 
jeu  que  l'on  est  si  accoutumé  à  dédaigner  parce  qu'il  est,  la 
plupart  du  temps,  d'une  médiocrité  navrante?  C'est  ce  côté,  par 
lequel  la  comédienne  vient  compléter  la  cantatrice,  que  nous 
voulons  spécialement  sig(ialer,_car  c'est  par  là  que  M'"«  Caron  se 
détache  du  corlègî  habituel  et  prend  un  relief  saisissant. 

«  M""-'  C:iron  réalise  le  type  tant  prisé,  tant  recherché  par 
Wagner,  de  la  chanteuse  qui  joue,  qui  ne  s'absorbe  pas  dans 
l'unique  snisation  de  son  go^^ier  fonctionnant,  vibrant,  trillant, 
vocalisant,  mais  se  souvient  qu'elle  a  une  âme  pour  sentir  et  un 
corps  pour  traduire  cette  âme.  Elle  remplirait  triomphalement, 
croyons-nous,  les  rôles  d'Elisabeth  et  de  Sieglinde.  Ne  le 
pressentait-on  pas  l'an  dernier  quand  elle  a  chanté  Yseult  aux 
Concerts  populaires.  Singulièrement  servie  par  sa  grande  taille 
souple,  majestueuse  sans  solennité  conventionnelle,  ayant  des 
levées  et  des  lentes  retombées  de  bras  d'une  dignité  de  prétresse, 
la  physionomie  apte  à  toutes  les  transformations,  surtout  à  celle 
de  la  douleur,  de  la  crainte,  de  l'horreur  ou  du  désespoir,  elle 
semble  posséder  des  ressources  indéfinies. 

M"'^  Caron  est  aux  premiers  jours  de  sa  carrière.  A  certains 
moments  sa  belle  hardiesse  native  cède  devant  les  appréhensions 
naturelles  que  doit  lui  faire  ce  monde  inconnu  dans  lequel  elle 
pénètre.  On  sent  qu'elle  délibère  si  elle  doit  se  laisser  aller  à  son 
élan  ou  suivre  les  conseils  routiniers  qu'on  lui  prodigue  sans 
doute.  Elle  a  le  sentiment  de  ce  qu'il  y  a  de  grotesque  k 
débiter  k  la  salle  des  paroles  qui  s'adressent  aux  acteurs  qu'on  a 
à  ses  côtés  ou  derrière. soi.  Elle  tombe  quelquefois  pourtant  dans 
cet  odieux  travers  inventé  par  les  époumonnés  qui  ont  besoin 
de  pousser  leur  voix.  Elle  prodigue  trop  aussi  le  geste  qui  con- 
siste \\  ramener  les  deux  mains,  doigts  recourbés,  sur  la  poitrine. 
Pourquoi  marchander  ses  effets?  Kéalisez-les  complètement  et 
audacieusement,  Madame.  Vous  avez  bien  osé  jouer  les  mains 
nues  votre  rôle  de  fille  noble,  et  tout  le  monde  a  trouvé  cela 
dix  fois  prétérable  aux  superbes  gants  blancs  immaculés,  tout 
frais  émoulus  de  chez  le  costumier.  Pourquoi  vous  contraindre? 
Vous  avez  en  vous,  par  votre  seule  nature,  plus  d'expérience 
et  d'instinct  du  beau  que  tout  ce  qui  vous  entoure.  Soyez 
vous-même  en  tout   et  pour  tout,  débarrassez-vous  des  der- 


nières entraves,  risquez  ce  que  vous  croyez  être  des  origi- 
nalités, ce  qui  ne  sera  en  réalité  que  de  l'inspiration,  et  vous 
grandirez  encore.  Si  vraiment  vous  êtes  destinée,  comme  nous  le 
pensons,  à  occuper  une  grande  place  dans  le  théâtre  contem- 
porain, nous  serons  heureux  d'avoir  été  des  premiers -à  signaler 
ces  espérances  et  h  mar(|uer.  ce  qui,  en  vous,  est  le  signe  des 
cantatrices  destinées  à  la  célébrité.  » 

'Une  partie  du  public  parisien  a  pu,  au  début,  montrer  quelque 
défiance  à  l'égard  de  cette  gloire  qui  n'était  consacrée  que  par 
l'étranger.  Désormais  toute  hésitation  a  disparu.  La  presse  pari- 
sienne en  témoigne  par  ses  comptes-rendus  enthousiastes.  C'est 
avec  bonheur  que  nous  voyons  ainsi  monter  au  premier  rang  la 
grande  artistaâ  qui  nous  fûmes  redevables  de  tant  de  précieuses 
émotions  et  â  qui  notre  admiration  est  toujours  allée  sans  réserve. 


L'HOMME  MÉDIOCRE 

Le  trait  caractéristique  de  l'homme  médiocre,  c'est  la  défé- 
rence pour  l'opinion  publique.. Il  ne  parle  jamais,  il  répète  tou- 
jours. .       • 

M     vit- 

Ses  admirations  sont  prudentes,  ses  enthousiasmes  officiels.  Il 

méprise  ceux  qui  sont  jeunes.  Seulement,  quand  votre  grandeur 

sera  reconnue,  il  s'iH;riera  :  Je  l'avais  bien  deviné  ! 

'     •      *  .  -■, 

.    ;■  ■      +   -* 

Il  peut  apprendre;  il  ne  peut  pas  deviner,  II  admet  quelque- 
fois une  idiie,  nîais  il  ne  la  suit  pas.  dans  ses  diverses  applica- 
tions.      '■■'.'■-    '-■..''-.    ■  .  ■'   /-r --^/':'■  ■:..:■■■'■■■. -'v    ■■:■'..'■■-■■-■:-  .■' 

.  . ..    ■'  ■.-'■'.'■;-.■■■     ■■  ■'      :*■■..■■■    ■  •  ;;  ,        ,,•■-"       .  ■ ,  ;■ 

L'homme  vraiment  médiocre  admire  un  peu  toutes  choses,  il 
n'admire  rien  avec  chaleur.     — -— — — — — — ■-■ — -'— 

L'homme  médiocre  aime  les  écrivains  qui  ne  disent  ni  oui  ni 
non  sur  aucune  question,  qui  n'affirment  rien,  qui  ménagent 
toutes  les  idées  contradictoires. .  •   ■ 

*  ■      '        ■ 

Il  reste  h  l'homme  médiocre  en  activité,  en  fonction,  une 
inquiétude  :  c'est  la  crainte  de  se  compromettre. 

Le  premier  mot  de  l'homme  médiocre  qui  juge  un  livre,  porte 
toujours  sur  un  détail,  et  habituellement  sur  un  détail  de  style. 

11  aime  la  littérature  impersonnelle,  il  déteste  les  livres  qui 
obligent  'a  réHéchir.  Il  aime  ceux  qui  ressemblent  h  tous  les 
"autres,  ceux  qui  rentrent  dans  ses  habitudes,  qui  ne  font  pas 
éclater  son  moule,  qui  tiennent  dans  son  cadre,  ceux  qu'on  sait 
par  cœur  avant  de  les  avoir  lus,  parce  qu'ils  sont  semblables  à 
tous  ceux  qu'on  lit  depuis  qu'on  sait  lire. 

>   *  ■■ 
L'homme  médiocre  peut  parfaitement  avoir  cette  chose  sans 
valeur  qu'on  appelle,  dans  les  salons,  l'esprit;  mais  il  ne  peut 
avoir  l'intelligence,  qui  est  la  faculté  de  lire  l'idée  dans  le  fait. 

L'homme  médiocre  n'a  jamais  peur,  il  se  sent 'appuyé  sur  la 
multitude  de  ceux  qui  lui  ressemblent. 


286 


VART  MODERNE 


Les  succès  faciles  sonl  pour  lui.  —  Il  se  juge  comme  il  juge  les 
autres,  sur  le  succès,  —  tandis  que  Thomme  supérieur  sent  sa 
force  intérieure,  et  la  sent  surtout  si  les  autres  ne  la  sentent  pas; 
l'homme  médiocre  se  croirait  un  sol  s'il  passait  pour  tel  et  trouve 
son  apbmb  dans  les  compliments  qu'on  lui  fait;  sa  médiocrité 
augmente  en  raison  de  son  importance. 


L'homme  médiocre  ne  lutte  pas  :  il  peut  réussir  d'abord,  il 
échoue  toujours  ensuite;  l'homme  médiocre  réussit  parce  qu'il 
suit  le  courant,  l'homme  supérieur  triomphe  parce  qu'il  va  contre 
le  courant.  '  " 


L'homme  médiocre  est  inférieur  h  ce  qu'il  exécute;  son  œuvre 
n'est  pas  la  réalisation  d'une  pensée.  :  c'est  un  travail  fait  d'après 
certaines  règles. 


L'homme  médiocre  ne  sent  ni  la  grandeur,  ni  la  misère,  ni 
l'être,  ni  le'néajit.  Il  n'est  ni  ravi,  ni  précipité;  il  reste  sur 
l'avant-dernicr  degré  de  l'échelle,  incapable  de  monter,  trop 
paresseux  pour  descendre.  Dans  ses  jugements  comme  dans  ses 
œuvres,  il  substitue  la  convention  à  la  réalité,  approuve  ce  qui 
trouve  place  dans  son  casier,  condamne  ce  qui  échappe  aux 
dénominations,  aux  catégories  qu'il  connaît,  redoute  l'élonne- 
ment  et,  n'approchant  jamais  du  mystère  terrible  de  la  vie,  évite 
les  montagnes  et  les  abîmes  à  travers  lesquels  le  promènent  ses 
amis. 


f 


ETITE    CHROJ^IQUJB 


Notre  rédaction  étant  absente  de  .Bruxelles  à  raison  des 
vacances  et  n'étant  soumise  ni  aux  travaux  forcés  du  journa- 
lisme, ni  au  bagne  du  reportage,  nous  ne  pourrons  donner  de 
comptes-rendus  des  premières  représentations  du  théâtre  deda 
Monnaie.  Tous  nos  vœux  accompagnent  la  nouvelle  direction 
dans  sa  difficile  entreprise. 


L'une  des  meilleures  élèvesdeBrassin, qui  lesuivi ta  Saint-Péters- 
bourg quand  il  quitta  le  Conservatoire  de  Bruxelles,  M"«  Louise 
Derschcid,  vient  de  s'établir  à  Bruxelles  et  y  organise  un  cours  de 
musique.  Ce  cours  comprendra  des  leçons  de  piano,  d'harmonie, 
de  musique  de  chambre,  d'histoire  de  la  musique,  etc.,  et  sera 
donné  chez  M.  Louis  Gunther,  rue  Thérésienne,  4,  oii  l'on  peut 
s'inscrire  ou  réclamer  le  programme. 

M"«  Derscheid  s'est  fait  entendre  au  mois  de  février  au  Salon 
des  XX.  Elle  a  fait  preuve  des  qualités  les  plus  sérieuses  et  a 
été  hautement  appréciée  des  artistes.  Elle  a,  depuis,  terminé 
brillamment  ses  éludes  au  Conservatoire  de  Saint-Pétersbourg.  La 
petite  académie  qu'elle  fonde  à  Bruxelles  sera  donc,  pour  les 
jeunes  artistes  et  les  pianistes  désireuses  de  se  perfectionner 
d'après  le  programme  des  Conservatoires,  une  véritable  bonne 
fortune. 


On  lit  à2iïï's>  Y  Indépendance  : 

11  a  été  question  de  la  nomination  de  M.  Eugène  Ysaye  au  Con- 
servatoire royal  de  Bruxelles,  en  remplacement  de  M.  Jenô 
Hubay.  On  disait  même  que  c'était  chose  faite,  mais  la  Fédéra- 
tion artistique  assure  qu'il  n'en  est  rien,  et  nous  croyons  savoir 
qu'elle  est  bien  informée.  Les  conditions  de  M.  Ysaye  n'ont  pas 
été  acceptées;  après  quelques  jours  passés  à  Bruxelles,  il  est 
parti  pour  Paris,  sans  esprit  de  retour,  sauf  qu'au  commence- 
ment de  septembre  il  reviendra  en  Belgique  pour  épouser 
M"^  Léonie  Bourdau,  fille  du  major  Bourdau,  du  il«  de  ligne,  en 


garnison  à  Arlon.  Et  la  classe  de  violon  de  M.  Hubay  reste  sans 
titulaire  jusqu'à  nouvel  ordre. 
Ce  n'est  pas  la  seule. 

M.  J.  de  Zarembski,  dont  la  porte  a  été  si  cruellement  ressen- 
tie, n'est  pas  encore  remplacé  à  la  tête  de  la  classe  de  piano 
(homme's).  . 

M.  Steveniers  vient  d'être  admis  à  la  retraite, et  son  successeur 
n'est  pas  désigné. 

Et  voici  du  nouveau. 

M.  Joseph  Dupont,  directeur  et  chef  d'orchestre  du  théâtre 
royal  de  la  Monnaie,  et  professeur  d'harmonie  au  Conservatoire, 
a  demandé,  à- raison  de  ses  occupations  nombreuses,  un  congé 
illimité  sans  traitement. 

Son  cours  eût  pu  être  donné  par  M.  Sandre,  professeur 
adjoint,  qui  enseigne  l'harmonie  pratique.  Mais  M.  Sandre  renonce 
à  ses  fondions  pour  prendre  la  direction  du  Conservatoire  de 
Nancy.  ,      . 

Et  de  cinq.  - 

Et  le  Conservatoire,  qui  a  avancé  ses  vacances,  rouvrira  ses 
portes  dans  quelques  jours.  . 

El  le  gouvernement  se  recueille. 

Il  serait  temps  cependant  qu'il  avisât,  car  on  ne  voit  pas  bien 
un  Conservatoire  sans  professeur  de  piano  pour  les  jeunes  gens, 
sans  professeur  d'harmonie  théorique  ou  pratique,  sans  classe  de 
musique  de  chambre  et  avec  un  vide  à  la  place  occupée  tour  à 
tour  jusqu'ici  dans  l'enseignement  du  violon  par  Léonard,  Vieux- 
temps,  Henri  Wieniawski  et  Jenô  Hubay. 


M"^''  J.  de  Zarembska,  déjà  si  cruellement  éprouvée  il  y  a  moins 
d'un  an  par  la  mort  de  son  mari,  vient  d'avoir  la  douleur  de 
perdre  sa  mère,  M'"*^  Wonzel,  décédée,  le  24  août,  à  Schwoidnitz 
(Silésie),  à  l'âge  de  68  ans,  après  une  longue  et  douloureuse 
maladie. 

L'Union  des  sociétés  chorales  de  Hongrie  a  donné,  du  12  au 
15  août,  son  onzième  festival  national,  à  Pécs  (Fûnfkirchen),  sous 
la  direction  de  M.  Jeno  Hubay.  L'invi'ation  que  le  comité  a  eu 
l'amabilité  de  nous  adresser,  mais  à  laquelle  nous  n'avons 
malheureusement  pas  pu  nous  rendre,  renseignait  comme  suii  les 
détails  de  cette  intéressante  solennité  :      ':. _^^ : 

11  août  :  Départ  de  Budapest,  par  train  spécial.  Arrivée  à 
Pécs,  à  4  heures  de  l'après-midi.  Réception  solennelle. 

12  août  :  Premier  concours  vocal.  Chœur  couronné  de  Jenô 
Hubav  :  c<  Magyarok  istene  »  (Dieux  des  Magvar's)  poésie  de 
Petôfi. 

13  août  :  Deuxième  concours  vocal;  les  morceaux  au  choix 
des  exécutants. 

14  août  :  Exécution  d'ensemble,  par  toutes  les  sociétés  chorales 
(1,200  exécutants)  avec  accompagnement  d'orchestre.  (Grand 
orchestre,  dirigé  par  M.  le  professeur  Jenô  Hubay). 

1.  tt  Hymne  »,  Fr.  Erkel.  -—2.  «  Magyar  kiralydal  »  (Chanson 
royale  hongroise),  Fr.  Liszl.  —  3.  «  Honfidal  »  (Chant  du  pa- 
triote), L.  Zimay.  —  4,  «  Sohajtas  »  (Vœu  patriotique),  Jenô 
Hubay.  —  5.  «  Vôlgy  es  bércz  »  (Mont  et  vallée),  E.  Mihalovits. 
—  6.  «  Sérénade  »,  Géza  Zicïiy.  —  7.  ce  Takarodo  »  (Retraite 
pour  les  Honvéds),  Fr.  Erkel.  —  8.  «  Airs  populaires  hongrois  », 
E.  Szenlirmay.  — .  9.  «  Marche  de  Rakoczy  »  (Grand  chœur  pour 
voix  d'hommes),  Ch.  Hube?'.  —  10.  «  Szozat  »  (Hymne  national), 
B. 


Egressy. 


L'n  journal  italien  YAsmodeo,  a  établi  une  statistique  des  per" 
sonnages  et  des  incidents  dramatiques  qui  figurent  dans  les  pièces 
jusqu'à  présent  connues  de  M.  d'Ennery.  Voici  les  chifïres  que 
donne  à  ce  sujet  le  journal  susmentionné  : 

Les  pièces  de  d'Ennery  comportent  :  18  veuves,  16  fds  et 
2  filles  de  suppliciés;  80  orphelins  et  112  orphelines;  60  aveu- 
gles; 93  jeunes  filles  enlevées  à  leurs  parents  ;  22  fratricides; 
8  parricides;   145   enfants  trouvés;   162  enfants  abandonnés; 


124  enfants  subslilnés;  212  faux  tostamcnls;  216  portefeuilles 
volés;  198  duels  h  l'épcc,  168  au  pistolet,  2  au  sabre,  8  au  cou- 
teau et  10  h  la  hache;  43  incendies;  259  assassiiiats,  dont 
136  empoisonnements;  46  noyés;  36  échappés  des  travaux  for- 
cés; 77  adultères;  79  aliénés;  41  cas  de  bigamie,  etc. 


Gustave  Geffroy  a  publié,  dans  la  Justice^  un  excellent  article 
sur  le  Tout-Paris  des  premières,  dont  voici  un  extrait.  Cela  com- 
mence aussi  chez  nous. 

«  Une  salle  de  première,  ce  qui  s'appelle  une  belle  salle,  un 
soir  d'hiver  où  le  rideau  va  se  lever,  au  milieu  d'un  silence  ému, 
sur  uneœuyro  nouvelle  de  M.  Georges  Ohnet,  ou  sur  la  romance 
bêlement  grivoise  de  l'opérelte  inédite,  chantée  par  une  étoile 
montée  du  trottoir  sur  les  planches,  une  salle,  ces  soirs-là,  c'est, 
dil-on,  le  rendez-vous  de  toutes  les  intelligences,  de  toutes  les 
célébrités  nées  du  savoir,  du  talent  et  du  travail.  Oui,  certes,  il 
y  a  dans  un  coin  un  écrivain  qui  s'ennuie  par  métier,  ou  un  brave 
homme  que  tout  distrait  et  qui  observe.  Mais  cette  même  salle 
est  aussi  une  sorte  d'égout  moral  où  la  prostitution  cotée  et  la 
banqueroute  admise  viennent  se  pavaner,  ramasser  des  saluts  ei 
laisser  tomber  des  sourires.  La  critique  !  mais  il  n'en  eét  pas 
question  :  c'est  l'accessoire.  Le  vrai  public,  régulier,  despote,  qui 
fait  la  loi,  crée  les  réputations,  acclame  ou  assassine  une  pièce, 
ce  public-là,  c'est  cette  bande  de  vieilles  gueuses,  suantes  sous  le 
rouçe  et  le  blanc  de  céruse,  tassées  dans  les  fauteuils,  étalées 
dans  les  loges,  comme  au  temps  où  elles  faisaient  tapisserie  dans 
les  salons  du  quartier  de  l'Ecole  militaire.  C'est  l'entreleneur  et 
c'est  l'entretenu.  C'est  le  monsieur  qui  pèse  lourdement  sur  son 
sièfi^e  comme  un  sac  d'écus  et  qui  tend  machinalement  vers  la 
scène  une  face  abrutie.  C'est  l'amant  de  cœur  en  cravate  blanche 
et  en  gants  blancs.  C'est  la  fille  qu'on  lance,  escortée  de  sa  mère, 
de  ses' frères,  de  ses  fournisseurs,  de  son  souteneur,  de  tout  ce 
qui  vivra  de  son  alcôve  et  de  son  cabinet  de  toilette.  C'est  le 
financier  q-ui  s'est  embusqué  tout  le  jour  à  la  Bourse  comme  un 
carnassier  et  qui  vient  là  se  reposer  du  tracas  des  affaires.  C'est 
le  rastaquouère  qui  a  des  diamants  à  tous  les  doigts,  des  dents 
de  nègre,  des  cheveux  bleus  à  force  d'être  noirs.  Et  le  fretin,  tout 
ce  qui  louche  de  près  ou  de  loin  à  l'Argent  et  à  la  Galanterie, 
tout  ce  qui  s'impose  aux  directeurs  de  théâtre,  tout  ce  qui  est  en 
lêle  de  la  liste  des  billets  de  faveur,  tout  ce  qui  vient  là  en  pro- 
priétaire, tout  ce  qui  a  déjà  son  coupon  en  poche  avant  qu'on 
ait  seulement  songé  à  envoyer  son  service  à  l'écrivain  !  Y  est-il, 
ce  public-là?  L'a'vez-vous  vu?  Vous  a-t-il  fatigué  de  ses  rires, 
écœuré  de  ses  applaudissements?  Vous  est-il  apparu,  certains 
soirs,  encombrant,  grouillant,  insolent,  faisant  une  ovation  à  la 
niaiserie,  exécutant,  en  une  heure,  l'œuvre  qui  représente  un 
travail  de  pensée  et  d'art  de  plusieurs  années?  » 

11  y  a  eu  le  29  juillet  trente  ans  que  Schumann  est  mort  à 
l'asile  d'aliénés  d'Endenich,  près  de  Bonn.  Désormais  les  œuvres 
du  grand  artiste  sont  tombées  dans  le  domaine  public  en  Alle- 
magne.   ■  "     ■ 

.  L'opinion  de  Paul  Bourget  sur  les  représentations  de  Bayreuth  : 
(c  11  est  impossible  d'avoir  assisté  à  une  de  ces  représentations 
sans  reconnaître  que,  ici  du  moins,  ni  la  mode  ni  la  curiosité 
n'ont  tort  et  que  le  musicien  de  Tristan  et  de  Parsifal  est  un 
des  génies  les  plus  puissants  de  cette  époque.  Je  n'ai;  pour  ma 
part,*  à  donner  que  l'impression  d'un  homme  qui  n'a  aucune 
entente  intellectuelle  de  la  musique  et  qui  la  subit  sans  pouvoir 
juger  ce  qu'il  sent.  Mais  peut-être  la  force  d'émotion  dont  un 
profane  est  frappé  à  l'audition  de  ces  œuvres,  reconnues  si 
savantes  par  ceux  du  métier,  est-elle  la  meilleure  preuve  de  la 
maîtrise  de  Richard  Wagner.  Le  deuxième  acte  de  Tristan,  les 
deux  cérémonies  du  Graal  au  premier  et  au  troisième  acte  de 
Parsifal,  et,  au  second  acte  de  ce  môme  Parsifal,  l'admirable 
morceau  de  la  séduction,  envahissent  l'âme  de  celui  qui  les 
écoute,  avec  une  magie  extraordinaire.  Faut-il  reconnaître  que 
les  conditions  physiques  où  l'on  écoute  l'œuvre  ajoutent  à  son 
pouvoir?  Je  le  crois,  mais  il  me  semble  aussi  que  ces  conditions 


singulières,  si  elles  augmentent  la  sensation  de  beauté  augmen- 
teraient pareillement  la  sensation  d'ennui.  Imaginez  un  opéra 
médiocre  ainsi  donné,  toute  l'assemhlée  dormirait  après  une 
heure  de  cette  immobilité  dans  la  pénombre,  au  lieu  que  Ton 
sort  de  celte  salle  de  Bayreuth,  sous  le  coup  d'une  possession 
cérébrale  assez  analogue  à  celle  que  l'Anglais  Quincey  décrit 
dans  ses  Cor.fessions  de  mangeur  d'opium.  C'est  vraiment  un  rêve 
d'opium  ou  de  haschisch  que  Wagner  vous  a  procuré  avec  une 
combinaison  très  compliquée  de  moyens  mécaniques  et  idéaux, 
-^  mais  c'est  la  puissance  idéale  qui  est  le  principe  premier  de 
cette  exaltation.  -  *  , 

«  Les  rôles  n'ont  été  tenus  que  convenablement.  Sauf. 
M'"«  Materna,  qui  a  été  tout  a  fait  supérieure  sous  la  robe  de 
bure  de  Kundry,  de  Parsifal,  et  M"«  Malien,  qui  a  chanté  cer- 
taines portions  du  rôle  d'Yseult  avec  une  passion  merveilleuse, 
les  artistes  se  sont  tenus  dans  une  moyenne  qui  permet  de 
craindre  que  la  discipline  imposée  par  le  maître  lui-même  ne 
s'efface  à  mesure  que  le  souvenir  de  sa  présence  aux  répétitions 
s'éloignera.  C'est  ainsi  que,  depuis  1883,  la  mise  en  scène  est 
déjà  moins  soignée.  Au  deuxième  acte,  Kundry  apparaissait  au 
milieu  d'une  fumée,  et  ce  n'était  pas  un  des  moindres  effets  du 
drame  que  de  .voir  la  forme  de  la  femme  ensorcelée  drapée  de 
voiles  blancs  et  qui  se  convulsait  au  milieu  de  ce  nuage  dont 
l'enchanteur  Klingsor  l'environnait.  Cette  année-ci,  la  fumée  a 
élé  supprimée,  comme  aussi  le  rythme  des  pas  des  servants  dans 
la  cérémonie  du  Graal  est  moins  exact.  Ce  ne  sont  que  de  faibles 
signes,  mais  auxquels  se  reconnaît  l'absence  de  cette  direction 
supérieure  qui  fut  le  privilège  du  grand  compositeur.  » 


La  jolie  miss  Fortescue,  célèbre  par  les  dommages-intérêts 
qu'elle  a  obtenus  de  lord  Gormoyle,  qui  n'avait  pas  tenu  sa  pro- 
messe de  mariage,  jouera,  l'hiver  prochain,  à  New- York.  Son 
engagement  d'actrice  ouvre  une  ère  nouvelle  dans  les  us  et  cou- 
tumes du  théâtre  international.  Lorsque  l'engagement  fut  chose 
entendue,  les  directeurs  furent  obligés  de  déposer  chez  un  ban- 
quier de  Londres,  pour  garantir  la  sécurité  de  l'artiste,  la  somme 
de  15,000  dollars  (75,000  francs).  Ils  ne  l'ont  fait  qu'à  la  condi- 
tion que  miss  Fortescue  déposerait  la  même  somme,  afin  d'as- 
surer l'exécution  des  conditions  auxquelles  elle  s'engageait. 

C'est  la  première  fois  qu'une"  artiste  consent  à  se  soumettre  à 
pareille  clause.  Jusqu'à  présent,  les  acteurs  exigeaient  toute  pro- 
tection contre  les  directeurs,  mais  ne  leur  donnaient  aucune 
garantie.  Il  est  vrai  que  c'est  probablement  aussi  la  première  fois 
que  des  directeurs  ont  affaire  à  une  comédienne  qui  vient  de 
toucher  250,000  francs  pour  promesse  de  mariage  non  réalisée. 


Sommaire  du  Progrès  (29  août  1886).  Les  Bourses  d'études, 
Nemo.  —  Les  Sociétés  coopératives,  A.  Karichen.  —  La  Vie 
militaire,  Un  Soldat.  —  Snint-Volders,  Louis  Gille.  —  Com- 
ment les  protectionnistes  écrivent  Vhistoire,  H.  de  Baets.  — 
Chronique  bruxelloise,  Emile  Verhaeren.  —  En  vacances  : 
A  Bayreuth,  Octave  Maus.  —  Le  Petit-Poucet  :  Lettre  à 
l'Ogre,  Iwan  Gilkin.  —  Intérêts  matériels,  P.  Cox.  —  Les 
Hommes  et  les  Choses,  F.  Snvder.  —  Variétés  lilléraires  :  Notre 
littoral,  Camille  Lemonnier.  —  Bulletin  financier.  —  Bulletin 
d'adjudications. 

Le  numéro  de  ce  mois  de  la  Revue  littéraire  et  artistique., 
contient  divers  articles  intéressants  :  la  Jeunesse  de  M.  Renan, 
par  M.  Jean  Berge  ;  deux  nouvelles  de  MM.  Henri  Amie  et  Gaston 
de  Raimes;  Dans  la  falaise,  de  xM.  Léon  Bigot;  une  étude  de 
M.  Henri  de  La  Ville  de  Mirmont  sur  le  poète  Louis  Bouilhet, 
de  M.  Charles  Grandmougin  sur  les  Poètes  lyriques  de  l'Au- 
triche, etc. 

Les  poésies  de  ce  numéro  sont  dues  à  Gustave  Nadaud,  à 
François  Fabié  et  à  André  Alexandre. 


Pour  paraître  le  20  octobre  prochain 


\  PAR  JULES  DESTRÉE 

Un  beau  volume  de  250  pages,  grand  in-So,  imprimé  avec  luxé 
par  la  maison  Veuve  Monnom,  à  Bruxelles,  Prix  en  souscription, 
4  francs. 

Il  sera  tiré  quelques  exemplaires  sur  grand  papier  de  Hollande, 
qui  ne  seront  pas  mis  dans  le  commerce.  Le  prix  en  est  provisoire- 
ment fixé  à  5  francs  pour  ceux  qui  enverront,  avant  le  15  sep- 
tembre, leur  souscription  à  l'imprimeur:  Veuve  Monnom,  26,  rue 
de  l'Industrie,  Bruxelles.  V 


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nique,  à  4  mains,  fr.  2-50. 

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Op.  46.  Rêverie,  pour  violon  avec  accompagnement  de  piano,  fr.  1-75. 

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Liszt,  Franz.  Tannhâuser,  Transcription  arrang.  pour  2  pianos 
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Palestrina.  Œuvres.  Vol.  XVIII  (Messes  Qe  livre),  fr.  18-75. 

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française  de  Victor  Wilder,  fr.  20-00.  —  Id.,  Livret,  fr   1-50. 


Bruxelles.  —  Imp.  Félix  Callewaert  père.  —  V*  Monnom  successeur,  rue  de  l'Industrie,  26. 


♦  Sixième  année.  —  N^  37. 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  12  Septembre  1886. 


L'ART 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVDB  CRITIQUE  DBS  ARTS  ET  DE  LA  LITTERATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,  un  an,  fr.  10.00;  Union  postale,   fr.    13.00.    —  ANNONCES  :    On   trftite  à  forfait. 

Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 
l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


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OMMAIRE 


Silhouettes  d'artistes.  Fernand  Khnopff.  —  L'admiration 
PARISIENNE.  —  Le  Salon  de  Gand.  —  Glanures.  La  critique.  — 
Bibliographie.  Chasses  fantaisistes  au  pays  Wallon,  par.  Roland 
de  Tpmenlow  ;  Tristan  und  Parsifaly  par  Hans  von  "Wolzogen  ; 
L'Europe  illustrée.  De  Paris  à  Milah,  par  V.  Barbier.  —  Petite 
chronique.      .  ■■-.■:. 


SILHOUETTES    D'ARTISTES 


FERNAND  KHNOPFF  (") 

Fernand  Khnopff  n'est  pas  coloriste.  Il  est  rare,  du 
reste,  de  rencontrer  un  patient  et  un  concentré  qui  le 
soit. 

La  couleur  est  rencontrée  par  les  fougueux  et  les  puis- 
sants bien  plus  que  par -les  raisonneurs  et  les  volontaires. 

Elle  éblouit,  elle  fulgure.  elle  enthousiasme  et  trans- 
porte. On  la  subit  plus  qu'on  ne  la  cherche.  Elle  s'adresse 
avec  ses  ors  et  ses  argents,  avec  ses  prismes  et  ses  irri- 
sations,  avec  ses  gloires  et  ses  triomphes  aux  emportés 
qui  s'exaltent.  Elle  est  d'inspiration  bien  plus  que  de 
combinaison.  Certes,  est-il  permis  de  l'anal jser,  de  la 
choisir,  de  l'aménager  sur  sa  toile,  mais  le  point  de 
départ  des  plus  subtils  arrangements  est  le  résultat  pres- 
que toujours  d'une  surprise  enthousiaste  des  jeux.  Les 
abondants  et  les  exubérants  imposent  la  couleur  ;  les 
réfléchis  et  les  synthétiques  s'attaquent  surtout  au  dessin. 

Outre  que  certains  de  ceux-ci  la  dédaignent  comme 


(*)  Voir  notre  numéro  du  5  septembre. 


secondaire  et  futile.  lisent  leurs  préoccupations  ailleurs: 
dans  le  rendu  du  caractère,  de  l'aigu  et  de  l'intime  des 
choses,  de  l'intérieur,  des  dessous,  de  l'âme.  Qu'importent 
la  nuance  exprimable  quand  on  veut  rendre  l'inexprimable, 
et  la  surface  quand  on  prétend  dévoiler  le  fond.  Il  y  aurait 
beaucoup  à  répondre  à  ces  giffirmations  nettes.  Je  glisse, 
parce  que  je  veux  expliquer  des  peintres  et  non  discuter 
des  doctrines.  Aussi  bien,  quoi  de  moins  utile?  Chaque 
artiste  n'invente-t-il  pas  ses  théories  pour  excuser  ses 
défauts  et  mettre  en  relief  ses  qualités.  Masques  déri- 
soires qui  trompent  tous  ceux  qui  les  regardent;  mais 
dans  le  masque  même  il  y  a  les  yeux  qui  ne  mentent  pas. 
Ce  sont  ceux-là  seuls  qu'il  importe  de  fixer  et  de  recon- 
naître. 

Presqu'à  ses  débuts,  Fernand  Khnopff  a  compris  sa 
facture  et  sa  couleur  logiques,  c'est-à-dire,  plantées  sur 
sa  personnalité.  Il  n'en  a  pas  été  de  même  de  ses  sujets. 
Il  s'est  longtemps  cherché  en  eux  avant  de  se  rencontrer 
—  et  le  sujet  trouvé,  restait  à  s'exprimer  soi-même.  L'his- 
-toire  et  la  nomenclature  commentée  de  ses  œuvres  prou- 
veront cette  recherche.  -• 

Aussi  bien,  c'est  au  symbole  qu'il  devait  aboutir  fatale- 
ment ;  c'est  à  ce  résumé  suprême  de  sensations  et  de  sen- 
timents. 

Sa  patiente  concentration  le  détachait  chaque  jour  de 
la  contingence  et  du  fait.  Le  détail  observé,  la  scène  vive- 
ment et  spirituellement  croquée,  le  récit  anecdotique  et 
individuel,  ne  sont  que  la  mousse  de  l'observation.  Il  fal- 
lait tendre  le  plus  possible  vers  le  définitif  qui  est  un  fruit 
de  réflexion  ardente  et  de  volonté  supérieure.  Fernand 


:i 


290 


VART  MODERNE 


Khnopff  eut  pour  l'y  déterminer  sa  tenace  nature  et  son 
silence.  Peut-être  aussi,  certains  livres  hantants. 

Ses  dernières  œuvres  sont  donc  symboliques  mais  timi- 
dement encore.  Deux  le  sont  exclusivement,  d'autres 
sous  prétexte  d'entêtés  ou  d'interprétations  de  livres,  le 
sont  accessoirement.  Une  de  ces  dernières  est  détruite;.on 
sait  pourquoi. 

Essayons  de  préciser  cette  dernière  tendance. 

L'art  plastique,  tant  païen  que  chrétien,  a  commencé 
par  être  symbolique.  Il  l'était  forcément  puisqu'il  repré- 
sentait les  Dieux  symboles  eux-mêmes.  Il  se  compliquait 
d'ésotérisme  et  se  dressait  sacré.  Des  formules  naquirent, 
sortes  de  rites  esthétiques  que  nul  ne  discutait.  C'était  la 
période  d'un  art  figé  lointainement  superbe,  hiératique- 
ment  barbare. 

Il  s'humanisa  ensuite  et  comme  jadis,  oh  avait  prêté  la 
forme  humaine  à  des  dieux,  on  songea  à  parer  de  cette 
forme  divinisée,  les  hommes,  —  et  les  Hercules  et  les 
Jupiter  qui,  dans  la  période  priniitive  apparaissaient, 
quoique  grossiers  et  naïfs,  divinités  formidables  et  éter- 
nelles devinrent  des  êtres  héroïques  et  légendaires  à  peine 
différents  des  sages,  des  guerriers  ou  d'athlètes  illustres. 
Sans  leurs  attributs  on  ne  lès  en  distinguerait  pas. 

Et  de  même  les  vierges  catholiques  et  le  Christ  et  les 
saints.  Jadis  Cimabue  et  Giotta,  ensuite  Raphaël,  Titien, 
Rubens,  Rembrandt. 

Suivit  un  art  réaliste  et  naturaliste,  préparé  par  cqs 

génies.  ■-■:'■'  >y.,V:;';:;^  ■■:;:/,;•  .;;,■;       :.;;.;■•■  >:'.    -\  '\\::--  \.-;'s:\'::  \  '''-V: 

•  ■  Aujourd'hui?    ■  ' ■  ■' - ■'■'■-■'■■■  ^:'^^^>{:-V - ■■V;:.v.-'r-^-^^ 'B'^:-y  "■,^' -v; '' 

Un  recul  formidable  de  l'imagination  moderne  vers  le 
passé,  une  enquête  scientifique  énorme  et  des  passions 
inédites  vers  un  surnaturel  vague  et  encore  indéfini  nous 
ont  poussé  à  incarner  notre  rêve  et  peut-être  notre  trem- 
blement devant  un  nouvel  inconnu  dans  un  symbolisme 
étrange  qui  traduit  l'âme  contemporaine  comme  le  symbo- 
lisme antique  interprétait  l'âme  d'autrefois. 

Seulement  nous  n'y  mettons  point  notre  foi  et  nos 
croyances,  nous  y  mettons,  au  contraire,  nos  doutes,  nos 
affres,  nos  ennuis,  nos  vices,  nos  désespoirs  et  probable- 
ment nos  agonies. 

Les  maîtres  symbolistes  de  ce  temps,  les  Gustave 
Moreau,  les  Puvis  de  Chavannes  et  les  Rops  n'ont  rien  de 
la  sérénité  des  anciens  maîtres.  Aucun  d'eux  ne  prie  les 
dieux  ni  ne  craint  les  démons  qu'il  sublimise.  Ils  sont  les 
torturés  des  passions  et  des  mélancolies  de  leur  temps. 
Etudiez  l'amour  dans  les  Vénus  de  Rops,  la  sagesse  et  la 
science  dans  les  David  de  Gustave  Moreau.  Seul,  Puvis 
de  Chavannes  songe  parfois  avec  tranquillité  et  ne  divi- 
nise point  de  femmes  fatales  ni  des  hommes  terribles. 

Fernand  Khnopff  subit  les  mêmes  préoccupations.  Il 
est  séduit  par  la  perversité  de  certains  lys  :  Leonora 
d'Esté  ;  par  le  nocturne  et  séculaire  mystère  de  certain 
sphinx  :  le  Pape.  Mais  ici  encore,  dans  l'interprétation  de 
ces  symboles,  son  tempérament  se  prouve  par  la  minu- 


tieuse profondeur  de  sa  vision  et  la  si  calculée  entente  de 
l'effet  juste  et  précis.  Il  ne  s'est  encorerisqué  'dans  aucune 
grande  composition.  Son  œuvre,  solide  de  patience  et  de 
combinaison  nouées,  résiste  aux  exaniens  les  plus  minu- 
tieux et  les  plus  subtils;  elle  semble  venir  lentement,  len- 
tement grandir,  lentement  s'accuser,  lentement  se  par- 
faire, mais  elle  s'impose  avec  une  pénétration  aussi  pro- 
fonde que  sa  venue  a  été  longue.  V 

Toutefois  —  et  ceci  importe  à  être  confessé  immédia- 
tement—  est-elle  encore  à  ses  débuts.  Fernand  Khnopff 
s'impose  bien  plus  par  ce  qu'il  fera  que  par  ce  qu'il  a  fait. 
On  pressent  en  lui  le  grand  artiste  que,  grâce  à  ses  qua- 
lités foncières  si  caractéristiques,  nous  avons  essayé  d'in- 
diquer. 

Aussi  bien  l'art  qu'il  a  choisi,  cet  art  de  rêve  et  d'évo- 
cation, peut-il  le  mener  très  loin.  A  cette  heure  où  les  cer- 
veaux subtils  saisissent  avec  une  si  étonnante  lumière  les 
correspondances  et  où  nos  sensations  et  nos  sentiments  se 
parlent  certes,  mais  tout  autant  se  rythment  et  s'harmo- 
nisent, si  bien  que  la  poésie  est  picturale  et  musicale 
autant  que  littéraire,  n'y  aurait-il  point  à  rendre  égale- 
ment en  peinture  les  impressions  et  les  «»  vague  à  l'âme  >• 
que  seule  jusqu'ici  la  musique  rendait?  En  litt^ature  on 
y  est  parvenu.  Nous  insistons  sur  ce  point,  d'aborjd  parce 
que  nous  sommes  partisans  de  la  compénétration  des  arts, 
ensuite  parce  que  nous  croyons  que  seule  la  plastique 
symbolique  peut  résoudre  le  problème.  Fernand  Khnopff 
a  une  acuité  artistique  étonnante,  il  a  réussi  à  exprimer 
déjà  de  très  délicates  subtilités  d'analyse  et  semble 
fait  pour  saisir  les  si  tenus  aimants  qui  s'attirent  dans 
les  choses  et  à  nous  en  donner  les  sensations  dans  son 
œuvre.  L'expression  violente  du  cœur  a  été  donnée  par 
le  Romantisme,  l'expression  raffinée,  discrète,  rare  de 
ce  même  cœur,  voilé  de  rêve,  doit  être  produite  à  son 
tour.  Et  ce  seront  les  sphinx,  les  anciens  rois  et  les  rei- 
nes fabuleuses,  et  les  légendes  et  les  épopées  qui  nous  ser- 
viront à  nous  faire  comprendre;  ce  seront  eux  parce 
qu'ils  ^imposent  avec  le  despotisme  du  souvenir,  avec  le 
grandissement  séculaire  et  que  nous  nous  voyons  mieux  à 
travers  la  transparence  de  leur  mythe. 

Et  maintenant,  pour  terminer  ces  préliminaires  et  fer- 
mer en  quelque  sorte  cette  antichambre,  affirmons  que, 
ce  qui  lie  toutes  les  qualités  artistiques  de  Fernand 
Khnopff  en  faisceau,  c'est  la  raison  ou  plutôt  la  rationa- 
bilité.  Nous  ne  connaissons  point  de  peintre  plus  logique 
et  dans  l'interprétation  et  dans  le  choix  et  l'aménagement 
des  détails,  et  dans  la  présentation  de  l'œuvre  et  dans 
l'appropriation  même  du  cadre.  C'est  cette  dernière  qua- 
lité, basée  sur  sa  toujours  permanente  volonté,  qui  donne 
à  son  œuvre  son  côté  voulu,  sérieux  et  convenable  dans 
l'acception  que  Millet  donnait  à  ce  mot  en  définissant  le 
beau  :  ce  qui  convient. 

(A  suivre). 


LART  MODERNE 


291 


t  ADMIRATION  PARISIEMB 

Un  arlisle,  grand  travailleur,  grand  chorclieur,  grand  novalour, 
nous  disait  rcîcemnnont  :  Avoc  la  dixième,  avec  la  vingtième  partie 
des  efforts  et  des  œuvres  qu'un  homme  de  mérite  accomplit  chez 
nous  en  restant  inconnu  quand  mérnè,  ou  méconnu,  on  serait 
illustre  en  France. 

En  effet,  rien  n'égale  l'indifférence  ou  l'injuslice  pour  les 
nôtres,  si  ce  n'est  l'engouement  et  l'exagéralion  de  nos  voisins 
pour  les  leurs.  Pour  des  étrangers  aussi  parfois,  et  alors  nous 
admettons  quelques  célébrités  nationales  retour  de  Paris,  comme 
du  Bordeaux  retour  des  Indes.  Pour  n'en  citer  que  le  plus  récent 
exemple,  n  at-il  pas  fallu  l'accord  de  la  presse  française  sur  la 
valeur  émincnte  de  notre  compatriote  le  comte  de  Spoeibergh  de 
Lovcnjoel  comme  historiographe  de  Balzac,  et  la  révélation  du 
fait  par  un  journal  spécial,  pour  qu'on  s'en  doutât  en  Belgique. 
Li'iniquité  dans  notre  milieu  est  si  invétérée  et  si  scandaleuse 
qu'on  faisait  remarquer  dernièrement  que  l'habitude  s'iniroduit 
dans  notre  monde  littéraire  de  ne  tirer  les  livns  nouveaux  qu'à 
très  petit  nombre,  en  dédain  de  ce  public  aveugle  et  comme  si  l'on 
voulait  lui  soustraire  les  travaux  exécutés  sans  l'espoir  qu'ils'en 
occuperait.  Des  peintres  aussi  commencent  à  affirmer  qu'il  vaut 
mieux  ne  pas  exposer  et  garder  pour  soi  et  quelques  amoureux 
du  beau  et  du  neuf  tout  ce  que  l'on  fait.  Ne  serait-ce  pas  à  la 
conscience  instinctive  de  cet  état  des  esprits  dans  noire  Béoiie 
belge  qu'il  faudrait  attribuer  l'invincible  horreur  de  nos  jeunes 
pour  tout  ce  qui  est  art  populaire  ou  social,  et  leur  opiniâtreté  à 
se  retrancher,  en  s'en  vantant,  dans  l'oratoire  de  leurs  petites 
chapelles,  ouvertes  aux  seuls  fidèles?         :  -, 

Examinez  dans  les  gares  l'étalage  des  marchandes  de  livres. 
Consultez  les  catalogues  des  ouvrages  destinés  aux  distributions 
de  prix.  Tenez-vous  au  courant  de  la  critique,  pardon,  des 
comptes-rendus,  de  nos  journaux.  Presque  tout  pour  ce  qui  est 
exotique.  Presque  rien  pour  ce  qui  est  belge.  El  pourtant  notre 
production  commence  à  compter.  Ne  le  contestent  que  ceux  qui, 
précisément  parce  qu'ils  ne  so  préoccupent  pas  de  ce  qu'on  fait 
chez  nous,  s'imaginent  qu'on  n'y  fait  rien.  C'est  absolument  le 
cas  de  ces  anti-flamands  qui,  n'ayant  cure  de  notre  littérature  néer- 
landaise, soutiennent  avec  aplomb  (ju'elle  ne  donne  rien,  alors 
qu'en  réalité  elle  donne  le  double  de  sa  côncurrenle  française. 

Heureusement  que  cette  niaise  indifférence  ne  décourage  pas 
nos  écrivains.  Peut-être  même  est-elle  salutaire  :  écrivant  moins 
pour  les  autres,  ils  ont  la  chance  de  rester  plus  originaux.  Dans 
tous  les  arts,  les  conèessions  au  goût  du  public  sont  le  facteur 
dominant  de  la  médiocrité  et  de  la  décadence.  Mais,  d'autre  piirt, 
quel  élan  pourraient  donner  un  peu  plus  d'attention  et  un  peu 
plus  de  bienveillance  ! 

Ceci  nous  ramène  à  l'attitude  du  journalisme  français  vis-à-vis 
des  artistes.  Nous  n'ignorons  pas  qu'il  n'y  a  point  de  comparaison 
à  établir  entre  la  valeur  de  nos  feuilles  périodiques  et  de  ceux 
qui  les  rédigent,  et  la  puissante  organisation  de  la  presse  à  Paris, 
servie  par  tant  d'hommes  de  talent  et  souvent  avec  une  hauteur 
de  vues  qui  font  défaut,  hélas!  dans  le  monde  spécial  qui  est 
chargé  chez  nous  du  même  otiice.  La  presse  belge  est  tombée 
dans  un  discrédit  qui  fait  qu'on  n'achète  jamais  un  journal  pour 
prendre  son  avis  mais  uniquement  pour  connaître  les  nouveJlcs. 
Des  luttes  politiques  récentes  ont  démontré  que  la  coalition  des 
plus  importants  organes  de  publicité  est  impuissante  à  diriger 


l'opinion.  Aussi  ja  rédaction  de  la  plupart  de  ces  organes  est-e)Ie 
abandonnée  à  dos  équipes  de  hasard  recrutées  au  petit  bonheur 
parmi  les  médiocrités  les  plus  variées.  Mais  n'importe  :  être  un 
peu  plus  de  son  pays  quand  il  s'agit  de  littérature,  s'y  intéresser 
davanlage  eî  avec  quelque  impartialité,  serait  peut-être -un  premier 
pas  vers  la  réhabilitaiion  et  vers  des  habitudes  un  peu  plus 
relevées.  Plus  de  critique  sérieuse,  moins  de  reportage  venimeux 
serait  assurément  du  goût  de  tout  le  monde. 

S'il  n'est  pas,  en  France,  d'homme  de  valeur  qui  ne  trouve 
dans  le  journalisme  quelqu'un  pour  le  signaler  et  le  défendre,  ce 
juste  sentiment  des  devoirs  de  la  presse  dégénère  assurément 
parfois  en  réclame,  abus  aussi  criticable  que  celui  du  silence  ou 
de  l'oubli.  Les  exemples  foisonnent,  et  vraiment  quand  on  voit 
d'un  côté  l'excès  de  l'inaltenlion,  el  de  l'autre  l'excès  de  l'enffoue- 
ment,  on  se  demande  si  jamais,  dans  nos  tristes  actes  humains, 
on  peut  espérer  trouver  la  juste  mesure. 

En  voici  un  cas  fort  curieux.  Le  Journal  des  Débats^  cet 
impassible  représentant  du  doctrinarisme  littéraire,  hi  quand 
même  parce  que  les  talents  y  abondent  et  que  tout  y  est  dit  avec 
cette  distinction  bourgeoise  et  modérée  qui  plaît  aux  natures 
médiocres,  a  un  lundute  qui  commence  à  poindre.  C'est  ce 
M.  Jiile?  Lemaitre  qui  vint  l'hiver  dernier  lire  en  Belgique  une 
conférence  deslinéeà  démontrer  qu'Alphonse  Daudet  et  son  Tar- 
tarin  étaient  tout  un.  Nous  en  avons  parlé  ici  même,  en  résu- 
mant l'impression  faite  sur  ses  auditeurs  par  ce  parleur  crépus- 
culaire, et  en  disant  (nous  n'étions  pas  les  seuls)  que  nous  avions  en 
Belgique  des  conférenciers  valant  un  peu  mieux  que  cela.  Or, 
voici  qu'un  de  ses  collègues  en  la  même  maison,  M.  Henri  Chan- 
tavoine,  se  charge  de  faire  le  boniment  en  l'honneur  de  cette  nou- 
velle lune,  et  d'opérer  le  glissement  par  lequel  on  insinue  quel- 
qu'un dans  le  groupe  des  célébrités.  Il  s'agirait  d'un  des  suivants 
de  M"^«  Adam  (peut-être  en  est-il,  au  fait)  qu'on  n'y  irait  pas  avec 
plus  d'entrain.  Ecoutez  : 

c<  On  peut  parler  tant  qu'on  voudra  de  M.  Jules  Lemaitre  sans 
craindre  les  redites  et  môme  sans  avoir  peur  des  contradictions. 
Je  ne  sais  guère,  à  l'heure  actuelle,  on  ce  qui  touche  aux  lettres 
et  à  la  critique  littéraire  ou  dramatique,  d'esprit  plus  souple, 
d'inielligonce  plus  fertile  et  d'homme  de  plume  —  car  je  ne  sup- 
pose pas  que  la  politique  le  tente  jamais  —  plus  rompu  et  plus 
habile  à  son  métier.  Une  curiosité  toujours  en  quête;  une  malice 
sans  méchanceté,  toujours  en  éveil;  l'information  la  plus  abon- 
dante et,  à  y  regarder  de  près. sous  son  air  de  négligence,  la 
mieux  renseignée;  l'absence  la  plus  complète  et  la  plus  heureuse 
de  tout  dogniaiisine,  sinon  de  toutes  doctrines,  —  entendez  de 
doctrines  étroites  el  revêches  ;  —  l'indépendance  et,  au  besoin, 
l'impertinence  de  jugement  la  plus  ."ésolue  ;  la  sympathie  et,  au 
fond,  l'indifférence  {au  vrai  sens  du  moi)  la  jilus  large,  la  sympa- 
thie la  plus  hospitalière  pour  tous  les  genres  el  pour  toutes  les 
formes  du  talent,  pour  tous  les  hommos  et  tous  les  livres  qui 
valent  la  peine  d'être  vus  et  d'être  lus;  avec  cela  une  faniaie-ie 
légère  et,  à  l'occasion,  une  ironie  souriante  et  dégagée  :  voilà, 
j'imagine,  les  élémcnis  et  les  agréments  principaux  de  cette 
manière  à  la  fois  très  naturelle  et  très  compliquée.  11  n'aura  pour 
lui  ni  les  bedeaux  de  lellres,  orthodoxes,  mais  bornés,  qui  mar- 
mottent de  la  littérature  dans  un  bréviaire,  ni  les  âmes  simples 
qui  demandent  leur  pam  quotidien  au  Petit  Journal.  Il  fora,  sur 
sa  route,  car,  malgré  son  indulgence  ordinaire,  il  a  ((uolquefois 
la  dent  cruelle  ou  le  compliment  ironique,  bien  dos  meconteuts. 
Comme  il  a  tout  l'air  de  prendre  la  succession  de  Sainte-Beuve, 


il  fera  aussi  bien  des  jaloux.  Je  suis  porté  à  croire  que  cela  ne 
rempôchera  ni  de  dormir,  ni  de  rôver.  » 

Sainte-Beuve!  Rien  que  cela.  Il  est  vrai  que  c'est  si  adroite- 
ment amené  par  un  crescendo  de  compliments  qui  eût  réjoui 
Bossinî.  Voilà,  certes,  M.  Jules  Lemaître  en  passe  de  monter  au 
premier  rang  c^cs  critiques  pour  quiconque  ne  se  demande  pas 
dans  quelle  mesure  M.  Chantavoine  doit  être  pris  au  sérieux.  Sup- 
posez que  cet  air  de  bravoure  soit  répété  Une  demi-douzaine  de 
fois,  la  réputation  du  nouveau  Sainte-Beuve  sera  indécrochable, 
tout  comme  celle  de  tel  chanteur  ou  de  telle  chanteuse  d'opéra 
qui  n'a  plus  de  voix  depuis  vingt  ans,  mais  dont  tout  bon  Fran- 
çais vous  dira  impcrlubablemenl  :  notre  grand  ci!  ou  notre 
grande  ça  !  et  qu'il  admire  de  confiance,  méine  quand  il  ne  les 
entend  plus.  Car  c'est  encore  un  des  étonnements  de  l'étranger  h 
Paris,  que  ces  célébrités  lyriques,  vantées  tous  les  jours  dans  les 
échos  de  théâtre,  et  qui  ne  sont  souvent,  en  vérité,  que  des 
médiocrités  qualifiées  ou  des  grandeurs  éteintes,  n'ayant  plus 
môme  de  beaux  restes. 

Nous  étions,  une  de  ces  années  dernières,  aux  bains  de  Royat. 
Les  journaux  qui  font  profession  de  publier  les  nouvelles  mon- 
daines, annoncèrent  (déplacements  et  villégiature)  que  la  char- 
mante petite  ville  auvergnate  allait  être  honorée  de  la  présence 
de  Madame  la  baronne  de  P...,  une  de  ces  personnalités  que 
connaissent  tous  les  lecteurs  du  Figaro  ou  de  GilBlas ymèmc  sans 
le  vouloir,  parce  qu'à  tout  propos  on  la  signale  comme  un  type 
de  beauté,  d'élégance,  de  grâce,  au  tout  premier  rang  de 
l'Olympe  du  /ii^/i-/i/i?.  Sa  personne  est  adorable.  Son  esprit, 
incomparable.  Son  goût  suprême.  Son  hôtel  féerique.  Son  châ- 
teau superbe.  El  sa  fortune  colossale,  naturellement,  ce  qui 
explique  bien  des  choses.  ^  . 

—  11  faut  voir  ça,  pensâmes-nous.  Et  le  soir  du  jour  indiqué 
pour  l'arrivée,  nous  fûmes  prendre  le  café  à  la  terrasse  du  Grand 
Hôtel  qui  devait  abriter  cette  merveille.  —  Garçon,  M™*  la 
baronne  de  P...,  est-elle  ici? — Oui,Monsieur,  depuis  cette  après- 
midi.  —  Est-elle  descendue  de  ses  appartements?  —  Oui,  elle 
est  là,  dans  les  salons  du  rez-de-chaussée. 

Vile  aux  salons.  Nous  les  parcourons.  Dans  le  troisième,  le 
plus  grand,  le  plus  brillant,  un  groupe  nombreux,  très  animé, 
faisant  cercle.  Nous  nous  haussons  :  —  Est-ce  la  baronne 
de  P...  ? — Parfaitement,  dit  un  voisin. 

Figurez-vous,  largement,  lourdement  étalée  dans  un  fauteuil, 
une  femme  courte,  massive,  énorme,  joues  pendantes,  petits 
yeux  malades,  coiffée  et  habillée  comme  une  femme  de 
chambre  mal  soignée.  Parlant  en  traînant,  ne  disant  que  des 
vulgarités,  en  ânonnant.  Trônant  pourtant,  majestueuse,  au 
milieu  de  son  peloton  de  courtisans,  sûre  de  sa  suite,  sûre  de  sa 
presse  el  savourant  déjà  le  compte-rendu  de  son  débarquement 
que  nous  lûmes,  en  effet,  le  lendemain,  épique  et  grotesque 
pour  nous  qui  connaissions  désormais  l'héroïne. 

Nous  la  revîmes  les  jours  suivants,  grosse  comme  un  masto- 
donte, marchant  en  se  dandinant,  sériant  du  bain,  moite  et  con- 
gestionnée, promenant  sa  maturité  faisandée,  toujours  entourée, 
toujours  flattée,  toujours  tambourinée  dans  les  journaux  du  grand 
monde.  El  vraiment  du  personnage  fictif  décrit  par  le  reportage, 
au  personnage  réel  qui  allait  el  venait  sous  nos  yeux,  il  y  avait 
la  différence  du  visage  vrai  au  visage  déformé  par  les  miroirs  à 
surface  gauchie  où  l'on  se  regarde  dans  les  baraques  foraines  qui 
ont  pour  enseigne  :  Rigolades  parisiennes. 

— ^  Vous  vous  étonnez  de  cela,  nous  dit  un  compagnon  de 


voyage,  jadis  attaché  à  la  légation  belge  à  Paris.  Mais  c'est  tou- 
jours ainsi.  Et  notez  que  je  les  crois  de  bonne  foi.  Je  ne  sais  ce 
qui  se  passe  dans  leurs  cerveaux  ou  dans  leurs  yeux,  mais  ils 
transforment  immédiatement  tout  ce  qu'ils  voient  en  le  poussant 
à  des  proportions  invraisemblables.  Avez-vous  remarqué  à  Paris 
les  chevaux  el  les  voitures  dites  de  maîtres?  Sauf  quelques  fort 
brillants  attelages,  c'est  un  assemblage  de  rosses  et  de  mauvaises 
caisses.  Pour  eux  ce  sont  des  équipages  splendides.  Vous  savez 
comment  ils  parlent  de  leurs  plages  de  la  Manche  :  Eiretat,  Trou- 
ville,  Dieppe,  Boulogne.  Il  semble  qu'il  n'y  ait  rien  de  pareil  au 
monde.  Or,ce  sont  des  localités  des  plus  modestes  en  comparai- 
son de  noire  Ostende  et  denotreBlankenberghe.  Le  soir  on  ne  les 
éclaire  même  pas.  Si  nos  deux  villes  maritimes  de  plaisance 
étaient  françaises,  on  en  parlerait  comme  de  Babylone  ou  de 
Thèbes.  El  leurs  appartements,  dont  ils  racontent  des  féeries, 
vous  savez  ce  que  c'est.  Tenez,,  voici  une  anecdote  qui  m'est  per- 
sonnelle el  qui  m'a  laissée  un  vif  el  comique  souvenir. 

«  Quand  j'étais  à  la  légation,  sous  l'Empire,  tous  les  journaux 
parlaient  des  réceptions  hebdomadaires  que  donnait  dans  son 
atelier  un  artiste  très  en  vue,  D...  C'était,  disait-on,  miraculeux 
el  on  se  disputait  les  invitations.  L'envie  me  prit  d'y  aller  et  un 
ami  m'en  fournit  l'occasion.  C'était  dans  un  quartier  éloigné.  Je 
descendis  de  voiture  devant  une  grande  maison  morne,  louée 
par  appartements.  —  M.  D...  ?  demandai-je  à  la  concierge  dont  la 
lo^e  avait  un  vasistas  sur  une  allée  noire,  exhalant  l'odeur,  spé- 
ciale à  Paris,  des  vieilles  choses  toujours  laissées  malpropres.  — 
Au  fond  de  la  cour,  l'escalier  à  droite,  au  deuxième.  —  J'avançai 
à  pas  prudents  :  tout  était  désert  et  sombre  ;  j'apercevais  seule- 
ment au  fond,  à  droite,  une  faible  lueur.  Je  me  dirigeai  de  ce 
côté:  c'était  un  lumignon  fumant  sur  la  dernière  marche.  Je 
montai,  comptant  les  paliers,  car  bientôt  je  n'y  vis  plus.  Au 
deuxième  étage,  un  rais  lumineux  glissant  sous  une  porte  mal 
jointe  et  des  voix  à  l'intérieur.  Je  frappe.  On  m'ouvre  :  c'était  le 
grand  homme,  peintre  et  boulevardier,  imposant  et  magnifique. 
Je  me  nommai,  mais  il  ne  fil  pas  attention  et  s'effaça  pour  m'in- 
troduire  dans  le  fameux  atelier  qu'on  vantait  pour  ses  dimensions 
et  son  luxe.  Juste  ce  qu'est  une  grande  salle  à  manger  chez  nous. 
Aux.murailles,  par  terre,  au  plafond,  la  défroque  habituelle.  Sur 
deux  tables  et  un  piano  à  queue,  fermé,  irois  lampes,  charbon- 
nanl.  Disséminés,  une  dizaine  d'hommes  fumant,  trois  vieilles 
femmes,  deux  plus  jeunes,  très  ordinaires  de  visages  et  d'allures. 
Une  conversation  très  animée,  au  surplus,  très  spirituelle,  très 
amusante.  Tel  fut  l'échantillon  des  soirées  mirobolantes  dont  on 
entretenait  tout  Paris. 

«  Soyez  assuré,  continua  mon  ami,  qu'à  de  rares  exccplionâ 
'  près,  il  n'y  à  en  France  de  vrai  grand  luxe  que  chez  les  étrangers,  les 
Américains  surtout.  Ce  sont  ceux  qui  occupent  les  splendides 
hôtels  des  Champs-Elysées  et  du  Parc  Monceau.  Partout  ailleurs 
c'est  de  l'imagination  el  du  décor.  Les  journalistes  en  parlent 
comme  d'une  représeniation  vue  de  la  salle.  Et  leurs  châteaux, 
c'est  la  même  chose.  Nos  moindres  maisons  de  campagne  sont 
mieux  installées.  —  Et  il  ajouta  se  penchant  vers  mon  oreille  : 
Pour  vous  en  donner  une  idée,  dans  un  grand  nombre,  je  l'ai  con- 
staté de  visu  el  aclu,  pas  de  cabinets  :  messieurs  el  dames  vont 
à  l'aurore  ou  à  la  nuit  tombée,  sous  les  taillis  voisins  qu'émail- 
lenl  par  centaines  les  lambeaux  des  journaux  qui  racontent  ces 
prétendues  merveilles  !»  ; 


LE  SALON  DE  G  AND   *> 


En  général,  le  Salon  de  Gand  esl  jugé  niédiocre.  II  est  vrai- 
ment une  des  expressions  d'un  art  qui  s'en  va  et  ennuie  nnéme  ses 
défenseurs  habituels.  Plus  moyen  de  s'en  défendre  :  une  trans- 
formation arlistique  s'impose.  Il  n'y  a  plus  de  considération  à 
avoir  que  pour  ceux  qui  la  tentent.  A  eux' seuls  va  désormais 
raltention,  même  quand  on  les  hait. 

Très  typique  à  cet  égard  une  anecdote  sur  jMillet  racontée  par 
V  Indépendance.  > 

«  A  franchement  parler,  il  y  a  une  lacune  en  celle  exposition, 
une  lacune  déplorable.  Et  laquelle?  L'abstention  de  celui-ci  ou  de 
celui-lîi? —  Peut-être,  mais...  —  Quoi  donc  encore?  —  Jean- 
François  Millet  va  nous  le  dire  en  son  langage  barbizonesque.  On 
nous  a  conté  qu'un  jour,  un  confrère  lui  montrant  son  tableau  et 
lui  demandant  ce  qu'il  en  pensait,  le  peintre  de  V Angélus  et  de 
là  Tondeuse  lui  répondit  tranquillement  : 

«  Bon,  très  bon,  ce  tableau;  mais  vous  savez,  devant  celte 
peinture,  on  ne  se  f...  pas  de  gifles.  » 

«  El  voilà  justement  ce  qui  manque  au  Salon  de  Gand.  » 

Exact,  très  exact,  mais  alors  pourquoi  vilipender  (sans  succès) 
le  Salon  des  XX,  où  l'on  est  toujours  sur  le  point  de  se  f...  des 
gifles  devant  les  tableaux. 

Si  beaucoup  se  lamentent  à  cause  du  fiasco  indiscutable  de 
l'exposition  gantoise,  il  y  a  de  braves  chroniqueurs  qui  disent 
dévotement  leur  chapelet  habituel  où  chaque  peintre  a  son  grain 
avec  marmottement  d'éloges.  On  sait  que  tel  est  le  procédé  des 
feuilles  qui  ont  le  désir  de  gagner  des  abonnés  ou  la  crainte  d'en 
perdre.  Tous  les  Nigaudinos  sont  nommés  à  la  file  comme  dans 
les  pensionnats  où  tous  les  élèves  ont  au  moins  un  accessit.  Cela 
suffit  à  certaines  vanités  :  Je  suis  sur  la  gazette!  s'écrie  triom- 
phalement le  Raphaël  de  province,  et  cela  l'encourage  à  con- 
tinuer son  art  nauséeux. 

Heureusement,  d'autres  ne  se  gênent  pas.  Nous  avons  en  ce 
genre  reçu  un  Salon  de  Gand  par  Ricordomi.  Nous  ignorons  qui 
se  dissimule  sous  ce  pseudonyme.  A  côté  de  naïvetés  amusantes 
comme  celles-ci  :  «  Le  Salon  de  Gand,  après  celui  de  Paris  est 
classé  premier  dans  le  monde  artistique  »,  —  et  d'admirations 
pour  des  soleils  d'artifice  éteints  (inutile  de  lés  nommer),  quelques 
vertes  exécutions  de  gloires  officielles,  vraiment  savoureuses  tant 
elles  sont  de  nature  à  faire  scandale  par  leur  justice  sommaire 
et  vraiment  légitime.  Dans  la  préface  et  la  postface  de  bonnes 
idées  :  «  Nous  sommes  étonné,  confondu,  profondément  attristé 
en  parcourant  ce  Salon,  surtout  en  contemplant  les  œuvres  des 
maîtres  ès-arts,  à  qui  esl  échu  la  mission  de  juger  les  autres  et 
de  se  juger  eux-mêmes  ».  —  «  On  devrait  être  inexorable  pour 
les  amateurs,  messieurs  et  dames,  qui  voient  dans  l'art  un  simple 
amusement  et  qui  remplissent  les  expositions  des  indigestes  pro- 
duits de  leurs  heures  de  loisir  ». 

Voici  encore  un  croquis  cruel  mais  vrai  de  l'enseignement  des 
académies  généralement  trouvé  bon  il  y  a  quelques  années  : 
«  Elles  traçaient  des  règles  à  l'art,  c'est-à-dire  à  la  nature.  Elles 
créaient  un  soleil  factice,  une  lune  de  contrebande,  un  jour,  des 
couleurs,  des  tonalités  de  fantaisie...  11  y  avait  des  choses  pictu- 
rales et  des  choses  noii  picturales.  On  ne  concevait  pas  un  pay- 


{*)  Voir  notre  numéro  du  29  août. 


sage  sans  les  ruinés  d'un  château,  d'un  aqueduc  romain,  d'une 
tour,  d'un  monument  quelconque.  On  pouvait  peindre  un.chêne, 
on  aurait  encore  fait  grâce  à  un  hêtre,  mais  seul,  un  malotru 
pouvait  s'aviser  de  rendre  un  pommier,  un  bouleau  ou  un  saule 
ou  de  dessiner  une  chaumière  perdue  sur  la  lisière  d'un  bois.  Le 
cheval  était  «  pictural  »  à  la  condition  qu'il  devînt  ,un  fougueux 
coursier  à  la  crinière  hérissée  ;  mais  la  pauvre  haridelle  traînant 
un  lourd  chariot  à  travers  les  ornières  d'une  route  défoncée,  était 
exclue  du  noble  domaine  de  l'art.  On  acceptait  une  vache  bien 
propre  et  bien  lavéç,  yn  mouton  bien  laine,  bien  blanc,  bien 
peigné.  On  passait  encore  sur  l'étable,...  à  la  condition  qu'elle 
fût  entretenue  par  dix  domestiques,  et  que  la  paille  servant  de 
litière. fût  prête  à  être  tressée...  Mais  la  prairie  au  large  horizon,, 
au  milieu  de  laquelle  se  perdent  quelques  animaux,  le  tout 
éclairé  d'un  ciel  gris  et  lourd,  le  sous-bois  aux  arbres  dépouillés, 
à  travers  lesquels  passent  à  peine  quelques  rayons  d'un  soleil  de 
décembre,  tout  cela  ne  se  comprenait  pas  ». 


•G[lanurz:^ 
la  critique 

Si  je  dis  à  la  petite  critique  qu'elle  esl  médiocre  et  niaise,  je 
ne  l'élonnerai  pas  beaucoup.  Si  je.  lui  dis  qu'elle  est  cruelle, 
je  l'élonnerai,  car  ne  se  prenant  pas  au  sérieux,  elle  ne  prend  pas 
au  sérieux  les  blessures  que  fait  sa  main  froide  et  gantée.  Si  je 
lui  dis  qu'incapable  d'édifier  quoi  que  ce  soit,  elle  est  capable  de 
détruire  beaucoup,  que,  sans  force  pour  donner  la  vie,  elle  a  la 
vertu  de  donner  la  mort  et  que  pour  cesser  d'être  cruelle,  il  fau- 
drait dev'enir  intelligente,  alors  ne  sachant  plus  ce  que  je  veux 
dire,  elle  me  répondra  que  je  vais  un  peu  loin  ;  elle  me  dira 
qu'elle  n'a  pas  l'intention  de  donner  la  mort.  —  Eh  !  je  ne  vous 
parle  pas  de  vos  intentions!  Je  sais  très  bien  que  vous  n'avez  pas 
d'intentions;  mais  voilà-  précisément  ce  que  je  vous  reproche; 
vous  devriez  en  avoir. 


* 
*  * 


Il  faut  dire  à  celui  qui  va  juger  que  l'élévation,  la  largeur  et  la 
profondeur  ne  sont  pas  pour  lui  des  objets  de  lu.xe,  mais  des 
lois. 


La  petite  critique  ne  juge  pas  pour  juger,  elle  juge  pour  plaire 
à  ses  propres  juges.     .  * 


La  petite  critique,  persuadée  que  les  grands  hommes  n'ont 
jamais  été  jeunes,  ni  même  vivants,  que  de  tout  temps  ils  étaient 
des  anciens,  morts  depuis  quatre  mille  ans,  ricane  el  se  détourne 
en  face  d'une  grandeur  vivante  et  présente. 


Pour  se  venger,  elle  montre,  dans  les  conceptions  du  génie,  la 
virgule  qui  manque  et  la  médiocrité  applaudit. 


Le  grand  critique  se  place  d'assez  haut  pour  saisir  du  même 
coup  d'œil  le  tout  et  les  parties.  Nul  ne  peut  juger  ce  qu'il  ne 
domine  pas.  L'enthousiasme  donne  le  courage,  el  le  courage  a 
deux  accents  :  il  admire  ce  qui  est  beau,  il  flétrit  ce  qui  est  laid. 
Que  faut-il  donc  ?  Oser.  Voilà  la  condition  de  tout. 


:^^'w: 


La  critique  doit  ôirefidôlC; comme  la  postérité,  et  parler  dans  le 
présent  la  parole  de  l'avenir. 


L'ahisle  méprwe  Tàrt  quand  il  tend  à  autre  chose  qu'à  réaliser 
le  vrai^  Le  critique  méprise  l'art  quand  il  lui  pardonne  d'avoir  un 
idéal  qui  n'est  pas  vrai. 


*-   * 


Le  critique  qui  songe  aux  applaudissements,  abdique.  11 
regarde  en  bas,  au  lieu  de  regarder  en  haut.  Il  pose  sa  couronne 
sur  le  front  de  la  foule.        . 


^PlBLIOQRAPHIE 


Chasses  fantaisistes  au  pays  Wallon,  par  Roland  de 
ToMENLow  (Baron  Arnold  de  Woelmonl).V—  Nouvelle  édition, 
augmentée  de  six  récits  nouveaux.  —  Bruxelles ,  Muquardt 
(Merzbach  et  Falk).  1886,  ^^ 

L'époque  de  la  chasse  donne  de  l'aclualilé  au  volume  dont 
M.  de  Woelmonl  vient  de  publier  une  nouvelle  édition. 

«  Je  suis  né  chasseur  :  on  ne  se  refait  pas.  Et  je  suis  le  chas- 
seur le  plus  endurci  qu'on  puisse  trouver.  Les  contrariétés 
fouettent  mon  dada,  qui  s'emporte  et  n'écoute  plus  rien.  A  sa 
suite,  j'ai  été  au  bout  du  monde.  Quand  je  ne  chaise  pas,  je  lis 
des  histoires  de  chasse  :  théorie  et  pratique,  tout  m'est  bon.  On 
s'instruit  à  relire  ses  auteurs.  OEil-de-Faucon  est  mon  livre  de 
chevet  et  ma  bibliolhôque  est  toute  cynégétique  :  on  y  voit  se 
coudoyer  du  Foui  Houx  et  EIzéar  B-laze,  le  Roy  Modus  et  la  Chasse 
illustrée,  échangeant  leurs  opinions  dans  un  langage  spécial, 
tout  imprégné  des  senteurs  vivifiantes  des  champs  et  des  bois.  » 

Ainsi  débute,  au  seuil  du  livre,  un  Examen  de  conscience  que 
formule  très  nettement  l'auteur.  ■        ;  -  v;  ;  ; 

Ces  quelques  lignes  peignent  l'homme,  et  par  conséquent  son 
style,  s'il  faut  ajouter  foi  à  l'aphorisme  de  M.  de  Buffon. 

Quand  il  ne  lit  pas  d'histoires  dé  chasse,  M.  de  Woelmont  en 
écrit.  C'est  ce  qui  nous  a  valu  Ma  vie  nomade  aux  Montagnes 
Rocheuses,  Souvenirs  du  Far-West^  et  aujourd'hui  celle  édition 
nouxcWc  ôos  Chasses  fantaisistes.      ■ 

On  y  trouvera  vint^t  récits  propres  à  charmer  la  veillée,  au 
retour  des  exi)éditions  dans  la  plaine  ou  sous  bois,  en  celte  saison 
où  la  nuit 'commence  à  réunir,  autour  de  la  lampe,  chasseurs, 
baigneurs,  pêcheurs  et  promeneurs. 

,  W.  de  Woelmont  écrit  sans  prétention,  à  la  bonne  franquette, 
et  trace  ses  notes  ainsi  qu'il  consigne,  en  son  carnet  de  chasse, 
le  nombre  de  pièces  abalturs.  Il  ne  se  met  pas  en  quête  d'aven- 
tures extraordinaires.  Historien  consciencieux  des  minimes  inci- 
dents de  la  vie  du  chasseur,  il  se  borne  à  les  relater  avec  humour, 
et  son  monologje  plail  par  sa  bonhomie  et  sa  simplicité. 

Tristan  und  Parsifal.  Ein  Fûhrer  durch  Musik  und  Dichtung, 
von  Hans  von  "Wolzogen.  —  Leipzig,  Edw.  Schloemps,  1886. 

Parmi  les  publications  wagnériennes  qu'ont  fait  éclore  les  fêtes 
de  Bayrcuth,  citons  une  brochure,  Tristan  et  Parsifal,  dans 
laquelle  le  wagnérologue  Hans  von  Wolzogen,  directeur  des 
Bayreuther  Blàtter,  publie  des  détails  critiques  et  historiques 
intéressants  sur  les  deux  drames  du  maître. 

Elle  comprend  une  soixantaine  de  pages  et  est  ainsi  divisée  : 
i,  Musik  und  Deuischthum.  — 2.  Philosophie  und  Crislenthum, 
—  3.  Religion  und  Kunst. 


Une  table  thématique  des  motifs  de  Parsifal,  au  nombre  de  25, 
cl  de  Tristan,  su  nombre  de  20,  clôture  ce  petit  volume,  mis 
en  vente  au  prix  de  75  pf.  (cart.  un  mark). 

L'Europe  illustrée.  De  Paris  à  Milan,  par  V.  Barbier. 

—  Zurich,  Oreir  Fûssli  et  Ci«.  - 

La  dernière  livraison  de  V Europe  illustrée,  cette  excellente 
collection  de  guides  illustrés  que  publient  les  éditeurs  suisses 
Oreir  Fiissli  et  C'*,  est  consacrée  à  l'admirable  route  du  Monl- 
Cenis.  Elle  forme  une  brochure  de  164  pages  ornée  de  78  croquis 
d'après  nature  par  MM.  J.  Weber  et  J.  Roichlen,  fort  élégamment 
reproduits,  et  de  deux  cartes. 

Ce  petit  volume  conlient  tous  les  renseignements  utiles  aux 
touristes  que  la  saison  des  vacances  attire  dans  les  montagnes  de 
la  Savoie.  Mais  il  n'a  pas  la  sécheresse  d'un  Baedecker  et  sera  lu 
avec  intérêt  même  par  ceux  qui,  à  l'exemple  de  de  Maistre,  bornent 
leur  ambition  à  un  voyage  autour  de  leur  chambre.  Ceux-là  ver- 
ront, sans  se  déranger,  grâce  aux  jolies  illustrations  de  MM.  Weber 
et  Reichlen,  se  dérouler  le  panorama  de  Paris  à  Milan  par  Dijon, 
Culoz,  Chambéry,  Chaniousset,  Modane,  Saint-Jean-de-Maurienne, 
Suse,  Bardonèche  et  Turin,  Et  le  texte  de  M.  Barbier  les  initiera 
à  l'histoire  du  pays,  ainsi  qu'à  l'une  des  entreprises  les  plus  con- 
sidérables du  siècle,  le  perèement  dti  Mont-Cenis. 

Rappelons  les  litres  des  livraisons  parues  précédemment  dans 
la  même  collection  -.  i.  Chemin  de  fer  Arlh-Righi.  —  2.  Id. 
Uetliberg.  —  3.  Id.  Vitznau-Righi.  —  4.  Id.  Rorschach-Heiden. 

—  5.  Baden-Baden.  —  6.  Thoune.  —  7.  Interlaken.  —  8.  Enga- 
dine.  —  9.  Baden  (Suisse).  —  10.  Zurich.  —  11.  Nyon.  — 
12.  Constance.  —  13.  ThuSis.  —  14.  Lucerne.  —  15.  Florence. 

—  16.  La  Gruvère.  —  17-18.  Milan.  —  19.  Schaffliouse.  — 
20.  —  Ragaz-Pfaefers.  —  21.  Kreuth.  —  22.>  Vevey.  —  23.  Davos. 

—  24.  Notre-Dame  des  Ermites.  —  25.  Reinerz.  —  26-27.  Le 
Clos  de  la  Franchise.  —  28.  Neuchâtel.  —  29-30  Fribourg  en 
Brisgau.  —  31-32.  Gôbersdorf  (Silésie).  —  33-36.  Le  Sainl- 
Goihard.  —  37.  De  Frobourg  à  Waldenbourg.  —  38-39  Kran- 
kenheil-Tolz.  —  40-41.  Baitaglia  (Padoue):  —  42-44.  La  ligne 
Carinthie-Pusterthal.  —  45-47.  Ajaccio.  —  48-49.  Le  Biirgen- 
stock.  —  50-51.  Coire.  —  52-53.  Gralz  (Styrie).  -  54-55  De 
Paris  à  Berne.  —  56-57.  Aix-les-Bains.  —  58-60.  Du  Danube  à 
l'Adriatique.  —  61-62.  Le  lac  des  Quatre-Cantons.  —  63.  La 
Bergstrasse.  —  64-65.  A  travers  TArlberg.  —  66-68.  Budapeslh. 

—  69-70.  Heidelberg.  —  71-73.  Locarno.  —  74.  Monlreux.  — 
75-78.  Le  Mont-Cenis. 

Chaque  livraison  est  en  vente  au  prix  de  cinquante  centimes. 


?' 


'ETITE    CHROJ^iqUf: 

Nous  avons  annoncé  que  M.  Emile  Mathieu,  l'auteur  du  Hoyoux 
et  de  Frèyhir,  écrivait  un  opéra  intitulé  Richilde,  et  nous  en 
avons  analysé  le  sujet.  Nous  apprenons  que  l'oiivrage  est  entiè- 
rement terminé  et  qu'il'^sera  lu,  le  25  septembre,  aux  directeurs 
du  théâtre  de  la  Monnaie.  Nous  souhaitons  vivement  qu'il  soit 
reçu  et  mis  en  scène  promptement.  M.  Mathieu  est  un  musicien 
de  haute  valeur  auquel  nous  n'avons  jamais  ménagé  nos  éloges. 
Il  r  le  souffle  dramatique  qui  révèle  un  compositeur  de  théâtre. 
Et  sans  avoir  entendu  sa  partition,  on  petit  augurer,  d'après  ses 
ouvrages  antérieurs,  qu'il  s'agit  de  quelque  œuvre  originale  et 
puissante. 


La  deuxième  cxposilion  organisée  par  le  Cercle  artistique  de 
Tournai  s'ouvrira  aujourd'hui  à  9  1/2  heures  précises  du  malin, 
h  l'Ecole  moyenne  des  Demoiselles. 

Le  prix  de  Rome  est  décerné.  Le  jury  a  classé  premier 
M.  Monlald,  élève  de  l'Acaflémic  de  Gand,  soutenu  parcelle-ci, 
auteur  de  la  Lutte  humaine  pour  la  gloire,  qui  figure  au  Salon. 
Invraisemblable  machine  ! 

M.  Joseph  Middeleer  qui  a  cette  qualité  de  n'appartenir  à 
aucune  académie,  élève  de  Franiz  Mcerts,  qui  a, accompagné  son 
maître  lorsque  celui-ci  fut  chargé  d'exécuter  à  Florence  la  copie 
du  Iryplique  de  Hugues  Vandergo.^s  :  VAdoralioji  des  Bergers, 
est  'àrn\é  deuxième.  Ce  résuliat  n'est  pas  trop  décourageant  en 
présence  du  succès  obtenu  par  M.  Rosier,  de  l'Académie  des 
Bcaux-Arls  d'Anvers,  placé  troisième. 

M.  Hans  de  Bulovv  fera  cet  hiver  une  tournée  de  concerts  dans 
lesquels  l'éminent  virtuose  fera  entendre  l'œuvre  complet  de 
Beelhoven  pour  le  piano.  Ce  seront  là  des  séances  de  grande 
attraction,  et  nous  espérons  que  M.  de  Bulow  n'oubliera  pas  de 
comprendre  Bruxelles  dans  son  itinéraire. 

Le  camée  de  Liszt  ciselé  par  Théodore  de  Banville:  «On  sait 
combien  ce  lumullueux  pianiste  eut  toujours  d'esprii  au  service 
de  son  génie.  Doué  d'un  visage  romantique  aux  traits  longs,  au 
nez  de  héros  byronien,  à  l'œil  fatal,  à  la  bouche  mélancolique, 
à  la  chevelure  énorme  de  saule,  droite  comnie  des  baguelles,  cet 
Allemand  si  profondément  Parisien  comprit  qu'après  la  chute  du 
Romantisme  un  visage  romantique  se  trouverait  déplacé  partout, 
excepté  dans  le  giron  de  l'Eglise,  qui  en  tout  temps  garde  le  pur 
sentiment  de  toutes  les  beautés.  Aussi  sa  résolution  fut-elle  un 
trait  de  génie!  L'Eglise,  qui  ne  veut-?  que  des  perfections,  a 
sculpté  plus  vigoureusement  les  traits  si  poétiques  de  Liszt,  et 
leur  a  imprimé  un  grand  caractère,  un  peu  dur  et  farouche,  qui 
ne  leur  nuit  pas.  Par  un  hasard  singulier  et  fantasque,  ces  irré-  - 
gularilés  de  la  peau,  qu'on  nomme  vulgairement  des  grains  de 
beauté,  se  sont  multipliés  sur  la  figure  du  grand  virtuose  au 
moment  où  il  perdait  la  fleur  de  beauté  de  la'jeunesse  :  avec  les 
hommes  de  mil  huit  cent  trente,  la  Nature,  sachant  qu'ils  le  lui 
rendront  bien,  ne  se  gêne  pas  pour  abuser  de  l'antithèse!  » 

Le  chef  de  la  sûreté,  à  Paris,  avait  chargé  dernièrement  un 
brigadier  de  rechercher  un  tableau  de  Claude  Lorrain,  volé  dans 
un  hôtel  particulier  par  un  cambrioleur. 

Après  d'activés  investigations,  il  réussit  à  découvrir  le  rece- 
leur. Celui-ci,  pressé  de  questions,  finit  par  avouer  qu'il  avait 
acheté  le  tableau  5  francs,  mais  sans  se  rendre  compte  de  la 
valeur  de  l'œuvre  qui  est  estimée  18,000  francs!  !  ! 

Ce  brocanteur  peu  éclairé  l'avait  revendu  6  francs  à  un  con- 
frère tout  aussi  ignorant  que  lui  en  matière  de  peinture,  lequel  ^^ 
exposa  le  tableau  à  sa  devanture  en  inscrivant  dessus  à  la 
craie  :  10  francs.  L'œuvre  de  Claude  Lorrain  resta  quinze  jours 
au  soleil  et  à  la  pluie.  Enfin,  un  passant  l'acheta  au  prix  marqué 
et  l'emporta  chez  lui,  où  sa  famille  le  railla  de  son  acquisition 
avec  une  telle  persistance  qu'il  remisa  le  tableau  dans  son  cabinet 
d'aisances.  C'est  là  que  le  brigadier  en  a  opéré  la  saisie. 

Quelle  idée  cela  donne  du  goût  du  public! 

L'emploi  des  jeunes  enfants  au  théâtre,  principalement  pour 
les  pièces  à  spectacle,  a  pris  de  telles  proportions  à  Berlin  qu'il 
a  fallu  une  intervention  de  la  police  pour  réprimer  les  abus  que 
cet  état  de  choses  engendrait. 


Un  arrêté  vient  d'être  rendu  par  lequel  nul  enfant  ne  peut  être 
engagé  par  un  directeur  de  théâtre  s'il  n'est  muni  d'une  autorisa- 
tion écrite  du  commissaire  de  police  et  d'une  attestation  du  maître 
d'école;  l'autorisation  pourra  être  retirée  à  toute  époque  et  chaque 
fois  que  les  besoins  de  l'école  l'exigeront.  Le  service  des  enfants 
au  théâtre  ne  pourra  se  prolonger  au  delà  d'onze  heures  du  soir. 

Très  dur,  mais  très  vrai,  un  article  d'Emile  Cofra  dont 
nous  extrayons  ceci  :" 

«  Est-il  vrai  que  l'art  manque  de  débouchés  et  qu'il  végète 
faute  d'encouragement.  '■\  " 

«  Hélas  non;  telle  n'est  pas  la  maladie  dont  souffre  l'art;  ce 
ne  sont  pas  les  jurys  qui  coupent  les  ailes  au  génie;  ce  ne  sont 
ni  les  encouragements,  ni  la  liberté,  ni  les  moyens  do  produire 
qui  lui  manquent.  Ce  serait  bien  plus  juste  de  dire  que  ce  sont 
toutes  ces  influences  qui  dégradent  l'arl  ;  car,  grâce  à  elles,  le 
mauvais  goût  le  plus. détestable  s'est  répandu  parmi  le  public  qui 
paie  au  poids  de  l'or  les  productions  les  plus  insipides;  la  spé- 
cialisation, le  désir  de  plaire  et  de  se  vendre  a,  de  la  sorte, 
réduit  les  artistes  au  rôle  d'instruments  passifs  de  l'inspiration 
des  imbéciles  et  développé  chez  eux  une  monstrueuse  cupidité 
qui  n'est  pas  la  moindre  cause  parmi  celles  qui  ont  engendré 
leur  abaissement. 

«  La  licence  dont  jouit  l'art,  les  libéralités  de  toute  nature 
dont  on  le  gratifie,  l'incontinence  encouragée  des  artistes,  ont 
surtout  multiplié  les  productions  nriédiocres  et  fait  perdre  toute 
valeur  morale,  toute  dignité  et  toute  destination  sociale  à  ses 
œuvres;  elles  ont  en  outre  procréé  toute  une  corporation  de 
déclassés,  absolument  impropres  à  la  fonction  qu'ils  prétendent 
remplir  et  qui  eussent  bien  plus  utilement  employé  leur  vie  en 
décorant.les  étoffes  ou  les  papiers  peints. 

«  De  plus  en  plus,  en  effet,  les  moyens  sont  pris  pour  le  but 
dans  l'art  moderne,  les  procédés  pour  les  résultats,  l'expression 
pour  la  méditation.  Les  artistes  sont  ainsi  parvenus  à  une  perfec- 
tion inouïe  dans  l'exécution,  et  leurs  œuvres  révèlent  des  mains 
extrêmement  habiles,  de  grands  savoir-faire  ;  mais  l'invention 
n'y  brillé  guère,  et  il  ne  semble  pas  que  ce  soient  des  cerveaux 
éclairés  qui  aient,  dirigé  et  utilisé  tous  ces  admirables  instru- 
ments. L'art,  enfin,  manque  d'inspiration,  de  conception,  et,  en 
général,  il  n'est  pas  cultivé  par  des  hommes  qui  pensent. 

«  Les  artistes  modernes  sont  presque  tous  des  esprits  médio- 
cres, de  purs  praticiens,  impuissants  à  embrasser  un  vaste  sujet 
et,  par  suite,  à  idéaliser  les  grandes  pensées  ou  les  grands  événe- 
ments qui  sont  l'honneur  de  l'humanité. 

«  Cette  critique  peut  s'étendre  à  l'art  en  général,  c'est-à-dire 
à  la  poésie,  à  l'art  dramatique,  à  la  musique,  à  la  peinture,  à  la 
sculpture,  à  l'architecture,  qui  tous  aujourd'hui  présentent  les 
mêmes  symptômes  morbides,  les  mêmes  vices  organiques  et  qui, 
en  dépit  d'une  pullulation  effrénée,  demeurent  sans  résultats  et 
sans  action  profonde  sur  le  public. 

tt  II  en  sera  de  même  tant  que  l'art  ne  se  sera  pas  retrempé 
dans  une  philosophie  nouvelle,  dans  une  foi  vivifiante  capable 
de  susciter  les  mêmes  enthousiasmes  que  celles  du  passé  et  de 
lui  faire  recouvrer  son  antique  efficacité  sociale.  Ce  n'est  pas,  en 
effet,  dans  le  petit  réduit  de  l'imagination  individuelle  qu'il  peut 
puiser  les  éminents  sujets  d'idéalisation  qui  inspirent  les  chefs- 
d'œuvre;  il  lui  faut  les  grands  spectacles  sociaux,  les  commu- 
nautés de  sentiments  qui  rassemblent  et  rallient  la  multitude  des 
hommes.  L'arl  se  développe  non  pas  en  restant  aristocratique  et 
spécial,  mais  en  devenant  général  et  populaire.  » 


»1  »(.     ,     '' 


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Liszt,  Franz.  Tannhàuser,  Transcription  arrang.  pour  2  pianos 
à  8  mains,  fr.  6-60.  v 

Palestrina.  ŒJwt-r^s.  Vol.  XVIII  (Messes  9»  livre),  fr.  18-75. 

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française  de  Victor  ^Ider,  fr.  20-00.  —  Id.,  Livret,  fr.  1-50. 


Bruxelles.  —  Imp.  Félix  Callewaert  père.  —  V»  Monnom  successeur,  rue  de  l'Industrie,  26. 


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Sixième  année.  —  N^  38. 


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Dimanche  19  Septembre  1886. 


MODERNE 


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OMMAIRE 


Le  parfum  de  la  musique.  —  Exposition  des  tableaux  de 

MAITRES   anciens    AU    PaLAIS  DES   BeAUX-ArTS.    —    CORRESPONDANCE 

PARTICULIÈRE  DE  «•  l'Art  MODERNE  i».  L'impresstonnisme  aux  Tui- 
leries. — '  Pathologie  littéraire.  —  Petite  chronique. 


LE  PARFUM  DE  LA  MUSIQUE 


L'un  des  qualificatifs  les  plus  généralement  usités  par 
les  poètes  quand  ils  parlent  de  la  Musique  est  l'adjectif 
**  ailée  »»,  et  ce  mot  exprime  à  merveille  la  sensation 
qu'elle  procure,  cet  envolement  de  la  pensée  vers  le 
pays  du  Rêve,  ce  frissonnant  voyage  à  travers  les  espa- 
ces où  plane  l'insaisissable  Chimère. 

Pour  produire  cette  ivresse,  il  n'est  pas  toujours 
nécessaire  que  la  musique  ait  une  valeur  artistique,  et 
souvent  l'oreille  la  moins  exercée  peut  en  ressentir 
délicieusement  les  efiets  :  il  s'agit  ici  d'une  impression 
d'ordre  physique,  analogue  à  celle  que  font  éprouver, 
par  exemple,  les  parfums,  et  d'une  subjectivité  telle 
qu'elle  peut  faire  sangloter  tel  auditeur  tout  en  laissant 
tel  autre  absolument  indifférent.  Qui  de  nous  ne  s'est 
senti  violemment  ému  en  entendant  à  l'improviste  la 
mélodie  naïve  qui  a  rythmé  telle  heure,  telle  minute, 
triste  ou  joyeuse,  de  son  enfance,  et  si  étroitement  unie 
à  cette  tristesse  ou  à  cette  joie  que  le  souvenir  n'en 
peut  désormais  plus  être  séparé  ? 

Voyageur,  vous  n'avez  pas  oublié,  et  vous  n'ou- 
blierez jamais,  qu'au  moment  où  vous  êtes  monté  à  bord 
du  navire  qui  allait  vous  emporter  loin  de  vos  affec- 


tions, un  orchestre  militaire  passait  sur  le  quai,  jouant 
un  pas  redoublé  retentissant.  Cette  gaîté  vous  a  paru 
triste  à  fendre  l'âme,  et  le  motif  du  pas  redofublé  s'est 
enfoncé,,  sifflant  et  vibrant  comme  une  flèche,  pour  y 
demeurer  planté  à  jamais,  dans  votre  cœur.  Que  vous 
en  entendiez,  en  quelque  circonstance  que  ce  soit,  les 
premières  notes,  tout  aussitôt  se  présenteront  nette- 
ment sous  vos  yeux  la  scène  des  adieux,  et  le  steamer 
prêt  à  appareiller,  et  l'effarement  tumultueux  du  départ  ; 
ce  chant  de  joie  vous  fera  verser  des  larmes. 

Amant,  le  soir  étoile  qui  voila  vos  premiers  aveux, 
vous  marchiez  à  petits  pas  dans  l'ombre  palpitante  des 
bois,  enlacé  à  celle  dont  l'haleine  se  confondait  avec  la 
vôtre,  et  le  silence  était  si  solennel,  que  les  Amadrya- 
des  aux  aguets  dans  la  profondeur  du  feuillage  ne  per- 
cevaient rien  d'autre  qu'un  vague  murmure  de  baisers. 
Au  loin  s'éleva  la  voix  d'un  cor,  emplissant  de  mélan- 
colie la  futaie  sonore.  Vous  avez  tressailli,  et  le  chant 
modulé  par  ce  cor  est  devenu  le  thème  de  votre  amour, 
-si  intimement  lié  à  lui  qu'aujourd'hui  encore,  chaque 
fois  que  vous  l'écoutez,  vous  entendez  retentir  en  vous- 
même  un  écho  des  voluptés  dont  vous  vous  êtes  abreuvé 
au  temps  de  ces  lointaines  délices. 

La  musique  est  l'atmosphère  qui  caresse  nos  sensa- 
tions, la  lumière  qui  baigne  les  épisodes  tragiques  ou 
idylliques,  douloureux  ou  charmants,  de  notre  vie. 

Elle  est,  avec  une  intensité  sans  égale,  évocatrice  et 
suggestive.  La  délicate  et  subtile  effluence  de  ce  bouquet 
de  roses -thé  fait  revivre  pour  vous,  n'est-ce  pas. 
Madame,  la  minute  délirante  où,  toute  troublée,  vous 


*■■  ,«-  .;,  j,'/,  ■■'■'^ 


J" 


en  acceptâtes  un  semblable  dans  une  circonstance  déci- 
sive. Mais  que  dire  de  la  valse  de  Strauss  que  jouait  à  ce 
moment  l'orchestre,  à  laquelle  vous  ne  donnâtes  peut- 
être  qu'une  attention  distraite,  dont  cependant  le  magné- 
tique pouvoir  est  tel  que  jamais  plus  son  rythme  berçant 
ne  pourra  effleurer  votre  oreille  sans  faire  vibrer  dans 
votre  âme  les  cordes  mystérieuses  de  cette  lyre  d'a- 
mour qui  est  la  Poésie  de  votre  éblouissante  jeunesse  ? 

Parfois,  au  lieu  d'une  relation  conventionnelle,  un 
accord  s'établit  entre  la  donnée  musicale  et  la  circon- 
stance qu'elle  accompagne  :  le  thème  est  héroïque,  ou 
sentimental,  ou  passionné,  ou  sinistre,  ou  d'une  rêverie 
pleine  de  mystères,  selon  l'incident  que  fortuitement  il 
accompagne.  Oh  !  combien  intense  et  tragique  et 
troublant  est  alors  le  choc  que  nous  ressentons!  Certes, 
si  nos  sens  étaient  moins  grossiers,  s'ils  pouvaient 
échapper  ^aux  entraves  de  la  chair  et  battre  de  Taile 
dans  l'infini  des  régions  de  l'esprit,  les  parfums  nous 
apparaîtraient,  de  même,  en  une  gamme  merveilleuse, 
correspondant,  dans  tous  leurs  degrés,  aux  sentiments 
dont  notre  cœur  peut  être  assailli.  La  virginité  de  l'émé- 
rocale  blanche  et  de  l'oranger,  la  sensualité  de  l'hélio- 
thrope,  de  la  tubéreuse  et  du  magnolia,  la  belliqueuse 
ardeur  des  roses  saignantes,  la  sérénité  de  la  lavande, 
la  candeur  de  l'iris,  l'impétueuse  énergie  des  plantes  aux 
relents  pimentés  :  la  giroflée,  le  thym,  l'œillet  de  la 
Chine,  deviendraient  perceptibles  pour  tous  les  mortels, 
et  les  mille  senteurs  qu'exhale  la  nature,  la  résine  des 
sapinières,  les  herbes  fraîchement  fauchées,  les  trèfles 
pourprés,  les  vastes  bruyères,  les  landes  où  brille  For 
des  genêts,  chanteraient  une  émouvante  symphonie 
dont  chaque  voix  éveillerait  en  nous  un  monde  de  sen- 
sations sommeillant  sous  la  cendre  des  souvenirs.  La 
signification  précise  de  chacune  de  ces  senteurs  serait 
aussi  claire  que  les  formes  musicales  imaginées  par  les 
oiseaux,  —  et  imitées  par  les  hommes!  —  pour  expri- 
mer leurs  pensées.  Et  ce  ne  serait  plus  Baudelaire  seul 
qui  aurait  le  droit  de  dire  :  «  Mon  âme  voltige  sur  les 
parfums  comme  l'âme  des  autres  hommes  voltige  sur 
la  musique.  » 

Si  cela  était,  on  ne  considérerait  pas  comme  une 
simple  —  et  étincelante  —  fantaisie  d'artiste  la  concep- 
tion de  V orgue  à  bouche  qu'inventa  le  duc  Jean  Flo- 
ressas  des  Esseintes  et  dont  chaque  registre  ouvert 
faisait  filtrer,  goutte  à  goutte,  dans  un  verre,  des 
liqueurs  diflérentes,  afin  qu'on  pût  composer  un  nectar 
qui  enchantât  le  palais  comme  le  plus  beau  morceau 
de  musique  ravit  l'oreille! 

Mais  nos  sens  sont  atrophiés  et  éteints,  sauf  celui  de 
la  vue,  que  nous  exerçons  uniquement  dans  le  but  de 
discerner,  quand  nous  changeons  un  louis,  si  on  ne 
nous  rend  pas  dix-neuf  francs  cinquante.  Et  nous  ne 
soupçonnons  même  pas  la  sensation  raffinée,  exquise, 
que  produirait  le  concert  des  parfums,  dès  saveurs  et 


des  sons  en  parfaite  concordance  avec  les  états  de  notre 
âme!  •  • 

Un  homme  a  eu  l'idée  d'appliquer  à  l'Art  le  résultat 
de  ces  réflexions,  qui  sont  toutes  naturelles  et  découlent 
logiquement  de  l'observation.  Il  l'a  fait  entrer  dans 
la  théorie  de  sa  musique,  et  cette  chose  si  simple  a 
déchaîné  une  révolution. 

En  imaginant  de  symboliser  ses  héros,  leurs  senti- 
ments, ou  même  telles  idées  abstraites,  la  Foi,  la  Cha- 
rité, par  des  phrases  musicales  destinées  à  être  le 
canevas  sur  lequel  s'épanouiront  les  fleurs  brillantes, 
les  arabesques  d'or  et  d'azur,  il  s'est  borné  à  transformer 
en  ressort  dramatique  —  et  de  quelle  puissance  !  —  ce 
phénomène  qu'il  avait  noté  dans  la  vie  :  la  musique 
s'enlaçant  à  un  épisode,  à  une  personne,  plus  étroite- 
ment que  le  lierre  au  tronc  du  chêne,  que  le  vêtement 
au  corps,  et  devenant  l'atmosphère  même  dans  laquelle 
se  meuvent  les  individualités,  l'expression  par  laquelle 
on  pourrait,  à  défaut  de  mots,  désigner  telle  sensation, 
telle  passion,  telle  évolution  du  cerveau,  telle  palpita- 
tion du  cœur. 

Mais  avec  quel  discernement  judicieux  il  les  a 
choisis,  et  avec  quel  tact  il  les  applique  aux  situations 
scéniques! 

Un  seul  exemple.  Lorsque,  au  troisième  acte  de 
Tristan  et  Isolde,  Kourwenal,  inquiet  du  silence  de 
son  maître*iagonisant,  étend  la  main  sur  sa  poitrine 
pour  s'assurer  que  son  cœur  n'a  pas  cessé  de  battre, 
la  phrase  d'amour  qui  tout  à  coup  jaillit,  avec  une  dou- 
ceur infinie,  des  profondeurs  de  l'orchestre,  ne  dit-elle 
pas  mieux  qu'un  discours,  que  vingt  discours,  ce  que  le 
poète  veut  faire  comprendre? 


C'est  le  parfum  de  la  musique,  cela,  cette  chose  sub- 
tile et  pénétrante  qui  n'est  pas  la  musique  elle-même, 
puisque  celle-ci  est  capable  d'exprimer  —  et  exprime 
fréquemment  —  les»  sentiments  les  plus  nobles,  les  plus 
tendres,  les  plus  touchants,  les  plus  passionnés,  par  les 
seules  ressources  de  ses  enchaînements  harmoniques  et 
du  dessin  capricieux  ou  sévère  de  sa  mélodie. 

Evocateur  souverain,  ce  parfum  a  acquis  au  théâtre, 
depuis  qu'on  y  représente  les  drames  du  maître,  uiie 
importance  telle  qu'on  ne  conçoit  plus  guère  qu'un 
compositeur  se  passe  de  ce  merveilleux  moyen  d'action, 
puisque,  à  moins  detre  totalement  disgraciés  par  la 
Nature,  il  n'est  guère  de  spectateurs  qui  n'en  puissent 
savourer  le  capiteux  arôme. 

Aussi  un  journal  français  annonçait-il  ces  jours-ci, 
avec  un  sérieux  qui  fait  sourire,  que  M.  Massenet  écri- 
vait une  partition  basée  sur  un  système  «  entièrement 
nouveau,  »  appelé  à  faire  sensation  :  chacun  des  person- 
nages y  serait  symbolisé  par  une  phrase  musicale  que 
l'orchestre  reproduirait  chaque  fois,  que  l'acteur  ainsi 
représenté  entrerait  en  scène  ou  qu'il  serait  question  de 
lui 


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^e-viy;,;.  T''^'/;.-p^;> 


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;*»sis::;-W5»' 


C'est  donc  un  point  désormais  acquis  à  l'histoire  : 
M.  Massenet  est  l'inventeur  des  motifs  caractéris- 
tiques ! 

Le  procédé  est  d'ailleurs  à  la  portée  de  tout  le 
monde.  Il  suffit,  pour  l'appliquer  comme  il  convient, 
d'avoir  du  génie.  .' 


EXPOSITION  DES  TABLEAUX  DE  MAITRES  ANCIENS 

au  Palais  des  Beaux- Arts. 

Le  catalogue  de  l'exposition  a  beau  être  explicatif,  on 
ne  le  croit  guère.  Les  Rembrandt,  les  Rubens,  les 
Teniers  y  foisonnent.  Tableaux  mesurés  à  un  centi- 
mètre près,  détaillés  dans  leur  sujet  et  leur  prove- 
nance, estampillés  de  leur  état  civil,  ils  mentent  par 
chacune  des  lettres  de  leur  notice  et  leurs  personnages 
jouent  la  comédie  des  vrais  chefs-d'œuvre,  les  uns  avec 
des  gestes  approximatifs,  les  autres  avec  des  vêtements 
aux  couleurs  douteuses.  Un  Rubens,  cette  Sal07né?  Un 
Rembrandt,  cette  Vanité?  Oh!  les  pauvres  grands 
génies  qu'on  outrage  deux  siècles  après  leur  mort,  en 
leur  attribuant  des  coups  de  pinceau  non  donnés,  des 
combinaisons  de  tons  non  commises,  des  pensées  non 
conçues,  outrages  acceptés  par  l'indifférence  et  la 
bêtise  unanimes  et  infligés  impunément  avec  le  con- 
cours de  S.  M.  le  Roi  et  S.  A.  R.  le  comte  de  Flandre 
et  tous  les  membres  du  comité  à  la  queue-leu-leu  !  La 
calomnie  en  art  nous  semble  aussi  triste  que  l'autre  et 
pourquoi  ne  punit-on  point  l'exposant  d'une  œuvre 
apocryphe  ?  Les  grands  maîtres  morts  à  la  vie  maté- 
rielle sont  vivants  de  la  vie  suprême;  ils  méritent  res- 
pect plus  que  n'importe  quoi  et,  si  tel  amateur  leur 
inflige  telle  élucubration  médiocre  et  trouvé  un  Palais 
des  Beaux- Arts  pour  l'étaler  en  public  —  qu'importe 
que  l'exposition  soit  au  profit  de  la  Caisse  centrale  des 
Artistes,  —  on  a  le  devoir  de  signaler  ce  scandale. 

Aussi  bien  qui  protesterait  et  qu'est-ce  que  le  respect 
de  l'art  et  de  l'artiste  en  Belgique?  Si  tel  monsieur 
inscrit  sous  un  tableau  médiocre  soit  le  nom  de 
Rubens,  soit  celui  de  Rembrandt,  songe-t-il  un  seul 
instant  au  tort  qu'il  peut  faire  à  une  gloire?  Rubens  et 
Rembrandt  ne  sont-ce  pas  noms  dont  il  est  libre  de  faire 
de  l'argent.  Et  après?  Connaîtrait-il  leur  vie,  ne  décla- 
rerait-il point  que  ce  sont  ou  des  gueux,  ou  des  toqués? 
Le  culte  du  beau,  l'avoir,  lui,  le  marchand  enrichi,  lui, 
le  boursier  haletant?  Affaire  de  vanité  à  soigner.  Il  se 
sert  de  l'art  pour  se  donner  du  ton,  comme  de  cirage 
pour  lustrer  ses  bottes.  Il  parle  de  sa  galerie  comme  de 
ses  chevaux  et  de  ses  panneaux  illustres  comme  de 
ceux  de  sa  voiture. 

Nous  ne  discuterons  aucune  authenticité  de  tableau, 
la  chose  serait  trop  aisée .  ^ 

Nous  préférons  signaler  quelques  toiles  d'artistes 


quasi  inconnus  qui  nous  ont  particulièrement  sollicité. 

Et  tout  d'abord  deux  toiles  :  le  Pauvre  festoiement 
et  le  Combat  des  Gueux  d'Adrien  Van  der  Venue. 
Le  peintre?  illusoirement  célèbre.  Et  néanmoins  quel 
superbe  et  bizarre  poète  des  loqueteux,  des  baricroches, 
des  va-nu-pieds  !  quel  satirique  de  la  misère  !  Callot  et 
Goya  viennent  à  l'esprit,  surtout  ce  dernier.  Callot 
saisit  avec  plus  de  verve  l'aspect  famélique  des  men- 
diants, mais  Van  der  Venue  presqu'autant  que  Goya 
définit  leur  caractère  tragique  et  fantasque,  terrible  et 
fou.  Ces  gueux  sortent  de  vrais  taudis,  apparaissent 
effrayants  et  forts  et  fiers  et  dominateurs  et  rois  de 
leurs  guenilles  pourtant. 

Les  deux  œuvres  sont  des  grisailles,  mais  traitées 
avec  une  belle  entente  des  valeurs  et  savoureusement . 

Plus  loin,  avez  vous  remarqué  le  Koedyk?  Très  inté- 
ressante cette  petite  toile  dont  une  étude  de  lumière, 
à  la  hollandaise,  met  en  évidence  la  coloration  maîtresse 
et  l'intimité  tranquille.  A  voir  le  cas  minime  qu'on  fait 
de  certains  artistes  —  Koedyk  en  est  —  alors  que  des 
Berchem  et  des  Dujardin  et  même  des  Wynants  s'im- 
posent ^indiscutés,  au  premier  rang,  on  penche  de 
plus  en  plus  vers  cette  considération  triste  :  «  La  gloire 
joue  à  Colin-Maillard  avec  les  morts  », 

Koedyk,  mieux  que  n'importe  qui  parmi  les  anciens, 
a  saisi  la  clarté  du  jour  dans  les  appartements  et  les 
chambres.  Certaines  plaques  de  lumière  sur  les  murs 
sont  presque  du  soleil.  Il  réussit  des  harmonies  de  brun 
et  blanc  exquises  de  distinction  et  de  vérité.  Il  voit  et 
sent  originalement  ce  qu'on  ne  peut  dire  ni  de  Gérard 
Dow,  ni  de  Mieris,  ni  de  la  plupart  des  petits  maîtres, 
si  haut  cotés  à  la  bourse  des  amateurs  et  des  mar- 
chands. 

Et  voici  une  Marine  de  Peeters,  le  n°  167.  Quel 
pinceau  délicat,  spirituel  !  La  minutie  des  détails,  la 
symétrie  des  lignes,  la  linéaire  ordonnance  de  la  com- 
position, non  rien  n'atténue  le  plaisir  d'artiste  qu'on 
ressent  à  l'examen  de  cette  œuvre  exquise.  Et  quels 
délicieux  tons  clairs  et  gras,  là-basr  dans  le  fond,  au 
ras  de  l'eau,  dans  le  mouvement  calmé  des  vagues  ! 

Et  quelle  élégance  fière  dans  le  rendu  des  navires  et 
l'orgueil  de  leurs  mâts  et  la  fragilité  charmante  de 
leurs  agrès  et  la  royauté  de  leurs  poupes  et  de  leurs 
proues  ! 

Npus  signalons  encore  une  œuvre  attribuée  à 
Brauwer  (n°  40)  superbe  de  caractère  et  de  vie.  Com- 
bien plus  grandement  que  Teniers,  il  comprend  lui,  le 
buveur  !  Il  le  fait  épique  et  farouche,  tandis  que  celui-là 
ne  le  pousse  presque  jamais  au  delà  de  la  plaisanterie 
ou  de  la  caricature.  U intérieur  du  cabaret  avec  ses 
brutalités  d'esquisse,  témoigne  d'une  fière  puissance  de 
conception  et  d'une  exécution  vaillante,  pleine  d'entrain, 
avec  de  la  fougue  et  de  la  violence  heureuse  au  bout  du 
pinceau. 


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rART  MODERNE 


Reste  le  superbe  panneau  de  Cristus  :  Fiançailles 
de  Sainte-Godéberte  et  les  Miracles  de  Saint -Benoit 
de  Rubens.  Ces  deux  envois  dominent  l'exposition.  Le 
premier  est  merveilleux  et  comme  c'est  intime  et  gothique 
de  représenter  ainsi  la  scène!  Le  second  nous  montre 
Rubens  non  encore  débarrassé  des  souvenirs  vénitiens 
et  s'oubliant  ci  et  là  dans  les  colorations  de  Veronèse 
et  de  Titien.  Nous  ne  soutenons  nullement  que  le 
maître  seul  ait  touché  à  la  toile,  mais  quel  superbe 
morceau  que  le  nu  de  Tavant-plan  et  quel  admirable 
ordonnance  et  neuve.  Les  Miracles  de  Saint-Benoit 
sont  une  toile  d'une  spécialité  assez  rare  dans  l'œuvre 
du  peintre.  Est-elle  intacte  de  remaniements  posté- 
rieurs? 

Si  l'on  compare  le  présent  Salon  de  tableaux  anciens 
à  celui  ouvert — voici  quatre  ans  —  dans  le  même 
local,  la  comparaison  n'est  nullement  à  l'avantage  du 
dernier.  Les  organisateurs  ont  été  trop  indulgents  à 
admettre  des  toiles  évidemment  fausses  et  qui  jettent 
à  premier  examen  un  discrédit  sur  le  reste.  Il  n'est  rien 
de  plus  fâcheux  que  de*«entir.  des  points  d'interroga- 
tion se  dresser 'tfprès  les  signatures.  L'esprit  critique 
s'éveille  immédiatement  et  l'on  ne  peut  se  défendre  à 
chaque  toile  d'en  scruter  plutôt  l'authenticité  que  le 
mérite.  Et  l'admiration  s'en  va,  même  la  légitime. 


COBRESPOIANCE  PARIICDLIfiRB  DE  «  L'iBI  MODERNE  » 

L'Impressionnisme  aux  Tuileries. 

Au  mois  d'avril  1884  s'organisait  à  Paris  un  Groupe  des 
Artistes  Indépendants^  qui  ouvrit,  en  mai,  une  exposition  dans 
les  baraquements  de  la  place  du  Carrousel.  Le  hasard  avait 
composé  le  comité  de  joviaux  gaillards,  échappés  de  quelque 
vaudeville,  qui  ahurissaient  le  commissaire  de  police  par  leurs 
mutuelles  demandes  d'arrestation  et  se  bâlonnaicnt,  le  soir,  au 
coin  des  rues.  En  peu  de  jours,  ils  volatilisèrent  les  versements. 
L'assemblée  générale,  désespérant  de  jamais  obtenir  la  moindre 
reddition  de  comptes,  les  congédia,  le  9  juin,  et  décida  la  îon- 
&!i\\<iïidiQ\2i  Société  des  Artistes  Indépendants  (*),  qui  fut,  le  il, 
régulièrement  constituée  par  devant  notaire.  Une  première  expo- 
sition eut  lieu  à  la  fin  de  1884;  la  seconde  se  clora  dans  quel- 
ques jours. 

Tout  l'intérêt  de  l'exiiibition  actuelle  se  concentre,  évidem- 
ment, sur  la  dernière  sftle,  livrée  à  l'impressionnisme  ("). 

\SArt  moderne  a  rendu  compte  du  Salon  impressionniste  de 
la  rue  Laffille  (mai-juin  1886)  ("*).  A  côté  des  noms  de  MM.  Degas, 


(')  Siège  :  Paris,  19,  quai  Saint-Michel.  Expositions  :  rue  des 
Tuileries,  près  du  Pavillon  de  Flore.  «♦  Cette  Société,  dit  le  préam- 
bule des  catalogues,  est  basée  sur  la  suppression  des  jurys  d'admis- 
sion et  a  pour  but  de  permettre  aux  artistes  de  présenter  librement 
leurs  œuvres  au  jugement  du  public  ••. 

(**)  Les  340  autres  numéros,  —  si  l'on  en  distrait  le  Tripot  clan- 
destin de  M.  Alexis  Boudrot,  les  natures-mortes  de  M.  Louis  Gou- 
gnet  fort  habilement  peintes,  et  les  gravures  de  M.  Hôner,  —  sont 
des  œuvres  infantiles  ou  séniles.  Contre  leur  flaccidité,  une  critique 
contondante  serait  inopportune. 

("**)  Voir  notre  no  26,  l'article  intitulé  ••  Les  Vingtistes  parisiens.» 


Guillaumin,  Gauguin,  de  M™«  Norisot,  etc.,  s'y  manifestaieat, 
suscitées  par  M.  Camille  Pissarro  et  par  trois  débutants,  des 
préoccupations  et  une  facture  nouvelles.  Nous  retrouvons  rue 
des  Tuileries  ces  trois  peintres,  —  MM*.  Georges  Seurat,  Paul 
Signac,  Lucien  Pissarro,  fils  de  Camille.  M..  Albert  Dubois  est 
avec  eux. 

Dès  l'origine,  le  mouvement  impressionniste  se  particularisa 
par  la  recherche  de  vives  luminosités  naturelles,  la  notation  plus 
complète  des  réactions  des  couleurs,  une  observation  exclusive 
et  plus  stricte  de  la  vie  contemporaine.  Ce  programme  appelait 
une  facture  spéciale.  On  proscrivit  les  bitumes,  les  terres  de 
momie,  tous  les  funèbres  ingrédients  de  l'école  et  de  la  tradi- 
tion; mais  on  ne  répudia  pas  les  mélanges  sur  la  palette,  ou,  si 
l'on  décomposa  les  tons,  on  le  fit  de  façon  quelque  peu  arbi- 
traire et  à  libres  touches;  pour  les  besoins  de  la  cause,  on 
déclara  qu'au  recul  les  couleurs  se  fondai^t  en  moelleux  ensem- 
bles; mais  trop  souvent  c'était  là  une  affirmation  gratuite.  On 
peignit  par  larges  empâtements;  les  toiles  se  bosselèrent  comme 
plans  en  relief.  On  mit  à  profit  les  roueries  coutumières  ;  le  jeu 
de  la  main  varia  avec  l'effet  à  reproduire  :  il  eut  pour  les  eaux 
des  glissements  et  le  sillon  des  poils  dans  la  pâte  ;  il  fut  circu- 
laire pour  bomber  des  nuages,  roide  et  preste  pour  hérisser  un 
sol;  on  ne  renonça  pas  aux  hasards  heureux  de  la  brosse,  aux 
fortuites  trouvailles  de  l'improvisation.  —  Ces  manœuvres,  les 
carnations  féminines  et  les  étoffes  de  M.  Renoir  leur  durent  sou- 
vent des  effets  de  velouté,  de  souplesse,  de  flottement  ;  elles 
contribuèrent  à  mouvementer  les  campagnes  et  les  marines  de 
M.  Claude  Monet;  M.  Camille  Pissarro  sembla  les  négliger.  Ce 
fut,  en  somme,  la  cuisine  des  maîtres  de  l'impressionnisme,  et 
les  résultats  étaient  à  souhait  pour  séduire  les  plus  réluctants. 

Mais  n'est-il  pas  possible  d'instituer  un  tableau  de  façon  pré- 
cise et  consciente  ?  Un  groupe  de  peintres  l'affirme  et  le  prouve. 
Cette  réforme,  que  faisait  pressentir  l'œuvre  de  M.  Claude  Monet 
et  dont  M.  Camille  Pissarro  avait  la  nette  intuition,  un  nouveau- 
venu,  M.  Georges  Seurat,  en  prit  l'initiative  et  en  établit  les 
termes  dans  son  tableau  Un  dimanche  à  la  Grande-Jatte  (1 884- 
1885).  Les  tons  sont  décomposés  en  leurs  éléments  constitutifs; 
des  taches  expriment  ces  éléments  :  elles  s'offrent  en  une  mêlée 
où  leurs  proportions  respectives  sont,  on  peut  dire,  variables 
de  millimètre  en  millimètre  ;  s'obtiennent  ainsi  de  pacifiques 
dégradations  de  teintes,  des  modelés  souples,  les  colorations 
les  plus  délicates.  Tel,  dans  le  Pré  en  contre-bas  (juillet  1886), 
ce  pâle  et  ardent  ciel  estival  de  M.  Dubois-Pillet  affirme  sa  qua- 
lité par  une  tavelure  de  bleu  ;  dans  ce  bleu  tombe  un  semis 
d'orangé  clair  décelant  l'action  solaire  ;  et  ces  couleurs,  dont  la 
résultante  optique  a  une  tendance  au  blanc,  se  ponctuent  d'un 
rose,  complémentaire  du  veronèse  qui  crête  la  ligne  des  arbres. 
A  deux  pas,  l'œil  rie  perçoit  plus  le  travail  du  pinceau  :  ce  rose, 
cet  orangé  et  ce  bleu  se  composent  sur  la  rétine,  se  coalisent  en 
un  vibrant  chœur,  et  la  sensation  du  soleil  s'impose  :  on  sait, 
en  effet, — expériences  de  Maxwell,  mensurations  de  N.-O.  Rood, 
—  que  le  mélange  optique  suscite  des  luminosités  beaucoup  plus 
intenses  que  le  mélange  des  pigments.  Au  prix  des  Camille  Pis- 
sarro récents,  ceux  de  1871  à  1885,  si  merveilleusement  atmo- 
sphériques et  lumineux,  sont  ternes. 

Voici  de  M.  Lucien  Pissarro  un  paysage  de  fin  d'après-midi 
{le  Hangar).  La  lumière  solaire,  jîune  blanc  vers  midi,  s'est 


f    ,  '     f 


VAEti  MODERNE 


801 


enrichie  de  rouge;  le  bleu,  par  quoi  s'exprime  l'ombre,  tend  à 
tout  envahir;  les  couleuîrs  locales  s'actionnent  moins  vivement. 

Pour  les  promoteurs  de  cette  nouvelle  peinture,  de  toute 
surface  colorée  s'épandenl,  avec  des  forces  diverses,  des  colora- 
tions qui  vont  s'amoindrissant  ;  elles  se  pénètrent  comme  des 
cerclés  d'ondes,  et  le  tableau  s'unifie,  se  synthétise  en  une  sensa- 
tion générale  harmonique. 

Les  premières  tentatives  dans  cette  voie  datent  de  moins  de 
deux  ans  :  la  période  des  hésitations  est  passée;  de  tableau  en 
tableau  ces  peintres  ont  affermi  leur  manière,  accru  leurs  obser- 
vations, clarifié  leur  science.  Des  points  non  encore  élucidés. 
D'après  les  tableaux  de  M.  Pissarro,  une  surface  colorée  n'agit 
pas  seulement  par  sa  complémentaire  sur  les  parties  avoisinantes, 
mais  réfléchit  sur  elles  un  peu  de  sa  couleur  propre,  même  quand 
cette  surface  n'est  pas  brillante,  môme  quand  l'œil  ne  perçoit  pas 
distinctement  ces  reflets.  L'opinion  de  M.  Seurat  et  de  M.  Signac 
semble  moins  affirmative.  Et,  pour  prendre  un  exemple,  la  pro- 
meneuse du  premier  plan  dans  Un.  Dimanche  à  la  Grande- 
Jatte  est  debout  dans  l'herbe  sans  que  la  moindre  tache  verte 
concoure  à  la  formation  du  ton  de  sa  robe.  —  Dans  un  même 
paysage,  M.  Camille  Pissarro  donnera  une  valeur  uniforme  aux 
tâches  d'orangé  solaire,  ainsi  qu'il  semble  logique.  Avec 
MM.  Seurat  et  Signac,  elle  est  plus  ou  moins  foncée,  selon  le 
plan.  Mais  l'imperfection  de  nos  couleurs  contraindra  peut-être 
M.  Pissarro  à  ces  dégradations  d'orangé. 

Ces  recherches  se  compliquent  de  recherches  industrielles.  Des 
précautions  sont  à  prendre  contre  la  duplicité  des  couleurs  : 
elles  s'attaquent  chimiquement  entre  elles;  la  lumière  et  le 
temps  dénaturent  les  autres.  Au  Louvre,  dans  VEsther  de  Paul 
Véronèse,  à  travers  les  colonnades  du  palais  d'Assuérus,  ou  voit, 
étonné,  des  nues  blanches  se  panader  sur  un  ciel  d'encre,  — 
jadis  bleu  :  ce  bleu  fut  à  la  mode.  —  De  semaine  en  semaine  on 
pourrait  suivre  la  transformation  des  orangés.  Le  blanc  d'argent, 
qui  est  un  blanc  à  base  de  plomb,  noircit  ;  le  blanc  de  zinc,  qui 
ne  noircit  pas,  ne  couvre  pas  assez,  est  maigre  :  quelle  matière 
inaltérable  lui  adjoindre  pour  le  rendre  gras?  la  magnésie?  Le 
vert  véronèse,  constamment  présent  sur  la  palette  impression- 
niste, est  à  base  de  cuivre  \  dans  les  mélanges,  les  blancs  à  base 
de  plomb  ou  de  zinc  le  détériorent  donc;  et  comment  avoir  un 
véronèse  à  base  de  zinc?  Ces  questions  ont  toujours  sollicité 
les  impressionnistes  et,  spécialement;  M.  Camille  Pissarro  ;  mais 
ici  l'expérience  pour  être  concluante  doit  porter  sur  de  longs 
laps  ;  —  et  le  peintre  qui  a  le  mieux  surveillé  la  fabrication  de 
ses  couleurs,  est  précisément  celui  dont  les  couleurs  ont  le  plus 
noirci,  Léonard. 

Afin  d'éviter  les  ombres  que  jettent  les  empâtements,  MM.  Pis- 
sarro, Seurat,  Dubois-Pillet  et  Signac  appliquent  leurs  couleurs  à 
plat.  —  Installée  par  touches  rompues,  leur  pâte  peut  jouer  élas- 
liquement  :  elle  échappe  ainsi  au  danger  du  séchage,  la  craque- 
lure. — Les  embus  disparaissant  derrière  le  verre  comme  derrière 
le  vernis,  ils  mettent,  à  l'exemple  de  MM.  Alma-Tadema,  James 
Tissot,  etc.,  leurs  toiles  soîis  verre  :  elles  n'ont  donc  rien  à 
craindre  du  saurage,  inévitable  avec  les  plus  purs  vernis.  — 
Enfin,  à  l'exclusion  du  cadre  d'or  destructif  des  tons  orangés,  ils 
adoptent  provisoirement  le  cadre  classique  de  l'impressionnisme, 
le  cadre  blanc,  dont  la  neutralité  est  bienveillante  à  tous  les  voi- 
sinages, s'il  contient,  pour  atténuer  sa  crudité,  du  jaune  de 
chrome  clair,  du  vermillon  et  de  la  laque. 


Il 

Les  marines  de  M.  Seurat  s'épandent  calmes  et  mélancoliques, 
et  jusque  vers  de  lointaines  chutes  du  ciel,  monotonemenl,  cla- 
potent. Un  roc  les  opprime,  —  le  Bec  du  Hoc  ;  dçs  suites  de 
voiles  s'y  affirment  en  triangles  scalènes,  —  la  Rade  de  Grani- 
campt  Bateaux.  Une  peinture  très  insoucieuse  de  toute  gentil- 
lesse de  couleur,  de  toute  emphase  d'exécution,  et  comme  aus- 
tère, de  saveur  amère,  salée.  Si  ces  paysages  s'animent  de 
figures,  elles  assument  des  contours  géoméiriques  :  cette  médi- 
tante femme  de  la  Seine  à  Courhewie^  ces  deux  Parisiennes,  d'un 
croqueton  pris  à  CourbevoiCt  ces  promeneurs  d'Uyt  Dimanche  à 
la  Grande-Jatte,  —  le  canotier  dorsalement  couché  qui  fume, 
les  jeunes  filles  dont  le  torse,  d'une  verticalité  de  gnomon,  jaillit 
de  l'herbe  soleillée  où  s'annulent  les  robes.  Et,  en  valeurs  imper- 
turbablement notées,  personnages,  arbres,  barques,  bêtes  se  dis- 
tribuent sur  les  divers  plans  du  tableau.  Cette  faculté  de  donner 
la  sensation  de  l'atmosphère  est  appréciable  surtout  dan?  le  der- 
nier et  le  plus  exquis  tableau  de  M.  Seurat,- Coin  d'un  bassin  à 
Ronfleur. 

De  M.  Signac,  quatre  toiles,  parmi  d'autres,  se  datent  :  Petit- 
Andely  (Eure),  juin,  juillet,  août  1886.  Les  plus  récentes,  elles 
sont  aussi  les  plus  lumineuses  et  les  plus  complètes.  Les  cou- 
leurs s'y  provoquent  à  d'éperdues  escalades  chromatiques,  exul- 
tent, clament.  Et  coule  la  Seine,  et  coulent  dans  ses  eaux  le  ciel 
et  les  verdures  riveraines,  sous  un  soleil  qui  avive  en  incendie  des 
ruines  haut  juchées,  —  le  Château-Gaillard  de  ma  fenêtre,  — 
qui  déchiqueté  des  ombres  légères  d'arbustes,  —  le  Port-Morin. 
Déjà  vues  rue  Laffitle,  ces  Apprêteuse  et  Garnisseuse  (modes), 
rue  du  Caire,  où  M.  Signac  présente,  comme  M.  Seurat  dans  /a 
Grande-Jatte,  un  paradigme  systématique  et  démonstratif  de  la 
nouvelle  facture.  En  quelques  mois  la  vision  de  ce  peintre  s'est 
singulièrement  affinée. 

Dix  tableaux  de  M.  Dubois-Pillet.  «  Un  charme  insidieux, 
écrit  M.  Ch.  Vignier,  la  gracieuse  ostentation  d'une  jolie  palette, 
et  des  arbres  qui  se  bleutent  comme  dans  Breughel  de  Velours  ». 
Une  clarté  diffuse,  ambrée,  lucide,  pénètre  ces  paysages  aux 
fines  colorations  firmamentales,  aux  lointains  qui  s'immatéria- 
lisent.  Dans  la  frigide  féerie  d'automnales  brumes  violettes,  épate 
lourdement  sa  masse  sombre,  une  toue.  Une  gracile  jeune  femme, 
au  bord  d'un  étang  dont  l'eau,  encastrée  dans  des  feuillages^  se 
dore,  se  pourpre,  changeante,  rêve.  Et  des  portraits,  des  fruits, 
des  fleurs, — celles-ci  dans  un  cadre  tendu  d'une  étoffe  à  ramages 
floraux.  Et  des  paysages  parisiens,  à^uoi  excelle  M'  Dubois- 
Pillet  :  en  1884  0,  le  Pont-Neuf  et  l'Hôlel-de- Ville;  cette 
année,  la  Seine  à  Bercy. 

Sommaires  et  justes,  les  paysages  à  l'aquarelle  de  M.  Lucien 
Pissarro  {Eglise  de  Bazincourl,  Vue  de  Pontoise,  etc.)  et  son 
projet  d'une  illustration  en  couleurs  de  «  Il  était  une  bergère  -». 

L'impressionnisme  n'est  pas  exclusivement  figuré  ici  par  les 
dissidents.  Voici  MM.  Charles  Angrand  et  Henri  Cross. 

M.  Angrand.  Comme  un  ressouvenir  de  Josef  Israëls,  —  une 
Femme  cousant  (1885)  dans  une  chambre  de  métairie,  fenêtre 
et  porte  ouvertes  sur  une  cour.  L'œil  s'amuse  à  cette  exécution 
variée,  ingénieuse  et  retorse,  qui,  alternativement,  vainc  les  diffi- 


I 


(*)  En  même  temps  il  exposait  l'Enfant  mort,  qui  correspond 
exactement  comme  titre,  sujet  et  conception  au  tableau  que  M.  Zola 
attribua  depuis  à  son  Claude  Lantier. 


302 


VART  MODERNE 


cultes  ou  les  escamote.  Les  tableaux  de  1886  sont  de  facture  plus 
simple;  les  tons  rances  de  /«  Basse-Cour  (1883)  ont  disparu  ;  la 
personnalité  du  peintre  se  détermine,  ûpre,  forte.  Les  li-ains  fuient 
sur  l'ocre  de  la  voie;  des  files  de  wagons,  à  l'écart,  stalionrient  : 
et  c'est */«  Ligne  de  l'Ouest  à  sa  sortie  de  Paris;  mais  cette  bande 
d'un  dur  bleu  où  les  traces  de  la  brosse  s'entrecroisent  en  poignée 
d'épingles,  vient  en  avant  ;  en  avant  aussi  par  sa  tonalité,  ce  wagon 
que  son  dessin,  cependant,  recule.  Une  femme,  panier  au  bras, 
descend  la  pente  sursautante  et  hirsute  de  ces  Terrains  vagues 
à  Clichy  développés  en  vue  panoramique,  comme  la  Ligne  de 
l'Ouest.  Cette  ménagère  et  le  blousier  qui,  allongé  sur  le  talus 
des  fortifications,  regarde  passer  les  trains,  associent  congrû- 
ment  leurs  valeurs  h  celles  du  décor  dans  ces  deux  tableaux  de 
vigoureux  et  volontaire  style. 

M.  Henri  Cross  (*).  Une  palette  claire,  les  objets,  les  êtres 
indiqués  par  teintes  plates  et  bémolisées,  une  facture  légère,  une 
fantaisie  jolie.  La  Condamine  {Monaco),  multicolores  taches  de 
toits  dans  des  wordurcs;  Aux  Moneghetli,  des  enfants  demi-nus, 
aux  mouvements  serpentins,  s'ébattent  dans  un  verger;  une  Tête 
d'étude^,  investie  de  soleil  ;  une  fillette  en  Blouse  rouge^  assise 
devant  la  fenêtre  ouverte  d'un  salon. . 

M.  Adolphe  Albert  hésite  entre  la  manière  officielle  et  l'im^ 
pressionnisme.  Même  dans  ie  Pont  des  Andelys  et  la  Paysanne 
normande,  les  tons  sont  divisés,  — oh  !  à  la  fortune  de  l'inspira- 
tion. L'œil  est  peu  d'un  peintre. 

Contre  la  réforme  promulguée  par  les  trois  ou  quatre  peintres 
que  concernent  ces  notes,  les  arguments  affluent,  inofFensifs. 
c<  L'uniformité,  l'impersonnalité  de  l'exécution  matérielle  privera 
leurs  tableaux  de  toute  allure  distinctive  ».  C'est  confondre  la 
calligraphie  et  le  style.  Ils  différeront,  ces  tableaux,  parce  que  le 
tempérament  de  leurs  auteurs  différera.  —  «  Un  Pissarro  récent, 
un  Seural,  un  Signac  ne  sauraient  se  distinguer  »,  proclament 
les  critiques.  Toujours  les  critiques  ont  fait  avec  orgueil  les  plus 
pénibles  aveux.  —  On  accuse  enfin  ces  peintres  de  subordonner 
l'art  à  la  science.  Ils  se  .servent  seulement  des  données  scienti- 
fiques pour  diriger  et  parfaire  l'éducation  de  leur  œil  et  pour 
contrôler  rexaclitude  de  leur  vision.  Le  professeur  N.  0.  Rood 
leur  a  fourni  de  précieuses  constatations.  Bientôt  la  théorie  géné- 
rale du  contraste,  du  rythme  et  de  la  mesure,  de  M.  Ch.  Henry, 
les  munira  de  nouveaux  el  sûrs  renseignements.  Mais  M.  Z.  peut 
lire  des  traités  d'optique  pendant  l'éternité,  il  ne  fera  jamais  la 
Grande-Jatte.  Entre  ses  cours  au  Colombia-College,  M.  Rood  — 
dont  la  perspicacité  et  l'érudition  artistiques  nous  semblent 
d'ailleurs  absolument  nulles  —  peint  :  ce  doit  être  piètre.  La 
vérité  est  que  la  méthode  néo-impressiOnniste  exige  une  excep- 
tionnelle délicatesse  d'œil  :  fuiront  effarés  de  sa  loyauté  dangereuse 
tous  les  habiles  qui  dissimulent  par  des  gentillesses  digitales 
leur  incapacité  visuelle.  Cette  peinture  n'est  accessible  qu'aux 
peintres  :  les  jongleurs  des  ateliers  devront  tourner  leurs  efforts 
vers  le  bonneteau  ou  le  bilboquet. 

M.  Monet  ni  tels  autres  n'oseront,  malgré  l'exemple  de 
M.  Camille  Pissarro,  leur  doyen,  recommencer  la  lutte  contre  le 
public,  les  marchands  et  les  acheteurs  :  mais  un  compromis 
ralliera  leur  faire  à  celui  des  dissidents.  Quant  aux  recrues  de 
l'impressionnisme,  c'est  vers  l'analyste  Camille  Pissarro  el  non 
vers  Claude  Monet  qu'elles  s'orienteront. 

■■■■.V  ,  ■    ■       ;  -  >  ■-  Félix  Fénéon.    "■ 


(*)  Le  nom  du  maître  cirier  avec  un  s  pàragogique. 


PATHOLOGIE  LITTÉRAIRE 

Dernièrement  nous  faisions  des  emprunts  à  la  Vogue  et  à  la 
Pléiade,  revues  décadentes.  En  voici  un  fait  an  Scapin^  n^  du 
l^""  septembre  (*).  .  '  • 

Mais  leurs  ventres  éclats  de  la  nuit  des  Tonnerres  ' 

Désuétude  d'un  grand  heurt  des  primes  cieux 
Une  aurore  perdant  le  sens  des  chants  hymnaires 
Attire  en  souriant  la  vanité  des  Yeux. 

Ah  !  l'éparre  profond  d'ors  extraordinaires 
S'est  apaisé  léger  en  ondoiements  soyeux  - 

Et" ton  vain  charme  humain  dit  que  tu  dégénères! 
Antiquité  du  sein  où  s'apure  le  mieux. 

Et  par  le  voile  aux  plis  trop  onduleux,  ces  Femmes 
Amoureuses  du  seul  semblant  d'épithalames 
Vont  irradier  loin  du  soleil  tentateur. 

Pour  n'avoir  pas  songé  vers  de  hauts  soirs  de  glaives 
Que  de  leurs  flancs  pouvait  naître  le  Rédempteur 
Qui  doit  sortir  des  Temps  inconnus  de  nos  rêves. 

La  multiplicité  des  rovucs  de  cette  étrange  école,  le  nombre 
de  ses  travaux  et  de  ses  adoptes,  commandent  incontestablement 
l'attention.  Il  serait  déraisonnable  de  n'y  voir  que  le  résultat 
d'actes  de  volonté  de  quelques  détraqués.  Quand  un  phénomène 
est  aussi  général,  il  est  instinctif  et  inconscient,  il  provient  de 
causes  qui  tiennent  au  milieu  et  à  l'évolution  littéraires. 

Dès  l'an  dernier  nous  l'avons  examiné  dans  VArt  Moderne  à 
ce  point  de  vue.  Nos  lecteurs  n'auront  pas  oublié  peut-être  les 
études  que  nous  avons  publiés  sous  le  titre  :  Essai  de  Pathologie 
littéraire  avec  les  sous-titres  :  Les  Déliquescents,  les  Incohérents, 
les  Verbolûtres,  les  Symbolistes,  les  Esotériques. 

Celte  façon  d'envisager  le  mouvement  a  fait  fortune.  M.  Henry 
Fouquier,  dans  le  XIX"^^  siècle^  rejirend  notre  théorie.  «  Je  crois, 
dit-il,  une  partie  au  moins  de  ces  lettrés  atteints  d'une  affection 
particulière,  d'une  maladie  que  la  science  pourrait  décrire  :  la 
maladie,  la  folie  du  mot.  »  La  verbolâtrie,  en  un  autre  terme. 
Une  conférence  donnée  par  l'un  de  nous  à  Liège,  en  décembre 
dernier,  avait  pour  titre  :  Les  maladies  littéraires. 

Dans  les  études  auxquelles  nous  faisions  allusion  tantôt,  nous 
signalions  le  véritable  mérite  de  quelques-uns  de  ces  impression- 
nistes de  l'art  d'écrire.  Nous  signalions  leurs  procédés  comme  une 
nouveauté  digne  de  grande  attention  et  succeplibles  de  dévelop- 
pement. La  littérature  a  besoin  de  changement  :  il  y  a  là,  disions- 
nous,  un  apport  de  neuf  très  remarquable.  M.  Fouquier  reprend 
cette  thèse  : 

«  Fumistes,  simples  fumistes,  a-t-on  dit  en  parlant  des  prosa- 
teurs et  des  poètes  de  cette  école  qui,  née  à  Paris  sur  les  hauteurs 
de  Montmartre,  ravage  déjà  la  province.  Je  ne  le  crois  pas,  du 
moins  "pour  tous.  Car  il  en  est  parmi  eux  dont  le  talent  est 
incontestable  el  qui  sacrifient  à  leur  doctrine  extravagante  ce 
qu'ils  pourraient  avoir  légitimement  de  succès  el  de  notoriété  en 
rentrant  dans  les  voies  du  sens  commun.  Le  mot  les  halluciné, 
comme  la  couleur  faisait  pour  ce  peintre  raconté  par  Balzac,  je 
crois,  qui  posait  sur  sa  toile  des  tons  en  dehors  de  toute  forme.  » 

On  nous  a  cherché  noise  à  cette  époque  parce  que  nous 
n'admirions  pas  tout  ce  que  ces  novateurs  produisent.  Nous 
signalions  les  grotesques  exagérations  auxquelles  ils  se  laissent 
parfois  entraîner.  .Le  Scapin  lui-même,  un  de  leurs  organes, 
partage  cet  avis,  el  l'exprime  avec  une  colère  que  certes  nous 
n'y  avions  pas  mise.  Vir,  l'un  de  ses  rédacteurs,  se  plaint  avec 
véhémence  de  la  queue  qui  compromet  la  nouvelle  école.  «  La 
queue  c'est  le  venin,  dit-il.  Et  la  queue  s'est  formée,  longue 
comme  celle  des  dragons  de  la  légende.  On  fui  Mallarmiste, 
Saturnien,  Verlainien  n'étant  pas  euphonique.  On  fut  décadent, 
on  posa,  on  se  fil  une  tête,  des  habits  el  des  mœurs  môme.  On 
s'intitula.  On  imita  les  maîtres.  » 


(*)  Bureaux  :  14,  rue  Lîttré,  à  Paris  ;  3  francs  par  an  ;  paraît  deux 
fois  par  mois  en  livraisons  de  36  pages. 


I        >       ! 


I    * 


En  somme,  si  nous  avions  la  vanité  des  prophètes,  nous  aurions 
certes  présentement  le  droit  de  nous  réjouir.  El  quant  à  ceux  qui 
proclament  que  la  question  des  Déliquescences  est  vidée,  on 
voit  qu'ils  se  trompent  lourdement.  11  y  a  même  un  nouveau 
mot  pour  les  exprimer  :  les  Evanescences . 


? 


ETITE    CHROJ^IQUE 


\ 


On  nous  écrit  pour  nous  demander  quelle  est  la  durée  de  l'ex- 
posilion  actuellement  ouverte  à  ïournaj. 

Jusqucs  au  dimanche  26  septembre  au  soir,  comme  nous 
l'avons  annoncé  récemment. 

L'exposition  est  intéressante,  nous  assure-t-on  et  vaut  le  voya- 
ge. Nous  ne  doutons  pas  que,  par  ces  temps  de  vacances  surtout, 
elle  ne  reçoive  la  visite  d'amateurs  étrangers  à  la  ville. 

Nous  avons  annoncé  que  M.  Augustin  Daly,  un  imprésario 
américain,  se  proposait  de  donner  aux  Parisiens  des  échantillons 
de  l'art  dramatique  de  son  pays.  Ces  représentations  ont  com- 
mencé assez  malheureusement  à  en  croire  VEvénement  : 

«  Les  excellents  Yankees  ont  un  fort  remarquable  toupet,  ce 
n'est  pas  d'aujourd'hui  que  nous  le  savons.  Naguère  ils  traitaient 
nos  peintres  sur  le  même  pied  que  des  marchands  de  cochons, 
avec  cette  différence  toutefois  que  l'huile  se  payera  toujours  plus 
cher  que  le  lard.  Aujourd'hui  ils  nous  envoient  triomphalement 
des  échantillons  de  leur  théâtre,  et  il  se  trouve  que  la  première 
pièce  sur  laquelle  nous  tombons  est  la  traduction  d'une  très 
oubliée  et  très  ignorée  comédie  de  Léon  Gozlan.  C'est  du  moins 
ce  qu'a  remarqué  M.  Auguste  Vitu,  de  qui  la  mémoire  a  joué 
souvent  aux  auteurs  des  tours  inattendus.  Celte  fois,  le  tour  est 
excellent. 

ce  De  tout  temps,  les  écrivains  anglais  qui  ont  fait  profession 
d'auteur  dramatique  ont  puisé  leurs  idées  chez  les  voisins,  et 
surtout  chez  nous.  Cependant,  il  serait  injuste  de  leur  refuser 
une  certaine  invention,  celle  du  titre,  qu'ils  ont  la  délicatesse  de 
changer.  Depuis  les  dramaturges  de  l'école  de  Sheridan,  qui 
s'inspirait  directement  de  Marivaux,  en  passant  par  Holcroft,  qui 
traduisait  effrontément  le  Mariage  de  Figaro,  iusqu'aux  aimables 
«  adaptateurs  »  de  nos  jours,  la  scène  anglaise  a  été  la  patrie  du 
démarquage.        ..'  . 

a  Ils  ont  cependant  un  genre  à  eux,  un  genre  où  ils  apportent 
une  incontestable  invention  et  une  originalité  surprenante  :  la 
pantomime.  Sortir  brusquement  d'une  trappe,  distribuer  à  la  fois 
cent  coups  de  pied  dans  cent  derrières,  faire  se  rosser  mutuelle- 
ment des  nègres  et  des  policemen,  voilà  où  ils  excellent.  Parions 
que  pas  un  de  nos  auteurs  dramatiques  ne  pensera  à  traduire  en 
français  la  plus  r^îussie  de  ces  œuvres  d'art  ». 

De  journaliste  à  artiste.  Voici  le  diapason  auquel  est  monté  le 
ton  de  la  polémique  entre  Henri  Rochefort  et  Philippe  Garnier, 
le  Juslinien  de  Tkéodora,  que  nous  avons  entendu  en  Belgique 
à  côté  de  Sarah  Bernhardt,  actuellement  en  tournée  avec  elle 
dans  l'Amérique  du  Sud  : 

«  On  me  remet  un  télégramme  daté  de  Buenos-Ayrcs  (dix  frattcs-. 
le  mol,  s'il  vous  plaît)  et  plein  de  menaces  signées  :  Garnier.  Je" 
me  demandais  d'où  diable  sortait  ce  Garnier  qui  mangeait  ainsi 
sa  fortune  en  dépêches  lointaines  à  des  chroniqueurs  qu'il  ne 
connaissait  pas,  lorsqu'on  m'a  expliqué  que  c'était  le  galanluomo 
qui  au  théâtre  de  Rio-Janeiro  tenait  les  mains  d'une  actrice  nom- 
mée M'"*'  Noirmont,  à  laquelle  une  de  ses  camarades  était  en  train 
de  couper  la  figure  à  coups  de  cravache. 

«  J'avais,  sur  les  récits  non  démentis  des  journaux  brésiliens, 
apprécié  avec  une  indulgence  et  une  modération  que  je  me 
reproche,  l'ignoble  altitude  de  cet  histrion  en  débauche.  Il  paraît 
que  ce  batteur  d'estrades,  qui  est  en  même  temps  un  batteur  de 
femmes,  exaspéré  de  la  publicité  donnée  à  ce  jeu  dé  biceps,  se 
propose  d'assommer,  à  son  retour  en  France,  dix  ou  douze  de 
nos  confrères,  moi  compris.  , 


«  On  sait  qu'il  a  remplacé  dès  ses  débuts  le  talent  par  le  pugi- 
lat et  que,  non  content  de  mettre  dans  l'impossibilité  de  se 
défendre  les  malheureuses  qu'on  cravache,  il  s'est  déjà  rué  par 
derrière  sur  deux  ou  trois  critiques  qui  n'avaient  pas  suffisam- 
ment rendu  justice  à  ses  genoux  cagneux  et  à  ses  trémolos  de 
basse  déchantante.  Nous  avons  quelque  idée  que  les  coups  de 
canne  à  épée,  que  ce  don  Cabolinos  tient  suspendus  sur  la  tête 
du  journalisme  parisien  ont  principalement  pour  but  de  détour- 
,ner  de  la  sienne  les  seuls  coups  auxquels  il  puisse  prétendre  : 
c'est-à-dire  les  coups  de  sifflet.  Je  m'imagine  qu'il  les  flaire  de 
loin  et  qu'il  ne  se  démène  ainsi  que  pour  tâcher  de  les  éviter.  Je 
serais  néanmoins  extrêmement  surpris  s'il  y  échappait. 

t^Si  toute  correspondance  n'était  pas  défendue  entre  un  homme 
propre  et  ce  Gugusse  en  tournée,  qui  semble  avoir  repris  pour 
lui  dans  le  mauvais  sens  du  mot  la  devise  fameuse  :  Je  main- 
tiendrai, j'aurais  répondu  à  son  télégramme  par  cet  autre  : 

«  Vous  recevrez  mes  témoins,  mais  à  une  condition  expresse  : 
«  on  se  battra  à  la  cravache  et  pendant  que  jb  laperai  sur  vous 
«  M*"»  Noirmont  vous  tiendra  les  mains.  » 


On  nous  communique  l'intéressante  lettre  que  voici,  de  Catulle 
Mondes,  à  propos  de  son  récent  roman  Zo'  Har. 

■  «  Quelle  bonne  et  charmante  leltre.  Madame;  je  me  sens  bien 
indigne  des  louanges  que  vous  voulez  bien  donner  à  Zo'  Har  ; 
mais  il  est  un  point  sur  lequel  j'ose  être  d'accord  avec  vous.  Non, 
ce  livre,  malgré  les  criaillerics,  malgré  même  l'article  paru  dans 
VArt  Moderne,  îïQsi  pas  un  livre  immoral.  J'ai,  tout  au  contraire, 
la  conviction  d'avoir  écrit  un  livre  sévère  et  triste.  Mauvais, 
peut-être,  mais  non  pas  libertin.  Je  m'étonne  que  certains  criti- 
ques n'aient  pas  vu,  ou  n'aient  pas  voulu  voir  avec  quel  soin  j'ai 
haussé  le  ton  jusqu'au  lyrisme,  jusqu'à  l'emphase  même,  pour 
éviter  toutes  les  petitesses  des  débauches  chaque  fois  qu'apparais- 
sent mes  héros  principaux,  Léopold  et  Stéphana. 

«Qu'il  m'eût  (|y3  facile  de  singulariser,  de  pimenter  leur 
passion  par  la  grâce  de  quelques  détails,  parla  malice  des  sons 
entendus!  mais  je  ne  l'ai  pas  voulu.  J'ai  voulu  Stéphana  formi- 
dable, en  une  sorte  de  bestialité  sinistre  et  grandiose;  quant  à 
Léopold,  c'est  le  plus  niisérable  des  torturés,  et  je  souhaite  sa 
vertu  à  ses  plus  austères  détracteurs.  » 

-; Catulle  Mendès.       -^ 


Alexandre  Weil  publie  dans  le  Figaro  des  souvenirs  sur 
M""*^  Meyerbeer,  la  femme  de  l'illustre  compositeur,  récemment 
dëcédée.  Nous  en  détachons  celte  anecdote  : 

Après  l'apparition  des  Huguenots,  on  raconta  dans  le  monde 
artistique,  que  M"^  Falcon  avait  inspiré  au  musicien  une  affection 
profonde,  affection  payée  de  retour. 

La  vérité  esl  que  Meyerbeer  admirait  sa  Valenline  et  ne  se 
lassait  pas  de  lui  témoigner  son  admiration.  Qu'il  y  ail  eu  ttirta- 
tion,  cela  se  peut,  c'est  plus  que  probable.  Meyerbeer  ne  dissi- 
mulait pas  sa  prédilection  pour  la  grande  cantatrice,  mais  de  là 
à  une  déclaration  d'amour,  il  y  a  loin.  Meyerbeer  était  timide 
auprès  des  femmes,  les  comblait  de  compliments,  de  prévenances 
et  de  politesses,  mais  il  n'osa  jamais  oser. 

Je  l'ai  vu,  vingl  années  plus  lard,  très  épris  de  M'"^  la  Messine, 
aujourd'hui  M™"  Juliette  Adam,  dont  il  fit  la  connaissance  dans 
mon  salon  et  qui,  alors  âgée  de  vingl  et  un  ans,  brillait  de  toute 
la  splendeur  de  sa  beauté  juvénile,  costumée,  ce  soir-là,  en 
Velléda. 

—  C'est  une  femme  que  j'aimerais,  me  dit-il,  si  j'osais  aimer; 
mais  je  n'en  ai  jamais  eu  et  je  n'en  aurai  jamais  le  temps,  occupé 
et  préoccupé  que  je  suis  de  mon  travail  et  de  mon  art.  * 

—  Vous  n'avez  donc  jamais  eu,  réparlis-je,  une  muse  inspira- 
trice? 

—  La  femme  prolonge  l'art,  me  répondit-il,  mais  elle  raccourcit 
la  vie!        .. "^   /..  ■■  ■   •  •■'"■■'•      -y-.  •  ^  ■  "    .:-■•     ■,,---..■ 


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Pour  paraître  le  20  octobre  prochain 


LETTRE»  i%  JEAl^l^E 


as-' 


PAR  JULES  DÈSTRÉE 


r  " 


Un  beau  volume  de  250  pages,  grand  in-S»,  imprimé  avec  luxe 
par  la  maison  Veuve  Monnom,  à  Bruxelles.  Prix  eu  souscription, 
4  francs. 

Il  sera  tiré  quelques  exemplaires  sur  grand  papier  de  Hollande, 
qui  ne  seront  pas  mis  dans  le  commerce.  Le  prix  en  est  provisoire- 
ment fixé  à  5  francs  pour  ceux  qui  enverront,  avant  le  15  sep- 
tembre, leur  souscription  à  l'imprimeur  :  Veuve  Monnom,  26,  rue 
de  l'Industrie,  Bruxelles.  _ 


VIENT  DE  PARAITRE  : 

L.  E  S     AI  O  I  IV  E  S 

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niquè,  à  4  mains,  fr.  2-50. 

DE  SWERT,  J.  Op.  44.  Impromptu,  pour  violoncelle  avec 
accompagnement  de  piano,  fr.  2  00.  —  Op.  45.  Le  Désir^  morceau 
de  salon,  pour  violon  avec  accompagnement  de  piano,  fr.  1-75.  — 
Op.  46.  Rêverie,  pour  violon  avec  accompagnement.de  piano,  fr.  1-75. 

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royal  de  Bruxelles.  Livr.  XV.  Haydn,  3  sonates,  fr.  5-00. 

Liszt,  Franz,  TVznn/Kîft^ser,  Transcription  arrang.  pour  2  pianos 
à  8  mains,  fr.  6-60. 

Palestrina.  Œuvres.  Vol.  XVIII  (Messes  9*  livre),  fr.  18-75. 

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française  de  Victor  Wilder,  fr.  20-00.  —  Id.,  Livret,  fr.  1-50. 


Braxelles.  —  Imp.  Félix  Callewaert  père.  —  Y*  Monnom  successeur,  rue  de  l'Industrie,  26. 


%• 


•■  • .  J-    t     i     1     ■  *■ 


Sixième  année.  —  N**  39. 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  26  Septembre  1886. 


MODERNE 


PARAISSANT    LE     DIMANCHE 


RBVDB  CRITIQUE  DBS  ARTS  BT  DB  LA  LITTERATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,   un  an,   fr.  10.00;  Union  postale,  fr.   13.00.    —   ANNONCES  :    On  traite  à  forfait. 


Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 
L  administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


? 


OMMAIRE 


TiTI    FOYSSAC    IV  DIT    LA    RÉPUBLIQUE   ET    LA    CHRÉTIENTÉ.    —    Le 
PITTORESQUE.    —   TRIOMPHATEURS.    —    Le   ThÉATRE   DE   LA  MONNAIE. 

—  Le  théatre  au  Chat  noir.  —  Petite  chronique. 


TITI  FOYSSAC  IV 


DIT 


LA  RÉPUBLIQUE  ET  LA  CHRÉTIENTÉ 

La  maison  Lemerre  vient  de  rééditer  ce  livre  de 
Léon  Cladel  écrit  en  1874,  dans  sa  bibliothèque  blanche 
qui  n'est  ouverte  qu'aux  œuvres  définitivement  classées 
et  aux  célébrités  définitivement  admises.  Il  s'y  ajoute 
au  Boîiscassié.k  la  Fête  votive  de  Saint-Bartholomé' 
Porte-Glaive,  aux  Va-nu-pieds,  à  Celui  de  la  Croix- 
aux-hœufs,  écrits  admirables  d'un  des  prosateurs  les 
plus  originaux  et  les  plus  puissants  de  la  France 
contemporaine,  artiste  autant  que  penseur,  dont  la 
féconde  carrière  littéraire  se  résume  en  cette  noble 
maxime  enchâssée  dans  la  préface  :  «  Forte  et  vivace 
est  uniquement  l'œuvre  qui  part  du  cœur.  »»  Et  il  y  joint 
ces  autres  formules  toutes  en. accord  singulier  avec  sa 
loyale  nature  :  «  Il  n'y  a  que  deux  écoles,  celle  des 
efirontés  et  celle  des  simples,  —  Que  dorénavant  tout 
écrivain  ait  de  la  franchise  et  vise  haut,  ou  c'en  est  fait 
de  notre  langue,  —  Qui  mentira  sombrera,  —  Bien  agir 
et  bien  dire  sont  presque  synonymes,  —  Seuls  les  labo- 
rieux, les  indépendants  et  les  véridiques  peuvent  encore 
accomplir  ce  devoir.  ^ 


titi  Foyssac  IV,  dit  la  République  et  la  Chré- 
tienté, fournit  à  Léon  Cladel  une  occasion  de  revenir 
sur  la  sincérité  de  ses  beaux  et  émouvants  récits.  Ce 
titre  semble  à  quelques-uns  d'une  telle  étrangeté  qu'ils 
le  tiennent  pour  imaginaire.  Ce  fut  aussi  le  cas  pour 
cet  autre  :  Montauhan  Tu^ne-le-Sauras-Pas,  dont 
se  souvient  quiconque  connaît  cette  éblouissante  guir- 
lande de  nouvelles  rouges:  Les  Va-nu-pieds,  Le  rude 
artiste  démocrate  leur  répond  en  ce  viril  et  dédaigneux 
langage  : 

-  »*  Heyreusement  ou  malheureusement  pour  moi,  les 
malins  qui  se  connaissent  à  la  littérature  en  décideront, 
et  les  simples  qui  n'y  comprennent  rien  aussi,  je  me 
suis  presque  toujours  employé,  depuis  bientôt  trente 
ans  en  mes  écrits,  à  l'étude  des  choses  et  des  êtres  de 
mon  pays  natal.  Loin  de  m'en  savoir  gré,  nombre  de 
folliculaires  de  Paris,  sur  les  terres  desquels  je  n'ai 
jamais  chassé,  m'ont  assez  souvent  accusé  d'avoir  ima- 
giné le  Quercy  qu'aucun  d'eux  n'a  parcouru.  Plus  d'une 
lois, un  peu  trop  harcelé  par  leurs  clameurs,  la  tentation 
me  viat  de  proposer  à  ces  sédentaires  incrustés  sur 
l'asphalte  du  boulevard  ainsi  que  des  mollusques  dans 
un  banc  de  roches  marines,  une  promenade  à  travers 
les  plaines  et  sous  les  bois  de  ma  province  où  tout  au 
long  de  l'année,  en  Décembre  comme  en  Juin,  le  ciel 
enflammé  se  mire  au  fond  de  mille  cours  d'eau.  Mais  je 
me  ravisai  pensant  bien  que  si  Thiiitre  est  attachée  à 
ses  coquilles  ils  sont,  eux  et  leurs  plumes,  cloués  au 
bitume  de  la  Capitale  ;  et  je  subis  "dès  lors  avec  indiffé- 
rence, leurs  bavures  intermittentes  ou  continues.  - 


Indocile,  loyal  et  fier,  apparaît  Léon  Cladel  dans 
tout  ce  qu'il  écrit,  ennemi  irréconciliable  des  flatteurs. 
«  Si,  de  tout  temps,  dit-il,  il  y  eut  des  butors,  la  flagor- 
nerie est,  dans  le  nôtre,  constamment  à  l'ordre  du  jour  ; 
en  politique  comme  en  littérature  c'est  à  qui  se  décla- 
rera le  thuriféraire  de  telle  ou  telle  médiocrité.  »»  Il 
répugne,  lui,  à  «  vanter  qui  s'enfle  de  vent  ainsi  qu'une 
outre  vide,  à  s'embrigader,  à  se  ravaler,  à  s'asservir.  « 
On  comprend  qu'avec  d'aussi  énergiques  allures  et  un 
aussi  franc  parler,  il  n'a  pu  compter  beaucoup  sur 
le  secours  de  la  réclame  parisienne  dont  nous  rappelions 
récemment  les  singuliers  et  trop  fréquents  écarts. 
Qu'importe!  Cette  fougueuse  et  rustique  figure  qui 
représente  dans  l'art  d'écrire  la  superbe  intransigeance 
de  Millet  dans  l'art  de  peindre,  a  monté  avec  la  lenteur 
de  la  force  dans  l'admiration  et  le  respect  des  lettrés. 
Dérouté  jadis  par  les  surprises  de  son  originalité  pres- 
que sans  rivale,  on  a  hésité  à  le  mettre  en  son  véritable 
rang.  On  s'est  familiarisé  depuis  avec  la  grandeur 
épique  de  son  style,  avec  ses  belles  bizarreries,  et 
désormais  chaque  année  ajoute  une  pierre  au  solide 
édifice  de  sa  valeur  littéraire.  Il  n'est  plus  douteux 
pour  ceux  qui  ont  la  prévision  des  rares  épaves  qui 
surnageront,  dans  l'avenir,  au  naufrage  de  l'immense 
production  littéraire  qui  accable  notre  siècle,  que  le 
nom  de  Cladel  sera  sauvé  comme  celui  de  Barbey 
d'Aurevilly  et  celui  de  Goncourt,  plus  sûrement  peut- 
être  car  il  s'est  davantage  alimenté  à  la  vérité  et  à 
l'humanité.  - 

Il  a  aussi  davantage  été  de  son  temps  en  imprégnant 
ses  œuvres,  avec  un  art  infini  dans  les  plus  parfaites 
des  grandes  préoccupations  sociales  auxquelles  n'échap- 
pent plus  que  les  efféminés  et  les  impuissants.  Titi 
Foyssac,  que  nous  venons  de  relire,  en  est  un  exemple. 
Que  celui  qui  veut  se  rendre  compte  de  ce  que  devient 
en  littérature  sous  la  plume  d'un  vrai  mâle,  un  incident 
politico-religieux  (oui,  tout  vulgairement  politico-reli- 
gieux), lise  l'admirable  scène  qui,  presque  au  début  du 
livre,  met  en  présence  le  personnage  principal  auquel 
sa  démocratie  et  son  mysticisme  ont  valu  indifférem- 
ment le  surnom  de  La  République  et  de  La  C/^re'- 
^î'ew^e',  et  le  prêtre  Noubélô. 

Le  livre  est  dédié  à  Madame  Alice  Lockroy  en  ces 
termes  touchants  qui  peignent  l'homme  autant  que  le 
roman  peint  l'artiste. 

**  Rares  sont  ceux  qui,  comme  vous,  se  souviennent 
de  leurs  amis,  lorsque  l'adversité  les  visite  et  les  tue. 
Un  jour,  voici  déjà  dix  ans,  la  mort,  après  avoir  forcé 
ma  porte,  fauchait  autour  de  moi  tous  les  miens.  Sous 
ses  coups  étaient  déjà  tombés  ma  mère,  au  cœur  de 
qui  brûla  toujours  la  flamme  du  sacrifice,  un  de  mes 
fils,  le  premier  dont  les  traits  à  peine  formés  me  rappe- 
laient la  mâle  et  sévère  figure  de  mon  père,  hélas, 
éteint  trop  tôt,  et  les  yeux  de  ma  femme  enfin  mena- 


çaient de  se  fermer  pour  ne  plus  se  rouvrir.  A  cette 
heure  vous  et  mon  ami,  votre  mari,  vous  vîntes  en  ma 
maison  en  deuil  et  me  tendîtes  les  bras  au  moment  où 
je  me  laissais  anéantir  par  la  douleur.  Il  m'est  donné 
de  vous  en  marquer  ici  ma  gratitude  et  celle  de  mon 
irréprochable  compagne  qui  retint  sa  vie  expirante 
pour  me  la  consacrer  tout  entière,  à  moi  qui  ne  vivrais 
plus  aujourd'hui  si,  pour  comble  de  malheur,  elle 
m'avait  alors  quitté.  Les  cinq  enfants  qui  me  restent 
auront  aussi  de  la  mémoire,  et  pour  éphémère  qu'il 
soit,  ce  livre  témoignera  longtemps  encore,  je  l'espère, 
de  mes  sentiments  pour  vous,  quand  je  ne  serai  plus 
là.  ». 

C'est  beau,  c'est  simple,  c'est  grand,  n'est-ce  pas? 
Oui  :  «  Forte  et  vivace  est  uniquement  l'œuvre  qui  part 
du  cœur.  »» 


lE  PITTORESQUE 

Messieurs  les  peintres  sont,  en  général,  fort  dédaigneux  de  la 
Mode.  Jadis,  il  suffisait  que  l'usage  fût,  parmi  les  Philistins  (qua- 
lifiés aujourd'hui  bourgeois)  de  porter  les  cheveux  courts  pour 
qu'ils  laissassent  aussitôt  croître  des  chevelures  d'Absalon  dont 
les  ondes  ruisselaient  sur  le  collet  de  leur  habit.  El  si  les  avo- 
cats, les  médecins,  les  ministres  et  les  négociants  se  coiffaient 
de  chajjeaux  à  bords  étroits,  on  voyait  les  artistes  arborer  des 
couvre-chefs  gigantesques,  déployant  au  vent  des  ailes  d'alba-. 
tros._;   ,..■:_.,;.■.■  x■^.■,'^. ■.;_■-■  ;••;-.  -   r^    ,;■■-■■■.'.;■.;;■.; ■_..-'v-ï;- .y'-.-..,  ;,;;"i,^,/., ■.■;■:  „:-\ 

Aujourd'hui  que  chacun  se  fait  la  tête  qu'il  lui  plaît  et  qu'en'^e 
promenant  avec  une  crinière  sur  le  dos,  comme  les  cuirassiers, 
on  court  le  risque  d'être  pris  pour  un  pédicure  aussi  bien  que 
pour  un  peintre,  les  feutres  à  larges  bords  sont  allés  rejoindre, 
dans  l'armoire  aux  nippes,  les  pantalons  à  lamamelouck  et  les 
vareuses  de  velours.  Mais  les  artistes  n'en  ont  pas  moins  gardé 
une  dent  contre  la  Mode,  et,  ne  pouvant  lui  faire  ouvertement  la 
nique^  la  taquinent  par  des  coupes  d'habit  imprévues,  par  des 
gilets  lacés  sur  les  reins,  par  des  cannes  japonaises  déconcer- 
tantes.   <       -    * 

Eh!  bien,  n'en  déplaise  à  ces  Messieurs,  je  les  trouve  plus 
moulons  de  Panurge  que  les  malheureux  qui  s'astreignent,  pour 
obéir  à  l'impérieuse  déesse,  à  s'élrangler  dans  un  carcan  de  toile 
amidonnée,  à  subir,  dans  des  souliers  taillés  en  pointe  de  lime  à 
ongles,  le  supplice  du  brodequin,  et  à  se  mortifier  la  chair  par 
des  vêtements  trop  étroits.  Et  c'est  précisément  dans  un  domaine 
d'où  la  Mode  devrait  être  bannie  avec  horreur  qu'ils  s'agenouillent, 
dévotement,  devant  son  autel.  Ils  fuient  l'imitation  dans  la 
manière  de  s'habiller,  dans  les  habitudes  quotidiennes,  dans 
l'heure  du  lever  et  du  coucher,  dans  les  discours,  dans  les  rela- 
tions sociales  :  mais  l'art  qu'ils  pratiquent  n'échappe  pas  à  la 
contagion  du  pastichage.     - 

Ceci,  c'est  la  revanche  de  la  Mode.  Avec  une  perfidie  que  sa 
féminilité  justifie,  elle  frappe  dans  ce  qu'ils  ont  de  plus  précieux 
ceux  qui  lui  sont  infidèles.  Les  peintres  sont  presque  tous  origi- 
naux dans  la  vie.  Combien  en  est-il  qui  le  sont  dans  leur  pein- 
ture? ■  •■■'-:-'■■'■-■•■  "■■-•■ -■\.- ■'■■'■■        ■■■•■--—  -v^-  v^' •'.■.-  ■'■..:•-, 

II  y  a  dans  celle-ci  des  époques,  comme  chez  les  couturiers 
et  les  chapeliers.  Elles  sont  peut-être  d'une  durée  un  peu  plus 


LART  MODERNE 


307 


longue,  mais  là  s'arrête  la  différence,  et  si  quelque  esprit  curieux 
voulait  se  donner  la  peine  de  rennonler  le  cours  des  années,  il 
reconstituerait  le  plus  aisément  du  monde  un  Journal  du  pitio- 
resque,  correspondant  exactement  au  Journal  des  tailleurs  et  à 
la  Mode  illush'de.  Celte  gazette  n'a  pas  été  publiée,  mais  l'impri- 
mer serait  superflue  :  ses  images  explicatives,  qui  ornent  les 
musées  et  les  galeries,  n'en  éclairent-elles  pas  suffisamment  le 
texte? 

C'est  ainsi,  pour  ne  parler  que  du  paysage,  que  l,a  mode  était, 
durant  une  période  dont  tout  le  monde  se  souvient,  aux  sites 
montagneux  et  romantiques,  encombrés  de  ce  qu'on  nommait 
alors  des  fabriques.  Il  fallait,  sous  peine  d'être  tenu  pour  un  bar- 
bouilleur vulgaire,  compenser  la  «  trivialité  »  de  la  nature  parla 
noblesse  d'un  temple  grec,  par  la  distinction  d'une  colonnade, 
par  la  poésie  d'une  ruine,  par  la  mélancolie  d'une  tombe  sur 
laquelle  se  penchait  un  saule  pleureur.  Et  celui  qui  réunissait 
dans  un  cadre  un  fragment  du  Parihénon,  le  temple  de  Peslum, 
une  imitation  des,  Propylées  et  le  souvenir  du  tombeau  de  Vir- 
gile était  proclamé  paysagiste  de  génie.  Comme  le  rappelait  spi- 
rituellement l'auteur  du  Salon  de  Gand,  dont  VArt  moderne 
citait  dimanche  un^fragmenl  :  «  On  ne  concevait  pas  un  pay- 
sage sans  les  ruines  d'un  chûleau,  d'un  aqueduc  romain,  d'une 
tour,  d'un  monument  quelconque.  On  pouvait  peindre  un  chêne, 
on  aurait  encore  fait  grâce  à  un  hêtre,  mais  seul,  un  malotru 
pouvait  s'aviser  de  rendre  un  pommier,  un  bouleau  ou  un  saule 
ou  de  dessiner' une  chaumière  perdue  sur  la  lisière  d'un  bois.  Le 
.  cheval  était  «  pictural  »  à  la  condition  qu'il  devînt  un  fougueux 
coursier  à  la  crinière  hérissée;  mais  la  pauvre  haridelle,  traînant . 
un  lourd  chariot  à  travers  les  ornières  d'une  route  défoncée,  était 
exclue  du  noble  domaine  de  l'art.  On  acceptait  une  vache  bien 
propre  et  bien  lavée,  un  mouton  bien  laine,  bien  blanc,  bien 
peigné.  On  passait  encore  sur  l'éiable,  à  la  condition  qu'elle 
fût  entretenue  par  dix  domestiques,  et  que  la  paille  servant  de 
litière  fût  prête  à  être  tressée...  » 

Quel  étonnement  et  quelle  clameur  quand  se  levèrent  les 
audacieux  qui  osèrent  peindre  la  campagne  telle  qu'on  la  voit, 
avec  ses  moissons,  ses  prairies,  ses  ruisseaux  d'eau  vive,  avec 
ses  paysans,  ses  laboureurs,  ses  faucheurs,  ses  faneurs,  ses  gla- 
neuses !  Jamais  on  n'avait  eu  l'idée  de  regarder  ça,  de  supposer 
que  cela  pût  offrir  de  l'iniérêi.  Une  mare  où  barbotent  des 
canards,  quelle  infamie!  Une  chaumière  sous  l'auvent  de  laquelle 
se  vautre  un  porc,  fi  donc  !  Et  les  hommes  graves  qui  ne  voyaient 
l'humanité  que  coiffée  de  casques,  chaussée  de  cothurnes  et 
armée  de  glaives,  se  voilèrent  la  face  avec  dégoût.  Telle  fut 
d'ailleurs  l'hésitation  de  cette  époque  de  transition,  que  Corot 
crut  devoir  déployer  de  féeriques  théories  de  nymphes  et  de 
sylphes  dans  les  bois  de  Ville-d'Avray,  autour  des  sources,  sur  le 
bor'd  des  étangs  glacés  de  brume,  et  que,  dans  certains  paysans 
de  Millet,  sous  le  sarrau  ou  le  manteau  de  laine,  transparait  la 
grâce  rythmée  des  statues  antiques. 

La  mode  nouvelle  fit  fureur,  et  des  armées  de  peintres 
allèrent  camper  dans  la  forêt  de  Fontainebleau,  dont  on  leur 
abandonna  quelques  hectares  sur  l'ordre  de  l'Empereur.  Ils 
f  créèrent  des  stations  d'artistes,  Darbizon,  Mariette,  Moret-sur- 
Loing,  comme  les  oisifs  ont  fondé  des  villes  de  bains  sur  le 
littoral.  La  manie  de  rimitation  imagina,  en  Belgique,  Anse- 
remme,  Genck,  et  ce  fut,  dans  les  expositions,  une  débauche  de 
chaumières  délabrées,  de  sous-bois  pleins  de  roches  vêtues  de 
mousse,  de  marcs  s'éveillant  aux   lueurs  de  l'aube  ou  retentis- 


santes des  derniers  accords  du  soleil.  Oh!  la  Mare  au)^  fées,  et 
les  gorges  d'Aspremont,  nous  les  a-t-on  servies  assez  souvent, 
et  U  toutes  les  «  sauces  »!  Et  avons-noûs  appris  k  connaître  la 
solitude  morne  des  bruyères  de  la  Campine,  et  ses  dunes  de 
sable  mouvant,  et  ses  nappes  d'eau  frissonnant  sous  un  vol  de 
hérons  ! 

On  ne  croyait  pas  qu'il  pût  être  question  de  peindre  autre 
chose,  en  Fraitbe,  que  la  forêt  de  Fontainebleau,  en  Belgique, 
que  les  plaines  de  Genck  et  de  Calmpthout  ou  les  rives  de  la 
Meuse.  Et  aujourd'hui  encore  le  préjugé  du  toit  de  chaume  et 
de  la  roue  de  moulin  est  si  bien  enraciné  que  la  plupart  des 
paysagistes  font  des  lieues  pour  aller  s'accroupir  dans  la  crotte 
d'une  rue  de  village,  quand  ils  ont  sous  les  yeux,  dans  leur  jar- 
din, dans  la  rue,  dans  le  square  dont  ils  respirent  de  leur  fenêtre 
la  fraîcheur,  les  plus  beaux  tableaux  du  monde. 

C'est  ce  qu'a  très  bien  compris  la  jeune  école  française,  qui, 
sans  sortir  de  la  banlieue  de  Paris,  trouve  des  motifs  intéres- 
sants le  long  des  quais,  sous  les  ponts  de  la  Seine,  à  l'ombre 
des  platanes  des  boulevards,  autour  des  bassins  des  Tuileries, 
à  la  porte  des  cafés-chantants  des  Champs-Elysées. 

Mais  ne  croyez  pas  que  la  Mode  ait  lâché  sa  proie.  Elle  s'est 
embusquée  et  la  guette.  Elle  va  la  saisir.  Attendez-vous  à  voir 
toute  la  cohue  des  peintres  se  ruer  demain  sur  les  bateaux- 
lavoirs,  sur  les  gazomètres,  sur  les  palissades  garnies  d'affiches, 
sur  les  gares  du  chemin  de  fer  de  ceinture.  Et  cela  parce  que 
quelques  jeunes  gens  ont  donné  l'exemple  (dans  le  royaume  de  la 
mode,  ce  sont  toujours  les  jeunes  gens  qui  donnent  le  ton).  Que 
lesSignac,  les  Seurat,  s'enthpusiasment  pour  les  gazomètres,  les 
palissades  et  les  gares,. rien  de  mieux.  Mais  ce  qui  est  insuppor- 
table, et  ce  qu'on  ne  saurait  assez  condamner,  c'est  la  fureur 
d'imitation  qui  jette  aussitôt  vingt,  trente,  cent,  cinq  cents  pein- 
tres, tous  les  peintres,  sur  la  piste  du  gibier  levé  par  l'un 
d'eux,  et  de  voir  galoper  toute  cette  meute  dans  la  même  direc- 
tion. Car  ce  qui  les  pousse  à  peindre  des  gazomètres  et  des  gares, 
ce  n'est  point  parce  que  ces  monuments,  édifiés  par  la  moderne 
industrie,  allument  en  eux  l'étincelle  artistique,  mais  uniquement 
parce  que  ce  sont  des  gazomètres  et  des  gares,  objets  qu'on 
n'avait  guère  songé,  jusqu'ici,  à  encadrer  d'une  bordure  d'or. 
En  d'autres  termes,  parce  que  c'est  la  Mode. 
Dans  toutes  les  régions  de  l'art,  c'est  d'ailleurs  la  même  chose. 
Celte  année,  la  mode  était  aux  sujets  effroyables,  aux  scènes  tra- 
giques de  la  folie,  de  la  famine,  du  désespoir.  Avant  cela,  on  ne 
voulait  que  tueries,  que  massacres,  et  un  peinlre  qui  n'éclabous- 
sait pas  sa  toile  de  sang,  de  haut  en  bas,  n'était  pas  «  dans  le 
mouvement  ».  11  v  a  eu  l'année  des  Jeanne  d'Arc.  Il  v  aura  celle 
^des  Sarah  Bernhardt.  J'ai  connu  des  artistes  qui  entraient  au 
Salon  uniquement  pour  prendre  note  des  conlrées  où  se  rendent 
les  paysagistes  en  renom,  et  courir  ensuite  au  chemin  de  fer  pour 
aller  peindre  les  mêmes  sites.       ; 

Peintres  belges,  mes  amis,  méfiez-vous  de  la  Mode,  et  n'ac- 
ceptez pas  comme  lanternes  bien  allumées  les  vessies  qu'on  vous 
présente  en  vous  parlant  de  ce  qui  est  pillorcsque  et  de  ce  qui 
ne  l'est  pas.  Une  nature-morte  est  pittoresque,  aflirme-t-on,  quand 
elle  est  composée  d'un  chaudron  en  cuivre  bosselé  accosté  d'un 
pot  de  grès  égueulé  et  d'une  assiette  ébréchée  sur  laquelle  se 
trouvent,  comme  par  hasard,  deux  navets  et  un  céleri,  le  tout 
sur  une  serviette  à  petits  carreaux  bleus,  chiffonnée  sur  un  coin 
de  table.  Mi^is  oi^  refuse  tout  intérêt  pictural  à  un  couvert  dressé 
comme  on  dresse  les  couverts,  sur  une  nappe  blanche,  posée  à 


308 


UART  MODERNE 


plat,  ainsi  que  loulcs  les  nappes,  el  accompagné  d'une  carafe  de 
cristal  et  d'un  verre  propre,  pouvant  servir.  Quelle  est  cette  plai- 
santerie.? Et  pourquoi  faut-il,  pour  avoir  droit  d'être  reproduits, 
que  les  objets  soient  liors  d'usage?  Une  bouche  édentée  est-elle 
plus  belle  que  des  lèvres  de  pourpre  où  s'épanouissent  trente-deux 
perles? 

Il  est  vrai  qu'il  y  a  peu  de  temps  encore,  l'idée  de  peindre  des 
gens  en  redingote,  avec  un  chapeau  de  soie  sur  la  tête  el  une 
canne  à  la  main,  n'était  venue  à  personne.  Pour  êire  pittoresque, 
il  fallait,  pour  le  moins,.6lre  travesti  en  mousquetaire,  et  l'on  ne 
se  doutait  pas  qu'on  pût  composer  des  tableaux  admirables  avec 
les  gens  qu'on  a  tous  les  jours  sous  les  yeux,  au  ihéûtrCj  au  bal, 
dans  la  rue,  au  café,  au  bois.  On  est  revenu  de  ces  idées  singu- 
lières. On  s'accoutume  mémo  à  considérer  Meissonier  comme 
un  phénomène  attardé,  et  les  sculpteurs  seuls  s'obstinent  à  ne 
regarder  et  à  ne  modeler  que  des  hommes  nus,  —  ce  qui  soulève 
constamment  l'étonnante  et  amusante  question  de  la  feuille  de 
vigne,  —  et  des  femmes  simplement  vêtues  d'une  draperie.  Il  y 
en  a  un,  en  Belgique,  qui  s'est*  mis  à  bûlir  des  puddleurs,  des 
marteleurs,  des  enfourneurs  en  habits  de  travail,  ef  cela  a  jeté  un 
désarroi  dans  les  habitudes  prises.  Ses  confrères  le  traitent 
dédaigneusement  de  peintre,  et  le  public  roule  devant  ses  œuvres 
des  yeux  ronds,  ne  sachant  que  dire. 

Les  sculpteurs  ont  un  argument  qu'ils  ne  manquent  jamais 
d'opposer  à  ceux  qui  leur  parlent  de  cela,  ce  qui  les  agace  d'ail- 
leurs considérablement  :  «  Ce  n'est  pas  à  cause  de  son  costume 
qu'un  homme  est  moderne!  s'écrient-ils.  C'est  uniquement  une 
question  d'interprétation  !  »  Je  veux  bien.  Mais  pourquoi 
•prennent-ils  alors  tant  de  soin  de  fuir  l'habit  noir  et  mettent-ils 
partout  sous  nos  yeux  des  gens,  qu'on  ne  tolérerait  pas  une 
minute  ailleurs  que  dans  un  bassin  de  natation? 

Pourquoi  ?  Mais  tout  simplement  parce  que  la  Mode  l'exige,  et 
qu'aucun  d'entre  eux  n'est  assez  fort  pour  la  braver. 

Il  y  a  de  temps  en  temps  un  peintre  qui  rit  de  toutes  ces  con- 
ventions, et  qui  peint  indifféremment  tous  les  sujets  qui,  sous 
une  certaine  lumière,  à  telle  heure  du  jour,  en  telle  saison, 
afifectenl  agréablement  sa  rétine  par  l'accord  harmonieux  des 
colorations.  Et  voici  que  sous  le  pinceau  d'un  Claude  Monet 
s'épanouissent  des  jardins  sablés,  emplis  du  parfum  des  par- 
terres, des  falaises  déchiquetées  par  le  flot,  des  pêches  savou- 
reuses empilées  sur  une  assiette,  des  soleils  éblouissants,  des 
prairies  d'émeraude,  des  palmiers  raides  comme  des  plumeaux, 
des  baraques  de  douaniers,  des  châteaux,  des  maisons  modernes 
dont  le  cube  géométrique  épouvante  les  amants  du  pittoresque 
de  convention,  n'importe  quoi  !  pourvu  que  cela  chante  dans  l'air. 
_  Mais  c'est  là  un  cas  peu  fréquent,  et  la  plupart  des  artistes 
sont  encore  convaincus,  et  de  très  bonne  foi,  qu'il  y  a  dans  la 
nature  des  choses  pittoresques  et  d'autres  qui  ne  le  sont  pas.  Bien 
mieux,  il  y  a  des  pays  qualifiés  pittoresques  à  l'exclusion  des 
autres,  l'Italie,  par  exemple,  parce  que  les  Anglais,  qui  ont 
contracté  l'habitude  d'y  promener  leur  spleen,  y  entretiennent 
toute  une  population  de  fainéants  qui  se  chauffent  au  soleil  en 
exhibant  des  guenilles.  Les  lazzaroni  de  Naples  sont  pittores- 
ques ;  les  modèles  à  trois  francs  l'heure,  avec  dés  barbes  cras- 
seuses et  des  habits  rapiécés,  qu'on  prend  sur  la  place  d'Espagne, 
sont  pittoresques  ;  les  campagnoles  qui  apportent  des  aubergines 
et  des  tomates  au  Campo  di  fiori  sont  pittoresques. 

Soit  !  Mais  pas  plus  que  les  marchands  de  marrons,  les 
balayeurs,  les  décrolteurs,.les  maraîchers  de  chez  nous. 


Et  l'Académie  de  Belgique  comme  l'Académie  de  France,  et 
comme  toutes  les  Académies  de  l'Europe,  car  c'est  le  caractère 
propre  de  ces  stupéfiantes  institutions  de  se  singer  toutes  l'une 
l'autre,  qui  envoient  gravement  des  fournées  de  jeunes  artistes  à 
Rome,  après  avoir  mis  dans  leur  portefeuille  quelques  billets  de 
banque  pris  dans  les  caisses  de  l'Etat,  en  leur  disant  :  «  Emplis- 
sez-yous  Içs  yeux  de  pittoresque  »,  épargneraient  au  gouverne- 
ment une  dépense,  et  aux  artistes  les  précieuses  années  qu'ils 
perdent  invariahlement  là-bas,  en  leur  donnant  ce  simple  conseil, 
accompagné  d'une  rémunération  proportionnée  h  leurs  besoins  : 
«  A  présent  que  vous  voilh  peintres,  regardez  autour  de  vous. 
Et  voyez  comme  tout  est  pittoresque!  » 

Car  Je  pittoresque,  ce  n'est  pas  plus  l'accoutrement  débraillé 
du  porteur  d'eau  que  le  manteau  de  pourpre  dont  était  affublé 
Napoléon  le  jour  de  son  couronnefnent.  C'est  l'un  et  c'est  l'autre, 
et  c'est  bien  d'autres  choses  encore,  puisqu'il  n'est  rien  dans 
l'infinie  variété  delà  nature  qui  ne  puisse  faire  vibrer  dans  une 
âme  d'artiste  les  cordes  mystérieuses  qui  feront  retentir,  sur  la 
toile  ou  dans  le  marbre,  l'accprd  divin. . 


TRIOMPHATEURS 

Nous  avons  été,  ces  jours  derniers,  en  pleine  distribu- 
tion des  prix  artistique.  Des  hommes  faits  ont  été 
traités,  par  un  singulier  usage,  comme  s'ils  étaient  des 
collégiens.  On  a  donné  de  grandes  médailles^ d'or  et 
de  petites  médailles  d'or.  On  a  donné  aussi  une  chose 
dite  Prix  de  Rome,  A  l'occasion  de  ces  diverses  céré- 
monies le  public  s'est  exalté.  Nous  ignorons  si  cette 
exaltation  a  été  partagée  par  les  triomphateurs.  On  a 
tant  daubé,  en  ces  dernières  années,  sur  ces  prétendues 
merveilles,  qu'elles  ont  perdu  beaucoup.de  leur  prestige. 
Il  devient  même  notoire  que  rien  n'est  périlleux  comme 
de  les  obtenir,  un  mauvais  sort  semblant  s'attacher  à 
ces  apparentes  bonnes  fortunes.  Tant  d'artistes  admira- 
bles n'en  ont  jamais  été  gratifiés,  tant  de  médiocrités  en 
ont  été  comblées,  qu'il  est  facile  en  tout  temps  et  dans 
tous  les  domaines  de  démontrer  qu'elles  ne  signifient 
rien.  On  en  est  arrivé  à  avouer  qu'on  ne  les  souhaite 
qu'au  point  de  vue  de  la  vente,  en  tant  qu'attrape- 
nigaud,  pour  le  public  qui  ne  juge  que  sur  l'étiquette. 
Nous  aimons  doue  à  croire  que  des  artistes  tels  que 
Jan  Verhas,  De  Vigne,  Mignon,  de  Lalaing  s'en  sou- 
cient comme  d'une  guigne,  et  en  leur  particulier  sou- 
rient de  se  voir  transformés  par  la  compétence  très 
douteuse  du  jury  berlinois  en  porteurs  de  grande  et  de 
petite  médaille.  Ils  ne  doivent  pas  aimer  beaucoup  ce 
procédé  qui  les^  met  en  concurrence  avec  les  machines 
à  coudre  et  les  marques  de  Champagne.  Leur  excuse 
est  qu'on  n'est  pas  libre  de  refuser  ces  gratifications 
quand  on  expose,  et  qu'il  faut  bien  accepter  la  classifi- 
cation niaise  qu'elles  vous  font. 

Le  prix  de  Rome  est  plus  sérieux,  particulièrement 
en  ces  temps  de  crise,  parce  qu'il  met  à  la  disposition 
de  qui  l'obtient  une  somme  de  vingt  mille  francs.  Ceci 


VART  MODERNE 


309 


en  vaut  la  peine  et  pourrait  être  d'une  incontestable 
utilité  -aux  jeunes  vainqueurs  du  concours.  Malheureu- 
sement on  ne  les  leur  laisse  pas  employer  à  leur  guise. 
On  leur  impose  de  voyager  pen^^  quatre  années  en 
pays  étrangers,  visitant  musées,  ateliers,  académies. 
Régime  absurde  qui  les  expose  à  contracter  l'odieuse 
maladie.de  l'art  contemporain  :  la  pastichomanie,  et 
qui  pis  est,  la  pastichomanie  cosmopolite,  faite  d'anti- 
quité, de  renaissance  et  de  modernité,  panachée  de 
France,  d'Italie  et  d'Allemagne.  Alors  qu'une  nature 
à  ses  débuts  a  tant  de  peine  à  se  conquérir  soi-même,  à 
se  pénétrer  de  son  milieu,  à  se  garder  des  imitations 
funestes,  on  ne  trouve  rien  de  mieux  que  de  l'éloigner 
de  son  pays  natal,  de  la  sevrer  des  impressions  intimes 
qui  naissent  quand  on  se  concentre  sur  soi-même  et  sur 
son  entourage  immédiat,  et  de  la  lancer  à  corps  perdu 
dans  la  variété  des  civilisations,  des  époques  et  des 
enseignements.  Il  serait  difficile  de  dire  si  l'avortement 
presque  invariable  des  vocations  artistiques  à  qui  le 
fameux  prix  de  Rome  a  été  accordé  provient  de  l'aveu- 
glement des  jurys  couronnant  l'impuissance,  ou  du 
système  de  vagabondage'  imposé  aux  lauréats  ;  mais  il 
est  certain  que,  chez  nous  comme  en  France,  on  peut, 
d'après  la  statistique,  parier  dix  contre  un  que  dès 
qu'un  malheureux  Ta  obtenu  il  est  marqué  pour  la  mé- 
diocrité.      : 

Il  est  une  autre  observation  que  des  incidents  récents 
suggèrent  à  l'occasion  de  cette  distinction  néfaste.  Elle 
concerne  les  manifestations  ridicules  dont  nos  villes  de 
province  accablent  le  vainqueur  et  la  rentrée  triom- 
phale qu'elles  lui  ménagent.  Voici  un  très  jeune  peintre 
qui,  après  une  épreuve  surannée,  s'est  tiré  plus  ou 
moins  bien  d'affaire  en  exécutant  sur  un  thème  la  plu- 
part du  temps  grotesque,  une  œuvre  infectée  des  pires 
préjugés  de  l'école.  Le  public  l'a  trouvée  insignifiante, 
froide,  bête,  réfractaire  à  tout  pronostic  sur  l'avenir  de 
l'exécutant.  Le  jury  qui  a  dû  la  juger,  l'a  considérée 
lui-même  comme  si  peu  caractéristique  que  sur  neuf 
membres  elle  n'a  réuni  que  quatre  suffrages.  Si  plus 
tard  deux  autres  voix  s'y  sont  ajoutées,  c'est  qu'il  a  bien 
fallu,  pour  échapper  à  un  hourvari  qui  grondait  au 
dehors.  Libre  au  concurrent  de  croire  que  c'est  à  son 
mérite  plutôt  qu'à  cette  nécessité  d'en  finir  qu'il  a  dû 
se  supplément.  Doute  donc,  discussion,  hésitations, 
marchandage  et  dans  le  fait  au  point  de  vue  de  la  ma- 
chine, le  jeu  en  valait  à  peine  la  chandelle. 

Or,  incontinent,  des  badauds,  concitoyens  de  cet 
apprenti,  décident  de  lui  décerner  des  honneurs  comme 
n'en  ont  jamais  obtenu  les  plus  fameux  artistes  arrivés 
au  faîte  de  leur  gloire.  On  l'attend  à  la  gare  avec  une 
voiture  à  quatre,  voire  à  six  chevaux.  Une  foule  énorme 
l'acclame.  Les  autorités  le  haranguent.  Des  sociétés 
innombrables  lui  jouent  des  airs  de  bravoure  et  le 
mènent  en  cortège  sur  des  marches  héroïques.  Partout 


on  a  pavoisé.  Aux  fenêtres  on  agite  les  mouchoirs. 
Bref  une  grotesque  saturnale  exultant  ceprimus,  qui 
en  est  tout  au  plus  à  ses  débuts,  quelque  chose  comme 
un  rhétoricien,  ou  tout  au  plus  un  stagiaire.    " 

Que  doivent  donc  penser  d'eux-mêmes  et  des  autres 
les  bonshommes  qu'on  soumet  à  ce  régime  carnava- 
lesque. S'ils  ont  le  moindre. bon  sens,  ils  sont  sans 
doute  profondément  mortifiés  de  cette  bêtise  humaine. 
S'ils  n'en  ont  pas  (c'est  le  cas  le  plus  ordinaire),  ils 
doivent  se  croire  arrivés  au  pinacle  du  talent  et  de  la 
gloire.  Faisant  une  comparaison  entre  eux  et  les  grands 
artistes,  presque  toujours  voués  à  l'indifférence  et,  aux 
jours  de  leurs  plus  belles  œuvres,  n'obtenant  que  de 
très  modérés  hommages,  ils  se  croient  apparemment 
fort  supérieurs  à  ces  pauvres  grands  hommes. 

Mais  attendez,  attendez,  pauvrets.  .C'est  probable- 
ment la  seule  fois  que  vous  savourerez  ces  énormes, 
bâtons  de  sucre  de  pomme.  C'est  la  seule  raison  qu'on 
ait  de  les  excuser  jusqu'à  un  certain  point.  Vous  êtes 
prix  de  Rome?  Plus  jamais  on  ne  vous  portera  en 
triomphe,  à  moins  que  vous  n'ayez  la  chance  extraor- 
dinaire de  faire  exception  dans  cette  confrérie  de  ratés. 


LE  THEiTRE  DE  LA  MONNAIE 

Il  ne  s'agit  point  pour  nous  de  parler  de  la  troupe.  Absents, 
nous  ne  l'avons  pas  entendue.  Mais  du  public  dont  l'attitude 
générale  nous  est  révélée  par  les  journaux. 

Il  est  raisonnable  celte  fois,  craignant  sans  doute  une  catas- 
trophe nouvelle  quVmèneraient  des  exigences  et  des  impatiences. 
Il  paraît  disposé  à  s'en  remctire  aux  efforts  consciencieux  et 
persévérants  des  directeurs  qui  sont  tous  deux  passés  maîtres, 
l'un  comme  musicien,  l'autre  comme  metteur  en  scène.  Il  com- 
prend que,  dans  une  aussi  vaste  et  aussi  délicate  entreprise,  il  est 
impossible  de  mettre  tout  au  point,  du  premier  coup,  et  d'avoir 
la  main  assez  heureuse  pour  ne  relever  que  des  atouts  dans  la  dis- 
tribution de  chanteurs  et  de  cantatrices,  que  font  chaque  année 
les  agences  dramatiques  entre  les  théâtres. 

Il  est  difficile  de  réunir  ce  qu'il  faut,  il  est  plus  difficile  encore 
de  remplacer.  Être  bienveillants  et  accommodants  est  donc  pour 
les  spectateurs  un  élémentaire  devoir.  On  le  pratique  cette  année. 
On  ne  malmène  pas  les  débutants  dès  le  premier  soir,  on  tient 
compte  de  leur  émotion,  on  les  encourage  pour  leur  permeiti*e 
d'arriver  à  manifester  complètement  ce  qu'ils  sont.  La  presse 
aussi  abandonne  ses  allures  de  parti-pris;  elle  critique  avec 
modération;  elle  déclare  qu'elle  attendra;  elle  loue  franchement 
qui  le  mérite;  elle  ne  cherche  pas  midi  h  quatorze  heures. 

Allons,  tant  mieux,  et  espérons.  Le  temps  aidant,  on  arrivera 
sans  doute  au  convenable  ensemble  qu'on  peut  espérer  avec  les 
ressources  pécuniaires  insutîisantes  de  notre  Opéra. 

Mais  il  faut  que  le  public  fasse  plus  encore  dans  cette  voie  de 
bonne  volonté  et  de  conciliation.  ïlest  visible  que  le  vieux  réper- 
toire le  fatigue  et  qu'une  rénovation  est  dans  les  vœux  de  tous. 
Mais  qu'on  ne  perde  pas  de  vue  que  cela  ne  peut  être  réalisé  que 
lentement  et  en  plusieurs  années.  On  ne  refait  pas  en  une  saison 
les  habitudes.  Décors,   chanteurs,  usages  y  mettent  les  plus 


310 


n ART  MODERNE 


■ft-JEc'- 


tenaces  obstacles.  Il  y  a  là  un  acquis  formidable  avec  lequel  il  faut 
compter,  comme  s'il  s'agissait  de  la  transformation  d'une  marine 
ou  d'un  .armement  militaire.  Il  ne  faut  pas  qu'on  recommence 
avec  MM.  Dupont  et  Lapissida  la  persécution  du  Wagner:  touj(5urs 
du  Wagner,  rien  que  du  Wagner  et  au  diable  tout  le  reste! 
M.  Dupont  est  aussi  wagnérisie  que  quiconque,  il  l'a  prouvé. 
Mais  le  tracasser  piarce  qu'il  ne  nous  donnera  pas  du  Wagner 
comptant,  séance  tenante  et  en  fortes  doses,  est  aussi  injuste  que 
puéril.  Ce  sera  déjà  fort  beau  s'il  parvient  h  reconstituer  les 
MaUres-Chanleurs  et  U  monter  la  Walkyrie.  On  ne  se  figure 
pas  comme  il  est  difficile  de  persuader  aux  artistes,  qui  n'ont  dans 
leur  répertoire  que  les  musiques  française  et  italienne,  d'atta- 
''qu^r  la  musique  alleniande.  Puis  il  va  la  question  de  la  mise  en 
scène,  peu  coûteuse,  dit-on,  pour  la  Walkyrie,  mais  qui  cause- 
rait des  embarras  financiers  extrêmes  s'il  fallait  multiplier  de 
pareilles  innovations. 

Il  importe  qu'on  fréquente  le  théâtre  de  la  Monnaie  quand 
même,  et  qu'on  y  aille  beaucoup.  11  faut  y  aller  malgré  l'ennui 
que  certaines  vieilleries  inspirent.  Sinon  la  campagne  s'affirmera 
promptement  mauvaise  et  décourageante.  Déjà  le  premier  mois 
paraît  n'avoir  pas  été  fructueux.  Il  y  a  aussi  la  concurrence  des 
autres  théâtres  qui  tous  tiennent  des  succès.  Nous  avons  un 
intérêt  considérable  à  maintenir  notre  Opéra.  Qu'on  soit  persuadé 
qu'il  faut  pour  y  réussir  beaucoup  d'efforts  et  que  le  relâche- 
ment dans  l'assiduité  du  public  pourrait  amener  une  chute.  Nous 
avons  démontré  au  cours  de  la  saison  dernière  que  selon  que  la 
recette  journalière  monte  ou  descend  de  deux  cents  francs  sur 
une  moyenne  de  trois  mille,  peu  aisée  à  maintenir,  le  théâtre 
noue  les  deux  bouts  ou  tombe  on  perte.  Voilà  certes  qui  donne 
à  réfléchir  et  qui  commande  beaucoup  de  prudence. 


LE  THEATRE  AU  CHAT  NOIR 


Il  y  a  pas  mal  de  temps  déjà  que  j'avais  envie  de  parler  du  si 
joli,  si  artistique  et  si  original  divertissement  créé  par  Salis,  le 
cabareiier-gentilhomme  de  la  rue  Laval,  seigneur  de  Chalnoir- 
ville-en-Vexin  —  on  sait  que  c'est  ainsi  que  le  joyeux  compa- 
gnon se  présente  à  ses  contemporains,  dans  les  soirées  de  folles 
beuveries  —  et  par  ses  amis,  Henri  Rivière,  Willette,  Caran- 
d'Ache,  Somm,  Czès,  Steinlen,  Georges  Auriol,  Allais,  Ch.  Gros, 
qui  ont  illustré  le  Chat  Noir,  —  les  murs  du  cabaret  comme  les 
pages  de  l'humourisiique  journal  de  ce  nom. 

Le  théâtre  est  installé  dans  cette  curieuse  salle  du  premier 
étage  qui  est  un  musée  d'oeuvres  d'art,  —  tableaux,  dessins,  sta- 
tuettes, bibelots,  les  uns  exquis,  les  autres  baroques,  mais  tous 
amusants  et  rares.  Dans  un  angle  est  placée  la  scène,  pas  plus 
grande  que  celle  du  guignol  des  Champs-Elysées.  Devant,  un 
piano,  tenu  par  un  jeune  poète  de  talent,  Albert  Tinchant,  dont 
le  premier  livre,  les  Sérénités,  a  obtenu  un  aimable  succès. 
Autour  du  piano,  debout  ou  assis,  dans  des  poses  invraisem- 
blables, les  musiciens  d'un  orchestre  improvisé  chaque  soir, 
grosse  caisse,  tambour,  cymbales,  triangles,  tous  instruments  à 
tam-tam,  maniés  à  tour  de  bras  et  cependant  en  cadence,  par 
les  auteurs  des  «  pièces  »  qui  vont  être  jouées,  écrivains  ou 
artistes.  Les  uns  se  trémoussant  comme  des  démoniaques,  les 
autres  accomplissent  leur  rôle  avec  une  dignité  grave,  pleine 
d'onction.  Les  spectateurs,  presque  tous  des  camarades  —  ces 
petites  fêtes  se  passent  le  plus  souvent  en  famille  et  il  faut  par- 


fois montrer  patte  blanche,  pour  que  l'énorme  suisse,  placé  au 
bas  de  l'escalier  prononce  le  dignus  intrare  —  deviennent  atten- 
tifs :  le  bruit  des  conversations  cesse,  la  toile  va  se  lever,  car 
,  voici  l'imprésario  qui  lance  le  boniment,  annonce  de  l'ordre  du 
spectacle  et  description  des  mirifiques  choses  qu'on  va  voir.  C'est 
«  1808  »,  pièce  militaire.  Auteur,  Garan  d'Ache.  Un  peu  de 
musique  au  rideau  !  et  sur  une  toile  de  fond,  blanche,  on  voit  un 
camp  de  soldats.  C'est  la  nuit.  Tout  dort.  Une  sentinelle,  l'arme 
au  bras,  se  promène.  Une  silhouette  bien  connue  se  profile,  c'est 
Napoléon  qui  inspecte  le  bivouac.  Deuxième  acte,  la  bataille. 
Napoléon  esta  cheval  sur  un  monticule,  dominant  l'action  et  Ton 
ne  voit  que  des  baïonnettes  qui  défilent  incessamment  au  bas  du 
tertre.  L'effet  est  très  drôle.  Da?îs  la  coulisse,  les  coups  sourds 
d'une  grosse  caisse  simulent  le  canon  :  Boum  !...  Le  ciel  s'en- 
flamme. Vive  l'empereur  !  cric  l'imprésario  et  tous  les  assistants 
de  crier  à  tue-téte  :  Vive  l'empereur! 

Le  premier  jour,  les  passants  entendant  ces  vociférations, 
crurent  qu'il  se  tenait  dans  le  cabaret  une  réunion  bonapartiste. 
Une  fois  môme,  un  brave  consommateur,  paisible  bourgeois  s'il 
en  fût,  qui  était  entré  au  Chat  Noir  par  hasard,  manifesta  vive- 
ment son  indignation,  et  ripostait,  à  chacjue  acclamation  de  vive 
l'empereur!  par  le  cri  de  vive  la  République  !  On  lui  expliqua, 
après  qu'on  se  fût  amusé  quelque  peu  de  sa  naïve  manifestation, 
que  la  politique  n'était  pour  rien  dans  l'affaire  et  «  que  c'était 
dans  la  pièce». 

Autre  tableau  —  après  la  bataille.  Le  sol  est  jonché  de  morts 
et  de  mourants  ;  des  blessés  sont  transportés  sur  des  civières; 
un  malheureux  cheval  passii  écloppé.  Puis  c'est  le  grotesque 
défilé  desi. généraux  vaincus  et  prisonniers,  et  celui  des  troupes 
victorieuses,  grenadiers,  voltigeurs,  ayant  en  tête  sapeurs,  fifres 
et  clairons;  puis  encore  toute  la  cavalerie,  les  guides,  les  lan- 
ciers polonais,  les  hussards,  les  chasseurs,  aux  costumes  un  peu 
chargés,  mais  d'une  exactitude  parfaite,  qui  exécutent  des 
manœuvres  bizarres,  par  escadrons  ou  isolés,  volte-face,  sauts, 
cabrioles.  Enfin,  dernier  tableau,  l'homme  à  la  redingote  grise  au 
sommet  d'une  pyramide.  Apothéose. 

Le.,  tout  panaché  d'explications  fantaisistes,  parfois  très 
comiques,  du  maître  de  céans,  qui  ne  se  gêne  pas  pour  dire 
malicieusement,  quand  les  bravos  éclatent  :  N'applaudissez  pas! 
buvez  ! , . . 

Gomme  intermède,  pendant  que  l'artiste  dans  la  coulisse  pré- 
pare les  groupes  de  bonshommes  pour  une  autre  pièce,  l'un  récite 
un  sonnet  inédit,  l'autre  chante, une  de  ces  joyeuses  scies,  genre 
dans  lequel  excellent  Jouy  et  Meusy.  Quelquefois,  la  seconde 
pièce  est  une  chanson  traduite  par  les  ombres  qui  passent  sur  la 
toile,  telle  que  la  Ballade  des  sergents  de  villCy  où  l'on  trouve  ces 
deux  vers  épiques  : 

,      Et  pour  faire  peur  aux  émeutiers 
Ils  tapent  sur  la  tête  des  rentiers. 

On  donne  ensuite,  car  c'est  ici  comme  en  province,  où  l'on  joue 
dans  la  môme  soirée  un  drame,  un  vaudeville  et  un  opéra-comi- 
que, la  Tentation  de  Saint- Antoine.  Mais  non  pas  la  tentation 
classique  ni  la  tentation  de  Flaubert,  mais  une  tentation  d'une  mo- 
dernité à  faire  frémir,  quand  on  en  arrive  au  chapitre  scabreux  de 
la  volupté.  Ce  ne  sont  pas  seulement  les  deux  ou  trois  tradition- 
nelles beautés  qui  viennent  s'offrir  au  grand  saint.  Pour  vaincre 
son  austérité,  ce  sont  des  théories  d'horizontales  de  toutes  les 
marques,  des  femmes  de  tous  les  pays,  de  toutes  les  conditions 
qui  viennent  s'offrir.  Mais  Antoine  résistant  aux  suggestions  de  la 


1    OSÇ'l 


chair  comme  il  a  résisté  h  la  gourmandise,  le  diable  le  tente  par 
la  vanité,  et  il  lui  présente  une  énorme  croix  d'honneur;  par 
l'ambition,  il  lui  apporte  un  fauteuil  présidentiel... 

Certes,  ce  sont  là  des  farces  qui,  si  spirituelles  qu'elles  soient, 
n'auraient  d'autre  mérite  que  celui  de  distraire  un  instant,  si  elles 
n'étaient  pas,  frappées  d'un  haut  cachet  artistique.  Mais  le  talent 
dépensé  par  les  dessinateurs  de  ces  bonshommes  et  de  ces  groupes 
en  font  quelque  chose  de  mieux  que  des  farces.  Et  ceux-ci  le 
savent  bien,  qu'ils  se  passionnent  pour  ce  théâtre,  qu'ils  ont 
cherché,  en  de  successifs  essais,  de  constantes  améliorations.  Au 
carton  épais,  dans  lequel,  au  début,  ils  découpaient  leurs  peri-ori- 
nagos,  ils  ont  substitué  le  zinc,  qui  rend  la  figure  plus  nette.  La 
silhouette  obscure  reproduisant  l'ombre  simple  sur  la  toile,  ils 
l'ont  peinte  et  ce  n'est  plus  seulement  les  lignes  que  l'on  voit 
alors  transparaître,  mais  la  couleur  et  la  teinte  des  étoffes,  ce 
qui  ajoute  encore  à  la  valeur  du  dessin. 

Dans  quelques  jours,  quand  l'organisateur  du  théâtre,  notre 
ami  Henri  Rivière»,.att4:ajnis  la  dernière  main  aux  améliorations 
et  changements  projetés^il  y  aura  grande  solennité  au  Chat  noir. 
La  presse  théâtrale  sera  incitée  à  assister-  à  une  vraie  première. 
La  pièce  nouvelle  a  pour  [litre  et  pour  sujet  :  la  Rue.  Près  de 
trois  mille  personnages,  tous  les  types  curieux  de  Paris,  y  défile- 
ront. Cette  première  promet  d'être  pius  gaie,  assurément  et  plus 
intéressante  aussi  que  bien  d'autres. 

Celte  originale  tentative  valait  la  peine  d'être  signalée.  Qui  sait 
s'il  n'y  a  pas  dans  ce  rajeunissement  des  vieilles  ombres  chi- 
noises, qui  déridèrent  tant  de  générations  de  gamins,  comme  un 
point  de  départ  pour  un  théâtre  tout  nouveau? 

Quelques  esprits  grincheux  diront  peut-être  :  «  Bah  !  ce  n'est 
pas  sérieux  »,  parce  que  ça  se  passe  dans  une  brasserie,  lesquels 
vont  tranquillement  entendre  sans  sourciller  les  inepties  des  beu- 
glants de  la  capitale.  Mais  il  faut  laisser  dire  ces  eSprils-là. 

SuTTER  Laumann.  (De /a /i/5/ice). 


^ETITE    CHROJ^IQUE 


Par  arrêté  royal  du  22  courant,  M.  Ysaye  a  été  nommé  profes- 
seur de  violon  au  Conservatoire  de  Bruxelles,  en  remplacement 
de  M.  Jenô  Ilubay,  démissionnaire,  et  actuellement  professeur  à 
Pesth,  ainsi  que  nous  l'avons  dit.  M.  Ysaye  est  un  virtuose  de 
mérite  dont  nous  avons  eu  déjà  l'occasion  |de  parler.  Espérons 
qu'il  sera  aussi  bon  professeur  qu'habile  exécutant  et  qu'il  main- 
tiendra la  classe  de  violon  du  Conservatoire  au  rang  élevé 
auquel  l'avaient  haussé  Léonard,  Vieuxtemps,  Wieniawski  et 
Jenô  Ilubav.  -  ^ 

M.  Etienne  Ledent,  professeur  de  piano  au  conservatoire  royal 
de  Liège,  vient  de  mourir  en  celte  ville.  M.  Ledent  était  l'un  des 
doyens  du  corps  professoral  de  cet  établissement. 

Le  comité  du  monument  qu'on  va  ériger  h  Paris  au  square 
Vintimillè,  en  l'honneur  de  Berlioz,  vient  de  fixer  la  date  de 
l'inauguration  au  dimanche  47  octobre  prochain. 


Très  louable  cette  préoccupation  de  mise  en  scène.  Mais  com- 
ment diable  M.  Vigoant  connaît-il  la  manière  dont  on  faisait  de     * 
l'escrime  à  Elseneur  du  temps  d'Hamlet  et  de  Forlinbras? 


M.  Jules  Clarelie  a  prié  M.  Vigeant  de  régler  le  duel  entre 
Hamlet  et  Laërle,  à  la  tin  d'Hamlet^  et  le  maître  d'armes  fait 
répéter  à  M.  Mounet-Sully  et  à  M.  Duflos  celle  scène  où  Rouvière 
jadis  faillit,  dans  l'ardeur  de  son  jeu,  transpercer  l'acteur  qui  lui 
servait  de  partenaire. 


Le  Musée  G'-évin,  dit  V Evénement,  vient  d'inaugurer  la  Mort 
de  Marnt  :  c'est  la  reconstitution  exacte  de  la  scène  de  l'assas- 
sinat avec  la  baignoire  authentique.  On  sait  que  la  sanglante 
relique  était  depuis  quelques  années  la  propriété  du  curé-doyen 
de  Sarzeau  (Morbihan^,  qui  en  lirait  parti  au  profit  de  ses  œuvres 
paroissiales.  , 

,     Celle  pièce  historique  n'est  pas  le  seul  attrait  du  tableau  ;  tous 
les  accessoires  datent  de  la  Révolution. 

La  belle  figure  de  Charlotte  Corday  a  été  composée  avec  le 
plus  grand  soin  d'après  les  meilleurs  documents  du  temps.  Marat, 
Simone  Everard,  sa  bonne,  ainsi  que  les  autres  personnages, 
n'ont  pas  été  moins  bien  traités. 

Annonce  cueillie  dans  un  journal  belge  par  M.  Henri  Second  : 
Jeune  écrivain  demande  la  collaboration  d'une  mondaine  pour 
ôtivrages  en  préparation  :  Béatrice  de  Croix- Dieu.  —  Les  Gre- 
dins  du  sport.  —  Une  grande  dame  au  bal  de  l'Opéra,  ou  le 
Masque  doré.  —  Un  roman  dans  le  monde.  —  Les  Coquins  du 
cluby  ou  une  Mort  dans  un  cercle.  —  Fleurs  de  lys.  —  Je  siffle 
bien,  mais  je  ne  chante  pas.  —  Titres  de  ces  études  de  mœurs 
prises  dans  la  réalité,  de  ces  pamphlets,  nouvelles  et  récits  de  la 
vie  réelle,  qui  paraîtront  prochainement  et  qui  sont  appelés  à 
.passionner  le  monde.  Ecrire  à  M.  R.  de  B...,  bureau-du  journal. 

Pour  ceux  qui  se  figurent  Louise  Michel  populacière  et  illel- 
Irée,  ces  vers  d'elle  qui  viennent  de  paraître  dans  la  Révolution 
cosmopolite:  ■;•;■■  ■;^;^;•■:,.;;  ■:'■':'■';  ^r:-'. "-■'.-'  ''-J'/-/->:fT-:  .:':--:'v--':-,';'/\-:  v 

La  vieille  Egypte,  seule,  a  gardé  la  mémoire 
De  ce  monde  enfoui  ;  peut-être  ses  vaisseaux 

Vers  elle  ont-ils  vogué?  Tout  permet  de  le  croire,  —.—. ^ 

Lorsque,  vers  l'Atlantide,  on  voit  monter  les  eaux. 

En  un  jour,  une  nuit,  dit  le  récit  d'Egypte,  .    , 

Le  continent,  rempli  de  géantes  cités. 

S'effondra.  Maintenant,  il  dort  dans  cette  crypte, 
Ainsi  qu'en  un  linceul  sous  les  flots  agités. 

Mais  comme  Pompei  se  leva  de  la  cendre. 

Un  jour  on  cherchera  sous  l'océan  profond, 

Quand,  dans  l'abîme  obscur,  l'homme  saura  descendre, 

Il  verra  l'Atlantide,  ainsi  qu'un  spectre,  au  fond. 

Pâle,  sous  les  coraux  et  les  herbes  marines, 
Elle  apparaîtra,  morte,  avec  ses  fiers  remparts, 
Ses  monuments  croules,  avec  l'or  de  ses  mines. 
Et,  mêlés  au  granit,  ses  ossements  épars. 

Et,  plus  belle  cent  fois  on  verra  l'Atlantide 
^  N'ayant  plus  rien  qui  passe  au  vol  léger  du  temps,     - 

Sous  les  voiles  glacés  de  sa  tombe  livide. 
Ainsi  qu'en  un  creuset,  rendue  aux  éléments  ! 

Mais  qui  sait  si,  levant  les  voiles  funéraires, 
L'Atlantide,  qui  dort  au  fond  des  océans. 
Ne  remontera  pas  ;  tandis  que  d'autres  terres, 
A  leur  tour,  descendront  sous  les  flots  et  les  temps, 

La  mort  qui  va  soufflant  sur  les  races  humaines, 
La  nature  en  travail  et  lintini  géant. 
Jettent  l'homme  ou  le  ver  pour  engraisser  les  terres. 
En  attendant  que  l'onde  y  passe  en  murmurant. 

Des  flancs  du  Ténériffe  agité  de  tempêtes. 
Au  roc  de  Gibraltar,  peut-être  avec  terreur 
On  entendra  mugir  les  vagues  et  les  faites 
Et  le  vieux  continent  émergera  vainqueur  ! 


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'V.  .■■ 


■il- 


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Sixième  année.  —  N**  40. 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  3  Octobre  1886. 


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Sommaire 


Le  Symbolisme.  —  Pathologie  littéraire.  —  Vandalisme.  — 
Un  événement  littéraire.  —  La  leçon.  —  L'Incident  Coquelin. 
—  Petite  chronique. 


LE  SYMBOLISME 


Le  Symbolisme  est  la  qualification  définitive  que 
réclame,  pour  le  mouvement  néo-littéraire  français, 
M.  Jean  Moréas,  auteur  des  Cantilènes,  dont  nous 
avons  rendu  compte  dans  notre  numéro  du  27  juin  der- 
nier. Les  termes  :  décadents,  déliquescents,  incohérents, 
évanescents,  verbolâtres,  ésotériques  sont  condamnés 
et  repoussés. 

M.  Jean  Moréas  se  pose  en  législateur  de  la  nouvelle 
école.  Il  en  a  résumé  les  principes  dans  un  Manifeste 
publié  par  le  Figaro  du  18  septembre.  A-t-il  qualité 
ou  mandat  à  cet  effet,  nous  l'ignorons.  Nous  avons 
récemment  montré  par  une  citation  du  Scapin  que 
les  adeptes  de  la  réforme  paraissent  peu  bienveillants 
les  uns  pour  les  autres.  Il  surviendrait  des  rectifications 
ou  des  désaveux  qu'il  ne  faudrait  pas  s'en  étonner. 

Fidèles  à  nos  pécédents,  qui  nous  ont  constamment 
rendus  attentifs  aux  eflortsdes  apporteurs  de  neuf,  nous 
allons  résumer  ce  document,  sans  dissimuler  qu'il  ne 
nous  paraît  avoir  ni  la  clarté,  ni  l'autorité  que  souhai- 
tent tous  ceux  que  les  mystères  de  cette  évolution 
préoccupent. 

Il  débute  par  un  préambule  énonçant  des  idées  désor- 


mais banales  dans  leur  justesse  universellement  accep- 
tée. Puis  il  expose  d'abord  la  poésie  symbolique,  ensuite 
la  prose  symbolique. 

Le  préambule  énonce  que  la  littérature  évolue  :  évo- 
luton  cyclique  avec  des  retours  strictement  déterminés 
et  qui  se  compliquent  des  diverses  modifications  appor- 
tées par  la  marche  des  temps  et  les  bouleversements 
des  milieux.  Chaque  nouvelle  phase  évolutive  de  l'art 
correspond  exactement  à  la  décrépitude  sénile,  à 
l'inéluctable  fin  de  l'école  immédiatement  antérieure. 
C'est  que  toute  manifestation  d'art  arrive  fatalement  à 
s'appauvrir,  à  s'épuiser  ;  alors,  de  copie  en. copie,  d'imi- 
tation en  imitation,  ce  qui  fut  plein  de  sève  et  de  fraî- 
cheur se  dessèche  et  se  recroqueville  ;  ce  qui  fut  le  neuf 
et  le  spontané  devient  le  poncif  et  le  lieu  commun.  Une 
nouvelle  manifestation  d'art  était  donc  attendue,  néces- 
saire, inévitable.  Cette  manifestation,  couvée  depuis 
longtemps,  vient  d'éclore.  Mais  ses  efforts  sont  encore 
.  extrêmement  compliqués  de  divergences.  Le  résultat, 
l'enchantement  suprêmes  ne  sont  pas  encore  con- 
sommés :  un  effort  opiniâtre  et  jaloux  sollicite  les  nou- 
veaux venus. 

Nous  le  répétons,  ces  déclarations  n*ont  rien  que  dô 
banal.  L'auteur  y  ajoute  des  exemples  empruntés  à 
l'histoire  de  la  littérature  et  qui  ont  traîné  un  peu 
partout. 

Passons  à  l'exposé  de  la  poésie  nouvelle. 

«  Ennemie  de  l'enseignement,  de  la  déclamation,  de 
la  fausse  sensibilité,  de  la  description  objective,  la 
poésie  symbolique  cherche  à  vêtir  l'Idée  d'une  forme 


*  .. 


-hi? 


^v  *■, 


sensible  qui,  néanmoins,  ne  serait  pas  son  but  à  elle- 
même,  mais  qui,  tout  en  servant  à  exprimer  l'Idée  à 
son  tour,  ne  doit  point  se  laisser  voir  privée  des  somp- 
tueuses simarres  des  analogies  extérieures;  carie  carac- 
tère essentiel  de  l'art  symbolique  consiste  à  ne  jamais 
aller  jusqu'à  la  conception  de  l'Idée  en  soi.  Ainsi,  dans 
cet  art,  les  tableaux  de  la  nature^  les  actions  des 
humains,  tous  les  phénomènes  concrets  ne  sauraient 
se  manifester  eux-mêmes  :  ce  sont  là  des  apparences 
sensibles  destinées  à  représenter  leurs  affinités  ésoté<4- 
ques  avec  des  Idées  primordiales...  Pour  la  traduction 
exacte  de  sa  synthèse^  il  faut  au  symbolisme  un  style 
archétype  et  complexe  :  d'impoli ués  vocables,  la 
période  qui  s'arcboute  alternant  avec  la  période  aux 
défaillances  ondulées,  les  pléonasmes  significatifs,  les 
mystérieuses  ellipses,  l'anacoluthe  en  suspens,  tout 
trope  hardi  et  multiforme;  enfin  la  bonne  langue, 
instaurée  et  modernisée,  la  bonne  et  luxuriante  et  frin- 
gante langue  française  d'avant  Boileau-Despréaux,.. 
celle  de  tant  d'autres  écrivains  libres  et  dardant  le  terme 
acut  du  langage,  tels  des  toxotes  de  Thrace  leurs 
flèches  sinueuses.  »  Et  quant  au  rythme  :  «  L'ancienne 
métrique  avivée  ;  un  désordre  savamment  ordonné  ;  la 
rime  illucescente  et  martelée  comme  un  bouclier  d'or 
et  d'airain,  auprès  de  la  rime  aux  fluidités  absconses  ; 
l'alexandrin  à  arrêts  multiples  et  mobiles  ;  l'emploi  de 
certains  nombres  premiers,  sept,  neuf,  onze,  treize, 
résolus  en  les  diverses  combinaisons  rythmiques  dont 
ils  sont  les  sommes.  «         :,  ;     :     /   • 

-  Précisant  dans  un  dialogue  qu*il  imagine  entre  un 
détracteur  et  un  défenseur  de  la  poétique  nouvelle,  l'au- 
teur cite  comme  revendications  :  le  désordre  appa- 
rent, la  démence  éclatante,  l'emphase  passionnée,  les 
figures,  la  couleur,  —  la  césure  placée  après  n'importe 
quelle  syllabe  du  vers  alexandrin,  la  liberté  complète 
de  dire  qu'en  cette  question  l'oreille  seule  décide, —  le 
dédain  pour  l'alternisme  des  rimes  masculines  et  fémi- 
nines, —  le  droit  de  faire  des  hiatus,  —  la  recherche 
des  combinaisons  et  des  coupes  inusitées. 
.  Les  points  saisissables  dans  cet  exposé,  ont  dès  long- 
temps le  suffrage  de  tous  les  esprits  éclairés.  Ils  se 
résument  en  ceci  :  le  dédain  de  la  discipline  académi- 
que. Dire  ce  qu'ils  ont  de  particulier  pour  mériter  à 
ceux  qui  les  pratiquent  le  nom  de  symbolistes,  nous 
ne  le  percevons  pas. 

Maintenant  la  prose  : 

"  La  prose,  romans,  nouvelles,  contes,  fantaisies, 
évolue  dans  un  sens  analogue.  Des  éléments,  en  appa- 
rence hétérogènes,  y  concourent...  La  conception  du 
roman  symbolique  est  polymorphe  :  tantôt  un  person- 
nage unique  se  meut  dans  des  milieux  déformés  par  ses 
hallucinations  propres,  son  tempérament;  en  cette 
déformation  gît  le  seul  réel.  Des  êtres  au  geste  méca- 
nique, aux  silhouettes  oborabrées  s'agitent  autour  du 


personnage  unique;  ce  ne  lui  sont  que  prétextes  à  sen- 
sations et  à  conjectures.  Lui-même  est  un  masque  tra- 
gique ou  bouffon,  d'une  humanité  toutefois  parfaite 
bien  que  rationnelle.  Tantôt  des  foules,  superficielle- 
ment affectées  par'  l'ensemble  des  représentations 
ambiantes,  se  portent  avec  des  alternatives  de  heurts 
et  de  stagnances  vers  des  actes  qui  demeurent  inache- 
vés. Par  moments,  des  volontés  individuelles  se  mani- 
festent; elles  s'attirent,  s'agglomèrent,  se  généralisent 
pour  un  but  qui,  atteint  ou  manqué,  les  disperse  en 
leurs  éléments  primitifs.  Tantôt  de  mythiques  plan- 
tasmes  évoqués,  depuis  l'antique  Démogorgôn  jusques  à 
Bélial,  depuis  les  Kabires  jusques  aux  Nigromans, 
apparais.sent  fastueu sèment  atournés  sur  le  roc  de  Cali- 
ban  ou  par  la  forêt  de  Titania  aux  modes  mixolydiens 
des  barbitons  et  des  octocordes.  Ainsi  dédaigneux  de  la 
méthode  puérile  du  naturalisme...  le  roman  symbo- 
lique-impressionniste édifiera  son  œuvre  de  défor- 
mation subjective^  fort  de  cet  axiome  :  que  l'art  ne 
saurait  chercher  en  Yobjectif  ({\x'\xii  simple  point  de 
départ  extrêmement  succinct.  « 

Nous  comprenons  très  imparfaitement.  Infirmité  sans 
doute. 

De  ce  Manifeste  il  nous  paraît  qu'on  peut  conclure 
qu'il  y  a  dans  l'art  nouveau  deux  parties  bien  dis- 
tinctes; l'une  composée  de  préceptes  très  nets  que  la 
critique  intelligente  a  recommandés  de  tout  temps, 
savoir  :  l'horreur  de  l'imitation,  de  l'abominable  pas- 
tiche; le  mépris  de  la  servitude  académique,  la  volonté 
de  chercher  le  neuf;  elle  a  déjà  produit  des  œuvres 
savoureuses,  dès  longtemps  signalées  et  louées  par 
nous.  L'autre  composée  de  déclarations  ténébreuses  et 
d'œuvres  incompréhensibles  (nous  en  donnons  plus 
loin-encore  quelques  exemples), et  qui  nous  apparaissent 
comme  des  cas  de  pathologie  littéraire. 

Qu'importe  que  cette  tentative  de  M.  Moréas  de  for- 
muler la  Constitution  des  novateurs  soit  manquée.  Les 
évolutions  artistiques  se  font  d'elles-mêmes  Qu'importe 
que  la  jeune  école  (qui  se  réclame,  au  surplus,  de 
Rabelais,  de  Flaubert,  de  Baudelaire,  de  Goncourt, 
etc.,  que  M.  Moréas  considère  comme  ses  maîtres)  ne 
mérite  dans  ce  quelle  a  de  vivace  et  de  fécond,  ni  le 
nom  de  Symboliste,  ni  celui  de  Décadente.  On  veut 
s'affranchir  des  vieilles  idées,  on  se  démène  pour  en 
éveiller  d'autres.  Applaudissons  et  laissons  faire  le 
temps.  Le  seul  rôle  qui  convienne  à  la  critique  est  de 
s'intéresser  au  phénomène,  d'en  raconter  les  péripéties, 
de  l'approuver  dans  ses  tendances  et  d'en  rire  un  peu 
dans  ses  écarts.  De  lui-même  le  nouvel  organisme 
rejetera  les  impuretés.  La  comparaison  entre  ce  qui  en 
est  sorti  de  vraiment  beau  (nous  en  avons  donné  des 
exemples  décisifs  l'an  dernier)  et  ce  qu'il  a  engenaré 
de  ridicule  (voir  nos  derniers  numéros)  suffit  à  faire 
présager  quel  sera  son  résultat  final  II  débarrassera 


Fart  d'écrire  de  quelques  préceptes  usés,  et  l'enrichira 
de  quelques  procédés  trouvés  ou  retrouvés.  A  cela  se 
réduira  l'acquit  :  le  surplus  ne  sera  que  poussière  et 
bruit  passagers. 


PATIIOIOGIE  UTTÉIIAIRE 

M.  Morëas,  a  publié,  en  collaboration  avec  M.  Paul  Adam,  un 
volume  de  nouvelles  et  de  fanlaisics.  Lu  maison  Tresse  et  Stock  a 
édité  col  ouvratîe  sous  ce  litre  :  le  Thé  chez  Miranda. 

Le  prélude  de  la  première  soirée  chez  Miranda  débute  ainsi  : 

«♦  C'est  rhicmale  nuit  et  ses  buées  eb  leurs  doux  comas, 
♦t  Quartier  Malesberbes. 
«  Boudoir  oblong. 

"  En  la  profondeur  violâtre  du  tapis,  des  cycloïdes  bigarrures. 
,  "  En  les  froncis  des  tentures  l'inflexion  des  voix  s'apitoie,  en  les 
froncis  des  tentures  lourdes,  sombres,  à  plumetis, 

"  C'est  l'hiémale  nuit  et  ses  buées  et  leurs  doux  comas.  « 

Voici,  d'autre  part,  un  sonnet  de  M.  René  Ghil  :      , 

POUR  L'ENFANT  ANCIENNE 

Tue  en  l'étonnement  de  nos  Yeux  mutuels 
Qui  délivrèrent  là  l'or  de  latentes  gloires 
Que  veuve  dans  le  Temple  aux  signes  rituels 
L'onde  d'éternité  reprenne  nos  mémoires. 

Tel  instant,  qui  naissait  des  heurs  éventuels 
Tout  palmés  de  doigts  longs  aux  nuits  ondulatoires 
Vrais  en  le  dônae  espoir  des  vols  perpétuels 
•    Nous  ouvrit  les  passés  de  nos  pures  Histoires. 

T?îîëTï*«4^  de  vains  soupirs  pleure  sous  les 

Trop  seuls  sâluis  riants«^r  nos  vœux  exhalés 

Aussi  liaut  qu'un  néant  déplumes  vers  les  gnoses  :  ■        ■_ 


Advenu  rêve  des  vitraux  pleins  de  demains, 
Doux  et  nuls  à  pleurer  et  d'un  midi  de  roses 
Nous  venons  l'Un  à  l'Autre  en  élevant  les  mains 

Enfin  une  pièce  de  feu  Arthur  Rimbaud,  dont  nous  avons  publié 
l'an  dernier  des  vers  admirables  intitulés  les  Assis  (*)  : 

MOUVEMENT 

Le  mouvement  de  lacet  sur. la  berge  des  chutes  du  fleuve, 

Le  gouffre  à  l'étambot, 

La  célérité  de  la  rampe,  ' 

L'énorme  passade  du  courant 

Mènent  par  les  lumières  inouïes  : 

Et  la  nouveauté  chimique 

Les  voyageurs  entourés  des  trombes  du  val 

Et  du  strom. 

Ce  sont  lés  conquérants  du  monde 

Cherchant  la  fortune  chimique  personnelle; 

Le  sport  et  le  confort  voyagent  avec  eux  ; 

Ils  emmènent  l'éducation  .  l 

Dès  races,  des  classes  et  des  bêtes,  sur  ce  vaisseau 

Repos  et  vei:tige 

A  la  lumière  diluvienne. 

Aux  terribles  soirs  d'étude. 


Car  de  la  causerie  parmi  les  appareils,  le  sang,  les  fleurs,  le  feu,  les 
Des  comptes  agités  à  ce  bord  fuyard,  .  [bijoux, 

—  On  voit,  roulant  comme  une  digue  au  delà  de  la  route  hydraulique 
Monstrueux-,  s'cclairant  sans  fin,  —  leur  stock  d'études;  [motrice,^ 
PJux  chassés  dans  l'exta.se  harmonique. 

Et  l'héroïsme  de  la  découverte. 

Aux  accidents  atmosphériques  les  plus  surprenants*, 
Un  couple  de  jeunes.se,  s'isole  sur  l'arche, 

—  Est-ceancienne  .sauvagerie  qu'on  pardonne? — 
Et  chante  et  se  poste. 


(')  Voir  l'Art  moderne  du  20  septembre  1885. 


VANDAIISHE 

«  A  propos  du  traitement  barbare  infligé  aux 
rochers  de  nos  belles  vallées,  le  long  de  la  Meuse,  de 
rOurthe,  de  TAmblève,  il  m'est  arrivé  fréquemment  de 
déplorer  la  négligence  qui  laisse  les  beautés  naturelles 
à  la  merci  des  vandales,  tandis  que  les  beautés  artisti- 
ques sont  protégées.  J'ai  fait  ressortir  l'absurdité  et 
l'inconséquence  d'un  pareil  système,  la  logique  qu'il  y 
aurait  à  instituer  à  côté  de  la  comrnission  des  monu- 
ments, une  commission  des  paysages  destinée  à  préser- 
ver la  nature  d'une  destruction  aveugle  et  souvent 
inutile.  « 

Ainsi  parle  Léon  Dommartin  dans  son  Guide  du 
Touriste  en  Ardenne,  livre  excellent,  non  seulement 
par  §es  côtés  pratiques,  mais  surtout  parce  qu'il 
inspire. l'amour  des  sites  montagneux  de  la  patrie,  si 
variée,  si  charmante  dans  son  étroit  territoire; 

Hélas!  oui,  désormais  toute  excursion  dans  l'Ar- 
denne  n!a  plus  d'impressions  paisibles.  Il  n'e.st  pas  de 
tournée  qui  ne  soit  affligée  par  la  vue  de  profanations 
désolantes.  L'industrie  a  gâté  un  des  coins  les  plus  pit- 
toresques de  l'Europe.  Elle  a  rasé  des  bois,  elle  a  dépecé 
des  rochers  inoubliables  pour  ceux  qui  les  ont  vus 
intacts,  autrefois.  Des  vallées  entières  sont  devenues 
vulgaires  par  la  construction  de  chemins  de  fer  établis 
sans  aucun  souci  des  mesures  qui  auraient  pu  sauve- 
garder le  pittoresque. 

Irritante  contradiction!  Tandis  qu'on  multiplie  les 
.prodigalités  pour  élever  des  monuments  la  plupart  dû 
temps  mal  placés  ou  mal  conçus,  on  ne  fait  rien  pour 
maintenir  des  beautés  naturelles  plus  précieuses  et. qui 
s'offrent  d'elles-mêmes.  ' 

C'est  une  déviation  du  goût  stupéfiante,  une  des 
plus  singulières  aberrations  de  notre  humanité  com- 
plexe. Quand  aurons-nous  des  yeux  pour  voir  et  admi- 
rer ce  que  nous  avons  dans  nos  en  tours  immédiats  ? 
Quand  nous  débarrasserons-nous  de  cette  imagination 
qui,  masquant  ce  qui  nous  touche,  nous  fait  toujours 
rêver  de  chanizements?  Souventes  fois,  nous  l'avons  dit  : 
approprier  ce  qu'on  a,  ne  pas  détruire,  est  la  vraie 
règle  des  travaux  publics.  Ce  qu'on  fait  actuellement, 
c'est  tout  bouleverser  et  tout  remplacer  par  ce  qui  est 
moins  bien.  — : 


.'T' 


«■■■■I 


316 


UART  MODERNE 


Voyez  pourtant  comme  il  serait  aisé  d'être  plus  sage. 
Prenons  pour  exemple  le  chemin  de  fer  de  l' Amblève. 
Ne  chicanons  pas  sur  son  opportunité.  Admettons-en 
la  triste  nécessité..  Pourquoi  les  ingénieurs  et  les  archi- 
tectes n'ont^ls  pas  cherché  à  l'accorder  le  mieux  pos- 
sible avec  les  admirables  solitudes  au  milieu  desquelles 
il  devait  passer?  Pourquoi  ne  pas  s*être  arrangé  de 
manière  à  dissimuler  promptement  les  talus  sous  la 
végétation  ?  Pourquoi  n'avoir  pas  varié  les  bâtiments 
des  gares,  n'avoir  pas  donné  aux  palissades  une  cou- 
leur agréable  à  l'œil?  Pourquoi  ne  pas  inspirer  aux 
chefs  de  station  la  culture  de  jardinets  destinés  à  en 
rendre  les  abords  plus  attrayants?  Ce  qu'ils  font  présen- 
tement, ils  le  font  d'eux-mêmes,  quelques-uns  avec  un 
plein  succès,  comme  celui  de  Waulsort  sur  la  Meuse. 
Mais,  pour  uiie  réussite,  que  de  négligences,  que 
d'abandons  navrants,  que  d'amas  de  décombres  et  de 
saletés! 

Si  le  gouvernement,  avec  son  écœurante  architecture 
administrative,  semble  manquer  du  sens  qui  fait  sentir 
cruellement  toute  mutilation  d'un  beau  site,  il  en  est  de 
même  pour  les  particuliers.  Le  bourgeois  rustique  et  le 
paysan  sont  réfractaires  aux  séductions  de  la  nature. 
Avec  l'ignorance  et  l'indifférence  du  sauvage,  sans 
autre  préoccupation  que  leur  intérêt,  ils  détruisent  des 
arbres  séculaires  ou  mettent  en  miettes  des  rochers 
dignes  d'être  l'orgueil  du  pays.  En  vain  on  cherche 
quelles  satisfactions  comparables  à  celles  que  peuvent 
leur  donner  ces  beautés  naturelles,  ils  poursuivent. 
Que  feront-ils  de  l'argent  qu'ils  comptent  ainsi  con- 
quérir? Mieux  manger,  mieux  boire,  se  procurer  maté- 
riellement quelques  aisances  de  plus.  Mais  que.  valent 
de  tels  avantages  en  comparaison  des  jouissances  qu'ils 
retireraient  des  lieux  où  ils  vivent,  s'ils  savaient  les 
comprendre  et  les  respecter?  Ils  gaspillent  irrépara- 
blement des  richesses  autrement  savoureuses  pour  un 
cœur  d'homme  que  celles  qu'ils  pourchassent. 

Et  encore,  quand  nous  supposons  que  tous  ces 
ravages  se  traduisent  en  écus^  nous  exagérons.  Pour 
ne  citer  que  l'industrie  du  rocher  qui  a  mis  son 
chancre  abominable  sur  tant  de  paysages  impres- 
sionnants^ la  concurrence  l'a  rendue  infructueuse  pour 
la  plupart.  Sans  profit  pour  les  auteurs  de  ces  brigan- 
dages, en  mille  endroits  on  a  éventré  notre  sol.  Que  de 
carrières  abandonnées  avec  leur  hideuse  moraine  de 
débris.  On  croirait  que  des  hordes  barbares  ont  passé, 
brisant  pour  briser,  puis  disparaissant  en  laissant  à 
jamais  les  traces  de  leurs  dévastations. 

Comment  faire?  Les  procédés  à  recommander  sont 
divers. 

C'est  d'abord  l'achat  par  l'Etat  des  morceaux  les  plus 
célèbres.  On  ne  peut,  sans  amers  regrets,  apprendre 
que  les  superbes  Grands-Malades,  près  de  Namur, 
ont  été  vendus  pour  quelques  milliers  de  francs  aux 


aventuriers  qui  les  dépècent  lentement  et  mettent  une 
place  béante  et  des  terris  désolés  à  l'endroit  où  s'élevait 
une  des  plus  imposantes  murailles  calcaires  de  notre 
^Jeuse.  On  devrait  rechercher  les  points  remarquables, 
s'enquérir  de  leur  sort  prochain,  exproprier  au  besoin 
pour  en  faire  des  propriétés  nationales  inaliénables.  On 
devrait  défendre  de  détruire  un  bois,  d'ouvrir  une  car- 
rière sans  une  autorisation  préalable  qui  permettrait  à 
l'administration  d'apprécier  si  elle  doit  laisser  faire  ou 
si  elle  doit  acquérir.  On  ne  peut  pas  bâtir  une  maison 
sans  pareille  formalité,  il  n'y  aurait  donc  rien  d'excessif 
à  la  prescrire  quand  il  s'agit  de  ravager.  Il  faudrait, 
dans  les  écoles,  faire  un  peu  moins  de  science  pédante, 
et  intéresser  davantage  les  enfants  à  leur  milieu  pitto- 
resque ;  devenus  hommes  ils  en  connaîtraient  le  prix  et 
s'abstiendraient  de  le  mutilei*.  Enfin,  il  y  aurait  lieu 
d'attirer  l'attention  des  ingénieurs  sur  l'opportunité 
d'embellir  jeurs  travaux  et  de  leur  dire  que  cela  est 
possible  fort  souvent  sans  aggraver  la  dépense. 


UN  ÉVÉNEMENT  LITTÉRAIRE 

Monsieur  le  Directeur, 

Votre  journal  ne  s'occupe  pas  dé  politique,  je  le  sais.  Mais  il  est 
consacré  à  la  littérature. 

Le  toa'st  de  M.  Ronvaux  est  politique,  je  le  sais.  Mais  il  est  aussi 
uiï  chef-d'œuvre  littéraire.  ^      . 

Partout  il  soulève  l'enthousiasme.  Des  milliers  de  citoyens  l'ont 
appris  par  cœur.  On  le  déclame  debout  sur  les  tables  dans  les  éta- 
blissements publics. 

Il  importe  qu'il  prenne  place  parmi  les  Documents  à  conserver  de 
notre  époque.  Publiez-le. 

La  Belgique  tient  enfin  son  grand  écrivain  et  son  grand  orateur. 

.   ■    ,   ^  X. 

■     "      ^  ,  :        '         A 

Nous  ne  savons,  au  milieu  de  la  folie  épidémiqpie  que  le  célèbre 
toast  a  su  déchaîner,  si  notre  correspondant  parle  sérieusement  ou 
non.  Nous  déférons  à  son  désir.  Voici  le  chef-d'œuvre  : 

«  Dans  l'antiquité,  les  martyrs,  se  rendant  aux  arènes,  y  péné- 
traient en  poussant  ce  cri  patriotique  :  Ave,  Cœsar,  morituri  te 
salutant  !  Gésar,  ceux  qui  vont  mourir  te  saluent! 

•i  Je  Cfois  être  votre  interprète  en  affirmant  que  le  patriotisme  de 
tous  les  instituteurs  et  de  toutes  les  institutrices,  leur  dévouement  à 
la  dynastie,  ne  sont  pas  inférieurs  à  ceux  de  ces  premiers  martyrs  de 
l'antiquité. 

«« .  Sire,  donc,  tes  instituteurs  belges,  voués  aux  attaques  réelle- 
ment féroces  de  la  réaction  et  de  l'obscurantisme,  te  saluent  1 

•«  Sire,  tes  instituteurs  révoqués,  martyrisés,  frappés  par  tes 
ministres  pour  avoir  obéi  à  tes  lois,  ces  instituteurs  te  saluent  1 

«  Sire,  tes  instituteurs  et  tes  institutrices,  condamnés  quasi  à 
l'extinction  pour  avoir  tenu  avec  honneur  et  fidélité  le  sernient  du 
patriotisme,  ces  instituteurs  te  saluent I 

••  Ils  te  saluent  avec  une  sincérité  de  cœur  que  tu  ne  trouveras 
jamais  dans  ton  entourage  théocratique  et  avec  un  dévouement  que 
tu  chercheras  en  vain  parmi  les  ultramontains. 

M  Les  instituteurs  et  institutrices  forment  les  vœux  les  plus  sin- 
cères pour  que  ton  règne  et  ta  vie  durent  assez  pour  effacer  jusqu'au 
souvenir  du  malheur  qui  les  opprime  I 

M  Je  bois  à  Léopold  II,  à  la  famille  royale!  «•    ; 


L'AR^  MODERNE 


317 


Le  comité  central  de  la  société  pour  la  propagation  du  Volapuk  a 
demandé  l'autorisation  de  traduire  en  sa  langue  nouvelle,  lé  toast 
inspiré  de  1  honorable  échevin  de  l'instruction  publique  de  Namur. 

*** 
Le  bruit  court  qu'une  députation  de  professeurs  s'est  rendue  chez 
M.  Ronvaux,  pour  lui  proposer  une  chaire  universitaire  de  littérature 
française  ou  d'histoire  romaine,  à  son  choix.  L'offre  a  été  déclinée  : 
M.  Ronvaux  se  serait  engagé  vis-à-vis  de  la  direction  d'un  grand 
journal  de  la  capitale  pour  y  remplacer  le  Vieux  de  la  Montagne 
qui  y  rédige  des  premiers-Bruxelles  célèbres. 

■  ■   *** 
Dans    le  ,courant  de  l'hiver,   une  de    nos    principales  maisons 
d'édition  fera  paraître  un  recueil  de  vers  intitulé  :  L'Extinction  des 
institutrices,  poème  décadent  par  Roland  Roncevaux.  On  devine  la 
personnalité  que  couvre  ce  transparent  pseudonyme, 

A  '      .' 

Paraîtra  aussi  prochainement  un  recueil  des  cris  patriotiques  pro- 
férés dans  tous  les  pays  du  monde  par  les  martyrs  marchant  au 
supplice.  ' 


Il  LEÇOX 

Théodore  de  Banville  met  en  scène,  dans  l'un  de  ses  plus 
beaux  contes  (*),  un  jeune  peintre  qui  est  arrivé  à  Tlnslilut  ayant 
à  peine  atteint  la  maturité,  qui  a  épuisé  toutes  les  distinctions 
honorifiques  et  qui  fait  la  loi,  triomphant  sans  cesse,  personnel- 
lement et  par  ses  élèves,  gagnant  de  l'or  à'  n'en  savoir  que  faire. 

Son  entrevue  avec  son  ancien  nriaîlre  COrdouan,  un  très  vieux 
peintre  presqu'oublié  après  avoir  été  célèbre,  qui  vit  dans  la 
retraite  avec  sa  fille,  et  pour  qui  les  résultats  matériels,  la  gloire, 
la  fortune,  ne  sont  rien,  incapable  qu'il  est  de  pactiser  avec  les 
nécessités  du  succès,  renferme  quelques  idées  vraiment  belles. 
Combien  ce  dialogue  est  vrai,  et  à  combien  d'Armandy  actuelle- 
ment vivants,  eh  chair  et  en  os,  on  pourrait  appliquer  les  réflexions 
sévères  qu'il  contient  ! 

«  Mes  derniers  efforts  ne  vous  satisfont  pas;  éh  bien,  dites- 
moi  par  où  je  pèche.  Comment  avez-vous  trouvé  mon  exposi- 
tion? » 

—  Miais,  dit  le  vieillard,  tu  sais  que  mes  rhumatismes  sont 
devenus  très  méchants,  et  le  plus  souvent  me  tiennent  cloué  à  la 
maison.  Je  n'ai  pas  vu  le  Salon  de  celte  année. 

—  Pardon,  mon  cher  maître,  dit  Armandy  d'une  voix  saccadée, 
à  la  fois  révoltée  et' respectueuse,  mais  je  suis  très  certain  de 
vous  y  avoir  rencontré,  et  je  sais  que  vous  l'avez  vu. 

;  —  Eh  bien,  dit  sévèrement  Courdouan,  tu  vois  que  je  ne  veux 
pas  l'avoir  vu,  et  que  je  ne  veux  pas  le  parler  de  ton  tableau.  Je 
n'ai  pas  de  critiques  à  l'adresser,  lu  n'as  pas  à  en  subir,  et  lu  n'as 
que  faire  de  mes  éloges.  Laissons  donc  ce  sujet,  quittons-nous 
bons  amis  comme  nous  l'avons  toujours  été,  et  suivons  chacun 
noire  chemin.  Tu  as  tout,  tous  les  honneurs,  les  toiles  couvertes 
d'or,  Jes  banquiers  américains  à  les  pieds,  des  élèves  qui  boivent 
les  paroles:  il  est  donc  probable  que  lu  as  beaucoup  de  talent. 
L'art  n'est  plus  ce  qu'il  était  autrefois;  depuis  moi,  la  peinlurea 
marché,  et  comme  on  l'a  dit  avec  raison.  Gavroche  dans  la  rue 
errant  avec  ses  yeux  futés  et  sa  casquette  déchirée,  en  sait 
aujourd'hui  plus  que  Pïalon. 


(*)  Contes  héroïques,  Paris,  G.  Charpentier  et  C«,  éditeurs. 


— -  Oui,  dit  Armandy,  mais  non  plus  que  Zeuxis  et  Phidias!  * 
Non,  mon  cher  maître,  après  avoir  fait  le  jour  dans  moh  cer- 
veau, après  m'avoir  enseigné  tout,  après  m'avoir  nourri  de  votre 
pensée,  vous  n'avez  pas  le  droit  de  vous  en  tirer  avec  moi  par 
des  échappatoires.  Vous  me  devez  la  vérité,  cl  je  l'exige. 

-—  Je  pourrais  te  faire  remarquer,  dil  le  vieillard,  que  je  l'ai  à 
peine  vu  depuis  plusieurs  années,  que  pendant  ce  lemps-là  le 
mensonge  l'a  parfaitement  suffi,  et  que  lu  as  très  bien  su  le  pas- 
ser de  moi.; Mais  enfin,  si  lu  as  la  force  de  la  supporter,  il  ne 
sera  pas  dit  que  lu  auras  invoqué  en  vain  ma  franchise.  Ta  Vénus 
du  Salon  n'est  ni  une  déesse,  ni  une  femme,  ni  rien  du  tout  ! 
elle  sourit  en  figure  de  cire,  elle  n'a  ni  muscles,  ni  plans,  ni  atta- 
ches; son  mouvenfient  hideusement  gracieux  est  celui  d'une  sal- 
timbanque américaine,  elle  pose  dans  un  paysage  de  lapis  et 
d'opale  saupoudré  de  mica,  et  les  ridicules  enfants  qui  voltigent 
comme  des  pigeons  autour  d'elle,  sont  en  baudruche.  Tu  es 
arrivé  à  peindre  si  habilement  que  tu  ne  mets  plus  rien  sur  la 
toile  ;  tes  fameux"  passages  avec  la  brosse  de  -martre  effacent 
toulesles  saillies;  tout  cela  est  propre,  joli,  roué  comme  Scapin, 
faux  comme  un  jeton;  enfin  lu  as  mérité  celle  gloire  et  cette 
ignominie  d'être  adoré  par  les  gens  du  monde! 

• — Oh!  fit  Armandy,  suffoqué. 

—  Cependant,  reprit  sévèrement  le  vieux  peintre,  ne  parlons 
pas  de  l'exécution,  à  propos  de  laquelle  il  n'y  a  rien  h  l'apprendre 
et  où  lu  serais  sincère,  situ  voulais;  mais  mon  pauvre  enfant,  la 
pensée!  Je  veux  bien  la  mythologie,  je  veux  bien  tout;  mais 
soiigé  que,  dans  la  conception  moderne,  qui  a  embrassé  et  res- 
saisi le  sens  des  religions,  Aphrodite,  la  créatrice,  l'inépuisable, 
la  Vierge. éternellement  fécondée,  la  force  géante  dont  rien  ne 
peut  lernir  la  pureté  céleste,  est  une  divinité  formidable  comme 
la  perpétuelle  éclosion  de  la  Vie,  et  que  les  Désiré,  nés  d'elje  et 
d'où  naissent  à  leur  tour  le  ruissellement  des  Infinis  et  le  vertigi- 
neux fourmillement  des  étoiles,  doivent  être  beaux,  vivants  el 
envolés  jusqu'à  l'épouvante.  Veux-tu  en  faire  une  femme  tout 
simplement?  Tu  le  peux  encore,  car  la  noble  figure  humaine  con- 
tient tout;  mais  que  sa  lôte  soit  fièrement  posée  sur  -un  cou 
héroïque  et  fort;  que  son  sein  el  son  ventre  soiçnt  de  chair;  que 
ses  bras,  assez  gracieux  pour  enchanter  les  âmes,  soient  assez 
forts  pour  terrasser  les  lions,  et  que  ses  jambes  fines  et  vigou- 
reuses, que  ses  pieds  roses  qui  marchent  sur  les  flots  comme  ils 
marcheraient  sur  les  fleurs  célesies,  soient  divinement  caressés  et 
baisés  par  la  lumière!  Et  quand  on  pense  que  je  t'ai  connu 
enfant  de  génie,  voulant  lout,  pouvant  tout,  étonnant  les  vieux 
par  la  précocité  d'une  invention  superbe  et  farouche! 

—  Maître,  dit  Armandy,  dont  les  yeux  s'étaient  remplis  de 
larmes,  c'est  donc  à  recommencer.  Donnez-moi  votre  leçon, 
Cûmme  autrefois.  , 

—  Oui,  dil  CordoUan,  et  ce  sera  la  dernière,  car  tu  vois  que 
l'âge  me -presse.  —  Tonio,  habille-loi  et  viens  tout  de  suite, 
dit-il,  en  parlant  à  un  modèle  qui  attendait  dans  la  chambre  voi- 
sine. —  Puis  il  tira,  el  roula  dans  la  lumière  un  chevalet  sur 
lequel  était  posé  une  toile  relativement  petite,  représentant  une 
des  scènes  les  plus  émouvantes  de  la  Révolulion.  Armandy  vou- 
lut se  récrier,  mais  le  vieillard  l'arrêta  d'un  geste. 

—  Non,  lui  dit-il,  ne  me  punis  pas  de  ma  franchise  par  des 
compliments;  lu  sais  que  je  ne  les  ai  jamais  aimés.  Tu  vas 
peindre  avec  moi,  dans  mon  tableau,  comme  quand  nous  étions 
petits!  Tiens,  cette  figure  d'homme  du  peuple.  Regarde  ce  modèle 
(il  montrait  Tonio  qui  venait  d'entrer),  il  est  laid,  mais  de  quelle 


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laideur  spirilucllc,  accentuée  cl  vivante!  irouves-en  bien  le 
caractère,  ne  le  ramène  pas  au  jeune  premier  de  théiVlre,  et  ose 
le  colleter  avec  la  nature.  Rappelle-loi  le  temps  où  je  t'apprenais 
dans  la'  rue  h  fixer  un  mouvement  rapide  ;  souviens-loi  qu'un 
muscle  est  un  être,  que  tout,  la  moindre  inflexion  exprime  la 
vie,  et  qii'il  faut  saisir  l'impression  fugitive  à  force  de  volonlé  et 
d'amour!  » 

Sous  l'œil  de  son  maître,  Armandy,  transfigures  ressuscité, 
devenu  lui-même»  travailla  trois  heures  de  suite  avec  une  fièvre 
obstinée.  Pendant  ce  temps,  le  vieux  Gordouan  modelait  une 
esquisse  d'argile,  et  Hélène  leur  lisait  à  baute  voix  par  intervalles 
des  vers  du  Dante. 

—  «  Mon  enfant,  dit  le  vieillard  attendri  en  baisant  au  front 
son  élève,  je  te  retrouve,  lu  as  fail  un  clief-d'œuvre  ! 

—  Eh  bien!  dit  Hélène  d'une  voi'f  forme  et  sonore,  dispa- 
raissez pour  un  temps,  laissez  votre  fausse  gloire,  venez  ici  tra- 
vailler, revivre  les  jours  déjà  vécus,  et  vous  serez  grand  comme 
vous  devez  l'être.  » 

Armandy  hésita.  Tout  lui  prenait  le  cœUr  dans  cet  atelier  où 
il  avait  grandi,  où  il  sentait  qu'babilail  la  vérité;  mais  il  songea 
b  ses  triompbcs,  à  sa  vie  heureuse,  enviée,  brillante,  et  baissant 
la  tête  : 

—  «  Non,  dit-il,  je  n'ai  pas  le  courage. 

—  Allez-vous-en  donc  »,  dit  Hélène,  dont  le  visage  exprima 
alors  un  profond  mépris,  et  qui,  sans  un  regard  pour  Armandy 
qui  parlait,  reprit  silencieusement  la  lecture  du  poème. 


L'INCIDENT  COQUEUN.  5  ï  :     ; 

M.  Coquelin  qui,  après  avoir  été  l'enfant  chéri  du  public, 
l'a  absolument  lassé  par  ses  prétentions  et  ses  façons  de  grand 
homme  indispensable,  connaît  désormais  l'amertume  des  talents 
estimables  qui  ont  voulu  se  jucher  trop  liaut.  De  toutes  parts  on 
lui  lombe  dessus.  Voici,  entre  autres,  comment  Léon  Millot  lui 
règle  son  compte  : 

M  L'Europe  ne  se  doute  pas  du  danger  qu'elle  est  en  train  de 
courir.  Un  horrible  malentendu  va  peut-être  exacerber  irrémé- 
diablement la  question  Coquelin,  que  l'arbitrage  des  grandes 
puissances  pouvait  encore  arranger.  Tout  espoir  néanmoins 
n'était  pas  perdu,  et  on  annonçait  en  dernière  heure  que 
M.  Francisque  Sarcey,  la  corde  au  cou,  pieds  nus  et  un  cierge 
h  la  main,  s'éiait  rendu  au  domicile  de  «  l'illustre  »  comédien, 
et  l'avait  conjuré  de  ne  pas  nous  abandonner.  M.  Coquelin  avait 
répondu  qu'il  allait  voir  son  avocat,  qu'il  consulterait  son 
notaire,  et  qu'il  prendrait  l'avis  de  son  avoué.  On  affirme  que 
Coquelin  senior  a  télégraphié  k  Sarah  Beruhardl,  afin  d'avoir 
son  opinion.  Sarah  avait  répondu  fil  pour  fil  :  «  Faites  tenir 
sociétaires  par  décret  de  Moscou,  et  cravachez  ferme.  »  M.  Coquelin, 
qui  représente  à  la  Comédie-Française  la  dernière  tradition  du 
goût,  avait  répugné  à  ces  moyens  extrêmes.  El  il  s'était  adressé 
au  conseil  d'Etat. 

«  Franchement,  le  peuple  le  plus  spirituel  de  la  terre  ferait 
bien  de  se  faire  doucher.  Il  faut,  en  vérité,  que  nous  soyons 
tombés  bien  bas  pour  qu'on  prétende  nous  intéresser  à  ce 
reportage  de  coulisses  et  à  ces  querelles  de  théâtre.  Est-ce  que 
cela  vous  fail  quelque  chose  que  M.  Coquelin  demande  la  liqui- 
dation de  sa  pension  de  retraite? 

<c  Certaines  gens,  qui  appliquent  gravement  à  la  Comédie- 


Française  la  théorie  des  hommes  providentiels,  frémissent  à  la 
pensée  que  la  première  scène  de  France  va  se  trouver  privée  de 
son  principal  ornement.  Molière  qui  a  eu  le  mauvaisv  goût  de 
naître  deux  cents  ans  avanl  Coquelin,  n'aura  plus  d'interprète 
digne  de  lui.  Si  l'on  rapproche  ces  circonstances  filiales  des  diffé- 
rents signes  qui  ont  pronostiqué  pour  celle  année  la  fin  du 
monde,  tout  porte  à  croire  que  ce  globe  terraqué  n'a  plus  que 
deux  ou  trois  mois  h  vivre.  Celte  conjecture  douloureuse  déci- 
dera peut-être  M.  Coquelin  à  ne  pas  se  montrer  inflexible.  » 


Quelques  très  justes  observations  d'Albert  Wolfï  dans  le 
Figaro  :       * 

«  Demandez-le  aux  peintres,  aux  écrivains  et  aux  musiciens  si, 
en  dehors  de  Paris,  l'inspiration  s'envole  avec  la  même  aisance? 
Tous  vous  diront  que,  loin  de  Paris,  ils  perdenl  la  liberté  d'esprit; 
on  ne  voit  plus  les  choses  avec  la  même  netteté;  on  ne  les 
exprime  plus  avec  la  même  spontanéité.  Quand,  après  dîner, 
Coquelin  va  de  la  rue  Lafayelte  au  Théûlre-Français,  il  hume 
avec  l'air  parisien  assez  de  fièvre  pour  être  supérieur  à  lui-même. 
Le  soir  où  il  se  dirigera  de  l'hôtel  de  la  Cloche,  à  travers  les 
tristes  rues  de  la  province,  vers  un  théâtre  où  la  veille  on  aura 
joué  une  opérelte  et  où  le  lendemain  on  donnera  une  féerie,  il 
aura  déjà  dans  le  trajet  perdu  une  petite  traction  de  son  talent. 
S'il  veut  absolument  jouer  celte  partie,  où  il  s'enrichira,  mais  où 
il  perdra  sûrement  sa  situation,  qu'il  parle.  A  nous  qu'il  quitte, 
qu'il  dédaigne  d'un  cœur  léger  pour  courir  l'aventure,  notre  rôle 
est  loul  tracé.  A  son  dédain  nous  opposerons  l'oubli.  El  si  Coque- 
lin juge  ne  rien  devoir  à  Paris,  les  Parisiens  estimeront  qu'ils  ne 
lui  doivent  rien  non  plus.  Bon  voyage!  » 

Voici  maintenant  l'opinion  de  Caliban  : 

«  Coquelin  est  le  Coriolan  de  la  Comédie-Française  ;  il  se  retire 
chez  les  Volsques.  Pourquoi?  Personne  n'en  sait  rien,. et  il  ne  le 
sait  pas  lui-même.  Il  s'en  va  pour  s'en  aller.  Là  est  la  pièce. 

«  Si  Coriolan  ne  sait  pas  pourquoi  il  lâche  Rome,  les  Romains 
ne  savent  pas  davantage  pourquoi  ils  le  retiennent.  Rien  n'est 
plus  embêté  que  Got  d'être  obligé  de  jouer  les  Véturie  pour  sup- 
plier le  général  de  rester,  si  ce  n'est  Thirou  de  se  déguiser  en 
Volumnie  pour  attendrir  le  démissionnaire  récalcitrant.  Coque- 
lin, de  son  côté,  ne  se  récalcitre  qu'à  contre-cœur  :  il  ne  tient 
pas  à  passer  chez  les  Volsques.  Pour  un  rien  on  le  verrait  rester. 
Si  Vélurie  et  Volumnie  lui  offraient  le  séné,  il  leur  offrirait  la 
rhubarbe.  Là  est  l'intérêt.  - 

«  Mais  voici  le  nœud.  Non  seulement  Coriolan  menace  d'aban- 
donner Rome  à  ses  destinées,  mais  il  émet  la  proposition  d'être 
pensionné  par  Rome  même  pour  l'honneur  qu'il  lui  fail  de  la 
planter  Ik.  Ça,  c'est  plus  fort  que  dans  Shakespeare. 

«  Rome  ne  trouve  rien  dans  ses  traditions  qui  justifie  de  pareils 
rapports  avec  le  chef  du  camp  ennemi. 

«  —  Eh  quoi  !  s'écrie  Thiron,  tu  veux  six  mille  pour  conduire 
contre  nous  les  cohortes  de  Duquosnel,  pour  te  mêlera  Sarah 
Bernhardt,  pomper  toute  la  poésie  de  ton  temps  et  détourner  de 
nos  bords  le  joyeux  cours  des  Pactoles!  Que  tu  le  fasses,  bien. 
Mais  que  ce  soit  nous  qui  te  payions  pour  le  faire,  tu  en  aurais 
de  quoi  rire  ta  vie  durant. 

«  —  Sois  impotent,  gâteux,  inutilisable,  confirme  Got,  et  tu 
as  tes  six  mille,  cî'r  lu  ne  seras  plus  un  dangor  pour  nous. 


>    I 


VART  MODERNE 


319 


«  A  ces  argumcnis  Coquelin  ne  rdpond  qu'en  bissant  sa  démis- 
sion. 

Ma  démission  bis  est  formelle,  el  j'irai  s'il  le  faut  jusqu'à 


u 


la  démission  1er.  Les  démissions  ne  me  coulent  rien. 

«  Et  la  situation  devient  ainsi  passionnante.  Les  plus  malins 
se  demandent  comment  on  va  sortir  de  l'imbroglio.  L'Europe 
balette. 

«  Tout  à"CTJirp  Coquolin  joue  le  «  Monsieur  Scapin  »,  de  Jean 
Richepin.  11  y  obtient  un  triompbe.  M.  Gobicl  s'avance...  Il 
s'avance,  M.  Goblel,  souriant  et  grave  à  la  fois,  et  d'un  geste 
brusque  il  décore  Coquelin  de  la  Légion  d'honneur.  Coquelin  rit. 
Coquclin  pleure.  Coquolin  reste.  » 

Ma  foi,  mieux  vaudrait  qu'on  se  séparût  définitivement  de  ce 
prétentieux  demi-castor,  il  a  faligué  le  théâtre,  il  a  fatigué  le 
public.  Quand  on  a  une  vanité  pareille  à  la  sienne,  on  n'est  jamais 
grand  comédien,  par  le  motif  que  le  grand  comédien  doit  se  faire 
oublier  en  scène  pour  ne  faire  penser  qu'au  personnage  et  que 
M.  Coquelin  n'a  jamais  pu  s'y  résigner. 


pETITÉ    CHROJMIQUE 


Arsène  Alexandre  résume  très  exactement  en  ces  termes  les 
idées  de  M.  de  Vogiie  sur  le  roman  russe  contemporain  : 

«  La  théorie  de  M.  de  Vogiié  est  fort  originale  :  elle  semble, 
de  plus,  fort  vraie.  D'après  lui,  de  môme  que  nos  institutions 
reposent  sur  la  multitude,  de  même  nos  recherches  scientifiques 
se  fondent  sur  les  atomes.  De  là,  en  politique,  le  suffrage  univer- 
sel; de  là,  dans  les  sciences,  l'étude  des  cellules,  des  microbes 
el  autres  infiniment  petits.  C'est  l'individu,  c'esl  la  plus  minime 
fraclion,  la  plus  infime  unité  qui  nous  permet  de  nous  élever 
jusqu'à  l'intelligence  de  l'ensemble.  Aussi  notre  littérature,  qui 
procède  de  celte  méthode,  en  est-elle  arrivée  à  se  contenter  de 
l'élude  de  l'individu.  Les  uns,  comme  Balzac,  ont  disséqué  l'ûmc 
de  cet  individu;  les  autres,  comme  Flaubert,  ont  voulu  peindre 
l'action  qu'exercent  sur  lui  les  milieux,  les  circonstances  exté- 
rieures. 

«  Ces  deux  méthodes,  qui  tendent  au  même  but,  ont  abouti 
au  même  résultat  :  une  sorte  de  nihilisme  chez  nos  écrivains, 
autrement  dit  encore  le  dilettantisme^  le  souverain  détachement, 
la  parfaite  indifférence  de  l'artiste  envers  ses  modèles,  récom- 
pensée par  l'indifférence  des  modèles  envers  leurs  peintres.  Voilà 
pour  noire  littérature^.  . 

«  La  lilléralurc  russe,  au  contraire,  procède  d'une  tout  autre 
■  pensée.  Elle  est  illuminée  d'une  sorte  de  rayon  d'en  haut.  Elle 
est  imprégnée  d'un  profond  sentiment  religieux.  «  Ce  qui  pour 
nous  est  un  régal  de  luxe,  dit  M.  de  Vogiié,  est  pour  les  Russes 
le  pain  quotidien  de  l'ûme.  »  L'écrivain  est  le  guide  de  sa  race, 
le  maître  d'une  multitude  de  pensées  confuses,  encore  un  pou  le 
créateur  de  sa  langue;  poète  au  sens  ancien  et  total  du  mot  vates, 
poète,  prophète...  La  petite  élite  d'en  haut  a  atteint  depuis 
longtemps  et  dépassé  peut-être  notre  dilellanlisme;  mais  les 
classes  inférieures  commencent  à  lire,  elles  lisent  avec  foi,  avec 
espérance,  comme  nous  lisions  Robinson  à  douze  ans.  » 

Arsène  Alexandre  constate  aussi  le  déclin  rapide  de  la  vogue 
que  les  romaucitrs  russes  ont  eue  en  France  dans  ces  derniers 
temps  : 

u  Les  engouements  ou,  pour  employer  une  expression  plus 


polie  mais  moins  exacte,  les  modes  en  littérature  sont  le  plus, 
souvent  de  courte  durée.  Pourtant,  on  a  généralement  le  lemps 
de  s'y  reconnaître  et  de  lire  les  auteurs  prônés  avant  que  la  mode 
passe.  Il  semble  que  l'engouement  pour  la  littérature  russe  n'ait 
pas  ou  le  privilège  de  ce  délai  moral.  Après  tout  Je  bruit 
inattendu  qui  s'est  fait,  le  silence  le  plus  profond  règne  mainte- 
nant sur  les  œuvres  des  Tolstoï  et  des  Dosloiowski.  C'est  une 
affaire  à  peu  près  finie,  et  je  ne  gagerais  pas  cependant  que  les 
lecteurs  de  bonne  volonté  aient  achevé  le  premier  roman  russe 
auquel  ils  se  sont  attelés  sur  la  foi  des  criiiqucs.  Faut-il  en 
conclure  à  la  longueur  de  ces  ouvrages  ou  à  la  brièveté  de  nos 
enthousiasmes?  A  loules  les  deux,  probablement,  et  aussi  peut- 
être  à  une  certaine  réaction  de  l^ndifférence.  » 


Un  curieux  portrait  de  Théophile  Gautier  dans  le  journal  des 
Concourt  : 

3  janvier.  —  Au  bureau  de  V Artiste.  —  Théophile  Gautier, 
face  lourde,  les  traits  tombés  dans  l'empâtement  des  lignes,  une 
lassitude  de  la  face,  un  sommeil  de  la  physionomie,  avec  comme 
des  intermitlences  de  compréhension  d'un  sourd  et  des  halluci- 
nations de  l'ouïe,  qui  lui  font  écouter  par  derrière  quand  on  lui 
parle  de  face.  ■      . 

Il  répète  et  rabâche  amoureusement  celte  -phrase  :  «  De  la 
forme  naît  l'idée  »,  une  phrase  que  lui  a  dite  ce  malin  Flaubert 
et  qu'il  regarde  comme  la  formule  suprême  de  l'école,  et  qu'il 
veut  qu'on  grave  sur  les  murs.  A  côlé  de  lui  est  un  grand  gaillard 
brun  et  grave,  un  homme  de  la  Bourse,,  toqué  d'Egypte,  et  qui, 
sous  le  bras  un  plâtre  d'un  Chéops  quelconque,  expose  en  phrases 
solennelles  son  système  de  travail  :  se  coucher  à  huit  heures  du 
soir,  se  lever  à  trois  heures,  prendre  deux  tasses  de  café  noir  el 
aller  en  travaillant  jusqu'à  onze  heures. 

Ici  Gautier  sortant  comme  un  ruminant  d'une  disfestion,  et 
interrompant  Feydeau  :  «  Oh  !  cela  me  rendrait  fol  !  Moi,  le  matin, 
ce  qui  m'éveille,  c'est  que  je  rêve  que  j'ai  faim.  Je  vois  des 
viandes  rouges,  des  grandes  tables  avec  des  nourritures,  des 
festins  de  Gamacho...  La  viande  me  lève.  Quand  j'ai  déjeuné,  je 
fume.  Je  me  mène  à  onze  heures.  Alors  je  traîne  un  fauteuil,  je 
mets  sur  la  table  le  papier,  les  plumes,  l'encre,  le  chevalet  de 
torture,  et  ça  m'ennuie,  ça  m'a  toujours  ennuy»î  d'écrire,  et  puis, 
c'est  si  inutile!...  -Là,  j'écris  posément  comme  un  écrivain 
public...  ■  .         . 

M  Je  ne  vais  pas  vite  —  il  m'a  vu  écrire,  lui  —  mais  je  vais  tou- 
jours, parce  que,  voyez-vous,  je  ne  cherche  pas  le  mieux.  Un 
article,  une  page,  c'est  une  chose  de  premier  coup,  c'est  comme 
un  enfant  :  ou  il  est,  ou  il  n'est  pas.  Je  ne  pense  jamais  à  ce  que 
je  vais  écrire.  Je  prends  ma  plume  et  j'écris.  Je  suis  homme  de 
lettres,  je  dois  savoir  mon  métier.  Me  voilà  devant  le  papier  : 
"^c'esl  comme  un  clown  sur  le  tremplin...  Et  puis,  j'ai  une  syntaxe 
très  en  ordre  dans  ma  tète.  Je  jette  mes  phrases  en  l'air...  comme" 
des  chais,  je  suis  sûr  qu'elles  retomberont  sur  leurs  pattes.  C'est 
bien  simple,  il  n'y  a  qu'à  avoir  une  bonne  syntaxe.  Je  m'engage 
à  montrer  à  écrire  à  n'importe  qui.  Je  pourrais  ouvrir  un  cours 
de  feuilleton  en  vingt-cinq  leçons!...  Tenez,  voilà  de  ma  copie  : 
pas  de  rature. 


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SitiÈMB   ANNÉE.  —  NO  41. 


Le  numéro  :  S 5  centimes. 


Dimanche  10  Octobre  1886. 


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AIRE 


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—  Pathologie  littéraire.  —  Le  château  des  mendiants.  —  Un 
POÈTE  belge  jugé  A  Paris.  Georges  Rodenbach.  —  Théâtre 
Molière.. —  Exposition  de  peinture  a  Tournai. —  Petite  chro- 
nique. - 


SILHOUETTES    D'ARTISTES 


FERNAND  KHNOPFF  C) 

Le  premier  tableau  —  exposition  de  VFssor,  1881  — 
d'intérêt  réel,  que  Fernand  Khnopff  exposa  fut  :  Un  pla- 
fond d  compléter  sur  place.  Curieuse  cette  ajoute —  mais 
preuve  de  logique,  n'importe  quelle  décoration  ne  se  pou- 
vant juger  que  sur  place,  mais  preuve  de  «  points  sur  les  i  »» 
et  de  franchise  vis-à-vis  du  public. 

Le  sujet  est  allégorique,  particularité  à  saisir  —  et 
modernisé,  point  à  noter.  Le  peintre  sera  toute  sa  vie 
inquiet  de  symbole  ou  de  contemporanéité.  Tel,  dès  ses 
débuts.  La  toile  représente  la  Musique,  la  Poésie  et  la 
Peinture,  trois  femmes,  non  pas  trois  Muses,  deux  assises, 
une  debout  et  surtout  cette  dernière,  très  exacte  et 
vivante  dans  sa  pose  :  la  palette  au  bras,  le  genou 
allongé  sur  un  pliant  d'atelier,  le  pinceau  dans  la  main. 
Elle  semble  peindre  des  rêves.  C'est  la  mieux  formulée 
des  trois. 

A  cette  époque  Fernand  Khnopff  était  fort  sollicité  par 


O  Voir  nos  n»"  des  5  et  12  septembre. 


les  finesses  de  tons  a  réaliser.  Il  avait  étudié  à  fond 
l'art  si  coloriste  d'Eugène  Delacroix,  si  intuitif  d'har- 
monies rares,  étranges  et  osées,  si  en  avant  sur  l'époque 
où  il  se  manifesta,  si  précurseur  qu'aujourd'hui  on  ne  fait 
qu'établir  scientifiquement  ce  que  le  grand  romantique 
avait  trouvé  djnstinct.  Dans-  Un  Plafond  il  est  des 
alliances  de  vert  et  de  rose  exquises  et  des  bleu-gris  très 
subtils.  La  toile  mal  exposée  dans  une  cage  d'escalier  ne 
pouvait  être  examinée  comme  elle  le  méritait.  Nous 
l'avons  revue  et  c'est  d'après  cette  étude  nouvelle  que  nous 
la  classons  parmi  les  toiles  du  peintre  ou  sa  nature  se  sur- 
prend le  mieux  Combien  ses  œuvres  postérieures  expli- 
quent ce  début  !  • 

Au  Salon  de  Bruxelles,  la  Crise.  Mênae  recherche  de 
tons  que  dans  le  Plafond,  et  déjà  la  personnelle  entente 
de  traiter  V objectif.  Un  point  principal,  centre  de  vision 
et  raison  du  tableau  attire  toute  l'intensité  de  l'alteritfon 
du  peintre  qui  ne  voit  plus  que  vaguement  et  par  consé- 
(^ent  les  peint  tels  les  objets  environnants.  Toutefois,  ne 
faut-il  traiter  sèchement,  sous  prétexte  de  traiter  serré, 
la  figure-  ou  le  sujet  dominant,  mais  les  fixer,  quoique 
nets  et  précis,  bien  dans  l'air  et  dans  la  vie.  C'est  le 
défaut  des  Bastien-Lepage  et  des  Dagnan,  de  découper  en 
image  les  traits  de  leurs  modèles  et  de  n'établir  aucune 
relation  entre  eux  et  ce  qui  les  entoure  immédiatement  : 
l'air.  A  preuve  :  la  Récolte  des  pommes  de  terre  et  Les 
foins.  Aucune  dés  deux  paysannes  ne  se  trouve  au  plan. 
Elles  tombent  du  cadre.  ^  ^^  ' 

Dans  la  Crise,  la  tête  du  jeune  homme  est  délicatement 
formulée  :  expressive,  mystérieuse,  angoissée.  C'est  une 


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cime  qu'elle  pnouvo  et  raconte.  Elle  n'est  en  rien  décou- 
pée ni  dure  ;  elle  baigne  dans  le  paysage.  Le  tableau?  c'est 
elle  ;  le  reste  :  rocbes  tristes,  ciel  grisâtre,  terrain  morne, 
lui  sert  do  cadre  et  fait  comprendre  sa  psj'chologie.  La 
démarche  et  l'allure  du  songeur  paraissent  participer  à 
sa  méditation;  ils  sont  saisis  en  pleine  vérité.  Une  remar- 
quable unité  d'impression  frappe  et  retient  ;  de  plus,  dus 
ce  premier  tableau,  il  était  à  voir  qu'on  se  trouvait  devant 
un  peintre,  d'une  décision  esthétique,  d'une  nature  volon- 
taire et  personnelle  qui  ne  devait  presque  rien  aux 
900  tableaux  dont  le  sien  était  entouré.  . 

Il  se  greffait  sur  les  anciens,  les  caractéristiques  et 
minutieux  peintres  du  moyen-âge  —  et,  néanmoins,  son 
art  était,  plus  que  n'importe  lequel,  moderne  dans  le 
sens  le  plus  aigu  du  mot  et  prêt  déjà  à  raconter  l'huma- 
nité qu'il  sentait  souffrir  autour  de  lui. 

On  se  rappelle  pourtant  l'étalage  de  bêtise  publique 
autour.de  cette  œuvre.  La  presse  presque  sans  exception, 
tous,  les  petits  comme  les  grands  journaux,  ouvrirent  les 
écluses  du  jabotage  et  les  •  pipeleteries  les  plus  saugre- 
nues s'échappèrent  par  jets.  Fornand  Khnopfffit  dès  lors 
connaissance  avec  le  public,  ne  se  troubla  point  un  instant 
de  ses  braiements  et  son  entêtement  grandit  et  sa  force. 
En  1882,  Etî  passant  (boulevard  du  Régent).  La  préoc-' 
cupation  de  la  scène  prise  sur  le  vif,  du  coin  de  ville  à 
physionomiser,  monte  dans  l'esprit  du  peintre.  Il  tâche 
de  rendre  l'air  ambiant,  les  arbres,  le  vert  lavé  de  leur 
•écorce,  l'aspect  des  trottoirs,  la  façade  des  maisons  et 
surtout  les  promeneurs,  les  flâneurs,  lès  passants,  chacun 
avec  son  allure,  son  pas,  son  geste  ou  sa  «  dégaine  ». 
Travail  simple  à  première  vue,  inextricable  dé  difficulté 
vraie.  La  modernité  a  été  une  mode  assez' universelle  en 
art.  Sous  prétexte  qu'on  peint  mieux  ce  qu'on  voit  que  ce 
qu'on  se  remémore,  tout  le  monde  s'est  mis  à  faire  du 
contemporain.  «  On  a  livré  —  depuis  20  ans  —  à  la  circu- 
lation »»,  un  nombre  innombrable  de  gommeux,  de  cocot- 
tes, de  tabagies  au  gaz,  de  tramways  qui  filent,  de  coins 
de  rue,  de  pianos  en  accajou,  de  carafes  avec  des  sirops, 
des  bitters,  des  vins  dorés,  des  bibelots,  des  armoires  à 
panneaux  vernis. 

On  a  cru  que  c'était  non  pas  un  élément  mais  une  con- 
dition d'art. 

On  a  fait  une  école  basée  sur  cette  prétendue  nécessité 
et  quiconque  ne  réalisait  point  le  programme,  était  traité 
de  cancéreux  et  de  préhistorique. 

A  notre  sens,  le  moderne  n'est  pas  uniquement  là.  Cro- 
quer ce  que  l'on  rencontre  exactement,  habilement,  c'est 
de  l'illustration  pure.  Le  moderne  existe  bien  plus  dans 
l'esprit  que  dans  le  sujet. 

En  un  certain  sens,  il  est  impossible  de  n'être  point 
moderne  puisqu'il  est  Impossible  de  sentir  en  dehors  du 
temps  et  de  l'époque  où  l'on  vit.  Chacun  de  nous  sent 
modeime,  même  les  plus  entêtés  d'archaïsme.  Nul  ne  peut 
concevoir  une  scène;  historique  lointaine  comme  la  com- 


prenaient les  aïeux.  Sentir  le  passé  avec  nosklécs  à  nous, 
avec  nos  goûts,  avec  notre  sympathie  pour  le  vague  et 
l'effacé,  et  l'exprimer,  est  plus  moderne  que  de  peindre  un 
homme  en  habit  noir  ou  une  dame  en  chapeau,  bottines 
pointues.  La  première  de  ses  deux  œuvres  va  plus  avant 
dans  le  sentiment  et  dans  l'intelligence  que  la  seconde  ; 
elle  touche  à  notre  âme,  l'autre  à  nos  yeux.  Celle-ci  est 
de  l'art  secondaire  et  combien  do  peintres'  ne  veulent 
voir  plus  loin,  de  parti  pris  !  ,  . 

Fernand  Khnopff  sera  bien  plus  moderne,  plus  tard, 
dans  sa  Tentation  de  Saint-Antoine  et  sa  Sphinge^  qu'il 
nel'est  en  traitant  des  vues  de  villes  et  dos  silhouettes  de 
passants.  Et  encore  n'a-t-il  saisi  qu'imparfaitement  les 
tournures,  les  démarches.  Ses  personnages  ne  vivent 
point  et  son  décor  manque  de  réalité.  Il  n'y  a  de  véritable 
intérêt  que  dans  la  mise  en  page  si  particulière  au  peintre, 
si  adéquate  à  l'idée  et  à  l'œil.  Pour  Fernârid  Khnopff 
c'est  le  cercle  /ju'embrasse  le  regard  en  fixant  la  scène  à 
peindre,  qui  doit  déterminer  la  dimension  de  la  toile.  De 
plus,  il  faut  peindre  ce  qu'on  voit  et  tout  ce  qu'on  voit, 
tant  les  choses  qui  sont  à  un  plan  immédiat,  que  celles  qui 
se  trouvent  plus  éloignées.  Somme  toute,  aucun  arrange- 
ment, aucune  composition.  Le  motif  se  présente  tel, 
peignez-le  tel. 

Cette  tentative  de  modernité  extérieure  à  traduire,  fut 
renouvelée  en  1883.  Nouvelle  scène  de  boulevard  :  En 
passant  vers  six  heures.  Elle  est  supérieure  à  la  précé- 
dente, quoiqu'elle  ne  tienne  pas  dans  l'œuvre  entier  du 
peintre. 

En  écoutant  dit  Schumann  exposé  au  Cercle  en  1883. 

Cette  toile  est  significative.  Le  sujet  ?  Oh  !  combien  il 
était  aisé  de  tomber  dans  le  genre,  dans  le  motif  bour- 
geois, dans  le  quelconque  familier  et  gentil.  Les  peintres 
qui  ont  traité  l'inévitable  romance  sur  l'inévitable  piano 
dansJ'inévitable  salon,  sont  cohue.  Ils  se  chiffrent?  dites 
le  nombre. 

Le  présent  tableau  s'impose  et  par  sa  sévérité  et  par  sa 
haute  distinction.  La  dame  qui  écoute  et  qui  fait  l'œuvre, 
qui  la  relève  et  la  hausse  jusqu'à  une  étude  d'âme, 
témoigne  d'une  puissance  rare.  C'est  l'attention  con- 
centrée, l'impression  matérialisée,  la  souffrance  esthé- 
tique traduite.  On  sent  à  travers  elle  la  passion  et  la  vie 
musicales  passer  —  et  la  pose  toute  de  tension,  réalise  je 
ne  sais  quoi  d'austère  et  de  douloureux.  Avec  quelle  reli- 
gion elle  écoute,  et  comme  le  milieu  :  cet  appartement 
tranquille,  quotidien,  sans  luxe  tape-à-l'œil,  et  comme  ce 
tapis  épais  et  discret,  et  comme  ce  jour  d'après-midi  gri- 
sâtre et  légèrement  méditatif,  augmentent  l'impression. 

Était-il  nécessaire  de  montrer  ce  coin  de  piano  et  cette 
main  de  pianiste  à  gauche?  N'aurait-on  compris  sans  cela? 
Le  peintre  n'a-t-il  cédé  qu'ànine  préoccupation  de  japo- 
nisme  pittoresque?  En  tout  cas,  l'atmosphère  de  la  toile 
était  assez  musicale  pour  se  passer  de  ce  détail  et  le 
laisser  deviner.  La  simplicité  et  l'unité  y  eussent  gagné. 


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■'yf/'e-^:.' 


L ART  MODERNE 


328 


En  écoutant  dit  Schumann  est  la  seule  œuvre  de  moder- 
nité pure,  signée  Fcrnand  Khnopff,  qui  nous  plaise,  l^our- 
quoi  ?  Parce  qu'elle  porte  au  delà  de  l'extérieur  et  qu'elle 
réfléchit  une  aile  de  l'âme  d'aujourd'hui.  Ce  n'est  que 
depuis  peu  d'années  que  la  musique  s'écoute  ainsi  —  non 
pas  avec  plaisir;  avec  méditation.  L'effet  de  l'art,  de 
notre  art,  est  une  influence  de  vague  attirance  vers  un 
idéal  triste  et  grave.  Le  tableau  rend  visible  cet  eff'et-là. 

Nous  avons  entendu  aflirmer  devant  ce  tableau  qu'il 
n'avait  aucune  perspective  et  que  le  décor  cahotait.  Cela 
est  absurde.  La  perspective  architecturale  établie  d'après 
des  règles  et  des  recettes  —  c'est  la  seule  que  le  public 
admette  —  est  impossible  quand  on  peint  une  scène 
comme  celle  du  Schumann^  sans  recul,  nez-à-nez  avec  la 
scène  elle-même.  Il  est  une  autre  perspective  —  est-ce 
perspective  qu'il  faut  dire?  —  qui  résulte  de  l'observation 
même  et  de  la  peinture  sincère  des  objets  tels  et  com- 
ment ils  apqjaraissent  au  peintre.  Celle-ci  n'est  réglée  par 
aucun  livre,  aucune  leçon,  aucune  académie,  aucun  traité 
—  elle  est  déterminée  par  la  vision,  par  l'œil  :  c'est  la 
vraie  ou  plutôt  c'est  la  seule  qui  convienne  aux  artistes 
modernes.  Certes  peut-elle  paraître  étrange  et  dans  cer- 
tains cas,  dès  qu'on  peint  des  reflets  de  meubles  et 
d'objets  les  uns  sur  les  autres,  il  est  difficile  d'éviter  un 
certain  déséquilibre.  Les  lignes  s'efi'açant  et  les  tons 
s'aflSrmant,  il  en  résulte  une  certaine  confusion  —  mais 
cette  confusion,  il  faut  l'admettre,  puisqu'elle  apparaît 
ainsi  et  qu'il  faut  peindre  comme  les  choses  apparaissent. 
Il  ne  faut  point,  en  dessinant  une  table  ou  un  livre  ou  un 
verre  ou  une  armoire,  qui  sont  là  devant  vous,  peindre 
l'idée  préconçue  de  la  table,  du  livre,  du  verre,  de  l'ar- 
moire, qui  restent  au  fond  de  votre  cervelle. 

Depuis  ses  débuts  jusqu'à  cette  heure,  Fernand  Khnopff 
a  traité  le  paysage.  Nous  espérons  qu'il  ne  l'abandonnera 
jamais,  surtout  aujourd'hui  qu'il  s'enfonce  dans  le  grand 
rêve.  La  nature  doit  lui  servir  de  rappel  à  la  réalité,  sans 
cesse,  sinon  il  est  à  craindre  qu'il  ne  fasse  un  œuvre 
incomplet.  On  ne  peut  se  passer  entièrement  de  réel,  pour 
la  même  raison  qu'on  ne  peut  se  dégager  entièrement  de 
l'au-delà.  L'art  est  une  unité  à  deux  faces  comme  la  divi- 
nité catholiqne  est  en  trois  personnes.  Il  faut  prendre  pied 
de  temps  en  temps  et  le  sol  doit  servir  de  tremplin.  Le 
vague  est  aussi  dangereux  que  n'est  morne  le  terre  à  terre. 

C'est  l'Ardenne  et  rien  que  l'Ardenne  que  le  peintre  a 
traduit,  non  pourtant  l'Ardenne  des  touristes  avec  un  petit 
ruisseau  sur  cailloux,  un  babillis  d'eau,  un  pied  de  colline 
moussue  et  herbeuse,  quelques  arbres  effrités,  des  bosses 
de  roches  à  nu,  des  coins  de  ville  pittoresque  dominée  par 
une  ruine,  un  quelque  chose  de  romantique  et  de  bour- 
geois pour  piano  de  salle  à  manger  d'hôtel,  mais  l'Ardenne 
des  hauts  plateaux  et  des  larges  horizons  et  des  étendues 
roses  de  bruyère  et  jaunes  de  fougère  et  vertes  de  genêt 
et  des  lignes  solennelles,  souples,  immenses,  s'étendant  à 
l'infini  comme  si  on  avait  déplié  des  montagnes. 


D'abord,  c'était  des  petits  panneaux  minutieux  comme' 
des  fonds  gothiques  :  la  Crue^  le  Cinquième  étang^  A 
Fosset^  les  Chênes  de  Laval,  la  Grand'route,  mais  spé- 
cialisés par  une  recherche  très  moderne  de  lumière 
fugace  ou  radiante  et  d'aspect  horaire  et  passager  des 
choses,  à  preuve  :  Du  soleil  qui  passe,  Du  soleil  (T au- 
tomne, les  Premiers  froids.  Un  jour  blanc  y  Vers  midi,  De 
la  rosée,  De  t humidité,  etc.       •  ' 

Ces  titres  né  sont-ils  point,  rassemblés  ainsi,  une 
confession  d'art  et  les  plus  audacieux  des  impression- 
nistes se  sont-ils  inquiété  d'autres  recherches'  pour 
arriver  à  formuler  leurs  plus  constantes  études?  L'air 
n'est-il  point  la  chose  à  peindre  dans  toutes  ces  toiles, 
l'air  seul,  l'air  tour  à  tour  saturé  d'or,  lamé  d'argent, 
poreux  de  brume,  violacé  de  soir,  transi  d'hiver?  Fer- 
nand Khnopff  est  donc  plus  que  n'importe  qui  sollicité 
par  la  recherche  contemporaine  et  c'est  folie  ou  mauvaise 
foi  de  l'accuser  de  n'être  de  son  heure  parce  qu'il  peint 
encore  des  Reines  de  Saba. 

La  toile  dans  laquelle  il  a  ramassé  son  talent  de  paysa- 
giste? AFosset:  le  garde  qui  attend. \h\:ox\  toute  sincère 
et  réelle,  avec  son  avant-plan  d'arbres  énormes,  toute 
aiguë  avec  ses  fonds  minutieusement  traités.  Ce  qui 
prouve  l'acuité  du  regard  du  peintre  —  toute  harmo- 
nieuse avec  ses  clairs  délicats,  ses  verts  charmants,  ses 
tons  si  fins,  toute  personnelle  avec  ses  plans  rapprochés  à 
la  manière  gothique  et  qui  nous  semble  résulter  bien  plus 
d'une  caractéristique  de  l'œil  que  de  tout  autre  chose.  De 
plus,  c'est  le  pays  ardennais  des  plateaux,  immense 
d'horizon,  mais  minusculisé  par  de  petites  chaumières, 
des  réductions  d'enclos  à  haies  basses,  des  villages  et  des 
hameaux  étalés  comme  des  jouets  sur  un  énorme  tapis. 
(A  suivre). 

lES  SYMBOLISTES 

La  campagne  de  la  presse  parisienne  relative  au  mouvement 
néo-liitéraire  français  semble  être  terminée.  Chaque  journal  a 
donné  son  avis.  La  note  dominante  a  été  la  malveillance.  Dans 
son  numéro  du  3  octobre,  V Evénement,  par  la  plume  de  Paul  de 
Bart,  résumait  les  débals  en  ces  termes  : 

«  Au  point  de  vue  de  la  forme  comme  au  point  de  vue  du  fond, 
les  décadents  s'écartent  totalement  de  la  langue  et  de  l'esprit  fran- 

^çais.  Ce  que  nous  av  ns  toujours  aimé  et  ce  qui  a  fait  !i  gloire  de 
notre  littérature,  c'est  la  grâce  précise,  la  beauté,  la  netteté,  la 
clarté  largement  répandue,  et  rien  de  tout  cela  ne  se  trouve  dans 
la  poésie  décadente.  Chez  ces  poètes  nouveaux,  la  poésie  n'est 
plus  un  art,  ils  la  cultivent  comme  des  carrés  de  chou.x  ou  comme 
des  champs  d'orge,  et  ils  ne  tarderont  pas  à  disparaître  quand  le 
public  se  lassera  de  leurs  facéties  et  de  leurs  inepties,  et  lorsque 
la  réclame,  dont  ils  ont  l'air  de  faire  fi  mais  qu'ils  recherchent 
par  tous  les  moyens,  ne  donnera  plus.  Et  comme  il  y  a  deux 
sortes  de  décadents,  les  fumistes  et  ceux  qui  ont  le  cerveau 
malade,  naïfs  et  bernés  par  les  premiers,  les  uns  auront,  grâce 
au  décadisme,  acquis  un  nom,  et  les  autres  finiront  à  Bicétre  ou 

■  k  Charenion.  ». 


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324 


L'ART  MODERNE 


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Celte  sentence  est  fort  injuste  dans  sa  généralité.  Elle  ne  tient 
"lîomple  que  des  excentricités  grotesques  des  funambules  de 
l'école.  N'en  disons  pas  davantage  pour  le  moment.  Résolus  à 
faire  de  ce  phénomène  artistique  une  étude  d'ensemble,  nous 
n'avons  d'autre  prétention,  jusque-là,  que  de  réunir  des  faits  et 
des  documents, 

A  ce  litige,  signalons  un  article  du  28  septembre,  de  M.  Gus- 
tave Kaho,  secrétaire  de  la  rédaction  de  la  Vogue.  11  y  résume  le 
mouvement  de  manière  à  jeter  quelque  lumiiM-e  sur  les  déclara- 
tions obscures  du  Manifeste  de  M.  Jean  Moréas,  que  nous  citions 
dans  notre  dernier  numéro  et  dont  il  dit  qu  elles  posent  nette- 
ment l'ensemble  des  volitions  de  l'école. 

«  La  caractéristique. générale  de  ces  livres,  ce  qui  unifie 
la  tendance,  c'est  la  négation  de  l'ancienne  et  monocorde  tech- 
nique du  vers,  le  désir  de  diviser  le  rythme,  de  donner  dans  le 
graphique  d'une  strophe  le  schéma  d'une  sensation.  Avec  l'évo- 
lution dos  esprits,  les  sensations  se  compliquent;  il  leur  faut 
des  termes  mieux  appropriés,  non  usés  par  un  emploi  identique 
de  vingt  ans.  De  plus,  l'élargissement  normal  d'une  langue  par  les 
néologismos  inévitables  et  une  instauration  de  l'ancien  vocabu- 
laire nécessité  par  un  retour  des  imaginations  vers  l'épique  et  le 
merveilleux.....'  La  prose  banale  est  l'outil  de  la  conversation. 
Nous  revendiquons  pour  le  roman  le  droit  de  rythmer  la  phrase, 
d'en  accentuer  la  déclamation  ;  la  tendance  est  vers  un  poème  en 
prose  très  mobile  et  rythmé  différemment  suivant  les  allures,  les 
oscillations,  les  contournements  et  les  simplicités  de  l'Idée.  » 

Ce  qui  précède  concerne  la  forme.- Voici  le  fond  : 

«  Pour  la  matière  des  œuvres,  las  du  quotidien,  du  coudoyé  et 
de  l'obligatoire  contemporain,  nous  voulons  pouvoir  placer  en 
quelque  époque  ou  môme  en  plein  réve(/e  rêve  étant  indistinct  de 
la  vie)  le  développement  du  symbole.  Nous  voulons  substituer  à 
la  lutte  des  individualités  la  lutte  dés  sensations  et  des  idées  et 
pour  milieu  d'action,  au  lieu  du  ressassé  décor  de  carrefours  et 
de  rues,  totalité  ou  partie  d'un  cerveau.  \.e  but  essentiel  de  notre 
art  est  d'objectiver  le  subjectif  (l'extériorisation  de  l'Idée)  au  lieu 
de  subjectiver  l'objectif  (la  nature  vue  k  travers  un  tempéra- 
ment). » 

Celte  déclaration  est  très  importante  pour  qui  cherche  à  déga- 
ger les  dominantes  de  la  nouvelle  école.  «  La  nature  vue  à  travers 
MM  tempérament,  »  c'est  la  formule  célèbre  du  naturalisme.  «  Le 
tempérament  vu  à  travers  la  nature  et  même  sans  la  nature  » 
semble  devoir  être  celle  des  novateurs.  Les  pôles  sont  renversés. 
La  réalité,  le  cerveau,  voilà  les  deux  agents  de  tout  art.  lequel 
doit  dominer?  Le  naturalisme  répond  :  le  cerveau  ne  doit  servir 
qu'à  rendre  les  réalités  de  la  nature.  Le  symbolisme  répond  : 
la  nature  ne  doit  servir  que  d'auxiliaire  pour  rendre  les  rêves 
du  cerveau. 

En  ce  sens,  M.  Jean  Moréas  disait  dans  son  Manifeste,  parlant 
des  êtres  réels  s'agitanl  autour  du  symboliste  :  «  Ce  ne  lui  sont 
que  prétextes  à  sensations  et  à  conjectures.  »  Et  ailleurs  :  «  L'art 
ne  saurait  chercher  dans  l'objectif  qu'un  simple  point  de  départ 
intimement  succinct.  »  Il  s'agit  donc  d'exprimer  les  visions  céré- 
brales déformant  la  réalité  extérieure.  Aussi  l'auteur  conclut-il 
ainsi  :  «  En  cette  déformation  gît  le  seul  réel.  » 

Comme  élément  corroboratif,  il  y  a  lieu  de  noter  quelques 
lignes  par  lesquelles  débute  un  très  curieux  et  très  artistique 
morceau  de  Stéphane  Mallarmé  :  «  Le  Spectacle  interrompu^  » 
paru  dans  le  Scapin  du  i*'  septembre.  Lui  aussi  veut  que  l'on 
examine  les  événements  sous  le  jour  propre  du  rêve,  et  il  conti- 


nue :  «  Artifice  que  la  réalité,  bon  à  fixer  l'intellect  moyen  entre 
les  mirages  d'^un  fait;  mais  elle  repose  par  cela  même  sur  l'uni- 
verselle entente;  voyons  s'il  n'est  pas,  dans  l'idéal,  un  aspect 
nécessaire,  normal,  simple  et  tout  aussi  capable  de  servir  de 
type.  »  . 

C'est  du  reste  à  Stéphane  Mallarmé  que  M.  Jean  Moréas  rat- 
tache plus  spécialement  cette  caractéristique  :  «  11  a  loti  le  mou- 
vement actuel  du  sens  du  mystère  et  de  l'ineffable».  Et  il  ajoute  : 
«  L'accusation  d'obscurité  lancée  contre  une  telle  eslhéli(|ue  par 
des  lecteurs  à  bâtons  rompus  n'a  rien  qui  puisse  surprendre. 
Mais  qu'y  faire?  Les  Pyihiques  de  Pindare,  YHamlet  de 
Shakespeare,  la  Vita  Nuova  de  Dante,  le  Second  Faust  de 
Gœthe,  la  Tentation  de  Saint- Antoine  de  Flaubert  ne  furent-ils 
pas  aussi  taxés  d'ambiguïté?  ». 

Recueillons  ces  déclarations,  elles  nous  wrviront  ultérie*u»e- 
ment.  Elles  expliquent  un  vocable  nouveau  qui  se  fait  jour  pour 
désigner  les  adeptes  de  cet  art  spécial  :  les  Occultistes. 

Nous  avons,  dans  notre  numéro  du  19  septembre,  reproduit 
un  passage  dans  lequel  Vir  du  Scapin  jetait  par  dessus  bord  ce 
qu'il  nommait  la  queue  du  mouvement,  composée  des  imitateurs 
maladroits,  inconscients  de  l'esthétique  voilée  de  l'école.  C'est  h 
noter  spécialement  en  raison  du  nombre  considérable  d'œuvrés 
insensées  qu'on  met  au  compte  de  celle-ci  et  qu'elle  répudie. 
M.  Gustave  Kahn  fait  de  même  :  «  D'aucuns  sans  aucune  attache 
avec  nous,  sans  quoi  que  que  ce  soit,  au  plus  large  compréhensif, 

qui  ressemble  à  nos  tentatives ,  tapent  du  gong,  tentant  une 

subreptice  faufilade  ». 

M.  Gustave  Kahn  repousse  aussi  la  qualification  de  Décadents; 
parlant  des  écrivains  disqualifiés  par  ce  sobriquet,  il  dit  :  «  Bien 
que  toute  étiquette  soit  vaine,  nous  nous  devons,  pour  l'infor- 
mation exacte  des  attentifs,  de  rappeler  que  décadent  se  pro- 
nonce symboliste  ».  Léon  Vanier,  leur  éditeur  attitré,  nous 
écrivait  récemment  :  «  Le  Symbolisme  est  le  qualificatif  définiti- 
vement adopté  par  nos  artistes  écrivains,  il  convient  mieux  et  est 
plus  vrai  incontestablement  que  ce  ridicule  vocable  :  DÉCA- 
DENT ».  Le  terme  sera  désormais  pris  comme  une  injure  au 
même  titre  que  Putrescént.  Mais  que  diront  les  rédacteurs  du 
Décadent,  revue  existante  dans  laquelle  écrit  M.  Barbey  d'Aure- 
villy, et  les  rédacteurs  de  ia  Décadence,  revue  prochaine  dont  le 
directeur  annoncé  est  M.  E.  G.  Raymond  et  le  secrétaire  de  la 
rédaction  M.  René  Ghil? 

Et  maintenant  que  nous  avons  préparé  la  matière  par  ce  Limi- 
naire, cet  Avant-Dire,  comme  écrivent  quelques-uns  de  ces 
messieurs  (de  la  queue  ou  de  la  tête,  ne  savons,  le  classement 
étant  parfois  difficile),  nous  essaierons  dans  un  prochain  article, 
sous  le  titre  les  Visionnaires,  que  nous  proposons  comme  le 
plus  exact,  de  préciser  définitivement  cette  nouvelle  et  très 
intéressante  esthétique  et  de  marquer  sa  place  dans  l'histoire 
littéraire. 


PÂTHOLOGIK  LITTËIIURE 

Encore  un  échantillon.  Le  dernier  sans  doute.  11  est  d'Arthur 
Raimbaud.  De  la  part  d'un  tel  écrivain,  était-ce  folie  ou  fumis- 
terie? Plutôt  fumisterie,  croyons-nous.  De  notre  temps,  il  faut 
être  constamment  on  garde  contre  le  désir  des  artistes  de  se 
moquer  à  leurs  heures  de  ce  public  odieux  qui  ne  croit  le  plus 
souvent  qu'aux  médiocrités  cl  aux  imbéciles. 


] 


il 


C'est  exlrail  des  Illuminaliom .  Ne  pas  irop  se  souvenir  du 
fameux  écril  de  Patachon  dans  les  Deux  Aveugles. 

APRES  LE  DÉLUGE 

Aussitôt  que  l'idée  du  Déluge  se  fut  rassise, 

Un  lièvre  s'arrêta  dans  les.  sainfoins  et  les  clochettes  mouvantes, 
et  dit  sa  prière  à  l'arc-en-ciel,  à  travers  la  toile  de  l'araignée. 

Oh!  les  pierres  précieuses  qui  se  cachaient,  —  les  fleurs  qui 
regardaient  déjà. 

Dans  la  grande  rue  sale,  les  étals  se  dressèrent,  et  l'on  tira  les 
barques  vers  la  mer  étagée  là-haut  comme  sur  les  gravures. 

Le  sang  coula,  chez  Barbe-Bleue,  —  aux  abattoirs,  dans  les 
cirques,  où  le  sceau  de  Dieu  blêmit  les  fenêtres.  Le  sang  et  le  lait 
coulèrent. 

Les  castors  bâtirent.  Les  •♦  mazagrans  »  fumèrent  dans  les  esta- 
Dans  la  grande  maison  de  vitres  encore  ruisselante,  les  enfants 
en  deuil  çegardèrent  les  merveilleuses  images. 

Une  porte  claqua,  et,  sur  la  place  du  hameau,  l'enfant  tourna  ses 
bras,  compris  des  girouettes  et  des  coqs  des  clochers  da  partout, 
sous  l'éclatante  giboulée. 

Madame  ***  établit  un  piano  dans  les  Alpes.  La  messe  et  les  pre- 
mières communions  se  célébrèrent  aux  cent  mille  autels  de  la 
cathédrale. 

Les  caravanes  partirent.  Et  le  Splendide-Hôtel  fut  bâti  dans  le 
chaos  de  glaces  et  de  nuit  du  pôle. 

Depuis  lors,  la  Lune  entendit  les  chacals  piaulant  par  les  déserts 
de  thym,  —  et  les  églogues  en  sabots  grognant  dans  le  verger.  Puis, 
dans  la  futaie  violette,  bourgeonnante,  Eucharis  me  dit  que  c'était 
le  printemps. 

Sourds,  étang,  —  Ecume,  roule  sur  le  pont  et  passe  par  dessus 
les  bois;  —  draps  noirs  et  orgues,  —  éclairs  et  tonnerre,  —  montez 
et  roulez;  —  Eaux  et  tristesses,  mpntez  et  relevez  les  déluges. 

Car  depuis  qu'ils  se  sont  dissipés,  —  oh,  les  pierres  précieuses 
s'enfouissant,  et  les  fleurs  ouvertes  !  —  c'est  un  ennui  !  et  la  Reine, 
la  Sorcière  qui  allume  sa  braise  dans  le  pot  de  terre,  ne  voudra 
jamais  nous  raconter  ce  qu'elle  sait,  et  que  nous  ignorons  !  ..  , 


l^ 


CHATEAU     DE3    MENDIANT? 


C'est  l'un  des  plus  beaux  de  la  Belgique,  et  ccrles  le  moins 
connu. 

Digne  d'abriter  un  souverain,  bâii  d;ins  un  site  admirable,  il. 
dresse,  au  milieu  de  ses  fossés  pleins  d'eau,  comme  au  temps  où 
l'on  n'y  pénétrait  que  lorsqu'il  plaisait  à  son  seigneur  de  faire 
abaisser  la  herse,  l'orgueil  de  ses  tours  massives,  de  ses  toitures 
percées  de  fenêtres  k  meneaux  de  pierre  blanche,  de  ses  chemi- 
nées monumentales  qui  rappellent  par  leur  forme  et  leurs  dimen- 
sions celles  des  châteaux  de  la  Loire. 

Et  ce  merveilleux  édifice  est  habité  par  une  armée  de  misé- 
rables, amenés  dans  la  cour  d'honneur  où  fleurissent  encore  les 
écussons  évocaiifs  des  gloires  du  passé  par  la  misère,  l'aftreuse 
misère  qui,  sous  des  éliquelles  variées  :  débauche,  vice,  alcoo- 
lisme, étend  de  plus  en  plus  sa  lèpre  sur  le  pays. 

On  peut  voir  les  tristes  hôtes  du  château,  dans  leur  uniforme 
de  toile  grise,  parcourir  les  profonds  vestibules,  gravir  les  degrés 
de  l'escalier  soigneusement  ciré,  promener  leur  pauvre  charpente 
cassée,  en  quête  de  soleil,  sur  le  terre-plein  où  se  rangeaient 
jadis  les  équipages  de  chasse  des  puissants  comtes  du  lieu. 

La  crypte  romane,  aux  voûtes  mystérieuses  et  sombres,  sous 
laquelle  s'enfonce  l'horreur  d'une  oubliette,  est  convertie  en 


cuisine,  où  l'on  apprête  en  des  chaudrons  de  cuivre  gigantesques 
le  pot-au-feu  de  quatre  cent  cinquante  porte-guenilles,  tandis 
que  trois  matrones,  dans  une  cave  voisine,  enfournent  tous  les 
matins  neuf  cents  livres  de  pain. 

A  l'entrée,  une  vaste  salle  sert  de  vestiaire.  On  y  empile,  par 
paquets  numérotés,  épingles  d'un  nonj  i?l  d'une  date,  les  bardes 
des  arrivants.  Parmi  les  cliapenux  défoncés,  verdis,  rûpés  jusqu'à 
la  coiife,  parmi  les  habits  usés  jusqu'au  fil,  parmi  les  chaussures 
dont  la  semelle  bâille  Inmentabiemcnt  et  les  squelettes  de  para- 
pluies dont  les  silliouellcs  grimaçantes  raviraient  d'aise  Paul 
Marlinelti,  l'inimitable  interprète  de  Bertrand  dans  V Auberge  des 
Adrels,  un  pauvre  violon,  dans  son  cercueil  de  bois  noirci, 
apporte  une  mélancolie  particulière  et  poignante.  Qui  saura  les 
aspirations  d'artiste,  les  rêves,  les  chimères,  les  espoirs,  ense- 
velis, là,  dans  ce  petit  coffret  de  sapin? 

Proches  s'ouvrent  les  rétecloircs,  avec  leurs  longues  tables 
étroites  et  leurs  bancs,  et  leur  vaisselle  rustique.  Aux  étages 
supérieurs,  dans  des  dortoirs  aérés,  les  couchettes  de  fer 
s'alignent,  accostées  l'une  à  l'autre,  invariablement  revêtues  d'une 
couverture  de  laine  brune. 

Un  règlement  administratif  a  systématiquement  organisé, 
rangé,  classé,  ordonné  toutes  choses,  et  devant  l'aspect  redou- 
table  de  ses  Articles  s'est  enfuie,  éperdue,  la  poésie  de  l'antique 
demeure. 

Destinée  étrange  et  terrible  que  celle  de  ce  monument,  dont  les  , 
murs  ont  gardé  l'écho  de  récits  chevaleresques,  de  bruits  des 
fêtes,  de  chocs  d'armes,  et  dans    lequel   viennent    s'éteindre 
aujourd'hui  les  plaintes  désespérées  de  l'humanité  déchue. 

Aux  hasards  d'une  navigation  sur  la  Meuse,  secondée  par  un 
vent  du  sud-ouest  qui  nous  entraîna  lestement  vers  les  basses- 
terres  où  la  rivière  élargie/  libre  de  tous  barrages,  roule  entre 
des  rives  d'émeraude  l'opale  de  ses  eaux,  devons-nous  la  fortune 
d'avoir  découvert  ce  précieux  spécimen  de  notre  architecture 
des  xvi^-xvii*  siècles. 

C'est  à  l'entrée  du  bourg  de  Reckheim,  non  loin  de  Maestricht, 
dans  la  province  du  Limbourg,  à  un  kilomètre  et  demi  de  la 
Meuse,  qui  délimite  en  cette  contrée  la  Belgique  et  les  Pays-Bas, 
que  s'élève  le  château,  tragique  dans  son  isolement,  et  plus 
formidable  encore  quand  apparaissent,au  moment  où  l'on  s'appro- 
che du  pied  de  ses  murailles  en  escarpe,  les  loqueteux  qui  l'occu- 
pent. 

Il  fut  bâti  par  un  comte  d'Aspremont-Lynden  et  achevé 
en  15d^7,  ainsi  qu'en  témoigne  un  écusson  encastré  dans  le  mur. 
Le  fondateur  n'en  jouit  pas  longtemps  :  six  ans  après  on  scellait 
parmi  les  pierres  pariétales  l'urne  où  l'on  enferma  son  cœur.  Une 
inscription  porte,  en  effet  :  Hic  jacet  cor  generosi  DTii  Hermanni 
de  Aspre.  Lynd.  1603. 

Mais  nous  n'entendons  pas,  dans  ce  journal  réservé  à  l'art, 
faire  de  l'archéolosie.  Notre  seule  intention  est  de  signaler  aux 
amateurs,  aux  esthètes  et  aux  artistes  ce  très  beau  morceau 
d'architecture,  et  en  même  temps  de  formuler  un  regret. 

Quand  l'Etal  en  fil  l'acquisition  pour  y  installer  un  dépôt  de 
mendicité,  quelques  modifications  à  la  distribution  intérieure  des 
appartements  furent  jugées  nécessaires.  Il  fallut  aussi  élever  des 
constructions  nouvelles  et  complé^^er  le  quadrilatère  de  bâtiments 
dont  trois  côiés  seulement  avaient  été  achevés  par  le  comte 
d'Aspremout.  La  marche  à  suivre,  en  pareil  cas,  ne  pouvait, 
semble-t-il,  donner  lieu  à  aucune  hésitation  :  dans  les  change- 
ments à  faire  à  l'intérieur,  il  fallait  respecter  scrupuleusement  ce 


i 


<iui  existait  cl  se  borner  l\  rnppropricr,  sans  dégradations,,  aux 
nécessiléi  de  la  dcslinalion  nouvelle  assignée  au  niohumcnl. 
Quant  aux  constructions  à  effectuer,  on  avait  le  moJèlQ  sous  les 
veux  :  il  suffisait  de  s'y  conformer. 

Mais  ceci  eût  été,  on  vérité,  trop  simple  et  ce  serait  mal  con- 
naître les  habitudes  de  MM.  les  bâtisseurs  cl  restaurateurs  officiels 
que  de  s'imaginer  naïvement  qu'ils  eussent  donné  cette  preuve 
de  goût.  11  faut  parcourir  le  chûteau'de  Reckheim  pour  voir  ce  que 
peut  faire  d'un  pur  joyau  architectural  rininlelligencc  cl  l'ignorance 
artistiques. 

A  côté  de  rélégance  et  de  la  sévérité  des  coiis'.ructions  anciennes 
dont  l'harmonie  charme  les  yeux,  s'élève  un  bâtiment  lourd, 
massif,  trapu,  qu'on  a  eu  la  stupéfiante  idée  de  badigeonner  en 
rouge  vif,  en  simulant  par  des  lignes  blanclies  le  joint  des 
briques,  alors  que  le  château  tout  entier  est  bâli  en  pierres.  El 
pour  compléter  cette  abomination,  on  a  revêtu  du  même  badi- 
geon tout  l'inlériour  de  la  cour^  y  compris  les  linteaux  des 
fenêtres,  l'n  horrible  pont  en  briques  coupe  en  deux  l'harmonie 
d'une  des  façades.  Et  quant  à  l'intérieur,  on  s'est  aussi  peu  sou- 
cié de  la  délicatesse  des  cheminées  Louis  XV,  éteintes  sous  une 
couche  de  plâtre,  \lu  dessin  des  plafonds,  de  l'élégance  de  la 
crypte  primitive,  sur  laquelle  fut  construite  le  château  cl  dont  on 
aurait  pu  tirer  un  merveilleux  parti,  que  si  toutes  ces  vivantes 
expressions  de  pensées  artistes  n'eussent  jamais  existé. 

Les  marmitons  et  gûte-sauces  qui,  dans  celte  même  crypte, 
convertie  en  cuisine,  ont  eu  la  lumineuse  idée  de  passer  les 
colonnes  h  la  mine  de  plomb  et  de  les  faire  luire,  par  d'énergi- 
ques frictions,  comme  leurs  fourneaux,  nous  ont  pafu  aussi 
intelligents  que  les  architectes  chargés  de  veiller  U  l'entretien  de 
l'édifice.      ;.:•■  ï  :;'"-:  ■.,:-;;■■  :/u  -:y--^'  .■■'-:r  ■'■:■•  ■:-'    ■-•,.V"  .;''::'--^^'/. 

N'y  a-l-il  pas  en  Belgique  une  réunion  d'hommes  compétents 
que  le  gouvernement  charge  de  parer  aux  bévues  des  restaura- 
teurs maladroits  et  de  réparer  celles  qu'ils  ont  commises?  Et  n'est- 
ce  pas  la  commission  des  monuments  qui  est  désignée  à  cet  effet? 
•  Elle  renferme  des  artistes  de  goût  et  de  savoir.  Que  ceux 
d'entre  eux  qui  ont  souci  de  l'honneur  artistique  du  pays  fassent 
l'excursion  de  Reckheim.  Peut-être  la  vue  du  Château  des  men- 
diants leur  inspirera-t-eile  sur  l'art  de  conserver  les  monuments 
des  réflexions  salutaires.  El  si  cette  visite  ne  leur  en  inspire  pas, 
la  pensée  qu'ils  auront  fait  un  joli  voyage  cl  dîné  dans  la  riante 
auberge  de  M"'^  V«  Hauben  nous  ôtera  tout  remords  de  les  avoir 
dérangés  inulilcment. 


UN  POETE  BELGE  JUGE  A  PARIS 

GEORGES  RODENBACH 

En  Belgique,  —combien  de  fois  l'avons-nous  fait  remarquer  !  — 
le  bruit  des  plus  beaux  cft'orts  artistiques  n'arrive  pas  à  dépasser 
un  cercle  d'intimes.  La  presse  est  dédaigneuse  de  tout  ce  qui 
n'est  point  commérage,  potins,  cancans.  Les  choses  de  l'esprit 
lui  échappent,  et  quand  paraît  une  œuvre  littéraire,  poème  ou 
roman,  à  de  très  rares  exceptions  près  on  lui  règle  son  compte 
en  trois  lignes  hâtives,  insérées  au  bout  des  faits-divers,  avec  la 
joie  de  s'en  débarrasser.  Après  quoi,  silence,  paix,  oubli.  Heu- 
reux encore  l'auteur  quand  on  ne  lui  jette  pas  à  la  tête,  comme 
des  pavés,  les  coquilles  de  ses  typos! 

En  France,  on  a  le  respect  des  écrivains.  Toute  œuvre 
publiée  est  discu'éc,  analysée,  et  il  est  rare  que,  soumise  à  ce 
crible  constamment  agité  de  l'opinion  publique,  ce  qui  est  bon 
ne  se  sépare  rapidement  de  ce  qui  est  mauvais.  Certes,  il  y  a 


des  engouements  irréfléchis,  des  réputations  trop  tôt  gonflées  cl 
qui  crèvent  comme  des  bulles  de  savon.  Mais,  il  faut  le  recon- 
naître, il  n'est  point  de  talent  qui  n'arrive,  tôt  ou  tard,  U  êlre 
apprécié.  National  ou  étranger,  tout  écrivain  a  un  public.  Nous 
en  trouvons  un  nouvel  exemple  dans  la  série  d'articles,  extraits 
d,e  journaux  français  qu'a  réunis  et  publiés  dans  son  numéro 
dernier  la  Fédération  artistique  à  propos  du  livre  récent  de 
Georges  ^odcnhàch  :  la  Jeunesse  blanche. 

Parmi  les  appréciations,  toutes  élogieuscs,  de  la  presse  fran- 
çaise, il  convient  de  citer  celles  de  Philippe  Gille,  dans  le  Figaro^ 
qui  attribue  le  succès  du  jeune  poète  ^  Paris  à  «  l'émolion  qu'il 
a  ressentie  et  traduite  en  vers  d'une  forme  respectée;  »  celle  de 
M.  Fouquier,  qui  imprime  dans  le  XIX^  Siècle  :  «  La  Jetinesse 
blanche  est  l'œuvre  d'un  poète  sur  qui  la  mélancolie  du  rêve 
s'allie  U  la  précision  de  l'analyse;  »  celle  de  M.  Maxime  Gauchcz, 
dans  la  Revue  bleue  :  «  Ils  sont  très  nets  d'accent  et  très  dégagés 
d'allure  ces  vers  nés  au  pays  ou  fleurit  non  pas  l'oranger  mais  le 
houblon  ».  Et  celte  autre  du  Chat  noir  : 

«  La  Jeunesse  blanche,  par  Georges  Rodenbach.  Voilà  cérlai- 
ncment  un  des  plus  exquis  "volumes  de  vers  qui  aient  paru  depuis 
bien  des  années. 

a  II  a  celle  originalité  absolue  d'évoquer  pour  la  première 
fois  ces  visions  sereines  cl  mystiques  des  vieux  maîtres  flamands, 
cela  dans  une  langue  et  une  forme  impeccables,  enluminées 
d'images  d'une  splendeur  et  d'une  richesse  de  missel  gothique. 

«  Toutes  les  sensations  de  la  jeunesse  d'une  poète  y  sont 
traduites  en  vers  sublils  et  raffinés,  avec  la  douceur  et  le  calme 
des  choses  lointaines  et  bleuâtres  qu'on  voit  dans  le  souvenir.  » 

Et  encore,  du  Gaulois  : 

«  La  Jeunesse  blajiche  est  un  nouveau  recueil  de  vers  lamarli- 
niens,  d'une  bonne  facture,  d'une  cadence  harmonieuse  cl,, ce 
■qui  vaut  mieux  encore,  d'une  sincère  et  douce  inspiration,  d'une 
élévation  et  d'une  pureté  de  sentiments  qui  leur  donnent  comme 
une  de  ces  bonnes  et  saines  odeurs  du  printemps,  que  l'on  res- 
pire avec  innocence  et  avec  plaisir.  » 

De  la  Pléiade  : 

c<  Un  livre  d'une  réelle  valeur  poétique...  Dès  les  premières 
pages, un  poète  vrai, un  poète  sincère  et  original  s'est  révélé...  » 

Du  Voltaire: 

ce  Son  vers  est  élégant,  son  verbe  choisi.  Sa  phrase  enveloppe 
délicieusement  l'idée.  Son  inspiration  est  volontiers  mélanco- 
lique... » 

Du  Soleil  : 

a  Poésie  calme,  mais  souvent  très  pénétrante,  parce  qiic  chacun 
s'y  retrouve  et  se  complaît  dans  la  succession  d'impressions  qui, 
vers  le  midi  cl  surtout  vers  le  soir  de  la  vie,  hantent  tous  les 
hommes  d'imagination,  éternellement  élreints  par  les  griflbs  du 
souvenir.  »  "  ■ 

De  la  Revue  de  demain  :  • 

«  Toute  d'intimité  et  d'émotion  hieufaismic,  la  Jeunesse  blanche 
est  le  ressouvenir  de  l'autan  juvénile.  C'est  la  genèse  de  tout  ce 
qu'on  perçoit  dans  le  passé,  la  notation  en  celte  brume  qui  l'en- 
toure sans  la  dénaturer  et  la  rend  plus  attrayante,  plus  aimée  de 
la  vie  des  choses  éteintes.  » 

Ces  courts  extraits  donnent  une  idée  de  rcnscmble  des  appré- 
cialipns  consacrées  à  notre  compatriote.  Combien  ratieniion 
sympathique  qu'éveillent  ses  œuvres  chez  nos  voisins  doit  le 
dédommager  de  l'indifférence  avec  laquelle  notre  public  accueille 
les  poètes  ! 


Jheatre   ^OJ-îÈRE 


Débuts  fort  convenables  de  la  direction  Alhaiza,  au  théâtre 
Molière.  On  donne  le  Père  Prodigue^  pièce  à  thèse  et  contre- 
thèse  de  Dumas  fils,  où  les  ingénues  ont  une  expérience  de  vingt 
ans  plus  vieille  que  leur  âge  et  parlent  de  l'amour  comnie 
M.  Joubert  ou  M.  Cousin.  Sont-elles  doctes,  sensées,  graves. 
Diable,  quelles  Maintenons  en  costume  clair  et  cheveux  blonds! 


Mais  il  n'csi  pas  de  saison  do  juger  ici,  à  l'occasion  d'une 
ouvoriurc  de  scène  bruxelloise,  le  talent  dramatique  du  premier 
dramaturge  français  de  par  le  sacre  de  M.  Albert  Wolfif.  Disons 
tout  de  suite  que  la  troupe  qui  interprète  le  Père  Prodigue 
semble  la  meilleure  que  le  théûire  ixellois  ait  possédée  depuis 
longtemps.  M.  Alhaiza  est  bon  comédien  de  bonne  distinction, 
de  nette  diction  cl  de  parfaite  tenue.  S'il  faiblit  là  où  il  faut  de 
l'émotion,  par  contre  il  est  d'excellent  ton  et  de  parfaites  manières 
là  où  il  s'agit  de  narrer,  de  soutenir  une  conversation  spirituelle, 
de  décocher  un  mol  qui  porte,  de  trancher  d'un  geste  une  situa- 
lion.  M'"*' Clarence  est  légèrement  apprêtée  toujours,  mais  clic 
comprend  bien  son  rôle,  elle  a  des  planches.  Son  défaut?  La 
voix  mélodramatique  invariablement. 

D'autres  bonnes  recrues  encore. 

La  soirée  de  samedi  a  été  marquée  de  bien  des  battements  de 
mains,  surtout  h  l'adresse  du  directeur  et  l'on  sort  du  théâtre 
avec  la  conviction  que  certes  les  comédiens  d'ici  valent  ceux  de 
là  bas,  c'est  à  dire  ceux  du  Parc. 


EXPOSITION  DE  PEINTURE  A  TOURNAI 

(CoiTespondance  particulière  de  r^W  moderne). 

Vous  me  demandez  un  compte-rendu  de  la  récente  exposition 
du  Cercle  artistique  de  Tournai;  ma  qualité  de  membre  du 
Cercle  et  d'exposant  m'enlève  tout  droit  à  la  critique,  mais  l'in- 
térêt que  je  porte  à  celte  œuvre  naissante  me  fait  un  devoir  d'en 
constater  les  progrès.  Je  pourrais  dire  le  succès. 

Outre  les  artistes  qui  tiennent  de  près  ou  de  loin  à  Tournai  et 
qui  avaient  répondu  sans  hésitation  à  l'appel  de  la  Commission 
(dont  il  serait  superflu  de  rappeler  ici  le  zèle  et  l'abnégation), 
l'Exposition  compte  encore  bon  nombre  d'artistes  étrangers. 

Bel  exemple  qui  sera  suivi,  je  le  sais,  car  à  côté  de  ceux  qui 
mesurent  leur  appui  à  l'intérêt  qu'ils  en  peuvent  retirer,  il  y  aura 
toujours  les  vrais  défenseurs  de  l'art,  ceux  qui  l'aiment  sincère- 
ment et  savent  s'oublier...  y    ^      - 

Si  tous  ont  travaillé  au  développement  du  sentiment  artistique, 
le  public  s'est  montre  digne  de  ces  généreux  efforts  : 

Du  42  au  2o  septembre,  il  y  a  eu  d,800  entrées  à  50  centimes, 
soit  225  de  plus  qu'en  1885,  enfin,  les  deux  derniers  jours, 
4,804  entrées  à  10  centimes,  soit  460  entrées  de  plus  que  l'an 
dernier. 

Le  chiffre  des  œuvres  vendues  s'est  élevé  (y  compris  celles 
achetées  pour  la  tombola)  à  25. 

Les  5,000  billets  à  25  centimes  seront  placés  pour  le  15  oc- 
tobre, époque  du  tirage  de  la  tombola. 

Voilà  un  résultat  inespéré,  à  quelque  point  de  vue  qu'on  se 
place  ;  aussi  que  de  projets  pour  1887  !  Mais  c'est  à  la  ville  à  en 
permettre  l'exécution  et  qui  pourrait  supposer  que  devant  une 
œuvre  qui  réunit  les  suffrages  de  tous,  elle  ne  lèverait  point  tous 
les  obstacles,  en  admettant  qu'il  y  en  eût  ? 

Veuillez  agréer.  Monsieur,  mes  remerciements  et  l'assurance 
de  mes  sentiments  distingués. 

G.  DE  V. 


pETITE    CHROf^IQUZ 


M.  Léon  Vanier,  20,  quai  Saint-Michel,  Paris,  éditeur  de  l'dcole 
svmbolisle,  écrit  à  l'un  de  nous  : 

«  Je  vais  réimprimer  les  Fêtes  Galantes  de  Verlaine  et  vais 
mettre  en  vente,  avec  le  petit  bijou  littéraire  ci-dessus,  Louise 
Leclercq  du  même  auteur  (rare)  et  les  Mémoires  d'un  veuf;  chaque 
volume,  fr.  3-50.  Il  y  aura  un  tirage  à  part  pour  ces  deux 
derniers  au  prix  de  7  francs;  le  tirage  est  de  20  exemplaires 
numérotés.  » 

Avis  aux  bibliophiles. 


K/1 


Au  lourde  l'Evénement  de  donner  les  verges  à  M.  Coquelin. 
Décidément  la  leçon  devient  dure,  bien  que  très  méritée*: 

«  La  perte  de  M.  Coquelin  ne  serait  point  aussi  déplorable 
pour  la  Comédie  que  ses  amis  veulent  nous  le  faire  croire.  Pour 
ceux  qui  suivent  l'illustre  comique,  il  a  perdu  le  sang-froid  et  la 
dose  de  modestie  nécessaires  à  tout  artiste.  Il  n'est  déjà  plus  à 
sa  hauteur.  Son  Brichanteau  du. Parisien  était  fort  terne.  Son 
Chamillac  fut  tout  à  fait  indigne  de  lui.  Je  l'ai  vu  jouer  un  soir 
de  cet  été  les  Précieuses  avec  un  sans- façon  et  une  grossièreté 
d'elTets  qui  n'étaient  pas  drôles  du  tout.  La  critique  a  étudié  sans 
effroi  les  conséquences  de  son  départ  et  reconnu  qu'on  le  rempla- 
cerait facilement  par  des  acteurs  qui  ne  le  laisseraient  pas  regreller 
une  minute.... 

«  Ce  comédien  a  élé  le  tapageur  par  excellence.  Il  a  recherché 
c  bruit,  les  polémiques.  Il  n'a  pas  voulu  se  contenter  de  la  voie 
honorable,  paisible  et  digne  qu'il  n'avait  qu'à  suivre.  Il  veut 
enfoncer  les  règlements,  violenter  les  pouvoirs  publics,  ou  s'en 
aller,  quitter  ce  public  qui  lui  fut  trop  fluttcur,  ce  théâtre  où  l'on 
ferma  trop  facilemenl  les  yeux  sur  ses  escapades.  Il  veut  emplir 
le  monde  de  son  bruit  et  de  son  caquet.  Libre  à  lui  !  Hier  encore, 
il  était  un  de  nos  premiers  comédiens,  il  appartenait  à  la  critique. 
Aujourd'hui,  s'il  ne  revient  pas  sur  ses  excessives  prétentions,  il 
appartiendra  à  Barnum.  On  le  véhiculera  à  travers  les- steppes 
glacés  et  les  pampas  torrides,  entouré  d'une  nuée  d'hommes- 
sandwiehs  et  d'une  armée  de  voitures-réclames.  On  l'exhibera 
comme  un  phénomène  à  des  peuples  inconnus  qui  ne  compren- 
dront rien  à  Mascarille  ni  à  Chamillac.  El  le's  peuples  se  deman-. 
deront  dans  leur  hébétement  :  «  Qu'est-ce  que  c'est  donc  que  ce 
Coquelin  qUi  coûte  si  cher  à  regarder?  » 

Le  Scapin  n'y  va  pas  de  main  morte  non  plus  :  «  Voici 
.  venir  M.  Coquelin,  l'aîné  des  trois,  qui  veut  faire  cracher  à  la 
Comédie-Française  des  pensions,  des  rentes  et- mille  sommes. 
Cet  écrivain  des  planches  publie  dans  le  Temps  d'extraordinaires 
manifestes,  qui  pourraient  être  signés  Gambetta  ou  Paul  Delair. 
Ce  décoré  commence  à  nous  ennuver  ferme  et  tous  nos  vœux 
se  portent  sur  le  paquebot  qui  doit  se  transvaser  en  Amérique. 

Très  agréabiement,  à  propps  de  la  rentrée  de  M™^  Judic, 
Charles  Martel  se  moque,  dans  la  Justice,  de  l'engouement  des 
Parisiens  pour  les  divinités  de  l'art  de  second  ordre  : 

«  Jamais  nous  n'aurions  cru  contenir  autant  de  douces  larmes! 

.La  belle  cérémonie  et  la  louchante  soirée  ;  quelle  émotion,  quelle 

effusion  !  Allons,  nous  ne  sommes  pas  encore  aussi  perdus  de 

cœur  qu'on  veut  bien  le  dire;  nous  nous  enthousiasmons  toujours 

pour  le  jeune,  le  vrai,  le  grand,  le  beau  ! 

«  Qu'on  élève  l'obélisque,  qu'on  metttî  ou  qu'on  ôlc  un  groupe 
sur  l'Arc-de-Triomphe,  qu'on  revernisse  les  galeries  de  Versailles, 
qu'on  donne  Chantilly  à  llnstitut  sous  réserve  d'usufruit,  que 
M""^  Judic  revienne  d'Amérique  et  rentre  aux  Variétés,  nous  bal- 
lons des  mains  les  yeux  humides  de  larmes.  Jamais  depuis  les 
plus  solennels  hommages  à  Déranger,  jamais  depuis  le  centenaire 
de  Chevreul,  je  n'ai  vu  de  fête  comparable  à  celle  d'hier.  Tous 
nos  cœurs  ont  battu  dans  la  poitrine  de  la  diva,  qui  s'en  est 
trouvée  fort  augmentée.  Et  des  bravos,  et  des  bis  et  des  ter  ! 
Nous  avons  redemandé  quatre  fois  la  chanson  de  la  bouillabaisse! 
mais  maintenant  cela  fait  partie  du  patrimoine  national  et  mal 
venu  serait  qui  s'en  étonnerait. 

«  Malgré  ses  voyages,  la  chère  grande  artiste  n'a  pas  pris  une 
ride,  n'a  rien  perdu  de  son  talenl  ni  de  son  gracieux  embonpoint, 
au  contraire.  iSous  avons  toujours  notre  p'iiie  Judic!  Paris  est  au 
complet. 

«  M™^  Judic  a  chanté  délicieusement  la  légère  et  spirituelle 
musique  d'Hervé,  elle  est  restée  la  vraie  fine  diseuse,  et  j'espère 
que  si  elle  songeait  un  jour  éloigné  à  prendre  sa  retraite,  une 
souscription  nationale  se  ferait  pour  la  maintenir  au  théâtre  dans 
l'intérêt  de  la  chanson  française,  en  même  temps  qu'une  souscrip- 
tion pourrait  s'organiser  pour  empêcher  Lohengrin,  » 


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EXPOSITIONS  ANiSTERDAM  1883,  ANVERS  1885  DIPLOME  D'HONNEUR. 


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CONCERNANT 

LA  PEINTURE,  LA  SCULPTURE,  LA  GRAVURE 

L'ARCHITECTURE    &   LE    DESSIN 


Maison  F.  MOMM 


BREVETÉE 

25,  RUE  DE  LA  CHARITÉ  &  26,  RUE  DES  FRIPIERS,  BRUXELLES 


TOILES  PANORAMIQUES 


ÉDITEUR  D^  MUSIQUE 

RUE  SAINT-JEAN,  10,  BRUXELLES 

Nouveautés  musicales. 

KOETTLITZ,  M.  Op.  24.  S  Feuillets  d'album,  pour  piano,  fr.  2-00. 

SAMUEL,  Ed.  Op.  14.  Tarentelle-Scherzo.  Fragment  sypipho- 
niqûe,  à  4  mains,  fr.  2-50.  '■:% 

DE  SWERT,  J.  Op.  44.  Impromptu,  pour  violoncelle  ^vec 
accompagnement  de  piano,  fr.  2  00.  —  Op.  45.  Le  Désir,  morceau 
dé  saton,  pour  violon  avec  accompagnement  de  piano,  fr.  1-75.  — 
Op.  46.  Rêverie,  pour  violon  avec  accompagnement  de  piano,  fr.  1^75. 

HERRMANN,  Th.  Op.  28.  Marion- Gavotte,  pour  violon  anîec 
accompagnement  de  piano,  fr.  1-35. 


BREITKOPF  &  HARTEL 

ÉDITEURS  DE  MUSIQUE 

BRUXELLES,  41,  MONTAGNE  DE  LA  COUR 


EXTRAIT  DES  NOUVEAUTÉS 

Octobre  1886. 

Bach,  J.  S.,  Concerto  poiir  2  pianos.  Piano  I  et  II,  à  fr.  9-50. 

Dupont,  Auo.  et  Sandre,  Gust.  Ecole  de  piano  du  Conservatoire 
royal  de  Bruxelles.  Livr.  XXX.  Cah.  I.  Huramel,  F.  N.  Sonate  en 
mi.  b.  majeur,  5  fr.  —  Cah.  IL  Sonate  en  ré  maj.,  5fip. 

Ramann,  L.,  Méthode  élémentaire  de  piano,  pour  les  enfants  de 
7  à  10  ans.  Nouv.  édition,  cah.  I  et  II,  à  fr.  2-50. 

Recueil  classique  de  morceaux  de  chant.  Cah.  I.  2  solis  et  8  duos 
deMendelssohn,  fr.  1-50. 


Bruxelles.  —  Imp.  Félix  CaUewaert  père.  —  V»  Monnom  successeur,  rue  de  l'Industrie,  26. 


Sixième  année.  —  N°  42. 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  17  Octobre  1886. 


L'ART 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


RBVÏÏB  CRraQDB  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :   Belgique,  un  an,  fr.  10.00  ;  Union  postale,  fr.   13.00.   —  ANNONCES  :    On  traite  à  forfait. 


Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 
l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  Plndustrie,  26,  Bruxelles. 


? 


OMMAIRE 


liES  Visionnaires.  —  James  Vandrunen.  Elles.  —  Le  théâtre 
A  Bruxelles.  —  Le  travail  de  l'artiste.  —  Un  événement 
MUSICAL.  —  Bibliographie  musicale.  —  Correspondance.  — 
Petite  chronique. 


LES  VISIONNAIRES 

Il  s'agit  encore  des  Symbolistes,  alias  décadents, 
occultistes,  incohérents,  déliquescents,  putrescents, 
évanescents.  Il  s'agit  de  dégager  dans  cette  cohue  qui 
fait  songer  au  défilé  des  Masques  de  la  Mort- Rouge 
d'Egard  Poë,  les  éléments  sains  et  féconds  et  de  leur 
donner,  si  possible,  un  nom  qui  corresponde  exacte- 
ment à  leur  nature. 

Tâche  difficile,  laborieuse,  mais  opportune  assuré- 
ment au  milieu  du  chaos  qu'ont  produit  et  les  œuvres  et 
les  critiques  qu'on  en  a  faites  ;  utile  aussi,  sans  doute, 
pour  éviter  des  condamnations  et  des  mépris  trop 
absolus. 

.  Qu'on  nous  excuse  d'y  insister.  Quoi  qu'on  dise,  nous 
ne  saurions  assez  répéter  que  le  mouvement  est  inté- 
ressant et  qu'il  marquera  dans  l'évolution  littéraire 
contemporaine.  Quand  la  distillation  sera  complète, 
quand  le  temps,  la  critique  et  le  bon  sens  auront  fait 
évaporer  les  éléments  impurs,  il  restera,  nous  en  avons 
la  conviction  profonde,  quelques  solides  et  salutaires 
vérités,  quelques  principes  nouveaux  au  moins  au 
regard  de  l'art  qui  présentement  domine,  et  surtout 


une  indépendance  et  une  audace  qui  commençaient  à 
manquer. 

Si  cela  est,  M.  Jean  Moréas  avait  raison  d'écrire  : 
Nous  ne  voulons  pas  du  mot  décadence,  que  quelques- 
uns  transforment  en  décadisme.  Il  est  un  mensonge  et 
une  injure.  La  décadence  c'est  la  vieillesse  d'un  art 
usé.  Nous  prétendons  inaugurer  la  jeunesse  d'un  art 
nouveau.  Nous  ne  finissons  pas  une  évolution  littéraire, 
nous  en  commençons  une. 

Ne  revenons  pas  sur  la  question  de  forme,  soit  en 
vers,  soit  en  prose.  Nous  nous  en  sommes  sufiisamment 
expliqués  l'an  dernier  et  l'an  courant.  A  cet  égard,  les 
prétentions    de   l'école    eussent    été    dès    longtemps 
admises,  sans  grand  bruit,  si  elles  n'avaient  pas  accom- 
pagné les  étrangetés  du  fond  dont  nous  parlerons  tout  à 
l'heure.  Autoriser  l'hiatus,  accueillir  l'enjambement, 
dédaigner  la  richesse  des  rimes  et  l'alternance  des  mas- 
culines et  des  féminines,  introduire  dans  la  prosodie 
^des  vers  de  neuf,  onze  et  treize  pieds,  rafraîchir  les 
rythmes  anciens  et  en  imaginer  de  nouveaux,  recom- 
mander les  néologismes,  les  vocables  impollués,  comme 
dit  Gustave  Kahn,  surtout  quand  ils  sont  moins  des 
mots  trouvés  que  des  mots  retrouvés  dans  les  vieux 
auteurs,  chercher  l'harmonie  imitative  des  termes,  des 
syllabes  et  même  des  lettres,  proclamer  en  définitive 
la  liberté  littéraire,  mettre  l'originalité  au  dessus  de 
tout,  se  dégager  des  routines  académiques,  crier  ana- 
thèine  aux  pasticheurs,  —  qui  donc  de  sensé  y  trouve 
à  redire  quand  toutes  ces  réponses  se  maintiennent 
dans  la  juste  mesure  du  goût  et  que  la  révolution  se 


330 


n ART  MODERNE 


résume  en  cette  maxime  :  «  Faites  ce  qu'il  vous  plaît, 
pourvu  que  ce  soit  d'un  artiste?  '» 

Un  pareil  acquis  est  déjà  considérable  et  les  nova- 
teurs qui  sont  dès  à  présent  parvenus  à  familiariser  le 
public  avec  ces  principes,  ont  incontestablement  rendu 
service  non  seulement  à  la  littérature,  mais  à  l'art  sous 
toutes  ses  formes,  en  accoutumant  l'opinion  à  une  belle 
indépendance  d'allures.  Ainsi  que  Ta  dit  M.Moréas,  ils 
ne  font  en  somme  que  développer,  en  une  nouvelle 
étape,  l'affranchissement  commencé  par  Victor  Hugo 
en  1827,  quand  parut  la  préface  de  Cromt^^^^,  affran- 
chissement que  l'illustre  poète  avait  arrêté  à  mi-route. 
Le  bojileversement,  si  l'on  entend  par  là  la  déroute 
mise  dans  le&  formules  vieillies,  est  même  aujourd'hui 
moins  radical  et  les  clameurs  moins  enragées.  Quelle 
réforme  pourtant  s'est  finalement  mieux  assise  que  celle 
dont  l'auteur  à'Bernani  a  été  le  promoteur?  Nous 
n'hésitons  pas  à  déclarer  qu'à  notre  avis  celle  qu'on  doit 
à  MM.  Mallarmé  et  Verlaine  sur  les  points  que  nous 
énumérions  tantôt  est  aussi  certaine  dans  son  avenir  et 
son  triomphe.  Elle  n'a  vraiment  d'autre  obstacle  que 
cette  queue  exécutée  par  M.  Kahn  et  par  M.  Moréas, 
qu'elle  s'efforce  de  couper,  qui,  par  les  grotesques  et 
maladives  exagérations  dont  nous  avons  donné  des  spé- 
cimens, met  les  lettrés  en  défiance  et  fournit  aux  adver- 
saires un  moyen  facile  de  confondre  toiis  les  réforma- 
teurs, même  ceux  qui  sont  le  plus.véritablement  artistes, 
avec  quelques  pitres  et  quelques  insensés.  ^^^^^^^^  •  - 
Parlons  maintenant  du  fond.  C'est  ici  surtout  que  les 

•  équivoques  et  les  malentendus  foisonnent,  et  il  faut 
avouer  que  ni  la  plupart  des  œuvres,  ni  les  déclarations 

~  explicatives  n'ont  fait  jusqu'ici  une  lumière  suffisante. 
Xa  nouvelle  esthétique  semble  une  énigme  et  le  terme 
symboliste,  récemment  consacré,, y  ajoute  peut-être 
une  obscurité  nouvelle.  A  le  prendre,  en  effet,  à  la 
lettre,  il  signifie,  particulièrement  dans  les  arts,  une 

.  production  qui  résume,  en  la  caractérisant  en  ses  attri- 
buts essentiels,  une  idée,  un  personnage,  une  passion, 
un  événement,  une  époque.  Or,  compris  ainsi,  le  mot 
donnerait  le  change  sur  les  volitions  de  l'école.  Pour 
le  faire  mieux  comprendre,  revenons  sur  les  explica- 
tions de  ses  adeptes  que  nous  groupions  dans  notre  der- 
nier numéro. 

M.  Moréas  dit  entre  autres  :  Las  du  quotidien,  du 
coudoyé,  nous  voulons  nous  placer  en  plein  rêve...  — 
Parlant  des  réalités,  il  ajoute  :  Ce  ne  sont  pour  nous 
que  prétextes  à  sensations;  l'art  ne  saurait  chercher 
dans  le  monde  extérieur  qu'un  simple  point  de  départ 

,  très  succinct.  —  De  son  côté  M.  Mallarmé  écrit  :  Il  y 
a  dans  l'idéal  un  aspect  capable  de  servir  de  type.  — 
Et  tous  deux  résument  leur  théorie  en  cette  formule 

.  très  abstraite,  mais  qui,  nous  Tespérons,  commence 
maintenant  à  laisser  transparaître  ce  qu'elle  veut  expri- 
mer :  Notre  art  est  d'objectiver  le  subjectif  (les  con- 


ceptions propres  du  cerveau)  au  lieu  .de  subjectiver 
l'objectif  (le  réel  au  sens  ordinaire  du  mot). 

Comme  conséquence,  ils  se  posent  en  adversaires  de 
l'art  réaliste  Ou  naturaliste  qui  a  pour  consigne  la 
maxime  célèbre  :  Le  nature  vue  à  travers  un  tempéra- 
ment, —  ou  plus  exactement  :  vue  à  travers  un  cer- 
veau.—  Peureux,  le  mot  d'ordre  c'est  :  Le  cerveau  vu 
à  travers  la  nature,  et  même  sans  la  nature. 

C'est  déjà  fort  précis  et  les  deux  systèmes  se  posent 
en  une  antithèse  qui  mutuellement  les  éclaire.  Quel- 
ques considérations  d'histoire  littéraire  suffiront,  sans 
doute,  à  faire  évaporer  les  dernières  incertitudes. 
Remontons,  dans  ce  but,  aux  origines  du  réalisme  en 
ce  siècle. 

On  sait  qu'après  les  essais  de  quelques  précurseurs 
demeurés  obscurs,  c'est  Madame  Bovary,  de  Flau- 
bert, qui  a  brusquement  concentré  et  définitivement 
établi,  en  un  exemple  inoubliable,  l'évangile  de  ce  qu'on 
nommait  alors  le  réalisme.  La  doctrine  se  résumait  en 
quelques  principes,  très  hardis  pour  l'époque  et  très 
nets  :  L'écrivain  ne  devait  rien  inventer.  Il  devait 
s'oublier  au  point  de  rendre  son  œuvré  absolument 
impersonnelle.  Il  fallait  regarder  le  dehors,  s'efforcer 
de  le  saisir  dans  sa  réalité  absolue  et  le  dépeindre  tel 
qu'il  était.  La  part  de  l'artiste  dans  cette  œuvre 
descriptive,  loyale  et  impitoyable,  consistait  unique- 
ment dans  le  choix  des  éléments  les  plus  caractéristi- 
ques et  des  mots  les  plus  expressifs. 

L'époque  où  cette  réforme  célèbre  se  produisit  (1857), 
l'explique  suffisamment.  D'une  part,  le  roman  «  roman- 
tique «  était  absolument  usé  par  une  production  prodi- 
gieuse ;  le  public  lettré  en  était  écœuré.  D'autre  part, 
les  sciences  avaient  définitivement  adopté  la  méthode 
d'observation  et  elle  avait  donné  des  résultats  merveil- 
leux. On  n'osait  pas,  en  littérature,  tant  on  était 
englué  dans  le  faux  idéal,  décrire  le  monde  extérieur 
dans  la  triste  variété  de  ses  misères.  Il  fallut  un 
homme  de  génie,  son  audace  et  sa  force,  pour  renverser 
d'un  seul  coup  l'édifice  des  conventions  auxquelles  on 
ne  croyait  plus  et  poser  dans  la  sublime  horreur  de  sa 
nouveauté  et  de  sa  réalité  le  type  pathétique  et  vivant 
de  l'héroïne  de  Vion ville. 

Il  y  a  trente  ans  de  cela  et  la  fortune  de  la  nouvelle 
école  a  été  étonnante.  La  production  des  œuvres  réa- 
listes ou  naturalistes  a  égalé  celle  des  œuvres  roman- 
tiques. Les  adeptes  ont  été  innombrables  dans  toutes 
les  applications  de  l'art.  Les  productions  de  pure  ima- 
gination ont  été  dédaignées  et  méprisées.  Décrire  les 
milieux  et  dans  ces  milieux  les  personnages  tels  qu'ils 
sont,  avec  la  minutie  et  la  cruauté  de  l'inventaire  ou 
de  la  photographie  a  été  l'unique  préoccupation.  On 
croyait  tenir  le  dernier  mot  de  l'esthétique. 

Mais  la  satiété,  le  blasement,  le  dégoût  sont  venus 
comme  ils  étaient  venus  pour  le  romantisme.  Dans  ses 


oscillations  périodiques,  le  pendule  artistique  remon- 
tait à  son  point  de  départ,  Après  avoir  touché  l'un  des 
pôles,  il  était  de  nouveau  attiré  par  l'autre.  Le  cerveau, 
la  nature,  — l'imagination,  l'observation,  —  l'idéal,  la 
réalité,  • —  continuaient  leur  éternelle  dispute  et,  alter- 
nativement fatigués   d'avoir  joui    de    la   vogue,    la 
lâchaient  au  profit  de  leur  rival.  Oui,  M.  Moréas  a 
raison  :  on  s'est  lassé  du  quotidien,  du  coudoyé,  de 
Tobligatoire  contemporain  ;  on  en  a  eu  assez  du  ressassé 
décor  de  carrefours  et  de  rues.  Il  a  semblé  que  tout  le 
dehors  avait  été  décrit,  qu'il  n'y  avait  plus  un  coin 
inexploré,  qu'on  allait  en  être  réduit  à  l'abomination 
des  imitations  et  aux  nauséeuses  répétitions  des  pasti- 
cheurs. On  s'est  peu  à  peu  retiré  de  la  nature  où  l'on  ne 
trouvait  que  la  réalité  et  l'on  est  rentré  dans  le  cerveau 
où  l'on  n'a  trouvé  que  le  rêve.  On  a  lâché  l'objectif  pour 
le  subjectif.  Le  réel  n'a  plus  été  que  prétexte  à  idéal,  et 
il  arrivera,  il  arrive  déjà,  que,  fermant  définitivement  la 
porte  qui  sépare  l'un  de  l'autre,  nous  aurons  des  écri- 
vains qui  ne  nous  parleront  que  de  ce  qu'ils  auront  vu 
en  eux,  et  que  nous  aurons,  que  nous  avons  des  pein- 
tres, des  dessinateurs  n'exprimant  que  ce  qu'ils  auront 
vu  en  eux,  témoin  Odilon  Redon,  si  contesté  encore 
parce  qu'on  ne  perçoit  pas  la  logique  de  son  apparition. 
Nous  voulons  substituer,  dit  M.  Moréas,  à  la  lutte  des 
individualités,  la  lutte  des  sensations  et,  pour  milieu 
d'action,  nous  voulons  uniquement  tout  ou  partie  du 
cerveau.  —  Comme  on  le  voit,  c'est  bien  la  retraite  au 
plus  profond  de  l'être  intiine,  dans  la  chambre  obscure 
et  fantastique  des  rêveries  et  des  visions.  C'est  pour- 
quoi nous  croyons  que  la  qualification  la  plus  exacte 
que  l'on  puisse  donner  aux  adhérents  du  système,  est 
celle  de  visionnaires,  en  tant  que  descripteurs  in  tran- 
sigeants de  leurs  visions  intellectuelles. 

Ce  programme  est^il  une  découverte?  Assurément 
non.  C'est  un  simple  retour  à  l'une  des  formes  inévita- 
bles de  l'art.  De  tout  temps  le  réel  et  le  fantastique  se 
sont  disputé  le  terrain  et,  dans  les  belles  époques,  ils 
ont  fraternellement  vécu  côte  à  côte.  L'homme  s'ali- 
mente inépuisablement  de  vérités  et  de  rêves,  et  toute 
littérature  qui  voudrait  le  sevrer  de  partie  de  cette 
double  nourriture,  se  condamne  à  une  réaction. 
M.  Moréas  reconnaît  lui-même  que  le  Symbolisme,  tel 
qu'il  le  comprend,  est  bien  vieux,  puisqu'il  se  réclame 
des  Pythiques  de  Pindare,  de  VHamlet  de  Shakespeare, 
de  la  Vita  Nuova  de  Dante,  du  Second  Faust  de 
Gœthe  et  de  la  Tentation  de  Saint-Antoine  de  Flau- 
bert. Il  est  assez  singulier  qu'il  n'ait  pas  compris,  dans 
cette  énumération  d'écrivains  qui  ont  si  largement  et  si 
superbement  sacrifié  à  l'art  visionnaire,  Edgard  Poë  et 
ses  Histoires  extraordinaires.  Mais  ce  qui  est  vrai- 
ment notable,  c'est  de  voir  la  littérature  symbolique  se 
rattacher  de  Flaubert  absolument  comme  la  littérature 
réaliste  se  rattache  à  lui.  Madame  Bovary  d'une  part, 


la  Tentation  de  Saint- Antoine  de  l'autre,  seraient 
donc  des  œuvres  antipodiennes,  et  ce  grand  homme,  se 
révélant  ainsi  tout  à  coup  plus  grand  encore  dans  son 
éclectisme  complet,  aurait  produit  presque  en  même 
temps  [la  Tentation  paraissait  dans  V Artiste  peu  après 
Madame  Bovary)  deux  types  impérissables  qui  embras- 
sent et  résument  l'art  tout  entier. 

L'idéal,  le  merveilleux,  le  fantastique,  tous  les 
enfants  de  l'imagination,  prétendent  donc  reprendre  leur 
place  dans  la  littérature.  Tant  mieux.  Ceux  qui 
réclament,  au  nom  de  ces  victimes  du  naturalisme  à 
outrance.,  le  font  avec  excès.  C'est  le  propre  des  défen- 
seurs des  opprimés.  Le  temps  remettra  toutes  choses 
en  leur  place  et  ramènera  tout  à  la  juste  mesure.  Nous 
assistons  à  quelques  folies  qui  couvrent  de  leurs  reten- 
tissantes intempérances  les  actes  sérieux,  c'est  inévi- 
table. L'incohérence  et  le  ridicule  se  manifestent 
surtout  chez  ceux  qui  démêlent  mal  le  phénomène 
dont  ils  se  font  les  agents.  Ils  se  rendent  intolérables 
surtout. quand  au  funambulesque  du  fond  ils  ajoutent 
le  funambulesque  de  la  forme.  Leurs  turlupinades 
atteignent  alors  des  proportions  épiques.  Laissons 
faire  ces  bouffons  de  l'armée  nouvelle.  Ils  ne  sont  pas 
les  vrais  combattants.  Ils  déserteront  ou  on  les  dégra- 
dera. «^ 

Mais  ce  dont  il  faut  se  réjouir,  c'est  de  voir  quelques 
grands  artistes,  trop  exclusifs,  sans  doute,  quand  ils 
croient  leur  art  le  seul  art,  rétablir  l'empire  de  l'idéal. 
Ce  qu'il  faut  souhaiter,  c'est -qu'il  prospère  à  côté  de 
l'empire  du  réel.  Ce  qu'il  faut  craindre,  c'est  qu'il  ne  le 
détruise.  Dans  ce  cas,  à  son  tour,  il  n'aurait  qu'une 
domination  passagère.  , 


JaME^    ?^ANDRUNEN 

ELLES.  —  Bruxelles,  V«  Monnom,  1886. 

Un  soii^  d'hiver,  —  c'élail  à  l'époque  où  l'amour  des  Lètlres 
réunissait  quotidiennement  un  groupe  de  jeunes  hommes  dans 
un  coin  du  restaurant  Valade,  place  du  Musée,  en  de  longues 
causeries  pleines  de  rêves  et  en  de  passionnées  discussions  où 
chaque  phrase  du  dialogue,  débarrassée  des  superfluités'  de  la 
conversation  banale,  parlait  comme  une  balle,  reprise  et  lancée 
tour  à  tour  avec  une  égale  précision,  Max  Waller  sortit  de  la  poche 
de  la  vaste  houppelande  à  pèlerine  dans  laquelle  il  se  drapait  avec 
de  grands  gestes  romantiques,  un  petit  volume  mystérieux, 
bizarre  d'aspect,  énigmatique,  imprimé  dans  un  faubourg,  et 
d'ailleurs  parfaitement  anonyme.  Pour  tiire,  les  deux  vocables 
hantants  :  Flemm-Oso  alignaient  seuls  leurs  huit  lettres  sur  un 
papier  gris  de  fer,  absolument  inusité.  «  Voici  du  nouveau, 
s'écria  le  possesseur  du  curieux  bouquin  en  brandissant  celui-ci 
en  triomphe.  Du  nouveau  et  du  rare.  Un  volume  charmant,  tiré  à 
cent  exemplaires  seulement,  et  qui  n'est  pas  mis  en  vente.  L'au- 
teur? Vous  le  coudoyez  fréquemment,  et  nul  de  vous  ne  s'est 
douté,  en  lui  serrant  la  main,  que  cette  main  était  celle  d'un 
écrivain.  Et  tenez,  voyez  si  je  vous  trompe.  » 


332 


UART  MODERNE 


Waller  lut  quelques  pages  du  petit  volume;  il  y  eut  des  applau- 
dissements, une  curiosité  vive  d'arracher  le  masque.  On  jeta  des 
noms  à  la  volée  :  «  Un  tel.  —  Non,  c'est  trop  délicat,  trop  fémi- 
nin. Cela  dénote  une  exquise  sensibilité.  — Tel  autre  peut-être? 

—  Jamais,  Il  y  a  là  dedans  une  finesse  d'observation  qui  indique 
un  esprit  infiniment  plus  subtil.  » 

'  Après  avoir  aiguisé  l'impatience  et  joui  de  son  petit  succès, 
ÀValler  se  décida  à  lâcher  son  secret.  Le  volume  était  de  James 
Vandrunen,  un  ingénieur  attaché  à  Tadministration  des  Chemins 
de  fer  économiques,  et  dans  lequel,  en  effet,  nul  d'entre  nous 
n'eût  soupçonné  un  écrivain. 

On  se  rappelle  le  succès  de  Flemm-Oso^  à  la  suite  de  la  révé- 
lation qu'en  firent  aussitôt  VArl  moderne  et  la  Jeune  Belgique^ 
qui  en  publièrent  des  extraits.  James  Vandrunen  prit  rang, 
dès  ce  jour,  parmi  les  hommes  de  lettres  belges  les  plus  en  vue. 

Deux  ans  se  sont  écoulés.  Et  voici  que  Tauleur  rentre  en  scène^ 
mais  cette  fois  sans  les  cachotteries  du  début.  Il  a  ôté  son 
domino.  Et  il  signe"  bravement  de  son  nom  l'album  où  il  a 
•  dessiné  au  hasard  des  rencontres,  d'un  crayon  souple  et  ferme  à 
la  fois,  les  physionomies  féminines  qui  ont  fixé  son  clair  regard, 
d'artiste.  «  Dans  ce  cahier  d'amour,  j'ai  rangé  des  images  de 
femmes,  marquises,  drôlesses,  demoiselles,  passantes,  qui,  un 
jour,  une  heure,  m'ont  doucereusement  attiré.  Ces  femmes,  je 
.  les  ai  adorées  —  sans  phrases  et  sans  fatigue  —  de  pensée 
uniquement,  et  il  me  fut  cher  de  conserver  une  innocente  relique 
d'Elles. 

«  Il  ne  me  semble  pas  gribouillé  d'écriture,  ce  cahier.  Ses 
pages  sont  blanches,  et  elles  enferment  des  instantanées  à  l'encre 

—  comme,  entre  les   feuillets  des  vieux  missels,  reposent  des 
.  images  de  bienheureux  en  extase.  Avec  de  religieuses  tendresses, 

patiemment  j'ai  retracé  les  portraits  de  ces  femmes.  Et  comme  la 
petite  bonzesse  rasée  qui,  dans  la  pagode,  entretient  le  feu  des 
cierges  rouges  et  enfonce  des  bâtonnets  dans  les  brûle-parfums 
aux  pieds  des  statuettes  de  Couan-In,  je  tourne  lentement  ces 
pages,  allumant  au  bas  de  chacune  d'elles,  comme  un  grain 
d'encens  pieux,  la  flambée  d'un  souvenir,  —  flamme  brillante 
qui  s'anime  d'un  tressaillement  de  résurrection  ». 

En  un  préambule  qui  semble  écrit  par  un  Marivaux  en  redin- 
gote, monocle  à  l'œil,  James  Van  Drunen  expose  sa  théorie,  qu'il 
baptise  spirituellement  :  Mormonisme  intellectuel.  «  Nos  idées, 
nos  pensées,  nos  rêveries,  nos  aspirations  ont  toujours,  malgré 
nous,  par  leur  caprice  ou  leur  fantaisie,  quelque  chose  de  fémi- 
nin. Nous  nous  les  représentons  femmes.  C'est  dans  la  femme 
que  nous  trouvons  la  silhouette  d'une  de  nos  pensées,  l'allégorie 
d'un  de  nos  songes,  et  parfois  on  court  après  une/emme  comme 
si  l'on  cherchait  à  rattraper  une  idée.  Nous  faisons  de  celte 
femme  la  personnification,  l'image  de  cette  pensée;  et  quand 
une  femme,  rencontrée  fortuitement  dans  la  masse  des  passants, 
répond  précisément  à  la  conception  quelconque  qui,  en  cet 
instant  psychologique,  domine  notre  cerveau,  nous  nous  jetons 
passionnément  sûr  celte  créature  rare,  unique,  parce  que  son 
profil,  sa  toilette,  son  altitude  ou  un  simple  mouvement,  donne 
une  forme  précise,  un  contour  tangible  à  la  notion  vague  qui 
flottait  en  nous.  Malgré  nous,  machinalement,  nous  cherchons 
sans  trêve,  dans  la  circulation  qui  nous  environne,  la  femme  du 
moment;  nous  les  regardons  toutes,  épiant  véritablement  le 
passage  de  a  la  dame  de  nos  pensées  »  —  tout  comme  nous 
essayons  une  série  de  chapeaux  pour  trouver,  dans  le  tas,  celui 
qui  va  à  la  conformation  spéciale  de  notre  crâne  ». 


Ce  platonisme  rigoureux  et  paradoxal  est  justifié,  peu  après, 
en  ces  termes  : 

«  L'amour  qui  dépouille  cette  délicatesse  de  pensée  et  veut 
s'empoigner  à  pleins  bras,  se  heurte  à  de  vilaines  petites  choses, 
se  déchire  el  panlelle.  L'amour  qui  se  fixe,  l'Amour  Eternel,  c'est 
celui  qui  ne  se  prolonge  pas,  c'est  la  passion  qui  n'a  qu'un  pro- 
logue. «  Il  n'y  a  de  beau,  en  ce  monde,  que  les  romans  qui  nç 
finissent  pas  »  écrivait  Jules  de  Goncourt  dans  une  de  ses  lettres. 
Et  Gautier  avait  déjà  dit  avec  mélancolie  : 

Le  bonheur  est  l'éclair  qui  fuit  sans  revenir, 
HèlasI  et  pour  ne  pas  oublier  qu'il  existe, 
Il  le  faut  embaumer  avec  le  souvenir. 

«  Que  peut  devenir  une  si  frêle  émotion  dans  les  fadeurs  des 
mamours,  des  pinceries,  des  gentillesses  mignotées  avec  des 
noms  de  bestioles  et  de  légumes?  Une  charge  abêtissante,  une 
farce  qui  se  termine  :  conjugalement.  La  loi,. très  officielle, 
enterre  votre  liberté  dans  la  concession  d'un  ménage  à  perpé- 
tuité ;  un  corps  à  corps  sur  les  ennuis  du  tous  les  jours,  un  train- 
train  de  misères,  avec  les  chicanes  de  gens  qui  se  connaissent 
trop  et  les  vociférations  d'une  marmaille  qui  se  transforme  bien 
vite  en  mauvais  drôles  vous  appelant  le  vieux.  Noire  civilisation, 
toujours  passée  dans  son  uniforme  de  gendarme,  veut  que 
l'amour  traîne  une  chaîne  écrasante  et  fasse  commerce  d'articles 
de  code  et  de  paperasses  à  signer.  Nous  avons,  fort  sérieuse- 
ment, la  cocasserie  de  nous  faire  aimer  par  autorité  de  justice. 
Alors,  nous  cloîtrons  notre  proie,  cetle  pénitente  de  l'amour, 
dans  une  possession  égoïste,  l'accaparant  avec  avarice.  Tandis 
que  je  souhaiterais  qu'un  homme,  dans  la  pureté  de  sa  passion, 
pût  dire  à  un  ami  qu'il  sait  de  goût  cultivé  :  «  Venez  donc  voir 
la  ravissante  femme  que  j'aime,  »  —  comme  on  dit  :  je  tiens  à 
vous  montrer  mon  Carpeaujc.  Une  pratique  de  sentiments  bas  et 
de  vilaine  jalousie  nous  empêche  de  dire  à  un  frère  d'art  :  «  Cette 
femme  est  belle,  adorons-la  ensemble  »...  L'Histoire  nous  radote, 
il  est  vrai,  que  la  seule  application  connue  de  cette  généreuse 
théorie  coûta  la  vie  à  un  roi  de  l'antiquité.  Mais  je  suis  convaincu 
que  l'Histoire  —  comme  toujours  —  ne  nous  dit  pas  tout.  Un 
boulon  dans  le  dos  ou  un  défaut  du  genou  devait  déparer  l'intime 
splenHeur  de  M™«  Candaule,  et  c'est  pour  que  cet  affreux  secret, 
odieusement  dévoilé,  ne  demeurât  pas  la  proie  d'un  étranger  que 
la  femme  conlraignit  Gygès  à  prendre  la  place  du  royal  époux.  » 

Le  plaidoyer  est  spirituel,  et  le  plaisir  qu'on  éprouve  à  l'en- 
tendre dispense  d'apprécier  la  vraisemblance  de  la  thèse.  Au 
surplus,  peut-être  faut-il,  pour  la  comprendre  et  l'admettre  plei- 
nement, des....  aptitudes  spéciales.  Laissons  la  thèse,  —  ou 
plutôt  la  fantaisie,  auréolée  de  raillerie,  de  l'homme  au  monocle. 
Ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est  que  ce  monocle  est  d'une  intensilé 
rare,  et  que  l'opticien  qui  l'a  fabriqué  est  un  fameux  opticien! 

James  Vandrunen  découvre,  à  travers  la  convexité  de  ce  petit 
cercle  de  verre,  les- plis  les  plus  minuscules  d'une  toilette  fémi- 
nine, les  plus  délicats  reflets  d'une  peau  ambrée,  l'impalpable 
duvet  que  laisse  sur  une  joue,  comme  le  velouté  d'une  pêche,  la 
poudre  de  riz.  Et  il  décrit  le  résultat  de  ces  observations  minu- 
tieusement, avec  des  complaisances  qui  s'attardent  et  des  jouis- 
sances de  gourmet....  platonique,  naturellement,  c'est  la  théorie, 
fruit  vert  auquel  la  pratique  doit  avoir  furieusement  mordu  !  Tels 
profils  :  Petite  Marquise,  Une  grande  femme  jaune.  Paravent, 
Malade...,  sont,  parmi  des  pages  de  moins  desaVeur,  des  mor- 
ceaux de  premier  ordre. 

James   Vandrunen    s'est   démasqué,    avons-nous    dit.    Il  a 


conservé  de  ses  débuts  le  dédain  du  bruit,  le  mépris  de  la 
réclame.  L'édition  de  Elles  est  réduite  à  cent  cinquante  exem- 
plaires, qui  ne  seront  pas  mis  en  vente,  pas  plus  que  n'a  été  mis 
en  librairie  Flemm-Oso. 

De  plus  en  plus  se  répand  l'usage,  parmi  les  écrivains,  de  ne 
tirer  qu'à  petit  nombre,  en  des  éditions  de  choix.  Déjà  nous 
avons  signalé  le  système,  inauguré  par  l'un  de  nous,  et  il  paraît 
qu'il  fait  école.  On  dirait  que  les  auteurs  répondent  par  cette 
parcimonieuse  distribution  à  l'indifférence  du  public  pour  les 
Lettres,  et  qu'ils  commencent  à  comprendre  que  la  plus  grande 
jouissance,  pour  un  écrivain,  est  d'écrire  son  œuvre,  sans  se 
préoccuper  de  savoir  qui  la  lira  et  ce  qu'elle  deviendra. 


r 


JaE    JhÉATF^E    a    pRUXELLE? 

Nous  vivons  dans  un  temps  de  crise,  c'est  entendu. 

Mais  d'où  vient  qu'il  n'y  a  jamais  eU  à  Bruxelles  autant  de 
théâtres,  battant  le  plein,  non  de  la  recette  (hélas!)  mais  de 
l'affiche. 

Est-ce  parce  que  dans  les  jours  de  tristesse  on  recherche  la 
distraction? 

Ce  ne  serait  vrai  que  si  les  salles  étaient  encombrées,  et  mal- 
heureusement rencombremenl  ne  se  produit  qu'à  de  rares  excep- 
tions. 

Non,  il  s'agit  d'une  concurrence  effrénée  et  déplorable,  sinon 
pour  le  public  et  pour  le  moment,  au  moins  pour  les  directions 
et  pour  l'avenir. 

On  se  demande  avec  inquiétude  comment  cet  hiver  finira. 

Comptons  les  scènes  ouvertes,  battant  le  rappel  et  se  dispu- 
tant les  spectateurs  :  ^'^  'y,  ■  -:"''■'":':';'}.''■■■': 
.  La  Monnaie."     '  ^^'- '■^;;■- ■■::'■  \0.  ;^■ -•;-/;;..-..■  ^'■::.''' '■ 

Le  Théâtre  du  Parc. 

Les  Galeries  Saint-Hubert. 
-   Le  Théâtre  Molière.     -~ ^— ^— — — 

Le  Vaudeville. 

La  Bourse. 

L'Eden. 

Le  Cirque. 

Oui,  le  Cirque,  qui  a  fout  de  suite  conquis  la  vogue  et  qui  a 
son  jour  selected  (ô  l'odieux  et  prétentieux  vocable!)  le  Samedi  :  il 
ne  manquait  vraiment  plus  que  lui  pour  qu'on  fut  tout  à  fait  gêné 
au  banquet  de  la  vie  théâtrale.  Vraiment  il  semble  que  dans  ce 
domaine  on  croit  au  dicton  progressif  :  Quand  il  y  en  a  pour 
deux  il  y  en  a  pour  trois,  quand  il  y  en  a  pour  trois  il  y  en  a  pour 
quatre,  et  ainsi  indéfiniment. 

Raisonnons.  Un  théâtre  ne  noue  en  général  les  deux  bouts  que 
s'il  fait  en  moyenne  à  chaque  représentation  une  bonne  demi 
salle.  Ceci  suppose,  pour  les  huit  théâtres  prémentionnés,  sept  à 
huit  mille  personnes  y  allant  tous  les  soirs.  C'est  énorme  quand 
on  considère  que  c'est  uniquwnent  la  population  bourgeoise  qui 
se  donne  ce  plaisir,  et  parmi  elle  seulement  la  population  adulte. 

Supposons  qu'au  lieu  de  nouer  les  deux  bouts,  on  veuille 
(désir  commun  et  légitime)  gagner  un  bénéfice  raisonnable.  Il 
faut  alors  porter  au  moins  à  dix  mille  le  total,  ce  qui,  pour  sept 
mois  de  représentations  en  moyenne,  ou  deux  cents  jours,  repré- 
sente deux  millions  d' hommes-spectacle ,  comme  on  dirait  trains- 
kilomètre. 

Huit  théâtres!  A  Paris,  dont  la  population  est  quintuple,  il  n'y 


en  a  tout  au  plus  vingt-quatre,  quand  on  les  prend  dans  les 
mêmes  catégories.  L'Opéra  n'y  joue  que  quatre  fois  par  semaine. 
Chez  nous  il  n'y  a  guère  que  des  étrangers  de  passage,  pendant 
un  seul  mois  de  la  saison  théâtrale,  septembre,  tandis  que  Paris 
a  constamment  un  contingent  d'exotiques. 

Cela  est  très  grave  et  aboutira  apparemment  à  une  gêne  géné- 
rale. C'est  surtout  redoutable  pour  les  théâtres  vraiment  artis- 
tiques, ou  l'on  ne  se  paie  pas  d'exécutions  approximatives  et  qui, 
par  leur  nature  môme,  sont  contraints  de,  faire  de  grands  sacri- 
fices. De  plus  en  plus  on  verra  que  de  très  généreux  subsides 
sont  nécessaires  et  que  les  économies  et  les  marchandages  de  la 
part  des  autorités,  en  celte  matière,  sont  de  l'ignorance  et  de  la 
très  mauvaise  administration. 


LE  TRAVAIL  DE  L'ARTISTE 

Sandoz  parla,  les  bras  également  noués  sous  la  nuque,  le  dos 
renversé  sur  un  coussin  du  divan. 

—  Est-ce  qu'on  sait?  est-ce  qu'il  ne  vaudrait  pas  mieux  vivre 
et  mourir  inconnu?  Quelle  duperie,  si  cette  gloire  de  l'artiste 
n'existait  pas  plus  que  le  paradis  du  catéchisme,  dont  les  enfants 
eux-mêmes  se  moquent,  désormais!  Nous  qui  îie  croyons  plus  à 
Dieu,  nous  croyons  à  notre  immortalité...  Ah!  misère! 

Et,  pénétré  parla  mélancolie  du  crépuscule,  il  se  confessa,  il 
dit  ses  propres  tourments,  que  réveillait  tout  ce  qu'il  sentait  là 
de  souffrance  humaine. 

—  Tiens  !  moi  que  tu  envies  peut-être,  mon  vieux,  oui!  moi 
qui  commence  à  faire  mes  affaires,  comme  disent  les  bourgeois, 
qui  publie  ôfis  bouquins  et  qui  gagne  quelque  argent,  eh  bien  ! 
moi,  j'en  meurs...  Je  te  l'ai  répété  souvent,  mais  tu  ne  me  crois 
pas,  parce  que  le  bonheur  pour  toi  qui  produis  avec  tant  de 
peine,  qui  ne  peux  arriver  au  public,  ce  serait  naturellement  de 
produire  beaucoup,  d'être  vu,  loué  ou  éreinlé...  Ah!  sois  reçu 
au  prochain  Salon,  entre  dans  le  vacarme,  fais  d'autres  tableaux, 
et  tu  me  diras  ensuite  si  cela  te  suffit,  si  tu  es  heureux  enfin... 
Écoute,  le  travail  a  pris  mon  existence.  Peu  à  peu,  il  m'a  volé  ma 
mère,  ma  femme,  tout  ce  que  j'aime.  C'est  le  germe  dans  le  crâne, 
qui  mange  la  cervelle,  qui  envahit  le  tronc,  les  membres,  qui 
ronge  le  corps  entier.  Dès  que  je  saute  du  lit,  le  matin,  le  travail 
m'empoigne,  me  cloue  à  ma  table,  sans  me  laisser  respirer  une 
bouffée  de  grand  air;  puis,  il  me  suit  au  déjeuner,  je  remâche 
sourdement  mes  phrases  avec  mon  pain  ;  puis,  il  m'accompagne 
quand  je  sors,  rentre  dîner  dans  mon  assiette,  se  couche  le  soir 
sur  mon  oreiller,  si  impitoyable,  que  jamais  je  n'ai  le  pouvoir 
d'arrêter  l'œuvre  en  train,  dont  la  végétation  continue,  jusqu'au 
fond  de  mon  sommeil...  Et  plus  un  être  n'existe  en  dehors,  je 
monte  embrasser  ma.  mère,  tellement  distrait,  que  dix  minutes 
après  l'avoir  quittée,  je  me  demande  si  je  lui  ai  réellement  dit 
bonjour.  Ma  pauvre  femme  n'a  pas  de  mari,  je  ne  suis  plus  avec 
elle,  même  lorsque  nos  mains  se  louchent.  Parfois,  la  sensation 
aiguë  me  vient  que  je  leur  rends  les  journées  tristes,  et  j'en  ai  un 
grand  remords,  car  le  bonheur  est  uniquement  fait  de  bonté,  de 
franchise  et  de  gaieté,  dans  un  ménage;  mais  est-ce  que  je  puis 
m'échapper  des  pattes  du  monstre  !  Tout  de  suite,  je  retombe  au 
somnambulisme  des  heures  de  création,  aux  indifférences  et  aux. 
maussaderies  de  mon  idée  fixe.  Tant  mieux  si  les  pages  du  matin 
ont  bien  marché,  tant  pis  si  une  d'elles  est  restée  en  détresse  ! 
La  maison  rira  ou  'pleurera,  selon  le  bon  plaisir  du  travail  dévo- 


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râleur...  Non!  non  !  plus  rien  n'est  à  moi,  j'ai  rêvé  des  repos  à 
la  campagne,  des  voyages  lointains,  dans  mes  jours  de. misère; 
et,  aujourd'hui  que  je  pourrais  me  contenter,  l'œuvre  commencée 
est  là  qui  me  cloître  :  pas  une  sortie  au  soleil  matinal,  pas  une 
escapade  chez  un  ami,  pas  une  folie  de  paresse  !  Jusqu'à  ma 
volonté  qui  y  passe,  l'habitude  est  prise,  j'ai  formé  la  porte  du 
monde  derrière  moi,  et  j'oi  jeté  la  clef  par  la  fenêtre...  Plus  rien, 
plus  rien  dans  mon  trou  que  le  travail  et  moi,  et  il  me  mangera, 
et  il  n'y  aura  plus  rien,  plus  rien  ! 

Il  se  tut,  uu  nouveau  sile.nce  régiia  dans  l'ombre  croissante. 
Puis,  il  recommença  péniblement. 

—  Encore  si  l'on  se  contentait,  si  l'on  tirait  quelque  joie  de 
celte  existence  de  chien  !...  Ah!  je  ne  sais  pas  comment  ils  font, 
ceux  qui  fument  des  cigarettes  et  qui  se  chatouillent  "béatement 
la  barbe  en  travaillant.  Oui,  il  y  en  a,  paraît-il,  pour  lesquels  la 
production  est  un  plaisir  facile,  bon  à  prendre,  bon  à  quitter  sans 
lièvre  aucune.  Ils  soni  ravis,  ils  s'admirent,  ils  ne  peuvent  écrire 
deux  lignes  qui  ne  soient  pas  deux  lignes  d'une  qualité  rare,  dis- 
tinguée, introuvable...  Eh  bien!  moi,  je  m'accouche  avec  les 
fers,  et  l'enfant,  quand  môme,  me  semble  une  horreur.  Est-il 
possible  qu'on  soit  assez  dépourvu  de  doute,  pour  croire  en  soi? 
Cela  me  stupéfie  de  voir  des  gaillards  qui  nient  furieusement  les 
autres,  perdre  loiite  critique,  tout  bon  sens,  lorsqu'il  s'agit  de 
leurs  enfants  bâtards.  Eh!  c'est  toujours  très  laid,  un  livre!  il 
faut  ne  pas  en  avoir  fait  la  cuisine,  pour  l'aimer...  Je  ne  parle 
pas  des  potées  d'injures  qu'on  reçoit.  Au  lieu  de  m'incommoder, 
elles  m'excitent  plutôt.  J'en  vois  que-  les  attaques  bouleversent, 
qui  ont  le  besoin  peu  fier  de  se  créer  des  sympathies.  Simple 
fatalité  de  nature,  certaines  femmes  en  mourraient,  si  elles  ne 
plaisaient  pas.  Mais  l'insulte  est  saine;  c'est  une  mâle  école  que 
l'impopularité,  rien  ne  vaut,  pour  vous  entretenir  en  souplesse 
et  en  force,  la  huée  des  imbéciles.  Il  suffit  de  se  dire  qu'on  a 
donné  sa  vie  à  une  œuvre,  qu'on  n'attend  ni  justice  immédiate, 
ni  même  examen  sérieux,  qu'on  travaille  enfin  sans  espoir,  d'au- 
cune sorte,  uniquement  parce  que  le  travail  bat  sous  votre  peau 
comme  le  cœur,  en  dehors  de  la  volonté  ;  et  l'on  arrive  très  bien 
à  en  mourir,  avec  l'illusion  consolante  qu'on  sera  aimé  un  jour... 
Ah  !  si  les  autres  savaient  de  quelle  gaillarde  façon  je  porte  leurs 
colères!  Seulement,  il  y  a  moi,  et  moi,  je  m'accable,  je  me 
désole  à  ne  plus  vivre  une  minute  heureux.  Mon  Dieu!  que 
d'heures  terribles,  dès  le  jour  où  je  commence  un  roman!  Les 
premiers  chapitres  marchent  encore,  j'ai  de  l'espace  pour  avoir 
du  génie;  ensuite,  me  voilà  épordu,  jamais  satisfait  de  la  lâche 
quotidienne,  condamnant  déjà  le  livre  en  train,  le  jugeant  infé- 
rieur aux  aînés,  me  forgeant  des  tortures  de  pages,  de  phrases, 
de  mots,  si  bien  que  les  virgules  elles-mêmes  prennent  des  lai- 
deurs dont  je  souifre.  Et,  quand  il  est  fini,  ah!  quand  il  est  fini, 
quel  soulagement!  non  pas  cette  jouissance  du  monsieur  qui 
s'exalte  dans  l'adoration  de  son  fruit,  mais  le  juron  du  portefaix 
qui  jette  bas  le  fardeau  dont  il  a  l'échiné  cassée...  Puis,  ça  recom- 
mencera toujours;  puis,  j'en  crèverai,  furieux  contre  moi,  exas- 
péré de  n'avoir  pas  eu  plus  de  talent,  enragé  de  ne  pas  laisser 
une  œuvre  plus  complète,  plus  haute,  des  livres  sur  des  livres, 
l'enlassement  d'une  montagne;  et  j'aurai,  en  mourant,  l'affreux, 
doute  de  la  besogne  faite,  me  demandant  si  c'était  bien  ça,  si  je 
ne  devais  pas  aller  à  gauche,  lorsque  j'ai  passé  à  droite;  et  ma 
dernière  parole,  mon  dernier  râle  sera  pour  vouloir  tout 
refaire...  ■::';■-,.•■■■.'=.:.;-■■    •':''':'■■''■'::■■  ''.\:---^;'  ^^r  ■^-\-  •:-'',. 

Une  émotion  l'avait   pris,   ses  paroles  s'étranglaient,  il  dut 


souffler  un  instant,  avant  de  jeter  ce  cri  passsionné,  où  s'envolait 
tout  son  lyrisme  impénitent  : 

Ah!  une  vie,  une  seconde  vie,  qui  me  la  donnera,  pour  que  le 
travail  me  la  vole  et  pour  que  j'en  meure  encore  !  (*) 


UN  EVENEMENT  MUSICAL 

Monsieur  le  Directeur, 

Vous  avez  annoncé  dans  votre  numéro  du  3  octobre  dernier 
qu'une  maison  d'édition  ferait  paraître  cet  hiver  un  livre  intitulé  : 
V Extinction  des  Institutrices^  poème  décadent,  par  Roland 
Roncevaux,  et  vous  avez  laissé  entendre  que  ce  pseudonyme 
cachait  l'honorable  échevin  de  l'instruction  publique  de  Namur, 
à  qui  le  pays  libéral  a  fait  récemment  une  si  belle  et  si  méritée 
ovation; 

Je  n'ai  pas  à  rechercher  si  c'est  dans  une  intention  d'éloge  ou 
de  dénigrement  que  vous  avez  publié  cette  nouvelle,  ni  si.  elle  est 
vraie.  .      ' 

Mais  ce  que  je  sais,  c'est  qu'à  ses  titres  divers,  scientifiques, 
politiques  et  oratoires,  l'honorable  M.  Ronvaux  a  le  droit  d'ajouter 
des  litres  littéraires  et  que  vous  ne  pensiez  pas  sans  doute  tomber 
si  juste. 

En  effet  (je  ne  crois  pas  commettre  une  indiscrétion,  et  du 
reste  il  est  bon  de  faire  connaître  tout  entier  celui  qui,  j'y  compte, 
sera  bientôt  noire  député),  M.  Ronvaux  a  écrit  le  livret  d'un 
opéra  dont  M.  l'abbé  Raway,  l'auteur  applaudi  des  Scènes  hin- 
doues, exécutées  il  y  a  trois  ans  aux  Concerts  populaires^  fait 
actuellement  la  musique. 
•  Le  sujet  est  emprunté  à  la  religion  des  Druides. 

Vous  comprendrez,  je  n'en  doute  pas,  que  l'impartialité  vous 
fait  un  devoir  de  publier  la  présente. 

Recevez,  Monsieur  le  Directeur,  mes  salutations  les  plus  dis- 
tinguées. 

-   ■  ,.  ..>.:.■.•■■   -.   ...  ^--^ -^:_.  •  X.  — ---^ — - 

Nous  publions  cette  lettre  sans  hésiter.  Nous  pouvons  dire 
comme  la  nouvelle  épousée  parlant  de  ses  obligations  nuptiales, 
que  c'est  pour  nous  non  seulement  un  devoir,  mais  un  plaisir. 


ipiBLlOQRAPHIE    JVIU^ICALE 

La  maison  Breitkopf  et  Hârtel  vient  de  publier  son  catalogue 
général. 

C'est  un  fort  volume  d'environ  900  pages,  contenant  deux 
tables  :  l'une  systématique,  Tautre  alphabétique.  Partitions  d'or- 
chestre, musique  de  chambre,  musique  pour  piano  à  quatre  et 
à  deux  mains,  musique  pour  piano  et  chant,  ouvrages  de  théorie, 
collection  de  portraits,  tout  ce  que  la  célèbre  maison  de  Leipzig 
édite  est  méthodiquement  classé,  jusques  et  y  compris  le  premier 
semestre  de  l'an  1886. 

Recommandons  ces  éditions  toujours  correctes  et  clairement 
gravées  à  tous  amateurs,  et  souhaitons  à  la  maison  Breitkopf  et 
Hàriel  d'être  récompensée  dans  ses  efforts  pour  la  propagation 
de  la  musique  sérieuse. 

Citons,  hors  pair,  les  admirables  éditions  de  la  Bachgesell- 


■  1 


(*)  Extrait  de  l'Œuvre,  par  Emile  Zpla. 


f       f .     * 


schaft;  celles  des  œuvres  de  Beethoven,  Chopin,  Schumann  et  la 
très  réputée  Edition  populaire,  qui  s'accroît  considérablement 
d'œuvres  de  haute  valeur,  tant  anciennes  que  modernes.  Citons 
enfin  les  œuvres  de  l'organiste  Lemmens  et  l'œuvre  de  Grétry, 
publié  sous  la  direction  d'une  commission  gouvernementale  dont 
les  membres  sont  MM.  Gevaert,  De  Burbure,  Samuel,  Radoux 
et  Ed.  Fétis. 

Parmi  les  plus  récentes  publications  des  mêmes  éditeurs, 
notons  une  transcription  de  la  cantate  :  0  Flamme  éternelle^  de 
J. -S.  Bach,  par  M.  Em.  Naumann,  d'après  la  partition  delà 
Bachgesellschafl  (tome  VII,  n»  34)  avec  son  célèbre  air  d'alto; 
une  transcription  de  la  cantate  :  Les  Croisés^  du  compositeur 
danois  Niols  Gade,  œuvre  d'un  genre  mixte  et  faux  et  d'une  inspi- 
ration assez  terne. 

Les  autres  œuvres  récemment  éditées  sont  de  médiocre  valeur  : 
Quelques  pièces  pour  piano  à  quatre  mains ^  par  Alban  FÔrster, 
dédiées  aux  jeunes  pianistes;  des  tableaux  d'Alsace,  cinq  mor- 
ceaux pour  piano  à  deux  mains,  par  Marie-Joseph  Erb,  et  des 
Tableaux  du  Sud,  trois  séries  de  pièces  pour  piano  à  quatre 
mains,  du  compositeur  allemand  Nicodé,  qui  jouit  d'une  assez 
grande  réputation  en  son  pays.  Son  œuvre  ne  peut  que  faire  tort 
à  celle-ci;  elle  est  non  seulement  banale  mais  vulgaire. 

Les  transcriptions  de  Bach  et  de  Gade  font  partie  de  l'édition 
populaire  avec  les  numéros  571  et  558. 


fîORRE^PONDANCE 


■:•    Cher  Monsieur,    ■  ■  '■/'>'■'  -v>  '-; 

Dans  le  n»  36,  daté  du  5  septembre,  votre  estimable  journal 
publie  ceci:  -  ;' 

•«  Il  y  a  eu  le  29  juillet  30  ans  que  Schumann  est  mort  à  l'asile 
d'aliénés  d'Endenich  près  de  Bonn,  Désormais  les  œuvres  du  grand 
artiste  sout  tombées  dans  le  domaine  public  en  Allemagne.  » 

La  date  est  parfaitement  exacte,  mais  quant  à  la  conclusion,  vous 
me' permettrez  de  vous  dire  que  vous  êtes  mal  renseigné.  La  loi 
allemande  protège  les  œuvres  littéraires  et  artistiques  pendant 
30  ans  après  la  mort  de  l'auteur,  mais  cette  protection  ne  cesse  son 
effet  que  le  l«r  janvier  de  l'année  qui  suit  le  30®  anniversaire  du 
décès.  Donc,  les  œuvres  de  Schumann  ne  seront  libres,  en  Alle- 
magne, que  le  ie^  janvier  prochain. 

Vous  trouverez  peut-être  bon  de  rectifier  cette  petite  erreur  dans 
l'Art  moderne. 

Veuillez  agréer,   cher  Monsieur,  l'assurance  de  mes   meilleurs 

sentimen  ts. 

Emile  Bauer, 

Gérant  de  la  maison  Breitkopf  et  Hârtel. 


f 


ETITE    CHROJsiIQUf: 


On  inaugure,  aujourd'hui  i 7  octobre,  la  statue  de  Berlioz  h 
Paris.  La  presse  saisit  cette  occasion  pour  parler  en  termes  fort 
décents  du  pauvre  grand  homme,  et,  après  l'avoir  éreinté  toute 
sa  vie,  déclarer,  aujourd'hui  qu'il  est  mort,  que  c'était  l'une  des 
gloires  de  la  France.  V Evénement  décoche  à  ce  propos  à  ses 
confrères  ce  trait  piquant  : 

«  Quant  à  la  critique,  imaginez-vous  un  instant  que  Berlioz, 
revenu  à  la  vie  par  miracle,  donne  demain  à  l'Opéra  le  pendant 
des  TroyenSj  et  demandez-vous,  la  main  sur  la  conscience, 
l'accueil  qui  lui  serait  fait.  Oh!  fort  louangeur  peut-être,  si  l'in- 


trailable  musicien  avait  enfin  pris  sur  lui-même  la  force  de  se 
corriger  et  de  sacrifier  un  peu  à  l'aimable  camaraderie.  Mais  ces 
sourires^  au  lieu  des  méchancetés  de  son  temps,  le  mettraient 
dans  un  autre  genre  de  fureur,  et  avec  ces  interjections  roman- 
tiques et  ces  grincements  de  dents  qui  lui  étaient  fami'liers  il 
siécrierait  encore  :  «  Feux  et  tonnerre!  malédiction  et  sane!  Il 
n'y  a  rien  de  changé  !  » 


Le  baryton  Henri  Heuschling,  dont  nous  avons  annoncé  le 
mariage  avec  M"«  Dumonceau,  cantalrice.  se  consacre  définitive- 
ment au  professorat.  Il  s'est  établi  rue  Bcrckmans,  69,  à  Saint- 
Gilles.  Son  nom  nous  dispense  de  rnppeler  au  public  le  mérite 
de  son  enseifi;nement. 


Un  intéressant  concert  historique  sera  donné  dimanche  pro- 
chain, à  2  heures,  au  palais  des  Académies,  par  des  professeurs 
et  des  élèves  du  Conservatoire. 

Celte  matinée  est  organisée  au  bénéfice  de  la  Caisse  centrale 
des  artistes  belges. 

On  y  entendra  trois  chœurs  :  Psaume  du  seizième  siècle,  Noël 
français  du  dix-septième  et  madrigal  anglais  avec  accompagne- 
ment d'orgue  «  d'époque  »,  comme  disent  les  antiquaires. 

M.  Ed.  Jacobs  exécutera  sur  la  viole  de  Gambe  une  sonate  de 
Tartini  et  un  air  de  J.-S.  Bach. 

M"»»  Cornelis-Servais  chantera  trois  «  brunettes  »,  accompa- 
gnées au  clavecin  par  M"«  Uhlmann,  qui  exécutera  en  outre  six 
pièces  pour'  clavecin  de  Rameau,  Couperin  et  J.-S.  Bach. 

M.  Dumon  jouera  sur  la  flûte  traversière  à  une  clef,  du  dix- 
huitième  siècle,  des  pièces  de  Bach  et  de  Hsendel. 


Un  journal  de  province,  la  Tribune  de  Huy,  publie  depuis, 
quelque  temps,  avec  la  signature  E.-P.,  une  série  d'articles  sous 
ce  titre  affriolant  :  V Inquisition.  Il  ne  faut  pas  en  avoir  lu  trois 
lignes  pour  y  reconnaître  l'un  des  plus  beaux  contes  d'Edgard 
Poë,  traducl-ion  de  Charles  Baudelaire.  Nous  ne  voyons  aucun 
inconvénient  à  ce  que  les  gazettes  donnent  un  peu  de  littérature 
à  leurs  lecteurs,  et  ceux-ci  ne  se  plaindront  sans  doute  pas  de 
cette  trop  rare  diversion  à  leur  prose  habituelle.  Mais  au  moins 
serait-il  honnête  de  ne  pas  démarquer  l'œuvre  reproduite,  de 
signer  tout  simplement  Edgard  Poë  une  nouvelle  qui  est  d'Edgard 
Poë,  et  de  ne  pas  baptiser  V Inquisition,  dans  on  ne  sait  quelle 
visée  de  poliliquaillerie  départementale,  un  récit  qui  s'appelle  : 
Le  puits  et  le  pendule. 

Le  premier  numéro  du  Symboliste,  ]omvx\2\  militant,  vient  de 
paraître,  sous  la  direction  de  M.  Gustave  Kahn.  Rédacteur  en 
chef:  M.  Moréas;  secrétaire  de  la  rédaction  :  M.  Paul  Adam.  En 
voici  le  sommaire,  où  se  groupent  la  plupart  des  noms  qui  ont 
figuré  dans  les  récentes  polémiques  :  M.  Jean  Moréas  :  Chro- 
nique. —  M.  Plowert  :  Parenthèses  et  incidences,  —  M.  Paul 
Adam  :  La  Presse  et  le  Symbolisme.  —  M.  Jean  Moréas  : 
Réponse  à  M.  Anatole  France.  —  M.  Félix  Fénéon  :  Les  Illu- 
minations d'Arthur  Rimbaud.  — M.  Jean  Ajalbert  :  Timbale 
milanaise.  —  M.  Francis  Poiclevin  :  Seuls. 

-*  Paris,  146,  rue  Montmartre.  —  Le  numéro  :  15  centimes. 


Un  éditeur  de  Saint-Pétersbourg  annonce  la  publication  pro^ 
chaîne  d'œuvres  de  Victor  Hugo  traduites  par  des  écrivains 
russes.  L'édition  comprendra  cinq  volumes  précédés  d'une  bio- 
graphie du  grand  poète  français  et  de  son  portrait. 

La  tournée  de  M"™»  Sarah  Bernhardt,  qui  devait  d'abord  être 
terminée  le  1^'  avril  1887,  est  prolongée  jusqu'à  l'automne.  Elle 
jouera  à  New-Nork  le  14  mars,  puis  elle  se  rendra  à  San-Fran- 
cisco,  de  là  en  Australie  et  aux  Indes  orientales;  au  retour,  elle 
jouera  en  Egypte,  en  Grèce  et  en  Allemagne.  Quant  à  M™«  Noir- 
mont,  Vamie  de  M*"*  Sarah  Bernhardt,  que  l'on  croyait  disparue, 
elle  est  à  Lisbonne  et  elle  rentrera  prochainement  en  France. 


/ 


336 


UART  MODERNE 


Une  révolution  dans  l'art  chorégraphique  de  société.  Les  jour- 
naux de  Paris  annoncent  que  les  jcpnes  personnes  qui  voudront 
faire  bonne  figure  cet  hiver  dans  les  salons  seront  bien  inspirées 
si  elles , apprennent,  non  la  polka,  ni  la  schotlisch,  ni  môme  la 
valse,  mais  bien  les  danses  de  jadis.  La  mode,  en  effet,  est  à  la 
Pavane,  à  la  Gàvotlc,  au  Menuet.  C'est  ce  qui  a  déterminé  le 
comité  de  la  Caisse  des  Ecoles  du  quinzième  arrondissement  à 
inscrire  ces  vieilles  danses  nationales  sur  le  programme  d'une 
matinée  qu'il  donnera  le  24  courant  à  l'Eden-Théâlre.  Il  y  a 
ajouté  un  Rigodon  qui  sera  dansé  par  des  polichinelles,  et  une 
Bourrée  nature  qui  transportera  les  spectateurs  en  Auvergne.    " 


Sommaire  du  n»  de  septembre  de  la  Société  Nouvelle  :   . 

Le  Mouvement  international  de  la  Libre  Pensée,  César  De  Paepe. 

—  Lettre  à  M.  Edouard  Drumond,  auteur  de  a  La  France  Juive  », 
F.  Borde.  —  Les  forces  et  leurs  effets  dans  la  nature  :  Evaluation 
technique  des  effets  des  forces,  H,  Girard.  —  Le  Salon  de  Gand, 
Octave  Maus.  —  Discussion  contradictoire  :  Réponse  à  M.  Puisage, 
A.  Donsky,  —  De  la  responsabilité,  A.  Crockaert.  —  Science  et 
matérialisme,  J.  Putsage.  —  Lettre  politique  cl  sociale,  F.  Borde. 

—  Le  mois.  —  Livres  et  revues. 


Pour  paraître  le  1^^  novembre  prochain 


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SAMUEL,  Ed.  Op.  14.  Tarentelle-Scherzo.  Fragment  sympho- 
nique,  à  4  mains,  fr.  2-50. 

DE  SWERT,  J.  Op.  44.  Impromptu,  pour  violoncelle  avec 
accompagnement  de  piano,  fr.  2  00.  —  Op.  45.  Le  Désir,  morceau 
de  salon,  pour  violon  avec  accompagnement  de  piano,  fr.  1-75.  — 
Op.  46.  Rêverie,  pour  violon  avec  accompagnement  de  piano,  fr.  1-75. 

HERRMANN,  Th.  Op.  28.  Marion- Gavotte,  pour  violon  avec 
accompagnement  de  piano,  fr.  1-35.  .  ' 


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Octobre  1886. 

Bach,  J.  S.,  Concerto  pour  2  pianos.  Piano  I  et  II,  àfr.  9-50. 

Dupont,  Auo.  et  Sandre,  Gust.  Ecole  de  piano  du  Conservatoire 
royal  de  Bruxelles.  Livr.  XXX.  Cah.  I.  Hummel,  F.  N.  Sonate  en 
mi.  b.  majeur,  5  fr.  — ^  Cah.  II.  Sonate  en  ré  maj.,  5fr. 

Ramann,  L.,  Méthode  élémentaire  de  piano,  pour  les  enfants  de 
7  à  10  ans.  Nouv.  édition,  cah.  I  et  II,  à  fr.  2-50. 

Recueil  classique  de  morceaux  de  chant.  Cah.  I.  2  solis  et  3  duos 
deMendelssohn,  fr.  1-50. 


Bruxelles.  —  Imp.  Félix  Callewaert  père.  -^  V*  Monnom  successeur,  rue  de  l'Industrie,  26. 


Y 


Sixième  année.  —  N**  43. 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  24   Octobre  1886. 


L'ART 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,  un  an,  fr.  10.00;  Union  postale,   fr.   13.00.    —  ANNONCÉS  :    On  traite  à  forfait. 


Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 
l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


^OMMAIRE 


L'Infâme  Fély.  —  Le  concours  de  Rome.  —  Notes  de  musi- 
que. Concert  historique  du  Cotiservatoire  ;  Société  de  musique 
d'Anvers.  —  Les  lettres  devant  la  plèbe.  —  A  la  Monnaie. 
—  Le  duel  d'Hamlet.  —  Petite  chronique. 


L'INFAME  FÉIY 

*  .      .  .  *         ■ 

Mon  cher  Rops, 

Voici  dix  jours  que,  sous  prétexte  de  stigmatiser  un 
très  naturel  et  fort  ancien  flirtage  avec  une  jeune  can- 
tatrice, à  cette  époque  en  puissance  d'elle-même,  on 
vous  a,  corayn  populo,  à  votre  grand  étonnement  et  à 
notre  grand  ébaudissement,  qualifié  :  l'Infâme  Félj! 
Avec  une  logique  douteuse,  certes,  car  pourquoi  auriez- 
vous  échappé  aux  séductions  d'une  sirène  dont  on  a  si 
complaisamment  révélé  les  artifices,  et  si  un  autre  fut 
trouvé  excusable  de  s'être  laissé  prendre  à  ses  lacs, 
comment  ne  le  seriez-vous  pas?  Oui,  les  charmes  de 
cette  Circé  furent  puissants,  pour  vous  induire  en  des 
vers  à  la  mode  de  Musset,  comme  il  fut  dit  à  Mons, 
qui  font  si  plaisante  figure  avec  leur  prosodie  naïve 
à  côté  de  lettres  incomparables,  sœurs  germaines 
de  celles  qui  sont  dans  vos  habitudes  et  dont  vos  amis 
possèdent  et  collectionnent  pieusement  les  nombreux 
échantillons.  Ces  épanchements  rythmiques  et  claudi- 
cants  A  une  jeune  baigyieuse  endormie  sont  vraiment 
la  seule  faute  qui  eût  justifié  contre  vous  un  réquisi- 
toire sévère..  Mais  que  devenir,  hélas!  si  la  galanterie, 


s  épanchant  en  une  littérature  intime,  légère  et  un  peu 
risquée,  suffit  à  faire  noter  d'infamie? 

Vous  en  riez,  cher  artiste,  on  le  sait,  à  regret  par- 
fois car  le  rire  n'est  pas  aisé  en  la  sanglante  histoire 
où  l'on  a  fait  intervenir  cette  amourette  vite  éclose  et 
vite  oubliée,  moins  tôt  chez  vous  apparemment  que 
chez  l'héroïne.  Vous  n'êtes  pas  seul  à  trouver  drola- 
tique cette  vitupération  départementale  d'une  aussi 
simple  histoire.  Mais  pourtant  il  nous  sera  difficile,  à 
nous  vos  compagnons  et  vos  admirateurs,  de  ne  pas 
vous  conserver  ce  sobriquet  goguenard,  souvenir  d'une 
injuste  et  plaisante  colère  d'un  homme  de  talent  et 
d'intelligence  qui  ne  connaissait  ni  vous,  ni  votre  art  ; 
assurément  en  cette  minute  néfaste  il  avait  mal  en 
main  le  Pégase  oratoire,  bête  difficile  à  conduire,  j'en 
sais  quelque  chose. 

Ce  n'est  vraisemblablement  pas  ce  telum  inibelle  qui 
^wus  a  préoccupé  en  cette  algarade  où,  déchirant  d'una 
main  peu  légère  la  gaze  qui  enveloppe  votre  libre  exis- 
tence, oii  a  livré,  en  sa  grâce  et  en  sa  hardiesse,  aux 
regards  du  vulgaire  ébahi,  une  aventure  qui  eût  été 
banale  pour  tout  autre  héros  que  vous.  Mais  on  a  cru 
opportun  d'y  ajouter  l'aimable  épithète  àepornographe, 
et  c'est  par  ceci,  tel  qu'on  vous  connaît,  que  ce  discours 
aussi  étonnant  que  sincère  et  déplacé  a  dû  vous  atteindre 
aux  endroits  sensibles. 

Hélas!  excellent  ami,  il  faut  vous  y  résigner  :  pour  lé 
vulgum  pecuSy  inhabile  à  démêler  votre  art  puissant  et 
cruel,  vous  risquez  fort  de  n'être  jamais  qu'un  porno- 
graphe,  et  je  vous  conseille  de  le  prendre  aussi  gaîment 


que  lorsqu'on  vous  nomme  Fély  l'Infâme.  Renan  n'a-t-il 
pas  été  affublé  du  même  bonnet  ces  jours  derniers?  Un 
salaud,' quoi.  Il  s'est  trouvé  un  gazetier  pour  le  dire. 

Comment  espérer  qu'en  la  foule  pénétrera  jamais  l'art 
compliqué,  mélange  de  réalité  et  de  vision,  qui  fait  de 
vous  un  des  plus  grands  artistes  de  ce  siècle,  sans  anté- 
cédent certes,  et  probablement  sans  successeur  ?  Ne  vous 
récriez  pas.  Je  ne  parle  pas  d'enthousiasme  et  parce  que 
j'étale  chez  moi  la  Tentation  de  Saint- Antoine 
et  VAttrapade.  Depuis  vingt  ans  que  j'observe  votre 
inépuisable  et  formidable  production,  ô  faux  paresseux  ! 
ô  faux  frivole  !  ma  foi  en  votre  valeur  suprême  a  sans 
cesse  grandi,  et  est  devenue  inébranlable.  Mais  j'ai 
compris  aussi  la  patience,  l'attention  et  l'étude  qu'il 
faut  pour  deviner  ce  que  ce  crayon  prétendument  licen- 
cieux concentre  de  grandeur  et  de  poignante  vérité 
sous  son  symbolisme. 

Ce  qui  domine  dans  votre  œuvre,  prodigieusement 
féconde  ce  que  seuls  savent  les  fervents  qui  en  ont 
recueilli  les  innombrables  épaves,  c'est  la  femme,  et 
j'ajoute,  à  votre  honneur,  la  femme  nue,  et  à  votre  hon- 
neur plus  grand  encore,  la  femme  contemporaine.  Assu- 
rément, avec  une  adresse  et  une  magie  de  sorcier,  vous 
l'avez  décrite  en  ses  ajustements  savants  et  troublants. 
Mais  dévoré  du  besoin  de  la  démasquer  davantage,  vous 
avez  proclamé  que  cette  démone  aux  suggestions  irré- 
sistibles ne  pouvait  être  révélée  dans  toute  l'horreur  de 
ses  séductions  que  débarrassée  de  l'attirail  dont  elle 
s'affuble  pour  pimenter  davantage  ce  qu'il  cache;  abor- 
dant audacieusement  ce  monstre,  vous  avez  commencé 
cette  série  d'études  d'une  effrayante  et  énigmatique 
beauté,  où  vous  disséquez  le  réseau  satanique.de  ses 
lignes  et  de  ses  muscles,  de  ses  puissances  et  de  ses 
perfidies. 

Cet  art  grandiose,  où  l'être  féminin  qui  domine  notre 
temps,  si  prodigieusement  différent  de  ses  ancêtres,  se 
manifeste  en  des  types  que  l'âme  aiguë  d'un  grand 
artiste  est  seule  capable  de  réaliser,  échappe  aux 
regards  ordinaires.  Ils  n'y  voient  que  luxure,  appétits 
sensuels,  souvenirs  malpropres,  appels  à  la  débauche. 
De  la,  poR-NO-GRA-pniE!  dit  majestueusement  Môs- 
sieu  Prudhomme.  N'essayons  pas  de  dissuader  cet 
hilarant  personnage.  On  raconte  qu'à  l'une  de  nos  der- 
nières expositions,  le  Parquet  a  fait  rechercher  si  on 
n'exhibait  pas  uii  de  vos  chefs-d'œuvre,  quelque  chose 
comme  cette  nopoxpàTïjtr,  qui  illumina  de  sa  splendeur 
symbolique  le  Salon  des  Vingt.  Soyez  certain  qu'en 
février  prochain,  quand  on  tentera  de  montrer  plus 
complètement  encore  comment  ce  siècle  de  l'impudeur 
a  trouvé  en  vous  son  interprète  le  plus  énergique  et  le 
plus  impitoyable,  le  légendaire  et  décent  prototype  des 
effarouchements  bourgeois  sera  là  pour  faire  ses  idiotes 
protestations,  lâcher  ses  cris  d'indignation  et  ne  voir 
en  vous  qu'un  paillard. 


,  Que  vous  importe  ?  Votre  gloire' grandit  au  milieu 
de  ces  clameurs,  et  ce  sont  elles,  qui  donnent  des 
ailes  à  votre  renommée.  Un  amateur  très  fin  me  disait 
ces  jours-ci  :  «  Ma  collection  de  Ropsiana  vaut  le 
double.  «  En  effet;  en  notre  intelligent  pays  belge 
ainsi  vont  les  choses.  Un  scandale  donne  cent  fois  plus 
de  notoriété  qu'une  belle  œuvre.  Vous  connaissait-on 
beaucoup,  il  y  a  huit  jours?  J'en  doute.  Dans  le  monde 
des  esthètes,  oui.  Vous  y  trôniez  parmi  les  grands 
dieux.  Ailleurs,  guère.  Vous  ignorez  sans  doute  (g[ue 
notre  Cabinet  des  Estampes  possède  tout  juste  deux 
lithographies  de  vous,  le  créateur  d'au  moins  deux 
mille  planches.  C'est  authentique,  allez-y-voir.  Au  pre- 
mier moment  on  ne  saura  même  pas  ce  que  vous  voulez 
dire  avec  votre  Rops!  Mais  vous  voici  désormais 
populaire.  Il  a  suffi  qu'on  vous  citât,  avec  un  a  propos 
douteux,  dans  une  cause  célèbre.  Comme  tapage  vous 
pouvez  le  disputer  à  Stocquart,  et  ce  n'est  pas  peu  dire. 
Depuis  six  lustres,  vous  étiez  un  dessinateur  admi- 
rable, gravissant  sans  jamais  céder  d'un  pas,  la  pente 
raide  de  l'art.  Par  centaines  vous  aviez  jeté  au  vent 
ces  feuillets  qui  font  notre  joie  et  notre  orgueil,  à 
nous  qui  vous  aimons.  A  quoi  cela  avait-il  servi  ?  A  vous 
donner  un  renom  dans  un  petit-  coin.  Félicien  Rops 
était  inconnu  que  Fély  préoccupait  le  monde.  On  l'ap- 
pelle infâme,  il  devient  illustre.  Plus  jamais  votre  nom 
ne  sortira  de  la  mémoire  de  vos  compatriotes.  On  vous 
a  fait  une  réclariie  que  j'expertise  à  au  moins  un  demi 
million!  ,   -  - 

Mon  cher  ami,  risum  teneamus .  Je  parle  beaucoup 
latin.  C'est  pour  faire  plaisir  aux  imbéciles  qui  disent 
que  ce  n'est  qu'en  latin  qu'on  peut  parler  de  vous. 
Poursuivez  votre  voie,  impassible.  A  l'occasion,  ô  doux 
infâme,  flirtez  encore.  Pour  décrire  les  femmes,  il  faut 
les  aimer.  C'est  Chamfort  qui  a  écrit  crûment  mais  véri- 
diquement qu'on  ne  connaît  bien  que  celle  avec  laquelle 
on  a...  couché.  Vous  voyez  que  je  ne  me  gêne  pas  non 
plus.  Vraiment  devant  ces  pudibonderies  crispantes 
on  se  sent  des  envies  frénétiques  d'étoiler  les  glaces  de 
la  décence.  Poursuivez.  Vous  n'êtes  pas  au  bout  de  la 
CRUELLE  ÉNIGME.  Il  y  a  SOUS  cos  corps  lascifs  que  votre 
pointe  burine  d'autres  secrets  encore.  Ne  me  le  disiez- 
vous  pas,  samedi,  au  balcon  de  la  Monnaie,  quand  la 
salle  entière  considérait  comme  une  bête  curieuse, 
l'infâme  Fély,  ce  libidineux  vieillard,  comme  on  a  dit 
aussi  à  Mons,  qui  osait  se  montrer  ingénument,  sous 
les  traits  d'un  beau  fils,  noir  de  poil,  paraissant  au  plus 
la  trentaine.  Quel  succès!  quelle  admiration!  Allez 
toujours,  pénétrez  davantage,  levez  d'autres  voiles. 
Que  votre  crayon  dise  tout,  tout.  Il  faut  bien  que 
quelqu'un  lègue  aux  générations  futures  le  portrait  de 
la  femme  du  xix®  siècle.  Seul,  oui  seul,  vous  êtes  de 
taille  à  le  faire.  On  compte  sur  vous.  ^        . 

Edm.  V.\OêjJ^ 


I^E    CONCOURE    DE    î\0ME 

Nous  avons  dil  noire  opinion  sur  le  grotesque  triomphe  décerné 
par  ses  concitoyens  au  lauréat  du  concours  de  Rome;  la  comédie 
est  ancienne  déjà  du  «  Rendez  le  laurier  »,qui  a  failli  mettre  aux 
prises  Anvers  et  Gand,  se  disputant  le  primuSy  ainsi  qu'autrefois 
en  vinrent  aux  mains  Alost  etTcrmonde  pour  la  possession  de  ce 
monstre  en  carton  :  «  le  Ross  Bayard  »  ;  toute  récente  est  l'expo- 
siiion  de  ces  œuvres  académiques  et  Ton  peut  constater  que  le 
prix  a  été  décerné  conformément  à  des  traditions  contre  lesquelles 
il  est  banal  de  réclamer;  la  suprême  récompense  a  été  attribuée 
à  un  tableau  qui  la  méritait  par  bien  des  points  :  médailles,  prix 
de  Rome,  distinctions  devant  lesquelles  on  s'incline,  mais  qui  ne 
nous  semblent  pas  rendre  k  l'art  de  bien  grands  services. 

«  Diagoras  de  Rhodes,  qui  avait  rehaussé  l'éclat  de  sa  naissance 
par  une  victoire  remportée  aux  jeux  olympiques,  amena  dans  ces 
lieux  deux  de  ses  enfants,  qui  coururent  et  méritèrent  la  cou- 
ronne. A  peiné  l'eurent-ils  reçue,  qu'ils  la  posèrent  sur  la  tête  de 
leur  père,  et,  le  prenant  sur  leurs  épaules,  le  menèrent  au  milieu 
des  spectateurs,  qui  le  félicitaient  et  lui  jetaient  des  fleurs.  Quel- 
ques-uns lui  disaient  :  «  Meurs,  Diagoras,  tu  n'as  plus  rien  à 
désirer  ». 

C'est  donc  le  sujet  formulaire,  et  il  semblerait  que  ce  texte  dût 
indiquer  une  scène  complexe  et  non  réduite  à  quelques  person- 
nages seulement.  L'un  des  concurrents,  M.  Richir,  a  eu  cette 
intention  d'une  foule  exultant  et  respectueuse  dans  un  décor 
expressif;  l'intention  —  notons-le  bien  vite  —  n'est  pas  réalisée, 
mais  au  moins  sent-on  la  vie  humaine  battant  faiblement  sous 
toute  la  friperie  légendaire.  v         v  -      .    ,     . 

Chez  M.  Montald,  la  seule  préoccupation  du  détail  archéolo- 
gique est  essentielle,  préoccupation  absurde,  telle  qu'elle  est  ici 
comprise,  car  jamais  dans  une  scène  toute  de  mouvement  l'œil 
n.e  découvrira  les  dessins  des  manteaux  ornementés  comme  des 
amphores.  La  composition  ne  manque  pas  d'un  certain  caractère 
et  le  geste  du  vieux  Diagoras  a  cette  noblesse  classique  de  tous 
les  gens  à  loge  parmi  des  architectures  figées.  La  peinture  est 
lourde  et  commune;  le  dessin  nul  et  l'impression  d'ensemble  est 
que  ce  fameux  triomphateur  n'est  —  et  sans  doute  ne  sera  — 
qu'un  bon  élève. 

Logiquement,  M.  Rosier,  d'Anvers,  eût  dû  recevoir  le  prix, 
car  son  œuvre  de  concours  réalise  cette  impersoniielle  médio- 
crité qui  fait  se  pûmer  la  gent  académique,  et  le  jour  ne  luira 
jamais  où  son  originalité  se  traduira  par  quelque  sensation  per- 
sonnelle :  certaines  qualités  de  goût  et  une  timidité  bien  apprise 
feront  de  lui  un  correct  professeur  à  employer  dans  la  nouvelle 
académie  récemment  organisée  par  le  gouvernement. 

En  un  mot,  beaucoup  de  bruit  pour  rien  :  en  admettant  même 
tous  les  principes  de  l'école,  ce  concours  est  notablement  infé- 
rieur aux  précédents  et  l'on  sait,  en  contemplant  ce  musée  des 
horreurs  installé  h  Anvers,  rue  Vénus  (ironie),  ce  que  les  précé- 
dents ont  produit!  Les  feux  d'artifice  sont  éteints,  les  couronnes 
fanées  et  M.  Montald  peut  charmer  ses  loisirs  à  régler  les  innom- 
brables montres  dont  lui  firent  hommage  ses  carnavalesques 
concitoyens,  car,  c'est  à  craindre,  elles  relarderont  toujours. 

Signalons,  exposée  dans  le  même  local,  une  figure,  envoi  de 
Rome,  de  M.  Charlier,  très  inférieure  à  ses  œuvres  récentes.     / 


j^OTE^ 


DE     MUSIQUE 


ù   JIê 


Concert  historique  du  Conservatoire 

De  tous  les  vieux  instruments  dont  les  grêles  sonorités  ont 
réjoui  la  salle  du  Palais  des  Académies  décorée  par  M.  Slingeneyer, 
celui  qui  a  eu  incontestablement  le  plus  de  succès,  c'est  l'appareil 
perfectionné  qui,  avec  une  régularité  mathématique,  exhalait  un 
«  Brava!  Brava!  »  k  l'avant-dernière  mesure  de  chaque  morceau. 
Marié  aux  soupirs  de  la  viola  di  gamba,  de  l'orgue  de  Régale, 
du  clavecin  ou  de  la  flûte  traversière,  ce  double  Brava!  était 
destiné  sans  doute  par  les  organisateurs  à  ponctuer  d'un  éner- 
gique final  la  cadence  un  peu  maigre  des  vieux  maîtres. 

L'effet  a  été  excellent.  Toutes  les  fins  de  phrase  ont  pu  ainsi 
être  escamotées  par  les  exécutants  sans  que  le  public  s'en  fût 
aperçu,  et  la  musique  de  Tartini,  de  Rameau,  de  Bach,  de  Gou- 
perin,  gens  qui  n'avaient  pas  la  moindre  notion  de  la  façon  dont 
on  termine  une  composition  pour  faire  éclater  les  applaudisse- 
ments (demandez  à  Rossini  s'ils  s'y  connaissaient  !)  a  éié  heureu- 
sement sauvée  du  déshonneur  de  laisser  les  auditeurs  sous  une 
impression  recueillie  et  silencieuse. 

On  a  entendu  successivement  M.  Jacobs  (Bravo  !  Bravo  !) 
M"™^  Cornélis-Servais  (Brava!  Brava!)  M.  Dumon  (Bravo!  Bravo!) 
M"^  Uhlmann  (Brava  !  Brava  !)  et  les  enfants  de  la  classe  de 
M.  Jouret  (Bravi^!  Bravi  !) 

Sur  des  instruments  remontant  les  uns  au  rè^ne  de  Henri  IV 
OU  de  Louis  XIII,  d'autres  tout  simplement  au  siècle  dernier,  ces 
artistes  consciencieux  et  habiles  ont  évoqué  de  très  vieux  airs. 
Un  seul  insirument,  le  plus  ancien  de  tous,  n'a  point  changé  :  la 
voix  humaine,  et  M™«  Cornélis  l'a  manié  fort  agréablement,  sur- 
tout pour  lui  faire  exprimer  l'aim'able  mélodie:  Las!  iln'a7iul 
mal. 

Le  public  a  paru  goûter  particulièrement  la  Sonate  de  Tartini 
et  VAria  de  Bach,  exécutés  avec  un  sentiment  juste  par  le  violon- 
celliste Jacobs,  ei  aussi  le  Noël  français  du  xvii^  siècle,  le 
Madrigal  anglais  et  le  Psaume  XXV,  interprétés  k  l'unisson  par 
les  élèves  des  classes  de  solfège,  évoluant,  saluant  et  chantant 
avec  l'ensemble  et  la  précision  d'un  bataillon  scolaire. 

La  Marche  des  Lansquenets^  exécutée  jadis  en  costumes,  a  été 
jouée  pour  finir,  sans  costumes  cette  fois.  La  mélodie  en  est 
devenue  populaire  k  Bruxelles.  Elle  est  charmante,  d'ailleurs. 
Mais  le  mouvement  n'en  est-il  pas  trop  lent?  On  croirait,  k  l'en- 
tendre, qu'il  s'agit  de  porter  le  diable  en  terre.  Ereintés,  fourbus, 
vaincus,  k  demi-morts  apparaissent-ils,  les  pauvres  soldats, 
dans  la  mélancolie  soufflée  par  ce  jeu  de  flûtes  douces. 
""  Vers  la  fin  du  morceau,  on  se  serait  mis  k  pleurer,  oui!  si 
brusquement  la  gaîié,  douce  comme  les  flûtes,  ne  s'était  réveillée 
en  un  bon  rire  k  l'intempestif  et  sempiternel  «  Bravo!  Bravo!  » 
qui  a  clôturé  cette  séance  historique.  , 

Société  de  musique  d'Anvers. 

Maître  Benoit  a  ouvert  la  saison,  mercredi,  par  un  concert 
national.  Trois  auteurs  indigènes  figuraient  au  programme  : 
Maurice  Gevers,  Henri  Waelput,  Edouard  Michotte,  et  cette  petite 
débauche  de  musique  belge  n'a  pas  paru  déplaisante  au  public. 

On  connaît,  pour  l'avoir  entendue  k  Bruxelles,  la  scène  rus- 
tique d'Armand  Silvestre,  mise  très  innocemment  en  musique, 
avec  accompagnement  de  tambours  de  basque,  par  M.  Michotte, 


)i 


Mécène  cl  compositeur.  VA  ri  moderne  ayant  eu  déjà  rpccasion 
de  dire  ce  qu'il  pensait  de  celle  bcrquinade,  nous  n'insisterons 
pas. 

«  L'hommage  h  la  mémoire  deWaelpul  »,  ainsi  que  s'exprimait 
le  programme,  comprenait  trois  œuvres  symplioniqucs  du  musi- 
cien flamand  :  Menuet^  Kxvartenlanz  et  FeesLmarsch  (Hans 
Memling),  plus  une  romance  pour  cor  solo  qui  a  valu  une  petite 
ovation  à  l'insirumenristc.  -        / 

Il  y  a  peu  d'invention  dans  ces  compositions,  et  l'auteur  côtoie 

'  d'assez  près  la  banalité  pour  qu'on  craigne  souvent  qu'il  s'y 

laisse  choir.    Le    Menuet  est  d'une    facture    intéressante    et 

rinstrumcnialion  en  est  variée.  C'est  assurément  l'inspiration  la 

plus  heureuse  du  défunl  compositeur. 

Benoit  a  fait  exécuter,  au  début  de  la  séance,  au  lieu  de  la 
réserver  pour  la  fin,  ce  qui  eût  été  plus  logique,  une  très  jolie  et 
très  poétique  ballade,  Op  '/  ivater,  pour  chœur  à  quatre  voix, 
*  solo  et  orcheslre,  de  Maurice  Gevcrs,  sur  des  paroles  de  Julius 
Vuylstekc.  L'aulcur  expose  brièvement,  dans  un  court  prélude 
symphohique,  le  décor  où  va  se  dérouler  la  scène.  Le  motif 
descriptif,  habilement  ramené  à  l'expiration  de  chacune  des 
quatre  strophes  qui  composent  le  poème,  sert  ensuite  à  relier 
celles-ci  l'une  à  l'autre,  cxrqui  donne  de  l'unité  à  l'ensemble  de 
la  composition. 

L'œuvre  est  d'une  fraîcheur  et  d'une  délicatesse  peu  com- 
munes. Elle  est  écrite  avec  simplicité,  d'une  plume  facile,  par 
un  homme  qui  connaît  suffisamment  sa  langue  pour  ne  pas 
devoir  recourir  aux  formules  compliquées,  et  qui  exprime  con- 
stamment en  termes  choisis  ce  qu'il  veut  dire.  Vers  la  fin,  après 
une  phrase  élégante  fort  bien  dite  par  M"^  Flament,  la  musique 
-ouvre  ses  ailes,  et  une  strophe  vraiment  inspirée  et  belle  ter- 
mine la  pittoresque  ballade,  qui  s'éteint  sur  la  phrase  initiale  : 

Wat  murmlen  de  golven?  Wat  fluistert  de  wind? 

Bemint! 


fut  cordonnier  et  poète,  a  fait  faire,  comme  on  dit  en  langage 
parlementaire,  un  fameux  «  pas  à  la  question  ». 


Une  particularité  à  noter,  c'est  que  le  compositeur,  qui  a  déjà 
fait  jouer  en  public  plusieurs  de  ses  œuvres,  est  directeur  delà 
Banque  d'Anvers,  l'un  des  plus  grands  élablissemenls  financiers 
de  la  ville,  et  que  le  public  anvcrsois  s'est  parfaitement  familiarisé 
avec  cette  idée  :  l'exercice  d'une  profession  n'est  pas  incompa- 
tible avec  la  production  artistique. 

Récemment,  à  Liège,  le  problème  a  été  nettement  posé.  Un 
conseiller  à  la  Cour  d'appel,  violoncelliste  très  distingué,  fut 
prié  de  prêter  son  concours  à  un  concert  donné  en  faveur  d'une 
œuvre  de  bienfaisance.  Fraîchement  nommé,  et  ne  voulant  point 
déplaire  à  ses  collègues,  le  magistral  alla  consulter  ceux-ci. 
Pouvait-il  accepter?  Les  avis  furent  partages,  Il  y  eut  des  hési- 
tations. Bref,  le  conseiller  déclina  la  proposition. 

Mais  bientôt  après,  Thalie  l'emporta  sur  Thémis.  Le  conseiller 
joua,  très  bravement,  sa  partie  de  violoncelle  dans  un  quatuor. 
Et  il  la  joua  si  bien  que  -cela  ferma  la  bouche  à  la  critique. 
Depuis  lors,  la  chose  est  acceptée  par  tout  le  monde.  L'esthèie 
joue,  quand  il  lui  plaît,  et  où  il  lui  plaît. 

Ainsi  est  déraciné,  petit  à  petit,  le  vieux  préjugé  par  lequel  les 
gens  entendent  contraindre,  en  Belgique  (il  y  a  belle  luretle 
qu'en  France  et  en  Allemagne  on  est  revenu  de  ces  idées  préhis- 
toriques!), les  avocats  à  n'écrire  que  sur  papier  timbré,  les  méde- 
cins à  ne  jouer  que  de  la  lancette,  et  les  notaires  à  ne  chanter 
que  des  De  prof U7idis. 

M.  Maurice  Gevers,  banquier  et  musicien,  comme  Hans  Sachs 


LES  LETTRES  DEVANT  LA  PLÈBE 

Combien  peu,  parmi  ceux-là  qui  se  sont  enrôlés  dans  le  libre 
bataillon  de  l'art,  ont  l'amour  vrai  du  peuple,  de  la  foule  aveugle 
à  leur  idéal  et  sourde  à  leurs  chansons,  qui  vit  calamiteusement, 
dans  les  faubourgs  aux  ciels  bouchés  par  les  fumées  d'usine  ou 
sous  les  rouges  soleils  des  temps  gris,  le  cerveau  brûlé  par  les 
feux  thermidoriens  et  les  plantes  pourries  par  le  fumier  puant  des 
étables. 

«  J'aime  le  peuple,  parce  que  tout  en  sort;  je  le  nnéprise, 
«  parce  q-u'ilest  bêle.  »  —  Je  ne  sais  plus  dans  quelle  petite 
feuille  fantaisiste  j'ai  lu  cet  aphorisme  vaniteux  qui  me  semble 
résumer  le  sentiment  complexe,  le  dédain  apitoyé  qu'affectent 
tout  bas  les  gens  envers  la  plèbe.  C'est  bien  seulement  de  la 
charité  innée  à  noire  nature,  de  l'involontaire  et  douloureuse 
contraction  des  nerfs  que  fait  éprouver  à  chaque  homme  la 
souffrance  vue  chez  l'un  de  ses  semblables,  et  qui  n'est  peut-être 
qu'un  retour  égoïste  à  soi-même  :  le  sentiment  d'être  assujetti 
au  même  joug  du  mal,  puisque  plus  le  patient  s'éloigne  de  nous 
dans  l'échelle  des  êtres,  moins  celte  navrure  de  notre  sensibilité 
est  vive,  et  que  tel  qui  pleure  un  chien  mort  reste  serein  devant 
le  martyre  d'un  chêne  saignant  sous  la  cognée  du  boquillon  ; 
c'est  bien  seulement  de  compassioii  qu'est  fait  leur  amour  :  un 
amour  de  pitié.  Et  c'est  leur  orgueil  seul,  leur  orgueil  de  barde, 
froissé  par  l'indifférence  de  Jean  Labeur  qui  les  a  écoutés  chanter 
leurs  rêves  vêtus  d'écharpes  olympiennes  et  stagnant  dans 
l'outreriier  d'un  ciel  inconnu,  sans  les  ouïr  ni  les  comprendre, 
en  roulant  ses  doigts  gris  et  en  branlant  son  chef  raviné  par  le 
ahan  quotidien  héréditaire  en  sa  race,  sans  qu'une  lueur  se  fût 
allumée  dans  ses  prunelles  troubles  brûlées  par  le  fer  blanc  de  la 
forge,  durant  les  longues  journées  de  travail  assassin,  et  sans 
que  leurs  voix  eussent  dissipé  l'hébétude  de  Jacques  bonhomme 
dont  le  vent  implacable  a  crevé  le  tympan,  tandis  qu'il  cassait  sa 
maigre  échine  à  biner  le  caillou  de  la  vigne,  ou  à  gratter  la  terre 
ocreuse  de  son  seigneur,  le  grand  propriétaire  rural.   . 

C'est  le  fiel  des  incompris,  une  colère  rageuse  d'orateur  dont 
les  mots  ne  peuvent  mordre  l'indifférence  de  la  salle,  qui  fait  leur 
mépris.  Et  c'est  pourquoi  j'ai  toujours  vénéré  les  éminenls  des 
Lettres,  si  rares,  qui  ont  mis  leur  langue  savante,  leur  discours 
précieux,  au  service  des  revendications  populaires.  Mais  combien 
encore/  dans  ceux-ci  mêmes  qui  ont  pressé  les  plaies  proléta- 
riennes entre  les  feuillets  de  leur  œuvre  et  laissé  couler  sous 
leur  plume,  en  rouges  évocations,- ce  sang  d'ilote  appauvri  par 
la  saignée  continue  de  l'impôt,  dans  ce  marais  à  sangsues  où 
tous  les  appétits,  toutes  les  convoitises  bourgeoises  s'abattent 
sur  le  travailleur,  le  producteur  unique,  comme  les  gloutonnes 
bestioles  sur  le  baudet  podagre  qu'on  leur  laisse  dévorer  vivant, 
dans  ce  parage  à  bétail  renouvelable  qu'est  l'organisation  sociale 
actuelle;  combien  n'ont  vu  que  l'art,  qu'une  terre  arable  fertilisée 
par  les  massacres  séculaires  de  la  classe  pauvre,  cet  engrais! 
Qu'un  sol  propice  où  faire  les  semailles  des  fleurs  de  leur  cerveau, 
ou  qu'un  filon  de  douleurs  à  exploiter  pour  faire  vibrer  les' 
cordes  de  leur  luth  sacré,  dans  ce  grand  peuple  souffrant  dont 
ils  n'ont  pas  su  deviner  l'âme. 

Leur  amour,  leur  bonté  n'est  pas  assez  grande  pour  étouffer  leur 


orgueil.  Pour  ceriain,  l'homme  de  faubourg,  à.  écriture  trcmbite, 
qui  a  peine  à  épeler  son  journal  d'un  sou  devant  sa  lampe 
fumeuse,  après  les  heures  pénibles  du  jour,  durant  lesqtiellcs  il 
a  rouillé  dé  sa  sueur  le  for  du  rabot  ou  l'étau  blanc,  est  encore 
l'épicier,  le  bourgeois  de  4830  ;  il  a  l'ignorance  pour  sort  ;  ils  lui 
en  veulent  de  ne  pas  s'être  extasié  devant  leur  maladie  aimée  à 
eujt  :  le  sens  artistique  exacerbé  par  leur  plus  ou  moins  de  nervo- 
sisme  ;  ils  le  haïssent  presque,  ces  vaniteux  égoïstes  !  parce  qu'il 
a  lu  les  chanls  dé  leur  pensée  sans  en  admirer  là  magie. 
'  Hé  !  Qui  donc  peut  se  larguer  d'avoir  su  trouver  les  mots  à 
dire  au  peuple? 

J'ai  vu  de  pauvres  gens,  au  dernier  Salon,  qui  promenaient 
leur  ennui  endimanché  et  la  fatigue  accablante  des  cadres  méme- 
ment  dorés  des  cris  discords  de  coul.eurs  formant  presque  un 
ensemble  unilonal  tant  ils  sont  multiples,  sur  le  parquet  ciré  des 
salies,  s'arrêter  devant  de  mauvaises  toiles  d'un  pied,  et  rester 
longtemps,  ravis,  les  yeux  illuminés  de  leur  joie.  C'est  qu'ils 
avaient  retrouvé  là  un  coin  de  leur  vie,  un  bout  d'atelier  noir  avec 
un  des  leurs  penché  sur  l'enclume,  ou  une  chambré  pauvre,  des 
mômes,  crottés  dans  des  culottes  grotesques,  et  blêmes  par  un 
jour  louche  de  suif  éclairant  mal  la  misère  nue  des  murs  en 
sueur;  et  qu'ils  se  sentaient  intimement  mêlés  à  l'art,  eux,  dans 
ce  tableau  médiocre  perdu  comme  eux  au  milieu  de  cet  amas  de 
femmes  nues,  vaporeusement  noyées  dans  la  gloire  de  voiles  et 
d'écharpes  allégoriques,  de  chevaux  et  de  guerriers  couverts  de 
fer  bleu  galopant  dans  le  chaos  des  grandes  batailles,  dans  ce 
tas  de  dames  fardées  sous  la  dentelle  et  le  velours,  et  de  pachas 
en  turban  de  soie  entourés  d'esclaves  noirs,  c'est  qu'ils  aimaient 
k  se  figurer  l'artiste  logeant  avec  eux,  porte  à  porte,  choquant 
son  verre  contre  le  leur,  le  matin,  et  venant  s'asseoir  à  leur  table, 
les  samedis  de  paye,  entre  la  ménagère  et  les  petiots  ;  c'est  qu'ils 
sentaient,  dans  ce  cadre  de  dix  pouces,  une  cordialité  à  leur 
adresse,  un  bon  cœur  qui  les  avait  peints  en  les  aimant. 
,  Et  c'est  là  qu'il  convient  de  chercher  les  causes  du  succès  qu'a 
encore  cette  littérature  que  quelques  délicats  ont  dénommé 
c<  roman  à  portières.  »  Parce  que,  au  dessus  de  ces  plates  et 
niaises  intrigues,  puérilement  cousues  autour  d'une  coupure  de 
faits-divers,  plane  toujours  une  sorte  de  pitié  attendrie  pour  ce 
mal  qui  leur  est  si  connu,  dont  pour  ainsi  dire  est  faite  toute 
leur  vie,  à  eux  les  sempiternellement  besoigneux  :  le  mal  de 
misère. 

C'est  qu'ils  revoient,  dans  ces  pages  sans  âri,  la  bande 
d'huissiers  rougeauds  qui  vint  saisir  la  vieille  sourde,  leur  voi- 
sine, dont  le  mari,  un  maçon,  avait  été  écrasé  par  la  benne  d'un 
monte-charge,  à  l'entrée  de  l'hiver;  c'est  qu'ils  entendent  encore 
les  hurlements  de  la  bonne  femme  qui  refusait  de  partir,  et  qu'on 
fut  forcé  de  pousser  sur  le  palier,  avec  son  matelas  saignant  et 
sa  chaise  sans  paille,  et  qui  aurait  crevé  là,  de  froid,  comme  le 
fou,  le. vieil  ébéniste  d'en  face,  qui,  quand  sa  fille  eut  décampé 
avec  un  commis  du  Bon-Marché,  se  laissa  mourir  dans  son  lit, 
sans  le  courage  de  lever  seulement  un  bras;  oui,  crevée  comme 
celui,  s'ils  ne  lui  avaient  ouvert  leur  porte,  à  l'ancienne.  C'est 
que  presque  chaque  foyer  a  son  absente  qui  a  mal  tourné,  dont 
ils  croient  parfois  entendre  le  pas  pressé  dans  l'escalier  noir,  la 
nuit;  et  qu'ils  lisent  de  ces  retours-là,  à  la  fin  de  leur  feuilleton, 
quand  la  coureuse  revient  avec  un  fichu  troué  et  un  môme  à 
museau  rose  sur  les  bras,  et  qu'ils  sont  prêts  à  casser  leur  vieux 
châlit  de  noyer  pour  raviver  le  feu  mort  et  réchauifer  le  petit 
bâtard.     . 


Mais,  oh  !  la  piètre  éducation  sociale,  que  celle  qui  fleurit  dans 
ces  livres  mal  faits!  Et  quels  criminels  inconscients  sont  les 
meilleurs  de  ceux-là  dont  les.  Fleur-de-Marie  sont  princesses  de 
Gérolstein,  et  les  Rodolphe,  marquis  ou  comtes,  ou  seulement 
riches.  Et,  sans  voir  la  cruelle  ironie  qui  se  dégage  de  la  fin  de 
ces  pauvres  'filles  aux  doigts  grêlés  de  piqûres  d'aiguille  que, 
sente,  la  rancœur  que  leur  a  laissée  l'attente  vaine  de  leur 
prince  Rodolphe,  à  elles,  a  peut-être  fait  descendre  au  trottoir, 
n'est-il  pas  révoltant  de  voir  tant  de  «  Chouette  »  et  de  «  Tortil- 
lard »  pour  une  «  Rigolelte  »  et  un  «  Germain  »  et  tant  de 
«  Maître-d'école  »  pour  un  a  Chourineur  »,  quand  il  n'y  a  qu'une 
«  Sarah  »  autour  du  mignon  musqué  qui  coiffe  une  casquette  et 
endosse  une  blouse  pour  aller  mettre  au  pas  la  tourbe  du  Lfl/?m- 
Blanc.     .  r-  ' 

De  la  pitié,  de  la  pitié,  toujours  de  la  pitié;  ils  n'ont  que  de 
la  pitié.  ,  .  . 

La  Cosette  au  sceau  des  Misérables  et  le  Claude  Gueux  à  la 
hache:  groupes  de  piété  de  ce  bonasse  bourgeois  de  génie  qui 
fut  Hugo.  Tous,  tous;  un  même  vent  de  charité  dédaigneuse 
presse  leurs  mots,  enfle  leur  phrase.  Ah!  que  sonne  clair  le 
bourru  :  «  Au  pavé,  mon  camarade  ;  nous  casserons  la  croûte 
après  »  de  Vallès  ;  que  tinte  franc  la  fusillade  de  ses  mots 
d'émeute  ou  de  misères,  vifs  et  meurtriers  comme  des  grains  de 
cendrée  ou  les  limpides  et  rugueuses  phrases  de  Cladel  évoquant 
les  déhanchements  laborieux  et  pénibles  des  siens,  de  ceux  dont 
il  se  fait  la  seule  gloire  d'être  issu.  Ces  plébéiens,  dans  ce  tas  de 
livres  faits  des  constatations  dédaigneuses  de  Concourt,  de  la 
pitié  morose  de  Zola  et  du  scepticisme  un  tantinet  attendrie  de 
Daudet!       •:    '  ^    -:  -  ■-•■-:-•■,-._.:  .^  ■,;:_;■,■•■/  -  :v■-:;^■  ^^  ' 

Hugo  pailait  au  peuple  comme  aux  enfants,  avec  la  même 
bonté  de  vieillard  à  tout  petit  :  une  bonté  de  riche  à  pauvre. 
Quand  donc  leur  encre  battra-t-elle  en  mesure  avec  le  sang  des 
plèbes?  Quand  donc  descendront-ils  des  chaires  de  Sorbonncs 
ou  des  marches  d'Instituts  pour  écrire  dans  la  mêlée  de  la  rue,  à 
hauteur  du  Peuple? 

Jules  Bernard  (de  la  Revue  Socialisée). 


^    LA    ijVloNNAIE 


L'affaire  est  terminée.  L'affaire  ?  Eh  oui,  la  grande  affaire,  celle 
qui  passionne,  depuis  combien  de  semaines  !  les  Wagnéristes. 
Jouera-t-on  la  Walkyrie?  Ne  h  jouera-t-on  pas? 

On  la  jouera.  Après  bien  des  pourparlers,  des  menaces  de  pro- 
cès, des  dépêches  échangées,  on  est  tombé  d'accord. 

Cette  semaine  un  contrat  a  été  signé  entre  les  directeurs  du 
■n^iéâtre,  la  Maison  Scholt,  éditeur  de  la  partition,  et  Angelo  Neu- 
mann,  qui  a  acquis  des  héritiers,  le  droit  de  représentation.  Ce 
dernier  louchera  4,300  francs.  Il  en  réclamait  3,000.  Et  encore, 
les  touchera-t-il  !  Une  question  assez  délicate  est  posée.  H  a 
acquis  le  droit  de  représenter  Die  Walkiire,  c'est  vrai.  Mais  la 
Walkyrie? 

En  d'autres  termes,  l'adaptajjon  française  de  la  partition  rentre- 
t-elle  dans  les  termes  du  contrat,  ou  celui-ci  ne  s'applique-l-il 
qu'à  la  version  allemande? 

Ceci  est  un  débat  qui  s'agilera  entre  les  héritiers  Wagner  et 
Angelo  Ncumann.  Nos  directeurs  n'ont  pas  à  y  intervenir. 

Donc,  on  jouera  la  Walkyrie,  et  l'époque  en  est  déjà  arrêtée  : 
ce  sera  vers  la  mi-décembre.  Les  rôles  vont  êlre  distribués.  Ils 


342 


VART  MODERNE 


sont  d'ailleurs  loul  indiqués  par  les  aptiiudes  spéciales  des 
ariistcs  composant  acluellcmenl  la  troupe.  M"«  Lilvinne,  chan- 
tera Briinhilde,  M.  Sylva,  Siegmund,  M.  Seguin,  Wolan, 
M.  Dourgcois,  Hunding.  Souhaitons  que  le  rôle  de  Sieglinde  soit 
confié  à  M''«  Wolff,  dont  le  nom  n'a  pas  été  cité  jusqu'ici  parmi 
les  interprètes  probables.  Restent  k  distribuer  un  rôle  de  femme 
assez  épineux,  celui  de  Fricka,  la  déesse  d'humeur  peu  folûtre  à 
l'égard  de  son  volage  époux,  et  les  rôles  des  huit  Walkyries  dqnl 
le  Hojoloho!  sera  l'un  des  «  clous»  de  la  soirée. 

Félicitons  la  direction  d'avoir  mené  à  bonne  fin  les  négocia- 
lions.  Le  succès  de  la  Walkyrie  ne  peut  pas  êlre  un  instant 
douteux,  et  les  frais  de  mise  en  scène  ne  sont  pas  excessifs. 

En  attendant  cette  soirée  qui  rappellera  celles  des  Maîtres- 
Chanleiirs,  —  qui  ne  s'en  souvient?—  il  y  aura  une  reprise  im- 
porlante,  celle  d'-^cVodimde,  annoncée  pour  mercredi  prochain, 
et  une  première  :  celle  de  Lakmé,  dont  les  répétitions  marchent 
bien  et  qui  passera  dans  quinze  jours. 

Enfin,  MM.  Dupont  et  Lapissida  viennent  de  recevoir  un  ballet 
de  Félix  Pardon,  les  Fables  de  la  Fontaine,  avec  chœurs,  et  ils 
sont  fort  tentés,  nous  dit-on,  d'accueillir  aussi  l'œuvre  inédite 
d'un  jeune  compositeur  parisien  qui...  dont... 

La  discrétion  à  laquelle  nous  nous  sommes  engagés  nous 
oblige  à  n'en  pas  dire  davantage. 

A  bientôt  donc  le  vrai  début  de  la  saison  théâtrale.  Nous 
reprendrons  possession,  alors,  de  noire  fauteuil  à  critique. 


:,,-.:iuJJ:-.-,:    LE  DUEL  D'HAMLET  ;  f  ;     ;, 

■^     ■    .        ■ 

La  façon  dont  le  duel  d'Hamlet  a  été  réglé  à  la  Comédie-Fran- 
çaise vient  d'être  spécialement  prise  à  partie  par  un  rédacteur  de 
\ià  Saturday  Review.  . 

La  Comédie-Française  n'est  pas  tombée  dans  l'erreur  de  mettre 
entre  les  mains  des  acteurs  des  fleurets  modernes.  Il  s'agit  de 
lourdes  et  longues  rapières,  mouchetées,  en  tout  semblables  aux 
armes  maniées  à  l'époque;  le  jeu  des  adversaires  est  non  l'es- 
crime châtiée  et  menue  de  l'époque  actuelle,  mais  celle  des 
anciens  maîtres  italiens  et  français,  qui  procède  par  bonds  et  atta- 
ques subites.  Le  texte  qui  accompagne  les  passes  montre,  par  sa 
brièveté  môme,  que  c'étaient  de  soudaines  rencontres  après 
lesquelles  les  combattants  reprenaient  du  champ. 

Ce  texte  indique  que,  contrairement  à  ce  qui  se  fait  à  la 
Comédie-Française,  les  deux  adversaires  ne  doivent  faire,  au 
commencement  de  l'assaut  d'armes,  aucun  salut  à  l'assistance. 
On  lit  dans  là  pièce  ces  niols  : 

Le  roi.  —  Allons,  commencez,  —  et  vous,  les  juges,  ayez 
l'œil  attentif. 

Hamlet.  —  Venez-y,  Monsieur. 

Laërte.  —  Venez-v,  Monsieur. 

Et  le  combat  s'engage.  11  n'y  a  pas  là  trace  d'un  salut. 

L'auteur  blâme  M.  Vigeant  de  s'être  laissé  guider  dans  ses 
arrangements  par  V Académie  de  Vespée,  de  Girard  Thibaust, 
Anvers,  4628,  postérieure  à  la  mort  de  Shakespeare,  qui  repro- 
duit non  le  jeu  classique  du  temps,  mais  l'escrime  absolument 
fantaisiste  de  l'école  espagnole.  Le  traité  d'Henri  de  Saint-Didier, 
qui  date  de  1573,  eût  été  préférable,  et  c'est  en  se  basant  sur  les 
indications  de  cet  auteur  que  le  collaborateur  de  la  revue  anglaise 
résout  d'une  manière  nouvelle  le  problème  de  l'échange  des 
épées  entre  Hamlet  et  Laërte. 


Le  texte  porte  :  «  Laërte  blesse  Hamlel;  puis,  en  luttant,  ils 
échangent  leurs  rapières  et  Hamlet  blesse  Laërte  ».  A  la  Comédie- 
Française,  Hamlet,  après  avoir  été  touché,  désarme  Laërte,  lui 
tend  son  épée  et  ramasse  celle  de  son  adversaire.  De  celle 
manière,  l'échange  ne  se  passe  nullement  «  en  luttant  »,  et  il 
semble  plus  naturel  de  rcflfectuer  par  une  manœuvre  que  prévoit 
le  traité  do  Saint-Ditlier.  «  Après  avoir  décrit,  dit  cet  auteur, 
l'art  et  la  pratique  de  l'épée,  je  me  suis  senti  enclin  à  enseigner 
et  à  démontrer  quatre  excellentes  et  subtiles  manières  de  saisir 
l'épée  de  votre  adversaire,  ce  que  l'on  trouvera  être  un  grand 
secours  soit  dans  l'allaque,  soit  dans  la  défense  ».  L'une  de  ces 
quatre  manières  consiste  h  prendre  l'épée  près  de  la  poignée, 
après  l'avoir  relevée  par  une  parade  et  en  faisant  un  pas  en  avant 
du  pied  gauche.  «  Dans  ces  conjonctures,  remarque  Saint-Didier, 
le  mieux,  pour  la  personne  dont  l'épée  est  saisie,  est  de  s'em- 
parer de  la  môme  manière,  s'il  n'a  pas  de  dague,  de  l'arme  de 
son  adversaire  ». 

Comme  la  garde  des  épées  du  xvi^  siècle  était  disposée  de  telle 
sorte  que  la  personne  qui  en  tenait  une  sous  la  garde  avait  plus 
de  facilité  pour  l'arracher  que  celle  qui  la  tenait  par  la  poignée 
pour  la  garder,  chacun  des  deux  combattants  n'avait  plus  qu'à 
lâcher  son  arme,  à  prendre  celle  de  son  adversaire  et  à  continuer 
la  lutte  de  la  main  gauche.  C'est  ce  que  Saint-Didier  exprime  par 
ces  mots  :  «  A  prinse  faut  faire  contreprinse  »;  de  cette  manière 
l'échange  des  armes  a  lieu,  conformément  au  texte,  en  luttant. 


P 


ETITE    CHROJ^iqUf: 


La  saison  des  concerts  s'ouvre  brillamment.  Au  premier  con- 
cert de  V Association  des  Artistes  musiciens^  fixé  à  samedi  pro- 
chain, on  entendra  uneœuvresymphonique  inédite  de  M.  Joseph 
Wieniawski,  Guillaume-le-Tacitimie,^  laquelle  l'éminent  musi- 
cien vient  de  mettre  la  dernière  main,  un  air  tiré  du  Capitaine 
noir,  de  Joseph  Mertens,  chanté  par  M.  Seguin,  et  le  cinquième 
concerto  de  Beethoven  pour  piano  et  orchestre,  joué  par  l'excellent 
pianiste  Kéfcr.  Ce  dernier  fera  enlendre,'en  outre,  plusieurs  com- 
positions de  Borodine  et  la  Chevauchée  des  Walkyries,  de  Wagner 
(transcription  de  L.  Brassin).  Il  est  question  en  outre,  d'un  trio 
inédit  de  M.  Kéfer,  frère  du  pianiste.  Les  parties  de  violon  et  de 
violoncelle  seraient  jouées  par  tous  les  violons  et  tous  les  violon- 
celles, à  l'unisson. 

On  annonce  aussi  deux  concerts  qui  seront  donnés  par 
M.  Franz  Servais,  l'un  au  Ceixle  Artistique,  l'autre  à  VAssocia- 
tion  des  Artistes  musicie7is,  et  exclusivement  consacrés  à  ses 
œuvres. 

Le  Conservatoire  de  musique  de  Bruxelles,  déjà  si  éprouvé, 
vient  de  faire  une  nouvelle  perte.  M.  Francesco  Chiaromonte, 
professeur  de  chant  italien  et  l'un  des  membres  les  plus  distin- 
gués du  personnel  de  l'établissement,  est  mort  subitement  le 
16  courant,  à  l'âge  de  77  ans.  L'artiste,  qui  s'était  entièrement 
consacré  au  profess-orat  en  ces  dernières  années,  avait  eu  jadis 
en  Italie,  sa  pairie,  des  succès  comme  compositeur  dramatique. 
Un  oratorio  de  lui.  Job,  fut  exécuté  récemment  à  Bruxelles,  au 
théâtre  de  la  Monnaie.  M.  Chiaromonte  était,  en  même  temps  que 
musicien,  un  bibliophile  distingué  et  un  homme  affable  et  char- 
mant, dont  la  perte  sera  vivement  regrettée. 

Le  baryton  Blauwaerl  quitte  Bruxelles  le  12  novembre  pour 
faire  une  tournée  de  cinq  mois  en  Autriche,  en  Hongrie,  en  Rou- 
manie, en  Allemagne  et  en  Russie. 

•  Lutèce  vient  de  mourir.  Voici  l'oraison  funèbre  qui  lui  consacre 
laScapin  :  «  Elle  fut  jadis  puissante  et  belle;  elle  ne  se  vendit 
peut-être  jamais  guère,  en  grande  courtisane  qu'elle  fut,  mais 


«■■>■ 


elle  aura  rdternelle  gloire  de  s'être  donndc  tout  entière  aux 
poètes  de  rdcole  nouvelle.  Ceux  dont  la  presse  clame  le  nom  à 
cette  heure  ont  écrit  pour  elle  leurs  meilleurs  vers,  et  aussi  les 
pires.  Le  berceau  du  Symbolisme  et  de  la  Décadence  fut  son  lit. 
Elle  aura  la  gloire  du  Parnasse  contemporain  et  de  VAlmanach 
des  Muses. 

«  Il  y  eut  là  dedans  de  curieuses  polémiques,  d'ébouriffantes 
Têtes  de  pipe^  des  articles  d'un  catholicisme  exagéré,  et  de  mes- 
quines vindictes.  D'élranges  hommes  et  d'élrangcs  choses. 

Le  fondateur,  M.  Trezénik,  a  eu  la  nostalgie  des  pommiers 
normands,  et  peut-être  l'écœurement  du  journalisme.  Il  vaut 
mieux  finir  rural  et  romancier  que  de  tomber  en  Organe  des 
jeunes,  une  triste  mort  pour  un  journal  jeune.  » 

M.  Maurice  Chômé,  du  Théâtre  royal  du  Parc,  ouvrira,  à  partir 
du  25  oclobre  prochain,  un  cours  pratique  de  débit  oratoire, 
spécialement  destiné  aux  membres  du  Jeune  Barreau  qui  désirent 
se  perfectionner  dans  l'art  de  la  parole.  Pour  tous  rcnseignemenls 
s'adresser  108,  rue  Royale,  à  Bruxelles. 

D'une  bonne  et  amusante  venue  le  compte-rendu  des  Petites- 
Manœuvres,  par  Charles  Martel,  de  la  Justice.  Le  chroniqueur 
qui  signe  sous  ce  pseudonyme  est  assurément  l'un  des  meilleurs 
de  la  presse  parisienne  actuelle.  • 

(c  Beaucoup  de  jeunes  personnes  avec  des  messieurs  âgés  et 
beaucoup  de  dames  âgées  avec  de  jeunes  messieurs  ont,  aux 
Menus-Plaisirs,  fait  entendre  les  cris  d'une  pudeur  effarouchée. 
Les  jolies  sociétaires  du  club  des  Rieuses  surtout  étaient  légère- 
ment scandalisées.  Pensez  donc,  il  y  a  dans  la  pièce  une  foule  de 
mots  sur  les  hommes!  Pourtant  le  public,  foncièrement  vertueux 
de  notre  époque,  a  fait  violence  à  ses  sentiments  d'exquise  chas- 
teté et  l'on  a  ri  de  ces  Petites- Manœuvres  qui  ne  sont  qu'une 
grosse  farce.  -  ' 

«  La  pièce  de  Delacour  et  de  M.  Champverl  est  d'un  esprit 
facile,  et  je  ne  conseille  pas  aux  recueils  de  100  calembours  pour 
un  sou  les  mots  sur  la  mer  Méditerranée  et  l'amer  Picon,  les 
petits  verres  et  les  vers  hexamètres,  le  sot  qui  fait  un  saut,  le 
changement  de  noms  des  rues  et  l'ébpulement  du  Pont-Neuf.  — 
Cela  ferait  pleurer  un  g;irdien  de  la  grande  Roquette. 

«  Je  ne  conseille  pas  d'autre  part  aux  jeunes  fdles  qu'on  désire 
garder  en  bon  état  les  mots  sur  le  serpent  et  sur  le  cheval  que 
ma  plume  se  refuse  à  tracer,  mais  je  conseille  l'œuvre  nouvelle 
aux  personnes  qui  aiment  bien  entendre  parler  la  langue  verte^t 
qui  ne  reculent  pas  devant  les  locutions  recueillies  par  Delvau. 
Le  père,  l'ingénue,  le  vicomte,  le  jeune  premier,  le  finan- 
cier, etc.,  traduisent  tous  leur  pensée  dans  cette  pièce  étrange 
par  :  «  Il  fait  rien  chaud!  —  Oh!  malheur,  ne  débinez  pas  le 
«  truc.  —  C'est  rupin,  mince  de  rigolade.  —  J'ia  trouve  forbi- 
«  chouette!  »  et  autres  néologismes  à  dégoûter  Camille  Dbucet 
qui  résiste  pourtant  au  style  de  M.  Rousse  et  autres  académi- 
ciens. 

«  La  sensation  exquise  des  Petites-Manœuvres  a  été  de  voir 
qu'elles  n'éîaient  point  militaires.  Ce  sont  des  gens  très  pékins  de 
costume,  qui  se  livrent  à  des  tactiques  si  innocentes  qu'on  les 
prendrait  pour  le  plan  de  campagne  d'un  général  d'Orléans.  Le 
but  poursuivi,  que  les  auteurs  ont  appelé  la  forteresse,  mot  peu 
poli,  n'est  autre  chose  que  l'amour  de  la  belle  madame  Balifol, 
autour  de  qui  évolue  une  armée  de  prétendants.  Un  d'eux  entre 
dans  la  place  au  dénouement  :  ce  bulletin  doit  suffire  à  qui  s'in- 
téresse à  la  pièce.  "       ., 

«  Point  n'est  utile  de  vous  conter  l'histoire  annexe  de  Rosalba, 
danseuse  de  l'Eden,  elle  ne  contient  qu'un  mol  gai  :  —  Je  ferai 
une  esclandre!  dit-elle  à  un  vieux  client.  —  Pardon,  lui  répond-il 
—  esclandre  est  mascuUn.  —  Eh  bien!  et  vous?  s'écrie  l'enfant 
vexée. 

«  Cette  suite  de  blagues  qui  ne  font  pas  littérature  mais  qui 
feront  peut.-élre  recette  auprès  des  gens  ayant  très  bien  dîné,  est 
débitée  avec  talent  par  M.  Moncavrel.  gaîté  par  MM.  Chambéry, 
Larcher,  Antony,  et  corsage  par  M'^«=>  Blanche  Ollivier,  Jagelti  et 
Joissanl.  » 


Lohengrin,  traduit  par  M.  Charles  Nuitter,  sera  représenté  à 
Paris  en  avril  prochain.  M.  Lamoureux  s'est  entendu  avec  la 
Société  de  l'Eden-Théâlre,  dont  les  représentations  chorégraphi- 
ques cesseront  à  cette  époque.  L'entreprise  finira  le  1.^'  juin. 
M.  Lamoureux  se  propose  de  faire  entendre,  outre  Lohengrin, 
deux  ouvrages  importants,  l'un  d'un  maître  français,  l'autre  d'un 
célèbre  compositeur  étranger.  De  plus,  le  fondateur  des  Nouveaux- 
Concerts  organisera  une  série  de  festivals  où  paraîtront  les  chan- 
teurs et  les  instrumentistes  les  plus  renommés  de  l'Europe.  Grâce 
à  cette  combinaison,  les  lendemains  de  Lohengrin  seront  assurés. 

M.  Lamoureux  ne  donnera  que  dix  représentations  de  l'opéra 
de  Wagner.  Bien  que  l'éminent  chef  d'orchestre  n'ait  d'autre 
souci  que  de  faire  œuvre  d'art,  on  conçoit  qu'il  ait  voulu  mettre 
de  son  côté  toutes  les  chances  de  succès. 


M.  Charles  Garnicr  a  envoyé  à  M.  Francisque  Sarcey  une  lettre 
intéressante  sur  la  mise  en  scène  au  théâtre. 

«  La  mise  en  scène,  dit-il  entre  autres,  s'étend  à  toutes  les  par- 
ties de  rinlerprélation  d'une  œuvre  théâtrale  ; -ce  n'est  pas  là 
affaire  de  mots,  c'est  affaire  de  raison  et  de  vérité.  Tu  déclares 
que  Mounet-Sully  dans  Hamlet,  est  au  dessus  de  tout  éloge,  et  tu 
as  bien  raison;  car  je  ne  sais  aucun  artiste  qui  ait  donné  autant 
que  lui  l'impression  du  personnage  légendaire  qu'il  représente; 
mais  s'il  arrive  à  ce  résultat  supérieur,  s'il  émeut  si  vivement,  ce 
n'est  pas  seulement  parce  qu'il  a  dans  sa  voix  toutes  les  caresses 
et  toutes  les  fureurs,  c'est  aussi  parce  que  tous  les  éléments  qui 
se  rapportent  à  son  jeu  et  â  son  interprétation  en  font  partie  inté- 
grante. Le  costume,  le  port  des  cheveux  et  de  la  barbe,  le  geste, 
la  plastique  du  corps,  les  longs  envolements  de  son  manteau, 
tout  cela  est  combiné  de  façon  à  parfaire  le  type  créé  et  à  l'en- 
tourer du  milieu  qui  lui  donne  la  vie. 

«  Suppose  Hamlet  avec  des  cheveux  ras  et  rouges,  une 
jaquette  de  Ja  Belle  Jardinière,  une  casquette  à  trois  ponts  et  des 
favoris  de  notaire;  l'acteur,  ainsi  affublé,  aura  beau  y  mettre  et 
sa  voix  et  son  talent,  il  ne  sera  jamais  qu'un  piètre  héros.  Si  tu 
mets  un  diamant  de  la  plus  belle  eau  sur  un  torchon  sale,  l'effet 
sera  choquant;  place-le  dans  un  écrin  de  velours  ou  sur un^ beau 
corsage  de  satin,  et  il  brillera  de  tous  ses  feux,  rehaussés  par  les 
harmonies  du  voisinage. 

«  Or,  celte  mise  en  scène,  particulière  à  chaque  artiste,  devient 
prise  à  part  dans  l'ensemble  de  toutes  les  manifestations  théâtrales 
qui  l'entourent,  comme  ce  diamant  qui  ne  peut  avoir  toute  sa 
puissance  d'effet  que  s'il  est  placé  dans  l'écrin  qui  le  fait  briller. 
Cet  écrin,  c'est  la  scène  même  du  théâtre,  qui  vient  collaborer  au 
résultat  final,  c'est-à-dire  au  maximum  d'impression  que  peut 
amener  l'œuvre  dramatique  représentée. 

c<  Quand  je  dis  la  scène,  je  comprends  tout  ce  qui  s'y  trouve,  et 
les  décors,  et  les  praticables,  et  les  costumes,  et  les  effets  d'éclai- 
rage, et  le  groupement  des  artistes  et  des  figurants;  je  com- 
prends les  cortèges,  les  entrées  et  les  sorties,  les  imitations  des 
éléments,  les  lueurs. des  incendies,  les  rayonnements  de  la  lune 
et  même  dans  certains  drames,  le  trémolo  de  l'orchestri?  à  l'ar- 
rivée du  traître.  Rien  de  cela  ne  doit  être  indifférent.  A  l'unité  de 
■**îemps  et  de  lieu,  un  peu  délaissée,  il  faut  ajouter  l'unité  d'harmo- 
nie, qui  est  au  moins  aussi  nécessaire  que  les  autres.  Il  m'importe 
peu  que  les  scènes  sautent  d'une  ville  à  une  autre,  pourvu  que 
mon  esprit  puisse  les  relier  entre  elles;  mais  il  m'importe  que 
les  endroits  oii  elles  se  passent  soient  conçus  dans  le  caractère 
qui  leur  convient. 

«  Lorsque  cette  question  d'harmonie  est  résolue,  on  en  ressent 
un  bien-êlre.  Le  plus  souvent  on  profile  de  l'effet  sans  en  recher- 
cher les  causes  ;  on  ne  songe  pas  à  l'importance  de  la  mise  en 
scène,  parce  que  celle-ci  étant  parfaite,  semble  toute  naturelle.  » 


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Paraît  le  l^r  et  le  16  de  chaque  mois. 

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dramatique. 

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Sixième  année.  —  N°  44. 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  31   Octobre  1886. 


L'ART 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


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^OMMAIRE 


Hamlet  a  la  Comédie  française.  —  Léon  Gladel.  —  Théâtre 
DE  LA  Monnaie.  Hérodiade.  —  Architecture.  Architecture  grec- 
que et  romaine^  par  J.  Dewaele.  —  Notes  bibliographiques.  — 
Chronique  judiciaire  des  arts.  ^-  Petite  chronique. 


-^   HAMLET  A  LA  COMÉDIE  FRANÇAISE  ^ 

Les  grandes  eaux  de  la  critique  ont  joué  à  l'occasion 
des  représentations  d' Hamlet  à  la  Comédie-Française. 
Des  gerbes  de  commentaires  ont  fusé,  se  croisant  avec 
des  jets  de  paradoxes.  Les  uns  ont  taxé  Shakespeare  de 
pessimiste  et  l'ont. enrôlé  dans  le  Schopenhauerisrae ; 
d'autres  n'ont  vu  dans  le  grand  prince  danois  qu'un  fou  ; 
d'autres  se  sont  arrêtés  court  et  n'ont  jugé  le  drame 
que  comme  un  fait-divers  historique  taché  de  sang. 
L'obscurité  et  l'ambiguïté  en  ont  seules  profité  et  le  ca- 
ractère d'Hamlet,  analysé  par  tant  de  gens,  disséqué  par 
tant  de  Francisque  Sarcey,  reste  énigmatique,  heu- 
reusement. Oui,  car  ce  qui  fait  le  charme  le  plus  solide 
d'une  œuvre,  c'est  le  mystère,  c'est  le  voile  qui  la  couvre 
à  moitié,  c'est  la  parcelle  de  Sphinx  qu'elle  recèle,  si 
bien  que,  dès  que  l'esprit  la  comprend  dans  la  totalité, 
elle  lui  devient  indifférente,  puisqu'elle  n'est  plus  digne 
de  sa  curiosité.  Il  en  est  du^  cerveau  comme  des  sens 
satisfaits. 

Nous  ne  nous  attacherons  ici  qu'à  l'interprétation  du 
drame  shakespearien  aux  Français.  Hamlet,  c'est 
Motinet-Sully.  Un  beau  tragédien,  certes,  ou  plutôt  un 
grand  virtuose  du  geste  et  de  la  voix. 


Quiconque  a  vu  Rossi  incarnant  les  héros  du  réper- 
toire romantique,  est  hanté  par  son  art  génial,  tordu  de 
vie,  haletant  de  passion.  Rossi  entrait  dans  Hamlet, 
dans  Macbeth,  dans  Othello,  comme  un  fauve  rugis- 
sant, comme  une  bête  tragique  et  formidable  et,  les 
rôles,  il  les  interprétait  dans  leur  complexité  vivante, 
sauvage  et  légendaire.  Il  ne  sacrifiait  rien  à  la  grâce,  à 
l'artifice,  à  ce  que  j'appellerais  la  draperie  du  jeu  et  la 
silhouette  de  la  voix.  Il  marchait  dans  la  force  et  la 
violence  vers  le  sublime.  Tendre,  néanmoins  parfois, 
mais  comme  à  regret,  ici,  en  parlant  d'amour  aux  Des- 
démone,  aux  Ophélie,  là,  en  se  confiant  aux  Horatio. 
Rossi  était,  du  reste,  un  réalisateur  si  étonnant,  que  des 
personnages  d'art  secondaire,  Louis  XI  par  exemple, 
se  déliaient  de  leur  momification  esthétique  et  mar- 
chaient, etparlaient,  et  souffraient, et  grandissaient  dans 
l'illusion  momentanée  du  chef-d'œuvre.  Aussi,  tout  ce 
qu'il  a  marqué  de  son  geste,  reste,  devant  les  yeux, 
définitif,  absolu  presque. 

Est-ce  Rossi  qui  nous  a  dominé  de  son  souvenir  pen- 
dant les*  deux  soirées  qu'il  nous  a  été  donné  d'assister 
aux  représentations  récentes  à'Ha^nlet?  Nous  le 
croyons. 

Mounet-Sully  nous  apparaît  trop  trempé  de  parisia- 
nisme et  4e  distinction.  Le  Hamlet  saxon,  rude,  ter- 
rible, avec  ses  exaltations  soudaines  et  ses  prostrations 
fatales,  avec  son  âme  nocturne  et  étincelante,  non,  il 
ne  l'a  point  compris  fortement.  Il  nous  l'a  rendu  trop 
correct,  trop  élégant.  Il  en  a  fait  une  création  pour  le 
public  des  Français,  pour  les  dilettanti.  boulevardiers 


y 


346 


VART  MODERNE 


et  peut-être  un  peu  pour  dames.  Oh  !  combien  est  mélo: 
dieuse  sa  parole,  mais  de  cette  mélodie  banale  où  se 
traîne,  après  être  montée  si  haut,  la  voix  de  Sarah 
Bernhardt!  Oh!  qu'il  est  languide  et  joli  son  geste, 
mais  languide  et  joli  comme  ceux  de  certaines  vignettes 
sentimentales.  Partout,  manque  de  vérité  idéale  et  de 
vie  artistique.     ; 

Notre  attention  à  été  attirée  plus  avantageusement 
vers  M"^  Reichemberg.  Celle-ci  nous  galvanise  une 
Ophélie  exquise,  jeunette,  délicate;  une  Ophélie  de 
fleurs  et  de  roseaux,  et  qui  passe,  et  qui  souffre,  et  qui 
meurt  lilialement.  C'est  plutôt  une  ai^parition  d'amante 
qu'une  réalité  :  cela  flotte  et  se  meut,  quoique  palpable 
sur  la  scène,  avant  tout  dans  le  rêve,  cela  évoque 
plutôt  que  cela  ne  dit  tout  ce  que  la  poésie  a  de  fra- 
gilité et  de  douceur.  De  toutes,  c'est  la  création  la  plus 
belle. 

Restent  Sylvain  dans  le  rôle  du  roi,  Agar  dans  celui 
de  la  reine,  Got  dans  celui  de  Polonius,  Maubant  dans 
celui  du  spectre.  Puis  toute  la  kyrielle  des  Duflos,  [des 
Baillet,  des  Joliet,  que  sais-je  !  Il  est  passé  le  temps  où 
l'on  parlait  du  magnifique  ensemble  que  présentait  la 
troupe  «  de  la  maison  Molière...  et  C*  »♦,  C'°  indique  à 
lui  seul  M.  Coquelin.  Les  doublures  et,  pis  que  cela,  les 
triplures  abondent  ici  comme  ailleurs.  Tels  acteurs  sont 
des  décalques  de  Got,  tels  de  Delaunay.  Les  personnels, 
les  forts?  Où  donc?  Les  plus  jeunes  se  montrent  les 
plus  vieux,  les  plus  truqueurs,  les  plus  habiles.  Gestes, 
intonations,  plastique,  tout  est  pris,  tout  est  volé.  La 
mode  lyrique  est  vulgarisée  comme  un  complet  pour 
messieurs  et  un  waterproof  pour  dames.  La  Comédie- 
Française,  c'est  le  Petit  Saint-Thomas  ou  la  Belle 
Jardinière  pour  déclamation  ;  il  n'est  pas  jusqu'aux 
monologuistes  de  salon  qui  n'y  prennent  le  ton  de  Con- 
stant et  les  allures  de  Cadet.  Cela  s'attrape  après  deux 
séances  et  cela  se  paie  fr.  2-50  au  parterre. 

Les  décors  à'Hamlet  sont  superbes.  Les  deux  vues 
de  la  terrasse  d'Elseneur,  baignée  de  lune,  ont  un  mys- 
tère romantique  admirablement  réalisé  avec  des  tons 
bleus  et  verts  et  des  apparitions  de  tours  fantastiques. 
La  salle  de  théâtre  a  le  grand  luxe  des  vieilles 
demeures  royales  et  les  ors  illusionnent  et  héraldisent. 
L'oratoire  étroit  et  sévère  impose  le  recueillement  et 
le  silence.  Quant  aux  visites  du  fantôme,  elles  brillent 
saisissantes  et  discrètes  et  soudaines  et  immatérielles. 

Seul,  le  cimetière  n'a  point  de  caractère. 

Au  résumé,  la  reprise  à'Hamlet  ne  mérite  point 
l'attention  dont  on  l'a  entourée,  ni  les  fleurs  d'encre 
que  les  critiques  ont  semé  sur  les  pas  du  grand  rêveur 
noir. 


LÉON  CMDEl 

La  plupart  des  époques  dé  l'art  français  ont  eu  leurs  indépen- 
dants et  leurs  irréguliers,  dont  les  figures  pleurent  ou  révent  en 
marge  de  l'histoire  des  Lettres  :  face  blême  de  tire-laine  au  temps 
des  poètes,  valets  de  cour  au  sourire  attendri  de  rimeur  de  rondes 
d'enfants,  François  Villon  ou  Fabre  d'Eglantine.  Les  plaintes  de 
mauvais  garçon  de  celui-là  restent,  alors  qu'oubliées  sont  les 
galantises  de  pître  de  Marot,  et  les  marmousetles  de  faubourg 
enfilent  encore  leurs  aiguilles  de  bois  aux  flonflons  du  danlo- 
nisie,  qu'il  rimait  alors  que  dans  l'air  fumait  la  poudre  du  canon 
d'alarme,  et  grondait  la  carmagnole  rouge  de  la  place  Louis  XV  : 

Il  était  une  bergère, 
Et  ron,  ron,  ron, 
Petit  patapon... 

Rire  souffrant  d'artiste  réfraclaire  cinglant  l'art  servile,  ou  bou- 
quet des  champs  humé  entre  les  fusils  de  Piu  et  de  Cobourg  et 
la  guillotine  des  clubs,  vraies  ou  fausses,  ces  silhouettes  charment 
ceux  qui,  comme  moi,  se  plaisent  à  crever  du  front  les  brumes 
du  passé,  pour  y  entrevoir  rougeoyer  le  brandon  des  Jacques,  et 
ouïr  murmurer  la  cithare  des  trouvères. 

En  notre  temps,  où  la  foule  anonyme  et  souffrante  de  toutes 
les  glèbes,  la  foule  aux  millions  de  têtes  roulantes,  dont  on  n'a 
vu  encore  que  les  chefs  gris  des  porte-drapeaux,  va  donner 
l'assaut  au  vieux  monde  social,  temps  que  j'aime,  ils  sont  trois 
ou  quatre  :  d'Aurevilly,  ce  sardonique  gentilhomme  misanthrope, 
d'autres,  et  Cladel,  qui  opt  poussé  librement,  bercés  sur  des 
genoux  pointus  de  douairière  ou  endormis  avec  des  légendes  de 
montagnes,  sous  les  planchers  poutrelles  des  habitations  pay- 
sannes, et  ne  relèvent  d'aucun,  seuls  dans  le  sillon  original  qu'a 
ouvert  leur  plume. 

riadel  est  un  latin.  Tout  gamin,  son  nom  me  fut  familier.  Moi, 
dont  la  songeuse  enfance  faubourienne  a  grelotté  dans  les  rues  de 
neige  de  Paris  assiégé,  et  blêmi  d'angoisse  derrière  les  viires 
matelassées  de  notre  logis,  durant  la  Semaine  de  mai,  tandis  que 
les  obus  du  cimetière  de  l'Est  écorchaient  les  toits,  sur  nos  têtes, 
et  qui  en  ai  peut-être  gardé  ceUe  peur  nerveuse  du  sang  qui  fait 
trembler  d'effroi  mes  coudes,  à  la  moindre  plaie  rouge  chez 
autrui,  j'ai  subi  mes  premières  fièvres  littéraires  en  lisant  les 
Va-nU'pieds. 

Ce  fui  dans  une  boutique  basse  de  la  rue  Biaise,  un  cabinet 
de  lecture  peuple,  dont  le  mauvais  poêle  en  fonte  puait  la  suie 
et  les  livres  le  suif,  et  où  j'allais,  les  soirs  d'hiver,  mes  poings 
de  même  dans  mes  culottes  trop  larges,  durant  deux  heures,; 
aimer  des  reines  et  rosser  les  gardes  du  Cardinal,  avec  les  fan- 
toches à  moustaches  de  Dumas,  ou  cruellement  trépigner  de 
joie  aux  hurlements  du  jésuite  Rodin  mordu  par  les  moxas 
d'Eugène  Sue,  que  j'ouvris  ce  livre  fait  de  la  vie  des  souffrances 
des  miens,  des  siens  aussi  à  ce  plébéien  artiste  dans  les  veines 
duquel  coule  un  peu  du  sang  chanteur  des  Virgile  et  des  Horace 
latins.  C'était  presqu'un  volume  de  luxe,  aux  marges  fortes,  aux 
caractères  purs.  Il  fleurait  l'aristocratie  lettrée,  ce  poème  de 
gueux  avec  sa  préface  limpide  à  Julia  Mullem,  toute  trempée  de 
bonté  gouailleusement  attendrie.  Je  sais  par  cœur  aujourd'hui 
ces  quelques  trois  cents  pages  dont  la  forme  magique  et  souple, 
inconsciemment,  déjà  me  charmait,  alors  que,  en  tournant  les 
feuillets  de  lendemain  de  défaite,  de  Revanche^  dans  mon  cerveau 
de  mioche   précoce  et  rancunier,   passait  le  souvenir  de  ce 


dimanche  de  printemps,  où,  tout  le  matin,  les  vitres  tremblèrent 
aux  derniers  rires  de  la  fusillade,  et  où,  le  soir,  mon  père  s'alita, 
après  avoir  brûlé  sa  vareuse  et  son  képi  de  fédéré.  Ah!  Nazi, 
Quoël,  Montauban-tu-ne-le-sauras-pas,  Auryenlis-Auryentis  : 
idiote  à  teint  de  buis,  à  chef  en  njançhe  de  quenouille  et  à  per- 
ruque de  chanvre  sale,  paysans  blonds,  aux  yeux  lumineux,  au 
front  couleur  d'alude  fauve,  je  vous  aimai,  autant  que  mainte- 
nant, passé  compagnon  dans  l'épuisant  et  cher  métier  des  lettres, 
j'admire  celui  dont  vous  êtes  issus,  qui  vous  tailla  dans  sa  chair, 
chair  de  peuple  comme  la  vôtre,  qui  vous  créa  de  son  cerveau, 
cerveau  d'artiste  souffrant  comme  le  lien,  Montauban-tu-ne-le- 
sauras-pas,  à  toi  qui  le  fis,  lui,  de  ton  sang. 

«  Suum  cuique  »  seul!  oui,  maître,  vous  êtes  seul,  à  les  faire 
ainsi,  dans  votre  langue  avancière,  plus  pure  et  plus  riche  que 
notre  patois  incorrect,  vus  à  travers  votre  ûme,  nos  pères,  nos 
aînés,  nous  tous,  tâcherons  de  l'idée,  ilotes  du  sol  ou  serfs  de 
l'usine  !... 

Je  le  vis  un  jour,  sur  une  page  de  Gill,  à  l'étalage' d'une 
librairie  ;  il  avait  le  front  dur,  barré  d'une  ride  colère,  la  tête 
penchée  par  la  puissance  du  col,  les  muscles  carrés,  ses  poings 
énormes  reposaient  sur  une  pioche.  Ce  piètre  dessinateur,  carir 
caturiste  de  génie,  l'avait  étançonné  dans  ses  sabots,  comme  un 
jouteur  de  fête  nautique.  Dans  ces  yeux  aux  sourcils  joints,  flam- 
bait seul  l'amour  têtu  des  Celtes  pour  la  liberté  ;  son  casque  sans 
cimier  en  cheveux  lourds  et  tordus  était  une  crinière  d'Arverne  : 
un  chef  de  Bagaudes  sous  Carinus.  Gill  s'est  trompé.  Il  y  a  vingt 
siècles  de  lentes,  mais  constantes  éludes  philosophiques,  entre 
Vcrcingétorix  et  Cladel,  et  soixante  générations  mélisses,  arabes 
et  latines,  latines  et  gauloises,  depuis  le  siège  d'Alésia.- 

Je  le  revis  un  matin,  chez  lui,  il  est  très  vieux.  Sous  la  toison 
drue  de  ses  cheveux  crêpés,  on  sent  courir  et  frissonner  l'idée 
dans  les  bosses  du  crâne.  L'ovale  du  visage,  légèrement  allongé 
à  l'orientale,  reste  très  pur  dans  la  barbe  fatiguée.  Il  a  les 
lèvres  pâles,  mâchées,  la  bouche  malade.  —  Avez-vous  remar- 
qué qu'il  a  beaucoup  de  ces  demi-sourires  souffrants  chez  les 
enfants  pauvres  et  les  artistes  sincères.  Je  l'ai  vu  rire  pourtant, 
d'un  rire  de  petiot  ;  ce  penseur  se  plaît  à  feuilleter  des  images 
anglaises,  son  front  gris  de  rêveur  las,  penché  entre  les  têtes 
dorées  ou  bruriettes  de  ses  filles  et  de  son  fils  sur  l'album  ouvert. 
Non,  ce  n'est  là  ni  le  paysan  farouche  de  Gill,  ni  le  Christ  au 
Calvaire  d'Alfred  le  Petit.  Il  a  bien  pourtant  des  épaules  fermes 
de  belluaire.  Ses  yeux  changeants  ont  bien  cette  mélancolie, 
insaisissable  comme  leurs  nuances  diverses  toutes  striées  de  fils 
lumineux  à  reflets  de  métal,  et  qu'on  voit  rouler  dans  les  pru- 
nelles des  bêtes  douloureuses  qu'il  aime,  lui,  comme  ses  sœurs 
heureuses,  ou  malheureuses,  qui  sait  !  de  la  privation  de  ce 
tourment  k  la  fois  que  cette  supériorité  :  la  pensée  ;  mais  il  n'a 
ni  le  front  bas  et  bossu  des  Pastouraux,  ni  la  sérénité  dévotieuse 
des  apôtres-prêcheurs,  qui  devait  relever  le  crâne  |du  Nazaréen 
sous  les  épines  de  sa  couronne.  Son  teint  môme,  teint  de 
nomade  ou  de  laboureur,  s'est  affiné,  a  pris  un  peu  de  la  fièvre 
de  sa  vie.  Ce  n'est  ni  Spartacus,  ni  Jésus  ;  c'est  un  homme  vieux 
de  la  vie,  un  artiste  malade  de  l'art.  Il  a  les  mains  fines,  dont  la 
sensibilité  frissonnante  semble  exagérée,  des  mains  à  toucher 
d'aveugle,  des  doigts  à  caresser  les  chats.  En  lui  l'enthousiasme 
seul  est  jeune.  Cet  homme  était  un  candide.  En  Grèce,  il  eût  été 
rapsode,  â  moins  que,  esclave  révolté,  on  l'eût  jeté  aux  lamprois. 
Parmi  nous,  il  a  souffert,  et,  encore  plus,  vu  les  autres  souffrir. 
Savant  il  a  souffert  pour  le  savoir  ;  artiste,  il  a  souffert  pour  l'art; 


homme  de  plèbe,  il  a  voulu  souffrir  avec  la  plèbe  saignante  et 
procréatrice,  et  donner  son  coup  de  pioche  d'ouvrier  du  livre  aux 
vieilles  iniquités  sociales,  au  système  ploutocratique  du  capital, 
dont,  peut-être,  il  aurait  pu  devenir  un  des  consuls. 

Oui,  c'est  là  une  de  ces  figures  songeuses,  au  regard  mélanco- 
lique et  profond,  que  nos  neveux  aimeront  à  retrouver  dans  les 
brumes  du  passé,  au  dessus  de  son  œuvre,  aux  fièvres  viriles  de 
laquelle  grondera  leur  sang  de  jeunes  hommes,  comme  un  por- 
trait de  mort  pensif  sous  le  toit  de  ses  fils  vivants. 

Il  y  a  deux  noms  dans  le  passé  de  Cladel  :  celui  d'un  aîné, 
Baudelaire,  celui  d'un  compagnon  d'adolescence,  Gambetta.  C'est 
à  l'école  du  premier,  cet  étrange  génie  qui  souffrait  plus,  peut- 
être,  à  fixer  dans  ses  livres  implacables  la  chanson  de  ses  nerfs, 
que  de  l'exacerbation  maladive  de  ceux-ci  mômes,  et  à  qui, 
depuis,  nombre  de  parasites  de  lettres  s'attachèrent  comme  le  gui 
au  chêne,  et  en  vécurent,  qu'il  a  pris  cette  conscienciosité  de  la 
forme  jamais  satisfaite,  épurant  encore  son  idéal  à  mesure  que 
l'œuvre  produite  s'en  rapproche. 

Mais,  tant  était  vif  et  personnel  son  tempérament  artistique,  il 
a  gardé,  intégrale,  son  originalité  propre,  à  côté  d  après  cette 
autre  si  différente  de  la  sienne.  Ceiix  qui  s'étonnèrent  de  l'intimité 
du  grand  curieux  des  villes  et  de  leurs  vices,  et  de  ce  poète  au 
verbe  chaud  comme  les  lourds  soleils  thermidoriens,  et  grondant 
comme  la  basse  sourde  des  blés,  me  semblent  avoir  mal  connu 
Cladel.  «  Un  pâtre  qui  a  du  coton  dans  les  oreilles  »,  a  dit  sym- 
boliquement Vallès.  Peut-êlre:  il  a  toutes  les  maladies  philoso- 
phiques de  notre  civilisation  bâtarde.  Souvent,  je  me  suis  plu  à 
imaginer  un  Cladel  illettré;  et,  non,  il  n'eût  pas  été  un  paysan 
Ordinaire.  D'ailleurs,  il  s'est  battu  avec  la  misère,  et  a  vieilli  sous 
TEoipire.  Même,  une  obsession  nerveuse  lui  en  est  restée,  une 
haine  de  maniaque  pour  le  joug  ancien,  qui  le  poursuit  encore. 
—  Il  y  eut  tant  d'alcooliques,  de  fous  et  de  pendus,  dans  cette 
poignée  d'années  ouverte  et  fermée  par  du  sang  :  Décembre  et 
Sedan.  —  Non,  Cladel  n'est  ni  un  brutal,  ni  un  farouche.  Il  y  a 
chez  lui  tout  un  côlé  de  tendresse  déliée,  qu'on  ne  veut  pas  voir  ; 
tel  de  ses  poèmes  embaume  comme  un  bouquet  d'églogue.  Lisez 
son  livre  d'amour,  celui  que  tout  poète  a  fait  de  son  cœur,  au 
moins  une  fois  en  sa  vie  :  le  Bouscassié,  Il  y  a  des  pages  d'une 
fraîcheur  de  ruisseau  bleu,  de  délicates  marguerites  d'amoureux 
séchées  entre'  chaque  feuillet.  Ses  amants  disent  :  ma  rose,  ma 
fleur;  ses  vierges  répondent  :  mon  roi.  Oui,  cet  homme  était  un 
candide.  Mais  il  a  voulu  faire  l'histoire  de  son  sang  :  son  œuvre 
est  une  œuvre  d'atavisme. 

«  Arrivé  du  fond  du  Quercy,  ma  sauvage  province,  avec  le 
«  tocsin  des  marteaux  sur  l'enclume  dans  le  cerveau,  et  dans  les 
K^eux,  les  éclairs  bleus  des  socs  de  charrue,  enflamboyés  par  le 
a  soleil,  j'ai  voulu  peindre  les  uns,  noter  les  autres,  et  faire 
a  ahaner  .la  foule  des  hommes  de  terre  et  d'usine  dont  je  suis 
«  issu,  dans  les  bruits  de  ceux-là  et  les  éclairs  de  ceux-ci  »  ;  a-t-il 
dit  dans  sa  superbe  dédicace  de  N'a-qu! un-œil  à  la  Plèbe;  et  il 
s'est  ployé  sur  les  pages  blanches. 

Je  n'ai  ni  le  goût,  ni  l'envie  de  faire  de  la  critique  littéraire, 
cette  cuistrerie  d'impuissant  !  mais  je  crois  que  c'est  là  qu'il  faut 
chercher  la  cause  du  manque  de  qualités  analytiques,  que  (quel- 
ques artistes  de  bonne  foi  ont  reproché  à  Cladel.  11  ne  fait  que  de 
souvenir.  Et,  à  mon  avis,  là  est  aussi  sa  plus  grande  force,  peut- 
être  ce  qui  constitue  réellement  sa  puissante  individualité.  Ses 
joies,  ses  deuils,  sa  bonté,  mouillent  les  phrases,  sourient  entre 
deux  adverbes.  Quatre  de  ses  lignes  valent  une  signature  :  Le 


348 


UART  MODERNE. 


symbolisme  aussi,  grandit  ses  héros  :  Il  y  a  vingt  vies  et  toute 
une  philosophie  dans  Ômpdrailles .  Faux?  Que  non!  ce  fils  de 
paysan,  qui,  après  avoir  dessiné,  les  yeux  brouilles  de  larmes 
filiales,  ce  rude  et  sévère  Monlauhan-tu-ne-le-sauras-pas,  paysan 
lui-même,  a  su  faire  ricaner  sournoisement  cet  effroyable  bon- 
homme de  la  Croix-aùx-bœufs.  Mais  il  les  aime,  si  atroces  qu'il 
les  ait  peints  dans  Par  devant  Notaire^  si  bassement  lâches  et 
cruels  que  les  aient  faits  vingt  siècles  de  servitude  superstitieuse, 
ceux  de  chez  lui,  de  sa  province  qui  fume,  chante,  verdoie  et 
fleurit  dans  ses  livres.  Son  Mi-Diable  est  un  singulier  exemple 
de  ces  souvenirs  d'adolescent, revus  et  écrits  par  l'homme  vieilli. 
Les  caractères  sont  grossis,  outrés  même,  par  le  temps  de  nuit 
qui  sépare  la  conception  de  l'œuvre  du  travail  de  forme.  Tout 
petit,  j'ai  entendu  des  guerres  atroces,  contées  ainsi  par  un  vieil- 
lard manchot... 

A  ce  désillusionné,  il  est  resté  une  immense  bonté.  «  Ne  vous 
«  le  dissimulez  pas  mon  cher  enfant,  —  me  disait-il  un  jour;  — 
«  l'aurore  de  la  démocratie  est  le  coucher  du  soleil  de  l'art; 
«  mais,  le  bonheur  de  tous  est  là  ».  Il  souriait,  cet  artiste,  qui, 
toute  la  vie  a  cru  en  l'art,  et  a  vécu  de  sa  foi.  Je  l'aime,  cet 
homme!  Oui,  une  immense  bonté  :  que  de  fois  n'ai-je  perçu  sa 
voix  se  couvrir,  ses  yeux  se  voiler  subitement,  alors  qu'il  laissait 
crier  et  couler  sa  colère  de  citoyen  sur  la  mémoire  de  son  cama- 
rade de  collège,  mort  corrompu  ;  de  celui  à  qui  il  avait  fait  sa 
part  de  tendresse  qui,  toute,  n'a  pas  été  noyée  dans  le  mépris  : 
Gambetta.  El  durant  la  journée  de  funérailles  du  Tribun,  il  resta, 
à  la  fenêtre  haute  de  sa  villa  de  reclus,  à  Sèvres,  seul,  taciturne, 
le  regard  mouillé  et  perdu  dans  les  br.umcs  roulant  au  dessus  de 
l'amoncellement  gris  et  brouiilardeux  de  Paris. 

Souvent,  les  soirs  de  pluie  ou  de  grand  froid,  cassé  au  dessus 
de  son  feu  de  coke,  entre  son  chien  aveugle  et  son  chût  frileux  au 
râble  pelé  par  la  chaleur  du  foyer,  cendreuil  à  peine  cinquante- 
naire, des  noms  de  camarades  disparus  montent  inconsciemment 
h  ces  lèvres  :  Bataille,  Sylvestre,  d'autres.  Alors,  il  semble  vieilli 
encore,  tout  d'un  coup  ;  il  parle  la  voix  changée,  les  yeux  doulou- 
reux, affaissé  brusquement.  Puis,  il  se  lève  et  se  détourne  lente- 
ment, pour  sourire  à  Julia  Mullem  et  baiser  au  front  ses  filles  et 
ses  fils... 

Oh  !  Maître,  savez-vous  combien  nous  sommes,  nous,  à  vous 
admirer  et  à  vous  chérir  ! 

Jules  Bernard. 


ynÉATRE    DE    LA    ^ONNAIE 

HÉRODIADE 

La  soirée  de  jeudi  a  été  une  déception  pour  ceux  —  et  le 
^  nombre  en  est  grand  —  qui  mesurent  le  mérite  d'une  œuvre  à  la 
réclame  qu'on  lui  fait  dans  les  journaux,  dans  les  salons,  dans 
les  couloirs  de  théâtre  où  le  sort  d'une  pièce,  triomphe  oii  chute, 
est  arrêté  d'avance  par  un  groupe  affairé  et  jacassant  dont  l'opi- 
.  nion  repose  sur  des  motifs  assez  étrangers  à  la  valeur  artistique 
de  l'ouvrage. 

Le  tapage  assourdissant  fait,  il  y  a  quatre  ans,  autour  de  la 
première  représentation  &Hérodiadey  a  pu  donner  le  change.  Il 
s'agissait  surtout  alors,  pour  les  Parisiens,  de  faire  pièce  à  la  direc- 
tion de  l'Opéra,  qui  avait  refusé  la  partition  de  Massenet,  et  sans 
se  douter  le  moins  du  monde  qu'une  petite  intrigue  de  coulisses 
était  seule  en  cause,  nos  crédules  concitoyens  ont  de  bonne  foi, 


sur  l'afTirmation  de  nos  voisins,  proclamé  cjief-d'œuvre  une  œuvre 
estimable,  sans  doute,  mais  simplement  estimable. 

La  curiosité  des  braves  gens  de  province,  aiguisée  par  l'appât 
d'une  mise  en  scène  de  féerie  auprès  de  laquelle  pâlissait  même 
celle  du  Tow  du  Mondes  fit  monter  le  thermomètre  du  succès  à 
des  hauteurs  vertigineuses.  . 

Aujourd'hui  que  le  feu  d'artifice  est  éteint,  l'œuyre  apparaît 
toute  nue.  On  en  voit  les  ficelles,  les  baguettes,  le  squelette.  A 
l'éblouissement  a  succédé  une  surprise  et  un  regret.  On  admire 
l'habileté  de  J'arlificier,  mais  on  n'admire  guère  que  cela.  11  y  a 
eu,  jeudi,  à  la  fin  des  premiers  tableaux,  des  velléités  d'enthou- 
siasme, en  souvenir  du  prodigieux  emballement  de  jadis.  Puis, 
une  satisfaction  modérée.  La  lassitude  est  venue  ensuite,  et  fina- 
lement les  Romains  de  la  salle  se  sont  trouvés  tout  seuls  à 
applaudir  leurs  collègues  de  la  scène. 

Cette  impression,  qui  n'est  qu'un  retour  du  bon  sens  bruxellois 
h  une  appréciation  équitable,  ne  nous  a  point  surpris.  Nous 
avions  assisté  à  l'entraînement  irréfléchi  du  public  comme  à  un 
spectacle  curieux  ;  nous  avons  constaté  le  phénomène  sans 
aigreur,  et  nos  comptes-rendus  f),  les  seuls,  croyons-nous,  qui 
mesurèrent  Hérodiade  à  son  mérite  intrinsèque,  reflétèrent  cette 
façon  d'envisager  l'événement.  A  ceux  qui  s'étonnaient  que  nous 
ne  nous  laissions  pas  emporter  par  le  courant  nous  répon- 
dions C*)  : 

«  La  masse  du  public  est,  cbez  nous,  timide  et  hésitante  dans 
ses  appréciations  artistiques.  Elle  s'en  rapporte  volontiers  à  ce 
que  dit  la  prétendue  élite  qui  s'est  érigée  en  oracle  du  goût,  et 
qui,  dans  le  fait,  sans  y  montrer  toujours  le  discernement  le  plus 
pur,  a  au  moins  l'excuse  de  rechercher  les  satisfactions  qu«  don- 
nent les  arts.  Mais,  peu  à  peu,  l'opinion  prendra  l'expérience  qui 
lui  permettra  de  se  passer  de  tout  intermédiaire  et  vous  la  verrez 
alors,  comme  du  temps  de  Molière,  réformer  les  arrêts  du  beau 
monde,  applaudir  quelques-uns  de  ceux  que  celui-ci  aura  dédai- 
gnés et  siffler  parfois  ses  idoles.  » 

Ne  sachant  à  quoi  attribuer  la  médiocre  impression  ressentie  à 
la  reprise  d'un  opéra  dont  la  première  audition  avait  laissé  un 
lumineux  sillage  dans  les  souvenirs,  on  s'en  est  pris  à  l'inter- 
prétatton.  «  C'était  bien  meilleur,  il  y  a  quatre  ans  !  »  disait-on 
à  la  sortie. 

C'est  une  erreur.  Si  l'on  excepte  le  rôle  de  Salomé,  qui  avait 
rencontré  en  1881  une  véritable  artiste  dans  la  personne  de 
M"«  Duvivier,  l'interprétation  élaiiirès  faible.  M.  Vergnet,  chargé 
du  fauve  et  famélique  personnage  de  Jean,  était  un  chanteur  tout 
au  plus  passable  et  un  médiocre  acteur.  La  voix  chevrotante, 
indécise,  de  M.  Manoury,  ne  mettait  guère  en  valeur  le  rôle 
d'Hérode.  M"«  Deschamps,  qui,  plus  tard,  dans  Obéron^  s'éleva 
très  haut,  ne  fut  que  modérément  appréciée  lorsqu'elle  apparut, 
à  grands  tours  de  bras,  sous  les  traits  de  Madame  Hérode. 

Celte  fois,  si  les  rôles  féminins  sont  insuffisants,  les  emplois 
masculins  sont  très  brillamment  tenus.  Mettons  en  première  ligne 
M.  Seguin,  qui  a  composé  un  Hérode  superbe.  Sa  voix,  cetle 
belle  voix  chaude  et  vibraute,  qui  classa  définitivement  l'artiste 
la  première  fois  qu'elle  eut  à  se  déployer  dans  un  rôle  digne  de 
lui,  —  celte  admirable  figure  de  Hans  Sachs  dont  le  souvenir  ne 
s'éteint  pas,  —  a  donné  au  roi  de  Judée  un  relief  inattendu,  et  le 
caractère  indécis,  à  la  fois  voluptueux  et  cruel,  qu'il  a  imprimé 


0)  V.  l'Art  moderne,  1881,  p.  337  ;  1882,  pp.  1  et  9. 
(**)  V.  l'Art  moderne,  1881,  p.  330. 


L'ART  MODERNE 


349 


au  personnage,  l'a  fait  autant  apprécier  comme  acteur  qu'estimer 
comme  chanteur. 

M.  Cossira  est  le  ténor  favori  du  public,  et  le  timbre  charmant 
de  sa  voix  justifie  cette  préférence.  Il  chante  avec  'art  et  avec 
goût  le  rôle  du  Précurseur,  —  ce  prophète  de  salon  que  nous 
présente  Massenet,  nourri,  non  de  sauterelles,  mais  de  colombes, 
drapé  dans  un  tapis  à  rayures  avec  l'élégaince  d'un  cabaliero  flâ- 
nant aux  environs  de  la  Piierta  del  Sol. 

Il  est  dans  la  destinée  du  rôle  de  Salomé,  paraît-il,  d'être  con- 
fié à  une  artiste  d'une  rare  opulence  de  corsage.  M"^  Duvivier, 
qui  n'a,  on  se  le  rappelle,  aucune  ressemblance  physique  avec 
Sarah  Bernhardt,  est  fortement  dépassée  sous  ce  rapport  par  la 
nouvelle  interprète,  M"«  Litvinne.  Que  diraient  les  critiques  fran- 
çais, qui  raillèrent  si  plaisamment  les  avantages  plantureux  delà 
créatrice,  s'il  leur  prenait  fantaisie  de  venir  revoir  la  pièce?  Si 
la  progression  doit  continuer,  attendons  avec  curiosité  la  pro- 
chaine reprise. 

Avec  curiosité  seulement,  car  le  talent  baisse  en  raison  directe 
de  l'augmentation  du  volume.  La  jeune  mais  peu  svelte  artiste  met 
énormément  de  bonne  volonté  à  représenter  une  Salomé  à 
la  fois  passionnée  et  mystique,  ainsi  que  le  veut  la  légende. 
En  dépit  de  ses  efforts,  en  dépit  d'elle-même,  il  est  impossible 
de  se  figurer  sous  ses  traits  joufflus  et  souriants  la  courtisane 
amoureuse.  Ses  bras  de  neige  ont  beau  battre  l'air,  faire  des 
moulinets,  se  figer  en  des  gestes  traditionnellement  étudiés  :  ils 
n'ont  rien  de  tragique.  Quant  à  la  voix  de  M"«  Litvinne,  on  la 
connaît  :  elle  n'est  pas  désagréable  à  entendre,  mais  elle  manque 
de  timbre  et  surtout  de  puissance.  Dans  les  ensembles  bruyants 
que  Massenet  n'a  pas  craint  de  multiplier,  elle  se  perd  dans  un 
sourire. 

M"«  Balensi,  une  fort  belle  personne,  au  profil  sémite,  mime 
avec  quelque  talent  le  personnage  d'Hérodiade.  Elle  rappelle  par 
instants  M"*^  Deschamps,  avec  qui  elle  a  certains  traits  de  res- 
semblance communs.  Mais  la  voix  est  insuffisante.  Elle  est 
«  blanche  »  comme  on  dit  dans  l'argot  des  professeurs  de  chant 
et  ne  «  porte  »  pas. 

Enfin,  MM.  ïlenaud  et  Bourgeois  ont  repris  la  succession  de 
MM.  Fontaine  et  Gresse,  et  tous  deux  chantent  convenablement 
leur  partie.  M.  Bourgeois  a  même  eu  les  honneurs  d'une  création, 
le  compositeur  ayant  jugé  à  propos,  pour  la  clarté  du  récit,  d'ajou- 
ter à  sa  partition  un  tableau  dans  lequel  Phanuel  révèle  à  Héro- 
diade  le  secret  de  la  naissance  de  Salomé. 

Il  y  a  une  autre  «  rallonge  »,  une  scène  qui  se  passe  dans  le 
palais  d'Hérode,  où  l'on  voit  le  monarque  chercher  avec  insis- 
tance, parmi  ses  femmes,  les  traits  adorés  de  Salomé,  et  congé- 
dier brusquement  son  harem  pour  presser  amoureusement 
sur  son  cœur  l'ombre  de  celle  qu'il  aime. 

On  comptait  beaucoup  sur  l'effet  de  ces  deux  tableaux,  figurés 
sur  les  affiches  et  annoncés  avec  quelque  bruit  par  des  reporters- 
inlerviewers.  Ils  ne  constituent,  somme  toute,  qu'une  dilution 
nouvelle  de  la  partition  et  ne  changent  pas  grand  chose  à 
l'ensemble,  si  ce  n'est  qu'ils  font  durer  un  peu  plus  longtemps  le 
plaisir  d'entendre  la  musique  aimable  et  gracieuse  de  M.  Mas- 
senet. . 


^ 


RCHITECTURE 


Architecture  grecque  et  romaine,  par  J.  Devvtaele,  profes- 
seur à  rAcadémie  de  Gand.  —  Gand,  J.  Vuylsteke,  1886. 

Il  y  a  quelques  mois  déjà  que  M.  Dewaele  fit  paraître  son  très 
intéressant  traité  d'architecture.  Qu'il  nous  excuse  de  ne  pas 
l'avoir  analysé  plus  tôt  et  veuille  bien  attribuer  uniquement  ce 
retard  aux  vacances,  ces  grandes  coupables,  insidieuses  inspira- 
trices des  voyages  lointains  et  de  longs  séjours  dans  l'oisiveté  des 
champs. 

Le  livre  eût  mérité  d'être  signalé,  dès  son  apparition,  et  d'une 
façon  particulière,  à  l'attention  des  artistes.  L'auteur  expose  en 
trente-cinq  petits"  chapitres  les  principes  fondamentaux,  le 
«  mécanisme  »,  pourrait-on  dire,  de  l'architecture  grecque,  et 
complète  sa  démonstration  par  un  nombre  égal  de  planches  con- 
tenant des  croquis  expressifs,  n'ayant  rien  de  h  pédanterie  des 
épures,  et  reproduisant,  comme  exemples  à  l'appui  du  texte,  des 
fragments  de  chefs-d'œuvre  antiques. 

Ce  qui  constitue  l'originalité  de  l'enseignement  de  M.  Dewaele, 
c'est  qu'au  lieu  de  prendre  pour  point  de  déj)art  l'architecture 
gréco-romaine  des  i^"",  ii«  et  iii^  siècles  de  notre  ère,  qui  n'est 
qu'une  altération  de  la  pure  architecture  grecque  dont  l'Egypte 
et  l'Assyrie  fournit  aux  Hellènes,  dès  le  vu*  siècle  avant 
Jésus-Christ,  les  éléments,  le  professeur  remonte  k  la  plus  belle 
époque  de  l'art,  c'est-à-dire  au  iv^  siècle  avant  l'ère  chrétienne. 
Il  signale  les  principaux  éléments  de  construction  en  usage  à 
cette  époque  et  indique  les  variantes  par  lesquelles  les  Romains 
.  dénaturèreiTt  peu  à  peu  le  type  primitif. 

«  Aux  xv^  et  xvi**  siècles,  dit-il,  on  étudia  avec  passion  les 
monuments  anciens  et  une  Renaissance  de  l'art  antique  s'en 
suivit.  Malheureusement  la  Grèce,  était  alors  fermée  aux  explora- 
teurs et  ce  furent  les  seuls  édifices  romains,  produits  dé  la  déca- 
dence do  l'art  grec,  qui  devinrent  l'objet  de  ces  investigations 
ardentes. 

Dans  l'enthousiasme  produit  par  ces  premières  révélations  de 
toute  une  époque  perdue,  on  dédaigna  les  arts  du  moyen-âge  et 
on  crut  codifier  à  tout  jamais  ce  qui  parut  pour  le  moment  être 
l'expression  la  plus  élevée  du  Beau.  » 

C'est  contre  cette  codification,  qu'il  juge  irrationnelle,  et  à 
juste  titre  semble-t-il,  que  proteste  M.  De  Waele,  et  son  traité  a 
précisément  pour  objet  d'asseoir  l'enseignement  de  l'architecture 
sur  des  bases  nouvelles.  Dans  ce  but,  après  avoir  décrit  l'origine 
des  formes  architecturales,  il  passe  en  revue  toutes  les  parties  de 
la  construction  dans  leurs  éléments  essentiels  et  leurs  motifs 
-décoratifs,  les  murs,  les  colonnes  (bases,  fûts,  chapiteaux),  les 
entablements,  les  antes,  les  caryatides,  les  portes,  les  fenêtres, 
les  plafonds,  les  toits,  les  frontons,  les  voûtes,  etc.,  et  termine 
par  un  exposé  des  proportions  relevées  dans  les  monuments  des 
rirois  ordres  classiques. 

Son  livre  est  instructif,  attachant,  et  résume,  dans  une  forme 
concise,  tous  les  principes  d'architecture  qu'il  importe  de  con- 
i\aître. 

Dans  des  études  qui  paraîtront  ultérieurement,  l'auteur  se  pro- 
pose d'examiner  l'architecture  du  moyen-âge  et  celle  de  la 
Renaissance.  Il  sera  piquant  de  connaître  son  opinion  sur  les 
appréciations  des  architectes  de  celle  époque  qui,  jusqu'à  ce 
jour,  ont  fait  foi  dans  nos  écoles. 


j^OTE^    BIBLIOQRAPHIQUE? 

La  maison  Qiianlin  qui,  jusqu'aujourd'hui,  s'élait  presqu'cxclu- 
sivcment  occupée  de  rééditions  de  luxe  et  avait  réussi  à  imposer 
atout  colleclionneur  de  goût  ses  éditions  illustrées  des  classiques, 
offre  au  public,  sans  changer  en  rien  ses  anciennes  tendances 
typographiques,  toute  une  collection  de  romans  modernes  dont 
les  trois  premiers  :  les  Contes,  de  Borgerét,  Chimère,  de  Mouton, 
et  Céleste  Prudhonmatyde  Gustave  Guiches,  viennent  de  paraître. 
La  dernière  de  ces  œuvres  est  remarquable.  C'est  le  début  d'un 
écrivain. 

La  province  y  est  traduite  dans  ses  conventions  les  plus  sacrô- 
sainies,  ses  usages  les  plus  formels,  ses  étroilesses  les  plus  serrées. 
Céleste  Prudhonmat  est  l'histoire  d'une  institutrice  séduite.  C'est 
un  drame  arraché  de  la  réalité  la  plus  journalière  et  jeté  dans  le 
livre,  vivant  el  cruel.  Ce  qui  donne  créance  à  celle  élude?  La  sin- 
cérité de  l'observation  sans  parti  pris,  sans  note  forcée,  sans 
grandissement  pour  l'cifet  à  produire,  sans  timidité  pour  la  vérité 
à  montrer.  Rien  d'épique,  mais  de  la  netteté,  de  la  bonne  foi,  de 
la  juste  mesure. 

Une  scène  de  théâtre  nous  a  surtout  arrêté.  C'est  la  querelle 
de  l'institutrice  et  de  son  amant  en  pleine  salle,  pendant  une 
représentation  du  Bossu.  La  colère  de  la  femme,  ses  violences, 
sa  rage  à  compromeiire  son  amant  et  tout  cela  dans  le  milieu 
provincial,  cancanier,  terrible,  éclaient  progressivement  et  ses 
phrases  sont  des  soufflets  et  ses  récriminations  des  coups  de  cra- 
vache. Ce  chapitre  est  très  enlevé. 

Le  style  de  Céleste  Prudhonmat  [nous  plaît  moins.  Il  n'a  pas 
grande  couleur  et  le  dessin  des  phrases  est  quelquefois  lâché. 
'.  Axel,  de  Villiers  de  l'Isle-Adam,  est  annoncé  au  dos  de  Céleste 
Prudhonmat.       '■■:>,  '■•■•-.,-/' ;.:-:  v^\..-'   ■"./'  v^-'- ■ --^  "■■:'"'•■ 

Chez  Ollendorff  ont  paru  Contre  le  flot,  de  Claveau,  un  livre  de 
critique  de  bon  sens  et  les  Figures  -parisiennes ,  qui  sont  autre 
chose  et  plus  qu'une  collection  d'anecdotes  sur  des  auteurs  àla 
mode  et  sacrés  Parisiens  par  les  lundisles  des  journaux.  Arsène 
Houssaye  a  préfacé  le  volume  en  galant  homme  et  de  goût.  Les 
portraits?  Madame  Adam,  Dumas,  Vacquerie,  Sarcey,  Zola. 

Celui  de  Dumas  est  le  plus  vivement  fouillé  el  écrit.  Toutes  les 
théories  de  l'auteur  de  V Homme-Femme  y  sont  exposées,  mises 
en  relief,  unifiées,  clarifiées  même  et  assimilables  à  tous  ceux  qui 
pensent  comme  cet  écrivain  spirituel  comme  un  Français  et  logi- 
cien comme  un  Yankee. 

Pierre  Ahs  et  Sophie- Adélaïde  apparaissent  deux  autobiogra- 
phies. 

*** 

Chez  Brunhoff,  divers  recueils  de  contes,  Lesbia,  de  Mendès,  et 
V Amour  suprême,  de  Villiers  de  l'Isle-Adam.  Nous  examinerons 
avec  le  soin  qu'elle  réclame,  l'œuvre  récente  de  ce  dernier,  pro- 
chainement. 


CHRONIQUE  JUDICIAIRE  DBS  ARTS 

Voici  une  décision  du  Tribunal  de  la  Seine,  qui  consacre  en 
matière  artistique  un  principe  d'une  grande  importance  et  qui 
montre  combien  les  idées  de  protection  du  droit  de  l'artiste,  et 
l'on  pourrait  dire  du  droit  de  l'oeuvre  artistique,  font  de  pro- 
grès. Tout  jurisconsulte  ëûï  trouvé,  jusqu'ici,  très  hardi  d'inten- 


ter contre  l'auteur  d'un  faux  tableau  ou  contre  le  marclia«d  tiul 
l'expose,  un  procès  au  nom  d'un  simple  anaaicnr,  possesseur 
d'œuvres  du  maître  véritable,  en  se  fondant  sur  ce  que  cet  ama- 
teur a  intérêt  t  empêcher  la  circulation  d'œuvres  contrefaites 
-parce  qu'elles  déprécient  les  originales.  Désormais  celle  hardiesse 
apparaîtra  comme  l'exercice  d'un  droit  légitime. 

Le  possesseur  d'un  certain  nombre  d'études  d'un  artiste  a  intérêt  â 
faire  rétablir  la  véritable  origine  d'une  œuvre  de  celui-ci,  faus- 
sement qualifiée,  exposée  dans  la  vitrine  d'un  marchand. 

Chacun  a  un  intérêt  moral  d'un  ordre  supérieur  à  défendre  de 
toute  atteinte  et  de  toute  usurpation  la  m,émoire  et  la  réputation 
artistique  de  son  père.  ^^ 

Attendu  que  dans  le  courant  de  janvier  1884,  Garniér,  marchand 
de  tableaux,  a  exposé  dans  sa  vitrine  une  étude  signée  des  initiales  : 
Th.  R.,  et  accompagnée  d'une  étiquette  portant  le  nom  de  Th.  Rous- 
seau. 

Que  René-Paul  Huet,  prétendant  que  cette  étude  était  l'œuvre  de 
son  père,  a  obtenu  par  ordonnance  de  référé  du  29  janvier  1884 
qu'elle  serait  placée  sous  séquestre  et  a  demandé  qu'il  fût  fait  défense 
à  Garnier  de  l'exposer  et  de  la  mettre  en  vente  sous  un  autre  nom  ; 

Attendu  que  sur  sa  demande,  un  jugement  en  date  du  20  janvier 
1885  a  ordonné  avant  faire  droit  que  le  tableau  serait  examiné  par 
trois  experts  à  l'effet  de  dire  si  la  signature  :  Th.  R...  a  été  rapportée 
et  substituée  à  celle  de  Panl  Huet  et  si  le  tableau  est  réellement 
l'œuvre  de  Paul  Huet  intitulée  :  Près  Meaux  en  Brie,  et  catalogué 
sous  le  no  83,  lors  de  la  vente  des  tableaux  de  ce  maître  faite  en  1878  ; 

Attendu  qu'il  résulte  de  l'examen  auquel  il  a  été  procédé  par  les 
experts  que  la  signature  en  rouge  Th.  R.  a  été  rapportée  postérieu- 
rement à  l'exécution  du  tableau,  mais  non  substituée,  à  celle  de  Paul 
Huet,  qui  n'y  a  jamais  figuré; 

Que  les  experts  ont  déclaré  en  outre  que  le  tableau  est  bien  réelle- 
ment l'œuvre  de  Paul  Huet  et  semble  être  l'étude  cataloguée  sous  le 
no  83  de  la  vente  de  1878  : 

Attendu  que  les  experts  ont  constaté  que  la  fausse  signature 
Th.  R.  était  accompagnée  du  mot  d'«pré»,  placé  plus  bas,  en  plus 
petits  caractères  et  caché  dans  la  feuillure  du  cadre;  

Que  c'est  donc  à  tort  et  frauduleusement  que  le  tableau  a  été  mis 
en  vente  sous  le  nom  de  Th.  Rousseau,  auquel  il  était  attribué  faus- 
sement ; 

Attendu  que,  pour  faire  échec  à  la  demande,  Garnier  soutient  que 
René-Paul  Huet  ne  justifie  d'aucun  intérêt,  et  qu'au  surplus  l'étude 
dont  il  s'agit  n'est  nullement  l'œuvre  de  son  père  ; 

Attendu  que  le  demandeur  a  un  intérêt  moral  d'un  ordre  supérieur 
â  défendre  de  toute  atteinte  et  de  toute  usurpation  la  mémoire  et  la 
réputation  artistique  de  son  père  ; 

Qu'en  outre,  en  qualité  de  possesseur  d'un  certain  nombre  d'études, 
il  a  intérêt  à  faire  rétablir  la  véritable  origine  de  l'œuvre  ; 

Attendu  qu'en  présence  des  constatations  des  experts  et  des  faits 
réconnus  de  la  cause,  on  ne  saurait  contester  que  l'étude  dont  il 
s'agit  était  l'œuvre  de  Paul  Huet  ; 

Qu'il  est  sans  intérêt  de  rechercher  si  cette  étude  est  bien  l'œuvre 
originale  comprise  sous  le  n»  83,  lors  de  la  vente  en  1878  ou  si  elle 
en  est  seulement  une  copie  :  - 

Que  les  règles  qui  protègent  la  propriété  artistique  contre  toute 
usurpation  semblable  à  celle  dont  se  plaint  le  demandeur,  doivent 
s'appliquer  également  dans  les  deux  cas  ; 

Attendu  dès  lors  que  c'est  à  bon  droit  que  René-Paul  Huet  réclame 
la  réparation  du  préjudice  qui  est  résulté  pour  lui  de  cette  fausse 
attribution,  sans  que  Garnier  puisse  invoquer  sa  bonne  foi; 

Qu'en  effet,  après  avoir  déclaré  tout  d'abord  qu'il  était  certain  de 
l'authenticité  de  la  provenance  du  tableau  et  qpi'il  la  tenait  des 
lumières  d'un  critique  d'art  aujourd'hui  à  l'étranger,  il  a  prétendu 
en  dernier  lieu  que  c'était  une  copie  par  lui  achetée  à  vil  prix  ; 


Par  ces  motifs^  sans  s'arrêter  ni  avoir  égard  aux  conclusions 
subsidiaires  de  Garnier  afin  de  supplément  d'expertise,  lesquelles 
sont  sans  intérêt  ; 

Dit  que  le  tableau  litigieux  n'est  pas  de  Théodore  Rousseau,  mais 
qu'il  est,  soit  en  original,  soit  en  copie,  l'œuvre  de  Paul  Huet; 

Fait  défense  à  Garnier  de  l'exposer  et  de  le  mettre  en  vente  sous 
d'autre  nom  que  celui  de  Paul  Huet  ; 

Et,  pour  le  préjudice  causé,  condamne. Garnier  à  payer  au  deman- 
deur la  somme  de  1. franc,  qu'il  réclame  à  titre  de  dommages-inté- 
rêts; 

Ordonne,  à  titre  de  supplément  de  dommages-intérêts,  l'insertion 
du  présent  jugement  dans  cinq  journaux  au  choix  du  demandeur  et 
aux  frais  de  Garnier,  sans  toutefois  que  le  coût  de  chaque  insertion 
puisse  dépasser  200  francs  ; 

Condamne  Garnier  en  tous  les  dépens,  qui  comprendront  les  frais 
de  référé,  de  séquestre  et  d'expertise. 


pETITE    CHROJ^IQUE 


Aujourd'hui  dimanche,  à  2  heures  de  relevée,  première  matinée 
de  musique  de  chambre,  pour  instruments  à  vent  et  piano,  au 
Conservatoire.  MM.  Dumôn,  Guidé,  Poncelel,  Merck  et  Neumans 
exécuteront  un  quintette  d'Onslo\v,une  suite  pour  flûte  et  clavecin 
de  J.-S.  Bach,  une  romance  pour  cor  de  Van  Cromphout  et 
l'ottetlo  de  Gouvy,  avec  le  concours  de  MM.  Heirweigh,  Bayard 
et  Peeters. 

La  clôture  de  l'Exposition  des  tableaux  anciens,  actuellement 
ouverte  au  Palais  des  Beaux-Arts,  aura  lieu  lundi  1^»'  novembre, 
à  5  heures. 

M.  Edouard  Grégoir,  connu  par  ses  publications  sur  la  musique 
et  les  musiciens,  prépare  un  nouvel  Ouvrage  relatif  aux  compo- 
siteurs, aux  instrumentistes,  aux  cantatrices,  aux  chanteurs,  etc., 
intitulé  Souvenirs  artistiques.  Il  fait  appel  aux  personnes  qui 
posséderaient  des  renseignements  sur  des  musiciens  restés 
inconnus  ou  qui  auraient  des  lettres  rares  à  lui  communiquer 
pour  compléter  son  étude.  Celle-ci  sera  publiée  en  plusieurs 
volumes  mis  à  la  portée  de  toutes  les  bourses.  S'adresser  pour 
toute  demande  et  envois  à  M.  Joseph  Dirix,  rue  du  Margrave,  9, 
à  Anvers.  •  - 

M""®  Edward  Speyer,  née  Antonia  KufFerath,  qui  depuis  son 
mariage  ne  s'est  plus  fait  entendre  en  public,  chantera  à  Crefeld 
le  Requiem  de  Brahms. 

L'imprésario  Maurice  Strakosh  écrit  au  Musical  Standard 
qu'il  a  découvert,  en  Suède,  un  rossignol,  dont  le  plumage 
répond  au  ramage  :  une  beauté,  et  le  plus  remarquable  soprano 
qu'il  ait  rencontré  depuis  le  jour  où  —  il  y  a  trente  ans  —  il 
découvrit  Adelina  Palti.  Le  nom  :  M"«  Sigrid  Arnoldsen. 


jouer  un  personnage  qui  ne  sera  peut-être  pas  la  moins  divertis- 
sante de  ses  créations. 


» 


Les  Débats  ont  donné  à  Coquelin  ce  coup  violent  de  patte  : 
«  Puisque  nous  sommes  condamnés  à  perdre  M.  Coquelin,  il 
faut  en  prendre  notre  parti.  Nous  regretterons  l'éloignemenl  d'un 
acteur  auquel  nous  devoAs  quelques  agréables  distractions.  Nous 
nous  en  consolerons  par  la  pensée  qu'il  reparaîtra  sans  doute  un 
jour  sur  une  autre  scène,  la  seule  qui  ne  lui  soit  pas  interdite  en 
France  par  l'arrêté  de  M.  le  ministre  des  beaux-arts,  —  nous 
voulons  parler  de  la  scène  politique,  —  et  que  nous  l'y  verrons 


Jeanne  Granier,  la  divetle,  a  disputé  en  justice  avec  sa  blan- 
chisseuse. Les  débats  ont  été  fort  curieux.  La  nole.de  2,044  frs. 
n'a  pas  été  réduite  d'un  centime.  La  demanderesse,  comme  on  dit 
au  Palais,  a  d'ailleurs  pris  soin  d'expliquer  ce  qui  pouvait  paraître 
exagéré  dans  sa  facture.  Léon  Millot  l'explique  spirituellement 
dans  la  Justice  :  «  Ce  ne  sont  pas  seulement  les  délicates  gui- 
pures et  les  transparents  bas  de  soie  qui  exigent  des  soins  parti- 
culiers et  d'excessives  précautions.  Il  paraît  que  la  diva,  dans  le 
feu  de  la  scène  évidemment,  a  déchiré  ses  dentelles  intimes  et 
fait  des  accrocs  à  ses  dessous.  Il  fallait  réparer  ce  désordre,  effet 
de  l'art,  et  la  repasseuse  a  dû  s'élever  aux  hauteurs  de  la  lingère. 
Il  est  certain  qu'après  les  démêlés  homériques  de  Sarah  Bern- 
hardl  et  la  question  d'état  Coquelin,  le  procès  de  Jeanne  Granier 
ne  peut  manquer  de  passionner  les  foules.  Cette  dernière  étape 
de  la  curiosité  publique  n'aura  pas  un  moindre  retentissement, 
et  si  la  presse  publiait  le  nom  de  M""®  L...,  l'adversaire  de  la 
chanteuse,  il  n'est  pas  douteux  que  le  lendemain  tout  le  fau- 
bourg Saint-Germain,  avide  de  détails  sur  la  garde-robe  intime  de 
la  diva,  ferait  queue  chez  la  repasseuse.  H  se  tpouve  sans  doute 
d'ailleurs  des  reporters  qui  vont  interviewer  l'artiste,  afin  de  pou- 
voir nous  renseigner  d'une  façon  authentique  sur  son  linge  de 
jour  et  de  nuit.  Ils  diront  le  chiffre  exact  des  pantalons,  la  nuance 
des  bas,  le  prix  des  chemises,  et  la  place  précise  des  bouffants. 
Ceux  qui  pourront  savoir  où  se  trouvaient  les  déchirures  feront 
mourir  leurs  rivaux  de  désespoir.  Puisque  ces  potins  renouvelés 
de  M'"^  Gibou,  ont  le  don  d'émouvoir  M.  Prud'homme  et  de 
mettre  en  joîe  le  décadent  public  parisien,  la  presse  boulevar- 
dière  aurait  bien  tort  de  se  gêner,  et  il  ne  faut  pas  désespérer 
qu'elle  lui  fourre  un  jour  le  nez  dans  les  rinçures  des  lavabos 
célèbres  ». 

Un  journal  italien  reproduit  les  extraits  qui  suivent  de  l'album 
de  M"®  Adelina  Patti  : 

a  Ma  bonne  Adeline,  . 

c<  Rien  ne  m'est  plus  facile  que  de  jeter  une  pensée  sur  votre 
album.  Pensée  qui  me  trotte  par  la  tête  :  vous  chérir  comme  une 
adorable  créature,  admirer  votre  ravissant  talent,  être  à  jamais 
votre  ami. 

«  Paris,  le  16  février  1864.  «  G.  Rossini.  » 

«  A  sa  ravissante  Dinorah,  l'auteur  reconnaissant  présente  ses 
hommages  et  l'expression  de  son  admiration. 
^«  Paris,  3  avril  1864.  «  Meyerbeer.  » 

((  Oportet  pati. 

«  Les  latinistes  traduisent  cet  adage  par  :  Il  faut  souffrir. 

«  Les  moines  par  :  Apportez  le  pâté. 

«  Les  amis  de  la  musique  :  Il  nous  faut  la  Patti. 

«  H.  Berlioz.  » 


!  V 


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Paraît  le  l^r  et  le  16  de  chaque  mois. 

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Revue  littéraire,  artistique,  musicale  et 
dramatique. 

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*  Sixième  année.  —  N°  45. 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  7  Novembre  1886. 


L'ART 


MODERNE 


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O'MMAIRE 


ViLLIERS   DE    l'IsLE-AdAM.    La    SERVANTE.    ThÉATRE    DE    LA 

Monnaie.  Reprise  des  Dragons  de  Villars.  —  Paysage  Sylves- 
tre.—  Notes  de  musique.  Concert  des  Artistes  tnusiciens;  Con- 
cert de  musique  de  chambre  au  Conservatoire.  —  Notes  biblio- 
graphiques. —  Bibliographie  musicale.  —  Correspondance.  — , 
Petite  chronique. 


VILLIERS  DE  L'ISLE-ADAM  0 

Catulle  Mendès  étiquette  Villiers  de  l'Isle-Adam  : 
demi-génie.  Après  XEve  future  et  même  avant,  il 
était,  nous  semble-t-il,  juste  et  opportun  d'eflacer  cette 
fraction  à  double  entente. 

h' Eve  future  est,  certes,  le  livre  le  plus  beau  qui 
ait  paru  cette  année.  Dans  l'œuvre  de  Fauteur,  il  se 
marque  le  plus  complet  et  le  plus  mûri  ;  il  est  d'une 
unité  forte  et  d'une  architecture  d'ensemble  large.  Dans 
le  mouvement  littéraire  général,  c'est  lui  qui  apporte 
la  plus  remarquable  originalité,  qui  est  le  moins  livre 
d'hier  et  le  plus  livre  de  demain.  Seulement,  il  s'est  fait 
que  peu  de  gens  s'en  sont  douté,  et,  soit  jalousie,  soit 
myopie  intellectuelle,  la  phalange,  à  plume  grinçante, 
des  critiques,  n'a  craché  que  des  fleurs  noires  sur  les 
trois  cent  cinquante-cinq  pages  de  rin-12.  Ce  qu'il 
mérite  c'est  l'accueil  triomphant.  Il  est  l'expression  à 
la  fois  nette  et  mystérieuse  de  l'ironie  la  plus  moderne. 

Villiers  de  l'Isle-Adam  est  un  rêveur  doublé  ou 
plutôt  agrandi  d'un  penseur,  il  est  d'une  dualité  poé- 


{*)  L'Eve  Future,  Paris,  Brunhoff. 


tique  et  philosophique  fondue  en  un  artiste.  Sa  parole 
doit  être  écoutée  cçmme  dominatrice.  Il  dit  quelque 
part  dsLiis ,Caêilina  de  V Amour  suprême  :  «  Ma  déli- 
cieuse et  solitaire  villa,  sise  au  bord  de  la  Marne, 
avec  son  enclos  et  son  frais  jardin,  si  ombreuse  l'été 
et  si  chaude  l'hiver,  mes  livres  de  métaphysique 
allemande,  mon  piano  d'ébène  aux  sons  purs,  ma  robe 
de  chambre  à  fleurs  éteintes,  ma  paisible  lampe  d  étude, 
et  toute  cette  existence  de  profondes  songeries  si  chère 
à  mes  goûts  de  recueillement,  je  résolus  d'en  secouer  les 
charmes  durant  quelques  semaines  d'exil.  «  C'est  une 
première  fenêtre  ouverte,  que  cette  phrase,  sur  la  vie  de 
l'auteur.  Et  plus  loin  cet  autre  paragraphe  :  *.  Pour  me 
détendre  l'esprit  de  ses  abstraites  méditations  aux- 
quelles j'avais  trop  longtemps  consacré  toute  ma  juvé- 
nile ardeur,  je  venais  de  concevoir  le  projet  d'accomplir 
quelque  gai  voyage  où  les  seules  contingences  du  monde 
phénoménal  distrairaient  par  leur  frivolité  même, 
l'anxieux  état  de  mon  entendement  quant  aux  questions 
qui  l'avaient  jusque-là  préoccupé  ",  une  seconde,  sur  sa 
qualité  et  sa  nature  d'esprit. 

Villiers  de  l'Isle-Adam  se  présente  donc  comme  un 
métaphysicien  et  comme  un  métaphysicien  ironique.  Il 
n'est  pas  simplement,  on  l'a  soutenu,  un  pince  sans 
rire  et  un  humoriste.  Il  a  toute  autre  envergure.  Son 
ironie  est  tragique  avant  tout  et  sinistre  et  grandiose. 
Oui,  même  dans  ses  contes  qui  semblent  lui  n'être  que 
des  jouets  à  satisfaire  la  fièvre  de  ses  doigts  de  grand 
écrivain  et  de  superbe  metteur  en  scène.  Nul  mieux  que 
lui  ne  communique  le  frisson,  l'inquiétude.  Il  a  le  pou- 


voir  d'illusionner  autant  que  les  plus  célèbres.  Son 
utopie  devient  palpable,  vivante,  réelle.  La  science  de 
demain,  il  la  presse,  il  la  devine,  il  l'indique.  L'impos- 
sible, l'absurde,  n'existent  pas.  Voyez  —  avec  un  calme 
étonnant  de  démonstration  nette  il  détaille  la  bizar- 
rerie, avec  une  conviction  d'inventeur  il  additionne 
l'étrange,  il  multiplie  l'invraisemblable,  il  divise  l'extra- 
ordinaire. Total  ?  Du  vrai  poétique. 

Et  tous  ces  dons  de  persuasion  servent  sa  faculté 
maîtresse  :  le  sarcasme.  Enfoncé  dans  les  spéculations 
altières,  il  a  la  haine  du  contingent  et  de  l'accident.  A 
celui  qui  toise  la  cause  et  l'idée,  qu'importe  le  fait. 
Aussi  s'encolère-t-il  contre  l'homme,  contre  la  vie 
quelconque  et  le  train-train  tel  quel.  Sa  hautaine  pensée 
se  venge  dans  ses  livres.  Elle  tyrannise  le  lecteur,  elle 
le  ploie  à  son  idéal,  elle  l'hypnotise  en  quelque  sorte, 
le  maintenant  dans  cet  état  d'infériorité  où  il  accepte 
comme  réel  tout  ce  que  l'écrivain  lui  montre,  et  comme 
vérité  tout  ce  qu'il  présente.  Et  l'humanité  est  moquée, 
conspuée,  ridiculisée  et  ce  qu'elle  a  produit  de  plus 
beau,  la  femme  !  —  lisez  l'^i?^  Future ^  et  voyez  en  quel 
parallèle  Miss  Alicia  Clary  s'évanouit  et  disparaît, 
tandis  que  cette  Andréide  merveilleuse,  de  quelle  gran- 
deur blasphématoire  il  la  dresse,  lui,  l'artiste  vision- 
naire! Et,  comme  elle  existe  grandiose  ment  de  sa  vie 
artificielle  et  comme  elle  est  conçue  de  lumière  et  de 
splendeur  rêvéesl  : 

On  connaît  le  livre  : 
■  Un  lord  de  race  ancienne  est  épris  d'une  actrice 
admirable  de  chair,  mais  dont  l'infériorité  morale  nie 
la  suprématie  :  matériel  déséquilibre  entre  le  corps  et 
l'âme;  contradiction  entre  l'expression  et  l'incitation 
donc. 

Lord  Ewald  en  même  temps  rivé  à  cet  amour  et 
tortionné  par  lui,  se  décide  à  en  finir  avec  la  vie.  Son  mal- 
heur est  tout  intellectuel  ;  il  veut  mourir,  parce  que  sa 
raison  ne  peut  excuser  ni  admettre  Alicia.  Il  se  ren- 
contre avec  Edison,  quelques  heures  avant  son  suicide. 
Le  savant,  qu'il  a  sauvé  jadis  de  la  mort,  le  confesse  et 
lui  impose  l'expérience  :  lui,  Edison,  créera  pour  lord 
Ewald  une  amante,  toute  semblable  par  le  corps  à 
Miss  Alicia  et  d'une  âme  concordante  ou  plutôt  har- 
monieuse. La  chose  réussit  à  tel  point,  que  lord  Ewald 
en  présence  de  l'Andréide  croit  se  trouver  auprès  de 
l'actrice  et  qu'il  les  confond.  C'est  alors,  que  la  femme 
mécanique  s'élève  à  la  plus  haute  confession  d'idéal  que 
puisse  rêver  l'être  humain  et  c'est  alors  que  la  magni- 
fique invocation  de  la  nuit  éclate  comme  une  incanta- 
tion merveilleuse  : 

«  Nuit,  c'est  moi  la  fille  auguste  des  vivants,  la  fleur 
de  science  et  de  génie  résultée  d'une  souffrance  de  six 
mille  années.     :  ~  .       ;       ;.        . 

"  Reconnaissez  dans  mes  yeux  voilés  votre  insensible 
lumière,  étoiles  qui  périrez  demain  ;  —  et  vous,  âmes 


des  vierges  mortes  avant  le  baiser  nuptial,  vous  qui 
flottez,  interdites,  autour  de  ma  présence,  rassurez- 
vous  !  Je  suis  l'être  obscur  dont  la  disparition  ne  vaut 
pas  un  souvenir  de  deuil.  Mon  sein  infortuné  n'est 
même  pas  digne  d'être  appelé  stérile!  Au  Néant  sera 
laissé  le  charme  de  mes  baisers  solitaires  ;  au  vent,  mes 
paroles  idéales;  mes  amères  caresses,  l'ombre  et  la 
foudre  les  recevront,  et  l'éclair  seul  osera  cueillir  la 
fausse  fleur  de  ma  vaine  virginité.  Chassée,  je  m'en  irai 
dans  le  désert  sans  Ismaël;  et  je  serai  pareille  à  ces 
oiselles  tristes,  captivées  par  des  enfants,  et  qui  épuisent 
leur  mélancolique  maternité  à  couver  la  terre.  0  parc 
enchanté  !  grands  arbres  qui  sacrez  mon  humble  front 
des  reflets  de  vos  ombrages!  Herbes  charmantes  où  des 
étincelles  de  rosée  s'allument  et  qui  êtes  plus  que  moi! 
Eaux  vives,  dont  les  pleurs  ruissellent  sur  cette  écume 
de  neige,  en  clartés  plus  pures  que  les  lueurs  de  mes 
larmes  sur  mon  visage!  Et  vous,  cieux  d'Espérance,  — 
hélas!  si  je  pouvais  vivre!  Si  je  possédais  la  vie  !  Oh! 
que  c'est  beau  de  vivre!  Heureux  ceux  qui  palpitent! 
0  Lumière,  te  voir  !  Murmures  d'extase,  vous  entendre  ! 
Amour,  s'abîmer  en  tes  joies!  Oh!  respirer,  seulement 
une  fois,  pendant  leur  sommeil,  ces  jeunes  roses  si 
belles  !  Sentir  seulement  passer  ce  vent  de  la  nuit  dans 
mes  cheveux!...  Pouvoir,  seulement,  mourir!  » 
•  Nous  aimons  a  citer  cet  extrait,  parce  qu'il  précise 
le  style  de  Villiers  de  l'Isle-Adam.  C'est  un  style  d'in- 
strumentation large  et  calme  avec  des  notes  graves  et 
solennelles  données  par  des  mots  pleins  et  obsédants 
comme  des  sons  de  tympanon  et  de  basse.  Parfois 
éclatent  d,es  vocables  de  (fête,  et  ce  sont  les  cors  et  les 
trompettes  qui  dominent  alors  —  à  preuve,  Akedysseril. 
Daçs  les  tons  doux  et  voilés,  la  phrase  est  moins  adé- 
quate à  la  pensée  musicale,  elle  n'a  pas  le  vol  frôlant,  la 
caresse  du  rythme,  l'enveloppement  souple  et  sinueux; 
quelques  substantifs  trop  carrés  la  rudoient. 

Remarquons  aussi  le  sortilège  et  la  magie  qui 
«^  enjouvencent  »»  certaines  locutions.  Telles,  usées,  se 
redressent,  neuves  et  jeunes,  mises  en  fraîcheur  par 
leur  fusion  savante  dans  l'or  ambiant.  Toutes  d'ailleurs 
baignent  dans  cet  or,  comme  dans  une  atmosphère  de 
gloire. 

La  phrase  de  Villiers  tient  à  la  fois,  pour  l'oreille,  de 
la  symphonie  et,  pour  l'œil,  de  la  couleur  des  fresques 
triomphales,  sur  fond  de  soleil.  - 

A  peine  VEve  Future  avait-elle  paru,  que  l'éditeur 
Brunhoff  lançait  VAmou7^  Suprême,  recueil  dt3  Nou- 
velles. Comme  nouvelles  est  unmot  bête  pour  désigner 
ces  travaux  d'art  suprêmes!  Parmi  elles,  quoique  la 
dernière,  mais  les  dominant  toutes  d'une  majesté  de 
marbre  monumental,  s'érige  Akedysseril  :  tirage  spé- 
cial, sur  Japon  '—  et  illustré  par  Rops. 

Akedysseril  dévoile  par  son  étonnante  vie  légendaire 
quel  ressusciteur  d'ombres  demeure  Villiers  de  l'Isle- 


UART  MODERNE 


355 


^ 


Adam.  Avec  Flaubert  et  Leconte  de  Lisle  c'est  le  plus 
grand,  certes.  Les  Parnassiens  —  et  Villiers  de  l'Isle 
Adam  a  fait  partie  du  groupe  —  étaient  avant  tout  des 
tailleurs  d'épopées,  et  leur  langue  de  métal,  de  pierre 
et  de  rouvre,  s'adaptait  aux  grandioses  bas-reliefs  de 
héros  et  de  dieux  marchant  dans  le  spalais  de  l'histoire. 
Akedysseril  est  un  sujet  parnassien,  mais  tandis  que 
les  plus  célèbres  de  ses  émulés  s'attachaient  à  réaliser 
les  gestes,  la  physionomie,  les  milieux  fabuleux  seule- 
ment, Villiers  de  TIsle-Adam  pénètre  jusqu'à  l'âme  des 
pays  et  des  peuples  séculaires.  Dans  Akedysseril  c'est 
la  pensée  de  l'Inde  qu'il  nous  dévoile,  c'est  la  psycho- 
logie amoureuse  qu'il  note  et  décompose.  Et  le  philo- 
sophe que  nous  avons  signalé  en  lui,  réapparaît. 

Restent  le  secret  de  VEchafaud,  Catilina,  V Instant 
de  Dieu,  et,  plus  loin,  V Eléphant  hlanc,  contes  de 
superbe  littérature,  mais  de  moins  de  pénétration. 

En  résumé,  le  talent  complexe  de  Villiers  de  l'Isle- 
Adam  se  résume  :  c'est  le  chef  des  prosateurs  de 
demain  :  les  rêveurs  —  les  railleurs,  auxquels  il  a 
dédié  son  livre. 


LA  SERVANTE 

En  offrant  sa  picce  ati  théâtre  Molière,  redan  des  Iraditions 
bourgeoises  et  des  formules  scéniques  consacrées  par  les  âges, 
M.  Lafonlaine  a  eu  une  inspiration  heureuse.  Ailleurs  on  se  fût 
peut-être  contenté  de  saluer  poliment,  comme  des  connaissances 
qu'on  revoit  avec  plaisir  après  une  absence,  les  divers  épisodes 
par  lesquels  la  pièce  marche  vers  son  inéluctable  dénouement  : 
le  triomphe  de  la  vertu.  Ici,  ils  ont  presque  passé  pour  tles  coups 
de  génie.  On  les  a  accueillis  par  des  bordées  d'applaudissements, 
et  les  rappels,  les  fleurs,  le  papier  doré  des  couronnes,  l'univer- 
selle approbation  d'un  public  bon  enfant,  tout  joyeux  qu'on  l'ail 
fait  pleurer  au  trémolo  des  violons,  a  uni  la  victoire  du  drama- 
turge au  triomphe  de  l'acteur.  L'enthousiasme  est  monté  jusqu'aux 
frises  quand  jM.  Paul  Alhaiza  s'est  avancé  vers  la  rampe  pour 
annoncer:  «  Mesdames,  Messieurs,  la  pièce  que  nous  venons 
d'avoir  l'honneur  de  représenter  devant  vous  est  de  notre  cher 
camarade  Lafonlaine  ». 

Le  Maître  de  forges  lui-même,  les  Deux  Orphelines,  les  plus 
gros  succès  qui  aient,  en  ces  dernières  années,  réjoui  les  direc- 
tions théâtrales,  nom  pas  provoqué  plus  d'acclamations. 

Ce  qui  démontre  qu'on  a  beau  se  torturer  le  cerveau  pour  faire 
de  l'art  neuf,  créer  des  situations  logiques,  creuser  des  caractères, 
affiner  la  langue,  chercher  à  opérer  l'épineux  mariage  du  théâtre 
et  de  la  vraisemblance,  rien  ne  sert  de  cet  ingrat  labeur  qu'à 
réjouir  quelques  esprits  délicats.  La  foule  reste  insensible  au 
charme  de  la  vérité,  et  si  on  tient  à  lui  plaire,  il  convient  de  ne 
pas  déranger  ses  habitudes. 

En  homme  habile,  que  l'expérience  des  planches,  une  longue 
suite  de  succès  rendaient  tout  particulièrement  attentif  aux  effets 
scéniques  qui  portent  sur  l'auditoire,  M.  Lafonlaine  a  fait  entrer 
dans  le  cadre  de  ses  cinq  actes  une  série  d'incidents  assez  roma- 
nesques pour  intéresser,  assez  touchants  pour  émouvoir,  assez 
variés  pour  ne  pas  lasser  rattenlion,  et,  avouons-le,  assez  invrai- 


semblables pour  apparaître  au  public  comme  le  comble  de  l'art 
dramatique.  . 

Diane  Scîulos  est  une  Mignon  nouveau  si  vie.  Adoptée  par  le 
Révérend  Thomas  Dixonn,  elle  entre  chez  lui, comme  servante  à 
una  époque  où  le  brave  homme,  devenu  aveugle,  est  nécessaire- 
ment dans  l'impossibilité  de  la  reconnaître.  Chassée  de  la  maison 
par  Miss  Arabelle  Grypfeld,  une  camarade  de  pension  qui  la 
poursuit  de  sa  haine,  elle  se  venge  en  sauvant  la  vie  de  son 
ennemie.  Sa  conduite  héroïque  désarme  celle-ci  et'  enflamme 
violemment  le  fils  du  Révérend,  Georges  Dixonn,  jeune  médecin 
dont  l'art  vFent  à  point  pour  sauver  à  son  tour  l'intéressante 
victime. 

Ceci  contrarie  à  l'excès  Mislres  Dixonn  mère,  rigide  puritaine, 
qui  s'est  efforcée,  durant  qualre  actes,  de  placer  dans  la  main  de 
son  fils  la  main  et  les  millions  de  Miss  Arabelle,  et  qui  voit,  au 
cinquième,  les  yeux  de  braise  de  la  Bohémienne  l'emporter  sur 
la  richesse  de  la  belle  Antjlaise. 

Son  dépit  va  se  traduire  par  un  veto  énergique  opposé  au 
mariage  de  Georges,  lorsque  de  nouveaux  millions  entrent  ea 
scène  :  ceux  du  commandant  Rutlwenn,  son  frère,  qui  déclare 
nettement  qu'il  n'aura  point  d'autre  héritier  que  Diane. 

Cet  argument  décisif  emporte  le  consentement  de  la  scrupu- 
leuse malrone,  sans  justifier,  il  est  vrai,  le  mot  de  la  fin  :  «Cette 
petite  a  vraiment  du  sang  de  dompteur  dans  les  veines  »,  car  il 
serait  plus  exact  de  dire  :  «  Du  sang  de  millionnaire  ». 

El  Lafonlaine,  dans  tout  ceci,  que  fait-il?  Quand  le  voil-on? 
Reste-l-il  à  la  cantonnade?  Il  ne  paraît  pas  qu'il  y  ait  place  pour 
lui  dans  cette  intrifljue. 

Détrompe?-vous.  Lafonlaine  est  de  tous  les  actes,  presque  de 
toutes  les  scènes.  C'est  le  deus  ex  machina  qui,  sous  les  appa- ' 
rences  mortelles  d'Antoine  Myckes,  vieux  valet  de  chambre  et 
frère  de  lait  du  Révérend,  mène  toute  l'action,  débrouille  les 
situations  compliquées,  protège  la  jfune  fille  contre  la  tyrannie 
de  Mistress  Dixonn,  prononce  les  aphorismes  à  sensation. el  les 
phrases  à  effet,  telles  que  celle-ci,  par  exemple,  qui  a  déchaîné 
une  tempête  de  bravos  :  «  Est-ce  notre  faute,  à  nous,  si  k  Sei- 
gneur a  mis  des  âmes  de  maîires  dans  nos  corps  de  valets?  »  Si 
bien  que  la  pièce,  au  lieu  de  s'appeler  la  Servante^  eût  pu  tout 
aussi  justement  être  intitulée  le  Domestique,  et  même  Le  Domes- 
tique modèle.  ■ 

Mais  la  modestie  de  l'excellent  comédien  ne  s'en  fût  pas  accom- 
modée. Et  c'est  par  un  hommage  rendu  à  l'artiste  que.  nous 
sommes  heureux  de  terminer  ce  compte-rendu.  Quoiqu'il  ait 
incontestablement  le  rôle  le  plus  considérable  de  l'ouvrage,  il 
joue  avec  tani  de  simplicité,  de  bonhomie,  de  naturel,  de  sobriété, 
^u'il  ne  vient  pas  une  minute  à  la  pensée  de  le  trouver  encom- 
brant. Au  contraire,  c'est  une  joie  de  le  voir  aller  et  venir,  avec 
sa  bonne  figure  sympathique  et  calme,  et  quand  il  quitte  la  scène 
un  instant  on  se  prend  à  regretter  son  absence.  M.  Lafonlaine  a 
les  traditions  des  grands  comédiens  d'autrefois,  la  conscience  et 
le  respect  de  son  art.  Son  succès  a  été  énorme,  et  d'autant  plus 
sincère  que  l'artiste  n'a  eu  recours,  pour  l'obtenir,  qu'aux 
moyens  les  plus  dignes. 

Ses  qualités  éminentes  se  sont  réfléchies  sur  les  autres  inter- 
prètes (MM.  Paul  Alhaiza,  Raoul  Raymond,  Gabriel  Roger, 
Edmond  Belval,  Charvel,  Tony-Lauraul,  MM"»'^'*  Claronce,  Bos- 
quetle  et  Berthe-Noella),  qui  ont  presque  tous,  à  part  quelques 
exagérations  de  nuances,  tenu  leurs  rôles  avec  talent. 
On  a  beaucoup  remarqué  un  début  plein  de    promesses,  celu 


356 


LART  MODERNE 


do  M'i«  Jenny  Diska,  qui  a  créé  l'héroïne  de  l'œuvre,  la  touclianle 
et  mélancolique  figure  de  Diane  Scarlos,  avec  une  émotion  côm- 
municalive  cl  une  justesse  d'intonations  cl  d'altitudes  qui 
dénotent  un  très  réel  tempérament  d'artiste. 


Théâtre  de  x-a  ^onnaie 
reprise  des  dragons  de  villars 

Le  public  est,  cet  hiver,  trf^s  bienveillant  pour  la  direction 
de  la  Monnaie,  môme  très  accommodant.  La  presse  aussi.  Des 
deux  parts  on  transforme  promplemcnt  et  usuellement  tous  les 
chanteurs  en  artistes  remarquables,  et  toutes  les  reprises  en  suc- 
cès considérables.  Une  brise  douce  et  bienfaisante  ondule  sur 
l'entreprise  des  deux  sympathiques  directeurs.  Tout  ce  qu'ils 
tentent  se  développe  sans  encombre.  La  consigne  est  d'être  satis- 
fait. 

C'est  bien.  Que  n'a-l-on  toujours  été  dans  les  mémos  disposi- 
tions! Lorsqu'il  s'agit  d'un  ensemble  aussi  difficile  k  constituer, 
on  ne  saurait  montrer  trop  de  patience.  C'est  par  une  suite  pcrr 
sévérante  d'cfforls,  de  corrections  et  de  repentirs  qu'on  parvient 
à  la  longue  b  la  perfection  relative  d'une  troupe  comme  celle  qu'il 
faut  au  théâtre  de  la  Monnaie.  L'exiger  d'un  seul  coup,  c'est  folie, 
et  c'est  injustice. 

Il  ne  faut  pas,  néanmoins,  que  ces  dispositions  cordiales  dégé- 
nèrent en  aveuglement.  A  la  bonne  volonté  constante  doit  s'ajou- 
ter un  contrôle  très  attentif.  On  rend  service  à  une  direction  en 
lui  disant  sans  aigreur  ce  qui  manque  ou  ce  qui  faiblit.  II  ne  faut 
jamais  diminuer  d'assiduité  aux  représentations,  car  la  question  des 
receltes  reste  dominante  :  il  est  puéril  de  bouder  et  de  s'abstenir. 
Mais  il  importe  de  ne  pas  accoutumer  les  spectateurs  à  un  opti- 
misme qui  engendrerait  vile  la  médiocrité. 

N'est-on  pas  quelque  peu  engagé  dans  celle  voie?  Jamais  on 
n'a  vu  les  applaudissements  aussi  faciles  et  les  rappels  aussi  fré- 
quents. Jamais,  avec  un  pareil  ensemble,  les  journaux  n'ont 
transformé  toutes  les  représentations  en  succès  éclatants.  Les 
reporters  y  vont  avec  un  entrain  sans  pareil  et  la  masse  du  public, 
-qui  modèle  son  opinion  sur  celle  de  ces  chiffonniers  de  lettres 
mal  reçus  au  logis  quand  la  holte  n'est  pas  pleine,  naïvement 
acclame  avec  les  quelques  farceurs  qui  poussent  les  premiers 
cris. 

Ciu'on  y  prenne  garde.  Les  faux  succès  ne  tiennenl  pas.  Mieux 
vaut  dire  franchement  ce  qui  est,  en  recommandant  de  ne  pas 
être  trop  sévère  pourvu  que  l'amendemenl  vienne  k  son  heure. 
On  se  lasse  des  éloges  exagérés.  On  s'accommode  mieux  des 
imperfections  passagères. 

La  reprise  des  Dragons  de  Fillars  nous  a  fait  venir  à  l'esprit 
ces  réflexions.  Nous  ne  sommes  pas  de  ceux  qui  nous  plaignons 
de  celte  musique  reposante  et  légère.  Malgré  nos  préférences 
pour  l'art  héroïque  et  puissant,  ces  enlr'acles  de  mélodie  super- 
ficielle cldislraclive  ne  nous  déplaisent  pas.  Mais  nous  ne  sau- 
rions nous  joindre  à  ceux  qui  trouvent  que  l'interprétation  donnée, 
jeudi  dernier,  à  cette  œuvre  charmante,  el  qui  n'a  pas  le  sens 
commun,  est  de  celles  qui  méritent  d'être  dithyrambes. 

Mettons  M.  Engel  hors  de  pair.  Il  est  correct,  séduisant,  lou- 
chant partout  et  toujours.  Un  peu  moins  de  jeu  pour  la  salle,  un 
peu  plus  pour  l'action,  et  il  serait  irréprochable.  Un  artiste  aussi 
distingué  devrait  se  débarrasser  définitivement  des  appels  aux 


loges,  les  bras  étendus,  alors  que  l'air  qu'il  chanter  s'adresse  à  un 
personnage  en  scène  qui  attend  flegmaliquenient  la  fin  de  celle 
invocation  aux  applaudissements  des  chevaliers  du  lustre. 

Mais  M"''  Castagne!  0  gracieuse  et  espiègle  Rose  Friquet, 
qu'es-lu  devenue?  Brin  de  muguet  poussé  en  plein  bois,  rustique 
et  fraîche  fleur,  incarnation  de  la  vivacité  champêtre,  svelle  el 
mutine  enfant  de  la  nature,  est-ce  bien  loi  que  Ton  a  vue  avec 
ces  allures  risquées  de  fille  de  brasserie,  cet  air  canaille,  ce  teint 
rguge  comme  si  lu  sortais  de  la  cantine?  Est-ce  que  le  réalisme, 
lei  qu'on  le  comprend  à  VAsommoii\  va  s'introniser  sur  notre 
scène  ?    •  - 

Certes,  M"«  Castagne  a  ilne  bonne  volonté  extrême,  beaucoup 
de  hardiesse,  un  grand  désir  d'être  originale,  une  voix  qui,  sans 
être  louchante,  a  parfois  de  l'éclat.  Mais  combien  la  jeune  canta- 
trice a  besoin  de  conseils  du  côté  du  goût!  A  chaque  instant  elle 
choque  par  des  vulgarités  intolérables.  Elle  n'a  pas  gamine,  elle 
a  polissonne  d'un  bout  à  l'autre  de  la  pièce.  Et  encore  sans 
naturel,  avec  des  ricanements,"  des  pieds  de  nez,  des  déhanche- 
ments, des  passements  de  mains  sur  les  jupes,  à  envier  par  les 
gavroches  ramasseurs  de  bouts  de  cigares  ou  marchands  de  pro- 
grammes. -  •      . 

M.  Renaud  a  été  un  Bel- Ami  d'une  lourdeur  peu  commune. 
Cet  excellent  chanteur  ne  devrait  pas  être  compromis  dans  des 
rôles  qui  n'ont  aucune  équation  avec  son  réel  talent.  Il  a  fort  à 
faire  pour  développer  entièrement  ses  belles  et  solides  qualités  ; 
il  serait  malheureux  de  les  gâter  daiis  des  besognes  qui  lui  vont 
comme  à  Porlhos  de  jouer  Aramis. 

M.  Nerval  fait  un  fermier  Thibaut  qui  ne  sort  pas  de  l'ordi- 
naire, W'^  Angèle  Legault  a,  dans  une  exacte  mesure,  avec  la 
coquetterie  raffinée  qui  sied  au  personnage,  chanté  et  surtout 
joué  le  rôle  de  MadameThibaul  :  une  très  élégante  fermière  de 
salon,  spirituelle  et  mutine,  tout  juste  assez  pincée,  un  Grévin 
égaré  dans  les  montagnes  de  l'Eslrel,  beaucoup  mieux  faite  pour 
le  colonel  des  dragons  que  pour  le  maréchal-des-logis. 

Nous  y  avons  été  d'un  compte-rendu  un  peu  long  pour  ce  qui 
n'est  assurément  pas  un  événement  artistique.  Mais  l'occasion 
nous^a  paru  bonne  pour  rappeler  un  peu  les  esprits  à  une  plus 
juste  et  plus  grave  appréciation  des  éléments  dont  se  compose 
notre  scène  préférée.  Le  moment  n'est  pas  inopportun  pour 
mettre  la  pédale  sourde  à  des  admirations  qui  deviennent  mala- 
dives. 


-      PAYSAGE  SYLVESTRE 

Le  Journal  des  Beaux-Arts  \mh\\Q  la  lettre  suivante  : 

Monsieur  le  Directeur, 

Le  clan  des  paysagistes  est  dans  une  profonde  désolation.  Il  paraît 
qu'il  est  dans  les  usages  sylvestres  de  ne  pas  permettre  aux  arbres 
de  se  tenir  debout  après  un  siècle  écoulé.  Cela  détruit  toute  poésie 
se  basant  sur  les  arbres  séculaires,  les  géants  des  forêts,  sur  les  syl- 
vains,  les  dryades  et  les  hamadryadès,  qui,  en  effet,  n'élisent  plus 
domicile  dans  notre  bois  de  Soignes,  car  nous  n'en  avons  jamais 
rencontré.  Mais  cela  rapporte,  dit-on,  un  heau  revenu,  à  la  fin  du 
siècle,  et  l'administration  dès  domaines  préfère  cela  à  la  poésie.  Par 
malheur,  nous  voici  arrivés  à  la  centième  année  et  une  razzia 
effrayante  est  ordonnée  pour  les  triages  les  plus  pittoresques,  ceux  de 
Hoeylaert,  où  la  viticulture  a  pris  de  grandes  proportions  à  l'abri  de 
la,  haute  futaie,  de  Waterloo,  d'Auderghem,  de  Groenendael,  enfin, 
dans  tous  ces  sites  charmants  fréquentés  par  les  artistes  et  les  pro- 


meneurs  en  quête  de  fraîcheur.  Le  désert  va  s'étendre  sur  toute 
cette  région,  et  à  défaut  de  sinioun,  le  vent  du  nord  va  opposer  son 
veto  aux  projets  de  pérégrinations  artistiques. 

Il  faut  faire  de  l'argent,  soit.  Mais  cette  nécessité  n'est-elle  pas 
malencontreuse  au  moment  où  le  goût  des  arts  se  développe  à  tel 
point  que  l'on  cherche  à  l'entraver  par  tous  les  moyens,  de  crainte 
d'un  vrai  débordement?  Ce  goût  a  envahi  la  foule  ;  il  n'y  a  plus 
d'épiciers  comme  au  temps  de  Courbet.  Les  épiciers  mêmes  ont  une 
teinture  des  beaux-arts  et  souvent  une  collection  pas  mal  composée. 
Les  Bruxellois  de  toute  condition  aspirent  après  leur  jour  de  congé 
du  dimanche  pour  aller  respirer  sous  les  ombrages  de  Groenendael, 
de  Rouge-Cloître,  et  le  boulevard  qu'on  appelle  Bois  de  la  Cambre 
ne  leur  suffit  plus.  Et  l'on  irait  choisir  ce  moment  pour  dénuder  la 
plus  belle  partie  de  la  forêt,  eu  attendant  qu'on  y  construise  des 
villas,  des  hippodromes  ou  des  tirs  aux  pigeons,  grâce  aux  baux 
emphytéotiques.  Est-ce  ainsi  que  l'on  agit  à  l'étranger,  notre  modèle 
en  tout  ce  qui  ne  devrait  pas  l'être  ;  le  pittoresque  Bois  de  La  Haye 
avec  ses  arbres  tordus  et  échevelés,  les  ombrages  de  Kew  et  de 
Richmont,  le  Bas  Bréau  et  Barbizon  nous  donnent-ils  l'exemple 
d'une  clairière  ornée  d'une  série  de  troues  debout  comme  des  cierges, 
la  joie  des  menuisiers  et  l'épouvante  des  paysagistes  ? 

L'époque  est  prosaïque,  je  le  veux  bien,  et  l'on  fait  plus  avec  de 
l'argent  qu'avec  des  toiles.  Mais  la  Belgique,  dont  une  des  gloires 
est  bien  certainement  l'art,  ne  peut-elle  conserver  tout  au  moins  une 
seule  des  régions  destinées  au  sacrifice  pour  en  faire  aussi  un  exemple 
de  ce  que  la  nature  peut  offrir  de  réserves  au  goût  pittoresque?  Ne 
pourrait-on  consacrer  quelques  hectares  à  cette  tentative  qui,  en 
définitive,  intéresse  le  public  tout  entier  et  les  touristes  étrangers,  et 
épargner  non  seulement  cette  partie  de  la  forêt,  mais  lui  donner  cet 
aspect  sauvage  et  abandonné  qui  a  fait  longtemps  le  charme  du  parc 
de  Tervueren,  et  qui,  en  définitive,  donne  seul  de  l'intérêt  à  nçs 
Ardennes,  aux  forêts  de  l'Allemagne  et  même  de  l'Italie? 

Nous  le  demandons  au  nom  des  artistes  et  qui  plus  est  au  nom 
des  intérêts  matériels  de  la  capitale,  car  plus  on  rendra  nos  prome- 
nades intéressantes  et  remarquables,  plus  on  verra  affluer  l'or  étran- 
ger dans  nos  auberges  peu  écossaises. 

Cette  considération  étrangère  aux  beaux-arts  déterminera-t-elle 
l'Administration  à  moins  de  rigueur  ? 

Agréez,  etc.  ~  «       '  Z. 

Nous  nous  rallions  complèlemcnl  aux  considéralions  qui  pré- 
cèdent. A  maintes  reprises,  nos  lecteurs  s'en  souviennent,  l'Art 
moderne  s'est  élevé  avec  énergie  contre  le  vandalisme  qui  détruit 
petit  à  petit  tout  ce  qui  fait  le  charme  de  notre  pittoresque 
pairie  :  l'industrie  du  rocher  qui  sévit  avec  intensité  dans  la 
vallée  de  la  Meuse  et  le  long  des  cours  d'eau  qui  s'y  déversent, 
le  maladroit  élagage  des  arbres,  la  construction  d'un  chemin  de 
fer  métropolitain  destiné  à  culbuter  les  plus  jolis  sites  des  envi- 
rons de  Bruxelles  et  à  les  remplacer  par  une  odieuse  ceinture  de 
remblais  et  de  tranchées  (*). 

Le  dérodage  de  la  forêt  de  Soignes  comblerait  la  mesure.  Nous 
comptons  qu'on  mettra  bon  ordre  à  ce  projet  vraiment  trop  uti- 
litaire et  qu'il  sera  bien  vile  submergé  dans  les  paniers  à  papiers 
ministériels. 


]^ 


OTE^    DE    MUSIQUE 

Concert  des  Artistes  Musiciens. 

V Association  des  Artistes  Musiciens  a  ouvert  la  série  des 
concerts  dans  la  salle,  repeinte  et  redorée,  de  la  Grande-Har- 


(*)  V.  notamment,   pour  la  seule  année   1886,  l'Art   modet-ne 
pp.  199,.  223,  278,  284,  315. 


monie.  Des  membres  nombreux  de  cette  société  sont  venus 
constater  l'ôffei,  au  flamboiement  du  gaz,  de  ces  récents  travaux 
et,  certes,  ont  plus  remarqué  telle  ou  telle  parcelle  du  plafond 
oubliée  dans  la  restauration  que  les  faiblesses  trop  fréquentes  de 
l'orchestre.  Celui-ri  a  donné  une  exécution  très  médiocre  des 
différentes  œuvres  qui  lui  étaient  confiées  et  le  premier  îi  s'en 
plaindre  a  dû  être  le  pianiste  qui,  à  certains  moments,  surtout 
dans  la  première  partie  du  concerto,  a  été  écrasé  sous  un  accom- 
pagnement d'une  violence  intempestive.  Nous  ne  pouvons  donc 
juger  assez  impartialement  l'ouverture  de  Guillaume  le  Taci- 
turne, la  nouvelle  composition  du  compositeur-pianiste  Wie- 
niawsky  :  les  brutalités  en  étaient  exagérées,  les  nuances  omises. 
L'œuvre,  nous  sembic-t-il,  se  rai)proche  de  la  musique  d'opéra 
plutôt  que  du  drame  musical;  ce  n'est  point  le  molif exposé  par 
les  cuivres,  qui  nous  fera  répéter  avec  le  public  :  «  Voici  du 
Wagner  ».  C'est,  nfioins  intense  mixlheureuscmcnl.lo.Siruensée 
de  Meyerbeer,  et  ce.rappel  trop  appréciable  enlève  beaucoup  de" 
son  mérite  à  l'œuvre  d'un  musicien  dont  nOus  avons  trop  souvent 
fait  l'imparlial  éloge  pour  qu'il  voie  dans  notre  critique  autre 
chose  qu'un  vif  désir  d'une  admiration  plus  complète.  Cette 
ouverture,  d'ailleurs,  quoique  très. mal  rendue  par  l'orchestre,  a 
obtenu  un  vif  succès  et  l'auteur  a  dû  paraître  sur  l'eslrade  pour 
recevoir  les  bruyants  applaudissements  du  public  enthousiasmé, 
ïi'orchestre  nous  a  fait  entendre  encore  une  ouverture  du  compo- 
siteur danois  Niels  Gade,  faiblement  colorée  et  d'inspiration  peu 
soutenue,  œuvre  de  jeunesse,  d'ailleurs,  l'op.  6  ou  7,  croyons- 
nous.  Une  Sérénade  médiocre,  pastichée  de  Massenet,  et  une 
Rêverie,  plus  médiocre  encore,  d'un  compositeur  français,  évi- 
demment disciple  de  Paladhile,  ont  produit  peu  d'impression. 
■  Les  soiistes'élaient  M"«  Lilvinne  et  M.  Seguin,  du  théâtre  de  la 
Monnaie,  et  M.  Kéfer,  pianiste. 

La  chanteuse  a  donné  une  bonne  interprétation  d'un  air  du 
Cid,  de  Massenet,  et  d'un  air  de  Pedro  de  Zalaméa,  de  Godard. 
La  voix  est  jolie,  mais  bien  peu  ferme  :  on  dirait  un  trille  perpé- 
tuel. L'excellent  créateur  de  Hans  Sachs  était  gêné  par  le  choix 
imposé  de  ses  deux  morceaux  :  l'un  italien,  l'autre  national,  mais 
tous  deux  de  nature  à  ne  pas  satisfaire  un  artiste  comme 
M.  Séguin.  Nous  applaudirons  bientôt  le  beau  chanteur  et  le  bel 
acteur  dans  le  rôle  de  Wotan  dont  il  fera,  certainement,  une 
création  superbe. 

Louons,  sans  presque  une  restriction,  le  pianiste  Kéfer.  La 
tyrannie  officielle  et  la  mesquine  jalousie  des  «  bons  camarades  » 
l'avaient,  jusqu'ici,  insidieusement  écarté  des  grands  concerts  et 
seuls  les  fervents  auditeurs  de  VUnion  instrumentale  qui, 
accueillie  dans  les  ateliers  d'artistes  réputés,  exécutait  avec 
grand,  talent  et  grande  conviction  la  vraie  musique  de  chambre, 
le?*fervents  auditeurs  des  soirées  du  cercle  VEssor  où,  presque 
tous  les  qujnze  jours,  on  avait  l'heureuse  occasion  d'écouter  de 
la  musique  choisie,  ceux-là  seuls  appréciaient  à  une  haute  valeur 
l'exécutant  et  l'artiste. 

Cette  appréciation  est  désormais  imposée  au  public.  Un  pro- 
fond respect,  pour  son  art,  une  exécution  presque  religieuse,  ne 
sacrifiant  rien  au  «  trait  «bien  perlé,  au  «  passage  »  fignolé, 
donnant  la  synthèse  de  l'œuvre,  son  esprit,  tout  son  esprit;  le 
dédain  des  banals  applaudissements,  félicitons  M.  Kéfer  d'avoir 
tout  cela  en  lui  et,  devant  une  merveille  comme  ce  cinquième 
concerto  de  Beethoven,  quelle  terreur  et  quel  enthousiasme  aussi 
pour  celui  qui  l'exécute!  M.  Kéfer  nous  en  a  donné  une  interpré- 
tation d'artiste,  c'est  le  plus  grand  éloge  qu'on  puisse  faire  de 


lui.  Certes,  certains  déiaiis  manquaient  de  force,  cerlains,  de 
précision  ;  mais  ce  sont  là  des  détails  et,  tant  qu'ils  n'enlèvent 
rien  à  la  compréhension  d'ensemble,  on  peut  les  omellrc.  Une 
exquise  Feuille  d'album  du  raffiné  compositeur  norwégien  Grieg; 
un  très  ^u^^^esilï  Nocturne  de  Borodine  cl  la  iranscripiion  de  la 
ChevauchéQ  de-s  Walkures,  par  Brassin,  complétaient  la  part  de 
M.  Kéfer  dans  le  concert.  _^„_ 

L'exécution  des  deux  premiers  morceaux  a  été  très  bonne;  du 
dernier,  faible  :  visiblement  le  pianiste  était  fatigué.  D'ailleurs,  il 
y  a  danger,  pensons-nous,  de  jouer  au  piano  cette  formidable- 
page  du  poème  des  Nibelungen  ;  outre  la  difficulté  matérielle, 
presque  insurmontable,  il  y  a  ce  péril  de  voir  les  amateurs  faire 
de  la  Chevauchée  ce  qu'ils  ont  fait  de  la  rhapsodie  hongroise 
n®  2.  Il  suffira  de  signaler  ce  péril  à  un  artiste  comme  M.  Kéfer 
pour  qu'il  raye  de  son  programme,  désormais,  cette  dangereuse 
transcription. 

Concert  de  musique  de  chambre  au  Conservatoire. 

L'Association  des  professeurs  du  Conservatoire  a  donné  son 
premier  concert  le  lendemain  de  la  séance  de  musique  dont  nous 
venons  de  parler! 

Ce  concert,  disons-le  franchement, °a  été  très  inférieur  à  ceux 
des  années  antérieures  :  un  romantique  quintette  de  Onslow,  où 
passent  des  harmonies  wéberiennes;  un  otetlo  du  compositeur 
François  Gouvy,  déjà  entendu  l'an  passé  et  où  les  bassons  ont  un 
rôle  un  peu  trop  saugrenu;  une  mélodie  pour  cor,  de  Van  Crom- 
phaut,  très  banale,  mais  exécutée  en  perfection  par  M.  Merck,  et 
une  série  de  pièces  pour  clavecin  du  grand  maître  de  la  musique, 
J.-S,  Bach,  tels  étaient  les  différents  numéros  du  programme. 

Une  fois  de  plus,  répétons  que  de  la  musique  de  chambre 
jouée  dans  une  salle  aussi  vaste  que  celle  du  Conservatoire,  non 
seulement  ne  se  comprend  pas,  mais  s'entend  difficilement.  Les 
pièces  de  clavecin,  à  pari  le  délicieux  rondeau,  produisaient 
reffet  d'un  bruissement  aigrelet  écouté  à  travers  du  papier  de 
soie. 

Espérons  mieux  pour  la  prochaine  séance. 


J^OTE?    BIBLIOQRAPHIQUEp 

P.  P.  C,  comédie  bouffe  eh  un  acte,  que  l'auteur  lui-même 
juge  ainsi  :  «  P.  P.  C.  n'est  rien,  si  ce  n'est  une  fantaisie  d'une 
heure  »,  nous  a  paru  tel.  Mais  le  «  si  ce  n'est  »  domine  le  «  n'est 
rien  ».  Il  n'est  pas  rien,  que  de  faire  de  la  fantaisie  et  c'est  un 
éloge  que  cette  apparente  critique. 

■     *       -, 

Poèmes  Mobiles  :  monologue  de  Mac-Nab.  Editeur  ?  Léon 
Vanier.  Oh  !  très  cocasses  et  abracadabrants  et  d'une  drôlerie 
inédite  de  casse-cou  et  de  clown  ;  phrases,  bottines  en  l'air; 
adjectifs,  la  tête  entre  les  jambes,  verbes  arlequinisés  et  tapent 
de  la  balte  à  travers  les  alexandrins.  Drôleries,  lanternes  magi- 
ques, ombres  chinoises,  tout  défile,  cahote,  danse  au  bout  des 
.baguettes  symétriques  du  vers,  et  la  prose  qui  suit  n'est  pas 
moins  funambulesque. 

J'ai  pris  pour  ma  chansonnette 
Des  rimes  par  ci  par  là 
.    ■  Et  j'y  chante  la  sonnette 

•       "  La  sonnette  que  voilà 

Le  silence 
rT       lence 
lence 


Grâce  de  son  timbre  strident 
Se  balance 

lance 

laiice 
A  la  main  du  président. 


La  diction  dans  la  lecture  et  dans  Vart  oratoire,  opuscule  de 
M.  Sigogne,  a  paru  chez  Castaigne.  Recueil  de  conseils  pratiques 
sur  l'art  de  lire.  Livriculet  sans  prétention,  mais  très  utile. 


* 
*  * 


Le  Tombeau  du  Cid,  de  Vanor.  Excellents  vers  frappés  au 
coin  parnassien  et  cadrant  avec  la  légende  héroïque  de  fer  et  de 
splendeur  qu'ils  doivent  rappeler.  Le  Tombeau  du  Cid  a  été 
recité  à  rOdéon,  par  Albert  Lambert. 


pIBLIOQRAPHIE  MUSICALE 

La  maison  Breitkopf  et  Hârtcl  met  en  vente  Tristan  et  Iseult, 
de  Wagner,  «  version  »  française  (dit  la  couverture)  de  Victor 
Wilder.  Ce  jargon  fait^prcssenlir  ce  que  l'on  découvrira  plus  loin. 

Nous  avons  plus  d'une  fois  exprimé,  à  propos  de  différents 
essais  de  traduction,  noire  avis,  en  général,  sur  la  traduction, 
jugeant  celle-ci  impossible.  Pour  qui  connaît  la  prosodie  des 
deux  langues,  française  et  allemande,  cette  opinion  est  indiscu- 
table et  elle  est  encore  plus  indiscutable  lorsqu'il  s'agit  des 
drames  du  maître  de  Bayreulh,  où  le  mot  et  la  note  ne  font 
qu'un. 

M.  Wilder  est  celui  qui,  autrefois,  intitulait  Mondnacht  de 
Schumann  :  L'heure  du  Mystère.  C'est  dans  cette  langue  de 
pensionnat  que  Tristan  et  Yseult  est  traduit  :  nous  voilà  reve- 
nus au  répugnant  livret  d'opéra  dont  Wagner  voulait  déblayer  la 
scène  lyrique,  nous  voilà  revenus  au  langage  que  parlent  avec 
dès  gestes  absurdes  cabotins  et  cabotines  devant  la  caisse  en  bois 
du  souffleur  pour  un  public  repu  de  banalités.  Nous  ne  pouvons 
nous  associer  aux  applaudissement  qui  accompagnent  chaque 
tentative  de  «  vulgarisation  »  accomplie  par  M.  Wilder;  nous 
pensons  que  chacune  de  ces  tentatives,  et  celle-ci  surtout,  puis- 
qu'il s'agit  du  chef-d'œuvre  le  plus  complet  qui  ail  vu  le  jour, 
est  une  profonde  injure  à  l'art  de  celui  que  tant  d'imbéciles  ont 
suffisamment  souillé  durant  sa  vie,  pour  qu'on  le  respecte,  mort. 

La  partition  a  été  arrangée  par  M.  R.  Kleinmichel,  le  même 
qui  traBScrivit,  on  s'en  souvient,  les  Maîtres  Chanteurs  de 
Nuremberg  pour  l'édition  française  publiée  par  la  maison  Scholt 
frères,  il  v  a  deux  ans. 

Signalons,  chez  les  mêmes  éditeurs,  un  excellent  petit  caté- 
chisme musical,  traduit  de  Lobe  par  Sandre,  ancien  professeur 
au  Conservatoire  de  Bruxelles  et  directeur  actuel  de  l'Ecole  de 
musique  de  Nancy.  Çà  el  là,  pourtant,  des  idées  un  peu  en  arrière 
des  nôtres.  Ce  petit  ouvrage  est  édité  avec  bon  goût  el  grand 
soin. 

Chez  Lemoirie,  rue  de  la  Régence,  vient  de  paraître  un  livre  de 
lecture  musicale  formant  un  recueil  des  airs  nationaux  les  plus 
caractéristiques,  rangés  dans  un  ordre  progressif,  avec  l'indica- 
tion de  leur  structure  rythmique,  par  A.  Samuel,  directeur  du 
Conservatoire  royal  de  Gand,  membre  de  l'Académie  royale  de 
Belgique  et  commandeur  de  l'ordre  de  Léopold,  ouvrage  très  ori- 
ginal et  très  instructif,  mais  fort  médiocrement  édité  :  l'on  a 
oublié  trop  qu'il  faut  mettre  entre  les  mains  des  enfants  tout  ce 
qui  peut  raffiner  leur  goût  et  en  écarter  loul  ce  qui  pourrait  le 
détruire. 


Correspondance 


Vous  donnez  quelquefois,  dans  la  petite  chronique  de  VArt 
moderne.,  de  très  curieux  extraits  du  journal  des  Concourt. 
Comme  j'éprouve  un  vif  désir  de  lire  l'œuvre  elle-même,  serait-ce 


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-     L'ART  MODERNE 


359 


trop  indiscret  quo  de  vous  prier  d'indiquer  dnns  voiro  journal  le 
lilre  el  l'éditeur  de  ce  livre?  Vous  rendriez  grand  service  à  un  de 
vos  lecteurs  très  épris  de  belle  littérature. 

Recevez,  Monsieur,  mes  salutations  empressées. 

Un  abonné  de  VArl  moderne. 

Réponse.  Le  Journal  d"E,  et  J.  de  Goncoiirt  a  été  publié  cet 
été  dans  le  Figaro.  Il  n'a  pas  encore  paru  en  volume.  L'éditeur 
habituel  des  Goncourt  est  M.  Charpentier. 


pETlTE    CHROJ^IQUE 


Mercredi  prochain  40  novembre,  b  la  Conférence  du  Jeune 
Barreau  de  Bruxelles,  local  de  la  l'*'  chnmbre  de  la  Cour  d'Appel, 
au  Palais  de  Justice,  à  2  heures  précises,  M.  Edmond  Picard  fera 
la  première  lecture  de  son  œuvre  nouvelle  :  le  Juré.  Elle  con- 
tinue la  série  des  Scènes  de  la  Vie  Judiciaire^  qui  comprend  déjU 
le  Paradoxe  sur  VAvocaty —  la  Forge  Roussel^  —  l'Amiral,  — 
la  Veillée  de  V Huissier,  —  et  Mon  Oncle  le  Jurisconsulte. 

Cetlte  séance  est  publique  et  durera  environ  deux  heures.* 

M.  Edmond  Picard  se  propose  de  renouveler  cette  lecture  à 
diverses  reprises,  selon  1  usnge  anglais  et  américain,  dans  les 
Conférences  du  Barreau,  les  Sociétés  d'Etudiants  et  les  Cercles 
littéraires.  Il  s'est  déjà  engagé  vis-à-vis  de  la  Conférence  du  Jeune 
Barreau  d'Anvers  (29  novembre)  et  de  la  Société  d'Emulation  de 
Liège  (13  novembre).  '         "  . 

Le  Juré  ne  sor2L  pas  publié  avant  plusieurs  mois.  Il  paraîtra 
alors,  chez  M"'«  V«  Monnom,  ancienne  maison  Callewaert,  en 
une  édition  de  luxe,  grand  in-4»,  tiré  à  cinquante  exemplaires 
seulement,  avec  des  illustrations  par  Odilon  Redon,  le  dessinateur 
du  fantastique  et  du  Symbole. 


A  rOpéra-Comique,  W"^  Elly  Warnots  débutait  la  semaine  der- 
nière dans  la  Rosine  du  Barbier.  «  M"«  Warnots,  dit  la  Justice, 
est  une  comédienne  excellent'",-  elle  chante  avec  goût  et  style 
d'une  voix  légère  au  timbre  gracieux.  La  nouvelle  Rosine  U  eu 
grand  succès  et  sa  carrière  est  assurée  chez  nous  ». 

M.  Lamoureux  prépare  pour  cet  hiver  toute  une  série  d'audi- 
tions wagnériennes,  11  reprendra  la  Walkyrie,  Tristan  et  Yseult 
et  fera  jouer  ensuite  d'importants  fragments  de  Siegfried  et  du 
Crépuscule  des  Dieux. 

C'est  M.  Ernest  Van  Dyck,  l'excellent  ténor  que  nous  avons  eu 
l'occasion  d'applaudfr  à  Bruxelles,  qui  est  chargé  de  ces  impoN 
tantes  créations. 

Au  mois  d'avril,  la  chose  est  décidée,  M.  Lamoureux  fera 
exécuter  «  Lohengrin  »  en  costumes. 

M.  Félix  Cogen  s'est  décidé  à  développer,  à  la  faveur  d'instal- 
lations plus  vastes  et  mieux  appropriées,  les  cours  de  dessin  el 
de  peinture  qu'il  a  donnés  jusqu'ici  dans  son  domicile,  avenue 
d'Auderghem,  192.  L'atelier  dont  il  a  pris  possession  est  situé 
rue  de  la  Charité,  31  (établissement  F.  Mommen). 

Comme  préparation  aux  leçons  d'art,  un  cours  de  dessin 
élémentaire,  d'après  la  méthode  adoptée  par  l'Etat,  se  donne  les 
jeudis  de  2  à  4  heures  et  les  dimanches  de  9  à  11  heures. 

Pour  l'inscription  et  les  conditions  on  est  prié  de  s'adresser 
chez  M.  Mommen,  rue  de  la  Charité,  31. 

II  est  question  de  créer  un  musée  des  beaux-arts  de  la  ville  de 
Paris;  on  y  placerait  toutes  les  œuvres  que  la  ville  achète  depuis 
des  années,  qu'elle  entasse  dans  les  magasins  du  boulevard  Mor- 
land  el  qui  onl  une  haute  valeur.  . 

Si  le  conseil  municipal  adopte  ce  projet,  qui  lui  sera  soumis 
incessamment,  on  choisira  probablement  comme  local  le  musée 
Henri  IV,  situé  dans  l'île  Louviers. 

Un  amusant  compte-rendu  jpar  Charles  Martel,  d'une  première 


du  Roi  Maboul,  à  la  Scala;  une  chronique  du  décolletage,  on 
pourrait  presque  dire  du  démaillolage  : 

«  Le  bon  pornographe  Reslif  mettait  en  latin  les  passages  qu'il 
jugeait  dangereux  à  de  chastes  oreilles,  je  devrais  adopte/  celle 
langue  vieillie  si  j'avais  à  donner  ici  un  compte-rendu  détaillé  du 
Roi  Maboul  que  la  Scala  vient  de  représenter  avec  tant  de  luxe 
et  lani  de  femmes.  Comment  la  cour  du  souverain  excentrique  est 
restée  dans  un  étal  de  chasteté  héréditaire,  que  les  petites  dames 
de  la  Scala  ont  traduit  avec  une  rare  aptitude,  je  ne  saurais  l'ex- 
pliquer. M.  Dumas  fils,  le  chantre  des  millions  d'or  vierge,  des 
polytechniciens  vierges  et  des  fiancés  vierges,  pourrait  seul  faire 
comprendre  les  virginités  sans  jupes  d'hier  au  soir. 

w  Apprenez  seulement  qu'un  photographe  français  suffit  à 
entamer  tous  ces  capitaux,  et  vous  aurez  une  idée  suffisante  du 
nouveau  coup  de  pied  que  vient  de  recevoir  dame  censure.  Les 
habitués  des  musées  d'analomie,  ceux  qui  n'hésitent  pas  à  péné- 
trer dans  la  petite  salle  annexe,  ouverte  aux  hommes  seuls,  au 
dessus  de  seize  ans,  trouveront  à  la  Scala  une  série  de  vues  splié- 
riques  plus  dodues  les  unes  que  les  autres  et  tout  à  fail  réjouis- 
santes. Les  jeunes  artistes  dramali(|ues  qui  onl  montré  hier  un 
jeu  si  franc  et  si  nourri,  ont  certes  des  tal^;nts  aussi  nombreux 
que  variés,  cl  je  regrette  vraiment  de  ne  pouvoir  mcllre  un  nom 
sur  tous  ces  visages. 

«  MM.  Hermil  et  Numès  ont  écrit  pour  ce  défilé  folichon  un 
librctto  qui  achèvera  ceux  que  le"  spectacle  aurait  déjà  fatigués. 
Les  mots  à  faire  rougir  M.  Renan  s'y  succèdent-  sur  mouvement 
de  valse.  M"^  Châlon,  la  fine  diseuse,  dont  la  robe  ouverte  jus- 
qu'au corset  nous  a  révélé  des  secrets  de. diction  ignorés,  l'excel- 
lent M.  Bataille,  MM.  Pichal,  Maurel,  Brunet,  la  réjouissante 
Bloek,  débitent  toutes  ces  joyeusetés  de  la  plus  joyeuse  façon. 
On  a  pris  d'autant  plus  de  plaisir  à  voir  et  à  entendre  que  Job,  le 
spirituel  dessinateur,  a  composé,  pour  l'exhibition,  une  série  de 
petits  chefs-d'œuvre  de  grûcc  légère  et  grivoise.  Il  est  impossible 
avec  moins  d'éioffie  d'aller  plus  loin. 

«  Plus  d'unions  stériles  !  Voir  le  Roi  Alaboul!  »  '  ^ 


A  signaler  une  revue  nouvelle,  la  Revue  lyrique  et  cho- 
régraphique, spécialement  consacrée  à  la  musique  dramatique  el 
au  ballet.  Le  premier  numéro  contient  des  articles  intéressants 
sur  Berlioz,  sut  l'art  chorégraphique,  sur  la  musique  dramatique 
en  général.  La  revue  a  un  bureau  à  Paris,  chez  Ghio  (Palais-Ro^al), 
un  autre  à  Lyon,  un  autre  à  Marseille.  Elle  en  a  môme  un  à 
Bruxelles,  chez  Moens,  Galerie  Bortier. 

Elle  paraîtra  le  15  de  chaque  mois  el  coûte  7  francs.  Go  ahead 
el  bon  courage  ! 

M.  X...,  un  des  conseillers  généraux  du  Doubs,  possédait,  à  uu 
certain  moment,  une  élable  à  Ornans.  Courbet  y  vint  un  jour. 

Dans  tout  le  troupeau,  un  animal  fixa  son  intention.  C'était  un 
jeune  veau,  crolté  jusqu'à  l'échiné,  à  l'œil  rêveur,  au  mufle  sale. 
Celle  bête  plut  à  Courbet,  qui  voulut  la  peindre. 

—  Je  viendrai  demain  chez  vous,  dit-il  à  X...  J'apporterai  une 
toile  et  mes  couleurs.  Nous  ferons  poser  le  petit  de  la  vache.  11 
me  va,  cet  enfant. 

^El,  en  efl^et,  il  revint  le  lendemain  malin.  Mais,  alors,  quel 
désenchantement  !  La  main  coquette  de  la  jeune  fille  avait  passé 
par  là  et  avait  tout  gâté. 

Que  s'éiait-on  dit  dans  la  famille  de  M.  X...? 

-— ^I.  Courbet  va  peindre  notre  veau  ;  il  faut  faire  sa  toilette. 
C'est  un  honneur  pour  lui  qui  veut  que  l'on  se  mette  en  frais. 

Et  vile  les  baquets  pleins  d'eau  de  ruisseler  dans  l'élable.  La 
brosse  de  chiendent  rentra  en  fonction.  On  prit  le  malheureux  el 
on  le  frotta  de  savon  depuis  les  naseaux  jusqu'à  l'extrémité  de  la 
queue. 

La  toute  gracieuse  M"«  X...  avail  insisté  pour  qu'on  lui  atta- 
chât des  faveurs  roses  aux  oreilles. 

Alors,  vous  devinez  ce  qui  se  passe.  Courbet  arrive.  Il  laisse 
T  tonib.'r  sa  boîte  à  couleurs  en  hurlanl  :  —  Ça,  c'e>t  un  veau  ! 
El  il  s'esquive.  {L Evénement.) 


'♦,•  ■  {> 


■  r.,  *  'TW      •: 


'  -^.-^ï  V 


■  '  ■■■è>^'< . 


paraissant  le  samedi 

Directeur  ;  Anatole  Baju.. 

Secrétaire  de  la  rédaction  :  Louis  Villatte. 

Abonnement  :  Paris,  10  francs. 

Départements,  12  francs. 

Bureatix  :  5**'*,  rue  Lamartine,  Paris. 


REVUE  WAGNBRIEME 

Mensuelle. 

Paraît  vers   le  8   de   chaque   mois 

Directeur  :  Edouard  Dujardin. 

Abonnement  :    Paris,   12   francs. 

Etranger,  14  francs. 

Bureaux  :    rue  Blanche,   79,   Paris. 


LA  REVUE  MODERNE 

Paraissant  le  20  de  chaque  mois.    . 
Directeur  :  Paul  Cassard. 
Rédacteur  en  chef  :  Robert  Bernier. 

Abonnement  :  Paris  et  étranger,  11  francs. 

Bureaux  :  rue  du  Département,  35,  Paris. 

rue  de  Marseille,  24,  Lyon. 


REVUE  D'ART  DRAMATIQUE 

Paraissant  le  i^'  et  le  15  de  chaque  mois. 

Directeur  :  Edmond  Stoullig. 

Abonnement  :    Paris,   25   francs. 

Etranger,  28  francs. 

Bureaux  :  Rue  de  Médicis,  3,  Paris. 


LE  CHAT  NOIR 

Paraissant  le  samedi 

Directeur  :  Rodolphe  Salis. 

Secrétaires  de  la  rédaction  :  Georges  Auriol, 

Albert  Ti^chant. 

Abonnement  :  Paris,  10  francs. 

Départements,  12  francs. 

Bureaux  :  rue  de  Laval,  12,  Paris. 


LA  REVUE  ïi^DÉPENDANTE 

de  littérature  et  d'art. 

Directeur  :  Edouard  Dujardin, 
Rédacteur  en  chef  :  Félix  Fénéon. 

Paraît  tous  les  mois. 

Abonnement  :  Union  postale,  17  francs. 

Le  numéro  :  fr.  1-25. 

Abonnement  des  fondateurs-patrons  (papier 
Japon  et  illustrations),  100  francs. 

Bureaux  :  rue  Blanche,  79,  Paris. 


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Leduc,  Van  Campenhout,  Van  Tal,  White,  Ryder,  Wyman,  Wilson, 
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TOILES  PANORAMIQUES 


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.  ;.     ÉDITEUR  DE  MUSIQUE 

RUE  SAINT-JEAN,   10,  BRUXELLES 


Nouveautés  musicales. 

KOETTLITZ,  M  Op.  24.  2  Feuillets  d'album,  pour  piano,  fr.  2-00. 

SAMUEL,  Ed.  Op.  14.  Tareiitelle-Scherzo.  Fragment  sympho- 
nique,  à  4  mains,  fr.  2-50. 

DE  SWERT,  J.  Op.  44.  Impromptu,  pour  violoncelle  avec 
accompagnement  de  piano,  fr.  2  00.  —  Op.  45.  Le  Désir,  morceau 
de  salon,  pour  violon  avec  accompagnement  de  piano,  fr.  1-75.  — 
Op.  46.  Rêverie,  pour  violon  avec  accompagnement  de  piano,  fr.  1-75. 

HERRMANN,  Th.  Op.  28.  Marion- Gavotte,  pour  violon  avec 
accompagnement  de  piano,  fr.  1-35. 


BREITKOPF  &  HÀRTEL 

ÉDITEURS  DE  MUSIQUE  -*^    ': 

BRUXELLES,  41,  MONTAGNE  DE  LA  COUR 


EXTRAIT  DES  NOUVEAUTÉS 

Octobre  1886. 

Bach,  J   S.,  Concerto  pour  2  pianos.  Piano  I  et  II,  à  fr.  9-50. 

Dupont,  Auo.  et  Sandre,  Gust.  Ecole  de  piano  du  Conservatoire 
royal  de  Bruxelles.  Livr.  XXX.  Cah.  I.  Hummel,  F.  N.  Sonate  en 
mi.  b.  majeur,  5  fr.  —  Cah.  II.  Sonate  en  ré  maj.,  5fr. 

Ramann,  L.,  Méthode  élémentaire  de  piano,  pour  les  enfants  de 
7  à  10  ans.  Nouv.  édition,  cah.  I  et  II,  à  fr.  2-50. 

Recueil  classique  de  morceaux  de  chant.  Cah.  I.  2  solis  et  3  duos 
deMendelssohn,  fr.  1-50. 


Bruxelles.  —  Imp.  Félix  C^Uewaert  père.  —  V*  Monnom  successeur,  rue  de  l'Industt  ie,  26. 


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*  Sixième  année.  —  N°  40. 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  14  Novembre  1886. 


L  A  R  T 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DBS  ARTS  ET  DE  LA  LITTERATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,   un   an,   fr.   10.00;  Union  postale,   Fr.    13.00.    —  ANNONCES   :    On   traite   à  forfait. 


Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 

l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


? 


OMMAIRE 


Livres  nouveaux  de  Paul  Verlaine,  -r-  Les  liaisons  dangereu- 
ses. —  Correspondance  d'une  parisienne.  A  propos  d'Hanilet.  -^ 
Notes  bibliographiques.  —  Jurisprudence  du  bibelot.  —  Petite 
chronique. 


LIVRES  NOUVEAUX  DE  PAUL  VERLAINE 

Deux  volumes  de  prose,  publiés  l'un  et  l'autre,  ces  jours, 
fixent  raltention  vers  M.  Paul  Verlaine.  On  sait  l'agilalion  litté- 
raire qui  s'est  faite  autour  de  ce  nom,  soudainement  tiré,  pour 
le  public,  de  l'ombre  où  il  s'étoilait,  tranquille,  pour  les  choisis. 
M.  Verlaine  doit  regretter  ce  bruit  vulgaire  de  journaux,  qui  le 
citent  sur  la  même  page  et  dans  la  même  colonne  que  les  chiens 
enragés  et  les  pêcheurs  à  la  ligne,  chus  en  Seine. 

Il  n'a  du  Teste,  aucune  ardeur  pour  ces  batailles  autour  des 
mots  :  Symbolisme,  Décadence,  Déliquescence  :  étiquettes.  Faire 
des  œuvres!  A  bichonner  les  théories  montées  sur  ces  grands 
dadas  de  substantifs  on  s'aperçoit  de  leur  néant.  Au  i'este,  il 
n'existe  même  pas  d'accord  sur  leur  signification  nette,  — 
M.  Verlaine  en  convient. 

Jusqu'en  ces  derniers  mois  —  sauf  les  Poêles  maudits  — les 
vers  seuls  l'avaient  sollicité.  Exquises,  les  Fêtes  galantes^  réédi- 
tées par  Vannier;  si  douce,  la  Bonne  chanson;  Sagesse^  quoi 
donc  a  mis  plus  d'impalpabilité  et  de  prière  dans  la  poésie  lyri- 
que? enfin,  Henri  Heine  lui-même,  est-il  aussi  attirant  à  nous 
dire  ses  Petites  chansons  que  l'auteur  de  Romances  sans 
paroles? 


Chose  notoire  !  C'est  à  mesure  que  les  premiers"  Parnassiens 

sacrés  d'académie  et  oints  de  Revue  des  Deux-Mondes,  faiblissent, 
qiie  les  derniers,  pour  M.  Mendès  et  sa  critique,  s'atîirment 
et  s'imposent,  tous  les  Prismes  et  tous  \cs  Romans  de  Jeanne 
qui  soient,  ne  feront  plus  refleurir  les  succès  d'antan  autour  des 
Epreuves  et  des  Intimités  futures.  I.a  poésie  parnassienne. régu- 
lière, tirée  au  cordeau,  toute  en  rimes  et  en  angles,  correcte 
comme  un  fanx-col  neuf  et  bourgeoise  comme  un  habit  noir 
irréprochable  sera  détinilivement,  d'ici  a  peu  de  mois,  le  jeu  de 
patience  des  collégiens  que  ni  Lamartine  ni  Musset  n'amusent.  Et 
de  plus  en  plus,  une  nouvelle  forme  présagée  par  Banville  lui- 
même,  voici  longtemps,  attirera  :     - 

«  Il  ne  serait  pas  plus  sensé  d'exclure  le  demi-jour  de  la 
poésie  qu'il  ne  serait  raisonnable  de  le  souhaiter  absent  de  la 
nature;  et  il  est  nécessaire  pour  laisser  certains  objets  poétiques 
dans  le  crépuscule  qui  les  enveloppe  et  dans  l'atmosphère  qui 
lesHwigne  de  recourir  aux  artifices  de  la  négligence.  C'est  le 
métier  qui  enseigne  à  mépriser  le  métier  ;  se  sont  les  règles  de 
l'Art  qui  apprennent  à  sortir  des  règles  ». 

Ces  noies,  de  1846  daléos,  semblent  annoncer  prophétique- 
ment l'art  de  Paul  Verlaine. 

El  Danville  continue  : 

a  C'est  surtout  quand  il  s'agit  d'appliquer  des  vers  h  la  musi- 
que qu'on  sent  vivement  celte  bizarre  et  délicate  nécessité  et 
surtout,  encore  lorsqu'il  faut  exprimer  en  poésie  un  certain 
nombre  de  sensations  et  de  sentiments  qu'on  pourrait  appeler 
musicaux.  » 

Voici  Louise  Leclerq  et  les  Mémoires  d'un  veuf:  prose. 


c_ 


Le  premier  livro,  ccrles,  d'inlérét  ordinaire  cl  gris:  histoires 
bourgeoises,  sans  subtilité  éniolionnclle,  sans  caractères  en  relief 
sur  l'écriiure  assurément  artiste.  X  i)an  Pierre  Duchatelel  où 
l'émotion  s'échappe  d'une  vérité  sentie,  vécue,  transfigurée  et' 
légèreinent  poétisée.  C'est  une  histoire  de  siège,  un  engagement 
aux  bataillons  de  marche,  un  mari  négligé  par  sa  femme,  pendant 
qu'il  trime  par  patriotisme  dans  toutes  les  nauséeuses  corvées  du 
sac  au  dos,  dans  la  neige  et  le  vent  des  balles  prussiennes.  Puis 
le  détraquement  de  la  vie,  les  buts  tués  et  la  fuite  en  Angleterre 
et  la  mort,  celle-ci  superbe!  dans  l'iiôlel  banal  : 

«  Son  odyssée  fut  courte.  Les  quelques  demi-couronnes  qu'il 
gagnait  quolidiennement  à  donner  des  leçons,  le  soir,  il  les 
dépensait  en  vins  de  Portugal  et  en  bières  d'Irlande.  L'eslomac 
s'oblitéra,  la  tête  se  prit,  les  leçons  manquèrent,  ce  fut  la  faim 
et  la  névrose  qui,  finalement,  eurent  raison  de  ce  brave  garçon, 
tué  par  Vidée  d'une  femme  et  dont  le  dernier  mot  fut,  à  l'hôpital 
de  Leicester-place  où  son  agonie  se  vit  soignée  par  des  méde- 
cins français,  bercée  pirr  des  sœurs  françaises, en  pleine  et  bonne 
France. 

«  Pauvre  patrie  tout  de  même!...  Je  m'engage.  » 
Les  Mémoires  iVun  veuf.  On  s'attend  h  une  autobiographie 
nette  et  menée  sincèrement  tout  au  long  des  chapiires.  Ceux  qui 
aiment  Verlaine,  autant  homme  qu'artiste  supérieur,  se  laissent 
charmer  par  l'éliquetle.  Erreur.  Certes,  les  souvenirs  narrés, 
sont  souvenirs  personnels,  mais  ils  sont  d'une  intimité  lointaine, 
peu  profonde  et  comme  extérieure.  Le  volume  est  une  sorte  de 
flânerie  à  travers  une  vie,  flânerie  des  yeux,  des  rêves,  des  pas 
—  l'âme  et  le  cœur,  que  rarement  ils  se  confessent  et  s'analysent  ! 
Les  Mémoires  d'un  veuf  sont  néanmoins  tels  quels,  un  livre 
de  marque.  Une  douceur  dé  résigné  flotte  dans  les  tableaux  et  les 
récits.  Certains- sont  délicats  et  fragiles,  originalement  présentés 
et  toujours  d'une  note  sincère.  Parfois  de  l'excellent.  Ainsi  cette 
aumône  discrète  à  un  enfant  dans  Nuit  noire  : 

«  Et  le  veuf  s'arrête,  infiniment  ému.  Il  fouille  dans  sa  maigre 
poche,  opéiaiion  lente  à  cause  de  l'ulster  et  du  veston  à 
retrousser,  et  de  gants  fourrés  du  Louvre  à  défaire,  et  c'est  d'une 
main  tremblante,  en  poire  (telle  celle  d'une  vraie  dévote  dans 
l'aumônière  de  M.  le  curé)  qu'il  dépose  en  quelque  sorte,  au  fond 
de  la  timbale  d'étain,  comme  par  crainte  d'offenser  la  fierté  des 
yeux  morts  pourtant  du  seul  vrai  pauvre  d'entre  cette  foule  de 
pauvres,  une  petite  pièce,  —  d'or  ou  d'argent,  —  sa  main  gauche 
ne  le  sait  pas. 

«  Ceci  si  doucement  fait,  si  discret  et  avec  une  fuite  si  glis- 
sante et  comme  pudique,  que  le  petit  aveugle  s'écrie  d'une  voix 
cassée,  mais  combien  pénétrante. 
«  Merci,  madame!  » 

Nous  sommes  loin  de  Coppée,  n'est-ce  pas?  quoique  le  sujet 
soit  «  petit  épicier  ».  •  . 

Le  style  de  M.  Verlaine  est  d'une  entière  simplicité.  Des  rac- 
courcis? peu,  mais  excellents;  des  mots  familiers?  en  masse, 


presque  des  mots  et  dos  locutions  d'enfani,  dos  tournures  un  peu 
peuple. 

Exemple?  «  Le  mien  de  chien  ». 

Style  nouveau,  trempé  ii  la  source  de  Jouvence  des  idiomes. 
Bien  plus  dans  le  parler  quotidien,  actuel,  populaire  que  dans  le 
bain  archaïque  des  plirases  de  Rabelais,  de  Montaigne  et  de 
Villon.  Deux  tendances  divisent  les  chercheurs  de  neuf.  Les  uns 
écument  lo  dictionnaire,  prennent  d'assaut  les  écrivains  i\u 
xvi^  siècle  et  resiaurenl  la  langue;  ils  sont  nombreux  et  qui  donc 
les  blâme?  D'autres  —  et  l'on  peut  comprendre  parmi  eux,  les 
naturalistes  —  se  souviennent  du  conseil  de  Malherbe  qui  favo- 
risait l'introduction  dans  le  style  de  l'expression  ramassée  en 
pleine  rue,  sur  les  ponts,  dans  les  jardins  publics.  Suivant  les 
époques  de  raffinem^-nt  ou  de  brutalité,  ces  deux  influences  ont 
soufflé  sur  les  livres  de  France,  et  si  bien  qu'aucune  langue  euro- 
péenne ne  s'est  mieux  et  plus  transformée,  instrument  de  pré;i- 
sion,  compas,  équcrre,  règle,  sous  Louis  XIV,  elle  est  aujour- 
d'hui assouplie,  ductile,  maniable  aux  doigts  les  plus  délicats  et 
ce  serait  chose  intéressante  mais  trop  longue  à  montrer  que  ses 
variations  et  ses  transformations,  depuis  la  chanson  de  Roland  (.-t 
les  Syrtes  et  les  Fabliaux  —  où  quelques  modernes  pèchent  i\  la 
plume  —  jusqu'il  celle  heure.  On  verrait  combien  loin  on  peut 
aller  dans  les  sens  les  plus  opposés,  sans  sortir  de  ce  domaine 
immense,  le  français,  l'aulhcnlique  français. 

M.  Verlaine,  tant  en  prose  qu'en  vei*s,esl  un  manieur  de  verbes, 
exquis.  Personne  n'a  su  mieux  adapter  les  mots  et  leurs  sons, 
et  leur  couleur  et  leurs  lointains  aux  prerroteries  et  aux  arle- 
quinades  et  aux  fêtes  galantes.  Nul  n'a  mieux  compris  le  vers 
traînant,  las^é,  fatigué,  bâillant,  qui  peint-  l'ennui  de  nos  cer- 
veaux et  de  nos  cœurs.  Et  qui  a  trouvé  des  termes  plus  mystiques, 
des  rimes  plus  ailées,  des  parfums  d'adjectifs  plus  cinnamiques 
et'des  strophes  plus  flambantes  en  ex-voto?  Quelle  vision  de 
bras  croisés  sur  les  poitrines,  de  mains  tendues  innocemment, 
de  gestes  do  palmes  on  voit  flotter  autour  de  ce  livre  uniqiie  : 
Sagesse! 

En  prose,  autres  recherches  —  nous  les  avons  indiquées  plus 
haut.  Elles  sacrent  M.  Verlaine,  écrivain,  elles  seules,  car  ni  le 
sujet  choisi,  ni  l'observation,  ni  la  psychologie  conlenues  en  ces 
livres  ne  le  sauveraient  de  l'ordinaire  temporanéité.  Le  style  est 
particulier,  personnel,  neuf.  11  marquera. 


LES  LIÂISOXS  DANGEREUSES 

Il  y  a  quelques  années,  durant  les  vacances,  dans  une  cham- 
pêtre retraite  perdue  au  versant  d'un  des  courts  vallons  qui 
descendent  de  la  forêt  de  Soignes  à  la  Dyle,|aous  étions,  quelques 
amis  et  amies,  nous  reposant  le  soir  de  la  longue  et  traînante 
promenade  du  jour,  très  loin  de  tout,  dans  une  grande  chambre 
rustique. 

On  chantait.  El  entre  autres  mélodies,  une  récente  et  charmante 


.<' 


composiliou  d'un  de  nos  musiciens,  aujourd'liui  presque  relire 
des  nffinrcs...  arlisli'fues,  sur  le  Printemps,  de  Gaulier. 
La  c'.iiantei:sey  allaildc  sa  btîlle  voix  p('M.é;ranlc  : 

Quand  viendra  la  saison  nouvelle, 
Quand  auront  disparu  les  froids,  , 
Tous  les  deux  nous  irons,  ma  belle, 
Pour  cueillir  le  rauf^uet...  t' au  bois. 

Muguet...  i'  au  bois!  T'  au  bois!!  Celle  liaison  m'agaçaii,  me 
crispail,  m'hbrripilail.  T'  au  bois,  Tau  bois!  El  l'enchantement 
de  la  musique  en  était,  pour  moi,  rompu.  Et  b(îlcment,  j'en  con- 
viens, au  lieu  de  me  laisser  entraîner  doucement  dans  le  remous 
des  émotions  rêveuses,  je  ne  pensai  plus  qu'au  t'  au  bois,  et  j'at- 
tendis nerveusement  la  fin  du  morceau,  pour  formuler  une  pro- 
testation. 

Je  prolcslai.  Vivement,  presque  brutalement.  Est-il  permis  à 
une  femme  de  goût,  de  sacrifier  ainsi  aux  manies  des  sous- 
maîtresses?  C'était  atïecté,  c'était  abominablement  provincial. 
Pourquoi  ne  pas  dire  simplement  le  muguet  nu  bois?  Pourquoi 
donner  celle  imporlance  étrange  h  un  /  dont  on  ne  soupçonne 
pas  même  l'exislenco?  Ce  n'était  plusdu  chant,  c'élait  de  l'ortho- 
graphe à  outrance.  Ce  pauvre  muguet  en  était  déshonoré  et  deve- 
nait odieux. 

Comme  j'insistais  sottement  au  point  de  décontenancer  la 
musicienne  qui,  vraiment,  n'eût  mérité  que  des  compliments  et 
-qui,  dans  sa  vanité  jamais  endormie  de  femme,  les  attendait,  elle 
eût  vite  des  chevaliers  pour  la  défendre  et  une  discussion  en 
règle  s'engagea  sur  la  question  des  liaisons.  H  y  avait  là  des 
chanteurs,  des  orateurs  et  de  simples  causeurs.  Chacun  prit  la 
parole  dans  une  très  vive  escarmouche  qui  nous  échauffa  jusqucs 
passé  minuit.  :  ^^  ^  :  -/-^  .''r-:'^.-  ^  -■'■': :-r'. ■■/■-:'.:'■'[■/'-■'  '-^^^ 

11  y  avait  aussi,  dans  notre  compagnie  de  laborieux  prenant  en 
ce  lieu  écarté,  non  pas  les  eaux,  mais  les  airs  (ce  qui  souvent 
vaul  mieux),  un  très  respectable  et  très  expérimenté  professeur 
de  déclamaiioh  dont  le  souvenir  n'est  assurément  pas  effacé 
des  mémoires  bruxelloises.  Très  en  embonpoint,  il  sommeil- 
lait d'ordinaire  durant  nos  soirées  estivales,  dans  le  coin 
le  plus  éloigné  des  fenêtres  grand  ouvertes  sur  le  jardin  tran- 
quille. Quand,  fatigués  de  la  discussion  qui,  comme  toutes  les 
discussions,  commençait  à  s'enliser  dans  les  répétitions  et  les 
arguties,  les  combattants  se  réfugièrent  l'un  après  l'autre  dans  le 
silence  ou  la  bouderie  habituelle  à  qui  s'aperçoit  qu'il  n'a  pu 
convaincre,  notre  vieux  commensal,  sans  ouvrir  les  yeux,  dit  à 
l'improviste,  de  sa  voix  grêle  de  ténor  à  la  réforme  : 

«  Mes  amis,  je  vais  résumer  les  débats.  Voulez-vous?  » 

«  C'est  cela,  criûmes-nous  tous,  heureux  d'avoir  un  prétexte  à 
.'ne  plus  nous  égosiller.  » 

Les  derniers  tirailleurs,  encore  debout,  s'assirent,  et  le  Nes- 
tor commença  une  conférence,  à  laquelle,  bien  des  fois  depuis, 
j'ai  pensé,  et  que  de  récentes  secousses,  causées  soit  au  Palais, 
soit  au  théâtre,  soit  dans  les  cercles  littéraires  par  des  affectations 
abominables,  m'ont  semblé  rendre  éminemment  opportune.  Je 
vais  donc  essayer  de  la  résumer  comme  hommage  à  son  auteur 
défunt,  comme  remède  aux  maux  dont  les  oreilles  délicates  souf- 
rent dans  notre  milieu  où  florit  tant  de  pédanlise.  J'ai  pris  pour 
{'lire  les  Liaisons  dangereuses;  mieux  eût  valu  peut-être  les 
Liaisons  agaçantes. 

«  Vous  avez  tous  raison  dans  une  certaine  mesure,  dit  d'abord 
rexcelleni  homme;   c'est   toujours  comme  ça,  je   le  sais.  El 


j'ajoute  :  Il  faut  distinguer;  c'est  encore  toujours  comme  ça,  je  le 
sais  aussi. 

«  Disting(UT.  Comment?  Voici  :  Le  régime  n'ost  pas  le  même 
pour  le  Chaut,  1<î  Discourr;,  Iê?  Récitation,  la  Loclinv,  la  Cause- 
rie. Ces  cinq  termes  font  une  échelle  doscondautort  réclament  de 
moins  en  moins  la  solennité  et  raff('Clation,depluseu  [)lus  la  sim- 
plicité él  le  laisser  aller.  Ainsi,  étant  admis  que  l'on  doit  faire  cer- 
taines liaisons,  ce  n'est  point  parce  qu'elles  sont  recommundables 
au  Chanteur,  qu'elles  le  seront  à  l'Orateur,  ou  parce  que  l'Orateur 
devra  les  faire  que  le  Ricitaleur  pourra  se  les  permettre,  ou 
encore  le  Lecteur,  ou  surtout  le  Causeur.  Voilà  un  point  fonda- 
mental qui  sert  à  concilier  irèsaisémenl  les  opinions  opposées 
qui  tantôt  troublaient  ma  pauvre  digestion. 

«  En  voici  un  autre  :  La  règle  principale  en  colle  matière, 
est  le  goût,  basé  sur  l'euphonie.  C'est  une  (juestion  d'oreille  et 
non  pas  une  question  de  grammaire.  11  faut  éviter  ce  qui  paraît 
cherché,  voulu,  ce  qui  sort  trop  violemment  de  la  conversation 
courante,  car  celle-ci  est  assurément  le  diapason  originaire,  par 
cela  même  que  c'est  elle  qu'on  entend  le  plus  et  qui  fait  les 
habitudes  de  l'ouïe.   Sous  ce  rapport  je  ne  cache  pas  que /e 

Muguet t' au  bois  m'a  heurté,  et  en  supposant  que  pour  éviter 

un  hiatus  trop  dur  il   fallut  faire  sentir  la  liaison,  il  y  faudrait 
mettre  une  prudence  infinie,  l'indiquer  à  peine,  la  murmurer. 

«  Car  voici  encore  une  formule  :  Toutes  les  liaisons  opportunes 
ne  doivent  pas  être  marquées  avec  la  même  intensité.  La  façon  de 
les  établir  peut  être  forte  ou  douce,  de  manière  à  les  frapper 
nettement  ou  U  les  rendre  presque  imperc('i)libles.  Vn  esprit 
délicat  fera,  à  cet  égard,  des  modulations  qui  pourront  tout  sau- 
ver. Ainsi,  lantôl,  notre  aimable  chanteuse  a  glissé  très  subtile- 
ment sur  le  /'  au  bois  que,  moi  au  moins,  j'ai  entendu  à  peine 
—  ô  le  flatteur!  —  et  je  ne  suis  pas  du  tout  d'avis  que  le  réqui- 
sitoire qu'elle  a  essuyé  fut  mérité. 

c<  Voilà  quelques  généralités  qui  seront  déjà  des  guides  sûrs 
pour  les  natures  pénétrantes.  Mais  l'usage,  fondé  sur  l'exemple  des 
bons  diseurs  en  tous  genres,  a  primé  et  définitivement  consacré 
quelques  préceptes  que  je  vais  vous  énoncer.  Dans  ce  qui  pré- 
cède je  vous  parlais  comme  homme  et  comme  artiste.  Voici 
maintenant  le  professeur,  sinon  le  pédant. 

tt  Je  suis  l'ordre  alphabétique  des  lettres,  autant  que  ma  vieille 
mémoire  de  membre  du  Conservatoire  me  le  permettra. 

«  Le  c  d'abord.  On  dit  croc-en-jnmbe,  on  dit  un  franc,  animal, 
on  dit  un  porc-épais  comme  on  dit  un  porc-épic,  en  liant  toujours. 
Bien.  Mais  ce  sont  les  seules  exceptions  avec  celle  que  la  tradi- 
tion autorise  pour  tabac  dans  ce  vers  de  Corneille  : 

Le  tabac,  est  divin  :  il  n'est  rien  qui  l'égale. 

«"  En  dehors  de  ces  cas,  on  ne  lie  jamais  le  c  final.  Gardez- 
vous  d'un  estoma...  c'exigeanl,  d'un  escro...  c'effronté,  d'un 
ban...  c'agréable. 

«  La  règle  est  la  même  pour  le  </,  sauf  s'il  finit  un  mot  qu'on 
joint  au  suivant  par  un  irait  d'union  ou  s'il  s'agit  d'un  adjectif 
qui  (jualifie  le  substantif  qu'il  préi'ède;  et  encore,  le  d  devient-il 
alors  un  i,  sauf  dans  nord-est  et  nord-ouest  où'ilre>te  ce  qu'il  est. 
Gare  donc  à  ceux  qui  prononcent  :  il  mor...  d'avec  rage,  nuiis 
dites  :  un  grau...  t'orat  ur.  Pour  ne  rien  oublier,  je  dois  ajou- 
ter qu'il  devient  aussi  uu  /  dans  pied-à-tcrre  et  dans  picd-à- 
pied. 

«  Le  <;  change  aufsi  de  nature  et  se  transforme  en  c;  sauf 
dans  ces  trois  mots  saugrenus  :  coing,  poing,  seing,  où  il  est 


traité  comme  s'il  n'existait  pas.  Il  faut  dire  :  le  san...  c'humain, 
un  ran...  c'illuslre. 

«  Dois-jc  continuer,  interrompit  le  magister  improvisé.  C'est 
passablement  cnseiifnemenl  moyen,  tout  cela,  n'est-ce  pas?  J'ai 
peur  de  devenir  normalisle,  ce  qui  serait  un  sort  affreux.  » 

Nous  nous  récriAmes.  Celait  intéressant.  C'était  neuf  pour  l'a 
plupart  d'entre  nous.  Maintenant  qu'il  y  était,  il  pouvait  ne  pas 
.  se  gêner. 

«  La  consonne  l,  recommcnça-t-il  d'un  ton  plaisamment  doc- 
toral, ne  se  prononce  pas  h  la  fin  des  vocables  et  ne  se  lie  pas  :  un 
fusil  élégant,  —  sauf  dans  gentil  et  alors  il  faut  le  mouiller  :  un 
genti...  Il'aspect,  dit-il  en  se  tournant  vers  l'une  des  assistantes 
qui  avait  ses  préférences. 

«  Même  sort  pour  »/,  —  ne  se  prononce  pas  :  le  lliym  odorant 
de  ce  vallon  sauvage! 

«  Pour  n  c'est  autre  chose;  dans  les  adjectifs  on  le  fait  sentir  : 
un  vai...  n'espoir,  un  mali...  n'animai;  de  même  dans  un  h  un, 
mais  nullement  dans  un  et  deux  et  dans  tous  les  autres  cas  où  im 
intervient.  S'il  s'agit  de  subslanlifs,  c'est  tout  autre  chose,  con- 
damnation au  silence  :  le  pain  est  cuit,  —et,  se  lournant  vers  la 
chanteuse  de  tout-ii-riuure  :  votre  chanson  était  admirable. 

«  La  consonho /)  est  également  nulle,  sauf  dans  trop  et  beau- 
coup et,  en  poésie,  dans  coup  i)0ur  éviter  l'hialus.  Pour  ma  part, 
j'aimerais  mieux  Thialus  que  cou...  p'affroux.  Mais  la  tradition! 
«  L'r,  s'il  termine  des  substantifs,  ne  se  lie  pas;  s'il  s'agit 
d'adjectifs,  il"  se  lie.  Celait  la  même  chose  tanlôl  pour  ïn. 
D'où  vient  celle  dislinclion?  Pure  fantaisie  sans  doute,  mais  usage 
despotique.  Donc  :  un  berger  arcadien,  mais  un  lége...  r'effort. 
Va  pour  ces  caprices.  Quant  aux  verbes  qui  finissent  en  er, 
il  est  de  mauvais  ton  de  lier  dans  la  causerie;  dans  les  vers,  la 
même  question  de  l'hiatus  impose  le  contraire.  H  y  a  aussi  de 
solennels  discoureurs  qui  recommandent  la  liaison  dans  la  prose 
dite  élégante  eï  dans  tous  les  morceaux  de  grand  style.  Ameii. 

«  Nous  voici  à  s.  Nous  sommes  en  plus  grande  liberté.  Le 
goût  enfin,  le  goût  décide  presque  toujours.  Certes  il  faut  inva- 
riablement lier  les  verbes  h  leurs  substantifs,  les  adjectifs  h  leurs 
noms,  les  pronoms  à  leurs  verbes,  les  prépositions,  les  conjonc- 
tions à  ce  qui  les  suit.  Mais  n'imitons  pas  les  beaux  parleurs  qui 
font  sentir  toutes  les  s  imaginables,  les  petites  s  et  même  les 
grosses  s  comme  disait  un  pitre  dans  son  boniment.  Evitez  avec 
horreur  l'exemple  des  malheureux  qui  disent  deux  heure...  z'et 
demie,  (jui,  chaque  fois  qu'ils  tutoient,  violent  la  familiarité  de 
leur  langage  en  prononçant  tu  parle...  z'avec  chaleur,  —  lu 
déjeune...  z'avec  moi,  —  ces  chiens...  z"el  ces  chais.  Soyez  d'une 
réserve  extrême.  Cette  lettre  traîtresse  transforme  promptement 
qui  en  abuse  en  un  personnage  ridicule.  Supprimez-la  de  préfé- 
rence. C'est  même  obligatoire  quand  elle  vient  après  un  r,  sauf 
dans  corps  et  âme.  corps  et  bien.  Je  plains  l'infortuné  à  qui  il 
arriverait  dédire  :  mon  cheval  a  pris  le  mor...  s'aux  dents.  Dans 
le  langage  dit  noble,  on  fait  pourtant  la  liaison  des  mots  cours], 
recours^  toujours,  vers,  envers.  J'ai  souvenance  d'un  professeur 
d'université  qui  s'obslinait  à  prononcer:  mon  cour... se.  Il  jugeait 
sans  doute  que  rien  n'était  plus  noble  que  son  cour-se. 

u  Nous  arrivons  au  /,  source  de  la  querelle  de  tantôt.  En 
général  il  se  joint  aux  voyelles  suivantes,  excepté''^and  il  est 
précédé  d'un  ?'et  dans  les  mois  de  par...  l'et  d'autre,  de  par...  l'en 
part  et  fort  employé  comme  adverbe  :  .Vous  êtes  fort...  l'atta- 
chante (même  jeu  que  plus  haut  vers  sa  préférence).  De  même 
dans  sert  pour  éviter  l'amphibologie  avec  serre,  et  dans  court 


pour  l'euphonie.  Mais  gare  îi  l'abus.  Je  tressaute  quand  j'entends 
un  enfant...  l'indocile  ou...  le  mugue...  t'au  bois. 

«  Le  /  es^  sacrifié  au  c  dans  aspect,  circonspect,  respect,  sus- 
pect. J'avoue  que  je  préférerais  qu'on  les  sacrifiât  l'un  et  l'autre. 
Mais  il  paraît  qu'il  est  séant  de  dire  :  un  aspe...  c'horrible.  En 
effet,  c'est  horrible.  J'en  ai  protesté  toute  ma  vie. 

«  VJx  prend  le  son  du  z  devant  les  voyelles  :  des  yeu...  z'admi- 
rables  (encore  une  fois  un  â  gauche, vers  la  préférence).  Pourtant 
on  ne  le  fait  pas  sentir  dans  crucifix,  perdrix  et  prix,  sauf  quand 
on  parle  ore  rotundo.  Dites  chez  vous  :  perdrix  aux  choux,  mais 
si  vous  êtes  chez  un  ministre,  dites  perdri...  z'aux  choux. 

«  Quant  au  z,  on  le  lie  toujours,  sauf  dans  le  nez.  Ce  précieux 
appendice  méritait  cette  exception.  Toutefois  en  vers  on  le  replace 
sous  la  règle  commune.  La  prose  dit  :  le  nez  au  vent,  la  poésie 
le  nez...  z'au  vent.  Comme  c'est  plus  poétique,  n'est-ce  [)as? 

«  Et  me  voici  au  bout  de  ma  leçon, 

«  De  cette  histoire,  la  morale  :  c'est  que,  dans  le  langage  comme 
dans  la  vie,  il  faut  faire  le  moins  de  liaisons  possible,  ne  fut-ce 
que  pour  éviter  le  sort  de  ce  brave  tanneur  qui  disait  :  «  Avec 
z'une  peau  je  fais  l'un  cuir  ».  Et  à  qui  son  interlocuteur  répon- 
dait :  «  Pardon,  vous  en  faites  deux  ». 

Ainsi  parla  notre  vieil  ami.  Est-ce  de  l'art  que  de  raconter 
cette  vieille  causerie  d'un  bonhomme  aimable?  Il  m'a  semblé 
qu'oui,'  en  tant  que  technique  assez  ignorée  de  ceux  qui  pra- 
tiquent Tàrt  oratoire  et  celui  du  chant,  l'art  de  causer  simplement, 
aussi.  • 


PORRE^PONDANCE     D'U  NE  "  PaRI^îEN  NE 

A  propos  d'Hamlet. 

J'en  sors,  de  celte  représentation  (VHamlet  à  la  Comédie- 
Française,  où  je  devais  avoir  le  plaisir  de  vous  accompagner.  — 
J'en  sors  seule  et  peut-être,  vous  me  permettrez  de  vous  le  dire, 
est-ce  mieux  ainsi,  —  au  point  de  vue  de  la  critique  et  de  l'art, 
s'entend,  —  pour  une  piemière  initiation  à  cette  traduction 
d'Humlet  que  nous  ne  connaissions  pas  encore,  à  cette  interpré- 
tation nouvelle  aussi.  —  Car,  après  avoir  lu  dans  VAri  moderne 
l'étude  consacrée  à  la  troupe  des  Français,  je  ne  pouvais  me 
défendre  d  une  certaine  préoccupation  pour  laquelle  le  silence,  et 
presque  l'isolement,  semblaient  mieux  convenir.  Ecrire  dans 
VArl  moderne,  c'est  recevoir  un  brevet  de  sincérité  et  de  har- 
diesse :  je  vous  dirai  donc  franchement  que  je  ne  partage  point 
l'opinion  de  voire  éloquent  correspondant,  et  sans  doute  vous 
accueillerez  avec  la  même  bienveillance  les  appréciations  que  je 
désire  vous  soumettre.  •    " 

Mounet-Sully  a  si  bien  rendu  le  caractère  particulier  de  mys- 
tère, d'indécision,  de  sphinx,  qui  fait  d'Hamlet  une  figure  humaine 
entre  toutes  les  immortelles  créations  de  Shakespeare,  qu'en  réa- 
lité c'est  là  ce  qui  domine  dans  son  interprétation.  Indéfini,  et 
indéfinissable,  au  point  que  tous  les  écrivains,  depuis  le 
xvi^  siècle,  se  sont  crus  obligés  de  rechercher  comment  Shake- 
speare lui-même  avait  compris  son  héros,  irrésolu  et  flottant, 
raisonneur  et  rêveur,  surtout, et  non  agissant;  oui,  telle  est  exac- 
tement la  figure  qui  nous  est  apparue  sur  la  scène,  incarnée  par 
la  très  grande  perfection  plastique  de  Mounet-Sully.  Si  vous 
parlez  de  Rossi,  si  vous  prenez  pour  base  de  votre  critique  cette 
mauvaise  méthode  de  comparaison,  je  vous  parlerai  d'Irving,  le 
tragédien  de  Shakespeare,  à  Londres,  et  alors  il  n'y  aura  plus 


porsonno,  comme  on  dit  vulciaifcmcnt.  —  El  avant  tout,  songez 
que  le  texte  (lue  déclament  Uossi,  Salvini  ou  Irving,  serre  de 
beaucoup  plus  près  Shakespeare,  c'est-^-dire  tout  son  g(5nie,  son 
tempérament  dramalicpie,  la  langue  de  l'époque,  le  milieu  ambiant 
si  nécessaire  pour  compléter  la  parole  et  les  faits.  Rien  que  [)arce 
qu'ils  ont  le  vrai,  le  brûlai,  l'original  Shakespeare  h  la  bouche, 
leur  interpréla,lion  doit  prendre  immédiatement  l'allure  sauvage, 
violente  et  simple  h  la  fois,  qui  sont  la  caractéristique  du  grand 
génie  anglais.  Ici,  le  tragédien  chargé  d'interpréter  le  rôle 
d'IIamlet  en  français,  doit  l'interpréter  en  vers,  ^:— ce  qui  change 
déjii  furieusement  la  question, — et  en  vers  du  brave  et  charmant 
Alexandre  Dumas!  —  Quoi!  Voyez  vous  l'aulourde  Monte-Christo 
et  de  la  Tour  de  Nesle  mettre  en  vers  le  créateui-  de  Macbeth  et 
iïO/hello?  Non,  je  ne  le  voyais  pas,  et  jjourtant  je  l'ai  entendu; 
et  en  entendant  ces  vers  monotones  et  poncifs,  vulgaires  et  plats, 
j'admirais  Mounel-Sully  et  je  m'étonnais  encore  qu'il  ait  trouvé 
des  accents  si  nobles,  des  nuances  si  variées,  —  précisément  les 
nuances  du  rôl(\  —  avec  une  si  pfde.  une  si  molle  traduction! 
Et  pour  reprendre  le  mot  même  de  l'article  auquel  je  réponds, 
c'est  cette  traduction  même  (jui  est  trempée  de  trop  de  parisia- 
nisme et  de  distinction,  (jui  est  trop  Comédie-Française,  et  non 
pas  l'interprétation  de  Mounel-Sully,  qui- se  montre  complète- 
ment, hardiment,  ce  que  quelques-uns  depuis  longtemps  le 
savaient  être,  un  grand  artiste.  Un  artiste,  parce  qu'il  compose 
ses  rôhîs  avec  un  art  délicat  et  personnel,  parce  (lu'il  a  des  qua- 
lités et  des  défauts  irréguliers  qui  constituent  précisément  l'ori- 
ginalité artisticpie;  grand  artiste  enfin,  et  surtout,  parce  qu'il  se 
donne  toul  entier  à  son  art  et  à  .ses  Créations;  parce  qu'il  ne  cal- 
cule pas  une  heure  si  cela  l'usera  ou  non,  parce  qu'il  y  est  jus- 
qu'aux moelles  de  son  âme  et  de  son  corps  :  aussi,  quand  on 
vient  de  le  voir  et  de  l'entendre  dans  cet  écrasant  rôle  du  prince 
de  Danemark,  on  est  presque  aussi  brise  cpie  lui,  inais  on  l'estime 
autant  qu'on  l'admire! 

—  Ah  !  qui  ne  doit  pas  être  fatiguée  en  rentrant  dans  sa  loge,  c'est 
l'Ophélie  de  la  maison  de  Molière  !  Je  ne  l'écraserai  pas  par  la 
comparaison  à  faire  entre  elle  et  Miss  Ellen  Tcrry,  la  partenaire 
d'Irvinff  au  Lvceum-Theater.  Ce  serait  cruauté.  Disons  simple- 
ment  que  M"«  Reichemberg  ne  se  doute  pas  un  instant  de  ce  que 
c'est  que  l'Ophélie  de  Shakespeare  et  d'Hamlet,  et,  pour  son 
excuse,  qu'elle  ne  peut  pas  s'en  douter,  étant  donné  sa  nature  et 
son  genre  do  talent.  Il  ne  fallait,  à  aucun  prix,  la  choisir  pour  ce 
rôle  de  pureté,  de  simplicité  et  d'amour  idéal. 


mais  il  n'est  pas  défendu  d'y  chercher  et  d'y  trouver  les  impres- 
sions grises  et  mortuaires  que  fait  présager  le  titre.  Certains  vers 
les  donnent  et  ce  sont  des  pluies  fines  et  lentes  de  désespoirs  et 
de  larmes  qui  tombent  dans  la  pensée.  ,    . 


"      •      J^OTE^     BlBLlOQF^/PHiqUE? 

M.  Frédéric  Cousot  écrit  du  fond  des  bois.  Bruits  de  sources, 
bégaiements  de  ruisselets,  siftlets  d'oiseaux,  zézaiements  de 
feuilles  et  de  brises,  échos  de  sous-bois,  vies  d'insectes  fourmil- 
lants dans  l's  mousses  et  les  écorces!  M.  Frédéric  Cousot  a  une 
ûme  à  la  Jean-Jac(pies.  Au  xviii*^  siècle,  une  perruche  l'eût  fait 
pleurer  peut-être.  Heureusement  sait-il  qu'aujourd'hui  ce  n'est 
plus  de  mise  dans  les  lettres.  Aussi  s'observe-t-il  et  son  émotion 
virgilienne  contenue  se  dépense  modestement  mais  avec  charme 
en  une  observation  menue  et  jolie  des  choses  forestières. 
'•,■■■.,■■,  ■■■  ■„    ■" .    '^  an-    '      ■   ■       "   ■    .   • 

Nous  avons  i^eçu  un  livre  :  Spleen,  blasonné  d'une  tête  de  mort 
sur  fond  noir.  Ces  pages  de  2  Novembre  retardent  quelque  peu. 


Jurisprudence   du   ^^ibelot 

Tribunal  de  la  Seine  {3"  chambre),  25  juin  1886. 

Attendu  que  la  veuve  Baillet  réclame  k  Obédine  le  paiement 
d'une  facture  enregistrée  à  échéance  de  fin  mars  188o,  montant 
6,600  francs; 

Attendu  qu'Obédine  prétend  déduire  de  cette  facture  un  plat 
porté  pour  une  valeur  de  3,000  francs  ; 

Attendu  que  la  facture  est  ainsi  libellée  :  «  i  plat  Vienne  repré- 
sentant Vénus  et  Adonis»;  (ju'Obédine  ne  conteste  pas  le  lieu  d'ori- 
gine et  de  fabrication  de  l'œuvre  d'art;  qu'il  afiirme  seulement 
avoir  voulu  acquérir  un  vieux  Vienne,  tandis  qu'il  ne  détient 
qu'un  Vienne  moi/e?*»^; 

Attendu  que  Vexorbitance  du  prix  ne  suffit  pas  à  établir 
Cexaclilude  d^une  telle  allégation;  quil  est  d'usage  en  même 
temps  que  de  prudence  élémentaire,  à  une  époque  oii  les  fraudes 
sont  si  fréquentes  et  retentissantes  duns  ces  sortes  de  contrat,  de 
bien  stipuler  dans  la  facture  ce  que  Von  a  voulu  acquérir  et  de 
distinguer  exprasémènt  le  vieux  du  moderne,  la  valeur  artis- 
tique en  étant  absolument  différente  ; 

Attendu  d'ailleurs,  que  la  vue  du  plat,  sans  examen  appro- 
fondi et  sans  connaissances  spéciales,  par  quantité  de  côtés  artis- 
tiques mais  surtout  par  le  style  et  parla  qualité  des  dorures 
protestait  contre  toute  confusion  ; 

Qu'Obédine  n'a  qur'à  s'en  prendre  k  une  incompétence  ou  ii  une 
négligence  réelle  de  l'erreur  commise,  si  erreur  il  y  a  ; 

Par  ces  motifs, 


Condamne  Obédine  à  payer  à  la  dame  Daillet  6,600  francs, 
montant  de  la  facture  avec  intérêts  h  partir  du  "29  avril  188ô,  date 
de  l'assignation,  etc. 


pETITE     CHROjMiqUE 


Nous  sommes  heureux,  do  pouvoir  annoncer  que  MM.  Dupont 
et  Lapissida  vont  mettre  en  scène  prochainement  Fidelio,  de 
Beethoven.  C'est  là  un  eftbrt  artistique  qui  vaudra  à  la  nouvelle 
direction  toute  la  sympathie  des  musiciens. 
.  M.  Gevaerl  s'est  chargé  de  surveiller  les  répétitions.  Il  écrit 
potMî- l'œuvre  de  Beethoven  des  récilalits  qui  seront  chantés,  pour 
la  première  fois,  à  la  Monnaie. 

C'est  aujourd'hui,  dimanche,  à  "2  heures  de  relevée,  qu'aura 
lieu,  îi  l'Alhambra,  l'exécution  de  la  Feestcantate,  de  MM.  Em. 
Hiel  et  P.  Benoit,  composée  en  l'honneur  de  M.  Buis,  bourg- 
mestre de  Bruxelles. 

400  chanteurs,  M""^  De  Cive-Ledelier,  M""  Engeringh,  Michaux, 
Kirby  et  M.  Dhuuvaert  prêteront  leur  concours  à  cette  nouvelle 
œuvre  de  M.  P.  Benoit,  dont  on  dit  le  plus  grand  bien. 

D'une  intéressante  notice  dé  M.  Joseph  Gielen,  l'amateur 
renommé  dont  la  curieuse  collection  d'antiquités  est  un  des  prin- 
cipaux attraits  de  Maeseyck,  notice  relative  à  VEvangiliaire  de 


Siisleren  {{\uc\u}  dcLiml)Ourjî)  qui  fui  si  remarqué  lorsdeTExpô- 
si'ion  inlernalionalb  d'AmsKM-dau),  dans  la  galerie  de  l'art  rétro- 
spectif, nous  extrayons  les  renseignements  suivants  qui  révèlent 
ce  que  coûtait  autrefois  la  confection  d'un  manuscrit  h  eniumi- 
nur.^s. 

«  A  la  fin  d'un  ouvrage  qui  se  trouve  h  la  bibliollièquc  de 
Bourgogne,  h  Bruxelles,  on  lit  la  notule  suivante  : 

.        Espècos  de  Gros. 
,   «  Au  raîligraphe  pour  la  transcription  (le  885  fenillcîs    44.  » 
«  Pour  l'acliat  de  divers  matériaux  .     .....       6.  » 

«  Pour  le  louage  du  manuscrit  qui  a  servi  de  copie.       7.  » 
«  Pour  l'enlumineur  pour  la  confection  de  grisailles.       4.  » 

.  «  Espèces  de  Gros.     .     .     .     01,  » 

«  Ct'tle  s ^mm(\  en  la  décup'ant,  représente  aujourd'hui  deux 
mille  doux  cents  francs. 

«  Mentionnons  en  passant  et  à  titre  de  comparaison  ce  que 
valent  de  nos  jours  les  ancieus  juanuscrits  peints  et  enluminés 
j>ar  les  grands  maîlrrs. 

u  1.0  splendide  niiinuscrit  (Missel)  qui  a  é!é  peint  vers  l'année 
1430,  ])onr  J;icqiu}s  Jubinal  des  Ursins.  tïls  du  célèbre  Prévost  des 
Marcliands  de  Paris,  a  été  ailjugé  lors  de  la  vente  des  objets  d'art 
du  prince  de  So!ti-Roff  après  de  chaudes  enchères,  et  au  conten- 
tement du  public,  heureux  qu'il  ne  sortît  pas  de  France,  fut 
adjugé  pour  la  somme  de  34,000  francs  à  M.  Firmin  Didol, 
lequel  céda  ce  précieux  bijou  au  conseil  municipal  de  Paris  dans 
la  séance  du  13  mai  1861.  » 


M.  Tuxen  expose  au  Cercle  un  laborieux  travail  de  peintre 
bien  intentionné  et  habile.  Sujet  royal,  art  bourgeois.  Tous  ces 
princes  anglais,  russes,  norwégiens,  tous,  ont  même  type  engoncé 
et  lourd.  Le  prince  de  Galles  lui-même  n'est  pas  épargné. 
.  M.  Tuxen  a  dû  passer  par  Paris  et  étudier  quelques  peintres 
soi-disant  audacieux,  tels  que  Roll  ou  Comerre.  La  couleur  est 
brutale  ou  crnyjuse,  mauvaise  et,  toutefois,  il  ne  nous  étonne- 
rait pas  que  M.  Tuxen  prétendit  peindre  la  lumière. 

Au  total,  œuvre  gauche  et  pas  un  tantôt  aristocratique.  Quant 
au  caractère  héraldique  à  saisir  chez  des  rois,  même  contempo- 
rains... Va  t'en  voir  s'ils  viennent  Jean... 


M.Guillaume  Breitncr,  l'un  des  jeunes  artistes  hollandais  du 
groupe  intransigeant,  vient  de  vendre,  au  musée  d'Amsterdam,  le 
tableau  dont  une  esquisse  a  éiéexposée  au  dernier  Salon  des  XX, 
à  Bruxelles  :  «  Des  artilleurs  descendant  une  colline  ». 

La  Revue  indépendante,  renée  de  ses  cendres,  a  paru  la 
semaine  dernière,  sous  la  direction  de  M.  Edouard  Dujardin, 
directeur  de  la  Revue  Wagnérienne;  rédacteur  en  chef, 
M.  Félix  Fénéon,  qui  a  récemment  publié  dans  l'Art  moderne 
l'excellent  article  dont  nos  lecteurs  se  souviennent  sur  les  Im- 
pressionnistes en  1886. 

Ces  deux  noms  indiquent  nettement  la  couleur  de  la  revue. 
Quelques  signatures  raccentuenl  encore  :  Stéphane  Mallarmé, 
chargé  des  Théâtres,  J.-K.  Huysmans,  de  la  Chronique  d'art, 
Teodor  de  Wyzewa,  des  Lii;r^5,  Henry  Céard,  de  la  Mu- 
sique, etc. 

Le  premier  numéro  est  superbe.  Nous  souhaitons  très  cordia- 
lement la  bienvenue  à  la  revue  de  nos  vaillants  amis. 

Une  importante  vente  artistique  aura  lieu  à  la  fin  de  novembre 
ÎJ  l'hôtel  Drouot;  c'est  celle  de  l'atelier  de  Karl  Daubigny,  le 


jeune  et  distingué  peintre  de  paysages,  si  prématurément  (nievé 
à  l'art  français. 

Le  |)roduit  de  cette  vente  est  destiné  h  la  veuve  de  l'artiste 
quil  a  institiré"  sa  légataire  universelle. 

L'exposition  do  l'atelier  Daubigny  précédera  la  vente  :  elle 
sera  faite  salles  8  et  9,  le  .samedi  20  et  le  dimanche  21  no- 
vembre. 

La  maison  Boussod,  Valadon  et  C",  publiera  i)rocliainement 
une  importante  gravure  de  M.  C.  Waltner,  d'après  La  Ronde  de 
nuit,  de  Uembrandt.  Cette  gravure  sera  lirée  à  073  excuiplairos 
de  catégories  variées,  après  quoi  la  planché  s^era  détruite.  Les 
mêmes  éditeurs  publieront  également  six  eaux-fortes  de  M.  Brac- 
quemond,  d'après  h  s  dessins  de  M.  Gustave  Moreau  pour  les 
Fables  de  La  Fontaine.  Soixante-cinq  dessins  de  M.  G.  Moreau 
p^nr  l'illuslration  des  Fables  sont  actuellement  expos;''s  ù  Lon- 
dres. , 

On  a  lonujuement  d^sserté-sur  celte  îmacjc  svmboliciue  de  l'un 
des  poètes  décadents:  Lu  Soir  de  «  glaives».  A  la  suite  de 
curieuses polémi(iues, explication  fut  donnée  des  fameux  «  glaives  » 
devant  servir  à  évo(pier  le  Soir.  Il  ré.^ulie  du  commentaire  que 
Soir  de  glaives  était  fort  admissible  et  qu'on  pouvait  se  repré- 
senter les  rayons  du  soleil  couchant  comme  autant  de  glaives 
dardés  du  disque  enflammé.  On  aurait  pu  de  même  dire  :  Un  soir 
de  Notre-Dame  des  Sept  Douleurs,  les  vierges  au  cœur  saignant 
apparaissant  aux  yeux  des  fidèles  au  milieu  d'un  tlamboiement 
vespéral  de  lames  d'or.  «  Soir  de  glaives  »  peut  donc,  grAce  au 
commentaire  et  à  la  publicité,  recevoir  droit  de  cité  linguistique. 
Ainsi,  l'usage  a  répandu  une  foulé  de  formules  syndjoliques  : 
sommeil  de  plomb,  peur  bleue,  rire  jaune,  froid  noir,  etc. 

Pour  le  cinquantenaire  de  la  Vie  pour  le  Tsar,  qui  sera  célé- 
bré dans  bien  des  villes  de  Russie  le  27  novembre  prochain,  on 
placera  h  Smolensk  la  grille  du  monument  de  Glinka,  inauguré 
l'année  dernière.  Le  dessin  de  la  grille,  fort  original,  est  l'œuvre 
de  M.' Bogomolow,  architecte,  il  est  tout  entier  composé  de 
phras;}s  musicales  tirées  de  l'œuvre  de  Glinka  et  qui  forment  une 
dentelle  à  la  fois  légère  et  solide.  Les  notes  dorées  ressortent 
parfaitement  sur  les  lignes  en  fer  do  la  porte. 

Malades,  les  théâtres.  Les  journaux  de  Paris  annoncent  des 
baisses  de  recettes  partout.  Voici  pour  les  quatre  théâtres  subven- 
tionnés les  renseignements  officiels  extraits  du  rapport  de 
M.  Anlonin  Proust. 

A  la  Comédie-Française.  —  Lrs  recettes  de  1885  se  sont 
élevées  îi  2,383,580  francs.  Les  dépenses  à  2,374,386  francs. 
Soit  un  reliquat  de  9,194  francs,  appliqué  au  fonds  de  roule- 
ment de  1886.  Mais  les  cinq  premiers  mois  de  l'année  1886  n'ont 
produit  que  958,316  francs  do  recettes,  c'est-à-dire  une  différence 
de  70,446  francs  en  moins  sur  h  période  correspondante  de  1885. 

A  VOpéra.  —  La  gestion  de  M.  Vaucorbeil,  en  1884,  s'était 
soldée  par  une  perte  de  402,000  francs.  En  1885,  sous  la  direc- 
tion Ritt  et  Gailhard,  la  perte  a  été  de  167,000  francs,  qui, 
ajoutés  aux  79,000  francs  de  1884,  constituent  au  31  décem- 
bre 1885  une  perte  de  246,000  francs.  Grâce  à  des  économies 
qu'il  serait  dangereux  de  pousser  plus  loin,  l'année  actuelle  don- 
nera probablement  une  augmentation  de  recettes  qui  atténuera  ce 
déficit.      \    • 

A  C  Opéra-Comique.  —  Du  1«-  août  1884  au  31  juillet  1885  : 
déficit,  109,652  francs.  Du  !•■'  août  1885  au  30  avril  1886  :  excé- 


^ÊÊk 


dent  de  roccltcs,  46,669  francs.  Mais  cet  excédent  a  été  entamé 
par  l'insuffisance  des  rt>celtes  de  mai  et  de  ju'n  ;  avec  les  dépen- 
ses, conséquences  forcées  de  la  clôUirc,  il  faut  s'attendre,  cette 
année,  à  une  perle. 

A  VOdéon.  —  Du  1*""  septembre  1884  au  31  août  1885  :  excé- 
dent de  receltes  de  39,643  francs.  Du  l'^'"  septembre  1885  au 
30  avril  1886  :  excélent  de  recettes  de  41,530  francs,  que  les 
mois  (T été  ont  diminué . 

Glanurk.  —  Tous  les  spécialistes,  confinés  dans  leur  domaine 
roslreint,  ont  une  tendance  irrésistible  à  décrier  les  hommes 
assez  insolents  pour  devenir  justement  fameux  îi  plusieurs  litres 
et  pour  joindre,  au  mériie  sciêntifi(jue,  un  grand  rôle  ù  la  tri- 
bune ou  ailleurs.  (A  propos  de  P.iul  Bert.) 


PETITE  BIBLIOTHÈQUE  UNIVERSELLE 

34,  rue  de  la  Montagne-Sainte-Geneviève,  Paris 
A  25  CENTIMES  LE  VOLUME  . 


-  Une  bien  curieuse  lettre  de  Berlioz  : 

«  Mon  cher  Ernst,  . 

«  Je  vous  Fv^niercie  de  votre  lettre;  j'élais  impalienl  d'avoir  de 
vos  nouvelles. 

«  Vous  n'éles  par  mort  !  Bon  !  Moi,  je  suis  malade  d'ennui,  de 
dégoût  de  Piiris  et  de  tout  ce  qui  s'y  tripote;  je  suis  d'une 
Immeur  de  chien,  je  voudrais  m'en  aller  et  je  ne  puis  pas  bouger, 
el  j'ai  des  feuilletons  à  faire... 

«  Ah!  les  plaies  d'Egypte  no  sont  rien  en  comparaison  de 
celle-là.  J'avais  écrit  a  Maurice  Barnett  la  semaine  dernière  à* 
votre  sujet,  le  connaissez-vous?  11  rédige  le  Moniing  Posl,  c'est 
un  excellent  homme.  Comment  va  Halle?  El  Darl'on?  El  ce  fou 
Vivier?      .  .   ;  '    „,. 

«  Quel  lenij)s  !  Il  a  plu  hier  h  emporter  les  maisons!  Mainte- 
nant il  fait  piescjuc  froid.  J'ai  mal  h  la  tête,  damné  feuilleton;  je 
ne  le  coumiLMiccr.ii  pas,  voici  huit  jours  que  je  recule,  je  n'ai  pas 
la  moindre  idée  sur  le  sujet  qui  m'est  imposé...  quel  métier!... 
Où  trouver  du  sol 'il  et  du  loisir?  Eire  libre  de  ne  penser  à  rien, 
de  dormir,  de  ne  i)as  eniendre  pianoter,  de  ne  pas  ent'Midre 
parler  du  Prophète^  ni  des  élections,  ni  de  Kome,  ni  de 
M.  Prudhon,  de  r(>garder  à  travers  la  fiméed'un  cigare  le  monde 
s'écrouler. . .  déire  bête  comme  dix-huit  représentants... 

tt  Ah  !  mon  Dieu  !  mon  Dieu!  quel  sacré  monde  vous  nous 
avez,  f...-là!  Vous  fût'^s  bien  mal  inspiré  de  vous  reposer  le  sep- 
tième jour  et  vous  auriez  diablement  mieux  fait  de  travailler 
encore,  car  il  restait  beaucoup  à  faire. 

«  Mon  cher  Ernst,  je  voudrais  vous  écrire  une  lettre  bien... 
(bien  quoi?  Voyons!)  bien...  (animal,  on  n'annonce  pas  une 
épilhète  quand  on  n'est  pas  capable  de  la  trouver  !)  enfin  une 
lettre  qui  vous  fît  plaisir,  et  je  vois  qu'il  faut  renoncer  à  la 
moindre  chance  d'y  parvenir.  (Quelle  phrasj!)  Je  ne  trouve  rien, 
mais  rie.i,  rien  de  rien.  C'est  comme  pour  mon  feuilleton.  Ce 
feuilleton  me  fera  tourner  en  Cabet!  c'est  sûr. 

«  Je. sors,  je  vais  m'ennuyer  dehors,  je  m'ennuie  trop  chez 
moi...  N  ..de  Dieu...  de  n...  de  D...!  Si  je... 

«  Venez  donc  un  peu  à  Paris,  nous  nous  griserons  ensemble, 

cela  sera  peut-êlre  amusant.  Ah!  voilà  une  idée!  Je  vais  essayer 

i\](i  [vo'àso.  ({\i(i\(\\i\\n  susceptible  de  marcher  avec. 

«  Adi  u. 

«  H.  Berlioz.  » 

P.  S.  —  Tout  bien  considéré,  non,  je  ne  me  griserai  pas;  j'ai 
mal  à  Peslomac  :  aulre  chose  que  j'ai  oublié  de  vous  dire.  Ah! 
mon  pauvre  Ernsij  plaignez-moi,  les  feuilletons  me  fcronl 
mourir.  ' 


Romans  de  mceiii-'s^  romans  populaires,  romans  comiques^ 
voyages,  sciences,  histoire,  poésies,  chefs-d'œuvre  français  et 
étrangers,  signés  des  plus  grands  noms  de  la  littérature  ancienne  et 
moderne,  tels  que  :  Léon  Cladel,  Félix  Pyat,  Glovis  Hugues,  Hector 
France,  Edmond  Picard,  Champfleury,  Catulle  Mendès,  M'"®  Ed. 
Adam,  Paul  Alexis,  Maurice  Tahneyr,  Alexis  Bouvier,  Emmanuel 
Gonzalès,  Paul  Bonnetain,  René  Maizeroy,  Baron  de  Wogan, 
Frédéric  Soulié, .  Molière,  Rabelais,  Shakespeare,  Voltaire,  etc  , 
etc.;  la  Petite  Bibliothèque  universelle  s'augmente  incessamment  des 
œuvres  les  plus  capables  de  plaire  au  public  populaire  aussi  bien 
qu'au  public  lettré. 

Acheter  pour  2.5  centimes  des  ouvrages  qui  se  vendent  partout 
3  francs.  Se  faire  à  si  bon  compte  une  bibliothèque  s'é tendant 
progressivement  à  toutes  les  branchés  des  connaissances  humaines  et 
répondant  à  tous  les  goûts  :  c'est  de  quoi  tenter  le  lecteur  le  plus 
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Aussi  espérons-nous  qu'après  un  coup  d'œil  donné  à  no-tre  cata- 
logue, le  public  intelligent  voudra"  posséder  au  moins  l'un  de  nos 
volumes  et  donner  ainsi  sou  appui  à  l'œuvre  la  plifs  économique,  de 
progrès  intellectuel  qui  ait  été  tentée  jusqu'à  ce  jour. 

NOTA.  —  Notre  catalogue  étant  destiné  à  s'augmenter  sans 
cesse  d'oeuvres  nouvelles,  nous  inscrirons  toute  personne  qui  en  fera 
la  demande  pour  l'envoi  des  catalogues  nouveaux. 


ARGUS  DE  LA  PRESSE 

••::.:,.;-,;,:::.■:'-"■'•     ■■7"'^  ANNÉE  1879-1886  .;  ''-i;-,:   ;;: 

Lit  et  découpe  tous  les  journaux  du  monde,  et  fournit 

extraits  sur  n'importe  quel  sujet.  ^ 


A.  CHERIE,  Directeur 
40,  RUE  i3:.a^il.tl.:é],  -4:0,  i=>  j^t^is    . 

Communication  aux  intéressés,  de  tous  les  articles  de  journaux 
parisiens,  départementaux,  anglais,  américains,  allemands,  suisses, 
belges,  italiens,  autrichiens,  russes,  danois,  suédois,  norwégiens, 
grecs,  turcs,  espagnols,  etc.,  etc. 

Chaque  abonné  est  informé,  jour  par  jour,  de  tout  ce  qui  e.st  écrit 
dans  les  journaux  du  monde  entier,  soit  poier  ou  contre  lui,  soit  sur 
les  sujets  qui  l'intéressent. 

10-12,  rue  des  Finances,  Bruxelles 
Vente  les  MERCREDI  17  et  JEUDI  18  NOVEMBRE 

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Exposition  les  15  et  16  novembre,  de  midi  &  5  heures 


J 


.        •     •■    ■  "/.'         SIXIÈME  ANNÉE  ■  • 

L'ART  MODSRNE  s'est  acquis  par  l'autorité  et  l'indépendance  de  sa  critique,  par-  la  variété  de  ses 
informations  et    les   soins   donnés   à   sa   rédaction   une  place  prépondérante.   Aucune   manifestation  de  l'Art  ne 

lui  e$t  étrangère  :  il  s'occupe  de  littérature,  de  peinture,  de  sculpture,  de  gravure,  de  musique, 

d'architecture,  etc.  Consacré  principalement  au  mouvement  artistique .  belge,  il  renseigne  néanmoins  ses 
lecteurs  sur  toiis  les  événements  artistiques  de  l'étranger  qu'il  importe  de  connaitre.' 

Chaque  numéro  de  L'ART  MODERNE  s'ouvre  par  une  étude  approfondie  sur  une  question  artistique 
ou  littéraire  dont  l'événement  de  la  semaine  fournit  l'actualité.  Les  expositions,  les  livres  noitvecniXj  les 
premières  re-pré.^entatiôns  d'œuvres  dramatiques  ou  musicales,  les  conférences  littéraires,  les  concerts,  les 
ventes  cï objets  d'art,  font  tous  les  dimanches  l'objet  de  chroniques  détaillées. 

L'ART  MODERNE  relate  aussi  la  législation  et  la  jurisprudence  artistiques.  Il  rend  compte  des 
procès  les  plus  intéressants  concernant  les  Arts,  plaides  devant  les  tribunaux  belges  et  étrangers.  Les 
artistes  trouvent  toutes  les  semaines  dans  son  Mémento  la  nomenclature  complète  des  expositions  et 
concours  auxquels  ils  peuvent  prendre  part,  en  Belgique  et  à  l'étranger  11  est  envoyé  gratuitement  à 
l'essai  pendant  un  mois  à  toute  personne  qui  en  fait  la  demande. 

L'ART  MODERNE  forme  chaque  année  un  beau  et  fort  volume  d'environ  450  pages,  avec  table 
des  matières.  11  constitue  pour  l'histoire  de  l'Art  le  document  LE  PLUS  COMPLET  et  le  recueil  LE  PLUS 
FACILE  A  CONSULTER. 


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7  à  10  ans.  Nouv.  édition,  cah.  I  et  II,  à  fr.  2-50. 

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de  salon,  pour  violon  avec  accompagnement  de  piano,  fr  1-75.  — 
Op.  4(>.  Rêverie,  pour  violon  avec  accompagnement  de  piano,  fr.  1-75. 

HERRMANN,  Th.  Op.  28.  M arion- Gavotte,  pour  violon  avec 
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4       -;  9:         ■  ** 


-^%1 


Sixième  année.  —  N°  47. 


Lé  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  21  Novembre  1886. 


LART 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


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Adi^esser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 
l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


?o 


MMAIRE 


Tirage  a  petit  nombre.  —  La  Belgique  dans  le  «*  Tour  pu 
MONDE  ".  —  Bœufs  gras  académiques,  —r  La  vie  d'un  paysagiste. 
—  Notes  de  librairie.  —  Petite  chronique.  ^ 


TIRAGE  A  PETIT  NOMBRE 


^"  A  propos  de  cette  déclaration  de  l'un  de  nos  écrivains 
nationaux  «  qu'il  ne  publierait  une  œuvre  récemment 
achevée  qu'à  cinquante  exemplaires  et  à  un  prix  si 
élevé  que  seuls  les  bibliophiles  se  décideraient  à  le 
payer  »»,  un  journal  bruxellois  s'est  exprimé  en  ces 
termes  : 

«JFantaisie  de  bibliomane,  direz-vous?  Point  du  tout; 
nîais  conséquence  logique  et  pratique  de  l'opinion  que 
l'auteur  s'est  faite,  très  justement,  du  public  belge.  Ce 
public  ne  lit  pas;  c'est  un  profane  ;  tant  pis  pour  lui,  — 
et  tant  mieux  pour  nous  :  arrangeons-nous  sans  lui. 
La  littérature,  comme  l'art,  est  un  dilettantisme.  Toute 
notre  ambition  ne  doit  pas  aller  au  delà  de  ceci  :  nous 
faire  lire  des  gens  capables  de  nous  apprécier.  C'est 
pour  ces  gens-là  qu'il  faut  écrire,  sans  s'inquiéter  des 
autres.  Combien  sont-ils  en  Belgique?  Cent  et  cin- 
quante^  au  maximum.  Et  c'est  encore  beaucoup.  Ceux 
qui  parlent  ainsi  ont  raison  ;  et  leur  renommée  n'en  est 
pas  moindre.  S'ils  avaient  fait  tirer  leurs  volumes  à 
mille  exemplaires,  huit  cent  et  cinquante  seraient 
encore  chez  le  libraire  :  voilà  toute  la  difl'érence.  A 
quoi  bon  alors?  Ce  dandysme  littéraire,  ce  soin  jaloux 


de  ne  s'adresser  qu'à  une  élite,  et  bien  d'autres  choses 
encore,  indiquent  un  esprit  incontestablement  dédai- 
gneux de  la  foule,  obtuse  et  médiocre.  »• 

Un  autre  journal  s'est  empressé  de  répondre  : 

«  Un  de  nos  confrères,  s'occupant  de  livres  récem- 
ment parus,  félicite  leurs  auteurs  de  ne  les  avoir  tirés 
qu'à  cinquante  et  à  cent  cinquante  exemplaires.  Il 
appelle  cela  du  «  dandysme  Uttéraire  »».  Franchement, 
nous  ne  mêlerons  pas  nos  félicitations  aux  siennes,  esti- 
mant peu  sérieuse  cette  façon  d'encourager  la  littéra- 
ture nationale.  ♦*  Un  tirage  de  cent  cinquante,  c'est 
encore  beaucoup  «,  ajoute  notre  confrère.  C'est  trop, 
évidemment,  pour  des  ouvrages  sans  intérêt,  mais 
chaque  fois  qu'un  Belge  a  produit  un  volume  de  valeur, 
le  public  a  su  aller  jusqu'à  lui  et  rendre  justice  à  son 
talent.  Quoi  qu'en  dise  l'auteur  des  lignes  dont  nous 
nous  occupons,  on  compte  en  Belgique  plus  de  cent 
cinquante  lecteurs...  au  maximum!  »»  • 

Cette  observation  et  cette  riposte,  comme  aussi  le 
phénomène  qui  les  a  suscitées,  méritent  examen.  Ils 
touchent  la  littérature  belge  aux  endroits  les  plus  déli- 
cats. Ils  soulèvent  les  questions  suivantes  :  Qui  lit  les 
livres  de  nos  écrivains  et  surtout  qui  les  achète  ?  Un 
écrivain  belge  peut-il  vivre  de  sa  plume  en  se  consa- 
crant à  des  œuvres  vraiment  artistiques?  Moins  que 
cela  :  peut-il  couvrir  les  frais  des  livres  qu'il  publie  ? 

Constatons  d'abord  que  le  tirage  à  petit  nombre  n'est 
pas  la  boutade  isolée  d'un  dandy  de  lettres,  comme  il 
est  dit  plus  haut.  L'habitude  s'en  prend  chez  nous.  Il  y 
a  même  un  mot  d'argot  pour  la  rendre  :  cela  s'appelle 


!■*       -      !•-    .ï' 


*,-*îS)p»r^iT^^ 


370 


L'Ai?r  MODERNE 


étouffer  l'édition.  Comptons,  rien  que  pour  ces  derniers 
temps  :  Georges  Eekhoud  a  fait  tirer  ses  Milices  de 
Saint-François  à  235  exemplaires;  Edmond  Picard 
son  Pro  A7^te  à  152  (son  Juré  n'en  aura  que  5Ô); 
James  Vandrunen,  Elles,  k  150;  les  Lettres  à  Jeanne, 
de  Jules. Destrée,  à  300;  Posthuma,  de  Gustave  Cop- 
pieters,  à  100.  Et  tout  cela  en  éditions  d'amateurs.  Eh! 
dites  donc,  vous.  Monsieur  le  Journaliste,  qui  vous  tirez 
d'affaire  par  cet  aigre  propos  destiné  à  faire  supposer 
que  ces  écrits  ne  se  lisent  pas  :  «  Un  bon  livre  est 
recherché  en  Belgique  comme  ailleurs  «,  que  dites- vous 
de  la  répétition  de  ce  phénomène?  Il  faut  bien  qu'il 
tienne  à  quelque  chose.  Pourq^uoi  cet  accord  tacite? 
C'est  au  moins  étrange,  il  en  faut  convenir.  Cela  doit 
avoir  une  raison.  Vous  ne  la  devinez  pas.  Soit,  cela  ne 
prouve  rien.  Je  vais  vous  aider,  si  vous  le  permettez. 

Quand  on  est  dans  notre  littérature  depuis  un  nombre 
d'années  qui  permet  de  parler  à  bon  escient  de  son 
expérience  (pardon,  ô  novices,  mes  maîtres),  on  est 
frappé  de  ceci  :  c'est  que  tout  journal  purement  artis- 
tique repose  invariablement  sur  cinq  cents  lecteurs, 
c'est  que  tout  livre  purement  artistique  a  trois  cents 
acheteurs.  En  Belgique,  s'entend,  sur  le  terroir,  le  bon 
terroir  national. 

Je  dis  acheteurs.  En  effet  le  nombre  des  lecteurs 
peut  être  plus  considérable.  Ce  qui  le  démontre,  c'est 
que  quelques  œuvres  sont  devenues  populaires.  La 
vente  n'y  a  été  pour  rien  :  consultez  les  éditeurs.  Mais 
le  cabinet  de  lecture,  l'emprunt,  et  la  sollicitation  du 
don  par  l'auteur  ont  fonctionné.  Ce  qu'il  y  a  de  gens 
qui,  sous  prétexte  d'amitié  ou  de  relations,  se  croient  des 
titres  à  obtenir  un  livre  sans  ouvrir  leur  porte-monnaie 
est  aussi  prodigieux  qu'affligeant.  Ce  qu'il  y  a  de  pingres 
qui  se  le  font  prêter  au  lieu  de  dépenser  les  trois  francs 
qu'il  coûte  en  moyenne  dans  une  édition  courante,  est 
tout  aussi  étonnant.  Et  les  amateurs  modestes  qui  ne 
lisent  que  par  abonnement  font  un  troisième  groupe 
aussi  imposant  que  les  deux  autres.  En  Belgique,  trois 
cents  exemplaires  vendus  peuvent  équivaloir  à  trois 
mille,  à  cinq  mille  lecteurs. 

Voilà  comment  le  journaliste  de  tout  à  l'heure  avait 
raison  en  affirmant  que  les  belles  œuvres  sont  lues  .en 
Belgique  comme  ailleurs,  mais  voilà  aussi  pourquoi 
cela  ne  résout  rien  en  ce  qui  concerne  l'écrivain,  ses 
moyens  de  vivre,  et  ses  moj^ens  d'imprimer. 

En  effet,  ce  dernier  point  est  une  question  d'argent. 
Ne  raisonnons  plus,  calculons.  L'éditeur  se  tient  entre 
l'auteur  et  les  libraires.  S'il  imprime  à  ses  risques  et 
périls,  il  paie  des  deux  parts.  Quoi  ?  Aux  libraires  le 
tiers  du  prix  de  vente,  soit  un  franc  sur  trois  (33  %  et 
le  treizième  en  sus).  A  l'auteur,  cinquante  centimes  par 
volume.  Le  franc  et  demi  qui  lui  reste  doit  couvrir  ses 
frais  d'impression  et  fournir  son  bénéfice. 

Le  pauvre  auteur  a  donc  cinquante  centimes  !  Sur 


une  vente  de  300  c'est  150  francs.  Imaginons  une  vente 
de  mille,  ce  sera  500  francs.  Or,  mille  en  Belgique, 
c'est  l'invraisemblable.  En  y  joignant  l'étranger,  c'est 
rarement  dépassé,  si  ce  n'est  pour  cette  noble  littéra- 
ture que  je  me  permettrai  de  traiter  ici  en  quantité 
négligeable,  et  qui  s'est  fait  une  gloire  pornographique 
d'un  bel  éclat  sous  le  nom  de  Livres  Belges. 

Si  l'auteur  prend  tout  à  sa  charge,  il  devra,  lui  aussi, 
payer  le  tiers  aux  revendeurs.  Une  édition  un  peu  pro- 
pre à  300  exemplaires  lui  coûtera  au  minimum 
400  francs.  Il  sera  donc  en  déficit  de  200  francs.  Notez 
que  c'est  le  cas  le  plus  ordinaire,  les  éditeurs  nationaux 
ne  se  souciant  guères,  en  général,  de  risquer  le  paquet 
avec  les  artistes  du  cru.  Ils  savent  trop  que  les  mé- 
comptes sont  presque  inévitables. 

Cela  étant,  que  faire.  Monsieur  le  Journaliste?  Il  est 
naturel  que  l'on  ait  pensé  aux  moyens  d'éviter  ces 
déconfitures  constantes. 

On  a  recouru  au  tirage  à  petit  nombre,  sous  forme 
d'édition  de  luxe,  chaque  exemplaire  haut  tarifé. 

Voici  la  combinaison  et  ses  bases.  Parmi  les  300  lec- 
teurs qui  achètent  nos  livres,  il  y  en  a  une  centaine  qui 
sont  des  amateurs  véritables,  plusieurs  des  bibliophiles 
épris  des  livres  rares  et  des  belles  éditions.  Pour  satis- 
faire leur  goût  ou  leur  caprice,  ils  paient  aussi  aisé- 
ment dix  francs  que  trois,  voire  vingt,  trente  et  qua- 
rante francs,  selon  l'importance  du  volume.  C'est  pour 
eux  qu'il  faut  tirer,  et  pour  eux  seuls.  Ils  viendront  sur 
le  simple  vu  d'un  prospectus,  sans  entremise  du  libraire 
et  sans  son  prélèvement  énorme.  Si  mon  livre  me  coûte 
cinq  francs,  ce  qui  le  suppose  cinq  fois  mieux  en  sa 
forme  extérieure  que  l'édition  ordinaire,  et  si  je 
vends  à  dix  francs  cent  exemplaires,  je  couvrirai  tous 
mes  frais  et  j'aurai  500  francs  de  bénéfice.  S'il  me  coûte 
vingt  francs,  ce  qui  le  suppose  magnifique,  et  si  j'en 
vends  cinquante  exemplaires  à  quarante  francs,  je 
gagnerai  mille.  Si  j'en  vends  cent,  je  gagnerai  trois 
mille  à  peu  près,  car  la  dépense  d'un  tirage  double  est 
peu  de  chose. 

Ceci  devient  sérieux,  n'est-ce  pas,  Monsieur  le  Jour- 
naliste ? 

Et  si  Ton  y  ajoute  la  lecture,  préalable  à  la  publica- 
tion, dans  les  divers  centres  du  pays?  Assurément  quel- 
ques-uns la  feront  gratuitement.  Mais  laissons-les  de 
côté  :  -j'envisage  les  écrivains  de  profession.  Supposez 
dix  lectures  à  cent  francs  en  moyenne,  ce  qui  est  un 
minimum,  c'est  encore  mille  francs.  Nous  atteignons 
donc  quatre  mille.  Pareille  somme  commence  à  valoir 
la  peine  d'écrire.  ' 

Le  tirage  à  petit  nombre  n'est  donc  pas  si  bête.  Il 
excite  l'appétit  des  bibliomanes,  il  donne  un  grand 
intérêt  aux  lectures  publiques.  Et,  par  surcroît,  il 
n'empêche  pas  une  édition  plus  populaire,  ultérieure- 
ment, quand  la  renommée  de  l'œuvre  s'est  faite  ce  qui 


■m 


L'ART  MODERNE 


371 


facilite  singulièrement  l'achat  par  un  éditeur,  deside- 
7'atum  final  de  quiconque  écrit.  Il  donne  aussi  cette 
satisfaction  qu'assurément  plus  d'un  cœur  fier'  ne 
dédaignera  pas,  de  donner  une  leçon  à  ce  misérable 
public  qui,  jusqu'ici,  n'a  jamais  chez  nous  su  faire  à 
l'artiste  de  lettres  un  sort  pécuniaire  lui^  permettant  de 
vivre  de  sa  plume  et  à  cette  presse  pourrie  de  camara- 
derie qui  ne  parle  que  selon  ses  amitiés  ou  son  intérêt. 

Car  c'est  en  cela.  Monsieur  le  Journaliste,  que  la 
situation  présente  est  surtout  lamentable.  Excusez-moi 
de  préciser. 

Vous  étiez  apparemment  un  artiste  de  lettres.  Vous 
avez  dû,  in  illo  tempore,  écrire  un  livre,  prose  ou 
vers,  clématite  ou  chardon.  Vous  avez  dû  espérer  la 
vente,  et  vous  avez  dû  la  tenter.  Vous  savez  ce  qu'il 
est  resté  de  vos  espérances  et  les  quelques  sous  que 
vous  avez  empochés,  peut-être,  n'ont  point  pesé  lourd 
dans  votre  gousset. 

Avez-vous  recommencé,  je  l'ignore.  Mais  que  vous 
ayez  couru  une  nouvelle  aventure  ou  non,  vous  avez 
fatalement,  tôt  ou  tard,  abouti  à'  cette  constatation 
inéluctable  :  «  En  Belgique,  la  profession  d'écrivain- 
artiste  ne  fait  pas  vivre  son  homme  ;  elle  ne  peut  être 
que  l'accessoire  d'une  autre  sérieusement  fructueuse.  « 
Et  comme  ce  dernier  cas  n'était  point  le  vôtre,  et  que 
vos  aptitudes  ou  vos  goûts  ne  vous  donnaient  point  la 
force  de  volonté  nécessaire  pour  faire  autre  chose 
qu'écrire,  vous  vous  êtes  engagé...dans  le  journalisme, 
hélas  !    ■.•^-  '•■.'■^-  """' ■  '.'•'"'■  '':•■■'  ■■^''■--■'■■-'^<^' y  ■■■'^ 

Oui,  hélas!  Que  le  sens  commun  me  garde  de  répéter, 
ici,  tout  ce  qu'on  a  écrit  sur  ce  bagne  et  de  l'inévitable 
déchéance  que  les  facultés  artistiques  y  subissent.  On 
l'a  nommé,  le  trottoir  de  la  littérature,  le  putanisme 
de  l'art.  On  a  dit  qu'y  tomber,  c'était  plonger  dans  la 
fosse  à  purin.  Avec  moins  d'àpreté,  on  a  dit  que  les 
reporters  étaient  des  chiôonniers  de  lettres,  des 
bonnes  à  tout  faire.  Mettant  en  question  jusqu'à  leur 
intégrité,  on  les  a  comparés  à  des  bravi  trafiquant  de 
leur  plume  comme  autrefois  on  trafiquait  de  sa  rapière. 

Tout  cela  est  empreint  d'exagération.  Mais  ce  qui, 
certes,  est  exact,  c'est  qu'on  ne  peut  impunément  pra- 
tiquer quotidiennement  cette  fonction  littéraire  subal- 
terne sans  y  altérer  les  meilleures  qualités.  L'obli- 
gation d'écrire  à  heure  fixe,  le  drainage  nécessaire  et 
constant  des  idées  et  des  formules,  la  facilité  avec 
laquelle  on  se  laisse  aller  à  défendre  moins  ce  qu'on 
pense  et  ce  qu'on  aime  que  l'opinion  utile  à  la  feuille 
qu'on  sert,  amènent  l'épuisement  et  le  dégoût  de  soi- 
même.  On  tourne  à  la  fonction  machinale  et  écœu- 
rante compliquée  de  longues  et  moroses  stations  autour 
des  tables  de  taverne  avec  des  dévotions  à  la  Sainte- 
Absinthe.  On  se  convainc  que  le  style  le  plus  aisé  et 
qui  plaît  le  mieux  est  le  plus  banal.  On  s'accoutume  à 
ce  vice  honteux  de  l'écrivain  :  la  goguenardise  à  propos 


de  tout.  On  sent  qu'on  ne  fait  plus  partie  du  bataillon 
sacré  des  artistes,  mais  de  la  garde  civique  des  écri- 
vailleurs.  On  se  sent  raté,  on  enrage  et  on  passe  son 
hydrophobie  à  mordre  les  autres.  La  plume  n'a  plus  ni 
dignité,  ni  autorité  et  on  finit  dans  le  gâtisme  des 
Premiers-Bruxelles  grotesques  ou  des  faits-divers  nau- 
séabonds. ^^  . 

Le  corps  vit  alorâ  de  la  plume,  certes,  mais  l'intelli- 
gence a  été  tuée  par  elle. 

Ce  spectacle  est  douloureux  et  pourtant  c'est  celui 
que  nous  ofirent  beaucoup  d'hommes  de  talent,  jadis, 
formant  les  équipes  de  dix,  de  vingt  journaux  qui  n'ont 
plus  sur  notre  public  la  moindre  influence  politique  ou 
artistique.  Il  est  vrai  que  quelques  exceptions  confir- 
ment l'universel  amoindrissement.  Mais  le  journalisme 
(je  risque  une  comparaison  quelque  peu  ambitieuse)  n'en 
est  pas  moins  un  Maelstrom  qui  suce,  absoi'be,  résorbe 
quiconque  s'en  approche  et  ne  rend  à  la  surface  que  des 
malheureux  brisés,  défigurés,  émasculés. 

Il  est  naturel,  n'est-ce  pas,  -Monsieur  le  Journaliste, 
que  quelques-uns  essaient  d'échapper  à  ce -recrutement 
qui  mène  trop  souvent  à  des  batailles  sans  gloire  et  à  la 
décapitation  morale.  Mesquinement  peut-être,  ils  ont 
imaginé  le  tirage  à  petit  nombre  expliqué  comme 
ci-dessus.  C'est  peu  de  chose,  j'en  conviens.  Mais  l'ima- 
gination est  pauvre,  et  jusqu'ici  on  n'a  rien  trouvé  de 
mieux.  _^.  ^  :-"■:■/-■  :--^,.;^-."-'---- :;/■■■:;-'■..  •  ;•-."."::;:..'■,;.:;:/.:;- 

Ah!  si  ncrtre  public  pouvait  enfin  comprendre  que 
son  devoir  est  d'acheter  ces  livres  qui,  en  somme,  en 
valent  bien  d'autres  et  qui  attestent  un  si  persistant 
courage  pour  doter  d'une  littérature  la  patrie  (grand 
mot  qui  ne  commence  à  paraître  bête  que  lorsque  la 
patrie  ne  fait  rien  pour  les  siens)  !  Ah  !  si  sur  les  six 
millions  de  Belges  que  nous  sommes,  il  y  en  avait  seu- 
lement quatre  mille  qui  se  décidassent  à  payer  trois 
francs  les  œuvres  de  nos  compatriotes!  Il  y  aurait 
moins  de  journalistes  assurément,  mais  il  y  aurait  des 
artistes.  Quel  âge  d'or  ! 


LA  BELGIQUE  DANS  "  LE  TOUR  DU  MONDE  . 

Camille  Lemonnier  vient  d'achever  dans  le  Tour  du  Monde^ 
par*une  livraison  sur  la  province  de  Limbourg,  l'énorme  et 
superbe  travail  qu'il  y  a  consacré  à  la  Belgique.  L'an  prochain 
paraîtra  l'œuvre  entière  un  peu  remaniée,  complétée,  uniformisée 
de  tons,  agrémentée  de  nouveaux  dessins  et  reproductions  de 
tableaux;  ce  grand  livre  sera,  certes,  un  des  plus  beaux,  des 
plus  durables,  monuments  littéraires  qu'un  écrivain  ait  bâti  pour 
la  gloire  de  son  pays  et  pour  la  sienne. 

Nous  espérons  qu'on  s'en  apercevra  au  moins  quand  le  livre 
paraîtra,  pour  en  rapporter  à  son  auteur  palmes  et  louanges;  car, 
jusqu'ici,  c'est  plutôt  dans  du  silence  que  l'œuvre  est  tombée, 
sans  que  des  particuliers,  d'une  ville  ou  du  gouvernement  un 
hommage,  un  encouragement  lui   soient  venus.  Au  contraire, 


/ 


"-$'■ 


»  i. 


372 


VART  MODERNE 


toute  d'exaltation,  d'enthousiasme,  de  dileclion  patriote,  de  ten- 
dresse pour  la  terre  originelle  que  l'écrivain  lyrique  semble  par" 
moments  porter  à  ses  lèvres  et  baiser,  à  la  façon  des  rudes 
communiers  de  Flandre,  ses  ancêtres,  dont  il  a  gardé,  lui,  la 
mule  vigueur  et  l'indéfectible  fierté  —  une  telle  œuvre,  disons- 
nous,  au  lieu  de  se  produire  dans  la  joie  et  l'acclamation  du  pays, 
lui  a  été  indifférente,  presque  antipathique,  s'il  faut  en  croire  les 
agressions  du  début.  On  se  rappelle,  en  effet,  à  l'apparition  des 
premières  livraisons,  les  appréciations  étonnantes  de  M.  Hymans 
dans  rOffice  de  Publicité.  On  croit  rêver  quand  on  lit  h  présent 
des  choses  comme  celles-ci,  qui  semblent  si  lointaines  et  qui 
sont  si  proches. 

«  Quant  au  texte,  il  m'a  laissé  et  il  laissera  certainement  au 
public  une  impression  pénible.  S'il  paraissait  en  Belgique,  il  n'y 
aurait  pas  grand  mal  ;  il  faut  supposer  même  qu'il  ne  serait  pas 
lu.  Mais  ce  système  va  mettre  au  dehors  des  hruiaViiés  préjudi- 
ciables à  notre  renom  littéraire!!!  » 

Et  puis  il  ajoutait  h  ces  appréciations  fantastiques  : 

«  Je  vois  \h  une  aberration  de  goût  chez  des  écrivains  qui 
pourraient  consacrer  leur  patience  à  dès  travaux  utiles!  !!  » 
'  Des  travaux  utiles,  comme  «  Bruxelles  h  travers  les  âges  », 
dédié  au  jeune  Baudouin  et  publié  à  coups  de  subsides  !  ! 

0  sublime  et  sereine  bélise!  La  bélise  au  front  de  taureau, 
comme  dit  Baudelaire. 

Mais  n'est-ce  pas  qu'il  est  amusant  de  rappeler  ces  choses 
d'antan,  aujourd'hui  que  l'œuvre  finie  est  toute  pavoisée  par 
l'admiration  universelle  des  artistes. 

Quant  à  la  dernière  livraison  sur  le  Limbourg,  elle  est  digne 
des  précédentes,  pleine  de  couleur,  de  pittoresque,  d'images  fas- 
tueuses déroulées  çà  et  là  dans  le  récit  comme  des  brocarts  sur- 
chargés do  joyaux  et  de  dentelles  fleuries. 

C'est  d'abord  la  description  du  jubé  de  Tessenderloo  —  une 
merveille,  dont  on  ferait  bien  d'obtenir  le  moulage  pour  le  nou- 
veau Musée  des  Echanges;  puis  c'est  la  contrée  à  l'aspect  souf- 
frant, la  plaine  morte,  la  solitude  de  sable  où  s'élèvent  les  logis, 
cantines,  auberges  qui  entourent  le  camp  de  Bcverloo.  Puis  l'au- 
teur nous  promène  dans  les  rues  de  ïlasselt,  ensuite  à  Sainl- 
Trond,  et  ici  il  raconte,  vers  l'heure  du  crépuscule,,  un  émouvant 
paysage  de  banlieue,  attristé  de  calvaires  saignants,  de  couvents 
silencieux,  d'un  hospice  de  fous  et,  sur  les  toits  de  toutes  ces 
maisons  de  tristesse,  —  la  tristesse  plus  grande  encore  des  clo- 
ches s'épandanl  en  larmes  de  bronze  ruisselantes. 

Un  bien  exquis  morceau  aussi,  c'est  la  description,  dans  les 
campagnes  environnantes,  du  tressage  des  pailles  auquel  s'oc- 
cupent les  femmes  et  les  fillelles  qui,  au  soir  tombant,  sur  le 
seuil  des  portes,  tiennent  entre  leurs  doigts  des  chaumes  «  qui 
ressemblent  alors  à  des  aiguilles  d'or.  Elles  ont  l'air  de  travailler 
de  la  clarté  ». 

El  voici  la  fin  de  l'œuvre,  pleine  d'une  poétique  et  touchante 
émotion  : 

Lentement  le  ciel  s'apâlil  sur  ces  idylles;  une  fumée  rose 
monta  des  horizons;  le  soleil  décrut  derrière  la  paix  du  grand 
paysage.  Et  mélancoliquement  je  pensai  qu'il  ne  se  relèverait  plus 
sur  les  pages  de  ce  livre.  Avec  son  disque  rouge,  déjà  froidi  de 
silence  et  d'ombre,  s'enfonçait  dans  la  nuit  l'œuvre  accomplie 
après  tant  d'aurores  et  de  couchants.  Je  l'ai  menée  à  travers  la 
vie  bonne  et  mauvaise  :  depuis  bientôt  cinq  ans,  j'y  mets  une 
tendresse  religieuse  pour  la  terre  maternelle  où  dorment  les 
miens,  où  moi-même  j'irai  dormir  un  jour.  Et  voici  que  je  louche 


à  son  déclin.  A  travers  l'inévitable  tristesse  qui  accompagne  la  fin 
des  labeurs  humains,  il  me  reste  du  moins  une  douceur,  celle  d'y 
avoir  vécu,  dans  les  siècles  et  le  temps,  chez  les  ancêtres  et  les 
vivants,  de  la  vie  même  de  la  patrie,  en  communion  constante 
avec  sa  grande  âme  indéfectible. 


JaEp    BŒUF?    QRA^    yVCADÉMiQUE? 

Festivité  dé  paroisse,  que  sonnent  de  petites  cloches,  avec  des 
bourdons  grêles,  dans  un  air  provincial,  passe  encore!  et  môme, 
il  y  aurait  tout  un  rêve  de  vieilles  et  modestes  coutumes,  qui 
s'éveillerait  h  ce  bruit  légendaire,  mais  au  lieu  de  cela  du  fracas 
et  de  la  réclame  et  une  sorte  d'américanisme  brutal  et  une  mani- 
festation énorme  comme  autour  d'un  bœuf  gras  ! 

C'est  des  prix  de  Rome  qu'il  s'agit. 

Gand  avait  Montald  ;  —  depuis  quelques  jours,  Anvers  possède 
Van  der  Veken. 

Ce  qu'ils  ont. fait?  Si  c'était  un  crime,  on  ne  trouverait  que 
peu  de  chose  à  blâmer,  mais  l'un  s'est  permis  un  tableau,  l'autre 
une  gravure  —  et  c'est  cela  qui  est  inexcusable. 

D'abord  l'exemple,  le  mauvais  exemple  donné  à  tout  un  peuple 
trompé,  hypnotisé  parla  fausse  gloire,  séduit  par  des  couronnes 
en  papier  et  des  médailles  en  toe  el  qui  se  dit  fier  d'avoir  produit 
deux  médiocrités  artistiques  nouvelles  comme  si  les  MM.  De 
Vriendt,  Van  den  Bussche  et  Van  Ilammée  ne  suffisaient  plus. 

Ensuite,  quelques  milliers  de  francs  dépensés  à  célébrer  et  à 
limbaliser  le  triomphe  de  l'art  nul  sur  l'art  qui  vaut,  de  la  décré- 
pitude sur  la  force  et  de  la  sénilité  sur  la  jeunesse. 

Ensuite,  un  orgueil  bêle  dans  deux  têtes  qui  deviendront  — 
selon  l'expression  d'un  M.  Durandeau  —  les  clefs  de  voûle  de 
Tédifica  académique,  car,  fatalement,  MM.  Montald  el  Van  der 
Veken,  seront  sacrés  professeurs  à  leur  tour  et  placardés  de  dis- 
tinctions bourgeoises  et  gobés  par  les  Mécènes  belges  comme  un 
œuf  à  la  coque.  Ils  trôneront  plus  lard,  pour  juger  d'autres  con- 
cours et  ce  seront  des  élèves  quelconques  aussi  qu'ils  médaille- 
ronl.  ' 

Le  prix  de  Rome  a  son  immortalité  assurée. 

Ensuite  et  enfin,  l'incapacité  de  l'état  à  patronner  l'art,  démon- 
trée une  fois  de  plus,  sonjnlerveniion  honteuse,  à  côté,  toujours 
à  faux.  L'Etat  !  celte  vieille  gaupe  de  nourrice  qui  n'y  voit  plus  et 
donne  à  téter  h  quiconque  passe,  mais  de  préférence  aux  imbé- 
ciles, mais  avec  prédilection  aux  caduques,  parce  qu'elle  sait 
que  les  autres,  les  forls,  sitôt  la  tête  tournée,  crachent  et  recra- 
chehl  son  lait  vert. 

Il  nous  a  été  donné  de  voir  des  œuvres  de  M.  Montald.  Tout  y 
était  figé,  compassé,  appris,  copié,  travesti.  Rien,  mais  pas  une 
attitude,  rien,  mais  pas  un  trait  de  pinceau  n'était  de  lui.  Les 
ressouvenirs  peignaient  avec  sa  main  et  si  encore  c'avait  été  les 
maîtres  qui  se  reflétaient  en  lui!  Au  contraire.  Sa  Lutte  humaine 
et  son  tableau  de  concours,  n'indiquaient  que  l'élude  des  plus 
médiocres  Wierlz  et  Gallail  et  Kaulbach  el  Delaroche  et  De  Key- 
ser...  la  liste  en  est  infinie,  de  tels  noms  se  reflétant  les  uns  les 
autres  comme  des  miroirs  d'appartement  ou  des  glaces  de  café. 
Il  prouvait,  M.  Monlald,  que  toute  sa  vie,  sop  but  avait  été  le 
même  que  celui  d'un  élève  d'école  primaire  :  transcrire  propre- 
ment un  devoir;  qu'il  avait  de  la  calligraphie,  de  l'application,  de 
la  patience;  qu'il  avait  fréquenté  l'école  el  que  ses  professeurs 
n'avaient  pas  à  se  plaindre. 


Mais  l'art  ? 

Si  M.  Montald  en  avait  senti  la  secousse,  même  en  concourant 
pour  le  prix  de  Rome,  môme  en  badigeonnant  la  Lutte  humaine^ 
les  figures  de  carton,  les  chevaux  en  pâte  durcie,  les  ciels  en 
toile  gommée,  certes,  ils  lui  eussent  craqué  sous  les  doigts  ;  on 
eût  vu,  assurément,  ci  et  là,  ne  fût  ce  qu'en  un  coin  de  l'œuvre, 
un  bout  de  drapeau  révolutionnaire  passer,  une  poussée  person- 
nelle l'enlraîner  hors  des  poncifs,  un  cri  de  jeunes.se  aurait  rompu 
le  plain-chant  benoit  et  somnifère  de  son  esthétique  et  sa  nullité 
irrémédiable  n'eût  point  découragé  tout  éloge. 

Au  reste,  à  quoi  bon  appuyer  sur  la  personnalité  de  M.  Montald  : 
elle  est  indifférente  à  la  querelle  d'art.  D'autant,  que  les  fêles 
elles-mêmes,  qu'on  lui  décerne,  ne  pourraient  être  mieux  faites 
pour  le  ridiculiser.  Oh  !  ces  triomphes  où  toutes  les  bourgmes- 
irerics  et  toutes  les  échevineries  cernent  l'écharpe,  où  tout  ce 
que  le  fin  fond  des  bureaux  et  des  secrétariats  communaux  ren- 
ferme de  discours  et  de  harangues  se  démoisit  au  soleil,  où  des 
mots  cinquantenaires,  qui  puent  leur  mil-huit-cenl-trente,  s'en- 
lacent en  périodes  et  sont  présentés  comme  conserves  gramma- 
ticales à  l'appétit  vaniteux  du  lauréat.  El  les  carrosses,  et  les 
quatre  chevaux,  comme  au  corbillard,  et  les  cochers  fiers  d'être 
nuls  et  qui  prennent  au  défilé  une  part  des  bravos  pour  eux,  et  la 
famille  qui  se  croit  du  jour  même  des  bourgeois  monlmorencysés 
el  tout  le  peuple  badaud  ne  cherchant  qu'un  prétexte  à  rigolade 
"et  se  montrant  le  héros  comme  un  Jannéke  où  une  Mieke  qu'on 
promène  îi  travers  les  rues  el  dont  il  ne  sait  pas  même  le  nom. 

El  le  soir,  le  quartier  illumine  :  toutes  les  chandelles  à  deux  sous 
clignent  des  yeux  derrière  une  vitre,  tous  les  lampions  font  kiss 
kiss  comme  des  chiens  qu'on  pince,  tous  les  transparents  où 
jadis  aux  fêtes  du  pape  ou  aux  élections  triomphales  on  voyait  : 
Hommage  à  Pie  IX  où  Vivent  le's  gueux  changent  d'affiche  et 
célèbrent  la  gloire  nouvelle  de  la  paroisse  de  Saint-Macaireou  de 
Sainte-Brigitte.  Je  me  suis  laissé  dire  que  pour  M.  Montald  les 
poissonniers  s'étaient  cotisés  et  lui  avaient  offert  un  saumon,  les 
charcutiers  un  cochon  de  lait  et  qu'il  avait  bien  autant  de  mon- 
tres qu'il  y  a  de  jours  dans  le  mois  :  ce  qui  lui  permettra,-  en 
temps  de  dèche,  de  louer  trente  à  trenie-un  clous  au  Mont-de- 
Piélé.  M.  Montald  s'est,  du  reste,  pris  au  sérieux.  Un  jour  il  s'est 
fait  portraire  au  milieu  de  tous  les  cadeaux  reçus  :  des  fleurs 
l'entourant,  le  saumon  à  sa  droiie,  un  dessus  de  pendule  à  sa 
gauche  et  les  trente  montres  à  ses  pieds,  comme  de  petits  nuages 
dix-huitième  siècle,  en  écailles  d'huîtres. 

Si  Gand  s'est  débauché  h  l'occasion  de  son  prix,  Anvers  a  voulu 
rivaliser  de  folie.  Il  s'agissait  bien  de  Montald  et  de  Van  der 
Veken!  Celte  fois,  les  villes  sont  entrées  en  lutte  el  se  sont 
battues  sur  le  dos  «  de  leurs  enfants  ».  Elles  se  sont  campées 
chacune  sur  une  rive  d'Escaut  et  se  sont  crues  revenues  aux 
luttes  d'anian.  Jadis,  elles  se  battaient  à  coups  d'épées,  aujour- 
d'hui, à  cinglades  de  fleurs. 

La  fête  n'a  pas  décessé  de  la  journée  entière.  La  deuxième 
légion  de  la  garde  civique  et  l'Orphéon  des  orphelins  ont  donné. 
M.  Naudls  n'a  manqué  de  présider  le  tout  el  M.  Van  Kuyck,  lui 
aussi,  s'est  prodigué.  H  y  a  eu  encore  M.  Rooses  qui  n'a  pu 
retenir  sa  langue  de  parler,  ni  sa  main  d'ofîrir  un  bouquet.  Le 
Champagne  a  coulé  dans  des  coupes  (de  cristal,  nous  assure-l-on) 
el  l'on  est  allé  à  l'Athénée  grapillcr  des  médailles  commémora- 
tives. 

Et  pour  que  M.  Van  der  Veken  fasse  triomphe  complet  comme 
on  fait  un  chelem  au  whisl,  un  concours  — ce  mot-là  étai  linévi- 


table  —  énorme  de  foule  lui  a  passé  le  séné  et  la  casse,  les 
deux  à  la  fois,  sous  le  nez.  Anvers  a, fait  mieux  les  choses  que 
Gand. 

El  peut-être,  depuis  cette  heure,  M.  Montald  ne  dort-il  plus 
tranquille  :  histoire  de  faire  son  petit  Alexandre  embêté  par 
Pompée. 

LA  VIE  D'UN  PAYSAGISTE       V 

M.  Guy  de  Maupassanl  a  publié  récemment  dans  le  Gil  Blas 
une  lettre  où  il  raconte  les  émotions  d'un  peintre  devant  la 
nature.  Ce  n'est  peut-être  pas  très  neuf,  mais  c'est  toujours  vrai, 
et  d'une  sincérité  d'impression  charmante.  Ecoulez  : 

Je  vis  dans  la  peinture  à  la  façon  des  poissons  dans  l'eau. 
Comme  cela  étonnerait  la  plupart  des  hommes  de  savoir  ce 
qu'est  pour  nous  la  couleur,  et  de  pénétrer  la  joie  profonde 
qu'elle  donne  à  ceux  qui  ont  des  yeux  pour  voir. 

Vrai,  je  ne  vis  plus  que  par  les  yeux;  je  vais,  du  matin  au 
soir,  par  les  plaines  el  par  les  bois,  par  les  rochers'et  par  les 
ajoncs,  cherchant  les  tons  vrais,  les  nuances  inobservées,  tout  ce 
que  l'Ecole,  tout  ce  que  l'Appris,  tout  ce  que  l'Education  aveu- 
glante el  classique  empêche  de  connaître  et  de  pénétrer. 

Mes  yeux  ouverts,  à  la  façon  d'une  bouche  affamée,  dévorent 
la  terre  cl  le  ciel.  Oui,  j'ai  la  sensation  nette  el  profonde  de 
manger  le  monde  avec  mon  regard,  et  de  diriger  les  couleurs 
comme  on  digère  les  viandes  et  les  fruits. 

Et  cela  est  nouveau  pour  moi.  Jusqu'ici  je  travaillais  avec 
sécurité.  Et  maintenant  je  cherche!...  Ali  !  mon  vieux,  lu  ne  sais 
pas,  tu  ne  sauras  jamais  ce  que  c'est  qu'une  molle  de  terre,  el  ce 
qu'il  y  a  dans  l'ombre  courte  qu'elle  jette  sur  le  sol  à  côté  d'elle. 
Une  feuille,  un  pefit  caillou,  un  rayon,  une  touffe  d'herbe  m'ar- 
rêtent des  temps  infinis  ;  el  je  les  contemple  avidement,  plus  ému 
qu'un  chercheur  d'or  qui  trouve  un  lingot,  savourant  un  bonheur 
mystérieux  et  délicieux  à  décomposer  leurs  imperceptibles  tons 
el  leurs  insaisissables  reflets.  " 

El  je  m'aperçois  que  je  n'avais  jamais  rien  regardé,  jamais.  Va, 
c'est  bon,  cela,  c'est  meilleur  et  plus  utile  que  les  bavardages 
esthétiques  devant  des  piles  de  soucoupes  représentant  des 
bocks. 

Parfois,  je  m'arrête  stupéfait  d'observer  tout  à  coup  des  choses 
éclatantes  dont  je  ne  m'étais  jamais  douté.  Regarde  les  arbres  et 
l'herbe  en  plein  soleil,  et  essaie  de  les  peindre.  —  Tu  essaieras. 
Tout  Le  monde  a  fait  du  paysage  au  soleil,  parce  que  tout  le 
monde  est  aveugle.  Mon  cher,  les  feuilles,  l'herbe,  tout  ce  que  le 
soleil  frappe  en  plein  n'est  plus  coloré  mais  luisant,  el  d'un  lui- 
sant tel  que  rien  ne  le  peut  rendre.  Or,  on  ne  saurait  peindre 
ce  qui  brille;  on  ne  saurait  même  en  donner  l'Illusion. 

L'an^ernier,  en  ce  même  pays,  j'ai  souvent  suivi  Claude  Monet 
à  la  poursuite  d'impressions.  Ce  n'était  plus  un  peintre,  en  vérité, 
mais  un  chassetjr.  Il  allait,  suivi  d'enfants  qui  portaient  ses  toiles, 
cinq  ou  six  toiles  représentanl  le  même  sujet  à  des  heures  diverses 
et  avec  des  effets  différents. 

Il  les  prenait  el  les  quittait  tour  à  tour,  suivant  tous  les  chan- 
gements du  ciel.  El  le  peintre,  en  face  du  sujet,  attendait,  guet- 
lait  le  soleil  et  les  ombres,  cueillait  en  quelques  coups  de  pinceau 
le  rayon  qui  tombe  ou  le  nuage  qui  passe,  el,  dédaigneux  du 
faux  el  du  convenu,  les  posait  sur  sa  toile  avec  rapidité. 

Je  l'ai  vu  saisir  ainsi  y  ne  tombée  élincelante  de  lumière  sut  la 
falaise  blanche  et  la  fixer  avec  une  coulée  de  tons  jaunes  qui  ren- 


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374 


L'ART  MODERNE 


daienl  étrangement  le  surprenant  et  fugitif  effet  de  cet  insaisis- 
sable et  aveuglant  éblouisscment. 

Une  autre  fois,  il  prit  h  pleines  nnains  une  averse  abattue  sur 
la  mer  et  la  jeta  sur  sa  toile.  Et  c'était  bien  de  la  pluie  qu'il  avait 
peinte  ainsi,  rien  que  de  la  pluie  voilant  les  vagues,  les  roches  et 
le  ciel,  à  peine  distincts  sous  ce  déluge. 

Et  je  me  souviens  encore  d'autres  artistes  que  j'ai  vu  travailler 
jadis  dans  ce  vallon  d'Etrclat.  ^  - 

Un  jour,  j'étais  très  jeune  encore,  et  je  suivais  la  ravine  de 
Beaurepaire  quand  j'aperçus  dans  une  ferme,  dan§  une  petite 
ferme,  un  vieil  homme  en  blouse  bleue  qui  peignait  sous  un 

pommier. 

11  paraissait  tout  petit,  accroupi  sur  son  pliant;  et,  celle  blouse 
de  paysan  m'enliardissanl,  je  m'approchai  pour  le  regarder.  La 
cour  élail  en  pente,  entourée  de  grands  arbres  que  le  soleil,  près 
de  disparaître,  criblait  de  rayons  obliques.  La  lumière  jaune  cou- 
lait sur  les  feuilles,  passait  k  travere  et  tombait  sur  l'herbe  en 
pluie  claire  çt  menue. 

Le  bonhomme  ne  me  vit  pas.  Il  peignait  sur  une  petite  toile 
carrée,  doucement,  tranquillement,  sans  presque  remuer.  Il  avait 
des  cheveux  blancs  assez  longs,  l'air  doux  et  du  sourire  sur  la 
figure.  ■  , 

Je  le  revis  le  lendemain  dans  Elretat.  Ce  vieux  peintre  s'appe- 
lait Corot. 

Une  autre  fois,  deux  ou  trois  ans  plus  tard,  j'étais  venu  sur  la 
plage,  pour  voir  un  ouragan. 

Le  vent  furieux  jetait  sur  le  pays  la  mer  déchaînée,  dont  les 
vagues,  énormes,  s'en  venaient  lourdement,  l'une  après  l'autre, 
lentes  et  coiffées  d'écume/ 

Puis,  rencontrant  soudain  la  dure  pente  de  galet,  elles  se 
redressaient,  se  courbaient  en  voûte  et  s'écroulaient  avec  un 
bruit  assourdissant.  Et,  d'une  falaise  à  l'autre,  la  mousse  arrachée 
de  leurs  crêtes,  s'envolait  en  tourbillons  et  s'en  allait  vers  la 
vallée,  par  dessus  les  toits  du  pays,  emportée  par  les  bour- 
rasques. '  ' 

Un  homme  dit  soudain  près  de  moi  :  «  Venez  donc  voir  Cour- 
bet, il  fait  une  chose  superbe  ».  Ce  n'était  point  à  moi  qu'on  avait 
parlé,  mais  je  suivis,  car  je  connaissais  un  peu  l'artiste.  Il  habi- 
tait une  petite  maison  donnant  en  plein  sur  la  mer,  et  appuyée  à 
la  folaise  d'aval.  CtHe  maison  avait  appartenu  d'ailleurs  au  peintre 
de  marines  Eugène  Le  Poictevin. 

Dans  une  vaste  pièce  nue,  un  gros  homme  graisseux  et  sale 
coïiail  avec  un  couteau  de  cuisine  des  plaques  de  couleur  blanche 
sur  une  grande  toile  nue. 

De  temps  en  temps  il  allait  appuyer  son  visage  à  la  vitre  et 
regardait  la  tempête.  Le  mer  venait  si  près  qu'elle  semblait  battre 
la  maison  enveloppée  d'écume  et  de  bruit.  L'eau  salée  frappait 
les  carreaux  comme  une  grêle  et  ruisselait  sur  les  murs. 

Sur  la  cheminée,  une  bouteille  de  cidre  à  côté  d'un  verre  à 
moitié  plein. 

De  temps  en  temps  Courbet  allait  en  boire  quelques  gorgées, 
puis  il  revenait  à  son  œuvre.  Or,  cette  œuvre  devint  «  la  Vague  » 
et  fit  quelque  bruit  par  le  monde.  Trois  hommes  causaient  dans 
un  coin  de  l'atelier.  II  y  avait  là,  si  je  ne  me  trompe,  Charles  Lan- 
dclle. 

El  Courbet  aussi  parlait,  lourd  et  gai,  farceur  et  brutal.  11  avait 
un  esprit  pesant  mais  précis,  plein  de  bon  sens,  paysan  caché 
50US  de  grosses  blagues. 

Il  disait  devant  une  Sainte-Famille  que  lui  montrait  un  con- 


frère :  «  C'est  très  beau,  ça!  Vous  les  avez  donc  connus  ces 
gens-là,  vous,  que  vous  avez  fait  leur  papurtrait  l  ». 

Que  d'autres  peintres  encore  j'ai  vu  passer  par  ce  vallon,  où 
les  attirait  sans  doute  la  qualité  du  jour  vraiment  exceptionnelle! 
Car  le  jour,  à  quelques  lieues  de  distance,  est  aussi  différent  que 
les  vins  du  Bordelais.  Ici,  la  lumière  est  éclatante  sans  être  crue; 
tout  est  clair  sans  être  brutal,  et  tout  se  nuance  d'une  admirable 
façon.  -  •  - 

Mais  il  faut  voir,  ou  plutôt  il  faut  découvrir.  L'œil,  le  plus 
admirable  des  organes  humains,  est  indéfiniment  perfectionnable  ; 
et  il  arrive,  quand  on  pousse,  avec  intelligence,  son  éducation,  à 
une  merveilleuse  acuité.  Les  anciens,  on  le  sait,  ne  connaissaient 
que  quatre  ou  cinq  couleurs.  Nous  notons  aujourd'hui  d'innom- 
brables tons;  et  les  vrais  artistes,  los  grands  artistes  s'émeuvent 
bien  plus  des  modulations  et  des  harmonies  obtenues  dans  une 
seule  note  que  des  éclatants  effets  appréciés  de  la  foule  ignorante. 

Tout  le  combat  terrible  que  Zola  raconte  dans  son  Œuvre 
admirable,  toute  celte  luile  infinie  de  l'homme  avec  la  pensée, 
toute  cette  bataille  superbe  et  effroyable  de  l'arliste  avec  son 
Idée,  avec  le  tableau  entrevu  et  insaisissable,  je  les  sens  et  je  les 
livre,  moi,  chélif,  impuissant,  mais  torturé  comme  Claude,,  avec 
d'imperceptibles  tons,  avec  d'indéfinissables  accords  que  mon  œil 
seul,  peut-être,  constate  et  note;  et  je  passe  des  jours  douloureux 
à  regarder,  sur  une  route  blanche,  l'ombre  d'une  borne  en  con- 
statant que  je  ne  puis  la  peindre. 


¥ 


OTJE.^    DE    LIBÏ^AIRIE 
Noël  pour  Tous.  —  Librairie  moderne  (Maison  Quantin). 

Les  tableaux  qui  ont  été  reproduits  dans  Noël  pour  Tous  sont 
entièrement  inédits.  Ils  ont  été  spécialement  exécutés  pour  cette 
publication  par  des  artistes  de  talent.  La  couverture,  une  véri- 
table œuvre  d'art,  est  de  Luc  Olivier  Merson.  Toutes  les  gravures, 
tirées  sur  beau  papier  vélin,  en  aquarelles  de  plusieurs  tons, 
d'après  les  procédés  de  la  chromolypographie,  n'ont  pas  de  texte 
au  verso,  ce  qui  a  laissé  à  l'impression  des  couleurs  sa  valeur  et 
son  éclat,  et  permet  d'encadrer  chacune  des  planches  détachées 
deTAlbum. 

Noël  pour  Tous  contient  2  suppléments  de  format  doubler 
un  Eventail,  avec  Calendrier  pour  1887,  gravé  en  couleurs  par 
F.  Myrbach,  et  une  grande  composition,  Clumson  de  Noël, 
poésie  d'Armand  Silvestre,  musi(|uc  d'André  Wormser,  gravée  en 
couleurs  par  A.  Gambard.  Nous  souhaitons  à  ce  joli  recueil  un 
succès  bien  mérité. 

La  Brèche  aux  Loups,  par  M  Adolphe  Racot,  1  vol.  fr.  3-50, 
à  la  Librairie  Moderne  (Maison  Quantin). 

Voici  un  roman  qui  tranche  parmi  les  publications  à  la  mode. 
L'analyse  et  le  développement  des  caractères,  tous  d'une  variété 
et  d'un  relief  puissants,  sont  inséparables  du  drame  dont  ils  sont 
les  éléments.  La  dédicace  du  livre  h  M.  Alexandre  Dumas  fils 
atteste  les  préférences  de  l'auteur-  pour  la  mise  en  scène,  l'action 
vivante.  La  puissante  influence  de  Tolstoï  se  retrouve  également 
dans  la  Brèche  aux  Loups.  Une  intrigue  émouvante,  passionnée, 
mystérieuse,  tient  l'intérêt  suspendu  jusqu'à  la  fin  du  récit. 

Le  secret  du  château  de  Cantecroix,  la  vieille  résidence  aban- 
donnée aux  ronces  et  à  l'oubli,  restera  une  des  conceptions  les 
plus  poignantes  du  roman  contemporain. 


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U ART  MODERNE 


375 


La  Brèche  aux  Loups,  dont  le  succès  en  feuillelon  a  fait  grand 
bruit,  marque  une  dlape  littéraire,  originale  et  hardie. 

La  Marie  Bleue,  par  Charles  de  Bordée,  1  vol.,  prix  :  fr.  3-50, 
à  la  Librairie  moderne  (Maison  Quantin). 

Ce  roman  est  un  drame  de  la  vie  rustique,  la  tragique  et  poi- 
gnante histoire  d'une  passion  que  ni  l'autorité,  ni  l'amour  pater- 
nels ne  peuvent  faire  fléchir.  L'auteur  y  peint,  d'une  façon  simple 
et  grandiose,  les  mœurs  de  ces  hommes  de  race  basque,  aux 
passions  vives,  au  langage  coloré,  au  caractère  âpre  et  fier,  aux 
coutumes  restées  patriarcales.  Le  jeune  écrivain  ajoute  au  pathé- 
tique des  situations  l'éclat  d'un  style  très  personnel,  où  la  grâce 
et  la  vigueur  se  mêlent;  avec  une  curieuse  simplicité  de  moyens, 
il  prête  à  ses  descriptions,  h  ses  tableaux  rustiques,  une  ampleur, 
une  élévation,  une  poésie  qui  émeuvent  et  donnent  bien  la 
sensation  de  ces  calmes  et  majestueux  paysages  où  l'action  se 
déroule. 


f^ETITE    CHROJMIQUE 


A  la  demande  de  divers  cercles  et  conférences,  le  Juré  sera  lu 
par  M.  Edmond  Picard  : 

Le  20  novembre  à  Liège  (Société  d'Emulation)  ; 

Le .27         id.       ^  Anvers  (Conférence  du  Jeune  Barreau);. 

Le    4  décembre  Ji  Bruges  (Cercle  artistique  et  littéraire)  ; 

Le  il         id.       à  Liège  (Conférence  du  Jeune  Barreau)-; 

Le  18         id.       à  Mons; 

Le    8  janvier  àJNamur  (Cercle  artistique  et  littéraire). 


Ces  concerts  populaires,  au  nombre  de  quatre,  auront  lieu  cet 
hiver,  comme  la  saison  dernière,  au  théâtre  royal  de  la  Monnaie. 

Les  ancienis  abonnés  ont  la  faculté  de  retirer  par  préférence 
les  places  dont  ils  étaient  titulaires. 

Le  bureau  d'abonnement  sera  ouvert  jusqu'au  25  courant, 
chez  MM.  Schott  frères,  82,  Montagne  de  la  Cour.  Passé  ce  délai, 
il  sera  disposé  des  places  non  réclamées. 

MM.  Schott  frères  tieni^cnt  le  plan  du  théâtre  à  la  disposition 
des  personnes  qui  désireraient  modifier  leurs  places. 

Prix  de  Vahonnemenl  pçur  quatre  concerts  .- 

Par  place. 
Loges  de  premier  rang  et  baignoires     .     .     .25  francs. 
Stalles  d'orchestre  et  de  Balcon   .....     20      » 
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Correspondance  particulière  de  «  l'Art  moderne  ».  —  «  On 
s'occupe  dans  le  monde  des  théâtres  et  dans  la  presse  desavoir 
si  l'engagement  de  M""^  Bose  Caron  à  l'Opéra  sera  renouvelé.  11 
expire  le  i"  juin  prochain.  Il  a  été  contracté  à  Bruxelles,  il  y  a 
un  an  et  demi,  à  raison  de  3,000  francs  par  mois  pour  dix  mois 
par  année,  les  deux  autres  faisant  le  congé  habituel.  La  Coulisse 
écrivait  dernièrement  :  «  Les  rapports  de  l'artiste  avec  les  direc- 
teurs sont  très  tendus.  On  ne  se  parle  pas,  on  ne  se  regarde 
même  plus  ».  Les  uns  disent  que  c'est  tactique  de  part  et  d'au- 
tre pour  obtenir  de  meilleures  conditions.  Il  paraît  plus  exact 
qu'il  y  a  eu  des  froissements.  M"'"  Caron  très  fêlée  à  Bruxelles, 
aurait  trouvé  que  MM.  Ritl  et  Gailhard  lui  faisaient  une  position 
trop  secondaire.  On  lui  a,  il  est  vrai,  donné  la  première  place 
dans  Sigurd,  mais  on  l'a  sacrifiée  dans  /g  Cid  et  surtout  dans 
Patrie.  On  assure  qu'elle  comptait,  en  arrivant  à  Paris,  prendre 
la  succession  de  M"'**  Krauss  ;  au  lieu  de  cela  voici  M"'^  Krauss  qui 
revient.  La  direction  et  une  partie  des  habitués  ne  trouveraient  pas 
la  voix  de  M™*  Caron  d'une  puissance  suffisante  pour  notre  immense 
salle  ;  on   prétend   môme   qu'elle  s'y  est  fatiguée.  J'entendais 


raconter  récemment  que  l'artiste  elle-même  s'en  rendait  compte 
et  songerait  à  l'Opéra-Comiqne.  La  Coulisse  dit  que  ses  amis  la 
poussent  à  ne  pas  quitter  l'Opéra  où  elle  a  de  chauds  partisans. 
Partout  ailleurs  elle  semblerait  déchoir  et  la  rentrée  sur  notre  pre- 
mière scène  deviendrait  difficile  après  une  brouille  déclarée.  On 
parle  aussi  de  son.  retour  h  Bruxelles  où  son  emploi  est,  dit-on, 
insuffisammeul  occupé.  Mais  ici  encore  ses  amis  de  Paris  lui  coli- 
seillent  la  prudence.  Bruxelles,  à  leur  avis,  est  bon  comme  début 
d'une  carrière  artistique,  mais  y  rentrer  en  quittant  l'Opéra,  c'est 
reculer  et  se  condamner  peut-être  à  rester  dans  les  théâtres 
secondaires  :  Lyon,  Marseille,  Bordeaux,  et  plus  tard  Lille  et 
Rouen.  Ce  serait  un  avenir  avorté.  La  créatrice  du  rôle  de 
Brunehilde  mérite  de  plus  hautes  destinées.  » 


On  dit  souvent  que  les  affaires  de  théâtre  sont  menées  avec  peu 
de  soin  et  par  des  Hommes  qui  parfois  n'y  entendent  rien.  Ceci 
ppul,  jusqu'à  un  certain  point,  s'appliquer  à  quelques  directeurs 
de  théâtres  du  continent  européen;  mais  on  ne  peut  pas  en  dire 
autant  des  directeurs  américains,  témoin  la  notice  suivante  qu'un 
imprésario  de  Chicago  vient  de  faire  placarder  dans  les  coulisses 
de  son  théâtre  : 

«  En  cas  d'incendie,  no  pas  oublier  de  prendre  les  dames  par 
les  bras,  et  non  par  les  cheveux.  Les  cheveux  appartiennent  au 
théâtre  et  sont  couverts  par  l'assurance.  L'actrice,  elle,  n'est  pas 
assurée.   » 

L'Opéra  de  Madrid  est,  paraît-il,  sur  le  point  de  fermer.  La 
subvention  officielle  est  insuffisnnle  et  les  appointements  des 
artistes  dévorent  l'argent  versé  aux  guichets  :  Gayarrc  t^ucho 
sept  mille  francs  par  soirée  ;  cinq  ou  six  autres  artistes  touchent 
quotidiennement  mille,  deux  mille,  trois  mille  francs.  Bref,  la 
direction  déclare  qu'il  lui  est  impossible  de  vivre  sans  une  aug- 
mentation de  subvention.  Et  |)Ourtant  le  prix  dés  places  cl  leur 
nombre  sont  extraordinaires:  On  peut  distribuer  3,500  billets;  les 
fauteuils  sont  à  25  francs  et  le  paradis  à  5  francs. 


La.  Société  des'  concerts  populaires  de  Nantes  a  donné  le 
5  novembre  sa  première  audition.  A  l'exemple  de  V Association 
artistique  des  concerts  populaires  d^ Angers,  â  laquelle  M.  Jules 
Bordier  a  donné,,  on  le  sait,  une  si  énergique  impulsion,  elle 
fait  une  large  part  à  la  musique  moderne. 

Au  programme  de  la  soirée  figuraient  les  noms  de  M.  Jules 
Bordier,  le  sympathique  et  dévoué  président  de  V Association 
artistique  d'Angers,  un  compositeur  distingué;  de  M.  Ysaye,  un 
des  plus  remarquables  virtuoses  du  violon  ;  de  M"^  Maria  Legaull, 
la  charmante  pensionnaire  du  théâtre  du  Vaudeville  ;  enfin,  de 
M'"^  Marthe  Garnier,  une  toute  jeune  fille  qui  devait  interpréter 
une  œuvre  de  son  père. 

Le  Divertissement  macabre,  de  M.  J.  Bordier,  a  été  très 
applaudi,  même  par  les  amateurs  un  peu  rebelles  à  la  grande 
musique.  Il  y  a,  en  effet,  dans  celte  œuvre,  une  originalité  con- 
stante, un  côté  pittoresque  qui  séduit  tout  de  suite.  .M.  Jules 
Lemaître,  a  écrit  que  la  vraie  litlérature  est  un  divertissement 
de  mandarins;  on  pourrait  en  dire  autant  de  l'art  musical. 
Sachons  gré  toutefois  aux  compositeurs  qui,  sans  cesser  d'être 
savants  et  originaux,  n'écrivent  pas  que  pour  les  mandarins  de 
la  musique. 

La  valse  fantastique  est  fort  jolie  et  mérite  de  rester  au  réper- 
toire des  Concerts.  Le  Violon  du  Diable  a  été  exécuté  par 
M.  Ysaye  avec  une  verve  prodigieuse.  Le  Galop  infernal  mérite 
bien  son  nom  avec  ses  appels  stridents  de  flûte,  ses  fracas  de 
cuivre  et  ses  bruits  de  squelelles  si  plaisamment  imités  par  le 
xylophone. 


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LA  REVUE  fflDBPENDANTE 

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Paraissant  le  i^^  de  chaque  mois  en  une  brochure  de  128  à  180  pages  in-18 

Directeur  :  Edouard  DUJARDIN.  —  Rédacteur  en  chef  :  Félix  .FÉNÉOJi 


Chaque  numéro  contiendra  : 

Une  .chronique  artistique,  par  J.  K.  Huysmans  ;  une  chronique 
théâtrale,  par  Stéphane  Mallarmé;  une  chronique  musicale,  par 
Henry  Céarçl;  une  chronique  parisienne;  une  chronique  étrangère; 
l'analyse  des  livres,  par  Teodor  deWyzewa;  des  vers;  une  étude 
critique  ou  théorique,  par  Teodor  de  Wyzewa;  une  nouvelle,  étude, 
conte  ou  poème  en  prose  ;  des  traductions  de  chefs-d'œuvre  étrangers 
contemporains  ;  un  roman  nouveau. 

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Adam,  Paul  Alexis,  Maurice  Talmeyr,  Alexis  Bouvier,  Emmanuel 
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progressivement  à  toutes  les  branches  des  connaissances  humaines 'et 
répondant  à  tous  les  goûts  :  c'est  de  quoi  tenter  le  lecteur  le  plus 
difficile. 

Aussi  espérons-nous  qu'après  un  coup  dœil  donné  à  notre  cata- 
logue, le  public  intelligent  voudra  posséder  au  moins  l'un  de  nos 
volumes  et  donner  ainsi  son  appui  à  l'œuvre  la  plus  économique,  de 
progrès  intellectuel  qui  ait  été  tentée  jusqu'à  ce  jour. 

NOTA.  —  Notre  catalogue  étant  destiné  à  s^ augmenter  sans 
cesse  d'œuvres  nouvelles,  nous  inscrirons  toute  personne  qui  en  fera 
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Dupont,  Aug.  et  Sandre,  Gust.  Ecole  de  piano  du  Conservatoire 
royal  de  Bruxelles.  Ljvr.  VIII.  3  suites  et  1  fugue  de  Hseudel,  5  fr. 

Reinecke,  Carl.  Op.  189.  Douze  lieder  à  2  voix  dans  le  style 
populaire,  avec  piano  (texte  allemand),  5  fr. 

Liszt,  Fr.  Transcriptions  sur  des  motifs  des  opéras  de  R.Wagner. 
Edition  pour  2  pianos  à  8  mains.  —  N"  6.  Chanson  des  fileuses  (Le 
Vaisseau  fantôme),  fr.  4-70.  —  N»  7.  La  mort  d'Yseult  (Tristan  et 
Yseult),  fr.  3-45. 


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SAMUEL,  Ed.  Op.  14.  Tarentelle-Scherzo.  Fragment  sybpho- 
nique,  à  4  mains,  fr.  2-50. 

DE  SWERT,  J.  Op.  44.  Impromptu,  pour  violoncelle  avec 
accompagnement  de  piano,  fr.  2  00.  -^  Op.  45.  Le  Désir,  morceau 
de  salon,  pour  violon  avec  accompagnement  de  piano,  fr.  1-75.  — 
Op.  46.  Rêverie,  pour  violon  avec  accompagnement  de  piano,  fr.  1-75. 

HERRMANN,  Th.  Op.  28.  Marion- Gavotte,  pour  violon  avec 
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Sixième  ANNÉE.  —  J\o  48. 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  28  Novembre  1886. 


L'ART 


MODERNE 


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Adre&ser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 
L  ADMINISTRATION  GÉNÉRALE  DE  l'Art  Modôme,  PUG  d©  l'IndustrlG,  26,  Bruxelles. 


?. 


OMMAIRE 


Les  conférences  en  Belgique.  —  De  mortuis  nil  nisi  bene.  — 
Les'  livres.   —   L'art  a  travers  les  journaux.   —   Chronique 

JUDICIAIRE  des   arts.    —   PETITE   CHRONIQUE.  -     '        .         :       ;; 


LES  CONFÉRENCES  EN  BELGIQUE 


Avec  l'hiver  recommence  dans  nos  Cercles  dits  artis- 
tiques  et  littéraires  le  défilé  grotesque  des  illustrations 
françaises  ayant  charge,  s'il  faut  en  croire  les  éton- 
nantes commissions  administratives  de  ces  associations 
bourgeoises,  de  nous  initier  à  lart  de  bien  écrire,  à 
l'art  de  bien  dire,  à  la  distinction  du  langage,  au  bel 
air,  aux  bonnes  postures,  à  la  haute  vie,  à  la  société 
élégante,  etc.,  etc.,  etc.  Voir  les  articles  de  feu  Azed 
àsLua  rindépejidance  belge. 

Feu  A.  Z.  renaît  de  ses  cendres  sous  les  espèces  G.. F. 
Si  son  apparence  physique  et  alphabétique  fut  mortelle 
son  âme  est  immortelle.  Une  mirifique  production  rela- 
tive à  la  conférence  d'Arsène  Houssaye,  mardi,  au 
Cercle  artistique  de  Bruxelles  en  témoigne. 

Tous  ceux  qui  eurent  l'étrange  fortune  d'assister  à 
la  représentation  que  donna  M.  Houssaye,  en  ont  rap- 
porté cette  impression  qu'ils  avaient  été  victimes  d'une 
mystification  et  que  si  le  conférencier  eût  risqué  là 
chose  à  Paris,  sur  son  fameux  boulevard  (ce  dont  il 
n'eut  jamais  l'audace)  on  ne  lui  eût  guère  laissé  la 
liberté  de  parler  plus  d'un  quart  d'heure. 

Voici,  en  effet,  en  quoi  a  consisté  cette  petite  céré- 


monie pour  laquelle  le  Cercle  a  payé  un  cachet  de 
500  francs,  ou  de  250  francs,  n'importe  la  somme,  c'est 
toujours  horriblement  cher. 

Un  monsieur  âgé,  au  chef  respectable,  peu  intéres- 
sant malgré  la  notoriété  pâlissante  que  lui  font  quel- 
ques œuvres  fort  passées  de  mode,  élégamment  gri- 
voises, a  lu,  d'une  voix  atone,  des  articles  tirés  à  la 
ligne  comme  en  publie  quotidiennement  tel  journal 
parisien  qui  vous  plaira.  Ayant  quelque  peine  à  rem- 
plir son  quart,  il  y  a  ajouté  deux  sonnets,  et  pour  com- 
pléter le  poids,  une  pincée  d'aphorismes,  oui  d'apho- 
rismes.  Deux  sardines  et  des  rince-bouche. 

Le  public  a  regardé  le  personnage  comme  une  bête 
curieuse  !  Ne  lui  prète-t-on  pas,  sur  la  foi  de  ses  demi- 
confidences  très  gasconnes,  toutes  sortes  d'aventures 
galantes  qu'il  n'a  vraisemblablement  pas  eues,  et  n'oc- 
cupe-t-il  pas  à  Paris  un  de  ces  hôtels  d'Orient  qui  n'exis- 
tent que  dans  les  comptes-rendus  de  journaux  prodi- 
gieusement habiles  à  transform.er  en  appartements 
merveilleux  des  salons  grands  comme  les  comparti- 
ments des  voitures  de  chemins  de  fer,  et  en  galeries 
immenses  des  corridors  où  l'on  ne  peut  marcher  deux  de 
front?  On  commence  à  être  renseigné  en  Belgique  sur 
ces  splendeurs  purement  Imaginatives,  mais  il  y  a 
encore  un  stock  de  badauds  qui  aiment  à  contempler, 
bouche  bée,  leSuDossesseurs  de  ces  splendides  mer- 
veilles. 

11  existe  chez  nous  une  presse  qui  prolonge  en  deçà 
de  nos  frontières  les  effets  de  ce  charlatanisme!  Il  n'est 
pas  sans  utilité,  en  eff'et,  de  rester  en  bons  termes  et  de 


I 


WM 


378 


VART  MODERNE 


faire  sa  cour  à  la  vaste  franc-maçonnerie  qui  dispense 
la  notoriété  et,  par  les  savantes  manipulations  de  la 
réclame,  transforme  en  grands  hommes  les  plus  minces 
personnages.  Pensez  donc  à  ce  qui  arriverait  si  tel, 
journaliste,  qui  ne  se  maintient  en  bonne  posture  que 
par  le  plus  savant  équilibre  dans  les  éloges  qu'il  dis- 
pense et  les  coups  d'encensoir  qu'il  administre,  s'avisait 
de  parler  avec  la  brutale  franchise  que  nous  y  mettons. 
Trahison!  Perfidie!  On  le  mènerait  prestement  dehors 
à  grands  coups  d'articles  appliqués  au  bon  endroit  et,  de 
sa  gloire  factice,  en  moins  d'une  semaine,  il  ne  reste- 
rait rien.  Aussi  est-il  tenu  de  continuer  m  perpetuum 
à  se  compromettre  ou  de  se  démettre;  Il  y  va  gracieu- 
sement et  en  souriant. 

Avec  une  stupéfaction  sans  bornes,  les  auditeurs  de 
M.  Houssaye,  qui  sortirent  de  sa  conférence  les  uns 
navrés,  les  autres  pris  d'un- fou  rire,  ont  pu  lire  dans  la 
susdite  Iiidépenda7îce  belge ^  sous  la  signature  G.  F. 
préindiquée,  dernière  incarnation  de  A.  Z.,  des  dou- 
ceurs destinées  à  mettre  en  papillottes  de  clinquant 
toutes  les  faiblesses  du  pauvre  vieil  homme  qu'on  a  fait 
monter  sur  l'estrade  et  qui  y  a  montré  non  des  talents, 
mais  des  infirmités.  • 

Il  n'a  plus  de  voix  et,  en  eût-il,  il  ne  saurait  parler  en 
public.  "  Ce  n'est  pas  indispensable  d'être  un  orateur, 
«  dit  le  reporter,  d'avoir  une  voix  et  une  pratique 
«  quelconque  du  métier  d'orateur,  pour  lire  quelques 
«  pages  piquantes,  pour  se  livrer  à  une  causerie  déli- 
«  cate  " .  Dans  la  salle  on  n'entendait  guère  le  respec- 
table octogénaire  dont  tous  les  efforts  n'atteignaient 
qu'un  murmure  indistinct  :  «  La  voix  un  peu  faible, 
«  observe  le  chroniqueur,  et  la  diction  trop  peu  expres- 
«  sive  ne  doivent  pas  avoir  porté  jusqu'aux  derniers 
«  auditeurs,  tous  les  mots  dits  par  Arsène  Houssaye. 
«  C'est  dommage,  car  beaucoup  de  ces  mots-là  étaient 
«  très  jolis,  les  uns  avec  un  air  de  profondeur,  d'autres 
«  d'une  grâce  spirituelle,  quelques-uns  d'un  maniérisme 
«  agréable  ».  0  Sévigné!  0  infortunés  qui  doutez  de 
la  métempsycose  !  Puis  vient  l'incident  des  deux  son- 
nets donnés  par  dessus  le  marché  :  «  Avant  de  raconter 
ses  souvenirs...  il  a  lu  deux  sonnets  de  précieuse 
facture  ».  Aussi  l'appoint  des  fameux  aphorismes  :  «  Il 
«  a  donné  une  série  de  petites  pensées,  aphorismes, 
«  paradoxes,  définitions  à  sens  imprévus,  sortes  de 
«  cigarettes,  comme  il  l'a  dit,  dont  on  tire  quelques 
«  bouffées  excitantes.  Il  y  a  de  ces  pensées  dont  la 
-  pointe  est  acérée,  et  il  y  en  a  d'un  fignolage  inno- 
«  cent  ". 

Ainsi  va  chez  nous  la  critique  en  une  confiserie 
écœurante.  Il  y  a  encore  quelques  roquantins  et  quel- 
ques baciielières  du  monde  où  l'on  s'ennuie  qui  la 
gobent,  race  diminuante»  heureusement.  Les  gens 
qu'on  paie  en  monnaie  de  singe  deviennent  chaque 
jour  plus  rares  :  certes,  en  sortant  de  cette  mystifica- 


tive  séance  et  en  écoutant  les  propos  div.ers  en  lesquels 
s'exhalait  la  mauvaise  humeur  de  l'auditoire,  on  le 
constatait  avec  soulagement. 

Heure  viendra,  qui  n'est  pas  loin,  où  ce  charlata- 
nisme ridicule  ne  trompera  plus  personne,  heure 
viendra  qui  tout  payera.  On  s'émancipe  de  la  tutelle 
des  prétendus  arbitres  du  goût,  on  s'impatiente  d'être 
tributaires  des  commis- voyageurs  en  conférences  de 
pacotille  venant  faire  chez  nous  un  voyage  d'agré- 
ment, et  se  défrayant  en  plaçant  à  gros  prix  des 
machines  dont  personne  chez  eux  ne  voudrait.  S'il  ne 
s'agit  que  de  nous  montrer  les  échantillons  les  plus 
rares  de  la  ménagerie  boulevardière  parisienne,  qu'on 
se  contente  de  les  montrer,  mais  qu'on  ne  les  fasse  plus 
parler.  Nous  avons  beaucoup  mieux  sous  ce  rapport  et 
s'il  nous  manque  des  individualités  ayant  eu  «  une  vie 
«»  si  longue,  si  variée,  tant  de  succès  de  toutes  sortes  », 
nous  avons  bien  quelques  Belges  en  état  de  dégoiser  à 
six  cents  personnes  autre  chose  que  des  balivernes 
inintelligibles.  Il  est  vrai  que  lorsque  ceux-ci  se 
risquent  à  parler  à  leurs  concitoyens  la  langue  des 
idées  nationales, les  A.  Z.,  et  les  G.  F.,  petits  et  grands, 
bruns  et  blonds,  ventrus  ou  faméliques,  font  la  petite 
bouche,  se  gonflent  plus  que  jamais  de  bel  air,  se 
mettent  en  de  plus  bonnes  postwes  encore,  ils  ne 
savent  plus  que  goguenarder. 

En  quoi  peuvent,  en  effet,  ces  petits  bonshommes 
d'écrivains  ou  de  conférenciers  belges,  aider  à  la 
renommée  frelatée  des  grands  hommes  du  reportage  ? 


DE  MORTIIS  KIL  NISI  BE.VE 

X  Monsieur  le  Directeur  de  l'Art  moderne. 

Ixelles,  le  24  novembre  1886. 

Monsieur  le  Directeur,  -  ' 

Je  lis  dans  rArt  moderne  du  21  novembre  dernier  un  arliclc 
intitulé  :  la  Belgique  dans  «  le  Tour  du  Monde  »,  où  l'on  rap- 
pelle les  appréciations  émises  dans  V Office  de  Publicité^  par 
M.  Louis  Hymans,  mon  père,  à  l'apparition  des  premières  pages 
de  l'œuvre  de  M.  Lemonnier. 

L'auteur  de  rarlicle  apprécie  à  son  tour,  —  librement,  comme 
il  en  a  le  droit,  —  les  appréciations  de  Louis  Hymans. 

Il  le  fait  avec  aigreur,  —  avec  une  violence  qui  tient  de  la 
polémique  plus  que  de  la  critique  et  qui,  envers  un  mort,  peut- 
être  n'est  point  de  mise. 

Au  demeurant,  je  suis  bien  sûr  que  ces  attaques  auraient  été  à 
mon  père  lui-même  parfaitement  indifférentes;  à  moi  aussi  elles 
sont  indifférentes,  car  sa  mémoire  n'en  souffrira  pas. 

Mais  il  est  une  phrase  de  l'article  de  V Art  moderne  (\wqIq  dois 
relever  au  passage. 

.     11  y  est  dit  que  Bruxelles  à  travers  les  âgeSy  Je  dernier  livre 
de  Louis  Hymans,  a  été  «  publié  à  coups  de  subsides  ». 

C'est  là.  Monsieur  le  Directeur,  une  imputation  fausse. 


I     I 


Ni  mon  père,  ni  rédilcur  de  Bruxelles  à  travers  les  âges,  qui 
en  est  devenu  le  propriétaire,  n'ont  louché  un  centime  de  sub- 
side du  gouvernement. 

Pus  plus  pour  Bruxelles  à  travers  les  âges  que  pour  aucune 
autre  de  ses  œuvres,  Louis  llvnians  n'a  sollicité  un  subside  d'un 
centime. 

Assez  souvent  il  l'a  affirmé  à  ses  détracteurs  et  à  ses  envieux. 
Aujourd'hui,  qu'il  îi'est  plus  Ik  pour  le  répéter,  je  le  dis  k  sa 
place,  afin  de  sauvegarder  le  renom  d'intégrité  et  d'indépendance 
que  personne  n'a  jamais  osé  contester  lu  l'homme  ou  h  l'écrivain. 

Mon  père  a  eu,  il  est  vrai,  l'art,  —  ou,  si  vous  le  voulez,  la 
chance,  —  il  a  eu  l'honneur  précieux  et  rare  de  vivre  de  sa 
plume,  grâce  à  la  faveur  du  |)ublic  belge  qui  lui  est  resté  fidèle 
et  ne  lui  a  jamais  fait  regretter  d'avoir  tiré  ses  livres  à  plus  de 
cinquante  exemplaires. 

Le  souci  de  la  mémoire  paternelle  m'oblige  à  rectifier  le  fait 
faux  allégué  par  VArt  moderne. 

Je  suis  convaincu  que,  comprenant  ie  sentiment  respectable 
auquel  j'obéis  en  vous  adressant  cette  lettre,  vous  n'hésiterez  pas 
à  la  publier  dans  le  plus  prochain  numéro  de  votre  estimable 
journal. 

Agréez,  Monsieur  le  Directeur,  mes  civilités  empressées. 

Paul  Hymans,  avocat. 

Nous  publions  volontiers  cette  lettre,  sans  y  être  obligés.  Un 
héritier  n'a  i)as  le  droit  de  réponse.  Nous-Condescendons  à  traiter 
M.  Hymans  fils  comme  s'il  continuait  M.  Hymans  père  et  k  le  faire 
bénéficier  (est-ce  bien  ici  le  mot?)  de  la  maxime  que  le  mort 
saisit  le  vif.  .      >         :  - 

Mais,  pour  continuer  h  parler  la  langue  du  droit,  s'il  a  le 
commoclum,  qu'il  ait  aussi  Yincommodum  et  souffre  en  consé- 
quence que  nous  lui  répondions  ce  qui  suit. 

A  quoi  tient  ce  préjugé,  fort  enraciné,  que  M.  Louis  Hymans 
père  recevait  des  subsides  pour  les  publications  dont  il  s'est 
occupé?  A  sa  littérature  ou  à  ses  attaches  officielles,  lesquelles 
ont  valu  à  lui  et  aux  siens  des  avantages  attestant  plus  de  bien- 
veillance gouvernementale  qu'ils  n'avaient  de  raison  d'être?  Son 
fils  affirme  que  ce  fait  est  faux,  et  malgré  tout,  de  temps  à  autre, 
de  la  meilleure  foi  du  monde,  on  se  laisse  aller  à  croire  le 
contraire.  Habent  sua  fala. 

Notre  correspondant  risque  une  pointe  assez  innocente  en  ce 
qui  concerne  le  tirage  à  petit  nombre  que  nous  avons  recom- 
mandé. 11  n'a  pas  compris  (défaut  de  son  jeune  âge,  peut-être), 
qu'en  disant  qu'en  Belgique  certains  livres  ne  se  vendent  guère, 
.nous  avons  parlé  des  œuvres  d'artistes.  Quant  aux  spéculations 
de  librairie,  nous  convenons  qu'elles  ont,'en  général,  meilleure 
fortune. 

Si  M.  Hymans  père  a  vécu  de  sa  plume,  comme  son  hls  l'as- 
sure, ce  doit  avoir  été  surtout  dans  le  journalisme.  Ce  n'est  pas 
là  qu'on  tire  à  petit  nombre,  mais  ce  n'est  pas  là  non  plus  qu'on 
devient  ou  qu'on  reste  a' liste.  L'Office  de  Publicité,  où 
M.  Hymans  père  a  publié  ses  articles  contre  Camille  Lemonnier, 
aujourd'hui  si  risibles,  en  est  un  pçrpetuum  testimonium. 

Quant  à  la  façon  dont  noire  juvénile  correspondant  veut 
imposer  le  respect  des  morts,  elle  atteste  plus  d'amour  filial  que 
d'amour  de  la  verilé.  De  mortuis  nil  nisi  bene;  assurément,  mais 
pas  devant  fliisloire.  Nous  confessons  que  l'auteur  de  notre 
article  eût  mieux  fait  de  garder  le  silence  que  de  réveiller  des 
morts  qui  sonl  plus  que  des  morts,  qui  sont  des  oubliés. 


LES    LIVRES 

«  Chère,  je  l'adresse  ce  petit  livre,  écrit,  longtemps  déjà,  pour 
toi.  A  présent  que  j'ai  le  cœur  séché  et  l'esprit  vii'illi,  j'en  sens 
tous  les  défauts  et  la  gaucherie,  mais  je  ne  saurais  ni  ne  veux  les 
corriger  et,  lel  quel,  je  te  l'envoie.  » 

C'est  ainsi  que  M.  Jules  Désirée  termine  ses  Lettres  à  Jeanne, 
qui  viennent  de  paraître. 

«  Gaucherie  »,  «  tous  les  défauts  »,  «  tel  quel  »,  les  mots  sont 
trop  sévères  et  quel  que  soit  au  reste  le  jugement  qu'on  porte  sur 
le  livre,  le  mot  c<  tel  quel  »  en  est  banni. 

M.  Dcstrée  prouve  qu'il  sait  présenter,  tailler,  mener  à  bien  un 
récit,  ce  qui  n'est  déjà  pas  si  gauche,  qu'il  a  le  sens  des  mots  et  la 
perception  artiste  du  rythme  simple  et  habituel.  La  compli- 
cation, la  subtilité,  l'innovation  hardies  n'entrent  pas,  je  crois, 
dans  les  préoccupations  de  l'auteur  et  n'y  enlrer*aient  sans  nuire 
aux  réelles  qualités  de  langue  qu'il  possède.  11  fait  donc  bien  de 
les  chasser.  Son  vocabulaire  est  courant,  son  style  clair,  net, 
tablé  ;  on  songe  à  la  manière  saine  des  naturalistes,  celle  des 
Contes  à  Ninon,  au  point  que  certaines  expressions  —  ainsi  : 
le  divin  Amour  —  prises  au  lyrisme  de  Banville,  dél-onnenl  dans 
l'ensemble. 

Parmi  les  meilleures  pages,  nous  aimons  ciler  :  Les  Enfants, 
Bouderie,  l'Irréparable.  Même  cette  dernière  élude  indique 
qu'une  nouvelle  notation  de  pensées  et  une  observation  d'huma- 
nité plus  subtile  séduit  l'auteur,  parfois. 

Les  Lettres  à  Jeanne,  celles  où  il  s'agit  d'elle  exclusivement, 
versent  peut-être  dans  la  banalité,  à  force  de  sincérité  certes.  La 
vie  a  été  si  souvent  m-ise  en  romans  et  en  nouA elles  que  la 
curiosité  ne  s'en  montre  euère, 

L'Irréparable  et  aussi  les  Rêves  tranchent  sur  cette  initiale 
préoccupation  et  tels  états  d'esprit  y  sont  spécialisés  de  bonne 
main.  Au  reste,  il  ne- convient  d'oublier  la  très  belle  élude  de 
M,  Désirée  sur  Odilon  Redon.  Il  a  prouvé  dans  cette  critique 
combien  il  était  accessible  a  cette  troublahce  bizarre,  in;ilaile 
certes,  que  l'extraordinaire  dessinateur  français  a  exiériorée  dans 
une  incohérence  voulue.  Telle  phrase  de  M.  Désirée  a  les  mêmes 
luisances  de  noirs  et  les  mêmes  explosions  de  blancs  électri- 
ques. H  essaie,  lui  aussi,  un  art  d'intelleclualité,  de  déséquilibre, 
de  tlollaisoh  dans  le  vide,  de  désorbilage  ironique,  de  sanibaiide 
tout  à  coup  glacée  par  des  obstacles  soudains  de  marbi"e  et  de. 
fer.  Plus  de  vague  conviendrait,  plus  de  vague  encore,  avec  tout 
à  coup  une  sensation  de  regard  fixe,  terrible,  inerte,  qui,  t-'ls  des 
clous,  immobilise  dans  les  lithographies  rod)niennes  et  insinuent 
ce  froid  à  l'âme,  brusque  comme  un  courant  glacé.  Il  y  a  toute 
une  donnée  neuve  dans  ces  algèbres  du  songe,  dérangées  cornu. e 
une  horloge  vieille,  qui  sonnerait  parmi  des  ruines.  L'esprit  plus 
encore  que  les  sens  en  est  inquiété  et  telle  planche  d^'  VHo)n- 
mage  à  Goya  ou  telle  autre  des  Illustrations  pour  Poe,  pleines 
de  doute  métaphysique,  semblent  des  railleries  et  des  leaverse- 
ments  de  vérités  incontestables  et  éternelles. 

C'est  celle  dernière  sollicitation  d'idéal  qui  pare  le  livre  récent 
de  M.  Désirée  el  lui  assure  bon  accueil  auprès  les  lettrés  de  choix. 

Le  volume  est,  eu  outre,  imprimé  avec  goût  par  la  Maison 
Monnom  ei  digne  d'entrer  dans  les  bibliothèques  raremeiil 
ouvertes.*  • 

■    -  •      *   * 

Les  yeux  verts  ei  les  yeux  bleus  :  titre   à   luisanee   bizarre. 


w^ 


^■■■1^ 


380 


rART  MODERNE 


bonne  enseigne  h  ce  livre  étrange.  Edgard  Poë  a  passé  parla; 
son  fantastique  spécial,  sa  conception  h  la  fois  précise  et  mysté- 
rieuse des  choses,  son  originale  accordance  de  la  réalité  et  de  la 
spiritualité,  tout,  jusqu'à  son  style  ont  hanté  M.  Paul  Hervieu. 

Le  livre  nouveau  est  un  recueil  de  nouvelles  dont  la  première 
surtout  attire.  Elle  donne,  du  reste,  son  nom  au  livre.  Suivent  : 
Mon  ami  Léonard,  Riri,  Tom  Bred  et  John  Bredy  toutes  pages 
caractéristiques  et  vives,  de  bonne  plume  et  de  bonne  encre. 
Impasse  Ugène,  est  une  intéressante  et  nette  étude  sur  les 
artistes. 


* 
*  * 


Severus,  par  Xules  Lemaître.  Il  faut  baisser  de  ton  en  parlant 
de  M.  Jules  Lemaîire  après  M.  Paul  Hervieu.  W.  Lemaître  qui 
s'occupe  à  étudier  l'art  avec  une  myopie  critique  assez  telle 
quelle,  séduit  néanmoins  par  le  détail  de  quelques  bonnes  et 
nombreuses  observations.  M.  Lemaître  narrateur?  Non,  plus  rien 
ne  nous  tente  à  le  voir  vulgairement  enlamer  des  sujets  bour- 
geois, sans  puissance,  avec  l'arrière-pensée  de  rester  très  conve- 
nable au  risque  de  demeurer  très  bourgeois.  Aussi  faisons-nous 
exception  pour  la  présente  nouvelle  :  tableau  du  monde  romain, 
archéologiquement  reconstitué  et  patiemment  décrit. 


* 
*  * 


Les  Récils  d'une  Lorraine,  par  M.  Des  Moulins.  Livre  patrio- 
tique où  passe  parfois  une  douce  sentimentalité  iricolorée.  Léon 
Cladel  leur  sert  de  parrain  et  son  bout  de  préface  explique  mieux 
qu'on  ne  pourrait  le  faire  cet  assemblage  de  nouvelles  :  Vos 
Récits  d'une  Lorraine,  écrit-il,  m'ont  fort  ému.  Lequel  d'entre 
eux,  je  trouve  le  meilleur?  Est-ce  les  Français  sont  partis,  une 
Victoire,  le  Cnpitulard,  le  14  Juillet  ou  tel  autre  des  vingt.  Tous 
me  plaisent  également,  parce  que  si  la  syntaxe  y  est  respectée, 
votre  cœur  y  vibre  un  peu  partout  à  l'unisson  du  mien.' 


'  Paysages  de  femmes,  joli  titre  dont  M.  Ajalbert  vient  de  fleurir 
son  recueil  d'impressions  rimées.  Sa  volontaire  esthétique  le  lie 
à  la  notation  des  scènes  modernes  avec  des  recherches  de 
«  c'est  ça  »,  à  travers  des  brutalités  et  des  bourgeoisismes  de 
mots  et  de  phrases.  C'est  de  rimpressionnisme  aigu  mais  déjà 
suranné,  au  moins  en  littérature. 

Sur  le  vif  arborait  les  mêmes  intentions  que  Paysages  de 
femmes.  Toutefois,  il  y  avait  dans  le  premier  de  ces  livres  plus 
de  concentration,  tandis  que  les  pièces  du  second  ne  dépassent 
jamais  le  croquis  et  l'improvisation. 

M.  Rafaëlli  a  rehaussé  ce  livriculet  d'un  dcssintrès  caractériste 
où  se  retrouve  son  coup  de  crayon  tordu  et  vivant.  Vanier  a  réussi 
rodilion  de  cette  plaquette. 


M.  Sutter-Laumann  publie  Par  les  Routes.  Volume  où  des  vers 
anciens  se  mélangent  aux  poésies  d'hier,  volume  trop  volume 
L'auleur  aurait  mieux  fait  de  trier  et  de  ne  point  sacrifier  aux 
300  p;ig<  s  :  Paysages,  marines,  fleurs,  joies,  tristesses,  tout  se 
confond  dans  ce  volume  sincère,  avant  tout  et  toujours.  La  forme 
(jui  les  traduit  ou  les  encadre  est  correcte,  précise,  fiançaise.  De 
l'émotion  souvent,  pas  subtile  certes,  mais' couraïUe,  éprouvée 
par  tous  et  délicatement  dite. 

Voici  un  sonnet:  : 

SUR  LA  GRÈVE 

La  m  r,  sous  le  ciel  gris,  étend  son  vert  manteau.. 
Sur  lequel  le  soleil  plaque  un  reflet  bizarre  ; 


Au  loin  l'île  de  Batz,  ses  récifs  et  son  phare  ;     . 
Un  vol  de  goélands,  la  voile  d'un  bateau... 

La  nuit  tombe  —  et  ce  n'est  pas  un  temps  de  moi'te-eau.- 
Le  vent  de  woroti  souffle  : —  A  sa  rude  fanfare, 
Soudainement,  la  mer  comme  un  coursier  s'effare, 
Menaçant  de  bondir  jusque  sur  le  plateau. 

Mais  les  rocs  de  granit  résistent,  fiers,  superbes, 
Au  dur  assaut  du  flux  qui  s'éparpille  en  gerbes, 
Retombant  en  écume  avec  un  long  bruit  sourd. 

Et,  témoin  séculaire,  un  men-hir  dans  la  dune 

Voit  une  fois  de  plus  le  lever  de  la  lune, 

Et  les  bœufs  qui  paissaient  s'éloigner  d'un  pas  lourd. 

Avec  les  Nouvelles  gauloises,  éditées  par  Ghio,  la  morosité  la 
plus  sauvage  est  désarmée.  Par  ce  temps  de  pessimisme  à 
outrance,  dans  lequel  on  a  trouvé  moyen  de  sophistiquer  jus- 
qu'au rire  humain,  il  faut  savoir  gréa  l'éditeur  d'avoir  mis  en 
pleine  lumière  ce  livre  connu  seulement  des  gourmets  du  rire. 

L'auteur?  Charles  Lexpert. 


L'ART  A  TRAVERS  LES  JOURNAUX 

Charles  Martel  poursuit,  dans  la  Justice,  \es  très  originaux 
comptes-rendus  dramatiques  par  lesquels  il  rafraîchit  le  genre, 
si  même. il  ne  le  renouvelle  pas.  Voici  encore  un  échantillon  de 
son  faire.  Il  s'agit  de  la  première  représentation  du  Fils  de  Por- 
THOS.  - 

A  la  Sorbonne.  Examen  du  baccalauréat  es- lettres  : 
L'examinateur.  —  Voulez-vous,  monsieur,  me  parler  du  règne  de 

Louis  XIV.  Quels  furent  ses  grands  historiens? 
Le  candidat,  —  M'sieu,  ce  furent  Alexandre  Dumas,  Paul  Mahalin 

■et  Blavet.    '■  ■  *■  ■'".'■';^'-  V'-/'  -^^'/v.v...  \::--.'%;;-'''' v;/:y.^V.:^s'',.  ::-*-.  ;;: 

—  Bien.  Ses  grands  capitaines,  les  connaissez-vous?  : 

—  Oui,  m'sieu,  d'Artagnan,  Athos,  Porthos,  Aramis,  le  marécHal 
de  Gréqui 

—  Bien.  Parlez-moi  de  ce  dernier.  7"-    '    ;      T  7 

—  Oui,  m'sieu.  Battu  à  Consarbruck  par  le  duc  de  Lunebourg,  il 
ne  tarda  pas  à  prendre  sa  revanche  dans  plusieurs  combats  et  s'em- 
para de  Fribourg  sous  les  yeux  de  Charles  de  Lorraine  et  sur  la 
scène  de  l'Ambigu -Comique. 

—  Vous  paraissez  savoir  ..  Dites-moi  quelques  péripéties  du  siège. 

—  Oui,  m'sieu.  La  ville  n'a  pas  été  prise  par  M.  de  Créqui,  bien 
que  ce  soit  dans  le  manuel,  elle  a  été  enlevée  par  un  nommé  Joël,  un 
ûïs  de  Porthos,  qui  était  pressé  de  rejoindre  sa  femme,  et  ça  se  com- 
prend, vu  que  c'est  M'i«  Vrignault,  même  qu'elle  s'appelle  Aurore 
de  la  Tremblaye. 

, —  Ne  faites  pas  d'érudition.  Renfermez-vous  dans  le  programme. 

—  Alors  Joël  franchit  les  lignes  ennemies  sous  la  défroque  d'un 
espion  qu'il  avait  fait  prendre  et  à  qui  il  avait  chipé  une  lettre  de 
l'ambassade  espagnole. 

—  Evitez  le  mot  chiper,  l'Académie  ne  l'emploie  qu'avec  répu- 
gnance. 

—  Grâce  a  ce  talisman,  il  est  reçu  par  le  général  Schutz,  gouver- 
neur de  la  place,  qui  l'invite  à  dîner  parce  qu'il  est  habillé  en  men- 
diant dégoûtant,  et  ils  prennent  une  cuite  tous  les  deux. 

—  Evitez  cuite,  c'est  un  néologisme  incertain. 

—  Oui,  m'sieu,  —  comme  ce  que  Joël  fait  est  périlleux,  il  est  venu 
sans  armes,  —  il  tue  le. général  d'un  coup  de  poing  qui  lui  vient  de 
son  père,  jette  par  la  fenêtre  une  ficelle  qui  ramène  des  échelles  de 
cordes,  et  sur  les  échelles  les  braves  soldats  du  régiment  des  bom- 
bardiers, capitaine  Petit-Renaud,  un  riche  type  qui  parle  gascon, 
l'amusant  Gravier...  Alors  paraît  un  décor  superbe  à  transforma- 
tion.... 


1 


—  Quel  est  le  nom  de  ces  sortes  de  choses  dans  le  théâtre  clas- 
sique? 

—  Le  clou....  On  voit  l'escalade  nocturne  par  les  soldats  du  roi, 
puis  la  plate-forme  de  la  citadelle  avec  combats  à  la  nouvelle  poudre 
de  m'sieu  Philippe 

—  Qu'a  de  particulier  cette  poudre?  - 

—  Elle  est  inodore,  insapide,  insipide,  aphone,  amorphe. 

—  Bienl  Continuez. 

—  Puis;  le  pont-levis  s'abaisse,  il  y  a  une  belle  parade,  un  défilé 
de  cavaliers,  l'entrée  du  maréchal,  un  tableau  superbe,  avec  une  vue 
magnifique  de  profondeur;  on  a  démoli  le  fond  de  la  scène  et  on  voit 
jusqu'au  mur  de  la  cour,  ce  qui  fait  une  perspective  1 

—  Ceci  est  pour  l'examen  des  sciences.  Et  n'y  a-t-il  pas  des  femmes 
dans  tout  cela  ? 

—  Oh!  si,  m'sieu,  et  des  riches  1 
— r  Q.u'était-ce  que  la  Montespan  ? 

—  Une  dame  colosse,  mais  bien  comme  il  faut,  M^i*  Danglars.  Elle 
avait  la  manie  d'empoisonner  tout  le  monde  et  de  se  cacher  dans  de 
vieilles  cabanes  de  la  forêt  de  Saint- Germain. 

—  Madame  de  Maintenon  ? 

—  Une  dame  très  bonne,  très  charitable,  incapable  de  faire  du 
mal  même  à  des  protestants. 

—  Le  roi? 

—  Un  bon  zig,  monsieur  Fabrègues,  qui  ressemblait  à  Coquelin 
aîné,  très  doux  pour  tous,  mais  prévoyant  déjà  en  1677  la  devise 
Liberté  —  Egalité  —  Fraternité.  Malheureusement,  il  était  mal 
conseillé  par  Aramis,  devenu  général  des  Jésuites,  qui  lui  fait 
craindre  la  naissance  de  Robespierre,  ce  qui  lui  fiche  la  frousse. 

—  Vos  notions  historiques  sont  exactes,  mais  votre  littérature  est 
mauvaise,  vous  parlez  comme  Zola  et  Camille  Doucet.  Et  quelle  était 
cette  Aurore  de  la  Tremblaye  dont  vous  avez  prononcé  le  nom? 

—  Ah!  na'sieu,  c'est  la  petite  dame  qui  a  fait  prendre  Fribourg. 
Le  roi  la  voit,   il  s'en   toque.    La  Maintenon  qui  joue   là  le  rôle 

d'une...  ':-.;r'^  ':'■  .'^-.r  ■     "■■;...',■.■■.,-/■■.."■:.;,.  ;--■■■  .':•,■■ ';■'■. 

—  Dites  en  latin/ 

—  Meretrix. 

■  —  C'est  cela. 

—  L'offre  à  Sa  Majesté,  Aramis  la  marie  à  Joël  et  on  expédie  JoëL 
à  l'armée  ;  potir  revenir  vite,  il  prend  vite  Fribourg,  il  arrive  à  temps, 
provoque  Aramis,  cette  espèce  de... 

—  Ne  le  dites  pas. 

—  Mais  Aramis  reconnaît  le  fils  de  Porthos,  on  s'embrasse  et  le 
roi  rend  sa  femme  au  petit  Joël,  nommé  comte  de  Loc-Maria. 

—  C'est  bien.  Ceci  ne  vous  rappelle  rien  dans  les  chefs-d'œuvre 
di^amatiques  ? 

—  Si  m'sieur  :  Le  Petit  Duc 

—  Qu'était-ce  que  Pierre  Lesage? 

—  Un  empoisonneur  qui,  au  moment  où  il  s'évade  de  sa  prison, 
s'écrie  en  se  retournant  vers  un  camarade  de  cachot  qui  ne  s'évade 
pas  parce  qu'il  est  innocent  :  Celui-là  est  heureux!  Il  peut  prier! 

—  Quel  est  ce  Joël  dont  vous  m'avez  parlé  ? 

—  M.  Chelles,  un  excellent  soldat,  qui  a  joué  avec  une  rude 
bravoure,  beaucoup  de  cœur  et  de  gaîté  son  rôle  de  fils  à  Porthos, 
personnage  historique.  Oh!  c'est  bien  lui  qui  a  pris  Fribourg,  il  en 
paraît  lui-même  persuadé. 

—  M"™*  de  Maintenon  a-t-elle  toujours  porté  ce  nom? 

—  Non  m'sieu!  Elle  s'appelait  d'abord  Françoise  d'Aubigné,  puis 
M'i«  Deschamps,  une  belle  personne  qui  a  beaucoup  de  talent. 

—  Connaissez-vous  quelques  tableaux  historiques  du  règne? 

—  Oh  !  oui,  m'sieu  :  La  terrasse  de  Saint-Germain,  le  Jeu  de  la 
Reine,  le  camp  de  Créqui,  Fribourg,  devant,  derrière,  dedans....  Ce 
sont  des  toiles  magnifiques  ;  ainsi  de  la  terrasse  de  Saint-Germain 
on  voit  déjà  le  Sacré-Cœur  de  Montmartre. 

—  Dites-moi,  pour  terminer,  quelques  mots  célèbres. 

—  Oui,  m'sieu.  La  cantinière  comique  dit  au  pioupiou  timide  qui 


fera  des  prodiges  au  feu,  types  déjà  inventés  au  dix-septième  siècle  : 
«  Vous  aimez  les  enfants  ?  —  Oh  !  oui,  ceux  des  autres.  —  Eh  bien 
alors,  mariez-vous  !» 

—  Il  y  a  eu  des  duels  dans  cette  histoire. 

—  Oui  m'sieu,  beaucoup. 

—  Qui  a  donc  inventé  l'escrime  du  dix-septième  siècle  ? 

—  Yigeant,  m'sieu! 

—  C'est  bien,  monsieur,  cela  suffit. 

Le  candidat  est  admis  avec  la  note  très  bien  et  l'Ambigu  tient  un 
de  ses  gros  succès  avec  un  drame  charmant  de  cape  et  d'épée. 


* 
*   *- 


■  Dumas  fils  jouit  d'un  regain  de  publicité.  Son  nom  reparaît 
dans  les  chroniques,  menus-propos,  boulevardises,  etc.,  etc. 
Voici  une  petite  cueillette  en  son  honneur  : 

Dans  une  entrevue  avec  un  rédacteur  des  Annales,  il  donne 
les  raisons  de  la  dimension  restreinte  des  toiles  de  Meisso- 
nier  :  , 

«  Meissonier  n'est  pas  précisément  myope,  mais 'sa  vue  est  de 
celles  qui  embrassent  peu.. 

«  Par  une  disposition  étrange  de  son  régime  oculaire,  il  ne 
peut  embrasser  une  certaine  étendue  d'un  seul  coup  d'œil.  Ce  que 
d'autres  voient  par  mèlre  carré,  Meissonier  ne  le  voit  que  par 
centimètre  carré.  Il  faut  donc  qu'il  fasse  ses  toiles  à  l'échelle  de 
son  regard  pour  .pouvoir  les  embrasser  et.  garder  la  proportion. 
S'il  s'essayait  à  un  tableau  de  huit  pieds  sur  six,  il  serait  dans 
rimpossibiliié  absolue  de  se  former  une  idée  juste  des  rapports 
mathématiques  qui  relient  les  extrémités  du  cadre  à  son  centre, 
attendu  qu'il  ne  pourrait  envelopper  tout  ce  carré  d'un. seul 
regard!  Ainsi,  il  a  fait  dernièrement  mon  portrait  mi-grandeur  à 
peu  près;  eh  Bien!  c'était  pour  lui  un  vrai  tour  de  force,  un 
effort  puissant  pour  observer  des  proportions  gigantesques, 
quelque  chose  enfin  comme  un  autre  peintre  brossant  le  colosse 
de  Rhodes  en  grandeur  nature...  » 

.  •   .   ,  *  — • — -■■--      -  


Du  même,  ces  observations  sur  l'influence  artistique  du 
milieu  : 

«  I^e  vrai  écrivain  subit  directement  l'influence  de  son  entou- 
rage; il  en  est  la  créature.  Il  importe  donc  qu'il  s'environne  de 
ce  qui  est  beau,  de  ce  qui  est  noble  de  conception  et  d'idée.  El 
puis  songer  à  ceci  :  qu'un  artiste  doit  le  plus  souvent  son  inspi- 
ration à  un  autre  art  que  le  sien.  Une  belle  statue,  par  exemple, 
peut  faire  éclore  une  ravissante  mélodie,  de  même  que  l'œuvre 
d'un  compositeur  peut  donner  au  sculpteur  une  idée  originale. 
Ainsi,  le  Tarfufe  et  le  MisanthropCy  tout  en  me  plaisant,  me 
découragent  parce  qu'ils  ne  me  démontrent  que  trop  ce  dont  je 
ne  suis  pas  capable.  Mais  quand  je  regarde  ï Achille  ou  la  Vénus 
de  "Milo,  quand  j'écoute  une  symphonie  de  Beethoven  ou  le  Don 
Juan^  je  vis  dans  l'ignorance  des  ditficultés  de  l'exécution  créa- 
trice, je  ne  m'en  préoccupe  pas,  et  c'est  alors  que  le  chef-d'œuvre 
agit  sur  moi  de  toute  son  influence,  et  que  je  rêve  de  créer  à  sou 
côté  !» 


Toujours  du  même,  ces  bavardages  (pris  dans  l'Evénement) 
sur  la  difliculté  pour  les  écrivains  de  se  faire  éditer  et  de  vendre. 
Comparer  avec  notre  article  sur  le  Tirage  à  pelil  nombre,  der- 
nier numéro  de  t'Arl  moderne. 

Les  éditeurs,  c'est  comme  la  v (ici  le  nom  d'une  maladie 

honteuse);  il  ne  faut  pas  l'attraper,  et,  si  vous  l'avez  eue,  pour- 
quoi récriminer?...  On  ne  peut  se  passer  des  éditeurs;  on  a  bien 


382 


VART  MODERNE 


essayé  de  s'éditer  soi-même,  de  faire  lous  les  frais,  en  lour  accor-* 
danl  40  p.  »/o,  un  joli  bénéfice  ;  mais  ils  liennenl  lous  les  corres- 
pondants, vous  n'êtes  pas  mis  en  vente  aussi  bien  ;  et  de  toute 
façon,  il  fayt  compter  avec  eux...  J'ai  vendu,  pour  ma  part,  à 
tout  jamais,  neuf  cents  francs,  h  Lcvy  :  la  Dame  aux  Camélias. 
Quatre  cents  francs  pour  le  roman,  cinq  cents  francs  pour  la 
pièce.  Eh  bien,  j'ai  été  tout  joyeux,  alors,  d'en  retirer  ça... 
Dame!  On  aune  fille;  c'est  cmbêlant  de  la  marier;  mais  c'est 
encore  plus  embêtant  de  la  garder.  Ainsi  un  manuscrit;  autant  le 
livrer  pour  une  somme  minime  que  le  garder  dans  son  tiroir... 
Après  un  succès,  on  impose  ses  conditions.  J'ai  cédé,  par  exem- 
ple, îi  Lévy  toujours,  pour  trois  mille  francs  :  le  Demi-Monde, 
Eh  bien,  —  quelle  progression  !  —  pour  le  droit  d'éditer  la  bro- 
chure (le  ma  prochaine  comédie.  Francilien^  ce  même  Lévy,  qui 
n'en  connaît  pas  un  traître  mot,  m'a  offert  vingt-cinq  mille 
francs;  je  n'ai  pas  accepté...  C'est  joli  pourtant!  Il  y  a  des 
.  risques;  ma  pièce  peut  ne  pas  réussir.  El  voilb  perdu  l'argent  de 
qne'qu'un  qui  a  eu  confiance  en  moi...  Combien  de  fours  à  côté 
d'un  livre  qui  a  du  succès  !...  Vous  pensez  à  ma  première  pièce, 
aux  neuf  cents  francs  d'acquit  de  la  ))ropriélé  définitive  du  roman 
cl  du  drame.  Mais. ce  ne  fut  pas  une  exception.  Gautier  n'a  pas 
toujours  eu  aulani.  Quant  à  mon  père,  au  milieu  de  son  désordre, 
il  ne  cédait  ses  droits  que  pour  une  certaine  période...  Tout  cela 
est  inévitable.  Des  tableaux  de  Delacroix,  de  Millet  ont  été 
achetés  cent  fois  plus  cher  qu'ils  ne  furent  d'abord  vendus  par  le 
peintre...  Nous  devons  payer  l'apprentissage. 


* 
*  * 


Bonne  cinglée  d'Emile  Verhaeren,  dans  le  Progrès,  au  sujet 
des  réceptions  de  notre  beau  monde.  Et  combien  vraie! 

«  Où  donc  une  soirée  qui  détonne  dans  l'universelle  unifor- 
mité bêle?  Tous,  ôtanl  l'habit  noir  chez  nous,  ne  sommes-nous 
pas  sous  le  charme  d'une  corvée  finie  ou  d'un  devoir  maussade 
accompli?  C'est  june  charité  faite  h  Madame  X,  une  aumône  à 
Madame  Z  que  d'aller  chez  elle,  manger  des  sandwichs  et  vider 
du  Champagne.  Le  gracieuseté  —  oh,  le  mot  stupide!  —  est 
toute  du  côté  de  l'invité,  c'esl  lui  qui  fait  le  sacrifice  de  son 
t^mps,  de  ses  aises,  de  ses  joies,  de  ses  tranquillités,  de  son 
seul  à  seul,  préférables  à  toute  réunion  mondaine  ou  autre.  II  est 
de  service  pendant  quatre  k  cinq  heures  :  on  lui  enlève  son  café, 
son  home,  ses  livres,  son  coin  du  feu;  h  peine  lui  permet-on  un 
cigare  dans  un  vague  fumoir  atrocement  décoré.  11  est  obligé  de 

mentir  b  chaque  phrase,  de  taire  toute  opinion  personnelle,  h 
moins  qu'il  ne  veuille  faire  scandale  —  oh  !  de  mauvais  goût  — 
de  sourire  au  sourire  vinaigré  de  sa  voisine  et  de  se  faire  vio- 
lence pour  ne  pas  hurler  qu'il  se  condamne  de  venir  là,  lui, 
liomme  d'esprit,  se  crotter  les  idées  à  toute  cette  boue  de  lieux- 
communs  et  de  comme  il  faut  !  » 


P' 


HRONIQUE    JUDICIAIRE     DE?     ART? 

L'Art  dans  les  églises. 

La  Cour  de  cassation  de  Belgique  a  rendu,  le  11  novembre  der- 
nier, un  arrêl  qui  intéresse  l'art  à  plus  d'un  titre.  Il  s'agissait 
d'un  tableau  ancien  qui  se  trouvait  dans  une  église  de  (iaud  et 
que  la  Cour  a  déclaré  faire  partie  du  domaine  public,  lui  impri- 
mant ainsi,  au  point  de  vue  juridique,- un  caractère  d'impres- 
cripiibiliié  et  d'inaliénabililé  qui  en  permet  la  revendication  par 
raulorilé  en  quelques  mains  qu'il  ait  passé. 


Décidée,  dans  l'espèce,  pour  un  tableau,  la  questiop  se  trouve, 
en  réalité,  tranchée  pour  tous  les  objets  d'arts,  qu'ils  soient 
déposés  dans  une  église,  dans  un  musée  ou  dans  un  autre  édifice 
public.  Que  MM.  les  antiquaires  et  MM.  les  collectionneur!* 
prennent  donc  garde  et  qu'ils  n'essaient  plus  d'acquérir  des 
curiosités  sortant,  —  on  ne  sail  trop  comment,  —  de  quelque 
église  dii  village  !  Ils  seront  toujours  exposés  à  se  voir  condamner 
à  les  restituer,  fût-ce  plus  de  trente  ans  après,  si  la  chose  est 
découverte. 

Le  principe  qui  a  guidé  la  Cour  de  cassation  dans  cet  arrêt, 
et  qui  a  peut-être  emporté  sa  décision,  est  l'utilité  publique 
qui  s'attache  à  la  conservation  des  monuments  de  l'art  national, 
aussi  bien  des  petits  que  de»  grands,  aussi  bien  des  objets  mobi- 
liers que  des  édifices.  Nous  constatons  avec  plaisir  que  notre 
magistrature  comprend  l'alliance  intime  qui  unit  l'art  à  la  vie 
sociale  et  que  l'intérêt  de  l'un  est  aussi  l'intérêt  de  l'autre. 

La  jurisprudence  atteint  ainsi,  par  l'application  positive  du 
droit,  des  résultats  semblables  à  ceux  auxquels  est  arrivée  la 
législature  d'autres  pays  qui  peuvent,  comme  le  nôtre,  se  vanter 
d'un  passé  artistique  glorieux.  Le  but  est  toujours  le  même,  en 
Belgique  comme  en  Italie,  par  exemple  :  conserver  à  la  nation 
entière  le  trésor  des  œuvres  que  lui  ont  laissées  ses  plus  illustres 
enfants.  Voilà  rdu  protectionnisme,  si  l'on  veut,  mais  sous  une 
forme  où  son  utilité  ne  saurait  guère  être  discuté. 


pETITE    CHROJMiqUE 


Le  premier  concert  populaire  est  fixé  au  5  décembre.  On  y 
exécu[cr2iV Ouverture  tragique  de  Brahms,  la  Suite  dans  le  style 
ancien,  pour  instruments  à  cordes,  d'Ëward  Grieg,  et  le  Tasse, 
symphonique  poème  de  Liszt.  M.  César  Thomson,  l'éminent 
violoniste,  se  fera  entendre  dans  le  Concerto  de  Beethoven,,  et 
dans  une  éblouissante  fantaisie  de  Sarasate  :  Zigeunerweisen.  — 

Programme  de  choix,  qui  ouvre  brillamment  la  série  des  mati- 
nées musicales.  Les  deux  premières  œuvres  n'ont  jamais  été 
exécutées  à  Bruxelles. 

Le  deuxième  concert,  qui  aura  lieu  en  janvier,  sera  exclusive- 
ment consacré  aux  musiciens  russes  contemporains.  On  entendra 
notamment  le  quatrième  acte  d'Angelo,  de  César  Cui,  un  air  du 
Prince  Igor,  de  Borodine,  des  œuvres  de  Glazounoff,  de  Uinski- 
Korsakoflf,  etc.,  etc. 

L'administration  informe  les  abonnés  qui  n'auraient  pas  encore 
retiré  leurs  cartes  d'abonnement  aux  quatre  concerts  de  la  saison, 
qu'ils  doivent  le  faire  dans  les  deux  jours,  soit  au  plus  tard  le 
lundi  29  courant.  Toute  demande  relative  au  service  des  places 
doit  être  adressée  Montagne  de  la  Cour,  82. 

M.  Louis  Jorez,  professeur  au  Conservatoire  d'Anvers  et  l'un 
des  professeurs  de  chant  les  plus  distingués  de  Bruxelles,  esl 
mort  à  Schaerbeek,  le  22  novembre,  dans  la  maison  qu'il  occu- 
pait rue  des  Palais. 

M.  Jorez  n'avait  que  52  ans.  Il  avait  épousé,  il  y  a  quelques 
années,  M"«  Stéphanie  Bacot,  très  connue  elle-même  comme  pro- 
fesseur de  musique  et  qui  a  formé  à  Bruxelles  d'excellentes 
élèves.  ■ ..  ■.'.'■-   '.   '  ■  .V  '■ 

La  perte  de  M.  Jorez  sera  ressentie  vivement  dans  le  monde 
musical,  où  le  caractère  modesteetaimable.de  l'homme  était 
aussi  apprécié  que  son  talent  était  estimé. 


M.  Jorez  élaii  journaliste  à  ses  heures.  11',  faisait  dans  les 
Nouvelles  du  Jour  une  critique  théâtrale  judicieuse  et  compé- 
tente. 


M.  Gresse,  notre  ancienne  basse,  a  renouvelé  son  engafiremenl 
pour  trois  ans  à  l'Opéra  de  Paris. 

Le  deuxième  concert  de  l'Association  des  Artistes  Musiciens, 
qui  devait  avoir  lieu  hier,  est  remis  au  mardi  14  décembre  pro- 
chain. Les  cartes  perlant  la  date  du  27  novembre  seront  valables 
le  14  décembre. 

L'audition  des  œuvres  de  Franz  Servais,  que  nous  avons 
,  annoncée,  aura  lien  au  Cercle  artistique,  mardi,  30  novembre. 

On  y  entendra  une  suite  de  six  petits  poèmes  pour  deux  voix 
avec  piano  descriptif,  tirés  des  Contemplations  de  Victor  Hugo  : 
L'Ame  en  fleur.  Puis  deux  chansons  de  Mignonne,  pour  ténor, 
par  Armand  Silvcstre;  une  poésie  inédite  de  M.  Georges  Khnopff, 
Ophe'lie  ;  deux  chants  lyriques  deSilvcslre,  et,  enfin,  un  chœur, 
Frédéric  et  Berjiercite,  d'AWi'ed  de  Musset. 

Un  IhéAtre  pornographique! 

Dans  le  courant  de  décembre,  annonce  l'Evénement,  la  ville 
de  Turin  aura  une  troupe  dramatique  et  comique  qui  représen- 
tera, au  théâtre  de  Scribe,  les  principales  comédies  licencieuses 
du  xvi^  siô<'le  :  la  Mandragola,  de  Machiavel  ;  la  Calandra,  du 
cardinal  de  Bibbiens;  les  Suppositi,  de  l'Ariosle;  le  Marescalco, 
de  l'Aréiin;  la  Pinzocchcra,  de  Lasca.  La  Gazetta  di  Torino,  qui 
annonce  ces  représentations,  ajoute  cet  avis  :  «  L'entrée  du 
théâtre  est  interdite  aux  enfants.  11  est  permis  aux  dames  de 
venir  au  théâtre  avec  un  masque  sur  la  figure.  —  Durant  les 
représentations,  les  applaudissements  sont,  rigoureusement  défen- 
dus.—  On  ne  fera  pas  d'abonnements.  » 

A  l'enquête  du  travail  agricole  a  Spa. 

M.  Henri  Marcotte,  peintre  à;  Spa,  critique  les  coupes  de  bois 
de  haute  futaie,  qui,  en  hiver,  sur  les  fanges,  indiquaient  la 
route  recouverte  de  neige.  Le  témoin  envisage  la  question  au 
point  de  vue  de  l'art  et  s'élève  vivement  contre  la  mesure  prise. 

Bravo  !  Nos  idées  sur  le  vandalisme  k  l'égard  de  nos  paysages 
font  fortune,  paraît-il.  Quelle  fraîche  odeur  artistique  au  milieu 
de  tant  de  socialisme  !  Brava  !  Bravo  ! 


On  annonce  l'apparition,  pour  le  commencement  de  1887,  d'un 
ouvrage  instructif  et  intéressant  :  VA7inuaire  des  Artistes  dra- 
matique et  lyrique  français,  lequel  contiendra,  par  ordre  alpha- 
bétique, les  noms  et  pseudonymes  de  tous  les  artistes  français, 
accompagnés  de  notices  biographiques,  ainsi  que  la  nomencla- 
ture des  théâtres  et  concerts  de  France,  des  colonies  françaises, 
de  Belgique  et  de  Suisse,  avec  notes  anecdotiques,  historiques, 
archéologiques,  etc.,  mention  de  leur  personnel  artistique, 
lyrique,  administratif  et  autres  renseignements  se  rapportant  à  la 
scène. 

Un  concert  de  bienfaisance  sera  donné  le  4  décembre,  à 
7  1/2  heures  du  soir,  en  la  Salle  Malibran,  à  Ixelles,  avec  le 
bienveillant  concours  de  M"«  Mélanie  Bouré,  cantatrice,  MM.  Mets- 
dag,  ténor,  Godenne,  violoncelliste,  Vandenbroeck,  pianiste,  et 
Corneille  Boon,  chanteur  de  genre. 

Le  programme  comprend  des  œuvres  de  Gounod,  Servais, 
Chérubini,  Massenet,  Lacome,  etc. 

Statistique  des  concours  d'admission  qui  viennent  de  se  ter- 
miner au  Conservatoire  de  Paris  : 


Aspirants. 

Admissions 

127  • 

22  • 

128 

21 

113 

10 

118 

12    • 

220 

30 

37 

13 

18 

5 

96 

20 

83 

31 

Chant  (hommes)     .     .  .  .  . 

—  (femmes) 

Déclamation  (hommes)  .  .  . 

— ■         (femmes) .  .  .  . 

Piano  (femmes).     .     .  .  .  , 

—  (hommes)     .     .  .  .  . 

Violoncelle   .     .     .     .  ,  .  . 

Violon     .     .     ...  .  .  . 

Instruments  à  vent.     .  .  .  . 

Total.     .     .  940  156 

Dans  ce  tableau  ne  sont  pas  compris  les  résultats  des  examens 
pour  les  classes  de  sollège,  d'harmonie,  de  composition,  d'orgue, 
de  harpe,  qui  porie  le  chiffre  total  des  aspirants  à  plus  de  1,200 
et  celui  des  élèves  admis  à  plus  de  220. 

On  a  inauguré  à  Londres  une  saison  d'opéra  français.  Le  direc- 
teur de  Her  Majestys  Théâtre  vient  de  débuter  par  FaM5/. 
M'"^  Fidès-Devries  remplissait  le  rôle  de  Marguerite,;  M.  Vcrgnel, 
notre  ancien  ténor,  celui  de  Faust;  M.  Dauphin,  également  bien 
connu  à  Bruxelles,  celui  dé  Méphistophélès;  M.  Devrics,  celui  de 
Valentin;  M"«  de  L'Oncle,  celui  de  Siebel.  Grand  succès  et  nom- 
breux rappels,  malgré  certaines  défaillances  de  l'orchestre,  dirigé 
par  M.  Franlz.  "  • 

M'"''  Galli-Marié  a  joué  ensuite  Carmen,  où  elle  a  obtenu  un 
très  vif  succès.  Ensuite  viendront,  avec  MM.  Vergnct  et  Dau- 
phin, ii?igf6;/e//o,  la  Traviata,  Mignon  et,  peut-être, //am/d/. 

En  dehors  de  Mignon,  aucun  de  ces  opéras  n'a  encore  été 
chanté  en  français  à  Londres. 

A  New-York,  vient  d'être  construit  un  orgue  gigantesque  qui 
ne  nécessitera  «i  soufflets  ni  appareils  pneumatiques  ;  il  sera  mu 
entièrement  par  l'électricité.  Le  rapidité  vertigineuse  avec  laquelle 
fonctionnera  le  mécanisme  peut  être  démontrée  par  ce  fait  qu'il 
sera  possible  de  faire  résonner  un  tuyau  six  cents  fois  dans  l'es- 
pace d'une  minute.  De  plus,  la  transmission  de  la  force  à  distance 
étant  une  des  propriétés  de  l'électricité,  on  pourra  diviser 
l'instrument  en  autant  de  parties  qu'il  y  aura  de  registres  et  pla- 
cer ces  parties  en  différents  endroits  d'un  édifice  ;  elles  pourront 
être  manœuvrées  ensemble  ou  séparément.  Le  nouvel  orgue  a  été 
construit  dans  l'église  de  Garden-Ciiy,  à  New-York.  11  possède 
240  touches  aux  manualesetSO  aux  pédales,  113  jeux  de  registre 
et  7,000  tuyaux.  L'étendue  complète  est  de  10  octaves. 

Sommaire  de  la  Revue  d'art  dramatique  {i^  novembre  1886)  : 
Edmond  et  Jules  deGoncourt,  Fourcaud  — La  parodie  au  théâtre 
de  Victor  Hugo,  E.  Morlot.  —  Le  théâtre  à  Moscou  en  1841, 
E.  Volnay.  —  Critique  dramatique,  E,  M.  —  Chronique  musi- 
cale, Albert  Soubies.  —  Courrier  de  Bruxelles,  Octave  Maus.  — 
ColTrrier  de  Londres,  Victor  Saglier.  —  Curiosités  théâtrales, 
L.  Schône.  .—  Bibliographie,  etc. 

VILLE    DE    LOUVAIN 


A.VIiS   AU    I»UtoLIC 

La  place  de  Directeur  de  l'Académie  des  Beaux-Arts  de  Louvain 
(peinture,  sculpture,  architecture),  est  vacante. 

Les  artistes  qui  désirent  postuler  cette  direction  sont  priés  de  faire 
parvenir  à  rAdministratiou  communale,  avant  le  15  décembre,  leurs 
demandes  avec  pièces  à  l'appui. 

Traitement  :  4000  francs. 

Obligation  pour  le  Directeur  de  se  fixer,  avec  sa  famille,  a  Louvain 
et  d'y  ouvrir,  un  atelier. 


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LA  REVDE  HIDBPENDANTB 

DE  LITTÉRATURE  ET  D'ART 
Paraissant  le  1^'^  d«  chaque  mois  en  une  brochure  de  128  à  180  pages,  in-18 

Directeur  :  Edouard  DUJARDIN.  —  Rédacteur  en  chef  :  Félix  FÉNÉON 


Chaque  numéro  contiendra  : 

Une  chronique  artistique,  par  J.  K.  Huysmans;  une  chronique 
théâtrale,  par  Stéphane  Mallarmé;  une  chronique  musicale,  par 
Henry  Géard  ;  une  chronique  parisienne;  une  chronique  étrangère; 
l'analyse  des  livres,  par  Teodor  de  Wyzewa;  des  vers;  une  étude 
critique  ou  théorique,  par  Teodor  de  "Wyzewa;  une  nouvelle,  étude, 
conte  ou  poème  en  prose  ;  des  traductions  de  chefs-d'œuvre  étrangers 
contemporains  ;  un  roman  nouveau.  .     '      . 

LA  REVUE  NE  PUBLIERA  QUE  DES  ARTICLES  ABSOLUMENT  INÉDITS 


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étrangers,  signés  des  plus  grands  noms  de  la  littérature  ancienne  et 
moderne,  tels  que  :  Léon  Giadel,  Félix  Pyat,  Clovis  Hugues,  Hector 
France,  Edmond  Picard,  Champfleury,  Catulle  Mentlès,  Mme  gj. 
Adam,  Paul  Alexis,  Maurice  Talmeyr,  Alexis  Bouvier,  Emmanuel 
Gonzalès,  Paul  Bonnetain,  René  Maizeroy,  Baron  de.  Wogan, 
Frédéric  Soulié,  Molière,  Rabelais,  Shakespeare,  Voltaire,  etc  , 
etc.;  la  Petite  Bibliothèque  universelle  s'augmente  incessamment  des 
oeuvres  les  plus  capables  de  plaire  au  public  populaire  aussi  bien 
qu'au  public  lettré. 

Acheter  pour  25  centimes  des  ouvrages  qui  se  vendent  partout 
3  francs.  Se  faire  à  si  bon  compte  une  bibliothèque  s'étendant 
progressivement  à  toutes  les  branches  des  connaissances  humaines  et 
répondant  à  tous  les  goûts  :  ,c'est  de  quoi  tenter  le  lecteur  le  plus 
difficile. 

Aussi  espérons-nous  qu'après  un  coup  d'œil  donné  à  notre  cata- 
logue, le  public  intelligent  voudra  posséder  au  moins  l'un  de  nos 
volumes  et  donner  ainsi  son  appui  à  l'œuvre  la  plus  économique,  de 
progrès  intellectuel  qui  ait  été  tentée  jusqu'à  ce  jour. 

NOTA.  —  Notre  catalogue  étant  destiné  à  s'augmenter  sans 
cesse  d'oeuvres  nouvelles,  nous  inscrirons  toute  personne  qui  en  fera 
la  demande  pour  l'envoi  des  catalogues  nouveaux. 


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royal  de  Bruxelles.  Livr.  VIII.  3  suites  et  1  fugue  de  Hsendel,  5  fr. 

Reinecke,  Carl.  Op.  189.  Douze  lieder  à  2  voix  dans  le  style 
populaire,  avec  piano  (texte  allemand),  5  fr. 

Liszt,  Fr.  Transcriptions  sur  des  motifs  des  opéras  de  R.Wagner. 
Edition  pour  2  pianos  à  8  mains.  —  N"  6.  Chanson  des  fileuses  (Le 
Vaisseau  fantôme),  fr.  4-70.  —  N»  7.  La  mort  d'Yseult  (Tristan  et 
Yseult),  fr.  3-45. 


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nique,  à  4  mains,  fr.  2-50. 

DE  SWERT,  J.  Op.  4A.  Itnpromptu,  pour  violoncelle  avec 
accompagnement  de  piano,  fr.  2  00.  —  Op.  45.  Le  Désir,  morceau 
de  salon,  pour  violon  avec  accompagnement  de  piano,  fr.  1-75.  — 
Op.  46.  Rêverie,  pour  violon  avec  accompagnement  de  piano,  fr.  1-75. 

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•  V 


Sixième:  année.  —  N°  49. 


Le  NUMÉRO  :  25  centimes. 


IMANCUE  5  Décembre  1886. 


MODE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


RBVDE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :   Belgique,  un  an,  fr.  10.00  ;  Union  postale,  fr.   13.00.    —  ANNONCES  :   On  traite  à  forfait. 


Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 

l'administration  générale  de  TArt  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


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OMMAIRE 


Lakmé.  -  -  Jean  Moréas  et  Paul  Adam.  Les  demoiselles  Gou- 
bert.  Le  thé  chez  Mirancla.  —  Le  traité  du  Verbe,  par  René  Ghil. 
— ^  Les  poèmes  symphoniques  de  Liszt  —  Séance  musicale  de 
Franz  Servais.  —  Petite  chronique. 


LAKMÈ 

En  sa  malice  de  Parisien  goguenard,  —  homme 
d'esprit  serait  pléonasme  —  M.  Gondinet  a,  certes, 
voulu  se  moquer  un  peu  de  son  monde.  «  Je  vais  leur 
faire  trois  actes,  s  est-il  dit  un  matiti,  qui  seront  trois 
fois  le  même  acte.  Ça  sera  nouveau  pour  une  pièce. 

.  Delibes  a  du  talent.  Il  fera  là  dessus  de  la  musique 
chantante.  Nous  allons  rire  « 
M.  Gondinet  a  tenu  parole  et,  tout  au  plus  M.  Gille, 

•  son  collaborateur,  a-t-il  pu  obtenir  de  lui  que  les  trois 
personnages  principaux  :  Lakmé,  son  père  et  l'incan- 

.  descent  capitaine  ne  parussent  pas  les  trois  fois  sous  le 
même  costume.  Ainsi  Gérald  se  présente-il,  au  pre- 
mier acte,  coiffé  d'un  casque  blanc  ;  au  deuxième,  d'un 
béret  rond  ;  au  troisième,  de  sa  seule  chevelure.  Le  reste 
de  l'uniforme,  le  spencer  bleu,  la  culotte  collante,  les 
bottés,  ne  varient  pas,  il  est  vrai,  mais  c'est  M.  Gon- 
dinet qui  l'a  exigé. 

Question  d'unité  dramatique,  sans  doute.  Il  ne 
s'agit  pas  de  faire  des  concessions  quand  on  inaugure 

«  une  nouvelle  théorie. 

Donc,  au  premier  acte,  Gérald  s'éprend  de  Lakmé, 


qui  n'y  fait  pas  d'objections.  Survient  le  vieux  brah- 
mane exalté,  ir  surprend  les  amoureux.  Vengeance  ! 
Il  s'élance,  le. couteau  levé....  Mais  le  séducteur  a  dis- 
paru.    -^^^^  ;.,■.,  ■■.-:•:■•  ,::,..>.:-_   -,  ,:v,._-..s;^ 

La  toile  tombe. 

Au  deuxième  acte,  Gérald  continue  à  être  épris  de 
Lakmé,  qui  persiste  à  n'y  pas  faire  obstacle.  Survient 
encore  l'horrible  Nilakantha,  qui  interrompt  le  tète  à 
tête,  appelle  la  colère  des  dieux,  se  précipite,  le  poi^ 
gnard  à  la  main,  sur  le  ravisseur....  et  l'égratigne. 

La  toile  tombe. 

Au  troisième  acte,  Gérald  est  de  plus  en  plus  amou- 
reux de  Lakmé.  Celle-ci  est  de  plus  en  plus  décidée  à  ne 
pas  s'en  formaliser.  L'insupportable  brahmane  repa- 
raît, et,  aussi,  son  fastidieux  couteau.  Va-t-il,  pour  la 
troisième  fois,  manquer  son  coup  ?  Hélas,  oui!  Gérald 
a  bu  à  la  coupe  d'ivoire.  Il  est  sacré,  il  est  invulné- 
rable, et  le  brahmane  rengaine,  à  regret,  l'éclair  de  sa 
lara^  d'acier. 

Alors,  quoi?  Aurons-nous  un  quatrième  acte?  Un 
quatrième  duo  d'amour?  Une  quatrième  apparition  du 
trouble-fête  et  de  son  instrument  tranchant?  Non,  la 
pièce  est  finie.  Lakmé  tombe  sur  le  dos  pour  s'être  passé 
sur  les  gencives  un  pétale  de  datura,  que  la  science  des 
librettistes  daigne  qualifier  de  stramonium  pour 
l'instruction  du  public. 

Oui,  Lakmé  meurt.  Et  Gérald,  le  beau  hussard  de  la 
reine,  s'en  va  rejoindre  Iç  régiment  qui  passe  à  la  can- 
tonnade,  fifres  et  tambours  en  tête. 

Parole  d'honneur,  c'est  là  la  pièce.  Il  n'y  a  point 


>J 


d'autre  ressort  dramatique.  Le  mécaiiLsine  mis  à  nu,  il 
.  110  reste  positivement  que  cette  pauvre  invention. . 

Quelques  personnages  épisodiques  traversent  furti- 
vement la  scène,  avec  le  sentiment  de  leur  inutilité  : 
la  fiancée  de  Gérald,  pour  donner  un  peu  plus  d'in- 
vraisemblance à  toute  cette  étonnante  histoire,  un  ami 
du  dit  Gérald,  qui  paraît  être  le  personnage  que  dans 
les  revues  de  fin  d'année  on  appelle  le  compère  :  il  est 
chargé  d'expliquer  auK  spectateurs  la  vertu  nocive  du 
datiira  strmnonhmi,  de  peindre  le  caractère  irascible 
des  brahmanes,  et  surtout  de  mettre  i5n  à  la  pièce,  qui 
ne  se  terminerait  jamais  sans  lui,  puisque  s'il  ne 
venait  pas  dire  à  son  camarade  :  "  Tu  as  assez  flirté.  Sa 
Gracieuse  Majesté  a  besoin  de  nos  épées'»,  Gérald  con- 
tinuerait évidemment,  dans  un  quatrième,  peut-être 
dans  un  cinquième  acte,  et  pourquoi  pas  dans  un 
sixième?  à  faire  les  yeux  doux  à  Lakmé  et  à  roucouler 
toutes  les  jolies  phrases  que  déroule  indéfiniment 
l'écheveau  musical  de  M.  Delibes. 

Il  y  a  d'autres  personnages  encore  plus  épisodiques 
et  non  moins  superflus  :  une  miss  évaltonée  et  une  gou- 
vernante burlesque  (il  est  de  tradition,  n'est-ce  pas,  que 
les  gouvernantes  anglaises  sont  toujours  ridicules)  qui 
ne  se  montrent  un  instant  que  pour  chanter  une  partie 
dans  une  quintette,  —  et  qui  la  chantent  faux,  sans 
doute  pour  augmenter  la  couleur  locale. 

Quelle  singulière  destinée  a  donc  l'inspiration  de 
M.  Delibes?  Après  s'être  butté  à  un  livret  obscur,  com- 
pliqué, tarabiscoté,  épineux,  hérissé  de  détails  cocasses, 
poury  adapter  les  fraîches  mélodies,  de /(^anc?^AÏî76/^^5, 
voici  que  le  compositeur  tombe  dans  des  ruisselets  d'eau 
claire,  et  si  claire  qu'elle  s'échappe,  et  s'évanouit,  et 
ciu'il  n'y  en  a  plus.  La  brise  qui  fait  frissonner  la  forêt 
de  Brahma  où  se  becquettent  les  tourtereaux  atout 
emporté.  Opéra  comique?  Non.  Romance,  rien  de  plus. 
Et  romance  de  salon.  Et  cela  après  avoir  mis  la  main, 
pour  Coppélia,  sur  le  plus  beau  Sujet  de  ballet  qui  soit. 

Est-ce  à  dire  qu'on  n'ait  pas  fait  bon  accueil  à  la  pau- 
vrette? Ce  serait  mal  connaître  nos  compatriotes.  Le 
succès  a  été,  au  contraire,  très  grand.  Il  a  été  crescendo 
d'acte  en  acte,  et  à  la  chute  du  rideau  on  a  adressé  au 
compositeur  les  acclamations  d'usage,  et  le  triompha- 
teur s'est,  de  son  côté,  laissé  faire  la  douce  violence 
traditionnelle.  Les  artistes  féminins  de  la  troupe  l'ont 
vivement  pris  par  les  mains,  par  les  bras,  par  les 
épaules,  par  les  basques,  par  tout  où  il  offrait  quelque 
point  d'appui,  et  l'ont  radieusement  entraîné  vers  la 
rampe.  Ce  n'est  pas  tout.  Il  a  été,  séance  tenante, 
"bombardé  chevalier  de  Tordre  de  Léopold  (c'est  mince; 
pourquoi  pas  commandeur?)  et  enfin,  M.  Gevaert  l'a 
embrassé.  C'est,  de  toutes  ces  démonstrations,  celle 
évidemment  à  laquelle  M.  Delibes  a  dû  être  le  plus 
sensible.  .  "  ' 

Le  secret  de  ce  triomphe  inattendu,  sur  lequel  la 


direction  de  la  Monnaie,  s'il  faut  en  croire  certaines 
indiscrétions,  ne  comptait  pas  trop  elle-même?  Le 
secret  réside  dans  l'aimable  facilité  du  musicien,  qui  a 
prestigieusement  caché  sous  de  jolis  détails  mélodiques 
les  trous,  voulus  ou  non,  de  son  livret.  Oh  !  Tingénieux 
trouveur  de  «  riens  '»  qui  plaisent  et  l'habile  jongleur 
de  fétus  de  paille  !  La  musique  de  Lakmé  ne  déplaît  pas 
aux  artistes  parce  qu'elle  est  de  facture  adroite,  et  elle 
plaît  infiniment  au  public,  parce  qye  sa  sentimentalité 
s'y  reflète,  et  sa  coui-te  compréhension  de  l'amour,  et 
l'air  de  chansonnette  que  chantent  toutes  les  vies  bour- 
geoises. Jamais  ne  brûle  ces  âmes  voletantes  dans  le 
train-train  des  choses  la  flamme  qui  consume  Iseult,  et 
plus  encore  reste  clos  pour  elles  le  séraphique  jardin 
où  chantent  les  Fleurs. 

Mais  le  duo  d'amour,  l'éternel  duo  d'amour  où  il  est 
question  de  bruits  d'ailes,  de  parfums  embaumés,  de 
brises  caressantes.  Oh!  ce  duo-là,  qu'il  déroule  sa 
banalité  dans  une  forêt  de  l'Inde  ou  dans  les  foins  de  la 
Beauce,  ou  simplement  sur  un  banc  du  Jardin  botani- 
que, il  faudrait  être  bien  ignorant  des  accents  qui  font 
vibrer  les  cordes  sensibles  des  auditeurs  pour  le  man- 
quer! 

Or,  c'est  précisément  là  ce  que  M.  Delibes  connaît  le 
mieux  :  charmer  sans  fatiguer,  déguiser  sans  une  appa- 
rence nouvelle  des  formules  dont  on  a  abusé,  provoquer 
chez  les  auditeurs,  et  spécialement  chez  les  auditrices, 
des  titillations  d'autant  plus  agréables  qu'aucune  page 
de  la  partition  ne  heurte  les  idées  reçues  et  qu'on  peut 
se  laisser  bercer  sans  crainte  au  fil  de  la  mélodie...  Aux 
ariettes  succèdent  des  trios,  des  duos,  des  cantilèiies  et 
des  cavatines,  le  tout  avec  strette  et  ritournelle,  ces 
pièges  à  bravos.  Et  le  tout  est  d'un  orientalisme  à 
l'usage  des  gens  du  monde,  aimable  et  enjoué,  évoquant 
l'Inde  comme  les  arcades  de  la  rue  de  Rivoli,  avec  leur 
vagues  odeurs  de  pastilles  du  sérail  et  leurs  enfilées  de 
babouches,  siiggèrènt.  Jérusalem  et  Constantinople. 

Lakmé  a  été  bien  accueillie  à  Paris.  Notre  corres- 
pondant Jacques  Hermann,  qui  a  fait  de  l'œuvre  (*)  une' 
analyse  détaillée  qui  nous  dispense  d'insister  davan- 
tage, en  a  constaté  Iç^^succès  :  succès  artistique  et  succès 
d'interprétation. 

On  pouvait  craindre  que  privée  de  M^ie  Van  Zandt, 
pour  qui  le  rôle  principal  a  été  spécialement  écrit, 
et  de  M.  Talazac,  qui  avait  merveilleusement  incarné 
celui  de  Gérald,  la  pièce  parût  incolore.  Grâce  à 
M'^®  Vuillaume  et  à  M.  Engel,  grâce  aussi  à  une  mise 
en  scène  suflfisamment  élégante,  l'accueil  a  été  aussi 
chaleureux  à  Bruxelles  qu'il  l'avait  été  à  Paris,  et  nous 
en  félicitons  sincèrement  la  direction,  à  qui  les  recettes 
assurées  de  Lakmé  donneront  des  loisirs  pour  faire 
travailler  à  l'aise  quelque  oeuvre  sérieuse. 


i 


(^)  V.  TArt  moderne,  1883,  p.  129. 


Nous  disons  :  grâce  à  M'^"^  Vuillaume  et  à  M.  Engel, 
non  pas  que  les  autres  artistes  n'aient  pas  contribué  à 
la  victoire,  mais  parce  que  leur  collaboration  est  si  peu 
importante  qu'on  pourrait  se  borner  à  les  citer. 
M.  Isnardon,  un  peu  vulgaire  pour  un  capitaine  des 
hussards  de  la  reine,  s'est  néanmoins  montré  bon  comé- 
dien. M.  Renaud  chante  de  sa  belle  voix  ample  le  rôle 
du  brahmane  fanatique.  M"®  Legault,  très  séduisante 
sous  son  grand  chapeau  de  paille,  et  M""®  Gandubert, 
ont  suffisamment  d'étourderie  et  de  gaieté,  et  W^^  Casta- 
gnîé  a  fait  .preuve  de  bonne  volonté  en  remi)laçant  au 
pied  levé  M»«  Wolff. 

M.  Engel  s'est  montré  une  fois  de  plus  l'excellent 

chanteur  et  Tintelligent  acteur  que,  depuis  deux  ans, 

notre  public  apprécie.  Et  le  succès  décisif  de  M^^''  Vuil- 

"    laume  a  été,  nous  ne  dirons  pas  une  surprise',  le  mot 

ne  serait  guère  aimable,  mais  une  satisfaction. 

La  jeune  artiste  a  de  l'ingénuité,  de  la  jeunesse,  de 
la  grâce.  Elle  abuse,  il  est  vrai,  d'un  geste  qui  a  l'air 
d'être  destiné  à  rattacher  ses  boucles  d'oreilles,  mais 
c'est,  sans  doute,  extrêmement  hindou.  Comme  chan- 
teuse, elle  égrène  avec  facilité  les  vocalises  qu'on  croyait 
à  la  seule  portée  de  la  créatrice  du  rôle,  et,  à  part  l'air 
d'entrée,  dans  lequel  elle  a  manqué  d'assurance  et  de 
justesse,  elle  n'a  rien  laissé  à  désirer  jusqu'au  datura 
final.  '  . 

l        '■{zk^    JAORÉK^    ET    pAUL    ^DAM       < 

Les  Demoiselles  Goubert.  —  Le  thé  chez  Miranda. 

WM.  Moréas  el  Paul  Adam  réussissent  dans  les  Demoiselles 
Gouberl  un  art  inléiessanl  cl  1res  parti  vers  une  notation  nou- 
,  velle  des  choses. 

Le  roman?  Marceline  et  Henriette  Goubert,  orphelines  tombées 
de  la  bourgeoisie  cossue  dans  la  bourgeoisie  trimante  pour  le 
pain  journalier  et  toutes  deux  employées  à  la  maison  de  conteclion 
Freysse  se  fanent  peu  à  peu,  grâce  au  milieu,  l'une,  Henriette, 
dans  la  vie  de  (illc,  l'autre,  Marceline,  dans  la  moisissure  sur 
place  de  caissière  do  magasin.  Elles  étaient  sorties  de  chez  leur 
père  avec  la  volonté  de  sa  refaire  riches.  Les  stations  et  les  arrêts 
de  ces  deux  existences  trimballantes  vers  le  néant  du  projet,  ce 
livre  les  marque. 

Et  d'abord  c'est  bien  avec  l'école  naturaliste  des  Goncourt  qu'il 
a  le  plus  d'attaches  :  petits  chapitres,  lalbleaux  ou  plutôt  quin- 
tessences de  visions,  choses  vivement  esquissées  et  passées  de 
lumière  en  ombre,  sentiments  montrés  plutôt  que  déduits  et 
analysés,  sautes  considérables  entre  les  chapitres,  mises  en 
relief  seulement  des  scènes  capitales. 

M.  Poictcvin  avait  déjà  tenté  cet  art,  mais  avec  plus  d'impres- 
sionnisme. 

Ce  que  MM.  Moréas  et  Paul  Adam  ne  se  permettent  jamais, 
c'est  la  nomenclature  descriptive,  l'infini  défilé  des  détails  et 
surtout  le  train-train  de  l'affabulation,  allant  au  petit  pas,  sans 
brûler  un  seul  pavé,  à  travers  les  cinq  cents  pages  de  texte  régle- 
mentaires. 

Exemples?  Les  romans  de  Zola. 


L'innovation  consiste  dans  le  stvic  surtout.  Parfois,  certes,  il 
prend  la  tournure  des  phrases  do  mise  en  scène  pour  comédies 
ou  drames,  mais  cotte  impression  s'offaco  :  le  vocable  est  parfai- 
tement artiste,  la  vision  neuve,  la  coupe  imprévue,  le  mol  tient 
la  place  que  lui  assigne  l'idée  bien  plus  que  la  grammaire;  en 
telle  peinture,  une  poésie  spéciale  se  lève,  que  ni  MM.  Goncourt 
ni  Zola  n'auraient  perçue.  . 

«  L'a  double  file  des  demeures  U  balcon  s'angulail  vers  les 
touffes  vertes  des  Tuileries  jusque  la  silhoùeUe  équestre  de  la 
Pucelle,  élevant  son  oriflamme  de  bronze.  Dans  le  vent  doux, 
dans  la  lumière  fauve,  bruissaiont  les  fiacres  et  leurs  toils 
luisanîs  comme  de  convexes  glaces  et  leurs  lanternes  nettes.  De 
là  se  dressait  nu  ciel  de  satin  vert  fané,  piqué  de  l'astre  unique  et 
minuscule  qui  devance.  » 

Comme  c'est  loin  du  mot^ précis,  et  net,  et  brutal,  et  hourgoois  ! 
MM.  Moréas  et  Paul  Adam  apportent  donc  quelque  neuf;  ce 
n'est  certes  pas  une  rénovation,  une  conversion  du  roman,  ni  une 
,  rédeifiplion,  mais  ils  ouvrent,  sinon  une  route,  au  moins  un  son- 
lier  non  encore  foulé.  Leur  affabulation  est  telle  quelle  et  n'im- 
porte, au  reste,  de  même  que  dans  le  système  réaliste. 

Quant  à  la  création  de  vie  humaine,  celle-là  n'est  qu'ébauchée. 
Les  caractères  vacillent,  leur  analyse  falote  flotte  dans  le  livre, 
ils  manquent  de  la  force  qui  impose. 

Une  audace  do  composition,  étrange  peut-être  pour  quelques- 
uns,  se  lève  vers  le  milieu  du  récit  en  intermède  des  Espris  illu- 
soires. On  pourrait  se  demander  :  pourquoi?  Si  dans  les  esprits 
que  M.  Moréas  évoque  devant  le  Mage  ne  se  présentait  Honriottê- 
Fiorinelta,  Albarel-Léandro  cl  Mar.celine-Silvia,  les  trois  prota- 
gonistes de  l'œuvre,  liés  à  leurs  générateurs  spirituels.  L'in- 
termède devient  ainsi  explicatif  ou  mieux  que  cela,  synthétique. . 
H  dégage  le  livre  de  l'anecdote  pour  le  revêtir  en  quelque  sorte 
d'un  luisant  de  pérennité  el  les  individus  se  haussent  jusqu'au 
type,  ou  du  moins  indiquent  le  type  dont  ils  sont  un  avatar. 

Nouvel  indice  de  préoccupation  esthétique  nouvelle,  et  celui-ci 
très  important,  puisqu'il  vise  le  fond  même  des  compositions 
d'art  :  les  naturalistes  —  Zola  du  moins  —  prétendaient  ne 
jamais  aller  au  delà  de  l'individu,  ne  jamais  généraliser,  de  peur 
de  manquer  d'exactitude  et  de  chavirer  dans  le  rêve  ;  ils  ne 
basaient  que  sur  l'observation  du  fait  et  ne  poussaient  point  jus- 
qu'à la  cause.  Tout  différemment  ici.  L'essai  d'aller  au  type  et  de 
classer,  et  de  généraliser,  el  de  synfhétiser,  el  de  symboliser 
môme  domine.  Ira-t-il  jusqu'au  but,  qn  jour,,  et  largement  et 
despotiquemenl?  ou  avorlera-l-il  en  cahotantes  tentatives? 

MM.  Moréas  et  Paul  Adam,  avant  d'achever  Les  demoiselles 
Goubert,  ont  publié  Le  thé  chez  Miranda.  N'insistons  sur  les 
nouvelles  du  volume  que  pour  affirmer  qu'elles  sont  d'une  litté- 
rature courante  et  aisée,  montrant  les  auteurs  habiles  —  tout 
alitant  que  ceux  qui  les  raillent  dans  leurs  préoccupations  nova- 
trices —  ii  trousser  le  quelconque  d'une  littérature  de  goût  et  de 
mode  reçus. 

Mais  certains  préambules  aux  récits  sont  d'une  fantaisie  très 

délicate.  Voici  La  Haye,  plus  loin  Gênes,  et  enfin  La  chasse  de 

.  Miranda.  Il  sérail  difficile  de  traiter  plus  adorablemenl  le  pastel 

et  de  réussir  avec  un  doigté  plus  fin  les  aquarelles,  les  gouaches 

et  les  sépias  littéraires. 

Le  traité  du  Verbe,  par  René  Ghil. 

On  a  reproché  a  M.  Ghil  d'arborer  un  manifeste.  Après? 
Toutefois,  le  Traité  du  Verbe  est  bien  trop  spécial,  à  son  livre 


déjàrparu  et  h  ceux  qui  naîtront,  préconçus,  pour  que  l'auteur 
ail  obdi  à  auire  injonciion  que':  «L'opportunité  de  renier  de  irop 
puériles  idc'es  et  d'énoncer  intégrales  sa  pensée  et  sa  volonté 
d'homme  ».  Et,  «  maintenant,  ajoule-t-il,  ce  étant  dit  que  l'on 
devait  ouïr,  muelte  et  sourde  à  l'entourage  mondain,  ma  sim- 
plesse  rentres  pour  n'en  plus  sortir  en  son  travail  et  son  silence  ». 

Un  avant-dire  de  Stéphane  Mallarmé  garde  le  fascicule.  Il  y 
est  affirmé  cette  fondamentale  constaiaiion,  qui  sépare  la  langue 
des  lettrés  désormais  de  la  fluanle  littérature  : 

«  Un  désir  indéniable  à  l'époque  est  de  séparer,  comme  eu 
vue  d'allribution  différentes,  le  double  état  (le  la  parole,  brut  ou 
immédiat  ici,  là  essentiel. 

Narrer,  enseigner,  même  décrire,  cela  va  et  encore  qu'à  cha- 
cun suffirait  peut-être,  pour  échanger  toute  pensée  humaine,  de 
prendre  ou  de  mettre  dans  la  main  d'aulruî,  en  silence,  une  pièce 
de  monnaie,  l'emploi  élémentaire  du  discours  dessert  l'universel 
reportage  dont,  la  littérature  exceptée,  participe  tout,  entre  les 
genres  d'écrits  contemporains! 

A  quoi  bon  la  merveille  de  transposer  un  fait  de  nature  en  sa 
presque  disparition  vibratoire,  selon  le  jeu  de  la  parole,  cepen- 
dant, si  ce  n'est  pour  qu'en  émane,  sans  la  gène  d'un  proche  ou 
concret  rappel,  la  notion  pure  ?  ». 

Toute  la  théorie  poétique  mallarméenne  s'étaie  sur  ces  deux 
énoncés  :  Isolement  du  poète  au  dessus  de  l'universel  reportage  ; 
acheminement  de  toute  poésie  vers  la  synthèse,  loin  du  con- 
cret, près  de  l'ahsirail,  jusques  à  la  notion  pure. 

M.  Ghila,  dy  reste,  mêmes  vouloirs,  il.  affirme  : 

«  L'idée,  qui  seule  importe,  en  la  vieéparse....  » 

Mais,  où  M.  Ghil  appuie,  c'est  en  indiquant  la  forme  qu'il 
choisit  pour  atteindre  son  but  artistique.  Cette /«rme?  L'instru- 
mentation.... «  miraculeuse  montée  vers  les  heures  lointaines, 
qu'avec  humilité,  nous  souhaitons,  où  tous  les  Arts,  inconsciem- 
ment impies,  reviendront  se  perdre  en  la  totale  communion  :  la 
Musique  épouvantante  qui  intronise  la  divinité  seule  :  Poésie. 

c(  A  moi,  non,  de  m'enquérir  de  la  cause:  une  phase,  sans  doute 
d'une  évolution  progressive  de  nos  sens  élevés. 
'  «  C'est  assez  que  me  soient  des  esprits  pour  qui  la  Musique  n'est 
que  somptuosités  de  tableaux,  les  sons  hauts  et  graves  n'étant 
que  couleurs  triomphales,  innocentes,  ou  s'imprégnant  de  mélan- 
colie :  et  entendant  avec  amour  ce  poète  Richard  Wagner,  tel 
voit  dans  Tristan  et  Iseult  des  orgcuils  de  forêts  verdir,  et  de 
sève  s'épandre,  et  d'orages  se  lamenter  en  la  victorieuse  ventée 
des  accords;  et  tel  autre  dans  Xo/i£»^7'm,  au  son  de  douces 
trompettes  sœurs  disant  sur  les  tours  d'aube  évaporée,  con- 
temple sur  la  plaine  rase  et  vert  tendre,  un  matin  rose  et  d'or 
fumant  vers  le  jour  deviné  d'un  encens  pur  de  fêtes. 

«  Toi  qui  Tinquiétas  veuille  retenir  :  des  sons  te  sont  vus. 

«  Or,  si  le  son  peut  être  traduit  en  couleur,  la  couleur  peut  se 
traduire  en  sons,  et  aussitôt  en  timbre  d'instruments.  » 

C'est  sur  ce  fait  que  M.  Ghil  base  Kinstrumcniation  poétique. 
Sur  le  fait  des  correspondances  des  deux  sens  dominateurs  :  la 
vue,  l'ouïe  (resteraient  certes  Todorat  et  le  goût  en  inéducation 
encore)  et  partant  de  cette  observation  contrôlée  et  définitive 
aujourd'hui,  il  assigne  les  relalions  de  telle  couleur  à  tel  instru- 
ment, et  plus  encore,  de  tel  mot  et  de  telle  lettre  et  de  telle 
diphtongue  à  tel  autre.  Toute  une  théorie  naît,  originale,  person- 
nelle, adroitement  présentée,  malgré  la  fuyance  des  formules. 

Au  reste,  cette  instrumentation  n'est  qu'un  moyen  de  surgir 
vers  ce  grand  but,  atteint  par  Wagner.  Et  M.  Ghil,  dit  : 


«  Pour  une  œuvre  une  et  de  symboles  grosse,  en  une  poésie 
^nslriimcntale,  où  sont  des  mots  les  notes,  unir  et  perdre  les 
poésies  éloquente,  plastique,  picturale  et  musicale,  toutes  encore 
au  hasard  :  C'est  mon  rêve.  » 

Voilk,  en  sa  structure,  le  Traité  du  Verbe ^  écrit  parfois  en 
style  d'oracle,  comme  il  convient  aux  choses  qui  doivent  s'im- 
poser parce  qu'elles  se  sentent  bien  plus  qu'elles  ne  se  discutent. 
M.  Ghil  se  lève  écrivain.  Il  piart  de  Stéphane  Mallarmé,  vers  où? 

Exquise,  cette  figuration  de  la  poésie  verlainienne  : 

«  Au  sortir,  de  sommeil,  effleuré  de  sourire  et  de  palmes 
s'aérant,  sur  le  perron  merveilleux,  d'un  humide  soleil  p.tradisé 
et  de  rosée  remuante  en  l'aurore  légère  d'un  mirage  d'eau,  la 
Belle  s'en  viendra,  »  etc....    ^ 


'     LES  POÈMES  SYMPHONIQDBS  DE  LISZT 

Les  Concerts  populaires  ou\.  inscrit  au  programme  de  leur 
première  audition,  comme  un  hommage  rendu  au  compositeur 
que  la  mort  vient  de  frapper,  l'un  des  plus  beaux  poèmes  sym- 
phoniques  de  Liszt. 

On  entendra  aujourd'hui  Le  Tasse,  Lamento  e  trionfo,  qui 
occupe  le  n»  2  des  douze  poèmes,  classés  ainsi  :  N»  1,  Ce  qu'on 
entend  sur  la  montagne^  d'après  Victor  Hugo.  N'»  2,  Le  Tasse. 
N«  3,  Les  Préludes,  d'après  Lamartine.  N°  4,  Orphée.  N»  5,  Pro- 
méthée.  N"  6,  Mazeppa.  N»  7,  Fest-Klànge  (sonneries  de  fête). 
N<»  8,  Hérdide  funèbre.  N«  9,  Hungaria.  N°  10,  Hamlet. 
N<>  11,  Hunnenschlacht  (la  bataille  des  Huns),  d'après  Kaulbacb. 
N«  12,  L Idéal  d'après  Schiller. 

Camille  Saint-Saëns,  dans  son  volume  Harmonie  et  Mélodie., 
a  consacré  k  Liszt,  et  spécialement  aux  poèmes  symphoniques, 
un  chiapiire  intéressant.  Il  nous  a  paru  utile  à  la  compréhension 
de  l'œuvre  de  mettre  sous  les  yeux  de  nos  lecteurs  le  passage 
qui  concerne  spécialement  le  Tasse,  et  que  voici  : 

Il  n'y  a  pas  longtemps  encore,  la  musique  orchestrale  n'avait 
que  deux  formes  à  sa  disposition  :  la  symphonie  et  l'ouverture. 
Haydn,  Mozart  et  Beethoven  n'avaient  point  écrit  autre  chose; 
qui  aurait  osé  faire  autrement  qu'eux?  Ni  Weber,  ni  Mendelssohn, 
ni  Schubert*  ni  Schumann  ne  l'avaient  osé. 

Liszt  l'a  osé. 

Oser,  en  art,  est  ce  qu'il  y  a  de  plus  terrible  au  monde.  En 
théorie,  je  l'accorde,  rien  n'est  plus  simple.  Il  n'y  a  pas  de  lois 
contre  les  arts,  les  artistes  sont  Hbres  de  faire  ce  qu'ils  veulent; 
qui  les  en  empêcherait? 

Dans  la  pratique,  tout  les  en  empêche,  tout  lé  monde  ei  mix- 
mêmes.  Les  formes  nouvelles  que  l'on  demande  et  que  l'on 
désire,  en  apparence  du  moins,  inspirent  de  la  frayeur  et'  de  la 
répulsion.  Pour  accepter  de  nouvelles  formes,  pour  en  pénétrer 
le  sens,  il  faut  absolument  que  l'esprit  fasse  un  efi'orl  :  les  gens 
qui  aiment  à  faire  cet  elfort  sont  rares.  Ce  qu'on  aime,  c'est  à  se 
pelotonner  dans  sa  paresse  et  dans  sa  routine,  dût-on  crever 
d'ennui  et  de  satiété. 

Liszt  a  compris  que,  pour  imposer  de  nouvelles  formes,  il  fal- 
lait en  faire  sentir  la  nécessité,  les  motiver,  en  un  mot.  Il  est 
entré  résolument  dans  la  voie  que  Beethoven,  avec  la  Symphonie 
pastorale  et  la  Symphonie  avec  chœurs.,  Berlioz  avec  la  Symphonie 
fantastique  et  Harold  en  Italie,  avaient  indiquée  plutôt  qu'ou- 
verte, car  s'ils  avaient  agrandi  le  cadre  de  la  symphonie,  ils  ne 
l'avaient  pas  brisé,  et  il  a  créé  le  Poème  symphonique. 


VART  MODERNE 


389 


Cette  création  brillante  et  féconde  sera  auprès  de  la  poslérilé 

•  son  plus  beau  titre  de  gloire,  et,  lorsque  le  temps  aura  effacé  la 

trace  lumineuse  du  plus  grand  pianiste  qui  fut  jamais,  il  inscrira 

sur  son  livre  d'or  le  nom  de  Pémancipateur  de  la  musique  instru- 

menlale. 

Liszt  n'a  pas  seulement  lancé  dans  le  monde  musical  celte  idée 
du  poème  symphonique,  il  l'a  développée  lui-même,  et,  dans  ses 
douze  Poèmes  il  a  montré  les  principales  formes  que  cette  idée 
est  susceptible  de  revêtir. 

Avant  de  parler  des  œuvres  elles-mêmes,  disons  quelques  mots 
du  principe  qui  en  est  l'âme,  du  principe  de  la  musique  à  pro- 
gramme. 

Pour  beaucoup  de  personnes,  la  musique  à  programme  est  un 
genre  nécessairement  inférieur.  On  a  écrit  sur  ce  sujet  une  foule 
de  choses,  qu'il  m'est  impossible  de  comprendre. 

La  musique  est-elle,  en  elle-même,  bonne  ou  mauvaise?  Tout 
est  là.     , 

Qu'ensuite  elle  soit,  ou  non,  à  programme^  elle  n'en  sera  ni 
meilleure  ni  pire. 

C'est  exactement  comme  en  peinture,  ou  le  sujet  d'un  tableau 
qui  est  tout  pour  le  vulgaire,  n'est  rien,  ou  est  peu  de  chose  pour 
Famateur.  , 

Il  y  a  plus  :  le  reproche  qu'on  fait  à  la  musique  de  ne  rien 
exprimer  par  elle-même,  sans  le  secours  de  la  parole,  s'applique 
également  b  la  peinture.       •  • 

Un  tableau  ne  représentera  jamais  Adam  et  Eve  à  un  specta- 
teur qui  ne  connaîtrait  pas  la  Bible;  il  ne  saurait  représenter 
autre  chose  qu'un  homme  et  une  femme  nus  au  milieu  d'un  jar- 
din. Cependant  le  spectateur  ou  l'auditeur  se  prêtent  à  merveille 
à  cette  supercherie  qui  consiste  à  ajouter  au  plaisir  des  yeux  ou 
des  oreilles  l'intérêt  et  l'émotion  d'un  sujet.  11  n'y  a  pas  de  raison 
pour  lui  refuser  ce  plaisir  :  il  n'y  en  a  pas  non  plus  pour  le  lui 
accorder.La  liberté  est  complète  :  les  artistes  en  usent  et  ils  font 
bien. 

Ce  qui  est  incontestable,  c'est  que  le  goût  du  public  le  porte, 
.   à  notre  époque,  vers  le  tableau  à  sujet  et  la  musique  à  pro- 
gramme, et  que  le  goût  du  public,  en  France  du  moins,  a  entraîné 
les  artistes  dans  cette  direction. 

La  musique  à  programme  n'est  pour  l'artiste  qu'un  prétexte  à 
tenter  des  voies  nouvelles,  et  les  effets  nouveaux  demandent  des 
moyens  nouveaux,  chose,  de  tout  temps,  fort  peu  goûtée  de 
MM.  les  chefs  d'orchcslre  et  maîtres  de  chapelle,  qui  aiment 
avant  tout  leurs  petites  habitudes  et  le  calme  de  leur  existence. 
Je  ne  serais  pas  étonné  que  la  résistance  aux  œuvres  dont  nous 
parlons  vînt,  non  pas  du  public,  mais  des  chefs  d'orchestre,  peu 
jaloux  de  se  mesurer  avec  les  difficultés  de  toute  nature  dont 
elles  sont  hérissées.  Toutefois  je  ne  me  pejroiettrais  pas  de  l'af- 
firmer. • 

Les  compositions  auxquelles  Liszt  a  donné  le  nom  de  poèmes 
symphoniques  sont  au  nombre  de  douze. 

Il  a  encore  écrit  les  symphonies  Dante  et  Faust  qui  n'ont  de 
la  symphonie  que  le  nom  et  sont  en  réalité  des  poèmes  sympho- 
niques en  deux  et  en  trois  parties,  et  deux  tableaux  musicaux 
d'une  grande  valeur,  la  Valse  de  Méphistopkélès  et  la  Proces- 
sion nocturne  d'après  les  fragrtients  du  poème  Faust  de  Lenau. 

Nous  ne  parlerons  pas  de  ses  oratorios  et  de  ses  messes,  ni  de 
son  œuvre  pour  le  piano,  qui  est  immense,  et  dont  tout  pianiste 
qui  écrit  pour  son  instrument  ressent,  à  son  insu,  l'influence  ; 
bornons-nous  à  sa  musique  orchestrale. 


Le  poème  symphonique,  dans  la  forme  que  Liszt  lui  a  donnée, 
est  d'ordinaire  un  ensemble  de  mouvements  différents  dépendant 
les  uns  des  autres  et  découlant  d'une  idée  première,  qui  s'en- 
chaînent et  forment  un  seul  morceau.  Le  plan  du  poème  musical 
ainsi  compris  peut  varier  b  l'infini.  Pour  obtenir  une  grande  unité 
en  même  temps  que  la  plus  grande  variété  possible,  Liszt  choisit 
le  plus  souvent  une  phrase  musicale  qu'il  transforme  au  moyen 
des  artifices  du  rythme  de  façon  à  lui  faire  prendre  les  aspects 
les  plus  divers  erà  la  faire  servir  à  l'expression  des  sentiments 
les  plus  dissemblables;  C'est  un  des  procédés  les  plus  habituels 
à  Richard  Wagner,  et  c'est,  à  ce  que  je  crois,  le  seul  commun 
aux  deux  compositeurs.  Comme  style,  comme  emploi  des  res- 
sources de  l'harmonie  et  de  l'instrumentation,  ils  diffèrent  autant 
que  peuvent  différer  deux  artistes  contemporains  et  se  rattachant 
en  définitive  à  la  même  école. 

Le  poème  Tasso  peut  être  pris  pour  type  du  genre  de  compo- 
sition qui  nous  occupe.  Le  thème  principal  est  celui  que  chan- 
taient, il  y  a  peu  d'années  encore,  les  gondoliers  de  Venise  et 
sur  lequel  ils  récitaient  les  strophes  de  la  Jérusalepi  délivrée. 

Après  une  inlroduciion  qui  peint  la  folie  du  Tasse,  et  dans 
laquelle  les  accents  d'un  sombre  désespoir  alternent  avec  de  dia- 
boliques ricanements,  la  plaintive  mélodie  se  déroule  avec  toute 
la  mélancolie  des  lagunes  de  Venise,  où  l'auteur  l'a  recueillie;  et, 
subitement  transformée,  elle  éclate  en  un  court  chant  de  triom- 
phe. Un  éclair  de  raifîon  a  traversé  l'âme  du  Tasse,  qui  pressent 
sa  gloire  future;  puis  sa  mémoire  se  réveille  :  dans  un  long 
crescendo,  il  semble  qu'un  vaste  rideau  se  lève,  et,  aux  sons  d'un 
menuet  d'une  suprême  élégance,  nous  voyons  se  promener  sous 
les  arcades  somptueuses,  dans  les  jardins  enchanlés  de  Ferraie, 
les  beautés  aux  rçgards  de  flamme,  à  la  démarche  princîère,  aux 
riches  vêlements,  dont  les  sourires  ont  troublé  à  jamais  l'âme  du 
poète;  et  la  phrase  des  lagunes  se  déroulant  sous  une  nouvelle 
forme  nous  monire  le  poète  lui-même,  dont  la  tendre  mélancohe 
contraste  de  la  façon  la  plus  qiusicalement  pittoresque  avec  ces 
coquetteries  féminines.  Mais  la  vision  se  trouble,  la  raison  du 
Tasse  s'est  obscurcie  de  nouveau,  le  héros  s'éteint  dans  une  der- 
nière convulsion...  Alors  commence  le  splendide  final;  le 
«  Irionfo  «  succède  au  «  lamente  »  ;  les  trompettes  sonnent,  la 
foule  se  précipite  pour  acclamer  le  génie  qu'elle  avait  méconnu, 
et  la  phrase  plaintive,  métamorphosée  en  chant  de  victoire,  éclate 
avec,  toute  la  puissance  dont  l'orchestre  moderne  est  capable. 
Telle  est,  dans  ses  lignes  principales,  cette  belle  composition  qui 
a  été  exécutée  avec  un  succès  triomphant  aux  concerls  Pasde- 
loup.  Il  n'est  pas  probable  que  le  public  ail  saisi  les  nuances 
poétiques  de  l'œuvre,  qu'aucune  notice  explicative  ne  lui  avait 
indiquées  ;  mais  l'ordonnance  du  morceau  est  si  claire,  les  diffé- 
rentes parties  se  succèdent  par  oppositions  si  savamment  ména- 
gées, lé  charme  des  mélodies  est  si  grand,  que  le  seul  côté  musi- 
cal suffit  au  succès  du  morceau. 


SÉANCE  MUSICALE  DE  FRANZ  SERVAIS 

Enfermé  dans  la  solitude  de  ses  rêves,  l'oreillle  tendue  aux 
harmonies  raffinées  que  lui  dicte  quelque  fée  invisible,  dédai- 
gneux de  la.  popularité  et  des  succès  banals,  respectueux  de  son 
art,  tel  apparaît  Franz  Servais. 

L'an  dernier,  il  fit  entendre  au  Concert  populaire  quelques 
œuvres.  Longtemps  il  avait  fallu  l'en  prier! 


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3  90 


L'ART  MODERNE 


Pour  la  deuxième  fois,  maivli,  au  Cercle,  il  est  sorli  de  son. 
isolcmciiL  El  le  public  a  été  sous  le  charme,  d'une  inspiration 
élevùo,  servie  par  une  technique  sc^ricus;. 

Le  programme  portail  :  le  Quatuor  de  Joseph  Servais  pour 
inslrumenls  îi  cordes,  hommage  du  frère  au  frère  mort.  Excellem- 
menl  joué  par  des  ariististes  de  choix  :  WM.  Colyns,  Van  Slyvoort, 
Isaye  el  Jacobs,  l'œuvre  a  superbement  ouvert  le  concert.  Le 
ihème  de  VAdagiOj  surtout,  a  fait  impression, évoquant,  en  même 
temps  que  la  si  douce  figure  de  l'ami,  l'archet  merveilleux  qui 
réjouit  les  âmes,  tant  d'hivers,  à  Bruxelles. 

Venaient  ensuite  les  Conteinplalions^  poème  d'amour  en  six 
chants,  composé  par  Franz  Servais  lorsqu'il  était  k  Rome,  à 
I  école  de  Liszt.  L'auteur,  au  piano,  M.  Engel  et  M'"«  Cornélis- 
Servais,  tantôt  unissant  leurs  voix,  tantôt  chantant  seuls,  ont 
donné  de  celte  très  belle  œuvre  une  remarquable  inlerprétalion. 
Le  quatrième  chant,  dit  par  le  ténor  : 

Laissez,  laissez  brûler  pour  vous,  ô  vous  que  j'aime  ! 

Mes  chants  dans  mon  âme  allumés  ! 
Vivez  pour  la  nature,  et  le  ciel,  et  moi-même  ! 

Après  avoir  souffert,  aimez  ! 

et  le  cinquième  l'emportent  par  l'élévalion  et  le  charme  delà 
pensée. 

Des  deux  Chansons  de  Mignonne  (poésie  d'Armand  Silveslre) 
placées  au  seuil  de  la  seconde  partie,  la  première  surtout  est 
d'une  exquise  fraîcheur. 

Peut-être  de  toutes  ces  compositions  charmantes,  les  plus 
exquises  sout-elles  les  deux  petites  pièces  écrites  sur  des  poésies 
de  Georges  Khnopff:  Ophélie ci V Oiseau  chanteur, dam  lesquelles 
le  musicien  a  su  trouver  l'exacte  translation  en  langue  musicale 
du  sens  pénétrant  el  symbolique  des  poèmes. 

Ci  C Oiseau  chanteur j  un  bijou  :  V 

.  .  Mai  dans  les  bois  et  les  plaines 
Redit  les  chants  d'espoir  : 

Aimez  !  Aimez  !  .. 

Viens,  dans  les  yeux  des  fontaines 

'  ^.  ...  '■       "    ,  Sourit  l'adieu  du  soir. • 

Aimez  !  Aimez  ! 

Viens,  que  les  fleurs  te  soient  douces,  . 

_^        Les  fleurs  comme  des  pleurs, 

Les  fleurs,  les  fleurs. 
Las  !  vielis  aimer  dans  les  mousses, 
Les  fleurs,  les  tristes  fleurs, 
Les  pleurs,  les  pleurs. 

Oh  !  soir,  veillez  en  silence 
Devant  ce  lourd  ciel  d*or, 

Veillez,  veillez  ! 
Soir,  écartez  de  la  Lance 
Les  anges  de  la  mort.  - 

,  Veillez,  veillez  ! 

Deux  chants  lyriques  sur  des  poésies  d'Armand  Silveslre, 
chantés  par  M.  Engel,  el  dans  lesquels  on  a  parliculièrement 
apprécié  une  partie  du  Nocturne,  enfin  un  chœur  .pour  voix  de 
femme  (poésie  d'Alfred  de  Musset)  assez  médiocrement  exécuté, 
ont  clôturé  cette  intéressante  séance,  qui  était  bien  nécessaire 
pour  chasser  les  souvenirs  houssayens  dont  la  salle  du  Cercle 
garde  l'obsession.  - 


pETITE    CHROJ^IQUE 

Dans  leur  dernière  assemblée  mensuelle,  les  XX  ont  choisi, 
pour  remplacer  M.  Charles  Goclhals,  décédé,  M.  Henri  Degroux. 

M.  Degroux  est  le  fils  de  feu  Charles  Degroux.  Il  à  débuté  par 
les  expositions  de  VEssor,  L'an  passé,  une  assez  vaste  composi- 


tion intitulée  :  le  Pèlerinage  de  Sninl-Colomhan  lut  vivement 
disculée.  Dans  ses  plus  récentes  productions-,  le  jeune  artiste  a 
fait  preuve  de  tant  d'aptitudes  artistiques  que  les  XX  lui  ont 
offert  d'entrer  dans  leur  Association. 

M.  Degroux  a  accepté  en  ces  termes  : 

«  Je  suis  très  flatté  qu'il  ail  été  question  de  moi  aux  XX,  et 
très  honoré  des  suffrages  qu'ils  m'accordent  en  m'offrant  parmi 
eux  la  place  laissée  vacante  par  le  regre.té  Charles  Goelhals. 
Quoique  cette  réelle  aubaine  me  bouleverse  un  peu  dans  la  déter- 
mination que  je  voulais  prendre  de  ne  plus  exposer  désormais  et 
de  ne  travailler  que  pour  ma  satisfaction  personnelle,  veuillez,  je 
vous  prie.  Monsieur  M...,  en  remerciant  les  XX  pour  moi,  leur 
dire  combien  je  prends  à  cœur  l'honneur  qu'ils  me  font  et  que, 
surmontant  celle  détermination,  je  serai  avec  plaisir  très  sincère- 
ment des  leurs.  »  - 

Deux  places  restent  vacantes.  MM.  James  Me  Neill  \Yhistler, 
peinj^re  à  Londres,  et  Auguste  Rodin,  sculpteur  h  Paris,  ayant 
témoigné  le  désir  de  faire  partie  du  groupe  des  XX,  il  a  été  pro- 
cédé à  un  vote  sur  ces  candidatures. Mais  par  10  voix  contre?,  les 
membres  de  l'Association  ont  décidé  qu'il  y  avait  lieu  de  laisser 
actuellement  les  deux  places  sans  titulaires,  afin  de  les  réserver  à 
de  jeunes  artistes  belges  dont  le  mérite  se  révélerait  quelque 
jour.  ' 

On  prête  au  directeur  du  Conservatoire  de  Bruxelles  l'inten- 
tion de  donner  prochainement  un  concert  dont  le  programme 
serait  exclusivement  composé  d'œuvrcs  de  compositeurs  titrés. 
On  V  entendrait  une  ouverture  du  chevalier  Gluck,  un  concerto 
pour  violon  (inédit),  du  prince  de  Caramàn-Chimay,  un  mottct  k 
quatre  voix  du  chevalier  Van  Elewyck,  la  célèbre  romance-: 
Si  vous  n'avez  rien  à  me  diîv,de  M"^«  la  baronne  de  Rothschild, 
chantée  par  .M™*' la  comtesse  Moriani  de  Corwaïa,  et  accompagnée 
sur  le  clavecin  par  M™«  la  comtesse  Wanda  Van  der  Mêler. 

M.  le  duc  de  Campo-Selice  aurait,  assure-t-on,  consenti,  pour 
.  celte  fois,  à  se  faire  entendre  de  nouveau  en  public.  Il  viendrait 
chanter  des  mélodies  du  prince  Woronzoff  et  du  comte  Michel 
Wielhorsky. 

Enfin,  il  y  aurait  une  première  à  sensaiiou.  M.  Gevaert  aurait, 
dit-on,-retrouvé  récemment  en  Allemagne  la  partition  manuscrite 
du  Naufrage  de  la  Méduse,  par  le  comte  Frédéric  do  Flotlow, 
qu'on  croyait  avoir  été  détruite  dans  l'incendie  du  théâtre  de  Ham- 
bourg. Il  aurait  écrit  pour  cette  œuvre  des  récitatifs,  il  en  aurait 
revu  et  corrigé  l'instrumentation,  y  aurait  même  ajouté  un  rôle 
de  ténor,  et  se  proposerait  d'en  faire  exécuter  d'importants  frag- 
ments au  concert  en  question. 

Des  invitations  spéciales  seraient  lancées  à  celte  occasion  dans 
le  corps  diplomatique,  dans  la  vieille  noblesse  bruxelloise  el 
même  dans  le  faul^Qurg  Saint-Germain.  .  ■'. 

En  annonçant  la  vente  des  tableaux  de  Panlazis  qui  a  eu  lieu 
celle  Semaine  k  la  salle  Fiévez,  un  journal  bruxellois  dit  :  «  11  est 
mort  l'an  dernier;  on  se  souvient  de  l'exposition  de  ses  œuvres 
qu'on  fil,  alors,  à  la  hâte,  cl  qui  révélait  tout  à  coup,  aux  indiffé- 
rents, des  qualités  d'artisle  très  fines  et  1res  rares.  Depuis,  l'oubli 
a  commencé...  ». 

Le  renseignement  est  exact,  à  cela  près  qu'il  y  aura  trois  ans, 
le  mois  prochain,  qu'on  a  porté  en  terre  le  pauvre  Pantaîiis,  cl 
que  jamais  il  n'a  été  fait  d'exposition  de  ses  œuvres. 

Panlazis  élail  l'un  des  fondateurs  de  l'association  des  XX,  Il 
,  mourut  h  la  veille  de  leur  première  exposition  el  son  envoi  — six 


■«■ 


MHk 


l'aut  moderne 


391 


lableatix  —  figura,  cnclcUilIé  d'un  crêpe,  à  celte  première  bagarre, 
r/csl  là  sans  doute  ce  qui  a  induit  en  erreur  noire  confrère. 

On  vendit  clirîz  Arsène  Jansscns  un  stock  d'dtudes  el  de  tableaux 
trouvés  dans  son  atelier,  el  les  enchères  ne  montèrcnl  pas  bien 
haut.  Les  amis  se  partagèrent  ces  douloureux  souvenirs. 

A  la  vente  de  mercredi  il  y  eut  un  peu  plus  d'empressement, 
quoique  sur  les  soixanie-douz?  toiles  exposées  en  vente  il  n'y  en 
eût  réellement  que  quelques-unes  de  valeur. 

On  a' adjugé  380  francs  une  Nature  morte,  250  un  Effet  de 
neige  à  Anseremme,\^{i  un  Verger,  210  une  Rue  d'A  nseremme, 
125  un  Effet  de  neige  à  Caluiptlwul,MO  un  Printemps  à  Anse- 
remme,  180  le  Violoniste,  d50  la  Main  à  la  pâte,  etc. 

On  pouvait,  à  la  même  vente,  se  monter  toute  une  galerie  de 
peintres  connus  et  dans  !e5  prix  doux.  Un  Artan  a  été  vpndu 
290  francs,  un  Courtens  120,  un  très  ancien  Verwéc  250,  un 
lableau  de  M.  Emile  Lcclcrcq  45. 

La  deuxième  séance  de  musique  de  chambre  pour  instruments 
à, vent  el  piano,  organisée  par  MM.  les  professeurs  du  Conserva- 
toire, aura  lieu  le  dimanche  12  décembre,  à  2  heures  de  relevée. 
Celle  séance  sera  dos  plus  intéressante  ;  on  y  entendra  l'otello 
en  ut  mineur  de  Mozart,  elun  rondino  de  Beethoven. 

M"»''  Ida  Cornélis-Servais  chantera  des  mélodies  du  xviii^  siècle 
el  l'air  d'Hippolyte  el  Aride  de  Rameau,  avec  accompagnement 
de  viole,  flûte,  viole  de  gambe  et  clavecin.  MM.  De  Greef,  Lermi- 
niaux,  Van  Siyvoori,  Agniez,  Ed.  Jacobs,  Heindrickx  et  Chevalier 
interpréteront  le  septuor  de  Sainl-Saëns. 

Répéiition  générale,  samedi  11  décembre,  à  3  heures  de 
raprcs-midi.  , 

Pour  les  abonnements  el  les  billets,  s'adresser  à  M.  Florent, 
aile  droite  du  Conservatoire.  -  - 


Du  Petit  bulletin  que  publie  M.  Lamoureux  :  «  On  nous 
demande  de  différents  côtés  si  l'on  peut  dès  à  présent  se  faire 
inscrire  pour  les  représentations  théâtrales  ûê  Lohengrin, 
formeront  celle  année  l'épilogue  de  notre  saison  de  concerts. 
Nous  répondons  affirmativement,  en  ajoutant  qu'un  grand  nombre 
de  lettres,  écrites  à  ce  sujet,  sont  déjà  parvenues  au  s!ège  de 
notre  administration,  où  elles  ont  été  recueillies  cl  classées  avec 
soin.  Sans  que  nous  puissions  leur  donner  une  garantie  positive, 
les  signataires  de  ces  demandes  peuvent  être  convaincus  que  nous 
avons  à  cœur  de  leur  donner  satisfaction  dans  la  mesure  du  possi- 
ble. On  comprendra,  toutefois,  que  nous  accordions  un  droit  de 
préférence  aux  abonnés  de  nos  concerts.  Le  soutien  qu'ils  nous 
prélent  depuis  six  ans,  en  s'associant  pour  ainsi  dire  à  nos 
efforts,  nous  fiiil  un  devoir  de  leur  réserver  éêlte  situation  privi- 
légiée ». 


lîn  grand  concerl  de  symphonie  sera  donné,  le  samedi  11  dé- 
cembre, à  8  heures  du  soir,  par  la  Grande-Harmonie,  à  l'occa- 
sion du  75"  anniversaire  de  sa  fondation. 


Le  baryton  Henri  Hcuschling,  dont  nous  annoncions  le  mariage 
en  mai  dernier,  vient  d'avoir  la  douleur  de  perdre  sa  jeune 
femme,  décédée  à  Arras  des  suites  d'un  accident. 

L'Essor  qui  a  célébré,  il  y  a  quelques  mois,  le  dixième  anni- 
versaire ([le  sa  fondation,  veut  inaugurer  son  second  décennal  en 
travaillant  à  rcxtension  de  son  programme.  Il  a  dressé  le  plan 
d'organisation  d'une  Caisse  destinée  à  couvrir  les  frais  d'exécu- 
tion d'œuvres  d'art  appliqué,  d'œuvres  décoratives.  - 


Celle  Caisse,  indépendante  de  celle  de  lEssor,  s'appellera 
Caisse  d*arl  appliqué.  Elle  est  fondée  pour  favoriser  la  production 
d'œuvres  particulières  dans  toutes  les  applications  possibles  des 
arts  plastiques,  notamment  dans  la  décoration  des  rues  cl  des 
monuments. 

Dans  ce  dernier  cas  el  à  l'effet  de  faciliter  à  tous  la  libre  jouis- 
sance de  6és  ouvrages,'  la  propriété  en  sera  offerte  aux  autorités 
publiques.  ' 

Les  primes,  calculées  d'après  les  frais  matériels  indispensables, 
seront  réparties  par  la  voie  de  concours  publics  jugés  par  un  jury 
mixte  composé,  moitié  de  membres  de  V Essor  el  moitié  d'ar- 
tistes étrangers  au  Cercle. 

Pour  alimenter  celte  Caisse,  le  Cercle  organisera  des  fêles  el 
des  expositions  spéciales  dont  le  produit  sera  affecté  eiclusive- 
ment  à  cet  objet. 

LEssor  espère,  par  ces  conditions  désintéressées,  répandre 
le  goût  des  arts,  iaire  naître  et  croître  le  besoin  du  beau.  Il  espère 
aussi  aider  dans  la  mesure  de  ses  f  jrces  les  artistes  désireux  de 
se  produire  dans  les  manifestations  d'un  art  plus  étendu. 

(Communiqué). 

M.  R.  Birtram  vient  de  publier  le  catalogue  des  ouvrages  de 
musique  qu'il  édile.  Pour  être  la  plus  récente  dos  maisons  d'édi- 
lion  de  Bruxelles,  la  maison  Berlram  ne  s'est  pas  moins  fait  con- 
naître déjà  par  un  grand  nombre  de  publications.  Le  catalogue 
comprend  plus  de  douze  cents  numéros,  parmi  lesquels  il  en  est 
un  grand  nombre  conccrrnant  des  compositeurs  belges  :  L.  Jourel, 
Ch.  Miry,  A.  Woulers,  A.  Ermel,  Ed.  Grogoir,  le  prince  de  Clii- 
mav,  A.  Samuel,  etc.  .^ 

On  nous  écrii  de  Berlin  que  le  pianiste  Franz  Rummel  s'est 
fait  entendre  avec  grand  succès  dans  cette  ville.  11  vient  de 
donner  deux  concerts  de  musique  de  chambre  dans  lesquels  il  a 

^culé,  au  premier,  \c  Septuor  de  Hummcl  el  un  Quintette  de 
islein  pour  piano  et  instruments  à  vent;  au  second,  le 
Quititette  op.  31  de  Taub;Tl,  la  Sonate  op.  69  de  Beethoven- 
pour  piano  el  violoncelle  el  \c  Quintette  de  Schumann. 

Dans  une  séance  consacrée  aux  Nouveau  tés  musicales  el  dirigée 
par  M.Meyder,  rartiste  a  joué  le  concerto  pour  piano  et  orchestre 
de  Gricg  et  la  Fantaisie  hongroise  de  Liszt. 

M.  Rummel  est  classé  désormais  parmi  les  plus  grands  vir- 
tuoses de  l'époque. 

VILLE    DE    LOUVAIN 


AVIS    AU    I^UBI^IO 

La  ptece  de  Directeur  de  l'Académie  des  Beaux-Arts  de  Louvain 
(peinture,  sculpture,  architecture),  est  vacante. 

Les  artistes  qfii  désirent  postuler  cette  direction  sont  priés  de  faire 
parvenir  à  l'Administration  communale,  avant  le  15  décembre,  leurs 
demandes  avec  pièces  â  l'appui. 

Traitement  :  4000  francs. 

Obligation  pour  le  Directeur  do  se  fixer,  avec  sa  famille,  à  Louvain 
et  d'y  ouvrir  un  atelier. 


MAONIFIQUE  TABLEAU  DE  RAPHAËL 

(AUTHENTIQUE)  ' 

S'adresser  à  M.  Roullier,  juge,  à  Hyères  (Var). 


^> 


LA  REVUE  INDÉPENDANTE 

DE  LITTÉRATURE  ET  D'ART 
Paraissant  le  \^^  de  chaque  mois  en  une  brochure  de  i28  à  180  pages  in-18 

Directeur  :  Edouard  DUJARDIN.  —  Rédacteur  en  chef  :  Félix  FÉNÉON 


Chaque  numéro  contiendra  : 

Une  chronique  artistique,  par  J.  K.  Huysmans  ;  une  chronique 
théâtrale,  par  Stéphane  Mallarmé;  une  chronique  musicale,  par 
Henry  Céard  ;  une  chronique  parisienne  ;  une  chronique  étrangère; 
l'analyse  des  livres,  par  Teodor  de  Wyzewa  ;  des  vers;  une  étude 
critique  ou  théorique,  par  Teodor  de  Wyzewa;  une  nouvelle,  étude, 
conte  ou  poème  en  prose  ;  des  traductions  de  chefs-d'œuvre  étrangers 
contemporains  ;  un  roman  nouveau. 

LA  REVUE  NE  PUBLIERA  QUE  DES  ARTICLES  ABSOLUMENT  INÉDITS 


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moderne,  tels  que  :  Léon  Cladel,  Félix  Pyat,  Glovis  Hugues,  Hector 
France,  Edmond  Picard,  Champfleury,  Catulle  Mendès,  Mm»  Ed. 
Adam,  Paul  Alexis,  Mdurice  Talmeyr,  Alexis  Bouvier,  Emmanuel 
Gonzalès,  Paul  Bonnetain,  René  Maizeroy,  Baron  de  Wogan, 
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progressivement  à  toutes  les  branches  des  connaissances  humaines  et 
répondant  à  tous  les  goûts  :  c'est  de  quoi  tenter  le  lecteur  le  plus 
difficile. 

Aussi  espérons-nous  qu'après  un  coup  d'œil  donné  à  notre  cata- 
logue, le  public  intelligent  voudra  posséder  au  moins  l'un  de  nos 
volumes  et  donner  ainsi  sou  appui  à  l'œuvre  la  plus  écojiomique,  de 
progrès  intellectuel  qui  ait  été  tentée  jusqu'à  ce  jour. 

NOTA.  —  Notre  catalogue  étant  destiné  à  s'augmenter  sans 
cesse  d'œuvres  nouvelles,  nous  inscrirons  toute  personne  qui  en  fera 
la  demande  pour  l'envoi  des  catalogues  nouveaux: 


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Vaisseau  fantôme),  fr.  4-70.  —  N"  7.  La  mort  d'Yseult  (Tristan  et 
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accompagnement  de  piano,  fr.  2  00.  —  Op.  45.  Le  Désir,  morceau 
de  salon,  pour  violon  avec  accompagnement  de  piano,  fr.  1-75.  — 
Op.  46.  Rêverie,  pour  violon  avec  accompagnement  de  piano,  fr.  1-75. 

HERRMANN,  Th.  Op.  28.  Marion- Gavotte,  pour  violon  avec 
accompagnement  de  piano,  fr.  1-35. 


PIANOS 


BRUXELLES 
rue  Thérésienne,  6 


GUNTHER 


VENTE 

ÉCHANGE 

LOCATION 

Paris  1867, 1878,  l*""  prix.  —  Sidney,  seul  !«'  et  2«  prix 

EXPOSITIONS  AlSnROAl  1883.  ÂlifERS  1885  OIPLOIE  D'HORREUR. 


Bruxelles.  —  Imp.  ^élix  CàDewàert  père.  —  V*  Monnom  successeur,  rué  de  TlndùBtrie,  26. 


,''1 


Sixième  année.  —  N°  50. 


~  Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  12  Décembre  1886. 


L'ART 


MODERNE 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,   un   an,   fr.  .10.00  ;  Union  postale,   fr.    13,00.    —  ANNONCES   :    On  traite   à  forfait. 


'  }  Adresser  les  demandes  à! ahonnement  et  toutes  les  communications  à  ,       , 

L  administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  28,  Bruxelles. 


? 


0  MM  AIRE 


Théâtre  pour  lecture  a  haute  voix,  —  La  traduction  des 
CEUVRES  de  Schelley,  par  F.  Rabbe;  Don  Juan  cC Armanaj  par 
Armand  Hayein  ;  Le  Jardin  des  Racines  noires,  par  Ernest 
Praroud;  Dix  compositions  à  Veau-forte  pour  illustrer  Les  Fleurs 
du  Mal,  par  Alex.  Hanuoteau.  —  Notes  de  musique.  Premier 
concert  populaire.  —  A  Bruges.  —  L'Art  a  travers  les  jour- 
naux. Le  livet  d'opéra  jugé  par  Geffroy  de  «  la  Justice.  — 
Théâtre  de  la,  bourse.  —  Petite  chronique. 


THEATRE  POUR  LECTURE  A  HAUTE  VOIX 

A  Messieurs  0.  M.  et  E.  V. 

Vous  m'avez  demandé,  mes  chers  amis,  après  bien 
d'autres,  le  fond  de  ma  pensée  au  sujet  de  ma  dernière 
œuvre,  le  Juré,  que  je  colporte,  dans  les  Cercles,  à 
droite,  à  gauche,  la  lisant  et  la  mimant  du  mieux  que 
je  peux. 

Cette  question  on  me  l'a  faite  souvent  et  on  la  pose 
comme  une  énigme  dans  les  comptes-rendus  dont  on 
m'honore. 

Je  vous  réponds  tout  de  suite  en  trois  mots  :  Pure 
préoccupation  artistique.  Mais  j'ajoute  :  Avec  quelque 
nouveauté. 

En  avez-vous  assez  des  Conférences,  ce  genre  bâtard 
de  la  leçon  et  du  discours,  où  l'orateur  disserte  sur  un 
sujet  le  plus  souvent  dogmatique,  parlant  un  article 
.de  revue?  ^■■■' '""■  ■  '■'  •'■''"'"'  '■' 

En  avez-vous  assez  du  Monologue,  passé  à  l'état  de 
persécution  mondaine,  scénette  puérile,  chansonnette 


récitée,  d'une  monotonie  de  procédé  agaçante,  à  la 
portée  des  petits  jeunes  gens  impuissants  à  se  produire 
autrement?    ■  :,^.„/,;..',.-^.  .',■    ....•...;.;■:;.,,■  -r, -■■;.,: ■^: ■>■„:. ;..^•■ 

En  avez-vous  assez  de  la  Lecmre  par  laquelle  un 
auteur  vous  révèle,  en  un  débit  fort  terne  et  dans  - 
l'immobilité  de  la  posture  assise,  ce  que  vous  pourriez 
mieux  déguster  vous-même  au  coin  du  feu  ? 


En  avez-vous  assez  ?  Oui,  n'est-ce  pas,  depuis  le  temps 
que  cela  dure,  les  lecteurs,  monologuistes,  conféren- 
ciers diminuant  en  qualité  s'ils  augmentent  en  nombre 
et  la  curiosité  du  public  s'émoussant. 

Et  pourtant  l'universalité  du  phénomène  ne  vous 
a-t-elle  pas  donné  à  penser  qu'il  correspondait  à  un 
besoin  et  qae  cette  façon  d'entretenir  le  public  à  haute 
voix,  dans  des  lieux  qui  ne  sont  pas  le  théâtre,  moins 
pour  l'instruire  que  pour  tenter  de  le  charmer  artisti- 
quement, pourrait,  mieux  comprise  et  mieux  réalisée, 
aboutir  à  un  genre  moins  uniforme  et  plus  distractif? 

D'autre  part,  avez-vous  réfléchi  aux  difficultés  énor- 
mes de  faire  arriver  une  œuvre  dramatique  à  la 
représentation,  le  capital  qu'on  expose,  l'incertitude 
du  résultat,  dételle  sorte  qu'on  ne  saurait  dire  s'il  est 
plus  aisé  de  la  créer  que  de  la  jouer?  D'où  une  stérilité 
désolante  pour  une  des  formes  les  plus  attachantes  de 
la  Littérature,  en  Belgique  surtout  où  avoir  une  pièce 
sur  l'affiche  est  une  bonne  fortune  exceptionnelle,  et 
une  pièce  qui  réussit,  un  prodige.    : 

N'avez-vous  jamais  eu  la  pensée  qu'on  pourrait  com- 
biner ces  éléments  en  apparence  disparates  et  en  faire 
un  mélange  (jui  nous  sauverait  peut-être  de  l'ennui  des 


Conférences  en  même  temps  qu*il  délivrerait  la  littéra- . 
ture  dramatique  des  entraves  qui  la  paralysent?    . . 

Ce  sont  quelques  considérations  là  dessus  que  je  veux 
succincteipent  vous  exposer  ;  le  procédé  et  le  but  sont 
indiqués  dans  le  titre  de  cette  lettre  :  Théâtre  pour 

LECTURE  A  HAUTE  VOIX. 

Quand  on  lit  la  première  partie  du  i^aw5^  de  Goethe, 
on  est  frappé  à  la  fois  du  puissant  intérêt  dramatique 
de  l'œuvre  et  de  l'impossibilité  de  la  mettre  au  théâtre. 
Des  épisodes  multipliés,  souvent  très  courts,  des  descrip- 
tions prolongées  mises  dans  la  bouche  des  personnages 
pour  suppléer  au  décor  absent.  On  se  figure  vivement 
les  lieux,  on  sent  que  l'action  indiquée  par  le  dialogue 
y  serait  très  belle,  mais  pour  en  faire  une  représentation 
sur  la  scène,  il  faudrait  des  remaniements  considé- 
rables. 

Les  pièces  de  Shakespeare  laissent  une  impression 
analogue  et  ceux  qui  ont  essayé  de  les  jouer  telles  quelles 
de  notre  temps,  ont  mal  réussi;  d'excellents  critiques 
déclarèrent  même,  après  l'épreuve,  qu'elles  n'étaient 
pas  faites  pour  le  théâtre  contemporain.  Là  aussi 
des  épisodes  variant  incessamment,  et  des  descriptions 
parlées  fréquentes.  On  sait  désormais  que  lès  décors 
n'existaient  pas  au  tempsdu  grand  tragique,  ou  qu'ils 
étaient  rudimentaires.  On  sait  aussi  que  la  scène  et 
la  salle  étaient  disposées  comme  celles  où  ont  lieu  nos 
conférences  modernes. 

Assurément,  voilà  des  observations  qui  rendent 
perplexes  et  ne  tendent  à  rien  moins  qu'à  dire  que  des 
chefs-d'œuvre  d'art  dramatique,  incomparablement 
au  dessus  de  tout  ce  qu'on  représente  aujourd'hui,  sont 
désormais  injouables  ou  apparaîtront  inférieurs  dès 
qu'on  les  jouera. 

Je  m'y  résigne  difficilement. 

C'est  la  question  des  décors,  des  changements  et  de 
la  figuration  qui  cause  surtout  l'embarras.  Notre  public 
n'admettrait  pas  des  transformations  si  répétées  et  nos 
machinistes  non  plus.  Ces  derniers  sont  pourtant  infi- 
niment plus  habiles  et  ont  à  leur  disposition  des  moyens 
d'action  insoupçonnés  au  temps  d'Elisabeth.  Singu- 
lières contradictions!  Qu'y  a-t-il  donc  là  dedans  qui 
nous  empêche  d'interpréter  et  surtout  de  goûter  ces 
œuvres,  admirables  tout  le  monde  l'admet,  qu'exécu- 
taient les  ancêtres  en  manière  telle  qu'ils  excitaient 
l'enthousiasme? 

Faut-il  admettre  qu'on  était  plus  facile  à  con- 
tenter? Faible  raison,  car  les  représentations  avaient 
lieu  devant  une  cour  raffinée  et  fastueuse.  De  plus,  les 
pièces  du  grand  Will  étaient  comprises,  admirées  sans 
réserve  :  or,  cela  n'eût  pas  été  possible  avec  une  mise 
en  scène  qui  eût  été  nécessaire  et  qu'on  eût  absolument 
négligée.  ^ 

L'explication  n'est-elle  pas  ailleurs?  Ne  convient-il 
pas  de  se  demander  si,  dans  la  conception  Shakespea- 


rienne, le  décor  matériel,  impossible  à  réaliser  alors, 
n'était  pas  un  accessoire  inutile?  Pourie  grand  poète, 
comme  pour  tout  son  temps,  la  règle  n'était-elle  pas  de 
le  faire  surgir  vivement  dans  l'imagination  des  specta- 
teurs au  moyen  de  ces  descriptions  à  grandes  touches, 
souvent  violentes,  qui  nous  choquent  quelque  peu  dans 
le  dialogue  des  personnages  en  scène? 
,  Cette  observation  a  une  grande  portée.  Elle  explique 
ces  deux  choses  obscures  :  la  multiplicité  des  change- 
ments de  lieux  et  les  tirades  descriptives.  Elle  est  aussi 
d'accord  avec  l'idée  qu'on  se  fait  de  l'art  du  décorateur 
et  du  machiniste  à  cette  époque  primitive,  ainsi  qu'avec 
la  tradition  historique  qui  affirme  que  les  décors 
étaient  plus  que  sommaires.  Elle  fait  évanouir  l'éton- 
nement  de  ceux  qui,  voulant  jouer  actuellement  ces 
drames  puissants ,  n'y  obtiennent  que  des  effets 
médiocres,  parce  qu'ils  ne  réussissent  pas  à  adapter  à 
l'œuvre  des  moyens  matériels  la  suivant  dans  son 
développement  rapide  et  changeant. 

Mais  s'il  en  est  ainsi,  s'il  a  existé  un  genre  de  litté- 
rature dramatique  sans  décors,  y  suppléant  par  des 
artifices  de  style,  comportant  toutefois  le  débit  à 
haute  voix  et  la  mimique,  pourquoi  n'essayerait-on 
pas  de  le  rénover]  ne  fût-ce  que  pour  rendre  Shake- 
-speare  autrement  que  par  la  lecture  des  yeux,  dans 
un  fauteuil?  N'}^  a-t-il  point  parmi  nos  ressources 
contemporaines  ce  qu'il  faut  pour  le  pratiquer?  Et  si, 
allant  au  delà,  on  cherche  à  réaliser  un  art  dramatique 
analogue,  quelles  modifications  seraient  à  introduire 
dans  les  procédés  dont  il  a  laissé  d'immortels  vestiges  ? 

Certes,  on  aurait  peu  de  chance  de  réussir,  en  jouant 
Hamlet  ou  Macbeth  sur  l'estrade  d'une  salle  de  Con- 
férences, avec  autant  d'acteurs  qu'il  y  a  de  personnages 
dans  la  pièce...,  et  sans  décors.  Nous  sommes  si  accou- 
tumés aux  merveilles  de  la  mise  en  scène,  que  nous  ne 
nous  accommoderions  pas  d'une  troupe  entière  évoluant 
dans  le  vide.  ■  ' 

Mais  imaginer  qu'une  seule  personne,  comme  dans 
les  Conférences,  les  Monologues  et  les  Lectures,  tienne 
la  redoutable  estrade.  L'absence  du  décor  ne  choque 
déjà  plus.  Imaginez  que,  déclamant  un  drame,  au  lieu  de 
dire  seulement  :  Le  théâtre  représente  tme  forêt,  —  le 
théâtre  représente  la  Salle  du  trône,  elle  lise,  avant 
de  commencer  le  dialogue,  une  description,  vraiment 
littéraire,  mais  à  l'emporte-pièce,  de,  manière  à  faire 
tableau  dans  l'esprit  des  auditeurs,  avec  une  intensité 
qui  les  transporte  au  lieu  où  il  faut  être.  Imaginez 
qu'alors,  le  livret  à  la  main,  debout,  avec  une  mimique 
sobre  mais  aussi  saisissante  que  possible,  avec  une 
accentuation  pénétrante,  elle  rende  la  scène.  Est-ce 
qu'il  n'y  aura  pas  là  un  genre  littéraire  nouveau, 
masquant  la  banalité  des  Lectures,  des  Monologues  et 
des  Conférences,  sous  l'animation  de  l'action  se  déve- 
loppant dans  le  décor  évoqué  par  l'imagination,  genre 


tenant  à  la  fois  de  l'œuvre  écrite  et  de  l'œuvre  jouée, 
du  Livre  et  du  Théâtre,  évitant  les  inconvénients  du  pre- 
mier qui  sont  surtout  l'apparence  terne,  et  les  incon- 
vénients du  second,  qui  sont  la  complication  des  moyens 
et  la  dépense,  utilisant,  en  lui  donnant  une  expression 
inattendue,  ce  besoin  d'entendre  parler  autrui,  repre- 
nant la  tradition  de  Shakespeare,  mais  l'adaptant  à 
notre  époque? 

Je  précise,  car  la  chose  en  vaut  la  peine. 

Un  auteur  veut  écrire  pour  le  théâtre.  Il  hésite,  car 
sera-t-il  jamais  représenté?  Pourtant  le  sujet  tel  qu'il 
le  conçoit  s'accommode  mal  du  roman.  Mieux  que  cela  : 
son  tempérament  est  celui  d'un  dramaturge.  Faire  sa 
pièce  quand  même?  Que  vaut  une  pièce  non  jouée? 
Courte  par  essence,  nécessairement  composée  de  mots 
expressifs,  de  phrases  brèves,  d'intentions,  de  sous- 
entendus  à  exprimer  par  le  jeu  des  acteurs,  elle  risque 
d'apparaître  comme  une  chose  morte  et  de  rester  incom- 
prise. Pour  citer  une  fois  de  plus  Shakespeare,  n'est-ce 
pas  le  sort  que  lui  font,  en  ce  siècle,  beaucoup  de 
ceux  qui  le  lisent  :  très  beau  sans  doute,  mais  hors  de 
notre  portée?  Ecrire  dans  ces  conditions  n'est  guère 
tentant.  Aussi  le  fait-on  peu,  et  chez  nous  ne  le  fait-on 
pas  du  tout.  Qui  doutera  pourtant  que  parmi  tant 
d'écrivains  qui  éclosent  en  Belgique,  il  y  ait  des  tempé- 
raments pour  le  théâtre? 

Mais  qu'un  artiste  se  dise  :  **  Ne  pensons  plus  à  la 
scène,  proprement  dite,  avec  loges,  banquettes,  rampe, 
directeur,  décors,  machinistes,  actrices  et  acteurs.  Ce 
sont  là  de  bons  instruments,  mais  on  peut  s'en  passer. 
Je  vais  écrire  ma  pièce  pour  qu'elle  soit  lue,  à  haute 
voix,  devant  un  public'  comme  celui  qui  va  aux  Confé- 
rences, Les  décors,  je  les  remplacerai  par  des  descrip- 
tions qu'il  faudra  faire  aussi  évocatives  que  possible, 
qui  ne  seront  pas  des  hors-d'œuvre,  mais  des  morceaux 
de  style  se  rattachant  intimement  à  l'ensemble.  Pas  de 
troupe  :  ce  sera  le  rôle  du  lecteur  de  varier  juste  assez 
le  ton,  l'accentuation,  et  de  mimer  autant  qu'il  le  fau- 
dra pour  donner  l'illusion  du  jeu.  Pas  s'asseoir,  pas  se 
masquer  à  moitié  derrière  une  table  :  debout,  le 
manuscrit  à  la  main,  la  face  bien  visible,  le  geste 
modéré,  un  va-et-vient  circonscrit,  rien  d'excessif,  mais 
une  action  constante  et  concentrée.  L'œuvre  sera  divi- 
sée en  actes  et  en  scènes,  comme  une  vraie  pièce;  les 
épisodes  pourront  être  aussi  sommaires  et  aussi  multi- 
pliés que  le  sujet  le  comportera,  puisque  tout  ce  qui  est 
matériel  est  remplacé  par  la  peinture  des  mots.  La  lon- 
gueur sera  celle  des  drames,  des  comédies,  et  la  lecture 
aura  la  durée  d'une  représentation,  moins  les  entractes 
remplacés  par  des  pauses,  c'est-à-dire  deux  heures  à 
deux  heures  et  demie  pour  une  pièce  en  quatre  ou  cinq 
actes.  Le  style,  en  effet,  pourra  être  le  style  intensif  et 
sobre  du  théâtre,  puisque  l'accent  et  le  jeu  pourront 
souligner,  éclaircir,  renforcer.  L'ensemble  devra  se 


dérouler  avec  des  liaisons  plus  visibles  et  plus  fréquentes, 
mais  le  mouvement  général,  les  conditions,  le  dialogue, 
devront  être  ceux  d'une  œuvre  dramatique.  Les  scènes 
qui  seraient  muettes  sur  les  planches,  seront  rendues 
par  la  parole  comme  les  lieux.  Il  en  sera  de  même  des 
personnages  :  quelques  traits,  brefs  mais  vigoureux  '». 

Que  l'artiste  se  charge  de  produire  lui-même  ce  qu'il 
aura  ainsi  fait,  quelle  vérité  dans  l'expression  sans 
doute,  et  pour  lui  quelle  jouissance!  Dans  l'art,  la 
période  d'enfantement  est  assurément  une  des  plus  déli- 
cieuses. Combien  pâles,  après  elle,  les  satisfactions  de 
la  publicité  ou  du  succès  !  Mais  communiquer  ce  qu'on 
a  créé,  rendre  tout  ce  qu'on  a  voulu  y  mettre,  dévoiler 
les  secrets  des  moindres  recoins,  à  chaque  nouvelle 
interprétation  mieux  comprendre,  mieux  rendre,  décou- 
vrir quelque  effet  d'abord  inaperçu,  avoir  la  joie  d'un 
imprévu  constant,  éprouver  le  sentiment  que  les  liens 
avec  l'auditoire  se  serrent  et  que  la  pensée  pénètre 
davantage,  quelle  joie,  quelle  ivresse,  quelle  récom- 
pense! Et  quelle  source  féconde  aussi  de  corrections  et 
d'améliorations  pour  l'œuvre,  vue  chaque  fois  plus 
complètement  et  en  meilleure  lumière* 

Encore  une  remarque.  Je  recommandais  récemment, 
ici  même,  le  tirage  à  petit  nombre  des  œuvres  littéraires 
belges.  J'ai  aussi  annoncé  que  je  ne  publierais  le  Juré 
qu'à  cinquante  exemplaires.  Aux  raisons  que  j'ai  alors 
exposées,  il  s'en  ajoute  une  spéciale  pour  ce  dernier, 
tirée  précisément  de  ce  qu'il  est,  dans  ma  pensée  une 
œuvre  à  lire  à  haute  voix  et  non  (Jes  yeux.  Tout  ce  qui 
est  théâtre  perd  beaucoup  à  ne  pas  être  déclamé  et 
mimé.  Ne  vaut-il  pas  mieux  le  conserver  quelque  temps 
à  l'état  de  simple  partition,  de  livret  destiné  unique- 
ment à  l'interprète?  Il  me  semble  qu'oui.  La  curiosité 
en  est  augmentée  et  l'œuvre  mimée  entre  dans  la  mé- 
moire et  dans  la  publicité  avec  un  surcroît  d'intensité. 

Conférences,  Monologues,  Lectures.  On  connaît  les 
mornes  tournées  que  font  chez  nous,  avec  la  complicité 
idiote  des  Cercles,  des  commis-voyageurs  littéraires, 
qui  suivent  un  itinéraire  réglé  à  l'avance,  recevant  la 
prébende  et  le  salaire,  payant  l'hospitalité  qu'on  leur 
dispense,  en  quelques  réclames  dans  un  journal  pari- 
sien, et  lisant  imperturbablement,  d'une  voix  la  plupart 
du  ttHnps  indistincte,  quelques  vieux  articles  cousus 
ensemble,  qu'ils  ne  se  donnent  même  pas  la  peine  de 
varier  à  chaque  localité  nouvelle  inscrite  sur  leur 
carte  de  voyage.  Peut-on  douter  que  si,  à  la  place  de 
ces  simagrées  artistiques  et  de  ces  procédés  démodés, 
nos  écrivains  inauguraient  le  Thé.a.tre  pour  lecture  a 
HAUTE  VOIX  que  je  viens  d'esquisser,  le  Monodrame 
puisqu'on  dit  Monologue,  on  donnerait  à  la  situation 
un  renouveau  dont  elle  a  besoin,  nous  débarrassant 
des  parasites  auxquels  il  est  fait  si  mal  à  propos  bon 
accueil,  et  que  surtout  on  ouvrirait  à  notre  littéra- 
ture dramatique  un  genre  qui  lui  rendrait  la  vie. 


Je  confesse  que  c*est  ce  que  j'ai  tenté  de  faire  en  écri- 
vant le  Juré  et  en  allant  le  lire,  ou  plus  exactement  le 
jouer,  plus  ou  moins  bien,  un  peu  partout  en  Belgique. 

'  "  Edm.  p. 

LA  TRADUCTION  DBS  ŒUVRES  DE  SCHELLEY 

par  F.  Rabbe.  (Nouvelle  librairie  parisienne.) 

En  parlant  de  la  traduction  des  œuvres  de  Schelley,  par  Rabbe, 
George  Moore  écrivait  : 

«  Avant  d'avoir  lu  la  Iraduction  de  M.  Rabbe,  je  ne  m'imaginais 
pas  qu'une  langue  étrangère  pût,  b  ce  degré,  conserver  les  teintes 
et  les  harmonies  aériennes  du  vers  de  Schelley,  de  ce  vers  qui 
n'est  ni  du  feu,  ni  de  l'air,  mais  qui  semble  comme  tissu  de  l'élé- 
ment de  quelque  rêve  divin...  La  puissance  de  la  prose  française 
est  infinie,  il  sem}3le  qu'il  n'est  rien  qu'elle  ne  puisse  rendre.  » 

Appréciation  très  juste  en  ses  diverses  affirmations. et  sur  les 
vers  de  Schelley  et  sur  la  transposition  d'une  langue  dans  une 
autre  et  sur  la  souplesse  de  l'idiome  français  tel  que  l'ont  fait  les 
romantiques,  les  réalistes,  les  parnassiens  et  les  tout  récents  écri- 
vains. 

Dans  le  premier  volume  de  la  traduction,  les  poèmes  seuls 
étaient  consignés  :  on  y  pouvait  étudier  le  Schelley  diaphane, 
nuageux  et  mystique  et  ses  héroïnes  tristes  comme  des  roses 
qui  s'ennuient  et  claires  comme  des  sources  qui  reflètent  de 
l'argent.  Sa  pensée  toute  en  nuances,  en  retour  sur  elle-même,, 
en  recourbements  profonds,  était  rendue  presque  toujours  adé- 
quatement. A  peine  remarqnait-on  parfois  que  la  structure  des 
phrases  de  M.  Rabbe  manquait  d'élasticilé  et  s'appuyait  sur  des 
mots  trop  carrés.  On  eût  préféré  plus  de  mystère  au  risque  de 
rencontrer  ci  et  là  des  coins  de  ténèbres. 

Le  second  volume  qui  vient  de  paraître  contient  les  drames. 
Ici  l'action  et  la  netteté  profitent  au  contraire  de  cette  clarté  tou- 
jours la  même.  Voici  les  Ceiici,  Prométhée  délivré^  Hellas.  Plus 
les  deux  poèmes  :  la  Magicienne  de  V Atlas  et  Adondis  dont  tous 
les  lecteurs  de  Schelley  se  rappellent  le  début  : 

«  Adonaïs...  il  est  mort!  Et  toi.  Heure  triste,  choisie  d'entre 
toutes  les  années  pour  pleurer  notre  perte,  éveille  tes  obscures 
compagnes,  apprends  leur  à  partager  ton  propre  chagrin,  dis 
leur  :  Avec  moi  est  mort  Adonaïs  !  Jusqu'à  ce  que  l'avenir  ose 
oublier  le  passé,  son  destin  et  sa  renomniée  seront  un  écho  et 
une  lumière  dans  l'éternité.  » 

Et  des  le  premier  vers  on  se  sent  en  pleine  Grèce  bien  mieux 
que  dans  n'importe  quel  pièce  de  Chenier  qui,  souvent,  n'a  réussi 
qu'à  mettre  l'antiquité  en  romances  avec  une  jeune  captive. 

M""®  Tolla  Dorian  avait  déjà  traduit  les  trois  drames  de  Schel- 
ley ;  .ffe//fl5,  remarquablement. 

Mais  dans  Cenci^  elle  n'avait  su  mettre  le  vice  casuistique  et 
terrible,  avec  son  âpreté  entière  et  son  cynisme  décoratif.  La 
pièce  mollissait,  perdait  de  sa  perversité  et  de  son  caractère. 

M.  Rabbe  n'a  rien  sacrifié,  et  Béatrice  et  Giacomo  et  Bernardo 
et  leur  père  régnent  dans  sa  traduction  avec  la  même  terreur 
de  volonté  et  de  parole  que  dans  l'original.  Tous  les  types  y 
restent  intacts,  c'est-à-dire  monstrueux,  et  l'on  recueille  en  la 
lisant  une  impression  d'épouvante  froide. 

Voici  les  adieux  de  la  soeur  à  son  frère  au  dernier  acte  : 

<c  Adieu,  mon  tendre  frère!  Pense  à  ton  iribte  sort  avec  dou- 
ceur, comme  en  ce  moment  :  et  que  de  tendres  pensées  de  pitié 


all.é,gent  pour  toi  le  poids  de  ton  chagrin.  Ne.  marche  pas  dans 
l'ûpre  désespoir,  mais  dans  les  larmes  et  la  patience.  Une  chjose 
encore,  mon  enfant.  Pour  l'amour  de  toi-même,  sois  fidèle  à 
l'amour  que  lu  nous  as  voué,  et  à  la  conviction  que,  malgré 
Téirange  nuage  de  crime  et  de  honte  qui  m'a  enveloppée,  j'ai 
toujours  vécu  sainte  et  saris  tache.  Et  dussent  les  langues  mau- 
vaises me  blesser,  dût  notre  commun  nom  être  comme  un  stig- 
mate imprimé  sur  ton  front  innocent,  que  les  hommes  se  mon- 
treront en  passant,  reste  inébranlable  et  ne  conçois  jamais  une 
mauvaise  pensée  contre  ceux  qui  peut  être...  t'aimeront  encore 
dans  leurs  tombeaux!  Puisses  tu  mourir  comme  je  meurs  triom- 
phant de  la  crainte  et  de  la  douleur!  » 

Il  est  intéressant  de  rapprocher  le  drame  de  Schelley  de  la 
Chronique  de  Slendhalsur  le  même  sujet.  Les  qualités  des  deux 
maîtres  s'y  marquent  curieusement. 

Prométhée  délivré,  c'est  l'âme  même  de  Schelley  personnifiée 
et  c'est  peut  être  ce  qui  nous  fait  préférer  ce  drame  énorme  aux 
Cenci  et  à  Hellas.  Ce  dernier,  au  reste,  se  ressent  trop  des 
événements  accidentels  qui  l'ont  produit. 

Don  Juan  d'Armana,  par  Armand  Hayem. 

Nous  avons  rendu  compte  du  Don  Juanisme  de  M.  Hayem, 
voici  quelques  mois,  f)  et  nous  avons  mis  en  saillie  ses 
réflexions  justes,  ses  marques  d'analyse.  Aujourd'hui  M.  Hayem 
donne  une  conclusion  à  sa  dissertation,  un  exemple  à  l'étai  de 
^2Li\iéov\Q  :  Don  Juan  d'Armana. 

C'est  peut-être  le  défaut  du  livre,  de  venir  confirnier  des  idées 
psychologiques.  Ainsi  apparaît-il  sans  flamme  et  sous-  une  cou- 
leur didactique  trop  évidente.  Don  Juan,  tout  passion,  ne  doit 
pas  sortir  du  cerveau,  il  doit  surgir  du  cœur  et  de  la  vie.  Celui  de 
T\L  Hayem  est  un  Don  Juan  délivre,  un  Don  Juan  de  philosophe 
et  de  critique. 

Cela  dit,  en  pleine  sincérité,  constatons  que  le  drame  tient 
solidement  en  équiiibre  ;  qu'il  ouvre  comme  des  avenues  vers  le 
type  merveilleux  du  héros,  nouvelles  et  grandes';  qu'il  est  ingé- 
nieux et  vif. 

Les  personnages  qui  circulent  autour  de  Don  Juan  sont  renou- 
velés. S|;anarelle  est  mort,  voici  Perdigo;  Don  Luiz?  voici  Don 
Alphonse;  Elvire?  voici  Dona  Sahèle,  et  cette  dernière  surtout, 
une  toute  Espagnole,  spécialise  la  nouvelle  version. 

Un  Don  Juan  neuf  apparaît,  quelque  peu  éclectique,  où  chacun 
des  poètes  qui  l'ont  immortalisé  se  retrouvent  par  ci,  parla. 

A  la  scène,  la  pièce  n'aurait  aucune  portée;  à  la  lecture  elle 
fait  mieux  saisir  que  n'importe  quoi  l'insatiable  amoureux 
romantique.  Elle  est  de  bon  style  et  de  nette  dissection  morale. 

Le  Jardin  des  Racines  noires,  par  Ernest  Praroud. 

Le  Jardin  des  Racines  noires.  Joli  titre;  livre  moins  alléchant. 
On  ne  sait  quel  éveil,  de  monde  sorcièresque  et  nocturne  nous 
était  né  dans  l'esprit.  Or,  il  se  fait  que  le  livre  est  avant  tout  un 
recueil  de  philosophie,  mise  en  vers,  par  un  écrivain  de  talent 
certes,  mais  par  un  poète? 

Que  demandes-tu  f  0  mort,  que  réponds-tu  î 
Stériles  questions  1  Du  néant  débattu  *. 

Par  du  néant  dans  le  néant 

Espoir  en  fuite 
D'une  aube  avant  le  jour,  la  vie;  et  tout  de  suite 
Un  noir  plus  noir  que  toute  absence  de  rayons  ,_^ 
La  mort.  -  / 


(*)  V.  ï Art  moderne,  1883,  p.  429. 


^;,  (.;•,  t!;;i;;^?-;^>:i, -^tiïy^-vs'^^-';;  y'tA': 


./i...<.-V3V.',7-:-v^r';TT^::;; 


Quand  donc  scra-l-il  admis  que,  tout  en  s'appuyanl  sur  une 
philosophie,  la  poésie  no  doit  poini  en  donner  la  vision  directe, 
ne  doit  point  n'être  que  discussion  savante  et  n'est  point  créée, 
enfin,  pour  entasser  un  Schopenhauer  sur  un  Hegel  comme  un 
Pelion  sur  un  Ossa. 

Dix  compositions  à  l'eau-forte  pour  illustrer  Les  Fleurs  du  Mal 
de  Charles  Baudelaire,  dessinées  par  Alex.  H  an  note  au.  — 
Bruxelles,  Louis  De  Meuleneere,  éditeur,  15,  rue  du  Chêne. 
mdccclxxxvi. 

A  acheter  par  quiconque  collectionne  tout  ce  qui  paraît  de 
remarquable  relatif  à  l'œuvre  de  Charles  Baudelaire,  qui  occupe 
dans  la  production  littéraire  de  ce  siècle  si  importante,  sinon  la 
première  place  (cette  illusion  de  se^  admirateurs  a  fléchi  depuis 
quelque  temps),  au  moins  une  des  premières,  à  côté  de  Lamar- 
tine, d'Hugo,  de  Vigny,  de  Gautier,  de  Musset,  de  Mallarmé. 

M.  Hannoteau  a  assurément  dans  la  vision  des  souvenirs  un 
peu  trop  marqués  do  Félicien  Rops.  11  est  difficile  d'échapper  à 
l'influence  de  ce  dominateur,  qui  restera  l'une  des  plus  brillantes 
et  certes  la  plus  originale  expression  de  l'eau-forte  en  notre 
temps.  Mais  à  part  cette  critique,  ses  dix  productions  présentent 
de  l'intérêt  et  sont  fort  curieuses.  .  ^ 


;  J^OTE^    DE    MU^iqUE 

Premier   concert   populaire. 

Les  Concerts  populaires  ont  ouvert  la  saison  par  un  concert 
panaché,  mi-classiquo,  mi-romantique.  Au  très  pur  concerto  de 
Beethoven,  correctement  joué  par  l'excellent  violoniste  Thomson, 
ont  succédé  les  éblouissantes  Danses  tziganes  de  Sarasate,  une 
des  Danses  hongroises  de  Brahms  transcrites  par  Joachim,  et 
une  médiocre  Romance  ûa  Rubinstein.  M.  Thomson,  on  le  voit, 
a  été  prodigue  do  ses  coups  d'archet.  Mais  pourquoi  résister  aux 
câlines  arc'.amations  du  public,  qui  ne  peut  manifester  sa  joie 
d'avoir  entendu  qu'en  dcmandanl  à  entendre  davantage? 

L'Ouverture  tragique  de  Brahms,  celte  très  belle  page  de 
musique  sérieuse,  n'a  pas  produit  l'effet  qu'on  en  attendait. 
Question  d'interprétation,  peut-être.  Ou  l'orchestration  un  peu 
sourde  a-t-elle  déçu  l'espoir  de  ceux  qui  avaient  jugé  l'œuvre  au 
piano  et  présageaient  des  sonorités  plus  éclatantes?  La  Suite  dans 
le  style  ancien,  de  Grieg,  tout  au  contraire,  a  pris,  sur  les  ailes 
d'une  instrumentation  légère  et  fine,  réduite  au  seul  quatuor, 
mais  avec  quelle  entente  des  sonorités!  un  essor  merveilleux. 

Le  Tasse,  poème  symphonique  de  Liszt,  a  clôturé  la  séance,  et 
Ta  clôturée  bruyamment.  N'en  déplaise  à  Saint-Saëns,  dont  nous 
avons  reproduit  le  panégyrique  qu'il  a  consacré  au  Tasse,  on  a 
trouvé  la  composition  assez  vide  et  plus  enflée  que  vraiment 
grande.  Le  thème  douloureux  qui  se  transforme,  lors  du  triomphe, 
en  chant  d'apothéose,  est  d'un  bel  effet  :  c'est  la  caractéristique 
du  poème,  et  l'auteur  l'a  mis  en  relief  dans  le  litre  même  de  son 
œuvre.  Mais,  celte  impression  mise  à  part,  on  n'est  guère  entraîné 
par  le  cortège  théâtral  —  tranchons  le  mot,  banal  —  du  poète  de 
Ferrare. 

La  nouvelle  disposition  adoptée  par  M.  Dupont  pour  le  pla- 
cement de  ses  instrumentistes  a  produit  un  résultat  excellent. 

Le  Cercle  arlistiquef  suivant  l'exemple  adopté  pour  quel- 


ques-uns de  ses  concerts  par  ï Association  des  artistes,  consacre, 
une. soirée  entière  à  l'audition  des  œuvres  d'un  même  artiste. 
C'est  là  un  progrès  très  réel  dans  les  programmes  de  ses  séances, 
et  il  mérite  d'être  signalé.  C'est  ainsi  que  la  spmaine  dernière  le 
Cercle  a  fait  connaître  quelques-unes  des  œuvres  de  Franz  Ser- 
vais. Nous  avons  rendu  compte  de  celle  intéressante  audition. 
Jeudi  prochain  on  entendra  un  concert  exclusivement  consacré 
aux  œuvres  do  César  Franck,  un  musicien  trop  peu  connu,  le 
chef  presque  ignoré  de  la  jeune  école  française.  Il  est, question 
aussi  d'organiser  une  soirée  dont  le  programme  ne  se  composerait 
que  d 'œuvres  du  compositeur  russe  César  Cui. 


A    BRUGES 

Nous  étions  dimanche  dernier  à  Bruges,  par  le  premier  jour  de 
noigc  de  l  hiver,  admirable  dans  la  vieille  et  pittoresque  ville,  qu'on 
sauvegarde  enfin  (un  peu  tard  hélas  !)  contre  les  'dévastations 
des  bourgeois  destructeurs  des  façades  h  piguOns  et  amateurs 
des  façades  à  gouttières.  C'est  M.  l'ârchilecle  Delaccnserie  qui  est 
chargé  de  mcllre  ordre  à  ces  goûts  dépravés  et  qui  parvient,  f^etit 
à  petit,  à  donner  à  ses  concitoyens  des  sentiments  artistiques 
moins  sauvages.  Grâce  à  lui,  ce  qui  reste  du  Bruges  d'autrefois 
sera  sauvé,  el  le  Bruges  nouveau  sera  mis  en  accord  avec  ces 
reliefs  sacrés.  Dans  presque  toutes  les  rues  on  voit  déjà  des 
reconstructions  intéressantes,  élevées  avec  le  respect  du  beau 
style  flamand  qu'on  avait  sottement  abandonné  pour  le  pseudo- 
grec cher  au  prince  souverain  des  Pays-Bas.  0  l'architecture  de 
Î81oâ  1830!       '--■   ■-^■-^^■•■:--  .-■■'-■^-^;-■-^•.■^  ■  :    ^  ■■-■-. 

Nous  avons  assisté  à  l'ouverture  de  l'exposition  des  Beaux-Arts, 
organisée  par  le  Cercle  artistique  Brugeois,  sous  la  présidence 
d'honneur  de  M.  le  chevalier  Ruzclle,.  gouverneur  (d'une  affabi- 
lité cordiale  inaltérable),  dans  une  des  salles  des  Halles,  fort 
bien  appropriée  et  éclairée  d'un  jour  favorable  quoique  latéral. 
OEuvres  peu  nombreuses,  mais  en  général  bien  clwisies  '  : 
décidément,  elles  font  école  les  traditions  de  sévérité  recom- 
mandées et  pratiquées  par  le  jury  d'admission  du  Salon  interna- 
tional d'Anvers,  reprises  l'an  dernier  au  Salon  de  Bruxelles. 
Tant  mieux,  et  qu'on  soit  de  plus  en  plus  difficile.  Du  reste, 
M.  G.  Claeys,  le  président  du  Corde,  semble  imbu  des  meil- 
leurs principes  d'art  ;  il  se  tire  très  houreusemcnl  des  difficultés 
qu'il  peut  y  avoir  à  animer  une  ville  de  province,  importante 
certes,  ayant  un  passé  glorieux  certes,  mais  qui  a  toujours  appa- 
rue un  peu  engourdie.  Le  résultat  lui  fait  grand  honneur. 

Parmi  les  exposants  brugeois,  MM.  Van  Acker,  Mergaert,  Van 
Hove,  portraitistes,  auteurs  d'œuvres  très  remarquées  par  les 
visiteurs  qui  encombraient  la  salle  pendant  que  la  musique  du 
4^  régiment  de  ligne,  sous  la  direction  de  M.  Muldermans,  exé- 
cutait un  programme  quelque  peu  bruyant  pour  un  local  aussi 
sonore,  mais  fort  bien  composé.  M.  De  Simpel,  paysagiste,  à  la 
recherche  d'effets  sincères,  rendant  bien  le  coloris  frais  de  la 
zone  maritime  des  Flandres.  M.  De  Geetere,  Joseph  au  désert, 
d'^un  sentiment  délicat  et  noble  (assez  mal  placé).  M.  Louis  Tul- 
pinck,  qui,  de  concert  avec  M.  Michel  De  Braey,  expose  un  projet 
de  Pavillon  du  Pilotage,  à  établir  sur  les  quais  de  l'Escaut  à 
Anvers,  du  meilleur  goût  et  dans  de  fort  belles  proportions  ;  un 
rajeunissement  ingénieux  de  la  Maison  Hanséatique. 

Nous  avons  retrouvé  là  le  beau  tryptique  de  Van  Slrydonck  : 
la  Légende  de  Tobie,  donné  à  la  ville  de  Bruges  par  le  Gouver- 


wmJ 


nemeiit;  on  se  souvienl  qu'il  valut  à  son  auteur  le  prix  Gode- 
charlcs.  Aussi  la  Soirée  d'amis  cl  la  Veuve,  d'Orner  Diorickx, 
déjà  vues  au  Salon  de  Gand  ;  notre  appréciation,  alors  si  favorable 
au  jeune  artislc,  s'est  confirmée  :  une  dos  belles  espérances  de 
l'art  national,  s'il  sait  rester  indépendant  et  ne  pas  sacrifier  aux 
préférences  b&nales  du  beau  monde  ;  Pharaon  De  Winter  : 
Réfectoire  de  religieuses  et  Moines  à  létude,  deux  succédanées 
trop  visibles  d'Emile  Waulers  et  de  Dclpérée;  Bellis,  avec  des 
natures  mortes;  de  Keghel  (de  Gand);  Gaillard  (de  Bruxelles), 
toujours  inlérossanl  ;  Xavier  de  Cock,  M"«  Beernaerl,  M"«  G.  de 
Villers,  R.  Cogglie  (de  Courlrai);  Gériez  (d'Ypres);  Van  Sever- 
donck,  Houben,  Van  Luppen,  A.  De  Braekeleer,  De  Jans, 
Boudry,  etc.,  etc.  . 

Le  malin  nous  avions  été  faire  une  visite  à  la  doyt'nne  des 
écrivains  belges,  M'"^  Caroline  Popp,  à  rintelligence  toujours 
aimable,  toujours  jeime,  et  revoir  la  délicieuse  maison-musée  du 
docteur  De  Meyor,  4îe  bijou  Louis  XV,  si  jalousement  conservé 
et  si  richement  orné  d'œuvres  d'art,  dont  plusieurs  vraiment 
sans  prix.      - 

Que  d'amateurs  de  premier  ordre  nous  avons  en  Belgique  ! 
Cette  même  réflexion,  nous  la  faisions  en  visitant,  le  mois 
dernier,  la  collection  de  M.  Kups,  cet  émule  anversois  de  M.  Van 
Prael,  une  des  plus  admirables  du  pays,  des  plus  sévèrement 
composées  d'œuvres  absolument  authentiques,  anciennes  et 
modernes,  d'une  qualité,  d'une  puissance,  d'un  charme!  incom- 
parables. Vraiment,  on  ne  sait  pas  assez  quelle  ivresse  donne 
un  pèlerinage,  même  court,  à  de  pareilles  merveilles.  Nous  en 
ferons  un  jour  une  description  détaillée. 


L'ART  A  TRAVERS  LES  JOÏRNACX 

Le  livret  d'opéra  jugé  par  G^ffroy,  de  «  la  Justice  ». 

.  «  Il  y  a  beau  temps  que  Théophile  Gautier  a  défini  le  livret  :  une 
platitude  émaillée  de  fautes  grammaticales  et  prosodiques,  —  il  y 
-a  beau  temps  qii'il  a  dit  combien  il  était  Jas  des  vers  sans  har- 
monie, dos  rimes  qui  ne  riment  pas,  des  adjectifs- chevilles,  des 
lieux-communs  chantés.  Il  se  laissa  aller,  il  y  a  une  trentaine 
d'années,  b  exprimer  que  la  modo  ne  durerait  pas  et  que  les 
futurs  faiseurs  de  compics-rendiis  n'auraient  pas  à  fournir  d'opi- 
nions sur  les  calembredaines  dramatiques  et  lyriques,  ordinaire- 
ment écrites  par  les  spécialistes  sous  les  portées  d'un  musicien. 

»  Gautier  se  trompait.  Ou  plutôt  il  feignait  de  se  tromper,  et  son 
atïirmaiiôn  n'était  qu'une  des  formes  de  sa  mauvaise  humeur.  Il 
savait  bien  qu'il  avait  tort  dose  départir  de  sa  sérénité  habituelle  et 
que  tous  ses  dégoûts  et  ses  colères  n'y  feraient  rien.  Jamais  les  direc- 
teurs qui  reçoivent  les  pièces  ou  les  jurés  qui  jugent  les  concours 
n'admettront  qu'il  leur  soit  fourni  de  la  vraie  poésie  par  un  vrai 
poète.  S'il  leur  arrivait  de  recevoir  un  drame  construit  par  un 
imaginatif  connaissant  les  ressources  de  l'art  d'écrire,  apte  à  plier 
la  langue  aux  déclamations  rythmées,  aux  mouvements  de  l'or- 
chestre, croyez  bien  qu'ils  ne  seraient  pas  embarrassés  pour  si 
peu.  Us  feraient  tant  et  si  bien  que  chaque  phrase  se  transfor- 
merait pendant  les  répétitions,  et  que  les  mots  vivants  qui  sem- 
blaient s'envoler  avec  la  musique  deviendraient  l'ordinaire  boni- 
ment explicatif,  —  dont  on  se  passerait  si  bien  !  —  les  paroles 
(le  hasard  qui  servent  à  caler  les  instruments. 

»  Les  prétextes  ne  manquent  pas  pour  amener  l'écrivain  à  rési- 
piscence et  changer  le  poète  en  librettiste.  Quand  ce  n'est  pas  le 


compositeur  qui  demande  une  coupure  ou  un  ajouté,  c'est  le  chef 
d'orchestre,  et  quand  ce  n'est  pas  le  chef  d'orchestre,  c'est  le  chef 
des  chœurs.  Il  y  a  une  entente  tacite  pour  poursuivre  tous  les 
mots  justes,  toutes  les  images  significatives.  Les  efforts  coalisés 
ne  s'arrêtent  qu'au  moment  où  il  n'y  a  plus,  d'un  bout  à  l'autre 
du  scénario,  que  des  expressions  impropres  et  des  métaphores 
ridicules.  Que  l'aligni^ur  de  vers  fasse  mine  de  se  défendre  et  on 
lui  prouvera  immédiatement  que  toute  son  inspiration  et  toute  sa 
science  nuisent  k  la  rentrée  de  la  clarinette  ou  au  finale  de  la 
grosse  caisse.  S'il,  a  le  goût  de  la  discussion,  on  finira  par  lui 
déclarer  qu'il  fait  beaucoup  trop  de  bruit,  qu'il  devient  gênant 
avec  son  livret,  qu'il  n'a  été  appelé  à  fournir  une  collaboration 
que  pour  justifier  l'affiche,  que  tout  ce  qu'il  s'est  donné  la  peine 
d'écrire  est  fait  pour  être  raccourci,  allongé,  cassé,  disloqué,  que 
sa  littérature  n'est  qu'un  mastic  destiné  à  être  trituré  par  le  musi- 
cien, et  qu'il  faut  laisser  celui-ci  on  ôter,  en  remettre,  faire  des 
raccords  et  boucher  des  trous.  » 


Yhéatre   de  la  Courte 

On  a  repris  Patrie  au  théâtre  de  la  Bourse.  Le  drame  tricolore 
de  patriotisme  avait  chance  de  plaire  et  a  plu,  en  effet,  au  public 
sentimental  qu'est  resté  le  public  bruxellois.  Parler  de  l'hôtel  de 
ville  et  de  Saint-3Iichel,  et  de  la  porte  de  Louvain  devant  un 
auditoire  qui  les  a  regardés  en  arrivant  au  contrôle  et  les  refixera 
en  sortant  de  la  salle,  eu  parler  avec  des  mots  enflammés  pendant 
quatre  heures,  ne  peut  manquer  de  faire  battre  toutes  les  mains. 

Tout  a  donc  bien  marché,  d'autant  que  les  principaux  rôles, 
surtout  celui  du  comte  de  Rvsoor  et  de  Karel  van  der  Nool,  sont 
très  convenablement  tenus.  .    - 


— --^---.--^—   ::pETITE    CHROJMIQUE    .  — — — 

Nos  lecteurs  se  souviennent  peut-être  d'une  curieuse  élude 
publiée  l'an  dernier  dans  ïArt  moderne,  par  laquelle  l'auteur 
anonyme  (M.  Georges  Khnopff)  se  plaignait  de  l'uniformité  des 
caractères  d'impression  et  proposait  de  remplacer  le  livre 
imprimé  par  le  livre  photographié,  afin  de  conserver  à  chaque 
écrivain  l'aspect  particulier  de  son  écriture  et  garder  une  par- 
faite harmonie  entre  l'œuvre  et  son  expression  matérielle.  «  Un 
manuscrit  a,  disait  M.  Khnopff  (*),  sa  physionomie  essentielle  qui 
reflète  celle  de  l'auteur  :  dans  l'écriture,  le  tempérament.  Qui 
fait  l'intérêt  de  l'autographe?  La  devination  de  la  plus  secrète 
pensée  de  l'artiste  sous  l'en-allé  de  l'écriture,  tantôt  fiévreuse, 
tantôt  comme  un  beau  fleuve,  là-bas,  vers  le  si  bleu  ciel  d'un 
évangéliqiie  lointain. 

Le  manuscrit  photographié,  voilà  le  livre  futur,  le  respect 
vengé  des  artistes-écrivains  honnis  par  l'avidité  des  commerçants 
éditeurs,  l'équation  entre  le  spirituel  de  l'œuvre  et  sa  matérielle 
réalisation.  Plus  d'édiloriaies  ignominies;  abolie  cette  énervante 
besogne,  le  corrityé  des  épreuves;  aboli  cet  avilissant  service  de 
presse  !  L'écrivain  publiera  son  œuvre  et  la  répandra  suivant  son 
désir,  et  désir  toujours  religieux  Je  son  art  ». 

Le  procédé  a  paru  bon,  paraît-il,  car  voici  qu'on  se  met 
à  l'adopter.  Voici  en  effet  ce  qu'annonce,  sur  sa  couverture,  la 


(*)  V.  rArt  moderne,  1885,  p.  374. 


Revue  indépeiîdante  :  «  Au  bureau  de  la  Revue.  Copies  autogra- 
phieesdes  œuvres  de  Sléphajie  Mallarmé.  \]ue  copie  de  ses  œuvres 
sera  faite  par  M.  Slé|)hane  Mallarmé  et  reproduite  parles  meilleurs 
procédés  d'autographie  sur  grand  papier  de  luxe.  Chaque  pièce 
sera  exécutée  séparément  ;  la  collection  comprendra  la  série  des 
œuvres;  elle  sera  tirée  à  un  très  petit  nombre  d'exemplaires,  e.t 
les  clichés  seront  détruits  après  tirage  numéroté  à  la  presse  et 
justifié.  » 

Gutemberg,  qui  inventa,  l'imprimerie,  fut  certainement  un 
homme  de  génie.  Mais  que  dire  de  celui  qui  la  désinventera, 
définitivement  ? 

Aussitôt  après  la  première  de  Sigurd,  annoncée  pour  mercredi 
prochain,  commenceront  les  études  spéciales  de  la  Valkyrie  pour 
la  mise  en  scène.  MM.  Am.  Lynen  et  Devis,  chargés  de  la  peinture 
des  décors,  sont  sur  le  point  de  terminer  leur  travail.  Ils  se  sont 
inspirés  des  décors  de  Bayreulh  sans  les  suivre  servilement. 


Mardi  14  décembre,  b  8  heures  du  soir,  au  localde  la  Grande 
Harmonie,  deuxième  concert  de  V Association  des  Artistes- 
Musiciens,  avec  le  concours  de  M"^  Vuillaume  et  de  M.  Cossira, 
du  Théâtre  royal  de  la  Monnaie  et  de  M.  Paul  Viardot,  violoniste. 

L'orchestre,  sous  la  direction  de  M.  Léon  Jehin,  exécutera 
V Ouverture  de  concert,  de  Rietz,  et  Rômische  Carnaval  (l""^  exé- 
cution), de  Hans  Huber, 

Une  séance  d'harmonium  sera  donnée  par  M.  Louis  Maes, 
organiste,  le  mercredi  15  décembre,  à  8  heures  du  soir,  à  la 
salle  Marugg,  rue  du  Bois-Sauvage,  45,  avec  le  concours  de 
M'"''  Anno,  cantatrice,  MM.  Godenne,  violoncelliste,  V.  Massage 
clVanden  Broeek,  pianistes.  -  •  ^^:^'':::,''\:\,^^■  ''y- '::''■■''-■  ::::'U^::Kr: s 
<  Le  programme  comprend  des  œuvres  diverses  de  Louis  Macs, 
Gounod,  Alph.  Mailly,  Servais,  rtc,  . 


Le  premier  concert  du  Conservatoire  est  fixé  au  dimanche 
49  décembre.  On  y  exécutera  une  symphonie  de  Schumann. 
M.  Ysaye  jouera  le  concerto  de  Henri  Wieniawski,  l'un  de  ses 
prédécesseurs  comme  professeur  de  violon  du  Conservatoire. 


Les  collectionneurs. 

Dans  son  dernier  catalogue,  un  marchand  de  timbres-poste 
bien  connu  à  Paris  offre  420  francs  pour  chaque  timbre  toscan 
antérieur  k  4860,  et  480  francs  pour  ceux  qui  sont  parfaitement 
conservés.  Les  timbres  français  de  1849  sont  cotés  25  francs, 
ceux  de  l'île*  Maurice  pour  1847,  2,000  francs  et  ceux  de  la 
Guyane  anglaise  pour  4836  de  500  h  4,000  francs. 

On  peut  se  faire  une  idée  du  nombre  des  collectionneurs  en 
apprenant  que  Paris  ne^  compte  pas  moins  de  cent  cinquante 
marchands  en  gros  de  ces  précieux  carrés  de  papier. 

Les  amateurs  de  coléoptères  les  plus  enragés  sont  des  gens 
positifs  à  côté  des  fanatiques  du  timbre-poste.  Cette  absorbante 
passion  a  dévoré  plus  d'une,  existence  et  plus  d'une  fortune. 
Parmi  les  maîtres  collectionneurs,  il  faut  citer  M.  Philippe  de 
Ferrari,  à  Varenncs,  qui  possède  environ  un  million  et  demi  de 
timbres  dont  le  classement  occupe  deux  secrétaires. 

-  [U  Événement). 

Les  progrès  réalisés  depuis  quelques  temps  par  \  Illustration 
Européenne  se  manifestent  dans  les  derniers  numéros  que  nous 
venons  de  recevoir.  D'une  finesse  d'exécution  remarquable,  les 


gravures   intéressent   particulièrement    par  les   sujets   qu'elles 
représentent. 

Vente  Karl  Daubigny.  —  La  vente  des  tableaux,  éludes, 
esquisses  de  Karl  Daubigny,  a  produit  la  somme  de  66,458  .frs. 

En  voici  les  principaux  prix  : 

4.  Prairie  inondée  dans  la  vallée  d'Auge.  Normandie.  (Salon 
de  4881),  2,103  fr.  —  2.  Environs  de  Honfieur,  1,550  fr.  — 
3.  Route  dans  la  forél  de  Fontainebleau.  (Salon  de  1874),  1,300 
fr.  —  4.  L'Arrivée  des  pécheurs  à  Berck.  Somme.  (Salon  de 
1882),  2,850  fr.  —  5.  Le  Vieux  Chemin,  à  Anvers.  (Salon  de 
1.882),  930  fr.  —  6.  La  Vallée  de  la  Toucque,  1,200  fr.  — 
T.  Ronchevillc,  soleil  couchant,  1,800  fr-  —  8.  Lever  de  lune 
dans  la  vallée  de  Pourville,  800  fr.  —  9.  Les  Vanneuses  de 
Kérily.  (Salon  de  1868),  1,350  fr.  —  10.  Lever  de  lune  au  soleil 
couchant.  (Salon  de  4886),  1,550  fr.  —  11.  Effet  d'automne. 
(Salonde  1865),  700  fr.— 12.  Un  semier.  (Salon  de  1863),  920  fr. 


Nous  tenons  de  source  certaine,  dit  la  Curiosité,  que  très 
prochainement  paraîtra  une  œuvre  posthume  de  Liszt  très  origi- 
nale, parce  qu'elle  renfermera  des  portraits  à  la  plume  exécutés 
par  le  célèbre  compositeur.  Li?zt  avait  une  très  grande  admira- 
tion pour  sept  de  ses  compatriotes  ;  il  avait  composé  sur  ces 
personnages  une  série  de  morceaux  caractéristiques  pour  piano. 

Avant  sa  mort,  le  grand  compositeur  avait  confié  le  manuscrit 
de  cette  œuvre  inédite  h  l'un  de  ses  élèves  favoris,  avec  prière  de 
le  remettre  à  son  édileur  Taborskv,  de  Pesth. 

En  tête  de  chaque  morceau  caractéristique  il  y  aura,  de  la  main 
de  Liszt,  une  sorte  de  portrait  à  la  plume  du  personnage  illustre 
dont  l'illustration  musicale  fait  l'objet  du  morceau.  D'un  autre 
côté,  on  aurait  découvert  beaucoup  de  manuscrits  de  Liszt  qu'il 
avait  confiés  b  ses  élèves  pour  en  faire  la  copie  au  net.  C'est  l'en- 
semble de  cette  œuvre  posthume  qui  va  paraître  prochainement. 


Le  théâtre  national  de  Pesth  est  en  déficit.  Cela  résulte  du 
rapport  que  le  ministre  de  l'intérieur,  dont  dépend  ce  théâtre, 
vient  de  déposer  à  la  Chambre  des  députés  de  Hongrie.  Le  ministre 
demande  un  cn'dit  supplémentaire  cjp  124,600  florins,  soit  près 
de  300,000  francs,  pour  couvrir  l'arriéré  de  l'année  écoulée.  On 
avait  beaucoup  compté  sur  l'Exposition  nationale  de  Pesth,  mais 
elle  n'a  pas  attiré  autant  d'éirangers  qu'on  l'espérait,  et  de  là  le 
mécompte.  Le  ministre  attribue  le  résultat  malheureux  de  l'ex- 
ploitation à  l'exagération  des  appointemenis  payés  aux  artistes  et 
particulièrement  aux  étoiles  en  représentation. 


10-12,  rue  des  Finances,  Bruxelles 
Vente  publique,  MARDI  21  DÉCEMBRE,  à  2  heures 

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TABLEAUX  &  AQUARELLES  MODERNES 

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Bossuet,  Caràbain,  Goosemans,  Courbet,  G.  De  Jonghe,  A.  De 
Vriendt,  J.  De  Vriendt,  Diaz,  C.  Dommerhuizen,  Gabriel,  Impens, 
Madou,  Meerts,  Jos.  Stevens,»  Van  Moer,  Eug.  Verboeckhoven, 
Fr.  Verheyden,  Is.  Verheyden,  Walckiers,  Wiertz,  etc. 

Direction  de  M.  Jules  DE  BRAUWERE,  expert      ' 

1^  Exposition  :  19  et  20  décembre,  de  12  à  5  heures 

CATALOGUES  LE  11  DÉCEMBRE 


ENTRERA  LE  l"  JANVIER  1887  DANS  SA  SEPTIÈME  ANNÉE 

L'ART  MODERNE  s'est  acquis  par  l'autorité  et  l'indépendance  de  sa  critique,  .par  la  variété  de  ses 
informations  et    les   soins   donnés   à   sa   rédaction   une  place  prépondérante.   Aucune   manifestation  de  l'Art  ne 

-lui  est  étranp:ôro  :  il  s'occupe  de  littérature,  de  peinture,  de  sculpture,  de  gravure,  de  musique, 

d'architecture,    etc.    Consacré   principalement   au    mouvement   artistique  belge,    il   renseigne   néanmoins   ses 

lecteurs  sur  tous  les  événements  artistiques  de  l'étranger  qu'il  importe  de  connaître. 

Chaque  numéro  de  L'ART  MODERNE  s'ouvre  par  une  étude  approfondie  sur  une  question  artistique 
oii  littéraire  dont  l'événement  de  la  semaine  fournit  l'actualité.  Les  expositions,  les  livres  nouveaux,  les 
premières  représentatioïis  d'œuvres  dramatiques  ou  musicales,  les  conférences  littéraires,  les  concerts,  les 
ventes  d objets  dart,  font  tous  les  dimancties  l'objet  de  chroniques  détaillées. 

L'ART  MODERNE  relate  aussi  la  législation  et  la  jurisprudence  artistiques.  Il  rend  compte  des 
procès  les  plus  intéressants  concernant  les  Arts,  plaides  devant  les  tribunaux  belges  et  étrangers.  Les 
artistes  trouvent  toutes  les  semaines  dans  son  Mémento  la  nomenclature  complète  des  expositions  et 
concours  auxquels  ils  peuvent  prendre  part,  en  Belgique  et  à  l'étranger  11  est  envoyé  gratuitement  à 
l'essai  pondant  un  mois  à  toute  personne  qui  en  fait  la  demande. 

L'ART  MODERNE  forme  chaque  année  un  beau  et  fort,  volume  d'environ  450  pages,  avec  table 
des  matières.  Il  constitue  pour  l'histoire  de  l'Art  le  document  LE  PLUS  COMPLET  et  le  recueil  LE  PLUS 
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Quelques  exemplaires  des  cinq  premières  années  sont  en   vente   aux  bureaux   de  L'ART   MODERNE, 
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royal  de  Bruxelles.  Livr.  VIII.  3  suites  et  1  fugue  de  Hseudel,  5  fr. 

Reïnecke,  Garl.  Op.  189.  Douze  lieder  à  2  voix  dans  le  style 
populaire,  avec  piano  (texte  allemand),  5  fr. 

Liszt,  Fr.  Transcriptions  sur  des  motifs  des  opéras  de  R.Wagner. 
Edition  pour  2  pianos  à  8  mains. —  N»  6.  Chanson  des  fileuses  (Le 
Vaisseau  fantôme),  fr.  4-70.  —  N»  7.  La  mort"  d'Yseult  (Tristan  et 
Yseult),  fr.  3-45. 


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SAMUEL,  Ed.  Op.   14.  Tarentelle-Scherzo.  Fragment  sympho- 
nique,  à  4  mains,  fr.  2-50. 

DE   SWERT,  J.    Op.   44.   Impromptu,   pour  violoncelle  avec 
accompagnement  de  piano,  fr.  2  00.  —  Op.  45.  Xe  Désir,  morceau 

de  salon,  pour  violon  avec  accompagnement  de  piano,  fr.  1-75. 

Op.  46.  Rêverie,  pour  violon  avec  accompagnement  de  piano,  fr.  1-75. 

HÈRRMANN,  Th.  Op.  28.  Marion- Gavotte,  pour  violon  avec 
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'•ï- 


Sixième  année.  —  N°  51, 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche   19  Décembre  1886. 


L'ART 


PARAISSANT    LE    -DIIVLANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,  un  an,  fr.  10.0.0;  Union  postale,   fr.   13.00.    —  ANNONCES  :    On  traite  à  forfait. 


I     Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 

l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  l'Industrie,  26,  Bruxelles. 


? 


OMMAIRE 


Un  DIRECTEUR  EN  GRÈVE.  —  La  MORT  d'Ivan  Iliitch,  par  Tolstoï. 

—  Critique  posthume.  —  Le  conflit  d'Ypres.  —  Notes  de  musi- 
que. A  la  Grande-Harmonie;  Au  Conservatoire;  Concert  des 
Artistes  Musiciens;  Séance  d'harmonium;  Audition  de  César 
Franck.  —  L'art  a  travers  les  journaux.  —  Correspondance. 

—  Petite  CHRONIQUE. 


UN  DIRECTEUR  EN  GRÈVE 

«  Vous  savez  la  nouvelle  ? 

—  Quelle  nouvelle  ? 

—  Les  concerts  du  Conservatoire  sont  supprimés. 

—  Vous  plaisantez  !       . 

—  Je  ne  plaisante  pas.  N'avez-vous  pas  lu  le  com- 
muniqué inséré  cette  semaine  dans  les  journaux  ? 

—  Quel  communiqué  ? 

—  Je  l'ai  sur  moi.  Tenez.  Lisez  :  «  Le  premier  con- 
cert du  Conservatoire  ne  pourra  avoir  avoir  lieu  cette 
année,  comme  d'habitude,  le  dimanche  avant  Noël.  Le 
directeur  se  voit  dans  l'obligation  de  l'ajourner  indéfi- 
niment, par  suite  de  l'impossibilité  où  il  se  trouve 
actuellement  de  former  un  orchestre  complet  pour  l'exé- 
cution des  œuvres  classiques.  « 

—  Et  vous  prenez  cela  au  sérieux?  Mais  c'est  une 
mystification  !  Un  poisson  d'avril  anticipé  !  Une  zwanze, 
comme  on  dit  à  Molenbeek.  Je  connais  plus  d'un  loustic 
capable  d'avoir  imaginé  cette  grosse  farce. 

—  Je  l'ai  cru  d'abord  aussi,  et  tout  le  monde  l'a  cru. 
Mais  je  me  suis  renseigné.  Le  communiqué  porte  le 


timbre  authentique  du  Conservatoire.  Il  a  été  envoyé 
aux  journaux  d'après  les  ordres  du  directeur. 

—  Vous  m'éfonnez.   .    .       •    ••        .,  ' 

—  Je  vais  vous  étonner  davantage.  Ce  n'est  pas  le 
premier  concert  seul  qui  est  ajourné  indéfiniment.  Il 
n'y  aura  plus  de  concerts  au  Conservatoire. -^^-^— 

—  Plus  de  concerts  ! 

—  Plus  un  seul.  Les  abonnés  vont  être  invités,  par 
circulaire,  à  retirer  au  guichet  le  montant  de  leur 
abonnement.  Les  vingt-cinq  mille  francs  de  location 
versés  par  eux  pour  cette  année  leur  seront  restitués. 

—  Vingt-cinq  mille  francs!  Et  M.  Gevaert  consent 
à  abandonner  pareille  somme  ? 

—  C'est-à-dire  que  ce  sont  les  exécutants  de  l'or- 
chestre, à  qui  elle  était  destinée,  qui  la  voient  dispa- 
raître. Une,  deux  !  Passez,  muscade  !  Rien  dans  les 
mains  ni  dans  les  poches  !  Les  vingt-cinq  billets  bleus 
signés^H.  Hendrickx  Del.  Inv.  sont  retournés  dans  le 
gousset  des  abonnés. 

—  Mais  on-' donnera  aux  professeurs  un  dédommage- 
ment, une  gratification,  une  augmentation  d'appointe- 
ments? 

—  Un  dédommagement,  oui.  Ils  pourront  jouer 
gratis  aux  séances  extraordinaires  que  la  direction 
compte  organiser.  Us  auront  aussi  la  joie  d'entendre 
jouer  leurs  élèves,  que  l'on  présentera  au  puljjic  plus 
fréquemment  que  de  coutume. 

—  Oh  !  alors  ils  auraient  tort  de  se  plaindre. 

—  N'est-ce  pas  ?  C'est  aussi  mon  avis. 

—  Mais,  dites-moi,  qu'est-ce  qui  motive  cette  éton- 


K^, 


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■«.   ' 


%    ■ 


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nante  détermination  du  directeur?  Les  concours  de  ces 
dernières  années  ont  été  plus  que  médiocres.  Il  n'y 
avait  plus  que  les  concerts  qui  pussent  sauver  le  pres- 
tige de  la  maison;  Alors,  pourquoi  les  supprimer? 

—  Eh  !  bien,  vous  n'avez  donc  pas  entendu  la  notice? 
Impossibilité  de  constitup:r  un  orchestre  pour  exé- 
cuter de  LA  MUSIQUE  CLASSIQUE...     - 

—  Ah  !  ceci  est  trop  fort  par  exemple.  Croyez-vous 
que  je  vais  me  contenter  d'une  pareille  bourde  ?  Et  le 
public  accepte  ça  docilement  ?  Et  la  presse  ne  proteste 
pas? Et  les  musiciens  se  laissent  malmener  de  la  sorte? 
Mais  le  prétexte  est  ridicule,  et  il  est  odieux.  Comment, 
il  n'y  à  pas  moyen  de  former  un  orchestre  h  Bruxelles! 
Et  le  Concert  populaire  ?  Et  l'Association  des  artistes 
musiciens?  Ce  ne  ne  sont  pas  des  orchestres,  cela?  Ce 
sont  des  troupes  de  saltimbanques,  peut-être  !  Dé  quel 
droit  le  directeur  du  Conservatoire  lance-t-il  cette 
injure  à  la  face  de  nos  vaillants  et  laborieux  musiciens? 
Sur  quoi  se  fonde-t-il  ? 

—  Dans  tous  les  cas,  ce  n'est  pas  flatteur  pour  le 
Conservatoire,  puisqu'ils  en  sortent  tous  ! 

—  Sans  compter  que  si  les  musiciens  belges  ne 
valent  rien,  comme  le  leur  fait  aigrement  comprendre 
M.  Gevaert,  il  ne  sera  pas  facile  d'en  trouver  de  bons 
ailleurs.  Savez-vous  qu'à  Paris  ce  sont  nos  compatriotes 
qui  occupent  presque  tous  les  premiers  pupitres? 

—  Je  le  savais.  Et  je  sais  aussi  qu'à  Angers,  où 
M.  de' Bordier  a  créé  les  excellents  Concerts  populaires 
dont  vous  avez  dû  entendre  parler,  sur  cinquante  musi- 
ciens il  y  en  a  trente- trois  belges. 

—  Vous  voyez  que  j'avais  raison.  Le  motif  invoqué 
n'est  pas  sérieux.  Il  doit  y  avoir  autre  chose. 

—  Oui,  il  doit  y  avoir  autre  chose.  Mais  quoi? 

—  M.  Gevaert  n'a  plus  vingt  ans,  ni  même  vingt- 
cinq.  Il  est  arrivé  à  un  âge  où  l'on  veut  être  entouré 
de  beaucoup  de  respect,  de  beaucoup  de  prévenances, 
d'infiniment  d'attentions.  Peut-être  son  humeur  se  res- 
sent-elle de  ce  que  le  public,  depuis  quelque  temps,  se 
permet  de  rie  pas  pousser  des  cris  d'admiration  à  propos 
de  tout  ce  qu'il  fait.  On  est  si  frondeur  à  Bruxelles  !  Il  y 
a  des  journaux  si  effrontés  !  VArt  7noderne,  par 
exemple,  qui  parle  des  auditions  du  Conservatoire  sur 
le  ton  qu'il  prendrait  pour  apprécier  un  vulgaire  Con- 
cert populaire,  et  qui  se  permet  quelquefois  de  faire  des 
observations  sur  l'exécution  !  Avouez  qu'il  y  a  de  quoi 
prendre  le  monde  en  grippe. 

—  On  a  même  osé  plaisanter  son  désir  très  légitime 
d'être  anobli. 

—  Mais  tout  cela  n'explique  pas  qu'il  empêche  ses 
professeurs  de  donner  des  concerts.  Car  enfin,  s'il  est 
fatigué  d'être  directeur  et  s'il  préfère  être  baron,  il  y  a 
un  moyen  bien  simple.  Qu'il  se  clwisisse  un  successeur. 
Ce  serait,  assurément,  une  grande  perte  pour  le  Con- 
servatoire que  la  retraite  de  son  éminent  directeur. 


Mais  enfin,  c'est  un  événement  qui  "doit  fatalement 
arriver  un  jour. 

—  J'ai  entendu  expliquer  autrement  l'affaire.  Mais 
ceci,  c'est  presque  un  bruit  de  coulisses...  Il  s'agit  d'un 
trombone. 

■   —  Oh!'  v'^-';-' •■  -  .■„■•■  ■    ■:.-■-  '\  :.'  ■ 

—  Pardon.  Il  s'agit  donc  d'un  trombone,  d'un  brave 
et  excellent  professeur  de  trombone  que  le  directeur 
voudrait  pensionner. 

—  Pourquoi? 

—  Parce  qu'il  ne  souffle  plus  assez  fort  dans  son 
instrument. 

—  Est-ce  qu'il  faut  souffler  si  fort  que  cela  pour 
enseigner  le  trombone  ?  - 

—  Non,  mais  pour  jouer  au  concert,  c'est  néces- 
saire. 

—  Ah  !  j'entends.  Mais  alors,  ce  n'est  pas  un  profes- 
seur qu'exige  M.  Gevaert,  c'est  un  virtuose? 

—  Précisément.  \ 

—  Eh!  bien,  qu'est-ce  qui  empêche  le  directeur  de 
garder  son  brave  professeur  et  de  prendre,  pour  ses 
quatre  concerts,  un  trombone  plus  vigoureux? 

—  Vous  n'y  pensez  pas.  Il  faudrait  le  payer. 

—  C'est  vrai.  Et  si  l'on  démissionne  le  professeur,  il 
faut  lui  payer  également  une  indemnité  de  retraite. 
Cruel  dilemme.  Mais  le  Conservatoire  ne  reçoit-il  pas 
de  subside  du  gouvernement? 

—  Oh!  si  peu  de  choscj!  Quelques  centaines  de  mille 
francs  tout  au  plus.  Et  si  v6us  saviez  ce  que  coûte  le 
Musée  historique  des  instruments!  Les  clavecins,  les 
épinettes,  les  orgues  de  régale  et  les  violes  de  gambe 
sont  hors  de  prix  !  Et  les  restaurations  !  Et  les  voyages 
en  Allemagne,  en  Italie,  en.Espagne,  qu'il  faut  payer 
à  des  luthiers  habiles  pour  étudier  le  secret  des  anciens 
vernis!.... 

—  On  ne  peut  pas  se  passer,  cependant,  au 
XIX®  siècle,  des  instruments  de  musique  en  usage 
au  XVI®  et  au  xvii®  !  r 

—  Evidemment. 

'^-  C'est  égal,  je  ne  saisis  pas  encore  pourquoi,  lors- 
qu'on a  besoin  d'argent  pour  se  payer  un  trombone, 
on  abandonne  volontairement  vingt-cinq  mille  francs 
de  recette.  Les  trombones  sont-ils  donc  si  coûteux? 

—  Vous  n'y  êtes  pas.  Laissez-moi  vous  expliquer.... 
Si  le  directeur  prend  un  trombone  à  gages,  c'est  la 
caisse  du  Conservatoire  qui  le  paiera,  n'est-ce  pas  ? 

—  Evidemment.  Mais  si  on  pensionne  le  professeur 
actuel,  ce  sera  la  même  chose,  et  même  plus  onéreux. 
Il  faudra  payer  la  pension  de  l'ancien  et  les  appointe- 
ments du  nouveau.    . 

—  Qui  paierala  pension,  d'après  vous  ? 
— -  Le  Conservatoire,  parbleu  ! 

—  Ah  !  ah  !  Hic  jacet  lepus.  Le  directeur  s'est  mis 
en  tête  de  faire  payer  la  pension  par  le  Trésor  de 


■t: 


l'Etat.  Et  quand  il  s'est  mis  quelque  chose  en  tête,  le 
directeur...  Il  est  donc  allé  trouver  le  Ministre  des 
Beaux- Arts  et  lui  a  dit  :  «  Vous  allez  payer  la  pension 
de  mon  trombone,  et  j'en  prendrai  un  frais  qui  trom- 
bonera  énergique  ment  dans  mes  ,  concerts.  »  M.  de 
Moreau  a  répondu  :  «'  Ça  ne  me  regarde  pas.  Adressez- 
vous  à  la  Cour  des  comptes.  »  La  Cour  des  comptes, 
elle,  a  dit  fiûtey  ce  -qui  était  en  situation,  puisqu'elle 
avait  affaire  à  un  musicien.  Alors  le  directeur  est  parti 
en  disant  :  «  Tas  de  pingres!  Tas  de  grigous!  Tas 
d'Harpagons  !  Ah  !  vous  ne  voulez  plus  délier  les  cor- 
dons de  la  bourse  !  C'est  bien.  Vous  n'aurez  plus  de 
musique.  Pas  d'argent,  pas  de  violons!  « 

—  Mais  c'est  une  grève,  cela  ! 

r-  Une  grève,  vous  l'avez  dit,  et  une  grève  origi- 
nale, puisque  c'est  «  le  patron  «  qui  refuse  de  "  tra- 
vailler ",  alors  que  ses  hommes  ne  demandent  qu'à 
marcher,  et  pour  cause. 

•  —  Et  c'est  pour  cette  misérable  question  de  gros 
sous  que  Bruxelles  est  privé  de  son  aliment  musical  ? 
Une  bouderie,  une  fâcherie  d'enfant  gâté  balance  la 
jouissance  artistique  de  toute  une  population?  L'art  peut 
dépendre,  chez  nous,  d'aussi  mesquines  intrigues?  Et 
l'on  ne  proteste  pas,  on  ne  réclame  pas,  on  ne  qualifie 
pas  comme  elles  le  méritent  ces  façons  de  Satrape 
omnipotent  ? 

—  Satrape  est  drôle  pour  un  gréviste. 

~  Que  voulez-vous?  Les  idées  prêchées  par  Alfred 
Defuisseaux  grangrènent  toutes  les  classes  de  la 
Société.  Les  potentats  même  n'en  sont  pas  exempts. 

—  C'est  vrai.  Tout  cela,  c'est  la  faute  du  Grand 
Catéchisme  du  peuple. 


|aA   MORT   D'|vAN   |lIITCH 

par  LÉON  Tolstoï.  (Nouvelle  librairie  parisienne). 

La  mort  à' Ivan  Iliitch  esl  la  première  parmi  les  Dernières 
nouvelles  du  comte  Léon  Tolstoï.  Elle  esl  superbe  el  capitalise 
Finlérêt  du  livre. 

C'est  une  élude  de  mœurs  bourgeoises  :  la  vie,  la  maladie, 
l'agonie,  le  décès  d'un  magistrat.  Elude  toute  en  réalité  crue, 
méticuleuse,  lente;  d'une  palience  et  d'une  solidité  serrées;  d'une 
impression  forte.  Une  aussi;  car  rien  ne  distrait  du  personnage 
analysé  :  sa  femme,  ses  enfanls,  ses  amis,  ses  domestiques  ne 
servent  qu'à  produire  des  preuves  de  sa  nature  et  de  sa  qualité 
humaine.  Cruelle  encore,  cruelle,  parce  qu'elle  étale  la  médio- 
crité et  le  vide  de  l'existence;  le  néant  social. 

Ce  qui  marque  parmi  tout?  L'étonnante  perspicacité  du  roman- 
cier h  scruter  l'état  de  maladie  chez  l'homme  et  ses  manifestations 
psychologiques.  Et,  par  suite,  la  réflexion  de  cet  état  sur  ceux 
qui  l'entourent.  C'est  l'analyse  la  plus  nette  qu'il  nous  ait  été 
donné  de  lire  depuis  longtemps. 

Egoïsme,  idée  fixe,  irritation,  rejet  instantané  d'espoirs  en 
abattements  et  d'abattements  en  espoirs,  coloration  ou  décolora- 
tion spirituelle,  brusque  de  mêmes  événements  suivant  les  heures  \ 


sympathies  sans  cause,  répulsions  au  hasard;  violences  d'âme 
en  raison  directe  de  l'allanguissementdu  corps;  tragiques  seuls-à- 
souls  travers(';s  de  colères  muettes  et  de  joies  expansives  ;* 
haines  d.u  présent,  tippels  vers  l'avenir  môme  terrible,  el  surtout 
celle  résurrection  d^enfance  toute  lointaine  el  douce,  avec  du  rêve 
exquis  autour.    -  • 

On  a  répété  souvent  —  à  la  suite  de  Melchior  de  Vogué  —  que 
le  réalisme  russe,  tout  en  abordant  des  sujets  aussi  terre  à  terre 
et  aussi  vicieusement  humains  que  le  réalisme  français,  ne  con- 
cluait point  comme  lui  à  la  haine  de  l'homme. 

C'est,  croyons-nous,  une  totale  erreur.  Tolstoï  autant  que  Flau- 
bert et  Concourt  cl  Zola  esl  un  désenchantcur.  La  vie  qu'il  nous 
montre  di)ns  ses  œuvres  est  aussi  méprisable  qu'aucune  autre,  et 
l'on  peut  douter  que  n'importe  quel  auteur  en  inspire  plus  que  lui 
le  dégoût.  La  mort  d'Ivan  Iliitch  en  est  une  preuve  nouvelle.  Il 
n'y  a  dans  toute  la  nouvelle  que  deux  personnages  qui  ne  soient 
répulsifs.  Un  enfant,  c'esl-à-dire  un  être  qui  n'a  point  encore  eu 
le  temps  de  devenir  mauvais,  et  Guerrassim,  un  serviteur.  Mais 
qu'est-ce  donc  que  Guerrassim,  sinon  le  chion  fidèle  qui  apparaît 
dans  chaque  livre  réaliste  comme  une  brute  de  dévouement? 

Après  La  mort  d'Ivan  Iliitch^  voici  le  Roman  d'un  cheval  et 
Un  Pauvre  diable,  deux  superbes  éludes  de  second  plan. 


CRITIQUE  POSTHUME  (*)      : 

Celait  une  vaste  pièce  rectangulaire  éclairée  discrètement  par 
des  lustres  largement  espacés.  Les  banquettes  étaient  de  bois 
brut.  Deux  cents  assistants  environ  y  auraient  pris  place.  J'allai 
m'asseoir  vers  le  milieu  el  remarquai  avec  plaisir  que^  par  une 
innovation  heureuse,  les  exécutants  étaient  cachés,  et  que  le  son 
arrivait  dans  la  salle  par  des  conduits  semblables  aux  bouches 
d'un  calorifère.  Par  ce  système,  aussi  nouveau  qu'ingénieux,  l'au- 
diteur, dispensé  des  contorsions  des  virtuoses,  pouvait  prêter 
toute  son  altenfion  aux  sonorités  qui  vibraient  de  toutes  parts 
fil  montaient  à  la  voûte  comme  un  parfum. 

J'éjais  très  désireux  d'entendre  une  symphonie  rendue  par  ce 
procédé,  mais  les  musiciens  accordaient  encore  toujour-s  leurs 
instruments. 

Pendant  ce  temps,  j'observai  mon  entourage. 

Le  demi  jour  rembranésque  de  la  salle  estompait  à  merveille 
les  redingotes  aux  tons  chaiïdi»-^et  fins;  nippes  vénérables,  pré- 
cieuses pour  l'art,  et  détériorées  avec  une  telle  harmonie,  qu'il 
semblait  que  le  temps  les  eûl  râpées  «  à  souhait  pour  le  plaisir 
des  yeux  ».  La  fumée  des  pipes  voltigeait  çà  el  là,  se  déroulant 
en  spirirTés  gracieuses,  et  adoucissant  malgré  eux  les  profils  les 


(*)  Nous  avons  dit  récemment  (numéro  du  22  novembre)  que  l'on 
venait  de  tirer,  à  100  exemplaires  seulement,  Posthiona,  par  Gus- 
tave CoppiETERS.  Butinant  dans  ce  petit  livre,  hors  du  commerce. 
Offert  en  souvenir  de  l'auteur  à  ceux  qui  furent  ses  atnis^  nous 
donnons  un  extrait  de  la  partie  intitulée  :  Réalisme  et  Classicisme. 
Il  en  contient  trois  autres  :  Bribes  philosopiuques,  —  Esthétique 
DE  LA  MALVEILLANCE  (ô  le  titre  bien  trouvé!),  —  Choix  de  lettres. 
Le  volume  révèle  une  fois  de  plus  un  de  ces  écrivains  nationaux 
parfailtement  méconnus  chez  nous,  et  valant  raieux  que  les  neuf 
dixièmes  des  écrivailleurs  que  le  reportage  nous  vante  sans  relâche. 
De  plus  en  plus,  lecteurs,  habituons-nous  à  juger  nous-mêmes  et 
à  croire  que  nous  avons  en  Belgique  tout  aussi  bien  que  ce  que 
nous  apporte  de  l'étranger  un  journalisme  ignorant,  injuste  ou 
intéressé. 

Nous  avons  publié  déjà,  au  début  de  cette  année,  deux  intéres- 
santes lettres  du  même  artiste  (V.  l'Art  modeime,  1886,  pp.  5  et  20). 


.  I — ' 


■*C; 


[ 


404 


L'ART  MODERNE 


/ 


plus  agrestes.  Mais  ce  qui  compldiail  le  tableau,  c'Olait  Téioupe 
capillaire  inculte  et  luxuriante  qui  se  dressait  sur  les  crânes  avec 
la  vigueur  d;une  forôt  vierge.  Si  le  dévouement  des  héroïnes  de 
l'antique  Carthage  avait  pu  fournir  pendant  le  siège  une  pareille 
collection  decheveux,  la  rivale  de  Rome  eût  peut-être  été  sauvée 
en  dépit  des  anathème?  de  Caton. 

,  Cependant,  les  musiciens  n'en  finissaient  pas  de  s'accorder  et 
de  préluder,  et  je  commençais  îi  trouver  les  préliminaires  un  peu 
longs;  quand  tout  à  coup  une  idée  rapide  comme  un  éclair  tra- 
versa mon  esprit  en  y  laissant  un  sillon  lumineux...  Nous  étions 
en  pleine  symphonie  !!  !... 

Je  dus  cette  révélation  aux  petits  mouvements  de  tête  par  les- 
quels plusieurs  admirateurs  passionnés  accompagnaient  la 
musique.  Mais  ce  qui  confirma  mon  hypothèse,  ce  fut  la  quantité 
exorbilanle  de  contre-temps  voulus  et  de  dissonances  prémédi- 
tées dont  la  cacophonie  surpassait  tout  ce  que  le  hasard  peut 
produire  dans  une'fantaisie  de  sa  façon.  En  vérité!  c'était  une 
symphonie  réaliste  que  l'on  exécutait  en  ce  moment... 

Quelque  humilié  que  je  fusse  .d'avoir  méconnu  celte  manifesta- 
tion de  l'art,  j'eus. pu  alléguer  au  besoin  pour  ma  défense  que 
j'étais  enlré  pendant  le  passage  le  plus  absirail  de  la  pièce,  alors 
que  la  mélodie,  complètement  absente,  ne  se  montrait  ni  de  pro- 
fil, ni  même  de  dos.  Ce  ne  fut  pas  sans  peine  que  je  me  fis  à 
l'idée  que  cet  assemblage  désordonné  de  sons  discordants  était 
bien  ce  que  les  humains  conviennent  d'appeler  la  musique.  Mais 
en  observateur  consciencieux,  je  voulus  prêter  attention  jusqu'au 
bout.  . 

L'accord  le  plus  clair  que  l'on  pût  reconnaître  dans  ce  tumulte 
chromatique  fut  la  neuvième  diminuée.  Encore  ne  brilla-t-elle 
qu'un  jnstani,  pour  se  contourner  presque  aussitôt  dans  un  ren- 
versement dur  à  l'oreille,  et  se  compliquer  d'une  note  passagère» 
qui  me  vola  au  tympan  comme  un  caillou. 

Cependant,  du  sein  de  ce  lohu-bohu,  un  rythme  se  dégagea, 
vague  d'abord,  puis  plus  précis,  puis  enfin  agaçant  par  son 
importunité,  et  revenant  sans  cesse  déguisé  chaque  fois  sous  le 
masque  d'une  complication  harmonique  nouvelle.  Malheureuse- 
ment, au  moment  où  il  était  devenu  possible  de  s'y  habituer,  le 
rythme  disparut  pour  faire  place  à  une  avalanche  meurtrière  de 
triples  croches,  qui  me  secoua  d'autant  plus  désagréablement  que 
je  n'en  vis  pas  même  l'utilité  relative. 

Ayant  entendu  chuchoter  dans  mon  entourage  le  mot  origina- 
lité, je  compris  que  c'était  là  le  côté  caractéristique  et  recom- 
mandab^ede  celte  œuvre,  qui  était  neuve,  en  effet,  et  ne  ressem- 
blait à  aucune  autre  composition  musicale.  —  Un  déraillement, 
un  écroulement,  une  explosion  ont  aussi  le  mérite  de  ne  jamais 
ressembler  exactement  aux  autres  accidents  du  même  genre  ;  et 
les  catastrophes  de  la  vie  ont  ceci  de  commun  avec  certaines 
œuvres  d'art^qu'olk-s  ne  manquent  jamais  d'imprévu. 

Quand  le  torrent  des  triples  croches  se  fut  tari,  les  chante- 
relles filèrent  une  série  de  sons  prolongés  figurant  saus  doute  une 
mélodie,  puisqu'ils  étaient  dépourvus  d'accompagnement.  Ces 
sons,  de  plus  en  plus  prolongés,  devinrent  aigus,  au  point  d'échap- 
per k  toute  espèce  de  classification.  Le  violoncellistes  les  tiraient, 
je  crois,  de  la  partie  des  cordes  qui  dépasse  le  chevalet.  —  Le 
fil  le  plus  ténu(iui  soit  sorti  des  doits  agiles  d'Arachné  est  un 
câble  pour  l'œil  en  .^©mparaison  de  ce  qu'étaient  peur  l'acousti- 
que ces  grincements  suraigus,  qui  faisaient  tinter  toutes  les 
oreilles.  —  Ici,  la  confusion  était  complète,  les  extrêmes  du  réa- 
lisme et  de  l'idéalisme  se  touchaient  pour  produire  un  malaise 


insupportable.  Plusieurs  fois  des  secousses  nerveuses  me  firent 
pousser  les  coudes  dans  les  côtes  de  mes  voisins,  qui  me  lan- 
cèrent des  regards  courroucés. 

^ Quand  cette  mélodie  fut  terminée,  les  contrebasses  reprirent 
vaillamment  le  i*ythme  d'une  façon  incisive  et  saccadée,  pendant 
que  des  gammes  de  quintes,  hurlées  par  les  hautbois  et  lesxlari- 
nettes,  jetaient  le  gant  à  l'harmonie,  conventionnelle,  et  que  des 
trilles  de  flûte  sautillants  et  stridents  étincelaient  comme  des 
fusées  d'artifice.  Enfin,  pour  le  bouquet,  les  violons  lancèrent  au 
travers  des  pizzicati  de  tous  les  autres  instruments  une  gamme 
ascendante  en  quarts  de  ton  d'une  maestria,  d'une  furia,  d'un 
brio  splendides,  et  le  morceau  se  termina  par  un  accord  de 
quinte  augmentée,  qui  demeura  dans  l'oreille  comme  un  point 
d'interrogation. 

Quand  les  applaudissements  se  furent  |apai ses,  je  demandai 
quelques  explications  k  mon  voisin  de  gauche,  non  sans  mani" 
fesler  du  désappointement.  Cet  homme  était  architecte  réaliste. 
Il  possédait  la  logique  de  son  état. 

«  Cette  symphonie,  me  dit-il,  que  vous  prétendez  dénigrer  en 
la  comparant  à  un  chaos,  n'a  pas  au  monde  d'admirateur  plus 
inconscient  et  partant  plus  sincère  que  vous.  Je  vois  une  fois  de 
plus  que  san  auteur  est  un  grand  maître.  El  pour  ne  pas  prolon- 
ger inutilemetit  celte  explication,  monsieur  le  puriste,  apprenez 
que  le  sujet  de  l'œuvre  que  vous  traitez  de  chaos  est  précisé- 
ment la  naissance  du  chaos.  Voyez  mon  programme.  Êles-vous- 
content  manleuant?  Est-ce  clair?  Et  ne  pouviez-vous  savoir  que 
le  musicien  réaliste  a  pour  mission  de  pénétrer  dans  le  cœur 
même  du  sujet,  de  répudier  toute  inspiration  qui  lui  est  étran^ 
gère,  de  fuir  les  élégances  coupables  de  la  mélodie  pure,  d'ab- 
jurer les  ragoûts  efféminés  de  l'harmonie?...  Notre  art  est  logi- 
que et  viril.  Il  ne  s'adresse  pas  à  un  public  de  gourmets.  Soyez 
sloïque,  soyez  Spartiate  si  vous  voulez  vous  complaire  à  ses 
impressions  fortes  et  vierges...  A  bas  les  vieux  préjugés/  A  bas 
la  perruque  surannée  de  Mozart  !  Secouons-la  d'unemain  robuste. 
Le  grand  Beethoven  lui-même  est  déjà  bien  démodé.  L'artiste  ne 
doit  plus  désormais  traduire  et  commenter  la  nature  à  sa  guise. 
L'heure  a-sonné  pour  l'avènement  du  vrai.  Nous  avons  appris  à 
lire  le  Grand  Livre  dans  sa  langue  originale.  Nous  voulons  dans 
nos  œuvres,  non  plus  l'image  embellie  de  la  vie,  mais  la  vie  elle- 
même.  » 

L'architecte  parla  ensuite  d'une  aulre  œuvre  du  même  auteur, 
intitulée  :  la  Tempête.  11  affirma  que  jamais  l'art  n'avait  serré  la 
nature  de  plus  près...  Cette  musique  était  peut-être  désagréable, 
mais  elle  était  vraie...  et  si  admirablement  vraie  qu'elle  donnait 
le  mal  de  mer  aux  auditeurs  initiés  et  attentifs.  Ce  magnifique 
résultat  avait  été  constaté  plusieurs  fois.  On  l'avait  obtenu  par 
les  sonorités  seules.  Car,  comme  on  n'en  était  encore  qu'aux 
répétitions  générales,  on  n'avait  mis  en  œuvre  ni  le  plancher 
mouvant,  ni  la  vapeur  d'eau  salée  insufflée  mécaniquemement 
dans  la  salle  et  augmentant  avec  le  crescendo.  Toutefois,  ceci 
appartenait  à  la  première  manière  du.  maître.  Dans  quelques 
instants  on  exécuterait  une  œuvre  plus  récente,  une  symphonie 
magnifique,  dans  laquelle  il  s'était  décidément  affranchi  de  la 
tradition. 

En  écoutant  le  développement  de  la  théorie  nouvelle,  j'exami- 
nai la  salle  construite  en  bois  à  la  façon  des  cirques,  et  j'en 
admirai  la  simplicité  rustique.  Mais  je  fus  assez  étonné  d'ap- 
prendre que  cet  amas  de  solives  et  de  planches  avait  la  préten- 
tion d'être  une  merveille  d'architecture  réaliste,  et  que  celle  con- 


o 


struclion  rustique  était  destinée  à  faire  oublier  le  Pgrlhénon 
d'Athènes.  Ma  stupeur  redoubla  quand  j'appris  que  les  anciens 
étaient  blâmables  d'avoir  composé  des  «  ragoûts  de  lignes  », 
pour  la  plus  grande  gloire  de  l'idéalisme. 


lE  CONFLIT  D'YPUES 

Yprcs  est  en  émoi.  La  guerre  est  déclarée.  Éles-vous  Delhe- 
kiste  ou  anti-Delbekiste? 

Delbeke?...  Un  peintre,  et  un  peintre  de  grand  mérite,  sMl  faut 
en  croire  un  groupe  d'artistes  bruxellois,  qui  appuient  chaleu- 
reusement leur  confrère,  occupé  à  se  débattre  dans  l'enchevêtre- 
ment des  difficultés  que  fait  naître  en  province  un  art  au  dessus 
de  la  portée  de  la  foule.  ^ 

Voici  le  casus  belli.  '  " 

M. 'Delbeke  est  chargé,  en  1884,  sur  la  recommandation  de 
MM.  Paul  De  Vigne,  Jo^^eph  Stallaeri,  Camille  Van  Camp,  Charles 
Hermaiis,  Jan  Vcrhas,  Markelbach  et  Serrure,  de  certains  tra- 
vaux décoratifs  dai^le  merveilleux  bâtiment  des  Halles  d'Ypres. 
M.  Rousseau,  dirccicur  des  Beaux-Arts,  approuve  les  esquisses. 
la  Commission  dos  Monuments  se  déclare  également  satisfaite. 
Le  gouvernement  alloue  un  subside,  et  voilà  l'artiste  à  l'œuvre. 

Deux  panneaux  sont  faits.  Le  public  est  admis  à  les  voir  et  se 
récrie.  Les  nns  admirent,  mais  la  majorité  désapprouve.  Les  cri- 
tiques sont  acerbes,  violentes,  et  retombent  en  grêle  sur  le 
conseil  communal.  Un  peu  plus,  il  y  aurait  effusion  de, sang. 

Les  artistes  qui  ont  proposé  M.  Delbeke  ripostent  par  une 
lettre  adressée  au  bourgmestre  et  à  l'échevin  des  beaux-arts. 
M.  Paul  Devignc  écrit  : 

«Faisant  partie  du  groupe  d'artistes  de  Bruxelles  qui  a  pris 
à  cœur  d'éveiller  l'attention  du  gouvernement  et  de  l'autorité 
communale  d'Ypres  sur  la  valeur  d'un  artiste  méconnu  jusqu'à 
•  ce  jour,  je  suis  heureux  de  pouvoir  me  joindre  à  mes  collègues 
pour  saluer  l'œuvre  que  nous  avons  été  appelés  à  examiner 
récemment  dans  votre  ville. 

«  Les  deux  pnnneaux  de  peinture  murale  dont  l'exécution  fut 
confiée  à  titre  d'épreuve  au  peintre  Louis  Delbeke  constituent,  à 
mon  avis,  la  tentative  la  plus  heureuse  de  peintute  monumentale 
qui  ait  été  faite  dans  notre  pays. 

«  Par  le  caractère,  l'harmonie,  et  les  moyens  sobres  d'exécu- 
tion, ces  productions  se  rattachent  aux  grandes  époques  d'art  où 
une  entente  parfaite  régnait  entre  l'architecture  et  la  peinture 
et  dont  les  traditions  sont  perdues  depuis  la  Renaissance  ». 

11  termine  sa  lettre  en  ces  termes  : 

«  Il  serait  à  souhaiter  que  l'administration  communale  d'Ypres, 
au  sein  de  laquelle  Delbeke  a  rencontré  de  si  nobles  protecteurs, 
pût  continuer  à  prêter  son  appui  intelligent  à  cet  artiste,  sans 
se  laisser  émouvoir  par  la  critique  inconsciente  qui  s'acharnera 
longtemps  encore  sur  une  œuvre  conçue  absolument  en  dehors 
de  la  routine. 

.«  Que  la  liberté  la  plus  complète  soit  laissée  à  Delbeke  dans 
l'exécution  de  son  programme;  qu'aucune  pression  administra- 
tive n'agisse  sur  lui,  et  un  jour  la  ville  d'Ypres  possédera  une 
œtivrc  d'art  monumcntalque  le  pays  entier  lui  enviera.  » 

Et  le  groupe  ;oul  entier  écrit  à  son  tour,  dans  des  termes  ana- 
logues. 

Le  conseil  communal  s'assemble.  Faut-il  arrêter  les  travaux? 


Faut-il  voter  le  subside  qui  permettra  à  M.  Delbeke  de  poursuivre 
son  œuvre? 

M.  le  conseiller  Van  Daele  déclare  que  les"  panneaux  ne -lui 
plaisent  pas.  Les  neuf  dixièmes  de  la  population  yproise, 
flssure-t-il,  partagent  son  avis.  Il  votera  contre  tout  nouveau 
crédit  proposé. 

L'honorable  conseiller  trouve  d'ailleurs  très  étrange,  très  inso- 
lite (nous  citons  le  procès-verbal  de  la  séance),  que  des  artistes 
dont  il  est  loin  d'ailleurs  de  méconnaître  le  talent,  mais  qui  sont 
assurément  sans  mandat,  adressent  des  rapports  au  conseil  com- 
munal au  moment  de  la  discussion  du  budget.  C'est  là,  dit  il, 
une  manœuvre  qui  semble  avoir  été  mise  en  jeu  pour  peser  sur 
la  détermination  du  conseil  et  lui  imposer  en  quelque  sorte  la 
continuation  des  travaux. 

Il  proteste  contre  cette  manière  d'agir.  (Touché,  de  Vigne!...) 

M.  le  bourgmestre  s'étonne  des  paroles  de  M.  Van  Daeîe.  (Il  y 
a  de  quoi.) 

Une  discussion  agitée  s'engage. 

M.  Bossaert,  échevin,  désire  que  les  panneanx  soient  examinés 
par  d'autres  artistes,  complètement  désintéressés  dans  la  question, 
et  libres  de  tout  engagement  envers  M.  Delbeke  et  l'administration 
communale.  En  attendant,  le  conseil  surseoit  à  toute  détermina- 
tion. 

Le  désir  de  M.  Bossaert  sera  exaucé.  L'Art  moderne  a  pris 
spontanément  la  résolution  d'envoyer  à  Ypres  une  délégation  des 
membres  de  son  comité  de  rédaction.  Cette  délégation  examinera 
les  panneaux  et  donnera  son  avis  dans  l'un  des  plus  prochains 
numéros  dû  journal.  Puisse-t-eile  apporter  dans  l'arche  yproise 
le  rameau  d'olivieM 


j^OTE^    DE    MU^iqUE 


A  la  Grande -Harmonie 

Le  concert  donné  samedi  dernier  à  H  Grande  Harmonie  pour 
fêter  le  7o«  anniversaire  de  sa  fondation  a  été  très  intéressant. 
On  a  entendu  M.  Jacobs,  le  nouveau  professeur  de  violoncelle  au 
Conservatoire,  héritier  du  magistral  coup  d'archef^de  Joseph 
Servais,  M"«  Jane  de  Vigne,  une  jeune  cantatrice  dont  nous  avons 
eu  l'occasion  déjà  d'apprécier  le  talent,  et  M.  Heuschling,  qui, 
malgré  un  deuil  récent  a  consenti  à  remplacer,  au  dernier  moment, 
M.  Sylva, et  à  qui  le  public  a  chaudement  manifesté  sa  sympathie 
et  son  admiration. 

Au  Conservatoire 

La  fknixième  séance  donnée  par  les  professeurs  d'instruments 
à  vent  a  été  très  supérieure  à  la  première.  Programme  choisi, 
exécution  soignée  et  colorée.  MM.  Guidé,  Nahon,  Poncelet,  Merck, 
Herweigh,  Bayart,  Neumans  et  Peeters  ont  joué  avec  ensemble 
un  Otello  de  Mozart  et  un  Rondinn  de  Beethoven  qui  ont  beaucoup 
plu  au  publie. 

M'"^  Cornélis-Servais  s'est  fait  ensuite  très  justement  applaudir 
après  l'air  (.VHippolyte  et  ^n'de,  accompagné  par  un  clavecin, 
une  viole,  une  flûte  et  une  viole  de  gambe,  —  les  quatre  instru- 
ments maniés  avec  une  délicatesse  exquise  par  MM.  De  Greef, 
Agniez,  Dumon  et  Jacobs.  La  cantatrice  a  même  eu  les  honneurs 
du  bis  après  deux  autres  airs  anciens,  qu'elle  a  dits  îTvec  goût  et 
avec  sentiment. 

Pour  finir,  le  septuor  de  Sainl-Saëns  qu'on  n'avait  plus  entendu 


.J 


.-■'^■^'•Jr;'*"' 


# 


depuis  les  séances  de  VUiiion  instrumentale,  et  dont  les  allures 

modernistes  ont  contrasté  avec  celle  peliie  débauche  de  musique 

vieille.  .  . 

Concert  des  Artistes  Musiciens. 

Concert  presque  enlièrcmenl  consacré  aux  virtuoses  et  dans 
lequel  la  partie  symphonique  a  élé  sacrifiée.  A  "côté  des  exaspé- 
rantes Variations  de  Proch,  y  figuraient  l'inévitable  air  de  Lucie 
dé  Lnmmermoor,  un  air  de  la  Reine  de  Sabn,  et  les  Stances  de 
Polyeucte,  ,    "  ■  > 

,  M"«  Vuillaume  a  fort  gentiment  déroulé  ses  vocalises,  et 
M.  COssira  a  mis  une  grande  conviclion  dans  les  airs  qu'il  était 
chai'gé  de  chanter.     '  » 

Un  jeune  violoniste  français,  M.  Paul  Viàrdot  s'est  fait  égale- 
ment enlendre  dans  ce  concert,  mais  en  venant  immédiatement 
après  le  Concert  populaire  dans  lequel  Thomson  remporta  un 
si  brillant  succès,  M..  Viardot  n'a  pu  échapper  au  fatal  parallèle 
.et  celui-ci  n'a  pas  élé  à  son  avantage. 

Son  jeu  est  facile,  correct  et  d'une  irréprochable  justesse,  mais 
son  interprétation  est  froide  et  nerveuse,  et,  de  plus,  il  a  le  grand 
tort  de  tout  exét  uter'  dans  un  mouvement  endiablé.  11  s'ensuit 
quelle  son  qu'il  lire  de  son  instrument  paraît  maigre. 

M.  Viardot  a  joué  le  Concerto  romantique  de  Benjamin  Godard, 
dont  la  canzonetta  a  éié  parliculièremenl  goûlée,  et  la  Folia, 
fantaisie  sérieuse  de  Corelli  (1680),  une  œuvre  charmante  de 
finesse  et  de  grâce.  .. 

La  trop  minime  part  faite  à  l'orchostre  Se  réduisait  k  une 
Ouverture  dé  concert,  de  Rielz,  d'une  belle  allure  et  d'une 
orchestration  très  soignée,  et  au  Rômischer  Carnaval  de  Hans 
Hûber,  première  exécution,  qui  n'a  pas  rencontré  beaucoup  d'en- 
couragement.   ;'-'\'-'.v---^:.--        -■■■:-.'•-■■■■•■■'_  ■\:V':.:^,:/v;-,:--'.^-i     i".     -^.v;,:. 

Il  y  a  dans  ce  Carnaval  plusieurs  motifs  gracieux,  mais 
l'ensemble  de  l'œuvre  manque  de  cohésion.  On  dirait  trois 
ou  quatre  morceaux  différents  de  caractère  et  maladroitement 
enchaînés  l'un  à  l'autre.. 

Séance  d'harmonium. 

M,  Maes,  organiste-compositeur,  a  fait  entendre  quelques-unes 
de  ses  œuvres,  mercredi,  à  la  salle  Marugg  :  un  Concerto  pour 
harmonium,  dont  VAndante  a  beaucoup  plu,  un  Abendlied  pour 
deux  cors  et  instruments  à  archets,  une  Grande  marche  assez 
nulle,  diverses  petites  pièces,  et  une  Introduction  et  fugue  remar- 
quables, la  meilleure  composition,  certes,  de  toutes  celles  qui 
composaient  le  programme. 

M.  Godenne,  violoncelliste,  et  M*"*  Anno,  canlalrice,  ont 
prêté  leur  concours  à  M.  Maes.  Le  premier  a  joué  avec  talent  plu- 
sieurs morceaux,  parmi  lesquels  on  a  particulièrement  i'emarqué 
la  Danse  des  Elfes  de  Popper.  La  seconde  a  agréablement 
chanté  quelques  banalités. 

Audition  de  César  Franck. 

César  Franck  est  l'un  des  grands  musiciens  de  l'époque.  Oui, 
l'un  des  plus  grands.  Et  telle  est  sa  modestie,  et  telles  sont  ses 
habitudes  d'effacement,  d'isolement,  d'  «  après  vous,  je  vous  en 
prie  »,  qu'à  peine  il  est  connu  des  artistes.  El  que  lorsqu'on  lit 
sur  quelque  partiiion,  sur  la  Cloche  de  Vincent  d'indy,  par 
exemple,  au  maître  César  Franck,  on  demande  :  quel  est  det 
illustre  étranger? 

Etranger?  Franck  est  belge.  Il  habite  Paris,  il  est  vrai,  depuis 
bien  des  années,  et  malheureusement  ne  se  souvient  pas  assez 


souvent  qu'il  est  des  nôtres.  L'accueil  qu'il  a  reçu  de  ses  compa- 
triotes, jeudi,  au  Cercle  artistique,  a  paru  le  loucher  vivement 
et  l'engagera,  espérons-le,  à  revenir  parmi  uous.  Quant  aux 
audileurs,  pour  les  uns  la  découverte  du  musicien  inconnu  a  élé 
une  surprise;  pour  les  autres,  c'a  élé  une  joie  que  de  le  voir 
apprécié,  et  applaudi,  et  fôlé. 

De  l'avis  de  tout  le  monde,  la  musique  de  César  Franck  est 
d'un  très  grand  caractère.  Et  le  travail  thématique,  curieux  et 
neuf,  ajoute  au  charme  de  rinspiralion. 

Un  superbe  quintette  pour  piano  et  archets,  d'une  envolée  ma- 
gnifique, ouvrait  le  concert.  Vandante  et  le  finale  en  ont  été  le 
plus  admirés.  Venait  ensuite  un  air  de  Rédemption  (poème-sym- 
phonie), très  beau,  chanté  avec  talent  par  M"*^  Gavioli,  une  chan- 
teuse de  style,  qui  articule  à  merveille.  Puis,  un  Prélude,  choral 
et  fugue  d'une  grandeur  magistrale,  altoignanl  une  élévation  de 
pensée  peu  commune,  joués  avec  autorité  par  une  pianiste  de 
premier  ordre,  M"i«  Bordes-Pène.  Les  deux  morceaux  de  chant 
qui  suivirent  :  Prologue  des  béatitudes  Qi  VAuge  et  V Enfant  nous 
parurent  plus  faibles.  Pour  finir,  une  très  belle  sonate  pour  piano 
et  violon,  fort  bien  exécutée  par  M"™^  Bordes  ej,  M.  Isaye. 


Jû')Art  a  travers  LE3  journaux 

La  question  Coquolin  n'est,  paraît-il,  pas  épuisée.  M.  F.  Lefranc 
la. reprend  dans  la  Revue  d'art  dramatique  et  examine  successi- 
vement tous  les  rôles'joués  par  l'artiste  démissionnaire.  Sa  cri- 
tique est  judicieuse  et  serrée.  En  voici  un  extrait  :    • 

On  ne  cite  pas  une  pièce  médiocre  qu'il  ait  fait  vivre.  Quand 
un  autre  aciour  a  pris  sa  place,  le  public  n'a  point  déserté.  Sup- 
primez M.  Got  dans  le  Duc  Job,  il  n'y  a  plus  de  pièce.  Jamais 
M.  Coquelin  n'a  oblenu  pareil  honneur  ou  n'a  rendu  tel  Service. 

Il  n'a  excellé  que  dans  un  seul  emploi,  le  valet.  Cet  emploi  est 
important  dans  le  répertoire  classique,  c'est  vrai;  mais  il  a  tou- 
jours été  bien  tenu.  Les  grands  premiers  rôles,  les_  amoureux,  les 
tragédiennes,  les  grandes  coquettes  ont  quelquefois  manqué  îi  la 
Comédie-Française;  en  revanche,  elle  a  eu  de  tout  temps  un  ou 
plusieurs  valets  excellents.  M.  Coquelin  apportait  dans  ce  rôle 
toutes  les  (qualités  qii'on  y  peut  souhaiter.  Il  n'avait,  à  vrai  dire, 
qu'à  suivre  une  tradition  non  interrompue,  mais  il  la  suivait 
dignement.  Il  ajoutait  à  ses  qualités  naturelles  tout  ce  que  le  tra- 
vail peut  donner.  Ce  n'est  pas  un  esprit  primesaulier;  il  est  labo- 
rieux et  il  n'obtient  rien  qu'au  prix  de  longs  efforts.  Lui-même 
l'a  reconnu  avec  une  modestie  qu'il  n'a,  peut-être,  pas  tous  les 
jours.  La  chose  vaut  qu'on  la  rapporte.  Certains  aveux  méritent 
d'être  retenus;  ils  nous  livrent  un  homme,  en  toule  vérité.  Sur 
un  album,  au  dessus  de  cette  vanlorie  de  Mascarille  :  «  Tout  ce 
que  je  fais  me  vient  naturellement,  c'est  sans  élude  »,  i>I.  Coquelin 
a  ajouté  avec  candeur  ;  «  Ce  n'est  pas  comme  à  moi  ».  —  On 
n'est  pas  plus  franc.  Voilà,  pourtanl,  une  confession  que  Frede- 
rick Lemaîire  n'eût  jamais  faite.  Ce  qui  me  surprend,  c'est  qu'on 
soit  un  si  bon  juge  de  soi-même  et  qu'on  quitle  la  Comédie- 
Française.  . 


j^ORRE^PONDANCE 


Nous  avons  reçu,  au  sujet  de  l'incident  du  Conservatoire  qui 
forme  l'objet  de  notre  premier  article,  la  lettre  un  peu  radicale 
que  voici  : 

'        Monsieur. LE  Directeur,  • 

Le  Conservatoire  de  musique  de  Bruxelles,  dont  les  derniers 
concours  ont  mis  à  nu  la  nullité  comme  établissement  d'instruc- 
tion, maintenait  son  rang  grâce  à  ses  concerts. 

Ceux-ci  sont  supprimés. 


UART  MODERNE 


407 


T 


Une  noio  du  dirortonr  nnnnnro  quo  la- promit^rc  séance,  qui 
devait  avoir  lieu  le  49  courant,  est  ajournée  indéfinitivement  «  à 
cause  de  l'impossibililé  dans  laquelle  il  se  trouve  de  constituer 
un  orchestre  pour  IVxécuiion  des  œuvres  classiques  ». 

Qu'est-ce  b  dire?  Et  de  qui  se  moquo-t-on? 

L'orcheslre  du  Conservatoire  .se  compose,  on  le  sait,  de  tous 
les  professeurs  de  rétal)lissement  el  d'un  certain  nombre  d'élèves 
choisis  dans  les  classes  instrumentales. 

Le  cadre  des  profess(»urs  est-il  incomplet?  Manque-t- il  un  pre- 
mier violon,  un  premier  violoncelle,  un  premier  alto?  Non.  Tous 
les  postes  ont  leurs  titulaires.  La  classe  de  piano,  seule,  reste 
actuellerhent  sans  professeur.  Mais  le  piano  n'est  pas,  quo  je 
sache,  un  instrument  d'orchestre,  et  là  môme  remarque  s'ap- 
plique \x  la  place  de  professeur  de  chant  italien,  vacante  par  suite 
du  décès  de  M.  Ciiiaromonte. 

Les  élèves?  Mais  ils  sont  aussi  nombreux  que  d'habitude.  Et 
cela  est  si  vrai  qu'on  répète  depuis  le  commencement  de  l'hiver 
la  symphonie  de  Scliumann,  qui  devait  être  la  pièce  de  résistance 
du  premier  concert. 

On  ne  peut  pas  constituer  un  orchestre  à  Bruxelles!!!  Mais 
c'est  absolument  risible.  Allez  à  Namur,  à  Verviers,  \  Bruges, 
vous  trouverez  un  orchestre  complet.  Et  le  Conservatoire  de 
Bruxelles  se  déclare  incapable  d'en  constituer  un  ! 

Soit,  admettons  que  depuis  l'an  dernier  le  Conservatoire  se  soit 
vidé  de  ses  élèves.  Mais  alors,  à  quoi  servent  les  subsides  énormes 
que  fournit  chaque  année  le  gouvernement  à  cette  coûleuçe  insti- 
tution? 

Ne  donnez  pas  de  concerts,  mais  rendez  l'argent  ! 

Et  si  le  Conservatoire  est  vraiment,  comme  tout  tend  à  le 
démontrer  depuis  quelques  années,  un  luxe  inutile,  qu'on  le 


supprime  ! 
Recevez,  etc. 


Cn  Abonné. 


D'autre  part  on  nous  communique  une  nouvelle  qui,  si  elle  se 
confirme,  fera  sensation  dans  notre  monde  musical.  Il  va  sans 
dire  que  nous  ne  l'accueillons  que  sous  toutes  réserves.  Voici  ce 
dont  il  s'agit  :  *  -  / 

—  Quelques  amateurs  de  musique  de  Bruxelles,  parmi  lesquels 
il  y  a  plusieurs  capitalistes,  voulant  remplacer  les  concerts  du 
Conservatoire  supprimés  celle  année,  viennent  de  se  réunir  en 
groupe  pour  fournir  les  fonds  nécessaires  aux  fins  de  donner 
quatre  grands  concerts. 

Les  occupations  de  nos  chefs  d'orches're  ne  leur, permettant 
pas  d'en  prendre  la  direction,  les  personnes  dont  nous  venons  de 
parler  songent  à  faire  appel  à  des  chefs  célèbres  de  l'étranger. 
On  parle  d'une  séance  Beethoven  avec  Hans  de  Biilow,  d'une 
séance  Schumann-Brahms  avec  le  maître  Brahms  au  pupitre.  Los 
deux  autres  programmes  ne  soiil  pas  arrêtés,  mais  des  ouvertures 
sont  faites  à  Hans  Kichler,  assure-t-on,  pour  organiser  el  diriger 
une  séance  Wagner. 

Ce  groupe  entreprenant  compte  (ô  sacrilège!)  sur  la  salle  de 
concerts  du  Conservatoire,  qui,  ainsi  qu'on  le  sait,  appartient 
au  Gouvernement. 

Celui-ci  serait  dispo.sé,  dil-oii,  à  l'accorder  pour  une  année, 
à  titre  d'essai,  îi  la  nouvelle  Société. 


Petite  chrojsique 

La  Walkijrie  pass<Ta  à  la  Monnaie  vers  lo  15  janvier.  Les 
Contes  d'Hoffmann  seront  sus,  espère-t-on,  k  la  même  époque. 

La  première  re|)résentalion  de  VArlesienne^  le  drame  émou- 
vant d'Alphonse  Baudet  pour  lequel  Georges  Bizel  a  écrit 
l'adorable  musique  que  nous  ont  fait  connaître  les  Concerts 
poptilaûes,  aur-A  lieu  jeudi  prochain,  23  courant,  au  théâtre 
Molière. 


La  charmante  Adelina  Rossi,  que  ses  engagements  avaient 
rappelée  pour  un  an  en  Italie,  reviendra  à  Bruxelles  l'année  pro- 
chaine. Sa  dernière  création  à  Milan  sera  Rolla,  le  nouveau 
ballet  à  spectacle  que  prépare  le  théûtre  de  la  Scala. 


La  Commission  du  Jeune  Barreau  vient  de  créer  un  cours  de 
diction  oratoire  destiné  aux  membres  de  la  Conférence.  Ce  cours 
est  donné  tous  les  vendredis,  h  2  heures,  au  Palais  de  Justice, 
à  la  2"  chambre  du  tribunal  de  commerce,  par  M.  E.  Sigogne. 

Il  s'agit  de  leçons  pratiques  ayant  rapport  à  l'émission  de  la 
voix,  à  la  justesse  d'accentuation,  à  la  netteté  de  l'articulation,  à 
tout  ce  qui  permet  d'obtenir  une  diction  irréprochable. 

La  distribution  des  prix  aux  élèves  de  l'école  de  musique  de 
Saint-Josse-len-Noode-Schaerbeek  aura  lieu  le  jeudi  23  décem- 
bre courant,  à  8  heures  du  soir,  dans  la  salle  du  Théûtre  lyrique, 
à  Schaerbeek. 

Cette  cérémonie  sera  suivie  d'un  grand  concert  vocal,  exécuté 
par  les  élèves  des  cours  supérieurs,  au  nombre  de  370,  sous  la 
direction  de  M.  Henry  Warnots,  directeur  de  l'école.  Le  pro- 
gramme comprendra  notamment  quatre  œuvres  inédites  en  Bel- 
gique :  V Etoile,  idylle  antique  de  Henri  Maréchal  ;  Invocation^ 
chœur  de  Paul  Vidal  ;  Toggenbourg ,  ballade  de  Rheinberger,  et 
Avant  faube,  valse  fantastique  d'Edouard  Lassen. 


Erratum.  —  Dans  notre  article  sur  Bruges  de  dimanche  dernier 
où  nous  parlions  de  l'éminent  amateur  M.  Ed.  Kums,  on  a 
imprimé  Ktips.  Nous  espérons  que  nos  lecteurs  ne  s'y  sont  pas 
mépris.  A  tout  hasard  nous  rectifions. 

En  vente  au  bureau  de  VArt  Moderne  : 
RICHARD  ^^VAGNER 

L'ANNEAU  DU  NIBELUNG 

L'Or  du  Rhin. —  La  Valkyrie. —  Siegfried.—  Le  Crépuscule  des  Dieux 

—^ ^1—1^  ANALYSE  DU  POÈME  — r—   -  -i— - 

Prix  :  50  centimes  . 

(Envoi  franco  contre  50  centimes  en  timbres-poste) 


Etude  de  M«  Taymans,  notaire,  Petit  Sablon,  3,  Bruxelles. 

Vente   publique 

Mardi  21  décembre  1886,  à  3  heures,  en  la  Galerie  Saint-Luc,  rué 
des  Finances,  10  et  12,  à  Bruxelles,  de  TROIS  TABLEAUX,  œuvres 
de  M.  le  Chevalier  Alfred  de  Knyff. 

Exposition  :  19  et  20  décembre  1886,  de  12  à  5  heures. 


VENTE  PUBLIQUE  DE  f 

MEUBLES,  ETOFFES  D'AMEUBLEMENT 

TABLEAL'X,  PORCEUIMS,  OBJETS  D'ART,  ETC. 

RUE  DE  BERLAIMONT,  iO,  A  BRUXELLES 


Le  notaire  LAGASSE  vendra  publiquement,  lundi  20  décembre  1886,  et  jours 
suivants,  à  l  heure  de  relevée,  au  domicile  de  M.  L.  Guiot,  rue  de  Berlaimont,  10, 
à  Bruxelles. 

Les  metibles  et  étoffes  d'ameublement  formant  le  fonds  de  magasin  dudit 
M.  L.  Guiot,  fabricant  de  meubles,  à  Bruxelles. 

Divers  meubles  meublants  :  piano,  coflfre-fort,  lustres,  foyers. 

Tableaux  et  dessins  de  divers  maîtres. 

Porcelaines  de  Chine  et  du  Japon,  et  autres  faïences,  verreries. 

Bustes  en  marbre  et  en  terre  ;  vases,  médaillons.  - 

Livres  illustrés,  albums,  etc. 

Bois  bruts,  coui)es  d'amboine,  placages,  outillages,  rayons,  etc. 

Le  catalogue  détaillé,  indiquant  l'ordre  de  la  vente,  se  distribue  en  l'étude  du 
notaire  LAGASSE,  3?,  rue  de  la  Paille. 

Exposition  particulière  :  samedi  18  décembre,  de  1  à  4  heures. 

Exiiosition  jinblique  :  dimanche  li)  diVembre,  de  10  à  5  heures.. 


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ENTRERA  LE  P^  JANVIER  1887  DANS  SA  SEPTIÈME  ANNÉE 

Li'ART   MODERNE  s'est  acquis  par  l'autorité  et  l'indépendance  do  sa  critique,  par  la  variété  'de  ses 

informations  et    les  soins   donnés   à  sa  «rédaction   une  place  prépondérante.   Aucune  manifestation  de  l'Art  ne 

,  lui  est  étranj,^ère  :  il  s'occupe  de  littérature,  de  peinturé,  de  sculpture,  de  gravure,  do  musique, 

d'architecture,    etc.    Consacré   principalement   au    mouvement   artistique  belge,   il  renseigne   néanmoins   ses 

lecteurs  sur  tous'  les  événements  artistiques  de  l'étranger  qu'il  importe  do  connaître. 

Cliaquè  numéro  de  L'ART  MODERNE  s'ouvre  par  une  étude  approfondie  sur  une  question  artistique 
ou   littéraire   dont   l'événement   de   la    semaine  fournit  l'actualité.   Les  expositions,  les  livres    nouveaux,    les 
'       premières    repi-'ésentations    d'œuvres    dramatiques    ou    musicales,   les   conférences   littéraires,    les  concerts,    les 
ventes  d'objets  cCart,  font  tous  les  dimanches  l'objet  de  chroniques  détaillées.                                             ^- 

L'ART   MODERNE   relate   aussi  la  législation   et   la  jurisprudence   artistiques.   Il   rend   compte  d,es 
procès  les.  plus  intéressants  concernant  les  Arts,  plaides  devant  les  tribunaux  belges  et  étrangers.    Les 
artistes  trouvent  toutes   les   semaines   dans   son  Mémento   la   nomenclature   complète   des   expositions   et 
concours   auxquels  ils  peuvent  prendre  part,   en  Belgique  et  à  l'étranger    II  est  envoyé  gratuitement  à 
l'essai  pendant  un  mois  à  toute  personne  qui  en  fait  la  demande..    .                                                    . 

L'ART  MODERNE   forme  chaque   année   un   beau   et   fort   volume  d'environ  450  pages,  avec  table 
des  matières.  Il  constitue  pour  l'histoire  de  l'Art  le  docunaent  LE  PLUS  COMPLET  et  le  recueil  LE   PLUS 
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rue  de  l'Industrie,  26,  au  prix  de  30  francs  chacun. 

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LA  PEINTURE,  LA  SCULPTURE,  LA  GRAVURE 

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SAMUEL,  Ed.  Op.  14.  Tarentelle-Scherzo,  Fragment  sympho- 
nique,  à  4  mains,  fr.  2-50. 

DE   SWERT,   J.    Op.   44.   Impromptu,    pour  violoncelle  avec 
accompagnement  de  piano,  fr.  2  00.  —  Op.  45.  Le  Désir,  morceau 
de  salon,  pour  violon  avec  accompagnement  de  piano,  fr.  1-75.  — 
Op.  46.  Rêverie,  pour  violon  avec  accompagnement  de  piano,  fr.  1-75. 

HERRMANN,  Th.  Op.  28.   Marion- Gavotte,  pour  violon  avec 
accompagnement  de  piano,  fr.  1-35. 

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Novembre  1886. 

Dupont,  Auo.  et  Sandre,  Gust.  Ecole  de  piano  du  Conservatoire 
royal  de  Bruxelles.  Livr.  VIII.  3  suites  et  1  fugue  de  Hsendel,  5  fr. 

Reinecke,  Carl.  Op.   189.   Douze  lieder  à  2  voix  dans  le  style 
populaire,  avec  piano  (texte  allemand),  5  fr. 

Liszt,  Fr.  Transcriptions  sur  des  motifs  des  opéras  de  R.Wagner. 
Edition  pour  2  pianos  à  8  mains.  —  N»  6,  Chanson  des  fileuses  (Le 
Vaisseau  fantôme),  fr.  4-70.  —  N»  7.  La  mort  d'Yseult  (Tristan  et 
Yseult),  fr.  3-45. 

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Bruxelles.  —  Imp.  Félix  Callewaert  père.  —  V»  Monnom  successeur,  rue  de  l'Industrie,  26. 


,.flqp,. 


irm 


Sixième  année.  —  N»  52. 


Le  numéro  :  25  centimes. 


Dimanche  26  Décembre  1886. 


L'ART 


PARAISSANT    LE    DIMANCHE 


REVUE  CRITIQUE  DES  ARTS  ET  DE  LA  LITTÉRATURE 


ABONNEMENTS  :    Belgique,  un  an,  fr.  10.00;  Union  postale,   fr.   13.00.    —  ANNONCES  :    On  traite  à  forfait. 


Adresser  les  demandes  d'abonnement  et  toutes  les  communications  à 

l'administration  générale  de  l'Art  Moderne,  rue  de  Tlndustrie,  26,  Bruxelles. 


^0  M  M  AI  RE 


% 


I 


Les  Académies  de  province.  —  Théâtre  pornographique.  La 
Mandragore  à  Turin.  —  L'Agence  Gargaro.  —  Vandalisme 
botanique.  —  Renée  Mauperin.  —  Bibliographie  musicale.  — 
Théâtre  Molière.  —  Petite  chronique.  —  Réparation  judiciaire. 
—  Table  des  matières. 


LES  ACADÉMIES  DE  PROVINCE 

Depuis  quelques  années  il  s'est  fait  dans  le  haut  per- 
sonnel de  nos  Académies  et  Conservatoires  de  pro- 
vince des  changements  importants.  Chose  remar- 
quable, partout  où  ils  ont  été  compris  avec  intelligence, 
sans  préoccupation  des  personnalités  locales,  avec  le 
seul  désir  de  servir  l'institution  et  de  lui  donner  de 
l'éclat,  la  transformation  a  été  rapide  et  salutaire. 

On  a  cru  longtemps,  on  croit  parfois  encore  que  sur 
un  aussi  petit  territoire  que  le  nôtre,  avec  des  commu- 
nications aussi  faciles,  la  Capitale  absorbe  fatalement 
toute  la  vie  artistique,  et  que  dès  lors  les  autres  locaux 
doivent  disparaître  ou  ne  se  maintenir  qu'artificielle- 
ment. 

Pareille  opinion  est  fausse.  Comme  aux  belles  périodes 
du  passé,  l'Art  descend  de  plus  en  plus  dans  la  vie  quo- 
tidienne. Il  redevient  une  habitude  et  un  besoin  dont 
nulle  part  on  ne  peut  se  passer.  Il  est  aussi  l'un  des 
plus  énergiques  stimulants  du  progrès  dans  tous  les 
domaines  de  l'activité  sociale.  Il  y  a  lieu  de  l'entretenir 
constamment  et  partout.  Il  ne  faut  pas  se  contenter  de 
le  voir  de  loin,  dans  quelques  lieux  priviligiés,  il  im- 


porte de  le  voir  près  de  soi.  Certes,  ses  plus  hautes  et 
ses  plus  intense?  manifestations  se  produisent,  en  géné- 
ral, dans  les  villes  importantes.  Mais  ce  phénomène 
n'est  pas  absolu  et  alors  même  qu'il  devrait  finir  par 
s'imposer,  encore  ne  serait-ce  pas  un  motif  pour  desti- 
tuer le  reste  du  pays  des  bienfaits  à  résulter  d'efforts 
moins  brillants  mais  assurément  féconds.  On  a  remar- 
qué que  le  recrutement  des  forces  artistiques  se  fait 
invariablement  dans  les  provinces.  Les  capitales  s'épui- 
sent vite.  L'existence  y  est  trop  factice  et  elle  amène  à 
bref  délai  la  stérilité.  Il  est  donc  bon  de  favoriser  sans 
relâche  en  dehors  d'elles  les  pépinières  d'où  doivent 
sortir  les  éléments  nouveaux. 

Mais  pour  que  cette  circulation  constante  des  extré- 
mités au  centre  soit  efficace,,  il  faut  qu'en  province  la 
culture  soit  vraiment  rationnelle,  sinon  l'on  irait  à 
rencontre  du  but.  Le  choix  du  personnel  est  délicat  et 
grave .-41  commande  la  plus  sérieuse  attention  et  la 
plus  grande  indépendance.  Un  homme  suffit,  en  géné- 
ral, pour  amener  june  transformation  en  bien  ou  en 
mal. 

Nous  ne  voulons  pas  citer  ici  les  cas  où  l'on  a  vu 
une  académie  ou  un  conservatoire  ne  plus  rien  pro- 
duire à  partir  du  jour  néfaste  où  des  intérêts  de 
clocher  ou  des  appuis  officiels  ont  mis  à  sa  tète  un 
artiste  médiocre,  sans  portée,  sans  notoriété  de  bon 
aloi  et  sans  autorité.  Nos  lecteurs  suppléeront  aisé- 
ment. Certains  exemples  sont  devenus  célèbres.  Mais 
nous  pouvons;  sans  blesser  personne,  rappeler  les  cas 
opposés,  les  circonstances  où,  chez  nous,  le  phéno- 


410 


L'ART  MODERNE 


mène  contraire  s'est  réalisé  quand,  bravant  les  préjugés 
et  se  mettant  au  dessus  des  considérations  de  per- 
sonnes oiî  des  situations  acquises,  si  puissantes  et  si 
délétères,  on  s'est  laissé  guider  uniquement  par  l'intérêt 
artistique. 

Assurément,  Termonde,  la  petite  cité  flamande, 
étranglée  dans  ses  fortifications,  avec  sa  population 
si  mince  et  presque  oubliée ,  n'apparaissait  guère 
comme  un  milieu  capable  de  s'épanouir  artistiquement. 
Rosseels  fut,  il  y  a  quelques  années,  mis  à  la  tète  de 
son  école  de  peinture.  Depuis,  le  changement  a  été 
extraordinaire/On  dit  presque  l'école  de  Termonde. 
Non  seulement  de  très  bons  élèves  ont  été  formés,  de 
remarquables  artistes,  Courtens  par  exemple,  en  sont 
sortis,  mais  l'esprit  des  habitants  est  transformé.  Il  y 
a  là  une  société  choisie,  peu  nombreuse,  mais  à  la 
recherche  des  belles  choses  et  qu'envieraient  des  villes 
plus  populeuses. 

'  Mathieu,  à  Louvain,  n'a-t-il  point,  pour  la  musique, 
assuré  les  mêmes  résultats,  qui  grandissent  encore  sans 
cesse?  A  cinq  lieues  de  Bruxelles,  à  une  demi-heure 
par  chemin  de  fer,  malgré  la  concurrence  redoutable 
de  nos  concerts  et  de  nos  théâtres,  il  reste  maître  de 
souterrain,  il  a  arrêté  la  désertion.  Oh  compte  avec 
lui,  sa  situation  se  fortifie  chaque  jour,  il  prend  peu  à 
peu  l'autorité  d'un  de  nos  meilleurs  chefs,  il  a  aimanté 
ses  concitoyens,  il  leur  a  donné  l'orgueil  et  la  satis- 
faction de  se  savoir  classés  parmi  les  gens  de  goût  et 
d'initiative.  • 

Théodore  Baron  joue  le  même  rôle  à  Namur.  Il  y 
établit  lentement  mais  sûrement  une  excellente  école  de 
paysage.  La  dernière  exposition  qu'il  a  organisée  a 
étonné  par  son  importance  et  son.  intérêt. 

Inutile  de  multiplier  ces  exemples.  Ils  sont  décisifs 
et  démontrent  ce  que  vaut  pour  réveiller  d'un  fâcheux 
engourdissement  une  personnalité  bien  choisie  dont  la 
qualité  principale  doit  être  la  notoriété  qu'elle  s'est 
acquise  dans  le  monde  des  arts.  Ceci,  en  vérité,  passe 
tout.  La  bonne  volonté  ne  suffit  pas  ;  il  faut  être  quel- 
qu'un et  quelqu'un  accepté,  connu,  classé.  C'est  pure 
illusion  que  de  compter  sur  la  bienveillance  locale  et 
sur  des  travaux  relativement  obscurs.  En  cette  matière 
on  suit  mal  unxhef  ignoré,  quelque  sympathique  qu'il 
puisse  être.  Il  faut  que  son  nom  soit  une  recommanda- 
tion et  une  lumière.  Lui-même  y  trouvera  la  confiance 
qui  pousse  aux  réformes  et  qui  mène  au  succès. 

Ces  réflexions  nous  ont  été  suggérées  par  les  vaca- 
tures  à  la  direction  desTcadémîes  de  peinture  de  Bru- 
ges et  de  Louvain  que  les  journaux  ont  annoncées.  Les 
deux  villes,  la  dernière  surtout,  assure-ton,  ont 
besoin  sous  ce  rapport  d'être  ranimées.  Elles  ont  droit 
l'Une  et  l'autre  à  un  rang  distingué  dans  notre  organi- 
sation artistique  nationale.  Il  convient  qu'elles  ne  se 
lai^ent  pas  dépasser  par  Termonde  et  Namur.  Louvain 


a  su  brillamment  reconquérir  sa  place  dans  le  domaine 
musical.  Elle  peut  remonter  de  même  dans  celui  de  la 
peinture.  Tout  va  dépendre  du  choix  qu'elle  fera.  Son 
conseil  communal,  dont  l'événement  dépend,  saura-t-il 
6e  placer  au  dessus  des  considérations  étroites,  des 
sympathies  particulières,  des  relations  entre  voisins  ? 
Quand  on  examine  sa  composition,  on  peut  l'espérer.  Il 
y  à  là,  en  efl'et,  des  personnalités  qu'on  dit  indépendantes 
et  très  désireuses  de  relever  la  cité.  Si  leur  préférence 
tombe  sur  un  artiste  éminent,  vraiment  original,  dé- 
gagé des  formules  vieillies  qui  sont  si  pernicieuses  sur- 
tout dans  l'éducation  des  couches  nouvelles,  il  n'est  pas 
douteux  qu'en  quelques  années  Mathieu  et  son  école  de 
musique  auront  à  côté  d'eux  une  école  de  peinture 
digne  de  leur  être  comparée.  Ce  serait  avec  bonheur 
que  le  monde  artistique  enregistrerait  cette  réforme. 


Yhéatre  pornoqraphique  (*) 

La  Mandragore  à  Turin 

Correspondance   particulière    de   l'Art  Moderne. 

Le  3  décembre  a  eu  lieu  à  Turin  la  première  des  représen- 
tations historiques  dans  lesquelles  on  reprend  les  pièces  de 
l'ancien  répertoire  classique  italien  jugées  en  général  trop  fortes 
pour  les  oreilles  chastes  et  pudibondes  de  nos  contemporains. 

Malgré  l'opposition  soulevée  dans  la  presse  cléricale,  la  salle 
était  comble  et  composée  d'un  public  intelligent  et  lettré,  à  même 
de  comprendra  la  portée  littéraire  et  esthétique  d'une  semblable 
tentative.  Il  y  avait  fort  peu  de  dames  ;  aucune  n'avait  profité  dé 
la  faculté  de  se  masquer. 


La  soirée  a  débuté  par  une  conférence  du  poète  bolognais 
Panzacchi  :  il  a  parlé  de  l'œuvre  de  Machiavel  que  l'on  allait 
représenter,  de  l'ancien  Théâtre,  des  questions  d'art  que  suggérait 
révènemT?nt.  «  Chaque  époque,  dit-il,  a  ses  péchés  :  le  xvi^  siècle 
a  eu  l'obscénité  ;  nous  avons  la  pornographie.  L'obscénité  est 
moins  à  craindre,  parce  qu'elle  est  toujours  apparente,  super- 
ficielle, momentanée;  les  effets  de  la  pornographie  sont  insidieux, 
au  contraire;  elle  idéalise  le  vice  et  souvent  usurpe  des  larmes, 
ce  tribut  des  afflictions  sincères.  » 

Apres  la  conférence,  la  comédie.  Elle  a  été  mise  en  scène  avec 
luxe  et  exactitude;  les  acteurs  étaient  choisis  parmi  les  meilleurs 
d'Italie:  le  texte  a  été  respecté,  sauf  dans  quelques  expressions 
par  trop  scabreuses.  Les  applaudissements  élaieqt  interdits  pen- 
dant la  représentation  —  pour  éviter,  sans  doute,  qu'on  ne  sou- 
lignât des  passages  sur. lesquels  mieux  vaut  glisser  qu'appuyer. 

En  somme,  succès  réel  et  succès  sérieux;  une  fois  de  plus,  on 
a  vu  que  l'art  est  le  domaine  par  excellence  de  la  liberté  et  nous 
gageons  que  les  représentations  de  la  Mandragore  et  des  autres 
chefs-d'œuvre  de  l'ancien  lliéâre  comique  ne  rendront  point  les 
Turinois  moins  bons,  ou  plus  mauvais  qu'ils  sont. 


(*)  V.  VArt  moderne,  1886,  p.  383. 


7 


VART  MODERNE 


411 


**• 


L'AGENCE  &ARGARO 

«  L'autre  jour,  dit  un  rédacteur  du  TempSyMn  sculpteur  m'a 
conté  qu'il  venait  de  se  fonder  à  Paris  une  Agence  des  modèles 
vivayits.  C'est  un  jeune  Italien,  ancien  modèle  lui-même,  il  s'ap- 
pelle Socci  (rien  du  jeûneur)  qui  a  eu  cette  idée  ingénieuse  — 
et  profane. 

J'ai  déjà  parlé,  et  assez  longuement,  du  petit  monde  pittores- 
que des  modèles.  J'ai  conté  avec  quelles  difficultés  les  artistes 
trouvent  un  sujet  qui  serve  bien  leur  inspiration.  Ils  font  désha- 
biller, au  hasard,  tous  les  hommes  et  toutes  les  femmes  en 
quête  de  travail  qui  frappent  à  leur  porte.  Ils  se  renseignent 
auprès  des  camarades.  Ils  écrivent  à  des  adresses  problématiques 
des  lettres  auxquelles  on  ne  répond  pas  toujours.  Des  semaines, 
parfois  des  mois,  se  passent  dans  celte  recherche  énervante. 
C'est  une  grosse  perte  de  temps  et  souvent  une  déception  finale, 
surtout  pour  les  sculpteurs. 

Par  exemple,  l'artiste  dont  je  parlais  tout  à  l'heure  prépare 
pour  le  prochain  Salon  une  statue  de  jeune  fille.  Il  a  voulu  sur- 
prendre et  fixer  le  court  passage  de  l'enfance  aux  grâces  plus  pré- 
cises de  la  jeunesse,  et  s'est  inspiré  des  vers  de  Jules  Lemaître, 
qu'il  écrira  sur  le  socle  : 

Gloire  à  la  jeune  Hébé  1  Son  sein  de  marbre  pur 
Est  frais  éclos  ;  et  dans  sa  grâce  inachevée, 
La  maternité  dort,  pressentie  et  rêvée. 
Comme  au  clair  renouveau  germe  l'été  futur. 

Celte  minute  du  développement  plastique  est  charmanle,  mais 
fugitive.  Un  artiste  peut  rêver  de  montrer  l'éclosion  instantanée, 
respectant  toutes  les  proportions,  alors  gracilement  exquises,  du 
corps;  mais,  dans  la  réalité,  ces^ ensembles  ne  se  rencontrent 
guère;  un  détail  se  précise  avant  l'autre;  vous  trouvez  des 
enfants  à  jambes  de  femme,  des  torses  t'-op  grêles  pour  les  mem- 
bres, surtout  des  membres  trop  longs  pour  les  torses.  Il  faut 
donc  emprunter  des  fragments  à  d'innombrables  fillettes;  q\x  les 
prendre?  .  , 

Désormais,  on  n'aura  plus  qu'à  écrire  à  Socci,  ou  mieux  à  faire, 
comme  j'ai  fait,  à  l'aller  voir. 

Boulevard  de  Clichy,  au  pays  artiste,  l'Agence  des  modèles 
vivants  est  provisoirement  installée  au  fond  d'une  large  et  lumi- 
neuse allée.  C'est  une  maisonnette  fraîchement  repeinte.  Des 
crêpons  japonais  sont  collés  sur  les  vilres. 

En  bas,  une  petite  salle  d'attente.  De  huit  heures  à  midi,  vous 
êtes  toujours  sûr  d'y  rencontrer  un  bouquet  de  jolies  filles.  J'ai 
été  surpris  de  trouver  là,  dans  leurs  costumes  de  velours,  des 
ouvriers  français,  des  hommes  superbes,  poussés  au  muscle, 
avec  des  poitrines  larges  comme  des  bufl'ets  d'orgue.  Ils  sem- 
blaient embarrassés,  regardaient  à  terre,  décontenancés.  Socci 
m'a  dit  que  ce  sont  des  ouvriers  sans  travail  qu'il  a  été  enrôler 
dans  les  grèves.  La  pensée  de  gagner  huit  francs  par  jour  a 
triomphé  de  leurs  répugnances.  L'un  d'eux,  un  terrassier,  m'a 
fait  pitié.  Gauchement  debout  sur  la  planche  à  modèle,  il  souf- 
frait avec  une  honte  visible  de  l'exhibition  fainéante  de  son 
corps,  qu'il  a  développé  dans  le  travail,  par  les  rudes  besognes 
de  biceps. 

C'est  au  premier,  dans  le  cabinet  de  Socci^  que  les  modèles  se 
montrent.  Des  albums  contenant  des  photographies  sont  posés 
sur  des  tables.  Socci  est  en  train  de  faire  exécuter  des  moulages 
qui  permettront  aux  artistes  de  se  renseigner  complètement  sur 


fi 


les  sujets  dont  l'agence  dispose.  A  l'heure  qu'il  est,  il  y  en  a  plus 
de  deux  cents  d'inscrits. 

L'Agence  des  modèles  fera  certainement  de  bonnes  affaires. 
Elle  rendra  de  réels  services  aux  artistes,  en  leur  épargnant  de 
longues  et  fastidieuses  recherches;  elle  donnera  le  grain  de  mil 
à  bien  des  petites  cigales  que  la  bise  trouvait  jadis  dépourvues  ; 
mais  je  ne  puis  m'empêcher  de  regretter  pour  tout  ce  petit 
monde  pittoresque  le  temps  fini  de  la  liberté,  des  courses  à 
l'aventure,  et  je  déplore  amèrement  les  instincts  prosaïques 
d'une  époque  qui  oblige  les  Dianes,  les  Hébés,  les  Faunes  et 
les  Antinous  à  se  syndiquer  pour  vivre  —  comme  des  garçons 
limonadiers  ». 

L'idée  est  excellente,  et  si  pratique  qu'elle  a  été  aussitôt 
accueillie  et  adoptée  à  Bruxelles.  Une  agence  semblable  à  celle 
qui  vient  d'être  décrite  va  s'ouvrir  —  est  ouverte  —  pour  la 
plus  grande  utilité  des  peintres  et  sculpteurs. 

Contrefaçon?  Soit.  Admettons  le  reproche.  L'agence  rendra 
trop  de  services  pour  qu'on  songe  à  critiquer  l'imitation. 

Il  y  a  à  Bruxelles  quelqu'un  qui  était  tout  naturellement 
désigné  pour  remplir  cet  office  :  c'est  Gargaro.  Gargaro,  l'ancien 
modèle  d'Agneessens  et  de  Van  der  Slàppen,  l'un  des  huissiers 
des  XX,  un  peu  photographe,  passablement  musicien,  très 
Italien,  et  par  dessus  tout  brave  et  loyal  garçon,  tous  les  artistes 
le  connaissent  et  l'estiment. 

L'agence  est  installée  rue  Linnée  403.  On  peut  s'y  adresser  par 
écrit  on  en  personne,  et  moyennant  une  légère  rétribution, 
Gargaro  se  charge  de  fournir  les  modèles  désirés.  L'agence  sera 
tenue  ayec  la  plus  grande  exactitude.  Un  modèle  qui  maiiqueràit 
à  ses  engagements  envers  un  artiste  serait  rayé  des  registres.  Des 
photographies  de  tous  les  modèles  inscrits  seront  à  la  disposi- 
tion des  visiteurs.  Très-bien  au  courant  des  usages  de  l'Atelier, 
Gargaro  ne  peut  manquer  d'organiser  son  agence  d'une  façon  vrai- 
ment pratique,  et  l'on  peut  affirmer  que  toutes  les  sympathies  lui 
sont  acquises. 


VANDAIISME  BOTANIQUE 

Il  y  a  actuellement  dans  le  Parc,  à  Bruxelles,  une  demi-dou- 
zaine de  bûcherons  qui  se  livrent  à  la  mutilation  des  arbres. 
Sous  prétexte  que  ceux-ci  ont  besoin  d'un  élagagc,  on  leur 
supprime  des  branches  et  on  leur  donne  l'aspect  contourné  qui 
déshonore  déjà  nombre  d'en! re  eux. 

Nous  avons  fait  remarquer  à  plusieurs  reprises  que  ces  bonnes 
gens  ne  voient  dans  un  arbre  qu'un  objet  à  exploiter  pour  le 
commerce  du  bois  et  qu'ils  l'arrangent  de  façOn  à  lui  faire 
produire  le  plus  gros  débit  possible.  Qu'ils  fassent  cela  dans  les 
coupes  réglées  .des  forêts  qui  sont  des  propriétés  d'exploitation, 
soit,  mais  qu'ils  traitent  de  même  une  promenade.,  c'est  ridicule. 

Les  arbres  de  nos  promenades  ne  doivent  être  considérés  qu'au 
point  de  vue  de  la  beauté.  Y  voir  un  objet  de  profit,  c'est  du 
vandalisme.  On  respecte  les  basses  branches  de  nos  boulevards; 
pourquoi  les  coupe-l-on  dans  le  Parc?  Un  bûcheron  peut  éire 
hors  d'étal  de  comprendre  cela,  mais  l'administration  ne  devrait 
pas  l'ignorer. 

Le  mieux -est  de  laisser  ces  pauvres  arbres  pousser  comme  ils 
veulent,  à  la  diable,  à  tort  et  à  travers.  Une  branche  ne  doit  leur 
être  ôtée  que  s'il  n'y  a  aucun  moyen  de  faire  autrement.  Alors  ils 
deviendront  pittoresques  et  charmants. 


r    • 


mm 


Il  est  temps  que  ce  malentendu  entre  eeux  qui  traitent  le  Parc 
comme  un  bois  de  rapport  et  ceux  qui  n'y  voient  qu'un  bois 
d'agrément  prenne  fin.. 


RENÉE  MAIPERIN 

L'espoir  d'assister  à  une  pure  manifestation  d'art,  h  oh  les 
acteurs  ne  parleraient  point  le  Dumas  et  n'exhaleraient  point  les 
niaisaries  d'un  spirituel  en  titre,  cet  espoir  mena  les  intelligences 
lasses  d'abominables  redites  scéniques  au  péristyle  de  l'Oddon. 

A  vrai  dire  on  fut  déçu.  L'adaptateur  du  roman  à  la  scène, 
M.  Céard,  s'est  cru  forcé  de  faire  du  théâtre,  c'esl-à-dire  d'accu- 
muler les  baroques'  antiihèses,  les  mots  à  effet,  de  régler  les 
entrées  et  les  apparitions  des  personnages  suivant  l'optique 
difficilement  affectible  des  bookmakers,  des  raslaquouères  et 
des  échotiers,  habituels  consommateurs  de  spectacles. 

Tant  que  seront  suivis  ces  procédés,  la  moyenne  intelligente 
du  public  désertera  la  comédie  et  préférera  toujours  les  joies 
des  yeux  servies  à  l'Eden  ou  dans  les  cirques,  les  hilarantes 
gesticulations  d'un  Lassouche  ou  d'un  Baron,  et  peut  être  n'aura- 
t-elle  pas  tort. 

A  part  une  langue  exquise  de  forme  suggérant  des  lointains 
d'idées  sous  presque  chaque  mot,  Renée  Mauperin  ne  se  dis- 
tingue en  rien  des  pièces  ordinaires  par  l'affabulation.  Le 
traître  brutal  arrivant,  prêt  à  tiier,  au  milieu  d'une  fête,  alors 
qu'on  ne  l'attend  point  et  qu'on  usurpe  son  nom,  une  déclaration 
d'amour,  des  confiances  de  vie  sauve,  des  joies  dites  par  la 
bouche  de  la  sœur  certaine  du  duel  empêché  durant  que  se  bat 
son  frère,  la  gêne  terrifiante  de  son  interlocuteur,  ses  gestes 
éperdus  d'aparté,  voilà,  ce. semble,  de  bien  surannées  antithèses, 
des  effets  propres  au  plus  à  émouvoir  les  marchands  de  vin  ou 
M.  Sarcey,  mais  non  des  esthètes  (*). 

Et  cependant  M.  Sarcey  ne  s'est  pas  ému,  ni  les  marchands  de 
vin.  El  la  cause  :  c'est  qu'il  n'est  venu  de  cette  tentative  qu'une 
production  hybride  et  transitoire,  pas  suffisamment  émotive 
pour  l'intellect  des  brutes,  et  manquant  de  hardiesse  pour  affir- 
mer les  fines  psychographies  chères  aux  dilèttanii. 

Les  œuvres  de  transition  paraissent  toujours  des  œuvres 
médiocres.  Elles  ne  contentent  pas. 

Et  puis,  il  faut  l'avouer,  les  artistes  échouent  quand  ils  tentent 
d'égaler  les  fabricants.  Wagner  n'eût  point  réussi,  sans  doute, 
un  opéra  façon  Aubcr  ou  Boïeldieu;  et  M.  Zola  accomplirait  une 
œuvre  infime  s'il  voulait  cheoir  aux  besognes  de  M.  Daudet  ou  de 
M.  Ohnel.  Le  manœuvre  acquiert  une  parfaite  mécanique  des 
trucs  et  des  procédés  que  l'artiste  soumis  à  ses  rhythmes  inté- 
rieurs ne  saura  d'un  coup  assimiler.  Je-  ne  suppose  guère  que 
MM.  de  Goncourt  apprirent  à  composer  le  roman  de  la  manière 
dont  M.  Sardou  étudia  l'art  dramatique.  On  sait.que  ce  million- 
naire, étant  apprenti,  lisait  attentivement  un  premier  acte  de 
Scribe,  un  second,  puis,  fermant  le  livre  s'astreignait  à  établir 
la  charpente  des  actes  suivants,  tout  heureux  s'il  parvenait  à  les 
faire  identiques  à  ceux  du  maître  choisi. 

VxvL  kùxn  (la  Vogue), 


{*)  Décidément   ce  mot,    lancé    dans    la  circulation   par   VArt 
moderne,  fait  fortune. 


iPlBUOQRAPHlE    MU^lCy^LE 

La  maison  Breitkopf  et  flârlel  vient  de  donner  l'hospitalKé  à 
Jdachim  RafF  dans  son  Edition  populaire.  Les  œuvres  de  jeunesse 
du  compositeur  (op.  2  à  14)  pour  piano  à  deux  mains  occupent 
trois  volumes,  classés  sous  les  n»»  563,  564  et  565. 

Le  premier  comprend  Trois  morceaux,  un  Scherzo,  une 
Fantaisie,  quatre  Galops-caprices,  des  Vanations  et  un  Rondo- 
brillant  sur  un  motif  de  Donizetti  :  musique  de  salon,  reflétant 
des  personnalités  diverses,  Chopin  notamment,  et  permettant  aux 
jeunes  «  demoiselles  »  de  masquer  habilement  leur  secrète  passion 
pour  Sidncy-Smith,  Bnrgmuller  et  Ferdinand  Beyer.  Jouer  du 
Raflf!  Mais  ce  Raff  ressuscité  par  la  maison  Breitkopf  est  filandreux 
et  terne,  banal  aussi.  A  signaler  comme  excellente  étude  dé 
staccatile  scherzo. 

Le  deuxième  cahier  renferme  l'œuvre  huitième  du  compositeur  : 
douze  romances  en  forme  d'études,  ou,  si  l'on  veut,  douze  études 
en  forme  de  romances,  le  tout  italien  et  fleuri,  marqué  d'un  mil- 
lésime extrêmement  rapproché  de  1830.  Les  titres  seuls  le  por- 
tent :  L'a&6a7ido«fl/fl,  Il  fuggiliyo,  Il  pianio  delV  Amante,  Il 
delirio,  etc. 

Enfin,  dans  le  troisième  volume,  on  a  réuni  une  Introduction 
et  Rondeau  en  la  hém.  majeur,  un  «  grand  câpriccio  »  intitulé  : 
Hommage  au  Néo-romantisme,  un  Àir  suisse,  une  Fantaisie  en 
la  majeur,  et  une  Grande  sonate  en  mi  bémol  mineur. 

La  même  maison  d'édition  vient  de  faire  paraître,  dans  la  cor- 
recte et  belle  édition  dont  nous  avons  parlé  déjà  (^),  la  deuxième 
série  des  œuvres  de  Schubert.  Elle  comprend  sept  ouver- 
tures pour  orchestre  et  un  choix  de  petites  pièces,  datées  de 
novembre  1813,  pour  quatuor  d'instruments  à  cordes.  Ce  sont  : 
Cinq  menuets  avec  six  trios,  Cinq  allemandes  avec  coda  et  sept 
tnos,  enfin,  un  Menuet.  La  gravure  et  le  tirage,  extrêmement 
soignés,  sont  dignes  en  tous  points  des  magnifiques  publications 
de  la  maison. 

L'ouvrage  complet  comprendra  l'ensemble  des  œuvres  de 
Schubert.  11  est  ainsi  divisé  :  Œuvres  symphoniques,  séries  I-IIL 
Musique  de  chambre.,  IV-VI.  Compositions  pour  piano^  VII-XIL 
Musique  Sacrée,  W\\-Vy .  Musique  dramatique,  XV.  Lieder  à 
plusieurs  voix,  \yiXX.  Lieder  à  une  voix,  XXI. 

Nous  renvoyons  à  notre  article  précédent  pour  ce  (fûe  nous  avons 
dit  de  la  supériorité  de  cette  édition  sur  toutes  celles  qui  l'ont 
précédée. 

*  *  • 
M.  Robert  Bertram  a  publié  une  nouvelle  mélodie  de  M.  Jules 
de  Swcrt,  l'auteur  des  Albigeois,  composée  pour  chant  avec 
accompagnement  d'orchestre  (ou  de  piano)  et  intitulée  :  le  Retour 
(poésie  de  Lamartine).  L'œuvre  porte  le  n*»  4S  des  compositions 
de  M.  de  Swert.  Elle  est  traduite  en  allemand  et  en  anglais  et 
transcrite  pour  toutes  les  voix. 


jHÉATRf:  fioutnz 


C'est  avec  vaillance  que  lé  théâtre  Molière  a  monté  et  joué 
jeudi  soir  VArlésienne  de  Bizet.  Peut-être  la  réussite  complète 
du  drame  était  elle  au  dessus  ëes  forces  moyennes  de  la  troupe. 


(*)  W.TArt  moderne,  1885,  p.  265. 


mais  rien  de  ce  qu'on  peut  normalement  exiger  des  acteurs  n'a 
été  refusé.  Tous  se  sont  attelés  de  plein  cœur  à  leur  rôle,  tous 
l'ont  étudié  avec  soin  et  quelques-uns  l'ont  compris. 

La  pièce  au  reste  en  vaut  la  peine.  Telle  situation  est  neuve, 
dramatique,  hardie;  tel  acte  d'une  sentimentalité  violente  passe 
par  dessus  le  melo  et  touche  au  vrai  théâtre.  Une  originalité  nette  : 
le  principal  personnage,  sur  le  caractère  duquel  pivote  la  fabula- 
lion,  ne  paraît  pas.  Une  Dea  ex  machina^  toute  nouvelle  et 
heureusement. 

La  musique  si  caractéristique  de  Bizet  a  quelque  peu  boité 
dans  sa  danse  à  travers  les  farandoles.  L'orchestre  était  insuffi- 
sant. 

Somme  toute,  soirée  convenable.  M"«  Dinah  Félix  lient  éloquem- 
menl  le  rôle  de  Vivetle.  M™«  Clarence  a  l'altitude  vraie,  vivante; 
elle  ne  brise  l'illusion  qu'aux  moments  d'angoisse  dans  les  jeux 
de  passion  aiguë.  ^ 


RÉPARATION  JUDICIAIRE 


Petite  chroj^ique 


Trois  tableaux  de  de  Knyff  ont  été  vendus  cette  semaine  à  la 
salle  Saint-Luc  : 

Le  jardin  d'Alfred  Stevens^  450  fr.  ;  L'orage,  860  fr.  ;  Vaches 
en  Normandie,  240  fr.  . 

A  l'occasion  de  la  distribution  des  prix  aux  élèves  du  Conser- 
vatoire de  Mons,  un  concert  sera  donné,  aujourd'hui,  sous  la 
direction  de  M.  Jean  Van  den  Eeden. 

1*»  Ouverture  d'Euryanthe,  C.-M.  v.  Weber.  —  2«  Concerto 
pour  le  hautbois  (andanle  et  final),  exécuté  par  M.  Malengret 
(lauréat),  J.  Rielz.  —  3»  Concerto  pour  la  flûle  (l'"«  parlie),  exé- 
cuté par  M.  HousiAUX  (lauréat),  Tulon.  —  4»  Air  d'Euryanthe, 
chanté  par  M.  Camille  Daille  (lauréat),  C.-M.  v.  Weber.  — 
5»  Concerto  pour  le  violon  {adagio  et  final),  exécuté  par 
M.  Bosquet  (lauréat),  David.  —  6»  Marche  solennelle,  composée 
à  l'occasion  du  couronnement  du  Czar,  Tschaïkowsky. 

Heureux  Montois  !  Ils  ont  un  trombone,  eux  ! 


Le  patriarche  de  Saint-Nicolas  publie  la  note  suivante  : 
«  Quant  aiix  Vingtisles,  grosse  nouvelle  qui  me  vient  de  bonne 
source  :  un  des  chefs  de  file  se  décide  à  abandonner  et  les  prin- 
cipes absolus  de  la  vision  d'ensemble  et  les  taches  informes  et  le 
mépris  complet  du  dessi»  pour  la  microscopie  des  gothiques, 
pour  rexaciitude,  le  fini  et  les  détails  !  Où  donc  est  l'art  moderne, 
où  sont  les  jeunes  d'antan  ?  »  v 

Où  ils  sont?  Vous  le  verrez  sous  peu.  Au  mois  de  février.  Un 
peu  de  patience,  de  grâce.  Est-il  pressé,  ce  macrobite! 

Merveilleusement  informé,  d'ailleurs,  et  d'une  délicatesse! 
Lisez  ceci  : 

«  M.  Louis  Degroùx  (!)  fils  de  Charles,  vient  d'être  nommé  en 
remplacement  de  M.  Goethaels  (Goethals,  si  cela  vous  est  égal) 
décédé,  au  Conseil  d'administration  des  XX  {}.\).  M.  L.  Degroux 
est  l'auteur  d'un  Pèlerinage  de  Saint-Colomban,  œuvre  ratée  s'il 
en  fui  (!!!)  malgré  le  talent  réel  dont  son  auteur  y  a  fait 
preuve  (!!!!).  A  propos  de  Degroux,  pourrait-on  nous  donner  des 
renseignements  sur  ce  que  sont  devenus  les  carions  des  peintures 
d'Ypres,  qui  n'ont  servi  à  rien,  et  qui  si  notre  mémoire  est  fidèle, 
ont  coûté  30,000  francs?  » 

Il  serait  difficile  d'accumuler  en  si  peu  de  lignes  plus  de 
pataquès  et  de  perfidie. 


Cour  d'appel  séant  à  Liège.  Chambre  des  appels 
de  police  correctionnelle. 

En  cause  du  Ministère  public  et  de  :  io  Pascal  Tralin,  rue  du 
Croissant,  5;  2°  Batelot,  rue  de  l'Echiquier,  39;  3°  Basserau,  rue 
St-Martin,  240  ;  4»  Bergkr  et  C^e,  rue  d'Enghien,  7  ;  5°  Baudot,  rue 
Domat,  20  ;  6"  Labbé,  rue  du  Croissant,  20,  tous  éditeurs  de  niusi-  0 
que  à  Paris,  parties  civiles,  appelants  et  intimés,  représentés  par^^ 
M®  Georges  Robert,  avoué,  plaidant  :  M«  Octave  Maus,  avocat  près 
la  Cour  d'appel  de  Bruxelles, 


Contre  :  , 

lo  Alfred  Bister-Bois  d'Enghien,  imprimeur-éditeur,  et  RocH, 
chanteur  ambulantj  tous  deux  à  Namur,  plaidant  :  M*  Douxchamps, 
avocat  à  Namur.  ,  "    . 

La  Cour  rend  l'arrêt  suivant  :  . 

Vu  par  la  Cour  le  jugement  dont  est  appel  rendu  le  13  août  1886 
par  le  tribunal  correctionnel  de  Namur,  qui  condamne  les  prévenus 
à  dix  francs  d'amende,  à  défaut  de  paiement  à  deux  jours  d'empri- 
sonnement subsidiaire,  aux  frais  envers  l'Etat  et  ce  solidairement, 
les  dits  frais  liquidés  à  deux  francs  dix  centimes;  prononce  la  confis- 
cation des  chansons  incriminées;  en  outre  tous  deux  solidairement 
a  cent  francs  de  dommages-intérêts  et  aux  frais  envers  la  partie 
civile;  autorise  cette  dernière  à  faire  insérer  le  jugement  dans  deux 
journaux  à  son  choix  aux  frais  des  prévenus  ;  dit  que  le  coût  de  cette 
insertion  sera  récupérable  contre  les  prévenus  contre  simple  quit- 
tance des  éditeurs  sans  qu'il  puisse  être  réclamé  de  ce  chef  une 
somme  supérieure  à  deux  cents  francs,  -  • 

Du  chef  de  contrefaçon  littéraire  ; 

Vu  les  appels  interjetés  de  ce  jugement;  . 

Ouï  en  son  rapport  M.  le  conseiller  Beltjbns  ;  ^ 

Les  prévenus  dans  leur  interrogatoire  ;  7^  T^^T 

M"  Douxchamps,  avocat,  conseil  de  Bister,  concluant  à  la  réfor- 
mation du  jugement;  M«  Maus,  avocat,  conseil  de  la  partie  civile, 
concluant  à  une  augmentation  des  dommages-intérêts  et  des  inser- 
tions; M.  Limelette,  substitut  du  procureur  général,  concluant  à  la 
confirmation  du  jugement;        - 


Après  en  avoir  délibéré  ; 

En  ce  qui  concerne  Vappel  du  prévenu-  Bister  contre  la  partie 
publique:  -^ 

Attendu  qu'eu  égard  aux  circonstances  atténuantes  visées  dans  le 
jugement  a  quo  l'inculpé  n'a  été  condamné  qu'à  une  peine  de  police 
et  que  le  Ministère  public  n'a  point  interjeté  appel;  qu'il  s'en  suit 
que  la'décision  est  en  dernier  ressort  ; 

^n  ce  qui  conceime  Vappel  de  Bister  contre  la  partie  civile  et 
l'appel  de  cette  dernière  contre  les  deux  prévenus  : 

Attendu  que  l'inaction  du  Ministère  public  ne  peut  préjudicier  à 
la  partie  civile  ;  quê*celle-ci  a,  en  effet,  une  action  indépendaute  de 
celle  de  la  partie  publique  (art.  3  et  4  du  G.  P.  G.)  ;  et  que  de  même 
que  le  Ministère  public  aurait' pu,  s'il  avaft  interjeté  appel,  demander 
à  la  Cour  une  modification  de  la  peine,  de  même  la  partie  civile  est 
recevable  à  soutenir  que  les  faits  incriminés  doivent  être  considérés 
comme  un  délit  pour  déterminer  le  montant  des  dommages-intérêts 
(art.  202  du  G.  P.  G.); 

Attendu  que  les  faits  imputés  aux  prévenus  ont  été  posés  en  1885; 
qu'il  y  a  donc  lieu  de  leur  appliquer  les  art.  425  et  suivants  du  Code 
pénal  de  1810,  combinés  avec  la  loi  du  22  mars  1886,  art.  22  et  23  ; 

Attendu  que  la  partie  civile  qui  a  porté  plainte  a  justitié  confor- 
mément à  l'art.  3  de  la  loi  du  13  mai  1882,  ratifiant  la  convention 
entre  la  France  et  la  Belgique  du  31  octobre  précédent,  de  son  droit 
'  de  propriété  en  établissant  par  des  certificats  délivrés  par  le  bureau 
de  la  librairie  à  Paris  que  les  chansons  qui  font  l'objet  du  procès 
sont  des  œuvres  originales  jouissant  en  France  de  la  protection  légale 
contre  la  contrefaçon  et  la  reproduction  illicites;  et  qu'elles  ont  été 
déposées  légalement  en  1882,  1884  et  1885  ; 

Attendu  que  les  prévenus  reconnaissent  les  faits  qui  leur  sont 
imputés;  qu!ils  se  bornent  à  soutenir  que  les  conditions  essentielles 


\ 


414 


U ART  MODERNE 


de  fraude  où  de  méchanceté  Ae  l'art.  22  de  la  loi  du  2?  mars  1886, 
dont  la  peine  seule  est  applicable  aux  termes  de  l'art.  2  §  2  du  Code 
pénal  de  1867,  font  défaut; 

Qu'ils  ont  agi  de  bonne  foi  en  imprimant  et  vendant  pour  un  prix 
dérisoire  des  chansons  que  d'autres  avaient  imprimées  en  Belgique 
sans  être  inquiétés  ; 

Attendu  que  le  sens  des  mots  «  atteinte  méchante  ou  fraudu- 
leuse n  de  l'art.  22  résulte  à  toute  évidence  des  travaux  prépara- 
toires de  la  loi; 

Que  l'article  24  du  projet  (art.  22  aujourd'hui)  caractérisait 
comme  suit  la  contrefaçon  : 

«  Quiconque  aura,  au  préjudice  des  droits  garantis  par  les  dispo- 
•♦  sitions  qui  précèdent,  publié,  imprimé  des  écrits...  sera  coupable 
«  du  délit  de  contrefaçon  »»;  que  cette  rédaction  fut  critiquée  par 
M.  Jules  de  Borchgrave,  rapporteur  de  la  section  centrale,  comme 
manquant  de  clarté  et  de  précision  ;  que  l'honorable  représentant 
définissait  la  contrefaçon  en  ces  termes  :  •♦  une  atteinte  au  droit 
«  exclusif  d'auteur  sur  une  œuvre  d'esprit  consistant  à  reproduire 
•«  cette  œuvre  sans  le  consentement  du  titulaire  du  droit  d'auteur 
«  par  n'importe  quel  mode  de  reproduction  ;  que  voulant  préciser 
••  ce  qui  était  permis  et  ce  qui  était  défendu,  c'est-à-dire  la  diffé- 
•♦  rence  entre  \e  délit  et  le  quasi-délit  provenant  de  la  contrefaçon,  il 
•♦  ajoutait  :  «  que  ce  résultat  serait  aisément  atteint,  si  l'on  distingue 
M  l'usurpation  commise  dans  le  but  soit  d'exploiter  l'œuvre  au  pré- 
M  judicè  de  son  auteur,  soit  de  nuire  intentionnellement  à  sa  repu- 
«  tation  artistique  d'une  simple  reproduction  qui  n'est  inspirée  par 
««  aucune  espèce  de  fraude  ou  de  malveillance  ;  que  la  première  soit 
«»  frappée  dune  peine  correctionnelle  que  la  dernière  reste  dans  le 
««  domaine  d'une  poursuite  civile  ♦»  ;  . 

Qu'à  la  suite  de  ces  observadons  la  section  centrale  proposait  la 
rédaction  suivante  : 

"  Quiconque  en  fraude  des  droits  d'auteur  reproduit  en  toutou 
«  en  partie  une  œuvre  littéraire,  est  coupable  du  délit  de  contre- 
•«  façon  ;  »» 

Que  le  Gouvernement  vis  à  vis  du  projet.de  loi  de  la  section  cen- 
trale a  présenté  sur  la  disposition  organique  de  la  contrefaçon  un 
amendement  ainsi  conçu  :  «  toute  atteinte  sciemment  portée  au  droit 
«  d'auteur,  tel  qu'il  a  été  défini  ci-dessus,  constitue  le  délit  de  contre- 

•  façon  »»  ;  ■';-. 

• .        »  '  '■  '  ■.■,.•-..•..■  «  , 

Qu'à  la  suite  des  discussions  au  sein  de  là  Chambre  des  représen-^ 
tants  et  notamment  df>s  observations  de  l'honorable  M.  Pirmez,  on  a 
arrêté  le  texte  de  l'art.  22  en  y  insérant  que  l'atteinte  portée  au  droit 
d'anteuT  deysiit  être  méchante  on  frauduleuse  ; 

Que  des  travaux  préparatoires  de  la  loi  il  ressort  donc  que  dans 
son  texte  et  dans  son  esprit  elle  a  voulu  punir  toute  publication 
méchante  ou  frauduleuse  faite  au  préjudice  et  en  fraude  des,  droits 
des  auteurs;  que  la  fraude  existe  lorsque  un  imprimeur  ou^diteur 
s'empare,  dans  un  but  commercial,  de  l'œuvre  d'autrjui,  sans  son 
consentement  ou  celui  de  sou  ayant  cause,  à  son  insu,  et  sans  se 
renseigner  au  sujet  des  droits  privatifs  attachés  à  cette  œuvre,  qu'il 
l'imprime  et  en  vend  un  grand  nombre  d'exemplaires,  sachant  qu'ils 
sont  destinés  à  la  vente,  sans  qu'il  y  ait  lieu  de  distinguer  si  le  prix 
qu'il  en  obtient  est  ou  non  suffisamment  rénumérateur  ; 

Attendu  que  rien  dans  les  discussions  législatives  ne  permet  de 
supposer  que  le  législateur  de  J  886,  qui  désirait  garantir  d'une  façon 
plus  efficace  les  droits  des  auteurs  d'œuvres  littéraires  ait  permis  à 
un  iniprimeur  contrefacteur  d'inyoquer  sa  bonne  foi»  lorsque,  comme 
dans  l'espèce,  celui-ci  a  négligé  absolument  de  chercher  à  éclairer 
sa  religion  ;  que  telle  interprétation  aurait  pour  conséquence  l'exo- 
nération, dans  la  plupart  des  cas,  de  toute  espèce  de  responsabilité 
pénale; 

Attendu  qu'il  suit  de  ce  qui  précède  que  le  fait  reproché  aux  pré- 
venus est  punissable  aux  termes  des  articles  22-23  de  la  loi  de  1886  ; 

Par  ces  motifs  : 

La  Cour  dit  l'appel  du  prévenu  Bister  contre  la  partie  publique 
non  recevable  et  statuant  sur  les  appels  relatifs  à  la  réparation  civile 
du  délit,  confirme  le  iugement  la  quo\  dit  toutefois  que  les  insertions 
dans  les  journaux  indiquées  par  les  premiers  juges  auront  pour  objet 
le  présent  arrêt  au  lieu  du  jugement  ; 

Condamne  Bistèr  et  la  partie  civile  chacun  à  la  moitié  des  frais 
d'appel,  ces  frais  liquidés  envers  l'Etat  à  la  somme  totale  de  fr.  7-82 
non  compris  ceux  en  débet. 

Ainsi  jugé  et  prononcé  le  4  décembre  1886. 

Présents  :  MM.  Dauw,  président;  Beltjens,  Frère,  de  Sébille, 
PuTZBYS,  conseillers;  Limelette,  avocat  général  et  Feeth,  greffier. 


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