TABLE DES MATIÈRES
DE
L'ART MODERNE
M /■
ETUDES ET PORTRAITS
L'Art moderne ... . . , .^ . . .
L'artjeuneet les JOT. . ... . . . . . .
La situation de l'art en Belgique (à propos de l'Exposi-
tion internationale des Beaux-Arls à Anvers) . . .
L'éducation de l'artiste
Principes d'art. . . °. ... . .• . . . .
Les apporteurs de neuf .
Ancienne peinture et peinlure nouvelle . . . , .
Le banquet Manet. ...........
De la môderniiéidans l'art (lettre de M. Rousseau) . .
L'incident Caron . . . . . . .' . . . . .
Great Zwans exhibition ... , . . . . . . ,
Les . zwanzeurs d'autrefois (à propos d'Eugène Dela-
" croix). . . . . . . ,
Le Beau caractériste . , . ... . . . . .
Le Laid dans l'art
Une bibliothèque des dessins .
L'Académie. . . . . . .
Londres. ....:........,
Exclusivisme ^ . . . . .
Horlogerie . , :-r'-.-~-^- . . . . . . ^ . .
PAGES.
1
34
129
132
374
413
221
9
147
65
74
. 97
28
50,67
43
225
..:.......,, 311
, ^ . . . . 349
Haendel et Bach . .... . . . . . . . 45
Les Maîtres-Chanteurs . ... . . . . . 60,76,81
Le Wagnérisme à Bruxelles . . . . . . . * , 153
Mort de Victor Hugo 161
A Victor Hugo 169
Victor Hugo. L'horreur sacrée 170
Id. L'universelle humanité ...... 172
ïd. En attendant la mort. ....... 174^
:, Id. La mort de sa fille . 174
Id. A Villequicr 176
id. CJiant d'amour ........ 178
Id. Les Châtiments . . . '. . , . . 179
Id. La pitié'^upréme. . . .... 181
Id. Le !«•• juin 1885 183
Les origines de la F^*ance contemporaine. — La Révo-
lution. . . . .. . . 309, 317
Germinal . . . 114
Notre jeune littérature 123
Essai de pathologie littéraire : I. Les Déliquescents. . 229
II. Les Décadents . . . 238
III. Les incohérents . ... . \ .
IV. Les Verbolâires ,. , . . . . . .
V. Les Symbolistes .
Vi. Les Symbolistes ésotériques . . .
VII. Les Bien-portants . ." , . . .
Pathologie littéraire. Correspondance . .
Les Esthètes . . . . . . . . .
De la publication des livres . . . ^ .
Les livres belges . . . . . . . .
La primauté historique de l'art littéraire .
Le plagiat . . . .
Le Volapuk. . . ... . ...
Edouard Agneessens . ... . . .
Charles Goethals . . .....
Joseph Lies . . . . ... .
Xavier Mellery _ . . . ' . . .
Joseph Servais
Jules Zarembski . . . . . . . .
Bastien Lepage . . . . . . . .
Edgard Degas. . . . . . . . .
Renoir
James Tissot .., . ... . ...
J. M. W. TURNER . . . . . . .
James M. Neill \Vhi3Tler
Edmond About. . . . . . . _ .
Henry Becque. . . . . . . . .
Paul Bourget. .
Edmond Haraucourt . . . . .
Victorien Sardou
Armand Sylvestre
Henri Litolff
PEINTURE, SCULPTURE
PAGES.
245
253,261
269
278
286, 301
312
296
374
349
273
239
293
i78, 298
368
376, 383
256
285
304
2
106, 205
231
146
304
294
26
365
357
121
213
123
123
Les impressionnistes français . .
L'impressionnisme
L'impressionniste Turncr. . . . '.
JanToorop à Londres. .....
Les prix de Rome. ... . . .
A propos des prix de Rome ....
Les concours jugés par Eugène Delacroix
Beautés des jurys d'admission . . .
84, 106, 197, 205, 231
69
304
. . . . . 311
. . . . , 265
. . . . . 258
.... 34
.... 110
^
1 ^ ■ . . ■ '■■■
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A / ■
N
. . PAQE8.
Exposition universelle d'Anvers. — le j^y des
beaux-aris . . . ... ... . * • • 2i
Id. Protestalion des artistes . . . . . • . . • 37
Id. Réunion des artistes bruxellois. ... • . .89
(d. Lettres de MM. Id'Oultremont et Edmond Picard. . iOi
Id. Cercle libre de V Observatoire. Séance du 28 mars
1885 .. . . . . . .. .. .-. • . 108
Exposition des Beaux-Arts d'Anvers. 109, 116, 122, 129. 134,
142,187, 258,266
Id. En Norwêge . . .... . ... • . .325,333
Le Salon libre de TEcolo tiamande . . . . . . . 250, 264
Exposition DES Vingt. ..;... . , . . 41,49,58
Id. de LA Société des Aquarellistes . .... .139,157
Exposition des Hydrophiles . 103, 110
Id. del'Essor . . . . ;. . • . .• • 18
Id. DU "Cercle artistique . . . * . .. 139, 157
Au Cercle artistique. — Exposition Beltis-Muiideleer . 21
Id. — Exposition Uytterschaut'Frank-Charlel . . . .36
Id. — Id.. Cassiers-Numans ...... 94
Exposition Z)c/5^aMiC . . . . . . . . . . . ^ 110
Id. Hlavacek ..."... 339
Id. Meerls., , . . ... . . . . . .411
Id. chez Dietrich . ... .... • . 63
GrcatZwans Exhibition . 74
Exposition artistique k Tournai (corrés^pondance) , . . 299
Le jury du Salon de Paris . , ... , . . . 95
Le SalOn DE Paris . . . . . . .
Les Médailles du Salon . . . : . .
Exposition d'EuGÈNErDELACROix . . .
Id. de James TissoT , . • . .
Gazette de Hollande
Exposition de Rotterdam .....
Lettres de Londres. — Exposition internationale des
inventions ............. 281, 288
Esposicion literario-arlistica à Madrid. . . . ... 11
Mémento des expositions et concours : 5, 14, 23, 30^ 38, 46, 62,
70, 87, 134, 202, 195, 218, 227, 266, 274, 283, 330, 394
Vente de Knyff. . . . ... . . . . . . 226
Id. Bovet. ............. 243
Id. Van Moer 403
154, 162, 183, 189
... 185
; . . 90
. . . ^ 146
. . . 70,-378
. -r . 193
ARCHITECTURE
Le paysage urbain ...........
Vandalisme anversois. . . . . . . . , " . .
La question du Sleen. ..........
En voyage
LITTÉRATURE.
Paul Adam. — Chair molle. . . . . . . . .
J. Barbey d'Aurevilly. — Les œuvres et les hommes-,
Alain Bauquesne. — ■ Les amours codasses ....
Camille Benoit. — Les motifs lypiquâ des Maures-
• Chanteuri , . . . . . . . .; . ; . .
Bernal Diaz del Castillo. — Histoirtviridique delà
conquête de la Nouvelle-Espagne . . . . , .
Michel Brenet. — Orétry, sa vie et sef œuvres. . .
Ernest Chesneau. — Uéducdlion de, Vartisie . . .
192
198
209
306
84
165
336
168
399
360
132
PAGES.
. 78
118
^ 271
351
38^
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408
343
256
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343
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- 27
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343
121
133
m
282
200
Léon Cmdei^- — Héros et Pantins . . ....
"^ Id. Quelques Sires . . . . ...
Id. Léon Cladel eî sa kyrielle de chiens .
Id. Les petits cahiers de Léon Cladel^ .
Stanislas de Guaita. *— Rosa Mystica ... . .
Guy DE Maupassant. — ^e/ ami ^
Id. Monsieur Parent ....
E. DE Taeye. — U Ecole anglaise : . . . . . .
Th. DE WoELMONT. — Nclly Moc Edwards . . . .
Célestin Demblon. — Contes mélancoliques. . . .
id. Le roitelet .
Armand DuRANTiN. — Le carnaval de Nice . . . .
Camille Flammarion. — Le-pwnde avant la création
— de r homme . . . . . -. . . . . . . .
Jean Fusco. ^ Isidore Pistolet, doctrinaire de L'avenir.
Charles Fuster. — L'âme pensive, contes sans préten-
Jean GiGOUX. — Causeries sur les artistes de mon
Arnold GoFFiN. — Le Journal d'André. . . . .
Edmond Haraucourt. — L'âme nue ......
Paul Henrard. — Henry I Vet la princesse de Condé,
Arthur James. — Toques et robes. .... . .
Raoul Lafagette. — Pies et Vallées, . . . . .
Jules Leclercq. — Voyage au Mexique. De New-York
à Vera-Cruz .... . .
Camille Lemonnier. — L'Hystérique. -^ Le Hainaut.
— Histoire de huit bêtes et
d'une poupée .... . 25
Id. " La province de Namur. . . 344
Id. Les Concubins ... . . 391
Jean Lorrain. — Viviane . ...... . . 336
Docteur LuBKE. -^ Précis de l'Histoire des Beaux-
Arts . . . 336
Victor Marguerite. — La chanson de la Mer . . . 314, 327
CATUI.LE Mendès. — Po^td* . . ." . . . . .118,352.
Id. LUa et Colette . . . . . . 320
Francis Nautet. —^ Notes sur la littérature moderne, 263
Ernest Orsolle» — Le Caucase et la Perse. . . . — 201
JosÉPHiN Péladan. — Le Vice suprême . . -. . . 4
Jules Rouquette. — Ce que coûtent les femmes. . . 282
Jean Rousseau. : — Camille Corot , ...... 140'
id. Hans Holbein. . . . . . . 140
Camille Saint-Saëns. — Harmonie et Mélodie. . , 361
Màrius Sepet. — Jeanne d'Arc ....... 133
Henry Stappers. — Dictionnaire synoptique d'étymo- ,
lOgie française . . . ... . • • • • . 159
Armand Sylvestre. — Le chemin des étoiles. . . . 278
Taine. — Les origines de la France contemporaine . .309, 317
Thélos. — Excursions dans le pays de Liège . . * .
Théo-Critt. -— Le journal d'un officier malgré lui . ,
André Theuriet. — Péché mortel. ......
Edmond Van der Straeten. — Les musiciens néerlan-
dais en Espagne du xii« au xviii® siècle , . . .
L'ABBÉ Van Weddingen. — La théodicée de Lao-Tzé .
Charles Yriarte. — J.-F. Millet. ......
Emile Zola. — Oerminal ,
La livraison de janvier de la Jeune Belgique. . ,. ,
■Mmi
■ ^^iivt.^j!-- , : -,:' -: :'":^^flm^at. m *i '■.■'^ '-"f .■ '^ ^ '* r, ._ '.v,
Publications nouvelles (diverses) . , , . . ,
Notes de librairie . . . . . . . . • .
Conférence de M Raffaëlli aux XX" . . • .
Id. de M. Sigogne aux XX ... . . .
Id. de Georges Rodcnbach au Cercle artistique.
Id, , Id. îxxx\ Etudiants progressistes.
Id. de M""® Thénard au Jeune Barreau . , .
Id. de M. Sigognq à Marchienne-au-Ppnt .
Correspondance d'artistes' ... . .... .
Id. j Une Mtre de Courbet , . , .
Id. Lettre de Courbet sur les décorations
Id. Lettre sur l'impressionnisme . .
Id. Lettre de Millet ... ....
PAGES.
94
.403,4H
43, 50, 67
442
102
431
394
^394
335
37
370
69
m
MUSIQUE
La situation musicale en Belgique . . . . - . . . .272
Quelques notes sur l'instrumentation de Gluck .... 106
Wagner jugé par Baudelaire. . . . ... . . 216
Wagner mis à sac. . ,,_.,. . . .... . 164
Le jeune prix dé Rome et le vieux Wagnériste . . . 209
*La aiusique à l'exposition internationale de Londres. 281, 288
Adalberl de Goltlschpiidt, Les Sept Pèches capitauo^ 92
Id., Héliantus, Lieder, etc. . 99
RâczPàl .............. 69
Au bois des Elfes . . ... . 354
Conservatoire de Bruxelles. — Deuxième séance de,
musique instrumentale 30
Concours 211,217,225,234
Distribution des prix . . . . , . . . . . . . 369
Bi-centcnaire de Haendel et de Bach .....; 47
Troisième concert. ... . . . . . . . . 78
Quatrième concert. . . . . . . . ... . 110
Concert d'instruments à vent . . . . . . . . 386
^Concerts populaires. — Concert Tschaïko wski-Sarasale 20
Id. Id; Wagner (3 et 7 mai
1 oo5) . ,. • • . • • • « • •■ . . . . 146
Association des artistes musiciens. — (Saison 1884-
1885). Quatrième concert. ... . .... 62
Id. (Saison 4885-1886). Premier concert . . . . . 361
Id.^ Id. Deuxième concert .... 400
Concerts de \2Î Nouvelle Société de musique de Bruxelles. 78, 167
Concerts de V Union des jeunes compositeurs belges . . 143, 394
Concerts à r£'55or . . .\ . ... . . .47,401
Soirée musicdile un Cercle d'escrime . , . . . . 369
Concert Wieniawski . . . , 30
Concert Jane De Vigne 78
Concert Luisa Cognelli . . . . . ... . . 87, 102
Concerts Heuschling . . . ... , 111,410
Concert Ilans de Bulow . 125
Concert Moriani^. .* . . . . 126
Concert Zarcnibski' .... . . . .• . . . 140
Concert de M"« Bouré. 401
Concert Rummel , 401
M"^^ Czron au Cercle artistique . . . . , . . . 415
Waux-Hall . . . . ... . . ... .. 234, 274
Conservatoire de Gand . . 141, 251
Id. Liège. . ...... 54,133,363
. ' PAGES.
Concerts de musique russe à Liège. . ... ; . 15, 78
Conservatoire de MoNS . .......... 15, 267
École de musique d'Anvers. . ... . . . . 119, 242
L'hommage à Liszt , . .... . . . . . 492
ÉCOLE DE musique RELIGIEUSE DE MALINES . . . . 30t, 395
Hasselt. — Concert Zarembski , . , ... , 460
Paris. — Concert Lâmoureux ........ 86
Correspondance musicale de Paris, 494, 338, 346, 362, 374,
' 379,386,410
Bibliographie musicale, 13, 54, 78, 86, 127, 226, 243, 265,
346,387.
THÉÂTRE.
Comment on dirige un théâtre. . . ,
Sigurd à l'Opéra .
A propos de À^e^wrd
Lohengnn à Paris
Opéra de Paris. Le Cwi . . ... . . . ...
(rfor^e^/e au ihéûlre du Vaudeville . . .-. . .
■The Merchant of Vejiice au Lyceum théâtre. . . .
Le Capitaine noir au théâtre de Hambourg ....
Théâtre de la Monnaie : Campagne 1884-85. —
Obéron . . . . . .... , . . . .
A propos d'0/>f/wi . . . 46,52
Joli Gilles . . . . . . . . . . . . . .^ 54
Les Maîtres-Chanteurs de Nuremberg . . . . 60,76,81
.381, 388, 397, 405
. . . . 2Ô1
. . . . 208
. . . . 215
.... 393
.... 489
185
71, 134
10
•J
111
118
142
L'Etoile du' Nord (reprise) . . . . ...
La Visite royale . . . . . . , . . .
Scène d'Horace -...*...
Là clôture de la saison théâtrale à la Monnaie . . .
Campagrfe 1885-86. — La nouvelle direction du théâtre
do la Monnaie . . . ....... . . ... 17, 28,
Réouverture du théâtre de la Monnaie . . . . . . -286
Tableau de la troupe ......... ^^ . 266
Beckmesser et C'« . 329
M. Villaret . . . . . . . . . ..... . 353
M"* Adelina, Rossi . , . . . . . . .
Théodorà
La /wive (reprise).
La Fille du Régime7ît{\d.)
Joconde (id.) . , . •
Haydée (id.) .
La Favorite (id.)>\ .
hvcie de Lammermoor (id.). ... . .
Thé^jae du Parc : Denise
La Duchesse Lyly . .
Antoinette Rigaud .....;..
Théâtre de l'Alcazar : L'Etudiant pauvre.
Le Grand Mogol . . . . . . . . .
Les Mousquetaires au couvent (reprise) . .
La Guerre joyeuse ........
Théâtre Molière : Le Prince Zilah . . .
La Parisienne. , . . . . . . . .
La Petite Fadette (reprise) ......
Le Marquis de Villemer Ç\(\.) . . . . .
Les Danicheff (\d.) .
Piccolino (\ù.). . . . . . ... .
345
207
344
344
353-
370
37
401
93
353
402
22, 298
345
362
385
102
208
345r 362
362
386
386
:,)..-••
PAGES.
Miss Million {reprisa) . . . . . /^.: . . . -4^
Les Mémoires du diable. . . . . . .... 444*
Théâtre DE l'A LHAMBR A : Lc5 Pommes d'or. . . 487
Théâtre d'Anvers : iV^ro7i . , . ." . -. V . 3
Théâtre de \aège : La direclion Verèllen . . . 392
Théâtres. — Renseigncmenls divers : 5, 43, 85, 62, 79, 86,
94, 444^ 449, 442, 450, 495, 302,248,226,234, 258, 345,336
^^— ARTidLES DIVERS "
• ■ , , . _ - . ■ . ,.,...- . . _ ^ -,
^l|jmn|t(yî jugé par Eugène Delacroix . ..... 42
Âe^Nriiiii^^ a*irtn rotnanèier fuisse ;,Oosloïevsky / 23
Elections académiques . . ^. . . . . . . . 29
Les yeux de MM. les critiques . . . . . . . . 52
grande colère de petits bonshommes . . . . . . 53
Les palinodards ■ 64
La kermessc-continue. . . . . . . . . , . 59
Hecelte pour avoir du génie. . ... , . 443
Conseils aux musiciens ..... . . . . . 30, 38
Gomment Mozart composait. . ... . . . . 437
Le dîaer-spectacle. . . ......... 94 .
Beckmesser et-CL-A propos du théâtre de la Monnaie 329
L'Art à la Chambre . . ... . . . . 466
L'Ai't indusiriel (correspondance) ... . . "". . 493
Le niyeau de l'art . . . . . 337
La commission :dcs monuments. . T 147
La poésie nouvelle. — Godefroy de Lussinan . . . 449
Incident Radenbach-Coveliers ..... . . . 249
•Une épouse modèle ... ... . . . 324
Spijiigen Duivel . . . . . . .- 358
Les funérailles de M. Pcrrifl. . . ... . . . . 354
Documents h conserver. A propos du groupe de Paul
DevJgne 92
Id. Le secret du vote. La suppression des médailles.'
(Discours de M. Hagemans. Discours de M. Ed. Félis.
Déclaration dés membres du Cercte artistique. Dis-
cours de M. L. Gallail. Moralité) 404
Id. Le- secret du vote. La suppression des médailles.
(Extrait du Salon de Paris> de 4876 et de 4882, par
PAGES.
E. Cliésneau) •..•.•... .
Id. Arrêté d'expulsion de Victor Hugo .
fd. A propos des décorations . . .
Médailles et décorations .... ,
Lettres de M. Edmond Picard
Id. de M. Cox . . . .
440
462
. ... . 370
.... 250
t04, 409, 425, 486
. . . . 419,203
Lettre du D' Charcot . . • . . . . . . . . 54
Id. de M. Ch. AUard . . . . , . . ... . 321
Glanures . : . . . . . . . . . . . . 224
Petite chronique, 6, 45, 23, 34, 38, 47, 55, 63. 74, 79, 87, 95,
403, 444, 449, '427, •iâ5,-443, 450, 459, 468, 488, 495, 244,
203, 249, nUn&.mém*S^^. 267, 274, 290, 299, 307,
345, 323, 330, 338, 347, 358, 363, ^4, 379, 387; M, 403,'
444,446
CHRONIQUE JUDICIAIRE DES AR^S.
Les droits artisliq-ues et littéraires . ...... 344
Les droits artistiques et littéraires (projet de loi adopté
par la section centrale) .... . . ... 233, 244
Le Théâtre des fantaisies judiciaires (Herx et C*" c. Olga
ijCaui^ ................ t)
Id. (Dorsy c. Olga Léaut) 70
Id. (Faillite de.M™« Olga Léaul) 444
Editions musicales contrefaites (O'Kelly c. Naus) . . 6
Expertise de tableaux (Gauchez et Moule c. Wilson) . 14
Egmont (Albert Wolff et C*»* c. RHt et Gaillard) ... 38
Les ressemblances. (Worms c. Feyen-Perrin). . . .459, 468
Marat assassiné (David c. de Morlemart) . . ... 458, 494
Le livret des Templiers (Moreau-Sainti c. Adenis et de
Bonnemère) . .... .
Les P«?nme5 d'o?' (Valerio c. Alhaiza). , . ; . .
Engagement d'artiste (Passama c. Verdhurt) . * . .
D'auteur à éditeur(Gamille Lemonnier c. Kislemaekers)
Les potiches japonaises . . . . . . . . . .257,266
Statuettes ou presse-papiers? . /. . . . . 257
Les clichés de photographie. . . . . . . r* . 394
Les faussaires artistiques . . ...... . . 394
Weldon contre Gounod ...... .... .459,243
227
235
248
248
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B4.V
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^
BruxeUes. — Imp. Félix Callewaert père. — V* MoNNOM.'successeur, rue de l'Industrie, 26.
-" V
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Cinquième année. — N° 1
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 4 Janvier 1885.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DBS ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
H-*-
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser les demandes d'abonnement et toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
^OMMAIRE
L'Art moderne. — Bastien-Lepage. — Néron. —' Livres
NOUVEAUX Le vice suprême^ par Joséphin Péladan. — Théâtres.
— Mémento des expositions et concours. — Chronique judi-
ciaire des arts. Editions musicales. Le théâtre des fantaisies
judiciaires. — Petite chronique
L'ART MODERNE
VArt moderne commence aujourd'hui sa cinquième
année et se porte bien.
Pour un journal d'art belge, non subsidié, et dans
lequel on ne distribue pas l'éloge comme une prime à
l'abonné, c'est un âge extraordinaii-e.
C'est peut-être la première fois que, dans ces condi-
tions, cette longévité se réalise.
Commençons par en remercier tous ceux qui y ont
contribué.
Disons ensuite à quoi nous l'attribuons.
L'Ar^ moderne est eiitré en lice à une époque où la
critique des journaux dégénérait en une œuvre où la
camaraderie seule dictait les appréciations.
. Dès le début nous avons écrit avec une indépen-
dance qui n'a pas épargné même nos amis. Nous
n'avons eu d'autre règle que la sincérité et l'intérêt de
l'Art.
Cela a étbnné d'abord, comme une atteinte à l'usage.
Puis cela a pluv^
Actuellement on y est fait. '
Nous parlons des livres sans subir la servitude des
éditeurs. Des tableaux sans penser à plaire aux mar- .
chands. Des théâtres sans craindre de froisser les
directeurs.
Nous ne sommes aux gages de personne et n'avons à
nous soumettre aux instructions de personne.
C'est si rare en ces matières que le dire fait l'effet
d'une gasconnade.
Et c'est naturel pourtant quand on réfléchit que
nous pouvons répéter notre devise du début : Ni jour-
nalistes-, ni artistes. Traduction : Rien à ménager, '
rien à craindre, rien à subir..
Nous nous sommes déclarés sans réserve pour l'art
jeune et anti-officiel, le seul qui soit en accord avec
l'évolution historique, le seul qui laisse à l'artiste sa
liberté et sa dignité.
On nous a vus dans toutes les luttes qui ont surgi
depuis cinq années, et toujours au premier rang.
»*
Le nom de notre journal reste attaché aux événe-
ments qui ont contribué à la magnifique émancipation
artistique qui dès à présent submerge les arriérés et
les timorés. -
« •
Nombreux ont été les coups reçus. Mais comme ils
ont été bien rendus !
Et cependant pour ceux qui, dans les arts, défendent
les idées dont nous fûmes comme eux, les audacieux
champions, la victoire se dessine.
Ij'En avant est universel.
La gérantocratie résiste encore. Elle recrute encore
parmi les impuissants. Mais tout ce qui vit, tout ce qui
' a la flamme, la déserté et s'en moque, et quand elle
bouge, il lui en cuit.
■ • '
Notre prétention ne fut jamais que d être l'écho de
cette émancipation et d'apparaître comme, un des moni-
teurs de ses efforts. Nous avons essayé de dégager les
principes qui font sa grandeur et sa force.
Mis en pleine lumière, sans cesse et sans restriction,
ils en ont pris plus d'éclat et plus d'efficacité !
Le public, le vrai, pas celui des coteries bourgeoises
qui se croient plaisamment le centre du goût, et qui
ne sont le plus souvent que le centre de la sottise, nous
a dispensé largement son appui.
, C'est de lui qu'est venue l'autorité dont jouit VArt
moderne et qui fait défaut aux publications qui s'ali-
mentent de réclamés et de complaisances.
Aussi ne dévierons-nous pas de la rude consigne que
nous nous sommes imposée. Nous continuerons à écrire
la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, dùt-élle
blesser même ceux que nous aimons, pourvu qu'elle
puisse servir la grande cause de l'Art sous toutes ses
formes, pourvu qu'il soit original et libre.
BASTIEX-LEPAGE
Bastien-Lepage est mort à 3G ans, débarrassant ses
rivaux de l'ombre que faisait sur eux sa personnalité
dominante, évitant à l'art français Tépidémie d'imita-
tion stérile qui résulte des longs règnes et, dans l'his-
toire, montre tout artiste de génie comme l'expression
d'une époque qui finit, bien plus que comme le point de
départ d'une époque qui commence. Ce sort lui est com-
mun avec Henri Regnault. Tous deux laissent des
œuvres assez grandes pour ne point périr, assez rares ^
pourne point gêner.
Il y avait eu déjà pourtant/un certain pastichage
parmi les impuissants qui s'adonnent à la peinture
sans impulsion ..originale et sont perpétuellement en
quête d'une consigne. La mort s'est chargé d'arrêter
ce mouvement. Bastien-Lepage n'a été qu'effleuré par
le déshonneur de voir dans son sillage l'escorte des
médiocrités.
Il n'était'pas, du reste, resté fidèle à soi-même jusque
dans les derniers t^mps. Ses œuvres les plus récentes
dénotaient un glissement vers un art moins dédaigneux
de ce qui plaît à la badauderie académique. Croyons
que ce fléchissement avait été amené par la maladie
qui lentement le rongait, et non par une soumission
naissante aux plats caprices du public. Nous avons
marqué successivement ici ces sinuosités dans la ligne
de l'artiste depuis les admirables portraits et les scènes
rustiques de ses débuts, jusqu'aux épisodes londoniens
de la fin, en passant par cette œuvre culminante : Le
Mendiant ('), V' -
Son arrivée dans l'art s'était produite au milieu de
circonstances qui sont l'épisode banal de tant de voca-
tions. Il était né en province, dans les Ardènnes frai]r^
çaises; ses parents en voulaient faire un bureaucrate
et se désespéraient de sa répugnance pour ses fonctions,
de son entraînement pour la peinture. Il se dégagea
par un coup de tête qui fut considéré comme un malheur
et qui le mit sur le chemin de la gloire. Toujours les
mêmes sottises bourgeoises déjouées par les mêmes
audaces artistiques.
A Paris, il ne vécut pas dans le sombre et salutaire
isolement de Delacroix, de Millet, de Courbet, de
Rousseau. Il ne connut pas leurs misères. Il fut mêlé
à cet essaim de journalistes qui font les réputations par
leur reportage et qui défont les tempéraments par leur
voisinage. Les faiblesses des dernières heures eurent
peut-être, plus ou moins, leur cause, dans cette pro-
miscuité débilitante de gens pour qui le bruit, le
plaisir et l'argent passent avant tout..
L'art de Bastien-Lepage est complexe dans ses origi-
nalités. Une seule qualité semble avoir atteint chez lui
l'intensité suprême : c'est l'expression du visage humain
dans l'intimité absolue de l'état et des mouvements de
l'âme. Son Mendiant et sa Jeanne d'Arc sont à cet
(♦) Voy. l'Art moderne 1881, p. 86, 111, 116, 203. - 1882, p. 70. 155. - 1S83,
p. 150, 310, 328.
LART MODERNE
:3
égard les types du degré merveilleux auquel il pouvait
monter. , ',
, A* côté de cette facplté superbe il affirmait la ten-
dance maîtresse de l'art du siècle, réalisée par tant de
contemporains : la recherche du coloris dans la réalité,
la répulsion pour le conventionnel académique. Mais en
cela il fut moins heureux. ,Sa peinture était souvent
sèche, malhabile à rendre latmosphère, faisant che-
vaucher les plans, sans profondeur dans la perspective.
Son faire n'était pas non plus personnel, en ce sens
qu'il imitait le fini des maîtres d'autrefoiè.
Bref, l'artiste était d'une humanité moins pleine que
les illustres et infortunés initiateurs qui ont à jamais
détruit l'art prétentieux et faux par lequel avait débuté
le dix-neuvième siècle et qui ne flambe plus que dans
les régions bourgeoises. Mais il y avait en lui une fêlure
qui, dans le milieu parisien, l'aurait sans doute fait
choir du sommet ou l'avaient porté les grands coups
d'aile de ses commencements. Il n'avait pas la bru-
talité intransigeante et saine qui éloigne les conseilleurs
d'habiletés. On sentait en lui le germe d'un raffiné
qu'on peut séduire.
Il emporte avec lui le souvenir de cette tare. Consi-
déré dans l'ensemble, son œuvre ne vient pas au
premier rang. Très au dessus de Cabanel dont il fut
l'élève et qu'il a renié, sinon par ses discours, au moins
par ses toiles, il est au dessous des artistes souverains
et longtemps méconnus dont nous rappelions tantôt le
douloureux souvenir et les noms à jamais consacrés.
NÉRON
C'était l'événement du mois, presque de l'année, tant
sont rares en Belgique les occasions d'entendre une
œuvre nouvelle. Et quel sujet d'opéra! Néron, la plus
énigmatique et la plus rouge figure de l'histoire, le^
ténor jouant les Césars, les épaules couvertes d'un
manteau de pourpre qu'il n'avait pas emprunté au
magasin de costumes du théâtre, l'histrion qu'une
sublime décadence éleva au pouvoir despotique, auquel
elle décerna la déité, et qui poussa l'hystérie des hor-
reurs grandioses jusqu'à détruire dans un embrase-
ment gigantesque la capitale de son empire.
Il eût fallu pour concevoir la relation musicale d'une
pareille épopée un Compositeur aux moelles de lion.
Rubinstein,. le virtuose, s'est cru de taille à traiter
cette page ^'histoire^i réunit la comédie bouffonne à
la tragédie en des scènes aux proportions insensées.
Effort considérarbîe, mal récompensé. L'art de Rubin-
stein est dans les demi-teintes, dans les nuances grises,
dans les tournures mélodiques qui caressent le tympau
sans l'égratigner, mais aussi sans l'émouvoir profoniié-
ment. Il y a dans ses quatuors, dans le cycle doux de sa
musique vocale, dans ses compositions pour piano,
dont il joue comme personne, transformant, élevant,
déifiant l'instrument ingrat qui. sous ses mains — .
quelles mains! — soupire, et chanta, et pleure, et
résonne avec l'éclat d'un. orchestre, il y a des choses
jolies, il y en a parfois de belles, il y en a rarement de
vraiment grandes.
Le malheur de Rubinstein est d'avoir cru que sa
re^emblance physique avec Beethoven devait produire
une identité de génie. Il s'est époumonné à là poursuite
d'un idéal au dessus de sa portée. Il est, il demeurera
dans les souvenirs le virtuose incomparable. Et cette
gloire, il en fait peu de cas. C'est un "phénomène fré-
quent et singulier chez les hommes de génie que ce
dédain pour ce qui est leur mérite véritable, cet amour-
propre excessif à l'endroit des qualités qui leur
manquent.
Ce qiîi fait la tàiblesse de Néron, c'est la forme même
de demi-opéra romantique que lui a donnée son auteur.
A une œuvre de pareille envergure, née au moment où
de toutes parts sonne le réveil de l'art affranchi des for-
mules, il fallait la coupe du drame lyrique dans son
expression simple, tragique, émue. Rubinstein l'a com-
pris par instants, et partout où il renonce aux conven-
tions surannées, son œuvre grandit. La fin du premier
acte, par exemple, est certes le morceau le plus remar-
quable de cette partition touffue. Au troisième acte, la
scène dialoguée entre Chrysis et Vindex, le chef gaulois,
est d'un beau caractère; un sentiment l'anime : la foi
chrétienne de la jeune fille, qui fait partager à celui qui
l'aime sa croyance. Mais ces moments sont, il faut le
reconnaître, rares dans l'œuvre de Rubinstein. Une
succession d'airs, de duos, de trios, d'ensembles, dans
les données banales de l'opéra d'autrefois, rattachés
par des récitatifs quelconques, en rend l^udition mono-
tone. C'estiong, c'est massif, et l'orchestration uniforme
ne corrige point l'impression d'ennui que provoque à la
longue la donnée musicale. De temps à autre une tri-
vialité rompt, comme une tache éclatante sur une gri-
saille, l'harmonie tranquille de l'ensemble : telles sont,
par exemple, la troisième entrée du ballet, au premier
acte, où les cymbales et la grosse caisse font ragQ, et la
marche triomphale du deuxième acte.
Nous parlerons peu des interprètes ; nous n'avons
guère d'éloges à leur adresser. Si ce n'est M. Warot,
qui a mis hautement en relief le personnage de Néroii
•*!
LART MODERNE
et qui l'a chanté en musicien de grande école, tous so-nt
médiocres. Le nMe de Ohrvsi^ est tenu par M"** Briard.
C'est le plus joli de la pièce, non seulement parce qu'il
concentre toute la sympathie, mais parce qu'au point
de vue musical il est le plus étudié et le plus humain.
L'artiste fait de son mieux, ce qui ne signifie pas
qu'elle fasse bien Le baryton Couturier, qui a chanté
jadis à la Monnaie, est en progrès sérieux. Enfin, nous
avons distingué parmi les rôles épisodiques une basse
d'avenir, M. Guillabert. "~
Quant au désarroi prévu des chœurs, du ballet, de la^
figuration, il a été complet, et l'incendie de Ik ville de
Rome, simulé par du foin mouillé qu'on allumait dans
les coulisses, a provoqué dans la salle une fumée acre
si intense que le bruissement des éventails et les déto-
nations i^èches des toux ont couvert un moment la voix
de M. Warot, chantant du haut dune tour les stances
à Pergame.
JjIvre^
NOUVEAUX
Le Vice suprême, par Joskpiiix Pkladan. ^ Paris,
Librairie des auteurs moderaes, 1884.
Jos('*phin Pdladan est embarassànl pour la critique : de quel
côté aborder ce persofinage complexe? Si nous voulions apprécier
l'œuvre au point do vue litléraire, ne nous dirail-t-il pas : « La
« forme ncst rien quiin vêtement, un véhicule. Allez à Vidée du
« livre^ extrayez-en la philosophie et expliquez-vous là dessus.,
« Joséphin Pélndan se propose autre chose que d'offrir aux
« lettres une distraction passagère. Il veut mettre au jour la^
et grande plaie sociale et en même temps la prophyllaxie qui peut
-*« la guérir. » Devant un tel langage, nous resterions tout bétc
avec nos appréciations des personnages, des situations, du slyle
d'un prétendu roman qui n'est en sojnme qu'ur.e dissertation
pathologique.
Si au conlraire nous prenons au sérieux le moraliste, si nous
examinons le diagnostic que M. Péladan porte sur l'élatdes races
latines et le remède qu'il j)ropose, nous nous exposons à voir
M. Péladan nous jeter au visage le rire du mystificateur
trioùipliant.
Tout bien considéré, il nous paraît qu'en M. Péladan c'est le
moraliste, le médecin social, le proplicle qui rempOTVnt siir le
littérateur. Nous voyons en lui un véritable Jérémie appliquant à
la société moderne et traduisant en Français décadent, h s
plaintes élo<|uentos que ce juif morobe exhalait sur les crimes et
m
les malheurs de Jérusalem.
M. Péladan ne dit pas Malheur a Jérusalem, il dit : Ohé les
races latines! l\ met le philosophe pleurard dans le Gavroche. Il
lésume dans une exclamation canaille la condamnation qu'il
prononce contre les racés latines, précipitées par la luxure sur la
pi^nte d'une irrémédiable décadence.
Un rut farouche, détourné, à défaut de substance religieuse,
des voies naturelles, emporte la civilisation latine dans son
infernal tourbillon. L'amour n'a plus l'excuse sexuelle. Il est en
rébellion contre le sexe. L'androgyne triomphe. Lésbos et
Gomorrhe ont envahi les mœurs, les. lettres, le Ihéûtre et
entraînent dans un chahut macabre rois, princesses, poètes et
courtisanes. Un gouffre pareil à l'entonnoir du rfante se creuse
sous les pas de la société affolée, aveuglée par sa funèbre hystérie.
La béte est au fond. Non pas la bête logique, normale, mais la
bêle paradoxale, contradictoire, monstrueuse, hermaphrodite.
Un pré'endant au trône de France, un prince qui n'a jamais cessé
de revenir des croisades, s'amourache d'une fdJe, parce que sans
gorge, sans hanches, sans convexités d'aucune sorte, elle présente
l'aspect d'un éphèbe vicieux; une princesse, de l'antique famille
de Ferrare, dédaigne et défie les hommages dune armée d'adora-
teurs et garde l'àme la plus scélérate, dans un corps pur de
toute contamination masculine : cette descendante des Borgia
finit i)ar abaisser son orgueil devant" un prêtre et par lui offrir
brutalement et cyniquement sa chair et son lit, pourquoi:
j)aree que chez ce prêtre, la robe déguise et, fait oublier le sexe.
Victoire de l'androgynat sur toute la ligne. L'amour direct, nor-
mal, organique tombe en désuétude, détrôné par l'amour bizarre,
monstrueux, illogique dont la satiété, l'épuisement de la race
et les titillations exercées sur l'imagination par une littérature
outrancière et superlative, font écloie le maladif cryptogame.
Voila la thèse !
Comme thèse ce n'est pas fort nouveau : ce vice suprônne n'a
pas attendu M. Péladan peur prendre pied dans la littérature que
depuis longtemps se, disj)ùtent Sodome, I.esbos (t Onan. Ces
éludes passionnelles de décadence sont pour ainsi dire entrées
dans le domaine de la banalité. D'autre part, il y a certainement
quelque chose de vrai dans cette autopsie morale de ce malheu-
reux xix« siècle qui a commencé dans la gloire et menace de
finir dans la boue. Il convient de reconnaître ([ue la discipjine
des mœurs et la grammaire de l'amour sont perdues^ Cette disse-,
lut ion était celle du monde romain quand les Teutons apparu-
rent. M. Péladan rêve-t-il une régénération .«emblabie. On serait
tenté de le croire en l'entendant pousser son cri ironique de Ohé
les races latines! et en plaçant au dessus de toute cette société
pourrie et décomposée la robe blanche et la grande figure d'un
moine inspiré. Faut-il donc d'après M. Péladan, pour nous guérir
de nos ulcères, pour purifier nolie sang des virus (pii l'infectent,
nous plonger dans le bain d'un nouveau moyen-ûge? Faut-il que,
dans les intervalles de l'orgie, nous entendions une fois encore
les barbares hurler aux frontières du désert moral que nous habi-
tons.
C'est bien là le rêve maladif de M. Péladan : c'est un moyen-
âgeux dans la plus terrible acception du mot. Il pense, comme
Donoso-Cortès, que ce monde périt parce que la substance
catholique se retire de lui. Il veut que tous, pauvres décadents,
nous cherchions un refuge contre l'androgyne sous les plis de la
robe de son frère Alta ? Nous v réfléchirons.
A ce frèriî Alta, très beau, très grand, très pur, M. Péladan,
sans doute pour moderniser un peu .sa théorie de régénération
sociale, a cru devoir accoler une sorte de Joseph Balsamo, met-
tant le magnétisme animal au service de la foi. Ce tireur de cartes,
ce diseur de bonne aventure, ce comte de Saint-Germain, ce
Nicolas Flamel, ce Cagliostro, de Kabalis>e, ce Nécromancien,
car il est tout cela, est le Desgenais du roman. C'est lui qui dit la .
moralité de la situation, c'est lui qui corrige l'injustice, punit Iq^
crime, encourage la vertu, fait éclater la vérité. Les agaceries de
la princes.se se brisent contre la cuirasse de continence dont sa
volonté le revêt. Il se laisse aimer par Corysandre, que le mar-
quis de Donncrcux narcolise et viole. Alors Mérodack fait con-
fectionner par un sciilpleur de ses amis le groin en cire de cet
ignoble marquis et i| pratique sur cette image l'opération de
l'envoûtement, qui réussit, admirablement. Au moment où Méro-
dack aplatit d'un coup de poing la charge du marquis, le marquis
lui-même crève d'apoplexie. Quant à k princesse, elle a eu un
mari qui l'a aimée de façon à la dégoûter pour jamais de l'amour.
Elle se plaît à évoquer des rêves libidineux que son orgueil ter-
rasse, elle démeure chaste au sein de toutes les coriupHons.
Toute cette fierté et celte continence se fondent un jour au souffle
du frère Alla, à cause de là robe, on s'en souvient, le prêtre n'a
pas de sexe. Elle va très platement s'offrir à lui au confessionnal.
Le moine résiste. Elle l'attire chez elle sous un prétexte chari-
table et pour triompher de celle vertu hautaine, elle ne trouve
rien dé plus décisif que de renouveler l'expériencie que tenta sur
Joseph l'aimable Puiiphar. Elle se déiîouille subiiemenl de tous
ses voiles et enlace le. prêtre dans ses bras impudiques. Alla, qui
ne se soucie pas probablement de laisser son manteau entre les
mains de celte louve, se contente de lui rire au nez. L'histoire de
Joseph est ainsi heureusement rajeunie. Quant à M"'« Putiphar,
elle suit la tradition, elle accuse Alla de toutes sortes de vilenies,
et le fait interdire par ses supérieurs ecclésiastiques. L'exil du
frère Alla termine le roman, sauf une grande scène d'idéologie
entre Mérodack, Alla et un vieux rabbin Kabaliste. Gel étonnant
trio verse un gros flot de larmes sur le destin des races latines
et chacun s'en va ensuite à ses atl'aircs.
Voilà le Vice suprême^ œuvre extravagante et pas mal écrite,
montrant beaucoup de talent à travers les crevasses d'un cerveau
malade et gaspillant dans le cauchemar mystique des matériaux
précieux. Du reste, nous n'avons voulu aujourd'hui que désha-
biller le prophète. Il reste l'écrivain. Ce sera pour une autre fois.
yHÉATRE3
Théâtre de la Monnaie. On répète ferme les Maîtres - Chanteurs .
On espère être prêt pour le mois de mars.
En attendant, nous aurons mercredi Obéron, et un peu plus
tard. Joli Gilles. Nous avions donné déjà la distribution de ces deux
ouvrages.
Théâtre de l'Alcazar. Voir notre Chroniqrie judiciaire des
arts.
Théâtre des Galeries. Jusqu'à la consommation des siècles, le
Tour du Monde.'
Théâtre Molière. Tous les soirs, pour les représentations de
M. Laray, premier sujet du Théâtre de* la Porte Saint-Martin, le
liossu, dranie en 5 actes et 10 tableaux, par MM. Anicet Bourgeois et
PaulFéval.
M Laray. remplira le rôle de Henri de Lagardère, qu'il a joué à
Paris.
Samedi 10 janvier, représentation au bénéfice de M. Hems,
Fèrêoh comédie *n 4 actes, par M. Victorien Sardou.
MEMENTO DES EXPOSITIONS ET CONCOURS
Anvers. — Exposition universelle >Mai à octobre 1885.
•Janvier 1885. — Bruxelles. — Neuvième exposition de V Essor
(Limitée aux membres du Cercle). -- Deuxième exposition des A'.Y.
(Limitée aux membres du Cercle et aux artistes spéciajement invités).
Février 1885. — Troisième exposition de Blanc et Noir de VEssor.
(Limitée aux membres du Cercle). Mai 1885 — Exposition historique
dé gravure; par le Cercle des aquarellistes et aquafortistes. Mai 1885.
Glasgow. — Institut des Beaux- Arts (24e exposition). Ouverture
.S février 1885. Fermeture fin d'avril. — S'adresser à M. Robert
Walker, secrétaire de rinsti tut, à Glascow.
Londres. — Expostion niternationale d'instruments de musique.
Ouverture en mai 1885, à South Keusington. Cette deuxième divi-
sion comporte trois groupes • 1» Instruments de musique construits
ou en usage depuis 1800; 'i'^ gravure et impression de la musique;
3" collections historiques.
Id. — Du 3imars à la fin de"sèptembre exposition internationale
et universelle d'Ale: andra-Palace, comprenant^ notamment les arts
et métiers, et une exposition'^de tableaux et objets d'art représentant
les principales écoles du continent.
Nuremberg. — Exposition internationale d'orfèvrerie, de joaille-
rie, de bronzes, etc. Du 15 juin au 30 septembre 1885.
Paris. — Salon de 1885. — 1er mai au 30 juin 1885. —Peinture,
dessins, etc. Dépôt des ouvrages au Palais des Champs-Elysées, du
5 au 14 mars. Vote, le mercredi 18 mars, de 9 h. à 4 h. — Sculp-
ture, Grature en méd. et sur p. f. Dépôt du 21 mars au 2 avriL
Vote, le mardi 7 avril, de 10 à 4-h. — Architecture. Dépôt du 2 au
5 avril. Vote, le mardi 7 avril, de 10 à 4 h. — Gravure ef Lithogra-
phie. Dépôt, du 2au 5 avril. Vote, le lundi 6 avril, de 10 à 4 h.
Rome. — Exposition organisée par la Société dés Amatori e cultori
di Belli arti. Ouvei?tare ler février.
La Haye. — Concours pour l'érection d'une statue à Hugo Gro-
tins.
MoNTÉvmÉo — Concours pour la statue du général Artigas
S'adresser à la légation de l'Uruguay, 4, rtie Logelbach, à Paris.
Richmoj^d (Virginie). — Concours pour un monument à Robert
Lee, jusqu'au 1er mai 1885.
Vienne. — Concours pour l'érection d'un monument à Mozart.
Chronique judiciaire de^ art?
.Le théâtre des fantaisies judiciaires.
C'est devant le juge des référés que se jouent habituellement,
depuis quelque temps, les premières de' l'Alcazar. Les partitions sont
sur le bureau du président, le régisseur est à la barre, prêt à donner
le signal, on discute costumes, engagements, chiffons. Un pas de
plus, et l'orchestre fera son entrée dans la vie judiciaire.
Nous avons annoncé la représentation de VEtudiant pauvre, de
Millôcker. On affiche la pièc^. Mais rien ne marche, rien n'est su,
les décors ne sont pas achevés, les costumes ne sont pas taillés.
Mme Olga Léaut ne veut pas céder à la demande des auteurs fet des
éditeurs. Vite, un procès. On aura raison de son obstination. Et
de fait, le juge découvre dans le contrat une clause exigeant un
accord préalable entre la directrice et les auteurs sur le choix des
interprètes. On n'est pas d'accord, on ne jouera pas. Et pour plus
.r
de lùrelé, les auteurs feront à rAIcazar la saisie des parties
d'orchestre. , -
On raconte que cette saisie a été laborieuse et bruyante", mais chut!
restons dans les faits judiciaires.
Le lendemain, nouvelle algarade. On raconte que M'"* Olga Léant
a enlevé tous les costumes et les a emballés, en destination de Paris.
Inquiétude de la Société des Fantaisie parisiennes, locataire princi-
pale de l'immeuble qu elle sous-loue à la directrice. Plus de costumes,
plus de garantie poui^ le paiement des loyers! que faire? Ah! un
séquestre! Il faut un séquestre' à l'Alcazar. On plaide à nouveau. Que
décidera le juge? On, n'eu sait rien encore. Mais le papier timbré qui
tombe en averse à l'Alcazar a fait changer le nom du théâtre. C'est
\è Hiéîitve des Fantaisies judiciaii'cs.
Editions musicales.
--^IM. O'Kelly et Naus s'étaient associés comme éditeurs de mu-
sique. La société fut dissoute et M. Naus fonda dans la même rue,
faubourg Poissonnière, juste en face de l'immeuble-où il exploitait
son commerce avec M. O'Kelly, une maison pour la vente des mor-
ceaux de musique.
Il vendit ainsi des œuvres dont M. O'Kelly est le seul éditeur,
entre autres la Méthode de piano Lecarpentier,
M. Naus fit disparaître sur les différents exemplaires de cette
méthode qu'il devait revendre à ses clients, le nom et l'adresse de
l'éditeur M. O'Kelly^ en recouvrant ces mentions imprimées d'une
bande de papier collée portant son nom à lui, M. Naus, comme
marchand de musique,- ainsi que son adi'esse.
M. O'Kelly l'ayant assigné le 26 mai i883, le tribunal de com-
merce de la Seine rendit un jugement décidant que ce fait n'avait
pas causé au demandeur un préjudice réparable par le paiement
d'une sqmme d'argent; que, par suite, aucune condamnation ne
devait être prononcée contre Naus.
La Cour d'appel de Paris vient de réformer le jugement,- en déci-
dant que si la pratique en question s'es,t établie dans le commerce
des œuvres musicales, elle constitue un abus que la justice ne peut
consacrer et qu'il y a lieu d'en ordonner l'interdiction pour l'avenir.
^ETITE CHROJ^(iqUE
Le Salon annuel des XX s'ouvrira, comme l'hiver passé, dans les
premiers jours de février. Conformément au but dé l'Association, il
réunira aux œuvres des vingt peintres et sculpteurs qui composent
celle-ci, les envois de vingt artistes choisis parmi les plus sympathi-
ques aux principes d'art que représente le groupe batailleur. Ce
sont : pour la Belgique, MM. Alfred St^vens, Mellery, Meunier, ter
Linden, De Villez, sculpteur et Lenain, graveur; pour la France,
MM. Fantin-Latour. Cazin, Rafîaëlli, l'intransigeant dont l'exposi-
tion eut l'an dernier un si grand retentissement, le graveur Bracque-
mond, le sculpteur Lanson; pour la Hollande, M. Mesdag ; pour
l'Angleterre, MM. Marc Fisher et Swan, deux animaliers qui n'ont
jamais exposé à Bruxelles; pour l'Italie, MM. Manciui et Michetti,
le célèbre impressionniste. La Suisse sera représentée par M"« Louise
Breslau, l'Allemagne par M. von Uhde, la Scandinavie par le
peintre danois Kroycr, les Etats-Unis par M. Ulrich.
Avec de pareils éléments, le Salon des XX né peut manquer d'at-
trait.
On entendra à Liège, mercredi prochain, de la musique russe.
Devançant Bruxelles, qui ne connaît guère que de rares œuvres dé
Tschaikowski et la petite suite de César Cui, la Société d'Emulation
fera entendre la symphonie en mi bémol et une esquisse symphonique
de Borodine ainsi qu'une ballade du même auteur, la Fantaisie
serbe de Rimsky- Korsakofî, diverses compositions pour chant de
Çui, ainsi que sa suite déjà nommée et la Tarentelle pour orchestre.
M"« Bégond, MM. Thomson et Byrom prêtent leur concours à
cette intéressante audition, organisée par Mine la camtesse de Mercy-
Argenteau au bénéfice d'une œuvre de bienfaisance.
C'est le 15 février que sera représenté au Stadt-Theater de Ham-
bourg le Capitaine Xoir de notre compatriote Joseph Mertêns.
M. Pollini a donné tous ses soins à la mise en scène de cet
ouvrage, et le compositeur aura la joie de voir représenter dans d'ex-
cellentes conditions à l'étranger l'œuvre qu'il n'est pas parvenu à
faire monter à Bruxelles.
On a donné dernièrement au Stadt-Theater de Brème, la pre-
mière représentation d'un opéra en trois actes, Ingeborg, dont la
musique, œuvre de M; Paul Çreisler, a été écrite sur un livret que
M. Peter Lohmann a tiré de la légende de Frithjof, du poète suédois
Esaias Teguer. L'ouvrage, qui paraît avoir été fort bien accueilli par
le public et par la critique, a pour interprètes M'"«8 Klafsky et
Seeger, MM. Wallnœfer, Nebuschka, Thomaszeket Friedrichs.
A propos de la cérémonie commémorative de la mort d'André
Van Hasselt, le Journal des Beaux- Arts rappelle le souvenir de
trois poètes belges plus oubliés encore que ne l'étaitVan Hasselt.
Ce sont, dit-il, Edouard Wacken, le Liégeois, poète au vers plein
et sonore, mort jeune, et qui a laissé des œuvres que la postérité', à
défaut des contemporains, mettra à leur place, notamment les Heures
d'or y André Chenier, l'abbé de Rancé. Puis le , Luxembourgeois
Ernest Buschmann, mort jeune après avoir publié une ode d'un
grand caractère sur iS^ofre-Dame d'Anvers, Y Ecuelle et la Besace^
Rameaux, etc. Il était cousin de J.-B. Nothomb, qui lui offrit une
place de 800 francs au ministère. Buschmann refusa et se fit typo-
graphe. Il créa à Anvers une importante imprimerie qui se distingua
ses belles éditions. Et enfin le Gantois Steveus, mort jeune éga-
^•Jement après avoir publié un volume de poésies d'une mélancolie
grandiose qu'aucun poète belge n'a, selon nous, encore égalée.
Slevens était correcteur chez Tarlier à 3 francs par jour.
Le comité d'artistes et d'hommes de lettres qui a organisé, cette
année, l'exposition des œuvres d'Edouard Manet à l'Ecole des
beaux-arts, vient de décider de célébrer l'anniversaire de cet événe-
ment artistique par un banquet commémoratif qui aura lieu demain,
5 jaiivier, chez le «» Père Lathuile ». Ce banquet, tout intime, réu-
nira les admirateurs et les amis de Manet sous la présidence de
M. Antonirt Proust, qui, lors de son i)assage au Ministère des
Beaux-arts, en 1874, a décoré le célèbre auteur du Bon Bock.
Franz Liszt, venant de.Pesth, est de retour depuis quelques jours
à Rome, où il n'avait pas reparu depuis trois ans. Sa santé semble
excellente, et l'on a beaucoup exagéré, paraît-il, la maladie de la
vue dont il est atteint. L'illustre artiste a ,eu, il est vrai, les yeux un
peu malades, mais tout fait espérer que celte affection n'aura pas de
suites. Il compte passer tout l'hiver à Rome.
Le Comité de Y Œuvre des Soirées populaires de Verviers vient de
publier le Règlement de son treizième concours de littérature
Les personnes désireuses d'obtenir un exemplaire de ce Règlement
sont priées de s'adresser à M. Léon Lobet, Président de l'Œuvre,
70, rue du Collège, à Verviers.
s;
VART MODERNE
La Jeune Belgique organise une série de, six conférences qui se
feront dans une petite salle non encore désignée, mais qui ne con-
tiendra guère plus de cent personnes, dé manière à donner à ces réu-
nions un caractère tout intime. On peqt dès à présent s'inscrire au
bureau de la revue, 80, rue Bosquet. L'abonnement à la série des
six premières conférences est fixé à 12 francs et ne peut être scindé.
^ Les trois conférences dont nous- pouvons annoncer les titres sont :
de M. Eug. Robert sur Le divorce, de M. Albert Giraud sur La
faculté poétique, de M. Georges Rodenbach sur Les poètes inti-
mistes.
La Société nouvelle. — Sommaire du n» 2 (20 décembre 1884).
De l'existence d'une science . sociale, Guillaume De Greef. —
Hippolyte Boulenger (suite), Camille Lemonnier. — Les paysans
anglais, Léon Metciinikoff. — La musique des Tziganes, Octave
Maus. — La crise, lettre ouverte à Monsieur Eudore Pirmez, Jules
Brouez. t- m. Emile de Laveleye et la souveraineté de la raison,
Agathon de Potter. — Chronique littéraire, A. J. — Critique philo-
sophique, F. B. — Les libres d'étrennes.
Vient de paraître chez l'éditeur Van Trigt : Les Musiciens Néer-
landais en Espagne du xii» au xviii^ siècle, par Edmond Vander-
SïraéTen. Nous en parlerons prochainement. ,
Sommaire de la Jeune Belgique, tome IV, no 1 :
Frontispice de Jean Bauduin. — Flemm-Osô, '** — Jalousie,
André Fontainas. — Lettres à Jeanne : Soleil couchant, Jules
Destrée. — Vers d'automne, Albert Giraud. — La fin de Bats,
Georges Eekhoud. — Le vaisseau, Edmond Haraucourt. -— Fête-
Dieu, Paul Lamber. — Les rêveurs, Georges Khnopfï. — Le thé de
ma tante Michel, Camille Lemonnier. — Rimes pour les amantes, '
Eddy Levis. — Croquis bruxellois, Henry Maubel. — Les jours
mauvais, Georges Rodenbach. — Mon premier lièvre, Octave Maus. —
La sève, Emile Van Arenbergh. — Choses du temps, Francis
Nautet. — Félicien Rops, Joséphin Péladan. — Conte de Noël : La
veillée de ^l'huissier, Edmond Picard. — Fêtes monacales, Emile
Verhaeren. — Mademoiselle Rampillou, Maurice Sulzberger. —
Nina, Auguste Vierset. — Contes fous : La femme, Max Waller.
Chroniques : La manifestation Van Hasselt, M. W. — Lettre à
M, Gustave Frédérix, La Jeune Belgique. — Guirlande à Gustave,
Tête de Mort. — Chronique littéraire, Albert Giraud. — Chronique
musicale, Henry Maubel. — - Mémento, Nemo.
Prix de ce numéro exceptionnel, fr. 2.50.
Rédaction : 80 rue Bosquet. — Administration, 2G, rae de
l'Industrie.
Le Ménestrçl a publié une lettre assez curieuse d'Hector Berlioz
contenant des observations intéressantes au sujet des réductions
pour piano des partitions d'opéras.
Weimar, le 12 février 1856.
, Hôtel du prince héréditaire.
Mon cher Monsieur de BUlow,
Merci d'abord de votre charmante lettre si pleine dé cordialité ;
elle m'a fait du bien à l'âmè et à l'esprit. Vous écrive^ le français
avec une grâce et une pureté irritantes pour nous, qui avons tant de
peine à sortir des difiicultés de cette langue infernale.
Nous espérons ici une bonne exécution de Cellini, maintenant que
la partition est dérouillée et fourbie à neuf comme une épée. Les
chanteurs sont animés du meilleur vouloir ; Gaspari, à qui on avait
dit que ce rôle était inchantable et lui briserait la voix, le chante au
contraire avec amour et sans effort. Lui, au moins, chantera l'air
•♦ Sur les moiits, « que j'avais regretté de ne pouvoir vous faire
entendre. Hier nous avons répété longuement l'ouverture du
Corsaire pour le prochain concert de la cour. Je vous remercie de
vouloir bien arranger cette ouverture, et si vous ne l'avez pas, je
vous l'enverrai. Mais je crois qu'elle est réductible pour le piano
à 2 mains, et cela vaudrait bien mieux. Lorsque 2 pianistes exé-
cutent ensefmble un morceau à 4 mains, soit sur un seul piano, soit
sur d^ux pianos, ils ne vont jamais ensemble (du moins pour moi)
et le résultat final de leur exécution est toujours (pour moi encore)
plus ou moins charivarique. En outre, les arrangements à 4 mains
pour un seul piano ont l'inconvénient d'accumuler dans le grave du
.clavier une masse de notes dont la sonorité est disproportionnée
avec celle de la main droite du !•' pianiste, et il en résulte un pâté
harmonique plus bruyant qu'harmonieux et horriblement indigeste.
Il vaut donc mieux confier aux deux mains d'un seul pianiste intel-
ligent la traduction d'une œuvre 'symphonique quand cela est
possible. L'auteur, alors, est au moins sûr de n'être pas tiré en sens
contraire par deux chevaux. .. Pardonnez-moi ces blasphèmes sur
les pianistes. , . ils ne vous regardent point d'ailleurs, vous êtes
musicien. , H.Berlioz.
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sions et Chimères. 2 fr. — Op. 48. Tambour battant, 2 fr.
Smith S. Op. 185. Notre-Dame, Chant religieux, 2 fr. — Op. 191.
La mer calme. Deuxième barcarolle, 2 fr. — Op. 192. Styrienne,
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Cinquième année. — N° 2.
Le numéro : 25 centimes.
i)iMANCHE 11 Janvier 1885.
L'ART
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
Ad7^esse7* les demandes d'abonnement et toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
^OMM
AIRE.
Le banquet Manet. — Obéron — Esposiciox literario-abtis-
TicA A Madrid — Bonixgton jugé par Eugène Delacroix. —
Etrennes musicales — Théâtres. — Chronique judiciaire des
ARTS. — Mémento des expositions et concours, — ; Petite chro-
nique . ,
LE BAXQUET MANET
Il a ea lieu, le 5 janvier, chez le père Lathuile,
avenue de Clichy, dans ce restaui'ant où le peintre
avait placé le sujet d'une des toiles les plus éloquentes
de son art alors révolutionnaire, aujourd'hui admis,
loué, consacré.
Combien désormais dans Fart les rénovations vont
vite et comme, plus cruellement que jamais, des roues
de leur char elles écrasent les audacieux qui le lancent
à travers les préjugés! La foule les jette bas sous les
coups de ses iniquités et de ses sarcasmes. A peine
gisent-ils morts et sanglants sur le sable, qu'elle les
relève et les déifie
Avis à ceux dont Tâme est assez haute pour se laisser
tenter par ces destinées héroïques.
Manet, écrivait récemment un critique, fut le dé-
daigné, l'insulté, le pestiféré. Etre refusé au Salon
n'était rien, mais entendre pendant des années tout le
monde railler son effort, entendre le murmure désap-
probateur qui grossit, qui s'augmente de toutes les
blagues des cafés, de toutes les calembredaines des
journaux, de toutes les insanités du reportage, de toutes
les vidanges des ratés et des envieux, et qui finit par
devenir un chœurironique et canaille, infectât poissard,
jamais interrompu ; ne pas pouvoir trader un trait,
placer un ton sans provoquer les éclats de rire et les
indignations, les accusations de folie, de mystification
et de malhonnêteté; assister, à propos de n'importe
quelle œuvre patiemment, sincèrement élaborée, au
même défilé de plaisantins furieux; être traqué par
tout ce qui parle de tableaux, par tout ce qui en vend,
par tout ce qui en achète; avoir la sensation d'une
marée d'injures qui monte sans cesse, qui vient battre
jusqu'au seuil de l'atelier..., tout cela, vraiment c'était
trop et pourtant voilà, en quelques lignes qui .paraî-
tront exagérées et qui ne font que résumer l'histoire
d'hier, voilà quelle fut l'existence du très délicat et très
vibrant artiste que tous célèbrent àTenvi depuis qu'il
^dort du sommeil sans réveil.
Et dire que jamais, malgré ces leçons funèbros, la-
badauderie contemporaine ne se corrige. Elle poursuit,
elle s'acharne, elle frappe, elle tue. Puis elle ramasse,
redresse, orne, encense, toujours glorieuse d'elle-même,
se proclamant juste quand elle outrage, plus juste
encore quand elle réhabilite. En aucun siècle il n'y eut
plus universellement une rage impitoyable contre les
novateurs, et plus pronlptement des retours pour les
vénérer jusqu'à l'aplatissement. .
Ces multiples leçons donnent un cœur de lion aux
artistes véritables. Elles leur apprennent à ne tenir
aucun compte de cette stupide opinion publique qui.
. avec uiie effronterie naïve, se dément sans cesse à
courte échéance. Elles leur apprennent aussi Tinesti-
mahle pri* de l'originalité, puisque c'est à celle-ci
seule que toujours et sans retard l'admirateur revient.
Il est vrai que tout cela s'achète par cette dure misère :
savoir souffrir et mourir. _
C'est à quoi ne se résignera jamais l'art bourgeois
qui ne comprend l'activité que comme moyen de s'enri-
chir. Celui-ci ne précède jamais, il suit le vulgaire, ou
plutôt, ainsi que le^ulgaire il reste stagnant. Sans
ces échappés, ces insensés qui sautent hors des rangs
poursuivis par la tempête des réprobations, > l'art rie
bougerait pas. Ils vont à l'aventure, ces apparents
déserteurs, par derrière siffles, par devant se buttant
aux obstacles, se déchirant aux épines de la nouveauté
qui fuit, glisse, se dérobe. Ils y vont comme les
explorateurs vont au pôle, souffrants, isolés, se heur-
tant aux glaces, pris dans les banquises, laissant leurs
os sur quelque plage ignorée et glacée, jusqu'au jour
où l'on rapporte leur dépouille en triomphe.
La compensation, c'est qu'ils sont les plus grands.
Et que finalement seuls ils demeurent.
Est-ce que vraiment jamais le public ne s'habituera
à cette vérité que l'art, comme toutes choses, se déve-
loppe en un panorama mouvant, et que c'est sottise de
se piéter devant une de ses manifestations passagères
et de prétendre ne plus bouger? Le spectacle le plus
beau n'est pas dans cette transitoire image, quelque
merveilleuse qu'elle puisse être, mais dans cette évolu-
tion constante et sa variété magique. Plus elle est libre,
plus elle est séduisante. A chacune de ces expressions
nouvelles il ne faut pas entrer en fureur, mais en joie ;
il faut s'accoutumer à ces transformations inépuisables
et se résigner aus^^. quand arrivent d'autres temps,
à voir éclore d'autres idées, à. passer peu à peu à
l'arrière-plan, à faire place aux jeunes, à ne pas s'irriter
de se voir méconnaître par eux dans l'aveuglement
souvent injuste de leur originalité intransigeante.
Certes c'est difficile pour les vieux. Et comme d'or-
dinaire c'est en leurs mains que réside la puissance, il
ne faut pas s'étonner s'ils l'emploient à maintenir leur
royauté sénile. Mais coûte que coûte, toujours ils
finissent par céder, et leur opposition ne sert qu'à
désespérer quelques nouveaux venus, à surexciter
l'assaut, à rendre la lutte plus meurtrière.
Savoir se résoudre à passer, à ne plus être après
avoir été, à se lever pour faire place à d'autres, à les
admirer comme on fut admiré soi-même, à être beau
joueur, à passer la main. Telle serait la sagesse.
Quelle paix, si c'était vu, si c'était compris.
Manet fut de ceux qui, plus brutalement qu'aucun,
dès qu'on voulut l'étouffer, prit la pose du boxeur et dé-
chargea de formidables coups de poing. Il saisit sa brosse
et la manœuvrant comme une épéé à deux mains lui fit
décrire des moulinets qui maintinrent autour de lui une
aire libre où son originalité put largement respirer.
Il ne se contenta pas de faire dit nouveau en peinture,
pendant quelque temps il fit le nouveau, le seul, le
puissant, l'étrange, doué de cette vertu étonnante que
vilipendé par tous, il devait devenir bientôt la source
où tous iraient boire. Il a dégagé la théorie du plein air
avec une intensité qui, au début, fut aveuglante, comme
s'il avait arraché la cataracte des yeux de ses contem-
porains, et qui devient la seule lumière qui désormais
paraisse reposante et bienfaisante. Son cri d'émancipa-
tion épouvanta tant il fut strident, mais il lui fallait
cette sonorité assourdissante pour fixer l'attention et
faire place à celui qui osa le pous.ser.
Il demeure une des plus puissantes incarnations de
l'artiste jeune, libre, novateur, incompressible, iné-
branlable, inintimidable. Il se dégage comme un exem-
ple et presque comme un symbole.
Il soufirit. Oui. Il souffrit. Soit. Inutile de le plaindre.
Il se glorifiait de son malheur.
Comme l'ajoutait l'écrivain dont nous citions plus
haut quelques lignes (*), il se livre en l'esprit de l'artiste
nié par tous;, d'affreux combats où l'orgueil, la volonté,
la pensée reçoivent des blessures. Manet connut ces.
combats. Il persista pourtant; il fut victorieux de sa
souff'rance, et, quoique blessé, marcha chaque jour
vers une bataille nouvelle. Son œuvre d'artiste porte
les marques d'études, de recherches, raconte des chan-
gements intellectuels, des découvertes subites : on y
chercherait en vain une concession. Même médaillé,
même décoré, il restait l'insurgé; son dernier tableau
eut, comme son premier, davantage même, le caractère
d'une barncade artistique dressant un guidon de cou-
leur fcanche. A-t-on dit cela chez ♦' le Père Lathuile? »
C'est probable. C'est là la grandeur delà lutte soutenue
par Manet et par les artistes et les écrivains avec
lesquels il combattait; c'est là le souvenir de l'existence
de cet opiniâtre qui doit sans cesse rester présent à
l'esprit de ceux qui sont las de rabâcher les formules
anciennes, de ceux qui veulent aujourd'hui, démain,
sans cesse, découvrir du nouveau.
Courage donc, ô nos jeunes, ô nos vaillants! Faites
comme lui. Tombez comme lui, s'il le faut. Mais de
meilleurs temps approchent. Votre nombre sans cesse
croissant, et vos victoires, sont là pour l'attester.
Bientôt vous serez les seuls. Les chiens vils qui vous
pourchassent en sont à leurs dernières morsures.
OBÉRON
Ce qui fait le charme de la partition d'Obéroii^ c'est qu'elle est
musicale dans toute la force du terme ; c'est que, depuis la pre-
(^) Gustave Geffroy, de la Justice.
K
mièrc mesure de l'ouverture jusqu'à l'accord final, elle rcflèle
avec une sensibililé exquise toutes les délicatesses d!une organi-
sation artistique de premier ordre k laquelle rien n'a manqué, ni
l'inspiralioni ni le goût, ni la modération, ni l'instinct des
diverses voix dc' l'orchestre à employer pour donner, au moment
voulu, l'effet juste. ^
Quand on songe qu'Ok'mi a été écrit il y a près de soixante
ans, on s'étonne de sa fraîcheur. A part quelques formules,
quelques tournures de phrases qui sont tombées dans le domaine
public — la législation sur la propriété musicale a encore bien
des lacunes! — rien n'a vieilli, et l'on "a écouté la musique de
Weber.avec autant de plaisir, d'intérêt, et peut-être de curiosité,
que s'il se fût agi d'un jeune compositeur de l'école française, de
celle qui a riionopolisé la faveur.
Le motif n'en est pas dilTicilc h découvrir. Avec les quelques
vraies et durables gloires, Weber a tourné le dos aux sollicita-
tions qui assiègent, dans les moments de crise, tout artistt;, le
pressant de réaliser immédiatement en billon de popularité le
•lingot que la postérité monnaiera en beaux louis neufs.
Il a refusé d'écrire selon la mode.
Il a noté ce que lui dictait, dans la fièvre de l'enfanlcment
intellectuel, l'inspiration la plus mélodique qui fût. Il a, l'un des
premiers, senti que la phrase musicale n'est qu'une traduction de
la phrase poétique, qu'elle doit s'enlacer à elle, la soutenir, la
faire valoir. Il a découvert qu'il y a dans la musique un coloris
plus subtil, plus délicat que dans la peinture ; et son oreille, d'une
acuité pénétrante, en a perçu les dégradations et les mystérieuses
harmonies. Il a compris quel rôle doit jouer l'orchestre, cet élé-
ment formidable dont les compositeurs en vogue, quand apparut
la sereine figure de Weber, n'avaient pas soupçonné la puissance.
Il a vu que c'était l'orcHestre qui, est le véritable lien qui main-
tient toutes les parties du drame lyrique, en concentre l'intérêt,
en groupe les idées saillantes et les met en relief.
Ainsi, pressentant les traits caractéristiques d'un art nouveau
qui devait atteindre longtemps après lui son apogée, Weber ne
perpétua les traditions du passé que par la coupe des morceaux
qu'il fit défiler un à un sous forme d'airs, de duos, de trijas. Il
assit son art sur les principes solides de la théorie moderne du
drame lyrique. Sa musique nous touche, parce qu'en l'écoutant
nous nous sentons en communion d'idées avec le compositeur,
dont l'idéal était semblable au nôtre.
Comme on comprend l'admiration que professait Wagner k
l'égard du Maître, et combien est vraie l'hérédité qu'il revendi-
qua, avec autant de modestie que de légitime fierté, dans la
célèbre lettre à Frédéric Villot qui résume sa profession de foi !
Si les moyens employés pour atteindre au but rêvé ont été
différents, si Wagner a donné à sa pensée une expansion bien
différente de celle de son prédécesseur, s'il développa et fit épa-
nouir magnifiquement, en le dégageant de tout élément parasite,
un art dont le germe se trouve dans la musique de W^eber, on
peut affirmer que ces deux fleuves magnifiques ont une source
unique et que sur une partie de leur parcours, ils ont coulé paral-
lèlement.
L'interprétation donnée par le théûtrc de la Monnaie de cette
œuvre radieuse et charmante a été, sinon parfaite, du moins
remarquable, et supérieure, dans l'ensemble, aux exécutions
habituelles. Un seul des interprètes fait tache; c'es^ M. Rodier,
absolument insuffisant, comme chanteur et comme acteur, dans
le rôle d'Huon. M. Soulacroix joue avec gaîté le personnage de
Sherasmin. MM. Guérin et Chapiiis s'en donnent à cœur joie de
bouffonneries dans des rôles dont le compositeur a, heurëuser
ment, fait des caricatures. Quant à Obéron, il est rqirésenté par
M. Delaquerrière sans grand éclat, mais aussi sans faiblesse.
Les trois interprêtes féminins sont charmants. M»'« Dosman
entadre sa voix très pure d'un chatoyant costume. M"« Des-
champs, dans le rôle de Puck, a remporté un suc?.ès de bon aloi.'
L'adorable mélodie qu'elle chapte tandis que se déroule le pano- «
rama des côtes d'Afrique a été dite avec tant de- style, de sentir
ment et d'une voix si pure, que deux rappels ont récomposé l'ar-
tiste. Elle en était ravie. « Enfoncé, le panorama ! » disait-elle
en rentrant dans les coulisses. C'a été le mot de la soirée.
Enfin M"« Legault a complété cet excellent ensemble par
l'appoint de sa grâce aimable. Chargée du rôle un peu effacé de
Fatime, elle en a tiré d'excellents effets, sans marcher sur les
plates bandes de. ses camarades. Elle s'est fait un joli petit succès
des deux airs qu'elle chanté d'une voix posée, avec beaucoup de
goût, sans forcer le ton, et avec un scrupuleux respect de la pen-
sée du maître.
ESPOSICION LITERARIO-ARTISTICA A MADRID
Nous recevons d'un artiste, de passage à Madrid, des notes sur
une exposition actuellement ouverte en cette ville. Nous les
publions dans leur forme pittoresque, sans les modifier.
Le musée du Prado, la meilleure collection des chefs-d'œuvre de
Velazquez, ile Ribera, du Oreco (un artiste qui n'est connu qu'au
Prado et à Tolède), n'a rien inspiré aux jeunes peintres de Madrid.
Ceux-ci ont l'air de ne pas comprendre les maîtres espagnols : on
peut dire qu'il n'y a en Espagne pas un seul peintre. Il n'y a dans
tous les cas chez aucun d'eux la moindre tendance vers l'art jeune.
Au musée du Prado, n'a t-on pas eu l'audace d'ouvrir une galerie de
peinture moderne pleine de choses horribles qui ne contient que
trois bons tableaux: un magnifique Rosales, artiste mort très jeune;
-^un tableau d'histoire par Pradilla, et un autre par Sala. Mais arrivons
à l'exposition qui nous occupe, l'esposicwn Uterario-artistica,
située en face de la jjromenade El Hetiro. Comme il ne faut pas être
critique d'art pour j'iger une exposition de croûtes, je vais être
sincère et 'faire comme peintre une comparaison, la plus juste pos-
sible, entre les moins mauvais (très forts pour la presse espagnole)
et quelques peintres connus en Belgique.
D'abord, aucune idée de la réalité ni de la peinture sur place. L'on
voit toujours l'atelier, mais l'atelier à travers une routine très bien
apprise par cœur et créée par Fortuny. Pas. de personnalité. Toujours
le même bleu cru, comme s'il était fait avec la même palette, mis
«ocomme fond conventionnel dans les portraits et comme ciel dans les
paysages.
Sur" ce sale bleu, on trouve quelquefois de petits nuages : on
dirait des morceaux de papier plus ou moins blancs coupés sur des
formes assez drôles et collés sur la toile. Pas la moindre préoccupation
de l'air. Je crois qu'ils ont raison, cela doit être très commode.
Un portrait de Wagner, d'après celui connu par tout le monde ; le
profil et le béret illuminés par vm fond vert; un vrai portrait après
décès fait par un amateur. Mais le plus triste, c'est qu'il y en a par
centaines, de ces portraits-là !
Alors on songe à Herbo, et l'on admire, par comparaison, la
largeur de sa facture, la couleur nature de ses chairs !
Différents portraits, très flattés, de la famille royale d'Espagne,
d'après des photographies, et dessinés avec une petitesse exagérée. Si
vous mettez Van Beers à côté de ces chromos, vous vous direz qu'au
regaril des Espagnols, ce Flamand n'a pas poussé assez loin sa minutie î ,
r\
peux ou tVois batailles; mais clans ce genre, je ne. connais eu
Belgique que Van Severdoiick, et comme celui-ci est un colosse à
côté (les peintres militaires espagnols, je ne trouve pas de |)oint do
comparaison. Il y aussi Ferez Rubio, un artiste qui tripote dans un
sirop dont Vandèu Bussche serait jaloux.
Toute une salle d'assiettes peintes, dignes d'un concours organisé
dans un pensionnat de demoiselles^et très bien encadrées avec le
velours rouge qu'alï'eclioniie Ilerbo. D'autres dessinées avec de la
fumée.
Des éventails portant diverses variétés de cocottes, et sans !<>
moindre goût artistique.
I.'u grand tableau ([ui représente \mC femnie couchée sur un
coquillage, peinture de parfumeur, avec l'éternel bleu dajis le
'fond _ "
Quelques mauvaises copies de vierges de Murillo.
l'n de mes bons amis, que'dans le temps je croyais fort, expose des
fleurs sur le fameux bleu eu question. Malheureux ! Il est perdu.
C'est dommage, je l'aimais bien. Cet été, j"ai vu des fleurs de
Capeinick. Pas moyen de les comparer; le flamand paraît un révolu-
tionnaire, iielas !.... '
Plu.'^ieurs tableaux d'une coloration estampe, dans le genre du
Mf triage de l'cmoii.
Dans les potits tableaux, F'ortuny domine, c'est à dire un tas do
peintres qui ressemblent à Galofre, déjà connu au C'erde de
Bruxelles. Ici on trouve cela épatant. >
Le j)lus fort de celte engeance, Moreuo Carbonero, a un petit
tal)leau avec deux tigures microscopiques costumées à la Meissonier,
le ciel toujours cru et le tout absolument faux. Un autre, Casanova,
connu à Paris par ses moines et ses, manolaSy arrive avec une série
dechromolithograpliies. QuantàVillegas, un peintre qui a beaucoup
vendu à Rome, c'est du Fortuny craché, pas seulement comrr>je
procodé et comme couleur, mais comme sujets, figures, costumes et
poses. "
En ce qui concerne les peintres de marine, je n'ai qu'un mot à
dire, mais il est amu.sant : feu Francia était' un réaliste, et il ferait
très bien dans cette exposition. Ceux-ci, par exemple, vendent
|)lus cher; ils demandent 2000 f». pour une petite marine inférieure
à celles de Francia.
Pour les aquarelles, ils sont plus forts Ils ressemblent aux italiens,
quoiqu'on voie toujours chez eux l'influence de Fortuny. Citons
aussi quelques gravures de Pradilla et Dominguez, illustrations
artistiques des œuvres de Nunez de Arce, un bon poète espagnol.
Tout cela mêlé avec une exposition de marchands de tout. Entre
les tableaux, on voit des chromos qui représentent des modèles de
voitures de la Maison du Roi Alfonso XII. Difl'érents libraires
exjxisent, dans les salles de peinture, des livres bien reliés, des enve-
loppes, du papier à écrire, des vignettes annonçant les foires, les
fêtes, les courses de taureaux, les fameuses bodegas, les établisse-
mei.ts de bains! Dçs cartes géographiques, des lithographies et
estampes rejjrésentant les cathédrales et monuments à remarquer
on Espagne, et enfin plusieurs étiquettes et images servant de
réclames pour annoncer les principales fabriques ou dépôts du pays
et de l'étranger, alternent avec les tableaux et les aquarelles. Enfin
un grand étalage d'un marchand de couleurs, avec les tubes des
fabriques Lefranc, Mommen et Schônfeld de DusseldoriT, toiles,
brosses et tout le bazar complet. Mais je finis ici car un employé
qui me voit écrire ces notes me dit qu'il est défendu de voler les
idées à ce§ peintres admirables^ et il me prie de lui acheter un
cahier, qui vient de Paris, dont le titre en français est Le maître
dessinateur, méthode progressive pour apprendre à faire des yeux,
des nez, des bouches, etc., et rornement. Ceci", c'était le bouquet, et
je me suis sauvé.
,, Dario.
BONINGTON JUGE PAR EUGÈNE DEIACR0IX (*)
K
A M. Th. THORÉ
Chainprosay, par Draveil (Seine et Oise), ce 30 novembre 1S61.
Mon Cher Ami,
Je ne reçois que tardivement et à la campagne la lettre où
vous me demandez des détails .<?ur Boninglon : je vous envoie
avec plaisir le peu de renseignements qu€ je possède.
Je l'ai beaucoup connu et je l'aimais beaucoup. Son sang-froid
hrjtiinniqiie, qui était impcrlurbable, ne lui ôtail aucune des
(jualités qui rendent la vie aimable. Quand il m'est arrivé de le
rencontrer j)Our la première fois, j'é'ais moi-mêm'e fort jeune et
je faisais des études dans la galerie du Louvre : c'était vers
18i6 ou 17. Je voyais un grand adolescent, en veste courte, qui
faisait, lui aussi et silencieusement, des éludes à l'aquarelle, .
en géiiéral, d'après des paysages flamands. Il avait déjà, dans ce
genre, qui, dans ce lemps-ià, était une nouveauté anglaise, une
habileté surprenante.
Peu de temps après, je voyais chez vSchrolb, qui venait d'ou-
vrir une bouli(jue de dessins et de petits tableaux (la première,
j'^ crois, qui se soit établie), des aquarelles charmantes de cou-
leur et de composition.
Il y avait déjà tout le charme qui fait son mérite à part.
A mon avis, on -peut trouver dans d'autres artistes modernes
des qualités de force ou d'exactitude dans le rendu supérieures h
celles des tableaux de Boninglon, mais personne, dans celle école
moderne, et peut-être avant Iw, n'a possédé cette légèreté dans
l'exécution, qui, particulièrement dans l'aquarelle, fait de ses
ouvrages des espèces de diamants dont l'œil est flatté et ravi,
indépendamment de tout sujet et de louie imitation.
Il était à cette époque (vers 4820) chez Gros, oii je crois qu'il
ne resta pas longtemps ; Gros lui-même lui conseilla de se livrer
tout à -fait à son talent qu'il admirait déjà. A cette époque, il ne
faisait point de tableaux à l'huile et les premiers qu'il fit furent
des marines : celles de ce temps sont reconnaissables à un grand
empalement. Il renonça depuis à cet excès : ce fut particulière-
mont quand il se mil à faire des sujets de personnages dans
lesquels le costume joue un grand rôle : ce fui vers 1824
ou 1825. ' \
Nous nous rencontrâmes m 1825, en Angleterre, et nous
faisions ensemble des études chez un célèbre antiquaire anglais,
le docteur Meyrick, qui possédait la plus belle collection
d'armures qui ail peut-être existé.
Nous nous liâmes beaucoup dans ce voyage, et quand nous
fûmes de retour à Paris, nous iravaillâmeâ ensemble, pendant
quelque temps, dans mon atelier.
Je ne pouvais me lasser d'admirer sa merveilleuse entente de
l'effet et la faciPilé de son exécution; non qu'il se conteniât
pponiptemenl ; au contraire, il refaisait fréquemment des mor-
ceaux entièrement achevés et qui nous paraissaient merveilleux;
mais son habileté, était telle qu'il retrouvait à l'instant, sous sa
brossé de nouveaux effets aussi charmants que les premiers.
(') Cette lettre importante a été publiée par W. Bflrger, dari.s la Notice <iu'il
a consaci'te à R.-P. Bonington, dans l'/Z/s/o/ve lU-a Peinlrca de toutes /<s
Ecoleii.
\
l
11 lirait parti de toutes sortes de détails qu'il avait trouvés chez '
des maîtres et lea ajustait avec une grande adresse, dans .sa
composition. On y voit des figures prcsqu'entièrement prises
dans les tableaux que tout le monde avait sous les yeux et il ne s'en
inquiétait nullement. Cette habitude n'ôle rien au mérite de ses
ouvrages ; ces détails, pris siir le vif pour ainsi dire et qu'il
s'appropriait (il s'agit surtout de costumes) augmentaient l'air de
vérité de ses personnages et né sentaient jamais le pastiche.
Sur la fin de celle vie si tôt éteinte, il sembla atteint de
tristesse et parliculièremcnl h cause de l'ambition qu'il se sentait
de taire de la peinture en grand. Il ne fit pourtant aucune tenta-
tive, que je sache, pour agrandir notablement le cadre de ses
tableaux; cependant ceux où les personnages sont le plus grands
datent de cette époque, notamment le. Henri III ^ que l'on a vu
l'an dernier exposé au boulevard, et qui est un de ses derniers.
Nous l'aimions tous. Je lui disais quelquefois : — Vous êtes
roi dans votre domaine et Raphaël n'eût pas fait ce que vous
faites. Ne vous inquiétez pas des qualités des autres, ni des pro-
portions de leurs tableaux, puisque les vôtres sont des chefs-
d'œuvre. . <» . —
11 avait fait, quelque temps auparavant, des vues de Paris qiie
j^ ne me rap[)elle pas et qui étaient, je crois, pour des éditeurs :
je n'en parle <|ue pour mentionner le moyen qu'il avait imaginé
pour faire ses études d'après nature el sans être troublé pïff les
passants.
Il s'installait dans un cabriolet et travaillait là aussi longtemps
qu'il voulait.
Il mourut en 1828. Que de charmants ouvrages dans une si
courte carrière! J'appris tout à coup qu'il était attaqué d'une
maladie de poitrine qui prenait une tournure dangereuse. Il était
grand et fort en apparence el nous apprîmes sa mort avec autant
de surprise que de chagrin. Il était allé mourir en Angleterre. 11
était né à Notlingham. Il n'avait, à sa mort, que vingt-cinq ou
viniît-six ans.
En 1837, un .M, Drovvn, de Bordeaux, vendit une magnifique
collection d'aquarelles de Boninglon; je ne crois pas qu'il soil
possible de rencontrer jamais l'équivalent de cette splendide
n'union. Il y en avait de toutes les époques de son talent, mais
particulièrement du dernier temps, qui est le meilleur. Ces
ouvrages se payaient alors des prix élevés ; de son vivant, il
vendait tous les ouvrages; mais il ne les a jamais vus monter à
ces prix énormes que, pour ma part, je trouve légitimes, el la
juste estimation d'un talent si rare el si exquis.
Mon cher ami, vous m'avez donné l'occasion de me rappeler
des moments heureux et d'honorer la mémoire d'un homme que
j'aimais el (lue j'admirais. -
J'en suis d'autant plus heureux que l'on a essayé de le
rabaisser, et qu'il est, à mes yeux, très supérieur à la plupart de
ceux qu'on a cherché à lui faire préférer. Tenez la balance entre
mes prédilections et ces attaquwL
Mettez, ^i vous voulez, sur 16 c^ohmte de mes vieux souvenirs
et de mon amitié pour Bonington ce qu'on serait tenté de trouver
partial dans ces notes...
E. Delacroix.
Î^TRENNE3 MU3ICALE3
Avec les calendriers chromolithographies, avec les jardinières
dorées emplies de violettes, avec les sachets de pralines en soie rose,
les boîtes de dragées en laque du Japon, les caisses de fruits confits,
les coupes de faïence bourrées de fondants, avec tout le frivole cor-
tège rangé en bataille, au premier jour de l'an, derrière les glaces
des vitrines, apparaissent dans leur couverture paille, hieu d'azur
ou vert d'eau les caprices, berceuses, barcarolles. fantaisies et
gavottes qui répandent la sérénité dans les pensionnats de jeunes
filles. . . ■
Il en est de « difficulté moyenne « et de « frrande difficulté -. Mais
leur air de lamijle, Xewv caractèriste. comme dit RafTaëlli, est le lieu
commun. En fuyant la banalité, leurs auteurs risqueraient de ne pas
les plaçai- ; hypothèse redoutable !
Les premiers jours de cette année en ont vu éclore, comme de
coutume, un nombre respecîtahle, k classer, dans la littérature musi-
cale, au rann' des romans de Goorfres Ohnet.
Signalons-en quelques unes, puisqu'il y a des p-ens qui achètent
les calendriers et qui lisent les romans de Geoi-o'es Ohnet.
La deuxième édition d'un Chanf dn soir pour piano, de M. Alexis
Ermel, et, du même auteur, un Conte .oriental 'et une suite d'7m-
prominus- Valses intitulée t les Soirées de Bruxelles (pour faire
suite, probablement, aux Soirées de Viemie, de Liszt). M. Ermel
connaît fort bien l'instrument pour lequel il écrit et quelques pas-
sages-bien venus dénotent une întellirrence musicale supérieure aux
inspirations quelconques qu'il jette dans la circulation à. la suite des
Cascades de roses. Pluies de perles ei Rosées j)rintaniéres qui inon-
dent les étalafres.
De M. \V©uters, un Moment miisical, dont le prenaier mouvement
indique un progrès sur ses précédentes élucubrations.^
Une Elégie, comme toutes les" élégies, et une Valse, la première
venue, de M. Louis Maes. De M. Maurice Koetlitz. une Barcarolle
et un Landler pas trop mal. Un menuet de Mi-Carl Chesheau, inti-
tulé : Diane chasseresse ,\\iTe prétentieux souligné par une image non
moins prétentieuse sur la couverture. La Belle hongroise et Sty-
rienne, par M -Henri Van Gael. Passons. Une Gavotte hollandaise.
de M Wolf. combinaison ingénieuse des diverses gavottes stépha-
uisées dans les « soirées de musique « par les pensionnaires
Pour le violon, une Petite berceuse, très facile, par M. Herrinânn.
Pour chant, une Chanson d'avril a deux voix, œuvre posthume de
Guillaume Meyune dont nous avons annoncé la mort, l'un des mieux
doués de nos jeunes compositeurs. Puis, Quatre ynélodies de
M. Ch. Mêlant, les trois premières sérieuses, la quatrième : «♦ On
n'entre pas Monsieur l'abbé ", frisant la chansonnette.
Toutes ces œuvrettes ont le mérite d'être gravées et imprimées
d'une façon remarquable. La maison Bertram, qui les édite, la plus
jeune des maisons de ce genre, a prouvé qu'elle n'a rien à envier à
"^es grandes rivales sous le rapport du soin apporté à ses publica-
tions.
yHÉ
EATRE3
TfiÉATRK MoLii-:RK. — M. Larav t^mino ce soir la brillante
série de ses re[>réseulations. Il demeure le l>;igiirdère le plus
romaïUique, le plus fier et le plus intéressant (jue le ihéàtre ait
vu. Nul mieux que lui ne fait résonner les périodes sonores du
Bossu ^ n'exprime avec plus de feu el d'imagination le personnage
légendaire qui a consacré sa réputation.
Demain commenceront les représenlations de FercoL comédie
en 4 actes de Sardou. Samedi prochain,rfau bénéfice de M"* Mural,
\" rôle, Lés Femmes fortes y comédie en 3 actes de Sardou et
Un rival pour rire^ un acte de Gronel d'Ancourl.
La roprésenlation de demain sera donncîc au bénéfice de
M. Hems.
Théâtre de l'Algazar. — C'est hier qu'on a dû jouer VElu-
dianl pauvre^ arrivé, après des avenlures diverses, à monter sur
la scène. Nous disons quVw a du, parce que la direction fantai-
siste de l'Alcazar nous a liabilué k tant de surprises que rien n'est
plus"problémaliquc qu'une première représentation k ce théâtre
et qu'il faut toujours, quand on s'y rend, avoir formé un plan
subsidiaire de l'emploi de sa soirée, le fait de trouver porte
close et une bande sur les attiches étant fréquent.
L"lit?ure de notre tirage ne nous permet pas de vérifier si,
celte fois, VEtudiant pauvre s'e^i montré autre part qu'au Palais
de justice. .
Théâtre du Parc. ~ M. Candeilfi annonce pour vendredi
prochain la première de La Camaraderie.
j^HRQNIQUZ: JUpiCIAIRE DE^ /RT^
L'Art Moderne a relaté le procès intenté par M. John Wilsou à
M. 'Moule, son ancien secrétaire, et à M. Gauchez, expert en
tableaux (*).
M. Wilson. les accusait tous deux de manœuvres dolosives lui
ayant porté préjudice, et avait obtenu contre eux un jugement de
condamnation du tribunal de la Seine.
La Cour d'appel vient de réformer le jugement, en décidant que
M. Wilson n'a pas été trompé sur la qualité des tableaux que lui
avait livrés M. Moule, et, quant à M. Gauchez, qu'il n'est pour rien
dans le marché conclu par M. Moule avec M. Wilson.
Voici les principaux considérants de cette importante décision :
Sur l'appel des héritiers Wilson :
Considérant que le défunt Wilson n'a pas été trompé sur les
qualités substantielles des trois tableaux que Moiile lui a livrés
comme étant de Van Ostade, de Teniers, et de Gornélis Dusart;
Oue rauthenticité de ces tableaux n'est {wint contestée; Que, quant,
à leur valeur vénale, elle était incertaine comme celle de tous les
objets d'art, dont le haut prix dépend d'une vogue capricieuse et des
circonstances très variables dans lesquelles la convoitise des ama-
teurs est mise en éveil et parfois surexcitée; Qu'eût-il été vrai que
les tableaux dont s'agit étaient envoyés d'Angleterre, ainsi que
Moule l'a dit niensongèrement à Wilson, leur valeur pécuniaire
'n'aurait été ni plus grande ni mieux assurée; Que, très habitué à
juger par lui-même du mérite des peintures dont il avait réuni une
collection de premier ordre, Wilson a traité en parfaite connais-
sance des tableaux eux-mêmes ; Qu'il est dont indifférent que Moule
l'ait abusé sur la provenance de ces tableaux pour ne point lui per-
mettre de constater les prix des précédentes ventes; Qu'en cet état,
l'appel incident des héritiers Wilson n'est point justifié; Que la
décision des premiers juges doit donc être confirmée purement et
simplement eu égard à Moule, lequel n'en a point relevé appel.
Sur l'appel de Gauchez :
Considérant que ce dernier n'a pris aucune i)art aux transactions
intervenues entre Moule et Wilson, soit pour l'engagement, soit
pour l'achat des tableaux dont il s'agit ; Que, chargé par des tiers
de réaliser la vente de ces tableaux })0ur une somme ferme de
20,000 fr., Gauchez a fait tin acte licite et ordinaire de son négoce
en donnant à Moule la commission de trouver acheteur à la condi-
tion de partager avec lui la prime qu'il pourrait obtenir en sus du
prix fixé par les propriétaires à 20,000 fr. ;
Considérant qu'il n'est point établi qu'en s'adréssant ^ Moule,^
Gauchez ait su ni prévu que les efforts de celui-ci tendraient spécia-
lement à conclure l'affaire avec le défunt Wilson; Que le contraire
seurble même résulter de ce fait qu^e Moule a commencé par offrir le
marché à une autre personne, le sieur Pillet ;
Considérant que, à supposer que-Moule ait eu recours ensuite à
des artifices plus ou moins blâmables dans le but de circonvenir
Wilson et de l'amener, à ses fins, il n'est point établi par les débats
que Gauchez ait trempé dans ces manœuvres, ni qu'il les ait prépa-
rées et concertées avec son courtier ;
Considérant que, consulté par Wilson sur le prix que pourraient
atteindre ses trois peintures, Gauchez n'était nullement tenu de lui
révéler les conditions dans lesquelles il s'était précédemment occupé
de ces mêmes peintures et l'intérêt personnel qu'il avait à leur pla-
cement; Que rien n'eût été plus contraire aux habitudes du com-
merce dont Gauchez faisait ouvertement profession :
Considérant que, dans tous les cas, lés documents du procès ne
fournissent point la preuve que Wilson ait adressé cette interpel-
lation à Gauchez avant de s'être rendu, soit gagiste, soitjicquéreur
des trois tableaux; Que, sans doute. Moule l'a déclaré dans son
interrogatoire sur faits et articles, mais, qu'en fait, son témoignage
est des plus suspects; Qu'en droit, les réponses d'un défendeur ne
font point foi contre les autres et ne peuvent leur être opposées
comme contenant l'expression de la vérité ; < -
Considérant, d'autre part, que l'action exercée contre Gauchez ne
lui a pas causé d'autre dommage que les dépens auxquels il a été
condamné ;
Par ces motifs:
Met l'appellation incidente des héritiers Wilson à néant ; Dit et
déclare les dits héritiers W^ilson mal fondés en leurs conclusions
d'appel incident, les. en déboute, etc.
Voir l'A /•< Moderne 18*^3, p. 2Sd.
MEMENTO DES EXPOSITISNS ET CONCOURS
Anvers. — Exposition universelle. Mai à octobre 1885.
AxvERs. — Salon des refusés et exposition des artistes indépen-
dant», ouverture en mai. Pour tous renseignements s'adresser au
secrétoire du Cercle des artistes indépendants^ 1, rue de l'Anjgle,
Bruxelles.
Janvier 1885. — Bruxelles. — Deuxième exposition des XX.
(Limitée aux membres du Cercle et aux artistes spécialement invités).
l**" Février 1885. — Troisième exposition de Blanc et Noir de
l'Essor. (Limitée aux membres du Cercle). Mai 1885 — Exposition
historique de gravure, par le Cercle des aquarellistes et aquafortistes.
Mai 1885;
Glasgow. — Institut des Beau^-Arts (24e exposition). Ouverture
3 février 1885. Fermeture fin d'avril. — S'adresser à M. Robert
Walker, secrétaire de l'Institut, à Glascov^^.
> . ■
Londres. — Expostion niternationale d'instruments de musique.
Ouverture en mai 1885, à South- Kensington. Cette deuxième divi-
sion comporte trois groupes : 1" Instruments de musique construits
ou en usage depuis 1800; 2° gravure et impression de la musique ;
3" collections historiques.
Id. — Du 31 mars à la fin de septembre exposition internationale
et tiniverselle d'Alexandra-Palace, comprenant notamment les arts
et métiers, et une exposition dé tableaux et objets d'art représentant
les principales écoles du continent.
Nuremberg. — Exposition internationale d'orfèvrerie, de joaille-
rie, de bronzes, etc. Du 15 juin au 30 septembre 1885.
Paris. — Salon de 1885. — !<"" mai au 30 juin 1885. — Peinture,
. dessins, etc. Dépôt des ouvrages au Palais des Champs-Elysées, du
5 au 14 mars. Vote, le mercredi 18 mars, de 9 h. à 4 h. — Sculp-
ture, Gravure en méd. et sur p. f. Dépôt du 21 mars au 2 avril.
Vote, le mardi 7 avril, de 10 à 4 h. — Architecture. Dépôt du 2 au
5 avril. Vote, le mardi 7 avril, de 10 à 4 h. — Gravure et Lithogra-
phie. Dépôt, du 2 au 5 avril. Vo-te, le lundi 6 avril, de 10 à 4 h.
Rome. — Exposition organisée par la Société des Amatori e ciiltori
di Belli arti. Ouverture 1»' février.
La Haye. — Concours pour l'érection d'une statue à Hugo Gro-
tius.
MoNTÉvroÉo. — Concours pour la statue- du général Artigas
S'adresser à la légation de l'Uruguay, 4, rue Logelbach, à Paris.
RiciiMOND (Virginie). — Concours pour un monument à Robert
Lee, jusqu'au l"'" mai 1885.
Vienne. — Concours pour l'érection d'un monument à Mozart.
pETITE CHROJ^iqUE
Contrairement à ce qui a été annoncé par un journal bruxellois,
c'est le 1er février, et non le 15, que s'ouvrira le Salon des XX. Le
nombre considérable de tableaux qu'enverront à cette exposition les
artistes invités a obligé les XX à demander au gouvernement la
disposition d'une des grandes galeries du premier étage du Palais
des Beaux-Arts, les salles qui leur avaient été octroyées l'an dernier
étant insuffisantes. Cette disposition vient de leur être donnée.
De même que l'année passée, il y aura des conférences pendant
l'exposition. On annonce déjà une conférence destinée à faire du
bruit, qui sera faite, au début du Salon, par M. Raffaëlli, l'im-
pressionniste parisien. .
VEssor a ouvert hier, dans les deux salles du Nord du Palais des
Beaux-Arts, sa neuvième exposition annuelle. Elle comprend environ
deux cents tableaux et sculptures. Elle est ouverte gratuitement au
public tous les jours de 10 à 4 heures. Les billets de la tombola
coûtent cinquante centimes le numéro. A dimanche notre apprécia-
tion.
^ On nous écrit de Liège, au sujet du concert de musique russe dont
nous avons publié le programme et qui a eu lieu mercredi dernier :
On n'avait pu faire malheureusement que trois o.u quatre répéti-
tions, et pour cette petite somme d'études, l'exécution a été relative-
ment bonne, quoique manquant un peu de précision et surtout
de finesse dans les nuances, qui fout presque tout le charme de cette
musique.
Thomson a été absolument remarquable. Il a joué la suite de Cui
avec une grande simplicité et un grand sentiment ; M'"^ la b«>mtesse
de Merçy-Argenteau, qui accompagnait, a convenablement tenu sa
partie, sans cependant qu'il y ait rien de remarquable dans son jeu.
On lui a fait naturellemeat un très grand succès.
M'^é Bégond, l'ex-pensionnaire de la Monnaie, a remporté aussi
un triomphe, difficile à justifier, car elle n'a réellement pas une voix
suffisante ni surtout le sentiment assez artistique pour bien inter-
j)rèter ces mélodies. Elle a été forcée de chanter unX^orceau qui
n'était pas au programme : La belle au bois dormant, de Borodine,
une chose charmante.
Malheureusement, M. Byrom, indisposé, a été remplacé au der-
nier moment par M. Ramioul, qui n'a pas été à la hauteur de la situa-
tion.
La grande majorité du public a semblé s'intéresser vivement à
cette musique. Quelques auditeurs trouvaient toutefois que ce
n'était pas assez russe ; ils s'attendaient probablement à entendre
des choses absolument invraisemblables. Ils auront été satisfaits de
la Fantaisie serbe: on les entendait murmurer, quand arrivaieiTl
les cbiips de grosse caisse et de cymbale : - A la. bonne heure, cela
au moins, c'est serbe! » . '
Nos artistes a l'étranger. — Les journaux d'Aix-la-Chapelïe,
que nous avons sous les yeux, sont unanimes dans l'éloge qu'ils
font d'un de^ nos jeunes violoncelliste!^, M. Bouserez, qui s'est fait
entendre récemment dans cette ville. Ils vantent la sûreté de ison
mécanisme* l'élégance de sOn jeu et sa sonorité agréable et claire.
C'est dans l'interprétation, dun Concertstûck et d'une Fantaisie
caractéristique de Servais, — œuvres de peu de valeur musicale,
dit la Qegemoart, mais propres à faire ressortier les mérites de
l'exécutant — et dans celle d'une Romance de Popper que M. jBouserez
a recueilli ces succès.
Le jeune artiste a été attaché en qualité de soliste à l'orchestre
Bilse, de Berlin, r.uquel la Belgique a fourni déjà plusieurs musi-
ciens de valeur : nous citerons entre autres MM. Baudot, violoniste,
et Liégeois, violoncelliste. A vingt quatre ans, il est déjà considéré
en Allemagne comme un artiste de sérieuse valeur, auquel s'ouvre
un hel avenir.
On nous écrit de Glasgow que M. Franz Rummel y a remporté
un légitime succès dans l'interprétation du concerto {rai bémol) de
Liszt, de la Fantaisie chrom,atique de fugue 'de Bach et de deux
morceaux de Chopin. « Il joué, dit notre correspondant, avec une
vigueur et une ardeur extraordinaires et avec une délicatesse de
toucher et une finesse de sentiment qui ne tombent jamais dans les
banalités du sentimentalisme »♦.
Le deuxième concert populaire aura lieu aujourd'hui, à 1 h. 1/2,
au théâtre de la Monnaie, avec le concours de M. Pablo de Sarasate.
L'éminent «artiste jouera le concerto de Mendelssohn et, celui
d'Emile Bernard (l»"* exécution) Enfin, V Introduction et Rondo
capriccioso de Saiut-Saëns, que celui-ci lui a dédié,
L'orchestre interprétera pour la première fois la. Suite n° 2 de
Tschàikowski, le Scherzo de la Suite en ut 7najeur de Raïï et, pour
finir, l'ouverture d'Eléonore de Beethoven.
Les journaux de Mons font l'éloge delà matinée musicale on'ganisée
par le directeur du conservatoire de cette ville à l'occasion de la
distribution des prix.
L'ouverture d'Egmont, dit la Tribune, a été nuancée et fouillée
dans tous ses détails par des artistes qui comprennent la grande
musique de Beethoven, la plus classique entre les plus classiques.
Les deux compositions de M. Jean Vauden Eeden, qui ont suivi,
ont un caractère plus romantique, sans néanmoins s'écarter des
grandes lignes. <«'
ha Danse des Esclaves, si bien orchestrée, a surtout ce caractère.
On est frappé de la conception de cette danse pittoresque tant le
trait va droit au but, tant est saisissante la teinte de rêverie ré-
"•j)aiidue sur la gaîté mélangée de tristesse de ces esclaves qui, même
au milieu de leurs ébats, ne peuvent oublier qu'ils sont esclaves-
parce qiie leurs chaîhes dansent avec eux.
La Marche triomphale a la vaste envergure qui convient à la
solennité du sujet : c'est l'ivresse, l'orgueil et l'enthousiasme du
triomphe qui éclate et ne s'apaise que pour se raviver et éclater
avec une force nouvelle.
Après l'exécution — irréprochable — de ses deux poèmes, le
compositeur à été salué de sincères applaudissements partis de tous
les points de la salle.
Voici le programme du concert que donnera, ainsi que nous
l'avons annoncé, le 17 janvier, à la Grande harmonie, M. Joseph
Wieniawski : • . ^
Une Sonate à deux pianos, de Mozart, dans laquelle une des
C\v
16
UART MODERNE
élèves de M Wieniawski, M"« Merck, lui donnera la répliqua;
quatre pièces de Chopin (Nocturne en sol majeur, polonaise en
fadièze mineur, valse op. 42 et Scherzo dranriatique op. 31); cinq
OMiVres' de M. Wieniawski, dont, deux mélodies chantées par
M. Moyaérts. Pour finir, du Wa},'ner : la transcription de Tausig
<le la Chetanchéedes WaUyries, le cortège nuptia' de Lphengrin et
la marche de Tannhaûser, ces deux dernières œuvres transcrites
l)ar Liszt. , » * .
On le' voit, c'est un programme alléchant et plein de promesses.
Les miûoni^es sont reçues au bureau dicjourtial^
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N" 2. Historiette, 2 fr. - N» 3. Val.se lente, fr L75,
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sions et Chimères, 2 fr. -- Op. 48. Tambour battant, 2 fr.
Smith S. 0\> 185 Notre-Dame, Chant religieux, 2 fr. — Op. 19L
La mer calme. Deuxième barcaroUe, 2 fr. — Op. 192 Styrienne,
2 fr. — Op. 193. Marguerite, 2 fr. — Op. 194. La fée de Ondes, 2 fr.
Wieniawski: Jos Op. 39. Six pièces romantiques : Cah, L Idylle,
Evocation, Jeux de fées, 3 fr. — Cah. II. Ballade, Elégie, Scène
rustique, 3 fr. — Op. 4! Mazourka de concert, fr. 2.50.
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ment de piano à 4 maius : No 1. Fête villageoise, la partition,
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Cinquième année.
N°3.
Le numéro : 05 centimes.
• Dimanche 18 Janvier 1885. ,
L'ART
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00 ; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
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A dresser les demandes d'abonnement et toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
^OM
MAIRE
La nouvelle direction du Théâtre dk la Monnaie. — L'Expo-
sition DE L'Essor. — La livraison de janvier de la Jeune Belgique.
— Musique. Le .2"'e Concert populaire. T&cXiaiikow&ki; Sarasate. —
Au Cercle artistique. Exposition Bellis-Mundeleer. — Le jury
DES Beaux-Arts a l'Exposition d'Anvers. — Théâtres. L' Étudiant
pauvre. — Une remarque sur un romancier russe : Dostoëwsky.
— Mémento des expositions et concours. — Petite chronique.
' • JjA f^OUVELLEDIF^ECTION
DU THÉÂTRE DE LA MONNAIE
Grande rumeur au sujet de la nomination de M.Ver-
dhurt-Fétis. Grand désappointement du groupe qui se
croit titulaire unique du droit de disposer des choses
artistiques dans la capitale.
Pensez donc! Un nouveau venu ! Un personnage que
combattait la fraction mondaine, les Cent-Gardes, qui
singent le tout- Paris et. qui certes ne sont pas tout-
Bruxelles ! Un homme qui ne fait pas partie du groupe
des douze directeurs qui se passent et se repassent les
théâtres européens! Puis, surtout, un novateur qui
prétend modifier dans une mesure raisonnable la rou-
tine, le vieux mobilier lyrique, les essoufflés, les
épuisés.
Réussir dans ces conditions, c'est impossible, disait-
on. Et la candidature n'était pas prise au sérieux.
C'est elle pourtant qui a passé haut la main. Dix-
huit voix données contre onze, à un vétéran de la
machine théâtrale, M. Campocasso, et deux, absten-
tions.
Pourquoi? C'est bien simple, et quiconque a entre-
tenu, soit avant, soit après le vote, les membres de la
majorité, sait parfaitement à" quoi s'en tenir. ,
Assurément, le collège qui a présenté M. Campo-
casso, et qui a échoué devant son conseil communal,
avait des intentions excellentes. Se rendant compte que
sans son Grand-Opéra Bruxelles est une ville malade
et morose; sentant aussi que la responsabihté de pareille
atteinte aux distractions artistiques est toujours
imputée .à l'administration locale; effrayé enfin des
hasards d'une rupture avec les usages, il s'est facile-
ment laissé endoctriner par les officieux officiels qui
appuj'aient le vieux loup de théâtre qui se présentait
avec le prestige de son expérience.
Campocasso connaît son affaire, disait-on. Il pré-
sente des garanties personnelles. Il faut prendre
Campocasso. -
Mais-' on répondait : Allons-nous donc toujours,
comme de vieux chevaux, tourner dans le même ma-
nège? Vos directeurs expérimentés ne sont pas plus
malins que d'autres, ni plus à l'abri des aventures. Leurs
déconfitures se chiffrent à la douzaine. Et pas de com-
pensation artistique. Le vieux jeu, sans répit. Des
craintes ridicules de ne pas être suivi par le public dans
la moindre nouveauté, et, par conséquent, la marche
derrière le public au lieu de la marche en avant. L'art .
d'il y a trente ans maintenu imperturbablement au
répertoire, comme morceau principal. Des tentatives
k
<- i
18
UART MODERNE
timides, imposées par l'opinion mais réalisées, sans con-
fiance et partant sans enthousiasme. Tout un monde
de chanteurs dressés à cette école et devenus eux-
mêmes, tant on les a encroûtés de préjugés, des obsta-
cles à toute innovation. Gomme ensemble, un théâtre
vieillot, radoteur, ennuyant même ceux qui, en prin-
cipe, défendent ces allures routinières, que le specta-
teur déserte de plus en plus, et qui ne se soutient que
par les coups de grosse caisse des artistes, dits les
étoiles, en représentation. Finalement un art bour-
geois, démodé, maussade, la scène regardée distraite- -
ment et la salle devenue simplement un local pour
réunions mondaines, exhibition de toilettes et de
joyaux, station du soir pour les digestions laborieuses.
Il faut changer cela.
Comment ? Mais tout bonnement en remisant les gro-
gnards et en les renvoyant aux invalides. En essayant
d'un élément jeune, actif, imbu d'idées nouvelles,
modéré pourtant dans leur application pour ne 'pas
heurter du premier coup les habitudes, capable, en
résumé, de continuer, mais en la développant, l'admi-
nistration de MM. Stoumon et Calabrési, très intelli-
gente, mais un peu timide.
M. Verdhurt-Fétis a semblé réunir ces conditions et
on l'a choisi. Il a quarante ans. Il est intelligent, sym-
pathique, énergique. Il aime l'art nouveau. Il ne dé-
daigne pas l'art passé. Il veut plaire. Il veut pousser en
■ avant. Il a l'ambition dé rajeunir notre première scène.
Il a l'espoir de donner à sa troupe cette flamme qui
est l'âme du progrès. Il voudrait qu'aux préoccupations
basses et intéressées dans lesquelles on se complaît
d'ailleurs à entretenir les éléments scéniques si difficiles
à manier parce qu'on a tout fait pour qu'ils ne pensent
jamais qu'à leur vanité individuelle, on substituât un
sentiment plus élevé, celui de l'amour pour les belles
"tBuvres, même celles dont l'exécution exige un peu le
sacrifice des personnalités.
Bref, il est l'homme des idées nouvelles qui, dans tous
les domaines, s'épanchent et deviennent irrésistibles
malgré la lutte furieuse de ceux qui, férus de leur
exclusivisme, prétendent contraindre les générations
plus jeunes à admirer ce qui n'est plus de leur temps.
Accomplir ce programme avec fermeté et sagesse.
Ne pas vouloir tout bouleverser. Agir par étapes.
Accueillir avec plus de bienveillance les productions de
l'art national. Accoutumer la foule, gâtée par tant
d'opiniâtres et sottes faiblesses, à aimer ce que partout
on aime chez les nations où l'on n'est pas resté station -
nairedansle domaine musical. Aboutir aussi à un
renouveau salutaire et capable de charmer, est-ce donc
si difficile, et la majorité du Conseil qui a voulu le
tenter ne mérite-t-elle pas de sincères applaudisse-
ments? --..,_ -' ■ ' - ;^ '-■■ .-"" --^
J:»'ÎJXP0PITI0N DE i'ÏJ^^OI^
Est-ce mauvais gré, comme le diront certains Essoriens se
remémorant notre part dans la scission des XX. ^, Est-ce mau-
vaise vue par ces jours de neige allristants et déprimanls? Est-ce
mauvaise critique comme le pensent ceux qui n'accordeftt com-
pétence qu'aux gens du métier, les plus incompétents pourtant
pour apprécier leurs propres œuvres? Ne sais... Mais sais bien
que celle exposition m'a paru d'une médiocrité navrante.
Calme-moi, leclour. Tu le lrompes.,Ie ne vais pas chargei'Herbo.
Je ne lance plus d*? ce côlé ma bOlc de balaillc. Sa génie pcrru-
quière travestie en Pompadour peut rester tranquille, carminée et
poudrée, sur son siège, à la place d'honneur, au milieu d'un pan-
neau, comme une bambine, une après-midi de carnaval, pendant
le cours, derrière la glace d'une vitrine débarrassée de son éta*
lage, rue Neuve ou rue de la Madeleine. Tranquille aussi, le per-
sonnage barbu et inouslachii, redressant son chef armé d'un pince-
nez aussi fièrement campé qu'une visière de cpsque.
On a suffisammenl fourragé de ce côlé. Le Maître est incu-
rable, et sa clienlèle aussi. Qui donc, interrogé à l'entrée des
deux salles par une dame pres.séc qui demandait k voir^itele
plus beau tableau, l'a menée tlogmaliquement devant la toile
vierge où ce Commandeur des croyants â écrit cqs mots : Bon
-pour un porlraii! C'est à s'enfuir. J'ai entendu un acheteur de
billets de la tombola murmurer devant celte perspective dont le
menaçait le sort : ^ .
Préservez-moi, Seigneur! préservez ceux que j'aime !
Non. Que Herbo brosse en paix. Mais les autres?
Les autres, hélas! A part le panneau central du tryptique
d'HalkeU, Bans la Sapinière^ nonobstant la romance en trois
couplets qu'il y a plaintivement modulée ; à part l'atelier de
Van Rappart, très intense comme expression du travail de l'ar-
tisan, continu, paisible, consciencieux, — sur-quoi arrêter sa vue
dans cet étalage maladif de pauvretés? ,
11 semble qu'un affaissement général ait sévi. Même ceux que
nous ^vons applaudis souvent ont descendu la pcnle. Frédéric,
ordinaire; et pourtant quelle bonne œuvre que son Hospice du
Salon triennal ! Delsa^ux, ordinaire. "
Dans quels milieux vit donc ce groupe pour aboutir à cet
ensemble bourgeoisement maussade. Pas d'élan, pas de verve,
pas d'originalité. Une peinture ennuyeuse, fuligineuse, ayant les
allures molles, gauches, lassées des anémiques.
On parle de Degroux fils. Très mal placé," mais il l'a ainsi
voulu, paraîi-il. N'importe, nous avons vu. Un succédané de son
père, larliste admirable, dédaigné naturellement, méconnu natu-
rellement, car le nombre de ceux quiadmirent les Séraphines à la
mode de Herbo csl prodigieux. Un reflet! Le prix des défauts.
Pastiche, répéliliou, plagiat même involontaire,... horreur !
Crions donc tous à ce débutant qu'il va tomber dans une mare.
Il y a déjà les pieds. Vij^ qu'il en sorte. Que personne ne loue
donc ça. \
Et cet autre, qui copie Khnoijff^avec un sans-gêne impertur-
bable, y compris le format et le cadre. 11 faut le huer, le siffler.
D'autant plus fort qu'il adulaient, de la pénétration, de la dél±!_
catesse de pinceau. A bas! A bas! A bas! Pas de ce côté, Lem--
men! Tournez donc, revenez. L'imitation c'est la honte. On n'en
veut plus. Bonne ou mauvaise on la conspue. Elle a ce côté
ignoble qu'elle nuit à ce qu'elle pille comme elle se nuit à
^"-
elle-même, car elle banalise. C'est dç l'usurpalioii, de la contre-
façon. Le code pénal de l'art frappe ces méfaits : la peine, c'est
le discrédit. A la chie-en-lit! A la chic-cn-lit!
V Essor l Beau nom. Mais les oiseaux battent, de l'aile. Plu-
sieurs sont au perchoir. Quelques-uns au poulailler.
LA LIVRAISON DE JANVIER DE LA " JEUNE BELGIQUE »
. Dans le premier numéro d'une nouvelle et très élégante revue
qui vient de paraître, la Chronique des Beaux-Arts ^ d'Anvers,
Georges Eekhoud a écrit :
« Je commencer cette revue de l'année artistique par un
souhait, c'est que musiciens et peintres s'appliquent; s'appliquent
surtout à être vraiment nationaux. Une chose me frappe en par-
courant la liste des événements musicaux de l'année, c'est la part
très effacée que nos c<)mpositcurs peuvent revendiquer dans cette
liste. De même le Salon de 1884 prouve à l'évidence la déplo-
rable fascination que la peinture française exerce sur nos artistes.
A part quelques individualités dont je rencontrerai le nom dans
cotte revue, il semble que loin de combattre, de lutter contre le
vent étranger, le vent assimilateur soufflant de Paris, les artistes
eux-mêmes flattent ce qu'on pourrait appeler « l'annexion
intellectuelle » et entretiennent par leurs pastiches, leur pitoyable
sujétion, ou encore par une abstention indigne des forts, celte
idée chez le public qu'en effet il n'y a plus d'autre art que l'art
français. »
Ce phénomène n'affecte pas la littérature belge. La livraison
de janvier, de la Jeune Belgique le prouve superbement.
Jamais le groupe des jeunes combattants ne s'est manifesté
en une série plus brillante d'échantillons de ce qu'il peut faire.
Une véritable anthologie, où chaque œuvre de prose alterne avec
une œuvre versifiée. Vingt morceaux, de bon aloi, sans compter
les chroniques et les amusettes de la fin. Un défilé compact,
animé, sonore. Une réponse joyeuse cl triomphante aux détrac-
leurs, aux aboycurs, aux diffamateurs. Une fanfare retentissante
qui couvre le fausset des envieux, des ratés, dos essouftlés. Un
grand coup de balai qui rcnvqie aux immondices toutes les
salissures. . / .
Bravo! Bravo! Bravo! Et en avant! Oui, encore plus on avant!
Toujours en avant!
Plus d'une fois au cours de l'an dernier, nous avons souhaité
que cette vaillante équipe, que disons-nous? que cette vaillante
armée, se nationaiisàL davantage, et se laissant aller aux impres-
sions des milieux ou elle vit, lutte, pûlil ou triomphe, aban-
donnât résolument toute ressouvcnance de la littérature étransjère
où l'a trempé son éducation, pour ne plus s emparer que de ce
qui est visible dans son rayon immédiat. Voir le milieu belge,
PENSER EN BELGE, avions-nous crié.
Nous nous garderons certes de dire que c'est grâce à notre
conseil que le dernier numéro de la Jeunè^elgique applique ce
principe salutaire qui seul peut nous donner l'originalité, celte
qualité souveraine, la seule vraiment séductrice. Ce n'est pas une
parole de critique qui fait marcher une évolution littéraire. Il est
^lus vrai de dire que la même loi dominante a inspiré notre vœu
et sa réalisation presque instantanée par les écrivains de nos
temps nouveaux. *
Mais nous nous réjouissons sans réserve de ce changement de
front, tenté par quelques-uns seulement jusqu'ici, cl qui mainte-
nant entraîne toute la ligne. Bruxelles, les Flandres, les Ardennes,
nos rues, nos champs, nos concitoyens, nos mœurs sont seuls,
en scène comme décors ou comme acteurs. .
Il ne s'agit plus désormais que de creuser à fond cette psycho-
logie et cette nature. Cela se fera. On n'en peut douter en voyant
au iravail lant d'esprits pénétrants, tant de plumes adroites.
Vous avez l'instrument, vous connaissez le métier, jeunes
légionnaires. Vous voyez aussi les régions et les chemins à par-
courir. Plus d'excursions au loin, par delà les frontières, aux
pays dont on rêve sans les voir et surtout sans les comprendre.
Allez! Les vœux de tous vous saluent et vous accompagnent. Une
littérature nalionale est née. Elle n'est plus l'œuvre de quelques
exceptions, des précurseurs isolés. Elle est générale, comprise,
acclimatée, installée, consolidée. ,
VoilU le fait éclatant pour la prose.
En est-il de même pour la poésie?
Nous en causions récemment avec l'un de nos jeunes versifica-
teurs les plus auréolés d'espérances, Albert Giraud, et il doutait.
Le symbolisme de la grande poésie lui paraissait réfraclaire à
cette nationalisalion. Il se rangeait parmi ceux que les œuvres
de terroir ne sollicitent' pas. On ne peut, .disail-il, forcer sa
nature pour suivre un système prêché par un critique. L'âme
humaine est universelle. Elle peut être notée indépendamment
du milieu cl du décor. Les vastes mouvements d'idées, de sen-
timents et de sensations qui à certaines périodes se lèvent sur le
monde, sont des marées si larges et si hautes qu'elles submergent
et renversent loul. Hugo, Lamartine et Baudelaire ont-ils él;é
des écrivains du terroir? Sont-ils des Gaulois? Sonl-ils même
des Français ? Et n'en onl-ils pas moins exprimé dans leurs vers
un état particulier de l'âme contemporaine? Exiger de tous les
Jeune-Belgique des. œuvres du J,erroir, sans tenir compte des
circonstances, des tempéraments et des vocations, c'est une
absurdité où ne conduit qu'une manie trop généralisante.
Nous répondons : Certes, s'il est quelqu'un dos Jeune-Bel-
gique qui se sente un Hugo, un Lamartine, un Baudelaire, qu'il
suive son génie. Pour celui-là pas de règles. S'il en est qu'une
incompressible vocation pousse à des œuvres cxoti(iues, qu'il
suive sa vocation. Les règles ne sont pas faites pour les excep-
tions. Mais il faut qu'on soit sûr d'être une exception. Vous l'êles
peut-être. Mais défioz-vous. Si vous vous trompez sur vos apti-
tudes, en cherchant ailleurs que dans votre milieu, vous vous
fourvoierez, vous pasticherez, et vous le ferez inconsciemment,
ce qui est le pire des pastichagcs, parce que c'est le paslichage
incurable.
El parlant ainsi nous nous souvenions du cri de détresse poussé
•par noire jeune interlocuteur dans /é'*Scrifre, son premier livre, qui
plaît, malgré l'adjeclivile aiguë dont il a offert un cas patholo-
gique si remarquable. S'y mettant en scène, sous la figure de
son héros, Jean Heurlaut, ce lecteur trop assidu pour n'en pas
prendre quelque chose de don José de Hérédia, de Baudelaire et
de Banville, il y dépeignait en ces termes pathétiques la souffrance
du pasticheur lisant ses propres œuvres et les trouvant infectées
du vice redoutable : \
« A la première ligne, il découvrii une réminiscence, el puis
une autre, une autre encore. Il éparpillait autour de lui les pages,
hagard devant l'écroulement de son rêve. Celle image appartenait
à Hugo, ce vers à Leconlc de Lisle, celle strophe était jumelle
d'une strophe de Baudelaire. Et celui-là surtout se rétlélail dans
le poème.. Tout à coup Jean se rappela que l'idéc-mère de son
^
]l
œuvre dlâit un &onnet des F/^wr* àii mal. Et pôurianl, il conser-
vait un doute. Il relut, de rechef. Alors, cédant à l'éblouissanTe
évidence, il demeura penché sur la table, les poings au menton,
dans un silence.
« Oh otii ! il avait dompté le mol, maintenant ; e,t il était Dieu,
— un Dieu plagiaire. Les strophes imitées liïi sonnaient aux
oreilles sur un ton qui psalmodiait, interminablement. Et les
jivres qui dénonçaient Fa faiblesse gisaient Ui, ouverts, sous la
tranquille lueur de la lahipe. avec une indiffr'rente ironie.
« Dans u,ne rage, il agrippa les volumes. Non ! il n'était pas
un plagiaire. Le tempérament do Baudelaire ressemblait au sien.
Le poète des Epaves exerçait sur lui une diabolique possession,
qije nul exorcisme ne gu<^rirait. C'était à croire que par une lugu-
bre mystification d'oulre-tombe, Baudelaire guidait la main- de
Jean quand il écrivait. Non, il n'était pas un plagiaire. Celle
œuvre qu'il allait déiruire était de lui, bien de lui. Des pages en
étaient stylées avant sa première lecture des Fleurs du mal. Et
parce que ses sensations correspondaient à celles de Baudelaire,
on lui défendait de les traduire, et ses strophes — la chair et le
sang de sou intelligence, — il n'oserait pas les publier! Et il
renfermerait en lui toute celle vie qui rétouffail? Non il n'était
pas un plagiaire. C'était Baudelaire qui le volait ! ! »
Peut-on mieux dépeindre la terrible maladie et sa folie termi-
nale qui se résume en cette formule : Se croire original., et ne pa:s
Vêtre. Et comme conséquence sauter, les griffes tendues, avec
des cris aigres, aux yeux de ceux qui vous en avertissent. •
On se sauve de cela quelquefois, don G'raud de Hérédia-
Baudelar-v-Banvillés, en se raccrochant fortement à son milieu et
à son décor. A moins d'être Hugo, Lamartine, Baudelaire, laissez
Vàme universelle. C'est difficile à attraper à moins d'avoir des
mains de géant. Ne croyez pas trop aisément que vous êtes par
privilège, porié par une de ces marées si larges et si hautes
qu'elles submergent et renver.^ent tout. Contentez-vous, par pro-
vision, de voir le milieu belge et de penser en Belge. Il nous
semble que vous y gagnerez en originalité et cela calmera les
inquiétudes de vos amis et les lamentations du Scribe.
^U^IQUE 7^-
LE DEUXIÈME CONCERT POPULAIRE .
Tschaïko'wski — Sarasate
Deux virtuoses se partageaient l'intérêt de la deuxième matinée
des Concerts populaires : un virtuose de l'archet, Sarasate, et le
virtuose par excellence de l'orchestre, Tschaïkowsky, le chef de
l'école russe.
Sarasate a charmé l'auditoire par l'atlrait d'un mécanisme
exceptionnel et d'une pureté de son dont rien n'approche. Il n'a,
il est vrai, ni la fougue, ni l'imprévu, et de plus en plus s'ac-
centuent la modération sagement pondérée, la correction rigou-
reuse de son art. Il joue du violon comme Planté joue du piano.
Qu'on prenne ceci pour un éloge ou pour une critique : c'est, à
la fois, l'un et Tauire.
Des trois œuvres qu'il a interprétées, c'est le concerto de Men-
delssohn qui est le mieux dans ses moyens. Son coup d'archet
triomphe avec une aisance, une légèreté, une virtuosité sans
égale des difficultés du finale :il donne aux deux premières par-
lies le caractère et le sentiment justes.
ty
Sarasate a fait faire en outre au public la conhnissancé de
M. Pmile Bernard, un monsieur qui fait des concerlos pour vio-
lon, et le public a paru ne goûter que médiocrement la présen-
tation. Le nouveau vei^u a été jugé ennuyeux, ce qui est plus
grave que d'être rempli de défauts. On a trouvé sa conversation
longue, diffuse, et elcigeant, pour se fîiire écouter, une notable
addition de traits d'esprit. . : ■ '
Quant à VInîroduction et rondo cappricioso de Saint-Saëns,
l'œuvre est Connue. Morceau à effet, de valeur secondaire, des-
tiné à faire valoir le soliste, et par cela même acclamé du public.
Tschaïkôwsky a été nécessairement moins apprécié. Son art
haulaih a un peu déconcerté l'auditoire, et néanmoins il a senti
qi^l était en présence d'un musicien de grande envergure. Il a
compris surtout et applaudi, cela va de soi, les deux parties les
plus accessibles de X-à Suite caractéristique qu'a ']Ouée l'excellent
orchestre des Concerts populaires : h False et, les Rêves d'en-
fant^ qui forment V Intermezzo i^lVAndanie de cette intéressante
composiiion. ' % ,• - _ ■
Ce sont, d'après nous, les parties faibles de l'œuvre. Assez
inégal dans ses inspirations, Tschaïkôwsky, qui est un « je m'en
moquiste » de la plus belle eau, entremêle fréquemment ses
pagfislles plus audacieuses de banalités. Et l'on est tout surpris
de rencontrer à côlé de conceptions de premier ordre, superbes
de pensée, magnifiques de réalisation, des fragments qui pour-
raient être signés de n'importe quel aligneur de notes venu. Est-ce
le contraste qu'il poursuit?
Dans la suite, caractéristique, c(^^i le Scherzo humoristique qui
s'élève de toute sa hauteur, au dessus des quatre autres parlies.
Ce qu'il y a là dedans de mouvement, de couleur, d'entrain dia-
bolique, d'ironie et de science sans pédanterie (c'est le propre de
l'école russe de connaître à fond toutes les ressources de la musi-
que et de n'on avoir pas l'air) est inimaginable. ïl serait bon qu'on
réenlendît ce Scherzo. Petit à petit le public, dont le goût s'est
déjà développé grâce à l'initiative dQ% Concerts populaires ^ se
familiarisera avec celte langue un peu nouvelle pouriui, mais qui
lui donnera, quand il la connaîtra, des jouissances infinies.
Aux Concerts populaires revient incontestablement le mérite
d'avoir développé et propagé l'amour de la musique en Belgique.
Avec un éclectisme raisonné, la direction choisit, pour chaque
campagne, dans chacune des écoles contemporaines, quelques
œuvres de choix propres à représenter l'école tout entière, à la
faire connaître et apprécier. Ainsi l'école moderne allemande a
été représentée, cette année, par la 3» symphonie de Brahms ;
l'école belge par Freyhir, d'Emile Mathieu ; la Suite de Tschaï-
kôwsky a fait connaître les tendances de l'école russe. Au pro-
cliain concert, ce sera le tour de l'école française^ personnifiée
par Camille Saint-Saëns. La musique classique ne sera pas
oubliée : on jouera, le 25, la symphonie enre' de Schumann.
C'est, appliqué aux œuvres musicales, le principe de l'exposi-
tion des XX, qui réunit chaque année les personnalités caracté-
ristiques des écoles modernes, belge et étrangères.
Terminons par quelques renseignements inédits. Saint-Saëns
jouera, à la prochaine nïaTinée, le concerto en «or de Beethoven
et sa Rhapsodie d'Auvergne. L'orchestre exécutera La Jeunesse
d'Hercule, poème symphonique, une Sérénade et une Iota Ara-
^o?if5a (première exécution), le tout de Saint-Saëns.
Le quatrième et dernier concert sera, comme de coutume,
réservé à Richard Wagner ou à Hector Berlioz.
£>■
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^U- fÎERCLE AÎ\TIpTiqUE ,' .
■ " (.'"-'.■
EXPOSITION BELLIS-MUNDEÏiEER
Une trentaine de toiles d'Hubert Bellis font défiler au Cercle
artistique l'appélissanl cortège de bourriches fraîchement éven-
Irées, des marées ruisselantes, des écroulements dorés de melons
et d'ananas, des panetées savoureuses d'abricots et de cerises. Il
y a dans l'art un peu irrégulier de Bellis de solides qualités de
peintre qui écliauent parfois dans les lieux communs de la trivialité
et dans des lourdeurs de tonalité et de facture. Certains mor-
ceaux révèlent un œil de coloriste, habile à saisir les nnahces et
une main rompue au métier : le bouquet de chrysanthèmes, par
exemple, et les fleurs des champs, les meilleures toiles de la
série. <
Dans la sphère modeste où il s'est cantonné, Bellis est certes
un artiste des plus méritants. Il a la passion de ce qu'il peint.
Organisation artistique d'une nature spéciale, il est plus sensible
à l'accord de tons d'une écaille nacrée et d'un zeste d'or qu'aux
harmonies tumultueuses de la mer ou à la mystérieuse sympho-
nie des forêts.. Il s'est fait le poeje des langoustes, le trouvère
des homards, le ménestrel dos aiglefins. Et leur carapace luisante,
et leurs écailles d'argent, à côté de la paille ébouriffée dps mannes
ont, sous son pinceau, dés reflets de métal neuf.
Une vingtaine d'aquarelles de Mundeleer, imprégnées d'une
poésie tranquille, complètent l'exposition actuellement ouverte.
Ce qu'on pourrait reprocher à l'artiste, c'est que toutes ses œuvres
ont même lumière et même tonalité, qu'il peigne dans l'intimité
d'une chambre aux courtines closes ou dans l'éclat du plein air.
C'est peu observé, et la crainte de fausser l'harmonie fait perdre
le sens de ton juste. Il y a, de plus, un procédé identique dans
les vingt aquarelles exposées. Fleurs, paysages, figures sont-
peints. à largos pans, sans modelé^' comme en songeant à une
leçon apprise, à une recette donnée par \Art du parfait aqua-
rellislCy qui est \c Bon jardinier de cette branche spéciale de
culture. Un peu de laisser-aller, morbleu! et de la poigne, et de
l'imprévu, et de la vie ! Vous êtes trop sage pour votre âge. Jetez
vos gourmes. La prudence, la réflexion, la mesure viendront de
soi-même, quand vous, aurez gâté quelques rames de papier et
usé plusieurs douzaines de martres.
te JCBY DES BEAliX-ilitTS A llXPOSlIIOi\ D'MTËRS
Notre nouveau ministre des Beaux-Arts, M. de Moreau, est un
galant homme, accu(*illant, bienveillant, très résolu à faire du
neuf, à attacher, s'il se peut, au gouvernement dont il fait partie,
l'honneur de quelques innovations sérieuses. On sait s'il en est
besoin !
Mais il a derrière lui, ou plutôt devant lui comme une barri-
cade, des bureaux antédiluviens, infectés de tous les préjugés qui
font l'agacement ou le désespoir de quiconque aime le progrès et
comprend que l'art n'est jamais stationnaire, qu'il est à l'état
d'évolution constante, que son charme et sa force sont dans ces
changements, et que, par conséquent, c'est ignorance et bêtise que
de prétendre le fixer à l'un de ses momenis divers, comme une
instantanéité sur une plaque photographique. Celte immobilisa-
tion est pourtant l'idéal des pachas qui siègent immuables dans
les étages secondaires de nos mobiles ministères.
C'est à ces entresols qui lei^r servent de tanières, que tout
s'élabore silencieusement. Unbeau jour des documents tout prêts,
montentdans le cabinet du Chef du département. S'il .demande
quelques renseignements, on les lui donne aussi sommaires que
dénaturés. On le persuade d'ordinaire sans trop do peine, et il
signe. Il s'imagine être Un ministre nouveau. Erreur. Il n'est
qu'un mannequin nouveau. La vieille et sainte doctrine n'a pas
changé; c'est elle qui mène la main inconsciente de. l'homme
d'Etat, il obéit à celle impulsion comme un marteau de piano
dont on frappe la louche.. Il y a un personnage fraichemenl dé-
barqué derrière le comptoir, mais dans les casiers et sUr les
rayons c'est la même marchandise, les mêmes rossignols dé-
plumés.
On vient d'en avoir un grotesque et désolant exemple à l'occa-
sion des choix pour le jury dés Boaux-Arts i^ l'Exposition uni-
verselle d'Anvers.
Qui ignore désormais l'existence chcz'nous de ce puissant et
nierveilleux mouvement de l'Art jeune qui, malgré toutes les
compressions, s'épanouit magnifiquement ? En vain on l'a nié au
début, insulté plus tard, frappé récemment, mesurant ainsi les
résistances aux forces qu'il déployait peu à pejj. Il est là, visible,
imposant, conquérant joyeusement les sympathies du public,
noyant les récalcitrants, d'autant plus vivace qu'il fut plus atta-
qué, actuellement si bien en action et en armes qu'il n'est plus
besoin de lui prêter assistance, et qu'ainsi qu'aux chariots qui
out gravi les pentes trop rudes, on peut dételer les chevaux de
renfort, «il en est presque aux heures de triomphe où plus rien
ne résiste et où le courant dévient si facile et si impétueux qu'il
emporte tout. -^ ""■^' '■ ■- "' •v,-;:; '. .-.■•:---^..- -■
" Peinture, musique, littérature, rien n'y échappe. Les vieux se
lamentent, mais la ville est prisCr II faudra bien que l'on y passe
et que partout les pavillons séniles soient amenés.
Les jeunes vainqueurs conifitaient'arriver en belle phalange à
Anvers et montrer une^fois de pluâ ce que vaut leur évangile con-
temporain en comparaison des contes de Mère-Grand où s'at-
tardent les académiques, accompagnés de la troupe des recrues
impuissantes qui s'imaginent qu'on ne peut réussir qu'à la con-
dition de ne pas mécontenter les gens en place. Or, voici que
pour leur faire réception, on a soumis au Ministre, qui l'a
approuvée sans se rendre compte, la plus incroyable liste d'inva-
lides, de cacochymes, d'arriérés, de remisés de l'art qui se puisse
imaginer. Jamais pareil défi n'a été porté aux tendances nou-
velles. C'est à la fois insolent et ridicule.
Tout ce qui a été dit depuis dix ans sur l'abus de pareilles pra-
tiques est tenu comme non avenu. On feint d'avoir été sourd
'**' (peut-être l'est-on réellement). L'art moderne ne se fut pas mani-
festé, l'art de 1830 eut toujours été le seul, qu'on n'aurait pas-
agi autrement.
liussi la réprobation est-elle violente, et la bonne réputation
de M» de Moreau en subit-elle un ternisscmenl et une impopularité
qui vont, s'il n'y prend garde, le classer dans la catégorie déconsi-
dérée de ses prédécesseurs.
Est-ce sa faute? Non^. Ce sont ses bureaux. ^
Et bien, Monsieur le Ministre, réagissez contre vos bureaux.
Vous n'avez pas de pires ennemis. C'est un réceptacle de pédan-
tisme et d'odieuse routiner
Que faut-il faire pour échapper aux conséquences de ces nomi-
nations burlesques qui auront pour effet de produire de la part
des jeunes une abstention générale?
\
Il y a quatre anè, nous l'indiquions ici-m(^mo(*). Puisque l^a vieille
école ne veut pas abdiquer, et nnalgré son grand ûge prétend
encore courir la prétentaine, qu'on lui donne son jliry et ses
locaux. Elle y fora ce qu'elle voudra. Il sera même très intéres-
sant, très amusant de conslaier ce qui lui reste de dents et ce
qu'elle a de rides et de faux cheveux..
L^ Mais que les jeunes aient aussi leurs locaux et leur jury spé-
cial composé d'artistes ayant leurs idées. ' -
Il y a lutte, qu'il y ait deux camps. Que cliacun ait la liberté
>Tîtf venir avec ses'troupes et de montrer ses armes. Qu'on ne livre
pas à un ennemi irréconciliable et sans équité (cent exemples
l'ont démonlré)-4€-sôii^d^organiser CCS exhibitions d'où sortira le
jugement du public. • ^
Un double jury! Une répartition proportionnelle des
. ^.ocAux! tel était alors notre crk^^us^ le renouvelons. — r- — —
A vous, Monsieur le Ministre, de l'entendre. . ,
Sinon la guerre. ^ .
3
- ■ Jhéatrep
L'ÉTUDIANT PAUVRE
On l'avattrYU si souvent rôder dans les couloirs du Palais de
justice, le pauvre hère, il avait depuis si longtemps fait quaran-
taine dans les salles d'audience., qu'on commençait à désespérer
qu'il fût jamais admis à libre pratique. Enfin, le voici débarrassé
de tous les mécomptes de sa carrière. d'aventures, et tel a été le
succès qui a accueilli son entrée daus le monde que le théâtre de
l'Alcazar, où il est apparu dans l'éclat de sess. costumes neufs et
dans la gaîté de ses refiftins, a retrouvé, du GOj^p, sa vogue d'au-
trefois.
Ce prince Charmant de Bologne est allé joyeusement dégager
les couloirs, où 1rs araignées, durant cent années et plus, avaient
tendu des toiles si épaisses que nul ne pouvait pliis y pénétrer.
Il a réveillé le contrôleur, endormi tout habillé sur sa chaise de
paille. 11 a secoué la torpeur des ouvreuses, qui se sont mises
aussitôt à épousscter leurs bonnets à rubans roses. Eu passant
dans la salle, il a redressé le chef d'orcheslre, écroulé sur son
pupitre; les musiciens se sont remis à souffler dans leurs instru-
ments, et du pavillon des cors et des trompettes s'est en\;olé un
nuage de poussière. Les choristes et les figurants, qui dormaient
les uns sur les autres, comme au troisième acte de Carmen, se
sont levés, surpris, en bâillant et en s'étirant. Le régisseur lui-
même, le digne M. Potel, n'avait pu vaincre le sommeil léthar-
gique qui avait frappé tous les habitants de la maison et s'était
couché, depuis un siècle, sur le canapé de crin qui orne le foyer
des artistes. Il s'éveilla au son des instruments qui s'accordaient
et courut d'un trait au pied de l'escalier des loges en criant :
c< On commence !»
Et dans un cognement de chaussures sur les degrés, dans un
tohu-bohu d'nppels, de bonjours surpris, de bousculades derrière
les porîanis, le vieil Alcazar s'est mis à revivre, tandis qu'à la
suite du prince Charmant étaient entrés dix spectateurs, puis
cent, puis mille, chacun retrouvant le coin préféré, examinant
curieusement, comme des connaissances oubliées, les décorations
mauresques et le rideau qui montre, le tableau des batailles
gagnées jadis par le généralissime Humbert : La Fille Angott
Giroflé-Girofla^ Les Brigands, Falinilza...
Il faudra ajouter ù cette triomphale série une victoire nou-
velle : car VEludianl pauvre est un indiscutable succès, le pre-
mier qu'ait remporté, — dans le domaine directorial tout au
moins (restons galant) — M"'" Olga Léaut.
Succès de musique, de pièce, de costumes et de décors : c'est
(•) Voir l'Art modenie de 1881, pp:0,?6, 31-, M et 117.
• /
complet. Et si la directrice, qui, en sa qualité de russe, doit
appartenir à la religion grecque, suit les rites du schisme ortho-
doxe, elle aura, en son oratoire, aîi retour de cette première
mémorable, allumé un cierge de prix à sairit Maurice, patron de }
notre amj et confrère Maurice. Kufferath, le traducteur, l'adapta-
teur, l'ordonnateur qui a mené à si bonne fm l'entreprise à
laquelle il s'était attelé.
Nous ne rechercherons [las quelle a été la part de collaboration
de chacun des auteurs. MM. Scribe, Hennequin, Valabrègue,
Kuff'eralh, Millôcker, ;y sont tous pour quelque chose, sans
confipter les collaborateurs anonymes que feu Scribe a oublié de
citer et qui, étant morts, se sont abstenus de protester. Le résul-
tat de ce congrès de Collaborateurs est suffisamment amusant
pour que l'on ne doive point, dans le partage des responsabilités,
disiîni^uer les vrais coupables des co-auteurs et des simples com-
plices.
On a ri aux calembredaines de M. Piiff'endorff', gouverneur de
CracOvie, OïTa applaudi aux excentricités de dame Palmatica,
Laura et Marlha ont eu des bravos et des rappels, balancés par
les jDravos et les rappels généreusement octroyés à Simon Bar-
binski et Jan janitski, et l'ori" a bissé le plus de valses, (iç
mazourkas, de polkas et de galops possible.
Car c'est dans les rythmes dansants que Millôcker excelle.
L'une des plus jeunes gloires de la frivole mais charmante école
viennoise, il a déjà remué toutes les jambes de l'Autriche et de
l'Allemagne. L'Etudiant pauvre ï^\\ marcher les soldats parles
rues, sauter les couples sous la tonnelle, l'été^ dans les salles
où l'on danse, l'hiver ; et c'est au refrain de ses chansons que
chevauchent les tout petits sur les genoux maternels. .._ 1
C'est peu de chose que cette popularité,,, sans doute. Qu'on
ne s'imagine pas que nous en tirions un argument quel-
conque au point de vue de sa valeur. Le jugement dés foules est
si souvent partial, intéressé ou fondé sur l'ignorance et l'entête-
ment, que petit à petit les artistes se sont accoutumés à n'en pas
tenir compte. C'est presque toujours, aujourd'hui, un indice de
supériorité que de n'être pas compris, ce qui a donné naissance
à celte Spirituelle boutade : a Lisez respectueusement un livre
conspué; admirez religiejjsement un tableau refusé au Salon j
ayez les plus grands égards pour un opéra sifflé : neuf fois sur
dix vous êtes en prétionce d'un chef-d'œuvre ». .
Mais la musique de Millôcker n'est pas de celles qu'on discute.
Il faut la dédaigner absolument et n'en pas parler, si l'on veut
jouer au pédagogue, au critique grave ou au dilettante sévère. Il
faut, si l'on aime l'art dans quelque domaine écarté qu'il se mani-
feste, la considérer comme un badinage aimable, comme une
conversation gamine, non dépourvue d'esprit, qui sonne aux
oreilles avec une pétulance écoliôre. C'est bien la musique du
peuple le plus léger de la terre, capable (il l'a fait) de mettre en
couplets drôles un deuil p^iblic, et d'improviser une polka sur'^
l'incendie du Ring-Theater!
Elle est déhanchée, elle rit d'un rire frais de jeunesse, elle est
un peu canaille par instants, bonne fille quand même, et tou-
jours sans prétention.
« J'suis pas jolie, jolie,
Mais j 'suis bonne comme le pain! *»
Jupe retroussée, elle se carre, elle se dandine, elle frappe du
talon, elle envoie parfois vers le plafond la pointe de sa bottine
cambrée, mais jamais aussi haut que ses cousines de France....
Les artistes de l'Alcazar ont patronné la débutante et en ont
eu beaucoup d'honneur. Il convient de citer, en premier lieu,
parmi ses parrains, M™^* Marie Julien, Bernardi, tout à fait
accoutumée aux grosses trivialités de l'opérette, et Blanche
Dorsay, dont l'engagement a coûté un procès à la direction, on
sait dans quelles circonstances. Parmi les homrties, MM. René
Billier, Mario Widmer et (iulfi-oy.
■J
-J--
(.-
iy.
UNE REMARQUE SUR UN ROMANCIER RUSSE : DOSTOJEVSKY
Extrait des écrivains russes contemporains, par de Vogué.
Je voudrais citer quelque morceau : J'hésile et ne trouve pas,
c'est le plus bel éloge qu'on puisse faire d'un roman. La slruclure
est si solide, les matériaux si simples et si bien sacrifiés à l'impres-
sion d'ensemble, qu'un fragment délajdhé perd toute sa valeur ;
il ne signifie pas plus que la pierre détachéfe d'un temple grec,
où toute la beauté réside dans les lignes générales. C'est le irait
commun aux grands romanciers russes; les pages de leurs livres
s'accumulent sans bruit, gouttes d'eau lentes et bruissantes ; tout
d'un coup et sans avoir aperçu la crue, on se trouve perdu sur
un lac profond, submergé par celle mélancolie qui monte. Un
autre trait qui leur est commun, où Tourguénef excella et où
Dostoïevsky l'a peut être dépassé, c'est l'art d'éveiller avec une
ligne, un mot, des résonances intinies, des séries de sentiments
et d'idées. Dans tes Pauvres Gens, cet art est déjà tout entier.
Les mots que vou^s lisez, sur ce papier, il semble qu'ils ne soient
pas écrits en longueur, mais avec, de sourdes répercussions, qui
'vont se perdre on ne sait où; c'est le clavier de l'orgue, ces touches
étroites d'où le son paraît sortir, et qui se relieni par d'invisibles
conduites au vaste cœur de l'insirumenl, au réservoir d'harmonie
où grondent les tempêtes. Q\iand on tourne la dernière page, on
connaît les personnages comme si l'on eût vécu des années
auprès d'eux; l'auteur ne nous a pas dit la miWième partie de ce
que nous savons sur eux, et cependant nous le savons de science
certaine, tant ses indications, sont révélatrices. J'en demande
pardqn à nos écoles de précision et d'exactitude, mais décidé-
ment, l'écrivain est surtout puissant par ce qu'il ne dit pas : nous
lui sommes reconnaissants de tout ce qu'il nous laisse deviner.
MEMENTO DES EXPOSITIONS ET CONCOURS
Exposition universelle. Mai à octobre 1885.
Salon des refusés et exposition des artistes indépen-
Anvers.
Anvers.
dants, ouverture en mai. Pour tous reuseigiiemeuts s'adresser au
secrétaire du Cercle des artistes indépendants, 1, rue de l'Angle,
Bruxelles.
Janvier 1885. — Bruxelles. — Deuxième exposition des XX.
(Limitée aux membres du Cercle et aux artistes spécialement invités),
1er Février 1885. — Troisième exposition de Blanc et Noir de
.' l'Essor. (Limitée aux membres du Gei'cle). Mai 1885 — Exposition
historique de gravure, par le Cercle des aquarellistes et aquafortistes.
Mai 1885.
Glasgow. — Institut des Beaux-Arts (24'' exposition). Ouverture
.S février 1885. Fermeture fiin d'avril. — S'adresser à M. Robert
Walker, secrétaire de l'Institut, à Glascow.
Londres. — Exposition internationale d'instruments de musique.
Ouverture en mai 1885, à South -Keusington. Cette deuxième divi-
sion comporte trois groupes : 1*^ Instruments de musique construits
^r-^ ou en usage depuis 180Û-; 2'^ gravure et impression de la musique ;
3'J collections historiques.
Id. — Du 31 mars à la fin de septembre exposition internationale
et universelle dAle::andra-Palace, comprenant notamment les arts
et métiers,. et une exposition de tableaux et objets d'art représentant
les principales écoles du continent.
Nuremberg. — Exposition internationale d'orfèvrerie, de joaille-
rie, de bronzes, etc. Du 15 juin au 30 septembre 1885.
Paris. — ^^'^^^ ^^ 1885. — l'"'' mai au 30 juin 1885. — Peinture,
dessins, etc. Dépôt des ouvrages au Palais des Champs-Elysées, du
5 au 14 mars. Vote, le mercredi 18 mars, de 9 h. à 4 h. — Sculp-
ture, Gravure en méd. et siir p. f. Dépôt du 21 mars au 2 avril.
Vote, le mardi 7 avril, de 10 à 4 h. — Architecture. Dépôt du 2 au
5 avril. Vote, le mardi 7 avril, de 10 à 4 h. — Gravure et Lithogra-
phie. Dépôt, du 2 au 5 avril. Vote, le lundi 6 avril, de 10 à 4 h.
A . .
Rome. — Exposition organisée par la Société des Amatori e cultori
di Belli arti. Ouverture l^"" février."
La Haye. — Concours pour l'érection d'une statue à Hugo Gro-
tius. , ^
MoNTÉvmÉo. — Concours pour la statue du général Arti^as.
S'adresser à la légation de l'Uruguay, 4, rue Logelbach, à Paris.
RicHMOND (Virginie). — Concours pour un monument à Robert
Lee, jusqu'au ler mai 1885. ,
Vienne. — Concours pour l'érection d'un monument à Mozart.
f
ETITE CHROJ^IQUE
C'est le 7 février que M- Jean-François Raffaëlli fera, au Palais
des Beaux-Arts, la première des conférences organisées par les XX.
On sait que M. Raffaëlli exposa, lan dernier, avenue de l'Opéra,
cent cinquante tableaux, études, dessins, gravures et sculptures. Ce
salon indépendant fut, du 15 mars au 15 avril, l'événement artistique
de Paris. Il se fit autour de l'artiste d'autant plus de bruit qu'il
développa les tendances et le but de son art dans des théories verte-
ment écrites, que les journaux discutèrent avec passion.
La conférence annoncée a^lra donc, à tous les points de vue, un
intérêt de premier ordre. ^. ; '
Un jeune sculpteur de talent, M. Idrac, prix de Rome,. connu par
plusieurs œuvres remarquables, vient de mourir d'une fièvre typhoïde
à l'âge de 35 ans : ce fut lui qui remporta le prix au concours pour
la statue d'Etienne-Marcel qui doit être placée dans le square de
l'Hôtel d^ Ville. '
La partition pour piano et chant àe XFAudiant pauvre , le récent^
succès de lAlcazar, coquettement gravée et imprimée par l'éditeur
Cranz, vient d'être mise en vente. Elle a été, par une attention cour-
toise, distribuée à la presse la veille de la première représentation.
ha. Revue artistique à" Aïi\eT% kce&séàe paraître. Elle est rem-
placée par la Chronique des Beaux- Arts, éditée par M. Jos Maes,
et dont le premier numéro (10 janvier 1885) vient de nous parvenir.
Il contient \les arlibles de Georges Eekhoud, Jules Destrée, L. Van
Keymeulen, Max Rooses, Eugène Landoy, L Gervais et des vers
dAlbert Giraud. En outre, l'exemplaire est orné de huit planches
phototypiques, tirées avec soin. L'une d'elles, la meilleure, repro-
duit l'ii^ïttc/e de Fantin Latour. • -
La Chronique des Beaux- Arts e%i mensuelle. Elle com'i)rençl
64 pages de texte et 8 planches. Le prix d'abonnement annuel est,
pour la Belgique, de 25 francs. Le prix de numéro est de fr. 2.50.
Nous sommes heureux de voir parmi les collaborateurs quelques
noms qui donnent toute garantie au sujet des tendances modernistes
de la publication. Celle-ci défendra à Anvers les principes d'art dont
VArt Moderne est le champion à Bruxelles.
L'esprit réactionnaire de \2i Revue artistique liSLWv^., nous l'es-
pérons, r^en à voir dans celle "ïjui recueille les épaves de son naufrage.
Nous souhaitons donc cordialement la bienvenue à la Chronique
des Beaux- Arts.
>■ Il 11 M ' I !■
On annonce pour le 20, au Cercle artistique et littéraire, \xn
piano -récital, comme on dit à Londres, c'est-à-dire une séance
tout entière consacrée au piano, qui sera donnée par M"'o Marie
Jaëll.
Le Conservatoire de Bruxelles comptait, au l«r juillet dernier,
48 professeurs et 539 élèves (dont 38 étrangers). L'enseignement est
gra,tuit jiour les nationaux, mais los élèves étrangers doivent payer
une rét'ribulion annuelle de 200 francs. Le budget de l'Ecole est de
169,000 francs, dont 137,000 payés par l'Etat, 10,000 par la pro-
vince et 22,000 par la ville de Bruxelles. v ,
L'Opéra de Vienne vient de consacrer vingt soirées successives à
l'exécution en forme de cycle des principaux ouvrages de Wagner,
avec le concours du céli'bre ténor Vogel de Munich qui a chanté
Tristan, Loge du Rheingold et Siegmund de la M'alkure. Pour la
première fois depuis la mise des Maîtres Chanteurs de Nuremberg
à la scène viennoise, cette œuvre a été donnée en entier, sans les
coupures qu'il est d'usage, même en Allemagne, de faire dans les
rôles de Haus Sachs et de Walther de Stolzing. Le public, loin de
se plaindre, n'a jamais fait i)las de succès à cette merveilleuse com-
position du maitre de Bayreulh. C'a été le grand triomphe dé cette
série de représentations ^vagnériennès.
V
■ f ■•>-■
I .^
24
rART MODERNE
Exposition des Beaux- Arts de Termonde. — Liste des nutaéros
gagnants de la Tombola.
No» 990. Pat/sage (L. Jacobs). , ..
1^8. Un Ruisseau (R. Wytsman), . •
. 1888, 7*a//s«<7<î (L. Jacobs). >
342. Les soins du ménage (GeeriuckxK -
2044. Fleurs (M'"» Vanderlinden-De Vigne). -
" 1187. Marine (J. Heyndricx).
. 790. Enfant Maure (Em. Wauters).
941. Marine (G Beeckman).
1)72. Environs de Termonde (A. Bard). ". \ . — ^ — "-:;■•■ ■
477. Ferme^^n Fla)tdre iA Loret). ! , ^ .
214. Confectionneuses (Crabeels).
927 Hiver (Vanderhoeck). -
Les annonces sont reçues au bureau du journal,
20, rue de V Industrie, à Bruxelles.
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POUR PIANO
Iluberti, G. Trois morcenux : N^ i. Etude rhythmique, 2 fr. —
N« 2. Historiette, 2 11'. N" 3. Valse lente, fr L75.
Kowahki. Op. 44. Autour de mon Clocher, 2 fr. — Op. 45. Illu-
sions et Chimères, 2 fr. Op. 48., Tambour battant, 2 Ir.
Smith S Op .185 Notre-Dame, Chant religieux, 2 fr. — Op. 191.
La mer calme. Deuxième barcarolle, 2 fr. — Op. 192- Styrienne,
2 fr. — Op. 193. Marguerite, 2 fr. — Op: 194. La fée de Ondes, 2 fr.
Wicniawski. Jos Op. 39. Six pièces romantiques : Gah. I. Idylle,
Evocation, Jeux de fées, 3 fr. — Gah. II. Ballade, Elégie, Scène
rustique, 3 fr. — Op.- 41 Mazourka de concert, fr. 2.50.
MUSIQUE FOURCHANT
Jiach. Sh chorals pour chœurs mixtes par M&rtcns. La partition,
1 franc.
liremer. A. Sonne mon tambourin, pour chant, violon ou violon-
celle et ()iano, 3 fr.; — Hymne à Ci'rès, pour baryton ou mez^ô-
soprano et chœur pour 3 voix <le femmes, 2 fr.
Riga, Fr. Quatre Ciictturs pour voix de femmes ave^ accompagne-
ment de piano à 4 mains : N« 1. Fête villageoise, la partition,
fr 2 50. — N'> 2. Les Vendangeuse, la partition, fr. 2.50. — N« 3.
Sous les Bois, la partition, fr. 2 50. — N" 4. La Paix, la partition,
fr. 3.50. .
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£:>
Cinquième année. — N° 4
Le NUMÉRa : 25 centimes.
Dimanche 25 Janvier 1885."
^
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
-~t:
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00 ; Union postale; fr. 13.T)Ô. — ANNONCES :'' On traite à- forfait.
Adresser les dernandes à! abonnement et toutes les covrimunications à ' '
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de Plndustriei, 26, Bruxelles.
?
OMMAIRE
Trois œuvres récentes de Camille Lemoxxier. VHxjstéHque ;
Le Hainaut; Histoire de huit bêtes et .d'une poupée. — Edmond
About^ — Charles Fuster. L'âme pensive; Contes sans préten-
tion. — La nouvelle direction du Théâtre de la Monnaie; —
Le beau caractériste. — Élections académiques. — Musique.
^me matinée de musique instrumentale au Conservatoire ; Concert
Wieniawski. — Conseils aux musiciens. — Mémento des expo-
sitions ET concours. — Petite CHRONIQUE. - \ ■ :
TROTS CE1TJVI^E3 I^lÉîOEISrTES
DU-
. CAMILLE LBMONNIER
L'Hystérique, Paris, Charpentier. — Le Hainaut, Paris,
Hachette. — Histoire de huit bêtes et d'une poupée,
Paris, Hetzel.
Infatigable! Inépuisable ! tel est le salut qu'impose ce
Maître qui, par la description du décor national, et par
la description de l'âme nationale, devient nôtre chaque
jour davantage. Le HainaiU! quelle peinture de nos
paysages industriels ! L'Hystérique! quelle peinture de
notre psychologie religieuse !
Et à côté de cela, une fantaisie enfantine charmante :
Huit bêtes et une poupée! Des contes vite racontés, du
bout de la plume, légers, caressants, naïfs, délicate-
ment tressés, beaux jouets composés et habillés par un
artiste, non pas avec les gaucheries et les crudités
Nurembergeoises, mais avec une amoureuse préoccupa-
tion d'harmonie simple et élégante. •
-Laissons cette babiole en laquelle l'écrivain s'est
amusé et distrait lui-même en amusant les autres.
Venons aux deux fruits^mûrs et superbes qu'il a ajoutés
à sa corbeille littéraire.
Comme nous le disions plus haut, ces deux œuvres
s'attaquent chacune à l'unedes faces suprêmes de l'art
d'écrire : le dehors, le dedans, le visible, le pénétrable,
ce qui parle aux yeux, ce qui ne parle qu'à l'esprit.
"" Et le procédé changeant merveilleusement avec le
sujet, elles révèlent des qualités opposées mais com-
plémentaires, aussi viriles, aussi vivantes les unes que
les autres. . - '
Le HçLÎnaut est tout en couleur. On y retrouve le
puissant brosseur qui, après s'être appliqué dans les
premières lignes à peindre ce qu'il voit comme il le voit,
est bientôt entraîné par l'ivresse des tons qu'il manie et
mêle, et s'abandonnant au tournoiement où l'emporte
l'éclatante mosaïque de sa palette, colore pour colorer,
faisant vibrer les teintes, tel qu'un avare plongeant
les bras dans un amas de pièces d'or et se soûlant de
leur bruissement et de leur cliquetis. Ce n'est pas que
sous les glacis magnifiques dont il la couvre, la Bel-^
gique disparaisse. Au début elle rougeoie comme si elle
était d'airain chauffé par un feu intérieur. Mais par un
phénomène étrange et séduisant, dès qu'on est fait à
cette intensité qui partout hausse la ga^me des coloris,
le camaïeu resplendissant qui en résulte donne, une
impression inoubliable de la patrie, brutale en la façon
dont elle s'imprime dans la pensée, mais sonore, élo-
quente; exagérée peut-être, mais saisissante comme un
beau soleil couchant. • ;-
V
'^
A dîfTérentes reprises déjà, nous nous sommés expli-
qués isur ce procédé de Lemonnier. Nous layons chi-
cané parfois parce que la description vraie des sites
connus de notre changeant territoire a des charmes
auxquels difficilement on renonce. Ce grossissement
nous a inquiétés. Nous avons souhaité retrouver ces
sites dans les fresques où nos littérateurs les reprodui-
sent, tels qu'ils sont, avec leur tristesse grise, leur
aspect ifhièval plus douloureux que bruyant. Mais
devant le prestige de cette transfiguration épique, nous
cédons, remplaçant la joie de voir cette nature mater-
nelle où nous avons grandi, décrite en son aspect fami-
lier, par celle de sentir se dégager à gros bouillons
l'inspiration triomphante de celui qui, bon gré mal gré,
s'affirme chaque jour davantage comme le plus brillant
de nos écrivains.
Nous savons comme on l'a marchandé, comme on le
marchande encore, et avec quelle malice mauvaise on
boursoufle les quelques imperfections qui sont l'adju-
vant des belles œuvres, parce qu'elles en affiraient
rhumanité Eh ! qu'importe. La vraie manière déjuger
une. (jeuvre .d'art, c'est de la regarder dans son ensem-
ble. Laissons les misères de la petite bête.. Le livre a ses
grains de Ijeauté comme la peau, tâches en eux-mêmes
mais sur la surface générale, repoussoirs séducteurs.
Comme tout cet orchestre de phrases, d'images, de
mots sonnant comme des cymbales, s'adoucit, se calme,
devient grave dans \ Hystérique. Tantôt l'œuvre appa-
raissait comme une pivoine, la voibi- telle qu'un nénu-
phar. Nous sommes dans le paysage des froides et
mortes constructions d'un béguinage. Ce fond de
tableau est à peine indiqué. C'est une grisaille, une
sépia brumeuse. Mais à l'avant plan, des personnages
d'une intensité formidable, circulent avec des actions
tragiques. L'ne illuminée, un prêtre. Ils passent, repas-
sent, se déplacent en leur pantomine terrible, froids au
dehors, brûlés au dedans d'un feu dévorateur, celui-ci
par la concupiscence, celle-là par l'amour divin. Satan
amant de Sainte-Thérèse.
L'ingéniosité avec laquelle Lemonnier a creusé ces
deux figures est inimaginable. Elle décèle un esprit
d'une subtilité vertigineuse. L'anatomie des âmes pénè-
tre jusqu'aux rameaux capillaires les plus ténus.
Toutes les gradations de cette maladie physique qui
retentit si puissamment sur les pensées et le sentiment
que ceux-ci seuls semblent atteints, sont marquées en
leurs degrés infinis, avec une netteté de nuances, une
variété et une sûreté de notations, qui fait penser aux
instruments de précision les plus délicats.
Certes, pour notre gros public, ce qui subsiste d'un
livre intitulé Yllystériqiie c'est ce qu'il nomme l'indé-
cence. Et quand à cette première hardiesse de l'auteur
vient se joindre l'application de cette prétendue indé-
cence à des scènes- religieuses, elle devient scandale et
entraîne une condamnation irrémédiable. Mais pour tout
artiste qui ne s'arrête pas à ces banalités et qui entre
résolument dans ce roman si profond, les basses préoc-
cupations des pudeurs bourgeoises ne surgissent pas un
instant. On sent que l'auteur ne s'est pas avili à vouloir
faire une campagne anti-cléricale. Le prêtre reste grand
et terrible comme Claude Frollo dans la fatalité qui
le submerge. La béguine reste pure dans le ravage
de sa virginité. L'un et l'autre sont peu à peu saisis,
poussés, comprimés, domptés, écrasés par les inébran-
lables forces des circonstances et de leurs tempéraments.
Leur volonté n'est qen, et dans l'irresponsabilité- qui
en résulte, ils démeurent sympathiques et touchants.
Lemonnier n'a pas quarante ans. Il bat son plein.
Toutes ses forces atteignent cette belle maturité de la
vie qui est leur épanouissement complet. Il a déjà
touché à tous les genres et forgé dans tous les styles,
Cette variété a été critiquée. Elle a été cause des ana-
logies qu'on a parfois relevées entre ses productions et ^
celles de personnalités françaises contemporaines. Soit.
Qu'il accepte le reproche dans la mesure où il est vrai.
Dès- le Mort, ce chef-d'œuvre, il a montré qu'il était de
complexion à être lui-même. Le moment est venu où il
saura ne plus être" autre chose. On peut prédire que
bientôt sortira de lui l'œuvre où il se révélera tout
entier, dans une originalité indiscutable. Sera-ce
Happe-Chair, ce livre annoncé où il évoque la vie
ouvrière dans les enfers de Marcinelle et de Couillet?
Peut-être. '
EDMOND ABOUT
C'est M. Rousse, paraît-il, qiiî fera à l'Académie l'éloge de
M. Edmond About. Qu'eslrce que M. Rousse? M. Rousse est un
vieil avocat admis dans la vénérable compagnie 1» parce qu'il
estr réactionnaire; 2» parce qu'il est complclement étranger aux
lettres. Ces qualités sont parfaitement suffisantes pour faire un
excellent académicien. C'est donc ce rabbin qui est chargé de
faire ressortir les mérites de l'auteur de tant d 'œuvres sans pro-
fondeur ni pénétration, mais élincelantes de verve gauloise, de
fine satire, de mots charmants. Vraiment l'aimable écrivain méri- .
tait mieux que les pavés académiques dont l'honorable M. Rousse
se prépare à bombarder sa mémoire. On voit d'ici ce procureur,
son mémoire à la main, «lisséqucr du haut de ses lunettes
Madelon, Le nez d'un notaire, U homme à ioreille cassée et
plaider les circonstances atténuantes en faveur de ce grand esprit
si tristement fourvové dans ces œuvres lésères, indisnes de lui
et de la compagnie dont il avait l'honneur de faire partie.
Avant que l'éloquence de M. Rousse ne s'appesantisse sur la
tombe d'Edmond About,-il convient de dire quelques mots de cet
écrivain qui certes ne doit pas être mis au rang des grands écri-
vains de France,, mais qui a droit à une place honorable au
second rang. 11 amusa sa génération par des récits d'une fantaisie
originale, il augmenta de quelques éclats de rire le trésor de la
gaieté française. C'est quelque chose, sans doute. Il ne faut pas
dédaigner le rire. C'est la seule chose qui ne laisse après elle
aucune amerlume, et, d'autre part, le rire on France est une
puissance plus eorrosij^e que celle de rùloquence. Dans un pays
où l'esprit a conservé quelques droits, le rire est le véhicule du
progrès. Que de grandes choses le rire n'a-t-il pas préparées el
accomplies! 11 est autre chose qu'une grimace accompagnée d'un
bruit ridicule, c'est un explosif' redoutable, une dynamite irrésis-
tible.
VBomme à Voreille cassée, le Nez d'un notaire ne sont,
assurément, que d'originales drôleries, mais à côté de ces
fantaisies bouffonnes il y a des écrits qui ont la valeur de satires
et de pamphlets fort énergiquesrsous leurs allures bon enfant.
La Question romaine n'a-l-elle pas ce caractère, et dira-t-on que
ce livre n'a pas contribué h préparer la solution du problème
italien ? Le rire français a été plus meurtrier pour le trône de
St-Pierre que les boulets de Victor-Emmanuel.
M ne faut donc pas trop rabaisser Edmond About. Ce ne fut
pas un grand homme, il n'eut pas de génie, il n'a pas Jracé de
sillon, il a à peine égratigné le sol de l'art et de la pensée. Il
est ridicule de le comparer à Voltaire comme le font quelques
enthousiastes maladroits. Il n'eut pas la largeur de vues, l'ardeur
généreuse, la sagacité profonde de l'hôte de Ferney. À éôté-de
l'œuvre éminente de Voltaire, celle d'About n'esC qu'un atome.
Mais si toute comparaison est impossible, il est au moins permis
de dire de lui qu'il marcha dans le sillage du grand homme,
qu'il lui emprunta quelques éclairs d'esprit et de bon sens, qu'il
en atteignit parfois la vive clarté, la mordacité, la gaieté élince-
. lanle. •
Rendons aux choses et aux hommes leurs proportions. About
n'est pas le descendant de Voltaire, mais il fut son disciple.
L'héritage de Voltaire s'est divisé en une infinité de parts, About
a eu la sienne. Laissons-la lui.
L'Ame pensive, poésies, 1884. — Contes sans
^^-^ prétention, 1885.
Le nom de Charles Fustcr a été très copieusement cité dans les
.périodiques belges durant les dernières années. Et pourtant il
habite Bordeaux! C'est très loin, comme trajet, pour la gloire, et
en apparence fort difficile. De Paris a Bruxelles le voyage des
renommées littéraires est facile. De Bruxelles à Paris, c'est d(\jà
presque infranchissable. De- Bordeaux à Bruxelles c'est étrange,
et il a fallu, pour réaliser ce phénomène, des procédés exception-
nels ; car jusqu'ici l'œuvre du jeune écrivain n'est pas de celles
qui s'imposent et traversent les espaces sur des ailes d'aigle.
Un de nos jeunes l'a dit récemment avec une franchise trop
brutale : Charles Fuster aide trop à sa notoriété. Il a des façons
de violenter l'attention qui choquent. Il est arrivé h l'état aigu
de celle marthdie qui ronge la génération contemporaine : Faire
parler de soi.
Hâtons-npus de dire que ce n'est qu'un travers, qu'il ne louche
^ qu'au caractère sur lequel il met une ombre, et laisse intacte la
personnalité littéraire. Si c'est un écrivain qui remue plus que
les autres, ce n'est pas un motif pour qu'on ne juge pas ses apti-
tudes et ses efforts.
Ses efforts^sonl énergiques, constants, exubérants. Il a le tem-
pérament d'un homme qui veut percer, qui veut grandir. On
découvre chez lui une volonté acharnée de contraindre les cir-
constances. Il est ai l'affût des moindres occasions, il suscite
sans trêve des relations. Sa correspondance doit être formidable.
Elle doit être toujours aimable. Comme une araignée -diligente
et jamais lasse, il tend incessamment des fils. C'est une uiéthodé
très efficace de sortir dq l'obscurité et de s'aimantera tous ces
po"Stes téléphoniques auxquels il s'est relié. Un va-et-vient pareil,
C'îlle navette constamment lancée, reprise, renvoyée, ramenée ne
peut manque^ d'être salutaire. Mais quelle administration ! "
Que le jeune auteur ne nous en veuille pas d'insister sur ce
côté 1res curieux de son activité. Nous tâclions de- faire son
esquisse, cl il y a là un trait trop saillant pour qu'il ne s'impose
pas. 11 y a aussi peut-être un défaut h corriger, h adoucir tout au
moins, et c'est h ce titre que nous le signalons. S'il pouvait le
réduire à des proportions acceptables! S'il pouvait réfréner son
tic ! .
Mais venons aux deux livres qu'il à publiés récemment, vers et
prose. — - *
V Ame pensive est une production très sincère, un peu naïve,
sentimentale (ce qui est une qualité toujours lr(^ proche d'un
défaut), d'une élégance légèreraenl départementale. Le principal
reproche que nous lui ferons est de ne pas sortir des sillons
habituels. Ce recueil a été couronne par l'Académie des muses
Santones. A bon droit, certes. Comme livre de concours il est très
bien tourné. Il réunit les qualités modérées que pareille circon-
stance réclame. Il est bien élevé et décent même en ses colères.
Il dénote une grande facilité de versification, mais n'est guère
original. On n'y trouve quç rarement ce sentiment contemporain
si puissant et si étrange, inévitable dans. la vie que mène ce siè-
cle, ou qui le mène : une âj)re conscience des misères de notre
condition d'homme. Le convenu tranquille, les malédictions con-
ventionnelles, le répertoire démodé des tristesses banales, les
joies et les tendresses superficielles.
C'est d'un jeune, objeclera-t-on ; attendez. — C'est vrai.
Comme début ce n'esi pas sans espérances de productions plus
viriles, plus réellement humaines. C'est sans doute le jet d'un
tempérament encore mal dégagé de la rhétorique de collège.
Mais comme souvent de très jeunes plumes sont libres de ces
entraves, nous, sommes enclins à critiquer celles-ci même chez les
nouveaux- venus.
Les Contes sans prétention parlicipenl des mêmes caractères.
Ils tranchent peu sur la banalité des choses. C'est bien fait, mais,
k notre avis, bien calme. L'art réclame désormais plus de mou-
vement, plus de flamme. Il se concentre de plus en plus dans
l'intensité de l'œuvre, dans sa pénétration, dans l'aptitude l\
fouiller les dessous, les coins reculés, soit dans le sujet, soit tout
*" au moins dans la manière de l'exprimer, dans les images, les
détails. imprévus, les traits profonds. Si Charles Fuster a l'ambi-
tion de s'afficher en. dehors des autres, c'est là qu'il doit veiller,
car c'est là qu'est son infirmité.
On va vite, en général, chez les jeunes, quand il s'agit de pro-
duire. Du premier coup on atteint la publication, et on ne s'ar-,
rête plus. Livre sur livre, ou plutôt article sur article, plaquette
sur plaquette, brochure sur brochure. On dràîne son esprit impi-
toyablement. On l'épuisé avant même qu'il soit garni. On jouit
du bonheur de se voir imprimé, critiqué et chronique :
s.
On raauge du sucre candi
Dans les feuilletons du lundi.
Mais tout cela c'est la bagatelle de la porte. En s'y arrêtant trop
on. risque de ne jamais entrer. Mieux vaudrait, certes, moins
^
engendrer. On aboulil vraimcnl h un beau rosullat quand, avant la
ti'entaine, on a blasdlc lecteur, et soi-mOme, sur Son nom et sur
so,n style. Qui, par ces temps de production h jet continiï, où
chaque année chaque auteur pond son œuf, ne souliaiterail de
voir stopper momentanément ces évacuations qui nous submer-
gent. Pour la gloire véritable un seul livre, médité, creusé, pris
cl repris, fait plus qu'un train littéraire de cinquante w;»gons,
pardon de cinquante volumes, à n^oins d'être un génie, restreins-
loi, est la règle des belles vies artistiques. Gare aux leucorihérsî
Ecrivez lûnt ([ue vous voudrez, c'est partait . Mais ne publiez qu'à
bon escient, et plutôt sur le tard.
JiA JMOUVELLE" DIF\ECTI0N
DU THÉÂTRE DE LA MONNAIE
Jamais on n'entendit pareils poilus au sujet d'un changement
de direction. Ce monde spécial qui rôde et bourdonne autour
d'un théâtre, circule dans les couloirs, pénètre dans h^s coulisses,
perruche chez les artistes, clabaude dans les cafés d'alentour,
s'en est donne!» jusqu'ù l'étourdissement. Le v>ai, le faux surtout,
le bien, le mal, le spirituel, le bêle ont neigé à gros flocons. On
a assisté aux jérémiades incalmables des mécontents perpétuels :
ils obsédaient la très ingénieuse, très sympathique administration
Stoumon et Calabrési; voici (prils lâchent ce! le proie pour mor-
diller b direction Verdhurl cpii n'a pas encore commencé. On a
vu s't'^panouir la salisfacliou de ceux qui ne d(''estent pas le chan-
gement et espèrent en un arl plus jeune, |dus frais, plus nova-
teur. Puis il y a eu l'intarissable jacassement des abonnés et
habitué"^ juste milieu, bavardant pour bavarder, cancanant,
inventant, (léfigiiiant, chuchottant, piquant, griffant, déchirant,
pérorant îi en perdre haleine eux-mêmes et à en faire perdre
patience aux autres. ■ .
C'est tini. La crise est passée. Les concurrents qui attendaient
aventure' au coin du bois, comptant sur quelque accident-que
prédisaient, on ne sait pour([uoi, les oiseaux noirs, ont repris le
train et Ont disparu. Les amateurs de calaslrophes ont dû ren-
trer chez eux- bredouille. Leurs mauvais présages sont évaporés.
Il faut se résigner : M. Verdhurl qui, aycc beaucoup de tranquil-
lité cl un sangfroid de bon augure, laissait dire, laissait faire,
ne se donnant pas la peine d'aller souffler dans cette fourmilière,
esl.hel et bien et délinitivement directeur. Au moment voulu, au
moment fixé, ni trop tôt, ni trop tard, juste assez pour donner ù
ses adversaires des espérances dont il a pu s'amuser, et pour
rester absolument correct, il a fait apparaître îi la caisse com-
munale, en espèces sonnantes, son cautionnement.
D'où vieni-il ce cautionnement? Qui(a[)puie le nojivel élu?
Quels noms mettre sur ce qu'on nomme sa commandite, car il ne
s'en cache pas, ce n'est, pss sur ses économies de professeur de
chant en vogue et d'ancien baryton, qu'il a trouvé de quoi suffire
à son enlreprisL'? Mystère. Il se tail ^ort intelligemment, fort fière-
ment, et les plus malins sont en défaut.
Tout ce qu'on sail, tout ce qu'il dit, c'est qu'il a un capital très
sérieux, 1res sûr, qu'il n'a eu recours à aucune des personnalités
que l'on désignait dans les parloUes du foyer, et qu'il marche
activement, avec sérénité et grande activité.
Il a tenu beaucoup à être libre des attaches qui auraient mis
sa direction en servitude artistique soùs prétexte de l'aider pécu-
nièrenient. Il n'a à obéir à personne, même à n'écouter personne
s'il le croit utile, quelque ,prix qu'il attache au pubiicde la capi-
tale'auquel il va se consacrer tout entier. Il peut compter qu'on
lui saura gré de cette indépendance qui n'exclut pas la déférence
et la ferme volonté de tout tenter pour charmer ses futurs spec-
tateurs. -
On assure qu'il n'entre, du reste, pas dans sa pensée d'exclure
ces combinaisons qui ont toujours, été dans les traditions du
théâtre de la Monnaie, d'accepter à titre d'adjuvants les amateurs
qui désireraient reprendre une part de son apport, sauf qu'il peut
le faire maintenant avec une liberté qui lui eut manqué s'il avait
dû solliciter ce concours avant d'avoir définitivement et solide-
ment établi sa situation. , •
M. Verdhurl a choisi comme administrateur de la partie maté-
rielle, M. Waechter, qui lui a été proposé, dit-on, par legroupe
de ses baiihurs de fonds. Il s'est réservé pour lui-même toute la
partie artistique, le répertoire, la scène, l'orchestre, et ce qui se
rapporte à leur personnel compler. IF reste seul directeur en litre
de noire opéra et n'a pas d'associé. Il va se mettre en campagne
pour recruter une troupe sérieuse et surtout nouvelle.
Il a tenu pourtant ù respecter les prédilections du public
bruxellois qui s'étaient nellement accusées. De là ses démarches
immédiates auprès de M™^ Caron et de M.jGresse. On sait que
M. Soulacroix est engagé depuis quelcpe temps déjà à l'Opéra-
Comique. M. Grosse lui a déclaré en termes formels qu'il était
résolu à qiiitler le théâtre de la Monnaie. Certes, on le regrettera.
M"™*-' Caron réserve son choix. Il sutfit que l'on ail fait auprès
d'elle des démarches qui monirent combien on souhaite la con-
server. Si l'Opéra de Paris devait nous enlever l'admirable artiste,
il n'y aurait de reproches ti faire k personne, car on lui a démontré
quelles sympathies profondes elle a su conquérir.
Le recrutement du nouveau personnel sera possible celle année
dans des conditions exceptionnellement bonnes. On cile plusieurs
noms qui consoleront le public de dépaits qui seraient regret-
tables. Il serait prématuré de les révéler avant les engagements
définitifs.
Quant au répertwe, il subira des transformations essemioUe^
dans* le sens d'un arl plus contemporain. Il sera donné de légi-
times satisfactions aux désirs du monde artistique. Il sera tenu
compte de vœux souvent et énergiquemenl e^iprimés. C'est la
caraclérislique que la nouvelle direction entend conserver avant
tout.
M* Verdhurl a de nombreuses et excellentes relations dans la
dresse, dans les théâtr. s et dans les arts, ici et à l'étranger.
De toutes parts lui viennent de précieux auxiliaires et de salu-
taires sympathies. Tout fàil présager que l'année théâtrale pro-
chaine sera animée, hardie sans témérité, fructueuse et très
honorable. "^ — -
LE BEAU CARACTÉRISTE
Nous détachons d'un curieux ouvrage qui paraîtra prochainement
sous le titre : Philosophie de l'Art moderne, par Jean-François
Raffaëlli, l'intéressant fragment que voici. La prochaine arrivée du
peintre à Bruxelles, où il fera une conférence aux XX, donne à ce
morceau uu attrait tout d'actualité.
L'art a un terme qui ne changera jamais, la1il que l'art sera
l'art, c'est le beau.
Sans le beau, pas d'art possible; parce que sans le beau notre
action serait nulle. Le naturalisme sans le beau serait une béiise ;
les écrivains le savent bien; les plus forts de ce mouvement,
admirable on liltéralure, les Zola, si puissants et si retors; les
Huysmans, si rare et si grand littérateur; les Céard, dune force
critique et psychologique si belle; les Maupassant, admirable
écrivain; les Hennique, le prouvent par leurs ouvrages, et avec
*des tempéraments totalement différents; mais les peintres, qui
n'ont aucune habitude de i)enser, ne le savent pas, et c'est pour-
quoi ce qu'ils font pour la plupart est sans valeur, parce que
c'est sans aucune philosophie; et c'est pourquoi ils lassent;
et c'est pourquoi les six mille naturalistes geignent et se plaignent
comme des commissionnaires qu'on a trompi'-s d'adresse.
Maintenant, si le terme de l'art ne change pas et ne doit jamais
changer, s'il doit toujours être le Beau, l'idée de ce qui doit être
le Beau, V Idéal en un mol, peut varier, et changer totalement
avec les mœurs qui se modifient ou les idées qui s'élargissent,
s'étendent et s'affranchissent.
Le Beau n'est pas le même pour le Patagonien ou le Lapon,
l'Indien et le Chinois; de même que ce qui fut le beau des Grecs
est presque indifférent aujourd'hui^à no/?'^ flc/iyz7e intellectuelle,
et je le prouverai.
J'ai essayé de déTlnir dans uno étude précédente ce que doit
être le Beau positiviste, caractérisle, et dans quel idéal \\ réside,
je n'y reviendrai donc pas. — J'aime mieux suivre mes six mille
naturalistes, sortes d'orphéonistes qui s'en vont en troupe, chan-
tant : La belle naturel La nature seule est belle! alors que le
beau est autant objectif,. \iu\squG nous ne pouvons en avoir con-
science sans objet, que subjectif, puisque sans noire intelligence
qui s'enfièvre, multiplie, additionne, spécule sur les beautés et
embrasse leurs raisons, leurs hienfaits, leur allure et l'action'
générale qu'elles ont sur nous, ce que nous avons de spectacles
devant nous sérail lettre morte ! Ce qu'on aime, ce pourquoi on
se passionne, c'est l'idée, l'idée, et toujours l'idée. — On meurt
pour une idée, — a-l-on jamais vli un. homme se faire tuer pour
la nature? On prêche d'autant la beauté qu'on est plus idéologue,
c'est absolument certain.
En face de la mer, un beim commun pourtant, qu'elle voyait
pour la première fois, ma bonne a dit-: Que d'eau! — C'est bien;
mais nous disons : Que c'est beau! — Et nous empilons livres,
tableaux, poésies de toutes sortes sur ce thème éternel. — De
Notre-Dame, notre mênie sujet dit : Bien sur que c'est plus beau
que par chez nous! — Ce n'est pas mal, mais nous disons :
C'est admirable! — Au fond, à bien parler, nous avons une
admiration d'autant plus grande de tout, que nous avons plus de
conscience, de jugement des choses. Sur une tête du Parthénon,
à irrre, le chien lève la patle; — l'enfant s'en saisit de préfé-
rence, et en joue; — l'homme la ramasse avec soin et construit
des palais pour la recevoir: il a conscience étendue de l'admi-
rable beauté que représente celte pierre taillée.
Je possède un précieux débris de cette nature. C'est un mor-
ceau de bas-relief : une tête de profil, un marbre blanc, de Paros
péul-êire; cela représente un homme chauve; — je trouve cela
follement beau ; — et ma même bonne, celle de tout à l'heure,
me conseillait, il n'y a pas longtemps, intimement, dans un coin,
de ne pas laisser une horreur pareille sous les yeux de ma femme
en grossesse ! . •
Donc, première fausse piste: le Beau n'est pas dans la nature.
— ^. Voilà déjà que naturalisme, nature, ne dit pas tout, qu'il ne
dit guère que la moitié et qu'il n'est en un mot, à l'art, que
que l'objectif est au subjectif. ^
Des gants de femme, vieux, que valent-ils? — Il faut les jeter.
— Mais s'il sont de la femme adorée, nous les gardons précieuse-
ment. — Mais? — cela ne les rend pas beaux? — Non! mais
ils nous parlent tant d'une beauté aimée que ces loqiies sans
formes peuvent nous inspirer les plus belles poésies ^^ et c'est
Vidée, l'idée A'Elle que nous admirons et aimons en eux. Des
montagnes, pour le paysan, c'csi haut et gênant; pour nous;
c'est majestueux et utile. Voilà tout. — Le Beau est dans
l'amour conscient, autrement dire, dans le caractère, car c'est
dans le caractère que la conscience trouvera certainement la
marque d' mie utilité propre; utilité qu'elle jugera aussitôt digne
de son amour.
que ce
J^LECTIONp ACADÉMIQUE^
L'Académie royale de Belgique ayant à élire un membre dans
sa section de sculpture, vient de porter ses suffrages sur
Monsieur Ducaju, statuaire. Nous n'altendions pas moins de l'Aca-
démie royale'de Belgique.
M. Ducaju est l'auteur du Boduognat d'Anvers et de la Chute
de Babylone, dont le plâtre figura à l'Exposition de 1880.
Le gouvernement, frappé du mérite de cette dernière œuvre,
en commanda le marbre à l'auteur, afin de léguer aux générations
qui viennent un échantillon de la sculpture belge au xix« siècle;
c'est ce marbre que nous vîmes au dernier Salon de Bruxelles.
Celui qui s'est trouvé une seule fois, une seule, en face de
cette* sculpture, ne l'oublie plus. Celte femme couchée sur un
veau polycéphale et faisant un geste dont l'intention échappe
aux natures ordinaires est inouïe! Sur une- espèce de jarretière
qui lui ceint la tête, l'auteur a gravé le mot : MYSTÈRE.
Et en effet, cette œuvre est Un mystère si mystérieux que
M. Ducaju lui-même n'y a jamais rien compris. C'est là ce qu'on
peut appeler une œuvre waimeni supérieure, en ce sens qu'elle
est au dessus de l'artiste qui l'a produite, — celui-ci ne s'élant
jamais douté de ce qu'elle pouvait signifier.
Ce mystère était une risette évidente à l'Académie, qui a la
compréhension facile. On a avancé un fauteuil à M. Ducaju en
lui disant : « Venez vous asseoir, vous l'avez bien gagné; main-
tenant qUe vous êtes immortel, vous pouvez mourir ». Ce qui
est une façon de parler, car à l'Académie royale de Belgique les
lames sont d'une trempe tellement extraordinaire que les four-
reaux durent des temps infinis; on n'en voit pas la fin.
M. Paul De Vigne, — un jeune inconnu qui n'avait à son actif
que la Domenica, Héliotrope, V Immortalité, la Poverella, le
^monument de Van Houtte à Gand, etc., plus un certain nombre
de bustes qui ont paîsé inaperçus ; M. De Vigne, à qui l'on a
imprudemment confié l'exécution d'un des groupes du Palais deâ
Beaux-Arts et le monument de Breydel et de Coninck à Bruges,
était deuxième candidat. Est-il besoin de dire qu'il resta honteu-
sement sur le carreau ?
C'est là, si nous avons mémoire, le troisième échec qu'il
essuiejpt ce n'est pas le dernier, car l'illustre corps vient de faire
des ouvertures à l'Iguanodon du. Musée, qui a remué la queue
► pour faire signe qu'il acceptait.
11 entrera à l'Académie comme dans un moulin. M. Gallail hii
a déjà promis sa voix. ' .
fil
UNIQUE.
2<^ séance de musique iustrumentale au Conservatoire
L'Association des professeurs d'inslrumenls à vent a donné
dimanciic sa deuxième matinée. Elle a été inlérossanto dans son
ensemble, mais plus terne que la i)remière. Dans VOteito de
Mozart les bassons ont fait merveille : on ne pourrait jouer plus
juste, ni avee plus de mécanisme. Dans une Komancù a'^scv. filan-
dreuse de Saiut-Saéns et dans un Concerto de peu de valeur
musicale de Widor, MM. Morck et Dumon ont prouvé, ce que nul
n'ignorait, que le cor ])our l'un, la tliile pour l'autre n'avaient
plus de mystères, qu'ils en ont tous deux pénétré le secret et
(ju'ils excellent à on révéler los ressources. Un Quintette de
Uubinslein pour piano, llûle, clarinette, cor et basson, a cou-
ronné la séance. Musique assez pauvre d'idées, composée de
motifs mal rattachés et de peu de logique. Elle n'a pas paru
.enthousiasmer outre mesure le public. Exécution d'ailleurs cor-
recte et satisfaisante. La partie de piano a été fort bien tenue par
M. De Grcef., ~^
Concert 'Wieniav;rski
La veille, Joseph Wieniaw.ski donnait h la Grande-Harmonie
un concert qui, pour n'avoir rieu d'ofliciel, — au contraire, —
n'en a pas moins réuni un nombreux et 1res sympathique audi-
toire. Programme de choix : du Chopin, du Wieniawski, du
Wagner, avec, comme prologue, la grâce mignarde d'une sonate
de Mozart. Pour interpréter celle-ci, le maître s'était associé une
toute jeune et déjà méritante élève, M"*^ Merck.
On connaît sulTisamment le jeu du pianiste-compositeur pour
qu'il soit nécessaire d'en donner une appréciation nouvelle. Il y
a dans l'exécution de Joseph AVienrawski une bravoure entraî-
nante et superbe. C'est le pianiste héroïque de la race de Hubin-
stein et de Liszt, et non de celle des ciseleurs de gruppetti^ des
retoucheurs d'arpèges, des miniaturistes en staccati, des dévi-
deurs de trilles sur des fuseaux d'ivoire.
Ses compositions, nous les avons jugées lors de leur appari-
tion. Les Jeux de fées et VExtase, dits par M. Moyaerts, ont paru
être le plus particulièrement goûtés du public.
j[30N?EIJ-^ AUX MUSICIENS ..
Un journal anglais donne aux musiciens quelques conseils très
amusants que traduit, à l'usage de ses lecteurs, un journal musical
bruxellois. Voici les plus utiles :
AU PIANISTE.
Si l'on vous demande déjouer, prenez place au piano et dites :
» Connaissez-vous un petit morceau par un tel ou un tel il Je ne m'en
souviens pas très bien, mais c'est quelque chose de ce }ienre-ci. »»
Vous jouez alors le morceau que vous avez travaillé pendant les six
derniers mois.
A.U VIOLOXISTE.
Tâchez d'acquérir une grande dextérité de manipulation ; le ton
est d'une importance secondaire.
L'usage de la colophane est une mauvaise habitude. Ne l'adoptez
pas.
C'est une grande erreur que d'accorder un violon plus d'une fois
par mois. Cela ne devrait pas être nécessaire, un pareille indulgence
ne sert qu'à donner de mauvaises habitudes ù l'instrument.
AU COMPOSITEUR.
Pour avoir une inspiration tout à fait originale, examinez les
œuvres d'autres comiiositeurs.
Ecrivez d'abord votre partition dans une clçf facile, alors transpo-
sez-Ja dans la plus difficile et la plus embarrassante que vous puis-
siez trouver.
Mettez beaucoup d'accords que seules peuvent jouer les personnes
qui ont des mains de géant.
Rappelez-vous toujours que plus la musique est difficile, plus
grand est le génie du compositeur.
Donnez à chaque compositibn un titre en langue étrangère : de
cette façon vous aurez le crédit de connaître les langues dont vous
employez les mots. '
N'admettez jamais la supériorité d'un autre compositeur, qu'il
soit mort ou vivant.
AU CUEF d'orchestre.
Prenez des leçons de natation et apprenez abattre les tapis.
Prenez les plus grands soins de votre toilette : dé vos manchettes,
de votre col, de vos gants; et surtout rejetez vos cheveux en arrière ;
rappelez-vous toujours que vos manchettes et le devant de votre
chemise ne peuvent i)a.s être assez exposés.
Tapez vigoureusement sur votre ])upitre et. donnez un «» chut ••
prolongé dans tous les passages pmxo. Cela détourne l'attention du
public de la musique, pour^la porter sur le chef d'orchestre.
A la fin de chaque morceau essuyez-vous le front, que ce soit
nécessaire ou non.
Menacez de temps en temps le contrebassiste et, aussitôt que le
tambour fait son entrée, agitez violemment votre main gauche dans
sa direction : cela détruit leur vanité.
Si vous portez les cheveux longs, jetez-les en arrière par un gra-
cieux hochement de tête, à la fin de~tous les'i)assages difficiles, parce
que cela ra|)pellera à l'auditoire que tout le mérite vous appartient.
Si vous êtes décoré d'un ordre quelconque, faites faire un joyau
un peu plus grand que celui d'ordonnance: de cette façon, dans une
grande salle, tout le monde verra l'honneur qui vous a été décerné,
et à votre entrée à l'orchestre vous obtiendrez les applaudissements
du public.
Si vous n'êtes pas décoré, faites dorer un bonbon Peek Frean
pour faire croire au public que c'est un ordre rare ; votre succès sera
le même.
MEMENTO DES EXPOSITIONS ET CONCOURS
Anvers. — Exposition universelle. Mai à octobre 1885.
Anvers. — Salon des refusés et exposition des artistes indépen-
dants, ouverture eh mai. Pour tous renseignements s'adresser au
secrétaire du Cercle des artistes indépendants, 1, rue de l'Angle,
Bruxelles.
Janvier 1885. — B-ruxelles. — Deuxième exposition des XX.
(Limitée aux membres du Cercle et aux artistes spécialement invités).
1er Février 1885. — Troisième exposition de Blanc et Noir de
VEssor. (Limitée aux meniln'es du Cercle). Mai 1885 — Exposition
historique de gravure, par le Cercle des aquarellistes et aquafortistes.
Mai 1885.
«
Bruxelles — 25*^ exposition annuelle, organisée par la Société
royale belge des aquarellistes, à partir du 4 avril 1885.
Glascow. — Institut des Beaux-Arts (24® exposition). Ouverture
. ^ février 1885. Fermeture fin d'avril. — S'adresser à M. Robert
AValker, secrétaire de l'Institut, à Glascow.
Londres. — Exposition internationale d'instruments de musique.
Ouverture en mai 1885, à South- Kensington. Cette deuxième divi-
sion comporte trois groupes : 1° Instruments de musique construits
ou en visage depuis 1800; 2" gravure et intpression de la musique ;
3» collections historiques.
^D. — Du^-ât^mars à la fin de septembre exposition internationale
-^E universelle d'Ale:\an(h*à- Palace, comprenant notamment les arts
et métiers, et une exposition de tableaux et objets d'art représentant
les principales écoles du continent.
Nuremberg.^ Exposition internationale d'orfèvrerie, de joaille-
rie, de bronzes, etc. Du 15 juin au 30 septembre 1885.
Paris. — Salon de 1885. — l^f mai au 30 juin 1885. — Peinture,
dessins, etc. Dépôt des ouvrages au Palais des Champs-Elysées, du
5 au 14 mars. Vote, le mercredi 18 mars, de 9 h. à 4 h. — Sculp-
ture, Gravure en méd. et si(r p. f. Dépôt du 21 mars au 2 avril.
Vote, le mardi 7 avril,, de 10 à 4 h. — Architecture. Dépôt du 2 au
5 avril. Vote, le mardi 7 avril, de 10 à 4 h. — Gravure et Lithogra-
phie. Dépôt, du 2 au 5 avril. Vote, le lundi 6 avril, de 10 à 4 h.
Rome. — Exposition organisée par la Société des Amatori e cultori
di Belli arti. C)uverture l^r février.
Rotterdam. —
Renseignements
•Du 38 mai au 12 juillet. Dernier délai : i() mai.
M. Veder.s, secrétaire, 42, Boompjes, Rotterdam.
Gand. — Statue du docteur Joseph Guislain. Clôture : 31 mars
1885. Les œuvres doivent être envoyées au concierge de 1 Université
de Gand, rue des Foulons, et porter la suscription : Au comité
constitué pour l'érection dune statue au docteur Joseph Guislain. —
Envoi : Maquette de la statue et du piédestal (25 centimètres au
total), dessin détaillé de la grille et indication de la disposition du
dallage entre le grillage et le piédestal. — L'artiste doit s'engager à
livrer pour 19,000 francs les travaux de maçonnerie nécessaires, la
statue, le piédestal, le grillage et le dallage. — Documents et pho-
tographies chez le D'" B -G. Ingels, médecin de l'hospice Guislain,
à Gand. ,
La Haye.
tius.
Concours pour l'érection d'une statue à Hugo Gro-
MoNTÉviDÉo — Concours pour la statue du général Artigas
S'adresser à la légation de l'Uruguay, 4, rue Logelbach, à Paris.
RicuMOND (Virginie). Concours pour un monument a Robert
Lee, jusqu'au le"" mai 1885.
Saint-Nicolas. — Concours de gravure du Journal des Beaux-
Arts. Histoire : prix 400 fr. pour la meilleure eau- forte (sujet inédit
ou copie d'un tableau flamand ancien ou moderne^ Genre '- prix
300 fr. Paysage et intérieurs : prix 200 fr. Dimension maximum des
cuivres: 0"'260 sur 0a>190. Dernier délai : 31 juillet 1885. Envoyer
franco avant cette date 2 exemplaires sur papier blanc et 2 exem-
plaires sur chine.
Vienne. — Concours pour l'érection d'un monument à Mozart.
f
ETITE CHROjMiqUE
Depuis trois ans, la maison Schott publie un petit recueil d'un
très grand intérêt pour les musiciens, professeurs et amateurs de
musique, les Tablettes du musicien. Ces tablettes contiennent, con-
densés en un volume de poche de 265 pages, une foule de renseigne-
ments utiles. Il y a un calendrier, des éphémérides musicales, un
carnet de notes, du papier à musique pour saisir et fixer l'inspiration
au moment où elle se présente, des notices biographiques, une
bibliographie des ouvrages belges sur l'art musical parus dans le cours
de l'année écoulée, des détails précis sur tous les Conservatoires et
écoles de musique du pays, sur les théâtres, les journaux, etc.
Indications vraiment précieuses pour les artistes, les Tablettes
donnent, en outre, pour toutes les nations, la France, l'Allemagne,
la Hollande, etc., la liste complète des Conservatoires, avec les noms
des directeurs et des professeurs, la horaenclature des sociétés
musicales, des théâtres, des maîtrises d'églises, etc.
Un portrait <le Peter Benoit orne les Tablettes de 1885, que nous
venons de recevoir. Une importante notice biographique est .-consa-
crée au maître flamand. Enfin, un vocabulaire de toutes les expres-
sions usitées en musique termine ce petit volume qui ne mérite que
des éloges, tant au point de vue de riutellig-ence de sa composition
que des soins typographiques avec lesquels il est édité.
Le pianiste Eugène d'Albert donnera un concert à la Grande
Harmonie, le jeudi 5 février pr&chain à 8 heures du soir.
La fanfare royale Phalange artistique de Bruxelles, sous la direc-
tion de M. V'an Remoortel et la présidence de M H. Duhem, don-
nera demain lundi, à huit heures, à la Grande Harmonie, un inté-
ressant concert au bénéfice de la Crèche école gardienne de Cure-
ghem-Anderlecht.
Nombre d'artistes de mérite prêteront leur concours désintéressé
à cette fête de charité Citons M'''^^ Deguust-Hagelstein, Fierens,
Ad, Mees; MM. Sanous, Eldering, Massage et Maquet.
Pour rappel, aujourd'hui dimanche, à 1 1/2 heure, au théâtre de
la Monnaie, troisième Concert populaire, avec le concoui's de
M. Camille Saint-Saëns.
L'éminent pianiste jouera le Concerto en sol, de Beethoven, et sa
Rhapsodie d'Auvergne, qui obtint un si vif sucxîès au dernier con-
cert de V Association des Ai'tistes- Musiciens.
L'orchestre fera entendre la Symphonie en ré (no 4), de Robert
Schumann, et des œuvres de M. Camille Saint-Saëns inconnues à
Bruxelles : le Ballet d'Henri VIII, une Sérénade et une Jota Ara-
gonaise, enfin son poème symphonique la Jeunesse d' Hercule,
i ' , ■ • .
Hans de Biilow a donné sa démission de maître de chapelle de
Meiningen. La démission a été acceptée par le duc. Biilow va se con-
sacrer à la carrière de virtuose et entreprendre une grande tournée
en Europe. Le célèbre pianiste jouera vers la ûù de mars à Paris,
puis à Bruxelles.
Cari Millœcker, l'auteur de V Etudiant pauvre, est un composi-
teur actif et fécond, A l'heure même où le théâtre de l'Alcazar à
Bruxelles donnait pour la première fois- en français son Bettelstu-
dent, sa nouvelle opérette, V Aumônier du camp, obtenait à Berlin
un éclatant succès. La représentation, dirigée par l'auteur au Frie-
drich- Wilheîm Stadtheater s'est terminée, après des bis et rappçls
sans nombre, au milieu de l'enthousiasme général.
Une correspondance adressée au Ménestrel tl.onne d'intéressants
détails historiques sur la valse viennoise.
Les premières traces de la valse viennoise remontent à l'an 178G.
On l'a dansée pour 1^ première fois dans un opéra {una Cosa rara)
de Vincent Martin, le 17 novembre de cette année, et la nouvelle
danse s'appelait alors Langaus. Cette valse était lente, presque glis-
sante, et plaisait beaucoup au public vieimois, qui l'adopta pour ses
bals. En 1819, V Invitation à la danse, de Weber, avec sa fameuse
valse, si brillante et stimulante, provoqua une véritable révolution
dans la musique dansante. Elle, prit des allures plus dégagées et
trouva des compositeurs tels que Lanner, Morelli et Johann Strauss
père (1820-1848), qui inaugurèrent les premiers la grande époque de
la valse viennoise. Après 1848, le règne du « Prince de la valse -,
comme le public viennois appelle Johann Strauss le fils, a commencé
et dure encore.
Un petit ballet eu trois tableaux que vient de représenter, avec un
très grand succès, l'Opéi'a-Impérial de Vienne, retrace ces trois
époques.
Lorsque l'orchestre commença, le soir de la première, les valses
de 1840, les doyens des habitués du théâtre se mirent à marquer la.
mesure de cette, musique, qui leur rappelait leur jeunesse, en
dodelinant de la tête. Quand vinrent les valses de Johann Strauss fils,
on vit de jolis petits pieds remuer dans les loges, tandis qu'au par-
terre, la jeunesse dorée prenait une physionomie béate. Chaque valsé
était saluée d'une triple salve d'applaudissements. Une rare anima-
tion, presque une émotion nationale, régnait dans la salle, et Johann
Strauss, qui se .cachait dans le fond d'une loge de secondes,
inaperçu, s'est trouvé assister comme à une apothéose spontanée
de sa musique ce qui a dû le flatter infiniment plus que les ovations
préparées à l'avance dont on l'a régalé en 1884, '
On écrit de Liège au même journal :
Le conseil communal a décidé l'achat des partitions et parties
d'orchestre à'Aben-Hamet. M Claeys, d'Anvers, sera chargé du
rôle d'Aben • les autres rôles seront distribués sous peu et les études
commenceront de suite.
Une nouvelle revue, qui met en pratique dans renseignement
populaire les principes d'indépendance que nous soutenons dans
l'Art, vient d'être fondée à Bruxelles. Le i"^ numéro, publié le
15 janvier,* contient d'intéressants articles sur l'hygiène de la voix,
sur la photographie, sur l'enseignement de l'histoire à l'école pri-
maire, etc.
Titre : La Revue pédagogique (mensuelle ; 5 francs par an ; rue
d'Isabelle, 42). Elle s'adresse surtout aux instituteurs.
La Revue pédagogique belge ouvre ses colonnes à tous ceux qui
veulent, par leurs écrits et leurs travaux, concourir au développe-
ment de l'enseignement populaire. Elle ftiit appel à toutes les forces
vives du corps enseignant. Partisan de la liberté dans son accep-
'Tiion la plus large, ennemie acharnée de tout ce qui est censure ou
pression, amoureuse de discussion et de libre-examen, elle demande
que chacun vienne librement exposer ses désirs et ses croyances;
Elle laisse à ses collaborateurs liberté entière d'exprimer leur avis
comme ils l'entendent et de défendre telle cause qu'ils croient juste.
Carnaval de Nice. — Voici un magnifique voyage qui s'organise
à l'occasion du Carnaval de Nice. On visitera successivement Mar-
seille, Cannes, les îles Sainte-Marguerite et Saint-Honorat, Nice.
Monaco et Monte-Carlo, en un mot toutes les merveilles du littoral
dé la Méditerranée. Les touristes prendront part, en outre, aux
superbes fêtes et réjouissances du mardi gras à Nice : cortège carna-
valesque, brillante cavalcade, bataille de fleurs et de confetti, distri-
bution de bannières, bals et fêtes de nuit, illurliinatiou a giorno, etc;
La durée de ce voyage' sera de 10 jours. Le départ aura lieu de
Paris le lundi 9 février, à 2 h. 20 du soir Le prix, comprenant tous
les frais de transport et de séjour à partir de Paris, est fixé à
250 francs.
>
Le voyage sera conduit par M. Ch. Parmentibr, direct iur de VEx •
cumon, boulevard Anspach, 109, à Bruxelles, qui enverra gratuite-
ment les prospectus aux personnes qui lui en feront la demande.
Les annonces sont reçues au bureau du journal,
26, rue de V Industrie, à Bruxelles.
VILL1E3 DE GENÈVE
La concession du nouveau théâtre devant êti-e renouvelée pour
l'année 1885-1886, les personnes disposées à se charger de cette
exploitation sont invitées à s'inscrire sans retard au bureau du Con-
seil administratif, en indiquant leurs titres et leurs références.
NOUVEAUTÉS MUSICALES
POUR PIANO
Huberti, G. Trois Inorceaux : N° 1. Etude rhythmique, 2 fr. —
N" 2. Historiette, 2 fr. - N» 3. Valse lente, fr 1.75.
Kowalski. Op. 44. Autour de mon Clocher, 2 fr. — Op 45. Illu-
sions et ChimèreSi 2 fr. — Op. 48. Tambour battant, 2 fr.
Smith S. Op. 185. Notre-Dame, Chant religieux, 2 fr. — Op. 191.
La mer calme, Deuxième barcarolle, 2 fr. — Op. 192. Styrienne,
2 fr. ~ Op. 193. Marguerite, 2 fr. — Op. 194. La fée de Ondes, 2 fr.
Wieniawski. Jos Op. 39. Six pièces romantiques : Cah. I. Idylle,
Evocation, Jeux de fées, 3 fr. — Cah. II. Ballade, Elégie, Scène
rustique, 3 fr. — Op. 41 Mazourka de concert, fr. ^50. '
MUSIQUE POUR CHANT
, Bach. Six chorals pour chœurs mixtes par Mertens. La partition,
1 franc.
Bremer. A. Sonne mon tambourin, pour chant, violon où violon-
celle et piano, 3 fr. — - Hymne à Cérès, pour baryton ou mezzo-
soprano et chœur pour 3 voix de femmes, 2 fr.
Rtga^ Fr. Quatre Chœurs pour voix de femnies avec accompagne-
ment de piano, à 4 mains : No 1. Fête villageoise, la partition,
fr 2.50. -- N^ 2. Les Vendangeuse, la partition, fr. 2.50. — N» 3.
Sous les Bois, la partition, fr. 2 50. — N" 4. La Paix, la partition,
fr. 3.50.
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numérotés qui sont mis en vente au prix de 10 francs.
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Bruxelles. — Imp. Félix Callewaert père, rue de l'Industrie,
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Cinquième année. — N° 5.
Jje numéro : 25 centimes.
Dimanche P»* FÉVRIER 1885.
MODERNE
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PARAISSANT LE DIMANCHE
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REVUE CRITIQUE DBS ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00 ; Union postale, fp. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser les demandes d' abonnement et toutes les comrnunications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
?
OMMAIRE
L'Art jeune et les XX. — Les coxcours jugés par Eugène
Delacroix. • — Au Cercle artistique. Ej'jiosition Uytterschaut-
Frank-Chdrlet. — Une lettre de Courbet. — L'Exposition
d'Anvers. — Chronique judiciaire des arts. — • Théâtres. —
Mémento des expositions et concours. — Conseils aux musi-
ciens. — Petite chronique.
L'ART JEIIXE ET LES XX
Aujourd'hui s'ouvre la deuxième exposition des XX.
Comme celle de l'an dernier, elle a le caractère d'une
bataille.
Depuis un mois déjà les divers clans hostiles escar-
mouchent dans les gazettes et dans les parlottes.
Fermes et indifférents à ces rumeurs surgissantes, les
XX ont pris leurs distances, creusé leurs retranche-
ments, organisé leur ligne de combat. Leur phalange
et ses auxiliaires s'aperçoivent sur les positions qu'ils
occupent, plus compacts, plus brillants, plus énergiques,
plus enthousiastes que lors de leur première et écla-
tante victoire.
Il ne s'agit plus d'une exposition particulière, mais
d'un véritable Salon.
Les animosités se sont déchaînées en vain. Elles sont
demeurées impuissantes.
Pourquoi tant de colère et de mauvais gré d'une
part. Pourquoi d'autre part tant de confiance et d'élan?
Pourquoi aussi tant de sympathies ?
Car on ne peut le contester, chez nous et à l'étran-
ger, l'appui donné de tout coeur à ce mouvement si
salutaire pour l'Art, si périlleux, semblait-il, pour ceux
qui l'ont osé, a été magnifique et décisif.
Rappelons brièvement ses origines pour dissiper le
résidu d'équivoque dans lequel les mécontents et les
envieux essaient, avec une assurance décroissante, de
maintenir la situation. .
Englués au début, comme tout le monde, dans la
pâte rance des traditions académiques et de la pré-
tendue protection des officiels de l'Art, bienveil-
lants seulement pour ceux qui les encensent et les
servent, les XX ont proclamé qu'il n'y a de vraie origi-
nalité que là où Ion est libre, non seulement de fait,
mais surtout de pensée, que là où les seuls facteurs
d'une destinée sont la personnalité de l'artiste comme
instrument, la réalité extérieure comme objet sur lequel
cette personnalité s'exerce. Fuir avec horreur toute
iniitation, oublier les prétendus modèles proposés en
^xeniple aux médiocres, ne chercher son développe-
ment qu'en soi-même, ne s'occuper des traditions qu'au
point de vue du métier, pour le reste, susciter, exciter
constamment ses dispositions et ses sentiments propres,
tel est un de leurs dogmes, et le principal.
De là est venue leur antipathie, dégénérant parfois
en haine, contre la vieille école qui s'est persuadé
qu'elle incarnait un art définitif, désormais immuable,
et devant comme tel être proposé non seulement à l'ad-
miration, mais à l'imitation des générations nouvelles.
« C'est une doctrine abominablement fausse «, lui
ont crié les derniers venus, en se mettant en insur-
rection. « Vous avez été, c'est assez. N'essayez plus,
d'être encore; et surtout de vous reproduire dans les
jeunes, par un avatar odieux. L'art est éminemment
transitoire dans ses manifestations. S'il faut désirer
qu'il soit toujours élevé, il faut se garder d'entraver ses
évolutions incessamment variables. Chacun de nous ne
vaut que s'il réalise une expression nouvelle. Continuer
ce qui fut est une infirmité pour l'artiste, un ennui pour
le public. Tout doit tendre à favoriser ces transforma-
tions qui sont le charme le plus puissant du Beau. Qui-
conque cherche à les arrêter est un hérésiarque. Dès
que l'œuvre apparaît comme un reflet, une répétition,
un pastiche, elle doit être condamnée. Pas de copie,
même déguisée, mênie inconsciente. Rien, absolument
rien qui rappelle une antériorité. Nous ne voulons pas
qu'on nous applique la sarcastique formule :
Qui pourrai -je imiter pour être original?
C'est cela qu'on nomme ÏArt jeune, que des imbé^
ciles, vraiment trop de leur espèce, ont confondu avec
une question d'âge des adeptes ! C'est invraisemblable
de niaiserie, et c'est pourtant vrai. On se souvient de
cette phrase d'un critique : « Ils nomment ça l'Art
jeune! Et il y a chez eux des gens de cinquante ans! »»
À l'étranger on a compris tout de suite cette carac-.
téristique du mouvement. Parmi ceux qui avaient le
culte et la foi de cette originalité qui est la sauvegarde
suprême, jeunes et vieux ont proclamé leur vobnté de
soutenir nos intransigeants, brisant si fièremem leurs
Jiens et criant au passé : « Laissez-nous tranquilles ».
Déjà à l'exposition inaugurale, on le& a vus, heureux
de manifester leur volonté de soutenir devant nos
badauds et nos timorés, les défenseurs de l'art vrai-
■j . -
ment personnel. Cette année, le cortège de ces protec-
teurs à qui il ne vient pas la pensée de trouver mau-
mais ceux qui ne leur ressemblent pas, est vraiment
triomphal. Jamais on ne vit un tel appoint de cordialité
et de sympathies.
La trouée était faite. C'est maintenant une marche
en avant irrésistible. L'idée, dominante est trop claire
pour ne pas s'imposer. Malgré les clameurs effrayées
des caccochymes aidés de leur escorte de médiocres, la
foule est séduite et ses préférences vont à ces audacieux.
Car audacieux ils furent ! Nous nous souvenons des
cris de: Casse-cou! poussés lors de la tentative qui
devait si brillamment réussir. Nous nous souvenons
aussi, hélas ! des quelques pusillanimes que l'on parvint
à effrayer et qui sortirent des rangs avant la mêlée.
Mais les autres, quelle décision, quelle furial
Et du dehors ne cessaient pas les avertissements.
« Gare à vous! Gare à vous! » Et quand retentissait
un cri contraire : « En avant ! En avant donc ! N'ayez
pas peur. On n'est jamais assez hardi en art ! »» On
entendait : « Voyez donc ces provocateurs. Ils ne cou-
rent aucun danger, eux; Ils compromettent ces pauvres
artistes, qui vont perdre toute protection. Ils ne ven-
dront plus, hélas! Non, ils ne vendront^ plus, ils ne
vendront plus ! »»
On eût cru entendre le fameux cri de détresse:
« Macbeth ne dormira plus ! Macbeth a tué le sommeil !
Macbeth ne dormira plus ! "
La vérité est que si le péril était réel, le sentiment de
le courir allait donner à ceux qui s'y jetaient bravement
des forces inespérées. C'est quand on se sait exposé,
que tous les ressorts se tendent, que toutes les ressour-
ces saillissent.
Oui, ils allaient à la lutte et peut-être à la mort, car
en art 'comme ailleurs le doctrinaire ne pardonne pas.
Oui, ils l'ont su, et c'est pourquoi on les voit ce qu'ils
sont.
Leur exposition n'est pas une vaine parade, dans
la sécurité d'une place publique. C'est, répétons-le,
une mêlée^urTun ^âmp de bataille. Tant mieux ! Ce
n'est pas la mort qu'ils y trouvent, c'est la résurrec-
tion et la vie.
Lep concoure -
JUGÉS PAR Eugène DELACROIX
Mon avis sur les concours en fait de tableaux et de statues!
C'est une grande question aujourd'hui, car il ne s'agit de rien
moins que de faire passer par cette filière tous lés artistes qui
prétendent à des travaux du gouvernement. C'est une idée qui
n'est pas nouvelle et qui paraît si simple qu'elle vient s'offrir
d'elle-même au pouvoir quand il craint la responsabilité de ses
choix, elaux artistes eux-mêmes, j'entends ît ceux qui n'ont pas
la part la plus large dans les distributions. Cette dernière classe,
qui est le plus grand nombre, a donné par ses réclamations une
très grande popularité à la question des concours.
Si éloignée que soit la chance qu'offre ce moyen à beaucoup
d'entre eux, ils l'ont adopté avec empressement. L'amour-propre
persuade aisément à chacun de nous qu'il a des droits qu'on
oublie et que cette grande lumière du concours public va rendre
manifestes pour tout le monde; que si ^on n'est pas couronné,
on peut encore se consoler en pensant que c'est nous que le
public distingue, et qu'il condamne nos juges à son tour.
D'ailleurs, raisonnant d'après les lois de justice générale assez
sages, vous inclinez à trouver cette invention très libérale et très
féconde; car, dites-vous, rien n'empêche le talent de se mettre
sur les rangs : touL au contraire ; au milieu de ce grand nombre
de prétendants, la place sera toujours marquée.
Au premier aperçu, il m'a paru commode comme à vous d'avoir
un moyen d'éprouver les talents comme on éprouve les métaux,
de les tirer de la foule à l'instant^ par le contraste qui se produit
de soi-même entre le bon et le mauvais. Si ce moyen-là est
trouvé en effet, quel problème nous avons résolu ! La posté-
rité ne pourra nous savoir assez de gré d'avoir tant fait pour sc&
plaisirs, en ne laissant arriver jusqu'à elle que des ouvrages
dignes d'admiration; et du mênie coup nous sauvons bien des
remords à l'autorité.
Mais en y refléchissant plus mûrement, vous serez conduit à
découvrir que ce moyen, simple et applicable en théorie, offre à
la pratique mille diflicuUés. Un essai tout récent a déjà montré
des inconvénients auxquels on n'avait pas songé, et ils ont clé de
nature à effrayer sur les résultats probables de ce moyen employé
généralement. On s'est aperçu qu'après la difficulté d'amener à
concourir beaucoup de gens pour qui ce moyen est nouveau, il
se présentait la difficulté plus grande de trouver des juges, des
juges sans passions et sans préjugés, point suseaplibles de pré-
férer leurs amis à tous autres, et ne cherchant que la justice
et le bien de l'art. Le bien de l'art, c'est comme le bien de
la patrie ; chacun le voit du côté où inclinent ses affections et ses
espérances : la justice est pour chacun ; le parti flatte ses pen-
chants et lui promet le tri'omphe de ses opinions. Surtout depuis
la grande découverte du classique et du romantique, les, éléments
de désaccord semblent devenir plus inconciliables. Celle ques-
tion, qui a brouillé des amis et divisé des familles, complique
beaucoup celle des concours.
On a élé aussi très embarrassé pour savoir si ce moyen avait
pour objet d'employer le talent avant tout, ou seulement d'obte-
nir dés ouvrages réunissant assez de qualités passables pour ne
pas choquer dans la place qu'ils devront occuper. Grand embarras
^our ces juges, que je suppose trouvés, et impartiaux comme de
raison. Vous me demandez sans doute de poser plus nettement
cette seconde difficulté. Vous pensez que choisir le talent, c'est
préférer en même temps ce qui est le mieux et ce qui est le plus
convenable; que le talent triomphe des difficultés et qu'il s'y
plie sans peine; hélas! non, il ne se plie pas. Il aime les diffi-
cultés, mais ce sont celles qu'il se choisit. Il ressemble à un
coursier de généreux sang, qui ne prête pas son dos au premier
venu, et qui ne veut combattre Jque sous le maître qu'il aime.
Non pas que le talent se laisse emporter suivant son caprice, sans
•choix et sans mesure; non pas qu'il fuie le joug de la raison; la
convenance et la raison sont en résumé l'essence de tout ce qu'il
produit quand il est vraiment inspiré; mais cette inspiration lui
est nécessaire, et il ne répond plus de ce qui lui échappe quand
elle est absente.
Vous ne voyez pas peut-élre ce qui empêche l'inspiration de
naître d'un concours. Le sujet peut avoir de l'intérêt, être tel
enfin qu'on se le fût imposé k soi-même.
Remarquez que ce n'est pas à la nécessité de rendre tel ou tel
sujet que je m'en prends; mais à la nécessité de passer par le
crible impitoyable du concours, d'être aligné sous les yeux du
public, comme un troupeau de gladiateurs qui se disputent d'im-
pertinents sourires et qui prennent plaisir à s'immoler entre eux
dans une arène. Sainte pudem* de l'artiste, quelle épreuve pour
vous!
La verve, n'est pas une effrontée qui s'accommode des mépris
comme des applaudissements tumultueux d'un théâtre, qui se
roule soiis, les yeux du public pour lui arracher ses faveurs
hautaines. Plus elle est brûlante et sincère, plus elle a de mo-
destie. Un rien l'effarouche et la comprime. L'ariiste, enfermé
dans un atelier, inspiré d'abord sur son ouvrage et plein de
cette foi sincère qui seule produit les chefs-d'œuvre, vient-il
par hasard à porter les yeux au dehors sur les tréteaux où il va
figurer et sur ses juges qui l'attendent, aussitôt son élan s'arrête.
Il jette un œil attristé sur son ouVrage. Trop de dédains attendent
ce chaste enfant de son enthousiasme ; il matique de courage
pour le suivre dans la carrière qu'il voit s'ouvrir. Il devient alors
son propre juge et son bourreau. Il chans^, il gâte, il s'épuise;
il veut se civiliser et se polir, pour ne pas déplaire.
Une idéeTidicule s'offre U moi. Je me figure le grand Rubens
étendu sur le lit de fer d'un concours. Je me le figure se rapetis-
sant dans le cadre d'un programme qui l'étouffé, retranchant ses
form.es gigantesques, ses belles exagérations, tout ie luxe de sa
manière. i
J'imagine encore Hoffmann, ce divin rêveur, à qui Ton dit :
« Nous vous donnons un sujet tout à fait propre à exciter votre
paresse; il est pathétique, il est national même. Allons, échauf-
fez-vous; seulement, voici un fil que vous suivrez sans vous en
écarter 1^ moins du monde. Nous en avons mis un tout semblable
dans les mains d'une cinquantaine d'aspirants comme vous, qui
ne demandent qu'à bien faire. Si vous trouvez quelques fleurs sur
la route, gardez-vous de les écarier pour les cueillir : les fantai-
sies ne sont point ce que nous demandons U votre génie, non
plus que de nous Répéter tous les échos que produit dans votre
cerveau le spectacle de la nature. Voyez avec quel désavantage
vous paraîtriez au bout de votre carrière, quand vous serez tous
rangés pour rendre un compte fidèle de votre mission. U ne faut
pas arriver à celte inspection conime un enfant perdu, qui revient
de la bataille avec un fourniment en désordre, qui a battu l'en-
nemi, mais qui a perdu la gaîne de son sabre. »
— Voilà une triste victoire que vous m'offrez, messieurs,
répondrait le rêveur. Un homme qui marche avec des béquilles
est celui qu'il vous faut, il est plus propre que moi avec mes
l)onds capricieux, à gagner sans accident le but de votre prome-
nade insipide ; chaque pas est un combat contre ma nature ; ei
que dois-je trouver au bout? Ai-je fait un ouvrage, seulement?
Car, qu'est-ce que cette esquisse sur laquelle on doit me tirer de
la foule, moi ou mon voisin? un pur jeu, si on ne me choisit pas;
une production qui n'en est pas une. D'autres juges que mon bon
sens naturel décideraient si c'est un enfant qui soit né viable.
Sur ces quarante idées ou fantômes d'idées qui sont là attendant
la lumière, '.un seul recevra le- baptême, trente-neuf seront jetés
aux épluchures et balayés avec ignominie. »
Vous diriez peut-être à cet homme fâché qu'il a mauvaise
grâce k dégoûter les autres d^un moyen qui a bien quelque
mérite. C'est que voici justement où la force des choses nous
conduit, c^est k celte contradiction manifeste entre l'objet de la
chose et son résultat ; je veux dire k dégoûter le talent et à encou-
raffer la médiocrité.
Vous ne manquerez pas de concurrents probablement dociles,
prêts k accepter vos conditions. Que demandera le plus grand
nombre? Seulement le plaisir de figurer sur voire hste, et d'arrê-
ter les regards quelques instants. Pour quelques-uns, c'est déjk
une célébrité ; quant aux artistes amoureux de leur art, quelque
peu susceptibles, trop susceptibles, peut-être, vous en verrez
diminuer le nombre dans celle foule confuse qui se presse dans
la liste. A peine y distinguercz-vous quelques talents estimables
étouffés par les chardons qui croîtront k leurs côtés, et qui les
opprimeront dans ce champ vague et ouvert k tous : non, un
bon ouvrage ne vaut pas mieux pour être placé entre de médio-
cres ; la vue du mauvais produit une nausée insupportable, qui
vous fait prendre eh dégoût le beau, le délicat, le convenable;
il y a comme une émanation d'ennui qui ternit tout autour d'elle.
Dans ce concours, la grâce nàive est froideur k côté des contor-
sions d'un talent ampoulé ; l'audace véritable est exagération k
côté d'une plate et mesquine production. Eh quoi ! souvent le
^
plus médiocre des peintres aura trouvé une invention quelque
peu iriçfénicuse qui aura échappé à Raphaël, qui n'aura pour lui'
que son style. Lui saurez-vous gré, par exemple, d'avoir mieux
que Raphaël rendu le littéral du sujet? A qui donc la palme? A
la plate exactitude ou à rcxéculion supérieure ?
Combien n'est-il pas de ces qualités à l'aide desquelles un
homme. d'une faible porlée pourra obtenir l'ayaniagc sur des
Halents naturels cl plus passionnés ; et mémi entrié rivaux de
^ mémo force, quel embarras pour décider! l'un se distinguera
par une belle ordonnance et par une convenance exacte ; l'autre
aura saisi supérieurement certains détails plus expressifs, et aura
caractérisé le sujet d'une manière plus énergique, bien que
laissant à désirer une enleute générale soutenue. Préférez-vous
l'eifet et la couleur, ou bien un dessin exquis, la beauté et la
finesse dos caractères? Laquelle enfin de ces qualités qu'on ne
trouve jamais réunies, et dont une seule porlée îi ce degré éminent
suffit pour tirer de la foule?
vie n'ai fait que glisser, au commencement de cet article, sur la"
diflîcullè de trouver des juges éclairés et impartiaux : je n*ai
parlé ni des brigues ni des complaisances, et je n'ai pas assez
appuyé, comme vous l'avez vu sans doute, sur l'impossibilité
d'obtenir des jugements équitables. Cette matière est affligeante
autant que féconde; je laisse à votre sagacité, Monsieur le rédac-
teur, à votre connaissance des mœurs et la faiblesse de la nature,
à creuser ce triste sujet, à éclairer, si vous en avez le courage,
les manœuvres de l'envie et fie celte avidité nécessiteuse qui se
précipite dans les concours comme à une curée. La matière est
d'autant plus ingra'e que c'est une voie sans issue; et l'adminis-
tration ne s'y est jetée qu'avec une sorte de désespoir et sans
- savoir où elle allait. Que faire? m&direz-vous; quel moyen pro-
• poser? car vous ne voulez pas sans doute des caprices du pouvoir
/ à la place de cette loterie trompeuse? A cela je ne sais que dire,
sinon que les choses se passaient mieux avant qu'on ne fit des
arts une chose administrative. Quand Léon X eut envie de faire
peiridre son palais, il n'alla pas demander à son ministre de l'in-
térieur deJui trouver le plus digne : il choisit tout simplement
Raphaël, parce que son talent lui plaisait ; seulement, peut-être,
parce que sa personne lui plaisait. Soyez sûr qu'il ne se donna
pas la triste occupation de voir, dans les essais de trente ou qua-
rante concurrents mis h la gêne, tout ce que peut rendre en
extravagance et en ridicule une pauvre idée martelée en tous
sens par des imaginations en délire. Il y gagnait, sans doute, de
ne pas prendre en aversion l'objet de sa fantaisie, avant môme
de le voir naître, et de ne pas tuer à l'avance le plaisir que peut
donner un ouvrage, en lui ôianl toute fraîcheur et toute nou-
veauté par celte épreuve bizarre, ce qui nous arrive dans nos
concours ; car après que le destin ou le caprice a décidé de l'ar-
tiste qui doit l'emporter sur les autres, on serait tenté de lui faii*e
grûce de ce qui peut lui restera dire encore sur un thème épuisé
et sans attraits.
J'ai donc la douleur d'avoir augmenté vos perplexités, loin
d'avoir établi un point d'où.il soit possible de partir. J'ai à peine
effleuré les faces les plus importantes de la question ; je suis
venu seulement me plaindre h vous et avec vous, avec tous les
amis des arts, qui s'alarment de les voir inanquer d'une direction
ferme. Vous nous offrez vos colonnes pour y déposer nos
doléances; vous éies à peu près le seul que la politique n'en-
vahit pas. Tenez forme, Monsieur; résistez à ce torrent : parlez-
nous de musique, de peinture, de poésie, vous verrez venir à
vous tous ceux qui donnent la première place aux plaisirs de
l'imagination.
Eugène Delacroix.
^U jIÎZRCJ-E ARTISTIQUE
Exposition Uytterschaut'Frank-Gliarlet.
Le Cercle artistique exhibe en détail et par morceaux ce qu'il
montrait jadis en bloc, dans des Salons annuels qui encombraient
tous ses locaux. La petite salle seule est affectée actuellement aux
expositions, qui se succèdent presque sans interruption. Ce
système nouveau a un avantage sérieux : c'est qu'il permet à
ehaque artiste de se présenter tout autrement que dans les
Salons annuels : au lieu d'une ou deux toiles il en expose vingt,
trente, quarante; il apporte ses éludes, déménage son atelier
pour en faire pénétrer au public Tintimilé.
Quand l'artiste résiste à ce déshabillage complet, c'est qu'il
est de forte et belle complcxion. Le péril est précisément que,
la chemise élée, il y ait des désillusions. Tel est le cas d'Emile
Charlet, un jeune qu'on vante, qui passe pour avoir du talent,
dont on fait l'élpge dans les journaux qui combattent habituel-
lement les jeunes, ce qui ne peut s'expliquer que parce qu'ils
prennent sans doute à tort Emile Charlet pour un vieux. Son
déballage du Cercle est navrant. Peinture morte et sans
caractère, absence complète d'observation dans le rapport des
valeurs, coloris maladif, terne, ou violent sans puissance.
Cela n'est pas défendable, et malgré l'intérêt qu'inspire un
artiste laborieux et inlelligent, il vaut mieux ne pas lui ménager
la vérité. Peut-être est-il encore temps que son œil guérisse.
La thérapeutique de la nature, qui — seule — peut rétablir
les peintres, fera, espérons-le, un miracle.
Puisse-t-elle aussi amener l'artiste à renoncer aux poncifs des
sujets niais et hébétés. La bonne de M. Emile Charlet doit aimer
beaucoup son tableau intitulé le Bouquet. Ce qui le prouve, c'est
que les critiques mil-huit-cent trenteux en sont ravis. Tout
heureux de retrouver enfin de la peinture selon leur formule, ils
procèdent dans leurs comptes- rend us d'après la recette avec
laquelle on cuisine le Musée des familles et le Magasin 'pitto-
resque : « D'où vient-il, ce gentil bouquet ? Nul ne le sait.
A laquelle des trois jeunes filles est-il adressé? Ah! il suffit de
voir ces regards malicieux, etc., etc. »
Assez, n'est-ce pas? Avec iVorma, h Pré-aux-QercSj Robert-
le-Diable à la Monnaie, l'illusion est complète, et l'un de ces
jours Bruxelles va courir aux grilles du Parc pour en faire
déguerpir d'imaginaires Hollandais. Gare au duo de la Muette^
si MM. Stoiimon et Calabrési ont l'imprudence de la faire encore
représenter. ^
Le deuxième exposant du Cercle est M. Frank, un jeune aussi,
qui a peint parfois de bons paysages, mais qui eût mieux fait de lie
pas montrer ceux-ci. Cela n'est pas absolument dénué de qualités.
Il y a, de ci, de là, une émotion juste, mais l'ensemble est som-
maire, creux, gauche, niauvais enfin. Il est fâcheux de devoir
employer ce mol, mais, que diable ! il n'y a que deux sortes de
peintures, après. tout, et celles de M. Frank ne peuvent être
rangées dans la catégorie des bonnes. Ce qu'il y a de consolant,
c'est que le cas de M. Frank est moins grave que celui de
M. Charlet. Il est au début de la maladie ; il pourra la combattre
sans peine par l'étude serrée et constante de la nature.
V
Vis-à-vis, sur le grand panneau de gauche, une quarantaine
d'aquarelles de Victor Uyllerschaul reposent l'œil par la fraîcheur
de leur coloris cl leur grâce pimpante. Très variées de sujets,
elles embrassent les aspects les plus divers de notre pays et de la
Hollande : p'ages, bois, canaux, prairies, notés d'une main
émue dans les journées rourllées de l'automne, dans les lumi-
neuses-matinées du printemps, dans les lourds midis de l'été.
C'est élégant, agréable à voir, c'est de l'aquarelle dans son expresr
sion rationnelle, qui n*a pas la prétention d'enfler la voix et dé
crier bien fort, mais se contente de chanter, d'une voix douce,
des mélodies aimables.
M. Uytterschaut a acquis dans cet art léger, qui veut plus de
souplesse que de justesse rigoureuse, une supériorité indéniable.
M. Stacquel et lui ont une sûreté de touche, une habileté de
métier, une finesse de vision qui les ont fait sortir des rangs des
amateurs, où ils ont longuement combattu. Tous deux ils ont con-
quis leurs épauletles, et ils les ont obtenues vaillamment, le pin-
ceau au poing.
Quelques très piètres paysages de Van der Hecht et un portrait
insignifiant de Bourson complètent l'exposition.
\jnE LETTRE DE j]0URBET
La collection Baylé contient une bien jolie lettre dans laquelle
Gustave Courbet fait part à son ami Adolphe Marlet du grand
succès que l'exposition de ses tableaux a obtenu à Francfort en
1868:
Mon cher ami Adolphe,
Je finissais par être inquiet de mes tableaux qui sont à Franc-
fort. Le docteur Goldschmidl vient de me tirer de soucis par une
lettre très aimable. — — — — — — • — — _,.—— 1
_ Il m'apprend que mes toiles sont arrivées heureusement et
qu'elles ont produit dans le monde artistique et savant la même
sensation que les premières. Seulement, la seconde exposition
n'a pas rapporté d'argent beaucoup. Les frais étaient énormes ;
le transport seulement se montait à 80 florins.
Puis cela provient, selon lui, de la nature des sujets.
Je ne résiste pas au plaisir de te raconter quelques détails de
celte lettre. Il paraît qu'à Francfort comme à Paris j'ai des détrac-
teurs et des partisans terribles ; les discussions étaient si violentes
qu'au Casino on s'est vu forcé de placer un écriieau ainsi conçu :
Dans ce cercle , il est défe7idu de parler des tableaux de Courbet.
Chez un banquier fort ricliCj^ qui avait réuni à dîn'er une société
nombreuse, chaque invité trouva dans le pli de sa serviette un
petit billet où il était écrit : Ce soir y on ne parlera pas de
M. Cavrhet. " '
Quand il m'aura envoyé les comptes-rendus des journaux qui
parlaient de moi, je te les ferai passer.
Le prince Gortchakoff (quel nom, cré nom!), ambassadeur de
Russie, a. demandé depuis longtemps déjà mon portrait à acheter.
On me demande le prix que j'en veux. Au printemps, ces expo-
sitions se continuent à Vienne et à Berlin, où ces tableaux sont
demandés. Quand j'aurai du plus nouveau, cher ami, je t'en ferai
part. Bien des choses de ma part à Arlhaud et à Fidancet, ainsi
qu'à Chopard. Mes amitiés à ta dame.
Je t'embrasse,
Gustave Courbet.
L'EXPOSITION D'ANVERS
La composition du jury du prochain Salon de peinture d'Anvers
a soulevé, dans tout le pays, d'énergiques protestations. L'ex-
clusion- des artistes de la jeune école entraînera de nombreuses
abstentions. Voici la lettre que viennent d'adresser au ministre
les artistes anversois : .
Monsieur le Ministre,
Les soiTssignéB, artistes peintres, sculpteurs, à Anvers, prennent
la respectueuse liberté, tant en leur nom qu'en celui d'un nombre
considérable d'artistes de cette ville, de vous soumettre quelques
réflexions que leur a suggérées le règlement général de l'Exposition
Universelle des Beaux- Arts d'Anvers de 1885.
Ces réflexions, M. le Ministre, se résument en un point principal,
celui de la composition du jury d'admission. Les soussignés, aussi
bien que beaucoup de leurs collègues, tant de Bruxelles que de.
Oand' et d'autres villes, ont constaté avec un profond regret que
la jeune tendance de notre art national est à peine représenté au
sein du jury.
Loin de nous la présomption" d'émettre un jugement sur la
compétence du jury désigné. Toutefois nous 'ne pouvons nous
empêcher de manifester la crainte que beaucoup d'artistes appar-
tenant à la jeune école ne croient devoir s'abstenir parce que leur
manière de voir ne trouvera pas sa représentation dans le jiiry
susdit.
Pareil résultat, M. le Ministre, serait d'autant plus déplorable que
le Salon de 1885, la première exposition internationale ouverte à
Anvers, est d'une importance capitale, '
Aujourd'hui plus que jamais, l'art national doit pouvoir compter
sur toutes ses forces pour pouvoir soutenir honorablement la compa-
raison avec les écoles étrangères. A notre humble avis, toutes les
manifestations de l'école belge' doivent être représentées : aucune ne
pourrait faire défaut.
Hormis ces considérations, comme il est à prévoir que, ainsi que
c'est généralement le cas, plusieurs dés membres désignés se trou-
veront dans l'impossibilité de pouvoir accepter les fondions d'hon-
neur qui leur ont été dévolues, les soussignés osent vous prier,
M. le Ministre, si l'occasion s'en présentait, de vouloir bien mettre à
profit cette circonstance pour remédier à la lacune qu'ils se sont
permis de vous signaler, et de donner ainsi satisfaction aux fidèles
de la jeune école. . /
Veuillez agréer, etc.
Voici d'autre part la circulaire que vient d'adresser aux artistes
la Société royale d'encouragement des Beaux-Arts d'Anvers :
La vingt-quatrième Exposition%i%nnale à ouvrir par notre Société
coïncidera avec l'Exposition universelle de l'Industrie et du Com-
*^erce qui aura lieu à Anvers au mois de mai prochain.
Cette circonstance a déterminé l'adoption d'un règlement excep-
tionnel. ■ -
Ce règlement ne fixe pas te nombre des œuvres qu'un même artiste
peut exposer ; il n'exclut pas davantage les œuvres d'art qui auraient
déjà été exposées à Anvers. Ô'est que, dans la lutte à soutenir avec
les pays officiellement invités à l'Exposition, une seule idée doit tout
dominer : faire abstraction de considérations d'intérêt individuel aftn
d'assurer le succès du compartiment de la Nation belge.
Néanmoins le chiffre total des oeuvres à exposer ne peut dépasser
les limites fixées par l'art. 11 du règlement général.
Il s'ensuit que le jury d'admission, nommé par arrêté royal, devra,
à bon droit, se montrer sévère.
"Pour faciliter la tâche de ce jury, MM. les artistes devront faire
connaître les œuvres qu'ils désirent exposer, au plus tard le 15 mars.
\ ■nwbni fî'îi t w/iifi'nin in'n "n inWitni/i <i\<n
, -<*
à M. le Secrétaire de la Société Royale d'Encouragement dèë' Beaux-
Arts, 89, Avenue des Arts, à Anvers. /
Les œuvres d'art destinées à rExposition, devront être, ayant le
le avril,- mises à la disposition des membres du jury d'admission.
Un avis , ultérieur fera connaître à MM. les Artistes belges les
locaux où ces œuvres doivent être adressées, ainsi que le mode et les
conditions d'expédition. -
' Voici enfin le jury d'admission. C'est celui contre là composi-
tion duquel de si vives protestations s'élèvent. ;
Président : M. Jacques Cuylits, commissaire spécial du Gouver-
nement; Vice -Présidents : MM. De Keyser, Gallait et Slingeneyer;
Membre-Secrétaire : M. Charles Dumercy.
Membres : MM. Balat, Beyaert, architectes; Coosemans, De
Keyser, Delin, peintres; Demannez, graveur; Deus, architecte;
Drioii, Ducaju; statuaires; Dyckmans, peintre ; Fraikin, statuaire;
Gallaït, peintre; Geels (Joseph), statuaire; Glays, Guffens, Lagye
(Victor), Lamorinière, peintres; Michiels, graveur; Pauli, archi-
tecte ; Portaels, Robert, peintres; Rousseau, inspecteur général des
Beaux-Arts ; Schadde, architecte; Schaefels (Henri), peintre; Schoy,
architecte; Slingeneyer, Thomas, peintres; Vanden Nest, ancien
échevin de la ville d'Anvers; Van der Ouderaa, Verlat, Wauters
(Emile), peintres. •
fÎHRONIQU^ JUDICIAIRE DE^ ART^
Egmonty de Salvayre, fait comme {'Etudiant pauvre (toute
révérence gardée) parler de lui au Palais avant d'avoir été repré-
senté. MM. Albert Wolff, Albert Millaud et Salvayre viennent
d'assigner les directeurs de l'Opéra pour les obliger à monlei*
immédiatement leur pièce el à la représenter avant tout autre
ouvrage. Une convention passée avec la direction précédente
donnait, en effet, à Egmont la priorité sur tous les opéras reçus.
Ces Messieurs demandent que MM. Rilt et Gaillard soient
condamnés à leur payer 2,000 francs par jour de retard apporté
à la mise en répétition de l'oeuvre. *
yHÉATRÈ?
Théâtre Molière. — Tous les soirs, à 7 h. 1/2, pour les représen-
tations de M. Laray, premier sujet du théâtre de la Porte St-Martin,
Les Deux Orphelines, drame en 5 actes et 8 tableaux, par
MM. DEnuery et Cormon. M. Laray remplira le rôle de Jacques,
qu'il a créé à Paris.
Samedi, 7 février, représentation au bénéfice de M^'« D'Athis avec
le concours de M. Laray.
MEMENTO DES EXPOSITIONS ET CONCOURS
Anvers. — Exposition universelle. Mai à octobre 1885.
Anvers. — Salon des refusés et exposition des artistes indépen-
dants, ouverture en mai. Pour tous renseignements s'adresser au
secrétaire du Cercle des artistes indépendants, 1, rue de l'Angle,
Bruxelles. .
Bruxelles. — Deuxième exposition des A'X. Ouverture aujour-
d'hui 1er Février 1885. — Troisième exposition de Blanc et Noir de
l'Essor. (Limitée aux membres du Cercle). Mai 1885. — ^^ Exposition
historique de gravure, par le Cercle des aquarellistes et aquafortistes.
Mai 1885.
Bruxelles — 25* exposition annuelle organisée par la Société
royale belge des aquarellistes, à partir du 4 avril 1885.
Londres. — Exposition internationale d'instruments de musique.
Ouverture en mai 1885, à South- Kensington. Cette deuxième divi-
sion comporte trois groupes : 1° Instruments de musique construits
ou en usage depuis 1800; 2<> gravure et impression de la irlusique ;
Z^ collections historiques.
Id. — Du 31 mars à la fin de septembre exposition internationale
et universelle d'Ale:jcandra-Palace, comprenant notamment les arts
et métiers, et une exposition de tableaux et objets d'art représentant
les principales écoles du continent.
Nuremberg. — Exposition internationale d'orfèvrerie, de joaille-
rie, de bronzes, etc. Du 15 juin au 30 septembre 1885.
Paris. — Salon de 1885. — 1er mai au 30 juin 1885. —Peinture^
dessins, etc. Dépôt des ouvrages au Palais des Champs-Elysées, du
5 au 14 mars. Vote, le mercredi 18 mars, de 9 h. à 4 h. — Sculp-
ture, Gravure en niéd. et sur p. f. Dépôt du 21 mars au 2 avril.
Vote, le mardi 7 avril, de 10 à 4 h. — Architecture. Dépôt du 2 au
5 avril. Vote, le mardi 7 avrU, de 10 à 4 h, — Gravure et Lithogra-
phie. Dépôt, du 2 au 5 avril. Vote, le lundi 6 avril, de 10 à 4 h.
Rome. — Exposition org'anisée par la Société des Amatori e cultori'
di BclU arti. Ouverture l^r février.
Rotterdam. — Du 38 mai au 12 juillet. Dernier délai : Jômai.
Renseignements : M. Veders, secrétaire, 42, Boompjes, Rotterdam.
Gand. — Statue du docteur Joseph Gruislain. Clôture : 31 mars
1885. Les œuvres doivent être envoyées au concierge de l'Université
de Gand, rue des Foulons, et porter la suscription : Au comité
constitué pour l'érection d'une statue au docteur Joseph Guislain. —
Envoi : Maquette de la statue et du piédestal (25 centimètres au
total), dessin détaillé de la grille et indication de la disposition du
dallage entre le grillage et le piédestal. — L'artiste doit s'engager à
livrer pour 19,000 francs les travaux de maçonnerie nécessaires, la
statue, le piédestal, le grillage et le dallage. — Documents et pho-
tographies chez le D"" B.-C. Ingels, médecin de l'hospice Guislain,-
à Ga'lKl.
La Haye.
tiiis.
Concours pour l'érection d'une statue à Hugo Gro-
MoNTÉvroÉo. — Concoiirs pour la statue du général Artigas
S'adresser à la légation de l'Uruguay, 4, rue Logelbach, à Paris.
RiCHMOND (Virginie). — Concours pour un monument à Robert
Lee, jusqu'au l»"" mai 1885. •
Saint-Nicolas. — Concours de gravure du Journal des Beaux-
Arts. Histoire : prix 400 fr. pour la meilleure eaù- forte (sujet inédit
ou copie d'un tableau flamand ancien ou moderne) Genre : prix
300 fr. Paysage et intérieurs : prix 200 fr. Dimension maximum des
cuivres: 0"'260 sur 0'nl90. Dernier délai : 31 juillet 1885. Envoyer
franco- avant cette date 2 exemplaires sur papier blanc et 2 exem-
plaires sur chine.
Vienne. — Concours pour l'érection d'un monument à Mozart.
fîON^EIjL^ AUX ^U^ICIEf^^
Pour faire suite aux Conseils que nous avons publiés la semaine
dernière, un de nos abonnés nous envoie celui-ci, qui, mis en pra-
tique avec le ton et le geste voulus, manque rarement son effet:
Lorsque vous assisterez à un concert ou à une soirée où se font
entendre des artistes de valeur, ayez soin de choisir une place bien
en vue et ne manquez pas, avant la fin de chaque morceau, de crier
bravo d'une voie émue, mais retentissante. Tout le monde croira
que vous protégez ces artistes et cela vous donnera sur eux une
supériorité incontestable. De plus, vous aurez l'air de donner le ton
au public tout entier, tout en détournant à votre profit une partie
de l'attention dirigée sur les exécutants.
f
ETITE CHROJNIIQUE
C'est aujourd'hui dimanche, à deux heures, au Palais des Beaux-
Arts, que s'ouvrira, comme nous l'avons annoncé, le deuxième
Salon annuel et international des XX. Il co.mprendra des œuvres de
peinture, de sculpture, de gravure, des dessins et des lithographies.
Le prix d'entrée est fixé à cinq francs le jour de l'ouverture. Le»
personnes qui ont reçu une invitation sont priées de vouloir bien
s'en munir : elle sera réclamée au contrôle. (Entrée par la porte
principale, rue de la Régence.)
A partir de demain le Salon sera ouvert tous les jours, au public,
de 10 à 5 heures, moyennant une entrée de cinquante centimes. Le
samedi, l'entrée sera fixée à 1 franc.
M. Verdhurt, le nouveau directeur de la Monnaie, actuellement
en tournée pour les engagements de sa troupe, nous informe que les
renseignements publiés ces jours derniers à ce sujet sont inexacts. Il
n'avait à la date de ces renseignements traité avec personne, et n'avait
eu de négociations avec personne sauf M'"^ Caron. M"« Isaac n'a
pas eu à refuser des propositions qu'il lui aurait faites, puisque des
propositions n'ont pas été faites par lui à la brillante étoile. Quant
à M. Gresse, dès l'origine il a déclaré que quelle que fût la direction,
il était résolu à quitter Bruxelles. M"»« Bosman à qui il avait été
demandé, comme à tous les artistes de la Monnaie, si elle avait
l'intention de rester, sauf à débattre les conditions du réengage-
ment, n'a pas répondu. Enfin M™o Caron a écrit à M. Verdhurt
que ses conditions étaient 6000 francs par mois sans les costumes,
ou 5000 francs plus les costumes, pour dix représentations.
Le deuxième concert du Conservatoire sera donné aujourdhui
dimanche. A l'occasion du deux-centième anniversaire de la nais-
sance de J. S. Bach et de Hsendel, on y exécutera la cantate Gottes
Zeit de Bach, le Dettingen Te Deum de Hsendel, et différentes
autres œuvres vocales ou instrumentales des deux mêmes maîtres,
avec le concours de M. Joseph Maas,- chanteur d'oratorios à Londres,
de Mmes Elly Warnots et Mary Gemma, et MM. Fontaine, Golyns,
Hubay et Mailly.
Voici le programme du Concert que donnera jeudi prochain,
5 février, à 8 heures, à la Grande Harmonie, le pianiste Eugène
d'Albert.
1 a) Fantaisie chromatique et fugue^ J.-S. Bach ; b) Sonate^
op. 11 i, Beethoven; c) Variations sur un thème de Hcendel^
Brahms.
2. a) Nocturne ; b) Improniptu (en fa dièse maj.) ; c) Ballade (eu
la bém. maj.), Chopin.
3. 'jPaniaiste, op. 15, Schubert.
4. a) Barcarolle (en la mineur) Schubert ; b) Polonaise no 2i
c) Valse-lmpromtu ; d) Tarentelle de Venezia et Napoli, Fr. Liszt.
Le Cercle des Artistes indépendants , organisateur du premier
Salon des refusés de Bruxelles, se propose d'ouvrir à Anvers, au
mois de mai prochain, un Salon des Beaux- Arts.
Il a convoqué en conséquence un certain nombre d'artistes et
d'amateurs à l'assemblée générale du Cercle^ le vendredi 6 février, à
3 heures de relevée, à la Porte Verte, rue Treurenberg.
Le deuxième acte de Tristan est en répétition aux concerts
Lamoureux, à Paris, et sera chanté prochainement. : — ^"
Il a paru récemment, en Allemagne, toute une série d'écrits sur
Richard Wagner, qu'on nous saura gré sans doute d'enregistrer ici :
1° Les Maîtres chanteurs de Nuremberg, de Richard Wagner,
essai de commentaire musical, par Alb. Heintz (aux bureaux de
y Allgemeine Deutschen Musik-Zeitung, Charlottenbourg, in-8") ;
2'^ Ahnanach de poche de Bayreuth, 1885 (l^e année), publié par,
l'administration de l'Association universelle Richard Wagner
(Munich, Alfred Schmidt); Z"^ Croquis pour un Musée Richard
Wagner, par Nicolas Oesterliu, avec 4 photogravures (Vienne,
Gutmann); 4° Le Musée Richard Wagner et le lieu oit il doit être
élevé, par le même (Vienne, Gutmann); 5° Bismark, Wagner,
Rodbertus, trois maîtres allemands, considérations sur leur influence
et sur l'avenir de leurs œuvres, par Maurice Wirth (2^ édition,
Leipzig, Oswald Mutze).
On nous demande le titre de la meilleure revue allemande illus-
trée. Nous recommandons, dans le genre sérieux, les deux intéres-
santes publications mensuelles éditées à Stuttgart: Ueber Land und
Meer et Vom Fais zum Meer.
La première (qui a aussi une édition hebdomadaire in-folio) paraît
tous les mois en livraisons de 200 pages environ in-S», chez les sucr
cesseursd'Ed. Hallberger.
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M. Spemann.
Toutes deux sont ornées d'une quantité de gravures et coritiennent
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que, jeux, problèmes, etc. L'abonnement est de 12 marks par an.
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dont nous avons déjà eu l'ocçjasion de parler, les Fliegende Bldtter,
journal humoristique et satirique auquel collaborent les caricatu-
ristes les plus renommés de l'Allemagne. Le prix d'abonnement
semestriel est de 16 marks. Les Fliegende Bldtter paraissent toutes
les semaines.
Sommaire de la Jeune Belgique, tome IV, n» 2, 1er février 1885.
Le Vice suprême, Iwan Gilkin. — Nuit au Jardin, Iwan Gilkin. —
Toques et robes, Arthur James. — Vœux de Noël, Maurice Vaucaire.
— Flemm-^sOi X. — Félicien Rops (suite), Joséphin Péladan. —
Chronique littéraire : I. A VAi^t Moderne, Albert Giraud; II. Mon
oncle le jurisconsulte, Max Waller. — Chronique artistique :
L'exposition de VEssor, Emile Verhaeren. — R. I. P. Tête-de-mort.
Mémento.
Sommaire du troisième numéro de la Société Nouvelle (janvier
1885). — I. Les mariages australiens, par E. Reclus. — II. Intro-
duction à la sociologie, par Guillaume De Greef. — III. La situation
sociale en Espagne, par Canta Glaro. . — IV. Lettre d'un condamné
à mort, par E. Haunot. — V. Matérialisme et spiritualisme, par
H. Girard. — VI. Psychologie de décadents, par F. Nautet. -r-
VII. La question agraire, par Henry George. ' — VIII. Critique
philosophique, par F. B. ; — Chronique littéraire, par A. J. —
Le mois. .
Prix : 75 centimes. Abonnement : Belgique 8 fc, étranger, 12 fr.
La Revue Wagnérienne, qui va paraître à Paris, s'adresse à tous
ceux qu'intéresse l'œuvre de Richard Wagner, La mort du maître,
il y a deux ans, a rtiis fin aux discussions de personnes; aujourd hui,
ses ouvrages s'imposent à l'attention de quiconque se préoccupe des
choses d'art. La Revue Wagnérienne française sera une publication
mensuelle exclusivement artistique, spécialement consacrée à l'étude
critique et à l'histoire quotiilienne de l'œuvre de Wagner.
Chaque numéro contiendra 01° Une Chronique d'actualité ;
2» Des études littéraires de tout genre, dues à la collaboratiou
d'écrivains parmi lesquels nous pouvons citer dès à présent:
MM. Canïrttê~Beuoit7 Emile Bergerat, Elemir Bourges, De Brayer,
Champfleury, Edouard Dujardin, Ernst, Fourcaud, Jacques Her-
mann, Edmond Hippeau, Adolphe Julien, Henri Lavoix, Léon
Leroy, Stéphane Mallarmé, Octave Maus, Catulle Mendès, Charles
Nuitter, N. Œsterlin, C. d'Ostini, Amédée Pigeon, Maurice
Kufïérath, Adrien Remacle, Edouard Rod, Edouard Schuré, Charles
Tardieu, Villiers de l'Isle-Adam, Victor Wilder, H. de Wolzogen.
3*^ La statistique régulière et le compte-rendu, sous le titre de
Mois Wagnérien, de toutes les représentations, concerts, articles
des journaux, publications nouvelles en France et à l'étranger, se
rapportant à l'œuvre Wagnérienne;
40 L'analyse des articles publiés par la Revue de Bayreuth
"(Bayreuthen Blœtter);
5^ Les Nouvelles. La. Rcx'ue sera, en outre, un centre de ren-
seignements Wagnériens; une correspondance sera établie entre la
/édaction et les abonnés pour fournir à ceux-ci les indications parti-
Jculières qu'ils auront demandées.
Le premier numéro contiendra la chronique et la statistique de
janvier 1885 ; il paraîtra le 8 février prochain.
Les autres numéros suivront régulièrement.
Le format de la Revue sera l'in-S» encadré; l'impression et le
J^rage auront l'élégance la plus soignée.
Pour les amateurs des éditions de luxe, il sera fait de très beaux
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La Revue Wagnérienne publiera, hors texte, des dessin» -et
fac-similés inédits, se rapportant à l'œuvre Wagnérienne.
Ils seront envoyés, à titre gracieux, à tous les abonnés de \di Revue.
Elle s'est assuré tout d'abord le concours de : MM. DE^Misquiza,
Fantin-Latour, Klinger, De Liphart, Renoir, Charles Toché.
Entre autres travaux inédits, la Revue Wagnérienne publiera :
de MM. Catnilîe Benoît: Traductions des œuvres, en prose de Wagner
(opéra et drame, l'œuvre d'art de l'avenir, la direction de l'orchestre,
art et révolution, etc.) études analytiques, des œuvres dramatiques;
Fourcaud: Etudes d'esthétique; Catulle Mendès : Etudes littéraires
sur les drames Wagnériens; Victor Wilder: Articles de critique,
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BRUXELLES.
Atelier de menuiserie et de reliure artistiques ]
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Bruxelles. — Imp. Félix Callkwaeht père, rue dfe lliidubti le,
• ■ r
Cinquième année. — N® 6
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 8 Février 1885.
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r A R T
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00 ; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
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Adresser les defnandes d'abonnement et toutes les communications à *
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OMMAIRE
Les Vingt. — Une bibliothèque des dessins. — H^ndel et
Bach — A propos liObéron — Le Concert du Conservatoire.
— Mémento des expositions et concours. — Petite chronique.
LES viira-T
J_ Ils ont victorieusement répondu aux attaques mal-
veillantes, aux hostilités intéressées, aux haineux débi-
nages par lesquels on avait, au début, tenté d'entraver
le plus beau mouvement artistique qui ait remué la
Belgique.
Les criailleries des uns, les commérages des autres,
les calembours de ceux-ci, les menaces et les intimi-
dations de ceux-là, ils ont tout fait cesser, avec dignité
et simplicité, en montrant dans un Salon de choix la
supériorité de TArt jeune sur l'Art cacochyme qu'on
essayait encore de lui opposer.
Leurs amis « maladroits « battent des mains à ce
triomphe. Et leurs ennemis «adroits» (le sont-ils
vraiment ? ils ne l'ont guère prouvé), furieux d'avoir
abandonné le navire qu'ils ont voulu faire sombrer,
s'accrochent aux cordages et s'efforcent de remonter à
bord en le voyant poursuivre glorieusement sa route.
Ils ont voulu jouer aux tarets, mais la coque a
résisté, aux morsures. Et la tempête qui a assailli le
bâtiment, joignant les forces brutales du dehors aux.
efforts des destructeurs du dedans, n'a pas eu de prise
sur lui.
Désormais le péril est passé, et l'on peut envisager
l'horizon avec sérénité.
Le moment était décisif. C'était l'avenir de l'art
belge qu'il portait, le beau navire, et non le succès
particulier-d'un groupe isolé. Un nauft'age eût anéanti
pour longtemps les espérances des artistes sincères,
débarrassés des préjugés d'école et des pratiques qui
ont faussé le goût et détruit l'originalité.
Le récent Salon triennal a montré l'âpreté delà lutte.
Cantonnée dans son dernier bastion, l'exposition offi-
cielle, cette ruine croulante, toute la bande des acadé-
miques en a défendu l'accès avec acharnement.
Les faux artistes, lès porcelainiers, les décorateurs
de boîtes dé parfumeries, les fabricants de chromos,
leur ont prêté main-forte. On a fait pleuvoir sur les
Vingtistes une grêle de projectiles. Ceux qui ont pu
pénétrer ont été saisis et jetés aux oubliettes. « S'ils ne
sont pas contents, qu'ils exposent chez eux ! «.
Ils ont exposé chez eux. Et du coup a été oubliée la
nullité du Salon officiel, s'est évanoui le cortège funam-
tînlesque de médiocrités qu'on s'était ingénié à faire
passer aux yeux des étrangers ébahis pour les repré-
sentants de l'art national.
Le Salon de Bruxelles, c'est désormais le Salon des
XX, Que les impuissants, les retardataires, les réac-
tionnaires, les guetteurs de commandes, les écorneurs
de budget, les happeurs de cordons, se ruent à l'expo-
sition triennale. Dans cette bourse, ils trouveront à
faire leurs affaires. Les juifs de l'art s'y rencontreront et
trafiqueront à l'aise. Nul ne songera à contrarier leur
commerce. .
Au salon des XX, on se sent dans un véritable milieu
artistique. On découvre, dès l'entrée, guoh a affaire â
un groupe qui ne veut qu'une chose : la réalisation de
l'idéal qu'il poursuit obstinément. Si tous ne réussissent
pas dans une égale mesure, la somme d'efforts dépensée
est telle qu'elle impose l'admiration et le respect. Par
des moyens très différents, chacun marchant vers le
but rêvé sans se préoccuper des sentiers suivis par ses
voisins, ils arrivent à donner, à des degrés divers,
quelques-uns d'une façon merveilleuse, des sensations
d'art.
Les procédés sont d'une variété excessive. Les uns,
comme Vogels, Ensor, Finch, Toorop, de Regoyos,
cherchent l'impression juste dans les relations de tons
et le rapport exact des valeurs, sans se préoccuper du
fini de l'exécution, d'un contour nettement arrêté,
d'une forme rigoureuse. Leur art est saisissant.
Les six paysages de Vogels, par exemple, dénotent
un tempérament de coloriste de premier ordre. Bon
gré mal gré, on s'arrête devant ces coins de nature
exprimés par un artiste qui en perçoit toutes les
finesses. C'est magistral. Cela obsède, cela hante l'es^
prit. Jamais peut-être on n'a poussé plus loin la vérité
d'impression.
Il en est de même des natures-mortes et de l'intérieur
de James Ensor, qui ont des séductions inoubliables.
Sa peinture est un régal. Rien ne détonne dans ces
harmonies qui chantent aux yeux comme une sym-
phonie charme l'oreille. Ses natures-naortes, naturel-
lement refusées au Salon parce que derrière un rouget
rutilant qui se pavane sur une nappe bleue apparaît
confusément un chaudron inachevé, ont reçu des
artistes Vaccueil qu'elles méritent.
Finch, dans ses sites de la Flandre, dans un bout de
plage où souffle le vent de mer, dans un intérieur,
exprime avec une intensité et une délicatesse prodi-
gieuses les chatoiements de la lumière et les décolora-
tions du ton. Son œil scruté la nature en ses perceptions
les plus intimes, tire d'un coin de village, d'un mur,
d'un toit de tuiles rouges, des gammes inattendues. Il
faut connaître le pays qu'affectionne le jeune peintre
et que depuis des années il étudie avec une persévé-
rance admirable pour apprécier la justesse et l'acuité de
sa vision.
Toorop, uu nouveau venu parmi les XX, s'est placé
du premier coup dans les meilleurs. Sa Panique ^ sa
Dame en hlanc, son Nés à Amsterdam comptent
dans les maîtresses œuvres du Salon. De même que les
précédents, il voit la nature d'un œil singulièrement
apte à saisir les nuances, à les décomposer, à en trouver
sur sa palette les éléments, à les faire revivre sur sa
toile en des heurts de couleurs puissants sans violence,
en des dégradations délicates sans afféterie.
Dario de Regoyos complète le groupe. On lui fait un
reproche de jouer fort bien de la guitare; il est assez
I
d'usage de le qualifier de musicien quand il expose, et
de le traiter de peintre . quand il égaie une réunion
d'amis du charme de ses chansons mauresques. Qu'on
examine de près ses études et impressions de voyage.
A travers les gaucheries de l'inexpérience, on décou-
vrira un très réel tempérament de peintre, déhé et
subtil, qui ne demande qu'un travail régulier et suivi
pour s'épanouir.
A côté . du clan des impressionnistes, qui s'impose
cette année par d'incontestables qualités, reconnues des
plus hostiles, il y a le groupe des peintres qui arrêtent
davantage la forme tout en s'ingéniant à garder l'émo-
tion intime de la nature. En premier lieu, Isidore
Verheyden, récemment admis aux XX, et dont l'expo-
sition est tout à fait remarquable. Son portrait du
peintre Meunier est l'un des grands succès du Salon.
Il a la noblesse, la simplicité, le style des chefs-d'œuvre.
Pour qui connaît Meunier, pour qui a contemplé cette
physionomie de souffreteux concentré dans l'unique
absorption de son art, c'est l'absolue réalité, notée dans
ses traits catactéristiques par un maître. Son Bracon-
nier ^ qui mène la pensée dans les mystérieuses profon-
deurs des bois par une journée neigeuse, le portrait de
son « Petit v, son Chevreuil 7nort, son Coin des dunes,
ses Scieurs de long consacrent d'une façon définitive
la renommée de l'artiste.
Puis Van Rysselberghe et Charlet, qui ont vu le
Maroc non comme un bazar de bric-à-brac ou comme
un décor dans lequel passe une procession de figurants.
L'un en a rapporté une sérieuse étude, les Fileuses,
montrant dans le demi jour d'une pièce reflétée par
l'éclat aveuglant du soleil extérieur des femmes saisies
dans l'intimité de poses et de costumes de leurs occu-
pations ménagères; l'autre a entrepris de transposer
l'éblbuissant spectacle d'une Fatasia: tout le tohu-bohu
de la joie populaire éclatant sous l'incandescence d'un
ciel africain, sur le rythme des coups de feu et du galop
des chevaux. Les parties terminées de cette œuvre
importante, le groupe de droite et le fond, donnent
l'espérance d'une œuvre de haute valeur artistique. Le
Conteur arabe, tout à côté, dans le jour argenté du
crépuscule où vaguement se dessinent, avec de grands
et nobles gestes, des figures de belle allure, repose
l'œil excité par des colorations ardentes.
Quelqu'opinion qu'on professe à l'égard de l'oppor-
tunité qu'il y a pour un artiste d'aller au loin chercher
ses modèles, on ne peut s'empêcher de reconnaître
dans les toiles orientales de Van Rysselberghe et de
Charlet les plus sérieuses qualités.
Tous deux exposent en outre des portraits d'une
grande distinction.
. Il en est de même de Schlobach, qui risque pour la
première fois une figure, et débute par un coup de
maître.
r
Van Strydonck a, dans ce genre, le plus d'expérience.
Son portrait de Charles Vander Stappen, d'une ressem-
blance absolue, et ses portraits de femmes ont des
habiletés de métier qui ne permettent plus de le consi-
dérer comme un débutant. Son succès est très grand.
On Fa comparé à Van Dyck. C'est, nous paraît-il,
assez flatteur pour nous dispenser d'en dire davantage.
Dans une toute autre voie, Goethals a peint une
figure en plein air, une femme ployée sous le poids d'un
fardeau énorme, regàgnanjt, le soir, sa chaumière dans
les dunes. Il y a un sentiment profond et communicatif
dans cette simple et sobre impression, qui ne deman-
derait qu'à être un peu plus serrée pour être tout à fait
bien. /
~~^ês^ paysages de Wytsman- plaisent par leur re-
cherche consciencieuse du rendu. Dans l'envoi de
Verstraete, il y a deux bonnes choses : la Coupe des
souches et la rangée d'arbres au^ soleil devant les
maisons. Le reste est nul. Le Cheval qui se cabre de
Delvin ne nous séduit pas, non plus que ses Dunes. Ces
œuvres, de même que les peintures de Simons, déton-
nent dans le magnifique ensemble des XX. Peut-être
est-ce à dessein que les membres du Cercle novateur ont
pris parmi eux quelques représentants de l'art de jadis.
Ils ont voulu sans doute montrer la distance qui sépare
les deux écoles, désormais établies chacune, la bataille
finie, dans ses positions, jusqu'à un nouvel engagement.
L'un des Vingiistes les plus intéressants manque à
l'appel : c'est Fernand Khnopff, dont on regrette vive-
ment l'absence. Il a au catalogue une importante série
d'œuvres qu'il n'a pas pu terminer entièrement, parait-
il, pour le jour de l'ouverture. Il a mieux aimé attendre
le Salon de l'an prochain que d'exposer des toiles qui ne
satisfissent pas intégralement sa conscience d'artiste.
On ne peut que déplorer cette détermination. De même
que Fernand Khnopff', Vanaise n'a rien envoyé cette
année au Salon. Le nombre des exposants est donc
réduit à dix huit : quinze peintres, trois sculpteurs.
Un mot de ceux-ci. Les deux bustes de Paul Dubois,
celui de M. Nicolas M... surtout, sont très admirés.
Parmi les œuvres de Charlier, le buste en bronze est
le plus étudié et le plus intéressant. Des quatre envois
de Chainaye, le groupe Rive paisible nous semble le
plus séduisant. C'est pensé, senti, caressé; cela fait une
impression singulièrement déconcertante à l'égard des
formules adoptées dans la sculpture. De la gracilité des
jeunies pêcheurs, de leur attitude, de leur physionomie,
se dégage une émotion captivante de douceur et de
paix. C'est incomplet, mais extrêmement intéressant
et de nature à donner d'Achille Chainaye les plus
sérieuses espérances.
Ces notes rapides n'embrassent que les sociétaires
des XX, Elles seront prochainement complétées par
un aperçu du contingent d'étrangers à la Société qui
sont venus tendre la main aux Vingiistes et faire avec
eux le coup de feu dans la triomphante campagne dont
ils ont pris l'initiative. 7; ^
On juge déjà de ce qu est le Salon et du bruit qu'il fait
dans tous les cercles où l'on a encore pour l'art quelque
attachement.
UNE BIBLIOTHÈQUE DES DESSINS D
Avez-vous jamais sopgé à tout ce qui se dépense de talent,
tgusles jours, dans nos journaux illuslfés?
Le journal illustré, c'est le journal, c'est-à-dire une chose qui
se parcourt, se lit distraitemen , et se déchire. — L'empresse-
ment du public pour tous ces journaux à images est très soutenu,
malgré leur prix assez élevé.
A côté du journal illustré, il y a l'album. — Ici nous avons
une forme plus favorable. — Il y a des albums anglais, dont les
dessins sont de Caldecott, de Kate Greenaway, qui sont de vrais
bijoux artistiques, comme art et comme procédé de reproduc-
tion. — Enfin il y a les albums dés Japonais. — Chez nous, en
France, à quelques rares exceptions près, nous faisons des imi-
tations d'albums anglais, des imitations d'albums japonais, et
ensuite, nous crions sur tous les toits que les Belges nous imitent.
Mais, l'album, sa forme, n'est pas commode, et nous ne savons
guère, chez nous, lui trouver de place, — Dans nos bibHo-
thèques? — Ils y sont mal placés et y ont l'air de livres de prix,
— Dans des meubles spéciaux? Ou en pourrait faire, mais il paraît
peu de ces albums et pas assez pour mériaer un meuble spécial;
aussi, on les laisse généralement traîner sur les tables, jusqu'à
ce qu'ils soient déchirés, et qu'on les détruise enfin, ^comme les
journaux.
Voici donc la forme employée pour les recueils de dessins : le
journal qu'on déchire, l'album qu'on laisse traîner, et, enfin, le
hvre à la mode qu'on fait illustrer pour le jour de l'an.
Pour l'illuslr.ilion des livres, elle conviendra de moins en ■
moins à nos artisies :, — on aime sa liberté, on veut faire œuvre
personnelle, et lariiste veut se dégager des illustrations dans les-
quelles il est trop esclave, de fauteur d'abord, de l'éditeur
ensuite, et, du public spécial enfin, pour lequel l'illustration est
commandée. •
Maintenant, si nous considérons ce qui se fait et l'importance
qu'on donne de plus en plus au dessin dans l'éducation ii'aujour-
d'hui, nous jugerons vite qu'un public va venir à nous, bientôt,
et nous demandera de lui faire quelque chose. — Que lui ferons-
naus? — Des journaux illustrés? — Le public en est embarrassé,
les déchire, et regrette son argent. — Des albums? — ils n'ont
pas, je le répète, place chez nous, sont faits, la plupart, pour les
enfants, et se salissent vile sur les tables ; puis, un album coûte
cher, son débit étant restreint. — Or, d'un côté nous allons avoir
un public, d'autre part, nous possédons, depuis peu d'années,
des moyens admirables et peu coûteux de reproduction : ça n'est
plus le journal qu'il faut faire, ça n'est pas l'album : mais c'est le
livre. — Et, quand je dis le livre, j'entends le livre m- 18, à cou-
verture jaune, et à papier ordinaire, à papier de luxe pour les
raffinés, Vordinaire se vendant ce que se vendent les livres cou-
rants, 3 francs 50, — l'édition de luxe un prix plus élevé.
('] Extrait de la Conférence faite aux XYpar Rafllaélli.
./
:.V
Le formai du livre est commode et sa place est toute trouvée,
à côld. — Quant au dessin, il est bien unO écriture parliculiôre
et complète, à laquelle on peut faire rendre loules les intentions
descriptives, et qui n'a pas encore, dans ce sens, reçu tout le
développement qu'il peut comporter : et voilà tout un mouvc-
ment nouveau îi faire naître.
Pour cette Bibliothèque des des.mis^ elle pourrait so diviser en
trois parties. — La Bibliothèque des dessins des vieux maîtres;
celle des maîtres modernes;. et enfin la Bibliothèque des dessins
originaux^ se faisant suTte^ et pour laquelle les artistes s'em-
ploieraient à représenter, à leur façon, et par images, des nou-
velles, de véritables petits romans, que le dessin seul, ou presque
seul, raconterait.
La Bibliothèque des dessins des. vieux maîtres comprendrait
les volumes dés reproductions des dessins des maîtres, de leurs
eaux^fortcs et de leurs tableaux. Ces volumes contiendraient, en
regard du dessin ou du tableau reproduit, une courte note sur le
dessin ou le tableau, relatant, comme je le conseillais dernière-
ment pour un- Musée des Photographies h créer, et dont j'ai pré-
senté l'idée dans le journal {"Evénement^ la grandeur du tableau,
les collections oij il passa, celle où il se trouve, les prix qu'il fut
payé, les particularités de sa naissance ; eiifm, toutes ces petites
notes que peut donner sur un tableau notre critique moderïie,
qui a fouillé partout. — Ces reproductions pourraient être pla-
cées par ordre de naissance, autant que possible, et nous pourrions
ainsi assister, en feuilletant ces livres, h toute l'existence pas-
sionnée de nos grands maîtres. — ^ Ce serait alors fort asrréable •
de pouvoir acheter Albert Durer complet, comme on achète
Alfred de Musset, en cinq ou six volumes de deux cents pages.
— Velasquez en trois volumes, Van Eyck, en trois ou quatre,
je dis ces chiffres au hasard, et l'on aurait ainsi, dans sa biblio-
thèque, Rembrandt, comme on a Shakespeare et W«tteau,
comme on a l'abbé Prévost ou Saint-Simon. — Voici pour la
Bibliothèque des maîtres anciens.
Pareille chose pourrait se faire pour les maîtres modernes. —
On aurait alors sou Millet en trois ou quatre volumes, son Dela-
croix, son Corot...
Tous ces volumes seraient précédés d'une notice, relativement
courte sur le maître, et chaque dessin ou tableau reproduit aurait
son historique en regard, ou bien, ce qui serait mieux, comme je
l'ai dit, en appendice à la fin du volume, afin de conserver de
l'unité au livre et qu'il n'ait pas l'air d'un catalogue.
Maintenant, parlons des volumes de dessins originaux.
Les dessins, pour ces livres de dessins ^AQ\T2\(iïii posséder une
qualité tout à fait spéciale. Le dessin, comme je le disais tout à
l'heure, est bien une langue et une écriture suffisamment com-
plète et qui permet de presque tout dire : il suffit de porter ses
efforts dans ce sens et de ne pas trop longtemps regarder les
maîtres imposants du passé dont l'art absolu semble dire : « On
n'ira pas plus loin »; alors qu'il nous reste d'aller à côté ou en
face.
Il reste en effet à développer beaucoup un dessin descriptif et
d'expression pure, dont la beauté ne serait plus dans la ligne
savante ou délicate, mais dans le mouvement général et l'esprit.
Parmi les maîtres, Raphaël dessine avec l'ampleur d'un déco-
rateur superbe; Holbein, lui, semble sculpter avec une attention
recueillie, dans un bois dur, des physionomies solides. — Diirer
creuse, grave des silhouettes, et s'amuse dans des spirales et des
tire-bouchons d'un grand raffinement. -— Delacroix établit des
volumes, comme un sculpteur, et les lance en. mouvement. —
Quant à Ingres, il dessine comme un professeur, et semble
tracer avec soin des modèles de dessins pour l'Ecole polytech-
nique. — Enfin, j'en trouve deux qui ont indiqué le dessin de
pure expression : c'est Daumicr surtout, et Gavarni.
. Eh bien ! vous figurez-vous ce que serait un volume de Daumier
sur les Bourgeois de 1830 ? — Un volume de Gavarni sur les
Lorettes^ un autre sur /e5 Bals et le ÇarnavaU — Eh bien ! il
nous faudrait quelque chose d'approchant, mais, bien entendu,
fait dans un esprit de suite, car, cette idée de volumes de Daumier
ou de Gavarnlnese présente à notre esprit que comme une suite
de vignettes à légende^ alors que les dessins à faire pour ces livres
de dessins devraient se tenir Qi raconter des histoires.
11 faudrait, en un mot, qu'au lieu à' écrire des romans, on nous
les dessinât et qu'au lieu de les lire, nous les regardions se passer.
Tout comme dans la pantomime l'action se passe et ne se parle
pas.
Pa7itonnme, je viens de dire le mot : ce serait des sortes de
pantomimes qu'il nous faudrait dessiner pour ces volumes de
dessins.
Je souhaite que cette voie nouvelle, pour laquelle un public
va naître, trouve bientôt des hommes entreprenants qui la tracent,
et comme artistes, et comme éditeurs. — Et qu'on ne nous dise
pas que nous n'avons pas d'artistes capables de répondre à ce
programme, car nous en avons qui, dans ce sens, feraient des
choses parfaitement intéressantes.
Laissez-moi vous en citer quelques-uns.
Connaissez-vous le journal le Chat noir? — C'est un journal
qui se publie à Montmartre. — Il se dit le moniteur officiel des
revendications de Montmartre sur la capitale! — Eh bien ! il y a
au Chat noir Ma artiste d'un talent exquis : il s'appelle Willette.
Que ce M. Willette, s'en doute ou ne s'en doute pas, mais il doit
s'en douter, ses délicieux dessins ne sont autre chose, la plupart du
moins, que d'adorables pantomimes : tout y est, l'expression
étendue et entendue et ses pierrots font penser aux Debureau et
et aux Paul Legrand, si aimés des délicats. — Qu'on lui ouvre
à celui-là cette voie, et il fera des choses extrêmement intéres-
santes-dans cet esprit. — Il y a aussi M. Forain, qui a fait tant
d'aquarelles et tant de dessins où l'esprit le plus parisien, je
dirais le plus gavroche, se mêle à un dessin extrêmement subtil
et fin : dans le cadre qu'il se donne il a fait des choses parfaites,
comfne vous en avez pu voir, au jour de l'an dernier, dans le
Figaro paru ce jour-là. Enfin il y a M. Renouard, qui possède
un dessin solide, fort, et une grande faculté d'observation des
gestes, des attitudes, et de l'esprit. -— Je n'en veux pas citer
d'autres, mais il en est encore : si M. Degas, par exemple, vou-
lait ouvrir ses cartons, il en sortirait, tout armé, un monument
magiîifique à l'art de la danse, dont il s'est occupé en icono-
graphe; et à l'art du dessin, dont il est un vrai maître, trop peu
connu.
Qu'on commence avec ces artistes et avec quelques autres cette
Bibliothèque des dessins, et vous verrez naître une suite d'oeuvres
profondément in'téressante, dans laquelle des talents nouveaux et
originaux se produiront, et qui serait à la portée de tout ce public
intelligent, mais pas riche, qui ne peut s'acheter des tableaux de
grands prix, pas plus que des albums très chers, et parmi les-
quels il se trouve tant de gens de goût. •
i:
IliEKDEt
La biographie de ces deux grands hommes offre à la fois des
rapports intimes de ressemblance et les contrastes les plus
tranchés.
Haendel et Bach, nds tous deux à une époque où toute origi-
nalité artistique sommeillait depuis de longues années; tous deux
morts presque en m(!"'me temps et dans un âge d(';jk avancé, dé-
ployèrent aussi, jusqu'à leur dernier soupir, un génie vigoureux
et actif. Ils naquirent l'un et l'autre de parents peu fortunés,
grandirent avec une apparence de santé assez chélive, et furent
cependant l'un et l'autre d'une constitution puissante et robuste.
Chez Haendel comme chez Bach, un talent éminenl pour la musique
se manifesta dès les premières années de leur vie avec une
énergie irrésistible ; tous deux dans leur enfance reçurent une
éducation musicale basée sur des principes sévères et profonds;
tous deux furent instJNiits par des organistes distingués et s'ac-
quirent eux-mêmes une grande réputation par leur talent sur
l'orgue. Une même destinée les appela tous deux à une brillante
situation; une gloire immense répandit au loin leurs deux noms
immortels, et nousJes voyons comblés de distinctions par les
plus grands princes de leur époque; tous deux reçoivent avec
reconnaissance une telle faveur, mais sans pour cela renoncer
le moins du monde à leur carrière musicale. Tous deux se
sentent entraînés vers les formes les plus élevées de l'art. Tous
deux, hommes d'une austère gravité, attachés corps et âme à
leur religion, poussent peut-être, à une époque avancée de leur
vie, la dévotion jusqu'au mysticisme, sans pourtant cesser d'être
animés par les plus purs principes de leur croyance. Tous deux
perdent la vue dans leur vieillesse sans devenir infidèles au culte
de leur art. Tous deux s'endorment tranquillement et pleins de
l'idée de Dieu, peu compris par leurs contemporains, mais
entourés du respect inconscient qui se prosterne devant le génie
et destinés à l'admiration et aux hommages de la postérité.
Voilà certes bien des points de ressemblance, et cependant
ces deux inimortels compositeurs diffèrent entre eux autant
comme hommes que comme artistes.
L'esprit inquiet et passionné de Hœndel, esprit qui le poussa
au loin à l'étranger, le jette jeune encore dans le tumulte du
monde et dans un genre de vie où il se complut pendant plus de
la moitié de son existence, toujours heureux, soit qu'il eût à
combattre ou à aimer, soit qu'il eût à prendre l'offensive ou ù se
tenir dans les bornes de la défense personnelle. Tout ce qui son
de la voie ordinaire, tout ce qui impose aux hommes, les faisit
et les domine; tout cela, il voulait apprendre à le connaître aussi
bien comme homme que comme artiste; il apprit à tirer de toute
chose une instruction pour son génie ou sdn caractère sans
jamais se laisser dominer par rien. Porté par son goût particulier
à avoir affaire au peuple parmi lequel il vivait, il ne lui répugnait
nullement di; traiter avec les grands dirigeant le même peuple,
mais il ne voulait se laisser gouverner ni par les uns ni par les
autres, quelque disposé qu'il pût être à les servir fidèlement.
Ce qu'il voulait, c'était de chercher en toute chose un enseigne-
ment pour sa vie ou pour son art, habile qu'il était à ramener
tout à sa propre expérience. Ce but, il ne s'en laissa jamais
détourner, et le poursuivit avec une persévérance peut-être sans
exemple. Aussi fit-il les expériences les plus variées, dont les
unes purent lui faire entrevoir un bonheur céleste, et les autres
risolèrcnt dans un déserî de douleurs. Ce fut seulement lorsqu'il
arriva à un âge déjà-mûr qu'il commença à tenir un compte exact
de lui-même et des choses ; alors il choisit ce qui convenait le
plus à son individualité, et le choix qu'il venait de faire, il s'y
lijit (îonstammenl jusqu'à sa mort, après s'être procuré plus de
gloire que nul autre avant ou après lui. Il mourut riche et repose
aujolird'hui encore à Westminster-.Abbay, sous un monument
magnifique. Sa vie fut, celle d'un grand de ce monde. .
Et Bach, au contraire! Du moment qu'il eut Te bonheur d'être
placé comme organiste à Darmstadt, ses prétentions se trouvèrent
satisfaites. Il ne s'inquiéta plus de se procurer un poste plus
brillant, mais il ne refusa pas de se rendre à tous les appels qui
lui furent fails sans qu'il les eût recherchés, disposé qu'il était
à les regarder comme autant de bienfaits de la Providence. Dans
chaque nouvelle place qu'il obtint, tous Sfs efforts tondaient à
remplir le mieux possible sa lâche. Il y consacrait jusqu'à son
génie de compositeur. C'est ainsi qu'en qualité d'organiste, il
écrivit des morceaux pour l'orgue; que comme compositeur de
l'église de Weimar, il composa des psaumes et des cantates reli-
gieuses, et qu'enfin comme maître de chapelle de la cathédrale
de Leipzig et directeur d'un chœur nombreux et exercé, il écrivit
ces œuvres si difficiles et si savantes que souvent nous ne pou-
vons pas "dignement les apprécier avec le seul secours de l'o-
reille ; elles réclament alors l'intermédiaire d'un second sens,
celui de la vue, comme jadis plusieurs des principales sculptures
de l'antiquité exigeaient qu'on les examinât avec les yeux et avec
les mains. Maintes fois, il arriva que les rois et les princes vou-
lurent entendre le grand artiste et alors celui-ci se rendait bien
modestement là où on l'appelait; il obéissait aux ordres du sou-
verain, puis*, avec la même modestie toujours inaltt-rable, il
revenait avec un contentement parfait à son étroite demeure.
Qu'il fût le plus grand organiste du monde, c'est ce qu'il ne
pouvait ignorer; c'était chose trop évidente et reconnue avec
trop d'unanimité. Qu'un grand talent sur l'orgué^fùt précisément
alors ce qui pouvait procurf^r le plus de g!oire';et d'argent,
particulièrement en France; en Angleterre et en Holiande, où
l'instrument était en grande faveur, c'est ce que savait tout le
monde, et ce que, sans aucun doute, il savait aussi bien que les
autres et cependant la seule idée ou un simple désir de quitter
sa patrie n'entra jamais dans son esprit. Il mourut pauvre et fut
enterré dans le' cimetière de Leipzig, on ne sait pas même où.
Sa vie fut celle d'un patriarche.
La différence qu'on remarque dans les œuvres de ces deux
grands artistes provient de la différence qui existait entre leur
génie intime et leur vie extérieure.
Dans toutes ses exécutions, Haendel voulait produire de l'effet,
"^t cet effet il voulait qu'il fût éprouvé par un grand nombre
d'auditeurs, pourvu cependant qu'il pût avoir confiance^ en leur
sentiment musical. Pour arriver à ce but il se servait de tous les
leviers, et il employait tous les moyens, ceux-là même dont on
n'avait encore aucune idée, sans pourtant mettre à profit des
ressources , triviales ou communes. Bach, au contraire, n'avait
qu'un but : c'était de produire une œuvre aussi coniplèie que
possible, quant à l'effet, il s'en rapportait au mérite de son
œuvre et à la compréhension des auditeurs éclairés. Comme
moyens, il n'employait que ceux qui étaient reconnus pour
appartenir à l'art le plus pur; et il savait n tirer un rare parti el
se les rendre propres par une merveilleuse facilité, et une
extessive habitude de combinaison harmonique. Cependant le
siyle de Haendel étaii populaire, mais dans la noble acception
de ce nnot, et ce n'était que dans quelques parties principales de
SCS grands ouvrages (comme par exemple dans le Amen du
Messie) qu'il déployait comme dernier signe de triomphe, les
innombrables ti-ésors de son immense érudition. Le style de
Bach n'était rien moins que populaire» en prenant- toujours ce
mot dans la même acception, et il n'y avait qu'un 'petit nombre
d'occasions particulières (comme dans certains passages de ses
compositions sur la Passion) où il se monlrâit gracieux et
désireux d'être populaire autant que cela entrait dans ses
moyens. Les chants de Hiendel, même dans les chœurs les plus
touffus, sont constamment coulants, faciles et expressifs; ceux
de Bach sont toujours également difficiles pour les exécutants
comme^pur les auditeurs. Chez tous les deux l'orchestre joue
Un rôle important; mais Haendel choisit toujours ses motifs dans
l'intérêt de l'effet g<énéral, tandis que Bach s'inquiète moins de
l'effet que de compléter une richesse harmonique dans telle ou
telle phrase détachée. Quand Hœndel iravaillaii il avait devant
les yeux ce qu'il allait créer; il voyait ses motifs errer devant lui,
ai son but était de pouvoir faire partager à ses auditeurs
l'impression dont il était affecté. Une fois son image trouvée, il
renonçait volontiers à faire parade de sa science et aurait craint,
par des ornements trop nombreux, de faire perdre de vue l'idée
principale. Bach, tout au contraire, se sentait bien aussi vive-
ment animé, mais cette émoiion était tout intime, de sorte que
pour exprimer son idée et la faire partager par le public, il croyait
ne pouvoir jamais assez faire, ou du moins ne croyait-il pas
pouvoir fairç trop.
Hœndel nous rappelle souvent P. P. Rubens dans ses plus
belles créations et Bach nous fait songer b maître Albrecht Diirer.
^ PRQPO? D'^BÉRON
L'atmosphère musicale est en général brumeuse, humide,
sombre, froide, orageuse même parfois. Les saisons y mani-
festent dos caprices étranges. A certains moments il neige des
cirons, il pleut des sauterelles, il grêle des crapauds, et il n'y a
parapluies de toile ni de tôle qui puissent garantir les honnêtes
gens de cette vermine. Puis tout d'un coup le ciel s'éclaircit, il
ne tombe pas de la manne, il est vrai, mais on jouit d'un air
tiède et pur, on découvre çà et là de splendides fleurs épanouies
parmi les chardons, les ronces, les orties, les euphorbes, et l'on
court avec ravissement les respirer et les cueillir. Nous jouis-
sons à celte heure des caresses de ce bienfaisant rayon; plusieurs
très belles fleurs de l'art viennent d'éclore et nous sommes dans
la joie de les avoir découvertes. Citons d'abord le plus grand évé-
nement musical qu'on ait eu à signaler chez nous depuis bien des
années, la mise en scène récente de YObéron^ de Webcr au
Théâtre-Lyrique. Ce chef-d'œuvre (c'est un vrai chef-d'œuvre,
pur, radieux, complet) existe depuis trente et un ans. Il fut repré-
senté pour la première fois le 12 avril 1826. Weber l'avait com-
posé en Allemagne sur les paroles d'un librettiste anglais,
M. Planchel, à la demande du directeur d'un théâtre lyrique de
Londres qui croyait au génie de l'auteur du Freyschiitz^ et qui
comptait sur une belle partition et sur une bonne affnii'e.
Le rôle principal (Huon) fut écrit pour le célèbre ténor Bra-
ham, qui le chanta, dit-on, avec une verve extraordinaire ; ce
qui n'empêcha pas l'œuvre nouvelle d'éprouver devant le public
britannique un échec à peu près complet. Dieu sait ce qu'était
alors l'éducation musicale des dileilanli d'ouire-Manche !.
Weber venait de subir une autre qnasi-défaite dans son propre
pays ; sa partition d'Euryanlhe y. avait été froidement reçue. Des
gaillards qui vous avalent sans sourciller d'effroyables oratorios
capables de changer les hommes en pierre et de congeler l'esprit-
de-viri, s'avisèrent de s'ennuyer à &fri/rt?i//ie. Ils étaient tout fiers
d'avoir pu s'ennuyer à quelque chose et de prouver ainsi que
leur sang circulait» Cela leurdonnait un petit air sémillant, léger.
Français, Parisien; et pour y ajouter l'air spirituel, ils inven-
tèrent un calembour par à peu près et nommèrent VEuryanthe
V Ennuyante, en prononçant Vennyanle. Dire le succès de cette
Ipurde bêtise est impossible ; il dure encore. Il y a trente-trois
ans que le mot circule en Allemagne, et l'on n'est pas à cette
heure parvenu à persuader aux facétieux qu'il n'est pas français,
qu'on dit une pièce ennuyeuse et non une pièce ennuyante, et
que les garçons épiciers de France eux-mêmes ne commettent
pas de cuirs de cette force-là.
VEuryanthe tomba donc, pour le moment, écrasée sous
cette stupide plaisanterie. Weber, triste et découragé quand on
lui proposa d'écrire Obéron, ne se décida pas sans hésitation à
entreprendre une nouvelle lutte avec le public. Il s'y résigna
pourtant, et demanda dix-huit mois pour écrire sa partition. Il
n'improvisait pas. Arrivé à Londres, il. eut beaucoup à souffrir
tout d'abord ùq% idées de quelques-uns de ses chanteurs ; il les
mit pourtant enfin tant bien que mal à la raison, L'exécution
d'Obéron fut satisfaisante. Weber, l'un des plus habiles chfes
d'orchestre de son temps, avait été prié de la diriger. Mais l'au-
ditoire resta- froid, sérieux, môrno {very grave) pour employer
encore un jeu de mots qui au moins est anglais. Et Obéron ne
fit pas d'argent, et l'entrepreneur ne put couvrir ses frais; il avait
obtenu la belle partition et fait une mauvaise affaire. Qui peut
savoir ce qui se passa alors dans l'âme de l'artiste, sûr de la
valeur de son œuvre ?... Afin de le ranimer par un succès qu'ils
croyaient facile de lui faire obtenir, ses amis lui persuadèrent de
donner un concert, pour lequel Weber composa une grande can-
tate intitulée, si je ne me trompe, le Triomphe de la paix. Le
concert eut lieu, la cantate fut exécutée devant une salle presque
vide, et la recette n'égala pas les dépenses de la soirée... :
Weber, à son arrivée à Londres, avait accepté l'hospitalité de
l'honorable maître de chapelle sir George Smart. Je ne sais si ce
fut en rentrant de ce triste concert ou quelques jours plus tard
seulement; mais un soir, après avpir causé une heure avec son
hôte, Weber, accablé, se mit au lit, où, le lendemain, sir George
le trouva déjà froid, la tête appuyée sur l'une, de sesmainSimort
d'une rupture du cœur.
Aussitôt on annonça une représentation solennelle d^ Obéron;
toutes les loges furent rapidement louées; les spectateurs se pré-
sentèrent tous en deuil; la salle fut pleine d'un public recueilli,
dont l'attitude, exprimant des regrets sincères, semblait dire :
« Nous sommes désolés de n'avoir pas compris son œuvre, mais
nous savons que c'était un homme {He was a many weshall not
look upon his like again) et que nous ne reverrons pas son
pareil ! »
Peu de mois après Touverture d' Obéron fut publiée; le théâtre
de rOdéon de Paris, qui avait fait fortune avec le Freyschiilz
désossé et écorché, fut curieux de connaître au moins un mor-
ceau du dernier ouvrage de Weber. Le directeur ordonna la mise
à l'élude de cette merveille symphonique. L^orchesire n'y vit
qu'un tissu de bizarreries, de duretés et de non-sens, et je ne
sais même si l'ouverture obtint les honneurs d'un égorgement en
public.
Dix ou douze ans plus lard, ces mêmes musiciens de l'Odéon,
transplantés dans l'orchestre monumental du Conservatoire, exé-
cutaient sous une vraie direction, sous la direction d'Habeneck,
celte même ouverture, et mêlaient leurs cris d'admiration aux
applaudissements du public... Huit ou neuf autres années ensuite,
la Société des^ concerts du Conservatoire exécuta un chœur de
génies et le finale du premier acte d'Obéron que le public acclama
avec un enthousiasme égal à celui qui avait accueilli l'ouverture;
plus tard encore, deux autres fragments eurent le même bonheur. . .
et ce fut tout.
Une petite troupe allemande venue à Paris perdre son temps
cl son argent pendant l'été fit seule entendre deux fois, il y a
quelque vingt-sept ans YOhêron complet au théâtre Favart
(aujourd'hui rOpéra-Comiquo). Le rôle de Rezia y fut chanté par
la célèbre madame Schrœder-Devrient. Mais celle troupe était
fort insuffisante ; le chœur mesquin, l'orcheslre misérable; les
décors troués, vermoulus ; les costumes délabrés inspiraient la,
pitié ; le public musical un peu intelligent était absent de Paris ;
Ohêron passa inaperçu. Quelques artistes et amateurs clairvoyants
adoraient seuls dans le se( rel de leur cœur ce divin poème, et
répétaient,, en pensant à Weber, les paroles de Hamlel.
« C'était un homme et nous ne reverrons pas son pareil ! ».
Pourtant l'Allemagne avait recueilli la perle éclose dans l'huîlre
britannique et que dédaignait le coq gaulois, si friand de grains
de mil. Une traduction allcmantle de la pièce de M. Planchet se
répandit peu k peu dans les théâtres de Berlin, de Dresde, de
Hambourg, de Leipzig, de, Francfort, de Munich et la parlilion
d'Obéron fut sauvée. Je ne sais si on l'a jamais exécutée en entier
dans la ville spirituelle et malicieuse qui avait Irouvé l'œuvre
précédente de Weber Ennyanle. Cela est probable. Les géné-
rations se suivent sans se ressembler.
Enfin, après trente et un anSy le hasard ayant placé à la tête
de l'un des théâtres lyriques de Paris un homme qui comprend
et sent la musique de style, un homme intelligent, hardi, actif
et dévoué à l'idée qu'il a une fois adoptée, le merveilleux poème
de* Weber nous a enfin été révélé. Le public n'a fait sur le maître
ni sur son œuvre aucun nauséabond jeu de mois, n'est pas resté
grave^ mais a applaudi avec des transports véritables de plus en
plus ardents ; bien que celle musique dérange', culbute, bouscule
avec un prodigieux mépris ses habitudes les plus chères, les
plus enracinées, les plus inhérentes à ses insiincts secrets ou
avoués.
(Extrait de A travers chants ^ par Hector Berlioz.)"
: jiîONCERT DU PON^ERVATOIRE .
Le Conservatoire a fêté par un concert spécial le deux-ceutième
anniversaire de la naissance de Hœndel et de Bach. : .
Le programme se composait exclusivement d'œuvres de ces deux
musiciens ; mais, si nous en exceptons la cantate •» Gottes Zeit » et
« l'Aria »* de Bach et, au pis- aller,, la cantate de Hsendel écrite à
l'occasion de la victoire remportée par les Anglais à Dettingen, ce
programme était bourré « d amuse tles » destinées à amadouer le
public : il ne donnait aucune impression d'ensemble sur l'œuvre des
deux génies allemands.
Et le plus ignare sait que cet œuvre est assez vaste pour que le
Conservatoire ne soit point obligé de se restreindre à des bagatelles.
Hsendel et Bach sont deux géants : si on les compare à tous ceux
de leur temps et surtout si on les étudie au point de vue des procédés
de la composition, de la force des conceptions et de la hardiesse des
combinaisons, on reconnaît qu'ils ont laissé derrière eux leur siècle
et le nôtre, et qu'il faudra peut-être cent ans encore pour qu'on
sache leur rendre la justice qui leur est due. Leurs messes, motets,
oratorios, symphonies, cantates, quatuors, quintettes, sont autant
de chefs-d'œuvre que les générations futures adoreront de plus en
plus. Car nous ne sommes pas encore mûrs pour apprécier leurs
grandes et sévères beautés.
Il est encore trop de gens qui trouvent cette musique •• crevante »♦
et sortent d'un concert en disant, non pas « ce que je viens d'en-
tendre est beau », mais * cela a duré deux heures ».
Une exécution consciencieuse n'a pu écarter l'ennui pour ces audi-
teurs inintelligents. C'est en vain que les chœurs et l'orchestre ont
fait de leur mieux, c'est en vain que résonnèrent les voix de solistes
connus et appréciés comme M"e Deschamps et M. Maes, un chanteur
parfaitement méthodique, le jinblic s'est éparpillé dans la rue de la
Régence en murmurant de groupe en groupe •< que c'était donc
rasant I '»»
MEMENTO DES EXPOSITIONS ET CONCOURS
Anvers. — Exposition universelle. Mai à octobre 1885.
Anvers. -^ Salon des refusés et exposition des artistes indépen-
dants, ouverture en mai. Pour tous renseignements s'adresser au
secrétaire du Cercle des artistes indépendants ^ 1, rue de l'Angle,
Bruxelles. -
Bruxelles. — Troisième exposition de Blanc et ^Noir de
Y Essor. (Limitée aux membres du Cercle). Mai 1885, — Exposition
historique de gravure, par le Cercle des aquarellistes et aquafortistes.
Mai 1885.
Bruxelles. -— 25*' exposition annuelle organisée par la Société
royale belge des aquarellistes. Ouverture le 4 avril 1885.
Londres. — Exposition internationale d'instruments de musique.
Ouverture en mai 1885, à South- Kensington. Cette deuxième divi-
sion comporte trois groupes t 1» Instruments de musique construits
ou en usage depuis 1800; 2" gravure et impression de la musique ;
Z° collections historiques.
In. — Du 31 mars a la fin de septembre exposition internationale
et universelle d'Alexandra-Palace, comprenant notamment les arts
et métiers, et une exposition de tableaux et objets d'art représentant
les principales écoles du continent.
Nuremberg. — Exposition internationale d'orfèvrerie, de joaille-
rie, de bronzes,. etc. Du 15 juin au 30 septembre 1885.
Paris. — Salon de 1885. — ler mai au 30 juin 1885. — Peinture,
de«5iws, etc. Dépôt des ouvrages au Palais des Champs-Elysées, du
5 au 14 mars. Vote, le mercredi 18 mars, de 9 h. à 4 h. — Sculp-
ture, Graviire en méd. et sur p. f. Dépôt du 21 mars au 2 avril.
Vote, le mardi 7 avril, de 10 à 4 h. — Architecture. Dépôt du 2 au
5 avril. Vote, le mardi 7 avril, de 10 à 4 h. — Gravure et Lithogra-
phie.Dé^ôi, du 2 au 5 avril. Vote, le lundi 6 avril, de 10 à 4 h.
Rotterdam. — Du 31 mai au 12 juillet. Dernier délai : 16 mai.
Renseignements : M. Veders, secrétaire, 42, Boompjes, Rotterdam.
Gand. — Statue du docteur Joseph Guislain. Clôture : 31 mars
1885. Les œuvres doivent être envoyées au concierge de l'Université'
de Gand, rue des Foulons, et porter la suscription : Au comité
constitué pour l'érection d'une statue au docteur Joseph Guislain. —
Envoi : Maquette de la statue et du piédestal (25 centimètres au
total), dessin détaillé de la grille et indication de la disposition du
dallage entre le grillage et lé piédestal. — L'artiste doit s'engager à
livrer pour 19,000 francs les travaux de maçonnerie nécessaires, la
statue, le piédestal, le grillage et le dallage. — Documents et pho-
tographies chez le Dr B.-C. Ingels, médecin de l'hospice Guislain,
à Gand. . .' ,' .;
Là Haye.
tius.
Concours pour l'érection d'une statue à Hugo Gro-
MoNTÉviDÉo. — Concours pour la statue du général Artigas
S'adresser à la légation de l'Uruguay, 4, rue Logelbach, à Paris.
RiCHMOND (Virginie). — Concours pour un monument à Robert
Lee, jusqu'au le"" mai 1885.
Saint-NiColas. — Concours de gravure du Journal des Beaux-
Arts. Histoire : prix 400 fr. pour la meilleure eau- forte (sujet inédit
ou copie d'un tableau flamand ancien ou rtioAeTne Genre : prix
300 fr. Paysage et intérieurs : prix 200 fr. Dimension maximum dçs
cuivres: 0">260 sur O^lOO. Dernier délai : 31 juillet 1885. Envover
franco avant cette date 2 exemplaires sur papier blanc et 2 exem-
plaires sur chine.
Vienne. — Concours pour l'érection d'un monument à Mozart.
pETITE' CHROJ^IQUE
h" Essor avait convié ses amis et quelques pensionnats de jeunes
"filles à entendre, mercredi, de la musique de «leux jeunes composi-
teurs belges, MM. Léon Dubois et Edouard Samuel. Séance assez
intéressante, quoiqu'un peu grise. Les œuvres de M. Samuel
dénotent beaucoup de facilité, mais leur inspiration n'est pas tou-
jours très neuve. Elles ont été entendues, croyons-nous, presque
toutes (à part la Sonate pour piano et violoncelle), en mars dernier,
au concert organisé par le jeuno auteur et M. Léon Soubre.
Diverses mélodies de Léon Dubois et des fragments de sa cantate
Le Chant de la création, qui a valu au musicien le second prix de
Rome, ont été applaudis.
Les interprètes étaient MM. Kefer, Samuel, Agniez, Jacobs, Pee-
ters et M^'» Wolf, une jeune cantatrice, douée d'une voix claire, d'un
timbre charmant.
Le concert Eugène d'Albert est remis au jeudi 5 mars prochain.
n
•«^'
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Cinquième année. — N° 7.
'Le numéro : 2$ centimes.
Dimanche 15 Février 1885.
L'ART
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES AR^ ET M LA LITTÉRATURE
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser les demandes d'abonnement et toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
?
QMMAIRE
Les Vingt. Deuxième article. — Le L.ud. — Les yeux de
MM. les critiques. — A propos -DObéron — Grande colère de
petits bonshommes. — Conservatoire de Liège. — Goruespon-
dance. — Bibliographie musicale. — Théâtres. Théâtre de la
Monnaie. Joli Gilles. — Petite chronique. .
• Deuxiètne article.
Les trottins de la critique disaient Tan dernier : « Les
artistes invités ont beaucoup de talent et les F//?^^/5^^
beaucoup de modestie. « Les hoyis amis ajoutaient :
♦' Faut-il qu'ils se sentent faibles pour appeler tant de
grands noms à la rescousse ! " Et le plus étonnant des
critiques bruxellois, — celui qui récemment traitait de
chef-d'œuvre un tableau d'Agapit Stevens' qu'il prenait
pour une toile d'Alfred Stevens, qui parlait du costume
du Ba7^ras d'Henner, lequel était nu comme la main,
celui enfin qu'on ne désigne plus autrement dans les
ateliers que sous le pseudonyme : legafflste, — n'a-t-il
pas affirmé cette semaine que les Vingtistcs répudient
l'art nouveau, et que ce qui le prouve, c'est qu'à part
Raffaëlli ils n'ont invite que des peintres employant les
procédés du vieux jeu ?
Que d'âneries en quelques lignes ! C'est de la sottise
quintescenciée, du Liebig de bêtise. Gros comme une
noisette de cet extrait, peut fournir tout un bol de
chronique artistique. C'est le bouillon que sert \ Etoile
belge à ses lecteurs.
Pour nous, nous voyons dans ces invitations adres-
sées chaque année à un petit nombre d'artistes étran-
gers au grpupe des XX, une pensée généreuse et belle.
Aune époque où trônent encore, aux meilleures places,
dans les salons officiels, en Belgique les Gallait, en
France les Bouguereau ; où les Degroux, les Boulenger,
les Dubois sont relégués dans les coins des musées ou
accrochés si haut qu'on ne peut les voir, il est bon que
ceux qui ciment, défendent ou pratiquent l'art jeune
trouvent, parmi les jeunes, l'estime et les sympathies
auxquels ils ont droit.
Que d'années n'a-t-il point. fallu pour faire admettre
l'art de Cazin, aujourd'hui l'une des gloires de la France !
Et Fantin, quelle lutte silencieuse, pénible, incessante
que sa carrière d'artiste ! Méconnu de ses contempo-
rains, il n'a vu consacrer sa renommée qu'à l'âge où,
depuis longtemps, il eût dû être placé au premier rang
des peintres de l'école jeune. Et Bracquemond, l'un des
plus grands artistes du siècle, qui le connaissait en
Belgique, avant le Salon des XX, à par-t un noyau d'ar-
tistes et' d'amateurs ?
A côté de ces noms illustres, les nouveaux venus
tendent fraternellement les mains aux artistes qui
estiment, comme eux, qu'il n'est d'art vrai que celui
qui est fondé sur l'observation de la nature. Les
Kroyer, les Swan, les Raffaëlli, les Breslau ont voulu
prouver leur attachement aux principes proclamés par
les XX, comme, l'année dernière, l'avaient fait les
Whistler, les Chase, les Stott, les Sargent, les Gervex,
les^Rops. Quel groupement de forces vives à opposer à
l'armée séhile! Et quel enGauragement pp.ur les jeunes
que cette ligue de toutes les écoles modernes!
On a reproché aux XX d'être une coterie. On leur
' a lancé à la tête l'accusation, usitée en Belgique quand
se réunissent quelques hommes en vue de la défense
d'un€ idée commune, de former une " petite chapelle ».
Le mot fait sourire, quand on voit les membres de cette
prétendue coterie commencer par inviter leurs amis de
Belgique et de l'étranger à se joindre à eux, au risque
de passer eux-mêmes à l'arrière-plan.
Ce qu'ils veulent (faut-il le répéter encore?. il paraît
que c'est nécessaire, à en juger par les idées bizarres
qui, chaque jour, -sont mises en circulation)^ c'est
opposer aux Salons officiels, envahis par la médiocrité,
par la tourbe des amateurs, ridiculisés par Tignorance
des jurys et par la partialité des commissions de place-
ment, une exposition vraiment artistique, dont tous les
exposants soient unis par une communauté d'aspira-
tions. Ce qui nous faisait dire, il y a huit jours : « Le
vrai Salon de Bruxelles, c'est le Salon des XX ».
Dans quelle mesure ce but est-il réalisé? C'est ce
qu'avait à apprécier le public, et il s'est, semble-t-il,
prononcé. Sans doute, l'idéal poursuivi par le jeune
cercle, qui n'en est qu'à son deuxième essai et qui
s'impose déjà comme un groupe ayant conquis sa place
-depuis nombre d'années, n'est pas encore complètement
atteint. Il y a des tâtonnements inévitables dans toute
entreprise nouvelle. Des épurements sont nécessaires.
Certains artistes sur lesquels on fondait des espé-
rances ont envoyé des œuvres médiocres ou mau-
vaises. D'autres se sont, au dernier moment, abstenus,
conseillés, paraît-il, par des envieux.
Mais, dans son ensemble., le Salon marque un progrès
sérieux sur le premier. C'est certes l'exposition la plus
intéressante qui ait ,e.ut lieu à Bruxelles depuis long-
temps. A peu de choses près, il réalise l'idéal que pour-
suivent les XX et pour lequel ils bataillent vigoureu-
sement.
Whistler a dit récemment à l'un des Vingtistes : " Je
suis enchanté d'avoir été mêlé a cette bagarre, »
Bagarre est le mot qui convient. On se souvient des
attaques passionnées du début, des articles violents des
journaux, des discussions sans fin, des petites et des
grandes méchancetés que fit naître la formation du
groupe.
Aujourd'hui, chose étrange, on fait semblant d'avoir
oublié tout cela. « Une bataille? Allons donc ! Jamais il
n'ven a eu. Portes cochères ouvertes à deux battants
que veulent enfoncer les XX. Moulins à vent contre
lesquels ils partent en guerre. Faut-il être naïf pour
voir dans le Salon des XX autre chose qu'une exposi-
tion de bons petits jeunes gens, se réunissant pour mon-
trer leur travail au public !»
C'est charmant. Et quand se présentent à une expo-
sition quelconque Ensor, Finch, Vogels, on leur jette
cette porte ouverte sur le nez ; et quand Khnopff par-
vient à se glisser dans la maison, on fourre ses œuvres
à la cave; et lorsqu'on apprend que.Ter Linden a des
sympathies pour les Vingtistes, on lui refuse trois
tableaux sur cinq ; et sa fille ayant eu l'imprudence de
peindre un tableau d'accessoires où figurent la carte
d'invitation des XX, un numéro de l'Ar^ moderne, des
livraisons de la Jeune Belgique et autres emblèmes
sentant la poudre, le jury à qui on, le présente, efirayé,
jette cette composition dynamitique à la porte. Et l'on
s'agite, et l'on se démène « Vous n'aurez pas lejPalais
des Beaux-Arts !, Vous ne ferez plus de conférences ! «
Et les menaces pleuvent, avec les calembours.
Puis, quand on apprend quels sont les artistes choisis
par les XX pour participer à leur Salon, on court chez
eux : « N'exposez pas avec ces gens là. Cela vous com-
promet. Vous vous faites du tort. Prenez garde, «
On le voit, la paix la plus parfaite n'a cessé de régner,
et les Vingtistes n'ont eu qu'à montrer leur cartel, en
manière de laisser passer, pour être reçus partout à
bras ouverts. ~ \
Et maintenant que cela est bien entendu, occupons-
nous des envois faits par les artistes invités. Cette
étude fera l'objet de notre prochain article. Nous n'au-
rons pas à parlepde Mesdag, inférieur à lui-même dans
ses marines et ses lîaysages, ni de M"« Louise Breslau,
une artiste de race, qui a voulu simplement, par l'en-
voi de quelques pastels, témoigner de sa sympathie
pour l'œuvre des XX, et qu'il serait injuste déjuger
d'après cet envoi insignifiant, ni de Mark • Fisher,
artiste très inégal, qui tantôt fait mal, tantôt bien, et
qui, cette fois, n'a pas été dans un jour heureux. Mais
en revanche nous aurons à étudier de près les autres,
parmi lesquels Raffaêlli, Swan, Kroyer et Meunier
tiennent le premier rang.
m LAID (*)
La plus grosse objection qui soit faite constamment aux liltd-
raleurs et aux artistes de ce que l'on appelle l'Ecole nouvelle est-
celle-ci : « Vous êtes l'école du laid; et le laid seul vous inté-
resse. » ' . ;
Je voudrais donc, tout d'abord, étudier et définir le malen-
tendu qui existe entré le public et nous sur cette question du
beau et du laid. •
JiOrsque le public, peu versé dans les connaissances, esthé-
tiques, dit : « le beau, le laid, » il entend toujours dire le beau
physique, le laid physique. — Or, pour nous, et je regrette qu'il
t'aille toujours le répéter, le beau ou le laid physique, n'est
d'aucun poids dans la beauté de l'œuvre d'art, et vingt maîtres
l'ont prouvé. — Quant à la beauté, elle ne saurait se limiter à.
(*) Extrait de la Conférence faite par J. F. Raffaëlli le 7 février au Salon des
A'A'. (Voir notre dernier numéro).
Ici type absolu, h telle classe d'individus, à telle flore, à tel
pays. Le beau est dans le caractère, et non pas dans un type, et
il n'y a pas de hiérarchie dans la beauté. — En un nriol, le type
grec n'est pas un type absolu de beauté, le type italien n'est pas
un lype absolu de beauté, pas plus que le type arabe; et
l'Anglais, l'Allemand ou le Français, de nos jours, a droit à la
beauté à son tour, puisque l'intelligence du monde s'est dé-;
placée, el que c'est nous, maintenant, qui la possédons depuis
trois siècles. — Mais celte beauté est différente, ne s'enchâsse
plus dans la même beauté des formes, et c'est ce qui nous reste
U démontrer par les arts. — Il faut, en un mot, déplacer le
centre de la beauté, comme nous avons, par nos eff'orts, déplacé
le centre de l'intelligence.
Les grandes époques de l'humanité, dans le passé, appar-
tiennent aux civilisations égyptienne, grecque et romaine, c'est-
à-dire à des peuples des pays du soleil, à des peuples noncha-
lants, graves, et qui vivaient dans des vêtements larges et flottants
que la chaleur de leur climat leur commandait. — Je comprends
l'admiration que nous conservons de leurs eff'orts, mais s'en
suit-il que nous devions conserver leur idéal de beauté souple
et grandiose, nous, habitants de pays froids, dont le climat
réclame une activité de tous les instants, et qui avons des habi-
tudes, des mœurs, des vêtements totalement diff'érents de ces
peuples d'hier? — Et comme si nos idées n'avaient pas changé?
— Voyez donc le développement considérable qui s'est produit
chez nous de l'idée d'individualité, par exemple? — Eh bien! —
c'est seulement écrasés par le souvenir de ces peuples aux formes
magnifiques que nous nous trouvons laids. — Certes, nous
n'avons pas la grâce de ces peuples, nous n'avons pas l'assise
souple et balancée de leur geste, nous n'avons pas leur teint
mat et simple, nous n'avons pas la douceur de leur voix, le
velouté de leur regard, la cadence de leur marche : mais nous
avons toute l'intelligence et l'ambition magnifique qu'ils n'ont
plus. '
Donc, ces disputes à propos du beau el du laid physique ne
. devraient pas conserver de raison d'être parmi nous, d'abord
parce que le beau physique ne pèse d'aucun poids dans notre
jugement des hommes, ensuite parce que cette idée nous est
étrangère, — comme nous sont étrangers les types de beauté
des civilisations d'hier.
C'est à une mauvaise éducation qui nous a été donnée dans
notre enfance que nous devons de percevoir le beau et le laid
physique de la façon dont nous les percevons.
C'est aux Grecs, et aux Italiens de la Renaissance, que nous
devons cette idée, et à la négligence aussi de nos gouvernants,
qui, en maintenant en exemple constant le beau des Grecs, aussi
bien à notre Ecole normale pour les lettres, qu U notre Ecole des
Beaux-Arts pour les arts du dessin et dans toutes les écoles
d'Alhèries, de Rome, dans nos lycées et dans nos collèges, sous
toutes ses formes, nous enseigne des principes esthétiques en
désaccord flagrant avec toutes nos idées modernes. — Car, ce
sont les fables religieuses des Grecs qui, en prêtant à leurs dieux
des formes humaines, ont fait établir par leurs artistes un idéal
et une beauté plastique qui ne signifient plus rien chez nous.
Cet idéal païen étant tombé, pourquoi continue-t-on d'en
enseigner les lois dans nos Ecoles?
Et d'autant que cette idée du beau physique est une source
déplorable d'inégalité.
Non! — qu'on nous donne le pays grec, qu'on nous donne
les idées et les mœurs du temps de Socrate et de Périelès, qu'on
nous donne leurs dieux, cl nous voulons bien refaire et continuer
l'art grec; hors ça, je ne vois que lés restes d'un art qui m'inté-
resse profondément comme artiste, mais que je méprise comme
homme pour les enseignements absurdes que son idéal maintient
parmi nous.
A une époque de raison, d'intelligence et de liberté comme
celle dans laquelle nous entrons de plus en plus, que nous dési-
rons, et qui est notre idéal à nous, il" ne saurait plus y avoir
qu'une beauté : la beauté intcllecluelle et morale. — El, pour
nous, dans nos arts du dessin, cette beauté est dans les traces
singulières et caracléristes que ces ambitions laissent sur notre
individu. .,
Il faut donc le proclamer : qu'on cesse de mettre au premier
rang dans nos musées les restes des arts des Grecs, ou plutôt,
qji'çn cesse de donner leurs ouvrages, dans nos écoles, en éter-
nels exemples, afin que l'idée de ce beau physique qui nous
vient de là, idée injuste et malsaine, tombe enfin de notre esprit!,
—■ Alors seulement nous pourrons planter notre idéal de beauté
à la place, idéal fait d'activité physique, d'idées de droiture,
d'idées de justice et de toutes les idées qui peuvent constituer
pour nous le beau moral et le beau de l'intelligence que nous
rêvons. • .-.^
11 n'est pas parmi nous un homme intelligent qui, ayant à
choisir, ne préférerait la tête de singe qu'avait Littré, à la tête
de l'Apollon, si l'intelligence devait en être le prix.
On nous reproche aussi bien à tort le choix de nos sujets.
Nos sujets, nous les prenons en effet partout, et si nous les
prenons même, à l'occasion, dans le plus bas peuple, c'est parce
que l'ailenlion publique nous entraîne de ce côté. On s'était peu
occupé, en art, jusqu'à présent, du peuple, et à son sujet, il y a
tout à faire. On ne lui refuse plus une place dans la vie publique,
l'art aurait dès lors mauvaise grâce à le tenir éloigné de ses
éludes. De ce côté aussi l'artiste a un très grand rôle : celui de
faire connaître esthétiquement celte classe d'individus, néglicjée
jusqu'aujourd'hui, c'est-à-dire de mellre en lumière tous ses
caractères.
Pour bien expliquer le rôle que je rêve pour l'artiste dans cet
ordre d'idées, je veux vous donner un exemple qui, je pense,
est très caraclériste el soutient merveilleusement ces théories.
^^ Voici Millet, notre grand Millet. Il naît paysan; ses pre-
mières sensations il les ressent en face de la grande campagne
et de la mer. Il éprouve le besoin invincible de raconter ces
émotions çt de les faire partager. Contemplatif, la peinture
lui convient comme moyen. Il vient à Paris étudier cet art; suit
quelque temps les maîtres qu'il a choisis, puis rentre en Nor-
mandie, son pays, et là, le voilà à écrire ses poèmes, on pourrait
dire : ses souvenirs d'enfance. . " ~ .
Son ambition alors lui fait inventer, pour bien faire, un métier
énorme, grossier et paysan.
Eh bien ! — je pose ceci en fait : avant Millet et les poètes
rustiques qui, avec lui, ont chanté la grande campagne et le
paysan, la campagne el le paysan étaient considérés comme
laids : et nous les rejetions de notre allenlion. — Millet arrive ;
il peint les paysans et la campagne : on lui dil qu'il peint des
idiots el des brutes, on lui dit aussi qu'il peint le laid, — car il
n'embellit pas le paysan en lui prêtant le beau physique d'un
bej Italien ; — on le traite de socialiste, on lui répète que les
spectacles qu'il recherché sont indignes de l'art. Enfin on lui
jellc tous les maMres par la léle! — Eh bien! — Millet meurt
et toutes ces idées se sont transformées : on parle avec enthou-
siasme des grands champs de blé au soleil, des villages perdus
sur les falaises, du paysan magnifique et superbe dans son labeur
constant, de la grande poésie de ratmosphèrc ; du beau «peclacle
de la femme des champs allailanl son enfant, bottant lé beurre,
travaillant aux pommes de terre, filant le lin;* les travaux de
la campagne 1rs plus repoussanis et les plus grossiers sont
admirés, et le paysan est alors connu et reconnu, il a[)parlient
enfin par Millet et les rustiques à l'hunianité pensante ([ui l'ac-
cueille comme un enfant magnifique et spperbe, et trinque alors
avec lui !...
Ah! Millet, messieurs, voilîi un homme qui a fait une belle
besogne, puisqu'il a aidé à montrer à l'attention, à la beauté et à
l'amour des milliers d'individus dédaignes jusqu'alors et injuste-
ment méprisés. Les lois venaient de faire du paysan un citoyen
et un égal. Millet et les rustiques en ont fait un égal en beauté
et en poésie. — : Je ne connais pas d'exemple plus frappant du
rôle qui doit échoir à l'artiste à une époque où l'on exige de
chacun de nous une utilité plus directe.
Les raisons qui nous font agir sont donc : la joie de peindre
des choses qui n'ont pas été faites, joie d'inventeur, de cher-
cheur, d'amoureux de pittoresques inconnus. — La joie de
manier h leur beauté des spectacles dédaignés, et enfin de porter
l'attention partout, sur tout et sur tous, ce qui est un travail
intéressant. • .
LES YEUX DE MM. LES CRITlOUES
Les astronomes disputent enire eux sur la couleur des étoiles.
La revue Ciel et Terre le constate.
Comment ! Pas moyen de s'entendre sur le point de savoir si
tel astre est b'eu, blanc, rouge oulaiine?
Il paraît que non. ^ "^ ^_
Mais' pourquoi?
Le sentiment de la couleur diffère d'individu h individu. Tel
en comparant une copie à un tableau de maîtl*e ne pourra y
distinguer de différence entre la copie et l'original, alors qu'un
œil exercé y trouvera des délicatesses de tons et de nuances que
le copiste aura vainement cherché à reproduire ou dont il ne se
sera même pas douté. Les couleurs doivent s'apprendre; elles ne
se distinguent pas de prime abord sans exercice ni sans compa-
raison, et il faut des expériences souvent répétées pour recon-
naître que le rouge, le jaune et le blanc ne font pas la même
impression sur nous. Les aveugles de naissance, auxquels on
est parvenu à rendre la vue dans un âge plus ou moins avancé,
confirment ce qui précède; il faut donc un certain apprentissage
avant de savoir distinguer les couleurs.
« La délicatesse de la vue est comme la délicatesse des senti-
ments, écrit De Zach, c'est toujours une émotion des sens, une
atfcction de l'âme, une instabilité plus ou moins grande. Les
yeux, comme le cœur ont leurs différents degrés de sensibilité
physique et morale ».
De plus, la rétine peut être le siège de certaines affections,
telles que le Daltonisme, et^faire perdre par suite la sensation
des couleurs élémentaires. Ainsi, d'après Wilson, sur dix-hujt/
personnes, il s'en trouve une qui ne peut discerner les couleurs,
et sur cinquante-huit on en rencontre uiic qui confond le rouge
avec le vert:
Dans les premiers ûges, le rouge, le jaune, le bleu sont les
seules couleurs dont on fasse m*TîTTon. Les milliers de nuances
que les progrès de l'art et de l'industrie ont su donner aux
,mélanges des couleurs fondamentales sont de dat-e récente; elles
proviennent d'une étude et d'une application constantes. A
l'heure actuelle la difficulté sera donc bien grande pour déter-
miner exadoment les différentes nuances d'une même couleur et
pour juger de la délicatesse des teintes, et nous ne devons pas
nous étonner de ce que nous rencontrions de légères divergences
dans l'appréciation des astronomes sur la coloration de certaines
étoiles. _ *■
Mais alors que dire de MM. les critiques jugeant les tableaux ?
Eux aussi peuvent avoir la rétine malade. Eux aussi peuvent
avoir les yeux fatigués. ' '
Que valent leurs jugements?
Nous le laissons h penser.
Dans tous les cas, cela explique leurs querelles.
Et pourrait aussi les rendre moins tranchants.
Profitons tous de la leçon, mes frères.
^ PROPO3 D'^BÉRON
(*)
Il faudrait écrire beaucoup trop pour analyser dignement la
partition ô'Obéron, pour examiner les questions que le style de
cet ouvrage fait naître, expliquer les procédés employés par l'au-
teur et trouver la cause du ravissement dans lequel cette musique
plonge des auditeurs même étrangers à toute notion, sinon à tout
sentiment de l'art des sons.
Obéron est le pendant du FreyschûLz. L'un appartient au faur
tîistique sombre, violent, diabolique; l'autre est du domaine des
féeries souriantes, gracieuses, enchanteresses. Le surnaturel dans
Obéron se trouve si habilement combiné avec le monde réel,
qu'on ne sait 'précisément où l'un et l'autre commencent et
finissent et que la passion et le sentiment s'y expriment dans un
langage et avec des accents ({u'il semble qu'on n'ait jamais
entendus auparavant.
Cette musique est' essentiellement mélodieuse, mais d'une
autre façpn que celle des plus grands mélodistes. La mélodie s'y
exhale des voix et des instruments comme un parfum subtil qu'on
respire avec bonheur, sans pouvoir tout d'abord "en déterminer
le caractère. Une phrase qu'on n'a pas entendu commencer est
déjîi maîtresse de l'auditeur au moment précis oii il la remarque;
une autre qu'il n'a pas vu s'évanouir le préoccupe encore quelque
temps après qu'il a cessé de l'entendre. Ce qui en fait le charme
principal,, c'est la grâce, une grâce exquise et un peu étrange. On
pourrait dire de l'inspiration de Weber dans Obéron ce que
Laërle dit de sa sœur Opliélia :. ' -^
Thought and affliction ; passion, hell itself,
She turus to favour and to prettiness.
(La rêverie, l'afflictioa, la passion, l'enfer lui-même, elle change
tout en charme et en grâce.)
N'était y enfer qui n'y figure pas, et qui d'ailleurs, sous la main
de Weber, n'a jamais pris des formes gracieuses, mais bien des
formes effravantes et terribles au contraire.
Les enchaînements harmoniques de Weber ont un coloris
qu'on ne retrouve chez aucun autre maître et qui se reflète plus
qu'on ne croit sur sa mélodie. Leur effet est dû tantôt à l'altéra-
tion de quelques notes de l'accord, lajilôt à des renversements
y'peu usités, quelquefois même â la suppression de certains j^^ons
réputés indispensables. Tel est, par exemple, l'accord final dir
morceau des nymphes de la mer, où la tonique est supprimée,
et dans lequel, bien que le morceau soit en mi, l'auteur n'a
(*) A travers chants, par Hector Berlioz. - Voir notre dernier numéro.
voulu laissor entendre que le sol dièse el si. De là le .vague de
celle désinence el la rêverie où elle plonge raudileur.
On en poul dire à peu près autant de ses modulations; si
étranges qu'elles soient, elles sont toujours amenées avec un
grand art, sans duretés, sans secousse, d'une façon presque tou-
jours imprévue, pour concourir à l'expression d'un sentiment et
non pour causer à l'oreille une puérile surprise.
Weber admet la liberté absolue des formes rythmiques; jamais
personne autant que lui ne s'est affranchi delà tyrannie de ce
qu'on appelle, la carrure^ el dont l'emploi exclusif et borné aux
agglomérations de nombres pairs contribue si cruellement, non
seulement à faire naître la monotonie, mais à produire la plati-
tude. Dans le FreyschïUz,\\ avait déjà donné des exemples nom-
breux d'une phraséologie nouvelle. Parmi ces exemples, les
musiciens français, les plus carrés des mélodistes après les Ita-
liens, furent tout surpris d'applaudir la chanson à boire de Gas-
pard, qui se compose, dans sa première moitié, d'une succession
de phrases de trois mesures, et, dgns sa seconde moitié, d'une
succession de phrases de quatre. Dans Ohêron on trouve divers
passages où le tissu mélodique est rythmé de cinq en cinq. En
général, chaque phrase de cinq mesures ou de trois a son pendant
qui constitue alors la symétrie, produisant le nombre pair, si
cher aux musiciens vulgaires, en dépit du proverbe : Numéro . '
Dens irriTpare gaudet. Mais Weber ne se croit point obligé d'éta-
blir à tout prix et partout celle symétrie; très souvent sa phrase
impaire n'a pas de pendant. Je m'adresserai aux gens de lettres
pour savoir si La Fontaine a employé une forme excellente en .
jetant un petit vers isolé de deux pieds à la fin d'une de ses
fables :
Mais qu'en sort-il souvent?
Du vent. -
Leur réponse affirmative, je n'en doute pas, explique et justifie
le procédé analogue introduit dans la musique par beaucoup de
musiciens, au nombre desquels il faut citer avec Weber, Gluck
et Beethoven. Il nous semble aussi absurde de vouloir rythmer
la' musique exclusivemenl de quatre en quatre mesures, que de
n'admettre en poésie qu'une seule espèce de vers. ,
Si, au lieu d'avoir dit si finement : -,
7 • Mais qu'en sort-il souvent? — --_
Du vent.
le fabuliste eût écrit :
• Mais qu'en sort-il souvent?
r II n'en sort que du vent.
il eût terminé sa fable par une insupportable platitude. L'ana-
logie de cet exemple avec la question musicale qui nous occupe
rsî frappante. L'entêtement de la routine peut seul la mécon-
naître ou en nier les conséquences.
Maintenant s'il, nous paraît évident que la musique ne peut ni
ne doit se conformer aveuglément à l'usage de certaines écoles
qui veulent conserver la plus carrée des carrures en tout, et par-
tout, si nous trouvons dans cette persistance ridicule à maintenir
un préjugé la cause de la fadeur, de la lâcheté de style, de
r<'x;ispérant vulgarisme d'une foule de productions de tous les
temps el de tous les pays, nous n'en reconnaîtrons pas moins
qu'il est des irrégularités choquantes et qu'il faut éviter avec
soin. Gluck (dans Iphigénie en Aiilide surtout) en a commis un
grand nombre, il f;:ul l'avouer, qui blessent le sentiment de
î harmonie rythmique. Weber n'-en est pas exempt; nous en
trouvons même un exemple très regrettable dans l'un des plus
délicieux morceaux d'Obdron, dans le chant des naïades, dont je
parlais tout à l'heure. Après la première grande phrase vocale,
couiposée de quatre fois quatre mesures, l'auteur a voulu donner
à la voix un court repos. Ce silence est rempli par l'orchestre.
Croyant sans doute que l'oreille ne tiendrait aucun compte du
fragment instrumental, l'auteur a repris ensuite son chant vocal,
rytiimé carrément, comme si la mesure d'orchestre n'existait pas.
Mais, selon nous, il s'est trompé. L'oreille souffre de celte addi-
tion d'une mesure dans la mélodie; on s'aperçoit pai-faiiemenl
que le mouvement d'oscillation a été rompu, que la phrase a
perdu la régularité du balancement qui lui donne tant de charme.
Revenant à ma comparaison dé la mélodie avec la versification,
je dirai encore que, dans le cas dont il s'agit, le défaut est aussi
évident qu'il le serait dans une strophe de vers de dix pieds dont
un seul en mirait onze.
De l'instrumentation de Weber je dirai seulement qu'elle est
d'une richesse, d'une variété et d'une nouveauté,, admirables. La
distinction encore est sa qualité dominante; jamais de moyens
réprouvés par le goût, de brutalités, de non sens. Partout un
coloris charmant, une sonorité vive mais harmonieuse, une force
contenue et une connaissance profonde de la nature de chaque
instrument, de ses divers caractères, de ses sympathies ou de
ses antipathies avec Ivs autres membres de la famille orchestrale;
partout enfin les plus intimes rapports sont consorvés entre le
théâtre et l'orchestre, nulle part ne se trouve un ^^g/ sans but,
\xx\ accent noïwooi'wé. . ■
On reproche h Weber sa manière d'érrire^our les voix ; mal-
heureusement le reproche est fondé. Souvent il leur impose des
successions d'une difficulté excessive, qui scraionl h peine conve-
nables pour toul autre instrument que pour le piano. Mais re
défaut, qui ne s'étend pas aussi ïoiu qu'onveul bien le dire, n'en
est. pas un quand la bizarrerie du dessin vocal est motivée par
une intention dramatique. C'est alors au contraire une qualité;
l'auleur en ce cas n'est blâmable qu'aux yeux des chanteurs,
obligés de prendre de la peine et dé se livrer à des études que la
musique banale ne leur impose pas.
Tels sonl plusieurs passages vraiment diaboliques du rôle de
Gaspard dans le Freyschûtz, passages qui, à mon sens, sonl des
traits évidents de génie.
Sur les vingt morceaux dont se compose la parliiion (["Ohêron.,
je n'en vois pas un de faible. L'invention, l'inspiration, le savoir,
le bon sens brillent dans tous : ei c'est presque à regret que nous
citerons de préférence aux autres pièces le chœur mystérieux el
suave de l'ititroduction chanté par les génies autour du lit de
fîeurs où sommeille Obéron; — l'air chevaleresque d'Huon dans
lequel se trouve une ravissante phrase déjh présentée ^àu milieu
de l'ouverture ; — la merveilleuse marche lîocturne des gardes du
sérail qui termine le premier acte; le chœur énergique et si rude-
ment caractérisé : « Gloire au chef des croyants! » — la prière
d'Huon accompagnée seulement par les altos, les violoncelles el
les contre-basses; — la dramatique scène de Rezia sur le bord
de l'Océan; — le chant des nyn>plies confié aujourd'hui à Puck
seul, dans la nouvelle version du livret (à tort, selon moi; il
devrait être chanté au fond du théâtre, sur l'un des arrière-plans
de la mer, par plusieurs voix de choix à l'unisson, et avec une
douceur extrême) ; — le chœur de danse des espiits terminant le
second acte; — l'air si gracieusement gai de Falime; — le duo
suivant avec son irait obstiné d'orchestre revenaul à intervalles
irréguliers; — le trio si harmonieux, si admirablement modulé
qu'accompagnent pianUshiw les instruments lie cuivre; -— el
enfin le chœur dansé de Iq scène de séduction, morceau unique
dans son genre. Jamais la mélodie n'eut de pareils sourires, le
rythme des caresses plus irrésistibles. Pour que le chevalier
Huort échappe aux enlacements de femmes chanld'nl de telles
n»élodies, il faut qu'il ail la vertu chevillée dans le corps.
GRANDE COLÈRE DE PETITS BONSHOMMES
Très drôle la colère de divers reporters, affublés (par eux-
mêmes) de la qualijlé de critiques d'art, qui, n'ayant rien
compris l'an dernier au mouvemenl des XXki\. ayant niaisement
prédit au groupe nouveau les plus terrrrribles calamités,
comme par exemple d'être privé de leur appui, doivent aujour-
d'hui confesser piteusement qu'ils se sonl mépris comme de
tout petits bonhommes et qu'on peul réussir en se moquant
d'eux.
Lire la Gazette, la Chronique^ la Flandre libérale et autres
DOUBLES LiÉGEOis dont il faut prendre h rebours les prophélics
quand on veut savoir le temps qu'il ï^va. i
Lire également (ceci pour les dits reporters, barbus pour la
plupart) la fable : Le Renard et le Bouc.
Si le ciel t'eût, dit-il, donné par excellence
Autant de jugement que de poil au menton.
Très peu confortable, leur voisinage, tant ils cracbotlenl. Mais
î» distance, c'est à mourir de rire. Criards et essoufflés, ils poussent
des jappements furieux parea que V Art moderne a plaisanté ceux
qui, après avoir aboyé contre les A'.Y de toute la force de leurs
poumons de roquets, leur lôcbcnl les mains aujourd'hui que le
succès est venu.
Ce qui est plus drôle cncOro, c'est que l'un de ces critiquets a
la fatuité de croire qu'il a été visé par notre dernier article.
Il n'est pas dégoûté, le petit bonbomme. Mais il fait erreur.
Quand on parle d'aitaques qui portent, on ne songe guère à. lui.
Qu'il zézaie ses reportages inoffensit's dans le cercle de lecteurs
bourgeois où il est relégué, rien de mieux. Sa naïve suffisance
fait sourire les artistes sans les fâcher. Mais qu'il essaie de faire
passer le tabouret sur lequel il est accroupi pour le fauteuil de
Sainte-Beuve et qu'iL dicte des arrêts!... d'une voix de bébë,
c'est plus que grotesque. ^
Ces attaques nous ont tout ragaillardis, accoutumés que nous
sommes à aller à ces algarades comme à la kermesse. Depuis Vingt
ans et plus, la partie est liée non pas seulement avec ces inno-
cents, mais avec leurs i)récurseurs, et elle n'est pas près de finir,
morbleu! Pour juger ce qu'ont valu les coups de part et d'autre,
il suffit de voir qui se porte le mieux et quelles idées triomphent.
Ah! Pauvres petits!
•Correspondance
Conservatoire de J^ièqe
_ Le premier concert a eu lieu samedi dernier, sous la direction de
M. Radoux, avec le concours de Sarasate, qui y a remporté un bril-
lant succès dans lesécution de la Fantaisie écossaise de Max Bruch
qu'il a fuit en tendre l'an dernier aux concerts i)opulaires de Bruxelles.
Jl a été également applaudi après le Caprice de Guirâud et ses Airs
bohémiens.
Le programme se composait en outre de la scène du Vendredi-
Saint de Parsifal, de la symphonie en si bàinol de Schumann et de
la Rhapsodie slave de Dvorak.
Eutin, MH« Poirson a chanté diverses mélodies de Godard, de
Kerveguen et de Radoux, ainsi qu'un air d'IIérodiade. .
Programme intéressant, fort bien accueilli du public.
Voici une très curieuse lettre du docteur Charcot au sujet des
artistes qui ont peint les fous.
Cher Monsieur,
Grâce à vous, nous jios.sédons enfin la photographie du tableau de
la transfiguration de Deliuout (*), lequel mauquait à notre collec-
tion. Ce tableau est intéressant au j)oint de vue de l'art, mais plus
encore au point de vue de la science pathologique.
Le jeune po-ssédé dans ce tableau se débat exactement comme se
débattent nos liystériques mâles ou femelles de la Salpétrière, et à
•; N* .Vj du ijju.sée d'Anvei-fî.
uet égardil est supérieur au démoniaque de Raphaël qui*, lui, au point
de vue pathologique, ne nous dit pas grand choses. Il est probable
que Delmont a vu les démoniques comme les avait vtis Rubens
(Saint-Ignace de Loyola dans le tableau de l'annonciata de Gênes),
tandis que Raphaël a inventé plutôt qu'il n'a travaillé d'après
nature.
Je ne saurais trop vous remercier, cher Monsieur, de la peine que
vous avez prise avec tant d'obligeance, etc., etc. — — -. —
CHARCOT
Membre de llnstitut.
Paris, le 30 janvier 1885.
ipiBEIOQF^APHIE MU^ICAI-E
Nous recommandons très particulièrement la remarquable J?dîï/o>i
populaire qn'Si publie, dans des conditions parfaites de gravure, la
maison Breitkopf et Hàrtel. Les œuvres principales de Bach, Beet-
hoven, Chopin, Mendelssohn, Mozart, Schumann, Schubert,
Weber, etc., composent cette bibliothèque choisie, qui comprend
>
déjà plus de cinq cents ouvrages, tous revus avec le plus grand soin
et accessibles à toutes les bourses. Le dernier volume parti porte
le n° 512. C'est le premier recueil des œuvres pour piano de Xavier
Scharwenka (91 pages in-8", prix : 7 mk. 50,. Il renferme deux
suites de danses nationales polonaises, six Polonaises, six Valses^
une Mazurka, une Valse- caprice.
La même maison d'édition vient de mettre en vente une suite de
petits morceaux fort intéressants et empreint^de la poésie des mélo-
dies du Nord. Le titre est : Vier Charakterstjucke fiir das pianoforte
von Niels Ramkilde (op. 12).
Signalons enfin, parmi, les nouveaités, un chant provençal trans-
crit pour le piano à quatre mains par Lucian Tardif (ii Novi, cam-
nanejado per lou piano à quatre nian) et une transcription pour
^eux pianos à huit mains de la Mort d'Isolde, de Wagner, par Albert
Heintz.
La maison Schott, à Bruxelles, vient de mettre en vente le livret
des Maîtres chanteurs de Nuremberg, «comédie musicale en trois
actes et quatre tableaux de Richard. 'V\''agner, version française de
M. Victor Wilder.
La partition de piano et chant, ainsi qu'une étude sur les niotifs
typiques précédée d'une notice sur l'œuvre poétique, par Camille
Benoit, paraîtront prochainement, v ' ,
yHÉATF(Ep
Théâtre de la Monnaie. — Joli Gilles. . .
On a joué la semaine dernière à la Monnaie un opéra- comique en
deux actes de Poise, pastel délicat aux teintes de clair de lune où se
meuvent les personnages classiques de la pantomime italienne :
Pierrot et Colombine, Monsieur Pantalon, Madame Pantalon.
Pierrot, c'est Joli Gilles, montrant sa mine effarée et craintive à côté
du visage éveillé, souriant et charmant de Violette. L'un a trouvé
en M. Soulacroix un interprète parfait, jouant et chantant son rôle
à merveille. L'autre est personnifiée avec une grâce absolue par
M"« Angèle Legault, qui semble née tout exprès pour ce rôle léger,
qu'elle chante d'une voix charmante et mime avec de petits sourires,
de petites attitudes et de petits gestes tout à fait exquis.
La Surprise de l'Amour, l'A^nour Médecin, Joli Gilles, quel que
soit le titre de l'ouvrage, le sujet ne change guère etla nmsique suit
le sort du sujet. Poise doit être né à Bergame ou dans les environs,
tant il a d'affection pour les pantins qui en sont devenus les héros.
Son inspiration est cantonnée dans. un petit cercle de mélodies ténues
> >
comme un fil de soie; il les dévide avec dextérité sur les fuseaux de
son orchestre, sans les embrouiller. La trame qu*il tisse ainsi est
fragile comme le verre, dont elle a la transparence, légère comme
une houppe de poudre de riz, mais elle est agréable à contempler,
sans prétention et amusante.
Le tout tient dans le creux de la main. C'est si mignon, si gentil,
si •♦ talon rouge »», que l'impression produite est délicieuse.
Le public a ressenti le charme de cet art à la Willette. Il a rappelé
les artistes après chaque acte et fait un gros succès à la petite
partition du maëstrino.
Thkatre de l'Alcazar. — On bisse tous les soirs la Valse désor-
mais célèbre de YÉtudiant pauvre, joyeusement chantée par la
troup'e de M^e Olga Léaut, dans laquelle M"™» Lentz vient de rem-
placer M™* Marie Julien.
Thr;atre des Galeries. — ^Rip-rip va enfin succéder au Tokv du
'Monde. "
Théâtre du Parc. — Le jcmr du Mardi-Gras, Goquelin jouera
^our \& dorniëre (ois L& légataire universel:
M. Jean Van den Eeden organise, avec le concours de l'orchestre
du Conservatoire de Mons, un concert au bénéfice des pauvres, qui
aura lieu vers la fin de ce mois, ou au commencement du mois pro-
chain.
^
ETITE CHROfllQUE
Les conférences des XX sont extrêmement suivies. Environ trois
cents personnes assistaient à celle de Raffaëlli, qui a obtenu un très
vif succès. Nous en donnons plus haut un extrait important.
La conférence faite hier par M. Emile Sigogne a- également
réuni un nombreux auditoire. L'orateur a donné de Gustave Flaubert
un portrait physique et moral très étudié.
Il s'est attaché à trouver le caractère de son auteur dans sa
correspondance, dont il a lu un grand nombre d'extraits, choisis avec
discernement et reliés par de piquantes observations.
La Tentation de Saint- Anioine, que le conférencier e.stime
réaliser le plus complètement l'art de Flaubert, a fait l'objet de
commentaires intéressants et d'attrayantes lectures.
A samedi, très probablement, la conférence promise par le peintre
Ter Linden.
Voici la liste des œuvres qui, jusqu'à ce jour, ont été acquises
au Salon des XX.
J Ensor. Paysage. — W. Finch. Coin de village (Mariakerkei.
X. Mellery. X^>i coin de mon jardin l'hiver. — G. Meunier. Le
gardien du feu.— F. Ter Linden. Belle matinée. — J. Toorop.
Panique. — Id. Le ^es à Amsterdam. — Is. Verheyden, Dans les
dunes. — Th. Verstraete. Soleil couchant. Août. — Id. Coupe de
souchesL Février. — Id. Soirée de novembre. — G. Vogels, Dégel.
— Id. (Shaloupe de Trouvilie. .
Il résulte d'une découverte récente faite, en Italie, par M. Tom-
maso Sandonnini, que, contrairement à la légende, Jean Goujon n*a
point disparu dans les massacres de la Saiut-Barthékray. L'ne pièce
authentique, rencontrée dans les archives de Modène, donne du
voyage de Jeau Goujon et de sa mort en Italie' une preuve qui ne
saurait être contestée. On trouve de lui trois mention* dans un pro-
cès fait par le Saint-Office à un Français du nom de Laurent Pénis,
de Fontainebleau.
M. A. de Montaiglon, en traitant à fond la biographie du grand
sculpteur dans la Gazette des Beaux-Arts, résume .en ces termes
l'état actuel de la question et met à néant plusieurs erreurs cou-
rantes. « Il travaille pour Saiut-Maclou et à la cathédrale de Rouen
eu 1541 et 1542, et c'est ce qui permet de lui supposer une origine
normande. Il fait les sculptures de jubé de Saint-Germain- l'Auxer-
rois, en 1544; celles d'Ecouen, en 1547, date de lu publication de
Vitrure; celle de la Fontaine des Innocents en 1548 et 1540 ; celles
de rhO)tel Carnavalet et celles du château de l'Ecoueu vers 1550, qui
ess l'époque de sa plus grande force ; celles du Louvre, de 1.550 à
1552. Il quitte alors la France et doit mourir à Bologne eiitqe 15t)4
et 1508 ", c'est-à dire avant la Saint Barthélémy, qui est de 1582.
Les Essoristes organisent sous le patronage du Comité de la
Presse une exposition tinlaniaresque d'œuvres « d'art » de haute
fantaisie: Peintures, sculptures, dessins, aquarelles, etc.
Elle s'ouvrira le 20 février prochain, dans les salles dy Musée du
Nord, et durera environ quinze jours.
On prépare à Kiel un grand festival poui* célébrer le bicenfenaire
de la naissance de Hsendel et de Bach. La solennité aura lieu sous la
direction de Joachim, qui fera exécuter une cantate de Bach, le Josué
de Iltendel, et la symphonie avec chœurs de Beethoven.
Il II ■
M. Heinrich Hofmann, le jeune compositeur allemand, vient de
terminer la composition d'un opéra intitulé Donna Diana. M. Hof-
mann a été chargé d'écrire la cantate qui sera exécutée aux fêtes du
prochain anniversaire de l'empereur d'Allemagne.
M. Jules Dalou travaille en ce moment au groupe colossal qui lui
a été commandé parla ville de Paris pour la d^^coration de la place
de la Nation, et qui .symbolise le Triomphe de la République. La
figure principale, complètement achevée, est déjà moulée, ainsi que
le char sur lequel elle se dresse et les deux lions gigantesques qui le
traînent. Les figures acces.soires de la Justice et du Travail .sont éga-
lement assez avancées, ainsi que les éiffànts groupés derrière le
char. Mais il reste encore beaucoup à faire et, en raison d'un travail
de cette importance,. il n'est pas probable que l'on puisse, avant deux
ans, inaugurer le groupe de M. Dalou.
M"« Augusta Ilolmès, l'auteur de Lutèce et des Argonautes, va
ouvrir un cours de diction lyrique. Ce ne sera pas un cours de chant ;
ce que M'''^ Holmes se propose d'mdiquer, c'est la prononciation,
l'accentuation. Les cours seront donnés à la Salle Flaxlaud, rue des
Mathurins, 40, les mardis et samedis.
Le premier numéro de \ii. Revue contemporaine a paru le 25 jan.-
vier. Il contient 1.50 pages de texte signé Emile Henn<^;quin, Edouard
Rod, Edmond Haraucourt, F. Joussenet. E P^ngel.etc, et des lettre»
inédites fort intéressantes de Jules de Goncourt. « Là Revue con-
temporaine, déclare fièrement la rédaction, ne sera ni une publi-
. cation de propagande, ni une entrepri.se mercantile. A défaut
d'expérience et peut-être de talent, les écrivains qui la fondent ont
assez le respect, des choses littéraires pour ne point les exploiter, et
ils ont l'entêtement de préférer aux écrits de tout le monde, le leur.
Ils fondent cette Revue pour avoir l'honneur de la faire. »
Administration :^ rue de Toarnon, 2, à Paris. Abonnement :
France, 20 fr. — Étranger, 22 fr. . .
Le premier numéro de la Revue Wagnêrienne, dont nous avons
annoncé l'apparition, a paru le 8 février. En voici le sommaire :
lo Chronique de janvier; 2'^ Wognérisme, par Fourcaud; 3'^ Tristan
et Isolde et la critique en 18H0 et 18«55: 4'^ Le mois Wagnérieu ;
5° La légende de Tristan, d'après les romans du moyen-âge;
6'' Nouvelles. Paris, rue des Martyrs, 24.
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26, rue de V Industrie, à Bruxelles.
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nombre numéroté, sur grauil papier impérial du .Japon, Cii.ne L-enume trie a La
feuille, et Hollande Vjui (jeliler es.fa. Kl!e est unprimée en superbes oaraot-^Tes
gros romain elzevir anglais iieuis. I." lormat est in-4". Les ea-t'^te <ie page et
les culs-de-lanipe ont ete gravés spr'cialement. Elle est ornée d'un irnutispiOL»
d'après un modelagi» en cire de Charles Vander Slappen, dun portrait et .ie
huit estampes avant !a lettre, gravées par Evely, d'après les tableaux.
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Cinquième année. — N° 8
JjE NUM^IRO : 25 CENTIMES.
Dimanche 22 Février 1885.
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PARAISSANT LE DIMANCHE
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Adresser les demandes d'abonnement et toutes les communications à
l'administration générale DE l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
^OMMAI'flE
Les Vingt. Troisième article. — La kermesse continue. — Les
Maitres-Chanteurs '■ — Les palinodards. — Aîssociation des
artistes musiciens. Quatrième concert — Théâtres. — Mémento
DES expositions et concours. — Petite chronique.. ; '
Troisième article.
Presque, inconnu à Bruxelles où il n'avait jamais
exposé, Rafïaëlli passait pour un intransigeant excen-
trique et gamin, menant à Paris le sabBat des impres-
sionnistes, une bande de mauvais sujets plus préoccupés
de casser des vitres et de piétiner les parterres officiels
que de faire de bonne peinture.
L'ouverture du Salon a dissipé ces légendes qui
voletaient comme des oiseaux fantastiques autour de
son nom. Ses toiles minutieusement achevées, dessi-
nées avec la plus exacte correction, ont provoqué'
autant de surprise que l'aspect de sa personne, sa
parole châtiée, là modération de ses expressions ont
étonné l'auditoire qui se pressait à sa conférence. Mais
tant était enraciné le préjugé qui voulait que Raflaëlli
fût un hirsute, qu un chroniqueur a soutenu mordicus
que son art procédait de celui de Courbet ! Il manquait
cette amusante ânerie au bêtisier que publie par cha-
pitres, périodiquement, sous le titre ironique de Cri-
tique d art, \q Qhvom({\xQX3LV m^àii, -
Que Raffaëlli s'intitule caracté7Hste ou impression-
niste, peu importe, ces désignations, il le dit lui-même
dans l'exposé de son esthétique, n'étant guère autre
chose que des mots de ralliement lancés dans la circu-
lation pour entrer en communion d'idées les uns avec
•les autres. *Ce qu'il y a dans son art, c'est une curieuse
et fidèle observation de la vie contemporaine par un
œil singulièrement apte à saisir, en une synthèse
typique, les traits dominants des personnages qui
l'impressionnent. Nul mieux que lui n'a donné la
physionomie /exacte, saisissante, inoubliable, des dé-
classés de la banlieue parisienne, si vivants et si tra-
giques dans les bouts de paysages souffreteux, plantés
d'arbres maigres et de cheminées d'usine, où l'artiste
les fait mouvoir. Raffaëlli peut revendiquer l'honneur
d'avoir, le premier, exploré un coin déterre réputé inac-
cessible avant son arrivée. Il y a attaché son nom. Et
cette colonie nouvelle de l'art, il la fouille, il la parcourt
en tous sens, ill'exploite avec un bonheur inouï. S'il n'a
pas inventé de formules nouvelles, il en a trouvé une
application ingénieuse et forte qui lui assure, dans l'his-
toire de l'art, une place durable. « Je ne crains pas de
m'avancer, écrivait il y a quelques, années Joris-Karl
Huysmans, ce critique délié, en déclarant que, parmi
l'immense tourbe des exposants de notre époque,
M. Raffaëlli est un des rares qui restera; il occupera
une place à part dans l'art du siècle, celle d'une sorte
de Millet parisien, celle d'un artiste qu'auront impré-
gné certaines mélancolies d'humanité et de nature
demeurées rebelles, jusqu'à ce jour, à tous les peintres.»
Les Forger 0)îs, le plus impressionnant morceau de
son envoi, le Terrassier à la décharge, le Dimanche
au cabaret sont, à cet égard, des œuvres-maîtresses.
Dans V Armée du salut, le côté anecdotique domine, et
aussi une façon de mettre en relief le caractère bur-
lesque et bruyant des milices prédicantes et conver-
tissantes. Est'Ce une œuvre caricaturale, comme on l'a
prétendu? Pas précisément. C'est, pourrait-on dire,
l'interprétation française d'une scène qui paraît aux
Anglais très naturelle et très simple.^ A cet égard, ce
tableau est peut-être de tous le plus intéressant. Une
critique railleuse s'y unit à l'observation des caractères,
et il n'est pas jusqu'au rouge exaspéré des vestons de
flanelle des Soldats du salut qui ne concoure à cette
expression en bafouant le charlatanisme de ces exhi-
bitions.
Meunier, l'une des plus belles natures d'artiste que
nous possédions en Belgique, raconte aussi le labeur,
les souffrances, les joies tristes des humbles. Il décrit
les enfers des hotiillères, les fournaises de l'usine, et
dans un tableau ' dont la coloration n'est malheureu-
sement pas heureuse, mais dont le sentiment est char-
mant, le Déjeuner des grésilleuses, brusquement il
soulève un coin du rideau de misère qui assombrit la
vie des pauvres pour y laisser tomber un rayon de
soleil pâle.
Il y a entre l'art de Raffaëlli et celui de Meunier des
affinités de sujets, mais de sujets seulement ; car tandis
que l'un poursuit la recherche obstinée du Caractère
de chaque individu, l'autre généralise de plus en plus
et crée des types, lentement formés ps^r les alluvions
successifs qu'une suite d'années d'études apportent,
commodes flots battant la rive, à l'art du peintre. Son
Puddleitr modelé en cire, son Débardeur, la physio-
nomie caractéristique de son charbonnier dans La
Remonte, une œuvre magistrale, sont des créations
définitives. Plus justement qu'à Raflaëlli pourrait s'ap-
pliquer la comparaison faite par. Huysmans au sujet de
Millet. Le Paysan enfanté par le Maître à la suite de
longues observations que traversait, c'est indéniable, le
souvenir des belles lignes de l'antiquité, trouve dans
l'Ouvrier de Meunier un pendant. Il a même noblesse
et même humanité.
John M. Swan, un Anglais qui n'a pas trente-cinq
ans et dont le pinceau a une maîtrise étonnante, a été,
dès l'ouverture du Salon, le point de mire des admira-
tions. Jamais aussi grand succès ne récompensa plus
justement le mérite. Deux aquarelles, un pastel, une
peinture à l'huile de petite dimension, et voilà l'artiste
célèbre. C'est que ces pages enferment une grandeur
tragique rarement égalée. Les fauves qui ont fait l'objet
des constantes études de Swan ont une majesté telle
qu'on oublie ce qu'il peut y avoir à reprendre au point
de vue de la coloration dans les compositions du jeune
maître. On est empoigné avant d'avoir eu le temps de
raisonner et d'analyser la sensation éprouvée.
Pour prévenir ces impressions trop favorables, des
jaloux se sont efforcés, dès le jour de l'ouverture, de
démontrer que rien n'était plus facile que d'interpréter
les fauves aussi bien que M. Swan. « C'est inspiré de
Barye «, ont-ils dit. Si, au lieu de les peindre, l'artiste
les eût modelés, — il est sculpteur et peintre, — on
n'eût sans doute pas manqué de crier au surmoulage.
Quelques chroniqueurs se sont fait l'écho de ce
reproche, injuste selon nous.
A ceux qui accusent l'artiste de pasticher l'auteur de
Thésée combattant le Minotaure, il suffit de montrer
La lionne allaitant ses lionceaux y le plus séduisant
morceau de la superbe exposition de Swan. Qu'y a-t-il
de commun entre cette œuvre exquise, tout imprégnée
d'amour maternel et d'intimité, et les fauves de l'élève
du baron Gros? Rendons justice à Barye, le grand bel-
luaire romantique, le premier qui jugea les animaux
dignes d'une étude approfondie et qui les peignit et qui
les modela avec une magnifique crânerie. Mais, pour
Dieu ! qu'on ne lui confère pas le monopole exclusif des
tigres et des lions. Qu'on ne rabaisse pas le talent d'un
jeune artiste parce qu'il interprète les mêmes modèles,
alors qu'il n'a peut-être jamais vu la sculpture du
maître français.
Dira-t-on, par exemple, d'Alfred Verwée qu'il ne fait
qu'imiter Troyon parce que les vaches constituent ses
modèles de prédilection? -
Les Pêcheurs de Kroyer, qu'un critique de grand
format a pris pour « des voyageurs ou des ouvriers »,
ont une allure superbe. Dans le jour crépusculaire qui
noie les contours, à la lueur des étoiles naissantes, sous
le ciel froid des plages septentrionales, leurs silhouettes
s*estompent, simplement et grandement observées, tan-
dis qu'au large, ses fanaux allumés, glisse un steamer
dans 4'obscuri té croissante. Même sentiment artistique
intense dans une page charmante, petite celle-ci, et tout
intime : Le déjeuner dçs artistes à Grez. Remar-
quable envoi, que complète le buste expressif du peintre
danois Mich. Ancher.
La sculpture de ces deux peintres. Meunier et
Rroyer, est cent fois plus intéressante que celle du
sculpteur Lanson, dont VArdgonaise et la Bianca en
prière, froides images en relief, laborieusement mode-
lées selon les formules classiques, n'ont ni expression,
vie. Il en est . autrement de l'exposition d'Henry
ni
Devillez, chez qui,, à défaut de la maîtrise, qui n'est pas
encore venue, on découvre de belles qualités d'artiste :
de la distinction, de Télégance, un sentiment très fin
de la ligne. Quelques-uns de ses médaillons, caressés
avec une grâce féminine, possédant juste ce qu'il faut
d'accent pour leur donner l'expression, sont fort bien
venus. Son Saint-Georges a les qualités d'une bonne
œuvre décorative. Salomé, son œuvre la plus belle, et,
jusqu'à ce jour, croyons-nous, le point culminant de sa
carrière d'artiste, a eu, la pauvre! à souffrir des brutali-
tés des ouvriers du chemin de fer. Elle se présente dans
de tristes conditions, brisée, émiettée par places, des
plaies béantes déchirant sa chair de plâtre. En atten-
dant que le marbre fasse revivre l'énigmatique figure,
où la cruauté froide le dispute à la joie, on admire,
malgré les érafiures et les écorchures, la ligne ondoyante
et le modelé délicat de cette apparition fantasque où il
y a du serpent, du fauve et de la chatte, n'en déplaise à
l'auteur, qui a symbolisé par une sauterelle, pattes
repliées, sa symbolique composition.
Deux autres artistes belges complètent magistrale-
ment le contingent des invités du terroir. Ce sont
MM. Melh^ry et Ter Linden. L'un expose une série de
toiles d'une intensité de sentiment surprenante, —
parmi lesquelles U hiver, une impression crépusculaire
qui a la pénétration d'un tableau gothique, a été le
plus admirée, — et l'histoire de l'île de Marken,
racontée au crayon noir et à l'aquarelle par un peintre-
poète. Nous avons analysé l'an dernier, à propos de
cette même aqtl^relle qu'il expose cette année aux
XX : Jeim0s filles se rendant cm teniple, l'art pro-
fond, réfléchi et impressionnant de Mellery f). Nous
n'avons rien à ajouter aux éloges sans réserve que nous
lui avons adressés.
L'autre étudie ayec passion les aspects si variés de
la patrie, depuis nos plages ourlées de dunes où souffle
la brise fraîche de la mer du Nord jusqu'aux plateaux
ardenniais, isolés et tragiques sous leurs ciels bas. S'il
manque parfois de puissance, il donne de la nature une
interprétation émue, délicate. Dans quelques morceaux,
il est tout à fait heureux : dans son Hiver, par exem-
ple, un coin de village enseveli sous la neige, d'une har-
monie de tons charmante.
M. Lenain expose un beau portrait de Camille
Lemonnier, et un fort mauvais fusain académique inti-
tulé Diane. Tout â côté, deux bonnes lithographies de
Fantin-Latour et l'admirable série de gravures de Bra-
quemond, qui constitue peut-être la perle de tout-le
Salon. Les portraits de Jules de Concourt et de Jacques
Bosch, notamment, le David de Gustave Moreau et le
cadre enfermant Le coq et \e% Ebats de canards sont
de purs chefs-d'œuvre.
Nous n'analyserons pas les tableaux de Fantin-
Latour et de Cazin. On connaît notre admiration pour
ces deux maîtres, mais peut-être se rencontrera-t-il une
meilleure occasion d'en parler. L'envoi de Fantin n'est,
en effet, pas aussi heureux que d'habitude. L'obsédant
souvenir de \ Etude fait paraître assez terne le portrait
qu'il expose cette fois, et l'exécution sèche et minu-
tieuse de ses fleurs n'est pas faite pour effacer cette
impression. En regardant les paysages, jolis, sans doute,
trop jolis ! de Cazin, on ne peut se défendre de regretter
la Chambre de Gambetta^ et la Judith, et le Plafond
exposé en 1879, et toutes ces œuvres à la fois puis-
santes et douces qui tranchent si vigoureusement sur
l'art bourgeois qui gangrène la génération actuelle. •
C'est Fritz von Uhde qui représente l'école moderne
allemande. Il la représente sagement, en artiste qui a
des aspirations jeunes, mais dont le pied est encore pris
dans les broussailleuses traditions du sol natal. Un
vigoureux effort pour vous dégager, voyons. Le Joueur
dJ orgue du Salon de Paris était autrement juste de
tons et autrement intéressant que La Grande Sœur et
A la Campagne!
Quant aux Italiens, ils arrivent bons derniers.
Michetti,. un intransigeant qui a remué tout le pays
lors de l'exposition de Milan, où il exposait trente-
quatre tableaux (*), est tombé dans une correcte et vul-
gaire banalité. Mancini a des qualités de sentiment,
mais sa couleur salie et son exécution, lourde rendent
son art peu séduisant. •
{') Voir l'Art moderne du 4 mai 1884.
U KERMESSE CONTINUE
L'agitation continue dans les régions basses du reportage quoti-
dien où barbottent les malheureux que leur impuissance a em-
pêchés de s'élever à la surtace. Périodiquement le Salon des XX
remue des vases croupissantes. ., ■ -
Tout le petit monde grouillant et grenouillant qui habite les
marécages est en rumeur et coasse sur un mode lamentable parce
que le curage des étangs met à nu leurs misères.
Les rimailleurs de vers polissons, les ratés du pinceau et de la
plume, les fruits secs, les prudhommes en bourrelet de bébé, les
marchands de lorgnettes préposés à la critique, tout le pitoyable
et carnavalesque cortège des déclassés de l'art, secouant leurs
épaules encore rouges des coups de cravache qu'on leur a dis-
tribués l'an, dernier, aux applaudissements de la galerie, ont
imaginé une nouvelle parade. Il faut bien qu'ils gagnent honnê-
tement leur salaire !
Après avoir usé leurs ongles et leurs dents sur les Vingtistes
qui ont rejeté dédaigneusement cette meute plus bruyante que
dangereuse, ils essaient de mordre aux jarrets ceux qui défen-
dent le groupe victorieux et qui ont, dès le premier jour, pris à
ctDur ses intérêts. ' ^ . -
L'un se cache piteusement derrière un livre où il est lui-même
dépeint se faufilant dans les... portes cochères pour échapper...
aux quolibets. ParaveLl peu sûr que ce volume : il lui crève sur
le nez ! .
Un autre, exaspéré du triomphe de ceux sur lesquels il a
vainement craché son venin, ne parvient pas à cacher son dépit
de n'être pas parmi eux. Les di.x-neuf dos qu'il a vus tournés de
son côté quand il s'est agi de recruter un vingtième exposant
demeurent, dans son esprit inquiet, une vision hantante. Réfugié
dans les cercles secondaires où on le tolère, il ne pardonnera
(*] Voir VArt Moderne ISs^l, p. 248.
jamars aux XX de ne l'avoir pas pris plus au sdrîoux comrtie
peintre que comme critique.
Son inoffensive rancune de rapin est justifiée, mais quand
il cherche h faire rire, c'est bien dangereux, car ce n'est pas
de son côté que sont les rieurs !
Pour lui, dire de ses amis le bien qu'on en pense est une indi-
gniiév II n'est pas de nos amis, ef cela le tourmente. Qu'il se ras-
sure ! . ■ ■'■ ■■
Il s'étonne, enfin, qu'on envoie aux journaux des communiqués
et informations après avoir ércinlé les criliquels qui cuisinent
dans les dits journaux leurs reportages soi-disant artistiques. Sa
surprise est candide. Faut-il lui apprendre que ce sont les criti-
culets qu'on bafoue, et que c'est aux journaux que sont transmis
les renseignements ? La confusion donne de la suffisance naïve
de ces porte-plumes une idée réjouissante.
El maintenant, bon voyage. Tant qu'il plaira au mousse de
continuer la navigation qu'il a entreprise, et qui l'amuse, on
trouvera sur le pont à qui parler. Au revoir donc, jusqu'à une
prochaine occasion.
C'est une œuvre à part, d'un rabelaisien comique et d'un fan-
tasque shakespearien : gaminerie enfantine, gros rire débraillé,
rêves auréolés de clair de lune.
. Sujet simple : les amours du chevalier Waliher. Il est exposé
tout entier dans l'ouverture, une marche pesante, — l'art dogma-
tique, — auquel s'enlace la jeune floraison de l'art spontané.
Ces deux motifs s'enflent, se croisent, s'éjouissent d'arabesques
étincelantes et aboutissent aune claironnante péroraison, joyeuse
de forte gaieté populaire. :' ' : '
C'est la veille de la Saint-Jean, fêle dés Maîtres Chanteurs et des
fiancés. L'église Sainte-Catherine de Nuremberg écoute mourir
le dernier verset d'un choral gothique;, et, pendant que sous les
voûtes montent les hymnes soupirants, Walther, le chevalier, du
geste et du regard, adresse à Eva une ardente prière. Hier, il est
entré dans la maison de Pogner l'orfèvre et il s'est épris d'Eva,
sa fille. 11 la guette au passage, d'un œil amoureusement inquiet.
Voici que, les prières finies, le peuple sort de l'église. « Eles-vous
a promise, Eva? Un mot, de grâce, un mol, tout bas! Etes-vous
« promise? » Non, mais son père a juré de la donner en mariage
à celui qui triomphera dans le concours des Maîtres Chanteurs.
II. a lieu aujourd'hui même, dans cette église. Aujourd'hui
même, Walther! Mais le miraculeux amour effeuille au ciel d'or
les poètes!
On apporte les bancs des maîtres, l'estrade du marqueur de
fautes, le siège des Concurrents ; les apprentis s'agitent, s'égayent,
se querellent : petites flûtes rieuses, violons babillards, contre-
basses bourdonnantes, cors espiègles. Et l'apprenti David enseigne
au chevalier les règles du chant magistral : «Quels modes? Quels
tons? Le bref, le long, le traînard, la tortue, la plume d'or,
récritoire d'argent, l'azuré, l'écarlate et le vert de laitue, la ma-
nière des fleurs de haies, la manière des marjolaines, les arc-en-
ciel, le rossignoJ joyeux, la peau de l'ours, le pélican fidèle et
une multitude d'autres manières et d'aulres tons, très difficiles à
grouper dans les replis musicaux de sa cervelle. »
Mais Walther ne s'épouvante pas de tout ce jargon, il se pré-
sentera devant les maîtres, il chantera, la voix parfumée de
rétcrnelle poésie. ,
Viennent les maîtres; disdussions de formalisme. « D'où virnt
le concurrent; quel fut son Imaîlru, son école? » — « Les brises,
les feuillées, les oiseaux ! » — « Nous ne "connaissons rien de tout
cela. » Et le rouge él bedonnant Beckmesser, amoureux d'Eva,
sent en Walther un rival et, de sa voix aigûe et gargouillante,
enterre sous de pesantes objections toute cette eftlorescence
lyrique. Les bassons, les tubas, les cors en sourdine, les clari-
nettes, drolatiques, bouffons et hoquetants, dessinent merveilleu-
sement ce graisseux apôtre du culte traditionnel. « L'honneur de
la maîtrise est perdu si l'on admet Walther, la dignité de l'art,
la sainteté de la corporation ! » Heureusement intervient le cor-
donnier-poète, Hans Sachs, le plus respecté des maîtres. « Pour-
quoi vous enfermer dans votre pompeuse dignité? Aux cœurs
simples et naïfs, il faut être doux et bon. »
Et Walther prélude devant ces bourgeois austères et ratatinés,
carres sur leurs bancs massifs avec la solennité des Holbein et
des Dilrer. Et Walther prélude; il improvise une ode sublime au
Printemps. Et l'aigre marqueur marque, marque. Oh ! les fautes,
les faute?, les fautes', les fautes. Encore. Hiatus, mauvaise césure,
distique boiteux, pathos, non sens... et mots douteux. Et encore.
Oh ! les fautes. Cette mystification n'a que. trop duré ! Mais
Sachs, plus indulgent, 'fgit observer que ce chant libre et pur
n'est point déréglé; il invite Walther k continuer. Au milieu du
tumulte, plane l'ode envolée. Le chanteur est condamné, raillé
par les apprentis et les écoliers; seul, maître Sachs, profondé-
ment troublé, a vu le vrai poète, le noble, le grand et fier esprit.
La toile s'abaisse sur les ironiques chuchotements des bassons.
La nuit plaintive est sur Nuremberg. Jeunes gens et jeunes
filles célèbrent par des rondes et des jeux la veillée de Saint-Jean.
Et tandis que turbulent les uns, Sachs se met h l'ouvrage, pensif.
Mais il ne peut pas travailler; ses outils tremblent dans ses
mains : dans sa pensée murmure et chante l'ode du Printemps
et l'orchestre insinué en nous la plus intime de ces rêveries. Le
ciel se voile; les lumières brillent aux fenêtres. Eva rentre avec
son père. Mais elle revient bientôt s'approche du vieux poète et
s'informe adorablement dû sort de celui qu'elle aime. Oh! la mu-
siqueiiivinemenl mystérieuse, oh! l'instrumentation pénétrante et
nocturne! Les paternelles railleries s'éloilent de irisicFse; mais Eva
ne le voit point, et celte gaîté fait scintiller aux pointes de ses cils
les diamants des larmes. Walther paraît. Et l'orchestre se pâme
en frissons d'amour : les amants fuiront au loin sous l'indul-
gente protection de l'ombre.
Quelqu'un les surveille ; Hans Sachs, rentré dans son échoppe,
projette sur eux les rayons de sa lampe. Ils se cachent sous les
branches d'un tilleul « partons, partons » ! Mais au moment où
Walther veut s'avancer, Eva le retient : Beckmesser est là, accor-
dant son instrument pour une mélancolieuse sérénade et cet
instrument, une harpe minuscule aux timbres saugrenus, rend
des sons miraculeusement faux et bizarres. Il va chanter ! Mais
Sachs, qui a placé sa lampe de telle sorte qu'elle éclaire la rué,
lève son marteau et frappe, endiablé^ frappe, frappe sur sa forme.
Beckmesser interrompu tout net, veut continuer : le luth et la
voix s'éraillent sans merci ; Sachs commence aussi une chanson
burlesque. Cacophonie; tout le voisinage se réveille.
« A la garde, au secours! Qui veut-on écorcher? » — Les
habitants sont tous aux fenêtres. — « Holà! quel tapage et quel
sabbat? Holà! je crois que l'on se bat! Ah! les braillards, les
aboyeurs ! Quoi les droguistes, les merciers qui prennent part à
l'algarade! Et jusqu'aux épiciers qui se sont mis en embuscade.
Ça sent en plein le poivre el la muscade! » — David s'imagine
que l'on en veul à Madeleine, sa fiancée, se précipite dans la rue,
à demi- vêtu, et rosse Beckmesser. Les voisins aussi. Le théâtre
s'encombre de bourgeois, d'ouvriers, de femmes d'écoliers.
« Vous ici! — Vous en êtes aussi? »
— On me culbute! Bélître! Vaurien ! Oh! la racaille! Oh! quel
vacarme et quel sabbat! Mais voyez donc comme on se bat! A
l'assassin, à l'incendie, au feu ! » Et le thème de la sérénade vole,
se brise, se cogne, rebondit, braillé, s'cnflant, plus haut, plus
bas, s'envole, cogne et rebondit, el les gourdins sur le dos du
chansonneur. «Holà! qu'il pleuvedes gourdins. Ne bronchons pas,
frappons à tour de bras ! Quelle bagarre! Qu'on les sépare! Frappe,
frappe! »
Oh! la fugue fantastique, la fugue fantasjlique!
« Bonnes gens, il est onze heures ;
Dormez en paix dans vos demeures.
Le ciel en écarte tout revenant
. . ^ Et tout esprit malfaisant ; '
Louez le Dieu tout puissant !»
Le falot à la main, traînaillant son monotone couvre feu, c'est
le veilleur. La lune monte au ciel plus clair. Où est la bagarre
et ses échos? Oh ! le calme profond sur la cité endormie et
l'assoupissement des notes susurrantes ! *
C'est la Saint-Jean. Sachs, courbé sur un livre, médite : le
soleil traverse, joyeux, les verrières rieuses de la chambre.
« Le chevalier prendra sa revanche; à tantôt le concours défi-
nitif et le collier triomphal !» ' ,
David entre, rubans et fleurs, el le chevalier-poète. « Chante »
dit le maître, et s'épanouit la radieuse floraison lyrique. El le
maître émerveillé transcrit les frémissantes svllabes. Et vient
Eva, aussi, la douce désolée et. . . Beckmesser encore, Beckmesser,
boîleux, moulu, racorni par la rossée nocturne. Les vers de son
rival révent sur cette table. «Un morceau de concours... de
Sachs!.'. Mordlcu! Ah! j'ai lu dans son jeu. Prenons- le!... » El
Sachs le lui abandonne, ayant là-dessus son dessein.
Beckmesser s'enfuit exultant, oublieux des coups de trique et
des meurtrissures, tandis que les amants répondent par leurs
jeunes amours à ses grimaces séniles.
Le décor change : au loin les toits de Nuremberg, ici la plainp<^
Tout le peuple grouille, crie, chante et danse. Taratatarantes
trompettes; costumes scintillants, bannières flambantes, les eaux
jaunes de la Pegnitz se réjouissent de gais reflets. Fêle des
Maîtres Chanteurs et fête des fiancés. Berceuse et tintante ondule
la valse.
Les Maîtres!
El la joie populaire s'exalte en triomphantes acclamations, au
vent des écharpes el des palmes, el l'on entend planer d'une aile
large el lente le cantique de Witlemberg. Sachs, très ému,
s'assied avec les Maîtres sur l'estrade enguirlandée et ouvre
le concours.
Paraît Beckmesser. Il chante. Est-ce chanter?
Les plus indulgents se regardent avec stupeur,-jen entendant
ses paroles baroques el ce galimatias inintelligible (car par erreur
de lecture ou manque de mémoire, il a complètement défiguré
la chanson que Sachs lui a donnée).
Qu'est-ce à dire? La peste soit du cuistre saugrenu !
Les rires étouff'és se gonflent, secouent les ventres el les
gosiers. El Wallher, confondant le plagiaire, triomphe : Eva
lui appartient et Sachs, couronnant sa jeune gloire, le bénit.
Et telle est cette œuvre inattendue, d'un rabelaisien comique,
d'un fantasque shakespearien : gaminerie enfantine, gros rire
débraillé, rêves auréolés de clair de lune, le beau liseron, enlacé
au temple sévère de la solennité classique.
LES PAIIKOPARDS
On connaît désormais la tactique des myopes et des asthma-
tiques qui, ennemis non par volonté, mais pas nature (ce qui est
pire, car c'est incurable;, on porte pareille infirmité avec soi,
comme le colimaçon sa coquille) viennent de se rallier effronté-
ment à l'art jeune qui trouve son expression indomptable et
éclatante dans les XX, après avoir, l'an dernier^ attaqué, mordu,
conspué, hué, sali cette tentative hardie de culbuter définitive-
ment leurs complaisances pour les vieilleries académiques et les
représentants de ces vieilleries, dispensateurs ofiiciels de réconri-
penses, de subsides et d'éloges.
Ils se rallient au nouveau mouvement parce quil triomphe,
comme ils le reniaient quand, dans leurs prévisions niaises, ils
croyaient qu'on allait l'élouff'er.
Jamais on n'a attaqué l'art jeune, telle est la déclaration auda-
cieuse que critiques el artistes, dans ce groupe déçu, répètent
à satiété.
Nous y avons répondu dimanche dernier en signalant les bru-
tales mesures d'exclusion ou d'intimidation qu'à la dernière
exposition triennale encore le clan des vidés el des essoufflés a
prises contre les novateurs.
« Ah ! vous croyez qu'on peut se passer de nous et de nos subal-
ternes de la presse el des ministères, ont-ils grommelé. Ah ! vous
vous imaginez que l'art est une question de caractère en môme
temps qu'une question de talent! Ah ! vous proclamez comme un
évangile nouveau qu'il faut être libre de toute entrave et qu'il y
a péril à ménageries reporters et les gens en place!. Eh! bien, à
la porte! » Et alors l'inoubliable formule : Si vous n'êtes pas
contents, exposez chez vous.
Aujourd'hui c'est à qui se défendra d'avoir eu ces pensées et
d'avoir tenu ces propos.
Le vent,. en eifel, a tourné. Le Salon des XX est le plus
^rand succès de peinture qui se soit vu en Belgique. Et le public,
désormais convaincu, gronde et montre les dents aux détracteurs.
Ceux-ci rentrent la queue entre les jambes, baissent les oreilles,
et viennent comme nous le disions, lécher les mains qu'ils mor-
daient el eussent voulu mordre encore.
Jamais on n'a attaqué l'art jeune! On ose dire cela quand
-Wîisloire de ces vingt-cinq dernières années est celle d'une cam-
pagne ininterrompue, perfide, cruelle, contre tous ceux qui s'en
proclamaient les apôtres; quand nombre de ces apôlres sont
morts des lâches méchancetés dirigées contre eux sans pitié.
Jamais on n'a attaqué l'art jeune? Et parmi ceux qui le disent,
on compte celui qui l'an dernier, après avoir accueilli l'offre qui
lui fut faite d'être secrétaire des XXy pris de peur et ne pré-
voyant rien (tant sa vue est pénétrante) recula au dernier moment
et (à ses regrets intarissables) se voit aujourd'hui remplacé sans
espoir de récupérer jamais l'honneur qu'il a sottement dédaigné.
Jamais on n'a attaqué l'art jeune! Et parmi les artistes qui
s'étaient d'abord enrôlés, on en compte un, un sculpteur d'un
admirable talent, qui, sous l'impression des craintes que surent
lui inspirer les adversaires acharnés de la nouvelle école, déserta.
^ . r
Vraiment celte palinodie est aussi amusante que misérable.
Elle est aussi le plus puissant encouragement pour ceux qui ont
osé. Oui pour ceux qui ont osé conseiller cette rupture avec l'as-
servissement passé et pour ceux qui ont osé l'accomplir.
Un nouvel incident vient compléter la comédie que nous dénon-
çons. Il concerne Ter Linden.
Jusqu'ici Ter Linden était systématiquement oublié, systémati-
quement sacrifié.
Messieurs les reporters à faux nez de critiques, n'en parlaient
guère. Dans les expositions on le mettait dans les coins, quand
on ne le mettait pas à la porte.
Voici que tout ce monde se prend maintenant d'engouement
pour lui. Ter Linden par ci, Ter Linden par là. Ses tableaux sont
remarquables. Sa personnalité est sympathique. C'est non seule-
ment un peintre, mais un penseur. Il faut le nommer du jury.
Tous l'ont toujours défendu. Qui donc l'a méconnu? Ni vous, ni
moi, n'est-ce pas? Moi surtout. Pourquoi n'est-il pas décoré? Est-
ce permis ?
Palinodards, va! Palinodards! On se tient les côles à vous voir
évoluer.
Ce ne sera pas voire dernière métamorphose. Vous les subirez
toutes, toutes. Et nous disons subir parce que au fond du cœur
vous ragez et que même dans vos professions de foi nouvelles,
on sent la colère et l'envie.
Mais au fond, tant mieux. Votre abandon des idées qui vous
furent chères est la plus éloquente confirmation des idées que
vous avci dénigrées.
Seulement, mes petits, il ne faut pas que vous alliez jusqu'à
dire que vous les avez inventées. C'est, on le sait, votre cou-
tume, mais on veille, on veille. Et quand yous mettrez les pattes
dessus, on sera là pour vous donner sur les ongles les coups de
règle qui vous l'es feront lâcher.
^^^OClJKTlOn DE^ ^RTl^TEp MUSICIEN?
, Quatrième Concert.
Le public de l'Association est fait de trois éléments : des habitués
de la Grande Harmonie^ des déballages d'Anglaises et des artistes.
Les deux premiers constituant la majorité, leur goût fait prime au
programme, et les artistes n'ont qu a se résigner en écoutant, ça et là,
une miett« de Schumann ou de Wagner et en se gardant bien d'in-
terrompre la foule en ses trépignements.
L'Association avait fait un effort pour sortir de son état de virtuo-
tisme aigu ; elle y est retombée en plein. Le dernier concert est venu
effacer la bonne impression des deux précédents.
Nous n'avons pas à reparler de M. Gresse, non plus que de
M"« Marx, la minutieuse pianiste à fleur de touches; mais il y avait
une débutante, M"* Jane de Vigne, à qui le public a fait un accueil
chaleureux qu'elle a pu prendre pour flatteur, et que nous trouvons
immérité, ce qui est de notre part un éloge. M"e de Vigne ne
nous paraît pas destinée à sombrer, la tête en avant, dans la méca-
nique à roulades; on a bien fait de le lui dire dès le début, comme
nous le lui disons ici. Un, confrère a eu ce mot juste : •♦ Accueil
trop sympathique »». IL s'explique parle regret de voir une artiste
se donner à gosier perdu au caprice des badauds, car la foule, quelque
spirituels qu'en soient -les individus, considérée dans sa masse, est
badaude, et neuf fois sur dix, ses sifflets valent mieux que ses applau-
dissements.
Après un air de la Soinnamhuley dît en italien, M"e de Vigne a
chanté les- variations de Proch. Elle a essayé d'avoir les mouve-
ments de têtô, les contorsions de bouche, ses roulements de yeux et
tous les clichés que les professeurs de gargarisme annotent comme
des nuances sous les traits. Nous sommes heureux de dire qu'elle
n'y a pas réussi ; car loin d'en vouloir à sa gracieuse personne,
nous n'en voulons qu'à son genre et à ceux qui l'y ont poussée.
Admettons même que nous ne l'avons pas entendue et que notre
critique ne l'atteint pas. Nous soupçonnons en elle une jolie
voix et une. intelligence d'artiste. Voilà tout, et lui demandons de les
faire servir à autre chose qu'à la ressurrection de pareille musique.
Entre autres morceaux d'orchestre, signalons un Intermezzo de
Sandre, ciselé à la Delibes et délicatement exécuté sous l'intelligente
direction de Jehin.
; YhÉATF(E^ ' :
Théâtre de la Monnaie. — Encore un départ. M>i« Angèle
Legault vient de signer un très bel engagement que lui a otfert le
directeur du Grand-Théâtre de Lyon. Le départ de la charmante
artiste, qui a conquis à Bruxelles toutes les sympathies, sera vive-
ment regretté.
Le succès de Joli Gilles s'accentue. On a donné vendredi, devant
une belle. salle, la quatrième représentation.
On espère que les Maîtres- Chanteurs pourront passer le 4 ou le
5 mars.
Théâtre de l'Alcazar. — Tous les soirs ï Etudiant pauvre.
Théâtre du Parc. — Nous apprenons que M. F. Huguenot,
l'excellent artiste du théâtre du Parc, quittera Bruxelles à la fin de
la saison. Il est, parait-il, engagé à Paris.
Théâtre Molière. — Aujourd'hui dimanche 22 février. Le Son-'
ncurde Saint-Paul, drame en 5 actes, dont un prologue, par M. G.
Bouchardy. M. Laray remplira le rôle du sonneur de Saint-Paul.
Demain lundi, 23 février, pour la dernière représentation avec le
concours de M. Laray^et au profit des ouvriers sans travail, repré-
sentation organisée par « Le Dispensaire du Nord >» : la Closerie des
Genêts, dranie en 5 actes et 7 tableaux, par Frédéric Soulié.
M. Laray remplira le rôle de Kérouan.
On mettra bientôt à l'étude le Prince Zilahy que M. Bouffard a
acquis le droit de représenter. • •
' MEMENTO DES EXPOSITIONS ET CONCOURS
Anvers. — Exposition universelle. Mai à octobre 1885.
Anvers. — Salon des refusés et exposition des artistes indépen-
dants. Ouverture en mai. Pour tous renseignements s'adresser au
secrétaire du Cercle des artistes indépendants, 1, rue de l'Angle,
Bruxelles.
Bruxelles. — Exposition tintamarresque de l'Essor au Musée
du Nord. Ouverture 28 février. — III^ exposition de Blanc et
Noir à VEssor. (Limitée aux membres du Cercle). Mai 1885. —
Exposition historique de gravure, par le Cercle des aquarellistes et
aquafortistes. Mai 1885.
Bruxelles. -^ 25* exposition,annuelle de la Société royale belge
des aquarellistes. Ouverture le 4 avril 1885.
Londres. — Exposition internationale d'instruments de musique.
Ouverture en mai 1885, à South- Kensington. •
Id. — Du 31 mars à la fin de septembre exposition internationale
et universelle d'Alerandra-Palace, comprenant notamment les arts
et métiers, et exposition de tableaux et objets d'art des principales
écoles du continent.
NuRKMHKRO. — Exposïtîon internationale d'orfèvrerie, de joaille-
rie, de bronzes, etc.. Du 15 juin au 30 septembre 1885.
Paris. — Salon de 1885. — l*^"" mai au 30 juin 1885. — Peinture^
dessins, etc. Dépôt des ouvrages au Palais des Champs-Elysées, du
5 au 14 mars. Vote, le mercredi 18 mars, de 9 h. à 4 h. — Sculp-
ture, Gravure en méd. et sur p. f. Dépôt du 21 mars au 2 avril.
Vote, le mardi 7 avril, de 10 à 4 h. — Architecture, Dépôt du 2 au
,r-
5 avril. Vote, le mardi 7 avril, de 10 à 4 h. — Gravure et Lithogra-
phie. Dépôt, du 2 au 5 avril. Vote, le lundi 6 avril, de 10 à 4 h.
Paris. — Exposition internationale de blanc et noir, organisée
par Le Dessin, au Palais du Louvre (pavillon de Flore). Dii 15 mars
au 30 avril. Dernier délai d'envoi : 5 mars. Trois sections : 1» Des-
sins; 2° fusains; 3o gravures.
Il sera distribué trois médailles d'or, 18 médailles en argent,
9 médailles de bronze et 15 mentions honorables.
Deux envois seulement par artiste. Adresse : M. E Bernard, au
Louvre.
Rotterdam. — Du 31 mai au 12 juillet. Dernier délai : 16 mai.
Renseignements : M. Veders, secrétaire, 42, Boompjes, Rotterdam.
Gand. — Statue du docteur Joseph Guislain. Clôture : 31 jnars
1885. Les œuvres doivent être envoyées au concierge de l'Université
de Oand, rue des Foulons, et porter la suscription : Au comité
constitué pour l'érection d'une statue au docteur Joseph Guislain. —
Envoi : Maquette de la statue et du piédestal (25 centimètres au
total), dessin détaillé de la grille et indication de la disposition du
dallage entre le grillage et le piédestal. — L'artiste doit s'engager à
livrer pour 19,000 francs les travaux de maçonnerie nécessaires, la
statue, le piédestal, le grillage et le dallage. — Documents et pho-
tographies chez le Dr B.-G. Ingels, médecin de l'hospice Guislain,
à Gand.
Paris. — Statue de Paul Broca (hauteur 2"i, 20) maquettes de
70 centimètres, déposées à l'école des Beaux-Arts, le ler septembre
1885 avant 5 h. 8000 fr. à l'artiste désigné pour l'exécution en plâtre
du modèle définitif, destiné à être coulé en bronze aux frais de la
commission du monument. 1000 fr. et -500 fr. aux deux concurrents
les plus méritants après l'artiste choisi. S'adresser à M. le docteur
Pozzi, 10, place Vendôme.
RicHMOND (Virginie). — Concours pour un monument à Robert
Ltee, jusqu'au 1er mai 1885.
Saint-Nicolas, — Concours de gravure du Journal des Beaux-
Arts-. Histoire : prix 400 fr. pour la meilleure eau-forte (sujet inédit
ou copie d'un tableau flamand ancien ou moderne' Genre : prix
300 fr. Paysage et intérieur : prix 200 fr. Dimension maximum des
cuivres: 0'"260 sur 0'nl90. Dernier délai : 31 juillet 1885. Envoyer
franco avant cette date 2 exemplaires sur papier blanc et 2 exem-
plaires sur chine.
Vienne. -^ Concours pour l'érection d'un monument à Mozart.
?
ETITE CHROJ^IQUE
A voir chez Dietrich, rue Royale, la belle collection d'aquarelles
et de tableaux de Mauve,'- le maître hollandais. Ses aquarelles surtout
ont un charme pénétrant. Toutes sont d'une exquise distinction de
coloris et d'une intimité séduisante. Mauve paraît plus apte à manier
le pinceau que la brosse. Ses tableaux, un peu secs, n'ont pas la
fluidité d'atmosphère de ses peintures à l'eau, qui évoquent merveil-
leusement les aspects de la Hollande,
M. G3orges Rodenbach vient de remporter avec son nouveau
manuscrit : La Jeunesse blanche, le prix de poésie au Concours de
l'Union littéraire.
Depuis hier sont exposés, dans la salle dt* sculpture du Salon des
XXy Tue de la Régence; les dessins de MM. Gharlet. Khnoptf et
Meunier, pour illustrer le Vice suprême de Joséphin Péladan.
M. Khuopfir expose en outre les deux dessins quil a faits d'après
La Forge lioussel d'Edmond Picard,
La clôture de l'exposition est annoncée pour la tin de cette
semaine.
Un deuxième concert de musique russe sera donné à Lièîre, le
samedi 18 courant, à 7 12 h , à VÈnnilation.
M'"e la comtesse de Mercy-Argenteau s'y .fera entendre en com-
pagnie de M, Heynberg, dans deux morceaux de G. Gui pour piano
et violon.
La pianiste soliste sera M"'e E. Delhaze, qui jouer aune Suite de
Glazounort", SascJia, et une 2'arentelle slave, de Dargomysky,
arrangée par Liszt.
M"e G. Begond chantera la Chanson cirCiu^Mne de C. Cui. avec
chœur et orchestre, et M. Byrom sera cette fois dé la partie.
t'orchestre du Théâtre-Royal, sous là direction de M T. Jadoul,
exécutera la Symphonie de A. Borodine, les Danses ctrcassiennes et
la Tarentelle <\e C. Cui, '
Enûni]e Cercle choral de l'Émulation interprétera : l» L'entr'-
acte et chœur et 2" le chœur des Cadeaux et le finale du second acte
du Prisonnier du Caucase, de G, Gui, et le chœur déjeunes filles
du 3*^ acte de fiorw G^odouno;^, de Moussorgsky,
Le produit du concert est destiné à la fondation de bourses
d'études à la section des dames du Cercle Polyglotte de Liège, dont
M^e de Mercy-Argenteau est la présidente d'honneur.
M^'e Jane de Vigne, cantatrice, donnera un concert le mardi
3 mars 1885, à 8 1/2 heures; à la Grande-Harmonie, avec le concours
de M"e NoraBerghe, pianiste, et de M.Jenô Hubay, violoniste, pro-
fesseur au.Consei'vatoire de Bruxelles.
Dimanche 8 mars, à 2 heures, séance d'instruments à vent donnée
par MM. Dumon, Guidé, Merck, Poncelet, Neuman et De Greef,
dans la grande salle du Conservatoire. Samedi 7, à 3 heures, répé-
tition générale.
Le concert d'Albert, annoncé pour le 5 mars, n'aura pas lieu.
Le jeune pianiste se fera entendre le 3 mars, à Anvers.
Au. Cercle, le huitième concert de la saison, retardé paf suite de
l'indisposition d'un des exécutants, aura lieu le samedi 27 février.
Il sera consacré à l'audition d'œuvrés de M. Benjamin Godard.
Il vient de se fonder à Namur une nouvelle société chorale, à
laquelle ses membres ont décidé de donner le titre de Cercle Féli.r
Godefroid. Déjà, il y a quelques années, la ville de Namur, voulant
rendre un hommage mérité au célèbre harpiste qui est l'un de ses
plus dignes enfants, avait donné son nom à l'une de ses rues.
M. Roudil, directeur du théâtre de Toulouse, avait l'intention de
monter, dans^ le courant de la saison, le Lohengrin, de Wagner.
■Lorsqu'il s'es't adressé à M. Durand Schœnewerk pour l'achat ou la
location de la partition, il lui a été répondu que la famille de Wagner
s'opposait à ce que l'ouvrage fût représenté en province avant d'avoir
été représenté à Paris. Le directeur du théâtre du Capitole avant
insisté, les éditeurs lui ont écrit : > — "-,
« Croyez bien que nous sommes désespérés de ne pouvoir vous
donner satisfaction en ce qui concerne Lohengrin.
» Il y a en ce moment trois directeurs à Paris qui se disputent
Lohengrin. C'est de là que proviennent les désirs de la famille
Wagner de voir l'ouvrage donné d'abord à Paris, ce qui aura certai-
nement lieu la saison prochaine.
« Voyez si vous ne pourriez remplacer Lohengrin par Tannhâu-
ser. Pour cet ouvrage déjà donné à Paris, il n'y aurait pas les mêmes
difficultés. »
Voici le programme du festival donné aujour-d"hui à Paris en
rhohneur de Félicien David :
A, Fragments d'Herculanum. — I. Prélude pour orchestre. —
II. Chœur et prière. — III. Extase, par M. Bosquin et les chœurs.
B. Le Jugement der^iier grande scène inédite). — La vallée de
Josaphat. — Réveil des morts. — Marche des trépassés. — Lejuçre-
ment. — Chœur des élus. — Malédiction des réprouvés. — Apo-
théose
"^C. Le désert. — Ode-symphonie, poésie de A. Colin (M i« Rous-
seil et M. Bosquin).
MM. Titz. Hàgemaus et Vos ont remplacé, à la Société royale des
Aqjiarellisl^s, >fM. Franoia et Van Moer, décédés, et M. Gabriel,
qui a quitte la Belgique pour retourner en Hollande, son pays natal.
Le Cercle des artistes indépend'.aits de Bruxelles se propose d'or-
ganiser à Anvers, au mois Je mai prochain, une exposition de beaux-
arts, comprenant la peinture. l'aquarelle, le dessin, la gravure, la
céramique et la sculpture. Les artistes étrangers à la société pour-
ront V faire admettre leurs œuvres, movennant une cotisation fixe
de douze francs. L'exposition du cercle se fera sans jury d'admission.
Le nombre d'œuvrés qu'un même artiste peut exposer est illimité.
Le choix du local et la date de l'ouverture de Texposition seront rixes
ultérieurement. Siège social : rue de l'Angle, 1, Bruxelles.
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sions et Chimères, 2 fr. -- Op. 48. Tambour battant, 2 tr.
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A
Cinquième année. — N° 9.
Le numéro : 25 .centimes.
Dimanche P*" Mars 1835.
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00 ; Union postale, ff. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser les demandes d'abonnement et toutes les communications à
L ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE l'Art Modeme, PUB de l'Industrie, 26, Bruxelles.
^OMMAIRE
L'In'Cidext Caron. — Le laid dans l'art] — L'Impression* -
MSME. — Racz Pal. -^ Gazette de Hollande. — Chronique
JUDICIAIRE des arts. — MeMENTO DES EXPOSITIONS ET CONCOURS. —
Petite chronique. ■- - ,
L'IXCIDÈXT CAROX
Le caractère hebdomadaire de notre journal est
cause que nous arrivons très en retard pour donner nos
réflexions sur l'incident qui, il y a quelques jours, a
si fort occupé Bruxelles, et déjà s'en va, grand
train, dans les brumes où, en ce temps de hâte, se
perdent si promptement toutes choses. i)e grandes
clameurs à propos de tout, puis promptement laffai-
blissement, le silence, voilà la dominante pour les évé-
nements, même les plus importants, même les plus
, intéressants.
Peut-être qu'arrivant comme arrière-garde sur le
champ de la mêlée vide et apaisé, au milieu des herbes
foulées et des fourniments abandonnés, nous pourrons
mieux parler, sinon' de la bataille finie, au moins des
motifs de la lutte et de ses conséquenses. Nous pour-
rons aussi, sans doute, le faire avec plus de calme et
de présence d'esprit.
Il est très caractéristique, cet incident, pour apprécier
ce terrain bruxellois, mi-mondain, mi-provincial, dans
lequel il a surgi et s'est déchaîné. C'est à ce terrain
— iju^estihie, semble- t-il, la violence de l'accès bien plus
qu'aux faits eux-mêmes. Mais ce milieu étant donné
rien n'était plus redoutable que l'imprudence du
peintre, rien de plus inévitable que la voracité du pu-
blic à se jeter sur cet aliment propre à nourrir son
appétit de scandale, rien de plus légitime que la colère
de la femme, de la mère, de l'artiste, digne de tous les
respects comme de toutes les admirations, et sa promp-
titude à protester avec une énergie en rapport avec sa
personnalité passionnée et virile. Elle a d'instinct com-
pris que si elle ne procédait pas elle-même à une exé-
cution sommaire, elle était fatalement exposée à se voir
mise en pièces par les cancans, les vilenies, les méchan-
cetés venimeuses de ce joli monde qu'elle doit commencer
à connaître depuis tantôt dix-huit mois qu'elle y est en
plein. Déjà le petit reportage, ce donneur de signal,
entrait en action, et, embusqué au coin du bois nommé
Échos delà ville, avait lancé son premier vitriol.
Il fallait tordre le cou à cette volaille caquetante et
mauvaise : la Walkyrie s'en est acquittée en mai tresse-
femme.
Mais tout péril étant ainsi étouffé, et la grande ar-
tiste ayant traversé sans dommage, absolument comme
le cercle de flammes qui l'enveloppe dans Sigurd, le feu '
de joie que les allumeurs de potins commençaient â faire
flamber autour d'elle et qu'elle a' éteint comme on
mouche une chandelle, demandons-nous, à un p»oint de
vue plus élevé, ce qu'il fut advenu du fait qui a donné
lieu à l'algarade, si nous n'étions pas dans le marécage
où barbotte et coasse notre gentry.
Voici en peu de mots les données. Un peintre d'un
très grand talent et d'un magnifique avenir, dont lima-
.».._,. 4
A
gination S alimente à une instruction solide et à des
études constantes, vient d'achever la lecture d'un livre
nouveau, étrange, à la fois irritant et séducteur, dont
le souvenir le hante, dont il traduit intellectuellement
les scènes les plus émouvantes en images picturales, et
dont le personnage principal, une femme, héroïque et
fragile, belle et terrible, caressante et funeste, énigma-
tiqùe surtout, demeure dans son esprit comme un type
inoubliable, dont il cherche la figuration linéaire. En
même temps le hasard fait qu'il obtient l'honneur, dû
à son mérite désormais indiscuté, d^ tenter le portrait
d'une artiste dont l'allure et la beauté bizarres ont fait
sur notre population une impression pénétrante. Elle
pose devant lui, et pendant les séances muettes, stu-
dieuses, sa tête d'un admirable caractère, pâle, accen-
tuée, immobile, se détache violemment d une toilette
sombre. L'œil du peintre, son pinceau détaillent toutes les
lignes, toutes les nuances de ce visage tragique et doux.
Il subit le magnétisme de cette individualité qui, coïnci-
dence singuHère, correspond aux traits les plus mar-
quants indiqués pour son héroïne par l'auteur du livre.
Et dans sa mémoire, chaude encore de sa lecture,
chantent ces coups de pinceaux épars, dont Joséphin
Péladan a buriné Léonora d'Esté, la fille du divin Her-
cule : Fblouissaùte de matité, sa carnation est celle
de la Source d^Ingï^es, sans un rehaut rose; la pâleur
de ses hras minces ^ pendant en une dépression
épuisée, se continuait à ses mains au pouce long, et
celle de ses épaules à son long cou ; une princesse de
marbre, à la déïnarche fière, les lèvres minces, la
bouche grande au sourire inquiétant, auplidédai-
\ gneux, au rire strident; les cheveux fins, aux fla-
vescences de vieil or, les tresses roulées à la nuque
en une simplicité plus redoutuble que tout o^mement;
cette nuque, inquiétante avec ce nuage blond d'oie
. descend le sillon dorsal, étroite et longue vallée des
enchantements -les yeux pers, aux regards directs
et ambigus, un front à méplats où est écrit V esprit
de révolte, nu commue ceux que le Bronzino a peints ;
une voix qui dans la causerie ne se hausse jamais,
un corps qui ne fait pas un geste qui ne soit lent ;
la ligne de la taille se renflant peu aux hanches, et
sous les vêtements qui la ma^'^quent, se perdant dans
les jambes longues dhme Eve de Lucas de Leyde;
rélancement des lignes, la lojigueur étroite des
extrémités, le règne des verticales; un ange de Mis-
sel. — Et aussi ce détail que les carnivores qui ont fait
perdre à la déesse son impériale majesté ont pris pour
des marguerites, mises là tout exprès par le peintre
• pour lever toute équivoquç : Les lys, les fleurs 7'oyales,
. les fleurs pures, élançant sereins et augustes, leurs
tiges droites des pieds de bronze, et leur*s calices
(rargent, pistillés d\or, gouachant la tenture de
tons chastes et nobles . ^
Peu â peu, dans Timagination du, peintre, le visage
qu'il cherche pour incarner sa vision se confond, en
ses éléments essentiels, avec le visage de son modèle
vivant. Et comme chaque soir, dans son atelier, avec
l'ardeur etl'âpreté de l'art minutieux qui le personnifie,
il travaille longuement à un dessin désormais célèbre,
quoique détruit, où apparaît dans une nudité divine la
femme imaginaire qu'il essaie de matérialiser par le
crayon, il est entraîné par une force invincible, à
donner à la tête de son évocation, une ressemblance
inconsciente avec la statue sévère qu'il voit devant lui,
le matin, manifestant sa séduction et sa dignité impas-
sible sous les plis de son long vêtement noir.
Et les deux œuvres marchent ainsi parallèlement,
s'influençant par un secret magnétisme, chacune
prenant à l'autre quelque chose de sa substance
artistique, comme si, à chaque retour; le peintre rentrait
dans son atelier imprégné d'un fluide, qui, passant de
ses doigts dans ses crayons, va pénétrer l'image et la
sature d'une vie dérobée ailleurs.
Pour comprendre la vérité de ce phénomène, il faut
être artiste, il faut connaître l'électricité qui se con-
dense incessamment au cerveau cherchant un dégage-
ment; il faut avoir subi la possession, là hantise d'une
œuvre en formation, la manie dérobante qu'elle
déchaîne et qui fait que partout autour de soi celui qui
la crée, qui la modèle, recueille, thésauriseur d'impres-
sions, les forces secrètes capables de lui donner son
plein épanouissement; il faut avoir lutté contre cette
souffrance : comprimer son imagination qui voudrait
s'ouvrir en une floraison qu'on voit .déjà quoiqu'elle
soit encore intérieure. Non seulement le peintre, mais
l'écrivain, le musicien subissent ce magnétisme. L'artiste
lyrique aussi. Ah! celle qui a si superbement créé la
Walkyrie, z^ajeuni Norma, Rachel, Marguerite, Valen-
tine, celle qui va incarner Eva, doit le savoir! Et puis-
que le sort l'a douée d'une personnalité d'élite, à la fois
grandiose et bizarre, qu'elle ne s'étonne ni de ce qui
vient d'arriver, ni de ce qui lui surviendra encore, on
peut le prédire, dans l'ordre des mêmes attractions.
Elle est de celles dont le type s'impose aux chercheurs
et qui, chassant les expressions moins saisissantes,
ne laisse dans une âme ardente place que pour son sou-
venir. ~ .
Quand se réalise pareille évolution psychologique,
où la volonté a si peu de part, et l'instinct artistique
tant de tyrannie, au lieu de se mettre en colère,
n'est-ce pas plutôt l'occasion de sourire orgueilleuse-
ment en constatant soii invincible empire ?
Oui, certes, à moins que la niaiserie prudhommesque"
des badauds dont on est parfois entouré ne conseille
une attitude moins héroïque, et ramenant toute la
situation aux données bourgeoises, ne justifie un coup
d'état de nature à satisfaire les pudibonderies épicières
/
et à couper la langue aux roquets qui se prennent à
aboyer. Les trafiquants peu lettrés qui constituent en
général les parasites des grands artistes se croient,
comme donneurs d'avis.,, très supérieurs à ceux-ci,
quelque grotesque que cela paraisse, et comme d'ordi-
naire les grands artistes sont de grands enfants, ils se
laissent endoctriner sans résistance.
Des exemples célèbres ont, dans tous les tenips,
justifié les entraînements et les immunités artistiques
que nous venons de rappeler et qui toujours au vul-
gaire sembleront des monstruosités. Praxitèle a pu
impunément composer son immortelle, Vénus des char-
mes publiquement empruntés à quelques-unes des plus
belles vierges d'Athènes. Certaines nudités, parmi les
plus renommées et les plus voluptueuses du Titien, ont,
suivant la tradition, eu pour modèle sa fille. La plantu-
reuse Hélène Fourment, l'épouse que Rubens aima au
point qu'elle fut, comme la Fornarina pour Raphaël,
accusé d'avoir, par sa tendresse dévorante, hâté sa mort,
trône en ses belles chairs flamandes parmi les déesses
les moins vêtues- de son Olympe. La princese Pauline
Borghèse, sœur de Napoléon, est l'original de la
Vénus de Canova. En des temps plus récents, si l'on
en croit la chronique, deux jeunes femmes viennoises
du meilleur monde, ont été fort glorieuses de marcher
nues parmi les pucelles dont Mackart, dans un tableau
qui fut promené par toute l'Europe, a orné le cortège
triomphant de Charles-Quint entrant à Anvers. Il y a
peu d'années, à Bruxelles même, le public prétendit
malicieusement reconnaître dans une jeune captive,
vêtue de ses charmes seulement, la reine des fêtes de
cette époque dont un jeune sculpteur très choyé venait
d'achever le buste, et qui ne se fâcha pas.
Voilà ce qu'on peut dire à propos de l'incident quand
on se sauve, en se bouchant les oreilles, loin des cla-
bauderies en lesquelles s'égosillent nos myrmidons de^
bords de la Senne. '
Ce qui n'a pas empêché, nous dit-on, ou ne sait
quels chroniqueurs à cuir de pachyderme pour sûr,
d'assimiler le fait de l'exposition des A'A^ à l'industrie
des pornographes qui, racontent-ils, (où diable ont-ils
appris cela?), ajustent au corps d'une vierge folle
photographiée nue, la tète d'honnêtes femmes, connues
du public, pour en composer un ensemble destiné,
non pas à enrichir l'art d'un chef-d'œuvre, comme
c'était le cas, mais à réveiller les appétits endormis de
ceux qui achètent ces sortes de choses, par exemple les
chroniqueurs de tantôt.
Que ne s'est- il trouvé auprès de l'artiste aimée,
cause involontaire de la destruction qui a satisfait sa
dignité en privant l'art d'une belle chose, quelqu'un
pour lui présenter ces observations si simples, et
étouflër les homélies de tapissiers qui n'étaient certes
pas de nature à calmer sa colère de femme légiti-
mement convaincue, au premier abord, qu'elle était
injustement outragée. Peut-être eût-elle encore couru,
avec emportement, jusqu'au cadre. Mais peut-être
aussi 'qu'à l'aspect de l'œuvre où, moins aveuglée,
elle eût découvert lagrandeur-^et la vie dues à elle-
même, à sa séduction, à sa puissance, au lieu de penser
à briser la glace, comme^e fit vulgairement le gendre
de M. Dumas pour la défense de son papa beau-père,
au lieu de ne pas arrêter l'artiste qui allait mettre en
pièces cette Léonora, morte en naissant, elle se fût
écriée : On me chante que c'est moi! Eh! qu'est-ce
que ça me fait ! C'est beau ! Cela me suftit !
Ce cri d'une âme artistique, que nous savons,
éprise de tout ce qui a quelque marque de grandeur,
pour qui aussi penser, dire et faire ne sont souvent
qu'un même acte," qui a un trop riche trésor d'origina-
lité pour descendre à imiter qui que ce soit, ce cri eût
été héroïquenient vrai. Et sans péril, car elle en peut
être persuadée, sur des personnalités de son envergure,
de son caractère et de sa dignité, aucune calomnie de
bavards mondains ou de reporters ne saurait laisser de
trace.
Mais elle était dans ce nouveau royaume de Bleyfuscu,
digne de mettre en verve un Swift, qui a nom Bruxelles.
Elle est descendue, il le fallait, au diapason de ce
Lilliput, de notre monde! comme disent, à travers
leurs fausses dents, les journalistes très chics, et elle a
procuré, sans s'en douter, elle, la belle étrangère, une
occasion inespérée à tous les ratés, à tous les essoufflés,
à tous les éreintés, à tous les zwanzeurs qui se sou-
cient d'elle comme du grand art, de s'essayer à piétiner
un artiste qui distance ceux d'entre eux qu'il n'a pas
déjà écrasés.
•' < Edm. P,
lELVIDDAXS L'ART ()
Le réaliste a. pour but, d'exprimer, par des (euvres, Télat
de son esprit au moment où il compose ses œuvres.
Ici, il faudrait ouvrir une large parenthèse.
Il est évident que les littérateurs et les artistes qui appar-
tiennent au mouvement réaliste, naturaliste, sont des hommes
souffrants, malheureux, agités, et qui possèdent en eux-mêmes
les inquiétudes et les tristesses de notre société. — Car ces
inquiétudes et ces tristesses sont certaines.
Et pourquoi avons-nous ces inquiétudes? — Mais il faudrait
ici analyser l'état psychologique de noire société moderne pour
en trouver les causes.
Je ne veux pas me lancer au long dans ces recherches. Mais
je peux indiquer quelques causes générales qtii expliqueront cet
état morbide et qui expliqueront aussi, en même temps que leur
pessimisme, comment ces hommes dont je viens de parler sont
bien les artistes nécessaires, et comment aussi, en recherchant
des tristesses, ils se recherchent eux-mêiïies.
' (*) Extrait de la Conférence fait« par J.-F. RaflTaéUi le 7 février aU Salon deg
XX. (Voir VAt't nxodcrnc du 15 février dernier;.
Messieurs, la névolulion a définitivement créé des homnics.
J'entends qu'en brisant des pouvoirs absolus, des idées reli-
gieuses, des corporations, des privilèges, elle a construit des
individus, séparés entre eux.
Ces individus alors se sont trouvés tout d'un coup, pour ainsi
dire, seuls, et sans soutiens moraux.
Pour bien nous figurer cet élat social nouveau, nous ^'avohs
qu'à penser, en exagérant, en quel drôle d'état moral peuvent
bien se trouver des nègres, des esclaves, auxquels on vient dire
tout d'un coup : vous n'êtes plus esclaves, aih z-vous en ! — Ces
malheureux doivent regarder alors autour d'eux avec effroi, et,
le premier sentiment qu'ils devraient éprouver à notre avis, un
sentiment de joie, n'est bien réellement pour eux qu'un senti-
ment de crainte pour la nouvelle situation qui leur est faite et
dont ils n'ont pas une idée bien exacte. — Je sais que l'esclavage,
chez nous, n'était pas aussi marqué, et qu'il s'en fallait de beau-
coup, mais, néanmoins, je crois bien définir ainsi cet état nouveau
dans lequel nous nous sommes trouvés lorsqu'une révolution
est venu briser les grands, que nous considérions à tort ou à
raison, comme nos pères, nos tuteurs, nos protecteurs. — De là
un sentiment de vide, de l'effroi, et l'inquiétude du lendemain
beaucoup plus grande. Voici donc chez nous un sentiment, si ce
n'est nouveau, du moins beaucoup plus développé : l'inquiétude
de noire nouvelle puissance et de nos nouvelles responsabilités.
II en est un anire, plus étendu et de tous les instants.
Les voies de communication se sont centuplées, et, je veux
entendre par vOies de communication lés voies matérielles et les
voies des idées. — Par voies. matérielles, jo veux dire les che-
mins de fer, les bateaux à marche rapide, et, par voies des
idées, les télégraphes, les services poslaux, enfin, les journaux,
qui répandent instantanément, pour ainsi dire, partout, les
nouvelles. ^
De tout cela rsi né une activité fébrile et une véritable maladie :
nous l'appelons la grande névrose.
Voici donc, chez nos conteriiporains, par ces révolutions di-
verses, un étal mental nouveau. — D'un côté une vie matérielle
énormément active; de l'autre une vie intellectuelle, également
très activée.
Ce mouvement constant de notre corps et de notre esprit a
amené de l'exaspération, du paroxysme, et tout ce qu'entraîne
cet élat : la lassitude générale, l'affaissement, la désespérance,
l'inciuiétude. — Et c'est alors que les sujets tristes s'imposent
aux artistes et aux poètes comme devant mieux- exprimer leur
souffrance intime,
" Il n'y a pas, je pense, à chercher ailleurs les causes de notre
lit:érature et de notre art ^'aujourd'hui, et cet aperçu très court
peut nous permettre d'expliquer ces tendances que nos norma-
liens appellent malsaines, et qui, a bien considérer, ne sont que
parfaitement naturelles, logiques, et peuvent même permettre au
philosophe clairvoyant de dire : cela seul qui est fait sincèrement
dans cet cspritr restera de noire temps, parce que cela seul est à
l'image morale de notre temps.
Je viens d'exjjliquer les causes qui nécessitent souvent chez
nos artistes cette recherche du laid, qui n'est pas la recherche
du laid pour le laid, mais bien la recherche de sujets prêtant à
écrire ou à peindre notre tristesse, notre désespérance et notre
colère.
Qu'on ne nous parle donc plus de laideur, du choix de Fa
laideur dans le sujet, et disons une bonne fois: le beau et le
laid ne sont pas dans le sujet, mais dans le cœur de l'artiste,
sans quoi il suffirait, pour faire beau, d'aller choisir des Transté-
vérines ou des filles d'Arles très renommées pour leur beauté, ou
bien d'aller à Vienne enlever la femme ayant obtenu le prix au
concours, et de copier ces magnifiques sujets pour faire une
œuvre admirable et mériter d'être primé.
Je viens de parler du sujet en art, j'en voudrais dire encore
quelques mots.
Ceux de nos aînés qui, parmi nous, ont inventé le mouvement
naturaliste ou ceux qui, comme nous, l'ont toujours suivi,
assistent en ce moment à un singulier steeple- chase.
Nous voyons tous les jours des hommes qui, après avoir dix
ans, vingt ans, fait ce que nous appelons du poncif, se mettent,
tout d'un coup, à briser leurs vieux pinceaux et à en acheter de
neufs ; ijiais ceux-là, très réalistes.- — La vérité est à la mode,
faisons de la v.érité... r
Beaucoup trop, en un mot, se mettent dans le mouvement sans
vraie passion. . '
Ça n'est pas sans tristesse que nous assistons à ce spectacle,
et, bien souvent, nous rêvons de réagir, mais nous ne le pou-
vons pas. ' -^ *
Est-ce à dire que nous ne soyons pas sincères et que nous
méprisions de triompher et de voir une école se former, non pas.
Mais nous regrettons de voir certains suivre trop par mode, et
sans qu'ils possèdent certaines qualités indispensables pour
sauver, à force d'art, ce que les sujets que nous sommes appelés
à faire peuvent avoir quelquefois de trop terre-à-terré.
On se figure vraiment que notre rêve n'est autre que de rem-
placer la tunique grecque par le veston court, le casque d'Aga-
memnon par le chapeau de soie, et le cothurne par la boitine à
élastique; et l'on croit faire moderne parce qu'on peint une,
cocotte, une cuisinière ou un pauvre diable. — Ne nous arrêtons
pas trop sur tout, cela et affirmons simplement ceci, qui né devrait
plus être à affirmer: le moderne n'est pas seuleiiwnl dans le
sujeî : — M. Puvis de Chavanne, parmi les peintres, si j'en, cite,
est moderne, malgré les sujets qu'il traite dans ses admirables
décorations. — M. Cazin est moderne lui aussi, malgré s6s
<< Fuites en Egypte », ses « Judith » et ses « Madeleine », tout
comme Flaubert est moderne dans Salammbô, ou la Légende de
Saint- Julie7i-i' Hospitalier, — alors que M. Octave Feuillet ou
M. Georges Ohnet ne sont pas modernes, malgré qu'ils placent
leurs romans au milieu de nous; pas plus que ne le pourraient
être la plupart de nos prix de Rome de peinture, qui reviennent
de Rome avec quinze ans d'école sur le dos, et qui, à moins
d'efforts surhumains, sont pour toujours condamnés au poncif
et au pastiche, malgré tous les sujets modernes qu'ils pourraient
choisir dans la suite. -
On est moderne par la sensation, par l'idée qu'on a de l'at-
mosphère morale qui' nous entoure, enfin par un jugement plus
subtil et différent : Van Eyck a été moderne, Holbcin et Diirer ont
été modernes, aussi bien que Raphaël, que Carpaccio, ou bien
que Velasquez. ^
Watteau a été moderne, et Eugène Delacroix a été moderne
autant que Courbet et notre ami Manet. — El je dirai même :
plus les grands génies du passé ont été modernes à leur époque,
c'est-à-dire plus ils ont reflété les agilaiionàde leur temps, plus
ils restent modernes à travers les ûgcs, parce qu'une époque,
par ses caractères essentiels, reste gravée dans notre esprit, que
nous la connaissons ainsi, qu'elle représente un effort et un état
de noire intelligence en passe de croissance, que nous avons
pleine connaissance de, ces élats passés, comme nous avons
conscience de nos élals de jeunesse et de nos premières sen-
sations.
Voilà le moderne, il n'en est pas d'autre. . ^
l'IJIPKESSlOXXISHE
L'un de nous vient de recevoir d'un de nos meilleurs, de nos
plus consciencieux, de nos plus impressionnainls artistes, la
lettre suivante, pleine de réflexions dignes d'être mtîditées. Ce
n'est pas un jeunp, c'est un précurseur des jeunes, de ceux qu'on
nomme Impressionnistes^ comme le fui Louis Dubois dans
quelques-unes de ses œuvres, pieusement conservées par ceux
pour qui l'histoire en son incessante variété, est un des intérêts
principaux de I'art :
Cher Monsieur,
Vous m'interrogiez dimanche dernier et vous paraissiez tenir à
connaître mon opinion sur quelques-uns de mes tableaux. Il s'agis-
• sait tout spécialement de ceux qui ont fait le pas le plus décisif dans
la voie des colorations modernes et qui ont contribué à ouvrir la voie
nouvelle qui s'offre aux aspirations des jeunes h'Effet de pluie avec
vaches, entr'autres.
Me rappelant hier notre conversation, il m'en restait un souvenir
inquiet, car il me semble vous avoir répondu d'une façon insuf-
fisante. C'est là ce qui, me tourmentant un peu, me pousse à vous
adresser la présente.
Nous avons parlé de cet effet de pluie comme ayant été exécuté
par moi d'une, façon inconsciente. Il "est certain que l'artiste de
tempérament ne raisonne guère lorsqu'il se met à l'ouvrage.
Avoir, en son âme un reflet très net et très vif de ce qu'il voit et
de ce qu'il éprouve, se dégager des préjugés d'école et des préoccu-
pations de système, voilà tout ce qu'il faut pour faire du neuf et
c'est bien de là qu'est sorti le tableau en question. Mais une fois le
tableau terminé, l'artiste qui réfléchit à la situation artistique,
entrevoit le rôle d'avant-coUreur que son tableau va jouer et s'attend
à une avalanche de désapprobations. Si à ce moment il rencontre
quelques connaisseurs intelligents qui le soutiennent cela lui suffit.
Tout travail pour la vue devrait posséder en outre une grande
pondération harmonique des valeurs. Tout artiste surtout devrait en
être pénétré au point de s'en faire un jeu. Et c'est en elle qu'on
trouve la pierre de touche de la valeur artistique des diverses
époques.
Je la retrouve dans chaque page de votre beau livre. La nature
vous en donne l'éternel spectacle et révèle son secret à ceux qui
voient et qui sentent.
L'appliquer à un sujet, de manière à la faire percevoir à tous,
voilà ce qui constitue, à mon avis, le degré suprême de l'Art.
Parmi les jeunes, les plus avancés dans les colorations modernes s'en
préoccupent surtout, mais ils font pour la plupart voltiger les tons,
au lieu de les appliquer et ils arrivent ainsi d'une manière factice à
en faire la uiiatique, dirai-je, sans que la chose soit suffisamment
présent'.'.
A mon avis, l'artiste qui se contente de cet à-peu-près est con-
damné à bégayer pendant toute sa carrière artistique. Mais là n'est
pas ce qui faisait l'objet de votre question.
Il s'agissait dn degré de /ïni et \'ons trouviez mes derniers tableaux
poussés trop loin sous ce rapport et ne marquant pas un progrès.
Celte observation est tout à fait juste pour ce qui regarde mon
»» époque des pluies*» , mais mon tableau au Musée, Le chemin des
vieux bouleaux que vous possédez, ma marine claire de L...,
celle du baron P.... et jusqu'à - r(?;^<?f de pluie avec vaches »
dont nous parlions, sont tous assez finis ; plusieurs sont même très
faits et si cela ne leur nuit pas, c'est que la pondération des colo-
rations est juste. Dès lors tout rentre dans l'effet que l'on veut inter-
prêter et le travail des diverses parties se fond dans l'ensemble.'
Je crois qu'il faut rendre, autant que faire se peut,, l'œuvre
compréhensible, mais pour autant que Viin}jression artistique à
reproduire reste intacte.
La nature charme et empoigne tantôt par le détail, tantôt par le
caractère, tantôt par la grande impression d'ensemble. Poursuivre
la manifestation de Vimpression ressentie, voilà le but. Quand je
vois des artistes finir tout au même degré et par un procédé unique,
j'ai la certitude qu'ils se laissent dominer par la théorie. — —
■ Je ne -vous apprends en ceci rien de neuf; je vous montre seule-
ment l'idée qui préside à mes travaux, puisque vous semblez y atta-
cher quelque intérêt. '.
Vous me paraissiez également, cher Monsieur, vous préoccuper
du reproche qui vous a été fait de pousser les artistes dans une voie
extrême de l'Art:. Il y a quelque fondement dans cette objection.
Pousseriez artistes dans cette voie, c'est trop. Ceux qui sentent et
qui voient, y arrivent deux-mêmes. Les soutenir &u^\\.. Parmi les
jeunes qui se laissent pousser, il y en a beaucoup qui .prennent
l'apparence pour la réalité. Ils sont vraiment à plaindre et il y
aurait lieu de se chagriner de les avoir pou5S(?5 dans une voie sans
issue pour eux. - -
Je ne sais si ceci vous est applicable ; je ne -fais que répondre à
une question qui prouve combien vous êtes consciencieux.
Que la voie soit bonne, qu'elle soit vraie et féconde, je n'efa doute
nullement. '
Recevez,, cher Monsieur, mes salutations cordiales.
;:•;:::;:;■• "^ -.y v::'-:^RAcz pal ::^;-;:-^::::'v--^; •
Les journaux autrichiens ont annoncé ces jours-ci la mort du
fameux chef des tziganes Ruez Pâl, mort à Pesth, à l*âge de
72 ans. Los Hongrois ont fait à leur grand musicien populaire
des obsèques vraiment princicres, auxquelles ont assisté plus de
10,000 personnes. En. tête du cortège marchaient la musique du
44^ de ligne et des détachements de tous les réirimenls en sar-
nisonà Budapest.
Dans un article paru tout récemment dans la Société nouvelle,
notre coflaboraleur Octave Maus avait décrit en ces termes le
célèbre bohémien :
« Pour entendre de la musique tzigane dans sa saveur originale,
c'est chez les Magyars qu'il faut aller, c'est à Râcz Pal qu'il faut
s'adresser, — Râcz. le plus merveilleux des maîtres de l'archet, un
patriote convaincu, qùT n'a jamais consenti à quitter le sol natal. Il
faut le voir à la tête de son orchestre, qu'il mène comme un com-
mandant son escadron, l'archet haut levé, le corps .cambré, l'œil dur
sous une broussaille grise, la bouche frémissante.
« Attention ! Râcz a donné le signal. Des profondeurs de son
violon flamboyant sort une plainte, indistincte et lointaine d'abord,
comme une voix d'outre -tombe. Elle se rapproche. C'est un lamcuto,
qui vous transporte dans le pays des ombres, évoque le cortège des
morts aimés. Le poète raconte, en sa langue musicale aux mots
vagues et })oignants, la douleur des séparations, les larmes, les
déchirements de l'âme. Discrètement, comme le chœur qui, dans les
tragédies antiques, renforçait l'expression des sentiments, les altos,
les violoncelles et les contrebasses exhalent sur un mode mineur de
sombres accords, coupés du sanglot des clarinettes.
« La procession se déroule, s'éloigne, disparaît dans des brouil-
lards d'harmonie, et, sur un signe du magicien, des lumières traver-
\
sent la brunie, déchirent les voiles, éclairent de rayons d'or de
fantastiques paysages élyséeus, où apparaissent des visioiis claires,
de blanches figures nimbées de soleil. '
« Ainsi que des pizzicati de harpes, les sonorités grêles du czim-
balom s'égrènent. Ses gûmnies ruissellent. La résonnance adoucie
des timbres apaise et réjouit. Des bruissements de forêts, des mur-
mures de sources, des gazouillements d'oiseaux accompagnent, avec
une infinie douceur, la' mélodie des deux clarinettes babillant un
air champêtre. Et Râcz, du bout de son archet, enguirlande les
caprices du rythme, dessine en traits éblouissants les contours du
thème, rit dans des trilles fous, s'épanche en des cascades de notes,
en des vocalises Cabriolantes qui s'élèvent jusqu'aux astres.
« Le tableau change encore. Des grondements, des roulements de
tonnerre ébranlent la caisse sonore des contrebasses. La tempête
éclate. Tout est bouleversé. 'Échevelés, les accords passent dans
l'ouragan des harmonies sauvages. L'ombre se peuple de fantômes,
que le vent emporte. Ce sont des apparitions grimaçantes, jaillissaint
d'accords dissonants, des monstres que vomit le déchaînement des
gammes chromatiques, des chevauchées qui se précipitent avec des
clameurs guerrières. Ou aperçoit à travers le nuage des archets qui
cinglent l'air le grand corps de Râcz, balancé et secoué; on entend
sa voix qui domine le vacarme et le son strident de son violon, péné-
trant comme une vrille jusqu'aux moelles. Il excite ses hommes,
frappe du pied, brandit son archet comme un bâton de comman-
dement. Et la sarabande furieuse reprend, par saccades, repart de
plus belle, hourrah ! hourrah ! comme le train d'une chasse diabo-
lique lancée dans les ténèbres à travers les bois. Les cordes grincent
et se cassent, les violons gémissent, les clarinettes hurlent, le
czimbalom crépite comme une volée de mousqueterie, jusqu'à ce
que la rafale s'arrête d'un seul coup, avec l'imprévu du réveil tuant
le cauchemar. » .
GAZETTE DE HOLLANDE ■
Dimanche dernier s'est constituée à Amsterdam, chez Mii« Wally
Moes, qui avait eu la gracieuseté de réunir chez elle un petit nombre
d'artistes, un Club d'aquafortistes hollandais. Le but est de ranimer
cet art si exquis de l'eau-forte. d'y faire prendre goût au public en
organisant des expositions d'œuvres de ce genre, de toutes les
époques, et, plus tard, de publier un album. Puisse cette Société,
qui a la ferme volonté de réussir, avoir plus de succès que les précé-
dentes! Provisoirement se sont constitués en groupe MM. Der Kin-
deren, Jan Vesth, Witsen, Tholen, Witkamp, Zilcken et MM-""» Thé-
rèse Schartze et Wally Moes, quitte à augmenter bientôt le nombre
des membres.
A propos d'eau-forte, nous croyons bien faire en mentionnant aux
amateurs un chef-d'œuvre que nous avons admiré récemment dans
les Salons de M. Wisseliugh, à la Haye. Il est de Matthijs Maris, le
frère de Willem, de Jacques, bien connus et appréciés en Belgique.
La peinture de Matthijs Maris est d'une immatérialité extraordinaire,
d'une vie intense, d'une couleur et d'un sentiment merveilleux. Ses
œuvres, rares, jamais exposées, ne sont connues que d'un très petit
nombre d'amateurs et de quelques artistes.
Celle dont nous parlons est une grande reproduction du Semeur^
de Millet. Après un travail étourdissant, M. Maris imprimant lui-
même ses états, reprenant et fouillant sans cesse sa planche, elle
fut publiée par la maison Cottier de Londres, et, peut-être est-ce la
plus parfaite reproduction artistique qui ait été faite jusqu'à ce
jour.
Avec une compréhension absolue de l'œuvre de Millet, elle rend
d'une façon intime et vibrante les tons, la couleur et la vie de cette
toile célèbre. Malheujcausement-^elle n'est tiréa qu'à un nombre
d'épreuves très restreint (au plus une centaine) et par cela même
destinée à être vite absorbée par les collectionneurs. Le plus grand
honneur revient à l'artiste qui comprit Miltet si parfaitement, par-
vint à s'assimiier si complètement à lui, de façon à donner, non pas
une traduction, mais une vision de son œuvre.
■ ■ U ■ .
j^HRONIQUÉ JUDICIAIRE DE^ , ART3
Mme Olga Léaut, non contente de diriger l'Alcazar de Bruxelles,
a ambitionné la direction d'un théâtre à Paris.
Elle a donc loué les Bouffes du Nord pour 10 mois.
Elle avait pris comme administrateur de ce théâtre M. Dorsy, à
qui elle envoyait l'argent nécessaire pour l'exploitation.
Cependant le théâtre du faubourg Saint-Denis ne réussissant
guère, la directrice s'en est prise à son administrateur et l'a prié de
cesser ses fonctions.
Comme ce dernier n'a" rien voulu en faire et a persisté à se main-
tenir aux Bouffes du Nord,, Mme Olga Léaut l'a assigné en référé
pour faire ordonner son expulsion. Me Pellerin, avoué, s'est pré-
senté pour M™e Olga Léaut, et, malgré les observations de M. Dorsy,
le président a ordonné que ce dernier devrait cesser ses fonctions au
théâtre et le quitter sans délai.
MEMENTO DES EXPOSITIONS ET CONCOURS
Anvers. — Exposition universelle. Mai à octobre 1885.
Anvers. — Salon des refusés et exposition des artistes indépen-
dants. Ouverture en mai. Pour tous renseignements s'adresser au
secrétaire du Cercle des artistes indépendants, 1, rue de l'Angle,
Bruxelles. • ' • -.
Bruxelles. — Exposition tintamarresqué de V Essor au Musée
du Nord. Ouverture 28 février. — III® exposition de Blanc et
Noir à l'Essor. (Limitée aux membres du Cercle). Mai 1885. —
Exposition historique de gravure, par le Cercle des aquarellistes et
aquafortistes. Mai 1885. , .
Bruxelles. — 25<^ exposition annuelle de la Société royale belge
des aquarellistes. Ouverture le 4 avril 1885.
Londres. — Exposition internationale d'instruments de musique.
Ouverture en mai 1885, à South-Kensington.
Id. — Du 31 mars à la fin de septembre exposition internationale
et universelle d'Alerandra-Palace, comprenant notamment les arts
et métiers, et exposition de tableaux et objets d'art des principales
écoles du continent.
Id. — Exposition de la Royal academy. Ouverture le l*r mai
à Burlington House. Délais d'envoi : peintures, les 27, 28 et 30 mars :
sculptures, le 31 mars.
Nuremberg. — Exposition internationale d'orfèvrerie, de joaille-
rie, de bronzes, etc. Du 15 juin au 30 septembre 1885.
Paris. — Salon de 1885. — le"* mai au 30 juin 1885. — Peinture,
dessins, etc. Dépôt des ouvrages au Palais des Champs-Elysées, du
5 au 14 mars. Vote, le mercredi 18 mars, de 9 h. à 4 h. — Sculp-
ture, Gravure en méd. et sur p. /", Dépôt du 21 mars aii 2 avril.
Vote, le mardi 7 avril, de 10 à 4 h. — Architecture. Dépôt du 2 au
5 avril. Vote, le mardi 7 avril, de 10 à 4 h. — Gravure et Lithogra-
phie. Dépôt, du 2 au 5 avril. Vote, le lundi 6 avril, de 10 à 4 h.
Paris. — Exposition internationale de blanc et noir, organisée^-
par Le Dessin, au Palais du Louvre (pavillon de Flore). Du 15 mars
au 30 avril. Dernier délai d'envoi : 5 mars. Trois sections : !<> Des-
sins; 2» fusains; 3° gravures. , • '
Il sera distribué trois médailles d or, 18 médailles en argent,
9 médailles de bronze et 15 mentions honorables.
Deux envois seulement par artiste. Adi'esse : M. E Bernard, au
Louvre.
Rotterdam. — Du 31 mai au 12 juillet. Dernier délai : lOmai.
Renseignements : M. Veders, secrétaire, 42, Boompjes, Rotterdam.
Gand. — Statue du docteur Josej)h Guislain. Clôture : 31 mars
1885. Les œuvres doivent être envoyées au concierge de l'Université
•/ .
de Gand, rue des Foulons, et porter la suscription : Au comité
constitué pour l'érection d'une statue au docteur Joseph Guislain. —
Envoi : Maquette de la statue et du piédestal (25 centimètres au
total), dessin détaillé de la grille et indication de la disposition du
dallage entre le grillageet le piédestal. — L'artiste doit s'engager à
livrer pour 19,000 francs les travaux de maçonnerie nécessaires, la
statue, lé piédestal, le grillage et le dallage. — 'Documents et pho-
tographies chez le D»" B.-G. Ingels, médecin de Ihospice Guislain,
à Gand. . ;- ' .
Paris. — Statue de Paul Broca (hauteur 2™,20) maquettes de
70 centimètres, déposées à l'école des Beaux-Arts, le 1er septembre
1885 avant 5 h. 8000 fr. à l'artiste désigné pour l'exécution en plâtre
du modèle définitif, destiné à être coulé en bronze aux frais de la
commission du monument. 1000 fr. et 500 fr. aux deux concurrents
les plus méritants après l'artiste choisi. S'adresser à M. le docteur
Pozzi, 10, place Vendôme.
RiCHMOND (Virginie). — Concours pour un monument à Robert
Lee, jusqu'au le mai 1885.
Saint-Nicolas. — Concours de gravure du Journal des Beaux-
Arts. Histoire : prix 400 fr. pour la meilleure eau- forte (sujet inédit
ou copie d'un tableau flamand ancien ou moderne'^ Genre : prix
300 fr. Paysage et intérieur : prix 200 fr. Dimension maximum des
cuivres: 0"'260 sur 0n'190. Dernier délai : 31 juillet 1885. Envoyer
franco avant cette date 2 exemplaires sur papier blanc et 2 exem-
plaires sur chine.
Vienne. — Concours pour l'érection d'un monument à Mozart.
f
ETITE CHROJ^iqUE
Nous apprenons avec plaisir que le Capitaine Noir de notre
^ compatriote Joseph Mertens. joué la semaine dernière à Hambourg,
a obtenu un très grand succès. L'œuvre est montée avec beaucoup
de luxe, les décors sont fort beaux et la première chanteuse,
]VXme Sucher est tout-à-fait remarquable dans le rôle d'Anna Van
Cuyck. Le compositeur, qui a dirigé les dernières répétitions, a été,
le soir de la première représentation, l'objet de bruyantes ovations.
Les journaux hambourgeois sont unanimes dans l'éloge qu'ils
font du Capitaine Noir, duquel l'un d'eux prédît qu'il fera le t(5ur
de l'Allemagne.
^ L'Étoile belge d'hier annonce que M. Franz Simoiis a donné sa
démission des A'A'. Assurément on dira que ic'est à cause de l'inci-
dent qui s'est produit dimanche dernier, 22 février.
M. Simons tiendra sans doute à éviter cette équivoque, et c'est
pourquoi on nous prie de faire connaître que sa démission, datée du
.18, quatre jours avant l'incident, a été immédiatement acceptée.
Il était visible, d'après ses tableaux exposés, qu'un désaccord
absolu existe entre son art et celui des XA'.
La clôture du Salon des XX est irrévocablement fixée à mardi
prochain, 3 mars, un grand nombre des œuvres qui y sont exposées
devant être expédiées le lendemain à Paris.
Une exposition d'arts incohérents, organisée par VEssor, est
ouverte depuis hier au Musée du Nord. Nous y consacrerons une
étude dans notre prochain numéro.
Aujourd'hui, à 2 heures, concert du Conservatoire. Programme :
Symj)honie en ut, Manfred e\ ouverture de Freischûtz.
Aujourd'hui, à 2 heures, dans la salle de l'Union syndicale, il sera
rendu compte du concours de littérature ouvert par ï Union litté-
raire.
M'i'« M. Van de Wiele lira son rapport sur le concours de prose
et M. Edmond Picard sur le concours de poésie. L'une et l'autre
r concluent qu'il y a lieu de décerner le prix.
Les incohérents qui ont exposé dernièrement dans la galerie
- Vivienne, à Paris, des onivres si drolatiques donneront, le 11 mars
prochain, un grand bal costumé. Gomme intermède, il y aura "des
tableaux vivants. .
La prochaine Soirée musicale offerte aux membres de la Nouvelle
Sovit^té de musique de lirnccelles est fixée au mardi 3 mars 1885, à
8 heures du soir. Elle aura lieu dans une des salles du Palais des
Beaux-Arts. Le programme comprendra l'exécution, par les chœurs
de la Société (avec accompagnement de piano et harpej, de Narcisse,
de Mâssenet, VAnathème du Chanteur, deSchumann, et de .^m^t^/ws
Domini, motet à six voix, de Joseph Rheinberger.
Les répétitions d'Aben-Hamet, au théâtre de Liège, marchent
admirablement. Les décors nouveaux seront très-beaux.et on compte
sur une interprétation artistique parfaite pour la première, paraît-il,
qui 'aura lieu le 5 mars.
Thkatrk Molière. — Demain lundi, 2 mars et jours suivants
la Petite Denise, comédie inédite en un acte et les Filles de Marbre,.
pièce en quatre actes, par T. Barrière et L. Thiboust.
A l'étude : Le prince Zilah, comédie nouvelle en cinq actes, par
M. Jules Claretie. ' ,
A la dernière séance de la Société des amis des monuments pari-
siens, M. Lenoir a signalé à l'assemblée l'existence, au Mont-Valé-
rien, de fragments fort intéressants dus ad ciseau de Philibert
Delorme.
Ces fragments constituaient la clôture du cimetière de Nogent et
consistent en une grande arcade aux niches contenant des statues.
Cette clôture fut donnée aux missionnaires dont l'établissement fut
en partie détruit pour faire place au tort actuel.
La Société va faire des démarches pour la conservation de ces
sculptures, qui sont, parai t-1, tout à fait remarquables.
Etrange. Le docteur Jules Rochard a affirmé ces jours derniers, à
l'Académie de médecine, que » l'abus de la musique, le plus énervant
de tous les arts, était une des causes de la dépopulation eu France ".
Le Ménestrel accompagne cette singulière nouvelle des rétlexions
suivantes :
« La musique, la divine musique, si douce au cœur, s.i caressante à
l'esprit, « une cause de stérilité! « Oh! la pauvre, voici la science
qui vient de lui plonger dans le sein un scalpel impitoyable.
Les partitions de Gounod contiendraient des germes délétères,
Thomas ne serait que le suppôt de Malthus, et Delibes un simple
dissolvant I
Cependant, docteur, s'il est une race prolifique, c'est bien celle
des Allemands. Pas musiciens alors, les Allemands i Et la musiqhe
de Wagner? Bernique! Je m'en étais toujours douté.
Ou bien il faudrait établir des 'catégories dans la musique : la
féconde et l'inféconde. Cette distinction est-elle admise par la
Faculté? Mesdames, allez entendre Tristan et Yseidt. C'est l'ordon-
nance du médecin.» -
Les Pâques à Rome et à Naples. — Voici un superbe voyage en
Italie organisé à l'occasion des fêtes de la Semaine-Sainte, Il com-
prendra la visite de Turin, Gènes, Pise, Florence, Rome et Naples,
avec excursion à Pompéi et au Vésuve. La durée tlu voyage sera <le
dix-sept jours. Le prix est fixé à 385 francs, comprenant le transport
et les frais de séjour en Italie.
Le programme détaillé sera envoyé gratuitement aux personnes
qui eu feront la demande à M. Ch. Parmeutier. directeur de
V Excursion, 10î\ boulevard Anspach, à Bruxelles.
Un comité s'est formé pour organiser une exposition de l'œuvre
de Bastien-Lepage à l'Ecole des beaux- arts Ce comité s'est réuni
rue Legendre, dans l'atelier de Bastien-Lepage. Au nom de ce
comité et de la famille Bastien-Lepage. M. Emile Bastien-Lepage.
architecte, a demandé à M. Antonin Proust de vouloir bien pré-
sider à l'organisation de l'exposition. M. Autoniu Proust a ink>rmé
la réunion que, prévenu par M. Emile Bastien-Lepage. il avait t'ait.
auprès du ministre les démarches nécessaires pour obtenir la libre
disposition de l'hôtel de Chimay dès que la loi qui ajoute cet hôtel a
l'Ecole dés beaux-arts aurait été votée. Le comité s'e.st alors iiaus-
porté à. l'hôtel de Chimay et il a été deciile que. le vote du Sénat
pouvant être prévu pour les premiers jours A^ fevri-n-, lexpr^itiou
aurait lieu en mars et en avril à cet endroit. MM. F.>uiv;ial. Maul. .
Burty et Bazin ont été ciiargés de hi' rédaction du catalogue;
MM. Emile Bastien-Lepage, Leenhotl, Marx. Willinni.-on, d-' liusta.-
lation matérielle; MM. Georges Petit et Due/ du plaoemout ks
tableaux, sous la direction de M. Moissonier. L'expo*itiou aura heu
au profit de la Société libre des artistes.
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y Great Zwans Exhibition. — Les Mnitr-es-Chanteurs. — Livres
NOUVEAUX : Héros et pantins, par Léon Cladel. — Notes de
MUSIQUE : Troisième concert du Conservatoire; Concert Jane
De Vigne ; Soirée de la Nouvelle Société de musique ; Deuxième
concert de tnusique russe à Liège. — Bibliographie musicale. —
Théâtres. — Petite chronique.
GREAT ZWA\S EXHIBITION
Vraiment pour le spectateur impartial, les événe-
ments artistiques des dernières quinzaines sont la ma-
tière d observations d'un extrême intérêt. Non pas qu'ils
soient nouveaux dans leur allure générale. Quelle
vieille histoire que la mauvaise humeur des vieux,
aidés des ratés de tous les acabits, contre l'élément
vivace, remuant, entreprenant, progressif de l'art!
Quelle vieille histoire que l'emploi des calomnies et des
plaisanteries pour tenter, toujours vainement, de
l'enrayer! Quelle vieille histoire que son triomphe final
inévitable, coïncidant avec le discrédit, puis l'oubli, ou
la conversion (c'est l'élément comique après l'élément
chagrin) de ceux qui l'ont malencontreusement atta™
quel—
Mais ce qui présente cette fois quelque nouveauté
c'est la nature des machines de guerre mises en action
pour le battre en brèche, très imprévues, très bruyam-
ment manœuvrées '
Nous n'avons plus à revenir sur l'incident dont nous
nous sommes occupé ici même dans notre dernier
numéro. Rarement il nous fut donné de recevoir autant
de témoignages démontrant que le bon sens qui
démêle.au fond des criailleries de la cohue le véritable
but qu'elle poursuit, n'est pas tout à fait émoussé. Il est
désormais acquis que la personnalité sympathique qui
a été en jeu n'était que le cadet des soucis de ceux qui
ont poussé la clameur formidable dont nous avons été
assourdis, et que l'objectif principal étaient l'art jeune et
plus spécialement les XX qui présentement l'incarnent
dans la peinture. Il faut ne pas être Bruxellois pour
prendre encore le change à cet égard.
Voici que les Ouvriers sans travail sont à leur tour
devenus le prétexte d'une manifestation analogue. Ces
gens là mettraient père et mère en croix si cela pouvait
servir leurs rancunes. Nous avons sous les veux le cata-
logue de la Great Zwans Exhibition organisée, y est-il
dit, par les membres de VEssor au profit de l'œuvre
de la presse. Un pitre bat la caisse sur la couverture
et les rédacteurs s'y sont donné bien du mal pour être
grotesques, ce à quoi ils ont convenablement réussi, il
le faut reconnaître.
Il suffit de parcourir cette œuvre très travaillée,
pour apercev'oir que les ouvriers sans travail ont fort
peu tourmenté le cœur charitable des auteurs^ et les
XX au contraire beaucoup Voilà qui fait quelque hon*
neur à ceux-ci. Décidément, quoi qu'on dise, quoi qu'on
fasse, ils demeurent le grand cauchemar de ce pauvre
monde d'inquiets et d'affolés qui ne peut plus écrire
un articulet, brosser un tableautin , bramer une com-
plainte, rimer un quatrain sans que des estomacs trop
X
faibles de ceux qui les ont imprudemment, avalés et
qui ne les peuvent digérer, remontent au palais d'acres
saveurs gâtant Thaleine des infortunés qui se sont ris-
qués à y mettre la dent.
Nous ne dirons pas de la Great Zivans Exhibition,
arrivant avec son succès clownesque de charges, de
culbutes et de coups de pied au derrière, après l'expo-
; sition fort terne où les mêmes artistes avaient étalé
sans succès leurs œuvres sérieuses : ** Enfin! le vrai
salon de V Essor vient de s'ouvrir ! » à l'instar de ce
négociant qui affichait sur sa devanture : »' Enfin! nous
avons fait faillite! « Non. La période de guerre est
passée, espérons-le, et -maintenant qu'on peut juger de
l'efiët global de cette campagne très hargneuse, l'art
jeune qui en sort bien portant n'a rien qui doive altérer
sa bonne humeur. Si jamais il a pu craindre quelque
chose d'ennemis prêts à profiter de tout, ce fut^bien
cette fois, car le hasard s'était singulièrement &it
leur complice. Qr, après qu'un instant sous l'écroule-
ment de la lame, eut disparu le navire, le Beau Navire!
dont on a tant parlé, voici qu'il s'est relevé et vogue
plus alerte que jamais. Que disons-nous, il a reçu une
consécration imprévue : celui, dont on en faisait, avec
grande exagération du reste, le pilote, ou si l'on préfère
l'amiral, et dont le bonnet d'avocat fut arboré au grand
mât, est nommé membre du jury de l'Exposition
d'Anvers au lendemain même de ces furieuses et stériles
attaques. Est-ce permis? Quel scandale! Lire VOpinion
et la Flandre libérale^ ces intelligents moniteurs du
bel art.
Quelle déconvenue pour les compères qui s'imagi-
naient qu'on ne résiste pas à leurs sarcasmes. Toute
cette mousquetade n'aura donc été que poudre tirée
aux moineaux. Le beau navire entre au port.
V ■■ ^
En quittant le caual de Louvain
Ils étaient vingt.
Et en arrivant au Toiikin,
Ils restaient vingt.
Oui, toujours vingt, à l'exception de deux marins
d'eau douce, supportant mal le roulis, la mer et ses
périls, qui demandèrent à être descendus dans des ports
de refuge d'où on les a rapatriés au plancher des vaches
natal qu'ils n'auraient jamais dû quitter. On va les
remplacer haut la main. Les candidats se bousculent à
la^)orte.
Et voici que la vieille histoire recommence. Est-ce
que vraiment, après tant de leçons reçues, les arriérés
ne se^corrigeront jamais. Les procédés qu'ils utilisent
ont été de tout temps dirigés contre les téméraires qui
sont en réalité les précurseurs d'un art nouveau, et
sans cesse ces procédés ont avorté. Et ce qu'il y a de pis
pour les malveillants, nous le signalons à leurs médita-
tions de gens désireux de compter avant tout avec le
succès, c'est la situation finalement ridicule où ils
demeurent sur leur... séant, quand la trouée risquée
par les audacieauc est faite et que les idées nouvelles
s'épauouissent.
Nous pensions récemment encore à. ces camouflets
qu'administre l'histoire de l'art, en lisant ce que
Catulle Mendès raconte, .^ans la Légende du Par-
nasse conie^nporain, des débuts de ces hommes
aujourd'hui victorieusement classés qui ont nom Fran-
çois Coppée, Sully-Prudhomme, Villiers de TIsle-Adam,
Léon Cladel, et bien d'autres. « Il serait malaisé, dit-il,
de faire croire aujourd'hui que ces noms étaient alors
des noms d'imbéciles. Et pourtant, ajoute-t-il dans un
récit qui est pour les clabaudeurs d'aujourd'hui un
piquant et prophétique parallèle, il était avéré que
nous étions parfaitement grotesques. Je ne crois pas
qu'à aucune époque il y ait eu "contre un groupe de
nouveaux-venus un tel emportement de gausseries et
d'injures. (Vous entendez, ô Zwanzeurs!). Raillés,
bafoués, vilipendés, tournés en ridicule dans les
nouvelles à la main, mis en scène dans les revues
de fin d'année, tout ce que les encriers peuvent contenir
de bouflbnneries insultantes, on nous l'a jeté. Toutes
les opinions stupides, tous les mots bêtes, on nous
les a prêtés (Prête l'oreille, ô Chronique, ma mie!).
Nous fûmes pendant un temps les Jocrisses, les Calinos,
les Guibollards de l'art. Il suffisait de prononcer le
mot « Parnassiens » pour que tout le monde pouifât
de rire, et quelqu'un m'a affirmé qu'un jour, dans un
embarras de voitures, un des cochers qui se que-
rellaient, après avoir épuisé tout le vocabulaire popu-
lacier des outrages, avait enfin jeté à ses adversaires
vaincus cette injure suprême à laquelle il n'y avait
rien à répondre : Vingtiste.,.. nous nous trom-
pons : Jeune Belgique.... non, nous nous trompons
encore : Progressiste.... non, nous nous trompons
toujours ; Parnassien, va! «
Et l'écrivain poursuit, garnissant sans le savoir l'ar-
senal où nous pouvons puiser actuellement : « Devant
un tel débordement de colères falotes, les artistes nou-
veaux auraieijit pu éprouver un sentiment de fierté légi-
time. Car, enfin, nous savions l'histoire de nos maîtres
et nous nous en souvenions. Nous savions que la cri-
tique avait traité Victor Hugo d'extravagant et de fou
furieux. Nous nous rappelions qu'Alfred de Musset
n'avait été longtemps pour quelques feuilletonnistes
qu'un tout petit jeune homme sans conséquence, et nou3
n'avions pas oublié qu'au lendemain de la publication
des premières poésies de Byron, la Revue d'Edimbourg
conseillait au jeune lord qui, disait-elle, ne savait pas
même l'orthographe, de renoncer à l'art des vers et de
se borner à l'avenir à boire dans ses châteaux et à
chasser dans ses forêts. Lord Byron eut l'outrecuidance
de ne pas obéir à ce conseil »».
Ce n'est pas tout. Catulle Mendès, recherchant les
causes de cette haine, dégage les observations sui-
vantes, d'application saisissante à ce qui se passe autour
de nous : « Tous jeunes, dit-il, quelques-uns d'entre
nous n'étaient pas sans défauts. Ils avaient toute l'au-
dace des adolescences, avec quelque impertinence aussi,
en ce temps de fantaisie exaspérée, mais aussi d'admi-
rable enthousiasme, contempteur fantasque à la fois et
fanatique du vieux, du laid, du vulgaire, de l'étroit, de
tout ce qui dans les mœurs et dans l'art était classique
et convenu... C'étaient des impertinents, ces nouveaux
venus, absolument ignorés hier, qui prétendaient con-
quérir le public au respect de l'idéal et du travail persé-
vérant... Rien de plus naturel que la haine des gens de
métier contre les hommes d'art. Quant au public, il se
laissait aller à croire ce qu'on lui disait. Il n'était pas
coupable personnellement de cette injustice. Il y avait
en lui, malgré les mauvais conseils et les mauvaises
habitudes qu'on lui donnait, un désir du beau et des
élévations intellectuelles. Les artistes les plus humbles
eux-mêmes, il aurait été porté, sinon à les admirer, du
moins à les estimer, à cause de la générosité de leurs
tentatives, eussent-elles dû rester vaines. Mais com-
ment voulez-vous que le public se mit en rapport avec
les artistes nouveaux, si la critique ne les lui indiquait
pas... Il était bien obligé de s'en rapporter à l'opinion
de ceux qui avaient assumé d'être ses guides. Il y a
enire le public et les artistes, le journal, comme il y a
entre le public et les auteurs dramatiques le directeur
de théâtre... Or, en ce temps-là, ceux qui avaient la
charge de ces présentations n'avaient aucune raison de
faire connaître, sous un jour favorable, les littérateurs
qui, mieux appréciés, auraient pu faire ouvrir les yeux
sur la bassesse et la médiocrité des choses artistiques
d'alors ".
Et il finit en ces termes qui marx^uent pour les criti-
cules d'aujourd'hui leur sort futur : « Heureusement
l'heure de la justice semble venue, grâce à la ténacité
de nos efforts (Vingtistes, n'oubliez pas ceci) . . . même nos
ennemis de jadis, je n'entends pas parler des jeannins
sans importance (comme ceci s'applique à nos reporters)
mais de quelques écrivains de valeur qui d'abord nous
furent hostiles, sont devenus nos amis. Eux manquant
de mémoire, et nous de rancune, nous nous sommes
réconciliés. Tout est bien qui finit bien. Mais cela avait
bien mal commencé. »
Voilà un exemple. En voici un autre. Il s'agit de
Manet. Toujours le même jeu. Nous empruntons les
détails que l'on va lire au beau livre d'Edmond Bazire.
On sait quelle était l'esthétique de Manet : Envisager
la nature, la traduire d'après soi. Il n'empruntait pas
de documents à ses prédécesseurs et s'efforçait de boire
dans son verre. Il regardait non dans sa mémoire, mais
dans la réalité. C'était un crime. Pour beaucoup c'en
est toujours un. Au dehors des colères grondaient. Il
avait suffi d'une toile exposée pour que les opiniâtres
dévots de la tradition eussent un effarement. Ah ça!
est-ce qu'on allait s'émanciper, reproduire des.réalités,
non des rêves ? Allait-on prétendre que la nature
existe, mettre de l'air dans les paysages, de la cou-
leur dans les plans et infliger au modèle la simpli-
cité des poses? Les coteries académiques se révoltèrent
et la presse (toujours intelligente !) s'émut. En 1862 et
1863 Manet était refusé au Salon : des cris d'horreur
avaient été poussés, des mains avaient été levées au
ciel. Il s'agissait du Déjeuner sur V herbe et du Fifre
de la Garde. « La majorité des badauds, dit Bazire,
heureux de faire chorus avec Je ^grgs personnages,
les accueillit de ses quolibets. P\)ur le monde de cette
époque superficielle, l'énergie et l'audace prêtaient à
rire, et une individualité se révélant ne pouvait qu'être
le point de mire désigné aux sarcasmes. « Manet fut dé-
fendu par quelques rares réfractaires.
Ceux qui, à cette époque, passèrent pour des excen-
triques, sont classés maintenant parmi les raisonnables
et les prévoyants. Qu'en dites- vous, spirituels organisa-
teurs de la (7r(?«^ ^t/^ans JKr/^^&^ï^o?^?
Ce n'est pas tout. Ces persécutions contre Manet
durèrent malgré leur irrémédiable stérilité. L'artiste
produit des œuvres nouvelles, tout imprégnées de sa
puissante originalité. Edmond About s'écrie qu'il finira
^T ^. exaspérer le bourgeois «, tout comme à
Bruxelles en 1885, on le voit. Les caricaturistes inau-
gurèrent leurs plaisanteries. Le journal le plus irrité
fut... Bazire le nomme : ce n'est pas toi, ô Chronique!
on pourrait s'y tromper. Il occupe une place distinguée
parmi les détracteurs de profession. Ses injures sont
les mêmes aujourd'hui qu'il y a dix ans. C'est un
ennemi acharné de tout ce qui dépasse. Il lance sur le
monde des clous à sabot qu'il s'imagine être des
pointes. Et l'auteur ajoute : « Voilà comme un talent
puissant peut être interrompu dans son expansion,
ralenti dans son élan, s'il n'a en lui la force [qui brave
ces piqûres de la moquerie et les petites satires man-
quées des retardataires. Quelle vaillance est nécessaire,
quelle foi en soi-même pour résister aux aboiements
mauvais de ces meutes. On a travaillé. On est con-
sciencieux... Bah! un jappement monte. D'autres jap-
pements s'y mêlent, et le découragement arrive ». À
moins qu'on ne soit un fort.
Eh! bien, n'est-il pas vrai que cette histoire d'hier, est
l'histoire d'aujourd'hui? Oh! les myopes qui la recom-
mencent. Sourds aussi. Ne vous rendez-vous donc pas
compte, mes pauvres amis, que vous pastichez trois ou
quatre générations de malheureux qui ont fait fausse
route et que vous préparez vous mêmes les verges dont
l'avenir vous fessera. Il est vrai que c'est : Pour les
ouvriers sans travail \ La charité commande le sacri-
fice. Mais songez que dans peu d'années vous serez les
égaux peu enviables de ceux qui, en un paséé peu loin-
tain, zwanzaient de la même façon en littérature
Decoster, Van Hasselt, Lemonnier, en peinture Charles
De Grôux, Louis Dubois et Hippolyte Boulenger. A ce
triste métier les résultats sont toujours les mêmes.
L'art se transforme en cancan, le peintre en farceur.
On commence par la brosse, on finit par la ziomise. Et
comme en ces œuvres de dénigrement on entraîne
inévitablement à ses trousses une tourbe polissonnante,
on finit par s'entendre chanter ce couplet de ballade :
Au début, en "quittant le port
Ils étaient quarante brasseurs. -
Hélas ! après dix ans d'efforts.
Ils étaient quatre vinfJTts zwanseurs !
■ • ■ ***, ' ■' . • , ; - • _™—
APPENDICE
On lit dans les journaux parisiens :
Hier, à l'Ecole des Beaux-Arts, en plein foyer de
réaction artistique, Eugène Delacroix, l'insurgé de
jadis, est entré en triomphateur. Les personnages offi-
ciels, les illustrations du professorat ont fait fête à
l'ancien refusé du salon, au peintre détesté des cote-
ries. Nous ne voulons aujourd'hui que constater le
grand efïet produit par l'œuvre du maître; nous ne
voulons qu'enregistrer l'annulation du jugement pro-
noncé autrefois par la critique académique. On a ras-
semblé à l'Ecole des Beaux - Arts 239 tableaux ,
150 aquarelles, sépias et lavis, et d'innombrables des-
sins; la vie artistique de Delacroix,' qui tient entre ces
deux dates : 1822 et 1863, est résumée par des œuvres
essentielles. Nous reviendrons sur ce magnifique
ensemble. ' ' ■ .
JaE? ijVlAITF\E^-pH>JSTEUR?
Nous avons "exquissé rapidemenl le poème dos Maîtres-Chan-
teurs. Nous parlerons aujourd'hui de la mise en scène el de la
musique, puisque, par convention, l'on appelle encore musique
le verbe nouveau 'de Wagner, qui est comme l'acccnluaiion
musicale du poème. Il est iniéressant, du reste, de voir l'inslru-
meulalion du maître spéciale à chacun de ses drames. Ainsi, dans
les Nibelungen, le déploiement drs cuivres exprime la gran-
diose majesté des dieux et des géants. Dans Parsifal.h musique
se fait douce el mystérieusement mystique; à peine de temps à
autre les trompettes ont un éclat lumineux et les trombones et
les cors bouchés planent en notes lugubres. Dans Lohengrin^
les violons jouent le céleste motif du Saini-Graal que les trom-
pettes attaquent avec une aveuglante sonorité, lorsque le blanc
chevalier dévoile son origine sacrée-; au personnage religieux
s'oppose le motif infernal d'Orlrude joué parles violoncelles.
Dans les Maîtres- Chanteurs^ la pesante gravité des solennels
bourgeois est exprimée par la lourdeur des cuivres auxquels
vient s'enlacer en soupirs de cor, de violes el de flûte les motifs
d'art jeune et d'amour; le personnage comique est dessiné par
les bassons, les tubas, les cors en soiirdin^, les claVinetlPs, drôla^
tiques, bouffons, hoquetants. Ce Beckmcsser personnifie le vrai
comique musical et de celle instrumentation merveilleusement
saugrenue jaillira le véritable opéra-bouffe. Ce qu'on appelle
opéra-bouffe, l'œuvre d'Offenbach, emprunte sa drôlerie au comi-
que vulgaire des situations et parfois des rythmes; mais l'inslru-
mentation n'y présente rien de spécial; elle est employée à
dérouler monotonement des airs de danse banals. Au contraire,
le véritable opéra-bouffe doit se servir des timbres bouffons,
appelant à Son aide les hautbois criards, les bassons gargouil-
lants, les bedonnantes contrebasses. Il y a là, nous le répétons,
un comique nouveau. L'usage, même dans les théâtres alle-
mands, est de faire de larges coupures dans le rôle de Brck-
mcsser : c'est une grave erreur. Il n'est point permis, d'abord, à
qui que ce soit, de mutiler une œuvre d'art; ensuite, il est
important de faire connaître dans son cnliôreté un rôle tout à fait
original. L'aura-l-on compris à Bruxelles?
Le poème des Maîtres-Chanteurs a reçu de l'accentuation
musicale une intensité de vie merveilleuse et une profondeur
psychologique éionnanlc. Chacun des personnages est dessiné
par des thèmes facilement reconnaissablcs et outre cela par des
timbres particuliers à chacun d'eux révélant immédiatement le
plus intime de leur tempérament. Il en est ainsi surtout de Wal-
ther, de Hans Sachs et de Bcckmesser. Il faudrait citer la parti-
tion presque toute entière et, pour donner une impression de la
parfaite unité du drame, recourir à la notation des thèmes. L'on
suivrait ainsi l'action scène par scène en pénétrant au cœur de
chacun des rôles. Le plus merveilleux modèle de cette musique
psychologique est le monologue de Sachs au début du deuxième
acte, accompagné par un ruissellement dé mélodies insinuantes.
Hans Sachs et Waither sont les héros du drame et leurs rôles
sont corrélatifs : l'union des deux poètes proclame le triomphe
de la vraie poésie. Leurs thèmrs sont unis comme leurs rôles :
l'un grave el solennel, sans la lourde pédanterie des maîtrrs,
l'autre tout imprégné de la jeunesse de la nature. Voilà donc la
poésie expansive, corrigée par la sérénité de la raison, en lutte
avec la roideurdogmatiqiie de l'impuissance.
L'ouverture expose cet antagonisme : au thème rigide des
maîtres s'enroule une phrase rêveuse qui ondule de la flûte aux
hautbois et aux violons, s'enlace, insinuante, aux sonorités des
cuivres et finit par les éîoufter sous sa mélodieuse eftlorescence.
La musique du drame a des richesses de coloris fascinantes :
écoutez les phrases expressives des violoncelles dans la scène de
l'église où s'épand la mélodie grave des cantiques luthériens,
phrases interrogalives, amoureusement impatientes, se coupant
en question brèves el inquiètes, pour s'élargir bientôt en accents
chevaleresques et fiers; écoutez l'orgueil naïf de l'apprenti
David énumérant à Waither les modes et les tons baroques de la
législation musicale des maîtres, la gaminerie folâtre des écoliers
railleurs; écoulez l'inlerrogaloire Soupçonneux des dogmatiques
bourgeois étonnés de voir se présenter devant eux un chanteur
qui n'alla point à l'école et qui n'eut point de maître, et les jeunes
réponses du chevalier .: les notes soupirantes du cor et la rêverie
des violons nous transportent soudain dans les bois auréolés de
vagues traînées soleillanles; écoutez le majestueux élan de l'ode
au prinlemps soutenue par un accompagnement à plein orchestre
où planent vers le bleu profond du ciel, en lumineuse symphonie,
toutes les voix de la nature !
Au deuxième acte, citons le merveilleux monologue de Hans
Sachs obs('>(]é pnr le chant de Wahhcr. « Comment embrasser
ce qui est infini ? » Le hautbois et le cor se renvoient mystérieu-
sement cette phrase caressante; les violons murmurent, les flûtes
ont des sourires si doux : la musique nous dévoile celle germi-
nation de pensées qui chante dans le cerveau du vieux poète. Le
monologue se continue, en déli.cieuse idylle ; il n'y a ici ni air, ni
récitatif, c'est de la mélodie continue : les hautbois, les violons,
le saxophone dessinent de craintives interrogations auxquelles
répond le malicieux enjouement du maître : on oublie le chanl,
c'est delà parole musicale. Le final est un lourd/; force d'orches-
tration et de lyrisme comique, grandiose crescendo déroulé en
fugue sur le thème bizarre de la sérénade, qui se recroqueville en
pirouettes fantastiques, s'élance d'ici, de là,' et formidablement
rosse le nocturne troubadour. Un coup de trompe : silence et
nuit. Les flûtes reprennent staccato le motif qui va s'éleindre dans
la basse, le cor répète trois notes du chant de Walther et la
musique s'évanouit en fumée bleuâtre vers la lune qui monte.
Il y a là seize mesures absolument féeriques. •
Le récit de la tinlamarrante bagarre par David est délicieux
aussi, et presque aussi beau que son pendant au deuxième acte,
le monologue de Sachs méditant sur la chronique du monde. Ce
premier tableau se termine par un quintette où tous les cœurs
émus s'exallcnt en un hymne d'espérance : il fera jaillir les
applaudissements. Nous pensons, nous, qu'il est inutile et sans
valeur spéciale. Le rideau s'abaisse et^se relève sur la fête popu-
laire de la Saint-Jean. Toute celte scène est admirable de verve
grouillante et de mouvement sonore : la musique seule suffirait
à donner l'illusion de celle expansive allégresse, à laquelle
Wagner a su imprimer le caractère profond de l'époque. Ecoutez
la marche accompagnée par les insiruments d'enfants ironique-
ment criards ei le bal improvisé par les paysannes et les
apprentis; écoulez le cantique grandiose en l'honneur de Sachs,
symbole de religieuse profondeur d'âme s'élançant d'un bond
jusqu'au plus haut du ciel : il s'enfle des pianissimi les plus
ténus jusqu'aux plus retentissants fortissimi, et quelle couleur
luthérienne dans cet hvmneffrondanl ! Ecoutez la mélodie ins-
pirée de Walther el le discours de Hans Sachs couronnant Wal-
ther aux acclamations du peuple et des apprentis !
Mais les mots sont trop faibles pour exprimer l'intensité de vie
qui souffle largemehl dans ce drame; renonçons à le faire com-
prendre et parlons de la mise en scène.
L'on sait de quelle façon le rideau s'écarte au théâtre de Wa-
gner : c'est une véritable trouvaille d'artiste. La draperie se
sépare par le milieu et forme, dans son rapide glissement, des
plis harmonieux. Transformer le rideau de la Monnaie occasion-
nerait trop de frais; nous n'insistons pas. Mais nous réclamons
instamment l'orchestre invisible; cette transformation devrait être
maintenue pour le répertoire coulumier dont elle atténuerait
avantaçousemenl les bruvantes vulgarités. L'orchestre invisible
se place devant la scène mais étend sous celle-ci les instruments
les plus sonores.. La musique s'élève adoucie et fondue el l'on
n'esl plus distrait par les mouvements des exécutants, les
lumières de leur pupitre et la gymnastique de celui qui les con-
duit. Celui-ci du reste est parfaitement visible de tous les exécu-
tants.
Nous réclamons aussi un éclairage très discret dans la salle. Il
faudrait que le a monde » vînt au Ihéâlre, non point pour
exhiber des toilettes et des visages d'une beauté relative, mais
pour concentrer son intelligence sur la compréhension d'une
œuvre d'art. . •
Et que les chanteurs fassent preuve d'abnégation; qu'ils
chantent non point pour s'attirer des applaudissements le plus
souvent payés ou irréfléchis, mais pour donner l'expression et la
vie artistiques à leurs pôles respectifs sans oublier l'action géné-
rale. Abandonnez donc cette antique manie de venir chanter des
airs devant le pupitre du souffleur, la main sur la poitrine, les
yeux en coulisse, agréablement arcboutés sur une jambe! Ici, il
n'y a plus d'airs, il y a des scènes indissolublement unies les
unes aux autres. Si la situation exige votre présence au fond de
la scène, pourquoi vous précipiter vers l'orchestre? Si la situation
exige que votre chant s'élance vers le fond du théâtre, pourquoi
s'élance-l-il vers le public? Dans 0/?^ro7i, un acteur décrit au
public une apparition à laquelle il tourne le dos (i^^ acte, fin du
1" tableau). Est-ce assez ridicule el dépourvu de sens artiste !
Nous d1?mandôns aussi aux choristes non pas de chanter juste,
— celle exigence resterait sans résultat el, du reste, leur rôle
étant tout bagarres et mouvement confus, le public ne reconnaîtra
pas la mesure, — mais d'avoir quelque intelligence scéniquedans
ce continuel. va-et-vient. Nous craignons beaucoup de voir man-
quer l'élonnant final du second acte, le point culminant de
l'œuvre. Il faut là non cette activité de choristes formulée en
« allons, courons, volons ! » mais du vrai mouvement, une vraie
bagarre, une vraie bastonnade. Laissez-vous conduire par la mu-
sique dont les notes ontdes roulements de triijues et des clameurs
de jurons. , .
VArt moderne a répété tout cela bien souvent; mais on n'en-
fonce un olou qu'en frappant dessus.
Terminons par quelques observations et éloges à l'adresse des
directeurs. Les Wagnériens ont lu avec siupéfaction l'immense
aftiche placardée sur les murailles de Bruxelles : « Les Maîtres-
Chanteurs de Nuremberg, opéra en 3 actes et 4 tableaux, poème
et musique de R. Wagner. »
Opéra, les Maîtres-Chanteurs, un opéra! Il n'est plus possible
de donner le nom d'opéra au drame de Wagner. L'opéra à tou-
jours sacrifié la poésie à la musique et la musique elle-même
aux exigences des interprèles favoris. Le drame lyrique, au con-
traire, est une œuvre complète, aussi majestueuse dans ses pro-
portions que le drame tel que le comprenaient les an^'iens et ce
n'est point par orgueil que Wagner a dit, à l'issue du prenîier
cycle de représentations de la tétralogie : «Mainlenanl vous avez
un art national! » Ce qualificatif « opéra » est surtout déplacé
pour les Maîtres-Chanteurs qui, dans l'œuvre déjà spéciale de
Wagner, est lui-même une œuvre spéciale. C'est « coMÉniE
.LYRIQUE » qu'il fallait afficher.
Des félicitations sont dues à la direction pour avoir osé mettre,
à la scène, au terme de leur concession, une œuvre présentant de
si grandes difficultés d'exécution el de si grandes chances d'in-
succès dans un pays où règne encore la banalité de l'ancien
répertoire.
Les Maîtres-Chanteurs à côté des Huguenots, du Prophète.
de la Jî/ire, quelle audace !
Espérons que ces efforts vers l'art nouveau seront récompensés
et souhaitons longs applaudissements au drame du Maître.
\
K,-
JalVRE^ J^OUVEAUX
Héros et Pantins, par Léon Cladel. — Paris 1885.
Léon Cladel a réuni en un volume, sous ce liire : Héros et
Pantins j une série d'arliGlcs publiés dans Iç journal le Gil Blas.
Nous sommes quelque peu en peine d'analyser ces pages déta-
chées, tracées fiévreusement, éclosos au souHlc inégal dcrl'inspi-
ralion journalière, sans aucune pensée commune qui les relie
■ entre elles : ce n'est pas ïe brocheur qui fait le livre. Héros et
Pantins n'est pas un livre, ilnefaut pas l'apprécier comme tel.
Il faut. lire séparément cha2un des morceaux, nouvelles, contes,
éludes, fantaisies que contient le volume. Tous sont remarquables
par l'incisif relief du style, et viveflient colorés par la robiisle
imagination du maUre. Dans certaines, par exemple dans celle
intitulée Partie carrée, \\ v a une verve endiablée, une fantaisie
qui déconcerte et donne le vertige. L'ange du bizarre, dont parle
Edgard Poe, a certes effleuré de son aile le front pensif de i'er-
. mite de Sèvres lorsqu'il jetait sur le papier, pour le lecteur
frivole, ces hautaines extravagances. Ailleurs, c'est la pénétrante
mélancolie des souvenirs qui anime d'un charme subtil et funèbre
le pèlerinage de l'auteur aux lieux de sa première enfance.
Toujours dédaigneux de la réalité banale, Cladel habille son rêve
parfois tendre, souvent farouche, de l'éclat de son style d'acier,
dur, aveuglant et tranchant comme lui. Oui, il y a tout cela dans
Héî'os et Pantins. Mais nous nous demandons si Cladel fit bien
de donner à ces pages éparses, à ces enfants perdus de sa plume,
la concentration et la forme solennelle du livre ; ce qui est écrit
pour le journal garde loujours et malgré tout odeur de journa-
lisme. C'est un tort, et c'est hélas! celui de beaucoup d'écrivains
de se dépenser, gaspiller, éparpiller dans ces grands carrés, lus
distraitement, vite oubliés. Rien de plus funeste à la littérature
que le journal. — — ~ __^ ._— -^-. ^^ -^
j^OTE?
DE JVIU^iqUE
Troisième Concert du Conservatoire.
Selon l'usage de la maison, on a fait réentendre dimanche une
œuvre déjà jouée cet hiver. Comme l'œuvre ainsi reprise était
Manfred de Sc.humann, et que plus on entend cette admirable
traduction musicale du poème de Byron, mieux on en pénètre les
beautés, personne ne s'est plaint.
C'est M. Chômé à qui était confiée la partie « récitante » de
Touvrage. Il s'est acquitté de sa lâche avec une sobriété de bon
goût et n'a pas trop détonné dans l'ensemble. Il a réussi à éviter
recueil habituel des orateurs chargés (rôle ingrat et difficile) d'ex-
poser en langage usuel ce que la musique dépeint beaucoup plus
subtilement que tous les commentaires.
L'exécution des soli, confiée à des élèves et à d'anciens élèves
du Conservatoire, a été suffisante pour donner du Manfred une
idée artistique complète.
Lés chœurs ont chanté avec précjsion, et l'orchestre a inter-
prété fort bien les fragments symphoniques, notamment la célè-
bre apparition de la Reine Mab, où le génie de Schumann, par-
fois nébuleux, atteint à la clarté, aux légèretés d'expression et
aux délicatesses exquises d'une féerie shakespearienne.
La symphonie en ni de Schumann, un peu délaissée dans ces
dernières années, complétait le programme, magistralement cou-
ronné par l'ouverture de Freischiltz exécutée par M. Gevaért
selon les indications de Wagner.
Concert Jane De Vigne
Une jolie voix de mezzo-soprano, maniée avec beaucoup de
goût par une petite personne qui paraît bonne musicienne —
telle est l'impression que fait M"« Jane De Vigne. Il n'en faut
pas davantage pour réussir. Et la réussite ne tardera pas, si l'on
en juge par l'accueil sympathique fait; mardi, à la jeune canta-
trice par un auditoire très nombreux.
M"« De Vigne a renoncé en partie aux airs à roulades dont
nous lui avions reproché l'abus. Elle a chanté, pour commencer,
un air de Hjendel, et elle l'a chanté fort bien. Les musiciens aus-
tères eussent souhaité, dans celte interprétation un peu mondaine,
un style. plus soutenu : c'est la seule critique à faire à une exé-
cution d'ailleurs excellenle comme Voix et comme diction.
Mêmes qualités dans Sapho, de Gounod, romance vieillie qu'on
ferait bien de laisser reposer avec les souvenirs d'une époque
disparue, dans deux aimables romances dé Jenô Hubay, paroles
de Victor Hugo, dont la seconde a été bissée d'enthousiasme et
dans une Muzourka de Chopin.
Ne voulant pas perdre complètement l'occasion d'ébahir les
badauds par des gargarismes^ des vocalisations acrobatiques et
des trilles fous, M"e De Vigne a cru devoir faire entendre aussi
la Marchande d'oiseaux, de Jomelli, qui date, paraît-il, de 4750,
ce qui ne constitue pas une excusé suffisante pour justifier l'ah-
sence d'intérêt musical.
On avait d'ailleurs fait à la genl emplumée la part belle dans
ce concert : outra \z Marchande d'oiseaux en question, ]M»«Nora
Bergh, — - une pianiste dont le mécanisme est remarquable mais
qui ne s'échaulïé guère en jouant — a fait chanter sur le clavier
le Rossignol, de Liszt ; « J'eus toujours dé l'amour pour les
choses ailées » dit encore M"« De Vigne, qui, pour le prouver,
termina le concert par une romance intitulée : L'Oiselet, si
bien que toute la séance évoquait l'image gazouillante d'une
grande volière ,:*'.,
M. Hubay donnait à cette audition le précieux appoint de son
coup d'archet élégant, souple et sûr. On lui fit féie, tant après la
Romance de Rubinslein et les deux niazourkas de Wieniawski
qu'après la poétique Berceuse c|e Zarembski, accompagnée par
l'auteur, et après Téiincelante fantaisie {Puszia Klange) qu'il
a écrite sur des motifs hongrois, en collaboraiion avec M. Aggazy,
et qu'il joue avec la désinvolture d'un tzigane unie à la science
d'un maître.
' IBoirée de la Nouvelle Société de musique.
A mentionner, pour mémoire, une agréable soirée intime
offerte mardi à ses membres par la Société de musique. Les
chœurs y ont exécuté avec goût Narcisse de Massenet, une
œuvrelie mince, élégamment écrite, et VAnathèine du chanteur j
de Schumanû, qui formait avec l'ouvrage précéd(;nt un contraste
piquant. Un Motet à six voix de Rubinslein avait ouvert la
séance, à laquelle deux solistes, MM. Triaille et Godenne, l'un
pianiste, l'autre violoncelliste, ont ajouté l'attrait d'une virtuo-
sité remarquable, surtout en ce qui concerne le second. ,
Deuxième Concert de musique russe à. Liège
On nous écrit de Liège :
^us avons entendu samedi un second concert de musique
russe, dû h l'initiative de la comtesse de Mercy-Argonteau. Cette
audition, comme la première, aélé d'un grand intérêt artistique,
malgré les imperfections de l'exécution orchestrale.
La première i)artie était consacrée à la symphonie en mi bémol
de Borodine, superbe échafaudage musical, architectural de con-
tcxlure et humain d'émotion. L'a7idante précédant le finale pos-
sède à uu haut degré l'incarnation musicale d'impressions
morales qui émeuvent l'auditeur indépendamment des sensations
que provoque la forme.
Lc^ Danses circassiejmes cxirahcs de l'opéra Le Piisonnier
du Caucase, de César Cui, jouées ensuite, sont très curieuses.
Assourdie par les sonorités sauvages et primitives du tambour de
basque et du tam-tam, cette musique, dans sa sobridté, donne
une impression intense du milieu caractéristique qu'elle dépeint.
La Tarentetlé d\i même auteur provoque la même émotion évo-
calrice.
La Suite pour piano, Sascha^ de Glazounoflf, a étonné; La
Reine de la Mer, de Borodine, une mélodie, et là chanson de
Lell, i\e Rimsky-Korsakoflf, 6ht ua grand intérêt, mais |)eut-être
eût-il mieux valu ne pas abuser, comme on l'a fait, des solistes
et des fragments. Il eût été préférable de faire entendre une
œuvre ou deux dans leur entièrcté. Il v a là une concession au
public (il est de bon ton d'aller au concert russe), que nous ne
comprenons pas de la part des organisateurs, si convaincus dans
leurs efîorls. Néanmoins, M. Heynberg et M""^ de Mercy-Argen-
teaii ont eu du succès |)our la virtuosité honnête et respectueuse
avec laquelle ils ont interprété deux morceaux de César Cui.
JI"^ Begond a bien dit la Princesse endormie, de Borodine. Nous
devons à M"»^ Delhazc la bonne exécution au piano de Sascha.
Les fragments du deuxième acte du Prisonnier du Caucase,
qui réclamaient des chœurs et plusieurs solistes", ont été inter-
prétés avec beaucoup de couleur par la masse chorale, l'orchestre
et les solistes. Le sextuor et le fuialc ont du souffle, mais la valeur
artistique de cet ouvrag»^ est moindre que celle de la plupart des
œuvres entendues au cours du même concert.
TpiBj:.IOQRAPHIE MUSICALE
La maison Schott frères, qui a acquis le droit exclusif de publier
les œuvres dé Wagner, vient de faire paraître une nouvelle parti-
tion, avec paroles françaises, des Maîtres -Chanteurs de Nuremberg.
La partie d'orchestre a été réduite pour le piano par R. Klein-
michel. C'est celle qui figure dans la petite partition, avec paroles
allemandes, publiée précédemment par la maison Schott. Elle est
d'une exécution moins difficile que la transcription faite par Tausig,
qui figure dans la grande édition allemande. Le prélude est presque
identique à la transcription de Biilow, reproduite dans l'édition
Tausig. Quant au texte, c'est naturellement la version française de
Victor Wilder, qui exprime très fidèlement l'original.
La partition, mise en vente à 20 francs, comprend 467 pages petit
in-folio. A part la couverture, dont le dessin et la couleur ne sont
pas heureux, l'exécution matérielle de l'ouvrage est bonne.
Gela ne vaut pas la partition allemande, mais étant donnée la modi-
cité du prix, c'est satisfaisant. Il .existe aussi des partitions pour
piano seul et pour piano à quatre mains.
Nous avons reçu ces jours- ci une brochure anonyme destinée à
initier le public au texte des Maîtres-Chanteurs de Nuremberg. C'est
une analyse, scène par scène, de l'action, précédée d'une notice
biographique succincte de Richard Wagner, dans laquelle nous
n'avons à reprendre qu'un détail inexact : c'est que le maître n'est
pas mort au moment où il « préparait l'audition de Parsifal r>
comme le dit l'auteur, qui signe G.-D. Ciseaux, mais six mois après
que le triomphe de sa dernière œuvre à Bayreuth, en 1882, eut
apporté la consécration définitive à son Art.
Jhéatre? *
Théâtre de la Monnaie, — Voici les engagements nouveaux et
les réengagements faits pixr M. Verdhurt pour la prochaine cam-
pagne théâtrale : M"« Cécile Mézeray est engagée en qualité de chan-
teuse légère de grand opéra. M'"« Montalba remplacera M'"'' Caron.
M'i^ Passama, élève de M"'<^ Marie Sasse, remplacera M"® Deschamps.
M. Boyer, baryton, en dernier lieu à Marseille, remplacera M. Sou-
lacroix. M. Hanssen, premier maître de ballet de i'Alhambra de
Londres, est engagé comme maître de ballet. — Sont réengagés :
MM. Renaud, Chappuis, Fraukin, Lapissida, l'habile régisseur du
théâtre. Il va sans dire que notre excellent chef d'orchestre, Joseph
Dupont, nous reste également.
Théâtre de l'Alcazar. — Le succès persistant de YÉtudiant
pauvre a fait ajourner les représentations de Fatinitza, dont la
reprise avait été annoncée.
r ■
Il est question de monter La guerre joyeuse (Lustige Krieg) de
Suppé, dont la traduction est faite et qui pourrait être jouée prochai-
nement.
Théâtre Molière, — On joue depuis quelques jours une parodie
de Denise intitulée La petite Denise, qui met assez drôlement en
relief, mais d'une manière lourde, les défauts de la récente œuvre de
Dumas. La petite Denise fait avec Les filles de Marbre un spectacle
intéressant.
Mardi prochain, 10 mars, représentation au bénéfice de M. DeN
tour, l'excellent contrôleur-général. On jouera la Cagnotte et La
petite Denise.
Une représentation extraordinaire de Jean Baudry, la comédie
émouvante de Vacquerie,sera donnée vendredi prochain, 13 courant,
au bénéfice de l'œuvre des Vieux vêtements d'Ixelles.
Le samedi 21 mars aura lieu la première du Prince Zilah.
M"e Lina Munte jouera le rôle créé par M»i« Hading, M. Barbe
celui du prince Zilah et Mi>e Remercier, que nous avons déjà applau-
die dans Serge FUnine, celui de la marquise Dinati,
En mai, M. Damala et M^e Hading viendront très probablement,
avant leur départ pour Londres, nous donner quelques représenta-
tions de l'œuvre de Glaretie.
Les décors, calqués sur ceux de Paris, seront exécutés par
M. Braeckman,
î^
ETITE CHROJVdQUE
Voici le programme de la troisième séance de musique de chambre
pour instruments à vent et piano, qui sera donnée aujourd'hui
dimanche, dans la grande salle du Con.servatoire, par MM. Dumon,
Guidé, Merck, Neumans, Poncelet et De Greef, avec le concours de
MM, Jacobs, Vanderheyden, Agniez, Bayard, Fontaine, Devaux,
Devos et Mills.
1. Septuor, de Hummel. — 2. Suite pour flûte, hautbois, clari-
nette, cor et basson, par Ch. Lefebvre. ^: 3. Sonate pour flûte et
piano, de Hœndel. — 4. Symphonie de Raff.
Le dernier concert populaire de la saison est fixé au 12 avril. Il
sera, comme d'habitude, consacré à l'œuvre de Wagner, mais le
programme en sera, cette fois, particulièrement intéressant. Il com-
prendra le premier acte en entier de la Walkûre, chanté par
jyfme Brunet-Lafleur (Sieglinde), M. Van Dyck (Siegmund) et
M. Blamvaert (Hunding).
On entendra en outre, pour la première fois à Bruxelles, la scène
des Blwncnmddchen de Parsifal avec le prélude de cette œuvre,
la Siefried- Idylle composée par Wagner à la naissance de son fils,
et, pour finir, la Chevauchée des Wulkyries telle qu'on l'exécute à
la scène, c'est-à-dire avec l'adjonction de neuf voix de femmes.
Il est question aussi de deux concerts que viendrait donner à
Bruxelles M. Lamoureux et son orchestre et dans lesquels on exécu-
terait le ler et le 2™e acte de Tristan et Yseult.
On lit dans G^îV Blas, au sujet d'une audition de Tristan et Yseult
qui vient d'avoir lieu à Paris :
Le ténor Van Dyck (M: Van Dyck est belge) a fait sa jeûne répu-
tation par le talent avec leiquel il a établi le rôle difficile de Tristan,
qu'en Allemagne même les artistes les plus expérimentés n'osent
aborder sans hésitatiou.
Quant à M"^" Montalba, on peut dire que son nom restera désor-
mais attaché à ce rôle d'Yseult, qu'elle a créé avec autant d'origir
nalité que déclat. Il semble que cette belle artiste, à la voix expres-
sive et passionnée, ait été mise au monde tout exprès pour chanter
la musique de Wagner, tant elle en a pénétré l'esprit, tant elle excelle
à en rendre le sens profond et la signification complexe.
Elle s'esta ce point iuentifiée avec l'héroine du drame musical de
Wagner que, pour ma part, jo ne saurais plus la séparer de la créa-
tion idéale du maître. Aussi, le jour procham où l'œuvre passera de
l'estrade du concert sur les planches du théâtre, il faudra songer
avant tout à faire appel à ratlmirable interprète d'Yseult, car, je le
dis sans hésiter, je ne connais pas de cantatrice à Paris capable de
nous faire oublier dans ce rôle celle qui nous en a donné la premièi-e
et vivante incarnation,
Par arrêté royal de ce mois ont été nommés membres du jury de
l'exposition des Beaux-Arts d'Anvers : MM, Edmond Picard, Van
Gampet de Vriendt., ,
80 ,
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Lb numéro : 25 centimes.
Dimanche 15 Mars X885.
>^
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVDE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA-ilTTÉRATURE
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser les demandes d' abonnement et toutes les communications à
L administration générale de l'Art Hoderne, rue de Tlndustrie, 26, Bruxelles.
?
OMMAIRE
•
Les Màitres-Chanteurs . — Livres nouveaux : Chair molle,
par Paul Adam. — Les Impressionnistes. Premier article. —
Concert Lamoureux. — Théâtres. — Bibliographie musicale.
— Chronique judiciaire des arts. — Mémento des expositions
et concours. — Petite chronique.
LES MAITaES-CHANTEUIlS
Qui aurait cru, il y a quelques années, quand les
wagnéristes étaient montrés au doigt, taxés de folie,
bafoués, vilipendés, caricaturés, qu'en l'an 1885, le
7 mars, le fanfarant cortège des Maîtres-Chanteurs
envahirait solennellement la scène du théâtre de la .
Monnaie? Qui se fût attendu à entendre la marche
triomphale des corporations, avec ses sonneries de
trompettes, réveiller la somnolence des échos que fai-
saient gémir la cavatine de la Juive et les ritournelles
deNorma? Qui eût imaginé, surtout, que des acclar*
mations, ébranlant la salle du parterre au paradis,
eussent couvert les derniers accords de chaque acte et
se fussent prolongées ensuite en rappels enthousiastes ?
Avec une force irrésistible, l'idée wagnérienne a fait
sa trouée, malgré les résistances, malgré les haines,
malgré la mise en œuvre de toute la balistique usitée
lorsqu'il s'agit, en art comme en politique, de défendre
les digues menacées par un flot de principes nouveaux :
les quolibets, les calomnies, les intimidations. Vains
efforts. Tactique toujours déjouée par la puissance de
l'événement. A un moment donné le courant, grossi r
par la résistance, culbute impétueusement tous les
obstacles.
Courbet est entré au Louvre. Manet à l'Ecole des
Beaux- Arts. Delacroix, le révolutionnaire, s*élève dans
une apothéose. Que reste-t-il des injures, des menaces,
des railleries, des âneries sans nombre décochées au
chef du romantisme, au père du réalisme, à l'inventeur
de l'impressionnisme, noms divers pour exprimer une
chose unique : l'évolution de l'Idée artistique?
Ne se lassera-t-on pas de chercher à arrêter ce qui
est invincible? A comprimer ce qui est incompressible?
L'histoire enseigne que jamais on n'a entravé ces grands
mouvements de l'Art que règlent des lois mystérieuses
mais immuables, comme celles qui régissent le. cours
régulier des astres. Pas plus, d'ailleurs, qu'on ne peut
s'opposer aux révolutions sociales qui, lentement, selon
des nutations dont la cause échappe, modifient périodi-
quement l'humanité.
Tout au plus arrive- t-on parfois à retarder ces détur-
bations, comme un débiteur recule l'échéance d'une
créance. Mais alors, gare aux intérêts qui s'accu-
mulent ! La postérité acquitte en monnaie d or la gloire
des artistes dont la réputation, s'ils l'eussent conquise
de. leur vivant et sans lutte, se fût payée en biîlon.
C'est la vengeance des méconnus. C'est l'équitable
compensation des injustices et des ignorances têtues.
Aussi ne peut-on s'empêcher de sourire aux protes-
tations timides, aussitôt étouffées sous une tempête de
bravos, de ceux qui tentent d'enrayer encore l'ascen-
sion majestueuse de l'art lyrique dont les Maîtres-
Chanteurs sont l'expression. Messieurs les gratinés,,
dérangés dans leurs administrations coùtumièrés et
irraisonnées, sont vexés de n'être comptés pour rien
dans le jugement que prononce la foule Ce groupe
repoussant déjeunes hommes aux idées de vieillards et de
vieillards qui cherchent à se faire ^passer pour jeunes,
produit d'une civilisation à son déclin, sans aspirations
et sans grandeur, n'est-ce pas lui^plutôt encore que les
pédants cuistreux des écoles que Wagner a symbolisé
dans l'ironique personnification du greffier Sixtus
Beckmesser ? S'il est vrai que seule la vérité blesse, on
serait tenté de le croire, à voirie dépit avec lequel ce
petit monde a accueilli la sanglante satire du Maître.
Mais si, à chaque bataille contre la routine livrée
parles milices de l'art jeune, on se heurte aux vieilles
gardes, en revanche toujours apparaît, aux avant-
postes,, un chef hardi qui, ardent et infatigable, donne
le signal de l'assaut.
C'est à Louis Brassin qu'on doit là victoire rempor-
tée à Bruxelles par le wagnérisme. On l'a un peu
oublié. Aussi croyons-nous devoir, au lendemain du
triomphe définitif des idées pour lesquelles il fiténergi-
qyement campagne, évoquer le souvenir de cette
grande personnalité artistique. Quelle joie et quelle
récompense pour lui s'il eût assisté à la manifestation
imposante de samedi ! Pour tous ceux qui s'efforcèrent
de propager en Belgique les principes de l'art de
Wagner, sa mémoire est étroitement liée à tous les
avantages partiels que, petit à petit, dans une série
d'escarmouches, remportèrent les partisans du «* drame
lyrique « sur les défenseurs de 1' « opéra »> dans sa
forme surannée. Le premier, il osa inscrire le nom de
Wagner dans ses programmes. Qui ne se souvient de
l'irrésistible entrain avec lequel il exécutait, sur un
piano auquel il communiquait les vibrations de l'or-
chestre, cette ouvefture [des Maîtres-Chanteurs qui
devait, quinze ans plus tard, remplir de ses sonorités
éclatantes le vaisseau de la Monnaie? N'eut-il pas un
jour l'idée de faire jouer, d'un bout à l'autre, à l'un de
ses élèves, *.comme s'il se fût agi d'une simple transcrip-
tion de concert, la partition entière de cet ouvrage
colossal. Passionnément épris de l'art du Maître, il
groupa autour de lui une élite de jeunes hommes dans
l'àme desquels il fit passer la flamme de son enthou-
siasme. Tous, Batta, Hugo Fish, morts tous les deux,
ainsi que le maître lui-même, Rummel, Dujardin, Kéfer,
Tinel, Gurickx, De Greef, devinrent ses lieutenants, et
propagèrent à leur tour ses préceptes.
Grâce à des prodiges de diplomatie ^ il parvint à
décider le directeur qui régnait en 1870 à la Monnaie et
qui n'était rien moins qu'ouvert aux idées nouvelles,
M. Vachot, à monter Lohengrm. La chose décidée, il
fit si bien que le chef d'orchestre d'alors, M. Singelée,
consentit à céder son bâton, pour les répétitions et
même pour la première représentation, à Hans Richter,
que Brassin fit venir du fond de l'Allemagne.
Mais il fallait préparer l'auditoire à la musique nou-
velle qu'il allait entendre. Avec un dévouement infati-
gable, il organisa chez lui des séances dans lesquelles il
était à la fois conférencier et virtuose. Il exposait à ses
amis les beautés de Lohengrm^ commentait le poème,
jouait avec l'autorité qu'on sait des fragments delà par-
tition et parvint à initier peu à peu les Bruxellois â la
compréhension de l'œuvre, ce qui lui valut, de la part
de Wagner, cette décoration de chevalier du Graal,
dont nous avons parlé déjà (*) et dont il s'enorgueillissait
avec une joie d'enfant.
C'est lui aussi qui 4magina, quelques années plus
tard, d'aller quérir à Rotterdam, pour donner à
Bruxelles un grand concert de musique wàgnérienne,
toute la troupe, orchestre compris, qui interprétait la
Walkiïre. l>lous fîmes partie de cette expédition, dans
laquelle Brassin mit en œuvre toutes les ressources de
sa diplomatie enjôleuse. Peu après, en mai 1877,
Bruxelles entendit avec stupéfaction chanter en alle-
mand, et pour la première fois, par un Siegmund en
cravate blanche et une Sieglinde en robe de bal, le pre-
mier acte de la Walkure.
C'est lui enfin qui fonda V Association wàgnérienne ^
destinée à recueillir des fonds pour le théâtre de
Bayreuth. ,■:,,,- ■^-r,^. \,,f. ,.;:;:,..-:,-. ■:,:.;:;;.■ , :.:-■::_ - :. .
Petit à petit s'infiltraient en Belgique les germes dont
l'épanouissement est aujourd'hui admirable. Et ce qui/
contribua dans une large mesure à les développer, à en
hâter l'éclosion, ce furent les Concerts populaires. Nous
sommes heureux de rendre hommage, à cet égard, à
l'active propagande que ne cessa de faire leur excel-
lent directeur Joseph Dupont. 11 a porté seul, depuis le
départ de Brassin, les espérances des wagnéristes en
Belgique. S'il eut parfois de rudes assauts à soutenir,
s'il s'imposa avec un désintéressement absolu et un
zèle qu'on ne saurait assez louer pn travail considé-
rable, il en est récompensé par l'hommage que lui
rendent, à propos de l'interprétation remarquable qu'il
donne des Maîtres- Chanteurs^ la presse et le pubUc.
C'est à l'orchestre et à son chef que vont, tout
d'abord, les éloges. Souple, nerveux, respectueux des
nuances, délicat dans les moments de tendresse, puis-
sant dans les ensembles qui exigent de la sonorité,
d'une clarté qui permet à l'oreille de suivre, dans les
broussailles de la polyphonie, le dessin mélodique des
divers thèmes enchevêtrés, l'orchestre formé et dirigé7
depuis quatorze ans, par Joseph Dupont s'est montré
à la hauteur de sa tâche difficile. La sûreté et la fermeté
de son exécution sont une des causes principales du
(') Voir l'Art Moderne \SM, p. 179.
succès de l'œuvre, qu'auraient pu compromettre ^
disons-le franchement, les interprètes.
Pour des artistes dont l'éducation musicale tout
entière repose sur des données essentiellement diffé-
rentes de l'art synthétique de Wagner où la voix n'a
pas, dans l'ensemble, un rôle plus important que la
petite flûte ou le hautbois, interpréter les Maîtres-
Chanteurs comme il convient n'est assurément pas
chose aisée. On ne se débarrasse pas facilement d'habi-
tudes contractées dans un long commerce avec le
répertoire usuel. On ne consent pas sans regimber à
faire abstraction de sa personnalité, à faire oublier
Vacteur au public. On ne sacrifie pas, du premier coup,
l'effet de son ut de poitrine ou du point d'orgue qu'on
lance, la main gracieusement arrondie, à la fin d'une
cadence pour faire éclater, en gerbe d'artifice, les
applaudissements du parterre.
Mais quel plus noble but pour un artiste épris de son
art, et non de lui-même, que de concourir à provoquer
les grandes émotions qu'un art humain comme celui de
Wagner est capable de produire? Quelle sensation plus
grisante que celle d'employer toutes les ressources de
son intelligence scénique, de son expérience et de sa
voix à réaliser rigoureusement la conception d'un génie ?
L'artiste, loin de s'amoindrir, grandit singulièrement
en s'effbrçant d'atteindre à ces hauteurs où l'art de l'in-
terprète s'unit étroitement à celui du compositeur,
comme les peintres qui font oublier la virtuosité de
leurs coups de brosse pour faire parler la nature seule
dans leurs toiles. Ils l'ont bien compris, ceux-là de Bay-
reuth, de Berlin et de Vienne, les Materna, les Marie
Brandt, les Winkelmann, les Scaria, les Cari Hill, les
Lieban, les Schlosser, les Vogl, qui, généreusement et
sans arrière-pensée, sacrifient la satisfaction éphémère
de quelques applaudissements arrachés à coups de
gosier à la gloire durable d'avoir assis sur des bases
inébranlables le plus solide liionument musical que l'art
ait édifié.
Le jour où nos artistes seront pénétrés de la vérité
de cette idée, nous ne verrons plus M. Jourdain se
hausser sur la pointe des pieds pour lancer d'une voix
tonnante les dernières notes de son Chant de concours.
Il se tournera vers les maîtres qui l'interrogent lors^
qu'il aura à leur apprendre à quelle école il a appris la
musique. Il s'abstiendra soigneusement de tous les
gestes de conservatoire qui font croire que le chevalier
de Stolzing, au lieu de rêver dans les bois, a usé sa
jeunesse dans les cours de callisthénie qu'on donne chez
M. Gevaert et que le vieux bouquin légué par ses
ancêtres n'était autre que le Manuel de la civilité
puérile et honnête, annoté par M™*-' Emmeline Ray-
mond. •
Ce jour là encore nous n'assisterons plus au spec-
tacle plaisant de cinq artistes s'avançant tous ensemble
à la rampe pour chanter le quintette, en quête,
semble- t-il, d'un signal du chef d'orchestre ou d'une
indication du souffleur.
Un ouvrage tel que les Maîtres-Chanteurs a ses
nécessités scéniques, qu'il faut respecter aussi scrupu-
leusement que le dessin de la mélodie, la justesse des
intonations ou l'accentuation des mots.
Que de réformes à accomplir, à cet égard, pour un
directeur désireux de faire œuvre d'artiste ! Et nous
ne parlons ici ni des costumes, passablement gro-
tesques pour quelques interprètes (voir le justaucorps^
vert-grenouille endossé par M. Jourdain au troisième
acte, qui donne à l'artiste l'aspect d'un Valet de carreau)
ni des décors, qui manquent de vérité, ni de la figuration,
assez chiche, ni des jeux de scène des choristes et des
figurants, fortement infectés de conventions surannées,
malgré certaines tendances louables à s'en débarrasser.
Une étude de la mise en scène à ces divers points de
vue nous entraînerait trop loin.
Ce qu'il importe de constater (puisse cette observa-
tion porter ses fruits !) c'est que le succès est allé droit
à ceux des interprètes qui ont le plus complètement
fait abstraction de leur personne pour ne songer qu'à
l'œuvre, pour s'incarner dans leurs personnages :
à MM. SoulacroixetDelaquerrière.
Le premier est vraiment excellent dans le rôle du
greffier Beckmesser. Il chante en musicien et met à
chacun de ses gestes, à chacune de ses intonations, une
conscience remarquable^ On l'a comparé à Uacteur alle-
mand Lieban (et non pas Niemann, n'est-ce pas mon
cherEekhoud ?) et la remarque est juste. Il y a d'ail-
leurs entre le rôle de Beckmesser et celui de Mime,
autre souffre-douleur, certaines analogies qui justifient
la similitude de l'interprétation. S'il se corrige de quel-
ques excès d'intentions comiques qui dépassent le but,
s'il se décide à rompre d'une façon plus complète encore
avec la tradition qui veut que les artistes viennent à
tour de rôle débiter leur air devant le trou du souffleur
au lieu de demeurer où les nécessités du sujet les
retiennent, M. Soulacroix attachera, d'une façon dura-
ble, son nom à la création de l'amusant bonhomme à la
guitare.
M. Delaquerrière joue en écolier pétulant, espiègle,
de. bonne humeur, le charmant rôle de David, et le
timbrè^lair de sa voix convient tout à fait au person-
nage. Il a partagé avec M. Soulacroix les applaudisse-
ments.
Il faut encore tirer hors de pair M. Seguin, dont les
progrès sont sensibles à chaque représentation. Un peu
lourd et embarrassé le soir de la première, il acquiert
petit à petit la bonhomie et l'aisance voulues. Sa voix
est superbe, sa diction nette, ses allures distinguées.
Mais pourquoi a-t-il composé un Hans Sachs si jeune ?
Comment faire concorder la barbe brune, la chevelure
M
L'ART MODERNE
1
luxuriante du cordonnier-poète avec cette apostrophe
qu'il adresse à Beckmesser lorsqu'il l'accuse de pré-
tendre à la main d'Eva :
. . . , ■ .■ ^ . "
•♦ Pardon, marqueur, je n'ai pas ce désir,
Car pour avoir l'espoir de plaire —
Il faut qu'on soit moins mûr que nous f n
et cette réponse qu'il fait à la jeune fille, qui, malicieu-
sement lui parle de mariage :
•• On me prendrait pour ton aïeul t. ?
Il y a évidemment une modification à apporter au
grimage de l'artiste.
La belle voix de M. Durât s'épanouit dans le rôle de
Pogner, l'orfèvre. M. Renaud donne l'emphase néces-
saire aux déclamations de Kothner/le plus solide rem-
part de l'art fossile que combat Walther. En ce qui
concerne les interprètes féminins de l'œuvre, la presse
a généralement trouvé que le rôle d'Eva ne convenait
pas à la nature tragique et enflammée de M""® Caron.
Il s'agit d'une jeune fille naïve et simple, presque une
enfant, pour laquelle le physique d'impératrice, les
gestes nobles, la démarche altière de la remarquable
artiste ne sont évidemment pas faits. Quant à M'^® Des-
champs elle met beaucoup de honne grâce à remplir,
pour la troisième fois, un rôle dé nourrice. Tout le
personnel des chœurs triomphe avec aisance des diffi-
cultés terribles de l'interprétation.
On le voit, si tout n'est pas parfait, du moins faut-il
s'estimer heureux de l'ensemble de l'interprétation, qui
permet d'apprécier dans des conditions vraiment artis-
tiques l'œuvre admirable par laquelle MM. Stoumon et
Calabrési ont eu la bonne pensée de clôturer triompha-
lement leur campagne.
'«=^
JalVRE^ J^OUVEAUX
Chair molle, roman naturaliste, par Paul Adam.
Bruxelles, Auguste Brancart, éditeur.
M. Paul Adam, après vingt autres, nous fait parcourir le
chemin qui mène les pauvres filles du lupanar à l'hôpital et nous
ne le sermonnerons pas à ce sujet. VArt modenie a, en maintes
occasions, exprimé son sentiment au sujet de cet envahissement
de la littérature par « la fille ». Ne ravivons pas cette querelle.
Les chemins de l'art sont libres, c'est entendu ; s'il plaît aux
écrivains de la jeune école de s'égarer dans les venelles suspectes
et de regarder du côté des gros numéros, c'est leur affaire. Ne
nous faisons pas, en leur reprochant cette prédilection, accuser
de pruderie ou de pédanlisme. Une loi rigoureuse asservit la
critique à l'auteur ; où qu'il aille il faut le suivre. Permis à elle
d'enfoncer son chapeau sur ses yeux, de se cacher le nez dans
son manteau, mais il faut qu'elle aille résignée, passive, par les
bouges ignobles, à travers les débauches brutales ou les misères
répugnantes, qu'elle dise ensuite les impressions de ses voyages
dans les dessous mal odorants de la vie sociale. Ce rôle a des
côtés diftîciles et compromettants. Le devoir du critique est de
vérifier, en notre temps de littérature photographique, l'exacti-
tude du coup d'œil et la sincérité de l'otjectif du photographe.
Il s'expose à cette question : Comment savez-vous tout cela ? S'il
répond : je le sais parce que j'ai vu, il passera pour un homme
à fréquentations suspectes, portant partout avec lui l'arrière
parfum de ses excursions dans les égoûts. On ne l'invitera plus
à dîner de crainte qu'il ne dérobe l'argenterie. Les mamans ne
permettront plus à leurs « demoiselles » de danser avec un
monsieur d'aussi mauvaise compagnie. L'auteur lui-même sera
moins mal vu, on pourra lui reprocher de bizarres écarts d'ima-
gination, mais on ne l'accusera pas nécessairement d'avoir vécu
ce qu'il raconte. Mais le critique ne peut invoquer les préroga-
tives de l'imagination : il ne crée pas, il n'invente pas, il constate
et verbalise. .
Mais si cet esclave du devoir se hasarde, pour sa défense, à
reconnaître qu'en réalité il n'a pas levé le plan des lieux où
M"^ Lucie Thirlache accomplit ses cascades, c'est alors M. Paul
Adam qui, justement indigné, lui criera: De quoi vous mélcz-vous?
De quel droit blâmez-vous mes tableaux si vous n'avez pas vu les
scènes qui me les ont inspirés? Comment peut-on apprécier la
ressemblance du portrait si l'on ne connaît pas l'original?
Cette situation entre la réprobation des honnêtes gens et la
colère de M. Paul Adam est absolument dépourvue de charmes.
Cependant à tout risquer et pour l'honneur de la vérité, nous
devons dire que nous ne connaissons pas le n» 7 de la rue
Pépin, à Douai, ni les beuglants du boulevard Crespel, à Arras,
ni la rue Malparl, h Lille, ni l'hôpital où cette malheureuse
termine si tristement sa misérable vie. Mais il est une chose à
l'égard de laquelle nous ne pouvons prétexter d'ignorance, c'est
ce misérable cœur humain, ce malencontreux viscère tout gonflé
de vices et de boue. Lucie Thirlache, qui ne la connaît ou ne la
devine. Intelligence crépusculaire, dit M. Paul Alexis dans la
préface qu'il a écrite pour C/iair il/o/Ze, « volonté capricante,
vacherie native développée dans l'exercice de la prostitution ».
Oh ! c'est bien cela, c'est bien ce pauvre être dont M. Paul Adam
nous développe la psychologie avec une sincérité poignante.
Chez lui, tout jeune homme, — M. Paul Adam n'a que vingt deux
ans, — cette conscience, ce sentiment des proportions sont
remarquables. Il est bien dans le courant du roman moderne,
psychologique avant tout. On ne voit d'ailleurs dans Chair Molle
que le personnage central.
Le reste est peu de chose : des épisodes vulgaires, des
descriptions sincères, sans doute, mais dépourvues d'originalité.
Nous avons lu tout cela dans Nana, dans la Fille Elisa, dans le
Martyre d'Annil y dans vingt romans dont nous ne nous rappe-
lons plus les titres. Mais un décor mal brossé, une action où le
défaut de main et d'expérience se révêlent, ne font pas disparaître
l'intérêt de l'étude morale et sociale qui fut le principal objectif
de l'écrivain.
LES mPRESSlOKNiSTES
Premier article.
Le groupe de peintres qui, pendant plusieurs années, a exas-
péré Paris par l'indépendance de ses expositions et à qui une
pochade de Claude Monet appelée « Impression » au cata-
logue fit donner le nom ôi" Impressionnistes^ a cessé de se pré-
senter au public, pour divers motifs d'ordre privé. Certaine
critique feint dé croire que n'ayant pu réussir divns la peinture
à l'huile, ceux qui le fondèrent terminent leur existence ratée en
décorant humblement des éventailis et des coffrets pour l'Amé-
rique. Il n'en est rien, heureusement. Ces courageux et fiers
artistes poursuivent individuellement leur travail incessant, préfé-
rant une existence modeste aux succès que leur science et leur
habileté de main leur auraient assurés, s'ils se fussent astreints
à faire quelques concessions au public.
Nous pensons que quelques notes sur les plus distingués
d'entre eux intéresseront nos lecteurs, leurs noms avant été cités
fréquemment dansées derniers temps à propos du Salon des XX*
■■' La première exposition des Impressionnistes (laissons-leur
ce nom qui leur fut donné par dérision et qu'ils adoptèrent
fièrement), eut lieu dans les magnifiques locaux de Durand-Ruel,
ce marchand intelligent qui, l'un des premiers, osa acheter des
Delacroix, des Rousseau, des Millet, des Corot. Ils se réfugièrent
ensuite au Boulevard des Capucines, puis Avenue de l'Opéra, dans
une maison non encore habitée, et enfin, ils. essuyèrent les
plâtres de plusieurs bâtisses du même quartier. D'où quelques
spirituelles plaisanteries, dans le monde et dans les journaux,
toujours prêts à railler toute tentative hardie en opposition avec
les idées reçues et la convention. Nombreuse au début, la société
alla diminuant; elle se débarrassa petit à petit des importuns
dont on avait dû accepter le concours, au début, pour la cotisa-
tion qu'ils payaient régulièrement. ' ■
Il y avait là des noms fort estimés, qui donnaient une certaine
autorité aux nouveaux venus, mais dont les personnalités étaient
un peu effacées. Manet ne voulut jamais déserter le salon officiel
des Champs-Elysées, où il avait eu tant de peine à se faire
admettre. Les fondateurs du groupe furent Claude Monet, Renoir,
Degas, Pissaro, Sisley, Cézanne, Forain, Raffaëlli, Caillebolte,
Mesdames Berthe Morisot et Marv Cassatt : nous ne nous occu-
pons que des principaux chefs du mouvement. '. .
._: Claude Monet, dont Manet apprit tant et qu'il admira passion-
nément, est le véritable inventeur de ï Impressionnisme^ avec
Renoir, qu'il connut à l'atelier Gleyre.
A ses débuts, il avait une peinture large et grasse, non sans
analogie avec celle de Carolus Duran.
Il obtint même, à un salon officiel, quelque succès avec le
portrait d'une dame vêtue d'une robe verte. Mais les images
japonaises, qui ont eu une si grande influence sur l'art contem-
porain, initièrent surtout Monet aux coupes inattendues de
paysages, aux colorations franches, crues, vibrantes. Il fut bientôt
en complète possession de lui-même, et, ayant acquis un métier
merveilleux, il peignit des figures de femmes en blanc sur des
pelouses où se répandait le soleil par taches dorées. Il abandonna
enfin tout-à-fait le visage humain pour se consacrer aux vues de
la campagne, et de l'océan.
L'œuvre de Claude Monet, ce bel et fort artiste, sera l'étonne-
ment et l'admiration de ceux qui l'apprécieront plus tard dans son
ensemble. La santé de cette peinture, sa simplicité, sa variété,
sa sûreté, son parfum acre ou doux de nature tendrement inter-
prétée, la grandeur du dessin et de la mise en place, la coupe de
cha(iue toile, le caractère lisse ou fougueux de l'exécution, selon
qu'il s'agit de représenter un effet de temps calme ou d'orage,
tout est d'un maître. Jamais raffinement de tons n'a été poussé
plus loin, jamais l'éclat d'une palette n'a été tel. Sans aucun
doute, depuis Corot, c'est le plus grand paysagiste qui se soit
révélé en France.
Renoir, artiste fin, nerveux, tournienté, a tout essayé, d^uis
les tableaux de batailles qu'on plaçait, au salon, sur ia cimaise,
jusqu'aux nus inspirés parles fresques italiennes, en passant par
le Paysage, qui rappelle trop celui dé Monet avec qui il travaillait,
et par le Portrait, où il a excellé. Tantôt empâtant fortement ses
toiles, tantôt caressant d'un léger frottis une joue de Parisienne,
■ il a fait d'exquises têtes d'enfants et de femmes, il a fait vivre
des chairs frémissantes. Son œuvre considérable, où la trace de
Delacroix est aussi marquée que celle des portraitistes du
xviii^ siècle, de Rubens et des pré-Rnphaëllistes, forme un
ensemble d'un caractère très-particulier, et sa signature est
aussi lisible dans ses fleurs, où il a essayé de s'approprier des
tons de tapisserie, que dans ses études orientales et dans ses
Vénitiennes, où il a cherché et -atteint le caractère sobre et le
style ample de la fresque.
A Paris, qu'il peignît des portraits ou des scènes de bals
publics et de rues, en Angleterre, à Alger, à Venise, à Naples, à
Toulon, partout où l'a conduit sa fantaisie, Renoir a poursuivi
et trouvé l'expression d'un art vraiment neuf.
Les ouvrages de ce coloriste éperdu ont parfois dos reflets de
faïence, d'émaux et de pierreries ; parfois ils sont hiirmonisés
dans des gris d'une distinction rare, où n'entre jamais le noir.
Quelques études de Napolitaines nues, en plein air, ont la fraî-
cheur des décorations d'Herculauum, tandis que certaines natures-
mortes rapportées de Marseille ont une chaleur et une intensité
de métaux en fusion. C'est certes une des organisations les plus
troublantes, les plus curieuses, les plus passionnantes que nous
connaissions. . "
Sisley n'est qu'un reflet. Quoiqu'il ait débuté en même temps que
Monet et Renoir, il semble être leur élève, fort brillant d'ailleurs.
Pissaro, lui, est le doyen de cette Ecole. Il est sorti de Millet
dont il a un peu imité les scènes de campagne. Mais il restera de
lui une centaine de paysages admirables do vérité, de justesse de
valeur et de franchise décoloration. Sa plus belle époque a été
son séjour en Angleterre, vers 1870. A Ponloise, ou il a vécu
ensuite, sa facture a commencé à s'amoindrir et à devenir coton-
neuse. Mais il suffit, pour le classer, de songer au talent remar-
quable avec lequel il a interprêté les environs de Londres et ceux
de Paris. Enfin, Pissaro est un des rares peintres auxquels on
pense quand on se promène dans la campagne; est-ce là un
mince mérite ?
A tous ces éléments si divers, deux femmes, Miss Mary Cassatt
et Madame Berihe 3Iorisot, ont ajouté une note charmante. Les
effets vaporeux du matin sur les plages et dans les jardins de Paris
ont été fixés d'une façon délicieuse par Madame Morisot, tandis
que certains éclairages étranges de figures maladives dans des
appartements luxueux, ou bien au théâtre, étaient rendus avec
intensité par Miss Cassatt. •
Nous voudrions bien parler encore du maître Degas et de
Cézanne, mais chacun d'eux mérite une longue et sérieuse ^tude.
L'art complexe de Degas, si plein de fantaisie et de modernité,
reposant sur les bases d'une éducation classique des plus sévères,
l'esprit et le talent de cet élève d'Ingres qui a conservé toute la
rigueur du dessin de son maître et sa pureté dans la représenta-
tion de la vie des coulisses el des courses, ne saurait s'accom-
moder de quelques lignes d'analyse.
La tâche n'est pas plus aisée pour Cézanne, qui, avec ses
faiblesses enfantines, est pourtant l'auteur de quelques chefs-
d'œuvre de couleur.
^
86
rkRT MODERNE
j^ONCERT JîAMOUREUX
Chacun des concei'ts de M. Lamoureux est décidément comme une
date de victoire pour le drame lyrique,.pour l'ample et libre musique
de scèue telle que Berlioz en avait jeté les bases et telle que l'a défi-
nitivement bâtie Richard Wagner.
Hier c'était une seconde audition du deuxième acte de Tristan et
Yseult, une suite de pages hardies, profondes, humaines, ardentes,
où les chanteurs, en dehors de toute régularité mélodique, parlent
la vraie langue passionnée, où l'orchestre répand comme l'impression
de la nature ambiante, tantôt l'ombre qui remplit les lointains des
vastes avenues d'arbres, tantôt les langueurs, lès souffles lourds, les
voix émues d'une splendide nuit d'été, tantôt l'ère historique, la
majesté féodale du paUis aux grandes tours, endormi dans un repli
de la forêt où bruit, la rumeur d'une chasse aux tlambeau^, l'épaisse
structure de l'escalier de pierre que va descendre Yseult pour
s'élancer au rendez-vous d'amour. '
Et voilà qu'elle prend sa volée, cette scène d'extase entre les deux
amants; ils maudissent, eu longs cris de souffrance, la lumière du
jour qui les fait étrangers l'un à l'autre, ils ont les mots fous et sans
suite qui se mêlent aux embrassements après l'absence, leurs voix
caressent de pleurs cette nuit si douce qu'ils n'en peuvent plus fuir
l'ivresse, cette nuit dans laquelle ils vont se laisser surprendre
enlacés...
Wagner, dans ces situations qui le montrent dramaturge hors
ligné, s'élève comme musicien aux dernières sévérités de son art,
c'est le bruit épique, l'accent juste et remuant de la vie, la tendresse
intime des émotions, ce n'est jamais le vain désir de séduire;, fou-
gueuse ou sereine, sa mélopée s'arrête à la limite du chant précis
qui parfois veut s'imposer à son inspiration. Il semble un poète qui,
par haine du banal, étrauglerait, quelque riche qu'elle soit} la rime
attendue. L'artiste que Wagner porte en lui, violemment il l'écarté
pour laisser place au descripteur, au traducteur musical des sensa-
tions positives, des naturelles harmonies.
Et le public, en une attention solennelle et vibrante, écoute ces
hautes phrases entrecoupées^ces tragiques récitatifs, ces formidables
entassements d'accords dont la splendeur indomptée va souvent jus-
qu'à des perspectives hors d'atteinte. C'est là lapas considérable fait
piar l'éducation musicale du tout Paris, c'est là, surtout, le fait à ins-
crire dans les bulletins de victoire de M. Lamoureux.
Mais à quand le décor, les allées d'arbres toutes noires où Yseult
plonge le regard et guette l'arrivée de Tristan ; la torche qui flambe
sur l'escalier de pierre et qu'on éteint pour livrer l'espace à là nuit*
d'amour, la plateforme de la tour où Brangaine veille sur la solitude
des deux amants? A quand la mise en scène si noblement artiste qu'a
dictée le génie de Wagner?
Jusque-là, c'est un charme inexprimable d'entendre la merveil-'
leuse interprétation de l'orchestre de M. Lamoureux et de suivre le
drame si puissamment rendu par M*"* Montalba, toute frémissante
dans le rôle d' Yseult , par M. Van Dyck qui réalise avec tant de sin-
cérité le personnage de Tristan, par M™« Boidin-Puisais dontJa voix
sympathique se prête si bien aux accents tristes de Brangaine.
N'oublions pas qu'à la grande joie du public, ce superbe concert
avait pour complément de son programme des fragments du Songe
de Mendelssohn et l'ouverture d'Euryanthe. Exécution irréprochable
comme toujours. {La Justice. )
Jhéatrep
Théâtre de la Monnaie. — Le succès éclatant des Maitres-
Chanteurs s'aflirme davantage àchaque représentation. Lé public
rappelle les artistes après tous les actes. Le deuxième, qui se termine
par la fameuse bagarre, est particulièrement acclamé.
Vendredi, à la quatrième représentation, l'algarade de Beckmes-
ser a failli être continuée dans la salle. Un monsieur grincheux ayant
eu l'imprudence de régaler l'auditoire, en guise de sérénade, d'un
coup de sifflet, après la doubla ovation qui avait suivi la chute du
rideau sur le deuxième acte, toute la salle a riposté par une nou-
velle salve d'applaudissements et de bravos. Les spectatrices mêmes
ont fait le coup de feu, claquant des mains avec frénésie, tandis que,
du fond des loges, des stalles, du parterre, du paradis, partaient les
acclamations et les cris. , , ,
Le monsieur n'a pas jugé à propos de renouveler sa tentative.
Mardi prochain aura lieu la cinquième représentation.^
Théâtre du Parc. — La représentation au bénéfice de M"« Renée
Sigall, l'aimable pensionnaire de M. Candeilh, est fixée à mardi pro-
chain. On jouera Tête de Linotte^ l'amusante comédie de Gondinet,
dans laquelle la bénéficiaire a créé avec l'étourderie charmante qu'on
a tant applaudie, le rôle de Céleste Champonet. Le spectacle com-
mencera par La Cravate blanche i
Théâtre Molière. — C'est samedi prochain, 21 courant, que
passera le Prince Zilah, de Claretie, le récent succès du Gymnase.
En attendant, la joyeuse Ca</noïfe tient l'affiche.
Théâtre de l'Algazar. — M»»* Léaut annonce pour samedi là
re^prise de Fatinitza.
pIBX-lOQRAPHIE MU^ICAJ-E
On sait combien il est souvent difficile de déchiffrer la musique
manuscrite, chaque compositeur ayant dans la façon de tracer les
signes de la notation des habitudes personnelles et fantaisistes.
Débrouiller les palimpsestes, le Koua, le Neskhy, le Koufique n'est
rien à côté de la peine qu'on a,à lire certains musiciens.
Prenant le mal à sa racine, un Allemand, M. Emile Breslaur, a
imaginé d'enseigner aux enfants à écrire de la musique comme on
leur apprend à tracer les lettresde l'alphabet. Il vient de publier chez
MM. Breitkopf et Hârtel une série de cahiers gradués comprenant
tous les exercices possibles de l'écriture musicale.
L'idée est bonne, et nous la recommandons. Une traduction fran-
çaise des courtes explications qui accompagnent chaque fascicule
pourrait être utile et rien n'empêcherait alors de répandre les
Cahiers d'écriture musicale de M. Breslaur dans les établissements
'belges d'instruction.
Signalons aussi, chez les mêmes éditeurs, la publication des
œuvres inédites de J.-N. Lemmens, l'éminent organiste belge qui a
fondé à Malines l'école de musique religieuse. Le tome deuxième
vient de paraître. Il est consacré aux chants liturgiques, avec accom-
pagnement d'orgues, et contient, avec une introduction donnant sur
les mélodies grégoriennes des indications précises: 1<> Des exemples
de mélopées ; 2o messe des doubles et des fêtes solennelles ; 3° messe
de Requiem, avec les répons Libéra me et Qui Lazarum ; 4° cinq
antiennes à la Vierge ; 5° Trente hymnes, entre autres le Te Deum.
L'ouvrage, magnifiquement gravé sur fort papier, est en vente au
prix de 15 francs.
jlÎHF^OJMIQUE JUDICiyVlRE DE^ /.f\T^ '
La Conférence des avocats s'est réunie dernièrement, sous la
présidence de M. Oscar Falateuf, ancien bâtonnier, pour discuter la
question suivante :
" Un artiste peut-il, en dehors de toute intention diffamatoire,
reproduire sans autorisation la physionomie d'un tiers. »
La Conférence, après avoir entendu M" Lemillieux et Habert
pour l'affirmative. M»» Lafon et Deshoulières pour la négative, et
Me A. Naumois, rapporteur, s'est prononcée pour l'affirmative.
y
MEMENTO DES EXPOSITIONS ET CONCOURS
Anvers. — Exposition universelle. Mai à octobre 1885.
Anvers. — Salon des refusés et exposition des artistes indépen-
dants. Ouverture en mai. Pour tous renseignements s'adresser au
secrétaire du Cercle des artistes indépendants, i y rue de l'Angle,
Bruxelles.
Bruxelles — ■ 25* exposition de la Société des aquarellistes.
Ouverture le 4 avril 1885. — Exposition des Hydrophiles. Ouverture
prochainement. — IIP exposition de Blanc et Noir à l'Essor.
Mai 1885. — Exposition historique de gravure, par le Cercle des
aquarellistes et aquafortistes. Mai 1885. •
Londres. — Exposition internationale d'instruments de musique.
Ouverture en mai 1885, à South -Kensington. — Exposition inter-
nationale et universelle d'Alerandra-Palace Du 31 mars à la fin de
septembre.— Exposition de la Royal Academy. Ouverture le l*"" mai.
Délais d'envoi : peintures, les 27, 28 et 30 mars : sculptures, le
31 mars.
Nuremberg. — Exposition internationale d'orfèvrerie, de joaille-
rie, de bronzes, etc. Du 15 juin au 30 septembre 1885.
Paris. — Salon de iSS5. — l^ mai au 30 juin 1885. — Peinture,
dessins, etc. Dépôt des ouvrages au Palais des Champs-Elysées, du
5 au 14 mars. — Sculpture, Gravure en méd. et sur p. f. Dépôt
du 21 mars au 2 avril. — Architecture. Dépôt du 2 au 5 avril. —
Gravure et Lithographie. Dépôt, du 2 au 5 avril.
Id. — Exposition internationale de Blanc et Noir, organisée
par Le Dessin, au Palais du Louvre (pavillon de Flore). Du 15 mars
au 30 avril.
Rotterdam. — Du 31 mai au 12 juillet. Dernier délai : 16 mai.
Renseignements : M. Veders, secrétaire, 42, Boompjes, Rotterdam.
Gand. — Statue du docteur Joseph Guislain. (Voir l'Art moderne
du 1er mars.)
Paris. — Statue de Paul Broca. (Voir ÏArt moderne du
1er mars.) -/■':■' ':-'-^' ■.':■ '■:'■ -•;-":'■'■■■'■., \. .', ■:;^ ■■-'■■_-:•■■■ ; .^
RiCHMOND (Virginie). — Concours pour un monument à Robert
Lee, jusqu'au le»" mai 1885.
Saint-Nicolas. — Concours de gravure du Journal des Beaux-
Arts. (Voir V Art moderne an i^^ Tasivs.)
Vienne. — Concours pour l'érection d'un monument à Mozart.
•tç,
f
ETITE CHROJ^jqUE
M'ie Luisa Cognetti a donné hier, au Grand-Hôtel, devant un
public restreint d'invités, une matinée musicale qui a produit une
excellente impression sur l'auditoire. L'heure de notre mise en pages
ne nous permet pas de donner une appréciation étendue sur le jeu
brillant et la remarquable virtuosité de la jeune pianiste, .élève de
Liszt et de Rubinstein. Disons seulement que l'artiste a joué super-
bement divers morceaux, notamment une Etude de Rubinstein et
la transcription de Liszt du Roi des Aulnes de Schubert, dans les-
quels M"e Cognetti a déployé une sonorité, une sûreté d'attaque, un
mécanisme, spécialement dans les octaves, de tout premier ordre.
Camille Van Camp, Edmond Picard et Albrecht De Vriendt, les
nouveaux membres du jury belge des Beaux-Arts à l'Exposition
d'Anvers, viennent de convoquer au local du Petit-Paris, rue Du-
cale, à Bruxelles, pour mercredi prochain, 18 mars, à 8 heures, les
artistes qui représentent l'art belge contemporain d'après les prin-
cipes affirmés, il y a une vingtaine d'années, lors de la fondation de
VArt Libre par Van Camp, Baron, Dubois, Verwée, Hermans, Bou-
lenger, Artan, etc., et qui, depuis, sont devenus la caractéristique
de notre art nouveau dans ses manifestations si variées.
Il s'agit d'examiner en commun les principes que ces [messieurs,
qui prennent ouvertement le rôle de mandataires de cette partie
importante de notre école, auront à défendre dans les réunions du
jury. Ils tiennent à être constamment en rapport avec l^s intéressés
qu'ils ont charge de représenter.
Le dernier concert populaire, fixé au 12 avril, ne pourra avoir lieu
que le 19, la traduction de certaines œuvres qui y seront, exécutées
ne. pouvant être terminée à temps.
M. Heuschling donnera le 28 courant, à 8 1/2 heures, avec le con-
cours de Mi'e L. Dumonceau et de M. C. Marchai, un concert à la
Grande-Harmonie. L'excellent baryton chantera la scène du con-
cours de Tannhauser, le cycle de douze mélodies Blondina de Gou-
nod, des romances de Lassen et de Rubinstein et, avec M^'" Dumon-
ceau, le duo de Don Juan et celui des Papillottes de M. Benoist, de
Rébert. On entendra en outre deux mélodies de Bizet, dites par
M"" Dumonceau, et divers morceaux pour le violoncelle, joués par
M. Marchai. •
M. Peter Benoit vient d'être atteint dans ses plus chèrcss affections
par la mort de sa mère, décédée à Wyneghem, à l'âge de 76 ans.
Confidente des projets et des luttes artistiques de son fils, elle n'a
cessé de lui prodiguer les plus précieux encouragements ; aussi tous
les amis du chef de l'Ecole nausicale d'Anvers, savent combien était
profond son attachement pour sa digne mère et combien la sépara-
tion doit lui être cruelle.
Les deux groupes allégoriques que MM. Vander Stappen et De
Vigne ont été chargés d'exécuter pour la façade du Palais des Beaux-
Arts, rue de la Régence, sont terminés et prêts à être envoyés à la
fonte pour être coulés en bronze.
Quatre grandes solennités musicales auront lieu à Ajivers, dans la
salle des fêtes du Palais de l'Exposition. On parle d'une exécution de
VOcéan, de Rubinstein, et d'une messe de Liszt.
• -
On annonce d'Amsterdam, le décès d'un jeune artiste belge,
Eugène Baudot, premier violon au Palais de l'Industrie.
Baudot était né à Wavre en 1855. Il fit ses éludes au Conservatoire,
de Bruxelles, dans les classes de Léonard et de Vieuxtemps. Plus
tard, il se fit entendre avec succès en Allemagne.
Baudot a laissé de sympathiques souvenirs parmi les artistes de
Bruxelles et sa perte sera très regrettée.
On exécutera à Paris, les 26 et 30 mars, dans la salle du Château
d'Eau, sous la direction et avec l'orchestre de M. Lamoureux, une
intéressante partition du compositeur viennois Adalbert de Gold-
schmidt, les Sept péchés capitaux.
Nous publierons, à cette occasion, une étude sur le jeune musicien
encore inconnu en pays latin, mais dont la réputation sera, pensons-
nous, faite rapidement.
Le compositeur Karl Goldmark, auteur de la Reine de Saba, l'un
des opéras qui ont obtenu le plus de succès en Allemagne dans ces
dix dernières années, est en ce moment à Gmunden, où il vient de
ternainer un nouveau drame lyrique : Merlin.
Les expositions particulières à Paris :
Le 20 février s'est ouverte, au Palais des Champs-Elysées, l'expo-
sition des femmes peintres et sculpteurs, qui restera ouverte jusqu'au
22 avril.
C'est le 6 mars que s'est ouverte, à l'Ecole des beaux-arts, l'expo-
sition de l'œuvre d'Eugène Delacroix.
L'Entrée des croisés à Constantinople a été prêtée par l'admi-
nistration des Beaux-Arts. Après cette Exposition ce tableau sera
placé au musée du Louvre.
Le ler mai, au même local, ouverture de la 2">e exposition de
portraits du siècle.
L'exposition des œuvres de Bastien-Lepage s'est ouverte hier, à
l'hôtel de Chymay, 17, quai Malaquais. L'administration des Beaux-
Arts vient d'acquérir une des grandes toiles de l'artiste : Récolte des
pommes de terre au prix de 25,000 francs Ajoutons que Bastien
Lepage, en mourant, a légué au Louvre, quatre portraits de mem-
bres de sa famille, parmi lesquels celui du Grand-père qui a figuré
au Salon de 1874. Ces portraits devront rester en possession de
M. Emile -Bastien Lepage, frère du peintre, sa vie durant. Nous
apprenons que deux toiles de J. Bastien Lepage oui été adjugées en
vente publique à Londres le 28 février : Pas mèche., au prix de
11,025 francs, et Le Père Jacques, du Salon de 1882, au prix de
13,500 francs. Celle des œuvres de Gustave Doré est actuellement
ouverte au Cercle de la librairie. Celle des œuvres de Ribot s'ouvrira
r sous peu à la Galerie des artistes modernes, rue de la Paix, 5.
88
UART MODERNE
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£<?i/e>", i?*. Répertoire des jeunes pianistes . ,
. " Bouquet de Mélodies . . . . . . ' .
2?n/nne>', C Trois transcriptions, chaque- . . , .
^w/oio, .ff. (de). Réunion des Maitres chanteurs . .
« Paraphrase sur le quintuor du 3* acte .
Cramer, H. Pot-pourri . . :
» Marche . . . . • . . .
« Danse des apprentis ^ . . . . .
Gohbnert'i, L. Fantaisie brillante . . . . . .
Jaell, A. Op. 1;^. Deux transcriptions brillantes ("Werbegesang-
Preislied), chaque ........
Op. 148. Au foyer .,....,..
Lassen, E. Deux transcriptions de salon, n' l
"' " n* II. . . . .
Leitert. Op. 26. Transcription
Rair, J, Réminiscences en quatre suites, cahier I et II, à
cahierlTI. . . ,
^ cahier LV. . . ,
7?u_pp, ff. Chant de Walther -— . . ...
ARRANGEMENTS POUR PIANO A 4 MAINS :
X^t Par(;ï/o>i complète . . . ~ - ^^ - ^-
f^j/îTj'/i/jv. Introduction par C. Tausig . . . . . .
Beyer, F. Revue mélodique . .
B'floïc, H. (de), IjSl réunion des Maîtres chanteurs, paraphrase .
Cramer, H. Pot-pourri. . .
Marche . . . . . . . . .
De Vilbac. Deux illustrations, chacune . ...
. ARRANGEMENTS DIVERS :
OMi'O'fîO'e pour 2 pianos à,8 mains ... .
G>Tpo«r ef Z,»îoHO>-ri. Duo pour violon et piano. . . .
Kaslfier, E. Paraphrase pour orgue-mélodium. —7
Lux, F. Prélude du 3* acte pour orsrue . .
Obc/'f/jMJ% C/j. Chant de Walther pour harpe . . -,
SingeUe, J. B. Fantaisie brillante pour violon et piano .
Gnlternxan. Chant de Walther, pour violoncelle et piano
■\<7c/ferfe, F. (âr). Morceaux lyriques pour violoncelle et piano
N' 1. Walther (levant les Maîtres
N* 2. Chant de Walther . . . .
Wilhelmj, A. Chant de Walther, paraphrase pour violon avec
accompag. d'orchestre ou de piano. Partition
L'accompagnement d'orchestre.
" de piano . . . .
2 «
1 50
25 »
2 .
3 .
1 »
1 75
2 25
1 75
1 75
1 75
2 «
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1 75
2 «
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2 25
2 r.
2 25
1 35
2 2$
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2 50
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2 25
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3 50
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Dimanche 22 Mars 1885.
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• Adresser les demandes d'abonnement et toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, riie de l'Industrie, 26, Bruxelles.
y
Nous remettons à Dimanche prochaiyi^ faute d'es-
pace., notre deuxième article sur les Impressionnistes
et le compte-rendu des expositions de Bastien-Lepage
et de Ribot. •; :-:-P-\ .■ : ■
__ ... . ' .. : ■ ^oMMAiRE .°- • , . •' ;' . ■
Exposition d'Anvers. Réunion des artistes bruxellois. — L'Ex-
position d'Eugène Delacroix. — Adalbert de Goldschmidt. I. Les
Sept péchés capitaux. — Documents a conserver. A propos du
groupe de Paul Dev igné. — ■ Théâtres. Théâtre du Parc. Denise.
— Au Cercle artistique. Exposition Cassiers-Numans. — Publi-
cations nouvelles. — Le dîner-spectacle. — Le jury du Salon
dk Paris. — Petite chronique., ' . .
EXPOSITION D'ANVERS .
RÉUNION DES ARTISTES BRUXELIOIS
Les trois membres du jury d'admission à l'Exposilion des
Dcaux-Arls d'Anvers, nommés en dernier lieu, avaient convoqué
pour mercredi soir dans la salle du Petit-Paris les artistes de
raçrgloniéralion bruxelloise, pour examiner les mesures à pren-
dre dans leur intérêt commun.
L'assemblée était nombreuse. La jeune école était représentée
dans toutes ses expressions. Voici quelques noms qui en témoi-
gnent : 31M. Cooscmans, Ileymans, V'an Camp, Van der Hecht,
DeVriendt, Van den D,ussche, Nelson, Herbo, Van Ilammée, Chai-
naye, Cassiers, de Regoyos, Capeinick, Meuniei*, Asselbergs, Frédé-
ric, Hannon, Seeldrayers, Bouvier, Mellery, Verheyden, Hamesse,
Duyck, Van Gelder, Lambrichs, Serrure, Van den Eeden, Vos,
Namur, Parmenlier, Halkell, Lynen, Lagae, Verdyen, Tiiz,
Lcmayeur, Mignon, Dandoy, Van Lecmpuilen, iïoclerickx, Mayné,
Lebrun, Monligny, Hermanus, M"'^ Gilsoë.
M. Arthur Slevens était également à la réunion. La presse
était représentée par MM. de Haulleville, Max Waller, Léon
Lequime et Octave Maus. '•;
M. Coosemans, membre du jury, s'est placé au bureau avec
MM. Aelbrechl De Vriendt, Edmond Picard, président, Camille
Van Camp, Vandenbussche, secrétaire.
31. Edmond Picard a déclaré que le bureau reprenait pour son
compte le programme de la Société libre des Beaux-Arts, publié
en 1872 dans r^r/ /«&/'<?, dont il est donné lecture et., qui est
ainsi conçu : ...
Les artistes sont aujourd'hui, comme ils l'ont jtresque toujours
été, divisés en deux partis : les conservateurs quand même, et ceux
qui pensent que l'art ne peut se soutenir qu'à la condition de.se
transformer.
Les premiers condamnent les seconds au nom de la tradition. Ils
prétendent qu'on ne saurait s'écarter, sans faillir, de limitation de
certaines écoles ou de certains maîtres déterminés.
lu" Art libre se propose de réagir contre ce dogmatisme qui serait
la négation de toute liberté, de tout progrès, et qui se fonde en der-
nière analyse sur le mépris de notre vieille école nationale, de ses
maîtres les plus illustres et de ses chef^-d'œuvre les plus originaux.
lu' Art libre admet toutes les écoles et respecte toutes les origij-^
nalités comme autant de manifestations de l'invention et de l'obser- ^
vation humaines.
Il croit que l'art contemporain sera d'autant plus riche et plus
prospère que ses manifestations seront plus nombreuses et plus
variées.
Sans méconnaître les immenses services rendus par la tradiiiou»
prise comme point d'appui, elle ne connaît d'autre point de départ
pour les recherches de l'artiste que celui d'où procède le renouvelle-
ment de l'art à toutes les époques; c'est-à-dire l'interprétation libre
et individuelle de la nature.
La séanco a duré deux liciircs. On y a discuU'' et adopl.é les
proposilions suivantes piésenlécs parle bureau, presque toutes
à l'unanimité : -' ■ ■• -. — -^
4" Convocation des artistes j)endanl toute la durée du mandat •
donné aux membres du jury, cliaque fois (|uo surgira une (jues-
lion importante ; i
2" Plus de secret pour toutes les opérations du jury, y compris
le vote sur l'admission ou le refus des œuvres ;
3° Les trois membres nommés en dernier lieu ayant été appe-
lés h représenter plus spécialement la jeune école dans toutes ses
expressions, il y a lieu de les faire entier dans la commission de
placement;
•i" Il y a lieu d'autoriser, tout exposant à déclarer qu'il n'entend
pas se mettre sur les rangs pour les réeompeiises h décerner par
le jury et qu'il reste hors concours ;
o'* Il y a lieu d'émettre le vceu que tous h^s membres du jury
déclarent qu'ils entendent que les œuvres qu'ils j)Ourront exposer
ne participent })ns aux récompenses non plus qu'aux achats pour
la lolei'ie. MM. DcVriendtet Van Camp font dès à |)n''sent celte
déclaration.
6° Le règlement de l'Exposition d'Anvers ne permettant j)as la
suppression dés médailles, y a-l-il lieu néanmoins d'émettre un
vœu pour la sui)pression de ces récompenses dans les exposi-
tions futures et de pétitionner en ce sens?
M. Juliaan De Vriendt a formulé une septième j)roposition
dans les termes suivants ; elle a également été adoptée : .,
7^ Aucun bon tableau ne sera écarté faute de place, alors que
d'autre part on aura acec[)té d'un même artiste un nombre d'œu-
vres dépassant un certain chiffre. Le cas échéant, la commission
priera l'artiste dont l'envoi excède un maximum à désigner à
retirer le surplus, afin de pouvoir arriver en faveur de ses con-
frères à une distribution de place équitable.
M"^'^ (iilsoë s'est plainte de ce que la i)einture céramique était
exclue de l'Exposition. L'assemblée a voté à ce sujet la propo-
sition que voici :
8" Le bureau adressera au gouverncmeut une demande pour
demaneici-" la suppression de la disposition du règlementqui écarte
la peinture céramique du compartiment des lieaux-Arls.
Nous donnons plus loin le texte de la lettre qui a été écrite
dans ce but à M. le commissaire général du gouvernement.
Au cours de la discussion il a été donné lecture de curieux
documents relatifs au secret du vote et à la suppression des
médailles. Nous les reproduirons dans notre prochain numéro.
3L Picard, au nom du bureau, a exprimé le vœu de voir les
artistes toujours nombreux à ces réunions où sont discutés leurs
intérêts. Le bureau espère que ce précédent entrera dans les
mcjîurs et supprimera l'isolement dans lequel ce groupe si inté-
ressant de notre activité nationale a été jusqu'ici maintenu.
■i-
LA PELNTURE CÉRAMIQUE A L'EXPOSITION DES BEAUX-ARTS
A ANVERS
Monsieur le Commissaire général,
I)an.s une nombreuse réunion d'artistes qui a eu lieu hier soir,
parmi les questions qui ont été examinées se trouvait notamment
celle de savoir s'il n'y avait pas lieu de prendre une mesure en ce qui
concerne la disposition de l'art. 10 du règlement général pour l'Ex-
position des Beaux-Artsà Anvers qui exclut les peintures sur porce-
laine ou sur faïence. . -
Recherchant les motifii de cette exclusion l'assemblée a supposé
que c'était parce que dans la pensée des organisateurs les peintures
(le cette espèce devaient plus naturellement trouver leur place dans
le compartiment industriel.
On a fait observer avec raison que de tout temps et chez tous les
peuples civilisés, la i)einture céramique a été considérée comme
une des branches les plus intéressantes et les plus délicates de l'art
proprement dit.
Toutes les collections le démontïViit avec évidence. Il est inutile,
semble-t-il, de rajjpcler à cet égard notamment les admirahles pro-
ductions italiennes, françaises et orientales.
C'est donc une erreur de croire que l'on puisse faire assez pour
cet art en le renvoyant à l'industrie. En réalité, pour lui comme pour
tous les autres, il y a lieu de faire deux groupes : celui des produits
industriels et celui des produits artistiques.
Dans ces conditions l'assemblée, àrunanimité, nous a demandé de
faire une démarche auprès du Gouvernement afin d'obtenir, s'il e.st
j)0ssihle,'que la disposition précitée de l'art. 10 soit supprimée.
Nous nous acquittons par la présente de ce mandat au sujet duquel
nous sommes absolument d'accord avec ceux qui nous l'ont confié.
Espérant que notre démarche aura un résidtat efficace, nous vous
prions, Monsieur le Commissaire général, d'agréer l'expression de
nos sentiments de haute considération.
Bruxelles, 19 mars 1885. ' •
AeLURECUT I)K ^'KIEN1)T. - EdMOND Plf.ARD.
— Camille Van Camp.
L'EXPOSITION D'EUGENE DELACROIX
Paris, le 18 mars 1885.
CliVAX AMI, ,.•:,,. ■•;.. ■ , ■>'"■: •■ .:■
Je t'écris au débolti'. Je viens de voir les Delacroix exposes en
ce moment au quai Mahuiuais, et le coup d'enthousiasme reçu
dure encore. Kugène Delacroix est le dernier des peintres
héroïques. Courbe!, .Millet, >lanet, qui viennent a|)rès lui, n'ont
rien de ce caractèr»-. Lui, il est debout, là-has. parmi les génies
généraux, univerï^cls, énoinues, faits pour concevoir des époques
d'humanilé : Paganisme, Clirislianisine, Mahoniétanisme, Moven-
Age, et les traduire et les jeter sur la toile comme des visions
colossales (jue son âme allume. . '
On ne peut croire que l'homme qui a mis tant iraction dans
son art, tant de mouvement, tant de vie,, soit l'être maladif, isolé,
tranquille que l'on sait. On se ligure volontiers qu'il eut une exis-
tence à la Uubens, débordante de sève et d'agitation, se dépen-
sant h travers fêtes et grandeurs, se consumant en fièvre, se
multipliant, se démenant et en (piehpie sorte s'éj)arpillant dans
l'Europe entière.
L'explication de cette anomalie est pourtant simple. Au temps
de 1830, la vie artistique avait changé au point que toute l'acti-
vité des peintres et poètes «e précipitait non plus dans leur
vie, mais dans leur pensée. lis étaient les isolés, les tranquilles,
les piliers de leur atelier — si tu veux, — mais leur rêve bouil-
lonnait, leur imagination volait grandiose, exaspérée, comme
Perséc à travers l'espace. Et voila j)Ourquoi Eugène Delacroix, le
peintre retiré, vivant de solitude, est en même temps « l'agité »
de génie dont le cerveau conçui Sardanapale.
Parmi les 49G œuvres exposées, il n'en çst qu'une — si l'on en
excepte une copie de Ilaphaël et une fresque religieuse — qui
soit conçue cl traitée calmement: c'est le portrait du général Dela-
croix, qui se repose couché par terre sur le gazon de son jardin.
'S
Les autres sont tourmcnlées, lièvreus(\s, toutes eu nerl's. Si le
moiivorncnt convulsif n'est [)as dans l'allure et le geste des per- .
sonnages, le peintre le met dans les robes et les manteaux dont
les plis se contractent; s'il n'est pas dans le visage, il le met dans
les cheveux; s'il n'est pas dans le modèle, il le met dans le pay-
sage cl le décor. Qu'on prenne les sujets les plus recueillis, le
portrait d'une Vieille religieuse \)^r exemple : les couleurs en
•sont violentes et semblent lutter sur la ligure. ■
Delacroix ne pouvait pas, ne savait pas traiter une conception
sans emportement. Aussi comme il est naturel (jue d'instinct il
' aille vers les grands tragi((ues, vers Dante, vers Shakespeare,
vers lîyronî Comme il est élémentaire qu'il ne prenne à la Ijible
que les crucifiements et les le-mpêtes sur le lac de Génesareth,
comme il est fatal qu'il aime les fauves et pa.rmi les fauves qu'il
préfère les tigres! Jamais la vie des êtres et des choses n'est assez
convulsée, il l'exagère toujours. Il aime le terrible, l'efl'rayant, le
féroce.
Il fait de son pinceau une belle torche rougeoyante parce que
le rouge est la couleur du sang, de l'incendie,- du meurtre. Il
* 'invente une palette nouvelle, plus montée de ton que celle de
Rubens et que celle des plus exacerbés des Vénitiens. U apparaît
d'ans l'art momifié, bitumineux, grisailleux de son temps comme
un orage tonnant et fulgurant sous un ciel d'été, plein d'étouffc-
' ments et de lourdes oppressions vespérales.
Ln tel art fait comprendee toutes les colères qu'il a suscitées.
Les académiciens en ont dû perdre la tête; il était fait pour
souftîer des colères et pour faire bouillonner de fureur les cer-
veaux jusqu'à soulever les perruques, -^ -
Aujourd'hui, il ne reste que fumée de ces sacro-saintes excom-
munications officielles. Et c'est l'histoire fatale de tous les
innovateurs.
Seulement, ce qui agace c'est que d'ordinaire les plus achar-
nés détracteurs d'hier veulent- se faire passer pour les plus chauds
défenseurs quand l'artiste s'est imposé.
Ah! quelle envie il vous prend parfois de leur fourrer le nez
dans leur palinodie! Et encore s'ils s'amendaient de bonne foi,
mais leur conversion est fausse; au fond d'eux-mêmes, l'indélébile
inaptitude à saisir le beau existe. Aujourd'hui comme hier ils
sont incapables de sentir la grandeur de l'évolution artistique
accomplie, mai^ aujourd'hui le. public — ce bourgeois public
auxquels ils sacrifient toujours, dont ils revêtent la livrée comme
(les vah.'ls — a changé lui-même, et il faut bien qu»* les
(lomesti(iues pensent, aiment, détestent, opinent pomme le
maître, il faut ((u'ils suivent le va-el-vienl négatif ou atlirmatif
de son bonnet de coton au sommet de sa tête et que leurs yeux,
leurs sourires attentifs à la mèche sacro-sainte, se règlent sur sa
gymnastique sous peine d'être chassés et privés de l'honneur eC
des bénéfices de nettoyer quotidiennement les souliers de Gé-
ronte avec le torchon ii un sou de leur journal.
Ce qui reste de plus étonnant dans l'œuvre de Delacroix, c'est
la conception tragique. Personne n'a comme lui celte puissance.
Tout vit dans son art, toul y vibre, tout s'y lord. Mais quand
j'emploie le mot vie en parlant de lui, je ne veux nullement dési-
gner la vie objective et réelle; la vie-que le peintre communicilic à
ses toiles est fa vie supérieure, la vie d'esprit et, pour parler net,
la vie factice que toute grande personnalité impose à ses visions.
Hamlet, Ophélie, Macbeth, Médéc, Foscari, Othello, Lara,
Faust, tous persoimages littéraires, ne sont pas vus tels qu'ils
sont ou ont clé, les uns dans l'existence, les autres dans le livre;
ils sont créés à nouveau par Delacroix qui en fait des hommes a
lui, des symboles de poésie nouvelle et originale. Poé.sie toute
de crispation, d'hallucination, de colère et d'outrance, cela va
bans dire.^ " . : ' .
M est néVessairc d'avoir vu la présente exposition pour se faire
une conviction sur la carrière totale du peintre. Celui qui ne voit
que ses grandes toiles, ses toiles de musée, ne comprendra
jamais le soin qu'il mettait à creuser le sujet, à le refaire plu-
sieurs fois, étude après élude, avant d'aboutir à la conception
définitive. '
Il y a dans le Salon do l'Ecole des Beaux-Arls jusqu'à six
Medue. .. ■ '
En oulre, personne, à moins d'avoir visité ce Salon, ne se
doutera de son indéfinie fécondité, — encore une qualité qui le
rattache à la grande famille des peintres généraux et universels,
• — de sa manière épique de comprendre les animaux, — il y a
environ une centaine de toiles où le cheval, le tigre et le lion
sont les sujets principaux, — de l'étonnante rapidité avec laquelle
il a trouvé, dès ses débuts, sa manière, sa couleur et son dessin
si spécial, " ; *
Au rez-de-chaussée sont mis sous verre Iqs précieux auto-
graphes du peintre, qui était en même teuips un solide écrivain.
On est ému de voir écrit, de sa main, sur précieux papier que le
temps roussit peu à peu, ces 'maximes superb'^?s et de fierté
géniale qui le tenaient campé dans la vie comme ces vieux guer-
riers du moy'en-àge que la vieillesse voudrait courber mais qui'
se maintiennent droits et géants, d'un jet, appuyés qu'ils sont sur
des épées colossales. Et tel reslera-l-il devant la postérité, — son
œuvre est là pour l'affirmer. : ' *
■ :""'.■ Emile Verhaerkn.
^D/iLBERT DE ^QoLD^GHMIDT
I .
Les Sept péchés capitaux ')
Dans la curieuse partition que M. Lamoureux, qui a toutes les
audaces artistiques, va faire exc'cuter aux Concerls du Chàteau-
d'Eau, Adalberl de Goldschmidt se fait, comme un Bai'bev d'Au-
revilly ou un Joséphin Pélailan, l'évocLiteur, en pleindix-neuvième
siècle, de l'Esprit du .Mal insinuant dans les cœurs le poison de
sa haine et de son orgueil. C'est le Prince des Ténèbres (jui est le
héros de ce drame bizarre, dans lequel Robert Hamerling a peint
la mêlée des |)assions humaines oxcilées par le iûutîîe des
chœurs démoniaques, ressouvenir des légendes du moyen-âge
où Satan prenait pari aux diverlissemenls, aux amours et aux
luttes de la terre. - "
Après une première partie consacrée à la dispute des otîiciers
du Prince infernal sur le degré d'influence ([u'ils possèdent,
simple prétexte pour permettre au compositeur de présenter,
selon le mode wagnérien, les motifs symboliipies [>ar lesquels il
désigne chacun d'eux, les Sept péchés capitaux entrent résolu-
ment en scène. C'est le drame proprement dit, la luile corps à
corps des vices avec l'humanité, le spectacle farouclk-, sobrement
décrit, d >s misères, des faiblesses, des hontes de la vie..
(*) Partition pour piano et rhant avec version frani.'aise de ^'iou>r W'ilder.
Leipzig et Bruxelles, Breitkopf et Hiirlel.
Des pèlerins passent. Le démon de la Paresse, sur un rythme
doux et languissant, amollit leurs âmes, fait sombrer leur ardeur
dans la lâcheté et le sommeil.
L'Orgueil coupe brusquement le duo d'amour que chantent
un guerrier et une jeune fille. Le héros victorieux, sous la pres-
sion du. génie malfaisant qui s'attache à lui, aspire à la couronne
royale; mais le peuple se soulevé et le clueur des démons clôt
sourdement celle scène : _ -^v
_ . Sème sur l'univers le deuil et 1 épouvante,
0 roi, travaille pour l'enfer !
Puis, c'est l'Avarice qui jette la perturbation dans la foule en
lui lançant en pâluro un lingot d'or, pour lequel vertu, con-
science, noblesse, honneur, tout est vendu par l'humanité
cupide.
L'Envie, à son tour, soulève le peuple on haillons contre les
richesjdans un tumulte orchestral que domine le thème ironique
des démons triomphants. ^^
Des accords doux préludent à l'entrée de la Gourmandise.
Dans lé caprice des phrases. enlaçantes des violons, elle enslue
l'Homme, le cajole, le caresse, jusqu'à ce que l'ivresse le fasse
trébucher dans la bestialité.
La Luxure achève l'œuvre commencée, et dans une explosion
symphonique qui couronne celle partie, la Colère excite à la
révolution et pousse les unes contre les autres les nations.
Peuple, debout! et réclame tes droits.
. Délivre tes enfants qui gémissent et qui pleurent.
Renverse et brise enfin la puissance des rois.
Périssent les tyrans! Qu'ils expirent, qu'ils meurent!
Guerre par le feu, le glaive!
Guerre sans merci ni trêve !
Guerre au temple, à l'autel!
Guerre aux rois, guerre au ciel !
Plus de maîtres !
Plus de prêtres !
Ni sceptre ni missel !
Les Francs et les Germains eijtrenl en lice. -Des fragments de
marches guerrières iraversont le vacarme des armées "entrecho-
quées : cinq notes de la Marseillaise seront happées au passage,
dans la marche dos Francs, par l'auditoire parisien.
Sur les ruines fumantes, après cette nuit sinistre, s'élève
l'aurore d'une Henaissanco. C'est la troisième partie. Ln poète
chante la liberté et les hommes, ravis, élèvent la voix du fond de
leur misère. Saisis de pitié, les esprits célestes délivrent l'huma-
nilésdu joug des génies du mal. Le poêle devient le Rédemp-
teur. Il esl couronné comme tel par la Reine de la Lumière.
Tel est, aussi fidèlement que peut le permetirc un résumé
rapide, le sujet de celte œuvre singulière, dans laquelle l'idée du
christianisme est mêlée aux questions sociales et aux diableries
moyen-âgeuses, de façon à composer un ensemble un peu confus
dont le sens précis est difficile à débrouiller.
La musique par laquelle le jeune compositeur autrichien tra-
duit celte série de tableaux étranges dénote unT?ïTênt réel. Mais
c'est malheureusement l'habileté qui l'emporte sur rinspiratioUj-
et quand on arrive au bout de cette partition. touffue, où les
ensembles vocaux, les fragments symphoniques, les redis, les
dialogues, sont accumulés avec profusion, on demeure j)lus lassé
que charmé.
On a.dit qii'Adalbert de Goldschmidt procédait do Wiigner.
C'est exact, en ce sens quil donne à l'orchestre Je rôle principal,
et qu'il se garde soigneusement des « airs », des «cavatines », des
« trios » et autres formes de l'opéra. C'est vrai encore en ce que
chacun des personnages du drame est symbolisé par un thème
déterminé qui le précède ou l'accompagne, l'enveloppe comme
un vêlement, brillant ou som,bre, qui sert h le distinguer des
autres.
Mais là s'arrête l'analogie. Nous verrons dans une seconde
élude, consacrée à Hélianthus, que, lorsqu'il écrit pour le
théâtre, l'artiste se rapproche davantage de son modèle.
Dans les Sept péchés capitaux, il s'est borné à s'approprier les
procédés wagnériens sans pénétrer le génie du Maître, sans
même paraître l'avoir bien compris. Il n'a pas, dans le choix de
ses thèmes, la précision et la judicieuse observation de Wagner,
dont tous les motifs sont si caractéristiques qu'on ne saurait en
imaginer d'autres s'appliquant plus exactement à l'idée qu'ils
expriment. 11 n'a pas saisi non plus l'emploi que fait l'auleur de
Parsifal de ses thèmes, qui toujours reparaissent sous d'autres
formes, avec une couleur différente, dahs des tons variés, avec
des modulations sans cesse transformées. Enfin, il n'a pas recours
aux richesses de la polyphonie, qui rendent si attrayantes pour
une oreille délicate les œuvres de Wagner.
Ses motifs se succèdent, décrivent parfois heureusement les
scènes qu'ils ont à rendre. Les chœurs sont écrits par une main
experle. L'orchestre est bien traité. Mais, en général, la flamme
manque. C'est bien fait, et cela ne suffit pas pour être vraiment
bien.
Quel sera l'accueil que fera aux Sept péchés capitaux le public
parisien, si sceptique et si peu disposé à recevoir favorablement
les œuvres étrangères? Il serait difficile de le prévoir. Dans tous
les cas, les inusiciéns s'intéresseront aux débuts d'un compositeur '
de mérite et à Ja première audition en langue française d'une
œuvre qui a été vivement disculée en Allemagne. C'est ce qui
nous a engagé à crayonner, à propos de cet éyénomenl arlislique,
celte esquisse do la partition.
Ç0CUMEjNlT^y\ C0N3EF(VER
A propos du groupe de Paul Devigne
La Commission des Monuments a rendu compte dans le rap-
port suivant de la façon dont elle a apprécié une œuvre de Paul
Dovigne soumise à son examen.. -
C'est un chef-d'œuvre de pédantisme officiel qui doit être
classé parmi \eii Curiosa de ce temps. Rarement la prétention de
régenter l'inspiration artistique s'est produite avec plus de suffi-
sance et de naïveté : . .
« Monsieur le Ministre,
« Des délégués de notre collège ont procédé, le 18 février dernier,
à l'exameu du modèle définitif, moulé en plâtre, du groupe com-
mandé à M. Devigne, pour la façade du palais des Beaux-Arts et
représentant VArt récompensé.
« Ils ont constaté non seulement que l'artiste n'a pas apporté à
son œuvre certaines modifications qui lui avaient été indiquées,
mais qu'il n'a pas même maintenu, dans le modèle définitif, les
changements qu'il avait faits, d'après nos conseils, au modèle
réduit.
.<* Gestain.si que la figure centrale du groupe, celle du génie de
'.' /■
V ART MODERNE
93
l'art, contrairehieut aux maquettes soumises et approuvées précé-
demment, est aujourd'hui entièrement nue. Notre collège a toujours
signalé ce qu'il y aurait de choquant, au point de viie même de l'har-
monie du groupe, dans cette nudité absolue d'une figure d'homme
qui, se présente entre deux femmes drapées. Cette disparate attirera
d'autant plus l'attention que la figure centrale, dans le groupe de
M. Vanderstappen, est drapée. ^
«» Outre que le bout de draperie, dont le Génie de M, Devigne était '
d'abord voilé, est nécessaire à l'harmonie du groupe, il ne l'est pas
moins pour expliquer le rôle des draperies dont il était le prolon-
gement et qu'on aperçoit actuellement derrière la figure sans savoir
à qui elles appartiennent, ni quel en est le motif et la provenance.
L'artiste parait n'avoir eu en vue par cet accessoire que de remplir
un vide de sa composition et il ne s'est pas rendu compte qu'i
l'encombrait d'un détail iuu^tile. TJn paquet de drapeHes tout aussi
peu motivé s'entasse sur le setu de la Renommée voisine, sans qu'on
puisse distinguer si ces draperies appartiennent au costume de cette
figure ou ne sont qu'une suite de la draperie étalée derrière le
Génie.
« Nous avons déjà signalé la pose forcée de cette Renommée,
réminiscence d'une œuvre française. Pour occuper sa main gauche,
qui d'abord s'appuyait au mur, l'artiste n'a trouvé d'autre moyen
que de lui faire tenir un clairon comme à la main droite.
» Ces deux figures se recommandent pourtant par des qualités
d'exécution intéressantes, mais la figure dé femme, portant une cou-
ronne, est de beaucoup moins réussie. La draperie en est froide et
lourde, les mains d'un modelé rond et d'un galbe massif et la tête
d'un type banal et sans expression .
<t Agréez, Monsieur le Ministre, l'assurance de notre considération
distinguée.
{<. Le secrétaire-adjoint^
(Signé) « Jules Pelcoq. ^ .
(c Le président y
(Signé) « Wellens. »♦
Et voilà comme M. Prudhommc, et son collège, choqués par la
nudité absolue d' une figure dlwnime qui se présente entre deux ^
femmes drapées exécute are rolundo un de nos meilleurs
sculpteurs. Le Gouvernement Ta député pour juger. une œuvre
commandée à un arlislc librement choisi. M. Prudhommo
examine et dit : « Peuh ! On n'a pas suivi mes conseils. » El voilà
qu'il se lance en aphorismes réjouissants :
— « La figure fentraio de M. Vandcrsiappon est drapée,
pourquoi celle de M. Devigne ne J'esl-elle pas ? » — Mais, digne
homme, renversez la proposition. Pourquoi ne pas dire : « La
figure centrale de M. Devigne est nue, pourquoi celle de
M. Vanderstappen ne l'esl-elle pas?»
— « On ne s explique pas quelle est la provenance (sic) des
draperies qu'on aperçoit derrière la figure.
— « On ne peut distinguer si un paquet de draperies qui
s'entasse sur le sein de la Renommée voisine (quel français,""
bone Deus, pour un monde qui vise à la correction sculpturale !}
n'osl qu'une suite de la draperie étalée derrière le Génie.
— « Pouroccuper.la innin gauche de celle Renommée, l'ar-
tiîile n'a trouvé d'jiulre moyen cpie de lui faire tenir un clairon
comme A la main droite, n - Voïïa au moins une occupation
décente, ôCritiqne que l'on cflarouche.
— « La draperie de la fii,nire de femme portant une couronne
est /roiV/t' et lourde, les mains d'un modelé rond et d'un galbe
massif, la tête d'un lyjn» banal et sans expression. »
Esl-il connaisseur ce brave et digne Joseph !
Bref, Devigne a fait une (puvre très médiocre. M. Prudhonjme
l'altesle. El je vous prie (bM'roinM]u'il ne se trompe jamais.
Nous répondrons : Tant pis. 11 ne fallait pas choisir Devigne.
Quand on commande une œuvre à un arlisle, il est inadmissible
qu'on veuille lui imposer des remaniements quand elle est finie,
lisseraient aussi judicieux qu'ils apparaissent grotesques, qu'il
est trop tard. Les données générales indiquées et admises rarlisle
doit rester libre. Que dirait-on si M. Prudhommc se cassant la
jambe et choisissant son chirurgien, le chicanait après coup sur
la manière dont on la lui aurait remise et demandait des rema-
niements l Ou bien si rappelant que la coupole du nouveau Palais
de justice et sa chaudronnerie sont décidément jugées banales
et sans expression par tout le monde, d'un modelé rond et d'un
galbe massif, on réclamait leur transformation?
„ Jhéatrje:^ '
Théâtre du Parc. — Denise
Nous sommes allé lundi au théâtre du Parc voir la dernière
représentation de Denise. On donnait auparavant r«^ mi7^ rfg
noces. Le rapprochement de ces deux pièces écrites à dix années
d'intervalle ne manquait pas de piquant. Il y aurait une intéres-
sante étude à faire sur l'évolution de celle, brillante carrière dra-
matique qui commence par la réhabilitation de la Dame aux ca-
mélias pour arriver à la réhabilitation de Denise. Entre ces deux
apothéoses, la Visite de noces se place comme une note ironique
et railleuse où l'auteur se moque à la fors des amours libres et
des amours consacrées. '
Dans JJenise, le ton est plus sévère. Il y a bien encore les
théories de M. de Thauzette sur la sensation et les cascades de la
mère-amazone, mais tous les autres personnages sont très sérieux :
sérieux, André de Bardannes, qui fait valoir ses terres et sonse à
se marier ; très sérieux, les Lrissot, père et mère, qui tiennent
sa maison; sérieux surtout, Thouvenin, son ami, qui parle pour
Alexandre Dumas, el jusqu'à la petite pensionnaire, sœur André,
qui, pour un instant, devient le dieu de la machine.
Entre lous ces gens graves, que nous présente une exposition
en deux actes dans laquelle intervient tout exprès un personnage
que l'on ne revoit plus, Denise apparaît prête à tous les dévoue-
ments, el d'une raison à la hauteur de toutes les difficultés. Elles
ne vont pas lui manquer; en effet, el voilà le chiendent, elle a
commis une faute qui, tout à l'heure, rendra sa situation fort
délicate. Encore l'auteur a-t-il pris soin de si bien atténuer, par
les circonstances, cette faiblesse unique que l'altiîinte en paraît
moins grave, bien que, comme on dit dans les jeux des petits
papiers, il en soit résulté un enfant.
Fernand de Thauzelte, que Denise aimait et qui lui avait promis
le mariage, a eu une affaire d'honneur: au moment d'aller se
battre, il a imploré une faveur comme un fortifiant suprême. Dans
ces" conjonctures, Denise s'est laissée attendrir; elle s'est dévouée
selon sa nature; elle a donné le spécifique à celui qui pouvait
mourir : le comble de la charité! On est loin, on le voit, de la
gerbe de péchés mignons de Marguerite Gautier.
Naturellement, Thauzette ne meurt pas; il n'épouse pas; el,
par surcroît, l'auleur le représente comme suspect de tricher
au jeu. ^
Denise a donc élé victime d'une véritable escroquerie. Aussi
(juand, dans une scène des plus pathétiques, elle fait sponiané-
menl ces pénibles aveux à 31. de Bardanne, quand elle lui raconte,
en termes émouyanis, mais (jui sont peut-être un hors-d'œuvre.
94
i: ART MODERNE
la liidrl do son riiranl. oirpcMil crfHre <iii(\ sans ;iiili(v inlormô-
(llaiiv,. I(\s l'iios 'S s'aiTaiij^iM'Oiil, ciiln» eux, dmix (Mmii's ((iii
s'aimoni, ol <jiio \o ih'cIk' conlVs^c' (*si i»liis d'il liioilic' pardonné.
Mais' livjïôn», qui jnsiju'alors avait (oui iijnorc', uilcrvicnt roiniiu?
un sanglier. Il a (Voiilr aux porlos (un ancien oUiciiM* français!)
(»t il faiil (juiMlaiis une heure (heure militaire) .M""' de Thauzolle
aildeniando la nmin de Denise. — Klle s'exéeule. — Mais il l'aul
moins (le temps eneore pour (jne tout, le monde iveonnaissc (pie
la combinaison du viou'x i^^roiinard est sim])lemenl absurde». \a\
pelilc* jUMisiounaire diMioiie ces lian(.'aillesv. intempestives; Thou-
venin renoui» colles (jue le père-bonlet avait interrompues et le
rideau tombe sur ces Hilures ('pousailles sans (pie la petiu»
pi^usiouiiaire, jpij ne |>eul épouser un i^rec, soit pourviu?, ce (pii
laisse un cbai^rin au spectateur. ■ ^ ' ■
Mon.vLiTK : On peut èire mèr<' avant s m mariaii\' et èii-e uni»
iri's lioniuHe femme:
Or : On peut, bonnèlement épouser une tille-mère.
' Mais ou peut aussi partailément faire le contraire.
I.a j>ièce est convenablemenl inlerpnMée au l*iirc. M"''r>rindeair
(\sl une f)cnis(V(raspecl peut-être un peu trop puritain. M. Mar-
tliold mauij av.»c crânerie la cravache de M'"'' de Thauzette et
M"'" Signll nous montre une jKMisionnaire d'un impcriurbable
aplomb. ■
M. .\!h;iiza j<nit> avtn- lumhomie le rôle d<' Thouvenin. MM. I.u-
giiet (de Hardannes^ Pascal (de Thauzette) et Valter (lîrissol) ne
préseiileiit jias de (]ualités saillantes usais tiennent houm^lcment
leurs rôles. "
Théatki-: Moi.iKPxK. — Tous les soirs, le Prince Zilah. cométlieeu
4 actes e1 un prologue par Jijles Claretic", avec le concours de
M^i^ Liua-Muute. M Duquesue et M"*" C. Clerniont, artistes du
théâtre (lu (ryniuase de Paris. ,
— ^- — yVu Cercle arti3Tique - — -r--
Exposition Cassiers-Numans
M. Cas>i''rs est un ije,uarûllisle doux, qui cherche conscien-
cieusement il faire \ibrer dans ses plages et dans ses paysages
les harmonies de la nature, mais qui s'arrête à la surface, sans
pénétrer dans l'intimité des choses. Ses lavis un peu timides ont
d'beurcux rapprocliements de tons. Ils sont aimables ii l'œil. La
mer que peint le jeune artiste a des reflets de moire, des cha-
toicmentsde robe desatin.On la voudrait plus âpre, plus farouche.
Ses ciels ont des transparences de papier de soie. C'estau whatman
sur lequel est diluée la goutte colorée qu'on songe, et non îi la
])rofondeur de l'atmosphère, l.es petites figures qui étoffent ses
coins de nature rappellent, à s'y méprendre, celles de Staquet.
Toute/la est joli, coquet, cliquetant, vaporeux, pas mal habile,
mais un peu mince, un peu petit de vision et de facture. Am lieu
d'exprimer sobrement les grandes émotions que donne le spec-
tacle de la mer et des champs, en quelques tons justes large-
ment appliqut'S, M. Cassiers s'attache au détail, à l'incident
insignifiant, à l'épisode voulu, aimé du bourgeois. Tendance
dangereuse qui apfjelle une réaction énergique si rarlis'.e veut
réaliser les espérances qui font concevoir les qualités révélées
par son exposition.
Trois tableaux à rimile complètent l'envoi. L'un, la sortie d'une
église, est vu à travers Charles Degroux. C'est le meilleur des
trois. liaus les deux autres on sent une main plus babitm.'e à
manier la marlre ([ue la brosse et à recherclKTrélégvmc.e plutôt
que la V(''ril('' des Ions.
M. Cassi(»rs a la chance d'être accot('. d'un repoussoir (ju'il
n'eût pu souhait(M- plus favorabl(^ C'est un déballaiîe d'iniaiios
coloriées ii l'eau et il l'huile, vaste Saint-Nicohùs de (( vues pour
opti(|ues » (la joie des enfants et le repos des familles), kermesse
de l)leu do Prusse, d(» laque de garance et de ciual)ri; à un sou la
tablette, d'un asp(»ct telleiuenl cocas.so (pn^ le fou rire désarme
toute critique. Jamais (b'ôlcrie n'a été plus franchement drôle.
F(Mi Krancia est dépassé. A moins «pu» ce ne soit lui encore (pii,
d'un pinc(\iu jioslliunu^ et sous le ))seudonym(» (W. Numans, ait
brossé cette nouvelle et spirituelh' satinvde ré(;olc de peinture
d'autrefois ! _, '
Mais, en ce cas, les cadres ont ('M('' a,(hvssés par erreur au.
Cercle. C'est évidemment ii la /ivaus-r.vIuhUion i\u'\\s étaient
destinés.
-, Publication^ nouvelle^
MM. Orcll Fiissli ot C'^\ dos ('(iilours-arlistos do Ziiri<^h, iious
adressent dou.v albums do, ])<xhe d(?sliiiés à renscignomoiit (bi dessin.
.L'un conliout 400 motifs grathii^s depuis la ligue droite jusqu'aux
plus élégants fragments de décoration d(^s styles goUiiquo, classique,
mauresque, etc. Titre : Manuel de poche de l instituteur pour l'en-
seignement du dessin, par .T. Ilauselmann. Cinquième édition.
L'autre, dû à la collaboration de MM. Ilauselmann, déjà cité, cl
R. Ringger, est le complément du précédent. C'est un petit traité
d'ornements polychromes hniiani Y é\è\e graduellement à l'emploi
des couleurs dans la pratique des arts industriels. Il renferme
cinquante et une planches en couleurs, magnifiquement litho-
graphiées. La plupart d'entre elles sont rehaussées d'or. L'ensemble
forme un excellent traité pratique d'ornementation, utile à ceux qui
ne peuvent faire l'acquisition des grands ouvrages commp la Gram-
maire de l'ornement, de Owen Jones, ou L'ornement pohjchrome.
de Racinet. •
Les deux manuels de poche réunis, ne coûtent que douze francs.
M. Victor Wilder vient d'achever là traduction du l^r acte deja
Valkyrie, qui sera exécuté le 19 avril au Concert populaire. La
maison Schott met en vente cinq scènes détachées,. avec paroles fran ■
çaises, de cet acte. Ce sont : le monologue de Siegmund, le chant
d'amour (le Printemps'), la- scène de Siegmund et de Brunehilde. la
scène de Brunehilde et de AVotan et les adieux .de Wotan. — Le
chant (l'amour de SieL'mund est en vente.
LE DINER-SPECTACLE
Le dinçr-speetacle, invasion ou intrusion anglaise, d'apro.s b*
Monde illustré.
A'ous invitez un certain nombre d'amis à venir s'asseoir a votre
table. En même temps vous loue? dans un théâtre un certain nombre
de loges. Puis, dés que la dernière bouchée est avalc^e, vous fourrez
tout votre monde dans des voilures et vous le plantez en face d'un
drame ou d'une comédie. - ' ^ .
Peut-être les directeurs ai)plaudiraieut-ils à cet usa|.:(' bMro([ne,
mais je crois bien qu'ils useraient seuls à s'en n'jouir. V.ixv il .suppri-
merait ce qu'il y a prfîcisémeut d'attrayant dans les relations ga.s-
tronomiques : l'épilogue. • - ' "
On ne se réunit pas exclusivement pour goiid'rer. Autant vaudrait
alors entrer dans un restaurant. On y trouverait rrmjnflrement
banal.
L'allrayajit,, r/e.sl la r.'iu.sorif ({\i\ .se [jrfJoiip'f; après lo fjf-rcii^r '".oup
<1<! fourcholto ; c'est le, <!r(>\i\)ciucnl qui se fait au ha-ar'l 'Ifs sym-
pathies dans lo salon ou (lan.s le fumoir; co sont lf;s frais propos
favorables à la difrestiori, insoucieux de l'heure.
Avec la rnorle nouvelle, des invités rlevicriflraient en fjil'-lqu^ sorte
des eolis htjmains qu'on trimbalerait, inal^rré eux, à qui l'fin \ii(\\</r--
i-ait le su[ipliee fie la loj^e cellulaire, »'iver la nécessite rie .-ubir une
(ouvre insu|)[)ortable f»eut-être, souvent connue déjà.
Ii'indisj)enKa})le, jiour savourer un diner amical, c'est fl'fivcir tout
son temps. Vous faites flamber la <'onvers,'ilion, et vous [;r»-teniiez
s.oufller flessusau monientou fdie pétille ! Ombre de iJrill.'it .S;iv?jrin.
tu as du frémir d'indif/nation à cette hérésie.
Je vous le dis tout iiet : vfius qui- >(-nf-/. t^^ntés d'rjdofiter cj- mon-
strueux usafre, vous cesseriez d'être des amjjhitryms, vous ne seriez
plus que des nourrisseurs.
C'est M. Koning' qui aurait eu l'id^ée de cette invention absurde,
ce qui ne nous étojine pas. Il cherche unCvoie nouvelle devant les
fours qui .se succfdent au Gymnase depuis quelque temps. M. Mar-
^'uery, à l'avenir, dirigerait le th'^^-atre et M. Koning le restaurant.
Certaiiif-riK'n! le r^-staiiraiil y perdrait, mai.-, letiié-âtre y ga;.'::er.-:iL
LE JURY DU SALON DE PARIS
Les periilre.^, rint nommé hier le- ri:em}ires du jury du Salon de
ISj-!.'». Il y a eu' plus de l.."jOO votants, doiit [jI^-s de oO') pnroorres-
[)Oiid«ances venues de Fari^, de la province et de l'étraLi-er.
X'oici les noms des élus, avec les chifTres de.s voix :
, MM. I^onnat, 1,10S voix; .1 Lefebvre. 1,100; l.-P. L.-iure.ns, l.MT;
IIarj)ignie.s. 1,108 ; T. Ilobert-Pleury, 1.077; Eiouguer'^au. 1.06'..*;
Henner, 1,028; Ilumbert, 1,027; Français. l.OOO;' Cabanei. 002 ;
Boulanger, 1»3,">; Busson, 93,5; Cormon. \'13 : Pille. S0.5; Yon, ç,S.S;
Duez, 885; VoUon, 874; Détaille, 802; Puvis de Chavanne.s. 8.'S8;
Lalanne, 8.52; Hector Le Roux, 839, Benjamin Constant, 820;
Roll, 812; Rapin, 809; Carolus Duran, .>i,tl ; Vuillefroy, 70.!);
Guillaumet. 7tJ4 ; Gervex. 75.Ô; Dernier. 740; Maignan, 72V:
Barrias, 710; J. Breton. Ot59; de Neuville. 004; Luminais, 0.54 :
Haiioteau, 041; Guillemet. 0.37; Lansyer, 008; Baudry, 595;
~ Feyeu-PerriD, 589; Saint-Pierre, .577-^. . -— r — ^ — — -— -_-^ -^ —
Les artistes qui venaient ensuite avec le {lus graml nombre lie
voix, et parmi lesquels seront choisis les jure.> jujipl^rmentairHS s.:r:t :
MM. Moret, 554 voix; Denouf. 550'; Vayson.518; Rib^t, 495;
Delauuay, 488; Van Maroke, 475; Mers-n L.-O.). 4o8 : Cazin.407:
C^érùme, 455; Protais. 395; Thirion. 30-5; Pelouze. o44 ; LavieiUe.
324; Ph Rousseau, 322; Lhermitte. 320.
Le jury se constituera lundi et commencera immédlaTement ses
travaux. Le chiti're «les jieintures. aquarelles et dessins stiunùsà son
jugement est de 7,2('0, soit 500 de moins que l'année dernière. Les
tableaux de grau<le dimension sont fort nombreux : nous suuhait'Tiis
(juo ce soient autant de grandes o.nivres
Petite chrojn'ique
Dans leur as^^embleo mensuelle tle Mars, les A'.V ont proce<lt^ a
réloctit>n de deux artistes pour remplacer MM. Simonseî \ erstraete
([ui out, eo,nuue on sait, donne leur demissiiui.
Ont été choisis parmi les candidats proposes : M'-" Anna Boch et
M. Félicien Kops.
\'oiIa l'equip;igo ilu /,\'"< if-rirr oom^deté et prêt à reprendre la
.mer.
Dans la même séance, les AA' otit otVert. en témoignage de recon-
naissance t^t de sym[;uhie. a leur secrétaire, M. Octave Maus. et à
leur trésorier. M. N'ictm* Bcrnier, deux magnitiques portet'euilies de
tlessins exécutes par les membres do rAs>ociatiou. .. .
Nous aiq>renons avec sati>factiou la nomination île doux musi-
ciens luerilauis au grade de chevalier de l'ordre de Leopold :
MM. Mertens. l'auteur du ('■piti'inc Suit- qui vient d'être reçu
Iriinuphaleniont à Hambourg, et Fuule Mathieu, le compositeur
;q>plaudi de FiYi/hir t^t du lh)i/t>ti.r.
La promotion de .\L Jose[)h Du [ton t, au grade d'or'ficiér. paraîtra
sous peu au Monifenr. ()n a tenu a rendre justice fi l'exc^dient chef
d'orchestre qui. depuis tant d'années, contribue au développement
du goiit mu.sical et qui vient de se di.stinguer partii:iilierement par
rinterprét,jtion magistrale qu'il a donnée <\f:^ Wla/tres-ChanUurrs.
■ Le conc^Tt que le Conservatoire de Mons ort-ani-e au profit des
[.auvres de la vilie est définitivement tixè au 30 de ce rnôi.s. In.dé-
pendamment de l'orchestre et des chœurs du Conservatoire qui s'v
t'eront entendre, voici les noms des artistes qui ont bien voulu prêter
leur bienveillant concoure a cette o;uvre de bienfaisance :
M"'' Klly Warnots. ^L Vivien, violoniste, prot'essei;r au- Conser-
vatoire lie Mons, M. Guri-.-k.x, piani.-;te. prot'esseur au C''.in.-,'-rvaN.ire.
M. Huet, professeur de chant au, Co.nservatoir-^'. •
Le toiit soiis 'la direction de AL Jean \'an d-n F>den-. ■
A I.') 'i^-mande de, plusieurs artiste-, la 'Commission admini.-trative
du (j'rri.lr l'-'s ort.Ut^i^ i/ir!pj,^>),.rj,/,,t-i a d'--r-;d^f Af' cl '..furer la liste des
arlhésions au Salon ile:^ Leau.x-Arts d'^Anver>. le '-'A mars prochain.
Nous recevons de Gla.s<^o\v le catalog^i^ de IF.xposit'i'tn Internatio-
nale des Pieaux-Arts actuellement ouverte daris cette- ville. Lés
artistes belges qui- y figurent sont : MAL Co'j-en. Carri-ntier. Fara-
syn. Montigny, A. Musin, A. 1\<:U:ï':ï'. XL^"^» H-nrif^- ?e. ■ A!;r:e et
Emma Ronner er, M. T'S':har:.er. L.'t .PfoUande t^-st représentée ;-^.ar
MAL Jo--ep!i Lsra'.-ls, <'>ahri'-i. .]■:■.>■■'.) Al-iris e»; Pi"j<j:--enbeek. 'La
France, prir AfAL Bouguerenu. Pj-^rceret, C;,)rriHr-Beiiouse, f>ame-
ron, D-^ Vuillerroy, Fantin-Latour,' (.r:ràrd"rt, Lliern.iùte, feu \'ict<jr
L'.-claire et de Nitti.^. i-.tc.
é'a nous écrir, de ti.us (^''jtes pour nous demander la da'e.j'i tiraî.'e
de la t(jmb«',;ia vie feu rexi)o>ition des Beaux-Arts. Alal^rre les r.^da-
mations de la Presse, cette date n'est pas encore rixee. 'Voilà hieuti";t
six mois que le Salon est f^^rmé et les détenteurs de billets 'ie la
tombola attendent tou;i";ur.s. Il faut avouer qu'^ju a^rit-avec ua -ans-
•iTr'Cie excessif. La len'eur administrative est une belle chose, mais
pas trop n'en fau-t. ■ . ■/ _ • •
Nous lisons dacs le Progriis artistiqv.e ^. -,
Henri Litoln. le vieux maître, pleia ije talent et d'<îri^Inalité.
s*^:tait vu accep'er les Ter,^ pU.r>i-s par ia directL.'n Va'iccjrbjeii laquelle?
lui avai^■méme'c^jnseii!e de s'a'djijinilre comme Ubrettisi'e n'être sym-
pathique et spirituel confrère Armand Silves're. ce qu'il dt. <Ih.aque
saison, c'était un niiuveau retard, wn^^ n-juvelie excuse, toujours
mauvaise; mais toujours acceptée avec résignation. i:ar Lirc-in" est;
sur de si/u œuvre. Tout'^s les persc'cnes qui ont eu la bc>nne fortune
d'en eLtendre «les fragment* sont ULsnimes a louer l'immense valeur
de ro[":rrà du maître, seul-men*... seulement, l'cieve de Fetis- n'est
pas ti'un â^-e «"u I'ijh C'^urt les salons r.iËciels pour faire le beau, il n'a
pas-no-u [dus ie caractère 'numble et sollicitant; c'est un artiste avant
t'-'Ut . aussi apfreii-"'ns-nous, avec .peine que les Tanpliers fercuit
l'ouverture du théâtre de la M'.unaie a truielles, l'hiver prochain.
Henri Litolîï a aujourd'hui 00 ans. 0>a sait quel virtuose il fut
cumme pianiste, et quelle clarté, quel sentiment et quelle c^ri^^inalite
il apporta dans ses û'.'.i>:rt^'.vr:s. sijinphonies '.'?• çoncertus, au>si bien
que dans les divers 0[iera--cumiques qu'il fit représenter u Bade, a
Bruxelles et à Paris. Les Templi''rs seront un sui.-ces que otre Aoa-
de ; le nationale e.nvi-^ra, nous en sommes convaincu, au théâtre de
[a Monnaie. ..- -
L'anniversaire de la mort de AVa:ruer 13 février a ete celebre
dans toute l'Ailemagne par les institutions de concert et u'Ass.'Cm-
tlons wairrieriennes. A Berlin, /c Wagner Vereiri a donne, avec le
coiïcours de Cari Hill, le celebr^ baryt<.->n du théâtre «ie Schweriu. un
grand concert dont le programme comprenait /■? J/utc/ïc furi^sn,-,' de
Siegt'rie«i. l'Ag'jpe dfs apr'/tres. leprelude de Lohe>igfin e: le troi-
sième acte de P.o'sifal Oirchestre d^e 105 musiciens sous la iirectiou
de Cari Kiindworth. La chapelle Bilse a également -ionne unCon'.-erf;-
W'acner à l'occasion de cet anniversaire.
La cérémonie de l'inauguration du monument de A\'a?hingtoa a
eu ll'i'u le 24 février. Lue foule nombreuse y assistait.
-Le mouumeut'à 155 pieds de haut et a coûte t.lOO.OOO dollars,
dont 900.000 ont ete fournis par le gouvernemeut. C'esc une oon-
structiou eu forme de tour., visible à plusieurs nuilcs ie distunct; et
surpassant le Capitole. <Ui peut monter au sommet du m>u;umenc
[lar un escalier intérieur et t'ur un ascou^^eur.
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Brunncr, C. Trois transcriptions, chaque . . . . .
Z?w/otr, /f. (de). Réunion des Maîtres chanteurs . . >.
» Paraphrase sur le quintuor du 3* acte .
Cramer, //. Pot-pourri . ; .•
« Marche ...... ^ .. .
Danse des apprentis
GoftbfltTts, L. Fantaisie brillante . . . . . .
Jacll, A. Ôp. 137. Deux transcriptions brillantes (AVerbegesang-
Preislied), chaque
Op. 148. Au foyer . . . ^ . • . , » .
/vOsse», £". Deux transcriptions de salon, n' I . . . . ,
n* II. .... .
/,e/frrf. Op. 26. Transcription . . . . . . .-.'..
Ratr, J. Réminiscences en quatre suites, cahier T et II, à
cahier III. ...
cahier IV. . .
i??/jîp, //. Chant de AValther , .' . . . . . .
77" "/-"ARRANGEMENTS POUR PIANO A 4 MAINS :
La Partition complète . . , . . . . . . .
OKferfioY. Introduction par C. Tausig . . . . . .
Bcyer, F. Revue mélodique
Bùlov, H. (de). La réunion des Maitres chanteurs, paraphrase .
Cramer, H. Pot-pourri. . . . .
Marche ., . . .
Z)f î7/?>ar. Deux illustrations, chacune .. . . . .
ARRANGEMENTS DIVERS :
Omvr/ioY pour 2 pianos à 8 mains .
Gregoir et U'onard. Duo pour violon et piano.
Kaslner, E. Paraphrase pour orgue-mélodium.
Lux, iï'iJ'rélude du 3* acte pour orgue .
Oberthur, Ch. Chant de Walther pour harpe, .
SingeUe, J. B. Fantaisie brillante pour violon et piano
Golterman. Chant de Walther, pour violoncelle et piano
Wickede, F. (de). Morceaux lyriques pour violoncelle et piano
N* 1. "NValther devant les Maîtres
N° 2. Chant de Walther .....
WilhelwJ, A. Chant de AValther, paraphrase pour violon avec
accompag. d'orchesiie ou de piano. Partition
L'accompagnement d'orchestre
« de piano . . . ,
Fr.
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Cercle artistique. — Petite chronique.- ,
LES ZWÂNZEURS D'AUTREFOIS
A propos ^'Eugène Delacroix
Los journaux de Paris sont -remi)iis d'appréciations sur D>'la-
croix. In dos nioillours arliclos jKirus osl celui du M. (lollVoy
dans la Justice. Nous on extrayons les parties les plus intéres-
santos pour les locleurs beli:jes.
La biop^raphic de Delacroix, ([ui doit servir de préambule à un
examen dos ceuvres exposées en ce nioinenl à l'Ecole dos Denux-
Arls, no doit pas consister en une énumération des menus î'aits
qui constituent la vie apparente de l'artiste. Il est plus inlêrossa"nt
de montrer, i)ar des documents incoiitestés. ce qui s'est produit
au premier contact de ses louvres avec l'opinion; (juand on aura
constaté la réception faite auirefois au maître aujourd'hui accepté
par une postérité si peu lointaine, on aura chance de voir, sous un
angle d'incidence plus exact, riionune tel qu'il se révèle dans ses
curieux écrits, l'artiste tel qu'il s'allirme ilans ses œuvres achevées
et dans ses innombrables essais. -
• La chronologie de la vie de Delacroix aura d'ailleurs été vile
établie quand on aura dit (juo le peintre naquit à Charenlon
Saint-Maurice le 'i^i avril 1708; qu'il eUulia dans l'atelier do
liuérin; qu'il fut généralenronl refusé aux Salons; qu'il mourut à
Paris le i:J août l^Oo. ^ '
Mais les dates prennent une importance, et la biographie
s'anim.e, si l'on note l'accueil qui lui a été fait à son apparition.
En 18;î-2, Dante et Virgile. Delacroix n'a pas seulement à sup-
porter riiostiliié de (juérin, son professeur, les restrictions- des
. arrivés, les injures des critiques. Le journaliste qui le défend,
M. Thiers, termine ses éloges par une association de noms qui
fait croire à une étonnante inconscience : . , -
•* En résumé, MM. Drolling, Dubufe. Cogniet, D?stouoh»?s et
Delacrijix forment une u'énératiou nouvelle qui soutient l honneur Je
l'école et marche avec le siècle vers le Lut que l'avenir lui pi<esente. »
En 18-2-i, Xa Massarre de Scio. On peut lire dans la Revue cri-
tique du .Siilon, qui alors faisait autorité :
« M. De!acr'".ux"[\'^ralt rechercher particulièrement les scènes dans
les'quelles il peut faire entrer des uat>ires bigarres et souvent
ignobles... Ceux dont la raison veut être satistaite avant t(>ut trouve-
ront que ce jeune homme n'a qu'un goût déréglé, sacs trein, et qu'il
est. avec toutes ses belles qualités, trop voisin du bas et île Hirnoble. »
Au Salon de 18:27, le Christ au jardin des oliviers. Marina
Faliero, Milion aveugle dictant le Paradis-Perdu, Apparition
de Mephistophelès à Faust, Justinien, Sardanapale.
Le Journal de^ Artistes prononce : ■
.• « Ambitieux sectaire... Ebauches grossières. aJaïises par le ^urv
avec une l'uneste com[)laisauce... »
L'Etat se fiit rexécuteur des arrè'is de la crititpie. Delacroix
écrit le récit de son entrevue avec le ^ tiouvcrnement ^) :
- Sous la Restauration, les Salons de pt-inture u'c-aieut point
annuels. Pour un homme militant et ardent, c'était un ;::rai;:,i mal- "
heur ilans l'âge de la sève et de l'audace. A ki ûi\ d'un Je ces Saious.
on 1827 (on renouvelait alors les' tableaux à mesure que l'exi-'ositiou
se prolongeait^ j'exposai un tableau de Sardanapale. S il m'est
[permis de comparer les p'Ctitcs choses aux grandes, ce fut mou
Waterloo. '
•* J'avais eu quelques succès à ce Sâlou, qui dura presque six m^>;s.
Cette œuvre nouvelle, qui arriva la dernière, souleva l'indignation
feinte ou réelle de mes amis ou de mes ennemis. Je devenais l'abo-
mination.de la peinture. Il fallait me refuser l'eau et le sel.
« M. Sosthènes de la Rochefoucauld, alors chargé des beaux-arts,
me fait venir. Je rêve déjà quelques grandes commandes, quelque^
vastes, tableaux à exécuter. M. Sosthènes fut poli, empressé, aimable ;
il s'y prit avec douceur et comme il put, pour mè faire entendre que
je ne pouvais pas avoir raison contre tout le monde, et que, si je
voulais avoir j)art aux faveurs du gouvernement, il fallait changer
de manière. . ' ■\' '
«» — Je ne pourrai^, lui répondis-je, m'empécher d'être de mon
opinion, quand la terre et les étoiles seraient d'unie opinion contraire.
« Et, comme il s'apprêtait à ra'altaquer par le raisonnement, je
lui tis un grand salut et je sortis de son cabinet.
« J'<itais enchanté de moi-même.
«« A partir de ce moment, mon Sardanapale me parut une œuvre
supérieure, plus remarquable que je ne l'avais pensé. »
C'est aloFS que la guerre faite h l'artiste devient véritablement
sauvage. Les journaux ne se contiennent plus et l'Institut s'égaie.
Tous les mots célèbres sont prononcés. >
Un académicien : '
« Les toiles do Delacroix font songer aux romans du vicomte
d'Arlincourt. >♦ . -
Un criliquc :
•♦ Ce gaillard-là peint si bien les. animaux ; pourquoi ne fait-il pas
le même honneur à la figure humaine ?»
Un journaliste :
,. « M. Delacroix peint avec un balai ivre. »»
Au milieu des murmures ironiques cl des ricanements, le noble
arlistedit à Tliéoj)hile Silveslre qui l'accompagne :
« Voilà plus de trente ans que je suis livré aux bêtes! » -
Jusqu'en 18.")3, ce sont de perpétuels refus aux Salons; sur
dix toiles présentées, une est admise par les extraordinaires
jurys. A l'Exposition de 1855, la critique n'a pas désarmé; son
odieuse plume crache encore. Voici ce qu'écrit Maxime du Camp :
«« Chez M. Delacroix, j'ai beau chercher l'idée, j'ai beau m'ingé-
nier, me fatiguer pour découvrir une pensée dominante ou seule-
ment perceptible, je ne la rencontre jamais. Quant à la forme, je la
trouve hideuse, toujours semblable .et anti-humaine au suprême
degré La vérité, il ne s'en sçucie pas; la dignité humaine, il
la méprise absolument; son art môme, il le dédaigne, si nous en
jugeons par le sans-façon avec lequel il le traite et le rang auquel il
le rabaisse. Aussi M. Delacroix ne restera ni comme peintre de
genre, ni comme peintre d'histoire... Les tableaux de M. Dela-
croix jamais ne m'émeuvent, jamais ne me touchent; s'ils
restent dans ma mémoire, ce n'est pas par le sujet qu'ils doivent
interpréter, mais seulement par le ton principal dans lequel ils
sont peints : je me rappelle que telle toile est violette, que telle
autre est gris de perle, mais je ne sais plus ce qu'elles représentent. »
C'est sans doute cela, ces injures sans raison, ces négations
sans explications, qui faisaient écrire à Delacroix ces réflexions
justement orgueilleuses : .
«» Il est malheureusement trop certain que la supériorité du talent
.ne suffit pas pour mettre la gloire elle-même à l'abri des variations
de l'opinion et de la mode. Il est des talents privilégiés qui ont été
entourés tout de suite d'une admiration à laquelle le temps n'a fait
qu'ajouter. Les grands artistes qui ont brillé par la grâce, le charme
et la noblesse de leurs inventions ont peut-être conquis plus rapide-
ment que les autres l'unanimité des suffrages. Raphaël, Léonard de
Vinci, Paul Vérorièse, Ci màrosa n'ont pas attendu longtemps la jus-
tice de l'opinion. Au contraire, les génies austères qui sondent les
abîmes de l'âme et saisissent plus volontiers dans leurs peintures le
côté terrible et pathétique des choses humaines, exercent un empire
plus restreint et plus contesté La violence ou la singularité de leurs
inspirations les isole des sentiments ordinaires et fait que leurs qua-
lités mêmes sont l'objet d'une éternelle discussion, w
Ajoutez à l'inquiétude morale le souci de l'existence elle-
même, confessé dans Celte lettre à un ami, M. Soulier :
«♦ La grande occupation de mon existence, celle qui tient en sus-
pens et en échec les hautes et j)uissantes facultés que la nature m'a
accordées, au dire de quelques bonnes gens, c'est... d'arriver à payer
mon terme tous les trois mois et de vivoter mesquinement. Je suis
tenté de m'appliquer la parabole de Jésus-Christ, qui dit que son
royaume n'est pas de ce monde. J'ai un rare génie qui ne va pasjus-
qu'à me faire vivre paisiblement comme un commis. L'esprit est le
dernier des éléments qui conduit à faire fortune ; cela sans figure,
sans exagération. L'imagination, quand pour comble de malheur, ce
don fatal accompagne le reste, consomme la ruine, achève de flétrir,
de briser dans tous les sens l'âme infortunée. L'amour de la gloire,
passion menteuse, feu follet- ridicule, conduit toujours droit au
gouffre de tristesse et de vanité... Si j'ai des enfants, je demanderai
au ciel qu'ils soient bêtes et qu'ils aient du bon sens. De travaux et
d'encouragements, je n'en dois attendre aucun. Les plus favorables
pour mpi s'accordent à me considérer comme un fou intéressant,
mais qu'il serait dangereux d'encourager dans ses écarts et dans
sa bizarrerie. »»
Rapprochez de celte lettre les prix demandés à Paul Foucher,
intermédiaire d'Auguste Vacquerie, pour trois tableaux aujour-
d'hui haut cotés : .,
*» Monsieur, je m'empresse, suivant votre désir, de vous dire les
prix des tableaux que vous voulez bien me désigner. Ces prix sont
au dessous de ceux que je demanderais à un amateur; je verrais avec
plaisir qu'ils pussent convenir à votre ami : "
-T Vovivle Samaritain . . .. .'fr, 300
Id. Giaour 400
Id. Lever ....... 800
Et relisez enfin, dans les journaux du temps, les comptes-
rendus des obsèques : regardez défiler le piquet de gardes natio-
naux, les froids discoureurs officiels, les 600 personnes présentes
à Saint-Germain-des-Prés, réduites à 200 au Père-Lachaise.
Un mot de cet admirable peintre marque bien par quelles
détresses il dût passer. Il venait d'avoir rfia;-5ejw/ tableaux refusés
au Salon, et comme pour changer le cours de ses idées, M. Gi-
goux lui parlait d'un petit héritage qu'il venait de faire : — Oui,
c'est vrai, répond-il, au moins avec cela, je suis sûr de ne pas
mourir portier.
Ces dix-sept tableaux refusés ont passé et repassé à l'hôtel des
ventes. Leur prix a constamment été de quarante h quarante-
cinq mille francs, chaque. Une autre" toile, le Lion^ payée à
Delacroix douze cents francs par le marchand, rachetée seize
cents par Troyon, a été vendue depuis soixante mille francs.
Nous serions très aise de connaître l'opinion actuelle des
critiques survivants, qui éreinlèrent si pesamment Delacroix,
devant le triomphe jJ'aujourd'hui.
Le contraste est grand de ces choses passées avec l'ovation qui
salue aujourd'hui la triomphale entrée d'Eugène Delacroix ^
l'Ecole des Beaux-Arts, salles dont Courbet et Manel ont, eux
aussi, forcé les portes. C'est cette victoire qu'il fallait enregistrer
avant tout. C'est celte leçon donnée par les événements qu'il fal-
jait recueillir. Dure leçon, non seulement ponr la critique d'au-
trefois, mais pour la critique d'aujourd'hui et pour la critique de
demain! 11 n'est pas uii p;rand travailleur apportant de l'original
qui n'ait élé accueilli comme le peintre du Massacre de Scio et
de Boissy (ÏAnglas; il n'en est pas un qui n'ait été repoussé et
bafoué avant d'ûlrc com,pris. L'exemple de Delacroix est là pour
provoquer aux examens et pour retenir les paroles imprudentes,
pour empêcher de juger l'idéal nouveau au nom de l'idéal d'hier,
pour remettre à leur vraie place les révolutionnaires artistiques
de la veille devenus les hommes de gouvernement du Icndc-
mam.
^D/^LBERT DE ^C^OLDpCHMIDT
n
II
HÉLIANTHUS (**). — Lieder (**). — Poème sympho-
nique (**). —_ Danses styriennes (*'*). — Siciliano et
Musette (").
Nous avons apprécié rapidement celte bizarre partition Les
Sep l pèches capitaux, trop habilement salaniquc et d'une lassante
confusion. Hélianlhiis, d'une religiosité beaucoup moins exas-
pérée, c'est la lutte du christianisme mystique contre la rude
sauvagerie païenne, et le triomphe de celui-là. Les motifs carac-
téristiques sont bien distincts : les uns rauques et barbares, les
autres extatiques et ireligieux, dessinant, d'une part, Wittekind
et Ragast, d'autre part, Sigune, Lodogar et Hélianlhus. •
Ces motifs symboliques, comme dans la première partition de
Goldsclnnidt, manquent de précision et surtout de développe-
ments; la couleur en est unitonale et la forme coulée invariable-
ment dans un seul moule. Les personnages sont d'un bloc, d'une
stature; leur cerveau roule toujours les mêmes pensées, sans
modulations, sans clair-obscur, sans nuances.
11 est étrange qu'un musicien si habile fasse preuve ici d'une
iricxpéricnce aussi grande. Son œuvre n'a rien de creusé; une uni-
forme superficialité maladroitement fige son inspiration musicale.
Et, outre celte immobilité dramatique, elle révèle un manque
sérieux de slyle original. Trop souvent, en lisant Hélianlhus, on
se souvient de sonorités entendues déjà dans le 6'o//d;Y/âm?«?'?/7igf,
dans Tristan et Isolde et niéme dans Lohengrin. S'insj)iror du
syslcmo wagnérien est parfait, mais tomber lourdement dans
celte faute, commune à tous les jeunes compositeurs allemands
d'aujourd'hui, d'une imitation scrvile et humiliante, est dange-
reux.
Goldschmidt a suffisamment de talent pour rester original :
nous n'en voulons comme preuve que le curieux travail harmo-
nique iVHélianthus.
L'orchestre est d'une belle sonorité, quoique peu psycholo-
gique; mais les chœurs sont souvent d'une couleur terne et
amaigrie. Nous ne reprocherons pas au musicien le nébuleux,
pa4=fois intraduisible, qui plane à la tombée de son œuvre : la
faute en est au poème assez sottement enfantin dans son empha-
tique mysticisme. Ce poème, le voici en ((uelques lignes :
Wittekind, entouré des guerriers saxons, se féli'ciie d'avoir
autour de lui son peuple resté fidèle à la religion de ses pères.
(") \o\Y Y Art Moderne du 22 mars 1885.
(") Leipzig, Breitkoi'K ot Haktkl.
("*) Hanovre, Arnold Simon.
alors qu'un culte étranger menace de renverser ses dieux. On
annonce l'arrivée de Ragast, prince des Sorbes, qui vient
offrir son alliance amicale au roi des Saxons et lui demander la
main d3 sa fdle Sigune. Celle-ci accepte, à condition que son
fiancé vengera l'outrage qu'elle a subi : elle s'était réfugiée dans
la forêt d'ïrmin, lorsqu'un héros chrétien, après avoir brisé une
branche de l'arbre sacré, osa l'embrasser et lui arracher le bijou
runique qui protège sa race. Il le brisa, annonçant son retour
prochain. Ragast promet de venger l'insulte et Sigune lui remet
le fragment du bijou sacré.
Lodogar descerid des rochers qui entourent le burg du roi
saxon : on l'interroge. H raconte longuement la naissance du
Christ : l'étoile lumineuse guide les rois mages vers la crèche
divine et une colombe descend sur l'enfant-; des chants angé-
liques planent, lents et calmes, dans la nuit.
■ Mort au chanteur! clament les rauques guerriers saxons. Lodo-
gar voit les cieux s'entr'ouvrir et s'offre pour le martyre chrétien,
lorsque soudain Hélianlhus arrive, une croix dans la main droite,
et vient proposer, au nom de Charlemagne, la paix aux Saxons,
à condition qu'ils reçoivent le baptême. Après un colloque
violent où Gewo exalte la liberté de sa race, une lutte éclate
entre Hélianlhus et Gewo, qui tom"be bientôt mortellement
frappé. Ragast veut s'élancer sur Hélianlhus, la hache haute,
lorsque Sigune couvre celui-ci de son corps et tombe à genoux
près de Gewo, mourant. Gewoderaande qu'on laissepartirHéliaU'
Ihus en liberté et chante ses adieux à la nature impassible.
Wittekind fait l'éloge funèbre de Gewo et ordonne ses funé-
railles; il permet à Hélianlhus de partir et exile Lodogar; tous
deiMc s'éloignent, tandis que Sigune, observée par Ragast, suit
Hélianlhus d'un regard longuement amoureux.
Le deuxième acte est presque tout entier composé d'un duo
religieusement emphatique entre Hélianlhus el Sigune, duo coupé
çà et là de strophes nébuleuses expirées par Lodogar invisible. 11
rappetle.-non seulement par l'identité de situation mais parla
musique enveloppante, le deuxième acte de Tristan et Isolde.
Comme dans l'œuvre de Waijner la dicjnité matrimoniale trouve
son vengeur dans le naïf et farouche roi Marcke, ici Ragast
frappe Hélianlhus, le séducteur qui, amoureux peu confiant,
reproche à Sigune de l'avoir attiré dans un guel-apcns. Celle-ci
le supplie en vain de la suivre et s'afl'aisse dans une morne déso-
lation. Mais une femme apparaît et lui dit de reprendre courage
et d'aspirer au salut.
Au dernier acte, le triomphe du christianisme est définitif.
Wittekind lui-même se courbe devant la croix, el Hélianlhus,
étreint par le doute, sent planer sur son front les anges de la
foi. De longues mélopes, frôlées de mystiques prières dans les-
quelles s'évaporent les principaux personnages du drame, ter-
minent enfanlinement cette œ'uvre singulière qui, représentée sur
plusieurs scènes allemandes, a élé bruyamment discutée, signe
attirant d'une personnalité artistique.
Mais ici, nous l'avouons, l'attirance est lrom[ié\ue. Hélianthus
est Ta^uvre caractériste du jeune musicien cl il n'y a vraiment à
en retenir que dos fragments éj)ars du deuxième acte : le reste est
faible comme expression dramatique et comme psychologie musi-
cale. Les personnages-lypes, Lodogar, Hélianlhus et Sigune,
sont des composés de divers personnages wagnériens : Tristan el
Lohengrin, Isolde et, dans une mince mesure, Eisa.
L'œuvre, dans son ensemble, nous parait, malgré une science
musicale s'exaspérant en singularités spécieuses, peu originale et
n'annonçant pour l'avenir aucune forme nouvelle. Une compré-
hension approximative du système wagm'Tien unie h une dange-
reuse et fausse habilité, telle est la caraclérislique de Gold-
schmidl.
Outre les deux partitions dont nous venons de parler, son
œuvre publié se compose encore d'une vingtaine de Lieder, d'un
Poème symphonlque et d'une série de Danses écrites pour piano.
Ces lieder ne dépassent point le niveau de toutes les banalités
prodiguées en Allemagne sous ce qualificatif. Ilest déplorable de
voir Goldsclimidt gaspiller son talent par cette production facile
et éphémère. C'est à peine si quelques-uns [vom Rhein et Wie-
genlied) ont certaine couleur musicale; la masse est médiocre.
Médiocres, aussi, plus médiocres mêmes, les Danses stijriennes
pour piano : c'est en musique, V article viennois, lourdiMnent vul-
gaire sous un faux semblant de distinction. Nous citerons seule-
ment une Sicilienne et une Musette pour piano. Pouniuoi ne pas
garder cela dims ses tiroirs? Qu'imporleut de telles productions
pour les vrais musiciens, et le public n'ost-il point déjà suftisam-
ment imprégné de médiocre?
La dernière œuvre éditée est un Poème symphonique terminé
par une très courte phrase de ténor et une phrase pour chœur sur
un texte du Faust de Lenau. Elle est peu intéressante et destinée
à un rapide oubli.
Ajoutons qu'Adalbert de Goldschmidl est élève de IJszt, qu'il
habite Vienne, où sa fenuTie jouit d'une grande réputation comme'
cantatrice, et qu'il est âgé de trcM^te-cinq ans, l'âge annonçant la.
venue d'œuvres mûrement caractéristiques. Nous aurons ainsi
mis. sur pied une personnalité musicale qui souvent semble vou-
loir s'élever très haut, mais qui malheureusement retombe pres-
que aussitôt dans le médiocre et le banal habilement déguisés.
EXPOSITION DES BEAUX-ARTS A ANVERS
DOCUMENTS A CONSERVER
Le Secret du vote. — La Suppression des médailles.
Voici les divers documents qui ont été lus à la réunion des
artistes bruxellois le 18 mars dernier :
Discours de M. HAGEMANS.
A la Chambre des représentants, le 10 février 1872, iM. Hage-
mans, alors député de Thuin, disait :
« Les membres du jury doivent prêter le serment qu'ils ne
révéleront rien de ce qui se passera dans les réunions. Pourquoi
cette mesure, digne du conseil des Dix? Pourquoi cette précau-
tion? Il ne faut pas se dissimuler qu'elle peut avoir de grands
inconvénients : en effet, un membre du jury, forcé de se taire
sur des abus auxquels je ne crois pas, mais qu'il faut bien
admettre comme possibles, pourrait être obligé de renoncer à
son mandat ou d'accepter la responsabilité de choses qu'il n'ap-
prouve pas. Ce mal disparaîtrait si le secret n'était pas exigé.
Qui agit au grand jour inspire toujours plus de confiance. »
Discours de M. Edouard FÉTIS.
Séance de l'Académie du 28 octobre 1883.
<c La médaille est-elle le signe infaillible de la supériorité de
l'artiste qui l'obtient, ou de la qualité de son œuvre? Je me per-
mettrai d'exprimer un doute à cet égard: La médaille prouve tout
bomK'ment que l'œuvre est conçue et exécutée conformément à
des principes adoptés et appliqués par la majorité des membres
du jury. Si cette majorité est classique, ce sont les auteurs des
œuvres classiques qui seront médaillés. La majorité est-elle réa-
liste, les récompenses prendront le chemin des ateliers où l'on
cultive le réalisme. .
« Les médailles provoquent des luttes de vanités et d'intérêts
bien plus que des luttes de mérite. Laissez faire le sentiment
public, l'opinion des connaisseurs, le temps qui. met si é(|uita-
blement les hommes et les choses à leur rang. Combien de fois
les arrêts des jurys chargés de décerner les récompenses n'ont-
ils pas été cassés par les générations suivantes ! Combien d'ar-
tistes médaillés, classiques, romantiques ou réalistes, sont ren-
trés dans l'obscurité ai)rès avoir brillé un seul instant du faux
éclat des distinctions décernées par des jurys complaisants !
M Ma conclusion, c'est qu'on ferait sagement de supprimer
une institution dont aucun avantage réel ne compense les incon-
vénients et les abus. S'il fallait des médailles pour faire éclore
de beaux tableaux et de belles statues, pourquoi n'emploierait-on
pas le même moyen pour pousser à l'enfantement d'excellents
livres et de partitions remarquables? Les littérateurs et les com-
positeurs auraient le droit dé trouver fort mauvais que les pein-
tres et les scul])teurs aient le privilège d'obtenir des récompenses
capables de produire de tels effets.
« On renoncera aux récompenses officielles; plus de médailles
ni de médaillés ; plus de peintres et de sculpteurs brevetés, avec
ou sans garantie du gouvernement. Les récompenses des expo-
sants seront celles que décerne l'opinion publique, et celles-là
en valent bien d'autres. Les médailles supprimées, il n'y aura
plus entre les artistes ni basse jalousie, ni rivalités sourdes; il n'y
aura plus d'intrigues pour obtenir une distinction devenue banale
à force d'être prodiguée, qui ne fait plus illusion à personne et
à laquelle on ne tient que parce qu'on lui attribue le pouvoir
d'exercer une certaine influence sur la vente. »
Déclaration des membres du CEPiCLE ARTISTIQUE
DE Bruxelles.
Le 3 avril 1872, les membres artistes du Cercle Artistique de
Bruxelles adressaient au Ministre de l'intérieur une pétition dans
laquelle on lisait notamment {VArt libre, n° du lo avril 1872) :
« Il nous reste. Monsieur le Ministre, un dernier vœ,u à expri-
mer : c'est de voir supprimer l'institution des médailles, source
incessante de difficultés, de compétitions, de rivalités et d'injus-
tices inévitables. Limiter le nombre des récompenses et n'avoir
point le pouvoir de limiter en même temps le nombre des œuvres
qui seraient dignes de les obtenir, n'est-ce pas vouer fatalement
cette institution des médailles au hasard, à l'arbitraire et à la
camaraderie ?
« Cet argument, fût-il le seul, serait décisif.
« Nous espérons, Monsieur le Ministre, que vous voudrez bien
examiner avec bienveillance ces observations, qui ont été mûre-
ment délibérées par le Comité des Beaux-Ans du Cercle artisti-
que et littéraire, et que vous donnerez aux questions qu'elles sou-
lèvent une solution conforme ii nos vœux et aUx intérêts de notre
art national.
« Veuillez agréer, etc. »
Le Secrétaire., Le Président,
Eugène Devaux. D. Vervoort.
S
Lettre de M. L. GALLAIT.
Le plus intéressant do ces documents est une lettre. adressée k
M. le président du Cercle artistique et littéraire de Bruxelles par
M. LouisGallait, le 14 août 1882 :
« Monsieur le président, je ne puis qu'être très sensible aux
félicitations que vous avez bien voulu m'adresser,' au nom du
Cercle arlisliquc et lillériiire, li Toccasion de la médaille qui,
d'après le bruit répandu et venu jusqu'à moi, m'aurait été
décernée par le jury de Vienne. Je dois vous dire toutefois que si
ce bruit est fondé, ce que j'ii^nore, n'ayant reçu aucun avcnisse-
mont officiel de la cbose, je me verrais dans l'obligation de décli-
ner l'honneur qu'on aurait bien voulu me faire. L'accepter serait
mo départir d'une ligne do conduite que j'ai toujours suivie jus-
qu'ici et dont je suis fermement décidé la ne pas m'écarler.
« Je n'ai jamais envoyé de mes œuvres aux exj)Ositions inter-
nationales sans stipuler que j'entendais les placer hors concours^
suivant l'expression admise, c'esl-ù-dirc en dehors de toute éven-
luidiié de récompenses quelconques. Celte fois encore j'avais fait
part de ma détermination à une personne que je croyais indiquée
par sa position comme étant en mesure d'en informer qui de
droit, ce qu'elle aura sans doute omis de faire.
« Je ne reconnais pas aux artistes le droit de classer leurs
confrères, de leur assigner un numéfo d^ordre dans la hiérarchie
du mérite ; ]Q n'accepterais j)as une pareille mission et je me
refuse h consentir à ce que d'autres usent à mon égard d'un tel
privilège. Comme l'ont très bien reconnu }es organisateurs des
expositions universelles de Londres, on peut classer des produits
industriels, parce qu'il y a là des éléments matériels d'apprécia-
tion qui permettent de constater la supériorité d'un objet sur
d'autres analogues, mais il n'en est pas de même des productions
des arts ; celles-ci ont une valeur de sentiment qui ne saurait se
préciser d'une manière absolue et dont nul ne peut prétendre être
juge. Chaque artiste a des convictions très respectables, mais très
arbitraires souvent et très absolues, qui ne permettent pas d'ap-
précier avec indépendance et avec équité des œuvres conçues et
exécutées d\iprès d'autres principes que ceux qu'il s'est naturel-
lement accoutumé à regarder comme les meilleurs, comme les
seuls bons. Aussi, quelle diversité dans les jugements pôfîés sur
les mômes productions par des liommes réputés compétents! A
combien de réclamations, de récriminations, la décision des juges
ne donne-l-elle pas lieu? Que d'erreurs commises et reconnues
trop tard ! Faul-il rappeler le scandale que lit à l'une de nos der-
nières expositions universelles l'octroi d'une médaille de seconde
classe à l'excellent peintre Madou?
« L'artiste qui expose une œuvre sait qu'il se soumet h la dis:^^
cussion, à la critique, mais // serait absolument contraire à sa
dignité comme à la justice d'admettre que la décision d'un jury
pût lui assigner un rang dans Yespcce de coteotlicielle des talents
des peintres et des sculpteurs que celui-ci a la prétention de
dresser.
« Bien des exemples que je pourrais citer prouvent que les
récompenses décernées à la suite des expositions sont des
pommes de discorile lancées dans le groupe des artistes. Ces
prétendues disliiiclions peuvent tenter Tambilion des débutants
qui ont besoin de se faire connaître, mais arrivé à un certain
point de sa carrière 1 artiste ne relève plus (jue l'opinion et sa
dignité lui commande de récuser toute autre juridiction.
« Tels sont, monsieur le président, les motifs qui m'ont déter-
miné depuis longtemps, ainsi que j'ai eu l'honneur de vous le
dire, à placer les œuvres que j'exposais, je ne dirai pas au des-
sus, mais en dehors de l'éventualité des récompenses et qui ne
me permettraient pas d'accepter la médaille dont le bruit court
que le jury de l'exposition de Vienne m'aurait honoré. Je n'en
suis pas moins .reconnaissant, monsieur le président, à vous et
au Cercle, de la bienveillante et courtoise démarche à laquelle je
réponds ici.
« Agréez, monsieur le président, etc., etc.
^ « Louis Gallait.
(( li août 188-2.» ^ ■ ■■ ■
MOriALITÉ.
A un grand dîner une grosse dame di.^ait récemment :
« Si on supprime les médailles à quoi, nous autres, qui ne
sommes pas connaisseurs., reconnaîtrons-nous les bons artistes? »
Voici la réponse du (xouvernement à la lellre qui lui a été
adressée pour obtenir l'admission de la peinture céramique à
l'exjiosition des Beaux-Arls.à Anvf'r>. .
Bruxelles, le 20 mars 18S,j.
Mkssikurs,
En réponse à votre lettre du 19 courant demandant la suppression
de l'article 10 du Règlement général de rExposition universelle des
Beaux-Arts à Anvers, pour ce qui concerne la [ceinture sur porce-
laine et sur faïence, j'ai riiouueur d'attirer votre attoiition sur les
ditficultés matérielles qui semblent s'opposer tout d'a-ljurd à la réali-
sation du vœu que vous formulez.
Le Pièglement de l'Exposition des Beaux-Arts, après avoir fait
l'objet d'un examen apjirofondi. a reçu, comme vous le savez, la >;anc-
tion ministérielle, et des exemplaires ont été envoyés par vi.ie iliplo-
raatique aux gouvernements étrangers, invitas à prendre part à
l'Exposition. .
Au dernier point de vue tout au moins.' il n'est plus temjis, vous
voudrez bien le reconnaître. <ra[>porter une moditication quelconque
aux termes du Règlement en cause.
Veuillez agréer. Messieurs, l'assiirrincc do ma considération la-
plus distinguée.
Le Curnniissrt i)-c Grnci'cd du Gouvenieaioit.
Comte d'Oultrkmont.
En réponse à un article de Y Eveil, journal t.vs connu aux
Rives d'/jcellcs. Edmond Picard a envoyé la lettre suivante :
Monsieur le Directeur.
Une mcnn obligccnite m'a adressé votre numéro dans lequel un
Monsieur qui signe Parfois a écrit un morceau de style dans lequel,
sous prétexte de s'occiiper de l'exposition d'Anvers, il me fait l'hon-
neur grand de ne parler que de mon humble personnalité.
Je l'ai lu avec grand intérêt.
Il Contient, il est vrai, dos choses peu gracieuses, mais comme on
a tout dit de moi excepte que j'étais un imbécile, ce qui est déjà
fort enviable par le temps de rcjiortage ditî'amatoire qui court, je ne
puis que lui dire : Merci !
L'ne simple rectitication, non pour lui que je soupçonne être de
ces gens de remplissage qui pullulent dans le journalisme comme les
puces dans les poils d'un caniche, et dont il ne faut pas s'inquiéter.
mais pour les lecteurs de votre jourual, que je suppose excessivement
nombreux.
Parmi les sornettes ^u'il a enfilées, votre petit jeune homme a
(écrit : •♦ Lui, le maître des maîtres, ne dit pas s'il acceptera pour
SCS travaux herculéens un ckvcïvikmest quelconque. Je ne crois pas
me tromper en disant que c'est ici que passe le vrai bout de toreille. »
Jç le regrette pour votre aimable zwanzeur, mais sa perspicacité
est en défaut. Il est sans doute trop jeune eu la carrière pour se
douter qu'il y a beau temps que j'ai, eu occasion publique, déclaré
, que je n'accepterais jamais ce crucifiement qui lui parait si digne
d'être guigné. Cela date du 18 mars 1866 (voir les journaux de
l'époque) et a été renouvelé en avfil 1883 et en mai 1884. J'écrivais
alors : « Je n'accepterai jamais de distinctions honorifiques, je
ne demanderai jamais rien pour les miens ni pour moi. »
Or comme j'ai donné aux palinodards des cinglées au moins aussi
poivrées qu'aux gamins qui s'improvisent journalistes, j'ose espérer
qu'on me fera la grâce de croire que je tiendrai parole.
Prière de publier ceci incontinent.
Bien le bonjour, Messieurs, et croyez que je reste pour vous
servir,
Le maître des maîtres,
Edmond Picard.
20 mars 1885. -
T'
HEATRE^
Théâtre Molière. — Le prince Zilah.
Au rez-de-chaussée d'un journal quotidien, servi par tranches,
l'ouvrage était supportable. Le lecteur passait det, faits-divers du
jour au faits-divers de la veille sans que la transition fût sensible.
Accomodée au paprika de Hongrie, soutenue par la marche de
Rakocsy vibrant sourdement à travers les trente-cinq chapitres du
feuilleton, l'invraisemblable intrigue amoureuse du prince Zilah
Andras avec la tzigane Marsa avait, à défaut de valeur littéraire, la
saveur des mets exotiques excitant des })apilles blasées.
Habilement cousus l'un à l'autre par un homme du métier chez
qui le journalisme a tué l'écrivain, les épisodes parisiaho-mag'yars
de ce gros roman d'aventures, poursuivi dans un monde factice,
imaginaire, iraj)os-ible, présentaient par l'imprévu des situations et
l'apparence de couleur locale quelque intérêt.
Mais transportés sur la scène, avec le grossissement qu'opère
ro}>tique du théâtre, le vide énorme de cet ai*t faux apparaît. Les
fils blancs deviennent des cordages, les nouvelles à la main semblent
empruntés aux plus noirs » accidents, méfaits, sinistres » et au lieu
des accords de la marche héroïque animant d'une poésie le train-
train de la pièce, c'est toute la ferblanterie des vieux mélodrames
qui retentit à la cantonnade : « Le misérable! J'aurais dû lui plonger
_^ un couteau dans le co^ur! » . .
Le traître, le père noble, le confident, de tous les mannequins dont
l'art cherche à se débarrasser, après avoir subi leur servage humi-
liant, pas un ne manque à l'appel. Ils grimacent, ils se carrent, ils
ricanent, heureux de leur arrogante victoire.
Ce qu'il y a de certain, c'est que la foule raffole de ces fantoches.
Elle ne s'inquiète guère de la vérité des caractères, ni de l'étude
psychologique, ni de la vraisemblance. Les poupées de carton dont
M. Claretie tire les ficelles ont pour elle bien plus d'attrait que des
personnages vivant et souffrant, imprégnés d'humanité. Qu'ils
t'appellent Philippe Derblay, ou Serge Panine, ou André Zilah,
étiquettes dillerentes du même produit feuilletoneux, leurs succès
aujirès des âmes bourgeoises qui forment le fond des auditoires
de spectacles est assuré. Et c'est ce qui explique l'incroyable et
décevante fortune du Maître de Forges, de Serge Panine et plus
récemment (\u Prince Zilah.
Car le Prince Zilah est un succès. A Paris tout au moins, où
Ton subit plus encore qu'à Bruxelles les commotions que provoque
inévitablement la détente des ressorts du vieux drame. A Bruxelles,
les malheurs de Marsa-la-Tzigane, qui, au moment où elle étend la
main vers le bonheur, y reçoit un paquet de lettres qui le détruisent
à jamais, paraissent avoir excité moins de compassion. Le bon sens
belge a tiré de la pièce cette moralité que quand on épouse une
tzigane^ (et quelle tzigane! née du caprice d'un officier russe et
d'une bohémienne, élevée par un général d'opérette), il faut être
cuirassé contre les surprises rétrospectives. Et toute la chevalerie
du prince hongrois, qui, durant deux actes, refuse de comprendre
les demi-confidences qui lui sont faites, s'en est allée en brouillard,
découvrant un personnage plus niais qu'héroïque.
Gomme toute l'action repose sur cette flamme aveugle, brusque-
ment étoutTée sous le brutal éteignoir des lettres révélatrices, et qu'il
n'y a plus, la vérité connue, qu'à attendre tranquillement la mort de
l'héroïne, seul dénouement scéniquenient possible dans la donnée de
l'ouvrage, la curiosité est vite satisfaite Oh suit avec intérêt le jeu
des interprètes, vraiment remarquables et dignes de tous éloges, et
c'est une compensation. L'auditoire scrute jusqu'en ses volants les
plus intimes les superbes toilettes de M"'« Llna Munte, une bohé-
mienne plus bohémienne encore que celles des bords de la Theisse ;
il applaudit le jeu sobre et correct, très grand seigneur de M. Du-
quesne Lowrenz, lui comédien de race; il apprécie l'étourderie
envolée et charmante de M''^ Clermond. Et les compliments, qui ont
quelque peine à se porter sur l'ouvrage, s'en vont aux artistes, à la
mise en scène et à M. Bouflfard, l'aimable et soigneux directeur^
toujours en quête de distractions nouvelles pour réjouir et amuser
ses fidèles.
J{ OTE? DE ^U piQUE
Concert Luisa Gognetti
C'est, croyons-nous, la première fois qu'on exécute à Bruxelles,
dans son ensemble, le Carnaval de Schumann, cette exquise fan-
taisie où, légère et cliquetante, claque la batte d'Arlequin, où le
luth de Pierrot pleure à la lune, où la valse allemande entraîne les
couples dans l'enlacement de ses volutes. Mi'e Luisa Cognetti l'a
joué en virtuose, triomphant avec une aisance et une sûreté mer-
veilleuses des difficultés techniques dont l'œuvre est hérissée^ -^
Mais l'accent germanique paraît coaivénir mal à la bouche italienne
de la jeune artiste. Elle donne de Schumann et de Beethoven la
lettre, elle n'en fait pas saisir l'esprit. Les éblouisséments de Liszt,
dé Chopin et de Rubinstein lui vont mieux. Pianiste dans toute
l'acception du terme, elle n'ignore aucune des ressources de son
instrument. Elle en a étudié à fond le mécanisme et atteint à des
sommets de virtuosité transcendante. Le mouvement dans lequel elle
exécute Y Etude en ut do Rubinstein donne le vertige. Ses glissades
des Patineurs de Liszt ont soulevé un tel enthousiasme que, bissée,
l'artiste a ajouté a son programme, superbe d'ailleurs et d'une variété
extraordinaire, le final d'une rhapsodie de Liszt, celui que Planté
avait coutume de jouer. Et c'était chose intéressante pour les
musiciens de comparer mentalement l'exécution minutieuse, minia-
turiste du pianiste masculin avec l'interprétation fougueuse, étince-
lante, sonore, écrasante, de la jeune fille.
j^ONFÉRENCEp
Conférence de Georges Rodenbach au Cercle
artistique.
Par quelle originalité Georges Rodenbach, ce galant mondain, ce
chantre des petits mouchoirs et des gants longs, &'était-il chargé de
transmettre aux dames les vilaines théories de Schopenhauer, et ses
madrigaux à rebours ?
Il à paru un peu clinique à quelques insensibilisés de M. Buloz
,/
VART MODERNE
103
qui prennent le mot «« désespoir » pour une rubrique de faits-divers.
Après l'affriolante causerie de M. G^nderax, aussi, venir parler de
Scliopenliauer, .Léopardi, M"'e Louise Ackerman — une hermite
à boucles blanches tuyautées trois par trois ! Y joindre Baudelaire,
Paul Bourget, Le Vice suprême, la névrose et la décadence, c'était
du toupet. Mais celui de Rodenbach, tout diaphane et gracieux, n'a
fait que frôler élégiaquemenl une philosophie morose pour revenir
aux sphères optimistes où l'on esj)ère encore, où l'on conserve-
surtout la croyance en la femme, cet être sensible « ayant une case
de moins à l'intelligence, mais une fibre de plus au cœur » et qui,
selon le mot de M"i<5 Necker, est comme le duvet dont on enveloppe
les porcelaines rares, un accessoire, un rien, sans lequel, pourtant,
tout se briserait.
Un auditoire féminissime, le plus aimable qu'il put désirer,
a attentivement écouté et longuement applaudi la très remarquable
conférence du poète, pendant que les billes de billard cau.saient
entre elles de carambolages dans le salon A-oisin.
^ETITE CHROJ^IQUE
Les Hydrophiles ont ouvert hier leur deuxième salon annuel.
Noua parlerons dimanciie de cette exposition, restreinte quant au
nombre d'œuvres, mais intéressante par les tendances franchement
modernistes qui s'y manifestent. Cilons, dès à présent, parmi les
meilleurs envois, les aquarelles de Toorop, de Vogels, d'Oyens, les
eaux-fortes de Storm de Gravesande, les dessins de Speeckaert,
président de la société, et d'Achille Chainaye.
Parmi les tableaux d'artistes belges reçus au Salon de Paris on
cite :
Les Mineurs, de Constantin Meunier; les Scieurs de long ei le
Portrait du peintre Meunier, par Isidore Verheyden ; les Coque-
licots d'Anna Boch; Mon j«r<im, par Eugène Boch ; les Pileuses
de Frantz Gharlet; le Portrait du scidpteur Vander Stappen, par
Guillaume Van Strydonck.
La plupart de ces œuvres ont été exposées au Salon des XX^
Exposition d'Anvers.= A la demande de nombreux artistes,. la
Commission organisatrice a, par modification à sa circulaire du
l«r mars 1885, reculé jusqu'au 8 avril prochain la date extrême à
laquelle les oîuvres d'art seront reçues au local de l'exposition et
dans les différentes gares du chemin de fer de l'État belge.
On annonce la publication prochaine d'un volume de critique dont
quelques fragments ont paru dans diverses revues. Titre : Notes
sur la littérature moderne, par Francis Xautet. L'ouvrage sera mis
en vente dans le courant d'avril.
Au grand concert qui sera donné demain par le Conservatoire de
Mons, sous la direction de M. Jean Van deu Eeden, on entendra
entre autres \ai Fantaisie espagyiole àe Gevaert ; un chœur de Céphalc
et Pocris, de Grétry ; l'ouverture de concert (eu la) de Fétis; le
chœur de Colinette à la Cour, de Grétry et divers soli par Mi'« War-
nots, MM. Gurickx, Vivien et Huet. \
Le jury français d'admission [)Our les ouvrages destinés à l'Expo-
sition des Beaux- Arts d'Anvers est constitué ainsi qu'il suit :
Présidait : Le ministre de rinstructiou publique et des beaux-
arts, ,
Vices -Présidents : Le sous-secrétaire d'Etat au ministère des
beaux-arts; le directeur des beaux-arts.
Secrétaires : MM. G. Offendorff, chef du bureau des musées et
des expositions, secrétaire; Olleris, sous-chef, secrétaire-adjoint.
Membres : MM. Arago, conservateur du musée du Luxembourg ;
Bailly ; Barrias; Baudry ; Bœswilwald, inspecteur général des mo-
numents historiques ; Bonnat; Bouguereau; Breton; Cabanel ;
Carolus-Duran; Gaziii; Chaplain; Chapu; Clément, critique d'art;
Daumet, architecte; Dubois, Paul; Falguière; Flameng; Gaillard;
Garnier; Gérôme : Gonse, directeur de la Gazette des Beaux- Arts;
Guillaumr; Hirpignies; Havard, critique d'art; Hébert ; Hébrard ;
sénateur ; Hémon, député ; Henner; Henriquel-Dupont; Lalanne,
Maxime ; Laurens, Jean-Paul ; Lefebvre, Jules ; Liouville, député ;
Mantz, directeur général honoraire des beaux-arts; Mercié, Meis-
sonnier; Millet, sculpteur; Poulin, directeur des bâtiments civils;
Proust, député; Puvis de Chavanncs; Ronchaud (de), directeur des
muffées nationaux ; Ruprich-Robert, inspecteur général des monu-
ments historiques; Schœlcher, sénateur; SpuUer, députV; Vauder-
^mer; VoUon.
Sommaire du 14 mars de la Revue wagnériemie :
Chronique. — Notes sur la théologie wagnérienne, par Catulle
Mendès. — Les Maîtres Chanteurs, par Fourcaud. — Le rituel des
Maîtres Chanteurs (Wagner et Wagenseil), par Victor Wilder. —
Jje^mojs jvagnérien^(stjitisUque, comptes-rendus de la presse).-^=
Souvenirs de Richard Wagner, par Alfred Ernst. — Correspon-
dances étrangères. — Nouvelles.
Sommaire du quatrième numéro de la Société nouvelle (février
1885 : L Les mariages australiens, par E. Reclus. — IL Matéria-
lisme et spiritualisme, par H. Girard. — III. Croquis j)arisien : Une '
goguette, par J.-K. Huysmans. — IV. Introduction aux études
hydrographiques, par James Van Drunen. — V. Psychologie de
décadents, par F. Nautet. — VI. La démocratie, par Frédéric Borde.
— Vil. Critique philosophique, par J. Brouez. — VIII. Chronique
de l'art, par F. B — Le mois.
Prix : pour la Belgique, 75 centimes; pour l'étranger, 1 franc.
Abonnement: Belgique, 8 francs ; étranger, 12 francs.
Le cerveau de Gambetta ne pesait que 1294 grammes, poids sensi-
blement inférieur à la moyenne constatée jusqu'à présent en Europe.
Ce chiffre est bien loin de ce que l'on pouvait attendre. Aussi dos
savants l'ont invoqué plusieurs fois pour dénier au poids du cerveau
et à la capacité du crâne la signification qu'on leur attribuait jus-
qu'ici. On possède d'assez nombreuses pesées de cerveaux d'hommes
^ui- peuvent passer à divers titres pour distingués. Ils sont jusqu'à
présent rares, très rares parmi eux, les cerveaux d un poids inférieur
à 1300 grammes (Le poids moyeu du cerveau des Français est esti-
mé à environ 1357 grammes).
Dans la liste reproduite par M. Manouvrier, dans l'essai de coor-
dination des matériaux relatifs au rapport du poids de l'encéphale
avec l'intelligence, qu'il vient de publier, on trouve réunies plusieurs
pesées de cerveaux d'hommes connus, morts récemment. Tels sorU
le docteur CouJereau, mort à ÔO ans, avec 1378 grammes de cer-
veau : le docteur Bertillon, mort à 02 ans, avec 1398 gi'ammes ; lo
docteur lîroca, mort à 5*3 ans, avec 1485 grammes ; le g«^uéral Sko-
beleff. mort à 39 ans, avec 1457 grammes; Agas.-^iz, mort à ô<) ans,
avec 1512 :.'ramnies Touru'ueueff avait un cerveau de 2ol2 trrammes..
Ce chiffre est tout a fait extraordinaire, et on serait tente de le reirar-
der comme anormal, si l'on n'avait pas attribué à Croniwell un cer-
veau de 2231 grammes, et à Byrou un cerveau de 2238 grammes.
L'n journal allemand, la G':/:t'tte de la Croix, annom'e la pubU»M-
tion très prochaine d'un ouvrage qui sera sans d"Ute de nature i
exciter vivement l'intérêt du monde musical. Il s'agit des Mé>n<>i}\s
de Franz Liszt, qui formeront lui ensemble de six volumes, dont
quatre sont à peu près termines et dont le premier va paraître inces-
samment. Si Liszt fait connaître les relations qu'il a entretenues
depuis un demi-siècLe avec tous les grands artistes de l'Europe
entière, s'il raconte ce qu'il sait sur eux. si. avec sa haute intelli-
gence et sou immense valeur artistique, il donne son im[)ressioii
personnelle et sincère sur le génie et les œuvres de chacun d'eux, ou
peut atfirmer que rarement livre aura ete plus attachant, plus utile
et plus curieux.
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Les annonces sont reçues au bureau du journal,
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Bulow, H. (de). Réunion des Maitres chanteurs
y, Parajihrase sur le quintuor du 3*
acte
Cramer, H. Pot-pourri
« Marche . .
y< Danse des apprentis
Onhltiert!^, L. Fantaisie brillante
Jaell, A. Op. 137. Deux transcriptions brillantes (AVerbégesang
Prcislied), chaque . .
*. Op. 148. Au loyer . . ' . ■ .
Lasscn, E. Deux transcriptions de salon, n' I .
n y> ■ w n" II. . .
Leitert. Op. 26. Transcription .. . . ...
liafl'fj. Réminiscences en quatre suites, cahier I et II, à
cahier III. ' .
cahier IV.
Rupp, H. Chant de Walther
ARRANGEMENTS POUR PIANO A 4 MAINS
Ln Partition complété . .
Ouverture. Introduction par C. Tausig
Beyer, F. Revue mélodique . . . . .
Bùlou), H. (de). La réunion des Maitres chanteurs, paraphrase
Cramer, H. Pot-pourri. . .
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De Vilbac. Deux illustrations, ôhacurie , . . .- .
ARRANGEMENTS DIVERS :
0?nTrf?rre pour 2 pianos à'S mains
Gregoir et Léonard Duo pour violon et piano.
Kaslner, E. Parajthrase pour oi-gue-mélodium. .
Lux, F. Prélude du 3' acte pour orgue
0&ert/«<r, CVi. Chant de Walther pour harpe ....
SinçieUe, .7. B. Fantaisie brillante pour violon et piano .
Goiterman. Chant de Walther, pour violoncelle et piano
Wichede, F. (de). Morceaux lyi-iques pour Arioloncelle et piano
N* 1. Walther devant les Maîtres
-:• . ^,, lî' 2. Chant de AVaither .....
^'îThevmj, A. Clîant de Walilier, paraphrase pour violon avec
acconipajr, d'orchestre ou de piano. Partition
L'accumpagnemeui d'orchestre.
« de piano . . .
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1 75
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CIN9UIÈME ANNÉE. N° 14
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 5 Avril 1885.
L'ART
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PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait,
Adresser les demandes d'abonnement et. toutes les communications à .
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
?
OMMAIRE
Quelques notes sur l'instrumentation de Gluck. — Les
IMPRESSIONNISTES. Deuxième article. — Exposition des Beaux-
Arts d'Anvers. Cercle libre de l'Observatoire. — Beautés des
JURYS d'admission. — Les hydrophiles. — Exposition Delsaux.
— Notes de musique. Quatrième concert du Conservatoire. Con-
cert Heuschling. — Théâtres. — Chronique judiciaire des arts.
— Petite chronique.
QGEIQIIES NOTES SUR L'DiSIRIllEIITAIION DE liLIJGK
On va, c'est chose décidée, monter dans le courant de la
campagne prochaine, Armide à la Monnaie. Quelques observa-
lions sur l'inslrumenlation du Maître ne seront pas inutiles.
Les arrangeup, les inslrumentateurs, les éditeurs ont déformé
grotesquemenl l'œuvre superbe du chevalier Gluck, ajoutant au
solo de harpe de l'entrée d'Orphée dans les enfers des variations
pour la flûte, bourrant d'instruments de cuivre le chœur des ombres
en leur adjoignant le serpent (!!), réduisant ici à un simple qua-
tuor la niasse des instruments à cordes. Berlioz, qui dénonce avec
indignation les slupidcs manipulations de ces Lilliputietïs,
ajoute encore qu'un ciipellmeister recommandait à ses choristes
d'aboyer dans cette même scène, pour figurer imitativement les
« chiens dévorants » doqt parle le poème, mais qui ne hurlent
point dans la musique, sans doute par une bizarre inadvertance
du compositeur corrigé.
De nos jours encore, bien des gens estiment que Gluck a besoin
d'êlre modernisé. Son instrumentation semble un squelette sous
le velours et la poudre d'un marquis, — et parmi eux, ne son-
geant nullement, cela va sans dire, aux manipulations dont nous
venons de parler, des directeurs intelligents de conservatoires
réputés.
Son orchestre peut se passer de ces rajeunissements, car"
l'auteur iVOrphée et ô'Iphigénie en Tauride est le plus grand
génie de l'instrumentation.
Certes, il n'est point discutable que les modernes aient
découvert des ressources instrumentales, des sonorités et des
formules qu'il ignorait : nous entendons parler de la connais-
sance des in;istrumenls cdjumc moyens d'expression dramatique,
nous entendons parler de l'intelligence des caractères sonores,
de la psychologie instrumentale.
Avant Gluck, l'instrumentation était un ensemble aride de for-
mules immuables que l'on se transmettait imperturbablement de
musicien à musicien, un métier plutôt qu'un moyen artistique.
Chaque catégorie d'instruments avait un rôle professionnellement
déterminé dont elle ne pouvait s'écarter sans profaner les règles
sacro-saintes. Gluck aperçut dans l'orchestre un miroir sonore
des sensations multiples et comprit quelles joies, quelles fureurs,
quelles plaintes humaines et divines se cachaient dans ces instru-
ments, morceaux de bois et de mêlai inertes entre les mains
glacées de ses prédécesseurs. Entre ces avenues d'opéras taillés
comme les arbres des jardins de Lenôlre, le chevalier était le
musical symbole de la vie éternelle et harmonieuse.
Chaque instrument aura désormais son intelligence spéciale,
les flûtes, les trombones, les trompettes, les hautbois, tous les
Instruments pensifs, éclatants ou sinistres. Sinistres, les haut-
bois? En effet, cet inofFensif et pastoral chalumeau, Gluck le
change en funèbre sanglot. Dans la scène du second acte à Orphée,
c'est sa voix vipérine qui répond aux esprits, alors que les instru-
ments de cuivre sommeillent, et l'on s'étonne de cet accent morne
si miraculeusement découvert. L'on peut citer également le solo
de hautbois de l'air d'Agamcmnôn dans Iphigénie en Aulide.
« Peuvent-ils ordonner qu'un père.... » qui s'épand en suppli-
cations infinies ; et encore la célèbre ritournelle de l'air d' Iphi-
génie en Tauride « 0 malheureuse Iphigénie ! » El celle drama-
tique inspiration d'^/(7^/^ interrompant, au souvenir de ses fils
J
la phrase «Et pourrai-je vivre sans loi » pour répondre h l'appel
de rorcheslre par ce cri déchiranl : « 0 mes entants !. » El encore
celle seconde mineure dans l'air d' Armide sur ce vers « Sauvez-
moi de l'amour ». Une telle compréhension dramatique et instru-
mcnlale est sublime.
Malgré la routine ^(înéralêment admise, les piaiii des trom-
pettes produisent des effets ravissants : Gluck, l'un des premiers,
— car cet instrument avili ne fut employé par la plupart des
musiciens jusqu'à Beethoven et Webcr que pour dessiner des
formules rythmiques, vulgaires et banales — l'a compris ;
écoutez la longue tenue des deux trompettes unies pianissimo
sur la dominante dans Yandanie de l'introduction d'Iphigénie en
Tauridc.
Même emploi original des tromJDones. Gluck décrit par les
trombones et les trompettes les célestes jouissances des Champs-
Elysées dans Orphée. Cet instrument, dans le forlissimo, est
réellement formidable, surtout si les trois trombones (allô, ténor,"
basse) sont à l'unisson, ou tout au moins si deux sont à l'unis-
son, le troisième élant à l'octave des deux autres. Lisez la fou-
droyante gamme en ré mineur du chant des Furies du deuxième
acte à'Iphigénie en Tauride; lisez aussi le cri des trombones
symbolisant les esprits infernaux dans l'invocation d'^ /ce5/e ;
ti Divinités du Slyx, ministres de la morl! » Et remarquez plus
loin, lorsque les Iroinbones, divisés en trois parties, prennent le
rythme du chant, l'effet de cette division, leur rauque ironie,
leur joie affreuse sur cette phrase : « Je n'invoquerai point votre
pilié cruelle! »
Gluck a tiré un parti aussi génial de la flûte dans l'air panto-
mime en ré mineur de la scène des Champs-Elysées dans Orphée:
les sonorités effacées du fn naturel dn médium et du premiçr si
bémol au dessus des lignes expriment une si pure tristesse ! Les
sons graves de la tlûte sont peu ou mal employés ; Gluck, dans
la marche d'Alceste, a montré tout ce qu'on peut en attendrepour
les harmonies rêveusement.graves. La petite flûte, elle, siffle ora-
-ge»sement dans la masse de l'orchestre; lisez dans la tempête
d'Iphigénie en Tauride les deux petites llûtes à l'unisson, dans
une succession de sixtes, écrites à la quarte au dessus des pre-
miers violons ; les sons à l'octave supérieure produisent, par con^
séquent, des suites de onzièmes d'une grinçante âpreté. Lisez
encore, dans la même œuvre, <lans le chœur des Scythes, les
deux petites flûtes doublant à l'octave \csgrupelti des violons, au
fracas rvthmé des cvmbaleset du tambourin.
De tous les instruments, le moins bien employé par Gluck, c'est
le cor : il suffit d'un rapide examen pour se convaincre de son
])cu d'adresse. Il ftmt pourtant citer comme une trouvaille les
notes de cor imitant la conque de Caron dans l'air d'Alceste :
« Caron t'appelle », ut du médium soufflé par deux cors en ré.
Leur timbre lointainement caverneux est dû à ceci : c'est que
Gluck a imaginé de faire aboucher, l'un contre l'autre, les pavil-
lons des deux cors, de sorte que chaque instrument sert de sour-
dine à l'autre.
Citons encore, parmi tant de hautes inspirations instrumen-
tales, dans la scène infernale d'Orphée^ sur les vers :
A l'affreux hurlement
Du Cerbère écumant
EU rugissant
les contrebasses aboyant formidablement le fii haut précédé des
quatre petites notes si, ni, ré, mi, aboiement, d'autant plus ter-
rible que Gluck l'a placé sur le troisième renversement de l'ac-
cord de septième diminuée (/à, sol dièze^ si, ré) cl qu'il a doublé
à l'octave les contrebasses par toute la masse des vifdori-,.
De telles découvertes supposent une entente prnf'Mi.Je du
caractère de chaque instrument : le musicien a senti (u que tel
pu tel instrument, employé seul ou auxiliairemonl, |m n! cxpii-
pier de sensations par, les forte, les piani, les sons l.n Is'. j)ro-
longés, quelles modifications lui fait subir radjouciio;! <l instru-
ments différents; et cette entente profonde eniraînc net es^jiire-
mcnt l'accord enlre l'instrumentation et l'idée poé ii|i!( , ^lui est
la pTincipale force du drame musical.
Vous ne Irouvercz point chez Gluck la note lugubr ■ < w: pleine
joie, le molif guilleret dans une situation d'époiiviuiie (H de
désespoir; vous ne trouverez point ces vulgarités de* coupe et de
rythme, allégros redondants que couronne une grossière cjulencc,
crescendos^ l'unisson où l'orchestre double les voix et qui ;ibou-
lissent au clinquant coup de cymbales, mélodies roniaucéinenl
langoureuses, toujours accompagnées par les arpèges des harpes
et les pizzicati des cordes... Le ciel de Gluck esi imniuable-
menl bleu; sa nuit est immuablement noire; les contrastes et les
péripéties jaillissent des situations tempétueuses : jnuiais un
contre-sens, toujours obéissance intelligente aux règles d'une
rigoureuse esthétique.
L'on connaît cet exemple célèbre de psychologie musicale, ce
passage de l'air d'Oreste dans Iphigénie en Tauride :
«» Le calme rentre dans mon âme »
accentué par un dramatique accompagnement.
« Un tel trouble dans l'orchestre pour rendre la placidité de ce
calme dont parle le personnage! s'exclamaient les critiques.
— Mais quelle idée avez-vous de la situation, répondait Gluck.
Oreste, calme! n'en croyez rien. Il ne l'est ni ne saurait l'être. Il
vient de tuer sa mère. Quand il parle du calme qui rentre dans
son âme, il cherche à se tromper lui-même ; Oreste vous dit
qu'il est calme, et pendant ce temps, dans l'orchesire, les basses
et les violons vous affirment qu'il menl ! » Un autre critique repro-
chait au chevalier la monotonie du fameux air « Caron l'appelle »,
écrit sur une seule note : « Apprenez, répondit Gluck, que dans
le royaume des enfers les passions s'effacent cl que la voix y
perd-ses inflexions !»
De pareilles beautés tiennent plus peut-être à l'ordre esthé-
tique qu'à l'ordre musical : c'est discutable, mais éj)ouvantant
de psychologie, et ces discussions sur le système ne diminue-
raient point Gluck. Ce système produit parfois la monotonie,
comme dans Alceste; mais dans Orphée, Armide et les deux
Iphigénie, celte application du contraste musical, qui, s'il n'est
réclamé par le sentiment dramatique, ne produit qu'un effet
secondaire de curiosité sonore, élève l'expression instrumentale
aux plus hauts sommets de l'art.
lES IMPRESSIOIXNISTES
Deuxième article*.
EDGARD DEGAS -
Ce n'est pas sans un certain trouble que nous commençons
cette étude d'ua homme qui, par ses œuvres, par sa science et
son caractère, nous semble être le type du grand artiste mo-
* Voy. l'Art moderne du 15 mars 1885.
dcrne, nynnt peu- des qualilds de naïveté ou de primesaut d'une
époque moins avancée, mais, au contraire, créant à force de
volonlé quelque chose de nouveau, d'une analyse subtile et,
reclierclié(\ loiit en se servant de la tradition en profond érudit.
Drg;is. en ctYet, une fois en possession de son métier et après
avoir éîu*lié les maîtres jusqu'à surprendre leurs secrets, avec sa ^
rare éducation classique, non apprise k l'Ecole des Beaux-Arls
mais par do longues stations dans les musées, eut le bonheur de
comprerjfiro, l'un des premiers, que si les anciens procédés sont
nécessairos an peintre moderne, le devoir de celui-ci est de les
appliqua' d'une façon nouvelle; que la noblesse du « sujet » est
un mot vide de sens, et que la beauté et la grandeur d'une œuvre
d'art résident dans le dessin et dans la peinture mêmes.
Tandis. que beaucoup d'excellenls élèves d'Ingres ou de ses
admirateurs recommençaient, sans éclat mais avec talent, ce que
les grands Italiens avaient fait, ne soupçonnant pas qu'ils pussent
applique T leurs connaissances k exprimer quelque chose de neuf,
Degas, lui, après bien des tâtonnements, et après avoir fait une
Didoii, un Combat déjeunes Spartiates et d'autres compositions
d'école, se mil à peindre des chevaux de courses, des blanchis-
seuses, dos danseuses et des chanteuses de café-concert avec le
même recueillement que s'il eût eu devant lui une femme drapée
en Vierge ou en Martyre.
De là le caractère qu'il a imprimé à tout ce qu'il a fait. De
là l'aspect sérieux et magistral de ses moindres ébauches.
Voici d'ailleurs un fait qui prouve ce que valait cette éducation
artistique des élèves d'Ingres : parmi ceux-ci, il n'en est guère
qui, au milieu de leurs travaux platement académiques, n'aient
fait, d'après nature, un portrait remarquable ; là, en effet, les
souvenirs classiques n'entraient pour rien dans la composition
de l'œuvre : il n'y avait plus qu'une main habituée aux belles et
grandes lignes qui traduisait fidèlement un visage vivant.
Par Iheureuse direction de ses études premières, qu'il fit en
Italie, tr,ivai:lant sans relâche d'après les plus beaux modèles,
entouré dt;s chefs-d'œuvre des musées et des palais fameux,
respirant en quelque sorte une atmosphère d'art, Degas se trouva
dans des conditions exceptionnelles, dont profita largement la
nature de son esprit. De plus, mêlé au monde élégant de l'épo-
que, il put étudier les mœurs d'une société dont il faisait partie,
non pas en spectateur, mais en acteur. Ses suites de Courses,
par exemple, ont ces rares mérites réunis, que le dessin y est
impeccable et de grand style, et que tous les détails y sont
rendus comme ils pourraient l'être dans un journal spécial : les
casaques des jockeys, les bottes des gentlemen-riders sortent de
chez le bon faiseur et le harnachement est irréprochable, comme
dans certaines gravures techniques des Anglais. Mais quelle
quantité de croquis à la mine de plomb, serrés, précis, avant
d'entreprendre un tableau !
Le nombre de merveilles que renferment les cartons de l'artiste
est incroyable. S'il est permis, un jour, d'en voir sortir les milliers
d'études de chevaux, d'attelages et surtout de danseuses qii'il
crayonne pour préparer les toiles relativement peu nombreuses
qu'il exécute, sa réputation en sera encore augmentée.
Il y a plusieurs périodes bien marquées dans l'œuvre de Degas.
Les plus anciennes peintures que nous connaissions de lui sont
des têtes, des portraits d'un grand caractère, d'un dcssiin arrêté,
d'un modelé sévère. Tel le grand panneau où il a représenté
une partie de sa famille : deux jeunes filles, le père et la mère,
au coin du feu. La préoccupation de Holbcin y est manifeste :
recherche d'une pâte égale et plate, dans un contour rigoureux.
Peints à 22 ans, ces portraits demeureront remarquables, môme
alors que Degas aura trouvé toute sa personnalité. Cette exécution
lisse et méticuleuse, il la conservera longtemps, et on la retrouve
dans presque toutes ses peintures à l'huile les plus connues,
dans chacune des « suites » qu'il entreprit : un Jockey sautant
tm obstacle, un Jockey gisant inanimé à côté de son cheval, le
Foyer de la danse deda collection Faure, etc.
La seconde période est-consacrée à des sujets d'histoire, dont
nous avons déjà parlé. Certain carton où sont retracés les faits
les plus importants de lavie de Jeanne d'Arc doit dater de cette
époque. Il y a déjà là une intelligence toute particulière de ce
sujet si souvent exploité.
Enfin, Degas se remit à faire ce qu'il voyait autour de lui et il
commença cette considérable et merveilleuse série de danseuses,
d'orchestres, de loges de théâtre, de cafés-concert, de scènes
sportives, dans laquelle son talent se développa de plus en plus
jusqu'aux pastels qu'il fait depuis une dizaine d'années, et qui
sont tous des chefs-d'œuvre d'arrangement, d'inyenlion, de cou-
leur et de dessin, il est très difficile de citer les titres de
ses tableaux : d'abord ceux-ci. sont assez rares et ils ont été très
peu vus. Les plus importants qui aient passé sous nos yeux sont,
outre ceux que nous avons déjà mentionnés : une Répétition de
ballet, le Ballet de RobertAe- Diable, avec l'orchestre et quelfiues
rangs d'abonnés, lés Bureaux d'une fabrique de coton, rapporté
d'un voyage en Amérique, et qui a été acquis par le musée de
Pau, plusieurs Départs de courses, \e Terrain de Longchamps
et Varrivée des voitures, le portrait de Pagans, etc. D'ailleurs,
malgré la beauté et l'intérêt de ces toiles achevées, le talent du
maître éclate, avec son entière nouveauté, surtout dans les pas-
tels si variés et si nombreux qu'il a faits dans les théâtres, prin-
cipalement à l'Opéra. Il est vraiment et avant tout le peintre de
la Danse. Il s'adonna si complètement à l'élude de l'art choré-
graphique qu'il eut l'intention de publier un grand ouvrage qui
y fût entièrement consacré. Il a fait des centaines de dessins qui
sont de véritables portraits, d'une admirable justesse, de jambes
et de bras, d'attitudes de danseuses.
Le « mouvement » n'a jamais eu de photographe plus exact.
Mais petit à petit, suivant le développement de son esthétique,
ses petites figures perdent un peu de leur réalité pour devenir de
délicieux papillons aux colorations étranges qui jouent un rôle
charmant dans des pastels que la fantaisie envahit de plus en '
plus.
Il les sépare par pelotons de différents tons, les éloigne, les
rapproche, les regarde d'en dessous, d'au dessus, de la salle, des
coulisses, du cintre; il en orne des éventails; son rêve serait d'en
décorer les murs d'un élégant hôtel.
Après une série de ces étincelanles compositions, il prend de
la cire et s'efforce de modeler une danseuse de grandeur presque
naturelle : son essai en sculpture est un chef-d'œuvre. Il se
remet au pastel, il fait des avant-scènes, des loges, des panto-
mimes, Arlequin et Colombine, des cantatrices exécutant un air
de bravoure, la main sur la poitrine, où se révèle le côté satirique,
presque caricatural, de son talent; des modistes, dont les têtes
s'enchevêtrent avec les chapeaux placés sur leurs petits chevalets
de bois, des mouvements de femmes en conversation, penchées
sur des balcons ou renversées dans d'étranges attitudes; et tou-
jours le dessin s'élargit, les colorations deviennent plus riches et
'plus recherchées, plus « décomposées ». Les roux métalliques s'y
marient avec des verl-dc-gris, des bleus de lapis, des violets
laqueux ; certains effets sont d'un froid d'acier, certains autres
d'une chaleur de « rampe ». Partout, une harmonie exquise.
Degas a rendu le plancher de la scène, la lumière électrique,
celle du gaz, l'ombre portée des jupes de danseuses, la matité
des décors et tout ce milieu qui n'avait jamais été observé avant
lui, avec une force et une justesse surprenantes.
Et cependant, il est l'ennemi de la peinture d'après nature! Cet
artiste si exact, qui a été si fidèle dans tout ce qu'il a représenté,
a tout peint de souvenir, d'après des dessins, d'une absolue pré-
cision il est vrai.
Il est avant tout l'ennemi du « morceau » et il considère que
c'est seulement en peignant de souvenir qu'on peut arriver h
l'exécution simple qu'eurctU les maîtres primitifs. J. -F. Millet ne
procédajamais autrement.
Les théories de Degas sur la pointure sont d'ailleurs du plus
haut intérêt. Son esprit cultivé, îi la fois plein de tout ce qm a
été fait de beau et de tant de belles choses à inventer encore, e^t
le plus attachant qui soit.
Mais nous devons nous borner ici à donner une idée de ce qu'a
fait ce délicat et puissant artiste. Nous serions heureux d'avoir su
inspirer le désir de connaître son œuvre à ceux qui n'ont qu'en-
tendu prononcer son nom ; heureux aussi de n'être pas considéré
jKir les amateurs qui le connaissent et qui l'admirent comme
étant resté au dessous de la réalité.
L.
Î^XPO^ITION DE? pEAUX-^RT? D'J^NVEF^?
Cercle libre de l'Observatoire.
Prorès-verbal de la séance du comité^ tenue à la Porte Verte
le samedi 'iS mars i^Sii.
Présents : MM. Lebrun, Vanden Hi^ssche, Herbo, C. Van Leeni-
pulleu, A. Musin, Nelson, Van Landuyt, membres; Van Brée,
secrétaire.
Délégués des sociétés artisti(iues de la capitale convoqués et
présents :
MM. J. P>aes, président de la Société des Aquarellistes et Aqun-
fortistes; V. Dumortier, président de la Société centrale d'archi-
tecture; Cox el Van Mossevelde, président et secrétaire de la
Société des artistes indépendants; P. Parmontier el Zandig,
membres de la dite SociéVé ; J. Dillens, de la Société de rEssor;
F. Van LeempuUen, secrétaire de la Société des Hydrophiles;
MM. Van Camp et A. De Vriendt, membres de la Commission des
Deaux-Arts de l' Exposition universelle d'Anvers, et M. Flofiliaen.
La séance est 'ouverte à 0 heures sous la pn-sidencedeM. Lebrun.
M. le président donne communication des letli-es de MM. Cluy-
senaar, KhnnplT, Edmond Picard, M-.irkelbach el J. I)(,'Vriendt, ces
trois derniers .«"excusant de ne [)OUVoir assister à la séance i)0ur
cause de maladie.
M. Lebrun abo.'xle l'ordre du jour, expose ;i l'assemblée le but
de la réunion el rend compte de la séance du mercredi 18 mars
courant au Petit-Paris.
Il donne ensuite lecture de la requête que le Cercle libre de
i Observatoire a résolu d'adresser à M. le Commissaire général du
Gouvernement près l'Exposition universelle d'Anvers et con(;ue
dans les larmes suivants :
A Monsieur le comte A. d'OuHremout, Commissaire
général du Gouvernement près T Exposition univer-
selle d'Anvers. .
Monsieur le Commissaire général.
Le règlement de l'Exposition universelle d'Anvers a maintenu
l'institution des récompenses à décerner par le jury. L'utilité de
cette institution est depuis longtemps déjà diversement appréciée
par les artistes. Admise encore par quelques-uns, elle est au
contraire contestée par un grand nombre.
A deux reprises différentes, le 3 avril 4872 et le 10 mai 1884,
les artistes membres du Cercle artistique de Bruxelles se sont
prononcés en faveur de la suppression totale des médailles.
De cette divergence d'appréciation d'une part, et d'autre part
de l'absence au règlement d'une stipulation impliquant l'obliga-
lion pour les artistes exposants de participer îi un concours dont
"tomicoup ne reconnaissent guère l'utilité, devrait résulter la
fiiculté complète de se soumettre ou hon à celjii-ci. C'est cette
latitude que le comité du Cercle libre de V Observatoire croit
devoir demander au nom des artistes de ce Cercle. Le principe
(le la mise hors concours- a été admis par les jurys internationaux
aux expositions universelles de Vienne en 1873, d'Amsterdam en
1883elde Niceen 188-i.
Le comité du Cercle libre de V Observatoire, appuyé par l'una-
nimité des membres présents de l'assemblée générale tenue le
21 mars dernier, a l'honneur, Monsieur le Commissaire général,
de vous prier de vouloir bien élre son interprète auprès du Gou-
vernement el des membres de la Commission organisatrice de
l'Exposition universelle d'Anvers et leur soumettre le vœu qu'il
vient de formuler. ' „
Convaincu que ceux-ci n'hésiteront pas un instant à reconnaître
tout ce qu'il y a de juste et d'équitable dans sa requête, il ose
espérer qu'il sera permis \\ tout exposant de faire savoir, par une
mention spéciale au catalogue et à l'aide d'une inscription à
placer sur l'teuvrc expo.sée, qu'il désire ne pas concourir.
Veuillez agréer, Monsieur le Commissaire général, l'assurance
de sa haute considération.
' Le Comité du Cercle libre de V Observatoire :
L. Lebrux, j. De Vriendt, Ch. Brunin, L. Herbo,
Vanden Kerckhove-Nelson, A. Skriuue, A. Mu-
sin, E. Vandîïn Dussche, C. Van Leemputten,
Ch. Vanden Eycken, C. Van Landuyt.
Le secrétaire, . .
J. Van Brée.
Après lecture t'iiii(\ le [irésident, au nom du Cercle libre de
/'O^.st'/rfl/oi/'^, invite Messieui's les délégués des divers Cercles
présiHils à vouloir bien en exposer le sens et la portée aux
membres de leur Cercle, atin ([u'ils puissent, de leur côté, faire
une démarche semblable en appuyant el approuvant la requête
et d'établir ainsi, une entente, une solidarité, entre les tlilîerenls
Cercle.s.
M. Baes dit qu'il se mettra d'accord avc^ les meud)res du
C<'nlc (ju'il a l'honneur de présider, en soumettant cette question
à leur délibération.
M. lloiïiaen, |)arlanlen son nom personnel et comme simple
invité, n'ayant aucune délégation du Cercle artistique^ demande
que dans la pétition, h laquelle il adhère, on expose qu'îi Vienne
en 1873, à Amsterdam en 1883 el à Nice en 188i, les artistes
ont eu la latitude de se mettre hors concours.
r*7^
VART MODERNE
109
Le secrétaire dit que M. Ga liait s'était mis hors concours à
Vienne en. 4873 ainsi que les raembres exposinls du jury intcr-
nalional
M. Vandon- Bussclic dit que sans doute les artistes élranpjers
qui prendront part à l'exposition voudront le maintien des mé-
dailles, qu'il faut bien réfléchir k ce qu'on va faire etqu'une com-
munauté d'idées est nécessaire pour la réussite de la présente
démarche. - j
M. Dillcns demande quoi est l'obstacle qui s'oppose à ce que
les artistes se mettent hors concours.
M. Lebrun donne lecture des articles 48 et 24 du règlement
organique de l'Exposition d'Anvers qui donnent lieu à cette inter-
prétation.
Un membre de l'assemblée demande si les sisfnalaires de la
requête à adressera M. le Commissaire général du gouvernement
promettent de refuser toute récompense et par ce fait s'engagent
tous à se mettre hors concours.
M. Nelson fait observera cet honorable membre qu'il n'est
pas entré dans les vues du comité du Cercle libre de lObser-
i;a^iré d'obliger tous les signataires de la pétition à se mettre
hors concours. L'adhésion à ce principe de liberté, de pouvoir
concourir ou pas pour l'obtention d'une récompense à décerner
piir le jury, n'impose en aucune façon l'engagement de ne pas
concourir. Faculté pleine et entière doit rester aux signataires de
concourir ou de s'abstenir.
•M. le Président met la proposition de la requête aui voix. Elle
est adoptée à l'unanimité. On décide ensuite de la faire imprimer
et d'en adresser un exemplaire, ainsi qu'une notice rendant
compte des délibérations qui ont précédé son adoption, à toutes
les Sociétés artistiques de la ville et des provinces.
M. Lebrun remercie Messieurs les délégués et artistes présents
de leur concours et du .bon accueil accordé à la proposition.
La séance est levée à dix heures. ,.
Le secrétaire,
J. B.
Nous avons visité cette semaine les travaux d'installation du
Salon des Beaux- Arts à rExposition d'Anvers.
Le bâtiment, qui occupe à l'extrémité de l'avenue du Sud, à
gauche en allant vers le Palais de l'Exposition une superficie d'envi-
ron douze mille mètres carrés, est presque achevé. Il se compose
d'un péristyle, tl'un av»nt-corps réservé aux bureaux du secrétariat
et de la coriimission, au vestiaire et à la salle des assemblées iréné-
rales, d'un vaste atrium entouré de galeries où sera placée la
scul[)ture belire. et d'une cinquantaine de salles de petites dimen-
sions, éclairées par des lantorneaux dont des vélums de toile tami-
seront la lumière.
l'n reistaurant sera annexé à ce bâtiment.
La disposition des locaux paraît excellente. On n'est pas encore
tout à fait tîxé sur la répartition des salles entre les différentes na-
tions. La distribution aura sans doute à subir certains remaniements
selon le nombre des envois faits par chaque pays. Le délai ayant
ete reculé au 8 avril, on n'a encore à cet égard aucune certitufle.
Il est néanmoins évident, dès à présent, que la Belgique occupera
le plus grand espace. Toutes les premières salles vers l'avenue du
Sud, au nombre d'une douzaine, lui sont réservées. La France vien-
dra, comme importance, immédiatement après. Elle disposera de
t >utes les salles de l'amzle de irauche. à l'extrémité orientale. L'Aile-
magne sera logée dans l'angle de droite, et sera séparée de la précé-
dente par la Norwège. la Suède. l'Autriche et l'Italie, qui occupera
la rotonde et les salles adjacentes. La Hollande est placée entre
l'Allemagne et la Belgique. Elle a pour voisins l'Espagne et le Por-
tugal. Enfin, la Suisse et la Russie auront chacune une petite salle,
la première contre la France, la seconde entre l'Italie et la Hollande.
Une salle est réservée, en outre, à l'extrémité est, aux pays qui ne
se sont pas fait représenter officiellement.
On a pris contré les dangers d'incendie, des mesures spéciales
et nombreuses. L'eau ^est distribuée, sous une pression de cinq'
atmosphères, par deux gros tuyaux de 100 '^"'m- reliés au tuyau-
mère de l'avenue du Sud, dan.^ un réseau de conduits de 50 ""'m
auxquels sont adaptées vingt-deux bouches Toutes ces bouches
sont munies de tuyaux et de lances, et sont placées de telle sorte
qu'aucune des parties du bâtiment ne puisse échapper aux jets, lecas
échéant En outre, le bâtiment est complètement isole au moyen
d'une clôture. Les cloisons et voliges serrant revêtues d'asbeste, afin
de les rendre incombustibles. Il y aura, à proximité des pompiers
qui exei'ceroot une surveillance continuelle, tant à l'intérieur qu'à
l'extérieur, des perches munies de crochets pour enlever au besoin
les vélums de toile, aptes par leur nature à propager l'incendie. Un
téléphone réliera l'Exposition des Beaux-Arts à la caserne et aux
postes des pompiers, et en particulier au poste voisin du Palais de
justice, le plus rapproché de l'Exposition. Enfin, le Ministre de la
guerre a mis, dès à présent, à la dispo.^ition de la commission des
sentinelles qui gardent le bâtiment nuit et jour.
En envoyant à la Fédération artistique les documents relatifs
à l'exposition des Deaux-Aris d'Anvers qui ont paru dans nos
derniers numéros, Edmond Picard lui a écrit la lettre suivante :
Monsieur le Directeur de la Fedt^ration artUtAque.
Vous vous êtes beaucoup occupé de moi dans ces 'lerniers temps.
Trois colonnes dans votre dernier numéro ! huit dans le précédent !
autant peut-être dans le prochain ! Bref une prodigalité a v.jus faire
mettre sous conseil judiciaire.
Je vous remercie de ce rare bon vouloir.
Seulement la plupart de vos renseignements sont inexacts. Est-ce
que vous l'ignoriez ? - .
Dans le but louable de lès rectifier, je vous prie de publier sans
retard la présente lettre et ses annexes qui y réponient directe-
ment. Elles ne repré.sentent qu'une partie de l'espace vraiment royal
qui me revient grâce à une générosité de citations que je n'oublierai
jamais.
Je regrette d'empiéter ainsi sur votre remarquable prose, et sur-
tout sur les étonnants petits vers de vos fables quf doivent fort
inquiéter La F<intaine et La Chambeaudie. Mais la vérité, qui chez
vous passe toujour?1a première, m'y oblige.
M'est-il permis de vous signaler que ma réponse doit être publiée
en une fois, à la même place que vos articles (ce sera un bien grand
honneur pour elle) dans le même caractère, et sans être découpée en
tranches suivant votre procédé très ingéideux mais peu loyal.....
pardon, c'est légal que je voulais mettre. Excusez cette timi<le leçon
de juri.sprudence : quand on a, comme moi, le malheur d'habiter -les
SEREINES RÉGIONS DU Droit. il en reste toujours quelque chose.
Je me réserve d'ajouter à ce premier colis, les envois pour lesquels
vous me donneriez droit «l'asile chez vous, par de nouvelles atta-
ques .pardon encore une tbis, je veux dire compliments ; \QUi
me causeriez une amère déception en vous arrêtant dans vos libé-
ralités.
Je suis. Monsieur, avec la considération que méritent votre beau
talent et votre grand caractère.
Le plus humble de vos set-viteurs,
Edmond Picard.
4«r avril iSSo (la coïncidence n'est pas intentionnelle, veuillez en
être persuadé).
BEAITÉS DES JURYS D'ADMISSION
Le jiiry d'admission du Salon de Paris fait des siennes, ou plu-
tôt il fail ce que fonl, ont fait et fiTont tous les jurys de l'espèce.
Constantin Meinier lui envoie sa Descente des Mineurs^ un
des plus beaux tableaux de noire école contemporaine, un des
plus palbétiqucs. On se souvient de l'accueil qui lui fut fait lors
de son apparition, il y a trois ans. ^
Le jury français le refuse.
La nouvelle fait scandale. Meunier se console en pensant que
l'on a révélé récemment qu'un ancêtre du jury actuel en a refusé
à Delacroix DIX-SEPT ! d'un seul coup, sans compter les Corot,
les Rousseau, les Willel, les Courbet, les Manet, etc., etc., etc.
Mais dans le monde des arts on tempête.
Le jury s'inquiète. On regarde mieux le tableau, ou plutôt on
le regarde, car assurément on avait dû s'en abstenir. Et en effet,
on le trouve superbe, magistral, d'un art nouveau surtout, pro-
fond, émolionnant.
Mais alors pourciuoi l'avoir traité comme un goujat de tableau.
Ah!' voici. Il y a' parait-il, un autre peintre du même nom,
connu du jury français et dont il ne veut pas entendre parler. 11
a cru que c'était sa bête noire qui se présentait, et il a fait dire :
Je n'y suis pas;
Décidément les gaffes de cette belle institution ne tariront
jamais.
Passe encore quand elles sont, comme celle-ci, amusantes.
A quand la prochaine?
LES HYDROPHILES
Esl-cc malice? Au dessus d'une aquarelle de Pioch, le cartel
placé par la commission porte en lettres capitales ce mot, qui a
l'air d'un conseil : pioche.
Et de fait, l'artiste paraît avoir besoin d'efforts laborieux pour
se hausser au rang de ses collègues.
Dans cette chapelle où dévotement on sacrifie à la déesse Aqua,
il est quelques fidèles qui pourraient profiter du conseil. Ce sont
les attardés dans les formules, ou les trop fidèles servants des
rites mis en vigueur par les grands prêtres des églises rivales.
Mais clîez les autres souffle un esprit d'indépendance de bon
augure, et plusieurs d'entre eux, deux tout au moins, s'élèvent
bien au dessus du milieu modeste dans lequel ils se produisent.
D'enfants de chœur, ils passent du coup archi-diacres. Ce sont
— ceux qui ont visité le petit Salon actuellement ouvert aux
Beaux-Arts les nommeront sans hésiter, — MM. Toorop et Vogels.
Voyez la grande aquarelle intitulée At home du premier : trois
figures de femmes assises autour d'une table couverte. C'est exquis
de sentiment, de simplicité, d'harmonie de couleurs. On n'ima-
gine pas celte scène mieux vue ni mieux rendue. Les étoffes sont
légères, diaphanes, les poses sont naturelles, l'atmosphère d'un
ajjpartement est exprimée à miracle, dans sa lumière assourdie
et calme. • r— ^ '- —
Voyez les paysages du second, en particulier ses Hivers. C'est
un régal de tons distingués, une fête de colorations discrètes, une
suite d'accords harmoniques, puissants et doux, eomme une
musique lointaine et berçante.
Nous avions cité à la volée, après une visite rapide, outre ces
deux noms, ceux des frères Oyens, de Speeckaerl, de Chainaye,
de Siorm de Gravesande. Un examen attentif confirme la bonne
impression produite par les œuvres de ces artistes consciencieux.
Les dessins de Speeckaerl sont robustes, pleins de caractère. Les
deux sanguines de Chainaye unissent à la précision du contour
une délicatesse de traits qui surprend ceux qui ne voient dans la
sculpture du jeune artiste que des ébauches rudimentaires. 11 y
a dans le Portrait de jeune garçon une sûreté calme que peu
d'artistes, belges possèdent. Storm de Gravesande expose les
douze planches de son dernier album d'Esquisses en Hollande.
Nous en avons parlé dernièrement. Quant aux frères Oyens, que
le Cercle a eu la bonne pensée d'inviter, avec un Hollandais
nommé Breitner qui expose un remarquable MarêchaUferranty
ils demeurent les coloristes séduisants, les humoristes pleins de
fantaisie que l'on sait.
Ajoutons à celle liste M. Mundeleer, un artiste délicat, dont la
palette harmonieuse est malheureusement imprégnée d'une colo-
ration jaunâtre qui fail l'effet d'une sauce uniforme accommodant
tous les services d'un repas, M. Cassiers, qui réédite son exposi-
tion au Cercle dont nous avons fait un compte-rendu détaillé, et
M. Hagemans, qui élargit de plus en plus sa manière au détri-
ment, malheureusement, du coloris qu'il assourdit, M. Hermanus,
qui a réalisé des progrès : nous aurons ainsi écrémé le Salonnet
des Hydrophiles.
.Charles Goethals manque b l'appel. Il n'est pas rétabli de la
longue maladie qui, depuis l'été, le retient prisonnier. — Nos
vœux pour sa santé, comme dit le bon Kothner dans les Maîtres
Chanteurs.
EXPOSITION DEL^AUX
Une chrysalide en train de briser ses entraves. Un jeune
homme de vingt trois ans tâtonnant, cherchant, travaillant, qui
semble doué d'une foi robuste, qui s'attaque résolument à la
nature, qui ne craint pas de camper son chevalet dans la neige,
au bord d'un étang glacé, pour brosser de grandes toiles. Un
ensemble d'audaces et d'hésitations, d'inexpériences et de
réussites. Enfin, quelqu'un. Puisse-t-il trouver le poteau indica-
teur pour le mener, sans tarder davantage, dans le vrai chemin !
Peut-être y est-il déjà engagé. De quand date son Hameau de
Rykenhoom? C'est sa meilleure élude. Solide, harnionique, d'une
fraîcheur d'impression qui charme l'œil, on.se prend à l'admirer
sans réserve après avoir contemplé les nombreuses toiles où les
murs ont l'air de tentures de soie qu'un coup de vent crèverait
comme le clown un cerceau de papier. La Neige à Jasquedyck^
dans sa partie gauche surtout, est heureuse de tons. A citer
encore, non comme expression complète d'une nature mais
comme espérances d'un tempérament en formation, les Par-
queurs de moules, l'esquisse du grand tableau, décoratif curieux
comme établissement des plans et valeur des objets, puis V Hiver
au Zandberghe, lourd mais impressionnant, et le Givre {aurore).
. 11 X a trente et un tableaux exposés è la salle Sainle-Gudule.
Beaucoup d'entre eux ne valent rien, absolument. Quelques uns
vous prennent par un boulon, obstinément et vous font dire : Il
y a là des promesses sérieuses. Développé, ce talent encore
indécis et chercheur deviendra puissant.
Le peintre Hermans a ouvert celle semaine les portes de son
atelier au public. Nous parlerons dimanche prochain de celte
exposition, visible tous les jours de 10 à 4 heures au bénéfice de
l'œuvre de la Presse.
Quatrième concert du Conservatoire
Le Conservatoire a donné dimanche une audition de la Neuvième
symphonie. L'interprétation, douteuse à la répétition générale,
samedi, en particulier dans la première partie, a été infiniment
meilleure dimanche. Il y a eu, sinon la perfection, du moins
un ensemble très satisfaisant. Le Scherzo a laissé naturellement à
désirer. Le timbalier n'a pas compris le rythme du motif, que
seules les clarinettes ont exactement rendu. Vaille qui vaille, tout
a été bien. Si M. Fontaine ne se fût pas cru obligé de chanter à voix
déployée et d'un aîr furieux son récit, le final eût été fort beau : le
quatuor vocal, composé de M"»" Deschamps et Warnots, de
MM. Fontaine et Boisquin, a régulièrement marché, malgré la pointe
acidulée dont Mi'« Warnots assaisonne ses morceaux de chant. Les
chœurs, malgré d'infinies ditJicullés d'interprétation, se sont conve-
UART MODERNE
111
nablement tiré d'affaire, de telle sorte que M. Gevaert a pu se glori-
fier d'avoir, dans le catîre formé par l'ouverture de la Belle Mélusine
et trois airs assez ennuyeux (quoique bien chantés par Mf»*» Cor-
nélis et Warnots) de Hândel, rendu à la satisfaction du public, cette
neuvième symphonie que, selon l'usage lorsque surgit une œuvre qui
s'écarte des idées reçues, on qualifia de monstrueuse folié, de der-
nières lueurs d'im génie expirant {,*).
Beethoven disait d'elle : « Vienne la mort maintenant, ma tâche
est accomplie ». Nous penserons comme lui, que c'est sa plus belle
création, celle qui remue le plus profondément.
Goncer|b Heuschling.
Avec sa voix aux sonorités graves et pleines, avec sa diction nette,
avec le style ample dont il revêt, comme d'un vêtement aUl pljs
flottants, les auteurs qu'il interprête, M. Heuschling réunit un
ensemble de qualités précieuses qui le mettent au premier rang des
chanteurs de l'époque. L'an dernier, au Conservatoire, il donnait au
personnage d'Agamemnon, de Gluck, le caractère tragique du héros
épique. Il créait en musicien consommé le rôle de Hans Sachs aux
Concerts populaires. La semaine dernière, il déclamait la lente mélo-
pée par laquelle Wolfram d'Eschenbach exalte l'amour chaste et
mystique au concours de la Wartburg et, sans transition, il assou-
plissait sa voix aux modulations mièvres des douze romances de
salon qui composent le frêle poème de Gounod Biondina.
C'est, répétons-le, l'un des grands chanteurs actuels. Il en est peu
qui possèdent autant de charme uni à une méthode aussi parfaite, à
un art aussi scrupuleux et digne. Les artistes et le public lui ont
fait fête, en cette soirée où, plus que jamais, il a affirmé des mérites
que nous sommes heureux de reconnaître.
Pendant deux heures, il a enchanté l'auditoire, tantôt seul, tantôt
servant de partenaire à une cantatrice-débutante dont les moyens
vocaux trahissent malheureusement la bonne volonté et à laquelle
les dimensions d'une salle de concert sont éminemment défavorables,
M»i« Dumonceau,
Un jeune violoncelliste, M. Carlo Marchai, fraîchement sorti les
langes du Conservatoire, s'est chargé dès intermèdes de cette fête
vocale.
Yhéatre?
Théâtre de la Monnaie. — C'est évidemment un wagnéristé
malicieux qui a inspiré aux 'directeurs de la Monnaie l'idée de don-
ner^ in extremis^ une reprise de V Étoile du J^ord Rien ne pouvait
affirmer d'une façon plus écrasante la supériorité de l'art lyrique de
Wagner sur les formules, tant prisées jadis, de l'opéra romantique.
L'oreille pleine des richesses polyphoniques des Maîtres-Chanteurs,
les spectateurs ont trouvé déplorablement vide et désespérément
ennuyeuse l'œuvre de Meyerbeer ; ils ne lui ont même pas octroyé le
bénéfice des circonstances atténuantes qui auraient pu résulter d'une
interprétation irréprochable.
Il y a toujours, il est vrai, les bons antécédents. Mais les bons
antécédents ne comptent plus guère à notre époque peu respec-
tueuse des traditions. Et malgré le passé sans tache de la préve-
nue, on l'a condamnée sans miséricorde. Les tentatives isolées d'ap-
plaudissements qui ont accompagné le baisser du rideau ont été
arrêtées par des chuts passablement dédaigneux.
M. Gresse lui-même, l'excellent chanteur, a eu de la peine à rendre
supportable le rôle du Tsar. Son air fameux du troisième acte n'a
produit que l'impression de curiosité que provoque, dans les musées
d'antiquités, la vue d'un de ces étonnants uniformes que portaient
les grenadiers du premier empire. Sa scène sous la tente, au
deuxième acte, a fait passer dans la salle un froid comparable aux
courants glacés de la Berésina.
I^jnies Vaillant et Legault n'ont pas réussi à dégourdir l'auditoire,
que M. Rodier s'est gardé déchaufièr. Bref, cette rAoile du Nord
était certainement l'étoile polaire, tant elle indiquait invariablement
les régions septentrionales.
Le succès des Maitres-Chatiteurs à Bruxelles paraît chagriner
particulièrement le Ménestrel, dans lequel nous découpons, entre
autres, pour l'encadrer, cette phrase étonnante : » Certes, nous ne
nions pas la pirtssauce du génie de Wagner, mais quel triste emploi
il en fait le plus souvoit ! Et toute la solennité dont on croit devoir
entourer ces exécutions, ne frise-t-elle pas un peu le ridicule? Que
(*) H. IîltUoz. a travers, chants, p. 53.
ê .
fera-t-on donc pour Berlioz ou toute autre de nos gloires natio-
nales? M
Ailleurs, parlant d'un concert parisien quelconque, il dit : « Ce
concert a calmé quelques esprits malades et mis un peu de baume
sur quelques cœurs aigris par les cacophonies wagnériennes n.
Le rédacteur de ces prodigieux articles paraît avoir, en effet, le cœur
particulièrement tourné à l'aigre. C'est ainsi qu'il dit très sérieuse-
ment, parlant des sifflets qui ont accueilli Tannhauser k Paris en
1862 : « Depuis, nous avons entendu cette œuvre à Vienne avec
beaucoup.de calme et daltentlon. Tout en reconnaissant qu'elle con-
tient des pages superbes, nous avons pu constater que, dans son
ensemble, elle méritait le sort qui l'a frappée «
Le même journal annonce qne la majorité des dilettantes (sic)
bruxellois se prononce nettement contre les Maitres-Chanteurs et
le mayiif este chaque soir un peu bruyamment.
Vraiment, c'est à croire qu'on rêve. Nous nous ab-stenonsde com-
mentaires. Ils ne pourraient rien ajouter à ces âneries monumen-
tales. •
.Disons simplement, pour ce chroniqueur à distance dont la
la longue vue aurait besoin de quelques réparations, qu'on donne
demain la onzième représentation des Mmires-Chanteurs ; que,
jusqu'à présent, si Ion ne prend pas ses places en location il est
impossible de trouver même un strapontin au bureau; qu'après
chaque acte on rappelle avec enthouiHasme, et par deux fois les
interprètes.
Voila la vérité, puisqu'on nous oblige à la dire, comme dit le
Ménestrel.
CHRONIQUE JUDICIAIRE DES ARTS
Le Tribunal de commerce de Bruxelles a, dans son audience
d'hier, prononce la faillite de M^^e Oiga Léaut, directrice du théâtre
de TAlcazar.
Le jugement a été rendu par défaut, sur requête présentée par
un groupe d'artistes de la troupe : MM. Guffroy et Letombe,
^j[ines Bernardi, Dorsay et Lenz.
Plusieurs de ces artistes réclament un arriéré de deux mois d'ap-
pointeriîents.
On ignore si le curateur fera suspendre l'exploitation ou si les
représentations seront continuées.
?
ETITE CHROJMIQUE
Le chevalier de Knyff vient de mourir à Paris, où il résidait
depuis quelques années. Il avait conquis dans l'école belge une place
des plus honorables et, chaque année, ses envois étaient justement
remarqués aux Salons de Paris et de Bruxelles, dont il- était un
habitué fidèle.
Il nous souvient d'avoir vu en 1<S81 une exposition particulière de
ses œuvres à Pai'i.s, dans les Salons de VArt, avenue de l'Opéra. Il y
avait là, outre une vingtaine d'études dapi'ès nature peintes avec
sincérité, la Barrière noire, l'une des toiles les plus importantes de
l'artiste, et le Jardin d'Alfred St^vens, qui marquait une tendance
vers l'art jeuive. puis d'autres œuvres imprégnées de l'infiuence de
l'école roiiiantique : la Bruyère en fleurs, la Prairie à Villcrs-sur-
Mcr, et V Emb(jucliure de la Meuse (^).
L'année suivante, de Kuyff expo.sait au Salon de Paris Le Vieux
Chcnc; en IS'^îi, un gi'and paysage : Les environs de Brut/es, et l'on
se rappelle encore les deux tableaux qui figurèrent au dernier Salon
de Bruxelles : Les pi-airies de Mortefontaine et L'ile de Césambre.
A}fred de Knytï" était un artiste convaincu et honnête. Né à une
époque où la vérité dans l'art était blâmée, subissant nécessairement
la pression des idées de son temps, il aspira néanmoins à l'idéal réa-
lisé par l'école nouvelle et tâcha d'arriver à l'expression émue de la
réalité. Toutes ses toiles marquent à cet égard un grand effort, sou-
vent récompensé. Dans chacune de ses œuvres, à défaut d'impression
juste, on trouve un grand respect de l'art et une noblesse qui lui
assignèrent un rang distingué parmi les peintres de son époque.
Jan Toorop, qui avait exposé sa Panique, acquise au dernier
Salon des XX par M*'** Bocli. à une exposition d'Amsterdam, s'est
vu conférer l'une des' bourses offertes par le roi de Hollande aux
jeunes artistes hollandais les plus méritants.
^
(') Voir VArt moderne, 1884, p. 111.
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La même, arraiiR. par H. de Bulow « 3 «
Introduction du 3' a,cte. . . .■ . . . . . . « 1 *
Beyer, F. Répertoire des jeunes pianistes . . . . . « 1 75
Bouquet de Mélodies ^ 2 25
/^runner, C. Trois transcriptions, chaque . . . . . -175
Bulow, H. [de). Réunion des Maitres chanteurs 1 75
Paraphrase sur le quintuor du 3» acte . . . » 175
Cramer, H. Pot-pourri . « 2«
» Marche . . . ' »• 1.25
•X Panse des apprentis ... . . , . . - 1 75
Gobbaerts, L. Kuntaisie brillante « 2 » •
Jaell, A. Op. 137. Deux transcriptions brillantes (Werbegesang-
Preislied), chaque . . . .. . . i - 2"
Op. 148. Au foyer . . . . . . . . « 2 25
Loisen, E. Deux transcriptions de salon, n* I . . . . . •>< 2 -
" 1? n* II. . ..." 2 25
I^eitert. Op. 26. Transcription . » 135,
Raff, J. Réminiscences en quatre suites, cahier I et II, ft . . it 2 25
cahier III. ... « 2 «
cahier IV. . . . « 2 50
i?t<2);j, ff. Chant de Walther , . «175
ARRANGEMENTS POUR PIANO A 4 MAINS :
La Partition complète -35"
Of/ivj-tM/v. Introduction par C. Tausig - 3 50
liejfer, F. Revue mélodique . . . . . . . . *. 2 25
Biiloïc, H. (de). La réunion des Maitres chanteurs, paraphrase . " 2 25
Cranver, H. Pot -pourri. - 3 50
Marche . . . . . 2 25
De Vilbac. Deux illustrations, chacune - 3 75
ARRANGEMENTS DIVERS :
Ouverture pour 2 pianos à 8 mains - 6 «
Or«yoir et L<»o«arrf. Duo pour violon et piano « 4 »
Kastner, E. Paraphrase pour orgue-mélodium. . . . . <• 1 50
Lux, F. Prélude du 3* acte pour orgue . « 1 »
ObfrfA»<r, C/i. Chant de Walther pour harpe " 2 «
Singelée, J. B. Fantaisie brillante pour violon et piano . . . - 3 50
Golternian. Chant de Walther, pour violoncelle et piano . . « 1 25
Wickede, F. (de), iturceaux lyriques pour violoncelle et piano. . » 1 ^
N* 1. Walther devant les Maîtres . . . , - 2 25
N» 2. Chant de Walther - 2 »
WilhehnJ, A. Chant de Walther, paraphrase pour violon avec
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L'accompagnement d'orchestre « 5 »
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Lruxelles. — Iriip. Félix Callewaert père, rue de l'Industrie, 26.
Cinquième année. — N° 15.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 12 Avril 1885.
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PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE ORITIQDE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr \3.0()
ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser les demandes d'abonnement et toutes les communications à -
l'administration GÉNÉRALE DE l'Art Modemo, PUB de l'Industrie, 26, Bruxelles.
SOMMAIRE
Germinal. — Exposition des Beaux-Arts d'Anvers. — La
Commission des monuments. — Livres nouveaux. Isidore Pistolet,
doctrinaire de l'avenir, par Jean Fusco ; Quelques Sires, par Léon
Cladel; Les poésies de Catulle Mendès; Les niotifs typiques des
Maîtres-Chanteurs, par Camille Benoit. — Théâtres. — Corres-
poNDAN^CE. — Petite chronique.
GERMLVAl
Est-ce une mission artistique, est-ce une mission
sociale que poursuit Zola, Monsieur Zola comme
diraient la Revue des Deux-Mondes et Xlndépen-
dance belge d'après le nouveau code de critique pué-
rile et honnête qu'elles ont promulgué ?
L'embarras devient grand. Au point de vue artisti-
que, le maître a depuis longtemps fait sa trouée. De-
puis si longtemps même que l'esthétique inaugurée par
lui est près de devenir banale et que sa terminologie^
si originale au début, est de celles que déjà on hésite à
employer. Vous souvient-il du jour où pour la première
ibis il fut parlé du Document humain? Quel succès!
Quelle vogue ! Aujourd'hui il s'en faut de peu que l'ex-
pression ne prenne place dans le dictionnaire des locu-
tions agaçantes. A peine quelque éditeur, de rhétori-
que arriérée, en use-t-il encore d'une plume prudhom-
mesque, dans^sa correspondance avec les conscrits de
la littérature pour qui il se pose en donneur d'avis.
Ah ! que les théories artistiques vont vite ! Plus vite
que les beautés à la mode. Plus vite que les armes
perfectionnées. Presque aussi vite que les ministères î
Soit. En tant que révélateur, ou plutôt principal vul-
gariijateur du naturalisme, que Zola se repose. Son but
est atteint. Il en demeurera la manifestation la plus
puissante et la plus abondante, quelque chose comme
le Rubens ou le AVaa'ner de l'école nouvelle. Autour de
lui, plus exactement au dessous de lui, grouille la mul-
titude des pasticheurs qui ne manquent jamais aux
chefs triomphants et jettent à la foule sa découverte
1 monnayée en gros sous, ou plutôt en petits sous. Dans
le théâtre où des hommes pareils remplissent les pre-
miers rôles, les troisièmes galeries sont tôt encombrées
par "les demi-souffles qui, de parti-pris ou inconsciem-
ment, siiîiottent en sourdine les airs de bravoure qu'ils
ont lancés de leurs grandes voix. Victor Hugo a eu sa
queue, Baudelaire en laisse encore traîner un bon bout
d'outre-tombe qui s'étend jusque chez nous, et il en
sera ainsi in sœcula sœcidorum pour tous les robustes
esprits dont le style frappe de si profondes empreintes
que les cervelles molles ne s'en dépêtrent jamais.
Oui, que Zola se repose, et sur le procédé, la forme
et la formule, passe la main à quelque autre inventeur.
Mais voici que de la machinerie compliquée de son
système littéraire, de l'embrouillement des poulies, des
cordes, des trucs, des décors et des praticables, surgit
un spectacle imprévu qui transforme l'écrivain en polé-
miste, le romancier en pamphlétaire, et le transporte
miraculeusement' de la question d'art à la question
sociale. Est-ce Zola, est-ce Proudhon qui se dresse der-
rière Germinal? Un Proudhon qui, sur le tard, se
serait dit qu'en somme l'allure du roman n'est peut-
être pa^ mauvaise pour populariser les réformes con-'
temporaines, boxer les bourgeois en un bon pugilat
socialiste et exalter les ouvriers.
Ah! que le programme purement médical et biolo-
gique des premiers échantillons des Rougon-Macquart
est dépassé! Bien mieux, comme il est métamorphosé!
Il ne s'agit plus d'incarner en des générations succes-
sives la démonstration de la loi Darwinienne de l'hé-
rédité et de la sélection à rebours entre ivrognes
endurcis et i^évropathes incurables, maigre substance
pour deux oii trois douzaines de volumes Charpentier.
La maladie moderne, "passant de pèfe en fils, invinci-
blement, sans être complètement lâchée par l'auteur,
n'apparaît plus qu'en quelques épisodes, pour ne pas
manquer, semble- t-il, à la parole donnée dans les
fameuses préfaces-manifestes des premières publica-
tions, et dans l'impérissable diagramme généalogique
qui illustrait l'une d'elles. Ce petit fantôme pathologique,
sans cesse s'afïaiblissant, est remplacé par des appari-
tions plus formidables : la pourriture bourgeoise, la
révolte latente du prolétariat. Ce sont elles maintenant
qui remplissent la scène du vent de leurs grands gestes,
du bruit de leurs stridentes clameurs, de l'odeur de
leurs abjections. Pot-Bouille, Germinal, sont moins
des œuvres littéraires que des œuvres révolutionnaires.
Et terribles ! par les sillons que fait leur profond
labour. Après Y Assommoi7^ où il s'essaya aux descrip-
tions des misères sociales, en exhibant par le déroule-
ment d'un étrange panorama les dégringolades, crois-
santes en leur ignominie, d'un alcoolisé, ce fut dans
Pot-Bouille une peinture impitoyable et inoubliable de
la décomposition des classes moyennes. Les bourgeois
qui lurent cette satire bouffonne et meurtrière, en sor-
tirent épouvantés et dégoûtés d'eux-mêmes, à jamais
déshonorés dans Ipur propre conscience. L'effiet fut
si immédiat et si corrosif, ^'éperdus, ils se jetèrent
' sur ces compositions ineptes : Y Abbé Constantin et
Criquette, comme sur des potions rafraîchissantes, pour
calmer les brûlures vitrioliques qui les faisaient hurler.
Halévy, se faisant à propos marchand d'orviétan,
délaissa pour eux les grivoiseries dea Petites Cardinal,
renouvela les fades et fausses descriptions d'une bour-
geoisie vertueuse, rangée, sentimentale, paisible. Mais
Ka.mère et répugnante saveur du livre dévoré subsista,
et son travail rongeur et destructeur continue comme
celui d'un virus inséparable de l'organisme où une
imprudence l'a introduit.
Après ce coup de cognée formidable, Gorrainal est
venu en frapper un nouveau, de l'autre côté du tronc
à abattre. Ce n'était pas assez d'avoir^mis à nu, bru-
talement, d'une main qui arrache tous les voiles, les
purulences de la classe jouissante. Le cruel justicier
a voulu montrer les horreurs de sa domination sur la
classe travailleuse et souffrante. Six cent pages durant,
il a peiné pour le dire, le redire, le crier, le gémir. Il
n'est pas une phrase qui n'éveille la pitié, pas un épi-
sode qui n'appelle la vengeance, pas un chapitre
qui n'inspire l'horreur pour la société dans laquelle
nous baignons. C'est le drame, touff'u comme la vie de
misère. Un peuple d'infortunés s'y agite, s'y débat dans
un perpétuel martyre. Le noir et sinistre territoire des
mines de Montsou suscite dans l'imagination les plus
sombres et les plus importuns souvenirs de l'esclavage
des nègres dans les plantations brésiliennes, de l'op-
pression des Pharaons faisant construire les pyramides
par les multitudes vaincues, arrachées à leur sol.
Quel écrasant projectile lancé d'une main de géant
sur l'édifice des conventions contemporaines. Pareil
bloc, venant après les autres de même provenance, de
même poids, d'égale portée, permet de dire de ces
romans monolythes, que ce sont des zololy thés . Cha-
cun tombe, perce, ravage, fait des écroulements et des
explosions comme un obus. Sous ces chutes terrifiantes,
les décombres s'accumulent. Jamais bombardement n'a
produit plus de ruines.
Et désormais, en même temps que ces conséquences
politiques s'accentuent dans l'œuvre bizarre du réfor-
mateur, la préoccupation des niaiseries artistiques
diminue. En vain chercherait-on dans ces productions
de long labeur les colifichets, les mièvreries, les puéri-
lités, la recherche de festons et d'astragales auxquels
s'attardent encore les impuissants qui, stériles pour
l'idée, transforment l'art en une question d'équilibre où
les ingéniosités dressent leurs châteaux de cartes. Le
réel se développe en une langue que ces faiseurs de
tours trouveront monotone et lourde. Les eff'ets, tou-
jours puissants, sont obtenus par la grande et émou-
vante pensée dont la lave brûlante bout partout sous
l'écorce. Les peintures, comme dans les tableaux de
Delacroix, sont brossées en grandes teintes plates,
vigoureuses et sonores. Le pathétique domine. Con-
stamment on a le sentiment d'une épopée traduite en
prose. C'est toute la vie de dix mille bouilleurs, souf-
frant, espérant, écrasés, relevés, qui se résignent, qui
se révoltent, tantôt doux, tantôt féroces, hommes,
femmes, filles, enfants, vieillards, avec des animaux
pensifs, touchants, misérables comme eux, qui se
mêlent â leur existence si proche de la leur. Et tout
cela au milieu de paysages tragiques, la nuit, le jour, le
printemps, l'hiver, à la surface et sous terre, dans les
abîmes des bures, dans les labyrinthes des galeries de
mines.
Lugubre histoire. Certes une critique méticuleuse
trouvera à redire îi certains détails. Peut-être ces
ouvriers ne parlent-ils pas toujours en ouvriers. Quel
que soit le don de devination des grands écrivains, il ne
va pasjus(iu'à saisir les infiniment petits des mœurs
LART MODERNE
115
quotidiennes. C'est ici qu'on peut dire que la fantaisie
apparaît dans le naturalisme. Mais celte minutie d'in-
ventaire et de photographie est impossible pour les
natures impatientes que l'indomptable instinct de leur
mission condamne à une production incessante, et elle
est inutile pour atteindre l'effet attendu qui consiste
surtout à démêler dans l'âme obscure de la plèbe les
sentiments qu'elle ne peut dégager elle-même, pour
lesquels les mots lui manquent, et les idées. N'y a-t-il
pas plus de vérité, en pareille conjoncture, à paraître
inventer qu'à dire les choses exactement comme on les
voit dans leur terne et silencieux mystère?
Art transitoire, dira-t-on, destiné à tomber avec l'abus
sur lequel il se rue. Et qu'importe? Qui donc a inventé
que les productions artistiques devaient essentiellement
être durables? Que deviennent l'éloquence et le chant
dans une telle théorie? L'art est surtout fait pour l'épo-
que où il agit. Seule elle le comprend bien. Pour les
générations ultérieures il est toujours fermé par quel-
que côté et empreint du froid de^la mort. Le plus
noble est celui qui combat pour son temps. C'est le plus
désintéressé. C'est aussi le plus vivant, le plus pas-
sionné. Laissons donc aux lycéens, dressés aux clichés
de l'œuvre immortelle, ces ridicules bavardages. Et
fallut-il s'énamourer île la gloire, qu'il suffit d'avoir son
nom attaché à de grands événements, sans prétendre
que la postérité conserve à jamais en forme matérielle
ce qu'on a dit, écrit, fait, peint, ou modelé. Meure avec
moi mon œuvre, pourvu qu'elle ait servi à quelque
chose!
Constantin Meunier, ontrahié lui aussi par la séduc-
tion fantastique de ce cauchemar ouvrier qui sur les
actes les plus élémentaires de la vie journalière fait
tomber la rouge lueur des justices futures et inévita-
bles, a récemment, pour on ne sait ({uelle logette ou
pavillon destiné au compartiment houiller de l'Exposi-
tion internationale d'Anvers, brossé huit panneaux où
se dressent en pied, énigmatiques et in(]uiétants, quatre
mineurs blancs du Borinage, quatre mineurs bleus du
pays de Liège. Les directeurs de charbonnages qui ont
connnandé ces types au peintre des misères plébéiennes,
ne se doutent pas apparemment du réquisitoire que ces
muets personnages, en une pantomime funèbre, pro^'
noncent contre l'organisation du travail en nos temps
d'exploitation financière. Ce sont les illustrations sai-
sissantes de Germinal, en un défilé macabre. Le pein-
tre a compris l'écrivain : le même soutlle de compas-
sion et de colère a passé sur tous deux. Voici le père
Bonne-Mort, trois fois retiré des éboulements souter-
rains, raccommodé, contorsionné, couronné comme un
vieux cheval. A'7)iciMaheu, l'ouvrier laborieux, patient,
rongé de famille. Voici Catherine, la hiercheuse de
seize ans, pâle, épuisée, déflorée. Voici Chaval, son
brutal et paillard amant. Et Etienne, 4e Spartacus man-
qué de ces esclaves. Et la Maheude, vache féconde
engendrant sans trêve la chair à grisou, destinée comme
les autres à l'abattoir final.
Plume et pinceau ont fait leur duo en notes qui vous
contractent les entrailles. Quel chant de haine ! Quel
appel désespéré de rédemption! - •
Ah! certes cet art grandiose et violent n'est pas
pour les petits bonshommes qui sur leurs fifres ou leurs
théorbes modulent les ariettes de l'école de l'art pour
l'art. Les émincées de poulet auxquelles se bornent les
plats qu'ils servent apparaissent déplorablement maigres
à côté de ces sanglantes venaisons dont se repaissent
les forts. Confondant leur impuissance avec une réalité
pour eux inaccessible, ils nomment hérésies artistiques
ces puissants eflbrts qui sont à leurs refrains ce qu'est
le rugissement du fauve au pépiement des moineaux.
Qu'ils -continuent dans le petit coin qu'ils prennent
pour un empire, les pas de zéphirs où se délectent leurs
innocentes fantaisies- de malades. Homme malade,
animal inférieur, a dit Claude Bernard. Mais il
convient de rappeler à ces souffleurs de bulles de
savon , que si leurs amusements peuvent plaire
à ceux qui pensent que l'art n'est fait que pour dis-
traire, il en est d'autres qui tiennent un tel emploi pour
de l'onanisme littéraire et pour qui ces attitudes
lassantes de décadents ne sont (^ue la marque de cette
mauvaise habitude. Il ne faut pas que notre jeunesse,
où l'on compte plus d'un vaillant résolu aux œuvres
viriles et fécondes, et ii laquelle un prochain avenir
réserve vraisemblablement la liquidation des problè-,
mes que l'art attaque de plus en plus près pour appor-
ter à leur, solution son décisif appoint, puisse croire
que ceux-là ont raison qui, se désintéressant des orages
dont les grondements deviennent chaque jour plus
distincts, se bornent niaisement à convier leurs con-
temporains à chanter la barcarolle, en dièze comme
Banville, en bémol comme Baudelaire. Les grands
hommes forment une évolution artistique, et quiconque
les imite fait penser aux lavandières trempant une
resucée de café dans le marc de la veille. On a assez de
ces reflets. On demande autre chose que des pioupious
montant la garde sur les champs de bataille que leurs
devanciers ont foulés il y quatre ou cinq lustres. Mais
où leurs prétentions débordent toute mesure c'est quand
ils revendiquent la première place, toute la place.
Allons donc ! Passez à l'arrière-garde, pasticheurs ou
joueurs de petite flûte qui vous croyez l'avant-garde, et
bornez-vous à jouer sans péril vos airs, (Jerrière quel-
que buisson, pendant la bataille. Ils ne déplaisent pas
comme simple accompagnement, ou comme distractions
de bivouac.
Mais il y a des coups à porter pour lesquels vous
n'êtes point bâtis. ,
j
EXPOSITION DES BÉAUX-ARTS D'ANVERS
Hier a eu lieu la première séance, à Anvers, du jury
d'admission, dans le local de la rue de Vénus.
Sauf* M. Rousseau, retenu par un autre devoir, on
était au grand complet.
Le piiésident, M. Cuylits, a saisi immédiatement l'as-
semblée de la proposition des artistes bruxellois d'auto-
riser tout exposant à se mettre hors concours.
N'en déplaise aux pessimistes qui annonçaient le
maintien des vieilles idées, elle a été adoptée à l'unani-
mité, avec déclaration que la mention sera imprimée au
catalogue officiel après le nom de tout artiste qui aura
manifesté le désir de se soumettre au régime nouveau.
On a réservé la question de savoir si les membres du
jury de placement et du jury des récompenses pour-
raient prétendre à celles-ci, mais il a été dit, sans pro-
testation da personne, que l'abstention s'imposait.
Le jury a immédiatement commencé l'examen des
œuvres. Personne n'a réclamé le secret du vote et, par
conséquent il n'a pas été prononcé. Nouvel hommage .
rendu aux principes défendus récemment à Bruxelles.
Comme on le voit, ça ne va pas mal, et les trembleurs
pourraient bien être fort désappointés.
Dans les opérations, le jury a semblé n'avoir qu'un
principe, le seiil rationnel du reste : refuser toute œu-
vre mauvaise, sans distinction d'écoles, sans acception
de personnes. Comme il arrivait parfois que quelqu'un
demandait le nom de l'exposant, on a protesté immé-
diatement en disant : Pas de noms ! Pas de noms !
Quelques-uns des anciens n'étaient pas les moins
absolus dans l'application de ce nouveau et salutaire
régime.
Le jury s'est montré très sévère. Les refus ont de
beaucoup dépassé, non pas les admissions (il ne s'agit
pas encore de cela) mais les tableaux rése^^vés pour un
examen plus approfondi.
Du reste, le nombre des envois étant de 2,300, il fau-
dra refuser plus de deux tableaux sur trois, puisqu'on
n'en peut admettre que 700.
Les opérations continueront lundi à 9 1/2 heures.
En somme tout s'annonce bien, et le mouvement très
sensé, très ferme, très modéré des divers groupes
bruxelloisL aboutit. Souhaitons que ces excellents débuts
ne se démentent pas.
^-
* * ■
Voici la réponse faite à M. le comte d'Oullremonl au sujet de la
réclamation adressée par MM. Van Camp, De Vriendt et Edmond
Picard en faveur des peintres sur porcelaine.
Anvers le 2 avril 1885.
Monsieur le Comte,
La lettre de MM. Van Camp, De Vriendt et Edmond Picard,
datée du 19 mars dernier, dont vous avez bien voulu nous trans-
mettre copie par votre apostille du 2.') du même înois, a été sou-
mise h notre Gomnnssion administrative dans la séance d'iiier.
La disposition du n» \ de l'art. 10 du règlement général qui
exclut les peintures sur porcelaine ou sur faïence n'est pas nou-
velle. Elle a été empruntée au règlement de l'exposition trien-
nale d'Anvers de 1882, où elle fut introduite par résolution de
l'assemblée générale de nps membres résidants, en date du
12 décembre 1884, prise par 22 voix contre 3.
A l'appui de cette résolution on a lait valoir, d'une part, les
nombreuses dilîicullés auxquelles, lors de l'Exposition triennale
de 1879, les peintures sur porcelaine el sur faïence avaient donné
lieu par suite de l'extrême fragilité des matières employées et,
d'autre part, que si desipeinlures de ce genre peuvent incontes-
tablement constituer des œuvres d'art dans la plus baute accep-
tion de ce mot, la limite qui 1rs sépare de Tait industriel est
d'autant plus dilîicilc ù établir qu'en règle générale elles forment
plutôt la spécialité des amateurs.
Notre Commission administrative estime que le règlement
général du 15 octobre 1884, œuvre collective de l'assemblée
générale de nos membres résidants, de l'administration commu-
nale d'Anvers et du gouvernement, ne peut plus être changé.
Elle le pense d'autant moins que c'est sur la foi de ce règle-
ment général que les nations étrangères ont réglé leur partici-
pation. Il est inadmissible qu'après coup la Belgique modifie les
conditions de la lutte en en élargissant le champ à son profit
exclusif.
Quant à rendre le changement applicable, même aux nations
étrangères, non seulement le temps tait défaut à cet égard, mais
même la chose est matériellement impossible par suite du fait
que plusieurs commissions d'admission étrangères ont déjà ter-
miné leurs travaux.
Notre Commission adminisiralive croit que le gouvernement
partagera complètement cette manière de voir et qu'il suffira de
la signaler aux auteurs de la lettre en question pour qu'ils en
reconnaissent cux-même la justesse.
Quant à l'interprétation du n« 1 de l'art. 10 susdit, en tantqu'il
s'agij-a déjuger si telle ou telle œuvre présentée tombe sous le
coup de la prohibition, elle sera, d'après notre Commission
administrative, de la compétence exclusive du jury d'admission.
Recevez, etc.
Pour la Commission administrative :
Le secrétaire. Le président,
(S.) A. DoNNET. (S.) J,. Cuylits.
*-
* *-
Ou nous écrit de La Haye :
La Hollande sera bieu représentée à l'exposition des Beaux-Arts
d'Anvers. On a réuni à Amsterdam, avant de les expédier, la plupart
des tableaux composant l'envoi des artistes hollandais. On y remarque,
entré autres, une superbe toile de Willem Maris, une vache dans l'eau,
l'œuvre la plus remarquable du continfrent néerlandais, une vue
de ville et une marine de Jacques Maris; un paysage, de grand
style, de De Bock ; une nature morte de M""^ Mesdag ; divers tableaux
de Mauve, Neuhuijs, Mesdag. Breitner, un débutant dont on peut
voir à Bruxelles une aquarelle aux Hydrophiles, se fait remarquer
spécialement par une- grande composition, des hussards galopant
sur une route poudreuse. Van der Maarel expose un portrait de
jeune garçon, une tête de femme et un Marché auœ poissons. A citer
encore : Roelofs, Gabriel, Weisserabruch, Oyens, Kruseman, Ofller-
mans, ter Meulen, Vos.
I Parmi les aquafortistes, on distingue Storm de Gravesande et
Ph. Zilcken. Ce dernier expose désuétudes d'après nature, entre
autres une tête de vieux pêcheur, et des gravures d'après Vander
Meer de Deift, Jacques Maris et Alfred Stevens.
Josef Israëls et De Haas ne figurent pas parmi les exposants
d'Amsterdam. On suppose qu'ils enverront directement leurs tableaux
à Anvers.
Le Wallon donne sur les envois des sculpteurs belges les rensei-
gnements suivants :
Jef Lambeaux enverra l'étonnant Coureur qui terminera l'exécu-
tion définitive de sa fontaine en voie d'achèvement, ses Lutteurs,
le groupe bien connu, et le Baiser, de retentissante mémoire.
Thomas Vinçotte expose un grand groupe : Les Chevaux, œuvre
qui fera sensation artistique. !
Julien Dillens sera représenté par une partie de sou œuvre. Nous
reverrons La Justice, ce groupe refusé au Salon de Bruxelles de 1880
et récompensé du diplôme d'honneur à l'Exposition d'Amsterdam
ainsi que son fronton pour l'hospice d'Uccle.
Jules Lagae réexposera sa statue Abel.
Léon Mignon envoie le plâtre de son superbe Taureau.
LA COMMISSION DES MONUMENTS
Nos lecteurs connaisseht d(''jh par les journaux quotidiens
l'issue du conflit entre Paul De Vinne et" la Commission des monu-
monts : M. le minisire de rAgricullure, de l'Industrie et des Beaux-
Ans, en réponse au rapport inconvenant de la Commission, a
autorisé l'arlisle à envoyer son groupe à la fonte. C'est là un
acie de fermeté et de justice dont il faut louer M. de Mareau.
Désormais la Commission des monuments, dont les empiétements
devenaient insupportables, est réduite à son vrai rôle et il sera
permis aux sculpteurs de donner un coup d'ébauchoir sans son
estampille.
Il est intéressant d'examiner de quels éléments elle se compose.
Les lecteurs de VArL moderne ont certainement remarqué que
le rapport n'était signé d'aucun nom d'artiste.
Il porte simplement : « Le président, Wellens; le secrétaire-
adjoint, J. Pelcoq. »
M. Wellens est un ingénieur des ponts et chaussées, très fort
dans toutes les questions de coupe de pierres et de résistance des
matériaux. Il a dirigé en chef les travaux du Palais de Justice,
menant à bien cette colossale entreprise, résolvant dé difficiles
problèmes de construction. C'est un maître maçon dans la plus
sciontifique acception du mot. Il a aussi construit des chemins
de fer pour le Grand Turc.
Dans les questions d'art il possède la haute incompétence qui
distingue en général les ingénieurs.
Qu'il ail tout à dire dans la réalisation des plans d'un édifice,
rien de mieux; mais qu'il lui appartienne déjuger, de critiquer,
dé proposer le rejet ou l'acceptation d'une œuvre d'art, il faut
avouer que c'est monstrueux.
Dans les visites faites par la Commission des monuments à
l'atelier de Paul De Vigne, M. Wellens, président, était toujours
délégué par ses collègues, tandis que M. Fraikin, le seul sculpteur
de la Commission, vCz jamais vu le groupe. Est-ce par un senti-
ment de délicatesse dont la subtilité nous échappe qu'il a voulu
s'abstenir de toute critique, un des groupés devant primitive-
ment lui être confié?
M. Rousseau, directeur des Beaux-Arts et secrétaire de la
Commission, n'a point signé le rapport ; c'est là une preuve
d'habileté ou de bon goût. Le factum est signé du secrétaire-
adjoint, M. J. Pelcoq, un caricaturiste du Journal amusant dont
les lourds dessins, pas amusants du tout, trancheraient sur
l'esprit des Grévin et des Léonce F*etit.
Le premier vice-président est M.'Balat, rarchiiectc du Palais
des Beaux-Arts. M. Balat, après avoir censuré de la manière que
l'on sait l'œuvre de l'artiste, trouve sans deute exquises les
. quatre petites femmes Louis XV qui se tortillent et font des
manières au dessus des colonnes du Palais. L'une d'elles, voulant
symboliser la peinture, tient un appuio-niain, inslrumonl d'infir-
mité; les autres tiennent on ne sait ([iiol; tontes les quatres ont
l'air de s'occuper des gens qui passent et font, au dessus des
colonnes, Teftét le plus grotesque.
Eh! bien, les quatre esquisses ont, celte fois, été imposées jtar
la Commission des monuments. Les sculpteurs ont été forcés de
suivre, non seulement ses conseils, mais des modèles dont ils
ne pouvaient s'écarter. Le résultat est joli.
Le second v'ice-président est M. Chalon, numismate.
Un numismate ne peut être qu'un excellent homme,, catalo-
guant avec la même passion les médailles de Pisanello et les
profils du Roi par Léopold Wiener.
Il y a ensuite les architectes : iMM. Beyacrl, Pauli, de Curie et
Carpenlier.
M. Beyaert, qui a vu le groupe de De Vigne, préfère sans
doute la sculpture de sa fontaine De Brouckere. Nous ne sommes
pas- de son avis, mais nous lui accorderons volontiers, sans
vouloir le flatter en rien, que la sculpture et rarchilecture de la
fontaine vont ensemble admirablement et que l'une ne saurait
faire tort à l'autre.
Ni iM. Pauli, ni M. Carpentier, ni M. Fraikin, seul sculpteur
de la Commission, ni M. Porlaels, n'ont été délégués i)our voir le
groupe. M. Piot, en revanche, l'a vu et a pu en donner son
apprécition d'archiviste.
II v a enfin M. Slin^enever, dont l'atiilude dans cette affaire a.
été absolument correcte et digne d'éloges.
Paul De Vigne et Charles Van der Stappen, pensant avec raison
que pareille commande ne leur serait peut-être pas confiée deux
fois en leur vie, y ont dépensé le plus possible de leur talent. Ils
avaient en la réussite de ces groupes beaucoup plus d'intérêt que
la Commission des monuments.
- Pendant plus de quatres années ils ont travaillé aux esquisses,
faisant des quantités de maquettes, dont plusieurs, au tiers de
l'exécution définitive, demandèrent des mois de travail. L'exécu-
tion de la maquette adoptée a coûté deux ans d'un labeur inces-
sant, opiniâtre.
Et la Commission qui dort quand il s'agit de placer les petites
dames en bronze qui raccrochent les passants, ou l'un des bas-
reliefs quii*eprésente, croyons-nous, /<? Déménagement des Beaux-
Arts, à la façade du palais de M. Balat, qui ronfle quand on lui
présente la statue d'un astronome par un de ses membres, qui
adopte les yeux fermés les plans des vilains monuments en me-
nuiserie dont on a sali Bruxelles depuis quelques années, la
Commission se réveille pour dénigrer bassement une œuvre de
la plus sérieuse valeur.
Nous n'avons pas à défendre ici l'œuvre de Paul De Vigne. Elle
n'a nul besoin d'être défendue. Nous en parlerons plus longue-
ment quand elle occupera, coulée en bronze, sa place définitive.
Ce que nous défendons aujourd'hui, c'est l'école jeune toute
entière, c'est la liberté de l'artiste. Ce que nous nions, c'est le
droit à une Commission quelconque et surtout à une Commission
de la compétence de celle-là, de diriij^er en maître l'œuvre d'un
artiste, de lui imposer sa fa(;on de voiret ses volontés.
Queces3IM. lesan^liitecles dirigent leurs maçons, mais qu'une
fois renlenle établie entre le sculpteur et l'architecte sur les
dimensions, le sujet même et la forme générale du groupe, le
sculpteur soit seul niaîlre d'une œuvre que seul il signera.
JalVRE^ JSfOUVEAUX
Isidore Pistolet, doctrinaire de l'avenir, par Jkan Fusco.
— Bruxelles, Van CuoMimuGGiiK-GiiiiiSTiAENs, éditeur.
L'an, les lettres, la science, la politique, voire la finance,
ont leurs sallimhanques, et à chaque carrefour s'élève un tréteau
sur le(iu('l quehpie charlatan galonné, cas([ué, em[)anaclié, doré
sur tranche, débite son orviétan, à grand fracas de grosse caisse
Cl de cymbiles. Tout de nos jours es^l prosi)cclus-réchime, puf-
fisme, boniment, Barnum, Mcrcadet et Mangin sont -les rois du
monde. La témérité et la bonne foi reculent dans VcxW. Si le
paysan du Danube aventurait dans notre société de clinquant et
de chrysocale ses gros babils et sa rude voix loyale, il serait
condamné pour outrage public h la pudeur.
De tous les saltimbanques, dit Jean Fusco, 'équilibristes, pail-
lasses, mimes et autres sauteurs, le plus répugnant et le plus
drôle, le plus invraisemblable et le plus impudent, le plus comi-
que et le plus méprisable, est le saltimbanque politi(|ue.
Ces lignes promettent un pamphlet acerbe, cinglant et crava-
chant, et en effet, Jean Fusco s'est plu à nous montrer, dans son
Isidore Pistolet, crayonné d^unc verve emportée, une expression
complète de cette politique rampante et lufscjuine dans laquelle
le caractère national s'enlise et s'avachit de })lus en plus, politi-
que hybride, sans couleur et sans sexe, dont le doctrinaire est la
cheville et l'indépendant la chrysalide.
Pour fustiger avec cet irrespect, celte crànerie, ce diable au
corps, les opinions les plus respi^ctacles, pour bafouer et carica-
turiser avec une gaîié imi)lacable le triomphe électoral le plus
extraordinaire qui fût jamais, pour associer dans la même raclée
satirique les pontifes solennels et les grotesques fantoches, ce
Jean Fusco doit, sans contredit, être quelque affreux radical, un
suppôt de l'extrême gauche? On nous assure que non : Jean Fusco
n'est qu'une faible feunne, fille d'un homme politique défunt à
qui ((uelques pamphlets bien troussés avaient valu jadis une cer-
taine célébrité. A la fermeté du Irait, à la verdeur de l'ironie, on
ne soupçonnerait pas l'origine féminine de l'opuscule. Espérons
que Madame Jean Fusco, après nous avoir raconté l'incubation et
Féducation du doctrinaire de l'avenir, nous le montrera en pleine
possession de son être et en pleine ascension vers la puissance
et les honneurs, auxquels évidemment le destinent le vide de son
cœur, la platitude de son esprit, la souplesse de son échine et la
bêtise de ses concitoyens.
Quelques Sires, par Léox Ci.adel. — Paris, (.)l]j;ndo«ff.
Sous ce litre, Léon Cladel publie chez Paul Ollendorff seize
nouvelles fières et viriles (jui continuent bien Urbains cl Ruraux.
Un livre de Cladel est une bonne fortune pour les lecteurs
lettrés aimant l'originalité du- styie, la prose frappée et burinée,
la grande hardiesse des sujets.
Une sève puissante anime les héros et vivifie les j)aysages dans
ces nouvelles. C'est bien là le travail d'un artiste robuste et par
dessus tout, d'un indépendant.
Les poésies de Catulle Mendès. — Paris, Ollendoî^ff.
Chez Ollendortr aussi paraît une nouvelle et très coquette édi-
tion des poèmes de Catulle Mendès, augmentés de soixante-douze
pièces inédites. Quatre volumes ont paru : Contes épiques, Hes-
pe'ruSy Soirs moroses et Le Soleil de minuit. Paraîtront succes-
sivement : Pliilomela, Sérénades, Pagodes, Intermèdes.
On relira avec plaisir les j)oésies de Catulle Mendès dans l'élé-
gante édition Ollcndorff, j)ubliée à son heare puisque l'édition
antérieure' de -certains poèmes, Hcspérus \\\\v exem|)le, les Soirs
moroses et les Contes épiques, parus chez Sandoz et Fischbacher
en 1876, est entièrement épuisée.
Les motifs typiques des Maîtres Chanteurs. Etude pour
servir de guide à travers la partition, par Camillk Benoit. —
Paris, ScuoTT.
Camille Benoit, un wagnérisle convaincu, musicien compétent
autant que critique subtil; a publié chez Scholt une notice sur la
comédie musicale qui révolutionne en ce moment le théâtre en
Belgique. A l'exemple de Ilans von Wolzogen qui fit paraître, on
s'en souvient, les thèmes- caractéristiques de V Anneau du Nibe-
lung et de Parsifal accomi)agnés d'exj)lications qui en préci-
saient la portée, Camille Benoit donne, avec une analyse de
l'œuvre poétique, les motifs typiques des Maitres-Chanteurs .
La traduction d'une page de GuUhe sur la mission poétique
de Hans Sachs termine cette brochure, qui facilitera au jiublic la
compréhension de l'œuvre de AVagner.
.; yHÉATRE^
TiiKATRK i)K !.A MoNNAïK. — On a joué jeudi un o|)('-ra inédit :
L(i Visite roijalc, muisique de Haydn et Van Canipeuhoul. Le roi
Gunlher. qui assistait à la représentation avec son élat-niajor,
Siuurd, la reine Brunhilde et d'autres au<jrustes personnaji'es, a paru
enL-hanté de la représentation qu'on lui offrait. A défaut de valeur
artistique, l'œuvre nouvelle a <les mérites de inise en scène qui ont
décidé du succès. Les costumes surtout, |)Our le.sqiiels les clianiar-
rures, l'or, les brillants, les soies éblouissantes ont été prodiiiués
avec une j)rof'usion magnifique, ont fait l'objet de l'admiratiou
générale.
C'est une pièce à spectacle, une fête des yeux dont le sujet n'est
qu'un accessoire. Dans un décor très sinq)le, l'efiet de ces costumes,
parmi lesquels un grand nombre de travestis qui déguisaient les
acteurs, tous connus, au point de les rendre méconnaissables, était
des plus heureux. Sigu^d et le roi Gunlher ont ri de bon conu* de la
mine comique des figurlants, serrés dans <les habits bi*odés au cou et
sur les basques, et embarrassés d'épées à garde dorée qui s'empê-
traient dans leurs jambes et les faisaient parfois trébucher.
Les ministres accrédités par l'empereur Attila aujtrès do la cour
du roi Gunlher se sont retirés dès le [)remier acte. On disait dans
les couloirs qu'ils avaient été blessés du nombre i)rodigieux de
rubans de couleur et de petites croix eu argent, en fer-blaiic, en
émail, en nickel, dont on avait alTublé les choristes, et même les pre-
miers sujets. Ils avaient cru voir dans cet étalage, vraiment un peu
exagéré, une ironie trop irrévérencieuse, les limites qui séparent le
théâtre et les carnavaleries du domaine de lavie sérieuse devant tou-
jours être respectées.
On espère que la susceptibilitc' ombrageuse dé Leurs Excellences
sera calmée par les voies diplomatiques d'usage.
La musique du jeune Haydn et celle de feu Van Gampenhout, bril-
lamment exécutée par rorchestre, a été aj)plaudie et même acchi-
mée. Elle a partagé, avec la mise en scène, les hoiuieurs de la soirée
Dans les entractes, la chapelle particulière cle la cour de Guntlicr
a joué (les airs de circonstance écrits par lin des officiers du Palais,
nommé lleyer. On les a peu écoutés, l'intérêt du public étant exclu-
sivement concentré-sur le si)ectacle.
La représentation dont nous venons de rendre compte a jeté un
peu de trouble dans le répertoire. Voici les choses remises en état.
La douzième représentation des Maitres-Chanteurs aura lieu de-
main lundi, La treizième, mercredi.
Il est question d'inaugurer ce jour là la nouvelle distribution de
l'ouvrage. jM'"e Bosman, qui répète son rôle depuis quelque temps
déjà avec Joseph Dupont, remplacerait M"'« Caron dans le person-
nage d'Eva et M. A'erhees succéderait à M. Jourdain dans celui de
Walther.
On reprendra mardi la Trariata, un simple raccord en vue de la
représentation dans laquelle chantera, à la fin du mois, M'"e Albani,
C'est le 2 mai, un samedi, qu'aura lien la clôture de la saison
théâtrale.
Outre Théodora que M'^e Sarah Bernhardt viendra jouer dix fois
dans le courant de juin avec la troupe de la Porte Saint-Martin, on
parle i|e quelques représentations de Messalina-, qui seraient données
en juillet par la troupe de ballet de l'Eden de Paris. Mais à cet
égard rien n'est encore décidé.
Parmi les ouvrages qui seront montés cet hiver sous la nouvelle
direction, citons Cosi fan Uittc de Mozart ^i Sylrana Ae Webér.
M. Litolfl' est arrivé hier à Bruxelles avec M'"<5 Litolff. Il vient
s'entendre avec M. Verdhurt au sujet de la distribution et de la
mise en scène des Templiers.
Los engagements que fait M. Verdhurt en vue de Itf^prochaine
saison d'opéra annoncent une troupe d(| premier ordre. C'es\t ainsi
qu'il vient d attachera son entreprise, comme première duègne, une
cantatrice de grand talent et de grande réputation : M'"e Caroline
Bar])ot. — Rien que cela !
jVjine Barbot est en ce moment en représentation à Avignon, où
elle chante avec beaucoup de succès les rôles de falcon. — C'est là
que M. Verdhurt a été la trouver et qu'il l'a décidée à accepter
l'emploi de duègne à l'Opéra de Bruxelles.
C'est un coup de maître qu'a fait là notre futur imprésario.
M'"» Barbot est, en effet, une cantatrice de haute valeur, pension-
naire de l'Opéra et de l'Opéra-Gomique, qui a fait les beaux jours
des premières scènes de France et d'ailleurs.
Jeune encore, car elle ne compte guère qu'une quarantaine d'an-
nées, et encore en possession de presque tous ses moyens vocaux,
— M™" Barbot a cédé aux instances de M. Verdhurt à raison des
conditions fort belles q^ii lui sont faites. Elle est engagée pour
trois ans.
En veillant comme il le fait à ce que les emplois secondaires
soient tenus par des chanteurs de sérieuse valeur, — notre futur
directeur donne la mesure de sou souci artistique; et il y a lieu de
l'en féliciter. [Le Programme artiste).
fORRE^FONDANCE
Bruxelles, le 6 avril 1885.
Monsieur LE Directuk,
Rentré de voyage, je lis seulement aujourd'hui votre aimable
journal. Dans le compte-rendu do la séance de la Porte Verte, votre
secrétaire (*) cite toutes les observations, sauf celles de ^LM. Cox el_
Van Mossevelde. "
Lp premier a dit qu'il trouvait mal avisé de se mettre hors con-
cours et hors décorations alors qu'on était crucitié du cou jusqu'au
nombrii.
Le second a demandé s'il était convenu que les décorés et ornés de
titres en feraient paratle dans le catalogue.
Tout cela est resté sans ré[;onse, mais en principe nous sommes
de cet avis.
Je compte sur vous pour rectifier cet oubli.
Le Président des Artistes indépendants ,
-' D. Cox.
(*) Notre correspondant fait erreur. Ce n'est point un secrétaire du journal
qui a rendu compte de la réunion de la l'nrtr Vert'.'. Le document que nous
avons publié eSt le procès-verbal oftioiel de la .séance, rédigé par M. .lean
liaes, secrétaire de la Société libre do l'Observatoire. Nous insérons d'ailleurs
très volontiers la communication qu'il nous fait.
f
ETITE CHROp^iqUE
C'est le 3 mai qu'aura lieu, au théâtre de la Monnaie, le quatrième
et dernier concert populaire de la saison. Nous en avons déjà publié
le programme, exclusivement consacré, comme on sait, à l'œuvre de
Wagner. Ce concert, qui aura exceptionnellement lieu le soir, sera
l'une des plus grandes solennités musicales de l'année. On y exécu-
tera, en effet, pour la première fois en langue française, le premier
acte de la Walkare, ce qui constituera un acheininement vers la
mise en scène prochaine de l'ouvrage complet.
Tant pis pour les abonnés du théâtre, qui se donnent, paraît il,
le ridicule «e pétitionner contre Wagner. N'étant pas en nombre
pour couvrir les acclamations qui accueillent, à chaque représenta-
tion, les Maîtres Chanteurs, ils ont, assure-t-on, adressé une sup-
plique à la direction pour qu'on les débarrasse de Beckmesser, ce
miroir fidèle de leurs misères.
Quoi qu'il en soit, ils subiront Wagner jusqu'à la lie, à la grande
joie de tous les mkisiciens et des amateurs sérieux.
Mii« Deschamps interprétera au concert du 3 mai le rôle de
Sieglinde. Comme nous l'avons dit, MM. Van Dyck et Blauwaert
rempliront ceux de Siegmund et Hynding. Avec ces éléments et l'ex-
. cellent orchestre de M. Dupont, ou peut être assuré d'une exécution
brillante.
Quant à la Chevauchée, elle sera chantée par neuf artistes qui ne
sont pas encore toutes désignées mais parmi lesquelles on cite
MMJie» Jane De Vigne, Wolf, de Saint-Moulin, etc.
Le Musée de Gand vient d'acquérir, au prix de 5,000 francs, le
Conteur arabe de Th. Van Rysselberghe, exposé au dernier Salon
des XX.
Le Musée s'est réservé le droit d'échanger ce tableau, moyennant
complément du prix, jusqu'à concurrence de 8000 francs, avec la
Fatitasia, que l'artiste compte aller terminer sous peu à Tanger.
Le 3« concert de l'Ecole de musique d'Anvers, sous la direction
de Peter Benoît, a eu lieu samedi dernier au théâtre néerlandais.
Cette fête musicale était donnée en souvenir du 100^ anniversaire de
la naissance, à Mons, de Joseph-François Fétis. l'illustre fondateur
et directeur du Conservatoire royal de Bruxelles. Le programme
était composé exclusivement d'œuvres de Fétis et notamment : de la
symphonie en sol tnineur, du sextuor pour piano à quatre mains,
2 violons, alto et violoncelle, et de la grande ouverture de concert en
la mineur. Le concert, auquel assistait la fiimille du compositeur,
a été fort beau, d'après les journaux locaux.
M. Dumon. l'excellent professeur et le brillant flûtiste qu'on sait,
vient d'atteindre sa trentième année de professorat. A cette occasion,
ses élèves et ses amis organisent une manifestation qui aura lieu
aujourd'hui dimanche, à 10 1/2 heure.s du matin, dans la petite salle
des c'oncerts du Conservatoire. On remettra au jubilaire son portrait
l)eiiit par M. Ilerbo.
Nous a|)prcnons avec regret la mort de M. Charles De Wulff,
l)rolésseur de piano et compositeur, aimable garçon qui avait su
conquérir toutes les sympathies. Il souffrait depuis quelques années
déjà d'un cancer à la langue qui le faisait beaucoup souffrir.
Il paraissait être à i)eu près rétabli quand la mort est venue le sur-
prendre inopinément M. De Wultt' laisse un remarquable cours
théorique de piano en deux parties pour lequel fauteur reçut la
médaille d'or à l'Exposition de Melbourne. Voici la liste (le ses
principales compositions pour le piano : Deux études de concert
(1° Mouvement perpétuel ^'^ V Impétueuse ; Illusion, rêverie-caprice;
Orne Mazurka de salo7i (ces trois œuvres ont été publiées chez
MM. Schott frères); Grande valse; Mazurka; Les Motitagnes
bleues; A travers champs ; Galop; Les Enfants d'Yprcs; Ypriana,
marche. Il publia aussi une dizaine de mélodies pour chant.
L'artiste meurt à 53 ans à peine. Il était né à Ypres en 1832. Aux
funérailles, qui ont été célébrées lundi, assistaient un grand nombre
d'amis, de musiciens, parmi lesquels des professeurs et le directeur
du Con.servatoire, une députation de l'école de musique de Saint-
Josse-teu-Noode, etc.
A ajouter à la liste des aquarellistes mentionnés dans le compt*:'-
rendu de l'exposition des IIyd)'ophiles paru dans notre dernier
numéro, le capitaine Combaz, dont les études du bord de la mer
témoignent d'un travail consciencieux et assidu.
Les annonces sont reçues au bureau du journal,
20, rue de VTnduslrie, à Bruxelles.
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OutvrtJnv. Iiitroduftion . .
Ija même, ai iiilif^. par H. de Hulow - . . . .
Introduction A\i'i' ticie
/?cr/(?r, /(^ Répertoire des jeunes pianistes ....
" H(jU(iuet de Mélodies . . . . . . ,
lirunner, C. Ti-ois transcriptions, cha(iue ....
vp Para])hruse sur le quinluor du 3" acte .
Cramer, //. Pot pourri ,
« Marche .
« Danse des apprentis
Gnhhaert^, L. Fantaisie brillante . ' , . . . .
J((cV/, A. Op. l:n. Deux transci'iptions brillantes (Wcrbegesang-
Preislied), clia(£ue . . . ... . . .
•1 O]!, 1-lN. Au foyer ,
Lassen, E. Deux transcriptions de salon, n" I . . . . . ..
7. « 1 n° II. . . . .
Lei'tert. Op. 2tj. Transcription . . . . .
Ra/r, J. Réminiscences en quatie suites, cahier I et II, à
Cahier III.
cahier IV.
i?»p;), 7/. Chant de Walther . . . . ...
2.5
2
3
1
1
2
1
1
1
2
I
1
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2.5
75
75
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2
2
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2
1
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2 «
2-50
1 75
25
25
ARRANGEMENTS POUR PIANO A 4 MAINS
La Partition complète . '.
0(av'rl«/V'. Introduction par C. Tausig . . . . .
Bei/er, F. Revue mélodique . . ...
Biilow, H. (de). La réunion des Maîtres chanteurs, paraphrase
Cramer, H. Pot-pourri
y Marche
De Vilbac. Deux illustrations, chacune .....
35 «
3 50
25
25
50
25
ARRANGEMENTS DIVERS :
Ouverture pour 2 pianos k 8 mains
Grpf/OM- e( Z/<'OHrt)*rf. Duo pour violon et piano.
Kaatner, E. Paiaphrase pour orgue-mélodium.
Lux, F. Prélude du 3* acte pour orgue
0?>e}'f/î)O', C/t. ('hant de Walther pour harpe . . .
Singelée, J. B. Fantaisie brillante pour violon et piano .
Goltcrman. Chant de Walther, pour violoncelle et piano
Wichede, F. (de). Morceaux lyriques pour violoncelle et piano
N° I. Walther devant les Maîtres
N" 2. Chant de Walther
WiîhelmJ, A. Chant de Walther, paraphrase pour violon avec
accompag. d'orchestre ou de piano. Partition
L'accompagnement d'orchestre.
« de piano . . . .
3 7;:
0 «
4 «
1 50
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•\
Cinquième année. — N** 16
Lr numéro : 25 centimes.
DiMANCHR 19 Avril 1885.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DîMANCHB
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
A dresser les demandes d'abonnement et toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
^OMMAIRE
Edmond Haraucourt. L'àme nue. — Exposition des Beaux-
Arts d'Anvers. — Les auteurs des Templiers. L Henri Litolff\
IL Armand Silvestre. — Notre jeune littérature. — Notes
de musique. Concert Hans de Bulow ; Concert Moriani. — Théâ-
tres. — Bibliographie musicale — Petite chronique.
'ÎJdmond ]4araucourt
L'âme nue
C'est aux Hydropalhcs, groupe littéraire aujourd'hui défunt
mais qui par testament fonda « le Chat noir», que nous enten-
dîmes pour la première fois des vers d'Edmond Haraucourt. Les
Hydropalhcs se réunissaient, le soir, dans un cabaret esthétique
delà rive gauche. Là rognait Goudeau ; là gouvernail Sapeck. On
y écoutait Marrol; on y vénérait Rollinat. Entre une charge
d'atelier et une chansonnolte macabre, un crand corps, de noir
vêtu, le visage rond, les yeux petits, le crâne ras, se planta sur
la tribune improvisée cl une voix sourde et monotone, une voix
moyen-ûgeuse pleura La ballade des piicelaiges mûris. ""
« Majs qui Dieu sçaitoù sont les pucelaiges ? »
Et l'on songeait à Villon, au lemps des « escholiers », à la belle
qui fut heaulmièré, à la 1res sage Héloïs, à Buridan, à Pierre
Esbaillart de Sainct-Denis, à Bietris el enfin, bien que le sujet
de la ballade ne la concernât en rien « à la bonne Lorraine,
qu'Anglois bruslèrenl à Rouen ». Et cette poésie lointaine évo-
quée dans son rythme et son esprit, non loin de ce vieux Paris
de Notre-Dame, à l'heure oii Villon sortait voler. ..des rimes d'or
au clair de la lune, allumait d'enthousiasme toute cette jeunesse
noctambule comme lui et férue d'amour, elle aussi, pour Guille-
metle cl Jchanneton qui vivent toujours, hîs folles, mais qu'un^
I
othcicM- d'état civil trop moderne a inscrit sous le nom de Rigo-
leilect Clara. .'■■*'
Aujourd'hui, Edmond Haraucourt a publié deux livres : l'un
paru, il y a trois ans, à polit nombre d'exemplaires et où se
trouvent des pièces superbes; l'autre, L'âme ?iz^d, récemment
édité par Charpentier.
L'âme nue est l'étude de l'âme moderne dans sa vie extérieure
et intérieure. La vie extérieure comprend les Lois, les Cultes, les
Formes; la vie intérieure, vie d'enfance, vie d'adolescence, vie
d'arrière-jeunesse, comprend Y Aube, Midi., le Soir. Le livre est
d'après ce plan divisé en six parties. Celte symétrie parfaite, ce
côté méthodique de composition est intéressant à noter. Le poète
est enclin à didactiser légèrement, et cela tient à ce qui fait le fond'
de son talent, à sa nature que nous qualifierons volontiers de
classique, si l'on veut ôter à ce mot sa nuance d'école et de
système. Il aime la ligne, la solidité, la correction, l'ordonnance,
qualités essentiellement latines. Et sa poésie paraît une poésie
bien i)lus d'expression que de suggestion.
Il est de mode aujourd'hui, dos qu'un volume remarquable
naît, de faire plutôt l'analyse de l'auteur que du livre. Les cri-
tiques se servent du poème pour pénétrer l'esprit de l'écrivain,
pour mettre à nu son intelligence et faire on quelque sorte son
autopsie morale. Ils lui fabriquent des ancôtros, lui inventent
une famille, fixent son milieu, et», sous ]>rétexle d'expliquer son
œuvre, le doshabillont el très souvent l'exécutent. Ils agissent
comme le romancier vis-à-vis des personnages de son livre; leur
critique n'est souvent (ju'une fantaisie sur la manière dont une
œuvre littéraire est écrite par un Parisien de la décadence. Nous
désirerions pour notre part nous occuper moins de M. Haraucourt
que de son livre et consacrer-nos rétîexions unicjuemenl à ses vers
et à leur forme. Certes, comme tout poète contemporain, M. Ha-
raucourt a l'âme désorientée; les idées les plus profondes et les
plus traditionnelles y sont ébranl«''es et son cœur n'est ({u'une
plaine douloureuse oùsouftle l'ennui, toujours l'ennui. Mais l'ex-
pression de ce doute et de cette mélancolie lui est parliculière;
tout en sentant ce qu'éprouve chacun de nous, il a réussi à le tra-
duire avec une langue et une couleur à lui.
Sa j)lirase est nette, bien que souvent elle doive revêtir une
idée vague et pliilosophiquo; elle est coupée à angles droits; elle
est belle, riche, pleine; elle ne fait pas des sinuosités avec des
incidentes nombreuses et ne s'émiette pas en détails. Elle ne
^[^u^abonde point, elle est conduite à poing ferme, elle est bridée
et même (juand elle part des quatre fers on sent qu'elle ne court
aucun risque de prendre le mors aux dents.
Les mots sont des mots clairs, bien sonnants, admirablement
taillés. Ils s'emboîtent danslesstrophcs comme des émaux régu-
liers dans un vantail do châsse, ils forment mosaïque, ils se
groupent en arabesques prévues et peu enchevêtrées. M. Harau-
court connaît leur poésie. Il sait les fiers et les hautains qui
passent dans ses quatrains comme dos porte-drapeaux dans les
cortèges, les jeunes qui sourient avec des grâces de printemps en
fleur, les souffrants et les pâles dont le son est un râle ou un
sanglot, les douloureux qui paraissent traîner après eux comme
une marée (le mélancolie cl se déroulent ainsi que des nuages
lourds, les forts qui se carrent comme des lutteurs, les révolu-
tionnaires qui ameutent comme les tocsins.
On ne fait de belle poésie qu'en sachant les mots poétiques.
Oui, poétiques. Tous ne le sont pas, mais tous peuvent le devenir.
La poésie est une aristocratie ouverte. Il suffit que le plus misé-
rable et le plus gueux des mots soit ramassé et décrassé par une
main experte pour qu'il entre dans les vers avec un manteau de
roi. Néant aujourd'hui, un Banville, un Baudelaire, un Hugo, en
feront un diamant demain.
.Nous avons lu des pièces de M. Haràucourt admirablement
poétiques. Grâce à sa science des mots, il y exprime sans offenser
le tact poéti((ue les idées les plus techniques. Voici comme
exemple les .4 /o/»<?5: . .
Rien ji 'était. Le Néant s'étalait dans la nuit;
Nul frisson n'annonçait un monde qui commence ;
Sans forme, sans couleur, sans mouvement, sans bruil.
Les germes confondus flottaient dans l'ombre immense,
lie froid stérilisait les espaces sans 'fin ;
I/essence de la vie et la source des causes
Sommeillaient lourdement dans le chaos divin.
L'àme de Pan nageait dans la vapeur des choses.
L'originelle Mort, d'où l'univers est né,
Engourdissait dans l'œuf rinnommal)le matière.
Et, sans force, impuissant, le Verbe consterné
Pesait dans l'infini son œuvre tout entière.
Soudain, sous l'n^il de Dieu qui regardait sans but.
rYémit une lueur vague de crépuscule.
Latome vit l'atome ; il bougea : l'Amour fut,
Et du premier baiser naquit la molécule.
Or, l'Esprit .stupéfait de ces accouplements
Qui grouillaient dans l'abîme insondé du désordre,
Vit, dans la profondeur des nouveaux firmaments.
D'infimes end)ryons se chercher et se mordre.
Pleins de lenteur pénible et d'efforts caressants.
Les corps erraient, tournaient et s'accrochaient, sans nombre.
L'Amour inespéré subtilisait leurs sens;
La lumière naissait des frottements de l'ombre.
Et les astres germaient. 0 splendeurs ! 0 matins !
Chaudes affinités des êtres et des formes !
Les soleils s'envolaient sur les orbes lointains,
Entraînant par troupeaux les planètes énormes!
Des feux tourbillonnants fendaient l'immensité,
Et les sphères en rut roulaien t leurs masses rondes :
Leurs flancs, brûlés d'amour et de fécondité,
Crachaient à pleins volcans la semence des mondes.
Puis, les éléments lourds s'ordonnaient, divisés :
Les terres s'habillaient de roches et de plantes ;
L'air tiède enveloppait les globes de baisers.
Et les mers aux fîots bleus chantaient leurs hymnes lentes.
C'est alors qu'au milieu du monde épais et brut,
Deboiit, fier, et criant l'éternelle victoire.
Chef d'œuvre de l'Amour, l'être vivant parut!
— Et Dieu sentit l'horreur d'être seul dans sa gloire.
La pièce est superbe de clarté et d'expression. Elle se déroule
méihodiquement, avec une allure de narration ; elle a commen-
cement, milieu, fin; elle apparaît comme un beau monument
régulier avec portail, vaisseau et abside
Aussi bien, c'est dans la première partie de son livre, d'où
cette pièce esl tirée, que M. Haràucourt témoigne le plus forte-
ment de ce que nous avons appelé son talent classique. Plus
qu'ailleurs on y trouve le mot, la phrase, la strophe et le poème
ordonnés.
Mais ce qui nous décide à ranger M. Haràucourt parmi les esprits
classiques, bien plus encore que ses modes d'expression, c'est sa
manière de penser. Plus que personne, il pense solidement. Son
vers est nourri, bourré de pensée. Parfois celle-ci fait tort à
l'harmonie et l'hémistiche semble une cassure alors qu'il ne
devrait être qu'une ligne de démarcation. Souvent deux mêmes
mots rapprochés par des propositions différentes, qui donnent à
l'idée un tour inattendu, se heurtent et font craquer le quatrain.
Aussi est-ce grâce à celte vigueur de cerveau, à cette santé de
raisonnement que le poète a pu triompher de l'énorme difficulté
des sujets scientifiques. Il les traite avec une sûreté étonnante,
en maître.
Les vérités les plus ingrates à mettre en strophes apparaissent
claires et comme en relief. Les vers loin de leur enlever
quoique ce soit de leur axiomilé, la soulignent au contraire et ne
l'obscurcissent en rien. Et V Immuable, la Réponse de la Terre,
les Atomes comptent parmi les plus larges poésies philoso-
phiques qu'on ait rimées.
Nous avons essavé de fixer un côté du lnlent de M. Ilarau-
court; talent personnel, solide et superbe, le plus remarquable
qui se soit révélé depuis ces dernières années à Paris. M. Haràu-
court va entrer dans la période de maturité intellectuelle, d'où
sortent les œuvres définitives.^!] est de taille à entreprendre
celles qui doivent rester pour l'avenir.
EXPOSITION DES BEAUX-ARTS D'ANVERS .
Le jui^ a terminé vendredi après-midi l'examen des
tableaux envoyés, sauf la revision d'une partie des
œuvres acceptées, qui aura lieu lundi et qui amènera
sans doute quelques refus complémentaires.
Il n'en a été admis que 325 eiiviron sur 2,300 annon-
cées.
L'ART MODERNE
123
Cette sévérité, dont il n'y a pas d'exemple, provient
de ce que les artistes ont choisi leurs envois en suppo-
sant qu'il s'agissait du Salon triennal d'Anvers, tandis
que le jury les a jugés en considérant qu'il s'agit d'une
exposition internationale, en présence de nations con-
" eu rrentes redoutables.
Lors de toutes les séances le jury a été complet à une
ou deux abstentions près. C'est là un zèle exceptionnel
et très louable. ■' »■"
Toutes les décisions ont été prises à vote ouvert. Une
seule fois le vote secret a été demandé. Mais on n'y a
pas persisté en présence de l'opposition très énergique
de la plupart des membres. Voilà un précédent qui,
souhaitons-le, fera fortune.
lia été décidé queles cadres de peluche et de velours,
qui nuisent tant aux voisins, seraient proscrits. Les
exposants seront invités à les modifier. Sinon on le fera
d'office en les couvrant de papier doré.
La presque universalité des votes ont eu lieu avec
une grande indépendance. Les considérati()ns person-
nelles ont très rarement eu de l'influence. Pres(|ue tou-
jours elles ont cédé devant des observations sur la va-
leur de l'œuvre. On a continué à protester chaque fois
que l'on demandait les noms des exposants sur le sort
desquels on statuait. -
Lundi sera nommée la commission de placement. On
est presque d'accord sur les noms.
Il a été décidé qu'on ferait appel aux artistes et aux
amateurs pour complétijr autant que possible, par des
tableaux de choix, l'énorme déficit résulté des refus.
Le jury entier a émis le vœu que les abstentions cessent
et que chacun s'efïbrce de faire triompher notre art
dans la lutte périlleuse où l'Exposition internationale
va l'ensfaser.
Les locaux .sont bien aménagés. La lumière est belle.
La ventilation lai'^se à désire.
LES AUTEURS DBS TEMPLIKRS
Henri Litolff a passo uiif pailie do la semaine à Bruxelles, où
il a eu avec M. Vcrdluirl de fréquentes entrevues au sujet de la
mise au point des Templieis et de la distribution des rôles.
Dans une réunion intiniecomposée d'artistes, ileerivains, de
musiciens, il a fait entendre quelques frai^uienls de son œuvre,
. dont Armand Silvestrc, l'auteur du texte, a es(|uiss('' le sujet. L'im-
pression de cette première lecture au piauo a été exeelleiilc. Nous
publions, à cette occasion, les médaillons que Théodore de Ban-
ville a sculptés à l'etiigie des deux artistes que révélera procliai-
nemcnt l'audition des Templiers à la Monnaie.
I. Henri Litolff.
Ah! refus des direct<Mn*s, envie des rivaux, hain*^ des imbé-
ciles, travail dans les chambres froides, misère, soutlVances de
ceux qu'on aime artreuseuu'iU mêN'es à la fièvre de la création,
omportcmenls, délires, amours ell'orts >urliMm;tiiis, démons
acharnés contre le génie do Pliommc, malheurs, accidents,
ennuis ridicules, crimes du sort! Non, impuissants que vous
êtes, nous n'êtes pas non jdus parvenus à enlaidir eelui-là, et
c'«st même en vain que vous avez essayé de dénuder un vaste
front de poète, sur lequel il y avait une telle chevelure crespelée
ol farouche qpe, malgrp tout ce que vous en avez arraché, elle
est encore inextricable et profonde comme une forêt î C'est en
vain que vous avez plongé; dans les joues de Litolff vos doigts
furieux comme ceux d'un, statuaire romantique ; c'est en vain (jue
vous avez creusé cruellement de vos ongles ses yeux victorieux,
que vous en avez cerclé le dessous et que vous avez voulu rap-
procher l'un de l'autre son nez et son menton ; en dépit de vous,
il est beau! Et beau d'une beauté qui n'a rien de trop résigné;
car dans ses traits convulsés et calmes habit(% cachée en des
replis imperceptibles, la rafraîchissante et vengeresse ironie. Et
comment i\\ serait-elle pas? car lorsqu'enfiu on eut ouvert à
Litolff un petit théâtre, et (ju'il y eut fait entrer (comme le cheval
de bois dans ilios) la divine Lyre, soigneusement cachée dans
l'élui d'un chapeau chinois, il se souvient alors i\m) depuis virii^t
années, lui fermanl obstinément leurs portes, les directeurs
avaient voulu tuer en lui la virilité de ï'arL, la puissance créa-
trice: mais il borna sa vengeance contre. eux à comj)Oser un chef-
d'icuvre de musique bouffe, dont le héros l'ut la- \ictime do Ful-
bert, A bélarJ !
II. Armand Silvestre.
Le beau front, les légers sourcils très bien dessines, les beaux
yeux souriants, bruns, profonds, humides, vous raconteront le
graud poêle de la Douleur et l'Amour, sans quoi superficielle-
ment observé, tout ce plantureux visage, comme celui de Balzac,
semblerait sans plus celui d'un bon vivant, trempant sa lèvre
sensuelle dans le verre magnifiquement empourpré de Rabelais,
ou pour aller plus vite, mordant à même dans la grappe san-
glante. Le visage plein, la barbe soyeuse, abondante et. blomle,
le teint de rose fleurie, l'air bon, aimable, débordant de gaieté et
de vie, sont d'un sage qui dans le paradis eût volontiers mangé
la pomme, et aussi tout un panier de pommes, quitte à s'expli-
quer ensuite. Un petit nez toujours en quête, coquin, chercheur,
amoureux, une oreille heureuse et rougissante, une bouche gour-
mande, rouge, riease, voluptueuse sous la moustache blonde,
des joues à fossettes récitent leur profession de foi avec une
entière franchjse. Le menton qui n'a rien de trop volontaire,
affirme pourtant ([ue le poète est très suscej)lible de décision,
quand il s'agit de dompter la fuyante chimère. Les cheveux châ-
tain foncé coupés courts se portent bien; mais il ne serait pas
impossible qu'on y vit un jour se dessiner une légère tonsure,
car le dieu Désir ressemble à ces féroces cuisiniers anglais qui^
lors(|u'il s'ai^it de préparer un festin de noces, ne se font aucun
scrupule de plumer des cygnes !
KOTRB JëU\E LITTÉRATIIIE
Toute notre litlc-ralure nationale n'est-elle pas arrivée à
celte étape de <rm d(''veloppement où il convieiit, pour la
forcer h un nouveau et dé-cisif progrès, de se montrer rigoureux
sur toutes choses? Le mouvement commencé il y a vingt-cinq
ans, au moins, par deséciivains qui luttaient alors dans l'obscu-
rité et la solitude, abouiit présentement à un épanouissement
lîiagnilique. Les troues isolés et tourmentés d'autrefois ont par-
tout tracé leurs drageons et la plaine enlièie se couvre de pousses
nouvelles. Il ne s'agit plus de savoir s'il y aura récolle, mais si
la récolle sera belle. Il y a désormais plus de planls k arracher
ou à émonder qu'à faire germer. C'esl pourquoi il faul se mon-
trer sévère et commencer à réclamer ces raffincmenls qui sont le
propre des œuvres vraiment belles.
Nous le rappelions récemment ailleurs, en citant Brunelière :
c'est vraiment en poésie que la forme est inséparable du fond,
ou, pour mieux dire, que l'insuffisance ou la banalité de la forme
risque de précipiter l'œuvre entière dans l'oubli. Quoi de plus
naturel? Si l'on écrit en vers, n'est-ce pas pour ajouter à la vériié
du fond ce que la magie de l'art peut donner de prestige, de
séduction, de splendeur? El quelle raison aurait-on de mesurer,
de cadencer, de moduler la pensée, s'il n'y avait dans la modula-
tion, dans la cadencé, dans la mesure une vertu propre et très
puissante, analogue à celle de la ligne en sculpture et de la cou-
leur en peinture! Les vers n'expriment rien au fond qui ne se
puisse dire en prose; leur supériorité consiste donc à peu près
uniquement en la forme. C'est ce qui explique pourquoi d'une
langue dans l'autre les poètes sont intraduisibles, comment il
n'est pas envers eux de pire trahison que de les mettre en prose,
et qu'aucun éloge ne leur agrée plus que de s'entendre dire qu'ils
connaissent tous les secrets de leur art. C'est aussi l'explication
du succès passager qui n'a jamais manqué môme à des formes
vidos, pourvu qii'ellos fussent,,neuves, originales ou savantes. En
aucun temps un mauvais rimeur n'a pu passer pour un grand
poêle. Ce n'est pas la même rhétorique qui gouverne l'art pédes-
tre d'écrire en prose el l'art ailé de chauler en vers. L'inspiration
a rarement suBi à soutenir les œuvres, el le talent naturel sans
une certaine discipline, de plus en plus rigoureuse, risque de
n'aniener que des succès fragiles. Un cri du cœur fait honneur à
la sensibilité de celui qui le laisse échapper, mais nous avons
tous poussé des cris du cœur et nous n'en sommes pas plus
écrivains pour cela. L'expression de ce cri, c'est-à-dire l'ensemble
des moyens et la succesion des artifices qui, des profondeurs
obscures de la sensibilité, l'amènent à la pleine conscience de
"lui-même et le fixent dans une forme durable, voilà l'art; voilà
aussi le métier. Qu'est-ce que l'impropriété des termes ajouterait
d'éloquence à ce cri? On voit, au contraire, très bien le surcroît
de valeur qu'il reçoit de la précision du langage et de la con-
trainte du rythme. Il y a un devoir rigoureux qui incombe à
l'artiste de s'approprier tout ce' qu'une science certaine met au
service de son sujet. Il s'agit d'une nouvelle probité. Bien loin
donc que la préoccupation du métier puisse jamais gêner la
liberté de l'artiste, c'est le seul moyen qu'il ait d'arriver à
r,expression entière de sa pensée. Par cela seul que l'on s'impose
l'obligation d'éprouver de plus près la qualité des syllabes et
d'être plus difficile sur le choix des mots, on se rend plus
exigeant sur l'exactitude el la vérité des choses.
Mais nous devons dire que présentement la plupart de nos
jeunes écrivains chantent uniquement pour chanter, et fort
agréablement. Jolies voix, timbres variés, méthodes parfaites.
Vocalises, trilles, notes pointées, tout carillonne à merveille.
Quelles paroles vont-ils mettre là-dedans? C'est la question
qu'on commence à se poser un peu partout. Car, à la longue,
tant de virtuosité lasse. El si ces troubadours, se campant eu' des
poses de défi, proclament avec insolence (ils adorent ce mot-là)
leur droit à la fantaisie, il se pourrait que le public qui, sans
aller jusqu'à l'insolence, devient à certains jours cruellement
dédaigneux, s'avisât de ne plus s'occuper d'eux. Il en est du style
comme du violon. iNous ne sommes plus au temps où rhabilèté
suffisait à tout. Nos Paganini litténires risquent de voir le public
déserter leurs concerts.
Quelques-uns déjà l'ont compris el, malgré les objurgations
des fanatiques de la bande, lâchent le programme sacro-saint el
commencent à nourrir leurs œuvres d'autre chose que des sucre-
ries de la fantaisie pure. Ils y viendront tous, espérons-le. Devant
les sacrifices qu'exige, pour se livrer, la gloire dont ils sont très
friands, leur mépris déjeunes dieux ne tiendra pas. Il n'y aura
bientôt plus qu'a trouver une explication décente pour jusiifier
la conversion et sauver l'amour-propre si fortcmeul engagé par
les déclarations pompeusement el sacerdoialement débitées en
maintes circonstances.
Ce mouvement qui faiblit n'était, du reste, qu'une répétition
; sur le sol belge, vingt ans après, comme dans les Mousquetaires ^
d'un remous littéraire actuellement bien apaisé en France. Impor-
tation, accompagnée de fanfares et de cymbales, de gambades et
d'entrechats, du Dogme de la Forme. Grande et triomphante
bousculade des vulgarités qui caractérisaient chez nous un art
dans lequel pullulaient les écri;Vassiers el luttaient quelques rares
écrivains. Réconfortant et joyeux épanouissement d'une littéra-
ture adroite, légère, fantaisiste, mirifiquement attifée, mais assez
vide du côté delà cervelle. Furies, pétarades, allégresse pour les
jeunes, consternation pour les vieux. En somme, vigoureuse
avancée artistique.
Mais après? Car nous n'allons pas, n'est-il pas vrai, en rester
là et nous contenter de ces premières et louables victoires, leste-
ment et galamment remportées par ceux qu'on a comparés, aux
premiers jours de leurs exploits, aux généraux imberbes de la
République, battant el chassant les culottes de peau des armées
routinières?
Oui, après? Que faire?
Eh, ma foi! ils le trouveront bien tout seuls, par un acte de
claire volonté, ou par instinct, inconsciemment.
Car les évolutions littéraires, comme toutes les transformations
naturelles, se déroulent invinciblement. Vieille géante, muette et
aveugle, assise imperturbable au carrefour des temps, la fatalité
tourne la manivelle. C'est sur la toile qu'elle fait lentement mou-
voir que dansent nos jeunes héros, et elle les achemine, sans
qu'ils s'en doutent, vers leurs destinées, comme toutes les
marionnettes humaines. Ce ne sont pas nos homélies qui déter-
minent le voyage qu'ils font bon gré mal gré.
Mais pour aider à ces métamorphoses on peut dire à nos lillé-
rateurs :
Rentrez en vous-mêmes, concentrez-vous. Ne pensez désor-
mais qu'à votre paysi cherchez-y toutes vos émotions, toutes vos
inspirations. A cette seule condition, vous serez sincères. Tout
en vous est équilibré pour le comprendre el l'exprimer. C'est
l'effet de l'hérédité dans les générations sans nombre dont vous
descendez et qui ont charrié jusqu'à vous les équations de plus
en plus exactes entre vos individualités et votre milieu natal. Or,
l'art veut cette pénétration profonde; il a horreur du superficiel.
N'essayez pas de vous nourrir d'un autre suc que le suc mater-
nel. Ce n'est que lui qui, par votre plume, saura rendre les
nuances dont dépend la vérité et sans laquelle elle n'est jamais
louchante. Vous êtes nés Belges, pensez en Belges." Avec les qua-
lités prenez-en même les défauts. Mieux vaut cela que d'essayer
de jouer des rôles pour lesquels vous n'êtes pas conformés. L'ac-
cord entre l'œuvre d'un homme et les tendances de sa race est la
plus haute el la plus noble condition de sa valeur.
Voilà une première condition pour continuer le développement
de notre art nouveau.
Une autre, c'est que nos jeunes s'instruisent davantage d'autre
chose que de l'érudition littéraire. Car leur ignorance sur tout
les autres sujets est imposante. Certes, nous sommes de ceux qui
croient qu'une éducation qui a pour base les belles-lettres est en
somme une des meilleures et donne une supériorité qui toute la
vie accompagne comme la sérénité d'une robuste constitution
physique. Mais cela ne suffit pas. Il y a vingt-cinq ans, l'ardeur
de la jeunesse à étudier l'histoire, la philosophie, les sciences
sociologiques était merveilleuse. Actuellement cela est dissipé :
il semble qu'il n'en reste que peu d'éléments dans l'atmosphère.
Nos jeunes écrivains se nourrissent presque exclusivement de
littérature. Ils font peu de cas du reste. Ils n'ont que des sar-
casmes pour les intérêts qui sortent du petit cercle artistique où
se gaudit leur virtuosité. Ici également ils ne fonl que répéter
une consigne venue de France. Charles Longuet rappelait récem-
ment, à l'occasion de la mort de Jules Vallès, que Zola, dans un
article loyal et courageux, où il exprimait son admiration pour
les romans de ce mort regrette et si violemment alta(iué, lui re-
prochait d*élre allé perdre ses dons littéraires aux ingrates beso-
gnes et aux basses œuvres de la politique. « Etrange critique,
répliquait-il, qui caractérise pourtant une société en décadence,
ou plutôt un interrègne entre Tancien monde et le nouveau !
Certes, s'il esldes cœurs que la politique courante doit soulever,
on les rencontrera parmi les hommes qui en touchent de près les
misères ou les hontes. Mais est-ce donc là toute la vie sociale?
Pour l'esprit qui n'en fait pas métier, n'y a-l-il donc pas un au-
delà plus réconfortant, plus réchauffant mille fois que les plus
hautes aspirations de la littérature, de l'art et de la science même?
Et depuis quand les héros, les hommes d'action, ne sont-ils plus
ceux qui, mourant jeunes ou vieux, ont le mieux épuisé la coupe
de la vie ? L'histoire de tous les siècles, l'humanité tout entière
proteste contre ce blasphème des littérateurs, aux époques déca-
dentes oii la poésie à divorcé d'avec V action au point de rie plus
même la comprendre. L'auteur de Jacques Viiit gras, lui, eût
donné tout son bagage littéraire pour revivre encore la minute
passagère où, dans l'orage des événements historiques qui un
jour lui donnèrent la puissance, il avait cru laisir et tenir en sa
main l'ombre fuyante de la société et de l'humaniié qu'il conce-
vait, le rêve de sa jeunesse et de sa maturité. Il avait raison. »
Non pas que nous songions à renouveler ici la grande contro-
verse entre l'art dit social et l'art fafitaisiste. Il suffit qu'il soit
connu qu'une fraction de la jeune école reprend avec un opi-
niâtre exclusivisme la théorie de Vart pour l'art, qu'elle pro-
clame hardiment que la forme suffit à tout, et qu'une autre, au
contraire, pense que dans la hiérarchie artistique, si les œuvres
de pure virtuosité et de pure charme ont une place que nul
homnie de goût ne leur dénie, le premier rang revient à celles
qui, aux séductions d'une forme correcte, ingénieuse, sans cesse
renouvelée, joignent l'élévation du sujet et la puissance de son
humanité.
Lorsque nous parlons d'études complémentaires, il s'agit de
toutes celles où la pensée, cette vraie force littéraire, s'alimente.
L'imagination ne donne pas tout. La lecture des journaux et des
nouveaux livres de style ne donne pas tout. Or, à cela semblent
être bornées les sources où va s'alimenter la majorité de nos
artistes de plume.
L'élude qui précède est un extrait inédit du rapport fait sur le
concours de poésie de V Union littéraire par MiM. Frenay,
Sioumon et Edmond Picard.
Lecteur qui l'avez parcouru, que pensez-vous qu'il soit arrivé?
Les jouvenceaux qui président aux soins de vaisselle de la
revue la Jeune Belgique ont décidé, après plusieurs congrès
pleins de clameurs, qu'il constituait un outrage public à la
pudeur de leur publication mensuelle!!!
Ils ont en conséquence déclaré l'auteur coupable ^et lui ont
appliqué là peine unique de leur code pénal, à savoir : l'érein-
toment.
Greta Friedman qui s'est laissé enlever par Pierrot Lunaire,
a été, dit-on. chargée avec lui de l'exécution. L'heureux couple,
émule d'Indiana et Ouirlemagne. y a été de mains molles; eifei
de la lune de miel, sans doule. Voici le résultat de ses amours.
Pour des Banvillards Baudelairisanl le petit produit paraîtra
Pâle des pâleurs de la pâle chlorose.
« M. Edmond Picard vient d'attaquer là Jeune Belgique dans un
rapport qu'il a lu en séance publique de ï Union littéraire.
« M. Edmond Picard, qui était des nôtres, qui en était même si
bien qu'il eût pris volontiers la direction de notre mouvement, vient
de se rendre à l'ennemi. M. Potvin lui a prêté sa tribune et lui prê-
tera bientôt sans doute sa revue. M. Picard, dont nous supportions
parfaitement les critiques, se serait-il fâché de ce que nous n'adop-
tons pas ses nombreuses idées? C'est le premier d'entre nous qui
passe à la réaction. La place de M. Hymans l'attend. à l'Académie. ••
Polvin ! Hvmans ! En ont-ils abusé, ces novateurs !
Si cette histoire vous embête,
Nous allons la recommencer. <►
Que dire de cette incidente, majestueusement comique chez
les virtuoses de la susceptibilité : « M. Picard dont nous
supportions parfaitement les critiques »? Ils oublient, ces pro-
diges d'inconséquence, que dans la même phrase ils qualifient
passera l'ennemi \e seul fait d'attaquer leur Jeune Belgique de
la façon qu'on a lue plus haut !
Comme dans Guillaume Tell :
La douche sur leur front ne s'est pas fait attendre.
Le condamné a envoyé au Marmois-virat la volée suivante,
quoique pour abattre des moineaux il ne faille vraiment pas des
chevrotines.
A LA DmECTioN DE LA Jeune Belgique,
Qu'est-ce que vous racontezl que j'aurais pris volontiers la direc-
tion de votre mouvement ? Allons donc !
Si j'ai dès le début approuvé sa tendance à améliorer la fonne
littéraire en Belgique, j'ai aussi dès le début attaqué vertement la
stérilité de vos idées. C'est moi qui ai écrit, il y a beau temps, que
votre ignorance était imposante.
Vous vous apercevez un peu tard de ce désaccord, et s'il suffit
pour qu'on ne soit plus des vôtres, je ne l'ai jamais été.
Quanta vous diriger, grand nierci! Je ne suis pas de ceux qui
vendent leur liberté pour un plat de lentilles accommodé par des
étourdis. Il faut vous louanger-, n'est-ce pas, pour vous plaire? Cela
n'entre pas dans ma manière. Si vous en avez perdu la mémoire,
tàtez- vous aux endroits que j'ai visés.
Si parmi les jeunes il en est que je tiens pour de virils compères,
il en est d'auta^ sur l'incurable impuissance de qui je suis fixé.
Quant é. passer à la réaction, comme vous osez l'écrire, est-ce que
vous V008 prenez pour l'action par Iiasard et il faudra que votre pré-
tendue intransigeance dévide un bon bout de fil pour être aussi
longue que la mienne, et surtout qu'elle se tienne ferme sur son petit
cheval pour ne pas vider les arçons en faisant le trajet que j'ai par-
couru sans broncher loin du chemin des académies où vous me con-
viez à reuplacer M.^ Hymans.
Nous reparlerons décela dans vingt ans avec Son Eminence Votre
Intégrité et nous verrons alors si elle a encore son pucelage.
Je serais fâché parce que vous n'auriez pas accepté mes idées.
Mais non, mais non. J'écriâ pour ma distraction personnelle et non
pour vous passer des clystères littéraires.
Quels sont ceux qui, dans votre club, prennent sur eux la note en
question? Cela m'intéresse beaucoup; nommez les donc en toutes
lettres; j'aime à savoir qui je tiens au bout de ma plume.
Au revoir, ma jeune amie.
Edmond Picard.
12 avril 1885.
J^OTE^ DE MUSIQUE
Concert Hans de Bûlow.
Le Cercle artistique et littéraire^ continuant sa série déjà consi-
dérable de concerts hivernaux, nous a présenté Hans de Bùlow, le
pianiste, qualifié aussi « docteur *>.
Le docteur a^cousacré sa vie à essayer une guérison prodigieuse :
guérir le public de son goût pour la mauvaise musique. Pas plus que
tant -d'autres il n'a réussi, et il est certain que pas un de ces docteurs
artistiques ne peut espérer de radicales guérisons, quel que soit le
nombre d'attestations qu'il prodigue dans ses annonces. Car le doc-
teur Hans de Biilow, très sincère dans ses ardentes convictions,
semble passer aux yeux de ses patients comme légèrement affublé de
charlatanisme. Ses articles et discours de combat pour le drame
wagnérien, sa propagande personnelle en faveur du maître insulté
jadis, que l'on ne veut pas encore respecter aujourd'hui, ô honte!
ses algarades nombreuses avec les personnages qu'il appelle si cruel-
lement des « directeurs de cirque «♦, toute cette endiablée efferves-
cence a fait tache à sa réputation de musicien correct.
Et pourtant, à voir la physionomie froidement cérémonieuse du
pianiste, à voir ses gestes presque guindés d'officiel capellmeister
l'on s'étonne et 1,'on croit à une di.s8iruulatiou. Mais bien vite elle est
démentie par la franchise du regard et la simplicité de l'exécution.
Hans de B'iilow ne fut d'abord que musicien amateur; c'est sur
les avis dé Liszt, de Wagner et de Schumann qu'-H se décida à
« prendre le voile »■. Liszt surtout s'occupa de son éducation, lui
consacrant doux années de conseils pour ses études de piano ; Wag-
ner le fit nommer chef d'orchestre à Ziirich ei lui donna des instruc-
tions pour l'exécution de T'amikausev et (le Lohengrin (Hans- île
Bùlow, quelques années plus tard, aida puissamment Wagner dans
la mise en scène de Tristan et holde). Ouant a vSchumann, il n'eut,
pensons-nous, de relations directes ave»' de liiilow que comme colla-
borateur à un journal de propagande nmsicale. C'est en 1852 que
Hans de Biilow joua pour la première fois ; depuis, très nombreux
sont les concerts dans lesquels il se fit entendre : à Vienne, à Pesth,
Brème, Brunswick, Hambourg, Leipzig, Paris, en Hollande, en
Russie, on lîelgique (il y a quelques années, notamment aux Con-
certs populaires).
Il osl cortain, malheuroujsoment, qu'il ne relire aucun fruit de ses
tentatives et de ses luttes : plus vigoureux donc doivent être les
ap])lau(lisscmenls à sa t<.'nacité, à sa ]>ersovéraiice admirables.
Comme pianiste, il s'est rendu maître des jdus cruelles difficultés
techniques, il est analyseur profond j)lutot que vibrant seusitif; cri-
tique, il est armé d'un style hautain et tranchant et d'une vigou-
reuse érudition ; compositeur, il fut peu fécond : nous ne connaissons
de lui qu'une ouverture \}o\ir Jules César de Shakespeare et la Marche
des impériaux pour la même tragédie ; mais ses transcriptions sont
nombreuses, transcriptions de Scarlatti , Bach , Hâudel et Gluck
(VIphigénie en Aulide, d'après l'arrangement de Richard Wagner).
Citons encore l'excellente transcription de Tristan et Isolde, celle du
Prélude et du Quintette des Maîtres- Chanteurs.
Quelque long que fût le programme, le public ànCerde artistique
a très bien accueilli l'illustre pianiste, malgré son exécution parfois
un peu sèche dans sa simplicité. Le docteur croit-il à une guérison
prochaine? Souhaitons-le. Le public aimer la musique pure et belle!
Ce serait trop •* curieux >», comme dit Xachtigal dans \e& Maitres-
Chanteurs.
Concert Moriani.
La gentry bruxelloise s'occupe beaucoup d'une cantatrice qui,
chose rare, appartient à •♦ sou monde »•, comme disent les critiques
à échine souple qui cherchent à s'y faufiler et qu'on y tolère quel-
quefois.
M'"« Moriani, qui a |)Orté le nom d'un baron de Corvaia dont elle
est divorcée, est une aimable femme, agréable à voir chanter, et qui
rachète par une bonne grâce charmante les imperfections d'une voix
dont l'homogénéité laisse à désirer. Le Ministre de France et M""'' de
Montebello lui avaient ouvert samedi dernier leurs salons, et en
ont fait les hoinieurs aux souscripteurs, qu'on aurait ])U pi*endre
pour des invités.
On a fait fête à la chanteuse, à laquelle un ténor italien à la voix
timbrée, mais d'haleine courte, M. Victor Clodio, et un médiocre
violoncelliste, au coup d'archet pesant, prêtaient leur concours.
On a entendu du Massenet, du Godard, du Cimarosa, duVerdi, du
Tschaikowsky, même du Michotte. Nous ne citons que la motié des
auteurs dont on a fait défiler les œuvres aux oreilles de l'auditoire
attentif.
L'ne dame du monde le plus high-life disait, non loin de nous,
avec une comiiassiou vraiment sincère : « Quel dommage, quand on
est si bien, de devoir gagner sa vie ! »
Cette réflexion nous tiendra lieu de point final.
yHÈATRE?
TnÉATRK DE LA MoNNAiE. — Les journaux ({uotidiéns ont tous
constaté la bonne impression faite par M"'" B(;smuu dans le rôle
d'Eva, qu'elle chante d'une voix pure et joue avec la mutinerie, la
simplicité, la naïveté voulues.
Elle est, par moments, vraiment charmante. Sa scène avec Hans
Sachs, au deuxième acte, et toute la fin du premier tableau du troi-
sième ont été pour elle l'occasion d'un triomphe. Jeudi dernier, à la
treizième représentation, l'enthousiasme a été tel que le public a
redemandé le quintette qui termine ce tableau. On l'a bissé. De nou-
veaux rappels ont suivi, et les abonnés eux-mêmes, — oui, les abon-
nés ! — ont acclamé Wagner. On n'a plus revu le Monsieur qui, à la
représentation précédente, s'était dissimulé au fond d'une baignoire
pour jouer un air de flûte sur une clef forée. On assure que le remar-
quable talent de société qu'il possède a décidé la Compagnie des
Omnibus à lui ^ftrir, à de brillantes conditions, une place de con-
ducteur.
H y a peu de chose à reprendre daiis la composition du person-
nage d'Eva par la nouvelle titulaire. Un peu émue à son entrée en
scène, elle a bientôt retrouvé son assurance, et la deuxième fois
qu'elle a chanté le rôle, elle a été (out à fait à son aise. Si nous
avions l'honneur de connaître M""® Bosman, nous lui conseillerions
de se; laisser guider encore davantage par son instinct, de rester
davantage elle-même. Quand elle s'abaiidounc à sa nature, elle joue
avec l'ingénuité désirable. Lorsqu'elle cherche à reconstituer la
figure créée par M"'« Caron,elle manque de naturel et tout est man-
qué. Dans la scène du petit soulier, par exemple, elle a l'air de jouer
sur une harpe imaginaire ou de « faire un groupe » comme disait si
drôlement Céline Ghaumont dans la Cigale. Cette scène, si gracieuse
dans son intimité enfantine, reste encore ù créer.
Nous souhaiterions aussi que M'»» Bosman, qui paraît animée
d'intentions vraiment artistiques et couronne son séjour à Bruxelles
par une création qui lui fait honneur, rompît avec la tradition qui
exige que les chanteurs s'avancent invariablement à la rampe pour
débiter leur air. Dans le quintette, nous l'avons dit déjà, c'est chose
grotesque que cette alignée des cinq artistes devant le trou du souf-
fleur. Gela ôte toute illusion et choque le goût.
M. Jourdain avait fait quelques tentatives timides en vue d'intro-
duire sur la scène un peu de vérité, mais l'amour de son ut de poi-
trine l'avait emporté bientôt sur la logique des situations.
M. Verhees, qui lui succède, est plus gauche encore que liii. \\ ne
sait que faire de «es bras ni de ses jambes, reste planté comme un
poteau télégraphique pour chanter son preislicd et paraît être abso-
lument étranger à l'action qui se déroule. Or, dans les œuvres «le
Wagner, il faut qu'on soit aussi bon comédien que chanteur con-
sommé. •
Et M. Verhees est loin de racheter par une émission irréproclialile
ou j)ar des charmes vocaux exceptionnels ce que sou maintien a de
'guindé.
A tout prendre, on regrette M. Jourdain, qui laissait cependant
fort à désirer, quoiqu'en ait dit le docteur Langhaus, ce mystificateur
à froid des compères de V Indépendance .
Le Ménestrel dont nous avons déjà relevé les joyeuses apprécia-
tions — à distance — des rei)réseutation des Maitres-Chanteurs a
Bruxelles, imprime ceci, :
•• Quelque bruit qu'on ait put faire autour de la représentations
des Mai très -Chanteurs à Bruxelles, il paraît que décidément l'oît-
vrage ne fait pas trop bo7ine contenance, devant le public ei on doute
qu'il puisse aller jusqu'à la fin de la saison. Et cependant de larges
coupures, pratiquées sans vergogne dans la partition, ont raccourci
de près d'une heure la durée du spectacle. Malgré tout, le public
continue à ne pas se porter en foule au théâtre de la Monnaie. Les
wcfgnériens eux-mêmes sont dans le désenchantement et cotnmencent
a revenir de lcur.s illusions de la première heure, n
C'est trop drôle \H)\xr qu'on se fâche. Le chroniqueur du Ménestrel
paraît jaloux des lauriers de M. Louis Hesson, de Y l'.vèucmriit.^Ao\\\,
les bourdes monumentales sont légendaires, ou do M. Scapin, du
Voltaire, dont la célébrité dans le genre gai est de plus fraîche date.
C'est égal, si le restant des informations du journal en questio\i
est à l'avenant, les lecteurs peuvent se vanter d'être joliment J>ien
renseignés. '
Il est vrai que M. Ileugel,. éditeur de musique et directeur du
Ménestrel, n'a pas la moindre partition de Wagner à éditer. Sa mai-
son, qui n'est sur aucun quai, a la propriété exclusive des œuvres de
M. Ambroiso Thomas. Qu'on se le dise.
On a enterré mardi la Traviata. L'assistance était peu nombreuse,
mais recueillie. M""» Vaillant- Couturier, proche parente de la défunte,
conduisait le deuil avec MM, Rodier et Soulacroix.
Leur douleur contenue a vivement ému les curieux que cette
triste cérémonie avaient amenés. On s'est découvert respectueuse-
ment sur le passage du cortège. Aucune manifestation n'a troublé la
solennité de l'inhumation.
La marche funèbre, composée par Verdi pour la circonstance, a
été exécutée magistralement par l'orchestre de la Monnaie, sous la
direction de M. Dupont. ,
On n'a pas prononcé de discours sur la tombe.
Théâtre Molière, — Les représentations ordinaires ont repris
cette semaine leurs cours. Les Femtnes terribles, 3 actes par
M. Dumanoir, et les Brebis de Panurge, 1 acte par MM. Meilhac et
Halévy, formaient le spectacle.
La troupe du Prince Zilah est partie pour sa tournée. Liège est
la première ville de l'itinéraire; Verviers, Maestricht, Namur, La
Louvière, Mons, Tournai, Anvers, Louvain, Ostende, Bruges et
Gand le complètent.
Les 20, 22, 24 et 25 de ce mois. M"" Jenny Thénard, de la
Comédie-Française, viendra représenter avec sa troupe les Folies
amoui^euses, la Cravate blanche et deux monologues aux deux pre-
miers spectacles. Les deux derniers comprendront Oscar ou le Mari
qui trompe sa femme, les Projets de ma tante, le Hanneton, mono-
logue, et un récit : la Présentation:
Aujourd'hui à 2 heures précises, séance extraordinaire sur la
transmission de la pensée par miss Laura Lancaster.
!PlBLIOqRy\PHIE MU^IC/Li:
Moisson assez maigre ; quelques glanures à peine. Chez Bertram,
un Air de ballet pour piano, dédié à Don Alphonse XII, et vendu au
profit des victimes des tremblements de terre de l'Andalousie. C'est
de la charité sur un rythme gai, glissée sous une élégante couverture
en style Mauresque. Auteur : M. Alexis Ermel. 1 excellent profes-
seur, dont nous appréciions récemment les Soirées de Brv.fellrs et
le Conte Oriental.
Chez Bertram aussi, une Dans<: rustique, de Maurice Koettlitz.
l'auteur des Làndlcr. Les pensionnats de demoi.selles . se jetteront
sur cette manne.
Chez MahiUon, un recueil de dix mélodies d'une aimable baiialité.
par Georges Weiler, sur des poésies de Frédéric Bataille, Armand
Silvestre, Casimir Delavigne, etc. Titre : Poème des souvenirs —
Souvenirs est malheureusement le mot qui convient.
L'éditeur met le recueil à la vitrine avec cette annonce cruelle :
Volume contenant diûr romances. Ces romances, les chanteurs les
interpréteront avec satisfaction. Elles sont bien écrites au point de
vue des ressources vocales et auront certes leur suocès de salons,
entre Biondina de Gouncxl, et la Sérénade de Palhadilhe.
f
ETITE CHRO]S(IQUE
A propos de l'exposition des œuvres d'Eugène Delacroix, on a
rappelé qjiie le grand peintre avait été poursuivi de ce cri d'un obscur
critique : C^est un sauvage gui barbouille ses toiles avec un balai
ivre.
L'obscur critique n'était autre que Courtois, critique pictural ou
salonnier du Corsaire (rédaction Le Poitevin Saint-Alme). Cet
honame, déjà vieux, très classique et sourd, était le tils du conven-
tionnel Courtois, celui qui a été chargé d'inventorier les papiers de
Robespierre après le 9 thermidor.
Charles Baudelaire, admirateur d'Eugène Delacroix, entrait «lans
des colères extrêmes toutes les fois qu'il rencontrait ce vieux jour-
naliste.
Il s'écriait tout haut :
• — Si j'étais gouvernement, je ferais tuer ce vieillard pour cause
d'utilité publique. -
Voilà un mot qu'on pourrait appliquer à quelques-uns de nos cri-
tiques actuels.
On nous fait part du projet de constitution d'une nouvelle société
d'artistes bruxellois calquée sur le plan de l'association des XX. Ce
groupe, qui prendrait le titre de Cercle des X, se composerait, dit-on,
de MM. Cluysenaar, Alfred Verwée, Jan Verhas, Paul De Vigne,
Emile Wauters, Charles Hermans, Asselberghs, Seeldrayers, et de
deux artistes à désigner.
Il serait à souhaiter que ce projet aboutît. Il donnerait lieu à
d'intéressantes expositions et à des luttes salutaires au progrès de
l'Art.
MM. Van Dyck et Blauwaert, les deux chanteurs belges qui ont
remporté dans les concerts parisiens des succès que nous avons
relatés, sont rentrés depuis quelques jours en Belgique. Ils se pro-
posent d'organiser à Anvers, pendant l'exposition, des séances musi-
cales qui auront lieu régulièrement deux fois par semaine et pour
lesquelles ils feront appel au concours d'artistes étrangers.
Dimanche prochain, 26 avril, à 2 heures, une séance de musique
de chambre (instruments à vent) sera donnée par MM. Dumon.
Guidé, Merk, Neumans, Poncelet et Dé Greef.
La répétition générale aura lieu le sannedi 25, à 3 heures.-
Le quatrième concert populaire clôturera à la fois la saison théâ-
trale et la série des concerts populaires. Comme nous l'avons dit, il
aura lieu le dimanche 3 mai, à 8 heures du soir, au théâtre de la
Monnaie, avec le concours de M'" Blanche Deschamps, qui y fera
sa dernière création à Bruxelles : « Sieglinde » de la Valkyrie.
Le programme sera, rappelons -le, exclusivennent consacré à l'au-
dition-d'œuvres nouvelles de Richard Wagner. On y entendra pour
la première fois en français, le premier acte de la Valkyrie (versioti
française de M. Victor Wilder), qui sera chanté par M"« Deschamps,
MM. Van Dyck et Blauwaert ; des fragments importants de Pars'ifal
(1" exécution), notamment la célèbre scène du Jardin enchanté
(ballet des fleurs), chantée par M«"ei Descha.ps, BuoI, Jane de
Vigne, Flon-Botman, Hiernaux, Lecerf, Mahieux, Elisa Wolf, avec
accompagnement de chœurs de femmes; ensuite le tableau du Ven-
dredi-Saint, chanté par MM. Blauwaert et Van Dyck.
Lorchestre exécutera Y Idylle de Siegfried (1« exécution) et le
concert se terminera par la Chevauchée des Valkyries, chantée par
toutes les dames solistes.
La répétition générale aura lieu le samedi 2 mai, à 2 12 heures, à
la Grande-Harmonie.
Pour les demandes de })!are.s, s'adresser chez MM. Schott frères,
82, Montagne de la Cour.
Il parait que les perles sont une maladie des huîtres, quelquefois
comme le kyste au Skâting-Rink d'un chauve.
Un poète en herbe dont l'estomac lapguit en un état lamentable
faisant dernièrement une conférence, rappelait ce phénomène et
})renant en pitié les gens bien portants disait avec une modestie
proverbiale des êtres privilégiés de son espèce : Je suis une huître
perlière, avec une intention visible de considérer tout le reste dii
genre Humain comme un composé d'huîtres simples.
Victor Hugo à qui on racontait la chose et qui a toujours joui
d'une aussi belle santé que Shakespeare, observa gravement : Il
n'aura dit qu'à moitié le pauvret. Je vois bien le mollusque, mais ou
diable sont les perles !
Parmi les artistes récompensés à l'exposition de Blanc et Xoir
qui vient d'avoir lieu au Louvre, nous remarquons : M. Franz Van
Leemputten (médaille d'argent de 2^ classe, — Section des dessins),
M. Danse (mention honorable. — Gravure) et M. Storm de GraVe-
sande (mention honorable. — Fusains).
On annonce qu'Antoine Rubinstein entreprend en Hollande une
tournée artistique durant laquelle, dans l'espace de seize jours, il
donnera dix grand.s concert-s
128
LART MODERNE
Les annonces sont reçues au bureau du journal,
26 y rnœ de V Industrie, à Bruxelles.
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La même, arrang. par H. de Bulow ....
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Beyer, F. Répertoire des jeunes pianistes
y Bouquet de Mélodies . . .
Brunner, C. Trois transcriptions, chaque
Buloic, H. (do). Réunion des Maitres chanteurs
Paraphrase sur le quiutuor du 3* acte
Cramer, H. Pot pourri
Marche
Danse des apprentis
Gobhaerto, L. Fantaisie brillante ....
JacU, A.O^. L^. Peux transcriptions brillantes (Wer
Preislied), cha lue . . . . ,
y Op. 148. Au loyer
Laifsen, E. Deux transcriptions de salon, n* I .
f " - n* II. .
Leitert. Op. 26. Transcription .....
Ratf, J. Réminiscences en quatre suites, cahier I et II, à
cahier III.
cahier IV.
/?«2}23, H. Chant de Walther . ...
ARRANGEMENTS POUR PIANO A 4 MAINS
La Pat-tition complète . ... . .
Oc réTfxrr. Introduction par C. Tausig . . . .
/^ci/f", F. Rfevue mélodique . . . ...
B<ilotr, H. idp). La réunion des Maitres chanteurs, paraphrase
Cramer-, H. Pot-pourri
y Marche
De Vilbac. Deux illustrations, chacune
beges.
an(î
Fr.
2 -
1 50
25
2
3
1
ARRANGEMENTS DIVERS :
0(/ î-^rf wr? pour 2 pianos à 8 mains
GjvpoîV cf Z,f^onorrf. Duo jiour violon et piano. . .
/lfl^/nc>*, £". Paraphrase pour orgue-niélodiuni. . . .
Lux, F. Prélude du 3' acte pour orgrue
Obp>"f^?/r. C^. Chant de Walther pour harpe ....
Singch'-e, J. B. Fantaisie brillante pour violon et piano .
Golter^nan. (. hant de Walther, pour violoncelle et piano
Wioïiede, F. id-e). Morceaux lyriques pour violoncelle et piano
N* 1. Walther devant les Maîtres
N" 2. Chant de Walther
WilhelmJ, A. Chant de Walther, paraphrase pour violon avec
accompag. d'orchestre ou de piano. Partition
L'accompagneuiCiit d'orchestre,
"de piano ....
1 75
2 25
1 75
1 75
1 75
2 «
1 25
1 75
2 y
2 .1
2 25
2 -
2 25
1 35
2 25
2 .
2 50
1 75
35 '"
3 50
2 25
2 25
3 50
2 25
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Adresser les demandes d'abonnement et toutes les coraraunications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
Sommaire
La SITUATION' DE l'art EN Bklgique. A p^^pos dc V E:r position
internationale des Beaux- Arts à Anvers, — L'éducation de
l'artiste, par Ernest Chesneau. — Livres nouve.a.ux. Causeries
sur les artistes dé mon temps, par Jean Gigoux ; Jeanne d'Arc,
par Marius Sedet ; Henri IV et la princesse de Condé, par Paul
Henrard. — Notes de musiOue Concert du Conservatoire de
Liège. — Exposition universelle d'Anvers. — Le Capitaine noir.
— Mémento des expositions et concours. — Petite chronique.
lA SITIATI0\ DE L'AIIT EX BELGIQUE
A propos de TExposition internationale
des Beaux -Arts à Anvers.
Les expositions générales sont un moyen très efficace
de toiser le niveau de l'art. La fonction de juré pour
l'admission des tableaux en est un bien meilleur. Ce
qu'on voit alors, ce n'est plus seulement le choix, qui,
quelque imparfait soit-il, n'en est pas moins un choix^
mais l'ensemble brut, impudemment réel, tel que le
donne sans restriction la production nationale. Ce n'est
plus le régiment des hommes ayant la taille, exempts
d'infirmités ou de maladies, mais la cohue des miliciens
avant les opérations du conseil de revision. Au lieu de la
taille militaire, c'est la taille moyenne vraie de la popu-
lation.
Nous sortons d'en prendre à l'occasion de la pro-
chaine exposition d'Anvers et nous nous écrions, fort
navré : Hélas! quelle moyenne!
Ce ne serait rien s'il ne s'agissait que de l'inévitable
l
déchet provenant de ce (^u'il y a couramni-ut b<)ii nom-
bre d"iilu.-5ionné< qui, nés puur brosser, ont confondu la
brosse â peindre avec la brosse à cirag'e. Il y aura tou-
jours des artistes de contrebanile, toujours des ama-
teurs incurables, toujours des demoiselles qui, victimes
de la galanterie qui ment pour plaire, n'apprennent
jamai>5 que leurs jolis doigts font, en peignant, d'abo-
minables choses. Mais depuis quelques années le bruit
courait que l'art belge se dépeuplait, que les nouveaux
venus manquaient pour remplacer les anciens illus-
tres ({ue fauchait la mort, que les survivants fléchis-
saient. Or, voici que la revue monstre de deux mille
trois, cents tableaux qui vient de s'achever fournit une
- confirmation écrasante de ces appréhensions.
Nous pouvons attester avec une grande sincérité que,
sans distinction d'école ou de préférences artistiques,
aucun esprit impartial n'aurait échappé à cette impres-
sion après le défilé qui a eu lieu devant le jury d'ad-
mission à Anvers. A notre avis, si parmi les œuvres
reçues en très petit nombre (un peu plus de trois cents),
il éa est une cinquantaine qui n'ont été accueillies que
grâce à l'inévitable camaraderie ou à la courtisanerie
plus inévitable encore, il n'y en a pas dix qui ont été
écartées à tort. Et nous ne visons pas la médiocrité
douteuse, contestable suivant les préventions et les
préjugés, mais la médiocrité évidente, indiscutable,
imposant l'exécution immédiate et impitoyable. Rien
ne peut donner une idée d'un tel cortège de choses
loqueteuses, bè tes, communes, criardes, grotesques,
malades, misérables, se fondant finalement en une
mare immense où la tristesse et la gaîté mêlent leurs
eaux. Tantôt ce sont des imprécations qui vous mon-
tent aux dents, tantôt des goguenardises, de celles entre
autres qui furent si bien exprimées en ces yersiculets
célèbi'es ; .
Un formidable déballage
S'offre navrant à nos regard» :
C'est le gigantesque étalage
Qui doit encourager les arts!
Ce sont des saints battus de verges.
Des fleurs, des fruits et des asperges, .
Et des scènes dans les auberges,
Des nymphes prenant leurs ébats.
Des bois touffus; des plaines vertes,
Des roches de mousse couvertes,
Des chaudrons, des huîtres ouvertes,
Des marines et des soldats.
Est-ce prudent, je le demande.
Par l'amorce d'une commande.
D'une croix qui les affriande,
D'exciter de braves garçons,
Pas nés pour être des étoiles.
A barbouiller de grandes toiles,
Dont on ferait de bonnes voiles
Et des chemises de maçons?
Des beaux arts si j'étais ministre,
Ou secrétaire seulement.
Pour éviter plus d'un sinistre
Je dirais au gouvernement
« Assez de croix et de médailles,
« Gardez-les pour d'autres batailles.
«• Endiguez, par tous les moyens,
•♦Le torrent fou de la peinture;
« Méfiez-vous de la sculpture
t Et rendez à l'agriculture
* Les bras de tant de citoyens. »» ,
Il est fâcheux que la colère qui a dû se déchaîner
comme un ouragan dans le monde dit artistique, après
la rentrée au pigeonnier natal des deux mille tableaux
voyageurs sur lesquels a été appliquée la pastille bleue
de l'ostracisme, n'ait pas eu son effet habituel de pro-
voquer l'ouverture d'un salon des refusés, mais un
salon sincère, ne comprenant pas seulement les quel-
ques bonnes œuvres que le jury a exclues pour ne pas
manquer à l'usage et ne pas faire la leçon à ses prédé-
cesseurs, mais toutes celles qu'a frappées le bannisse-
ment. Pareille contre-épreuve eût été décisive: Mais
puisque ce moyen radical ne se réalisera pas, ne pour-
rait-on tout au moins grouper quelque part_^s objets
de tous les refus qu'on Iprétend faire passer pour des
iniquités, en y donnant les places d'honneur à ceux
dont les auteurs sont le plus furieux? Ce serait aussi
une bien belle expérience !
Si les uns allèguent que le jury a été inintelligent et
partial, ce que nous n'admettons que dans les limites
restreintes que nous avons indiquées plus haut,
il en est qui n'expliquent la Bérésina anversoise que
par l'abse^ice des forces les plus vives de notre école
nationale, se défiant des hommes à qui le gouverne-
ment avait donné la mission de les juger, et résolus à
attendre des occasions plus garantissantes. Certes,
il y a eu quelques abstentions regrettables d'artistes
désormais bien classés, mais elles sont en. petit nombre.
Il est très aisé de les nommer et on ne saurait à ce
sujet donner le change. On peut sans peine compléter
en esprit l'ensemble, en les supposant présents, et
franchement le correctif qui en résulterait ne su (lirait
pas à rétablir la situation. Dans le fa«le et gigantcMjue
potage, ces quelques grains de piment anth<'ii tique
se serai( nt perdus î-ans le rendre digérabh;.
Ainsi donc, d'une part un contingent énorni!^ «l'œu-
vres de pacotille, licencié et renvoyé dans ses f(yyt^r.s.
D'autre part, un groupe fort restreint d'œnvres a<l()p-
tées auxquelles le jury, par mesure de salut, public, en
a ajouté une centaine de nouvelles, presqu<v toutes
récentes, demandées la plupart aux abstentionnistes des
premières heures et accordées avec em[)r(;.^sement.
Grâce aux exclusions sévères qui ont été (ailes et au
complément normal ainsi obtenu, l'art belge à l'expo-
sition d'Anvers tiendra convenablement son rang On
n'entendra pas de fausses notes trop ijombreuscs. Une
certaine harmonie générale régnera. Il n'y aura pas
matière à s'émerveiller, mais il n'y aura pas lieu non
plus de se désoler, ni surtout de ridiculiser 1<> pauvre
belge. Nous donnerons le diapason n(m pas de notre
concert artistique véritable, mais celui ([ue nous
pouvons atteindre encore en procédant à des élimina-
tions rigoureuses, en surveillant de très près les exécu-
tants, en guindant au plus haut point toutes nos res-
sources. Ce sera non pas la vérité, mais une repr/. ten-
tation bien combinée, adroitement préparée. Notre fée
artistique ne se montrera pas en sa nuditt', juiueile-
ment peu séduisante, mais attife et, fanléo de son
mieux.
Pour l'étrangerce sera assez Mais pour nous, quand,
la fête terminée, nous reviendnms A la réalit/'. ?;ue de
réflexions à faire, que de craintes à avoir! C'est l'i, vrai-
ment, l'intérêt principal de ces récents incidents et
c'est sur lui que nous voulons attirer lattiMiiion. Un
rôle ne se soutient jamais longtemf)s, il exige l'emploi
de trop de procédés factices. Or, il faut avouer (lue c est
bien un rôle que nous allons jouer, quand on compMro
ce que notre exposition sera avec ce qu'est la .vitiiaiion
réelle de notre art telle que l'ont révélée les euvt)is
étonnants dont on vient de f are 1 epluchage.
Qu'on n'objecte pas qu'il en est toujours ainsi en cas
d'exposition, que c'est un phénomène auquel n échappe
aucune nation, ni aucune époque. Non, jamais il n'a
atteint pareille intensité. Dans nos expositions anté-
rieures, on refusait d'ordinaire moins d'un ti<'rs des
œuvres envoyées. Cette fois on est arrivé aux sept hui-
tièmes! Le jury a été plus revèche, mais cela ne suffit
pas à expli^er l'écart, et pour ceux qui ont assisté au
passage de cette flotte de productions carnavalesques,
la raison, répétons-le, est surtout dans leur infirmité
désolante. Le mot qui venait sur toutes les lèvres,
c'était : Décadence! Décadence en plein ! Et pourtant
Ton sait si par labus qu'en font les énervés et les ratés
de la littérature, c'est là un vocable dont ceux qui ont
riiorreur des locutions agaçantes s'abstiennent reli-
gieusement.
Voir ces misères, essayer de les préciser, en recher-
cher les causes, sont des actes qui s'enchaînent irrésis-
tiblement. Ils s'imposent d'autant plus que certains
mouvements isolés ont pu donner l'illusion d'un renou-
veau artistique, ce qui fut un peu notre cas dans ces
derniers temps, quand, mêlé à la bataille de ceux qui
ne veulent pas être entraînés par la dégringolade géné-
rale, nous subissions l'aimantation de leurs efforts et
de leurs victoires locales. Revenant sur nous-méme et
classant dans l'ensemble les résultats de ces luttes vail-
lantes, nous comprenons quelle illusion c'est de croire
qu'elles suffiront au salut commun et que les hommes
qui les mènent pourront à eux seuls assurer le recrute-
ment des phalanges qui se dépeuplent.
Ce qui subsiste comme résidu du spectacle auquel
nous venons d'assister, c'est que si l'école démodée qui
cherche ses sujets dans l'imagination où le passé fait
place chaque jour plus largement à celle qui s'adresse
directement à la réalité ambiante, cette dernière prend
trop au pied de la lettre le principe sa-lutaire qui la
guide, et aboutit ainsi à une, matérialité brutale qui
méconnaît la maxime de Courbet : MeUez-i:oiis devant
la nature, puis faites ce que vous sentez et non sirn-
plement ce que vous voyez, répétée en une autre forme
par la maxime de Zola : L œuvre d'art, cest la nature
vue à travers un tenipéy^ameyit. Absence de sentiment
personnel, dans la figure plus encore que dans le paysage.
De la photographie perfectionnée jusqu'à la reproduc-
tion des couleurs. Pour les uns, quant à la composition
et au dessin, les plus plates applications des formules
académiques, pour les autres la reproduction banale
des épisodes les plus vulgaires. Plus de grands jets,
plus d'élan, plus de flamme. Rien de ce qui constitue la
nature artistique dans son essence, cet abandon origi*.
nal, cette allure à la fois puissante et élégante, ce
charme de l'individualité nettement accusée , cet
imprévu, ces trouvailles, cette aisance qui font les
belles œuvres. Un niveau toujours égal dans le groupe
des naturalistes, comme dans le groupe des académi-
ques. Une torpeur endémique, un essoufflement, un
fléchissement aboutissant à la dissolution de tout le
monde dans une marmelade bourgeoise. Plus d'étin-
celle, plus de choc. Un jymphatisme universel.
C'est triste à dire, etj pourtant il est nécessaire de le
dire On ne peut se résojidre à penser que, dans l'évolu- ^
tion fatale des lois qui font monter ou descendre les
civilisations, la parole qui indique le mal à guérir,
où le progrès à poursuivre, soit destituée de toute
influence. Et alors même que les d|iscours seraient vains
comme les cris de (Jouleur, encor^ ne peut-on avoir tou-
jours la force de les comprimer. Et de même, invinci-
blement, on se met à la recherche des causes, même
quand on doute que ce soit un labeur efficace. On se
demande si la descente à laquelle nous assistons n*a pas
sa raison principale dans l'absence d'instruction de la
plupart de nos artistes, dans la pauvreté de leurs idées,
dans le défaut de caractère, dans l'insuffisance de
hauteur dans l'esprit. Ils sont laborieux et pleins de
bon vouloir, ils aiment la nature et se campent volon-
tiers en face d'elle comme la meilleure inspiratrice,
mais cela ne suffit pas. Quand on parcourt la corres-
pondance des maîtres, on est incessamment frappé de
l'étendue de leurs connaissances, de leur grandeur
d'âme, de leur indépendance vis-à-vis de l'opinion et
des puissances, de la fermeté de leur caractère. On sent
que ces qualités d'élite étaient les réservoirs abondants
de leurs inspirations, que c'est là qu'ils ont trouvé ces
quelques accents qui, ajoutés à une œuvre, la font
passer du médiocre au sublime, et l'on se dit que celui
qui ne les a pas reste toujours aux degrés inférieurs,
et que si toute une populatio^ artistique les dédaigne,
l'art du pays où elle vit doit inévitablement s'affaisser.
En Belgique, par des causes multiples dont les prin-
cipales tiennent à notre organisation sociale, Tesprit
général de la nation devient de plus en plus mesquin
Nulle classe n'y échappe et les artistes en sont atteints.
Il y a une tendance commune à compter pour réussir
sur les complaisances, la subalternisation volontaire,
le culte de la fortune et de l'autorité, les condescen-
dances pour les goûts de la foule. L'intransigeance,
qui faisait répondre par Delacroix à un ministre qui
lui conseillait de changer son art : Quand le soleil et les
étoiles changeraient, je ne changerai pas, est décon-
seillée et provoque, quand elle ose s'affirmer, un déchaî-
nement sauvage, une ruée d'anthropophages de. tous les
impuissants soutenus par une presse qui a pour devise :
Rangeons-nous avec les médiocres, ils sont les plus nom-
breux. L'âme de la nation s'amoindrit. Quoi d'étonnant
que l'art, qui est son expression la plus caractéristique,
s'amoindrisse à son tour? Et comme pour accomplir
cette fonction de flatter les appétits vulgaires, l'instruc-
tion, qui seule donne le sentiment des nuances raffinées
jusqu'au sublime, est superflue, on ne prend plus la
peine de l'acquérir en se soumettant aux labeurs sans
lesquels jamais elle ne se livre. L'art veut des héros,
comme toutes les grandes choses. Bientôt nous n'aurons
plus que des bonshommes. Seul un sursaut de nos cœurs
peut nous sauver de cet anéantissement pour lequel il
en faut bien revenir à ce mot, unique et odieux : La
Décadente!
L'EDUCATION DE L'ARTISTE
par Ernest Ghesneau. P^ris, Gharavay.
D'après ï'aulcur de ce livre, les ans sont en décadence dans
loiiles les contrées de l'Europp, parce que l'éducalion de l'artiste
est insuffisante, parce que le personnel de Tart se recrute pour la
plus grande partie dans les classes illettrées, et ne comprend
d'ailleurs l'idéal que par ses côtés négatifs, parce que notre école
en est restée à l'idéal romain. M. Chèsneau cherche de bonne foi
les moyens de conciliation, les condilionls de l'accord indispen-
sable entre l'art et la société moderne. Il conclut coniro l'art cos-
mopolite et tradilionaliste a en faveur de l'individualisme et du
nationalisme des écoles ». Ce qui manque à l'artiste, c'est Védu-
calion, c'est-k-dire l'acquisition complète des qualités intellec-
tuelles où s'alimente l'imagination, l'onlier développement des
qualités morales qui donne la clef des senlimonls et dos passions,
l'e.xpérience sociale qui permet de juger les besoins de l'homme
et de les exprimer. Sans éducalion générale, pas d'arlisle, j'en-
tends d'artiste supérieur. I)('jà en i782, Waielel disait que le
plus grand nombre, des jeunes artistes n'apportent pas dans les
arts l'éducation préparatoire qui leur serait nécessaire^ et que cet
inconvénient influe sur le progrès général de l'art. Le temps n'a
pas affaibli la justesse de celle opinion de Walelet. Les artistes
peuvent être divisés en deux classes- : les uns, qui ont trop pré-
sumé de leurs forces, s'épuisent dans une lutte incessante contre
les difficultés de l'art et contre la misère, et végètent, à la fois
médiocres et arrogants, aigris par les-succcs des auires, s'obsli-
.nant par amour- propre à demeurer dans leur carrière, à la charge
du budget des beaux-arts et à charge à eux-mêmes; les autres,
qui réussissent, qui arrivent, comme on dit aujourd'hui, après
avoir traversé, il est vrai, de cruels moments, essaient vainement
de combler par la leclure les vides énormes de leur éducalion el
ne prennent, pour ainsi dire, que la surface des connaissances
qui leur seraient nécessaires. Nous exceplons naturellement les
hommes de génie, car le génie, précisément parce qu'il est le
génie, surmonte tous les obstacles. Mais l'on peut dire qu'élanl
donnés deux artistes également bien doués, le lettré sera mieux
armé que ï illettré ci tirera un meilleur parti de l'instrument mis
en ses mains par la nature et perfectionné p;ir l'éducation. 11 fau-
drait donc simultanément développer léilucation scientitique et
littéraire des classes illettrées et favoriser l'éducation artistique
des classes lettrées. De la-, les cours d'histoire, d'archéologie, de
sciences aj)pliquées, ouverts en France à l'Ecole des beaux-arts;
de là une riche bibliothèque fondée à cette même école; de là
l'atelier d'art dé<^oratif, etc. On sent que Tarliste 'doit être autre
chose qu'une machine à peindre et à modeler, qu'il doit être un
homme dans toute l'acception du mot et avoir l'esprit ouvert sur
toutes les formes de l'intelligence humaine. Mais les mesures
prises par l'administration des beaux-arts ne suffisent pas; il faut,
dit M. Chèsneau, généraliser l'enseignement du dessin, et le
rendre obligatoire dans tous les établissements d'éducation, de
sorte que tout homme sache dessiner comme il sait écrire. Le
dessin ne doit plus éire une sorte de superflu élégant, et comme
un art d'agrément, il doit occuper dans l'ensemble dés études
la part qu'on a faite dans ces derniers temps aux sciences et aux
langues vivantes. M. Chèsneau s'arrête ici de préférence aux éta-
blissements d'instruction du second degré. Car, pour les classes
populaires, les classes iHborieuses, comme on les nomme actuel-
lement, le mouvement a été donné aux écoles primaires et ne
s'arrêtera plus. Les jeunes gens les plus habiles, les plus distin-
gués dans les concours de dessin sortent des écoles populaires,
et c'est à eux qu'appartient l'avenir de l'art, si les classes lettrées
restent inactives. Or, ne vaut il pas mieux que l'artiste appar-
tienne à ces dernières, qu'il ait eu dès ses premières années une
■' éducation vaste et développée qui ait dirigé son intelligence dans
toutes les directions? Ceux-là seuls qui ont eu une instruction
générale comprennent que l'art touche à toutes choses, ceux-là
seuls ont l'habitude de généraliser et, loin d'isoler l'art de toutes
les autres manifestations iniellectuelles et d'en faire un métier
tout pratique, oui, comme écrit M. Chèsneau, Une juste notion de
leur rôle « qui est, en somme, cfe fixer pour les yeux de races
futures l'ondoyant, le fugitif, le fluide de l'âme moderne, en
même temps que les cerliludes de l'esprit de ce temps ». Voyez,
nous dit encore M. Chèsneau, les artistes de notre époque; ce
qui fait défaut à la plupart d'entre eux, c'est la largeur des aper-
çus qu'apporte l'étude de l'histoire el des lettres classiques, la
faculté de comparer, de raisonner, de juger, de régler leurs
imi)ressions purement iiislinctives, la « gymnastique mentale ».
S'ils comj)renaient que l'art n'est pas tout en ce monde et qu'on
ne peut le séparer sans péril des autres manifestations de l'esprit,
ils seraient moins vaniteux, moins enfants gâtés; ils se dépouil-
leraient de leur esprit étroit el exclusif; ils ne mépriseraient pas
les bourgeois el tous ceux qui, quoique incapables de manier
l'ébauchoir ou la brosse, travaillent, autant qu'eux, au progrès
et au bien-êlre général. M. Chèsneau va plus loin et il émet ici
une réflexion originale. Nos artistes, enfermés, murés dans un
milieu spécial, sans vue d'ensemble, sans souci des divers modes
d'activité intellectuelle, voient leur horizon se rétrécir à mesure
que s'avance leur vie el tournent, pour ainsi dire, dans un cercle
de plus en plus restreint. S'ils avaient à leur service les res-
sources d'une instruction forte el variée, n'auraient-ils pas dans
leurs œuvres plus de souplesse el de fi'condilé, et n'y aurait-il
pas chez eux comme « un renouvellement incessant de produc-
tion »? Il faut, dit encore M. Chèsneau, que l'arliste ait vécu par
l'esprit avec les idées et les héros (ju'il entreprend de représenter.
— Mais les dillettantes, les médiocres vont pulluler plus que
jamais! — Au contraire, répond M. Chèsneau, moins que jamais
on sera tenté de « faire de l'art ». Combien de içens deviennent
artistes parce que l'art ne consiste, selon eux, qu'à fumer des
cigarettes, à porter un chapeau mou et une vareuse rouge, à
organiser des « scies » d'atelier, à pérorer dans les brasseries!
Dès que tout le monde saura dessiner, on comprendra qu'il ne
suffit pas de crayonner tant bien que mal el de gâcher des cou-
leurs, pour usurper le litre d'arlisle; on verra qu'il faut travailler
là comme partout et peul-êlre plus que partout; on jugera par
soi-même du mérite des œuvres d'art; on ne reconnaîtrait comme
artistes que les talents originaux et sans banalité.
M. Chèsneau ne s'est pas borné à ces considérations; il étudie
dans le reste de son livre l'art contemporain dans ses rapports
avec les mœurs, les tendances, les besoins intellectuels, les cou-
rants d'idées, les senlimenls et les passions de la société mo-
derne. Dans une suite de chapitres oii il tente de préciser les
exigences des d'wcrs ge7ires, il s'appuie sur de nombreux exemples
empruntés à la production du V Ecole française depilis dix ans.
Somme toute, l'école française lui laisse une assez triste impres-
sion, il n'y voit que des forces futilement gaspillées, des eflforls
tentés à l'aventure, sans but ni direction, pardésir de ])laire,
LART MODERNE
133
d amuser et de vendre; il lui semble que les artistes français
vivent à l'écart de notre sociéié» dans un monde de ficlion, et
qu'ils n'aient jamais éprouvé le heurt de ce grand mouvement
qui secoue aujourd'hui notre humanité. Plus de pensée, plus de
grandes compositions qui exigent le temps, l'étude et rargcnt.
Le nu, encore le nu, toujours le nu, un nu sans goût ni vérité,
pratiqué à l'aide de formules aisées et débité comme marchandise
d'exportation aux parvenus des deux mondes. Nymphes, Bac-
chantes, Satyres, modèles d'académie. Les malheureux, s'écrie
M. Chesneau, à quoi pensent-ils? En être encore aux banalités de
l'école romaine, pis que cela, de l'école bolonaise revue et corri-
gée par Louis David, Ingres et Bouguereau!
L'étude de M. Chesneau, composée au lendemain de l'Exposi-
tion internationale, appelait un examen rapide des Ecoles étran-
gères. Voici ce que dit le critique de la Belgique : « L'école
belge a droit à des jugements sincères.- Ses peintres d'histoire
connaissent à fond leur métier et en pratiquent toutes les res-
sources avec une très grande habilité; on peut exiger beaucoup
d'eux, beaucoup plus qu'ils no donnent. Ils ont tout pour être
de grands artistes, excepté d'être artistes, c'est-à-dire, aventureux
et poètes ».
Voici maintenant sa conclusion sur la peinture en Europe :
jamais peintres et statuaires n'ont été si généralement adroits,
jamais il n'y a eu plus de simulacres de talent, mais on perd le
sens et le goût de la grandeur; « ce que les arts ont acquis en
habiletés sensuj>lles de la main, Vart l'a perdu en majesté ».
A. M. 0
JilVRE^ NOUVEAUX
Causeries sur les artistes de mon temps, par M. Jean
GiGoux, orné d'un portrait de l'auteur. Paris, Calmann-Lévy.
Le peintre Jean Gigoux, qui fil sa réputation, il y a quelque
cinquante années, avec la Mort de Cléopâtre, la Prise de Garni,
la Bonne aventure^ la Mort de Léonard de Vinci et de remar-
quables portraits de Lamartine, de Fourier, de Sigalon, de Con-
sidérant, d'Arsène Houssaye, vient de publier chez Calmann-Lévy
un livre très curieux. C'est un amusant bavardage sur les célé-
brités avec lesquelles il fut en relations. Et elles furent nom-
breuses, lô peintre touchant aujourd'hui à ses quatre-vingts ans.
L'auteur a écrit à la diable, Sans ornements, presque sans
style; mais il est alerte, vivant, et on arrive au mot « fin » sans
qu'on s'en soit aperçu. Avec cela, très naïf dans ses admirations
comme dans ses critiques, méchant parfois, sans le vouloir, avec
la plus entière bonhomie. ^
Une anecdote sur Ingres.
Un jour, Gigoux l'invite à venir voir deux tableaux qu'il vonnit
d'acheter, tableaux signés du nom de l'auteur de la Source, l/iin
d'eux était le portrait de Déléban. « Le malheureux, s'écrie Ingres
dans une sainte colère, il s'est vendu lui-même ! »
De David d'Anç^crs, Gigoux révèle les commencements doulou-
rcux. Quand le statuaire faisait partie de l'atelier de M. Roland,
il en était réduit, pour vivre, à ramasser les croûtes de pain dur
qui traînaient et qu'il mettait détremper.
Un mot très drôle de Préault sur Ingres : « Un Chinois égaré
dans les ruines d'Athènes. »
■ i.
(*; Athenœum.
Puis un autre, du même, sur Pradier : « En voilà un, disait-Il,
qui part tous les jours pour Athènes et s'arrête rue de Bréda. »
Lesrapins de l'école de 1820 valaient mieux que ceux d'au-
jourd'hui, ayant des visées plus hautes et moins de souci de
l'argent. Dans un accès de joyeuse humeur, l'un d'eux, en 1848,
pose sa candidature et l'affiche en ces termes sur tous les murs :
tt Nommons Turbry ! Pauvre et sans talent, il représente la
majorité des Français et des artistes! »
Jeanne d'Arc, par Marius Sepet. — Mame, Tours.
MM. Alfred Mame et fils, éditeurs h Tours, ont mis en vente
une nouvelle histoire de la Puccllo d'Orléans, C'est un ma^ni-
fique volume in-4°, illustré de 30 compositions hors texte gravées
par Méaullo, d'après les dessins de MM. Andriolli, Jos. Diane,
Barrias, De Curzon, Edouard, FriTmiel, Hanoteau, Jourdain,
J.-P. Laurens, Le BlânT," L'uminais, Alborl Maignan, Maillart,
Martin, Rochogrosse, Zier. (Prix : 1.") francs.)
Il a été tiré de cet ouvrage loO ex. d'amateur numérotés
ainsi répartis : 63 sur papier de llnllando, 50 fr. ; oO sur pa|)ier
Whatmann, 60 fr. ; 13 sur papier de Chine, 73 fr. ; 20 sur papier
du Japon, 100 fr.
Henri IV et la princesse d.e Condé, daprès des documents
inédits, par Paul Henrard, membre de TAcadémie royale de
Belgique. Bruxelles et Paris, C. Ml'Quardt.
Si le nom de Henri IV est resté dé nos jours aussi populaire,
c'est, il faut en convenir, bien moins encore peut être par le souvenir
du génie politique et guerrier du premier des Bourbons que par la
réputation de vert-galant que lui accorde l'histoire et la chanson.
Nous ne pouvons l'évoquer en efTet à aiicune époque de sa carrière
accidentée, prince de Béàrn, roi de Navarre ou de France, sans voir
apparaître autour de lui qœlque gracieuse figure de femme, la
Fosseuse, Gabrielle d'Estrée, Henriette d'Entragues, etc., dont
quelques-unes ont eu sur ses actions une influence incontestable.
Toutefois pour la conquête de nulle d'entr'elles, Henri ne dut ni
remuer des armées, ni menacer l'Europe, comme il le fit dans la
dernière année de sa vie pour essayer d'arracher à l'asile où t'avait
placée son mari peu complaisant, celle qui devait être plus tard la
mère de la belle M™^ de Longueville et du grand Condé.
Comme toutes les amours séniles, la passion du roi pour Margue-
rite Charlotte de Montmorency, Drinces^e de Condé, dépassa toute
- mesure; sa violence entraîna Henri IV àjdes actes insensés que l'on
révoquerait en doute si les seuls mémoires contemporains, toujours
sujets à caution, nous les avaient rapportés, mais qui nous sont
confirmés par des papiers d'Etat d'une incontestable authenticité.
Le récit très -piquant nous en est donné dans le livre dont nous
citons le titre. En le lisant, on avouera que l'histoire a parfois des
rencontres que les romanciers les plus fantaisistes n'osent imaginer.
"NOTE^ DE MUSIQUE
♦
Concert du Conservatoire de Liège.
Ce concert avait un intérêt local particulier par rexécution de
Mo'ina, poème héroïque composé par \\n jeune musicien liégeois.
M. Sylvain Dupuis.
Cette grande pièce musicale, flanquée de chonirs et de solistes,
résonne des échos affaiblis de toute espèce de musique, sans guère
affirmer encore la personnalité et le tempérament de son auteur.
Massenet, qui y a laissé le plus de traces, Reycr et même Wagner
s'y coudoient, alternant leurs apparitions avec des soli de flûte ou
d'autres instruments de bois amincis encore par l'emploi qu'en fait
134
ï:art moderne
V
M. Dupuis. Tout cela peut mener au prix de Rome, aùi avantages
administratifs <le l'art musical, mais cela est de médioere valeur
artistique.
M"" Jaëll a heurensenxent établi un courant artistique réel par
son interprétation du Concerto eti tni bémol de Beethoven. Elle a
satisfait l'auditoire par l'autorité et la sobriété avec lesquelles elle a
joué cette œuvre. Le public lui a fait grand succès. Xcs Variations
sur H7i thème de Paganiui^ de Brahms, ont particulièrement émer-
veillé la salle; mais là les auditeurs, nous devons le reconnaître,
n'applaudissaient pas à la synthèse de la pianiste, mais bien plutôt
a son habileté, qu'ils croiront retrouver un inatant après chez n'im-
porte quel clown de la virtuosité. --
Henry Fontaine a chanté avec une belle voix, manquant d'huma-
iiité malheureusement, un air xlu i^»vy*e/iMf«.
h'Ouvertitre des Girondins, de Litolff. œuvre jumelle de VOuver-
turc de Maximilien Robespierre, emportant avec elle comme sa
sœur un grand soufllle populaire, et Y Ouverture de la licite Mélusinc^
de Meudelssoïin, complétaient le programme.
EXPOSITION UNIVERSELLE D'ANVERS
Une deuxième exposition des Beaux- Arts va s'ouvrir à Anvers.
C'est la Fédération artistique qui en informe le public et qui veille
à son organisation.
L'exposition sera exclusivement belge. Elle sera disposée dans le
hall en planches construit, en face du Salon officiel, par l'impré-
sario Neurenberg, pour abriter le viliage japonais qui sera exhibé
pendant la durée de l'Exposition. Elle comprendra en outre une
taverne allemande et un bar anglais. D'autres attractions de tous
genres, dit la Fédération^ compléteront l'entreprise.
Le tout sera éclairé par un nouveau ^ys^ème fourni par la Compa-
gnie du gaz d'Anvers (lampes Siemens) et on pourra y rester la
journée entière, grâce au bar et à la taverne servant des déjeuners
froids, dit encore la Fédération.
Titre : Salon libre de l'Ecole flamande. Les tableaux sont taxés
à 5 francs pour leur admission. Aussitôt vendus (commission 20 p. <^/o
perçue par M. Neurenberg) ils pourront être remplacés par d'au-
tres.
Il n'est pas nécessaire que les tableaux soient récents. Aucune
reserve n'est apportée à la date de production.
Les prix en francs, en livres et en dollars figureront au catalogue.
Comme l'exposition, i\\i\2i Fédération, doit revêtir un caractère
Juaitement artistique, une commission a été constituée d'office, com-
posée d'artistes de toutes les villes, sans distinction de tendances,
d'amateurs et de journalistes.
Les journalistes sont MM. Solvay, Hannon, MaxWaller, etc.
Les artistes qui ont échoué devant le jury officiel trouveront-ils
grâce devant ce jury officieux? Il est à espérer que oui. Le public
aura ainsi un moyen de contrôler les opérations des mandataires du
gouvernement, et cette annexe inattendue du S^n des Beaux-Arts
deviendra un champ de bataille pour les discussio^ artistiques. .
Il est même regrettable qu'on ait jugé utile de nommer une com-
mission. Une exposition générale des refusés eût été plus intéres-
sante, plus instructive, plus militante. L'exposition flamande du vil-
lage japonais, perpétue, à tort, les traditions des Salons officiels;
Elle n'en présentera |ias moins, espérons-le, son intérêt.
JjE j3apitain£ noir
Les journaux allemands se sont occupés avec beaucoup dé
faveur de. la représentation de l'opéra de notre compatriote
Joseph McTlens : Le Capitaine noir. Nous rcproduiçoiis avec
plaisir quelques passages de ces articles extrêmement clogicux,
rcgrcllanl de ne pouvoir les publier en entier :
f- ■■"•'• " ■ . • .
Extrait de Y Hamburger Correspondent.
La soirée d'honneur de M. Emile Krauss recevait une consé-
cration toute spéciale dès la première rcprésenlalion d'un grand
opéra h(t\^(i^ Le Capitaine noir, musique de Joseph Mertens,
favorisée de la présence du compositeur et de M. H. Flemmich,
le traducteur de l'œuvre, un ami et un compatriote de l'auteur.
La musique atteint le plus liatil degré de vérité possible.
M. Merleris s'est montré créateur capable et méritant d'une œuvre
qui promet de dépasser en longévité nombre d'autres opéras nou-
veaux, surtout montée aussi excellemment qu'elle l'était à sa
première audition à notre Sladl-Tliealcr.
Kxiraa t\c la Réforme {de Berlin).
M. Menons possède largement toutes les qualités nécessaires
au compositeur pour empoigner son public. La façon dont il
écrit pour les voix et son orchestration trahissent partout la
longue expérience du maître.
Nous sommes heureux de pouvoir constater que la réception,
faite par le public hambourgeois au nouvel opéra, a été on ne
peut plus enthousiaste. Ça a été, depuis l'ouverture jusqu'à la fin,
une ovation continue.
Eiilvâh des Hamburger Nachrichlen.
Il est rare qu'une œuvre dramatique ait obtenu un succès
aussi colossal. L'orchestration révèle le praticien, formé dès sa
jeunesse et d'un esprit fin et intelligent. Elle est très sobre et
soutient efficacement les chanteurs.
Les solis et les duos sont parfaitement traités et produisent
avec les chœurs, dans les grands ensembles, des cflets puis-
sants.
MEMENTO DES EXPOSITIONS ET CONCOURS
Anvers. — Exposition universelle. Ouverture le 2 mai 1885.
Délais d'envoi expirés. — Salon des refusés. Ouverture en mai.
Renseignements: 1, rue de l'Angle, Bruxelles. — Salon libre de
l'Ecole flamande. (Voir plus haut).
Bruxelles — 25* exposition de la Société des aquarellistes.
Ouverture le 1er mai. — IIP exposition de Blanc et Noir à YEssor.
. En mai. — Exposition historique de gravure, par le Cercle des
aquarellistes et aquafortistes. En mai.
Budapest. — Ouverture le l«r juin. Fermeture le 30 septembre.
En deux séries. Délais d'envoi : l" série, 15 mai. 2« série, 25 juillet.
Transport aller et retour (petite vitesse) aux frais de la Société hon-
gix)ise des Beaux-Arts. Dépôt à Bruxelles, chez M. Mommen,
25, rue de la Charité; à Anvers, chez M. Claessens, 12, place du
Poids public. — Secrétariat : Sugarut, 81, Budapest.
Londres. — Exposition internationale d'instruments de musique.
Ouverture en mai. — Exposition de la Royal Academy. Ouverture
le l**" mai. Délais d'envoi expirés.
Nuremberg. — Exposition internationale d'orfèvrerie, de joaille-
rie, de bronzes, etc. Du 15 juin au 30 septembre 1885.
Paris. — Salon de 1885. Du 1« mai au 30 juin 1885. Délais
d'envoi expirés *
Rotterdam. — Du 31 mai au 12 juillet. Dernier délai : 16 mai.
Renseignements : M. Veders, secrétaire, 42, Boompjes, Rotterdam.
Bruxbllbs. — Vingt-cinquième concours de composition musicale.
Ouverture le 20 juillet 1885.
Inscriptions au ministère de l'agriculture, de l'industrie et des
LART MODERNE
135
travaux publics jusqu'au H juillet, à 4 heures Les coivcurrents qui
n'habitent pas Bruxelles peuvent adresser par écrit leAr demande
d'ioscription ; à cet effet, ils déposeront, avant le 7 juillet, leur lettre
avec les pièces à l'appui, entre les mains de l'administration com-
munale de leur localité, qui la transmettra immédiatement audit
ministère.
Les aspirants sont tenus de justifier de leur qualité de Belge et de
prouver qu'ils n'auront pas atteint l'âge de 30 ans au 20 juillet.
Prix DU Roi. — Concoiirs de 1886, 1S87 et 1888. — Un arrêté
royal du 20 avril courant porte que le prix à décerner en 1886 (con-
cours exclusivement belge) sera attribué à l'ouvrage le mieux conçu
pour développer chez la jeunesse belge l'intelligence et le goût des
littératures anciennes et mode* nés.
Le prix à décerner en 1887 (concours exclusivement belge) sera
attribuée l'ouvrage qui démontrera le mieux de quelle manière la
Belgique doit comprendre son rôle dans la grande famille euro-
péenne, tant au point de vue politique et intellectuel qu'au point de
vue matériel, pour servir le mieux ses propres intérêts en même temps
que ceux de la civilisation en général.
Le prix à décerner en 1888 concours exclusivement belge) sera
attribué au meilleur ouvrage sur l'enseignement des arts plastiques
en Belgique et sur le moyen de développer l'art en Belgique et de le
porter à un niveau de plus en plus élevé.
Les ouvrages destinés à ces concours devront être transmis au mi-
nistre dé l'agriculture, de l'industrie et des travaux publics, àsavoir:
pour le prix à décerner en 1886, avant le le»" octobre 1886, et pour
les deux autres, respectivement avant le 1er janvier des années 1887
et 1888.
Paris. — Statue de Paul Broca. (Voir VArt moderne du
l«r mars )
RiCHMOND (Virginie). — Concours pour un monument à Robert
Lee. Deraier délai : l*' mai 1885.
ViBNNK. — Concours pour l'érection d'un monument à Mozart.
La place sur laquelle doit être élevé le monument n'étant pas
encore déterminée par la municipalité, le concours reste ouvert.
?
ETITE CHROJ^iqUE
M. Verdhurt ^ engagé pour la saison prochaine M"' Huré en qua-
lit<i de contralto. On dit grand bien de cette jeune artiste, qui vient
de se distinguer à un concert organisé le 10 avril par M^eMarchesi,
à la salle Erard, où elle a été bissée.
Les menribres de l'Association wagnérienne se proposent d'offrir
à M. Joseph Dupont, en témoignage d'admiration et de sympathie
pour la manière dont il a dirigé les Maitres-Chanteurs, la partition
d'orchestre de Parsifal, richement reliée Une liste de souscription,
rapidement couverte de signatures, a été déposée chez MM. Schott
frères, éditeurs. La souscription devait être close hier, mais en
présence des réclamations d'un grand nombre d'amis de l'érninent
chef d'orchestre, qui ont voulu joindre leur hommage à celui des
membres de l*As^^ociation, le comité a décidé que la liste resterait
encore aujourd'hui et demain à la disposition des souscripteurs ^
Elle sera reliée en tète de la partition, et celle-ci sera remise à
M. Joseph Dupont le jour du Concert -Wagner, le 3 mai prochain.
M"« Bernardi, l'artiste bien connue, a succombé la semaine
dernière aux suites de l'opération d'un kyste. La mort de cette
excellente chanteuse, qui, en ces derniers temps encore, menait si
joyeusement, aux Galeries et à l'Alcazar, la ronde des opérettes en
vogue, laissera d'unanimes regrets.
M'"« Bernardi était fort au dessus des emplois modestes qu'eW*.
avait acceptés, depuis quelques années, en descendant des hauteurs
du grand opéra dans le sous-sol de l'opéra-bouffe. Gratule avait été
la surprise quand on reconnut, un jour, sous une coitïuro grotesque.
grimaçant un rôle comique, celle qui avait, peu de temps avant, créé
magistralement à la Monnaie le rôle d'Amneris dans Aida.
Le timbre de son magnifique contralto lui eût assuré des succès
de meilleur aloi que ceux qu'elle remporta dans l'opérette. Artiste
consciencieuse et bonne musicienne, toujours eu scène, soignant la
composition de sou personnage avec minutie, elle conquit rapi-le-
ment toutes les sympathies de son nouveau public.
Sa dernière création est celle de Palmatica, dans VEtudvmt
pauvre On se souvient du caractère vraiment comique, gai sans trop
de charge, qu'elle donna à cette digne maman.
M™« Bernardi devait créer prochainement le rôle d'Elisabeth dans
le Mostier de Saint -Guignolet, opéra-comique que M. Carion se
prépare à représenter sous peu au théâtre des Galeries.
liste T|^^
Le pianiste ï^anz Rummel assistait mercredi à la quatorzième
représentation des Maîtres -Chanteurs L éminent virtuose revenait
d'une tournée de concerts en Allemagne où il avait remporté de
brillants succès, notamment à Wiesbaden, où il se fit entendre deux
fois, à Mayence et à Wurtzboiirg.
Il est parti avant-hier pour Londres, où il jouera le 6 mai le con-
certo en ré mineur de Rubinstein à la Philharmonie Society, et le
concerto de Tschaikowsky au 4^ concert de Hans Richter.
La Nouvelle Société de musique de liruorelles annonce son grand
concert pour le dimanche 10 mai, à 2 heures de relevée, à la salle
de l'Alhambra. On dit le plus grand bien du programme, qui ne
comprend pas moins de trois œuvres entièrement nouvelles pour le
public bruxellois, savoir :
Daphnis et Chlaé, œuvre inédite de notre compatriote Fernand
Leborne, La Mer, de Victorien Joncières, L'Anathème du Chan-
teur, de Schumann.
Le concert se terminera par la grande marche et chœur de Tann-
hàuser.
L'exécution de ce programme est confié à des artistes d'élite :
M'»« Bosman, MM. Blauwaert et Van Dyck Environ trois cents chan-
teurset instrumentistes, sous la direction de M. Henry Warnots,
contribueront à l'éclat de cette fête musicale. • '
Le programme de la quatrième .séance de musique de chambre
pour in.-struments à ventetpiano.qui sera donnée aujourd'hui au Con-
servatoire par MM Dumou, Guidé, Merck, Xeuman, Ponc^^let et De
Greef, comprend : le quintette en mi b, pour piano, hautbois, cla-
rinette, cor et basson, de Mozart; les Contes dé Fées, pour piano,
alto et clarinette, de Schum;inn; une sonate pour piano, de Beet-
hoven, et la SérJttade (onze instruments) de Dvorak.
Le mois prochain doit paraître à Vienne la Correspondance de
Richard Wagner de 1830 à 1883. C'est le savant wagnérophile
Emerich Kastner, de Vienne, qui éditera cette collection de lettres,
jusqu'ici inédites eu majeure partie, et dans lesquelles on trouvera
le complément naturel des écrits theoriq;ues du maître de Bïbvreuth
et d intéressants détails sur Sa. vie.
La saison des concerts d "été va s'ouvrir sous peu à Londres. On
annonce neuf concerts de Hans Richter, le célèbre cappeilmeîster
viennois,- qui fera entendre dans ses séances symphoniques les chefs-
d'œuvre de la musique classique et d'importants fragments des
œuvrt'S de Wagner. D'autre part, on annonce dix représentations
allemandes de Tristan et Isolde, par la troupe de I imprésario
Hermaun Francke Entin, un agent théâtral américain . M. Edm.
Gerson, se propose, à locca-sion de l'Exposition musicale qui s'ou-
vrira prochainement à Londres, de faire entendre succe.ssivement.
dans une série de c ncerts, les plus célèbres orchestres, et les
bandes militaires les plus fameuses de l'Europe entière.
La ville de Paris orgmise, pour le 3 mai prochain, un concours
international de musique, un concours monstre, sous la présidence
d'Ambroise Thomas. Ou parle de 20.000 exécutants.
Au théâtre de Stockholm on prépare la représentation d'un opéra
national. Stig Hvidc, dont l'auteur, M. Ole (.^Isen, a écrit le poème
et la musique.
•On vient de terminer à Vienne la vente aux enchères de la suc-
cession Mackart, qui n'a pas tlure moins de dix-sept jours II a ete
réalisé une somme de 150,000 florins, et il reste encore quelques
objets représentant une valeur d environ 20.000 florins, qui seront
vendus à l'occasion
L'exposition des œuvres d'Eugène Delacroix à l'Ecole des beaux-
arts a produit 66.709 fr.
L'inauguration de l'hôtel tles beaux-arts de Salzbourg (Autriche)
aura lieu le l^f août proch in. A cette occasion s'ouvrira une expo-
siti<ni de peinture et de sculpture à laquelle se-ront conviées toutes
les associations artistiques de l'Autriche et de l'étranger Le comité
organise pour la même époque une exposilioa régionale des arts
industriels.
Les annonces sont reçues au bureau du journal ^
26, rue de V Industrie, à Bruxelles ."
SCHOTT Frères, Editeurs de Musique, Bruxelles
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Fr. 2
Im, Partition complète . . . . ...
Ouverture. Introduction .
Z,a même, arrang. par H. de Bulow
Introduction du 3* acte. . ...
Beyer, F. Rf'pertoire des jeunes pianistes . . .
r," Houquet de Mélodies .î . . . . . .
iy?*unner, C Trois tran.scriptions, chaque . . . . ,
Bulow, H. [de). Réunion des Maîtres chanteurs . , . .
n Paraphrase sur le quiutuor du à' acte . .
Cramer, H. Pot pourri .
n Mtirche . . .
« Danse des apprentis . ...
Gohbaert", L. fantaisie brillante . ... . .
Jae//, A. Op. 137. Deux transcriptions brillantes (Werbegesang-
Preisliéd), chaque .
« 0|). 148. Au loyer . . . . . . .
Laasen, E. Deux transcriptions de salon, n* I .
" " « n" II, . • . .
Leitert. Op. 26. Transcription . . . '
.R<*fl', J' Réminiscences en quatre suites, cahier I et II, à . .
cahier IIL
cahier IV.
iïw^'i'» ■'^' Chant de Walther . . . .
ARRANGEMENTS POUR PIANO A 4 MAINS :
La Partition complète
Ouverture. Introduction par C. Tausig ......
Beyer, F. Revue mélodique .
Bùlow, H. (df). La réunion des Maîtres chanteurs, paraphrase
Cramer, H. Pot-pourri
y Marche . , . . ...
De 7»76ac. Deux illustrations, chacune , '
ARRANGEMENTS DIVERS :
OureHure pour 2 pianos à 8 mains ...
Grcgoir et Léonard Duo pour violon et piano.
Kaslner, E. Paraphrase pour orgue- mélodium.
Lux, F. Prélude du 3' acte pour orgue .
Oberthur, Ch. Chant de "Walther pour harpe .
Singelée, J. B. Fantaisie brillante pour violon et piano
Golterman. Chant de Walther, pour violoncelle et piano
Wichede, F. (de). Morceaux lyriques pour violoncelle et piano
N* 1. Walther devant les Maîtres .
N° 2. Chant de Walther . . .
Wilhelmj, A. Chant de Walther, paraphrase pour violon avec
accompag. d'orchestre ou de piano. Partition
L'accompagnement d'orchestre. . . .
« de piano
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Cinquième année. — N° 18.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 3 Mai 1885.
L'ART
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DBS ARTS ET DE LA LITTERATURE
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser le€ demandes d'abonnement et toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
^
OMMAIRE
La clôture de la saison théâtrale a la Monnaie. — Dtx'x
EXPOSITIONS. I. Le Cercle artistique; II, Les Aquareillistes. —
Livres nouveaux. J.-F. Millet, par Charles YrxdiTïe; Camille
Corot, par Jean Rousseau ; Hmis Holhein, par Jean Rousseau. —
Documents a conserver. Z-e secret du vote. La suppression des
médailles. — Notes de musique. I. Concert Zarembshi ; II. Con-
servatoire de Gand. r- Conférences artistiques Conférence de
M. Georges Rodenbach; Conférence de M. Sigognc. — Théâtres.
Théâtre de la Monnaie. — Exposition universelle d'Anvers. —
Recette pour avoir du génie. — Petite chronique.
■ » ■
LA CLÔTURÉ DE LA SAISON THEATRALE
A LA MONNAIE
La saison théâtrale est finie pour le théâtre de la
Monnaie, et avec elle s'achève la direction de MM. Stou-
mon et Calàbrési. Avec elle aussi la troupe de notre
opéra va être presque entièrement renouvelée .
C'est là un événement complexe qui assurément
marquera dans notre histoire lyrique. Les dix anntjes
qui viennent de s'écouler ont été brillantes. Elles oîit
fait entrer profondément dans les mœurs de la capitale
le goût de l'opéra.
Les causes du phénomène ont été variées. L'intelli-
gente habileté des directeurs y fut pour beaucoup.
Mais le besoin de luxe et de haute vie y ont aussi
puissamment contribué. Les hommes ont tiré parti
de la situation, mais la situation a aidé les hommes. Il
faut remercier MM. Stoumon et Calàbrési d'avoir pro- ~?
fité des événements. lisent, eux, à remercier les évé-
nements d'être survenus si à point pour leur fournir
une telle occasion d'utiliser leurs mérites.
Ces* jours derniers, X Indépendance esquissait feu
les directeurs avec des sôus-entendus qui pouvaient,
selon le caractère des gens, passer pour des critiques
ou des éloges. %\\e leur prêtait notamment une adresse
aimable à manipuler ou , pour employer un terme d'argot
plus énergique, à rouler l'abonné. Le dessin était
vraiment amusant dans sa mordante malice. La leçon
est bonne, mais certes il était prudent de ne la risquer
qu'au moment ^ les imprésarios distingués qu'on
gratifiait d'un machiavélisme fort inattendu, donnaient
congé. C'est une façon de montrer, au moment où l'on
ferme le théâtre, comment on s'y moquait congrû-
ment des bonnes gens, très drôle mais aussi très péril-
leuse avec un public aussi susceptible que le nôtre ne
s*imaginera-t-il pas qu'il a eu affaire à des Cumber-
laud consacrant une dernière séance à la révélation des
trucs au moyen desquels ils empaumaient les specta-
teurs? \'oici ce morceau curieux et révélateur. Cer-
taines phrases indiquent que son auteur avait lui-même
le pressentiment que ses compliments, chargés de
l)icrate, pourraient un jour éclater au visage de
ses héros.
•' MM. Stoumon et Calàbrési ne sont pas maladroits
du tout. Et ils savent l'art de répondre aux réclama-
tions ineptes, aux plaintes inutiles, avec une condes-
cendance qui ne laisse jamais percer d'ironie. Tous lés
théâtres, grands et petits, ont un certain nombre d'abon-
\
138
LART MODERNE
nés qui ont pour occupation principale d'être des
abonnés influents. Ce sont des personnages, dont
le maniement est assez délicat. Il s'agit d'avoir l'air de
les consulter, et, en réalité, d'en faire des défenseurs
naïfs et convaincus de tous les actes de l'adininistra-
tion. Ce n'est pas toujours commode. L abonné
influent tient à faire figure devant le simple public,
}\ être l'homme considéré que les directeurs redoutent.
Il a donc parfois des velléités d'opposition ,;^qui servent
à marquer son autorité. Le directeur, qui sait son mé-
tier, traite ces manies innocentes pMr des moyens
doux. Et Tabonné influent^ qu'on a écouté avec atten-
tion et déférence, ne s'aperçoit jamais qu'on lui fnit
approuver tout ce qu'il se proposait de combattre.
« MM. Stoumon et Calabrési doivent avoir ce
doigté, cette virtuosité de leur emploi, puisqu'ils en
ont tous les autres mérites. Ils ont étudié la physiolo-
gie de l'abonné, et ils savent comment on peut préve-
nir ou dissiper les caprices de cet être spéciat. Ce
serait leur faire tort, cependant, que d'insister sur leur
souplesse, en cette matière. Peut-être, quelque jour
encore, céderont-ils, ou l'un d'eux cédera-t-il, au désir
de recommencer une campagne nouvelle à la Monnaie,
d'y rechercher une fois encore le rare mélange qu'ils
ont obtenu, de ceinture dorée et de bonne renommée.
IJ abonné influent pourrait être récalcitrant d'avance,
si on lui dit maintenant qu'il a eu affaire à des gens
d'esprit, qui l'ont manié comme cire molle. Mais il est
vrai que c'est au profit des publics naïfs que les direc-
teurs sont adroits. ^
Sapristi! pourquoi le dire? Si nous étions cet être
spécial, comme dit galamment l'écrivain, qu'on nomme
V abonné influent, nous serions, en effet, récalcitrant
et tiendrions à prouver que nous ne sommes pas cire
molle et public naïf autant qu'un vain reportage le
pense. Voilà l'abonné influent prestement déshabillé,
et gratifié par dessus le marché d'un très bon coup de
pied à la chute du dos. Bien le bonjour, mon ami ! A
coup sûr les pauvres abonnés vont méditer sur la fable
du Renard et du Bouc :
Capitaine Renard allait de compagnie ^
Avec son ami Bouc du plus haut encorné.
Celui-ci ne voyait pas plus loin que son nez.
L'autre était passé maître en fait de tromperie...
Et dire pourtant que cette bonne Indépendance pro-
testait en toute occasion et sur tous les tons de son
amitié, de son zèle, de son dévouement, de sa cordialité,
de son empressement pour cette direction dont elle
accompagne la retraite d'un aussi étonnant charivari
en s imaginant qu'elle lui donne une sérénade. Beck-
messer! Beckmesser! tu as fait des petits.
Rien n'est plus dangereux qu'un maladroit ami.
Mieux vaudrait un franc ennemi.
Décidément le bon Laibntaine et ses bêtes nous
reviennent trop en mémoire. Bornons-là ces. associa-
tions d'idées.
La nouvelle direction bénéficiera sans doute des habi-
tudes prises par notre population. Pour peu que sa
troupe soit bonne (et elle s'annonce comme devant être
très remarquable), elle n'aura pas de peine à commen-
cer à son tour un cycle d'années fructueuses. L'admi-
nistration communale a, il est vrai, stipulé quelques
charges que justifiaient, assure-t-on, des recettes si
abondantes que le décennal des directeurs^ les diœ
années de leur consulat, leur ont assuré la sécurité
d'existence et les ont laissés en posture aisée, suivant
des expressions de haut goût que nous relevons dans
le même intéressant article de V Indépendance. O^
C'est, en eff'et, un fort beau lot que de pouvoir se
retirer aussi promptement après fortune faite. Le même
journal ajoute « que les directeurs se sont trop bien
trouvés de leurs conditions administratives pour con-
sentir à en changer; qu'ils ne croient pas â l'efficacité
de la nouvelle constitution, des institutions nouvelles
du théâtre (re la Monnaie; qu'ils renoncent au gouver-
nement, jugeant que son exercice est devenu plus péril-
leux, ou du moins plus difficile ». i'
On ne saurait dire, en termes plus décents,|que ces
inessieurs ont la prudence louable qui engage 1^ joueur
peu téméraire à faire Charlemagne. C'est fort injuste
quand on les connaît. Mais enfin, les craintes qu'on leur
prête apparaissent quelque peu exagérées et abouti-
raient, si le reporter officieux qui les complimente en
phrases si rares insistait davantage à donner quelque
consistance au bruit qui courait avant la concession à
M.Verdhurt, qu'ils voulaient forcer la main au conseil
communal et se préparaient, dans l'espoir que nul
n'oserait ramasser le sceptre qu'ils déposaient, à inter-
venir au dernier moment en sauveteurs, dictant leurs
conditions et imposant le régime qui leur avait assuré
la sécimité et donné une posture aisée.
Espérons que l'avenir démontrera que le conseil
communal de Bruxelles a eu raison d'imposer quelques
obligations de plus, celle, de majorer le minimum
du traitement mensuel des musiciens de l'orchestre,
traités jusqu'ici avec une parcimonie invraisemblable,
celle aussi d'affecter à l'entretien et au renou-
vellement des décors et des costumes existants,
25,000 francs par an, sous le contrôle du collège. Cela
ne paraîtra assurément à personne une aggravation de
nature à justifier le cri d'alarme compliqué, rappelé
plus haut : MM. Stoumon et Càlabresi ne croient
pas à V efficacité de la nouvelle constitution des insti-
tutions nouvelles du théâtre de la Monnaie !
Le changement de dynastie a été accompagné, on le
sait, d'un remaniement presque complet dans la troupe.
L'expérience apprend que c'est ce qui arrive fatalement
en pareille conjoncture. Cela ne procède pas d'un parti-
Pris, mais de complications ^inéluctables. Un régne qui
finit, un règne qui commence produisent un déchaîne-
ment de craintes, d'espérances, de convoitises, de pré-
tentions, d'intrigues, de bavkrdages, de malentendus,
de criailleries, de fausses démarches qui troublent les
esprits, démanchent les plus calmes, déjouent toutes
les prévisions, provoquent des coups de bascule dans
lesquels le hasard seul semble agir. Bruxelles a assisté
à ce tohu-bohu. Dans les premiers moments la direction
nouvelle a été assaillie de mauvais propos plus ineptes
les uns que les autres. Les pauvres artistes affolés
n'ont entrevu que catastrophes et n'ont rêvé que dé-
port. Autour d'eux on a fait pleuvoir les inquiétudes.
Pris dans cette tourmente, le nouveau directeur a jugé
sage et plus digne de quitter la place et de se mettre
résolument à engager des sujets nouveaux à l'étranger.
Ce qu'on a appris de ses efforts est de nature à faire
croire qu'il a fort bien réussi: Maintenant qu'il a très
fermement pris pied, les regrets commencent à hanter
les déserteurs. Ceux qui étaient libres encore se sont
ralliés. Pour d'autres, hélas! la rupture est consommée
et on ne peut plus que leur souhaiter de trouver ailleurs
les sympathies dont ils étaient comblés à Bruxelles,
avec l'espoir de les revoir tôt ou tard. La crise a été
douloureuse, mais elle est terminée. Les adieux sont
consommés, le calme renaît. Cinq mois de silence vont
passer sur toutes ces alarmes et ces tristesses, comme
l'hiver passe sur les feuillages tombés. Nous aurons un
autre printemps et tout fait présager que le renouveau
qui se prépare vaudra le passé dont nous sortons.
Peux expositions
I. Le Cercle artistique. — II. Les Aquarellistes.
I .
Deux expositions sont ouvertes en ce moment à Bruxelles : l'une
de tableaux à l'huile, Taulre de peintures à Peau. Toutes deux
ont mêmes tendances vers un art bourgeois, terre à terre, tri-
vial cl lourd. Toutes deux marquent un affai^^scment sensible du
niveau arlistique, attaqué par les postulations utilitaires, de plus
en plus menaçantes. De part et d'autre, le cheval de manège,
tournant avec résignation dans la piste, a pns la place de l'étalon
aux allures libres, piaffant, secouant sa crinière. Les coups de
chambrière lui sont tombés drus sur Téchine. A peine les sent-il.
Au Cercle, on pourrait dire au cirque, un jury soucieux de la
dignité de l'Art eût dû lancer par les fenêtres, sous les ombrages
du Parc, l'effroyable pacotille de boîtes de baptême, de ronds
de serviette en bois de Spa, d'enseignes de parfumeur, de « vues»
d'optique dont on a effrontément sali les murs. Cela eût fait une
jolie exposition des refusés, avec accompagnement do musique
des pompiers en guise de cantate d'ouverture, à l'usage des
bonnes d'enfants et de leurs amis les petits carabiniers.
On a préféré admettre tout le bloc. Et les rares bonnes choses
que le naufrage de la peinture sérieUse cl digne ait respectées
sont ballolées par les Ilots d'une maré(; de médiocres, de gro-
tesques, de lamentables.
Voir, pour ne pas même descendre aux amateurs, qui ont fait
du Cer.cle artistique leur i)roie, leur ciladello, d'où ils délogent
petit à petit les artistes, les. drôleries macabres de Vanden
Ikissche, sa Retraite de Russie et sa Tentation de Saint- An-
toine. L'auteur de ces aimables plaisanteries est, assure-l-on, pro-
fesseur de j)erspective à l'Académie des Beaux-Arts d'Anvers. De
perspective aérienne, vraisemblablement, comme feu Louis
Dubois, le roi des mystificateurs, qui se donnait gravement, en
voyage, cette qualité sur les registres d'auberges, l
Voir aussi les images de Barnaba, dans lesquelles'qn a oublié
de placer le cadran, et les paravents de Numans, et le soudard
au nez trognonnant de Van Hammée, et les sites ardennais de
Hoffiaen, ce Marie Gilsoë du paysage.
Oh! comme on comprend les deux artistes, des vrais ceux-là,
qui, indignés d'un pareil avilissement du goût, ont, le lende-
main de l'ouv-erture, envové leur démission à la commission!
Les toiles sincères, émues, de cette triste exhibition, ont été
sacrifiées, presque toutes, aux plates el ternes enluminures qui
courent à la rampe. Vogels a fait vraimenJL trop d'honneur au
Cercle en lui envoyant son superbe Brouillard, ce bout d'esta-
cade noyé dans des vapeurs d'argent, tout frissonnant de
moiteurs laiteuses, la i»lus belle page qu'ait écrite ce pinceau
magistral. On l'a récompensé en le plaçant au second rang, où il
ne peut off'usquer les médiocrités qui l'environnent.
Au second rang aussi l'impression, si juste, rapportée par
Frantz Charlet d'une excursion dans les dunes de Knocke. Que
n'y a-t-il trois rangs au Cercle! Elle eût été sûrement «élevée »
d'un degré.
iVlais à la cimaise se pavanent les arbres en zinc de M"^ Beer-
npert, les Pompéïenneries mièvres de M. Stallaert, qui les a
chipées à M. Coomans, lequel les avait lui-même, etc....
Passons sur tout cela. A quoi bon chanter toujours le même
refrain? Comme nous le disions, le cheval est poussif. Rien ne
sert de le cravacher. Voyons-le trotter, el notons au passage ses
rares velléités de réveiller par quelque vivacité ses allures
assoupies.
Voici Alfred Verhaeren en selle. 11 pique des deux, celui-là, el
d'un bon coup d'éperon fait pirouetter sa monture. Bravo pour
ses Cerises, appétissantes, lisses de peau, savoureuses, belles,
malgré le ton conventionnel du fond et des feuillages.
Voici Pierre Oyens. Encore un coup d'éperon. Une nature
morte réduite à sa plus simple expression : une bouteille, un
verre el une pomme, mais avec quelle intensité de lumière ces
objets sont éclairés ! La nappe paraît trop noire. Les objets posés
dessus sont vraiment « tapés «.
Voici les mélancoliques, Mellery, Heymans, Binjé, Ter Linden.
La neige Tiocturne du premier csl impressionnante. C'est d'un
artiste sincère, jamais inférieur à lui-même. Le grand paysage
d'Heymans semble une préparation pour le travail lent par lequel
l'excellent paysagiste disj)ose, construit, émaille ses belles toiles.
L'étang de Binjé qui sourit aux étoiles sous la gaze lamée des
brumes vespérales, est une jolie complainte, lin Noclurne en
bleu el argent, comme dit Whisller, d'un sentiment délicat. Vin-
fini, de Ter Linden, présente, avec les moires de la mer pour
arrière-plan, une fine silhouette de femme, élégamment peinte.
Mais pourquoi V Infini? Un bien gros litre pour une étude, —
jolie, sans doute, mais une élude.
'r^
140
VART MODERNE
II y a encore, en ne se montrant pas trop sévère, une. bruyère
de Bouvier, un coin de rivière do Baron, un bout de mer de Le
Mayeur, un bateau échoué dans là vase, de Hagemans, bonne
étude malgré le jour fantastique et peu justifié qui la baigne.
Après cela, c'est tout. Les forts en tlième n'ont guère donné,
et ceux qui se sont présen'.és arrivent à la queue. Le portrait de
M. Doucel, par Ciuysenaar, pourrait tout aussi bien être signé
Herbo. La comparaison flattera au moins, espérons-le, l'un de
ces peintres. C'est « le portrait avec les, bras » dans toute sa
banalité de pose, d'expression cl de facture.
M. Doucel fait face à M. Dumon, et le peintre pour« Socheleil,
tir à l'arc et garde civique, ressemblance garantie », a été, cette
fois, à peu près aussi heureux que celui qui a eu l'honneur de
reproduire les traits de M. Van Schoor.
Les papillottantes petites filles noir et blanc qui attendaient le
photographe et qui ont vu arriver, en guise d'ohjeclif, M. Ciuy-
senaar, n'ont rien de transcendant. C'est honnêtement fait, mais
peu amusant h regarder.
Ce sont les jeunes que nous cherchons, avec l'espoir d'y trou-
ver des promesses d'avcjiir, et les jeunes ne nous donnent guère
d'espérances. M. Van Gelder est une des premières victimes du
« zwanzage », cette épidémie infectieuse qui a sévi récemment,
propagée par des compères qui n'en ont pas mesuré la portée et
dont l'esprit épais n'a vu qu'une grosse farce où il y avait un
danger réel. Les Raffaëllide M. Van Gelder étaient plus drôles à
la Zwans-exhibition. C'est tout ce qu'oii peut dire de celui qu'il
expose au Cercle.
M. Evrard a voulu évidemment se moquer du public en mon-
trant ses deux portraits, insi)irés de Géruzet et de feu Ghémar.
La Zwans n'est donc pas finie?
Ce n'est pas M. Ilalkelt, avec ses trois figures guindées, tour-
nées dans du bois — et encore sont-elles tournées? — raides,
désagréables de couleur, qui porte les espérances de la jeune
école. Ni encore moins M. Houyoux. Il y a, de M. Frédéric, un
tryptique qui a l'air d'avoir été épongé, la couleur étant fraîche
encore, et une singulière prairie où tombe une lumière qui n'est
ni la lumière électrique, ni le gaz, ni surtout la lumière du jour.
Dans cette prairie, dos enfants qui ont tous eu le malheur de se
barbouiller la figure et les mains d'une teinture qui doit être du
bois de Campêche. Le tableau pourrait être intitulé : Zam//^
de Pâques. —
Sera-ce M. Hannon?:II y a évidemment dès qualités dans son
Crépon japonais^ une élégante jeune fommc.en silhouette devant
une fenêtre. Mais combien est superficielle et mincc^cctte pein-
ture qui manque d'âme !
L'n coup d'œil aux aquarelles, où s'alignent les virtuoses ordi-
naires et extraordinaires de la goutte colorée : Uytterschaut, Stac-
quet, Binjé, décidément en progrès sérieux, Cassiers, dont la
mer ressemble assez à la surface polie d'une.glace rayée de coups
de patin, Combaz (il n'aime pas qu'on l'oublie) qui a dessiné pas
mal l'un des lions de la Bourse, mais qui a eu la fantaisie singu-
lière de le représenter en chocolat, et Jean Bacs, dont le Dôme
du Palais de Justice est gentiment croqué.
Quant à la sculpture, arrêtez vous devant une petite tête en
bronze de Namur, et ne vous attardez pas devant les autres
«productions» de l'année, si ce n'est par besoin d'esbaudis-
semcnt cl de douice alacrité.
JiIVREP NOUVEAUX
\
J.-P. Millet, par Charles Yriarte. — Paris, 1885.
La Librairie de l'Art (J. Rouam, éditeur, 29, cité d'Aniin,
ancienne salle Saint-André), vient de publier dans sa jolie Biblio-
thèque d'Art moderne ^ format in-4°, une magnifique élude de
M.- Charles Yriarte sur J.-F. Millet. C'est, en même temps
qu'une œuvre de haute et saine critique, un pieux hommage
rendu à la mémoire du grand i)eintre de la nature méconnu par
ses coi^temporains, aujourd'hui plein de gloire. Le Millet de
M. Yriarte se recommande h tous les amis du grand art par l'in-
térêt du texte et par la beauté de l'édition, illustrée d'un beau
portrait de Millet et de 24 gravures et fac-similés d'après ses
tableaux et dessins. Enfin la modicité du prix : fr. 2-50, le rend
accessible à tous.
Camille Corot, par Jkax Rousseau. — Paris, 1884.
En vente, à la même librairie, la remarquable étude de M. Jean
Rousseau sur Corot, suivi d'un appendice par Alfred Robaut.
L'ouvrage, dont le prix est, comme le précédent, de fr. 2-50 et
qui fait partie delà même Bibliothèque dArt moderne, coquette-
ment édité, est orné d'un portrait de Corot et de 34 gravures sur
bois et dessins reproduisant les œuvres du maître. Bon ouvrage
de vulgarisation de l'art ; recueil intéressant et lecture de choix.
Hans Holbein, par Jean Rousseau. — Paris, 1885.
En même temps que sa Bibliothèque d'Art moderne, }i\. Jules
Rouam édite une Bibliothèque d'Art ancien dont le premier
volume vient d'être mis en vente. C'est une étude sur Holbein,
par ^ean Rousseau, ouvrage accompagné de deux portraits et de
trente-cinq gravures d'après les œuvres du maître.
Publié dans le même formai, avec les mêmes soins et au même
prix modique que les volumes précédents, Hans Holbein con-
stitue un ouvrage de luxe, que tous les artistes consulteront
avec fruit et liront avec intérêt. Il renferme notamment une
magnifique série d'illustrations exécutées d'après les peintures de
Holbein qui forment la superbe collection de la reine d'Angle-
terre au château de Windsor.
JOCUMENT^ A CON^ERVEH ^*^
Le Secret du vote. — La Suppression des médailles.
E::trait du Salon de Paris de 1876, par M. Ernest CHESNEAU,
paru dans /'Estafette du 6 juin 1876.
Le mot médaille manque totalement de prestige à mes yeux.
Je ne connais pas dans l'ordre administratif de plus vain, de plus
vicieuse institution, si ce n'est celle des médailles à trois degrés
et numériquement comptées six mois à l'avance.
N'est-il pas bien présomptueux d'agir avec ces façons de petite
Providence et de décider, en novembre, qu'on ne verra, en mai,
au Salon, que tel nombre et non tel autre d'œuvres dignes d'être
officiellement recommandées au public?
N'est'-il pas bien contradictoire d'établir trois classes de récom-
penses, — ce qui suppose une classification esthétique, une
(•) Voir notre numéro du 23 mars.
subordination dos genres, — et de bouleverser sciemment tout
le système hiérarchique en attribuant des récompenses de même
classe à des genres d'ordres distincts, à une Douzaine dludtres
et à un Bon Dieu ? .
Tôt ou lard on supprimera ce malencontreux et fallacieux élé-
ment d'émulation qui remplit si peu son objet, Majs si les artistes,
race d'enfants, tiennent absolument aux médailles, il n'y a qu'un
moyen de leur laisser ce hochet tout en sauvegardant l'équité en
même temps que la dignité des exposants et celle du jury :
Il faut en revenir h la médaille d'autrefois de valeur unique.
Il faut qu'elle soit distribuée sans limitation de nombre.
Il faut qu'elle mette l'artiste hors concours.
Extrait du Salon de Paris de 1882, par le même.
Ne discutons pas les médailles qui ont été votées par le jury du
Salon. Cela n'intéresse vraiment que les intéressés. Outre que
l'institution monarchique des récompenses est devenue absolu-
ment ridicule dans un Etat démocratique, leur répartition, le
principe étant admis, est régie par des règlements si défectueux,
elle donne lieu, d'autre part, à tant d'intrigues, de compromis et
de concessions où la question d'art n'est d'aucun poids, qu.'il
faut laisser aux mains de ceux qu'elle amuse encore, cette puéri-
lité encombrante et malfaisante, sans nous inquiéter des fils qui
la font mouvoir, la place dont nous disposons est réservée k de
plus' dignes sujets.
J^O.TÉp DE MUSIQUE
I. — Concert Zarembski.
M. Zarembski a affirmé, jcutli, dans l'audition qu'il a donnée
au Conservatoire avec M*"^ Zarembski, des qualités très remar-
quables do compositeur jointes à- une virtuosité de premier
ordre. -
La pièce capitale de ce concert charmant, auquel n'ont manqué
ni la variété ni l'intérêt, quoiqu'il fût tout entier consacré au
même auteur, était un quintette inédit pour piano et instruments
à cordes, l'œuvre la plus récente, et la plus belle du jeune
maître.
Elles se développent superbement, les quatre parties de celte
composition vraiment personnelle et impressionnante, tantôt
mystérieuse, traversée d'harmonies poignantes, évocatrices d'on
ne sait quel cortège de douleurs, tantôt fougueuse, rythmant sur
des mètres inégaux des mélodies aux allures emportées, qui
passent comme une tempête dans le déchaînement des instru-
ments.
Le premier allegro^ Yaniante, le scherzo aux contours pim-
pants, le /înfl/e qui débute par le motif sautillant du 5c/i<îr;50 et
s'élève rapidement h des hauteurs d'inspiration peu communes,
graduent logiquement l'impression qui, dès la première partie,
étreint Tauditeur. .
Depuis longtemps, on n'a écrit pareille page de musique de
chambre. Pour ses débuts dans ce genre, M. Zarembski a fait
une œuvre magistrale.
Excellemment interprété par l'auteur et par MM. Hubay, Van
Slyvoort, Colyns et Servais, le quintette a obtenu le grand succès
qu'il méritait. .
Nous avons déjà parlé de la manière dont M. Zarembski écrit
pour le piano. Liszt dirait qu'on n'a pas mieux fait depuis
Chopin. La Noyelette^cnprice, la Valse sentimentale, la Séré-
nade espagnole, avec ses rythmes originaux et gais, le Menuet,
interprétés avec beaucoup de charme et de talent par
M"'e Zarembski, ont été particulièrement applaudis, ainsi qu'une
série d'autres pièces, parmi lesquelles la curieuse Sérénade
burlesque et la Tarentelle, d'une difficulté d'exécution terrible,
joués par M. Zarembski.
La dernière représentation des Maîtres-Chanteurs, qui avait
lieu le même soir, a empêché bon nombre de musiciens
d'assister à l'intéressante séance des deux virtuoses. Ce serait
vraiment aimable h eux d'en donner une seconde. La musique
de M. Zarembski, sérieuse et travaillée avec soin, est, dans tous
les cas, de celles qu'on aime à réentendre.
II. — Conservatoire de Gand.
{Correspondance particulière).
Dimanche dernier, au grand théâtre de Gand, a été exécutée
\di Damnation de Faust, sous la direction de M. Samuel. Une
première audition en avait été donnée le jeudi précédent.
L'exécution en a été excellente. L'orchestre avait été dressé
comme un cheval à la haute école dans les cirques, patiemment,
longuement, et les répétitions avaient duré souvent jusqu'^ dix
et onze heures du soir. On est arrivé ainsi, grùce h un entraîne-
ment méthodique et pointilleux à une quasi entière réussite.
MM. Van Dyck et Blauwaerl, ainsi que M"*^ Houe, interprétaient
la partie chantée de l'œuvre : M. Van Dyck dont la voix s'est
admirablement développée et timbrée, M. Blauwaerl qui compte
parmi les barytons les plus mâles et les plus consciencieux,
M"'' Howe dont les moyens ne sont pas à la hauteur des grands
rôles ^mais qui s'est montrée convenable dans le rôle relativement
effacé de Marguerite, . •
Le publier tellement niQrdu h l'art de Berlioz qu'une troisième
audition a été demandée. Elle a eu lieu mardi dernier.
Les morceaux les plus applaudis ont été la Danse des Sylphes
ci là Coui'se à V abîme.
■ , -^ ' • •
* ■•-
De grandes fêtes musicales auront lieu h Gand, du 24 juillet
au 6 août, pour fêter le cinquantenaire de la fondation du Conser-
vatoire.
Entre autres solennités, on donnera au grand théâtre trois
représentations de Quentin Durward, en vue desquelles l'admi-
nistration du Conservatoire gantois a engagé MM. Rodier, Soula-
croix, Lefebvre, Chappuis, Renaud et Frankin.
•pOJMFÉRENCE^ ARTISTIQUES
Conférence de M. Georges Rodenbach.
C'était au Cercle des Etudiants progressistes. L'amoureux et
mondain poêle Rodenbach, dans une causerie pleine de fine
raillerie où les traits mordants étaient enchâssés avec art, a
raconté l'origine des Ilijdropathes , ces fiers écrivains qui ont
débuté par lire leurs vers dans une brasserie du boulevard Saint-
Michel, et qui, presque tous, sont aujourd'hui célèbres. Il a rap-
proché ce mouvement de jeune littérature de celui dont il est, en
Belgique, l'un des promoteurs. Il a montré combien il était utile
de secouer l'arbre de notre art pour en ûiire tomber les chenilles
qui le rongent, les fabricanls de cantates, les cuistres de la
critique, les poêles couronnés qui, dans des vers comiquemonl
lamentables,, pleurent le départ des animaux du Jardin Zoolo-
pique...
II a raconté, la bonne part qui revient à la Jeune Belgique dans
cet échenillage.
Après avoir fait firo aux larmes en lisant certains extraits des
« gloires » de la liljtérature beige, il a ému son auditoire en lui
faisant connaître qiielques belles pièces, forgées dans le métal
sonore de la poésie nioderne.
Jamais le conférencier ne fut plus heureux dans le choix des
expressions, dans les souvenirs, tristes ou joyeux, qu'il évoqua,
dans les récits rapides dont il sema son discours.
Conférence de M. Sigogne.
C'est de la Mode que parla mardi M. Sigogne au Palais des
Académies. « Sujet profane ! » ont dû se dire, comme le maître-
chanteur Kothner, ces dames du cours supérieur auxquelles
s'adressait le conférencier. Sujet profane, mais traité comme il
convenait dans celte salle où les académies se succèdent, chan-
geant de sexe sans modifier leur austérité.
A propos de la mode, M. Sigognea parlé philosophie, histoire,
science, art, avec la facilité qu'on lui connaît et l'autorité qu'il
commence à acquérir.
Jhéatre^
Théâtre de la Monnaie.
Un cliché dont se servent généralement les critiques quand il s'agit
d'une œuvre quelconque de Saint-Saëns, c'est de parler de son
orchestration « savante »» et « nourrie ». Le cliché a naturellement
été employé à propos de cette Scène d'Horace que l'auteur
à'Henri VIII a. fait chanter la semaine dernière par M™« Caron et
M. Seguin.
Or, l'orchestration dé cette page assez terne n'est ni fsavante ni
nourrie. Ecrite il y a vingt-cinq ans, dans la jeunesse de Saint-Saëns,
elle est simplement ampoulée et vide. On s'étonne même qu'un musi-
cien de la valeur de son auteur croie utile à sa réputation de res-
susciter une œuvre d'aussi mince valeur.
Son excuse, c'est que jamais il n'avait entendu chanter au théâtre
ces Imprécations, qui ont la prétention de traduire musicalement les
vers sonores de Corneille. Pourquoi de la musique? Pourquoi des
notes sur cette mélopée qui se passe à merveille de tout accompa-
gnement et rompt dédaigneusement le mètre mélodique dans lequel
on cherche à l'enfermer? . -
Il a donc tenu à les entendre déclamer par M™« Garon, dont le
tempérament tragique, la stature et le geste s'allient bien aux senti-
ments exprimés par le poète. Son rêve a été accompli. Et le public a
témoigné aux deux artistes chargés de l'interprétation combien il
avait, même dans des ouvrages médiocres, de plaisir à les applaudir.
A ■ ■
A signaler aussi un concert de musique italienne, consacré à la
musique de Verdi, donné mardi dernier avec le concours de
^Jme Albani. on a chanté en italien et en français. Ceux qui aiment
ça se sont régalés. Le trio de Jérusalem a succédé à la Traviata.
M. Ghapuis tenait le piano, La Traviata a été chantée en costumes
de théâtre, Jérusalem en habits de ville.
A'^ariété complète donc, comme langue et comme vêtements, La
musîqkie seule a paru languissammenl uniforme.
M"'« Albani a eu son succès habituel. Oij a écouté avec 1 ebahisse-
merit accoutumé ses vocalises compliquées et le mécanisme d'horlo-
gerie de sa voix.
Mais pourquoi baptiser ce concert représentation théâtrale?
Etait-ce par ironie? Si c'est une plaisanterie faite par l'imprimeur
des alliches, nous demandons la tête du coupable.
**i;
La représentation de clôture des Maîtres-Chanteurs Siéié superbe.
On sentait entre les spectateurs et les artistes un courant sympathi-
que, bien établi, manifesté chez les uns en applaudissements enthou-
siastes, cliez les autres en soins particuliers apportés à l'interpréta-
tion.
Un groupe de Wagnéristes a offert à M, Seguin, pour la façon
remarquable dont il a créé le rôle de Hans Sachs, une magnifique
couronne de feuillage doré encadrant une palme verte. Cette cou-
ronne lui a été remise après le monologue du troisième acte et toute
la salle s'est associée à cette manifestation, bien méritée.
La loge Union et Progrès et celle des Amis Philanthropes out
remis à MM. Verhees (Walter) et Durât (Pogner), les triangles
maçonniques en feuilles de chêne.
Le Quintette a été bissé. On a beaucoup admiré la persévérance
du Maître-Siffleur qui continue à suivre assidûment les représenta-
tions pour s'exercer, durant le deuxième entre acte, à l'innocent
talent de société par lequel il cherche à se distinguer.
On l'a hué jeudi et, à travers la tempête de bravos qui a étouffé le
chant de ce merle en habit noir, on a distingué les cris : « A la porte,
le Beckmesser! » On a eu tort, à notre sens. Il eût été fâcheux de
priver la salle du spécimen rare et précieux qui l'a tant égayée ces
derniers jours.
Gela fera bien, pour la gloire de Wagner, de dire qu'il a été sifflé à
Bruxelles en 188.5. Et bientôt, on ne trouvera plus même un archi-
tecte pour se charger de cet office !
Théâtre Molière. — Une dernière représentation du PrijicéZilah
aura lieu ce soir, à prix réduits. Ce spectacle clôturera la saison
tlioâtrale.
EXPOSITION UNIVERSELLE D'ANVERS
Les expositions" artistiques se multiplient. Après l'Exposition
officielle, après le Salon « d'à côté « ou « d'en face ", voici une exhi-
bition de peintures dues à un groupe d'artistes anversois, MM. Eniile
Glaus, Farasyn, Geefs, Hens, Joors, Joris, Lauwers, Simons et
Verstraete.
Gette exposition, dont l'ouverture a lieu aujourd'hui, est située
rue aux Lits 11 (salle De Buck). Elle est visible tous les jours, de
10 à 5 heures, moyennant une entrée de 50 centimes.
Les œuvres exposées seront remplacées tous les mois.
Nos lecteurs savent que l'administration communale d'Anvers a
i nstitué un Comité de Logements, destiné à suppléer à l'insuffisance
éventuelle des logements pendant la durée de l'Exposition.
Gette institution n'est pas absolument nouvelle; elle a fonctionné
antérieurement, mais à titre privé et lucratif. Il va sans dire, au
contraire, que la ville d'Anvers n'entend retirer aucun bénéfice de
son initiative. Elle n'a eu en vue que l'intérêt général, et le désir de
soutenir son vieux renom d'hospitalité.
Le Comité formé sous ses aupices a commencé par faire appel à
tous les habitants ayant des appartements disponibles ; puis ces
appartements, dont le nombre dépasse déjà 1,200, ont été visités par
les experts et classés suivant leur degré de confort ; enfin un tarif
et un règlement détaillé ont été élaborés.
A peine débarqué, le voyageur pourra donc trouver, en s'adressant
aux bureaux établis [)ar le Comité, l'appartement qu'il lui faudra.
11 y eu aura pour tous les goûts et dans tous les prix : 15, 10, 8, 6
4 francs, voire 2 fr. 50 et 1 fr. 50 par jour, service, lumière et
déjeûner compris. Les plus modestes de ces logements seront pro-
pres et bien tenus.
Le Comité a fait plus encore. Grâce à Tobligeance de la ville, il a
transformé en hôtel populaire l'ancien local de l'Athénée. Ce vaste
établissement a été aménagé de façon à pouvoir loger simultanémenjt
5000 personnes. Deux médecins y seront attachés et en vérifieront
quotidiennement les conditions hygiéniques. Le prix uniforme de
ces logements démocratiques sera d'un franc.
RECETTE POUR AVOIR DU GENIE
On ne consulte pas assez los bouquins. Ils sont pleins de révé-
lations inattendues. Peintres de balaillos, écoutez-nous. La critique
déplore la décadence de la peinture Que n'employez-vous la
recette d'Etienne Marc, peintre espagnol, mort en 1660?
— Etienne Marc? -
— Oui. Voici ce qu'en raconte un auteur du siècle dernier :
« Etienne Marc, peintre espagnol, mort en 1660, exprimait
supérieurement les batailles Par manie plutôt que pour avoir des
modèles, il avait entouré le lieu de son travail de cuirasses, de
sabres, de casques, de lances, etc. Cet appareil militaire ne lui
suffisant point encore, il avait coutume, avant de se mettre à
l'ouvrage, de s'armer de pied en cap, et de parcourir la maison
en battant du tambour.
« Quelquefois, il sonnait la charge avec une trompette;
ensuite, il mettait le sabre à la main, cl frappait d'estoc et de taille
en s'escrimant comme un furieux dans sa chambre au erand dom-
mage des meubles. Après ce bizarre exercice, il prenait le pinceau
et rendait avec force les idées de guerre et de carnage dont son
esprit venait de se remplir. »
Le moyen est simple, pratique et pas trop coûteux. C'est le
génie à la portée des petites bourses.
On trouvera dans le volume où est racontée l'anecdote une
foule de conseils utiles et tout aussi faciles à suivre, même en
voyage. Le titre de l'ouvrage en dit d'ailleurs plus long que les
commentaires. Le voici :
« Anecdotes des Beaux- Arts^ contenant tout ce que la Pein-
ture, la Sculpture, la Gravure, C Architecture, la Littérature,
la Musique, etc., et la Vie des artistes, offrent de plus curieux
et de plus piquant chez tous les peuples du monde, depuis iorigin-e
de ces différents Arts jusquà nos jours. Ouvrage qui facilite
d'une façon aussi instructive qu'amusante la connaissance des
Arts, en trace les progrès et la décadence parmi les nations qui
les ont cultivés et dans lequel on trouve un grand nombre de traits
intéressants qui n'avaient pas encore été publiés. Avec des notes
historiques et artistiques et des tables raxsonnées oii l'on apprécie
en peu de mots les artistes et les auteurs dont on a rapporté des
anecdotes. Par M. Nougaret. A Pans chez Jeau-François Bastion,
libraire, rue du Peiii-Lion, Faubourg Saint-Germain, 1776. Deux
volumes in-S** d'en,viron 700 pages chacun. »
f
ETITE CHROJVIQUi:
On assure qu'à l'occasion de la discussion des articles du budget
des Beaux-Arts, M. Slingeneyer, député de Bruxelles, et M. Osy,
député d'Anvers, prendront la parole et défendront énergiquement la
thèse que les beaux-arts méritent de préoccuper le gouvernement
autant que toutes les autres branches de I activité nationale.
Cette initiative serait opportune et heureuse. Nous y applaudirions
sans réserve. Il y a une jjlace à prendre à la Chambre dans ce
domaine trop délaissé. Les artistes se réjouiraient d'y avoir enfin un
défenseur attitré. On peut ne point aimer la peinture de M. Slinge-
neyer, mais c'est fort injustement qu'on lui a contesté les qualités
qui lui permettront de remplir ce rôle, et certes les appuis ne lui
manqueront pas. s'il prend les questions de haut et sans étroite
préoccupation d'école.
Pour rappel, voici le programme du concert Wagner qui sera
donné aujourd'hui, diman^lCçS mai, à 8 heures du soir, par la
direction des Concerts populaires :
1. Premier acte d* La Valkyric (version française de>M. Victor
Wilder). — Sieglinde, Mme Blanche Deschamps ; .Siegmund,
M. Van Dyck; Hunding, M. Blauwaert.
2. Fragments de Parsifal (l'e exécution) : A. Prélude ; B. Scène
du jardin enchanté (2* acte) (version française de M. Kufferath).
* Parsifal, M Van Dyck; Filles-fleurs. Mm'» Louise Wolf, Jane
De Vigne, Lecerf, Buol, Hiernaux, Flon-Botman. Chœurs de
femmes.
C. Scène du Vendredi-Saint (3« acte) (version française de
M. Kufferath). — Parsifal, M. Van Dyck; Gurnemanz, M. Blau-
waert.
3. Siegfried-Idylle (l""* exécution). -
4. La chevauchée des Valkyries (version française de M. Victor
Wildér) — Valuyries, Mm^s Blanche Deschamp's, Baudelet, Buol,
Jane De Vigne, FIon-Botman, Hiernaux, Lecerf et Louise Wolf. —
Directeur du chant, M. Ph. Flon.
Jamais il n'y eut pareil empressement du public. La salle est
entièrement louée, jusqu'aux strapontins, depuis le commencement
de la semaine, et les demandes de places continuent à affluer.
La direction des Concerts populaires sera obligée de donner une
seconde audition du même concert. Celle-ci aura lieu vraisemblable-
ment jeudi prochain.
On parle aussi daller, avec l'orchestre et les chœurs, donner une
audition du concert Wagner à Anvers.
La maison Schott frères a mis en vente hier; pour servir de pro-
gramme détaillé à cette solennité musicale, une brochure de 36
pages in 13° contenant la traduction du premier acte de la Valfcyrie
et des scènes de Parsifal qu'on exécutera ce soir.
C'est demain lundi que commenceront au Waux-Hall du Parc,
sous la direction de M. Léon Jehin, les concerts quotidiens donnés
par l'orchestre du théâtre delà Monnaie.
Il est à peine nécessaire de recommander ces excellentes auditions
qui ont, depuis des années, la faveur du public.
Mardi 5, à 8 heures du soir M^es Caron, B. Deschamps,
Bosmau, A. Legault et MM. Gvesse, Seguin et Soulacroix, se feront
entendre à la Grande-Harmonie dans. un grand concert organisé par
M. Renaud. Le programme comprend, outre un opéra-comique, les
Valets modèles, interprété par M'i» Legault et M. Soulacroix, seize
morceaux de musique, parmi lesquels le trio de Jérusalem, le duo
de Sémiraniis, le duo d'Hamlet, le duo des Noces de Figaro, pour
voix de femmes, le duo de Mireille, l'air de Nabuchodoyiosor, etc.
Le prix des places est de 10 et de 5 francs.
Le grand Concert, organisé par la Nouvelle Société de Musique de
Bruxelles, aura lieu, sans aucune remise, le dimanche 10 mai 1885,
à 2 heures de relevée, dans la salle de i'Alhambra.
M'"e Bosman ayant été appelée à Paris vers le 5 mai au plus tard,
pour les répétitions de Sigurd, le Comité a fait appel à M""* Gornélis-
Servais, dont les derniers concerts du Consei'vatoire ont mis le
sérieux talent en relief.
Des places sont à la disposition du public chez le Trésorier de la
Société, M. Charles Hoffmann, 32, rue de Loxum, et chez MM. Schott
frères, 82, Montagne de la Cour.
L'Union des jeunes compositeurs adonné cette semài/ie sa séance
d'inauguration, dans une des salles du Palais des Beaux-Arts. N ous
avon&eu le regret de ne pouvoir assister à ce concert, qu'on nous a
dit avoir été fort intéressant. On y a entendu un trio pour piano et
pour ins^fumeuts à cordes de M. Pierre Heckers, la Suite pour
piano et violon (le M. Emile Agniez, des chœurs drt MM. Léon
Soubre et Philippe Flou, diverses pièces pour piano et violon de
M. Arthur De Greef, un fragment d'opéra {Esthrr) de M. Léon
Jehin, une berceuse de M. Louis Macs et des mélodies de M. Léon
Dubois.
Les solistes étaient M'"*' Cornélis-Servais, M. Edm. Peeters,
De Greef, Agniez et Maes.
Nous applaudissons de tout cœur aux efforts de cette jeune et
vaillante association.
Le concert annuel de la Société royale l'Orphéon aura lieu,
samedi prochain, à 8 heures du soir, au théâtre de la Monnaie.
144
VART MODERNE
M"« Haroaekers, MM. RenaUd, Eldemig, violoniste, et Karl Hertz,'
violoncelliste, s'y feront entendre.
La Société exécutera Le Départ des Pêcheurs, de Léon Jouret ;
Le Nid, de Camille De Vos ; Nocturyie, de A. Wouters ; Magni-
ficat, d^ Chiaromoute et Chant d'Atnonr, de Ph. Flon, tous.chœurs
qui ont été imposés au dernier concours de chant organisé par
rOy-phéon. , ■
Le Figaro organise, nous dit-on, une audition ô'Egmont, l'opéra
^e MM." Salvayre, Albert Wolff et Albert Millaud, qui fait en ce
moment l'objet d'un procès entre ces messieurs et la nouvelle direc-
tion de l'opéra.
La critique sera ainsi appelée à se prononcer sur le mérite de
l'œuvre que MM. Ritt et Gaiîlhard ont refusé de jouer.
Des artistes de choix seront chargés de l'interprétation. Ce sont
MM. Lasalle et Van Dyck, M'»«« Krauss et Rosine Bloch.
L'Odéon annonce pour le mardi 5 mai la reprise de VArlésienne,
d'Alphonse Daudet, avec l'exécution de la musique de Georges Bizet
par l'orchestre Colonne. On annonce des merveilles de mise en scène
pour cette intéressante représentation.
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Brunncr, C. Trois transcriptions, chaque
Bulow, H. [de). Réunion des Maîtres chanteurs
« Paraphrase sur le quintuor du 3' acte
Cramer, H. Pot-pourri
« Marche . . . . .
« Danse des apprentis ....
Gohbaertx, L. Fantaisie brillante . . .
Jaell, A. Op. 137, Deux transcriptions brillantes (Werbegesang-
Preislied), chaque . . .
« Op. 148, Au foyer ......
Lassen, E. Deux transcriptions de salon, n° I .
" " « n" II. .
Z,«7<îr(. Op. 26. Transcription . . . . .
Rair, J. Réminiscences eu quatre suites, cahier I et II, à
cahier III.
cahier IV.
Rupp, H. Chant de Walther . . . .
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La Partition coniplète
Ouverture. Introduction par C. Tausig . . . .
J5e)/<?'*j^. Revue mélodique . . . , . . , .
Bùlow, H. (de). La réunion des Maîtres chanteurs, paraphrase .
Cramer, H. Pot-pourri. . .
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De F<7i>rtc. Deux illustrations, chacune . -
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G regoir et Léonard. Hno^ovLV violon Qi\)ïSL\\o. . .
/las^Hcr, £". Paraphrase pour orgue-mélodium. . . . .
Lux, F. Prélude du 3' acte pour orgue ......
Oberthur^ Ch. Chant de Walther pour harpe . .
Singelée, J. B. Fantaisie brillante pour violon et piano .
Golterman. Chant de Walther, pour violoncelle et piano
Wickede, F. (de). Morceaux lyriques pour violoncelle et piano .
N° 1. AValther devant les Maîtres . . . .
N- 2. Chant de Walther.
Wilhelmj, A. Chant de Walther, i)araphrase pour violon avec
acconipag. d'orchestre ou de piano. Partition
L'accompagnement d'orchestre.
» de piano . . . . .
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Cinquième année. — N° 19.
Le numéro : 25 centimes,
Dimanche 10 Mai 1S85.
L'ART
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
Adi^esser les demandes d'abonnement et toutes les communications à ^
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
?
OMMAIRE
Concert Wagner. — James Tissot. — De la modernité dans
l'art. — La poésie nouvelle. Godefroy de Lussinan. — Théâ-
tres. Théâtre de l'Alcazar. La Cantinière. — Petite chronique.
3 et 7 mai 1885.
« Wagner ne fait pasd'iiriçonl à Bruxelles ; jamais il n'en fera ».
— Qui dit cela? Les troubadours du Ménestrel. Ils le chantent
on mineur.
El le Maîlre-Siffleur de la Monnaie ajoute, dans un monument
de sottise désormais célèbre : « Ils sont, en tout, une trentaine
d'illuminés qui essaient de faire croire à un succès factice. »
On devine que l'auteur de la lettre à la Gazette a l'habitude
de manier les pierres de taille. Ses bévues en ont les proportions.
Que n'étiez-vous à Bruxelles la semaine dernière, ô trouba-
dours ! Et vous, doux siftleur, que ne vous êtes vous, armé de
l'instrument de musique qui vous est cher, introduit au théâtre en.
ces deux mémorables soirées? Vous eussiez assisté à un spectacle
cu-ri-eux, comme dit l'excellent Nachtigall : une salle comble
acclamant Wagner, rappelant et bissant les artistes, faisant iine
ovation enthousiaste au chef d'orchestre, applaudissant chaque
œuvre avec frénésie, et accueillant la dernière, la Chevauchée
des WalkyrieSy par un ouragan de bravos, de trépignements, de
cris, au regard duquel le charivari qui clôt le deuxième acte des
Maîlres-Chanteurs est une symphonie aimable.
Même fessée, d'ailleurs, morale celle-ci, aux Beckmesser
bruxellois que tourmentent les lauriers de leur confrère de
Nuremberg.
El si les recettes d'un bureau de location pouvaient servir de
critérium à la valeur des ouvrages lyriques, nous ajouterions :
Wagner plaît si peu aux Bruxellois qu'après avoir donné une
audition de ses œuvres, dimanche, la direction des Concerts popu-
laires* a dû, pour satisfaire aux demandes de ceux qu'on n'a pas pu
caser, en donner une seconde le jeudi suivant.
Ceci, détail à noter, quand la saison est finie, qu'on est saturé
de musique, que nombre de personnes ont fait leurs malles et
que la température éloigne du théâtre quantité d'habitués.
Et encore les conditions dans lesquelles sont présentés au
public les friigments de ces deux chefs-d'œuvre, Parsifal et la
Walkyrie, ne peuvonl-elles donner de ce qu'a voulu le maître
qu'une idée approximative.
Nous ne parlons pas de l'intcrprélalion, qui a été vraiment
remarquable dans son ensemble. M. Van Dyck a accjuis, en deux
ans, une autorité exl^raordinaire. Doué d'une voix superbe, il
s'est attaché surtout à se perfectionner au point de vue de l'arti-'
culation, et il est arrivé à une netteté de prononciation telle
que certaines personnes l'ont trouvée exagérée. Il y a toujours des
gens pour qui la[mariéc est trop belle. Quant à nous, nous ne nous
plaindrons jamais de cette qualité rare, quand au mérite d'une
diction irréprochable sont jointes les séductions d'une voix
chaude, ardente, avec le sentiment juste de l'œuvre interprétée.
•M. Van Dyck, dans le rôle de Siegmund cl dans celui de Par-
sifal, a réuni ces précieuses qualités. Son succès a été très grand
et bien mérité.
L'interprète du personnage d'Hunding dans la Walkyrie^ de
Gurnemanz dans Parsifal^ était M. Blauwaerl, dont le nom est
attaché aux principales créations d'œuvres de grand souffle, à
celles de Wolan principalement et de Méphisiophélès de la
Damnation de Faust,
Il n'a cessé de progresser, comme chanteur et comme musi-
cien.
M»« Deschamps a chanté le rôle difficile de Sieglinde de façon
\
l\ satisfaire toutes les exigences, dans les sonorilwi graves tout au
moins, t)ii le timbre de son magnifique contralto s'est épanoui
largement.
El à part' les liésiUliïMîs prévues des Filles- fleurs, tout a bien
marché du côté des chœurs et de l'orchestre. Celui-ci a même
mis dans rèxéciilion de VIdylle de Siegfried, celle page exquise
où Wagner tresse pour la naissance de son fils la couronne des
motifs principaux de Siegfried, une discipline, une délicatesse,
un esprit des moindres intentions du compositeur qui ont valu
aux excellents musiciens de M. Dupont une ovation justifiée.
Ce n'est donc pas h l'inlerprélation que nous faisons allusion
en parlant de conditions défavorables aux œuvres. Ce sont les
nécessités mêmes d'une audilion restreinte aux ressources du
concert : l'absence de décors, de costumes, de mise en scène, ces
éléments qui, dans le drame de Wagner, ont même importance
que la musique.
Quelle chose ét-range que de présenter au public un Sicgmund
et un Hunding en cravate blanche, de remplacer par l'habit noir
l'armure de Parsifalct le manteau de Gurnemanz, d'aligner devant
la rampe huit Walkyries en robe de soirée au lieu de les faire
passer dans une tempête échevelée sur leurs coursiers fougueux.
Mais telle est la puissance évocatrice du génie de Wagner,
que la seule vibration de sa pensée fait surgir de féeriques
paysages où se meuvent des personnages armés de pied en cap,
où le sabot des chevaux résonne, que le soleil éclaire de vastes
pefrspcctivcs.
Quel autre compositeur résisterait à cette dissection de ses
œuvres, dépouillées des attraits scéniques,' de l'illusion que pro-
duisent le décor et les costumes, de l'intérêt qu'ajoute à. l'action
la mimique des acteurs?
C'est ce qui a fait dire à ceux qui subissent le charme de cet
art profond sans vouloir l'admettre d'une façon absolue : « Wa-
gner au concert, h là bonne heure. Au théâtre. Jamais. »
Il est temps que cesse la légende qui transforme Wagner, le
tempérament le plus dramatique qui ait existé, en symphoniste
pour matinées musicales. Wagner symphoniste, quelle hérésie
pour ceux qui ont de la musique quelques notions justes! Nous
aurons un jour à étudier celte question, déjà abordée avec beau-
coup de vérité par M. Maurice Kuiîeràth. L'espace dont nous
disposons est malhcureusemeut trop restreint pour que nous
nous expliquions ici à ce sujet.
Ce que nous souhaitons, c'est que les œuvres qui ont reçu la
semaine dernière la consécration de la foule, ou tout au moins
l'une d'elles, puisque Parsifal ne peut être joué qu'à Bayreulh,
soit prochainement interprétée à Bruxelles dans les conditions
nécessaires à sa parfaite compréhension. Ceux qui ont vu la
Wnlkyrie à Bayreuth et qui en ont conservé l'ineifaçable sou-
venir que provoque l'art de Wagner réalisé dans son expression
complète, savent combien est différente l'émotion ressentie là-bas
de celle que fait éprouver la simple audition de l'œuvre au con-
cert. Ceux-là réclameront avecnous,énergi'iuemenl et sans trêve,
la mise à l'élude de cette œuvre, en attendant que le public,
mieux initié, pénètre les beautés des ouvrages plus abstraits et
plus émouvants encore de l'auteur des Nibelungen.
Le directeur de théâtre qui aura la bonne fortune de monter
à Bruxelles, pour la première fois, l'un des grands drames du
maître, aujourd'hui surtout que Téducairon du public est faite par
les représentations des Maîtres- Chanteurs, verra si « Wagner
ne fait pas d'argent ».
JAMES TISSOT
M. Sedelmayer vient. d'ouvrir une exposition composée uni-
quement d'œuvros de James Tissol, un des artistes français les
plus intéressants et les moins connus par suite des hasards de son
existence. Depuis 1870 il habita^it Londres, d'où il revient ai)rès
avoir subi une transformation qui étonne la plupart des gens,
mais qui nous semble, à nous, avoir été le développement tout
naturel de son talent. En effet, plus nous voyons ses œuvres
anciennes et les dernières exécutées, plus nous sommes frappé
du caractère anglais de ce peintre littérateur. Si au lieu d'être né
en France, il fût né do l'aulre côté de la Manche, il eût certai-
nement été un membre du « Brolherhood » préraphaélite. Il eût
commencé par traiter des sujets symboliques ou historiques avec
ce soin méticuleux du détail qu'il a apporté à sa première ren-
contre de Faust et de Marguerite (Musée du Luxembourg), ce qui
ne l'eût pas empêché de se rapprocher, petit à petit, de la vie
contemporaine, pour ne plus faire que « du Moderne », suivant
ainsi la mêiné"carrière qu'un John Evretl Millais.
Il est bien difficile de retrouver un élément français dans cette
peinture sèche, presque dure, aigre, dans ce dessin net de gra-
veur sur bois, un peu archaïque, très voulu et parfois maladroit;
ces qualités ou ces défauls,sontaussi marqués dans les ouvrages
qui ont précédé le séjour de l'arlisic à Londres que dans ceux
qui ont été fails durant ce séjour.
Les tableaux de genre, les Merveilleuses et les Incroyables
surtout, qui eurent un certain succès autrefois, avaient peut-être
encore plus de celle rigidité de dessin et de celte dureté de pein-
ture que les dernières toiles de Tissot. Elève de Leys, il n'ou-
blie jamais complètement les leçons de son maître. Son éduca-
tion ne fut donc pas française, pas plus que ses goûts, qui le
portèrent tout de suite vers les peuples du Nord, dont il a un
peu l'esprit.
C'est après la guerre de 4870, qu'il se fixa dans celle déli-
cieuse habitation londonienne qui a été le but de bien des pèle-
rinages pendant quinze ans. Là, il fit quelques peintures emblé-
matiques, non sans analogie avec celles des préraphaélites
anglais, et encore remplies des souvenirs de Leys. Puis, frappé
par les côtés intimes de la vie de famille, par ce qu'il y a d'un
peu sentimental dans certaine jeunesse anglaise, il fut amené à
peindre les êtres qui l'entouraient, dans celte atmosphère d'art
délicat de la Londres moderne, dans ces home dont la poésie
l'avait cliarmé. Et il devint un narrateur exact de celte existence
qui n'avait encore été Observée par aucun œil atleniif. Sa double
qualité d'étranger et de réaliste le servit à miracle. Il fut frappé
do ce qu'il y a de particulier dans les mœurs britanniques, et il
les reproduisit avec la plus grande vérité.
Nous ne parlerons guère de ses eaux-forles et pointes sèches
que presque tout le monde connaît; c'est la partie incon-
testée de son œuvre. Tissot est considéré par tous comme un
maître graveur, et toutes les collections renferment des épreuves
de La Convalescente, Le chapeau Rubens, A la Fenêtre, Que-
relle d'amoureux, La Tamise, Le Bal à bord. Le Veuf, Histoire
ennuyeuse et autres petits chefs-d'œuvre d'arrangement et d'exé-
cution. Les deux plus célèbres planches sont celles qui repré-
sentent des promenades en canot entre les immenses navires d'un
port militaire; dans l'un, des jeunes femmes élégantes et de
jeunes viveurs ont une provision de bouteilles de vin de Cham-
UART MODERNE
147
pagne; clans l'autre, un grand diîible de soldat accompagne des
« house-maids >> d'un air protecteur. Rien de plus vivant, de plus
scrupuleusement anglais. La plupart de ces estampes étaient la
reproduction de petits tableaux que les riches colleclionncurs se
disputaient et dont il fit une quantité considérable : intérieurs,,
coins pittoresques de sa maison ou de son jardin, départs de
transatlantiques, garden-parties ai autres sujets de plein air où
les grandes pelouses vertes, les régulières plates-bandes et les
marronniers très feuillus jouent un rôle aussi considérable que
les jolis. bébés blonds et les jeunes misses au regard profond.
On peut dire que la jeune fille anglaise dans toute sa beauté,
sa distinction et son élégance, a été la plus grande préoccupation
de Tissol. Il eut le bonheur de trouver un modèle d'une exquise
finesse dont il se servit constamment, et qui est un des charmes
de ses tableaux. 11 a certes été un des premiers k comprendre la
véritable beauté anglaise, si pure qu'elle évoque quelquefois le
souvenir do certaines têtes grecques aux grands yeux clairs, au
nez mince ; à la .bouche largement dessinée, cl de celte
beauté "presque idéale qu'ila rencontrée dans ce peuple affairé et
actif il a su dégager toute la, séduction naïve et simple.
Le voici de nouveau à Paris, et il invite le public à voir « dif-
férentes manifestations de la Femme à Paris », les treize premiers
numéros d'une suite de peintures qu'il gravera et qu'il publiera
avec tout le luxe et la recherche imaginables, accompagnées de
« quinze sujels liltérjires par des écrivains du temps ». UAm-
bitiemôy Les Dames des Chars (hippodrome), Sans dol, La Mys-
térieuse, La plus jolie femme de Paris, U Acrobate, La Men-
teuse, La Mondaine, Les Femmes d'artiste. Les Demoiselles de
province, Le Sphinx, La Demoiselle de maqasin sont autant de
compositions d'une scieiTce aïfcçmplie, d'un goût parfait, d'une
ingéniosité extrapMinaire. Malheureusement, c'est V Anglaise à
Paris que devrait s'appeler cette suite, faite par un homme qui
n'a pas encore (jublié, le pays où il a vécu longtemps, d'où il
revient à rinstàril^ct qui n'a pas vu notre ville comme un des
nôtres. Imagmez des toiles destinées à être reproduites par Rout-
ledge, pour illustrer un des albums si curieux qu'il édite pour la
Noël. Absence d'exécution, de peinture au sens artistique de ce
mot; une couleur crue et simple remplissanl un contour très
voulu; une sorte de vitrail sans les arrêtes de plomb; quelque
chose d'archaïque dans le procédé, excluant toute recherche
d'atmosphère et de perspective en trompe-l'œil.
Ici, le desssin est chargé de tout exprimer, et c'est parce qu'il
est souvent de premier ordre, que l'attrait de cette exposition est
si grand. Tissol n'est pas un de ces artistes qui s'attardent
h la recherche d'un ton rare ou d'une belle matière ; il ne sau-
rait souffrir l'amusernenl d'une élude faite pour le simple plaisir
de peindre, sans but, sans penser au tableau ; c'est un homme
actif, toujours pressé, plein de projets énormes, et qui ne trouve
d'intérêt -à un ouvrage que s'il est sûr de le terminer complè-
tement.
Cet amour du tableau achevé ci ce mépris de l'élude font de lui
un être tout k fait h part, dans ce temps où l'esquisse et l'ébauche
sont si pratiquées. Aussi, csl-il grand l'élonnement du public
non préparé qui ne sait s'il a devant lui de grandes gouaches
recouvertes de glaces, selon la mode anglaise, ou de grandes
chromolithographies encadrées; cet art à la fois si moderne et
d'un style un peu primitif, d'une saveur si âpre et si distinguée,
lui échappe tout à fait.
Nous pourrions faire un choix; plusieurs numéros sont parti-
culièrement bienvenus, tels : la Mondaine, dont le costume,
rcnchevêtremenl de la robe, de la sortie de bal et de la man-
tille, sont d'un goût charmant ; le Sphinx, si étrange dans son
intérieur d'un luxe recherché, à la douce lumière tamisée par de
grandes plantes vertes; le Déjeuner chez Led<>î/c«, le jour du
vernissage, si juéle, si vivant, avec sa cohue de peintres, accom-
pagnés de leurs femmes ou de leurs modèles, avec ses fonds de
marronniers en fleurs et l'architecture gaie du restaurant; la plus
jolie femme de Paris qui passe dans un grand salon, au bras de
son vieux mari grotesque, entre une haie d'admirateurs et de
curieux chuchotants.
Mais tout ceci n'est qu'un début Peut-être esl-il un port où
un yacht attend James Tissol pour l'emporter au loin, dans des
pays inconnus aux peintres européens, d'où il nous rapportera de
nouvelles scènes d'une scientifique précision dans leurs décors
splendidcs.
Peut-être verrons-nous enfin un Orient moderne, tel qu'il est,
avec ses aimées à brodequins de la rue Montorgucilel k écharpes
k l'écossaise, au miheu des antiques chefs-d'œuvre de palais
authentiques.
Nous publierons dimanche la fin de noire élude : Deux expo-
sitions. Notre prochain numéro contiendra, en outre, notre
appréciation sur le Salon de Paris.
DE LA MODERNITÉ DANS L'ART ■
' ■ . . *
Mon cher Rousseau, •
Je me suis trop souvent trouvé en communion d'idées artistiques
avec vous, pour laisser passer sans prostester la définition aventu-
reuse que vous donnez de la modernité dans l'art,... « La mo-
dernité n'est autre chose que la peinture de tnodes. »
Il me paraît, mou cher Rousseau, que vous, qui avez de l'esprit,
du meilleur et du plus fin, vous vous êtes laissé aller, cette fois, à
1 epigrâmme, avec une facilité que vous blâmeriez chez un confrère
de votre valeur : « Modernité : modes ! Peintre de la modernité :
modiste! n II me semble surtout que vous vous méprenez sur 7a
modernité, en ne voyant en elle qu'une cocodette. La niodetmité,
dans l'être féminin de nos jours, commence aux paysannes de
Millet, et finit aux femmes d'Alfred Stevens.
«« Les hommes, dans la modernité, dites vous encore, ce sont...
les femmes. »» Ceci rappelle le mot fameux d'un magistrat : «Mais
dans cette affaire, où donc est la femme? « Et le magistrat; avait
raison, car la femme est partout, et les hommes, dans toutes les
modernités, ou, si vous aimez mieux, à toutes les époques, ont été,
suivant votre heureuse expression... les femmes.
En vous écriant : « Une femme habillée à la dernière mode, et un
bibelot bien exécuté, en voilà assez pour uu chef-d'œuvre au goût du
jour! » vous me semblez regarder cette question de la mode^mité
par le gros bout de la lorgnette, sans prendre la peine de considérer
que l'Art tout entier eèt dans la représentation de la vie contempo-
raine, que les vrais peintres d'histoire sont ceux qui peignent leur
temps. Ceux-là, et ceux-là seuls, sont et resteront intéressants,
parce qu'ils expriment une vision et une émotion dii'ectes, de
première main, pour ainsi dire.
Jd vous le demande, en conscience,.... aucun des nombreux
romans historiques d'Alexandre Dumas père vous a-t-il autant
troublé et passionné qu'a pu le faire, par exemple. Madame Bovary ,
de Gustave Flaubert, quel que soit le jugement à porter en dernier
ressort sur ce livre ?
$
Mais j'ai hâte, mon cher Rousseau, d'opposer à vos. idées,....
sur la modeiyiité, quelques pensées d'un homme qui avait beaucoup
médité sur les choses de l'Art, et qui est l'inventeur, je crois, de ce
mot : modernité, déplaisant pour vous, mais non de la chose, aussi
ancienne que l'Art; je dirais presque qu'elle est l'Art elle-même.
Voici quelques passages empruntés à un très remarquable article
de Charles Baudelaire : Le peintre de la vie moderne :
« Pour tant aimer la beauté générale, qui est exprimée par les
poètes et les artistes classiques, on n'en a pas moins tort de négliger
la beauté particulière, la beauté de circonstance, et le trait de
mœurs.
« Le plaisir que nous retirons de la représentation du présent,
tient non seulement à la beauté dont il peut être revêtu, mais aussi
à sa qualité essentielle de présent.
«• Le beau est fait d'un élément éternel, invariable, dont la
quantité est excessivement difficile à déterminer, et d'un élément
relatif, circonstantiel, qui sera, si rou veut, tour à tour ou tout
ensemble, l'époque, la mode, la morale, la passion.
« Le peintre de la vie moderne, est le peintre de la circonstance
et de tout ce qu'elle suggère d'éternel.
» Ce peintre cherche quelque chose qu'on, nous permettra
d'appeler la modernité ; car il ne se présente pas de meilleur mot
pour exprimer l'idée en question. Il s'agit, pour lui, de dégager de la
mode ce qu'elle peut contenir de poétique dans l'historique, de tirer
l'éternel du transitoire.
«» Il y a eu une modernité pour chaque peintre ancien ; la plupart
des beaux portraits qui nous restent des temps antérieurs sont
revêtus des costumes de leur époque. .Ils sont parfaitement harmo-
nieux,-parce que le costume, la coiffure et même le geste, le regard
et le sourire (chaque époque a son port, son regard et son sourire)
forment un tout d'une complète vitalité.
" Le but du peintre de la vie moderne est de comprendre le
caractère de la beauté présente,
<* Le geste et le port de la femme actuelle donnent à sa robe une
vie et une physionomie qui ne sont pas celles de la femme ancienne.
En un mot, pour que toute modernité soit digne de devenir anti-
quité, il faut que la beauté mystérieuse, que la vie humaine y met
involontairement, en ait été extraite,
« Malheur à celui qui étudie dans l'antique autre chose que
l'Art pur, la logique, la méthode générale! Pour s'y plonger, il
perd la mémoire du présent ; il abdique la valeur et le privilège
fournis par la circonstance; car presque toute notre originalité vient
de l'estampille que le temps imprime à nos sensations.
•» Pour la plupart d'entre nous, surtout pour les gens d'affaires,
aux yeux de qui la nature n'existe pas, si ce n'est dans ses rapports
d'utilité avec leurs affaires, le fantastique réel de la vie est singu-
lièremen t émoussé. . .
« La femme n'est pas seulement pour l'artiste la femelle de
l'homme. C'est plutôt une divinité, un astre qui préside à toutes les
conceptions du cerveau màle; c'est un miroitement de toutes les
grâces de la nature condensées dans un seul être ; c'est l'objet de
l'admiration et de la curiosité la plus vive que le tableau de la vie
puisse offrir au contemplateur. C'est une esp^èce d'idole, stupide
peut-être, mais éblouissante, enchanteresse, qui tient les destinées
et les volontés suspendues à ses regards. Ce n'est i)as, dis -je, un
animal dont les membres, correctement assemblés, fournissent un
parfait exemple d'harmonie. Ce n'est même pas le type de beauté
pure, tel que peut le rêver le sculpteur dans ses plus sévères médita-
tions ; non, ce ne serait pas encore suffisant , 'pour ep expliquer le
mystérieux et complexe enchantement. *
« Tout ce qui orne la femme, tout ce qui sert à illustrer sa beauté,
fait partie d'elle-même; et les artistes qui se sont particulièrement,
appliqués à l'étude de cet être énigmatique raffolent autant de tout
le mundus muliebris que la femme elle-même. La femme est sans
doute une lumière, un regard, une invitation au bonheur, une parole
quelquefois ; mais elle est surtout unq harmonie générale, non seu-
lement dans son allure et le mouvement de ses membres, mais aussi
dans les mousselines, les gazes, les vastes et chatoyantes nuées
d'étoffe dont elle s'enveloppe, et qui sont comme des attributs et le
piédestal de sa divinité; dans le métal et le minéral qui serpentent
autour de ses bras et de son cou, qui ajoutent leurs étincelles au feu
de ses regards, ou qui jasent doucement à ses oreilles. Quel poète
oserait, (dans la peinture du plaisir causé par l'apparition d'une
beauté, séparer la femme de son costume? Quel est l'homme qui,
dans la rue, au théâtre, au bois, n'a pas joui, de la façon la plus
désintéressée, d'une toilette savamment composée, et n'en a pas
emporté une image inséparable de la beauté de celle à qui elle
appartenait, faisant ainsi des deux, de la femme et de la robe, une
totalité indivisible?
» La mode doit être considérée comme un symptôme du goût de
l'idéal surnageant dans le cerveau humain au dessus de tout ce que
la vie naturelle y accumule de grossier, de terrestre..
« Toutes les modes sont charmantes, -c'est-à-dire relativement
charmantes, chacune étant un effort nouveau, plus ou moins heu-
reux, vers le beau, une approximation quelconque d'un idéal dont
le désir titille sans cesse l'esprit humain non satisfait.
•« Le peintre de la vie moderne s'étant imposé la tâche de cher-
cher et d'expliquer la beauté dans la modejvïité, il représente volon-
tiers les femmes très parées et embellies par toutes les pompes arti-
ficielles, n
Je pourrais m'arrêter, mon cher Rousseau, si je ne tenais à ajou-
ter quelques considérations qui répondent plus directement encore à
l'article en question. Vous ne vous plaindrez pas trop de la lon-
gueur de cette lettre : elle renferme de la prose de Baudelaire...
N'oublions pas, d'abord, que le sujet historique, en peinture, est
({'importation française ; qu'en France les peintres dits d'histoire,
suivant le mouvement littéraire et romantique de 1830, et confor-
mément ai^ génie de lai nation, ont dénaturé le but de la peinture, et
l'ont poussée à la tlécadence, en la faisant rétrospective.
Qu'un historien nous raconte Yassassinat du duc de Guise, nous
explique les circonstances qui ont déterminé Henri III à se débaras-
ser d'un compétiteur, nous donne les déductions de ce fait, cela va
de soi ; mais que M. Paul Delaroche ait la prétention de faire entrer
cela dans la peinture, il se trompe d'art.
Delaroche, esprit cultivé, metteur en scène qui eût fait la fortune
d'Un théâtre de drame, avait entrevu, vers la fin de sa vie, l'erreur
dans laquelle il versait; c'est pourquoi, quittant l'anecdote histori-
que, il s'était rabattu sur les sujets bibliques, qui comportent l'ex-
pression des sentiments humains dans leur généralité.
Ne voyonsruous pas aujourd'hui Meissonier abandonner le ves-
tiaire du xviiie siècle, pour aborder directement la grande épopée
militaire moderne? Victor Hugo, ce génie dominant, ne refait plus
de Notre-Dame de Paris: il entre en plein dans la vie moderne par
les Misérables, les Travailleurs de la Mer, etc.
Conçoit-on l'ineptie quotidienne des peintres qui, rencontrant
dans la rue un modèle à longue barbe, rousse ou blanche, l'élèvent
instantanément à la dignité de doge de Venise, ou celle de ces com-
pères qui, trouvant sur leur passage un quidam au regard hébété, et
louche, et à cheveux grisonnants, le proclament échevin de la ville
de Gand ou d'ailleurs? Pensez-vous que l'artiste qui nous représen-
terait le collège des bourgmestre etéchevins de notre temps ne ferait
pas une œuvre plus intéressante, aujourd'hui et pour l'avenir, que
s'il nous itnaginait le collège de la ville de Gand, au xvi® siècle? A
quoi bon refaire ce qui a été fait et ce qui a été mieux fait! Ces pein-
tres, dits d'histoire, ont perdu toute indépendance artistique par
l'étude assidue des vieux maîtres; ils ont à coup sûr perdu le goût
de la vie. A quels reproches ne s'exposent-ils pas pour avoir traversé
un temps dans lequel ils n'auront rien vu?
Si, comme vous le dites, les peintres de la morf^rm^^ entendent
que nous ne pouvons peindre raisonnablement que les choses et les
L'ART MODERNE
hommes de notre temps, je les approuve grandement. J'ai la con-
viction que le public n'est pas éloigné de rire de ces marionnettes
que certains cosfwm ter* nous présentent pour des pages d'histoire,
comme il rit aujourd'hui des masques du Mardi-Gras.
Quelle idée vous faites-vous d'un artiste, d'une intelligence vivant
du passé et dans le passé, en se désintéressant de ce qui nous touche
et nous émeut? Voilà un esprit condamné à fermer les yeux sur ce
qui l'entoure et à n'éprouver que des émotions de somnambule! Et
ce passé n'est-il pas mieux caractérisé qu'il ne pourrait le faire dans
un portrait du temps, dans la seule expression des yeux de ce por-
trait? Les peintres, dits dVizsfoîVe, sont incapables de représenter
l'être qu'ils aiment le plus au mon Je sans l'affubler d'un costume
ancien, sans lui donner un geste de pantin, afin de lui imprimer ce
qu'ils appellent le caractère. De vie, de sentiment vrai, de naïveté,
de religion devant le modèle, d'émotion, il ne peut en être question :
ils en sont incapables.
Non, mille fois non! le but de la peinture n'est pas un enseigne-
ment historique ; cette prétention est un non sens, puisque tout
tableau d'histoire se réfère au catalogue, à l'explication écrite, pour
être compris.
J'écrivais un jour, et c'est peut-être le cas de le répéter ici, qu'il
n'y a rien de commun entre l'Art et les sciences historiques, et que
nous faisons bon marché, chez un peintre, de l'érudition froide,
impuissante à exciter notre émotion. Le but de la peinture n'est pas
de présenter un fait historique dans un groupement théâtral, mais
de créer des types, de. généraliser; non pas d'anecdotiser, mais de
simuler la vie.
L'esprit le plus vulgaire s'empare d'une scène du temps passé et
la représente tant bien que mal ; mais il lui serait difficile d'attirer
à lui le public par un tableau composé d'un seul personnage vivant.
Il se trouverait alors dans l'obligation étroite de lui donner une âme,
un cerveau. S'il veut, par exemple, faire comprendre la douleur
dans l'être figuré, il ne pourra se contenter d'une grimace théâtrale;
il devra, et là est le grand art, exprimer la douleur par le geste, par
la silhouette tout entière. '
Certains critiques d'art qualifient volontiers de frivole tout tableau
qui ne représente pas une «necdote historique. Qualifieront-ils donc
la politique actuelle, la seule possible, de frivole? Oublieront-ils
que la politique est l'ambition de presque tous les hommes, que tous
veulent s'en mêler, et que beaucoup y mettent leur vie. Certes, nous
étudions l'histoire, les faits historiques, comme enseignement,
mais nous ne nous passionnons que pour les événements de notre
temps.
Qui relit aujourd'hui, à l'exception des érudits et d'un très petit
nombre de lettrés, ces chefs-d'œuvre : le Prince, les Provinciales,
les Lettres persanes, les Caractères, etc. ? La foule lit les polé-
mistes et les moralistes contemporaihs. Notre voisin d'aujourd'liui
nous préoccupe davantage que nos aïeux de tous les temps.
L'anecdote historique séduit de prime abord un grand nombre de
peintres ; cela se conçoit : ils éludent ainsi la difficulté de peindre
un homme. ^
Pour faire un portrait, l'artiîîte résume tout ce qu'il a médité dans
sa vie; il met en jeu toute sa science, afin de faire vivre le modèle. Il
est mal à l'aise pour inventer et pour tricher.
En peinture, la plus grande démonstration historique que nous
aient laissée les peintres anciens est dans le portrait. Les générations
désignent volontiers un portrait comme caractéristique du génie
d'un peintre. Je n'en veux pour exemple que les portraits des Syn-
dics des marchands de draps, de Rembrandt.
Dans les portraits anciens, on voit l'homme avant le costume, et
dans les tableaux d'histoire on voit le costume avant l'homme. A
quelle mascarade de costumes arabes, bretons, cdsaciens, romains,
grecs, égyptiens, zélandais, Scandinaves, etc., etc., ne sommes-nous
pas condamnés !
Les peintres anciens ne se sont pas amusés à l'anecdote histo-
rique. Si par exception ils s'y sont arrêtés, ils ont donné aux
personnages représentés les costumes du temps. Voyez Paul Véro-
nése, Rembrandt, et les autres. Les musées anciens ne renferment
que des portraits, des paysages, des sujets de vie familière, des
allégories et des sujets religieux. La peinture dite historique en est
absente.
L'Art participe aux transformations sociales. Quel amateur au-
jourd'hui, par foi religieuse, commanderait au peintre un sujet de
sainteté? Où sont les corporations pour demander Ces grandes pages,
vraiment historiques , qui ornent nos musées?
Convenons auàsi que la dimension ne fait riendan* le grand art^
et qu'un panneau de quelques pouces carrés suffit à l'artiste pour
une œuvre héroïque. Exemple : la Barricade de Meissonier
J'arrive, mon j cher Rousseau, à cette question du bibelot, qui
semble vous tenir à cœur. Pouvons-nous nier l'influence morale du
milieu ambiant sur l'homme, même l'influence du bibelot ambiant,
si vous le vouiez? Puisque aujourd'hui le bibelot ]o\xe un rôle relatif
dans l'existence, je reprocherais aux peintres d'en dissimuler l'im-
portance. Il caractéçd^e les mœurs, les goûts, les habitudes de nos
contemporaines. — Le luxe est général, mais l'élégance est le privi-
lège de quelques-uns. Cette élégance est un lien commun entre les
très grandes dames et les courtisanes, car les unes et les autres ont
le culte d'elles-mêmes; mais l'œil de l'observateur ou du moraliste
les distingue aisément. • .
Que de choses, mon cher Rousseau, il y aurait à dire sur la ques-
tion de métier, dont vous semblez faire bon marché I Citèz-moi un
génie qui n'ait pas su, à fond, son métier
Je me résume, et je vous affirme que « malgré les rénovations
sociales, les grands problèmes et les grandes découvertes de ce
temps, » Vélasquez, dans un seul de ses portraits, est un plus grand
artiste, un plus grand penseur, une imagination plus vive, un homme
plus sensible et plus humain qucy par exemple, Wiertz, le peintre
humanitaire, qui prenait le grossissement pour la grandeur et me-
surait la sublimité de ses conceptions à la dimension des person-
nages. L'un faisait voir son semblable, l'autre s'amusait à la figura-
tion de rébus et de banalités! Au lieu de son musée, que ne nous
a-t-il laissé le portrait réussi de sa mère ....
Mais en voilà bien long, mon cher Rousseau. Ma conclusion sera
que, sous des apparences diverses, nous défendons toujours, avec la
même passion et le même amour de la véj-ité, la cause éternelle
de l'Art !
Vous savez que je suis votre sincèrement dévoué
Arthur Stevens (^)..
h
,A POESIE NOUVELLE
Godefroy de Lussinan.
Un journal parisien s'est amusé à fabriquer un poète. On lui a
confectionné un éiat-civil. On l'a appelé M. Godefroy de Lussinan.
On l'a déclaré âçjé de vingt ans. El l'on a raconté son liorritique
suicide. Toute la misère, tout le désespoir du rimeur mis b la
mode dn jour. Cela ne sufiisail pas : il fallait des preuves. On
donna les meilleures : des vers du poêle mort jeune. Des vers
1res curieux, cuits et recuits sur les fourneaux de Stéphane Mal-
larmé, de Paul Verlaine, de Jean Richepin, de Maurice Rollinal.
Tous les ingrédients de l'acluelle sorcellerie poétique! Toutes les
(*) Cette curieuse lettre, qu'un hasard nous a mise sous la main et que dous
reproduisons presqu'intégralement, est de 1868'. Comme elle montre que
le neuf est vieux et que le vieux est neuf. Jean Rousseau venait de publier
des articles sur le Salon de Gand, dans l'Echo du Parlement. Elle répond à
l'un deux. h'Echo ne la publia pas. Elle parut en une petite brochure, impri-
mée chez Briard, aujourd'hui introuvable.
herbes de h Sainl-Jeaii cueillies par des déesses baudclairesques
échouées au Chai noir! Voulez-yous les deux échanlillops de
celte fabrication. Prenez et lisez :
Mon âme est un meeting où des rêves cafards
Hurlent, en échangeant d'innombrables nazardes.
Mon cœur est un tramway puant, où des poissardes
Infligent leurs relents aux voyageurs blafards.
Mon corps, réduit infect, téléphone asthmatique,
Couve un sale brelan de viols cadavéreux.
Mon crâne est un tambour d'horloge pneumatique,
Où le temps crache l'heure eu efforts catarrheux.
Meeting hurlant,, tramway, horloge ou téléphone,
L'homme est un meuble creux, ouvert sur le néant.
Dans l'esthétique ignoble, étalé comme unfaune,
Il tient sous l'idéal son dépotoir vivant.
Second morceau. Celui-là a pour titre : Adieux splee7iétiques :
Vierge emparadisante, à la forme bougeuse, -a
J'ai subi ta hantise et tes spasmes affreux
Dans la torpeur des nuits où, sur ta chair frôleuse,
Glissait l'âpre regard des peupliers ocreux.
J'ai béni les tourments de ton âme infiltreuse
Dans l'enlinceulement des hoquets langoureux
— Fantôme asphyxieur à la voix chuchoteuse ! —
Et je meurs desséché comme" un vieillard cireux.
Je meurs, tout corrodé par les cuisantes fièvres
Qu'aspirait la ventouse ardente de tés lèvres,
Raffinant dans mon cœur la tortuosité.
Zéphirs ângélisés des firmaments opaques,
Salut ! — Exhalez-vous de mon être envoûté,
Kàles harmonieux, baisers démoniaques !
Ce sont là « leS' paroles inconnues chantant sur vos lèvres les
lambeaux maudits d'une phrase absurde », ainsi que le dit en
prose le maître du genre, le poète Mallarmé. Tout le monde a
reproduit, commenté, critiqué, déploré. Des rectifications sur le
nom de M. de Lussinan ont été demandées aux journaux qui
avaient écrit : Lurrinau. Les rectifications ont été faites. Le mys-
tificateur pourra sans doute faire dans quelques jours une
curieuse « Revue de la Presse ».
Qu'il la fasse et qu'il ajoute aux « OEuvres posthumes » du
suicidé ce quatrain qui nous paraît procéder de la môme inspira-
tion, et que nous lui confions généreusement :
Dans la nuit métallique en la presqu'île ouverte
Luit le ramier d'argent pénible, douloureux,
Qui de l'ombre d'eiïroi que le destin déserte
Se colore infini dé reflets sulfureux.
Veut-on savoir maintenant ce qui a suscité notre doute?
Il s'est produit, dans le lancé àc cci'e mystification, quelques
lacunes, certaine négligence dans la rectitude de la fumisterie.
Ce genre demande la correction et le sangfroid du pincer sans
rire. On ne nous a pas dit le genre de mort du désespéré, ni sa
situation macabre posthume, non plus que le lieu des funérailles,
où la muse était tenue de jouer le rôle du chien du pauvre. E^
puis, où est la tombe? sacrebleu! que nous allions pleurer des-
sus!..- Non, la première pièce ci-dessus rappelle la façon Riche-
pin, qu'on s'avisa pendant un temps dé représenter comme fou
furieux ; la seconde porte la pseudo-griff*e de Rollinal, dont les
amuseurs du jour ont plus souvent exalté le satanisme que l'in-
comparable talent...
En somme, riicureusc plaisanterie en question semble l'œuvre
de deux malins compères, singulièromcnt habiles en pasticherie.
Et si l'invention des deux morceaux incombe à un seul person-
nage, il a, certes, celui-là, du talent et de l'esprit. Mais pour
cire définitivement quelqu'un, il faudra qu'il ait trouvé une
manière à lui, qu'il ait tout à fait achevé d'enterrer M. de Lus-
sinan.
L'N Fureteur {De la Justice).
Jhéatre^
Thkatre de l'Alcazar.
La Gantinière.
La musique est, paraît-il, de M. Robert Planquette, les paroles
sont de MM. Paul Burani et Félix Ribeyre. On n'écoute, à vrai dire,
ni l'une ni les autres, l'extraordinaire verve des interprètes absor-
bant seule l'attention et remplaçant à elle seule tout ce qui manque
à là pièce.
Brasseur, père et fils, et Berthelier, du côté des hommes, M™cs Dar-
court, Milly-Meyer et d'Escorval, du côté des artistes féminins, voilà
la troupe qui s'est présentée jeuiii dans les décors du vieil Alcazar
tout réjoui de tant de gaîté.
Dire qu'on a ri ne serait pas exact. On s'est roulé. Brasseur est
demeuré, depuis dix ans, le comique hilarant qu'on sait. H trouve le
secret d'amuser toujours, sans varier le moins du monde ses effets,
et l'accent et le geste qu'il avait dans les Pilules du Diable, au
Parc, dans Coco^ dans toutes les bouffonneries excentriques qu'il lui
a plu d'interpréter, il les replace dans la Cantinière. Pourquoi les
modifier, puisque le public les aime, et les applaudit sans se lasser?
Il n'y a qu'une modification à son jeu. C'est qu'il a maintenant,
pour lui donner la réplique, un fils, un long et mince garçon à la
figure de jocrisse, qui a hérité de toutes les drôleries paternelles.
Brasseur père. Brasseur fils et Berthelier, l'inimitable Berthelier,
ont eu tous les trois un succès fou.
Et Ion a fait un accueil chaleureux au trio féminin, dont l'entrain
communicatif a achevé de donner le change au public sur la valeur
du vaudeville qu'on lui servait.
Cette fois encore, la jsauce a remplacé le civet. Mais personne ne
s'est plaint.
Mardi, nouvelle folie : le Château de Tire- Larigot, parles mômes
interprètes.
f
ETITE GHROjsiIQUE
Entre les deux parties du concert Wagner, dimanche dernier,
MM. La Fontaine et Kéfer, délégués par V Association icagnërienne,
ont remis, sur l'estrade, à M. Joseph Dupont, aux acclamations de
la foule, la partition d'orchestre, richement reliée, de Parsiful et
une couronne. L'orchestre s'est joint à ce témoignage d'admiration,
en entamant à l'adresse de son chef un double ban d'honneur.
Sur la première feuille de la partition figurent les noms des
souscripteurs. Ce sont :
M. E. Acker, M"»» L. Aubert, M. Blauwaert, Mii«s Anna Boch,
Brandt, MM. J. Brunfaut, Charles Buis, A et^E. Caratheodory,
Hector Colard, G. et H. Dachsbeck, Léon d'Aoust, È. Daye, De
Deken, M™* H. De Diest, MM. A. De Greef, T. et G. Dekens, Dela-
querrière, Deppe, M'>«* A. De Saint Moulin, P Desmet, MM. Eber-
stadt, É. Evenepoel, G. Fié, Flon, L. Frédéric, M^ie Goffart,
MM. L. Goldschmidt, A. Henroz, Jéhin, 0. Junné, Gustave Kefer,
M^'e M. Khnopff, MM. Fernand et Georges Khnopff', Maurice
Kufferath, Fernand Labarre, H. La Fontaine, Lagasse, L. Lambert,
D*" Lavisé, M. Leeuders, Gaston Léonard, Alfred et Léon Lequime,
Victor Mahillon, Alphonse Mailly, Henri Maubel, Octave Maus,
Edmond Michotte, S. Mills, Ivan Orsolle, Renaud, Maurice
Rosart, A. Rosenkranz, B. Scheet, Schott frères, G. Soulacroix,
A. Théroine, Thomeret, L. Tonnelier, M'"«s Tournay-Detilleux,
Van Cutsem, MM. E. Van den Broeck, Ernçst Van Dyck, E Van
Gelder, M"« M. van Nuffel d'Hejenbroeck, M™es A. van Soust de
Borkenfeldt, E. Van Vloten, Mi'^ M. Vent. MM. Verdlmrt, Isidore
Verheyden, Walgert, Wehrenpfenning.
Un comité iiiternational vient d'être constitué en vue d'ériger un
monument à Schopenhauer, « qui appartient, comme écrivain à
l'Allemagne, dit la circulaire, mais comme philosoi)he à l'ijumanité
tout entière. •»
Parmi les membres du comité figurent MM. F. A. Gevaert,
J. Brahms, Emile de Laveleye, le jjeihtre Ilillebrand, Ernest Renan,
Max Muller, Hans de Wolzogen, etc.
C'est à Francfort sur le Meiu que sera érigé le monument. Les
souscriptions peuvent être envoyées directement en cette ville à la
Deutsche Vcrcinshank.
Pour rappel, aujourd'hui dimanche 10 mai, à 2 heures de relevée,
grand concert de la Nouvelle Société de Musiqiie de Bruxelles,
dans la salle de l'Alhambra. Solistes : M'-'e» Gornélis-Servais et
Van Dael, MM. Van Dyck, Blauwaert et Peeters. Chœurs, harpes et
orchestre. 300 exécutants sous la direction de M. Henry Warnots.
On peut retenir des places d'avance chez M. Ctiarles Hoffman, 32,
rue de Loxum, et chez MM. Scholt frères, 82, Montagne-de-la-Cour.
La 'cinquième exposition trimestrielle de l'Union artistique de
jeunes peintres auversois, sous la devise : Als ik lian, est ouverte
depuis le 5 mai (salle Verlat à Anvers). I^a clôture aura lieu le
17 courant, à 5 heures.
On nous écrit de Londres que le pianiste Franz Rummel a eu un
si grand succès au quatrième concert de la Société Philharmonique,
où il a joué le concerto de Dvorak, qu'on l'a réengagé pour le
sixième concert, fait extrêmement rare dans les annales delà Société.
Il a été prié de jouer le concerto en rai bémol de Beethoven.
Dvorak, qui dirigeait, a vivement félicité le jeune pianiste de la
manière brillante dont il avait exécuté son œuvre.
Au sixième concert, fixé au 20 mai, on entendra en outre la
Jeanne d'Arc de Moszkowski, dirigée par l'auteur.
Le dernier concert de l'année, donné par le Conservatoire de
Mous, sous la direction de M. Jean Van den Eeden, est fixé au lundi
1er juin prochain.
La vente des œuvres de Bastieu Lepage, aura lieu les 11 et 12 mai,
à la galerie Georges Petit, rue de Sèze. Exposition publique, aujour-
d'hui dimanche, 10 mai, de 1 à 5 heures.
La Troisième exposition internationale de peinture aura lieu
du 15 mai au 15 juin dans la galerie Georges Petit. Cette exposition
réunira des œuvres de MM. Béraud, Besnard, Donnât, Cazin,
Edelfeit, Eguscuiza, Gervex, Henner, Liebermann, Raffaëlli, Ribera,
Sargent, Stcvens et Van Beers.
On annonce l'apparition prochaine, chez l'éditeur Larcier, d'un
recueil d'esquisses de la vie judiciaire crayonnées par un jeune avo-
cat bruxellois, M. A. James.
Le volume sera illustré d'une série de dessin.-* de Am. [Lyneu.
Titre : Toques et Robes.
Vom Fels zum Mcer publie dans son numéro de juin (StutfgaK,
Spemann, éd.), une intéressante étude ethnographique, historique et
politique sur ?a Russie et V Angleterre m Asie centrale. La même
livraison de cette remarquable revue contient la première partie
d'un roman dErnest Eckstein, Aphrodite^ dont l'action se déroule
au temps de la Grèce antique, une lettre du Pays des orangers, un
article sur les mœurs des Souabes, une description de Scheffîeld et
de ses coutelleries, la Vie agraire en Chine, etc., etc.
Curieuse! le second roman de M. Joséphin Péladan, qui devait
paraître le l*"»" mai, est remis au 30 octobre, devant être le feuilleton
de l'Echo de Paris au l^r septembre.
La troisième livraison de l'important ouvrage de M. Henri
Beraldi : Les graveurs du nix« siècle vient de paraître Cette livrai-
son est entièrement consacrée à l'œuvre de M. Félix Bracquemond.
La vente Gustave Doré a produit 122,871 francs.
Parmi les peintures, on a remarque : La Mort d'Orphée,
2,400 francs; V Enfer du Dante, 1,350 francs; la Marchande de
fleurs, 1,600 francs; V Aigle, G, 200 francs; un Paysage d'Ecosse,
3,700 francs ; le Grand Chêne, 1,220 francs.
Parmi les sculptures : La Parque et l'Amour, 1,330- francs ; Les
Saltimbanques, i, 200 {rancs; Pucfc, i.'ZôOdancfi.
Un remède contre les bis au théâtre. Celui-ci est proposé par
un journal italien, la Ri forma. Pour faire perdre au public, dit ce
journal, la mauvaise habitude de réclamer des, bis d'autant plus
indiscrets qu'ils fatiquent les artistes et augmentent les frais de gaz,
un impressario de notre connaissance a atfiché dans le vestibule de
son théâtre l'avis suivant : — « Les personnes qui dé.sireraient la
répétition, tant de morceaux de l'opéra quelle fragments du ballet,
sont priées de s'inscrire al camerino delV itnpresa (au cabinet de la
direction). Le spectacle une fois terminé, et sous le bénéfice du paie-
ment préalable, par les personnes inscrites, d'un second billet d'en-
trée, on leur exécutera tous les bis qu'elles désireront. « Le moyen
n'est peiit-être pas mauvais.
Les éditeurs Tabor-szky et Parsch, de Pesth, qui ont publié qua-
torze compositions de Li.szt, viennent de faire hommage à celui-ci
d'une superbe -sonnette de table en argent. La poigriée est en or, en
forme de lyre. Il est orné de 133 diamants dont la disposition forme
le nom du Maître. La frappe est entourée d'une guirlande de laurier
dont les feuilles portent, gravés, les noms des quatorze œurres édi-
tées par les donateurs de ce présent.
Le 62'^ festival du Bas-Rhin sera donné à Aix-la-Chapelle à
l'occasion du bi-centenaire de la naissance de Htendel et de Bach,
les 24, 25 et 20 mai prochain, sous la direction de MM D"" Cari
Reinecke, de Leipzig, et Julius Kniese, d'Aix-la-Chapelle. Solistes :
Mme Fanny Moran-Olden, de Leipzig (soprano) ; M"« Hermine Spies,
cantatrice de Wiesbaden (alto ; M. Heinrich Gudehus, de Dresde
(ténor) ; M. Gustave Siehr, de Munich basse); M™^ Wilma Xorman-
Neruda, de Londres (violon).
En voici le programme :
Première journée. — Dimanche 24 mai. — «» Gloire à Dieu »,
chœur 4e l'oratorio de Noél, de J.-S. Bach; Judas Macchabée, ora-
torio de G. -F. Hœndel. /— -^
Deuxième journée, -l- Lundi 25 mai — Cqutate de la Fête pas-
cale, de J.-S. Bach; Symphonie n» 5, en ut mineur, de L. von Beet-
hoven ; la Fête d' Alexandre (première partie), de G.-F. Hsendel;
Prométhée, poème symphonique, de Fr. Liszt ; Finale des Maîtres-
Chanteurs^ de Richard Wagner.
Troisième journée. — Alardi 26 mai. — Ouverture du Roi Man-
fred, de C. Reinecke; Morceau de chant (ténor); Concerto pour
violon, en la mineur, de Viotti ; Finale de Loreley, pour solo de
soprano, chœur et orchestre, de F. Mendelssohn ; Symphonie en ré
mineur, de R. Schumann; Concerto en sol majeur, pour instruments
à cordes, de J.-S. Bach; Morceau de chant (alto); Sonate eu la
majeur, pour violon, de G.-F. Htiendel; Morceau de chant (basse);
Alléluia, chœur du Messie, de Cî.-F. Hœndel.
VExcursion annonce ses premiers voyages de la saison nouvelle.
A côté de charmantes promenades en mail-coach à quatre chevaux
à travers les sites les plus pittoresques de l'Ardenne, nous voyons
figurer des excursions à Anvers et en Hollande qui se renouvelleront
toute l'été. '
Le 23 mai, à l'occasion des fêtes de la Pentecôte et du célèbre
pèlerinage d'Echteruach, aura lieu l'excursion dans le Grand-Duché
de Luxembourg qui promet d'être des plus intéressantes.
Enfin au 28 mai est fixée l'excursion à Londres à l'occasion .des
courses du Derby d'Epsom qui obtient chaque année un succès
grandissant. Cette fois le programme comporte la visite de tous les
monuments et curiosités de Londres et des environs, tels que
Hampton Court, Kew, Greenwich, le Palais de Cristal, etc., etc.
C'est, en cette saison, le plus beau voyage que l'on puisse entre-
prendre Sa durée est de 8 jours ; son prix en Ire classe de 250 francs ;
c'est dire qu'il est à la portée de tous.
Cette excursion sera suivie immédiatement d'un magnifique voyage
en Ecosse.
Le programme détaillé de tous ces voyages sera envoyé gratuite-
ment à toutes les personnes qui en feront la demande à M. Gh. Par-
mentier, directeur de VExcursion, boulevard Auspach, 109, à
Bruxelles.
152
VART MODERNE
Sommaire de la Société nouvelle (avril 1885).
I.^ M. Alfred Fouillée et le socialisme» par Domela-Nieiiwenhuis.
— II. Lettre de Suisse, par G Lorand. — III. Une escouade ultra -
montaine : Mémorial d'un oisif, par Léon Gladel. — IV. Bourgeois
et prolétaires, par Agathon De Potter. — V. « Germinal et la
presse »», par Frédéric Borde. — VI. Un romancier catholique, par
Francis Naiitet. — VII. Chronique littéraire, par A, J. — VIII. Le
mois. — IX. Les livres.
La Rcxmc contemporaine publie dans son numéro du 25 mars :
Jules Vallè.s, étude critique de Joseph Caraguel. — La course à la
mort, roman d'Edouard Rod. — La damoiselle élue, poésie de D. G.
Rosetti! — Charles Baudelaire, étude critique de Th. de Banville. —
Jacques Hardiér, conte d'Adrien Remacle. — Manzonieus et Gar-
ducciens, par Eugène C^hecchi. — Les Maîtres -Chanteurs à
Bruxelles, par Camille Benoit. — Carême fantaisiste, chronique du
, mois, par Maurice Barrés^ — La crise économique, par Joseph
Chaiîley. — Critique littéraire et artistique — Bibliographie. —
Abonnements : Paris, 20 francs, département et étranger, 22 francs
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Lassen, E. Deux transcriptions de salon, n° I
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Wichede, F. (de). Morceaux lyriques poui- violoncelle et piano
N° 1. "NValther devant les Maîtres
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Cinquième année. ^ — N° 20
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 17 Mai ]1835.
L'ART
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
A dresser les demandes d'abonnement et toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
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OMMAIRX
Le AVagxkrisme a Bruxelles. — Le Salon de Paris. (Premier
article). — Gomment Mozart composait. — Deux expositions.
L Le Cercle artistique; H. Les Aquarellistes (Second article). —
Marat assassiné. — Bibliographie. Le Monde avant la création
de l'homme^ par Camille Flammarion; Dictionnaire synoptique
d'éti/mologie française, par Henri Stappers. — Chronique judi-
ciaire DES arts, Les Resseynblances \ Weldon contre Gounod. —
Petite chronique.
LE WAGXÉIUSMË A BUUXELLES
Au point de vue musical, l'événement le plus consi-
dérable de l'hiver, dans noti'e monde bruxellois, a été
la véhémente poussée en avant de l'art wagnérien.
Certes, quand la direction du théâtre de la Monnaie
mit en répétition les Maîtres-Chanteurs, nul ne s'at-
tendait à l'engouement dont a été prise pour cette
œuvre, considérée comme redoutable, une bonne partie
de notre population. Il semblait qu'on risquait cette
tentative comme contraint et forcé, pour ne pas recu-
ler devant la promesse assez légèrement faite de ne pas
achever une campagne lyrique brillante sans rendre
un hommage au maître que l'Allemagne proclame
souverain. Le public wagnériste avait gagné sur la
main et, visiblement, on se laissait conduire par lui,
avec la crainte, sinon le désir, de lui démontrer que la
foule n'était pas encore faite chez nous pour la musi-
que transcendante qui règne dans les conceptions les
plus caractéristiques de l'auteur de Parsifal. Et, dans
les premiers jours du travail compliqué qui devait
mettre au courant une troupe saturée de vieux pré-
jugés, que de résistances, que de misères ! Joseph Dupont
était là, il est vrai, tenace et convaincu, poussant pa-
tiemment en avant; mais le personnel, spécialement les
premiers sujets, ne dissimulaient guère leur méchante
humeur. Ils ne s'accoutumaient pas à cette musique,
difficile à retenir, parce que sans cesse varient les
chemins qu'elle suit, peu aimable, surtout pour les
voix qu'elle fait rentrer dans les rangs de l'harmonie
générale, dédaigneuse de tous les effets particuliers,
sacrifiant les individualités à l'ensemble, ne voyant que
l'œuvre et jamais les virtuoses. Que de bruits décou-
rageants circulaient et comme la représentation appa-
raissait pareille à une bataille à l'avance compromise !
Ces sourdes rumeurs avaient rendu hésitants et inquiets
les plus fidèles, et nul n'eût pu prophétiser le résultat
de cette grande partie.
La mêlée a été archarnée et les vieilles troupes ont
fait une belle résistance. La 7nusique de Vaveyiir,
devenue celle du présent, doit les honneurs du courage
•malheureux à la musique du passé. Ils resteront légen-
daires ces sifflets persistants de quelques vrais croyants,
orthodoxes comma les catholiques apostoliques et ro-
mains, qui, jusqu'au dernier jour ont manifesté leur
indignation pour le fameux hourvari provoqué par la
sérénade de Beckmesser, que ces roquentins indignés
comparaient à la bousculade des MaroUiens et des Mo-
lenbeekois dans le premier acte de Basoef. Il «era très
curieux dans quelques années, et très honteux pour
ces derniers des mameloucks, de rappeler que le chef-
d'œuvre que nous venons d'entendre a été profané,
sans dommage, il est vrai, par leurs démonstrations
grotesques.
Désormais c'est fini, et ces|impuissantes résistances
n'ont servi qu'à accentuer l'élaln des fanatiques. Ils ont
eu pleine ration et ils se sont payé la rincette et la
surrincette par deux concerts complémentaires où leur
enthousiasme s'est épanché jusqu'au délire. Il y a désor-
mais un entraînement qui autorise toutes les har-
diesses, et on se demande si, en présence de prédilec-
tions aussi passionnées, l'un des meilleurs moyens d'as-
surer les recettes de notre opéra ne sera point, au cours
de la saison prochaine, de risquer un nouvel enjeu dans
ces parties où on se jette en forcenés. La période
la plus animée, la plus mouvementée de la saison
théâtrale qui vient de s'achever, a été celle durant
laquelle les Maîtres-Chanteurs ont occupé l'affiche.
Dans les journaux, dans les salons, dans les lieux
publics, dans les conversations, ils revenaient incessam-
ment, excitant, enflammant tout le monde, attaqués,
défendus, outragés, exaltés, produisant l'inévitable
remue-ménage qui accompagne la manifestation des
œuvres insolemment nouvelles et puissamment belles,
enivrant qui comprend leur grandeur, révoltant ceux
pour qui elles restent incompréhensibles. Et comme
résultat final, ce qui apparaît avec éclat : c'est que cet
art, jadis si décrié, remporte la victoire.
. Donc Bruxelles se wagnérise. L'invasion musicale
allemande gagne de proche en proche. Il n'y a plus à
discuter, la vieille école recule. Même ceux qui n'ai-
ment pas l'envahisseur n'en sont déjà plus à défendre
ce qu'il chasse devant lui. C'est le moment de rappeler
la fameuse formule qui marqua si bien le phénomène
et qui fut énoncée par un réfractaire désolé de se sentir
pris par l'épidémie : « C'est drôle ! Cette musique wag-
nérienne, je ne peux pas la souffrir, et pourtant elle me
dégoûte de toutes les autres « . En effet, que de mal-
heureux abonnés ont dû se souvenir de cet étrange
aphorisme quand X Etoile du Nord s'insinua entre deux
représentations ! On fut forcé de coucher sans retard,
et pour jamais sans doute, le pauvre astre, autrefois
si scintillant.
Il y a là quelque excès assurément. Ne plus com-
prendre qu'une musique est aussi désolant que ne plus
comprendre qu'une peinture ou qu'une littérature. 0
variété des sensations, heureux qui parvient à te con-
server ! Mais de plus, ce qui inquiète, c'est que cet art
wagnérien, avec ses proportions prodigieuses, avec ses
règles faites pour être appliquées par un géant et qui
deviennent si promptement mesquines quand les sous-
ordres s'y essaient, pourrait bien être un de ces phé-
nomènes conclusifs qui clôturent une évolution artis-
tique au lieu d'en ouvrir. De pareilles explosions ne
peuvent être répétées et surtout elles ne peuvent être
imitées. Après le bruit formidable du canon[^uel efïet
produit la mousquetterie, et ne peut-on se demander si
ce n'est pas la mousquetterie des imitateurs et des pas-
, ticheurs de tout génrç que nous allons entendre, que
nous commençons à entendre? Que le destin nous en
préserve, car c'est alors que l'ennui coulerait à pleins
bords. De petits wagnériens, des diminutifs, des hom-
minicules, Lilliput après Brodignac. Déjà partout on
voit les mirmidons se préparer. Ils ne se contentent pas
déjouer la musique du maître. Ils veulent en faire à
leur tour. Ils ont la prétention de chausser ses bottes
de sept lieues. Ce ne sont que drames lyriques, que
motifs revenant à point nommé, que chœurs supprimés,
que mélodie récitative continue. Les recettes sont con-
nues, elles sont entrées dans la cuisinière bourgeoise
musicale, et voici que dans tous les ménages et sur tous
les fourneaux mijotent des pots-au-feu à la mode de
Bayreuth.
Ceci est fait pour causer les plus justes appréhen-
sions.
Nous avons Wagner, vivat ! Mais la queue de Wagner
commence à se dérouler. Hélas ! !
LE SALON DE PARIS
Premier article.
Le résultat, assez inattendu, d'une visite au Salon de
Paris, est de provoquer à l'égard de l'école belge, sou-^
vent malmenée par ceux qui ont l'ardent désir de la voir
marcher plus vite, et nous sommes de ,ceux-ci, une
indulgence que justifie l'armée de médiocres dont le
défilé attristant_afïiige les regards. Jamais il n'y eut
dans l'art français moins de sincérité et de conviction :
le dés'ir de se faire remarquer semble être le mobile
unique des artistes, et pour y parvenir tout leur est
bon : les dimensions disproportionnées des toiles, l'ex-
centricité des sujets, le concert bruyant des colorations.
C'est à qui sonnera la fanfare la plus tonitruante, à qui
frappera le plus cinglant coup de cymbales. « Entrez,
Mesdames et Messieurs, suivez le monde! « Et les toiles,
comme ces dames des parades foraines, font aux pas-
sants des appels désespérés.
Petit à petit se sont retirés de ces tapageuses exhibi-
tions les artistes recueillis dans leur œuvre. Ils ont agi
sagement, car pour se maintenir au diapason de cette
cacophonie, il faut, d'année en année, hausser le ton :
et ceux qui ont voulu souffler quand même, et plus fort
que les autres, dans leur instrument, ont fini par le
crever.
Quel autre parti à prendre que la retraite quand on
voit régulièrement exilés aux rangs supérieurs ou dans
les coins, les tableaux honnêtement peints, reflet d'une
âme d'artiste ? Pour éprouver quelques jouissances au
r
Salon de Paris, c'est dans les hauteurs qu'il faut cher-
cher patiemment les quarante ou cinquante œuvres qui
dénotent autre chose qu'une habileté de prestidigitateur
à manier les brosses.
A part de rares exceptions, elles y sont toutes. Et
dans cette excursioil aux étages les plus élevés, rare-
ment tentée par les visiteurs habituels qui se contentent
de parcourir le rez-de-chaussée, on rencontre presque
tous les tableaux des artistes belges qui ont encore la
naïveté de croire à l'impartialité ou à la compétence du
jury parisien.
Peut-être est-ce d'ailleurs tm honnem^ pour les
nôtres que de n'être pas mêlés à ceux qui ont les hon-
neurs de la cimaise.- N'a-t-on pas accroché dans le voi-
sinage du plafond les deux superbes portraits de
Whistler, le Cléme7tceaii de Raffaëlli, le Veuf de
Forain, \3iBécréationàe Bartholomé, toutes les œuvres
vertes, neuves, âpres, qui eussent soulevé, si on eût pu
les regarder, les discussions qui sont la vie de l'art? Et
nVt-on pas relégué dans un angle l'admirable composi-
tion de Fantin-Latour : At^^owr c^i^pmno?
Il n'y a pas lieu de s'étonner, dès lors, qu'il faille se
donner un torticolis pour chercher à voir les Mineurs
de Meunier, d'abord refusés, ce qui était plus joli
encore; qu'on ne puisse découvrir qu'après de minu-
tieuses recherches le magnifique Portrait qu'Isidore
Yerheyden avait exposé au dernier Salon des XX; que
les Coquelicots à' ArniB. Boch, peut-être le plus remar-
quable tableau de fleurs de l'exposition, ait servi à
« décorer » la cage de l'escalier d'entrée; que Van
Strydonck ait vu son Portrait de Vander Stappen
hissé au troisième rang ; que les Pileuses de Charlet
occupent le deuxième, avec le Sa7naritain de Vanaise,
la Clinique de Seeldrayers, tous deux placés au dessus
des portes de communication ; qu'un paysage vraiment
charmant d'Eugène Boch, d'une sincérité émue qui
dénote un sentiment subtil et raffiné de la nature^ ait
été accroché au dessus du prétentieux portrait en pied
de Madame Dreyfous par Benjamin Constant, de telle
sorte que cette peinture délicate est anéantie par son
absorbant voisinage.
Réunies en bonne place, ces œuvres saines eussent
fait une trouée lumineuse dans le cortège de choyés
nulles, vides, criardes, boursouflées ou communes qui
encombrent la cimaise. Mais aux rangs qu'elles occu-
pent, pas une ne sera remarquée.
Les Lutteurs de Jacques de Lalaing forcent l'atten-
tion par leurs proportions, malgré l'emplacement défa-
vorable qu'on leur a octroyé. Parmi les sacrifiés, il faut
citer encore le Marais de Coosemans, \b. Neige fon^
dante de Denduyts, Y Ecole des Beaux -Arts de
M""® Ronner, la Lecture défendxie de Tytgadt, le Bon
papa de Pierre Oyens et l'amusante scène du frère
David : Après les élections. S'il est honorable d'être
mal placé, les Oyens peuvent se vanter d'avoir été pri-
vilégiés. *
En revanche, quelques-uns de nos artistes figurent à
la rampe : les frères De Vriendt, Clays, Van Beers,
Evariste Carpentier, ce qui s'explique par l'analogie qui
existe entre cet art en surface et nombre de produc-
tions françaises, et, ce qui est moins justifié à ce point
de vue et est dû sans doute à un hasard heureux, Cour-
tens et Halkett. L'un expose le^ Sarcleuses, un paysage
avec figures dans ses données habituelles, l'autre lés
Trieuses de Ca7idi, tahlesiU connu à Bruxelles. .
En avons-nous oublié ? C'est possible. Le catalogue
renseigne par exemple, un portrait de M. Alexandre
Robert que nous n'avons pas aperçu. Il est des œuvres
qu'on peut ne pas remarquer. Notre intention n'a été,
d'ailleurs, que de donner une idée de l'esprit qui a pré-
sidé ail placement dans ce jury d'artistes, nommé par
des artistes, en qui on s'imaginait, bien à tort, pouvoir
placer sa confiance. .
Et le système qu'il a inaugui^é- pour les Belges, il l'a
invariablement appliqué aux Américains, aux Anglais,
aux Allemands. Stewart, parmi les premiers, a trouvé
grâce avec son Hunt bail, un cotillon dansé^en habita
rouges, d'une précision photographique, où l'art de
Jean Béraud a laissé des traces profondes, et devant
lequel la foule s'amasse surtout parce qu'elle retrouve
dans chaque valseur, dans chaque mondaine décolletée,
des figures de connaissance. Puis, parmi les Alle-
mands, Uhde avec sa scène biblique qui n'a d'ancien
que le titre : Laissez venir à moi les petits enfants»
mais qui est, malgré sa coloration crayeuse, une bonne
et solide peinture moderne. Quant* aux Hollandais, à
part Mesdag et Israëls fils, dont l'un expose deux
marines, l'autre son Dépa^H pour les Indes, on ne les
voit guère.
Est-il donc, dans l'Ecole française, un ensemble
d'œuvres assez remarquable pour justifier cette façon
d'agir? Car nous ne voulons pas admettre que le jury
se soit laissé guider par le désir mesquin d'exclure sys-
tématiquement totit étranger des bonnes places de ce
grand banquet international. Il doit avoir gardé le sou-
venir des invitations que ses voisins n'ont cessé, jusqu'à
ce jour, de lui envoyer, et la reconnaissance de l'esto-
mac peut, au besoin, remplacer la reconnaissance du
cœur.
Mais non. A part quelques-uns, les tableaux français
du Salon de cette année sont en dessous de ce qu'on
pouvait espérer. Le croira-t-on? L'art français a des
tendances allemandes. Sur dix toiles, neuf ont l'air de
sortir de l'école de Dusseldorf. Elles sont peintes avec
plus de talent, soit ! Elles sont mieux agencées, combi-
nées avec plus d'ardeur en vue de l'eff'et. Mais la petite
préoccupation de Vintention y est la même, intention
patriotique, erotique ou spirituelle, et la couleur som-
bre dans les sauces brunes, noirâtres, violacées ou pur-
purines, mais dans les sauces toujours.
Oh ! ^intention en peinture ! Quand comprendra-t-on
enfin que la nature n'a pas besoin d'intentions, qu elle
parle suffisamment par elle-même, dans son infinie
variété d'aspects, de nuances, de lumières, de formes,
tantôt puissante ou farouche, tantôt caressante et ten-
dre, émouvante toujours pour qui sait la comprendre !
Roll est du petit nombre de ceux qui sont pénétrés
de cette vérité. Il trouve dans la nature même, sans y
rien ajouter, l'impression forte et profonde. Sa grande
toile est l'une des plus é'mouvantésdu Salon, et elle n'est
que la reproduction fidèle d'un épisode contemporain.
Pas même d'un épisode : d'une scène de la vie quoti-
dienne.
Dans l'atmosphère grise, chargée de vapeurs et de
fumée, tout un monde d'ouvriers s'agite, sous l'œil de
l'ingénieur chargé d^ la direction des travaux. On hisse
des poutres, on taille des pierres, on pousse, on cogne,
on hêle, on mesure, on frappe. Un chaos d'échafau-
dages, de charrettes, de chevaux, de moellons, d'ou-
tils, auquel les cheminées qui se dressent par delà la
Seine ajoutent une impression farouche, évoquant à
côté des peines du Chantier les enfers de l'Usine.
C'est Le Travail. La toile peut se passer de titre.
Elle le crie aux visiteurs d'une voix grave, avec on ne
sait quel accent douloureux et résigné.
On critique les dimensions exagérées du cadre. Celles-
ci ne s'accommodent point, dit-on, des exigences de la
vie actuelle. On n'imagine guère, même dans les mu-
sées, de panneau capable de recevoir une pareille toile.
C'est le côté utilitaire et pratique, au sujet duquel il
serait injuste de chicaner le rêve de l'artiste.
Mais l'impression n'eût-elle pas été la même si les
proportions eussent été plus modestes? Ceci est plus
sérieux. On conçoit le Tintoret peignant pour l'église
de Frari, cette gigantesque Chiite des miges qui fait
l'étonnement des visiteurs. La scène interprétée par
M. Roll n'exigeait pas, semble-t-il, pareil développe-
ment. Il y a toujours entre les sujet et le cadre une
équation qui s'impose,, qu'on ne peut nier; l'intérêt ne
croît pas en raison de la grandeur de la toile.
Gervex aurait dû le comprendre. En donnant à son
Ju7y de peinture les proportions dala nature, il n'a
pas augmenté le moins du monde l'intérêt, assez mince,
qui s'attache à la scène qu'il a reproduite. Loin de là,
il l'a affaibli ; et ce qui eût pu constituer un panneautin
amusant, humoristique, devient une « machine ^ (c'est
le terme usité !) passablement vide, malgré le très
sérieux talent avec lequel cette « machine « est compo-
sée, ordonnée et exécutée. On s'arrête aujourd'hui
devant cette vaste toile pour y retrouver des figures
connues : « Tiens, c'est VoUon, le vieux, qui a l'air
d'un pochard, qui lève son psn'apluie! Voici Carolus et
sa tête crespelée. Celui qui brandit sa canne, la mous-
tache hérissée, c'est Guillemet. Et là-bas, causant entre
eux, Roll, Cazin, Puvis de Chavannes, et Gervex lui-
même. Et celui qui tourne le dos? C'est Feyen-Perrin.
Pourquoi a-t-il posé de dos celui-là ? « Et ainsi de
suite. Les réflexions qu'on entend faire tout haut, sont
toutes dans ce genre. On ne dit pas : « Voilà une belle
œuvre, impressionnante et forte. ^
Combien d'autres artistes confondent la grandeur de
la peinture et celle de la toile.
Que dire, par exemple, de l'immense composition de
Georges Clairin : Après la victoire? Il s'agit d'un épi-
sode conçu par Henri Regnault, que la mort l'empêcha
de réaliser.
« Le roi maure paraît entre les deux immenses bat-
tants de porte, armé, et recouvert de ses plus fins tis-
sus, sur un cheval richement caparaçonné ; il est im-
passible et regarde on ne sait où, comme le sphynx
d'Egypte ou une idole indienne, comme un élu enfin,
un descendant du prophète, un être adoré, encensé.
•* A ses pieds, ou plutôt aux pieds de son cheval, un
héros, le général en chef de ses armées, est humble-
ment prosterné et dépose son épée. Il vient de conqué-
rir à son maître une province ou une ville et l'offre à
Celui qu'on ne regarde qu'en tremblant et à genoux. —
Les inscriptions de l'Alhambra sont pleines de litanies
au nom du roi qui en a fait construire les salles. Soleil,
Lumière du monde ! sont les titres les plus modestes
qui lui sont adressés.
« Sur les marches de marbre blanc, où sont jetés de
somptueux tapis, sont échelonnés des guerriers (les
plus beaux des officiers), qui rapportent les drapeaux
pris à l'ennemi, et une épée chrétienne, celle du général
ou du roi chrétien.
« Deux barques sont attachées aux marches; de
l'une descendent le général et sa suite; dans l'autre, de
beaux nègres gardent un groupe de femmes captives,
les plus belles chrétiennes de la province conquise; elles
seront présentées au roi et off'ertes après les drapeaux ;
celles sur qui son regard daignera descendre seront
conduites au harem.
« A la proue d'une dès barques, une tête coupée sera
clouée, la tête d'un chef chrétien.
« Tout est or,,étoff'es merveilleuses; tout est élégant
et précieux : architecture, armes, pierreries, chairs de
femme, et, au milieu, le despotisme, l'indifférence, l'iti-
souciance mahométane.
*' Le roi regarde à peine le général vainqueur : les
portes de son tabernacle s'écartent, et, comme une idole
enfermée et dont' le temple s'ouvre, il est là, objet
d'adoration (*)i »»
Georges Clairin a cru devoir, pour frapper, comme
(*) Correspondance d'Henri RerjnauU.
L,
«r/î -. -fc.
on dit, un grand coup, donner à cette scène des pro-
portions colossales. Tout est de grandeur naturelle, les
guerriers, les chevaux... et le palais. Et malgré le
talent dépensé, malgré le temps consacré en recherches,
en études, en travaux laborieux, la toile n'émeut point.
On passe, indifférent, à côté de ce prodigieux effort.
Il en est de même de la Justice du Shérif, de Ben-
jamin Constant, l'œuvre la plus extraordinaire du Salon
au point de vue de l'exécution, la plus vide, la plus
antipathique, la plus vieille au point de vue de l'im-
pression qu'elle provoque. Que nous importent le minu-
tieux travail des tapis, les merveilleux tissiis d'or et
d'argent des tentures, tout le bric-à-brac oriental accu-
mulé avec une profusion inouïe, quand il s'agit d'une
scène terrible comme celle à laquelle prétend nous faire
assister le peintre : une douzaine de femmes égorgées
par d'implacables bourreaux, gisant inanimées sur les
dalles de marbre blanc où leur sang coule en longs filets
écarlates?
L'horreur de la sc^ne disparaît dans ce luxueux
décor. Art de quinzième ordre, à la portée de tous les
forts en thème, mais qui ne révèle pas la plus petite
parcelle de génie.
Bonnat n'est pas plus heureux. Son Martyre de
Saint-Denis participe des côtés désagréables, guindés
et conventionnels de toutes les compositions académi-
ques : il s'y ajoute une note comique, celle de cette
bombe qui éclate au dessus du col saignant du Martyr
et qui parait lancée par le bourreau. C'est, paraît-il,
d'une auréole qu'il s'agit. Cette drôlerie à part, l'œuvre
est sèche, noire, sans la moindre émotion. Et le por-
trait de femme qu'expose l'artiste, dans la pose d'une
personne qui se campe devant l'objectif d'un photo-
graphe en attendant le traditionnel « Je commence «
n'est pas fait pour nous réconcilier avec cette peinture
froide et ennuyeuse. . -
^
COMMENT MOZART COMPOSAIT
La lellrc suivante de Mozart, citée par Hartmann, monirc U
quel point les opérations intcllecluelles, qui constituent ce qu'on
nomme le génie, sont automatiques et inconscientes : ^.
« Vous me demandez, répondait l'illustre compositeur à une
question posée par un ami, comment je travaille et comment
je compose les grands et importants sujets? Je ne puis, en vérité,
vous en dire plus que ce qui suit, car je n'en sais pas moi-même
plus long et je ne puis pas trouver autre chose. Quand je me
sens bien et que je suis de bonne humeur, soit que je voynge en
voiture ou que je me promène après un bon repas, ou dans la
nuit quand je ne puis dormir, les pensées me viennent en foule
et le plus aisément du monde. Uoù et comment m' arrivent-elles^
je n'en sais rien, je ny suis pour rien.. Celles qui me plaisent, je
les garde dans ma tête et je les fredonne, à ce que du moins
m'ont dit les autres. Une fois que je tiens mon air, un autre
bientôt vient s'ajouter au premier suivant les compositions
totales, contre-point, jeu des divers instruments, etc., etc.; et
tous ces morceaux finissent par former le pâté. Mou âme s'en-
flamme alors, si toutefois rien ne vient me déranger. L'œuvre
grandit, je l'étudié toujours et la rends de plus en plus distincte,
et la composition finit par être tout entière achevée dans ma
tôle, bien qu'elle soit longue. Je l'embrasse ensuite d'un seul coup
d'œil, comme un beau tableau ou un joli garçon. Ce n'est pas
successivement dans le détail de ses parties comme cela doit
arriver plus lard, mais c'est tout entière, dans son ensemble que
mon imagination me la fait entendre. Quelles délices pour moi !
Tout cela, l'invention et Vexe'cution se produisejit en moi comme
dans un beau songe très distinct ; mais la ré[>élilion générale
de cet ensemble, voilà le moment le plus délicieux... Comment
maintenant, pendant mon travail, mes œuvres prennent la forme
ou la manière qui caractérise Mozart et ne ressemblent à celles
d'aucun autre, jcela arrive, mB foi! tout comme il se fait que
mon nez est gros ou crochu : le nez de Mozart et non celui d'une
autre personne. « Mozart. »
Peux expo3ition3
I. Le Cercle artistique. — II. Les Aquarellistes.
Second article.
On nous fait observer que, dans notre revue des principales,
œuvres exposées au Cercle artistique, nous n'avons pas parlé du
tableau de Courlens.
11 y ad'autres toiles qui, h des titres divers, mériteraient qu'on
s'y arrêtât. Et pour n'en citer que quelques-uncs^csXooscmans,
les Hubert, les Smils, les De Vriendl.
Mais, faut-il le répéter? jamais nous n'avons eu l'idée, en fai-
sant le compte-rendu d'un Salon, de parler de tout le monde. Et
quand nous n'avons rien de nouveau à dire d'un artiste, qu'il
se présente au public avec les mômss qualités et les mêmes
défauts que ceux que nous avons signalés lors d'un envoi
précédent, il nous paraît préférable d'attendre une occasion
meilleure.
Les pirouettes et cabrioles exécutées par des critiques en rup-
ture de reportage devant chaque tableau exposé peuvent divertir
la galerie. Elles donnent de la souplesse de celui qui s'y livre une
idée favorable. Mais en quoi ces cavaliers seuls servent-ils l'Art?
Cela vaut la critique à coups de calembours inaugurée récem-
ment par un facétieux chroniqueur d'occasion de V Indépendance,
qui a pris prétexte du Salon de Paris pour remplir de jeux de
mots tout un supplément du journal.
Puisse celte rupture de digues avoir déchargé pour quelque
temps le trop plein qui l'incommodait !
Prendre quelques œuvres, choisies parmi celles qui peuvent
provoquer des observations d'une portée générale, noter les pro-
grès ou les reculs, chercher à pénétrer les causes des uns et des
autres, rattacher l'évolution présente à l'histoire de l'Art, seule
base sérieuse d'appréciation, tel a été, tel sera notre système
de critique. S'il peut avoir sur l'esprit des artistes quelque
influence sérieuse, tant mieux. S'il éclaire le public, lui inspire
le désir de s'instruire des bc.'auU's de l'Art, le met en communion
d'idées avec ceux qui pens^'ut, écrivent, peignent, sculptent,
composent, tant mieux encore. Nous aurons, dans la mesure de
nos forces, aidé à l'épanouissement de cette floraison.
Mais la camaraderie, les courbettes de reporter en quête de
dîners ou d'abonnés n'est point noire fait, et quand nous trou-
vons médiocrfes les œuvres, même de nos meilleurs a<nis, nous
le disons tout net.
Et maintenant, fermons la parenthèse et entrons^ aux Aquarel-
listes. Ne regardons ni les devants de cheminée de feu M. Louis
Haghe, président honoraire de la Society of painters in Water
colours, r\\ le slupéfianl chromo que M. François Heigel, de
Munich, expose sous le litre : Une loge de bal masqué, ni VAl-
hnmbra de cet autre alîennànd, M. Adolphe Scel; ou si nous les
regardons, que ce soil pour que ces choses nous inspirent une
terreur salutaire.
Allons droit aux rares bonnes |:)ages de l'Exposition. Les lumi-
neuses aquarelles de M"'' Clara Montalba comptent parmi celles-
ci, et mênie parmi les meilleures. Le dragueur qui dresse fantas-
tiquement sa charpente compliquée dans des eaux vaseuses,
enveloppé de l'atmosphère humide de Venise, poursuit le visi-
teur de ses souvenirs. Cette superbe esquisse, de même que les
Bacs à crabeSjÊSi d'une artiste que la nature impressionne et qui
interprète magistralement tout ce qui l'émeut. Etre « empoigné »
et communiqueraux autres la sensation ressentie, n'est-ce pas la
synthèse de l'Art? Qu'injporte, après cela, et le sujet, et le
procédé, et le fini, et la «' patte », et les mille riens au sujet
desquels on s'épuise en d'oiseuses discussions?
Les aquarellistes italiens qui s'abattent périodiquement comme
de chAloyants papillons sur le Salon, resteront d'intéressants
phénomènes, mais non des artistes, tant qu'ils continueront à
substituer à celte petite chose, qui est tout, i'émoiion, la presti-
gieuse habileté de leurs pinceaux et l'éclat inusité de leur palette.
Qu'ils s'appellent Cipriani, Brugnoli, Coleman, Navone, Penac-
chini, Rapctti-, Simoni, Bueciarelli, Barlolini, Carlandi, qu'ils
peignent des cardinaux, des laquais galonnés, des bouquetières
ou des fleurs de pomniier, ils ont même prestesse, ils escamotent
avec la même adresse toutes les difficultés, ils vous jettent au nez
un nuage aveuglant et irisé, et tout cet ensemble éblouissant ne
laisse rien dans l'esprit, la visite finie, que le souvenir d'un feu
d'artifices dont il ne reste que du papier noirci et des baguettes.
Ce qui est intéressant b noter, c'est que c'est dans le pays de
CCS jongleurs, et comme pour les narguer, que M"*^ Montalba est
allée s'installer. Ce n'est donc pas la nature qui modifie l'artiste,
c'est l'artiste qui môle à celle-lî\ quelque chose de son tempé-
rament, en l'interprétant selon son cœur, son œil, sa pensée.
Un peintre hollandais, Van der Waay, est un autre exemple de
la transformation que subit la nature méridionale, en passant par
le cerveau et la main d'un tempérament du Nord. Voyez sa Via
del Mura, où les crudités du ciel d'Italie sont tempérées par le
sentiment des colorations plus sobres de la Néerlande. Voyez la
façon simple et grande dont l'artiste comprend le gamin, porteur
de fiasques, qu'il intitule Sans-Souci (il eût pu le baptiser Sans-
Culotte).
Avec leurs pétards multicolores, les Italiens ont éloigné les
artistes de leur pays. Mais quelle erreur de croire qu'ils ont
exprimé avec justesse la lumière et le caractère de la terre
latine!
Les exemples cités montrent combien, h. cet égaril, les
interprétations peuvent différer. Et certes, des deux, celles do
l'artiste anglaise et du i)cinlre hollandais sont les plus sédui-
santes.
M"« Montalba n'est pas la seule femme dont les œuvres ailirenl
l'attention des artistes. A^ôté d'elle, il faut citer M"« Bramina
llubrecht, dont le talent viril s'est révélé à l'exposition de cette
année. C'est, croyons-nous, un nom nouveau, et la manière
large, hardie, 1res artiste dont elle a peint son Coup d'essai
(est-ce à double entente?) promet un avenir..
Elle se détache, avec l'artiste cité plus haut, du groupe des
Hollandais, toujours nombreux, mais aussi de plus en plus
monotone et passablement lourd. Il est difficile de distin-
guer les unes des autres les œuvres de MM. Weisscnbruch,
Slortenbeker, Gabriel, Poggenbeek, van Borsclen, Vrolyk. Ils
ont même facture cotonneuse, mélangent à même dose la
gouache dans leur godet d'eau, s'acharnent aux mêmes effets de
ciels opaques roulant des nuages d'encre par dessus des canaux.
M. Roelofs a la spécialité du noir. M. Wysmuller, qui se faisait
remarquer autrefois par la précision minulieuse de son dessin, a
perdu cette qualité. Bref, à part M. Mauve et M. Zilcken, un vrai
chercheur celui-ci, tout le lot est assez déplaisant.
Il semble qu'il y ait quelque lassitude dans l'art de la peinture
à l'eau. Aucune originalité ne s'y révèle. Tous y tournent, depuis
quelques années, la môme roue, comme des écureuils encages.
El qu'on se méfie! Le public finit par .se fatiguer de r.egarder les
écureuils, tout charmants soient-ils. MM. SlacqùetetUytterschaut,
dont nous avons si souvent Joué l'art délicat, devront trouver du
neuf; dans les arts, tout arrêt équivaut à un recul. M. Binjé est
heureusement encore dans la période ascendante. Chacune de ses
expositions marque un progrès réel. S2i Briqueterie e.si \ra\meni
remarquable. Elle se découpe tragiquement sur le ciel enflam-
mé, les masses de ses fours fumants, emplis de l'activité du
travail. Il faut citer aussi Constantin Meunier, qui reproduit à
l'aquarelle deux des superbes panneaux décoratifs destinés à
l'exposition d'Anvers dont nous avons parlé récemment, et Xavier
Mellery, l'artiste profond, recueilli, sincère et impressionnant,
dont la Sainte-Barbe, l'Intérieur de bateau flamand et la Métai-
rie relèvent singulièrement le niveau, un peu affaissé, de l'expo-
sition. Puis encore les pastels do M. Hubert Vos, un nouveau
venu, fort intéressant, qui gagnerait, semble-t-il, h donner plus
d'accent à ses études, d'ailleurs consciencieuses et sincères ;
M. Hoeterickx, le capitaine Hubert, les frères Oyens, le major
Pecquereau, M. Eugène Smits, M. Hagemans, tous artistes
appréciés, dont nous avons eu souvent l'occasion d'entretenir
{QsleciQUTs ùaV Art moderne.
^kKkl Â^^A^piNÉ
Un débat très curieux vient d'être soulevé par le petit-fils de
David, à propos du tableau Marat dans sa baignoire exposé aux
Portraits du siècle à l'Ecole des beaux-arts et que beaucoup de
Bruxellois se souviendront d'avoir vu exposé à Bruxelles il y a
quelques années. Il était alors à vendre pour 10,000 francs.
M. L.-J. David adresse à M. le marquis de Mortemart, président
de la Société philanthropique, une lettre dans laquelle il déclare
que le Marat exposé n'est qu'une copie, et que lui seul possède
l'original:
Cette toile, dit M. David, n'est qu'une des copies exécutées
sous la surveillance de David, pour les Gobelins, conformément
au décret de la Convention du 21 floréal an II, du tableau que Cct
artiste avait offert à cette assemblée le 14 novembre 1793, et qui
lui fut rendu le 8 février 1795.
L'original du Marat et deux de ses copies figurent dans l'in-
ventaire après le décès de David. Après avoir été retirées de la
première vente de ce maître, ces toiles furent remises aux enchères
le 11 mars 1835, et adjugées à M""^ Ja baronne de Meunier, fille
de^David, et à M"'« Eugène^David, macère.
Les deux copies furent abandonnées par les acquénurs de
l'original, lune ù M""-' la baronne Jeannin, l'autre à M. Jules David
aîné, qui, le 17 juin 1853, signent un acte sous seing privé où
ils reconnaissent que les tableaux du Marat qu'ils possèdent ne
sont que des copies qui leur ont été données gratuitement par
les propriétaires du tableau original.
Le tableau de M"»^ la baronne Jeannin, peint par Serangeli,
est aujourd'hui chez le baron Jeannin.
Celui de M. Jules David aîné, peint peut-être par Gérard, a été
donné par mon cousin, M. le baron Jérôme David, au prince
Napoléon, qui le céda en février 1868 à MM. Durand-Ruel et
Brame, marchands de tableaux.
Cette copie restée à M. Durand-Ruel a été exposée à la vitrine
de son magasin, rue de la Paix, et dans ses galeries, rue Le Pelc-
tier. C'est cette toile que nous voyons aujourd'hui à votre expo-
sition.
Vunique tableau original de la mort de Marat, celui qui déco-
rait la salle de la Convention, est en ma possession. Lui seul est
signé : A MARAT
DAVID. L'an deux.
Les deux copies ne portent aucune trace de signature.
MM
V ART MODERNE
159
En conséquence, M. David demande une reclificalion au cata-
logue et l'inserlion de la mention : Copie diaprés David.
Il serait intéressant d'exposer à l'Ecole des beaux-arts les deux
tableaux, la copie et l'original.
iPlBLÎOQRAPHIE
Le monde avant la création de l'homme, par Camille
Flammarion, — Paris, Marpon et Flammarion.
S'il est une question qui ait toujours intrigué et même passionné
la curiosité humaine, c'est assurément celle de l'origine du Monde,
de l'origine des Êtres et de l'Humanité elle-même. Il semble aujour-
d'hui qu'à l'ordre du eénie humain tous les monstres antédiluviens
aient tressailli dans leurs tombeaux et qu'ils se soient levés pour
venir reconstituer eux-mêmes les scènes grandioses des âges dispa -
rus et montrer à l'Homme ses lointains ancêtres.
Ce tableau du Monde avant la création de l'Homme, Zimmer-
mann avait entrepris de le tracer dans un ouvrage qui est resté
célèbre, mais qui est depuis longtemps épuisé en librairie Depuis
vingt-cinq ans que cette xBUvre a été écrite, la science a fait d'ail-
leurs des pas de géant. Aussi, les nouveaux éditeurs de cet ouvrage
ont-ils prié M. Camille Flammarion de l'examiner avec soin et d'en
donner une édition élevée au niveau des progrès de la science. Le
savant astronome, auquel ces études de cosmogonie ont toujours été
familières par leur liaison avec les bases mêmes de la doctrine
de la pluralité des mondes, avait à peine commencé ce travail de
revision qu'il s'est aperçu que l'œuvre déjà si belle de Zimmermann
méritait d'être entièrement refondue.
Le succès de l'ouvrage était dès lors doublement assuré, et pour
satisfaire à tous les désirs déjà exprimés, les éditeurs lui ont donné
la forme populaire qui a été accueillie avec tant d'enthousiasme par
les innombrables lecteurs de VAstronotnie populaire et de Terre
et Ciel.
Cet ouvrage paraît en livraisons de 10 centimes et en séries à
50 centimes. Il sera illustré d'environ 300 figures, représentant les
paysages du monde primitif, et de nombreuses planches en couleurs.
Dictionnaire synoptique d'étymologie française,
pai' Henri Stappers.
Tous les mots usuels de la langue française sont groupés dans ce
dictionnaire d'après leur dérivation. On y fait même ligurerdes mots
étrangers, non français, mais fréquemment employés dans les livres
de science et d'histoire, dans les relations de voyages, les jour-
naux, etc. Eu revanche, un certain nombre de mots techniques, de
formation artificielle, ont été négligés, afin d'éviter la surabondance
des détails. La nomenclature est à peu près la même que celle de
l'édition populaire du Dictionnaire de Larousse, auquel l'auteur a
emprunté la plupart des définitions, dont la concordance avec
le sens étymologique constitue l'un des mérites de cet excellent
manuel.
Règle générale, il s'est interdit de reproduire une étymologie
incertaine sans la signaler comme telle. Le Vocabulaire alphabéti-
que contient en outre un millier de mots sur la filiation desquels il a
gardé complètement l'abstention.
iSes guides de prédilection ont été Littré et Aug. Scheler, dont
l'autorité en cette matière est incontestée, ainsi que le Grand DiC'
tionnaire universel du XIX*^ ciècle de Larousse, qui traite avec uir-
soin scrupuleux les problèmes de la linguistique.
C'est en vain que les érudits chercheraient dans cet essai des
théories neuves ou des dissertations critiques ; une semblable tâche
n'eût pas réalisé le résultat que l'auteur avait en vue : populariser
cette branche de la science au moyen d'un exposé bref et pratique.
Le plan adopté consiste à grouper d'une façon méthodique tous
les mots de même provenance, qui se trouvent forcément éparpillés
dans les autres dictionnaires d'après l'ordre alphabétique. Ce rap-
prochement est instructif et intéressant à divers litres : en quête de
la dérivation d'un mot quelconque, on le rencontre accompagné do
ses congénères, et l'on fait ainsi connaissance avec tout un groupe
de vocables ayant un ancêtre commun et dont on ne soupçonnait
peut être pas l'étroite parenté De là naissent des découvertes et des
inductions inattendues, qui éclairent le sens intime et primordial
des mots d'une lumière plus vive que celle qui se dégagerait de longs
commentaires.
L'élément primitif ou radical est mis en vedette et les autres par-
ties constitutives sont nettement distinguées ; chaque mot se trouve,
de cette façon, soumis à une sorte d'analyse et de dissection qui
frappe en même temps les yeux et l'esprit.
M. Aug. Scheler a adressé à l'auteur les ligues suivantes :
Monsieur Stappers,
J'ai parcouru votre travail avec tout Pintérêt dont il est digne et je
viens vous exprimer mes éloges bien sincères pour rintelligeuce spé-
ciale et le soin minutieux dont vous y avez fait preuve, ^
Je reconnais volontiers que le dictionnaire, tel que vous l'avez
envisagé et exécuté, serait appelé à rendre de notables services dans
les régions scolaires, si les études étymologiques et la grammaire
historique de la langue française y étaient appréciées à leur juste
valeur Si les vues nouvelles, manifestées récemment en cette matière
par les organes du gouvernement, venaient à se propager et à s'affer-
mir, votre livre, j'en suis sûr, se recommanderait particulièrement à
l'attention des professeurs d'humanités appelés à enseigner soit le
français ou le latin. '
' Auo. Scheler.
JIÎHRONIQUE JUDICIAIRE DE^ ^RT^
Les Ressemblances.
On voit au Salon de de Parisceite année une Loilede M. Feyon-
Perrin que le peintre a intitulée : /?^j;«ne. C'est une jeune et Jolie
Cancalaise qui rêve au bord de la mer.
Or, il y a quelques jours, M. W..., fabricant de boutons, visi-
tait le Salon. Arrivé devant le tableau de M. Feyen-Perrin,. il
s'écrie tout à coup : « Mais c'est ma femme! » '
Aussitôt, le mari furieux a assigné en référé M. Feycn-Perrin,
pour voir dire que le tableau serait immédiatement relire du
Salon.
M® Engrand, avoué de l'artiste, a ï50utenu qu'il n'y avait
aucune ressemblance entre la jolie Cancalaise et M'"« W.!. ; que
la conception de M. Feyen-Perrin était sincèrement idéale.
M« Goujon, avoué de M. W..., a répliqué que son client avait
raison de se p'aindre de la grande ressemblance qui existait entre
la jolie Cancalaise et sa femme.
M. le juge des référés, très perplexe entre ces deux plaidoiries
contradictoires, a nommé M. Boimat pour Iranchcr la question
qui divise l'artiste et le marchand de boutons.
"Weldon contre Gounod.
Le jury de la cour du sheritf de Middlesex (Londres), vient de
condamner le compositeur Gounod à 10,000 livres (230,000 fr.)
de dommages-intérêts envers misiress Weldon; l'action intentée
par mistress Weldon était basée sur les calomnies du composi-
teur et sur un article qui^ le jury a considéré comme inspiré par
lui et qui avait paru diins le Gaulois, le 24 août i874; avant
celte époque, la plaignante avait été en relations des plus intimes
avec le compositeur, qui avait habité chez elle; aussi le jury
anglais lui a-t-il accordé en outre la bagatelle de 1,640 livres
sterling comme prix de travaux exécutés i\ la demande de Gounod
et pour l'hospitalité reçue par lui à Tavistock-house!!!
P
ETITE CHROJ^iqUE
L^exposition organisée par la Société royale Belge des Aquarel"
listes au Palais des Beaux-Arts à Bruxelles, continue à attirer de
nombreux visiteurs.
Les œuvres suivantes ont été acquises pour la tombola :
Becker (L.). Vue de Schmitten (Suisse). — Claus ^E ). Au bord
de Vétang. — Delperée (E. . Sur l'étang. — Hennebicq (A.). Un
chéri f au Maroc. — Hoeterickx {E.). Les numéros (Paris). —
Hubrecht (M^e B.). Un coup d'essai. — Ligny ^Gh.) Sablière à
Genck. — Mellery (X). La métairie. — Oyeus (D ). Cuin de ferme
160
VART MODERNE
hollandaise. ^ Oyens (P.). Le convalescent. — Uytteï-schaut (V.).
Environs de Bruxelles.
La Société de musique de Bruxelles a donné dimanche dernier
son concert annuel. Nous eu publierons la semaine prochaine le
compte rendu, que le manque d espace nous oblige d'ajourner.
On hous écrit de Hasselt :
U y avait chambrée complète^ dimanr;he soir, à la Société royale
de Musique et de Rhétorique pour l'audition des oeuvres de M. Jules
Zarembski.
Cette séance a été un double triomphe : Triomphe pour l'auteur,
qui assistait au Concert, et auquel on a fait une ovation ; triomphe
pour les interprètes, MM. Henri Tibbe et le capitaine T, qui ont
exécuté les œuvres du jeune maître avec un brio qu'on ne saurait
assez louer.
La musique de M. Zarembski, d'une saveur délicieuse et d'une
originalité piquante, est d'tiue grande difficulté dexécution. M. Tibbe,
en admirateur enthousiaste et disciple convaincu, y met tout son
entrain, toute son âme. Il a interprété d'une manière ravissante la
Novelette-CapricCy la Vahe Sentimentale^ làiin^i que \si Mélodie y \q
Menuet et la Tarentelle.
On a surtout remarqué la charmante mélodie de la Sérénade
Burlesque,
VTf succès également pour la Berceuse pour piano et violon.
Le Divertissement à la Polonaise, dont le large andante et l'allégro
ont été enlevés avec une remarquable virtuosité, A travers Pologne
et Polonaise triomphale, pour piano à quatre mains, complétaient
ce concert.
VoYAGK A Londres. — . L'Excursion organise pour le 28 mai,
son voyage à l'occasion des courses du Derby d'Epsom qui obtient
chaque année im succès grandissant. Cette fois le programme
comporte la visite de tous les monuments et curiosités de Londres
et des environs, tels que Hampton-Court, Kew, Greenwich, le Palais
de Cristal, etc , etc.
C'est, en cette saison, le plus beau voyage que l'on puisse entre-
prendre Sa durée est de 8 jours.; son prix en l'e classe est de
250 francs.
Cette excursion sera suivie immédiatement d'un magnifique voyage
en Ecosse.
Le programme détaillé de ces voyages sera envoyé gratuite-
ment à toutes les personnes qui en feront la demande à M. Gh. Par-
nienlier, directeur de VExcwsion, boulevard Auspach, 109, à
Bruxelles.
Les annonces sont 9'eçues an bureau du journal,
26, rue de VIndust7ne, à Bruxelles,
Etude de M* VAN HALTEREN, notaire à Bruxelles
rue du Parchemin, 9.
Les notaires Van Halteren et Vermeulen, à Bruxelles, vendront
publiquement, à l'intervention de leur collègue, M« De Ro, notaire
à Saint- Josse-ten-Noode, les jeudi 21, vendredi 22 et samedi
23 mai 1885, à 10 heures du matin,
garnissant l'Hôtel sis place Royale, 12, à Bruxelles
consistant notamment en meubles de salon, de salle à manger, de
chambres à coucher, etc., etc.
Piano à queue et piano-buffet, de Herz. — Porcelaines diverses et
objets d'art en bronze, marbre, etc. — Bijoux et argenterie; Environ
1600 bouteilles de vins de Bordeaux, de Bourgogne et du Rhin.
Exposition publique : le ndardi 19 mai, de 10 à 4 heures.
Ordre de la vente: les 2 premiers jours, les objets divers, meubles
meublants et pianos, et le 3« jour, à midi, les objets d'art, les
bronzes, l'argenterie et les vins.
Au comptant, avec augmentation de 10 p. o/o pour frais.
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ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
\ . ■ — I II I I I II I ■■...■ I--I-M-
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MORT DE VICTOR HUGO
* •
A deux ans de distance, Victor Hugo rejoint Richard Wagner au pays des ombres.
Da?îs ce siècle étonnant qui, en merveilles, dépasse tous les autres, ils dominent comme les plus hauts
sommets, Vun incarnant la Poésie, Paittre la Musique.
Unissons-les dans la même apothéose. Ils sont dignes de s'y dresser côte à côte.
En vain tenterait-on d'opposer lew^s génies comme celui des races ennemies dont ils sortirent. L'art n'a pas
de patrie quand il monte jusqu'aux régions où ils surent le placer.
Ce qui les caractérise tous deux c'est la puissance dominatrice. Leurs œuvres planent au dessus des contin-
gences et, comme des étoiles au firmament, brillent pour tous les yeux et exaltent toutes les âmes.
Ils vont partager avec Eschyle et Shakespeare l'universalité dans le don d'éveiller les émotions humaines.
Toute la vie se reflète dans les accords de l'un, dans les vers de l'autre. A toute joie, toute douleur, tout
sacrifice, tout événement, ils offrent un chant qui enthousiasme, console, explique ou fortifie. Pour l'homme
moderne, incroyant et morose, leur œuvre est ce qu'est le Coran pour le mahométan, pour le chrétien, la Bible.
Si le génie ne marchait pas solitaire, chacun d'eux eût été asse:^ grand pour être le collaborateur de l'autre
dans une épopée colossale où la Musique et la Poésie se fussent unies dans un accouplement titanesque.
Ils sont morts et jamais ils n'auront été plus vivants, si vivre c'est agir, transformer, hanter les esprits,
bouleverser les cœurs. Le temps va dissiper les dernières insultes qui poursuivaient ces robustes révolution-
naires, ces réformateurs indomptables. Ils entrent dans l'empyrée artistique, laissant au dessous [d'eux les
mesquineries terrestres. Sur leurs gloires jumelles, j'ien désormais n'aura prise. Flambeaux inextinguibles
personnifiant la Germanie et la Gaule, ils vont brûler pour toujours sur l'autel de la Justice et de l'Art.
\r
^OMMAIRE
Mort de Victor Hugo. — Documents a conserver. — Le
Salon de Paris. (Deuxième article), — - Wagner mis a sac. —
Les œuvres et les iiom.mes, par Barbey d'Aurevilly, — L'art a
LA Chambre. — Notes de musique. Concert de la Nouvelle société
de nmsiqne de Brua^elles. — Chronique judiciaire des arts. Les
Ressemblances. — Petite chronique.
Ç0CUMENT3 A CON^ERVEF^
Toute atteinte aux ]iommes de génie se paie tôt ou
tard par le ridicule ou la honte.
Voici l'arrêté d'expulsion lancé par le gouvernement
belge contre Victor Hugo, il y a quatorze ans.
Parmi ceux qui ont provoqué ou voté cette odieuse
et grotesque mesure. Roi, Ministres, Députés, en est-il
un seul qui, le relisant, ne se sentira humilié ou
déshonoré?
LÉOPOLD TI, roi clos Belges,
A loiis pn-s^nls cl il venir, salut :
Vu les lois du 7 juillet 1835 cl du 30 juin 1868,
De l'avis du conseil des ministres.
Et sur la proposition de notre ministre de la justice, ,
Avons arrêté et arrêtons :
Article UNIQUE. ^
Il est enjoint au sieur Victor Hugo, homme de lettres, ôgé de
soixante-neuf ans, né à Besançon, résidant à Bruxelles,
De quitter immédiatement le royaume, avec défense d'y rentrer
h l'avenir, .sous les peines comminées par l'art. 6 de la loi du
7 juillet 1865 prérappelée.-
Notre minisire de la jusiice est chargé de l'exécution du pré-
sent arrêté.
Donné à Bruxelles, le 30 mai 1871.
Signé : LÉOPOLD.
« Pays neutre! Pays libre! Non. Pays lâche ! « dit le
pro.scrit en quittant notre sol.
Maître, tu te trompais. Ce pays n'est pas lâche, mais
ceux qui le gouvernent, parfois.
LE SALON DE PARIS
Deitxième article.
Ce qui foisonne au Salon, c'est le portrait. Poiiraits
civils et militaires, portraits d'hommes et de femmes,
portraits en pied, en buste, assis, debout, de face, de
profil, de trois-quarts ; portraits lourdement blasonnés
à l'angle et montrant, sous une draperie relevée, le
château des ancêtres comme une coquine exhibe à la
dérobée son bas de soie; portraits à cheval, en voiture;
portraits d'épais bourgeois ou de mondaines déshabil-
lées, toits fixent sur vous leurs prunelles, vous pour-
suivent de leur regard vitreux, et s'ils pouvaient ouvrir
la bouche, chanteraient dans un concert lamentable la
vanité bête de ceux qui s'exposent, le mauvais goût et
les courtisaneries des peintres qui se prêtent à l'exhi-
bition. .
Passe encore pour ces derniers. Le portrait est,
disent-ils, leur « pot-au-feu ". Il faut vivre. Soit. Et
quoiqu'on ne puisse guère faire une œuvre d'art d'un
portrait qui ne provoque pas une émotion dans l'âme
de l'artiste, soit par suite de la communauté de senti-
ments, d'affections, d'idées, qui existe entre son modèle
et lui, soit parce que ce modèle est une personnalité
physiquement ou intellectuellement intéressante, admet-
tons qu'on doive accepter les commandes qui se pré-
sentent. Mais, pour l'amour de l'Art! qu'au sortir de
l'atelier le portrait, soigneusement recouvert, aille droit
chez le bourgeois qui le paie et qu'il y reste, accroché
à la place d'honneur du salon, au dessus du piano-buf-
fet, entre le calendrier à effeuiller et la photographie
de la Piazetta rapportée du voyage de noces.
A quoi bon nous montrer, dans leurs atours, avec
leurs croix et leurs panaches, tous ces bonshommes
bouffis dont nous ne nous soucions nullement de faire
la connaissance? Le Salon devrait leur être impitoya-
blement fermé. De même qu'il devrait l'être aux exhi-
bitions de toilettes, de chapeaux et de coiff'ures qui, de
plus en plus, transforment en Salon de Modes ce qui
devrait être un Salon de peinture.
Il est de bon ton, pour une femme du monde,, d'avoir
à la cimaise, peint par l'artiste en vogue, son portrait
en costume de bal ou de ville. Cela est entré dans les
mœurs du high-life, cela est d'obligation, comme la'
promenade de cinq à six heures dans l'Allée des Acacias.
Et c'est la robe qui fait l'objet unique des préoccupa-
tions de l'artiste et de son modèle dans ce concubinage
monstrueux de Tatelier qui donne naissance au rejeton
qu'on sait. La robe, et le corsage, bien entendu, et la
forme des manches, et le nombre des volants.
Belle besogne, vraiment, que font là les Commerre,
les Carolus-Duran, les Giron. Si Worth ou Pingat
savaient peindre, ils feraient sans doute même ti^avail.
Parions que pas un couturier de Paris ne manque le
jour du vernissage, et que l'an prochain on « lancera »
une toilette de printemps au Salon avec plus de succès
qu'à Longchamps. On lira sur le cartel du cadre :
M""^ de X'*\par M. Un tel. Toilette de il/'"« . . . . ,
failleiise, 7'iie , n° . . . Alors le Salon de
Paris aura trouvé sa voie définitive.
Quatre-vingt-dix-neuf pour cent de ces portraits ne
renferment pas, cela va sans dire, la parcelle d'art la
plus minime. C'est même souvent un recul sérieux sur
l'art de feu M. Daguerre, perfectionné par Ghémar,
Géruzet et Ganz.
Les grands portraits qu'expose à l'Avenue de l'Opéra
le photographe Carjat nous paraissent supérieurs à
celui de Bonnat, dont nous parlions en terminant notre
premier article. Ils ont sur le portrait de M'"° Pelouze,
par Carolus-Duran, l'avantage de ne pas rendre ridi-
cules leurs modèles. Pauvre M"^e Pelouze ! Cette dame,
assurément respectable, ne se dotite-t-elle vraiment pas
de l'hilarité qu'excite sa promenade en robe décolletée
dans le parc de Chenonceaux sous le dais jus de gro-
seille qu'on lui a méchamment tendu par dessus la tête ?
C'est désarmant tant c'est drôle.
Laissons cela. Une seule observation donnera très-
exactement le niveau de l'art du portrait en France.
La gentille perruquière que M. Herbo a eu la fantaisie
de peindre en costume Louis XV est exposée au Salon
de Paris. Elle tient son rang, sinon avec éclat, du
moins d'une façon honorable, et le portrait ne paraît
pas plus mauvais que la plupart des autres.
Dans ce flot de banalités, dont plusieurs font rire et
dont quelques-unes vous mettent vraiment en colère, il
y a heureusement quelques bonnes œuvres. Ce sont
d'abord les deux groupes de portraits de Fantin-Latour
et de Raff'aëlli, tous deux d'un intérêt puissant, et que
nous rapprochons à dessein malgré leurs différences de
tendances et de procédés.
L'un est une collectivité d'hommes unis dans un
sentiment commun, l'amour de la musique, et plus spé-
cialement l'admiration de Wagner. On reconnaît, au
piano, M. Chabrier, l'auteur de Gioendoline q\ïon
entendra l'hiver prochain à Bruxelles, MM. d'Indy et
Camille Benoît, compositeurs, Adolphe Jullien, criti-
que musical, Lascoux, qui ne manque 3iucm\e pre^nière
des œuvres de Wagner, à Bayreuth ou à Bruxelles.
Tous sont graves, recueillis, écoutant religieusement la
mélodie déployer ses ailes et monter dans l'atmosphère
paisible de l'appartement.
Fantin-Latour aime ces réunions d'esprits préoccu-
pés d'une même pensée. Il a fait quelques toiles de ce
genre, et elles comptent parmi les plus belles du pein-
tre des intimités de Tâme. L'une, d'elles est exposée en
ce moment aux Portraits du siècle. Elle date de vingt
ans, et c'est avec une émotion profonde qu'on la con-
temple. Autour du portrait d'Eugène Delacroix sont
réunis les hommes d'élite qui furent ses plus chauds
admirateurs : Whistler, Manet, Champfleury, Baude-
laire, Legros l'aquafortiste, Fantin lui-même et quel-
ques autres. Dans cette superbe toile, comme dans celle
qui figure au Salon sous le titre Autour du piano,
on entend la résonance éloignée des harmonies qui
unissent les âmes, comme de beaux accords. Une pen-
sée plane, élevant le tableau bien au dessus de la repro-
duction matérielle de visages connus et donnant à l'en-
semble, malgré la diversité des personnages, l'unité de
sentiment et d'expression qui fait l'œuvre d'art.
Le Clemenceau dans une réunion électorale de
M. liaffaëlli participe de ces qualités. Mais ici, le tu-
multe, les clameurs, les applaudissements, le brouhaha
des meetings remplacent la mélopée songeuse que
scande lentement Tart de Fantin .
Tous les visages peints par Raffaëlli reflètent l'émo-
tion poignante que donnent les agitations de la poli-
tique. Tandis que Clemenceau parle, sanglé dans sa
redingote noire, la main nerveusement appuyée sur le
bureau où deux secrétaires prennent des notes, la foule
massée dans le jour douteux d'une salle de cirque, un
après-midi d'hiver, boit avidement ses paroles, l'esprit
tendu, les regards fébrilement fixés sur l'orateur. Une
analyse impitoyable remplace la vision pittoresque. Ce
n'est pas le grouillement de la foule que rend l'artiste ;
ce n'est pas l'opposition des lumières et des ombres, le
jeu des lumières, les déductions de la couleur. Rien de
ce qui constitue le tableau dans l'œuvre des coloristes,
n'existe dans le Clemenceau de Rattaëlli. Sa toile, la
plus remarquable et par conséquent la plus critiquée
du Salon, ne vit que par l'étude amère des physiono-
mies, et elle vit d'une vie intense, prodigieuse.
L'œuvre déplaît. Elle est noire. Elle est sèche d'exé-
cution. Le public contemple avec eflarement ces faces
convulsées, groupées autour d'un orateur au geste
anguleux, au regard dur. Il cherche la tache de couleur
séduisante, le détail humoristique, et il ne trouve devant
lui qu'une observation scrupuleuse et implacable de
c.g,ractères, un ensemble de portraits dont chacun a sa
physionomie, mais dont toutes les expressions se con-
fondent dans une idée de même ordre, qui est l'idée
dominante du tableau. ,
A ne l'envisager qu'au point de vue pictural, on com-
prend les critiques exaspérées soulevées par cette
œuvre audacieuse. Ce n'est pas un œil de peintre qui a
vu l'épisode, c'est un esprit littéraire, un analyste sub-
til et profond qui ne s'arrête pas à la surface des cho-
ses, mais pénètre dans leurs arcanes pour en faire jaillir,
parfois avec outrance, ce qui échappe au grand nombre.
Il y a dans Raffaëlli du chirurgien qui soulève la peau,
joue du scalpel et met à nu les muscles qui font mou-
voir les articulations. ~"
L'artiste est, à cet égard, l'une des natures les plus
intéressantes et les plus personnelles de l'époque. Son
Clemenceau et les deux dessins rehaussés qui complè-
tent son envoi, les Forgero7îs et le Chiffonnier, de
même que le remarquable ensemble de toiles qu'il
expose actuellement chez Georges Petit, rue de Sèze,
et dont^ious nous occuperons prochainement, le met-
tent définitivement au premier rang.
On retrouve dans quelques portraits du Salon ces
mérites d'observation, et c'est ce qui fait leur charme.
Voyez, par exemple, la toile intitulée Chez soi, de
M"'' Louise Breslau, et qui enferme deux portraits :
ceux de la mère et de la sœur de l'artiste. Rien n'est
sacrifié à l'arrangement, au côté décoratif, si agaçant
dans là plupart des tableaux exposés. L'étude des phy-
sionomies, non du masque des visages, mais de l'ex-
pression intime, est minutieusement poursuivie, avec
quelque sécheresse d'exécution, mais avec quelle sincé-
rité et quelle analyse raisonnée et tenace ! Le portrait
de M"® de Gargan, par la même artiste, a des mérites
analogues. Mais ici la grâce et la beauté du modèle
commandaient plus d'élégance dans la disposition, dans
les accessoires, dans le costume, et le peintre l'a
compris en donnant à ces détails l'attention qu'ils
exigeaient.
Le portrait de M"® Bashkirtseff, peint par elle-même,
d'une distinction et d'u'ne sobriété de couleurs rares,
compte également parmi les meilleurs, et Ton ne peut
se défendre d'une émotion poignante à la pensée de la
catastrophe qui a si brusquement enlevé à l'art une
existence qui lui était consacrée tout entière.
Nous avons cité Whistler. Des deux portraits qu'il
expose, celui de Lady Archibald Campbell, le moins
mal placé, est merveilleux d'élégance, de tenue dans les
colorations, de distinction raffinée. C'est une jeune
femme en pied, les épaules couvertes d'un mantelet de
loutre, vue de profil perdu, presque de dos, et bouton-
nant son gant de Suède tout en marchant. L'œuvre a
le caractère mystérieux, énigmatique, qui donne aux
toiles du grand artiste américain un charme à la fois
puissant et doux.
L'autre est le portrait de M. Théodore Duret, en
habit noir, le gibus à la main, un domino de satin rose
jeté sur le bras, un éventail rouge, fermé, à la main.
Il est à peu près impossible de l'apprécier, le jury ayant
jugé à propos de le reléguer dans des hauteurs inacces-
sibles aux yeux des mortels.
Pour compléter la série des rares portraits intéres-
sants du Salon, il convient de citer les deux^elles toiles
de M. Elie DelaunayT^j'un est celui de M"® T..., d'une
exécution serrée, d'une couleur séduisante, auquel l'ar-
tiste a eu le tort d'ajouter, le chic évidemment, un
fond de paysage qui ne rime à rien. L'autre est celui
de M'' B..., en robe d'avocat, un dossier étalé sur la
barre, prêt à prendre la parole. Il est, comme le précé-
dent, très voulu, très ferme et très expressif.
Puis encore : deux portraits de Paul Dubois, bien
modelés et agréables à l'œil, un portrait de femme de
Rachou, un portrait, de très petit3S -dimensions, de
Gueldry, enfin, un condottiere et le portrait de
M. M. D..., par Georges Olivier Desvallières, un nom
nouveau qui sera, pensons-nous, rapidement connu.
On espérait de Sargent mieux que ce qu'il a envoyé
au Salon cette année. Le portrait des Misses **\ trois
jeunes filles dans un appartement, n'est pas heureux,
malgré le caractère expressifet captivant des physiono-
mies. La tendance vei's l'art facile, lâché et sans con-
sistance de Carolus Duran s'accentue de plus en plus.
Taches claires sur fond dé bitume, étoffles traitées de
chic, dessin médiocre, tout cela est peu rassurant pour
l'avenir du peintre. Le portrait de M'"® V... est dans les
mêmes données.
Les deux portraits de Cormon, celui du docteur
Heyens et de M*"® A..., sont, de même, inférieurs à ce
qu'on pouvait attendre du jeune maître. Exécution lisse
et proprette, pose convenue, expression bourgeoise, ils
ont tout ce qu'il faut pour plaire à ceux qui se pâment
d'aise devant les peintures de MM. Cabanel, Bougue-
reau, Lefebvre et Benner. Mais ils manquent d'âpreté,
d'humanité, dévie.
Nous en dirons autant du portrait de femme qu'ex-
pose, à côté de son Jury de peinture^ M. Gervex. Le
sourire figé sur les lèvres du modèle, la superficialité
d une exécution trop habile, laissent le spectateur indif-
férent.
Le portrait de femme de Besnard arrête davantage
les regards. Le dessin ondoyant du corps, â demi pen-
ché vers le spectateur, tandis que la tête est vue de
profil, est intéressant. Mais quel est l'eff'et qu'a voulu
exprimer l'artiste? Des bougies sont allumées dans le
fond de la serre où se tient la jeune femme. Est-ce le
soir? Alors pourquoi ces colorations crayeuses, ces
ombres grises que justifierait seule la lumière du
jour? Et pourquoi ces tons jaunâtres des chairs ?
Le même artiste expose une grande toile décorative
destinée à la mairie du IV" arrondissement, et intitulée
Paris. Elle est très remarquée, ce qu'expliqueraient
d'ailleurs seuls le sujet et les dimensions du cadre.
Mais nous n'avons voulu parler aujourd'hui que des
portraits. Réservons donc pour une prochaine étude
l'examen de cette composition importante, à laquelle se
rattachent plusieurs toiles du même genre.
WAGKER MIS A SAC
Oyez, petits et grands, de quelle terrible manière
un sieur Bellàigue vient d'exécuter le malheureux
Wagner dans la Revue des Deux-Mondes. Cet éton-
nant document est à classer, parmi les curiosa à con-
server, à côté des grotesques attaques des zivanzeurs
de tous les temps, notamment à côté de celles dirigées
contre Eugène Delacroix que nous rapportions derniè-
rement.
M. Bellàigue apprécie les Maîtres-Chanteurs. En-
core une fois, oyez, petits et grands !
Le premier aclc est le plus terrible. Peut-être ne s'aclièvcrail-
11 pas sur une scène française; avant la fin, la salle serait déser-
tée ou le public affolé...
En écoutant cet acte, en le voyant, on sent dans sa plcnilude,
l'ennui wagnérien, l'inexorable ennui, comme disait Bossuet...
Eva se love et le jeune homme l'aborde. Quelle première ren-
contre ! Une suite de phrases étranglées, de mots notés au hasard,
comme un dialogue de hoquets !...
Wagner raille, parall-il, la routine de l'école et le pédantisme
classique. Mais le pédant c'est lui-môme : c'est lui qui nous
écrase et nous assomme avec le pavé de l'Ours...
Wagner, homme de théâtre! Wagner, réformateur dramati-
que ! Mais ce premier acte entier est la négation du théûlre. Ils
le sentent, les pauvres enfants qui jouent à saute mouton dans le
fond de la sacristie. Ils n'écoulent pas un mot, pas une noté de
cette effroyable causerie, et le public voudrait bien en faire
autant...
L'air que chanle Walther, a de l'expression et de la chaleur.
Tout le reste est un abominable chaos...
Au second acte, encore une heure de musique pénible. Trois
interminables dialogues. On sonne le couvre-feu: complainte
lamentable dont la dernière note voudrait être comique et n'est
que fausse...
Le beau, dans les Maîtres-Chanteurs^ est l'exception; il con-
firme la règle, qui est le laid...
Au début du troisième acte, on retrouve le laid et presque le
ridicule. A des dialogues monotones succède une superbe
romance du ténor, un second rayon de printemps dans cette
froide partition. Malheureusement après cet éclat de passion,
quelles puérilités encore!...
La dernière scène, le concours définitif, est un de ces ensem-
bles plus bruyants que puissants dont Wagner abuse; une suite
de chœurs et de marches ; orchestre sur le théâtre, défilé, rien n'y
manque, hormis le génie...
Le finale, au bout de cette œuvre fatigante, porte le dernier
coup...
Une pièce plus qu'insipide, une musique souvent plus qu'en-
nuyeuse qui n'émeut presque jamais...
Une médiocre apologie de la cordonnerie, l'exégèse de la
chaussure...
Il y a longtemps que cet engouement nous fatigue et que celle
idolâtrie nous irrite...
Le vrai Wagner serait-il comme le vrai choléra, celui dont on
meurt?...
Wagner a poussé à l'extrême, à l'absurde des idées dont il
s'est entêté. Son école est ennemie de la joie et de la grâce. Ses
livrets sont des énigmes ou des niaiseries, ses héros des pantins.
Et l'Eva des Mnîtres-Cfinnleurs? Je ne crois pas qu'il existe
pour une femme un rôle plus ingrat, plus dépourvu de grâce et
de tendresse que celui de cette poupée de Nuremberg...
Baissez le rideau. Vos pièces insipides et vos chants discor-
dants nuisent à l'intérêt de votre accompagnement. Baissez Je
rideau, formez le théâtre. La musique dramatique n'est pas votre
affaire, vous finiriez par la détruire...
Votre art n'est pas plus vrai que le nôtre, mais il est plus laid.
Cette musique des MaUres-Chanleurs n'est pas seulement en-
nuyeuse, elle est laide. Elle manque à touîes les lois du beau.
Une partition de Wagner est un livre de trois cents pages, ni
paragraphes, ni ponctuations, pas un alinéa, pas un point ni
une virgule...
Un opéra de Wagner est accablant. C'est une déclamation qui
semble notée à l'aventure, par une mélopée insaississable.
Wagner a détruit la forme elle-même. Presque toujours avec
Wagner l'idée tourne court, et la phrase aussi. La pensée est
hachée et le stvle haletant. La mélodie se brise, les cadences se
dissolvent, rien ne se développe, rien ne conclut. Celle musique
ne commence pas, elle ne finit pas non plus, mais elle dure !
Elle dure longtemps, hélas! Elle est impitoyable; elle vous tient
et vous tenaille. On ne peut fuir l'orchestre déchaîné, les violons
dont l'archet mord les cordes, les pesantes gaîtés du basson, les
voix tourmentées, torturées, la complication et l'enchevêtrement
de cette polyphonie terrible. L'ennui fait place à la fatigue, h la
pénible sensation que donne la laideur; puis vient ragacemcnt,
presque l'exaspération...
Celle musique-là c'est comme l'équiialion. Quand on est
tombé de cheval on remonte et l'on finit par se tenir : affaire
d'habitude.....
Entendre une fois les Mat très- Chanteurs ne suffît pas pour
les connaître, mais suffît pour ne plus vouloir les entondre. C'est
un récitatif inégal et boiteux, dont les motifs sont à peine
indiqués, jamais achevés
Comme toujours Wagner a exagéré, insisté pesamment.
« Lofsque les élèves ne comprennent plus le professeur,
a dit Voltaire, et que ce professeur ne se comprend plus lui-
même, alors c'est de la métaphysique, » — ou de la musique,
si la musique est ce quedisent les wagnériens.
Sapi'isti! Comme ce sera drôle de rappeler ça dans
quelque vingt ans. Ce sera aussi comique que ce mot
fameux : « M. Eugène Delacroix peint avec un balai
ivre »». Il y a eu un imbécile pour le dire vers 1840.
. JjE^ œuvre? et les homme?
par J. Barbey d'Aurevilly. — Paris, Friziue.
De'tous les séduisants despotes littéraires qui en'rent bottés et
éperonnés dans les esprilSi comme Louis XIV au Parlement, y
fouaillant les idées reçues, y cravachant 1rs jugements figés, y cin-
glant même 1rs affections et les sympathies, Jules Barbey d'Au-
revilly est le plus superbe et le plus grand seigneur. Rangez-
vous, le voici qui s'avance. Il est d'allure hardie, d'audace en
arrêt; il est magnifiquement équipé; il apparaît, vainqueur en
pays conquis.
Aussi bien, nul plus que lui n'a l'orgueil de soi. 11 se croit
grand par droit divin. Seul parmi tous les génies de notre temps,
il reste fidèle h toutes les choses du passé; il est le représentant
des idées légitimistes en littérature; il est l'oint de l'art contem-
porain.
Seul parmi les écrivains modernes il juge ex cathedra, du haut
des vieux dogrfies et des gothiques vérités. Aussi sa critique (et
c'est comme critique que nous l'envisageons ici) a-t-elle la pré-
tention d'être ne varietur et de ne s'appuyer que sur dés prin-
cipes absolus.
Aux yeux de tous ceux qui ont l'admiration de loriginalilé et
l'enthousiasme des belles et chevaleresques foires, cette allure
magnifique hausse Jules Barbey d'Aurevilly à très haut rang
parmi les maîtres. Peut-être met-il beaucoup de pose en celle
carrure, mais qu'importe ! D'autant, que son talent est prodigieux,
qu'il apparaît comme un orateur guerrier racontant lés combats
de la vie, que ses romans sont des récils déclamés avec une voix
âpre et sonnante et des gestes larges et fulgurants comme des
éclairs d'épée.
Dans son présent livre, il juge les juges suivants : Villemain,
Saintc-Bouve, Nisard, Châles Janin, Prposl, Paradol, Rigaull,
Joubcrl, Guizol, Saint- Victor, Taine, Hello et quelques autres.
11 le prend de haut avec eux. Non seulement il ne se met pas
à leur point, il n'enlre pas dans leur système de critique, mais,
apôtre dgard parmi les Gentils, d'un çaut il s'élance sur sa
verge ol fouette jusqu'au sang plu§ les théories encore que les
hommes.
Analyser un auteur, disséquer son œuvre, patiemment le suivre
dans la voie qu'il suit, jamais! Voici avec quel dédain il parle de
ce procédé dans son élude sur Sainte-Beuve et comment il le
flétrit en s'altaquant au causeur des lundis :
« C'était un descripteur et un analyseur et un disséqueur à
loMpe, h pincettes, à scalpel — et qui mettait au bout de sa des-
cription, de son analyse, de sa dissection, sa petite impression
personnelle et la couleur de son esprit. Mais il n'était rien de'plus,
et quoique cela lut, cela n'était point le critique, car le critique
conclut d'après une idée supérieure à ce qu'il vient de décrire,
d'analyser, de disséquer... Et puis, je l'ai déjà dit le critique est
le Stator suprême... S'il revient sur son jugement, ce n'est plus
un juge : c'est un pauvre homme qui s'est trompé. »
Toute une confession est enfermée dans eës lignes.
La méthode de M. Taine, qui tient compte du tempérament et
du milieu, n'est pas mieux comprise. L'auteur la juge ainsi :
« C'est la mort de toute critique, de toute esthétique et de toute
hiérarchique dans les diverses conceptions réalisées de la beauté.
Nulle Ihéoj ie, du reste, est plus faite que celle-là pour les lâche-
tés d'un temps comme le nôtre, où tous les genres de législation
s'amollissent et où ce fameux mot de femme : « Tout comprendre
c'est tout pardonner», a été pourri par les hommes qui en ont
fait, jusque dans l'ordre littéraire : « Tout comprendre c'est tout
accepter ».
Cette façon déjuger de haut, ne tenant compte que de grandes
idées préconçues et dogmatiques, conduit directement aux juge-
ments entiers, violents, décisifs et trarichanls. L'éreintement ou
l'emballement en sont les extrêmes, promplement atteints, et il
n'est pas dans le (empéramcnt de Jules Barbey d'Aurevilly de
flâner en route.
Dans ses romans, partout, on sent l'homme de feu, qu'il
vienne du ciel ou de l'enfer, et c'est un emportement grandiose,
une course dans l'aliîme qui donne la peur. Dans sa critique il
désire se modérer, mais il n'y parvient pas. Sa furie se rapetisse
en acharnement, voilà tout.
Voici son persiflage à l'adresse de Sainte-Beuve, qu'il outrage
(TarlicHer :
« L'article de journal, c'est le lingot tombé en menue mon-
naie; c'est la pièce de dix sous littéraire. Eh bien, le monnayeur
Sainte-Beuve, au trébuchet méticuleux, n'a pas eu d'autre préoc-
cupation dans sa vie que d'arrondir et de timbrer ses pièces de
dix sous. L'article, son article, a concentré tous ses eff'grts,
toutes ses heures; j'allais dire tout son cœur, mais je me suis
arrêté à temps. Toujours est-il qu'aucune mort que la sienne
n'interrompit son article. Il est sublime comme'arliclier! C'était
M"'« de la Sablière qui appelait la Fontaine son fablier. Il porte
des fables, disait-elle, comme le prunier porte des prunes. iMais
ce n'est pas ainsi que Sainte-Beuve portait ses articles..., etc. »
Certes, est-il amusant de voir une telle verve caresser en souf-
flets la très respeclable joue de Joseph Delorme, mais souvenlcs
fois les attaques de J. Barbey d'Aurevilly portent à faux (voir le
chapitre consacré à Taine), alors, lancée li fond de train comme
elle l'est, sa critique s'abat piteusement contre une réputation,
toute en solidité et en splendeur. >
Outre que sa façon de juger comme Stator suprême, du haut
d'une idée supérieure, finit par lasser comme tout système peu
sûr et qu'on sent promptèment la peine qu'il a à se maintenir
tel. Heureusement qu'il reflète toujours un splendide orgueil.
Les juges jugés forment le sixième volume des Œuvres et des
Hommes, dont les cinq premiers (ornes ont paru chez Palmé et
sont épuisés totalement. Frizine les rééditera.
Ainsi sera mise en lumière la critique de J. Barbey d'Aure-
villy, critique que nous venons d'apprécier sommairement, à vol
d'oiseau, de manière à en signaler toutefois la superbe quoique
fausse allure, et la partialité curieuse et hautaine.
Ja'^RT y^ J.yV J]Ih AMBRE
On vient d'entendre à la Chambre, à propos des arts, autre
chose que des chicanes lardiées de clabaudages politiques.
M. Slingeneyer a prononcé un excellent discours que même ses
adversaires en peinture devront approuver. Il a eu un langage
auquel nous n'étions plus habitués : celui qui s'élève parce qu'il
s'occupe simplement de grands intérêts. En voici deux extraits
qui permettront d'apprécier la valeur de notre jugement. Est-ce
que vraiment il va arriver quelquefois de voir le clérical et
le libéral se taire pour permettre à nos députés de s'occuper de
ce qui est vraiment utile ? .
Qu'est-ce que les beaux-arts aux yeux de bien des gens ? Un
objet de luxe, un simple amusement inventé pour chatouiller la
curiosité du public et satisfaire les besoins des collectionneurs. Cette
croyance est si générale de nos jours et cette erreur est si répandue,
qu'en Hollande,, ce pays qui compte une si belle école de peinture,
un homme politique éminent, Thorbecke, soutenait en plein parle-
ment, que les questions d'art n'avaient rien à voir dans les questions
d'Etat t Kunstzaken zijn geenc stàatszaken, phrase restée célèbre
dans le monde dés arts.
Quelle grossière erreur, et combien les anciens, les Grecs surtout,
avaient raison de considérer les beaux-arts, non comme une super-
fétation, mais comme une force civilisatrice, une expression virtuelle
de la pensée et des besoins intimes du peuple ! Il est vraiment
étrange que depuis l'art hellénique, si peu de nations ont su em-
ployer cette force au profit de la civilisation.
L'art est la puissance éducatrice la 'plus apte à donner les pre-
mières notions à l'enfant. Frappant Timagination, se fixant dans la
mémoire, il conduit l'hoiume par le sentiment du beau au sentiment
du vrai. L'art possède ce singulier et unique privilège de parler une
langue comprise de tous. Il exerce une influence d'un goût exquis
sur les mœurs sociales.
Dans tous les grands centres intellectuels, cette vérité se démontre
par des faits. Otez à Paris les arts, vous lui enlevez la politesse de
sa vie et 1-élégance de son existence mondaine. Aussi nulle part le
peuple, pris en masse, ne possède la perception des choses de l'art
à un degré plus élevé.
Compléter l'instruction dont on s'est tant occupé ici, — et on a eu
raison, — par l'éducation dont on s'est occupé trop peu, —et on a eu
tort, — voilà la mission capitale de l'Etat, et s'il est un intérêt qu'un
gouvernement ne doit pas confier aux caprices ou au bon plaisir des
particuliers, c'est l'élévation du niveau moral des masses au pioyen
des beaux-arts. L'enseignement moral a commencé par l'art, c'est
par l'art qu'il finira. C'est douô le -devoir du pays, c'est également sou
intérêt, car il n'est pas de meilleur armée, de meilleure forteresse,
qu'une population éclairée et morale.
Quand les enfants du peuple sauront lire, écrire et calculer, ils
ne seront qu'à moitié armés pour la lutte de l'existence. Quand, au
contraire, ils auront appris les jirincipes artistiques de leurs mé-
tiers, métiers que dans ces conditions ils exerceront eu maîtres, ils
formeront une génération d'artisans, capables, habiles, intelligents
et vraiment utiles à l'Etat, car il n'y a que l'intelligence qui produise.
Certes l'Etat n'est pas t«nu de produire des génies ou de créer des
maîtres, chose qui n'est pas en son pouvoir, mais il a le devoir de
LART MODERNE
167
mettre l'enseignement et tout ce qui s'y rattache sous ses formes
multiples, à la portée de tout le monde. p]t, tout en travaillant ainsi
à la moralisation du peuple, le gouvernement fera œuvre de bonne
administration.
L'art, quelle que soit sa manifestation, est une cause d'enrichis-
sement. Quelle n'est pas la valeur des tableaux et autres objets d'art
produits par la Belgique depuis la célèbre école de Bruges? Combien
de millions ne faudrait-il, pas pour acquérir l'œuvre du seul Rubens?
Il y a quelques semaines, les journaux annonçaient que deux
tableaux de ce maître, appartenant au duc de Marlborough, ont été
venilus 1,320,000 francs. Et quand on pense que ce génie est l'au-
teur de 1,500 tableaux connus! C'est la plus immense production
qui soit jamais sortie d'un cerveau humain. Que de chefs d'œuvre,
dans le nombre, d'une valeur inestimable !
Le mouvement artistique amène donc dans le pays une richesse
constante sans absorption de capital, presque sans frais. Il jjroduit
une valeur permanente qui augmente avec la civilisation d'année eu
année, doublant, triplant, décuplant, son prix primitif Son revenu,
que l'œuvre produite appartienne au domaine de la peinture, de la
sculpture, de la musique ou de la littérature, ne se borne pas là, car
l'œuvre rapporte des intérêts énormes par les travaux accessoires
qu'elle alimente. Nous avons en Belgique une population de plus de
100,000 artisans qui vivent des industries indispensables à la répro-
duction des œuvres artistiques et littéraires, industries qui com.-
prennent la gravure sur cuivre, sur acier, sur zinc, sur pierre, sur
bois, la lithographie, la chromolithographie; l'industrie des bronzes,
des statues moulées, remouléés, exécutées en marbre; l'impression
et la réimpression sans fin des partitions musicales; la fabrication
des instruments de musique; l'impression des œuvres littéraires
nourrissant une armée d'imprimeurs, de papetiers, relieurs, bro-
cheurs, fondeurs en caractères, etc., etc. Que de millions.
Et ce n'est pas tout. L'art n'est pas seulement une industrie,
source de richesse pour une nation, mais il est surtout la grande école
des métiers qu'il anime de son souffle et qui meurent sans lui.
L'ébénisterie, la tabletterie, la céramique, la verrerie, la fonderie,
l'orfèvrerie, la bijouterie, la tapisserie, la tisseranderie, la menui-
serie, la ferronnerie, tous les métiers décoratifs, eu un mot, ne
prospèrent qu'à la condition que l'art vive, marche et leur commu-
nique son goût, son impulsion et son souffle de feu. L'art est l'A,
B, C de l'industrie, sa grande école, son âme et sa source créatrice.
Et ce ne sont pas les métiers décoratifs seuls qui acquièrent de la
puissance par l'intervention de l'art. Celui-ci exerce une influence
prépondérante sur toutes les branches de l'industrie. La véritable
industrie, d'ailleurs, ne commence que là où le règne de la matière
finit et où l'art, entrant en action, inaugure le règne de la pensée.
Je pourrais citer des exemples à l'infini; je n'en citerai que deux.
Une simple clef, qui, comme matière première, n'a peut-être qu'une
valeur de 50 centimes, — la valeur du fer, — ciselée par ce génie
incomparable qui s'appelle Benvenuto Geliini, a été payée 80,000
francs à la vente Sforza. Un de nos collègues, homme de goût, grand
et intelligent amateur d'art, possède le manche d'un ancien cachet
florentin, incrusté d'or, également ciselé par Benvenuto Cellini. Cet
objet précieux qui n'est pas plus grand que mou petit doigt et que
notre honorable collègue a fait monter en porte crayon, a été payé
par lui 14,000 francs!
Ces exemples prouvent que l'art est l'industrie suprême. ï)ohc en
cultivant l'art, l'Etat travaille pour l'industrie de la manière la plus
rationnelle et la plus efficace. J'amais on ne voit fleurir l'art
appliqué à l'industrie, sans qu'il soit entouré dune population
d!artistes ; c'est la première condition de son progrès. Il est temps de
faire justice de ce non-sens qui consiste à faire croire à l'existence
d'un art purement industriel, comme s'il pouvait y avoir un-*art
exclusivement propre à l'industrie, indépendant de l'art jmr. Infini
dans ses applications, l'art est un dans sou essence; il n'y a qu'un
art. L'art crée les types, les beaux modèles; l'industrie les multi-
plie par la fabrication.
Les choses d'art sont donc des choses d'Etat. Aussi je n'hésite pas
à répondre à l'aphorisme de Thorbecke : Kunstzahen zijn bijzon-
derlijk Staatszaken.
Notre art national ne s'égare-t-il pas dans une voie qui n'est pas
la sienne, ne s'empare-t-il par trop de traditions françaises qui sont
les résultantes d'un génie étranger à notre racei N'en résulte-t-il i)as
des mécomptes, de jour en jour plus graves, amenant un fléchisse-
ment général qui se manifeste avec évidence dans les grandes réu-
nions d'œuvres, comme par exemple les envois aux expositions? Il y a
lieu de le craindre.
Notre art national, on l'a dit souvent, est l'art flamand, qui s'est
manifesté de la façon la plus brillante dans la grande école du
xvii" siècle avec ses devanciers et ses successeurs. Il règne cepen-
dant, à cet égard, un malentendu qu'il importe de dissiper pour que
notre enseignement ne s'en inspire pas davantage. Quand on dit que
nos artistes doivent être flamands, cela ne veut pas dire, comme on
le croit généralement, qu'ils doivent s'efforcer de reproduire les
chefs-d'œuvre de Rubens et des maîtres que l'on groupe autour de ce
Çrand nom. L'art, en effet, ne se recommence jamais. Il est soumis
à une évolution constante qui ne revient pas sur elle-même.
S'efforcer de reproduire les chefs-d'œuvre d'une époque disparue,
c'est s'exposer à des mécomptes inévitables.
Quand on dit, qu'il faut faire de l'art flamand, cela doit s'entendre
uniquement des qualités qui l'ont distingué et qui^ correspondent
à ces instincts de race, à ces dispositions physiques et intellectuelles
qui existent encore chez nous, qu'il faut favoriser — ce que l'on n'a
pas fait et c'est ime grande faute — qu'il faut éveiller davantage,
mettre dans tout leur relief, mais pour lesquels il faut chercher des
applications nouvelles.
Quiconque a vécu avec les artistes, et spécialement avec les jeunes,
a constaté qu'en Belgique l'instinct de la couleur subsiste. C'est en
cela que notre école flamande vit toujours. Malheureuàement, en
présence de ces dispositions qui ont permis de dire que, sur
100 jeunes artistes, il y en a 95 qui sont des coloristes, il n'arrive
que trop souvent qu'en les préoccupant de traditions françaises, on
diminue leurs dispositions naturelles, taudis que c'est en appliquant
ces aptitudes, qui sont de race, que nous maintiendrons notre origi-
nalité et que celle-ci deviendra puissante, précisément parce que l'on
ne contrariera plus les forces qui sont en nous.
C'est une erreur de croire que parmi* nos artistes contemporains
ceux qui ont réveillé le mouvement artistique il y a de longues
années déjà, sont les adversaires d'une peinture s'adressant au milieu
dans lequel nous vivons; il.<« apprécient aussi bien que personne
qu'il y a là matière à des œuvres vraiment vivantes. C'est une source
féconde où l'on peut puiser. Seulement on oublie que de grands
exemples ont démontré que, si pour quelques-uns l'œil est l'instru-
ment principal pour le choix du sujet, pour d'autres, c'est l'ima-
gination et qu'il ne faut pas exclure celle-ci.
Rubens, dans ses scènes mythologiques et religieuses, Eugène
Delacroix, dans ses scènes historiques démontrent que ce serait une
erreur de limiter ainsi le domaine des inspirations artistiques ; mais
dans l'un et l'autre cas, pour nous, Belges, pour nous Flamands,
c'est la couleur qui doit .dominer, c'est elle qui doit continuer à
maintenir notre supériorité.
j^OTEp
DE jviupiQuz:
Concert de la Nouvelle Société de musique de Bruxelles.
L'intérêt de la matinée donnée le 10 mai par la Société de musique,
sous la direction de M. Henri Warnots, était partagée en trois : on
avait réuni, dans un même cadre, une œuvre française, une œuvre
belge et une œuvre allemande, mais il s'est trouvé que l'œuvre belge
était bien française d'inspiration et de facture et que l'œuvre fran-
çaise n'offrait guère de caractère particulier.
Cette oeuvre, la Mer, de Victorin Joncières, ode -symphonie, dit
l'auteur, est d'une banalité absolue. Des chœurs rappelant les can-
tiques à la Vierge :
C'est le mois de Marie,
C'est le mois le plus beau !
auxquels l'époque donnait seule quelque actualité; puis, des 5oZi
assez ampoulés, avec, sous prétexte de fragments symphoniques, de
grands vides dans l'orchestre.
Daphnis et Cliloc, de notre compatriote Fernand Leborne, offrait
plus d'intérêt, en ce sens, tout au moins, qu'il s'agissait d'un début
ou d'un quasi-début, et que la tentative était vraiment audacieuse et
nouvelle. Mettre en musique le poème croustillant dé Longus n'était
pas chose aisée. Il y a des situations qui peuvent être lues, et même
lues agréablement, mais qu'il est difficile de chanter, surtout quand
on a la prétention, comme c est le cas pour notre jeune compositeur,
d'y joindre la mimique, la mise en scène et le décor.
Mais nous n'avons pas eu à juger à ce point de vue le petit
jdrame idyllique de M. Leborne. M^e Gornélis Servais, M. Van
Dyck et M; Blauwaert, ce dernier chargé du personnage de Dorlcon,
se sont contentés de chanter les notes, sans y joindre le geste, et
ils l'ont fait avec un réel talent.
168
UART MODERNE
Ce qui est ressorti. de cette audition, que les chœurs ont un- peu
compromise et à laquelle la fermeté habituelle de l'orchestre a fait
défaut, c'est que l'auteur paraît traiter avec le plus de facilité les
scènes de tendresse, de passion douce, mais qu'il lui reste beaucoup
à apprendre quant au maniement de l'orchestre.
Un jour M. Leborne, s'il persévère dans l'art auquel le convie
une facilité naturelle remarquable, sera le premier à reconnaîtte
l'inexpérience dont témoigne ce premier essai dans le domaine de la
musique dramatique.
Daphnis et Chloë demeurera une intéressante tentative de jeu-
nesse, un peu superficielle et écrite avec précipitation, mais qui n'est
point banale et ne manque pas de goût. -
La vieille ballade de Schumann, L'Annthcme du chauteiir,
exhumée pour la circonstance, a paru narguer, avec sa carrure
massive de preux rhénan et tout l'appareil de son équipage roman-
tique, le sautillant et frêle uniforme du jeune élève de Massenet.
Cela a paru massif, mais imposant.
Et Wagner devant être aujourd'hui de toutes les fêtes, on a clô-
turé le concert par sa marche de l'annhâuser, chantée par les choeurs
à bouche que veux-tu.
jiiiHRONlQUE JUDICIAIRE DE? ^RT?
Les Ressemblances (^).
M. Bonnat, choisi pour expert dans le différend s\u'venu entre
M. Feyen-Perrin et M. Worms, qui prétendait reconnaître dans la
Cancalaise de l'artiste, exposée au Salon, le portrait de sa femme, et
exigeait que le tableau fût retiré de l'exposition, vient de donner
son avis.
Il décide qu'il n'y a point de ressemblance entre les traits de
]\lii)o Worms et ceux de la Cancdlaise. Le tableau restera donc
exposé. C'est le cas de redire, après Shakespeare, much ado ahout
nothing.
^ETITE CHROfdQUE
Les amateurs qui collectionnent! Jes'eaux-fortes de Félicien Rops
n'ont, paraît-il, pas tort. Les épreuves qu'un hasard amène en vente
publique se vendent for cherf 'A l'hôtel Drouot, le 10 mai, on mettait
aux enchères un certain nombre de pointes sèches de Rops, prove-
nant d'une collection particulière. Voici quelques prix qui montrent
avec quel entrain on se les est disputées. Une épreuve de la Sortie
de bal a été vendue 70 francs; le Prêtre rM«s^, 53 fr.; un Menu pour
une pendaison de crémaillère, 63 fr ; le Tzigane, 50 francs. Le fron-
tispice des Œuvres inutiles et nuisibles, avec un boul'de croquis de
l'artiste, est monté à 250 francs, etc.
Les annoncesi sont reçues au bureau du journal,
26, rue de Vhidustrie, à Bruxelles.
Etude de M^ VAN HALTEREN, notaire à Bruxelles
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meublants et pianos, et le 3« jour, à midi, les objets d'art, les
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(") Voy. l'Art moderne du 17 mai 1885.
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Cinquième année. — N° 22
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 31 Mai 1885.
L'ART
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DBS ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00, Union postale, fr, 13.00. - ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser les demandes d'abonnement et toutes les communications d
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26; Bruxelles.
A VICTOR HUGO
Dors, Maître, dans la paix de ta gloire! Repose,
Cerveau prodigietùx, d'oii, pendant soixante ans.
Jaillit r éruption des concerts éclatants.
Va! La mort vénérable est ton apothéose;
Ton esprit immortel chante à travers les temps!
Pour planer à jamais dans la Vie infinie.
Il brise comme ^tn Dieu les tombeatix clos et sourds.
Il emplit r avenir des voix de ton génie.
Et la terre entendra ce torrent d'harmo7iie
Rouler de siècle en siècle en grandissant toujoti^rs!
Leconte de Lisle.
VICTOrt HXJOO
L'Horreur sacrée.
Nous désirerions montrer dans ,cet article le côté
effarant et terrible de la poésie Hugonienne. Quelques
critiques se hâtent trop d affirmer que Bouvard et
Pécuchet se viendront inscrire à la maison mortuaire
et que l'art entier du roi romantique est accessible à
tous.
Qu'Hugo soit poète objectif, exprimant les sentiments
généraux et universels, les lieux communs de l'huma-
nité, que ses personnages soient conçus antithétique-
ment, avec de la nuit et du soleil, qu'il n'ait chanté
que ce que tout le monde ressentît, que son âme
Mise au centre de tout comme un écho sonore
ait pleuré les larmes, ri les joies, crié les cris de la
foule, cela est glorieusement vrai et superbement
grand. Toutefois, il reste dans ce génie un autel autour
duquel seuls les initiés se groupent et sur lequel, il a
écrit certaines pièces des Contemplations, de la Lé-
gende des siècles, des Quatre Vents de Vesprit et de
Religions et Religion. L'horreur sacrée traverse ces
vers là, les grandit, les sublimise; ils roulent dans
leurs syllables le formidable, l'effrayant, le sinistre, le
démesuré; ils ont fait se pâmer jadis, bec en l'air,
toutes les plumes des journalistes parisiens, qui, à
cette heure embaument le poète avec l'arseniate de
soude de leurs articulets ; ils sont comme des escaliers
ténébreux, qui conduisent Hugo s'asseoir à côté des
poètes suprêmes, placés si haut parmi les astres qu'ils
semblent eux aussi des soleiîs.
Bien que « le génie soit la région des égaux »». et
qu'on ne puisse affirmer lequel est le plus colossal de
ces colosses, toujours est-il qu'il y a des classes de
génies, les uns analytiques, tels que Shakespeare,
Balzac, Baudelaire, les autres synthétiques, tels
qu'Eschyle, Dante, Lucain. Hugo se range parmi ces
derniers. Ceux-ci sont d'énormes visionnaires, éblouis-
sants et éblouis, effarants et effarés, étageant des
œuvres grandiosement disproportionnées, blocs géants
maniés par des mains titanesques, entassements formi-
dables, profilant on ne sait quelles masses nocturnes et
sinistres où semblent s'ouvrir les bouches de l'effroi,
flotter les végétations de la peur^ peser «des silences
sonores de tous les chuchottements du mystère. Tel,
Hugo :
Le grand rêveur solitaire de rpmbre.
C'est dans un de ses premiers recueils que, pour, la
premièi'e fois, une pièce durant, cette effrayante con-
ception des choses se manifeste. Cette pièce? Les Puits
de T Inde.
0 Rêves de granit I grottes visionnaires !
Cryptes, palais, tombeaux, pleurs de vagues tonnerres !
Elle passe de là dans les Contemplations. Le livre
sixième en est plein. Ecoutez :
Paix à l'obscurité muette et redoutée,
Paix au monde effrayant, à l'immense ombre athée,
A toi nature, cercle et centre, âme et milieu,
Fourmillement de tout, solitude de Dieu !
0 générations aux brumeuses haleines
Reposez-vous ! pas noirs qui marchez dans les plaines !
Dormez, vous qui saignez ; dormez, vous qui pleurez.
Douleurs! douleurs! douleurs! fermez vos yeux sacrés!
Assoupissez>vous flots, mers, vents, âmes, tandis
Qu'assis sur la montagne en présence de l'Etre,
Précipice où l'on voit pêle-mêle apparaître
Les créations, l'astre et l'homme, les essieux
De ces chars de soleils que nous nommons les cieux,
Les globes, fruits vermeils des divines ramées,
Les comètes d'argent dans un champ noir semées.
Larmes blanches du drap mortuaire des nuits,
Les chaos, les hivers, ces lugubres ennuis,
Pâle, ivre d'ignorance, ébloui de ténèbres,
Voyant dans l'infini s'écrire des algèbres.
Le contemplateur triste et meurtri, mais serein.
Mesure le problème aux murailles d'airain,
vGherche à distinguer l'aube à travers les prodiges,
Se penche frémissant au puits des grands vertiges.
Suit de l'œil des blancheurs qui passent^ .^Icycns,
Et regarde, pensif, s'étoiler de rayons,
De clartés, de lueurs, vaguement enflammées,
Le gouffre monstrueux plein d'énormes fumées.
De là, à travers les Châtiments, elle émigré dans la
Légende des Siècles où elle éclate en ténèbres pour se
raniasser et se condenser dans les Quatre Vents de
r Esprit, livre suprême, grand mât du gigantesque vais-
seau qui porte immortellement l'œuvre entière. Deux
pièces sont caractéristiques, la première intitulée'
comme cet article, la seconde qlie voici :
Je suis fait d'ombre et de marbre
Comme les pieds noirs de l'arbre,
Je m'enfonce dans la nuit.
J'écoute ; je suis sous la terre
D'en bas, je dis au tonnerre :
Attends ! ne fais pas de bruit.
U ART MODERNE
171
Moi qu'on nomme le poète,
Je suis dans la nuit muette
L'escalier mystérieux.
Je suis l'escalier Ténèbres,
Dans mes snin^les funèbres
L'ombrts ouvVe de vagues yeux.
Les flambeaux-d^ viendront cierges.
Respectez mes degrés vierges,
Passez, les joyeux du jour!
Mes marches ne sont pas faites
Pour les pieds ailés des fêtes,
Pour les pieds nus de l'amour.
Devant ma profondeur blême
Tout tremble, les spectres même
Ont des gouttes de sueur.
Je viens de la tombe morte ;
J'aboutis à cette porte
Par où passe une lueur.
Le banquet rit et flamboie.
Les maîtres sont dans la joie
Sur leur trône ensanglanté ;
Tout les sert, tout les encense,
Et la femme à leur puissance
Mesure sa nudité.
Laissez la clef et le pêne.
Je suis l'escalier; la peine
Médite; l'heure viendra.
Quelqu'un qu^entourent les ombres
Montera mes marches sombres
Et quelqu'un les descendra.
Ne dirait-on pas d'un oracle sorti de Delphes ou
d'Endor ? Cette poésie toute d'obscurité communiquant
l'effroi mystérieux et terrible, accablante comme l'hor-
reur, tragique comme le châtiment, est le plus colossal
effort du génie épique pour franchir les limites de
l'humain. Cela semble écrit depuis des siècles sur l'ai-
rain par quelqu'un d'inconnu ; cela vient d'au delà des
temps et des espaces, menaçant et tranquille, et sûr, et
immuable ; chacun de ces trente-six vers contient
comme une fatalité, comme un poids de vengeance. Ils
incarnent l'éternité, ils ont des sonnances de bronze,
ils cortègènt dans l'escalier Ténèbres avec des lampes
voilées par des mains de fer ; ce sont des ombres formi-
dables écrivant je ne sais quel Mané Thécel Phares
sur des murs de nuit.
L'horreur sacrée ne se rencontre que chez les poètes
suprêmes, car il n'est rien de très grand qui ne soit
confusément sinistre. Elle est, comme le remarque
Hugo lui-même, dans les halliers de Théocrite, dans le
gouffre d'Eschyle, dans les psaumes d'Ezechiel, dans les
bruits profonds qu'écoute Isaïe, dans les songes
d'Amos, dans Aléce, dans Job, dans Plante, dans Pin-
dare :
De là tant de beautés difformes dans leurs œuvres.
Le vers charmant
Est par la torsion subite des couleuvres
-, Pris brusquement. .
L'horreur sacrée fulgure au fond de la nature.
L'Empyrée est abime, on y plonge, on y reste
Avec terreur,
Car planer, c'est trembler ; si l'azur est céleste
C'est par l'horreur.
L'épouvante est au fond des choses les plus belles
Les bleus vallons.
Font parfois reculer d'effroi les fauves ailes,
Des aquilons.
A de certains -moments toutes les jeunes flores
Dans la forêt
Ont peur ; et sur le front des blanches métaphores,
L'ombre apparaît..
, L'horreur sacrée habite parmi les ténèbres. La mer 1
quelle vision ; vision de bataille où chaque flot devient
un lutteur serrant, nouant, étouffant avec ses bras
d'onde le flot voisin, où se renversent des vagues de
phosphore, livides comme des chevelures de mortes, où
s'entrechoquent des clameurs, des déchirements, des
sifflements, des voix fuyantes et qui semblent pourtant
éternelles. L'abîme ! L'antre ! Le gouff're ! quelle autre
vision, vision de tumulte, d'inextricabilité, de fourmil-
lement, où se croisent et s'entrecroisent comme des
racines d'arbre sous la terre, avec le même serpente-
ment traitre et pervers, les ombres, les remords, les
hideurs, les monstres, les ébauches. La nuit enfin,
quelle autre vision encore, vision de feu noir, dévora-
teur implacable, lueur de marbre, d'argent et d'ébène,
profondeur flammée, immensité où les constellations
sont des Gorgones, les comètes des Furies, les étoiles
des Méduses, où les mondes les plus lointains, reculant
toujours plus profondément, semblent fuir devant l'hor-
reur des choses et pâlir devant une énigme fixe -et tra-
verser le vide silencieux des espaces avec tremblement
et défaillance. _ .
L'horreur sacrée ravage enfin l'âme humaine. Le
poète l'y a saisie:
J'ai coudoyé les rois, les grands, le fou, le sage.
Judas, César, Davus, .
Job, Thersite, et je suis effaré du passage
Des hommes que j'ai vus.
J'ai traversé les pleurs, les haines, les veuvages,
Ce qui mord, ce qui nuit,
Noir rocher, j'ai connu tous les âpres visages
Du deuil et (le la nuit.
> J'ai lutté; j'ai subi la sinistre merv-iille
. Des abîmes mouvants
Et jamais on ne vit dispersion pareille
D'une âme à tous les vents. , ~
L'horreur sacrée dégagée par Hugo des poèmes de la
nature et de l'homme est la note formidable de sa sym-
phonie lyrique, et comme une telle note farouche ne
peut être chantée par un homme, dès qu'il la chante
Hugo se change en prophète. Aussi, plus amplement
elle retentit, plus nettement a lieu ce changement. A la
même époque qu'il écrit les Puits de T Inde, c'est déjà
lui, le poète
Qui sur toutes les têtes
En tous temps, pareil aux prophètes
Dans sa main où tout peut tenir,
Doit, qu'on l'insulte ou qu'on le loue,
Gomme une torche qu'il secoue.
Faire flamboyer l'avenir.
Et cette introduction de la prophétie dans > les vers
marche de pair avec leur envahissement par l'horreur.
Dans les Contemplations une pièce commence par
ceci : « Ecoutez, je suis Jean »» ; Dans la Légende des
Siècles, à chaque page on la suit. Quoi de plus biblique
que les Trompettes dit Jugement? dans les Quatre
Vents de V Esprit, tout ce que le poète rêve ressemble
à « la colère énorme des lions " ; dans le Pape, dans la
Pitié suprême, l'homme a disparu presqu'entièrement.
Seul l'illuminé, seul le voyant, seul l'agité génial, cou-
rant sur la muraille qui sépare le fini de l'infini, avec
de grands gestes éperdus, se dessine comme ces voya-
geurs aux cimes du Broken dont la silhouette aperçue
d'en bas se reflète dans le ciel.
A de certains instants, cette poésie de vertige, de
gouffre et d'abîme est tellement surhumaine qu'il semble
que ses rythmes, ses rimes, ses cadences, ses strophes
ne sont plus scandés, ne sont plus produits par une
force du cerveau, mais par quelque force cosmique telle
que le vent, la mer, les astres, qui donnent la grandeur
aux déserts, aux rocs, au firmament et font sentir Dieu
autant qu'il est possible de le toucher avec nos sens.
Ces vers ne sont paâ beaux, ils sont sublimes; ils sont
l'échevèlement des forêts, le grondement des volcans,
les voix des cavernes, ils sont la nature, ils écrasent
l'homme. Peu les saisissent.
Si nous avons réussi à vous donner leur frisson gran-
diose, vous comprendrez combien il est étrange que
M. Paul Bourget, dans le Jouymal des Débats, ait
trouvé opportun de parler de Bouvard et de Pécuchet
à propos d'Hugo.
ViOm HUGO
Pendant plus de soixante années Victor Hugo a tenu
l'attention en éveil Pendant plus de soixante années le
journalisme s'est occupé de lui, non seulement celui du
reportage, mais celui plus élevé de la critique. Et après
cet accompagnement de rumeurs ininterrompues qui
l'a suivi toute sa vie, essayant sur lui toutes les"
formes du triomphe ou de l'outrage, voici qu'à l'occa-
sion de sa mort la presse a éclaté en un concert où,
pour la première fois, seule la louange fait entendre ses
accords.
Développant une gamme chromatique, qui commence
aux contours les plus indécis de son enfance, traverse
en notes d'une sonorité grandissante son voyage ter-
restre mouvementé comme le fut rarement celui des
héros, et aboutit au final retentissant de cette mort
grandiose, les journaux ont fouillé à nouveau cette bio-
graphie de Titan, repris les moindres faits, renouvelé
les récits, retrouvé les événements, énuméré les œu-
vres, jugé les actes, raconté l'homme de génie.
Réste-t-il ' quelque chose à dire? Cette -universelle
germination spontanée de renseignements et d'appré-
ciations n'a- t-elle pas épuisé la matière? Peut-on espé-
rer en parler encore sans répéter des leçons désormais
banales? Plutôt que de chercher une nouveauté qui
semble impossible, ne vaut-il pas mieux, pareils aux
croyants des religions acceptées, se borner à réciter
les textes fixés par la liturgie, suprême expression de
vérités tenues pour indiscutables ?
Il est, nous semble-t-il, une manière d'envisager cette
existence prodigieuse, que seul l'achèvement que lui
donne la mort pouvait rendre nettement visible et jus-
tifier, parce qu'elle en exprime le résumé qu'une in-
certitude dominait aussi longtemps que des actes nou-
veaux, ou des paroles, pouvaient altérer le résultat
acquis jusqu'alors. En clôturant cette activité qu'on
eût cru inépuisable, la mort a arrêté l'accumulation des
éléT'hents qui sans cesse modifiaient les données du pro-
blême. On a certes pu dire que Victor Hugo était
entré vivant dans la gloire et dans la postérité. Mais
tant qu'il a vécu, le sens définitif de cette gloire, et la
place dans cette {)ostérité, ne pouvaient être définiti-
vement fixés.
Aujourd'hui cette grande cause est instruite. Tout
ce que son génie pouvait y ajouter est épuisé. On peut
stater les recherches et procéder aux débats et au
jugement sur l'ensemble.
A première vue la vie du poète semble manquer
d'unité. Que de fois on a pu, dressant la série de ses
opinions, croire triompher contre lui en en opposant
les termes. Dans les deux plus vastes domaines de l'ac-
tivité humaine, la politique et la religion, son âme fut
changeante et parcourut en entier le cercle des convic-
tions, pour, il est vrai, se fixer finalement à celles vers
lesquelles d'un pas chaque jour plus pressé et plus
ferme marche l'histoire : la Démocratie et la Libre-
Pensée.
Au cours de ce long circuit, son instinct poétique,
interprétt les sensations des heures présentes, les
exprimait en vers magnifiques qui resteront la mani-
festa4;ion la plus haute et la plus pénétrante dés idées
qu'il devait abandonner plus tard. De telle sorte qu'on
assiste à ce phénomène, en apparence bizarre, d'un esprit
supérieur ayant forgé même pour ses adversaires des
armes superbement trempées et fulgurantes. L'arsenal
de ses œuvres est ouvert à toutes les écoles, et chacune
en peut sortir royalement équipée.
Cette variété singulière, cette tendance fatale à pas-
ser par toutes les voies, à recueillir toutes les sensa-
tions, à écouter toutes les idées, à éprouver toutes les
vicissitudes, en traduisant chacune d'elles en la forme
saisissante que trouvait son génie, a imprimé à Victor
Hugo son allure dominante. Ce n'est pas seulement
dans la politique et la religion qu'on le trouve -subis-
sant cette loi. Nous ne les avons citées tantôt que
comme entrées en matière et exemples les plus frap-
pants. Partout ailleurs la même évolution se déroule.
Suivant un fil mystérieux dont les lacis sont infinis, il
va, vient, repasse, retourne, s'éloigne, reparaît, s'écarte,
revient encore, n'oubliant, dans l'âme humaine, aucun
espace, aucun recoin où il ne se laisse entraîner, chan-
tant toujours, subissant l'influence des régions tra-
versées, notant par ses strophes toutes les impressions
de ses pérégrinations sans fin, ne jugeant point d'après
des théories préconçues, se livrant au hasard des cir-
constances, ne mesurant pas l'écart entre son opinion
présente et son opinion passée, satisfait dès que l'émo-
tion du moment, quelle qu'elle fût, trouvait son expres-
sion intense par le rythme et la rime.
Dans ces milliers de vers qui passent au ciel litté-
raire comme les nuées d'oiseaux voyageurs si nom-
breux qu'ils obscurcissent le jour, qui donc pourrait
mettre un ordre témoignant que le poète nous laisse
un corps de doctrine? Non. Tout y difi'ère, 'taille, cris,,
plumage. Ce n'est pas une tribu qui émigré. C'est le
genre entier dans l'infinie variété de ses espèces et ..de
ses individus.
Versatilité, palinodie, convictions naal assises, a-t-on
dit souvent. Et au temps, peu éloigné, où l'on osait
encore le malmener, on essayait par là de l'amoindrir.
Lui, avec une sérénité inaltérable et souveraine,
acceptait l'apparent reproche, et jamais, dans cette
orgueilleuse placidité qui lui faisait admettre son passé
lyrique en entier, il n'eut cette faiblesse des esprits
médiocres, de répudier, sous prétexte de jeunesse, les
les vers où sonnaient des opinions qu'il n'avait plus.
C'est, qu'en effet, sa véritable grandeur et l'unité
cachée de sa vie résident dans cette variété même. C'est
par elles surtout qu'il vivra dans la mémoire des géné-
rations.
Exprimer l'humanité de son siècle tout entière, dans
ses manifestations fluctuantes et même opposées, léguer
à toutes les âmes, pour toutes les circonstances de la
vie, des maximes ou des chants qui s'appliquent direc-
tement à leur situation, offrir, comme nous le disions
ailleurs, à toute joie, toute douleur, tout sacrifice, tout
événement, un chant qui enthousiasme, console, expli-
que, ou fortifie, tel est, à notre avis, la caractéristique
du génie de Victor Hugo, le résumé de ses oeuvres, la
garantie de sa gloire, l'émouvante signification de sa
mission littéraire.
Deux strophes des Quab^e Vents de V Esprit le pro-
clament avec une confiance à la fois superbe et tou-
chante ; car le poète, parlant dans les derniers temps
de lui-même comme si c'était un autre, confessait le
secret de sa destinée, qu'il avait enfin pénétré et qui
apparaissait à l'épique vieillard avec la clarté du pro-
chain au delà :
Tous les objets créés, feu qui luit, mérqui tremble,
Ne savent qu'à demi le grand nom du Très-Haut.
.
174
L ART MODERNE
Ils jettent vaguement des sons que seul j'assemble;
Chacun dit sa syllabe, et moi je dis le mot.
Ma voix s'élève aux cieuK, comme. la tienne, abîme?
Mer, je rêve avec toi ! monts, je prie avec vous !
La Nature est l'encens, pur, éternel, sublime;
Moi je suis l'encensoir intelligent et doux.
Essayant de. mieux rendre notre pensée, nous ajou-
tions récemment : Son œuvre poétique est pour Thomme
contemporain, nerveux et morose, ce que le Coran est
pour le Mahométan, ce qu'est pour le Chrétien la Bible.
L'analogie nous semble, en effet, frappante. La Bible,
elle aussi, manque d'unité si ce n*est dans sa croyance
aveugle à Jéhovah. Elle y ramène toutes les actions
humaines, mais dans son vol circulaire autour de ce
centre puissant, rien n'est changeant comme ses pen-
sées et ses croyances. Il n'est pas de frisson du cœur,
de nuance de l'intelligence, de détail de l'action qui n'y
trouve son écho. Elle est le Livue, parce qu'elle suffit à
tout, patce que ouverte au hasard elle répond à tout
besoin actuel de l'âme.
L'œuvre d'Hugo a la même propriété miraculeuse.
Plus on le pratique, plus ce don apparaît. Si quelqu'un
avait la patience de relever en un glossaire les mots qui
répondent à tout ce que le poète a écrit, de telle sorte
qu'en toutes les circonstances de la vie on put aisément
. retrouver ceux de ses vers qui s'y appliquent, nul de
nous ne manquerait de ce divin viatique qui donne à
, la joie ou à la douleur la surprise de se trouver exprimée
en images saisissantes, suscitant l'émotion qui ravit
notre misérable nature et l'exalte ou la console par le
sentiment de sa grandeur secrète tout à coup mise en
lumière.
EN ATTENDANT . LA MORT
Voici la superbe et touchante parabole qui
s'applique d'une manière frappante aux derniers
jours du poètCy quand, saisi par la vieillesse et la
gloire, se7^ein, majestueux, il attendait la mort.
Le soleil déclinait; le soir prompt à le suivre
Brunissait l'horizon; sur la pierre d'un champ
Un vieillard, qui n'a plus que peu de temps à vivre,
S'était assis pensif, tourné vers le couchant.
C'était un vieux pasteur, berger dans la montagne.
Qui jadis, jeune et pauvre, heureux, libre etrsans lois,
A l'heure où le mont fuit sous l'ombrô qui le gagne.
Faisait gaîment chanter sa flûte dans les bois.
Maintenant riche et vieux, l'âme du passé pleine,
D'une grande famille aïeul laborieux,
Tandis que ses troupeaux revenaient de la plaine,
Détaché de la terre, il contemplait les cieux.
Le jour qui va finir vaut le jour qui commence.
Le vieux pasteur rêvait sous cet azur si beau.
L'océan devant lui se prolongeait, immense
Comme l'espoir du juste aux portes du tombeau.
O moment solennel! les monts, la mer farouche,
Les vents, faisaient silence et cessaient leur clameur.
Le vieillard regardait le soleil qui se couche;
Le soleil regardait le vieillard qui se meurt.
L4 IHORT DE SA FILLE
On ne connaît plus que vague^nent cet événement
terrible qui frappa le poète en août 1843. En voici
le récit tel que le fit Alphonse Karr. Ce morceau,
émouvant dans sa simplicité tragique, a disparu
subynergé dans le journalisme. La mort de Victor
Hugo lui rend une doidoureuse actualité.
A ViLLEQUiER, à quatorze ou quinze lieues du Havre, —
au pied d'une montagne chargée d'arbres, est une maison
en briques couverte de pampres verts. — Devant est un
jardin qui descend à la rivière par un escalier de pierre
couvert de mousse. Cette maison, pleine de bonheur il y
a quelques jours, vient d'être le théâtre du plus horrible
malheur ; elle appartient à madame Vacquerie, mère de
M. Charles Vacquerie, qui a épousé, il y a sept mois,
mademoiselle Léopoldine Hugo, — fllle de M. Victor
Hugo.
Lundi matin, — vers dix heures, — M. Charles
Vacquerie, — en compagnie de son oncle, M. Vacquerie,
ancien marin, et d'un enfant de ce dernier, âgé do dix à
onze ans, — prit, pour aller à Caudebec, — à une demi-
lieue de Villequier, où il avait affaire, — un canot que
son oncle venait de faire construire.
Au moment de partir, il demande à sa jeune femme si
elle voulait les accompagner, elle refuse à cause qu'elle
n'est pas habillée ; — les trois voyageurs se mettent en
route après avoir promis d'être de retour pour le
déjeuner.
Quelques instants se sont à peine écoulés, que
M. Charles Vacquerie — croit voir que le canot n'a pas
assez de lest, — il revient au bas de la maison prendre
deux lourdes piepes qu'il met dans le bateau pour lui
donner plus de solidité. — La jeune femme alors s'écrie :
« Puisque vous voilà revenus, je vais aller avec vous;
— attendez-moi cinq minutes «. — On l'attend, elle
monte dans le canot. — Madame Yacquerie la mère recom-
mande de venir pour le déjeuner. — On part.
Madame Vacquerie regarde le canot s'en aller, et n'a
qu'une seule idée : ^ 11 fait trop calme, ils ne, pourront
pas aller à la voile, nous déjeunerons trop tard *>.
En effet — la voile du canot retombait languissamment
sur le mât. -^ Pas une feuille ne tremblait aux arbres;
— il n'y avait pas lieu de prévoir un danger, — même
pour une mère. — même pour une mère éprouvée coup
sur coup par tant de pertes successives.
Cependant — un léger souffle vient de temps en temps
gonfler la voile. — On marche lentement, mais on
marche, — on arrive à Caudebec — on va voir le notaire
auquel M. Ch. Vacquerie allait parler pour des affaires
relatives à la succession de son père, mort dernièrement.
— Le notaire veut leur persuader de ne pas s'en retour-
ner par la rivière -r- non qu'il prévoie ni redoute le
moindre danger, — mais, au contraire, parce qu'il ne fait
pas de vent, parce qu'ils feront la route trop lentement.
— Il leur offre sa voiture pour les reconduire à Ville-
quier. — Les voyageurs refusent, — il n'est pas tard,
— ils arriveront à temps, — et puis c'est si amusant de
voyager sur l'eau, — la rive est si belle!
On se met en route pour le retour, — l'oncle Vacquerie
tient la barre du gouvernail, — l'enfant regarde couler
l'eau, — les deux époux se tiennent par la main et respi-
rent l'atmosphère de bonheur qui les entoure.
En effet, — Léopoldine Hugo est toujours, cette gra-
cieuse jeune fille que nous avons vue croître au sein de
cette famille si unie, — toute la vie lui sourit : — elle a
dix-huit ans, — elle vient d'épouser un homme qu'elle
aime et dont elle est adorée. — Elle est venue ramener
la joie dans une famille décimée — qui porte aujourd'hui
sept deuils à la fois.
Ch. Vacquerie n'a pas vingt-sept ans. — Depuis trois ans
il a donné sa vie entière à l'espoir de ce bonheur dont il
jouit maintenant. — Ses amis' l'ont vu pendant trois ans
— rassembler des meubles curieux, de précieuses baga-
telles — « pour elle, quand elle sera ma femme ».
Tout le monde les aime — tout le monde applaudit à
leur félicité, — ils pensent à tout cela, — ils ne désirent
rien, — si ce. n'est un peu de vent — parce que le canot
ne marche pas.
Ah! vous êtes heureux! — ah! vous êtes jeunes! —
ah ! vous êtes beaux ! — ah ! vous êtes riches! — ah ! vous
êtes heureux!
Malheureux !
" Le malheur est un créancier auquel l'homme doit la
dîme de sa vie, ce qu'il ne paie pas porte un intérêt usu-
rairc et s'amasse. »•
Ah ! vous êtes arrivés au comble de vos vœux, — vous
avez atteint le but de toutes vos pensées; — eh bien ! c'est
derrière ce but, c'est derrière ce bonheur que la mort est
embusquée. Tous les pas que vous avez faits vers votre
bonheur, — vous les faisiez vers elle qui vous attendait là.
Tout à coup — entre deux collines s'élève un tourbillon
de vent — qui, sans que rien ait pu le faire pressentir,
s'abat sur la voile, et fait brusquement chavirer le
canot.
Des paysans, sur la rive opposée, — ont vu Charles
Vacquerie — reparaître sur l'eau — et crier, puis plonger
et disparaître — puis monter et crier encore, — ^et replon-
ger et disparaître.... — Six fois!... — Ils ont cru qu'il
scunusait !
Il plongeait et tâchait d'arracher sa femme, qui, sous
l'eau, se tenait au canot renversé, mais qui se tenait
comme se tiennent les noyés; — ses pauvres petites mains
étaient plus fortes que des crampons de fer. — Les efforts
de Charles, — ses efforts désespérés,, — ont été sans suc-
cès. — Alors il a plongé une dernière fois, et il est resté
avec elle.
Charles Vacquerie était bon nageur, — personne n'eût
été étonné qu'il eût parié de traverser vingt fois, trente
fois, l'espace qui le séparait de la terre; — il n'a pas
voulu être sauvé.
Je veux que ce pauvre père, — qui ne sait rien encore
au* moment où j'écris ces lignes, — qui croit sa fille
vivante et heureuse, — je veux que Hugo sache que
l'homme auquel il avait donné sa fille a voulu mourir
pour ne pas revenir sans elle ; — je veux qu'il sache qu'il
doit les confondre tous deux dans son amour et dans ses
regrets. ~ Charles Vacqerie a fait tout ce qu'un homme
brave, dévoué, amoureux, pouvait faire pour sauver sa
femme, — puis, quand il a vu qu'il ne la ramènerait pas
avec lui dans la vie, il est resté avec elle dans la mort.
Pendant ce temps-là, que faisait la pauvre mère ? —
elle attendait dans le jardin — en pensant : - Pas de
vent! — Cependant elle prit une longue-vue et regarda
dans la direction de Caudebec ; — ses yeux se troublèrent,
elle appela un pilote et lui dit : " Regardez vite, — je ne
vois plus clair, — il semble que le bateau est de côté. ^
Le pilote regarda et dit : « Non, madame, — ce n'est
pas leur bateau ". Puis, comme il avait bien vu, lui, —
.le canot chaviré, — il courut en toute hâte avec ses cama-
rades, — mais il était trop tard, — et on apporta quatre
cadavres à Madame Vacquerie, — sur ce même escalier
d'où étaient partis, trois heures auparavant, son fils, sa
])elle-fille, son frère et son neveu, — heureux et riants...
Qui pourra dire où cette pauvre femme, seule dans
sa maison, a pris la force et le courage de ne pas mourir
aussi? — elle ne voulait pas les croire morts; — tous les
soins furent inutiles.
On envoya un exprès au Havre, — à un ami de la
famille Vacquerie, en lui donnant la triste commission
170
VART MODERNE
d'annoncer cette épouvantable catastrophe à Madame Vic-
tor Hugo, (]ui était à Graville.
Il était onze heures du soir, — tout le monde était
couché. — M. "* alla d'abord prévenir Madame Lefebvre,
sœur de Charles Vacquerie.
Madame Lefebvre est une jeune femme qui, il j a moins
de deux atns, — avait un mari, — trois enfants, — un
père, une grand'mère, — deux frères, — toute une bonne
et honorable famille, aimée et considérée : — en moins
çle deux ans, la mort lui avait déjà pris son père, sa
grand'mère, son mari et deux enfants. — Il fallait lui
apprendre qu'elle venait encore de lui prendre un frère et
une sœurcju'elle aimait à la fois comme une sœur et cOmme
un enfant, — et deux autres parents.
Elle trouva la force d'aller dire leur commun malheur
à Madame Hugo. — Madame Hugo était au milieu de ses
autres enfants. — Un ami profita de son désespoir, voisin
de l'égarement, — pour la faire monter en voiture et
l'entraîner à Paris avec les enfants qui lui restaient.
Le lendemain, tout le monde était consterné dans le
Havre. — La fatale nouvelle circulait de houche en
bouche; il y avait quelque chose de funèbre sur tous les
visages qui eût fait dire à un étranger : — « Qu'est-il
donc arrivé au Havre ? «
Je songeai alors à Hugo, qui est en voyage — et qui
va, — chose terrible ! — apprendre la mort de sa fille
chérie par hasard, parcourant négligemment un journal
— après diner ; dans quelque auberge.
Tout le monde a lu les beaux vers que lui ont tant de
fois inspirés ses enfants; — mais moi, j'ai vu souvent
tous ses charmants enfants autour de lui, — et je sais
toute la place qu'ils occupent dans son. cœur.
On lui a écrit, — mais où? ^ en Espagne, où il est
allé ; — en France, où il revient peut-être, — presque au
hasard, sur la route qu'il doit parcourir.
C'est épouvantable !
11 y a à peine un mois, — comme il venait voir le bon-
heur de sa fille, — il eut la bonne pensée de me prendre
dans ma retraite, — et pendant quelques heures, par une
belle nuit d'été, — sur la mer étincelante de phosphore,
— jo me retrouvai encore une fois au milieu de toute cette
heureuse famille, augmentée de Charles Vacquerie, qui les
adorait tous, — et plus heureuse que je ne l'avais jamais
vue ; puis le lendemain, il se mit en routa le cœur heureux
et tranquille, — et je me rappelai qu'il y a quelques mois
à peine — il était venu avec moi conduire mon père à sa
dernière demeure.
Où est-il ? qui les répétera les belles et touchantes choses
qu'il me disait ce jour-là?
Je partis en toute hâte pour aller le remplacer auprès
du cercueil de sa fille, — pour aller recueillir pour lui
dans mon cœur — toutes les tristes circonstances, — tous
les poignants détails que veulent savoir ceux qui perdent
les objets de leur tendresse.
11 y avait à Villequier — quatre morts dans l'église; —
nmis une tendresse ingénieuse avait réuni les deux jeunes
époux dans un même cercueil.
L'église était pleine de gens qui pleuraient et qui
priaient avec ferveur, — ce n'est que plus tard que je sus
que l'éloignement n'avait permis de convoquer que
quelques parents de la famille Vacquerie, — et que
presque tous ces gens qui pleuraient et qui priaient étaient
des gens du pays — et n'étaient qu'une famille d'affection.
Lorsque je rentrai dans la maison, soutenant' le frère
de Charles Vacquerie, suffoqué par les sanglots, — je
n'essayerai pas de peindre — - do quel sentiment de res-
pect et de vénération je fus saisi à l'aspect de ces deux
femmes si écrasées, à la vue de leur douleur si profonde
et si modeste.
Je ne sais rien de si grand, de si majestueux, de si
imposant qu'une douleur pareille.
On l'a dit à propos des voyages et des séparations ; —
c'est celui qui reste qui est le plus à plaindre ; on peut le
dire surtout à propos de cette triste séparation qu'on
appelle la mort.
Léopoldine Hugo et Charlos Vacquerie sont morts
ensemble, - au milieu de leur beau rêve, si heureux
l'un et l'autre, qu'ils ne pouvaient plus que l'être moins.
Sur la tombe où ils dorment réunis, — c'est pour ceux
qu'ils laissent que j'ai fait des prières.
^ Y^'-^EQUIER
L&cénement déchirant dont on vient de lire le
récit, inspira au grand poète une de ses pièces les
plus admirables. Elle est V éclatante démonstration
ciue son génie a eu des accents pour toutes les âmes.
Peut-être est-ce surtout vrai quand il exprime la
douleur. Quel est Vhomme, quelles que soient ses
croyances y qui ne se sentira ému jusqu'aux en-
trailles en lisant ces strophes pathétiques. Qui,
ayant perdu un enfant, lïy retrouvera ses douleurs,
ses cris de détresse et ses espérances?
Maintenant que Paris, ses pavés et ses marbres,
Et sa brume et ses toits sont bien loin de mes yeux ;
Maintenant que je suis sous les branches des arbres.
Et que je puis songer à la beauté des cieux ;
Maintenant que du deuil qui m'a fait l'âme obscure
Je sors, pâle et vainqueur.
Et que je sens la paix de la grande nature
Qui m'entre dans le cœur ;
vart4îoderne
177
Maintenant que je puis, assis au bord des ondes,
•Emu par ce superbe et tranquille horizon,
Examiner en moi les vérités profondes
Et regarder les fleurs qui sont dans le gazon ;
Maintenant, ô mon Dieu! que j'ai ce calme sombre
De pouvoir désormais
Voir de mes yeux la pierre où je sais que dans l'ombre
Elle dort pour jamais ;
Maintenant qu'attendri par ces divins spectacles,
Plaines, forêts, rochers, vallons, fleuve argenté, ,
Voyant ma petitesse et voyant vos miracles,
Je reprends ma raison devant l'immensité;
Je viens à vous. Seigneur, Père auquel il faut croire ;
Je vous porte, apaisé,
Les morceaux de ce cœur tout plein de votre gloire
Que vous avez brisé ;
Je viens à vous. Seigneur ! confessant que vous êtes
Bon, clément, indulgent et doux, ô Dieu vivant !
Je comprends que vous seul savez ce que vous faites
Et que l'homme n'est rien qu'un jonc qui tremble au vent.
Je dis que le tombeau qui sur les morts se ferme
Ouvre le firmament;
Et que ce qu'ici-bas nous prenons pour le terme
Est le commencement.
Je conviens à genoux que vous seul. Père auguste.
Possédez l'infini, le réel, l'absolu ;
Je conviens qu'il est bon, je conviens qu'il est juste
Que mon cœur ait saigné, puisque Dieu l'a voulu. ,
Je no résiste plus à tout ce qui m'arrive
Par votre volonté.
L'âme de deuils en deuils, l'homme de rive en rive,
Roule à l'éternité.
Nous ne voyons jamais qu'un seul côté des choses ;
L'autre plonge en la nuit d'un mystère effrayant. -.
L'homme subit le joug sans connaître les causes.
Tout ce qu'il voit est court, inutile et fuyant.
Vous faites revenir toujours la solitude
Autour de tous ses pas.
Vous n'avez pas voulu qu'il eût la certitude
Ni la joie ici-bas !
Dès qu'il possède un bien, le sort le lui retire.
Rien ne lui fut donné, dans ses rapides jours.
Pour qu'il s'en puisse faire une demeure, et dire :
« C'est ici ma maison, mon champ et mes amours ! «
Il doit voir peu de temps tout ce que ses yeux voient;
Il vieillit sans soutiens.
Puisque ces choses sont, c'est qu'il faut qu^elles soient;
J'en conviens, j'en convienss
Le monde est sombre, ô Dieu ! l'immuable harmonie
Se compose des pleurs aussi bien que des chants ;
L'homme n'est qu'un atome en cette ombre infinie,
Nuit où montent les bons, où tombent les méchants.
Je sais que vous avpz bien autre chose à faire
Que de nous plaindre tous.
Et qu'un enfant qui meurt, désespoir de sa mère,
Ne vous fait rien à vous!
Je sais que le fruit tombe au vent qui le secoue;
Que l'oiseau perd sa plume et la fleur son parfum;
Que la création est uriè grande roue —
Qui ne peut sç mouvoir sans écrjiser quelqu'un.
Les mois, les jours, les flots des mers, les yeux qui pleu-
Passent sous le cielbleu; [Vent,]
Il faut que l'herbe pousse et que les enfants meurent;
Je le sais, ô mon Dieu !
Dans vos cieux, au delà de la sphère des nues.
Au fond de cet azur immobile et dormant.
Peut-être faites-vous des choses inconnues
Où la douleur de l'homme entre comme élément.
Peut-être est-il utile à vos desseins sans nx)mbre>
Que des êtres charmants
S'en aillent, emportés par le tourbillon sombre
Des noirs événements.
Nos destins ténébreux vont sous des lois immenses
Que rien ne déconcerte et que rien n'attendrit.
Vous ne pouvez avoir de subites clémences
Qui dérangent le monde, o Dieu, tranquille esprit !
Je vous supplie, ô Dieu ! de regarder mon âme,
p]t de considérer
Qu'humble comme un enfant et doux comme une femme,
Je viens vous adorer 1
Considérez encor que j'avais, dès l'aurore,
Travaillé, combattu, pensé, marché, lutté.
Expliquant la nature à l'homme qui l'ignore,
Éclairant toute chose avec votre clarté ;
Que j'avais, affrontant la haine et la colère.
Fait ma tâche ici-bas,
Que je ne pouvais pas m'attendre à ce salaire.
Que je ne pouvais pçis
•y
Prévoir que, vous aussi, sur ma tête qui ploie.
Vous appesantiriez votre bras triomphant,
Et que, vous qui voyez comme j'ai peu de joie,
Vous me reprendriez si vite mon enfant!
Qu'une âme ainsi frappée à se plaindre est sujette,
Que j'ai pu blasphémer,
Et vous jeter mes cris comme un enfant qui jette
Une pierre à la mer !
Considérez qu'on doute, ô mon Dieu ! quand on souffre,
Que l'œil qui pleure trop finit par s'aveugler,
Qu'un être que son deuil plonge au plus noir du gouffre.
Quand il ne vous voit plus, ne peut vous contempler,
Et qu'il ne se peut pas que l'homme, lorsqu'il sombre
bans les afflictions.
Ait présente à l'esprit la sérénité sombre
Des constellations!
Aujourd'liui, moi qui fus faible comme une mère,
Je me courbe à vos pieds devant vos cieux ouverts.
Je me sens éclairé dans ma douleur amère
Par un meilleur regard jeté sur l'univers.
Seigneur, je reconnais que l'homme est en délire, .
S'il ose murmurer ;
Je cesse d'accuser, je cesse de maudire;
Mais laissez-moi pleurer!
Hélas ! laissez les pleurs couler de ma paupière,
Puisque vous avez fait les hommes pour cela!
Laisisez-moi me pencher sur cette froide pierre
Et dire à mon enfant : « Sens-tu que je suis là? »
Laissez-moi lui parler, incliné sur ses restes,
Le soir, quand tout se tait,
Comme si, dans sa nuit rouvrant ses yeux célestes.
Cet ange m'écoutait!
Hélas ! vers le passé tournant un œil d'envie.
Sans que rien ici-bas puisse m'en consoler.
Je regarde toujours ce moment de ma vie
Où je l'ai vue ouvrir son aile et s'envoler !
Je verrai cet instant jusqu'à ce que je meure;
L'instant, pleurs superflus!
Où je criai : « L'enfant que j'avais tout à l'heure,
Quoi donc! je ne l'ai plus! «
Ne vous irritez pas que je sois de la sorte,
0 mon Dieu ! cette plaie a si longtemps saigné !
L'angoisse dans mon âme est toujours la plus forte.
Et mon cœur est soumis, mais n'est pas résigné.
Ne vous irritez pas ! Fronts que le deuil réclame,
Mortels sujets aux pleurs.
Il nous est malaisé de retirer notre âme
De ces grandes douleurs.
s
Voyez-vous, nos enfants nous sont bien nécessaires.
Seigneur ; quand on a vu dans sa vie, un matin.
Au milieu des ennuis^ des peines, des misères,
Et de l'ombre que fait sur nous notre destin.
Apparaître un enfant, tête chère et sacrée
Petit être joyeux.
Si beau, qu'on a cru voir s'ouvrir à son entrée
Une porte des cieux ;
Quand on a vu, seize ans, de cet autre soi-même
Croître la grâce aimable et la douce raison.
Lorsqu'on a reconnu que cet enfant qu'on aime
Fait le jour dans notre âme et dans notre maison.
Que c'est la seule joie ici-bas qui persiste
De tout ce qu'on rêva,
Considérez que c'est une chose bien triste
De le voir qui s'en va !
Ce génie qui, aux génératio7is 2wése7%tes , apparut
sous les traits cVim vieillard grave, épique, prophé-
tique, était, en 1834, un jeime homme rayonnant
âJ ardeur, de virilité et de tendresse. Voici commuent
il chantait V amour :
Puisque j'ai mis ma lèvre à ta coupe encor pleine.
Puisque j'ai dans tes mains posé mon front pâli.
Puisque j'ai respiré parfois la. douce haleine
De ton âme, parfum dans l'ombre enseveli;
Puisqu'il me fut donné de t'entendre me dire
Les mots où se répand le cœur mystérieux ;
Puisque j'ai vu pleurer, puisque j'ai vu sourire
Ta bouche sur "ma bouche et tes yeux sur mes yeux,
Puisque j'ai vu briller sur ma tête ravie
Un rayon de ton astre, hélas ! voilé toujours ;
Puisque j'ai vu tomber dans l'onde de ma vie
Une feuille de rçsè arrachée à tes jours ;
Je puis maintenant dire aux rapides années :
« Passez! passez toujours, je n'ai plus à vieillir!
Allez-vous-en avec vos fleurs toutes fanées;
J'ai dans l'âme une fleur que nul ne peut cueillir !
« Votre aile en le heurtant ne fera rien répandre
Du vase où je m'abreuve et que j'ai bien rempli.
Mon âme a plus de feu que vous n'avez de cendre !
Mon cœur a plus d'amour que vous n'avez d'oubli ! «
■^ LES CHATIMENTS
Voici, en fin y pour essayer de montrer sous tous
ses aspects, ce Tyrtée, grandi aux proportions du
colossal, deux pièces du pamphlet qui s'attache au
second Empire comme Tacite à Tibèy^e :
LE MANTEAU IMPÉRIAL
Oh! vous dont le travail est joie,
Vous qui n'avez pas d'autre proie
Que les parfums, souffles du ciel.
Vous qui fuyez quand vient décembre,
Vous qui dérobez aux fleurs l'ambre
Pour donner aux hommes le miel.
Chastes buveuses de rosée,
Qui, pareilles à l'épousée,
! Visitez le lys du coteau,
O sœurs des corolles vermeilles,
Filles de la lumière, abeilles,
Envolez-vous de ce manteau!
Ruez-vous sur l'homme, guerrières ! ^r^^
0 généreuses ouvrières.
Vous le devoir, vous la vertu,
Ailes d'or et flèches de flamme,
Tourbillonnez sur cet infâme !
Dites-lui : — " Pour qui nous prends-tu ?
« Maudit ! nous sommes les abeilles !
- Des chalets ombragés de treilles
« Notre ruche orne le fronton ; '
U
Noii's volons-, dans l'azur écloses,
Sur la bouche ouverte des roses
Et sur les lèvres de Platon.
Ce qui sort de la fange y rentre.
Va trouver Tibère en son antre,
r
Et Charles neuf sur son balcon.
Va! sûr ta pourpro il faut qu'on mette,
Non les abeilles de l'Hymète,
Mais l'essaim noir de Montfaucon! «
Et percez-le toutes ensemjble.
Faites honte au peuple qui tremble,
Aveuglez l'immonde' trompeur.
Acharnez-vous sur lui, far-ouches.
Et qu'il soit' chassé par les mouches
Puisque les hommes en ont peur !
L'HOMME A RI ^
<* M. Victor Hugo ^ient de publier à Bruxelles un livre qui a
pour titre : Napoléon le petit, et qui renferme les calomnies les
plus odieuses contre le prince-président. "
« On raconte, qu'un des jours de la semaine dernière, un fonc-
tionnaire apporta ce libelle à Saint-Cloud. Lorsque Louis-Napo-
léon le vit, il le prit, l'examina un instant avec le. sourire du
mépris sur les lèvres ; puis, s'adressant aux personnes qui Tentou-
raiient, il dit, en leur montrant le pamphlet : «« Voyez, messieurs,
voici Napoléon-le-petil, par Victor HugO;le-grand. »
(Journaux Élyséens. Août 1852).
Ah! tu finiras bien par hurler, misérable!
Encor tout haletant de ton crime exécrable,
Dans ton triomphe abject, si lugubre et si pyompt,
Je t'ai saisi. Jai mis l'écriteau. sur ton front;
Et maintenant la fouLe accourt et te bafoue.
Toi, tandis qu'au poteau le châtiment te cloue,
Que le carcan te force à lever le menton,
Tandis que, de ta veste arrachant le bouton,
L'histoire à mes côtés met à nu ton épaule.
Tu dis : je ne sens rien! et tu nous railles,' drôle.
Ton rire sur mon nom gaîmént vient écumer;
Mais je tiens le fer rouge et vois ta chair fumer.
180
LART MODERNE
-1, n
Ceux qui pieusement sont morts pour la patrie
Ont droit qu'à leur cercueil la foule vienne et prie.
Entre les plus beaux noms leur nom est le plus beau,
Toute gloire près deux passe et tombe éphémère ;
Et, comme ferait une mère,
La voix' d'un peuple entier les berce en leur tombeau!
C'est pour ces morts, dont l'ombre est ici bienvenue.
Que le haut Panthéon élève dans la nue,
Au dessus de Paris, la ville aux mille tours,
La reine de nos Tyrs et de nos Babylones,
Cette couronne de colonnes
Que le soleil levant redore tous les joyrs !
Ainsi, quand de tels morts sont couchés dans la tombe.
En vain l'oubli, nuit sombre où va tout ce qui tombe.
Passe sur leur sépulcre où nous nous inclinons.
Chaque jour, pour eux seuls se levant plus fidèle
La gloire, aube toujours nouvelle.
Fait luire leur mémoire et redore leurs noms !
Bruxelles. — Imp. Fki^ix Callewaert père, rue de T Industrie, 26.
Cinquième année. — N° 23.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 7 Juin 1885.
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE Là LITTÉRATURE
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, . . 7 !
- Adresser les demandes d'abonnement et toutes les communications à
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?
OMMAIRE
1
i
Victor Hugo. La pitié suprême. — Le l^r juin 1885. -^ Le
Salon de Paris. (Troisième article). — Les médailles du Salon.
—z The Merchant of Vènice au Lyceum Théâtre. — Théâtres.
Les pommes d'or. — Fibliographie musicale. — Exposition
universelle d'Anvers. — Petite chronique.
Lia, pitié suprême.
Cette mort est un deuil, non seulement pour les let-
tres, mais pour l'humanité tout entière. Bien des poètes
déjà s'en sont allés, ne laissant après eux qu'un vague
sillon bientôt nivelé par les pas agités et distraits des
survivants, bientôt effacé par le vent de l'oubli, mais
rien ne comblera le vide que fait dans le monde Victor
Hugo en mourant : un pan du siècle est pris dans son
cercueil. Le peuple, si indifférent d'ordinaire aux
choses qui se font dans ce domaine de l'art dont l'exclut
sa misère, a des fleurs et des larmes pour cette tombe.
Pourquoi? C'est qu'il sent que dans ce génie il y a sur-
tout un homme et que ce n'est pas seulement un admi-
rable poète qui s'éteint, mais un grand cœur qui cesse
de battre, un cœur plein de haine pour l'injustice,
d'amour pour la faiblesse et de pitié pour toutes les
souff'rances.
Il n'avait pas cloîtré son génie dans un idéal hau-
tain et inaccessible. Il marchait dans l'action et dans
la vie,, ne séparant jamais le culte du beau de celui du
juste et du vrai, mettant le sublime au service de l'utile,
grandissant la mission du poète au niveau de celle du
réformateur et du prophète. On peut dire qu'il eut dans
la poitrine le sanglot" de l'humanité.
La gloire du poète, avait-il dit, c'est de mettre, un
mauvais oreiller au lit de pourpre des bourreaux.
Toutes les infortunes, toutes les détresses, toutes les
faims et toutes les soifs ont droit au poète ; il a un
créancier : le genre humain.
Et quel poète mieux que lui a payé sa dette? Pas de
cause 'généreuse dont il ne fut pas le clairon. Pas de
crime dont il ne fut le vengeur. Pas de douleur qu'il
ne voulut consoler !
Dans son œuvre, ce qui apparaît dans la plus rayon-
nante lumière, plus haut, plus grand, plus héroïque
que la gloire, le génie, la bsauté, la puissance, c'est la
bonté. Les personnages le plus tendrement caressés par
lui, ceux dans lesquels il fait passer quelque chose de
•son âme, ses héros de prédilection sont des christs qu'il
cloue à la croix du dévouement. Un rêve évangélique
l'obsède. Racheter l'homme par l'amour, c'est théo-
rie sociale. Grandeur égale bonté, c'est l'équation
qu'on lit au fond de ses drames, de ses poèmes, de ses
romans.
Il a relevé, rehaussé, divinisé les sentiments bafoués
par un siècle sceptique et railleur. Sa protestation en
faveur des vertus qu'on renie éclate en des vers su-
blimes qu'assombrit parfois l'indignation d'un cœur
soulevé par la grossièreté et l'égoïsme triomphant.
Partout, l'or sur la pourriture,
L'Idéal en proie aux moqueurB,
Un abaissement de stature
D'accord avec la nuit des cœurs.
Mais en dépit de cette terrible et juste sentence qu'il
grave au mur de Balthazar» il poursuit sa route et sa
mission. Sa foi en l'humanité est trop robuste et trop
saine pour succomber aux effluves empoisonnés qui
l'assiègent ; comme Jean Valjean, il triomphe de l'égout
où croupissent les chiens crevés et les Césars pourris,
et, sorti des lieux sombres, il recommence à combattre
le combat du droit. N'a-t-il pas dit : ^
Oh! la Muse se doit aux peuples sans défense.
J'oublie alors l'amour, la famille, l'enfance
Et les molles chansons et le loisir serein,
Et j'ajoute à ma lyre une corde d'airain.
Aussi lorsqu'il vit un jour le droit et la justice fléchir
sous l'étreinte du crime et du parjure, lorsqu'il vit la
liberté et la patrie étouffées dans la boue sanglante du
Deux-Décembre, lorsqu'il vit la France foulée par la
botte d'un soudard imbécile, il sentit l'àme de Juvénal
passer en la sienne.
Aux poèmes d'amour et de jeunesse succède l'amer
sirvente. L'indignation et le mépris lui inspirent des
chants d'une étonnante puissance. Il saisit le malfai-
teur sur son trône, au milieu de ses complices et de ses
courtisans, et, d'un vers implacable, le cloue au poteau
d'une éternelle infamie. A la lecture des strophes ven-
geresses, la jfierté rentrait dans les Ames abattues et
l'espoir revenait au cœur des proscrits. Le poète avait
compris que pour écraser le neveu, il suffisait de faire
apparaître derrière lui l'ombre géante du vaincu de
Waterloo et sans cesse, sans relâche et sans trêve, il le
flagelle de ce formidable parallèle. Dans \ Expiation^
Toulon, le Manteau impérial, la puissance satirique
va jusqu'à l'effroi. La force poétique y atteint des pro-
portions vraiment surhumaines. Il nous semble même
aujourd'hui, a nous, qui avons vu l'aventure impériale
aboutir à la boue de Sedan, que l'avenir avait dépouillé
ses voiks pour le poète et avait fait passer devant ses
yeux les événements qui ne devaient s'accomplir que
vingt ans plus tard. N'était-il pas prophète celui qui
écrivait en 1852 ;
Quand il tomba, lâchant le monde.
L'immense mer
Ouvrit pour sa chute profonde
Son gouffre amer.
Il s'y plongea, sinistre archange,
Et l'engloutit.
Toi, tu te noîras dans la fange,
Petit! Petit!
Proscrit, il paraissait qu'il avait emporté avec lui la
fierté et l'honneur de la France. Quelle apothéose que
cet exil et quel étrange et puissant spectacle que celui
de ce duel entre un simple poète et un empereur triom-
pliiant! Dominant la France qu'il couvait de loin de son
regard d'aigle, attendant tranquille et fort la catas-
trophe qu'il avait prédite, Victor Hugo était pour l'em-
pire comme le spectre vengeur et implacable du droit
violé. •
Mais la colère ne pouvait toujours gronder dans ce
cœur si plein de tendresse ; après cet éclat terrible des
Châtiments, pacifié par le murmure des vagues qui
battaient son rocher de Guernesey, il arrachait de son
âme et jetait au monde avide ces pages empreinte^
d'une douceur si pénétrante, d'une tristesse si haute
(.\\i\\i\ommdi\e^ Contemplations.
C'est dans ce recueil surtout que l'on peut suivre
cette lutte du poète avec toutes les fatalités sociales :
Toujours ignorance et misère !
L'homme en vain fuit,
Le sort le tient; toujours la serre,
Toujours la nuit !
Il faut que le peuple s'arrache
Au dur décret,
Et qu'enfin le grand martyr sache
Le grand secret.
Déjà l'amour, dans l'ère obscure
Qui va finir.
Dessine la vague figure
De l'avenir.
Je suis le poète farouche.
L'homme devoir, . '
Le souffle des douleurs, la bouche
-Du clairon noir. •
Et cette pitié a des profondeurs inépuisables, elle
s'épand non seulement sur la faiblesse, sur la pauvreté,
mais sur les choses qui semblent emprisonnées dans
l'horreur et le dégoût :
J'aime l'araignée et j'aime l'ortie
Parce qu'on les hait.
Et que rien n'exauce et que tout châtie
Leur morne souhait.
Parce qu'elles sont maudites, chétives.
Noirs êtres rampants.
Parce qu'elles sont les tristes captives
De leur guet apens.
Passant, faites grâce à la plante obscure,
Au pauvre animal,
Plaignez la laideur, plaignez la piqûre.
Ah! plaignez le mal.
Pour peu qu'on leur jette un œil moins superbe,
Tout bas, loin du jour, '
La mauvaise bête et la mauvaise herbe
Murmurent : Amour !
Cette tendresse est partout, et c'est pourquoi Victor
Hugo restera dans la mémoire des hommes comme le
plus grand des poètes.
Il fut l'ami des hommes, il fut l'apôtre de la clémence
et le combattant de la justice, et, dans un siècle sans
entrailles, il osa insulter au colosse de l'égoïsme triom-
phant et élever un autel à la pitié.
Cette audace lui valut la haine des rois, les rigueurs
des gouvernements et le dédain des imbéciles. : elle
assure, en revanche à sa mémoire, la reconnaissance et
l'amour des peuples.
lE r JUIN 1883
M. Louis Ulbach a dit au Panthéon : « On n'a trouvé
dans Paris qu'une porte assez haute pour y faire passer
son ombre, celle qu'il a mesurée lui-même à sa taille
dans ses strophes de granit '». Et nous ajoutons, pleins
du souvenir admiratif que l'apothéose du P^ juin a
gravé dans notre esprit : La seule capitale où le cortège
triomphal qui a conduit le poète à la gloire pût se dé-
ployer dans son ampleur magnifique, c'était Paris.
Avec la perspective magnifique de ses avenues, avec
l'élan spontané de sa population enthousiaste, Paris
seul était digne d'être le théâtre de ces funérailles sans
précédent.
Et Paris n'a pas failli à son devoir. Ceux qui ont
assisté à cette marché solennelle de tout un peuple
derrière l'humble corbillard, en gardent une impres-
sion que le temps ne pourra effacer. Six heures durant,
le fleuve magnifique, portant en guise de navires des
chars de fleurs, des bannières, des amoncellements de
couronnes, a roulé ses flots entre des berges humaines.
Les tambours voilés de crêpe battaient des roule-
ments sourds qui semblaient les soupirs de cette foule
immense. Et parfois une étincelle électrique allumait
subitement les âmes : un souvenir patriotique, le pas-
sage d'une figure populaire donnait le branle : et cette
population parisienne nerveuse, impressionnable, ou-
bliait par instants que le silence est le plus, solennel
hommage qu'on puisse rendre à un cercueil. Elle écla-
tait en frénétiques applaudissements, mêlant dans l'ex-
pression retentissante ide son enthousiasme, Taffection
du grand mort qu*elle saluait et l'affection du drapeau
national. ^ ^
Un peuple ôCi réside, avec le respect de l'Art, un
aussi ardent amour de la patrie, est un peuple roi,
quels que soient les malheurs qui l'aient abattu.
En glorifiant l'illustre poète, en transformant ses
obsèques en un sacre, selon l'expression de M. Emile
Augier, la France a grandi dans l'estime des nations.
LE SALON DE PARIS
. Troisième article.
Qui pourrai-je imiter pour être original? doit s'être
dit Besnard en attaquait la gigantesque composition
par laquelle il a eu la prétention de paraphraser la
fière divise de la ville de Paris ; Fluctuât nec mergi-
tur. Et M. Puvis de Chavannes étant actuellement bien
coté après avoir, qui ne le sait? subi les avanies et les
injures qu'attire tout art original et neuf, c'est vers lui
qu'il s'est tourné pour essayer de lui dérober le secret
de ses tons mats, [de son harmonie mélancolique, de sa
pénétrante et intime poésie.
« En allumant beaucoup de lanternes vénitiennes,
en incendiant les quais de feux d'artifices, en projetant
du haut des tours de Notre-Dame des jets de lumière
électrique, on n'y verra que du feu, » parait encore
avoir pensé l'artiste.
Mais le public, qui raisonne parfois, et la critique,
qui n'est pas toujours bonne fille, ont passé en hochant
la tête. Ce mariage de chandelles romaines avec des
feux de Bengale ne suffit pas pour masquer l'absence
d'originalité et le vide de la composition. L'ordonnance
de cette toile, qui montre une barque emplie de figures
symboliques voguant au fil de l'eaû sur le tond embrasé
d'un 14 juillet, a des lourdeurs énormes, un manque
d'équilibre et de goût vraiment désagréable, toute ques-
tion d'imitation mise à part. On regrette de plus en
plus les portraits si vivants, si hu mains ^ que peignait
l'artiste jadis, à ses débuts, quand il n'était pas hanté
par l'allégorie, quand il ne s'inspirait que de lui-même,
quand c'était au deuxième et au troisième rang qu'il
fallait l'aller dénicher !
Qu'on mette en parallèle le superbe portrait de
femme sur fond blanc qui figure actuellement à l'Expo-
sition d'Anvers avec le tableau dont nous nous occu-
pons, et même avec le portrait de M™^ G. D..., dont
l'analyse terminait notre article précédent. Ce n'est pas
en faveur des productions actuelles du peintre qu'on
se prononcera.
M. Besnard était parmi les artistes delà génération
nouvelle l'un de ceux qui promettaient le plus. Là cri-
tique a le droit de se montrer plus exigeante à son
égard qu'envers d'autres.
Les imitateurs dé Puvis de Chavannes pullulent,
d'ailleurs, et nous ne nous arrêterons pas à les compter,
ni à discuter leurs mérites. Ce que nous recherchons
avant tout, ce sont les talents frustes et verts, les créa-
teurs, les laboureurs qui tracent, droit et ferme, leur
sillon dans la glèbe encore vierge, et ceux-là, nous
l'avons dit, sont rares.
(") Voy. l'Art moderne des 17 et 24 mai 1885,
A quoi bon, en efîet, s'attarder à parler de tous les
impuissants que chaque année révolue montre cram-
ponnés à la ficelle qui leur a valu les commandes, la
croix, la médaille et toutes les distinctions que la
badauderie officielle distribue à ceux dont elle n'a pas à
étudier l'effort, à pénétrer le labeur? Que M. Henner
peigne une nymphe, deux nymphes, cent nymphes de
cire sur fond de bitume, et que ces nymphes paraissent
éplorées ou souriantes, qu'en peut-il résulter pour
l'avenir de l'école française, et en quoi cet aimable
passe-temps d'un homme de talent intéresse-t-il les
artistes et le public? Il les vend. Tant mieux pour lui.
M. Cabanel vend bien aussi, lui ! et nous ne savons pas
de peinture plus niaisement plate, plus vide, plus déco-
lorée et plus ffasquë que la sienne, si ce n'est cell^ de
Monsieur son ffls, qui n'est pas encore Hors Concours,
mais qui mérite de l'être, tant il a consciencieusement
chaussé, en les crottant d'ailleurs, les bottes de son
père!
Que de son coté M. Bouguereau se fasse décerner la
médaille d'honneur (par 72 voix, il est vrai, sur
407 votants, « l'honneur est mince, Nachtigall! «), c'est
également fort bien, et nous pensons que nul ne s'en
plaindra. V Adoration des Mages et X Adoration des
Bergers, dyptique destiné à l'église de Saint-Vincent-
de-Paule, renferme, sur deux panneaux, tous les poncifs,
toutes les conventions, toutes les négations de coloris
et de lumière qui, à Paris, font mériter ces sortes de
distinctions à ceux qui ont le triste courage de se met-
tre sur le nez les lunettes spéciales et atrophiantes
adoptées par l'Institut.
Xes toiles porcelaineuses de M. Bouguereau ne sont,
au surplus, pas plus antipathiques que le concierge que
M. Jean-Paul Laurens a affublé du nom, peut-être
ironique, de Faust , ou que les baudruches gonflées en
forme de poupées dont M. Benner a tiré une centième
édition, destinée sans doute à l'exportation, car sa
clientèle du continent doit être épuisée, ou que la
Laure eii stéarine de M. Jules Lefebvre. Quant aux
orientalistes, MM. Gérôme et Boulanger, ils sont cette
année tellement lamentables que mieux vaut n'en point
parler. Laissons la paix aux morts et saluons leur
convoi.
Dans tout ce bric à brac,la rétine fatiguée therche un
coin tranquille et frais qui lui donne le repos. D'ordi-
naire, c'est à Puvis de Chavannes qu'on court, à ses
larges nappes de lumières calmées, aux diaprures har-
moniques de ses belles toiles où les colorations, comme
dans les tissus de Karamanie et de Smyrne, se fondent .
sans secou>rses et se dégradent et s'éteignent avec des^
douceurs de soirs étoiles.
Cette fois, l'artiste n'a exposé qu*lin tableau de petit
format, un accord isolé de cette symphonie grave et
recueillie qui, depuis des années, s'élève de son œuvre
magistrale et plane par dessus les dissonances dont
retentissent tant de palettes. Le morceau, exquis de
fraîcheur et de grâce malgré l'incertitude gauche du
dessin, est intitulé \AiUo7nne. Une jeune femme, debout,
cueille des grappes de raisin et les dépose dans la cor-
beille que lui présente une autre femme, tandis qu'une
troisième les contemple en souriant.
Avec ses teintes pâlies, ses roses fanés, ses bleus
décolorés, les relations caressantes de ses tonalités,
cette toile large comme un mouchoir d'enfant arrête et
captive, évoque le souvenir des grandes oeuvres du
maître, dont la musique éloignée berce les sens.
Combien ces visions calmes et sereines font de bien
après'les peintures exaspérées des soi-disants peintres
d'histoire, les Luminais, les Rochegrosse, les Flameng,
qui prétendent donner l'impression de la mort, du mas-
sacre, du crime, et s'arrêtent à polir du bout de leur
martre le cuir laqué d'une bottine ou à dessiner à la
règle les lignes d'un plancher ! Quelle idée ces gens-là
peuvent-ils bien avoir de ce que doit être une œuvre
d'art? ' ' -
Parmi les tableaux de dimensions et de prétentions
modestes, parmi les inconnus d'aujourd'hui qui peut-
être seront demain les célébrités du jour, on découvre
d'intéressantes tentatives. Il convient de signaler entre
autres et très particulièrement les Pivoines de Jacques
Blanche, composition originale, bien coupée, d'un des-
sin ferme, , d'un coloris délicat, qui montre un artiste
déjà affranchi des souvenirs de l'école et prêt à prendre
sa volée, he Déjeuner du même artiste est d'une exécu-
tion un peu sèche. Mais ce n'est point par là que pèche
son grand pastel intitulé iro7^s d'œutre qui montre une
jeune femme mangeant di?s radis, en silhouette sur un
paysage d'fîiver. Œuvre audacieuse, vraiment remar-
quable, celle-ci, et qui donne les promesses les plus
sérieuses.
Puis, le Veuf, de Forain, placé si haut qu'on a peine
à le dénicher, et qui n'en est pas moins l'un des plus
alléchants morceaux du Salon, et son Portrait , drôle,
imprégné dies souvenirs de Manet, mais très vivant et
spirituellement peint. A côté de Forain vient tout natu-
rellement se placer Bartholomé, qui a, d'un pinceau
singulièrement alerte, fixé sur un bout de châssis la
ronde et les promenades enfantines d'une Récréation
de petites filles dans la cour triste d'un pensionnat.
Ce tableau, dont tout l'art réside dans la justesse des
attitudes et dans l'expression exacte de l'atmosphère
parisienne, demandait à être vu de près. On l'a relégué
dans un angle mal éclairé, au deuxième rang, et dès
lors tout disparaît, finesse et précision du dessin. L'œil
perçoit vaguement les taches que font les tabliers bleus
des petites filles, et c'est tout. Qu'on s'étonne après cela
que de plus en plus les artistes originaux désertent le
Palais de l'Industrie!
-«~~\
1
Dès qu'ils se réunissent, exaspérés, pour exposer dans
des conditions convenables ce qu'il leur plaît de mon-
trer» le public dit : C'est une coterie! Mais la vraie
coterie, la seule, c'est celle des artistes qui disposent,
ail Salon, de toutes les places et ne donnent les bonnes
qu'à leurs amis, — s'il leur en reste à distribuer après
qu'ils ont pris pour eux les meilleures. Jamais on
n'avait plus scandaleusement mis toute pudeur de côté
à cet égard. A la rampe s'alignent, nous l'avons dit, des
choses monstrueuses, ou des compositions où la bêtise
le disputé à l'absence de talent. Mais il s'agit d'un ex.
ou d'un H. c. et perpétuellement, dussent les œuvres de
ce monsieur être exécrables, on les préférera aux efforts
audacieux et vraiment intéressants d'un Forain, d'un
Bartholomé, d'un Raffaëlli, de tout artiste qui rejette
fièrement l'éteignoir par leqiiel on cherche à étouffer
les flammes trop vives.
Parfois, rarement il est vrai, une revanche est
prise. Une anecdote courait Paris, la semaine der-
nièr-e. On sait la déroute apportée dans certain clan par
la subite apparition, chez Georges Petit, de Claude
Monet et de sa palette toute radieuse de rayons de
soleil. Henner devait exposer à côté du paysagiste
intransigeant. Il avait envoyé rue de Sèze tout un char-
gement de nymphes des bois, des blondes et des rousses,
alanguissant dans une filtrée de lumière factice leurs
peaux ravagées de chlorose. Le déballage a commencé, .
mais en voyant la piteuse mine que faisaient ses pou-
pées de carton sous le feu implacable des- coups de soleil
de Monet, Henner a fait réintégrer toute sa marchan-
dise dans les caisses qui l'avaient amenée. Et l'oa n'en
a plus entendu parler.
LES MÉDAILLES DU SALON "
La puérile distribution annuelle des prix aux artistes bien sages
a eu lieu la semaine dernière. Les sculpteurs ont jugé qu'aucun
des leurs n'était digne de la médaille d'honneur. Ils ont accordé
une première médaille à MM. Dailiion, Desca» Croisy, Cariés et
Roty. Une deuxième médaille a été décernée à MM. Hiolin, Cor-
dier, Démaille, Valton, Léonard, Marioton, Lange-Gugliemo et
Pallez. Une troisième à MM Levasseur, Mengue, Laporte, Leroux,
Fougues, Pech et Lemaire. Suivent une cinquantaine de mentions
parmi lesquelles nous relevons, pour les artistes belges, celles de
MM. Charlier et Samain.
Les peintres ont été moins chiches de leur médaille d'honneur. Au
lieu de ne l'accorder qu'à la majorjté absolue des voix, ils l'ont,
aux termes du règlement, décernée à la majorité relative, ce qui fait
qu'on n'a eu aucune peine à l'accrocher au cou de M. Bouguereau-
En revanche, chose bizarre, on a décidé que personne, parmi les
virtuoses de la palette, ne méritait la première médaille. Et l'on a
distribué généreusement la seconde et la troisième aux artistes dont
les noms suivent :
Deuxième médaille. — MM.. Priant, 'V\'eisz, Mathey, Bramtùt,
Priuceteau, Dawant, Foubert, Edouard, Loewe- Marchand, Ber-
^teaux. Petit Jean, Clairin, Hareux, Lagarde.
Troisième médaille. — MM, E. Buland, Agache, Laurent,
Beaury-Sorel, Mprlon, Thiollet, Marec, Casile, Olive, Bloch, Julia
Marest, Uhde, Ad. Binet, Gueldry, Thévenot, Frantz Gharlet,
Richard Frièze, Carrière, iMorlot, Pinel, Bettanier, Bourgeois,
Brispot, Chariemont, Chariay Pompon, Fournier.
Isaac Israëls n'arrive, malgré le succès de son Départ pour les
Indes, que parmi les soixante mentionnés. Il a la consolation de
>se trouver avec Raffaël[i et le désagrément de se rencontrer avec
M. Evariste Carpentier.La mention est donnée à M. Halkett.
Les architectes se sont, eux aussi, octroyés une médaille d'hon-
neur. C'est M. Laloux qui en a été gratitié. MM. Lefort, Quatesot^s,
Boileau, Darcq, ont décroché une médaille de première classe.
MM. Pons et Benouville, Cuvillier, Wable, Camut, une médaille de
deuxième classe, MM. Nodet, Bacs, Chaîne, Poncet une idem de
troisième classe, et l'on a réparti une douzaine de mentions hono-
rables parmi les autres.
Ni médaille d'honneur, ni première médaille pour la gravure. Très
peu de deuxièmes médailles, quatre seulement, accordées à
MM. d'Harlingue, Henri Lefort, dénient Bellenger, Augustus
Mongin.
Quelques troisièmes médailles : MM. Muzelle, Pirodon, Géry-
Bichard, Boileau, Boulard, Leveillé, Salmon, Desbrosses et Dupotit.
, John-Lewis Brown arrive dans les mentions honorables, avec une
quinzaine de burinistes et de liihographes.
JhE ^JVIeRCHANT Of ?^ENICE
au Lyceum Théâtre.
Dans son œuvre universel entre lous, Shakespeare a con-
sacré une page à chacun des types les plus saillants de l'hu-
fflanilCv à ceux qui représentent la nature humaine sous les
aspects les plus caractérisés. Son théâtre est empreint d'un réa-
lisme trop puissant pour qu'il ail pu se borner à personnifier des
abstractions, à donner simplement un masque et un nom à des
sentiments bons ou mauvais. Il lui faut, sur la scène, des
hommes, rien que des hommes, avec leurs as|)iratrons diverses,
leurs vertus et leurs vices, leur grandeur et leurs faiblesses.
Mais ce qui constitue riniéi*êt de ces personnages et leur origi-
nalité, c'est l'art infini avec leq^iicl Shakespeare sait mettre en
relief la marque, le trait saillant de leur caractère; ainsi, il
arrive à créer ces types qui conservent la physionomie de
l'homme positif tout en éveillant chez nous l'impression plus
abstraite de vertus et de vices incarnés.
Othello et Macbeth ne sont pas de vagues personnifications
de la jalousie, de l'ambition et du, crime : ce sont des hommes
dominés par la jalousie ou l'ambition, enlraînés vers le crime ;
ils n'ont pas l'aspect froid- de l'abstraction, mais la chaleur de
la vie.
Parmi les types qui lui servaient si bien à exprimer la passion,
Shakespeare ne manqua pas de choisir aussi le Juif, le Juif tel
qu'il est sorti du Moyen-Age, objet de tant de mépris, foyer de
tant de haine; ce Juif dont on conspue la face, dont on bafoue
les croyances, dont on incrimine les actes et qui, entouré d'enne-
mis et d'agresseurs, se venge à la première occasion, sur le pre-
mier venu, avec une cruauté aussi immense que l'infamie dont il
est lui-même accablé.
tt L n type ne reproduit aucun homme en particulier ; il ne se
« superpose e.\aclemenlà aucun individu ; il résume et concentre
c< sous une forme humaine toute une famille de caractères et
« d'esprits. Un type n'abrège pas, il condense. Il n'est pas un, il
est lous ». .\insi s'exprime Victor Hugo, quand il caractérise le
type shakespearien, opposé à l'abslraclion, -a Tombrc imperson-
nelle qui passe, fugitive, ë travers la Iragédieclassique. Le type
dramatique, dit encore Hugo, a plus de densité qu'un hopmie
seul : il y a en lui une accumulation de vies ; et Hugo donne pour
exemple SJiylock, grand parce qu'il résume toute une race telle
que l'avait faite l'oppression .(*).
Combien celte conception synthétique est nette ! Comme elle
trace bien h l'inlerprète la voie qu'il doit suivre s'il veut^repré-
senter le personnage tout entier ! Comme elle répond bien aux
aspirations de l'artiste véritable qui prend à cœur de supporter
sans défaillance le fardeau d'un rôle de Shakespeare!
C'est ce que nous a' fait sentir l'autre jour M. Irving, le prince
reconnu des artistes dramatiques anglais, qui joue en ce moment
« Le Marchand de Venise » au Lyceum Tlientre, à Londres. II
ne s'est pas seulement chargé du principal rôle de la |)ièce ; il est
encore l'ordonnateur, le manager de toute la représentation, le
conseiller de toute la troupe. Aussi sait-il combiner un ensemble
de| plus harmonieux. et arrriver, sans qu'il y paraisse, à mettre
en relief le type qui est la raison d'être de l'œuvre entière.
Le sujet du Marchand de Venise est moins compliqué que
beaucoup de comédies, de Shakespeare ; les trois intrigues du
pacte avec Antonio, des cassettes de Porlla et de l'enlèvement de
Jessica sont fort simples, insignifiantes même. L'attention est
tout entière absorbée par l'admirable développement des carac-
tères. Autour de Shylock, Shakespeare a placé un groupe de
personnages sympathiques : Antonio, le marchand, son ami
Bassanio, et Porlia surtout, qui est l'anlilhcse du vieux happe-
chair, le bon ange qui vient triompher de ce mauvais esprit. Peu
d'héroïnes du répertoire dramatique nous semblent aussi sédui-
santes que cette belle Vénitienne que Shakespeare s'est, plu à
parer de tous les charmes de Tespril et de toutes les délicatesses
du coeur.
Miss Ellen Terry a ce qu'il faut pour jouer Porlia et le public
de Londres rend justice U celte charmante comédienne en l'asso-
ciant pour une large part aux triomphes dlrving. Elle joue avec
un naturel et un laisser-aller parfaits, commandés d'ailleurs par le
dialogue spirituel et animé des scènes de Belmonl. Il ne lui
manque ni l'autorité ni la chaleur obligés dans la scène du pré-
toire ; cl son costume de docteur in utroque ajoute quelque chose
de piquant b sa physionomie toujours agréable. Elle a eu fort
bien, dans le reste de la pièce, allier, en vraie dame de Venise,
les airs simples aux riches atours : c'est un modèle de Titien
habillé par Paul Véronèse.
Il faut savoir gré à Irving de rinlelligence avec laquelle il se
dévoue k ses skakespearian revivais. Comme Dante, Shakespeare
a besoin d'être interprété pour être bien compris. Mais si le com-
mentaire de Dante se fait par des explications qui accompagnent
ses poèmes, celui de Shakespeare doit se trouver dans la manière
même dont on représente ses drames et ses comédies.
Un critique érudit pourrait, sans doute, regreller,*h son point-
de vue, les coupures cl les légères modifications introduiiesdans
le texte ou dans l'ordre des scènes; mais cela est utile pour
rendre la pièce intelligible îi un public de spectacle et lui éviter
l'impression choquante, nullement voulue par l'auteur, de cer-
tains mots qui ne se disent plus. Irving sent tout cela avec infini-
ment de tact. Il n'ebt guère surprenant qu'un homme qui com-
prenne aussi bien son rôle, sache le jouer avec talent. Dans cha-
('} Victor Hugo : William Shalfespeare, seconde partie, livre II, n* ?.
cune des grandes scènes du drame — car pour Shylock c'est
bien un drame — il ajoute quelque détail nouveau à la figure
dont les traits principaux se dessinent nettement dès sa première
entrée.
Si Irving apportait autant de sobriété dans ses roulements
d'yeux qu'il met de réserve dans les éclats de sa voix, nous n'au-
rions que des éloges à lui décerner : ses intonations, ses atti-
tudes et sa démarche, sa diction surtout nous ont semblé
irréprochables. Comme régisseur, il sait ménager des tableaux
pittoresques et combiner des harmonies de couleur qui complè-
tent agréablement le charme de la représentation. Ces côtés acces-
soires ne sont jamais à dédaigner, quel que soit le mérite intrin-
sèque de l'œuvre. , /
Enfin, nous applaudissons à l'usage adopié au Lyceum
Théâtre de plonger la salle dans une obscurité presque complète
durant la pièce, usage qui tend à se généraliser aujourd'hui et
qu'il nous tarde de voir s'introduire chez nous : c'est le plus sûr
moyen d'isoler le spectateur et de concentrer son altenlion sur la
scène. Et les beautés n'y perdent rien : 6n les regarde avec
d'autant plus de curiosité pendant les entr'actes.
Kolre collaborateur Edmond Picard a adressé à iM. le directeur
du Précurseur la lettre suivante :
Monsieur i-b Directeur,
Je viens de recevoir votre n° du 28 mai et j'y ai lu une intéres-
sante correspondance artistique.
S'occupant de ma participation au jury d'admission à l'Exposition
des Beaux-Arts d'Anvers, le signataire G. V. y dit :
« Le ministre Beernaert en y adjoignant un critique d'art a posé,.
« en principe, un acte intelligent et qui portera ses fruits. Il est à
«prévoir que cette heureuse initiative se maintiendra, et qu'à
« chaque Exposition importante on agira de même.
Pour ceci je salue et remercie. Mais votre correspondant ajoute :
« L'avocat Picard, qui a eu l'honneur d'inaugurer la nouvelle ère
« qui s'ouvre à nos critiques, a défendu pendant vingt ans l'art qu'à
t< Bruxelles on nomme « libre et indépendant. » Après avoir vu
« défiler en s^i qualité de membre du jury d'admission, le cortège de
ic choses loqueteuses, bêtes, communes, criardes, grotesques, ma-
« ladcs, misérables, — c'est VArt moderne qui s'exprime ainsi —
« après s'être rendu un compte exact pendant des semaines de la
« valeur réelle de toutes ces misères, par un exercice actif de la vue,
« par une sérieuse étude comparative, et ce à côté de peintres,
« sculpteurs, architectes, — l'œil du théoricien a subi une cure
« sinon radicale, en tous cas salutaire, et^tnijourd'hui, meilleur
« appréciateur, l'avocat Picard a le courage d'avouer que ce soi-
« disant renouveau artistique, il ne reste qu'une trompeuse illu-
« sion. »
Ceci fait naître une équivoque et réclame une rectification que je
ferai dans l'intérêt de votre correspondant, très soucieux je n'eu
doute pas, de rester véridiqué.
Assurément, de ma vie, je n'avais, comme je l'ai écrit dans VArt
moderne, " assisté au passage de pareille flotte de productions car-
" uavalesques. » '
Mais votre correspondant parle de manière à faire croire que je
serais revenu de mon appréciation très favorable sur les rares
artistes qui, à mon avis, sont dans la vraie voie.
En cela il se trompe.
J'ai seulement constaté que la majorité des médiocres était telle-
ment imposante, que la minorité de ces vrais talents était submergée
par elle, alors que j'avais cru que ceux-ci, par leurs virils efforts,
suffisaient à sauver notre art de la décadence et à amener pour toute
notre école un renouveau artistique. , ■'
J'ai résumé cette impression et cette désillusion dans VArt
moderne, en disant : « Revenant sur nous-même et classant dans
M l'ensemble les résultats de ces luttes vaillantes, nous comprenons
•« quelle illusion c'est de croire qu'elles suffisent au salut commun
•« et que les hotmnes qui _ les mènent peuvent à eux seuls assurer le
<« recrutetnent des phalanges qui se dépeuplent.
Pour moi, ces artistes restent ce qu'ils me sont apparus : les
représentants de l'art que j'aime, qui seul mérite confiance, qui seul
donne des espérances. Mais je sais désormais qu'ils sont en trop
petit nombre pour triompher des Philistins, pour arrêter l'invasion
formidable des ratés et des énervés.
Quant à la cure de ma vue, dont s'occupe votre correspondant
avec une sollicitude dont je suis touché, je ne veux pas lui rappeler
un dicton où il est question d'un fétu et d'une poutre. Mais je ne
croirai à l'infaillibilité de son œil et de celui des peintres, archi'
tectesy sculpteurs dont il parle, que loi'squ'il m^aura expliqué com-
ment il s'est fait qu'il y a eu, dans les opérations du jury d'admis-
sion, «• une cinquantaine de toiles qui n'ont été accueillies que ^râce
•» à l'inévitable camaraderie ou à la courtisanerie plus inévitable
« encore *>, comme je l'écrivais et, comme je l'ajoutais (toujours dans
VArt moderne), ** quelques bonnes œuvres que le jury a exclues
•• pouf ne pas manquer à l'usage et ne pas faire la l'ecoit à ses pré-
« décesseurs »».
J'ai la conscience d'avoir, malgré- mes ykux malades (?), tapage
(votre correspondant doit s'en souvenir) jjour faire laisser à la porte
les premières, et d'avoir prateslé quand Oii a blackboulé les
secondes. Ce sont là des incidents que je pourrais approfondir si je
visais à amuser la galerie.
Prière, Monsieur le Directeur, de vouloir bien publier cette
réponse. Je vous en remercie à l'avance et vous présente mes salu-
tations distinguées. •
Edmond Picard.
30 mai 1885.
Jhéàtre^
Les Pommes d'or.
La féerie, la vieille, bonne, naïve féerie a, repris possession de la
scène dé l'Alhambra où jadis, Alexandro régnante, elle brillait de
tout l'éclat de la Chatte tnerveilleuse et de la Queue du chat. Les
habitués du vénérable théâtre, tout étonnés de voir danser — en
français — des ballerines pas du tout Kleine patriot, ont tant et si
bien vanté les merveilles qu'a prodiguées M. Alhaiza, sous la forme
de fontaines jaillissantes éclairées aux flammes de Bengale, de ballets
agrémentés d"évent9Jj.s_argentés et de corbeilles de roses artificielles,
de ballons pas trop captifs et de maillots suffisamment garnis, que
tous les soirs les spectateurs accourent en foule.
Rencontrant au foyer l'un des grands prêtres du mouvemerj,! fla-
mand, nous lui avon§ demandé s'il ne considérait pas cette désaffec-
tation du temple comme une profanation. L'attrait des jolies femmes
n'est-il pas international? a répliqué, non sans justesse, cet homme
célèbre.
Va donc pour les jolies femmes. Va pour les envolées de tarla-
tane rose et verte. Vivent Mâchicoulis, Daniel Dorlando, Verdurette
et la princesse Eglantine! Enivrons-nous de lumière électrique,
absorbons à longs flots la musique de M. Audran, pénétrons les
mystères du corps de ballet, — oh! à une portée de lorgnettes, les
coulisses étant aussi bien gardées, ou à peu près, que feu les bar-
rières du Louvre. Et que le jardin des Hespérides improvisé par
M. Alhaiza remplace pour nous toutes les délices absentes.
Sous ses charmilles parsemées de fruits d'or, nous rencontrerons
d'ailleurs d'aimables visages connus : M. Lortheur, plus drôle que
jamais en écuyer moyen àgeux, et M. Durand, qui» a laissé d'excel-
lents souvenirs au théâtre du Parc. p]t les figures nouvelles que nous
verrons défiler seront bientôt de vieilles et bonnes connaissances :
M*"" Weins, Djina, Van Zandt, étant de celles qu'on voit et qu'on
revoit avec satisfaction. , •
ÇlBMOQRAPHlE MUSICALE
Parmi les nouveautés musicales éditées à Bruxelles, signalon.s
trois compositions pour piano et violon qui méritent d'être remar-
quées. L'ujie est une poétique Elégie de Jéno Hubay, publiée che?
Breitkopfet Hartel, et dans laquelle on retrouve, avec le charme
qui distingue les inspirations de l'auteur des Scènes de la Czarda,
quelque chose de la mélancolie des mélodies hongroises.
Les deux autres ont paru chez Schott frères. Ce sont : ime Fan-
taisie orientale, d'une tournure élégante, de Joseph Wieniawski, et
un Petit air varié, d'exécution facile, par M. Félix Aerts, directeur
de l'Académie royale de Nivelles.
Les mêmes éditeurs viennent de mettre en vente trois morceaux de
musique d'église dus à M. François Riga, qui a déjà enrichi d'un
grand nombre de compositions analogues le répertoire des maî-
trises : un Tantum ergo et Genitori, à quatre voix, avec accompa-
gnement d'orgue ou d'orchestre ; un Memorure pour voix de femmes,
petit chœur et grand chœur à l'unisson, avec accompagnement
d'orgue, et un Hœc dies quayn fecit Dominus, à quatre voix, avec-
orgue et orchestre. Ces trois compositions portant les n*''' 71, 83 et 71>.
de l'œuvre de M. Riga.
Enfin, chez Schott également, M. Watelle, professeur de chant,
vient de publier cinquante Exercices de solfège pour ténor et basse,
à l'usage des cours de chant d'ensemble, sociétés chorales^ etc.
EXPOSITION UNIVERSELLE D'ANVERS
On nous prie d'insérer l'avis suivant :
Afin de prévenir tout malentendu ou toute erreur au siijet de la
mission qu'ils ont assumée, le Comité belge et le Comité international
de la Presse fout de la manière la plus formelle les déclarations sui-
vantes qu'ils prient les journaux de tous les pays de vouloir bien
reproduire :
La mission des deux Comités est toute de courtoisie et absolument
désintéressée. Ils sont restés et resteront étrangers à tout arrange-
ment ou spéculation concernant des affaires de publicité, à toute
question d'annonces ou de communications impliquant un règlement
financier.
Aucune agence de publicité n'est autorisée à parler au nom de la
presse.
Aucune agence de publicité n'entretient de relations avec les Comi-
tés de la presse ; aucune agence n'y exerce la moindre influence.
Aucune agence de publicité n'a le droit d'installer à l'intérieur
des locaux de l'Exposition un salon de la presse ni un cabinet de
lecture.
L'installation du salon et des bureaux placés sous la direction
unique, exclusive des Comités de la Presse, a subi un retari fâcheux
par suite de l'inachèvement de certains travaux de construction de
l'entreprise générale.
Mais dans quelques jours cette installation sera terminée, et les
deux Comités quitterontleur siège actuel, Avenue des Arts, 89, pour
s'établir définitivement à l'Exposition même, à côté des bureaux des
postes, des télégraphes et du téléphone, et à proximité des bureaux
du Comité exécutif qui continue à leur prêter le concours le plus
sympathique.
188
L ART MODERNE
C'est à titre absolument gratuit que les locani du Comité de la
presse sont mis à la disposition des confrères étrangers.
C'est à titre absolument grntuit que les confrères étrangers peuvent
y envoyer leurs journaux, qui seront classés, 'placés en évidence et
mis à la portée des lecteurs avec la régularité et le soin voulus. Les
Comités de la Presse ùtili-^eront, à cet effet, le cabinet de lecture
international dont l'organisation prodiaine est due à rinitialive de
M. le Commissaire général du Gouvernement.
f
ETITE CHROJ^iqUE
Une grande fête musicale sera donnée aujourd'hui à Anvers, dans
la salle des fêtes de l'exposition, en l'honneur de Franz Lisat, qui
est arrivé jeudi dans la mâtjç.op^ile, L'orchestre des Concerts popu-
laires de Bruxelles exéiiÉbillK>-«ou« la4irectionde Franz Servais, un
pi'ogramme de choix composé uniquement des œuvres du maître.
On entendra trois poèmes symphoniques : Le Tasse, Orphée et
Mazeppuy le concerto pour piano et orchestre en la, joué par
Mme Falk Mehiig, le prélude de Sainte- Elisabeth, deux fragments
symphoniques du Christ {les Bergers devant la crèche; Marxhe et
Adoration des Mages) et pour finir la transcription de Liszt sur la
Marche de Rakocsy .■
L'exécution sera superbe, à en juger par la répétition générale,
qui a eu lieu hier Liszt y assistait et a vivement complimenté Franz
Servais sur lexcellente interprétation qu'il donne de ses œuvres.
Le Salon annuel des Aquarellistes restera ouvert jusqu'au
30 courant.
Joseph Wieniawski, l'excellent pianiste, vient de terminer une
grande et brillante tournée de concerts qu'il avait entreprise dans le
sud de la Russie et en Pologne. Il a donné vingt-sept concerts dans
les villes suivantes : Kieff, Elisabedgrad. Nicolaïeff, Krementschong,
Pultava, Kharkoff, Koursk. Kischeuieff, Ëtcaterinoslaflf, Odessa,
Soummy, \Vilna, Kowno, Grodnoi, Varsovie, Bialystok, Lublin,
Radom, Petrikan et Kalisch.
Un grand capitaliste de Londres vient d'avoir ime idée assez ori-
ginale. Il se propose de fonder une société qui se chargerait de louer
■à des particuliers des tableaux de maîtres, pour un certain t^mps,
tout comme on loue des livres.
.On pourrait ainsi s'offrir pendant plusieurs mois la jouissance de
contempler de belles peintures sans être forcé de les acheter.
Par exemple, comme ledit capitaliste est défiant, il exigera des
locataires de tableaux une caution suffisante pour répondre des chefs-
d'œuvre prêtés.
La commission pour le monument à élever à Eugène Delacroix
s'est réunie à Paris, la semaine dernière, sous la présidence de
M. Auguste Vacquerie.
Le trésorier a rendu compte des sommes recueillies, tant par là
souscription ouverte que par les entrées à l'expositioa.
Le produit de la souscription a .été de .... . 32»4ru 50
Et celui des entrées à l'exposition de G8,204 30
Total. .* . 100,635 80
Dont il. a à déduire le montant des frais 20,407 92
Reste un produit net de ... 80,227 88
On s'est occupé ensuite de la question de savoir si le monument
serait mis au concours. La majorité a été d'un avis contraire Une
des raisons déterminantes de cette décision a été la lettre d'Eugène
Delacroix, dans laquelle il se déclare hostile au concours.
Il ne restait plus qu'à cboisir le statuaire à qui le monument
serait confié; la réunion a choisi M. Dalou,
PIAIVir^C BRUXELLES
I M IM WO rue Thérésienne; 6
VENTE ^___ ___^
ÉCHANGE GUNTHER
LOCATION ^^^ii^*^ «KiiLAiA^.A^
Paris 1867, 4878, l'"" prix. — Sidncy, soûl l*"" et 2« prix
EXPOSITION AnSTERDAI 1883, SEUL DlPLOflE D'HONNEOR.
J. SOHAVYE, Relieur
46, Rue du Nord, Bruxelles
CARTONNAGES, RELIURES ORDINAIRES, RELIURES
DE LUXE, ALBUMS, ETC.
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Bruxelles. — Imp. Félix Oallbwabkt père, rue de 1 Industrie, 20.
Cinquième année. — N** 24
Le numéro. : 25 centimes.
Dimanche 14 Juin 1885.
-ù
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser les demandes d'abonnement et toutes les communications à .
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
^OMMAIRZ:
Le Salon de Pari3. (Quatrième et dernier article). — Hommage
A Liszt. — Le paysage urbain. — L'art industriel. — Expo-
sition DE Rotterdam. — Chronique musicale de Paris. — Livres
nouveaux. L'œuvre complète de Victor Hugo. — Chronique judi-
ciaire des arts. — Théâtres. — Mémento des [expositions et
concours. — Petite chronique.
lE SAIOX DE PARIS
Quatrièrtie et dernier article*.
Un peintre parisien, dont nul chauvinisme n'a égra-
tigné la sincérité, nous disait récemment : « Si, au lieu
de les disperser, on réunissait dans une salle tous les
envois étrangers, leur voisinage serait redoutable pour
l'école française. Au Salon, quand une toile m'arrête
et que j'en cherche l'auteur au catalogue, c'est, neuf
fois sur dix, un-Belge, ou un Hollandais, ou un Améri-
cain ".
Adressé à un étranger, le mot était aimable. Peut-
être est-il vrai. Tandis que, semblables aux écureuils
qui font tourner leur cage sur place, bon nombre
d'artistes français restent, depuis des années, emprison-
nés dans les formules et les conventions, on rencontre
dans d'autres milieux des tentatives nouvelles, des
pointes audacieuses hors du sentier battu.
Déjà nous avons signalé la part qu'a prise la Belgique
au Salon de 1885 et nous n'y reviendrons pas.
(') Voy. Y Art moderne des 17 et 24 mai et 7 juin 1SS5.
La Hollande affirme, avec Isaac Israëls, les tendances
nouvelles d'un art d'impression dont la formule défini-
tive n'est pas encore trouvée, mais qui paraît destiné à
absorber, dans un délai rapproché, l'école réactionnaire
qui depuis si longtemps a relégué la Néerlande aux
arrière-plans. Le Départ pour les Indes, qu'on a
admiré au dernier Salon de Bruxelles, est un appel
aux armes, sonnant clair et fort dans le grand silence
où s'endormait l'art batave. C'est la déclaration de
guerre aux poncifs de l'atelier, le premier boulet rivé
lancé dans le camp des imagiers qui exerçaient tran-
quillement leur petite industrie, en piétinant le souve-
nir des fiers artistes qui illustrèrent le pays, les Frans
Hais, les Rembrandt, les Pieter de Hoogh, les Metzu,
les Terburg, les Steen, les Ostade.
Le jeune maître a brusquement ouvert la porte au
plein air, et le courant qu'il a établi a donné la, bron-
chite aux catarrheux que son apparition a mis en
déroute. A ses c«jtés marche une pléiade de jeunes
hommes de taille à rendre à leur pays la place qu'il
occupait jadis. On peut voir à Anvers le résultat de
leurs efforts. Nous saluons joyeusement cette avant-
garde de l'armée nouvelle.
Le Etats-Unis ne fussent-ils représentés à Paris que
par Whistler, qu'encore Técole américaine eût di^oit à
tous les respects. Mais d'autres noms, moins connus,
justifient l'observation courtoise que nous rapportions
plus haut.
Ce n'est pas que tous les artistes du Nouveau-Monde
aient une originalité absolue. Sans parler de Sarment,
qui s'engage, non sans péril, dans la voie qui a conduit
Carolus Duran au précipice où il s'est laissé choir de
toute sa hauteur. M, Boggs, le poète délicat des carre-
fours et des boulevards parisiens, n'est-il pas trop
préoccupé du souvenir de Luigi Loir? La palette de
M"® Dunean n'est-elle pas un reflet fidèle de celle
d'Alfred Stevens? M. Harrison, dont la Vogue, placée
à la rampe, a été remarquée, n'a-t-il pas emprunté :à
y Gérôme sa facture minutieuse et lisse? M. Walter
Ewen, qui expose cette toile charmante : La IcUre;
intérieur hollandais, ne s'est-il pas assimilé le coloiis
un peu éteint de Fritz von Uhde? M. Curtis, dans son
Intérieur de Saint-Marc surtout, ne s'est-il pas
inspiré des tonalités jaunâtres de Mancini ? Et
M. Butler, dont le curieux portrait a été relégué dans
le voisinage du plafond, na-t-il pas visiblement engagé
sa barque dans le sillage de Whistler ?
Peut-être ces analogies sont-elles involontaires. Peut-
être le hasard seul a-t-il malicieusement provoqué de
simples coïncidences. Quoi qu'il en soit, ce groupe exo-
tique est intéressant à étudier. Il s'y révèle des talents
laborieux, sérieux, sympathiques, qui font bien au-
gurer de l'avenir de l'école. >
Au surplus tous sont jeunes, et ce n'est pas au sortir
des classes qu'on rencontre la personnalité.
M. Luigi Loir, dont le nom nous revenait tantôt en
mémoire, est Autrichien de naissance, mais sa rési-
dence prolongée à Paris en a fait, à n'en pas douter, un
Parisien. II est Parisien par l'esprit de son pinceau, par
l'interprétation des sujets qu'il traite, tous choisis dans
l'enceinte de la grande ville. Son Paris port de mer,
compte parmi les œuvres les plus belles de cet artiste
charmant, si original dans son art, si vrai et si con-
vaincu dans l'expression des coins dé vie parisienne
qu'il note au passage et fixe sur la toile.
Parmi les artistes Scandinaves, lious retrouvons à
Paris M. Peter Severin Kroyer. que la dernière expo-
sition des XX a mis en lumière et dont le Déjeuner
d'avalistes fait au Salon un excellent effet; puis,
M. Richard Bergh, qui expose un superbe portrait au
pastel."^, M. Michael Ancher, peintre danois comme
M. Kroyer, est moins heureux que son compatriote.
Son portrait de femme est guindé et dur, mais d'une
sincérité naïve qui lui donne, malgré tout, de l'attrait.
Deux artistes anglais méritent une- mention :
M. Swan, qui a été l'un des héros du Salon vingtiste,
et M'^® Annie Ayrton, qui continue à brosser ses
natures mortes d'une main virile. M. William Stott,
qui avait donné tant d'espérances, n'est pas en progrès.
La grande toile qu'il intitule Mon père et ma. mère,
sombre et désagréable, fait regretter l'époque où l'ar-
tiste brossait magistralement sa Baignade en belles
coulées de pâtes onctueuses et savoureuses.
M. Richard Friese et ses Brigands du désert T^diV-
tagent avec M^^^Uhde l'attention que les Parisiens
veulent bien accorder a l'Allemagne. Comme art, nous
plaçons le second bien au dessus du premier. Mais on
ne peut mécannaître à M. Friese une science appro-
fondie de la forme. Il y a en lui l'étoffe d'un sculpteur
peut-être, d'un bénédictin à coup sûr. Rien ne peut
donner une idée du travail minutieux qu'il s'impose
pour exprimer, dans la rigueur de leurs contours,
l'attitude des animaux qu'il se plaît à représenter. La
lionne qu'il montre de dos, guettant sur une côte nue
la caravane campée dont les feux montent lenteriient
du vallon dans le calme du soir, est le morceau le plus
extraordinaire de cette œuvre tourte de patience et de
labeurs implacables.
Si l'Espagne n'a vraiment à exhiber que des enlumi-
neurs de la force de M. Câsanoya y Estorach, l'auteur
de cette image de grand format intitulée Les derniers
7noments de Philippe II et accompagnée, en manière
de notice, d'une demi-page de XHistoire d'Espagne^
bénissons-la d'avoir borné à ce seul cadre sa partici-
pation au Salon.
Cette grande surface peinte, qui s'en ira sans doute
un jour orner quelque musée de pièces anatoniiques où
elle trouvera sa vraie place, — au dessus de la porte
d'entrée, — occupe tout un panneau, — dans le Salon
d'honneur, s'il vous plaît, en face du Travail de RoU,
tout comme s'il s'agissait d'un tableau de valeur. ;
Elle est flanquée d'un côté du plafond de M. Jean
Brunet destiné à l'hôtel-de-ville de Poitiers.
Vous avez bien lu : du plafond. Et ce plafond est
appendu au mur, comme un tableau quelconque, sans
le moindre souci des raccourcis grotesques," des poses
vraiment comiques qui résultent, de cette exposition
anormale.
Oh ! l'^tmour-propre des municipalités de province !
Oh ! la passion effrénée de la réclame qui pousse
l'artiste à compromettre pour elle le succès de son
œuvre! . '
De l'autre côté la, massive galopade de M. Fritel
exhibe le monstrueux défilé de ses chevaux de labour
entraînés, avec leurs cavaliers, dans on ne sait quelle
apothéose d'hippodrome à intentions patriotiques. La
Marseillaise -^ en majeur — paraît devoir être
l'accompagnement nécessaire, la ritournelle si vous
préférez, de cette composition emphatique dont le sym-
bolisme n'exclut pas la banalité.
Nous voici retombés, avec MM. Brunet et Fritel, dans
la peinture française, et nous en profiterons pour exa-
miner rapidement, dans une dernière promenade à tra-
vers les salles, les quelques toiles dignes d'attention
dont nous n'avons pas eu l'occasion de parler en ces
brèves études.
Voici le tableau de M. Henry Lerolle : A Vorgue.
Il a été défini d'un mot incisif par M. Degas, qui est, en
même temps qu'un des plus merveilleux artistes de
l'époque, l'esprit ie plus mordant de son temps.
En pafîsant devant l'oeuvre en question, M. Degas
a dit simplement : « Tiens! une jeune personne qui
chante dans la paroisse de Fantin-Latour! "
L'imitation n'exclut évidemment pas le mérite. Mais
ici, cône sont pas les qualités seulement de l'auteur de
Y Etude que M. LeroUe a jugîé à propos de' s'assimiler.
Il a pris à Fantin et son coloris, et sa facture un peu
timide, et la disposition de ses groupes. Ce qu'il n'a pu
lui ravir, c'est la flamme intérieure qui anime toutes les
figures du maître tandis que, les personnages de M. Le-
rolle ne sont que des poupées de carton. '-
Voici Lhermitte et son allégorie le Vin. Dessin serré
et savant, couleur indécise, brouillée, peu sympathi-
que. Combien la vue des superbes dessins 'de l'artiste
repose des tons crus de sa peinture ! Voici Dagnan-
Bouveret et ses deux Chevaux à Vabreuvoir, évi-
demment nés dans les haras de Bastien-Lepage, trop
grands d'ailleurs, et ne présentant qu'un médiocre
intérêt. Voici Duez, qui a caressé avec amour, du
bout de son pinceau, un intérieur d'atelier dont la somp-«
tuosité doit être le rêve de toutes les femmes du monde
qui se salissent les doigts dans la peinture ; Jules Breton
et ses paysanneries d'opéra-comique; Jules Dupré et
ses colorations brutales, forçant l'éclat de la nature ;
Falguière, qui ravage de plus en plus les plates-bandes
de Henner; un nouveau venu, Eugène Carrière, qui
expo.se deux jolies toiles, l'jE'n/an^ tnalade et Le favori,
simple accord de deux tons, le brun et le blanc.
\'oici, pour finir, l'armée des paysagistes : Pointe-
lin, qui excelle à exprimer l'heure indécise où s'al-
lument les étoiles dans la splendeur du silence sacré des
soirs ; Harpignies, le styliste mei^veilleux dont la vision
est traversée par les pompes des fresques antiques;
Pelou.se, Guillemet, Petitjean, Barau, Bernier, Binet,
Nozal, Dameron, Damoye, Yon, Peraire, Emile Bre-
ton, Camille Dufour, Daubigny, Dubuisson, qui per-
pétuent avec plus ou moins de bonheur les traditions
de l'école; Casile, venu de Marseille, qui a rapidement
fait sa trouée à côté de ses aînés; Montenard, fidèle à
la lumière éblouissante, à la mer de cobalt, aux ciels
limpides et profonds du Midi.
Dans la section des gravures, on remarquera les
belles lithographies de Fantin : une illustration pour
les Troycns de Berlioz, la scène des Filles du Rhin
dans le Gôtterddmmerimg, l'apparition d'Erda à
Wotan, puis une composition symbolique destinée à
servir de frontispice à une nouvelle série que prépare
le maître et qui unira dans un cycle les musiciens qui
répondent le mieux à l'idée moderne : Schumann,
Berlioz, Wagner, Brahms. Puis encore les eaux-
fortes de Waltner, Delaunce, Redon, sans oublier les
belles gravures de notre compatriote Danse d'après le
Titien, Memling et Wauters; les portraits à la pointe
sèche de Louis Lenain, et les deux paysages, malheu-
reusement assez mal placés, de Storm de Gravesande.
Quant à la sculpture, elle est cette année particuliè-
rement médiocre. On a vanté le groupe de Jules
Dalou, et peut-être a-t-ôn fait trop de bruit autour
d'une œuvre estimable, sans doute, qui niera le talent
de l'artiste? mais qui ne donnera, somme toute, point
de gloire nouvelle à l'auteur du bas-relief de Danton.
On peut reprocher, avec quelque vraisemblance, au
jeune maître de s'être inspiré trop directement de Jor-
daens, dont le Triomphe de Silène paraît être la
transposition en plâtre. L'exécution trahit une cer-
taine hâte d'exécution; quelques morceaux ne parais-
sent pas accordés exactement avec d'autres ; la plupart
manquent d'âpreté. Bref, l'ensemblg ne satisfait pas
entièrement. Le Tombeau de Blanqui, du même
auteur, plaît davantage par la simplicité du travail et
la conception vraiment grande du sujet.
On a vanté aussi le Souvenir d'Antonin Mercié, qui
ne nous semble pas dépasser une «loyenne ordinaire.
L'œuvre est à la portée de bon nombre de sculpteurs
italiens, aptes à simuler dans le marbre des voiles trans-
parents ou des vêtements flottants, à modeler des
colombes emblématiques, et le Campo-Santo de Pise
recèle des monuments qui ne paraîtraient nullement
déplacés à côté de la femme éplorée de M. Mercié,
''Quant à M. Falguière, il s'est borné à exposer, eii
bronze, la Nymphe chasseresse qui avait figuré, sous
les espèces du plâtre, aujprécédent Salon et dont nous
noussommes occupésen son temps. .
On n'attend pas de nous que nous passions en revue
les mille soixante-cinq bronzes, plâtres, marbres et
cires qui se prélassent sous la toiture vitrée du Jardin
de l'industrie. Ce serait d'ailleurs besogne fastidieuse.
A part le superbe buste d'Antonin Proust par Rodin,
à part un bronze mal construit mais d'un sentiment
raffiné dû à M""' Cazin, à part quelques rares œuvres
dignes de remarque, parmi lesquelles le groupe de
M. Croisy destiné à glorifier le général Chanzy et
l'armée de la Loire, il n'y a vraiment qu'un ensemble
de productions médiocres, banales ou ridicules. Et
parmi nos compatriotes M. Charlier est le seul qui se
4 tire honnêtement d'aftaire.
Ne terminons pas cet examen sans signaler, parmi
les médaillés, le superbe envoi de M. Roty, un
artiste vraiment distingué, consciencieux et passé
maître dans son art. Avec le sens subtil de la décora-
tion, de la disposition ingénieuse des accessoires, de la
combinaison des inscriptions, il a, en outre, la science
des grands médailleurs de la Renaissance. Pour la pre-
mière fois, on a accordé à la section généralement un
peu effacée des graveurs sur médailles, une médaille
de première classe, et c'est M. Roty qui l'a obtenue.
192
UART MODERNE
Semblable récompense a peu dé prix à nos yeux, on le
sait. Mais nous sommes néanmoins heureux pour l'ar-
tiste que son mérite rare ait été reconnu par ses pairs.
Et c'est par cet éloge sérieux d'un graveur vraiment
supérieur à la situation modeste qu'il occupe, que nous
clôturons la. série, peu louangeuse en général, de nos
études sur le Salon de 1885.
Ja',yOMM/QE A JiI?^T
Anvers a fêlé par l'exéculion de quelques-unes des œuvres
symphoniques du maître la visite de Liszt à l'Exposition univer-
selle.
Franz Servais, qui dirigeait le brillant orchestre des Concerts
populaires, transporté tout entier à Anvers, chefs de pupitres et
comparses, avait fiiit un choix judicieux des compositions les
plus remarquables de l'illustre artiste. Aux inspirations mysti-
ques du Christ succédaient les envolées des Poèmes sympfw-
niques^ où souffle en tempête le vent des combats, que le cri du
clairon, le heurt des sabres, le choc des armures emplissent de
leurs sonorités.
ut Liszt est dans ces deux termes : religiosité tempérée par
la mondanité des prélats itah'ens, aspirations chevaleresques
touchant parfois au théâtral.
Le symbole de son art, c'est la figure de ces moines-soldats
d'autrefois qui, leurs dévotions terminées, ceignaient le glaive
et montaient à cheval, redoutables sur les champs de bataille
comme ils avaient été recueillis dans l'oraison.
La musiq'ic de Liszt évoque des cortèges pompeux couronnés
de panaches et d'aigrettçs, d'oriflammes claquant au vent. Dans
sa jeunesse, le virtuose se présentait sur l'estrade en bas de soie
et culotte courte, l'épée au côté et le claque à la main. C'était
l'époque où, très naïvement, on ne comprenait l'art qu'accom-
pagné d'une pointe de charlatanisme. Tout comme pour vendre
des crayons on se croyait tenu de coiffer un casque et de chaus-
ser des bottes à l'écuvère.
De là sont nés les cheveux longs, les sombreros et les gilets
écarlales.
Les vestiaires romantiques recèlent ces défroques. Mais bon
nombre d'artistes du temps ont laissé dans leurs vers, dans leurs
toiles, dans leur musique, des traces de ces modes oubliées.
L'épée que portait Liszt dans les concerts, et le claque légen-
daire apparaissent en maint endroit de ses œuvres.
Ce qui n'empêche pas celles-ci d'être vibrantes, d'une belle
allure, traversées d'héroïsme et d'enthousiasme.
Le Tasse, c'est, en une phrase triste et lente, le récit des
tourments du Poète, la pauvreté de Mantoue, la captivité de
Ferrare, terminée, dans une explosion de fanfares, par l'apo-
théose des funérailles faites au Capitole par toute la population
romaine.
Dans Orphée, \cs arpèges des harpes, soutenus par les harmo-
nies célestes des flûtes et des hautbois, domptent la furie de
l'orchestre qui gronde, et clame, et hurle des accords rauques
jusqu'à ce que, graduellement, s'éteigne l'aboiement des contre-
basses, des bassons et des tubas dans la mélodie douce du
chantre divin.
Une galopade d'étalons, Mazeppa emporté à travers les roches
et les buissons de ronces, l'épouvanle, la douleur, l'horrour du
sîteet de la siîuatron jointe aux tourments de l'âme, -^ tel est
le troisième des poèmes qu'a fait entendre Franz Servais.
Et comme antithèse à ces peintures largement décoratives, les
Bergers devant la crèche, V Adoration des Rois Mages, le prélude
de Sainte- Elisabeth, trois tableaux réfléchis cl calmes, reflétant
dansJa sérénité de leurs contours tranquilles la foi, la piété, la
tendresse.
De toutes ces œuvres, YAdoratùm des Rois Mages est peut-
être la plus belle. La marche des rois à la recherche du chemin
de Bethléem, l'apparition subite de l'étoile, l'arrivée devant la
crèche, sont magistralement décrites.
Mais ici encore se glisse on ne sait quel ressouvenir de théâtre,
de costumes, de magnificences inventées par la hiérarchie des
Lapissida. Ah! cher maîlre, dans cette religion dont vous vous
êtes plu à chanter les gloires, ne sont-ce pas les pompes du culte
qui ont seules séduit votre œil d'artiste? El le scepticisme
n'a-l-il pas marqué de sa griffe ces méditations par lesquelles
vous avez traduit, en langue chrétienne, vos pensées poétiques?
Une fête de ce genre devait réserver une place à la virtuosité.
Celui qui fut le plus merveilleux pianiste du siècle a écrit pour le
piano des œuvres qui resteront : le concerto en la, que M™^ Falk-
Mehlig a interprêté avec beaucoup de talent, est du nombre. Il a
fait planer au dessus de Liszt compositeur la mémoire de Liszt
virtuose, mêlant dans une même apothéose le passé et le présent.
Et le rythme triomphal de la marche de Rakoçsy, l'hymne
guerrier que le maître a superbement transcrit, a couronné
l'enfant de Hongrie du souvenir de la terre natale, tandis que les
acclamations de la foule lui donnaient l'assurance qu'il avait
conquis, à côté de sa patrie d'origine, la grande patrie de
l'humanilc.
~' LE PAYSAGE URBAIN
Les réflexions suivantes du Journal de Brtixelles, auxquelles
nous nous rallions, trouvent tout naturellement leur place dans
VArt moderne, qui a si souvent fait campagne en faveur du
Paysage urbain :
Le panorama de Bruxelles dont on jouit du péristyle du Palais
de justice est un des plus beaux qu'on puisse voir : le faubourg
de Molenbeek, les plateaux de Kookolbergh, Laeken, se déve-
loppent comme un immense amphithéâtre sur lequel se détachent
en profil la flèche de l'Hôtel de Ville, la lour de l'église des Mi-
nimes., le pittoresque campanile de l'église de la Chapelle et un
grand nombre de clochetons brisant la ligne droite, émergeant
des brouillards du bas de la ville, accrochant la lumière, formant
l'ensemble le mieux fait pour séduire un artiste. Comme fond
de décor, le parc de Laeken, aux masses sombres en hiver, ver-
doyantes en été, sur lesquelles tranchent en tons clairs l'église de
Laeken et le monument de Léopold I". Rien de plus joyeux par
un rayon de soleil, de plus grandiose quand le ciel est sombre.
Les aspects capricieux ev heurtés de ce paysage font un con-
traste saisissant avec les majestueuses colonnes, les grandes
lignes du Palais de Justice qui lui font un encadrement merveil-
leux. Aussi le spectacle dont on jouil sous le portique de la rue
de la Régence est-il peut-être supérieur à celui qu'on peut admi-
rerdu haut du grand escalier extérieur. Nous signalons ce point
de vue aux dessinateurs. Il y a là un sujet magnifique à traiter
pour un journal illustré.
LART MODERNE
193
Or, à voir les palissades qui délimitent actuellement la place
Poelaert, il estàxraindreque ce magnifique point de vue ne soit
détruit par les couslructions à élever sur les terrains vagues.
Dans ce cas, les artistes, les amateurs du paysage urbain feraient
bien de se dépécher pour contempler une dernière fois le splen-
dide horizon que les maisons vont cacher.
Mais nous espérons bien que la ville de Bruxelles, qui est à
bon droit soucieuse de ses intérêts artistiques, veillera à con-
server le panorama de la place Poelaert, comme elle a conservé
celui de la rue de la Régence, à côté du Palais des Beaux-Arts,
et celui de la place du Congrès. Il suffilpour cela de fixer la limite
des terrains à bûlir au niveau de l'hôpital militaire, de manière
que la lourde l'église des Minimes reste visible du péristyle du
Palais de Justice, il sera nécessaire aussi, pour les constructions
à élever plus tard au premier plan de la rue des Minimes, d'im-
poser une servitude altius non tollendi. )
Nous espérons bien que l'altenlion des architectes officiels de
la ville sera attirée sur ce point et qu'ils veilleront à conserver à
Bruxelles un de ses plus beaux aspects.
Ja'^RT INDU^TI^IZL
Monsieur lk Directeur,
Après avoir relu le remarquable discours de M. Slingeneyer, il
m'a paru que la question si importante de l'Art industriel n'avait pas
été posée sur son véritable terrain.
Il y aurait, me semble-t-il, a en faire l'historique, qui peut se résu-
mer en quelques mots.
Nous connaissons la valeur de l'Art industriel du moyen-âge, nous
l'admirons dans les moindres objets, dans les plus infimes ustensiles.
Nos collectionneurs se les procurent à prix d'or, et nos industries de
luxe s'efforcent (fort maladroitement souvent) de copier les types
splendides qui nous restent.
On sent dans chacun de ces objets l'expression complète d'une
époque, et aussi ce quelque chose d'original, de personnel, qui est
l'expression artistique d'une individualité.
Cet art s'est perpétué durant sept siècles, toujours varié, original
et puissant, quintessenciant chaque siècle, s'adaptant aux mœurs,
aux nécessités : nous le voyons passer par les différents gothiques,
par la Renaissance, le Louis XIII, le Louis XIV, le Louis XV et le
Louis XVI.
Puis brusquement il disparaît.
Pourquoi ? \
L'histoire répond à cette question.
La Révolution française, renversant toutes les institutions d'au-
trefois, bonnes et mauvaises, supprime les Guildes.
Plus d'apprenti, ni de maître; tous ouvriers et égaux; plus de
contrainte, chacun libre d'exercer son métier à sa guise.
Mais dès lors, plus d'écoles non plus, plus d'initiation, partant
plus, de garantie d'exécution parfaite, ni de perfectionnement : la
chaîne est rompue — et nous voyons maintenant où sont tombés les
arts industriels, et les métiers eux-mêmes.
Après 1789, l'on peut dire que le goût disparaît, et du mobilier, et
de la construction, et en général de toutes les industries où il âoris-
sait autrefois.
De cette période de 1789 jusqu'à nos jours, il ne restera rien, rien
d'original, presque pas de copies convenables, certes pas une pièce
digne d'être conservée pour l'éducation artistique de nos descen-
dants.
L'on a détruit l'apprentissage, et Ton n'a rien mis à la place. Voilà
bientôt un siècle que cette lacune existe : un Biècle,, le seul qui ne
possède pas de style propre.
Et en ce moment où partout renaît le luxe, où les mœurs affinées
réclament l'objet artistique et de bon goût, la France seule, instinc-
tivement pour ainsi dire, et grâce à ses musées si intelligemment
créés, et chaque jour augmentés de nouvelles richesses', a su se
préoccuper de l'éducation de ses artisans.
Elle a monopolisé longtemps la production de l'objet de luxe; elle
a l'étiré des millions rien que des droits d'exportation.
Aujourd'hiii elle craint des concurrents redoutables: l'Allemagne,
qui s'efforce de créer des types originaux et dont on a pu admirer le
sens artistique à la dernière exposition dart industriel de Dussel-
dorf, et l'Angleterre, qui, malgré l'esprit vraiment réfractaire de
son peuple aux choses de l'art, a créé son splendide Kensington
Muséum, et consacre des millions à inculquer le goût du beau à ses
artisans et à ses artistes. «.
Et nous, Belges, au milieu de ce mouvement, nous nous isolons!
Rien ne se fait. Nos voisins marchent de l'avant, et nous fermons
les yeux pour ne pas voir : le système de l'autruche. — toujours.
Nous avons eu.au moyen-âge un art industriel national d'une vita-
lité excessive, d'une-originalité réelle, et nous en arrivons a faire...
des meubles de Malines ! . -
Des écoles industrielles devraient se créer partout, avec des pro-
fesseurs compétents, et certes les bourses qu'on accorderait ne le
seraient pas en pure perte, comme cela arrive trop souvent pour les
élèves de nos académies. Enfin, il faudrait réunir peu à peu dans
des musées des types parfaits de toutes les époques — car, hélas I
tout est à créer.
Et l'on peut ajouter que ce serait là une mesure sainement démo-
cratique.
Comme vous accueillez toujours toute idée pratique, utile et pro-
gressiste, je me permets de vous présenter celle ci, espérant que si
vous la jugez capable d^intéresser les hommes compétents, vous lui
accorderez votre bienveillant appui.
Veuillez agréez, Monsieur de Directeur, l'assurance de ma par-
faite considération.
. Léon Abry.
Nous rappelons à notre correspondant, dont les observations
sont parfaitement ju/tes, que nous avons fait campagne, à di-
verses reprises, en faveur des idées qu'il préconise, et notamment
dans deux études sur l'art décoratif publiées en août 1883.
Nous y réclamions instamment la création d'une école et d'un
musée d'art industriel.— Voy. VArt moderne i%^2> , pp. 245,253.
Voy. aussi id. p. 280.
JJXPO^ITION DE Î^OTTZRDAM
On nous écrit de cette ville :
Le Salon triennal, ouvert depuis le 2 juin, est, comme la plu-
part de ses semblables, un mélange hétérogène de quelques très
belles toiles et d'une quantité de choses au dessous de toute
critique.
J. Maris y brille au premier rang, avec une de ses plus belles
œuvres, un port éclairé par le soleil couchant. Les tons soni
chauds, cuivrés, et le tableau est d'une grandeur de conception
merveilleuse. Mieux encore qu'à Anvers, Maris s'y montre l'ar-
tiste de génie qui unit à l'emportement d'un Shakespeare les
inégalités de tous les vrais peintres. Après lui viennent Israëls,
dont la Pêcheuse assise sur la plage est d'une tonalité grise,
distinguée; Blommers, avec des enfants jouant dans une mare
ensoleillée; W. Maris, avec une petite loile scintillante et fine.
Mcsdag a envoyé de belles marines, fraîchement peintes, et
justes d'impression; Mauve, des vaches et des mouloiis, dans la
gamme (pi'on lui connaît, pleine de sentiment; De Bock, un Spii\
grandement compris, d'une belle allure; Neuhuys, des scènes
rustiques d'une couleur savoureuse.
Terme'ulcn, Artz, Gabriel, Backhuysen, Tony Offermans,
Wysinuller, Zilcken, Du Chatte!, Tholen, Poggenbeek, Van Esscn,
Slorm, sont plus o.u moins bien représentés. Les Oyens ont
chacun une petite toile excellente.
Signalons encore une couple d'envois intéressants de jeunes :
de W. Witsen, un Laboureur au repos^ toile assez considérable,
d'une sincérité remarqual)ie dans sa tonalité fine, et de M'"*^ Wally
Moos des Gamins jouant par terre, tableau où par endroits se
révèle un réel talent de peintre, rare à un tel degré chez une
femme.
En résumé, rien de nouveau, aucune révélation. Les maîtres
se maintiennent à la hauteur de leur réputation, et leurs imita-
teurs sont nombreux. Une moyenne ordinaire.. Il est vrai que
\'?s plus intransigeants des jeunes. Van der Maarel, Breilner et
do Zwart, n'ont rien exposé, et qu'en revanche une quantité
trop considérable de toiles désespérantes se pavanent à la rampe,
taudis que plusieurs des meilleures sont placées si haut qu'on
ne peut guère les bien voir.
. CHRONIQUE MUSICALE DE PARIS
La nouveauté de la semaine dernière a été, à rOpéra-Comique, la
reprise de : le Roi l'a dit de Gondiuet et Delibes.
Tous les ans, à pareille époque, la direction de l'Opéra-Comique
ajout*' un ouvrage à son répertoire. H y a deux ans, on reprenai
lu Perle du Brésil : l'année dernière on nous servait trois ouvrages
en un acte, dont pas un seul n'a reparu, pas même l'Enclume de
Pfeiffer ; cette année nous assistons à la reprise du Boi l'a dit.
Il ne faut pas se faire d'illusions sur ces solennités tropicales qui
n'eut qu'un but : redonner un certain lustre au répertoire cou-
rant pour mieux défier la canicule et permettre à la salle- Favart
df bien se comporter jusqu'à la fermeture, qui a lieu fin juin. Le plan
est bon, mais il échoue généralement par la faute des trente-cinq
degrés de chaleur qu'aucun spectateur ne se sent disposé à braver.
Donné eu 1873, l'ouvrage n'eut pas un grand retentissement; il
sombra devant ririditïérence inexplicable du public qui, en général,
ne reconnaît de mérite qu'aux auteurs consacrés : or, depuis cette
époque, le nom de Delibes ayant grandi sous l'égide de Jean de
I^'iveiles et de Lahné, la sympathie est venue et /* Roi l'a dit en a
tout naturellement bénéficié. C'est l'opéra- comique dans son accep-
tion la plus vraie, perfection du genre par l'union étroite et l'équi-
libre parfait du poème et de la musique.
La donnée de la pièce est drôle et M. Gondinet en a tiré tout le
parti désirable.
C'est l'histoire d'un brave homme de marquis, solennel mais pas
fort, qui, dans une présentation à Louis XiV à perdu contenance,
répondant oui à toutes les questions du monarque et «'affirmant ainsi
père d'un fils qu'il n'a jamais eu. Pour ne pas être soupçonné d'avoir
menti, notre marquis invente un fils en la personne de Benoît, sim])le
paysan que l'on crée grand seigneur. Benoit commet fautes sur
fautes, se bat en duel et passe pour mort : le roi Soleil ayant envoyé
ses condoléances au marquis, celui-ci eu profite pour se débarrasser
de Benoît et pour le renvoyer à sa basse-cour, la seule cour où il
soit dans son élément.
On le voit, c'est léger, mais amusant : il en est de même de la
musique, qui dit juste ce qu'il faut et n'a pas la prétention de mar-
quer une époque, Mais quelle heureuse facilité, quelle grâce aimable
dans les contours et quel épanouissement dans ces "trois actes qui
constituent le plus charmant badinage musical qui soit au théâtre.
Il y a une délicatesse d'écriture harmonique et d'orchestration
qui ii'avait pas échappé aux critiques musiciens lors du début.
Mais le public n'avait pas ratifié. Aussi va-t-il réparer son erreur et
tout sera oublié. Malheureusement : Sctnpta manent et quelques
Scripta vont outrageusement jurer avec l'évolution accomplie. —
En vain, par exemple cherchera-t-on la cause de l'exécution som-
maire que s'est permise feu Clément dans son dictionnaire de la
musique sur le Roi l'a dit, article où l'écrivain part d'un point de
vue faui pour condamner tout l'ouvrage : « La donnée est fausse
dit-il, et la musique manque d'inspiration; rien ne restera ! »... que le
jugement prononcé par feu Clément dans son immortel dictionnaire.
Quel parti ppjs! Quelle étroitesse de vue d'un homme qui croyait
voir juste parce qu'il éreintait tout ce qui ne touchait pas au
sublime en général et à la musique sacrée en particulier! Mais il y a
des chefs-d'œuvre dans tous les genres ; l'éducation des critiques
doit exister dans tous les niveaux et ce n'est pas être supérieur que
d'ignorer le spirituel et le comique.
Rien à dire de la soirée d'adieu de Mme Carvalho, dont le pro-
gramme était composé à l'usage exclusif de nos mondains.
Salle splendide, recette idem — bravos, acclamations, fleurs,
baisers au public, larmes dans la voix, rien n'y manquait.
GUTELLO.
J.1VRE3 J^OUVEAUX
L'Œuvre complète de Victor Hugo. — Extraits. — Edition
du Monument. Un volume de 252 pages, avec portrait et auto-
graphe. Prix : 1 franc. (100 exemplaires sur Japon, numérotés,
10 francs.) Heïzel-Quantin, éditeurs. Paris.
Pour la première fois paraît un volume qui réunit dans chacun
des ouvrages de Victor Hugo des pîiges formant une sorte de
mémento de tous ses chefs-d'œuvre.
Les éditeurs de l'Edition définitive ne varietur appellent ce
livre fait de tous les livres du grand poète Edition du Monu-
ment, la famille ayant voulu que le produit de celte publication
fût entièrement affecté î) la souscription pour le monument que
la France va élever à Victor Hugo.
•Chronique JUDICIAIRE de? y^RTS
Nous avons fait connaître le procès intenté par M. David-Chas-
sagnoUe, petit-fils du peintre Louis David, à M. le marquis de Mor-
teraart, président de la Société philanthropique, sous les auspices
de laquelle était organisée l'exposition des Portraits du siècle, et
contre M. Terme, propriétaire du tableau de David : Marat dans
sa baignoire qui a figuré à cette exposition. La même affaire est
revenue le 6 juin et sous une autre forme devant M. le président
des référés.
M. David-Chassagnolle a exposé qu'il y avait une instance pen-
dante au principal, tendant à faire déclarer que le portrait appar-
tenant à M. Terme n'était qu'une copie de l'original qui, dit-il, est
entre ses mains à lui, David ; que l'exposition fermant ses portes et
les tableaux devant retourner chez leurs propriétaires, il était à
craindre que le tableau en litige ne soit plus à la disposition du
t.tibunal. Il demandait en conséquence la nomination d'un séquestre
chargé de détenir le tableau jusqu'à l'issue du procès.
M. le comte de Mortemart a soutenu que comme il n'y avait
(o
litige entre les parties ni sur hi possession, ni sur la question de
propriété, la mesure demandée ne saurait être accordée.
En cet état, M. le président a décidé qu'il n'y avait lieu à référé.
Théâtre de la Monnaie. — Outre Les Templiers, de Litoiff et
Gwendoline, de Chabrier et Catulle Mendès, M. Verdhurt .montera
vraisemblablement à la Monnaie La fille de Saul, opéra de notre
compatriote Félix Godefroid, dont les auditions à Paris ont eu grand
succès.
Il est également question de Calendal, opéra de MM. Paul Ferrier
et Maréchal. -■
Voici la distribution des Templiers :
Isabelle, M^e Montalba ; Marie de Simians, M'^» Wolff ; René de
Marigny, M. Dereims; Jacques de Molay, M. Bérardiji Philippe le
Bel, M. Dubulle; Enguerrand, M. Renaud; Ghàtillon, M. Dela-
querrière; le Légat, M. Séguier.
Théâtre Molière. — On annonce pour le mercredi 24 juin une
seule représentation extraordinaire, par la troupe du théâtre de la
Renaissance de Paris, d'un des plus grands succès à Paris de l'année
théâtrale : la Parisienne, comédie en trois actes.
Les interprètes seront les créateurs mêmes des différents rôles ;
nous y voyons figurer M''« Antoniny, de l'Odéon, de laquelle la presse
parisienne a fait un si grand éloge.
Un vaudeville en un acte, les Toquades des Martinon ; Vn Début,
comédie en un acte, et différents monologues et poésies compléte-
ront cette charmante soirée.
Alhambra. — La polka dansée au troisième acte des Pommes
rf'0>*, y restera intercalée.
Les enfants paient demi-place.
Deux personnes prenant leurs billets ont droit à l'entrée gratuite
d'un enfant. '
Lundi 15 juin, représentation au bénéfice de M"« Weyns, première
chanteuse.
Le Théâtre royal d'Anvers donnera lundi la première représen-
tation du ballet : Excelsior exécuté par quatre cent cinquante per-
sonnes.
C'est la troupe du théâtre Victoria de Berlin qui donnera ce ballet
fantastique, augmenté d'un texte français traduit de l'allemand.
La représentation sera terminée avant- le départ des derniers
trains d'Anvers. \ ' .
MEMENTO DES EXPOSITIONS ET CONCOURS
Budapest. — Ouverture le 1" juin. Fermeture le 30 septembre,
En deux séries. Délais d'envoi : l""* série, expirés. 2« série, 25 juillet.
Transport aller et retour (petite vitesse) aux frais de la Société hon,
groise des Beaux-Arts. Dépôt à Bruxelles, chez M. Mommen,
25, rue de la Charité ; à Anvers, chez M. Claessens, 12, place du
Poids public. — Secrétariat : Sugarut, 81, Budapest.
Nuremberg. — Exposition internationale d'orfèvrerie, de joaille-
rie, de bronzes, etc. Du 15 juin au 30 septembre 1885.
vSpa. — Ouverture.: 12 juillet. Fermeture : fin septembre. Délai
d'envoi : 30 juin. Écrire à la Commission directrice avant le 25.
Bruxelles. — Vingt-cinquième concours de composition musicaie.
Ouverture le 20 juillet 1885.
Inscriptions au ministère de l'agriculture, de l'industrie et des
travaux publics jusqu'au 11 juillet, à 4 heures Les concurrents qui
n'habitent pas Bruxelles peuvent adresser par écrit leur demande
d'inscription ; à cet etlét, ils déposeront, avant le 7 juillet, leur lettre
avec les pièces à l'appui, entre les mains de l'administration com-
munale de leur localité, qui la transmettra immédiatement audit
ministère.
Les aspirants sont tenus de justifier de leur qualité de Belge et de
prouver qu'ils n'auront pas atteint l'âge de 30 ans au 20 juillet.
Prix du Roi. — Concours de 4886, 1887 et i88S. — Un arrêté
royal du 20 avril courant porte que le prix à décerner en 1886 (con-
cours exclusivement belge) sera attribué à l'ouvrage le mieux conçu
pour développer chez la jeunesse belge l'intelligence et le goût des
littératures ajiciennes et mode- nés.
Le prix à décerner en 1887 (concours exclusivement belge sera
attribué à l'ouvrage qui démontrera le mieux de quelle manière la
Belgique doit comprendre son rôle dans la grande fainiHe euro-
péenne, tant au point de vue politique et intellectuel qu'au point de
vue matériel, pour servir le mieux ses propres intérêts en même temps
que ceux de la civilisation en général.
Le prix à décerner en 1888 (concours exclusivement belge) sera
attribué au meilleur ouvrage sur l'enseignement des arts plastiques
en Belgique et sur le moyen de développer l'art en Belgique et de le
porter à un niveau de plus en plus élevé.
Les ouvrages destinés à ces concours devront être transmis au mi-
nistre del'agriculture, de l'industrie et des travaux publics, àeavoir:
pour le prix à décerner en 1886, avant le 1er octobre 1886, et pour
les deux autres, respectivement avant le 1" janvier des années 1887
et 1888.
Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles. — Concours
annuels. Tous les élèves de peinture et de sculpture habitant
Bruxelles et sa banlieue, quelle que soit leur école, peuvent y pren-
dre part.
Pour chacun de ces concours, une prime de 200 francs est allouée
au premier et une prime de 100 francs au sacond, s'il y a dix concur-
rents au moins.
Dessin et peinture. — 1» Dessin d'après l'antique, 11-16 mai;
2o Peinture : composition historique, 18-23 mai ; 3» Torse d'après
nature, 8-13 juin; 4^ Figure d'après nature, 29 juin-4 juillet.
Sculpture. — 1 Bas-reliefs, 18-23 mai ; 2° Figure d'après nature,
29 juin-4 juillet; 3" Figure d'après l'antique, 13-25 juillet.
Les inscriptions se feront à l'Académie deux jours avant la date
fixée pour l'ouverture de chacun de ces concours.
Vienne. — Concours pour l'érection d'un monument à Mozart.
La place sur laquelle doit être élevé le monument n'étant pas
encore déterminée par 1^ municipalité, le concours reste ouvert.
pETITE CHROI^iqUE
Une commission vient d'être constituée à Paris pour recueillir
des souscriptions destinées à élever un monument à Victor Hugo
sur une des places publiques de Paris, Elle a composé ainsi qu'il
suit son bureau :
Présidents : MM. Victor Schœlcher, sénateur; Paul Meurice,
Vice- présidents : MM. Emile Augier, de l'Académie française;
Léon Bonnat, de l'Institut; Anatole de la Forge, député; Auguste
VitM.
Secrétaires: MM. Emile Blémont; Gustave OUendorff; Gustave
Rivet, député.
Trésorier : M. Philippe Jourde.
Voici quelques renseignements intéressants sur les manuscrits du
poète que la mort vient de frapper.
Les manuscrits de Victor Hugo ont dilïérents aspects; il y en a
qui sont de simples cahiers, non reliés, comme le manuscrit d'Her-
nani; d'autres revêtus de parchemin, avec le titre de 1 œuvre en
grosses lettres d'or, comme le manuscrit du Roi s'amuse
Le. manuscrit à'Hernani est un cahier de grand papier janney
couvert d'une écriture courte et pressée; il porte sur la première
page, cette épigraphe espagnole : Très para una.
Chaque acte est daté au commencement et à la tin ; la pièce a été
commencée le 29 août 1829 et tenniuëe le 25 septembre de la même
année.
Victor Hugo a donné à ses actes non pas un numéro, mais une
classification alphabétique : a, b. <\ d, e, etc. ; sur les marges, on
trouve des dessins, îles annotations et des vers inédits.
Le manuscrit de Marion Delorme porte en sous-titre : Un duel
sous Richelieu, qui a disparu s r la brochure. M. Lockroy père
s'empara de ce titre et eu composa un drame qui obtint certain
succès.
Tous les manuscrits de Victor Hugo existent sauf celui de Han
d'Islande, qui a été perdu, et celui d'Amy Robsart, la premier piecd
du poète, tirée du roman Kenilworth.
Nous recevons de Buenos-Ayres le premier numéro de la Cronîca
»nt««tca/, journal hebdomadaire exclusivement consacré à la critique
musicale, sous la direction de M. J. A. Franceschi. (Urrutia,
Mones y C»» édit). Bonne chance à notre lointain confrère !
Peter Benoit prépare pour le courant de Tété un concert entiè-
rement consacré à la musique de la jeune école française.
La renommée cantatrice belge, M"»e Marie Gabel dont le gracieux
talent a fait passer tant de charmantes soirées au public du théâtre
de la Monnaie, vient de mourir à Maisons- Laffite, près de Paris, à
ïhge de 59 an6. Depuis quinze années, Mme Cabel avait renoncé à la
carrière lyrique.
Le roi de Saxe vient d'envoyer aux artistes du chant et de l'or-
chestre du théâtre de Dres'de une lettre de félicitations à Toccasion
de la première représentation de la Walkyrie de Wagner dans
cette ville. L'exécution est, paraît-il, excellente et l'œuvre a obtenu
un succès d'enthousiasme sans précédent.
L'annonce suivante, cueillie dans un journal de niusique bruxel-
lois, est bien singulière. Nous la reproduisons textuellement :
LA MÈRE, LA FILLE ET LA BRU DÉ LA FAMILLE POTIN,
Poll.a de dispute facil(S et brillante à grand effet. En vente, etc.
Ceux de nos lecteurs qui pourraient nous donner quelques éclair-
cissements, qui pourraient nous dire, notamment, ce qu'on entend
par une pol a de dispute, reMr.î!li6nt un^ service à l'humanité
musicale.
On vient d'inaugurer à Smolensk le monument élevé au célèbre
compositeur russe Glinka. La statue, œuvre de M. Von Boch, eSt
en bronze. Elle a trois mètres de hauteur et est placée sur un grand
piédestal en labrador de Kiew, haut de quatre mètres, qui repose
sur une base de granit à trois gradins.
Des fêtes' musicales ont eu lieu, le l*"" et le 2 juin, à cette oc-
casion. La musique du maître a fait les frais du premier concerta
Le programme portait entre autres des fragments de La Vie pour
le Tsar, les deux Ouvertures espagnoles, le prélude de Rousslane
et Ludmille.
Le deuxième concert était composé d'œuvres des continuateurs de
Glinka, c'est-à-dire de tous les artistes de l'école russe, qui a pris,
depuis quelques années, un si magnifique essor. On y a entendu
diverses compositions d'Antoine Rubinstein, Dargomysky, Tschai-
kowsky, Sérow, Borodine, Rimsky-Korsakow, César Gui, Balakirew
et Napravnik.
', . ^— — — .
On a placé dimanche dernier, sur une maison de jHeiligenstadt,
faubourg de Vienne, une plaque commémorative du séjour que
Beethoven fit jadis dans cette maison. L'inscription que porte celte
plaque est ainsi conçue : « Dans cette maison, Beethoven a habité
pendant les deux premières années de ce siècle. Erigé en 1885. »
C'est la société Beethoven Mdnnergesangverein qui a fait placer
l'inscription. Cette société chorale se propose, en outre, de fonder
une musée Beethoven, où l'on réunira tout ce qui a trait à la vie et
aux œuvres du maître.
Sommaire de la Société nouvelle, mai 1885.
I. Étude ôur la responsabilité, par Jules Puisage. — II. Lettres
de Suisse, par Georges Lorand, — III. Un vagabond. — Prodéistes,
par A, James — IV. Le conflit angle-russe et le nouvel équilibre
européen, par Eugène Hins. — V. Que faire de nos enfants : nos
fils, par H. Bury. — VI. Critique philosphique : Germinal, par
F. Brouez. — VII. Le mois Autriche-Hougrie-France Italie-
Belgique. — VIII. Les livres et revues. — Ce numéro contient un
portrait de Victor Hugo par Belloguet.
Les annonces sont reçues au bureau du journal,
26, rue de V Industrie, à Bruxelles.
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Cinquième année. — N° 25.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 21 Juin 1885.
>>>i.
L'ART
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser les demandes d' ahonnement et toutes les communications à
L administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
?
OMMAIRE
Les Impressionnistes. — Vandalisme anversois. — Littéra-
ture VAGABONDE. Voyage au Mexique. De New- York à Vera-
CruZf par Jules Leclercq ; Le Caucase et la Perse ^ par- Ernest
Orsolle. — SiGURD a l'Opéra. — Mémento des expositions et
concours. — Théâtres. — Correspondance. — Petite chronique.
LES lUPItESSlOXMSTES FRANÇAIS
M. Durand-Ruel, rexcellent imprésario (un autre
mot nous manque) des enfants perdus de la peinturer^
française destinés à devenir ses grands hommes,
comme l'ont déjà prouvé Millet, Corot, Rousseau,
Courbet, qu'il a choisis, soutenus, défendus au temps
où on les laissait dans la misèrre, vient de passer
quelques jours à Bruxelles, avec un lot curieux de
toiles des impressionnistes français. Il les a exposées,
dans sa chambre à coucher, à l'hôtel du Grand-Miroir,
et l'élite de ceux qui s'intéressent aux arts y a défilé.
Degas, Renoir, Claude Monet, et accessoirement Sisley
et Pissaro, étaient les noms des audacieux originaux
dont on y a vu les œuvres. Plus avancés là-bas dans
leur voie, ils font, pour se débarrasser des servitudes
anciennes, des efforts analogues à ceux que font chez
nous Vogels, Ensor, Toorop et Finch.
On se souvient des attaques virulentes dont ceux-ci
furent l'objet lors de la dernière exposition des XX.
Pour juger cet art nouveau, mieux vaut peut-être
considérer des étrangers. On peut compter alors sur
plus de patience et d'impartialité. Plus d'un qui se
montrait violent et impitoyable pour nos artistes que
ïious citions plus haut, fut bien près, chez Durand-Ruel,
d'admirer les autres.
Les Impressionnistes ! qu'est-ce que c'est que ça ?
Dans un livre qui vient de paraître, très ingénieuse-
ment nommé Critique cV Avant-Garde, Théodore
Duret l'expose en quelques pages empreintes d'une
grande netteté et de beaucoup de verve.
« Les Impressionnistes, dit-il, ne se sont pas faits tout
seuls, ils n'ont pas poussé comme des champignons.
Ils sont le produit d'une évolution régulière de l'école
moderne française. Natura non facit saltus pas plus
en peinture qu'en autre chose. Les impressionnistes
descendent des peintres naturalistes et ont pour pères
Corot, Courbet et Manet. C'est à ces trois maîtres que
l'art de peindre doit les procédés de facture les plus
simples et cette touche prioae sautière, procédant par
grands traits et par masse, qui seule brave le temps.
C'est à eux qu'on doit la peinture claire, définitivement
débarrassée de la litharge, du bitume, du chocolat, du
jus de chique, du graillon et du gratin. C'est à eux que
nous devons l'étude du plein air ; la sensation, non plus
seulement des couleurs, mais des moindres nuances
des couleurs, les tons, et encore la recherche des
rapports entre l'état de l'atmosphère qui éclaire le
tableau, et la tonalité générale des objets qui s'y
trouvent peints. A ce que les Impressionnistes tenaient
de leurs devanciers, est venue s'ajouter l'influence de
l'art japonais.
T
' Si vous vous promenez sur le bord de la Seine, à
Asnières par exemple, vous pouvez embrasser d'un
coup d*œi], le toit rouge et la muraille éclatante de
blancheur d'un chalet, lé vert tendre d'un peuplier, le
jaune de là route, le bleu de la rivière. A midi, en
été, toute couleur vous apparaîtra crue, intense, sans
dégradation possible ou enveloppement dans une demi-
teinte générale. Eh bien ! cela peut sembler étrange,
mais n'en est pas moins vrai, il a fallu l'arrivée parmi
nous des albums japonais pour que quelqu'un osât
s'asseoir sur le bord d'une rivière, pour juxtaposer sur
une toile un toit qui fût hardiment rouge, une muraille
qui fût blanche, un peuplier vert, une route jaune et
de l'eau bleue. Avant l'exemple donné par les Japonais
c'était impossible, le peintre mentait toujours. La
nature avec ses tons francs lui crevait les yeux ; jamais
sur la toile on ne voyait que des couleurs atténuées, se
noyant dans une demi-teinte générale.
Lorsqu'on a eu sous les yeux des images japonaises,
sur lesquelles s'étalaient côte à côte les tons les plus
tranchés et les plus aigus, on a enfin compris qu'il y
avait, pour reproduire certains effets de la nature
qu'on^ avait négligés ou crus impossibles à rendre
jusqu'à ce jour, des procédés nouveaux qu'il était bon
d'essayer. Car ces images japonaises que tant de gens
n'avaient d'abord voulu prendre que pour un bariolage,
sont d'une fidélité frappante. Qu'on demande à ceux
l.^m ont visité le Japon. A chaque instant, pour ma
part, il m'arrive de retrouver, sur un éventail ou dans
un album, la sensation exacte des scènes et du paysage
que j'ai viis au Japon. Je regarde un album japonais et
je dis : Oui, c'est bien comme cela que m'est apparu le
Japon; c'est bien ainsi, sous son atmosphère lumineuse
et transparente, que la mer s'étend bleue et colorée ;
voici bien les routes et les champs bordés de ce beau
cèdre, dont les branches prennent toutes sortes de
formes anguleuses et bizarres ; voici bien le Foujiyama,
le plus élancé des volcans, puis encore les masses du
léger bambou qui couvre les coteaux, et enfin le peuple
grouillant et pittoresque des villes et des campagnes.
L'art japonais rendait des aspects particuliers de
la nature par des procédés de coloris hardis et nou-
veaux, il ne pouvait manquer de frapper des artistes
chercheurs, et aussi a-t-il fortement influencé les
Impressionistes.
Lorsque les Impressionnistes eurent pris à leurs
devanciers immédiats de l'école française la manière
franche de peindre en plein air, du premier coup, par
l'application de touches vigoureuses, et qu'ils eurent
compris les procédés si neufs et si hardis du coloris
japonais , ils partirent de ces points acquis pour
développer leur propre originalité et s'abandonner à
leurs sensations personnelles.
L'Impressionniste s'assied sur le bord d'une rivière ;
selon l'état du ciel; l'angle de la vision, l'heure du jour,
le calme ou l'agitation de l'atmosphère, reaii prend
tous les tons, il peint sans hésitation sur sa toile de
l'eau qui a tous les tons. Le ciel est couvert, le temps
pluvieux, il peint de l'eau glauque, lourde, opaque;
le ciel est découvert, le soleil brillant, il peint de l'eau
brillante, argentée, azurée ; il fait du vent, il peint les
reflets que laisse voir le clapotis ; le soleil se couche et
darde ses rayons dans l'eau, l'Impressionniste, pour
fixer ces eff'et, plaque sur sa toile du jaune et du rouge.
Alors le public commence à rire.
L'hiver est venu, l'Impressionniste peint de la neige.
Il voit qu'au soleil les ombres portées sur la neige solit
bleues, il peint saris hésiter des ombres bleues. Alors le
public rit tout à fait.
Certains terrains argileux des campagnes revêtent des
apparences liias, l'Impressionniste peint des paysages
lilas. Alors le public commence à s'indigner.
Par le soleil d'été, aux reflets du feuillage vert, la
peau et les vêtements prennent une teinte violette,
l'Impressionniste peint des personnages sous bois vio-
lets. Alors le public se déchaîne absolument, les criti-
ques montrent le poing, traitent le peintre de « com-
munard ♦» et .de scélérat.
Le malheureux Impressionniste a beau protester de
sa parfaite sincérité, déclarer qu'il ne reproduit que ce
qu'il voit, qu'il reste fidèle à la nature, le public et les
critiques condamnent. Ils n'ont cure de savoir si ce
qu'ils découvrent sur la toile correspond à ce que le
peintre a réellement observé dans la nature. Pour eux
il n'y a qu'une chose : ce que les Impressionnistes
mettent sur leurs toiles ne correspond pas à ce qui se
trouve sur les toiles des peintres antérieurs. C'est
autre, donc c'est mauvais. »♦
Et maintenant que nous avons, en citant Duret,
donné une' idée de ce que c'est qu'un Impressionniste,
dans de prochains articles nous examinerons individuel-
lement les plus marquants d'entre eux, parmi les fran-
çais : Claude Monet, Degas, Renoir.
VANDALISIHE ANV£RSOIS
« Un effrayant bouleversement sans trêve, depuis bientôt quinze
ans, met en coupe réglée la vieille ville, évenlro les anciens
quartiers, taille des percées dans les maisons historiques, et à
tout inslant amène à la pensée le regret de quelque gloire abolie.
Nous ne verrons plus, à moins qu'on ne la rétablisse sur un
autre point, cette superbe et triomphante porte de l'Escaut, ou
porte Royale, surmontée de son énorme dieu marin et construite
par Arthus Quellin, d'après les dessins de Rubens, à l'occasion
de la joyeuse entrée du roi d'Espagne, Philippe IV. Quand on
montait la rue, au haut <Jc laquelle s'élargissait son arcature, le
fleuve s'apercevait par delà, comme li travers un porche ouvert
sur le ciel et l'eau. Il nous faudra faire notre deuil du Marché-
aux-Poissons, ce pittoresque et bruyant rendez-vous des ména-
gères s'agitant autour de la marée jetée toute vive et saignante
sur les élaux, avec son rouilleux décor de fond, composé de
hautes murailles corrodées auxquelles s'accroche encore une des
vieilles tours dites Tours normandes qui formaient le bornage de
la ville en l'an 726. Cotte animation, ces vénérables souvenirs
s'abîmeront bientôt dans une poussière d'écroulement. Et mal-
heureusement, la destruction, comme une brute inapitoyée,
frappe par moments des quartiers où elle n'a pas de raison de
sévir. Ainsi on a abattu, malgré les artistes belges, malgré Violkl-
le-Duc, l'éminent maître, qui s'en était ému lui-même, un vieux
bastion connu sous le nom de Tour-Bleue^ dernier vestige des
fo|"tifications du xV siècle; ainsi il est. également question d'abat-
tre ce coin charmant du pasBé, le pittoresque et curieux hospice
de la rue Otto Vénius, dans la cour duquel Leys aimait à s'isoler
et qui lui a servi à envelopper plus d'un de ses tableaux de la
mélancolique atmosphère du moyen-âge. El le Burg, le glorieux
Bury lui-même, ne sera plus, au bout de toutes ces mutilations,
qu'un souvenir eftacé, qui s'en ira rejoindre tant d'autres, où se
perpétuait l'ancienne grandeur de la cité marchande.
En même temps que disparaîtra le berceau de la ville, une
construction exquise, le Sleen (château), adossée aux ruines du
Bur^, dans les souterrains duquel ses caves sont taillées, s'émiet-
Ira également sous la pioche rectificatrice. Il a pourtant une belle
antiquité et de suffisantes lettres de noblesse, puisque son origine
remonte au xii° siècle. Sous les ducs de Brabant et leurs succes-
seurs les ducs de Bourgogne, c'était là qu'on enfermait les cri-
minels de droit commun. Mais Charles-Quint, et surtout Phi-
lippe II, son fils, représenté par le duc d'Albe, l'affectèrent à la
détention des hérétiques, des iconoclastes, des gueux, et, en
général, des patriotes ennemis de Rome et de l'Espagne : soinbre
époque durant laquelle ses cachots retentirent continuellement
des lamentations des malheureux prisonniers h qui on donnait
la question avant de les livrer au bras séculier. II y a une dizaine
d'années, les murs de ces géhennes s'éclaboussaient encore de
plaques rouges, pareilles à des empreintes de membres torturés,
et le hideux spectacle se complétait par une exhibition de fer-
railles, brunies, assurait-on, par le sang autant que par la rouille.
Un jour, une édilité trop pratique vendit ces engins au poids du
vieux fer.
En attendant que les moellons de la maison de torture aillent
rejoindre les débris de son terrible mobilier, le Sleen continue à
abriter un musée d'antiquités dont il forme lui-même la pièce la
plus curieuse, surplombé qu'il est d'une coquette logette, guil-
lochée de fins ornements entrelacés, dans un goût fleuri. Loin
d'évoquer l'image lugubre des scènes d'inquisition qui se sont
passées derrière ses murs, la délicate façade fait venir au con-
traire à l'esprit la pensée d'une cour princière, de visages blonds
et roses se pressant derrière ses petites vitres émaillces, avec des
rires, des musiques, une mutinerie enjouée et jeune. Mais la réa-
lité de l'histoire vous reprend, l'instant d'après, et ne vous lâche
plus. Dans la rue, à quelques pas de là, se dresse un calvaire
devant lequel le condamné à mort, conduit processionnellement
au supplice, faisait ses dornièrcs oraisons, avant d'être traîné sur
la Grand'Place, où s'accomplissait « l'acte de foi ».
Ces lignes mélancoliques, nous les détachons de la descrip-
tion que l'auteur de la Belgique consacra naguère à la ville d'An-
vers. L'événement depuis leur a donné raison. Plus rien n'existe
du Marché-aux-poissons, et il est plus que question de faire dis-
paraître le Sleen. Aclucllcmcni ses frustes maçonneries émergent
de l'immense dévastation du quartier environnant; comme un
môle sur une grève, il se dresse seul, parmi la ruine de tout le-
réste; et, rugueux, puissant, superbe, épargné par les siècles,
il est là comme le témoin des jours évolus. Mais un cri de colère
et d'indignation a retenti parmi les artistes, les respectueux des
monuments du passé : les jours du vénérable édifice sont
comptés ; dans leur rage de tout anéantir, les édiles ont voué à
la pioche celle architecture, glorieuse qui peut-être parlait trop
éloquemment des grands ancêtres.
Il semble qu'un vent de folie et d'immolation ait soufflé sur
leurs esprits ; aucune mémoire ne trouve grâce à leurs yeux, du
moment qu'elle sert à mesurer la distance entre autrefois et
aujourd'hui; ils rêvent de détruire tout le vieil Anvers, afin de
tirer de ses ruines un Anvers nouveau, auquel demeure attaché
le renom de leur orgueil. Il ne faut pas que, dans la prodigieuse
reconstruction qu'ils ont complotée, quoi que ce soit qui chan-
terait encore l'hymne des prospérités abolies subsiste ; Anvers
pour eux ne date que d'un jour, celui où le pouvoir leur a per-
mis de tailler de larges coupes sombres dans l'histoire et la tra-
dition. ■ •
Le Sleen dispersé, une lacune, comme un trou béant, demeu-
rera dans celte tradition, merveilleuse par moment comme la
légende. — Où donc est le berceau des gloires flamandes? se
demanderont les passagers débarqués par les flottes lointaines.
El ils chercheront vainement une pierre qui leur parle des sécu-
laires activités de cette métropole, si grande en ses annales
qu'elle laisse dans l'esprit comme la vision d'une autre Tyr.
Alors des* hommes se trouveront qui leur montreront la ville
moderne sortie de la poussière des écroulements, les grands
hôtels d'un style bâtard qui, le long des quais, mêlent aux resti-
tutions gothiques flamandes les imitations d'op ne sait quelle
renaissance de fantaisie. Et ils étendront la main, disant :
« Voilà le berceau de la ville! Tout ce qui existait avant n'est
plus ! Anvers est rené de ses cendres comme le Phénix ! » Vanité
qui voudrait faire disparaître dans le puits des temps les assises
sur lesquels les hommes d'aujourd'hui n'ont fait que continuer
l'édifice commencé par d'autres! Vandalisme d'une race obstinée,
pour qui les affaires, le moment présent, remplacent le respect
du passé, rimmortel s.oùvenir des aînés, l'image imposante de la
jeunesse d'une cité ! Et ne vont-ils pas jusqu'à tii-er honneur de
ce reproche de vandalisme, comme d'une flatlerie qui chatouille
leur orgueil? N'a-t-on pas entendu l'un d'entre eux publiquement
proférer celte parole stupéfiante : « On nous appelle vandales !
Eh bien! nous acceptons cette flétrissure! Oui, nous serons
"^ des vandales ! »
Halle-là! il y a à travers ce pays, il y a dans votre ville même,
dans ce peuple qui ne veut pas qu'on piétine à travers les
tombes et qu'on disperse les lambeaux de sa pourpre, il y a une
conscience qui proleste et vous crie : « Ne portez pas la main
sur notre passé ! » A quoi vous servirait, d'ailleurs, d'avoir
gagné, en démolissant le Sleen, quelques pieds de terrain, si cet
immense et douloureux sacrifice ne doit aboutir qu'à remplacer
l'éternel absent par des hangars, des magasins, des cavès, la
continuation des pileuses et banales auberges qui défilent le fong
dé vos quais nouveaux. Ah ! peut-être comprendrions-nous qu'on
balayât un pareil monument, mais à la condition d'y substituer
une si fière incarnation de notre esprit moderne que l'autre ne
fût plus en comparaison qu'une ombre vaine, un informe chaos
perpétuant la confusion d'un passé crépusculaire. Mais telle est
racluelle impuissance à bûlîr une œuvre de vie, que c'est parmi
les ruines des autres àircs qu'il nous faut chercher nos modèles.
Nous copions ce que nous avons anéanti ; après avoir écorché
l'histoire, c'est de la peau dé l'histoire même que nous nous fai-
sons un vêtement. Et qui sait si le Sleen enfin mis bas, on n'en
construira pas un nouveau quelque part, de même qu'après avoir
émietté les anciens quartiers où se gardait, dans sa beauté origi-
nale, la fleur de l'antique architecture flamande, on n'a rien
trouvé de mieux que d'en restituer les pignons dentelés et les
pittoresques saillies dans les quartiers nouveaux? Il semble que
le remords de toute celte démolition folle s'attache ainsi aux
hommes qui ont entrepris de faire table rase des siècles : le
spectre des victimes les liante si bien qu'ils en recomposent la
forme et l'essence dispersées de leurs niains. Mais si l'or peut
redresser les vieilles pierres, jamais il ne saura leur rendre l'in-
compressible souffle de force et de vie qui, à travers la mort et
le temps, les unissait à tenons et à mortaises, mieux que par le
fer et le ciment.
Un Sleen, cela est fait avec l'àmc môme d'un peuple.
JaITTÉRATURE YAQABONDJE
Voyage au Mexique. De Nev7-York à Vera-Cruz en
suivant les voies de terre, par Jules Leclercq. — Paris,
Hachette et C«, 1885.
M. Jules Leclercq est un voyageur hardi, entreprenant et
tenace. Les bises glacées de l'Islande, le soleil des Tropiques, le
grand air des Montagnes-Rocheuses ont si fortement bronzé, tanné,
durci sa peau, que le touriste de complexion délicate que nous
avons connu jadis est devenu le marcheur infatigable qui pro-
mène sa curiosité, d'un pas tranquille, dans les contrées les plus
excentriques, passant avec aisance des zones tempérées aux
régions torridcs, et quittant l'Equateur pour aller se rafraîchir
dans le voisinage du pôle.
C'est une figure originale et intéressante que celle de- cet
effréné voyageur, qui a la vocation du chemin de fer et du
steamer comme d'autres ont celle du couvent ou de la caserne.
Il y a dix ans à peine que parut son premier volume : Voyages
dans le Nord de V Europe. Norvège et Mer Glaciale^ et aujour-
d'hui l'auteur prépare son dixième ouvrage : La terre des Mer-
veilles. Voyage au Parc national de la Yellowstone.
Ainsi, à chaque année de cette vie remplie dés contemplations
du kaléidoscope que forme la diversité des nations, correspond
un livre où le voyageur épanche les émotions ressenties, décrit le
panorama qui s'est déroulé à ses yeux, instruit le lecteur des
beautés du globe et l'amuse par le récit des épisodes de la
roule.
En ce cycle de dix années éparj)illées au Nord, au Sud, en
Amérique et en Afrique, sur la terra des Geysers et dans la patrie
des Arbres-Géants, combien de races ont défilé devant le viya-
geur! Que d'horizons sur lesquels il a promené sa vue! Comme
des papillons rares piqués aux murs, comme des fleurs peu cou-
nues soigneusement déposées dans l'herbier, il a eolligé les
observations, noté les menues particularités des peuples qu'il a
étudiés. Et de l'ensemble de cet œuvre déjà considérable se
dégage l'impression d'un esprit clair et honnête appréciant les
choses sainement, sans parti-pris, sous le prisme de la connais-
sance des sciences naturelles à travers lequel luit un rayon d'art.
Ainsi que ses aînés, le dernier volume de M. Leclercq est d'un
attrait captivant. 11 raconte, dans une langue très sobre, et sans
que l'odieux moi y prenne une place encombrante, la traversée
terrestre du Mexique, depuis le Rio-Grande jusqu'à la Vera-Cruz.
Entré par le Nord, par Laredo-Nuovo et Monlery, et sans
redouter les cahots des cent lieues qu'on franchit en diligence
entre Saltillo et San-Luis de Polosi, par d'âpres défilés et des
plaines brûlées de soleil, M. Leclercq séjourna à Querétaro, à '
Mexico, fil l'ascension du Popocatepetl, parcouraii le Muchoacan
— qui est au Mexique et qu'est pour l'Espagne l'Andalousie —
où il explora l'une des plus rares merveilles du Nouveau-Monde,
le volcan de Jorullo, étudia sur les hauls plateaux les antiquités
préhistoriques de la civilisation tollèque, visita Puebla et Cholula
et gagna enfin Vera-Cruz, c'est-à-dire le chemin du retour, après
un voyage qui avait duré six mois.
L'un des chapitres les plus émouvants de cette intéressante
relation est celui que l'auteur consacre au drame de Querétaro,
dont les dix-huit années écoulées depuis que la douloureuse
nouvelle s'en fût répandue en Europe n'a pas éteint le souvenir.
C'est de la bouche même du chanoine Soria, qui assista l'empe-
reur Maximilien dans ses derniers moments, que M. Leclercq
recueillit le récit de l'exécution. Le voici dans toute sa simplicité.
« La veille de sa mort, me dit le chanoine en espagnol, l'em-
pereur écrivit deux lettres, l'une au pape, l'autre à sa mère. Il
me confia ces lettres, ainsi qu'un mouchoir pour sa mère, en me
priant de les faire parvenir à destination. Je me conformai à ses
instructions, et j'ai su plus tard que les objets étaient arrivés à
leur adresse. Le lendemqin matin, je l'accompagnai au lieu de
l'exécution. Le cortège se composait de trois mauvaises voitures.
J'entrai avec l'empereur dans la première, tandis que Miramonet
Mejia occupaient les deux autres avec leurs confesseurs. Nous
avions à peine quitté le couvent des Capuchinas que je fus quel-
que peu surpris de voir Maximilien se frapper la poitrine en di-
sant : « Pour éviter que mon sang ne souille mon uniforme, j'ai
« mis ici huit mouchoirs. » Pendant toute la route, l'empereur
pria et recommanda son âme à Dieu ; il avait en main un crucifix
que je lui avaig^offert et que je conserve précieusement. Quand
nous approchâmes du Cerro, il fit une observation qui me frappa:
« C'est ici, disait-il, que je voulais arborer le drapeau de la vic-
« toire, et c'est ici que je viens mourir! La vie n'est qu'une
« comédie! » Il remarqua aussi la beauté du paysage, et s'écria :
« Quelle belle vue ! Et quel beau jour pour mourir I » Quand
nous arrivâmes au lieu du supplice, oii eut grand'peine à ouvrir la
porte de la voiture : l'empereur impatienté sortit par la fenêtre en
ôtant son chapeau. Il me remit mon crucifix en m'em brassant, il
embrassade mêmeMiramon et Mejia, distribua des pièces d'oraux
soldats, puis, d'une voix forte, prononça en espagnol ers paroles :
«Je pardonne à tous et je demande que tous me pardonnent, et
t< je désire que mon sang qui va être répandu fasse le bonheur
« du Mexique. Vive le Mexique ! Vive son indépendance ! »
Ensuite il mit la main sur sa poitrine et montra aux soldats la
place qu'ils devaient viser. On battit le tambour, et l'on proclama
devant les quatre mille hommes de troupes que celui qui deman-
derait grâce en faveur <les condamnés partagerait leur peine. Pas
une voix ne s'éleva du sein de la foule immense qui se pressait
derrière les lignes. Au signaldonné, les trois pelotons firent feu.
Miramon et Mejia tombèrent foudroyés. Maximilien ne mourut
^
pas sur-le-champ : à trois repris.es, il jelà un cri de douleur.
Deux secondes après, sur un geslc du commandant, il reçut le
coup de grâce au cœur. »
.■■'■. ■ \
Le Caucase et la Perse, -par Ernest Orsolle. —
Paris, Pion, 1885.
M. Orsolle est un écrivain-voyageur à ses débuts. Mais ces
débuts sont brillants et font espérer, pour cette littérature spé-
ciale et « panoramique » qu'il est si aisé de mal faire, si difficile
de rendre attrayante, une recrue de valeur. ,
Du premier coup, M. Orsolle laisse bien loin derrière lui les
tâtonnants essais des touristes qui racontent avec des airs de
conquérants une ascension h la Baraque Michel, une excursion
pédestre sur les bords de la Semois ou de la Lesse. Il fait/un
voyage sérieux et le raconte sérieusement. Dédaignant lie dépou-
vrir des Amériques, il va droit aux régions peu connues, aux
rivages de la mer Noire, aux steppes de Tartarie. Il étudie les
ruines d'Ani, explore la côte Caspienne, s'enfonce en Perse, fait
un séjour h Téhéran, dont il parcourt les environs, traverse le
Daghestan, revient à Tiflis par la route de Géorgie.
Ce qui plaît avant tout dans ce livre d'impressions fraîches,
c'est le ton de bonne humeur qui y règne, d'un bout à l'autre. Ni
pédanterie, ni pose, — ces fléaux habituels aux voyageurs. Une
pointe de scepticisme à l'endroit des nierveilles annoncées, quel-
que chose comme l'esprit légèrement goguenard d'un parisien
qui ne « gobe » pas les pays éloignés, avec de brusquas échap-
«pées d'enthousiasme, et toujours une vision très personnelle,
sinon très étendue, des choses.
Trouver le juste milieu entre le ton dogmatique particulière-'
ment haïssable dans les récits de voyage, qui exigent de la légè-
reté de plurne, et l'allure détachée des esprits superficiels, n'est
pas chose facile. M. Orsolle s'est tenu à égale distance des deux
excès. S'il développe de temps à autre un point intéressant de
l'histoire du pays qu'il décrit, c'est sans prendre en main la
férule du magister. El s'il se laisse aller à sa joyeuse humeur de
touriste en vacances, c'est toujours avec une modération de
bonne compagnie.
Un passage donnera l'esprit du livre, qui mérite d'être lu tout
entier. Nous le prenons au hasard parmi les nombreux épisodes
de celte excellente relation.
Il s'agit d'une promenade nocturne h un douchan, situé en
pleine forêt, aux environ de Poli : « Des Imérèles y passaient
la soirée en buvant et en regardant danser trois Bohémiennes ; le
spectacle était original, nous nous arrêtâmes pour le regarder.
L'un de ces seigneurs, jeune homme d'allures aristocratiques,
se détacha du groupe ; puis, nous reconnaissant pour des étran-
gers, il nous invita à entrer au nom de l'hospitalité géorgienne ;
sur ce, la lourde porte de la cour se ferma sur nous, mais dans
le moment nous n'y prîmes pas garde. Reposés et rafraîchis,
nous nous préparions à partir; notre hôte improvisé nous déclara
la chose dangereuse : des hommes de mauvaise mine, dit-il,
nous attendaient sur la route. Le danger était, en effet, immi-
nent, non pas sur la route, mais bien dans cette cour où nous
étions bloqués par nos amis de tout à l'heure, massés devant
l'entrée et que d'autres coquins, escaladant le mur, venaient ren-
forcer. La situation dépassait les limites du pittoresque ; inter-
pellé vivement sur sa perfidie et sommé d'ouvrir la porte, notre
hôte se mit résolument à la tête de ses drôles. Je ne sais ce qu'ils
attendaient pour nous charger; peut-être nos revolvers les
tenaient-ils en respect; Kandjars et Siiaskas étaient sortis des
fourreaux; si amateur que je sois des armes orientales, je trou-
vais en ce moment leur aspect très déplaisant. Derrière nous,
dans un coin de la cour, les Bohémiennes épouvantées pleuraient.
Nous leur demandons s'il y a une sortie par derrière; elles
répondent que non ; convaincus du contraire, — au Caucase
toutes les maisons ont deux issues, — nous empoignons ces
malheureuses; l'Allemand leur explique qu'au premier coup elles
paieront pour le reste de la bande ; la porte d'issue se trouve
comme par enchantement; à peine avons-nous laissé tomber la
lourde poutre qui la ferme derrière nous que tous ces drôlos se
ruent dessus... Nous de courir sous bois jusqu'à la route de Rou-
tais. Ce soir-là, l'hôtel de Colchidc me parut un charmant
séjour. »
SIGURD A L'OPÉRA
- [Correspondance par tieulière 4e Paris.)
Enfin, à notre tour, nous avons eu Sigurd ! Je ne vous détail-
lerai pas par le menu un ouvrage dont vous connaissez à fond le
poème et la musique, et mon rôle de corresJ3ondant musical de
la grande ville se réduira pour cette fois à celui d'un vulgaire
reporter.
Certes il est dur de sortir d'une importante représentation
comme celle-là et d'en être réduit au mutisme le plus absolu sous
peine de se voir traiter de rabâcheur.
Je ne sais pas jusqu'à quel point ma dignité de Parisien ne
doit pas s.'en montrer froissée!
On se croit à la tête du mouvement musical, on se fait une fête
d'avoir à instruire les autres des solennités artislii|ues de la capi-
tale, et, la vanité aidant, on est'tout disposé à s;? croire un per-
sonnage, on taille sa bonne plume, quand tout à coup on s'en-
tend dire : Oh! non, mon ami, non! Sigurd! c'est de l'histoire
ancienne! Passez, mon ami, passez! Autre'chose! Autre chose!
Et alors on s'aperçoit que Paris n'est peut-être pas la capitale
des arts et que c'est ailleurs qu'il faut aller chercher la lumière.
A défaut de lumière, permettez-moi de vous envoyer quelques
faibles rayons de la solennité du vendredi 12 juin, rayons pro-
jetés pour la plupart par les trois étoiles qui, de votre firmament,
sont passées dans le nôtre.
M""^ Caron a reçu bon accueil et je vous avoue que nous
n'étions pas peu surpris en revoyant celte jeune femme qui chan-
tait jadis dans nos concerts classiques les modestes répliques des
suivantes ou confidentes, à côté d'une cantatrice comme Krauss,
ou Richard, dont le nom était en vedette. Au Conservatoire,
M'"« Caron n'avait jamais rien donné qui révélât un tempérament ;
Marie .Sasse en a fait son élève et c'est pour paraître à l'Opéra que
l'élève reparaît à Paris. Le pas est beau.
La cantatrice a paru quelque peu maigre et allongée et les yeux
ont pris dans sa physionomie une place démesurée : mais l'en-
semble de sa personne est majestueux, la démarche est digne, le
geste a de l'autorité et le tempérament est celui d'une tragédienne.
La voix n'a pas le volume qu'on pourrait réclamer d'un soprano
dramatique, mais elle prend beaucoup d'accent et d'éclat dans le
registre aigu. Très bien accueillie après son air du troisième acte,
elle s'est vue acclamée dans le duo si poétique entre elle et
Sigurd : quant à l'air qui précède, il est long, trop long, et il
faut toute l'expression de l'artiste pour le faire supporter de notre
.public. Aussi la place que peut occuper la débulanle càl-elle forl
belle, aujourd'hui que la Krauss semble jouer et chauler à contre-
cœur et sans convictions.
M"" Bosman, qui me causa tant de pJaisir à la Monnaie dans
Obêron, n'a pas paru produire la même satisfaction à mes con-
frères dans le rôle d'Hilda. Ce n'est plus du tout la môme fougue
et le même élan qui accompagnent la déclamation de M^^Caron:
il faut à M"'* Bosman des rôles de jeunes princesses épanouies et
à la mine éveillée; mais le dramatique ne lui sied pas et la sym-
pathie qu'elle a provoquée provient plus du timbre et du beau
volume de sa voix que de son expression dramatique. Elle avait
beau se démener dans son grand duo avec Brunliilde, sa petite
mine fûlée n'avait rien de sinistre et sa jalousie était de com-
mande". Ce sera une excellente Inès, ou Isabelle, ou Mathilde.
Enfin, M. Grosse a paru jouer un peu trop des poings et des
coudes. Ce n'est pas qu'il personnifie mal le personnage de Hagon,
mais il semble qu'il lui soit difficile d'en personnifier d'autres.
Sa voix se meut entre la basse et le baryton et ses capacités ne
me semblent pas nécessiter sa venue ici.
J'aurais bien voulu voir Jourdain dans le rôle de Sigurd; notre
Sellier a fait de son mieux, bénéficiant auprès de nous de l'ab-
sence de tout parallèle.
M. Lassalle a déjà lâché un rôle qui ne servait pas assez ses
moyens vocaux, et M"* Richard semble navrée d'en être réduite
au rôle d'Uta : aussi compte-t-clle se rattraper dans Sélika de
V Africaine. ■ ■
M. Bérardi joue maintenant le rôle de Gunther; il est le seul
qui ne souffre pas du départ de Lassalle.
Quant à M. Reyer, il passe toutes ses soirées. dans une brasserie
voisine de l'Opéra; il se révolte contre les coupures qu'on a pra-
tiquées dans sa partition, et ne veut s'entendre jouer que de loin.
Le public, lui, ne s'est pas énormément intéressé à Sigurd et
à la Walkyrie; Odin et la Walhalla l'ont laissé froid. Les musi-
ciens ont écoulé l'œuvre avec recueillement, comme émanant d'un
esprit libre, indépendant et plein de son sujet; ils ont reconnu
dans l'ouvrage des choses bien disparates et dans l'ensemble un
talent incontestable, mais dont les moyens d'action sont insuffi-
sants sur un public qui n'analyse pas.
MEMENTO DES EXPOSITIONS ET CONCOURS
Budapest. — Ouverture le ler juin. Fermeture le^'SO septembre,
Eu deux séries. Délais d'envoi : l^e série, expirés. 2« série, 25 juillet.
Transport aller et retour (petite vitesse) aux frais de la Société hon-
groise des Beaux-Arts. Dépôt à Bruxelles, chez M. Mommen,
25, rue de la Charité ; à Anvers, chez M. Claessens, 12, place du
Poids public. — Secrétariat : Sugarut, 81, Budapest.
Nuremberg. — Exposition internationale d'orfèvrerie, de joaille-
rie, de bronzes, etc. Du 15 juin au 30 septembre 1885.
Spa. — Ouverture : 12 juillet. Fermeture : fin septembre. Délai
d'envoi : 30 juin. Ecrire à la Commission directrice avant le 25.
Bruxelles. — Vingt-cinquième concours de composition musicale.
Ouverture le 20 juillet 1885.
Inscriptions au ministère de l'agriculture, de l'industrie et des
travaux publics jusqu'au 11 juillet, à 4 heures. Les concurrents qu
n'habitent pas Bruxelles peuvent adresser par écrit leur demande
d'inscription ; à cet effet, ils déposeront, avant le 7 juillet, leur lettre
avec les pièces à l'appui, entre les mains de l'administration com-
munale de leur localité, qui la transmettra immédiatement audit
ministère.
Les aspirants sont tenus de justifier de leur qualité de Belge et de
prouver qu'ils n'auront pas atteint l'âge de 30 ans au 20 juillet.
Prix du Roi. — Concours de 4886, 1887 et 1888. — - Un arrêté
royal du 20 avril courant porte que le prix à décerner en 1886 (coa-
cours exclusivement belge) sera attribué à l'ouvrage le mieux conçu
pour développer chez la jeunesse belge l'intelligence et le goût des
littératures anciennes et modernes.
Le prix, à décerner en 1887 (concours exclusivement belge) sera
attribué à l'ouvrage qui démontrera le mieux de quelle manière la
Belgique doit comprendre son rôle dans la grande famille euro-
péenne, tant au point de vue politique et intellectuel qu'au point de
vue matériel, pour servir le mieux ses propres intérêts en même temps
que ceux de la civilisation en général.
Le prix à décerner en 1888 (concours exclusivement belge) sera
attribué au meilleur ouvrage sur l'enseignement des arts plastiques
en Belgique et sur le moyen de développer l'art en Belgique et de le
porter à un niveau de plus en plus élevé.
Les ouvrages destinés à ces concours devront être transmis au mi-
nistre de l'agriculture, de l'industrie et des travaux publics, à savoir :
pour le prix à décerner en 1886, avant le 1*' octobre 1886, et pour
les deux autres, respectivement avant le 1er janvier des années 1887
et 1888.
Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles. — Concours
annuels. Tous les élèves de peinture et de sculpture habitant
Bruxelles et sa banlieue, quelle que soit leur école, peuvent y pren-
dre part.
Pour chacun de ces concours, une prime de 200 francs est allouée
au premier et une prime de 100 francs au second, s'il y a dix concur-
rents au moins.
Dessin et peinture. — 1° Dessin d'après l'antique, 11-16 mai ;
2o Peinture : composition historique, 18-23 mai ; 3° Torse d'après
nature, 8-13 juin; 4'» Figure d'après nature, 29 juin-4 juillet.
Sculpture. — 1" Bas-reliefs, 18-23 mai ; 2» Figure d'après nature,
29 juin-4 juillet; 3" Figure d'après l'antique, 13-25 juillet.
Les inscriptions se feront à l'Académie deux jours avant la date
fixée pour l'ouverture de chacun de ces concours.
Vienne... — Concours pour l'érection d'un monument à Mozart.
La place sur laquelle doit être élevé le monument n'étant pas
encore détermipée par la municipalité, le concours reste ouvert.
Jhéatre?
Théâtre de la Monnaie. — C'est le 26 juin, irrévocablement,
que commenceront les représentations de M"^« Sarah Bernhardt et
de la troupe de la Porte Saint- Martin dans Théodora.
Théâtre Moliîjre. — Pour rappel, mercredi prochain, une seule
représentation de La Parisienne avec les artistes de la Renaissance.
Alhambra. — Un changement a été fait dans la distribution des
Pommes d'or. M^^^ Djiua, qui aime décidément les divertissements,
s'est payé celui de quitter Bruxelles sans en informer son directeur.
On a été obligé de faire relâche dimanche, mais dès le lendemain
l'artiste capricieuse était remplacée par M^'® Savine, a qui le public
a fait un excellent accueil.
Waux-Hall. — M"'' Blanche Deschamps se fera entendre demaiu
soir. En cas de mauvais temps, le concert sera remis à mercredi.
fîORREpPONDANCE
Monsieur le Directeur,
Ne trouvez vous pas étrange qu'après les réunions du Petit Paris
et de la Porte^Verte, réunions ayant pour but de mettre les artistes
HORS CONCOURS, ne trouvez-vous pas étrange, de les trouver tous
DANS LE CONCOURS, sauf 9? Je trouve cela phénoménal et vous î
Vous me trouverez impoli en osant vous poser une question. Je
sais que c'est inconvenant, mais que voulez- vous? Ceci du reste
pour expliquer ma rectification au procés-verbal publié par votre
aimable journal.
Je vous prie de publier la présente et vous présente mes plus
sincères salutations. D. Cox.
^ETITE GHROJMiqUJE:
Peu de personnes, assurément, savent que Victor Hugo fut criti-
que de théâtre. Cela est, cependant.
Dans un journal intitulé la Gazette littéraire^ qui se publiait en
1819, l'auteur futur de Notre-Dame de Paris et de Ruy Jilas, alors
âgé de dix- sept ans, publiait tour à tour des critiques d'art et de
théâtre et des pièces de vers.
Victor Hugo ne possédait aucun exemplaire de cette publication.
Un habitant de Versailles, ayant acheté pour presque rien la col-
lection complète, s'en vint trouver, il y a deux ans; un bibliophile
fort connu, et lui fit part de sa découverte.
Le collectionneur ne fit qu'un bond jusqu'à l'ancienne ville de
Louis XIV, et après l'avoir fait un peu languir, le Versaiilais lui
montra sa précieuse acquisition.
.— On m'a assuré, dit-il, que j'en pourrais trouver cent francs...
Le marché fut conclu sur le champ, et le bibliophile fit savoir
aussitôt à Victor Hugo qu'il possédait cette rarissime collection.
M. Paul Meurice accourut chez lui et lui ofi'rit ce qu'il en voudrait.
Le collectionneur fut modeste. L'affaire se fit à huit cents francs,
à la condition que lui-même remettrait ses premiers essais au
Maître, qui lui dit en souriant : '
— Cela nous coûte cher pour nous relire I...
, M. Georges Khnopff fera paraître cet automne un recueil de vers
intitulé Pantomimes et Sérénades qui sera tiré à petit nombre, sur
papier teinté, en caractères elzéviriens.
Le jeune écrivain travaille en ce moment à un drame lyrique tiré
de Salammbô dont il a écrit le poème et la musique.
Le Conseil supérieui- des beaux- arts s'est réuni la semaine der-
nière pour distribuer aux artistes ayant exposé au Salon de Paris
le prix du Salon et les bourses de voyage.
M. Henry Daillou, sculpteur, a reçu le prix par 17 voix contre 14
données à M. Fritel, peintre, et une à M. Paul Mengin, sculpteur.
Huit bourses ont été conférées, dont deux dans la section d'archi-
tecture. Ces dernières ont été données à MM. Quatesous et Defrasse.
Les bourses distribuées aux sculpteurs et peintres ont été ainsi
réparties : MM. Paul Mengin (sculpteur) par 30 voix ; Pierre Fritel
(peintre) par 25 ; Gabriel Pech (sculpteur) par 24 ; Amau (peintre)
19; E. Laurent (peintre) 18; Henri Martin (peintre) 17, et Gaston
Leroux (sculpteur) 17.
Ces deux derniers ayant obtenu le même nombre de voix, il est
vraisemblable que le Conseil supérieur, revenant sur sa décision de
n'accorder que huit bourses, en octroiera en réalité neuf.
Le préfet de la Seiiie vient de saisir le conseil municipal de
propositions d'acquisitions d'oeuvres de peinture et de sculpture ex-,
posées au Salon. - '
Dans rénumération de ces œuvres figurent deux grandes toiles
dont nous nous sommes longuement occupés : Le travail, de Roll,
et Paris, de Besnard. Le prix proposé pour chacune d'elles n'est
que de 5000 fr. « vu la modicité de crédit disponible qui ne permet-
trait pas de les payer proportionnellement à leur importance » dit
le rapport de la Commission.
Consultés préalablement, les deux artistes ont déclaré accepter
ces conditions, si peu avantageuses qu'elles soient pour eux.
^ Voila des prix qui surprendront un peu les artistes bruxellois,
habitués à montrer plus d'exigences.
La recette des entrées au Salon de Paris le jour du vernissage
avait produit 25,380 francs, • .
Le Comité de la Société des artistes a versé cette somme au mi-
nistre de la guerre qui aura à en faire la répartition entre les diffé-
rentes Sociétés de secours aux blessés.
La durée du Salon est prorogée exceptionnellement jusqu'au
30 juin.
Un grand festival musical aura lieu à Birmingham dans la der-
nière semaine du mois d'août prochain. On y exécutera, sous la
direction de Hans Richter, Êlie,de Mendelssohn; Mors et vita, le
nouvel oratorio de M. Gounod; The three holy Children, oratorio de
M. Villiers Stanford; the Sleeping, cantate de M. Frédéric Cowen,
Jiile Tide, cantate de M. Thomas Anderton ; enfin une cantate
d'Antoine Dvorak.
Une exposition Beethoven, s'est ouverte ces jours-ci dans la mai-
son habitée à Heiligenstadt (Vienne) par l'illustre artiste. Elle renferme
des autographes, des portraits le représentant à diverses époques de
sa vie, notamment l'original du portrait que l'éditeur Haslinger mit
en tête du premier recueil de sonates, etc. La collection contient
encore un agenda où Beethoven, lorsqu'il fut devenu entièrement
sourd, faisait inscrire les questions.que lui adressaient les personne
qui venaient le visiter; il y joignait souvent les réponses au crayoug
L'objet le plus intéressant de l'exposition est le masque que Danhauser
et Ranftl moulèrent le 27 mars 1827 sur la tête de Beethoven, qui
venait de mourir.
On annonce d'Anvers la mort de M. J.-B. Wittkamp, artiste
peintre. Né à Riesebeck (Westphalie) en 1820, Wittkamp fit ses
premières études à Rotterdam et les acheva à Anvers, où il devint
un des élèves les plus brillants de l'Académie. Il fut élève de N. De
Keyser. Parmi ses meilleurs tableaux, citons : L'Hivernage à In
Nouvelle-Zemble, le Siège de Leyde, Hugo Grotius en exil, King
Lear, Roméo et Juliette, Othello et la Parisina, qui figure encore
à l'Exposition des beaux-arts.
Le théâtre de Hambourg a terminé sa saison avec une représenta-
tion de Lohengrin. C'était la 400'' représentation d'un ouvrage de
Wagner depuis la direction de M. Pollini.
Le 31 mai dernier a eu lieu, à Mannheim, la seconde représenta-
tion de la Gôtterdnmtncrung de Richard Wagner. La salle était
comble. Les filles de Wagner, Isolde et Eva, et le pianiste Eugène
d'Albert assistaient à cette représentation. Elle offre ceci de particu-
lièrement intéressant que l'on donne à Mannheim l'ouvrage entier,
sans une coupure. Et personne ne s'en plaint. Le théâtre de Mann-
heim a maintenant la tétralogie complète à son répertoire.
La plus grande activité règne au Conservatoire de Gand, où se
préparent les fêtes de son cinquantenaire. C'est la cantate que
Charles Miry a écrite sur un poème de M. De Vreese, qui ouvrira la
série de ces solennités musicales; elle sera exécutée lors de l'inaugu-
204
LART MODERNE
ration de la'statue de Liévin Bauweiis, le lundi 13 juillet, à il heures
du matin.
, Près de douze cents chanteurs et instrumentistes prendront part à
cette exécution. Une estrade de 400 mètres carrés sera construite à
cet effet çur lès nouveaux travaux du Bas-Escaut, à l'angle de la rue
de Flandre, Le chqeur sera formé par les élèves du Conservatoire et
des écoles de la ville, ainsi que par les chanteurs des meilleures
sociétés chorales de la ville : les Chœurs, les MélomaneSy le Van
Cromhrugghes-genootschap^Vrijheidsleiefde, Lei- en Scheldezonen,
Nijverheid en Wetenschappen, les Ouvriers Réunie, Van Arte-
velde" s-Zonen et Willemsgenootschap.
L'orchestre du Conservatoire et la musique du 1er régiment des
Chasseurs à cheval formeront avec quelques renforts un ensemble
de 140 instrumentistes.
Le concert juj)ilaiz'e, où seront exécutées des œuvres de Mengal,
Gevaert, Samuel, Miry, Vanden Eeden, est fixé au vendredi 17 juillet.
Il aura lieu au Crand-Théâtre avec le concours de M»"® Briard, la
sympathique falcon, que tout Gand applaudissait l'hiver dernier, de
M"e Sarah Bonheur, de l'Opéra- Comique de Paris, de MM. Van
Dyck et Blauwaent dont l'éloge n'est plus à faire.
Le dimanche 19 juillet, aura lieu une 4* audition de la Damnation
de Faust de Berlioz, réclamée par tous nos dilettanti.
Enfin, le 2 août, commenceront les représentations de Quentin
Durward, qui seront le couronnement de ces brillantes festivités.
(Guide musical).
\''oYAOES EN FAMILLE. — L' Eoccursion anuonce une série de voyages
attrayants qu'elle organise pendant les mois de Juin et Juillet par
groupes de vingt à trente personnes.
Ce sont d'abord les excursions organisées à l'occasion de l'Expo -
. sition d'Anvers et qui ont pour itinéraire, Anvers, Rotterdam,
La Haye et Scheveningue, Amsterdam et Zaandam. Ces petits
voyages durent 5 jours et leur prix en l^e classe est de 130 francs.
Les départs sont fixés au 20 et 27 Juin, 11 et 25 Juillet.
Puis viendra le voyage aux Pyrénées du 27 Juin qui est superbe et
comprend également dans sou itinéraire la visite de la Touraine et
des châteaux des bords de la Loire. ;Durée : 22 jours. Prix, 595 fr.
Le 2 Juillet aura lieu l'excursion à Londres, semblable à celle qui
vient d'avoir un si éclatant succès. Elle comprend la visite de
Londres, du Palais d'Hampton-Court, des Jardins de Kew, du
Parc de Richemond, du Palais de Cristal de Sydenham et des Inva-
lides de Greenwich. Une heureuse innovation y a introduit la visite
de Brighton, cette jolie station balnéaire à la mode. Durée : 9 jours.
Prix, en 1" classe : 250 fr.
Ce voyage sera immédiatement suivi, le 10 Juillet, d'une excur-
sion en Ecosse, dont le programme comporte toutes les beautés de
ce merveilleux pays. Le prix du voyage, extrêmement avantageux,
est fixé pour ce1)te~fbis seulement, à 490 fr. en t~' lili||nri et 440 fi^.
en 2™« classe.
Au 20 Juillet enfin est fixé le magnifique voyage de 15 jours, eu
Suisse, qui servira de prélude aux charmantes excursions qui seront
dirigées, pendant les vacances, vers cette -contrée et vers le Nord de
ritalie.
Sommaire de la Jeune Belgique, ïx" de Juin.
Victor Hugo, Max Waller. — A Victor Hugo, Albert Giraud.
— L'Adoration littéraire, Emile Verhaereu. — A Victor Hugo;
A. !NI. Victor Hugo, André Van Hasselt. — La Mort de l'Art,
Jules De.strée. — Mysticisme, Georges Khnopff. — Emile Mathieu,
Henry Maubel. — Païen, Gustave Rapière. — Chronique littéraire,
Joséphin Péladai^. — Chronique artistique : Anvers, Emile Ver-
haeren. — Flemm-Oso (suite), James Van Drunen. — Mémento,
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— — 35. 4^r Air de Ballet .*..... 2.00
— Chant du Soir (nouvelle édition) .... 2.00
— Balafo, Polka-Fantaisie 2.00
— Etoiles scintillantes. Mazurka 2.00
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— — 21. Danse rustique 1,75
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24e livraison. — Clementi, sonates en mi b. maj., ut maj , fà min.
25? id. — Clementi,' sonates en fa dièze min,,*mi b. maj.,
si b. maj .
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Momento capriccioso. Polonaise en mi maj.
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PAR Edmond PICARD
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Prix : Grand Japon, 60 francs; Chine genuine, 40 francs;
Hollande Van Gelder, 26 francs.
Bruxelles. — Imp. Félix Callbwàert père, rue de 1 Industrie, 26.
Cinquième année. — N° 20.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 28 Juin 1885.
L'ART
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00 ; Unipn postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
.f ...
Adresser les demandes d'ahonnernent et toutes les communications à
L administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
?'
OMMAIRE
Les Impressionnistes français. — Théâtres. Théodora, drame
en 5 actes de M. Victorien Sardou. La Parisienne^ comédie
en 3 actes de M. Henri Becque. — A propos de Sigurd. — La
QUESTION' DU StEEN. — Le JeUNE PRIX DE Ro.ME ET LE VIEUX
Wagnériste. Entretien familier. — • Les concours du Conser-
VAToir,E. — Petite chronique.
JiEp Impressionnistes frajmçais (")
DEGAS
Voici un artiste d'une rare personnalité, d'une valeur
grandissime, un impeccable, comme disait Théophile
Gautier,. et qui est complètement ignoré du public.
Seuls, les amoureux de la logique et de l'art pour l'art
savent qu'il existe, et l'admirent — et ils ne sont pas
nombreux. On ne voit jamais les œuvres de Degas au
Salon, non qu'elles y soient refusées, mais parce qu'il
ne les y présente jamais. On se demande d'ailleurs ce
qu'elles feraient, originales et puissantes comme elles
sont, dans cet immense bazar des médiocrités à treize
sous.
Degas a souvent exposé avec ce que les critiques
bien informés — à qui il faut inventer des mots pour
affirmer leur compétence — ont appelé : les impres-
sionniséeSj et, finalement, il n'expose plus du tout.
On dirait qu'il veut préserver ses tableaux des ré-
(*) Voir notre dernier numéro. Voir aussi les articles de notre corres-
pondant de Paris, n" du 15 mars et du Savril 1885.
flexions bêtes que les homraes cTesprit ne manque-
raient pas de faire devant eux. On a prétendu que
c'était de la rancune, jie l'aigreur, une sorte de révolte
haineuse contre l'obscurité où on le tient; je prétends,
nioi,, que c'est de la fierté et du respect.
Ce n'est point chez M. de Rothschild que vous l'aper-
cevrez, pas plus que chez M™'' de Cassin, ni chez le duc
de Camposelice, ni chez les habitués des premières
représentations, ni chez les rastaquouères dont on
vante le goût, à vingt francs la ligne, dans les jour-
naux. Degas ne figure pas dans les collections parmi
les Donnât, les Fortuny et les Meissonier. Il y a^ entre
ce grand artiste et ces barbouilleurs de modes, incom-
patibilité absolue. Il est tellement fort et tellement lui,
que cet éclectisme semblerait impossible et monstrueux.
Ou' Dugas sera avec ses pairs : Ingres, Delacroix,
Corot, Whistler, Puvis de Chavannes, ou il ne sera
pas du tout et nulle part; car soyez certains que les
collectionneurs et les amateurs poussent la logique
jusque dans l'extrême bêtise et le manque de goût le
plus" triomphant. J'imagine aussi qu'aucune cocodette
très renommée, et qu'aucune élégante très influente,
lesquelles ornent volontiers l'atelier et les toiles de
M. Jacquet, n'auront jamais demandé à Degas de faire
leur portrait. Il est de ceux, au contraire, à qui,
des amis ou des relations de passage demandent négli-
gemment le nom et l'adresse d'un peintre, pour un por-
trait « ressemblant et distingué. »»
Ceux qui achètent des Degas passent encore pour
des toqués, et M. Durand-Ruel, cet oseur iqipéuitent.
J
qui possède des dessins, des pastels, des tableaux de lui
— daiimirables cliefs-d'œuvre — est communément
traité de sectaire. Il est vrai que le temps lui a donné
raison pour Millet, à propos de qui on le plaisantait et
on le plaignait si fort, comme il lui donnera bientôt
raison, je l'espère, pour Degas et les jeunes artistes,
si particuliers, si persévérants et si pleins de talent,
qu'il s acharne à faire connaître.
Degas est donc, dans toute l'acception du mot,
un grand artiste, c'est-à-dire qu'il croit à l'art, qu'il on
a l'amour hautain et jaloux, et que, pour une faveur
gouvernementale, une commande ou un bout de ruban,
il ne fera jamais de concessions, de palinodies et de
courbettes. Nous vivons en un temps où la bassesse de
l'esprit et les habitudes de camelotage sont choses si
courantes, chez les peintres, que nous en sommes
venus à nous étonner davantage de ce que nous ren-
controns, sur notre chemin, un homme de conscience
plutôt qu'un homme de génie. Et quand l'homme,
comme Degas, réunit en sa personne, ces deux vertus
l)resque disparues aujourd'hui, il convient de le dire
bien haut et de le saluer bien bas.
La caractéristique du talent si intense, souvent
abstrait, et qui étonne, de Degas, c'est la logique
implacable de son dessin et de sa couleur; aussi, faut-il
une éducation artistique très développée pour le com-
prendre, car il ne gracieuse aucune ligne, aucune
forme, aucun ton, et ne flatte pas, par des prestidigi-
tations de virtuosité, les goûts bourgeois, dégageant au
contraire d'une forme la pure essence, et laissant de
côté les détails qui encombrent et qui alourdissent.
Nul ne connaît mieux le fond et le tréfond de son art,
et nul ne saurait y être plus habile; mais il dédaigne
ces petites habiletés qui rapportent et qui éblouissent,
et ne sont, en réalité, que des escamotages. Il a appliqué
à la contemporanéité — et à la contemporanéité vue à
travers son tempérament spécial — le procédé simplifi-
cateur, absolument synthétique, des maîtres de l'école
de Sienne. Degas est un primitif égaré dans notre civi-
lisation à habit noir.
On peut dire que ce n'est pas lui qui fait la compo-
sition de son tableau, c'est la première ligne ou la pre-
mière figure qu'il y dessine ou qu'il y peint. Tout découle
nécessairement, mathématiquement, musicalement, si
vous voulez, de cette première ligne et de cette première
figure, comme les fugues de Bach de la première
phrase ou de la première sonorité, qui en forme la
base. Il n'y apporte aucune mélodie pour faire surgir
l'eflfét et l'enjoliver d'accessoires qui attendrissent et
qui charment. Quelque sujet qu'il traite, des blanchis-
seuses, des cafés- concerts, des intérieurs de modistes,
il le traite avec la même logique impitoyable.
Ses danseuses sont, comme il le dit lui-même, non
point de simples tableaux ou de simples études, mais
des méditations sur la danse. Il en a rendu, avec une
netteté, une suite terrible dans l'esprit, une ténacité
dans l'observation, une cruauté dans l'exécution, les
formes ou gracieuses, ou voluptueuses, ou crispées, ou
douloureuses, et avec une telle intensité d'expression
que quelques-unes semblent de véritables suppliciées.
Et l'on voit sous leurs ballons de gaze claire, dans les
lumières blondes et les clartés violentes où il les jette,
ces pauvres corps torturés par ces ^lurs. exercices qui
broient les chairs et qui souvent ne sont indiqués que
^r les apophyses bossuant le maillot rose.
Des tableaux de courses ont le même caractère de
synthétisme violent et cruel. Personne n'a peint, comme
Degas, et avec une simplification plus extraordinaire-
ment profonde, ces formes crispées et compliquées de
notre civilisation, les chevaux et les jockeys, qui ont
d'ailleurs une grande analogie et une sorte de parenté
avec les danseuses; personne n'a exprimé comme lui,
avec plus de noblesse, avec un art plus intime, plus
pénétrant, la gracilité nerveuse et fébrile, le frisson-
nant et le maladif de ces êtres essentiellement modernes.
Jamais une faute de dessin, toujours la même logique
implacable, et toujours ces variations admirables et
justes sur la première figure, d'après laquelle le tableau
s'est, pour ainsi dire, composé de lui-même, dessiné et
peint.
Degas semble avoir depuis quelque temps abandonné
la peinture pour se livrer presque exclusivement au
dessin, cet art si charmant, si artiste et si méprisé.
C'est peut-être parce qu'on le méprise aujourd'hui que
Degas a voulu le faire revivre, comme aux belles
époques de l'art français. On n'aime plus le dessin,
pour la raison qu'il n'y a plus de dessinateurs. On di-
rait que cette magnifique éclosion des artistes du dix-
huitiènre siècle a pour longtemps épuisé la France de
ce goût exquis, qui est aussi un art plus difficile, plus
savant et moins compréhensible que la peinture. Et
puis le goût — ou mieux — le mauvais goût — s*en
est allé aux tableaux de la mode et a fait délaisser cet
art, pour lequel il faut non seulement des artistes pour
l'exécuter, mais aussi des amateurs pour le com-
prendre. .
C'est chose curieuse qu'en France, à l'heure actuelle,
il n'y ait plus vraiment que Degas qui vraiment soit un
dessinateur. Personne, sous ce rapport, n'ose plus le
contester, sans qu'on sache pourquoi, du reste. C'est
qu'il y met la perfection et la puissance au plus haut
degré, et chacun de ses dessins est un pur chef-d'œuvre
dont la place est marquée au Louvre, à côté des des-
sins d'Holbein, de Watteau, de Fragonard, d'Ingres.
Degas va, dans le dessin, plus loin qu'Ingres. Aussi
savant que lui, il sait donner à ses formes plus de vie,
par un procédé plus simple et une synthèse plus mysté-
rieuse. Rien n'y est laissé au hasard, au mauvais con-
seil de rinspiratioii, au chic. Chaque ligne, chaque
forme est le résultat d'une étude approfondie; on sent,
sous les vêtements dont il les recouvre, l'anatomie puis-
sante des corps, l'exactitude de la vie de la chair sous
la vie de l'étoffe.
Ce sera la gloire de ce grand artiste, quand toutes
choses seront mises en leur place, dans une époque où
tout croule sous les banalités un moment triomphantes
des Dagnan-Bouveret, de n'avoir jamais cherché que
l'art dans l'art, de ne s'être jamais départi de sa ligne
et de ses croyances, malgré les cris, malgré les rires et
malgré les mépris, et aussi d'avoir ressuscité, à coups
de chefs-d'œuvre, un art qui semblait mort, mort dé
l'ignorance des peintres et de la bêtise du public.
THÉODORA
Drame en cinq actes, par M. V. Sardou
TIléodora ne soulèvera, pensons nous, pas d'orages dans la
critique. On reconnaîtra gc'ncralemenl que la griffe de M. Sardou
y est profondément imprimée, malgré les puérilités de l'action,
malgré l'invraisemblance de certaines situations, malgré les
"ficelles trop apparentes par lesquelles le 1res habile dramaturge
rattache l'un à l'autre les épisodes multiples de la pièce. Si l'on
admet la donnée — absurde — par laquelle l'auteur travestit la
vérité historique tout en se donnant une peine infinie pour res-
pecter la réalité dans les détails du costume, des armes, de
l'architecture , de l'ameublement, et même de l'étiquette des
cours byzantines et de la forme du langage, on jugera que le dra-
me nouveau de M. Sardou renferme des beautés scéniques qui
ne le cèdent ni à Fédora ni à Patrie. '
Mais avant de traiter ce point, qui fera l'objet d'une élude
spéciale dans notre prociiain numéro, il convient de faire un
éloge sans réserves du cadre éblouissant dans lequel se dérou-
lent, aux yeux émerveillés, les cinq actes de Thêodora.
Si nous en parlons tout d'abord, ce n'est pas que l'art du
metteur en scène ait été, comme dans les bonnes féeries
d'autrefois, substitué à tout intérêt dramatique. Il se combine au
contraire très heureusement avec ce dernier, il le complète, il
est son adjuvant, il le renforce, le commente. Et c'est précisé-
ment ce qui fait sa nouveauté et sa supériorité. Il y a là une
révolution dont les conséquences seront considérables et qui
marque un grand pas vers l'unification de tous les éléments du
drame dont Wagner a été le promoteur.
Qu'on imagine dans les prodigieuses restitutions de basiliques
et de palais dont MM. Rubé, Chaperon, Robccchi, Jambon,
Carpezat, Lemcunier font miroiter les marbres, étinccler les
mozaïques, une action vraiment humaine, émouvante et forte,
accompagnée, non par la Carmagnole^ les inoffensifs chœurs de
moines et le pâle hymne impérial de M. Massenel, mais par la
puissance d'une musique évocatrice, en harmonie parfaite avec
les situations du drjme. Quelles impressions produirait un pareil
spectacle! Et quel art digne de noire xix^ siècle, le plus fécond
en merveilles, qu'un art comme celui-là !
Déjà, tel qu'il se présente dans Tliéodora^ incomplet, partiel,
il remue profondément. Jamais les splendeurs de la décoration
n'ont été poussés plus loin : la mise en scène de Theodurn
balance dans nos souvenirs, au point de vue artistique, celle de
Parsifal qui était merveilleuse; comme richesse, comme dé-
ploiement de splendeurs, elle lui est supérieure.
Il faut voir, sous les voûtes étincelanles du palais de Justinicn
(pii commande la mer, l'entrée de M"« Sarah Bcrnhardt en cos-
tume d'orfroi, le front ceint de la tiare, le lys symbolique à la
main. 11 faut voir au deuxième tableau, les dessous de l'Hippo-
drome, la voûte sombre sous laquelle l'égyptienne Tamyris a
établi sa tente, à portée du belluaire qu'elte a mission de sur-
veiller. Et les jardins de Styrax, peuplés de cyprès, de myrtes,
d'oléandres, au milieu desquels se dresse un platane gigan-
tesque. Et la loge impériale de l'Hippodrome, dans laquelle
Juslinien fait son entrée, drapé dans un manteau de pourpre,
encensé par des enfan|s en tunique blanche. L'arrivée de l'impé-
ratrice, qui prend place sur le trône k côté de l'autocrate, la
face vers le peuple qu'on entend gronder, la brusque apparition
sous leurs armures luisantes des scolaires qui forment la garde
impériale, l'entrée d'Andréas qu'on jette sanglant, pantelant, aux
pieds de Thêodora, quels tableaux! Il s'agit ici d'œuvres réellement
artistiques, non de la mise en scène banale, quoique somptueuse,
à laquelle nous ont accoutumés Hérodiade, Sigurd, tous les
opéras à spectacles qui ont défilé au théâtre de la Monnaie.
TIléodora sera, espérons-le, à cet égard d'un exemple salutaire.
Nous n'entendons évidemment pas par là réclamer pour les
œuvres à monter dans l'avenir pareille prodigalité de costumes
et de décors. Mais ce qu'il y a à retirer de ces représentations
modèles, à ce point de vue spécial tout au moins, c'est l'art
extrême avec lequel tout est réglé, disposé, arrangé, de manière
à former'pour l'agrément des yeux les combinaisons de couleurs
les plus harmonieuses, les effets de lumière les plus heureux,
les groupes de figures les plus .variés et les plus naturels.
A part le personnage de Nicéphore, cette sorte de figure
d'opérette échappée de la Belle- Hélène pour promener à
Constantinople sa tunique bleu de ciel et son manteau groseille,
il n'y a vraiment rien à reprocher au choix des costumes, qui
sont d'une variété et d'une richesse extraordinaires.
Us ont en plu«, parait-il, le mérite de l'exactitude historique.
Comme nous le disions en commençant, la vérité des détails a
été, en effet, le grand souci de M. Sardou, ce qui paraît étrange
de la part d'un homme qui a fait si bon marché des documents
que nous a transmis l'histoire sur le caractère et les habitudes
des personnages qu'il met en scène.
Il semblerait plus logique que l'auteur se fût attaché à faire
revivre ses héros plutôt que leurs attifements.
Car on admettra, n'est-ce pas, qu'il soit assez indifférent au
public de savoir que le costume porté au premier acte par
M"* Sarah Bernhardt a été copié sur une mosaïque de San-VitaLe,
à^ Ravenne, que les bibliothèques aient été mises à sac pour y
découvrir les moindres détails relatifs aux mœurs du Bas-Empire,
que les infiniment petits de celte gigantesque archéologie ont été
étudiés avec le soin le plus méticuleux.
On a suffisamment ergoté dans la presse à propos de ces ques-
tions de restitution pour que nous puissions nous dispenser d'in-
sister.
Au surplus, la vérité sur ces détails, fût-elle légèrement écor-
née, nous n'y verrions pas grand mal puisque l'interprétation
qu'on en donne satisfait le sentiment artistique et provoque les
émotions que seules les œuvres d'art font naître.
M"« Saràh Dornhnrdl incarne avec une aulorild souveraine le
rôle de rimpdriitrice. Toule la pièce repose sur elle, a élé faite, en
quelque sorle, pour mollrc en lumière les ressources multiples
de son art. Celle extraordinaire virtuosité de la Irajcédienne, aussi
enlaçante dans les scènes de tendresse que féroce et impitoyable
en ses colères, est l'un des atlrails principaux du drame.
M. îMarais partage le i)oi(ls de l'action : il recueille, de môme, la
moitié des acclamations, jusiifièes par son jeu plein de chaleur et
d'émotion, sa voix vibrante, son geste ample.
Autour de ces étoiles de première grandeur gravite un petit
monde de satellites dont l'éclat est plus tranquille. M. Philippe
Garnier force trop sa voix dans le rôle de Justinien et joue celui-ci
plus en boucher qu'en empereur. M"*" Marie Laurent, en revan-
che, est remarquable dans le rôle épisodique de Tamyris et
mérite une mention sprciule.
Telle est, dans ses grandes lignes, cette première représenta-
tion de Théodorn, impiitiemmenl attendue k Bruxelles, où l'avait
précédé le relenlissement d'un succès considérable à Paris. Dans
les conditions où l'œuvre est présentée à noire public, c'est assu-
rément une bonne fortune dont il fera bien de profiter.
LA PARISIENNE
comédie en 3 actes de M. Henri Becque
• Nous connaissions de M. Becque Les Corbeaux^ une sorte de
satire amère contre les usuriers, les Iripoleurs d'affaires, les gens
de loi véreux, jouée en 4882 au théâtre du Parc après avoir sou-
levé, à Paris, par des brutalités de situations et de mots, les
colères du public. Rendant compte de cette œuvre poussje au
noir et qui nous semblait quelque grand décor de bitume sur
lequel une fantaisie d'artiste avait brossé une sélection de masques
grotesques, nous regrettions que les facultés vraiment person-
nelles et audacieuses de l'auteur ne fussent point contenues dans
les limites de la vie réelle : d'un bout à l'autre de ces quatre actes
débridés, M. Becque cavalcadait dans le rêve, sans souci de
l'équilibre des caractères, de la vraisemblance des scènes, de la
justesse des mouvements. Ces corbeaux, ou plutôt ces vautours
d'une espèce inconnue, étaient la charge, non l'interprétation
artistique d'un coin sombre de l'humanité. C'était mal visé ; certes,
le but n'était pas atteint.
Jrois ans ont passé depuis, et voici que M. Becque a rajusté
son point de mire et rectifié son tir. La Parisienne n'est ni au
delà ni en deçà de la réalité : c'est la réalité elle-même, observée
par un esprit singulièrement aple à analyser les plus subtiles
nuances de la psychologie humaine, à crayonner d'une pointe
mordante des profils exacts, à donner au dialogue le charme et
l'imprévu d'une conversation.
Il y a infiniment d'esprit dans ces trois actes, et pourtant l'es-
prit s'y lient constamment aux arrière-plans, cédant la place à
l'observation : pas un trait n'est souligné, pas un mol n'est enca-
dré avec complaisance. Être homme de goût autant qu'homme
d'esprit n'est pas commun, et le fait mérite d'êire remarqué.
Être homme de théâtre n'est pas banal non plus. L'auteur a
prouvé qu'à ce point de vue il est excellemment doué. Quelle
exposition nette, concise, complète, irréprochable, que celle de La
Parisienne! Au lever du rideau, Clotildeet Lafont se querellent.
Scène de jalousie. « Ouvrez ce tiroir, Madame, et donnez-moi
cette lettre.... — Chut! réplique la jeune femme, voici mon
mari ».
Le public est édifié, du coup, sur la silualion, qui ne permet
point d'équivoque.
El durant ces trois actes, dont pas un ne traîne quoiqu'ils se
déroulent sans le moindre incident dramatique, la jalousie de
l'amant égaie l'adultère correct qui se poursuit avec une immo-
ralité candide, jalousie d'ailleurs justifiée, puisque Clotilde n'a
pas dédaigné les hommages du jeune Simpson. Mais celui-ci
retourne à ses fusils et à ses chiens de chasse. C'était un passan/^
— le mot est cru, il est dans la pièce. Clotilde revient a son
amant, et la toile tombe sur cet élonnant mol de la fin prononcé
par le mari, qui ne s'est douté de rien : « Mon système avec les
femmes a toujours élé la confiance. Je ne m'en suis jamais mal
trouvé. »
Donc, ni Ihèse, ni plaidoyer d'aucun genre. Dans un milieu
contemporain, dés personnages vivants, selon la théorie du théâtre
moderne formulée par Emile Zola. S'il était possible de déduire
une moralité quelconque de celle pièce qui n'en comporte point,
ce serait celle que nous entendions résumer à la sortie : « C'est
à dégoûter d'aimer les femmes des autres, » disait un célibataire
endurci. — El à donner aux femmes l'envie de rester sages, »
répondit sa compagne.
Voici que M. Becque, probablement sans s'en douter, est de-
venu moralisateur!
S'il est vrai de dire, que le litre général donné par l'auteur au
monde exceptionnel et odieux où il nous transporte n'est pas
d'accord avec le sujet de sa pièce, — heureusement pour l'huma-
nité! — au moins faut-il reconnaître qu'il était impossible de
peindre avec plus de vérité, d'humour et de talent, les petites
intrigues, les petites misères, les petites lâchetés des ménages à
trois. A ce titre, la Parisienne esl un régal littéraire, et peut-
être une date pour le théâtre.
L'interprétation excellenle qui en a été, donnée au théâtre
Molière, sous la direction du jeune et 1res artiste directeur de la
Renaissance, M. Fernand Samuel, par M"« Anton.ine, MM. Vois,
Bellot et Galipaux, a, dans une large mesure, contribué au succès
de celle soirée sans lendemain.,
^ PROPOS DE ^iqURD
M. Ernest Reyer a consacré dimanche à Sigurd, dans les
Débals ^ un feuilleton où il raconte plaisamment les péripéties
par lesquelles il a passé avant de se faire jouer à l'opéra et raille
finement les trois directeurs, MM. Emile Perrin, Halanzier, Vau-
corbeil, auquel « il doit une éternelle reconnaissance de n'avoir
pas monté Sigurd. » A propos des coupures qu'on a fait subir à
son œuvre à Paris, il exprime quelques bonnes vérités qu^il
nous paraît utile de reproduire : -
« S'il est vrai que ce que l'on coupe n'est pas sifilé, il n'est
pas moins vrai que ce que l'on coupe n'esl pas applaudi. Les
exemples qu'on me cite, si haut qu'on les prenne, ne me per-
suadent pas : je suis l'ennemi des coupures et même, quand elles
sont intelligentes, je les trouve absurdes; quand elles sont utiles,
je les trouve nuisibles. Dans un ouvrage où tout s'enchaîne, où
la cavatine et l'arioso ne sont pas préparés par une ritournelle
ou un récit, où il n'y a même ni arioso, ni cavatine, je compren-
drais à la rigueur la suppression d'un acte, mais je n'admets pas
qu'on supprime un morceau encore moins qu'on le raccourcisse,
qu'oïl le mutile. Votre ouvrage dure longtemps, me disait en
L'ART MODERNE
2Ô9
parlant de Sigurd Ymh des directeurs du théâtre de la Monnaie,
mais il n'esi pas trop long. Un opéra est trop long ou trop court,
suivant l'attention que l'on apporte et le plaisir qu'on prend à
l'entendre. Et le public parisien, ayant depuis longtemps pris
l'habitude d'arriver à l'Opéra une heure après ie commencement
du spectacle, rien ne l'empêche de s'en aller avant la fin. Et
savez-vous quelle aurait été la durée de Sigurd si on l'eût joué
tout entier, y compris l'ouverture? En commençant à sept heures
et demie, on eût pu, conformément à l'ordonnance,' finir à
minuit. Ce n'était vraiment pas la peine de tant chagriner un
pauvre compositeur pour vingt-cinq minutes de musique. Si les
directeurs de l'Opéra s'attendent de ma part à des récriminations,
leur espérance sera déçue. On leur a reproche les coupures de
Sigurd beaucoup plus que je ne les leur reprocherai moi-même :
ils ont agi dans une bonne intention, dans rintérêl du succès de
l'œuvre, ont-ils dit ; je veux bien le croire, mais aussi longtemps
qu'on jouera Sigurd avec des coupures je ne remettrai pas les
pieds à l'Opéra. On se passera bien de moi. Le directeur de
Lyon avait donné l'exemple; les directeurs de Paris l'ont suivi.
« Et les coupures de Bruxelles? Ah ! les coupures de Bruxelles,
c'est tout différent : elles ont été faites quand je n'étais pas là
pour en gémir et après que les intelligents et très sympathiques
directeurs de la Monnaie m'eurent donné la légitime satisfac-
tion d'entendre mon ouvrage tel que je l'ai écrit Et puis k
Bruxelles les usages ne sont pas les mêmes qu'à Paris : il faut
que le spectacle soit terminé au plus lard à onze heures ; les gens
qui viennent des faubourgs les plus éloignés et même de la pro-
vince ne sauraient, sans inconvénient, manquer le dernier tram-
way ou le train de minuit. Mais chaque fois que je retournais en
Belgique, les coupures disparaissaient comme par enchantement,
et j'en étais enchanté : j'y mettais d'ailleurs de la discrétion; je
ne suis allé que trois fois à Bruxelles pendant les cinquante-
quatre représentations de Sigurd. Ah ! quelle fête quand j'arrivais
et quelle joie j'éprouvais à serrer la main de ces deux directeurs
qui sont restés mes amis! Ai-je besoin de les nommer ? on les
connaît bien maintenant, et l'on sait ce que certains composi-
teurs français doivent de reconnaissance à MM. Stoumon et Cala-
bresi. »
JaA QUESTION DU^TEEN
Nous recevons, au sujet de notre dernier article : Vandalisme
anversois, la communication suivante : /
21 Juin 1885.
Monsieur le Directeur,
J'apprends à l'instant que nous obtenons un premier résultat
dans la question du Steen : on s'occupe d'un projet de restau-
ration. -
Est-ce une vraie retraite ou une habile foinle, destinée à endor-
mir le zèle gênant de nos amis?
Nous le saurons'jbientôt.
Quant à moi, après ce qui s'est passé ici pour d'autres monu-
ments, je n'ai pas une entière confiance dans des assurances si
généneu sèment octroyées.
Aussi est-ce avec grand plaisir que j'applaudis à la remarquable
dissertation sur le Steen que publie l'Art moderne d'aujourd'hui.
L'eti ne peut trop, me semble-t-il, s'occuper de cette aflfaire.
Ce sera le moyen d'en finir une bonne fois avec l'esprit de des-
truction inintelligente qui règne depuis trop longtemps.
Il y aura d'ailleurs probablement à combattre bien d'autres
hérésies artistiques, celle par exemple de la reslauralioii quand
même. Nos monuments sont grattés, remis à neuf, complétés
d'après les projets fantaisistes de l'un ou l'autre architecte. Et j'ai
presque peur lorsqu'on me dit qu'on conservera le Steen et qu'on
le restaurera!
.C'est parfait pour un édifice complet, sorti entier du cerveau
d'un architecte et dont il existe un plan d'ensemble, comme par
exemple lorsqu'il s'agit de nos admirables églises gothiques (et
là encore Ton se trompe parfois, témoin le portique nouveau de
Sainte-Gudule).
Mais le Steen est un monument hybride. Il appartient à tous
les styles, chaque époque y a laissé sa griffe. Et c'est même là
son caractère propre : ce qui est intéressant en lui, c'est précisé-
ment (le le voir loi que nous l'ont légué les siècles, mutilé par
les luttes, primitif dans ses bases normandes, brutal cl guerrier
dans sa poterne, orné et chatoyant dans la logelte de sa fctçade
de Cliarles-Quiril, et cependant sincère dans sa grande siliiouelte
grise.
Restauré, frotté, gratté et... complété (!), il deviendra banal.
Faisons œuvre d'art jusqu'au bout, et après avoir combattu les
bourreaux, préservons-le des rnédecins trop habiles.
Et au sujet de ces choses du passé, permettez-moi de vous
signaler un bijou d'architecture gothique, une élégante façade aux
fines nervures, aux figurines fantastiques, telles que le moyen-âge
savait les faire : le type charmant de la Maison gothique du
xV siècle, un chef-d'œuvre dans son genre, j'ose le dire.
Cette façade, qui appartenait à une habitation de la rue des
Saucisses, a été démolie comme tant d'autres, mais les matériaux
en ont étt5 exceptionnellement conservés.
Un emploi judicieux pourrait peut-être en être fait en l'appli-
quant contre l'une des fiiçades accessoires du Steen qui no com-
porte qu'une muraille moderne percée de fenêtres carrées, celle
sur laquelle se trouve l'inscription : Muséum van Ouiheden.
Restauration facile et peu coûteuse, point important î .
LE JEUNE PRIX DE ROME ET LE VIEUX WAGNÉRISTE
Entretien familier.
M. Catulle Mendès publiera prochainement un livre sur
Richard Wagner dont nous détachons le curieux dialogue sui-
vant. La Revue wagnérienne en donne, dans son dernier
numéro, la primeur.
Le Prix de Rome. — Ainsi, c'est vrai?
Le Wagnériste. — C'est vrai.
Le Prix de Rome. — L'œuvre de Richard Wagner?
Le Wagnériste. — Sublime. Où courez-vous si vite, mon
jeune ami?
Le Prix de Rome. — Je vais à la bibliothèque du Conserva-
toire, étudier les partitions de Richard Wagner.
Le Wagnériste. — Voilà qui est bien. 11 faut étudier les
ouvrages des maîtres. A mon sens, la connaissance intime des
chefs-d'œuvre favorise, au lieu de la gêner, l'indépendance
d'inspiration. Mais vous semblez bien pressé d'étudier. N'auriez-
vous pas, parlons franchement, quelque but moins avouable ?
Le Prix de Rome. — Vous ne devinez pas? Quoi ! Tristan et
YsEULT, KAnneau du Nibelung, Parsifal, manifestations su-
prêmes du génie wagnéricn, sont acclamés par l'élite intellec-
tuelle d une nation; quoi ! le drame musical existe en Allemagne,
cl nous laisserions tout entière à un pays que nous aimons peu
une gloire où nous pouvons avoir part? Il faut que le drame
musical soit fondé en France ! '
Le Wagnériste. — Certes, il le faut. Mais par quel moyen?
Le Prix de Rome. — Etudions l'homme nouveau! Appro-
prions-nous son génie, sa manière...
Le Wagnériste. — Arrêtez! Si vous ouvrez dans celle pensée
une sqjulc partition de hichard Wagner — fût-ce Lohengrin,
fut-ce le Vaisseau fantôme, — vous êtes perdu pour la musique
française. Dans le domaine de Tari on n'égale qu'à la condition
de (lift'érer, et, en outre, de tous les modèles que vous pourriez
vous proposer, Richard Wagner est précisément le plus dange-
reux.
Le Prix de Rome. — C'est vous qui dites cela?
Le Wagnériste. — Moi-même. 11 est rAllemand par excel-
lence! A la fois poète et musicien, il contient h lui seul aulanl
d'Allemagne qtie le poète Gœihe cl le musicien Beethoven. 11 a
poussé à l'extrême — car il est de l'espèce des génies excessifs
— loules les qualités et tous les défauts d'une race qui, après
avoir écrit le premier Faust, croit devoir écrire le second, et à
qui il ne faut pas moins de irois tragédies pour mettre en scène
l'histoire de Wallenstein. Son drame — non pas toujours, mais
quelquefois — évite la vivacité de l'aclion, s'attarde à de longs
récits, s'étale en de vastes développements de caractères ou de
passions, s'idéalise parla recherche des symboles jusqu'à devenir
irréel, et n'en est pas moins. poignant^w point de vue du peuple
pour lequel il a été conçu, n'en doit pas paraître moins admirable
au critique loyal qui fait la yavl des nationalités. Mais vous,
créateur, n'empruntez rien à une personnalité qui n'est pas, qui
ne peut pas être la votre. L'esprit français, c'est l'esprit clair,
précis, rapide au but ; soyez puissant, hautain, sublime — et net,
même quand il s'agit de musique pure, repoussez l'influence des
maîtres allemands.
Admirez, n'imitez pas; musicien de chambre, écartez-vous de
Raff et de Brahms; symphoniste, défiez-vous de Schumann. Que
se passe-l-il autour de nous? Parmi les jeunes musiciens de
France, il y a certainement des artistes considérables par le talent
et par le savoir; plusieurs sont considérés à l'étranger comme
des maîtres; mais ne sentez-vous pas dans leurs plus belles œu-
vres instrumentales l'infiltraiion de plus en plus pénétrante de
l'inspiration germanique? De là l'indifférence à leur égard d'une
grande partie de notre public : on applaudit sincèrement l'opé-
rette, qui satisfait du moins un des besoins de notre race — le
moins noble, ii est vrai — el l'on n'esiime que par bon Ion des
œuvres vraiment élevées, dont l'essence nous est étrangère. Cela
est fâcheux, mais jusqu'à un certain point légitime. Et je vous
prie de le remarquer : lorsque les musiciens nouveaux, se mani-
fesiant dans le drame lyrique, voudront se mettre en communi-
cation plus directe avec l'âme de tous, cette absence de nationa-
lité leur sera encore plus fatale.
Le Prix de Rome. — Mais, Monsieur, nous avons des Sociétés
nationales de musique, cl tous les compositeurs modernes aflir-
ment les tendances exclusivement françaises de leur art. ^
Le Wagnériste. — Ajoutez qu'en les affirmant ils sont sin-
cères; mais je crains qu'ils ne se (rompent. Que dit réliqueite?
« Château-Laffîlte » ou « Champagne Cliquol »; dans le verre le.
Laffilte est du Rudesheimer, et le Cliquol du Johantiisberg. Nous
avons soif de vins français. Qu'est-ce donc enfin qui vous empêche
d'être tout à fait de votre pays? Si vous pensez, comme je le
pense^ que les sujets historiques conviennent mal au drame musi-
cal (il y a peu d'idées au monde plus saugrenues que celle de faire
chanter Robespierre ou Napoléon 1*'', ^^ c'est à cela qu'on en
viendrait fatalement), si vous croyez que la légende est le
domaine d'élection de la musique théâtrale, ne trouverez-vous
pas dans les vieilles épopées françaises de magnifiques sources
d'inspiration? Les chansons de geste, avec leurs héroïques aven-
tures d'amour et de bataille, vous offrent par centaines d'admi-
rables sujets.
Lisez nos romans de chevalerie, qui vivent encore dans
l'esprit populaire ; dépouillez-les des ornements médiocres dont
ils furent enjolivés, et, une fois restitués dans leur simplicité
première, transformez-les de nouveau, selon les inévitables lois
du théâtre moderne. En agissant de la sorte, vous ferez œuvre
véritablement nationale, et le public vous comprendra, car il
retrouvera dans voire drame, issu du cœur môme de la nation,
la vie, l'enthousiasme, la gaîté, tout ce qui constitue la person-
nalité de la race française.
Le Prix de Rome. — 11 y a pcut-cire quelque vériîé dans ce
que vous venez de dire. Roland, opéra médiocre, n'a pas été
mal accueilli, el l'on a applaudi la Fille de Roland, tragédie
honorable. Mais vous ne parlez pas de la musique, qui a bien
quelque importance cependant lorsqu'il s'agit du drame lyrique.
L'inspiration musicale, où la trouverons nous?
Le Wagnériste. — Elle naîtra du sujet, pareille à lui, profon-
dément française, si le sujet est français. D'ailleurs, elle est en
vous el autour de vous ! Ecoutez : est-ce que la chanson popu-
laire est morte? Poursuivez-la, non pas dans les recueils où elle
est trop souvent défigurée, mais sous le toit des chaumières, au
foyer des aïeux. Là vous la surprendrez souriante ou pleurante,
histoire de guerre ou légende d'amour, refrain d'atelier ou ronde
que l'on chante en dansant dans la cour des fermes; et toujours,
ingénue, poignante parfois, elle vous révélera l'essence même de
notrç musique nationale.
Le Prix de Rome. — Comment, Monsieur, la musique en
France ne doit pas être autre chose que : .i'ai in grand voyage
A faire... ou bien : Eho ! eho ! les agneaux vont aux plaines ?
Le Wagnériste. — On voit que vous aimez à rire. Qui vous
parle de restreindre tout un art admirable à une chanson de
petite fille? Mais, dans ces thèmes naïfs, au rythme jamais
banal, que chantèrent enfants les mères de nos ancêlres, recher-
chez patiemment el sachez découvrir la qualité primitive de
NOTRE mélodie, et, par votre inspiration, par votre labeur per-
sonnel, développez jusqu'à une parfaite manifestation artistique
l'âme musicale, inconsciente, de la patrie.
Le Prix de Rome. — Il faudrait beaucoup réfléchir là-dessus.
Le Wagnériste. — Et vous n'avez pas le temps?
Le Prix de Rome. — D'ailleurs, la nature du sujet et celle de
la musique ne constituent pas lout le drame. Il y a la mise en
œuvre de la matière poétique et musicale, et ce point de la
question ne manque pas d'importance. Quelle forme affeclera
l'ouvrage? Nous en tiendrons-nous à l'opéra des maîtres français,
ce qui, selon vos idées, serait assez logique, ou, par des conces-
sions à l'esprit étranger, adopterons-nous les modes italiennes ou
les modes allemandes?
Le Wagnériste. Si vous tenez compte de 'leur temps, les
kP
maîtres français, Rameau, MchuI, Hérold, élaienl dans le vrai.
Mais, maintenant, le désir d'œuvros plus vastes et plus puis-
santes s'est victorieusement imposé, et leur cadre théâtral serait
brisé par le drame que nous rêvons.
Xe Prix de Rome. — Je l'admets; mais, dans ce cas, que
faire?
Le Wagnéiustë. — Adopter, simplement, le système drama-
tique de Richard Wagner.
Le Prix de Rome. — Ah! Ah! je pensais bien que vous en
reviendriez là. Après avoir affirmé qu'il ne fallait pas imiter le
novateur allemand, voici que vous le proposez en exemple?
Vous êtes, ce me semble, un peu en contradiction avec vous
même.
Le Wagnériste. — Pas le moins du monde! Gardoz-vous
d'imiter, ai-je dit, tout ce qui, dans l'œuvre de Richard Wagner,
constitue la spécialité de sa race et l'originalité de sa nature; ne
lui empruntez ni la couleur ni la qualité de sa mélodie, et gar-
dez-vous de lui dérober, en ce qu'elles ont de créé par lui, ses
harmonies et son instrumentation. En un mot, ne tentez jamais
de vous assimiler son double génie poétique et musical ! Mais, en
même temps que Richard Wagner, poète-musicien, qu'il faut
laisser seul, il y a Richard Wagner, dogmatiste, dont les théories
universellement applicables peuvent être acceptées par tous,
L'auteur d'OpÉRA et Drame a découvert une Amérique dans l'art
dramatique et ce n'est pas imiter Christophe-Colomb que de faire
un voyage k New- York.
Le Prix de Rome. — Je crois vous entendre. Le drame musi-
cal en France serait une œuvre où l'inspiration française, profon-
dément française, se développerait selon des lois empruntées au
système wagnérien ?
Le Wagnériste. — Vous l'avez dit. Monsieur, et je ne prévois
pas l'objection qui me ferait changer d'avis. Oui, j'en suis per-
suadé, une gloire aussi grande que légitime, une gloire d'une
espèce nouvelle, est réservée en France au musicien de génie,
— car, du génie, il en faut toujours un peu, — qui, le premier,
s'étant profondément imprégné de la double atmosphère musi-
cale et poétique éparse dans, nos légendes et dans nos chansons,
et, le premier aussi, ayant accepté de la théorie w.ignérienne
tout ce qu'elle a de compatible avec l'esprit de notre race, réus-
sira enfin, seul ou aidé par un poète, à délivrer notre opéra des
entraves anciennes, ridicules ou démodées. Qu'il unisse intime-
ment la poésie et la musique, non pour les faire briller l'une pjr
l'autre, mais en vue du drame seul; qu'il repousse s.ms faiblesse,
poète, tous les agréments littéraires, musicien, toutes les beau-
tés vocales et symphoniques qui seraient de nature kinterrompn^
l'émotion tragique; qu'il renonce au récitatif, aux ariettes', aux
slrettes, aux ensembles mêmes, à moins que le drame, à qui
tout doit être sacrifié, n'exige l'union des voix diverses ; qu'il
rompe le cadre de l'antique mélodie cirrée; que sa mélodie, sans
se germaniser, se prolonge infiniment selon le rythme poéiique;
que sa musique, en un mot, devienne la pnroîe, mais une parole
qui soit la musique pourtant; et surtout,' que l'orchestre mêlant,
développant, par toutes les ressources de l'inspiration et de la
science, les thèmes représentatifs des passions et dts caractères,
soit comme une grande cuve où l'on entendra bouillir tous les
éléments du drame en fusion, pendant qu'enveloppée de l'at-
mosphère tragique qui en émane, l'action héroïque et hautaine,
complexe, mais logiquement issue d'une seule idée, se hîitera
parmi les passions violentes et les incidents inattendus, et les
sourires, et les pleurs, vers quelque noble émotion finale! Celui-
qui réalisera une telle œuvre sera grand et nous l'aimerons; car,
louten empruntant à l'Allemagueun système qu'il aura d'ailleurs
modifié, il sera demeuré Français par l'inspiration. Au grand
nom de Richard Wagner, c'éléhré par les Allemands nous oppo-
serons glorieusement le sien, ce nom que nul ne connaît encore,
itiais que nous entendrons bientôt au milieu des applaudissements
et dés cris de bienvenue.
CONCOURS DU CONSERVATOIRE
Voici le résultat des concours publics du Conservatoire :
Instruments en cuivre.
Trombone. — Professeur M. Paque. 1"" prix, MM. Naveau et
Picflfort (2 concurrents).
Cornet à prisions — Professeur M. Duhem. 1««" prix, M. Gilson ;
IT accessit, MM. DeWever et Vilez (2 concurr-ents-.
Trompette. — l'»" accessit, MM. De Decker et Maton (4 cojicur-
rents;.
Cor. — Professeur M Merck. 1*' prix avec distinction, M. Van-
dermeerschen ; rappel de 2*' prix avec distinction^ M. Jeumont ;
l^r accessit, MM. Druard et t'Kint ; 2'" accessit, M. Nuzet (5 concur-
rents)
Saxophone. — Professeur M Beeckman. 2* prix avec distinc-
tion, M. Mayeur; 2« prix, M. De Recker (2 concurrents). .
Instruments en bois.
Basson. — Professeur M. Neumans. i^' prix, M. Van Ingh;
l«r accessit, MM. F. Leclercq et A. Doth,.
Clarinette. — Professeur M. Poncelèt 1»^ prix, avec distinction ^
M. Milis; l'"'" prix, MM. Heirwegh et Dubois; 2« prix, MM. Roe-
landts etDeweerdt; U^ accessit, MM. Morenier, Imbert et Vau den
Abeele.
Flûte. — Professeur M. Dumon. l*"" prix, avec distinction,
M. Vanden Kerkhove ; !•"" prix, M. H. Schreurs ; 2^ prix,M.Sterckx;
1er accessit, MM. Aerts et Dumont.
Musique de chambre avec piano.
Professeur M. Steveniers l»*" prix, avec distinction, M^'* Pëqui-
gnot ; 1"" prix. M^'' Cintillon ; 2 prix. M"*» Swoboda et Dumont ;
!*•' accessit. M"" Deroever, Schoeumaekers et Louis ^7 concur-
rents). ,
Instruments à cordes (sauf le violon).
Contrebasse. — Professeur M E. Van derHeyden. le'prix, avec
distinction, M! Hautslont; 2« prix, M Faelen ; l'' accessit, M.Sury.
Alt'f — Professeur M Firket. 2« prix, avec distinction, MM. De-
sniet et Hans ; 2* prix, M. Adams.
Violoncelle. — Professeur M. Jos. Servais. l«r prix, avec dis-
tinrtion, M" • Vandenheude et Querrion ; 1" M. Warie ; 2* prix,
M. Lampens; l*"' accessit, M. Schoofs. ' ,
Piano (Hommes).
Professeur M. Zarembski. 2" prix, MM. Strauwen et De Raede-
niaeker; 2« accessit, M. Gonzalès. M. Fremolle, malade, n'a pu
prendre part au concours.
pETlTE CHROJ^UqUE
Le gouvernement belge vient d'acquérir le beau tableau de Con-
stantin Meunier : La fabrique de tabacs à Séville, qui figure en ce
moment à l'Exposition d'Anvers.
M"« Hamaekers, la cantatrice qui a laissé un si bon souvenir au
public bruxellois, et dont la Monnaie a maintes fois regretté la voix
perlée et charmante, chantera le mercredi 1*^ juillet et le samedi 4
au concert du Waux-Hall.
MÉMMi,
212
VART MODERNE
Le conseil municipal de Paris vient de donner les noms deBastien-
Lepage, de Gustave Doré et de Gustave Courbet à de nouvelles rues.
Le même, conseil municipal a récemment voté une somme de
12,000 francs pour contribuer à l'érection du monument de Victor
Hugo.
Là ne se bornera pas son concours : les représentants de la ville
ont, eu effet, l'intention d'accorder gratuitement l'emplacement
nécessaire à la construction de ce monument.
La commission municipale de voirie s'occupera prochainement du
choix de cet emplacement.
On lit dans le Moniteur des Arts :
. La bibliothèque royale de Bruxelles vient d'acquérir la bibliothè-
que dramatique de feu M. Faber. Cette collection avait été commen-
cée par M. Faber père, propriétaire d'une fabrique de porcelaine
renommée il y a quarante ans; son fils l'a considérablement aug-
mentée, en la tenant au courant des nouvelles publications. C'est à
l'aide de cette bibliothèque que M. Frédéric Faber, greffier du con-
seil des mines, décédé il y a quelques mois, a écrit une Histoire du
théâtre français en Belgique pleine de renseignements curieux.
Un autre Belge mort récemment, M. Frédéric Fétis, conseiller à la
Cour de cassation, était un fort savant amateur de faïences ; la col-
lection qu'il avait formée avec le goût le plus délicat est très pré-
cieuse; il est très désirable que le gouvernement belge fasse pour elle
ce qu'il a si bien fait pour la bibliothèque de M. Faber; ce ne serait
que s'acquitter d'une dette de reconnaissance, tout en s'enrichissant:
ce fut en effet M. Frédéric Fétis qui rédigea, par pur patriotisme,
le remarquable Catalogue des faïences appartenant au Musée royal
d'Antiquités de Belgique.
Le fameux chef d'orchestre Hans Richter vient de retourner en
Autriche après avoir terminé, le 23 mai, la série des concerts phil-
harmoniques qu'il avait entreprise à Londres. Il retournera en,
Angleterre pour diriger, à la fin du moi« d'août, le festival de Bir-
mingham, où le violoniste Sarasate, doit faire entendre le concerto
que M. Mackensie a récemment écrit pour lui.
On se prépare, à Schwerin, à élever un monument à la mémoire
de Frédéric -Guillaume Kûcken, le compositeur que ses liedereï&e&
chants populaires ont rendu si fameux, et qui est mort en cette ville
il y a quelques années. C'est le sculpteur Briinow, de Berlin qui est
chargé de ce monument.
*
Sous le titre : Clid) musical Richard Wagner^ on vient de con-
stituer à Buenos- Ayres une association dont le but principal est de
propager la théorie et les œuvres du maître.
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Documents manquants (pages, cahiers.)
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Cinquième année. — N° 28.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 12 Juillet 1885.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser les demandes d'abonnement et toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
?
OMMAIRE
Ancienne peinture et peinture nouvelle, — Livres nouveaux.
Les Musiciens néerlandais en Espagne du XII^ au XVIII^ siècle,
par Edmond Van der Straeten ; Contes mélancoliques, par Célestin
Demblon. — Glanures. — L'Académie. — Les concours du Con-
servatoire. — Bibliographie musicale. — Ventes artistiques. —
Théâtres. — Chronique judiciaire des arts. — Petite chronique.
ANCIENNE PEINTURE ET PEINTURE NOUVELLE
Il y a des gens, simples, oui très simples, qui consi-
dèrent ce genre de peinture qu'on nomme impression-
nisme comme un acte de mauvais gré de quelques
rapins frondeurs, résolus à vexer quand même Mes-
sieurs des académies en affichant le mépris le plus
absolu pour les traditions et les principes qui consti-
tuent, sinon le bon goût, au moins le bon ton artistique.
Car, dans les arts comme dans le monde, iLy a ce
groupe grotesque qui, pour employer son jargon, s'ima-
gine fort plaisamment constituer « l'ensemble des gens
corrects, des personnes distinguées, de bel air et de
bonne compagnie, qui se caractérisent par une élégance
aisée, une distinction naturelle, un luxe de bonne qua-
lité, une façon confortable de se mettre en bonne pos-
ture, une aptitude à devenir les arbitres de la vie de
salon et de la société polie, par opposition aux mau-
vaises manières, aux individualités naturellement
balourdes, d'origine épaisse, de façons vulgaires,
classées en mauvais rang et imprégnées de dé pitsmal- 1
séants et d'infatuation intolérante. » Ouf ! ô les pré- [
cieux ridicules d'aujourd'hui ! car nous avons nos
précieux comme nous avons nos couturiers.
Donc,^ pour ces amalécites, cet art prétendument
nouveau qui tant se démène, serait tout uniment une
invasion de malappris, mécontents de se voir surpas-
sés par les peintres à belleâ manières ; et la mise à l'air
de leurs tableaux apparaîtrait comme une sorte d'in-
congruité, basse et infecte, destinée à scandaliser le
high-life du pinceau, une Commune nouvelle, un
outrage au beau monde.
On comprend qu'il faudra les ramener de loin si Ton
tente de leur démontrer que ce mouvement qu'ils
prennent pour une manifestation de voyous, n'est que
l'évolution historique normale de l'art, et que loin de
diminuer l'amplitude de celui-ci, il le dote de provinces
nouvelles. Aussi en émettant ici quelques aperçus à ce
sujet, visons -nous moins à convertir ces roquantins
qu'à goûter la satisfaction personnelle qu'il y a à don-
. ner le vol aux idées qui bourdonnent dans le cerveau
comme des mouches contre les vitres. Une fois parties,
qu'elles aillent se faire accueillir où elles peuvent.
L'impressionnisme ! Cette façon imprévue de peindre
les choses, en dehors des conventions séculaires, avec
des procédés excentriques (au moins le croit-on), de
quel coin du ciel est-elle tombée ?
A notre avis, c'est moins difficile à découvrir qu'on
le pourrait croire et pour s'en rendre compte il suffit
de considérer quelle était la règle directoire de tout cet
art de la Renaissance qui pèse si lourdement sur nos
temps contemporains sans cesse préoccupés de le
refaire. On peignait alors surtout pour la décoration,
pour ajouter par le tableau une harmonie nouvelle à
l'ensemble des tons résultant de rornementation inté-
rieure générale d'un palais, d'un hotel-de-ville, d'une
église. L'artiste, pendant qu'il exécutait son œuvre, la
voyait déjà à la place qu'elle devait occuper, à hau-
teur, avec son jour spécial, dans le voisinage redou-
table des tapisseries, des cuirs, des ors, des tentures,
(les tons lourds, assourdis ou éclatants, qui caracté-
risaient l'ameublement de l'époque. Et entraîné par
l'invincible désir de ne pas détonner par une note fausse,
il mettait son coloris d'accord avec le milieu. De là est
venu ce phénomène inquiétant pour les novateurs
actuels et qui fournit de si belles armes à leurs détrac-
teurs, que, durant plusieurs siècles, tout ce qui était
grand a, invariablement, peint dans la gamme brune.
Ce n'est pas qu'ils vissent ainsi. Leur œil sans doute
valait le nôtre. Mais pensant moins à la vérité de leurs
productions qu'à l'unisson où elles devaient tenir leur
partie, ces puissants harmonistes masquaient l'impres-
sion naturelle, et tantôt par des glacis, tantôt par des
mélanges bitumineux, échauffaient la vive pâleur qu'ont
si souvent les choses dans la réalité. Leur coloris et leur
lumière sont avec évidence empreints de ces procédés
qu'on a toujours mis sur une façon de voir la nature,
alors qu'ils n'étaient qu'une façon de la transformer
pour l'approprier au but limité qu'ils poursuivaient. Les
plus illustres d'entre eux, Rubens et Rembrandt par
exemple, ont obéi à cette règle, et ce n'est guère que
parmi les plus humbles qui travaillaient l'œuvre pour
elle-même et non pour sa destination, qu'on découvre
parfois quelque indépendance de tonalité faisant vague-
ment présager les nouveautés de l'heure présente.
C'est avec ce passé si nettement conventionnel dans
sa couleur, mais sans en discerner la raison, que les
académies ont commencé l'enseignement néfaste dont
elles ne prétendent pas se départir. Les élèves ont été
conviés à prendre pour modèles cette série de chefs-
d'œuvre qui en Flandre, en Hollande, en Italie, en
Espagne réalisaient en des types merveilleux le triom-
phe des tons chauds et bistrés. Il semblait que cette
immense production avait tout entière subi une cuisson
où s'était dorée sa pâte. Et des milliers de malheureux
appelés, non plus à cet admirable effort de décoration
où s'étaient illustrés leurs prédécesseurs, mais à l'exé-
cution d'œuvres qu'on s'accoutumait chaque jour davan-
tage à considérer en elles-mêmes, se mirent à perpétrer
les tableaux désormais odieux où le jus de tabac des
ancêtres, n'ayant plus de raison d'être, est devenu la
plus agaçante des faussetés.
Il y a cinquante ans, quelques artistes, surpris du
désaccord énorme qu'il y avait entre les œuvres du
passé et la nature qu'ils avaient sous les yeux, com-
mencèrent à mettre en question la légitimité du coloris
des écoles antérieures. Courbet était si violemment
choqué de cette énigme, qu'il demanda, on s'en sou-
vient, de fermer tous les musées pendant un demi-
siècle. Il considérait les anciens comme des artisans de
perversion. Il n'avait pas deviné leur mobile. « Pour-
quoi donc, s'écriait-il, ont-ils peint brun, tous ces gail-
lards, alors que tout est frais et clair? » D'autres
devaient plus tard, avec le même étonnemént, deman-
der : " Pourquoi donc dessinent-ils avec des contours
précis, alors qu'il n'y a pas de contours? *» D'autres
enfin : ♦* Pourquoi font-ils des scènes de convention,
alors qu'il n'y a que des scènes réelles? » La réponse
était simple, mais difficile à dégager. Ces maîtres
savaient aussi bien que Courbet et ses successeurs, jus-
qu'aux plus récents, jusqu'aux plus hardis, que la cou-
leur naturelle est claire et fraîche, que les contours
sont indécis, que la réalité seule existe, mais ils ne tra-
vaillaient pas pour reproduire ces vérités visibles; ils
travaillaient pour orner ce qu'on les avait chargés
d'orner, et ils sacrifiaient, ou plutôt ils ramenaient tout
aux nécessités d'une ornementation parfaite. Et ils
étaient tellement dans la logique et la convenance des
choses, que celui qui aura à accomplir un but analogue
devra, malgré toutes les théories nouvelles et leur légi-
timité à un autre point de vue, suivre leurs doctrines
et faire céder la vérité autant qu'eux, sous peine de
tuer l'entourage par le tableau, ou le tableau par
l'entourage.
Mais, répétons-le, nous sommes loin des périodes où
la peinture était surtout décorative et se subordonnait
aux nécessités architecturales. Un tableau existe main-
tenant pour lui-même et c'est de ce sentiment vraiment
moderne qu'est venu le changement contre lequel s'in-
surgent en vain les prôneurs déplus en plus rares d'un
passé qui n'a plus sa raison d'être, au moins avec la
généralité d'autrefois. Ce jqu'on cherche dans l'œuvre,
c'est une impression directe. On la; fait maintenant sor-
tir des rangs, pour l'examiner à part et lui demander
-dans son isolement les sensations artistiques. Dès lors,
pour ceux qui n'ont pas perdu la droiture du goût natu-
rel, la sauce répugne invinciblement. On ne s'explique
pas sa raison d'être. On réfléchit qu'elle est injusti-
fiable, qu'elle n'est qu'une bizarre convention, une
énigme dont on cherche le mot. Et ne le trouvant pas,
on la condamne, on la malmène, on la hue. On crie qu'il
faut peindre la nature avec la couleur qu'elle a.. . et l'on
est ainsi impressionniste sans le savoir.
Car l'impressionnisme, c'est ça. Vulgairement il
court sur le sens de ce mot mystique bien des légendes.
En général, on s'imagine qu'il faut entendre par là les
peintres instantanés, ceux qui, en un tour de main,
campent sur la toile leur impression du moment. C'est
une grosse naïveté. L'impressionniste le plus en vue et
le plus vibrant pour l'heure, Claude Monet, ne peint
pas vite du tout et sa touche n'est guère légère. On
peut ajouter qu'au fur et à mesure que récole se perfec-
tionnera, elle arrivera à des procédés qui, comme pré-
cision et fini, atteindront aux belles et consciencieuses
œuvres des anciens. S'imaginer qu'une nouvelle expres-
sion de l'art pourra consister uniquement dans la façon
cavalière et preste de plaquer des taches, est puéril
et consiste à bâtir une théorie explicative des néo-côlo-
ristes sur le sens plus ou moins exact du substantif par
lequel les ont désignés ceux qui ne les comprenaient pas
et ont essayé de les dénigrer.
Non. L'impressionnisme est la plus récente incarna-
tion de l'école qui veut peindre la couleur, Tair, la
lumière tels qu'ils sont, en y mettant les hommes et les
choses tels qu'ils sont^ sauf à faire transparaître dans
l'exécution ce don suprême de Toriginalité qui dépend
de la personnalité de l'artiste. La marche de l'art dans
cette voie imprévue est lente, elle s'est faite par étapes,
mais elle a été ininterrompue depuis le début du siècle.
Théodore Duret, dans son excelfent livre Critique
(V avant- garde, a fort bien résumé les éléments maté-
riels de cette transformation. Il montre Rousseau allant
déjà regarder la nature, mais ne prenant devant elle
que des renseignements sommaires, des notes : il des-
sine au crayon les contours des arbres, l'ossature et la
forme du sol ; il précise, par de simples croquis, l'aspect
du feuillage ou de l'herbe; il va même jusqu'à relever
au pastel, voire à l'aquarelle, les jeux de la lumière
dans les nuages, la couleur de la lune, du ciel et des
eaux. Puis rentré à l'atelier, il compose et peint un
tableau à l'aide des indications recueillies. Corot et
Courbet, venus après lui, procèdent déjà autrement.
Pour diminuer la distance qui sépare les études préli-
minaires du travail de l'atelier, ils peignent à l'huile,
sur la toile même, des esquisses en plein air, en face de
la nature. Ces premières études, terminées à l'atelier,
deviendront des tableaux ou serviront à la peinture de
toiles agrandies et développées. Ils franchissent ainsi
une partie de la distance qui séparait l'étude sur
nature de la peinture du tableau, ils commencent à
rendre les deux opérations successives, simultanées.
Claude Monet achève ce qu'ils ont commencé. iVvec lui
plus de croqufs préliminaires accumulés, plus de
crayons ou d'aquarelles utilisés à l'atelier, mais une
peinture à l'huile tout entière commencée et terminée
devant la scène naturelle directement interprétée et
rendue, ce qui l'a fait appeler, après Manet, le chef de
l'école du plein air.
Tout artiste qui procède ainsi est un impressionniste,
qu'il peigne lentement ou vite, légèrement ou lourde-
ment. C'est pourquoi, en Belgique, nous plaçons parmi
eux, au premier rang, Joseph Heymans. Et ajoutons
qu'il arrivera sans doute, qu'il arrive déjà peut-être,
que ceux qui pratiquent cette méthode si imprévue et
si salutaire, atteignent à une virtuosité qui leur permet
de traiter parfois de souvenir des scènes naturelles avec
une intensité égale à celle qu'ils obtiennent devant la
nature. C'est, paraît-il, le cas pour Vogels. Ce fut le
cas pour Louis Dubois. La question n'est pas de savoir
si l'on est toujours fidèle aux pratiques du nouvel évan-
gile, mais si l'on en fait la règle dominante de son art
au point d'en demeurer toujours imprégné, même quand
on s'écarte passagèrement de la rigueur de la liturgie,
sauf à y revenir asse?'souvent pour ne jamais perdre
la fraîcheur et la rectitude d'impression qu'elle donne.
Avons-nous par cette rapide causerie fait saisir la
nature du phénomène c\m est cause de tant de rumeurs ?
Avons-nous mis en relief sa genèse et les chances de
son avenir? Aura-t-on compris que le nier est d'un sot,
que le combattre est d'un retardataire, et qu'avec
l'amoindrissement des visées décoratives de l'art ancien
grandit la place de l'art nouveau ? Discerne-t-on aussi
qu'il y aurait injustice à ne plus vouloir que de cette
école de date récente et à la faire servir à mépriser
toutes les autres? Elle a sa manière spéciale, elle
répond mieux à nos sentiments présents, mais il serait
d'un esprit étroit de la considérer comme la seule
vraie, la seule légitime. Habituons-nous aux expres-
sions artistiques en apparence contradictoh^es, mais
qui sont en réalité complémentaires l'une de l'autre.
Ayons la haine des imitateurs inconscients qui pré-
tendent recommencer un art qui a fait son temps,
mais admirons, dans le passé, ce qui vraiment fut à sa
place et vint à son heure quand même nos prédilections
seraient pour des œuvres plus jeunes et mieux en
rapport. avec nos sentiments d'hommes contemporains,
quand m^me, en un mot, nous serions.... des impres-
sionnistes.
JaIVRE? jMOUVEAUX
Les Musiciens néerlandais en Espag^ne du XII« au
XVIII« siècle. — Etudes et documents, par Edmond Van der
Straeten. Bruxelles, Vax Trigt, 1885.
Il y a dix ans que M. Edmond Van der Straclcn travaille à l'un
des ouvrages les plus considérables qui aient été écrits sur la
musique. Patiemment, avec une conscience infinie et avec le flair
particulier que possèdent seuls les collectionneurs passionnés
— qu'il s'agisse de documents ou de coléoptères, qu'importe?
si le but diffère, l'ardeur est la même — il a réuni, classé, coor-
donné les éléments les plus intéressants et les plus complets sur
riiistoire de la musi(iue aux Pays-Bas avant le xix^ siècle,
élevant ainsi ii son pays, pierre par pierre, un monument glo-
rieux auquel son nom restera définitivement attaché.
I.a superbe élude de 550 pages qu'il a publiée récemment sur
les Musiciens néerlandais en Espagne — premier tome d'un
ouvrage qui comprendra deux gros volumes — n*est elle-même
qu'un fragment du travail énorme que s'est imposé l'auteur.
Ce qu'il avait fait naguère pour la part prise par les musiciens
flamands dans le mouvomonl musical de l'Ilalio, il lo répèle
aujourd'hui h propos du rôle considérable que jouèrent nos com-
positeurs, nos chanteurs, nos inslriimenlisles et même nos
luthiers' en Espagne pendant la longue période qui se déroula du
xii® au XVIII'* siècle. On imagine ce qu'une élude de ce genre
nécessita de rccherclios, de compulsations de manuscrits, de
comparaisons de textes, de lectures et d'annotations. D'autant
plus que pour arriver h déterminer exactement l'influence des
musiciens néerlandais sur l'art espagnol, il fallait commencer
par. étudier celui-ci aux époques qui ont précédé l'intervention
des Pays-Bas, exploration nécessaire, mais combien laborieuse
et difficile ! ,
Pourtant la lâche était si belle, ni neuve, si féconde en décou-
vertes, que le savant musicologue l'entreprit courageusement.
« L'élite de la musique néerlandaise a été déversée en Espagne,
dit-il. Les souverains de ce pays, devenus maîtres de la
NY'erlande, dounaienl les ordres les plus pressants pour en
extraire ce qu'il y avait de meilleur. N'onl-ils pas élevé, en outre,
aux hautes dignités, nos typographes usant du procédé, porté
par eux à la perfection, de la notation musicale mobile? »
Il est h peiné nécessaire de rappeler les alliances dynastiques
dés Flandres avec l'Espagne, dès les premiers siècles du moyen-
âge, pour expliquer celte invasion de la musique néerlandaise
sous le ciel de Castille. L'étroite parenté entre Philippe-le-Hardi
€l le roi Jean d'Aragon ne justifie-t-elle pas l'échange artistique
qui eut lieu et qui se perpétua durant des siècles entre nos con-
trées et la péninsule ibérique, tant dans le domaine de la
musique que dans celui de la peinture?
El l'art espagnol n'a-l-il pas gardé des traces nombreuses de
l'intluonce exercée sur lui par nos artistes? Qu'est-ce que ces
célèbres flamencas, ces chansons populaires dont les gitanos ont
conservé les traditions, sinon les refrains introduits, dès le
xïi® siècle, en Andalousie par les ménestrels flamands? Que ces
chants aient subi des déformations, qu'ils aient passé par le
creuset de l'art arabe ou de l'art bohémien, il n'en est pas moins
vrai qu'en traversant les siècles, ce terme, comme le fait observer
M. Van der Straelen, a dû porter une trace profonde, essentielle
du génie flamand. .
Il n'en fallait pas plus pour décider notre auteur à entreprendre
l'important travail de restitution et d'évocation dont il vient de
mener à bonne fin la première partie. Il n'en faut pas davantage
pour faire comprendre le puissant attrait que dégage, pour ceux
qui aiment la patrie, la lecture de celte savante et ingénieuse
compilation.
A ceux qui voudront se faire une idée générale de la musique
néerlandaise en Espagne sans entrer dans le détail des documents,
pièces justificatives, archives de tous genres, que l'auteur à ras-
semblés comme les i)ièces éparses d'un gigantesque jeu de
patience, il sufiira de lire les sommaires placés, ainsi que des
poteaux indicateurs le long des grand'routes, en tête de chacun
des chapitres du livre. De même, une tabl'î alphabétique de tous
les noms de villes, d'artistes, d'instruments, etc., cités au cours
du volume permettra aux chercheurs de retrouver à l'instant sans
aucune peine le renseignement désiré. Ajoutons qu'au point de
vue de la typographie, des nombreuses reproductions de textes,
d^ vignettes, gravures en couleur et autres illustrations qui
ornent l'ouvrage, celui-ci fait honneur à son éditeur. L'exem-
plaire tiré h petit nombre sur papier de Hollande que nous avons
sous les veux est vraiment fort beau.
Oh nous Saura gré, pensons-nous, d'aVoir signalé au public
celle excellente et intéressante élude, dont la publication n'a
pas élé, semble-l-il, assez remarquée. Un pareil livre est plus
qu'un |:liclionnaire à l'usage des érudils. C!esl un travail de
vulgarisation qui s'adresse -d tous, un livre d'histoire consacrant
les précieux souvenirs de notre art nationpl. Il mérite respect et
admiration.
Contes mélancoliques, par Célestin Demblçn. 2* édition.
Bruxelles, Cii. Istace.
Il y a deux ans à peine, parut h Liège la première édition des
Contes' mélancoliques. VArt moderne en rendit compte en ces
termes : « Ces contes, première et incomplète tentative d'un
talent en formation, méritent une lecture attentive. Us révèlent
une nature enthousiaste et tendre et une volonté. On dévoile
clairement, dans ces essais, la lutte de deux littératures. Demblon
est un romantique frotté de naturalisme; la combinaison de ces
deux facteurs dégagera un jour une originalité. »
Le petit volume a fait son chemin. Voici qu'une deuxième
édition en a élé publiée.
Quant à la « lutte des deux littératures » à laquelle nous fai-
sions allusion en 1883, l'auteur paraît décidé à la mener jusqu'au
bout si l'on en juge par l'annonce que nous avons reçue, en même
temps que les Contes., du livre nouveau qu'il prépare et qu'il
intitule : Le Roitelet, poème naturaliste-romantique en -prose.
*G[lanure^
Qu'enlend-on par le grand art? Un tableau de dimensions
énormes peut appartenir au « genre », un petit tableau au grand
art.
Il consiste en une conception absolument personnelle qui
étonne ou qui charme par des qualités spéciales qu'on ne ren-
contre point ailleurs.
* vit
11 est multiple : on arrive aux plus hautes expressions de la
beauté par des chemins très divers. jM
Il exige des connaissances profondes, mais demande en même
temps que l'eft'ort du savant ne se fasse nulle part sentir. Il lui
faut la spontanéité et une certaine quantité d'inconscience.
Nul ne peut devenir maître s'il ne commence par être ouvrier;
mais le travail de l'ouvrier ne se laisse jamais voir dans l'œuvre
du maître.
* *•
Qu'ils sont lourds et fatigants ces peintres qui n'ont pour eux
que la science et qui vous forcent h reconnaître et t» proclamer
des talents qui vous ennuient !
Comme l'artiste, le critique a tous les droits, y compris celui
de se tromper. Comme l'artiste, il travaille pour le public. Après
le Salon des pcinlres, on a lo Salon des critiques. Après la pièce,
le comple-rcndu.
Le critique regarde l'œuvre, donne son avis, le molivc s'il se
peut, et expose son travail comme i'autcur dramatique sa pièce
et le peintre son tableau.
Nous nous garderons de jamais demander à un peintre son avis
sur les ouvrages de ses confrères; son savoir-faire est un sûr
garant d'une incompétence particulière.
*
* *■
Rien n'est devenu plus commun qu'un certain don de talent,
rien ne s'est fait plus rare qu'une certaine quantité d'idéal da.ns
les ouvrages de l'esprit.
Jamais l'Art n'a eu autant de disciples que de nos jours. Mais
il semble qu'à s'étaler il ait perdu quelque chose de celte fière
chastcld, de ce mépris de la foule, de cet unique souci de la réa-
lisation longuement caressée du beau qui produit les œuvres
véritablement originales.
L'ACADÉMIE
. Un de nos collaborateurs, M. Emile Verhaeren, vient de con-
sacrer dans la Société nouvelle une importante étude au paysa-
giste Joseph Heymans. Nous en détachons l'intéressant fragment
que voici :
«Il est de nécessité, une fois qu'on a mis le pied dans certaines
académies, de se reconquérir pour être artiste. Le malheur
veut que tout ce qu'on apprend en Belgique, avant qu'on ait
conscience de soi, ne sert à rien. Tout l'enseignement acadé-
mique consiste à dessécher la personnalité, à la tarir. Pour
devenir artiste, il faut regarder en dedans de soi, son îime, et en
dehors de soi, la nature. Il faut se sentir et sentir les choses,
établir entre son tempérament et l'extérieur une communion un
lien, soit de haine ou d'amour, de joie ou de mélancolie, de
despotisme ou d'abandon.
L'artiste naît ainsi et le poète. L'Académie coupe celle chaîne,
qui va de l'âme aux choses et m^t entre l'homme et la nature le
tableau, le « déjà vu » et doclorise :
« Voici un chef-d'œuvre. Rien n'existe hors de lui. II est
signé Raphaël, Ingres, David. Il vivra aussi longtemps que le
monde. II est fait selon telles règles, telles formules. Admirez-en
les proportions vraies, comme la symétrie, le sacro-saint dessin, le
dogmatique contour. Vous devez apprendre à faire des chefs-
d'œuvre ; or, il n'est qu'un moyen : c'est de ne jamais regarder
au delà, ni à côté, ni par dessus, ni en dessous de celui-ci.
« S'il vous arrive de faire un portrait songez aux bras et au
col et aux mains et aux yeux qui se trouvent peints sur œ chef-
d'œuvre : ce sera le moyen de donner de la dignité à votre
travail ; s'il vous arrive d'estiuisscr un nu, sachez que, du che-
veu le plus menu jusqu'à la pointe de l'orteil, tout est parfait
sur le chef-d'œuvre et que vous n'avez pas le droit d'inventer
quoi que ce soit sans outrager lé grand style; de mémo si vous
avez à composer une scène de genre, songez encore au chef-
d'œuvre, songez y toujours dussioz-vous peindre à un cordonnier
le bras de l'Apollon du Belvédère et à une marchande de rue
la poitrine de la Vénus de Milo. »
El c'est ainsi qu'ont pris naissance des théories moVislrueuses
de fausseté qui, toutes, une à une, comme des poisons, sont
essavées sur les élèves. , *
On connaît les axiomes esthétiques qui veulent que tout
personnage ait la longueur du corps égale à celle de ses bras,
étendus, qui exigent que le nombril se trouve toujours au point
d'intersection des deux diagonales tracées de l'extrémité du bras
gauche au pied droit et du bras droit au pied gauche. On n'ignore
pas l'importance des canons, des displinaires canons et de la hau-
teur du corps, qui doit être f^ept fois celle de la tête.
Le mal e.sl, afïirme-t-on, peu redoutable. Les vrais forts
résistent à ces années de compression.
Ils se roidissont et apprennent une manière de calligraphie
artistique qui leur fait la main. Pardon, outre que de beaux,
talents ont sombré dans les tlancs de l'Académie aussi pointus
do cotes que; Charybde et Scylla, le diantre est qu'elle élève,
qu'elle nourrit, qu'elle ehlrelient, qu'elle couronne, qu'elle
décore toute la grande séquelle des artistes nuls, veules,
obstruants, siiperfélatoires et superfécatôiros, qui tapissent, qui
salissent, qui dégradent les murs des expositions.
Ils sont dix, vingt, cent, mille, à vous insulter de leurs
œuvres dès que vous entrez, ils vous torturent l'œil, ils vous
gueulent leurs couleurs criardes à l'oreille; ils vous mettent des
colères sur la langue, des rages dans le cœur, des procès-verbaux
au collet, si vous avez le malheur d'entailler par folâtrerie leur
envoi ; ils sont vos tortionnaires, vos cauchemars, vos haines,
ils vous accablent de leurs deux mille trois cents toiles au Salon de
Paris, de leurs douze cents tableaux au Salon de Bruxelles,
impunément, doucement, officiellement — et l'Académie leur
sourit, les présente au roi, au président de la République, à tous
les représentants de la médiocralie moderne, et c'est elle encore
qui les envoie par dessus les monts faire des farces d'atelier à
Rome sous prétexte de se perfi'clionner dans l'art de tuer l'art.
Voilà le crime : créer des médiocrités. Tous les systèmes patronnés
par l'Académie y tendent. Son idéal est vulgaire, accessible au
premier venu, au chien qui passe.
Elle fausse toute notion exacte des choses, elle apprend à voir
ce qui n'existe que dans ses théories et ses méthodes, c'est-à-dire
ce qui n'existe pas dans la réalité et, faussant l'œil, la main,
l'imagination, le sentiment, elle rend l'artiste inapte à imaginer
quoi que ce soit de vivant et de vrai. L'Académie lue, écrase,
anéantit l'art, bien plus : elle tue sa notion même, son germe,
son principe. »
■" -pONCOUR^ DU j]0N3ERVAT0IRE
"Violon.
Professeurs : MM. Jeno Hubay, Colyns et A. (a>rnélis. Ipr prix
avec laphcs grande distinction , M. Alonso ; l^"" prix arec distniction, '
M^es H. Schmidt et Douglas; 1er prjx^ ^f. Rigo; 2" prix avec
distinction, M. Sauveur; 2® prix, MM. Laoureux, Drèze, Darmaro,
M"e8Mees et L. Van Netzer ; i^^ accessit, MM. Goosseus, Queeckers,
GoUin, Fiévez, M"cs A. Von Netzer et Stirling; 2« accressit,
MM. Godebski et Van Yperen.
Chant [Jeunes filles).
Professeurs : MM. AVarnots, Corxélis et M"'e Lemmens-Sher -
RiNGTON. l'^r prix uvec la plus grande distinction, M"« Fierens;
1" prix avec distinction, M"e Buol ; !«' prix, M"e8 Grégoir,
Hieniaux et Buol ; 2» prix avec distinction, M"»» Urbain et Gérard ;
2« prix, M"'î8 Shepard, Van Besten et Passmore; 1" accessit,
l^jiifB Brass, Corroy, Cornez, Hoefler, Lagye et Lecion ; 2^ accessit,
I^liies-Xeyt, Duclos et Joostens. ,
Chant {Hommes).
Professeur : M. Warxots. i^r prix, non décerné ; 2« prix,
MM. Van der Goten et Van Ruyskenvelde ; ler accessit, MM.Vander-
zanden, Raquqz, Boon, Honorez ; 2« accessit, M. Frère.
Chant italien.
Professeur : M. Chiaromonte. !««• prix, non décerné ; 2« prix,
M»'« Dedeyn.
Duos [Priu; de la Reine).
Prix : M'ies Buol et Hiernaux.
A mercredi le concours de déclamation, qui clôturera la série.
PlBUOQRAPHlE MU^ICAl-E
La maison Brcilkopf et Harlel vient de terminer la publication
des douze poèmes symplioniques de Liszt réduits pour piano à
deux mains. Les deux dernières œuvres parues sont : Ce qu'on
entend sur la montagne (n" i) et Prométhée (n" 5). Elles sont
iranscrites par M. L. Slark, de même que Mazeppa, les Fest-
Kldnge et le Combat des Huns. Les autres ont été réduites par
M. Forchhammer {Le Tasse, Hêroide funèbre et Hamlel), par
W. Spiro {Orphé/'. et Hitugaria), par M. Klausncr {Les préludes),
et par M. Hahn {Die Idéale). Les douze poèmes de Liszt forment
une superbe collection, macçuifiquement i^r.ivée et imprimée.
Chacun d'eux est précédé d'une notice explicative en français et
en allemand. Les excellentes réductions qui en ont été faites
donnent de l'œuvre une idée originale aussi exacte et aussi com-
plète que possible.
Parmi les plus récentes publications des mêmes éditeurs, citons
Trois morceaux de genre {o\). ^), par le savant professeur au
Conservatoire, M. Gustave Sandre. Ce cahier, de difficulté moyenne
cl qui variera agréablement l'ordinaire des candidats ès-piano,
comprend une Berceuse (la meilleure des trois pièces), une
Barcarolle et une Sérénade humoristique.
Pour les plus petites mains et les plus jeunes cerveaux, la
même maison met en vente un recueil de petits morceaux dans
le genre des Albums pour la jeunesse de Schumann. Titre :
Kleine stiicke fur Klcine Leute. Auteur : Gustay Tyson Wolff.
M. Friedrich Scliiflf a composé sur des paroles d'Emmanuel
Ceibel de la musique mélodramatique assez ampoulée et, somme
toute, de peu de valeur. La chose s'appelle La fille du Voyvode.
C'est une ballade dans le genre triste pour laquelle, dit un avant-
propos, « une voix de femme au timbre sombré (mettons sombre)
et à l'accent dramatique confient plus pariiculièremenl. » Cctic
voix doit « de temps à autre, mais poini, cepcndani, d'une façon
soutenue et suivie, moduler le ton de la déclamation sur léchant
même. » Si la musique n'est pas bien faite, la rime n'est, par
compensation, guère riche. Bobe nuptiale rime avec par inter-
valle, soudain avec chemin, etc. il est vrai que les ve:s(?)
français sont de Gustave Lrgye, ce qui est une circonstance
atténuante.
MM. Breitkopf et Hiirter enrichissent continuellement leur
Bibliothèque de chœurs, ^ous usons sous les yeux tles parties
séparées du Requiem de Mozart, dont la gravure et l'impression
sont irréprochables. Le prix modique auquel ces parties sont
niiscscn vente (30 pf.) marque les progrès considérables réalisés
en ces dernières années par les publications musicales.
On connaît, à cet égard, la remarquable édition populaire
d'œuvrcs classiques que publie la célèbre maison. Nous avons
déjà eu l'occasion d'en parler. MM.Brcitkopf et Hartel sont arrivés
îj fairCj pour un prix'insignifiant, des merveilles de gravure et
de typographie. Le dernier volume paru de celte collection pré-
cieuse (n® 522), qui renferme six concertos de J.-S. Bach,
transcrits pour piano k quatre mains par M. Waldersee, est,
comme les précédents, d'une nette:é d'impression, d'une clarté
cl d'une correction parfaites.
Vente de Knyff.
Leç 25 et 26 juin a eu lieu la vente des tableaux et objets d'art
dépendant de la succession de M. le chevalier de Knytf. Le total de
la vente s'élève à 37,000. Voici les principales enchères :
La Vogue : 200 fr. — La rallcc Trtmhctzkoï, Fontainebleau : 250.
— Troupeau de vaches à Genck : 580. — Les Prairies de Morte-
fontaine : 520. ■ — Bœufs au repos, Morte fontaine : 600. —■ Neuf
tableaux et études d'animaux sur bois : 525. — Neuf tableaux et
études, paysages sur bois : 280. — Près Dordrecht : 220. — Bœufs
au repos daits les prairies de Mortefontaine : 340. — Scieurs de
long dans la pn'H de Compiègne : 350. — Les Hauteurs de Chant-
pignij : 680. — Avant Vorage, près Granville : 500. — Sous bois
à Hoiœhenèe : 380. — Retour des thanips, Houchenée : 320,. — Sous
bois, Xhos {province de Liège) : 320. — La Chapelle de Xhos : 380.
— Le Hoyoux, près Modave : 250. — Marais da>is les Landes : 350.
— Les Saules, coucher de soleil : 300. — Coucher de soleil en
Campine : 250.— En Sologne : 260. — Jardin de M. Alfred Stei'cns,
effet de neige : 505. — Bords de l'Ourthe : 325. — Coucher de
soleil : 2i0. — Vaches à l'abreuvoir, Mortefontaine : '2^0. — La
Mare, Souvenir du Nivernais : 40.
Tableaux et dessins par divers. — Rousseau (Th.). Dessin au
crayon noir, rehaussé : 440. — Stevens (Alfred). Intérieur : 200. —
Stevens (Alfred). Marine : 625. — Stevens (Alfred;. Le Printemps :
355 francs.
Jhéatrz^
On annonce qive"Mï-Vei?dh«rtvie»t de recevoir un nouyaLouvrage
qui passera dans le courant de la prochaine saison à la Monnaie. Il
s'agit d'un opéra-comique en 4 actes, Saint-Mégrin, par Hille-
macher, tiré par MM. E. Dubreuil et E Adenis du drame d'Alexan-
dre Dumas i/<:'Hr/ ///<'< sc« ron>'.
Il paraît aussi que M. Verdhurt a engagé, aussitôt après le cou-
cours du Conservatoire, Mi'c Fierens, qui y avait remporté le
premier prix de chant avec la plus grande distinction.
•pHRONIQUE JUDICIAIRE DE^ ART^
Le conflit qui s'est élevé récemment à Paris entre MM. Moreau-
Sainti, Adenis et L. Ronnemère au sujet du livret des Templiers
UART MODERNE
227
et que nous avons rapporté dans notre dernier numéro, vient de
recevoir une solution.
La commission des auteurs, dont ces messieurs avaient accepté
d'avance la décision sans appel, a reconnu à l'unanimité comme bien
fondé le droit de collaboration que revendiquait M. Moreau-Sainti.
Son nom paraîtra donc sur les affiches de la Monnaie.
La conférence des avocats s'est réunie le 22 juin sous la présidence
de M. Oscar Falateuf, ancien bâtonnier, pour discuter la question
suivante : — « Un créancier hypothécaire peut-il exercer son droit
de préférence sur le prix d'objets d'art que le propriétaire a détachés
du fonds hypothéqué, puis livrés à un acquéreur de bonne foi ?» —
MM. Brocard et Delom de Méserac ont soutenu l'affirmative;
MM, Pascal et Alfred Michel la négative ; ministère public,
M, Maurice Bernard. La Conférence a adopté la négative. *
On affirme que M. Gounod, revenant sur sa décision première,
se résout à remplir l'engagement qu'il avait pris et à aller diriger,
au festival de Birmingham, l'exécution de son oratorio Mors et Vila,
à condition seulement que le comité du festival le garantisse contre
les conséquences tlu fameux procès Weldou. Cette garantie nous
semble ditïicile à obtenir.
MEMENTO DES EXPOSITIONS ET CONCOURS
Budapest. — Ouverture le 1er juin. Fermeture le 30 septembre,
En deux séries. Délais d'envoi : l^c série, expirés. 2^ série, 25 juillet.
Transport aller et retour (petite vitesse) aux frais de la Société hon-
groise des Beaux-Arts. Dépôt à Bruxelles, chez M. Mommen,
25, rue de la Charité ; à Anvers, chez M. Claessens, 12, place du
Poids public. — Secrétariat : Sugarut, 81, Budapest.
Nuremberg. —Exposition internationale d'orfèvrerie, de joaille-
rie, de bronzes, etc. Du 15 juin au 30 septembre 1885.
Salzbourg (Autriche). — Ouverture le août. Durée un mois.
Délais : Envoi des notices avant le 30 juin, des œuvres, le 14 juillet.
Communications : A la Cunimissioa de l'Ecrposilion, Kimstlerhause,
Salzbourg.
Spa. — Ouverture : 12 juillet. Fermeture : fin septembre. Délais
expirés.
Verviers. — Ouverture 23 août. Délai d'envoi : du 10 au 1.7 août.
Lettre d'avis avant le 31 juillet, au Secrétaire de la Société pour
l'cncouragonent des Beaux-Arts. Gratuité de transport (aller et
retour sur le territoire belge) pour les œuvres des artistes belges ou
étrangers invités (petite vitesse n^ 2).
Nous attirons spécialement l'attention des artistes sur cette
exposition, la première qu,i s'ouvre à Verviers.
Bruxelles. — Un grand concours de peinture sera ouvert, cette
année, entre les élèves et les anciens élèves de l'Académie, âgés de
inoins de trente ans révolus, qui ont obtenu une distinction quel-
conque dans la classe de peinture ou dans la classe de dessin d'après
nature.
Le prix est de mille francs.
' Ce concours aura lieu du 13 au 25 juillet courant. Les inscriptions
se feront au secrétariat de l'Académie, rue du Midi, le 11 juillet,
de 9 heures à midi.'
Bruxelles. — Vingt-cinquième concours de composition musicale.
Ouverture le 20 juillet 1885.
Inscriptions au ministère de l'agriculture, de l'industrie et des
travaux publics jusqu'au 11 juillet, à 4 heures. Les concurrents qui
n'habitent pas Bruxelles peuvent adresser par écrit leur demande
d'inscription ; à cet effet, ils déposeront, avant le 7 juillet, leur lettre
avec les jùèces à l'appui, entre les mains de l'administration com-
munale de leur localité, qui la transmettra immédiatement audit
ministère.
Les aspirants sont tenus de justifier de leur qualité de Belge et de
prouver qu'ils n'auront pas atteint l'âge de 30 aus au 20 juillet.
Prix du Roi. — Concours de 1886, 1887 et 1888. — Un arrêté
royal du 20 avril courant porte que le prix à décerner en 1886 (con-
cours exclusivement belge) sera attribué à l'ouvrage le mieux conçu
pour développer chez la jeunesse belge riutelligence et le goût des
littératures anciennes et mode: nés.
Le prix à décerner en 1887 (concours exclusivement belge] sera
attribué à l'ouvrage qui démontrera le mieux de quelle manière la
Belgique doit comprendre son rôle dans la grande famille euro-
péenne, tant au point de vue politique et intellectuel qu'au point de
vue matériel, pour servir lé mieux ses propres intérêts eu même temps
que ceux de la civilisation en général.
Le prix à décerner en 1888 (concours exclusivement belge) sera
attribué au meilleur ouvrage sur l'enseignement des arts plastiques
en Belgique et sur le moyen de développer lart en Belgique et de le
porter à un niveau de plus en plus élevé.
Les ouvrages destinés à ces concours devront être transmis au mi-
nistre de l'agriculture, de l'industrie et des travaux publics, à savoir :
pour le prix à décerner en 1886, avant le 1er octobre 1886, et pour
les deux autres, respectivement avant le. 1er janvier des années 1887
et 1888.
Vienne. — Concours pour l'érection d'un monument à Mozart.
La place sur laquelle doit être élevé le monument n'étant pas
encore déterminée par la municipalité, le concours reste ouvert.
pETITE CHROJ^iquJE
On nous annohce de Gand la mort du compositeur Henri Waelput,
dont les symphonies, les ouvertures, les chœurs et surtout les
recueils de mélodies étaient fort appréciés. Waelput était né à
Gand le 26 octobre 1845. A vingt ans, il remportait le prix de Rome
avec sa cantate : Het Woud {La Forêt). Il fut, à son retour, appelé
à la direction de l'orchestre du théâtre d'Anvers, puis on le nomma
professeur au Conservatoire. Il quitta Anvers pour rentrer dans sa
ville natale, où il fut attaché au Conservatoire. Il laisse un grand
nombre de compositions parmi lesquelles il en est qui ont une
réelle valeur. .
M. Kéfer, l'excellent pianiste, se fera entendre mercredi prochain
au Waux-Hall. Il y aura foule pour applaudir le jeune virtuose.
La représentation de Lohcngrin à l'Opéra-Comique paraît toujours
chose assurée pour l'hiver prochain. Afin (Je procurer à l'œuvre une
interprétation aussi exacte et aussi fidèle que possible, M. Câr^alho
songerait, dit-on, à envoyer M. Danbé en Allemagne pour étu<lier
sur place les détails de l'exécution, prendre une connaissance cer-
taine des mouvements et se rendre compte de toutes les traditions
généralement adoptées de l'œuvre (le Wagner. ■ ■
On annonce que M. Massenet a définitivement confié à M™» Bos-
man le second rôle féminin de sou nouvel opéra, le Cid, primiti-
vement destiné à M'"* Lureau-Escalaïs.
Le Rappel publie la troisième liste de souscription pour le monu-
ment de Victor Hugo. L'ensemble des souscriptions s'élève aujour-
d'hui à 30,724 francs.
228
VART MODERNE
Le prix Marie Bashkirtseff a été décerné par la section du jury
(lu Salon de peinture à M. Eugène Carrière, qui a exposé VEnfant
malade et le Favori, deux ouvrages récompensés d'uue médaille de
troisième classe. ,
On sait que le prix Marie Bashkirtseffest d'une valeur de 500 francs
et que, selon la volonté de sa fondatrice, il doit être décerné chaque
année à un arHste, homme ou femme, intéressant par sa situation et
récompensé au Salon. _
Le Conseil municipal de Paris s'est occupé des améliorations à
apporter à l'exposition dans les lieux publics des oeuvres d'art, au
point de vue de Vinslruction générale. M. Levraud avait proposé que
des notices fussent placées sur cliacune des œuvres d'art des musées
nationaux. Le même conseiller a signalé la demande d'un pétion-
naire proposant d'étendrie la mesure à tous les socles de statues, à
tous les groupes et médaillons qui décorent les monuments, places
et jardins publics. La 5« commission, et, après elle, le conseil, sont
d'avis de donner satisfaction à ce double vœu, et M. le préfet de la
Seine accepte d'autant plus volontiers l'invitation qu'elle est conforme
à son. propre sentiment. Dans le même ordre d'idées une proposition
de M Marsoulan est renvoyée à l'étude de la 5^ commission : elle
tend à demander cà l'Etat de prendre les mesures nécessaires pour
que tous les moulages en plâtre des œuvres d'art soient mis à la dis-
position du public moyennant une faible redevance.
Le théâtre de Dresde prépare pour la prochaine campagne un
ouvrage à sensation. Il s'agit d'un drame lyrique du compositeur
Kienzl, de Gratz, dans le style wagnérien, intitulé Vrvasi. La parti-
tion, qui est, dit-on, d'une richesse d'instrumentation remarquable,
comporte un grand luxe de mise eu scène et de décors.
Le Courrier Français de cette semaine contient une très belle
gravure sur bois : A la dé-inve, par Delatre, d'ai)rès le tableau de
Scalbert; Une drôle de pêche, par Steinlen ; 7e i^/rtwe des Amours,
par L. Galice, et le Mois de Juillet, par G. Paquéau. Bureaux du
journal, 14, rue Séguier, à Paris. Envoi gratuit de numéros-spéci-
mens sur demande.
Robert Pranz, le compositeur dont toute l'Allemagne connaît les
chansons, a fêté le 28 juin le 70® anniversaire de sa naissance. Il y a
eu à cette occasion à Steyermarck, où réside le musicien populaire,
d'enthousiastes démonstrations.
Un jeune compositeur allemand, Richard Henberger, travaille à
un opéra tiré de la comédie de Shakespeare : As you like. L'ouvrage
paraîtra sous le titre : Viola.
Van Fris zum Meer (Spemann, éditeur à Stuttgard) consacre
un « numéro d'été » extraordinaire, illustré de nombreuses gravures,
avec couverture spéciale, à des excursions dans la Suisse franco-
nienne (Bavière) et à Mondsee et Uttersee (Salz-Kammergut). A lire
aussi une étude sur Tennyson, ornée du portrait du poète, un article
sur Victor Hugo, des nouvelles, des vers, une feuille d'album pour
piano, etc.
Les annonces sont reçues au bureau dujommal,
26 r rue de V Industrie ^ à Bruxelles.
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— Chant du Soir (nouvelle édition) . . . . ^.00
— I Balafo, Polka-Fantaisie 2.00
— Etoiles scintillantes, 'M.a.zwTka. . . . . . 2.00
KOETTLITZ, M. Op. 9. Barcarolle : ...... 2.00
— — 12. Laendler . . ... . . 1.36
— — 2i. Danse rustique . . . . , 1.75
VIENT DE PARAITRE CHEZ
BREITKOPF & HÀRTEL
ÉDITEURS DE MUSIQUE
BRUXELLES, 41, MONTAGNE DE LA COUR
ECOLE DE PIANO
bu CONSERVATOIRE ROYAL DE BRUXELLES
20« livraison. Cahier I.
Id. Id. IL
2ie livraison. Cahier I.
id. Id. IL
Mozart, sonate en ut maj.
Mozart, sonates en mi b. maj., et fa maj.
Mozart, sonates en si b. maj., et la maj.
Mozart, sonate en fa maj.
VIENT DE PARAITRE
CHEZ FÉLIX CALLEWAERT Père
26, HUE DE L'INDUSTRIE, A BRUXELLES
LA FORGE ROUSSEL
PAR Edmond PICARD
Édition définitive, tirée à petit nombre
Prix : Grand Japon, ^0 francs; Chine geuuine, 40 franc»;
Hollande Van Gelder, 2^ francs. »
Bruxelles. — Imp. Félix Callewaert père, rue de 1 Industrie, 26.
Cinquième année. — N** 20
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 19 Juillet 1885.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVÏÏE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 1*3.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser les demandes d'abonnement et toutes les comniunications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
^OMMAIRE
Les Déliquescents. — Les Impressionnistes français. Renoir.
— Les droits artistiques et littéraires. — Les concours du
Conservatoire. — Théâtres. — Waux-Hall. — Chronique judi-
ciaire des arts. — Petite chronique.
LES DÉIIQUESCENTS
Il vient de paraître à Paris (non, à Byzance s'il en
faut croire la couverture) un opuscule qui, dans quel-
ques lustres, sera l'une des curiosités bibliographiques
•de l'histoire littéraire de ce temps : Les Déliques-
cences, poèmes décadents, o?* Adoré Floupette, avec
5a î;ee, ^ar Marius Tapora.
C'est un très ingénieux pamphlet dirigé contre le
groupe le plus excentrique des écrivains contemporains,
poètes et prosateurs. Il les crible de coups d'épingle
empoisonnés, dans leurs trois confréries les plus en vue
et qui parfois s'entremêlent : les décadents, qui se font
gloire de renouveler (du moins le croient-ils), la décom-
position du Bas-Empire, — les fanatiques du mot, at-
teints du delirium verhoru7n, — les impressionnistes
de la littérature, 'dessinateurs d'idées vagues en phrases
vagues.
Adoré Floupette (quel admirable accouplement de
sentiment et de gâtisme !) est le fantoche destiné à les
incarner. Avant de donner les dix-huit poèmes, exem-
ples joyeux de sa manière, l'auteur crayonne ce type
du cadent (il paraît que décadent est déjà arriéré) trou-
veur, ou plutôt retrouveur de mots, se submergeant
voluptueusement et orgueilleusement en ses déliques-
cences. Il signale le comique et irrémédiable contrats te
qui, dérision amère, existe d'ordinaire entre les préten-
tions artistiques des novateurs de contrebande et leur
physique lamentable. Il y a l'échantillon maigre, le
pisse-vinaigre, et l'échantillon dodu. Adoré Floupette
réalise celui-ci. Joufflu comme un chérubin et rose
comme une pomme d'api, avec un nez en pied de mar-
mite, de gros yeux ronds à fleur de tète et un ventre
rondelet qui doit bedonner un jour. Voilà le poète!
L'infortuné : il avait vraiment de la peine à se mal
porter.
Marins Tapora, pharmacien de deuxième classe, son
copain et son biographe, \m le rejoint à Paris au mo-
ment où il plane (car sa fonction est de planer), l'inter-
roge : " Et la poésie ? — De mieux en mieux, je ne
suis pas trop mécontent, v ^ « Comment va Zola ? —
J^euh! il commence à être bien démodé. »» — « Et
Hugo ? — Un burgrave « . — ** Et Coppée ? — Un .
bourgeois. Mon cher, tu arrives de province, tu n es
pas à la hauteur. " — " Ainsi le Parnasse.., —
Oh! la vieille histoire! »* — « La poésie rustique...
— Bonne pour les Félibres ! « — w Et le natura-
lisme ? — Hum, hum ! Pas de rêve, pas d'au delà ;
la serinette à Trublot. » -^ « Mais enfin que reste-t-il
donc ? — Il regarda fixement et d'une voix grave
qui tremblait un peu, il prononça : - Il reste le Sy^î-
bole! n .-
Marins Tapora, pharmacien de deuxième classe,
"-(■
230
VAUT MODERNE
r:^T-
demeure stupéfait. Floupette ajoute : « Tout s'éclaircira
bientôt. Ce soir je t'emmène. Tu entendras les poètes. »
Et là dessus, il le quitte, ayant, paraît-il, à terminer,
un sonnet qui devait avoir trois sens ; un pour les gens
du monde, un pour les journalistes, et le troisième,
affreusement obscène, pour les initiés, à. titre de récom-
pense. Tout le monde sait que c'est le fin du fin.
Entendre les poètes ! Quelle aventure ! Ce fut dans un
café pas bien imposant, qui ne semblait pas se douter
des gloires qu'il abritait. Adoré dit en entrant : «Nous
avoiisde la veine, ils y sont tous. « En effet, noncha-
lamment étendus, quelques jeunes gens et deux ou trois
personnes d'un autre sexe, séduisantes encore bien
qu'un peu défraîchies, dont le rôle dans la convei'sation
se bornait à répéter de temps en temps : « Tu veux bien
que je prenne une chartreuse, n'est-ce pas, mon petit
homme? « — Et comme Floupette récitait à Tassistance
des Ternah^es qu'il avait composés pendant son dîner :
Je voudrais être Un gaga, „
Et que mou cœur navigât,
Sur la fleur du Seringa,
« Graga, fît une de ces dames, mais mon pauvre petit,
tu l'es déjà. «
C'est dans ce cénacle que Marins Tapora entend
développer les grandes théories ! ! La décadence !
d'abord. « Oh ! la décadence, vive la décadence !
L'amour est une fleur de maléfice qui croît sur les
tombes, une fleur lourde aux parfums troublants... »»
— « Avec des striures verdâtres, glisse, un assistant. »
— « Oui, avec des striures et des marbrures où s'étale
délicieusement toute la gamme si nuancée des dé-
compositions organiques ! Son calice est gonflé de
sucs vénèiieux et' elle a cela d'adorablement exquis
qu'on meurt de l'avoir respirée! Ce n'est pas trop pour
Tenfanter que l'artifice d'une civilisation profondément
corrompue ! Les plantes naturelles sont bêtes et vi-
cieuses, elles se portent bien! Oh! la santé! Quoi de
plus nauséeux. Parlez-moi d'une belle tète exsangue !
Montrez- moi le charme allangui d'un corps mor-
bide", etc., etc.,..,.. tu connais ça, lecteur, oh! oui,
tu connais ça.
Là dessus survient un macabre qui affirme qu'un
cimetière au crépuscule fait un cadre admirable à une
idylle d'amour et que rien ne vaut, pour se tenir en
joie, la compagnie d'une tête de mort. Un autre vante
rimitation de Jésus-Christ et avoue, non sans cir-
conlocutions, qu'il la préfère à la Justine du marquis
de Sade. Un troisième se déclare hautement hystérique.
Quand vient l'heure de se reposer et que Tapora
reconduit Floupette. très excité, celui-ci lui crie dans
l'oreille d'une voix tonitruante : « Hein, qu'en dis-tu?
Etait-ce tapé? J'achèverai ton éducation. De la per-
versité, mon vieux. Soyons pervers; promets-moi que
tu seras pervers. « — Et comme Marins entre dans la
chambre d'Adoré, il aperçoit un grand dessin du grand
artiste admiré par le cénacle : Une araignée gigan-
tesque, portant à l'extrémité de chacune de ses tenta-
cules, un bouquet de fleurs d'eucalyptus, et dont le
corps est constitué par un œil énorme, désespérément
songeur, dont la vue seule faisait frissonner : sans
doute encore un Symbole !
Et voici que Floupette, assis sur son lit, se met à
révéler au pharmacien ce qu'il appelle le grand
MYSTÈRE ! ! ! Ce n'était pas tout que d'avoir trouvé une
source d'inspirations nouvelles en un temps où tout est
bas et vulgaire. Les inspirations fugitives, ces fleurs de
rêve, ces nuances insaisissables, il faut les fixer. Pour
cela la langue française est décidément trop pauvre.
Nos ancêtres s'en étaient contentés, mais c'étaient de
petits génies, de bonnes gens, sans le moindre vice, pas
du tout blasés. A la délicieuse corruption, au détra-
quenient exquis de l'âme contemporaine, une suave
névrose de langue devait correspondre. La forme de
Corneille, de La Fontaine (encore un qui n'est pas
dans le train), de Lamartine, de Victor Hugo, était
d'une innocence invraisemblable. Une attaque de nerfs
sur du papier! voilà l'écriture moderne. Tantôt, la
phrase, pareille à un grand incendie, flamboyait,
crépitait, rutilait, on entendait craquer ses jointures:
tantôt avec le charme inconscient d'une grande dame
tombée en enfance, déliquescente, un rien faisandée,
elle s'abandonnait, s'effondrait, tombait par places,
et rien n'était plus adorable que ces écailles de style,
à demi détachées. Ou bien, comme si dans la forêt
des choses un vent d'épouvante l'eût affolée, elle bon-
dissait, tressautait avec de subits hérissonnements.
Les mots ont peur comme des poules. '
Ici Floupette se dressa sur son chevet, et, l'œil
hagard, la parole pressée: « Sais- tu, potard, ce que
c'est que les mots ? Tu t'imagines une simple combi-
naison de lettres. Erreur ! Les mots sont vivants comme
toi et plus que toi ; ils marchent, ils ont des jambes
comme les petits bateaux. Les mots ne peignent pas, ils
sont la peinture elle-même ; autant de mots, autant de
couleurs; il y en a de verts, de jaunes et de rouges
comme les bocaux de ton officine, il y en a d'une teinte
dont rêvent les séraphins et que les pharmaciens ne
soupçonnent pas. Quand tu prononces : Renoncule,
n'as-tu pas dans l'âmeytoute la douceur attendrie des
crépuscules d'automne? On dit : un cigare brun. Quelle
absurdité î Comme si ce n'était pas l'incarnation même
de la blondeur que cigare! Campanule est rose, d'un
rose ingénu; triomphe, d'un pourpre de sang; ado-
lescence, bleu pâle; miséricorde, bleu foncé. Et ce
n'est pas tout : les mots chantent, murmurent, susur-
rent, clapotent, roucoulent, grincent, tintinnabulent,
claironnent; ils sont, tour à tour, le frisson de l'eau
I sur la mousse, la chanson glauque de la mer, la basse
profonde des orages, le hululement sinistre des loups
dans les bois... w -
Ici on frappa violemment à la cloison, où, depuis
quelque temps d'ailleurs on entendait comme un vague
tambourinement. « Monsieur, prononce une voix en-
rouée, vous plaira-t-il bientôt de me laisser dormir?
Il est quatre heures du matin et je dois me lever à six.
Demain, soyez-en sûr, j'avertirai le propriétaire. »
On eût pu s'attendre à une protestation énergique
de la part d'Adoré, mais le dernier effort qu'il venait
de faire avait épuisé son énergie. « Hélas! dit-il, d'un
ton mélancolique, tel est le sort des apôtres; on leur
donne congé. Adieu, mon bon Tapora, mais sois sans
crainte, je ne t'abandonnerai pas dans ce monde fallace;
tu sauras tout. »»
Et, en effet. Marins Tapora reçoit respectueusement,
des mains du grand Floupette, le manuscrit des Déli-
quescences, et pieusement il le publie avec son immor-
telle préface, que disons-nous? son Liminaire :
« Ceux-là qui somnolent en l'idéal béat d'autrefois, à
« tout jamais exilés des multicolores nuances du rêve
« auroral, il les faut déplorer et abandonner à leur
♦* ânerie séculaire, non sans quelque haussement
« d'épaules et mépris. Mais l'initié épris de la bonne
« chanson bleue et grise, d'un gris si bleu et d'un bleu
" si gris, si vaguement obscure et pourtant si claire,
«* le melliflu décadent dont l'intime perversité, comme
« une vierge enfouie emmi la boue, confine au mira-
« cle, celui-là saura bien, on suppose, où rafraîchir
«* l'or immaculé de ses dolences. Qu'il vienne et
« regarde. «
Nous allâmes et nous regardâmes. Et voici ce que
nous vîmes où plutôt ce que nous lûmes. Buvez,
lecteurs altérés, à la coupe de dégustation des Déli-
quescences.
PIZZIGATI
Les Taenias
Que tu nias,
Traîtreusement sen sont allés.
Dans la pénombre.
Ma clameur sombre
A fait fleurir des azalées.
Pendant les nuits,
Mes longs ennuis,
Brillent ainsi qu un flambeau clair. '
De cette perte
Mou âmp est verte ;
C est moi qui suis le solitaire!
MADRIGAL
Mon cœur tarabiscoté
A pris un point de côté.
Tes effluves le fout battre
Comme trois. Que dis-je? Quatre.
Ce n'est point un coeur de rien,
^^ Un noctambule vaurien ;
Il ne fait de politesses
Qu'aux baronnes, aux comtesses.
Et, ce bel entretenu,
Regarde, il est devenu,
Grâce au sucre où tu t'enlises,
Confiture de Merises.
RYTHME CLAUDICANT
Je me suis grisé d'angélique.
Douce relique;
La bénite eau des Chartreux
M'a fait bien heureux 1
Toutes les femmes sont saintes 1
Oh! les rendre enceintes! . ^
L'onctueuse bénédictine.
Ce matin
En mon âme chanté mâtine !
.Je me ferai bénédictin !
Toutes les femmes sont saintes!
Oh! les rendre enceintes!
POUR AVOIR PÉCHÉ
Mon cœur est un Corylopsis du Japon. Rose
Et pailleté d'or fauve, — à l'instar des serpents,
Sa rancoeur détergeant un relent de -Chlorose,
Fait, dans l'Ether baveux, bramer les .^gypans.
Mon âme Vespérale erre et tintinnabule,
Par delà le cuivré des grands envoûtements ;
Comme un crotale, pris aux lacs du Vestibule,
Ses hululements fous poignent les Nécromans.
Les Encres, les Carmins, flèches, vrillent la cible.
'Qu'importe, si je suis le Damné qui jouit?
Car un Pétunia me fait immarcessible.
Lys! Digitale! Orchis! Moutarde de LouitI
Et pour finir ces citations tarabiscotantes et clau-
dicantes, voici le début du Bal décadent :
C'était une danse
De la décadence.
On ne dansait pas,
On allait au pas.
Tel est le cas. Nous Tavons exposé en sa vérité.
Qu'en faut-il penser, et qu en faut-il dire ? — Au pro-
chain numéro.
LES IMPRESSIONNISTES FRANÇAIS ^'^
RENOIR
Dans une préface de son livre sar les peintres impression-
nistes, M. Théodore Duret discute longuement la question de
savoir jusqu'à quel point le public est capable de juger par lui-
même les œuvres d'art. On peut concéder qu'il est apte à sentir
et à goûter, lorsqu'il est en présence de formes acceptées et de
procédés traditionnels. Le déciiiffrement est fait, tout le monde
peut lire et comprendre. Mais s'il s'agit d'idées nouvelles, de
manières de sentir originales, si la forme dont s'enveloppent les
idées, si le moule que prennent les œuvres sont également neufs
et personnels, alors l'inaptitude du grand public à comprendre
et à saisir d'emblée est certaine, et celte nouveauté l'étonné el
l'aveugle.
(1) Voir nos n" des 21 et 28 juin dernier.
•'"- '
La peinluro qui, pour être comprise, demande uiie adaptation
de l'organe de l'œil et l'Iiabiiucle de d<îcouvrir, sous les procédi^s
du métier, les sentiments iniimes de l'artiste, est un des aris les
moins accessibles h la foule. Schopenhauer a classé les profes-
sions artistiques et li fera ires d'après le degré de difficulté qu'elles
avaient à faire reconnaîire leur rn?me; il a placé, comme les plus
facilement admis et les plus vite applaudis, les sauteurs de corde,
les danseuses, 1rs acteurs; il a mis tout à fait en dernier les phi-
losophes et immédiatement avant eux les peintres.
Tout ce que nous avons vu à notre époque prouve la parfaite
justesse de cette classification. Avec quel dédain n'a-t-on pas
traité à leur apparition les plus grands de nos peintres! A-t-on
assez longtemps prêt 'ndu que Delacroix ne savait pas dessiner et
que ses tableaux n'étaient que des débauches de couleur ? A-t-on
assez reproché à Millet de faire des paysages ignobles eji grossiers
et des dessins impossibles à pendre dans une galerie? Et que n'a-
t-on pas dit de la peinture de Corot? Quant à Manel la critique
ramassa, en quelque sorte, toutes les injures qu'elle déversait à
ses devanciers, pour les lui jeter à la léte, en une seule fois.
El pourtant cette critique, depuis, a fait amende honorable; le
public s'est pris d'admiration ; mais que de temps et d'efforts ont
été nécessaires, et comme cela s'est fait peu à peu. péniblement,
par conquêtes successives !
Je vais aujourd'hui parler d'un peintre qui a eu sa large part
d'insultes et de moqueries, un peintre absolument exquis pour-
tant, d'un tempérament très personnel, d'une maestria éclatante,
de Renoir.
Ge que la femme peut évoquer degrûce, de tendresse, de séduc-
tion, de rêve et de coquetterie; ce qu'elle a de mystérieux et de
maladif; l'indéfinissable de son regard, profond comme le vide
et le rayonnement de sa chair, sur laquelle « le parfum rode » ;
les suavités de ses dix-huit ans, fleuris de désirs chastes et d'es-
poirs; ses mélancolies, quand elle va, doucement, les paupières
cernées, sous les ombrages d'un parc qui fait sur ses robes
claires trembler et passer l'ombre violette des feuilles; ses aban-
dons quand, les reins cambrés, la poitrine émue, elle penche sa
tète frissonnante et toute blonde sur l'épaule d'un valseur, et se
laisse emporter; ses attitudes de recherche savante et de provo-
cation étudiée, dans la lumière éclatante d'une loge, alors que
ses yeux, qui voient tout, semblent perdus au loin dans le vague,
que son oreille, qui entend tout, semble inattentive aux paroles
qu'on murmure, et que son bras nu repose sur le rebord de
velours rouge, un bras délicieux et lourd que, les plis du gant
recouvrent à demi, et que cercle au poignet, un bracelet d'or
brun ; les éclats de rire de ses lèvres allumées par le plaisir et
les sonores gaîtés de ses libres allures; les souffrances des désil-
lusions trop tôt venues; les rêveries des idéals qu'on ne peut
atteindre; les inquiétudes des passions qui commencent, et les
dégoûts des passions qui finissent ; tout le poème d'amour et de
cruauté que chante cet être cruel et charmeur; ce qui s'offre, ce
qui se cache, ce qui se devine, ce qui caresse, Renoir a tout com-
pris, tout saisi, tout exprimé. Il est vraiment le peintre de la
fenime, tour à tour gracieux et ému, savant et simp'e, toujours
élégant, avec des seosibiliiés d'œil exquises, des caresses de la
main légères comme des baisers, des visions profondes comme
celles de Stendhal. Non seulenryent il peint délicieusement les
formes plasti jues du corps, les modelés délicats, les tons éblouis-
sants des jeunes carnations, mais il peint aussi h forme d'âme, et
ce mji-de la femme se dégage de mi/^ico/i/^ Intérieure et de mys-
tère captivant. Ses figures, au rebours de celles de la plupart des
peintres modernes, ne sont point figées dans la pâle; elles
chantent, animées et vivantes, toute la gamme des tons clairs,
toutes les mélodies de la couleur, toutes les vibrations de la
lumière.
Dans les œuvres de Renoir, le sujet — c'est-à-dire la compo-
sition— tient peu de place, quoiqu'il ait reproduit, avec une
compréhension très rare de la modernité, des scènes impor-
tantes et compliquées des différents milieux parisiens ; c'est la
figure qui est tout, c'est l'harmonie de la lumière et de la chair,
la transparence des ombres, la sensation non plus seulement
des couleurs, mais des moindres nuances des couleurs, l'exacti-
tude minutieuse du dessin, et l'étude absolument sincère, de la
nature daps une interprétation élevée, dans une grande idéalisa-
tion des formes.
Renoir a voulu prouver qu'il savait faire ce que les peintres
appellent le morceau^ et il a exécuté un torse de femme qui est
un véritable chef-d'œuvre. Pas d'accessoires, pas de composition,
pas d'idée ingénieuse autour de ce torse. Un torse, voilà tout,
c'est-à-dire une admirable et simple étud« de nu, d'un dessin
serré, d'un modelé savant, et qui rend avec une vérité saisissante
cette chose presque intraduisible, dans sa fraîcheur, dans son
rayonnement, dans sa vie, dans son éloquence: la peau d'une
femme. Celte toile est à coup sûr un des plus beaux morceaux
de la peinture moderne.
Ce n'esl pas la seule élude de nu que Renoir ait faite, et je
connais lui un petit tableau représentant, dans un paysage à
peine indiqué et où se jouent tous les tons du vert, une baigneuse
aux formes idéalement belles, qui laisse tomber à ses pieds, d'un
geste chaste, un jupon rouge. Il est impossible de donner à la
chair une plus grande transparence, au dessin des lignes plus
nobles, une plus haute pureté à l'idée. Mais que d'études opi-
niâtres pour en arriver à cette vérité et à cette poésie; que de
recherches patientes! Car rien n'esl abandonné au hasard, au
laisser-aller de l'inspiration.
Bien que Renoir soit un paysagiste de premier ordre et qu'on
puisse, par une analogie de vision el une parenté d'impression,
le comparer à son ami, à son frère de lutte, Claude Monet, le.
paysage n'est généralement qu'un accessoire dans ses tableaux,
— j'en excepte pourtant ses éludes d'Algérie et de Venise, des
études charmantes et sincères, embrasées de soleil, toutes
vibrantes de lumière, el qui nous consolent des Zicm et de cet
Orient de fabrique auquel les pi»inlres et les marchands de bric-
à-brac nous ont habitués.
L'œuvre de Renoir, qui, comme tous les peintres de celle jeune
école, est un travailleur acharné, est considérable. Le port rail y
lient une place importante, et Renoir excelle dans le portrait, cet
art si difficile el si profond, car non seulement il ne suffit pas de
saisir les traits extérieurs, mais sur les traits il faut fixer le carac-
tère et la manière d'être intime du modèle. Mais c'est surtout
vers la femme que ce grand el délicat artiste se sent attiré, vers
la femme dont il connaît le fond el le tréfond, el dont il a su,
plus qu'aucun peintre de ce temps, exprimer l'âme el toutes les
palpitations de celte âme. Il l'a mise dans tous les milieux et
toutes les lumières où sa beauté tantôt fraîche et souriante, tantôt
mélancolique et souffrante, pouvait le mieux s'épanouir. De
même que Walteau avait pour ainsi dire créé la grâce de la
femme au clix-huiiième siècle, de même Renoir a créé la grâce
de la femme au dix-neuvièn»€.
Je ne comprends pas comment toutes les femmes ne font pas
faire leur porirail par cet artiste exquis, qui est aussi un exquis
poète, et qui est à M. Jacquet, le portraitiste à la mode, ce que
Victor Hugo est à un fabricant de romances.
Octave Mirbeau.
■ LES DROITS ARTISTIQUES ET LITTÉRAIRES
Le projet de loi sur les droits artistiques et littéraires vient
d'être déposé.
Rarement objet plus important fut soumis à notre législature.
Il importe de le sauver, si possible, des imperfections qui ont
rendu célèbre la confection vicieuse des lois en Belgique.
Le moyen le plus efficace est d'attirer sur lui ratlenlion du
monde judiciaire et du monde des artistes.
C'est dans ce but que nous publions aujourd'hui le projet très
complet du rapporteur de la section centrale, M. de Borcligrave,
et le projet amendé, et en partie déjà déformé, de la section
centrale.
Il importe aux intéressés de ne pas se laisser faire. Le danger
de voir revenir sur l'eau les vieilles idées, les formules suran-
nées, les préjugés démodés, est considérable. Nos Chambres
n'ont guère Tespril juridique et l'esprit de progrès qu'il faut
pour que, venant après les autres nations dans* cette œuvre si
longtemps attendue, elles , sachent, livrées à elles-mêmes, profiter
des découvertes de la science et des exigences de la pratique.
Un journal conviait récemment nos députés à en finir avant les
vacances avec la législation sur le Droit des auteurs. Une séance
suffirait, s'écriait-il!
Que le destin nous garde de cette précipitation qui ne saurait
paraître opportune qu'à l'ignorance.
Le projet doit être mûrement examiné, longuement discuté,
sous le contrôle des hommes spéciaux et de la presse spéciale.
Nous nous proposons, quant à nous, de le suivre avec rigueur
et minutie et nous faisons appel non seulement à tous les juris-
consultes, mais surtout aux artistes et aux écrivains de bonne
volonté. C'est leur avenir et la protection de leurs droits qui vont
être en jeu.
L'occasion est unique de doternos codes d'une œuvre vrai-
ment remarquable sur les droits intellectuels. Ne la laissons pas
échapper. Ne sombrons pas dans les erreurs et les infirmités des
vieillerie s juridiques ; c'est surtout vers ces écueilsquela routine
nous conduirait.
Projet adopté par la section centrale.
Section L — Nature et étendue du droit d'auteur en général.
Art. V. L'auteur d'une œuvre littéraire ou artistique a seul le
droit de la reproduire par la publication, la traduction, la repré-
sentation, l'exécution ou tout autre mode de réalisation qu'elle
comporte.
Ce droit s'étend aux objets ou ouvrages matériels qui consti-
tuent la reproduction comme à l'œuvre intellectuelle elle-même.
Art. 2. Les droits intellectuels d'auteur sont des droits mobi-
liers, cessibles et transmissibles, en tout ou en partie, conformer
ment aux règles du code civil.
Art. 3. La durée du droit d'auteur est fixée à la vie de l'auteur
et se prolonge, au profit de ses héritiers ou ayants droit, pendant
50 ans à partir de son décès (1).
Art. 4. L'éditeur d'un ouvrage anonyme ou pseudonyme est
réputé à l'égard des tiers, en être l'autour.
Dès, que celui-ci se fait connaître il est substitué à l'éditeur dans
l'exercice de tous les droits d'auteur (2). '
Art. 5. Lorsque l'œuvre, résultant du travail de plusieurs col-
laborateurs, est composée de parties distinctes qui peuvent être
séparées, chacun des collaborateurs a la jouissance du droit d'au-
teur sur les parties publiées sous son nom.
Celui qui a dirigé l'œuvre collective exerce le droit d'autour sur
l'ensemble de l'ouvrage et sur les parties parues sans nom d'au-
teur (3).
Art. 6. Si l'œuvre commune est indivisible elle constitue pour
chacun des collabomteurs l'objet d'un droit indivis (4).
Art. 7. Lorsque, par suite de collaboration commune, de
succession ou d'autres causes, un droit d'auteur est dans l'indi-
vision, aucun dos communistes ne peut faire ni autoriser la
reproduction do l'œuvre sans le conseniemonl des autres.
En cas de désaccord, si l'œuvre a déjà été publiée, les tribu-
naux pourront, soit régler les conditions des publications nou-
velles, soit ordonner la liciiation du droit.
Si l'œuvre est inédite, lapublioalion n'en pourra être ordonnée;
mais celui qui s'y opposera srra tenu à indemnité envers celui
qui la réclamora s'il ne justifie que son opposition est fondée sur
un motif légitime commun à tous les intéressés (o).
Art. 8. Tout titulaire d'un droit indivis d'auteur peut pour-
suivre ceux qui y porteraient atteinte et réclamer des dommages
et intérêts pour sa part (6).
Art. 9. Le droit des ayants cause de tout collaborateur pré-
décédé se prolonge au delà de là durée cinquantenaire aussi long-
temps que le droit des ayants cause du dernier survivant (7).
Art. 10. La cession soit du droit d'auteur, soit de l'objet qui
matérialise une œuvre de littérature, de musique ou des arts du
dessin r.e donne pas le droit de modifier l'œuvre sans le consen-
(1) Le projet supprime la disposition de l'art. 4 du projet du rap-
porteur, ainsi conçue : Les ayants cause de l'auteur d'un ouvrage
posthume jouissent des droits garantis ci-dfessus à partir de la pre-
mière publication de l'œuvre.
Le moment de cette publication est abandonné à leur appréciation
sans qu'il puisse dépasser un laps de 50 ans à partir du décès de
l'auteur.
(2) Le projet du rapporteur portait : L'éditeur d'un ouvrage ano-
nyme ou pseudonyme et ses héritiers exercent les droits de l'auteur,
sauf à régler avec lui les profits de ceux-ci conformément à leurs
conventions particulières.
Dès que l'auteur se fait connaître, il est substitué à l'éditeur dans
l'exercice de tous les droits d'auteur, à moins qu'il n'y ait eu cession
au profit de l'éditeur.
(3) Le projet du rapporteur portait : Lorsqu'une œuvre collective
composée de parties distinctes qui peuvent être séparées, a été conçue
et dirigée par l'un ou quelques-uns des collaborateurs, c'est à ceux-ci
qu'appartient exclusivement l'exercice du droit d'auteur sur l'ouvrage
dans son ensemble.
Les autres collaborateurs conservent, sauf convention contraire,
la jouissance des droits d'auteur sur les parties qui sont leur œuvre.
(4) Disposition non visée dans le projet du rapporteur.
(5) Le projet du rapporteur portait : Dans tous les autres cas, la
collaboration fait naître entre les collaborateurs une œuvre commune
indivise daos laquelle les droits des parties sont réglés avant tout par
leurs conventions. Si la convention est muette, les droits, en cas de
dissentinaent, seront réglés par les tribunaux d'après la volonté pré-
sumée des collaborateurs, l'usage et l'équité.
Le droit des ayants cause de tout collaborateur prédécédé se pro-
longe au delà de la durée cinquantenaire aussi longtemps que les
droits des ayants cause du dernier survivant.
(6) Disposition ajoutée par la section centrale.
(7) Disposition ajoutée par la section centrale. Elle supprime
l'art. 8 du projet du rapporteur, ainsi conçu : Si l'un des collabora-
teurs meurt sans laisser d'ayants cause, ses droits accroissent aux
collaborateurs survivants sans préjudice des droits des créanciers.
temcnl de l'auteur ou de ses ayants cause, sauf conventions
contraires (8).
Art. m. Les œuvres de littérature, de musique ou des arts du
dessin ei les objets ou ouvrages qui constituent leur manifesta-
tion maiérielle font partie du patrimoine de l'auteur, gage com-
mun de ses créanciers.
Néanmoins, ils ne peuvent être saisis que lorsque des faits non
équivoques démontrent que l'auteur les lient pour achevés.
Section II. —Dw droit d'auteur sur les œuvres littéraires.
Art. 42. te droit d'auleur s'applique non seulement auxécrits
de tout genre, mais aux leçons, sermons, conférences, discours,
ou toute' autre manifestation orale de la pensée.
Toutefois, les discours prononcés dans les assemblées délibé-
rantes, devant les tribunaux, ou dans les réunions politiques
peuvent élre publiés; mais à l'auteur seul apparlicnl le droit de
les reproduire réunis en recueil d'auteur (9).
Art. 13. Tout journal peut reproduire un article publié dans
un autre journal à la condition d'en indiquer la source; à moins
que cet article ne porte la mention spéciale que la reproduction
en est interdite (10).
Section III. — Du droit d'auteur sur les œuvres musicales.
Art. U. Le droit de représentation d'une œuvre littéraire est
réglé conformément aux dispositions relatives à la représentation
des œuvres musicales.
Art. 15. Toute exécution ou représentation publique totale ou
partielle d'une œuvre musicale ne peut avoir lieu que du consen-
tement de l'auteur, qu'elle soit gratuite ou qu'elle ait lieu dans
un but soit de spéculation, soit de bienfaisance.
Toutefois, si l'œuvre est publiée et mise en vente, l'auteur est
réputé consentir à son exécution partout où aucune rétribution ni
directe ni indirecte n'est perçue des auditeurs ni payée aux exé-
cutants (11).
Art. 16. Est considérée comme publique l'exécution ou la
représenlaiion donnée dans tout local ouvert h plusieurs per-
(8) Il y avait en. outre : La préseute disposition n est'pas applica-
ble aux reproductions par les arts industriels.
(9) Le projet du rapporteur portait : Toutefois, les plaidoyers et
les réquisitoires, les discours prononcés dans les assemblées ou réu-
nions politiques ou administratives peuvent être publiés par les
journaux; mais à 1 auteur seul appartient le droit de les reproduire
en tirés -à-part ou en corps d'ouvrage.
(10) Les trois dispositions suivantes ont été supprimées.
Art. 13. Les actes officiels des autorités publiques en toute
matière et à tous les degrés ne donnent pas lieu au droit d'auteur.
Chacun a le droit de les reproduire, sauf les exceptions prévues
par la loi, notamment eu ce qui concerne les décisions judiciaires
qui seraient de nature à porter préjudice aux citoyens.
Toutes autres publications faites par l'Etat, les administrations
publiques et les corps savants légalement constitués, donnent lieu
au droit d'auteur pendant 50 ans à partir de la première publi-
cation.
Art. 14. Les fonctionnaires ou employés de l'Etat eu des admi-
nistrations publiques, ont le droit d'auteur sur les œuvres émanant
d'eux, à moins qu elles n'aient été faites en exécution de leurs fonc-
tions, auquel cas le droit d'auteur appartient à l'autorité dont le
fonctionnaire dépend.
Art, 15. Les œuvres posthumes et celles qui appartiennent à
l'Etat, aux administrations publiques et aux corps savants légale-
ment constitués, doivent, sous peine de déchéance du droit d'auteur,
être inscrites dans les six mois qui suivent leur publication au
ministère de l'Agriculture, de l'Industrie et des Travaux publics
lequel tient à cet effet un registre et délivre un récépissé, le tout
suivant les formalités qui sont déterminées par arrêté royal.
Pour les autres oeuvres, les auteurs n'ont aucune formalité à
remplir afin d'assurer leurs droits.
(11) Disposition ajoutée par la .section centrale.
sonnes ayant le droit de le fréquenter et de s'y assembler, à la
seule exception des maisons particulières.
Art. 17. Le droit d'auteur sur les compositions musicales
comprend le droit exclusif de faire des arrangements sur des
motifs de l'œuvre originale.
Art. 18. Les œuvres qui se composent de paroles ou de livrets
et de musique sont considérées comme faites en collaboration.
En conséquence, le compositeur et l'auteur des paroles ne pour-
ront traiter de l'œuvre avec un collaborateur nouveau. Néan-
moins, ils auront le droit de l'exploiter isolément par des publi-
cations, des traductions ou des exécutions publiques.
Art. 19. Le libretto d'un ballet ou d'une pantomime donne
lieu aux mômes droits, aux mêmes obligations et à la même pro-
tection qu'un livret d'opéra (12).
;pONCOUR3 DU j]]!0N^ERVATQIRE
Suite et fin (*).
Déclamation.
Professeurs : M'i« Jeanne Tordeus et M. Monrose.
l*r prix : M"« Hiernaux; 2* prix avec distinction : M"«« Grégoir,
Meuris, Stacquet ; 2e prix : MM. Royer, Hendrickx, Engelman.
Accessits à MM. Knauff, Van Ruyskensvelde, Raquez, Bon et
Royer.
Jhéatre?
Nouvelles inédites de la prochaine cami)agne théâtrale à la Mon-
naie. M. "Verdhurt compte commencer l'année par la reprise de
quatre grands ouvrages : l'Africaine, Aida, Lohengrin, le Trou-
vère, joués probablement dans l'ordre que nous indiquons, et séparés
par des opéras-comiques dont le choix n'est pas encore définitivement
arrêté, mais parmi lesquels seront certainement compris Roméo et
Juliette et Lalla-Rouck. Cette œuvre a disparu de l'affiche depuis
si longtemps que sa reprise aura l'attrait d'une première représenta-
tion. On parle aussi d'une reprise de Joconde, que chante, paraît-il,
merveilleusement M. Frédéric Boyer. Enfin il est question de Phi-
lémon et Baucîs, du Médecin malgré lui, des Rendez-vous bour-
geois et de Bonsoir, Monsieur Pantalon.
Tout cela permettra d'attendre les Templiers d'Henry Litolff,dont
les études commenceront dès les premiers jours de la saison et qui
passeront, selon toutes les probabilités, au commencement de
novembre. Gwcndoline sera jouée un peu plus tard, avec le ballet
de MM. Hannon et Lanciani. Puis Saint-Mégrin, des fi'ères Hille.
mâcher, et la Revanche de Sganarelle, de Léon Dubois.
C'est le mardi !•''' septembre que s'ouvrira la carripague, que tout
fait espérer devoir être très brillante. On jouera VAfHcaine avec
Mme Montalba, M. Dereims, M. Boyer, etc. Le lendemain, la troupe
d'opéra -comique débutera dans Roméo et Juliette.
^u •V/aux-j^alx.
Une ère nouvelle s'est ouvert* pour le Waux-Hall, l'ère du piano.
L'essai d'une intronisation de cet instrument sous la voûte libre du
ciel a été tenté, mercredi, par M. Gustave Kéfer, et le résultat a été
(12) La section centrale supprime l'art. 22 du projet du rappor-
teur ainsi conçu : Lorsque la rémunération du compositeur com-
prend une part de la recette, cette part constitue sa propriété et ne
peut être l'objet des poursuites des créanciers de l'entrepreneur de
spectacles.
(') Voir VArt modcnic des 29 juin, 5 et 12 juillet 1885.
UART MODERNE
235
si satisfaisant qu'il est grandement question de ne pas s'en tenir à
une seule audition.
Les vocalisations compliquées des chanteuses (échappements à
cylindres, garantis de Genève) commençaient à lasser l'attention.
Les oiseaux eux-mêmes, endormis dans les branches, ne daignaient
plus ouvrir les yeux pour voir leurs rivales. Et voici que la grande
boîte de palissandre d'où s'échappe un carillon de sonorités grêles,
provoque, dans le monde emplumé et dans l'autre, un certain remue-
raënage.
Les peintres modernistes se frottent les mains. A la bonne heure!
marronnent-ils dans leurs barbes de bisons. C'est l'école du plein
air qui gagne jusqu'aux pianos I
Les accordeurs sont ravis de songer au détraquement rapide que
va provoquer la rosée du soir parmi les cordes d'acier.
Tous les pianistes de Bruxelles et de la banlieue, hommes et
femmes, passent leurs journées à faire des gammes dans l'espoir
d'un engagement prochain.
Les éditeurs de musique ont sorti des cartons poudreux le réper-
toire de Bûrgmiiller, de Sidney Smith et de Stepheu Helder, la joie
des pensionnats et le repos des familles. ' '
Les Boarding-Hhuse ont fait prendre des cartes d'abonnement
par centaines. Au prochain piano-recikd, le Waux-Hall sera ecar-
late de jeunes misses à la chevelure dorée.
Ahl Kéfer, mon ami, qu'avez vous fait! Et quelle révolution avez
vous accomplie en installant votre Erard sur l'estrade sacrée I
Le Waux-Hall profite d'ailleurs des belles soirées de juillet, pour
donner à ses programmes -tout l'attrait possible. Les concerts
extraordinaires se succèdent avec une abondance telle qu'ils
deviennent en réalité les concerts habituels. Le concert ordinaire est
devenu exceptionnel, par un singulier et d'ailleurs louable renverse-
sement des choses.
Jeudi, deux nouveautés figuraient au programme : un entr'açte
délicat du Prince Noir, de Mlle Dell'Acqua et un Air de Ballet, de
M. Jokish, une excellente page orchestrale, d'une inspiration lim-
pide et d'une instrumentation riche, variée et intéressante. L'œuvre
a obtenu un succès mérité.
^[ÎHRONiqUZ JUDICIAIRE DE^ ARTp
Nous avons raconté la fugue, durant les représentations des
Pommes d'or à l'Alhambra, d'une des plus charmantes mais aussi
des plus capricieuses pensionnaires de M. Alhaiza. Le lendemain du
grand succès qui avait accueilli le pas de polka qu'elle avait intercalé
dans son rôle, elle disparut, et comme le public ne voulut pas se
contenter d'une féerie décapitée de son premier sujet, le directeur fut
obligé de faire relâche.
Le lendemain, M^'a Djina — qui s'appelle de son vrai nom
Mlle Valerio — fut remplacée, mais M. Alhaiza n'en jugea pas moins
à propos d'envoyer à l'artiste, sous forme de papier timbré, l'expres-
sion de ses regrets.
Il réclame une somme égale à la recette qu'il comptait faire le soir
de l'incident, soit 2,000 francs, plus 3,000 francs à titre de dom-
mages-intérêts.
pETITE CHR0JS[IQUE
Henry Litolff a été l'objet, pour la seconde fois, lundi dernier,
d'une manifestation de sympathie dont il a paru très touché. En le
reconnaissant dans la foule qui remplissait le jardin dii Waux-Hall,
M. Léon Jehin substitua à l'ouverture par laquelle devait débuter
la seconde partie du concert le Chant des Belges, composé par
Litolflf à l'occasion du 25® anniversaire de la Révolution belge, et
dans laquelle l'artiste a introduit, avec beaucoup d'art, la Brahan"
çonne. .
On a vivement applaudi celte belle page orchestrale.
M. Litolfl" séjournera en Belgique jusqu'à l'époque où l'on montera
à la Monnaie ses 7'empliers. II s'occupe activement de la correction
des épreuves (la partition est sous presse chez^M. Enoch, éditeur, à
Paris), des détails de la mise en scène, des costumes, des décors, etc.
Les représentations de Théodora semblent avoir eu, à. cet égard,
une heureuse influence, comme nous en avions exprimé l'espoir. Il
parait que la mise en scène des Templiers sera tout à fait artistique.
Plusieurs artistes ont été i)riés de rechercher avec soin les docu-
ments relatifs aux costumes ei aux accessoires du temps de Philippe-
le-Bel, sous le règne duquel se passe l'action, afin de reconstituer
le plus exactement possible cette époque, qui se prête à un déploie-
ment de riches costumes et de décorations d'art.
Le pianiste Franz Rummel vient de remporter un grand succès à
Londres. Il a joué au cinquième concert de la Société Philharmo-
nique le concerto eu sol min, de Dvorak, avec tant de chaleur et
d'entrain, qu'il aété réengagé sur-le-champ.
Au concert suivant, il a remporté un succès tout aussi grand dans
le concerto en tni bémol de Beethoven.
M. Rummel a donné, le 17 juin, une matinée à Saint James-Hall.
La première partie comprenait cinq grandes œuvres :
A. Prélude et fugue en ia mm. (Bach); B. Suite et variations en
mi. (Haendel); G. Sonate en ut dièze tnin. (Beethoven;; D Fan-
taisie en ut (Schumann) ; E. Variations sérieuses (Mendelssohn).
La façon dont M. Rummel s'est acquitté de sa tâche lui a valu, de
la part du public, une véritable ovation, et la presse est unanime à
constater les brillantes qualités techniques et la haute intelligence
musicale dont il a fait preuve. La seconde partie du programme,
composée de petites pièces de Schubert, Chopin, Brahms, Fanicq,
Liszt, etc., a été non moins favorablement accueillie.
Nous croy(|)ns pouvoir prédire à M. Rummel un avenir très brillant
à Londres.
Le barreau de Bruxelles s'est réuni mercredi dernier pour offrir,
en séance solennelle, à M® Dequesne, avocat près la Cour d'appel,
son buste en bronze à l'occasion du cinquantième anniversaire de sa
l)restation de serment en qualité d'avocat.
L'œuvre est due à M. Van der Stappen, qui a fort bien rentiu
l'expression fine, un peu dédaigneuse du jubilaire. Me Dequesne est
en robe, prêt à plaider. C'est à la fois "très vivant et très ressem-
blant.
Le buste a été placé dès le lendemain de la cérémonie dans la
bibliothèque des avocats près la Cour d'appel, pour laquelle il est
destiné.
Les amis de WaeIput, dont nous avons annoncé la mort, ont
décidé d'organiser à Gand, un grand concert réservé exclusivement à
l'exécution de ses œuvres. Le bénéfice du concert sera attribué à
l'érection d'un monument funéraire à la mémoire du regretté compo-
siteur.
Une société d'aquarellistes allemands est en formation à Berlin ;
elle organisera une exposition au printemps de l'année prochaine.
Au dernier Salon de Paris, sur 1,243 peintres exposants, il n'y
avait pas moins de 389 étrangers, ainsi répartis : 98 Américains,
47 Belges, 34 Anglais, 32 Suisses. 31 Allemands, 29 Norwégiens,
Suédois ou Danois, 27 Espagnols, 26 Autrichiens, 22 Italiens,
19 Russes, 16 Hollandais, 4 Grecs, 1 Turc.
Un journal français dit à ce propos :
•♦ Les étrangers ne se plaindront pas qu'eu France on leur dispute
le moyen de se produire et de prospérer. »•
De se produire, non. Le contraire serait charmant, dans un Salon
236
UART MODERNE
international 1 Mais quant à la prospérité, il suffit de se rappeler,
' pour être édifié, comment on a placé cette année les étrangers.
On a inauguré dernièrement à la Gôte-Saint-André (Isère), sur la
façade de la maison où naquit Berlioz, une plaque commémorative.
On lit dans le Ménestrel:
On prête à M, Carvalho l'intention de remonter, cette prochaine
saison, les Deux avares^ de Grétry. Ce sera là une reprise intéres-
sante. Rappelons qu'entre autres ouvrages nouveaux l'Opéra-Gomi-
que doit nous donner cet hiver trois actes de MM. d'Eunery et
Armand Silvestre pour le poème et Arthur Coquard pour la musi-
que, et aussi un Plutus en deux actes, représenté naguère au Vau-
deville, et dont M. Charles Lecocq écrit la musique. Le poème de ce
dernier ouvrage est de MM. Albert Millaud et Gaston Jollivet, qui
l'ont remanié selon les besoins de sa transformation.
Antoine Rubinstein met en ce moment, dit-on, la dernière main à
un drame lyrique sacré intitulé Moïse.
L'engagement de M. Marais à la Comédie française a été signé
cette semaine.
On annonce comme prochaine, à l'Opéra impérial de Vienne, la
représentation d'un opéra inédit du compositeur russe Soloview,
Corddift, dont la grande cantatrice Pauline Lucca serait la protago-
niste.
Sommaire de la Jeune Belgique (juillet 1885).
Comment écrire un Article-BIackwood, G. Eekhoud. — Schmitt,
Max Waller. — La maison paternelle, G. Rodenbach. — Quand
même ! Ch. Buét. — Chronique artistique, Anvers, E. Verhaeren.-
— Chronique littéraire. Toques et robes, Max Waller. — Mémento.
Le numéro ordinaire ôiW. Courrier français, qui paraît chaque
samedi, ne coûte que 20 centimes et contient 4 pages de texte inté-
ressant : Courrier de la semaine, Fantaisies littéraires. Contes, Nou-
velles, Poésies légères, etc. Le dernier numéro contient un très
beau dessin de Willette intitulé : Quand il reviendra le temps des
cerises... elle 14 juillet de Pierrot, par G. Lorin.
Voyages des vacances. — L'Excursion nous offre, pour les
vacances prochaines, une série de quinze voyages en Suisse, en
Italie, à Londres, ep Ecosse, en Ardennes, en Touraine, en Auvergne,
en Hollande, aux Bords du Rhin, en Autriche et jusqu'à Constan-
tinople.
Ces excursions sont charmantes. Elles ont lieu par groupes de dix
à trente personnes et réunissent une société d'élite. Les dames sont
entourées de tous les égards. Déjà plus de trois raille touristes ont,
depuis six ans, participé à ces voyages et tous en sont revenus
enchantés.
Les personnes qui désirent être renseignées obtiendront gratui-
tement les prospectus en s'adressant à M. Ch. Parmentier, Directeur
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Mozart, sonates en si b. maj-, et la maj.
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Hollande Van Gelder, 25 francs.
liiuxelles. — Tmp. Félix Callewaert père, rue de l'Industrie, 26.
f^
Cinquième année. — N° 2p
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 26 Juillet 1885.
L'ART
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PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTERATURE
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser les demandes d'abonnement et toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
^OMMAIRE
Les Décadents. — Le Plagiat. — Les droits artistiques et
LITTÉRAIRES. — La MUSIQUE A AnVERS. — BIBLIOGRAPHIE MUSICALE.
— Ventes artistiques. — Chronique judiciaire des arts. —
Petite chronique.
LES DÉCADENTS
L'une des caractéristiques des écrivains sur qui les
■ Déliquescences font tomber une fine pluie d'épi-
grammes corrosives, c'est de proclamer qu'ils sont des
décadents ! Et d'ajouter, par une assez grotesque géné-
ralisation de'leur cas, que toute la civilisation occiden-
tale est en décadence.
De cela ils ne sont pas marris du tout, au contraire.
Le melliflu, l'ultime décad^it en tressaute de joie. Il
est démesurément fier de son état et prend en pitié
quiconque ne jouit pas de son mal. Comme on le voit,
c'est l'éclosion du crevé littéraire.
La joie de se sentir infirme est ce qui le distingue
de l'apôtre premier de la décadence moderne, Baude-
laire, car les sous-imitateurs du grand poète, dévorés
de leur syphilis de pastiche, ne font que recommencer,
en des dilutions de plus au plus fades, ce que son génie
avait dégagé. Il envisageait, lui, la décadence comme
une nécessité historique à laquelle on se résigne en la
subissant et dont il faut tirer le meilleur parti possible.
Il ne résistait plus au courant de décrépitude dans
lequel il se croyait pris et chantait, en rythmes bi-
zarres, les phénomènes psychologiques et sociaux qu'il
croyait être les conséquences de la civilisation vieillis-
sante au milieu de laquelle il était né. Mais il ne gam-
badait pas, il n'exultait pas. Mélancolique, sarcastique,
énigmatique, c'était âprement qu'il parlait de son
temps et qu'il décrivait les étrangetés qu'il y pensait
voir. Le titre anti-phémique de son œuvre principale,
si courte et dont le sillon fut pourtant si profondément
creusé, les Fleurs du mal, rend bien ce contraste
d'idéal et d'amertume. C'est le mélange de joies divines
et de soufirances sataniques qui donne sa grandeur à
cette individualité redoutable. S'ilfut un décadent, il
fut un décadent triste. ^
Ceux qui sont le monnayage en petits sous de cette
statue de bronze, sont des décadents hilares. Pour rien
au monde, ils ne voudraient qu'on les sauvât delà pente
sur laquelle ils glissent vers l'efïond rement. Ce qui na-
vrait Baudelaire les réjouit, et ils ont imaginé, pour
s'entretenir ainsi le cœur léger, la théorie que Paul
•Bourget a rappelée dans ses Essais de psfjchologie
contemporaine et qui justifie leur intime satisfaction .-
C'est très simple. Les hommes de décadence sont très
supérieurs comme artistes. S'ils sont malhabiles à l'ac-
tion, c'est qu'ils sont habiles à la pensée ! S'ils dédai-
gnent de prendre leur part des besognes communes,
c'est que l'abondance des sensations fines et l'exquisité
des sentiments rares en ont, fait des virtuoses, stérili-
sés mais raffinés ! S'ils sont incapables de sacrifices,
c'est que leur intelligence cultivée les a débarrassés des
préjugés et qu'ayant fait le tour des idées, ils sont par-
venus à l'indififéreiice suprême qui légitime tout. Et s'il
est vrai que les décadences n'ont pas de lendemain, c'est
que le lot fatal de l'exquis et du rare est de n'être
qu'éphémère !
Donc , réjouissons-nous , clament-ils , car nous
sommes des êtres d'élection. Frottons-nous; les mains et
prenons le surplus des mortels en mépris.
C'est l'opérette de la décadence, après le drame de
Baudelaire. Celui-ci, comme le rappelle Paul Bourget,
jouait ce rôle dans des conditions épiques, fanfaron
mais désolé. Il relevait dans la vie et dans l'art tout
ce qui paraissait morbide et artificiel aux natures
simples. Il affectait- de dire que ses sensations pré-
férées étaient celles que procurent les parfums, parce
qu'elles rendent plus que les autres ce on ne sait quoi
de sensuellement obscur et triste que nous portons en
nous. Sa saison aimée, c'était la fin de l'automne, quand
un charme de mélancolie semble ensorceler le ciel qui
se brouille et le cœur qui se crispe. Ses heures de
délices étaient les heures du soir, quand le ciel se
colore comme dans le fond des tableaux de Vinci, des
nuances d'un rose mort et d'un vert quasi agonisant.
La beauté de la femme ne lui plaisait que précoce et
presque macabre de maigreur, avec une élégance de
squelette apparue sous la chair adolescente d'une matu-
rité ravagée :
Ton cœur meurtri comme une pêche
Est mur, comme ton corps, pour le savant amour.
Les musiques caressantes et languissantes, les pein-
tures singulières étaient l'accompagnement obligé de
ses pensées mornes ou gaies, « morbides « ou « pétu-
lantes ". Ses auteurs de chevet étaient ces écrivains
d'exception qui, pareils à Edgard Poe, ont tendu leur
machine nerveuse jusqu'à devenir hallucinés, sortes de
rhéteurs de la vie trouble dont la langue « est marbrée
déjà des verdeurs de la décomposition ». Partout où
chatoyait ce qu'il nommait lui-même la « phospho-
rescence de la pourriture » il se disait attiré par un
magnétisme invincible. En même temps, son immense
dédain du vulgaire éclatait en paradoxes outranciers,
en mystifications laborieuses. Ceux qui l'ont connu
(nous fûmes du nombre) rapportent de lui des anec-
dotes extraordinaires. La part une fois taillée à la
légende, il demeure avéré que cet homme supérieur
garda toujours quelque chose d'inquiétant et d'énigma-
tique, même pour ses amis intimes. Son ironie doulou-
reuse enveloppait dans un même mépris, la sottise et
la naïveté, la niai-serie des innocents et la stupidité des
péchés. Bref, et pour résumer cette peinture, Baude-
laire apparaît aux générations présentes comme le
type satanique du décadent foudroyé.
Sfir la tombe de ce titan dansent les diablotins d'au-
jourd'hui, les petits imitateurs de cette sombre figure,
les déxîadents de contrebande, fardes, grimés, blancs
de farine ou vermillonnés, menant leur carnaval tapa-
geur, ayant tout, excepté la grandeur nécessaire pour
tenir le personnage. Il y eut autrefois à foison des petits
Byron, des réductions de Byron, de la Byronaille. Il y
a maintenant, jusqu'au pullulement, des sous-Baude^
laire, des Baudelairions, tous se proclamant eadents
décadents, singeant le maître, ferraillant là où il déve-
loppait sa savante escrime, rimaillant là où il laissait
tomber son vers puissant, menant une ronde gouail-
lerielà où, solitaire, il promenait sa grande ombre.
Vive la décadence ! Ah! quel plaisir d'être décadents!
C'est la débauche du Clampinisme.
Et là dessus les plus savants exposent une théorie
pédantesquement scientifique et pesamment sociale.
Paul Bourget, l'évangéliste de ce mouvement, évangé-
liste plein de restrictions du reste, l'expose en termes
topiques. D'après lui, par le mot de décadence on
désigne l'état d'une société qui produit un trop grand
nombre d'individus impropres aux travaux de la vie
commune. Une société doit, en efïet, être assimilée à un
organisme et se résout dès lors en une fédération d'or-
ganismes moindres, qui se résolvent eux-mêmes en une
fédération de cellules. L'individu est la cellule sociale!
Or, pour que l'ensemble fonctionne avec énergie, il est
nécessaire que les organismes composants fonctionnent
aussi avec énergie, mais avec une énergie subordonnée .
Et de même, pour que ces organismes moindres fonc-
tionnent à leur tour avec énergie, il faut que leurs
cellules composantes fonctionnent avec énergie, mais
avec une énergie subordonnée. Si les cellules deviennent
indépendantes, les organismes qui compoi^ent le total
cessent pareillement d'être soumis à l'ensemble et
l'anarchie qui s'établit constitue la décadence de l'en-
semble !! (Nous y voilà !) Car l'organisme social n'échappe
pas à cette loi, et il entre en décadence aussitôt que la
vie individuelle s'est exagérée sous l'influence du bien-
être acquis et de l'hérédité!!! Il eut été étonnant que
l'hérédité ne fût pas intervenue dans ce morceau digne
en tous points des temps scolaires où nous vivons.)
Et de même (car ce n'est pas tout) se gouverne le
développement de cet autre organisme qu'on nomme le
langage. Un style de décadence est celui où l'unité du
livre se décompose pour laisser la place à l'indépen-
dance de la page, où la page se décompose pour laisser
la place à l'indépendanccfle la phrase, et la phrase pour
laisser la placeli l'fndépendance du mot.
Pimctum! Rien n'y manque, et comme architecture
d'une théorie, c'est d'une remai^quable ingéniosité. Les
législateurs de la décadence supplantent les législateurs
du Parnasse. Baudelaii^e est réduit en formules. On
peut être décadent algébri(juement. Toute la marmaille
que l'on voit polissonner dans les lettres a désormais le
droit de se rengorger en disant : Nous sommes scienti-
fiques. Le grand homme inconscient qui a créé une
nouvelle expression de Tart en prenant ses rêves pour
des réalités n'est plus là, dans l'expansion irrésistible de
son originalité. Mais de sa substance est sorti le four-
millement des larves qui prétendent le continuer en
l'expliquant. Cette grande décadence, dont le fantôme
hantait sa puissante imagination, et qu'il faisait réson-
ner comme un instrument sinistre et formidable, ils la
reprennent en sourdine sur leurs petites flûtes. Du
Wagner soufflé dans des mirlitons.
Mais qu'est-ce que c'est au juste que cette nuée de
décadents, bourdonnant comme des mouchesX_Péca-
dents, eux, soit. Ils y tiennent que leur fantaisie soit
faite. Il y aura donc un groupe de décadents, quelque
part, dans un coin, Baudelairisant à faux, c'est entendu.
Mais d'où leur vient la toquade de croii'e que le monde
moderne tout entier décade avec eux? Ils se sentent, ou
plutôt se disent (avec satisfaction) moroses, désillusion-
nés, sans désirs, sans passions. Dans la préface des
Déliquescences, Mfrius Tapora raconte dévotement un
4jp»ident de la séance du cénacle des poètes à laquelle il
lui fut donné d'assister, quoique profane, quoique indi-
gne. On révèle que Bornibus, un des frères, est amou-
reux. Il y a une sorte de haut-le-cœur. « Amoureux!
s'écrie l'un des assistants. Cela ne m'étonne pas de sa part,
c'est une pauvre tête, un cerveau vulgaire. Amoureux !
Il ne lui manquait que c^ ridicule. Comment peut-on
être amoureux? Y a-t-il au monde quelque chose de
plus plat, de plus misérable, de plus répugnant, de plus
écœurant que l'amour? ^ Et poursuit en ne faisant de
concession que pour l'inceste, et encore! Un autre
s'écrie : « Luther était bien heureux ! il était le mari
d'une religieuse! »» — Aussi, est-ce avec l'élan d'une
apothéose qu'Adoré Floupette cisèle ce sonnet fait pour
devenir le chant national des décadents :
Nos pères étaient forts, et leurs rêves ardents _ _
S envolaient d'un coup d'aile au pays de Lumière.
Nous dont la fleur dolente est la Rose Trémière,
Nous n'avons plus de cœur, nous n'avons plus de dents 1
Pauvres pantins avec un peu de son dedans,
Nous regardons, sans voir, la ferme et la fermière.
Nous renâclons devant la tâche coutumière,
Chariots trop amusés, ultimes Décadents.
Mais, ô Mort du Désir! Inappétence exquise !
Nous gardons le fumet d'une antique Marquise
Dont un Vase de Nuit parfume les Dessous!
Etre Gâteux, c'est toute une philosop^iie.
Nos nerfs et notre saug ne valent pas deux sous,
Notre cervelle, au veut d'Eté, se liquéfie !
Bien ! Très bien ! Mais, messieurs les Chariots trop
amusés, otx donc avez-vous pris que tous vos contempo-
rains vous ressemblent? OCi avez-vous pris, que les
temps sont à la décadence? C'est d'abord fort difficile
de juger son époque, mais est-il téméraire de faire
remarquer que, de tous les siècles historiques, celui où
nous vivons est le plus merveilleux. Que le bon goût
nous garde de célébrer les prodiges de la vapeur et de
l'électricité, et de demander aussi quelles heures du
passé ont vu des entreprises comme le percement des
deux isthmes, l'Africain et celui des deux Amériques.
Mais pour ne parler que du progrès littéraire, quel
épanouissement de la pensée fut pareil à celui de ce
siècle? Laissons de côté, de crainte de paraître banal,
les supériorités incontestées de Hugo et de Gœthe.
Bornons-nous à citer le développement sans pareil du
roman et du journalisme. Et c'est parce que, durant
quelques lustres, le second empire aura passagèrement
^kié les mœurs et fait à Paris une réputation de lupa-
nar international, qu'il faudra affubler du nom de déca-
dente toute la génération présente ? C'est absolument
comme si les bossus de France se mettaient à prêcher
en vers et en prose qu'il n'y a plus que des bossus.
La vérité est que nous sommes dans une période de
transition. Que notre idéal en toute chose perd, non
sans souffrance, ses appuis anciens, et péniblement en
cherche d'autres, qu'il trouvera, n'en. doutons pas. A
cela s'applique la partie vivante et saine des races
européennes. Il n'y a pas matière à comparer cette
évolution à la chute lente de l'empire romain ou de
l'empire de Byzance. Il s'agissait alors de nations inca-
pables de trouver en elles-mêmes les éléments de la
rénovation attendue. Les deux races étaient épuisées.
Il a fallu que les barbares vinssent essaimer dans ces
lieux stériles pour y rajeunir rhistoire. Aujourd'hui,
il n'y a point de barbares, à l'horizon. Si les classes
supérieures, pourries et blasées, doivent être rempla-
cées, ce sera par dés couches qui sont sous elles, dans
les entrailles mêmes des peuples. Comme nous l'écri-
vons dans VAmù^al, l'invasion destinée à infuser les
sucs nouveaux, ne sera plus latérale, du dehors au
dedans, mais verticale, du dessous au dessus. Quand
des races ont en elles ces forces de réserve, elles ne
sont pas en décadence, mais en transformation. Ce
qui lejur faut, ce qui ne leur manquera pas, ce sont des
écrivains pour annoncer, pour chanter ces phénomènes
prochains. Et quant à ceux qui, pareils à des oiseaux
déplumés et malades, piaillent en sautillant, et prennent
leur misère pour la misère universelle, ils seront sub-
mergés, sans qu'il en reste trace ou souvenir, eux et
leurs, œuvres stériles, quand, au rivage de l'avenii^
montera la haute marée.
LE PIAGIAT
Petit pays, petites gens, petites passions, petite presse.
On dirait vraiment que les journaux belges vivent d "autre chose
que de découpures. Une épidémie les aileinl depuis quelque
temps; ils crient au plagiat à tout propos. Tantôt lun d'<?ux
accuse l'autre de lui voler ses faits divers et crie à lue-iête
comme si on lui arrachait les dents, alors que les faits divers
formoni un ralelier (jui s'applique à la bouche de cliaque journal.
Une aulre fois il s'pgil de M. Slingeneyer qui, dans ses nombreuses
notes d'an, relrouvc et s'approprie quelques observations qui
n'ont que le tort d'être banales, en nc^gligeanl, par cela même, d'en
indiquer la source, cl voilà qu'on réclame au nom de l'illusire (!)
M. Pfau.
Hier c'est au nom des héritiers de Vilruve, un vieil auteur
latin, qu'on croit devoir proleslor et chercher chicane bruyante à
propos d'un rapport sur la propriété artistique et littéraire.
Il sera amusant, pensons-nous, d'étudier un peu au microscope
les microbes qui ont déterminé le dernier cas de l'épidémie.
Voici le fait : un homme jeune, intelligent, estimé, passe tout
un hiver à faire un travaiMégislalif considérable, sur le droit des
auteurs. Il s'entretient de la question avec les gens compétents,
lit et annote les innombrables manuscrits, livres, rapports de
congrès, projets de loi, conventions internationales, brochures
et brochureltes qu'on a é-Tits sur le droit des auteurs.
Il n'a pas à faire œuvre à' imagination, mais de législation^ et
pour cela il importe surtout de collationner, de trier, d'épingler
les faits, les.aniécédents, les exemples, les anecdotes historiques
qui sont rapportés un peu partout et qui, comme faits, appar-
tiennent à tous et sont du reste transcrits dans une langue neutre.
Après cola il se livre à une discussion juridique très serrée
pour établir le fondement et la nature du droit des auteurs.
La discussion des différents systèmes en présence constitue
précisément son œuvre originale, à lui; il n'a le droit de rien
inventer, mais de choisir, ce qu'il fait en réfutant d'abord puis
en adoptant la théorie des Droits huelleciuels*
Cette base fixée, il en déduit les rationnelles conséquences
dans les différents articles du projet de loi, et sori rapport paraît
en un compact volume de iOO pages in-folio.
Que va-l-il arriver ? Ce travail consciencieux et très juridique,
ce travail de plusieurs mois va valoir à son auteur de la notoriété,
lui assurer une place parmi les hommes de mérite de son pays.
Pas du tout : Un jeune avocat qui a fait sur le même sujet un
devoir de rentrée, a rêvé sans doute l'honneur d'être cité au
coui*s d'un rapport législatif.
S'il faut en croire la Chronique d'hier, c'est lui qui a envoyé
une circulaire, qui est allé se plaindre de ce que le rapporteur de
la Chambre ait transcrit dans les mêmes termes que lui — des
termes quelconques, des termes de dic'.ionnaire, — deux exemples,
deux faits, deux anecdotes historiques sur les jeux des Muses
à Alexandrie, lesquels ont été racontés en latin par Vilruve
d'abord, et traduits plus ou moins fidèlement par des centaines
d'auteurs qui ont écrit sur la propriété intellectuelle.
Cela fait une dizaine de lignes semblables.
On répand îa nouvelle, on la travestit; on a des amis complai-
sants; la hideuse politique s'en môle; la petite presse est là,
toujours ouverte, comme une maison de passe où tout le monde
peut aller faire son ordure, anonymement.
Et le lendemain tous les journaux à ia fois vont criant au vol,
au scandale, au pingiat ; celui qui a travaillé longtemps, qui a fait
une œuvre de mérite, risque de devenir ridicule, odieux, infâme.
On en rira dans le pays entier : les commis voyageurs s'esclaf-
feront dans les trains, comparant les textes, trouvant qu'ils se
ressemblent comme deux gouttes d'eau, sans comprendi^e — les
imbéciles ! — que cela doit être puisque les gouttes d'eau pro-
viennent de la même source de l'histoire et que chacun a le droit
d'y puiser.
' Cela n'est pas possible, direz-vous. Il doit y avoir autre chose :
oui, j'oubliais un détail qui, cette fois,nous conduit au grotesque:
On fait un grief à l'auteur du rapport d'avoir répété que les
anciens avaient pour les œuvres de l'esprit n un respect dont les
temps modernes n'offrent pas d'exemples. »
El on osera écrire que l'auteur de celle banalité à acquis sur
elle une propriété. Mais c'est un cliché qui a servi à tous les dis-
cours dans les académies, les sénats, les meetings, et même les
cimetières, car on y fait aux morts celte injure de parler devant
eux, et même de parler politique. Dont les temps modernes
n'offrent pas d'exemples. Mais il faudra à ce compte indiquer les
sources pour les billets de caramels. On ne pourra plus dire :
« Il fait beau aujourd'hui » ou bien : « La prudence est lïi mère
de la sûrelé » sans ajouter : comme dit M. de Tocqneville, à
l'instar de la petite sous-préfelte du Monde oii Von s'ennuie.
Dont les temps modernes n'offrent pas d'exemples !
Défense à tout écrivain d'employer désormais celle expression.
Elle appartient à M""*^ X. C'est lui qui l'a créée, après un long
labeur. Il a pris du limon, il a soufflé dessus, et voyez mainte-
nant comme celle phrase vit. M""^ X a fait cela, il a créé ! M""'' X
est Dieu ! ,
A propos de plagiaires qui ne citent pas les sources, Lcsage
les compare à des voleurs qui auraient emporté une vaisselle et
en auraient effacé lés armoiries.
Je voudrais bien savoir ce qui constitue les armoiries, le chiffre
personnel, dans cette phrase superbement quelconque : « Dont
les temps modernes offrent peu d'exemples». Non seulement il n'y
a pas d'armoiries, mais ce n'est pas même de la vaisselle. C'est la
fontaine Wallace, avec des gobelets d'étain où tout le monde a bu.
Dans ces conditions il n'y a plus moyen de rien écrire, — à
moins de faire comme ce curieux décadent signalé par Banville
qui, par crainte qu'on ne l'accusai de plagiai ou de banalité,
substituait aux locutions usitées les synonymes les plus inouïs.
Ainsi son livre commençait ainsi : Un malheureux vieillard. Il y
substitua ces mots :
« Un calamileux macrobile î »
Toute celte mauvaise foi se complique d'ignorance, car ceux
qui savent auraient bien garde de procédés aussi bouffons quand
on a vu exercer le droit d'appropriation non seulement par les
compilateurs, ceux qui font œuvre de science, d'histoire ou de
législation, toutes matières où l'emprunt est nécessaire cl légi-
time, — mais encore par ceux qui font de la littérature propre-
ment dite et des ouvrages d'imagination, comme les dramaturges,
les romanciers et les poètes. ^
Qui traitera de plagiaires Molière pour avoir emprunté son
Avare à Plante, La Fontaine pour avoir transcrit, traduit pour
ainsi dire, en les donnant pour siennes, certaines fables d'Esope;
Corneille pour s'être plus qu'inspiré dans le Cid des romanceros
espagnols, Shakespeare enfin qui prend tout son Othello à une
nouvelle italienne de Cinthio, Shakespeare qui emprunte un tas
de vers à dos poètes anglais qui lui sont antérieurs, à telles
enseignes qu'on publie aujourdhui en ^Angleterre des éditions où
tous ces vers intercalés par lui sont mis en italique avec l'indica-
tion dos sources. . - .
Et tous ceux-là sont des génies qui ont prouvé ailleurs la
somptuosité de leur esprit, la richesse de leur inspiration et qui
osent néanmoins emprunter ci et là un peu de cuivre et d'élain
pour le mêler, comme un alliage nécessaire, à l'or pur de leur
«tyle.
Imaginez donc que Viclor Hugo ait eu le malheur d'ôlre un
poôle belge et. qu'il ail publié ici la Légende des Siècles.
Le lendemain, un des stupides petits journaux qui font le trot-
toir chez nous publierait un article à grand tapfige intituld
comme suit :
UN POÈTE PLAGIAIRE
•♦ Voici les poètes qui s'en mêlent. C'est maintenant la Bible
«♦ qu'ils vont démarquer, la Bible, un livre sacré I Quelle profana-
•* tion ! Voici, en effet, comment l'auteur d'un livre récent copie
« dans un poème qu'il donne pour sien l'Evangile de Saint-Jean.
« Nous nous réservons de multiplier les exemples, s'il y a lieu.
VICTOR HUGO.
Or, Jésus aimait Marthe et Marie et
(Lazare.
Et le Seigneur
Dit aux Juifs accourus pour le voir
(en grancl nombre
Où donc l'avQz-vous mis? Ils répon-
(dirent : Vois
Et Jésus pleura
Sur quoi la foule
Se prit à s'écrier : Voyez comme il
(l'aimait.
Première rencontre du Christ
(avec le Tombeau.
LA BIBLE.
Or, Jésus aimait Marthe et sa sœur et
Lazare.
Et Jésus dit :
Où l'avez-vous mlsî Ils lui répon-
daient : Seigneur, viens et vois
Et Jésus pleura.
Sur quoi les Juifs
Dirent ; Voyez comme il l'aimait.
St Jean, chap. XI. 5, 34, 35, 3&.
Il est certain qu'après une pareille révélation, un poète belge
serait ridicule pour le restant de ses jours et considéré comme
copiant ses vers par toute la grande masse du public.
Cela peut-il durer, et tous ceux qui écrivent, ceux à qui par
conséquent pareille mésaventure peut arriver demain, n'onl-ils
pas le devoir de s'unir pour faire une guerre à outrance à cette
méchante petite presse. Qu'on la poursuive en justice, qu'on
l'assigne en dommages-intérêts, elle qui par la seule accusation
de plagiat, diffame, compromet et ridiculise à la face du pays,
des hommes de conscience et de valeur.
Et quant aux chiens à la chaîne qui aboient là dedans, qu'à la
première occasion on les bâtonne sans merci et publiquement !
Georges Rodenbach.
LES DROITS ARTISTIQUES ET LITTÉRAIRES
Projet adopté par la section centrale.
{suite) (*)
Section IV.
Du 'droit d'auteur sur les œuvres des arts du
dessin.
Art. 20. L'auteur d'une œuvre produite par l'un des arts du
dessin, tels que gravure, peinture, sculpture, architecture, a
seulle droit de la reproduire ou d'en autoriser la reproduction
par un art ou un procédé semblable ou distinct.
Art. 21. La cession d'un objet d'art n'entraîne pas cession
du droit de reproduction reconnu h l'auteur par l'article précé-
dent, sauf convention contraire. Toutefois, l'artiste cédant ne
peut reproduire son œuvre sous la même forme artistique si, de
soi, celte forme n'indique pas la multiplicité des reproduc-
tions (13).
l') Voyez ïArt moderne du 10 courant.
(13) Le projet du rapporteur portait :
La cession d'un objet d'art n'entraîne pas cession du droit de
reproduction reconnu à l'auteur par l'article précédent, sauf conven*
Art. 22. La propriété d'un objet dos arts dudessin n'emporte
pas le droit de l'exposer publiquement contre la volonté de l'au-
teur.
Si l'objet d'art consiste en un portrait, l'auteur n'a pas le
droit de le reproduire ou dé l'exposer publiquement sans l'assen-
timent de la personne représentée ou dç ses héritiers.
•Art. 23. L'auteur d'une œuvre d'art qui en aura fait ou
autoriser la reproduction par des procédés industriels sera sou-
mis, pour ce qui concerne les objets résultant de cette reproduc-
tion, aux lois qui régissent les arts industriels.
Les reproductions par la photO£rraphie ou les procédés
analogues rentrent dans la présente disposition.
Section V. — Action pénale.
Art. 24. Quiconque, en fraude des droits de l'auloDr, repro-
duit, on lout ou <'n partie, une œuvre lilif'raire ou artistique par
n'importe quel mode de reproduction, y compris roxéciilion ou
la représentation publique, est coupable du délit de contre-
façon (14).
Art. 25. Les délits prévus k l'arlicio précédent seront punis
d'une amende de 26 francs à 2,000 francs.
La confiscation des ouvrages ou objets contrefaits, do même
que celles des planches, moules ou matrices et autres ustensiles
ayant directement servi à les commettre, sera prononcée contre
les condamnés. - .
Art. 26. En cas d'exécution ou de représentation non auto-
risée, les recettes pourront être saisies parla police judiciaire
comme objets provenant du délit, et seront alloués au réclamant
à valoir sur les réparations lui revenant, mais seulement en .pro-
portion de la part que son œuvre aura eue dans la représentation
ou l'exécution.
Art. 27. L'application mensongère sur un objet d'art, un
ouvrage de littérature ou de musique, du nom d'un auteur ou de
tout signe* distinclif adopté par lui pour désij[n»^r son œuvre, sera
puni, d'un emprisonnement de trois mois à dtux ans, d'une
amende de 100 à 2,000 francs et d'e la contiscation des objets
contrefaits. -
Ceux qui, avec connaissance de cause, exposent en vt^nle ou
introduisent sur le territoire belge los ohj(Hs désignés dans
l'alinéa précédent seront punis des'mêmes peines.
Art. 28. Les infractions à la présente loi sont constatées,
instruites, poursuivies, jugées et réprimées conformément aux
règles du Code d'instruction criminelle et ce, même d'office, par
le ministère public.
Section VI. — Action civile résultant du droit d'auteur.
Art. 29. Les titulaires du droit d'auteur pourront, avi^c l'au-
torisation du président du tribunal de première instance dir lieu
de la contrefaçon, obtenue sur requête, faire procéder par un ou
plusieurs experts que désignera ce magistrat à la deseription des
objets prétendus contrefaits, ou des faits de la contrefaçon, et des
ustensiles qui ont directement servi à les accomplir.
Le président pourra par la même ordonnance faire défense aux
détenteurs des objets contrefaits de s'en dessaisir, permettre de
constituer gardien ou même de mettre les objets sous scellés.
Cette ordonnance sera signifiée par un huissier à ce commis.
tion contraire. De même l'eséoulion d'une œuvre d'architecture ne
met pas fin au droit exclusif de l'auteur à la reproduction de ce qui
est nouveau dans cette œuvre.
(14) Le rapporteur avait proposé :
Quiconque reproduit, en tout ou en partie, une œuvre littéraire
ou artistique quelconque sans le consentement du titulaire du droit
d'auteur par n'importe quel mode de reproduction, y compris l'exé-
cution ou la représentation publique, est coupable du délit de
contrefaçon.
Ceux qui, en connaissance de cause» exposent en vente, débitent
ou introduisent sur le territoire dans un but commercial les objets
contrefaits, sont coupables du même délit.
S'il s'ajçlt do faits qui donnent lieu h recelle, îc président
pourra auloriser la saisie conservatoire des deniers par un huis-
sier qu'il conimellra.
Art. -30. La requête contiendra élection de domicile dans les
communes où doit avoir lieu la description.
- hesiîxpeTts prêteront serment entre les mains du président
avant de commencer leurs opérations.
Art. 31. Le président pourra imposer au requérant l'obliga-
tion de consigner un cautionnement. Dans ce cas, l'ordonnance
ne sera délivrée que sur la preuve de la consignation faite. Le
cautionnement sera toujours imposé à l'étranger.
Art. 32. Le requérant pourra être présent à la description,
s'il y est spécialement autorisé parle président.
Art. 33. Si les portes sont fermées ou si l'ouverture en est
refusée, il est opéré conformément à l'art. 587 du Code de procé-
dure civile.
Art. 34. Copie du procès-verbal de description sera envoyée
par les experts, sous pli recommandé, dans le plus bref délai, au
saisi et au saisissant.
Art. 3J). Si dans la huitaine de la date de cet envoi, constaté
par le timbre de la poste, ou de la saisie conservatoire des
recettes, il n'y a pas eu assignation devant le tribunal dans le
ressort duquel la description a été faite, l'ordonnance cessera de
plrin droit ses effets et le détenteur des objets décrits ou des
deniers saisis ])0.urra réclamer la remise de l'original du procès-
verbal avec défense au requérant de faire usage de son contexte
et de le rendre public, le tout sans préjudice des dommages-inté-
rêts.
Art. 36. La juridiction consulaire ne connaît point des actions
dérivant de la présente loi. •
La cause- sera jugée comme affaire sommaire et urgente (15).
Art. 37. Les tribunaux saisis des réparations civiles à allouer
an demandeur en cas de lésion du droit d'auteur pourront lui
accorder :
1° Une somme suffisante pour l'indemniser de toutes dépenses
causées par la poursuite;
2" S'il s'agit d'une reproduction matérielle d'objets mobiliers,
la contjscalion des dits objets et de ce qui a servi directement à
les produire; et, s'il s'agit d'une représentation ou d'une exécu-
tion, la confiscaiion d'une pari de la recette correspondante à
l'importance de l'œuvre représentée ou exécutée.
11 sera tenu compte pour fixer la recette de ce qui est payé par
abonnement, cotisation de sociétaires, etc.;
39 De plus amples dommages et intérêts s'il y échet (16).
Section Vil. — Droits des étrangers.
Art. 38. Los étrangers jouissent en Belgique des droits
garantis par la présente loi sans que la durée de ceux-ci puisse,
en ce qui les concerne, excéder la durée belge. Toutefois, s'ils
viennent à expirer plus tôt dans leur pays, ils cessoront au même
moment en Belgique.
Section VlII. — Disposition transitoire.
Art. 39. Il n'est porté aucune atteinte aux contrats sur la
matière légalement formés sous l'empire des lois antérieures. Les
auteurs ou leurs héritiers dont les droits exclusifs, résultant de
ces lois, ne seront pas épuisés au moment de la publication de
la présente loi seront pour l'avenir régis par celle-ci. Si, avant
cette publication ils ont cédé la totalité "de leurs droits, ceux-ci
resteront soumis aux lois en vigueur au moment de la cession.
Section IX. — Abrogation de la législation existante.
Art. 40. Sont abrogées toutes dispositions antérieures rela-
tives aux droits d'auteur régis par la présente loi (17).
(l.j) Le projet du rapporteur portait : La juridiction compétente
pour l'action en contrefaçon sera toujours la juridiction consulaire.
Tout« action en contrefaçon sera jugée comme affaire sommaire.
(10) Le rapporteur avait écrit : Les tribunaux saisis de répara-
tions civiles à allouer au titulaire du Jroit d'auteur en cas de contre-
façon, pourront lui accorder des dommages et intérêts, la confisca-
tion des objets contrefaits et des. instruments qui ont servi directement
à les produire, de plus la publication dans les journaux des déci-
.'-^icns rendues et ce, à concurrence d'une somme qu'ils fixeront.
JiA MUSIQUE A ^NVER?
Les pianos ne chôment guère h l'exposition d'Anvers, et dans
l'immensité des halls les arpèges et les gammes dansent des qua?
drilles fous.
La mode est venue de prier quelque artiste en renom de faire
entendre les pianos dételle ou telle maison. Un communiqué aux
jonrnaux annonce l'heure de la cérémonie. Un programnie élé-
gant est distribué aux visiteurs et, une heure durant, l'assistance
jouit du régal d'un concert intime, souvent remarquable. La riva-
lité des fabricants s'en mêlant, ces auditions se multiplient, si
bien qu'elles constituent désormais un des attraits de l'exposi-
tion. A cinq heures, il est de bonne compagnie, h Anvers, de se
trouver à proximité des pianos d'Erard, de Pleyel, de Gunther
ou d'Oor; ces dames sont si friandes de doubles croches qu'elles
en oublient les babas de Meurisse, le café à la glace du restau-
rant viennois et même le Champagne frappé de Manuel.
Lundi, le hasard nous a amené à l'un de ces five o'clock d'un
nouveau style. M. etM'"»' Zarembski étaient au piano, enveloppés
d'admirateurs. Ils égrenaient un répertoire superbe. Madame
caressait le clavier des délicatessea mièvres de la Valse alle-
mande de Rubinstein, et Monsieur ripostait par les sonorités
héroïques de Liszt et de Chopin.
Succès considérable, cela va sans dire, aux deux virtuoses, qui
ont terminé la séance par l'exécution magistrale des variations
de Liszt pour deux pianos (sur un thème des Puritains^ hélas!).
Aussitôt après, nous trouvions installé devant un piano
Schrôder, d^ins la salle des fêtes, un ancien élève de Brassin,
M. de Riva Berni, condisciple de Franz Rummel, de Hugo Fisch,
d'Edgard Tinel, de Georges Batta. Le jeune artiste s'est grande-
ment perfectionné. 11 a acquis de sérieuses qualités de style et de
mécanisme et compte désormais parmi les bons' pianistes de
réj)oque. La façon dont il a joué le concerto de Chopin a révélé
un musicien consciencieux et expert. On l'a chaleureusement
acçlanié après l'exécution du concerto, de la Sérénade de Mosz-
kowski et de V Etude de Liszt.
Le programme annonçait: compositeurs russes, polonais et hon-
grois. Indépendamment des trois auteurs cités, on a entendu,
exécutés par l'orchestre, sous la direction de Peter Benoît, l'ou-
verture de Roméo et Juliette, de Tchaïkowski ; les Esquisses de
la Steppe, par Borodine, et la Danse circassienne de César Cui.
Concert de choix, on le voit, et, n'était la malencontreuse sono-
rité de la salle des fêtes, fort intéressant.
Les artistes se succèdent à l'exposition : hier, c'était Saint-
Saëns qui devait présider au premier grand festival de musique.
Déjà on a entendu M"»*^ Montigny-Rémaury, M"° Luisa Cognetti,
M"« Dratz, etc.
Ne terminons pas ces notes rapides sur l'exposition musicale
d'Anvers sans signaler aux visiteurs l'admirable piano à queue
fabriqué par M. Gunther et décoré de peintures par M. Amédée
Lynen. Tout autour de la caisse, sur un fond gris-mastic, des
amours, porteurs d'attributs de musique, s'enguirlandent en cor-
tèges mignons. Le couvercle est orné d'une grande composition
qui emprunte son charme aux grâces de Walleau et de Frago-
nard; des seigneurs et des dames accoudés à une balustrade
(17) Le projet du rapporteur portait : Sont abrogées toutes dispo-
sitions antérieures relatives aux droits d'auteur réglés par la pré-
sente loi, sous quelque dénomination qu'ils aient été compris,
notamment celle de droits dits de copie ou de propriété artistique et
littéraire.
conlcmplenl les danses d'une Iroupedc ballerines qui ryllimcnt
leurs pas sur le claquemcnl des casiagnelles et lé bourdonnement
des tambours de bas(|ue. Sur le dessus du clavier sont peints
sept amours personnifiant les degrés de la gamme.
Toutes ces décorations sont pimpantes, gaies, élégamment et
facilement peintes. Elles évoquent de lointaines visions de cla-
vecins dans des boudoirs aux tentures fanées où pleure une musique
dolente.
Mais quand on ouvre l'instrument et que, brusquement, il vibre
sous unfi main nerveuse, la sonorité magnifique (jui s'en échappe
envoie dans les brouillards les réminiscences (jue l'aspect exté-
rieur du piano fait naître. Comme tous les pianos Gunther, le
merveilleux instrument que nous venons de décrire est un excel-
lent inslrumentdc concert, aussi délicat au loucher que puissant.
C'est avec justice que le jury lui a décerné la médaille d'hon-
neur.
!PlBJ.IOQRAPHIf: MU^ICAI-E
M. François Riga, qui s'est fait connaître par un grand nombre
de compositions de valeur parmi lesquelles les Esprits de la Nin(,
la Chanson des Vagues, le Totirnoiy le liéveil du Printemps, sont
devenus populaires, a été chargé d'écrire pour le grand concours
international de chant d'ensemble organisé par la ville de Lyon et
qui aura lieu les 15 et 16 août prochain, un chœur à quatre voix
d'hommes destiné à être chanté par la division d'excellence.
On ne pouvait mieux s'adresser, M. Riga ayant, avec l'entente
parfaite des voix, l'habitude d'écrire pour les masses chorales des
morceaux à effets variés, propres à faire valoir le mérite et les
ressources des sociétés concurrentes.
Dans Oerminal, le chœur en question, que vient de publier la
maison Schott, il y a, outre ces mérites techniques, une inspiration
de, bon aloi qui place l'œuvre fort au dessus des compositions
similaires et qui assure à son auteur un rang distingué parmi les
musiciens de l'époque.
Le texte est de M. Lucien Solvay, qui s'est inspiré du récent
volume d'Emile Zola pour écrire soixante vers bien coupés au point
de vue musical
" Parnaii les dernières nouveautés parues, signalons aussi une polka-
marche d'Edouard Rops, intitulée : Aie Ccrngo, et mise en vente
chez M. J.-B. Moens.
^Z^1ZS y^RTipTIQUE?
Une intéressante vente d'autographes, celle de M. Alfred Bovet
vient d'être terminée à Paris. Un grand nombre de lettres de comé-
diens, de peintres, de sculpteurs, de graveurs et d'architectes ont
été disputées aux enchères.
Beaucoup d'artistes vi^^ants avaient fait retirer avant la vente,
pour des raisons particulières, les pièces portant leur signature.
Voici quelques prix parmi les lots les plus curieux.
Une importante pièce de Nicolas Poussin, donnant reçu de deux
mille livres pour solde de son tableau La Cène, adjugée 125 francs.
Une lettre d'envoi de Claude Gelée portant au verso un très beau
dessin à la plume, vendue 410 francs.
Une lettre par laquelle le célèbre graveur Nanteuil refuse le paie-
ment du portrait de M"e de Scudéry, qu'il avait gravé, est montée à
500 francs. Uneépître de l'architecte Mansart,22 francs; du graveur
Gravelot, 70 ; du peintre Boucher, 1-iO ; de l'architecte Soufliot, 40 ;
du peintre Joseph Vernet, 115; du sculpteur Pigalle, 38 ; du peintre
JFragonard, 75. Une intéressante missive de Greuze, 250. Une lettre
du sculpteur Clodion, 135. Un document des plus curieux du peintre
David, 300. Vi\ dessin au crayon du même, représentant Bonaparte,
200. Deux lettres de Proudhon adjugées, la première, 40, la seconde.
50. Une missive importante d'Ingres, 58. Lue épitrc du sculpteur
David d'Angers. 70. Une très belle lettre de Oéricault, 530 Un dessin
du même, 200, Une lettre du sculpteur Barye, 40. Deux épitres de
Corot, la première adressée au peintre Dutilleux, avec le (roquis de
trois de ses tableaux, 150; la seconde, dont voici le texte : « Mon-
sieur, d'après votre désir, je vous remets quelques notes biographi-
ques. J'ai été au collège de Rouen ju.squ'à dix huit ans. De là « j'ai
passé huit ans dans le commerce »•. Ne pouvant plus y tenir, je me
suis fait peintre de paysage; élève de Michalon d'abord. L'ayant
perdu, je suis entré dans l'atelier de Bertin. Après, je me suis lancé,
tout seul, sur la nature, et voilà! a été payée 20 fi-ancs. Une
lettre de Bailly, 10; de Robert Fleury, 10; de Gavarni, 60; de Do-
camps, 40; d'Isabey, 10.
Une intéressante missive (le Diaz, qui se plaint de la façon dont'
deux de ses tableaux, la Galathéeei l'Amour et Psyché, sont exjioi^és
au Salon, 50 francs. Une curieuse lettre où Daumier, âgé de vinfrr,-
quatre ans, emprisonné pour délit politique, raconte plaisamment
son séjour à Sainte Pélagie, adjugée 50 francs. Deux lettres de
Troyon vendues, la première, 40, la seconde, 35. L'ne mi.ssive de
Th. Rousseau, 40,- de Jules Dupré, datée de 1883, où il donne reçu
de 80 francs pour le prix d'un tableau adjugée 50 francs !11 L'ne
lettre de Charles Jacques, 85; de Chintreuil, 10; de Mei.ssonier, 70;
de Daubigny, 35 ; de G. Courbet, 100; d'Harpiguies, 10; de Fro-
mentin, 95 ; de Ziem-, 25; de Lunninais, 10 . de Rosa Bonheur, 2'J;
de Ribot, 10; de Gabanel, 1,5; de Gérôme, 25;.de Puvis de Cha-
vannes, 12; de Chaplin, 10; de Jules Breton, 20; de Carpeaux, 40;
de Veyrassat, 10; de Baudry, 20; d'Henner, 10: de Vollon, 10; de
Bonnat, 70; de Manet, 15; de Carolus Duran. 10; de Neuville, 20;
de Détaille, 20 ; de Berne-Bellecour, 10; de Vibert, 10; de Cazin.lO;
d'Henry Regnault, 70; de Duez, 10; de Jacquet. 13; de Bastien
Lepage, 37 ; de Delacroix, 155; de L. Leioir, avec un dessin, 100.
Pi
Hf\0[^lQUE JUDICIAIRE DE^ ART^
La cour du banc de la Reine' a débouté M"™*^ Woldon de sa
demande tendant à prélever, sur les fonds qui vont être remis à
M. Gounod pourTadminislralion du Birmingham-^Iusioal-Fcstiviil-
Novello et Ç''', une somme de \ 1,640 liv. st. pour les dommages-
inléréis que la cour suprême lui avait alloués' contre M. Gounod.
}\m& W'eldon avait demandé aussi qu'un avis de ce prélèvement
fût noliflé à M. 'Gounod.
La cour a décidé qu'elle n'avait aucune compétence pour rem-
plir un pareil mandai à l'égard d'um» personne dont le domicile
est en dehors de la juridiction de la cour.
pETITE CHROJSIQUE
.. UEscaut a un correspondant bruxellois dont les renseignements
artistiques doivent être intéressants, à eu juger par l'empressement
que raetla presse à les reproduire.
Ces renseignements sont généralement empruntés textuellement à
VArt moderne, ce qui est flatteur pour nous. Mais comme les j<,1ur-
naux qui reprennent en sous-ordre les nouvelles en question ont la
courtoisie de les t'aire précéder de ces mots : - On lit dans la corres-
pondance bruxelloise de l'Escaut -, il ne nous déplairait pas que la
dite correspondance ait, de même, la politesse de citer la source de
ses emprunts.
Simple question de forme. " •
Le grand festival de musique triennal de la Suisse romande a eu
lieu le mois dernier à Neuchàtel. L'un de nos meilleurs artistes.
244
VART MODERNE
M. Henri HeuschliDg, y a remporté dans l'oratorio Elie de Men-
delssohn un succès considérable. »♦ Parmi les solistes, dit la Gazette
de Neuchàtel; la palme revient à M. Heuschling. M. Heuscliling a
une voix superbe; nous croyons que c'est la première fois qu'on
entend dans nos concerts un baryton aussi beau, chaud et d'une
justesse soutenue. Il a été surtout remarquable dans la, prière d'Elie
devant l'autel; puis de Tair suivait : Sa parole redoutable est un
feu dévorant.
Mentionnons encore la prière d'Elie qui a fui dans le désert et
qui su{)plie Dieu de le rappeler à lui : Seigneur retire moi du
inonde. M. Heuschling l'a interprêtée d'une façon émouvante. »»
C'est .demain,, lundi 27 courant, à 2 heures, que s'ouvrira à
Anvers, dans les Galeries Neurenberg, Avenue du Sud, l'Exposition
libre de l'Art flamand.
L'Exposition internationale' des Beaux-Arts d'Anvers est complè-
tement installée. Voici, pour, les difTérents pays, le nombre des
artistes qui ont pris part à l'Exposition :
France, 681; Belgique, 609; Italie, 297; Allemagne, 274; Pays-
Bas, ^U; Autriche- Hongrie, 195; Angleterre, 116; Norvège, 100;
Russie, 36; Suisse, 29 ; Espagne, 26 ; Suède, 20.,
Quelques promotions ou nominations dans l'ordre de la Légion
. d'honneur ont, selon l'usage, accompagné à Paris la fête du 14 juillet.
On cite parmi les artistes : M. Bouguereau, bombardé comman-
deur; M. Humbert, promu au grade d'officier ; MM. Dagnan-Bou-
veret, François Flameng, Paul-Emile Sautai et Jules Coutau, nom-
més chevaliers. _ ,
Le 14 juillet a été inaugurée à Paris, quai Malaquais, la statue
de Voltaire, due au regretté sculpteur nantais, Joseph- Michel
Caillé.
L'Odèon représentera au mois de novembre la Reine Fiammette,
drame en vers de Catulle Mendès, avec quatre morceaux de musique
de M. Emmanuel Ghabrier.
Le Ménestrel, qui ne perd jamais l'occasion de dire une sottise,
fait à ce sujet la remarque suivante : On se demande comment
M. Catulle Mendès, qui compte au nombre des wagnériens les plus
intem])érants et les plus exaltés, a pu s'associer pour collaborateur
justement M. Emin. Chabrier, qui est l'un des artistes non seule-
ment les plus originaux, mais les plus nets, les plus précis et les
moins nuageux de ce temps-ci.
Le Courrier Français de cette semaine contient comme dessins :
Lç Portrait de H. Gray, par Uzès; la Robe fait la Femme, fantaisie
par H. Gray; les Inconvénients de la Pêche, par Lampuré, et Une
Demoiselle de Brasserie, par G. Paqueau.
Les àJinonces sont reçues au bureau du journal,
26, rue de V Industrie, à Bruœelles.
Tous les soirs, à 8 heures
donné par les musiciens du théâtre de la Monnaie (85 exécutants),
sous la direction de MM. Jehin et Hermanu.
Entrée : 1 franc. — Enfants : 75 centimes.
Tous les jeudis : Concert extraordinaire.
On peut se procurer une série de 20 cartes d'entrée pour 15 francs
et une série de 20 cartes pour enfants à 1& francs, chez MM. Breitkopf
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Hollande Van Gelder, 25 francs.
Bruxelles. — Imp. Félix Gallbwaert père, rue de l'Industrie, 26.
Cinquième année. — N° 31
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 2 AouT 1885.
L'ART
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00." — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser les demandes d^ abonnement et toutes les communications à
l'administration GÉNÉRALE DE l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
^
OMMAIRE
Les Incohérents. — Chronique .iudiciaire des arts. Passama
contre Verdhurt; Camille Lemonnier contre Kisicmaeckers. —
L'incident Rodenbach - Coveliers. — - Exposition universelle
d'Anvers. Le Salon libre de l'école flainande; Le jury des réconi-
penses. — Médailles et décorations. — Petite chronique.
LES INCOHÉRENTS
Comment faut-il les, nommer, ceux qui composent le
deuxième groupe des malades littéraires réunis désor-
' mais sous la qualification générale de Déliquescents?
(Soit dit, en passant, le mot est bien vieux, car il est
de Flaubert, l'appliquant à soi-même dans un jour
de passagère impuissance ; ce n'est pas une trouvaille,
mais une retrouvaille, comme dirait Marins Tapora).
Il s'agit de ceux qui semblent poser des énigmes. De
ceux qui, dès qu'une phrase est translucide et ne voile
pas l'idée, la fêlent d'un coup du bec de leur plume, et
s'extasient devant l'image troublée que cela fait. De
ceux qui, si l'image surgit nette en ses contours, dessi-
nant bien ses angles et ses creux, ses clartés et ses
•ombres, abattent toutes les aspérités, rembourrent les^i
vides, et même, tant l'indécis, et le confus, et le bizarre,
le sans-queue-ni-tête ou plutôt le tête-à-la-queue appa-
raissent dans leurs œuvres, cassent, dirait-on, tout
en morceaux, puis remettent les morceaux ensemble,
au hasard du ramassage, comme une servante qui, ren-
versant par terre une statuette, se hâterait d'en
emporter les débris dans son tablier.
Dernièrement, nous étions plusieurs à en causer. Ce
sont les Impressionnistes de la Littérature, dit l'un.
— ^Ah! que non, reprit un autre; l'impressionnisme
c'est la -vérité des choses; nous n'en sommes plus,
n'est-ce pas, à le confondre avec la claquade à la volée
des couleurs sur la toile? — Eh bien, voulez-vous
Rébusiens? ce ne serait pas mal pour ces faiseurs de
devinettes. — Penh! le mot est dur à l'oreille. —
Nébuleux s'appliquerait assez, dit Lemonnier, l'écri-
vain de belle santé par excellence prenant en cordiale
compassion ces infirmes et ces détraqués de lettres.
Impressionnistes, Rébusiens, Nébuleux! L'approxi-
mation était de plus en plus exacte. Incohérents nous
a pourtant paru meilleur; et autant pour justifier cette
opinion que pour permettre de mieux apprécier ce cas
médical, mettons-en deux échantillons sur la table aux
opérations. Quelque habiles et drôles que soient les
pastiches mis sur le compte d'Adoré Floupette^ on
verra que la réalité est bien plus drôle encore.
Voici d'abord un morceau de Verlaine, celui dont
l'auteur des Déliquescences fait Bleucoion.
THERE
« Angels ", seul coin luisant dans ce Londres du soir
Où flambe un peu de gaz et jase quelque foule.
C'est drôle que, semblable à tel très dur espoir,
Ton souvenir m'obsède et puissamment enroule
Autour de mon esprit un regret rouge et noir.
Devantures, chansons, omnibus et les danses " '
Dans le demi brouillard où flue un goût de rhum,
Décence, toutefois, le souci des cadences.
Et même dans l'ivresse un certain décorum, •
Jusqu'à l'heure oii la brume et la nuit se font denses. '
«- Angels »! jours déjà loin, soleils morts, flots taris;
Mes vieux péchés longtemps ont rôdé par tes voies,
Tout soudain rougissant, misère ! et tout surpris
De se plaire vraiment à tes honnêtes joies,
Eux pour tout le contraire arrivés de Paris!
Souvent l'incompressible enfance ainsi se joue,
Fût-ce dans ce rapport infinitésimal,
Du monstre intérieur qui vous crispe la joue
Au froid ricanement de la haine et du mal,
Où gonfle notre lèvre amèrc en luurde mono.
î:*e^fance baptismale émerge du pécheur
Inattendue, alerte, et nargue ce farouche
D'un sourire. non sans. fran(;hise ou sans fraîcheur.
Qui vient, quoi qu'il en ait, se poser sur sa bouche,
A lui par un prodige exquisement vengeur.
C'est la Grâce qui passe, amiable, et nous fait signe.
s-:». 0 la simplicité primitive, elle encori
Cher recommencement bien humble ! Fuite insigne
De l'heure vers l'azur mùrisseur de fruits d'or !
«• Angels »! ô mon >rrj<, calme et frais comme un cygne!
Lecteur, ne dis pas trop vite : je ne comprends rien.
Relis, réfléchis, pèse et soupèse cette brouillardeuse
production. Crois-moi, à la longue, tu y découvriras
certaines choses se dégageant petit à petit du proto-
plasme général. C'est comme la lune. On n'y voit que
taches vagues et floconneuses et pourtant, il y a non
pas des milliers, mais des millions de personnes qui,
interrogées sur l'aspect de la lune s'acccordent à répon-
.dre que le disque de cet astre contient une figure|^
liumaine avec les deux yeux, le nez et la bouche. Et
de' même que nos incohérents et leurs admirateurs,
ces personnes sont promptes à se fâcher si l'on conteste
leur a>ssertion; beaucoup vont jusqu'à dire que, pour
en douter il faut être privé de sens et de jugement. Et
pourtant, ajoute avec calme Houzeau l'astronome,
. cette observation est fausse : tous ceux qui essaient de
dessiner l'aspect de la lune, le savent.
Autre exemple, celui-ci de Mallarmé, que l'irrévé-
rencieux et anonyme auteur des Déliquescences trans-
forme en Arsenal.
SONNET
Quelle soie aux baumes du temps
Où la chimère s'exténue
Vaut la torse et native nue
Que. hors de ton miroir, tu tends I
Les trous de drapeaux méditants
S'exaltent dans notre avenue :
Moi, j'ai ta chevelure nue
Pour enfouir mes yeux contents.
Non ! la bouche ne sera sûre
De rien goûter à sa morsure
S'il ne fait, ton princier amant.
Dans la considérable touffe
Expirer, comme un diamant,
Le cri des Gloires qu'il étouff'e.
Oh!...0h!!...0h!!!...
Positivement, Adoré Floupette n'est qu''un déliques-
cent de pacotille en comparaison. Sa poésie est lim-
pide à côté de ce moût trouble. Car enfin, lorsqu'il
écrit :
Les tœnias
Que tu nias '
Traîtreusement s'en sont allés,
on voit quelque chose, on voit le départ sournois de
ce.s tœnias. auxquels un incrédule refusait de croître.
Mais qu'est ce ({ue c'est que : une niie loy^seet nalive
tendue hors d'un miroir ?...Ei des trous de dra-
peaux méditants qui s'exaltent dans une ave-
nue ??,.. Et faire expirer conifne un diamant dans
une touffe considérable le cri de Gloires qu'on
étouffe l^h..
On va nous accuser d'être des chicanons de lettres,
des personnages grincheux, des envieux cherchant le
chemin des académies. Pour sûr, on va nous en accu-
ser. Mais non, braves petits bonshommes, nous sommes
tout simplement des profanes, écai^quillant les yeux,
pour essayer de voir et ne voyanf rien, comme cet
anglais assistant à Naplesà la cérémonie où l'on montre
un cheveu de la vierge, s'approchant, regardant et
di.-^ant au prêtre : Mais je ne le vois pas, — et le prêtre
répondant : Il y a quarante ans que je le montre et je
ne l'ai jamais vu.
Il est vrai que, comme ultime excuse de ces incohé-
rences, un jeune auteur, dont nous parlerons encore
tantôt, vient d'imaginer cette explication : Que ces
œuvres capricantes sont seulement des tours de force,
des dislocations que l'on accomplit pour. mieux appren-
dre son métier et sa langue, et qu'il ne faut pas juger
autrement cette épilepsie de strophes et de mots; que
ce n'est que de l'exercice et de l'exaspération.
Parfait, si c'est comme ça, parfait. Mais il fallait le
dire tout de suite. Dès que nous ne sommes plus dans
le temple des 3fi«5^5, mais dans une salle d'escrime,
une aire de gymnastique ou un local d'orthopédiste,
c'est bien différent. Nous pouvons alors admirer les
culbutes, les sauts au tremplin, les grands écarts et les
gesticulations, qui sontderhy.giène et non de la poésie.
Nous ajouterons même que, comme acrobatisrae et
funambulisme, c'est d'un réussi incomparable. Le
poète ne chante pas, mais se livre à des exercices de
force et d'adresse, des assouplissements et des rétablisse-
ments, aux anneaux et au trapèze ; il fait des extensions'
et des rétractions musculaires., Mais cette ingénieuse
excuse n'est nullement admise par les virtuoses du
genre qui, très fiers de leur détraquement mental, sou-
tiennent, devant la ville et le monde, que leur manière
est la seule belle, la seule bonne, la seule juste, la seule
aimable. Et quand on se risque à critiquer l'un d'eux,
Il s'immobilise au songe froid de mépris.
Le jeune^rivain auquel nous faisions allusion plus
haut, c'est Francis Nautet. Il vient de publier des
Noies sur la littérature moderne, bourrées d'excel-
lentes choses. C'est, il est vrai, en certaines parties,
une œuvre de bon camarade, naïvement admirative,
attribuant à chacun des amis de rau.teur un rôle à la
rampe dans la pièce générale que joue la littérature
belge, s'adressânt au Roi, on ne sait pourquoi : Sire,
Sire, et Sire ! Or, il s'y trouve un passage qui, miitatis
^nutandis, s'applique merveilleusement aux vraies
prétentions des /w6'o/im?n^5. Est-ce que d'une oeuvre
d'art, y est-il dit en substance, si fantaisiste, si nuageuse
qu'elle soit, il ne ressort pas un enseignement très
supérieur? Le moindre d'entre nous en a plus deviné
peut-être que le premier des professeurs de. littérature
de la plus fameuse Université. En naissant artiste, on
naît lucide, avec un fonds de science qui, s'il ne vient
pas du ciel, provient assurément de l'hérédité. Si l'on
savait jusqu'à quels dessous nous avons pénétré ! Nous
nous sommes disloqués à d'immenses hauteurs sur le
trapèze des hypothèses vertigineuses (toujours la
toquade du gymnase) et notre esprit s'est complu dans
les spéculations les plus vastes. Il existe une science.
Sire, une science synthétique dont Baudelaire (inévi-
table) a été le grand prêtre. Sire, et M. Taine, l'apôtre,
car philosophe, moraliste, psychologue, Sire, vous trpu-
verez en son œuvre Spinosa, Kant, Hegel et Darwin!!
Pas modestes, dira le lecteur. Erreur. Simplement
naïfs/Juvéniles. Ils croient à leurs vastes fronts. Adoré
Floupette croit à son vaste front. Il plane, répétons-le,
^^a fonction est de planer. Mais, diable, cette fâcheuse
incohérence subsiste, malgré et peut-être à cause de
Spinosa, Kant et Hegel. C'est là^ l'ennui, n'est-ce] pas,
Sire?
Non point que nous trouvions que la poésie vague, réa-
lisant Corot en vers, n'ait son originalité et son* charme.
Décrire les choses indécises en phrases indécises n'est
pas un péché, au contraire. Ce doublement dans le pro-
cédé, passant à la forme après le fond, est heureux et
neuf. Or, en principe il faut aimer le neuf, parce qu'il
devient souvent le vrai après avoir été l'original. Mais
la difficulté c'est de rester en deçà de l'incohérent . Elle
est considérable. On ne la vainct qu'en faisant œuvre
d'équilibriste sur la plus ténue des cordes raides. D'un
côté on penche vers la précision ancienne, de l'autre on
tombe' dans l'incohérence comique. Comme l'écrit
encore Francis Nautet, en faisant allusion à l'un de ces
jeunes artistes belges qui, encore à leurs débuts,
atteindront, il n'en faut pas douter, au premier rang de
nos écrivains, et certes seraient loués davantage pour
leur art s'ils pouvaient l'être davantage pour leur
caractère, il s'agit de frôler la gamme des nuances, de
ne s'occuper dii mondé visible que pour trouver les liens
qui le rattachent à l'invisible, de ne s'intéresser qu'aux
créatures humaines qui correspondent le plus à la sub-
tilité des goûts; et, encore, de les transfigurer, de trans-
poser les voix, d'ensourdiner les sons jusqu'à ce que
les vibrations atténuées ne soient plus qu'un murmure,
un souffle harmonieux ; de faire une poésie non expri-
mée, mais effleurée, avec des rimes frêles comme une
dentelle.
Oui. Eh bien! les incohérents ont dépassé l'obscure
limite. Ils sont dans l'au delà des hallucinations indé-
chiffrables. Mais nous avons chez nous un esprit,
subtil et rêveur aussi, qui, en se laissant aller à la poé-
sie du vague, vaguement parlée, a su demeurer en
dedans des frontières derrière lesquelhes il n'y a plus
que le chaos. Francis Nautet le signale avec raison à
l'attention (distraite) de son Sire. C'est Georges Khnopff*.
Il y a quelques mois, un journal parisien l'accusait de
plagier Bleu-coton...... nous voulons dire Verlaine. La
vérité est qu'il lui est très supérieur en se sens qu'il a
su trouver l'exact dosage de la fluidité permise, n'allant
pas jusqu'à Tévaporation nébuleuse. 'Il est intéressant
de mettre à côté des morceaux fous que nous avons
reproduits, une des poésies de notre compatriote. La
différence est saisissante. Chez lui, en effet, la réalité
reste perceptible, sous la gaze des incertitudes per-
mises. Celles-ci ne sont plus que la caresse de l'aile de
pigeon passant 'légèrement sur le dessin pour adoucir
et veloûter les contours. C'est l'extrême limite où la
poésie qui doit toujours être discernable dans l'idée,
confine à la musique oti l'impression seule subsiste.
Voici un de ces délicats et: ravissants poèmes :
Dans les vagues rougeurs du soir, la symphonie
Fait pâmer les oiseaux. Vois! C'est l'Ile bénie
Où les amants heureux rêvent au clair de lune.
En robes de satins cassés, en bérets, l'une
Après l'autre, Sylvie, Ainynthe, Célimèiie
Vont embrasser Pierrot poudrerizé, qui mène
Le vieil âne pensif au miroir des fontaines.
C'en est fait des refus et des lèvres hautaines.
Des désespoirs pimpants et des afféterios,
C'est le règne du tendre : « hymens »» et « bergeries ••
Attirent les amants sur la carte amoureuse.
Entre de hauts tilleuls, la pelouse se creuse,
Exquise ; et, devisant, grignottant des noisettes,
Les belles sous les plis des blanches chemisettes
Laissent les doigts se perdre et songer à leur guise ;
Eres malicieuse, sous les charmilles aiguise
Les traits qui vont percer le sein des innocentes
Et c'est l'Ile enchantée ou les amours naissantes
Fleurissent, parfumant la lune, qui se lèvç
Entre les branches d'or, et le bassin qui rêve.
Qu'en dites-vous ? Ce n'est plus de l'incohérent. Ce
n'est plus du rébus. Ce n'est plus la nébuleuse lointaine
et irréductible aux plus puissants télescopes. Remar-
quez encore, ajoute avec grand à propos Francis Nau-
tet, citant une autre pièce, que toutes les rimes sont
féminines et que le poète, en s'aftranchissant d'une
règle, ne tourne pas une difficulté, mais en crée une et
J
la surmonte ; en désaccord avec les traités de versifica-
tion v il est d accord avec les lois de rharmonie, ce qui
pourrait bien valoir mieux ; ces rimes constamment
féminines donnent à son sujet, léger de sa nature, léger
dans ses teintes, la fluidité qui convient.
Voilà du véritable et sincère Impressionnisme. C'est
l'œuvre impressionnante d'un cœur impressionné.
pHF(0;^IIQUE JUDICIAIRE DE^ ART^
Passama contre Verdhurt.
( Dan4 la nouvelle troupe lyrique du théâtre de la Monnaie figure
un contralto dont nous avons annoncé l'engagement, M"« Passama,
une fort belle personne, dit-on, douée d'une voix qui lui valut aiBor-
deaux des succès sérieux. A la suite d'une audition donnée dans dés
conditions défavorables à Bruxelles, au mois de mars, M. Verdhurt
crut devoir conseiller à la jeune artiste, dans une lettre adressée à
son professeur M'"® Sasse, de ne point risquer l'épreuve d'un début
au théâtre de la Monnaie, le public ne s'étaut pas montré favorable
à la tentative quelle avait faite en se faisant entendre prématuré-
ment. M"*^ Passama vit dans ce conseil et dans l'engagement qu'avait
conclu le directeur avec une autre contralto, M"*^ Jane Huré, l'inten-
tion arrêtée de ne pas la conserver après sou mois d'essai. Considé-
rant cette attitude comme un manquement aux obligations du con-
trat, elle assigna M. Verdhurt devant le tribunal de commerce de
Bruxelles, aux fins de s'entendre condamner à lui payer le dédit de
30,000 francs stipulé en cas de résiliation, plus 15,000 francs de
dommages-intérêts. '
C'est M'' Marcellin Estibal, du barreau de Paris, qui vint, à l'au-
dience de lundi dernier, soutenir les intérêts de la demanderesse. II
le fit avec un talent auquel ses adversaires rendirent hommage au
début de leur plaidoirie, et, pendant deux heures, captiva l'audi-
teire qui avait tenu à assister jusqu'au bout à ces piquants débats.
Il avait, au cours de sa plaidoirie, présiènté au tribunalune série
de photogra})hies représentant sa cliente dans les divers costumes de
son emploi. « Si je ne craignais d'être accusé de plagiat (ce qui est à
la mode), en me servant d'une comparaison empruntée à l'antiquité,
avait dit un des avocats plaidant pour la direction du théâtre, je rap-
pellerais que la distribution que vient de faire M"« Passama de ses
photographies évoque le souvenir de Phryné comparaissant devant
ses juges pour les attendrir... — Oui, sauf la quotité disponible!
répliqua finement M" Marcellin-Eslival.
Le mot fit rire. Désarma-t-il le tribunal ?
Non, parait il, puisque dans un jugement prononcé jeudi, il a
débouté la demanderesse de son action et l'a condamnée aux dépens,
donnant complètement gain de cause à M. Verdhurt-Fétis.
Voici le texte de cette décision :
Attendu que le litige, tel qu'il est déterminé par les conclusions
d'audience de la demanderesse, tend à faire prononcer, à son profit,
la résiliation de l'engagement verbal avenu avec le demandeur et à
lui payer la somme de 30,000 francs, étant le dédit stipulé dans
ladite convention verbale de louage de service;
Attendu que la demanderesse prétend que le défendeur aurait
manifesté sa volonté de considérer la convention verbale de louage
de service comme étant résiliée sans indication de motifs plausibles;
Attendu que, dans la communication que le défendeur a faite à
une personne qui n'avait reçu aucun mandat des deux parties en
cause, pour conclure ou résilier, le défendeur n'exprime ni directe-
ment ni indirectement sa volonté de se considérer comme étant délié
des obligations qui se dégagent de la convention verbale de louage
de services} .. "
Attendu que, dans cette communication adressée à la dame Sdsse,
qui a contribué à faire l'éducation musicale de la demanderesse, le
défendeur est l'écho fidèle des appréhensions funestes pour la de-
manderesse et son avenir au Théâtre de la Monnaie et qui sont nées
dans l'esprit des diletlanti devant lesquels elle a chanté, sans avoir
pris l'avis du défendeur; il émet son opinion sur l'insuccès de la
demanderesse en cette circonstance, et il prie M™» Sasse d'user de
son infliience, dans l'intérêt de tous les trois, pour déterminer la
demanderesse à résilier son engagement •• Ne vaut-il pas mieux,
dit-il, que nous prenions tous les trois la sage résolution qui nous
mettrait tous à couvert ? Je m'en rapporte à votre tact et à votre
délicatesse pour faire connaître cette triste nouvelleà M''° Passama.*»
Attendu que tel n'eût pas été le langage du défendeur, s'il eût
voulu notifier la résiliation de la convention verbale de louage de
services;
Attendu que depuis cette communication, ayant un caractère con-
fidentiel, le défendeur n'a posé aucun acte de nature à altérer,
soit la réputation artistique de la demanderesse, soit les droits
qu'elle tient de la convention verbale de louage de services;
Attendu que la demanderesse n'étant pas engagée en chef et sans
partage pour tenir au Théâtre de la Monnaie l'emploi de forte chan-
teuse iSfo^j, contralto, dans le grand opéra, les traductions et l'opéra
comique, le défendeur pouvait traiter avec une ou plusieurs autres
artistes en vue de remplir cet emploi ;
Par ces tnotifs, le tribunal déclare la demanderesse non fondée
en son action, l'en déboute et la condamne aux dépens.
Plaidants : MM«" Marcellin-Estibal (du Barreau de Paris)
c. Edmond Picard et Octave Maus.
Camille Lemonnier contre Kistemaeckers.
Le tribunal de commerce a rendu mercredi dernier son jugement
dans un procès intenté par M.Camille Lemonnier à M Kistemaec-
kers. M. Camille Lemonnier gagne son procès. Les faits sont suffi
samment précisés par la décision que nous publions ci-dessous, et
qui présente un sérieux intérêt de principe :
Attendu que le demandeur a fait assigner le défendeur aux
fi^s de :
1° Voir prononcer la révocation de la convention verbale avenue
entre parties le l'"'" juin 1881 au sujet de la publication du roman
intitulé « Un mâle « ;
2« Entendre dire que le demandeur est rentré de plein droit dans
la propriété de son travail ;
3" Se voir faire défense de reproduire à l'avenir le roman litigieux
à peine de tous dommages-intérêts ;
4o S'entendre condamner à payer au demandeur 1,500 francs à
titre de dommages -intérêts. •
Attendu que les parties sont d'accord pour reconnaître- que la
convention verbale précitée porte la clause suivante : »» L'auteur
«• rentrerait de plein droit et sans aucune formalité dans la propriété
ti de son travail, si, à l'expiration d'un délai de deux années révo-
« lues à dater du jour de la mise en vente, l'éditeur n'avait pas fait
« de nouvelle édition; on n'aurait pas une nouvelle édition sous
« presse. ♦»
Sur la fin de non recevoir ;
Attendu que le défendeur, se basant sur ce qu'il n'aurait « rien
fait ni déclaré qui soit de nature à infirmer ou à léser la prétention
soulevée par le demandeur de se dire propriétaire de l'ouvrage « Un
mâle ♦», soutient que le tribunal n'aurait qu'à fournir une simple
consultation en vue de prévenir une contestation future et éventuelle
et que l'action ne serait donc pas recevable. »
Attendu que les conclusions, prises au fond par le défendeur^
suffiraient à elles seules pour faire rejeter la fin de non recevoir
qu'il propose; qu'il conteste formellement le droit du demandeur et
se prétend seul propriétaire du roman «« Un mâle " ;
"^
LART MODERNE
249
Que, d'ailleurs, antérieurement à l'intentement de l'action, le
défendeur a déjà élevé ces mêmes prétentions; que, le IG jan-
vier 1885, en réponse à la notification lui faite, à la requête du de-
mandeur, par exploit de l'huissier Griquelion daté de la veille,
enregistré, il fit comprendre clairement au demandeuv qu'il ne
reconnaissait pas la propriété revendiquée par ce dernier ;
Attendu qu'ainsi le demandeur a un intérêt né et actuel à faire
établir en justice un droit contesté; que sOn action est donc rece-
vable;
Au fond :
Attendu que les parties sont en désaccord sur l'interprétation de
la clause ci-dessus rapportée de leur convention verbale ; que,
d'après le demandeur, l'expression « à dater du jour de la mise en
vente » doit s'entendre de la mise eii vente de la dernière édition;
que le défendeur soutient qu'il s'agit de la première mise en vente
à dater de la convention ;
Attendu que la clause litigieuse permet les deux interprétations ;
que le tribunal doit donc rechercher quelle a été la commune inten-
tion des parties ; , ,
Attendu que, dans le système du défendeur, par cela seul qu'il a
publié une nouvelle édition dans les deux années de celle prévue au
contrat, il est devenu irrévocablement propriétaire du roman ;
Attendu que le demandeur, comme prix de la cession, devait rece-
voir 3oÔ francs par mille exemplaires édités;
Attendu que, s il fallait adopter la prétention du défendeur, le
demandeur aurait renoncé à tout droit sur son œuvre, moyennant la
somme de 1,050 francs, soit 700 francs pour l'édition ou les deux
éditions prévues par la convention, et 350 francs pour une nouvelle
à faire éndéans les deux années ; qu'il .est difficilement admissible
que le demandeur ait entendu se lier pour une somme aussi minime ;
Attendu, d'autre part, que le demandeur, indépendamment de son
intérêt pécuniaire, n'a pu conférer au défendeur le droit de sup-
primer à jamais son roman, après la publication de 3,000 exem-
plaires;
Attendu que l'interprétation du demandeur n'est nullement en
contradiction avec les autres clauses de la convention verbale ; qu'en
stipulant qu'après l'épuisement des tirages, le défendeur serait seul
juge de refaire des éditions à 3 fr. 50 c, les parties ont entendu sim-
plement que le demandeur ne pouvait, en aucun cas, imposer au
défendeur une nouvelle édition ; que, si le demandeur s'est réservé
la faculté de publier son œuvre en livraisons illustrées, après trois
antiées de mise en vente d'éditions Kistemaeckers, cette stipulation
était faite dans l'intérêt de ce dernier et afin que l'édition illustrée
ne pût nuire à la vente de celle du défendeur;
Attendu que, si un doute pouvait subsister, l'équité commanderait
de consacrer le système du demandeur; que celui-ci a le plus grand
intérêt à ce que son roman ne reste pas improductif, tandis que le
défendeur a pu, depuis plus de deux années, calculer toutes les
chances d'un tirage nouveau, et que, ne voulant le tenter lui-même,
il ne peut subir le moindre dommage si le demandeur essaie de
lancer dans le public des exemplaires nouveaux de son ouvrage;
Attendu qu'il échet, par conséquent, d'admettre les trois premiers
chefs de la demande ;
Attendu enfin que le demandeur ne justifie d'aucun préjudice ;
Par ces motifs, le tribunal déclare le demandeur recevable en
son action ;
Dit pour droit que la convention verbale avenue entre parties le
l«p juin 1881, au sujet de la publication du roman •« Un mâle »• est
révoquée à compter du 15 janvier 1885, et que le demandeur est
rentré, à partir de cette date, dans la propriété de son travail, fait
défense au défendeur de reproduire, à l'avenir, le roman litigieux;
Condamne le défendeur aux dépens.
Plaidants : MM" Edmond Picard et G. Rodenbach c. Guill.
Degreef. y, ,
INCIDENT RODENBACH-COVELIERS
A la suite de l'article sur lo Plagiai, publié par Georges
Rodenbach dans le dernier numéro de V Art moderne, la
Chronique fit paraître le lendemain un arJiculct anonyme.
Georges Rodenbach adressa immédiatement la lettre suivante :
A hA DIRECTION T)E Lx Chronique .
J'ai qualifié, dans VAt^t moderne^ en signant, les procédés de
polémique auxquels la Chronique cherche à nous habituer.
En réponse, un de ceux que j'ai appelés « les trottins du journa-
lisme w m'injurie sous le manteau et me menace. Qu'il y vienne !
Pour le moment, je le somme, l'auteur dudit articulet, de se
nommer dans votre.journal, comme je me suis nommé.
Je ne veux pas qu'il puisse frapper par derrière, comme il écrit,
anonymement.
Vous publierez ceci dans votre prochain numéro.
Georges Rodenbach.
La lettre ne fut pas insérée. Aussitôt Georges Rodenbach pria
deux amis, M. Edmond Picard, avocat à la Cour de cassation, et
M. Ed. Jacquet, lieutenant aux grenadiers, d'aller demander le
nom de l'auteur de l'arlicle. Aux bureaux de la Chronique, on
leur désigna M. Covelicrs.
Le soir même, Georges Rodenbach lui adressa la communica-
tion ci-dessous :
Monsieur,
J'apprends que vous êtes l'auteur de l'articulet anonyme paru
dans la Chronique et qui me nomme. Je me tiens pour outragé par
cette publication. MM. Edmond Picard et Jacquet ont bien voulu se
charger de mes intérêts.
Je vous piie, si vous le jugez bon, de désigner les personnes qui
doivent vous représenter, ainsi que l'heure et le lieu où ils peuvent
se rencontrer demain.
Georges Rodenbach.
M. Coveliers désigna M. Paul Jansnn, avocat à la Cour d'appel
et M. bus I ri, major du génie en retraite.
Les témoins de Georges Rodenbach demandèrent que
M. Coveliers retirât son article ou qu'une réparation lût accordée
par les armes. Mais après doux conférences leur mission n'a
pas pu aboutir.
Voici la lettre adressée à Georges Rodenbach pour lui com-
muniquer ce résultat négatif :
Cher ami, nous avions accepté de demander réparation en votre
nom d'un article anonyme paru dans la Chronique où vous étiez
nominativement désigné. Au bureau du journal on nous a renseigné
que l'auteur était M Coveliers. Vous avez immédiatement écrit à
ce dernier pour lui demander de désigner ses témoins, M. Coveliers
nous a:' mis en rapport avec M. le major Dusart et M. Paul Janson.
Après deux conférences tenues aujourd'hui, notre mission n'a pas
abouti. Nous vous en transmettons ci-joint le procès -verbal.
Recevez, cher ami, l'expression de nos sentiments dévoués.
Jacquet. Edmond Picard.
Bruxelles, le 29 juillet 1885.
Voici maintenant le procès-verbal:
MM. Picard et Jacquet, au nom de M. Georges Rodenbach, ont
demandé que M. Coveliers retirât purement et simplement l'article
publié par lui dans la Chronique, ajoutant qu'en cas de refus
M. Rodenbach réclamerait une réparation par les armes.
250
VART MODERNE
MM. Edouard Dusart et Paul Janson, considérant que rarticlc de
la Chronique n'est qu'une riposte écrite sur le ton et dans le stjle
décelai de M. Rodenbach; qu'il s'agit donc d'une querelle d'ordre
purement littéraire et qu'il ne peut appartenir à M. Rodenbach, qui
a pris l'initiative de l'attaque, de donner au débat un autre carac-
tère, d'autant moins que ce débat a surgi à l'occasion d'un incident
auquel il est personnellement étranger, estiment qu'il n'y a lieu
dans l'occurrence ni au retrait de l'article ni à une réparation par
les armes.
MM. Picard et Jacquet ont fait observer que l'article de M. Roden-
bach visait en général ce qu'il nommait la petite presse, tandis que
celui de M. Coveliers s'attaque directement et nominativement à
M. Rodenbach; que c'est là une diflTérence essentielle qui enlève à
la publication de M. Coveliers le caractère de pure querelle de
plume qu'il prétend lui attribuer; qu'au surplus, quand M. Roden-
bach a envoyé une réponse à la Chronique on a refusé de la faire
paraître ; qu'il y aurait lieu de s'étonner que M. Coveliers, apr^s
avoir annoncé qu'on bétonnerait M. Rodenbach, se refuserait à se
battre ; qu'ils insistent de nouveau et formellement pour que larticle
soit retiré ou que raison soit rendue par les armes à M, Rodeubacli.
MM. Dusart et Paul Janson déclarent qu'ils diffèrent complète-
ment d'appréciation sur le caractère de l'attaque publiée par M. Co-
veliers; disent, au surplus, que la non publication de la réponse
n'est pas, le fait de M. Coveliers et persistent dans leur manière de
voir. * •
Bruxelles, le 29 juillet 1885.
Edouard Jacqukt,
lient, aux grenadiers.
Edmond Picard,
avoc. à la Cour de Cassation.
Edouard Dusart,
major du génie en retraite
Paul Janson,
avoc. à la Cour d'appel «
Î^XPO^ITION UNIVERSELLE D'^NVER^
Le Salon libre de l'Ecole flamande.
Amusante la déconvenue de certains membres du jury de cet le
exposition libre. On lisait, en effet, dans la Réforme de vendredi :
« Lundi s'ouvrait, à Anvers, dans la galerie Neurenberg, qui fait
face à l'Exposition officielle des Beaux-Arts, le Salon libre de l'Ecole
flamande.
•* Libre par sou jury, par son but et par son éclectisme, assuré-
ment, mais libre un peu à la façon des mauvaises herbes qui pous-
sent au milieu des pelouses vierges. Faisant partie, avec nos con-
frères de la presse quotidienne, Théodore Hannon et Lucien Solvay,
du jury qui a présidé à la réception des tableaux envoyés, nous
tenons à dégager toute responsabilité quant au résultat obtenu. Vai-
nement avons-nous protesté contre l'acceptation d'une jolie collection
d«» croûtes, la majorité anversoise a écrasé notre protestation, et,
chose plus grave, certains tableaux refusés à la presque unanimité
ont été placés, à la dernière heure, par une ou des mains inconnues.
Le but du Salon libre était excellent, nous y avons applaudi des deux
mains; aujourd'hui, forcément, nous tirons notre épingle d'un jeu
où l'on a triché, «
Ain^i, lors du Salon officiel, grand tapage parce qu'on refuse les
croùtrs. Maintenant, grand tapage parce qu'on les accepte.
Pauvres croûtes î Que votre sort est affligeant !
l'ne remarque ébouriffante c'est celle-ci : •• Certains tohlraii.r,
refusas à la j^resqae unani/uifê, ont été placés à la dernière heure
par UNE ou DES mains ineonnu^s ! ! ! Est-ce que les trères Davenj)ort
faisaient partie <le ce jury !
Hannon ! Solvay ! Waller! Qu 'allaient-ils faire dans cette galère?
l'ne voix lointaine répond: Fallait pas qu'ils aillent! Fallait pas
qn ils aillent ! . • .
Le jury des récompenses.
Le jury belge des récompenses vient d'être constitué officiellement.
En font partie :'
Pour la peinture : MM. Nicaise, De Keyser, ancien directeur de
l'Académie des Beaux-Arts d'Anvers ; Fétis, membre de l'Académie
de Belgique ; Robbie, artiste peintre à Bruxelles, membres effectifs ;
MM. Joseph Delin, artiste peintre à Anvers; Van den Nest, échevin
de la ville d'Anvers; Cluysenaer, artiste peintre à Bruxelles,
membres suppléants.
Pour la sculpture : MM. De Groot, statuaire à Bruxelles,
membre effectif, et Geefs, directeur ad intérim de l'Académie
d'Anvers, membre suppléant.
. Pour l'architecture : MM. Janlet, architecte à Bruxelles, membre
effectif, et Dens, architecte de la ville d'Anvers, membre suppléant.
Pour la gravure : MM. Michiels, graveur à Anvers, professeur
à l'Académie des Beaux-Arts'de cette ville, membre effectif, et De
manez, membre de l'Académie de Belgique, membre suppléant.
Médailles et décoration^
La Paix publie dans son dernier numéro les réflexions judicieuses
qui suivent:
" Parmi les attributions inutiles et souvent dangereuses dont on
surcharge et embarrasse le gouvernement, une des plus fâcheuses est
la distribution de prix à des artistes, à des littérateurs, à des indus-
triels, à des inventeurs quelconques de choses et d'idées. Cette manie
coût« cher au grand public payant et crée. des injustices et des que-
relles qu'il serait bon et facile d'éviter en maintenant l'État dans le
cercle déjà assez large des fonctions sociales. Tous les jurys que
ri'^tat nomme sont accusés d'agir j)ar favoritisme arbitraire, et font
plus de mécontents que d'heureux. Nos tribunaux académiques en
font l'épreuve chaque année. Le meilleur et seul remède à ce mal
serait la suppression de tous les prix, au moins celle de l'argent
donné aux jurys. Pas d'argent, pas de prix, surtout pas déjuges, et
le bénéfice serait notable pour tout le monde.
« Une erreur presque universelle est le jugement par l'État de
tous les mérites, la classification des citoyens d'après leur valeur
morale oii intellectuelle. De là les ordres honorifiques, les croix de
tous métaux et formes, les titres, les médailles, les brevets sans
garantie, les certificats d'incapacité ou de bêtise délivrés par prété-
rition.
«* En 1832, l'ordre de Léopold ne fut créé qu'à une seule voix de
majorité parlementaire, celle d'un Monsieur qui voulait en être
décoré à tout prix, et qui est cause qu'il compte aujourd'hui
28,000 confrères. S'il avait dit non, la Belgique aurait gagné un
gros million et des centaines de braves gens ne seraient pas morts de
chagrin pour n'avoir pas obtenu le ruban rouge. Un non modeste et
vertueux, un seul, hélas, aurait eu cet effet plus considérable encore
d'einj^cher une foule de jurys de gaspiller des millions pour eux et
pour leurs justiciables de toutes catégories.
" A peine approuvons-nous les distributions de prix faites aux
petits enfants; celles qu'on prodigue aux grands nous paraissent
injustifiables; l'incompétence de l'Élat ou de ses délégués est à nos
yeux claire et naturelle. L'Etat n'est qu'un grand anonyme, imbécile
et variable, dont la responsabilité nuageuse est insaisissable et dont
les pouvoirs se résument en celui d'un Monsieur officiel qui parle et
agit en son nom. Si l'Etat, cet être fictif et indéfinissable que nous
ne sommes jamais parvenu à concevoir, se bornait au strict néces-
saire, il éviterait bien des sottises et des gaspillages qu'il commet
aujourd'hui.
Ces remarques sont trop justes pour être admises par le public
abêti, mais nous les renouvelons de temps à autre à l'adresse des
lecteurs intelligents qui aiment la vérité nue, sans la parure budgé-
taire à la mode. . ,
•Petite chro^iique
Notre collaborateur Eugène Robert, que ses occupations avaient
empêché depuis lougtem|)S de collaborer régulièrement à VArt
moderne, nous demande, de faire connaître qu'il ne fait plus partie
de notre rédaction. Le motif , en est la contradiction qui s'est mani-
festée entre notre journal et la Réforme, dont M. Robert est un
collaborateur habituel, au sujet de la question de savoir si, comme
la Réforme l'a soutenu avec l'insistance que l'on sait, on doit con-
sidérer comme un plagiat littéraire dans le mauvais sens du mot le
fait d'utiliser dans un document parlementaire, sans en citer les
sources, les clichés sur des matières telles notamment que l'histo-
rique du droit d'auteur. -
Nos lecteurs regretteront, nous en sommes certains, de ne plus
voir paraître dans nos colonnes les spirituelles causeries littéraires
de notre excellent ami et ces regrets seront certainement partagés
par tous ceux qui restent attachés à notre rédaction.
M. Emile Mathieu a lu, la semaine dernière à M. Verdhurt, le
poème de son nouvel opéra : Ricldlde. Le directeur du théâtre de la
Monnaie s'en est déclaré fort satisfait. La partition lui sera présentée
pour l'ouverture de la saison théâtrale 1886 1887.
Quelques nouvelles littéraires.
La Jeunesse blanche de Georges Rodenbach paraîtra en février
prochain chez Lemerre. A la même époque et chez le même éditeur
sera publié le nouveau poème d'Emile Verhaeren, Les Moines.
Happe-Chair, de Camille Lemonnier, est entièrement achevé et sera
mis très prochainement sous presse. L'auteur du Mâle publiera, en
outre, incessamment, chez l'éditeur Mounier, un nouveau roman
intitulé Les Concubins.
Charles Van der Stappen vient de terminer le médaillon pn bronze
qu'il a modelé à la mémoire de son ami Louis Dubois. L'œuvre sera
déposée eu octobre sur la tombe du peintre. Ses amis et ses admira-
teurs se proposent d'organiser à l'occasion de celte solennité une
manifestation de sympathie en l'honneur du grand artiste qui fut,
durant toute sa vie, méconnu.
Le concert jubilaire du Conservatoire de Gand a été pour l'or-
chestre, son directeur M. Ad. Samuel et les solistes, MM. Van Dyck
; et Blauwaert, l'occasion d'une série d'ovations.
Parmi les compositeurs, on a particulièrement fêté M. Van den
Eeden, après l'audition de deux de ses œuvres : un tableau sympho-
nique intitulé Au XVI'' siècle, dont le final a été bissé avec enthou-
, siasme, et Mignon, mélodie avec accompagnement d'orchestre.
i Dans la nouvelle troupe du théâtre royal de Liège que vient de
, former, pour la prochaine saison, M. Verellen, nous remarquons
MM. Verhees, fort ténor; — Laurent, ténor-léger; — Delersy,
deuxième ténor; — Flavigny-Thomas, trial; — Plain, basse-noble;
— Falchieri, basse-chantante; — Paul Claeys, baryton; — Marins,
baryton d'opéra-comique; — Gourmay, deuxième basse; — etc.
jyjmes Chasseriaux, forte chanteuse falcon; — Verrellen-Corva,
chanteuse-légère de grand-opéra ; — Wilhem, chanteuse-légère
d'opéra-coniique; — Flavigny-Thomas, dugazon; — Jahn, deuxième
dugazon ; etc.
Ballet. — M""^' Laura Reutei's, première danseuse; — Hélène et
Elisa Reuters.
Le répertoire comprendra, entre autres, Méphistophélès, le Tribut
de Zanwru, Ri^-Rip, In Reine Topaze, le Docteur Crispin,
Ernani, Fra-Diavolo, Mireille.
Il est intéressant de voir combien nos. artistes sont plus juste-
ment appréciés à l'étranger qu'ils ne le sont dans notre pays Voici,
comme exemple, ce que nous lisons dans le Politique, journal quo-
tidien, paraissant à Prague, sous la signature Ed. Ziegler : ^
« On s'étonne que Camille Lemonnier n'ait pas encore vu une
universelle popularité s"'âttacher à son nom. C'est en partie à cause
du discrédit dont certaines productions immorales, surtout" à
Bruxelles, ont entaché la littérature belge à l'étranger. Ce pays qui
répand les obscénités les plus révoltantes sur le monde entifn* tra-
vaille à se créer une littérature nationale durable, ce qui ne frappe
pas de suite. On sait que l'homme qui se trouve à la tête de cette
école est l'égal des j)remiers artistes de l'Europe.
' « Camille Lemonnier est peu compris de ses compatriotes : cela
lui nuit à l'étranger. Celui là même qui fut son éditeur, Kistejnaeckeis,
ne perd aucune occasion, depuis que Lemonnier se fait éditer à J'aris,
de l'amoindrir dans l'opinion publique. »
L'Art musical publie l'intéressante nomenclature des œuvres
musicales composées sur des livrets tirés des poèmes de Victor
Hugo. Il ne s'agit, bien entendu, que des opéras, le nombre de
romances, etc., inspirées par le texte du poète étant incalculable.
Trois versions (Vllernani, par Gabussi, Théâtre-Italien, Paris
1834 ; Mazzucato, Gênes 1844 ; et Verdi, Venise, la même année.
Trois versions de Marion Delorme, Boltesini, Palerme 1860;
Pedrotti, Trieste 1865; et Ponchielli, Milan 1885.
Le Roi s'amuse a fourni le sujet d'un seul opéra, Rigoletto de
Verdi, donné à Venise en 1851. Il en a été de même de Lucrèce
Jiorcjia qui a fourni le livret mis en musique par Donizetti et repré-
senté la première fois, à Milan, en 1834.
Trois opéras ont été tirés de Marie Tudor : un par Pacini,
Palerme 1843; un autre par Kochperoff, Nice 1860, et un autre par
Gomès, Milan 1879.
A Angelo on doit deux opéras : il Giuramento, de Mercadante,
Milan 1837, et la Gioâçnda, de Ponchielli, Milan 1876.
En outre de la Esmeralda, <\e Berlin, il y a eu sept autres ver-
sions du même sujet dont les compositeurs sont : Mazzucato, Man-
toue 1838; — Poniatowski, Legnano 1847; — Dargomijski, Saint-
Pétersbourg 1847 ; — Lebeau, Bruxelles 1857 ; — Campana, Londres
1862; -- P^y (Notre-Dame de Paris), Philadelphie 1864; — et
Westerhahn, Chemnitz 1866.
: Ruy Blas a inspiré six compositeurs : Poniatowski, Lucques 1842;
— Bergonzoni, Plaisance 1843; — Glover, Londres 1861; — Chia-
romonte {Maria di Neuburgo), Bilbao 1862; — De Giosa (Folco
d'Arles), et Marchetti.
Enfin les Burgraves en ont inspiré deux : Matteo Salvi, Milan
1845; — et Orsini, Rome 1884.
A Londres, la saison italienne a été close par une représentation
du Trouvère.
M"* Patti a été l'objet d'une manifestation de sympathie. On lui
a offert un magnifique bracelet en diamants, acheté à l'aide d'une
styuscription, et présenté une adresse dans laquelle il est rappelé que
la cantatrice terminait son vingt-cinquième engagement au théâtre
qui avait eu l'honneur de la faire connaître.
Après le spectacle, la diva a été conduite au Midland Hôtel, où
elle habite, escortée par tout le personnel du théâtre, musique en
tête et torches allumées.
Sommaire de la Revue contc)npi>raine (25 juillet 1885) :
Wagner et l'esthétique allemande, Edouard Rod: — Génie
posthume, nouvelle, Harry Alis. — Epilo'gue, poésie, Charles Morice.
— Ma chambre, poésie, Mathias Morhardt. — Jeux et préludes,
poésie, Charles Vignier. — L'Inde : Akedysséril, légende Indoue,
C'« Villiers de l'Isle Adam. — Le naturalisme en Espagne, étude
critique (fin), Albert Savine. — Castelar et Zorrilla, Un député. —
Critique littéraire et artistique. — Bibliographie.
^52
U ART MODERNE
EST ENTRÉ DEPUIS LE ]«'• JANVIER 1885 DANS SA CINQUIÈME ANNÉE
I('ART MODSRNEj s'est acquis par l'autorité et l'indépendance de sa critique, par la variété de ses
informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune manifestation de l'Art ne
lui est étran{:^ôre : il s'occupe dé littérature, de peinture, de sculpture, de gravure, de musique,
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouvement artistique belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur toUS les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaître.
Chaque livraison de l'ART MODEjHNEj s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'actualité. Les expositions, les livres noiiveaux^ les
premières représentations d'œuvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires, les concerts^ les
ventes cCobjets (Tart, font tons les dimanches l'objet de chroniques détaillées.
L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiiiues. Il rend compte des
procès les plus intéressants concernant les Arts, plaides devant les tribunaux belges et étrangers. Les
artistes trouvent toutes les semaines dans son Mémento la nomenclature complote dos expositions et
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Cinquième année. — N° 32
Le numéro : 25 centimes^
Dimanche 9 Aon 1885.
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
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— Chronique judiciaire des arts. Les j^otiches japonaises ; .Sta-
tuettes ou prcsse-i^apicrs ! — A propos des prix de RosiE. —
Théâtres. — Exposition universelle des Beaux-Arts d'Anvers.
— Petite chronique.
LES VERBOLATRES
Arrivons à un nouveau cas, dans ces études de pa-
thologie littéraire. Ce n'est pas qu'il s'agisse d'un phé-
nomène morhide en soi, dès l'origine. Non. Mais il le
devient au cours de son évolution, par l'exagération de
son développement. C'est le petit verre d'éau-de-vie,
cordial quand on en prend un, faisant l'ivrogne, quand
on en prend vingt. Le germe est bon, l'épanouissement
est monstrueux. Stéphane Mallarmé, Paul Verlaine,
ont fait de beaux vers, de très beaux vers, qui l'ignore ?
Que le destin nous garde de passer pour ne pas discerner
ce qu'il j a dans leurs œuvres de vraiment supérieur.
Mais à côtoyer constamment le bizarre et le vague, ils
ont peu à peu été absorbés, sucés par le goufl're et ils.
chantent au fond, en plein dans ses obscurités, croyant
être encore sur le bord. , .
Il en fut de même, au début, pour ceux que secoue
actuellement le delirium verhomim, fanatiques pr)
menant par la cité leur polyphasie lamentable.
Résumons-en l'histoire. C'est Théophile Gautier,
reprenant, en sous ordre, pour l'afîiner, la réforme
inaugurée par Hugo, qui prêcha, en apôtre secondaire,
le dogme de la propriété du terme et le dogme de l'en-
richi.ssement de la langue. Et Baudelaire, saisissant,
plutôt qu'il ne reçut, le double flambeau dont l'auteur
à' Emaux et Camées, maintenait la flamme dans les
dimensions classiques et élégantes, en fit brusquement,
tant il la flagella de son souflle révolutionnaire, deux
torches qui, flambantes, éclairèrent toute la nouvelle
génératiph. "
Léon Cladel, dans une œuvre étrange, Dux, a décrit
lé maître à l'œuvre, donnant à un apprenti ime leçon
f/e m 0^5 (ne pas confondre avec les chinoiseries dont,
sous ce titre, la pédagogie moderne empeste les écoles).
Ecoutez. Le morceau est superbe. C'est le disciple qui
raconte. Baudelaire a saisi l'écrit qu'on livre à sa cri-
tique. De son œil ardent il l'examine, le scrute, le
vrille, le pénètre : -
« Dès la première ligne, que dis-je? à la première
'Signe, à la première lettre, il fallut en découdre. Etait-
il bien exact, ce mot ? Rendait-il rigoureusement la
nuance voulue? Attention! Ne pas confondre agréable
SiYec aùnable. accort avec charmant^ avenant sl\qg
gentil, séduisant avec provocaïit, gracieux avec
amène, holà^î Ces divers termes ne sont pas syno-
nymes ; ils ont chacun d'eux une acception toute par-
ticulière ; ils disent plus ou moins dans le même ordre
d'idées, et non pas identiquement la même chose ! Il ne
aïïTjamais, au grand jamais, user de l'un à la place de
l'autre. En pratiquant ainsi, l'on en arriverait infailli-
blement au pur charabia. Les griflonneurs politiques,
Vs
et surtout les tribuns de même acabit, ont seuls le
droit, d'employer admonition pour conseil y objurga-
tion pour reproche^ valeur pour courage, époque
pour siècle, contemporain pour moderne. Tout
est permis aux orateurs profanes ou sacrés qui sont,
sinon tous, du moins la plupart, de très piètres
virtuoses; mais nous, ouvriers littéraires, purement
littéraires, nous devons être précis, nous devons tou-
jours, toujours trouver l'expression absolue ou bien
renoncer à tenir la plume et finir gâcheurs, comme
tant d'autres qui, tout en ayant la vogue, n'auront
jamais de succès ni de considération. Et tandis qu'il
dissertait à voix haute et' lente, le sévère correcteur
soulignait.au crayon rouge, au crayon bleu, les phrases
qui, selon lui, manquaient de force ou d'exactitude, et
ne s'adnptaie72t pas à ridée, ainsi que les gants à la
j)eau. Cherchons! Si le substantif ou l'adjectif n'exis-
tent point, on les inventera \ mais ils sont là, comme
des pépites dans la gangue... Et les dictionnaires de
notre idiome empoignés étaient aussitôt compulsés,
feuilletés, sondés avec rage, avec amour. On faisait
souvent bonne chasse, mais quelquefois aussi l'on reve-
nait bredouille. Alors intervenaient les lexiques étran-
gers. On interrogeait le français-latin et puis le latin-
français. Un pourchas sans merci ! Néant dans les
anciens : aux modernes ! Et le tenace étymologiste, à
qui la plupart des langues vivantes étaient aussi fami-
lières que la plupart des langues mortes, s'enfonçant
dans les vocabulaires anglais, allemand, italien, espa-
gnol, poursuivait pour lui, comme pour moi, l'expres-
sion rebelle, insaisissable et qu'il finissait toujours par
.créer, si elle ne se trouvait point dans la langue. " Al-
lons donc ! un néologisme ne fait peur qu'aux académi-
ciens qui, Sainte-Beuve et Victor Hugo exceptés, jar-
gonnent plus ou moins. »• En devisant ainsi, l'indomp-
table praticien dont, par parenthèse, je n'ai jamais bien
compris l'égale admiration pour ces antipodes ni qu'il
les citât presque toujours ensemble avec tant d'ambi-
guité, s'acharnait de plus en plus à l'ouvrage, et bien-
tôt je le voyais suer à grosses gouttes, et geindre, et
renâcler, et faire ahan ! comme un forgeron en butte
aux ardeurs de sa forge et martelant sans relâche sur
son enclume le for rougi qui résiste et qu'il ne peut
tordre à son gré. Cet après-midi- là, je m'en souviens
comme d'hier, un mot entre tous, je ne sais plus lequel,
longtemps nous arrêta. De guerre lasse, surexcités au
point d'avoir perdu momentanément la notion saine des
règles grammaticale et philosophique, à bout d'expé-
dients, nous versâmes subitement dans l'extravagance,
moi d'abord et Aion maître ensuite. Un barbarisme
monstrueux fut inventé : la belle trouvaille ! Il nous
sembla que nous avions découvert le Pérou. Quelle
extase profonde et quelle allégresse ! Heureux et triom-
phants, nous nous regardions en silence. Illuminés
étaient nos yeux et nos traits rayonnçints. On eût dit
à nous voir que, nouveaux Jasons, nous venions de
conquérir la Toison d'or ! Oui, mais au comble de l'or-
gueil, l'homme, ce fat, est toujours précipité. Tout à
coup le poète, désabusé, partit d'un grand éclat de rire
et s'écria : « Nous sommes idiots ! simplement idiois ! »»
Il avait raison et j'en convins. Hardi ! Les gros diction-
naires furent bouleversés à nouveau. Rien, rien. A
nous, Noël et Chapsal, à nous les poudreux glossaires,
à nous les décrétales de l'Institut, à nous Burnouf et
tutti quanti. Vive l'idiotisme! En avant tropes et mé-
tonymies ! A nous le néo-latin et le néo-grec! Courage,
avançons,, allons encore, allons toujours ! Hélas ! hélas!
stérile fut 'ce beau travail-là. J'en étais harassé. Dévot
à ses saints, le scholiaste ne savait plus auquel se vouer
et me regardait de travers... Soudain, il se frappa le
front. Archimède avait bien trouvé, lui! Sur le plus
haut rayon d'une bibliothèque bâillait un eff'royable
in-folio. S'en saisir, y puiser en un clin d'œil, mon vail-
lant précepteur fit tout cela; dans ses mains, le tome
énorme voltigeait comme un fétu. Quel était ce livre?
Avec une agitation indicible, j'y jetai les yeux à mon
tour. 0 terreur! invincible efïroi^ï de l'hébreu! Pierre-
Charles y lisait de gauche à droite les caractères chal-
daïques, et tandis qu'il syllabisait, effaré, ses noires
prunelles étincelantes envoyaient de toutes parts
autour de lui des éclairs terribles.
— Satis! criai-je en lui demandant grâce, assez,
assez !
— Animal! lâche! tu ne veux donc pas devenir
artiste ? «
Quel tableau ! Quelle parabole ! Quelle vivante leçon,
sous l'exagération du détail et la virulence du coloris.
Et il le faisait parfois, comme il le disait, ce légen-
daire Pierre-Charles dont la hantise brouille la cervelle
à tant de jouvenceaux littéraires.
Veut-on un exemple de l'acharnement avec lequel,
à certains jours, il poursuivait l'expression, fuyante,
glissante, capricante? Voici des variantes notées dans
\e^ Litanies de Satan :
Ir* ÉDITION : Poulet-Malassis, 1857.
Toi qui sais tout, grand roi des choses souterrahies,
Aimable médecin des angoisses humaines.
Qui même aux parias, ces animaux maudit»,
Enseignes par l'amour le goût du Paradis...
Édition définitive : Levy frères, 1872.
Toi qui sais tout, grand roi des choses souterraines
Guérisseur familier des angoisses humaines.
Toi qui, même aux lépreux, aux parias maudits
Enseignes etc.
l""» édition.
Toi qui peux octroyer le regard calme et haut
Qui damne tout un peuple autour d'un échafaud.
0
Edition définitive.
Toi qui fais au proscrit ce regard calme et haut
Qui damne etc.
fre KDITION.
Toi qui frottes de baume et- d'huile les vieux os
De l'ivrogne attardé foulé par les chevaux. .
^ Éditîon définitive.
Toi qui, niagijquenient assoiqilis les vîcuûc os
De l'ivrogne etc.
!»■• ÉDITION.
7'ot qui mets ton paraphe, o complice subtil,
Sur le front du Crésus, impitoyable et vil.
Edition définitive.
Toi qui poses ta tnarque, ô complice subtil.
Sur le front etc.
!«■' édition.
, , Gloire et louange, à toi, Satan, dans les hauteurs
Du Ciel, où tu régnas, et dans les profondeurs
De l'Enfer où, fécond, tu couves le silence !
< Édition définitive.
De l'Enfer où, vaincu, tu rêves en silence !
Voilà pour une seule pièce célèbre, les corrections,
l'inquiétude, les hésitations du poète. L'expression défi-
nitive n'avait pas été trouvée du premier |coup. Cela
arrivait souvent à cet -homme énigmatique, songeur,
taciturne, qui ne trouvait la réplique qu'en descen-
dant l'escalier.
Ainsi, se révèle à la fois l'importance du verbe
et l'âpre désir de l'écrivain de l'atteindre, de le cap-
turer, rigoureux devoir, légitime obsession. Subissant
ces sensations, l'artiste est encore sain. Elles sont
l'épanouissement normal des nécessités de son art. Rien
de trop. Pas de faux pas excentrique. Il marche sur la
ligne droite, fermement équilibré II veut le mot, le mot
juste, le mot adéquat.
Qui semblable au gant fait sur mesure.
Ni trop long, ni trop court, comme un cuir assoupli,
S'adapte à la pensée et n'y fait aucun pli.
Mais qu'est-ce, en vérité, que ces mots dont tant on
s'occupe. On a vu qu'Adoré Fioupette en fait des êtres
vivants, se diversifiant en espèces sans nombre; il
parle d'eux comme un entomologiste d'insectes trou-
blés par des sentiments, en proie à des passions :
Les mots ont peur comme des poules.
Ceci, c'est la maladie qui commence, le détraque-
ment. Quand Fioupette en raisonne, il délire. Ecoutons
sur le même sujet, Taine, qui, pour les jeunes est à la
philosophie, ce que le grand, l'unique, Baudelaire est
à la poésie. Terne et calme est la physiologie du verbe
tel qu'il la donne dans son livre sur Yhitelligence,
mais combien vraie, sensée, scientifique.
« Lorsque, dit-il, en substance, vous montez sur
l'arc de triomphe de l'Etoile, et que vous regardez
au dessous de vous du côté des Champs-Elysées,
vous apercevez une multitude de taches noires ou
diversement colorées qui se remuent sur la chaussée
et sur les trottoirs. Vos yeux ne distinguent rien
de plus. Mais vous savez que sous chacun de ces
points sombres ou bigarrés il y a un corps vivant,
des membres actifs, une savante économie d'organes,
une tête pensante, conduite par quelque projet ou désir
intérieur, bref une personne humaine. La présence des
taches a indiqué la présence des personnes. La pre-
mière a été le Signe de la seconde. Des associations de
ce genre se rencontrent à chaque instant. Or, dans la
grande famille des signes, il est une espèce dont >s
propriétés sont remarquables; ce sont les mots.
Lorsque je lis ou j'entends ce mot Tuileries, j'imagine
plus ou moins vaguement, en formes plus ou moins
tronquées, un terrain plat, des parterres encadrés de
grilles, des statues blanches, des têtes rondes de mar-
ronniers, la courbe et le panache d'un jet d'eau et le
reste. Cette courte et petite sensation entrée par les
yeux ou l'oreille a la propriété d'éveiller en nous telle
image, ou série d'images, plus ou moins expresse, et la
liaison entre le premier et le second terme de ce couple
est si précise qu'en cent millions de cas et pour cent
millions d'hommes le premier terme amène toujours le
second. Mais supposons qu'au lieu dé ni'appesantir sur
ce mot Tuileries et d'évoquer les diverses images qui
lui sont attachées, je lise rapidement la phrase que
voici : « Il y a beaucoup de jardins publics à Paris, des
petits et des grands, les Tuileries, les Champs-Elysées,
les squares. « Je le demande au lecteur ordinaire qui
vient de lire avec la vitesse ordinaire : quand ses yeux
couraient sur le mot Tuileries, a-t-il aperçu intérieure-
nient comme tout à l'heure quelque fragment d'image ?
Non certes, ses yeux couraient trop vite ; il y a une
différence notable entre l'opération précédente et l'opé-
ration présente. Dans la première, le Signe è\Q\\\si\i des
simulacres plus ou moins décolorés de la sensation, des
résurrections plus ou moins affaiblies de l'expérience;
dans la seconde, le signe ne les éveillait pas. Ces états
relient la demi-vision intense à la notation sèche, par
une série de dégradations, d'effacements, qui peu à peu
ne laissent subsister de l'image complète et puissante
qu'un simple mot. Ce mot ainsi réduit n'est point
cependant un signe mort, qu'on ne comprend plus ; il
est comme une souche dépouillée de tout son feuillage
et de toutes ses branches, mais apte à les reproduire;
j[ious l'entendons au passage et si prompt que soit ce
passage; il n'entre point eh nous comme un inconnu,
il ne nous choque pas comme un intrus; dans sa longue
association avec l'expérience de l'objet et avec l'image
de l'objet, il a contracté des affinités et des répugnances;
pour peu que nous l'arrêtions, l'image qui lui corres-
pond commence à se reformer; elle l'accompagne à
l'état naissant. Prolongez et variez l'épreuve : vous
trouverez dans le mot un système de tendances toutes
acquises par lui dans son commerce avec l'image, mais
à présent spontanées, et qui opèrent, tantôt pour le
rapprocher, tantôt pour l'écarter des autres mots ou
groupes de mots, images ou groupes d'images. De-
cette façon, le nom tout seul peut tenir lieu de l'image
qu'il éveillait, et, par suite, de Texpérience qu'il rappe-
lait ;il fait leur office, il est leur 5i<&6'^27i(^. "
Ainsi parle un homme de sens, un observateur ingé-
nieux, un penseur pénétrant. Les mots sont des signes,
rien de plus, et l'exactitude dans leur emploi procédera
d'une connaissance approfondie de ces signes, de leurs
nuances, de leurs détails. Certes, à l'origine, ces signes
«eux-mêmes ont pu être choisis ou composés dans un
certain rapport d'harmonie avec l'objet qu'ils devaient
rappeler, quelquefois frappant. Mais la dualité du signe
et de la chose n'eri est pas- moins certaine. Du respect
de cette dualité vont sortir toutes les règles et les
qualités du langage, sa clarté, sa force, sort rythme, sa
résonnance. De la méconnaissance de cette dualité,
l'obscurité, l'incohérence, la transformation de la lan-
gue en simple musique. A cela aboutissent fatalement
ceux qui ne voient plus que le mot, ceux qui sont pris
de sa folie : les Verbolàtres ! dont nous tenterons la
physiologie dans un prochain article.
XAVIER MELIERY
Notre collaborateur Camille Lcmonnier a publié récemment,
dans la Gazelle des Beaux- Arts, sur cet, admirable artiste, fré-
quemment cité dans nos rolonni^s, une vibrante élude dont nous
détachons un fragment. Il résume excellemment les aspirations,
l'art, la physionomie du peintre :
Son art est basé sur la recherche du caractère, la volonté de
marquer fortement le type, le besoin de rendre sensibles les plus
furlives particularités de l'action. Dans un ordre de sujets fami-
liers, généralement empruntés aux mœurs du peuple, il a élevé
jusqu'au style l'apparente vulgarité de la condition humaine. Un
portefaix, un paysan chargeant ses fumiers, un braconnier appuyé
sur son fusil prennent à travers son nerveux dessin, brutal par
moments à force dedécision, une beauté mule et burinée. Comme
tout véritable artiste, il impose à la nature le despotisme de la
vision qoTth^jjîst personnelle et l'oblige à entrer dans les moules
de sa pensée. Sa manière, une fois qu'on l'a étudiée, s'imprime
iiiouhliablemenl dans la mémoire: il marque le Réel d'une estam-
pille qui ne i)ermct pas la confusion.
On lui a reproché rasj)ect gris de ses dessins et de sa poin-
ture. La. lumière, en effet, n'y ruisselle presque jamais : il l'en-
trevoit à travers des sourdines et Tégoutie en clartés estompées,
d'une pâleur à la longue monotone. L'air semble aussi manquer
parfois autour de ses figures trop durement incrustées, comme
des cloisonnés dans les pâtes d'une potiche japonaise. Enfin la
fugacité des choses soumises à de brusques variations comme
l'eau, le ciel, les iieures du paysage, échappent à son talent un
peu lent et médiocrement subtil. Il est Ihomme des expressions
patiemment dégagées, des physionomies graduellement tirées de
leur passivité, des mouvements dont il est permis de suivre pres-
que trait par trait les évolutions successives. Quelque chose de
la placidité des portraits de Holbein, de Pourbus, de Cranach,
semble régner en ses ligures, d'une expression parfois archaïque
en leur calme concentré.
Notre modernité nerveuse ne devait pas loucher un esprit aussi
peu sensible aux excitations maladives. Aussi s'est-il tenu écarté
des complications et des raffinements de l'être passionnel, tel que
l'a fait notre civilisation excessive, pour s'attacher de préférence
aux créatures rudimentaires, demeurées dans un demi-étal de
nature. Obéissant aux infinités qui le portaient vers les humbles
et les ignorés, il a exprimé, avec une symi)alhic douloureuse,
mais sans dogmatisme, comme il convient à un obsiM-valeur
impartial, le délaissement des vieilles gens pauvres, les muettes
tristesses du travailleur, les mélancolies de la vie de misère. Ce
n'est point la sentimentalité élégiaque d'un Israèls ou d'un de
Groux : une pudeur de résignalfon préserve ces déshérité des
larmes iuulile. Ils se contentent de porter au front la fatalité de
leur condition souffrante ; la monotonie du devoir journellement
accompli leur donne un air d'indifférence lassée; ils ont dans les
yeux et dans le pli de h bouche la nostalgie des bonheurs irréa-
lisables. •
'■,.'•• . ■ ■ ' ' -
Cette austérité reparaît constamment chez Mellerv : même ses
enfants ne rient nas, comme s'ils pressentaient les *âprelés pro-
chaines et sur leur petite f.ice figée, où s'immobilise le sans, se
lit déjà l'inquiétude des destinées. Avec de pareilles prédisposi-
tions, on s'attendrait à des forces émaciées et rabougries, â des
silhouettes laminées, à un étalage de maigreurs et de difformités.
Au contraire, le peintre a le goût de la be!h> santé,, di s attitudes
héroïques, des anatomies dc'ployées ; In diïchéance du corps n'est
pas chez lui la conséquence nécessaire des passives souffrances
de l'esprit. Ses ouvriers et ses paysans ont le robuste tempéra-
ment sanguin des Flandres; jusqu'en ses béguines, on sent cou-
ler la sève des matrones saines; et il aimé modeler la nudité
enfantine dans les chers potelées et dodues. C'est qu'il se rattache
lui-même à cette vieille race flamande dont il déiaille avec tant
de force les activités concentrées et les méditatives torpeurs.
Une impression surnage dans l'ensemble de sa production : le
Silence. Il aftectionne les béguinages, les oratoires, les chambres
closes les coins d'ombre et de solitude où la vie agonise. Le bruit,
la turbulence du geste, la passion expirent dans le calme assoupi
de son œuvre, comme au seuil d'un lieu d'apaisement. Vous ne
trouverez point chez lui d'attitudes violenter, mais des mouve-
ments rythmés. Un peu de songe s'attache à tout ce qui sort de
sa main et trahit les habitudes contemplatives de son esprit. Cet
artiste d'une physionomie si à part vit recueilli dans un atelier
perdu aux extrémités de lu ville, loin du monde dont il déteste
lés sujétions, avec la gravité pensive d'un homme à qui l'art
suffit et qui s'éi'oute vivre dans les patientes élaborations de l'ate-
lier.
JjIVRE^ NOUVEAUX
Nelly Mac Edw^ards, mœurs américaines, par
M. DE WoELMONT. Parls, Plo\ Nourrit et G'«, 1885.
Un petit calepin retrouvé fort à propos par Philippe de Luchy
dans le parc de Hawlhornden au cours d'une excursion en Ecosse
et restitué à sa propriétaire, Miss Nelly Mac Edwards, seft de lien
entre les deux parties du livre.
Philippe avait fait la connaissance de Nelly h bord du Goclnnd^
l'année précédente, durant la Iraversétî de Ne\y-York à Liverpool,
et sans le petit calepin, il n'eût probablement plus jamais songé à
la jolie Américaine.
11 eût pu, il est vrai, après après avoir ramassé le p;'tit calepin,
le remettre sans l'ouvrir au concierge du parc ou au premier
policeman venu. Mais alors, le lil ténu qui rattache les uns aux
autres les éj)isodes du roman eût été cassé net. Il n'y eût même
plus eu de roman, et M. de Woelmonl eût été obligé d'imaginer
aulrc chose pour encadrer ses mœurs américaines»
Grâce au petit calepin, tout s'enchaîne. M. de Woelmont est
sauvé et son héros passe quelques mois heureux dans l'adoration
de la belle étrangère.
Il est vrai que sa trouvaille, après avoir donné à Philippe le
bonheur, devient pour lui la cause indirecte d'une douleur 1er-
V
rible : sa fiancée péril dans une calaslroplie (Je chemin de fer,
ce qui est bien américain n'esl-ce pas? el termine le voIum(! d'une
façon nrôins banale qu'un mariage.
Fatal petit calepin ! La vie de Philippe est brisée. Son rêve est
évanoui. L'auteur n'a, pour liquider son héros, que Iç choix entre
les moyens violents : le suicide, la folie ou la trappe. Oh ! que
ncnni. M. de \Yoelmonl se révèle tout à coup observateur subtil
et analyste profond : Luchy, après celte dramatique aventure,
se fait remarquer dans les courses de gentlemen-ridcrs et nul ne
met plus d'entrain que lui h diriger un cotillon.
C'est donc un égoïste, un être abominable qui s'est joué de
l'amour de celte enfant confiante? Nullement. Mais l'amoin\ s'il
est toute l'existence de la fewme, n'est 'qu'u7i épisode dans la vie
de l'homme. .
Et cette étude tâtonnante et cahotée, qui trahit une main inex-
périmentée mais auissi de la chaleur et de l'observation, est ter-
mince par un trait juste, paraphrasant avec netteté la pensée
philosophique de Byron.
Tel est le livre nouveau de l'auteur des Souvenirs du Far-
West ^, qui faisaient dérouler aux yeux des lecteurs les charmes
de l'existence nomade dans la prairie, le winchester à l'épaule.
Ce n'est plus un récit de voyages que fait l'écrivain. Élargis-
sant son horizon, il aborde le roman, mais un roman auquel
discrètement il mêle des souvenirs de touriste. Le volume tient
donc le milieu entre" les deux genres. Les dialogues de ses per-
sonnages paraissent un peu inspirés de ceux du Tour du Monde^
de Jules Verne, et les silhoueltef de ses personnages ne sont
qu'ébauchées. Mais l'intérêt, cette chose capitale du roman, ne
languit pas et, somme toute, Neily Mac Edwards constitue une
lecture plus attrayante que bon nombre de ses sœurs littéraires.
Nous apprécierons dans notre prochain numéro le livre de
critique que M. Francis Naulet vient de faire paraître sous le.
titre : Notes sur la littérature moderne et auquel nous avons
fait allusion dimanche dernier.
fHROJMiqUE JUDICIAIRE DEp ART?
Les potiches japonaises.
Une question de droit qui présente, au point de vue des ventes
publiques dantiquités et d'objets d'art, une importance assez consi-
dérable, est actuellement soumise à la délibération du tribunal
correctionnel de Bruxelles,
Sur la plainte d'un marchand de chinoiseries de celte ville, le
parqu'et a fait saisir dans une salle de ventes, au moment où ils
allaient passer aux enchères, un grand nombre de potiches, de
cornets, de plats, de vases, etc., en porcelaine moderne du Japon,
ces objets tombant, d'après lui, '^sous l'application de la loi
du 20 mai 1846 qui interdit les ventes en détail, à cri public,
des marchandises neuves. L'accroissemeni donné en ces dernières
années aux ventes de faïences et de porcelaines de la Chine et du
Japon donne à la solution du procès un intérêt de principe capital.
A l'audience de la 78 chambre, présidée par M. Jamar, devant
laquelle ont été renvoyés le directeur de la vente et l'huissier instru-
mentant, MMes Edmond Picard et Octave Maus, conseils des pré-
venus, ont soutenu que les objets en question ne penvent rentrer
dans la catégorie des marchandises neuves visées par la loi.
{*) Voy. l'Art modenie, 1883, p. 145.
D'après eux, lés porcelaines du Japon constituent des objets de ,
décoration qui né peuvent être confondus avec les marchandises
d'usage quotidien telles que les assiettes, les plats, les tasses, qui se
vendent par douzaines et que seuls le législateur a eu en vue. En
outre, le caractère de nouveauté exigé par la loi n'est nullement
étabh, les porcelaines japonaises et autres présentées en vente
publique ayant pu passer par divers intermédiaires avant d'être
exposées aux enchères. La défense a, entin, plaidé l'entière bonne- foi
des prévenus, la vente à cri public des vases, potiches et plats chinois
et japonais étant, depuis vingt ans et plus, usitée à Bruxelles, sans
que jamais aucune plainte ait été formulée.
Le tribunal a retenu l'affaire en délibéré et renvoyé au 13 août le
prononcé du jugement, que nous ferons connaître à nos lecteurs.
Statuettes pu presse-papiers ?
Le tribunal correctionnel de la Seine vient de rendre une intéres-
sante décision en matière de contrefaçon artistique.
Un fabricant de bronzes d'art, M. Soleau, avait acquis la propriété
de deux statuettes qu'il eut l'idée de monter en presse- papiers et qui
eurent un débit considérable. C'étaient YEnfant à la gourde et
VAtnour cymbalier (ou YEnfant couché).
Le succès de ces œuvrettes tenta la contrefaçon, et bientôt
M. Soleau fut obligé d'assigner devant le tribunal correctionnel un
de ses anciens employés, qui s'était empressé de copier les deux
modèles en y faisant quelques moditications de détail insignifiantes.
Le prévenu excipa d'une fin de non recevoir tirée de ce que les
deux statuettes étaient des objets industriels, non artistiques, et
qui n'étaient par conséquent pas protégés par la loi de 1793. Mais le
tribunal n'accueillit pas ce moyen et rendit le 19 mai dernier uni
jugement dont voici, quant à cette question, les principaux consi-
dérants : .
« Attendu qu'il appartient au tribunal d'exartiiner si les deux
sujets litigieux oft'rent le caractère artistique qui permet de les
placer sous la protection de la loi de 1793 ;
" Attendu que ce caractère résuUe au plus haut degré de l'aspect
présenté par les objets déposés sur le bureau du tribunal ;
« Qu'en effet, et sans qu'il convienne d'analyser dans son ensemble
et dans ses détails la valeur esthétique de YEnfant à la gourde et de
YEnfant couché, il est certain qu'on se trouve en présence d'une
œuvre évidemment inspirée par une pensée artistique;
« Attendu, il est vrai, que les statuettes dont s'agit sont désignées
comme statuettes presse-papiers, mais que cette adaptation d'une
œuvre d'art à un objet faisant partie du mobilier des bureaux ne
peut en aucune façon enlever à ces statuettes la protection de la loi
de 1793; que cette protection doit leur rester d'autant plus acquise
que, dans l'espèce, le mariage de l'œuvre d'art avec l'objet usuel est
tel que la séparation en serait logiquement impossible ;
Et quant à la contrefaçon elle-même, le tribunal pose le principe
suivant :
« Attendu que, tout en reconnaissant qu'en matière d'art on peut
Jraiter un sujet traité par d'autres, utiliser une idée déjà utilisée,
c'est à la condition que l'ensemble ne sera pas le même, et surtout
que l'aspect général ne sera pas tel qu'il puisse amener une confu- '
sion ;
« Attendu qu'il suffit de rapprocher les deux modèles de Soleau
des objets argués de contrefaçon pour démontrer que la confusion
est possible même pour un regard exercé; que l'on retrouve dans les
objets saisis un aspect absolument identique à celui des modèles du
plaignant, etc. ;
En conséquence, le prévenu est condamné à 200 francs d'amende,
à 500 francs de dommages-intérêts envers la partie civile et à l'in-
sertion du jugement dans quatre journaux au choix de cette dernière.
A
ï
258
VART MODERNE
m
A PROPOS DES PRIX DE ROME
M. JiicqueS Champal — un pseudonyme sous lequel se cache
un aiiiste d'une rare personnalilé — publie celte semaine dans le
Nationaly au sujet des prix de Rome, quelques observations
intéressâmes : .
On discute beaucoup sur la nature des modificalions que
peuvent apporter, chez un artiste, les visites aux collections et
musées étrangers. Les gouvernements, par l'inslitulion des « Prix
de Rome », ont créé une recette, établi un itinéraire pour ces
voyages qui achèvent, dans leur esprit, réducalion commencée
par les écoles et académies des beaux-arts. Quelques artistes véri-
tables, faisant une opposition systématique au codex officiel,
déclarent ces tournées artistiques nuisibles à la personnalité. Les
uns et les autres pèchent par exagération. On doit laisser dépen-
dre cette question de rcntraînement logique de chaque tempéra-
ment. Oui, il faut que chacun aille où le poussent ses aspirations,
ot parle au moment psychologique de ses désirs.
Nous ne dirons pas que l'artiste doit pressentir h son départ
quels tableaux l'émôlionneront exclusivement ; mais nous sommes
convaincus que voyager pour débrouiller un tempérament récal-
cilrantr n'est d'aucune efficacité comme remède 'à ce cas incu-
rable. Si l'élève primé n'a rien en lui de caractérisé, les verdeurs
des maîtres ne le ragaillardiront pas ; ses yeux traîneront avec
lîissilude sur les chefs-d'œuvre fameux. comme les plumeaux des
musées bien tenus; — à moins que, faisant pis encore, il ne
commette lune ou l'autre copie inepte et fruste.
La silencieuse Venise, illuminée comme une apparition, inspira
Wliisllor daus d'inoubliables eaux-forles. Renoir, l'impression-
niste parisien, a fait plusieurs voyages h Napks pour savourer les
décolorations subtiles des fresques trUerculaiium et de Pompéï.
On cite un arlisle moderniste parti dans l'unique but de voir les
petits bronzes pompéiens ; un autre pour faire une religieuse visite
aux œuvres fascinalrices du florentin Bolicelli. Nous donnons
ces exemples pour montrer combien on peut butiner diffi^rem-
ment dans ces parterres aux parfums si variés. Ce que ces artistes
ont rapporté de souvenir n'a pas atteint les qualités personnelles
de leur interprétation, puisqu'ils ne se sont vus attirés que par
ce qu'ils comprenaient. Ces contemplaliDUS artistiques, an con-
traire, ont donné par la suite h leurs œuvres, outre leur sentiment
de modernisme, une conscience secrète de leur affiliation logique
au passé, qui les a rendues durables, presque éternelles.
L'atavisme de l'art, qui accuse d'abord une puissante pénétra-
lion, a souvent donné des œuvres plus modernes, dans le sens
philosophique du mot, que celles inspirées uniquement par la vie
extérieure actuelle.
Les voyages, qui ouvrent de tels horizons aux croyants, de-
viennent des pèlerinages sacrés, qu'une circonstance étrangère
au but particulier de chaque artiste peut changer en de vulgaires
excursions. Le règlement des « Prix de Rome », en d sposant
des artistes comme un ministre des affiiires étrangères agirait à
l'égard d'attachés d'ambassade, doit fréquemment brusquer les
intentions des pensionnaires. Berlioz, dans ses mémoires, consi-
dère son séjour trop prolongé à Rome comme un véritable exil.
Il erra, dit-il, pendant de longs mois dans la campagne de Rome,
désespéré, n'écrivant plus une note de musique. Carpeaux aussi
eut beaucoup à souffrir pendant (ju'il habitait la « Villa Médicis »,
essayant de»sc réfugier d'anfî le travail d'une œuvre personnelle.
D'autres exemples encore prouveraient à l'évidence que beau-
coup de grands artistes n'ont trouvé dans les avantages du'tc Prix
de Rome » que la pûtée quotidiennement servie. — Plusieurs
d'entre eux sont retournés en Italie, parce que la réglementation
à laquelle ils étaient soumis, comme « Prix de Rome », avait été
pour leur tempérament un bandeau agaçant, une entrave com-
plète.
JhÉ/iTRE^
Nous avons annoncé que M. Emile. Mathieu venait de lire à
M. Verdhurt le poème auquel il travaille en ce moment et qui
portera pour titre Richilde. Voici, d'après le Joiitmal des Beaux-
Art» y le résumé de l'action, qui prête, on le verra, à des situations
très dramatiques : ^
Richilde, comtesse de Flandre, et sa fille Odile aiment Ôsbern,
preux chevalier, qui soutient leur cause contre Robert le Frison.
Odile surprend le secret de sa mère et, de désespoir, se jette dans le
fleuve. — Osbern épouse Richilde, mais ne peut s'arracher au tendre
souvenir de la morte; au contraire, cet amour l'obsède et le détache
de l'amour de sa femme. Celle-ci, sentant le cœur de son mari lui
échapper, soupçonne quelque intrigue et le fait épier. La guerre se
poursuit. Osbern, dans l'incendie d'un monastère, sauve une nonne :
c'est Odile, — qui, échappée par miracle aux flots, a cherché l'oubli
dans le cloître. Les deux amants, dans une ardente étreinte, s'avouent
enfin leur mutuelle tendresse, et laissent éclater leur amour en
baisers et en larmes. Osbern est mortellement blessé à la bataille de
Cassel ; Richilde vient insulter à son agonie, lui reproche ses amours
adultères, dont l'espion l'a informée, et, avec une joie de vengeance
satisfaite, lui annonce qu'elle a fait tuer sa complice. Osbern s'écrie
qu'elle a tué non pas sa rivale, mais sa fille, — et meurt.
Nous apprenons que, suivant l'exemple donné par les théâtres
parisiens, la nouvelle direction du théâtre de la Monnaie organisera
pendant la prochaine saison, des matinées à prix réduits qui auront
lieu le dimanche. M. Verdhurt a engagé pour chaque emploi, outre
les artistes en renom constituant un personnel de premier ordre, un
certain nombre de débutants qui formeront, à côté de l'armée aguerrie
qui ouvrira la campagne, une jeune troupe dont les débuts promet-
tent d'être, très intéressants. C'est ainsi que parmi les falcons, ou
voit-figurer à côté de Mn>« Montalba, M"es Clario et Fierens, etc.
C'est la jeune troupe qui sera spécialement chargée d'interpréter les
opéras eu matinée. Le premier spectacle de ce genre se composera
vraisemblablement du Trouver
immm liNivtRSELiE des beaijx-arts, a mm.
Le jury belge d'admission s'est réuni cette semaine à Anvers pour
procéder au remplacement de MM. De Key.*er et Robie, qui n'ac-
ceptent pas les fonctions de membres du jury international des
récompenses.
Ont été élus : MM. Slingeneyer et Verlat. '
Comme membre suppléant en remplacement de M. Cluysenaer,
démissionnaire, M. Van Camp.
ACQUISITIONS (iiaVt').
Peinture : "Wergeland, Maçons de Munich au déjeuner. —
Mert^ns, L'imprimerie en taille douce. — Abry, De garde. —
Runipler, Tableau de genre. — Heyermans, L'orage. — Botkine,
Atelier de poterie. — Battaglia, Anna (aquarelle).
■Mi
Sculpture : Barbella, .... faut me croire (bronze à la cire perdue).
Peinture : D'Huart, La deivtière neige. — M"' Beernjaert, Les
saules [Domburg). — De Keyser^ Mignon. — Norraann, Naero fjord
en Noi^''ège. — Mellery, Jeunes filles de Vile de Marcken (Hollaude)
(aquarelle). '
Sculpture : Lambeaux, 7*^'fc cfc/anrm'stc (marbre).
^ETITE CHROJ^IiqUÈ
M. Emile Verhaeren, qui a publié à diverses reprises dans Y Art
moderne des articles très remarqués, vient d'être attaché officielle-
ment à la rédaction de notre journal.
A dater de la semaine prochaine, l'auteur des Flamandes collabo-
rera régulièrement à VArt tnodeime. Il sera spécialement chargé de
la chronique des livres.
Un industriel de la rue des Minimes a trouvé le moyen d'ouvrir
un café chantant sans bourse délier. Le moyen est ingénieux et
vraiment pratique. Il a tout simplement placé en évidence, à la
fenêtre de son établissement, un écriteau portant ces mots : Réou-
verture de l'ancien Cheval de bronze. Café concert. Les ainateurs
seront adonis à chanter toutes les chanchons, sauf les obscènes.
Et, pour allécher davantage encore le public, le propriétaire de cet
étonnant café-concert a ajouté : Pas quête, ce qui signifie vraisem-
blablement qu'il n'est pas fait de collecte après les morceaux de
chant. Parbleu ! Si ce sont des amateurs!
Nous souhaitons un vif succès à Bazoef imprésario.
Toujours bien renseigné sur ce qui se passe à Bruxelles, le Ménes-
trel. Dans sou dernier numéro, il annonce que M™» Montalba,
M. Dereims et M. DubuUe ont débuté le l«r août dans l'Africaine
au théâtre de la Monnaie. C'est M. Verdhurt qui doit avoir été sur-
pris de cette nouvelle imprévue, s'il a déplié cette semaine le journal
de M. Heugel I
M. Munkacsy est en ce moment au château de Golpach, dans le
grand duché de Luxembourg, où il travaille à une toile immense
qui représente Mozart à son lit de mort, écoutant ses amis qui lui
chantent son Requiem.
M"'« Bosman a fait cette semaine son second début à l'Opéra. Le
succès ne paraît pas avoir dépassé une moyenne honnête. Voici, en
effet, ce qu'en dit V Événement :
Mme Bosman a fait, hier soir, ce qu'on appelle un début
•• propre »».
Après sa création d'Hilda de Sigurd, facile il était de deviner que
l'artiste ne dépasserait jamais certaines moyennes.
En effet, elle n'est pas allée au delà, mais elle n'est pas restée non
plus en deçà.
Dans Mathilde, de Guillaume, elle a exhibé — comme nous nous
y attendions — une voix solide, belle et bien timbrée dans le haut,
un peu •• faiblarde >» sur le médium.
En résumé, impression satisfaisante après l'air de : •• Sombres
forêts... n, impression passable après le duo qu'Escalaïs a détaillé à
ravir, et impression médiocre après le troisième acte. — Un coup
d'épée dans l'eau, si vous voulez.
Le Siegfried de Wagner, qui n'a pas encore été donné à l'Opéra de
Berlin, y passera la saison prochaine, et, parait il, aussitôt après la
réouverture. Les rôles seront en partie distribués en double ; celui
de Siegfried à MM. Niemann et Ernst; Wotan à MM. Krolop et
Betz ; Brunnhilde à M>"e de Voggenhuber; Mime à M. Lieban qui
est venu, on s'en souvient, l'interpréter à Bruxelles et qui en a fait
une création magistrale; l'oiseau de la forêt à M»'« Leisinger. La
direction des études est confiée à M. Kahl, maître de chapelle de la
cour. Les répétitions ont commencé.
\jiiie veuve Ingres vient d'adresser au Figaro la lettre suivante :
•♦ Monsieur le Rédacteur,
- Depuis longtemps je désire rectifier une assertion qui se propage
dans les jourr.aux et dans les mémoires artistiques à propos de pré-
tentions que M. Ingres montrait pour son violon beaucoup plus,
dit on, que j)our son pinceau. Il est sûr qu'il était très bon musicien
et qu'il adorait Mozart, Gluck, Beethoven. Mais jamais il n'a eu la
prétention de se poser en virtuose, interprétant seulement la
deuxième partie de violon dans les a<lmirables quatuors de ces
maîtres Cette rectification me paraît nécessaire pour ne pas laisser
passer à la postc-rité un on-dit qui a tout l'air d'un ridicule. Je vous
serai très obligée. Monsieur, d iiLsérer cette petite note dans le
Figaro qui, par sa grande publicité, rectifiera, j'espère, une opinion
répandue bien à tort.
« Recevez d'avance, Monsieur, tous mes remerciements, ainsi qvie
l'assurance de ma parfaite considération.
« Veuve Ingres. »♦ .
Les journaux suédois annoncent que M"'* Christine Nilsson entre-
prendra prochainement, en compagnie du violoncelliste Adolphe
Fischer, une grande tournée de concerts eu Suède, en Norwège et en
Danemark. Le premier de ces concerts doit, avoir lieu à Bergen
(Norwège) le 24 août. Le 17, le 19 et le 22 septembre, la célèbre
cantatrice donnera trois auditions dans la salle de l'Académie de
musique de Stockholm.
Sommaire du n° 8 de la Jeune Belgique, l«r août :
Lysiane de Lysias, Max Waller. — J. Barbey d'Aurevilly, ses
poésies inédites et ses livres perdus, Joséphine Péladan. — Flemm-
Oso (suite), James Van Drunen. — Mémento, ***.
*
La Société nouvelle. — Sommaire de la livraison de juillet :
Les Sciences Sociales et leur méthode, L. Bridel. — Le Grec dans
sa vie religieuse et de famille, M. Veydt. — Mémoires de Maison
morte, Dostoievsky. — L'Alleinagne politique, sociale, économique
et littéraire, J. Sketchley. — Sophisme de vocables, H. Brissac —
Lettres des Pyrénées, F. Bordé. — |La lemme et le droit, J. Brouez.
— Le mois. — Les livres.
Concours poétiques du Midi de la France (ancien concours poé-
tique de Bordeaux). — Trente-cinquième concours poétique du
15 août au 1'"'' décembre 1885. Vingt médailles, or, argent et bronze.
Demander le programme à M. Evariste Carrance, président <\\i
Comité, 6, rue du Saumon, à Agen, Lot et-Garonne.
Anvers. — Concours pour le monument d'Henri Conscience.
Base de ce monument (caveau de la famille au cimetière de Kiel)
5 m. 15 de longueur sur 3 m. 75 de largeur. S'adresser au comité
central, au Musée Plantin.
Les annonces sont 7'eçiies au bureau du journal,
26, rue de V Industrie, à Bruxelles.
V^ AUX - HALL
Tous les soirs, à 8 heures , .__
donné par les musiciens du théâtre de la Monnaie (85 exécutants),
sous la direction de MM. Jehin et Herraann.
Entrée : 1 franc. — Enfants : 75 centimes.
Tous les jeudis : Concei^t extraoï^dinaire.
On peut se procurer une série de 20 cartes d'entrée pour" 15 francs
et une série de 20 cartes pour enfants à 10 francs, chez MM. Br«ilkopf
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PARAISSANT LE DIMANCHE
REVÏÏE CRITIQUE DBS ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
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Sommaire
Essai de pathologie LiTriiRviKE. Les Verholàtres. Second article.
— Livres nouveaux. La litt rature modetme, par Francis Nautet.
— Le Salon libre de l'Akt flamand. — Les prix de Rome. —
Bibliographie musicale. Les œuvres complètes de Schubert. —
Chronique judiciaire des arts — Théâtres. Théâtre de la Monnaie.
— Exposition universelle d'Anvers. — Mémento des expositions
KT concours. — Petite chronique.
ESSAI DE PATHOLOGIE LITTÉRAIRE
LES VERBOLATRES 0
Se ond article
Tout verbolâtre a commencé par être un écrivain
légitimement préoccupé de débarrasser la langue de
l'odieuse pauvreté dont elle est affectée chez les cuistres
qui osent appeler leur impuissance : la langue du
grand siècle, la langue de Corneille. Oui, quand on
peut mettre dessous la pensée des écrivains du grand
siècle, la pensée de Corneille. Mais qu'elle apparaît
affreusement morne quand elle ne sert de vêtement
qu'aux cuistreries ! Quelque chose alors comme l'armure
des preux sur un mannequin. En outre, qu'est-ce que
cette manie de prétendre confiner l'Art dans la forme,
l'allure, les dimensions d'une époque? L'art est essen-
tiellement évolutif et changeant. Il ne se recommence
jamais. Toute génération qui a tenté de l'arrêter ou
(*) Voir nos quatre dernières «^tudos : Les Déliquescents, — les Décadents, I
— les Incohérents, — la Verbolàtres. I
d'en donner une répétition n'a produit que des œuvres
misérables. Fut-il assez révoltant, le néo-grec et le néo-
gothique ! Ne sommes-nous pas près d'en avoir assez du
néo-flamand? Quelle froideur de mort sort de ces soi-
disant résurrections qui ne sont que des exhumations !
Dans chacune de ses formas passagères le beau germe
florit, se fane et ne repousse pas. Il fut, mais ne saurârl
plus être. Il faut en chercher un autre. Il faut admirer
le passé sans espoir de le renouveler. Dès lors la litté-
rature du grand siècle est finie. Elle a augmenté le
trésor des chefs-d'œuvre, mais ne doit pas être abaissée
au rang de modèle pour pasticheurs. Nous en avons
déjà trop de ceux qui singent les modernes. Oh! .l'abomi-
nable chose qu'une génération occupée d'imiter tout ce
qui l'a précédée! Oh! l'horreur qu'un enseignement qui
n'a pas d'autre principe ! Athénées, académies, univer-
sités, musées des choses éteintes où l'on s'applique à
anéantir l'originalité artistique des jeunes intelligences,
vous êtes les destructeurs du beau à venir au lieu
' de vous contenter de rester les conservateurs du beau
accompli. Vous confondez ces deux missions essen-
tielles : inspirer le respect des grandes œuvres d'autre-
fois, susciter la volonté de créer de grandes œuvres
originales. Pour vous le beau est un, et une fois obtenu,
il faut le rééditer sans cesse. En vérité le beau est plus
tiuctuant que les nues et il faut ne le rééditer jamais.
Non, jamais, ni en peinture, ni en musique, ni en
littérature, ni nulle part. Cette langue classique qui fut
un grand art, ne no^s'parlez donc pas de la reprendre
en l'imitant piteusement, comme l'ont fait notamment
262
VART MODEENE
les fabricants modernes de tragédies, grotesques et
plates. Il fallait pour nous une autre langue, et ceux
qui la cherchèrent, ceux qui Tout trouvée, furent dans
le vrai autant que vous êtes dans le faux.
Mais la métamorphose a été difficile, et périlleuse
pour plusieurs de ceux qui s'y sont appliqués. Dans les
tentatives destinées à découvrir des régions nouvelles,
tous ne sont pas également trempés pour supporter les
fatigues de l'aventure.
On est loin, avec ces funambules, de l'opiniâtre
recherche de l'expression juste que recommandait
Baudelaire, l'écrivain exact et prodigieusement clair
dans le rendu, même des sensations les plus imprévues,
les plus étranges. C'était la pensée qu'il voyait, ljui,'et
les mots devaient despotiquement se soumettre à elle.
Il ne voulait pas qu'ils devinssent une musique réson-
nant pour elle-même, ils restaient un accompagnement,
soulignant la pensée, la réalisant plus forte et plus
visible. Il n'y a pas dans tout son œuvre une obscurité.
Son style est bref, lapidaire, d'un beau son métallique
et net. Il est la critique des bateleurs d'aujourd'hui
et non le précurseur de leurs jongleries.
Enrichir la langue, trouver l'équation constante de
la. pensée et du mot, étaient des problèmes que seules
les natures d'élite pouvaient résoudre sans fléchir. Les
autres devaient tomber dans les pièges et les erreurs
des faux calculs. Le mot toujours poursuivi, le mot tou-
jours traqué, le mot saisi, tourné, retourné, le mot, le
mot, le mot ! devint pour les esprits faibles une obses-
sion. Bien tôt la pensée, dont il est le signe, leur fut moins
visible. Le mot, au contraire, grandit démesurément
en ses proportions, s'affirma avec une intensité étrange
dans son coloris. Cette dualité nécessaire : la pensée-le
mot, fut mutilée. Le rapport se rompit. Un de ces ter-
mes disparut, l'autre domina seul. Et alors il devint
l'objet d'un culte : la vey^holâtrie était fondée.
Dans l'étude que nous avons citée précédemment,
Paul Bourget, fidèle à sa systématisation, y voit une
expression très nette de la décadence. De même que
l'anarchie décadente se manifeste dans les sociétés par
la substitution du groupe à l'ensemble, de l'individu au
groupe, ainsi, d'après lui, en littérature, la décadence
se révèle par la substitution de la phrase au livre, du
mot à la phrase. La littérature décadente, c'est la litté-
rature des mots. C'est ingénieux et d'un assez bel aspect
théorique. Mais, outre qu'il y a trente-six manières
d'être décadents en littérature, il y a témérité à prendre
pour un affaissement général les infirmités de quelques
malheureux insuffisamment solides pour supporter les
dangers des entreprises où ils se sont jetés. Qu'ils en
deviennent malades et que le public assiste au dévelop-
pement de la fièvre mentale qui les tourmente, soit.
C'est le cas des médecins qui, dans les épidémies, meu-
rent du mal qu'ils soignent. Mais dire que ces cholé-
riques isolés donnent l'étiage de la santé commune, on
ne saurait l'admettre. On ne juge pas d'une population
par ceux qui sont à l'hôpital ou qu'il y faudrait mettre.
, La verbolâtrie, à son dernier paroxysme, c'est le cas
d'Adoré Floupette. Les mots, pour lui, ne sont plus des
signes, destinés à rappeler des réalités. Non. Ils sont
eux-mêmes des réalités, des objets, des êtres, ayant
leur physionomie, leur taille, leur couleur, leur odeur.
Le monde intérieur des idées n'existe plus. Il n'y a que
des mots. Ce sont eux qui vont.viennent, parlent, chan-
tent, évoluent. Chacun d'eux est une unité douée des
trois dimensions. Figurez-vous un théâtre où s'agitent
des acteurs revêtus des costumes de leurs rôles; ima-
ginez, insensiblement, sous les vêtements, les corps se
dissolvant : les bras disparaissant des manches, les
jambes des jupes, puis les corps, puis les têtes. Il ne
reste que les oripeaux, tenant ensemble par un prodige,
continuant à aller, venir, danser, gesticuler. C'est la
scène fantastique qui se produit dans le cerveau du
verbolâtre. Il ne s'y trouve plus que des défroques et
rien dedans, il ne s'y trouve plus que des mots.
Et pour chacun d'eux, il se sent pris d'une admira-
tion cabalistique. Il lui découvre des vertus extraordi-
naires. Ils deviennent pour lui plus vivants que les
choses vivantes. Dans son hallucination à la fois grotes-
que et funèbre, il fait agir ces haillons mortuaires sur
un théâtre de marionnettes. Lui seul a la clef du spec-
tacle, et il le trouve merveilleux. Lui seul sait et voit
ce qu'il a mis sous chacun de ces fantoches, lui seul
renifle leur odeur, lui seul aperçoit leur couleur, lui
seul entend leurs petits cris. Il prend en pitié quiconque
ne distingue pas ce ballet d*ombres impalpables, ettient
pour un aveugle et un impotent quiconque ne perçoit
pas le rêve qui se passe dans son imagination.
Les mots, mis côte à côte, ont des résonances, pro-
duisent des accords, éveillent des images qui l'exultent
et le ravissent. Il répétera avec ferveur, avec enthou-
siasme des phrases fatidiques qui évoquent en lui des
sensations surhumaines et qui, sur le vulgaire bien por-
tant, font l'eflét du jeu des queues de mots dans lequel
chaque syllabe terminale correspond à la syllabe ini-
tiale du mot suivant : Ris de veau, Vaucluse, use ton
habit, Abimélech, lecture, hure de sanglier ^ lié par
les pattes, pathétique, tic tac de moulin à vent y qu'il
faut prononcer : Ris de veau-cluse ton hahit-mélecture
de san-glié par les patte-té tic tac de rnoidin à vent.
Souvenez-vous, non pas même des fameuses stances de
Verlaine ayant pour titre There, mais de ce tercet de
Floupette si euphonique et si prodigieusement insensé :
Dans la pénombre
Ma clanaeur sombre
À fait fleurir les azalées.
Le Verbolâtre a aussi la manie du néologisme. C'est la
phrase de sa maladie correspondant au besoin moderne
si impérieux, si louable, d'augmenter le vocabulaire
littéraire. D'admirables audaces se sont produites à cet
égard et désormais quantité de mots, les uns vraiment
neufs (ils sont fort rares), les autres retrouvés dans la
vieille langue, sont acquis à l'art et ne sauraient plus
disparaître. Nos écrivains modernes réparent ce que la
sévérité de Malherbe avait, dans son excès, sacrifié
quand il voulut débarrasser le français de l'encombre-
ment qu'y avait introduit le néologiste par excellence,
Rabelais. L'assainissement dépassa alors la mesure, et
des expressions, charmantes et ravissantes de Ronsard
et de ses adeptes, disparurent pendant trois siècles. De
notre temps on a fouillé sous ces décombres et tous ces
joyaux ont été retrouvés. Qui pourra se plaindre de
voir reparaître, et devenir familiers, des mots comme
endeuillir, dévelouier^ ensour dîner '^. Le Verbolâtre
s'y est appliqué et a rendu, dans cette recherche des
trésors, de signalés services. Mais, ici encore, son tem-
pérament n'y a pas résisté. Le goût a dégénéré en
manie et le néologisme est devenu obsédant. Le Verbo-
lâtre exulté quand il a bâti une phrase où il n'y a que
des mots ignorés. Il ne se sent pas de joie quand il a
remplacé un terme connu qui remplissait dignement
son office, par un terme nouveau, bizarre, et, s'il se
peut, macabre.
Il inonde sa littérature de ces excentricités qui font
au lecteur l'effet d'un noyau de cerise venant à l'impro-
viste sous la dent quand on mange paisiblement un
morceau de tarte. S'il s'en rencontre un qui, maniaque
à la seconde puissance, s'est composé un dictionnaire
de purs néologismes, et joint à cette toquade celle que
nous décrivions plus haut à laquelle s'applique si bien
le dicton : verha et voces, et prœterea nihîl, cela
devient un charabia quij. ferait prendre les armes au
diable. Quant à lui, il s'y retrouve et y circule comme
une araignée sur sa toile.
Mais il faut être juste. Ces aliénés n'ont pas fait
œuvre inutile. Nous l'avons déjà dit, nous ne saurions
trop le répéter, au fond, ou plutôt à l'origine de toutes
ces démences, il y a une tendance vraiment salutaire.
Ce sont les ouvriers de la transformation moderne de
l'art littéraire. Chacun d'eux accomplit une fonction
du mouvement général. Il n*est pas une de leurs folies
qui n'ait eu quelque efficacité pour le passage d'un art
antérieur à un art plus jeune. Sans eux, on resterait
peut-être sur place, ce qui serait la pire des infortunes.
Ce sont eux qui osent, qui osent jusqu'à l'exaspération,
jusqu'au délire, et qui par cela même forcent l'obstacle et
imposent la nouveauté. Ce sont des enfants perdus, ces
audacieux, ces frénétiques : ils ouvrent les chemins, ima-
ginent les hypothèses, préparent l'avenir, poussent les
. timides vers les continents nouveaux. Aussi dans tout ce
que nous en avons dit n'y a-t-il pas esprit de dénigrement,
mais désir de mettre en garde contre leurs étrangetés
maladives ceux qui auraient quelque tendance à les-
prendre pour des modèlesàsuivredévotement. Ils tendent
les ressorts avec excès, tant mieux. Après eux les res-
sorts reprendront la tension normale. Il vient tôt pu tard
quelque esprit harmonique qui, prenatit de toutes ces
campagnes folles ce qu'elles avaient de bon, fixe la juste
mesure. Pour armer de pied en cap l'homme de génie
qui résume une époque, il faut qu'il y ait, dans les arts,
une procession analogue au cortège de Malborough :
L'un portait la cuirasse,
L'autre le bouclier.
Un troisième le casque,
Uu quatrième... rien.
Nos Déliquescents, nos Décadents, nos Incohérents,
nos Verbolâtres, représentent assez bien ce cortège
fameux. Quand nous y aurons ajouté les Symbolistes,
il sera complet. Nous y consacrerons un prochain
article, et nous achèverons ces études de pathologie
littéraire en nous occupant, pour finir, des
Bien portants..
JiIVRJE? [NOUVEAUX
Notes sur la littérature moderne, par Francis Nautet.
Par ce temps d'appréciation banale à deux sous la ligne, où
chacun sa construit sa petite montagne pour examiner de haut
les gens et les anecdotes qui passent, M. Francis Nautet s'est bâti
une tour d'ivoire dans un pays choisi. Elle est située non loin de
celle où Alfred de Vigny montait chaque soir, car tout comme
l'auteur de Servitude et grandeur militaires^ parmi les mille et un
points de vue que Ton peut choisir pour juger les choses, c'est le
point de vue aristocratique que M. Francis Nautet a, élu. C'est ce
qui détermine l'originalité et l'unilé de sa critique.
L'aristocratie de M. Francis Nautet a quelques nuances très
spéciales. Elle n'a point « l'allure hautaine, la fierté qui provoque,
l'esprit oulrancier », en un mot, elle n'est point Varistocratie en
dehors d'un Barbey d'Aurevilly. Au surplus, ce n'est point à la
décadence policée de M. Bourget qu'elle aboutit. Elle a trop de
fermeté pour glisser sur la pente du pessimisme.
C'est une aristocratie faite de raison et d'expérience ; une aris-
tocratie qui s'analyse et se contrôle en analysant l'esprit aristo-
cratique chez autrui, particulièrement dans le Nihilisme litté-
raire, la Psychologie de décadents, le Mouvement naturaliste et
les Choses du temps. Dans cette dernière étude surtout, oh ! com-
bien .-on sent que la réflexion, bien plus que la nature, a fait
itf. Francis Nautet aristocrate ! Il y devient polémiste, il se dépar-
tit de toute sérénité, il aborde la question du jour — disons plus
— de la rue, il s'échauifc contre l'instruction obligatoire et le
suffrage universel. Lui, d'ordinaire si prudent, commet celle pro-
phétie contre la société moderne :
« Alors quelques hommes, les derniers insurgés de ces lemps
pacifiques, livrés k l'insommie de par leur manque de vertus,
étrangleront dans son somme l'humanité repue. El ces hommes
seront des artistes, car l'artiste est le seul qui refuse de courber
la télé sous le niveau.
i:
264
U ART MODERNE ^
« Tout un mouvement s'annonce, mené par les supérioritds
inlelIectuoUes en faveur de la liberté de In personnalité humaine.
La réaction commence son œuvre et triomplicra par le fait do
celte loi naturelle qui veut, en dépit de toutes les utopies, en
dépit de tous les faibles ligués en masse, que le droit et l'auto-
rité appartiennent aux lucides et aux forts ».
Ailleurs, M. Nauiet s'attarde volontiers dans des sentiers où la
littérature ne lui sert que de prétexte à promenade. Le chapitre
de son livre : Un romancier catholique abonde en jugements sur
la puissance et l'esprit de l'Eglise, jugements très personnels et
très curieux, mais qui prouvent une fois de plus en combien de
chami)s de pcnsé^différenis il est allé moissonner son aristocra-
tismc. M. N;iutel a opéré lui-même la sélection de son esprit; il
en est fier et il en i)3rle souvent. Trop souvent peut-être, car, à
dire franc, la persistance de l'auteur à trancher d'aristocratie mé
fait songer à des Esseiules toujours préoccupé U se poser en
décadent.
Un autre travers qui montre à maint coin de page le bout de
l'oreille, c'est la vanité du paradoxe. Elle se quiutessencie en ce
paragraphe : ■
« Dire que le Français est physiquement un être détraqué,
amolli, impuissant, gâté par son luxe, d(;sabusé de la gloire,
affaibli par rhérédité,.asservi par la tradition, c^esl formtder tme
opinion trop universellement répandue pour qu'elle soit juste. »
On, abuse trop du paradoxe pour qu'un homme du goût de
M. Nautet l'affiche encore dans une- rémarque aussi rebattue.
Penser autrement que les autres et même penser du Français ce
qu'en pense M. Nauiet, c'est parfiiit; seulement à quoi bon en
faire étalage dans une phrase de bravade?
Enfin, — et voici ma dernière tuile — le stvle des Notes sur la
littérature moderne traîne à sa surface certaines scories qu'il faut
absolument faire disparaître dans une réédition. A preuve :
« Si la rivière livrait ses secrets, peut-être saurait-oti combien
de génies étranglés par la souffrance n'ont pu arriver à la
lumière !» •
Les secrets de la rivière!... Panson du Terrail doit être con-
tent.
Ces quelques lares signalées, disons qu'il nous a été donné
rarement de lire des notes sur notre littérature contemporaine
où l'analyse fût plus sûre, plus subtile, plus claire. L'auteur
n'abordant que des sujets de choix se plaît à en caractériser les
nuances les plus légères. Il décompose le talent et le génie, il
scrute le tempérament avec une hardiesse et une sûreté par-
faites. Certaine étude : Psychologie de décadents me paraît être
une parole définitive sur Huysmans et Bourget.
Avec quelle intelligence il dégage le barbare dans le premier
et avec quelle lucidité il range le second non pas dans la tourbe
des décadents névrosés dont M. Péladan nous parle, mais parmi
les décadents par perfection, chefs-d'œuvre des races, fleurs
automnales de la forêt humaine! Et combien ailleurs sa pensée
illumine âprement et largement l'âpre et large travail littéraire
d'Emile Zola, et comme plus loin encore toute une finesse d'ana-
lyse s'aiguise à disséquer V Education sentimentale ï
En outre, tout au long de ses éludes, dans des digressions
savantes, tel aperçu social témoigne d'une telle sûreté d'intelli-
gence et, pourquoi pas le dire? d'une telle devination historique
qu'on se demande si derrière le critique un historien ne grandit
pas. Grouper des faits éloignés les uns des autres, lés rassembler
puissamment dans les mains de son analyse, découvrir l'âme
qu'ils masquenl, l'esprit dont i!s sont l'expression et-couler tout
cela dans une pensée frap|)anre <'t neuve, c'est ce que l'auteur
réussit et dans le Mouvement nn finaliste et dans les Choses du
temps et dans Un romancier callmlique.
Le livre de M. Nautet se lermim' par quatre lettres au Roi sur
les écrivains de la Jeune Belgique . Pourquoi ces lettres? Si c'est
une fantaisie, tant pis — sinon, i\\nA besoin de parler au person-
nage le plus officiel de, la Delgique d'un art qu'il ne doit guère
comprendre?
Au demeurant les jeunes écrivains n'ont rien à demander. Jus-
qu'aujourd'hui leurs préorou|)aiif'ns n'ont tendu qu'à s'éloigner
des gens à palmes et à bicorne <'i les gracieusetés constitution-
nelles ne sont pas des mains à passer dans les crins de leur indé-
pendance.
Autour d'eux se rangeront tous i-eiix qui ont le souci des lettres,
des vraies belles lettres, et ceux-là n'aiment point à se trouver
confondus avec — pour parler comme certains académiciens —
des éléments hétérogènes.
Grâce à !\l. Nautet, les Jeune-Belgiciue ont désormais h côté de
leurs romanciers et de leurs poètes, h>ur critique.
\
LE SALON LIBRE DE L'ART FUMAND
Lâchée par ceux qui lui avaieni promis leur « patronage »,
éreintée par son jury, la pauvre ('X|>osition languit dans la soli-
tude de ses hangars déserts, vis-ii-vis du Salon officiel, -et les
araignées qu'on chasse de la maison rivale y viennent tisser
mélancoliquement leur toile.
L'aspect de ces grandes salies nues est si lamentable qu'il
serait cruel d'insister. ' r-
On se rappelle que les cymbales qui avaient annoncé le bap-
tême du nouveau-né se sont tues subitement, fêlées par on ne
sait quel accident, et qu'à la suite de querelles de ménage dont
l'écho a quelque peu dépassé l'ollice où était cuisinée l'exposi-
tion, la mailloche qui avait servi à frapper les joyeux />om771.^
boum! de la réclame est devenui* une arme de guerre brandie
avec colère. Il y a eu des coups dmiués et reçus, paraît-il, et des
épilhètes aigres lancées et renvovi'es. On s'est appelé tricheur, et
certains membres du jury ont jcié lés cartes avec tolère. Les
autres les ont ramassées et la partie interrompue a repris cahin-
caha.
Ce qui manque, c'est l'enjeu. (!ar on ne dira pas, pensons-
nous, que c'est l'avenir de l'art national que jouent, là-bas, quel-
ques désœuvrés. Ce serait d'une pr/ttîntion comique.
Il est donc peu important d'examiner si l'exposition est bonne
ou mauvaise. Elle est inutile, et dès lors elle a le droit d'être
mauvaise. Elle serait môme, ainsi que l'a railleusement qualifiée
un de ses organisateurs, un hospice ou un hôpital, qu'il serait
superflu de rechercher s'il n'y a |)as d;ms cette boutade 'quelque
exagération.
Il serait plus exact de dire, d'ailieùrs, que le Salo7i libre de
l'Art flamand est le prolongenieut des vitrines de quelques
marchands de tableaux connus qui ont eu l'idée de profiter du
grand passage des étrangers par Anvers pour tendre leurs lacets
sur leur route.
Aidés de quelques amateurs de bonne volonté, ils ont réuni
trois Boulénger, trois Dubois, une petite toile d'Alfred - Stevcns,
la Méditation de chien et le High-life du frère Joseph, deux
petits Hubcrti insignifiants, doux marines d'Arlan, la Boutique
de De Brackcleer, quelques toiles d'Agiieessens.
Tout cela n'est pas Irôs neuf et ne représente que bien imjjar-
faitemenl les ariisies dont on agile, comme dos drapeaux, les
noms illustres. Mais, somme toute, ce maigre contingent repose
la vue des productions de l'école anversoise qui forment le fond
de l'exposition et qui sont d'une médiocrité désarmante.
Au milieu de celles-ci apparaît, de temps à autre, une élude
signée d'un nom connu : Mellery, Smits, Hermans, Meunier,
Binjé ou tel autre qu'on est surpris de rencontrer dans ce cou-
doiement singulier et sans cohésion.
On éprouve, à les voir — ou à les revoir, car la plupart de ces
bouts de toile ont élé exposés, — la satisfaction qu'on ressent en
rencontrant des amis au cours d'un vovai^e dans des réffions loin-
laines. ^
On reprend des forces pour contempler d'un œil ferme les stu-
péfiantes imageries qui s'offrent, sans aucune pudeur, aux
regards, et parmi lesquelles la palme revient assurément h cer-
tain tableau de M. J.-B. Huysmans, intitulé : Chef de derviches
bénissant les enfants. — Cérémonie de la Pâque musulmane en
Algérie. , ,
Î^E?
PRIX DE
I\OME
Voici quelques excellentes réflexions de Georges Duval dans
VEvénement. Elles complètent ce que nous avons publié à ce
sujet dans notre dernier numéro.
Quand M. de Tallçyraud disait à Louis XVIII que les représen-
tants de la France à l'étranger devaient agir à l'unisson, il ne pré-
voyait certainement pas que le moment pourrait venir où ils se met-
traient au diapason des Folies -Rambuteau, pas plus que Bélisaire,
le jour où il faisait crédit chez son casquetier, ne pensait que sa
coiffure serait encore de mode en l'an de grâce 1885.
Cette dernière réflexion m'est venue hier matin en visitant l'expo-
sition du concours de peinture pour le prix de Rome. L'Institut
avait donné pour sujet : Th&>nistocle exilé danande l'hospitalité au
roi Admète, dont il a vaincu autrefois les armées. Il fallait s'y
attendre. Exiger que l'Institut rompe avec les vieilles méthodes et
les vieux sujets, c'est comme si l'on priait Buraui de traduire
Homère. Voilà des jeunes peintres qui ont dû s'amuser. Chacun
d'eux a déjà sa poétique : l'un a pour idéal les féeries de l'Orient;
l'autre, le naHiralisme parisien. Celui-ci se promet d'humaniser l'art
à la façon de Courbet; celui-là, de chanter le paysan comme Millet.
On leur impose de remonter les âges jusqu'à Thémistocle. Remar-
quez bien qtie si l'on conseillait à M. Cabauel de s'habiller comme
Pyrrhus, à M. Meissonier de ne pas faire un pas sans bouclier et à
M. Bouguereau de remplacer sa canne par une lance, MM. Cabanel,
Meissonier et Bouguereau nous enverraient, comme on dit vulgaire-
ment, à l'ours. L'antiquité a prononcé son dernier mot avec la Belle
Hélène, comme la mythologie avec Orphée aux Enfers. Ça ne fait
rien. Les vieux druides qui pontifient à l'Institut sont entêtés ainsi
que des mules classiques. Ils y tiennent comme à la villa Médicis,
par exemple, où, pendant des années, les jeunes peintres montant la
faction, à l'exemple des sentinelles légendaires qui, durant cinquante
ans, sont allées et venues devant un banc fraîchement peint.
Malheureux jeunes gens! malheureux artistes 1 Je ne voulais pas
qu'on vous fit traiter : Jules Ferry dégommé demandant l'hospita-
lité au roi de Hué dont il n'a pas vaincu les armées. Babylone tout
entière se serait ruée sur vous. Mais, sans pousser l'actualité jusqu'à
l'exagération, ne pouvait-on vous faire passer, au moins, au déluge?
La belle affaire quand vous saurez attacher une tunique athénienne,
vous qui n'êtes, pour la plupart, destinés à peindre que des portraits
. modernes. C'est comme, lors des envois de Rome, les architectes qui'
s'pscriiiieiit à nous reconstituer le temple de Jupiter, qui ne revien-
dra pas exprès |)our leur faire des commandes. Le jour où il leur
faut distribuer uu appartement, ils n'y sont plus. Vous vous fâchez?
Ils vous répondent : « Il est possible, monsieur, que j'aie eu tort de
mettre votre cabinet de toilette à côté de votre bibliothèque; mais
j'ai, remarqué, (hms le cours de mes études, que l'atrium du fils de
Saturne commandait l'endroit où l'on suppose qu'il déposait ses
tablettes. » La })elle affaire encore, lorsque vous aurez reproduit la
binette du roi des Phèces, dont la photographie ne n^s est pas
d'ailleurs parvenue, et que des juges palmés discuteront sur la façon
dont vous avez compris le caractère du roi thessalien qu'ils n'ont
jamais connu
Tous les ans, on répète ce que je viens d'écrire, et tous les ans
c'est la même chose. Tas de Bridoisons!
P-IBLIOQRAPHIE MUSICALE
Les œuvres complètes de Schubert. Première édition
complète et critique. — Leipzig et Bruxelles, chez Breitkopf et
H^RTEL,
« Si la fécondité est un signe caractéristique du génie, a dit Robert
Schumann, Schubert doit être rangé parmi l'es maîtres- les plus
illustres. . De ses nombreuses compositions, la moitié tout au plus
est connue; une partie de ce qui demeure inédit ne tardera pas à
Voir le jour, mais le reste ne sera publié que bien plus tard, si tant
est qu'il le soit jamais ! "
Ce souhait, timidement formulé par l'auteur de Mayifred, est
aujourd'hui réalisé, ou tout au moins sur le point de l'être. La
maison Breitkopf et Hœrtel a réuni, classé et soigneusement ordonné
les innomBrables manuscrits qui forment l'œuvre de Schubert. Aidés
par un groupe de musiciens à la tête desquels figure Brahms, secon-
dés par la Société des Amis de la Musique, de Vienne, dont les
archives renferment des trésors, après. avoir fait appel à tous ceux
qui possèdent des documents ou des renseignements de nature à
compléter Tentrejtrise vraiment artistique à laquelle ils se sont voués,
MM. Bre.itkoi)f et Phertel commencent la publication de l'édition
définitive des compositions du maître.
Elle comprendra, distribuées en vingt-deux séries qui seront suc-
cessivement mises en vente, toutes les œuvres de Schubert gravées
ou inédites, et même les fragments et les compositions inachevées.
Ce qui la distinguera des publications précédentes dans lesquelles la
négligence des éditeurs a laissé prénétrer des fautes d'impression
et même des pièces ajtocryphes, c'est que le texte en sera absolument
pur
Toutes les feuilles seront, en effet, soigneusement collationnées
avec les premières éditions, qui ont été corrigées de la main de
Schubert, ou avec les manuscrits s'il s'agit d'œuvres inédites.
Car, ainsi que nous l'avons dit, et c'est ce qui constiuera surtout
le grand intérêt de la nouvelle édition de MM. Breitkopf et Hiertel,
celle-ci fera connaître un grand nombre de compositions qui, jus-
qu'à ce jour, ont été conservées comme des reliques dans des collec-
tions, d'où elles seront, pour la première fois, mises dans la circula-
tion. -
Le volume qui vient de paraître fait bien augurer de la publication.
C'est le tome I de la première série. Il comprend des partitions d'or-
chestre des symphonies en ré majeur (n^ 1), en si bém. majeur (uo2),
en ré majeur (n» 3) et la symphonie tragique (n» 4). C'est un beau
volume de 250 pages; le texte en est clair et gravé avec soin sur
papier de luxe.
Ajoutons que le prix relativement peu élevé de l'édition complète
(500 marks ou . 625 francs pour les souscripteurs, 600 marks ou
750 francs après la mise en vente) est largement compensé par les
mérites de son exécution.
*** • ' ■•
Parmi les plus récentes publications des mêmes éditeurs, signa-
lons un recueil de dix ^petites fantaisies pour le piano à quatre
mains, d'une interprétation facile et à la portée des petits doigts,
par Cad Reinécke. Les thèmes en sont empruntés aux plus fraîches
mélodies populaix*es de l'Allemagne.
Citons aussi un cahier de Lieder de Ad. Wallnôfer (op. 35) com-
prenant trois jolies compositions, de style et de caractère différents.
On sait que M. Wallnôfer a écrit un grand nombre de chœurs, de
ballades, de mélodies, très appréciés en Germanie. Les plus célè-
bres de ses lieder ont été réunis en un Album qui en est à sa
deuxième édition.
Chronique judiciaire de^ art^
Le tribunal correctionnel de Bruxelles a rendu^ vendredi, son
jugement dans la curieuse affaire des potiches japonaises dont nous
avons rendu compte la semaine dernière. Il a décidé que la loi
de 1846 sur les ventes à cri public n'ayant fait aucune distinction
entre les diverses catégories de porcelaines ou de faïences, il faut
appliquer aux potiches, vases, plats, etc., servant à décorer les
a-ppartements, la disposition qui défend de les vendre aux enchères,
si ce n'est par quantités que la loi détermine (six douzaines au moins).
Les prévenus, condamnés au minimum de la peine, soit à 50 francs
d'amende payables solidairement, ont néanmoins interjeté appel de
celte décision afin de faire trancher par fa cour d'appel la question
de principe que soulève ce procès et qui présente, nous l'avons dit,
au point de vue des ventes publiques d'objets d'art et d'antiquité,
une importance considérable.
Jhéatf(ep
Théâtre de la Monnaie.
' M. Verdhurt vient de faire publier le tableau de son personnel
pour la prochaine campagne théâtrale.
Parmi les améliorations apportées à l'organisation du théâtre, on
remarquera la création d'un service d'inspection de la salle et de la
scène, emploi dont M. Potel est le titulaire. L'inspecteur des services
de la salle et de la scène est spécialement chargé de recueillir les
réclamations qui pourraient se produire de la part du public à l'égard
de la location des places, à veiller à ce que le contrôle soit fait d'une
manière irréprochable. C'est un intermédiaire utile et obligeant, tou-
jours présent pendant les représentations, et qui rend au public des
services fréquents. Cette innovation sera, croyons-nous, très bien
accueillie du public.
Tous les services sont d'ailleurs distincts. Ils ont chacun leurs
titulaires, et tout empiétement d'un service sur l'autre est impos-
sible.
Pour la partie administrative figurent MM. Waechter, adminis-
trateur, Copelte, secrétaire de la direction, et Bullens, chef de la
comptabilité. Le service de la scène est ainsi distribué : MM. Lapis-
sida, régisseur général ; Flon, chef des chœurs; Herbaut, régisseur
des chœurs ; Perrot, régisseur-avertisseur; Lombaerts, machiniste
en chef; peintres-décorateurs, MM. Lynen et Devis.
M. Flon est élevé aux fonctions de troisième chef d'orchestre. Les
deux premiers sont, comme précédemment, MM. Joseph Dupont et
Léon .Tehin. . , ._
MM. Flon et Léon Dubois, pianistes accompagnateurs, sont
chargés de diriger la musique de scène.
Quant au tableau de la troupe, le voici : .
Artistes du chant
Ténor.s : MM. Dereims, Furst, Gallois, Nolly, Idrac, Franz
Stappen, Nerval et Seuille.
Barytons: MM. Bérardi, Frédéric Boy er et Renaud.
Basses : MM. Dubulle, Herman Devries, Séguier, Chappuis et
Frankin.
Sopranos dr.amatiques : M'"«» Montalba, Clario et Fierens.
Chanteuses légères : M^e» Cécile Mézeray, Thuringer, Gaultier,
Wolf et Barria.
Contraltos : Mme» jane Huré, Passama et Caroline Barbot.
Coryphées : M>nes Hertz, Vleminckx et Defoer, MM. Vanderelst,
Fleurix, Krier, Vandenbossche, Vanderlinden, Blondeau, Pennequin
et Simonis. — 80 choristes.
Artistes de la danse
MM. J, Hansen, Maître de ballet, F. Duchamps, régisseur.
Sujets : M™" Adelina Rossi, Gabriel le Esselin, Teresa Magliani
et Angiolina Bertoglio, MM. Saracco, F. Duchamps, Ph. Hansen et
De Ridder.
Coryphées : M""" Van Lancker, Tribout, Desmet, Thompson,
Baronet, J. Matthys, Schacht, Van Goethem et M. Matthys. —
38 danseuses, 12 danseurs.
ÎJxpopiTioN UNIVER^EI-LE D'^NVER?
Le deuxième gi'and festival de musique aura lieu le lundi 31 août,
dans la grande salle des fêtes de l'Exposition. Le programme sera
composé d'œuvres des maîtres allemands : la neuvième symphonie
de Beethoven avec chœurs, des morceaux de Wagner et de Schu-
mann. Cette belle fête musicale réunira cinq cents exécutants sous
la direction de Peter Benoît ; elle est organisée par la Société de
musique d'Anvers.
À ^ .■ ' "
La commission chargée par lé gouvernement de Tacquisition des
lots destinés à la loterie de l'Exposition universelle d'Anvers vient
de terminer ses opérations.
Les lots de la première série comprennent :
Un lot de 100,000 francs ;
Deux lots de 25,000 id.
Cinq lots de 10,000 id.
Dix lots de 5,000 id.
et divers lots d'une valeur totale de 250,000 francs, soit en tout
500,000 francs de lots.
Le tirage aura lieu prochainement et sera annoncé par la voie des
journaux.
On peut se procurer des billets dans tous les bureaux de poste ,
les facteurs en sont également pourvus.
MEMENTO DES EXPOSITIONS ET CONCOURS
Verviers. — Ouverture 23 août. Délai d'envoi : du 10 au 17 août.
Gratuité de transport (aller et retour sur le territoire belge) pour
les œuvres des artistes belges ou étrangers invités {petite vitesse n» 2).
Anvers. — Concours pour le monument d'Henri Conscience. Base
du monument : 5'", 15 de longueur sur 3"',75 de largeur. S'adresser
au Comité central, au Musée Plantin.
Nice. — Concours pour le monument de Garibaldi. Projets reçus
jusqu'au 30 novembre. Deux primes (1,500 et 1,000 francs) sont
allouées aux auteurs des deux meilleurs projets non adoptés. Coût
total du monument : 70,000 francs.
Prix du Roi. — Concours de 1886, 1887 et 4888. — Un arrêté
royal du 20 avril courant porte que le prix à décerner en 1886 (cou-
cours exclusivement belge) sera attribué à l'ouvrage le mieux conçu
pour développer chez la jeunesse belge l'iotelligence et le goût des
littératures anciennes et modernes.
, Le prix à décerner en 1887 (concours exclusivement belge) sera
attribué à l'ouvrage qui démontrera le mieux de quelle manière la
Belgique doit comprendre son rôle dans la grande famille euro-
péenne, tant au point de vue politique et intellectuel qu'au point de
vue matériel, pour servir le mieux ses propres intérêts en même temps
que ceux de la civilisation en général.
Le prix à décerner en 1888 (concours exclusivement belge) sera
attribué au meilleur ouvrage sur l'enseignement des arts plastiques
en Belgique et sur le moyen de développer l'art en Belgique et de 1^
porter à un niveau de plus en plus élevé.
Les ouvrages destinés à ces concours devront être transmis au mi-
nistre de l'agriculture, de l'industrie et des travaux publics, à savoir :
pour le prix à décerner en 1886, avant le 1er octobre 1886, et pour
les deux autres, respectivement avant le i^r janvier des années 1887
et 1888.
Concours POÉTIQUE du midi de la frange, — XXXVe concours
(15 aoûiJ|F décembre 1885). — Vingt médailles en or, argent,
bronze. Demander le programme à M. Ev. Garrance, président du
Comité, 6, rue du Saumon, à Agen (Lot-et-Garonne).
Vienne. — Concours pour l'érection d'un monument à Mozart.
La place sur laquelle doit être élevé le monument n'étant pas
encore déterminée par la municipalité, le concours reste ouvert.
^ETITE CHROJMiqUf:
On achève en ce moment la construction au Parc, vis-à-vis du
Palais de la Nation, d'une estrade destinée à recevoir l'orchestre et
les chœurs chargés d'interpréter, demain lundi, sous là direction de
l'auteur, la Kinder cantate de Peter Benoit.
Ce sera pour Bruxelles une bonne fortune que d'entendre, dans
d'excellentes conditions, l'adorable composition du maître anversois.
Une audition en a été donnée cette semaine au Cirque royal, à
roccasion de la distribution des prix aux enfants de l'une des écoles
de la ville. Le succès a été énorme. On a longuement et chaleureu-
sement acclamé le compositeur qui avait été l'objet, dès son entrée,
d'une ovation enthousiaste. - '
Le buste dé M. Maton, l'excellent directeur de la Revue pratique
du notariat, qui vient d'être terminé par M. Jules Lagaë, sera exposé
. demain lundi, à la Compagnie des Bronzes. II est parfaitement
réussi au point de vue artistique. Il est offert à M. Matou par ses
collaborateurs.
On annonce que le Capitaine noir^ de Joseph Mertens, dont nous
avons relaté le grand succès à Hambourg, vient d'être reçu au
théâtre de Mayence, sur lequel il sera représenté dans le courant de
la campagne qui va s'ouvrir.
Le Conservatoire de musique de Mons vient de clôturer ses con-
cours, et le jury a félicité chaleureusement le directeur, M. Van den
Eeden, des brillants résultats obtenus. Dans la classe de piano de
M. Gurickx (division des jeunes filles), on a décerné à l'unanimité,
trois premiers prix, dont tun avec la plus grande distinction. Dans
la classe de violoncelle de M. Cockx, un l^"^ et un 2" prix avec dis-
tinction ont été octroyés, ainsi qu'un prix d'excellence à l'unanimité.
Les classes de cor et de flûte ont été particulièremeni bonnes., Dans
les classes de violon, [le cours de M. Dongrie.a été favorisé de plu-
sieurs distinctions. La classe de chant de M. Huet (division des
f jeunes gens) a également donné d'excellents résultats.
Enfin, les concours de solfège ont été remarquables : six premiers
prix et un prix d'excellence dans la division des jeunes gens, huit
premiers prix et six prix d'excellence aux jeunes filles.
Voilà la joie et la sérénité au foyer de toutes lep familles de là
ville du Doudou. •
Le grand festival triennal de Birmingham aura lieu les 25, 26, 27
et. 28 août. Voici le programme des exécutions. Le matin du
mardi 25, Elie, oratorio de Mendeissohn ; le soir, Sleeping Beanty,
cantate nouvelle de M. Frédéric- Henri Gowen, et concert varié; le
mercredi matin, Mors et Vita, nouvel oratorio de M. Gouuod ; la
soir, l'MZe^tc?^, nouvelle cantate de M. Th. Anderton, concerto de
violon (nouveau) de M. A.-C. Mackenzie, et symphonie de M. Ebe-
nezer Prout; le jeudi matin, le Messie, oratorio de Hœndel ; le soir,
the Spectres Bride, cantate nouvelle de M. Anton Dvorak, et Roch
of âges, hymne nouveau de M. le D"" Bridge, organiste <le ra])baye
de Westminster: enfin, vendredi matin, the Three holy Children,
oratorio nouveau de M C. Villiers Stanford, et la symphonie avec
chœurs de Beethoven, et, le soir, deuxième audition de Mors et
Vita. Les solistes sont Mn'«« Albany, Patey, Trebelli, Anna Wil-
liams, MM. Hutchinson, Edward Lloyd Wade, Santley, Maas, King,
Watkin Mills, Foli et Sarasate, et le conductor est M. Hans Richter.
Une somme de 34,706 fr. 82 produite par une première souscrip-
tion pour élever un monument à Victor if itgro, antérieurement à sa
mort, vient d'être versée entre les mains du nouveau comité chargé
de l'emploi des fonds pour le monument à élever au grand poète.
Vom Fels zum Meer, la plus belle des publications illustrées de
l'Allemagne, vient d'agraiidir son format et d'apporter à la publica-
tion de ses superbes livraisons diverses modifications importantes.
La. livraison par laquelle s'ouvre sa cinquième année contient
227 pages de texte. Elle est illustrée d'un très grand nombre de
magnifiques gravures parmi lesquelles il en est quelques-unes hors
texte qui constituent de véritables œuvres d'art. Un supplément est
joint au numéro. C'est le panorama du Ritig de Vienne, avec la
reproduction de tous les monuments qui font de cette ceintui-e de la
capitale autrichienne une promenade sans rivale. On remarquera
aussi l'excellente description de Berlin et ses emiirons, illustrée de
gravures sur bois représentant tous les aspects notables de la ville.
Bien amusante la nouvelle donnée cette semaine par le Guide
Musical. Voici comment notre spirituel confrère la présente :
Tout Bruxelles a lu un curieux et très piquant article de VEtoile
belge, intitulé : Physiologie du Conservatoire, vive et amusante cri-
tique du système d'éducation et des émineuts docteurs de cet établis-
sement de l'Etat.
Cet article a produit une émotion indicible à tous les étages de la
maison.
L'illustre directeur a imn^^diatement écrit au Ministère pour
demander une loi rétablissant la censure et un décret supprimant
les journaux qui critiquent systématiquement son administration.
Les professeurs, élèves, parents et amis des élèves ont été invités
à se désabonner à XEtoile.
Le Conservatoire de Gaud s'est associé à ce désabonnement en
masse.
Enfin, tous ceux qui, de près ou de loin, touchent au Conserva-
toire, ont été invités à ne plus se fournir de livres et de journaux
à l'Office da Publicité qui a, on le sait, la régie des annonces de
VEtoile.
On ne peut admettre que le Conservatoire, établissement de l'Etat,
soit plus longtemps exposé à des attaques aussi injustes et aussi peu
fondées. '
Que deviendrait l'art musical si l'on ne muselait les polissons de
lettres qui ne veulent pas admirer tout ce qui se fait rue de la
Régence !
268
VkRT MODERNE
JOURNAL DES TRIBUNAUX
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Dimanche 23 Août 1885.
L'ART
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PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTERATURE
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Adj^esser les demandes d'abonnement et toutes les communications à - .
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
?
OMMAIRE
Essai de pathologie littéraire. Les Symbolistes. Premier
article. — Bibliographie. Léon Cladel et sa kyrielle de chiens.
— La situation musicale en Belgique. — La primauté histori-
que DE l'art littéraire. — Memento des expositions et concours.
— Petite chronique. ; '
ESSAI DE PATHOLOGIE LITTÉRAIRE 0
LES SYMBOLISTES
Premier article
Adoré Floupette vient d'exécuter Zola, Hugo, Cop-
pée, le Parnasse, la poésie rustique, le naturalisme.
Marins Tapora, épouvanté, s'écrie : Mais que reste-t-il
donc? — Floupette, le regard fixe, l'index levé au ciel,
la voix grave et tremblante, répond : Il reste le sym-
bole!
Qu'est-ce que le symbole ?
S'il s'agissait de l'activité littéraire commune et du
mot employé dans son sens ordinaire, il n'y aurait pas
grande difficulté à répondre. Mais une solution aussi
simple ferait hausser les épaules à la séquelle de Flou-
pette. L'activité littéraire commune ! Le sens ordinaire
des mots! comme si cela valait la peine qu'on s'en
occupe. Leur symbolisme est un symbolisme, mais nul-
lement le symbolisme : c'est précisément ce qui en fait
l'originalité et le mérite. — Oui, mais nous est avis que
{') Voir nos n" 19 et 26 juillet, 2, 9 et 16 août 1885.
c'est précisément aussi ce qui en fait le caractère noso-
logique.
Il faut remonter un peu haut pour faire comprendre
ce mystère au vulgum pecus, dont nous sommes et
pour qui nous écrivons. .
Le symbolisme dans les arts, n'a pas attendu Flou-
pette pour se révéler. Il est la dominante des œuvres
qui durent. Il consiste à dégager si nettement et à ex-
primer si fortement une ou plusieurs des grandes géné-
ralités de l'humanité ou de la nature, que, longtemps
après que l'œuvre a été créée, les générations s'y
retrouvent encore dans quelques-uns de leurs senti-
ments, et la tiennent pour aussi vraie, aussi émouvante,
aussi belle qu'aux premiers jours. Le symbole ainsi
compris, c'est le type. Il incarne une passion redoutable
ou touchante, il résume une époque brillante ou sinis-
tre, il formule une grande vérité, il matérialise une loi
naturelle. De là lui vient sa force et sa persistance.
Tantôt l'artiste qui l'a compris et réalisé y ajoute
des détails pris aux mœurs de son temps. C'est le cas- le
plus ordinaire. Mais qu'importent ces éléments passagers
s'ils n'occupent que la seconde place, s'ils ne sont que
des ornements sous lesquels le type se dresse. L* Iliade
semble la plus puissante expression de ce genre. Les
héros et les héroïnes qui s'y meuvent demeurent, mal-
gré l'attirail grec et troyen, des figures symboliques
d'une unité et d'une clarté incomparables. Dans les
temps modernes, Shakespeare à son tour a sculpté des
types qui semblent immortels et la cohorte de ses
personnages fournit pour chacune des conjonctures.
/
tragiques de la vie une figure qui résume en elle, sous
la concentration la plus intense, quelque phénomène de
notre âme., sans que l'abondance du coloris local, qu'il
s'agisse de Venise, de Vérone ou de Londres, enlève "
quelque chose à la solide charpente du type.. Wagner
a réalisé le même art, en prenant pour matériaux les
légendes germaniques. Ses motifs musicaux, si simples
quoi qu'on en dise, si grandioses, si populaires déjà,
symbolisent, sous les individualités théâtrales, les dou-
leurs et les sensations humaines avec une séduction
irrésistible.
Tantôt aussi Têtre symbolique apparaît plus dégagé
de toute contingence, dans une sorte de nudité sacrée,
ou bien encore sous des formes générales, vagues en
apparence, en réalité d'une précision parfaite mais plus
difficiles à discerner dansi l'objet que l'artiste a repré-
senté. Telles sont les divinités de l'Olympe, soit qu'elles
aient été chantées par la poésie, soit qu'elles aient été
modelées par la statuaire : Vénus : la beauté. Minerve : la
sagesse. Hercule : la force. Et leur puissance symbo-
lique est telle qu'à plus de deux mille ans de distance,
des races absolument étrangères à la Grèce en subis-
sent encore la domination. De même, pour nous rap-
procher de l'époque présente, Molière, dans ses comé-
dies où circulent sous des noms quelconques des hommes
et des femmes, que seul un esprit superficiel peut croire
du temps de Louis XIV, a vigoureusement dessiné des
types universels : Tartuffe, le Misanthrope, l'Avare,
Célimène.
Voilà l'art symbolique. Le plus grand, le plus noble
de tous. Mais le plus difficile aussi, celui auquel le
génie seul atteint. Il s'oppose, en sa supériorité, à l'art
d'observation minutieuse qui caractérise surtout le
roman contemporain occupé de décrire un point dans
l'espace et une heure dans le temps. Art salutaire, certes,
et ingénieux, mais qui passe vite et qui, par cela même
que son influence comme son succès est éminemment
transitoire, ne peut prétendre à une dignité aussi haute.
Dans ses règles et dans sa réalisation, le symbolisme
semble en contradiction avec l'évolution moderne qui
recommande l'étude du milieu et sa description minu-
tieuse de telle sorte que le détail est l'objet principal de
son attention. Cette contradiction apparente importe
peu, la variété dans les manifestations étant la plus
salutaire, la plus vraie et la plus consolante des lois
artistiques. Mais au fond, ce n'est point par le dédain
des particularités qu'on arrive à concevoir un symbole ;
c'est, au contraire, par leur observation la plus péné-
trante; ce sont eux qui mènent l'esprit aux vastes
généralités, sauf que le créateur d'un type, après les
avoir dégagés et compris, les abandonne tout à coup
pour s'en tenir à l'ensemble qui les résume en une
unité magnifique.
L'œuvre symbolique est parfois obscure pour celui qui
la contemple pour la première fois. C'est inévitable. La
majorité des hommes est faite pour le menu des choses
bien plus que pour leur totalité. Dans tous les domai-
nes ce sont les lois que notre esprit perçoit en dernier
lieu. L'art spécial dont nous parlons, s'il est rare par la
rareté des génies aptes à le réaliser, est souvent atta-
qué par la difficulté qu'on éprouve à le comprendre. Il
est mystique, hiératique, parlant le langage d'un oracle,
plein, dirait-on, de sous-entendus, de pensées mysté-
rieuses, d'allusions au monde invisible. Les dernières
poésies de Victor Hugo contiennent des exemples mul-
tiples de ces œuvres énigmatiques dans lesquelles le
vulgaire ne se relti^ouve pas, niais qui, pour Je penseur,
ont une séduction étrange. L'inquiétude que ce vague
sacré éveille en lui est une sensation qu'il recherche et
qu'il est enclin à préférer à la précision des poésies plus
étroitement attachées à la terre. Il monte alors dans une
région faite de ténèbres et de perçants rayons de surna-
turelle lumière. C'est le symbolisme encore, mais non
plus celui à l'antique, s'incarnant en un dieu, en un héros
aux harmonieux contours. C'est celui de la pensée, du
rêve prophétique.. Nulle part nous ne l'avons trouvée
mieux caractérisée que dans une pièce des Quatre
Dents de Xesprit, ayant pour titre X Horreur sacrée,
que nous reproduisons comme exemple décisif de ce
genre spécial, apte à susciter dans l'âme le trouble de
l'inconnu. Le poète parle, on croirait entendre Ezéchiel :
Je suis fait d'ombre et de marbre
Comme les pieds noirs de l'arbre,
Je m'enfonce dans la nuit,
J'écoute; je suis sous la terre
D'en bas, je dis au tonnerre :
.^ Attends! ne fais pas de bruit,
Moi qu'on nomme le poète, '
Je suis dans la nuit muette
L'escalier mystérieux.
Je suis l'escalier Ténèbres,
Dans mes spirales funèbres
L'ombre ouvre de vagues yeux.
Les flambeaux deviendront cierges.
Respectez mes degrés vierges,
Passez, les joyeux du jour!
Mes marches ne sont pas faîtes
Pour les pieds ailés des fêtes,
Pour les pieds nus de l'amour.
Devant ma profondeur blême
Tout tremble, les spectres même
Ont des gouttes de sueur.
Je viens de la tombe morte ;
J'aboutis à cette porte
Par où passe une lueur.
Le banquet rit et flamboie.
Les maîtres sont dans la joie
Sur leur trône ensanglanté ;
Tout les sert, tout les encense,
Et la femme à leur puissance ,
Mesure sa nudité.
Laissez la clef et le pêne.
Je suis l'escalier ; la ]\e'me
Médite; l'heure viendra.
Quelqu'un qu'entourent les ombfes
Montera mes marches sombres
Et quelqu'un les descendra.
Ne dirait-on pas d'un oracle sorti de Delphes ou
d'Endor, écrivait Emile Verhaeren, citant lui aussi
cette pièce extraordinaire? Cette poésie toute d'obscu-
rité, communiquant Teffroi mystérieux et terrible,
accablante comme l'horreur, tragique comme le
châtiment, est un colossal effort du génie épique
pour franchir les limites de l'humain. Cela semble écrit
depuis des siècles sur l'airain par quelqu'un d'inconnu ;
cela vient d'au delà des temps et des espaces, menaçant
et tranquille, et sûr, et immuable; chacun de ces
treïite-six vers contient comme une fatalité, comme un
poids de ^engeance. Ils incarnent l'éternité, ils ont des
sonnances de bronze, ils cortègent dans l'escalier
Ténèbres avec des lampes portées par des mains de fer;
ce sont des ombres formidables écrivant on ne sait quel
Mané Thécel Phases sur des murs de nuit.
Il nous fallait parler de ce symbolisme mystique pour
arriver à nos symbolistes d'aujourd'hui. Ils ont subi la
séduction âpre et souveraine de cette poésie surhu-
maine. Et ils ont essayé de la réaliser à leur tour. Mais
leurs mains furent trop faibles pour manier ces outils
de géant. Comment leurs efforts impuissants les ont
induits à se confiner dans cfe qu'ils nomment le symbo-
lisme ésotérique^ ce que cela veut dire et pourquoi
nous le considérons comme une maladie^ c'est ce que
nous exposerons dans un prochain article.
PlBUOQRAPHIE
Léon Gladel et sa kyrielle de chiens.
Rien de ce qui touche les artistes de marque ne doit être
étranger à la critique, l^s chats qu'il ^âîiyiait traversent la poésie
de Baudelaire et y mettent leur fôlinité. L'amour que Gautier
éprouvait pour les souris blanches convient à l'auteur de cer-
taines strophes d'Emaux et Camées ^ et Léon Cladel, glorifiant les
chiens, donne une explication de son caractère.
Un artiste à sentiments primitifs, simples et rudes, comme
l'auteur de la Fête de Saint-Bar tholomé-porte-glaive^ des Va-nu-
pieds et de Crête-Rouge, doit aimer surtout les chiens. C'est dans
l'ordre. La fidélité, la tendresse, la bonté, le dévouement, la vigi-
lance, la reconnaissance, toute l'âme rudimentaire de l'homme
habite en eux.
Léon Cladel, qui a traversé l'enfer parisien sans se brûler le
cœur et qui a laissé se survivre en lui son âme d'enfant, s'aime en
eux, et ce n'est que justice qu'il les célèbre avec toute une exal-
tation de poète, lui, le chanteur des humbles, des courbés, des
méconnus, des écrasés et des héros.
Toute sa vie son amour pour les chiens l'a fait cohabiter avec
un chien. C'est donc cette vie à deux qu'il raconte. Le présent
livre n'estqu'unc première série; plus tard nous serons mis au fait-
d'autres romans et les aventures et les histoires continueront jus-
qu'au temps où nous sommes, temps heureux où le maître se
montrera tel qu'il nous est apparu, le jour où il nous a été donné
de l'approcher et de Taimer : roi chevelu assis dans un "fauteuil,
flanqué à droite et à gauche de deux chiens superbes comme ces
princes de races barbares sur leurs sièges de chône où deux têtes
de dogues sculptés se hérissaient k chaque angle du dossier.
Le premier compagnon dont Cladel se souvienne est celui qui
aboyait autour de son berceau, le bien nommé Carabi; puis
Quasca, le farouche gardien de M ontauban-tu-ne-V auras-pas ;
ensuite Sévère ; ensuite Torrent et Montagne ; et encore César ; et
enfin Monsieur Touche. La biographie de ce dernier prend plus
de la moitié du livre.
Tous ces chiens ont une physionomie, une note, un caractère ;
tous sont grandis et comme magnifiés. Cladel leur donne h. foison
les suprêmes dons, les vertus profondes ; ce sont. des chiens cou-
lés dans le bronze de son art, ce sont des chiens nimbés.
11 n'est fait exception que pour Monsieur Touche. Celui-ci
n'est pas un Dieu,, mais simplement un homme, — ^ il a des
défauts. i'
Et son odyssée est superbe h ce gringalet, à ce diablotin, à ce
tant choyé, tant drôle, tant funambulesque lîichon, qui trimballe
et noctambule dans les équipées bohèmes, qui dort dans les sou-
pentes et pissé dans les gouUières, qui mange du vent et boit de
la pluie, qui brûle^ en vrai Parisien détraqué sa vie de chien —
c'est bien le terme — et reste néanmoins joyeux, jappant, télé--
graphianl de la queue, tricotant son petit trot â la suite de son
maître, par la boue, par les bises, par les gelées, par les
automnes et les hivers, toujours, toujours, toujours. Ah ! les
misères qu'il pratique, la vache enragée qu'il happe, l'existence
de hasard qu'il souffre! Et néanmoins il a ses consolations, ses
joies luronnes, ses^ franches lippées d'amour. Et cela, non pas
avec des chiennes que diable! mais avec de génies femmes qui
jettent en son honneur leur bonnet par dessus les moulins. Où
les plus fringants des jeunes étudiants sont rabroués, lui, le sul-
tan triste-à-pattes, se pavane en vainqueur, et, qui plus est, là
où Cladel n'ose entreprendre le siège, lui, le don Juan, entre tête
haute et profite de la victoire pour imposer son maître.
Ainsi vit-il. Quanta sa mort?...
Un soir, Cladel reçoit un billet de galerie. Il court applaudir
Hugo, désolé de ne pouvoir amener son chien, mais confiant
Monsieur Touche à son meilleur copain. Les recommandations
les plus chaudes ne font défaut. La garde de l'animal est chose
sacrée, c'est une preuve de confiance excessive, d'amitié, de frère
à frère.
Hélas!
Le copain n'avait pas mangé, il avait une maîtresse qui se
fichait bien de la vie d'un chien et de la colère d'un maître.
Le chien est vendu et tué pendant la représentation.
Pauvre Monsieur Touche !
La tristesse, le désespoir, le remords, la colère, la rage, qui
les notera dans le cœur du pauvre Quercynois berné, volé,
perdu?...
Toute cette histoire est menée à merveille. Le grand style de
Cladel, à la fois familier et fier, populaire et épique, trivial et
grand, s'assouplit dans cette naïve, tendre et originale scène de
la vie, sans perdre son allure emportée et son pas intrépide. Dans
chaque phrase, longue comme un défilé, les mots d'origines
, diverses, les mots en blouse, les mots en burnous, les mots en
peplunn, les mois en colle de mailles, les mois en toges, tous
passent et l'on entend l'auleur qui sonne la charge, el le tambour
qui bat, et le canon qui tonne et, par dessus tout, flottent des
drapeaux, dos pennons, des oriflammes, comme s'il s'agissait de
monter à l'assaut de quelque superbe bastille.
La Kyrielle de chiens est un des meilleurs livres de maître
Léon Cladel.
J.A $ITUATION MUSICALE EN i^ELQIQUE
Le Guide musical publie sous ce litre, dans ses derniers numé-
ros, de bons articles relatifs à l,a mauvaise orfranisalion donnée,
en Belgique, au dévoloppcmenl de l'art musical, à l'insuifisance
dos ressources, à l'absence de locaux pour les concerts. Nous
avons à mainles reprises fait campagne en faveur des idées pré-
conisées par le siiijnalaire des articles, sur la personnalité duquel
les initiales ne laissent guère planer d'équivoque. 11 s'agit d'un
amateur de musique délicat et très compélent. Voici quelques
observations extraites de son étude. Elles sont pleines de bon sens
et fixeront, espérons-le, l'attention publique»
Lii où commence le travail sérieux de l'artiste qui se recueille
pour chercher sa voie, à mesure que nous montons l'échelle de
l'art musical, le vide se fait. Il n'y a plus rien ou presque plus
rien et ceux qui dirigent l'éducation musicale des jeunes artistes,
après avoir trouvé qu'il convenait de demander des centaines de
mille francs pour les éludes primaires des jeunes musiciens, n'é-
lèvent pas même la voix pour réclamer le développcmenl du pro-
gramme d'éducation supérieure qu'ils ont tracé eux-mêmes, et
les administrateurs que nous chargeons de veiller à ce que nos
ressources soient réparties de manière à assurer une organisation
logique et complète dans le concours que le pays doit donner à
l'art, semblent ne pas se douter qu'ils se laissent mellro, par des
gens intéressés, dans la situation d'un père à qui son fils deman-
derait de faire des éludes de droit et qui payerait les frais de son
éducation jusqu'en quatrième latine. Ah! dira-t-on, vous oubliez
les festivals, les subsides aux concerts populaires! Eh bien! soit,
parlons-en. Les festivals, d'abord, ne comptent que dans une
mesure assez restreinte, puisqu'ils se résument en quelques
heures de musique par an et que, de plus, les organisateurs de
ces fêles, obéissant à des préoccupations financières qui domi-
nent toutes les autres à leur point de vue, négligent le choix logi-
que des œuvres dont je parlais pour céder à des considérations
dictées par les circonstances.
Je demande ensuite où se donnent les festivals el les concerts?
Procède-t-on pour eux comme on a procédé pour le Conserva-
toire de Bruxelles, par exemple? Leur donne-t-on une salle leur
appartenant à eux exclusivement bien qu'elle soit payée par tous ?
Les installe-t-on dans des conditions d'exécution semblables, en
mettant à leur disposition une salle appropriée comme dimensions
à la quantité de personnes qui ont l'iiabiludo de composer aussi
bien la moyenne des exécutants que celle des auditeurs de con-
cert, et pourvue de l'indispensable, parmi lequel figure tout
d'abord l'installation des orgues. Cherchons à Bruxelles la salle
de concerts que l'on pourrait comparer à celle du Conservatoire?
Nous ne forons pas l'injure à un seul musicien de lui laisser pro-
noncer le nom du Palais des beaux-arts, où l'on installe l'orches-
tre dans un vestibule, el les orgues au dessus d'une porte, au
milieu d'une série de galeries non fermées q^i donnent un peu
l'illusion d'un instrument placé au centre d'une place' publique.
Dans le vestibule du Palais des beaux-arts, jamais une œuvre n'a
pu arriver à être entendue dans des conditions convenables, à
moins d'être exécutée par un ensemble tout à fait extraordinaire
de cent instrumentistes et trois cents chanteurs au moins. Dans
ce même vestibule du Palais des beaux-arls, si vous ne consen-
tez à payer un prix fort, unique pour toutes les stalles, vous êtes
exposé à vous voir assis à 30 mètres de l'orchestre el à 40 mè-
tres de hauteur pour entendre la musique dans des galeries voi-
sines restées ouvertes à toutes les résonances, sans avoir les
jouissances de la vue qui ont leur prix également à côté de celles,
de l'ouïe dans une audition musicale. — Non, avouez que le
triste personnage qui a imaginé celte salle de concerts a sa place
toute marquée dans le Panthéon que Berlioz a ouvert aux gro-
tesques de la musique.
Est-ce à la porte d'un théâtre quelconque que Ton peut aller
frapper pour demander l'hospitalité alors que d'une part les
salles de spectacle sont encombrées par les travaux de leur ser-
vice quotidien et que l'on est obligé, lorsqu'on parvient à y
entrer, d'entasser au fond d'une scène encombrée de décors un
orchestre désormais privé de toute vibration el qu'enfin l'on est
privé de la grande voix de l'orgue à peu près indispensable à
toute importante exécution musicale.
On ne peut prétendre que j'exagère à plaisir; et à ceux k qui
leur ignorance de ces questions spéciales laisserait un doute
dans l'esprit, je conseille la lecture de l'Annuaire du Conserva-
toire d'il y a quelques années ; ils y trouveront développés avec
un talent el une autorité que je n'ai certes pas, les arguments en
faveur de la nécessité indispensable d'une salle de concerts con-
venable et munie de grandes orgues, lorsqu'il était question
d'établir celte salle au Conservatoire.
Donc à ces festivals el surtout à ces concerts populaires
chargés d'êlre l'expression de la musique moderne et de bien
d'auires choses encore, on ne donne pas même un local conve-
nable.
Et cependant, les propositions n'ont pas manqué. Le Gouverne-
ment n'a^ pas même été obligé de dépenser une initiative quel-
conque en cette matière, il s'est trouvé plusieurs fois des musi-
ciens faisant une offre acceptable. Il m'en revient, à l'instant,
une à l'esprit : c'est à l'administration communale qu'elle fut
faite. Au Waux-Hall, derrière le Cercle artistique, se trouve un
espace qui doit avoir aujourd'hui le privilège d'intéresser les
nombreux Belges devenus colonisateurs, puisqu'on l'appelle vul-
gairement l'Afrique. Un groupe de musiciens doublé de quelques
capitalistes offrait k l'administration d'y bûlir une salle de con-
certs complètement aménagée el dont le principal but devait être
de permettre aux Bruxellois d'entendre l'orchestre de la Monnaie
à l'abri pendant les soirées d'été pluvieuses (on dit qu'il y en a
chez nous). Et la ville â répondu... que le Parc était déjà insuf-
fisant aux promeneurs; or, qui de nous, se trouvant au Parc, a
jamais songea choisir ce coin du Waux-Hall comme but de pro-
menade? Et peut-on raisonnablement opposer pareille réponse à
une proposition aussi favorable pour le public déjà privé de plai-
sirs en été?
Je veux néanmoins passer sur ce point. Mais n'est-il pas évi-
dent que l'on reconnaît pleinement la nécessité d'une salle de
concerts à Bruxelles, puisqu'on a imaginé d'en faire la caricature
au Palais des beaux-arts. Eh bien ! celle nécessité n'imposait-elle
pas autre chose qu'une insiallalion ridicule dont la dépense peut
être considérée comme perdue?
Donc, pas de salle de concerts ! La musique s'installe où et
comment elle peut, ballottée aux exigences de l'exploitant du
théâtre qui a été un peu plus complaisant que les autres pour la
recevoir, et qui a même le mérite de s'occasionner une véritable
gêne en la recevant.
LA PRIMAUTÉ niSTOBIQUE DE L'ART LIITÉBAIBË
La poésie naquit en Grèce bien avant les arts du dessin.
L'épopée d'Homère et d'Hésiode a précédé de plusieurs centaines
d'années les premières œuvres de la plastique grecque qui aient
quelque beauté. Pendant les deux siècles que remplit le dévelop-
pement de la poésie lyrique, l'architecture, la sculpture et la
peinture sont encore bien loin du libre essor et de la perfection
savante. Seul, le drame attique, ce dernier-né de l'imagination
grecque, voit éclore auprès de lui et sous ses yeux les chefs-
d'œuvre de l'art.
La raison de ce phénomème est facile à saisir; dans les arts
du dessin, la matière oppose plus de résistance à l'idée que dans
les arts oii celle-ci se traduit par des sons. Cette dernière tra-
duction a quelque chose de plus direct, de plus spontané, de
plus rapide. Chez tous les peuples heureusement doués, alors
même qu'ils semblent posséder h peine les premiers rudiments
de ce que nous appelons la civilisation, l'esprit, maître d'une
langue dont les termes ont encore les vives et fraîches couleurs
de la jeunesse, ne se contente pas de disposer les mots avec une
justesse et une sûreté merveilleuses, dans l'ordre que lui suggère
l'émotion du moment, ordre que chercheront plus lard à imiter,
sans toujours y réussir, les écrivains de profession. De très
bonne heure, l'esprit fait plus et mieux encore; il devine les
secrets du nombre, il invente le rythme poétique ; il saisit du
premier coup toutes ces correspondances mystérieuses en vertu
desquelles tel concours de sons, tel changement de mètre a le
pouvoir de rappeler à l'âme certaines impressions physiques et
d'éveiller en elles certaines suites de pensées. Parmi toutes les
créations de l'homme la langue est la première qu'il conduise
à la perfection; toute compliquée qu'elle nous paraisse quand
nous venons aujourd'hui, par l'analyse scientifique, en démontrer
et en étudier les pièces, elle est le premier instrument, le premier
moyen d'expression dont il apprenne à se servir avec une libre
et gracieuse aisance. -
A première vue, nous pourrions penser qu'il a dû être plus
facile soit de modeler en argile une figure d'homme ou d'animal,
soit d'en crayonner la silhouette sur une muraille, que d'arriver
à créer la langue si simple et si colorée tout à la fois, le mètre
si noble et si souple dont disposaient déjà ces aèdes que nous
devinons, que nous entrevoyons derrière Homère. Il faut bien
croire..,p0urlant qu'il n'en est pas ainsi, puisqu'alors le génie
grec était encore incapable de revêtir d'une forme vivante, par
la peinture ou la scuplure, ces types supérieurs de force et de
grâce qu'avait conçus l'imagination des poètes et dont elle avait
fait les dieux et les héros. Supposez un contemporain d'Homère
qui se serait mis en tête de représenter les habitants de
l'Olympe tels qu'ils s'oifraient à lui dans les vers des poètes, de
figurer un Zeus ou un Apollon, une Aphrodite ou une Artémis ; que
sa main se fût armée d'un morceau de charbon ramassé parmi
les cendres du foyer ou que ses doigts eussent péiri et tourmenté
la terre humide, jamais il ne serait arrivé qu'à produire quelque
informe et grossière idole, aussi éloignée de la vérité et de la
beauté que ces barbouillages où s'essaie le crayon maladroit d'un
enfant de six ans. La plastique repose sur un certain nombre de
conventions, et celles-ci se retrouvent, à qifelques variantes près,
chez tous les peuples qui ont un art digne de ce nom. Ces
conventions, l'artiste ne les propose et son public ne les com-
prend et ne les accepte qu'après bien des recherches et bien des
tâtonnements, au terme d'une longue éducation des yeux. Ainsi,
de tous les modes d'interprétation, celui qui se tient le plus près
de la réalité, c'est le modelage d'une figure en ronde-bosse;
il ne donne cependant que le contour, il supprime la couleur,
et, par ce côié, il demeure encore dans la convention. Pour
suppléer à ce qu'il élimine, il lui faut recourir à certains partis-
pris, renoncer à copier exactement le détail afin d'obtenir un
effet d'ensemble; voyez, par exemple, comment la sculpture,
dans le visage de l'homme, traite l'œil ou les cheveux ! Que
serait-ce donc si nous parlions du bas-relief, de la peinture,
enfin du dessin proprement dit, lequel, pour rendre la nature,
n'a ni l'épaisseur ni là couleur? avec un pou de noir sur du
blanc, il arrive pourtant à produire l'illusion de la vie, à distin-
guer tous les caractères de la forme, toutes les nuances de l'ex-
pression.
Lorsque l'expérience a découvert et que la pratique a coordonné
tous les procédés dont la réunion compose les arts plastiques,
lorsqu'une entente s'est établie sur ce terrain ^ntre l'artiste et
son public, lorsque celui-ci sait saisir la valeur du trait le plu-s
léger et de quelques ombres à peine indiquées, il paraît étrange
qu'il ait fa.llu tant d'efforts et de siècles pour obtenir des résul-
tats qui semblent si simples. Force est pourtant de se rendre
au témoignage des faits. La loi que nous venons de rappeler
ressort de toute l'histoire du génie grec. Or, de tous les grands
peuples qui ont concouru à l'œuvre de la civilisation occidentale,
le peuple grec est celui dont l'évolution a été la plus régulière,
la moins troublée par l'intervention perturbatrice des forces du
dehors. A prendre celte race dans son ensemble, comme un être
collectif, les différents états de l'âme, avec les œuvres par les-
quelles ils se manifestent, les différentes phases de la vie et de
la production s'y succèdent dans l'ordre même qui préside au
développement de l'individu, lorsque celui-ci est placé dans des
conditions normales. En Grèce, chaque fruit paraît et mûrit en
sa saison. Celte avance que, chez les Grecs, ce peuple si bien
doué pour l'art, la poésie a prise sur la plastique, n'est donc pas
la conséquence d'un accident et d'un hasard; il y a là l'effet
d'une loi que l'histoire de la Grèce suffirait à constater; mais que
l'on aura l'occasion de vérifier ailleurs encore, à mesure que l'on
"connaîtra mieux le passé de l'humanité.
Toul ce que nous avons dit de l'art s'applique, dans une cer-
taine mesure, à Tludustrie. Celle-ci ne se propose pas, comme
l'art, d'exprimer des idées; elle ne vise qu'à satisfaire des besoins
physiques; mais si, dans la production industrielle, l'etTort a
changé d!objet, c'est encore sur la matière qu'il s'exerce; c'est
toujours elle que l'homme doit dompter, assouplir et façonner,
qu'il veuille modeler une statue ou qu'il s'applique à se loger et
à se meubler, à s'armer, à se parer et à se vêtir. Dans l'un et
l'autre cas, il faut tailler la pierre ou le bois, pétrir, tourner et
cuire l'argile, fondre et ciseler le métal. Le moindre ouvrage de
ce genre suppose la connaissance de procédés techniques dont
chacun représente un long travail de rinlelligence, toute une
suite dé découvertes dues à des inventeurs qui, pour n'avoir pas
laissé de nom dans la mémoire des hommes, n'en ont pas moins
fait preuve d'autant de génie que ,les Gutenberg, les Papin, les
Watt et les Edison. A celui qui la possède, une recelte de celte
espèce assure de tels avantages qu'il y a un intérêt capital à se
l'approprier; c'est tout de suite une prodigieuse épargne de peine
et de temps, la vie rendue plus aisée et plus douce, un notable
accroissement de richesse et de puissance. Dès qu'il en trouve
l'occasion, un peuple n'hésite donc pas; il s'empare avec avidité
de tout ce que peuvent lui fournir, en ce genre, des voisins plus
avancés; il commence par consommer les produits ouvrés qu'on
lui livre, puis bientôt, dès que les relations deviennent plus
étroites, il aspire à deviner le mystère des façons et des tours de
main ; en regardant travailler, il's'essaie à dérober tous les secrets
du métier. S'il a d'heureuses dispositions et que les circonstances
le favorisent, l'élève pourra plus tard dépasser ses maîtres; mais,
chez ceux mêmes qui ont marché le plus vile et qui sont allés le
plus loin, il y a toujours eu, au début, une période plus ou moins
prolongée au, dans l'art comme dans l'industrie, on n'a su mettre
la matière en œuvre que d'après les types et par des procédés
d'emprunt.
Il n'en est pas de même pour la langue; sauf chez certaines
races très inférieures, celle-ci peut, presque toujours, en se déve-
loppant, se prêter à l'expression de toutes les idées et dé tous leg
sentiments; c'est pourquoi, mis en présence d'une civilisation
même très supérieure, un peuple ne songe pas à désapprendre
son propre idiome; à mesure qu'il éprouve des besoins nouveaux,
il se contente d'assouplir son instrument et d'en compliquer le
jeu, d'ajouter des notes à ce clavier dont toutes les touches
s'ébranlent et résonnent au moindre souffle de sa pensée. C'est
ainsi que, grâce à la spontanéité de la parole et à la facilité avec
laquelle l'esprit la projette au dehors, le génie grec put, dès le
X® ou le ix*" siècle avant notre ère, créer V Iliade et VOdyssée. Ces
deux épopées sont des ehefs-d'ceuvre dont rien n'approche, dans
tout ce que nous connaissons des littératures de l'Egypte et de la
Chaldée. Les orientalistes ont beau nous traduire et nous vanter
le Poème de Penta'bur et la Descente d'Istar aux enfers; s'il y
a là, surtout chez le panégyriste de Ramsôs, du souffle et de la
grandeur, comme l'épopée grecque est supérieure par là belle
ordonnance et l'ampleur de sa composition, par la variété des
tableaux, par la vie intense dont sont animés les personnages,
enfin et surtout par la franchise et la noblesse de sentiments qui^
après tant de milliers d'années, trouvent encore un écho dans nos
cœurs! La Grèce est donc, dès lors, en pleine possession de sa
haute et souveraine originalité. A la même époque, son industrie
est encore dans l'enfance; son art ne s'élève guère au dessus de
l'ornement géométrique, sauf quand il travaille à copier plus ou
moins gauchement des types et des motifs d'origine orientale (1).
MEMENTO DES EXPOSITIONS ET CONCOURS
Verviers. — Ouverture 23 août. Délai d'envoi : du 10 au 17 août.
Gratuité de transport (aller et retour sur le territoire belge) pour
les œuvres des artistes belges ou étrangers innées (petite vitesse n»?).
Anvers. — Concours pour le monument d'Henri Conscience. Base
du monument : S'^^S de longueur sur S'^jTS de largeur. S'adresser
au Comité central, au Musée Plautin. , .
Nice. — Concours pour le monument de Garibaldi. Projets reçus
jusqu'au 30 novembre. Deux primes (1,500 et 1,000 francs) sont
allouées aux auteurs des deux meilleurs projets non adoptés. Coût
total du monument : 70,000 francs.
Prix du Roi. — Concours de i886, 1887 et 1888. — Un arrêté
royal du 20 avril courant porte que le prix à décerner en 1886 (con-
cours exclusivement belge) sera attribué à l'ouvrage le mieux conçu
pour développer chez la jeunesse belge l'intelligence et le goût des
littératures anciennes et modet nés. x^
Le prix à décerner en 1887 (concours ©\clusivement belge) sera
attribué à l'ouvrage qui démontrera le mieux de quelle manière la
Belgique doit comprendre son rôle dans la grande famille euro-
péenne, tant au point de vue politique et intellectuel qu'au point de
vue matériel, pour servir le mieux ses propres intérêts eu même temps
que ceux de la civilisation en général.
Le prix à décerner en 1888 (concours exclusivement belge) sera
attribué au meilleur ouvrage sur l'enseignement des arts plastiques
en Belgique et sur le moyen de développer l'art en Belgique et de le
porter à un niveau de plus en plus élevé.
Les ouvrages destinés à ces concours devront être transmis au mi-
nistre de l'agriculture, de l'industrie et des travaux publics, àsavoir:
pour le prix à décerner en 1886, avant le 1er octobre 1886, et pour
les deux autres, respectivement avant le 1er janvier Jes années 1887
et 1888.
Concours poétique du midi de la frange. — XXX Ve concours
(15 août-1" décembre 1885). — Vingt médailles en or, argent,
bronze. Demander le programme à M. Ev. Garrance, président du
Comité, 6, rue du Saumon, à Agen (Lot-et-Garonne).
Vienne. — Concours pour l'érection d'un monument à Mozart.
La place sur laquelle doit être élevé le monument n'étant pas
encore déterminée par la municipalité, le concours reste ouvert.
t
(1) Extrait d'une étude de M. Georges Perrot, païue dans la Revue des Deux
Mondes du 15 juUlet dernier.
ETITE CHROJ^lIQUf:
^ M. Henri Heuschling, l'excellent baryton, donnera demain lundi,
à Ostende, un concert dont il fera seul les frais. La tentative est auda-
cieuse, mais le talent et la réputation de l'artiste sont tels que la réus-
site est certaine.
Voici le programme de cette intéressante audition :
1. Air dlllérodiade, Massenet. — 2. a. Avec tes yeux mignonne,
Lassen; b. Te souviens-tu? Godard ; c. La vie d'une rose, Massenet.
— 3. Biondina, poème de Gounod (lesl2 chants). — 4. Scène du
concours de Tannhaûser, Wagner*. — 5. «. Chanson de Florian,
Godard ; b. Les enfants, Massenet. — 6. Le rêve du prisonnier, Ru-
binstein.
Mercredi dernier il nous a été donné d'applaudir au Waux-Hall la
charmante chanteuse qui a nom Angèle Legault et qui a été tant
fêtée au théâtre de la Monnaie pendant la dernière saison.
L'administration des concerts du Waux-Hall s'est assuré le con-
cours de M"e Legault pour une nouvelle audition qui aura lieu dans
le courant de la semaine.
Nous apprenons que le théâtre du Parc rouvrira ses portes le
5 septembre prochain avec des représentations qu'y donnera
Mlle céîine Chaumont.
Nous lisons dans le Ménestrel : *
On a donné récemment au Théâtre-Social, de Trieste,la première
représentation de la Guardia al morte, opéra nouveau du maestro
Chiappani, dont un journal de Milan, Asmodeo, enregistre discrète-
ment le succès en disant, sans plus de détails, que m la musique a
été jugée de bonne facture et riche d'inspiration »».
Le maestro Luigi Canepa, auteur de trois opéras qui n'ont pas été
sans obtenir quelque succès, en écrit en ce moment un quatrième,
dont le poème, qui représente un épisode de l'histoire de Florence
au temps des Médicis, lui a été fourni par M. Eurico Costa. Cet
ouvrage, qui est en quatre actes, aura pour titre : In camavale.
VÀiRT MODERNE
275
EI^lsTE
EST ENTRÉ DEPUIS LE V JANVIER 1885 DANS SA CINQUIÈME ANNÉE
L'ART MODERNES s'est acquis par rautorité et l'inxlépendance de sa critique, par la variété de ses
informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune manifestation de l'Art ne
lui est étrangère : il s'occupe de littérature, de peinture, de sculpture, de gravure, do musique,
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouvement artistique belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur tous les événements artistiques de l'étranger qu'il importe do connaître.
Chaque livraison de l'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'actualité. Les expositions, les livres nouveaux, les
premières représentations d'œuvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires , les concerts, les
ventes d'objets d'art, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées.
L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. Il rend compte des
procès les plus intéressants concernant les Arts, plaides devant les tribunaux belges et étrangers. Les
(artistes trouvent toutes les semaines dans son Mémento la nomenclature complète des expositions et
Opncours auxquels ils peuvent prendre part, en Belgique et à l'étranger. Il est envoyé gratuitement à
l'essai pendant un mois à toute personne qui en fait la demande.
L'ART MODERNE forme chaque année un beau et fort volume d'environ 450 pages., avec deux
tables des matières, dont Vunc par ordre alplïahétique, de tous les artistes appréciés ou cités. Il constitue pour
l'histoire de l'Art le document LE PLUS COMPLET et le recueil LE PLUS FACILE A CONSULTER.
PRIX D'ABONNEMENT
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276
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Adresser les demandes d'abonnement et toutes les communications à ' -
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?
OMMAIRE
Edouard Agneessens. — Le chemin des étoiles, par Armand
Sylvestre. — Essai de pathologie littéraire. Les Symbolistes
ésotériqices. — Lettres de Londres. L'exposition inteiviationale
des inventions. — Livres nouveaux. Le Ccomavcd de Nice, par
Durantin ; Ce que coi'itent les femmes, par Jules Rouquette; Pifs
et vallées, par Lafagette. >,
EDOUARD AGDfEESSEKS
Edouard Agneessens vient de mourir. Depuis plu-
sieurs années l'inspiration du peintre était brisée par
une aliénation mentale.
Il fut en Belgique un des représentants les plus bril-
lants de l'école qui, dans l'évolution artistique de ce
siècle, a remplacé le romantisme. Il avait déserté la
composition Imaginative pour s'en tenir à la réalité.
Peintre de figures, la partie dominante de l'œuvre
qu'il laisse se compose de portraits. Son art se caracté-
risait par un don exceptionnel de rendre les nuances
du coloris. Aussi a-t-il peint les chairs avec une déli-
catesse qui n'a été atteinte par aucun des artistes belges
de son temps.
Antérieur aux impressionnistes, il n'a pas eu le sen-
timent de la lumière que ceux-ci ont révélé. Il était
encore peintre d'atelier. Il ignorait le plein air. Plu-
sieurs de ses toiles poussent au noir.
Son œuvre n'est pas considérable. Il n'a pas eu le
temps de se manifester dans un épanouissement com-
plet. Un sentiment national très marqué se montre dans
tout ce qu'il a fait. Il n'y a pas le moindre relent de la
peinture française, mérite précieux que si peu chez
nous atteignent. Son coloris est d'une distinction raffi-
née, ses types sont franchement ceux de son pays.
Sa mort fait une brèche nouvelle dans l'école qui
était la jeune école il y a vingt ans et qui peu à peu s'ef-
face par la disparition de ses représentants ou par l'af-
faiblissement du talent de ceux qui restent. Ce phéno-
mène qui semble affigeant à quelques-uns, n'est qu'une
affirmation du caractère essentiellement évolutif de
l'art qui change toujours pour se renouveler sans jamais
recommencer.
Accoutumons-nous à cette idée, sachons clôturer une
école quand elle a donné son plein, et lorsqu'un artiste
comme Agneessens disparaît, louons son grand talent
mais sans convier les jeunes à l'imiter. Ge fut l'art d'un
temps qui n'est plus le nôtre. Il faut autre chose et il y
a autre chose. Ceux-là seulement qui se dégagent du
passé, et en eux-mêmes, comme dans leur milieu et
leur époque, cherchent du nouveau, sont doués du don
divin de l'originalité et marqueront dans lavenir.
par Armand Sylvestre.
C'est avec raison qu'Arma^ Sylvestre dédie son livre à la-
mémoire de Théophile Gautier, que Baudelaire et lui s'accordent
à proclamer le grand maître en rimes françaises.
La poésie du Chemin des Etoiles est toute en plastique, comme
colle d'Emaux €l Camées; c'esl h bcaulé grecque qui csl jjlacée
sur chaque strophe comme sur un trépied cisehi, c'est l'irrépro-
cliabie ligne, la proportion symétrique, la solennité sculpturale
qui dominerit chaque sonnet. Comme Gautier, Armand Sylvestre
ne doit point trouver d'idéal au delù de la Vénus de Wilo, comme
Gautier encore, dû fond de son rêve de poète, il doit regarder
Aihèncs, l'unique Athènes, émerger et dominer les horizons du
songe avec ses marées de tympans et d'acrolèrcs cl ses forêts de
colonnes et de portiques.
Pour certains écrivains, — Armand Sylvestre est de ce nombre,
— la poésie ne se conçoit qu'avec la lyre d'ivoin» entre les mains.
Elle est avant tout statue grandiose, dc'esse uiagniti(|ue. Kllc n"a
j)oint le pied assez banal pour fouler les |)avés et les trottoirs, les
asphaltes et les macadams. Elle trouve son appui sur des images
qui volent ci des ailes d'oiseaux étendues.
Au surplus, celle préoccupation d'esthétique pure et marmo-
réenne n'esl-cllc point inévitable pour tout artiste vigoureusement
chauffé de sang latin et (jui chante comme Armand Sylvestre :
Sang latin! sang vermeil! sang fait du sang des vignes!
Sang rouge et triomphant qui portez à la chair
L'ambrevivant des tons et la splendeur des lignes!
0 sang de mes aïeux, doux, héroïque et fier!
C'est \i\ l'explication, seule possible de cet entêtement dans
l'antique, si profond et si exclusif. Quoi qu'on dise, le milieu
parisien ne poite point à ccJXp persistante inspiration et si c'est
le rêve despotique qui rejette les rythmeurs contemporains en
arrière, au delà des siècles, il est étonnant que ce rêve ne dévie
jamais du chemin d'Athènes. Depuis Leconte de Lisle, qui donc
ne s'aperçoit point que le plus large champ du songe mytholo-
gique et plastique c'est, non pas la Grèce, mais l'Inde, mais
l'Egypte, mais la Perse.
Le présent volume est de la même famille que les autres
d'Armand Sylvestre. Il dénote un culte très pur de la forme et
une magnifique entente de l'amour charnel. La chair est apo-
théôsée, baisée de rayons, ornée de fleurs, nimbée d'étoiles ; elle
'se lève sur des fonds glorieux et triomphants, superbe el divine,
hissée au sommet d'un autel impérissable sur lequel le poète
allume comme des feux, ses rimes et ses strophes, devant lequel
il se met à genoux, prêtre enchaîné à. son culte avec les chaînes
éphémères des tendresses terrestres, tour à tour gémissant et
consolé, dédaigné et implorant, douloureux et vain(|ueur. Tel est
le thème des l'endresscs perdues, de Te Deum, des Visions, des
Anniversaires et du Dernier vœu.
Le public, qui ne connaît l'auteur que par Gil Blas et ignore
quelles superbes pages il a écrites dans la Gloire du Souvenir,
s'étonne qu'il n'y ait qu'un Armand Sylvestre et croit fort à un
dédoublement.
Quoi Laripèle, Lekelpudubec, Pipioli et toute leur lignée ont
le même père que Judith, Kundry et Simèthe ?
Armand Sylvestre s'est donné la peine d'expliqu( r celle dua-
lité dans un parfait sonnet : .
Du rythme à la voix d'or uniquement épris,
Des lèvres seulement je lui fus infidèle.
Et la Muse a bien su que, même éloigné d'elle,
A ses seules faveurs j'attachai quelque prix.
J'en sais qui cependant me tiennent en mépris
Pour avoir du grand ciel, descendant d'un coup d'aile,
Des vieux conteurs gaulois poursuivi le modèle :
J'en sais, mais n'en suis pas affligé, ni surpris.
, A rua feinte galle je trouve plus de charmes, *
Puisqu'aux indifférents elle a caché mes larmes :
Je porte leiir dédain sur un front triomphant.
Car c'est pour ceux-là seuls que j'ai tenté d'écrire
Qui savaient bien trouver, même au fond de mon rire.
L'idéal éperdu qui pleure et me défend.
Ce sonnet donne bien la clef de nos joies modernes, qui toutes
sont des masques et des hypocrisies.
Nous n'aimons plus la joie pour elle-même, mais uniquement
parce qu'elle fait oublier ou parce qu'elle repose l'esprit de sa
fondamentale tristesse. Noire joie est nerveuse, excessive, outran-
cière; elle nous vient par saccades, par irruptions, |)ar décharges
électriques; elle grimace. Jadis, qxwnd la certitude habitait les
intelligences et que le cerveau humain se reposait dans les
croyances, la gaîté devait s'épanouir hardiment et le rire sonner
franc et ne iamais "rincer.
Aussi, quel (|ue soit le talent comique dépensé à fixer dans
leurs allures grotesques les Lekelpudubec et les Laripèle, encore
est-il que ci et là les Contes s'assombrissent, que leurs entrées en
matière sont quelquefois mélancoliques et que, pour les clair-
voyants, il n'était pas nétîessaire qu'Armarid Sylvestre fît ce qua-
torzain qu'il rubrique Ma défense, afin de mettre en lumière sa
vraie nature.
Au cours du livre dont nous avons tâché de qualifier le mérite,
plusieurs sonnets de fort belle marque s'étalent. Puis arrivent
deux poèmes dialogues dont le premier, Sapho, est magnificiue.
Citons un sonnet :
Voici l'heure où le jour vers l'horizon recule
Vague, léchant les bords du ciel et les frangeant.
Comme un reflux lointain, d'une écume d'argent
Où l'are des parfums dans l'air tiède circule.
Sous le frémissement léger du crépuscule+_ i_
Vapeur que le soleil fait monter en plongeant,
Sur la colline obscure, apparaît, émergeant,"
Quelque temple oublié de Diane ou d'Hercule.
Et le recueillement des choses^ sous les cieux
Autour de ce grand bloc, morne et silencieux,
Semble encor l'entourer d'un culte solitaire.
Les mythes glorieux se sont éteints, pareils,
Dans leur chute, aux déclins augustes des «oleils
Dont la clarté longtemps flotte encor sur la terre.
ESSAI DE PATHOLOGIE LITTÉRAIRE ( )
LES SYMBOLISTES ËSOTËRIQUES
Venons-en à ces êtres bizarres, malades restés
incompréhensibles jusqu'au moment où, en ces der-
niers temps, l'un d'eux s'est chargé d'expliquer,
dans un journal paiisien, la nature de l'affection qui
déroutait les symptomatologistes les plus pénétrants. Il
va sans dire qu'il s'est vanté de son mal comme d'un
insigne honneur qu'il devait à sa volonté et à ses apti-
tudes littéraires. Une infirmité, allons donc? Une qua-
lité d'élection, une expression artistique nouvelle, une
(*) Voir nos n" des 19 et 26 juillet, 2, 9, 16 et 23 août i!?85.
porte ouverte sur un avenir jusqu'ici inconnu. Le mot
de l'énigme a été donné : c'est I'Esotèrisme.
Qu'est-ce que c'est que ça?
D'après les dictionnaires les plus accrédités, Fsolé-
rique, du mot grec esotéricos, intérieur, était la quali-
fication donnée dans les écoles des anciens philosophes
à la doctrine secrète réservée aux seuls initiés; son
i)\i\)0^è èidiii exotérique .
Bon. Mais quel rapport avec la poésie?
Voici. Quelques esprits, persuadés de leur nature
exceptionnelle et vraiment privilégiée, désolés d'avoir
affaire à la foule pignouffm-'de (pardon pour le mot,
mais quelques symbolistes ésotériques joignent à cette
haute qualité celle de verbolâtres néologistes), ont eu
l'idée d'organiser pour eux seuls un rite poétique secret,
quelque chose comme les mystères de la bonne déesse
ou de la franc-maconnerie. C'est très simple. Il suffit de
détourner les mots de leur sens ordinaire, de le retour-
ner par exemple, de convenir de certains signes, d'atta-
cher à la disposition des vocables une vertu spéciale,
de dresser un catalogue de ces conventions, de préférer
les plus biscornues parce que le mystère en est d'une
pénétration plus difficile.
C'est, comme on le voit, un jeu qui n'est pas neuf
dans son principe. Le bon vieux, langage des fleurs
l'avait ingénieusement appliqué, et plus récemment les
jeunes filles ont imaginé pour leurs amourettes celui du
mouchoir : Laisse tomber le mouchoir : je crois que
nous nous entendrons. — Le passer sur la joue : je
vous 'aime. — Le passer sur les mains : je vous dé-
teste. — Le plier : je veux vous parler. — Le jeter sur
r épaule droite : suivez moi. — Et ainsi de suite.
Chose singulière, mais connue, la pratique de ces
enfantillages aboutit rapidement à donner à ceux qui
s'y adonnent une confiance extrême dans leur efficacité.
Ils en deviennent fanatiques. Ils les préfèrent à la réa-
lité. Leur vague même et leur arbitraire prêtant à
toutes sortes de suppositions, l'imagination y vaga-
bonde, et pour peu qu'elle soit active, arrive à une
prolifération merveilleuse. Ce sont des effets de kaléi-
doscope. Les plus imprévues et les plus brillantes com-
binaisons de formes et de couleurs apparaissent. L'initié
les voit avec l'intensité de l'hallucination. Telle est
l'énergie du phénomène intellectuel qui se produit chez
lui qu'il vous mettrait en présence d'une page blanche
en affirmant qu'il y voit une poésie incomparable.
Jugez de ses transports quand sur cette page il y a
quelques strophes dans lesquelles un œil ordinaire ne
voit qu'obscurité et confusion. Il clame^lors, il inter-
pelle, il signale les beautés visibles pour lui seul, il se
monte le coup, il jubile, il rutile, il prend des airs
inspirés, et finalement éprouve une grande pitié pour
les infortunés qui, restés calmes devant son épilepsie,
persistent à dire : Je ne comprends pas.
Cette incrédulité universelle devrait, semble-t-il,
décider les initiés à garder pour eux leurs productions
])ythiques. On se demande, non sans raison, quelle rage
les prend de publier ce qui n'a de signification que pour
eux seuls, grâce à la clef des songes qu'ils gardent
jalousement. A cela ils répondent qu'ils s'amusent à
considérer les contorsions que leurs œuvres provoquent
et que plus l'impossibilité d'y voir quelque chose s'af-
firme, plus l'efficacité de leur école augmente. C'est à
titre d'épreuve qu'ils se font imprimer et le jour où
leurs secrets seraient pénétrés, ils changeraient le
système.
Nous sommes donc bien et dûment avertis. A moins
de se faire admettre dans la sacro-sainte congrégation,
il faut se résigner à ne rien démêler dans les oracles
versifiés que l'école de Floupette éjacule. C'est un lan-
gage hiératique fait pour les prêtres. Le commun des
lecteurs le doit accepter humblement comme articles
de foi, superbes mais indéchiffrables. S'il en était autre-
ment, ce ne serait plus du symbolisme ésotérique :
l'école serait détruite ! Or, rien ne serait plus fâcheux
que la destruction de l'école.
Elle nous donne, en effet, de bons moments et, s'il ne
s'agissait que de rire, il ne faudrait pas nous plaindre.
Mais il s'agit aussi de l'art d'écrire, et sans prétendre
corriger personne, spécialement les aliénés de la litté-
rature, on peut, vis-à-vis de soi-même, rechercher si ce
mouvement insolite mérite des égards, d'autant plus
qu'il y a toujours des floppées déjeunes singes en quête
d'un enrôlement, qui volontiers s'engagent dans le
bataillon des excentriques, à moins que la risée géné-
rale ne les en dégoûte. A ce titre, quelques réflexions
sur les faits et gestes de ceux qui trouvent qu'il y a
trop longtemps que l'on porte la tête au des&us des
deux épaules et qu'il faut tâcher de la porter sous le
bras, ne nous paraissent pas sans opportunité. Le /aeVe
autrement que les autres, manie qui procède de cette
haute qualité : le désir d'être original, mais qui en est
la perversion quand on l'allonge au point qu'elle n'a
plus ni consistance ni appui, sévit actuellement avec la
force d'une folie endémique et menace de donner au
Jeune monde littéraire tout entier la danse de Saint-Gui.
Précisons davantage pour ne laisser aucun équivoque,
sur les caractères du symbolisme ésotérique et mettre
dans tout leur relief ses étrange tés. Prenons un exem-
ple dans les Déliquescences. C'est une parodie, mais
dans les originaux mêmes nous n'aurions aucune peine
à trouver mieux ; nous l'avons démontré dernièrement
en citant deux morceaux, l'un de Bleucoton -Verlaine,
l'autre d'Arsenal- Malarmée. Mais mieux vaut, nous
semble-t-il, procéder in anima vili. L'épreuve n*en
sera que plus générale en restant aussi concluante.
Reprenons la fameuse pièce des Tœnias. Si c'est du
symbolisme ésotérique, elle aura deux sens, l'un pour
les profanes, l'autre pour les initiés. Elle aura même,
d'après la doctrine la plus perfectionnée, un troisième
sens, intermédiaire, pour une catégorie moins bête que
le vulgaire, mais pas aussi raffinée que les initiés. Ceci
c'est le fin des fins, disait Adoré Floupette, en clignant
de l'œil. Il faut même que le sens secret soit obscène,
par imitation sans doute des mystères antiques où se
passaient, en ce genre, des choses soignées, on le sait.
Quand on prend un modèle, on ne saurait lui être trop
fidèle.
Ceci posé, relisons : ,
Les tœnias
Que tu nias
Traîtreusement s'en sont allés.
Dans la pénombre
Ma clameur sombre ^
A fait fleurir les azalées.
û ■ '
Pendant la nuit
Mes longs ennuis
Brillent ainsi qu'un flambeau clair.
De cette perte
Mon âme est verte
C'est moi qui suis le solitaire.
Imaginez la Pythie de Delphes ou l'oracle d'Endor,
dont nous parlions à l'occasion de l'admirable pièce
symbolique de Victor Hugo, vaticinant en ces termes.
Les auditeurs devaient se dire. •' Attention. Ne nous
attachons pas au sens rigoureux. S'il fallait juger
d'après le langage vulgaire, cela ne voudrait rien dire
ou serait seulement comique. Mais se n'est pas cela du
tout. Il y a quelque chose là-dessous. Le tout est de le
dénicher. » — Et on se livrait alors à des interpréta-
tions multiples. On se mettait l'esprit à la torture. On
tournait et on retournait les mots et les phrases jus-
qu'au moment où l'on aboutissait à quelque chose de
raisonnable. Alors- on s'écriait : Ça y est! Et l'on agis-
sait en conséquence.
C'est ce qu'il faut faire avec la poésie symbolique
ésotérique. Cela devient même amusant après quelques
essais et rappelle le jeu : Cherchez le Bulgare. Les
amateurs de logogriphes peuvent remplacer avantageu-
sement par cet exercice celui des devinettes offertes à la
perspicacité des lecteurs des petits journaux. On pour-
rait même donner des primes.
Ainsi, supposez que, pour les initiés, les tœnias ne
soient pas l'intéressante anuélide que l'on ne connaît
que trop, hélas! mais le ver rongeur de Ta rime qui
tourmente intérieurement le poète. Le voici, qui ne lui
laisse pas de repos; il en sent les morsures et il s'en
plaint à un collègue lequel, peu crédule sur les voca-
tions poétiques, s'en moque. Le défaut d'encourage-
ment tarit l'inspiration du néophyte. Devenu stérile, il
s'adresse avec amertume à celui qui l'a méconnu, en
ces vers désormais limpides comme l'eau de roche :
Les tœnias
Que tu nias . .
Traîtreusement s'en sont allés.
Et comme il se désole de son impuissance et que ses
cris de détresse éveillent la compassion, il exprime ces
incidents en disant :
Dans la pénombre
Ma clameur sombre
A fait fleurir les azalées.
Pendant la nuit
Mes longs ennuis.
Brillent ainsi qu'un flambeau clair.
De cette perte
Mon âme est verte
C'est moi qui suis le solitaire.
Hein ! Qu'en dites- vous? Que parle-t-on d'obscurité ?
Il a suffi de deux mots d'explication pour dissiper les
brouillards. Prodige du symbolisme! Entendons-nous
sur le mot Tœnias, et le reste se lit comme un papier de
musique.
Mais ce n'est pas tout. Ceci est bon pour la moyenne,
pour les journalistes comme dit Floupette. Descendons
plus profond. Venons-en au troisième sens, celui qui
doit être contraire aux lois de la pudeur. Imaginez que
tœnias signifie ces dames, vous savez ces dames qu'on
a aussi nommées des pieuvres. Le symboliste érotéri-
que les aimait et les fréquentait, leur trouvant des
charmes savants. Son ami l'en blâme et conteste leurs
mérites. Furieuses, elles s'en vont en emportant indéli-
catement quelques souvenirs. Le poète se lamente et
embouchant son trombone, fait retentir les airs de
ses gémissements ce qui éveille les voisins et les met
aux fenêtres :
Les toenias-
Que tu nias
Traîtreusement s'en sont allés.
Dans la pénombre
Ma clameur sombre
A fait fleurir les azalées.
La solitude à laquelle il est maintenant livré le tient
éveillé.
Pendant la nuit
Mes longs ennuis
Brillent ainsi qu'un flambeau clair.
Ces insomnies ont des conséquences que ne démen-
tirait pas Chariot, l'intéressant jeune homme qui
s'amuse. Le poète exprime ce désolant dénouement et
son avilissement en ces vers précis :
De cette perte
Mon âme est verte
C'est moi qui suis le solitaire.
N'est-ce pas merveilleux ?
Eh bien, ces merveilles c'est le symbolisme ésoté-
rique qui les réalise. Et on ne lui en serait pas recon-
naissant?
Notis sommes loin, on le voit, du symbolisme dont
nous parlions danï'notre dernier numéro, de celui des
grands poètes, de celui qui attache à une œuvre le don
précieux de la durée, de celui qui donne ce caractère
de mystère tragique et grandiose, éveillant dans
l'âme la terreur de l'inconnu et le désir de le pénétrer.
Il ne s'agit plus de prophètes parlant en termes fatidi-
ques, maïs de petits malins s'en tendant entre eux grâce
à un code de niaiseries. Nous le disions, le point de
départ de cet avortement pitoyable a été sans doute la
séduction du symbolisme d'épopée que Victor Hugo a
si puissamment réalisé, que Leconte de Lisle continue.
Mais la difficulté de le réaliser est énorme, et les éso-
tériques, inaptes à y réussir, ont tourné court dans
l'étrange et ridicule tourbillon où ils exécutent leurs
évolutions de mouches. Comme pour toutes les autres
maladies littéraires que nous avons décrites, le point de
départ était normal, mais une déviation s'est faite
et l'infirmité a paru. Comme pour toutes les autres
maladies, on ne peut dire que leurs efforts ont été
complètement inutiles : ils ont ramené l'attention
sur ce genre qui fut si souvent condamné parce qu'il
paraît ténébreux, et l'exagération de leur obscurité aura
peut-être rendu à une partie des poésies du grand
créateur des Quatre Vents de V Esprit l'admiration
qu'on leur marchandait. Ils nous ont habitué, en effet,
à ne pas exiger comme une condition essentielle la
clarté immédiate de l'idée et la précision absolue de la
forme. .
J:>ETTF(E? DE JaONDRE?
L'exposition internationale des inventions.
Comme loul ce qui existe a bien dû être inventé quelque jour,
le lilre de la très intéressante exposition qui attire en ce moment
la foule à Soullî-Kensingion n'est qu'un euphémisme. C'est en
réalité d'une exposition universelle qu'il s'agit, mais le nom
étant quelque peu usé, les organisateurs en ont imaginé un
autre pour faire passer plus facilement la chose, qui est restée la
même. El voilà comment on trouve, étiquetés parmi les inven-
tions nouvelles, des chaussures en cuir verni, des pâtes alimen-
taires, des corsets à buses incassables et des gibus perfectionnés.
On y voit s'épanouir aussi toute la flore de l'industrie humaine :
les merveilles de rélcctricité, les engins de destruction les plus
pratiques (on remarque un modèle de canon propre à lancer cin i
cents projectiles par minute!) les plus récentes améliorations
apportées aux machines à vapeur, à la presse à imprimer, à tous
les appareils de fabrication imaginables. Une promenade dans les
immenses galeries dont la perspective s'enfonce à perte de vue est
aussi instructive qu'amusante, et l'on s'étonne, en présence de la
richesse, de la variété, de la grandeur de l'exposition, qu'elle ait
eu jusqu'ici si peu de retentissement sur le continent. C'est à
croire qu'on s'est abstenu en Belgique d'en parler de crainte de
faire dériver le fleuve de visiteurs que déversent à Anvers les
vacances.
Annoncée modoslemcnt, V Internalional inventions exhibition
est merveilleusement organisée et disposée. Les Anglais ont le
génie des expositions. N'est-ce pas à eux que revient l'honneur
d'avoir fait la première ? Us excellent à classer méthodiquement,
à présenter avec art les objets aux visiteurs, et ci leurs musées
sont des modèles d'ordre et d'arrangement, leurs expositions ne
le cèdent en rien, sous ce rapport, à ces derniers. Tout y est si
bien offert à l'examen que l'usage du catalogue est superflu et
qu'on passe, sans lassitude et sans ennui, des journées devant les
vitrines des exposants.
On y trouve tout, avons-nous dit. Même la cuisine, — qui n'est
certes pas une invention à dédaigner, — y occupe une place con-
sidérable. LaNatioiial training school ofcookery y brille au pre-
mier rang, en attendant son triomphe à l'exposition spéciale
qu'elle ouvrira en décembre et qui ne comprendra pas moins de
cent cinquante divisions, avec médailles d'or, d'argent et de
bronze pour chacune d'elles. Quelle fête pour le jury!
Mais ce n'est point de ragoûts ni de sauces que VArt moderne
a coutume d'entretenir ses lecteurs, et quelque attrayant que soit
ce savoureux sujet, force nous est de l'abandonner aux manuels
de MM. Gouff'é, Brisse et Caudcrlicr, qui sont les Codes et les
Lois usuelles de la cuisine. Sans doute, il y a de l'art à fricasser
un poulet ou à confectionner une omelette, mais c'est là un art
spécial qui n'a avec les autres que des affinités imparfaitement
définies. A moins toutefois d'y mettre les raffinements exquis du
peintre Whistler qui, lorsqu'il invite ses amis à déjeuner, fait
servir ses convives dans des assiettes du Japon dont il harmo-
nise les nuances avec la couleur des sauces et le ton des mets.
Chacun sait, d'ailleurs, que si l'autour, des Symphonies et des
Nocturnes est un des plus grands artistes de l'époque, il est aussi
le premier cuisinier de son temps. Qui ne connaît à Londres la
sauce Whistler, cette sauce d'un jnune si délicat et d'un goût si
parfait que nul, sauf le peintre, ne la réussit jamais? Il faut avoir
vu l'impeccable artiste, avec son dandysme suprême, le monocle
à l'œil, plus correct dans sa tenue que lord Brummel, occupé,
dans la partie de son atelier réservée aux prépiirations culinaires,
à trousser un perdreau ou à griller une tranche de saumon, pour
apprécier les liens qui unissent l'art de la poêle à celui de la
palette. Malheureusement, s'il n'est pas donné à tout le monde de
peindre comme Whistler, il est plus difficile encore d'égaler son
génie culinaire. Et c'est légitimement que le grand artiste a l'or-
gueil de sa science, tandis que la vanité que d'après la légende,
récemment démentie, Ingres lirait de ses connaissances musicales
faisait sourire!
Entrez, la nuit close, dans les jardins qui unissent aux vastes
salles d'Albert-Hall les galeries de Souih-Kensington et dans
les.quelles l'exposition déroule ses magnificences. Vous y jouirez
d'un spectacle imprévu et vraiment merveilleux. Dans le feuillage
assombri des arbres, des milliers de lampes électriques, enfer-
mées en des globes de couleur minuscules, s'embrasenl subite-
ment et suspendent des fruits inconnus dans la profondeur des
ombrages. Le long des allées sablées, dans les bordures des
parterres, sur la crête des roches artificielles où s'épanouissent
des bouquets de plantes grasses, un cordon de petites flammes
d'or pâle s'allonge, se recourbe, s'insimie entre les feuilles,
glisse parmi les brins d'herbe. Des fleurs lumineuses de nénu-
phars mirent dans les pièces d'eau leur corolle laiteuse. Au pied
du monument du prince consort bouillonne une cascatelle qui
se brise sur des flots de lumière pourpre et s'effrange en filets
cuivrés. Et pour servir de toile de fond à ce décor féerique, la
lourde coupole el les toitures vitrées d'Albcrl-Ilall se trarisfor-
lîîenl en un clin d'œil el découpent sur la sérénité du ciel une
silhnuetie incandescente. Les frises, les nervures des loils, les
ciulivs des fenêtres sont tracé? en traits élincclants. On croirait
voir, haussée ù dés proportions gigantesques, une image qu'un
enfant se serait consciencieusement appliqué à trouer de coups
d'épingle en suivant avec soin les contours du. dessin, et qu'on
aurait placée devant la flamme de quelque monstrueuse bougie.
Et la foule, qui a les puérilités et lés naïvetés des enfants,
s'amuse de ce spifclacle, tandis que dans un kiosque la musique
des Horsc-guards, bruyante et reletitissante, ébranle l'air de
l'éclat de ses cuivres.
Mais voici le bouquet. Au cehlre des jardins, une gerbe cou-
leur de sang jaillit brusquement, secouant dans la nuit une pous-
sière de rubis. Puis elle se teinte de vert, cl les èméraude ruis-
sellent. Elle emprunte aux topazes leurs reflets fauves, aux amé-
Ihvsles leurs feux violacés. Et d'autres fusées s'élancent, mêlant
dans un concert de nuances vives des scintillements de pierres
rares, se heurtant, se brisant en paillettes micacées, retombant
en poudre de diam"anls, rejaillissant en panaches argentés, en
pluie d'étincelles.
Cet étonnant feu d'artifice n'est autre qu'un jet d'eau éclairé
par des projections électriques et dont un mécanisme ingénieux
permet de varier à l'infini les combinaisons et les effets.
La foule bal les mains et trépigne. Et la lune, qui vient de se
montrer au dessus de la grosse horloge de South-Kensingtonque
domine une couronne d'un éclat incomparable, paraît si blafarde
et si lamentable en présence de ceternbrascmcnl universel qu'elle
s!empresse de se cacher dans les nuages. C'est, dans sa défaite,
le plus sage parti qu'elle ail à prendre.
Sans douLe n'est-ce pas une invention nouvelle que d'illuminer
un jet d'eau, et d<''jà on a pu admirer des applications nom-
breuses de celte ingénieuse trouvaille. Mais jamais, croyons-nous,
on n'y avait apporté une perfection aussi grande. Aussi avons-
-npus crû devoir lui consacrer quelques lignes.
Ceci dit, entrons à l'exposition musicale. Celle-ci fera l'objet
d'une prochaine lettre.
JnlVRE^ NOUVEAUX
Le carnaval de Nice, par Durantin. Paris, Monnier. — Ce
que coûtent les femmes, par Jules Rouquette. Paris, Mon-
nier. — Pics et vallées, par Lafagette. Paris, Lemerre.
Le carnaval de Nice, par Armand Durantin, est une œuvre de
romancier habile, sachjjnt son métier au bout des doigts. On sait
combien retentit dans le high-life la marotte carnavalesque que
chaque hiver, sous ua soleil d'été, agile la folle ville de Nice, là
bas, au loin, près des acacias.
M. Durantin noue un drame conjugal assez sombre aulour de
cette joyeuse et retentissante marotte, ce qui ne l'empêche de
détailler, avec charme, les mille et mille noies joyeuses de la
fête niçoise. Un chapitre tout entier est consacré à la bataille des
fleurs el à la bataille des confetii.
Ce que coûtent les femmes^ porte la signature de Jules Rou-
quette.
Ce roman est fait sur les clichés d'antan. Une Gorgorza quel-
conque, type très usé de femme galante traverse le drame et finit
par retrouver vers la fin, «on enfant^ son unique enfant, André.
C'est comme on voit du très vieux romantisme assaisonné de
quel(|ues piments modernes pour ôter le goût rance et moisi du
volume.
Autant le Carnaval de Nice se laisse lire, autant Ce que coûtent
les fenunes domimde d'ciïons.
.' ' '^ •
Pics et vallées, de Raoul Lafagette est de la poésie provinciale
et de terroir. . '
Comme Rollinal célèbre le Berry, Gabriel Vicaire la Bresse,
Jean Aicard la Provence, M. Raoul Lafagette s'est donné pour
mission d'exalter les Pyrénées.
Dans mort pays enchanté
On respire en liberté
— La montagne est grande —
On respire à pleins poumons -
L'air vivifiant des monts, . .
Un air de la rande
C'est parfait; néanmoins, qu'il nous soit permis d'insinuer que
l'exaltation de M. Raoul de Lafagelle s'égare quelquefois et.qu'en
magnifiant l'ours par exemple, il mérite que la bêle lui jette son
pavé. .
Gloire à l'ours
X Qui marche a pas lourds !
Gloire à la bêle qui va seule !
Gloire à ses reins poilus que nul n'a vus plier!
Gloire à sa patte, fort pilier,
Gloire à sa gueule!
Trop d'Hosannas, — c'est dangereux.
M. Lafagette embouche avec plus de bonheur le galoubet. A
preuve : ' ^ _ .
Les cascades échevelées
Tombent du ciel dans les vallées,
Creusent le roc en entonnoirs,
Fouettent la ronce qui s'efTare,
Et sonnent leur blanche fanfare
Pour égayer les sapins noirs.
Voilà une bonne strophe qui console de celle dédiée à l'ours.
MEMENTO DES EXPOSITIONS ET CONCOURS
Anvers. — Concours pour le monument d'Henri Conscience. Base
du monument : 5"', 15 de longueur sur 3"', 75 de largeur. S'adresser
au Comité central, au Musée Plantin.
Nice. — Concours pour le monument de Garibaldi Projets reçiis
jusqu'au 30 novembre. Deux primes (1,500 et 1,000 francs) sont
allouées aux auteurs des deux meilleurs projets non adoptés. Goût
total du monument : 70,000 francs.
Prix du Roi. — Concours de 1886, 1887 et 1888. — Un arrêté
royal du 20 avril courant porte que le prix à décerner en 1886 (con-
cours exclusivement belge) sera attribué à l'ouvrage le mieux conçu
pour développer chez la jeunesse belge l'intelligence et le goût des
littératures anciennes et mode: nés.
Le prix à décerner en 1887 (concours exclusivement belge) sera
attribué à l'ouvrage qui démontrera le mieux de quelle manière la
Belgique doit comprendre son rôle dans la grande famille euro-
péenne, tant au point de vue politique et intellectuel qu'au point de
vue matériel, pour servir le mieux ses propres intérêts eu même temps
que ceux de la civilisation en général.
Le prix à décerner en 1888 (concours exclusivement belge) sera
attribué au meilleur ouvrage sur l'enseignement des arts plastiques
en Belgique et sur le moyen de développer l'art en Belgique et de le
porter à un niveau de plus en plus élevé.
Les ouvrages destinés à ces concours devront être transmis au mi-
nistre de l'agriculture, de l'industrie et des travaux publics, àsavoir:
pour le prix à décerner. en 1886, avant le 1" octobre 1886, et pour
les deux autres, respectivement avant le l^r janvier des années 1887
et 1888.
Vienne. — Concours pour l'érection d'un monument à Mozart.
La place sur laquelle doit être élevé le monument n'étant pas
encore déterminée par la municipalité, le concours reste ouvert.
-- L'ART MODERNE
283
EST ENTRÉ DEPUIS LE Y' JANVIER 1885 DAiNS SA CINQUIÈME ANNÉE
L'ART MODERNE] s'est acquis par rautorité et riridépendance de sa critique, par la variété de ses
informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Auftunc manifestation de l'Art ne
lui est étrangère : il s'occupe de littérature, de peinture, de sculpture, de gravure, de musique,
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouvement artistique belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur tous les événements ' artistiques de l'étranger qu'il importe de connaître.
Chaque livraison de l'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit Tactualité. Les expositions, les livres nouveaux, les
premières représentations d 'œuvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires, les concerts, les
ventes d'objets d'art, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées.
L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. Il rend compte des
procès les plus intéressants concernant les Arts, plaides devant les tribunaux belges et étrangers. Los
artistes trouvent toutes les semaines dans son Mémento la nomenclature complète des expositions et
concours auxquels ils peuvent prendre part, en Belgique et à l'étranger. Il est envoyé gratuitement à
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284
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Adi^sser les demandes d'abonnement et toutes les communications à
l'administration générale de TArt Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruielles.
^OMMAIRE
Joseph Skrvais. — Réouverture du Théâtre de la Monnaie.
— Essai de pathologie littéraihe. Les bien portants. — Lettres
DE Londres. L'ccrposition hitcr^mtionalc des inventions. —
Petite chronique •
JOSEPH SERVAIS
La mort inattendue de Joseph Servais a produit dans
le monde des artistes et parmi les nombreux amis du
jeune maître la plus douloureuse et la plus profonde
émotion. C'est pour la musique une perte considérable,
presque irréparable. De tous les violoncellistes de
l'époque, Servais était peut-être celui qui réunissait le
plus de qualités : la puissance du son, — ce merveilleux
son qu'il paraissait avoir recueilli comme un héritage
^pieux, — le style ample, le sentiment parfait dans l'in-
terprétation des maîtres, la délicatesse des nuances et
rhabileté du mécanisme. Que de fois nous l'avons
applaudi ! Il était pour ainsi dire de fondation dans
toutes les séances de musique qu'on organisait à
Bruxelles, et Ton n'imaginait pas une audition de
musique de chambre sans lui. Qui ne l'a vu, aux con-
certs du Conservatoire, assis au premier pupitre des
violoncelles, et levant vers le directeur, de temps' à
autre, sa tête placide qu'encadraient, comme les Christ
d'Albert Diirer, des cheveux ondulés et une barbe
soyeuse? Dans les soli, la sonorité mâle de son instru-
ment faisait jaillir les applaudissements. Très modeste.
il n'en paraissait pas tirer vanité. Il semblait considérer
comme tout naturel qu'il jouât bien du violoncelle, ne
parlait jamais de ses succès au retour d'une tournée de
• concerts, fuyait tout ce qui ressemblait à de la réclame
ou à de la camaraderie, et cela sans orgueil ni pose,
très simplement, en homme qui n'aime pas le bruit et
dont le talent peut se passer de louanges.
Ah ! l'honnête artiste, l'esprit droit, calme, se laissant
aller parfois, lorsqu'il savait à qui il s'adressait, mais
impitoyablement fermé aux importuns et aux passants!
Il passait pour brusque, ses élèves le trouvaient
même un peu bourru. Sous cette écorce, il y avait pour
ceux qui parvenaient à pénétrer jusqu'à lui, un cœur
dévoué et aimant, prêt à s'échaufïer pour une idée géné-
reuse, pour une pensée artistique.
Il meurt dans la plénitude du talent, dans la force de
l'âge, après avoir conquis une situation qui le mettait
en vue, non pas en Belgique seulement, mais à l'étran-
ger, où sa réputation est solidemeat assise. Nommé
professeur au Conservatoire au retour d'un, séjour à
Weimaroù son talent prit son assiette définitive, Joseph
Servais a formé d'excellents élèves, qui perpétuent les
traditions de la glorieuse école dont il continua l'ensei-
gnement.
Mais, jusqu'ici, aucun d'eux n'a égalé le coup d'ar-
chet sûr et mordant, la sonorité pleine et harmonieuse
de l'artiste que la mort vient de nous prendre.
C'est un deuilqui sera de longue durée. Quel que soit
celui qui prendra, au Conservatoire et dans nos séances
de musique, la place de Servais, on se souviendra tou-
jours du musicien qui, depuis dix ans, fut l'un des pré-
vôts de l'art à Bruxelles. On le cherchera au pupitre,
et chaque concert fera renaître les regrets que provo-
quent sa m.ort.
. RÉOUVERTURE DU THEATRE DE LA MONNAIE
Bataille gagnée! Doux fois gagnée, pour le grand opéra, pour
l'opéra-comique. Il y avait longtemps que, sous les deux faces,
notre grande scène lyrique n'avait ainsi réussi du premier coup.
Presque toujours Tune des deux troupes était sacrifiée h l'aulrc
et le public débonnaire s'en contentait. La saison dernière tout
entière s'est passée h essayer, sans résultat, des chanteuses
d'opéra-comiqué. Quand l'impatience devenait inquiétante, on
disait : mais vous avez le grand opéra et M'"® Caron. L'admirable
artiste qui, la première année chantait pour neuf cents francs par
mois, devait suftirc à tout.
• Les journaux sont unanimes à constater ce double triomphe
emporté malgré les résislances des inévitables méconlenls. Nous
n'en sommes plus aux jours où quelques dilottanti de pacotille
pouvaient s'ériger en arbitres des plaisirs du public bruxellois et
lui dicter la loi de leurs caprices et de leurs camaraderies.
L'émancipation est complète. On l'avait bien prouvé l'an dernier
lors des représentations des M ai très- Chanteur s. Bcckmesscr
avait été reconduit avec bastonnade. Dorénavant ce sera l'opinion
qui fera le succès des chanteurs et des dirccleurs, et non pas une
cabale de trois pelés et de quatre tondus.
Nous ne pouvons donner pour le moment notre appréciation
personnelle sur le mérite des artistes. Nous n'étions pask la réou-
verture, les vacances nous ayant dispersés ; au surplus, et
nos lecteurs le savent, le reportage qui met au cou le carcan
de l'assistance obligatoire à toutes les cérémonies joyeuses ou
tristes, non point parce qu'un sentiment vrai vous y mène mais
parce que la servitude de la chronique au jour le jour vous y
condamne, n'est, grâce au son, point notre fait. Mais devant la
manifestai ion spontanée et irrésistible de l'opim'on, nous pouvons
de loin crier bravo ! \\ la direction nouvelle qui, si vaillamment,
si audacieusemenl a osé faire les saciifices nécessaires pour que
noire théâtre n'apj)araisse pas cetle année comme un régiment
dont l'et^eclif serait incomplet. Rien ne manque aux deux troupes,
et tous les emplois ont des artistes de rechange.
Le compatriote que notre conseil communal, avec beaucoup
de tact et.d'à-propos, a mis à la tête du théâtre, vient de donner
la mesure de ce qu'il vaut et de répondre en maître aux sottes
méchancetés dont on avait accompagné sa nomination. 11 justifie
celte vérité qu'il ne faut pas un imprésario de profession pour se
tirer d'affaire en pareille matière. Homme nouveau, il nous a
d'emblée débarrassé des pratiques surannées qui encombrent iné-
vitablement les règnes prolongés, même les plus intelligents. Il
a pris son devoir au sérieux et a recruté son personnelsans mar-
cliander, songeant moins à faire des économies el des bénétices
qu'à ne manquer à aucun de ses engagements. La troupe pour-
tant, d'après les informations qui nous sont parvenues, ne dépasse
point ce que la bonne administration réclame.
C'est au public \i lui savoir gré de cette attitude dans laquelle
l'intérêt de l'art est mis au dessus de l'intérêt personnel.' Nous
l'avons, on s'en souvient, défjndu des l'origine contre les aveu-
gles préventions dont on le poursuivait injustement. Dès à pré-
sent uq bon vent ônfle sa voile, malgré les prédictions de tempête
et de nautjagc dont quelques-uns s'étaient plu k obscurcir son
avenir. Certes, noiis ne saurions perdre le souvenir des directeurs
précédents .qui ont définitivemeiit inspiré au public le goût des
bonnes représentations lyriques, ni des artistes aimés. qui leur
servaient d'auxiliaires. Nais dans l'art le renouveau est la chose
essentielle et sous ce rapport le départ de tant de choses connues
jusqu'à la satiété ne doit pas être, déploré. Le ix^pertoire va, lui
aussi, àubir un.e transformation. Il s'agit donc d'une éldpe nou-
velle sur toute/ia ligne. Tant mieux et en avant!
ESSAI DE PATHOLOGIE LlTTÉllAIRE (')
LES BIEN-PORTANTS.
Décadents, Incohérents, Verbolâtre^, Esotériques !
Déliquesceiits de tout poil, rentrez à l'hôpitalv Nous
vous avons suffisamment auscultés. Vous n êtes pas les
seuls malades de l'art. Que d'autres complètent cette
pathologie. , :•
Et les voilà qui s'en vont, inconscients de leur mal,
fort joye^ux de leur sort, en chantonnant. Prêtons
l'oreille : cela semble drôle. Ils se moqumit de notre
clinique. Ils fredonnent un sonnet fameux d'Arthur
Rimbaud, un des leurs jadis, traité de renégat depuis
qu'il est guéri, V Oraison du Soir :
Je vis assis tel qu'un. ange aux mains d'un barbier, ^ ^
Empoignant une chope aux fortes cannelures, •
L'hypogastre et le col cambrés, une Gambier
Aux dents, sous l'air gonflé d'impalpables voilures.
Tels que les excréments chauds d'un vieux colombier,
Mille rêves en moi font de douces brûlures ;
Puis par instants mon cœur triste est comme un aubier
Qu'ensanglante l'or jaune et sombre des coulures.
Puis quand j'ai ravalé, mes rêves avec soin.
Je me tourne ayant* bu trente ou quarante chopes.
Et nie recueille pour lûcher làcre besoin.
Doux comme le Seigneur du cèdre et des hysopes,
Je pisse vers lés cieux bruns très haut et très loin, .
Avec l'assentiment des grands héliotropes.
Oui, c'est la célèbre Oraison du *S'o/r. Verlaine, dans
sa brochurette les Poètes maudits, la cite comme un
chef-d'œuvi^e à se mettre à genoux devant !!
Le chœur des Déliquescents s'éloigne. Il s'interrompt.
Mais il reprend. Qu'est-ce encore? Un pantoun à la
mode malaise, emprunté au plus récent recueil du même
y evldime, Jadis et Naguère, i^sivu en IS84 :
Trois petits pâtés, ma chemise brûle.
Monsieur le Curé n'aime pas les os.
Ma cousine est blonde, elle a nom Ursule,
Que n'émigrons-nous vers les Palaiseaux. ••
Ma cousine est blonde, elle a nom Ursule.
On dirait d'un cher glaïeul sur les eaux.
Vivent le muguet et la campanule !
Dodo, l'enfant dô, <;hantez, doux fuseaux.
N
{•) Voir nos n" des 19. et 2o juillet, 2, 9, 16, 23 et 30 août 1!^85.
w
Que n'émigrons-nous vers les Palaisoaux.
• Trois petits pâtés, un point et virgule;
On (lirait dun cher glaïeul sur les eaux,
Vivent le muguet et la campanule.
Trois petits pâtés, un point et virgule ;
^ • Dodo, l'enfant do, chantez, doux fuseaux.
La libellule crie emmi les roseaux, ...
Monsieur le Curé, jna chemise brûle
•Les derniers vers nous arrivent à peine distincts. Ils
s'éloignent, s'éloignent, s'éloignent. Leur chant, meurt.
Ils sont rentrés. Qu'on ferme la porte.
V Jlt maintenant demandons-nous si la santé, la belle
santé, ne serait point, par aventure, la meilleure auxi-
liaire de l'Art ?
Jamais! s'écrie Adoré Floupette qui, on le sait, avait
toutes les peines du monde à se mal porter. Et il n'est
■pas le seul à pousser ce cri de défi. Dernièrement, chez
nous, on risquait cet aphorisme : Pour être bon poète,
/ il faut être malade.
Aussitôt tous les éclopés, les infirmes et les asthma-
tiques de la littérature se sont rengorgés.
Allons donc ! Que les impuissants et les petits crevés
;ious lâchent leurs rimes comme des régurgitations
-après les repas quand l'estomac est trop faible, soit.
-iMais gober cette mystification, nous n'en sommes
pas là. .
Être bien portant de corps et d'esprit, est une des
plus grandes forces de l'artiste, n'est-ce pas Hugo,
n'est-ce pas Wagner, n'est-ce pas Rubens?
La question n'est pas de savoir si, quoique malades,
des artistes ont fait de belles choses, mais ce qu'ils
eussent fait étant bien portants.
. Ne confondons pas, au surplus, la santé avec le
bonheur. Certes la meilleure condition pour exprimer
les mouvements de l'âme est de les avoir ressentis, et
quand l'infortune secoue, mord, déchire un grand
artiste il répond par des cris sublimes. Mais l'homme
bien portant, tout autant et même plus que le malade,
subit les passions et, s'il est poète, en chante les souf-
frances ou les délices.
Ce qu'il faut proscrire, en tant qu'on en voudrait
faire la règle et l'exemple, ce sont les aff*ections mor-
bides qui détraquent l'intelligence, la jettent dans les
excentricités, ne lui font plus trouver supportables que
le bizarre et entraînent l'écrivain à ne s'occuper que
d'une littérature d'exception , décrivant des faits
d'exception, une littérature de monstruosités et de phé-
nomènes, bonne en passant, mais exaspérante et écœu-
rante quand on en veut faire le plat d'anguilles de
tous les jours.
Que les malheureux qu'une santé compromise et
un intellect dévoyé induisent à décrire leurs sensa-
tions insolites, donnent l'analyse de leurs rêvasseries,
nul ne s'en plaindra. Le fait sera curieux et la poésie
parfois intéressante. On doit à ces alités quelques
nouveautés précieuses. On peut leur dire, comme l'a
fait l'un d'eux, apparemment pendant une insomnie :
' Enroule, mauvaise troupe!
Partez mes enfants perdus !
Ces loisirs vous étaient ^lus :
La, chimère tdnd sa croupç.
Partez, gri\npez sur son dos,
Comme essainpte un vol de rêves
D'un malade dans les brèves
Fleurs vagues de ses rideaux.
Ma main vous bénit, petites
Mouches de mes soleils noirs
Et de mes nuits l)lanches. Vite,
Partez, petits désespoirs.
Petits espoirs, douleurs, joies,
Que dès hier renia
Mon cœur quêtant d'autres proies....
Allez, ^ORI SOMMA.
jEgri somnia! Oui, voilà le mot. Ces hantises de
fiévreux nous ne les repoussons pas: Les malades, que
diable, ont le droit de faire des vers, et de dire en vers
ce qui se passe dans leurs cerveaux troublés. Nous ne
leur faussons compagnie que lorsqu'ils nous convient
à devenir tous malades comme eux et lorsqu'ils clament
que leur poésie, qui appelle le médecin et l'apothicaire,
est la seule admissible. « Il faut être pervers! s'écriait
Floupette. Soyons pervers. Promets-moi, Tapora, que
tu seras pervers »» .
Ah! que non, que non. Nous lisons vos vers, mais si
nous sommes bien portants, nous entendons rester en
état de santé, et si nous sommes poètes, écrire en poètes
bien portants.
Ces groupes de nialadifs, décadents larmoyeurs, in-
cohérents nébuleux, verbolâtres néologistes, symbo-
listes ésotériques, ont eu des analogues à d'autres épo-
ques, et le discrédit, souvent parfumé de ridicule, dans
lequel ces excentriques ont chaviré, devraient valoir
avertissement. Qui ne se souvient des poètes du déses-
poir :
Adieu, trop inféconde terre,
Fléaux humains, soleil glacé.
Comme uu fantôme soulaire —-
Inaperçu, j'aurai passé!
Et ainsi de suite. On en a eu par milliers de ces.
strophes. Les poètes de cette école aspiraient au rôle
de beaux ténébreux. Sont-ils assez finis! Les pervers
farouches, les ultimes décadents de ce temps-ci *jouent
la même parade et culbuteront dans le même bourbier.
En vain se réclament-ils de Baudelaire, et ultérieure-
ment d'Edgard Poe, avec des regards de côté vers le
Jean Floréas des Esseintes de J.-K. Huysmans. Cette
simpiternelle invocation de la même descendance et
des mêmes recommandations, passée à l'état de locu-
tion agaçante, est devenue un de leurs plus visibles
ridicules, et les décalques qui en dérivent ne sont plus
pris au sérieux que par les niais. Baudelaire et Poe
■ ^ ' ■". '
s»
ont assez fait dan.'» l.éur'getirë pOur que le pastichage
de ces grands :honiilTes par une nuée de myrmidons
soit tout à fait .st^ierfétatQii'ë^ v.'-;-
Les esprits bien*. poHants-:n'6nt pas besoin de ces ,
rubriques et de.cet- eiribërjificotage. De tout temps ils
ont eu des maxinms iort simples, difficiles il est vrai
à suivre quand- on n'est qu'un .médiocre. Avant tout ils ^
veulent être êux-mèiiïes et se gardent avec opiniâtreté"
des imitations qui empestent la littérature. Ils savent
admirer ceux qui; les ont précédés, Baudelaire tout
comme un. autrfe, mais , se révoltent à l'idée de recom-
mencer ce que ceux-ci -onl fait. L'originalité est leur
mot d'ordre suprême, et "^pour l'atteindre, ils sacrifient
tout. Ils passentjiivtravers ies littératures antérieures,
mais seulem'ent pour développer .leurs facultés person-
nelles, regardaiit les .cJçuvi^es non pas comme des mo-
dèles (çtupîde expression d'un enseignement fondé tout
entier s«r rihiitàtion), mais comme des excitations des-
tinées à augmenter leurs aptitudes' propres.
Mais, dira-t-on, ne. vouloir- que des artistes origi-
naux, c'.esj;'en déduire singulièrement le nombre ; par-
tout on voit les nouveaux-venus suivre les maîtres et se
réclamer ii'eiîx, '-^ Oest précisément ce^tte odieuse ré-
pétition des .belles choses- par les médiocres qui doit
être réprouvée sans merci 'et dont il faudrait purger
les arts. Elle est inutile et misérable. Tous ceux qui .
s'y livrent dispajraîtraient, qu'il faudrait s'en réjouir.
C'est aujourd'hui une calamité. Pasticher consciemment
ou inconsciemment est la pmtique presque universelle. '
C'est le -vic^abominable q^i .déshonore la littérature, la
peinture; la s.culpture, la musique. Il suffit qu'un grand
homfîie ait sûrgî^ potJT' que .la légion des impuissants '
se jette sur son'œuvrë; et se le partage comme les Mé-
nacles, firent des membres pantelants d'Orphée. L'ar-
tiste bien portant ^è refuse à cette bassesse. Il ne veut
pas d'un art d'emprunt. Il rie veut pas n'être qu'une
ombre chiuolse.'. • - • .
Il sajtaussî que-soji devoir est d exprimer les actions
et les sentiments- généraux «et non pas les raretés psy-
chologiques. Les vraies- grandes œuvres ont de tout
temps été cellesr^dans lesquelles la plupart des hommes
ont reconnu lueurs joies; leurs douleurs, leurs passions.
L'art est destiné à. révéler avec plus de clarté et de force
le secret de leur existence, à, les réjouir, à les consoler,
à les soutenir, à exciter en eux les émotions qui les ren-
dront plus fiers, plus heureux, plus librps. Quel intérêt,
si ce n'est celui- d'une/curiosité passagère, s'attache à la
descriptio'n .^es complications .psychiques d'un petit
groupe.de néo-bohêrhes qui, par une étrange illusion,
s'imaginent que, ton^ leurs contemporains sont dans
l'état d'hallucination qui les désarticule? Il y a autre
chose à faire q^e de narrer sur tous les rythmes ces
cas pathologiques rares, La société moderne éyolue
rapidement vérs^'desv destinées nouvelles et l'ensemble
de cette transformation domine, entraîne, étoufïë les
détails auxquels se cramponnent les petits bonshommes
dont les piaulements font dans la littérature un si joli
tapage. De toutes parts on s'impatiente de leurs préten-
tions et le mot d'ordre de les exécuter est donné Ce ne
sont point là les vrais jeunes, ceux à qui Zola disait
dans son admirable Lettre à ta Jeunesse : « Si nous
voulons que demain nous appartienne, il faut que nous
soyons des hommes nouveaux, marchant à l'avenir par
la méthode, par la logique, par l'étude et la possession
du réel. Applaudir une rhétorique, s'enthousiasmer
pt)ur l'idéal, ce ne sont là que de belles émotions ner-
veuses. Aujourd'hui nous avons besoin delà virilité du
vrai, y, ■
Justes et puissantes paroles. Elles résument bien
l'évangile de l'écrivain bien portant, résolu à avoir
une influence sur son temps et faisant bon marché des.
simples amusettes. Certes, nous ne saurions assez le
dire, il faut se garder de faire chorus au hasard avec
ceux qui, aveuglément conspuent toute tentative nou-
velle. « Le public, a dit avec -raison Edmond de Gon--
court, n'entend et ne reconnaît à la longue que ceux
qui l'ont scandalisé tout d'abord, les apporteurs de
neuf, les révolutionnaires du livre et du tableau, les
messieurs enfin qui, dans la marche et le renouvelle-
ment incessants et universels des choses du monde, osent
contrarier l'immutabilité paresseuse de ses opinions
toutes faites ".'Nous-même avons écrit ailleurs qu'il
faut être très attentif à un livre qu'on ne lit pas, plein
de respect pour une pièce sifîiée, plein d'égards pour
un tableau refusé. Mais ce que nous n'admettrons jamais
comme œuvre artistique sérieuse, ce sont les mouve-
ments vrais à l'origine qui dégénèrent en manies, la
transformation en décadence générale des -doutes dou-
loureux de notre époque de transition, l'amincissement
jusqu'à l'incohérence des sensations vagues de nos
âmes, 1^ culture jusqu'à l'incompréhensible des nou-
veautés dans les mots, le symbolisme dans la langue
devenant une énigme pour tous autres que les initiés.
Et surtout la prétention de réduire l'art poétique à
l'expression des maladies mentales dont sont affligés
quelques aliénés.
JaETTF(E3 DE JûONDRE^
L'exposition internationale des inventions (')
L'Exposition musicale forme l'une des deux grandes divisions
de V InLernaiional exhibition. Elle se subdivise en deux^ sections.
La première comprend loul cç qui se rallaclie à la musique
moderne : fabrication des instruments, gravure cl impression
des partitions, enseignement musical, etc. La seconde constitue
une magnifique exposition rétrospective d'instruments de mu-
sique. CeUe dernière occupe la galerie supérieure d'Albert Hall.
('J Voy. l'Art moderne du 29 août.
UART MODERNE
289
L'autre est dislributîe dans la jijaleric ccnlrale de. Souih-
Kensinglon et dans les galeries adjacjsnles, mais comme elle est
plus considérable qu'on ne Tavail supposé, les locaux qui lui
étaient primilivemenl destinés ne suffisent plus, et elle déborde
de ci, de là, développant le formidable appareil de ses pavillons
de cuivre- -aux reflets fulgurants, de ses ventres de contre-basse
bombés et luisants, de ses timbales aux rondeurs énormes, de
ses flûtes effilées, de ses orgues monstrueuses, de ses harmo-
niums, de ses pianos.
Oh! les pianos! Il sont là, en multitude innombrable, serrés
les uns contre les autres, en bataille, inquiétants et terribles^ les
uns la gueule ouverte, montrant leur denture d'ivoire, les autres
somnolents, creinlés par le martyre que leur ont fait subir, durant
des heures, des tortionnaires im[)lacnblcs.Il y a des pianos droits,
des pianos obliques, des pianos-buffet, des pianos à queue, des
pianos-armoire, des pianos-table, des pianos en palissandre, en
chêne, en acajou, en noyer, en bois de cèdre incrusté d'ivoire,
en bois de rose serti de cuivre poli. Tous les pianos de la création
paraissent s'être donné rendez-vous et l'on est stupéfait d'en enlen- .
dre, en se promenant dans les rues de Londres, encore dans les
maisons. Les uns sont installés dans d'élégants pavillons tendus
d'étoffes rares ; d'autres s'allongent, en files interminables ^ous
une colonnade en style de la Renaissance ; ceux-ci se bousculent
sur une estrade autour de laquelle bourdonne la foule pour
attraper au passage les bribes d'improvisations que leur jettent
des Absalons spécialement chargés de celle besogne; ceux-là
forment des cités entières, avec des avenues, des carrefours, des
rues. Et, dominant cet écrasant ensemble, le Piano-Dieu, l'im-
mense Steinway de concert, dans un temple d'or aux colonnes
massives, apparaît comme un Bouddha gigantesque oiferl à l'ado-
ration des fidèles.
La France, la Russie, la Suisse, l'Allemagne, l'Amérique, et
naturellement ^l'Angleterre sont représentées dans ce congrès
bruyant. Il y a aussi un piano belge, un seul : Un modeste petit
piano droit portant la mention : Appareil destiné à remplacer
les chevilles qui servent à tendre les cordes et permettant d'ac-
corder les pianos avec une justesse irréprochable ; invention de
MM. Vivier et Oor. Les journaux ont relaté, il y a quelques
mois, le perfectionnement introduit dans la fabrication des pianos
par ces messieurs. Nous n'avons pas à y revenir.
Pour arriver à se faire remarquer en présence d'une concur-
rence aussi eftVayanie, les exposants ont recours à mille ruses.
L'un annonce qu'il prêtera gratuitement ses pianos a tous les
artistes (jui lui en feront la demande pour leurs concerts. Un
autre distribue des prospectus où l'on voit Richard Wagner, en
béret de velours et culottes courtes, installé deviinl le clavier.
Celui-ci expose une image où l'on voit un jeune homme agenouillé
devant une jeune femme. « Voulez-vous m'aimer? dit la légende. -
— Oui, cher, si vous m'offrez un piano de dix guinées. » C'est,
on le voit, l'amour dans les prix doux. Un facteur américain
montre, avec ses produits, le premier cadre en fonte ayant servi
à la fabrication des pianos, exposé à Philadelphie en 1833.
Grand succès de curiosité pour le piano de Chopin, exhibé par
MM. Pleyel, Wolff et C'^. Quelques-uns se font remarquer par des
formes bizarres, composées d'un nom répété deux fois, sans doute
en vertu de l'adage bis repetila placent. Il y a les pianos Collard
et Collard, Burling et Burling, Moore et Moore, Scipeo et
Scipeo, etc. Cela fait l'effet du numéro placé sur les adresses des
commerçants avant et après le nom de la rue.
Les pianos traînent à leur suite un cortège de parasites : des
lampes perfectionnées, des porte-musi((ue de tout calibre, des
pupitres de poche, des chaises à mécanique, des instruments
compliqués pour développer le mécanisme des doigis, mênoïc une
sorte de phonographe pour recueillir les improvisations.
Ainsi que les pianos, les innombrables instruments à archet, à,
anches, à embouchure, à percussion, qui s'alignent dcjns les
vitrines, et dans le détail desquels nous n'entrerons pas, ont leurs
satellites de tous genres. On remarque, parmi les plus intéres-
sants, un vernis à l'ambre qui donne au violon le plus récalci-
trant l'aspect d'un Amati ou d'un Stradivarius; une mentonnière
perfectionnée remplaçant le mouchoir de soie que les violonistes
ont coutume de s'appliquer sur .la gorge avanl de préluder; un
appareil à pédales pour tourner les pages, etc., etc.
Le chant a naturellement sa grande part dans cette exposition,
ainsi que la gravure de la musique, l'impression, la notation
musicale pour laquelle on propose une foule de simplifications
plus comi)li(jU(''es les unes que les autres. Il parait que l'une
d'elles a été adoptée dans certaines écoles. Plaignons les éco-
liers. . , •
Après les instruments sérieux, qui ont acquis droit de bour-
geoisie dans les orchestres, on voit apparaître les irréguliers, les
bohèmes, les Bachi-Bouzouks de la musique : ocarinas en familles
innombrables, boîtes à musique suisses égrenant leur carillon de
petites notes grêles, orchestrions, harmonicas, matophones,
xilophones, tambourins, tout ce qui sert à faire du bruit en
tapant sur du verre, du bois, de l'acier, du cuivre, de la peau
d'âne.
Gravisson"^ les degrés des escaliers qui mènent au sommet
d'Albert Hall ou faisons-nous hisser par l'ascenseur qu'on a mis
à la disposition des visiteurs. Janaais on ne vit plus belle et plus
complète réunion d'instruments de prix, de manuscrits précieux,
de portrails d'artistes, de curiosités musicales. Voici, au hasard
des rencontres, dans le déluge des épinelles, des clavecins, des
virginales, un.e double épinelte due à Hans Ruckers; une virgi-
nale datée de 1666, sur laquelle sont peintes des vues du parc de
Saint-James; le luth de la reine Elisabeth, construit en 1580 par
Joannes Rosa, de Londres; deux harpes d'origine écossaise, de
la plus haute antiquité, dont l'une a, dit-on, appartenu à la reine
Marie. Elle est si massive, si pansue, d'une forme si rudimen-
taire, qu'on pourrait, sans inconvénient, la faire passer pour celle
du roi David. '
Les cistres, les vielles, les violes d'amour, les viola di Gamba
sont entassées dans les vitrines, évoquant les époques lointaines
où la musique soupirait doucement de bons vieux airs naïfs. Dos
serpents se tordent sur les rayons parmi les guitares et les man-
dolines qui allongent leur col. Puis, voici l'armée des violons,
des altos, des violoncelles et des contrebasses, brandissant leurs
volutes. Les merveilleux instruments des anciennes écoles de
Crémone, de Brescia, de Venise sont là, en rangs pressés,
déployant l'éblouissant cortège de leurs tons ambrés. On remar-
que particulièrement le plus beau violon qui soit sorti des mains
de Mcolas Amati, et qui est daté de 1643; deux des vingt altos
que fabriqua Stradivarius; une admirable collection de Guame-
rius; le violoncelle fait par André Amati sur l'ordre du roi
Charles IX, etc.
Le prince de Caraman-Chimay a envoyé son quatuor d'instru-
ments du tournaisien De Comble, qui fut, dit-on, élève de Stra-
divarius, et le Conservatoire de Bruxelles a, de son côté, nfis à
290
VAUT MODERNE
la disposilioTi de la Commission les trésors de son musée, qui
comporte h lui seul trois grands compartiments cl plusieurs vitri-
nes de l'exposition.
Dans une petite salle Louis XVI^ on montre le clavecin de
Marie-Anloinette. Dans un autre cabinet, tendu de hautes lisses,
meublé dans le goût de l'époque dos Tudor, on voit la virginale
de la reine Elisabeth et de curieux manuscrits dû temps.
Les manuscrits, les autographes, les portraits, forment
d'ailleurs une section importante de l'exposition. On comprend
que nous ne puissions les décrire en détail. Notons seulement,
parmi les derniers, un portrait de Mozart daté de 1770 et signé
par Pomj)eo Balloni ; un portrait de Haydn dû a sir M. A. Sliée
et qui remonte à 1796; et parmi les innombrables portraits
de Haondel, celui qui le montre, débarrassé de la perruque
sous laquelle il est représenté d'habitude, et affublé d'un béret
loup, dans l'intimité du travail. Cet ancien portrait, qui appar-
tient au musée Fitzwilliam de Cambridge, a été peint par sir
James Tornhill.
A en croire certaines caricatures qui font partie de lasplcndide
collection de M.Julian Marshall, V^ixiiauv àa Judas Machabée n'était
pas seulement le grand musicien qu'on admire. Il avait pour
1-a bonne chère un goût prononcé. Mais il était, semble-t-il, plu-
tôt gourmand que gourmet. Une estampe coloriée le représente,
en effet, sous les traits d'un porc énorme, assis à l'orgue, entouré
de victuailles, d'écaillés d'huitres, de. tonneaux de vins,, de cha-
pons égorgés. De sa poche se déroule une carte de restaurant por-
tant une addition fantastique. La légende porte Tlie diarming
brille.
Une autre charge, de la même époque, le représente plus
gonflé encore, plus gras, plus enfoncé dans les comestibles,
entouré d'une banderolle sur laquelle sont inscrits ces mots :
Pension — Dcnefil — Nobilily — Friendsliip.
Que de choses curieuses et rares dans cette incomparable
exposition ! Mais force nous est d'abréger. Un coup d'oiil, pour
finir, aux envois de l'Extrême-Orient, à la musique siamoise,
japonaise, chinoise, hindoue, et nous quitterons les galeries.
Dans la section orientale, le Royal collège of viusic \nU(i do
richesses avec MM. Mahillon et C"'. Les guzla, les darbouka, les
tambours de toutes grandeurs et de toutes formes sont entassés
dans un désordre pittoresque et savant. La Chine a envoyé des
spécimens de chacun de ses instruments. Voici les flûtes en jade
couleur de lune, les conques formées d'un coquillage nacré, les
tambourins minuscules usités par les ménestrels; voici les flageo-
lets taillés dans un bambou orné d'une tête de dragon doré, dont
on ne se sert que dans les cérémonies à la gloire de l'empereur;
voici les courtes et massives flûtes noires qui mènent le cortège
des funérailles, les violoncelles rudimentaires faits d'une peau de
crocodile sur laquelle sont tendues deux cordes, les diverses
incarnations du c/i'nj, cette cithare primitive dont la forme la plus
parfaite est la Yuch-cfiin^ instrument favori des dames du
Céleste-Empire; voici le tigre de bronze au dos dentelé sur
l'épine dorsale duquel le chef d'orchestre promène son bâton
pour annoncer le commencement et la fin des. morceaux... Pas-
sant au Japon,. on peut s'initier aux mystères du Kola, l'instru-
ment classique, représenté par un grand nombre d'exemplaires,
on peut étudier la conslruction du Biwa et des instruments à vent :
le Sho, le Kagura-Buye et le Koma-buye... Miixs la palme
revient, pour l'élégance et la richesse, aux Siamois, qui
incrustent de nacre et d'argent le bois de cèdre de leurs instru-
ments, sculptent les manches d'ivoire en têtes d'animaux fantas-
tiques, les découpent en fines dentelles, ornent de diamants et
de j)erlcs et de pierres précieuses les tables d'harmonie...
On croirait voir les objets sacrés d'un culte; et quand, avec
leurs turbans bleus et leurs visages d'ébène, les musiciens de la
cour impériale de Siam donnent aux visiteurs le régal d'une
audition, c'est l'idée des cérémonies d'une religion inconnue,
non d'un concert qu'éveille le carillon de leurs cloches et les
mélopées nasillardes de leurs instruments à cordes.
pETlTE CHROJMIQUf:
Le théâtre du Parc a fait sa réouverture, hier, avec le Train
de Minuit de Meilhac et Halévy, et la Petite Marquise. Dans cette
dernière pièce Céline Chaumont remplissait le rôle de Henriette
de Kergazon.
Le théâtre Molière rouvrira le samedi 19 septembre.
La Soriana, pièce en cinq actes, fera les frais de la première
soirée.
La troupe dont voici le tableau est plus complète que les années
précédentes:
Service de la scène : M. Reliiez, régisseur général; M. Ghalbos,
\er régisseur: M. Ingremi. 2™® régisseur; M. Petrus, souffleur;
M. Jules Miesse, machiniste en chef; M. Léon Favier, costumier;
M. Goyens, coiffeur.
Artistes : MM""'^ Amélie Lagneau, grand le»" rôle; Wilson, fort
grand 1er rôle, fort jeune l^i"; Frederickx, forte l»"*, ingénuité;
Steyaert, jeune 1er j-^le, jeune l^e; Richard, 2'"e jer rôle, jeune l'e ;
Dathis, Ire ingénuité, des 2<i*8 ; Dachet, Ire soubrette coquette;
Juliot, fortel des coquettes, rôles de genre: Maria, 2"'e soubrettte
coquette; Ghalbos, 2'"^ ingénuité. Ire amoureuse; Flore Darcourt,
rôles annexés ; Kerby, duègne eu tous genres ; Juliette, utilité sou-
brette.
JMM. G. Tersan, grand l^r rôle' en tous genres; Bellefonds, fort
jeune, ier rôle; Mirau, grand 3n»e rôle, financier; Reillez, père
noble, 1er rôle marqué; Noël Martin, grand 1er comique; Richard,
2'"e le"" rôle, rôles de genre; Netter, jeune 1er, amoureux comique;
Moreau, jeune 1er, amoureux fort second ; Le Roy, jeune l'-r, comi"
que; Ghalbos, 1er comique grime; Glavaudier, grande utilité;
Rouff, grande utilité comique ; Derville, 2'"® père et convenance ;
Ingremi, 2'"e comique, utilité; Paul^Bastie, convenance, utilité;
G. AVeyckmaus, utilité.
L'administration du théâtre royal de l'Alcazar, vient à son tour
de publier son tableau. Le voici :
Administration : MM. A.-J. Defossez, directeur; H. Lemoine,
administrateur ; G. Dezouëde, régisseur-général ; Huguet, second
régisseur; L. Cosset, préposé à la location.
Orchestre : MM. Alexandre Lagye, chef d'orchestre ; E. Goffaux,
second chef; 40 musiciens ; 45 choristes.
Troitpe: M™es Victoria Hervey, de l'Opéra, Ire chanteuse d'opéra-
comique; Alice Fernet, 2'' et Ire chanteuse; A. Durocher, Desclau-
zas; Astruc, jeune chanteuse. Ire dugazon; Lefebvre, 2e dugazon ;
MM. Lary, du théâtre de la Renaissance, 1er ténor léger ; Garpentier,
baryton ; Falchiéri, basse chantante; Gautheil, trial, jeune 1er comi-
que ; Gabriel, 1er comique marqué; Poudrier, comique en tou»
genres; Huguet, 2e comique.
LART MODERNE
291
EST ENTRÉ DEPUIS LE P^ JANVIER 1885 DANS SA CINQUIÈME ANNÉE
L'ART MODERNE s'est acquis par l'autorité et l'indépendance de sa critique, par la variété de ses
informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune manifestation de l'Art ne
lui est étrangère : il s'occupe de littérature, de peinture, de sculpture, de gravure, do musique,
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouvement artistique belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur touS les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaître.
CHaque livraison de l'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'actualité. Les expositions, \q^ livres nouvecmXy les
premières t^eprésentations d'œuvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires, les concerts y les
ventes d objets d'art, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées.
L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. Il rend compte des
procès lés plus intéressants concernant les Arts, plaides devant les tribunaux belges et étrangers. Les
artistes trouvent toutes les semaines dans son Mem.ento la nomenclature complète des expositions et
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Rédacteur en chef : Charles Fuster.
Administrateur : G. Le Petit.
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la France et de 13 francs pour l'étranger.
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Sauf le roman, tous les articles publiés par la
Revue sont inédits.
La Revue ouvre ses colonnes' aux jeunes écri-
vains. Toute œuvre qui lui est adressée est exa-
minée par son comité de direction, et insérée, s'il y
a lieu. • -^.
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et littéraires, ainsi que des articles de cri-
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nos lecteurs seront tenus au courant des prin-
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292
UART MODERNE
JOURNAL DES TRIBUNAUX
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Cinquième année. — N° 37
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 13 Septembre 1885.
L'ART
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
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Sommaire
«/
Le Volapuk. — James M. Neil Whistler. — Les Esthètes.
— Edouard Agneessens. — Théâtres — Exposition artistique
A Tournai. — Petite chronique.
LE V0L4P11K
M. Sclîleyer varierait volontiers le mot connu d'Hugo :
« au vingtième siècle on ne parlera plus que grec ".
M. Schlejer au lieu de « grec » prononcerait ^ Vola-
puk V. '
Volapiik ?
C'est la nouvelle langue qu'il vient d'inventer, de
créer, de tirer de son cerveau toute équipée, toute
armée, toute parée de pronoms, d'adjectifs, de verbes,
et de prépositions. M. Schleyer est Suisse. Il n'est pas
le premier qui ait fait les grands rêves d'unité linguis-
tique. Decartes et Leibnitz l'ont précédé. Mais seul, il
est arrivé à susciter autour de son idée quelque mou-
vement et quelque prosélytisme, au point que l'on
compte aujourd'hui en Allemagne, en Autriche, en
Hollande et en Suède plusieurs adeptes volapiikistes.
Son innovation touche de trop près l'art pour que
nous n'en disions mot.
Certes, se limite-t-elle à un idiome rudimentaire,
presque commercial et ingénieusement sémaphorique.
M. Schleyer ne prétend pas d'un coup détruire Babel.
Il n'ignore pas qu'il se parle dans le monde huit cents
langues. Sa nouvelle langue à lui adopte d'abord tous
les signes communs à tous les peuples, tels que les chif-
fres et les marques algébriques. Elle a une grammaire
simplifiée au possible, s'appuyant sur les racines primi-
tives. On prononce comme on écrit, rien n'est aban-
donné à la fantaisie, rien ne-sort de la ligne droite et
de la plus sévère mathématique.
L'adjectif et le verbe sont formés du substantif et
chaque mot aura son adjectif et son verbe. Pas d'ar-
ticle. Rien de superflu. Une phrase tirée au cordeau.
Trois pronoms : ob, ol, om, qui mis au pluriel de-
viennent obSy ois, oms.
Les conjugaisons se fabriquent en ajoutant ces pro-
noms comme terminaison à la racine des verbes et les
temps se marquent par les cinq voyelles a, e, i, o, u,
mises comme des coefficients au devant du présent de
l'indicatif.
Ainsi se forme cette langue étonnante, faisant songer
dans son ordination et sa réglementation à ces villes
a"méricaines, élevées brusquement, sans style, sans
passé, mais possédant toutes des rues nettes et une
excellente voirie. La police s'y ferait grdce à une syn-
taxe très simple et rien ne sortirait d'un vocabulaire
déterminé et de la plus entière précision. Ce serait
l'idéal, si c'était possible, si c'était utile et même —
bien que cette considération aux yeux de plusieurs soit
aussi légère que la plume qui vole — si c'était artis-
tique. : .
Personne n'invente une langue. Rien ne s'impose plu|
il est vrai, rien ne serait plus commode, plus faci-k^
pourtant, dès qu'on essaie, toute une montagne d'im-
possibilités se dresse et détruit en s'écroulant les plus
simples projets.
Si Ton voulait innover pratiquement c'est plutôt à
la sténographie ou à la télégraphie qu'il faudrait
s'adresser.
Toutefois, ce qui nous pousse à nous occuper du
VolapUk c'est bien plus ses dangers que son utilité. Une
langue universelle semblable détruirait l'art littéraire.
Elle le broyerait, l'écraserait, le pulvériserait comme
une énorme locomotive. Il n'y aurait plus rien de
vivant, de frais, |de gracieux, de charmant, de prime-
sautier, de fantaisiste. Vous figurez-vous des vers en
Volapiik, un quatrain raide comme un piquet à empaler,
un madrigal coupé à angles droits, une ode ou entre-
raient Tikop et Olikop, deux vocables du nouvel idiome ?
Toute l'évocation qu'ouvre devant vous certains mots
comme l'aube ouvre aux yeux des paysages de lumière,
où s'en iraient-ils? Tels termes, telles rimes, tels noms
qui datent de dix siècles, qui doivent leur beauté à leur
race, à leur sélection poétique, qui font se lever dans
l'esprit, les uns des bruits de clairons sonnant, les autres
des chocs d'armures, les autres des sanglots de mer,
des hululements de tempête, des charges guerrières, les
autres. encore des sites célèbres traversés par des rois
et des reines et. des penseurs et des capitaines, qui
paraissent tellement glorieux, tellement pavoises de
souvenirs et de merveilles, qu'à eux seuls, au milieu de
la phrase où on les emploie, ils se dressent énormes,
prenant tous les autres mots comme piédestal.
Et non seulement les mots seraient tués, mais les
tours de style, ses arabesques, ses rinceaux. Telle
naïveté de langage, si douce dans son incorrection,
telle expression venue des gothiques rimeurs, telle
autre des rimeurs étrangers, passerait pour chose
absurde.
Ce serait le triomphe de la ligne droite, de la ligne de
fer et d'acier, ce serait la canalisation universelle. Une
tournure fantaisiste, une sinuosité d'incidente, une pro-
menade de période à travers les jardins du discours,
tout serait coupé, taillé, gâté comme un paysage où
passe une voie ferrée.
Le Volapiik aura donc comme premier adversaire
l'homme de lettres et de pensée, il aura pour défenseur
l'expéditionnaire et le commis-voyageur.
Il procède de ce travers qu'a notre temps de tout
unifier, de tout monopoliser, de tout centraliser.
Et l'unification, utile en bien des choses, ne sera
jamais possible en art.
L'art c'est la variété, l'individualité, l'originalité.
Dès qu'il y a recette, ordination, convention, moule,
assujettissement, dès qu'on limite une liberté, dès qu'on
trace des chemins là où il était permis d'aller à tort et
à travers, au gré d'un caprice, à travers champs, on le
diminue. On ne saurait assez insister sur ce point évi-
dent pour tout artiste. N'est-ce pas une sorte de langue
esthétique universelle que l'Académie veut imposer?
Ses formules, ses règles, ses lois, coordonnées comme
dés articles d'un code, ne veut-elle pas en faire une
expression d'art, écrasant toutes les expressions parti-
culières, toutes les manifestations individuelles? N'est-
ce pas une sorte de Volapiik imposé à la peinture et à
la statuaire?
Pour les mêmes motifs qu'il faut combattre l'un, il
faut attaquer l'autre. Les dangers sont les mêmes et
viennent des mêmes sources, avec cette diff*érence que
le Volapiik non seulement n'a souci aucun du beau,
mais que cette langue travaillée et maniée à ses débuts
par les commerçants, les ingénieurs et les économistes,
ces trois fléaux déchaînés sur les phrases de tout
idiome, n'aurait d'autre tendance que d'étouffer le germe
même de toute élégance et de toute poésie. Ce seraient
les hommes du bordereau, du dessin linéaire et de la
statistique qui s'improviseraient les Homère du lan-
gage nouveau et qui inviteraient après eux les écri-
vains et les poètes à la table où ne se mangerait que du
pain sec, des écailles de noisettes et des noyaux de
pêches.
L'abondance des matières nous force à remettre
à huitaine le dernier article sur la Pathologie litté-
raire.
JAMES M. NBILL WHISTLBR
Les quatre toiles cl la série d'eaux-forles exposées par Whisller
au premier Salon des XX n'ont donné de son art mystérieux et
obsédant qu'une idée incomplète. Pour apprécier les faces
diverses de ce talent multiple, il faut forcer la porte de son ate-
lier, obtenir du maître, dont l'humeur fantasque ne se prêle à
ces complaisances que lorsqu'il y a entre le visiteur et l'artiste
une communauté de sentiments, la faveur de voir défiler le sédui-
sant cortège de ses esquisses, de ses dessins, de ses aquarelles,
de ses cartons. Il faut, de plus, réclamer d'un arclii-millionnaire
londonien, M. Leyland, l'autorisation de pénétrer dans la salle
que Whistler a décorée pour lui et qui est célèbre en Angleterre
sous le nom de la Salle du Paon. La personnalité artistique de
Whistler prend alors des contours nettement arrêtés. On com-
prend ce qu'est le peintre, ce qu'il veut, où il tend. Les coins
sombres et inquiétants de son art s'éclairent par degrés. Whisller
n'esl plus le rêveur qui chevauche ses songes, cavalcade dans les
nuages, accroche un trapèze aux étoiles et y fait des culbutes,
au risque de se rompre le cou. Le sentiment exact qu'il a des
délicatesses de la forme et de l'harmonie des tons, la pénétration
subtile de son œil, l'aptitude très caractéristique de son esprit à
synthétiser ses impressions, à les magnifier en quelque sorte
pour faire passer avec intensité dans l'âme du spectateur ce fris-
son de plaisir, ou de crainte, ou de mélancolie, ou d'horreur, ou
de joie, qui est l'Art lorsqu'il est réalisé par le pinceau, par
l'ébauchoir, par le crayon, ou par le burin, toutes ces qualités
qui font l'artiste, et l'artiste de grande envergure, éclatent l'une
après l'autre, fixant rimago indécise qu'avait fait deviner à
Bruxelles le premier envoi du prîinlre'et lui assignent, parmi les
artistes contemporains, l'une des premières i)laces.
Au rebours de ce qu'on im:tgine, ce n'est pas l'impression
d'effarement que provoquent quelques-unes de ses toiles qui
domine dans l'art de Whistler. C'est la magie rose, non la magie
noire, qui est son culte prcférd. Ne nous disait-il pas lui-même,
ces jours-ci : « The art is ajoke », caractérisant ainsi d'un mot,
difficile à traduire pour en exprimer dans notre langue la nuance
exacte, ce qu'il doit y avoir dans l'art de grâce, de gaîté, d'aban-
don, de gentillesse, de séduction. Il y a, parmi ses cartons, une
série d'esquisses qui réalisent à cet égard l'idéal du peintre.
Groupes de jeunes femmes aux robes flottantes, réunissant dans
d'exquises harmonies de couleurs et de lignes tout ce qui peut
flatter les yeux, égayer, rasséréner l'esprit ; scènes intimes, idylles
au bord d'une fontaine ou sous les branches fleuries d'un pom-
mier, éveillant le souvenir lointain de la Grèce païenne, mais
exprimées dans des données essentiellement modernes et mar-
quées d'une griffe que personne ne pourrait revendiquer comme
sienne.
Ces projets verront-ils le jour? Assislerons-nous h l'épanouis-
sement de ces œuvres en germe dont de nombreuses esquisses et
des études patientes préparent lentement l'éclosion? Souhai-
tons-le. Jamais, pensons-nous, l'art décoratif n'aura trouvé pareil
interprète,
A cet égard, Whistler a prouvé ce qu'on peut mettre de raffi-
nements dans la décoration d'un appartement. La Chambre du
Paon est certes l'une des curiosités do Londres. En faire la des-
cription serait à peu près impossible, et force nous est de n'en
donner qu'une idée approximative. Qu'on imagine une grande
salle rectangulaire à laquelle deux portes donnent accès et qui
reçoit la lumière, dans la journée, par trois grandes fenêtres
ouvertes sur les jardins d'Ennismore, près Hyde-Park, et
qu'éclairent le soir huit sun-burners dissimulés dans des globes
de verre dépoli. La décoration ne se compose que de deux tons,
le bleu et l'or : mais le bleu est d'une nuance si délicate qu on
ne saurait dire, à première vue, si c'est de bleu ou de vert qu'il
s'agit, et l'or s'éleint dans des dégradations de tons prdes d'une
douceur infinie. Autour du chambranle des portes, des guéridons
superposés, bizarrement accouplés, forment un réseau de légères
baguettes d'or vierge dans les entrelacs duquel sont posées des
potiches en porcelaine du Japon d'un bleu mourant. Sur les pan-
neaux, sur les lambris, dans les caissons du plafond où se marient
le cadmium clair et le bleu d'outremer, il n'y a qu'un ornement,
répété sans cesse mais si ingénieusement disposé que loin de fati-
guer par sa persistance, il donne à l'ensemble un attrait singulier
et maintient l'unité de la composition : c'est l'œil qui s'épanouit
dans le plumage de l'oiseau de Junon, la plume de paon, qui,
depuis lors, a fait fureur en Angleterre. Sur les vantaux des fenê-
tres, elles ruissellent en cascades d'or neuf, se détachant sur des
fonds d'un bleu profond comme la voûte du ciel, et dans le grand
panneau du fond, faisant face à la cheminée décorée du portrait
d'une jeune femme en robe japonaise, ^- sans doute la maîtresse
de la maison, '■ — doux paons, orgueilleusement campés sur leurs
ergots, crête au vent, la queue déployée en éventail immense, se
défient du regard, prêts à s'élancer l'un sur l'autre. Des amis
malicieux de l'artiste ont 3'u une allégorie dans ce tableau, qui
complète l'étrange et charmante décoration, et prétendent même
reconnaître sous là forme bouffie, comique de prétention vani-
teuse, d'un des combattants, le propriétaire de l'hôtel, que des
questions d'intérêt ont brouillé avec l'artiste avant l'achèvement
de son œuvre. Ils aftirment que le paon fluet, coquet, dégagé,
qui examine son adversaire, la tête renversée d'un air moqueur,
prêt à le larder de coups de bec, n'est autre que Whistler lui-
même, que ce trait a vengé des tracasseries du philistin million-
naire. Mais ceci, c'est la légende qui s'est formée autour de la
Chambre du Paon et nous n'avons pas à en vérifier l'exactitude.
Propos de mauvaises langues, sans doute, qui veulent'charger de
plus de méfaits qu'il n'en a commis le spirituel, sarcastique,
mordant et très malicieux artiste !
Au surplus, quand on a écrit Art and Art critics^ ce pam-
phlet danslequel le peintre cingle de coups de cravache les pon-
tifes qui, du haut des colonnes de leur journal, jugent et déci-
dent les questions d'art les plus délicates, se décernent à eux-
mêmes la mission d'arbitres du goût et ne reconnaissent comme
dignes de remarque que les œuvres qui ont subi l'estampille de
leur plume d'oie; quand on a imaginé l'extraordinaire catalogue
Elchings and dry points^ dont le titre seul, en son jeu de mots
intraduisible, indique la portée, et dans lequel, sous le titre de
chacune des œuvres signalées, figure une appréciation de jour-
naliste, clouée, avec une coquetterie railleuse, sur le cadre
même des toiles exposées;. quand on a imaginé de convoquer le
Tout-Londres k une conférence artistique pour se donner la
satisfaction personnelle de lui décocher, une heure durant, des
vérités pénibles à entendre, en enfonçanl le fer rouge dans la
plaie saignante sans souci des plaintes, des protestations, des
colères; quand on est l'homme audacieux, batailleur, friand de
coups à donner et à recevoir, qu'est Whistler, il n'y aurait pas
lieu de s'étonner que la méchanceté attribuée à l'artislc eût été,
en effet, sciemment et volontairement commise par lui !
Oui, Whistler a le tempérament batailleur, et c'est parce qu'il
aime les bagarres qu'il a exposé avec tant d'empressement, dès
la première année, avec les XX, sachant les orages que soulève
l'intransigeance dans les centres de bourgeoisie paisible et crain-
tive. El c'est pour le même motif qu'il vient de demander qu'il
soit fait en sa faveur, pour le prochain Salon, une exception au
système de roulement adopté par les XX pour les invitations
qu'ils adressent aux artistes. Il tient à faire le coup de feu avec
ces jeunes gens, dont l'audace, l'indépendance, le mépris des
conventions et des faveurs, l'attirent. Ce mouvement, qui a pris
brusquement en Belgique un essor si considérable, il voudrait le
créer en Angleterre. Mais le moyen, dans un pays où Alma-
Tadema est dieu et où, à peu d'exceptions près, tous ceux qui
tiennent une brosse d'une main, une palette de l'autre, chaussent
les bottes de Lcighton, de Burn-Jones, de Calderon ou de Mil-
-kiis, et ne voient dans les expositions qu'un tremplin pour arri-
ver à l'Académie !
Whistler exposera probablement à Bruxelles le portrait de Sara-
sate, qu'il vient de terminer, et qui marque dans sa carrière une
évolution définitive. Avec une grande simplicité de moyens, l'ar-
tiste arrive à rendre, non la réalité photographique, à la façon de
Bonnat et autres peintres que préoccupe uniquement l'exactitude
matérielle des traits et du vêtement, mais, outre la ressemblance,
l'impression que donne la personnalité de son modèle. Sarasate,
dans l'œuvre superbe de Whistler, est presque déifié. Il apparaît,
sur un fond noir, son violon à la main, dominant du regard son
auditoire, comme l'évocation de quelque divinité infernale de la
musique. Sa chevelure noire encadrant sa face bistrée, l'éclat de
296
UART MODERNE
SCS yeux qui luisent dans l'ombre, contribuent à augmenter cette
impression. Le dessin est parfait; le ton, tenu dans utï accord
sombre dont le blanc du plastron de cbeinise et des manclieltes
forme la note aiguë, est d'une distinction suprême; le portrait a
du style, cette qualité rare, si difiicile ii définir, qu'avaient les
grands portraitistes d'autrefois, Velasquez, Hais, Van Dyck.
Il marque, avons-nous dit, une étape dans la carrière du peintre
et prend la tête de l'imposante série de portraits traités dans des
harmonies sombres dont la Femme en noir, vue k Bruxelles, et
le Portrait de ladij Archibald Campbell^ exposé cette année au
Salon de Paris, ont été jusqu'ici les plus vibrantes expressions.
Nous voudrions voir, à côté du portrait du célèbre violoniste,
celui que l'artisle vient de commencer du |»eintre William Chase,
son compatriote, ou celui qu'il se propose de faire de notre ami
le peintre-guitariste Dario de Regoyos, dont il a fait une vivante
esquisse. Mais un voyage que compte faire Whistler en Amérique
et divers travaux commencés ne lui permettront pas, sans doute,
de terminer pour le i*^"" février ces deux toiles.
En revanche nous verrons peut-être /ft Libellule et TA mazojie,
deux toiles qui n'ont pas quitté encore l'atelier du peintre, —^ ce
joli atelier tout blanc, aux meubles de chrome, situé là-bas, dans
la verdure, à deux pas de Walham-Green, loin des centres
bruyants de Londres, dans le quartier paisible de Chelsea, si
favorable aux intimités du travail....
Et pour compléter son envoi, le peintre promet d'y joindre
quelques-uns des dessins qu'il fit à Venise et dans lesquels il
exprima, en quelques traits de crayon noir rehaussés de légers
frottis de pastels la poésie mélancolique et les gaîtés tristes de la
vieille cité endormie dans les lagunes.
Il est loin ce temps où l'on mettait en question le talent de
Whistler et où le critique d'art le plus olTiciellement reconnu en
Angleterre, l'arbitre infaillible de ceux que certains pédants nom-
ment chez .nous « les gens de bon ton, de bonne compagnie »,
Ruskin, osait écrire cette phrase : « Je connais bien des impu-
dences de cockneys, mais je n'aurais jamais cru qu'un homme
fût assez insolent pour jeter un pot de couleurs sur une toile et
demander ensuite de celte chose deux cents guinées ! »
Il ne reste de cette ûncrie et du retentissant procès qui en
fut la conséquence qu'un peu de pitié pour celui qui atïicha si
ouvertement son incompétence en matière d'art. Le pauvre
homme est d'ailleurs si malade en ce moment qu'il serait cruel
d'insister, et, Huskin mort, qui se souviendra du jugement qu'il
porta sur les œuvres de Whistler ?
C'est, pour les artistes, un dédommagement que de voir la
rapidité avec laquelle tombent dans l'oubli les critiques imbéciles
par les'iuelles sont trop fréquemment accueillis leurs débuts
lorsqu'ils sortent des sentiers battus et tentent un art nouveau.
L'exemple de Manetcn France et avant lui de tous les initia-
teurs, de Courbet, de Corot, de Rousseau, d'Eugène Delacroix et
de vingt autres, est trop frappant pour (ju'il soit utile d'en dire
davantage.
La gloire de W'hisiler a commencé en Angleterre, et après
avoir été bafoué, raillé, injurié, selon le vocabulaire habituel
aux critiques dont on n'observe pas les conseils, l'artiste a la joie
d'entendre peu à peu poindre et monter jusqu'à lui la rumeur
laudativc qui accueille l'exposition de ses œuvres.
Dans cette longue et implacable lutte avec l'entêtement, l'igno-
rance et le parti-pris, ses adversaires commencent à faiblir, à
déserter le champ de bataille, et l'on voit son drapeau, — ce
drapeau noir et or qu'il agita dès le jour où il exposa, au grand
scandale du public, sa première Harmonie, s'élever peu à peu à
l'horizon, tenu haut et droit par une main nerveuse qui eût été,
semble-t-il, aussi reiloulable si elle eût brandi une épée, qu'elle
est souple et agile dans le maniement de la brosse.
Paul Devigue, Paul Devigne ! Cher et éminent sculpteur qu'as-tu
fait?
D'où t'est venue la fantaisie de publier un roman dans X Office de
I''iblicité .'
Fi!
Comment peux-tu, toi le modeleur impeccable, modeler des
phrases comme celles-ci :
— jlfinp Cordier qui avait toujours un timbre à 'portée de la
tnaîn... , .
Et
— Il ressemblait à Un de ces voyageurs qui, voyant l'immense
route à parcourir pour atteindre l'hôtellerie, sont pris de défail-
lance, sentent leurs ja^nbes fléchir , etc..
Cette Oeuvre étonnante est intitulée : Aiitour du barreau. On y
démontre que rien au monde ne vaut mieux que de se glisser sous le
derrière les coussins doctrinaires pour y asseoir sa vie.
Jamais, non jamais, nous n'aurions cru notre excellent artiste
capable d'un pareil forfait. .
JaE? îj^THÈTE^
Il y a quelques années, à propos de deux livres sur l'art mili-
taire, du lieutenant-général Brialmont et du lieutenant-général
Eenens, dans lesquels la question technique, entremêlée de con-
sidérations s.ur notre existence nationale et les devoirs des
citoyens, était traitée en un style vivant et pittoresque, nous sou-
haitions voir, dans tous les champs de l'activité, des hommes du
métier s'occuper de littérature, non seulement pour traiter leur
science, mais aussi pour décrire les mœurs professionnelles.
Nous avons des peintres militaires, disions-nous, pourquoi n'au-
rions-notis pas des écrivains militaires?
C'est, qu'en effet, l'art littéraire peut s'accommoder aisément,
semble-t-il, d'une existence consacrée h d'autres soins. Il y a,
certes, des écrivains de profession, mais chez nous en très petit
nombre, sauf les journalistes qui de plus en plus deviennent de
simples manœuvres, bâclant au jour le jour, en un langage quel-
conque, des articles qui sont à l'œuvre littéraire ce que la pein-
tur(j en bâtiment est au tableau ; car il suffit d'avoir à faire une
besogne quotidienne dans une de ces galères pour perdre rapide-
ment, par les nécessités du reportage et de l'enguoulemenl de
commande, les dons artistiques dont on a été gratifié par le sort.
En dehors de ce triste gagne-pain, nul, en Belgique, à ({uelques
exceptions près, ne vit de sa plume, et c'est l'origine de ce phé-
nomène spécial à notre petite nationalité, qu'un grand nombre
de nos auteurs ne le sont que durant les loisirs que laisse leur
occupation dominante. Presque tous nos poètes, presque tous
nos prosateurs sont en même temps et principalement autre
chose. Il ne vient à la pensée de personne, à moins d'avoir des
rentes, de se borner à écrire. Les éditeurs ne paient guère les
œuvres nationales parce que le public ne les lit guère ou, du
moins, ne les achète ^uère, l'usage d'emprunter les livres et de
se les passer de main en main ayant atteint des proportions
*>-.
étonnantes. Aussi est-ce un grand service que vous rend un
imprimeur quand il consent à tirer h ses propres frais, et le cas
est-il rare.
Cette situation fâcheuse peut avoir pourtant cette consé(|uence
salutaire de susciter des écrivains parmi les spécialistes et c'est
un point de vue avec lequel il est bon de familiariser nos com-
patrioles. Nombre d'hommes ont en eux tout ce qu'il faut pour se
mettre du premier coup au dessus des gâcheurs qui posent dans
la presse pour les seuls adeptes de l'art lilléraire, et ils seraient
bien malavisés de laisse r ces déformés jouir de leurs grotesques
prétentions. Il ne sera jamais trop lot pour achever la démons-
tration de cette vérité : que le journalisme à reportage qui sévit
comme une syphilis est une école de bêtise et de patois et que
c'est ailleurs que doit se former et s'affiimer notre littérature.' Et
puisque c'est présentement encore un rêve pour la plupart, de
n'être qu'écrivains, qu'avocats, médecins, militaires, négociants,
professeurs, qu'ils s'y mettent résolument, à côté de leurs occu-
pations journalières, décrivant leur vie et leur milieu av(.'c cette
supériorité de réalisme et de sentiment qu'on a toujours quand on
peint ce qu'on sait, ce {|u'on a vu, ce qu'on a vécu. Seul ce mou-
vement épanouira les forces littéraires latentes de notre pays, seul
il nous débarrassera de l'écœurante nécessité de n'avoir pour
nourriture intellectuelle nationale que les ragoûts des gratte-
papier du journalisme belge.
Qu'on se persuade que ce n'est pas aussi difficile qu'on le pour-
rait croire. Des tentatives variées ont déjà été faites et presque
toujours ont réussi. Aujourd'hui que la principale saveur d'une
œuvre est surtout dans son originalité et sa sincérité, et que,
grâce aux- dernières années de luttes, les questions de forme sont
devenues familières h quiconque suit le mouvement dans les
revues qui mènent la campagne, un homme qui observe et qui
pense, peut développer ses qualités littéraires natives. La lecture
et les polémiques si vives de notre époque sont de très puissants
moyens d'éducation pour la technique indisj)ensablc. On en peut
juger par cette circonstance caractéristique que nombre de
jeunes gens se tirent d'affaire fort brillamment quoique la
pensée n'ait i)as encore reçu chez eux le puissant aliment de la
vie. Combien meilleures seraient les mêmes tentatives faites par
des hommes h qui l'expérience a donné la maturité et la profon-
deur. C'est un préjugé de croire que, dans l'art d'écrire, il faut
commencer tôt à peine de ne réussir jamais. A notre avis, c'est,
au contraire, l'art dans lequel le retard est le plus souvent favo-
rable. Un esprit que n'ont point drainé des productions prématu-
rées et trop répéléi's comme c'est malheureusement devenu la
coutume, comme une verdeur, une pénétration et une abondance
singulières.
C'est un des grands avantages de l'écrivain qui ne l'est pas de
profession, de pouvoir s'abstenir de ces publications à jet con-
tinu qui ruinent si prompleriient tant d'esprits. Maître de sa situa-
tion, il écrit lorsqu'il veut, il lance une œuvre lorsqu'il veut.
Il lui laisse ce fertile repos qui permet les revisions salutaires,
amène peu à peu la correction presque absolue et l'inébranlable
solidité. On expose trop les tableaux fraîchement achevés, qui
apparaissent crus et sans l'harmonie dans laquelle le temps fond
les couleurs. On publie trop de livres qui ont les mêmes défauts.
Heureux ceux qui peuvent attendre, heureux ceux qui peuvent
se borner. Autrefois, les grands écrivains mouraient la plupart
avec un petit, mais puissant bagage. Désormais, il n'est pas d'au-
teur qui ne semble atteint d'une diarrhée littéraire incurable : les
livres succèdent aux livres en un écoulement incompressible et
ffnalement, la terrible, l'insupportable, l'odieuse répétition se
montre avec ses allures lasses et ennuyées, et celui qui en
souffre le plus ce n'est pas le lecteur, c'est l'écrivain honteux de
lui-même et découragé.
Récemment encore, un exemple charmant de ce que peut Un
homme (jui n'est pas du métier quand il se laisse aller franche-
ment à ses impressions à été donné par un de nos jeunes avo-
cats. Toques et Robes, par Arthur James, a été accueilli avec
une faveur marquée. C'est, on le sait, une série de cfoquis judi-
ciaires dessinés par un néophyte de la vie du Palais, durant les
premiers mois après son entrée dans ce monde nouveau et pitto-
resque. 11 arrive, il regarde, il s'éionne, il est ému, il essaie de
comprendre. Trop neuf pour pénétrer à fond cet organisme com-
pliqué, ses yeux grands ouverts n'effleurent que la surface. Il
discute avec lui-même sur ce qu'il voit, s'inquiète de tout évé-
nement, s'arrête ^ tout passant, s'interroge, s'abandonne au
hasard des hypothèses, rêve, suppose, bâtit, (explique à sa
manière. C'est une âme novice, élonnamm(>nl sensible et imagi-
nativiî, que le tlot des actions journalières auxquelles elle assiste
emporte comme un esquif lég(M', tantôt mené par un courant,
.tantôt ramené par un autre, paisible ici, irrité là, laissant
échapper toujours ses vives impressions en* un style alerte
composé presque exclusivement d'images. Une œuvre, en
résumé admirablement jeune et naïve, que quelqties-uns ont
eu tort d'apprécier à la mesure de l'art passagèrement absolu
dont ils ont dicté le Code, et dont, pour nous, le charme péné-
trant est précisément dans le laisser-aller et dans la promptitude
de la notation, étrangère à toute rétïexion compassée de styliste.
C'est vraiment un stagiaire qui parle sans penser qu'il pourrait
bien être un écrivain, mais un stagiaire que son éducation a
nourri de moelle littéraire et qui, sans s'en douter, manie dextre-
ment la plume. Et c'est pourquoi nous citons, ce petit volume
de jeunesse comme une preuve de ce que peut, bien i»ieux que
les cabotins de nos gazettes, usés dans le marmitonnagc de leur
ratatouille périodique, un esj)rit qui ne fait |)as de la littérature
sa profession, mais se livre, avec l'indépendance séductrice de
l'amateur, à la confession de ses pensées et de ses sentiments
dans la forme qui lui vient d'elle-même.
Amateur! Non. Le mot est mauvais. L'ignominie des médio-
crités l'a avili. Il s'entend désormais de ceux qui, se bornent, qui
doivent se borner, en raison de leur infirmité naturelle, à n'être
que des diminutifs. Ce sont eux qui, en peinture notamment,
déshonorent les expositions oiî l'on en est encore ù ne pas char-
ger, sabrer et massacrer les difformes. Ceux dont nous nous
occupons ici sont des artistes tout en étant, en môme temps,
a^utre chose de par les nécessités sociales du milieu belge. Le
prototype de ce genre pourrait être Hans Sachs, le cordonnier-
poète. Mais gardons-nous d'encourager les prétentions des im-
puissants. Assez de misères artistiques nous encombrent. Prêchons
contre elles la croisade et rappelons de tous nos vœux le dépètre-
ment. Plus d'amaieurs! Plus d'amateurs ! Ce fut depuis longtemps
notre cri d'alarme et notre cri de guerre. Aussi le terme même
nous est-il odieux, et il faut en chercher, en trouver un autre pour
qualifier dignement cette catégorie d'artistes qui ne sont pas que
cela. Pour eux-mêmes, pour le public il faut les préserver d'une
dénomination discréditante qui, à elle seule, classe dans un groupe
ioférieur et ridicule.
Or, depuis peu d'années, il s'est formé en Angleterre une con-
298
UART MODERNE
fréric artistique qui offre de l'analogie avec ceux dont nous par-
lons et qui a adopid le nom, assez singulier à première vue, qui
sert de titre au |)résent article : les Esthètes. Sa racine est
visible :" il s'agit de fervents du beau, de rcslhélique, non pas
dans le sens de dilettante, de celui qui se borne à voir, à écouter,
à lire l'œUvre d'art, mais qui l'exécute lui-môme tout en n'étant
pas artiste de profession.
Ce mot, nous le mettons en avant, en opposant VesLhèle à
l'amateur. S'il n'est pas d'une barmonie parfaite, il est exact et
neuf. Il rend bien l'idée et l'usacre le fera moins rocailleux.
Ayons donc désormais nos Esthètes. Qu'ils se reconnaissent et
qu'ils s'aflirment. Puisque notre Belgique n'en est pas encore à
faire vivre de leur seul art ceux qui écrivent, qu'ils soient Esthètes
à côté de leur fonction sociale lucrative. Qu'ils n'hésitent pas à
se livrer au besoin de produire qui est dans toute âme artistique.
Les temps sont passés où, comme nous le disions au banquet
Lemonnier, l'avocat qui écrivait perdait sa clientèle, le médecin
sa réputation, le négociant ses affaires, le temps où l'officier
artiste nuisait à son avancement. Les idées se sont dégagées,
on comprend do plus en plus que l'art pénètre partout, qu'il est
inséparable de la vie, qu'il faut le dire et'le montrer, qu'on
pourrait prendre pour devise A'w««/ in hel leven, que sans lui il
n'y a ni vrai bonheur ni vraie civilisation, et que dès lors le
devoir, pour qui sent en soi l'élan, la flamme, le pec/z/5, le démon
de l'écrivain, est d'être Esthète quand il ne peut être exclusive-
ment Artiste.
Yhéatre?
L'Alcazara fait sa réouverture, mafdi, d'une façon très brillante.
Le nouveau directeur, M. Desfossez, a su recruter une troupe et
un orchestre qui vont ramener la vogue au gentil théâtre de la
rue d'Arenberg.
On jouait V Etudiant /?rt«i;r^ et, grâce aux interprètes, l'opérette
sautillante de Millœcker a paru plus pimpante que jamais.
M'"*' Horvev v a débuté avec de la voix et de la distinction. C'est
une vraie diva possédant du style et du goût. Le baryton M. Car-
pentier, le ténor M. Lary, la basse M.FalcIiieri et M™^* Herer et
Durocher forment un ensemble parfait et très supérieur à tout ce
que nous avons eu précédemment à l'Alcazar même sous la
direction Humbert. M. Lagye, qui a autrefois si bien conduit la
Fille Avant et Giroflée, a repris sa place uu pupitre du chef
d'orchesmî. On voit que ce choix d'éléments supérieurs dénote
l'intelligence de la direction qui sera certainement récompensée
de son zèle par l'aftluence du public.
EDOUARD AGNBESSENS (*)
Il y avait en ce temps-là — dans un coin du vieux Bruxelles
— un atelier de peinture qui faisais joliment parler de lui.
C'était en ce quartier de Notre-Dame-aux-Neiges, aujourd'hui
disparu et qui alors s'entrecoupait de ruelles, où ça et là, dans
une demi-obscurité, fleurissait encore le Cubaret à tonnelle, avec
les bancs de bois abrités sous la verdure, et la rugueuse planche
défoncée par le roulement pesant des boules.
Là, vers le milieu de la rue de l'Abricot, une rue de silence et
d'ombre, qui, à l'heure des écoles seulement, s'animait d'un
grand cognement de sabots, s'ouvrait une impasse, baptisée d'un
nom musical — l'impasse Sainte-ApoUine, toute verte de l'épaisse
(') Voir la notice sommaire que nous avons publiée dans notre numéro
du 6 septembre, au lendemain de la morvt de l'éminent artiste.
draperie d'un lierre qui s'écroulait d'un mur voisfn. On montait
un rude escalier tournant, aux marches de pierre creusées par
des ascensions réitérées, et l'on avait devant soi l'entrée de
l'atelier. Défejise était faite aux profanes de pénétrer en ce lieu
sacré qu'un veilleur, vrai Cerbère, gardait incorruptiblement et
où n'avaient accès que les affiliés.
Vers le milieu du jour, la porte s'ouvrait brusquement, et un
homme trapu, solide, la face sanguine, entrait dans l'atelier, se
glissait entre les chevalets, allant de l'un à l'autre, rappelant au
respect de la nature les égarés et fortifiant les mieux voyants
d'un applaudissement discret. C'était le bon maître de qui ren-
seignement devait imprimer une si forte poussée à toute la jeune
école et qui, dans l'histoire de l'art belge, méritera de ne point
être séparé de la pléiade poussée à ses côtés.
Jean Portaels, — tel est son nom, — enveloppait d'une égale
sympathie tous ses élèves, mais peut-être ses dilections secrètes,
allaient-elles à quelques-uns, privilégiés du côté du talent et des
espérances, et qui, depuis, se sont presque tous fait un nom con-
sidéré dans l'art.
Au premier rang de ceux-là marquait un jeune homme de
vingt à vingt-deux ans, court, ramassé mais bien pris dans sa
petite taille, le col musculeux et supportant une tête moqueuse,
illuminée par la flamme de l'œil, sous le large développement
d'un front magnifique, en arrière duquel se bouclait une chevelure
épaisse; ses camarades, avec celte habitude du sobriquet familière
aux ateliers, l'appelaient entre eux « Boule », peut-être à raison
de la rondeur ample de son buste et des muscles qui, sur ses
bras vigoureux, roulaient pareillement à de grosses billes. Son
nom véritable, celui que la mort vient de remettre en lumière,
après une disparition trop longue, était Edouard Agneessens, un
nom d'ailleurs toujours retentissant parmi notre population
bruxelloise qui n'a pas oublié l'héroïque doyen delà corporation
de Saint-Nicolas, montant à l'échafaud pour expier l'inébranlable
fidélité à ses convictions. Le peintre avait ce martyre pour ancêtre
et tirait de cette hérédité glorieuse un légitime orgueil.
Personne ne prévoyait alors l'horrible mal qui, plus tard, avant
même qu'eût sonné l'heure de la maturité, et bien que cette
maturité, par l'effet d'une précocité singulière, se fût révélée
•presque aux débuts du jeune artiste, devait obscurcir cette claire
et saine intelligence, si merveilleusement douée pour la pratique
de l'art. La vie s'ouvrait devant Ed. Agneessens, comme une
large avenue au bout de laquelle l'attendait une gloire certaine,
et le maître aussi bien que les disciples étaient unanimes pour
saluer en lui le peintre en qui ressus^'iteraienl un jour, dans leur
force éternisée, les plus éclatantes vertus du génie flamand.
Ses premières apparitions aux Salons de peinture furent, en
effet, des coups d'éclat et des victoires que nul, dans la critique
et chez les peintres, ne chercha à contester, et qui, d'emblée, le
rangèrent au nombre des plus robustes exécutants que, depuis
le xvii^ siècle, l'art des Pays-Bas eût engendrés. Aucune défail-
lance ne s'apercevait en ce dessin serré, nerveux, vivant qui,
dans ses premiers portraits, s'unissait à une exécution grasse,
solide, maîtresse d'elle-même jusque dans les plus subtiles com-
binaisons du coloris. Van Dyck, dont le nom a souvent été pro-
noncé à propos des œuvres d'Agneessens, sans que celte parenté
lointaine ait fait tort à l'un ou l'autre, revivait là dans les har-
monies exquises des gris argentins, modulés avec le sens le plus
parfait des colorations assoupies et des demi-teintes finement
lumineuses. On a pu voir, on peut voir encore aujourd'hui, à
l'exposition universelle d'Anvers, un de ces portraits des commen-
cements, celui du sculpteur Marchand, enlevé, lui aussi, à la
fleur des ans; et, bien que la peinture ait un peu jauni, il
demeure, parmi les autres portraits non pas seulement de la
section belge, mais de toutes les nations exposantes, un des mor-
ceaux les plus achevés qu'il soit donné de voir. La griffe du
temps, les nouvelles recherches des écoles, les variations de
l'optique et de l'esthétique n'ont rien enlevé de la beauté tran-
quillle et pensante de cette œuvre qui pourrait s'apparenter aux
nobles interprétations de la personne humaine consacrées dans
les musées par l'admiration des âges. Et pourtant l'artiste, le bel
artiste qui s'annonçait el d'une fois donnait sa mesure dans celle
grande manière d'entendre la figure, ne tlevait pas s'arrêter là :
chaque loile, chaque portrait, car c'est surtout celle synthèse si
puissamment humaine qui l'attirail, signala depuis, un affinemenl
de son sens artistique, une clarificalio^n de ses procédés, un élar-
gissement dans le style, — cet irrécusable style qui n'a rien à voir
avec les canons ni les recettes mais consiste tout entier dans un
certain doji d'exprimer la nature par les côtés de force et de
grandeur.
Tourmenté par cette ambilion qui, à un certain moment, fait
rêver d'appareiller pour des Eldorados nouveaux. Ed. Agnecssens
cependant caressait, dans les derniers moments de sa vie pen-
sante, c:ir l'autre, hélas! s'est prolongée après que celle-là était
déjà éteinte, le désir de s'essayer, et se fût essayé en maître,
dans un champ d'observation plus vaste. Tous ceux qui l'ont connu
alors ont reçu la confidence de ses plans el de ses projets : il eût
voulu symboliser les forces de l'air el de la lerre dans une suite
de compositions qui auraient été eh même temps la glorification
du travail humain. On a dit, el si la chose est vraie, l'éternelle
sottise des directions des beaux-arts s'est montrée là une fois de
plus, que le gouvernement du temps n'avait pas prêté la main
avec empressement à l'accomplissement de celte idée qui, sous
un tel pinceau, eût été féconde. Je me souviens avoir vu, pour
ma part, aux murs de l'atelier, de ce vivant et joyeux atelier de
la rue des Epingles, des éludes qui étaient la préparation à ce
grand travail demeuré enseveli dans les limbes de l'irréalisé, et
dont il devait emporter avec lui, au noir exil de la maison de
santé, les combinaisons longuement mûries, sans que le fruit ait
germé aux branches de l'arlDre! Or, ces éludes avaient toutes la
marque des choses appelées à durer, pour peu que la vie et les
circonstances leur eussent départi le vent et le soleil, sans lesquels
rien ne germe.
Ce fut une stupeur dans toute la famille artiste quand on apprit
que celte vive intelligence s'était brusquement enrayée, car
la maladie ne vint que par étapes, lui enfonçant un peu plus à
mesures ses crocs dans les moelles, comme pour faire passer à
plaisir ses amis ^t ses admirateurs, el ils étaient légion, par toutes
les affres de l'atlenle et de la désespérance. Un jour, après des
alternatives douloureuses où la lumière parut combattre les
ténèbres dans cet esprit épris d'harmonie et de clarté, l'horrible
réalité .parut évidente. La dernière étincelle s'éteignit; le flam-
beau cessa de brûler, et pendant près de huit années nous assis-
tâmes à l'agonie de celle âme qui ne savait pas mourir el ne pou-
vait plus vivre. Alors seulement, après qu'elle l'eût, pendant ces
huit siècles, torturée et traînée sur les claies, de la douleur el de
cette douleur plus grande que toutes les autres, la perle du sens,
un coup le foudroya, qui fut la délivrance.
Tout l'ancien atelier, el le vieux maître en têle, souffrant el
paralysé lui-même, et qui cependant s'était fait portera ce| ren-
dez-vous de la mort, pour ne point manquer le salut suprême à
ce vivant d'hier qui avait été sa forte espérance et en qui, jadis,
il avait salué un glorieux, tous les amis du début se sont rencon-
trés autour du petit cercueil jonché de fleurs dans lequel s'en allait
le bon compagnon, le pauvre grand peintre frappé avant d'avoir
donné sa moisson.
Ed. Agnecssens avait quarante-deux ans.
Pas une œuvre de lui ne figure au musée de Bruxelles (*).
Comme pour Louis Dubois et Boulanger, on a eu la cruauté d'at-
tendre qu'il ne fût plus pour s'aviser du vide que l'absence d'un
de ses ouvrages laisserait dans les collections. Et maintenant
qu'il est mort, la famille, les amis, les possesseurs de ses toiles
vont être sollicilésà coups de banknoles, naturellement.
Camille Lemonnier.
(') N'est-ce pas une erreur? N'y flgure-t-il pas un portrait depuis quelque
temps ? Notre absence, expliquée par les vacances, nous empêche de vérifier.
EXPOSITION ARTISTIQUE A TOURNAI
Nous recevons d'une de nos plus intéressantes et de nos plus
vaillantes artistes la lettre que voici :
Monsieur,
Puisque vous vous intéressez tant à tout effort tendant à élever le
goût des arts dans le public, je me permets de signaler à votre atten-
tion le nouveau Cercle artistique de Tournai, formé depuis deux
mois et dont la première exposition s'ouvrira le 13 septembre. Le
secrétaire, M. Charles AUard, a eu, je crois, l'initiative de ce mou-
vement très extraordinaire dans un centre assez désintéressé de l'art
depuis nombre d'années, et il lui a fallu beaucoup d'énergie pour
mener à bonne fin une entreprise qui rencontrait peu d'encourage-
ments.
Pour ma part, j'ai vivement félicité ces messieurs de leur projet
et je leur ai promis de collaborer à leur œuvre, dans la mesure de
mes moyens. Je leur ai procuré l'adhésion de Franz Courtens, qui
leur a envoyé deux toiles, et j'espère pour Tan prochain réunir un
groupe jeune dans le nouveau local, qui sera dans de meilleures con-
ditions.
Vous voyez, Monsieur, que si la première exposition n'est pas ce
que nous voudrions, nous n'eu sommes pas moins décidés à obtenir
de cette tentative un résultat sérieux dans l'avenir et je ne doute pas
que cela suffise à nous procurer votre bienveillant appui.
Recevez, etc.
P
ETITE CHROJ^IQUE
Excursions dans le pays de Liège, par Thé\os.
— Un guide encore! dit, dans sa préface, Thélos; pseudonyme qui
cache M. Isidore L'Hoest et son fils, encore un guide! après tant
d'autres.
— Eh mon Dieu, oui. Et nous ne croyons pas avoir fait œuvre
superflue.
En effet, le nouveau livriculet, très bien compris et adroitement
agencé, de TJiélos, renferme des notices et des détails intéressants
sur le pays de Liège et de Huy où il nous guide, et les plans et les
cartes qui y sont joints, facilitent le voyage.
Avis aux touristes et aux excursionnistes. Letroisième tirage va
paraître chez Decq, à Liège.
Cette multiplication des ouvrages relatifs à notre pays montre
combien le goût pour le pittoresque national se développe. Tant
mieux, notre art y gagnera. Nous habitons un des pays les plus
variés et les plus séduisants du monde par ses charmes naturels.
On commencé à le comprendre.
Oui, a dit un mécontent; mais bien mal habité.
La Société de gravure de Vienne^ tiendra annuellement, autant
que possible vers Noël, dans le local de l'Association des Artistes
(Kiinstlerhaus), à Vienne, une exposition d'ouvrages des arts gra-
phiques et particulièrement de ceux qui auront été publiés dans
l'année même.
L'Exposition aura un caractère essentiellement international. Les
artistes et les éditeurs de tous pays pourront y participer, en se sou-
mettant aux conditions d'admission.
Les auteurs d'ouvrages d'une valeur artistique hors ligne, sans
égard aux procédés techniques employés, tels que les dessins exécu-
tés pour être reproduits, les gravures sur bois ou cuivre, les eaux-
fortes, seront récompensés de médailles ou de diplômes.
^- Le Jury qui sera institué pour décerner les récompenses se com-
posera des délégués du Grand-Chambellan de l'Empereur et du Gou-
vernement et de sept membres, dont trois seront désignés annuelle-
ment par y Académie Impériale et Royale des Beaux- Arts de
Vienne, et quatre pdiV V Association des Artistes.
Le règlement général de l'Exposition, que publiera le Conseil
d'administration de la Société de gravure, déterminera les conditions
relatives aux délibérations et au vote du Jury des récompenses.
Pour tous renseignements s'adresser au bureau de la Société de
Gravure VI. Magdalenen-Strasse, 26, à Vienne.
On a souvent demandé que l'Etat fit placer au bas des tableaux
ou sur les socles des statues une notice claire indiquant le sujet traité
par l'artiste.
Cette amélioration va être réalisée par la ville de Paris ; en exécu-
tion d'une délibération récente du conseil municipal, des plaques
indicatives seront prochainement apposées sur toutes les œuvres
sculpturales qui décorent les squares et jardins publics de la capitale.
300
LART MODERNE
JOURNAL DES TRIBUNAUX
PARAISSANT LE JEUDI ET LE DIMANCHE
FAITS ET DÉBATS JUDICIAIRES. — JURISPRUDENCE. — BIBLIOGRAPHIE. - LÉGISLATION,
NOTARIAT
ADMINISTRATION
A la librairie FERDINAND LARCIER, 10, rue des Minimes, à Bruxelles"
Tout ce qui concerne la rédaction et le service du journal doit être envoyé à cette adresse. — Tous les numéros
sont déposés. ' . - ■
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parviendront à la rédaction du t/o2*r>?«/.
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Bruxelles. — Imp. Félix Callbwabrt père, rue de l'Industrie, 26.
Cinquième année. — N° 38.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 20 Septembre 1885.
■^
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
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Adressei^ les demandes d'abonnement et toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
Sommaire
Essai de pathologie littéraire. Les bien portants. — Jules
Zarembski. — L'impressionniste Turner. — En voyage. —
Petite chronique.
ESSAI DE PATHOLOGIE LITTÉRAIIIÉ ()
LES BIEN-PORTANTS.
« Stéphane Mallarmé, Paul Verlaine, ont fait de
beaux vers, de très beaux vers; qui l'ignore, disions-
nous dans un de nos précédents articles. .Que le destin
nous garde de ne pas discerner ce qu'il y a dans leurs
œuvres de vraiment supérieur (**). «
Nous ne saurions donc, sans injustice, parlant des
Bien-Portants, ne pas les ranger parmi ces derniers
pour certaines périodes, certains moments de leur vie
artistique. Ce ne sont pas des malades chroniques, mais
intermittents, sujets à des accès plus ou moins violents,
plus ou moins fréquents. Il y a dans les œuvres des
Déliquescents de si remarquables choses, à côté des insa-
nités, que sou ventes fois nous avons entendu poserj en
ce qui les concerne, la question de savoir s'ils n'avaient
pas, les jours de leurs bizarreries, le parti-pris de se
moquer de la critique. Peut-être, mais c'est leur secret.
Peu importe. La critique y va bon jeu, bon argent et
a le droit de traiter cei^x qui jouent les fous avec elle
comme s'ils étaient fous véritablement
{*) Voir nos n" des 19 et 26 juillet, 2, 9, 16, 23 et 30 août, et 6 septembre li-85.
('*) N- du 9 août dernier.
Il s'agit donc d'une démence avec intervalles lucides.
Parlons des intervalles lucides.
On se trouve alors devant des œuvres, non seulement
bonnes d'après la commune mesure poétique, mais,
d'une originalité puissante. Quelques exemples que
nous donnerons tantôt le démontreront avec évidence.
A ce point de vue les Déliquescents marquent une étape
que l'histoire littéraire de notre temps ne peut dédai-
gner, que nous particulièrement, qui mettons la person-
naUté au des.sus de toutes les autres qualités artistiques,
aurions mauvaise grâce à ne pas signaler avec insis-
tance. Dans la façon de voir les choses, de pénétrer les
sentiments, dans la recherche.et la peinture des images,
cette caractéristique de la poé.sie contemporaine, ils
ont <3ud,es inspirations et des audaces étonnantes. Quand
ils ne les forcent pas jusqu'à tomber dans Tincompré-
hensible oii l'informe, on ressent à la lecture de leurs
vers, une vive sensation de nouveauté séduisante qui
explique le fanatisme de leurs partisans et que nous
li'hésitons pas à louer comme un phénomène curieux et
fécond.,Ils ont risqué des au delà qui sont des conquêtes
de terres inconnues. L'art en est enrichi et ne perdra
plus cet accroissement de territoire. Ils *ne se sont pas
bornés à taire sur les champs que l'on possédait de la
culture intensive, augmentant le produit des anciens
labours; ils ont défriché des champs où nul n'avait
jamais cultivé. Il faut ne pas leur marchander la gloire
que méritent ces travaux accomplis dans leurs jours de
belle santé, et si, brûlés par la fièvre de ces efforts, ils
ont souvent divagué, il ne faut pas, confondant leurs
exploits avec leurs folies, les conspuer indifféremment
pour toutes leurs œuvres. Non. Il faut seulement en
dire assez des dernières pour dégoûter les homuncules
qui frétillent dans le sillage des poètes, se nourrissent de
leur substance, et, avec leur bêtise de pasticheurs,
déglutissent habituellement les éléments les plusimpui-s.
A propos des Incohérents et de leurs nébulosités,
nous avons fait remarquer le charme des vers qui, non
seulement décrivent les impressions vagues de la terre
et des âmes, mais, dans la phrase même et les mots
donnent un à-peu-près qui s'arrête juste à la délicate
limite après laquelle l'obscurité, le confus apparaissent.
Ces écrivains sont les Corot de la poésie. Certes un rien
amène le trouble qui détruit le cristallin à travers
lequel l'image passe, diffuse mais visible pourtant dans
ses vagues et doux contours. Il faut une habileté de fée
pour ne point passer du translucide à l'opaque. Ce
miracle de charmeur est toutefois possible et ceux qui
l'ont réalisé sont, des novateurs dignes d'éloges. Nous
trompons-nous quand nous disons que ce fut le cas pour
Stéphane Mallarmé dans la pièce qu'on va lire?
N'est-elle pas vague et veloutée comme un pastel?
N'est-ce pas un rêve baigné dans une molle incertitude,
oti l'on se retrouve néanmoins, mais comme en des sen-
tiers sur lesquels plane encore la brume matinière?
Rien de la sèche netteté des chemins bien tracés,
rigides, allant droit jusqu'à l'horizon.
- La lune s'attristait. Des séraphins en pleurs,
Rêvant, l'archet aux doigts, dans le calme des fleurs
Vaporeuses, tiraient de mourantes violes
De blancs sanglots, glissant sur l'azur des corolles.
— C'était le jour béni de ton premier baiser.
Ma songerie aimant à me martyriser
S'enivrait savamment du parfum de tristesse
Que même sans regret et sans déboire laisse
La cueillaison d'un rêve au cœur qui l'a cueilli.
J'errais donc, lœil rivé sur le pavé vieilli.
Quand, avec du soleil aux cheveux, dans la rue
Et dans le soir, tu m'es en riant apparue, ^
Et j'ai cru voir la fée au chapeau de clarté
Qui jadis sur mes beaux sommeils d'enfant gâté
Passait, laissant toujours de ses mains mal fermées
Neiger de blancs bouquets d'étoiles parfumées.
Oh! que c'est caressant et tendre. Indécis et contes-
table dans certaines images, assurément, mais, c'est là
le charme et l'originalité de ce genre spécial : ne pas
tout dire, dire approximativement aussi, murmurer,
esquisser, ensoii7xlincr tout, donner à l'âme une sensa-
tion exquise de demi-réveil, faire qu'elle se cherche,
qu'elle tâtonne, mais sans humeur parce qu'elle se
ressaisit dans ce nuage léger et plein de senteurs
légères.
Voici de Paul Verlaine maintenant. C'est le même
procédé en demi-teintes. Il s'agit d'exprimer l'épuise-
ment et rincurable lassitude des hautes classes à la fin
de l'empire romain. Le poète ne veut pas décrire en
termes précis le lugubre ph^iomène historique. Il veut
que la fatigue des phrases accompagne la fatigue des
hommes. Il a confiance que l'efiët sera plus puissant,
que tout au moins il sera neuf. Il éprouve un invincible
dégoût à répéter ces choses dans le style usuel qui lui
semble déclamatoire et usé. Pour lui il y a une har-
nionie entre le faire de l'œuvre et son sujet. Pour dire
des choses lassées, il veut des tournures lassées, il veut
des expressions lassées, il veut une voix lassée, des à-
peu-près,desenfrecoupements,des pensées qui commen-
cent et meurent mal achevées. Il s'agit d'une civilisa-
tion qui se traîne avec des lenteurs d'agonie, il vase
traîner dans son langage. Lisez, d'une voix de malade,
le sonnet que voici, et dites si l'efiet cherché n'est pas
obtenu avec une intensité singulière :
Je suis l'Empire à la fin de la décadence
Qui regarde passer les grands Barbares blancs
En composant des acrostiches endolents
D'un style d'or oii la langueur du soleil dense.
L'âme seulette a mal au cœur d'un ennui dense.
Là-bas on dit qu'il est de longs combats sanglants. •
0 n'y pouvoir, étant si faible aux vœux si lents,
0 n'y vouloir fleurir un peu cette existence !
0 n'y vouloir, ô n'y pouvoir mourir un peu !
Ah! tout est bu! Bathylle, as-tu fini de rire?.
Ah ! tout est bu, tout est mangé ! Plus rien à dire !
Seul, un poème un peu niais qu'on jette au feu,
Seul, un esclave un peu coureur qui vous néglige.
Seul, un ennui d'où ne sait quoi qui" vous afflige !"
A notre avis, on ne saurait, de façon plus pathétique
décrire avec plus de vérité un sujet aussi navrant. Et
c'est fait en quelques traits mous, en quelques images
floconneuses mais d'une pénétration poignante, qui s'en-
foncent, s'enfoncent millimètre par millimètre. Qu'on
lise ces vers, non plus avec langueur, mais du ton ora-
toire accoutumé, et le charme est rompu, la fleur
étrange referme ses pétales, il ne reste plus qu'un bou-
ton bulbeux, terne, diflbrme, sur lequel la critique
banale peut exercer sa plaisanterie.
D'Arthur Rimbaud nous avons cité YOraison du
soir.'^i on ne l'avait pas signalée comme un chef-
d'œuvre, si on l'avait laissée ce qu'elle était d'après
nous : une boutade de collégien (son auteur était en
seconde quand il la fit), nous n'y aurions rien trouvé à
redire. Voici par contre une pièce de la plus intense
originalité, les Assis .-jamais le don de l'image exacte
dans son excentricité ne s'est, croyons-nous, révélée à
un plus haut degré. Les formules, les conventions sont
directement heurtées. Celui qui aime à retrouver dans
ce qu'il lit les vieux refrains et les vieilles règles est
horripilé. Mais ce n'est pas dans ce sentiment qu'il faut
aborder les innovations. N'en sommes-nous pas la plu-
part à subir ce phénomène psychique qu'indiquait un
compositeur à l'occasion de Wagner : « C'est drôle, je
ne puis souffrir cette musique et pourtant elle me
dégoûte des autres? " Nous avons besoin de nouveau, et
quand on nous le présente, nous protestons. Ces impres-
sions contradictoires enseignent qu'il nous faut y regar-
der de très près quand, au premier contact, nous subis-
sons un choc. Qu'on examine donc avec patience la
pièce suivante; qu'on y revienne, qu'on réfléchisse à
ses étrangetés, non pas qu'elles soient obscures, mais
elles. sont si imprévues, et peu à peu, nous en sommes
convaincu, la brutale beauté de ces vers, l'âpreté du
tableau se divulguera et imposera l'admiration. Ces
assis, ce sont les vieux gratte-papier, les vieux em-
ployés de bureaux, les fonctionnaires assis. Mauvais
sujet pour des vers. Allons donc! Voyez ce qu'en tire
un poète original et téméraire.
Noirs de loupes, grêlés, les yeux cerclés de bagues
Vertes, leurs doigts boulus crispés à leur fémur,
Le sinciput plaqué de liargnosités vagues ,
Comme les floraisons lépreuses des vieux murs,
Ils out greffé dans des amours épileptiques
Leur fantasque ossature aux grands squelettes noirs
De leurs chaises ; leurs pieds aux barreaux rachitiques
S'entrelacent pour les matins et pour les soirs.
Ces vieillards ont toujours fait tresse avec leurs sièges.
Sentant les soleils vifs percaliser leurs peaux,
Ou les yeux à la vitre où se fanent les neiges.
Tremblant du tremblement doulouleux des crapauds.
Et les sièges leur ont des Bontés; culottée
De brun, la paille cède aux angles de leurs reins.
L'âme des vieux soleils s'allume, emmaillotée,
Dans ces tresses d'épis où fermentaient les grains.
Et les assis, genoux aux dents, verts pianistes,
Les dix doigts sous leur siège aux rumeurs de tambour,
S'écoutent clapoter des barcarolles tristes,
Et leurs caboches vont dans des roulis d'amour.
Oh! ne les faites pas lever! C'est le naufrage.
Ils surgissent, grondant comme des chats gilliés,
Ouvrant lentement leurs omoplates, ù rage!
Tout leur pantalon bouffe à leurs reins boursouflés.
Et vous les écoutez cognant leurs tètes chauves
Aux murs sombres, plaquant et plaquant leurs pieds tors,
Et leurs boutons d'habit sont des prunelles fauves
Qui vous accrochent l'œil du fond des corridors.
Puis ils ont une main invisible qui tue ;
Au retour, leur regard filtre ce venin noir
Qui charge l'œil soutirant de la chienne battue,
Et vous suez, pris dans un atroce entonnoir.
Rassis, les poings crispés dans des manchettes sales,-
Ils songent à ceux-là qui les ont fait lever,
Et de l'aurore au soir des grappes d'amygdales
Sous leurs mentons chétifs s'agitent à crever.
Quand l'austère sommeil a baissé leurs visières.
Ils rêvent, sur leurs bras, de sièges fécondés,
De vrais petits amours de chaises en lisières . -
Par lesquelles de fiers bureaux seront bordés.
Des fleurs d'encre, crachant des pollens en virgules,
Les bercent le long des calices accroupis.
Tels qu'au pli des glaïeuls le vol des libellules,
— Et leur mçmbre s'agace à des barbes d'épis !
Ainsi écrivait un tout jeune homme, un étudiant.
C était de l'outrance, mais quel entrain, quelle ironie
terrible. La dose du corrosif liquide était çà et là trop
forte, oui. L'accès pointait, la santé chancelait. Mais
l'énergie du tempérament était formidable. Et à qui
ressemblait cette tumultueuse nature? Ce n'était plus
la farce de VOraison du soir, c'était l'originalité dans
une franchise violente et insolente, qu'il suffisait de con-
tenir.
Cette même exubérance caractérise un poème de
Tristan Corbière, la Fin, sorte de réponse brutale à la
belle élégie de Victor Hugo qui commence i)ar ces vers
célèbres :
Oh! combien de marins, combien de capitaines
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines.
Dans ce morne horizon se sont évanouis
Corbière, marin lui-même, ne s'accommode pas du
sentimentalisme avec lequel le grand poète pleure la
fin tragique dans un naufrage, et reprenant le thème
sur un rythme barbare et bourru, il 'répond par cette
rude, dédaigneuse et superbe apostrophe :
Eh bien, tous ces marins, matelots, capitaines,
Dans leur grand Océan à jamais engloutis.
Partis insoucieux pour leurs courses lointaines.
Sont morts — absolument comme ils étaient partis.
Allons ! c'est leur métier ; ils sont morts dans leurs bottes !
Leur boTijaron au cœur, tout vifs dans leurs capottes.
— Morts... Merci : la Camarde a pas le pied marin ;
Qu'elle couche avec vous; c'est votre bonne-femme...
— Eux, allons donc : Entiers ! "enlevés par la lame !
Ou perdus daus un grain...
Un grain... est-cela mort ça Ha basse voilure
Battant.à travers l'eau! — Ça se dit encombrer...
Un coup de mer plombé, puis la haute mâture
Fouettant les flots ras — et ça se dit sornhrcr.
— Sombrer — Sondez ce mot. Votre mort est bien pâle
Et pas grand'chose à bord, sous la lourde rafale...
Pas grand'chose devant le grand sourire amer
'Du matelot qui lutte. — Allons donc, de la place!...
Vieux fantôme éventé, la Mort change de place :
t La Mer ! . . .
Noyés?... Eh î allons donc! Les noyés sont d'eau douce.
— Coulés! corps et bien! Et, jusqu'au petit mousse,
Le défi dans les yeux, dans les dents le juron î
""■ A l'écume crachant une chique ràlée.
Buvant sans haut-le-cœur la grand'tasse salée.
■ — Comme ils ont bu leur boujarou. —
— Pas de fond de six pieds, ni rats de cimetière :
Eux ils vont au requin! Lame d'un matelot
Au Heu de suinter dans vos pommes de terre.
Respire à chaque flot.
— Voyez à l'horizon se soulever la houle :
On dirait le ventre amoureux
D'une fille de joie en rut, à moitié soûle...
Ils sont là ! — la houle a du creux. —
— Ecoutez, écoutez la tourmente qui beugle!...
C'est leur anniversaire. — Il revient bien souvent. —
<0 poète, gardez pour vous vos chants d'aveuglé ;
— Eux : le De profiindis que leur corne le vent.
Qu'ils roulent infinis dans les espaces vierges !...
Qu'ils roulent verts et nus,
Sans clpus et sans sapin, sans couvercle, sans cierges...
— Laissez-les donc rouler, <6'rW<?r5 parvenus!
Qui donc ne se sentira pas emporté par cette mâle
clameur, retentissante comme l'ouragan? Qui n'y verra
l'inspiration d'une grande âme? Et quant à l'origi-
nalité, elle est indiscutable, comme dans les pièces que
nous avons reproduites plus haut. Ce n'est pas à leur
propos qu'il faut se demander s'ils imitent Baudelaire,
l'éternel. Rien dans leurs vers n'y fait penser. Ils sont
eux-mêmes, et c'est assez, c'est tout.
Ah ! oui, tout cela fut fait en des heures de belle
santé ! Pourquoi faut-il qu'autour de ces oeuvres si
dignes d'être louées, s'étale le ridicule remplissage que
nous avons condamné? Le mélange est inexplicable et,
bizarre circonstance, dans ses Poètes maudits, Ver-
laine qui signale ces pièces, met au même plan et admire
autant les autres. Encore une fois, ne se moque- t-on
pas des pauvres critiques?
Nous n'avons pas voulu terminer ces études sur des
questions si neuves et si intéressantes, sans cet article
qui, après le blâme souvent rigoureux met la louange
méritée et essaie de marquer la place à laquelle les
Déliquescents, malgré leurs folies des mauvais jours,
ont droit dans l'évolution littéraire contemporaine.
Leur œuvre est zébré d'ombre et de lumière. Il faut
s'accoutumer à une critique qui, se refusant à condam-
ner en bloc, examine une à une les productions artisti-
ques et voyant en l'écrivain l'homme du droit romain
quipliires sitstinet 2)ersonas, fait la ventilation de ses
écrits. Des maladies littéraires régnent, mais, comme
dans les maladies médicales, elles surgissent, dispa-
raissent, reviennent, sont passagères ou chroniques,
endémiques ou épidémiques. Nous en avons décrit quel-
ques-unes. A d'autres de compléter. Quant au remède,
il est dans leur étude même.
Juj.E,S ^/.REMBPKI
La mort décime le Conservatoire de Druxellcs. Après Joseph
Servais, Jules Zarembski vient de succomber. Comme l'éminent
artiste que nous pleurions il y a quinze jours, il meurt h trente-
quatre ans, dans la plénitude du talent, à l'époque où le virtuose
et le compositeur, mûris par des études complètes, poussées avec
une indomptable énergie dans les régions les plus élevées de
l'art, donnaient généreusement leur moisson.
Cette mort a produit, ainsi que l'autre, et quoiqu'elle fût moins
imprévue, la plus douloureuse émotion. Il y a deux ou trois ans,
Jules Zarembski fut atteint d'une cruelle maladie de poitrine qui
l'obligea à suspendre momentanément le cours qu'il donnait,
avec une remarquable autorité, au Conservatoire. A son retour
dé Davos, où il fit une cure, on le trouva si bien rétabli qu'on
cSpéra que le mal était définitivement vaincu. Hélas! ce n'était
qu'une halle sur le chemin douloureux dont l'artiste vient d'at-
teindre le but. Quoiqu'elle eût été prédite comme inévitable dans
un avenir prochain, sa mort semble une mort subite tant on
avait repris espoir et tant on s'était habitué à voir le jeune maître
dompter la maladie avec l'énergie qu'il mettait h triompher des
difficultés du mécanisme et de la composition.
Car rien ne lui paraissait impossible h exécuter, aucun pbstacle
ne lui semblait insurmontable. Elevé h la forte école de Liszt, il
avait- étudié le piano avec passion, avec rage, arrivant rapide-
ment ii dépasser, comme virtuose, tous les pianistes de son tomps^
Et le piano de concert ne lui suffisant plus, parce qu'il en avait
épuisé toutes les ressources, pénétré tous les mystères, fait jaillir
tous les effets, il imagina d'introduire à Bruxelles le i)iano à deux
claviers, dont l'un était le renversement de l'autre. Il parvint à
dompter cet instrument, d'une exécution atrocement difficile,
comme il avait soumis le premier, et les séances qu'il organisa
h Bruxelles, dès son arrivée, consacrèrent sa réputation de vir-
tuose de premier ordre.
Mais Zarembski était plus que pianiste. Il était musicien, et
musicien dans toute l'acception du terme, excellemment doué
pour interprêter les maîtres classiques, à en mettre en relief l'ar-
chitecture sévère, et aussi h mettre dans l'exécution des roman-
tiques et des contemporains toute la fougue, loul l'abandon, tout
l'emportement qu'ils exigent.
En ces dernières années, il publia un grand nombre de com-
positions, dont nous avons parlé lorsqu'elles parurent. Toutes
révèlent la nature poétique, un peu rêveuse, très personnelle, de
ce tempérament déhcat. Par dessus tout, elles marquent le mé-
pris souverain qu'avait l,e maître pour la banalité et le déjà dit,
mépris qui l'entraîna souvent à des audaces de combinaisons
harmoniques ou de tournures de phrases jugées avec quelque
sévérité par les Beckmesser à férule et à perruque, et par lU
même saluées comme des trouvailles heureuses par les Walter
de la Vogelweide, dont heureusement le nombre s'accroît chaque
jour. - ■
Son œuvre la plus belle, la plus complète, celle où il avait
mis le meilleur de sa nature, reste inédite. C'est ce merveilleux
quintette exécuté au printemps dernier avec Jenô Ilubay, Joseph
Servais et J.-B. Colyns, et dont nous fîmes alors l'éloge qu'il
mérite.
Ses œuvres pour piano, tant h deux qu'à quatre mains, demeu-
reront dans la bibliothèque des musiciens, rappelant h tous l'ex-
cellent artiste que la mort a frappé dans la force de la jeunesse
et dont le départ laisse de si profonds regrets.
Nous nous associons de tout cœur à la douleur de sa jeune
veuve, qui est, elle aussi, une artiste de grand talent et dont on
était si habitué à voir, dans les concerts, la gracieuse image, aux
côtés de son mari, partageant avec lui les applaudissements et
les rappels.
L'INPRESSiaiNKISTË Tl}R\Elt
Turner naquit académicien et mourut impressionniste, au
rebours des ûmes molles qui, l'empreinte officielle reçue, la gar-
dent indélébile jusqu'au jour final.
A vingt-sept ans, tandis que le cerveau hanté par les traditions,
UART MODERNE
305
le dos ployé sous le bagage d*écolicr que renseigncnjent acadé-
mique avait accumulé sur ses (^pnulcs, il bâtissait péniblement
une toile selon les conventions adinises et les données reçues, on
lui ouvrit les portes du sanctuaire. 11 connaissait les rites, il pra-
tiquait le culte avec les génuflexions, les remuements des lèvres,
les gestes consacrés : il était digne d'entrer.
Une excursion en France lui ayant révélé l'existence et la gloire
de Claude Lorrain, on applaudit aux habiles pastiches qu'il fil des
œuvres de l'artiste : l'imitation des maîtres n'est-elle pas con-
seillée et hautement appréciée à l'Académie? Le jour où il exposa
le Soleil levant dans le brouillard, qui reproduit servilement les
procédés, la couleur, le stylo et jusqu'à la composition de Claude,
Turner fut proclamé homme de génie.
Quand, à la suite d'un voyage en Italie, il ouvrit eniin les yeux
h la vérité, qu'il débarrassa sa palette des bitumes qui l'attris-
taient, qu'il ouvrit largement sa fenêtre et s'aperçut que la lumière
qui baigne les objets au dehors n'est pas la même que le jour
qui tombe d'un lanternoau d'atelier; quand il se mit joyeusement
h peindre, avec des rulilances de couleur et des chatoiements de
pûtes nacrées, les fulgurations de la mor baisée par le soleil, le
rayonnement du matin dans les clartés pâles du ciel, et ce scin-
tillement de joyaux dans des vapeurs opalines qui est Venise, alors
on déclara Turner fou et on lui tourna le dos.
Si le mot impressionniste eût. éié' inventé, on le lui eût crié
comme une injure, et â travers les années il eût traîné ce vocable
à la suite de son nom. l\lais ni le mot, ni les petits journaux dont
le métier est d'attacher de ces retentissantes casscrolles, n'exis-
taient encore. ■
. Aujourd'hui que l'épithète est devenue glorieuse, on peut l'ac-
coler au nom de Josoph-Mallord-William Turner.
Singulières destinées qu'ont les mots! Hier raillerie, aujour-
d'hui signe de ralliement, demain symbole de victoire. Qui ne se
souvient de l'exaspération qu'eut le don de provoquer, chez cer-
taines gens, le terme réaliste? Les peintres cjui récrivirent fière-
ment sur la porte de leur atelier, après l'avoir ramassé, selon
l'usage, au bas d'une colonne de gazette, passèrent pour des
êtres sans j)rincipes, sans délicatesse, sans scrupules, voire sans
moralité. Une artiste très ofticicllement cotée â Bruxelles dit un
jour, en notre présence : « Les réalistes? Sachez que jamais je ne
voudrais d'un de ces hommes-Ui pour mari ».
L'impressionnisme de Turner n'est pas niable. A partir du jour
oii il rompit délibérément avec les anciennes formules, il fit des
phénomènes de la lumière l'étude constante et acharnée de sa
yie. Il décomposa le prisme solaire, chercha h en exprimer sur
la toile les effets magiques au moyen de la combinaison des tons
simples qui le composent. Les brumes de gaze lamée d'or que
l'aurore étend sur les eaux, les incendies allumés dans le ciel par
le couchant, les plus subtiles dégradations de tons que provo-
quent la pluie, le brouillard, une tourmente de neige, la vapeur
que dégag(î la mer sous les rayons du soleil, il en poursuivit
obstinément l'expression exacte, et souvent il la fixa, avec un rare
bonheur, en d'harmonieuses coulées de pâle.
Le récent procédé des impressionnistes français, de Claude
Monet et de son école, la juxtaposition des tons simples qui pro-
duit, à dislance, des vibrations d'une intensité prodigieuse, on le
trouve en germe dans l'œuvre de Turner. Dans la plupart des
tableaux qui datent de sa troisième manière, de sa manière défi-
nitive, le pourpre pur, le bleu d'outre-mer pur, le cadmium pur,
sont audacieusement appliqués sur la toile, même aux arrière-
plans. L'exemple le plus frappant s'en trouve dans le tableau
catalogué, à la galerie nationale, sous le titre Ulysse raillant
Polyphème, qui montre, dans un paysage fantastique de rochers
percés de grottes et de eavcrnes baignant dans les eaux bleues de
la mer, le héros grec, debout sur la proue d'un navire, défiant
le géant qu'on devine vaguement, par delh les monts, mêlé aux
nuages (jue déchire, comme des voiles, les rayons du soleiL
levant.
Il est facile de se convaincre, en examinant les nombreuses
études inachevées que possède la collection, que tel était le pro-
cédé habituel du peintre, dissimulé fréquemmerît, il est vrai, au
rebours des impressionnistes d'aujourd'hui, sous des pâtes sup-
pcrposées en des glacis.
Les abords de Venise, les Obsèques en mer de sir Wilkie, le
(c Soleil de Venise » prenant la mer, Apollon tuant le serpent
Python, le Golfe de Balles, la Grotte de la reine Mab, le der-
nier voyage du Téméraire, toute l'étonnante série de composi-
tions, où le fantastique s'unit h la vérité d'impression, et jus-
qu'à la toile mi-allégorique, mi-réelle, que le peintre intitula :
(nous citrons de mémoire ; i)eul-étre le litre n'esl-il pas rigoureu-
sement exact) Pluie, soleil, vapeur, où l'on voit un train du
Great-Western-Railway lancé h toute vitesse ^uh un viaduc,
toutes ces œuvres, disons-nous, dérivent des mêmes principes et
participent de procédés semblables.
Ce qui fait l'originalité de Turner, c'est que l'imagination et
l'observation livrèrent constamment bataille dans son âme d'ar-
tiste; de celle dualité naquit une œuvre mixte, qui ne réalise le
vœu ni. des idéalistes purs, ni celui des amants de la vérité., mais
qui n'en est pas moipéTnVs intéressante et dénoie un tempéra-
rrient de.choix. On ifourraifl représenter Turner sous l'aspect d'un
arbre fictif dont les racinei plongeraient à la fois dans les terres
fécondes de la xéalilé et dans le champ des légendes. Nourri de
ces sucs différents, tourmenté par ces sèves contradictoires, il
s'épanouit en feuillages bigarés, inclinant ses branches sur les
deux sols qu'il ombrage, sans qu'il soil possible de discci-ner
auquel il appartient plus particulièrement.
De pareils plants, comme toutes les créations hybrides, ne se
reproduisent pas. Turner n'a pas fait école. Son individualité,
ainsi que le fait observer avec raison M. De Taeye, était absolu-
ment trop caraclérisliquc. Il reste, dans l'histoire de l'art, un
phénomène isolé et par là même exerce une attraction singulière
autour de lui.
Mais en même temps qu'elle lui donna une personnalité nette-
ment définie, cette lutte enlredeux éléments inconciliables empê-
cha Turner de s'élever dans les hauteurs qu'il eût pu atteindre
s'il se fût résolument débarrassé de l'une ou de l'autre des théo-
ries qu'il chercha à appliquer simultanément. M.' Ernest Chesneau,
dans le vojumc qu'il consacre dans la Bibliothèque de renseigne-
ment des beaux-arts, à la peinture anglaise, regrette qu'il n'ait
pas approfondi davantage la réalité. «Turner n'a pas assez regardé
la nature, dit-il. Il a, dans l'emportement de son imagination
, impétueuse, trop souvent dédaigné l'étude de la réalité. Dédaigné,
le mot est trop fort : il n'est point assez souvent revenu à la réa-
lité. Sur un coin du réel entrevu, il brodait les plus éclatantes
variations, où parfois le thème primitif disparaît. »
Cela est exact. C'est le résultat des deux courants qui empor-
taient son art dans des directions différentes et entre lesquels il
demeura ballolé. En se laissant audacieusement voguer sur l'un
d'eux, Turner eût peut-être, un demi siècle avant Manet, Claude
Moncl et Konoir, créé l'école impressionnisic qu'il avait vague-
ment pressentie. En lançant son esquif sur l'autre courant, il eût
s§ns doute développé davantage, jusqu'à leur épanouissement
complet, les riches facultés d'imagination que révèlent ses œuvres
et fût devenu quelque grand artiste fantaisiste à la façon des
Breuglicl, parmi les maîtres anciens, de Gustave Moreau, parmi
ceux de notre temps.
Il est un mérite ((u'on ne peut enlever \ï la gloire de Turner,
malgré les grossières erreurs que recèle son œuvre en quel-
ques-unes de s('s j),aities, malgré le défaut de pondération qui
l'alourdit, malixré son insullisante connaissance des formés
Immaines : c'est (ju'ù une é|)n(|ue où régnait la convention pure,
où tout écart du sentier tracé par les canons académiques était
réprimé par l'opinion publitpie à l'égal d'une inconvenance ou
d'une indécence, en ce pays de rigide austérité, Turner eut le
courage de renoncer aux faciles succès que lui valut l'imitation
d'aulrui, dans laquiîlle il traîna sa jeunesse, pour défricher,
hache îrla main, tm coin de la grande forêt de Tart, où malgré
les ci)upes régulières, il reste encore tant de fourrés inexplorés.
Il avait fait ses preuves, il avait solidement assis sa réputation,
et quand il jeta aux ronces son habit de gcntiliiomme bien en
cour pour devenir le bûcheron cognant d'ahan aux arbres et pour
s'enfoncer dans les mystérieuses solitudes de l'art vierge, il était
trop tard pour lui décocher l'injure usitée, pour le traiter d'igno-
rant, de barbouilleur d'enseignes, d'incapable de faire besogne
digne. Alors on eut recours h la suprême ressource i)ar laquelle
les imbéciles atteigiient de leur venin ceux (lui leur ont échappé.
On cria derrière lui : « Laissez-le passer! Cet homme est fou.
Prenez-le en pitié et ne faites pas attention à ses extravagances ».
Et aujourd'hui encore, après trente-cinq années accumulées
sur sa tombe, il est des gens disposés à affirmer c[ue Turner
était, depuis l'époque où il abandonna les pastiches de Claude
Lorrain, en état habituel de démence.
Ah! il faut avoir l'âme bien trempée pour résister aux chocs
sous lesquels on cherclie h accabler les novateurs ! Et l'histoire
d'hier est celle d'aujourd'hui, malgré les exemples qui abondent.
Quand donc la foule s'accoutumera-t-elle à respecter l'art qu'elle
n'est pas apte h comprendre, à laisser fleurir la fleur rare de l'ori-
ginalité sans la piétiner.
Turner est l'un des artistes auxquels une énergie indomptable,
une persévérante ténacité valurent le triomphe. Sachons profiter
de l'enseignement qu'il nous laisse, plus précieux et plus durable
que les éphémères productions que Londres conserve*pieusemcnt,
avec lair de se repentir du passé.
EN VOYAGE
Non, tout n'y est pas rose. On ignore \x quel point, même aux
plus superbes heures d'admiration, devant tel paysage, tel coin
de montage, tel coude dé vallée, un artiste se trouve froissé,
blessé, insulté par la laideur et la caricature modernes.
On lui gâte obstinément, avec une audace stupide, avec une
fantaisie ridicule, la seule chose à laquelle pourtant il a droit,
puisque seul il la comprend : la nature. Le bourgeois enrichi dans
la cannelle et les bonnets de coton, l'architecte qui fait des lignes
sur du papier, l'ingénieur qui travaille avec des marteaux-pilons
et du béton comprimé, et l'Etat, oh, surtout le monstrueux Etat
belge, cet être gigantesque, qui, depuis quatre ans, a 1 ,200 écoles,
200 gares et 3,000 boîtes aux lettres- sur la conscience, font cette
horrible besogne de gâcher tout site charmant, toute perspective
pittoresque, toute échappée de vue grandiose, rapetissant, dimi-
nuant, abattant, déchiquetant, plaquant les « constructions »
comme des verrues sur le profil des monts, plantant les chemi-
nées, ces niirlitons debout, près des ruisseaux qui chantent,
étalant, comme des vols de corbeaux figés, les usines aux toits
énormes et symétri(pies et noirs dans les vallées et les plaines.
Les vacances et les vovacres sont ainsi continuellement con-
trariés dans leurs joies et leurs entliousiasmes ; toujours la
hideur de l'argent se dresse — et certaines tours affreuses et
droites ressemblent à des piles d'écus. Le goût public, — celui
que les ministres des travaux publics invoquent comme une
dixième muse — l'exécrable et terrible goût public qui permet îi
la statuaire italienne d'entamer du marbre et aux marchands de
pendules allemands de torturer le bronze (lui ne leur ont rien fait,
s'abat sur la Belgi(iue entière comme sur une proie et corrige les
Ardennes, el fioriture les bords de la Meuse, et enjolive le pays
de Liège, et festonne la Campine, et marquette la grande et immor-
telle Flandre. Travail de petit Poucet semant de cailloux gros-
siers les bois magnifiques; constructeurs de boîtes à surprises;
coucous méthodiques qui se paient un i)etit logement nurember-
geois; animaux remisés dans une arche de Noé peinte ; diablotins
à ressort enfoncés dans leurs cases en papier.
Au fond, cette guerre du Snob contre l'artiste est toute simple
h mener; le génie n'y est point indispensable. On peut' être tout
uniment épicier du coin. Il sutfit de deux armes : la ligne droite
et la propreté. - 4' . .
La ligne droite! On n'en connaît guère la laideur si l'on n'a
visité les villes américaines et certaines villes allemandes, telle
qu<! Mannheim, ou le damier le plus parfait constitue le plan de
la ville. C'est un vrai jeu de dominos symétriquement rangé : on
y habite des bhmcs partout et des double six. Les rues galonnées
de maisons, sont tirées au cordeau, toutes. Rien' ne dépasse la
plus uniforme platitude; aucune surprise; aucun relief. Tout est
nu « comme un plat d'argent », nu « comme un discours d'aca-
démicien i). 11 est défendu, à certains jours, de se pencher par
la fenêtre, les nez faisant saillie. ,
En Belgique, le cuUe de la ligne droite n'a point encore subi
une aussi stricte réglementation. Pourtant on y remarque un
boulevard du Hainaut très réussi et une avenue Louise })arfaite.
Plus tard, on ne pourra comprendre comment une ville, aussi
importante que Bruxelles, ait choisi pour se transformer le
moment précis où rien d'artistique n'habitait le cerveau de ses
architectes. On se persuadera de toute la monotonie, de toute la
désespérante rectilignité, de toute la tristesse du chemin le plus
court d'un point à un autre. Bruxelles s'est métamorphosé cin-
quante ans trop tôt el la Belgique eniière l'a suivi, entraînée par
l'exemple. Aujourd'hui encore Gand fait toilette neuve et allonge
sur sa robe des rubans droits et uniformes comme des lattis.
Et dire qu'il suffisait de courber quelque peu les rues et de cas-
ser, ci et là, la trop persistante longitudinalité, pour changer tous
les aspects. Que les voies soient larges; que le vent, l'air et le
soleil y circulent et s'y étendent et s'y pavanent, i)arfait. Nous ne
voulons pas faire un saut en arrière jusqu'au moyen-âge, ses
coupe-gorges, el ses culs de sac, el ses ruelles qui renfermaient
d'intimes pestilences comme des boyaux malades ne séduisent
guère. Mais nous aimons le pittoresque et l'Originalité. Nous
renretlons de voir se construire toutes les gares sur un même
UART MODERNE
307
mo(l(Me, nous ne nous enlliousiasmons point devant les écoles
communales rayées uniformément (i(; blanc et de rouge comme
les jaquettes des jokeys; nos bras ne se hissent pas en point
d'exclamation devant les boîtes aux lettres, nouveau-système, sur
lesquelles au lieu des mille indications postales il importerait
d'écrire avant tout: Ceci nesl puini ce que vous pensez; nous
détestons et les monuments en maussade Renaissance flamande, et
les maisons en néo-gothique prétentieuses et apoplectiques d'or-
nements, et les portes cocliôres à têtes de lions, et les sonnettes en
gueule de tigre, et les panneaux énormes, et les grattoirs où toute
une armée, rangée de front, pourrait se décrotter les semelles.
Nous voulons la proportion, l'adaptation aux besoins, l'utilité
pratique et la raison. C'est peu et c'est simple — et pourtant
combien nous craignons que l'on ne réussisse point h nous le
donner d'aujourd'hui à longtemps. En rien, l'étalage de la bêtise
qui i)aie, n'est plus au large que dans les constructions de nos
rues et de nos hôtels. Telle façade h des enflemenls de bedaine,
des empourprements de joues après boire, des airs repus, des
orgueils gras et satisfaits. C'est l'enseigne — et l'on devine der-
rièrç les cerveaux aussi étroits que le ventre est large, la satisfac-
tion étalée au creux des fauteuils en voloui's et en peluche, les
meubles en laideur sculptée, les pendules si lourdes qu'elles
écrasent les cheminées de marbre, et les bibelots suisses, et les
cuivres allemands, et toute la ferblanterie d'étagère et de foire qui
est au salon entier, ce que le dessert indigeste esl au repas
lourd.
Et dans tous ces appartements, ce qui règne parallèlement au
mauvais goût, c'est la mesquine et bourgeoise propreté ; la pro-
preté méticuleuse, agaçante, scrupuleuse, bête comme l'écono-
mie de bouts de chandelle; la propreté qui épo^jsscte chaque objet,
mais maintient des résidus dans les coins des bahuts, qui fait
peindre la façade, tous les ans, mais laisse un chaos de bric-à-brac
s'étendre au grenier, la propreté toute en dehors, une i)ropreté
de manchette (juand la chemise est sale et de gant bien tiré
quand la main est poisseuse.
Une telle propreté niesquinise. C'est de la vétille. C'est elle qui
a inventé le crépis, la chaux, le badigeonnage, c'est elle qui a
gâté toutes les églises, mettant une chemise crayeuse sur leur
belle nudité de pierre, c'est elle qui détruit l'admirable adapta-
tion de la maison au site, de la brifjueà la Flandre et du moellon
îi l'Ardcnne, c'est elle qui fait peut être la jietite ville, qui en est
cause et ([ui en entretient l'esprit.
Qu'on ne s'imagine néanmoins pas qu'en haine de cette pro-
preté trop lisse, nous aimions par ricochet la saleté méridionale.
Ce serait excessif, bien ([u'on puisse soutenir qu'elle a plus de
caractère et de relief. La propreté n'est au fond que le regret du
flambant neuf, le désir de conserver aux objets leur apparence
de nouveauté. Et le neuf en art, quoi de plus horrible?
La propreté pour bien des gens n'est que la blancheur,
de même que l'ordre n'est que la ligne droite. Double erreur,
comme on voit. El voilà la raison pour laquelle Monsieur et
iMadanie Timmcrmans ou Van Coi)pernolle ont du linge bien
blanc, plié méticuleusement, et rangé, par douzaines, dans une
armoire h glace, en bon acajou avec panneaux géométriques et
polis.
^ETITE CHROJv(IQUE
M. Edgard Tinel, directeur de l'Ecole de musique religieuse de
Matines, a fait entendre dans cette ville quelques-unes de ses
œuvres, parmi lesquelles De hlokke Rocland, la cantate qui valut au
jeune maître le prix de Rome ; une ballade inédite avec chœurs, inti-
tulée De drie ridders (les trois chevaliers) ; plusieurs lieder pour
ténor et pour voix de femme, quelques morceaux pour piano extraits
des recueils liunte hlclltcr et Au printempsy enfin, des chœurs sans
accompagnement Vlaamsche stemme et Maria liederen.
Cette audition, dont la presse locale nous apporte les échos, a
obtenu un grand succès et l'on espère décider M. Tinel à la répéter
au mois de novembre, les vacances ayant empêché bon nombre
d'amateurs — et nous sommes de. ceux-là — '• d'assister à cette inté-
ressante séance.
Le concert serait <lonné cette fois avec accompagnement d'or-
chestre.
Nous avons publié dans un de nos derniers numéros le programme
du concert donné à Ostende par M. Henri Heuschling. On nous rap-
porte que la tentative hardie de Texcellent baryton — qui a porté
seul tout le poids de cette séance, comprenant vingt morceaux de
musique ! — a pleinement réussi. La presse fait de la méthode de
M. Heuschling et du charme de sa voix le plus sérieux éloge.
" C'est, dit le critique musical ilùVEcho d'Ostende, un des rares
chanteurs de l'époque en qui il serait difficile* de trouver des
défauts ".
La Société hongroise des Beaux-Arts, à Budapest, informe les
artistes que son exposition d'automne s'ouvrira cette année le l^r no-
vembre prochain.
Sommaire de la Chronique des Beaux-Arts (août 1885) :
Andy Marks le Dompteur,. P. Agost. — La vie de George Eliot,
E. Gastelot. — Les arts déc^^^atifs à l'exposition, ^'^^. — Le père
Jacobus, E. Landoy. — L'art v.ii nous, J. Champal. — A propos
(ÏExcelsior, Ghatenay. — L'embellissement des quais d'Anvers.
Gittens. — Les pianos à l'exposition, Scherzo. — Chronique musicale.
Six planches et une planche double hors texte [Bureaux : Anvers,
rue Gramaye, 10. *
Lo Coi' nnej- français i)\ih\ie aujourd'hui un numéro à sensation,
qui contient :
Le retour des bains de mer, charmante composition de A. Willette,
plus deux pages du même artiste; Vivent les vacances et une étude
de Jacquet, plus une double page en couleur de H. Pille, tirée en
supplément. La partie littéraire est très soignée. Pris du numéro
avec supplément : 30 c. Abonnements : six mois, <5 tV ; un an. 10 fr.
Les nouveaux abonnés recevront comme primes le superbe numéro
de 40 pages sur la Charité et le numéro des Incohérents. S'adresser
au Courrier français, 14, rue Séguier, à Paris. Les prochains
numéros du Courrier français contiendront des dessins inédits
d'André Gill, du Prince Impérial, de H. Somm. Uzès, Blass, etc.
*"' Sommaire de la Revue contemporaine (2.5 août 1885, :
Une esthétique scientifique, Charles Henry. — Krotkaïa. Récit
fantnstiq'ue (l^e partie), traduit par M. E. Halpérine, Th. Dos-
toïewski. — Lettres inédites à Sainte-Beuve, avec introduction de
M. Eugène Forgues, Lamennais. — Cantilènes. Poésies, traduites
par Gabriel Sarrazin, Shelley. — Le mauvais chuchoteur. Poésie,
Maurice Rollinat. — Abdication. Nouvelle, Paul Margueritte. —
Ernest Hello. Xotes, Charles Buet. — La république parlementaire
en France, De Sygna. — Critique littéraire et artistique. — Biblio-
graphie.
Un numéro franco contre 2 francs en timbres -poste.
Abonnements : Paris, 20 francs. Départements et Etranger,
22 francs. ,
308
UART MODERNE
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Cinquième année. — N° 39
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Dimanche 27 SEnEMUiiE 1885.
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Adresser les demandes d'abonnement et toiites les communications à
l'administration aÉNÉRALE DE l'Apt Modeme, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
^OMMAIRE
Les origines de la France contemporaine, par Taine. La Révo-
lution, Premier article. — Londres. — Pathologie littéraire.
Correspondance. — Livrks nouveaux. La chanson de la mer,
par Paul Marguerite. — Les tiikatres. — Petite chronique.
LES ORIGINES DE LA FRANCE CONTEMPORAINE
PAR TAINE
liA RÉVOLUTION
. Premier article.
h' Ancien Régime q^mq Ton connaît et admire depuis
longtemps, la Révolution qui vient de paraître et que
l'on discute avec véhémence, VEnipiy^e que l'on ignore
et attend, seront, sous le titre d'ensemble : Les
origines de la France contemporaine, l'oeuvre capi-
tale de la vie étonnamment laborieuse du grand écri-
vain que la nouvelle génération qui a adopté Baude-
laire pour son poète, proclame son philosophe. Plus
que X Histoire de la littérature anglaise, plus que
\ Intelligence y plus que Vie et opinion de M, Frédé-
ric-Thomas Graindorge ce griffant pamphlet des
mœurs parisiennes au temps du carnaval impérial, elle
servira à asseoir le jugement public sur ce 7iaturaliste
de rame comme il s'est nommé lui-même après qu'il
eut suivi les cours du muséum et de l'Académie de
médecine par une formule imprévue et ingénieuse
d'adhésion au Positivisme d'Auguste Comte.
Tant pis, car cela prend une mauvaise tournure.
Celui qui, dans son Ancien Régime, par une descrip-
tion si froidement et si minutieusement violente du der-
nier siècle, avait fait contre le passé un irrésistible
réquisitoire* et ainsi justifié à l'avance la Révolution, a
peu à peu dévié dans les trois volumes qu'il a consacrés
à celle-ci, et, finalement, aboutit contre elle à un
réquisitoire nouveau plus formidable que le premier,
qui fera attendre avec impatience la troisième partie,
rFmpire, destinée peut-être à effacer les deux autres
dans, ce crescendo de véhémence, à moins que ce vir-
tuose de l'inattendu ne nous présente une apothéose
napoléonienne.
Un trait suffira pour donner la mesure des surpre-
nants glissements de cet artiste littéraire dont on a dit
avec une vivacité de critique qui alors semblait de la
partialité, mais qui pourrait bien être juste, qu'il n'a
aucun point fixe et que sa prohxité tient à une hésita-
tion perpétuelle de l'esprit : La Revue des deux
niondes lui remontre poliment qu'il devient réaction-
naire.
Hélas!- oui. Le cas de Jules Simon, de Vacherot et de
tant d'autres, se déclare. M. Taine n'a pu franchir, sans
qu'il lui en reste quelque chose, la formidable crise
communarde. Il en a subi l'affolement et n'en est pas
remis. Dès 1871, le tremblement qui l'affecte se sentait
dans son livre : Du suffrage universel et de la 7na-
nière de voter. Voilà que ça lui a repris pour avoir
touché, de ses mains élégantes de professeur . d'esthé-
tique, au drame colossal par lequel fut emporté
d'assaut et démoli, avec toutes les horreurs du sac et
I
du pillage, cet ancien régime qu'il a attaqué, ridiculisé,
flétri. Il en est ému jusqu'aux intimes profondeurs de
l'estomac bourgeois qu'il allie à son cerveau d'artiste;
dans ses terreurs et ses haines de conservateur subite-
ment éveillées, il résume Marat, Danton et Robes-
pierre, en disant que, sans la Révolution, le premier
fut mort dans une maison de fous, le deuxième eut
passé en police correctionnelle pour escroquerie, le
troisième eut fini petit avoué de province. Et dans son
exaltation contre-révolutionnaire, il va si loin que la
bonne grand'maman Revue l'appelle un ingénu violent,
et, lui reprochant doucement son outrance, fait remar-
quer avec son esprit de vieille bien conservée, que
c'est être partial que d'enfler ,tant la voix pour se
faire entendre, et, de peur de n'être pas compris, de
mettre imbécileotx onédioere pouvait suffire; énergu-
mèneoti c'était assez que à' exalté; bête féroce, tigre
et chacal, sanglier dans sahauge et ^iorc dans son
hourhier, où criminel disait tout ce qu'il y avait à
dire.
M. Taine revient, lui aussi, à ses origines. On a pu
longtemps espérer que ce normaliste émancipé, ce dé-
missionnaire de l'Université, serait, toute sa vie mili-
tant pour dégager l'art et l'histoire des mesquineries
académiques. Mais l'ancien disciple de Comte frise la
soixantaine ; il a jadis été question de lui pour le Sénat;
il n'est pas de ceux qui, à l'exemple d'Hubert Spencer,
quand on lui parle d'un mandat législatif, répond : Ah !
ça, me croyez-vous assez niais pour m'adjoindre à des
imbéciles qui passent leur temps à amender une sottise
par une autre sottise? La gloire de Victor Hugo, pair
de France, d'Alfred de Vigny et de Sainte-Beuve, séna-
teurs, lui donne des insomnies. Il a la préoccupation
qui rongeait misérablement Théophile Gautier : il a
rêvé de couronner sa carrière littéraire par des hon-
neurs politiques, et il est trop fin pour ne pas discerner
que les voies démocratiques et libres n'y mènent guère.
Lorsque l'âge et la vanité nous tiennent, il est difficile,
même pour un grand esprit, de ne pas faiblir. Que
d'Hercules filent aux pieds de ces Omphales! Et quand,
dans ces dispositions, on écrit sur la Révolution fran-
çaise, ce serait miracle de ne pas s'y montrer conserva-
teur. En d'autres termes, étant donnés le nombre de
lustres et les visées officielles d'un auteur, c'est une
opération simple comme les quatre règles, que de
déterminer comment il accommodera l'histoire.
Certes, le livre dont nous nous occupons n'en reste
pas moins intéressant, très intéressant. En tant
qu'œuvre de style, ce n'est pas nous qui le critiquerons.
Rarement les dominantes de la littérature de M. Taine
qu'on a résumées en cette formule : aiguiser un trait,
balancer une antithèse, étaler un rouleau d'images,
amener un choc de mots phosphoriques, exécuter
devant le public les manœuvres les plus variées et les
plus brillantes, se sont révélées une fois de plus avec
éclat. Les dilettanti, les désœuvrés, les petits lettrés,
les amateurs de la forme pour la forme peuvent se
déclarer hautement satisfaits ; l'auteur leur a fait lar-
gesse au buffet de son raout. Mais quand on se hausse
jusqu'à aborder cette expression suprême de l'art litté-
raire : l'histoire, dans laquelle l'artiste a la chance
divine mais court le danger redoutable de devoir unir
la solidité du fond à la beauté de la forme, le style seul
ne saurait satisfaire, et l'indiscrète et tracassière cri-
tique est en droit, sans qu'on puisse la chicaner, de
demander compte à l'écrivain de sa méthode et de ses
jugements. Dans l'ôccurence c'est d'autant plus son
devoir qu'il s'agit de défendre l'événement le plus consi-
dérable de la période moderne, et que déjà, comme
toujours, les maladroits imitateurs pullulent. On les
avait déjà vus s'approprier, avec la désinvolture d'éco-
liers accoutumés à copier leurs compositions, sa fameuse
théorie du gendarme par laquelle il explique, en suppri-
mant tout autre sentiment que la crainte, le respect
pour le droit et l'obéissance à la loi. Il convient de
parler, non pas pour la guérison de ces malades, mais
pour fortifier l'opinion dans les antipathies qui, de
toutes parts, se font jour contre une œuvre qui ne tend
à rien moins qu'à déshonorer le phénomène historique
auquel nous devons tout ce que nous sommes en ce
siècle.
Il est désolant de voir avec quelle petitesse de pro-
cédés et de vues M. Taine a cheminé tout au long du
très lent voyage qu'il a fait à travers les souvenirs de
ces années merveilleuses dans le bien comme dans le
mal. Sa manière de s'éclairer et sa manière de plaider
sa thèse sont aussi simples que fragiles. Il dédaigne
les grands résultats acquis qui règlent encore la vie
européenne présente, font partout sentir leur influence,
et en définitive crèvent les yeux. Non, ce minutieux
se livre à un prodigieux épluchage des faits minuscules
relatés dans les papiers du temps. Il attache une
vertu spéciale à toute publication datant de l'époque.
Il pense qu'il suffit d'avoir vécu alors pour être
traité en autorité. Il ne se doute pas que les narra-
teurs ont subi non seulement leurs préventions per-
sonnelles, mais encore celles de leur milieu. Il ne sait
pas que sur le même épisode chaque spectateur
donne une relation différente précisément par ces
détails auxquels, lui, l'historien ingénu, s'est attaché
avec acharnement comme au plus sûr des recours. Il
doit n'avoir jamais assisté aux enquêtes dont notre
justice offre quotidiennement des représentations. Il
ignore ce que n'ignore pas l'homme d'affaires le plus
humble. Et ce n'est pas tout. Après s'être désaltéré
jusqu'à la saoulerie, le mot, dans sa trivialité, n'est pas
trop fort, notamment aux récits de l'anecdotier Mallet
du Pan, devenu tout à coup l'égal de Froissard, voici
L'ART MODERNE
311
qu'il s imagine ne pouvoir mieux faire que de coudre
un à un, en un habit d'Arlequin interminable, des lam-
beaux de phrases, rassemblés des coins les plus divers.
Ici encore qu'il nous soit permis d'invoquer la pratique
des tribunaux, ces historiographes forcés de l'histoire
au jour le jour reconstituée par les témoignages. Il n'est
pas de stagiaire qui oserait faire une démonstration par
ce procédé dont la trompeuse malice est absolument
discréditée parce qu'elle permet à l'opinion contraire
de faire une démonstration opposée équivalente, en pre-
nant des phrases d'une autre couleur et en les ajustant
à son tour. Il est curieux, en lisant la Révolution
de M. Taine, de voir l'inébranlable et naïve confiance
avec laquelle il bâtit ainsi son pamphlet. Et comme on
s'excise à trotter toujours sur le même pavé, plus il
avance, plus il accélère son allure, plus il se gaudit
en la jouissance niaise de ce jeu de patience pédantes-
que, de cette mosaïque doctorale.
JiONDREp
Toorop, rimpressionniste, s'est attaqué aux rues de Londres,
ce prodigieux grouillement de misères, de vices, d'activités fié-
vreuses, que baignent des clartés de rêve, des jours crépuscu-
laires voilés de brumes jaunâtres, des lumières douteuses tou-
jours en révolte contre les fumées et les brouillards et qui
arrivent avec peine à se frayer un passage jusqu'au pavé gluant.
Depuis l'aube jusqu'à l'heure où les réverbères allumés recu-
lent dans la nuit l'ombre opaque des venelles, on le rencontre,
ballant les quais, accoudé au parapet d'un pont, planté, en
extase, au milieu d'un carrefour, sans souci du fracas des voi-
tures ni du roulement continu des omnibus. Il s'emplit les yeux
de la vision mouvanle, respire l'haleine qu'exhale, en vapeurs
épaisses, la cité monstrueuse, subit la fascination des lueurs
fugitives qui glissent sur les toits humides, font miroiter les
eaux huileuses du fleuve, luisent à l'angle des trottoirs, reflétées
par les dalles mouillées. Les passants, dans le tumulte de 'a
rue, ont un regard pour ce grand garçon au teint olivâtre, s'éton-
nent dp sa chevelure noire aux reflets d'acier. Lui, les contemple
de ses yeux doux, notant dans sa mémoire, comme sur une pla-
que sensibilisée, le mouvement des gens en marche, des chevaux
au trot, les dégradations du ton, les multiples phénomènes de la
lumière que tamise, ainsi qu'une gaze tendue par dessus la ville,
la buée flottante.
Parfois on le voit sortir un carnet de sa poche et griff'onner des
hiéroglyphes ou dessiner furtivement un croquis. Mais la foule le
bouscule, il faut céder. Le carnet est refermé et le peintre se
plonge dans le remous des flots humains qui s'agitent autour de
lui.
El rentré dans la chambre meublée qui lui sert d'atelier, dans
la solitude des quartiers tranquilles du square de Mecklembourg,
il jette sur la toile la vivante esquisse du spectacle qu'il a eu sous
les yeux, l'incessant défilé dont le grondement sourd, semblable
au bruit d'une armée en marche, bourdonne encore à ses oreilles,
la silhouette hâve d'une petite fille frileusement serrée dans un
châle en loques cl ofl'rant aux passants des bouquets d'un penny,
l'encombrement cl le désarroi provoqués, en pleine cité, par un .
cheval de fiacre qui vient de s'abatlrc, la bousculade des hommes
se ruant, à l'entrée du Sl.rand, sur les marchands de journaux
qui vendent la Pull Mail Gazette, ou le mélancolique et pitoyable
cortège des hommes-sandwichs, ces pauvres diables à qui on
accroche une afliche sur le dos et une sur le ventre, et qui, l'air
palerne et résigné, déambulent par chapelets de vingt ou trente
le long des trottoirs, annonçant aux populations que la moutarde
de Colman est la meilleure ou que rien ne surpasse la sauce de
Worcester.
Le matin, à l'heure oiî s'éveillent, surpris par la fraîcheur, les
misérables que le dénûment, le sommeil et la faim ont engourdis
Sur les bancs de pierre de London-Bridge, la haute stature de
Toorop apparaît dans le brouillard. L'artiste est armé, ceUe fois,
de sa boîle à peindre, — de celle boîte inquiétante qu'un poli-
ceman trop zélé prit dernièrement pour un réceptacle à dynamite
et qu'il faillit jeter dans la Tamise pour sauver le pont du cata-
clysme qu'il redoutait. Campé sur une borne, le peintre scrute
les vapeurs grises dont les volutes se déroulent à fleur d'eau,
baisent les flancs des navires à l'ancre, enguirlandent les mâtures,
se perdent, en nuées légères, dans les haubans. Il démêle la
forêt de vergues et de cordages qui se dresse dans l'aube gran-
dissante, caresse de l'œil les coques goudronnées, les cheminées
noires des steamers, les grandes voiles brunes dès barques de
pêche. D'une main calme, il compose sur le bord de sa palette
des tons fins qu'il applique sur la toile, dans le ravissement de
la création. Et voici qu'apparaissent sur le champ vierge du
. châssis les Silhouettes géantes des bâtiments amarrés le long des
quais, l'architecture des grands magasins noyés dans le brouil-
lard, dominés par la stature redoutable de la Tour de Londres,
et sur les eaux moirées, la débandade des allèges glissant silen-
cieusement entre les voiliers, les paquebots et les chalands de
rivière, au bruit naissant des grues grinçant de leurs ferrailles
Touillées au bord du fleuve et des trains malinaux ébranlant au
loin les ponts du chemin de fer.
L'élude achevée ou interrompue par l'envahissement des pas-
sants et des fiacres, l'ariiste ferme sa boîle et reprend, à travers
les quartiers populeux, sa marche à grandes enjambées, coupée
de longues stations. Puis ce sont des regards curieux jetés par la
porte entre-baillée des luncheon-rooms , où, dans le décor des
dressoirs éiincelants de verres, de flacons, de bouteilles, de
carafes, le long du comptoir revêtu de marbre blanc, s'alignent
à la file les déjeuneurs silencieux, perchés sur des escabeaux
élevés, et mangeant rapidement, le chapeau de soie sur la tête,
^ne pinte d'élain emplie de slout ou d'ale posée à côté de leur
assiette, tandis qu'au fond de la salle apparaît, devant le gril,
le cuisinier dont la veste blanche s'enflamme de lueurs fauves.
Parfois, l'artiste pénètre dans un bar, choisi}>sant de préférence
le compartiment réservé au peuple. Là, dans l'atmosphère
alourdie par la fumée des pipes, au milieu d'un glapissement de
voix avinées, des hommes à la face allumée, des femmes en
haillons sont accoudés devant un quart de litre de brandy ou de
whisky, portefaix à la carrure énorme, charretiers, mégères
ravagées par l'alcool, parmi lesquels se glissent furtivement des
gamins grêles, à la mine de phtisiques, et des jeunes filles exté-
nuées par le vice, flétries à quinze ans, n'ayant gardé de la
coquetterie féminine que le minuscule bouquet de fleurs qu'elles
épinglent sur leur corsage fané. Les nouveaux arrivés saluent
d'gn geste vague les misérables entassés sur les banquettes
étroites adossées aux cloisons de cbéne qui divisent les compar-
timents dubai\ s'approchent du comploir, leur monnaie de billon
h la main, commandent d'une voix causée leur boisson favorite
que leur tend aussiiôi, aveeunbroc d'eau fraîche, une fille fleg-
matique que l'habitude a rendu insensible au spectacle de toute
cette misère.
Quelquefois une querelle s'élève, l'ivresse excitant les colères.
Les poings se lèvent, retombent, les hommes jurent, les enfants
que les fempies traînent avec elles remplissent de cris la petite
salle enfumée, jusqu'à ce qu'un policeman, appelé en toute hâte,
vienne rétablir l'ordre eu jetant à la porte les combaltunls.
Dehors, un guignol arrête un instant l'artiste, ou des musiciens
ambulants, installés sous un porche, égrenant dans le gronde-
ment continu des voilures les pizzicati cristallins d'une harpe.
Dans l'attroupement qui se forme aussitôt, égayé par les taches
écartâtes des tuniques de soldais, le peintre découvre de nou-
veaux motifs de croquis.
Quand la nuit est tombée et que les lueurs du gaz chassent de
leurs taudis les hirondelles nocturnes qui rasent les trottoirs et
susurrent à l'oreille des passants des appels câlins, on retrouve
Toorop arrêté au coin des ruelles qui déversent dans les grandes
artères le flot de la prostitution. El, curieusement, il dévisage les
faces plâtrées, les lèvres rougies, les chevelures couleur de paille
qui vont et viennent sous ses yeux, emportées dans un frôlement
doux de robes de soie, tantôt éclairées d'aplomb par la clarté
jaune d'un réverbère, tantôt noyées d'ombre, vaguement estom-
pées, eflfâcées, pour reparaître bientôt, après un virage, dans le
rayon du réverbère. 11 assiste aux marchandages, regarde les
couples filer dans la nuit, disparaître au tournant de la plus
proche ruelle. Tout est pour lui sujet d'étude. La composition
des tons, la valeur exacte des ombres, les cassures de la lumière
aux plis des vêtements, il les observe avec une attention prodi*
gieuse, pénétrant chaque jour plus avant dans les mystères de la
couleur et de la forme, analysant et disséquant sans cesse
celles-ci, jusqu'au jour où, en possession complète des aspects
de la ville, des effets de la lumière, de Londres, des attitudes
des passants, il exprimera, en quelques toiles définitives, la Rue
aux difi'érentes heures du jour, avec sa flottante population, et
criant tout haut ses insouciances, ses plaisirs, ses vices, ses
misères.
Ce qui n'empêchera pas les imbéciles de dire que l'impression-
nisme consiste à maçonner au hasard du couteau quelques cou-
leurs sur une toile, pour échapper aux études réglées, graduées
et ordonnées par l'Académie. ^
PATHOLOGIE LITTÉRAIRE
CORRESPONBANGE >
Nous avons reçu la ti^ès intéressante lettre qu'on va
lire, d'un de nos jeunes poètes qui continue Mallarmé et
Verlaine de la seule manière légitime, c'est-à-dire en
faisant mieux; un poète dont la vaillante revue la
Basoche a publié dans son dernier numéro des vers
excellents, égaux à ceux que nous avons signalés ici
même l'an dernier ; un poète à qui nous donnons notre
très sincère admiration de la même manière qu'à ceux
qu'il défend,. c'est-à-dire : parfois sans réserve, parfois
pas du tout, car lui également est dans cette situation
bizarre d'apparaître tantôt comme bien portant et
tantôt comme malade. La lettre que nous publions con-
firme, croyons-nous, ce diagnostic. Qu'on en juge.J!lle
fut écrite avant notre dernier article sur la Pathologie
littéraire, ce qui explique certains passages qui n'ont
plus de raison d'être actuellement :
Les Déliquescences, un misérable essai de parodie publié
récemment par Gabriel Vicaire, l'auteur médiocre des Emaux
Bressans, et Henri Beauclair, aligneur, sur les pages d'un terne
libercuie, de nuls triolets ; VElernelle Chanson, essayistes mas-
qués du bien-trouvé pseudonyme Adoré Floupette, vous amusè-
rent longtemps. Monsieur le Directeur, trop longtemps pour la
clairvoyante dignité de la sérieuse critique.
Le jeu n'est-il point encore fini?
Nous disons que les Déliquescences ne sont qu'un essai de
parodie.
La signature-pseudonyme est, seule, trouvaille ; le livre lui-
même, ostensiblement dirigé contre l'art de deux grands poètes,
MM. Mallarmé et Verlaine, ne parodie rien : leur conceniration
parfois excessive et, ci et là, de rocailleuses duretés parmi le bleu
de ciel fluide de leurs harmonies, on ne les vit point chez Flou-
pette. Des alignements de mots quelconques, sans souci de nulle
synthétique résonance, des enfantillages pour le badaud.
Du moins, si le but, facile à toucher certes, n'est pas atteint,
il est avéré que, une fois de plus (et que cela est de mince cri-
tique!), des médiocres ont voulu ridiculiser ces très fiers et
vierges, superbement, d'humiliante popularité.
Ils eussent dû sentir, vous aussi, que, les seuls forts, on les
parodie.
Déliquescents, Incohérents^ Verbolâtres, Symbolistes (bien
innocent, celui-ci). Symbolistes ésotériques (un peu plus aiguil-
lon), combien de mots en subtiles nuances! Attention! voici que
vous glissez dans la Verbolâtrie.
Lé qualificatif était simple : FloupeitanlSy FloupeUantisme ;
Floupettard, Floupettardisme.
Au fait. Incohérents, Verbolâtres, Floupeiiards, qu'importe!
Et pourquoi vous défendre ; vous craignez d'être soupçonné de
badaudante moquerie : « Oh non ! notre critique n'a qu'un but,
le désir de mettre en garde contre i'étrangeté maladive et la
dévote admiration ».
Pourquoi?
Et pourquoi ces omissions : Tristan Corbière, l'auteur des
Amours jaunes, Charles Vignier, Morice, le Benjamin de Ver-
laine,, celui k qui il dédia son subtil et dédaigneux Art poé-
tique :
«. Car nous voulons la Nuance encor,
Pas la couleur, rien que la Nuance !
Oh I la Nuance seule ftauce.
Le rêve au rêve et la flûte au cor 1
« De la musique encore et toujours I
Que ton vers soit la chose envolée
Qu'on sent qui fuit d'une âme en allée
Vers d'autres cieux à d'autres amours;
• Que ton vers soit la bonne aventure
Éparse au vent crispé du matin
Qui va fleurant la menthe et le thym...
Et tout le reste est littérature I ••
— Ecoulez bien, « El loul le reste esl lilléralure! » — Jean
Moréas, l'auleur àesSyrtés, René Ghil, clans les Légendes d'âmes
el de sang^ ébauclieur encore ap|)renli, mais fulur maîlre; el
pourquoi y échappai-je moi-méma à i'éreinlenienl, moi qui, seul
parmi les poêles de la Jeune Belgique, me laisse aller au Rêve
déliquescent, à lel poiut que je fus en bulle aux attaques journa-
listiques dont vous avez parlé, h d'autres aussi, de faux amis, à
qui je pardonne, comme le Christ « parce qu'ils ne savent pas ce
qu'ils font », el parlé élogieusemenl, car, quoi? aux doux con-
certs des instruments, j'apparus en galant Watleau sur la mélan-
colique pelouse de Vile enchantée ?
Il est bien visible, hélas! qu'à propos d'une œuvre de mesquine
envie, vous bafouez sans réflexion des novateurs en musicale
langue française.
Telle évolution des principes lilléraircs entraîne une corres-
pondanie évolution dans la langue.
Ces novissimes harmonistes, les irailer de funambules, parce
que, après le mélallisme de Baudelaire el les japonaiscries des
de Concourt, ils essaient d'une concentration en harmonies
el d'une musicale intensité ; quelle courte-vue dans la clair-
voyance el quel irrespect littéraire !
Vous avouez, dans le second article consacré aux Verbolâtres
— el le plus sensé, véritablement — qu'à l'origine tels nova-
leurs, aujourd'hui enrôlés dans les troupes fluides de Floupelle,
ji'eurent pour principe que l'évolution obligée de la forme litté-
raire, mais que peu à peu, pris d'une admiration cabalistique, ce
fut une dégénérescence excentrique, une macabre frénésie, où les
mots, affublés d'oripeaux jovialement funèbres, démoniaquement
ballèrent.
Eh bien! de même que sensés, vous fûtes, ici, maladroits.
Car la seule question disculée est celle d'un renouveau de
forme lilléraire ; le reste n'est que détail d'échappatoires.
Maladie, obscurité, bizarrerie, sont les seules politesses que l'on
incline devant les transformateurs : il en fui, il en sera toujours
ainsi ; vous l'avez rappelé en parlant de tant d'artistes, peintres,
surtout, musiciens, parfois; pourquoi, dans l'évolution littéraire
stationner, parlant relarder?
II est de telle facilité de jouer au Diafoirus el de brandir vos
seringues de critique! On ausculte en malades ei en fous les gens'
qu'on ne comprend pas. Vous devriez savoir que le critique,
n'étant point créateur, ne peul se hausser jusqu'au front de
l'artiste. El si le texte esl obscur, il faut avec un religieux age-
nouilh^menl confesser son inférieure incompréhension : voilà là
seule forme du respect qui est dû à toute œuvre d'art.
Je dirais « les poèmes que vous bafouez d'incompréhensibles,
je les comprends, non pas toujours à première lecture comme
une œuvre banale, mais après une pieuse application el le désir
sincère de m'élever jusqu'à l'œuvre que je veux comprendre », à
quoi bon ?
Vous m'accuseriez d'exaspérante prélenlion, il y aurait un
bafoué de plus... El le résultat critique?
Mais vous clés donc aveugle el sourd ? Vous vous vantez sou-
vent — et c'est justice — d'être, en Belgique, l'un des plus
anciens admirateurs de Wagner. Mais souvenez- vous donc : de
quelles outrageantes insanités fut souillé le nom de ce pur génie;
et les criiiculels appliquant leurs loupioles sur les ténèbres de
Victor Hugo; et les derniers quatuors de Beethoven, ridiculisés
et incompris aujourd'hui encore: pourquoi ne pas vous souvenir
de tout cela?
. El en opposition à ces incompréhensibles malades, vous citez
comme sains esprits, qui cela? Victor Hugo, dans le cerveau
duquel il y eut déséquilibre évident. Son œuvre populaire n'est-
elle point le lieu commun grandiose el son symbolisme, réçervé à
d'autres qu'aux Bouvard el Pécucliel qui souillèrent ses funé-
railles, n'esl-ce point V Enigmnlique Sacré. Déséquilibre aussi
dans'les Niehelungen el les Maîtres- Chanteurs de R. Wagner. El
quelle crispation maladive dans ce prodigieux chef-d'œuvre Tris-
tan et Isolde, colombes exaltées, si douces vers le bleu du ciel
triste el, soudain, en des croupissemcnls d'eau morte leurs sai-
gnantes trépidations! El Parsifal, les plaintives blancheurs et la
douloureuse bonté! Vous citez aussi Rubens; laissons-le, ce
grand décorateur cl déjà le redondant superficiel de la Renais-
sance, une vrai décadence, celle-ci : le plus petit maître gothique,
oh! combien plus pieusement à genoux devant son art.
Dans loul grand artiste, il y a déséquilibre, voyez-le bien, et
l'homme sain de corps et d'esprit, au sens vrai des mois, n'est le
créateur que d'œuvres ternes el sans vie future.
Vous eussiez dû cependant, par respect pour de vrais artistes,
parler, non de poèmes plus faibles que d'autres, comme ils se
traînent chez tous, honorer et faire honorer des œuvres si pure-
ment belles et sereines. De Verlaine, les slapcos désolées de
Therc CMSsenl été bien vile oubliées à la lecture de Sagesse, ce
doux chef-d'œuvre de candide contrition, et voici, pour réparer,
publié à côlé de ce petit panloum dont vous vous moquez,
Dodo, Venfajit do, chantez, doux fuseaux, si délicieux dans sa
tendresse de ronde vieillotte, un des plus admirables sonnets qui
aient été écrits : r-
«• Trois petits pâtés, ma chemise brûle.
Monsieur le curé u'aime pas les os.
Ma cousine est blonde, elle a nom Ursule,
Que nemigrous-nous vers les Palaiseaux.
« Ma cousine est blonde, elle a nom Ursule.
On dirait dun cher plaieul sur les eaux.
Vivent le muguet et la campanule!
Dodo, l'enfant do, chantez, doux fuseaux.
« Que n'émigrons nous vers les Palaiseaux.
Trois petits pâtés, un point et virgule;
On dirait d'un cher glaïeul sur les eaux.
Vivent le muguet et la campanule.
« Trois petits pâtés, un point et virgule;
Dodo, l'enfant do, chantez, do x fuseaux.
La libellule crie emmi les roseaux,
Monsieur le curé, ma chemise brûle. <*
11 me rappelle :
« Uni, unel, ma tant' Michel,
N'entrerez point dans not' jardin :
Ne cueill'rez pas du romarin;
Fric, frac, ma savat'.
Fric, frac, mon sabot n
cl toul l'enfanlilîage des jardinets bordés de gazon d'Espagne
avec, au milieu, l'esseulemeni d'effrités cairans solaires...
LANGUEUR
« Je suis l'empire à la fin de la Décadence,
Qui regarde passer les grands barbares blancs
En composant des accrostiches indolents,
D'un style d'or où la langueur du soleil danse.
M L'âme seulette à mal au cœur d'un ennui dense
Là-bas on dit qu'il est de longs combats sanglants
0 n'y pouvoir, étant si faible aux vœux si lents,
0 n'y vouloir fleurir un peu cette existence !
« O n'y vouloir, ô n'y pouvoir mourir un peu 1
Ah 1 tout est bu 1 Bathylle, as-tu fini de rire?
Ah ! tout est hul tout est mangé ! Plus rien à direl
- Seul, un poème un peu niais qu'on jette au feu,
Seul, un esclave un peu coureur qui vous néglige,
Seul, un ennui d'où ne sait quoi qui vous afflige ! »
N'est-ce point merveilleux d'alourdie indolence? {")
Et encore le Kaléidoscope, où colle strophe finale avec des
obsessions do ronronnantes abeilles :
«♦ Ce sera comme quand on rêve et qu'on s'éveille !
Et que l'on se rendort et que l'on rêve encor
De la même féerie et du même décor
L'été, dans l'herbe, au bruit moiré d'un vol d'abeille. »»
Je vous abandonne V Oraison du soir, d'Arthur Rimbaud; ce
n'est qu'une goguenarde fantaisie de pince-sans rire. Mais, du
môme poète, pourquoi ne cilez-vous-pas les Assis ("), le Bateau
ivre :
•« Je sais les cieux cuvant en éclairs, et les trombes
Et les ressacs et les courants, je sais le soir,
L'aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes,
Etjai ru quelquefois ce que l'homme a cru voir. »
Les Chercheuses de Poux, cette lumineuse exaspération?
Les vers de Stéphane Mallarmé, disciple de Baudelaire assuré-
ment (mais Wagner ne procède-l-il point de Beethoven et de
Bach ; Victor Hugo, avec les transformatrices évolutions de lan-
gue, ne doit-il point saluer Agrippa d'Aubigné?) sont plus connus,
peut-^lre : publiés dans le prcFuicr volume du Parnasse, ils sont
faciles à découvrir et faciles, certes, h' lire, avec un peu de cette
attention de moines et de poètes...... Et quel désir d'admirer le
Placet, V Apparition {'*'), le Don du Poème{'***), Hérodiade avec
ses lueurs fauves d'antiques pierreries.
HÉRODIADE
M Oui, c'est pour moi, pour moi que je fleuris, déserte !
Vous le savez, jardins d'améthyste, enfouis
Sans fin dans de savants abîmes éblouis,
Ors ignorés, gardant votre antique lumière
Sous le sombre sommeil d'une terre première.
Vous pierres, où mes yeux comme de purs bijoux
Empruntent leur clarté mélodieuse, et vous
Métaux, qui donnez à ma jeune chevelure
Une splendeur fatale en sa massive allure! •
HÉRODIADE ^
....Tu m'as vue, ô nourrice d'hiver,
Sous la lourde prison de pierres et de fer.
Où de mes vieux lions traînent les siècles fauves.
Entrer, et je marchais, fatale, les mains sauves,
(*) Nos lecteurs savent que nous avons reproduit, en le louant, ce très beau
sonnet, nous disions : Voici un des moments où le poète certes n'était pas
malade.
("*) Nous avons cité, et reproduit, les Assise, en disant : admirable chose
venue en un moment de *^elle santé.
(***) Reproduite par nous avec grands éloges.
('***) Voici cette pièceque notre correspondant cite en exemple. Nous avouons
la trouver discutHl)le. » N'ètatit point créaleur, comme le dit notre ingénieux
correspondant, nous ne pouvons nous hausser jusqu'au front de lartisle.
Ai-ec un religieux agenouillement, nous confessons notre inférieure compré-
hension. "
Je t'apporte l'enfant d'une nuit d'Idumée :
Noire, ù l'aile sanjîlante et pâle, déplumée,
Par le verre brûlé d'aromates et d'or.
Par les carreaux placés, hélas! mornes encor,
L'aurore se jeta sur la lampe angélique.
Palmes ! et quand elle a montré cette relique
A ce père es-uyant un sourire ennemi,
La solitude bleue et stérile a frémi.
O la b'.Tceuse avec ta fille et l'innocence
De vos pieds froids, accueille une horrible naissance.
Et ta voix rappelant viole et clavecin,
Avec le doigt fané presseras-tu la sein
Par qui coule en blancheur sybilline la femme
Pour des lèvres que'l'air du vierge azur atfameî
Dans le parfutn désert de ces anciens rois.
Mais encore as-tu vu quels furent mes effrois?
Je m'arrête, rêvant aux exils, et j'effeuille,
Comme près d'un bassin où le jet d'eau m'accueille,
Les pâles lys qui sont en moi, tandis qu'épris
De suivre du regard les languides débris
Descendre à travers ma rêverie en silence,
Les bêtes de ma robe écartent l'indolence
Et regardent mes pieds qui calmeraient la mer.
Les ^Fenêtres, l'Azur, le Sonneur, V Epilogue, la Brise
marine, qui débute par ce prodigieux accablement :
« La chair est triste, hélas! et j'ai lu tous les livres î »»
Et ce sonnet que je veux citer entier : '
A CELLE QUI EST TRANQUILLE
« Je ne viens pas ce soir vaincre ton corps, ô bête
En qui vont les péchés d'un peuple, ni creuser
Dans tes cheveux impurs une triste tempête
Sous l'incurable ennui que verse mon baiser.
« Je demande à ton lit le lourd sommeil sans songes
Planant sous les rideaux inconnus du remords
Et que tu peux goûter après tes noirs mensonges,
Toi qui sur le néant en sais plus que les morts !
" Car le vice, rongeant ma native noblesse,
M'a comme toi marqué de sa stérilité,
Mais tandis que ton sein de pierre est habité
«♦ Par un cœur que la dent d'aucun crime ne blesse,
Je fuis, pâle, défait, hanté par mon linceul,
Ayant peur de mourir lorsque je couche seul. » (*)
Au surplus, à quoi bon ces citations?
Pour le vulguni pecus, et vous vous honorez d'en être?
Ne nous humilions point.
Faire sentir qu'il n'y a chez ces novateurs, bafoués comme il
sied par la badauderie du journal et, hélas, par l'égarement de la
critique, ni pastiche, ni excentricité, mais simplement évolution
nécessaire, c'était mon but. Et aussi de l'orgueil, certes, désir de
recevoir sur les épaules un peu du fouet qui les cingle.
Pour Eux, elle est inexistante la rumeur de ces moucheronnes,
bêles d'encre. Se souiller de popularité ! L'on risque d'être con-
duit au Panthéon par toute la poliliquaillerie de France — les
poètes pleurent religieusement loin de tous — et la bedonnante
bureaucratie et toutes les sociétés de fanfares de Paris et des
départements. ('*)
Georges Khnopff.
JalVRE^ NOUVEAUX
La Chanson de la Mer, par Paul Marguerite.
Avcz-vous remarqué la correspondance qui existe quelquefois
entre la poésie et les noms des poètes? En 1830, les Hugo, les
Gautier, les Dumas, les Balzac portaient une certaine rudesse
dans leurs syllabes; quelques-uns — tels les deux premiers —
semblaient sortir directement de ce fier et barbare i\Ioyen-Age
qu'ils chantaient.
Aujourd'hui que l'ûprelé, la force, l'éclat, l'énergie, la violence
(') Ce sonnet est, en effet, très l)eau, très beau. Nous le rangeons Volontiers
parmi les pièces saines. Mais nous serions curieux de connaître l'avis de
notre ■ correspondant sur Jes trois quarts (nous n'exagérons pas) des autres
pièces du recueil Jadis et naguère, dont il est extrait, et que nous trouvons
plus que médiocres.
(*') Cher poète, vous faites des vers pour vous seul et sans tenir compte des
critiques. Vous avez raison. Et bien, nous faisons de la critique de la même
manière : pour notre distraction personnelle ! et sans nous préoccuper de ses
effets. Nous l'avons écrit vingt fois. Le plaisir est aussi grand de notre côté
que du vôtre, et l'orgueil aussi d'être incompris!!! Embrassons-nous.
^
font place à la douceur, sentez- vous combien ces miîmes noms
de poètes se lénifient : Bourget, Co|)p('e, Verlaine; combien ils
aboutissent à la tendresse même : Madeleine, Rameau, et voici
Marguerite.
C'est le premier livre de ce dernier poète que nous analyse-
rons. Livre, c'est trop dire; plaquette vaut mieux, mais pla-
quette cbarmante, vêtue de papier de soie, de soie verte et cou-
leur de vague. Le titre s'y lit, très faiblement, en lettres d'argent :
Chanson de la Mer.
Tout début en poésie est chose mystérieuse. On ne peut trop
scruter les primes strophes d'un poète. Il est si rare qu'on n'y
trouve point une page de naissante originalité, même cliez les
moins doués ! Si le poète est quelqu'un, celte page se multipliera
cl formera volume, sinon, les lectures, les terribles quoique
nécessaires lectures aidunl, auront vite submergé ces quelques
floraisons personnelles.
En outre, tout débutant jette une lueur sur la poésie de demain;
il explique les plus récentes tendances, il dit quelle voie est la
nouvelle et par conséquent la meilleure. Tout premier recueil est
un commentaire sur resi)rit jeune, car tout premier recueil est
naïf et presque toujours sincère.
M. Paul Marguerite l'est, autant qu'il est permis h un Parisien
de l'clre. il se plaint de la vie, de ses morosités, de ses ennuis,
de ses tortures morales; il mêle sa mélancolie aux plaintes des
vagues et personnifie ou symbolise sa tristesse dans l'Océan :
Cri des mers ! cri de douleur universelle !
Crieur, ô noir crieur Océan, nous t'aimons
Pour tout ce que ton sein formidable recèle
Toi dont le cri farouche aussi haut que les monts.
Ah ! c'est que nous t'avons soufflé notre âme avide :
Oui, colères, amours, chants de joie et sanglots,
Nous avons fait passer notre âme dans tes flots,
Et sans elle ton sein de géant serait vide...
C'est la vieille idée de Baudelaire : Homme libre toujours lu
chériras la mer.
Le volume débute par ces vers pour finir par des strophes /'
d'orgueil. On devine le milieu. Chose Ix noter, c'est que chacun,
et M. Paul Marguerite particulièrement, tout en se plaignant, ne
s'attarde pas à décrire ses douleurs morales, mais d'un saut
énorme franchit les temps moroses et hostiles où il vil pour
s'envoler dans le rêve. C'est que le rêve pour nous est, en effet,
la grande consolation et la grande envie. Le monde moderne où
l'action appartient aux ingénieurs et aux peintres de panoramas,
qui seuls encore ont dos muscles, n'est rien pour les poètes.
C'est le monde des malhémaliciens et non des penseurs.
Certes, le Paris actuel tente les romanciers et il suffit que l'un
d'eux se mêle de critique, pour qu'il n'admette que \e Petit Epi-
cier de Montrouge et quelques pièces de Jean Richepin. Voilà,
croyons-nous, une erreur. Le moderne n'existe pas que dans le
sujet, il existe surtout dans le sentiment, et le sentiment qui se
confond aujourd'hui avec le rêve est très spécial et 1res moderne.
Le rêve poétique qui s'empare de tous nos poêles est l'expression
la plus caractéristique de l'âme contemporaine. Nous avons d'in-
vincibles nostalgies, d'insurmontables désirs d'en deçà et d'au
delà ; les uns se traduisent par des reculs vers le passé, les
autres pour des envolées vers l'avenir. Byron n'a-t-il pas défini
l'art des vers : Le sentiment d'un monde qui n'est plus et d'un
monde futur?
Le champ de poésie nous semble ainsi magistralement indiqué
et l'on dirait vraiment que cet axiome a été écrit pour M. Paul
Marguerite, qui rime : .
L'un vers l'art païen de la Grèce porté
Revoit des marbres nus la splendeur coutumière
Et so«s4e ciel profond do l'antique beauté ^
Luire des torses blancs dans la calme lumière!
Ou près du Gange, en des temples mystérieux
Un autre vit; et, brahme équivoque, pratique.
Familier des hideurs troublantes de ces dieux
Les rites monstrueux d'un culte hiératique !
Il en est qui vêtant des cuirasses de fer,
- Bons .chevaliers, s'en vont prendre part aux tueries
Ou courtisent, parmi les brocarts d'un dais clair.
Une princesse, à la jupe de pierreries !
D'autres, moines reclus dans dans un cloître espagnol,
Flagellant leur vieux corps transparent comme un cierge,
Et prosternés, crispant leurs deux mains sur le sol,
Voient passer avec des anges, la Sainte Vierge!
D'aucuns, poudrés d'iris, prisant des tabacs blonds
Disent des madrigaux fades à des marquises
Et caressent avec un air doux leurs bichons
Dans un parc où frémit l'âme {Codeurs exquises!
Aussi franchissons-nous les barrières du temps
Et, remplis du dédain magnifique des régies,
Vers l'idéal, ainsi qu'en des cieux éclatants,
. Montons avec le vol désespéré des aigles !
Soldat du rêve, il l'est donc, le poète de la Chanson de la
Mer, il l'est comme Baudelaire, Mallarmé, Leconle de Liste,
Hugo — c'est ce qu'il doit à tous.
Son originalité, elle apparaît ci et là, dans le Voyage ultra-
marin, dans Magnificat, dans les Roses mortes, mais surtout
dans ces quelques stroplies sur la mer, strophes d'orfèvre où il
écrit la vague comme Gustave Moreau la peindrait :
O. vagues, où tous les changements sont tapis.
Vous savez être encore d'éblouissants tapis
Stellés d'ors verts et de béryls et de lapis !
Une agitation éternelle vous plisse.
Tapis frangés d écume où, dans le satin lisse
Des fleurs d'eau sur fond vert dessinent leur calice!
Au résumé, la plaquette que nous avons analysée dénote une
très intéressante nature littéraire qui s'éveille, dont la Chair et
VEsprit, volume annoncé, accentueront le caractère et détermi-
neront le rang conquis.
JaE? Jhéatf^e^
Théâtre DE la-Monnaie. — Le Pré aux Clercs. — Les Huguenots.
Théâtre du Parc. — Tous les soirs, Clara Soleil et la Perruque.
Galeries Saint- Hubert, — Mam' zelle Nitouche.
Alcazar Royal. — L'Etudiant pauvre poursuit sa carrière
triomphante.
Théâtre Molière. — Par Droit de conquête et Les Dominos roses.
Vaudeville. — Ma femme manque de chic !... et Cinq par jour.
Nouveautés. — Réouverture le 1er octobre, avec la Dame de
Montsorcau.
Y
'ETITE CHROf^(IQUf:
M. Edmond Picard a adressé aux journaux la lettre suivante :
Monsieur le Directeur,
Un ami m'apprend que la plupart des journaux ont annoncé avec
gravité que j'allais devenir le collaborateur, le rédacteur politique,
l'inspirateur, que sais-je? d'un nouveau journal indépendant.
Le bruit courrait qu'un appoiutement de 20,000 francs m'est
attribué I
Diantre ! Voilà mon concours coté royalement.
Très absorbé par... les vacances, ayant de plus la mauvaise
habitude de ne pas lire les journaux, je ne me doutais pas de ces
mirtfiques sottises, et je n'aurais pas répondu, les ajoutant aux
innombrables bourdes qui m'ont jadis permis décrire que l'on avait
tout dit de moi excepté que j'étais un imbécile, ce dont je me con-
tentais.
Mais voici que je reçois des lettres fort encombrantes par les-
quelles on me demandé des places dans ce nouvel organe de nos
belles luttes politiques.
Cette naissante persécution bri^e mon indilTérence, et je vous prie
de vouloir bien publier que je tais part à ceux qui m'honorent de
leurs sollicitations, qu'à mon grand regret pour eux, mais heureu-
sement pour mon repos et mes occupations sérieuses, tout cela est
faux, arcld-faux, faux de la fausseté dont pas mal de mes aimables
compatriotes sont coutumiers, et que je ne sais rien ni du nouveau
journal, ni des 20,000 francs, ni de quoi que ce soit qui s'y rapporte.
Veuillez agréer. Monsieur le Directeur, mes salutations distin-
guées.
Huccorgne, 21 septembre 1885.
308 V ART MODERNE
: JOURNAL DES TRIBUNAUX
PARAISSANT LE JEUDI ET LE DIMANCHE
FAITS ET DÉBATS JUDICIAIRES. JURISPRUDENCE. ' BIBLIOGRAPHIE. LÉGISLATION. -
- NOTARIAT
ADMINISTRATION
A la librairie FERDINAND LARCIBR, 10, rue des Minimes, à Bruxelles
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sont déposés.
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y être donné suite que contre paiement de leur prix.
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Belgique : Un an, 18 francs. — Six mois, 10 fpancs. — Etranger (Union postale) : Un an, 23 francs.
" .^-: Le numéro : 20 centimes.
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parviendront à la rédaction du Journal.
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Le Journal insère spécialement les annonces relatives au droit, aux matières judiciaires et au notariat.
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Cinquième année. — N° 41
Le NUMÉRO : 25 centimes.
Dimanche 11 Octobre 1885.
L'ART
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQÏÏE DBS ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00 ; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser les demandes d'abonnement et toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
^OMMAIRE
Exposition des Beaux- Arts a Anvers. En Noricège. Premier
article. — Livres nouveaux. BelAmiy par Guy de Maupassant.
— Horlogerie. — Beckmesser et C»e. A propos du Tliéûtre de
la Monnaie. — Mémento des expositions et concours. — Petite
chronique.
. EXPOSITION DES BEAUX-ARTS A ANVERS
EN NOR'WÉGE
Pretnier article. -
Nous n'avons pas pris la parole lors du congrès de
bavardages qui s'est ouvert aux premiers jours de
l'Exposition des Beaux-Arts à Anvers. Ni rapins, ni
reporters, nous n'avions pas à courir dare dare pour
disputer notre place dans le grapillage des nouvelles et
des cancans. Nos lecteurs savent que nous faisons de la
critique non par métier mais par plaisir, pour leur dis-
traction et la nôtre et non pour aider soit à l'abonne-
ment, soit à la vente au numéro. Ce qu'ils attendent de
nous ce n est pas l'actualité mais la sincérité et l'origi-
nalité dans l'information. Venir après les autres est
donc fort indifférent pour eux comme pour nous. Nous
ne faisons point partie de la chiourme d'un journal et
grâce au sort la fantaisie seule est notre loi. C'est elle
qui nous permet de ne pas avoir pour unique science la
camaraderie, et pour toute opportunité les ordres qu'on
nous donne. Nous ne nous mettons pas en campagne
quand un caporal nous crie : En route ! mais quand le
hasard nous y pousse ou quand le cœur nous en dit.
C'est ce qui nous sauve de la critique de commande.
Aussi pouvons-nous aujourd'hui, dégageant la véritable
opinion qui s'est formée sur l'Exposition des Beaux-
Arts malgré les clameurs intéressées des premiers
jours, la résumer en ces quelques formules : " On a eu
raison en refusant impitoyablement les médiocrités qui
encombraient les portes. On eût mieux fait en en refu-
sant plus encore. Il est à souhaiter que dans les Salons
futurs on fasse de même. C'est le seul moyen de net-
toyer l'art des fausses vocations qui le déshonorent. «
Grâce à cette sévérité le compartiment belge est le
meilleur. L'exposition rivale par laquelle on a voulu lui
Jfaire échec, a manqué son but et raté son effet ; les
deux mille toiles refusées ne s'y sont pas produites ; .
celles qui s'y sont risquées ont démontré, à de très
rares exceptions près, qu'on avait bien fait de les
exclure ; les morceaux de mérite qu'on y a vus,
n'avaient plas été soumis au jury ; le public n'a pas pris
au sérieux cette comédie.
Après ces généralités désormais banales, nous n'a-
vons nulle intention de revenir à l'examen pi^ce par
pièce du Salon auquel les hasards des vacances nous ont
326
L ART MODERNE
conduit la semaine dernière pour la première fois
depuis l'ouverture. Sur la peinture belge^etsur la pein-
ture française, il n'y a plus guère à dire. D'une année
à la suivante l'intervalle est trop court pour qu'il y ait
autre chose à faire que de recourir au procédé descrip-
tif des œuvres mis en honneur par Diderot il y a un
siècle et qu'il est permis de trouver démodé. Nul pro-
grès, nulle transformation ne se^ révèle. Les deux
écoles maintiennent leurs positions et sauf les excen-
triques qui, heureusement pour le renouveau artistique,
font leurs démonstrations au Salon des XX, on peut
caractériser la situation présente en disant qu'elles
se retirent après fortune faite. Elles se constituent
d'une bonne et solide bourgeoisie d'un renom honorable,
qui vit sur ses terres ou jouit de ses capitaux sans ten-
ter aucune avanture. Les doctrinaires, d'une part (tra-
duisez académiques), les ci-devant radicaux, d'autre
part (traduisez progressistes modérés). Quant aux in-
transigeants, c'est ailleurs qu'en ces fêtes officielles
qu'on les rencontre. Nous les reverrons cet hiver, eux
et leurs ennemis, et nous espérons . que la bataille sera
aussi acharnée que d'ordinaire. Vivent la joie et les
coups reçus et bien rendus !
Quant aux écoles étrangères, qui sont en dehors des
exhibitions habituelles, elles ne donnent d'elles à Anvers
qu'une très médiocre opinion. Il y a, certes, des badauds
qui s'extasient devant quelques grandes pancartes dont
le MmHage de nous ne savons plus quel Russe est la
plus bruyante incarnation. Mais en laissant de côté les
ébaubissements naïfs, on peut grouper les impressions
que laissent les diverses nationalités en disant : Italie,
mauvais goût, — Allemagne, bourgeoisisme, — Autri-
che, déclamation, — Russie, puérilité, — Suisse, Kell-
nérisme, — Angleterre, banalité. Ce qui n'empêche
pas que chacune produit plaisamment un nombre con-
sidérable de prétendus grands hommes, fournisseurs
des cours, cotant leurs machines à des prix fabuleux,
trouvant acquéreurs parmi les Shylocks des grands cen-
tres usuraires européens et marchant avec un cortège
d'admirateurs d'une naïveté incurable.
Il n'y a dans tout cela, si l'on met à pa^^t de ci de là
un tempérament, ni un artiste, ni une personnalité.
C'est une armée immense d'imitateurs, pastichant avec
l'ensemble des chenilles processionnaires occupées à
pâturer le feuillage d'un orme. Les uns copient les
anciens, les autres copient les modernes. Mieux c'est
copié et plus ample est la satisfaction, plus éclatante la
gloire. Au dessus de ce bel atelier de reproduction uni-
verselle planent les cénacles académiques de tous pays
qui, voyant comme jéhovah, que cela est bien, se
réjouissent de leur œuvre et savourent les Hosannah.
La Hollande elle-même n'échappe pas à la contagion.
Dans l'ensemble elle reste, certes, elle-même; il y a,
comme toujours, quelques toiles d'un bel art. Mais
l'uniformité dans une même vue noire et fumeuse des
choses est étrange. La claire atmosphère néerlandaise,
fine et argentée même par les temps de brume et de
grands nuages, est devenue fuligineuse comme dans
les pays industriels où les cheminées vomissent inces-
samment les longues traînées des combustions char-
bonnières. C'est à croire qu'un mot d'ordre est donné
et rigoureusement observé- Est-ce que là aussi il y
aurait des professeurs enseignant que rien n'est beau
comme d'étouffer toute originalité pour la remplacer
par la bête imitation du maître ?
Chassé de salle en salle par ces fantômes persécu-
teurs, nous nous sommes trouvé acculé finalement
dans la section norwégienne. Tandis que morose et
déçu nous songions à la pauvreté artistique en tout
pays, distraitement nos yeux parcouraient les parois
où les fils de la Scandinavie, marge extrême du conti-
nent, avaient attaché leurs œuvres. 0 surprise ! on y
voit des choses originales. Les refrains maudits des
chansons fredonnées par les rnoutons du vulgion pecus
ne résonnaient plus invariablement. Oui, il y a de bon-
nes œuvres, des œuvres médiocres, des œuvres mau-
vaises, mais, en grand nombre personnelles, dégagées
des recettes, chaudes d'une émotion propre, naïvement
elles-mêmes, sentant le terroir comme un rustique fro-
mage, comme une eau-de-vie indigène. Vite, regardons
de plus près. Voici de quoi tenter l'analyse. Du neuf î
Quelle bonne fortune ! Du neuf! Du neuf! Du neuf!
i=>
iIVREp NOUVEAUX -
Bel-ami, par Guy de Maupassant. — Paris, Havard.
On a fait cfrand bruit autour de Bel-ami, par M. Guy de Mau-
passant. Toutes les queues de morue de la presse ont remué
bataiileusement dans leur eau Iroubie. Mais qui donc a examiné
l'art dans ce livre ? ^
Bel-ami est, en eftel, un violent assaut, une âpre insulte aux
UAUT MODERNE
327
journalistes. Et précisément ce qui rend l'œuvre peu cstliélique ?
son invariable et désespérant terre à terre augmente encore sa
brutalité et sa netteté. L'auteur n'a fait (pie copier la vie et la
copie est une attaque et une exécution.
M. Guy de Maupassant, artiste en promenade dans les jour-
naux, causeur d'art et de littérature, appréciateur d'événements
triés, mais en rien politiquailleur, reporter, fait-diversistc,
aboyeur payé ou rédigeur d'annonces, connaît le monde dont il
parle pour avoir stationné dans les cabinetsdc rédaction, souvent,
mais sans y tremper ses mains dans l'encre. Et voici presque, ce
qui lui en reste dans la mémoire.
Une vision d'édifice à grand numéro, où le cliantage jait la
fenêtre^ où l'on sert du vin de gloire frelaté, où la prostitution de
ridée se couche sur tous les lits, où rien ne brille, n'étourdit, ne
flatte, ne chante, ne crie, ne mord sans qu'on ne paie le specta-
cle, Tétourdissement, la flatterie, le chant, le cri, la morsure. A
chaque étage, des chambres capitonnées pour déshabiller des
réputations, pour violer des consciences, pour flétrir quelque
chose de lier et de vierge. Partout du clinquant, de la poudre
aux yeux, du strass, du simili-or ; pas de talent, pas de
littérature, pas d'honneur, rien. Tous, ratés; tous, épiciers; tous,
brctteurs. La pointe de l'épée aussi sale que la pointe de la
plume.
Saint-Potin, Forestier, Walter, Rival, canailles, tripotiers,
brigands de plume. Et Georges Duroy, le premier du roman,
q"u'est-il ? Si pas le plus effronté, le plus vicieux, le plus ignoble,
le plus bohème, le plus cynique, le plus gredin d'entre eux.
Comme pamphlet, Bel-ami esfdonc un livre précieux. Ce n'est
point de la haute satire; c'est le bon exposé des faits d'un réqui-
sitoire.
Autrement et plus haulainement porte cette formidable ironie :
Les deux augures, que Villiers de l'IsIe-Adam intercala parmi ses
Contes cruels. La concentration de cette dernière étude anéantit
le délayage de Bel-ami. Nous reparlerons de ce chef-d'œuvre,
qui sera toujours d'actualité.
Littérairement, Bel-ami nous semble bien surfait. Ses qualités?
Du mouvement, de la prise sur le vif de certaines situations, du
charpentage habile, de la réalité vue et rendue. Un naturaliste se
déclarerait satisfait; un artiste non pas.
Des documents humains, tenus ensemble comme les bandes de
papier qu'on attache à la queue d'un cerf-volant, ne seront
jamais un roman ; il faut autre chose.
Le Coin de naturel parfait. Mais \2iVue à travers un tempéra-
ment! surtout.
Or, il est de théorie, chez certains écrivains d'aujourd'hui, de
supprimer de plus en plus la vue personnelle, le style personnel,
l'impression personnelle, c'est-à-dire l'art entier. Zola prêche
ainsi, bien que nul écrivain plus que lui ne lâche à fond de train
son individualité. L'explication? Zola est un génie et tout géme
se contredit quand il théorise.
Mais voici venir Paul Alexis, et Henry Céard, et Edouard Rod.
Aussitôt la doctrine s'applicpie et ennuie. Serrer la réalité, noter
le fait, épingler le document, classer les notes, étiqueter le détail,
deviennent une préoccupation suprême. On se croirait dans une
administration. Cela tient du greffe de Cour d'assises, du labora-
toire des empailleurs, de la boutique des marchands de fioles
pour pharmacies. Immédiatement le procédé, la méthode, le plan
linéaire interviennent tandis que toute surprise, tout prime-saut,
tout soin d'invention et de style s'envolent. Une vulgarité uni-
forme d'observation, un obstiné marquetagc d'employé, font de
l'écrivain le contraire d'un artiste; il devient un ouvrier patient,
un scribe moins rond-de-cuir, certes, qu'un bureaucrate, bien
qu'il en tienne et qu'insensiblement son travail à compartiments
réguliers devienne semblable aux pages d'un livre de caisse.
Si l'on entend par art ce quelque chose d'envolé, de jaillis-
sant, de fulgarant que cerlains cerveaux produisent comme une
sorte d'électricité spirituelle, chose essentiellement inattendue ou
savamment combinée, qui produit ici V Ensorcelée de Barbey, là
les Tableaux parisiens de Baudelaire, combien la plupart des
œuvres naturalistes apparaissent-elles négation et antithèse esthé-
tiques ! Le but n'est pas : faire exact; au contraire : faire inexact,
mais beau, mais grandiose, mais évocatoire, mais original. Voir
la vie comme tout le monde, à quoi bon? Une telle vision
ne vaut guère la peine qu'on l'écrive. Aucun artiste n'a vu
que la réalité*; tous l'ont prise comme un tremplin pour bondir
jusqu'au chef-d'œuvre. Shakespeare, non plus que Balzac, non
plus que Barbey, non plus que Zola ne sont réalistes. Ils voient
trop grand, trop haut, trop large. Ils ne prennent point le déci-
mètre de MM. Champleury ou Duranty pour mesurer les hommes
et le monde. Ils ne sont ni méticuleux, ni collectionneurs de
riens, ni ramasseurs de vétilles ; ils dominent leur œuvre et la
haussent jusqu'à eux.
Faire ces remarques en parlant de Bel- Ami, c'est condamner
le livre. Car c'est précisément la myopie dans la vue des choses,
leur examen sans originalité et sans grandeur qui en sont les
vices littéraires. Oh! combien autrement est caractéristique
l'étude de Balzac sur Lucien de Rubempré et combien la mise en
parallèle entre ce dernier et M. Georges Duroy donne tort, non
seulement à M. Guy de Maupassant, mais à son système entier
d'investigation sociale. Lucien de Rubempré est un type,
Georges Diiroy est Monsieur un tel, connu à Paris, sur le boule-
vard, à l'Opéra, à la Chambre et mourra avec Monsieur un tel
qu'il représente. Il est un personnage anecdotique et passager.
Balzac avait soufflé quelques flammes de son âme à sa créa-
tion; M. Guy de Maupassant a fait la sienne avec des racontars,
des potins, des faits-divers et des faits-Paris.
Ce n'est non pas M. Paul Margueritte, mais-son frèi-e M. A'ictor
Margucritte, qui est l'auteur de la Chanson de la mer dont nous
avons fait l'analyse dans noire numéro du îll septembre.
328
UART MODERNE
\
]I0RL06ËKIE
On ne s'Iiabiliic pas assez \\ considérer les Iransformalions
périodi(jues de l'Art comme des évolutions inéluctables dont une
loi demeurée mystérieuse gouverne les phases, avec une autorité
absolue. Le public, généralement hostile ti toute idée de chan-
gement, surtout dans les arts, où l'assimilation de toute expres-
sion nouvelle est lente et laborieuse, se révolte, depuis des
siècles, contre les règles de cette législation qu'il subit sans la
comprendre.
Aussitôt que surgit une école nouvelle, il s'insurge. Troublé
dans sa quiétude, obligé de réfléchir pour savoir s'il accueillera
les téméraires qui osent forcer la consigne de ses appréciations-,
il préfère presque toujours leur jeter la porte sur le nez. Tant
pis si ceux qu'il exclut de la s^tc sont gens de talent ! Ils n'ont
pas de gants, ils ne sont pas vêtus comme les visiteurs ordi-
naires. Ils n'avaient, pour être reçus, qu'à se présenter dans la
même toilette que les autres. — Baptiste! n'ouvrez pas.
Mais après avoir fait antichambre pendant un laps de temps
dont la longueur dépend de l'humeur maussade de Monsieur
Public et peut-être de l'insistance avec laquelle le nouveau venu
aura agité le cordon de sonnette, voici que Baptiste est, de gré
ou de force, obligé d'entrebâiller la porte. Et, le visiteur introduit,
que d'excuses à lui faire ! — « Vraiment, si j'avais su... Si
j'avais pu prévoir... En vérité, je suis désolé... Je regrette pro-
fondément... » El l'autre murmure entre ses dents: « Imbécile!
Bourgeois à l'échiné de valet! La comédie sera donc toujours la
même? » Et durement il lui fait expier sa grossièreté.
Ce visiteur, qu'il s'appelle Eugène Delacroix, ou Richard
Wagner, ou Charles Baudelaire, ou Edouard Manet, l'histoire
en est toujours la même. Et comme l'ignorance, l'incompétence
artistique et l'entêtement sont choses internationales, non sou-
mises aux taxes imposées par les tarifs douaniers, il n'est pas
difllicile de dresser pour la Belgique une liste d'artistes auxquels
nos compatriotes ont fait ou font subir le même traitement que
leurs co-bourgcois de France et d'ailleurs.
Mais s'il est possible d'arrêter un moment, dans leur essor, les
fiers artistes qui tentent de s'élever vers les régions inexplorées,
si on arrive h les affamer, à les décourager, U les tuer à coups de
railleries et d'insultes, ou à leur prendre les ailes dans la glu des
flatteries, des commandes, des croix et des médailles, jamais, au
grand jamais, la bêtise humaine n'est venue à bout de comprimer
un mouvement artistique. Aux rires, aux sarcasmes, les écoles
nouvelles opposent des œuvres, ainsi que dans les combats, elles
remplacent les soldats tués et ceux qui ont passé à ennemi. Et
toujours, dans cette bataille à mort contre le préjugé, la foule
est vaincue, obligée de mettre bas les armes et de confesser son
infériorité.
Phénomène curieux, vraiment attachant pour ceux qui aiment
l'art dans toutes ses expressions et qui pensent qu'un de ses plus
vifsatiraits est précisément sa perpétuelle mutabilité. Comme la
grande séduction de la mer réside dans l'infinie variation des
nuances qui la colorent et dans le mouvement, sans cosse renais-
sant, de ses flots.
A peine est-il besoin de revenir sur ces questions, maintes fois
agitées, et dont l'histoire de l'art donne la solution. Mais ce qui
a peut-être passé inaperçu aux yeux de quelques-uns, c'est qu'à
rnesure qu'apparaissent, s'épanouissent et s'éteignent dans l'in-
cendie d'un couchant glorieux les écoles artistiques, on voit
simultanément grandir, se développer et disparaître un groupe
littéraire qui en est le complément ou la conséquence. Le
parallélisme est frappant. A l'époque où seuls les alexandrins de
Racine, les vers sonores de Corneille emplissaient la penséo-des
rimeurs et que traînait dans la poésie une sonorité cliquetante
de glaives, de casques, de cuirasses, — cette époque qu'on
nomme la période classique et qu'irrévérencieusement on désigne
aujourd'hui par le Pompierisme, — la peinture ne parlait que
de boucliers, de péplums, de chlamydes, de cothurnes. Tous les
meubles étaient des chaises curules et les marines n'étaient peu-
plées que de trirèmes. Même raideur compassée dans le mètre
des vers, dans le rythme solennel de la phrase, que dans le
dessin du Mucius Scévola ou de la Mère des Gracques qui leur
sefvait d'illustration.
Quand Victor Hugo agita le drapeau — ^ alors écarlate, aujour-
d'hui défraîchi, — du romantisme et que les littérateurs embou-
chèrent le cor d'Hernani pour crever le tympan des classiques,
les peintres, d'un mouvement unanime, bossuôrent les casques
romains de leurs mannequins, coupèrent les péplums pour en
faire des manteaux dans lesquels ils se drapèrent, et tandis que
la foule résistait avec rage, cramponnée aux basques de ses pom-
piers tant aimés, Delacroix et toute l'école imposait de vive force
l'art mil-huit-cent-trenteux qui finalement triompha.
Mais voici Courbet et le Réalisme. Et tout aussitôt le Natura-
lisme littéraire, personnifié par Emile Zola. De part et d'autre,
recherche opiniâtre de la vérité, puissance extraordinaire d'ex-
pression, abandon absolu des formules jadis en honneur, sujets
choisis autour de soi, dans les classes aussi méprisées par les
amants du grand art classique que par les fervents du roman-
tisme.
Il y eut des pleurs, des hurlements et des grincements de
dents. Mais Courbet entra au Louvre, solennellement, et Zola
n'est plus discuté.
Le Naturalisme arrivé — la main dans celle du Réalisme — à
son apogée, il fallait, pour obéir à la loi dont nous parlions au
début, que l'art subît une transformation nouvelle. 11 se fit, avec
Edouard Manet, impressionniste, et, de même, impressionnistes
sont les écrivains de la génération nouvelle. Que dit Verlaine,
dans son dédaigneux Art poétique qui résume la doctrine de ceux
que mord, aujourd'hui, lo plus cruellenicnt, la dcnl des journa-
lisles, ces porle-voix de la foule?
... Nous voulons la Nuance encor,
Pas la couleur, rien que la Nuance !
Oh ! la Nuance seule fiance ' ,
Le rêve au rêve et la flûte au cor.
Et toule la pléiade de jeunes, de plus en plus, s'attache à
exprimer, on des vers fluides, de fugitives pensées, d'une subti-
lité raffinée, scmblablement au groupe de peintres qui saisissent
et fixent sur la toile les effets les plus éphémères que donne le
spectacle de la nature.
Si bien que l'on pourrait, semble-l-il, diviser l'histoire com-
parée des diverses manifestations de l'Art en deux colonnes qui
porteraient, l'une les étapes marquées par les peintres : Classi-
cisme, Romantisme, Réalisme, Impressionnisme, l'autre les quali-
fications adoptées pour indiquer les évolutions des Lettres :
Classicisme, Romantisme, Naturalisme, Déliquescence.
Faut-il voir dans ce parallélisme rinlïuence directe d'un art
sur l'autre, les peintres, par exemple, subissant, au contact des
littérateurs, les modifications q'ui transforment peu à peu les pro-
ductions de ceux-ci, ou réciproquement les hommes de lettres
marchant dans le sillage dos artistes de la brosse et éprouvant
toutes les oscillations imprimées au navire qui les porte?
Nous ne le pensons pas. Les peintres lisent peu, quand ils
lisent! El les écrivains n'ont pas toujours lé souci des toiles
peintes bordées d'or qui sortent des ateliers. Mais les uns et les
autres sont mus par les rouages mystérieux de l'horlogerie com-
pliquée qui donne aux arts leur impulsion. A l'heure fatale, le
remue-ménage des ressorts, des poids, des échappements se pro-
duit, invinciblement, avec l'irrésistible puissance des mouvements
automatiques. La période est révolue, les aiguilles ont accompli
leur tour, le carillon sonne. Et tandis que le public s'étonne de
l'heure qui marche, le critique, impassible, règle sa montre,
l'oreille tendue aux vibrations du timbre, et attend paisiblement
l'heure suivante.
PeCKME3PER Sf -Ç
le
A propos du théâtre de la Monnaie.
Dans un article fort serré, publié récemment ^ar la Chronique y
Victor de la Hesbaye a fait très à propos la leçon à un groupe
déplaisant de personnages qui, confondant 1885 avec 183o, s'ima-
giiicnt qu'il appartient encore l\ une demi-douzaine; de dileltanti
de comédie de régenter le goût et d'enseigner au commun des
mortels ce qui est conforme et ce qui n'est pas conforme aux
habitudes vieillottes de Messieurs les abonnés.
Le public a eu, l'an dernier, lors des représentations des Maî-
tres-Chn7iteurs, une occasion solennelle de réduire h l'impuis-
sance les turbulences et les prétentions de ces Beckmesscr de
seconde main qui se démènent comme si l'on on était encore h
Bruxelles aux temps légendaires où, après trois débuts réglemen-
taires, les dits Messieurs les abonnés se rendaient processionnel-
lement au foyer pour décider seuls, par boules noires et par
boules blanches, quels seraient les artistes des deux sexes que
l'ensemble de la population serait tenue de subir.
Nous sommes heureusement débarrassés de ces habitudes de
petite province et désormais ce n'est plus la salle qui doit se con-
tenter de la partie digérante des spectateurs, mais cette partie
digérante qui doit subir les volontés de la salle, dût le dîner ne
point passer.
Il n'est pas inutile de le rappeler, non dans l'espoir de corri-
ger de leur irrémédiable fatuité ces caricatures, mais pour raffer-
mir le |)ublic dans la conscience de ses droits et l'encourager à
faire prompte justice lorsque trois pelés et deux tondus s'avisent
de faire tapage à tort et h travers. Aujourd'hui
Tout le droit qu'à la porte on achète en entrant
n'est pas de troubler quand même le plaisir commun, parce qu'on
est îi peu près seul de son avis, mais de se tenir coi lorsque de-
vant des manifestations contraires non équivoques, on n'est plus
qu'un trouble-féle. C'est ainsi que la police elle-même interprète
ce droit nouv^eau qui peut contrarier les pachas à trois cheveux
qui utilisaient leur intransigeance pour se faire bien venir des
dames menacées de chut, mais qui met désormais nos théâtres
à l'abri de coups d'état dont les mobiles sont la plupart du temps
peu méritoires. -
Victor de la Hesbaye signalait qu'à une des représentations de
la troupe d'opéra-comique du théâtre de la Monnaie, qui est la
meilleure qu'on ait entendue depuis vingt ans peut-être, une
roue de char ayant grincé à la fin d'un acte, cette estudiantina
sur le retour s'était mise h ricaner. Cela donne la mesure de
ses préoccupations cl démontre qu'il s'agit de ces éternels mécon-
tents qui sentent que rien ne leur donnerait quelque importance
en ce monde s'ils ne se démenaient pas hors de propos et n'y
allaient de leur petit scandale.
Partout et toujours ce sont des éléments de trouble et les plus
igniires des juges. Chercher la petite bêle (peut-être par analogie
personnelle) est leur unique aff'aire. Ce sont eux qui chicanaient
au début l'œil bigle de M"« Deschamps et la grande taille de
M"^« Caron. Si on les en eût cru, Gresse, h ses premières repré-
sentations, eût dû être sacrifié pour cause de vulgarité. Et, phéno-
mène amusant, dès que le public leur a imposé sa volonté, en
chiens battus ils s'acharnent h ne plus vouloir que ce qu'ils pour-
suivaient d'abord de leurs abois, et, s'ils le perdent, deviennent
intraitables pour toute nouveauté. On peut leur appliquer ces
observations d'un grand artiste : Avec tous leurs airs rebelles, ce
ne sont au fond que des idolâtres; ils sont sceptiques, oui, mais
crédules; leur plus impérieux besoin c'est de croire, et leur habi-
tude native de se soumettre; ils changent de maître, ils changent
d'idoles; leur nature sujette subsiste l\ travers tous les renverse-
ments; ils n'aiment pas qu'on les enchaîne, et ils s'enchaînent^
ils doutent, ils nient, puis ils admirent, et dès qu'ils admirent on
obtient d'eux le plus coriiplet abandon de cette faculté de libre
examen dont ils prétendent être si jaloux.
Telle est bien leur constante histoire. Après avoir fait la petite
bouche à l'égard de M""^ Caron, de M"»^ Deschamps, de Gresse,
ils en sont devenus fanatiques. Après avoir accueilli avec des
sous-entendus sans fin, la direction Sloumon et Calabrési, ils ont
fini par se persuader qu'il n'y avait que celle-là de possible.
Lors de la nomination de M. Verdhurt ils ont mené un sabbat de
cancans qui a épouvanté les artistes et les a entraînés à une fuite
que plusieurs regrollcnl niitant fjuo le public. El celle belle
besoL^iie accomi)lie, voici qu'ils recomnienccnl leur jeu ineple à
r-tou'd (les nouveaux éléments 1res judicieusernenl réunis par la
direction ncluelie, donl l'opinion se déclare satisfaite saut les
remanieinenls aux(iucls on iféchnppc pas elqui sont celle année
moins nojnijrcux (lue jamais. Ces mécontents qui, l'an dernier,
onl pendant i)lusieurs mois subi une Iroupe d'opéra-comi<pie
mutilée, qui, dans le grand opéra se contentaient de M"'*' Caron
el de Gresse, s'avisent tout h coup (lu'il faudrait (jue même le
macliinisie fût un demi-dieu !
C'est là une plaisanterie trop sotte pour durer. Le public, par
son (mipressemenl sans |)récédenls et son altitude éneri,nque,
altestc ({u'il s;iil gré ii la direclion nouvelle de sa bonne volonté
el de son intelligenc(\ Il lui est reconnaissant de ce qu'elle a déjà
iail en lui donnant pour les leuvres légères un ensemble admi-
rable doill ou était sevn; depuis M'"^' Boulard, el il attend avec
confiance l;i correction de ce ([ui manque encore au grand opéra.
IVIE?.1ENT0 DES EXPOSITIONS ET CONCOURS
Anvers. — Concours pour le nioiiunicnl (rHenri Conscience. Base
du monument : 5'", 15 de longueur sur 3'", 75 de largeur. S'adresser
ail Comité central, au Musée Plautin.
Nice. — Concours pour le monument de Garibaldi. Projets reçus
jusqu'au 30 novemlîre. Deux primes (1,500 et 1,000 francs) sont
allouées aux auteurs des deux meilleurs projets non adoptés. Coût
total du monument : 70,000 francs,
Prix du Roi. — Concours de 1886. 1887 et 1888. — Uu arrêté
royal du 20 avril courant porte que le prix à décerner en 1886 (cou-
CQurs exclusivement belge) sera attribué à l'ouvrage le mieux conçu
pour développer chez, la jeunesse belge l'intelligence et le goût des
littératures ancieinies et modeuies.
Le prix à décerner en 1887 (concours exclusivement belge) sera
attribué à l'ouvrage qui démontrera le mieux de quelle manière la
Belgique doit comprendre son rôle dans la grande famille euro-
péenne, tant au point de vue politique et intellectuel qu'au point de
vue matériel, pour servir le mieux ses propres intérêts eu même temps
que ceux de la civilisation en général.
Le prix à décerner eu 1888 (concours exclusivement belge) sera
attribué au meilleur ouvrage sur l'enseignement des arts plastiques
en Belgique et sur le moyen de dévelop|)er l'art eu Belgique et de le
porter à un niveau de plus eu plus élevé.
Les ouvrages destinés à ces concours devront être transmis au mi-
nistre de l'agriculture, de rindustrie et des travaux publics, àsavoir:
pour le prix à décerner en 1886, avant le l*''' octobre 1886, et pour
les deux autres, respectivement avant le 1er janvier jes années 1887
et 1888. • " ■
Vienne. — Concours pour l'érection d'un monument à Mozart.
La place sur laquelle doit être élevé le monument n'étant pas
encore déterminée par la municipalité, le concours reste ouvert.
Concours poétique du midi de la frange. — XXX Ve concours
(15 août-ler décembre 1885). — Vingt médailles eu or, argent,
bronze. Demander le programme à M. Ev. Carrance, président du
Comité, 6, rue du Saumon, à Ageu (Lot-et-Garonne).
pETlTE CHROfliqUE
Le directeur du théâtre de Namur, M. Jules Sens, se propose de
monter cet hiver Etienne Marcel de Camille Saint-Saëns, qui
viendrait lui-même diriger son opéra.
Nous ai)prenons que M. Joseph Hollman, violoncelliste du roi de
Hollande, l'era une tournée en Hollande el i)eut-être en Belgique, en
novembre ol décembre jjrochain. avec le concours de M. Raoul
Pugno, pianiste-compositeur, de Paris, et MUo Elisabeth Scharweuka,
chanteuse de l'Opéra de Munich.
L'organisation de celte louruée est confiée à M. René Devleeschou-
Aver, à qui on peut s'adresser, 95, rue des Deux-Eglises, pour ren-
seignements et engagement.^.
Le violoiiiste J. -Jacques Haakman, l'-^' j)rix du Conservatoire
royal de Bruxelles, vient de faire une tournée artistique au Canada.
Les journaux de Québec, de Montréal, etc., font un grand éloge
du talent du jeune virtuose et le mettent en ligne avec les meilleurs
artistes qui se sont fait entendre dans ce pays.
Le conseil d'administration de l'Union centrale des arts décoratifs
vient de prendre des décisions définitives relativement à la création
projetée d'un musée permanent dans l'ancien palais de la cour des
comptes à Paris. .
La loterie ayant produit une somme nette d'environ 5,500,000 fr.,
on emi)loierait à la restauration d'une partie du palais incendié du
quai d'Orsay 3 millions, somme jugée suffisante i)our assurer uue
installation convenable, et les 2 millions 1/2 restants seraient consa-
crés à des achats d'objets d'art anciens, qui viendraient augmenter
les précieuses collections que possède déjà l'Union centrale.
Le projet de création de ce nouveau musée étant déjà déposé la
Chambre des députés aura à se prononcer définitivement sur son
approbation, et si la création projetée, reconnue déjà d'utilité
publique, ne rencontre pas d'opposition, ou pourra commencer, dès
le mois d'avril prochain, les travaux de restauration du palais du
quai d'Orsay. -
Il est probable que la i)rochaine exposition des arts décoratifs aura
lieu en 1889 et coïucitl^ra avec la grande exposition internationale
projetée. ,
L'Art ornemental fait part d'une curieuse découvert^ faite en
Amérique.
Des ouvriers employés à creuser un puits de mine près de Moberly
(Missouri) viennent de découvrir, à 300 pieds de profondeur, une
antique cité restée intacte grâce à une couche épaisse de lave durcie
qui forme voûte au dessus d'elle. Avis de cette découverte a été
envoyé à Moberly, et un certain nombre de notables de cette ville
ont entrepris immédiatement uue première exploration qui a duré
douze heures.
Les explorateurs croient n'avoir vu, dans cet espace de temps,
qu'une petite portion de la ville ensevelie.
Les rues qu'ils ont parcourues étaient régulièrement tracées et
bordées de murs en maçonnerie grossière. Ils sont entrés dans une
salle de 30 pieds sur 100 garnie de bancs de pierre, et où il y avait
une quantité d'outils pour travaux mécaniques. Dans plusieurs bâti-
ments sont des statues faites d'une composition ressemblant au
bronze, mais plus terne.
Au milieu d'une vaste cour ou place se dresse uue fontaine de pierre
d'où coule une eau que les explorateurs ont goûtée ; ils lui ont trouvé
un goût prononcé de chaux.
Près de la fontaine gisaient des portions d'un squelette humain.
Les os d'une jambe ont été mesurés par le recorder : le fémur est
long de quatre pieds et demi, et le tibia de quatre pieds trois pouces ;
d'où Ton déduit que l'homme devait avoir une taille triple de la taille
moyenne de nos jours.
Les explorateurs ont trouvé aussi des couteaux de bronze et de
silex, des scies métalliques et beaucoup d'autres outils dont le travail,
quoique grossier, comparé à celui des fabricants d'aujourd'hui, dénote
un état avancé de civilisation.
UART MODERNE
331
EST ENTRÉ DEPUIS LE Y' JANVIER 1885 DANS SA CINQUIÈME ANNÉE
L'ART MODERNE s'ost acquis par rautorité et rindépendance de sa critique, par la variété de ses
informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune manifestation de l'Art ne
lui est étran.i^^ùro : il s'occupe de littérature, de peinture, de sculpture, de gravure, de musique,
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouvement artistique belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur touS les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaitre. ^
Ciiaquo livraison de l'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'actualité. Les expositions^ les livres noiivcaux, les
X>remièr<'s représentations d'œuvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires^ les concerts, les
ventes dohjets (Vart, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées.
L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. Il rend compte des
procès les plus intéressants concernant les Arts, plaides devant les tribunaux belges et étrangers. Les
artistes trouvent toutes les semaines dans son Mémento la nomenclature complète des expositions et
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Revue sont inédits.
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délégué QM Bulletin des Conférences, rue du Luxem-
bourg, 10, Bruxelles.
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sées aux éditeurs : MM. Bruylant-Christophe
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332
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RUE SAINT-JEAN, 10, BRUXELLES
Ouvrages recommandés, pour piano
ERMEI^, A. Op. 30. Conte oriental, Caprice . . . . Fr. 2.00
— — ^i. Les Soirées de Bruxelles, Iva^Yom^-
tus -Valses ........ 2.50
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VIENT DE PARAITRE CHEZ
BREITKOPF & HÀRTEL
ÉDITEURS DE MUSIQUE
BRUXELLES, 41, MONTAGNE DE LA COUR
ÉCOLE DE PIANO
DU CONSERVATOIRE ROYAL DE BRUXELLES
4® livraison. Scarlatti, pièces diverses.
21c livraison. Cahier I. — Mozart, sonates en la min. et en ré maj.
Id. Id. I-ÎT-^— Mozart, fantaisie et sonate en ut min.
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Bruxelles. — Imp. Fklix Oallbwabrt père, rue de l'Industrie, 26.
Cinquième année. — N° 42.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 18 Octobre 1885.
L'ART
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVDE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser les demandes d'abonnement et toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
'?
OMMAIRE
Exposition des Beaux- Arts a Anvers. En Noriccgc. Second
article. — Correspondance d'artistes. — Livres nouveaux. Vi-
vianCy par Jcnu Lorrain; Les conours cocasses, par Alain Bau-
qucsne; Précis de l'histoire des Beaux- Arts, \)dt.v le D"* Lubke.
— Théâtre des la ^Monnaie. — Le niveau de l'Art. — Gorres-
rONDANCE MUSICALE DE PaRIS. PeTITE CHRONIQUE.
EXPOSITION DES BEAUX-ARTS A ANVERS
EN NORAVÈGE
<
Second article.
Le catalogue renseigne quatre-vingt-seize toiles de
cinquante-deux peintres norwégiens portant des noms
en old, en ahl, en iind, en ohg, en svig, que n'eussent
pas démentis les plus farouches Vickings. Mais, chose
singulière, parmi ces tableaux, il en est pourtant qui,
eux aussi, sont atteints du pasticha-morbus. Voyons
les auteurs. Ce sont bien des péninsulaires riverains
des fiords : Voici Askevold et Grimelund, voici
Heyerdahl et Skramstad, voici Gude et Ross ; on n'est
pas plus Scandinaves. Ah! mais, que c'est curieux :
ceux-ci habitent Dusseldorf, Paris, Munich, Rome,
Berlin. Est-ce que par hasard tous ceux qui nous
paraissent malades ne seraient pas dans -le même cas?
Auraient-ils quitté la terre natale pour aller prendre
ailleurs les germes de la phthisie artistique qui les
ronge?
Voyons, comptons, vérifions. Page par page, notons
les transfuges. Ils sont vingt. Les autres trente-deux.
Bien. Maintenant examinons les œuvres des uns et des
autres.
Eloquente expérience ! Que ceux qui ne nous croient
pas, aillent y voir. Pas un de ceux qui ont déserté leur
pays qui ne soit un imitateur, Pas un de ceux qui est
resté fidèle à la glèbe nationale qui n'ait, même en ses
faiblesses, le don précieux de l'originalité. Pour les
premiers les misères de l'école, la sauce des uns, les
conventions, les travers, les préjugés des autres. Pour
les seconds, la franche allure, la sincérité, l'imprévu,
et surtout ce charme qui faisait dire par Fromentin
louant les peintres hollandais du dix-septième siècle
d'avoir su rester chez eux et d'avoir demandé leurs
inspirations à la patrie, rien qu'à la patrie :
" Même en ne dépassant pas les bornes des Sept Pro-
vinces, le champ des observations n'aura pa% de limites.
Qui dit un coin de terre septentrionale avec des eaux,
des bois, des horizons maritimes, dit par le fait un
univers en abrégé. Dans ses rapports avec les goûts, les
instincts de ceux qui observent, le plus petit pays
scrupuleusement étudié devient un répertoire inépui-
sable, aussi fourmillant que la vie, aussi fertile en sensa-
tions que le cœur de l'homme est fertile en manières do
sentir. L'école hollandaise peut croître et travailler
pendant un siècle : la Hollande aura de quoi fournir à
l'infatigable curiosité de ses peintres, tant que leur
amour pour elle ne s'éteindra pas ".
Et cet artiste admirable (qui fut peut-être encore
plus écrivain que peintre), dans le livre : Les Ma/ti-es
834
LART MODERNE
(t autrefois, qui devrait Hm le bréviaire de quiconque
tient une brosse, et même une plume, tant, à coté
d'appréciations contestables des œuvres, il contient
de sains et fortifiants conseils, ajoute, développant cette
pensée salutaire qu'il faut être de son milieu et que toute
' accointance étrangère est délétère :
« Il y a, sans sortir des pâturages, de quoi fixer tous
les penchants. Il y a des choses faites pour les délicats
et aussi pour les grossiers, pour les mélancoliques, pour
les ardents, pour ceux qui aiment à rire, pour ceux
qui aiment à rêver. Il y a les jours sombres, et les
soleils gais, les mers pâles et brillantes, orageuses et
noires; il y a les pâturages avec les fermés, les côtes
avec leurs navires et presque toujours le mouvement
visible de l'air au dessus des espaces, toujours les
grandes brises qui amoncellent les nuées, courbent les
arbres, font courir les ombres et les lumières, tourner
les moulins. Ajoutez-y les villes et l'intérieur des villes,
l'existence dans la maison et hors de la maison, les
mœurs crapuleuses, les bonnes mœurs et les élégances,
les détresses de la vie des pauvres, les horreurs de
l'hiver, le désœuvrement des tavernes avec le tabac,
les pots de bière et les servantes folâtres, les métiers
et les lieux suspects à tous les étages, — et d'un autre
côté, l'intimité dans le ménage, les bienfaits du travail,
l'abondance dans les champs fertiles, la douceur de
vivre en plein ciel après les affaires, les siestes, les
chasses. Voilà les éléments d'un art tout neuf avec des
sujets aussi vieux que le monde »» .
On dirait que les Norwégiens qui donnent leur
adresse à Christiania, Bergen, Hvidingso, Haugesund,
se sont tous pénétrés de ce superbe évangile. « Chez nous,
autour de nous, ce qui est visible pour nous, » semble
être leur programme. Quelques-uns atteignent déjà à
une supériorité indiscutable. Si l'école de Christiania
demeure fidèle à ces origines, elle ne tardera pas à
marquer. Le Portrait de G. Munthe, par Christian
Krogh, les Deux sœurs, par Eilif Peterssen, le Gamin,
par Erik Werenskjold, le Transport de glace, par
Fritz Thaulow, Y Ecolier, par J. Glorsen, une étude de
M"*^ Harriet Backer, les Barques en temps de neige,
par E. Diriks, Xlntérieur d'atelier, par F. Kolsto, le
Déjeuner et le Matin, par Gustave Wentzel, sont
dignes de grande attention et tiendraient brillamment
leur place dans tout Salon qui, comme celui des XX, a
pour devise le mépris du conventionnel et de l'artificiel.
Oui, cette petite exposition norwégienne est, à notre
avis, la plus intéressante de celles qui s'étalent à
Anvers, parce qu'elle affirme silencieusement un grand
principe et le démontre. Le thème est simple : il s'agit
de rendre à chaque milieu son intérêt, de se soustraire
aux vieilleries scolastiques, de se passer des radotages
académiques, de faire moins de rhétorique, moins d'es-
thétique à froid, dé regarder de plus près, d'observer
mieux, de peindre aussi bien mais autrement, chacun
pour soi et sur son fumier. Ce sont les conditions qui,
d'après Fromentin, ont caractérisé l'éclosion de la
grande école des Pays-Bas. En pareil cas, dit-il, le
génie consiste à ne rien préjuger, à ne pas savoir ce
qu'on sait, à se laisser surprendre par son modèle, à ne
demander qu'à lui comment il veut qu'on le représente.
Quant à l'embellir, jamais, quant à l'ennoblir, jamais,
à le châtier, jamais : autant de mensonges ou de peine
inutile. N'y a-t-il pas dans tout artiste digne do ce nom
un je ne sais quoi qui se charge (Je ce soin naturelle-
ment et sans effort.
L'expérience s'en fait présentement dans un centre
artistique bien humble, aux confins de l'Europe. Pourvu
que rieri n'aille gâter ces heureuses tendances. Puissent
ces quelques lignes parvenir jusqu'aux artistes simples
et bien portants qui les pratiquent, pour les encourager
et les fortifier.
Et il est bon d'y insister, car ainsi que le dit encore
l'auteur du Sahël, l'amour du chez-soi n'a jamais été,
pour les artistes, qu'un sentiment d'exception et qu'une
habitude un peu singulière. A toutes les époques il s'est
trouvé des gens a qui les pieds brûlaient de s'en aller
ailleurs. La tradition des voyages en Italie est peut-être
la seule qui soit commune à toutes les écoles, flamande,
hollandaise, anglaise, française, allemande, espagnole.
Depuis les Both, Berghem, Claude et Poussin, jusqu'au
peintres de nos jours, il n'est pas de paysagistes qui
n'aient eu l'envie de voir les Apennins et la campagne de
Rome, et rarement il y eut école locale assez forte pour
empêcher le paysage italien d"y. glisser cette fleur
étrangère qui n'a jamais donné que des produits
hybrides. Depuis trente ans, on est allé beaucoup plus
loin. Les voyages lointains ont tenté les peintres et
changé bien des choses à la peinture. Le motif de ces-
excursions aventureuses c'est d'abord un besoin de
défrichement propre à toutes les populations accumu-
lées en excès sur un même point, la curiosité de décou-
vrir, et comme une obligation de se déplacer pour
inventer. C'est aussi le contre-coup de certaines études
scientifiques dont les progrès ne s'obtiennent que par
des courses autour du globe, autour des climats, autour
des races. Le résultat fut le genre que vous savez : une
peinture cosmopolite, plutôt nouvelle qu'originale, qui
ne représentera dans l'histoire qu'un moment de curio-
sité, d'incertitude, de malaise et qui n'est à vrai dire-
qu'un changement d'air essayé par des gens assez mal
portants.
' -pORRfl^PONDANCE D'ARTI^TE^ -~
Le trop modeste auteur de la lettre qui suit, où sont exprimés
en termes excellenis' quelques-uns des sontimenls qui lour-
mcnlcnt nombre d'Esthètes, ne nous en voudra pas, nous l'espé-
rons, (le, la publier. 11 suffira qu'on laisc el son nom el le nom de
celui h qui il s'adresse. Hien n'est plus intéressant, plus profon-
dément senti que ces confidences d'artiste à artiste.
Paris, 7 octobre 1885.
Mon cher ami,
Esprits noirs, esprits blancs,
Esprits rouges, esprits gris,
' ~ Mêlez, mêlez, mêlez.
Vous qui savez mêler!
Celle chanson des sorcières de Macbeth autour du chaudron
exprime absolument tout ce que je pense de la chaudière poli-
tique et des ingrédients qui y bouillonnent. J'ai eu le malheur
de lire plusieurs journaux pour tâcher de comprendre, et c'est
ce qui fait que je n'en comprends rien du toul. Le gâchis me
paraît idéalement parfait; il faut attendre que le temps ait
écume la mixture. C'est pourquoi je ne.vous en dirai pas davan-
tage. Ne vous mettez pas trop en colère : ce n'est pas d'aujour-
d'hui que les hommes sont faux.
J'aime mieux, puisque je me suis réservé. un moment pour
causer, causer d'art quelques minutes. Je me permettrai,
si vous voulez bien, de reprendre la tbèse de ma dernière lettre,
h mon point de vue, bien entendu. Notre entente définitive me
l)araîlrait avoir fait un grand pas, si vous vouliez bien m'accorder
tout d'abord une chose qui me paraît, à moi, incontestable :
c'est que Viiieœprimnble vaut seul la peine d'être dit. Hc, parbleu,
il est bien facile de dire que Serge a mangé les millions de la
boulangère ou que M'^« je ne sais plus qui a fait un mariage de
dépit ; mais il est évident que d'est perdre du papier et de l'encre
que d'écrire des choses comme ça. La langue, qui est faite par
tout le monde et pour tout le monde, n'a de mots que pour les
choses de tout le monde, pour les choses communes, les gros
Irails, les gros faits. Or, les nuances infinies de la pensée ou de
la passion, les idées supérieures à leur objet, les émotions et les
impressions insaisissables et indéfinissables pour nous-mêmes
au moment où nous les éprouvons, — vous voyez bien que je
manque de mots, — enfin tout ce qui fait que l'âme humaine est
supérieure à sa destinée, et que nous valons mieux que la vie
qui nous est faite — tout cela n'a pas de mot — est ineffable dans
le sens rigoureux de l'expression. A peine si la musique peut en
rendre quelque chose. Or, c'est cela, ou bien rien, qu'il faut dire.
Je sais bien que les grands artistes arrivent à communiquer
des impressions et des idées semblables; mais c'est indirecte-
ment, j'allais dire presque e7i dehors des mots, et avec la colla-
boration très active du lecteur.
Us mettront, faute d'une expression plus juste, une nuance
délicate de pensée dans un mot couramment employé dans un
sens plus commun; ils se fient à l'imagination du lecteur pour en
restituer la valeur spéciale. Ils ont l'art suprême de vous faire
penser ce qu'ils ne disent pas, ce qu'ils ne peuvent pas dire, et le
sens vrai est tout le temps à côté des mots et au dessus. On le lit,
ce sens profond, qui n'est écrit nulle part, dans sa propre pensée
à soi, que l'auteur a eu le talent d'amener à vibrer à l'unisson de
la sienne. Je trouve de ces choses-là à chaque instant, dans
Michelct, par exemple, dans Obermann.... Quand je dis que les
mots sont perpétuellement à côté, tenez, je sais vous citer votre
Baudelaire, qui est un chercheur de mois : je prends le sonnet
que vous me lisiez un soir :•
Nous aurons des lits pleins d'odeurs légères....
et convenez avec moi que la vision qu'on peut se faire n'a rien du
sens matériel des mots. La même chose dans la peinture de la
nature; et, entre" parenthèses, plus d'un de vos paysages, à. vous,
me fait le même effet. Je me dessine le tableau, et puis je
le regarde; un sentiment indéfinissable est en moi, comme
il était en vous probablement ou, du moins, peu différent;
el je chercherais en vain le mot qui dit cela. C'est dans tout,
ce n'est dans rien. Mais avouez que pour produire ces effets-là
il faut deux choses : d'abord une très grande virtuosité chez l'au-
teur et, en second lieu, une disposition particulière el conforme,
comme je le disais, la collaboration du lecteur. 11 n'y a pas de
public pour ces choses-là; il y en a un, innombrable, pour les
choses communes que nous dédaignons, vous et moi.
En ce qui me concerne personnellement, puisque vous voulez
bien causer un peu de moi, il y a encore une autre chose dont je
me rends très bien compte, et que vous sentirez aussi. Dès qu'il
s'agit de parler de faits positifs, scientifiques, d'enseignement, etc.,
je sais être clair; les mots ont un sens précis. Et sur ces idées-là
on peut s'entendre avec tout le monde. Mais, pour les choses d'art,
j'éprouve tout de suite une défiance qui résulte d'une sorte de
malentendu qui a existé de tout temps entre moi et les choses.
Dès mon enfance j'ai été obligé de m'apercevoir que je ne pen-
sais pas comme les gens qui m'entouraient, et j'ai pris le parti
de garder mes pensées pour moi. Le pli est pris. Ce n'est pas seu-
lement une défiance de moi, c'est aussi, je ne sais comment dire,
une sorte de pudeur douloureuse.
Tenez, la même chose m'a empêché d'êlre orateur. J'avais
une certaine facilité à parler que j'aurais pu développer, et la
présence du* public ne me fait rien : pour une leçon sur
un sujet de science ou d'histoire, je me sens très k mon aise.
Mais qu'il se présente à mon esprij., seulement, une pensée plus
intime, personnelle en quelque chose, un sentiment qui m'émeuve,
une ombre seulement de passion, je deviens enchanté; plus de
mots, plus rien.' Une sorte d'angoisse me saisit, et je suis forcé
d'éluder ma propre pensée et de dévier de mon sujet ; sinon je
sais très bien ce qui m'arriverait, la voix me resterait dans la
gorge et je serais forcé de m'en aller. Que voulez-vous faire avec
un tempérament comme ça? C'est une maladie, j'en conviens.
Moucher ami, chacun a sa névrose ; voilà le sens de la mienne.
Voilà pourquoi votre ami est muet. Je me rends, je crois, un
compte juste de ce dont je suis capable. En fait de style, je crois
avoir dans la phrase de la clarté, un certain mouvement, une
certaine variété de tons, parfois un trait incisif; il y a du dessin,
si vous voulez; mais pas de couleur. C'est gris, je sais. Je crois
que je pourrais réussir dans certaines descriptions; j'ai le senti-
ment de la nature, — de celle que je connais, — je pourrais
arriver à un certain pittoresque par la simple fidélité du détail :
qualité de paysagiste. Et c'est ici comme pour le dessin : Je ne
sais pas faire le bonhomme. Peut-être — je ne sais pas, n'ayant
pas essayé — peut-être pourrais-je faire un tableau, tenant, par
exemple, dans le cadre étroit d'une nouvelle, où les personnages
peuvent être mis en relief ave» quelques traits, et où l'action ne
se complique pas, ne se développe pas en longueur et largeur.
J'essaierai bien un jour, quand je trouverai un sujet qui sera bien
dans mes cordes, pour vous faire plaisir, surtout. Mais comment
voudriez- vous que je fisse, par exemple, un roman? Une œuvre
d'art, pour être vivante, doit être vécue ; il faut là un caraclère à
développer, un milieu, une action. 11 faudrait avoir étudié, au
moins, observé. Comment voulez-vous que je peigne un monde
1
330
UART MODERNE
(|uc je n'ai vu que de loin, et dos passions qui me sont, incon-
nues? Je n'ai observé qu'il i)clile distance autour de moi, je n'ai
point de psycliolocjie sociijle. Les complicalions, les conllils de la
vie, je n'en sais que par ouï dire, ayant toujours soigneusement
évité de me jeter à travers. Je ne ferais qu'une œuvre hasardée,
d'intuition, probablement fausse en plus d'une chose. Ou si je
m'avisais de chercher à peindre les pensées qui me sont fami-
liùres, il est infiniment probable que je ne trouverais pas de lec-
teurs pour s'y inléresser.
Que voulez-vous, mon cher ami, je sais bien que j'ai manqué
tout, en fait d'art, et que je n'arriverai à rien. Je m'en console,
ayant accompli autrement nia destinée. D'ailleurs, la vie est si
courte : on n'a le lemps de riei;. Je ne crois pas être paresseux ;
mais je n'ose pas me mesurer avec une œuvre que je ne pour-
rais sans doute pas exécuter.
Allons, voilà ma causerie terminée ; j'ai parlé de je ne sais
combien de choses. ^ '- '
Le jour baisse déjà, et je ne veux pas manquer le courrier.
A bientôt; —
h
L
JVRE^. NOUVEAUX
Viviane, par Jean Lorrain-. — Paris, Giraud.
On connaît de Jean Lorrain trois œ'uvres : Le Sang des Dieux,
la Foret bleue, Modcrnitcs. Les deux premières, pleines de visions
grandes, renferment de superbes sonnets; la troisième est un
elfort raté.
Voici rVi'îa»^, conte en un acte.' "
Transporter à la scène les galloises féeries, avec leur décor
lunaire, étoile de nénupliars, leurs devins et leurs mages et leurs
si enchantantes mylhologies et leurs légendes traversées par l'ar-
gent des traînes, le brocart des jupes, la mousseline des hennins,
la grâce serpentine des tailles, l'onduleuse rivière des chevelures
cl surtout les nostalgiques appels des sortilèges au fond des clai-
rières pâles, serait, avec la fantaisie épique d'un Heine ou l'ado-
rable imagination d'un Banville, créer un théâtre nouveau. M. Jean
Lorrain veut l'essaver. C'est tentative originale.
«• F».
Déjà on a réussi à rendre vie sur Ja scène aux fols person-
nages de la comédie italienne et à toutes les carnavalesques pan-
talonnades, puis sont arrivés les exquis rêveurs, les toqués de
Watteau, qui ont perlé de larmes le visage, jadis souriant, de
Pierrot. EtCylhère,et Paphos, et toute l'ascension des Amours, et
Cydalise et Léandre ont bleui et rosi l'horizon; et les élégances
habillées de dentelles et de plumes et de fleurs 'sont descendues
sur les planches.
M.Lorrain remonte rhisloire et nous montre Boceliande! Oh! le
beau nom évocatoire et déroulé comme une liane qui va de
branche ! en branche ! iM. Lorrain nous conte l'aventure de Viviane
et Myrdhinn : Viviane la fée, l'astucieuse et charmante, surprend
le charme que Myrdhinn possède, Viviane la fée, l'astucieuse et
amoureuse, trompe Myrdhinn, qui croit l'endormir par une incan-
tation alors qu'il n'endort que sa robe et son hennin et qu'elle
l'écoute derrière un arbre prononcer les paroles consacrées et
qu'elle le voit exécuter les rondes magiques.
Toute cette scène pourrait être charmante.
Cependant, M. Lorrain est poète. Qui ne se souvient de la
Forêt bleue? Sa nouvelle œuvre est peu scénique; elle languit,
tourne sur place; on en demande la fin dès le milieu.
Quelques vers parfaits, ci et là. Voici un commencement de
récit niagnilique :
Il était autrefois un roi de Samarçande
A la fois mage en Perse et prêtre dans Assur
Et la neige des monts, l'or des blés et l'azur.
Des mers étaient du Tigre au Gange son domaine.
Supeibe, ce rejet du mot « domaine », là bas, tout à la fin de
la phrase comme pour agrandir par le rythme l'immensité du
rovaume. ■ V ""
" . ■ ' - ■
Lés Amours cocasses, par Alain Bauquesxe. Paris, OllendortT.
Livre écrit en style de conversation, au hasard du mot, avec
des bouts de phrases soudaines comme des chiquenaudes et
expressives comme des gestes. Beaucoup de talent espiègle,,
primesiiutier, pailleté. M. Alain Bauquesne tient de Daudet, du
Daudet d(?s Contes, myis plus encore que son maître, il aime les
ruisselels, ies bosquets, les tonnelles, les charmilles, toute la
poésie facile du jardin littéraire. Bien que les titres de ses nou-
velles, étiquettent son talent: Cahier (ï une Parisienne, le Poi-
rier, Tante Oija, Dernier rendez-vous. Pour les Pauvres, Rose
de Juin.
Voici une de ses phrases : « Où en étais-je? Ah! à une figure
de rhétorique, qu'on appelle... qu'on appelle... Bien la peine
d'avoir son diplôme du second degré... qu'on appelle... Enfin,
n'importe, une figure de rhétorique : je te demandais si ton air
étranger... mais non : l'air étranger, la fraîche reliure, le private
en or, les pages blanches, ils avaient tout cela, les autres. Alors
pourquoi maintenant quelque chose que j'ai là dans mon corsage
fajt-il tape! tape! comme Dolly avec sa queue quand elle voudrait
rentrer. ».
Cette phrase fait partie d'une apostrophe de Parisienne à son
Master blue. Est-il nécessaire d'ajouter qu'un tel livre est très
amusant à lire quand on n'a rien à faire et qu'il est, comme dirait
M. Frederix,le galant critique de Y Indépendance, en posture de
plaire à tout un joli petit monde de dames et de demoiselles
honnêtes.
Précis de l'Histoire des Beâux-Arts, revu par le Dr Lubke.
— Bruxelles et Leipzi{^, Muquardt.
Voici quelque chose de lourd et d'allemand :
Le chef de Junon orne la couverture et les yeux de la déesse
sont comme les chapitres du livre, vides. M. le D'" Lubke parle
de l'esthétique comme un boucher parle des bœufs, il abat des
définitions, il vide des réputations, il tranche, perfore, assomme.
Tout pour l'Allemagne, il n'y a qu'elle !
Il serait fastidieux de signaler tous les coups de boutoir de
M. le D'' Lubke à travers l'art. H n'hésite jamais. Ce doit être
quelque gros professor de là-bas, mangeant de la statistique et
brovant des in-folio..
JhÉATRE de la ^ONNAIE
Mercredi dernier nous assistions à la représentation de Roméo
et Juliette avec un artiste parisien de belle race, jeudi à celle de
Violetta avec un, amateur viennois. L'un et l'autre répétaient au
coure de la soirée : Mais c'est mieux que chez nous !
Vraiment il faudrait avoir bien mauvais caractère pour ne pas
reconnaître l'extraordinaire supériorité de l'opéra comique cet
hiver. Tout le monde désarme cl il no rcsle plus qu'une critique,
bizarre assurément de la part de ceux rpii n'ont pas à supporter
la charge pécuniaire de la troupe : C'est trop bien pour la iMon-
naie; on gâte le métier. •
Nous ne sommes pas en mesure d'apprécier exactement le fon-
dement administratif de ce reproche. La nouvelle direction a-t-çlle
dépassé les limites de ce qu'il est sage de mesurer aux plaisirs
des Bruxellois? Eût-elle mieux fait do se maintenir dans les
anciens errements, qui consistaient h ne donner qu'un à peu près
et à traiter parfois notre public comme un public de province
qui se déclare satisfait dès qu'il a un ou deux premiers rôles h.
admirer, ne marchandant pas le surplus? En serait-il ainsi que
nous n'aurions pas le courage de nous plaindre après les merveil-
leuses exécutions que tous ont pu entendre, et dans lesquelles les
détails comme l'ensemble sont si prèsr de la perfection absolue.
Orchestre épuré, d'une soui)lesse et d'un fondu étonnants.
Chœurs chantant juste et manœuvrant sans maladresse. Mise en
scène harmonique. Ballet débarrassé des éléments disgracieux.
Une première chanteuse d'une distinction suprême, un baryton
dont la voix est sans pareille, un ténor un peu gros mais tenant
très correctement son emploi, une dugazon qui plaît à tous, et
des rôles' subalternes où personne n'est ridicule. .
Quoi qu'on fasse, on subit la séduction de celle unité qui
s'améliore encore par l'habilude des exécutions en commun; il
convient de ne pas oublier que la plupart des artistes se trou-
vaient pour la première fois réunis sur les mêmes planches et
qu'ils avaient îi se faire les uns aux autres, à prendre celle con-
fiance qui amène, le complet épanouissement des qualités. Les
sympathies des spectateurs pour ces agents du plaisir désormais
le plus cher à notre population grandissent de soirée en soirée et
contribuent à leur tour à cette évolution vers des interprétations
vraiment dignes de noire capitale. On a beaucoup remarqué
l'assiduité de la Reine aux représentations. Le bruit s'est répandu
qu'à la Cour on est très heureux du diapason auqu(3l l'opéra
c6mique a été élevé sur notre première scène et qu'on y a le vif
désir de voir le grand opéra monter au même degré. On ajoute
que le chef de notre Conservatoire est aussi tout dévoué à l'orga-
nisalion nouvelle et ne lui marchande pas ses soins.
Le grand opéra a eu besoin de remaniements et l'on se trouve
encore dans la période transitoire. La direction est résolue,
dit-on, à faire les sacrifices nécessaires, dût-elle passer par une
période durant laquelle les résultats pécuniaires ne compen-
seraltîiit pas ses ellbrls. Elle veut, d'après les bruits qui se col-
portent, faire du théâtre de la Monnaie une instilulion parfaite,
elle croit que Bruxelles la réclame, elle pense ([ue c'est possible,
elle entend montrer ce que cela coûte, elle espère être appuyée
par ceux qui sont d'avis qu'à tous les points de vue on ne saurait
faire dépenses j)Ius utiles que celles qui favorisent l'art 4e-^ilus
universellement goûté chez nous et vraiment le plus salutaire.
En somme, tout cela revient à dire : Nous n'entendons pas tri-
cher au jeu. 11 est certes assez facile de marcher toute une sai-
son avec une troupe boîleuse quand le public s'est emballé pour
quelques artistes favoris. Celte façon de procéder économique
peut être fructueuse, mais elle est conlfaire assurément au
cahier des charges qui stipule textuellement que « le concession-
naire devra maintenir le théâtre h un rang élevé tant sous le
rajiport du nombre et du talent des artistes que sous celui
du luxe de la mise en scène ». D'année en année, nous sommes
devenus plus exigeants ])récisément parce que l'opéra est devenu
plus populaire. Nous voulons avoir un des premiers théâtres du
continent. Voici quelqu'un qui l'essaie, qui l'a déjà obtenu pour
un des deux genres, et qui le veut pour l'autre. Il lui manque un
ténor de grand opéra : il le cherche et ne marchande pas. Cela
mérite certes encouragement pt nous ne douions pas que l'ap-
pui vienne de toutes parts, car c'est fort rare un. directeur qui
pense plus aux distractions du public qu'à ses bénéfices, et qui
met dans son exploitation plus d'amour-propre que i'amour du,
lucre. •
Dans l'état d'apaisement où se trouve actuellement le pays, les
grands intérêts artistiques qui sont attachés au théâtre de la
Monnaie constituent une des préoccupations principales de l'opi-
nion. Il n'y a pas de mal à ce que l'art prenne de temps en temps
le pas sur la politique. Dans Bruxelles les hommes qui résolu-
ment s'occuperaient de donner leur aide au programme nou-
veau de la direction résumé en celte formule : Opéra comique de
premier ordre, et grand opéra égal à iopéra comique, accompli-
raient certes une mission dont leurs concitoyens leur sauraient
gré. Ce n'est pas ditiicile et ce serait conquérir i)romptemenl une
granfle auloriléet beaucoup do popularité. L'occasion est belle.
Qui saura la saisir? Nous sommes sortis de la période durant
laquelle la lutte s'agitait entre les souvenirs de la direction
ancienne et les efforts de la direction nouvelle. Ce petit côté de
la question est effacé. Il ne s'agit plus que de la prospérité du
théâtre dans le domaine artislicjue. Là tout le monde peut s'en-
tendre. 11 ne faut plus combattre mais encourager. Avec un peu
de bonne volonté nous pouvons avoir le meilleur théâtre de
l'Europe. La moitié de la besogne est fuite. Occupons-nous de
l'autre. * ; "
LE NIVEAU DE L'ART -
Par ce temps de production hâtive et enragée,' où le tableau
envahit tout, encombre tout, déborde des expositions et s'offre à vil
prix au passant, par ce temps de déconsidération artistique, nous
proposons, atin de réglementer cette prostitution nouvelle, un arrêté
ainsi conçu :
Art. l". Toute œuvre d'art n'a le droit d'exister que pour autant
«« que le besoin s'en fasse sentir ».
Art. 2. Les commissions d'admission aux différentes expositions
sont chargées de l'exécution d\i présent arrêté.
— Attentat à la liberté du travail! crient les Alphonses de l'art.
Qu'ibuous soit cependant permis de vous demander, ù peinturlu-
reurs nos amis, à quoi servent ces milliers de toiles encombrant les
expositions, suant l'impuissance de leurs auteurs, commises sans la
moindre émotion artistique, et répugnantes de banalité, de vulga-
ritel
Sont-ils o?uvres d'art ces « tableaux «?
Et combien de ces choses dans les expositions, les plus gramles et
les plus otTicielles même — et surtout.
Insutîisamment mauvaises pour être ret'nsées, mais médiocres de
cette médiocrité parfaite, qui s'impose et étouffe sous sou flux tou-
jours grossissant l'œuvre saine, émue,, convaincue.
Rares sont celles-ci. Que d'artistes de " grand renom « se résignent
à ce métier abrutissant du tableau d'amateur ou de marchand, refai-
sant cent fois la même œuvre, sans oser s'écarter de la donnée qui
leur a valu leur notoriété industrielle !
Que de fois l'artiste devrait se dire : A quoi bo>i ? Qu'ai-jo exprimé
qui ne soit déjà dit, et mille fois mieux que je no l'ai pu dire ?
Pourquoi alors travailler bêtement, mécaniquement, comme l'ou-
vrier abattant l'ouvrage de sa journée? Est-ce do l'art ce que j'ai t^iit?
— Non. Xo valait -il pas inioiix me croiser les bras que de faire cette
t'iiose iniilile ?
1^1 celle i)eînliire-là est cependant encouragée, elle a tous les pri-
vilèirt's, elle est reçue, et elle se vend.
C'est elle (jui tue l'art et retarde le progrès, en envahissant les
expositions, en acca|)arant les encouragements, en entretenant le
mauvais goût du public, en se nourrissant aux ilépens de l'autre : la
superbe, l'indomptée, mais celle aussi qiii, à ses mauvais jours, se
ronge les |)oings, désespérée de la lutte ingrate.
L'origine même de ce mal, on la trouve dans les académies et dans
les bourses d'étude. ' -^
L'académie, cet te couveuse mécanique — usage garanti — au service
des tempéraments niai venus, inculque à un individu quelconque
lies règles et des recettes Mil'aillibles qui iloivent en faire un
~ artiste ".
La bourse, c'est la somme annuelle mécèniennement octroyée
par la commune mi la province aux jeunes gens ^toujours quel-
coiuiues) qui enibrassent la carrière artistique. — 1^1 que de pauvres
diables ont vouhi profiter' de cette maime. refust'e à l'ouvrier pour
apprendre le métier qui doit le rendre utile, et bêtement jetée alin
d'aider les académies à faii*e de mauvais artistes!
— Signaler lemal, c'est le détruire.
Ilélas ! non, car toujours l'Etat se croira oliligé d'avoir des cou-
veuses mécaniques où l'on proclamera avec orgueil avoir quatorze
cents élèves! (Voir le discours de M. l'administrateur de l'Académie
d'Anvers), et toujours les administrations croiront remplir un devoir
patriotique en donnant des bourses à qui en veut.
A.
CORRESPONDANCE MUSICALE DE PARIS
Bien que Paris-politique soit bien atTairé en ce moment, Paris -
' artiste, qui sait que ces elTervescences-là n'ont qu'un temps, L'en
luit pas moins sa toilette pour la Saison qui va s'ouvrir.
La plupart des théâtres ont repris en septembre les ouvrages avec
lesquels, ils avaient clôturé; les nouveautés vont bientôt éclore.
L'Opéra-Comique a fait une éclatante reprise de V Étoile du Nord
avec M. Maurel dans le rôle de Pierre et M'^^ Isaac dans celui de
Catherine.
Le grand succès artistique de la soirée a été pour cette cantatrice
à la voix merveilleusement pure, aux vocalises d'un fini admirable.
De ])lus. M"e Isaac a énormément gagné comme comédienne ;
si sa physionomie pouvait être plus expressive, l'ensemble de ses
moyens approcherait de la pert'ection.
M. Maurel a composé le rôle de Pierre avec un talent conscien-
cieux, forçant surtout le côté brutal du rôle'et voulant nous montrer
uu véritable charpentier, aux emportements de bête fauve; le rôle est
bien étudié et, ainsi compris, on l'écoute avec intérêt Comme comé-
dien, M. Maurel ne donnait aucune crainte; comme baryton
il ])ouvait se, trouver mal à l'aise dans le rôle de basse chantante
crée par Bataille; et, dame, il y a bien des passages où les instru-
ments de l'orchestre, les bassons surtout, lui sont venus en aide;
mais on avait usé des nombreuses variantes que Meyerbeer a indi-
quées et celles-ci ont remis l'artiste sur son véritable terrain.
M. Fournet, jtremier prix d'opéra, a surpris agréablement l'audi-
tC'ire dans le rôle de Gritzenko, où il a trouvé la note juste des
éfllets comiques; et Dieu sait si l'on pouvait douter des aptitude.s
comiques de M. Fournet!
Les autres interjtrètes sont à la hauteur de leurs emjihds.
L'ouverture a fait merveille et la scène finale du secgnd acte a été
d'une telle ampleur qu'on a rêvé pour elle la belle scène de l'opéra.
Mais on sait que M. Carvalho a monté V Étoile pour faire une
niche à MM. Ritt et Oailhard ; il n'y a donc rien à espérer relative-
ment à une émigration éventuelle de l'ouvrage.
(Juoi qu'il en soit, rimjiression a été-bonne, contrairement à ce qui
* s'était pas.sé pour le même ouvrage à Bruxelles, lors de la clôture de
la saison dernière et i)our les adieux de MM. Stoumon et Galabrési.
La semaine dernière a vu naître au théâtre des Nouveautés une
opérette de MM. Blum et Toché, musique du prix de Rome Gaston
^^iv\^c{[,e,'n\['\i\x\è^i le Petit Chaperon Rouge.
Je crains bien que la volte-face qu'a faite M. Serpette à sa sortie
du Conservatoire, il y a quehjue vingt ans, ne lui réussisse jamais.
Le compositeur n'a rien de cette facilité mélodique ni de cette verve
endiablée qui font les succès d'opérette; il flotte entre Lecocq et
Otïenbach, sans ombre de personnalité, et reste même bien loin de
l'Hervé des beaux jours. Jusqu'ici, il n'a introduit dans l'opérette que
le pastiche des grands effets (l'opéra, avec contrepoint, fugue et
autres finasseries en dehors du sujet, et je crains bien que le Petit
Chaperon Rouge n'aille rejoindre le Château de Tire-Larigot,
''Fanfreluche et Xsl Brandie cassée. M. Serpette eût- il réussi dans le
genre sérieux? On l'ignorera toujours; mais son éducation musicale
l'aurait tout au moins mis à même de produire des œuvres estimables
sinon par l'inspiration du moins par la facture. Dans l'opérette, il ne
peut, i)as plus qu'un autre, prétendre à l'estime, et lorsque* l'ouvrage
tombe, il a travaillé eu pure perte. C'est une opérette de plus et voilà
tout!
Les librettistes, MM. Blum et Toché, sont deux courriéristes de
théâtres; le premier au Rappel, le second au Gaulois. Très lancés,
forcément soutenus par la critiqué, ces messieurs pondent au poids
et à l'heure en vue des droits d'auteur qui rémunèrent hélas! plus
d'activité que de talent.
Aujourd'hui le goût pour les théâtres du boulevard est tel qu'uue
pièce, si mauvaise qu'elle soit, est certaine d'atteindre cinquante
représentations, et comme c'en est assez pour que Brasseur retire
honnêtement son épingle du jeu, on s'explique comment les direc-
teurs se montrent aussi coulants dans la réception des pièces éma-
nant d'auteurs connus et surtout de journalistes en vogue.
Dans le Petit Chaperon Rouge, ou a revu Brasseur et son fils,
Berthelier, Marguerite Ugalde et Juliette Darcourt.
Chacun fait de son mieux, et si de tels artistes n'interprétaient qlie
des rôles à leur taille, on passerait de délicieuses soirées au théâtre
des Nouveautés. Mais depuis 1870, on n'a compté que trois opérettes
à succès : la Fille de 3/>ne Angot, les Cloches de Corneville el la
Mascotte. Et Dieu sait combien ile frais pour. en arriver là!
En ce qui concerne les concerts, voici que M. Lamoureux a sduftlé
à M. Pasdeloup son idée de donner dés concerts à l'Edeu-Théâtre et
que la Société des Nouveaux concerts va y donner ses séances.
L'entreprise de M. Lamoureux restera la même qu'au Chàteau-
d'Eau et vaudra mieux, je crois, que tout ce que pourra entreprendre
M. Pasdeloup qui, après s'être retiré honorablement, ferait bien,
pour sa dignité, de rester dans la retraite qu'il s'était imposée si
judicieusement.
Les concerts Colonne rouvriront prochainement; quant à M. Ben-
jamin Godard, j'estime qu'il aura raison de s'en tenir à l'essai de l'an
passé, et d'abandonner son bâton de chef d'orchestre pour reprendre
la plume de compositeur qu'il n'aurait jamais dû quitter.
GUTELLO.
ff
'ETITE CHROJ^iqU£
Furieux certain reporter de rirrévérence que nous montrons par-
fois à l'égard de la petite presse.
Il nous qualifie : - Une revue plus ou moins artistique, dont la
spécialité est l'insulte he^^iomadaire à la « petite presse ».
Hélas ! oui, bel ami, nous avons mal parlé de la petite presse.
Nous lui ayons même adressé des coups qui l'ont touchée ])uisqu'elle
crie. Ce phénomène qui vous met en rage s'est produit quand nous
l'avons crue injuste ou méchante.
Et nous recommencerons, pécheurs endurcis que nous sommes,
nous recommencerons. Nous avons la manie de vouloir habituer le
l)ublic à ne pas subir la tyrannie de Messieurs les Journalistes. Le
meilleur moyen nous a toujotirs paru de démoiitrer qu'il n'en faut pas
avoir peur.
p]t par malheur, voici que ce puljlic pervers se fait à cette habitude.
Il ne se laisse j)lus diri},'er par la petite presse. On y peut désormais
goguenarder et perrucher à loisir, cela ne tire plus à con-îéquence, et
les gens qu'elle mord se portent à merveille.
On nous informe du résultat inespéré de la première exposition du
('ercle récemment installé à Tournai : 3,500 entrées et le i»lacemeiit
de 3,000 billets de la tombola jirouvent assez que le public a tenu à
encourager cette tentative à laquelle, oiitre M. Allard, que nous
avons cité, ont largement contribué MM. Dç Baere, Cliantry-Huylo
et Masy.
Matière à un nouveau chajjitre de notre Pathologie littéraire. Un
cas des plus curieux de cctlemhoitrite j)ulride !
Parlant un jour de deux oisillons de la Je?<>*<? BcUjiqiœ^ un de nos
rédacteurs a écrit que, pour abattre de pareils moineaux, ppint n'est
besoin de chevrotines.
La plaisanterie a fait rire la galerie, et les deux pierrots se
sont tus.
Mais voici qu'après plusieurs mois les j)auvrets, alors encore au
cri du nid, s'imaginant avoir acquis bec et ongles, viennent donner
de la tête contre nos vitres et jjiaillent avec frénésie.
Voir, dans le dernier numéro de leur petite pantalonnade men-
suelle, un charabias trijjle, sous ce titre qui donne un avant-goût du
reste : Patuos.ioli.
Il s'agit, y est-il confessé, de nous mettre en colère.
Oh! que non, chers mignons.
Vous avez in illo tcntpore reçu votre compte. Il était bon. C'est
affaire réglée. Pas de revision. La volée qu'on vous envoya vous fit
alors descendre du perchoir. Gela nous suffit. Nous brûlerons notre
poudre ailleurs. Voulez- vous bien, petits effrontés, cesser de polis-
sonner chez nous et retourner à la volière.
Post-scriptum. A ])ropos, dites-donc au maître pasticheur don
Giraud de Hérédia Baudelar y Banvillès, justement surnommé
Pierrot Lunaire en tant que reflet, qu'il repasse sa prosodie afin
d'éviter le ridicule de proclamer doctoralement qiie Bruire a trois
syllabes. Non, deux, mon maître, la diérèse en trois n'est permise
qu'à titre de licence. .
C'est le même expert, chercheur de puces, qui à propos d'une
erreur de copiste, visible pour tous excepté pour Madame sa
Loyauté, affecte de lire ce ï^ôle passionné pour ce^ air passionné.
Gare à lui si jamais on s'avise d'écheniller aussi ses faits, dits et
gestes. A bon entendeur, salut !
On annonce qu'une partie de la société bruxelloise s'octfupe
d'avoir im jour spécial au théâtre de la Monnaie, le jeudi, où l'on
se réunirait de préférence à l'instar des habitudes parisiennes. Des
démarches se font et une liste d'abonnement circule. Décidément le
goût de roi)éra s'accentue.
Les journaux qui ont annoncé la résiliation à Lyon de l'engage-
ment de M"e Angèle Le Gault, notre charmante première dugazon
de la saison dernière, ont, en général, omis de dire qu'elle a été
nécessitée par la santé de la jeune artiste, fort précaire à ce moment.
Elle avait été très bien accueillie dans Guillaume Tell et les
Jluguowts^co qr.i n'étonnera aucun de ceux qui l'ont vue et entendue
dans ces rôles à Bruxelles.
M. G. Delsaux, l'intéressant peintre dont nous avons à diverses
reprises signalés les efforts, a invité récemment les artistes et les
amateurs à visiter dans son atelier l'exposition intime des études
qu'il a faites en Zelande durant ces derniers mois. Nous comptons
en entretenir nos lecteurs. .
On annonce la mort de M: Mathieu Nisen, i)ro(7issour de peinture
à l'Académie des beaux- arts de Liège, officier de l'ordre do Léopold.
Il était âgé de 00 ans.
Il laisse .un grand nombre de portraits de personnages otficiçls do
.Liège entre autres celui du président Grandgagnage.
M. Joseph Geefs, l'un des doyens de la sculpture belge, est mort
la semaine dernière, dans sa 77" année. L'une de ses œuvres les plus
célèbres est la statue d'André Vésale. Il s'était voué, depuis nombr«î
d'années, au professorat et avait acquis dans l'enseignement aca-
démique une autorité considérable.
On nous prie d'insérer le communiqué suivant :
JOSEPH LIES.
Nos lecteurs doivent comprendre tout l'intérêt que présenterait le
catalogue exact et coini)let des oeuvres de cet artiste. Il a laissé une
liste de ses tableaux comprenant 119 numéros. M. Emile Lefèvre,
qui s'occui)e d'un ouvrage sur le peintre flamand, a retrouvé déjà un
grand nombre d'autres tableaux, ébauches, dessins et esquisses; il
nous prie de demander, à tous ceux qui ont connu Lies, à ses amis,
à ses aflmirateurs. de vouloir bien lui donner les renseignements
possibles à cet égard. .
Il attire particulièrement l'attentian des amateurs de peinture sur
les titres suivants de certains tableaux : Charles Vl-à la bataille de
Rosebeke. — Savoyards. — Marie Stuart. — Rêve indiscret. —
Brauwer. — Le Billet. — Deux mariages. — Baigneuses. -^
Premier amour. — Soleil couchant. — Christophe Colomb. —
Mauvaise rencontre. — Interrogatoire de Jeanne d'Arc. — Paysage
avec dames. — Causerie. — Les plaisirs de l'hiver. — Le page du
château et la fille du moulin. — Un botaniste et sa fille.
Prière d'adresser les communications, 47, rue de la Justice, à
Anvers, à M. Emile Lefèvre;
Franz Liszt quittera bientôt Weimar sans attendre le 22 octobre,
74*^ anniversaire de sa naissance. Le maître est attendu à \Vilhelms-
hôhe où il passera quelques jours auprès de son ami Edouard
Lassen, qui y fait une cure. De là il se rendra à Cassel, puis à
Meiningen, à Munich et enfin à Rome, où il finira l'année 18&5. Il
commencera l'année ISSrj à *Pesth. En avril 1880 il se rendra à
Londres où son fidèle /lisciple Walter Bâche organise en son
honneur un grand festivol qui comprendra notamment la Sainte
Elisabeth, donnée pour la première fois en Angleterre... et en
anglais. Il est possible qu'avant ce voyage à Londres, le maitre
visite Paris, où il est question d'exécuter plusieurs de ses œuvres
symphoniques aux concerts Colonne.
Un artiste autrichien, M. Hlavacek, expose en ce moment au
Palais des Beaux-Arts un tableau représentant la ville de Vienne
et ses .environs vue des hauteurs du Nussbetg, la jolie colline bleue
qui forme, avec le Kahlenberg, te but des excursions favorites des
habitants de la ville impériale. L'œuvre appartient à la famille des
tableaux-voyageurs. On l'exhibe avec quelque" solennité, on recom-
mande aux. visiteurs de le contempler par les lentilles d'une paire de
jumelles (dont la location ne coûte que deux sous); un plan de la
cité où fleurit Johann Strauss est ori'ert, et, pour donner un i)eu de
couleur locale à la peinture, — qui en a besoin, — une jeune
hongroise donne les renseignements utiles avec une b<Mnie grâce qui
inspire l'envie de trouver le tableau charmant.
Les Berlinois, Colonais et Dusseldorfois. auxquels il a été montré,
l'ont trouvé tel. Il est, d'ailleurs, peint dans des tons qui, sûrement,
doivent plaire lâ-bas, et Oswald Achenbach n'eût pas vu par d'autres
yeux le panorama qui se déroule dans la plaine qui arrose le Danube.
Mais cette grande image est peu faite pour réjouir nos compatriotes.
Espérons-le du moins. Nous avons encore l'illusion de croire que le
goût des œuvres artistiques n'est pas absolument perdu en Belgique.
K^
340
VART MODERNE
. ' CINQUIÈME ANNÉE
L'ART MODERNE s'est acquis par l'autorité et l'indépendance de sa critique, par la variété de ses
informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune manifestation de l'Art ne
lui est étrangère : il s'occupe de littérature, de peinture, de sculpture, de gravure, de musique,
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tistes. — Livres nouveaux. Le journal d'André y par A. Goffia;
Le Roitelet, par G. Deml.iloii ; L'ccule (m(jlaisc,\\OiV àQT'AQyQ; La
théodicèe de Lao-Tzc, par l'abbé \'aii Weddingcu; La }yrovincc de
Namiir, par Camille Lemonnier. — Théâtres. Théâtre de la Mon-
naie. La Jidve, La fille dit Ràjbnoit. Théâtre de l'Alcazar. Le
grand Mogol. Théâtre Molière. — Correspondance musicale de
Paris. — Bibliographie musicale. Publications des éditeurs Katto,
Bertram, Breitkopf et lidrtcl. — Petite chronique.
LES DROITS ARTISTIQUES ET LITTÉRAIRES
Une des 'premières lois dont s'occuperont nos
Chambres dans leur prochaine session, sera, on peut
l'espérer, celle qui protégera chez nous les droits des
auteurs dans tous les domaines de l'Art.
On l'aura longtemps attendue. Nous venons après
tous les pays de l'Europe dans cette législation néces-
saire. Ne nous en plaignons plus : ces retards auront
vraisemblablement cet heureux résultat de nous don-
ner un régime supérieur à tous ceux qui l'ont précédé.
Le projet a été apprécié déjà par ceux qui font autorité
en cette matière, savants ou hommes pratiques, et il a
été trouvé excellent. Les critiques n'ont porté que sur
les détails.
Il suffira donc que nos députés s'en rapportent aux
travaux si studieusement accomplis par la section cen-
trale et par son rapporteur. Une bonne loi se déforme
souvent en passant par les discussions et les remanie-
ments du Parlement. Quand le hasard a fait qu'elle
subisse à l'av^^nce le sérieux contrôle! de la science et d.u
métier, le mieux est de ne pas s'inquiéter davantage et
de l'entériner. C'est la sacresse.
Tout au plus y aura-t-il lieu de combler quelques
lacunes. On ne prévoit jamais tout. Nous voulons en
signaler une qui préoccupe à juste titre tous ceux dont
les œuvres sont destinées à la reproduction, c'est-à-dire
avant tout les littérateurs.
Le cas est fort simple. Quel est l'écrivain qui, après
avoir traité avec un éditeur pour un tirage nettement^
chiffré, n'a eu des arrière-pensées sur la fidélité de
l'exécution du contrat ? Comment savoir, quand il est
stipulé qu'on ne tirera qu'autant de centaines, ou autant
de milliers d'exemplaires, plus la passe habituelle pour
le journalisme et la critique, qu'on ne dépassera pas le
nombre?
Certes il y a des maisons d'une probité si bien établie
qu'envers elle l'inquiétude n'e^t pas de mise. C'est avec
un scrupule infini qu'elles veillent à ce devoir de
loyauté. ^Mais, il faut bien le dire, avec d'autres il n'en
est pas de même. Aucune garantie n'existe. De mauvais
bruits courent, et les auteurs ne doutent pas qu'on les
gruge.
Sous le régime actuel, il n'y a pas de répression sé-
rieuse. On est à la merci des éditeurs. Avec beaucoup
d'habileté ils multiplient les imprimeurs qu'ils em-
ploient, les choisissent obcurs et en province. Les exem-
plaires d'un même ouvrage sont parfois tirés en des
lieux différents, ou si l'imprimeur est unique, il est
tellement sous la domination de celui qui l'emploie que
celui-ci n'a guère d'indiscrétion à redouter.
Dans ces conditions, comment l'auteur pourrait-il se
défendre? Il apprend, par des rumeurs, l'exploitation
dont il est victime. Mais ce sont des renseignements
vagues, insuffisants pour servir de base sérieuse à une
action judiciaire. Comme il s'agit d'imputer à un
adversaire des faits de dol, Ija circonspection s'impose.
Aussi, dans la plupart des cas, l'inaction de l'artiste
assure-t-elle l'impunité.
Qu'on remarque que cet asservissement se présente
aussi fâcheux pour le compositeur d'œuvres musicales,
pour le graveur, pour le sculpteur, chaque fois, répé-
tons-le, qu'il s'agit d'une œuvre destinée à la reproduc-
tion en plusieurs exemplaires. L'intérêt est donc consi-
dérable.
Le remède juridique ne nous paraît pas difficile. Il
suffirait, croyons-nous, d'ériger en délit, punissable
d'amende ou dé prison, l'abus de confiance qui consiste
à reproduire une œuvre un plus grand nombre, de fois
qu'il n'a été stipulé.
Il y aurait dès lors, en premier lieu, le frein très
efficace résultant de la crainte de la répression pénale
en police ' correctionnelle. Il y aurait ensuite les
moyens d'investigation dont disposent les juges
d'instruction et qui font défaut dans les procès civils :
visites domiciliaires, dépouillement des livres de com-
merce et de la correspondance, saisie des formes, inter-
rogatoire des employés et ouvriers.
L'érection de ces faits en délits n'aurait rien d'exces-
sif. Le projet de loi punit correctionnellement la con-
trefaçon, c'est-à-dire la reproduction d'une œuvre dans
les cas oti l'auteur ne l'a point permis. Or, l'hypothèse
que nous visons a bien ces caractères; l'éditeur, en
effet, a épuisé l'autorisation qu'on lui a donnée dès qu'il
a atteint le plein du tirage permis. S'il imprime ne
fût-ce qu'un exemplaire en sus, il reproduit sans per-
mission, donc il contrefait.
Une loi sur le droit artistique et littéraire doit être
surtout protectrice pour les artistes trop enclins à se
laisser faire, trop peu soucieux de leurs intérêts. Cha-
que fois qu'on pourra sans inconvénient substituer l'ac-
tion du Parquet à la leur, on fera chose pratique. Ils
sauront déposer une plainte, chose simple, et qui suffit
pour mettre l'action publique en mouvement. Mais
attendre d'eux qu'ils poursuivent opiniâtrement un
long procès civil, c'est tabler sur une très fragile base.
Nous soumettons les idées qui .précèdent à nos
législateurs et spécialement au rapporteur du projet,
qui fut si attentif à réunir dans un excellent ensemble
les progrès divers réaUsés à l'étranger. Les inconvé-
nients pratiques du genre de celui que nons venons de
relever peuvent échapper aux hommes de cabinet. Ils
apparaissent au contraire avec une grandp clarté à
quiconque s'est trouvé mêlé à la pratique des arts de
reproduction.
fîORRJE^PONDANCE D'ARTI^TE^
L'admirable lettre de Millet que nous reproduisons est tin'e
d'un livre aujourd'hui presque introuvable quQ nous a communi-
qué un grand ami des arts. C'est le Salon de 1863, par Arthur
Slcvens. Nous y reviendrons dans un prochain numéro pour en
raconter la curieuse origine et on donner quelques autres extraits
d'une actualité fort singulière.
Quant h la lettre de Millet, elle témoigne éloquemment qu'un
grand artiste est presque toujours un grand penseur et que c'est
de l'âme et du caractère que sortent les inspirations élevées.
« Barbizon, 2 juin 1863.
« Monsieur,
« Je suis très heureux de la manière dont vous parlez de mes
tableaux qui sont à l'Exposition. Le plaisir que j'en ai est très
grand, surtout à cause de votre façon de parler de l'art en
général.
« Vous êtes de l'excessivement petit nombre de ceux qui
croient (tant pis pour qui ne le croit pas) que tout. art est une
langue et qu'une langue est faite pour exprimer ses pensées.
Dites-le, puis redites-le, cela fera peul-êlre réfléchir quelqu'un ;
si plus de gens le croyaient, on n'en verrait pas tant peindre^et
écrire sans but. Y a-t-il pourtant rien de plus insipide él de plus
écœurant que de montrer seulement le plys ou moins d'habitude
qu'on a de l'exercice d'une profession? On appelle cela de l'habi-
leté, et ceux qui en font commerce en sont grandement loués.
Mais, de bonne foi, et quand même ce serait de la vraie habileté,
est-ce qu'elle ne devrait pas être employée seulement en vue d'ac-
complir le bien, puis se cacher bien modestement derrière
l'œuvre? L'habilelé aurait-elle donc le droit d'ouvrir boutique à
son compte? J'ai lu, je ne sais plus où : Malheur à Carliste qui
montre son talent avant son œuvre. Il serait bien plaisant que le
poignet marchât le premier.... Je ne sais pas textuellement ce
que dit Poussin dans une de ses lettres à propos du tremblement
de sa main, quand il se sentait la tête de mieux en mieux disposée
à marcher, mais en voici à peu près la substance : c< Et quoique
celle-ci (sa main) soit débile, il faudra pourtant bien qu'elle soit
la servante de l'autre, etc ». Encore un coup, si plus de gens
croyaient ce que vous croyez, ils ne s'emploieraient, pas aussi
résolument à flatter le mauvais goût et les mauvaises passions
à leur profit, sans aucun souci du bien, et, comme le dit si
bien Montaigne : « Au lieu de naturaliser l'art, ils artialisent la
« nature. »
« Je saurais gré au hasard qui me donnerait l'occasion de
causer avec vous, mais comme cela ne peut dans tous les cas
se réaliser immédiatement, au risque de vous fatiguer, je veux
essayer de vous dire, comme je le pourrai; certaines choses qui
sont pour moi des croyances, et que je souhaiterais de pouvoir
rendre claires dans ce que je fais.
« Que les choses n'aient point l'air d'être amalgamées au
hasard et par occasion, mais qu'elles aient entre elles une
liaison indispensable et forcée. Je voudrais que les êtres que
je représente aient l'air voués à leur position, et qu'il soit im-
possible d'imaginer qu'il leur puisse venfr à l'idée d'êlre autre
chose que ce qu'ils sont. Une œuvre doit élre d'une pièce, et
e[ons et choses doivent toujours êlre là pour une fin. Je désire
mettre bien pleinement et fortement ce qui est nécessaire, et à
tel point que je crois qu'il vaudrait mieux que les choses fai-
blement dites ne fussent pas dites, par la raison qu'elles en
sont comme déflorées et gûtées ; ,mais je professe la plus
grande horreur pour les inutilités (si brillantes qu'elles soient)
et les remplissages, ces choses ne pouvant amener d'autres
résultats que la distraction et raffaiblissement. Ce n'est pas
tant les choses représentées qui font le beau, c'est le besoin qu'on
a eu de les représenter, et ce besoin luiTmême a créé le degré
de puissance avec lequel on s'est acquitté. On peut dire que
tout est beau, pourvu que cela arrive en son temps et k sa place,
cf, par contre, que rien ne peut élrc beau arrivant à contre-
temps. Point d'atténuation dans les caractères : qu'Apollon
soit Apollon, et Socrate, Socrate. Ne les mêlons point l'un dans
l'autre, ils y perdraient tous les deux. Quel est le plus beau d'un
arbre droit ou d'un arbre tordu? Celui qui est le mieux en
situation.
« Je conclus donc à ceci : le beau est ce qui convient. Cela
pourrait se développer à l'infini et se prouver par d'intarissa-
bles exemples. 11 doit être bien entendu que je ne parle pas
du beau absolu, vu que je ne. sais pas ce que c'est, et que cela
me semble la plus belle de toutes les plaisanteries. Je crois
bion que les gens qui s'en occupent ne le font que parce qu'ils
n'ont pas d'yeux pour les choses naturelles, et qu'ils sont
confits dans l'art accompli, ne croyant pas la nature assez riche
pour toujours fournir. Braves gens! ils sont de ceux qui font
des poétiques au lieu d'être poètes. Caractériser ! Voilà le but.
Vasari dit que Baccio Bandinelli faisait une figure devant
représenter Eve, mais en avançant dans sa besogne, il s'est
avisé que cette figure pour son rôle d'Eve était un peu efflan-
qiiée. Il s'eist contenté de lui mettre les attributs de Cérès, et
Kve est devenue une Cérès ! Nous pouvons bien admettre,
comme Bandinelli était un habile homnie, qu'il devait y avoir
dans cette figure des morceaux d'un modelé superbe et venant
d'une grande science, mais tout cela n'aboutissant pas à un
caractère déterminé, n'en a pas moins dû faire l'œuvre la plus
pitoyable. Ce n'était ni chair ni poisson.
« Pardon, Monsieur, de vous en avoir dit si long, et peut-être
si peu ; mais laissez-moi encore vous dire que s'il vous arri-
vait de rôder dans les environs de Barbizon, vous vouliez bien
entrer dans ma boutique.
tt J.-F. Millet. »
Ailleurs, l'auteur du Salo7i de 1863 cite ce passage de Mon-
taigne, qui confirme si bien les idées de Millet sur les paysans et
les misérables et le grand intérêt qui, pour l'artiste, s'attache à
leur vie.
« Regardons à terre les pauvres gens que nous y veoyons
espandus, la têle penchante après leur besogne, qui ne sçavent
ny Aristote, ny Caton, ny exemple, ny précepte ; de ceulx-Ià lire
nature louts les jours des effets de constance et de patience plus
purs et plus roidcs que cculx que nous estudions si curieusement
en l'eschole : combien en veois-je ordinairement qui mcsco-
gnoissent la pauvreté! Combien qui désirent la mort, ou qui la
passent sans alarme cl sans affliction ! Celuy-là qui fouît mon
jardin, il a ce matin cnlerré son père ou son fils. Les noms
mesmes de quoi ils appellent les maladies en adoucissent et amo-
lisscnt l'aspreté; la phlhisie, c'est la toux pour eux ^ la dysscn-
Icrie, dcvoyement d'cstomach ; une pleurésie, c'est un morfondc-
ment, et selon qu'ils les nomment doulcement, ils les supportent
aussi ; elles sont bien griefves quand elles rompent leur travail ;
ils nes'allicstent que pour mourir. »
ri^
JalVREjS NOUVEAUX
Le Journal d'André, par M. A. Goffin.
Le Journal d'André de M. Arnold Gofiin a paru en plaquette
ou plutôt en cahier et ce formai cadre parfaitement avec .la nature
et le sens de' cette œuvre au jour le jour.
M. Gofiin y note en effet, comme au courant des heures, les
impressions douces et artistes d'un malade. \ surprendra-l-on
une autobiographie? •
A noire avis, voilà bien la moins intéressante des questions! Il
vaut mieux examiner n'importe quel livre comme ayant sa vie à
part et non comme une indiscrétion qu'un auteur ferait sur lui-
même ; juger un livre et non une personne.
Nous voulons donc croire à l'existence d'André -et ce sera du
Journal d'André (\nQ^ nous dirons quelques mots. Et d'abord, il
'n'est pas besoin que M. Goffin nous dise qu'André a vingt-trois
ans. On le devine à certaines naïvetés fatales à cet âge.
Ily a là toute une exagération de tristesse et de plainte qui sont
comme des vagissements et quand j'écris vagissements je me fais
effort. Le mot bêlement conviendrait. C'est le capital défaut du
Journal d'André : il renferme trop de confessions puériles.
El pourtant nous l'avons relu à cause de son style, curieux
celui-là, el souple et très sincère. Les phrases sont neuves
de tour et de déroulement. Chaque mot prend son rang,
et dans le cours de la période se plante, ici, comme une roche
dans un courant, là, comme une pointe de barrage, là, comme
une île de fleurs. Cela, pitlorcsquement parfois, raisonnablement
toujours.
On regrette en fermant le Journal d'André qu'il ne dise mot
sur les tristesses que tout malade artiste se crée pour le plaisir de
se les créer. Sa mélancolie résulte trop du milieu ; cette âme ne
se torture pas assez elle-même. Un malheureux tel doit à cer-
taines heures s'en vouloir, rager à cause de soi-même, se mépri-
ser, se pleurer, se haïr. El c'était le nouveau et intéressant pro-
blême à résoudre el l'étal moral vraiment étrange à analyser.
Le Roitelet, par M. G. Demblon. — Paris, Giraud.
M. Céleslin Demblon publie chez Giraud le Roitelet : doux
livriculet parfumé d'impressions et de bons souvenirs. M. Dem-
blon a le lyrisme facile, trop facile peut-être pour faire œuvre
d'artiste, mûrement et intelligemment exécutée. Il réussit des
fugues, mais des fugues quelque peu banales « sur les lieux où
il est né », sur les campagnes où ses vols d'enthousiasme ont
pris l'essor. C'est d'une âme sincère, certes; cela suffit-il?
L'École anglaise, par de Taeye.
V Ecole anglaise de /^m/wre est examinée par M. de Taeye non
eu critique, mais eu montreur. Cette étude, parue dans la Revue
de Belgique, apparaît lourde el rétrograde. L'auteur v trouve
superbe l'archéologie de Tadema el nôus initie aux pratiques de
la Royal Academy. Voici une de ses phrases prise au hasard :
« Les couleurs sont franclies, grasses, solides ; on dirait de"
rdmail ». Oh! l'appréciation inalhciircuseî Ce (jui fait ress(;ml)ler
une toile à tout autre chose qu'à une peinture serait donc une
qualité? .
Au teste, M. de Taeye en est encore h prôner V unité de percep-
tion et les théories routinières des Lcii^hlon et des Wals.
. La théodicée de Luo-Tze, par M. l'abbé Van Weddingen.
Autre sujet -.La thcudicée de Lno-Tze, par Tahbé Van Wed-
dingen, est une page d'histoire de philosophie où la science si
haute du théologien s'enveloppe d'une belle correction littéraire
et d'une netteté de style remarquables. C'est à ce titre seul que"
nous la signalons..
La Province de Namur, par Camille Lemonnier.
— Paris, Hachette.
Camille Lemonnier poursuit dans le Tour du Monde de Char-
ton ses études sur la Belgique. Voici la province de Nanuir
décrite et grandie par ce ))ointre à la plume qui a su faire des
chefs-d'ceuvre avec les matériaux banals des Dœdeker et des
Guides Conli. Serappelle-t-on Bruges, la dolente, pleurée et
dorlotée j)ar ses canaux; Gand, toute hérissée de clochers et de
souvenirs guerriers; Anvers, entrevue à travers les cordages et
les fumées des transatlantiques; Mous, en bonne humeur, coiffée
de sa tour et de son carillon comme d'un chapeau chinois;
Bruxelles, la ville belge, tandis que toutes les autres sont encore
villes flamandes ou wallonnes?
Enfin, voici Namur et Dinant, et les cavernes, et les grottes, et
les rivières caillouteuses et les montagnes enturbanées de châ-
teaux-forts. L'auteur, d'après qu'il décrit tel ou tel aspect de pays
varie son art et voici que du soleil et de la joie pénètrent son
style. Le pays de Namur lui paraît gaîté et c'est, de vrai, la domi-
nante de ces sites tachetés d'ardoises et de murs blancs et de
plaines vertes et de roches claires ; sites frais et joyeux comme
une nappe de beau linge avec des fruits et des feuilles dessus;^
,sites modérés et sans grandeur, mais attachants par la bonne
humeur naturelle qu'ils jettent au touriste comme une bouffée
d'air vierge.
ri
Où la puissance descriptive de M. Lemonnier éclate, c'est dans
le tableau de la Grotte de Han. La phrase s'y creuse comme des
souterrains terribles où fourmillent dans le vague les incidentes
énormes, les périodes profondes et enroulées, les inextricables
circonlocutions qui donnent la vision de monstrueux entortille-
ments de pierre, et de tresses de stalactites et de nœuds serpen-
tins, et de chapelets figés et filamenteux comme des pûtes gelées
et mortes.
Tout ce passage est d'une puissance et d'une maîtrise magni-
fique; les mots sont comme les échos'sourds et profonds de ces
cavernes; les plis et les replis de la description moulent les bos-
ses et les parois et les dallages et les voûtes de l'antre; toute une
vie nocturne apparaît.
Ce sera vraie œiivre d'artiste que Camille Lemonnier aura faite
en saisissant, province par province, les caractéristiques de la
Belgique et cette indéniable gloire éclatera surtout lorsque le
public verra réunies en volume les diverses études parues dans
la revue de M. Charlon.
. Jhéatre^
Théâtre de la Monnaie.
LA .iriVE. — LA FILLE DjJ RÉGIMENT
Presque en même temps que l'Opéra de Paris reprenait la
Juive, le théâtre de la Monnaie offrait ù ses habitués une reprise
du même ouvrage, et, coïncidence curieuse, tandis que l'œuvre
d'Halévy servait h présenter au public parisien une transfuge de
la scène bruxelloise, elle était destinée, â Bruxelles, à favoriser
les débuts d'un arlisle qui eut \x Pai-is un succès considérable.
Pour les deux artistes, l'épreuve a été décisive. On lira dans
noire correspondance de Paris l'accueil fait par le public de
l'Opéra à M""-' Uose Caron. Di"jâ les journaux parisiens nous ont
appris qu'elle a conquis la place à la([uelle lui donnent droit
d'exceptionnelles qualités scéniques.
M. Villaret, d'autre part, s'est, du premier coup, placé au rang
qu'il mérite d'occuper sur notre première scène. Nous n'hésitons
pas à le dire : c'est, de tous les ténors qui se sont succédés
dans la troupe de la Monnaie en ces dernières années, l'artiste
qui présente l'ensemble le plus complet de capacités.
Il a composé le rôle d'Eléazar avec une perfection de détails
qui a frappe tous ceux qui ont assisté â la reprise de mercredi.
Ses jeux de scène, ses gestes, ses attitudes sont ceux d'un
comédien accompli, et si la voix n'est j)lus ce qu'elle a été autre-
fois, on ne peut méconnaître que l'artiste la conduit avec un art
tel que son charme est très grand et impressionne tout autrement
l'auditoire que ne le feraient les éclats de tel tonitruant ténor.
Sachons gré à la direction nouvelle de s'être imposée de sérieux
sacrifices pour élever l'opéra à la hauteur otl elle a (dès le début,
fait sans exemple) placé l'opéra-comique. On est trop disposé à
oublier que le point de comparaison est déplacé. Aux tristes len-
demains qui suivaient, l'an dernier, les soirées, où grâce à
M"''' Caron et à M. Grosse on faisait recette, ont succédé des repré-
sentations d'un intérêt capital. Avant-hier encore, la reprise delà
Fille du Régiment a établi, une fois de plus, ce que vaut la
troupe de' premier ordre qui est chargée d'interpréter l'opéra-
comique. M"»^ Mézeray s'y est montrée adorable de grâce, d'élé-
gance, de finesse, et le charme de sa voix a été égal h la séduction
de sa personne. Tous les interprètes, y compris les choristes, ont
été si parfaits que l'ouvrage^ qu'on croyait usé et rebattu, est
apparu rayonnant de gaîté, de jeunesse et de fraîcheur. Faire
d'une reprise de la Fille du Régiment une soirée à sensation,
c'est presque invraisemblable !
Ne poussons donc pas l'exigence jusqu'à vouloir que l'opéra
réalise, dès les premiers mois d'une direction nouvelle où tout
esta créer, ce que jamais on n'a demandé aux directions précé-
dentes après plusieurs années d'exploitation théâtrale et ce
qu'elles se seraient nettement refusées à faire.
Le début de M. Villaret dans la Juive a marqué une étape sur
la voie des j)rogrès constants que fait \é grand opéra. C'est un
acheminement vers la composition complète et définitive de la
troupe, où figure en première ligne une cantatrice d'une distinc-
tion suprême.
L'accueil fait à M'"^ Delpralo a été assez froid. L'artiste a de la
puissance dans la voix, particulièrement dans les registres élevés,
mais elle lutte, dans ce rôle difficile de Rachel, contre des
souvenirs redoutables. On ne lui pardonne pas la gaucherie de
/^
SCS fl^eslGS cl de sa niarclic. Peul-êlre rômolion csl-cUe pour une
])art dans celle absence d'aisance.
M. Viilaret fils h l'ail un débul honorable dans le personnat^e de
Ldopold, l'un des plus pileux el des plus ingrats qui soienl au
Ihéûtre. Allcndons, pour l'apprécier, ([u'il se soit i)ro'Juil dans
un rôle plus inléressanl el mieux h môme de lui fournir l'occa-
sion de se faire valoir. \
Mademoiselle A. Ilossi
Coppelin, le si oriççinal ballel — vrai conle d'iloffman, musi-
calisô — vient de mellre en relief une aiiisle parfaite, M'"" Hossi.
Nous disions jadis dans un arlicle sur les })rcmièrcs danseuses.
« La chorégraphie moderne devient de l'acrobatie. Qu'y a-l-il
de gracieux dans ces tensions de jarrets, avec les muscles sail-
lant en apgle, dans ce raidissement .rpii supprime l'altache cam-
brée du pied qui sert de pivot, tanlis que l'autre allongé en
' tringle de |)Olence dessine une afîreuse figure géométrique? Les
jambes raidies semblent être de bois ; cette rigidité fait songer à
un tétanos; cela est sec, malingi-e, sans grâce. »
M"*^Rossi, tant le suprême talent suj)pléc a tout, donne de la
grâce aux mouvements les plus ingrats. On ne peut assez louer
son interprétation si ingénue, si gaie, si folle et si adaptée aux
moindres nuances et indications orchestrales. Elle remplit son
rôle de si consciencieuse manière, qu'elle semble achever el
compléter le rythme et le mouvement des phrases de la partition,
donner une expression h l'âme musicale flottante et faire, si j'ose
dire, les gestes de la musique. Los notes çt les accords et les
mesures lui sont un monde, où vit, marche, sautèle, danse son
corps eurythmique; c'est l'air qu'elle semble boire, le mirage
qu'elle contemple, le rêve qu'elle entend et écoute.
Rien de la banalité courante : ni sourire figé, ni poses conven-
tionnelles, ni saluts bêtes et engoncés. M"*' Kossi ne paraît îi
l'aise qu'en scène; elle y i)asse joyeuse^ vive, enchantée d'être
Ih. Et c'est la nette pierre de touche pour juger un artiste que de
se demander comment, soit avec plaisir, soit avec contrainte, il
monte sur les planches.
Le public bruxellois ne comprend pas, h vrai dire, tout le talent
de la danseuse, il ne distingue point sa valeur très réelle et sa supé-
rieure originalité. .Saisit-il toute la gaminerie qu'elle met l\ tra-
duire ces contes fantastiques el follets, ce surnaturel mécanisé et
fantoche qui hantait le cerveau du conteur berlinois? On dirait
que personne ne se doute combien M"»^^ Rossi a le jeu exact, char-
mant, inventif, comluen elle ren I avec caractère et tcWqÎ Coppe-
lia et combien est vivante et évocative sa franche allure et spiri-
tuelle sa mimique.
Il est vrai que depuis longtemps nous n'avions plus eu de
première danseuse sérieuse. On économisait sur le ballet el notre
public a ])erdu ainsi l'aptitude b le juger. Nous souhaitons qu'il
reprenne promptemenl le goût de cet arl si charmant quand il
n'est pas livré aux médiocrités,
Et nous félicitons la direction Verdhurl de celle réforme si
souvent réclamée sans succès.
Théâtre de l'Alcazar.
LE GRAND MOGOL.
Vive Dieu! Voici l'Alcazar désensorcelé. Les araignées qui, sous
la direction précédente, tissaient mélancoliquement leur toile
entre les dossiers des stalles onl été obligées d'aller dresser leurs
l)ièges ailleurs. Il y a tous les soirs de vrais spectateurs^ qui
paient leur place au contrôle avec de la monnaie ayant cours et
tintant clair. El sur la scène, des artistes sérieux, aguerris, des
chœurs disciplinés, un ballel — oui, un ballel dansé dahs un
nuage de tarlatane doré par la lumière éleclrique, et même une
étoile, sinon de première grandeur, du moins de dimension rai-
sonnable, M"e Gedda, qui, d'un bond (ces danseuses onl le j)ied
si léger 1) a franchi l'espace rpii sépare la place de la Monnaie de,
la rue d'Arenberg. Si liien (jue l'exclamMlion du dentiste Jocque-
let qui, dans le Grand Mogol, s'écrie en débarquant à Delhi :
M C'est rien chouette ici ! » parait être la traduction, rlans la
langue châtiée du faubourg Saint-Dt-nis, de la surprise salisrà-Ao
qu'éjrrouvent, (lès leur entrée, les Sj)e(;laleurs.
La pri)na donna, c'est M"*-' Hervey, la musicienne accomjjlie
qui remplaça au pied levé, il y a trois ans, d;ins le rôle de la
comtesse Sophie de La Légende de sainte Elisahetk.^l""- iJu vi-
vier in(lisj)Osée. Comment une artiste qui semblait destinée h
poursuivre un'^ carrière brillante dans l'opéra a-l-elle aussi
brusquement bifur^iué vers les succès faciles de l'opérette jiour
en arriver ù chanter à j)leine voix :
A tire-lari^^ot
Le Surosnes première se boit sans eau 1
C'esl.ce que nous ne chercherons pas h expli(juer.
Ce qu'il y a de certain, c'est qu'elle n'est pas absolument
déi)aysée à l'Alcaziir, où elle a retrouvé un camarade d'autrefois,
'l'excellent baryton .Morlel, el un ténor dont la voix est agréable,
M. Lary. Ajoutez h l'intérêt (jue présente la nouvelle IroujiC la
note gaie donnée par M. .Minne, un comique b froid qui, secoua
d'accès de foiT rire le théâtre de M. lirasseur, et l'élémenl senti-
menlal aj)porté j)ar M"*-' Ru ire. N'y a-l-il pas là i)lus qu'il n'en
faut pour rendre à l'Alcazir sa si)leudi'ur d'autrefois?
C'(,'Sl ce qu'a compris le jiublic qui remplit tous les soirs très
conseii-ncieusemerit le Ihéâtie de M. I)(''fossez. A])rè>! ;ivoir
autorisé celui-ci îi imprimer tiionq>lialemenl sur Tafiiche : Cen-
tième rcprcsentaliun de rEtudinnl }>auvrc, il est vt.-nu c!i foule
applaudir les grosses plai>an'.eries et la mu-i [ueili' Ijonne
en fi ni du Grand Mogcd. ,.
Sans doute, le sujet de celle pantalonnade n'est pas bien neuf
cl le sel dont elle est assaisonnée pourrait être plus ratliné. Mais
le rite désarme, et l'on lil de bon cM-ur aux naïvetés du )»rince
Mignapour, aux amliitions du Grand Vizir, aux excentricités du
cai)itaine Crakson. El l'on attend avec i»alience la pri^nrière
représentation de La Guerre Joyeuse, la très musicale opérrlle
de Johann Strauss, que ses adajdateurs MM. Maurice Kulleralh
et Alfred Hennequin vienneiil de lire aux artistes.
Théâtre Molière.
La direction de M. Mario Widmer, rintellig-r-nt et actif impré-
sario du Ihéàire d'Ostende, porte bonheur h la scène ixolloise.
La reprise de la Peiilc Fadctte a remporté un véritable succès,
cl contrairemenl aux usages de la maison, qui veulent qu'on
change l'atliche toutes les semaines, on a dû prolonger les repré-
sentations.
Le théâtre Molière annonce pour lundi la première représen-
tation du Mariage au tambour, jùèce en trois actes mêlée de
chant, par MM. Alexandre Dumas, de Leuven et Brunswick.
CORRESPONDANCE MUSICALE DE PARIS
' Ce que je puis tirer de plus intéressant pour vous de la semaine
écoulée est relatif à la continuation des débuts de M"'« Caron et de
M. Gresse dans la Juive et aux débuts de M™» Desçhamps dans Une
Nuit (te Cléopàtre, de Massé.
M'"« Caron gagne de jour en jour de l'autorité sur notre première
scène lyrique, sinon comme chanteuse, du moins comme tragédienne.
Elle a interprété le personnage de Rachel avec un art infini d'oppo-
sition, d'élan et de retenue : tous ses rôles sont intéressants à étu-
dier, p^arce qu'elle sait, laut par l'attitude du corps que par l'expres-
sic/i de la physionomie, en faire une composition achevée. La voix
ne répond pas aux qualités que je viens de décrire ; elle manque
de volume, et on dirait que M^e Lureau-Escalais ait voulu rendre la
chose plus évidente eu forçant son organe au delà de l'importance
qui lui est donnée dans les ensembles. Niche d'artiste. Quoi qu'il en
soit, c'est avec plaisir que nous voyons Mm« Caron prendre successi-
vement possession des rôles du grand répertoire, et s'il y a deside-
ratum quant à la voix de la cantatrice, disons hautement que telle
qu'elle est, nous la trouvons encore de beaucoup supérieure à celle
de la grande artiste qui vient de résilier et que M'"® Caron rempla-
cera avant peu,
M. Gresse, dans le cardinal Brogni, ne fait que continuer la série
de ses honnêtes débuts ; mais l'artiste ne prend pas de caractère et
n'affirme encore aucune personnalité. Cela viendra peut être, mais
c'est bien long!
Quant à M"» Deschamps, on sait que le rôle de Charmion avait
été créé par une artiste sympathique, M"« Reggiani, qui n'avait pas
précisément l'organe du i«ôle et qui forçait son mezzo pour l'amener
aux notes graves du contralto. Ici tout change, et nous nous trou-
vons en présence d'un contralto qui se rapproche beaucoup de
celui de M"c Richard, de l'Opéra La voix est facile, égale et d'une
grande étendue; l'actrice joue avec naturel. Que l'artiste se défasse
de quelques exagérations de style, qu'elle prenne bien le ton et l'ac-
cent juste de l'art tel qu'on les comprend à là salle Favart, et" tout
sera pour le mieux.
Le reste de l'interprétation est excellent et entre pour beaucoup
djans le succès de l'ouvrage.
^IBLIOQRAPHIE MUSICALE
Publications des éditeurs Xatto, Bertram
Breitkopf et Hartel.
La moisson musicale de l'été a été abondante. Voici, mûrie au
soleil des vacances, toute une gerbe d'œuvres et d'œuvrettes sou-
riant dans leur frêle enveloppe de papier rose, de papier paille, de
papier azuré, de papier chamois. Les pianos des pensionnats refleu-
rissent. GaTOtles, pavanes, menuets s'épanouissent sur les pupitres.
Les fournisseurs attitrés ont largement garni les portes-musiques,
ces jardinières qui recèlent, sur leurs rayons d'acajou, les « bou-
quets « de mélodies et les « guirlandes « de motifs Que le caril-
lon des staccati, la tempête des arpèges, lé gazouillement des trilles,
le murmure des gammes chromatiques, le langoureux bercement des
accompagnements commence ! On est prêt. Il y a des berceuses, des
nocturnes et des romances sans paroles sur la planche. Si la qualité
n'y est pas toujours, la quantité y supplée.
Et d'ailleurs il en est des morceaux de salon comme des Premier-
Paris : c'est, depuis l'invention des pensionnats de demoiselles, la
même banalité qu'on ressasse. Il suffît de changer la couverture. Le
Nocturne (op. 6) et le Galop brillent (op. 7) de M. Aug. Vaster-
saveudts, écrits d'ailleurs avec facilité, appartiennent à la catégorie
des compositions de ce genre. De même ses deux Romances sans
paroles (op. >2). Et pourtant l'auteur paraît apte à faire œuvre plus
sérieuse. Dans le recueil de Huit mélodies pour chant et piano qu'il
publie en même temps et dont le texte est emprunté, entre autres,
à quelques poètes belges, à Paul Siret, à Antoine Clesse, etc. il y a
un effort, récompensé eu certains passages. La musique s'enlace
bien aux vers; elle en exprime avec âme le sens. Assurément le
compositeur connaît les nuances de la langue qu'il parle. Sa phrase
est toujours correcte et ne manque pas d'élégance. A recommander
aux maîtrises d'église son Inviolcàa pour voix de ténor, violon ou
violoncelle et orgue. Une Tarentelle pour piano à quatre mains
complète le cycle d'œuvres par lesquelles débute, chez l'éditeur
Katto, M. Vastersavendts.
La maison Bertram, l'une des plus récentes, mais déjà des plus
renommées pour le soin qu'elle apporte à ses publications, ouvre
la saison en offrant â sa clientèle habituelle une série d'œu-
vres nouvelles de M. Oscar Schmidt et de M. Alexis Ermel. Du
premier. Feuilles d'automne (l'une des deux compositions parues
sous ce titre, écrite sur le rythme des anciennes Siciliennes y est
charmante), Gavotte el menuet (op. 40), Cavatine pour violon et
violoncelle (op. 41). Du second, Marche 6o/iéme (op. 36), Poème
d'amour (op. 37), Gavotte et musette dans le style ancien (op. 38',
le tout pour piano seul. Les compositions de M. Ermel dénotent une
plume habile, mais l'inspiration ne s'élève pas bien haut. On pres-
sent plus de facilité que de recherche. La Gavotte a du caractère :
elle évoque le souvenir des vieux airs français du XVI^ siècle, qui
disaient en termes émus la peine des galants bergers, contant leurs
tourments
Aux échos des bois,
Aux soupirs du feuillage.
A noter encore, chez le même éditeur, une Valse sentbnentale
de Maurice Kpettlitz (op. 23), mi-partie Chopin, mi partie Strauss,
au demeurant peu méchante.
MM. Breitkopf et Hàrtel se gardent avec soin du « Morceau de
Salon. « Leur maison, sévèrement owlonnée, n'admet qu'une com-
pagnie choisie. C'est la Maison Lemerre de la musique. Il faut, pour
y pénétrer, montrer patte blanche. Heureux sont les élus !
Niels Gade, le compositeur danois, en est. Et c'est- justice. Son
œuvre, reflet de Mendelssohn, manque, il est vrai, de caractère. Il
affectionne les harmonies assourdies, les tons éteints d'aquarelle ou
de pastel. Mais ce n'en est pas moins un musicien sérieux, conscieu-
cieux, réfléchi, et nombre de ses compositions ont une saveur exoti-
que qui leur a créé une place spéciale dans la littérature musicale
contemporaine. Sa Comala, une sorte de cantate pour baryton,^
chœurs et orchestre d'après Ossian, vient de recevoir la consécration
de Y Édition populaire. Elle occupe dans cette excellente bibliothè-
que à bon marché le n» 429.
Dans la même collection vient de paraître un recueil de trente
mélodies choisies dans l'œuvre de M. Arno Klessel et réunissant en
un seul album celles de ses œuvres qui avaient paru antérieurement
sous les nos 7^ 10, 12 et 14. On lira avec intérêt ces jolis Lieder,
d'un caractère si foncièrement national. Quelques uns d'entre eux,
et en particulier celui intitulé : Après l'orage sont d'une tendresse
exquise. ■
Mais voici des chants plus joyeux. M. Th Hauptner a réuni et
classé dans un élégant volume que viennent d'éditer MM. Breitkopf
et Hartel cent cinquante des chants d'étudiants les plus populaires.
C'est le recueil le plus complet qui ait paru jusqu'à ce jour. Le
Lieder Schatz que publia naguère la maison Peeters n'en contenait
qu'une trentaine II est vrai que M. Hauptner range parmi les
chants d'étudiants nombre de mélodies qui devraient être plutôt
comprises sous le titre de Chants populaires. Mais c'est là une
chicane de .termes. Puisque les étudiants se les sont annexés pour
les hurler dans les Kneipe, autour des chopes de bière mousseuse,
ne les leur disputons pas. Et entonnons avec eux le Gaudeamus
igitur ou le Crambamhouli des grands jours !
Passant à la musique instrumentale, nous avons à signaler la
publication, en petit format de poche, des œuvres de Jacques
Rosenhain, le très-corect et classique musicien qui, au temps de
Rossini et de Mendelssohn, écrivait dans le style de Haydn et de
Mozart. Le premier de ses trois quatuors pour archets vient d'être
mis en vente. Il porte le n" 55 dans l'œuvre du compositeur et a reçu
des éditeurs une toilette charmante.
Enfin, deux compositions de M. Jules de Belîczay, — un auteur
hongrois peu connu ici, mais dont l'Allemagne a entendu un quatuor
pour instruments à cordes, un trio pour piano et archets et diverses
compositions pour piano sur des théâtres magyars. L'une des deux
œuvres récemment parues de M. de Beliczay porte lé titre : Drei
Stamincnhuchblatter (op. 31). Elle se compose dune Rêverie qui
rappelle Schumann, d'un Inte-nnède et d'un Chant du soir d'une
couleur Mendelssohnienue. L'autre est un Nocturne d'une agréable
tournure mélodique.
f
ETITE CHROfliqUE
Un artiste sympat)iique, Yprois d'origine, qui a pris part à un
grand nombre d'expositions où son talent consciencieux, mêlé d'une
pointe d'humour, a été remarqué, M. Gustave Goppieters, est mort
inopinément le 17 octobre. L'artiste û'était âgé que de 45 ans. La
nouvelle de sa mort a douloureusement ému le monde des artistes,
et particulièrement la génération à laquelle appartient le groupe des
anciens élèves de l'atelier Portaels, où M. Goppieters avait fait sou
éducation artistique.
A l'exposition organisée en 1883 par ses condiciples d'autrefois 9t
qui réunit tant de talents divers issus de la même souche, Gustave
Goppieters remporta un succès des plus honorables. Dix-sept de ses
tableaux et études figurèrent au Salon ouvert au Palais des Beaux-
Arts, et parmi eux on distingua surtout la composition fantaisiste
intitulée : Le Bourgeois et la mort, une danse macabre en cinq
scènes où la philosophie narquoise le disputait à la bonne humeur.
Il y avait aussi une série de silhouettes connues, entre autres celle
de Franz Servais, d'une frappante ressemblance. Quelques portraits,
un tableau intitulé : L'Attente, des paysages, quelques études com-
plétaient l'important envoi du peintre.
La Belgique Jierd en lui, sinon un artiste de premier ordre, du
moins une personnalité originale dont le talent aimable avait un
grand nombre d'admirateurs.
Aujourd'hui dimanche, à une heure et demie, on exécutera à la
séance publique de la classe des Beaux-Arts de l'Académie, la can-
tate In 't Elfenwoicd, de M. Léon Dubois, premier prix du grand
concours de composition musicale de 1885. Le poème est de M. Bo-
gaerts.
Le baryton Henri Heuschling, qui a donné avec grand succès
à Ostende un concert pour lequel il n'avait réclamé le concours d'au-
cun autre artiste, renouvellera sa tentative à Bruxelles le mois pro-
chain.
L'audition aura lieu du 20 au 25 novembre, à la salle Marugg,
et comprendra un programme soigneusement choisi sur lequel figu-
reront entre autres des œuvres de quatre artistes belges: MM. Dupont,
Huberli, Mathieu et Wauters,
La Nouvelle Société de musique de Bruxelles, dans une circulaire
qu'elle vient d'adresser, anùonce la mise à l'étude de la dernière
composition de Gounod, Mors et Vita, récemment exécutée pour
la première fois à Birmingham. L'exécution publique aura lieu vers
la fin de décembre ou au commencement de janvier. Le compositeur
dirigera.
Un nouveau journal illustré vient de paraître à Bruxelles. Le
Globe illustré, dirigé par M, Théo Spée, ancien directeur- gérant de
Vlllustration européenne, donne chaque semaine, en huit grandes
pages, des illustrations dont l'actualité fournit la grande part. Son
texte est consacré au roman, au théâtre, aux beaux-arts, auTc let-
tres, aux voyages, etc., et se garde avec soin de marcher sur les
plates-bandes de la politique. L'aspect, le format, le caractère se
rapprochent du journal français \ Illustration. ,
Nous nous félicitons de voir une tentative nouvelle de publication
illustrée dans notre pays. Les artistes belges auront l'occasion de
s'y faire connaître, et déjà nous voyons figurei*-i)armi les illustra-
teurs quelques jeunes, tels que Ed. Duyck, Hrîius, Abry.
Abonnements pour la Belgique : 10 francs par an, fr. 5-50 pour
six mois, 3 francs par trimestre. Bureaux : 18, rue de la Madeleine,
Bruxelles. .
On lit dans un journal quotidien :
Peter Benoit est toujours à la campagne, à Desselghem, Sa santé
s'est beaucoup améliorée, et il n'est pas besoin de démentir les bruits
de complications nouvelles qui ont couru ces jours derniers dans les
journaux de Bruxelles, Le m«ës/ro dirigera vraisemblablement l'exé-
cution prochaine de VOorlog.
On vient de recevoir les exemplaires gravés par une maison alle-
mande de la grande partition d'orchestre de VOorlog. Cette œuvre
de musique admirable a été burinée sur acier par un graveur de pre-
mier ordre. Toutes les parties tiennent sur une page, et les portées
sont aussi nettes, aussi claires que sur une partition de piano. Cette
partition, tirée à cent exemplaires seulement, coûte cent francs. Le
premier " tiré », avant la lettre, a été offert par Benoit à son vaillant
et dévoué ami de Dekeu à qui, du reste, est dédiée la partition
entière de VOorlog. •
On annonce flue M. Galli, le nouveau directeur du Théâtre-Royal
d'Anvers, se dispose à monter prochainement Lohcngrin. Il prépare
aussi une reprise du Tribut de Zamora. M. Seguin, l'ancien baryton
du théâtre de la Monnaie, qui fitde-Hans Sachs la remarquable
création dont on se souvient, a remporté à Anvers un succès considé-
rable dans Ernani.
]V|me Patti arrivera prochainement à Anvers. Elle se fera entendre
dans le rôle de Violetta, de la Traviata.
Nous recevons les premiers numéros d'une nouvelle revue artis-
tique que vient de fonder, à Barcelone, une femme de lettres con-
nue, Esmeralda Cervantes (de son vrai nom Dona Clotilde Cerda y
Bosch). Titre : El Angel del hogar, La revue est mensuelle. Paru i
les Senores protectores figure M. Merry del Val, ministre d'Espagne
à Bruxelles, Bonne chance à dona Esmeralda!
,y
Nous avons reçu ces derniers jours la première livraison d'une
publication hollandaise portant le titre de : De Nicuwe Gids.
La rédaction du Nieuwe Gids est composée de : MM. F. Van
B«den, F. Vander Goes, Willem Kloos, Willem Paap et Albert
Verwey.
Voici le Sommaire du l*' fascicule :
De kleine Johannes, Fred. Van Eeden. — Hendrik IV en de
prinses Condé, D*" W. Doorenbos. — Het sonnet en de sonnetten
van Shakespeare, Albert Verwey. — De Wet van Bertliollet en de
moderne scheikunde, D^" Ch.-M, Van Deventer, — Revue coloniale
internationale, Dr H. Bluik. — Persephone, Albert Verwey. —
Sonnetten, Willem Kloos, — L'esthétique de demain : L'art sug-
gestif, Maurice Barrés. — Varia' (staatkunde, letterkunde, tooneel).
Prix de l'abonnement fl, 7.50. — Une livraison formant 160 pages
fl, 1,50. — S'adresser à l'éditeur W. Versluys, à Amsterdam.
^
348
LART MODERNE
CINQUIÈAIE ANNÉE
L'ART MODERNE s!ost acquis par l'autorité et rindépondance de sa critique, par la variété de ses
informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune manifestation de l'Art ne
lui est étrangère : il s'occupe de littérature, de peinture, do sculpture, de gravure, de musique,
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lecteurs sur tous les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaître.
Chaque livraison de L'ART MODERNE s'ouvre par une étude' approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont révénement de la semaine fournit l'actualité. Les expositions, les livres nouveaicx, les
premières représentations d'œuvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires^ les concerts, les
ventes dohjets cVart, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées. " .
L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. Il rend compte des
procès les plus intéressants concernant les Arts, plaides devant les tribunaux belges et étrangers. Les
artistes trouvent toutes les semaines dans son Mémento la nomenclature complète des expositions et
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Dimanche 1^''' Novembre 1885.
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Léon Gladel ; Les poésies de Catulle Menclès. — Théâtres. Tiiéàtre
de la Monnaie. M. Villaret; Reprise de Joconde. Théâtre du Parc.
La Duchesse Lyly. — Au nois des Elfes. — Les funérailles de
M. Perrin. — Petite chronique.
LES IIVRES BELGES
"C'est à Bruxelles que sévit Kistemaeckers.
« Henri Kistemaeckers est un homme résolu, qui
poursuit la langue française d'une haine épouvantable.
Il a juré de l'exterminer.. Il s'est fait éditeur dans cette
intention. Et quel éditeur, doux Jésus! Sa ration est
d'un roman tous les deux jours. En voilà un à qui il
n'est pas besoin de crier : Mange !. ..
« Le jour où les livrés édités pas Kistemaeckers
seront réputés livres français, si vous ue savez pas ce
que c'est qu'une révolution fondamentale, vous en ver-
rez une ; attendu qu'il faudra fermer tous les collèges et
lycées; renvoyer les professeurs d'orthographe, de syn-
taxe et de grammaire comparée ; brûler en effigie, de-
puis Montaigne jusqu'à Renan, tous les soi-disant écri-
vains, stylistes et philologues du charabia gallo-romain;
nettoyer l'antique Sorbonne, licencier l'antédiluvienne
Académie, et traduire Voltaire en flamand rose .^..
" L(3 flamand rosé, inv^enté par le haineux Kistemae-
ckers, et popularisé par les papiers qu'il édite, me
paraît être un ensemble savant de tous les barbarismes,
solécismes, bourdes et pataquès qui valent aux enfants
la réputation de cancres et aux hommes faits celle de
naturalistes éminents. Il est difficile d'en donner une
idée aux personnes tranquilles et bien portantes qui se
contentent du mot pot-au-feu pour en commander un
à leur cuisinière.
" Imaginez Dumanet à l'Hôtel de Rambouillet ; mais
Dumanet souffrant de cors aux pieds, et faisant, sur
les talons, du^Scudéry pour séduire la cuisinière. Cuirs
précieux, liaisons suaves et petits cris inarticulés. ...
« Les critiques qui rendent les frères de Concourt
responsables de cette épilepsie lexicographique, par
laquelle les mots arrivent à exprimer le contraire de
ce qu'ils signifient, et les phrases à caramboler dans le
vide à huit mille mètres au dessus du niveau de l'ab-
surdité, chargent ces écrivains d'un crime qu'ils n'ont
pas commis. Les Concourt sont parfois contournés et
bistournés, mais ils restent corrects, toujours, et quand
ils sont heureux, rien n'est comparable au relief de
lotir réalisation artistique. Chez eux encore, le néolo-
gisme garde lallure d'une sorte d'encanaillement dis-
tingué qui sent sarraceft:'ançaise. S'ils ôtent leurs bottes
dans le monde, on devine que, comme à Lauzun, ce
sont des princesses qui les leur tirent.
" L'influence des Concourt se borne donc à avoir
donné l'exemple de quelque désossement de la phrase
française'. Et si Ion y reganîe bien, on verra que tous
les os au moins y sont. Tandis que chez Kistemaeckers,
il n'y a plus d'os du tout. Ni os, ni lard. On ne sait pas
comment tient la couenne !
'. Cette lutte d'un homme contre une langue n'est
pas nouvelle si elle est imposante. Déjà au début du
dix-septième siècle, un Espagnol l'avait soutenue contre
l'idiome de Cervantes. Cet Espognol, qui d'ailleurs n'a
pas grandi, s'appelait Gongora, d'où l'on a fait gongo-
nisme, — presque goncourisme. Mais Gongora était
manifestement soutenu par la Providence, car elle lui
avait, en sus de ce nom, donné celui de « Y Argote, »
par où elle prévenait les gens de la mission qu'il avait
à remplir. Quand on s'appelle Gongora Y Argote, l'ar-
got est une prédestination. Et pourtant il succomba, ce
qui me laisse l'espoir que Kistemaeckers, dont le nom
ne veut rien dire du tout, ne réussira pas dans ses
mauvais desseins.
« Non, Kistemaeckers, ta haine demeurera stérile !
Jamais un Caro n'enseignera en Sorbonne les déliques-
cences du flamand rose. Jamais Claretie ne transportera
Liidine, de M. Poictevin, sur la scène où Monval s'age-
nouille. Jamais nous n'entendrons la charmante Bartet
traiter de ses « efï'ulgences amenuisées " , de ses " erro-
nées errances » ni de la belle eau ikrt-lumière illar-
moyanie du fond de son cèil serti. Scribe serait trop
content. Cela lui ferait un été de Saint-Martin à cet
homme. Oscar, ou le mari qui trompe sa femme, repa-
raîtrait tout joyeux et il dirait: « Pardon, je la trompe,
en style d'épicier, mais clairement du moins, tandis que
vous, vous la trompez en un langage tellement inver-
téhré, qu'on ne sait plus lequel des deux en doit à l'au-
tre, si votre femme est une femme ou un être efïulgent
et amenuisé, d'où vient Oscar, et si nous sommes là
pour pleurer ou rire. "
Ainsi s'exprime Caliban, dans le Figaro du 27 oc-
tobre»
Et ses quatre-vingt mille lecteurs se considèrent
comme suffisamment éclairés sur l'état présent de l'art
d'écrire en notre pays. Leur doctrine à cet égard se for-
mule en une équation : la littérature belge égale Kis-
temaeckers.
Nous n'avons pas l'espoir que la timide protestation
que nous allons risquer dans notre petit coin arrivera
jusqu'aux oreilles, soit de Caliban, soit de n'importe
lequel des présomptueux abonnés du Figaro. Nous la
risquons pourtant comme un bêlement d'agneau qu'on
égorge. Elle est instinctive sinon utile.
Eh! bien, seigneur Caliban, vous faites erreur en
croyant que Kistemaeckers et son Flmnand rose
incarnent notre littérature ; vous faites encore erreur
en croyant que la langue acceptée par nos écrivains est
le langage invertébré qu'il étale sur les pages des
livres qu'il publie comme une couche de saindoux sur
des tranches de pain moisi.
Daignez permettre qu'on vous en fasse l'observation :
il y a autre chose.
Certes Kistemaeckers, ce nom dont vous dites aujour-
d'hui quil ne veut rien dire du tout, a, dans le temps.
voulu dire quelque chose, grâce à vous, seigneur Cali-
ban, et à certains frères d'armes de la presse pari-
sienne, qui alors, je ne sais par quel miracle, vantiez
beaucoup le personnage, trouviez très méritantes les
éditions par lesquelles il jouait au Poulet-Malassis de
seconde trempée, et donniez parfois en premiers-Paris
des extraits de ses livres ou des appréciations qui les
juchaient en des rangs distingués. Il était bien en cour,
alors, le Kistemaeckers que maintenant on éreinte, il
était bien en cour au royaume de vos journalistes, si
bien que plus d'un auteur en vue de chez vous ne crut
pas déroger en lui confiant la publication de ses œuvres.
Nous assistions non sans quelque satisfaction à cet
épanouissement d'un éditeur national, se frayant sa
voie avec vaillance, dédaigné au début, mais s'imposant
de vive force. Et quoique déjà apparût dans le choix
des livres qu'il éditait une tendance vers la grivoiserie
excessive, nous supposions que ces écarts resteraient
des exceptions. Nous espérions avoir enfin ce qui nous
manque tant : un homme intelligent, hardi, ami de sa
race, résolu à être le metteur en scène de la jeune et
forte littérature qui, malgré la routine de l'enseigne-
ment, malgré l'indifférence du public, surgit chez nous
féconde et incompressible.
Mais, hélas ! le succès que vous lui fîtes là-bas eut
vite grisé l'homme. Il se crut appelé à remplir, lui aussi,
le rôle d'un de ces pachas de la librairie qui régentent à
Paris les lettres, et se croient des Mécènes alors qu'ils
ne sont que des despotes. Il crut pouvoir traiter en
subalternes les artistes auxquels il fournissait ses
presses. On eut à faire antichambre pour être accueilli.
Il accorda sa protection à qui l'encensait davantage.
Et se croyant assez fort désormais, avec votre aide
très dévouée et très constante, pour se permettre toutes
les audaces, il composa en majeure partie ses catalogues
.de ces productions et reproductions qui ont répandu
au loin la célébrité des livres dits Livres Belges.
Dès lors, veuillez le croire, il peiMit rapidement
les sympathies et les espérances dont on accompagnait
sa rapide fortune littéraire. Le charme était rompu
pour nous qu'il vous ensorcelait encore. Mais voici que
vos yeux se désillent et qu'à votre tour, avec une âpre té
que nous n'y avions pas mise, vous exécutez l'homme à
Paris comme s'il y avait un mot d'ordre.
Il est loin de notre pensée d'apprécier l'équité de
cette justice sommaire. Nous ne saurions le faire avec
impartialité, trop de dissentiments ayant terni à cet
égard la limpidité des jugements . réciproques. Mais ce
que nous tenons à mettre en toute clarté, c'est que soit
dans le passé quand les relations étaient fraternelles,
soit maintenant que la rupture s'est faite, Kistemaeckers
n'a jamais représenté qu'une faible partie de notre litté-
rature.
Il a certes pu le croire et le dire à Paris quand il
j
emplissait de ses déclamations bruyantes et quelque peu
fanfaronnes les bureaux de rédaction et les officines
des libraires. C'était sinon légitime, tout au moins
explicable. Son activité fiévreuse lui donnait quelque
droit à se proclamer Y Unique. Mais ce fut pure illusion.
Il eût pu le devenir, mais il est resté en chemin, et
irrémissiblement.
Ce que vous nommez fort drôlement le langage inver-
tébré et le flamand rose de certains auteurs qu'il a édi-
tés n'est, soyez-en persuadé, qu'une exception en Bel-
gique et encore est-ce avec à-propos que vous faites
remarquer que la contagion nous est venue de France.
Comme vous, nous avons nos excentriques qui, disons-le
à leur décharge, ne sont la plupart du temps que des
chercheurs de neuf dévoyés, des amoureux d'originalité
devenus maniaques. Récemment, décrivant le phéno-
mène dans des études intitulées : Essai de patliologie,
liitéy'aire, nous eûmes l'occasion d'attirer l'attention sur
ces malades qui transforment en hallucinés de vrais
artistes victimes de leur prédilection pour une forme
exclusive. Nous avons essayé de caractériser nos Déli-
quescents, nos Décadents, nos Incohérents, nos Verbo-
lâtres, nos Esotériques. Mais ce n'est pas là toute notre
littérature. A côté d'eux nous avons, nous aussi, nos
Bien-Portants.
Vous qui n'avez frayé qu'avec Kistemaeckers, vous
avez pu croire que sa boutique concentrait notre petit
univers. Détrompez-vous. Tous nos écrivains ne sont
pas- férus du désir fou de se faire éditer en France et
de manger le sucre candi des coniptes-rendus parisiens.
Notre pays a son originalité, il a ses amants qui tra-
vaillent à l'exprimer et ne souhaitent pas envoyer au
delà des frontières les œuvres inspirées par notre
milieu paisible, notre nature fertile et bonne, nos sen-
timents propres et nos mœurs flamandes ou wallonnes
modérées en toutes choses. Nous sommes très peu por-
nographes, seigneur Cahban, notre langage est, de pré-
férence, vigoureux et simple, notre flamand se sent
encore de la palette de Rubens qui, elle-même, n'était
qu'un reflet des belles teintes avivées dont notre humide
climat décore et nos champs et nos villes.
Il arrivera peut-être qu'un de vos écrivains s'occupe
un jour de se rendre compte, autrement que par les
bavardages intéressés et les publications isolées d'un
éditeur, de ce qu'est cette littérature belge dont les
uns se moquent en disant : mauvais français! et que
les autres déshonorent, en disant : malpropreté. Vos
revues publient fréquemment des études sur l'art
d'écrire à l'étranger : la Russie, l'Angleterre, l'Es-
pagne, l'Italie, TAllemagne, voire la Roumanie, la
Bohême ont eu leur tour. Le temps ne serait-il pas
venu que nous ayons le nôtre? Ou sommes-nous trop
près pour vous intéresser? Y aurait-il dans le fait que
nous parlons la même langue une jalousie dédaigneuse
qui nous fera toujours traiter par vous comme des
contrefacteurs ?
Humblement nous vous prions de considérer que
nous sommes un petit peuple qui vraiment est bien
lui-même, dans ce qu'il a de bon et dans ce qu'il a de
défectueux. On a pu, sur notre sol, durant une longue
période, croire qu'on ne pouvait mieux faire que de
vous pasticher, et certes il ne faut pas vous irriter
d'un pareil hommage. Nos pédants nous élèvent encore
en ne nous proposant pour modèles que vos auteurs.
Mais dans nôtre libre et laborieuse jeunesse, c'est fini.
Nous vous admirons toujours, mais nous ne vous imi-
tons plus. Les lieux que nous dépeignons sont ceux
qui sont visibles autour de nous. Les êtres qui y vivent,
sont nos compatriotes. Les scènes qui s'y passent, celles
de notre vie. L'originalité est donc née pour nous et
grandit chaque jour. C'est elle qui donnera à nos tra-
vaux littéraires la saveur qui leur a longtemps man-
qué. Vous nous lirez alors comme on lit^ des livres
étrangers décrivant des choses nouvelles parce qu'elles
sont nationales. Peut-être alors découvrirez -vous chez
nous un Dickens, un Tourgueneff*, un Sacher-Mazoch,
un Auerbach, et aurez-vous pour vos modestes voisins
d'autres compliments que de les représenter comme un
troupeau grognonnant dont Kistemaeckers serait le
saint Antoine.
JalVRE^ NOUVEAUX
Les Petits cahiers, par Léon Cladel. — Paris, Monxier.
Les Petits cahiers de Léon Cladel sont à l'œuvre du maître
ce que les contes à Ninon sont à celui de Zola. Le rapprochement
peut paraître étrange, à prime vue, si l'on songe combien ces
deux romanciers restent étrangers l'un à l'autre et combien leurs
domaines littéraires s'étendem sous des zones différentes. Telle
est, néanmoins, me semble-t-il, l'idée qui germe dans le cerveau
du lecteur et doit y germer, car si dans les contes à Ninon vous-
trouvez, ici, une nouvelle qui contient à l'état de fœtus le géant
Paradou, là, un chapitre, qui, développé, aboutira à l'idylle de
Miette et de Silvère, là, une histoire qui sera la Page d'amour et
la Conquête de PlassanSy dans les Petits cahiers vous rencontrez
le Revenant où passe le souille de Mère Blanche, Paul des Blés
qui fait songer à Crète-Rouge, Bètes et Gens, qui préparent les
rusticités de la Fête de Saint- Bar tholomé et de N'a-qu un-œil.
Les Petits cahiers sont, du reste, un livre mâle et fort. Sous
riiumilité un peu bonhomme du titre, ils contiennent des pages
de grand style sonore et éclatant, style de guerre ou plutôt style
de révolution et de prise d'armes soudaine, où tous les mots, les
l)lus vulgaires, les plus tiers, les plus glorieux, tantôt des mois
d'argot vêtus d'une blouse, tantôt des mots militaires, képi sur
l'oreille, tantôt des mois savants et latins, en loge et en péplum,
forment bataillon, grossi au hasard, au courant d'une rencontre,
mais qui rassemblés marchent au pas, superbement.
Léon Cladel, à chaque page où il célèbre les gloires de la répu-
bliiiue et de l'insurrection, autour desquelles il crée une légende
V
352
UART MODERNE
comme Hugo en cr(^;iil une autour i\i\ premier empire el des
guerres de Napoléon, nous pnnjîl ressusciter la belle figure de
Rude, laillnm d'enthousiasme sa Marseillaise de marbre (jui hurle
par dessus Tes volontain s el les conscrits de 4792.
Celle Marseillaise est la muse de Cladel — mais qu'on ne s'y
trompe j)oin(. Ce n'est poinl la Marianne banale, évoquée dans les
comices agricoles, et dans les concours de gymnasli(|ue, et dans
les Conseils généraux el même aux Chatnbres. Ce n'est poinl la
Marianne des pièces de cent sous, des. écussons tricolores, des
fC'les otiicielles.
C'est la Marseillaise sauvage et vierge et terrible, parente de la
Liberté de Barbier, une Marianne sanglante el épi(|uc et qui sonne
la gloire cl la charge, el (|ui mâche la cartouche el la haine, el qui
passe grandie cl apotix'îoséc dans un nuage de poudre el sous une
auréole de sabres au clair. Celle Marseillaise là est diî^îne d'être
aiiuée et célébrée par un poète, elle est digne de l'art, elle est
inspiratrice el formidable.
A côté des queUpies nouvelles toutes empreintes de ce terrible
patriotisme, Cladel a groupé d'autres études, dont la dernière :
Bêles et Gens, nous nionlre l'auteur des PelUs cahiers tout prêt
à devenir l'auteur de la Kyrielle des chiens. L'amour des bêtes,
si vif chez lui, y poind déjà — on sait que les Petits cahiers
datent de 1870 et que le présent volume est une réédition— el
c'est là une des notes les plus précieuses pour étudier l'œuvre.
L'ault.ir des Pelits cahiers n'a, durant toute sa carrière, modifié
en rien ses tendresses et ses goûts. Tel qu'il est venu de son
Quercy, tel est-il encore.
Dernièrement, dévalant en Relgirpie avec sa famille entière, sa
fenjme el ses cinq enfants dont le plus jeune a deux ans, nous
le vîmes débanjucr à la gare, harassé, érenné, assonnné.
Songez donc, arriver la nuit de Paris, avec toute une mai-
sonnée !
Tout ceci ne l'avait pas empêché de compliquer encore son
voyage el de l.e rendre plus diHicullueux encore. Après les cinq
enfants nous vîmes sortir du wagon qui enrore? Famine eiPaf,
les deux grands chiens du maître, dont il n'avait pu se séparer.
Paf au départ s'était couché en travers la porle. Alors, vous
comprenez, nous disail-il, a c'était un ordre ».
Les poésies de Catulle Mendès, nouvelle édition.
— Paris, Ollendorff.
Catulle Mendès vient de rééditer chez Ollendorff: Philomelaci
Panléleia, poésies de début, j)eu connues el totalement épuisées
en leurs éditions originales. Panléleia est un long poème
mythique dédié à Baudelaire et qui fut compris jadis dans le
recueil de Philomeln. Suivent les Sérénades el Pagode. Ces
sérénades sont délitâtes, étranges et précieuses : notes de perles
et de corail, clairs de lune où voleraient des papillons, soleils
avec des souvenirs d'étoiles. Quelque chose d'allemand avec de
la grâce méridionale, de mélancolique et de riant. Un vivier
triste où se mireraient des roses fraîches. Fausse douleur peut-
être mais si douce à croire vraie, douleuf non pas à pleurer
mais à clianter; car :
Jeune ou aime à parler tréi)a?,
Byron, Musset, rexenq)le tente;
Sais-lu de quoi l'âme est contente ?
, De montrer qu'elle ne l'est pas.
Le spleen a de sinistres charmes,
On a le caprice entêté
D'affirnier «a vi;;ililé. " . ' '-
Par le désespoir et les larmes. ^ . '
Et, bercé d'un souffle qui vole
De Weimar à Valladolid
J'ai joué les airs de ifion lied
■ Sur une guitare espagnole.
Philomcla, livre lyrique est le premier volume signé Catulle
Mendès. Le sous-titre donné si crânement indique d'où Mendès
est [)arli el que dès son entrée au rrionde littéraire il était le pur
et le sincère et décndé poète qu'il demeure. Banville, ce jeune
porteur de lyre de G.-) ans, se levait dès cet instant comme le
grand el uuiipie exemple à dresser devant soi et h ne point
quitter des yeux. Mendès était pauvre, il s'en vante; Mendès
d'omme le pi-emier venu pouvait s'enrôler dans le balaiTtt)U des
feuilletonistes el des nouvellistes el gai^nor deux sous par ligue.
Il n'y songea poinl ou plutôt n'y voulut point songer : il était
trop fier de son art.
Ce sont les sonnets de Phiiomela, qui niarquent surtout ici :
Chère âme, nous irons sur le haut des collines.
Nous verrons de plus près sous les cieux moins pesants,
Les nuages pareils aux blanches mousselines,
Qui flottent sur le cou des filles de seize ans.
Plus douce que la voix douce des mandolines,
Ta parole épandra ses charmes bienfaisants,
Et dans les buissons verts où sont les avelines.
Tes deux yeux brilleront, comme des vers luisants.
Pleins de joie, à travers la nuit élégiaque,
Le front auréolé d'un pâle demi-jour.
Nous gravirons les pics couronnés d'ombre opaque ;
Et l'on dira, voyant ton lumineux contour,
Que les anges vêtus d'air paradisiaque,
Descendent sur les mots pour y faire l'amour!
El encore :
Jeune homme sur ton front neigeux comme l'hermine,
Ta chevelure allume un céleste halo.
Ta joue immaculée où l'incarnat domine,
Èù* ravi cet amant des roses, Murillo.
A l'époque payenne où Narcisse chemine,
Amoureux de ses pieds d'ivoire au bord de l'eau,
La Grèce eût reconnu, voyant ta belle mine,
Le frère de Diane ou la sœur d'Apollo !
Mais ces fronts éclatants de lueurs souveraines,
Les Dieux sont en mépris, les Dieux sont au tombeau,
Le nocher n'ouït plus la chanson des Sirènes ;
Le ceste de Vénus est un vague lambeau, .
Toi seul, posthume enfant des époques sereines,
Tu portes fièrement la honte d'être beau.
Fixer dans ces volumes d'adolescence littéraire la personnalité
de Mendès n'est pas chose simj)Ie. On lui a du reste reproché de
n'y être jamais lui cl de ne s'être conquis, que forl tard, grâce à
des volumes de j)rosc d'une polisj^onnerie éroti(iue, mais pleine
d'art. ™
Erreur, je pense, el, pour ne m'appuyer que sur ces deux son-
nelSf sur le premier surtout, est-ce Banville, est-ce Baudelaire,
est-ce Hugo, est-ce Leconie de Lisle, qui eussent réussi à donner
à celle scène mystique sa teinte clair de lune allemand? Jusque
dans Us mots el dans ce trait final cru, mais ne détonnant points
n'est-ce pas déjà Catulle Mendès qui apparaît, osant tout, parce
qu'il croil que la voluplé est rexcuso suprême de la hardiesse
écrite, voguant déjà sur des Ilots de mousseline et de dentelle
et de lumière rêvées? D'autres pièces sont tout aussi spéciales que
celle-ci. Même Canidie, petit poème en trois parties, contient je
ne sais quelle originalité siirpienantc : mélange de paganisme et
de fantastique à la Holbcin.
Mondes s'est donc soupçonné dès Philomcla. Seulement la cri-
tique a vu par dessus lui des maîtres plus grands, qui noyaient
dans leur flamme les quelques l'ayons qui lui sortaient du cerveau;
rayons allemands certes, mais inconnus en France et .que Heine
lui-même n'y a point dardés.
A signaler pour terminer cette revue hebdomadaire des livres
et des plaquettes : Les soirs d'Iiiver du docteur Loin; Monsieur
Cabron par Albert Bonjean; La jarretière de Cascarinetlc,
comédie boufte par Albert de Ruyler. , ,
T>
HEATRE^
Théâtre de la Monnaie.
M. ViLLARET
M. V^illarel a trouvé dans le pourpoint de Raoul de Nangis,
dans son maillot de soie puce, dans ses brodequins de velours,
une jeunesse merveilkuse. Les cinquante-cinq ans qu'on lui
prête ont fait honte aux printemps défraîchis des ténors qui l'ont
précédé dans le même rôle en ces dernières années. Il a été
ardent, tendre, suppliant, fier, audacieux, superbe, et le timbre
de sa voix, si sonore et si clair dans les registres élevés, a
donné, depuis la célèbre romance du premier acte jusqu'aux
coups de fusil du cinquième, une extrême séduction à son jeu.
Tant pis pour ceux qui persistent à voir l'avenir couleur de
suie, à clamer que le grand opéra est mort à Bruxelles, que seul
l'opéra-comique vit : nous n'hésitons pas à dire que l'interpré-
tation donnée jeudi aux Huguenots a été de premier ordre, et
telle qu'on n'en eût pas osé souhaiter depuis longtemps.
Le quatrième acte, en particulier, a été des plus remarquables.
Excellemment secondée par M. Villaret, M"'^ Monlalba s'est,
cette fois, abandonnée h sa nature d'artiste et a fait du person-
nage de Valenline une création vraiment personnelle, d'une
pénétration extrême, d'une distinction parfaite. L'artiste a~mis
autant d'emportement dans les scènes de passion que de réserve
et de modestie dans les autres. C'est avec justice que le public
a salué d'une salve d'applaudissements prolongés et d'un double
rappel la chute du rideau, •
Il est vrai qu'il n'y avait au théâtre que des connaisseurs : les
abonnés étaient, pour la plupart, absents.
Reprise de Joconde
Vendredi a eu lieu la reprise de Joconde. Salle comble et déjèi
brillante quoique nous ne soyons pas encore dans les mois où la
vie mondaine bat son plein au théâtre : c'est à partir de janvier,
s'il en faut croire les recettes depuis des années, qu'il se produit
une hausse subite attestant qu'enfin toute l'armée des amateurs
est en ligne et chacun h son poste. Mais l'opéra-comique a cet
hiver une telle faveur que rien n'y fait et que chaque pièce nou-
velle, quand chante M"'' Mézcrây ou Frédéric Boyer, est aussi
courue que les meilleures premières.
Nouveau triomphe i)our l'ensemble do la troupe. Exécution
d'une tenue [)arl;iite. Rien qui dcHonne. Harmonie g(''n('rale qui
laisse h l'auditeur une iuq)ression de plaisir son in et charmant.
Même les rôles secondaires très convenahlement remplis. Une
bonne volonté constante de tous les interprète s, un désir visible
de satisfaire le public et une confiance salutaiie dans son impar-
tialité, car ici le mauvais sort est rompu, l'abonné ne ii.rinche
plus, il se laisse aller simplement h ses jouissanc* s, il applaudit
volontiers, il contribue à constituer cet accord désirable entre la
salle et la scène qui produit les convictions sars trouble et vrai-
ment séduisan'es.
A la fin de la pièce on a rappelé tous les chanteurs : Frédéric
Doyer, (jui avait déjci h diverses repr's^s recueilli des applaudisse-
ments prolong('s et dont on avait bissé la romance du -irr-isième
acte : On revient toujours à ses premiers amours; .M"'' Lecomte
dont le j(,'u avait un naturel, une grâce, une ingénuité que les
spectateursavaient fn'quemmenl soulignés de leurs ap|)robalions;
M. Nerval, un trial d'un comique parfait autjuel il joint, chose
rare dont nous étions désaccoutumés, une très bonne voix et
une diction très nette ; M"*-' Wollî, qui décidément donne les [)lus
belles espérances et qui de jour en jour perd la gêne qui ôtait
peii de chose du reste à ses qualités lors des premu-res représen-
tations; qu'elle surveille pourtant les regards trop constamment
étonnés de ses yeux grand ouverts; enfin, une débutante,
M'i'- Bolle, qui s'est bien tirée d'à fia ire, surtout que le public ce
soir-là ne jouait pas à l'ogre [»rêt à tout dévorer, même les jolies
femmes.
Les chœurs, l'orchestre, les jeux de scène conservent ces
allures nouvelles, en tous points louables, que nous avons déjà
signalées et qi>i dénoncent un esprit plus attentif aux détails et" à
l'illusion. .
Quant à l'opéra deNicoloen lui-même il a exercé la séduction
habituelle de sa musi(pie care>sante et douce, interprété.- par un
orchestre dont on avait banni les cuivres. Décidénienl le charme
des vieilles choses ne s'use jamais quand el'es sont ICeuvre de
véritables artistes. Un n-lour vers les temps disp;rus éveille une
émotion mélancolique, aimable et touchante sur laque le nous ne
sommes j)oint blasés.
Théâtre du Parc.
La Duchesse Lyly, drame en quatre actes
par M. Charles Flor O'Squarr.
il
Le public! Le public! Combien faut-il de sots pour fùire un
public?
Nous songions â cette piquante exclamation de Chamfort, en
a^.istanl l'autre soir au Parc h la première de la Duchesse Lijlij.
Public gouailleur, ignorant, public de cocottes et de gom-
nuux, public de femmes du monde, dans les loges, qui parlent
très haut pour qu'on les remarque et qui applaudissent 1res peu
pour ne pas iléfraîchir leurs ganis.
A propos d'une pièce inédite sur laquelle on n"a pas le mol
d'ordre de Paris, on croit de bon ton de se montrer ditVicile,
défiant, pas gobeur; on baille à la moindre longueur, on s'im-
patiente pour une tirade, on rit pour une inexpérience, on s'es-
clafte pour un jeu de scène manque — et alors la s? Ile entière
s'amuse comme une petite folle. -
Cela est douloureux et cruel quand il s'agit, comme ici. d'un
homme de talent. Ce n'est pas que la pièce soit bien bonne.
J
D'abord nous n'aimons pas ces œuvres d'arl qu'on priîlend tailler
sur le patron d'une histoire ou d'un procès célèbre et qui alors
deviennent tout au plus rempaillement d'un fait divers contem-
porain. Ici la duchesse de Clèves, c'est celte patricienne fran-
çaise qui a disputé avec acharnement les enfants de son fils à sa
veuve adultère et indigne, mais rendue louchante par son déses-
poir et sa farouche passion de mère. Celte dispute est aussi le
sujet de la pièce. Cela ne suflit pas pour remplir quatre actes
cl c'est ainsi que tout le troisième est consacré à la mort du mari,
tout le quatrième à la mort de la femme. C'est déjii un défaut,
d'autant plus grave quo cette mort de la duchesse coupable avait
été vue au théâtre dans la Traviata et dans Froufrou. Le rôle de
l'amanl est aussi bien mal composé. D'abord l'auteur imagine
pour le présenter (ju'il a sauvé la vie du duc dans une partie de
chasse el se rend au château, en mendiant, pour recevoir sa
récompense.
Un instant après il reparaît, ayant jeté sa défroque, trouve la
duchesse seule et lui guitarise de longues el maniérées conii-
dencos d'amour — cela tient un pou des contes de fées.
Mais à l'acte suivant, comme i| est ridicule, le pauvre amou-
reux ! La duchesse va être surprise ; elle le jette dans son cabinet
de toilette, puis l'en relire — car la fenêtre est ouverte el du
dehors on le verrait — puis l'y rejette de nouveau el l'en relire
encore. Ce n'est plus un homme, c'est un bilboquet.
Ce sont toutes ces entrées peu préparéos qui ont indisposé le
public; mais qu'il était malséant de triompher avec joie de ces
inexpériences d'un jeune autour qui pour le reste s'aflirme
comme un écrivain et comme un analyste de talent!
D'un bout à l'autre la pièce est littéraire — c'est son mérite,
un grand-mérite à nos yeux — écrite dans une langue précieuse,
colorée, avec des reliefs et dos rythmes qui sont surtout sensibles
au premier açle, un acte. d'exposition qui tient bien el est ponctué
de jolies choses. Ainsi le mol sur les neuvaines que le vieux
docteur un peu sco))lique a]>polle de la morj)hine idéale. A côté
des mots d'esprit il y a des mots de sentiment — que la plupart
des gens n'ont pas même comi)ris — comme celui de la duchesse
mourante, au dernier acte. Le médecin arrive auprès d'elle: Et mes
enfants ? — Ils vont fort bien. — Quand je songe que vous lesavez
vus hier soir... fait la mère, et elle éclate en sanglots.
C'est superbe! el |)0ur trouver un cri de passion coriime
celui-là il faut être un arliste el aller loin dans l'âme humaine.
Voila pourquoi, malgré les gaucheries d'une pièce de début,
on a le devoir de se tenir avec respect devant elle. C'est ce que
le public n'a pas fait el pour le rappeler à ce devoir de bon ton
et dt' déférence artistique, on devrait ])eindre sur les rideaux de
lliéâlre, au lieu d';mnonces el d'inscriptions patriotiques, la
superbe phrase de Schopenhauer : « Que le public se conduise
vis-à-vis dune œuvre d'arl comme vis-à-vis d'un grand person-
nuge, cl)aj>eau bas, en attendant qu'elle lui parle. »
AU BOIS DES ELFES
Lexécuti'tu de la cantate qui a vahi à M. Léon Dubois le premier
prix du grand concourti de coni]JOî<ition musicale a reçu, dimanche,
dans la salle du Palais des Académies, une interprétai ion excellente.
Et le succès a été à la liauteur de lexécution.
]l y a de sérieuse^^ qualités dans l'œuvre du jeune ai'tiste. Rompu
aux habiletés du ^nétier, conMai,->aul a fond l'art de ménai^'er les
effets, de les graduer pour arriver aux grande"s explosions qui
secouent le public et lui arrachent les bravos, M. Léon Dubois a, de
j)his, Un réel tempérament de musicieu qu'on pressent à travers les
malices tle sa composition.
Il s'agissait de remporter le prix, et puis la banalité du poème à
«* musitier « n'était pas faite pour inspirer à l'artiste une œuvre
d'une origiiialité de première marque.
Quand donc se résoudra-t-on à donner aux coucurreuts autre
chose que des rabâchages comme ce liais des Elfes, aussi vide de
pensées que vieux de forme? Obliger un musicieu à se torturer la
cervelle pour exprimer d'aussi sottes choses que des Elfes appelant
à leur secours la Nature pour les débarrasser de chasseurs qui ont
envahi leur forêt, c'est niais et impertinent.
M. Léon Dubois a sauvé à moitié la situation en n'insistant pas
trop sur les parties les plus usées de la trame sur laquelle il avait à
broder ses arabesques musicales.
Mais encore n'a-t-il pas évité la vulgarité de la chasse, de la
toujours identique chasse qui peuple les recueils pour orphéons.
L'une des iusi)irations les plus heureuses, c'est le chant large et
soutenu- qu'il a écrit sur les paroles de l'Elfe, chantées d'ailleurs
avec beaucoup d'art par M"e Wolff, — une artiste d'avenir qui sera
bientôt une artiste arrivée. '.
Ce qu'il faut louer, c'est l'unité générale de l'œuvre, solidement
charpentée, logiquement coordonnée, sans « trous «. Si la façade en
est un peu trop ornée en vue de plaire aux passants, la construction
est bonne, et l'on peut prédire avec assurance que quand il s'agira
d'autre chose que d'une cantate pour prix de Rome, M. Léon Dubois
fera œuvre d'art réelle et complète.
LES FUNERAILLES DE- M. PERRIN
Voici en quels termes La Justice a rendu compte du convoi funèbre
de Tex- administrateur de la Comédie-Fmnçaise:
La Comédie-Française a fait de pompeuses funérailles à sou
administrateur général. On a vu passer ce corbillard que suivaient
le fameux comité de lecture et la troupe plus jeune des pensionnai-
res. C'est, comme on dirait dans la maison de Molière, la dernière
- cérémonie « que tous ces glorieux comédiens ont menée en l'hon-
neur de l'homme habile, du directeur intelligent qui a si puissam-
ment contribué à la prosi)érité de l'œuvre commune. Elle était plus
triste et plus blafarde que toutes les autres, cette funèbre cérémonie
d'acteurs qui cheminaient dans la rue, sans fard, en habit de ville,
avec leur démarche gauche et leurs mains maladroites. Si ce souve-
nir n'était malséant en pareille circonstance, quelle jolie page
d'Alphonse Daudet on pourrait citer ! Vous avez lu cet enterrement
de la fille de Delobelle, dans Fromont jeune et Risler aîné, et vous
y avez vu tout ce cortège de masques qui transportent de la scène à
la ville, avec leur grossissement obligé, les expressions diverses, les
attitudes et jusqu'aux tics de leur emploi. Il ne faut pas sourire. Le
vrai comédien est encore celui qui ne peut plus se retrouver lui-
même, c'est celui qui a si bien immolé sa propre personnalité,
qu'elle a complètement disparu sous le fard, sous la perruque et sous
Thabit de vingt rôles où il s'est incarné. Ce métier là est aussi cruel,
l)resque aussi inhumain que ces entrées au Curmel où les néophytes
dérobent éternellement au monde leurs traits et leur visage. La prise
de masque fait j)enser à la j)rise de voile. Sur le seuil du couvent,
comme sous le péristyle du théâtre, c'est le même anéantissement
de l'être. . .
Au cimetière Montmartre, où il a été dit des paroles sur la tombe
du mort, le spectacle et l'impression n'ont guère changé. Pas une
seule idée forte ou curieuse n'est venue se mêler à la banalité des
adieux officiels. D'un bout à l'autre de la cérémonie, tout s'est mo
delé sur le masque funèbre de M. Worms.
LART MODERNE
355
f
ETITE CHROJsdQUE
UUnion dramatique vient de prendre l'initiative d'une excellente
mesure, à laquelle nous applaudissons de tout cœur. Elle a réuni
en fédération les six principales sociétés dramatiques de Bruxelles
qui seront chargées, à tour de rôle, d'interpréter des œuvres d'au-
teurs belges. Ou sait, en effet, qombien il est diflicile pour ces
derniers d'arriver à se faire représenter en public. L'ostracisme
dont les frappent les directions de théâtres, souvent sans justifica-
tion, tarit les sources de l'art dramatique en Belgique. A quoi bon
écrire, puisqu'à de rares exceptions [)rès toutes les pièces belges,
drames, comédies ou opéras, dorment paisiblement sur les rayons
poudreux des cabinets directoriaux, — à moins qu'elles n'aient pris
le chemin du panier à papiers, cette morgue où viennent aboutir
tant d'espérances déçues.
La nouvelle association fera ses débuts au commencement de
Décembre, à l'Alhambra, en attendant l'achèvement du nouveau
Théâtre flamand où l'es représentations françaises de la Fédération
alterneront avec les représentations en langue néerlandaise.
Elle ouvrira la campagne par une pièce inédite de M. Louis Claes
intitulée : A' os bergers, comédie en 4 actes.
sans
Nos souhaits les plus sincères à l'association dramatique. Dirigée
ns parti-pris, avec l'unique préoccupation de défendre les intérêts
de la famille artistique belge, elle peut avoir des conséquences
considérables et amener, dans l'art dramatique, un renouveau que
tout le monde attend impatiemment.
Rien n'est encore décidé au sujet des nominations à faire au
Conservatoire pour occuper les emplois que la mort de MM. Servais
et de Zarembski ont malheureusement laissés vacants. Une combi-
naison qui paraît devoir être adoptée, c'est de donner à M. Auguste
Dupont une situation analogue à celle qu'avait autrefois V^ieuxtemps.
Un professeur sur lequel il exercerait une sorte de contrôle serait
nommé pour la classe des jeunes gens. C'est vraisemblablement
M. G., Gurickx, actuellement professeur au Conservatoire de Mons, qui
serait choisi. Nous verrions avec plaisir cet excellent artiste élevé à
cette distinction. Elève de Brassin et de Dupont, M. Gurickx a reçu
une éducation musicale solide et, comme musicien aussi bien que
comme virtuose, a fait ses preuves. Il exerce le professorat avec une
conscience et une autorité qui sont de nature à donner de sérieuses
garanties.
Quant à la classe de violoncelle, c'est M. Edouard Jacobs, l'un des
élèves les plus distingués du maître regretté, qui en est chargé
actuellement. Il est vraisemblable que le jeune et brillant artiste
devienne tôt ou tard le titulaire définitif de la haute fonction qu'il
occupe par intérim.
La disparition de VEcho du Parlement, mort avec la politique
qu'il représentait, a donné naissance à un nouveau journal quotidien,
la Nation, auquel notre absence de Bruxelles nous a empêchés
d'adresser les vœux d'usage. Réparons donc cette omission, et
souhaitons longue vie à notre nouveau confrère. Le nom de M. Lucien
Solvay, qui figure en qualité de rédacteur en chef dans la rédaction,
nous donne l'assurance qu'une large part sera faite à la discussion
des intérêts artistiques. Nul doute que ce soit dans le sens des idées
que nous défendons opiniâtrement nous-mêmes.
Autre publication nouvelle, dans le domaine littéraire pur celle-ci.
Matinées littéraires, une revue jeune, très jeune, puisqu'elle débute
par traiter les Jeune-Belgique de gagas. Le format, le caractère,
l'aspect extérieur; — extérieur seulement — sont ceux de cette Jeune
Belgique qu'elle éreinte. Deux numéros ont paru. A part celle de
M"e Marguerite Van de Wiele, les signatures sont inconnues. Elles
sont d'ailleurs fort belles et il en est peu qui ne soient ornées d'une
particule. Eu revanche les articles et les vers sont faibles, et sentent
leur normalisme... Allons! Le mouvement littéraire n'est pas
encore mort en Belgique.
,i
La Suisse avait déjà la Bibliothèque u)iiverselle, dont la création
est d'époque éloi^'uée, et la Suisse Romande, plus jeune d'années
et de tendances, que nous avons recommandée à nos lecteurs. Voici
une publication nouvelle, la Revue de Genève, internationale dans
sa. rédaction, et appartenant au jeune mouvement littéraire.
La Revue de Genève s"occu[ie, dit son prospectus, non seulement
des questions littéraires et artistiques, mais encore des sciences
naturelles et sociales. Absolument éclectique, elle n'est inféodée à
aucun parti j)olitique, ne soutient aucun système philosophique,
n'appartient à aucune école littéraire. Rien n'a été négligé pour
qu'elle soit une publication intéressante, sérieuse et actuelle. Elle
sera renseignée sur toutes les manifestations intellectuelles de
quelque importance .soit par de.s études spéciales, soit par des
correspondances périodiques. Elle publie enfin, régulièrement,- des
romans, nouvelles, contes dus aux écrivains les plus renommés.
Prix des abonnements animels: Suisse, 12 francs; Union postale,
15 franc.s. -^ Le numéro, 1 franc. Bureaux : Gorraterie, 24, Genève.
C'est aujourd'hui, l^^r novembre, à une heure, qu'aura lieu, à
Anvers, dan^4a grande-safle des fêtes de- l'Exposition universelle, le
quatrième et dernier des grands festivals de musique organisés par
la Société de musique .sous la direction de Peter Benoit. Le pro-
gramme se compose de l'ouverture de Charlotte Corday et de
VOorlog, deux des œuvres les plus admirées du maître flamand.
La saison des concerts est ouverte. Hier soir a eu lieu, avec le
concours de M'i« Thuringer, de M. Dubulle, de MM. Degreef,
pianiste et Biirger, violoncelliste, la jtremière séance musicale de
ï Association des artistes musiciens. Nous en rendrons compte
dimanche. Le deuxième concert de l'Association .sera consacré aux
œuvres d'Henry Litolf,. auxquelles la présence du maître, qui dirigera
l'exécution, donnera un attrait tout particulier.
V Association des artistes a donné dimanche son dernier concert
à l'Exposition, C'est une jeune pianiste montoise qui a eu les hon-
neurs du concert.
Le Précurseur l'apprécie en ces termes élogieux.*: la soli.ste du
concert était M^'e Louise Luyckx, grand prix du Conservatoire de
Mons et l'élève distinguée de M. Gurickx. Elle a joué avec aisance,
un grand style et un mécanisme parfait l'admirable concerto pour
piano de Beethoven en itt mineur, ainsi que deux pièces de Htendel
et de Mendeissohn, auxquelles elle a réussi à donner un charme tout
particulier par ia délicates.se de son toucher, le fini de son jeu plein
d'expression et de sentim-ent, ,
La tombola organisée à Dînant en vue d'élever à Wiertz un
monument sera^close en janvier prochain. S'adresser à M. Nicai.se,
receveur communal à Dînant, trésorier de l'œuvre.
Le Guide musical annonce la prochaine publication d'un volume
d'écrits de Richard Wagner, comprenant des fragments, des extraits,
des pensées qui n"ont pas été insérés dans la collection complète de
ses œuvres, et réunis par les soins de sa veuve, M'"e Cosîma Wagner.
Cette publication ne peut manquer d-e faire sensation. Parmi ces
écrits posthumes, il se trouve des pages du plus haut intérêt, que le
maître, pour des raisons toutes personnelles, n'avait pas cru devoir
faire publier de son vivant. Citons un chapitre sur le merveilleux
dans lart, qui est une réplique triomphante à tout ce que la critique
terre à-terre a accumulé de raisonnements pour démontrer l'incom-
patibilité du théâtre et du merveilleux.
Il y a un chapitre extrêmement intéressant sur Berlioz.
Plus loin une lettre très curieuse relative aux représentations de
Tannhduser à Paris. Wagner y rappelle le projet de Napoléon III
d'organiser, pendant l'Exposition universelle, un théâtre interna-
tional où l'on aurait joué les œuvres les plus remarquables de chaque
pays dans leur forme originale Ce projet ne. fut pas compris par les
ministres dalors. Wagner cite à ce propos une conversation de
Liszt avec l'empereur, dans laquelle celui-ci exprimait l'avis qu'il
fallait donner les œuvres de Wagner en allemand à Paris.. Liszt t'ait
remarquer que même en français, les opéras de Wagner s'acclimate-
ront dîtficilement à Paris. Il ne pense pas qu'à V Opéra il soit possible
de les faire.-accepter, de même qu'au Théâtre f)'anr<ùg, ou n'accep-
terait pas et qu'on n'a jamais accepte les grands drames de Shakes-
peare. Ces théâtres ont des traditions et un publie spécial qui
s'opposent à l'acclimatation des œuvres étrangères. Mais Liszt pense
que sur une autre scène parisienne la tentative serait couronnée de
succès, par exemple au théâtre Lyrique. Les drames wagnériens y
attireraient certainement um n..imbreux public d'artistes et de lettres
dont l'indépendance d'idées ne s'accommode que tout juste de l'étroi-
tesse de vues qui règne à r<.)péra.
Le volume contient enfin l'esquisse du drame indien Les vin-
queurs [Die Siéger), que Wagner voulait faire succéder à Parsifal.
Cette esquisse date de 185(5.
i /
356
VART MODERNE
Xj'J^Œ^/T
'E
CINQUIÈME ANNEE
L'ART MODEHNE s'est acquis par l'autorité et l'indépenclance de sa critique, par la variété de ses
informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune manifestation de l'Art ne
lui est étrangère : il s'occupe de littérature, de peinture, de sculpture, de gravure, de musique,
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouvement artistique belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs Sur tous les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaître.
Chaque livraison de L'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique-
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'actualité. Les expositions y les livres nouveaux, les
premières représentations d'œuvres .dramatiques ou musicales, les conférences littéraires , les concerts, les
ventes dohjets cCart, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées.
L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. Il rend compte des
procès les plus intéressants concernant les Arts, plaides devant les tribunaux belges et étrangers. Les
artistes trouvent toutes les semaines dans son Mémento la nomenclature complète des expositions et
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Bruxelles. — Imp. Félix Oallewaert père, rue de l'Industrie, 26.
Cinquième année. — N° 45
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 7 Novembre 1885.
L'ART
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00 ; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser les demandes d'abonnement et toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
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OMMAIRE
Paul Bourget. — Spijtigex duivel. — Livres nouveaux. Gré-
try^ sa vie et ses œuvres, par Michel Breiiet; Hartno nie et mélodie,
par Camille Saint-Saëns, — Association des artistes musiciens.
Premier concert. — Théâtres. Théâtre Molière; Théâtre de TAlca-
zar. Les Mousquetaires au couvent. — Gorrespondanxe musicale
de Paris. — Petite chronique.
PAUL BOURGET
M. Paul Bourget — la plus récente célébrité litté-
raire — est un poète épanoui en critique. Son Essai
de psychologie contemporaine aimanta lattention et
c'est à ce succès, suivi bientôt de la réussite de Cruelle
énigme, qu'il dut de voir ses premiers vers admis
dans la petite bibliothèque lemerrienne. Cette réédition
nous permet d'indiquer d'où M.Paul Bourget est parti.
Dans son Essai de psychologie il se mire dans les
auteurs qu'il analyse; il soulève, à tout iiiMant, au sujet
des Baudelaire, des Renan, des Flaubert, des Taine,
des Leconte de Lisle, des Stendahl, des Amiel, toutes les
questions angouisseuses que les poètes et lui-même
autant que les autres, abordent dans leurs vers. Aussi
de même qu'ils a intitulé son premier recueil la Vie
inquiète, pourrait-on appeler sa critique, la critique
inquiète. Inquiète en effet. Car elle n'a rien de décidé,
de dogmatique ; elle ne s'appuie ni sur un beau
inflexible, ni sur une théorie qui est, parce qu'elle est,
ni même sur un prétendu bon goût que chevauchait
Voltaire et tant d'autres à son exemple.
Elle n'est en rien pédagogique, en rien systématique,
elle ne doctrinise jamais, elle ne prêche guère, elle
juge à peine.. C'est une critique qui souff're, qui doute,
qui se plaint, qui se résigne, qui s'épeure, qui déses-
père. Critique de poète, de rêveur, de désabusé, de
revenu de tout, de fantaisiste même; critique de dandy,
de dilettante, critique de volupteux d'esprit.
M. Francis. Nautet a écrit dans ses Notes :
« Avant tout, l'on peut dire de V Irréparable — le
premier roman de M. Bourget— qu'il est un séducteur.
Il n'émotionne pas au sens artiste du mot, il charme. »
C'est de parfaite justesse ; mais combien plus encore
ce charme conquiert-il dans les livres de critique. Qui
résisterait à cet essayiste, dont la perspicacité émue
détaille et scrute aussi intelligemment les hommes et
les choses, sans violenter ouvertement aucune opinion,
sans cingler franchement aucun parti pris, sans crava-
cher à coups sifflants aucune tendance; excusant et
expliquant les défauts, ombrant le -trop d'éclat des
qualités, promenant à travers le jardin littéraire
une admiration et un blâme élégants. Oh! le doux
sceptiqu'fe! Oh! le doux pessimiste! Oh! le doux positi-
viste! M. Bourget est tout cela. Il admet la philo-
sophie de Taine avec son principe farouche de lutte
pour la vie, ainsi que les conclusions nihilistes de
Schopenhauer, et, les admettant, il sourit néanmoins à
l'art comme à une chimère nécessaire, il étreint la
gloire, bien qu'il la sache nuée qui passe et parfum qui
s'évapore, et tel, semble-t-il destiné à vivre dans une
souriante désespérance, là-bas, loin des banalités con-
temporaines et des idées à deux sous.
Déjà dans la Vie inquiète, le Bourget futur, le
critique acclamé de la Psychologie contemporaine
s'ébauche. Tout comme il pénétrera plus tard les maî-
tres les plus étrangers les uns aux autres, il s'approprie
dès son début, et souvent jusque dans leur forme, les
poètes lés plus opposés : Leconte de Lisle et Musset,
Bjron et Coppée. Sa compréhensivité éclate immédiate-
ment.
L'esprit d'analyse marche à sa suite. Telle pièce
A mon Frè7^e, telle autre, Remo7^ds dans Vinnocence,
telle autre encore, Défaillm%ce, ne sont qtie des anno-
tations de sentiment, qui justifient pleinement ces vers
écrits un peu plus loin :
Je sens passer en moi le sifflement moqueur,
Du Méphistophélès que chacun porte au cœur.
Ce satan, qui jamais n'a cherché que la cause,
Me prend mes passions, les tue, et puis m'expose
Ainsi qu'un médecin fait un mort d'hôpital....
Cette citation est typique. C'est le poète qui, dès son
premier livre, se plaint de sa manie de dissection
morale, qui se sent comprimé, contrarié, cassé par elle
et qui redoute vaguement la culbute finale du rythmeur
dans la critique.
On découvre dans Joseph Delojvne des appréhensions
semblables. Seulement chez Sainte-Beuve la culbute
fut moins soudaine; chez M. Bourget, au contraire,
dès que le Satan dont il parle « eut tué ses passions »»
— et ce massacre ne fut guère long — la prédominance
exclusive de l'analyste déborda et l'essayiste naquit
tout armé comme Minerve.
Mais quelles sont ces passions que Satan a tuées, quels
sont les sentiments violents et fougueux, qui jadis ont
bondi à travers ce cœur aujourd'hui désert? La Vie
i7iquiète répond.
Et tout d'abord l'amour, non pas l'amour charnel,
mais un amour à mi-côte de l'idéal, un amour légère-
ment précieux, un amour habillé dé clair, avec — note
mélancolique — une rose noire dans les cheveux, un
amour assurément aristocratique avec de longs doigts
eflfîlés et des traits fins et pâles, un amour, qui fait
souffrir pour ne point ôter la douceur de la plainte et
le raffinement de se croire un peu martyr :
Et devant son sourire et sa joue amaigrie
Je ne me souviens plus que sa coquetterie
M'avait tiré des pleurs de sang!
A côté de cette passion, sommç toute, assez atténuée,
une autre éclate plus mâle et dans un vers :
L'amour de la bataille et des égorgements
crève aussi aiguë qu'un cri et aussi tragique qu'un
éclair. C'est l'héroïsme levant dans la pensée son glaive
rouge, l'héroïsme achevai sur l'idéal byronien. Voici :
Oh! le destin sanglant, terrible mais immense!
Oh! donnez-moi le cœuï de Byron et sa mort !
Je ne récuse l-ien des âpre tés du sort,
Rien des douleurs ! — Du moins que j'aie en récompense
L'impérissable éclat d'un héroïque effort!
Et comme conséquence de cette folie de vaillance, une
appétence immodérée de gloire :
Tout plutôt que la vie abîmée, écrasée
Sous les soucis mesquins et l'obscure langueur,
0 gloire ! quand verrai-je, ô ma seule épousée,
Ruisseler de tes yeiix la divine rosée
Qui pour l'éternité fleurira tout mon cœur.
Et puis l'orgueil inévitable et final :
Je hais comme la mort les cœurs étiolés
Qui, sans orgueil, ayant borné leur destinée
Au travail qu'apportait avec soi la journée.
Ont vécu sans génie — et se sont consolés.
Tel est le recensement des passions principales de
l'auteur de la Vie inquiète, aujourd'hui critique et
cœur attiédi. Ce qui lui a enlevé ses violences sentimen-
tales, c'est, à n'en pas douter, son milieu et, par milieu,
nous entendons avant tout pour M. Bourget l'atmosphère
intellectuelle, les livres. Certes, Paris est un grand
désagrégateur de croyances, mais qu'est-ce que le milieu
matériel pour un esprit aussi renfermé, aussi cloîtré
que celui de l'essayiste de la Psychologie. Il vit dans
un quartier tranquille, près des Invalides, au fond
d'une chambre sombre, d'un luxe nocturne, sur lequel
tranche son élégante silhouette de dandy, vêtue de
vêtements blancs. Nous nous rappelons notre première
visite. Il parlait triste. Et le souvenir nous vint de ses
vers :
Celui-là seul connaît l'émotion profonde,
Qui, triste, ayant cloîtré son cœur aux bruits du monde.
Comme un bon moine vit pour jeûner et prier.
Seuls les sanglots sont vrais, la joie est insensée,
Malheur au lâche à qui sa chair fait oublier
La seule vie humaine et sainte : la pensée. .
^PIJTIQEN DUIVZJ-
M. Kistcmaeekers nous a envoyé une réponse k l'article paru
dans notre dernier numéro sous le litre désormais, familier,
hélas ! les Livres Belges, dans lequel nous mettions quelques
feuilles de guimauve sur les bleus que lui avait fait un article
cruel du Figaro.
Nous la publions ci-dessous.
Nous avions, au prime abord, décide de lui écrire :
Monsieur l'Éditeur,
Quelque intéressante que soit votre lettre, permettez-nous de
vous faire observer qu'elle a été écrite sous l'empire de l'igno-
rance de deux principes que M. Schuermans, premier président
do la Cour de Liège, énonce en ces termes dans son excellent
traité de la Presse :
« Le journaliste a le droit de repousser toute réponse qui
« citerait nominativement ou désignerait, même indireclemcnt,
« une personne de la manière la plus insignifiante. Il ne faut pas
« que le journaliste soit exposé à enter sur la réponse, une
« autre réponse du tiers attaqué, puis une réplique, une Iripli-
« que, etc. w (t. II, p. 113 et 114).
« Il faut que la défense soit exempte d^injurcs adressées au
« joui-nalisle... Le droit de réponse doit s^e borner à réfuter 1rs
« allégations produites » {ibid., p. 141).
Veuillez accomnnoder \oIrc lettre U ces/irègles très sages et
VArt moderne se réjouira de donner à scs^ecleurs un éclian-
lillon du flamand rose que Caliban a si plaisamment dénoncé dans
le Figaro.
A celte occasion M. Edmond Picard vous remercie de lavoir
élevé à votre dignité en le qualifiant Editeur. Malheureusement
il n'est qu'auteur.
Cette erreur en a entraîné une autre : vous lui avez notifié voire
exploit « au bureau du journal, ruede l'Industrie, 26, à Bruxelles. »
Il est domicilié avenue de la Toison d'or, 47, à Saint-Gilles.
Il va sans dire que nous aurions passé sur ces petites irrégu-
larités quoiqu'elles rendent voire signification par huissier nulle.
Nous vous présentons, Monsieur, nos salutations distinguées.
La Rédaction DE r^r/ moder?ie.
Toutes réflexions faites, et ne sachant pas, au reste, si noire
honorable correspondant n'est pas de ceux qui préfèrent même
un procès qu'on perd, mais dont la Presse s'occupe durant quel-
ques semaines, à une publication qui s'éteint le jour même où
elle paraît, nous avons préféré passer outre. La renommée d'édi-
teur de M. Kistemaeckers, si brillante jadis, est alteinle, on le
sait, (l'une maladie de langueur qui, sans doute, la mènera au
lOinbcau. Il est dur de refuser quelque chose b ceux qui vont
mourir.
Ces préliminaires terminés, disons que M. Kistemaeckers paraît
de fort mauvaise humeur.
Nous regrettons de l'avoir tant contrarié en reproduisant l'ap-
préciation qu'on fait de lui à Paris. Très adroitement il affecte
(le confondre son présent et son passé, ce qu'on pensait de lui et
ce (ju'on en pense. Comme nous le disions Irôs ouvertement dans
noire dernier numéro, il a été l'une des meilleures espérances de
la jeune littérature belge, et il y eut une époque où tous chez
nous aidaient à son succès. Nous ne lui avons pas ménagé alors
nos éloges et certes il les méritait. Pourquoi a-t-il fallu qu'il
changeât, justifiant ainsi l'abandon dont il est victime? Abandon
tel, que ceux qui jadis souhaitaient être édités par lui, aujourd'hui,
en l'obtenant, craindraient de se compromettre. Ce n'est pas notre
faute s'il a conquis la renommée fâcheuse de père des Livres
Belges. Nous le déplorons sincèremenl, mais, étant devenu tout
autre, il ne peut vouloir que nous restions les mêmes à son égard.
Tout ce que l'on a dit k la louange du Kistemaeckers de la veille,
peut être maintenu. Hélas! c'est au Kistemaeckers du lendemain
que l'on a désormais affaire. C'est aussi celui-ci qui se fâche. Il y
a tant de raisons pour excuser celte irritation d'un homme, jadis
1res digne d'être soulenu, qui sent le terrain manquer sous ses
pas, que ses vivacités ne sont pas faites pour émouvoir.
Le morceau est adressé spécialement à l'un de nous,
^I. Edmond Picard qui, ayant bon dos, acceple volontiers la
l)référence, bien que l'ariicle' qui a mis en colère l'éditeur de
Chariot s'amuse^ exprime l'opinion commune de la rédaction de
VArt moderne^ et même une opinion commune bien plus
étendue que celle de noire modeste journal. Nous le comprenons,
M. Kistemaeckers aurait trop de besogne s'il devait, dans l'état
actuel des choses, répondre h tous ceux qui lui quittent la partie.
11 y a du reste tout honneur h êlre (plutôt que M. Bergerat,
l'auteur de l'ariicle du Figaro dont nous avons reproduit les
parties essentielles et qu'il néglige) l'objet de ses vitupéralions
inoffensives. .
Monsieur Edmond Picard, directeur éditeur
dehkvilsloiievwe. Bruxelles.
Sous le titre : Les Livres Belges, vous avez publié contre moi,
dans le dernier numéro de votre journal, un article où le dessin de
nuire perce à chaque ligne. Cela suffit je pense pour me donner le
droit de vous répondre, et j'en use. '
Votre article commence par une citation, malignement tronquée
du Figaro. Cahban, c'est-à-dire M. Emile Bergerat, avaitécrit ddns
le Figaro (numéro du 27 octobre 1885) une chronique parisienne
intitulée : Sainte langue française, qui commençait comme suit :
" Je gage que vous n'avez jamais compris pourquoi M. de Bis-
« marck tient tant à nous voir prendre la Belgique? moi non plus
« je ne l'avais jamais compris. Je demeurais béant devant ce ]>ro-
« blême politique, comme l'est Paris devant l'élection de Germain
« Casse.
" Qu'est-ce qu'il a Bismarck, me disais-je, et pour quel sombre
" motif nous pousse-t-il à cet excès de territoire ?
" Dire que je me méfiais, c'est ne rien dire.
" Les charges du chancelier de fer sont généralement- féroces. J'en
« parlais une fois à Ranc qui fait lui son Machiavel ; mais il me
« rembarra. Ne te mêle donc pas de ces choses-là! Telle fut son
♦« explication.
« A présent, je sais.
« M. de Bismarck nous invite à annexer Bruxelles, parce que c'est
•« à Bruxelles que sévit Kistemaeckers ».
Vous avez jugé à propos de supprimer tout ce commencement qui
marquait bien le ^caractère humoristique de l'article de Caliban,
et vous avez commencé votre citation par ce bout de phrase : C'est
à Bruxelles que sévit Kistemaeckers (1).
Vous supprimez encore dans le reste de votre citation tout ce qui
aurait pu éclairer vos lecteurs sur la nature de la spirituelle fan-
taisie (2) de Caliban, et vous n'en produisez que ce qui devait leur
faire croire que M. Bergerat a dirigé contre liTStemaeckèrs ëf •« Les
livres Belges »» un réquisitoire accablant et mérité.
Cette façon cavalière de tronquer les textes, renouvelée d'Escobar
prouve jusqu'à Tévidence l'intention mauvaise qui a inspiré votre
diatribe.
Ce qui la prouve plus clairement encore c'est la glose enfiellée
dont vous avez fait suivre la citation expurgée A. M. D. G. que vous
avez empruntée au Figaro.
D'après vous ce Kistemaeckers en qui vous espériez « avoir enfin
« ce qui nous manque tant, un homme intelligent, hardi, ami de sa
« race, résolu à être le metteur en scène de la jeune et forte litté-
** rature, » ce Kistemaeckers se croirait appelé à « remplir le rôle
M d'un de ces pachas de la librairie qui régentent à Paris les lettres,
«« alors qu'il n'est au fond qu'un despote »».
Et vous ajoutez :
« On eut à faire antichambre pour être accueilli. Il accordait sa
« protection à qui l'encensait davantage »♦.
Si cela était vrai, Monsieur, personne autant que vous n'aurait
mérité ma protection car vous m'avez encensé plus que personne.
Pour vous en souvenir il vous suflira de relire les nombreux numéros
de l'Art moderne, où vous avez parlé de moi jusqu'au jour ou j'eus
la témérité d'éditer les Béotiens.
Dans un des panégyriques que vous me consacriez alors, vous
disiez (5 août 1883) :
(Ij Vraiment, cher Monsieur, les passages que vous venez de reproduire
ne nous paraissent guères essentiels et de nature à atténuer l'éreintenient
vraiment magisti;"al qu'a fait de vous Caliban.
(2) Spirituelle fantaisie ! Etonnant. Dans quel vaudevUle y a-t-il un apothi-
caire qui, recevant un coup de pied quelque part se retourne en disant :
Monsieur ces sentiments vous honorent !
«* Henry Kistemaeckers poursuit infatigablement la publication
«♦ (le petits livres curieux, aimés des bibliophiles pour leur rareté et
« la recherchede leur édilion. Il existe, en effet, tout un monde
M d'amateurs, moins préoccupés de trouver dans un livre la pâture
«« intellectuelle qu'un objet de collection, et quiconque subit cette
H manie sait le charme qu'on y trouve (l)-
•♦ La série des Kistemaeckers constitue déjà un choix intéressant et
,«« superbe, que les délicats veulent avoir comjjlet. Beaucoup d'oeuvres
M grivoises, c'est vrai, mais pas autant qu'on le dit, quelques-unes
M d'une littérature charmante, où l'art couvre de son brillant man-
« t^au toutes les hardiesses.
«* Henry Kistemaeckers a dès à présent une très grande notoriété
«« et tient parfaitement sou rang â côté de ses confrères parisiens » (2).
Et cependant malgré vos coups d'encensoir répétés vous avez subi
comme tant d'autres l'humiliation de faire antichambre.
En effet, le trois octobre 1883 vous m'adressez des remercîments
pour l'envoi de deux volumes : Ludine et (Les filles) le Martyre
d'Annil et vous ajoutiez :
" L'Art Moderne rendra compte incessamment des deux livres.
" Mais dès à présent je félicite l'éditeur sur ses nouvelles preuves
" d'expérience et de goût. Décidément nul ne vous égale pour ces
« soins délicats si nécessaires désormais au succès (3).
«« Editez vous encore des œuvres Belges et le cas échéant pourriez
« vous lancer une des miennes, pas juridique bien entendu, pure-
M ment littéraire î Je serais très content d'être renseigné à ce
« sujet " (4).
Six semaines après, vous me faisiez l'honneur de m'exposer votre
profession de foi littéraire dans une nouvelle lettre ou vous me
disiez : (5)
•« Ma préférence est pour Vart populaire non pas dans le sens
« d'un écrit que la plèbe seule comprend, mais qui peut pénétrer
« partout, être compris partout et émouvoir partout, à tous les âges,
« dans toutes les classes, et j'ajoute dans les deux sexes, car je tiens
" énormément à toucher les cœurs féminins (6). De là vient la forme
•« simple, courante, colorée, imagée, vierge de complications et
•♦ détrangetés dont je ne sors jamais
«♦ Vous avez remarqué que j'introduis toujours une X\iè?,e plus ou
«« inoins visible dans ces œuvres que je fais courtes parce que j'y
•« vois un moyen de plus de les faire bien lire et de les répandre. La
•* thèse! nouvelle occasion de furieux désaccords avec les jeunes,
•• avec les moyens aussi, et les vieux. Encore une fois, pour moi,
«« c'est une des conditions d'un art élevé. . ^
•« Je ne la fais pas visible. Au début surtout, je la cache, je n'en
«♦ souffle mot, mais il me plaît de la faire sortir insensiblement
«* des faits que je développe et des incidents, des phrases que
<♦ j'entremêle peu à peu à l'ensemble.
M Bref, pour terminer cette apologie d'écrivain à éditeur, j'ai tout
«♦ un système auquel je tiens. Je le laisse, ma foi, se répandre eu
** écrits comme il veut, et ne songe pas à en changer. Quelques-uns
« ne l'aiment point par un raffinement de goût que je trouve
(1) Or ça, pourquoi ces points? Est-ce que vous tronquez aussi? Seriez-
vous deux à imiter Escobar A. M. D. G. ?
(2) Hélas! que c'était vrai alors ! que ce n'est plus vrai maintenant !!
(3) Il s'agit de vos soins bibliophiliques, n'est-ce pas, cher Monsieur? Vos
éditions ont souvent été fort soignées et nous conservons précieusement quel-
ques-unes d'entre elles.
(4) Oh oui, alors, comme tant d'autres. Mais oh non, maintenant, comme tant
d'autres.
(5) Réplique à une missive dans laquelle le père des livres Belges exposait
son système littéraire, comme une invite à le suivre. A la suite de sa confession
on en resta là, naturellement.
(6) M'avez- vous jamais lu, marquise? et toi, Lisette ?
Car ce n'est que pour vous, grande dame ou grisette.
Sexe adorable, absurde, exécrable et charmant.
Que ce pauvre badaud qu'on appelle un poète
Par tous les temps qu'il fait, sen va le nez au vent.
Toujours fier et trompé, toujours humbïe et rêvant.
« excessif; la plupart, (j'en juge par tout ce qui se dit) en sont fort
« charmés et surtout (ce que je prise avant le reste), fort émus. Je
« continuerai donc com mie cela »».
Cette promesse ou plutôt cette menace de continuer comme cela
ne fit que me confirmer dans la résolution que j'avais prise à regret
de ne pas « lancer w vos œuvres, et c'est ce qui fait qu'elles n'ont
pas figuré dans la collection de ces livres bçlges dont vous parlez
aujourd'hui avec un si superbe dédain. (1)
Loin de moi, Monsieur, l'idée de supposer que c'est la rancune qui
vous a fait changer d'opinion (2). J'aime mieux croire que vous avez
été converti par le discours prononcé à la tribune parlementaire par
un homme dont vous avez failli devenir le collègue, l'honorable et
pieux sénateur Lammens.
Permettez-moi d'ajouter que dans la sphère sereine dudroit,oùvous
vous êtes réfugié après que votre universel génie (3) se fut déchire
les ailes aux épines de la politique et aux ronces de la littérature,
vous ne pouviez ignorer que Monsieur le Procureur général a inter-
jeté appel de l'ordonnance de non-lieu rendue tout récemment par la
chambre du conseil sur une poursuite dirigée contre plusieurs de
mes volumes (4).
Cet appel n'est pas vidé et c'est la première fois, je pense, qu'on
voit un avocat, étranger à la cause, prendre publiquement parti
pour l'accusation contre le prévenu (5).
Je n'ai donc pas besoin d'insister davantage sur le sentiment qui
a inspiré votre article. Vous le terminez en priant Caliban de ne pas
confondre les écrivains belges avec le troupeau grognonnant dont
Kistemaeckers serait le saint Antoine.
Ce troupeau-là. Monsieur, vous avez aspiré à l'honneur d'y être
admis, et ce n'est vraiment pas votre faute si vous n'avez pu trouver
place dans le bourbier ou il se vautre. (6)
Comme j'ai quelque sujet dé douter de vos bonnes dispositions à
mon égard (7), vous ne vous étonnerez pas, je pense, de la précaution
que je prends de vous sommer par ministère d'huissier d'insérer ma
réponse dans votre plus prochain numéro.
Recevez, Monsieur, l'assurance de ma considération la plus dis-
tinguée.
Henri Kistemaeckers.
Et voilii. — « Voulez-vous répondre », dîmes nous h M. Picard.
— « Pas le moins du monde », a-l-il répondu :
Versiciilos in me narralur scribere Cinna :
Non scribit cujus carmina nemo legit.
JalVRE^S NOUVEAUX
Grétry, sa vie et ses œuvres, par M. Michel Brenet. —
Bruxelles, Breitkopf et Hartel.
M. Brenet est .l'auteur d'une Histoire de la symphonie à
orchestre, exposé clair et complet des diverses phases par
(1) L'auteur l'a échappé belle, étant donné ce qu'on a vu depuis,
(2) Mais norrj c'est votre catalogue.
(3) Fatal génie'.!
(4) Parole d'éditeur, nous l'ignorions. Et vous, lecteur? Quelque immense
que soit la renommée kxstemaeckeriexne, elle ne va pas jusqu'à pareil
retentissement.
(5) Voj'ons, farceur, ne nous la faites pas à la victime. Quelle chance, quelle
réclame si vous étiez poursuivi ! Tous nos vœux pour cette réussite.
(6) Que vous êtes malin, M. Kistemaeckers. "Vous mêlez toujours hier et
aujourd'hui. A cette époque on ne disait pas de votre troupeau qu'il était celui
de saint Antoine : c'est depuis, depuis, depuis. Ne faites donc pas le sourd, et
pour cause. Vraiment il semble, révérence parler et sans allusion blessante,
que l'on entende un joueur surpris aidant la chance, s'écriant quand on le
reconduit : mais il y a une heure vous me faisiez l'honneur de m'admettre en
votre compagnie.
(7) Oh ! l'ingrat.
^^
lesquelles a passé h symphonie, celte forme de composition
musicale la plus spirilualisle, la plus abstraite, la plus propre à
réaliser l'idéal élevé du Deau musical pur.
Le titre de son livre nouvel : Grétry^ sa vie et ses œuvres
semble annoncer en même temps une biographie corrélative de
ses travaux d'artiste, au si fécond musicien liégeois, et une ap-
profondie critique d'un art vieillot mais historiquement intéres-
sant.
L'attente, certes, est dcçuc; le livre est de ces biographies
anecdotiques où les naïvement bêles légendes coudoient les évé-
nements certifiés. L'auteur juge psychologique de noter, comme
indice d'une invincible vocation musicale, l'attention que prélait
le jeune Grétry âgé dp quatre ans au grêle murmure des bouil-
loires ; il mentionne avec candeur la dévotion de « son musicien »
lorsqu'il s'approche pour la première fois de la Sainte-Table, ses
succès de cbanleur au jubé de la collégiale de Saint-Denis
On le voit, toujours la recelte de Y Histoire des peintres l
L'instruction de Grétry par ses humbles professeurs Leclercq,
Moreau et Renekin, son départ pour Rome sous la protcciion du
chanoine de Harlcy, les leçons qu'il y reçut de l'abbé Casali, ses
débuis au théâtre par Les Vendangeuses ; son départ pour
Genève, ses visites h Ferney chez Voltaire; son arrivée à Paris,
le succès du Huron; sa longue et laborieuse vie à la cour et
parmi le tumulte des gens de lettres, enfin un résumé critique
de l'œuvre de Grétry, tout cela forme un total de trois cents pages,
pour lesquelles l'auteur a peu fructueusement consulté une im-
portante bibliographie.
L'œuvre considérable du musicien liégeois apporterait un
appoint intéressant h l'opéra comique, que l'actuelle direction de
la Monnaie remet en honneur, grâce à des acteurs chantants et
jouants : les Deux avares^ la Fausse Magie, Colinette à la
Cour, V Epreuve villageoise, V Amant jaloux, Aucassin et Nico-
lette, pourquoi ne point les produire sur la scène au lieu d'un
répertoire qu'il faut bien se résoudre, si l'on est sincère, h dé-
clarer poussiéreux et fossile et qui n'est sauvé que par la per-
fection qu'atteignent ses interprètes ?
Harmonie et Mélodie, par Camille Saint-Saëns. — Paris,
Calmann-Lévy.
On s'inquiétait beaucoup de savoir si, oui ou non, M. Saint-
Saëns est wagnérien. C'est celte inquiétude qui fait tout le succès
du livre qu'il vient de publier : Harmonie et Mélodie.
« Il n'est pas wagnérien, vous voyez bien ! »
Ce n'était pas très dificile à voir pour qui connaît la musique
du compositeur-exéculant réputé.
M. Saint-Saëns n'est donc pas wagnérien, c'est certain aujour-
d'hui, les inquiets sont calmés, l'éditeur satisfait, l'Institut
aussi Notre avis est que le wagnérisme n'y perd rien.
Harmonie et Mélodie est un de ces trop nombreux livres
composés d'articles journalistiques publiés ci et là, en diverses
années, conséquemment sans unité théorique et fâcheusement
contradictoires.
M. Saint-Saëns commence par s'excuser.... d'avoir chaL^^é
d'opinions. C'est son droit; c'est même la base de son esthétique ;
mais les arguments qu'il invoque en faveur de sa conversion h
l'art factice sont bien faibles et bien mesquins. Laissez donc
enterrés ces cancans de vieux abonnés « l'intransigeance,
l'oppression du wagnérisme, la musique savante » (vous vous
avouez donc un âne?).... et tous ce fatras d'arguties avariées et
de poussiéreux journalisme. Arrivent même les inévitables histo-
riettes : « Une dame suppliait le maître de lui faire entendre un
accord inouï, prodigieux, qu'elle avait découvert dans la partition
de Siegfried. — « Mais, ma chère enfant, répondait-il, c'est tout
simplement l'accord de mi mineur. » Et, cédant enfin, il le
frappait et la dame de s'extasier. — No\d \ç,' boulevardisme qui
perce....
N'esl-il pa,s évident, pour tout musicien, qu'il s'agit non point
de tel accord entendu isolément, mais dé sa suggestive réson-
nancc parmi toute la successive résonnance? M. Saint-Saëns
reproche aussi à Wagner d'avoir écrit des choses très belles mais
qui peuvent gâter la main des exécutants. Quelle valeur accorder
a pareille critique d'une si mesquine animosilé et native de ce
milieu parisien enclin h la badaudanic et niaise plaisanterie?
11 y a maintenant, en face de la légende baudelairienno, la
légende wagnéricnne :' mais les grands seuls ont la leur.
M. Saint-Saëns n'est point wagnériste, c'est certain aujour-
d'hui... Heureuse certi'ude! Nous eussions eu chez nous un bien
faux-frère en celui qui écrit « que Wagner après avoir supprimé
tous les moyens de plaire qu'avait h sa disposition l'Opéra pour
laisser la place libre au drame, a supprimé le drame pour une"
prétendue philosophie dont la portée m'échappe complètement. »
41 n'est pas possible d'avouer plus cyniquement son ignorance
et nous passerions silencieux si cette ignorance n'était laide de
mauvaise foi et de vipérine jalousie. Sauvons l'article « Harmonie
et Mélodie » qui définit exactement ces deux termes ; signalons
quelques pages intéressantes sur Liszt, Berlioz, Félicien David,
et saluons l'auteur en lui disant « adieu ».
ASSOCIATION DES ARTISTES MUSICIENS
Premier cojicert.
V Association des artistes musiciens a ouvert samedi la saison
musicale par une séance où le talent des solistes a lutté avec
l'attrait d'œuvres nouvelles. V Ouverture académique de Bi-ahms,
cette charmante et spirituelle fantaisie sur des chanls d'étudiants,
a eu les honneurs de la soirée. Célèbre en Allemai;ne, où le
Gaudeamus igitur et le VVas kommt doch von der hôhe sont
sur toutes les lèvres, elle était encore inconnue à Bruxelles.
Inconnue du public s'entend ; car tous les lettrés de la musique
ont lu tout au moins l'excellente réduction pour piano à
quatre mains que Brahms en a écrite lui-même. L'ouveiture de
Clcopâtre, de Mancinelli, avait également le mérite de la nou-
veauté, mais n'avait guère que celui-là. L'Association tient a sa
réputation d'éclectisme.
Le choix.de ses solistes l'indiquait, au surplus, clairement,
d'une pari, les deux chanteurs que les habitués du théâtre de la
Monnaie ont, sans hésitation adoplés, M'^'^ Thuringer et M. Du-
bulle, et l'excellent pianiste De Grecf, de l'autre, M. Biirger,
violoncelliste. >
La critique a paru découvrir le Co7icerlo de Gricg joué par
M. Dcgreef. Cette œuvre, la plus belle du compositeur norwégien,
a été exécutée à Bruxelles il y a quelque dix ans par Brassin, et
elle a rendu populaire le nom de son auteur dans le monde mu-
sical belge. M. Dcgreef en a exprimé avec un sentiment délicat,
secondé par un mécanisme très développé, le charme pénétrant.
Et l'auditoire a paru comprendre cette page de maître, qu'on eût
pu craindre au dessus de sa portée. Celle vibrante et émotion-
nante composition a tranché violemment sur les airs de Jf^rMsy^/n»,
des Purilams.dc Philémon et de la Traviata dont les deux
chanteurs onl, avec une généreuse prodigalité, gratifié l'auditoire.
Un des Nocturnes de Liszt, un Menuet pimpant de Grieg et deux
valses de Moszkowski ont, avec rouverlure de Brahms et le con-
certo cilé, rétabli l'équilibre en faveur de la musique nouvelle.
T'
HEATRE^
THÉÂTRE MOLIÈRE
Voulez-vous de l'archéologie littéraire? un peu de passé res-
tauré? un coin de vieille littérature remise au jour ?
Que c'est déjà loin tout cela : Georges Sand, la Mare au
Diable^ François le Chainpi, le Marquis de Villemery la Petite
Fadette! Nos mères en ont souri, en ont pleuré. Nous en
avons entendu parler quand on nous racontait encore le Petit
Poucet et Barbe Bleue, et nous soupçonnions vaguement que la
Petite Fadette et la Mare au Diable étaient de la même famille.
Seulement, si nous avions lu ou pu lire dès lors les majes-
tueux journaux flanqués de majestueux critiques, nous eussions
entendu parler de paysanneries^ à' ^iwàixce littéraire, d'innovation,
de réalisme peut-être et de romanligme à coup sûr. Comment
donc! avoir le front de camper des paysans en scène, de leur
faire parler un brin d'argot, de les étudier ou du moins de pré-
tendre les étudier tels qu'ils sont !
Et, de vrai, Georges Sand est réaliste comparée à Florian et cq
dernier est réaliste, si l'on songe aux paslourelles des clj^ansons
galantes du seizième siècle. Réaliste très cau-de-rosé sans douio.
Oh! avec des billets de caramel et des refrains de romance enru-
bannés autour de la jupe des bergères et du sucre d'orge aux
pommeaux de leurs houlettes.
Chose inléressantc à suivre que celte évolution lente, mais
sûre, du drame rustique. Parti de la chanson du moyen-âge, il
s'est habillé en idylle et en églogue sous le règne de Segrais et
Racan, puis s'est vêtu en pastorale de Derquin et en bergerie de
Florian, puis en paysannerie de Sand pour s'élaler enfin —
superbe épanouissement — dans les Paysans de Balzac, la
Faute de Vabbé Mourct de Zola, et le Bouscassié de Cladel. Et
les noms dont on l'affuble indiquent celte transformation tou-
jours plus nette, plus réelle, plus vraie ; chansons, idylles, pas-
torales, paysanneries, rusticités. Et nous voici, non pas au lliéâ-
tre, mais dans le roman, à la veille d'une transformation nouvelle
dont Guy de Maupassanl indique là tendance dans Rencontre et
dans les Sabots.
Le ihéâlro Molière est donc un théâtre ou l'on fait de l'archéo-
logie littéraire et — comme cela se trouve ! — cette archéologie
qui ne déplaît point aux artistes séduit comme une nouveauté le
public d'Ixelles. Il accourt — surtout le public du dimanche —
avec deux mouchoirs dans la poche, un pour le nez^, un aulre
pour les yeux et les larmes, avec des exclamations en réserve et
des petits cris de joie au fond du gosier, car, de dix en dix
minutes, on passe du rire aux pleurs, de l'espoir à l'angoisse,
du bonheur aux regrets. Ou entend ci et là craquer des corsets
sous l'émoiion.
Le Marquis de Villemer et la Petite Fadette sont joués con-
venablement d'après les recettes d'antan. C'est ce qu'il faul.
THÉÂTRE DE LALGAZAR
' Les Mousquetaires au Couvent.
Vive l'abbé Bridaine! Vivent sa benoîte bonhomie et sa bien-
veillance pour les péchés mignons des écervelés que l'amour a
frôlés de ses ailes ! Les Mousquetaires ont eu un succès de pre-
mière à l'Alcazar. On a ri au joyeux entrain du livret tout comme
si c'eût été la première fois que les étonnantes aventuiMBs du capi-
taine Gontrand et de son ami Brissac se fussent déroulées sur la
scène. On a applaudi à toute volée la musique bonne enfant de
M. Varney. El, pour la troisième fois, l'Alcazar, complètement
réorganisé a remporté une victoire sérieuse. Vienne la Guerre
joyeuse, elle n'a rien à redouter, et ses Mousquetaires feront une
belle défense avant de sonner la retraite.
Du côté des hommes, MM. Morlel, Minne et Lary, du côté des
artistes féminins. M""" Fernet, Buiro et Hervey, cette dernière
alternant avec M*'« Bonheur ^ ont assuré le succès de la reprise.
Il n'y a vraiment que des éloges à leur adresser. Le premier est
inimitablement amusant dans la fameuse scène du deuxième
acte, le sermon débité aux élèves des Ursulines sur le petit dieu
malin
Qui n'est au fond qu'un fort bon diable...
Ce qui a frappé tout de monde, c'est que dans la voix, dans
les intonations et jusque dans le nez, M. Morlel a avec un des
sociétaires les plus populaires du Théâtre Français des affinités
telles que M. Gustave Frederix lui-même s'en est, dit-on, trouve
offensé. Il n'est pas permis de pousser aussi loin le pastiche.
Celte ressemblance extraordinaire et son joli talent de chan-
teur-comédien, ont séduit le public qui, chaque soir, fait à
M. Morlel un bruyant succès et bisse ses couplets.
Voilà reconquise cette j)laGe que depuis si longtemps le théâtre
de l'Alcazar essayait vainement de reprendre, parmi Jes scènes
bruxelloises favorisées de celle chose si fragile : la vogue.
CORRESPONDANCE MUSICALE DE PARIS
Les concerts classiques de VAssociation artistique ont fait leur
réouverture sous la conduite de leur chef, M. Colonne. C'est toujours
la même exécution soignée et finie, mais les musiciens ne sont pas
encore entrés en pleine possession de leurs moyens et il y manqiie
cette cohésion à laquelle ils arriveront au bout de quelques concforts.
On a fait piteux accueil à la suite d'orchestre de M. Massenet déjà
entendue aux concerts Pasdeloup. Mauvais indice pour l'auteur du
Cid, dont on pousse les répétitious à l'Opéra, et qui doit passer le
27 novembre.
A rOpéra-Comique, l'Etoile du Nord conserve la faveur du public
et Haydée. remise à neuf, s'est vue de nouveau acclamée avec Tinter-
prélation de M'^« Merguiller et de MM. Lubert et Taskin, qui a tort
de chanter les basses et qui ne s'en tire qu'à force d'habileté. Et
puisque je parle de rOpéra-Comique, signalons la prédilection
momentanée du public pour ce théâtre; voilà maintenant que le
high-life s'en mêle et veut avoir ses samedis à la salle Favart, comme
il a ses mardis au Théâtre Français : l'art n'y gagnera rien, j'en suis
convaincu, mais la caisse de M. Carvalho va s'emplir si j'en juge par
le nombre croissant des candidats à l'abonnement. Je crains même
que l'élément mondain ne fasse échec à Lohengrin, étant donné le
goût douteux des abonnés tel que nous le connaissons à l'Opéra, tel
qu'il était aux Italiens. Du reste. on n'a rien appris du voyage de
M. Carvalho à Vienne et à son retour on s'est mis à la lecture de
trois ouvrages nouveaux de ÎVIM. Coquard, Widor et Lecocq,
rART MODERNE
363
Après le Cid^ nous aurons, paraît-il, une représentation de la Patti
à l'Opéra ; on jouera un acte de Faust, un acte de Rigoletto et des
fragments de Coppélia. Petit spectacle mondain, pas fatiguant et facile
à suivre même pour les abonnés. Seulement, Coppélia manquant de
nouveauté, si j'avais voix au chapitre, je demanderais qu'il fût
dansé par la Patti... et alors... quel succès!
Les théâtres d'opérette maintiennent les mêmes affiches tout en
préparant de nouveaux spectacles. Aux P'olies-Dramatiques on a
repris les Cloches de Corneville, histoire de ne pas les laisser voler
par un autre théâtre; mais il parait qu'elles ne battent plus leur
plein. Est-ce étonnant? Gutello.
pETITE CHROJMIQUE
Un nouveau deuil vient de frapper la famille artistique. M. Auguste-
Félix Schoy, l'un de nos architectes les plus distingués, est mort à
Bruxelles mercredi dernier, après une très courte maladie. Il était
né le 17 janvier 1838. C'est à lui qu'on doit les plans de l'ingénieuse
et très artistique restauration projetée pour l'église de Notre-Dame-
des- Victoires au Sablon. M. Schoy avait fait de ce travail l'une des
préoccupations principales de sa vie. Il meurt avant d'avoir vu réa-
lisé son vœu le plus cher.
L'artiste était professeur à l'Académie royale des Beaux- Arts
d'Anvers, membre correspondant de la Commission royale des monu-
ments. Il venait d'être créé chevalier de l'ordre de Léopold.
Le bruit a couru que Germinal^ interdit par la censure à Paris,
allait être représenté à Bruxelles et Ton citait même les directeurs
qui se disputaient l'honneur de faire connaître le drame de Zola.
C'étaient, disait-on, M. Humbert, directeur du théâtre de la Bourse
qui va s'ouvrir, et le directeur du théâtre des Nouveautés, Tintelli-
gent imprésario qui a tout récemment représenté, dans de bonnes
conditions, Thérèse Raqiiin. Une lette de M, "W. Busnach vient de
détruire les espérances qu'on formait ici. « Genninal sera, représenté
à Paris, dit-il, ou il ne le sera pas. »
M. Georges Eekhoud fera paraître en février un nouveau roman
qui portera pour titre : Les Milices de Saint-François. Il est, comme
les œuvres qui l'ont précédé, emprunté à la vie des polders.
Un des paysagistes français les plus renommés, M. Alexandre Segé,
est mort la semaine dernière à Coubrou (Seine- et-Oise), âgé de
soixante-sept ans. C'était un hjbitué fidèle des Salons parisiens où
chaque année on voyait, à la rampe, une ou deux toiles de lui.
Les motifs des paysages de M. Segé sont surtout empruntés à la
Beauce, à la Brie et aux environs de Chartres ; il a travaillé aussi
en Corse et eu Suisse et plus souvent dans le Pas-de-Calais, les
Cùtes-du-Nord et le Finistère. Le musée du Luxembourg possède
de lui : Les Chaînes de Kcrtregounec . Les tableaux qu'il a peints ces
dernières années sont : La Vallée de Courtry^. les Chatnps à
Coîibron, l'Epine d'Antoigni/, les Châtaigniers de Beauvoir;
en 1883, la Vallée de Ploukermcur ; en 1884, une grande toile
intitulée : Au Pays chartrain; en 1885, enfin, les Près de Saint-
Pair et la Vallée de la Sée.
On lit dans /« Nation :
M. Léon Dubois travaille à une œuvre importante, Atala, poème
symphonique, paroles de MM. A. Laigle et Edouard Philippe.
Rappelons que M. Dubois a, depuis l'an dernier, un acte en répé-
tition à la Monnaie, la Revanche de Sganarelle, et que l'Union des
Jeunes Compositeurs exécutera, cet hiver, une cantate patriotique,
Breydel et De Coninck, terminée depuis un an déjà.
M. Léon Dubois fera entendre aussi prochainement un petit
poème lyrique, — le Reliquaire d'amour, — paroles de M. Lucien
Solvay.
Un musée Grétry à Liège. — M. Radoux a pris l'initiative de la
création d'un musée consacré à la mémoire du célèbre maître liégeois
et dans lequel seront réunis tous les souvenirs qui auront appartenu
au compositeur et qui seront là à leur place la plus naturelle.
Un dés locaux du palais du nouveau Conservatoire, destiné à un
musée musical, se prête à merveille à la réalisation de cette idée
patriotique*.
Le projet de M. Radoux est entré dès à présent dans la période
d'exécution et nous sommes heureux de pouvoir signaler à la grati-
tude des amis d'e l'artiste l'exemple généreux donné par M. Terme,
le savant antiquaire, qui a adressé à M. Radoux plusieurs dons extrê-
mement précieux :
Un portrait de Grétry au crayon par Monssiau; un autre portrait
de Grétry au lavis par Ysabey ; un portrait gravé d'après M-^Vigier
Lebrun; une miniature sur ivoire, Grétry à 18 ans; enfin une
Correspondance très intéressante de Grétry a Dumont, reliée en un
volume. Ces lettres (il y en a 12 — la dernière datée du 25 septembre
1813 — ) est l'annonce de- la mort de Grétry à M. Dumont, par les
« neuveux {sic) et nièces de M. Grétry » ont été publiées dans le
Bulletin de l'Institut archéologique liégeois, par M. l'archiviste
Bormans.
Aux dons de M. Terme se joignent ceux non moins précieux
offerts antérieurement par M. et M"'« J.-B. Rongé et consistant :
lo en une mèche de cheveux avec ce petit mot : « Cheveux de Grétry,
offerts par l'amitié et la reconnaissance à M. J. Ledoux, un des
auteurs du vaudeville intitulé Grétry. ».
L'Ermitage, ce 30 juin 1824. (Signé] Flamand-Grétry,
2o Une photographie représentant le Messager -contrebandier
Remacle qui a conduit Grétry à Rome au mois de mars 1750.
30 Une photographie représentant la physionomie de la place
Grétry le jour de son inauguration, le 3 juin 1811.
40 Une lettre adressée au citoyen Plainpel, employé aux affaires
de la République au Havre.
50 Une lettre adressée à M. de Fossoul, ancien bourgmestre de
Liège, datée de Paris le 13 avril 1810.
60 Une lettre adressée également à M. de Fossoul datée de Paris
14 septembre 1811.
70 Un tnanuscrit écrit entièrement de la main de Grétry « cha-
pitre 30, 3e volume avec le titre singulier : Le malheur de l'homme
est de n'avoir que des demies (sic) passions, 14 pages de 0^,19 sur
0>n,23. ^
La Nouvelle Société de m,usique de Bruccelles, dans son assemblée
générale du 23 courant, a procédé au renouvellement partiel de son
Conseil d'administration. Ont été élus : Président : Ai. Alfred Del-
bruyére; Vice- Présidents : MM. Oscar Hennebert et François
Wittmann; Membres : MM'-'es Bourlard et Girard; MM. Charles,
Hoffmann, Leemans-Portenart, Jules Pierret, Gustave Pierry et
Florian Sterckx.
Les répétitions de Mors et Vitu se i)oursuivent activement. Elles
ont lieu tous les vendredis, à 8 heures, du soir, au Palais des
Beaux-Arts. ,
Le tirage de la tombola de l'Exposition du Cercle des Aquarellistes
et des Aquafortistes a eu lieu samedi 31 octobre. Voici les numéros
sortis : 329, 323, 293, 842, 1110, 435, 1055, 105, 721, 1325, 4G9,
178, 716, 116, 937, 327, 301, 434, 408, 27«>, 497.
Les lots pourront être réclamés tous les jours de 4 h. à 6 h. chez
M. Karel Van Mossevelde, trésorier du Cercle, rue Dupont, 00.
Après le 4 février 1886, il ne sera plus fait droit à aucune récla-
mation. ' ■
ATELIER DE PEINTRE
A LOUER
I^TJE IDE 3L..A. OieOIXI BILA.lSrOIïE
PRÈS DE LA MONTAGNE DE LA COUR
364
VART MODERNE
CINQUIÈME ANNÉE
L'ART Moderne s'est acquis par l'autorité et l'indéiiendance de sa critique, par la variété de ses
informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune manifestation de l'Art ne
lui est étrangère : il s'occupe de littérature, de peinture, de sculpture, de gravure, de musique,
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouvement artistique belge, .il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur tous les événements artistiques de l'étranger quïl importe de connaître.
Chaque livraison de L'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'actualité. Les expositions, les livres noiiveauoç, les
premières représentations d'oeuvres dramatiques ou musicales, les cow/f/rences littéraires ^ les concerts, les
ventes dCohjets dCart, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées.
L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. Il rend compte des
procès les plus intéressants concernant les Arts, plaides devant les tribunaux belges et étrangers. Les
artistes trouvent toutes les semaines dans son Mémento la nomenclature complète des expositions et
concours auxquels ils peuvent prendre part, en Belgique et à l'étranger. 11 est envoyé gratuitement à
l'essai pendant un mois à toute personne qui en fait la demande.
L'ART MODERNE forme chaque année un beau et fort volume d'environ 450 pages, avec deux
tables des matières, dont Viine par ordre alphabétique , de tous les artistes appréciés otc cités. Il constitue pour
l'histoire de l'Art le document LE PLUS COMPLET et le recueil LE PLUS FACILE A CONSULTER. '
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NF Z43 120 13
-, ï
Cinquième aknée. — : N*> 47,
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 22 Novembre 1885,
L'ART
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTERATURE
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser les demandes d'abonnement et toutes les coinmunications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
^ommairï:
Principes d'art. — De la publication des livres. — Joseph
Lies. — Théâtre de la Monnaie. La Favorite. — Gazette de
Hollande. —^ Correspondance musicale de Paris. — Petite
chronique.
PRINCIPES D'AllT
A chaque exposition universelle ou locale, c'est
toujours la même constatation : du haut en bas, une
déroute des esprits; la méconnaissance des principes
essentiels de l'art; une uniformisation croissante des
manières de peindre et de sentir; la vérité de conven-
tion et d'atelier, ou, d'autre part, l'étroite et ofïensante
vérité photographique, substituée à la vérité qui, par la
synthèse et la simplification, arrive au caractère et à
la grandeur ; puis encore la prédominance des besoins
de lucre, de la soif des vanités de la vie et des distinc-
tions honorifiques sur les préoccupations plus élevées,
et, parallèlement, l'oblitération graduelle des con-
sciences embourgeoisées dans la poursuite des succès
productifs; enfin leffrojable développement de cette
basse fabrication faite pour la foule par des artisans
quelconques et qui submerge les rares efïbrts isolés des
véritables artistes.
Libre aux illusionnistes d'expliquer cette immense
confusion par les sourds tiraillements des. genèses en
train de se débrouiller! La théorie consolante d'une
époque de transition, élaborant dans le trouble et l'in-
conscience les éléments d*un art nouveau, n'aura jamais
crédit auprès des réfléchis pour qui l'art n'est pas la
résultante d'une somme d'efibrts réalisés en commun
en vue d'une perfectibilité toujours reculée, mais une
émanation individuelle, spontanée, infiniment variable
selon les temps, les circonstances -et les hommes, et, en
fin de compte, définitive en chacun des ses modes d'ex-
pression. L'art n'est ni plus grand ni plus complet à une
époque qu'à une autre; il ne procède pas par doses
quantitatives; même chez les primitifs, chez les com-
mençants, il porte en soi sa plénitude.
Plus tard, avec une tradition pour appui, il ne fait
que changer ses apparences sensibles et raffiner le sens
de l'interprétation, d'abord malhabile et gauche, mais
déjà perceptible dès les premiers balbutiements. C'est
le moment où les facultés critiques, les aptitudes
d'élection et d'appropriation commencent à prédominer
sur les facultés de création et de découverte : on
exploite le domaine du passé en l'élargissant et l'appro-
fondissant plutôt qu'on ne fait œuvre de création pro-
prement dite. Mais tel est le sentiment général sur l'art,
qu'il paraît presque exclusivement le privilège des races
qui se souviennent, et que le don de coordonner les
matériaux acquis, en en tirant l'infinie série des combi-
naisons, fait oublier l'obscur labeur douloureux des
précurseurs pour extirper de l'être l'incarnation ini-
tiale qui a servi de point de départ à toutes les autres.
il est bon de remettre à son plan cette gloire des pri-
mitifs, quand ce ne serait que pour tempérer notre
immense vanité de civilisés, tellement saturés de l'es-
prit et de la production des siècles antérieurs qu'il
nous est devenu difficile de démêler notre part d'inven-
tion d'avec celle que les âges nous ont transmise. Nous
vivons dans une ère d'utilisation et d'expérimentation
des concepts d'art qui nous ont précédés bien plus que
dans la recherche d'une appropriation de notre art à la
spiritualité de ce temps. La paix d'une longue hérédité
païenne et catholique nous opprime dans notre inutile
tentative pour nous dégager des invincibles séductions
de cette humanité lointaine» magnifiée par ses artistes,
et, à la place de la tradition héroïque où notre faiblesse
d'esprit et l'excès de notre mémoire nous font cherclier
les sucs de notre alimentation intellectuelle, construire
à notre tour les sédiments d'une tradition qui soit^
comme la tour où nous aurons muré notre idéal.
Pendant longtemps, et cette erreur fait encore le
fond de l'enseignement académique, il a semblé qu'en
dehors de la Renaissance, c'est-à-dire d'un mouvement
qui, lui-même, n'était que le renouvellement et la
transformation d'une époque d'art évolue, la forme
humaine, les ordonnances de la nature, l'idée d'un
ordre supérieur révélé par la magnificence des choses
ne pouvaient être célébrées dignement. Puis des esprits
hardis, ramenés au bon sens par l'immodération de ce
culte pour une restauration après tout païenne et qui
à travers la conception théiste de notre siècle, perpé-
tuait la glorification des théogonies antiques, se-
couèrent le joug, mais pour en porter un autre, plus
ràtionrialiste, il est vrai, et d'une conformité plus logi-
que avec notre désabusement des belles illusions de la
fable, du mythe, des symboles et des allégories. Ceux-
là descendirrent jusqu'à l'artiste du moyen-âge peignant
ou sculptant l'homme de sa connaissance et de son
milieu dans la réalité rude de sa laideur, de son vice
et de son infirmité, avec le pli et le poil de sa peau, la
verrue posée comme une mouche au gras du nez ou
de la joue, la difïormation et la grimace amenées par
la pratique du métier. Au fond, pas plus que les latins
latinisant, eux, les néo-gothiques, ne parvenaient à
abdiquer l'effroyable souvenir de ce passé qui leur tor-
dait le cou en arrière.
Toute la critique de l'Exposition universelle d'An-
vers, aussi bien pour l'art que pour les industries d'art,
aurait pu se dégager de ces considérations générales.
En aucune occasion, peut-être, l'habileté manuelle, le
tour de force du métier, le jeu des difficultés vaincues
n'ont paru plus extraordinaires : le bois, le marbre, les
métaux se sont assouplis aux plus tourmentés caprices
de la main-d'œuvre, au point d'y perdre leur essence
constitutive qui ne se démêle plus sous les empiéte-
ments d'une fabrication sur une autre; et de même,
dans la sculpture et la peinture, les prodigieuses adresses
de la pratique semblent rivaliser avec ce que l'art de
rémailleur, du ciseleur et du joaillier a de plus rare et
de plus compliqué. A bien considérer, il n'y avait là
pourtant qu'une assimilation magnifique de la matière,
une extension étonnante du procédé, une prise de pos-
session de plus en plus complète des matériaux qui ser-
vent à faire l'œuvre d'art, sans que toutefois celle-ci,
la plupart du temps, ne fût autre chose que la répéti-
tion des formes et des combinaisons antérieurement
pratiquées.
On était efï'rayé de la pauvreté d'invention qu'à
défaut de création , au sens radical du mot, décelait
l'énormité de ce labeur purement mécanique, perpétré
avec des instruments d'une infinie précision, et au fond
duquel ne s'apercevait pas la millième partie de l'hum-
ble et touchante beauté d'un morceau de métal façonné
par le génie candide de quelque vieil artisan. C'est que
la subtilité la plus déliée de la manœuvre et l'ingénio-
sité la plus grande de la composition ne valent pas
l'émotion et la chaleur d'humanité d'une image, même
grossièrement travaillée, mais communiquant à l'esprit
la sensation de la vie d'une époque et aidant à conjec-
turer un état physiologique et mental particulier.
Dans la section des Beaux- Arts de l'Exposition
d'Anvers comme dans les sections industrielles, la con-
fusion des styles, des écoles et des tendances ne faisait
en réalité, que correspondre à la pluralité des manifes-
tations de l'art archaïque et classique.
Aussi, telle critique nouvelle qui, dans l'étude de la
transcription artiste, tient surtout- compte de ces trois
facteurs essentiels : la nàodernité du sentiment et de
l'expression, la qualité et la perception des atmosphères
lumineuses, la conformité de l'œuvre au tempérament
de l'artiste, — - aurait-elle eu des loisirs devant l'insuffi-
sance et la sénilité de toute fabrication mnémotechnique
si çà et là ne s'était révélée la volonté d'appliquer aux
êtres et aux <îhoses l'optique d'un homme de ce temps,
cette sensibilité d'œil, demain et d'esprit qui met dans
le morceau d'art le contrecoup direct de l'impression
et comme la surprise de découvrir après tant d'autres
un coin de la nature.
DE LA PUBLICATION DES LIVRES
Nous avons reçu 1 étude qu'on va lire. Nous la publions soks toutes
réserves. Pour raisons de forme et de fond elle ne représente pas en
tous points notre idéal. Mais elle est très originale et parfois juste.
Tous écrivains arlisles et ceux qu'un de nos confrères propose
d'ennoblir Esthètes ^sâyenl que, désireux de publier leur œuvre,
ils sont livrés pieds et poings liés au cannibalisme des éditeurs.
Il serait impossible de citer un de ceux-ci qui ail public une
œuvre, si mince qu'elle soii, à la seule caresse de son parfum
littéraire.
Les aligneurs de romans bourgeois, les gens babiles qui, pour
flatter les goûts médiocres des lecteurs en masse, rabaissent leur
style ou ne peuvent même pas s'élever jusqu'aux premières neiges
de l'Art, ces approvisionneurs des bibliotbèques dans les gares
de chemin de fer ou, par réaction, les petits cochqnnierSj les
grivois salemcnl et non spirituels et les lourdement grossiers,
ceux-là seuls empilent les éditions et signent des traités gontlés
d'or ou de gros sous. Ce n'est qu'exceptionnellement que le génie
ou le grand talent attire le pécuniaire et c'est toujours par une
inclinaison vers le social ou le banal : Victor Hugo, Emile Zola.
Certains éditeurs ont cependant une assourdissante renommée
de quasi-Mécènes, pour avoir humilié leur commerce aux pieds
d'une aristocratie jadis bafouée, aujourd'hui sans même un
esclave qui insulte à son triomphe. Dissipons ces préjugés. Les
commerçants savent k point courber l'échiné et partager les
affronts, si l'espoir est proche d'un coffre-fort empli.
Les grands artistes, presque toujours enfanlinement naïfs,
sentez-les aux prises avec ces visqueuses sangsues, heureux si la
fierté reste sauve, si la terrible crainte d'un avenir hasardeux ne
les abaisse point aux concessions. Disons bien haut que Lecontc
de Lisle, durant six années, offrit en vain le manuscrit des
Poèmes antiques. Tous savent à quel prix furent acceptées les
traductions de Baudelaire et le sort de ses admirables Poèmes en
prose. De pareilles ignominies ne découragent point l'inspiration ;
elles ajoutent h cette gloire future qui attend les dédaignés par la
multitude dés sols. Oui, la justice vient : espérez en elle, vous,
les grands insultés !
Une fois admis, Dieu sait à quel prix, chez un de ces sacro-
gaints commerçants, que faire?
Pensez-vous que l'artiste, avec ce sens inné de rharmonie,
puisse identifier la reproduction matérielle avec le spirituel de
son œuvre, choisir les caractères d'imprimerie, les varier suivant
la stature du style, son demi-jour, l'attirante reculée de ses
phrases en fluides arabesques? Non pas. Chaque éditeur a des
formules d'impression et les pages se numérotent monotone-
ment, tristes et grises, et s'accroît aussi la fatigue de lire. La petite
édition Charpentier et la petite collection Lemcrre, exemples.
-Et sont là réunis, sous la pesée des mêmes signes de typogra-
phie, les De Concourt, Flaubert, Coppéo, Cladel, Banville, Lcconle
de Lisle, Sully-Prud'honmie, et personne ne proteste contre cet
incommensurable trait de Jocrisse!
Voit-on poindre h leur front les premières pousses du vert
laurier à tous ces bafoués d'anlan, vite qu'on les embrigadé !
Et les voici moulés dans l'inévitable formule.
Les fadaises de Coppée, l'amplitude de Flaubert, mêmes
signes ; l'inharmonique subtilité de Sully-Prud'homme, la fauve
splendeur de Leconte de Lisle, mêmes signes. El Banville avec
Cladel, mêmes signes, et encore de Concourt! Lisez sans rage
dans ces mesquines éditions Salammbô, les Trois Contes, les
Exilés f la Fête Votive^ Renée Mauperin ! Notez que je ne cite
là que les réputés maîtres. Que dire des débutants, des tant naï-
vement jeunes, que tant d'ineptie étonne avec une candide tris-
tesse, n'en point parler? El pourquoi? Toute œuvre d'art mérite
respect et dans une œuvre initiale il peut y avoir le signe pro-
chain du talent ou du génie. Certes, les rivières ont beaucoup de
secrets, mais les gargotes des éditeurs, si les chiffonniers croche-
taient dans leurs détritus, que d'arlisliques bouquets étouffés
parmi les cendres et les victuailles!
Il arrive parfois, par hasard, que la typographie soit identique
à l'œuvre : les Poèmes tragiques, de Leconle de Lisle, furent
superbement édités et ses autres poèmes haussés, après la gloire
tardive, par plus de religieux respect. Sagesse, de Verlaine, ses
Fûtes Galantes, exemples intéressants de presque correcte typo-
graphie; récemment, en Belgique, l'édition définitive de h Forge
Roussel, d'Edmond Picard, fors l'inexpérienle reproduction de
ses aocompagnemenls picturaux, et Toques et Robes, de A.James.
Les éditions de Poulet-Malassis sont réputées. Pourquoi ? La
seule première pnge est souvent jolie avec la gracilité de ses
lettres rouges et noires et le petit pouillon mal équilibré .sur un
désagréable perchoir, le coco mal perché. Les éditions de Lemerre,
aussi pourquoi ? Sauf les Poèmes tragiques et la réédition des
Poèmes antiques et barbares avec les traductions de Téminenl
poète., sauf encore le Parnasse contemporain^ une rareté biblio-
graphique et le commencement, prévu, d'une grande fortune,
pécuniaire et artistique, hélas!
Beau trait : pour être admis chez certain, poète, peu importe
que l'œuvre rêvée comporte cinq cents, mille vers ; ce personnage
n'imprime que des volumes à deux mille vers, autant de pages,
autant de sous. Remplis donc et gâche, sinon à plus lard!
N'est-ce pas monumental d'ineptie?
La plus parfaite typographie, les plus subtiles variantes dans
les caractères adéquats aux fuyantes perspectives de l'œuvre n'en
exprimeront point l'essence. Le manuscrit imprimé devient chose
quelconque, tous livres, objets identiques. Comparez; ainsi, les
ponctuations manuscrites et ces horribles taches qui représentent
en typographie les points, points- virgules, deux-points, les
tirets..., tout ce qui maintient le rythme et l'ondulation de la
phrase. Quelle tristesse de revoir en sales lettrines la cursive
trollc-menuede Banville! El la notation musicale, combien expres-
sive et gracieuse, manuscrite : les panses des rondes et sur des
fils téuus lout le piaulement dés doubles et triples croches!
Gravé, tout cela est vulgaire et lourd. -
Un manuscrit a sa physionomie essentielle qui reflète celle de
l'auteur : dans l'écriture, le tempérament. Qui fait l'intérêt de
l'autographe? ladevinalion de la plus secrète pensée de l'artiste
sous l'en-allé de l'écriture tantôt fiévreuse, tantôt comme un
beau fleuve, là-bas, vers le si bleu ciel d'un évangélique lointain.
Le manuscrit photographié, \o\hi le livre futur, le respect vengé
des artistes-écrivains honnis par l'avidité des commerçants-édi-
teurs, l'équation enlre le spirituel de l'œuvre el sa matérielle
réalisation. Plus d'édiloriales ignominies; abolie celte énervante
besogne, le corrigé des épreuves; aboli cet avilissant service de
presse! L'écrivain publiera son œuvre el la répandra suivant son
désir et désir toujours religieux de son art.
Certes, les procédés de phololypie et de photogravure peu
perfectionnés encore entraîneraient aujourd'hui peul-êlre à plus
de frais que la typographie; mais le temps est proche où le livre
imprimé aura disparu chez les purement artistes et ne se rencon-
trera que dans quelque canton désert, ignoré de la lumière élec-
trique et des bacilles virgules.
Et en attendant les progrès de cet adjuvant, la photographie,
n'avons-nous point, poètes, la récitation : ne serait-ce pas si doux,
comme autrefois aujourd'hui encore les joliets jeux sous l'orme el
tout le gracieux frivole des pays d'amour? Si le poème est bon ne
sera-l-il point bien vite sur toutes les lèvres, oubliées les morali-
tés en action el tout le fatras des intempestives écoles de bon sens ?
Et nous ne songerons plus à cette plainle de Shakespeare, les
arlisies, qui la redisons tous les soirs : « Il semble que la Lune
regarde avec des yeux humides et, lorsqu'elle pleure, toutes les
fleurs pleurent aussi se lamentant sur quelque virginité violée. »
Qu'il est lointain encore ce Paradis des Gens de Lettres que
xêva le doux Asselineau, quel enfer aux tournoyantes flammes,
ici, el non pas même pavé de bonnes intentions!
J
« Dans un pays ferlilc, aux villes opulcnlrs el aux nobles et
riants paysages, les gens de lettres accomplissent leurs fonctions,
entourés de Teslime et de la reconnaissance de tous, tantôt écri-
vant, dictant à des presses qui d'elles-mêmes impriment et corri-
gent le texte, ou assis à des festins et causant joyeusement avec
leurs amis, tandis qu'au dehors les hommes chantent et célè-
brent leurs louanges; ou se promenant avec de jeunes belles,
vivantes images de leur génie, que leur pensée diversifie et trans-
forme, et la nuit servis par des secrétaires-sylphes lisant et
, notant avec soin, pour qu'elles puissent être utilisées au réveil,
les pensées qui naissent et se développent dans le cerveau tou-
jours en travail des gens de lettres endormis.
— « Que serions-nous sans vous? • — Sans vous, tout nous
serait ombre et ténèbres... A vous nos plus beaux fruits et nos
meilleurs vins! A vous 1rs prémices de nos troupeaux et la pri-
meur de nos récoltes! Savourez-les avec délice et digérez-les en
paix ! El demain nos bras ouvriront de nouveau la terre pour y
déposer la semence nouvelle; demain nos mains cueilleront de
nouveaux fruits et des fleurs plus belles; demain nous foulerons
encore les fruits spiritueux de la vigne et nous répandrons le
sang le plus pur de nos troupeaux. C'est ainsi qu'on parle aux
gens de lettres, dans ce pays à qui tous les autres devraient res-
sembler, et où, s'inclinant devant eux avec les démonstrations
du plus humble respect, un directeur de revue qui n'a qu'un œil,
comme pour exprimer la concentration de sa vigilance et de son
énergie sur un but unique, et trois frères libraires leur offrent
' humblement, en guise d'hommage, des liasses de papiers trans-
. parents ornés d'une vignette bleue... qui sont une monnaie du
pays ».
Ces irréalisables souhaits, le respect de l'écrivain et le respect
de l'œuvre par des éditeurs artistes, quelle fée, quel magicien,
quel grimoire pour les susciter? Evoquerons-nous les horrifiantes
sorcières de Macbeth et leur infernal chaudron, le maléficieux
Klingsor el les félines caresses de Kundry parmi les jeunes filles-
fleurs du jardin enchanté? Notre temps est rebelle à la féerie :
XIX® siècle, siècle de science et de progrès.
Quel pamphlet, l'histoire par les sacrifiés eux-mêmes de toutes
les saletés éditoriales, le corollaire, et plus saignant pout-êjTr^,
de celle des marchands de tableaux ! Coups de brorse, traits de
plume, cotés. Cruelle arrogance pour les débutants, ignoble bas-
sesse aux pieds des glorieux. Une œuvre d'art, non pas, un écri-
vain qui « rapporte »; un livre, non pas, un nombie de pages!
Le manuscrit admis et typographie. Ton a vu cofnment, voici
le service de presse : il faut que le livre fasse de largent, que la
moindre parcelle d'art se détache de ces pages déjà tant tortu-
rées par des mains profanes.
Et l'on s'en va mendier de ces articulets à qui le public — et
des écrivains, hélas! — attache tellement de valeur, qu'il va
découvrir à la fin de la fetnlle, lorsqu'après avoir savouré les
faits-divers^ le bulletin politique, la ville, bref, ce composé
d'idioties qu'on nomme un journal, il épluche le menu-fretin : la
nécrologie, l'état civil et les annonces.
Nous avons lu des compte-rendus de grands et beaux livres
entre l'annonce des spectacles du soir et le boniment d'un mar-
chand de charbons! Des artistes doivent encore passer sous ce
joug, fouettés par leurs éditeurs! N'est-il plus en nous le plus
faible sentiment de fierté, que nous subissions sans révolte
ouverte une pareille ignominie?
Refusons le salut à nos confrères assez avilis pour collection-
ner avec les éloges des maîtres tout ce qu'une presse complai-
sante à prix d'argent aligne d'insultes ou d'éloges banals. De
cette populace journalistique éloignons-nous avec mépris; au
rebours de cette magistrature si fièrement indépendante, elle ne
rend jamais la justice, elle ne rend que des services. Laissons la
s'extasier sur tout ce que la politiquaillerie évacue de brochures
prud'hommesques, les poètes de la zwanze et ces conglommérats
de bonshommes en baudruche que l'on nomme académies ; mar-
motter sa petite critique d'art bourgeoise, exalter ou démolir le
Congo et publier in extenso les débats de nos parlementaires, ces
Bouvards et Pécuchois entre les pattes desquels s'éparpillent en
gros sous les budgets des Beaux-Arts ; entre elle et nous laissons
l'éloignement toujours grandissant.
Dépendance vis-à-vis de l'édi'eur, abaissement devant le
journal, voilà les résuliats de la publication de ton œuvre, artiste
créateur!
JOSEPH LIES
J'ai souvent déploré la funeste habitude qu'ont les artistes de
ne tenir aucune comptabilité des œuvres qu'ils produisent et de
ne donner aucune date à leurs tableaux ; il en résulte, au bout
de quelque temps, une confusion regrettable, grâce à laquelle on
peut leur attribuer une foule de choses pitoyables et contester
raulhenticilé de productions estimables.
Malgré le catalogue autographe de Lies, précieux petit cahier
que j'ai eu le bonheur de découvrir, une foule de difficultés ont
surgi pour moi dans les recherches fort longues auxquelles je me
suis livré; que serait-il arrivé si ce guide m'avait manqué? Il
n'est pas complet. L'artiste y a omis plusieurs œuvres qui mé-
ritent d'être signalées, probablement parce qu'elles avaient été
données par lui à des amis. J'ai complété l'ensemble des titres
par la nomenclature d'une foule d'études du plus vif intérêt. Elles
disent comment l'artiste travaillait, lui à qui l'on a refusé, pen-
dant des années, le don d'inter^irêter la nature !
Il n'est pas un peintre, au contraire, qui ait, plus vivement que
Lies, senti ce qu'il représentait. Ses compositions historiques sont
le résultat de longues recherches studieuses au point de vue du
fait, des costumes el des mœurs; ses œ.uvres champêtres disent
la beauté de son caractère, la bonté de son cœur, en môme temps
que son admiration pour la belle et douce nature flamande.
Un de ses amis intimes me racontait dernièrement les émotions
de Lies au milieu de la Campine. Le large cercle de l'horizon, les
lignes agréables et fines formées par les villages lointains, le vert
des arbres isolés ou des bois de sapin, le retlel du soleil sur les
montagnes de sable, la surface indescriptible des étangs oii le
ciel se reflète si diversement suivant les heures du jour et l'in-
tensité de la lumière, tout cela l'émerveillait. Les moindres
plantes excitaient son admiration. Les perles que la rosée dépose
sur les toiles d'araignée, quand les nuits commencent à devenir
fraîches, il les regardait briller jusqu'à ce que le soleil les eût
fondues. Le beau scarabée parti en chasse, d'un pas délibéré et
d'un air qui ne doute de rien, provoquait sa gaîté. Le vent qui
emplit les sapinières d'un murmure semblable à celui de la mer
dilatait ses poumons au point de lui arracher les exclamations
de joie. Il se faisait cuire au soleil, paresseusement étendu
sur le dos, le visage caché par le bord de son chapeau, et
l'esprit occupé de poésie. Il rêvait, il s'exaltait, il philosophait,
V
quand il n'était pas venu là pour dossinor ou peindre. Personne
n'était plus heureux que lui, au milieu des riens qui sont des
bonheurs pour ceux qui savent voir, réfléchir, interroger.
Cela fait qu'en face d'un tableau de Lies, notre pensée voyage
sans cesse autour de quelque chose de délicat, d'élevé, de
rêveur et d'indéfini... Ce quelque chose, c'est la rêverie de Lies.
Plus je l'étudié, et il y a dix ans que cela dure, plus je l'appré-
cie à sa valeur.^Plus je découvre de ses œuvres, plus je m'étonne
dé certains jugements portés sur lui.
J'avouerai, avec la plus entière nqïveté, qu'au commencement
de mes recherches, je désirais vivement par simple curiosité,
découvrir de ses lellres; on le donnait comme spirituel, rieur h
ses heures et homme de tact. Dès que j'eus une-liasse de ses
écrits, je redoutai d'y découvrir des points noirs. C'est le corî-
traire qui arriva. Non seulement Lies est un maître, niais un
écrivain sensiblement au dessus de la movcnne et un. homme
de grande valeur morale. On sent, à une foule de détails,
qu'il a considérablement lu, et étudié tout ce qui concerne son
art. Sa phrase coule de source ; elle est imagée, i)oétique. Ses
lettres sont remplies de traits qui charment, amusent ou
instruisent.
Elles me sont venues de divers côtés. Certains amis y tiennent
comme à des reliques; d'autres les ont anéanties. Un heureux
hasard, en sauva un grand nombre. Lorsque, après la mort de
Lies, on procéda à l'inventaire de ses biens fort modestes, le
notaire ouvrit un secrétaire où dormaient de nombreux papiers.
— D'abord, dit-il, mettons de côté toutes les choses inutiles.
Une corbeille fut vite remplie". Qu'en faire?
— Mais.ce n'est bon qu'à brûler!...
Et on allait livrer tout cela au feu, quand une petite fille s'écria :
— Je ne veux pas, moi ! Les lettres de l'oncle Joseph... Je les
garderai.
Elle les garda, mais que pouvait-elle en faire? Les années se
passèrent et^ un beau jour, on descendit, pour moi, la corbeille
du grenier. C'est d'elle que j'ai tiré les jolies choses que je
publierai bientôt.
Lies avait un respect très grand pour sa mère. A la mort de
celle-ci, il garda, avec un soin pieux, tout ce que l'excellente
femn^ avait conservé des lettres de ses enfants. Par un bonheur
inattendu, tout le voyage de l'artiste, en France, en Italie et en
Suisse est complet. * - .
Ces lellres n'indiquent aucune préoccupation de la part de
l'artiste; elles doivent rester dans le cercle de la famille. C'est
seulement pour les siens qu'il parle. Ce qu'il faisait au foyer
maternel, il continule à le faire en voyage, lui dont le talent de
conteur était si remarquable. Nul ne disait mieux que lui ; il
savait, d'un rien, faire quelque chose. La question la plus ardue,
il la présentait sous une forme aussi facile qu'ingénieuse ; Fhis-
torieite la plus gaie, il la disait avec une finesse et une joie con-
tenue qui arrachaient le rire et les larmes à ceux qui l'enlendaienl.
Lies ne connaissait la trivialité en rien ; il ne supportait pas faci-
lement un propos risqué et il s'éloignait silencieusement de ceux
qui parlaient de choses grossières. Ses amis les plus intimes
comptaient parmi les hommes les plus distingués et les plus
instruits : avocats, médecins, savants, professeurs, magistrats ou
fonctionnaires du gouvernement.
A part quelques intimes, il recherchait peu les artistes. Bien
avec tous, il ne les fréquentait que là où le devoir l'appelait,
principalement au Cercle artistique, dont il s'occupa huit années.
avec un zèle et un tact merveilleux. Lies savait qu'en général
l'artiste travaille peu à son éducation seconde, à son instruction
spéciale, à son perfectionnement moral. L'artiste se croit trop un
être privilégié et cette persuasion semble le dispenser de toute
culture propre à grandir son moi. C'est à cette prétention qu'il
faut attribuer la décadence de l'art. Dans les pays où le goût est
plus développé et'où les études faites amènent les artistes à des
conceptions en rapport avec l'élévation de leur pensée, on
reinarque, par exemple, que sous la force du coloris, il y a un
dessin parfaitement en harmonie avec la valeur artistique du
peintre. Là, au contraire, où la pensée est moins châtiée, moins
habile, moins agissante, moins éclairée, moins armée de connais-
sances premières qui font l'homme de goût, de tact et de distinc-
tion, le coloris l'emporte sur le dessin, parce que l'artiste con-
centre son attention sur la couleur au lieu de faire servir celle-ci
h la composition, à la sincérité, à la Yorce réelle et intime de son
œuvre.
Les Flamands d'aujourd'hui consentent trop volontiers à n'être
que des coloristes; les grands Flamands, nos maîtres (VautrefoiSy
comme l'a si bien dit Fromentin, étaient aussi bons dessinateurs
que coloristes distingués. . -
Emile Lefèvre.
\La fin prochainenietit.)
yHÉyVTF(E DE LA ^ONNAIE
La Favorite '
Le ténor de traduction, Emile Engei, engagé récemment par
M. Verdhurf, s'est présenté au public, mercredi, dans le rôle de
Fernand de la Favorite.
Il a complètement réussi. ,
La voix, faible au début, peu à peu s'est affermie, développée,
assouplie, se dévoilant enfin, |)ure et belle, aux auditeurs enthou-
siasmés. On a prodigué les applaudissements et les rappels à
l'heureux déhutant, qui, bien loin de subir l'inévitable émotion,
se donnait tout entier, « s'emballait », et parfois, même, n'évitait
point des cris intempestifs.
Disons que l'acteur est beaucoup moins guindé que la plupart
de ses congénères ; il n'est point de ces ténors à accroche-cœurs
et gestes en rond; il a la virilité élégante et sans rudesse, et un
jeu souvent chaleureux. M. Engel a eu comme acteur, aux
deuxième et troisième actes, de très bons mouvements : le chan-
teur, lui, était accepté, dès son premier air.
Que le nouvel admis choisisse avec discernement ses rôles —
créations ou reprises — en conformité avec le caractère de sa
' voix relativement peu étendue et de force plutôt moyenne, et
voici tout un genre d'œuvres à mi-chemin de l'opéra comique et
du grand opéra assuré d'exécution aussi parfaite que l'opéra
comique, ressuscité, peut-on dire, à Bruxelles grâce au talent de
ses interprètes. Nous souhaitons plutôt des créations que des
reprises, en entendant par créations des reprises d'opéras de
Mozart, par exemple, ou de Grétry, ou de Weber, et le délaisse-
ment prochain d'un répertoire non point de vieilles choses mais
qui nous paraît « perruque » cl « pompier. »
Souhaitons aussi le relèvement définitif du grand opéra, dont
M. Villarel nous a représenlé les respectables traditions. Souhai-
tons enfio^une marche en avant — elle ne peut être différée —
vers cet art de Vavenir qui est bien celui du présent, malgré quel-
Â,
qiies sifflets imbéciles. Prenez garde, M. Verdhiirl, de mécon-
Icnler tout le monde en cherchant à ménager toutes les sensibi-
lités; assez de l'art factice, sans vie ancienne et sans vie future :
atiaquez-voiis résolument au drame lyrique, non pas pour ce
peu rémunérateur orgueil de faire de l'art pour l'art, mais pour
financer, — car, hélas, un directeur de théâtre est forcément un
commerçant. Nous sommes persuadés que de fructueuses recettes
récompenseraient une pareille tentative; une inconsciente fatigue
paralyse les applaudissements du public : réveillez-le par
l'influence de Part nouveau.
' Voici donc M. Engel admis, et à l'unanimité. Un débutant, s'il
réussit, accapare tous applaudissements. Mais là sincérité critique
nous oblige à applaudir tous les participants h cette représen-
tation de la Favorite, dont se félicite le directeur. Le talent dra-
matique deM"'" Monialba a pu se dévoiler jîomplètement dans la
dernière scène, où malgré le ridicule de la réalisation musicale,
on sent quelque chose passer sous les notes ; la cantatrice s'est
trouvée un peu gênée dans un rôle très en dehors de sa voix.
Quant à M. Bérardi, il est peut-être trop unitonalement sonore.
Les chœurs, très exercés et 1res bien conduits, ont sauvé avec
adresse le fameux «avec son déshonneur » très malheureuse-
ment corrigé par M. Dupont; Laissez lui donc son rythme, à ce
« qu'il reste seul ». Il est stupide, il est idiot, mais amusant,
mais de l'époque.
Quelques corrections h la mise en scène sont indispensables,
dès aujourd'hui, en attendant nne réforme complète : il y a
là au troisième acte des moines — des moineleltes plutôt — en
souliers de baJ, bràcekîts au poignet; et pourquoi les « premiers
sujels » ont-ils des frocs du « bon faiseur », et tous les autres,
des frocs assez semblables comme coupe à ces uniformes de
pioupions que l'on fabrique par masses dans les prisons?
<![az;ette de ]4oi-J-andi:
Amsterdam, 20 novembre 1885.
Le souffle d'intransigeance qui anime les groupes d'artistes
et de littérateurs dans tous les pays, commence depuis quelques
années k pénétrer aussi en Hollande. Peu à peu, lentement, mais
sûrement, les jeunes commencent à se faire une place.
Ainsi vient de paraître le premier numéro d'une revue nou-
velle. De Nieuwe Gids, rédigée cniièrement par des jeunes gens
dont le but est de créer un organe propagateur des idées en rup-
ture avec les conventions vieillies. Nous souhaitons à ce premier
ne un succès durable. Vient de paraître aussi un volume de nou-
velles îi tendances franchement naturalistes, signé du pseudo-
nyme Cooplandt.
De même, l'Exposition annuelle de la Société Arii et Amitia
s'épure petit à petit ; c'est que les jeunes artistes sont parvenus
à pénétrer dans le jury. Ce qui était une collection de médio-
crités où l'on trouvait avec peine, perdues dans les frises,
quelques rares toiles de valeur, est absolument transformé.
Les œuvres des impressionniste^ y nom que l'on donne ici à
tous les peintres qui sortent de la routine, sont beaucoup plus
nombreuses qu'autrefois et généralement bien placées. Parmi les
exceptions se trouvent malheureusement les tableaux de Toorop;
une Vue de la Tamise^ pleine de vie et de mouvement, est
suspendue dans le voisinage immmédiat du plafond.
A la rampe : des Josef Maris, Willem Maris, Mesdag, Mauve,
de Bock, Blommers, Ter Meulen, Daniel et Pierre Oyens, Offer-
mans.
Neuhuys est représenté par deux toiles fort belles, dont l'une, un
portrait d'enfants, est une merveille de distinction; Breitner, par
une œuvre d'un coloris puissant. Jan van Espen attire l'attention.
Son Lion, aquarelle de grand formai, est d'un travail vraiment
remarquable. Jan Velh expose un portrait très vivant, d'une belle
facture. A citer encore : de bons paysages de Basterl, de Gabriel,
de Tholen, Un Berger de Witsen, un portrait très distingué de
H. Vos. Enfin, les envois de Wijsmuller, de Poggenbeek, de
Mil® Moes, et l'exhibition très intéressante du Club d'aqua'
(artistes, un début dont nous aurons l'occasion de reparler,
lorsque son premier album d'eaux-forlcs aura vu le jour.
Etant à Amsterdam, disons quelques mots du Rijksmuseum
du fameux musée dont on parle de plus en plus, la première
impression de stupeur passée.
Immédiatement après l'ouverture, nous n'avons pas osé nous
prononcer, ne nous fiant pas à nos impressions premières, très
vives, mais peut-être superficielles.
Des promenades recueillies ont confirmé notre première opi-
nion à l'égard de ce bâtiment bûtard, sorte d'Eden -Théâtre à
escaliers et couloirs de monastère byzantin, ressemblant à beau-
coup de choses, sauf à un musée.
Navrant spectacle que celui de ces millions dépensés, du tra-
vail énorme accompli par une pareille erreur!
Il est inconleslable que dans rornementation, dans l'architec-
ture, il y a des morceaux de mérite, de grand mérite môme ;
que sur les deux ou trois cents salles, il en est d'excellentes, par
exemple les petites, qui sont éclairées de côté par une immense
baie d'atelier et où les Terburg, les Paul Potter, les Kalf du Trip-
penhuis apparaissent plus rayonnants que jamais ; que les
tristes toiles dos Pienemah et de la pauvre école de 1830 sont
dans une salle tout k fait excellente comme jour; que la salle de
la Collection van der Hoop permet de jouir des merveilles
qu'elle contient comme jamais on n'avait pu le faire auparavant.
C'est indéniable. Mais les Rembrandt, /« Ronde de Nuit et les
Syndics, pour lesquels on a voulu faire une salle spéciale, de
grand luxe, un sanctuaire (excellente idée), sont absolument
détruits par l'éclairage de cave, les fonds d'une couleur fausse,
la mosaïque blanchâtre du parquet, les ors neufs et criards qui
détonnent, aigres, autour de ces chefs-d'œuvre de couleur et de
lumière.
La Ronde de Nuit semble creuse et jaune; le parquet, plus
éclairé que la toile, est plus clair que les lumières du tableau et
se reflète dans les ombres. Si bien que Ch. Waltner, de la Gazette
des Beaux-Arts, n'a pu retrouver certaines figures qu'il avait
vues dans les fonds du tableau au Trippenhuis, et qu'il a repro-
duites dans son eau-forte !
Les Syndics, c'est à peine si on s'arrête en passant pour les
contempler! On a placé, pour comble de malheur, contre le
cadre, un divan jus de groseille sur lequel s'assoient les prome-
neurs harassés, épongeant leur crânes qui luisent, étrangement
crus, devant la toile sonore du peintre.
Sur cette salle entièrement manquée s'ouvre une autre salle
longue, espèce de vestibule, garni de petits cabinets tout k fait
particuliers grâce aux portières de peluche qui en ferment pres-
que l'entrée et empêchent tout recul, lequel est d'ailleurs rendu
impossible par leur exiguïté. Ici aussi les tableaux ne reçoiven.
qu'un jour furlif, hypocrite. Le Repas des Arquebusiers de van
der Helsl est réduil à une bonne oléographie.
Quel coup de balai il faudra pour arracher toutes ces fripe-
ries, pour salir toutes ces petites taches persillées, jaunâtres,
rosâtres, verdiltres, dorées, qui attirent les regards ; pour
simplifier les peintures des murs qui représentent, par place, des
briques plus ijrandes que nature {peintes comme sur les décors
de théâtre), et auxquels sont appendues d'autres portières de
peluche !
Oh! ce style de tapissier^ cet amalgame de niaiseries gothi-
ques, de luxe de mauvais lieu, de tout, sauf de goût !
On dit que l'orage gronde, que les artistes, blessés dans leur
religion suprême, pousseront un cri. Sera-t-il écouté? Il faut l'es-
pérer, car placer des tableaux tels que ceux d'Amsterdam d'une
manière aussi honteuse, est un blasphème.
Nous avons entendu des artistes, des plus grands, dire que
c'était à en pleurer, et qu'ils ne remettraient plus les pieds dans
cet édifice, tant que Rembrandt y serait profané de la sorte.
CORRESPONDANCE MUSICALE DE PARIS
Les nouvelles de la semaine se bornent à une opérette de
MM. Burani et llumberl, musique de M. Messager, représentée
aux Folies-Dramatiques. L'ouvrage a nom : la Fauvette du
Temple-, temple, par évocation du grand marché au brocantage
situé au 3® arrondissement de notre bonne ville de Paris, fauvette,
pour désigner une jeune fille douée d'une voix ravissante. Au
reste, le temple et la fauvette y sont pour peu, et ce qui domine
dans la pièce ce sont les coups de fusil avec les Bédouins, en
nous reportant au moment de la conquête de l'Algérie. C'est donc
presque une œuvre militaire que nous avons là et qui fera suite
à la Fille du Tambour-Major, le centième ouvrage de feu Otfen-
bach.
Il faut croire que la pièce de MM. Burani et Humbert était fort
peu valide puisque on la soignait encore, deux heures avant le
lever du rideau; on venait de l'amputer, de la recoudre et de
tâcher de la mettre sur ses pieds tant bien que mal. A vrai dire,
nous sommes si habitués au décousu de ces sortes d'ouvrages
que nous n'y avons pas pris garde ici plus qu'ailleurs, et puis, je
vous l'ai dit, les coups de fusil sont là pour servir de dénoue-
ment à tout ce qu'on veut, et à défaut d'intérêt la pièce a du
mouvement.
Le musicien, M. Messager, est un des brillants élèves de l'école
Niedermeyer, qui ne devrait produire que des organistes. Aussi,
dès sa sortie, M. Messager, s'est-il mis à écrire des ballets pour
les Folies-Bergère, se rappelant parfois ses études sérieuses au
contact de MM. Sainl-Sacns, Fauré, d'Indy, Camille Benoît, Cha-
brier, dont il est le condisciple à la Société nationale de musique.
Mais depuis quelque temps il n'y faisait plus que de courtes appa-
ritions, tout occupé d'écrire de la musique de rapport. C'est
ainsi que nous lui devons François les Bas-Bleus, des airs de
ballet i)Our le Petit Poucet, la Fauvette du Temple d'aujourd'hui,
et la Béarnaise de demain aux Bouffes, puis, pour couronner
l'éilifice, le futur ballet des Deux Pigeons à l'Opéra, niveau au-
dessous duquel il ne descendra plus dans la suite, nous osons
l'espérer. M. Messager n'en est pas aux expédients pour vivre,
c'est donc uniquement pour se faire la main, pour se créer un
nom, pour se caler, même par un succès de musiquette, qu'il a
doté le monde musical d'une opérette de plus. Tant pis pour lui
et pour nous, car ce n'est pas son fort.
La musique de M. Messager est fine, soignée, rythmée pour
les besoins de la circonstance mais sans originalité, et c'est une
erreur de croire qu'à défaut de théâtre lyrique les compositeurs
y destinés peuvent changer leur fusil d'épaule et viser l'opé-
rellc; il faut un don, un diable au corps, l'entrain des Often-
bach, Hervé et Lecocq, et se sentir vraiment porté vers ce genre
de musique. La plupart de nos eompositeurs se laissent séduire
par la' facilité du genre, et voilà tout: pour d'autres, comme
pourM. Messager, c'est un moyen d'arriver et ils s'y cramponnent.
Aussi ne manquerons-nous jamais d'opérettes; il y a trois
théâtres qui se disputent la clientèle, et quelle consommation ils
font!
M. MQssager va-l-il passer du coup à la renommée? Non,
mais il s'y achemine par le moyen d'œuvres soignées dont il
espère avoir la commande. Quant à la Fauvette à laquelle le
compositeur a donné le jour, comme par dédain, elle pourrait
bien ne s'en pas porter plus mal et faire son nid comme toute
autre, sans rancune pour son auteur.
GUTELLO.
f
ETITE CHROJSfIQUE
M. Franz Rummel, qu'on n'a plus entendu en public à Bruxelles
depuis nombre d'années, viendra prochainement donner à
Bruxelles un concert à la Grande Harmonie. La date de ce con-
cert est fixée au 10 décembre.
L'Union de Jeunes Compositeurs belges, fondée dans le but
de faire connaître les œuvres de jeunes auteurs nationaux, don-
nera cet hiver trois séances musicales, dont une à grand orches-
tre, cliœurs et soli.
Le premier concert aura lieu le jeudi 3 décembre, à 8 heures
précises du soir, dans le local de l'a Grande-Harmonie, rue de la
Madeleine.
Le prix d'abonnement pour les trois séances est de iO francs.
Le prix d'entrée par séance est de \ francs.
On nous annonce de Malines que M. Edgard Tinel organise
dans cette ville, j)Our le 29 novembre, un grand concert, aVec le
concours de M"e FI. Baeck, soprano; de MM. Lucien Tonnelier,
pianiste ; E. Van Hoof, baryton et L. Van Hoof, ténor, du Chœur
de Dames, des sociétés l'Aurore et S. Grégoire, etc. Le pro-
gramme est composé d'œuvres du jeune maître, entre autres : la
cantate Klokke Roeland, les Marialiederen, la ballade DrieRid-
ders, etc. On peut se procurer des caries d'entrée, aux prix de
3 fr., 2 fr., et i fr., chez MM. Laenen-Verhulst, Mélane 1,
Paul Rvckmans, Chaussée 58, et Aucr. Schevvaerts, avocat,
Grand'Place, 26.
Le concert de M. Heuschling, que nous avons annoncé déjà,
est fixé au samedi 42 décembre. Il aura lieu à la salle Marugg,
15, rue du Bois-Sauvage, à 8 1/2 heures, et le programme en est
extrêmement attrayant. L'excellent baryton interprétera entre
autres : le Pauvre Pierre, trois lieder très peu connus de
Schumann; le Poème d^ Amour, d'Auguste Dupont, poésie de
Lucien Solvay; des mélodies de Biz t, de Gounod et de nos
auteurs : Radoux, Huberti, Michotle, Deppe, Woulers, etc. Le
prix des places est de 5 francs.
Les journaux de Verviers constatent le succès obtenu par la
conaSdie de M. Edmond Duesberg, Décoré! une spirituelle satire,
dirigée contre les monomanes du ruban, et par conséquent
une pièce totile d'actualité.
Une nouvelle revue jeune, La Gerbe, petite revue artistique,
littéraire et scientifique, paraissant le l*^''et le lodochaque mois,
vient d'éclore à Paris. Son progranmie est résumé en ces lignes :
Donner à de jeunes auteurs un moyen de produire leurs écrits,
leurs pensées, et partant, de les soumettre à la critique publi-
que. Rappeler au souvenir les hommes, écrivains et artistes, dont
le nom tombe en un oubli immérité. Rendre un juste hommage
aux œuvres modernes et contemporaines. Enfin tenir ses lecteurs
au courant des faits récents qui honorent et les lettres et les arts
cl les sciences.
380
UART MODERNE
CINQUIÈME ANNÉE
L'ART MODERNE s'est acquis par l'autorité et l'indépendance de sa critique, par la variété de ses
informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune manifestation ' de l'Art ne
lui est étrangère : il s'occupe de littérature, de peinture, de sculpture, de gravure, de musique,
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouvement artistique belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur tous les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaître.
Chaque livraison de L'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'actualité. Les expositions, les livres nouveaicx, les
premières représentations d'œuvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires, les concerts^ les
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, Cinquième année. — N° 48.
-. Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 29 Novembre 1885.
L'ART
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l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
^OMMAIRE
Comment on dirige un théâtre. Première lettre. — Joseph Lies.
Deuxième article. — Chronique littéraire. Le journal d'un officier
tnctl(/ré lui, par Tlieo-Critt; Péché mortel, par André Theuriet;
Rosa Mystica, par Stanislas de Guaita. — Les théâtres. Théâtre
de rAlcazar. La Guerre joyeuse ; Théâtre Molière. PiccoUno et les
Danicheff. — Concert au Conservatoire. — Correspondance musi-
cale DE Paris. — Bibliographie musicale. — Petite chronique.
COJUIEKT ON DIRIGE UN THEATRE.
Première lettre.
A Monsieur le Directeur de l'Art moderne.
Est-il possible de fixer les règles d'après lesquelles
doit être dirigé un théâtre lyrique comme celui de la
Monnaie à Bruxelles. Voilà, mon cher Directeur, la
question que vous m'avez fait l'honneur de me poser
en me flattant par ma qualité de très ancien amateur
de musique et de très vieil abonné de notre Opéra.
Cette consultation, vous la jugez opportune, dites-vous,
en présence des opinions contradictoires qu'on énonce
dans les journaux de la capitale depuis que la direc-
tion Verdhurt a remplacé la direction Stoumon et Cala-
brési, chacun formulant ses éloges ou ses critiques,
donnant ses avis, exprimant ses craintes ou ses espé-
rances. Vous trouvez, non sans raison, qu'il est difficile
de se reconnaître au milieu de ce tohu-bohu plus com-
pliqué qu'une discussion parlementaire ; vous supposez
qu'il y a là beaucoup de jugements téméraires; vous
vous demandez s'il n'existe pas des considérations
pratiques, inaperçues des profanes, de nature à résoudre
le problème, simplement et péremptoirement.
Vous ne vous trompez pas.
A ma qualité extérieure d'amateur et d'abonné, j'en
ai joint une autre, plus discrète : celle de commandi-
taire. J'ai eu, dès lors, bien légitimement, je pense, des
préoccupations qui allaient au delà, ou plutôt au des-
sous des questions artistiques et qui m'ont permis de
voir l'envers des cartes, ou, si vous préférez, le derrière
des décors. C'est là, en réalité, que gite le lièvre, et je
vais essayer de vous dire en peu de mots, et débonnai-
rement, tout ce que j'en sais. Quelques bonnes vérités
seraient de nature, d'après vous, à clarifier singulière-
ment les opinions à cet égard, à rendre les uns moins
enthousiastes et les autres moins acerbes, à inspirer à
chacun un sentiment moyen, qui serait la sagesse et
l'équité. Voilà un beau rêve que je crois téméraire en
unÊ. matière où je n'^^i jamais vu régner que le parti
pris et récervellement. Mais je ne suis pas ennemi des
illusions. J'en eus beaucoup en mon temps, et j'en ai
ressenti trop de jouissance pour ne pas les respecter
très attentivement chez mon prochain. Qu'il soit donc
fait selon vos désirs et allons-y.
A mon avis la dominante d'une exploitation scénique
comme celle du théâtre de la Monnaie, est qu'il n'y a
dans une agglomération comme Bruxelles, qu'un
certain capital, presque fixe, qui chaque saison passe
par les guichets, et par conséquent un certain nombre
de personnes, presque toujours le même, qui ressen-
/
382
LART MODERNE
tent l'envie, dans une proportion presque toujours
identique, d aller écouter le grand opéra ou Topéra-
pomique. Les fluctuations de ce triple élément aux
facteurs splidaires sont très faibles. Il subit des en
avant et des en arrière, mais peu marqués. Il y a certes
une augmentation d'année en année, mais peu sensible
en général, d'un exercice à l'autre, et qui dérive de
l'accroissement de la population ou de la richesse
générale.
Notez bien ce point de départ. Il est typique et d'une
importance prépondérante au point de vue d'une bonne
direction : j'entends par là une direction qui, établis-
sant un équilibre entre ses recettes et ses dépenses,
donne î\ son exploitation cette stabilité qui finit par
avoir toujours raison de l'humeur du public. J'y attache
une telle vertu administrative que je voudrais que l'au-
torité cdmmiïuale, à qui appartient la surintendance
du théâtre, et à son défaut l'exploitant qui a un su-
prême intérêt à ce que ses actes soient jugés en pleine
connaissance de cause et avec impartialité, publiât
une statistique embrassant les faits depuis une vingtaine
d'années et mettant en regard l'évolution des chiffres.
Rien ne serait plus instructif et plus convainquant
que d'avoir à ce sujet des tableaux schématiques
comme notre compatriote le professeur Hector Denis
a pris l'habitude d'en produire dans les cours publics
qu'il donne sur l'économie politique. Quelle bonne
idée ce serait que de lui confier cette mission qui tient
à l'un de nos intérêts très respectables, celui du plaisir
par l'art le plus populaire et le plus éducateur qui soit.
En vain les directions ont-elles essayé de modifier
cette quasi-fixité dans les recettes en multipliant les
attractions, en améliorant la troupe, en engageant des
étoiles, en doublant, en triplant les nouveautés, en
augmentant le prix des places. La masse résiste, reste
c^ qu'elle est, se meut de la même façon, et comme
une terre qui a atteint le maximum de sa production,
malgré tous les engrais, malgré tous les artifices d'une
culture savante, donne à peu de chose près le même
rendement.
Exemples, qui eux aussi pourraient être résumés en
tableaux par un statisticien. Appelle-t-on la Patti,
l'Albani en représentations extraordinaires où le prix
des entrées est haussé : huit jours avant et huit jours
après les recettes baissent et le niveau se rétablit.
Monte-t-on une pièce nouvelle, y a-t-il un opéra qui a
la vogue, la série des mauvais lendemains (terme con-
sacré) s'ouvre : hier salle comble, recette d'environ
5,000 francs sans l'abonnement, de 6,000 francs les
jours d'abonnement suspendu; aujourd'hui des vides
partout et quelques centaines de francs.
Le public verse à ce sujet dans les plus étranges
erreurs. Comme la plupart des gens, eût dit M. de la
Palisse, ne sont dans la salle que les jours où il y a
foule, ils s'imaginent, dans les périodes de vogue, que
les affaires de la direction sont magnifiques et difï<èrent
sensiblement de celles faites durant les années calmes.
A qui fera-t-on accroire qu Hch^odiacle qui a eu, si je
ne me trompe, cinquante représentations, n'a pas mar-
qué une année plus fructueuse que celle où a été joué
le Méphisto de Boïtô, qui a été faiblement accueilli ? Eh
bien, au fond, les deux années se valurent, et je crois
même que celle du Méphisto a rapporté davantage.
N'est-ce pas curieux? -
La direction Verdhurt, contrainte par le mauvais
vouloir qui s'est déchaîné au moment où elle a obtenu
la concession contre toute attente de ceux qui s'imagi-
naient, bien à tort, que seuls les imprésarios de pro-
fession sont capables d'administrer un théâtre, a engagé
une troupe d'opéra-comique de premier ordre et comme
de mémoire d'abonné on n'en avait plus entendu. Il
s'agissait, en effet, de vaincre les résistances par une
telle manifestation de bon vouloir et d'égards pour les
dillettanti, que les plus revêches dussent se rendre. Et
comme durant les premières semaines, la troupe de
grand opéra avait subi des échecs retentissants, la nou-
velle administration a pu croire que le public se
rabattrait sur l'opéra-comique et que celui-ci ferait les
grandes recettes.
Mais ici s'est manifesté un phénomène qu'un vieil
abonné comme moi, puis-je le dire sans forfanterie,
avait prévu et a prédit à qui voulait l'entendre dans les
causeries aux fauteuils d'orchestre ou dans les couloirs.
L'opéra-comique n'a jamais fait recette qu'aux pre-
mières représentations. Le public bruxellois n'y croit
pas. Il le considère comme un genre où l'on n'en a pas
pour son argent. C'est un entremets. C'est la petite fête,
et ce qu'il veut, c'est la grande fête! En vain l'on aura
la chanteuse la plus gracieuse, la plus habile, la plus
mélodieuse ; le baryton le plus souple, le plus pénétrant,
le plus distingué. En vain on variera les spectacles jus-
qu'à éreinter les interprètes. Rien n'y fera. C'est le
grand opéra qui sera réclamé, et, si on le néglige, de
gré ou de force les recettes baisseront.
Je me garde bien, remarquez-le, de donner là dessus
mon jugement personnel. Je constate des faits. Ce n'est
pas l'amateur qui parle, expose ses préférences et dicte
des oracles artistiques. C'est tout simplement un bon
bourgeois de Bruxelles, instruit par une expérience qui,
hélas! se traduit par une chevelure très grise, qui
raconte ce qu'il a vu et ce qu'il a appris après avoir
fréquenté ce milieu spécial, dans tous ses recoins, pen-
dant plus d'un quart de siècle, avoir écouté des opéras
sans nombre, assisté au défilé d'une armée de chan-
teurs, respiré des milliers de fois dans notre confortable
salle, vécu avec des abonnés de tous les modèles, fra-
ternisé avec des directions fort diverses, été mêlé à leurs
victoires ou à leurs désastres. Je parlerais sans doute
autrement si l'on me disait : Comment en théorie, et
sans tenir compte de la partie financière, administre-
riez-vous le théâtre? quels genres y feriez-vous jouer?
à quelle musique donneriez-vous la préférence? quels
interprètes engageriez-vous? Mais ceci c'est l'idéal,
nous en reparlerons au paradis si l'on y chante l'opéra.
Nous sommes malheureusement sur terre, dans une
vallée de larmes, ou si vous le voulez, dans la vallée de
la Senne.
Et maintenant par quel chifîi-e se traduit ce phéno-
mène que je viens d'analyser et dont on peut dire que
Ses destins sont régis par des lois invincibles
Que rien ne peut fléchir, et que rien n'attendrit,
ni les largesses des directeurs, ni les eflbrts des artistes,
ni les souhaits des amateurs, ni les louanges ou les
attaques des journaux, pauvres illusionnés qui se
feraient les dispensateurs des succès ou des défaites ?
Les comptabilités sont là, rigoureusement tenues par
un agent que nomme l'administration communale,
fatales et démonstratives. Les recettes du théâtre de la
Monnaie tournent autour de 950,000 francs par an ;
un peu plus, un peu moins, comme les balles d'un tireur
au pistolet autour de la rose centrale. Toute direction,
en prenant le gouvernail (pardonnez ce style véné-
rable) doit se pénétrer de cette réalité inéluctable, et
agir en conséquence.
Le détail en est fort simple, malgré l'apparente com-
plication à laquelle fait croire l'énormité de la machine
et de ses rouages. Subside de la ville 100,000 francs,
— subside de la Cour 100,000, — abonnement 110,000
francs, — bals masqués 40,000 francs, — recette à la
porte 200 représentations à 3,000 francs en moyenne,
000,000 francs. Total, égal à celui indiqué ci-dessus :
050,000 francs. Enlevez-y en certaines années 25,000
francs, ajoutez-y autant en certaines autres, et vous ne
vous tromperez guère sur la marche générale, foi
d'amateur, foi d'abonné, foi de commanditaire.
Ceci posé, nous voici à mi-route. Reste la partie la
moins agréable du chemin, les dépenses. Permettez-moi
de souffler un peu et de remettre la suite au prochain
numéro, à moins que tout cela n'ennuie et vous et vos
lecteurs.
JOSEPH LIES
Dcuorume article ('').
Sur ces ij;raves qiieslioiis, nous connaissons la pensée de Joseph
Lies. Elle est contenue dans une pièce aulhcnti(iue du 4 décembre
1834 sur rélernelle (jueslion anvei'soise, le projet de réorganisa-
tion de r Académie. Voici la fin de ce travail :
« Suftit-il de produire de bons élèves pour justifier l'ancienne
« renommée de notre école el lui faire mériter le beau titre d'L'ni-
1*1 Voy. l'Art modvrnc du 22 courant.
« vcrsilé des arls en Belgi(|ue? Evidemment non. Pour créer des
« artistes complets, de plus grands efforts restent encore à faire,
« et un enseignement plus large doit faire fructifier ces prcmièr^'S
« bases de l'instruction.
« Quand l'élève a surmonté les premières difficultés de l'art,
« quaufl il a acquis assez de force pour suivre sa propre iniagi-
« nation, quand il n'a plus besoin que des conseils de l'expérience
« pour le diriger el contenir ses premiers efforts personnels dans
« les limites du vrai et du beau, alors ce n'est plus la voix d'un
M seul homme qu'il doit entendre, s'il veut développer son origi-
« nalité et acquérir les différentes qualités qui forment la per-
« fection dans l'arl. Il doit, au contraire, pouvoir retremper son
« inspiration aux sources diverses de talent qui ne se rencontrent
« que dans différentes individualités artistiques.
« Aucun genre de beauté ne doit lui rester inconnu ; il faut
« que le dessinateur l'initie à la grâce et à la pureté de la ligne ;
« le coloriste doit lui faire comprendre la magie, la chaleur et
« la poésie insaisissables de la couleur; l'homme de style et de
« sentiment élèvera son esprit et lui apprendra à donner le
« caractère vrai îi l'expression de sa pensée. En un mot, quand
« toutes ces grandes bases du beau dans l'art seront fixées dans
« .son esprit, il pourra librement suivre son inspiration person-
« nelle, car elle ne sera entravée ni par les limites étroites d'un
« système, ni par l'ignorance des nombreuses ressources de
« l'art, qui sont toujours applicables quel que soit le genre qu'il
« adopte. »
Après trente années, la même question est revenue; qui l'a
mieux compri.se que Joseph Lies? Où trouver un but plus élevé et
des moyens pliis pratiques et plus rationnels?
Le brouillon de ce travail conservait une dernière phrase que
l'artiste a impitoyablement biffée, parce qu'elle n'était, suivant
lui, que le développement inutile d'une pensée déjà exprimée. Au
point de vue du talent persorjnel de Lies elle a une importance
très grande et je trouve que tous les peintres feront bien, d'y
prendre la part de sagesse qui leur revient :
« S'il fallait expliquer plus clairement encore, cl donner la
« forme tangible à notre pensée, heureuse, dirions-nous, l'Ecole
« qui pourrait, à la fois, entendre notre grand Rubens enseigner
« la vigueur, la hardiesse et la grandeur de la composition ;
« Raphaël, la noblesse et la pureté du style ; Rembrandt, le
« mystère, l'éclat el la magie de la couleur! »
Lies comprit que ce hors-d'œuvre n'était pas assez général; à
côlé de ces grands maîtres, il voyait d'autres individualités que
nul ne devait oublier. Il est bon de le faire remarquer, afin de
ne diminuer en rien l'espoir que chaque artiste doit avoir en ses
pi«).pres forces, en son génie, en son travail, si, par les moyens
propres à grandir son habileté el à épurer ses goûts, il poursuit
son beau rêve, sa gracieuse chimère, rêve el chimère sans les-
quels la poésie ne vit pas en nous. Réduisez l'artiste au rôle du
travailleur pour qui tout est pénible, vous tuez l'art.
Le temps où nous vivons nous montre cette triste vérité. Le
remède est connu; pour l'appliquer, il ne faut que de la décision
el de la persévérance, car, après avoir puisé la force là où elle
est, il convient de la communiquer à tous ceux qui en ont réel-
lement besoin pour vivre et s'élever.
L'artiste complet n'est point un homme vulgaire. La vulgarité
dos mœurs est aussi nuisible à l'art qu'à la science elle-même. Si
un savant marche de découverte en découverte, parce qu'il réllé-
chit sans cesse à l'objet de ses recherches, un arlisle ne devient
grand qu'à la condilion expresse de faire, de son art, le biil de
loulc sa vie.
Sous ce rapport, Lies est encore un modèle. Ses aspirai ions
les plus chères n'ont qu'un objectif. S'il souffre, c'est parce que
son tableau ne lui donne pas toute satisfaction ou parce qu'il ne
le \;oit pas assez complèiemenl; s'il est joyeux, c'est que le Ira-
vail lui cau.sc un ciMiliantemcnl que le tâcheron ne comprendra
jamais.
Joseph Lies était artiste jusque dans les moindres détails de
la vie. D'une nature sonsiiive, il éprouvait des satisfactions et des
souffrances que le commun des martyrs ne ressent pas. Pour se
consoler d'une injustice h lui faite, il se réfugiait dans la cam-
pagne toujours chère ù son cœur; il y trouvait l'oubli, la paix et
comi)osail alors ces petits tableaux ravissants qui disent sa dis-
tinction et toute son intelligence.
Quand, en 4^59, Alexandre Dumas {*) lui décocha, dans
V Indépendance belge, des traits acérés, l'artiste flamand en fut
réellement malade. Ses amis intimes le comprirent-ils? Il s'ou-
vrit à un seul, parce que celui-là avait deviné juste. Lies se
croyait affaibli dans son génie, diminué dans ses moyens, usé
de toute façon, parce qu'un homme célèbre avait eu le courage
de le lui dire brutalement. L'œuvra attaquée était Les Maux de
la guerre, du Musée de Bruxelles.
11 faut la foi à l'artiste, de môme qu'il faut la bienveillance à la
critique. D'un trait de plume, qui nous semble plaisant, nous
pouvons causer des peines profondes. A quoi bon? Ne pouvons-
nous montrer à l'ariisie qu'il s'égare et rester l'homme habile à
penser juste et à dire avec modération?
. Heureusement Lies ne 'perdit jamais l'espoir de faire mieux
encore. Parti pour l'Italie, à la fin d'octobre 1859, il retrouva son
imagination la plus chaude pour parler de ce pays merveilleux,
saturé de chefs-d'œuvre de toutes sortes et de beautés naturelles
qu'on ne peut comprendre qu'en les voyant, tant la lumière qui
les enveloppe leur est nécessaire.
Ce fut son dernier bonheur. La maladie qui devait l'enlever
quatre ans plus lard avait déjà occasionné des ravages contre
lesquels l'art médical ne pouvait rien.
L'artiste se remit au travail et cerlaines de ses dernières
œuvres offrent un grand intérêt pour ceux qui connaissent sa
carrière. Le jour même de sa mort, il travailla encore. J'ai vu,
ces jours-ci, à Lille, le portrait inachevé do son ami Ch. Wil-
molle,. qui a eu le bon esprit de ne j)as le faire terminer. Les
mains ne sont qu'esquissées, mais le visage, sans être du meil-
leur Lies, a des qualités excejlentes.
Le dernier paysage achevé est Le Soir, dont M. Keppenne,
notaire à Liège, prit livraison sept jours avant le décès de l'ar-
tiste. Cette œuvre est d'une mélancolie profonde.
Espérons que, quelque jour, il nous sera donné de voir exposée
la plus grande partie des œuvres de Lies; cela est nécessaire,
parce que le peintre est trop incomplètement connu pour être
exactement apprécié. En attendant je n'aurai pas travaillé en
vain, si j'ai réussi à montrer que l'artiste était doublé d'un
homme de bien dans toute la force de l'expression et d'un
homme aimable.
Emile Lêfèvre.
(*) Est-ce bien Dumas? Les articles portaient au pied ce nom, mais la tra-
dition veut q^iiJs soient d'une autre personnalité artistique.
Chronique jlittéraire
Le journal d'un offlcier malgré lui, par Tiieo-Critt. —
Paris, Ollendorf.
C'est d'un style vif que Theo-Crilt a noté le Journal d'un
officier malgré lui. Le livre est amusant, il se laisse aimer comme
une bonne tille joyeuse et insouciante, qui verse son rire à qui le
veut, comme lés cantinières servent des tournées dans les ca-
sernes.
Exiger de grandes préoccupations d'art!
M. Theo-Critt confesse dès le début que son ami Jacques
Balcy — roftîcier malgré lui — son ami intime, le seul sur
lequel il puisse compter en toute circonstance, lui-même enfin
« a voulu rire un brin sans avoir la prétention de graver sur l'ai-
rain une œuvre pouvant servir à l'édification de ses descen-
dants. » ;
El celle déclaration, main sur le cœur, faite, il enfourche son
histoire, et, hop! hop! d'un bout du roman à l'autre,. elle trotte
et sonne du sabot sur la grand'route des chapitres. Nous voici
à Saumur, puis à Paris, puis à Versailles, puis en Normandie.
Oh ! les bonnes scènes'd'inspection générale et d'astiquage, et
de revue, et d'écurie, et de prison, et d'hôpilal, et de cantine, et de
boxe, et de bâton, et de caserne! Toute la vie de garnison est dé-
crite avec ses farces et ses ennuis, ses mélancolies et ses joies,
ses heures de pluie dans le cœur et de soleil. Mais l'entrain do-
mine. Somme toute, Jacques Baley a tort de ne point s'accom-
moder de runifôrmë et de ne point le porter allègrement jus-
qu'au bout. Le journal, d'un officier est une notation habillée de
bonne humeur. C'est l'existence prise du bon côté.
Il y a eu, paraît-il, un épilogue au Journal d'un officier malgré
lui. Dans un certain monde quelqu'un s'est reconnu. On parle
d'un général. Et les querelles et les duels out coupé de coups
d'épée et de gifïles cerlaines pages qui ne demandaient, elles,
pour être tranchées que le vulgaire coupe-papier.
Péché mortel, par André Theuriet. — Paris, Lemerre.
M. Déglise, industriel, vit à La Lineuse, bourgeoisement, en
pantoufles au coin du feu. 11 a une femme qui vit comme lui,
bourgeoisement, à La Lineuse, au coin du feu. Ils n'ont pas
d'enfants. Calme entier.
Un malin M. Déglise reçoit de M. Lobligeois une lettre deman-
dant que M. Déglise veuille bien prendre chez lui et instruire
M. Paul Lobligeois fils, qui a fait des frasques à Paris et doit être
mis au vert... « dans l'industrie » ajoute M. Lobligeois père.
M. Lobligeois fils arrive à La Lineuse et on devine ce qui va
se passer.
Faut-il continuer l'histoire?
M. Déglise est inoffensif et bête; M"i^ Déglise est jolie et'
M. Paul Lobligeois n'est pas mal; ces' deux derniers s'aiment. Le
roman, c'est donc là chute de M""^ Marthe Déglise. Certes y a-l-il
des stations comme pour ces ballots qui descendent des com-
bles d'un entrepôt et sont marqués et arrêtés à chaque étage.
« L'irréparable » n'a lieu que vers la fin, et M"'« Déglise en
meurt.
Ni l'invention ni l'audace ne sont le fait de M. André Theuriet.
Péché mortel est un livre courant, de valeur telle quelle, ni bon
ni mauvais, d'un intérêt moyen et d'une lilléralure douce. On y
s
VART MODERNE
385
rencontre : « Loin d'être jaloux de celle influence croissante,
M. Déglise abandonnait d'autant plus volontiers les rênes du
gouvernement, que l'initiative de sa femme lui permettait de se
livrer sans remords, etc.. » Ce spécimen de style tendrail à ran-
c;er M. Theuriel parmi les scribes de faits divers, si, heureuse-
ment, telle description de forêt en soleil et en rosée ne le main-
tenait au bon rang, parmi les artistes de plume. Toutefois est-il
dangereux de se livrer k de tels exercices de vulgarité, n'importe
pourquoi.
L'œuvre de M. Theuriel s'allonge de six en six mois avec une
régularité bureaucratique. Se perfectionne-t-elle?
11 serait audacieux de le soutenir. Pour nous les derniers
volumes : Eusèbe Lombard, Tante Aurélie et Péché mortel
n'égalent point Le Mariage de Gérard, Raymonde el surtout
Jl/"« Guignon.
tels-et tels génies, suivie, à la déroLéo, d'irrespectueuses chique-
naudes sur certains nez de réputations surfaites. Les chiquenaudes
sont plus curieuses que les prestations de serment.
Rosa Mystica, par Stanislas de Guaita.
L'auteur rime :
Paris, Lemerre.
Stace-Apul«ë, et toi, Ghèvrepied-Martial,
Poètes décadents! Notre chant filial
Doit vibrer jusqu'à vous, dos ancêtres de Rome,
Jusqu'à toi, Glaudien I A toi, Juvénal, homme
Dont la colère a fait flamboyer sur César
Le formidable arrêt,- terreur de Balthazar!
Glorifions vos noms illustres, ô nos maîtres!
. Eh bien ! non, malgré sa profession de foi en style de cantate,
M. de Guaita n'est pas décadent et l'on peut immédiatement lui
appliquer l'axiome qu'il détache dans sa préface « le droit le
plus imprescriptible de l'homme est celui de se contredire ».
M. de Guaita est l'ami des poètes verlainiens; il leur dédie des
sonnets et des strophes; il les comprend et s'efforce de les imiter
peut-être. Mais son présent livre n'est point de l'école qu'il adopte.
M. de Guaita ne possède ni le clair obscur, ni la ténuité des
sentiments; son art n'est point un art de suggestion, il est d'ex-
pression;' il n'enveloppe point de phrases un symbole, il peint et
sculpte pour peindre et sculpter. Son rythme, c'est le ryihme
ancien ; ses mots ont toujours une signification extérieure. Musi-
cale, sa phrase ne l'est que par hasard et rien n'évoque des
au delà subtils à l'horizon de ses poèmes.
Certes, Iraiie-t-il des sujets mystiques, mais sa religiosité est
plastique. C'est le même sentiment religieux qui lui fait chanter
Endymion et Diane, après avoir célébré la Vierge et Jésus-Christ.
M. Stanislas de Guaita est un faux décadent. Un vrai admet-
trait-il que Verlaine fûl fumiste et dirait-il en parlant du poète
Haraucourt : 11 ne pense pas que « modernisme » veuille dire
évaporation de la pensée, massacre de la langue, et, en définitive,
mystification du lecteur : nous aurions assez mauvaise grâce à
soutenir qu'il a tort?
Cela ne semble-l-il point scandaleusement s'adresser aux amis
de M. de Guaita?
En nous attachant à montrer la vraie couleur du poète de Rosa
Mystica, nous n'avons d'autre souci que de signaler combrcn —
une nouvelle école littéraire se levant — certains poètes sont
enclins à sauter — sans colère — hors de leur peau pour en
vêtir une nouvelle el à brûler en eux le vieil homme, celui que
la nature y avait mis, tout prestement, par mode ou par dilcllan-
lisme.
Au surplus, M. de Guaita est habile rimcur, il connaît ses
auteurs si bien qu'il les classe cl les juge en critique. La préface
de son présent volume est une prestation de serment de fidélité à
h
^Ef> THEATRE^
Théâtre de l'Alcazar. — La Guerre joyeuse.
Il n'y a pas bien longtemps, c'étaient, sans aucune exc^îption,
les marmitons parisiens qui alimentaient les gamelles où le
public apaise son appétit de musique « pas savante » et de gau-
driolante littérature. Ofïenbach, le grand chef, mort vu \^\e\n
coup de feu, une armée do marmilonnets, tourne-broche, gûte-
sauce est venue le remplacer. Et tout ce petit monde s'est mis à
gratter soigneusement le fond des casseroles que le maître-queue
n'avait pas eu le temps de vider, à rincer les bouteilles dont il
s'était servi, à vérifier les batardelles où il avait fait mijoter ses
confitures. Les restes ont servi, pendant quelques années, ^ con-
fectionner un menu présentcjble.
Quand tout a été mangé et bu, il a' fallu trouver autre chose cl
l'on a goûté la cuisine viennoise. On l'a déclarée moins poivrée que
l'autre, mais plus saine. Et c'est elle qui a en ce moment la faveur.
L'accueil fait à la deuxième producliori du genre, la Guerre
joyeuse, de Strauss, l'a prouvé. C'a été un triomphe, une apo-
théose de l'opérette, un enlhousiasmelel que l'Alcazar n'en avait
plus vu depuis les mémorables soirées de la direction Humbert.
Mais aussi, ce nom de Johann Strauss sur l'afTiche, c'est tout
une évocation d'enlaçantes valses, de rythmes irrésistiblement
entraînants, de s^'àx^yizzicati. Nos amis les Tziganes en ont, à la
pointe de l'archet, popularisé les motifs. El la valse surtout, qui
plane sur la partition et dont les ailes caressent tous les person-
nages de la pièce, combien de nations elle a déjà réjouies de son
vol!
L'auditoire, dès le premier soir, s'est senti sous le charme de
celle musique souriante, point banale, finement écrite par un
compositeur passé maîlre dans l'art léger el sautillant de l'opé-
rette. Il ne lui a ménagé ni les bravos, ni les his el eût volon-
tiers, malgré sa longueur, redemandé toute la partition. Voici
Strauss, dont la Reine Indigo, jouée dans des conditions d'exé-
cution peu favorables, n'avait eu qu'un demi succès, aussi popu-
laire à Bruxelles que Franz de Suppé et Charles Millôcki r. Nul
doule que, le succès de la G tienne joyeuse épuisé, — ce ne sera
pas, il est vrai, de sitôt — nous entendions à Bruxelles le Baron
Tzigane, el aussi toute la série d.es autres œuvres récentes de
l'écgle de Vienne, r Aumônier du camp, la Pentecôte à Florence,
Gasparone, etc.
Le cadre.très coquet dans lequel est présentée l'opérette a,
dans une bonne mesure, contribué au succès. Et aussi l'inlelli-
genle adaptation qu'en a faite M. Maurice Kufferath, travail diffi-
cile et ardu, le livret, emprunté à une vieille pièce de Scribe,
étant assez confus et singulièrement compliqué pour ^e prêter
aux fantaisies d'une partition d'opérette.
Tout le monde ira voir la Guerre joyeuse. El tout le monde,
après l'avoir vue, lira avec plaisir la partition élégante qu'on a
publiée la maison Cranz. Nous croyons donc inutile d'entrer dans
de plus longs détails et nous nous bornons à féliciter les inter-
prètes, M'"«* Cordier et Buire, MM. Lary el Thierry, de la bonne
volonté et du talent qu'ils ont déployés pour que celle Guerre
joyeuse se icrminût, en faveur du théâtre, par un bulletin de vic-
toire.
Théàtrç Molière. Piccolino et les Danicheff.
Nous préférons la Demande en mariage, piécette qui sert de
lever de rideau — mais les papas et les mamans ne seront point
de cet avis puisque, dans la comédie de M. Sardou, il y a toute
une partie patriarcale où des pasteurs protcslanls font une leçon
aux enfants et où des bambins — la chemise passant par la fente
du pantalon — sauleni au cou des mères avec des bouquets
de fête k la main. Si la scène a du succès! Diable! il faudrait
être bien endurci et mauvais cœur pour ne point adorer tant de
senlimeatalilduet d'émotion faciles. D'autant que peu après,
des bohénûs^ôauAIttrgor apparaissent et font rire tout ce qui
à Ixeiles se^Sdomme oul'\îst digne de se nommer Durand, Dubois
et BarbciTiuche.
Piccolino sera toujours une opportune reprise et la direction
du Théâtre Molière le comprend. La troupe est de reste excel-
lente pour jouer, au gré du public, lotit un répertoire aimable et
honnête, fait de solides ficelles qui forment filet et amènent
bonne recette, chaque soir.
Les Danicliejf ont succédé à Piccolino. La haute comédie —
haute, pour M. Dumas fils et ses admirateurs — a jeté bas les
farces et les bonhommeries du mélodrame.
Nous voici en pleine Russie : le pope de la pièce a une barbe
blanche — cinq degrés sous zéro ! •
JP Le premier acte est froid, mais, dès le deuxième, Taclion s'af-
firme dans une scène décisive entre la princesse de Danichefi'et
son fils. Le troisième acte fait baisser la température. Le qua-
trième est dramatique et le dénouement est inattendu. On dit que
M. Dumas a remanié la pièce do M. Newsky, la pointillanl de
mots d'esprit et de paradoxes aigus. On prétend même que
c'est à ce remaniement que les Daniche/f' (\o\\Qnl leur succès.
Pour nous, M. Dumas n'a réussi qu'à gâter la pièce. Là où se
reconnaît sa main de resemcleur des bottes d'aulrui, immédiato-
' ment, les longueurs, les conversations inutiles, les fugues et les
virtuosités apparaissent. Certes, la première scène du deuxième
acte vient de lui ; certes, le troisième acte lui doit son ennui.
Ob! rétcrnelle dissertation fastidieuse, oh! l'inévitable tirade,
oh! la préoccupation insecouable du colifichet spirituel et facé-
tieux. Les mots de M. Dumas fils sont h l'action nourrie et forte
d'un drame ce que serait un bonbon servi en même temps qu'un
roastbeaf substantiel et saignant. On ne doit pas les goûter sur
la même assiette.
j^ONCZRT AU Pop^^ERVATOlRE
MM. Dumon, Guidé, Mcrckx, Ncuman, Poncelet cl de Greef,
professeurs au Conservatoire, ont formé une association ayant
pour but l'interprétation d'œuvres classiques et modernes, spé-
cialement composées pour instruments à vent et piano. A cet
effet, quatre séances sont données annuellement, pendant la
saison des concerts, dans la grande salle du Conservatoire.
Voici la troisième année que ces messieurs initient le public Ix
tout un répertoire que l'on a peu souvent l'occasion d'entendre et
qui mieux que la musique de chambre, soit quatuor seul, soit
quatuor accompagné de piano, résiste à l'atmosphère des grandes
salles et d'un nombreux public, grâce aux pleines sonorités des
instruments qui concourent à rinlerprêter.
Quand donc se décidera-t-on h confornier l'exécution de la
musique de chambre à son titre : si elle ne reste intime, ne perd- ^
elle point tout son caracière?
Nous nous souvenons avec regret de ces jolies séances que
donnait le quatuor A. L. B. K. en des ateliers d'artistes, chez
Sacré, chez Vanderstap|)en, devant un petit cercle attentif d'au-
diteurs tout en comnmnion avec leurs dévoués efforts et cette
même compréhension de l'art qui relie si indissolublement audi-
teurs et exécutants.
Au Conservatoire, la petite salle, qui sert aux répétitions pour
les grand et petit quatuors, est très défectueuse, tant au point de
vu3 de la sonorité qu'au point de vue de l'aérage : malgré la
fixité d'attention que l'on donne aux artistes, peu à peu l'assou-
pissement arrive et la somnolence.
Il en fut ainsi, samedi dernier, à la répétition de la séance du
lendemain, et la gêne fut encore accrue par les fréquentes hési-
tations des exécutants.
La première séance de la saison 1883-86 donnée dimanche der-
nier par l'association des professeurs n'a pas eu autant de succès
que les précédentes et cela à cause du programme, car l'exécu-
tion, au concert, est restée correcte, bien fondue, et exempte
de ce parfum grêle que l'on respire au Conservatoire ; recom-
mandons pourtant à M. de Greef un peu de discrétion et moins
d'éffoïsme.
Une seule œuvre intéressante : un Quintette de Herzogenberg,
dont V Allegretto est bien développé et spirituellement; le reste,
disons-le franchement, était médiocre : une Aubade de Barthe;
une Romance de Saint-Saëns et une Berceuse de Doppler, très
bien jouées par M. Dumon ; mais d'une banalité! enfin, la grande
sérénade en mi bémol .de Mozart, œuvre sans caractère et sans
vie.
Espérons une meilleure composition de programme pour la
prochaine séance et applaudissons ces artistes pour leurs conscien-
cieux efforts.
CORRESPONDANCE MUSICALE DE PARIS
Grande atfluence aux concerts du Ghâlelet, où l'on a entendu
jlIiHe Durand Ulbach dans la Capiive de Berlioz, et dans un air de
Samson et Dalila de Saint-Saens. En général, le public aime le
chant et c'est avec plaisir qu'il voit les cordes vocales de tel ou
tel chanteur venir faire diversion avec les cordes de messieurs les
symphonistes. Je ne serais pas d'avis qu'on en profitât pour nous
servir les Rameaux de M. Faure ou les mélodies de M. Gounod,
mais, mênie en dehors des classiques, on peui aisément trouver
des morceaux (jui s'imposent par l'élévation de l'idée.
Aux concerts Lamoureux on nous a présenté des fragments de
k Gwendolijie (le M. Cliabrier, dont vous aurez bientôt la totalité
au théâtre de la Monnaie. Si l'ensemble est aussi hardi que ce
que nous avons entendu, cela donnera diablement à réfléchir! Je
no connais pas de plus grand oseur que M. Chabrier. Les disso-
nances, les frottements arides, les mouvements contraires s'éloi-
gnanl à perte de vue en nous faisant grincer les dents, voilà le
bonheur de M. Chabrier, et parfois cela est beau. Dès le lever du
rideau M. Chabrier . commencera k oser et continuera jusqu'à
minuit. Quel effet peut bien produire un ouvrage où l'on a osé
tout le temps? Vous nous le direz, Messieurs.
Du Cid je ne veux rien vous dire encore, si ce n'est qu'on a tort
de trop parler d'un ouvrage qu'on ne connaît pas. La soirée du
UART MODERNE
387
Figaro csl condamnable on tous points cl ceux qui ont voulu pro-
nostiquer ont été trop loin. Mais voilà, M. Masscncl, avide de
réclame, a voulu risquer un petit combat d'avant-garde dans
lequel il a été battu et si, nous critiques, nous allons demander
contre c<9/)èms un exemplaire de la partition du Cid \x M. Hart-
mann, ami et éditeur de Masscnet, afin d'étudier l'œuvre îi l'avance
et de nous la mettre en tête, on nous le refuse de crainte que
nous ne déflorions l'ouvrage! 0 logique!
La deuxième partition de M. Messnger, la Béarnaise^ qu'on
devait représenter aux Douffes, vient d être remise à huitaine et
cela pour une cnuse grave : à la ré[)étilion générale, M'"'' Ugalde
et les auteurs ont déclaré la prima-dona insuffisante et ont décidé
(!e pourvoir à son remplacement. C'est roide! D'autant i)lus que
cela s'adresse î» la gentille M''** Sarah Tillon (dont le nom est déjà
sur la partition), une jolie blonde, remarquée aux concours du
Conservatoire, où elle brillait par l'intelligence du jeu et l'élégance
de la tournure. La voix était un peu sèche, mais dans l'opé-
rette.... Que faut-il donc à M'"*^ Ugalde?
GUTELLO.
D'autre part on nous écrit que le ténor Van Dyck a eu,
dimanche, un succès considérable au concert Lamoureux. Peu
familiarisé avec les dimensions de la salle de l'Eden, où il chan-
tait pour la première fois, il a quelque peu forcé la sonorité de
sa voix dans le premier air qu'il a fait entendre Telemacco de
Gluck. Son second air, les Adieux de Lohengrin au Cygne a été
chanté en pleine connaissance de l'effet à obtenir. C'est dire que
la superbe voix du jeune ténor a excellemment rendu la plainte
toucliante du chevalier mystérieux. On ne lui a pas ménagé les
applaudissements.
!piBLIOQR/PHIE MUSICALE
Les éditeurs Schott frères ont mis en vente, celle semaine,
trois partitions nouvelles. '
C'est d'abord la partition pour chant et piano de La Vnlkyrie
avec la version française de 3L Victor Wilder. Le traducteur a
admirablement compris le caractère héroïque de l'œuvre. lia
triomphé des difilicu tés presque insurmontables de sa lâche avec
une aisance qui lui assure la reconnaissante sympathie de tous les
musiciens, et en particulier de tous les admirateurs de Wagner.
Voici, enfin, l'œuvre prête à être représentée sur les scènes fran-
çaises.
Souhaitons que le théâtre de la Monnaie, qui a eu la gloire
d'avoir fait connaître les Maiires-Chanteurs, soit le premier qui
mette à l'élude La Valkyric. Il ne faut pas être prophète pour
prédire au drame de Wagner un succès certain el général.
La partition, dont le lexlc musical a élé réduit pour le piano
par M. U. Kleinmichel, forme un beau volume de 300 pagvs. Elle
est mise en vente au prix de 20 francs.
En même temps que la Valkyrie a paru le Capitaine N'oiTy
opéra en quatre actes de Joseph Mertens, dont les journaux
allemands ont constaté le récent succès à Hambourg. L'œuvre est
dédiée à M. Lé:)pold du Waal, bourgmestre d'Anvers. Elle est
élégamment gravé y, sur papier fort, et les paroles allemandes
sont imprimées sous le texte français. Le prix est de 15 francs.
La troisième partition parue est un Te Deum pour chœur,
orchestre el orgue, de M. François Riga.
Le composilcur jouit en Belgique d'une grande notoriété. Il
s'est spécialement consacré aux ch(eurs j)our concours orphéo-
ni()ucs ou plus généralement aux chœurs non accompagnés d'or-
cheslre. La Chanson des Vagues, les Esprits de la Nuit, le
Tournoi, entre autres, réalisent un but de vulgarisation musi-
cale, sans, que l'art y soit trop délaissé pour un banal succès.
L'idéal de M. Riga, certes, n'est point le plus haut; mais
qu'importe, si la fierté artiste reste sauve?
Il a été moins bien inspiré, semble-t-il, dans sa nouvelle com-
position, voulant sortir — c'est louable — d'un genre factice et
trop assimilable aux médiocres. H ne sufifit point d'intituler unrî
œuvre 7'^ De//m, pour qu'elle soit religieuse. L'Art contempo-
rain n'a jusqu'ici produit qu'une œuvre de pure religion, c'est le
Parsifal de Wagner ; ces si nombreuses messes. Te Deum, ora-
torios à sujets bibliques ou mystiques, malgré leur litre' et leur
but ne sont point œuvres religieuses. Mais Gounod? Certain cri-
tique, un jour, le dénommait : le Révérend Père Tralala.
N'est-ce point très joli, et louché? Laissons cotte réputation de
religiosité, pas même mondaine, que l'on fait à l'auteur de Faust.
Ce qui nous manque, à nous modernes, c'est cette pure naïveté
ou celle sauvagerie prophétique des maîtres de l'art religieux.
Bref, M. Riga n'a pas su donner à son œuvre le sentiment
essentiel de religiosité. Et, ce but manqué, les procédés de réali-
sation ne sont pas très heureusement mis en œuvre". L'orchestre
est faible, quand aujourd'hui tout musicien doit au moins savoir
manier l'orchestration, fût-ce pour ne rien exprimer. Le compo-
siteur ne reste lui que dans les chœurs, qui sont écrits avec une
parfaite entente des moyens vocaux développés avec talent et
bien conduits vers Vin œternum final.
pETITE CHROJVIIQUE
La représentation annuelle de bienfaisance, donnée par le
Cercle littéraire et musical, au bénéfice de la Crèche école gar-
dienne d'Ixelles, aura lieu au théâtre royal du Parc, le jeudi
10 décembre prochain.
Le programme sera composé d'un lever de rideau du réper-
toire et de la deuxième représenlation du dernier grand succès
parisien : EAge ingrat, comédie en 3 actes, de M. Paillcron.
On peut se procurer des places chez le président du cercle, rue
du Prince-Roval, 13, où un bureau de location et de renseigne-
menls est ouvert à partir de ce jour.
VENTE D'UN GAGE
LetiotaireDE Ruydt, à ce commis, procédera le 14 décembre 18S5,
à deux heures très précises, dans la Galerie Saint-Luc, 12, rue des
Finances, à Bruxelles, et avec l'assistance de M. Jules de Br.vuwerk.
expert, à la vente publique d'un gage comprenant les quatre tableaux
dont la désignation suit :
1. Intérieur zëlandais : Quand elle chantait, par Adolf Dillens.
(Toile, h. 99 cent. 1. 133 cent ).
2. Paysage avec grand nombre de petites figures, par B.-C. Koek-
koek. (Toile, h. 55 cent. 1. 73 cent.). î
3. Paysage avec personnages : Le départ du conscrit, par Charles
De Groux. (Toile, h 69 cent. 1. 79 cent.).
4. Paysage en hiver, attribué à Koekkoek. (Toile, h. 48 cent.
1. 60 cent.).
Ces tableaux seront exposés publiquement dans la susdite galerie,
le 13 décembre, de onze à cinq heures. — Au comptant avec
augmentation de 10 p. c. pour frais.
'■<. ^^J^:'i>^'^^W^K-' fi^^'
388
U ART MODERNE
iL^'jiŒtrr
BI^IsT
CINQUIÈME ANNEE
i
L'ART MODERNE s'est acquis par l'autorité et l'indépendance de sa critique, par la variété de ses
informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune manifestation de l'Art no
lui est étrangère : il s'occupe de littérature, de peinture, de sculpture, de gravure, de musique,
d'architecture, etc. Consacré principalernent au mouvement artistique belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur toUS les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaître.
Chaque livraison de L'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'actualité. Les ex'positions, les livres nouveaux, les
premières représentations d'œuvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires, les concerts, les-
ventés dhlyets^dartj font tous les. dimanches l'objet de chroniques détaillées.
Xâl£Bitv IfiS^ÉlpRNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. Il rend compte des
procès MS" plus" Intéressants concernant les Arts, plaides devant les tribunaux belges et étrangers. Les
artistes trouvent toutes les semaines dans son Mémento la nomenclature complète des expositions et
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~ Le NUMERO : 25 CENTIMES.
Dimanche 0 Décembre 1885.
L'ART
MODERNE
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REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTBRA'ÉaÈ
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Adresser les demandes d'abonnement et toutes les comynunications à
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OMMAIRE
Comment on dirige un théâtre. Deuxième lettre. — Les Concu-
bins. — Théâtre royal de Liège. Direction Verellen. — Opéra de
Paris. Le Çid. - Conférences. — Union des .ieunes compositeurs
belges. Première séance. — • Chronique judiciaire des arts. Les
clichés de photographie ; Les faussaires artistiques. — Mémento
DES expositions ET CONCOURS. — PETITE CHRONIQUE.
COMMENT ON DIRIGE UN THÉÂTRE.
Deuxième lettre ('^).
A Monsieur le Directeur de l'Art moderne.
Je vous ai promis de parler aujourd'hui des dépenses.
Voyons.
' Ici également il y a fixité pour certains chapitres.
L'orchestre, les chœurs, le corps de ballet, le personnel
administratif, le petit personnel, les affiches, le chauf-
fage, l'éclairage, les impôts, les frais des bals, etc., pro-
voquent les mêmes sorties de caisse avec une régularité
qui réjouira tout comptable digne de sa profession. Bon
an, mal an, cela oscille à droite, à gauche de 60,000
francs par mois, soit pour huit mois 500,000 francs en
chiffres ronds.
Mais viennent les articles variables au gré de l'habi-
leté de la direction ou des caprices des artistes.
Il y a d'abord les créations. L'autorité communale
impose, si mes souvenirs ne me trompent, six actes
{*) Voir notre dernier numéro.
nouveaux tout montés en décors et mise en-scène. Elle
ne stipule pas de coût maximum ou minimum. Or, la
dépense est susceptible des plus grands écarts. Si(jurd
a' dit-on, coûté une cinquantaine de mille francs, il y a
deux ans. La saison dernière, les Maîtres-CItanteurs
et Ohéron n'en ont, paraît-il, exigé qu'environ vingt-cinq
mille. Influence de cet écart considérable, sur l'ensemble
des recettes, nulle ou à peu près, comme je l'écrivais
la semaine dernière. De telle sorte qu'on peut poser eu
axiome que, lorsqu'un directeur monte un ouvrage qui
lui coûte cher, il travaille pour le compositeur et jamais
pour lui-même et que, dès lors (on va m'appeler
cynique), il fera bien de ne choisir que les pièces les
moins onéreuses. Pas d'espoir de se rattraper par un
concours plus grand du public. Sacrifices stériles,
efforts absolument superflus.
Je Uvre ces réflexions à messieurs les journalistes
qui voudraient qu'abandonnant les œuvres toutes
montées, en magasins, du répertoire, on donnât sans
cesse du nouveau. Ont-ils jamais pensé, ces farouches
Aristarqùes, dont quel((ues-uns m'assure-t-on, étaient
hier encore, ou sont encore aujourd'hui sur les bancs
universitaires, aux modestes observations tirées des
nécessités les plus élémentaires du Doit et de l'Avoir
que je me permets de soumettre à mes concitoyens?
Savent-ils que, même pour reprendre une de ces vieil-
leries qui les horripilent, il y a une dépense inévitable
à appliquer au retapage des costumes et du reste?
Ont-ils réfléchi que le public, malgré toutes les aga-
ceries, se maintient, morose et rigide, dans la limite de
sa fréquentation liabjtuelle, n'ajoutant que peu ou prou
h son budget théâtral ?
II y a ensuite les engagements d'artistes. C'est non
pas la plus' grosse aflaire, mais la plus délicate. Elle l'a
surtout été cette aiinée après la panique que les malin-
tentionnés ont avec beaucoup de légèreté, car ils com-
promettaient leur plaisir futur, déchaîné parmi les
chanteurs de l'an dernier. Je me souviens de l'affole-
ment qui régnait dans les coulisses, et aussi dans les
salons d'artistes où les barbons, comme moi, sont admis
en compagnie des plus jeunes, qui flirtent alors que nous
observons. Les rumeurs, les potins, les insanités, voire
les calomnies qui se répandirent demeureront légen-
daires. Conséquence : envolée générale, dédain et
délaissement systématiques à l'égard de la direction
Terdhurt; nécessité pour celle-ci de quitter la partie
et de courir les agences d'engagement et les scènes
étrangères afin de recruter la troupe.
Il y avait dans le personnel d'alors beaucoup de rem-
plissage. On avait peut-être abusé un peu trop de la
bienveillance du public pour une administration qu'il
aimait parce qu'il y était habitué, au moins autant
que pour ce qu'elle avait fait durant dix années
paisibles. Des non valeurs notoires bouchaient les trous,
et l'on était indulgent pour elles. Cependant en parti-
culier on pestait fort, Mais quand on est accoutumé à
de vieux chevaux, souvent on préfère les garder, con-
naissant leur fort et leur faible, plutôt que de risquer
les hasards d'un maquignonnage nouveau.
Plus d'une de ces utilités tolérées eût souhaité être
reprise par la direction nouvelle, mais c'était impos-
sible. Car tel chanteur ou telle chanteuse qu'on enten-
,dait depuis plusieurs années sous le couvert de la tolé-
rance à laquelle la salle s'était assouplie, eût fait
scandale, j'ose l'affirmer, et déterminé la chute de
M.Verdhurt s'il les avait produits en croyant naïvement
que ce qu'on admettait depuis si longtemps chez ceux
il qui il succédait, serait également admis pour lui.
Donc, table rase, nettoyage complet. Départ écla-
tant des artistes, en très petit nombre, qui avaient
une valeur sérieuse. Départ forcé du résidu. Et,
nécessité redoutable, obligation d'arriver avec une
troupe dont chaque élément serait jjcrsona grata pour
un public frondeur, mécontent, grognonnant, excité,
ameuté. ' *
M. Verdhurt a fait, à cet égard, les plus louables
efforts, de jour en jour on le reconnaît davantage. Il
donne à l'heure actuelle, aux Bruxellois, une double
troupe, successivement épurée, très supérieure à celles
des saisons antérieures. Jusqu'au ballet, qui a enfin
cette première danseuse de haut mérite, qu'on atten-
dait, qu'on réclamait toujours, qui toujours devait
arriver et qu'on n'a jamais vue. Divers journaux
qui, plus accessibles à l'équité que leurs confrères.
défendent résolument la direction, ont mis en paral-
lèle emploi par emploi, le passé et le présent : fran-
chement en comparant chacun des noms, il n'est pas
d'esprit impartial qui ne doive avouer que. nous avons
mieux, beaucoup mieux.
Certes, nous regretterons toujours M"»® Rose Caron.
Mais c'était le seul sujet irremplaçable (nous aVons
l'habitude de ce néologisme aux fauteuils d'orchestre).
Tôt ou tard elle devait nous quitter. Sa place était
marquée à Paris. Elle ne se cachait guère de n'être à
Bruxelles qu'un oiseau de passage. Si elle fût restée un
hiver de plus, son départ eût été pour la saison pro-
chaine. Trêve d'exagération donc sous ce rapport.
MM. Ritt et Gaillard nous l'ont' soufflée pour avoir le
droit de congédier M"" Krauss qui leur coûtait 12,000
francs par mois, alors qu'ils ont M"*^ Caron pour
8,000 francs. M. Verdhurt lui en oflrait 5,000. Elle a
préféré nous quitter; C'était dans la fatalité. Tant pis
et n'en parlons plus.
La troupe nouvelle est, dit-on, plus coûteuse que
l'ancienne, et il se pourrait que les sacrifices faits pour
la recruter amenassent cette année un certain déficit, que
les commanditaires.de M. Verdhurt auront à combler.
Je répète que je fus commanditaire et je n'étonnerai
personne en disant que je sais que cela arrive. Mais
c'est difficile à éviter en de pareils débuts quand il
faut à tout prix amadouer l'ogre devant lequel on
comparaît. L'a-t-on . prévu ? C'est dans toutes les
vraisemblances, mais cela importe peu dès qu'on est en
mesure d'y faire face.
Seulement, à l'avenir? Eh bien, pour l'avenir aussi,
laissez-moi vous exposer mes idées. La conduite à tenir
est toute tracée. Il ne faut , pas que les dépenses
dépassent les recettes. L'axiome est bête d'évidence,
mais il apparaît comme conseil sérieux dès qu'on admet
que les recettes ne sauraient franchir les chiffres que je
posais dans ma lettre précédente. A l'actif 950,000 fr. ;
d'autre part des dépenses obligatoires de 500,000 fr.
Restent 450,000 francs pour la troupe, les cachets,
les créations, les droits d'auteur et le bénéfice dont on
ne peut prétendre priver ceux qui se consacrent à une
pareille affaire, très lourde, très fertile en ennuis, en
tracasseries, en éventualités redoutables puisqu'on y
risque la faillite et le discrédit. Déduisons 00,000 francs
pour les quatre derniers articles, ce qui est d'une modé-
ration qu'on pourrait taxer d'excessive, et il reste pour
la troupe 360,000 francs, soit 45,000 par mois, puisqu'il
ne s'agit jamais que des huit mois durant lesquels le
théâtre est ouvert.
Oui, 45,000 francs, c'est tout ce qu'on peut faire.
Dès qu'on va au delà, le danger du déficit apparaît.
C'est fatal comme la ruine pour les fortunes fixes dont
on mange plus que les revenus.
Ici, encore, je prie MM. les journalistes, de rentrer
en eux-mêmes et de perdre une fois pour toutes cette
opinion qu'un directeur peut dépenser ce qu'il veut,
sous le prétexte que s'il a des sujets hors ligne et très
coûteux, ses recettes vont compenser le surcroît de
dépenses. Non. La réalité contraint un directeur à se
maintenir dans certaines bornes. S'il en sort, il croule,
et l'on rentre dans la série des exploitations finissant
en plein hiver par une débandade, au grand détriment
du public. Il ne faut donc pas crier sans cesse : Nous
voulons un fort ténor, et un bon! Nous voulons un
contralto, et tout ce qu'il y a de mieux ! Il faut voir
jusqu'où vont les dépenses faites et se demander si l'on
peut les dépasser d'après les prévisions raisonnables,
dictées par le passé.
Certaines directions, les vieilles, les expérimentées
(car toutes commencent dans ce domaine financier par
quelques écoles) ont compris cela admirablement.
Aussi ont-elles sacrifié l'opéra-comique, en amusant le
public par toutes sortes de promesses destinées à ne
pas être tenues, et les abonnés par des cajoleries.
Azed, de V Indépendance, a très bien dépeint, l'an der-
nier, ce t^pe du directeur futé, adroit, bonasse en appa-
rence, caressant, qui a toujours l'air de consulter tout le
monde et qui n'en fait c[u'à sa tète, dont on croit qu'il
s'épuise en efforts pour compléter sa troupe et qui, au
fond, est résolu à toujours y laisser des vides. Je n'ose
pas conseiller à M. Verdliurt d'imiter cette très remar-
quable tactique, mais je la signale aux amateurs grin-
cheuxqu'elle enfariné si bien. A côté d'un opéra-comique
allant cahin-caha, il faut avoir un grand opéra qui va
bon train. Et pour aller bon train, point n'est indispen-
sable d'avoir tous chanteurs d'élite. L'ordonnance à
suivre est aisée à formuler : tâchez de vous procurer un,
deux ou trois artistes, représentant les deux sexes,
ayant cette séduction particulière qui en fera des favo-
ris Qu'on les vante partout, non seulement pour leur
art, mais pour leur personne; qu*on les reçoive un peu
dans le monde; qu'on leur prête, à tort, quelques aven-
tures; qu'ils deviennent des personnalités romanesques
qu'on se montre quand elles passent ; que les journaux
en parlent avec une admiration grave; qu'ils aient
leurs fanatiques. Au bout de quelque temps, il suffira
qu'ils jouent, même avec le plus piteux entourage, pour
qu'ils fassent recette. Le théâtre marche alors sur
eux, et ce sont eux seuls qui assurent l'encaissement
des 950,000 francs fatidiques. A Bruxelles, cela ne
manque jamais.
Tout le reste n'est que du remplissage ! Et quel trou
le jour oii ils s'en vont!
Assurément les gens raisonnables diront que mieux
vaut un bon ensemble. Que l'art y gagne et que c'est
plus digne. Le bon ensemble, c'est ce que cherche la
direction actuelle. Mais voyez comme on lui en sait gré.
Il y a des gens qui regimbent. Ils geignent, ils débla-
1
tèrent. Cest que le tavori et surtout la favorite
manque, celle ou celui dont trois cents badauds ou
badaudes rêvent en même temps, qui fait l'objet des
insomnies de tout un monde de gommeux, d'étudiants,
de femmes hystériques et de pensionnaires, à qui on
envoie des déclarations et des bouquets. Cet oiseau rare
déniché, le mauvais charme est rompu, et tout va
comme par magie. Partout ailleurs on peut sabrer,
liarder, économiser.
Je n'ai pas fini, cher Monsieur, quoique je sois au
bout de l'espace que vous m'octroyez. Puis-je conti-
nuer ? Si oui, je vous parlerai dans une troisième
lettre, des charges nouvelles qui pèsent cette année sur
le théâtre, par le fait de notre Conseil communal, et
de quelques autres points.
JaE^ j]]!oNCUBIN3
A travers son œuvre cnlier ce que Camille Lemonnier a
étudié surtout, ce sont les terrions et les campagnes. L'évolution
de son grand talent de romancier.s'esl déroulée depuis les Contes
wallons et flamands jusqu'aux quatre nouvelles des Concubins,
prenant départ à la bonhomie et à la tendresse et aboutissant à
la force et à la brutalité; Vignettes au début ; cau)^-fort'js aujour-
d'hui.
Celle évolution est logique, quand on est doué du tempérament
coloriste et matériel de l'auteur. Ceux qui voient plus par les
yeux que par le rêve aboulisscnt toujours k la réalité et à l'exac-
titude; ils s'égarent quelquefois à leurs débuts, mais sitôt qu'ils
se sentent en possession d'eux-mêmes et qu'ils se sont conquis,
ils serrent de près la vie et font de la vérité implacable et
farouche.
Camille Lemonnier, plus il avance, plus il justifie cctte^loi. Il y
a beau temps que les paysans à la Madou et les paysannes à la
Ferdinand De Braekeleer, il y a belle lurelte que les diminutifs
Riekje, Trintje et Bloemenije, ne le tentent plus. Son art a laissé
là les coiillons, et les souliers plais, et les cornettes, et le
voici qui marche en sabots et en blouse, superbement, dans
les vrais horizons des glèbes. Il prodigue les noirs et les rouges
où jadis il appliquait les couleurs tendres, et telles de ses pages
onl je ne sais quelle exagération de tons sombres qui les fait sou-
dainement sinistrés.
JLes Concubins sont écrits ou plutôt burinés. Ils donnent titre
au volume entier, qui se compose, en surplus, de la Glèbe, le
Pèlerinage 'Cl les Pidoux et les Colasse. i
La première nouvelle est un drame conjugal, la deuxième une
lulte du serf avec la glèbe, la troisième une aventure de pèle-
rinage, la quatrième une querelle de voisins à voisins.
Donc, études sur le ménage, sur le travail, sur la religion et
sur les relations ou plulôt les haines rustiques, c'est-h-dire sur la
vie totale des campagnes belges.
Le livre dont les Concubins se rapprochent le plus, d'oir ils
sortent, c'est le Mort. Mêmes ûprelés, mêmes rudesses, mêmes
audaces accentuées. Vivant au village, dans un coude à coude
journalier avec les gens de fermes, Camille Lemonnier les peut
scruter, s'empreindre de la même atmosphère qu'eux, les in 1er-
r
302
UART MODERNE
-i L.
rogor, los confesser on plutôt les aleviner, l.es confesser n'(?l;iril
pas eliosc possible. Il les voit passer sous ses yeux (luaiul ii éerit,
tel détail lui est loiinii à l'inslanl même où il parle d'eux, tel autre
dans une conversation^ du matin ou du soir. Il vil ses livres.
Interrogez-le, il avouera (pie les Pidoux et les Colasse habitent,
là-bas, siir le p'ateau, (pie l'habitation des Colasse se voit de
chez lui, (iiio le Forgeu et Lise sont morts l'an dernier, que telle
aventure est survenue vingt mètres plus loin, au détour de tel
cliemin, et (pie tel fait, loin d'cître une exagération, est mitigé,
puiscpi'il s'est passé tel jour ainsi. Cet ainsi cache d'ordinaire un
trait si épouvantable et si grossier (pie l'écrivain a dû, bon gré
mal gré, le chûirer pour l'introduire dans son livre.
Car, d'apr(>s l'auteur, le |)aysan moderne est énorme de vice.
L'animal ne sommeille en lui (pr;ï de tr(»s rares heures; il
n'y fait (pie des siestes, il est fatalement sale, mesrjuin, têtu,
brute et féroce. C'est grâce li C(^s défauts (pi'il a du carac-
t("'re et nous aimon^^ (pi'on nous le montre tel, dans une vision
d'art, ([ui grandit. Z^c.v Concuhiiis ne paraîtront outrés et volon-
tairement outrageants au goût et à l'odorat, (pi'à ceux qui veu-
lent (juc tout soit habillé de mensonge et qui ont le nez trop
(h'iicat pour sentir les rudes odeurs des fermes et des cassines. Il
sutlil d'être unejieure ù la campagne pour s'apercevoir que l'eau
de Lubin y est inconnue et (jue, pour être vrai, il faut bien parler
de celle qui la nMTiplace et en parler fré(piemmeut.
L'analyse de Camille Lemonniera des pointes de violence que
nulle encore n'avait atteinte, elle n'a peur de rien, sachant que
seuls les pleutres ou les hypocrites la traiteront de cyni([ue; elle
est vaillante, car il en faut de la témérité, pour affronter de si
éclatante manière les pn^jugés et les modes. Dardée comme un
feude réflecteur, elle montre les rustres dans une nuit sinistre,
horrible, effrayante. Elle fixe sa lumière sur leurs instincts les
plus communs, leurs penchants les plus mornes et les plus bru-
taux. Elle les montre vivant de leur vie et non pas d'uniî vie
inventée, et s'il faut mettre, pour éclairer leur bestialité, certaines
crudités en relief, eh bien, les voici. El nous assistons à celle
lutte des Forgeu avec leur terre, lutte de petites gens écrasés et
désesj)érés, lutte acharnée cl terrible, lutte d'avarice et de sor-
dité, lutte tragi(pieel pauvre que l'auteur traite en maître impla-
cable, téméraire et sûr. La Glèbe est, des quatre nouvelles, la
plus poignante et la plus farouche. Pas de d(;clamation, pas
de phrases apitoyantes, pas de rhétorique jalonné^e d'excla-
mations ni rinceaun('e d'interrogations; au contraire, un style
mordant, sec, cru; pas de comparaisons, de recherches onic-
menlales; au contraire, des faits, des faits toujours, aflirmés net-
tement comme des maximes. C'est le style qu'il fallait à ce sujet
rude el simple.
jHÉyVTRE F(OYAL DE JilÉQE
Direction 'Verellen.
11 convient tout d'abord de signaler le soin avec lequel
M. \'erellen a composé ses troupes d'opéra et d'opéra-coniique.
Il ne s'est pas contenté, comme la direction précédente, d'artistes
plus que médiocres et souvent si mauvais, que le public se deman-
dait si on ne se moquait pas de lui. Quoique la ville, qui semble
ne vouloir apporter son concours à aucune entreprise artistique,
refuse tout subside et rende ainsi la tâche d'un directeur conscien-
cieux extrêmement difficile, il s'est trouvé un homme assez hardi
pour oser reprendre la succession de M.Gally qui venait de mener
une campagne désastreuse.
M Verellen a compris que la population liégeoise est très musi-
cienne et qu'il suffisait d'avoir des chanteurs convenables pour
ramener les anciens habitués à son théâtre complètement aban-
donné par eux en ces dernières années.
One chose peu connue et digne cependant d'attirer rattention,
c'est que Liège est la seule ville de Belgique qui ait encore des
airs datant de loin, sortis des classes inférieures et possédant
cette originalité, cette émotion, cette simplicité qui caractérisent
la poésie populaire, nous voulons parler des cramigyions. Il n'en
e^t presque pas de publiés. Ils se perpétuent cependant, car c'est
I ame du peuple. Ceci montre que la musique occupe une place
considérable dans la vie des Liégeois, qu'ils y sont fort sensibles.
Ils le prouvent bien maintenant par l'empressement avec lequel
ils se rendent à l'Opéra. Les petites places surtout sont toujours
occupées. La direction avait calculé juste, et nous pensons qu'elle
n'aura pas à se repentir des frais qu'elle s'est cru obligée
de faire, frais considérables ajoutons-le. Pour en donner une
idée, nous dirons que M. Verhees est payé 500 francs par soirée,
somme très respectable pour un théâtre qui doit vivre exclusive-
ment de ses propres ressources. Le public fait toujours un très
grand succès au premier ténor et le quatrième acte des Hugue-
nots, avec M"»e Ghasserieux, dans le rôle de Valentine, soulève
chaque fois des acclamations prolongées. M"^« Ghasserieux a une
bonne voix, mais malheureusement un physique défectueux :
petite, un peu épaisse, trop de raideur, jouant pourtant avec con-
science et avec des mouvements de passion très sentis.
Le baryton Glaeys mérite une mention toute spéciale. Celui-ci
au moins est véritablement un artiste, on sent chez lui plus qu'un
chanteur possédant une très belle voix et connaissant à fond les
règles du chant. Il se laisse aller à sa nature et semble toujours
pénétré profondément du personnage qu'il joue; il oublie le public
et l'on croirait qu'il chante pour lui seul, on sent constamment en
lui ce feu sacré et cet amour de l'art si rares chez la plupart de ses
camarades. La voix est vibrante et émue, avec cela un réel talent
de comédien et beaucoup de goût dans le costume. On conçoit
que cet ensemble de qualités peu communes nous fasse désirer
que le public lui rende toute la justice qui lui est due; il n'en est
pas ainsi : on n'accorde pas à M. Glaeys la place qu'il mérite
incontestablement d'occuper.
Nous l'avans entendu dernièrement dans là Favorite, qu'il
chantait par complaisance et sans répétitions; il est parvenu à
faire écouter jusqu'au bout, cet opéra vieilli, tant il a mis dans
le rôle d'Alphonse de chaleur et de charme Nous avons pu l'ap-
précier dans d'autres rôles encore et chaque fois nous avons con-
staté une grande distinction et la préoccupation constante de faire
véritablement de l'art.
M'ie Wilhem, chanteuse légère d'opéra-comique qui, après avoir
été fortement discutée, vient de remporter une victoire complète
dans le Barbier de Séville, est une jeune artiste charmante, ne
possédant pas un volume de voix considérable mais une petite
voix travaillée, propre à la vocahse et, en somme, très suffisante
pour son emploi. Elle joue d'une façon intelligente et gracieuse.
II fallait réellement être bien grincheux pour ne pas être satisfait.
Les autres pensionnaires de M. Verellen sont très convenables,
M. Falchicri mérite d'attirer particulièrement l'attention par la
bonhomie et la variété de son jeu.
Si on peut faire l'éloge des chanteurs, il n'en est pas de même
de l'orchestre. Celui-ci laisse énormément à désirer. Il semble
incapable d'exécuter convenablement une nuance et ne cesse de
jouer beaucoup trop fort ;' il faudrait changer cela et on aurait
alors à Liège un ensemble comme on n'en a plus vu depuis long-
temps.
Le Prisonnier du Caucase, dQ César Gui, est à l'étude et passera
bientôt.
^PÉRA DE py^F(I?
LE CID
Il y a pcut-élrc lieu do sV'tonner que noire opc'Ta français ait
tant attendu pour s'emparer d'un sujet qui semblait bien tait
pour son cadre et qu'il ait donné la préférence à Polyeucle, dont
le long martyre ne paraissait pas abonder en situations musi-
cales.
Je sais bien que M. Gounod, épris d'un mysticisme feint ou
réel, avait des litres à la mise en musique de ce Polyeucle, car
c'est dans le même ordre d'idées qu'il a été amené dans la suite
à écrire sa Rédemplion et Mors et Vita qu'on vient d'exécuter
à Londres. Toutefois, par son allure chevaleresque, le Cid devait
inspirer bien des sympathies, et la preuve en est qu'elles se sont
traduites par quatre opéras étiangers, dont nous n'entendrons
jamais parler, il est vrai, mais qui avaient leur raison d'être par
l'héroïsme même du sujet.
Notre intention n'étant pas de faire l'historique de tous les Cid
légendaires, dramatiques où musicaux, j'arrive tout de suite au
Cid transformé en opéra français que nous devons à la plume
d'un compositeur très fêté, M. Wassenet, et à la collaboration de
trois auteurs connus, MM. Dennery, Blau et Gallet.
Tout d'abord, MM. Blau et Gallet avaient collaboré seuls;
puis on leur adjoignit M. Dennery qui, de son côté, avait tracé
un scénario inspiré du chef-d'œuvre de Corneille. Les trois
auteurs fusionnèrent, et c'est ainsi que nous avons un Cid qui com-
mence à Guilhem de Castro, passe par Corneille pour finir aux
librettistes déjù nommés.
La besogne de ces messieurs, facilitée par l'idée première,
devait donc se borner à un arrangement conforme aux besoins
de noire grand 0|)éra en ce qui concerne les développements
scéniques,el je m'empresse de reconnaître que, lelqu'il est, l'ou-
vrage se soutient par un intérêt inévitable, une variété de scènes
et une op[)osition de tableaux bien équilibrés.
. Peut-être a-l-on eu tort de réduire l'action à trois personnages
(Chimône, Rodrigue et don Diégue) en diminuant de beaucoup
le rôle du R^, en supprimant don Sanclie, (pii eût fait un
agréable second ténor, et en réduisant l'Infante à un personnage
encore plus insignifiant que ne l'a fait Corneille,
Mais la faute énorme, immense, l'erreur accablante, ce n'est
pas d'avoir contrefait le texte de Corneille, c'est d'avoir laissé
survivre à cerlains endroits les vers de la tragédie, vers que tout
le monde sait, que tout le monde reconnaît au passage et qui
sont navrants à entendre, habillés de musicpie ! Lorsque de ma
stalle j'ai vu don Diègue courir à son fils, lui chanter « Rodrigue
as-tu du cœur? » et Rodrigue lui vocaliser la réponse que tout
le monde sait, je fus comme anéanti! C'est horrible! horrible!!
horrible!!! — Et il ne s'est trouvé personne pour éviter aux
quatre auteurs une erreur aussi monstrueuse! Mieux valait sup-
primer tout Corneille que de le faire réapparaître dans des
phrases anti-musicales et d'une telle importance! On peut mettre
en musique les stances de forme lyrique, mais M. Massenet ne
devait pas, par respect pour la tradition, mirlilonncr des vers
que ne saurait traduire aucune inspiration musicale.
Les autres citations se trouvant en plein courant musical, elles
ont moins choqué et ont passé dans le flot ; heureusement !
El maintenant M. Massenet était-il bien le musicien qu'il fallait
pour écrire Le Cid? Oui, pour les passages de tendresse, pour
les-jolies choses; non, pour les j)a>S'igos de force et d'héroïsme.
Voilà donc l'opéra divisé en deux parties bien distinctes qui
représentent le fort cl le faible de l'ouvrage.
Aussi l'auditoire s'en donnait-il à cœur joie devant les jolies
cadences, les contours onduleux mis à la mode par Gounod,
phrases écrites dans des tonalités sensuelles avec trémolos à
l'aigu, phrases éparscs dans la partition, et qui ont le seul avantage
de racheter l'inanité de tout ce qui a pu les précéder auprès
d'un public éreinlé qui s'empresse alors de lancer les « braavaa »!
que vous savez.
Au fond, on aurait tort d'en vouloir h ces messieurs, car c'est
en somme dans ce si y le et quand elles sont heureusement déve-
lopp(;e8 que se trouvent les meilleures inspirations d»i compo-
siteur.
Le talent, h; savoir-faire, la technicjue, c'est Ih ce qui éclate
de la façon la plus manifeste dans tout l'ouvrage et ce qui relève
l'idée dès qu'elle faiblit. Comme tendance, je n'en vois aucune, et
si les airs et les duos ne sont pas indiqués dans la forme, on les
retrouve dans le fond ; du reste ce n'est pas Va dessus que je chi-
canerai.
L'interprétation est excellente et je dirai même^que dans son
ensemble elle est supérieure à celle de bien des ouvrages du
répertoire, grâce k un heureux mélange d'éléments anciens ou
nouveaux.
En première ligne, M. Edouard de Rezké (don Diègue), dont
le. talent de comédien dépasse, s'il est possible, le talent de
chanteur. Cet artiste a le jeu ample, la tenue digne ; toutes qua-
lités qui nous avaient été signalées k son début à Paris, dans
Aben-Hamel aux Italiens et plus lard dans FaiisL à l'Opéra.
Puis M. Jean de Rezké, frère du précédent, qui vint l'an der-
nier chanter le rôle de Jean dans Herodinde; c'est lui qui joue
Rodrigue avec une jolie voix de ténor et la tournure d'un cava-
lier accompli, ce qui est rare à l'Opéra. Beaucoup de goût et de
style avec un registre élevé très éclatant.
M. Melchissédec joue le roi avec une rudesse d'allures dont il
n'a jamais pu se départir, et c'est fâcheux, car comme chanteur il
reste un excellent barvton.
M. Plançon personnifie je comte de Gormas d'une façon peut-
être un peu trop jeune pour représenter le père de Chimène et
ne pas expliquer le choix que fait le roi de don Diègue comme
précepteur de son fils. Grand, bel homme, il serait agréable à
entendre s'il avait plus de stabilité dans la voix.
Chimène, c'est M""^ Fidès Devries, le charme et la grâce incar-
nés, joints à un talent de tragédienne consommée et de chauteuse
de race. — Succès colossal dans la scène où elle recule épou-
vantée devant Rodrigue.
M""^ Bosman (l'Infante) a eu un réel succès de chanteuse dans
les quelques pages qui lui sont confiées.
Décors et costumes splendides. — A remarquer l'analogie du
dernier décor du dernier acte avec le tableau de Clairin : les
Ain lires en Espagne.
GUTELLO.
L'abondance des matières nous oblige à remettre à la semaine
prochaine notre chronique théâtrale hebdomadaire (Théâtres de
la Monnaie, du Parc, Molière).
, Conférence^
M"«-' Tliénard, de la Comédie française, a fait au Jeune liarrcau
de Druxelles une conférenre dont la formo spiriluelle el les obser-
vations ingénieuses ont eno.lmnté l'audiloire. 'Etablir un parallèle
entre l'orateur et le comédien, dévoiler au premier les ficelles
dont se sert le second pour on faire un lilet dans lequel il prend
son public, c'était chose nouvelle et captivante pour de jeunes
hommes qui s'exercent à l'art de la parole. Le sujet judicieuse-
ment choisi, restait à le rendre séduisant. C'est à quoi la char-
mante artis'e excelle. Elle met en pratique, avec une grâce irré-
sistible, ce conseil qu'elle donnait à ses auditeurs : « Les choses
les plus ordinaires peuvent être dites avec élégance.
Dans la partie théoricpie de sa causerie, M'*« Thénard est
descendue jusqu'aux détails les plus minutieux de la diction et
de tout ce qui s'y rapporte, y compris la salivation... Elle est
remontée, sans une éclaboussure à l'élégance de sa parole, dans
les pures régions littéraires qui lui ont servi de prétexte à la
récitation de quelques pièces en vers et en prose, et à ses audi-
teurs l'occasiou d'applaudir l'auteur après avoir acclamé le pro-
fesseur et la comédienne.
Le cadre d'intimité et d'art où cette aimable leçon de diction a
été faite (il s'agissait des salons d'un confrère où la Conférence
du Jeune Carreau avait été conviée toute entière) se prétait,
mietïx que l'austère local sollicité d'abord, à la fantaisie de la
parole imagée, bonne enfant, et parfois railleuse de l'artiste.
Le chaleureux iaccueil qu'elle a reçu et dont elle a, avec beau-
coup de modestie, remercié son auditoire au nom de la Maison,
lui donnera, nous l'espérons, l'envie de ne pas se borner à celle
seule séance. - >
, * .
■•;■.■ -.V
W. le professeur Emile Sigognca donné à Marchienne-au-Pont,
sous les aus;)ices du Cercle artistique et littéraire très actif
de cette localité, un conférence sur l'éducation d'après Herbert
Spencer.
Un public nombreux y assistait et l'orateur a eu un très
franc succès. Sa conférence, fort bien dite, exprimait en termes
très clairs des pensées élevées el résumait fort exactement le
système du grand philosophe anglais.
Quelques jours auparavant M. Becque avait pris place à k
même tribune, el la semaine suivante ce fut le tour de
M. Francisque Sarcey.
Comme on le voit, le Cercle artistique de Marchienne-au-Pont
n'a rien à envier à celui deà plus grands centres littéraires. C'est
assez dire qu'il est administré d'une manière parfaite. On y est,
du reste, attiré par la charmante hospitalité de M. et de
M"'« Bron. Celle dernière, qui écrit sous le pseudonyme de
Jean Fusco, est, on le sait, la fille de feu Louis De Fré et
l'auteur de l'humoristique pamphlet : Iddore Pisloiet, doclri-
naire de Vavenir.
UNION DE JEUNES COMPOSITEURS BELGES
Première séance.
La tcntalive.de ces Messieurs mérite toute sympathie. Réagis-
sant contre l'indifférence qui enveloppe toutes les productions
musicales indigènes, ils ont créé une Association exclusivement
nationale, afin de montrer à, ceux qui l'ignorent ou qui f»;ignent
de rignorer (ce sont, ceux-lii, les pires sourds) qu'il existe en
Belgique une évîole jeune, laborieuse, intelligente, qui ne
demande qu'à travailler quand on lui en donne l'occasion.
Et comme chacun des Jeunes compositeurs qui se sont ligués
de la sorte csl doublé d'un exéculanFile valeur, parfois d'un
virtuose, il arrive que les auditions données par ri!7«iwî. joignent
à l'atlMit d'œuvres inédites, — tantôt très lâtonnant.^s et candides,
il est vrai, mais tantôt fort intéressantes, — le charme d'une inter-
prétation de premier ordre.
C'a été le cas jeudi. Des compositions de MM. Léon Dubois,
Emile Agniez, Léon Jeliin, Louis Van Dam, Philippe Flou, Pierre
Heekers, Louis Macs, Léon Soubre et Arthur De Greef ont fourni
un programme très varié, écoulé jusqu'au bout avec le plus vif
inlérèt. L'Ave Verum de M. Flou, peu religieux mais d'une
inconlesiable valeur musicale, le très original et très séduisant
Album espagnol pour deux pianos (excellemment joué), par M. De
Greef, le fragment pour voix de femme extrait de l'oratorio : Au
Bois des Elfes, de M. Dubois, ont été les meilleurs morceaux de
cette première séance.
El les interprètes, parmi lesquels il faut citer en première ligne
M"*-' Louise Wolf, oi\t fait valoir à merveille les diverses compo-
sitions. Pas un accroc, pas une esqiiille dans celte très correcte
exécution, qui fait bien augurer de l'avenir.
jjHRONlQUE JUDICIAIRE DE$ ART,S
Les clichés de photographie.
La première chaujbre du tribunal civil de Paris vient de tran-
cher une question de propriété assez intéressante.
Elle a décidé que, par le contrat qui intervient entre un photo-
graphe et son client, le premier ne s'engage qu'à livrer, moyen-
nant un prix déterminé, une ou plusieurs épreuves du portrait
qui lui est commandé.
Le photographe a donc le droit de conserver le cliché, qui reste
sa propriété; mais le droit de photographier sur le cliché est
ctroitcmeftt limiié, et la nature du contrat, aussi bien que les
convenances sociales, exige qu'il ne puisse en faire aucun usage
sans le consentement formel de la personne dont les traits sont
i:cproduits.
Les faussaires artistiques.
M. Bardoux a déposé sur le Jjureau du Sénat français la
proposition de loi suivante :
M Ceux qui auront usurpé le nom d'un artiste sur une œuvre
d'art, ou qui auront frauduleusjmant imité sa signature ou tout
autre signe adopté par lui, seront punis d'un emprisonnement
d'un an au moins, de cinq ans au plus et d'une amende de
i6 francs au moins, de 3,000 francs au plus, ou de l'une de ces
deux peines seulement. »
Notre nouvelle loi consacre ce principe.
MEMENTO DES EXPOSITIONS ET CONCOURS
EoiMBOt'RG. — Exposition (internationale) de l'induslrie, des
sciences et des arts. — ^ Du 4 mai au 30 octobre 1886. — Mobilier
et arts décoratifs, beaux- arts, reproduction d'anciens édifices et de
vieilles vues, etc. — Demandes d'emplacements avant le l*' janvier
au Secrétaire de V Eorpositiony Frederick Street, 18, Edimbourg .
Glasgow. — 25« exposition (internationule de l'Institut des
Beaux-Arts. — Du 2 février au 30 avril 1886. — : Tableaux à l'huile
et aquarelles. — Renseiynemeuts : Robert ]Valher, secrétaire,
Glascow.
Nb;w-York. — Exposition des œuvres d'Henry Mosler. — Ouver-
ture en décembre.
Id, — Exposition des œuvres de William Chase destinées au
Salou des XX. — Ouverture décembre.
Pakis. — 5« exposition de l'Uniou des femmes peintres et sculp-
teurs, — Du 12 février au 4 mars 18^'(i. — Envois les 5 et 6 février.
— Reuseij5'nemcnts : M'"» Léon liertan.r, i^résidente.
Id. — Exposition des œuvres du maître flamand Tassaert. —
Galerie Georges Petit. — • Ouverture 25 décembre.
Pau. — 22« exposition (internationale) des Amis des Arts. — Du
l."3 janvier au 15 mars 1880. — Peinture et sculpture. — Délai
d'envoi : 20 décembre 1885.
CONCOUUS POIÎTIQUE DU MIDI DK LA FRANCP:. XXXV" COnCOUrS
(15 août-l«'' décembre 1885). — Vingt médailles en or, argent,
bronze. Demander le programme à M. Ev. Carrance, président du
Comité, 0, rue du Saumon, à Agen (Lot-et-Garoune).
^ETITE CHROJHiqUE
La période dos concerts aura, cette année, un éclat inaccou-
tumé. En attendant les grandes séances des Concerts populaires
et du Conservatoire, on entendra le 10 décembre M. Franz
RumiTiei el, le même jour, au Grand-llôlel, M"" Bouré, le -112
M. Henry Hcuschling, le 19 M. Joseph Wieniawski, puis
W. Camille Giirickx dans un piano-recital. Des affiches multico-
lores fleurissent b. la vitrine des magasins de musique el donnent
le détail de ces fêl( s intimes.
Mais voici du nouveau. L'A s soda lion des artistes musiciens
prépare, comme troisième concert d'abonnement, une séance
exceptionnelle qui fera date dans ses annales. Il s'agit d'un grand
concert dont la seconde partie sira consacrée aux œuvres de
Lilolff", et qui sera donné aussitôt après la premitM'e représenta-
tion des Templiers, sous la direction du maître.
On y jouera le -ballet des Templiers, des œuvres chorales,
un concerto pour violon de la jeunesse de Litolff dont l'exé-
cution sera confiée à Jenij Hubay et un de ses magnifiques con-
certos pour piano, vraisemblablement le 4'^. Pour l'interpré-
talion de ce dernier, le compositeur demanderait, dit-on, le con-
cours de M. Camille (lurickx, notre futur professeur au Conser-
vatoire, qui exécuterait en outre, dans la première partie, une
Rhapsodie inédite, pour piano et orchestre, de sa composition.
Il est question de demandera M. Vord1)url l'autorisation de
disposer, pour celle solennité, de la salle de la Monnaie et l'on
espère qu'il ne s'y refusera pas, l'aHivre tle bienfaisance que
poursuit V Association des artistes musicieiis méritant toutes les
sympathies.
Le premier concert du Conservatoire aura lieu le 20 courant .
Les Concerts populaiees inaugureront le 3 janvier leurs séances
par un concert dont le programme est des plus attrayants. On y
entendra le concerto pour violon (inédit) de M. Jeno Hubay,
la 2"'" symphonie de Borodine, les airs de baUcl i\c Mazeppa de
Tschaïkowskv, etc.
On nous écrit de Malincs : Dimanche dernier, M. Edgard Tinél
a donné dans la salle des fêtes de la ville une nouvelle audition
de quelques-unes de ses œuvres. Celte musique distinguée el
originale a obtenu un succès mérité.
L'enscmhle vocal, composé d'une centaine de voix, a soutenu
vaillannnent une lâche assez lourde et s'en est tiré avec honneur.
Néanmoins il faut dire ((u'accompagnée par deux pianos seule-
ment, la cantate deKlokke Roeland manque de relief et d'ampleur.
L'orchestre forme pour les compositions de ccitc envergure un
complément indispensable.
Quant aux morceaux de piano, ils ont trouvé en M. Tonnelier
un inlerprèle de tous points excellent. Le cycle qu'il a fait enten-
dre. Au Printemps, composé de trois morceaux est un régal de
gourmets. , .
Somme toute, M. Tinel n'a qu'à se féliciter du succès de ce
concert et de l'estime que tous les amateurs professent pour un
travailleur sérieux doublé d'un artiste personnel.
Après la fête, ses amis, par l'organe rythmé dn poète De Ko-
ninck, lui ont exprimé leurs félicitations et otïert un magnifique
hvow/.G, Diofjènc. N.
L'an dernier, la Société générale d( s étudiants de Gand a pris
l'initiative de la publication d'un almanach universitaire dans
lequel une large part était réservée à la littérature. Nous appre-
nons avec plaisir que les étudiants préparent pour 1886 un nou-
veau volume du même genre. Tous les étudiants belges et
étrangers peuvent y collaborer et sont priés d'envoyer leur
manuscrit, î» l'examen, Marché-au-Beurre, 17, à Gand, avant le
'!'''■ janvier.
D'autre part, les étudiants de Liège tiennent à honneur de
prouver que les lettres sont aussi honorées chez eux. Ils feront
paraître au mois de janvier un almanach de l'Université de Liège,
pour lequel ils ont demandé le concours de quelques écrivains
connus.
Nous constatons avec plaisir que notre jeunesse universitaire
s'occupe parfois d'autre chose que de politique.
Le concert de Joseph Wieniawski est fixé au samedi 19 dé-
cembre, à 8 heures du soir, à la Grande-Harmonie.
Le programme contient une Fantaisie pour deux pianos, que
M. Wieniawski vient d'achever et qu'il exécutera avec M. Arthur
De Greef. Il y aura aussi une série de morceaux de différents
maîtres parmi lesquels les trente-deux variations de Beethoven
en ut mineur.
M. le professeur Emile Sigogne donnera au Palais des Acadé-
mies, lundi 7 décembre, à 3 heures, une conférence ayant pour
sujet : Les orateurs anglais Pitt et Fox.
VENTE D'UN GAGE
Le notaire De Ruydt, à ce commis, procédera le 14 décembre 1885,
à deux heurea.très précises, dans la Galerie S'fint-Litc, 12, rue des
Finances, à Bruxelles, et avec l'assistance de M. Jules de Brauwere,
expert, à la vente publique d'un gage compronant les quatre tableaux
dont la désignation suit :
1. Intérieur zélandais : Quand elle cliantait, par Adolf Dillens.
(Toile, h. 99 cent. l. 133 cent ).
2. Paysage avec grand nombre de petites figures, par B.-C. Koek-
koek. (Toile, h. 55 cent. 1. 73 cent.).
3. Paysage avec personnages : Le départ du conscrit, par Charles
De Groux. (Toile, h. 69 cent. 1. 79 cent.?.
4. Paysage en hiver, attribué à Koekkoek. (Toile, h. 48 cent.
1. 60 cent.).
Ces tableaux seront exposés publiquement dans la susdite galerie,
le 13 décembre, de onze à cinq heures. — Au comptant avec
augmentation de 10 p. c. pour frais.
«ih
306
VART MODERNE
CINQUIÈME ANNÉE
L'ART MODERNE) s'est acquis par l'autorité et l'indépendance de sa critique, par la variété de ses
informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune manifestation de l'Art ne
lui est étrangère : il s occupe de littérature, de peinture, de sculpture, de gravure, de musique,
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouvement artistique belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur tous les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaître.
Chaque livraison de L'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'actualité. Les expositions, les livres nouveanûc, les
premières représentations d'œuvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires^ les concerts, les
ventes d'objets cTart, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées.
L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. Il rend compte des
procès les plus intéressants concernant les Arts, plaides devant les tribunaux belges et étrangers. Les
artistes trouvent toutes les semaines dans son Mémento la nomenclature complète des expositions et
concours auxquels ils peuvent prendre part, en Belgique et à l'étranger. Il est envoyé gratuitement à
l'essai pendant un mois à toute personne qui en fait la demande.
L'ART MODERN]^ forme chaque année un beau et fort volume d'environ 450 ffe^ges, avec deux
tables des matières, dont l'une par ordre alphabétique, de tous les artistes appréciés on cités. Il constitue pour
l'histoire de l'Art le document LE PLUS COMPLET et le recueil LE PLUS FACILE A CONSULTER.
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'iatii'.i^
Cinquième année. — N° 50
-Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 13 Décembre 1885.
L'ART
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE ORITIQÏÏE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00.
ANNONCES
On traite à forfait.
Adresser les demandes d'abonnement et toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
?
OMMAIRE
Comment on dirige un théâtre. Troisième lettre. — Histoiîre
DE LA conquête DE LA NoÙVELLE-EsPAGNE. — CoNCERTS. DeUOclème
concert de l'Association des Artistes n-vusiciens ; Concert Rionmel;
Concert de M''^ Bouré ; Concert à l'Esor. — Théâtres. Théâtre
de la Monnaie Reprises de Lucie et du Barbier de Séville. Théâtre
du Parc. Antoinette liigaud. Théâtre Molière. — Notes de librai-
rie. — Petite chronique.
COWIIENT m DIRIGE IN THEATRE.
Troisième lettre (*).
A Monsieur le Directeur de l'Art moderne.
Ainsi, mon cher Directeur, c'est "vraiment possible :
je n'ennuie pas en révélant quelques-uns des secrets de
notre maison lyrique. Vous me l'assurez; je le crois.
Vous me transmettez même quelques communications,
observations, objections, suppositions qui vous sont
faites. Je continue donc le déroulement paisible de ma
bobine.
On désire que je précise, me dites-vous, l'établisse-
ment du coût des artistes du chant et de la danse à la
moyenne de 45,000 francs par mois que j'ai indiquée.
Voici le détail, d'après les exigences de ce très sévère
cahier des charges qui porte en un de ces articles cette
prescription solennelle : Le concessionaire devra
maintenir le théâtre à un rang élevé , tant sous le
rapport du nombre et du talent des artistes que sous
(*) Voir nos deux derniers numéros.
le rapport du luxe de la mise en scène. Et ailleurs :
Le concessionnaire devra se conformer aux usages
reçus en matiè're d'admiyiistration théâtrale ^ et spé-
ciale?nent tenir constamment au grand complet une
troupe de grand opéra, d'opéra co7niqueet de hallet,
lui permettant de faire jouer toiUes les œuvres du
répertoire mode7me. Je prends les catégories et le
nombre habituels à Bruxelles et je pose les chiffres
moyens usuels :
TÉNORS (sept).
Fort ténor de grand opéra ..... fr. .'3.000
Demi caractère 3,500
Premier ténor d'opéra comique 4,000
Deuxième ténor i . . ." , 1,500
Troisièmes ténors (deux) 700
Trial 500
BARYTONS (trois).
De grand opéra fr. 3,500
D opéra comique 2,500
Second baryton . . ^ 500
■*-• BASSES (cinq).
De grand opéra fr. 2,000
Basse'chantante 1,500
Deuxième basse 700
Troisièmes basses (deux) 900
CHANTEUSES (neuf)
Première chanteuse dramatique (Falcon) fr. 3,500
Chanteuse légère de grand opéra . . . . 1,500
Contralto (Stolz) 1,500
Première chanteuse d'opéra comique . . . M, 500
Deuxième id. ... 1,500
Première dugazon . . - . 1 200
Deuxième id \oO
Troisième id. 400
^^^S'^e '.'.'. 500
DANSE (neuQ
Maître de ballet. . . . . . . . . fr. 600
Réfrisseur 350
Etoile 1,500 ^
Première danseuse. ........ "700
Deuxièmes danseuses (deux). 1,000
Premier danseur ...... ^ . . 700
Danseurs (deux), , . . . . . . . . 700
Je crois que tous les prix posés sont fort raisonnables
et supposent qu'on ne fait pas de folies. Si je me main-
tiens dans cette moyenne, c'est que (je ne le cache pas
davantage), je voudrais arriver à démontrer que l'on no
peut demander à notre Opéra des sacrifices extraordi-
naires eu égard aux ressources dont il dispose. Il
importe que tous ceux qui se risquent à juger notre
première scène soient éclairés là-dessus. Je voudrais '
que le silence qu'on a toujours gardé à ce sujet fût
remplacé par une très large publicité. Que de préjugés
s'envoleraient!
Eh bien ! voilà une troupe montée conformément aux
prétentions de la ville et du public : elle comprend
trente-trois sujets et coûte 46,450 francs. Vous voyez
qu'en disant 45,000 francs je n'étais pas loin de la
vérité. C'est acquis, n'est-ce pas?
Vous me dites ensuite que quelqu'un a trouvé exa-
géré les 90,000 francs que je réservais pour les créa-
tions, les cachets, les droits d'auteur, le bénéfice de
l'entreprise et l'imprévu. Vraiment la plus simple
réflexion démontre combien ici également j'ai raison.
Les créations ? J'en ai parlé dans ma première lettre
pour dire que même les plus coûteuses n'influent guère
sur le total des recettes de l'année. Mais enfin, il y a,
toujours dans le cahier des charges, un article qui dit :
Le concessionnaire sera tenu de monter chaque
année, avec décors et costumes entièrement neufs,
deux ouvrages nouveaux, r^eprésentant un 77iini-
mum de six actes. Je demande aux gens du métier,
sans craindre le moindre démenti, si l'on peut, l'une
année dans l'autre, se tirer de pareille obligation à
moins de 30,000 francs ?
Les cachets ? Je dirai pour les profanes que ce sont
les appointements supplémentaires qu'on est tenu de
payer aux artistes qui chantent par mois 2)lus que le
nombre de fois qu'ils ont accepté dans leur engagement.
Ils reçoivent alors une indemnité supplémentaire égale
au quotient de leur chiffre mensuel divisé par celui de
leurs représentations obligatoires. Ainsi M. Boyer qui
vient d'avoir un succès si extraordinaire et si mérité
dans le Barbier de Séville, reçoit, dit-on, 3,500 francs
pour dix représentations : à partir de la onzième il
recevra chaque fois 350 francs en sus. , '
Un directeur habile se débat contre les cachets
comme un joueurs d'échecs contre son adversaire. Il
combine son répertoire de manière à éviter ce chancre
toujours renaissant. Il pointe attentivement les soirées
de chacun. Mais, quoi qu'il fasse, il n'échappe pas à une
1
moyenne de 15,000 francs par an. Les indispositions,
les changements de spectacle, la représentation coup
sur coup des pièces en vogue, lui font à cet égard, la loi.
Les droits d'auteur ? Ils deviennent terribles à la
Monnaie. Depuis que la direction précédente a perdu
son procès contre la Société des auteurs, ils ont été
fixés à forfait à 150 francs par soirée, soit 30,000 francs
par an pour deux cents représentations. La ville en
remboursait la moitié la saison dernière. Cette allo-
cation est supprimée. On parle de porter le chiffre à
250 francs l'an prochain. Jedirai plus tard quel serait
d'après moi, le résultat de cette exigence eff'rayan te.
Nous voilà donc déjà, pour le temps présent, à
75,000 francs sur nos 90,000. Reste pour l'imprévu et
le bénéfice 15,000 francs. Malheureusement, cet imprévu
est très prévu pour partie au moins. En effet, il faut
songer d'abord à la rémunération du capital engagé.
On n'exploite pas un tel théâtre sans un fonds de rou-
lement. Je ne parle pas des 50,000 francs du cautionne-
ment; ceux-ci rapportent intérêts. Mais en dehors de
cela, il faut une centaine de mille francs pour ne pas
être constamment gêné. Les trente-trois artistes énu-
mérés plus haut, reçoivent, d'après un usage constant,
l'avance de leurs appointements ; et voilà 50,000 francs
qui sortent de la caisse avant qu'on ait commencé;
pour tous les autres besoins, il y a le surplus, soit
50,000 francs seulement, ce qui est l'extrême minimum
dans une aussi grande entreprise. Or, il faut payer l'in-
térêt du capital entier, au taux du commerce, soit
6 p. °/o, car un théâtre est une exploitation commer-
ciale. C'est donc 6,000 francs.
Ceci nous réduit à 9,000 francs. Dire qu'il n'y a pas des
imprévus en pareille affaire serait ridicule. Un artiste
mal accueilli et qu'il faut remplacer au courant du mois
de façon que la charge est double, une série de jours de
neige, des maladies, un deuil public, un autre établis-
sement, Cirque, Eden, Alcazar qui attire la foule, et tout
de suite les recettes baissent. Pour de telles éventualités ;
ces 9,000 francs ne sont pas assez. Et pourtant, d'après
rétablissement consciencieux et minutieux que je fais
de l'affaire, il faudrait qu'ils fussent aussi le bénéfice.
Nous marchons, en effet, pas à pas, chiffre à chiffre,
et je crois que nulle part dans les calculs poursuivis
jusqu'ici on ne saurait me prendre en défaut. Or, comme
bénéfice, les 9,000 francs pris dans leur total, seraient
risibles. Pour l'exercice entier qui imposé un mouve-
ment de 950,000 francs, on l'a vu, ce serait un pour
cent ! Qui se contenterait d'une pareille rémunération
pour un capital engagé de 150,000 francs et pour un
travail de forçat, car les misères des directeurs dans
leurs rapports avec les artistes sont légendaires. De
plus, il est difficile à Bruxelles qu'oil dirige seul, il
faut, comme on dit, un directeur derrière le rideau,
pour tout ce qui concerne la scène, et un directeur
déliant pour tout ce qui concerne la salle. Ce sera donc
un demi pour cent pour chacun ! ! Les directeurs
toucheront le salaire d'un troisième ténor ! ! ! Et les
risques sont énormes. Les pertes vont vite, et la chute,
c'est la faillite.
Mais il semble que j'entends quelqu'un me dire :
N'empêche que la dernière direction a très bien fait ses
petites affaires.
Ceci c'est vrai, et je m'empresse d'utiliser à ce point
de vue quelques chiffres qu'on m'affirme être exacts et
qui mettent cette question au clair. Les bénéfices des
quatre dernières années auraient été les suivants :
1881-82
1882-83
1883-84
1884-85
. fr. 44,000
. . 40,000 (Hérodiade).
. . 41,000 {Sigurd).
. . 56,000 {Maîtres -Chanteurs).
Soit. Mais c'est ici qu'apparaît le joint par lequel je
passerai pour finir dans une dernière lettre mon trop
long propos : Cette bonne administration communale
de Bruxelles, gardienne et protectrice de notre théâtre,
temple du grand art et principal champ clos de nos plai-
sirs honnêtes, ayant pris connaissance de ce résultat
d'une administration que plusieurs années d'exercice
avaient rendue très expérimentée et excessivement re-
gardante (ils comptent les allumettes, disait-on dans les
coulisses), s'est dit que, puisque les directeurs gagnaient
40,000^francs par an, il fallait les leur reprendre et
mettre bon ordre à un pareil gaspillage. C'est pour-
quoi, dans son nouveau cahier des charges, elle a
imposé des augmentations et rogné des subsides qui ont
décidé MM. Stoumon et Calabrési (du moins on l'as-
sure) à lui quitter la partie, qui mettent les choses en
l'état que j'ai décrit, et dont je préciserai dimanche
prochain le côté téméraire, périlleux, gravement
injuste et vraiment imprévoyant. Ainsi soit-il. '
Histoire véridique de la conquête
de la Nouvelle-Espagne, par Bernal Diaz del Gastillo. —
Paris, Alph. Lemerre.
Quel superbe livre el combien il esl peu connu ! Il fui écrit, en
pleine époque de gloire el de puissance espagnoles, par un
témoin ; il est resté ignoré jusqu'au jour récent où le poêle José-
Marie de Hérédia le traduisit el où Lemerre le réédita.
Voici quelques noies sur ce livre (Honnant et sur son autour.
Bernai Diaz, dont on ne sait (lue tbrl peu de chose, partit
en 1514 avec Pedro Arias de Avela pour le Nouveau-Monde. Il
mourut 1res vieux à Santiago de Guatemala, dont il était regidor
pcr j)éluel .
Les deux dates extrêmes restent inconnues. Retiré de ses
fonctions, il lut un jour la chronique de Gomara, rédigée quasi
sous les veux de Fernand Coriès.
Dans son orgueil de vieux conquérant el dans le pieux souvenir
de ses compagnons d'exploits, il se sentit révolté de la scandaleuse
partialité du chroniqueur ofticieux ; il enlrepril de raconter lui-
même les actions grandioses auxquelles il avail pris une part si
active, de remettre chaque chose en sa place et d'éclairer d'une
vive lumière les admirables fails d'armes de ses anciens amis ^—
tout en laissant l\ Corlés et son initiative et ses talents et sa persé-
vérance et ses fautes et ses cruautés. Il fallait justice. Celte pensée
fut l'inspiratrice de la clironique passionnée et impartiale de
Bernai Diaz. Dans le premier volume reviennent sans cesse ces
formules : Ici le chroniqueur Gomara erre en disant que... Los
fails se sont ainsi passés el non comme le relate le Gomara... Et
dans cette affaire il ne s'en alla point comme l'écrit le chroniqueur
Gomara... Finalement il dit: Laissons-là le Gomara et ses contes
à dormir debout, — el il ne s'en occupe plus.
Un mot comme dans une litanie revient à tout moment.: l'Or.
Les Gonquistadors traversent-ils un pueblo : y a-t-il de l'or
dans le pays? Los Caciques en apportent-ils peu, ou de minime
valeur, ou en faible quantité, nonobstant les qualités de la terre,
la conquête faite, nul ne veut de ces repartimionlos. S'il y en a :
pays ruiné, roches âpres, montagnes ardues, Indiens batailleurs,
faim et misère, qu'importe, de l'or! Dans le grand désastre de
Mexico el la déroute où failliront périr Coriès el sa fortune,
c'est l'encombrement des Indiens Tlascaltèques portant l'or, l'or
appesantissant les soldats peu clairvoyants ou trop'avides qui
causent le désarroi el le massacre. El après dos fatigues surhu-
maines, dos dangers sans nombre, des batailles héroïques, dos
assauts furieux, des blessures épouvantables, le Irésor de Moc-
thenzo'ma (Monlézuma) pillé, Quaulemotzm (Gatimozin) torturé,
les seigneurs vendus, que revienl-il aux vaillants aventuriers?
Pas môme cent pesos, misère que tous, désappointés et ulcérés,
refusent; ce qui ne les empêche pas de courir vers de nouvelles
expéditions;
Dans tous ces événements, Coriès joue un rôle énorme, quelque
peu salanique. Un bonheur inexplicable le poursuit partout,
même au milieu de ses désastres ; les autres souvent travaillent
plus que lui, lui seul en profite ; el si généralement il est présent
à l'heure du danger, toujours il l'est à celle du partage, où la part
du lion lui revient.
Au résumé, ce livre étonnant nous montre 500 fous (car quel
autre nom leur donner?) marchant à la conquête d'un empire orga-
nisé, puissant, d'une civilisation très avancée, grand comme
quatre fois l'Espagne, parvenant h se faire passer pour des dieux
invincibles el invulnérables, stupéfiant le monde. Les soldats
pourtant ne portaient que des cuirasses de carton, faites sur le
modèle de celles des indigènes qu'ils comballaient.
Au siège de Mexico qui dure quatre-vingt-dix jours, sans cesse
aucune, du malin au soir, el souvent du soir au matin, ayant à
combattre sur des digues, accablés sous le nombre, serrés sur
terre et-sur eau, au milieu de canaux, criblés de coups de pierres,
de bâtons, de flèches, à ne plus avoir sur le corps une place
invulnérée, ils finissent cependant par prendre la ville puissante,
capitale de Timmense empire. Puis se failla conquête, moins glo-
rieuse mais plus pénible encore, des provinces éloignées, par des
sierras sourcilleuses, des marécages bourbeux et des plateaux
arides et calcinés.
Ces faits d'armes, ces souffrances, ces exploits, ces marches,
ces désastres, le courage des ennemis, leurs propres paniques,
se trouvent notés dans ces pages palpitantes de vie : « C'était
ainsi, je l'ai vu, j'y étais, j'y fus blessé ». Et la piélé naïve de
ces étonnants héros, remerciant Noire-Dame la Vierge de les
avoir protégés dans quelque terrible esbief : « Car sans le secours
divin nul de nous n'en aurait échappé ». Un sentiment de justice
400
VART MODERNE
fort rare k celle dpo!|ue violente, blâmanl les excès commis sur
des Indiens qui ne savaient ce qu'on leur voulait cl défendaient
leurs pueblos, donne une saveur 1res particulière à certains pas-
sages.
\
i. Les détails sur les mœurs ne manquent pas, mais quelles
mœurs! Ce fuit qui chaque jour s'impose davantage : « Vertu,
vice, moralité, immoralité, toutes conventions » y trouve un
nouvel argument. Ceux de Panuco se distinguaient par des raffi-
nements inouïs de débauche. Ils avaient des notions diamétrale-
ment opposées à celles du vieux monde" sur les points les plus
essentiels de la morale.
Les chevaux étaient fort rares. Aussi avec quelle sollicitude
Bernai Diaz en fait-il le dénombrement I 11 en note la robe, les
qualités, les défauts, les propriétaires el même les sobriquets.
Plus tard, moins rares quoique encore d'un prix exorbitant, ayant
d'ailleurs perdu sur les Sudiens leur qualité de chimères, Bernai
s'en occupe moins. A chaque rencontre il note cependant les
morts et les blessures des chevaux aussi bien que colles des
hommes :
r
« Quand l'expédit'on quitta Cuba, elle comptait 16 chevaux,
41 navires, 508 hommes, dont 32 arbalétriers, 13 escopeltierSj
10 canons el 4 fauconneurs. En marchant sur Mexico, ils n'étaient
plus que 15 chevaux et 300 f mtassins. »
Voici quelques passages qui pouiront donner une idée de la
manière du chroniqueur : « Car, je l'ai d'autres fois dit, la cité
de Mexico est tout contre Tacuba. La nuit se faisait lorsque nous
ouïmes de grandes huées qui nous venaient de la lagune: On nous
criait force vitupères el que nous n'étions pas hommes à les venir
combattre. El il y avait tant de canoas pleines de gens de guerre
et les chaussées pareillement couvertes de guerriers, et, ces
paroles n'étant dites qu'à seul fin de nous indigner el émouvoir
h guerroyer cette nuit même, nous ne voulûmes point, ayant élé
lant de fois houspillés aux chaussées et aux ponls, sortir avant le
jour.
« Nous enlevons la première barrière. A la seconde, ils font
léte, puis l'abandonnent. Et nous, croyant emporter la victoire,
nous passons ce perluis d'eau h vole-pied (là où nous le passâmes
il n'y avait point de trous) suivant de près les ennemis entre de
hautes maisons et des oratoires d'idoles. Ils faisaient toujours
mine de fuir el reculaient, non sans tirer bâtons, pierres de
fronde el force flèches. Tout à coup une multitude de guerriers
qu'ils lenaienl cachés en lieux oii nous ne les pojivions voir et
d'autres du haut des terrasses el des maisons, el les premiers,
qui faisaient semblant de se retirer, se retournant brusquement,
tous ensemble se ruent à noire encontre et d'un si roide choc que
nous ne le pouvions soutenir. Nous résolûmes donc de battre en
retraite, en bon ordre. Mais ils avaient posté dans le perluis d'eau
par nous gagné, à l'endroit où nous l'avions premièrement fran-
chi et où il n'y avait pas de trous, une lelle flotte de canoas pour
nous empocher d'y repasser qu'ils nous conlraigirirenl d'aller
traverser sur un autre point, où j'ai dit que l'eau bien plus pro-
fonde recouvrait force trous, fleculant devanl la multitude de
guerriers qui nous pressait, nous passions l'eau à la nage ou à
vole-pied et quasi lous allions choir dedans les trous. Alors toutes
les canoas se jelèrenl sur nous. Là les Mexicains happèrent cinq
de nos soldats qu'ils menèrent à Gualemuz el blessèrent loul le
reste. Quant aux bî-iganlins dont nous attendions laide, ils ne
pouvaient venir à noire- rescousse, car ils étaient tous échoués
sur les eslacades, el des canoas ei terrasses leur fut baillée si rude
volée de bâtons et flèches que deux soldats rameurs furent occis
et maints autres blessés.
« Retournons aux trous el perluis. Je dis que ce fut merveille
s'ils ne nous y massacrèrent lous. Quant à moi, plusieurs Sudiens
m'avaient déjà empoigné. El je parvins à me débarrasser le bras
el Nolre-Scigneur Jésus-Clïrist me donna la force, à bonnes esto-
cades que je leur baillai, de me sauver bien que blessé à un bras.
« Le Sandoval, Francisco de Lugo el Andres de Rapia étaient
avec Alvarado, chacun contanl ses aventures el ordres de Corlôs,
lorsque recommença à rouler le tambour de Hucchelobos el
Manchalabales, conques, cornets el autres inslruments comme
trompes. El leur son à lous était épouvantable et triste.
« Nous regardâmes au haut du grand Temple, où l'on sonnait
ainsi, et vîmes mener de force au sacrifice, à poussée, soufflels
elcoup de bâtons, ceux de nos compagnons qui avaient été pris
en la déroule de Corlès. Lorsqu'ils furent en haut dans une i)elile
place qui s'ouvrait sur l'oraloire où éiaienl h^urs maudites idoles,
nous vîmes que, à plusieurs d'entre eux, on meltait des pluniages
dessus la tête el lenanl une sorte d'éventails, on les faisait danser
devanl le Hucchelobos. Dès qu'ils avaient balle, les prêtres les
renversaient sur des pierres à sacrifier, leur sciaient la poitrine
avec des coutelas de pierre dure et liraient les cœurs loul bouil-
lants qu'ils offraient aux idoles présentes. Puis ils poussaient du
pied les corps au bas des degrés, où étaient à les attendre
d'autres Indiens boucliers, lesquels leur coupaient bras et jambes,
écorchaienl les visages, les apprélaienl comme peaux de gants,
et avec leurs barbes, les gardaient pour en faire fête en leurs
beuveries cl banquets, mangeant les chairs avec du chimole
Que les curieux lecleurs qui liront ceci, considèrent quelle dut
• être notre pitié. Et nous disions onire nous : Oh ! Grâce à Dieu,
qu'on ne m'ait pas mené sacrifier aujourd'hui! Il faut aussi
avoir égard que nous n'éiions pas loin d'eux et ne les pouvions
secourir. »
Pour terminer, nous dirons un mol du travail' du traducteur,
José Maria de Heredia. Ne se conieuianl pas de faire un pâle
décalque du puissant ouvrage qu'il avait sous les yeux, il a voulu
signer une œuvre d'artiste. Il a parfaitement compris que la Ira-
duclion dans une langue étrangère et d'une époque très posté-
rieure risquait de faire perdre à l'original beaucoup de son
charme et de sa saveur.
Il s'est donc servi d'une langue archaïque admirable, qu'il
semble ayoir créé tout exprès. Le résult.it obtenu est extraordi-
naire. Celle Iraduclion qui peut entrer en parallèle avec celles
des tragiques grecs de Leconte de Liste rend jusqu'aux moindres
nuances, jusqu'à l'impression même du vieux livre.
■ j!^ONCERT^
Deuxième concert de lAssociation des
Artistes musiciens.
Deux nouvelles danses flamandes et une ouverture de concert
du jeune musicien anversois, Jan Blockx ; une jeune violoniste
réputée, M"^ Eissler; l'excellent baryton du théâtre de la Mon-
naie, Boyer : tels étaient les attraits de ce concert.
L'attente a été déçue, sauf pour le (hantcur, toujours applaudi
dans ses nombreuses créations d'opéra-comique. Les nouvelles
œuvres de M. Blockx sont pleines de trous et manquent de déve-
W-
loppcmenls : les thèmes picHinenl sur place cl Torclieslralion csl
sèche el sans couleur. VOuverUire de cancer l^ principalenienl,
nous a (It^plû. Une prochaine revanclic, n'est-ce pas?
Car nous fondons grand espoir sur M. Blockx, doni les ^pre-
mières danses flamandes firent le tour de la Hollande el de l'Alle-
magne avec un 1res vif succès. 11 y a en lui du tempérament, c'est
certain. Et parce que nous comptons sur lui, nous avons le devoir
de lui crier gare, lorsqu'il verse dans la banalité.
Nous ne savons d'où vient là répulation de M"« Eisslcr. Une
déplorable exécution du huitième concerto de Spohr, une exécu-
tion un peu meilleure des airs russes de Wieniawsky, d'une
Rêverie de Schumann cl du Zapaleado de Sarasate suffisent pour
juger cette jeune fille chez qui l'aplomb tient lieu de talent.
M"'*' Cornélis-Servais a chanté avec goût le grand air d'Alcesie:
« Non ce n'est point un sacrifice » el deux petites mélodies insi-
gnifiantes de Léon Jouret.
Ne parlons point de V Hosannah ! de M. Michotie, ingénieuse-
ment placé à la fin du progranimc afin qu'on ne l'entende pas.
Tout le succès du concert a été pour M. Boyer, à très juste
litre et, s'il nous faut critiquer le choix un peu vieillot de ses
morceaux, applaudissons de toutes forces le chanteur parfait. Il
est fâcheux cependant que celle mélhodc enlève au chanteur
presque toute comj)réliension de la musique moderne. C'est ainsi
que rappelé après les couplets de Joconde, M. Boyer a fait preuve
dans la Nuil de printemps de Schumann d'une inconscience
étrange.
t'orchestre, sous la direction do M. Jehin, a correctement exé-
cuté l'ouverture de Phèdre de Massenet, \Ouverlure de concert
et les Danses flamandes de Blockx.
Concert Rummel
M. Franz Rummel, qui avait laissé h Bruxelles les souvenirs
d'un élève bien doué, est revenu avec l'autorité d'un maître
accompli. Un public choisi de musiciens el d'amaieurs lui a fiiit,
jeudi, une ovation justement méritée, dans laquelle il y avait
autant d'admiration pour la variété el. la richesse d'un talent de
premier ordre que de reconnaissance pour le plaisir que ressen-
tait l'auditoire en constatant qu'il avait bien placé ses espérances.
M. Rummel est pres(iue des nôtres. Elève de Rrassin, et l'un
de ses plus brillants, il a fait toute son éducation musicale k
Bruxelles. Il continue les traditions de la superbe école à laquelle
appartiennent 31 M. Kéfer, De Greef, Gurickx, Tinel, Riva Berni,
Alveniz, qui tous ont marqué, soit dans le professorat, soit dans
le domaine de la virtuosité.
M. Rummel est avant tout virtuose, el actuellement l'un des
premiers virtuoses de l'époque. L'élude approfondie qu'il a faite
des maîtres anciens, — de J.-S. Bach, par exemple, dont il a
exécuté iavcc une merveilleuse clarté la Fantaisie chromatique
et fugue (version de Bùlow), ne l'a pas empêché de consacrer aux
compositeurs modernes une allcnlion toute particulière.
Il est l'interprète par excellence de Liszt, par exemple, dont
les tours de haute voltige musicale lui sont aussi familiers que,
sous les doigts de M. Planté, le Menuet de Boccherini. Chopin,
Hensell, Tausig, Biilow, Rubinslein, Brassin, — un pieux hom-
mage au maître mon, — ont été, tour à tour, l'occasion pour
M. Rummel de faire valoir les sérieuses et rares qualités de
mécanisme et de sonorité qu'il a vaillamment conquises. Et
l'exécution de la Fantaisie de Schumann cl d'une des plus
belles sonates de Beethoven a montré, à côté de l'éblouissante
virtuosité du pianiste, le sentiment très artiste du musicien qui
sait donner h chaque œuvre la couleur et le. relief.
Concert de M*i« Bouré.
Jeudj soir a eu lieu, dans les Salons du Grand Hôiel, le concert
de M"e Mélanie Bouré. Elle s'était assuré, pour la circonstance,
le concours de MM. BIcstdagh, ténor; Lerminiaux, violoniste, et
Jacob, violoncelliste solo du théâtre de la Monnaie. M. Massage
tenait le piano d'accompagnement.
La cimtalrice a fait successivement entendre le grand air de
la Reine de Saba, l'air du ¥ acte de Robert le Diable el une
Idylle de Haydn. Dans ces différents morceaux, «le même que
dans le duo de Mireille, qu'elle a chanté avec M. .Mesldagh,
M"e Bouré a fait preuve d'une excellente méthode el de beaucoup
de sentiment.
M. Mestdagh possède une belle voix de ténor, bien tinibrée, et
dont il se sert habilement. Nous croyons cependant i)niivoir lui
conseiller plus de franchise dans l'émission du son qui semble
enroué.
Signalons une Romance sans paroles de la ci)mposition de
M. Jacob, bien faite pour mettre en relief les ressnuices de son
instrument. Le public a semblé goûter beaucoup la Chanson napo-
litaine de Cassela jouée par M. Jacob.
M. Lerminiaux figurait au programme avec une romance de
Johan S. Swendsen, une dos Danses hongroises («o 2; de Brahms
et l'étourdissante fantaisie Plewna Nota de Jenp fhib.iy.
Dans ces trois morceaux d'un caractère essentiellom<'nt diffé-
rent, il a été donné à l'artiste de déployer de sérieuses (jualilés.
Concert à l'Essor.
Le pianiste Kéfer a donné à V Essor, jxyqc le concours de
MM. Wullner, pianiste, Suy, ténor, Vander Golcn, ha s», une
très intéressante séance Wac:ner.
Des fragments des MaUres'-Chan leurs, de Loktnujrin el des
Nibelungen ont été successivemenl applaudis par un auditoire
très sympathique aux exéculants.
Jhéatre?
Théâtre de la Monnaie.
Reprise de Lucie.
Mii° Cécile Mézeray avait à triompher, dans le rô!«^ de Lucie,
de redoutables souvenirs el de comparaisons lou:des à porter :
la Patli, KAlbani, toutes les cantatrices en renom ont fiil de la
fiancée de Lammermoor leur création favorite. Elles roni habillée
de séductions, elles l'ont parée de tous les joyaux de l'art du
chant; elles l'ont fleurie^ parfumée; elles ont eu pour elle le
culte que les Byzantins pratiquaient à l'égard de leurs madones.
Désormais, sous peine de sembler nue, la statue tloii apparaître
dans un ruissellement de perles, dans un éunL-cllenient de
bijoux.
El c'est telle qu'elle nous est apparue la semaine dernière.
W^^ Mézeray a assoupli sa voix aux vocalises les plus échovelées
que la tradition impose aux chanteuses. Elle a eu le charme, et
la grâce, et l'élégance.. Dans les parties tragiques de l'œuvre,
1
clic a trouvé l'accenl cmu, sans affoctaiion cl sans excès. Aussi
6on succès a-t-il élé complet, universel, cl sans doule le bruil des
applaudissemonts et des bravos qui l'ont saluée lui a-t-il paru
une nuisique plus douce cl plus enlaçante que celle qui sorlail
de l'orchoslro...
M.' Engel faisait dans le personnage d'Edgard son second début.
On ne pourrait vraiment jouer mieux, ni cbanler avec plus de
cliarme. Dès l'entrée de l'arliste, on sent qu'on a affaire à un
comédien accompli rien quà la façon dont il marche, dont il se
débarrasse de son manteau, dont il salue. Quand il ouvre la
ïjouche, on esl subjugué. Sa voix est d'un timbre exquis, et il
la mène avec un art accompli, en musicien et en chanteur.
u C'est, disait-on dans l'entr'acle, le Boyer des ténors. » On sait
on quelle estime on tient le mérite du baryton qui a fait, avec
M"'' Mézeray, la gloire de l'opéra comique à Bruxelles. Dire de
M. Eugel qu'il doit être mis sur la même ligne que lui, c'est faire
de l'arliste un éloge décisif. Toute autre observation serait super-
flue, et nous nous bornons à féliciter la direction de la bonne
fortune inespérée qui lui a permis de réunir dans une même
troupe trois arlisles dont chacun ferait la réputation d'un
théûtre.
Reprise du Barbier de Seville.
Reprise ou création? Il serait difficile de le dire, tant l'ouvrage
a paru pimpant, neuf, frais et charmant. Jamais on n'avait
pnlendu à Bruxelles ensemble plus sémillant. Toute la salle a été
réjouie de ce perpétuel feu d'artifice dont les fusées montent
jusqu'aux astres en vocalises si gaies, si folles, qu'elles ont l'air
de se moquer cl du texte, et du public, et du compositeur qui
n'est pas parvenu h les contenir...
M"*-' Mézerav, >l. Enc:el et M. Bover ont été fêlés, acclamés,
rappelés. Le premier acte a été enlevé avec une verve et une
gaîlé qui ont, dès cet instant, décidé du succès considérable de
la représenlaiiop.
La charmante prima dona a gazouillé avec une virtuosité
extrême les gammes chromatiques cl les trilles dont Rossini a
saupoudré sa partition, — si souvent défaite et refaite par les
cantatrices qu'on se demande s'il resie encore quelques notes de
la version originale. Elle a remporté, à l'acte de la leçon de
chant, un joli succès dans l'air iVAcle'oji. W. Engel est l'un des
rares premiers ténors que ne rebutent point les vocalises du
Barbier. On sait que le rôle d'Almaviva est généralement confié
ô quelque deuxième ou troisième ténor, les premiers artistes de
l'emploi n'étant nullement disposés h interprêter ces excentricités
musicales qu'il a plu à l'auteur de Guillaume Tell d'écrire en un
niomenl de joyeuse humeur. M. Engel, dans ce rôle difficile, a
donné une nouvelle preuve de la souplesse de son talent. Quant
h M- Boyer, il a été à la hauteur de ce qu'on attendait de lui,
c'est tout dire. Il a compose un Figaro délicieux, gai sans
trivialité, aussi parfait chanteur que musicien. Et si M. Devries
eût été un peu moins « pompe funèbre » la représentation eût
été irréprochable
On a constaté, avec quelque surprise, une dérogation à la
défense, prescrite depuis longtemps au théâtre de la Monnaie,
de faire passer des tîeurs aux artistes au cours de la représenta-
lion. Celle démonstration galante, mais anti-artistique et qui sent
îsa province, a choqué bon nombre de personnes. Sans doule la
direction prcndra-t-elle les mesures pour que le fait ne se repro-
duise plus.
Signalons, poiir terminer,' une heureuse irinovalion de la
direction nouvelle, que nous avions annoncée" au début delà
campaèjne. Dimanche dernier a eu lieu la première représenta-
tion en matinée. On jouait le Voyage en Chine, et le spectacle
de la salle, où tous les bébés bruxellois ont été fêter la Sainte
Nicolas, a été aussi curieux que celui de la scène. Une deuxième
matinée est annoncée pour aujourd'hui. On jouera Le Chalet^
Bonsoir, M. Pantalon! cl Coppclia. Les spectacles de jour ont
à Paris un succès tel qu'on peut prédire à la tentative de M. Ver-
dhurl une réussite complète.
Théâtre du Parc.
AntoinetïeRigaud
« Grand succès du Théâtre Français. »
Bien en vedette, en grosses leltri's, sur les kiosques des bou-
levards s'étalent ces mots : « Grand succès du Théâtre Fran-
, çais... »
C'est une invitation aux Panurges bruxellois. On a applaudi
k Paris, il faut applaudir ici.
Nous avons voulu voir — comme tout le monde — mais
quant aux applaudissements, nous avons fait nos réserves.
Décidément, Georges Ohneta fait école. Le Maître de Forges
a tenu à rattraper le temps perdu, et sa famille s'augmente,
s'augmenle...
Une femme mariée qui est sur le point de succomber, mais
qui s'arrête au bon moment, un peintre trop entreprenant, un
général très fort sur les principes, un capitaine d'état-major (un
héros de dévouement celui-là), un mari comme tous les maris,
arrivant toujours mal à propos, une douce jeune tille qui demande
à être épousée à la chute du rideau, quand tous se sont expliqués
cl embrassés...
Il faut toujours qu'une porte soil ouverte ou fermée; cela est
également vrai pour les fenêtres. Car il y a une fenêtre; il n'y a
même que cela. Un monsieur, pour des raisons que vous devi-
nez, se voit obligé de s'enfuir; il saute par la fenêtre. Or, celle
fenêtre esl celle d'une pauvre et innocente jeune fille... Le len-
demain, tapage; le papa, le général fronce le sourcil, il se fâche,
il invective le malheureux capitaine; celui-ci se dévoue pour
sauver sa sœur, Antoinette. Brave garçon, va ! Il va même don-
ner sa démission comme le premier fils de Coralie venu. Heu-
reusement Antoinette, prise de remords, va tout déclarer au
général. Sur quoi le vieux bonhomme esl si heureux qu'il donne
sa fille au capitaine....
Tout le monde se dévoue dans celte pièce-là, et puisque tout
le monde esl content, ne nous montrons pas trop sévère.
En somme, Antoinette Rigaudon ce gt-and succès du Théâtre
Français, » ne vaut pas plus, ne vaut pas moins que ses devan-
cières. Vous connaissez la recette, vous flattez votre public, ce
public qui n'aime pas les choses trop risquées. C'est une excel-
lente potion à prendre après les repas. Cela facilite la digestion.
Et puis, c'est un vrai cours de morale. 11 y a des leçons
utiles pour les femmes mariées trop légères, pour les rapins trop
imprudents, pour les maris qui doivent remplir des fonctions de
juré, et qui sont trop pressés de rentrer chez eux.
Quant à l'inlerprélalion, elle esl très satisfaisante. M"'« Sarah
Rambert promène toujours sa majesté, mais semble s'imaginer
parfois qu'elle joue la scène de l'agonie dans la Duchesse Lyly,
M"e Sigall joue gentiment son petit rôle. .- -
Du côté des hommes, il nous faut accorder une mention toute
spéciale à M. Chômé. Ce jeune artiste, un de nos compatriotes,
VART MODERNE
403
qui a débuté récemment dans le Dépit amoureux^ nous arrive de
Paris, après avoir passé par le Conservatoire de Bruxelles. C'est
Dclaunay, qui l'a envoyé acquérir des planches chez M. Candcilh.
Sa diction est presque irréprochable ; il a de la chaleur, mais son
geste laisse parfois à désirer. Nul doute qu'après un peu de
pratique, il n'arrive à se débarrasser des très petits défauts qui
l'empêchenl encore d'être un acleur de premier ordre, ce qui
ne manquera pas, nous en sommes certain, de lui arriver très
prochainement.
Théâtre Molière.
Miss Mult07î a fait sa lugubre et mélodramatique apparition au
théâtre Molière. Après les farces académiques de Piccolino, cette
pièce de noir velue n'a pas été mal accueillie, mais si le public
avait pu faire entendre ses pensées de derrière la tête, il aurait
afîirmé que décidément celte mère poslhume, qui vient vivrai
auprès de son époux remarié comme gouvernante de ses propres
enfants, n'est pas l'idéal qu'il cherche pour ses distractions
d'après-dîner. Il voit donc avec une douce joie Le Gendre de
M. Poirier prendre rang sur l'atïtchc et reconnaît en lui une
vieille connaissance, très vieille même puisque voici belle lurette
qu'elle sert de pendant à la non moins vénérable M"*-' de la
Seiglière.
Miss MuUon a été interprétée au théâtre Molière avec soin et
conscience.
J^'
OTE? DE J-IBRAIRIE
L" Adversaire : sous ce titre vient de paraître chez Ollendort
un curieux roman qui a déjà soulevé, lorsque la Nouvelle Revue
Ta donné, la plus violente polémique de la presse protestante.
C'est, sous un récit dramatique, poignant et dont les détails sont
empruntés à la réalité, l'étude d'une folie "religieuse;. Les faits
sont vus. Les documents, surtout ceux sur l'Armée du Salut,
sont de première main. L'auteur, M. H. Maystre, qui occupe de
hautes fonctions dans l'église de Genève, a observé lui-même ce
qu'il dépeint.
A la même librairie voici la Bonne en Or, d'Henri Pagat, une
œuvre de slyle, taillée en pleine nature. Dans une forme limpide
d'une incontestable originalité, l'auteur analyse un vice grotesque
et meurtrier.
Il est d'une note bien personnelle, ce roman qui, foncièrement
chaste, traversé seulement par un amour de vierge, vibre aussi
passionnément qu'une épopée charnelle.
^ETITE CHROJNIQUE
La soirée « à sensation » qui préoccupe depuis quelques jours
le high life bruxellois et que nous devrons à la généreuse initia-
tive d'un amateur d'art bien connu, vient d'être fixée au mardi
2'2 courant. On sait qu'il s'agit d'une représentation — unique —
au théâtre de la Monnaie des deux |)Ius récents succès de la
Comédie française, L Hcrilièrc ('\ iSoc raie el êa femme, ]Oués par
l'élite des sociétiircs de la Maison : Reichemberg, Samary,
Tholer et les deux Coquelin. C'est au bénéfice des pauvres de
Bruxelles que cette représentation sera donnée. Elle fera date
dans nos annales artisti([ues.
Il est question de donner, également à la Monnaie, trois repré-
sentalions de V Arlésienne que l'Odéon, après l'avoir jouée sans
interruption pendant trois mois l'an dernier, a reprise, au début
de la présente saison, avec grand succès.
Ce seraient les artistes de ce théâtre qui viendraient interprêter
U Bruxelles la pièce d'Alphonse Daudet à laquelle Bizet a donné le
merveilleux cadre musical que les Concer'.s populaires ont déjU
fait connaître en partie.
Nous apprenons avec plaisir les succès l'cmporiés en Aulricbc
par l'un de nos compatriotes les plus estimés, le peintre Féli.%
Cogcn.. Invité par le Kunslverein de Vienne à exposer quel-
ques-unes de ses œuvres aux Salons organisés par les soins de la
société dans les villes principales de l'Autriche, M. Cogen a eu la
satisfaction de voir ses tableaux — parmi lesquels figurent ses
Femmes de pêcheurs de Scheveningue attendant la vente du pois-
son, ses Naufragés et plusieurs études de pêcheurs — loués jiar
l'ensemble des journaux et reproduits dans les feuilles illustrées.
C'est h Gralz que sont exposées, depuis quelques jours, les
œuvres de l'artiste.
Récemment nous manifestions le regret de voir abandonnées
par les artistes les attrayantes séances de musique dt)nnées dans
les ateliers. Nous apprenons avec plaisir que ces auditions vont
être prochainement reprises. C'est dans le magnifique atelier du
sculpteur Charles Van der Stappen qu'elles auront lieu. Elle»
seront Organisées par MM. De Greef et Agniez. La première est
fixée au 27 courant.
On a vendu cette semaine à la Galerie Saint-Luc, sous l'intel-
ligente direction des experts Etienne Le Roy et Jules De Brau-
were, les tableaux, aquarelles et dessins laissés par le peintre
Van Muer. Les enchères ont été vivement disputées par la foule
élégante qui a suivi, quatre jours durant, cette vente intéressante.
La première vacation a produit 18,974 francs, la deuxième
2.*), 310, la troisième 6,771, soit ensemble 51,055 francs. La
quatrième vacation n'est pas terminée à l'heure où paraissent ces
lignes. Voici quelques prix :
L entrée du Grand canal près de la Salule, 1,350 francs;
Llle Saint- Georges le «mr (Salon de 1866), 1,150 francs; Le
Grand canal devant le Môle et la Piazetta, 800 francs; Intérieur
de V Eglise Sainte-Gudule, 800 francs; la Place du temple à
Spalato, 950 francs; le Sanctuaire éC Edfou, 720 francs.
La distribution des prix décernés aux élèves du Conservatoire
de musique de Mons dans les concours de l'année scolaire
1884-1885 aura lieu au théâtre,' le 27 courant, à 11 heures.
Le notaii'e Van Halteren, à l'intervention de son collègue M« De
Keersmaecker, vendra publiquement, le lundi 28 décembre 1885, et
jours suivants, à dix heures du matins en la maison sise à Bruxelles,
rue N«uve, 26,
LE BEAU MOBILIER
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consistant notamment en meubles et objets de salon, de salle à man*
ger, de chambres à coucher et de cuisine ;
Batterie de cuisine en cuivre rouire et jaune; — Porcelaines et
cristaux ; — Linges de maison, de table et de cuisine ;
Argenterie et plaqué ; — Vins de Bordeaux et de Bourgogne ;
Piano-bulTet en palissandre de la maison Berden ;
Voitures : Un coupé de la maison Jones frères, et une Victoria-
mylord; — Harnais pour un et pour deux chevaux.
Exposition : La veille de la vente, Dimanche 27 décembre courant
de dix à trois heures.
La vente aura lieu au comptant, avec augmentation de 10 p %, à
titre de frais.
404
UART MODERNE
V CINQUIÈME ANNÉE
. \ ■ ■ ■ ■ • ' ■ -
L'ART MODERNE s'est acquis par l'autorité et l'indépendance de sa critique, par la variété de ses
informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune manifestation de l'Art ne
lui est étrangère : il s'occupe de littérature, de peinture, de sculpture, de gravure, de musique,
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouvemept artistique belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur tous les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaître.
Chaque livraison de L'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'actualité. Les expositions, les livres nouveaux, les
premières représentations d'œuvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires, les concerts, les
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Cinquième année. — N*' 51
Le numéro : 25 centimls.
Dimanche 20 Décembre 188j5.
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REVUE CRITIQUE DIS ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
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^OMMAIRE
Comment on dirige un théâtre. Quatrième lettre.
Parent. — Georgette au théâtre du Vaudeville.
Heusciiltng. - — Correspondance musicale de Paris.
LIBRAIRIE. — Petite ciirunique
— Monsieur
— Concert
— Notes de
COMMENT OX DIRIGE IN THEATRE.
Quatrième lettre (*).
'A Monsieur le Directeur de l'Art moderne.
. Je finissais ma lettre précédente en disant : Très
bien administré par des liommes expérimentés, très
regardants, rompus à toutes les difficultés du métier,
en possession de la faveur de notre public, le théâtre
de la Monnaie donnait normalement 40,000 francs de
bénéfices en ces dernières années.
Vous me communiquez une note, mon cher Direc-
teur, dans laquelle on affirme qu'en 1880-81 on a
atteint le chifïre de 122,000 francs; vous-même vous
m'objectez l'exercice 1884-85 dans lequel on a fait
50,000 francs. La réponse est facile : 1880 81, c'est
l'année du cinquantenaire; tous les théâtres de
Bruxelles ont eu une prospérité aussi intense que pas-
sagère; vous souvenez-vous du succès de l'Eden,
aujourd'hui délaissé? Nous parlerons de ces bénéfices
inespérés lors du centenaire, si nous vivons encore, ce
qui certes ne sera pas mo^i cas. Quant à l'année der-
(*) Voir nos trois derniers numéros.
nière, ce fut celle des crrandes économies dans les créa-
tions : je vous rappelle que la direction n'a dépensé
que 25,000 francs environ \}omv Obéron et les MaîtreS'
Clianieurs, soit 15,000 francs de moins au minimum
que \iOMV Sigurd et Hérodiade, 55,000 francs de
moins que pour Aida que la Ville a subsidié, si je
ne me trompe, dans une très forte proportion. Puis on
avait cette chance inouie d'avoir moyennant 3,000 fr.
par mois une première chanteuse d'élite qui faisait
presque constamment recette, M'"" Rose Caron.
C'était donc vraiment 40,000 francs la normale. C'est
bien elle aussi qu'on retrouverait sans doute en faisant
la moyenne des dix années de gestion de MM. Stoumon
et Calabrési, car il y en eut une, m'assure-t-on, après
laquelle ils furent largement en perte, soit par la pré-
sence à Bruxelles d'un cirque pour lequel nos dilet-
tanti s'étaient inopinément toqués, soit à cause d une
tentative d'augmentation du prix des places, soit parce
qu'il'^-n'avaient pas l'habileté qui depuis les caractérisa,
quesais-je?
Eh bien! c'est au moment où une pratique très
longue, très nette, ti^ès démonstrative vient ainsi
d'asseoir le résultat de cet4e entreprise aux facteurs
multiples, que l'administration communale (est-ce sur
l'ijiitiative de l'échevin des Beaux-Arts ?) a jugé à pro-
pos de faire dans la partie financière des modifications
qui, si elles eussent été en vigueur sous la très bonne
direction précédente, auraient eu pour conséquence
nécessaire de lui rafler net tout bénéfice et même de
la constituer en perte. - .
\
En effet, d'abord on a augmenté de 3,000 francs par
mois les frais d'orchestre, soit 24,000 francs de plus
pour la saison. D'après le cahier des charges actuel,
l'orchestré coûte 12,375 francs par mois, non compris
les deux chefs, le harpiste, les répétiteurs, les accompa-
gnateurs exécutant les parties d'orgue. On a certes vu
avec plaisir, en général, la majoration des appointe-
ments des excellents musiciens dont les interprétations
seraient uniques si elles n'étaient pas quelquefois un
peu bruyantes. C'est surtout depuis que les examens
récemment institués ont supprimé quelques non valeurs
que ce merveilleux ensemble a été obtenu. Pourtant
j'ai entendu des spécialistes trouver que c'était peut-
être cher. Les prix actuels sont de 250, 225 et 200 fr.
pour les chefs de pupitre, de 180 à 140 francs, pour les
exécutants ordinaires ; nul n'a moins que cette dernière
somme, sauf la batterie dont les trois servants ont cha-
cun 100 francs.
Ci donc, une dépense supplémentaire de 24,000 francs,
à quoi il faut ajouter : 15,000 francs au moins pour le
subside supplémentaire que la Ville payait pour couvrir
en partie les droits d'auteur de 150 francs par soirée ;
de plus, 10,000 francs pour la rétribution des Concerts
populaires, qui payaient la salle taudis que mainte-
nant on impose à la direction d'en donner l'usage sans
autre compensation qu'une légère restitution de frais.
Total ; 49,000 francs!!!
-Il n'y a pas lieu de s'étonner que MM. Stoumon et
Calabrési aient tiré leur coup de chapeau.
Mais il y a lieu de s'étonner que la Ville ait commis
pareille injustice. Il faut croire qu'elle n'avait pas
analysé la situation, ni épluché les comptes.
J'ai trouvé singulier au premier abord que des direc-
teurs nouveaux se présentassent. Je ne cessais de dire à
cette époque, et je n'étais pas le seul, qu'une exploita-
tion sur ces bases nouvelles était une duperie, qu'avec
beaucoup de peines et de soins elle n'arriverait qu'à
nouer les deux bouts. Je serais curieux de connaître les
derniers bilans mensuels de septembre, octobre, novem-
bre : je suis convaincu qu'il y a perte, même en ne
tenant pas compte de ce que je qualilBerai frais de pre-
mier établissement, c'est-à-dire les dépenses inévitables
et passagères résultant des écoles commises par un
nouveau venu et de la mauvaise humeur des abonnés
dérangés dans leurs habitudes, ennemis des nou-
veautés, et partant juges trop sévères. Il est vrai que
les mauvais mois sont les quatre premiers; il y a tou-
jours recrudescence de janvier à la fin (Je la saison; il
y a aussi les bals masqués. Mais précédemment on
équilibrait, ou à peu près, pendant la première moitié.
Je le répète, je trouvais singulier que MM. Campbcasso,
Verdhurt, Alhaiza fussent en compétition. Je me
disais que si on pouvait se rendre compte, il n'y aurait
personne. Mais voilà : c'est qu'on ne pouvait se rendre
compte. L'exploitation du théâtre de la Monnaie a tou-
jours été un mystère quant aux chiffres. On a laissé
courir à son sujet toutes sortes de légendes. On n'a
jamais rectifié les évaluations fantaisistes des journaux.
Je crois que les concurrents n'ont pas le droit d'exa-
miner au préalable la comptabilité de leurs prédéces-
seurs. On n'arrête pas un devis préalable comme en
matière de travaux publics. On soumet, on ne sait
pourquoi, cette lourde et obscure entreprise à un
régime spécial Tout est hasard pour qui se présente
et c'est d'autant plus trompeur que les imprésarios
sont sujets à d'étranges illusions. C'est par accident
qu'ils apprennent ce que coûtent les artistes en exer-
cice et ils ne sont jamais bien au courant de ce point
essentiel quand, dès février, ils sont dans la nécessité
de recruter leur troupe nouvelle. Les impairs les plus
désastreux peuvent se produire sans qu'ils s'en doutent.
Aussi souhaiterais-je que, très franchement, on pu-
bliât chaque année les comptes, afin que chacun pût
savoir par le menu ce que coûte une troupe qui,
pour les vrais amateurs, désintéressés de toute préoc-
cupation sentimentale à l'égard du ténor ou de la forte
chanteuse, serait l'honnête pratique du cahier des
charges et la proscription de tout carottage (excusez la
familiarité du mot). En agissant ainsi, la Ville attein-
drait un triple but : d'abord elle montrerait si vrai-
ment l'accroissement de charges qu'elle a imposé
était opportun. Ensuite, il y aurait un point d'appui
très ferme pour discuter avec les artistes le mon-
tant de leurs engagements. Je ne puis faire plus,
pourrait leur dire la direction, statistique, officielle en
mains; actuellement ils s'imaginent toujours que la
direction qui marchande veut les gruger. Enfin, mes-
sieurs les journalistes (ils ne m'en voudront pas, je
l'espère, de les mettre si souvent en cause), seraient en
mesure de mieux se rendre compte de la situation, et
de ne plus réclamer à cor et à cris des choses irréali-
sables, ce qui serait fort heureux pour ceux qu'ils
piquent journellement de leurs aiguillons.
Remarquez que cela ne serait pas absolument nou-
veau. Les journaux parisiens donnent chaque mois le
bilan de l'Opéra. Ils renseignent aussi sur les recettes
des autres exploitations dramatiques ou lyriques.
Mais je reviens à mon propos principal qui se résume
en ceci : à un théâtre qui faisait normalement
40,000 francs de bénéfices, on a imposé 49,000 francs
de charges nouvelles.
C'est à n'y pas croire et que peut-on espérer d'un tel
régime ?
L'état des choses était déjà trè^ tendu. En eff'et,
40,000 francs, c'était à peu près ce que donnaient les
bals. Ils coûtent 5 à 6,000 francs de frais et rapportent
de 30 à 40,000. De telle sorte que prenant l'affaire à
un point de vue nouveau, il était permis de dire que
notre première scène lyrique, l'honneur et la joie de
la capitale, l'expression suprême du grand art en
Belgique, dépendait tout entière du point de savoir
s'il y aurait, au début du carême et à la mi-carême, un
nombre suffisant de pierrots, de bergères et de postil-
lons qui se décideraient a aller chahuter au théâtre et
à irriter leurs gastrites avec le Champagne de pacotille
qui se débite au foyer et dans les couloirs !
La vérité est que les avantages financiers anciens
étaient déjà insuffisants. Deux directeurs n'ayant à se
partager comme bénéfices que 40,000 francs, avec les
chances terribles et presque toujours foudroyantes, en
pareille matière, d'une déconfiture, c'est peu. Aussi, à
mon avis, n'a-t-on pu attirer des amateurs pour une
telle aventure qu'en leur dissimulant la réalité, comme
je l'expliquais plus haut. Ce n'est guère louable. Pour
reprendre ma comparaison de tantôt, je signale que
dans les adjudications ordinaires, l'Etat, les provinces,
les communes acceptent la responsabilité de certains
événements imprévus inhérents à l'entreprise : si, par
exemple, on tombe sur du mauvais terrain, des sables
boulants, on indemnise ou on secoure l'entrepreneur.
Au théâtre de la Monnaie, rien de pareil : qu'il y ait
une crise de forts ténors, qu'une création dépasse les
prévisions en dépenses de tous genres, qu'il y ait un
changement dans la vogue, toutes circonstances qui
sont de véritables cas fortuits, la Ville se regarde
comme désintéressée et une subvention nouvelle ne
saurait être obtenue que péniblement et comme une
faveur.
Tout cela est extrêmement périlleux pour l'avenir
du théâtre. En vérité» les subsides et les avantages
loin d'être diminués auraient dû être augmentés. Il
était notoire que la troupe, tout en présentant quelques
très belles personnalités, était depuis des années insuf-
fisante sous certains rapports et que les trous qui s'y
trouvaient n'étaient masqués que par l'adroite urbanité
des directeurs. Ils savaient bien, eux, qu'ils ne pou-
vaient sans se constituer en perte, dépenser par mois
les quelques milliers de francs de plus qui eussent été
indispensables pour que rien ne manquât.
Aussi amusaient-ils, endormaient-ils, détournaient-ils
de ce scabreux sujet l'attention du public. Les 46,000
francs que j'indiquais dimanche dernier pour l'ensemble
du personnel artiste sont un minimum embarrassant à
maintenir. Vous avez dû être frappé de cette circon-
stance, que 3,500 francs pour la première chanteuse
de grand opéra et 3,500 francs pour la première chan-
teuse d'opéra-comique sont des limites extrêmes. On
dit que M^'® ^ézeray a 6,000 francs par mois. M"'® Ca-
ron ne voulait rester qu'à 5,000 francs, plus les cos-
tumes, soit également 6,000 francs. C'est dans ces prix
qu'était engagée autrefois M'"^ Fursch-Madier. De
même, est-on assuré d'avoir un bon fort ténor pour les
5,000 francs que j'ai posés? Et un bon premier ténor
léger pour 4, 000 francs? Non, n'est-ce pas étant donnéesy
les exigences, légitimes, à mon avis, de notre public?
Il faut donc se résigner à dire que nos deux troupes
exigeraient pour être ce qu'elles doivent être, non pas
46,400 francs par mois, mais de 50,000 à 55,000 francs.
Aussi suis-je convaincu qu'il faudra que la ville
revienne à des mesures plus équitables. Elles s'imposent
à qui sait compter. Notre théâtre donne, je l'ai dit, une
moyenne de 950,000 francs de recettes avec les sub-
sides actuels qui s'élèvent à 200,000 francs. On ignore
qu'à Lyon et à Marseille, pour ne pas citer d'autres
centres, ils soilt de 250,000 francs pour six mois seule-
ment, c'est-à-dire 42,000 francs environ par mois,
contre 25,000 francs chez nous. Ces scènes nous dis-
putent les chanteurs et peuvent nous les enlever^ parce
qu'*elles peuvent mieux les payer. Il faut admettre cette
loi et s'arranger pour en triompher. D'autre part, les
dépenses sont connues et irréductibles. Depuis les aug-
mentations de charges, elles atteignent et dépassent les
recettes. Il faut, dès lors, retrouver le bénéfice qui
raisonnablement doit être maintenu à 30,000 francs au
moins, et l'augmentation pour les frais de la troupe
qui doit s'élever à six ou huit mille francs par mois. Il
faut donc une centaine de mille francs en plus, ou si
l'on supprime les charges nouvelles, une cinquantaine
de mille francs.-
Comment les trouver ?
Bien des combinaisons sont possibles. D'abord, un
partage entre la Ville et la Liste civile qui, présente-
ment, donnent chacune 100,000 francs. Ou bien une
suppression de charges, telles que le gaz, l'emploi à la
réfection des décors et costumes d'un quart du subside
annuel, l'obligation d'admettre gratuitement les con-
certs populaires, etc., etc.
Une autre idée que j'entendais émettre ces jours-ci
par un homme très compétent avec qui je causais de
tout ceci, m'a paru particulièrement digne d'attention.
« Notre grand théâtre, disait-il, dessert aciuellement
le pays entier. Grâce aux trains de minuit, on vient
d'Anvers, de Gand, de Louvain, de Mons. Aussi les
théâtres de province sont-ils dans le marasme. Vous
savez^les bruits qui courent à ce sujet. Seul Liège
résiste bien,, précisément à cause de son éloignement.
Je ne parle que pour mémoire de nos grandes com-
munes suburbaines qui elles aussi jouissent du même
plaisir sans payer un sou de nos subsides. Dans ces ■
conditions, il serait juste que l'Etat intervînt. Une
forme me paraissait heureuse pour ce concours : qu'on
rattache l'orchestre du théâtre au Conservatoire qui
mieux que personne, peut le recruter, le diriger,
l'inspirer; qu'il en devienne une dépendance et une
institution... et que l'Etat le paie. Il coûte 12,000 francs
par mois, cela fera juste la centaine de mille francs
f
408
LART MODERNE
qui manque pour que le théâtre de la Monnaie soit le
meilleur du monde. »
Et maintenant, mon cher Directeur, que j'ai dit tout
ce que j'avais sur le cœur, je retourne à ma stalle, un
peu essouflé, je l'avoue.
^ON^IEUR ^ARENT
Les temps où M. Zola était caricaturé menant en laisse ses quatre
chiens fidèles, MM. Huysmans, Maupassanl, Alexis et Céard, où
sont-ils? La presse ne distinguait point entre ces cinq écrivains;
les ({uatrc derniers étaient sensés remâcher ce que mâchait d'im-
mondices M. Zola cl faire comme lui — le resté. I/injure était
adressée à la collectivité; bien plus, si quelqu'un y mettait par
hasard une atténuation, il avait souci d'imprimer qu'elle ne visait
que le maître. On ii(hiiollait (|u'îi de rares intervalles ce dernier
sortît de sa houe et courût dans la littérature, les pattes propres
et le museau net. Les Contes à Ninon, richjlle de Miette et de
Silvère, In Genèse du Paradou imposaient aux plumes cette
justice. Quant aux disciples, jamais il ne leur échut de se voir
ménagés : ils étaient gale et lèpre des pieds jus()u'à la léte,
pourriture depuis la pointe du nez jusqu'à la pointe des orteils.
Us commettaient leurs vers et perj)étraient leurs hvres. Oh! les
petits volcans portant en eux le feu des Sodomes et la lave des
Gomorrhes.
Il est de fatalité en littérature, quand un génie indique une
voie nouvelle, que tous ceux qui l'y suivent soient confondus les
uns avec les autres et traités de plagiaires. Ils forment troupeau,
amas, grappe; on leur refuse toute individualité, toute personna-
lité. Ils n'existent point et l'on affecte d'ignort r leur nom.
D'ordinaire parmi ces artistes il en est qui sont eux et ce n'est
qu'une sympathie d'idée qui les lie -à «a-ffla'i^tfe. Celui-ci est
venu fixer une formule, réaliser une phase de l'évolution
artistique, abattre une convention vieillie : ils lieniient compte
de ce changement, et voilà tout. Seulement lî^^ycri tique et le
public sont là, qui ne jugent que d'après les apparences, qui
acceptent les jugements faciles, qui les provoquent, qui con-
fondent «///oz/r avec a/f«/owr niaisement ou malignement, qui
ne distinguent point entre les plagiaires et les originaux, entre
r Attaque du moulin et Boule de suif. Pour eux ces deux nou-
velles sont toutes deux identiques parce qu'elles sont naturalistes,
toutes deux mauvaises pour le même motif, toutes deux illisibles
pour la même raison. Et la légende se crée, énorme, injuste,
indéracinable. Guy de Maupassant? Un sous-Zola. Huymans?
Un sous-Zola. Et « la clique de Médan » est désormais un cliché
de presse si consacré que les typographes n'en séparent plus lés
lettres et qu'il sert tous les jours pour les nouvelles à la main
aussi bien que pour les cousidéraiions esthétiques du critique
en habit noir. On n'examine plus^ on ne discute plus. Zola se
métamorphose en écrivain à dix mains, les deux siennes et les
huit autres de ses amis. 11 devient ane sorte de dieu indoii.
Ce qu'il a fa'lu de talent à MM. Huysmans, de Maupassant et
Céard pour reconquérir leurs mains et casser l'idole, qui le fera
comprendre? Pendant cinq ans leurs livres n'ont point été jugés
à part; ils semblaient des annexes aux Rougon-Macquart.
Marthe (antérieure à Nana), une imitation. Les Sœurs Vatard?
elles habitaient rue Goulle-dOr. La Vénus rustique? c'était
Albine du Paradou.
Enfin Zola, dans sa célèbre polcmi(iue avec Albert Wolff, fut le
premier à mettre on relief les talenis si spéciaux de ses (jualre
amis. II marqua chacun d'un chiffre dift'ércnl, trancha leur per-
sonialiti', fit de la lumière par dessus leur tête. et, gi'âce au
retentisîremenl de sa bataille, quehiues bonnes oreilles, pas
méchantes, entendirent raison. Depuis, une détente s'est mani-
festée dans le parti-pris et l'hostililé, si bien qu'on se résigne à
ne plus contester ni l'étonnante acuité artistique de Huysmans,
ni la maîtresse simplicité de Maupassant.
Dans le groupe d'écrivains élicjueté naturalistes, ce qui carac-
térise l'auteur (le Monsieur Parent., c'est que plus que tor.t autre
il sait hausser le terre-à-lerre el la vulgarité de la vie jusques à
l'art. Tous les naturalistes ont la volonté de ne traiter que des
sujets courants, des scènes banales de tous les jours, des faits
ramassés au hasard de l'obseivaiion moyenne et bourgeoise.
Mais tandis que les uns, tel Zola, construisent immédiatement à
côté de leur élude des monuments de symbolisme épique el de
fantaisie grandiose el que les autres, tel Huysmans, se sentent
attirés vers les natures d'exception au point de rêver des
Esseinles, Guy de Maupassant lire le drame et la beauté de l'ob-
servation même, affectant de ne rien outrer, de ne rien gonfler,
de ne rien grandir, au contraire. Il tient à n'employer aucun
moyen extraordinaire, aucune invraisemblance, aucun deus ex
machina^ pour atteindre ses eflets. 11 n'est pas d'écrivain qui
sache autant que lui dramatiser simplement. Il fait de l'analyse
poignante el sans tapage et sans embarras. Il ne crie point sur
les toits ce qu'il va démontrer; il n'étale pas son entrée en
matière, il l'expose; il ne tranche pas des noeuds gordiens, il les
délie.
Son talent éclale surtout dans la nouvelle. Par nature celle-ci
se prêle î» l'observation claire et peu complexe ; sa dimension
est un cadre parfait pour une narralion brève et nullement
épique.
Le roman, qui grandit toute étude, qui se carre avec des pré-
tentions d'épopée, veut autre chose qu'un fait-divers si bien
exposé soit-il ; le roman, quoi qu'on en ait, prétend rester une
œuvre, d'observation certes, mais d'imagination surtout. Je ne
sache pas qu'il y en ait un seul de dissection pure. L'esprit
ne peut s'astreindre à n'écouter qu'analyse et pathologie, cinq
cents pages durant. Il faut une échappée soit description, soit
fantaisie, soit dissertation. Un vrai roman ne sera jamais une
longue nouvelle.
Une Vieai Bel-Ami ne sont que cela.
Quant à Monsieur Parent^ c'est l'histoire d'un brave homme
timide que maie sa femme Çt qu'elle trompe et qui s'éloigne
seul, maussade, fini, laissant là son ménage où r««/re s'installe.
11 y a un fils. De qui csl-il?
Quelques quinze ans après, M. Parent, dans une guinguette à
Saint-Germain, retrouve sa femme el Vautre et l'enfant. Une scène
a lieu. Dramatique? Oh ! que non, bien que le mouton ait eu tout
le temps de devenir enragé. M. de Maupassant, toujours simple
et réel, se limite à noter avec une sobriété superbe la si Irislc
apostrophe du mari à la femme et du père à l'enfant. El la nou-
velle se clôt :
a El il s'en alla gesticulant, continuant h parler seul, sous les
grands arbres, dans Tair vide et frais, plein d'odeurs de sèves.
Il fie se retourna point pour les voir. Il allait devant lui, marchant
sous une poussée de fureur, sous un souffle d'exaltation, l'esprit
emporté par son idée fixe.
« Toula coup, il se trouva dcvanl la gare. Un train parlait.
Durant la route sa colère s'apaisa et il rentra dans Paris, slu|)éfait
do son audace. » *
On peut étudier tout Guy de Maupassant dans ce&v quelcjues
phrases de dt^noûmenl. ^
Georgette au théâtre du Vaudeville.
M. Victorien Sardou adore (les gazettes ont eux soin de nous
l'apprendre) les bibelots, raretés, curiositc^s. Il en possède une
célèbre collection, quelquefois mc'me il consent à exhiber au
public quelques-unes de ces vieilles machines et les amateurs
'd'antiquités meurent de jalousie. En furetant, l'autre jour, dans
une boutique de bric-à-brac, il a trouvé une curieuse robe û
formes monacales, fort usée et fatiguée.
— Quel est cet objet? a demandé au marchand l'académicien
amateur.
— Monsieur, cVsl une pièce riche et rare. C'est la robe du
Rév. Père Dumas fils, ce prédicateur dramatique qui monte en
chaire pour soutenir des thèses sur l'union possible avec les
cocottes, sur le mariage moral avec les filles-mères, sur la néces-
sité pour les hommes de garder leur innocence jusqu'à vingt-
huit ans, sous peine de n'épouser que des demoiselles ayant déjà
servi. L'objet est de prix.
— En très mauvais é!at! il a été beaucoup porté, on voit les
ficelles. -
— Oh! Monsieur Sardou, il est d'un excellent rapport, pre-
nez-le, melle/.-le, vous aurez chaud là- dedans comme dans un
four.
Et M. Sardou acheta la robe d'apôire. Elle est un peu large
pour lui, dedans il semble trop mince. Cependant, hier soir,
l'habile auteur l'a revêtue, et dans cet attirail il a présidé une
soirée de conférence pour hommes et dames seules.
Nous avons cru d'abord élre au théâtre du Vaudeville, mais
l'erreur s'est vite dissipée, nous étions bien au boulevard des
Capucines à une conférence contradictoire. Pour exposer ses
théories, le président avait trouvé une troupe d'orateurs éton-
nants. Leur force de parole est merveilleuse, ils parlent, ils par-
lent, ils parlent, rien ne les arrête, rien ne les fait taire. Ils dispu-
tent, argumentent, ratiocinent, jonglent avec les « attendus »,
jouent avec les « considérants », à débcspérer les substituts les '
plus agréables.
Ainsi, hier, le texte choisi était bien connu :
Un galant homme peut-il épouser une fille de fille?
Ce sujet est classique, il est traité couramment par les plus
faibles candidats de philosophie au baccalauréat. Eh bien! les
parleurs de M. Sardou fournissent aisément là-dessus un travail
de une heure à une heure et demie.
Très nourri des textes, très au courant des documents, connais-
sant et le Fils de Coraliey et les -Idées de M"^ Aubray, et les
Mères repenlies^ ils ne sont pas restés à court un seul instant ;
ils ont parlé quatre acti s, ils en auraient parlé dix.
Remarqué d'ailleurs dans la salle, derrière M*"" Barlet, Réjane,
Vrignaull, Pierson, Sizos, MM. Falalcuf, Cléry, Rousse, Bétolaud,
Martini, tout à la joie d'une pièce qui leur rappelait les finesses
exquises do la !''<' chambre. '
Voici les noms de ces conférenciers infatigables même sans
verre d'eau.
M"« Tcssandier, Gcorgelle, se donnant comme ancienne im-
pure, ex-dame à militaires gradés, ex-clianleuse do café-concert,
cx-Gcojotte, devenue sur le retour l;i richissime lady Chirington,
mais n'étant en réidilé qu'un orateur délégué du clubdes femmes
libres. Dit avec une rare éloquence dis nouveautés superbes
telles que : La fille tombée au vice par besoin est moins coupable
que la femme conduite au mal par libertinage. A soutenu avec
une réelle vigueur l'affirmalive : oui, le galant homme peut
épouser. Possède d'ailleurs un salon oii tout le monde dit triste-
ment des choses très légères. Etrange plaisir auquel je préfère
encore le piano. ,
• M"i« Fromentin se dit comtesse de Chabreuil, mais s'habille
comtpe un prince russe, et n'est qu'une élève de M*"^ de Genlis
ou de quelqu'aulre dame horriblement bavarde pour le bon
motif. A défendu avec talent la négative.
M. Dupuis, Clavel de Chabreuil, s'intitule colonel en retraite,
mais n'est qu'un avocat en activité; l'oraîenr a débité avec un
naturel exquis des tirades de s\ pieds, six pouces. Le seul
reproche que je lui ferai est d'user de raisonnements à double
déduction pour ramener une fille à l'amour de sa mère 11 a mis
une véritable éloquence an service du système mixte : Non, un
galant homme, lieutenant de vaisseau, ne peut pas (épouser la fille
susdite, mais son oncle, colonel d'infanterie en retraite, peut fort
bien le faire.
M. Montigny, Contran de Chabreuil. Ce personnage, à cô'eleltes
bien taillées et à dignité bien tenue, se donne comme officier do
marine en congé de convalescence. Mais en réalité, c'est un
substitut apprécié au parquet pour son idéale froideur. Il aime la
fille de Coralie, non, de Georgelte, mais il n'exprime son amour
qu'en paroles. S'il est légèrement épris, il plaide une heure; si sa
flamme augmente, deux heures; si elle le dévore, trois heures.
Jeune homme de la « pure crème » il raconte à des jeunes filles
l'histoire de Geojotte ou les scanda'es'de Marseille.
Cet officier a été à Kélung et à Formose; nous l'y aurions perdu
que nous n'en ferions pas un gros grief à M. Ferry et C"". Je
n'aime pas beaucoup son énuméraiion avec dates exactes des
dames de sa. famille qui ont contribué au bonheur de nos rois.
C'est un de ses arguments pour plaider la cause de son nK.riagi\
Il est d'un goût douteux, et les fils de famille qui savent exacte-
ment la chronologie des fautes de leurs aïeules doivent avoir un
arbre de généalogie bien cocasse.
M"® Brandès, Paula, la fille de Georgette, a trouvé entre doux
conférences le temps de révéler un grand talent. La jeune actrice
a joué le désespoir de Paula apprenant de qui elle est fiile avec
une émotion et une sincérité qui ont enlevé la salle. Ces belles
larmes là ont empêché la pièce de se noyer. Le malheur donne
immédiatement à l'héroïne le don des grandes phrases, dès
qu'elle sait tout elle se met à parler Dumas. M"^ Brandès est fort
jolie, c'est en vain que le colonel assure que Paula est tout le
portrait de son père, un officiera énormes moustaches, le public
n'a pas été de son avis.
M"® Dharcourt, ingénue découverte au théâtre de Nice par le
fureteur Sardou a été chargée de petites tirades sur les jeunes
filles qui jouent au bon dieu et veulent se faire religieuses parce
qu'un bel officier en congé de convalescence ne veut pas d'elles.
La débutante les a sjonliment dites et M. Sardou a découvert là
un joli bibelot dramatique qui, hcureusemeat, n'est pas du
temps.
Mil* Marguerite Caron est chargée du rôle équivo«iue d'une dame
qui vient aux deux premiers actes dire des plaisanteries salées.
^
r
410
LART MODERNE
Ce besoin d'exprimer des idées polissonnes amène une histoire
de chemin de fer loulà fait triste et où l'on parle d'un monsieur
que le passage des ponts anime beaucoup. J'ignorai^ cet aphrodi-
siaque.
Un personnage qui rcsie toujours dans la coulisse m'a beaucoup
plu. Au moins celui-là ne parle pas. C'est le vieux mari de Gcor-
gette, lord Claringlon, qui se meurt au premier élagc de l'hôtel,
tandis qu'au rez-de-chaussée chacun s'occupe de ses petites
affaires. Son agonie dure toute la pièce; au lieu de musique, on
a mis sur la brochure : moribond jusqu'au baisser du rideau. De
DeTcmps en temps on donne de ses nouvelles. C'est très amusant.
Ce rôle muet à la canlonnade a les plus jolis mots de la pièce.
Est-ce bien une robe que M. Sardou a acheté au marchand de
bric-à-brac de M. Dumas? -
Charles Martel
5!l0NCERT ]4eU3CHL1NQ
M. Heusehliiig s'est dit : « Les piano-recilnls sont à la modo.
Pourquoi ne ferais-je pas, moi, un vocal-recilall Vite, un local, un
piano, un accompagnaleur, et en avant ! »
rétait hardi. N'offrir au public, pendant toute une soirée, que
la vue (de face) d'un monsieur en habit noir, tenant à la main un
cahier de musique, et l'aspect (de profil) d'un second monsieur
en habit noir tourmentant le clavier d'un piano!... Et pour heur-
ter davanlage encore les conventions reçues, cet effronlé baryton
ne s'avise-l-il pas d'obliger son auditoire à écouter de la musique
hclgCy <ît de se doiîner le malin plaisir de la chanter si bien que
cet auditoire, vaincu, est forcé de l'applaudir avec énergie?...
.. Aussi rusé qu'habile chanteur, et connaissant les cordes qu'il
faut faire vibrer pour plaire à l'auditoire, en grande partie fémi-
nin, qui remplit la salle, M. Heuschling choisit traîtreusement un
sujet d'irrésistible effet : il chante l'amour, rien que l'amour,
l'amour passionné ou contenu, mélancolique ou ardent, l'amour
qui pleure sur une tombe, l'amour qui guide doucement les
amants dans les mystères de la ramée. Il évoque des bruits doux
de baisers, des frôlements soyeux d'ailes palpitantes. Aimons-
noHs follement^ Chanson du printemps. Chant d'amour, Prima-
vcra, Poèlue d'amour^ Soir dé printemps, variations sur un
tlième unique, qui finit par faire tourner toutes les petites têtes
qui l'écoutent, lèvres frémissantes, œil humide.
Ah! le séduisant chanteur, et que MM. Dupont, Micholte,
lluberli, Deppe, Wouters,. Radoux doivent lui savoir gré d'inter-
pré.er avec autant de charme leurs inspirations !
Le cycle de poésies de M. Lucien Solvay, mises en musique
pnr M. Auguste Dupont, a eu, avec /e Pauvre Piéride, de Schu-
mann, traduit par M. Kufferalh, les honneurs de la soirée.
El pour récompenser son auditoire attentif, M. Heuschling lui
a fait, pour finir, la surprise d'un Trio-Sérénade de Mozart,
absolument exquis, dans lequel il a « donné la réplique-» à deux
de ses élèves. L'amour du xviii* siècle, bandeau sur les veux,
carquois au dos, est venu, pour couronner celte amoureuse
soirée, saluer son cadet du xix*'.
CORRESPONDANCE MDSICALE DE PARIS.
Tout entier à mon compte-rendu du Cid,, j'ai omis de vous
informer qu'on avait pendu récemment au théâlre des Nouveautés
une Crémaillère qu'il a fallu dépendre bieu vile !
La pièce était de MnM." Burani et Brasseur fils, musique de
Robert Planquette. Par moments on aurait bien voulu rire, mais
la presse et la gent dramatique et littéraire ayant voulu montrer
qu'elles trouvaient mauvais que le fils d'un directeur se fît, à la
fois, acteur et auteur, on s'est pincé les lèvres et on a laissé les
artistes se battre les flancs sans pouvoir décrocher le ndoindre
éclat de rire. J'ajoute tout de suite que la pièce n'avait ni queue
ni léle, mais elle en valait bien d'autres qui ont tenu l'affiche
plus longtemps. On a voulu faire la leçon à un directeur trop
envahissant. A chacun son métier.
On a donné au Conservatoire l'audition de l'oralorio Hérode^
ouvrage couronné au concours Rossini. Le poème de M. Georges
Boyer est d'une forme quelque peu affectée, comme tout ce
qu'écrit cet auteur, mais la musique qui s'en inspire est au con-
traire pleine d'accent et fait grand honneur à M. William Chau-
met, dont le nom a été acclamé.
Enfin, nous avons eu la Béarnaise l poème de MM. Lelcrrier
et Vanloo, musique de M. Messager. C'était la première partie
qu'allait jouer la direction Ugalde et je comprends qu'elle ait
tenu à se réserver les atouts en remerciant une partie des inler-
prôtes, à la veille de débuter, pour les remplacer par des artistes
triés sur le volet, avec Jeanne Granier en tète.
Pauvre Jeanne Granier, la voilà déjà passée à l'état de sou-
venir! et avec elle tout le répertoire de Charles Lecocq à la
Renaissance! Ce n'est pas que l'artiste ait perdu, non, elle a
même gagné, surtout en rotondité; mais on la voit si peu et
elle apparaît de si loin en si loin, que cela fait un peu l'effet d'une
résurrection. Et-quelle gaîlé, quel entrain met-elle encore dans
tout ce qu'elle interprète; quelle finesse, et comme elle avait l'air
heureuse de se retrouver sur les planches avec ses anciens cama-
rades : le tonitruant Vauthier el la fluette Milly Meyer!
De la pièce, je ne vous dirai rien; c'est long et inénarrable
d'embrouillamini; cela repose sur un travestissement de femme
en homme, donnant lieu à des méprises et à des situations dans
lesquelles Mn^' de Maupin seule a triomphé; mais les librettistes
d'opérette aiment les sentiers battus. Des trois actes le premier
est long, le second est parfait et le troisième insignifiant.
Quant à la musique de M. Messager, elle a meilleure allure et
surpasse en finesse el en distinction la Fauvette du Temple.
L'orchestration est soignée et chacun a applaudi une heureuse
inspiration dont il rêve en secret un meilleur emploi.
Le Cid vient d'être repris après un silence d'une huitaine de
jours, silence dû à l'indisposiiion de M. Jean de Reszké. De
pareils relards dans une œuvre qui fait Ses premiers pas sont
souvent funestes; on l'a vu pour Henri VIII; puisse-t-on ne
pas le voir pour le Cid.
Jl faut battre le fer tant qu'il est cliaud.
11 y a bien une question chaude en ce moment, mais je ne
veux pas y insister, de peur de paraître rengaine, c'csl la question
Lohengrin. M. Carvalho passe outre, paraît-il. Tant mieux.
Au Conservatoire, réouverture des fameux concerts, sous la
conduite du nouveau chef, M. Garcin, un bon et sincère artiste
auquel des gens mal intentionnés veulent donner du fil à retor-
dre. Il y a donc de ces gens-là parmi les musiciens de la société
des concerts?
GUTELLO.
VART MODERNE
411
JSOTE^ DE LIBRAIRIE
C'osU une rdclle bonne forlune que d'annoncer l'apparition d'un
nouveau volume de Paul Sauni^re. Fleur de Vertu vient de
paraître chez Marpon et Flammarion. Dans celte étude 1res
fouillée des mœurs de la vie môd'erne, l'auteur, avec beaucoup
de tact et d'habileté, a mis en scène une jeune fille aux prises
avec les nécessités de la vie et les mœurs scabreuses de nos cou-
lisses. Le lecteur y reconnaîlra facilement certains personnages
pris sur le vif, qui donnent à ce drame émouvant rinlérét de la
plus piquante actualité.
Les mêmes éditeurs viennent de mettre en vente : Ladies et
Gcnllemen. par Marie et Robert Hait. Ce nouvel ouvrage de l'au-
teur de V Histoire d'un Petit Homme est une peinture vivante
des mœurs anglaises. La simplicité du style et la richesse des
descriptions en font une lecture attrayante et recommandée aux
jeunes personnes. Le livre se compose de deux parties. La pre-
mière, «Battu par des demoiselles», renferme une charmante
intrigue, où le ttirlage, si familier à nos voisines d'Outre-Manche,
se montre dans toute son ing '«niosité. La seconde nouvelle : « Les
suites d'un Cook's tour », indique par son titre une succession
d'aventures entamées sur un break dont l'agence Cook gratifie nos
promenades. '
pETITE CHROJSIQUE
M. Frantz Meerls, récemment revenu d'Italie, a exposé cette
semaine, au Palais des Beaux-Arts, la copie que le gouvernement
belge l'avait chargé de faire à Florence, et qui a nécessité pour le
consciencieux artiste un long et minutieux travail. Il s'agit d'une
Adoration des Bergers, de très grandes dimensions, vaste trypti-
que composé d'un grand nombre de figures, par Hugues Van den
Gocs.
Indépendamment de l'intérêt qui s'attache pour nous à avoir
l'exacte reproduction du maître belge dont les œuvres sont si
rares, le tableau en lui-même est fort beau, d'une étonnante
pénétration, et d'une originalité de composiiiori qui révèle la
griffe de l'artiste.
M. Meerts a accompli son travail avec une habileté extraordi-
naire, et un respect absolu de la facture et des moindres inten-
tions du maître. Quand le temps aura émaillé les couleurs, cette
copie aura certes l'éclat et la puissance d'une œuvre originale.
Un seul détail fera apprécier l'exactitude que l'artiste a
apporté à l'exécution de son œuvre. Des trois parties du tableau,
le volet de droite est le plus harmonieux, le plus chatoyant de
coloris, le plus séduisant d'aspect. C'est que ce volet, dans l'œuvre
d'Hugues Van den Goes a échappé aux « améliorations » que le
gouvernement italien a tentées à l'égard du panneau central et
du volet de gauche en lavant le tableau et en le débarrassant des
glacis employés par le peintre. Cola paraît invraisemblable, et
c'est malheureusement vrai. On sait que le même procédé de
nettoyage a été employé à l'égard de certaines toiles de Rubens...
Quoi qu'il en soit, dans la copie de M. Meerts, le volet de droite
apparaît dans le rayonnement de son coloris chaud, harmonique,
sonore. Les deux autres parties semblent plus froides, ce qu'elles
sont en effet dans l'œuvre originale. Nous ne pensons pas que
l'art du copiste puisse aller plus loin.
Un décorateur habile de Bruxelles vient do renouveler la superbe
industrie des cuirs de Cordoue en faisant exécuter par des
artistes, sur des feuilles de cuir recouvertes d ur.e touille d'argent,
des compositions polychromes se détachant sur un fond d'or
martelé à la main. Pour la première fois, croyons-nous, l'ancien
procédé des maîtres décorateurs d'autrefois est employé en
Belgique; aussi pensons-nous devoir en faire mention.
C'est pour le château de Stccn, h Eppeghem, où vécut Rubens,
et qui appartient aujourd'hui au baron Coppons, que ces tentures
artistiques ont été exécutées. Elles se composent de cinq grandes
compositions représentant divers épisodes de la vie de Rubens et
de six panneaux de moindre importance. M. Marque, qui a ima-
giné et fait faire sous ses ordres cet intéressant travail, prend
rang parmi les spécialistes les plus en vue du pays.
Le piano-recital de M. Camille Gurickx, qui devait avoir lieu
le 22 courant, est remis à une date qui sera ultérieurement fixée.
Le premier concert du Conservatoire aura lieu aujourd'hui
dimanche h 2 heures. On y exécutera la Cantate de la Réforma-
tion de J.-S. Bach sur le célèbre choral de Luther, et la 7« sym-
phonie de Beethoven.
La représentation organisée par M. Elkan au bénéfice. des
pauvres de Bruxelles et qui sera donnée par les artistes de la
Comédie Française, est remise au mois de janvier. C'est au théâtre
des Galeries, par suite d'engagenient antérieur, qu'aura lieu celte
représentation exceptionnelle, pour laquelle la salle est déjà
presque entièrement louée.
Le Conservatoire de Mons prépare un intéressant concert qui
sera donné, sous la direction de }t. Jean Van den Eeden, diman-
che prochain 27 courant, à l'occasion de la distribution des prix.
On y entendra entre autres la marche turque .des Ruines
d'Athènes, \(i Concerto pour violon de Max Bruch; le Concerto
pour violojicelle de Goltermann, \ Invitation à la Valse de Weber,
orchestrée par Hector Berlioz, etc.
Les fêtes musicales de Bayrcuth de 4886 auront lieu du
23 juillet au 20 août. Elles sont consacrées à l'exécution de Tris-
tan et Iseult et de Parsifal.
Parsifal sera joué neuf fois, les lundis et les vendredis. Tris-
tan, huit fois, les dimanches et les jeudis. La direction de l'or-
chesire, composé de cent dix artistes, est confiée aux kapellmeis-
ter Levi, Richler, Mottl et Anton Seidl. Le professeur Bruckner
de Cobourg a composé de nouveaux décors pour Tris taii, et le
peintre d'histoire Fliiggen est chargé 'de dessiner les costumes.
Le tirage de la tombola de l'Exposition universelle des Beaux-
Arts d'Anvers a eu lieu lundi dernier. Les objets gagnés devront
être, à peine de déchéance de tout droit, retirés à Anvers, rue de
Vénus, contre remise du billet gagnant, endéans les quatre mois
de la date du tirage.
VAlmanach de V Université de Liège dont nous avons annoncé
la publication prochaine est sous presse. Il formera un fort vo-
lume de 200 pages, imprimé sur papier teinté, avec frontispices,
culs de lampe et lettrines. Le sommaire porte, entre autres, les
noms de MM. Camille Lemonnier, Edmond Picard, Théo Hannon,
Edmond Caltier, Octave Maus, Emile Verhaeren, Hector
Chainave, etc.
La Société libre des artistes français s'est réuni pour traiter les
questions suivantes :
1° Le tirage au sort des jurys du Salon ;
2<> La défense artistique et l'oi'gauisation d'un syndicat concer-
nant les faux tableaux.
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412
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L'ART MODERNE s'est acquis i)ar l'autorité et l'indépendance de sa critique, par la variété de ses
informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune manifestation de l'Art ne
lui. est étrangère : il s'occupe de littérature, de. peinture, de sculpture, de gravure, do musique,
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouvement artistique belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur tous les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaître.
Chaque livraison do L'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'actualité. Les expositions, les livres nouvemtx, les
premières représentations d'œuvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires, les concerts, les
ventes dohjets dart, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées.
L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. Il rend compte des
procès les plus intéressants concernant les Arts, x)laidés devant les tribunaux belges et étrangers. Les
artistes trouvent toutes les semaines dans son MeîUento la nomenclature complète dos expositions et
concours auxquels ils peuvent prendre part, en Bolgiqiie et à l'étranger II est envoyé gratuitement à
l'essai pendant un mois à toute personne qui en fait la demande.
L'ART MODERNE forme chaque année un beau et fort volume d'environ 450 pages, avec deux
tables des matières, dont Vune par ordre alphabet ic^ue, de tous les artistes appréciés ou cités. Il constitue pour
l'histoire de l'Art le document LE PLUS COMPLET et le recueil LE PLUS FACILE A CONSULTER.
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Quelques exemplaires des quatre premières années sont en vente aux bureaux de L'ART MODERNE,
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VART MODERNE
Xj'JiŒirr JïsJIOIDEI^IiTE -4
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Cinquième année. — N° 52
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 27 Décembre 1885.
L'ART
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE ORITIQnE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser les demandes d'abonnement et -toutes les coimnumcations à
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OMMAIRE
Les apporteurs de neuf. — M™^ Rose Garox au Cercle artis-
tique ET littéraire. — Théâtre Molière. — Petite chronique, —
Table des matières.
LES APPOUTEUIIS DE NliUF
Notre monde scolastice--politieoHQiédico- bourgeois
s'est beaucoup occupé en ces jours derniers de la
mesure par laquelle Tadministration communale ou
l'administration des hospices (ne savons, mais peu
importe) a jugé à propos de prier un groupe respec-
table de célébrités médicales locales sur le retour, de
céder la place à des personnalités plus jeunes non seu-
lement par l'âge, ce qui eût été puéril, mais par les
doctrines, les tendances, la science, ce qui est autre-
ment à considérer.
Circonstance bizarre à première vue, mais qui s'ex-
plique quand on tient compte de la tactique d'opposition
quand même qui forme le fond des agitations politiques
qui bouleversent notre verre d'eau national, c'est la por-
tion démocratique, celle qui passe pour la plus vivante
de notre bourgeoisie censitaire, qui s'est insurgée
contre ce coup d'état administratif. On a entendu ses
porte-parole tonner dans nos petites assemblées muni-
cipales, on a pu lire dans ses journaux les philippiques
usuelles dont elle mitraille assez inoffensivement l'ad-
versaire, on a vu, phénomène plus imprévu, les étu-
diants, c'est-à-dire la jeunesse, se lever et pétitionner
en masse.
Il faut vraiment avoir peu la notion des évolutions
qui se font dans le milieu social contemporain pour
trouver à redire à une mesure qu'il serait à souhaiter
qu'on appliquât d'une manière générale, à l'Art par
exemple. Que de fois il a fallu déplorer l'entêtement
sénile et funeste avec lequel on maintient dans les
postes académiques de braves gens qui purent valoir
quelque chose en leur temps, en tant qu'éléments de
transition, mais qui désormais apparaissent comme de
déplorables obstacles aux transformations nécessaires.
Le vrai progrès, ou plutôt la vraie logique, car il est
toujours embarrassant dé discerner si, lorsqu'on
change, on avance ou on recule, consiste à se \podeler
sur les inévitables variations par lesquelles se réalise
l'évolution générale des civilisations. Il est grotesque
de se buter pour essayer d'entraver cette expansion.
Fût-on un éléphant où un rhinocéros, on ne peut empê-
cher de passer un train de chemin de fer. Le seul effet
à es|iérer, en pareil cas, c'est parfois un déraillement
ou un ralentissement.
On avait-cru jusqu'ici que la claire vision de cette
loi était la caractéristique des partis avancés. Il semble
acquis maintenant qu'ils la condamnent dès que, dans le
camp opposé, on commence à la démêler et à l'appli-
quer. Certes, ces messieurs de la Faculté qu'on fait
déguerpir ont eu leurs mérites in illo tempore, et ont
même incarné jadis le progrès au regard de leurs devan-
ciers. Mais quoi qu'on fasse, la plupart des hommes,
quand ils vieillissent s'encroûtent dans des conceptions
surannées, deviennent réfractaires aux idées nouvelles,
et non contents de ne pas les accepter, les combattent
chez leurs successeurs avec une âpreté d'autant plus
périlleuse qu'ils le font avec l'autorité des positions
acquises. Il faut avoir été trempé par le sort dans un
bain d'indépendance magique pour demeurer jeune tout
en devenant vieux et conserver ce don presque surhu-
main de rester accessible au neuf, de l'accueillir sans
humeur, de le rechercher avec avidité, d'y applaudir
quand même, de l'aimer chez autrui, de le désirer pour
soi. L'effet le plus naturel des ans est de rendre notre
infirme nature conservatrice dans ce sens étroit, vul-
gaire, intolérant, qu'on exprime en Belgique par le
qualificatif doctrinaire. Rarement on y échappe, et
alors que quelques-uns de ces gérontes qu'une jeunesse
peu réfléchie et des progressistes peu clairvoyants vou-
draient maintenir à. leurs postes, sont, dans la politique
de très remarquables exemples delà palinodie que l'atro-
phie impose irrésistiblement aux meilleurs, il est sur-
prenant qu'on s'imagine qu'ils en sont indemnes dans
la science.
Non, non, la métamorphose a son unité, et si on la
discerne moins dans les spécialités professionnelles,
c'est qu'elle n'y est visible que pour les initiés.
Ainsi donc on ne veut plus de la vieille médecine. On
trouve qu'en régnant vingt-cinq ans elle a suffisamment
eu d'influence, d'honneurs et de profits. On signale ses
retardements. Il serait aisé de montrer que dans le
droit, dans les sciences sociales, dans la philosophie, la
situation est la même, et que, de ce côté également, il ne
serait pas mauvais de se débarrasser des augustes por-
teurs de perruques qui se croient plaisamment les seuls
dépositaires de la vraie vérité, alors que, dans le nau-
frage de la décrépitude, ils apparaissent comme de
vieilles chaloupes échouées. Mais prise dans cette géné-
ralité, la question aurait trop d'envergure, et nous
devons dans ce journal nous limiter au domaine artis-
tique où elle se pose comme ailleurs ; car ce n'est pas
de la lutte des jeunes médecins, des jeunes juriscon-
sultes, des jeunes philosophes, des jeunes historiens
contre les vieux historiens, philosophes, jurisconsultes,
médecins, qu'il s'agit, mais de la lutte universelle et
toujours ardente des jeunes contre les vieux, du présent
contre le passé, des ingambes contre les paralytiques.
Devons-nous faire ici le tableau de nos académies,
comme on pourrait faire celui de nos universités? Non,
n'est-ce pas, c'est assez notoire. Mettez à part quelques
exceptions et le reste du personnel professoral constitjie
une extraordinaire collection de curiosités, moins anti-
ques par leur état-civil que par leurs préjugés,- leurs
méthodes, leur routine; car les hommes, de notre
temps, vieillissent moins vite que lés idées, tant s'accé-
lèrent les transformations historiques. Quand tout
change avec une vélocité prodigieuse, quand il suffit de
l'intervalle entre deux Salons de peinture pour consta-
ter dçs métamorphoses, quand les éclaireurs d'hier
sont les traînards de demain, quand nul n'est assuré de
rester à son rang, surtout au premier rang, nos pro-
fesseurs d'art sont immuables et répètent après un
demi-siècle des leçons identiques à celles de leurs
débuts, sans s'apercevoir que ce qui, en ces jours loin-
tains, pouvait passer pour un évangile nouveau, n'est
plus qu'un radotage moisi, prêché non dans le désert
(ils ont toujours de nombreux écoliers contraints d'aller
là parce qu'il n'y a pas moyen d'aller ailleurs), mais
devant un auditoire sceptique et gouailleur qui ne les
écoute que pour les ridiculiser.
Viendra-t-il aux autorités qui ont, avec une grande
et louable opiniâtreté, maintenu le remplacement des
chefs de clinique, d'appliquer ce régime salutaire à ces
hôpitaux d'un autre genre qu'on nomme les écoles de
dessin et de montrer ainsi qu'elles obéissent à autre
chose qu'au désir de pourvoir de places enviées des
nouveaux venus impatients de se produire et fatigués
d'attendre la disparition des ancêtres coriaces, résolus
à se perpétuer, qu'il a fallu congédier brutalement?
C'est fort douteux et ce serait pourtant très hygiénique.
Le présent état de choses devient criant. Il n'est plus
personne qui oserait défendre la valeur de l'enseigne-
ment artistique de nos établissements publics. On sait
qu'il est éminemment délétère. Fondé sur ce qu'on
nomme Virailation des modèles, il parjt de ce principe
reconnu détestable que Tart se réduit en formules, que
ces formules ont trouvé leur plus haute expression dans
certains chefs-d'œuvre, et que dès lors le professeur n'a
pas autre chose à faire que de recommander ces chefs-
d'œuvre et d'apprendre à les imiter. Ces imbécillités
sont l'âme des programmes et là matière des leçons.
Un professeur croirait manquer de respectabilité en
n'en faisant 'pas la base de ses conseils. Les bons élèves,
ce sont ceux qui donnent le plus stupidement dans ce
panneau où se perd toute originalité. « Comme j'appre-
nais avec application les banalités qu'on enseigne dans
les écoles, a dit saint Augustin, on m'appelait un enfant
de la plus belle espérance «. C'est bien le résumé de ce'
qui se passe encore. Copier, pasticher est la règle
suprême, et l'honneur. Les concours n'ont d'autre but
que de mettre en relief les malheureux qui réussissent
le plus dans ce métier honteux. Il ne vient jamais à
l'esprit d'un des pédagogues investis du droit d'ensei-
gner que la constante recommandation qu'il devrait
faire à ses élèves, ce serait : Surtout ne m'imitez pas.
Au contraire, rien ne le rend plus fier que de se voir
répété par ses disciples. Il montrera avec orgueil leurs
productions si elles sont de purs reflets des siennes.
Plus l'approximation sera grande et plus il se réjouira.
Cela s'appelle FAIRE ÉCOLE.
Et pourtant, la vérité artistique désormais visible
pour tous, c'est que la seule qualité qui puisse prétendre
• •^i«A"'
à quelque saveur et à quelque dignité, c est la person-
nalité. Être soi c'est tout ïart, susciter cet éveil des
dons individuels c'est tout l'enseignement. Un profes-
seur ne doit parler et de lui-même, et des modèles, et
des chefs-d'œuvre que pour dégager chez l'auditeur les
aptitudes et les sentiments propres qui s'éveillent à la
vue de ce que d'autres ont fait de beau. Il ne s'agit pas
alors d'imiter, mais de s'enthousiasmer. On regarde
non point pour tenter de recommencer ce qu'ont fait
les maîtres, effort stérile, mais pour gagner par conta-
gion la passion qui les a inspirés et sous l'action de cette
communicative chaleur partir du même élan pour se
révéler soi-même par une œuvre extérieure. Certes,
pour les impuissants le moyen est inopérant ; quant à
eux ce n'est qu'en cultivant /a fhrmule qu'ils peuvent
accomplir quelque chose de présentable. Mais nous
avons assez de ces fausses vocations qui nous empestent
de leur médiocrité, il faudrait bénir une méthode qui
aurait pour résultat de n'ouvrir l'art qu'à ceux qui sont
doués de la flamme artistique.
Les académies sont tellement des officines où les
meules tournent à vide, qu'il n'est plus de véritable
artiste qui y reste. A peine s est-il rendu compte de ces
procédés imbéciles par lesquels on prétend substituer
au génie propre de chacun, le génie mort d'un art con-
ventionnel, qu'il déserte avec dégoût et s*en va dans
l'étude directe de la nature chercher les émotions qui
dégagent les vocations. véritables. Il n'y a plus que les
médiocres qui fréquentent ces grandes usines de talents
de pacotille. Avouer qu'on y va, c'est être suspect,
c'est donner la conscience d'un danger ou d'une infir-
mité : ce qu'il faudra faire, en effet, plus tard quand on
aura compris que c'est en soi-même qu'on trouve l'art
pour lequel on est né, ce sera d'oublier laborieusement
cette éducation qui fausse les instincts et transforme
l'homme en un acteur jouant sous un travestissement
la comédie de l'art.
Va donc pour le renouveau. Que dans les hôpitaux on
change les médecins, que dans les Universités on
change les pédants, que dans les Académies on change
les professeurs. Vingt-cinq ans de chaire doctorale,
c'est plus qu'il n'en faut pour vider la plupart. Des
hommes nouveaux, des méthodes nouvelles, une science
et un art nouveaux, voilà ce que nous réclamons. Et
vivent ces apporteurs de neuf!
^^^^ \o^Z pARON
Au Cercle artistique et littéraire.
Quelques impressions sur celle apparilion fugitive de la grande
arlislc dont pendant deux saisons théâtrales nous avons analysé
l'éminentc personnalité.
Foule compacte. Curiosité intense. Depuis sa disparition
regrettée, la sympathie s'est accrue du charme des choses éloi-
gnées, vues à travers les brumes du souvenir.
Elle paraît. Comme toujours sa haute taille étonne k première
vue. Mais tOut de suite rallenlion, oubliant tout le reste, se fixe
sur ce visage séducteur, sur ces yeux profonds. Elle regarde^
l'audiloire,* elle reconnaît quelques figures amies, et entonne
l'air du Freyschulz, pardon, de Robi7i des BoiSy car elle le
chante en Parisienne. Est-elle troublée par ce retour dans un
milieu délaissé, par la mémoire subitement ravivée de ces deux
années si pleines de sympathies, de triomphes, d'hommages,
d'affections? On ne sait : mais l'air marche mal, et finit même
par un discord absolu entre la cantatrice et l'accompagnateur.
Un reporter du bel air s'approche d'un illustre compositeur étran-
ger et lui dit avec l'aplomb de l'inconscience : Superbe, n'est-ce
pas ! — Le maître répond : Mon cher, elle s'est mise dedans.
Le deuxième morceau,, ce sont les Enfants, de Massenet. Dic-
tion émouvante, vibration impressionnante. L'artiste s'est retrou-
vée. Le public est pris visiblement du trouble auquel elle l'avait
accoutumé. Le maître sceptique tout h l'heure est séduit comme
les autres. D'un mot il résume les mouvements confus qu'il vient
de subir, et ce mol est juste : Elle est étrange.
Maintenant c'est du Wagner qu'elle interprète. On a raconté
d'elle qu'après son demi succès dans les MnUres-Chanteiirs
elle aurait dit' : Je ne veux plus chanter cette musique. On a
ajouté qu'en s'engageant à l'Opéra, elle avait stipulé qu'elle ne
serait pas tenue de prendre des rôles dans les œuvres du grand
Richard. Qu'importe : elle y va sans conviction, à la Parisienne,
comme tantôt pour Weber.
Mais voici l'air de la Reine de Saba. Quel déploiement de
grandes ailes, quelle envolée magique, quelle révélation des
qualités tout à l'heure encore étouffées. La salle éclate en accla-
nialions. Celle fois rartistc montre ce qu'est sa grande nature,
dans toute sa splendeur, dans toute sa nudité. Ses admirateurs
peuvent triompher sans réserve. Elle vient d'expliquer tous ces
phénomènes de séduction qu'elle a su accomplir. Elle n'est plus
ni trop grande, ni trop ceci, ni trop cela, ni trop tout ce que l'on
voudra, elle est belle, séduisante... et toujours étrange, comme
le disait le maître.
Après cela une romancinette pour finir et calmer, et l'on se
retire rêvant d'elle, oui, rêvant les vieux rêves d'antan réveillés.
THÉÂTRE MOLIÈRE
Oh! ces bonnes piècesde jadis, intéressantes malgré la démode,
pour peîi qu'on se mette au point et qu'on n'épluche pas trop !
Certes, les mots. sont terribles et les phrases aussi. Il en est qui
portent en elles tout le trémolo des mélodrames et que Ponson
du Terraila si bien faites siennes qu'on ne les entend jamais sans
songer k'ioules les friperies des Rocambolc.
Mais la charpente, mais le mouvement, mais les triomphales
exagérations romantiques font plaisir comme toute résurrection
d'an. Le tout esl de choisir du vieux plutôt que du démodé, de
l'oublié plutôt que du défraîchi.
Les Mémoires du diable gagneraient s'ils, avaient quelques
années de plus. Toutefois paraissent-ils déjà intéressants d'autant
que parmi les acteurs plusieurs s'efforcent de rendre leur jeu
aussi mil-huit-cent-trenteux que possible. Ils jouent avec entrain,
redondante allure, gestes enflés, voix vibrante. Et d'entre eux
tous, ilfaul sortir le clirecleiir lui-même, M. Mario Widmer, qui
réalise ku Robin d'une exccllcnlc marque et d'une certaine per-
sonnalité.
Le pianiste-compositeur Joseph Wieniawski a donné samedi
un fort beau concert. F.e peu d'espace dont nous disposons
aujourd'hui nous obli£;e à en différer le compte-rendu.
De même, nous renvoyons à dimanche nos articles sur la bril-
lante reprise d'Aida à la Monnaie, sur le premier concert du
Conservatoire et notre Chronique liliéraire.
pETITE CHROJMIQUE
L'Essor a, selon sa coutume, ouvert la veille de Noël ses
portes au public. Nous rendrons compte prochainement de son
exposition.
C'est, ainsi que nous l'avons annoncé, aujourd'hui dimanche
qu'aura lieu la première séance de musique donnée dans l'atelier
de M. Van dcr Stappen. Le programme, très bien composé,
comprend dos œuvres de Grieg, de Brahms, de Mondelssohn, de
Reyer et de Wagner. Les exécutants sont MM. De Grcef,
E. et A. Agniez, F. Stappen.
L'exécution de Mors et Viia, de Gounod, est fixée au 30 jan-
vier. Le Gouvernement prêtera pour la circonstance le Palais des
Beaux-Arts, dont on disposera spécialement les galeries. Les
solistes seront M"*' Elly Warnots, M'"^- Sclïmitzler, M. Heuschling
cl un ténor anglais dont on dit grand bien.
La première représentation du Prisonnier du Caucase, de
César Cui, au Ihéûtre de Liège, est fixée, dit-on, au 11 janvier.
On sait que c'est à l'inspiration de M""^ la comtesse de Mercy-
Argenteau que l'on fera connaître ù Liège l'œuvre du composi-
teur russe.
Celui-ci arrivera à Liège le 6 janvier pour diriger les dernières
répétitions de son opéra, dont les principaux rôles seront inter-
prétés par MM. Verhees, Claeys, Plain.el M'"e Verellen-Corva.
M. Franz Rummel, en quittant Bruxelles, n'a fait que loucher
barre à Berlin, où il réside. 11 est actuellement en Ecosse, et
doit jouer demain à Edimbourg, après-demain à Glasgow, la
semaine prochaine à Leeds. Dans les premiers jours de janvier
il partira pour les Etals-Unis, où l'appellent plusieurs engage-
ments importants.
Un renseignement à ajouter à ceux qu'un de nos correspon-
dants a donnés dans les lettres qu'il nous a adressées au sujet du
théâtre de la Monnaie. La municipalité de Toulouse donne
120,000 francs de subside à son théùlre. Il n'y a U Toulouse que
130,000 habitants. A Bruxelhjs, le subside est^de 100,000 francs
seulement, sur lesquels la Ville reprend 25,000 pour les appliquer
à la réfection de ses décors et de ses costumes et impose à
rimpresario l'obligation de monter, en abandonnant les décors
et les costumes, six actes nouveaux, soit de 30 à 50,000 francs !!
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mylord; — Harnais pour un et pour deux chevaux.
Exposition : La veille de la vente. Dimanche 27 décembre courant
de dix à trois heures.
La vente aura lieu au comptant, avec augipentation de 10 p %, à
titre de frais.
TABLE DES MATIÈRES
DE
L'ART MODERNE
-f-:rr5t-<S>-*0-î-
ÉTUDES ET PORTRAITS
PAGES.
Examen de conscience 1
Introduction îi l'élude dès lilléralures 81
L'art oratoire • 169
L'Art et la Révolution ........ 225, 233, 241
L'œuvre d'art 145
Le Rig-Véda 97
Homère . 105
La fin de Satan 217
Une statue à Lamartine . . . 227
En Cour d'assises,. . 209
Les représentations de Bayreuth 249
Un artiste couronné 196
Théâtre pour lecture à haute voix ....... 393
Le Symbolisme • 313
Les Svmbolistes 323
Les Visionnaires 329
Les lettres devant la plèbe . 340
Le parfum de la musique 297
Le pittoresque .^ ..... . 306
Tirage b petit nombre. .......... 369
Les conférences en Belgique. 377
Triomphateurs • 308
Ua directeur en grève . 401
Les Académies de province • • • 409
Léon Cladel • . . ; . 346
Charles de Lovenjoul 153
Louis Dubois . . . . . • 17
FisRNAND Khnopff. . \ ...... . 281,289,321
Ernest Hello 107
Franz Liszt 251, 25â, 259
Xavier Mellery 219
Catulle Mendès 125
Constantin Meunier 73, 215
Odilon Redon ............. 92
Félicien Rops 99
L'infâme FÉLY . 337
Villiers de l'Isle-Adam .......... 363
PEINTURE, SCULPTURE
Les Gothiques allemands . . . . . . . . . 257
PAGES.
Le nouveau musée du Luxembourg ...... 265
Les Vinglistes parisiens . . . . 203
L'Impressionisme aux Tuileries 300
Aux enrégimentés. Paul Baudry. ....... 36
Le concours de Rome 339
Le jury d'admission 140
L'artiste dislancé . . . . . .•* 236
Le plein air 269
Le travail de l'artiste 333
Sculpture 253
La nature et l'art 561
La leçon 37
La vie d'un paysagiste 373
Le métier .,....„ 236
Un vieux salon. .... . . . . . . 115
Millet et Rousseau. . . . , 173
Odilon Redon . . . 92
Le Don de majorité, de Xavier Mellery 219
Le Marteleui\ de C. yieunier . . •_ . . . • 215
Cérémonie Dubois 17, 28
Une curieuse aquarelle 109
Les bœufs gras académiques ........ 372
Le déménagement du Musée de Bruxelles .... 252
Le jury de Gand 254
Le Salon de Gand 273, 293
Le Salon des XX . 49
A propos du Salon des XX. — L'Impressionisme . .57, 65
Rue de la Régence (les XX) ........ 90
Sottisier des Vingtistes. — Menus propos butinés à
l'ouverture 51
Sottisier des Vingtistes. — Fleurs de reportage ... 58
Id. Fleurs de zwanse. ... 86
L'exposition du Cercle artistique -. 132
Le S> ALO^ DES Aquarellistes 139,145
L'exposition dçs Hydrophiles i 94, 100
Id. de L'Essor 9
Exposition des tableaux de maîtres anciens au Palais
des Beaux-Arts 299
Exposition Théodore Baron au Cercle artistique. . . 89
Id. Agneessens 78, 83
Id. Deisaux . 2?
Id. Jef Lambeaux. — Franz Courtens ... 22
?
■■ PAGES.
Exposition Midtlcloçr. . . .... . . . .23
Le Christ devanlPilale . . . . . . . . • . 19^
La famille royale du Danemark, par M. Tuxen ... 366
Deux tableaux de Lambert Lombard 247
Peintures ddcoratives d'A. Marque. ...... 158
La peinture Bogaerts . 94
Anvers. — Exposition Théodore Verstraele .... 76
Bruges. — Exposition du Cercle artistique . . . . . 397
Le Salon de Paris . . ... . 163, 171 , 477, 185, 193
Soc'iéiô dos Aquarellistes français 62
Gazette de Hollande 14, 69
Dix compositions à l'eau-fortc de M. Hannoteau pour
illustrer Baudelaire 397
Vente Karl Daubigny . 399
Id. Defoër-Bey / 166, 175
Id. de Knvff . 413
Id. Morgan 166
•Id. Paniazis. . . . 390
Id. Scliœnewerk 23
Id. von Niescwand. . . . . . . . . . . 168
Id. Nieuwcnlmvs 263
Moniento des expositions et concours : 7, 44, 38, 46, 54, 94,
442, 167, 239, 263
ARCHITECTURE
Exposition nnlionale de 1886 464
Architecture grecque et romaine^ par L. De Waele . , 349
Le Château des mendianîs . . 325
Lecliemin de fer méiropolilain à Bruxelles .... 499
La suppression du Pont de fer . . ... . . . 275
LITTÉRATURE
iE\^ A jAL]iEKT. — Paysages de femmes . .... 380
Victor Arnould. — Le Brame social ..... 44
Ch. Baudelaire. — Dix eaux-fortes de M. Hannoteau
pour illustrer ses œuvres. . . . . . . . . 397
Paul Berlier. — Scherzandoï ....... 213
Paul Bourget. — Le Crime â'amour 77
Léon Cladel. — Mi-Diable ........ 35
Id. Titi Foyssac iV 305
Frédéric Cousot. — Lettres du fond des bois ... 365
Jean D'Ardenne (Léon Dommartin). — Guide du touriste
en Ardenne. 465
A. DE Keersmaecker. — Le sens des couleurs chez
Homère , 22
Gabrielle de Villers. — A la mémoire du capitaine
Marechalle ............. 244
^l. \)E%}\o\}Lm^. — Récits d* une Lorraine .... 360
Jules Destrée. — Lettres à Jeanne . .\ . . . 379
H. Du Cleuziou. — La création de V homme et les pre-
miers âges de V humanité 263
É. Dujardin. — Mes hantises 78
G. ?.EKHom. — Les Milices de Saint- François. . . 488
T. Ferret. — Les Faunesses 458
AmsTiDE FKEài^Ê. -^ La légende de Normandie . . 212
René Ghil. — Le Traité du Verbe ...... 387
Grosciaude. — Les gaîtés de Vannée 424
Paul Hagemans. — Les nuits du garde 18
■■ ■ ' ^ • .
* Psaov.
Hahel. — Aux champs 212
Armand H AYEM. — Le Don Juanism'e 464
Id. Don Juan d'A rmana. .... 396
Paul Hervieu. — Les yeux verts et les yeuùc bleus. 379
\icjOK HvGO. — Le théâtre en liberté . . . . . 443
Id. La fin de Satan . . . . . . . 217
Pierre Kropotkiné. — Paroles d'un révolté. . 225, 233, 244
Joseph KilRSCHNER. — Richard Wagner Jahrbuch. . 86,245
Jean Lahor. — Le Cantique dc!> cantiques .... 84
La Ma'ra. — Musikalische Siudienkopfe 86
Jules Leclercq. — La Terre des merveilles. . . . 221
Id. Légende des Eddas., de M. Ander-
, son ........ . 238
L. Leefson. — Voor onze kleinen . . . . . . . 238
Jules Lemaître. — Scverus 38o
Camille Lemonnier. — Happe-Chair 84
Id. La Belgique dans « le Tour du
monde» 371
Charles Lexpert. — Nouvelles gauloises . ... 380
R. Maizeroy. — Bébé Million 22
Louis Marsolleau. — Les baisers perdus ... , 211
Catulle Mendès. — Zo'Har . . . . • . . . . 275
Louise Michel. — L'Atlantide. ....... 311
Octave Mirbeau. — Lettres de ma chaumière ... 78
Jean Moréas. — Les Caniilènes 204
Jean Moréas et Paul Adam. — Les demoiselles Gou-
bcrt. — Le thé chez Miranda . . . . . . . 387
Henri Naquet. — Haute école ........ .3
JosÉPHiN Péladan. Cwncz/5^.' . 68
Ernest Praroud. — Le Jardin des racines noires . . 396
F. R ABBE. — Traduction des œuvres de Schelley . . 396
Jean Robie. — Fragment d'un voyage dans l'Inde et à
Ceylan (IP partie) .......'..... 85
Georges Rodenbach. — La Jeunesse blanche ... 133
Princesse de Sayn-Wittgenstein. — Une famille priii-
cière d'Allemagne 22
Robert Schumann. — Jugend-Briefe. ..... 86
SiENKiEWicz. — Bar tek vainqueur. 117
A. Stevens. — Impressions sur la peinture . . . -69
Sully-Prudhomme. — Le prisme. . . '. . . 212
SmTkc. -^ Les morales du rastaquouère. .... 243
SuTTER Laumann. — Pah !es routes 360'
Albert Tinchant 473
Roland de Tomenlow (Biiron de Woelmont). —
Chasses fantaisistes au pays walUm. 294
Léon Tolstoï. — La mort d' Ivan Iliilch . . . . . 403
Léo Trézl^nik. — Proses décadentes et les Gens qui
s'amusent . . . . .... . . . . 450
Jules Vallès. — L'Insurgé ...... 225, 233, 204
James Vandrunen. — Elles. 334
H. Varesco. — Les chants d'aurore ........ 242
Jacques Vingtras (Voir Jules Vallès)
Paul Verlaine. — Les mémoires d'un veuf Loujse
Leclercq . 361
ViLLiERs de lTsle Adam. — L'Eve future .... 353
Richard Wagner. — Esquisses, pensées, fragments
(œuvres posthumes) '. 30
Le livre de Pochi . . ...,.,.. . . . . 7
Pages.
Pathologie littéraire . . . . . ■ . 259, 302, 315, 325
CausiTic sur les revues 479
La Revue d'Art dramatique . 255
Conférences des XX ^1»« J. Thdnard 55
Id. M. Georges Rodenbach . . . 78,84
Id. M. Edmond Haraucourt ... 62
Conférences du Cercle artistique. M. Georges Roden-
bach ......... 38
Id. M. Henri Becquc 246
Id. M. Arsène Houssaye . . . . 377
Conférence de M. Lemaître à Liège. ...... 75
Id. de M. Sigogne "au Palais des Académies . . 449
Matinée littéraire du Cercle d'escrime ...... 83
Un poète belge jugé à Paris. Georges Rodenbach . . 320
Correspondance d'artistes. Lettres de Gustave Coppie-
tors 5,20
La littérature au Congo 4 75
Notes de librairie. 7, 38, 46, 94, 448, 443, 350, 358, 365,374
MUSIQUE
Antoine Rubinstein ........... 439
Franz Liszt ■ • • 254
Don Juan pianiste. . . ... . . . . . . 258
Les poèmes symphoniques de Liszl. . . . . . . 388
Wagner au répertoire . . . . 245
Un chef d'orchestre viennois 277
Le parfum de la musique. . . 297
Conservatoire de Bruxelles. — Premier concert [Can-
tate de la Réformation} ......... 6
Id. Deuxième concert. (Wagner. — Symphonie en .si7;m6>i
de Scliumann) 52
Id. Toisicme concert (^/ce5/e) . ....... 92
Id. Quatrième concert (Cantate de la Réformntionct
Symphonie pastorale) 135
Concert historique 339
Musique de chambre (irio Hubiiy, Wieniawski, Jacobs) 64
Concours du Conservatoire 207,222,228
Troisième séance de musique de chambre. . . . . 102
Qualrième'séance de musique de chambre . . . . 126
Séance d'instruments à vent . 405
Correspondance .\ , 406
Concerts POPULAIRES. — Saison 488")-4886. Premier
concert (Musique russe. — Jeuô Hiibny) .... 19
Id. Deuxième concert (Z/'/>;//^/;/r^(/// C/<//.s7 de Berlioz). 67
Id. Troisième concert (Franz Servais. Radoux. Troi-
sième symphonie de nralinis) • 110
Id. Quatrième concert [Tristan et Iseult. L'Anneau du ^-
Nibelung) . . . 150
Saison 4886-4887. Premier concerl (Ci-SLir Thomson.
Le Tasse) . . •
Association des artistes misiciens. — Saison 4885-
4886. Deuxième concert 64
Id. Quatrième concert 85
Saison 4886-4887. Premier concert ...... 357
Jd. Deuxième concert 406
Union des jeunes compositeurs. — Deuxième séance. 102
Id. Troisième séance 158
Concert de la Société de musique [Mors et Vita) . . ,44
Pages.
Q.onQ,Gn ]\\h\\i\uQ àe \'à Grande-Harmonie .... - 405
Concert Cornélls-Servais . . . 52
Concert Louise Derscheid aux XX. ...... 74
Concert Dratz 135
Piano-recital de M. Gurickx . . . . . . . . . 148
Piano-recital de M. Gurickx à Mons 143
Audition Maes , 406
Audition Mailly ............ 15
Concerts Rubinstein . . . . . ... . . .139,154
Audition d'œuvres de M. Sandre . 147
Séance musicale de Franz Servais ..,-.... 389
Audition César Franck 406
Concert Van Dooren . 148
Concert Wieniawski ..,....;... 6
Audition Wilford 55
Séance de musique chez M. Van der Stappen. ... 45
Audition de musique religieuse aux Carmes . . . . 448
Le chœur russe 109
Séance Grieg à TjE'wor 126
Séance Wagner à TJS'wor. 31
Séance Wagner chez C. Meunier 93
Concert au théâtre de la Bourse 224
Concert de charité au Palais des Académies . ... 126
Audition intime du Chant de la Cloche de Vincent
d'hidy . ... . 7 • .127
Conservatoire de Liège. — Premier concert . . . 37.
Id. Deuxième concert. . -. 143
Concours du Conservatoire de Liège . , . . . . . 262
Conservatoire DE Mons. — Concert annuel. . . . 119
Ecole DE musique de Louvain. — Concert annuel . . 111
Société de musique d'Anvers . . . . . . . . 339
Concert de Liszl à Luxembourg. . . .... 247
Concerts Rubinstein à Vienne 23
Concerts Rummel à Berlin ......... 391
Concerts populaires de Nantes . 375
Départ de Jenô Hubay 231
Correspondance musicale de Paris 34,54,70
Bibliographie musicale . . 44, 86, 440, 467, 182, 191, 334,
358,391,442
THÉÂTRE
Le théâtre belge ............ 129
Les budgets des théâtres lyriques . . . . . . . 238
Le théâtre à Bruxelles 333
Théat|ie de la Monnaie : Interview à propos du théâtre
de la Monnaie 11
Le ihéâlre de la Monnaie. (Lettre d'un abonné) . . . 121
Correspondance ....... 4
"Appointements de la troupe durant la période 1875
à 4885 448
Renseignements administratifs 456
Tableau synoptique des recettes et des dépenses . . 157 .
Los droits d'auteur au théâtre de la Monnaie. . . . 109
L'abonnement au théâtre de la Monnaie 45
Le théâtre royal de la Monnaie. (Brochure de M. Waech-
ter) 181
Campagne 1885-86. — Les Templiers .... 25, 33, 41
M"« Thuringer dans les Templiers ....... 70
418
TA BLE DES MA TIÈRES
f:f^-y--m^':
" PAGES.
Saint-Mégrin . .* . . . . . ... ..." 74
Gwendoliiie. . . . . . . .... . . . 115, 124
Pierrot Macabre . . . 93
.4 ïdfl (reprise) . 4
Faust (reprise) 83
Représentations Carôn-Escalaïs . . . . . . . . 135
Campagne 1886-87. — La direction nouvelle . . . 309
Lakmé 385
Hérodiade {reprise) . ... . . . . . . . 348
Les Dragons de Villars (reprise) ....... 356
TuÉxiRE DU ?kKC : La Doctoresse . ...... 13
Théâtre Molière : La Belle Gabrielle . ... • 30
Les Ganaches 71
Le Père prodigue . . .......... 326
La Servante ... '. . . 355
UArlésienne . . . . . . . . . . . -^ . . 413
Théaihe pE iJAhCkZAK : Le Saxe 53
Jeanne Bijou 53
Théâtre DE la Bourse: Paul Martinetti. — Pantomimes
et pantalonnades . . .... ... . . . 206
Vu duel dans la neige 229
Le Petit-Poucet . . 283
Patriel .............. 398
Eden théâtre : Charles Lauri ........ 206
PusS'Puss 214
Cercle d'Escrime : Socrate et sa femme ..... 42
Cercle artistique : Dans un tombeau. — La Gorgone. 110
Fridolin, de MM. Agniez et Courtier ...... 39
Théâtre de Liège : Le prisonnier du Caucase ... 21
Théâtre de Dayreuth : Tristan et Iseult. — Parsifal. 236, 249
Renseignements divers : 63, 79, lo9, 191, 223, 248, 255, 279,
287
Théâtre Français : Hamlet . . 345
Correspondance d'une Parisienne à propos d'Hamlet. 364
Le duel d'/^am/p/ 341
Théâtre de l Odéon : Re7iée Mauperin ..... 412
Correspondance théâtrale de Paris ....... 375
W"'« Rose Caron dans Faust à l'Opéra de Paris. . . 264
M"*^ Deschamps dans Carmen à l'Opéra comique . . 183
Le théâtre au Chat-Noir . 310
Théâtre pornographique : La Mandragore . . . 410
Le roi Maboul 359
L'Opéra de Berlin 205
Théâtres (renseignements divers) : 7, 23, 39, 63, 103, 111,
119, 126,134,142, 147, 159,
255, 270, 278, 365,399,407
ARTICLES DIVERS
L'art dans la rue 266
L'admiration parisienne 291
PAGES.
282
362
. 137, 318
278
284
315
411
386
316
334
46
59
Un sermon à la mer . . . ... .
Les liaisons dangereuses. .
L'incident Coquelin . . . . '
L'élagage des arbres . .
La foire et les platanes du boulevard . . ....
Vandalisme ..../.
Vandalisme botanique . . . ... . . .
Paysage sylvestre
Un événement littéraire . . . . . . . , . .
Un événement musical ,
Documents à conserver : le Journalisme (lettre de
Louis Veuillot)
Documents à conserver: le Journalisme (lettre de
J.Vallès)
L'agence Gargaro . \\i
De mortuis nil nisi bene 378
Livres autographiés ........... 398
L'art à travers les journaux . . . . . . . 380, 398, 406
Réception à l'Académie 53
Les libéralités aux collections publiques . . . . . 260
Volapûk. . . . . . . . 181
Le bon peintre 162
Mort de Scaria . . . 63,255
Incident Rochefort-Garnier . 303
Glanures . . . . 116, 189, 213, 254, 259, 285, 293, 367
Lettre de Berlioz à M. Ernst . . . . . ... . 367
Id. de Catulle Mendès 303
Id. d'Auguste Rodin 231
Id. d'Octave Maus 102
Correspondance ........ .38,222,335,358
Petite chronique . 7, 15, 23, 31, 39, 47, 55, 62, 71, 78, 86,
94, 103, 111, 119, 126, 135, 143, 158, 183, 191, 200, 207,
223, 231, 247, 255, 270, 278, 286, 294, 303, 311, 319, 327,
\ 335, 341, 351, 339, 362, 365, 375, 390, 398, 407, 413
CHRONIQUE JUDICIAIRE DES ARTS
Le sifflet au théâtre 1
À propos de tapisseries 22
Benvenuto Cellini . ..... . . . . 71
M. Coquelin sifflé . .......... .154,190
Les chansons en justice . . 201,413
Une artiste disputée .222,230
Art ou pornographie? . . . . . 230
Le truquage ........ .•.;.. ... 230
Photographies de M"«» Grille-d'Egoût, la Goulue al la
Sauterelle
Proh pudor! . . . . . . . . . . • .
La blanchisseuse de Jeanne Granier . . • •
L'art dans les égUses. .
Jurisprudence du Bibelot ....••••
239
247
351
362
365
-0i^=r-«^0-
BruxeUes, — Imp. Félix Callewaert père. — V» Monnom successeur, rue de l'Industrie, 26.
Sixième année. — N° 1
Le NUMÉRO : 25 centimes.
Dimanche 3 Janvier 1886.
MODERNE
■ -1 .
PARAISSANT LE DIMANCHE
RBVIIE CRITIQÏÏE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
" Adresser les demandes d' abonnement et toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
^OMMAIRE
ExAîA£';N DE coxsciEMCE. — LivRES NOUVEAUX. Haute école, par
Henri Naquefc ; Richard Wagner (œuvres posthumes). Esquisses,
pensées, fragments. — Théâtre de l\ Monnaie. — Correspon-
dance — Correspondance d'artistes. — Premier concert du
Conservatoire. — Concert Wieniawski. — Chronique judiciaire
DES arts. Le sifflet au théâtre. — Mémento des expositions et
concours. — Notes de librairie. — Petite chronique.
EXAMEN DE CONSCIENCE
Cinq ans depuis que nous avons fondé VArtmodeyme.
Cinq ans d'études, d'efforts, de luttes. Et aujourd'hui,
après cette laborieuse étape, le sentiment d'avoir beau-
cou;, fait sans doute, mais aussi la claire vision de tout
ce qu'il faut faire encore.
Nous allons commencer un nouveau lustre, l'esprit
dispos, le cœur vaillant, avec l'aide grandissante de
ceux, plus nombreux à mesure que notre campagne se
prolonge, qui se sont ralliés à notre devise : Rechercher
et défendre le beau en pleine liberté et sans distinction
d'écoles ; afficher ses préférences artistiques, sans croire
qu'elles sont tout l'art; pourchasser le laid même chez
ses amis ; se moquer des abois en lesquels s'égosillent
les roquets de la zwanze.
Certes, quand au début de 1881, en présence de la
camaraderie partout régnante dans la presse, pris
d'impatience et de dégoût, nous formulions ce pro-
gramme, nous ne pensions pas que notre tentative de
faire un journal dégagé de toute pratique du métier
aurait un résultat si durable. Des circonstances variées
nous faisaient croire qu'il en serait de cette fantaisie
comme de tant d'autres du même genre : un feu de
papier. Au bout d'un an ou deux, devaient selon toutes
les vraisemblances se produire chez nous la fatigue,
chez nos lecteurs la satiété. Que pouvaient espérer
comme constance et succès trois ou quatre person-
nages qui, au jour où ils se décidaient à faire de l'art
par ce journal, mettaient quelque affectation à déclarer
qu'ils n'étaient, par profession, ni artistes ni journa-
listes? Il s'agissait pour eux de manier la plume du
critique dans les moments perdus de leurs occupations
habituelles, en simples amateurs, en Esthètes comme
ils l'ont écrit depuis. C'était, en réalité, une partie de
plaisir, une escapade artistique et littéraire, une sorte
de gageure où il s'agissait de jouter contre les gens du
métier maîtres du monopole de ces sortes de choses et
persuadés que seuls ils ont les aptitudes, les influences,
-l'autorité nécessaires pour y réussir.
Il est arrivé que cet essai en apparence fort téméraire
s'est transformé en une publication présentement bien
assise, en possession de son public spécial, intéressante
peut-être pour ceux qui la lisent, assurément pour
ceux qui la font, produite avec entrain, recherchée
avec quelque faveur, ayant eu cette bonne fortune, à de
très rares exceptions près, de n'avoir jamais ni sou-
tenu, ni. attaqué qui que ce soit, ni quoi que ce soit
sans que l'événement ne lui ait donné raison, le plus
souvent à brève échéance.
Alors que nous faisons, non sans joie et non saiiâ
I
f
ÉMIMHMMMÉi
VART MODERNE
l
confiance, ce retour sur notre passé, il est naturel que
Fun de nos sentiments les plus vifs soit celui de la gra-
titude pour ceux qui, par leur assiduité à nous rester
fidèles, à nous revenir après de courts éloignements, à
se constituer nos propagateurs, ont donné à notre
œuvre modeste et sincère le puissant auxiliaire de leurs
sympatl^ies et de leurs encouragements.
Et de même nous remercions en souriant, et avec
quelque ironie, les plaisantins qui ont parfois essayé
sur nous l'effet de leurs jappements et la force de leurs
petites mâchoires. Quoique inoffensifs, ils nous ont
tenus en haleine, et si notre zèle eût pu se ralentir ils
l'auraient ravigoté. Mais à eux merci, grand merci, et
souhaitons que ces chatouillements bienfaisants ne nous
manquent jamais. - '
Ce que nous avons fait jusqu'ici nous donne la règle
de ce que nous devons faire à l'avenir. Il y a place en
^Belgique, dans un petit monde de lettrés et de dilettanti
indociles à tout mot d'ordre, à tout engouement com-
mandé par la mode, pour une revue critique vierge
d'enthousiasmes factices et de parti-pris aveugles,
n'ayant pour formule que la libre et sereine expression
des opinions de ceux qui la font, d'après leurs sensa-
tions du moment à l'occasion des œuvres et des événe-
ments. Il faut que les jugements portés avec cette indé-
pendance aient une saveur particulière pour qu'avec
tant de persévérance on les accueille et on les fête.
Peut-être aussi que le développement incessant des
notions artistiques chez ceux qui se livrent à ce stu-
dieux travail a un intérêt spécial pour ceux qui y assis-
tent. Peut-être que ceux-ci, subissant à mesuré les
mêmes transformations, éprouvent à leur tour la satis-
faction intime d'un progrès constant vers des vues
artistiques de plus en plus nettes, de plus en plus
saines.
Car le chemin parcouru depuis les premiers articles
de VArt moderne, encore hésitant, presque naïf,
imprégné des inévitables préjugés que la détestable
éducation scolaire qui a cours en Belgique dépose en
mauvais germes dans le cerveau de chacun de nous,
apparaît à ses rédacteurs, plus qu'à tous autres, dans
son long panorama de transformations successives et
d'approximation chaque semaine plus grande deà prin-
cipes qui président à l'art nouveau.
Nous n'avons jamais été exclusifs. Nous nous sommes
gardés attentivement des étroites conceptions de ces
écoles qui rejettent tout ce qui n'est pas elles. Avides
de jouissances multiples, l'homme contemporain va à
rencontre de ses instincts quand il se confine dans une
manifestation isolée du beau. Chacun de nous est assu-
rément doué plus spécialement pour comprendre et
réaliser une formé artistique déterminée : C'est à elle
que vont ses prédilections. Mais il y a loin de cette
naturelle préférence au rejet de tout le reste. Aussi
avons-nous eu soin de ne pas nou^ cantonner dans
quelque petit territoire, proclamé sacré, seul asile des
vrais initiés, en dehors duquel il n'y aurait qu'igno-*
rants et infirmes. Au risque de scandaliser ceux qui
comprennent la critique comme un état dé guerre
où l'on doit, sous peine de trahison, n'être que de son
corps d'armée et traiter en ennemis quiconque n'est
pas enrôlé sous le même étendard, nous avons plus
d'une fois loué, nos adversaires et refusé notre concours
à ceux avec qui nous marchons d'ordinaire coude à
coude.
Dans la manière de traiter les personnes et les
choses, nous croyons avoir mis en général cette modé-
ration Courtoise qui n'existe plus, hélas ! dans les
mœurs d'une presse exaspérée par la polémique à
outrance des discussions politiques ou par l'intolé-
rance fanatique des petites chapelles. Parfois, nous le
confessons, nous avons répondu avec âpreté, mais
c'est quand les attaques justifiaient par leur allure et
leur violence des représailles énergiques. Et à cet égard
nous n'hésitons pas h dire que mieux eût valu peut-
être ne jamais se départir de cette façon sereine
d'écouter et de répondre qui est la caractéristique de
la vraie force et le gage du vrai succès. Nous espérons
nous en souvenir désormais et nous 3- astreindre, quoi-
que dans ces temps d'universelle dispute et de contro-
verses toujours tintantes, il faille, en certaines conjonc-
tures, forcer le ton ne fût-ce que pour se faire écouter.
Le dédain pour les clabaudages du reportage a été
invariablement une de nos consignes. On est saturé
jusqu'au dégoût de ces balivernes qui encombrent notre
atmosphère intellectuelle au point d'obscurcir toutes
les généralités salutaires auxquelles aspirent les esprits
de bon^^aloi. Sans craindre de nous exposer à passer
pour dogmatiques, nous nous sommes essayés à dégager
les principes plutôt que de nous amuser aux détails.
Les anecdotes nourrissent la mémoire, mais font peu
pour la raison. A se préoccuper sans cesse de petits
faits on perd l'aptitude à saisi^ les vues d'ensemble
alors pourtant que celles-ci formoûMes intelligences
solides et assurent la rectitude des jugeinents.
Comme dominante de notre critique, nous avons
tenté de délivrer le public de la manie du convenu. Sans
répudier l'art accompli, nous avons montré notre pré-
dilection pour l'art nouveau, pour l'art jeune, en signa-
lant sans cesse la pauvreté qui résulterait de la répéti-
tion indéfinie des mêmes choses par des malheureux
réduits à la misérable condition de pasticheurs. Nous
avons formulé cette règle qui ouvre les esprits à toutes
les nouveautés et met en garde contre les condam-
nations prématurées : qu'il faut être très attentif à une
pièce sifflée, plein de respect pour un tableau refusé,
rempli d'égards pour un livre qu'on ne lit pas. La
semaine dernière encore nous défendions les Appor-
tfift
:"^i^sm-§.
ieurs de neuf, ces Argonautes sans cesse en quête de la
toison d'or. C'est cette évolution constante de l'art
qui, sous l'aspect transitoire qu'elle lui donne, le rend si
attachant et ravive incessamment nos sensations et nos
jouissances. Rien que la conception de cette loi qui
condamne la théorie funeste des formules et des
receltes enseignées dans nos écoles, change l'axe de
la critique et lui donne une liberté et un élan qui la
rajeunissent sans trêve.
Mais s'il n'était pas sans opportunité, alors que s'ou-
vre pour nous une période quinquennale nouvelle, de
faire ce rapide examen de conscience et de causer libre-
ment avec ceux qui nous comprennent et qui nous
aiment, nous ne voulons pas manquer à la convenance
qull y a à ne point en dire trop long à ce sujet. Nos
rapports sont assez familiers avec nos lecteurs et déjà
assez anciens pour qu'on nous comprenne à demi-mot
^t que l'insistance soit superflue. C'est une bonne
poignée de main que nous leur donnons, une cordiale
assurance de sympathie et de l'accord qui règne entre
eux et nous, un de ces témoignages qui montent natu-
rellement aux lèvres pour les amis au moment où la
vieille année se couche et meurt, où l'année nouvelle
s'éveille à la vie. Tant de choses écrites qui reposent
dans les cinq volumes déjà parus de PArt moderne
n'ont point, quelque ait été leur drainage, épuisé nos
pensées parce que le renouveau de l'art est inépui-
sable. Nulle récolte ne stérilise le soldece jardin fertile,
et les jardiniers que nous sommes ne se plaignent pas
d*y jardiner. C'est une douce et reposante distraction
après les préoccupations et les fatigues des affaires
quotidiennes et un moyen commode et charmant de se
tenir en bonne santé de corps et d'esprit.
Bonne année donc à tous! Et à nous bon courage!
^IVRE^ NOUVEAUX
Haute Ecole, par Henri Naq.uet. Paris, Charpentier.
Livre original, quoique peu artiste, avec des abracadabrances
voulues et des pétards mis au coin des strophes.
L'auteur dit quelque part :
Je soupçonne, ô Parisienne, . ""
L'ennui de ton cœur débauché,
Je saisis ton rêve ébauché,
*- Car avec Renan j'ai pioché
L'esthétique néronienne.
Chose drôle, le nom de M. Renan ne détonne pas énormé-
ment sous la plume de M. Naquet. Il y a, en lui, de la graine de
Rbiian, mais d'un Renan qui ne serait plus grave el rirait de soi-
même. Dans Haute Ecole s'épanouissent de page en page un
dilettantisme falot, une science étonnante qui batifole, une philo-
sophie fumiste, un joyeux revenu de tout. L'œuvre est une ency-
clopédie de chansons, elle débute par le Livre juif ci aboutit au
Livre moderne à travers le Livre pdien et le Livre chrétien. Son
allure est alerte et zutiste. L'auteur tient à honneur de montrer
qu'il sait tout el qu'il ne prend rien au sérieux, pas même l'art.
Voilà pourquoi, le chanson seule l'attire. Elle déroule toutes ses
gammes. Elle adore les « oh! ricardaine! oh! ricardoh ! » elles
« Tourlourirette-Liroula ».
Mais citons quelques preuves, tant charmantes que fantasques :
DÉCADENDE
Aux heures de décadence,
Débauche et honte entrent en danse.
Les corps sont las, les cœurs cruels,
Plus d'exil, plus d'art, plus de muise,
La morne humanité s'amuse
Avec des joujous sexuels. •
Superbe ! l'image de la fin. De même le chant d'Hélène :
On m'offrait des présents, des vœux,
Au bruit des crotales de cuivre.
Et l'Asie entière était ivre
Pour une fleur dans mes cheveux.
Les fines reines du désert
Syriennes, Israélites
Etaient les humbles acolytes •
De la reine grecque à l'œil vert.
Pour entretenir mon sourire
Au son des flûtes, du tambour.
Des vierges dansaient tout le jour
Entre des tourbillons de myrrhe.
Qui croirait que c'est le même M. Naquet qui rime un peu plus
loin : •
Depuis environ sept ans,
^J'assiste tous les printemps
Au concours hippique.
J'y suis heureux, c'est mon droit.
Car je trouve cet endroit — ^
Bizarre et typique.
Sur ce tableau plein d'accent
Je braque un lorgnon puissant
Et périscopique.
C'est entre de tels extrêmes qu'oscille le livre. Malheureuse-
ment, c'est le mauvais extrême qu'il heurte le plus souvent. A
preuve : Fin de juillet, Au faubourg. Chanson de Vécaillère, Le
Pousse-café..,
Richard Wagner (œuvres posthumes^ Esquisses, pensées,
fragments. — Leipzig, Breitkopf et H^rtel, 1885.
C'est le dixième volume des écrits théoriques du maître que
vient d'éditer I9 maison Rreitkopf, par les soins de M. Hans de
Wolzogen, le célèbre wagnérologue.
Il se compose de notes, pensées, projets, recueillis dans ses
papiers. Le texte en a été religieusement respecté dans sa forme,
dans ses abréviations, son orthographe, sa ponctuation. Une
table de concordance, placée à la fin du volume, renvoi^ aux
passages de ses OEuvres complètes qui peuvent servir à éclairer
le sens des fragments ou à compléter la pensée qui les a dictés.
On trouvera dans ce volume de précieux renseignements. La
partie la plus importante est une esquisse, en deux parties, d'un
ouvrage sur l'art dans l'avenir, dans lequel le maître développe
^
UART MODERNE
h thèse que l'art, œuvre commune de l'universalité des hommes,
est la fin suprômc de l'humanité, et que la science n'est qu'un
moyen d'y atteindre. " .
Un grand nombre de notes du plus grand intérêt, le plan d'un
drame ihdicn, celui vraisemblablement qui devait succéder h.
Parsifaly le comnfienlaire des préludes de Tristan, de Parsifal^
du 3« acte des Maîtres chanteurs, des pensées religieuses et phi-
losophiques, complètent ce superbe volume, que la maison
Brcitkopf a édité avec le soin et l'élégance qu'elle consacre û
toutes ses publications. ,
THEATRE DE LA MONNAIE
Pendiml quelques jours, le public a été ])ris d'un véritable
engouement pour le théâtre de la Moimiiie. Journellement on y
fut contraint de refuser des places. L'insuffis;inle exécution de
Fra-Diavolo est venue fiire tache dans celte bonne situation.
C'est l'incomparable .exécution du Barbier de Scville, avec ce trio
de chanteurs de premier ordre: M"*^ Cécile Mézeray, MM. Dover
et Encfel, qui a été l'occasion de celte vogue, accélérée du reste
par l'insuffisance de la pluparl des autres théâtres actuellement
ouverts h Bruxelles. C'est aussi, d'après les statistiques, l'époque
où s'ouvre la période la plus fructueuse pour notre première
scène lyrique. Le phénomène est donc, au fond, trèS' naturel,
mais il peut paraître étrange à ceux (jui craignaient, dès la
seconde représentation, que le Barbier, malgré l'éclat, la grâce
et la sûreté de son interprélation cet hiver, ne fût exposé à la
froideur qui, d'après certaines opinions, devrait accueillir tout ce
qui n'est pas absolument neuf. La majorité des auditeurs ne chi-
cane pas autant sur ses jouissances, et quand elle a afl'aire à de
véritables artistes elle se laisse aller volorîtiers au pbisir délicat
qu'ils lui donnent, fût-ce en prenant pour prétexte un opéra ita-
lien datant d'un demi-siècle. L'occasion de l'entendre . jouer
comme il ne le fut jamais chez nous, y attirera assurément
quicontjue aime, sans parti-pris d'exclusivisme, 1rs belles choses
dans tous les genres, et alors même que les préférences seraient
pour les chefs-d'œuvre plus puissants de la musique nouvelle.
La re|)rise d'Aïda s'est faite avec un luxe de mise en scène
qui appelle les adjectifs les plus admiratits. On sait que lors de la
création, il y a quelques années, la ville mit un subside de
50,000 francs à la disposilion de la direction. On a pu revoir,
rafraîchies, toutes les j)ompes qui à celle époque firent pâmer les
Bruxellois, et vraiment, pour qui aime les décors prestigieux, les
défilés éclatants, les figurations encombrant la scène, les ballets
élégants, il y a prodigalité. Avec le goût que l'on a chez nous
pour les splendeurs de cortège, il est vraisemblable que cette
brillante reprise sera l'une des plus fructueuses de ta saison.
Quant à nous, dans ce compte-rendu rapide, nous nous arrête-
rons surtout au grand art avec lequel M'"*^ Monlalba a rendu le
rôle principal. Sous tous les rapports, chant, jeu, cOstume, elle a
fait preuve d'une autorité qu'elle n'avait pas montrée jusqu'ici.
Certes, sa voix est paifois faible dans le haiJt et gêne alors
l'oreille. Mais quelle belle et profonde sonorité dans le grave, et
comme il serait injuste d'exiger d'elle une double supériorité
qu'on ne rencontre guère, spécialement chez les cantatrices qui,
ayant le registre élevé, ont la voix sourde dans le bas. Son duo
avec Bérardi, au troisième acte, a été superbe. Elle s'y est montrée
artiste plus préoccupée de rendre avec passion et vérité son
personnage que de faire sur les auditeurs des effets de séduction
•par les notes. * '
C'est là une grande e.t belle qualité, la principale h notre avis,
trop souvent sacrifiée. Notre public avait fini par la démêler chez
M""^ Caron qui, elle aussi, est plus tragédienne que chanteuse,
nous avons été les premiers à le dire ici même. Cet hiver,
peut-être h cause des virtuosités ensorcelantes de notre
opéra-comique, on semble de nouveau priscrr surtout la voix.
C'est fort bien dans les œuvres légères, mais c'est sans à propos
dans les œuvres dramatiques. Nous ne douions pas que notre
public ne se fasse à celte nécessité de vai'ier ses façons de juger
selon les genres, et qu'après l'excellente éco'e qu'il a eue l'an
passé dans le grand-opéra et qu'il a cette année dans l'opéra-
coini(jue, il no comprenne enfin, par ce double et salutaire
enseignement, ce qu'il faut qu'il exige de part et d'autre.
Le succès de M""^ Krauss fut fondé surloul sur ses aptitudes de
tragédienne; c'est ce qu!il faut demander aux fortes chanteuses;
la voix doit certes être belle, mais elle vaut surtout par ses qua-
lités d'expression et d'émotion, j)ar ce que le geste, l'allure, le
visage y ajoutent de passion et de force. M"'« Monlalba a ces dons
et est digne d'être accueillie comme une grande artiste. Nous
attirons l'attention sur son interprétation d'Aïda. Nous sommes
cpnvaincus qu'elle y conquerra l'admiration des amateurs véri-
tables. •
Bérardi mérite de participer largement h ces éloges. Le rôle du
roi d'Ethiopie lui convient pleinement. Par sa belle stature, la
noble simplicité de son jeu, la puissance de sa voix, il seconde
superbement sa partenaire.
La salle, trop imprégnée sans doute des récents et charmants
souvenirs du BUrbier, a fait aux deux interprètes un succès seu-
lement discret. Ce n'est pas assez. Il grandira sans doule aux
représentations prochaines. Notre public, toujours défiant au
début, est au fond sensé et équitable. Il aime à réfléchir un peu,
mlîs il est rarement passé sans les voir devant des artistes sérieux
et conciencieux. Lorsqull aura frotté ses lunettes, vu et revu, il
dira sans doute, comme nous, que le troisième acte de la reprise
du chef-d'œuvre de Verdi est une des choses les mieux rendues
que l'oa ait vues cel hiver au théâtre de la Monnaie.
^■
j]0RRE?P0NDANCE
MoNSiECR LE Directeur de VA rt moderne^
Je lis dans votre dernier numéro : -
« Un renseignement à ajouter à ceux qu'un de nos correspon-
a dants a donnés dans les lettres qu'il nous a adressées au sujet
« du théâtre de la Monnaie. La municipalité de Toulouse donne
« 120,000 francs de subside à son théâtre. 11 n'v a à Toulouse
a que 430,000 habitants. A Bruxelles, le subside est de
« 400,000 francs seulement, sur lesquels la Ville reprend 23,000
« pour les appliquer h la réfection de ses décors et de ses cos-
« lûmes et impose h l'imprésario l'obligation de monter, en
« abandonnant au théâtre les décors et les costumes, six actes
« nouveaux, soit 30 îi 50,000 francs!! »
Permettez-moi d'ajouter une réflexion. La ville de Bruxelles
faii piiyer à la direction du théâtre le gaz que celle-ci emploie.
Cela monte par année à 27,000 francs, h savoir 425 francs par
soirée, et il y en a 208 par saison théâtrale, soit 24 à 28
i
■MÉMMHlMHliÉiMMÉiÉta
VAUT MODERNE
^
MMi«ha^^b^M^^i^
par mois pendant huit mois. I! en résulte que la Ville reprend
presque en entier le subside de 400,000 francs qu'elle semble
allouer, savoir : 25,000 francs pour réfection des costumes et
décors qui sont sa propriété, 30 b 50,000 francs pour mise en'
«scène de six actes nouveaux qui resté également sa propriété,
25,000 francs pour le gaz qu'elle fournit. C'est aussi ingénieux
que peu équitable et je trouve, comme vouSj qu'il n'est pas mau-
vais que le public le sache.
Une autre réflexion. Votre correspondant a fait remarquer que
cette année la Ville a imposé à la direction de livrer sa salle gra-
tuitement aux Concerts Populaires moyennant ristourne de quel-
ques frais. Chaque concert procurait à la direction précédente
'4,200 francs de loyer, et il y en avait cinq, auxquels il fallait
•ajouter deux ou trois autres concerts publics. C'est donc bien,
comme on vous l'écrivait, une recette de 40,000 francs que l'on a
•enlevée pour obliger, sur le dos de la direction, les organisa-
teurs de ces fêles. J'ajoute qu'on a remarqué les- années précé-
dentes que les concerts de l'après-midi nllaquenl la recette du
soir, c'est-à-dire la diminue : donc nouvelle oecasion de perte.
Je voudrais bien savoir si le collège échevinal, le conseil com-
munal ou l'échevin des beaux-arts connaissaient ces détails et
ceux que votre correspondant a révélés, quand ils ont grevé de
49,000 francs de charges nouvelles la direction qui devait suc-
céder à celle de MM. Stoumon et Calabresi ! Cela paraît impos-
sible.
Recevez, Monsieur le directeur, mes salutations distinguées.
E. E. . ..
i^
ORRE^PONDANCE D'ARTI^TEP ^*^
Ypres, jour de Noël, 1873.
Mon cher ^**,
A propos de musique, il faut que tu m'aides à franchir un
obstacle devant lequel je me promène depuis quelque temps. En
d'autres termes, il faut que tu m'aides à compri^ndre Wagner. Je
commence à saisir mais je suis bien loin d'avoir saisi. Je ne vois
pas encore la porte d'entrée de ce sanctuaire ; je végète dans le
corridor et tu sais que je n'aime pas les courants d'air. Bref, je
déchiffre le soir des partitions (chant et piano) avec *** qui m'a
aidé à naviguer avec bonheur sur l'océan Beethoven.
Je ne suis pas encore initié. Quelques mots de loi pourraient
m'initier; mais pour cela, je dois te décrire ce que j'éprouve et
c'est ce que je vais faire. Prenons deux chaises, asseyons-nous
dans ce corridor et causons b l'aise. — Mais avant tout, fermons
les portes, — Je ne sais ce qui se passe dans ce sanctuaire, mais
le vent vient de là et il est de force à décorner un bœuf.
Nous voici donc assis. — Mais tout à coup les portes s'ouvrent
avec fracas. — Ce n'est pas une conversation, c'est une vision qui
(*) Nous aimons à publier des. lettres d'artistes. Presque toujours,
elles présentent un très grand intérêt, soit eu égard à la personnalité
qui ouvre ainsi, dans rintimité de la correspondance, les secrets de
sa pensée, soit parce que chez les artistes, même de talent "modeste,
là vue des choses et la façon de les exprimer a une originalité qui ne'
se rencontre guère ailleurs.
La lettre que nous publions aujourd'hui est de Gustave Coppieters,
que la mort vient de frapper avant que l'artiste ait donné sn moisson.
Elle est adressée à un ami intime, artiste lui-même, et de grand
mérite, Tune des illustrations de notre pays. Nous donnerons ulté-
rieurement d'autres fragments de cette correspondance, brusquement
interrompue par la mort.
commeuce pour moi?!.... debout paresseux! me crie une voix âe
stentor avec un accent léijjèrement allemand. Debout ! svbarite!...
Alors, l'esprit me prend par le poil de la tête, comme dit l'Ecri-
ture, et me traîne rapidement jusqu'au bout du corridor. Voici
mon sanctuaire! me crie la Voix. Et l'esprit m'enlève de terre et me
fait tourbillonner dans la tempête tout saisi d'effroi, mais plus
encore d'ahurissement de trouver le plein air et le tumulte des
éléments déchaînés là où je croj^ais admirer en recueillement les
merveilles d'une architecture élégante et sévère.
Cependant, l'on se fait h tout. Malgré le malaise que me fait
éprouver mon enlèvement de la terre ferme, je reprends assez
de sangfroid pour écouter les séries d'accords richos d'harmonie
qui sortent du sein de la tempête, car enfin je me sons enlevé
du sol. Cependant, une grêle drue et nourrie me fait souvenir que
je n'ai pas quitté la matière en quittant la terre ferme. De \l\ naît
un malaise assez semblable au mal de mer. J'insiste do. nouveau
pour demander une base ou tout au moins un point de repère,
quand tout h coup, par des revirements brusques, l'harmonie
devient vraiment sublime et me fait oublier que je tournoie dans
l'espace. Les dièzes s'empilent et se molamor|>h'Tsenl en bémols
de la façon la plus heureuse. Il est vrai que certninos enharmo-
nies parlent plus aux yeux du lecteur qu'aux oreilles de l'audi-
teur; mais encore, en décomptant ces superchfTios, il resie, en
fin de compte, une harmonie poussée jusqu'à l'ivresse, parfois
jusqu'à l'orgie. Quant à la mélodie, elle non plus n'a pas de chaise •
pour s'asseoir; elle a à faire partout, cl surtout dans les basses.
Elle tournoie et ne se montre généralement que de profil ou
même de dos. Elle est fatiguée du fauteuil où Rossini lavait
laissé trôner trop longtemps. Elle préfère sa liberté à tout et crie
avec le reste : Vive la tempête! amusons-nous.... Comme elle est
généreuse de sa nature, elle empoigne l'harmonie par la taille et
ces deux anciennes ennemies commencent la danse la plus animée
qu'ait jamais entreprise le jarret d'une immortelle. y^
Et moi, chétif, je tourbillonne, je m'élève, je m'exalte et je
m'écrie : Celte fusion des éléments élail nécessaire! Wagner est
l'artiste de notre siècle. C'est l'homme du présent que les vieux
et les infirmes prennent pour l'homme de l'avenir! J'ai compris
enfin.
Cependant l'harmonie se soutient et la fraîcheur du vent, loin
de me déplaire, me fait regretter d'avoir respiré une atmosphère
artistique trop renfermée. Je me bats les flancs pour me donner
de l'énergie et je me repens de naon existence artistique de
harezzeux et de zyparidey comme disait la Voix.
Je me sens donc mûr pour comparaître dans le sanctuaire, quand
tout à coup une énorme vague d'eau fraîche, salée, amère et
cependant fade, m'enveloppe des pieds à la tête et par une force
-irrésistible me fait dégringoler des hautes régions av( c une rapi-
dité vertigineuse. Je touche terre et je suis contusionné et trempé
comme une soupe ! — Sais-tu ce que c'est que cette vague?... un
accord en do majeur, pur, inflexible et inexorable, orné d'un
rythme saccadé et nohveau (de peur de ne pas trancher assez sur
le reste) — de la neige sur du velours écarlate, — des navets
après des truffes. — Je suis à terre, relève-moi!
Mais je veux me rendre compte de cette réputation plus
grande que nature. L'histoire de l'art m'apprend que le Dernin
lui aussi a joui d'une réputation plus grande que nature et je me
demande s'il n'y a pas un cerlain rapport entre le Bernin et
Wagner...
Quand le Bernin parut, on le crut le continuateur et le couron-
nement de Michel-Ange. Esl-ce que Bernin n'est pas à Michel-
Ange comme Wagner est k Beethoven ????!...
Voilà ce que je me dis en fermant la partition du Vaisseau
Fantôme^ et puis j'ouvre un autre livre; mais voici un phéno-
mène nouveau qui se présente.
Ma lettre devient longue; néanmoins je veux continuer pendant
que j*y suis :
Donc, il m'arrive... que le plaisir que me causaient mes
anciens intimes parmi les compositeurs diminue sensiblement.
Sauf les chefs-d'oeuvre qui résistent aux bourrasques et même
aux tremblements de terre et s'épurent même à chaque épreuve ;
les œuvres que j'aimais répandent à travers les parfums des
fleurs que je ne méconnaîtrai jamais une certaine odeur que je
n'ose nommer sans craindre de blasphémer... Ce parfum unique
dans son espèce est celui qui se trouve à l'état latent entre les
feuillets des vieux et inimitables manuscrits du moyen-âge et
entre les boucles ondoyantes de l'incomparable perruque de
Mozart.
Qu'il y ait de la poussière dans cette perruque, c'est ce que je
n'ai jamais nié, mais faut-il que la main robuste de Wagner la
secoue au point de m'aveugler? Et, parce qu'il y a de la poussière
dans une perruque, doit-on noyer le monde pour noyer cette
poussière????
Voilà tout ce que je me dis, mais, si je me dis le contre, je me
dis le pour. En somme, nous avons eu au théâtre assez de jolies
tempêtes qui se taisaient pour permettre à monsieur le ténor de
débiter sa petite phrase musicale. Il n'est pas mauvais de voir là.
tempête embrasser tout un acte et mugir encore de loin au second
acte.
Quand le petit matelot du Vaisseau Fantôme chante sa courte
et adorable chanson, on sent si bien qu'il n'est qu'un épisode
dans ce vaste élément! La moindre de ces vagues suffirait
pour l'abîmer, lui, la belle qu'il chante et toutes ses illusions.
Cela est nature. Rossini l'aurait mis sur l'avant-plan pour qu'on
l'applaudisse.'
Quand on est au bord de la mer, est-ce que tout ne prend pas
la couleur et la saveur du fond? Voilà pourquoi j'admire celte
atmosphère saline et âpre dans laquelle tous les personnages sont
impitoyablement noyés.
Le désespoir est parfaitement rendu dans les récits de la
basse. .
Mais dis-moi ce qui m'empêche de comprendre cette vigou-
reuse harmonie, moi qui ai saisi si facilement les dissonances
les plus stridentes de Chopin et deSchumann?? Et dis-moi pour-
quoi je trouve plus vulgaii'es que^ Vair : Viens belle nuit, etc., les
passages gais et chantants de la pièce?...
Est-ce que Wagner a prouvé que l'art est autre chose que ce
que tout le monde croit qu'il est? Où veut-il en venir avec son
réalisme mystique ou son mysticisme réaliste? Comprends-tu
quelque chose au librelto du Tannhaiiser et du Vaisseau Fan-
tôme?
Autre chose. Mon tableau avance et est déjà encadré. Je suis
sorti du coup du mystique et du vieux et j'ai sur le chevalet un
tableau sur lequel tout le monde peut me donner de bons con-
seils. En vérité, si mon art d'agrément, la musique, m'embête en
ce moment, je puis dire que la peinture, mon art de désagrément,
m'amuse. Je me donne des peines, mais je ne me fais pas une
goutte de bile. J'espère réussir cette fois. .
PREMIER CONCERT DU CONSERVATOIRE
Trop rarement le Conservatoire inscrit en ses programmés le
nom de Jean-Sébastien Bach; depuis l'installation de notre Ecole
de musique rue de la Régence, c'est la deuxième grande œuvre,
seulement, qu'elle produit au public : la Cantate de Noël et la
Cantate delà Réjormation.
La Cantate de la Reformations composée sur le choral de
Luther Eine [este Burg isl miser Oott^ a été exécutée assez mé-
diocrement : il devient de jour en jour apparent que les masses
chorales dont dispose M. Gevaert sont bjjipucOup trop faibles et
mollement conduites ; l'entrée du premier chœur fugué, par
exemple, était manquée et dans le dernier choral l'orgue et l'or-
chestre étaient trop puissants. Nous ne chicanerons pas le direc-
teur sur les coupures qu'il a cru devoir infliger à la partition. Ces
mi^tilations sont, hélas! de mode à Bruxelles, et il est, peu d'ou-
vrages qui y échappent. On est en droit, toutefois, de s'étonner
que le Conservatoire, qui devrait être le gardien fidèle des œuvres
des maîtres et dont le devoir est de les faire respecter, donne
l'exemple de ces libertés d'interprétation.
Un détail d'exécution curieux : aucune trompette ne pouvant
donner les notes élevées sur lesquelles débute le thème du choral,
on a fait fabriquer par M. Mahillon des trompettes semblables à
celles qui étaient en usage au temps de Bach. Le timbre perçant
de ces instruments a surpris l'auditoire, qui, n'étant pas prévenu,
ne savait à quoi l'attribuer. Le succès a été pour le duo de
contralto et ténor, accompagné discrètement par le violon
(M. Colyns) et le cor anglais (RI. Guidé), inspiration délicieuse,
d'un mysticisme de pur croyant.
Les solistes, M'"^^ Cornélis- Servais et Degive-Ledelier,
MM. Engel et Vandergoten ont été bruyamment applaudis. On a
fait fêle surtout à l'excellent pensionnaire de la Monnaie.
Le programme contenait encore une ouverture de Hsendel peu
intéressante, et la très banale et très mince ouverture à*Athaliey
de Mendelssohn, interprétée avec le concours de la nouvelle classe
de harpes.
Où l'orchestre du Conservatoire a été parfait, c'est dans l'exé-
cutipn de la septième symphonie de Beethoven, particulièrement
dans la deuxième partie : un mouvement, une chaleur superbes.
Nous ne nous souvenons point d'une pareille exécution en
Belgique.
JiE CONCERT ^lENIAW^KI
M. Wicniawski est un brillant et séduisant pianiste. Sans
' chercher à éblouir ou à étonner, il émeut par là sincérité et la
noblesse d'une interprétation dont le respect des maîtres est la-
caractéristique. Classique et correct dans les 32 Variations en
ut mineur de Beethoven et le Prélude en si bémol mineur de
Bach, il a mis dans l'exécution des œuvres de Chopin, de Liszt
et de Wicniawski lui-même, la fantaisie et la fougue que celle
musique comporte.
Son succès a été très grand et très mérité, et l'on a autant
applaudi le virtuose que le compositeur, dont deux morceaux
surtout, une Sonate pour piano et violoncelle^ bien conçue et
développée avec talent, et une Fantaisie pour deux pianos ^ moins
originale, mais d'une étonnante variété d'effets et d'un merveilleux
entrain, ont été très goûtés de l'auditoire choisi qui remplissait
la salle.
VART MODERNE
M"® Anna Grégoir a prêté au concert le charme d'une voix peu
puissante, mais d'un limlre agréable. On l'a surtout applaudie
dans deux mélodies aimables de Wieniawski,iSt vom5 n'avez rien
à me dire, sur la poésie de Victor Hugo, et II m'aimait tant. Que
la jeune artiste s'en tienne à ce genre-là, elle deviendra une
chanteuse appréciée pour son goût et sa fine diction, i^r*
Pour rexéculion de la Fantaisie à deux pianos ^ M»« Louisa
Merck a remplacé M. De Greef, qu'une indisposition empêchait
de prendre part au concert. El elle l'a fait avec un réçl talent.
pHRONIQUJE JUDICIAIRE DEp ART^
Le sifllet au théâtre.
Le tribunal de simple police de Gand a tranché la question
de savoir s'il est permis au public de siffler pendant une repré»
senlalioa théâtrale. Un étudiant de cette ville, poursuivi pour
avoir nnanifeslé de celte façon le déplaisir que lui causait un
artiste, a été acquitté. La décision, conforme à la jurisprudence
établie en France par plusieurs arrêts de cassation, se fonde sur
l'impossibilité où se trouve le public de faire connaître autre-
ment son opinion au sujet du mérite des acteurs, en l'absence
de ballottage.
"~" r- ,
MEMENTO DES EXPOSITIONS ET CONCOURS
Brux:elles. — Exposition et concours de la Société centrale
d'architecture. — Ouverture !«' mai 1886. Section rétrospective,
section contemporaine. Envoi avant le 15 avril. Renseignements :
Secrétaire de. la Commission organisatrice, rue Royale Sainte-
Marie, 128, Schaerheek.
Edimbourg. — Exposition (internationale) de l'industrie, des
sciences et des arts. — Du 4 mai au 30 octobre 1886. — Mobilier
et arts décoiratifs, beaux- arts, reproduction d'anciens édifices et de
vieilles rues, etc. — Demandes d'emplacements au Secrétaire de
V Exposition, Frederick Street, i^, Edimbourg.
ChLA.scow. — 25« exposition (internationale) de l'Institut des
Beaux- Arts. — Du 2 février au 30 avril 1886. — Tableaux à l'huile
et aquarelles. — Renseignements : Robert Walker, secrétaire,
Qlascow.
New-York. — Exposition des œuvres d'Henry Mosler.
Id. — Exposition des œu.vpes de William Chase destinées au
Salon des XX".
Paris. — 5« exposition de l'Union des femmes peintres et sculp-
teurs. — Du 12 février au 4 mars 1886. — Envoi* les 5 et 6 février,
— Reaseig^neraents : M™» Léon. Bertaxicc, présidente.
Pau. — 22« exposition (internationale) des Amis des Arts. ■ — Du
15 janvier au 15 mars 1886. — Peinture et sculpture. — Délai
d'envoi expiré.
J^OTZP CE jLIBRAIRIE
Pour paraître prochainement chez M. Krcutzmann, à Saint-
Gall : Ètiiàes et compositions, par Jean Stautfacher, une superbe
publication contenant un grand nombre de planches pour servir
à renseififiement et à l'élude des arts décoratifs.
Prix de la livraison : 10 francs en grand formai, fr. 5-50 en
petit.
A demi mot vient de paraître chez Monnier dans la môme
collection que les Concubins. Nous voici en plein monde pari-
sien; d'un côté les talons rouges et les monocles sur l'œil, de
l'autre les pieds à mettre dans un écrin et les tailles ^ serrer
dans une boîte.
L'auteur nous fait voyager en pays rose el grivois, et, parmi
les voyages les plus agréables, voici le Petit coupé, le Pauvre
Chavaix et le Récit de la Camériste,
f'
'ETITE CHROJ^iqUE
Le Moniteur nous a annoncé, mercredi, la nomination de
M. Edouard Jacobs aux fonctions de professeur de la classe de
violoncelle au Conservatoire de Bruxelles. Elève de Joseph
Servais, et le meilleur, le jeune artiste mérite à tous égards cette
haute distinction, à laquelle nous applaudissons de tout cœur.
Quelque lourde que soit la lûche qu'il aura h remplir pour se
rendre digne de son prédécesseur, il sera capable de la remplir
dignement.
Nous apprenons que M»« Fierons débutera à la Monnaie dans
le rôle de Puck, d'06^rc?7i. , •
■ •— — ^— •
Nos remerciements h la revue néerlandaise De Nieuwe Gids
pour les lignes aimables qu'elle nous consacre dans sa deuxième
livraison. Parlant de l'abaissement du niveau de l'art en Hollande,
elle dit :
« Cette situation semble ne pas devoir changer aussi long-
temps que l'éducation artistique du public n'aura pour guides
que les feuilles quotidiennes. Elle ne peut préjudicier ù l'art
même, mais ceux qui s'intéressent réellement à celui-ci se
réjouiraient de la création d'un organe artistique indépendant
qui se vouerait exclusivement à la discussion des principes d'es-
thétique. Et à ce propos, un journal belge, VArt moderne, nous
donne un exemple à suivre : champion infatigable, il combal
pour les principes artistiques purs sans se préoccuper aucune-
ment des parvenus ni des puissants.
« 11 serait à désirer que chez nous aussi se trouvât un homme
intelligent et actif, qui assumât la tâche de fonder el de conduire
avec autant de talent que son confrère bruxellois un journal
arlistique.
« Nous pourrions laisser alors les criliculets à leur petite
besogne, et enfin artistes el amateurs pourraient se délecter
dans la lecture d'une critique sérieuse pour le plus grand bien
de l'Art ». .
On lit dans la Justice sous la signature de l'excellent critique
Charles Martel dont nous donnions dernièrement un spirituel
ariicle sur Georgette :
*" « Qu'on nous permette de dire commeni''îiélé^omposé le
Livre de Pochi, ce volume d'étrennes dont le succès est si grand
en ce moment.
« Un jour de l'été dernier, Judith Cladcl, la fille de l'auteur
du Bouscassié, se plaignait à un journaliste de n'avoir pas un
livre écrit par les amis de son père, livre que puissent lire les
jeunes filles de son âge, de douze à quinze ans. — Vous l'aurez
pour vos étrennes, répondit notre confrère.
« De fait, le livre vient de paraître magnifiquement imprimé
avec de superbes illustrations. '^'' -
« C'est le livre des adolescents composé tout exprès par les
premiers littérateurs de ce temps el qui d'ordinaire n'écrivent
que pour les grandes, très grandes personnes.
w
•IT
ip*^^w^^i
•^1-,
J'
. ^ ______
J* "J»^' ■■■ *t^'
8
UART MODERNE
« Partni les collaborateurs, nous relevons les noms de Paul
Arène, Jules f.larelio, Alphonse Daudca, Delon, Marie Desmoulins,
Hector France, Jean-Bernard, Camille Lemonnier, Lugol, Catulle
Mendès, Louis Mullem, Edmond Picard, Henri Passerieii, Pouvi-.
lion, Armand Sylvestre et Talmeyr.'
« Ajoutez h cela une reliure qui est à elle seule un objet d'art
et vous aurez un livre unique constituant la plus belle élrenne (juc
l'on puisse imaginer. »
La Socie'lé centrale d\irchitecture orcfanise, avec le concours du
gouvernement, une exposition nationale d'architecture compre-
nant une section rétrospective et une section contemporaine,
pour laquelle elle fait appel à tous les architectes du pays. L'ex-
position s'ouvrira le i'^'' mai 1886. Les œuvres (dessins, maquettes,
photographies) devront parvenir avant le 15 avril au Palais des
Beaux-Arts. Un concours, auquel .est affectée une somme de
500 francs, aura lieu à l'occasion de cette exposition. Pour tous
renseignements, s'adresser au secrétaire de la commission orga-
nisatrice, rue Royale-Sainte-Marie, 128, à Schaerbeek.
Concerts populaires. — Dimanche 10 janvier, à 1 4/2 heure,
au théâtre royal de la Monnaie, premier concert de la saison, avec
le concours de M. Jenô Hubay, professeur au Conservatoire de
Bruxelles.
Programme : Symphonie n° 2 en si mineur, de Borodine
(inédite); Concerto pour violon et orchestre, de Jono Hubay (pre-
mière exécution); Suite-Miniature de César Cui (première exécu-
tion); Fantaisie Serbe, de Rimski-Korsakoff (première exécution).
Nous apprenons que notre excellent confrère de la presse
parisienne Edmond Sloullig, dont le nom s'altache à des publi-
cations théiitrales déjà si im[)orlant(;s^ viont d'élre désigné pour
diriger, à partir du l*^"" janvier, une revue de quinzaine, dont le
titre définit suliisamment le but : Revue d'art dramatique.
Tous nos souhaits l'accompagnent dans cetie entreprise, où,
h côté de son expérience personnelle, il apporte le concours des
écrivains les plus brillants et des crititjues les plus autorisés en
matière théâtrale.
Sommaire de VAlmanach de VUniversité de Liège. (Paraîtra
le 10 janvier).
Avant-propos. — Partie universitaire : Calendrier universitai-
re; Notre nouveau recieur ; Autorités académiques et corps ensei-
gnant; Histoire de l'Université, par A. Orlh ; Les Cours prati-
ques, par E. Mahaim; Cercles universitaires anciens et actuels ;
Chances d'étudiants.
- Partie littéraire : Liège, par C. Lemonnier; Les Femmes-
artistes, par Edm. Picard; A la mer, par A. Fontainas ; Outre-
Meuse, par A. Chainaye; Variations sur un vieil air, par A. Giraud;
Croquis bruxellois, par Edm. Cattier; Delzire Moris, par A. Goffin;
La Complainte du carabin, par Théo Hannon; Mon premier
roman, par A. Jottrand; Fragment de deux carrières artistiques,
par Ch. Magnette ; La fin d'un jour de gloire, par E. Mahaim;
La Saint-Sylvestre, par Octave Maus; Dégoût, par Georges Roden-
bàch ; Le Bonhomme, par A. Mockel ; On' n' môho'n, par H.
Simon ; Primes neiges, par P. Poirier; Vers, par F. Vander Est ;
Une biedasserie, par P. Olin; Nuit boréale, par E. Verhaeren;
Miss Dispute (mœurs universitaires), par G. Rahlenbeck; Cadeau
de Fée, par M. Siville.
Dessin originaux de MM. Chainaye, Keiffer, Masui et H. Simon.
Prix de souscription : 2 francs. S'adresser à M. G. Rahlen-
beck, président du Comité de rédaction, rue de la Cathédrale,
63, à Liège.
.im:
ÉDITEUR DE MUSIQUE
RUE SAINT-JEAN, 10, BRUXELLES
Nouveautés musicales.
DE SWERT, Jules. Sérénade de l'opéra : Les 4Z6î-
yeow. Transcription pour violon-
celle, avec accomp. de piano . Fr. 2,00
BORIS SCHEEL. Op. 155. Trois mélodies pour chant,
avec accomp. de violoncelle (ou
violon) et piano. Paroles françaises
et anglaises. "
N'o 1 Venez ma tnie. Sérénade. [Ar'ise,
beloved) 1.35
No 2 Pour l'absrni. {To my ahsent\o\e) 1.75
N° 3. C/ianf dV<mo?<r. (Love song) . . i.75
ERMEL, A. Op. 40. Scherzetto, pour piano 2,50
VIENT DE PARAITRE CHEZ
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Hollande Van Gelder, 25 francs.
Il reste quelques exemplaires.
Bruxelles. — Imp. Félix Callewaert père. — V* Monnom, successeur, rue de l'Industrie, 26.
Sixième anj^ée. — K» 2.
Le numéro : 25 centim&s.
Dimanche 10 Janvier 1886.
n
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
l^YDE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
■ ■>"•"■
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser les demandes d'abonnement et toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
^OMMAIRE
L'Exposition de l'Essor. — Interview. A propos^ du Théâtre de
la Monnaie. — La Doctoresse au Théâtre nu Parc. — Livres
NOUVEAUX. Le drame social, par V. Arnould. — Gazette de
Hollande. — Bibliographie musicale. — Mémento des exposi-
tions et concours. — Petite chronique.
L'EXPOSITION DE L'ESSOR
Nous souhaitions vivement trouver dans l'exposition
nouvelle de l'Essor y une occasion d'atténuer notre juge-
ment sévère de l'an dernier et de donner aux artistes
de ce groupe un témoignage de la sincérité de nos
appréciations, même quand elles ne sont pas agréables.
On nous assurait que sous le coup de fouet des critiques,
un vigoureux effort avait été fait et que cette fois les
plus acerbes pourraient rendre hommage à la bonne
volonté' et aux progrès de cette phalange. Nous savions
que dans l'examen des œuvres à exposer on avait fait
preuve de beaucoup de fermeté et que l'admission pres-
que en masse au Salon précédent avait été singulière-
ment restreinte.
Hélas! les meilleures dispositions d'encouragement
et de paix doivent céder devant k fort triste réalité. A
part quelques exceptions dont nous parlerons tout à
l'heure, l'ensemble est médiocre, morose, vulgaire, ou
plus exactement* en employant un mot usité chez nous
dans un sens spécial, commun, gemeen. Pas d'élan,
pas d'entrain artistique. Des productions mornes, sans
vibration, maladroitement établies, mélancoliquement
bourgeoises. On ne sait quelle impression de découra-
gement et de torpeur. Rien qui sente la jeunesse, l'en-
thousiasme, la vaillance pour réaliser un but clairement
vu.
Cette 'fois nous ne sommes pas seuls à le dire. Des
amis avérés de F Essor ont, dans les comptes-rendus,
laissé percer une impi:*ession analogue. Ce n'est plus la
furie louangeuse de jadis. Les éloges sont dispensés
avec discrétion, les réserves de tous genres pointent.
On a le sentiment que la faiblesse du résultat est trop
apparente pour que le public se laisse prendre aux
boniments bruyamment proférés et emboite le pas sur
la marche que tambourinent les fidèles.
L'Essor fait donc une campagne malheureuse, rien
ne le peut dissimuler.
Où en est la cause ?
Nul sans doute ne saurait dégager les facteurs mul-
tiples qui ont amené cet avortement. Certes, l'exode
des artistes qui ont fondé les XX l'a privé de quelques-
unes de ses forces les plus énergiques. Mais il lui restait
quelques personnalités dont on pouvait espérer le déve-
loppement. Or, l'événement montre plusieurs d'entre
elles demeurant sur place, s'il ne faut même pas dire
plutôt qu'elles rétrogradent. Il semble que les excita-
tions artistiques font défaut, que le milieu est appauvri,
que ces jeunes hommes ne subissent plus l'influence
d'une ambiance qui relève, élargit les pensées, leur
donne cette envolée qui justifiait ce nom bien sonnant :
l'Essor,
l
/
Est-ce que vraiment, comme nous en exprimions la
crainte, il y a un an, la zioanze aurait cette propriété
de tarir les enthousiasmes sains et les entreprises labo-
rieuses, pour y substituer, sous la direction de quel-
ques farceurs déclassés, une aptitude à la goguenardise
facile qui est à la vie de l'artiste sérieux, ce que la fré-
quentation des tavernes est au travail? L'habitude de
ridiculiser chez les autres les convictions excentri-
ques, les efforts téméraires, les recherches acharnées,
le fanatisme de l'originalité, tous ces instincts qu'il faut
respecter même quand de prime abord on les trouve
saugrenus, porterait-elle avec elle cette pénalité redou-
table de tarir chez le zicanzeur toutes les qualités,
toutes les forces dont il se moque sottement quand il en
voit l'expansion chez un adversaire. Est-ce que les
circonstances réaliseraient ce propos cruel tenu anti-
cipativement il y a quelques mois : Vous verrez que
la Great- Zivans - Exhibition deviendra leur vrai
Salon? "
Nous n'en sommes pas encore là, et si la poussée
dans cette voie funeste et piteuse a déjà été loin,
le retour n'est pas impossible. Il suffit pour cela de
revenir à des préoccupations plus hautes, et d'enlever à
quelques loustics le panache de général en chef avec
lequel ils se pavanent dans les sentiers qui mènent aux
fossés des irréparables culbutes. Il y a derrière eux
quelques artistes sincères, magnanimes autant que les
meilleurs, qui doivent souffrir d'être compromis dans
ces escapades et tournent sans doute les regards vers
les cantons où l'on travaille sans se gausser de tout,
sans avoir pour unique préoccupation d'aboyer aux
jambes de ceux qui vont droit leur chemin vers ce beau
pays de l'art qui est dans une autre partie du monde
que le pays de la zioanze. Sans grandes idées et sans
nobles sentiments pour soi-même et pour autrui, un
artiste n'est jamais qu'un médiocre, parce qu'il n'est
jamais qu'un mesquin.
Oui, c'est la vieille histoire. C'est elle que nous racon-
tions l'an passé quand nous écrivions : Quelle vieille
histoire que la mauvaise humeur des envieux, aidés
des ratés de tous les acabits, contre l'élément vivace, ,
remuant, entreprenant, progressif de l'art ! Quelle
vieille histoire que l'emploi des calomnies et des plai-
santeries pour tenter, toujours vainement, de l'enrayer!
Quelle vieille histoire que son triomphe final inévitable,
coïncidant avec le discrédit, puis l'oubli, ou la conver-
sion (c'est l'élément comique après l'élément chagrin) de
ceux qui l'ont malencontreusement attaqué! A ce triste
métier les résultats sont toujours les mêmes. L'art se
transforme en cancan, le peintre en jongleur. On com-
mence par la brosse, on finit par la zioanze. Et comme
en ces œuvres de dénigrement on entraîne inévitable-
ment à ses trousses une tourbe polissonnante, on finit
par s'entendre chanter ce couplet de ballade :
. Au début, en quittant le port
Ils étaient quarante brosseurs.
Hélas ! après dix ans d'Essor,
Ils étaient quatre-vingts zwanzeurs !
Et maintenant passons au détail.
Trente-huit exposants. Cent cinquante-et-une œuvres.
Dans cet ensemble assez considérable, à notre avis les
suivantes sont à signaler, en suivant l'ordre du cata-
logue :
De Bièvre : Un marais (Calmpthout). — De Groux :
Pèlerinage de Saint-Columban (esquisse). — Delsaux :
La vieille digue au crépuscule. — Dillens : Figure
tombale. — François : Hiver sous bois, — Vieilles
masures, Boitsfort, — Site aux; environs de, Bruxelles,
— Frédéric : Le paysan mort (triptyque), — Le
repas des funérailles, — Vacher, — La prière du soir
(dessin). — Halkett : Ouvriers attendant. — Heins :
Le moulin de Hautem, — Marché aux poissons à Gand
(aquarelle). — Hoeterickx : Brouillard. — Lacroix :
Jeune paysan,. étude (dessin). — M"'® Lacroix : Décem-
bre (effet de neige). — Lynen, Amédée : Piano décoré
pour la maison Gunther. — Mayné : Le moissonneur.
— Meunier, Georgette : Apprêts de bal. — Van Leem-
PUTTEN : Dentellières en Flandre.
Beaucoup de restrictions sont certes à faire, même
en ce qui concerne ce choix. Mais au moins y sent-on
par certains côtés l'artiste. Plusieurs peuvent être con-
sidérées comme des œuvres sérieuses de transition dans
le développement de leurs auteurs. Tel est le cas spé-
cialement pour Delsaux, dont à diverses reprises nous
avons noté l'opiniâtre esprit de recherche. Il a toutes
chances de se conquérir lui-même, de sortir de ses hési-
tations et de ses tâtonnements, et d'affirmer un jour sa
personnalité qui, à chaque exposition, montre quelque
qualité, nouvelle, robuste mais isolée, et différente de
celles qui semblaient le caractériser à l'exposition pré-
cédente.
C'est Frédéric qui tient la tête. Ses défauts sont,
nous ne le contestons pas, très visibles. Sa facture est
lourde, dure, crue. Mais avec ces moyens d'exécution
imparfaits et dont se dégagera vraisemljlablement tôt
ou tard une virtuosité spéciale, imprévue et très per-
sonnelle, il arrive à un rendu d'émotion puissant.
L'expression, entendue comme indiquant cette belle ap-
titude à arrêter le spectateur, à éveiller en lui la pensée,
à émouvoir le sentiment, il la possède à un haut degré.
C'est la dominante de son Paijsan mort, de son Bepas
des funérailles, mêlne de son Vacher. C'est elle qui
donne à ces productions singulières et à première vue
déplaisantes dans leur coloris, le charme qui fait remar-
quer le jeune peintre et lui a acquis une place très
honorable. Quiconque analysera, par exemple, une à
une les physionomies des villageois attablés après l'en-
terrement, sera promptement saisi par la vérité de cette
LART MODERNE
11
remarque. Il y a là un fonds précieux digne d'être
signalé et vivement encouragé.
Nous ne. voulons point terminer sans féliciter la mai-
son Gunther de l'élégante application qu elle a faite de
Fart à l'industrie en appelant trois artistes : le peintre
Amédée Lynen, l'architecte Baes et le sculpteur Cham-
bon, à l'exécution d'un piano de grand luxe. Au siècle
dernier, il n'était guère de clavecin ou d'épinette qu'on
ne crût devoir décorer de sujets délicats s'harmonisant
avec la musique et entremêlés de devises ingénieuses.
Depuis on était platement tombé dans les uniformes
panneaux de palissandre et de noyer. A peine y ajou-
tait-on parfois de lourds modelages, des découpages
vulgaires, \ies. sculptures banales. Les amateurs corri-
geaient le déplaisant aspect du Buffet ou de la Queue
en y attachant des bandes d'étoffes anciennes ou en les
couvrant d'une draperie. On peut se réjouir de voir une
maison intelligemment dirigée revenir aux pratiques
délaissées qui faisaient de l'instrument d'art un objet
d'art. La tentative est heureuse dans son principe et
heureuse dans sa réalisation. Quelle extension impré-
vue prendra la peinture le jour oti elle s'occupera
sérieusement d'ornementation. Cela vaudra assurément
mieux que de continuer la pitoyable production de
tableaux médiocres qui encombrent le marché et qui
devient exaspérante.
INTERVIEW
A propos du théâtre de la Monnaie
Nous donnons le compte-rendu dune conversa-
tion que nous avons eue avec M. VeixUiiu^t. Elle
paraîtra, croyons-nous, intéressante au moment
oit le théâtre de la Monnaie est V objet des préoccupa-
tions Wun grand nombre de nos concitoyens.
— On s'occupe beaucoup de voire Ihdûlrc, de sa silualion
■prcsenic,de son avenir. Vous le savez s.ins doule?
— Parfaitement. Un directeur ihéâiral n'est pas comme les
maris, instruits les derniers des fredaines qu'on prêle à leurs
femmes. Tant de monde les entoure et les remarque que pour
eux la police est toujours faite. Sanscomptci* les gens qui se font
un vrai plaisir de vous annoncer un mauvais propos.
— Ne pensez-vous pas qu'il serait utile de dire au juste ce qui
en est? Ne croyez-vous pas que les lettres parues dans VArt
moderne ci qui ont commencé à tirer le rideau des mystères
administratifs du théâtre de la Monnaie auront leur utilité?
— C'est tout à fait mon avis. Sans regretter le moins du
monde d'être devenu directeur, je dois pourtant reconnaître que
je me faisais une idée de l'entreprise en certains points pécu-
niaires fort différente de la réalité. Si depuis longtemps on ne
s'était pas fait une loi de tenir tout cela secret, j'aurais mieux su
à quoi je m'engageais.
— Ainsi, vous n'avez pu vous rendre un compte exact de
l'affaire avant d'v entrer?
— Non, ni personne h ma place, je le pense. La base d'une
appréciation exacte eût été la connaissance des comptes des
années antérieures ou un devis comme dans les concessions
ordinaires. Or, on ne communique pas les comptes, quoique la
Ville les- contrôle^ jour par jour, parce que ce sont ceux d'une
entreprise privée. Quant au devis il n'en a jamais été question.
— On achète donc, chat en poche.
— C'est tout à fait cela. Et même la concession accordée,
qiiand il s'agit de recruter la nouvelle troupa, on reste (ians la
même indécision, ce qui est 1res fâcheux parce qu'on ne
■ sait pas jusqu'où l'on peut aller dans les appointements à accor-
der. On agit au petit bonheur en se renseignant comme on j)cut
j par les cancans qui, vous vous en doutez, sont, en cette matière,
'. plus nombreux et plus fantaisistes que partout ailjeurs.
I — Vous pensez donc que la Jbase d'une telle affan*e est dans la
connaissance complète des budgets antérieurs?
— C'est de toute évidence, parce que d'une année h l'autre,
les recettes du théâtre de la Monnaie ne varient que bien peu.
J'ai pu m'en assurer depuis que je suis dans la maison ei que j'ai
connu le passé.
— Cette allégation de notre correspondant que les recettes
sont à peu près chaque année les mêmes est donc exacte? Voilà
un point de départ qui est très important mais qui paraît assez
extraordinaire étant données les variations du répertoire et des
interprètes.
— 11 est absolument exact. La moyenne est une recette de
950,000 francs, tout compris. Cela monte parfois un peu au delà,
cela descend parfois un peu au dessous. Le répertoire et la
troupe ont tcès peu d'influence. 11 suffit qu'ils soient convenables.
La presse, les abonnés, les amateurs ont beau ou se féliciter ou
se plaindre, le gros public, qui représente les six septièmes
de ceux qui vont au théâtre, ne varie pas ses habitudes. 11 dépense
à Bruxelles lous les ans à peu près la<|même somme pour ce plai-
sir spécial. Cela n'est pas un raisonnement, c'est un fait attesté
par des chiffres.
— Mais les années où l'on a mon'é des opéras nouveaux et à
succès?
— Cela n'a pas eu d'influence sérieuse sur le budget. On pour-
rait même dire que les années où l'on s'est donné le moins de
peine et où l'on a dépensé le moins, le bénéfice a été le plus fort.
— Pensiez-vous cela quand vous avez pris la direction?
— Nullement. Je croyais comme tout le monde que le chiffre
des recettes dépend des efforts et des dépenses, alors qu'en réa-
lité si ceux-ci améliorent les représcnlalions et rendent le plaisir
plus délicat, ils n'influent guère sur ce qu'on reçoit.
— Mais êles-vous d'avis alors qu'il faut, sinon négliger la
troupe et le reste, tout au moins se contenter d'un à peu près
suffisant ?
— Cent fois non. Le théâtre de la Monnaie Ici que je le con-
çois, tel que je le désire, doit être après Paris, le meilleur théâtre
de l'Europe. Je crois même, qu'en certaines choses nous pou-
vons avoir mieux qu'à Paris comme ensemble. 11 faut qu'on se
résigne aux dépenses que cela réclame. Il faut qu'on sache ce
que cela coûte. Toute malice destinée à masquer des imperfec-
tions sur certains points, en amusant le public avec des perfec-
tions sur certains autres, avec une étoile qui passe et disparaît,
doit être proscrite. C'est le programme que j'avais en entrant et
que j'entends maintenir, quoiqu'il faille du temps et de la persé-
vérance pour l'accomplir étant donné le bon vouloir relatif qu'une
I
12
VART MODERNE
partie du public a toujours montré au début envers une nouvelle
direction.
— Ces éléments peu bienveillants sont-ils nombreux.
— Je nfc le crois pas. Dans tous les cas ils occupent une très
petite place dans les recettes du ihéâlrc. C'est fort simple à
établir. Le théûire reçoit 200,000 francs de subside de la ville
et de la cour, 40,000 francs des bals masqués, 600,000 francs h
la porte. Sur la recette totale de 950,000 francs il reste donc
HO, 000 francs pour rabonnemcnt, donc un neuvième. C'est
là que sont tous ceux qui s'occupent du Ihéûlre. La moitié
est passive, un quart soutient la direction, le dernier quart
l'attaque. C'est donc un groupe qui représente 25,000 francs de
receltes qui mène la campagne. Ce seul fait explique comment
tout ce tapage reste sans influence sur la recette totale.
— Où en étcs-vous pour le moment?
— Comment l'cntcndcz-vous. Est-ce au point de vue des
receltes et du budget?
— Oui. C'est de cela qu'on parle surtout.
— En effet. On dit que je compte ne pas continuer. On répand
h ce sujet toutes sortes d'histoires. Pas plus tard qu'il y a liuit
jours, on disait qu'un notaire s'était pendu de dés(?spoir après
avoir constaté les perles qu'il avait faites chez moi depuis l'ou-
verture. C'est aussi ridicule que méchant.
— Mais, enfin, êtes- vous en gain ou en perle?
— En perte naturellement, comme presque toutes les direc-
tions qui commencent, surtout les quatre premiers mois qui sont
les mauvais de l'année théâlralo. Mais entendons-nous. Je n'ai pas
fait une seule recetic mensuelle inférieure b celle de Fan dernier,
au contraire. Mais j'ai eu îi subir les changements de troupe
imposés par le goût du public. In artiste renvoyé garde ses
avances entières et il faut, en outre, payer son successeur. Cela
grève en double le budget du mois. Puis il y a les cachets que le
bouleversement du personnel multiplie. Donc, toute une série de
dépenses auxquelles un nouveau venu (on s'en défie toujours
quelque peu) ne saurait échapper. De là un déficit, mais qui n*a
rien d'inquiétant.
— Le correspondant dont nous avons publié les lettres a parlé
aussi des charges nouvelles imposées par la Ville au théâtre.
— Tout ce qu'il a dit là-dessus est vfai à quelques détails près.
Il est vrai, notamment, qu'alors que la direction précétiente
gagnait en moyenne dans les dernières années 40,000 francs,
en sus du prélèvement mensuel à litre d'appointement qui
met le directeur au même rang pécuniaire qu'une dugazon, la
Ville a i m pos(é~dëS" charges ou retiré des subsides particuliers qui
ont grevé la direction nouvelle d'environ 49,000 francs de plus.
^ — Saviez-vous cela en demandant la concession?
— Je connaissais les charges nouvelles, mais j'ignorais, et
tout le monde ignorait, que celles-ci dépassaient de plusieurs
milliers de francs le bénéfice moven.
— Mais que va-t-il en résulter! Vous avez, dites-vous, d'une
part des frais de premier établissement, d'autre part des charges
nouvelles. Croyez-vous pouvoir faire des bénéfices dans ces con-
ditions?
— Non, non, non. Je clôturerai l'année théâtrale avec un
déficit que je puis chiffrer dès ti présent. Mais cela n'est rien. On
doit, en pareille matière, s'attendre à des pertes pour la pre-
mière saison. Mes commanditaires se sont rendus compte de
ces prévisions. Ils n'y voient rien d'extraordinaire. Mes prédéces-
seurs ont, une année, perdu plus de 80,000 francs. C'est
l'ensemble de la concession, qui est de peuf ans» qu'il faut
considérer. Il n'y a dans ce qui se passe maintenant rien
d'anormal, et les bruits que l'on répand à ce sujet sont parfaite-
ment ineptes.
— Soit. Vous exploiterez donc en perle celle année. Mais les
années suivantes?
— Entendons-nous. Je suis lié pour trois ans avant de pouvoir
renoncer. A la rigueur, la Ville peut me dire : Tant pis, il fallait
mieux vous rendre compte. Soit, je subirai celle nécessité. Je
n'entends nullement déserter, qu'on le tienne pour certain. Je
puis rester et je resterai. Mais j'aime à croire que devant une
iniquité patente le Conseil communal, tout au moins ceux qui
m'ont fait l'honneur de voter pour moi, ne maintiendront pas les
conditions actuelles qui me paraissent vraiment léonines. Peut-on
admettre que la Ville retire à la direction les 40,000 francs
qui fohl la totalité du bénéfice moyen et lui impose encore quel-
ques milliers de francs de charges de plus? Ou bien c'est le
résultat d'une erreur, ou bien c'est que la Ville a supposé qu'on
pouvait exploiter à meilleur marché que mes prédécesseurs, ou
bien c'est qu'elle ignorait qu'à Bruxelles les recettes restent les
mêmes et qu'elle a cru qu'on pouvait les augmenter, ce qui est
faux, je vous le disais tantôt.
— N'esl-il pas possible d'exploiter à meilleur marché.
— C'est absolument impossible. Il y a au théâtre des dépenses
qui sont toujours les mêmes et qui sont depuis des années
réduites au minimum. Puis il y a la troupe. Celle de mes prédé-
cesseurs coûtait 46,500 francs, la mienne 49,000 francs. Or, ni
l'une ni l'autre ne peuvent être considérées comme réalisant ce
que le public bruxellois est en droit d'exiger, car je suis le
\ premier à reconnaître que certaines réclamations sont fondées;
I je me bornerai, à cet égard, à cette seule observation que, pour
mes prédécesseurs, on était très indulgent quand il manquait
quelque chose, et pour moi bien. sévère, j'entends certains ama-
teurs et certains journaux. Il faut à Bruxelles une troupe qu'on
ne saurait avoir à moins de 55,000 francs par niiois, étai^t donné
la concurrence des théâtres étrangers beaucoup mieux subsidiés
que le nôtre. Je suis prêt à discuter la question avec n'importe
qui et'à démontrer qu'à moins on n'a jamais que des cadres
incomplets au prix où en sont les artistes.
— Tout ce que vous me dites là paraît très pertinent, mais
c'est un renvei^omeut de beaucoup d'idées reçues. 11 faudra faire
entrer ces aperçus dans l'espril du public. C'est fort difficile.
— Mais pas tant : Je me propose de publier à la fin de mon ;.
année tous mes comptes, de dresser des statistiques très pré-
cises, de faire des états comparatifs divers entre le passé et le
présent, entre le théâtre de Bruxelles et celui d'autres villes. Ce
sont les lettres de votre correspondant qui m'en ont donné l'idée.
Je les enverrai non seulement au conseil communal, mais à tous
les abonnés, à tous les amateure, à tous les journaux. Je ferai un.
appel à la discussion. Je ne doute pas que la vérité n'en sorte et
qu'on ne comprenne que, pour avoir un théâtre vraiment sérieux",
le meilleur moyen n'est pas de mettre un directeur et ses com-
manditaires dans l'embarras, mais de leur donner les moyens de.
réussir, plus un bénéfice raisonnable pour tous les risques que
l'on court et toutes les peines qu'on doit se donner dans une
entreprise pareille.
— Mais si quelque autre directeur accourait et disait: Eh bien,
moi je me coulenle sans changement de la situation actuelle !
— Ce ne serait, maintenant que les détails et les chiffres sont
révélés, qu'un imprudent, qui risquerait de rester en place en
pleine saison. Je vous répèle que le Ihéûtre ne rapporte qu'une
somme à peu près invariable. C'est là ce qii'il faut considérer avant
tout. Dès lors les dépenses ne peuvent dépasser un certain chiifre
sans amener un déficit. Or, dans l'état présent, [ce chiffre ne
donnerait qu'un personnel inférieur et une exploitation insuffi-
sante pour la capitale. La ville doit donc se résoudre à augmenter
les avantages de la direction et, si elle les augmcnie, ce ne peut
être au profit d'un nouveau venu après qu'elle me les aurait
refusés à moi qui aurais révélé le vice de la situation et qui aurais
perdu une somme plus ou moins élevée pour faire l'expérience.
Ce serait souverainement injuste.
— A ce sujet, je dois vous dire qu'on prétend que vous ne
vous occupez pas assez du théâtre, que vous laissez trop faire
par d'autres, attachés au théâtre depuis longtemps.
— Oui, on me Ta dit aussi. Vraiment on n'est jamais au bout
de la malignité de certaines gens. Je suis au théâtre constam-
ment, je ne m'occupe et ne me préoccupe que du théâtre. C'est
bien naturel, puisque mes intérêts et ceux d'aulrui y sont engages,
puisque j'y ai mon présent et mon avenir. J'ai couru six mois la
France, la Belgique, la Hollande pour recruter les deux troupes.
A chaque changement j'ai dû courir encore. J'ai traité avec les
auteurs des pièces nouvelles que je vais représenter : les Tem-
pliers, Sainl-Me'grin, Gwendolinej Pierrot Macabre. J'ai dû suf-
fire à des négociations sans nombre. Il est vrai qu'il y a au
théâtre des hommes d'une grande expérience et d'une grande
autorité que tout Bruxelles connaît, dont j'écoute les conseils.
Qui pourrait m'en blâmer, moi nouveau venu dans une maison
où ils sont des vétérans? Mais de plus en plus je me rends compte
de tout et je puis dire que ma direction devient de plus en plus
personnelle et efficace.
— Tant mieux. Mais en fait d'opéras nouveaux dont vous venez
de parler, quand passeront les Templiers? On en parle beaucoup.
On signale les retards.
— Ils passeront le jeudi 21 janvier, et ce sera vite. Mes
décors sont achevés. Mes répétitions marchent à merveille. On
ne comprend pas ce que nécessite la création d'une œuvre
pareille. Elle me coûtera environ 45,000 francs de mise en scène,
que je dois abandonner à la ville en vertu de mon cahier des
charges. C'est une lourde affaire, mais dont tout me fait croire
que nous sortirons avec honneur. .
— Voilà à peu près tout ce que je désirais sa\oir. A l'occasion
nous en causerons encore?
— Mais certainement. Je souhaite que d'autres journaux
emploient le même procédé. Je me considère comme remplissant
une charge qui me rend responsable vis-à-vis du public et je
trouve très légitime que la presse, qui a mission de l'éclairer,
vienne m'inlerroger. U Indépendance l'avait déjà fait dernière-
ment et je me suis vis-à-vis d'elle exécuté aussi volontiers que je
viens de le faire vis-à-vis de vous. Mais, pour Dieu, qu'on ne
parle pas de tout cela sans connaître le fond des choses. On me
connaît peu à Bruxelles. D'un côté on m'attaque, de l'autre, on
me défend vivement. Je crois que lorsqu'on saura mieux qui je
suis, ce que je fais, ce que je veux faire, on trouvera que je ne
suis pas au dessous des devoirs que j'ai assumés et qui se résu-
ment en ceci : donner à Bruxelles, sans restriction et sans
marchandage, le théâtre dont elle est digne. Si cette année
j'ai eu quelques mécomptes à cet égard, instruit par l'expérience,
je vous garantis que l'an prochain les plus difficiles seront
satisfaits. A Namur, ma patrie, il y a à ce sujet un proverbe
familier, un peu trivial : Il faut laisser p. . . . le mouton.
JaA ÇOCTORJEP^E
au théâtre du Parc.
La Doctoresse est une de ces pièces qui font en trois actes ce
que le vieux vaudeville, avec ou sans couplets^ faisait en un seul :
distraire, amuser. Des situations drôles, des personnages
baroques, des mots d'esprit, des quiproquos hilarants, de l'im-
prévu à tout propos, le rire provoqué surtout par le contraste,
des sous-entendus grivois, des allures risquées^ bref tout un
bagage excentrique, gouailleur, moqueur, babillard. Autrefois on
sortait de là eu fredonnant un refrain. Maintenant on en sort en
répétant quelque plaisanterie. Ce n'est ni moins bien, ni mieux,
c'est autre, mofns bourgeois peut-être, plus élégant, plus hardi,
plus erotique. Une fantaisie vivement menée comme une joute
de paroles dans un gai repas, sans tête ni queue, sans prétention
à rien prouver, sans logique, sans rime ni raison. Une broderie
sur un canevas ingénieux, une guirlande de folies, de bêtises,
s'enroulant autour d'une donnée quelconque comme des pampres
autour d'un ihvrsc.
Cette fois, le thème était le suivant : La femme est faite bien
plus pour Vamour que pour la médecine. Pas difficile à justifier
cet aphorisme. Voici comment les auteurs s'y sont pris : ils
habillent leur femme en médecin, lui font négliger son mari et
soigner ses clients. C'est le premier acte. Le mari décampe, les
clients restent. C'est le deuxième acte. La femme court après son
mari; le rattrape et chasse ses clients. C'est le troisième acte.
Compliquez cette trame d'un joji costume mi-parti noir cl blanc,
ni masculin ni féminin tant que l'héroïne est Madame le Docteur,
d'un non moins joli costume mi-parti lilas et grenat fjuand elle
redevient Madame l'épouse. de son mari. Ajoutez-y quelques plai-
santeries très lestes sur ce qu'une femme paraît quand elle joue à
l'homme, et sur ce que l'homme fait supposer quand il joue à la
femme, et vous avez toute la pièce qui vous laisse au sortir une
excitation agréable mi-spirituelle, mi-sensuelle. ,.
Pas malnoué au théâtre du Parc. Huguenet, le mari, très natu-
rel, très aluïiat, très comique, avec entrain. Numa (un domestique
solennel et canaille), très comique, avec gravité. Les femmes,
tristes. M''« Maria Legault (la Doctoresse), charmante. Un peu
gênée quand elle marche sur les brisées d'Hippocrate, mais très
séduisante quand elle se retrouve de son sexe. Rappelée après
chacun des deux derniers actes, par une salle archi-comble. Elle
tâte le pouls à un monsieur qui en frémit des pieds à la tête :
nous avons compris ça. Il conserve amoureusement ses ordour
nances : Âqua distillata, 60 grammes, Extractum sacchari,
20 grammes : nous avons encore compris ça. Il veut prendre
d'elle des leçons d'anatomie comparée : nous avons continué à
comprendre ça. Car c'est un gentil médecin dont doivent rêver
tous ses malades et dont la seule présence pourrait guérir de bien
des choses, excepté des affections qui entrent par les yeux.
^IVREP NOUVEAUX
Le drame social, par V. Arnoulp. — Bruxelles, Larder.
Disons immc'diarcmcnl à la dc^chargc de M. Victor Arnould que
tous les poètes, à moins qu'ils ne soient sui)r<îrnes comme
Lucrèce, ont échoué dès qu'ils ont tenté de rimer de la philoso-
plïie. Les vérités générales et scientifiques, les lois et les règles,
les maximes et les rubriques conviennent à des entêlcs de cha-
pitres, au besoin à des quatrains li la Pibrac, mais grâce à je ne
sais quoi de raideel d'anguleux, ne se peuvent plier ni se façon-
ner à la poésie. Certes "on peut les aligner en vers et les quadri-
latércr en strophes, on peut les couper en carrelages de typogra-
phie, c'est tout.
Vinlrodiiclion au drowc social est donc de la peu véritable
poésie. Elle est froide, lourde, morne. Le style de l'auteur, remar-
quable en prose, devient gauche et ne sait comment marcher. Le
terme parlementaire arrive sous sa plume avant l'expression évo-
catrice. Quand il s'échauffe, on songe à des péroraisons de dis-
cours sur les questions sociales et le rylhmc n'est plus que de
la mécanique.
En outre, pourquoi des vers de huit pieds, quand l'alexandrin
semble tout indiqué pour les pensées larges et fortes qu'on veut
dresser devant nous?
Cette critique de forme achevée, disons que M. Arjiould a
mille fois dit en prose parfaite ce qu'il a si malheureusement
ébauché en vers.
^I^A2;ETTE DJE Jp{oj-I.y^NDE
Amsterdam, 7 janvier.
Il y a quelque temps, nous constations que le mouvement
artistique s'accentuait sensiblement ici; voici deux nouvelles
preuves de ce que nous avancions. En même temps que l'Expo-
sition des XX à Bruxelles, s'ouvrira à Amsterdam, au Cercle
artistique international et comme suite à l'Exposition générale
des œuvres de Mesdog, une Exposition libre de MM. de Bock,
van dcr Maarcl, Brcilner, Zilcken et de Zwart.
Les dispositions adoptées sont les mêmes que celles de l'Asso-
ciation des XX, dont la bonne organisation a frirppé les artistes
hollandais qui ont eu Thoimeur de participer à ses Salons annuels.
Pas de jury; placement par les artistes eux-mêmes; rien de
limité, ni le nombre, ni l'espèce des œuvres. Espérons que
l'année prochaine celle association étendra le nombre de ses
membres, limité, cette fois, par l'exiguité des locaux et qu'elle
pourra, comme les A'A', donner l'hospitalité k quelques artistes
invités.
En ces derniers lemps, un volume de poésies a passionné
violemment la critique hollandaise, d'ordinaire si apathique.
M. Albert Verwey a publié un volume original, contenant bon
nombre de poèmes d'une distinction qui, jusqu'à présent, n'a
pas encore été égalée ici. La Hollande est riche en faiseurs de
vers vides d'idées et sans aucun intérêt artistique. En voici
lout-k-coup qu'une personnalité marque de sa griffe et qui allient
à une fantaisie adorable une facture délicate, d'un caractère
toujours artiste. Cela suffit pour faire dégorger aux roquets de
la basse critique un flot de sottises. Saluons ce volume
(Persephone en andere gcdichten) dis'cc le respect qu'il mérite.
iPlBLIOQRAPHIE MUSICALE , /
Meyerbeer, — Quarante mklodies, nouvelle édition. Paris,
Brandus et G'", Bruxelles, Schott frères.
Durant toute sa carrière, Meyerbeer a composé des mélodies.
Il les écrivait au gré de son inspiration et selon qu'il se laissait
séduire par les poésies qu'on lui soumettait. Ses premières mélo-
dies viennent d'Allemagne et d Italie; mais les plus belles sont
françaises et s'étendent de 4830 à 1864. Il est même facile de
leur donner un âgé, tant chacune se ressent de son époque et
trahit ses affmités avec l'Opéra dont elle est contemporaine. On
y distingue les mêmes transformations que dans l'ensemble des
quatre opéras dont le Prophète est le couronnement, car V Afri-
caine resta, on le sait, dans les carions du maître de 1845 à
4864.
Et pourtant ces mélodieâ ne sont pas répandues! On dirait
qu'elles ont eu à souffrir des triomphes de leur auteur au
Ihéâlre ; on dirait que la renommée acquise au répertoire drama-
tique de Meyerbeer a empêché que le jour se fît sur ces œuvres
d'un ordre secondaire, mais dont quelques-unes sont dos mer-
veilles d'inspiration.
La maison Brandus vient de faire [une nouvelle édition en six
volumes de ces mélodies classées ou transposées pour les diffé-
rentes voix. — ■ C'est un hommage rendu à la mémoire du maître
et qui intéresse tout musicien soucieux de son art.
GUTELLO.
MEMENTO DES EXPOSITIONS ET CONCOURS
Beri.in. Exposition du Centenaire des Salons berlinois. Ouverture,
15 mai. Fermeture, 15 octobre. Délais d'envoi, i-r mars-l^"" avril.
Deux ouvrages seulement par exposant. Renseignements : jusqu'au
1er mars, Académie royale des Beaux- Arts, rue de l'Université,
6, I ; après le le mars, Commission de l'EjcpositioHy près la gare
de Lehrte, N. W. • .
Bruxelles. IIl® Exposition internationale des A'X (limitée aux
membres et aux artistes invités). Ouverture, 6 lévrier. Fermeture
7 mars. Délais d'envoi : notices, 10-15 janvier; œuvres, 15^25 jan-
vier. Renseignements -.Secrétaire des A'A', me du Jiêrger, 27,
Bruxelles.
Bruxelles. — Exposition et concours de la Société centrale
d'architecture. — Ouverture l*"!" mai 1886. Section rétrospective,
section contemporaine. Envoi avant le 15 avril. Renseignements :
Secrétaire de la Commission organisatrice, rue Royale SaintC'
Marie, 12^^, Schaerbeek.
i Edimbourg. — Exposition (internationale) de l'industrie, des
sciences et des arts. — Du 4 mai au 30 octobre 1886. -—Mobilier
et arts décoratifs, beaux- arts, reproduction d'anciens édifices et de
vieilles rues, etc. — Demandes d'emplacements au Secrétaire de
l'Exposition, Frederick Street, i^, Edimbourg.
Glasgow. •— 25» exposition (internationale) de l'Institut des
Beaux-Arts. — Du 2 février au 30 avril 1880. — Tableaux à l'huile
et aquarelles. — Renseignements : Robert Walker, secrétaire^
Glascotv.
Pakis. — 5* exposition de l'Union des femmes peintres et sculp-
teurs. — Du 12 février au 4 mars 1886. — Envois les 5 et 6 février.
— Renseignements : Afme Léon Bertaux, présidente.
Paris. Salon annuel. Ouverture, le* mai. Fermeture, 30 juin.
Délais d'envoi : Peinture, 10-14 mars ; sculpture, gravure en méd.
f< sur jj. Z'., 20 mars 5 avril; architecture, gravure, lithographie^
2-5 avril.
N. B. Le maximum pour la dimension des cadres sera de ^0 cen-
timètres en largeur ee de 20 centimètres en épaisseut*. Seuls seront
admis les cadres dorés, noirs ou en bois naturel foncé.
Id. Exposition des miniaturistes, émaillistes, pastellistes, etc.,
UART MODERNE
15
chez M. Cliamagno et C'**, rue de Caumartin, 22. Ouverture, 25 jan-
vier. Fermeture, 25 février. Délais d'envoi, 15-20 janvier. Organisée
par le Moniteur des Arts.
Pau. — 22° exposition (internationale) des Amis des Arts. — Du
15 janvier au 15 mars 1880. — Peinture et sculpture. — Délai
d'envoi expiré.
Rome. Exposition annuelle des amateurs des Beaux- Arts (limitée
aux artistes italiens et aux étrangers qui résident à Rome). Ouver-
ture, 21 février. Fermeture, 18 avril. Délais d'envoi : ler-9 février.
Renseignements : Secrétaire de la société, palais des Beaux -Arts^
rue Nazionale.
pETITE CHROJ^iqUE
Les A'A' ouvriront leur Iroisième Salon annuel, au Palais des
Jjeaux-Arls, dans les i)rcniiers jours de février.
Comme les années précédentes, l'exposition sera internationale.
Elle comprendra des œuvres de vingt artistes belges et de vingt
français, italiens, hollandais, norwégicns, américains, etc. Parmi
les artistes invités, on cite, comme devant exciter particulièrement
rinlérêl,les impressionnistes Claude Monet, Pierre-Auguste Renoir,
dont l'envoi, des plus importants, comprendra les célèbres pan-
neaux de la Danse et le magnifique Porlrail deM"^'^ Cliarpenlier
cl de SCS deux eufanls, Frédéric Zandomeneglii, etc. Wliisller a
obtenu le privilège d'être réinvité, quoiqu'il eût exposé déji»
parmi les XX, Il enverra au Salon le Porlrail de Sarasale qu'il
a terminé cet été à Londres. La Norwègc sera représentée par
M.M. Kols'.o et Krogh. La Hollande, par MM'. Isaac Israëls cl
Breilner. L'Italie, par M. Monticelli, un maître presque inconnu
à Bruxelles et dont l'exposition sera, assnre-t-on, une révélation.
Dans la section de sculpture, on parle surtout d'une nombreuse
série de bustes et de figures du jeune maître français Joseph
Carrics.
Une louchante cérémonie réunira dimanche prochain, 17 cou-
rant, au cimetière de Schaerbeek (prolongement de la chaussée
de Haechl), la famille artistique.
Les amis du peintre Louis Dubois inaugureront ce jour-là, h
% heures, le médaillon que vient d'achever, pour en orner sa
tombe, le sculpteur Van der Stappen. Camille Lemonnier, l'un
des amis les plus intimes du maître, a été prié d'exprimer les
sentiments de regret cl d'admiration qui accompagnent l'arlisie
dans la mort.
Loiiis Dubois, l'une des gloires de l'Ecole belge et l'un des
peintres qui incarnent avec le plus d'intensité les caractères de
notre art national, fut l'un des plus maltraités par la destinée.
L'hommage tardif qui lui est rendu rencontrera certes l'adhésion
unanime des artistes. Ceux-ci auront à cœur de se joindre tous
aux amis qui accompliront dimanche le pieux pèlerinage.
La première séance de musique donnée dans le superbe atelier
de M. Charles Van der Stappen, en présence d'un nombreux
auditoire d'artistes et d'amis, a eu un plein succès. On a applaudi
MM. De Greef, Emile Agniez, Alphonse Aguiez et Franz Stappen
qui ont interprêté avec talent un programme de choix, composé
d'importants fragments des œuvres de Wagner : Parsifal^
Tristan ^ la ^Valkyrie^ le Rheingold^ et de divers morceaux de
Grieg, Brahms, etc.
M. De Greef, entièrement remis de la fouUirc qui l'a, durant
quelque temps, éloigné de l'estrade des concerls, a exécuté, pour
finir, avec une virluosité rare, la Chevauchée des Walkyries,
Belle et agréable matinée, en parfaite harmonie avec le cadre
dans lequel elle était donnée.
Le même jour, à la même heure, M. Alphonse Mailly donnait,
au Palais des Beaux-Arts, une audition de quelques-unes de ses
œuvres et transcriptions inédites, avec le concours de M'"« Cor-
nélis-Servais, de MM. Ed. Jacobset Van Cromphout.
Nous avons eu le regret de ne pouvoir assister à celte séance,
qui a été; d'après tous les journaux, fort intéressante.
La représentation de la Comédie française au théâtre des Gale-
ries Saint-Hubert au bénéfice des pauvres de Bruxelles, est retardée
par une indisposition de M"« Ueichemberg et ne pourra avoir lieu
que dans la seconde quinzaine de janvier. La première représen-
lalion au Théâtre-Français du Parisien, de M. Gondinet, dans
laquelle la charmanle sociétaire et M. Coquelin aîné créent des
rôles a dû être remise pour le même motif.
Les Concerls populaires débutent, celle année, par une séance
à sensation qui met en rumeur tout le monde musical bruxellois.
Outre le concerto de violon, de Jenô Hubay, exécuté pour la pre-
mière fois, on entendra trois œiivres de l'Ecole russe, entre autres,
une admirable symphonie de Corodine, qui" a produit hier, k la
répétition générale, une grande impression. Les deux autres
ouvrages sont une Suite-Miniature, de César Cui, et la Fantaisie
Serbe, de Rinski-Korsakoff.
MM. Borodine et César Cui sont arrivés de Sainl-Pélershourc:
pour surveiller les dernières répétitions et assister k l'audition de
leurs œuvres.
Rappelans que c'est aujourd'hui, à 2 1/2 heures, qu'aura lieu,
le concert, au théâtre de la Monnaie.
M"'° van der Meerc, née Vanda de Kleczowska, donnera le 19 cou-
rant, à la salle Marugg, un concert avec le concours de
M. E. Triaille, pianiste.
M"'<' van der Meere, dont la voix a laissé d'excellents souvenirs
aux habitués du théâtre lîalien, est élève de M"'« Viardol. Elle est
membre fondateur de l'Académie de Rome. Elle revient d'Alle-
magne, où la cantatrice et la femme ont remporté mêmes succès.
Le concert annuel de la Nouvelle Société de Muslcjuc de
BruxeHcs aura lieu, ainsi que nous l'avons annoncé déjà, le
JJ0 janvier prochain à 8 heures du soir, dans la grande salle du
Palais, des Beaux-Arts. Il sera consacré à la première exécution
sur le continent de Mors et Vita, la dernière œuvre de Charles
Gounod, qui viendra lui-même la diriger.
Les solistes seront : M""^ Schnitzler-Selb, M"« Ellv Warnols,
-^MM. Lloyd et Heuschling.
Les chœurs et l'orchestre ne compteront pas moins deoOO exé-
cutants'.
On peut dès h présent retenir des places pour ce concert chez
MM. Schoil frères, éditeurs de musique, 82, Montagne de là
Cour.
Pour commémorer l'anniversaire de la mort de Mendeissohn,
l'un de ses arrière-neveux, le conseiller Franz Mendeissohn, a fait
un don de 130,000 marcs à l'Université de Berlin pour être réparti,
sous forme de bourses, à des étudiants de la Faculté de philoso-
phie, sans dislinclion de croyances. 11 a en même lemps fait dis-
tribuer une somme de 30,000 marcs aux pauvres de Berlin.
_/
16
UART MODERNE
- ■
> ■ • ■ • ' . '
■ SIXIÈME ANNÉE
L'ART MODERNE] s'est acquis par l'autorité et l'indépendance de sa critique, par la variété de ses
informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune njanifostation de l'Art ne
lui est étrangère : il s'occupe de littérature, de peinture, de sculpture, de gravure, de musique,
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouvement artistique belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur tous les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaître.
Chaque numéro de L'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'actualité. Les expositionSy les livres nouveauXy les
premières représentations d'œuvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires, les concerts, les
ventes dobjets d'art, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées.
L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. Il rend compte des
procès les plus intéressants concernant les Arts, plaides devant les tribunaux belges et étrangers. Les
artistes trouvent toutes les semaines dans son Mémento la nomenclature complète des expositions et
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Sixième année. — N° 3.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 17 Janvier 1886.
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REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTERATURE
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Adresser les demandes d'abonnement et toutes les communications à .
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
^OMMAIRE
Louis Dubois. Un indotnptable. — Le premier concert popu-
laire. Musique russe; Jenô Hubay. -^ Correspondance d'artistes.
— Le Prisonnier du Caucase. — Exposition Delsaux. — Expo-
sition de Jef Lambeaux et de Franz Courtens au Cercle artis-
tique. — Nouveautés littéraires. Le sens des couleurs chez
Homère, par A. De Keersmaecker ; Bébé Million, par R. Maizeroy;
Une famille pynncière d'Allemagne, par la veuve du prince Louis
de Sayn-Wittgensfcein-Sayn. — Chronique judiciaire des arts. Tor
^isseries. — Petite chronique.
LOUIS DUBOIS
Un Indomptable
Aujourd'hui, des amis de Louis Dubois, joint quel-
ques amants des gloires méconnues, joint quelques
fanatiques d'indépendance artistique, joint quelques
inconscients allant d'instinct où l'on proteste, consacre-
ront sur sa tombe, au cimetière de Schaerbeek, un
médaillon où Charles Van der Stappen a modelé le
noble, puissant et mélancolique visage que le maître-
peintre portait aux derniers jours de sa vie tourmentée.
Il paraît qu'on commence à comprendre ce que valait
l'homme et nous, qui l'avons connu, suivi, admiré tou-
jours et toujours défendu dans la bataille qu'il a sou-
tenue tout au long du chemin où il marcha sans repos
de l'adolescence à la mort, nous voulons dans ce journal
qui peut se faire honneur d'avoir pris parti de préfé-
rence pour les opprimés de l'art, rappeler ce qu'il fut
en ce monde, ce qu'il reste dans notre souvenir fidèle.
Non pas que nous pensions à faire ici la physiologie
de sa peinture et à répéter ces banalités par lesquelles
on essaie puérilement de résumer le mystère de son
art : que s'il fut un grand coloriste, il fut un dessina-
teur contestable, que c était un flamand! Oh! qui
nous délivrera de cette creuse, énigmatique, usée et
démodée formule.
Non. Ses tableaux sont, et ils parlent assez haut
eux-mêmes. Dessin, coloris, qu'importe : ses œuvres
émeuvent, séduisent, cela suffit. Qu'importe surtout
qu'on puisse, à tort ou à raison, l'enrégimenter dans
un de ces bataillons chers aux classifîcateurs, heureux
de profaner inconsciemment une gloire originale en la
rattachant douteusement à un ancêtre ou à une école.
Ce n'est pas du talent de l'homme que nous comptons
parler mais de son caractère. Des talents, il y en a tou-
jours, des caractères il en manque toujours.
Louis Dubois fut un indomptable. Ce qui résume sa
-vie, c'est le dédain superbe pour la courtisanerie
dans le domaine de l'art.
On la connaît cette honteuse faiblesse qui conduit en
phalange pressée la plupart des nouveaux venus dans le
sillage des arrivés, qui leur inspire toutes les basses
flagorneries et spécialement la plus raffinée et la plus
désolante : l'imitation des burgraves officiels, parce
que c'est le meilleur moyen de se concilier ces dispensa-
teurs des faveurs et ces distributeurs des commandes.
La première fois que nous entrâmes dans un de
ces ateliers successifs où le hasard et la rigueur des
propriétaires ballottaient l'existence besoigneuse de
)
Dubois, tournant le dos aux toiles étalées sur les che-
valets et nous accoutumant la vue, pour mieux juger,
au jour de la salle, nos regards tombèrent sur une litho-
graphie de Granville, piquée au mur par quatre
punaises, représentant un grand singe en béret, dessi-
nant, les yeux bandés, à califourchon sur un cheval de
bois, dont là queue était garnie d'une kyrielle d'autres
singes, de grandeur décroissante, tous en béret, dessi-
nant chacun lemême sujet que le singe-major. Dessous,
cette devise : Voulez-vous devenir maître? Coiffez le
bonnet du maître, chaussez les sotdiers du maître,
copiez sans fin le tableau du 7naît7'e, et la ftcelle vous
se7^a à jamais propice.
Quand nous nous retournâmes : « C'est l'art d'au-
jourd'hui, dit Dubois en riant d'un gros rire «. — Il y
a vingt ans! Il riait encore. Son propos était vrai : pour
le public les artistes d'avenir étaient alors les parfaits
pasticheurs.
Et il ajouta : « Le difficile, voyez-vous^ est de
découvrir le petit bonhomme personnel qu'on a en soi.
Ce que ce gaillard se cache et se fait poursuivre avant
de se laisser attraper, c'est inimaginable. Dans les aca-
démies, on en glisse un autre à la place, un polichinelle
fait à la ressemblance du professeur. Ce postiche, qui
est rempli de son, se laisse prendre tout de suite. L'élève
alors pousse des cris de joie et on l'acclame. Il joue
avec cette poupée toute sa vie et le vrai moi dessèche
et meurt. Si on faisait l'autopsie des artistes dévoyés,
on trouverait dans tous, quelque part, un petit cadavre
oublié et raccorni. »
Depuis, longtemps après, quand il eut appris à ses
dépens ce qu'il en coûte de fronder la cuistrerie triom-
phante, lorsqu'il ne riait plus guère que douloureuse-
ment, la lithographie de Granville ayant disparu dans
un de ses innombrables déménagements, il la remplaçait
par une anecdote qu'il disait avoir lue dans Bagehot : Un
chef des îles Fiji suivait un sentier de montagne escorté
par une longue file d'hommes de sa peuplade, quand il
lui arriva par hasard de faire un faux pas et de tomber;
tous en firent immédiatement autant, à l'exception
d'un seul sur lequel les autres se jetèrent aussitôt et
qu'ils rouèrent de coups en l'accusant de croire qu'il
valait mieux que le chef. — « C'est moi, ce seul, » ajou-
tait Dubois à demi-voix.
A cette époque, il était au déclin de ses jours, mais
encore dans tout l'éclat de sa flamme artistique, flamme
sombre éclairant d'une lumière funeste son dernier
tableau brossé à larges touches. Un grain dans la mer
du Nord, que nous avons le bonheur de posséder dans
sa majesté tragique comme s'il s'ouvrait sur l'infini du
néant où notre ami allait pénétrer. On pouvait dire de
lui ce que les de Goncourt racontent des derniers mois
de Gavarni, car l'analogie de ces existences d'artistes
est navrante dans l'uniformité du malheur : Il était
devenu tout à coup casanier, l'homme seul des coins du
feu, se retirant tous les jours un peu du monde des
vivants, de la vie sociale, ne voyant plus personne,
n'allant nulle part, se couchant à l'heure des poules,
pris d'une espèce de sauvagerie à la Rousseau qui
l'éloignait de tout commerce avec ses semblables,
enfermé, muré dans sa solitude d'où on ne pouvait plus
le faire sortir à cause de son refus de mettre des sou-
liers neufs et des chemises amidonnées qui, disait-il, lui
faisaient mal au cou.
Et de temps à autre, un crachement de sang venait
révéler le secret de cette misanthropie et de cet affais-
sement, en même temps qu'il hâtait le dénoûment ter-
rible.
Dubois n'était pourtant parvenu qu'à l'âge où >]a
maturité, qui arrête le développement du corps, donne
à l'intelligence, sur laquelle semble se concentrer
toute la force vitale, l'impulsion qui la mène à l'épa-
nouissement complet. Il était grand, robuste, large-
ment découplé, portant haut sa belle tête, abondam-
ment ornée d'une barbe noire grisonnante. Il avait la
race, le fond qui conduisent aux longues et vertes vieil-
lesses. Mais cette organisation de bel homme et de
compagnon solide avait subi l'irréparable usure des
misères que déchaîne, comme des bêtes sans cesse har-
celantes et mordantes, le milieu social contre les
insurgés.
Car Dubois fut un insurgé, dressant sa barricade,
lançant ses pavés, se ruant et vociférant sans cesse
contre l'organisation artistique de son temps. Il maniait
la plume comme un sabre, il envoyait les paroles comme
des balles, il donnait des coups de sarcasme comme on
donne des coups de couteau. On peut retrouver dans
VA7't modeyme (*) l'article fameux qu'il publia dans
V Art libre sous le titre : Les biographes et les bio-
graphies,, dans leqiiel il escarbottait les pontifes alors
régnant, faisant m ordre l'acide de son esprit violent
sur les plaisanteries mortelles dont il les tailladait.
Ses javelots trempés de poison allaient frapper en
plein muscle les demi-dieux officiels : ils lui vouèrent
une haine irrémissible. Jamais cet être à courte vue,
n'ayant d'idées que celles d'autrui, à l'apparence
bonasse, au fpnd inconsciemment féroce, qu'on nomme
le bourgeois et qui a pris, en lui donnant une exten-
sion très méritée, la place restreinte autrefois dévolue à
l'unique épicier^ ne vit en Dubois qu'un peintre abso-
lument dépourvu de talent, et, chose plus grave â ses
yeux, très mal éduqué. Il dénonçait en lui, un cynique,
un artiste impuissant et grossier. C'était le thème
exprimé doctoralement dans les hautes sphères et qui
de là descendait comme un évangile dans les couches
inférieures. •
(*) Année 1884, p. 190.
Au bout de quelques années cette discréditante
légende était sans remède. Nous nous souvenons d'une
vente que le peintre tenta Galerie Saint-Luc, une sai-
son qu'il était à bout de ressources et qu'on ne lui
achetait rien, mais rien, pas même pour rien. Il y
avait là entre autres, les deux belles copies des Régents
et des Régentes de Frans Hais, deux ou trois plantu-
reuses natures-mortes, étalant ces grands poissons aux
écailles argentées, ces grands chaudrons de cuivre
rouge, ces grands choux verts tels que ceux du tableau
superbe qui, avec les mystiques et évocatives cigognes,
orne, depuis qu'il n'est plus, le Musée où jamais il ne
fut admis de son vivant, ni même complètement depuis
sa mort, puisque sa magistrale copie de la. Ronde de
nuit gît reléguée dans les greniers. Louis Dubois pré-
sidait, en redingote boutonnée, en chapeau noir de haute
forme, correct, imposant comme un ministre. On mit
aux enchères devant un public restreint. Ce n'étaient que
des curieux. Personne ne voulut de ces chefs-d'œuvre
même pour cent sous. Il s'en alla, le torse droit, l'œil
brillant, moulinant de la canne, magnifique de mépris,
mais la bourse plate, l'estomac vide, souhaitant sans
doute, lui aussi, que les bourgeois n'eussent qu'une tête
pour l'abattre d'un seul coup de flamberge.
Mais il ne transigea pas. Il continua sa croisade im-
placable contre le convenu, contre l'imitation du passé,
contre la pastiche des professeurs d'académie. Les
jeunes d'aujourd'hui, qui prennent pour des batailles
formidables les combats joyeux qu'ils livrent à vingt, ou
à quarante, contre les troupes débandées de l'art vieux,
ne se.doutent pas de la vaillance héroïque qu'il fallut à
leurs devanciers pour lutter seuls contre les conspira-
teurs cruels et froids qui, muets comme des inquisi-
teurs, faisaient autour d'eux le silence et le vide. Ces
ancêtres ont prouvé ce qu'était leur martyre en mourant
presque tous avant d'avoir accompli leur destinée. Et
jamais ils n'ont faibli dans la montée de ce rude calvaire,
frayant les chemins où devaient passer ceux qui vien-
draient après eux, et finalement, comblant de leur cada-
vre quelque ravine. Dubois avait conscience de cette
mission qu'il remplissait et qui l'épuisait; il apercevait
clairement le service qu'il rendait et auquel quelques
autres, non loin de lui, se sacrifiaient de même, chacun
dans son isolement et dans sa souff'rance. Alfred de
Musset, maintenant dédaigné, était une de ses lectures
favorites et nous nous souvenons lui avoir entendu lire
de sa voix mâle et richement timbrée, comme le résumé
de sa vie, cette prosopopée éloquente de la Confession
d'un Enfant du Siècle, qui alors nous remuait si pro-
fondément et fait sourire les sceptiques générations
présentes:
« 0 hommes des temps futurs, lorsque par une chaude
journée d'été, vous serez courbés sur vos charrues dans
les vertes campagnes de la patrie ; lorsque vous verrez,
sous un soleil pur et sans tache, la terre, votre mère
féconde, sourire dans sa robe matinale au travailleur,
son enfant bien-aimé; lorsque, essuyant sur vos fronts
tranquilles le saint baptême de la sueur, vous pro-
mènerez vos regards sur votre horizon immense, où il
n^y aura pas un épi plus haut que l'autre dans la mois-
son humaine, mais seulement des bleuets et des mar-
guérites au milieu des blés jaunissants; ô hommes
libres ! pensez à nous qui n'y serons plus, dites-vous que
nous avons acheté bien cher le repos dont vous jouirez ;
plaignez-nous plus que tous vos pères ; car nous aurons
eu beaucoup des maux qui les rendaient dignes de pitié ;
et nous avons perdu ce qui les consolait. »»
. JaE PREMIER pONCERT POPULAIRE
Musique russe — Jenô Hubay
L'inldrcl capital de la première audili(in des Concerts populaires
résidait dans la première exéciuiorr d'œuvres dues aux composi-
teurs slaves dont une femme que ses quartiers de noblesse n'em-
pôchcnt pas de se jeter dans les batailles de l'Art a introduit la
musique en Belgique. M"^« de Mercy-Argenleau a la foi et l'infa-
tigable ténacité de l'apostolat. L'active et intelligente pi opagande
qu'elle fait, depuis quelques années, en faveur de ses protégés, a
reçu dimanche sa récompense dans la victoire remportée k
Bruxelles .par trois de ses musiciens préférés, Borodine, César
Cui et Rimski-Korsakoff.
Les deux premiers, présent^ avec celle qu'ils ont baptisée
leur « bonne Marraine », dans une loge de fond, ont été salués
d'acclamations él rappelés par l'assistance.
La présentation faite, M. Joseph Dupont, dont raclivilé et le
dévouemonl sont bien connus, tiendra sans doute à donner au
public^ qui ne demande pas mieux, l'occasion de juger plus com-
plètement la jeune école russe. Trois œuvres, c'est peu pour
apprécier un nnouvemenl musical qui remonte à 4836, et qui
comprend, indépendamment des compositeurs cités, un grand
nombre d'artistes parmi lesquels Balakireft*, Seroff, Moussorgski,
tout k fjil inconnus ici, brillent au premier rang.
Et encore, les trois œuvres entendues sont-elles d'inégale
valeur et de portée différente. La Fantaisie Serbe de Rimski-
Korsakoff, qui couronnait le concert, est une ingénieuse et 1res
I pittoresque transcription de thèmes populaires, de motifs sur
L^ lesquels, en Serbie, les paysans dansent une sorte de farandole.
C'est un tableau animé, coloré et séduisant, dont l'orchestration
a des axîcouplements de timbres audacieux et neufs. Mais c'est le
côté pittoresque seul qui rend l'œuvre attrayante.
Dans la Symphonie en si mineur de Borodine, au contraire,
l'élément pittoresque n'entre que pour une part minime. Ce qui
domine, c'est le côté dramatique. Chacun des thèmes est drama-
tique, et la façon dont l'auteur les développe tient peut-être plus
du théâtre que de la symphonie proprement dite. L'impression
qui s'en dégage est saisissante. Dès les notes initiales de la pre-
mière partie, on sent qu'on a affaire à un artiste de puissante
envergure.
Les motifs se présentent, s'enchaînent, se développent lo£ji-
quemenl, s'épanouissent, éclatent dans une explosion grandiose.
20
rART MODERNE
et le souffle du matlre porte jusqu'à la fin des quatre parties de
son œuvre une inspiration originale dont l'intérêt ne languit pas
un instant.
Les. audaces harmoniques de Tschaïkowski avaient fait pré-
sager en Borodine un novateur d'une témérité inégalée jusqu'ici.
L'innovation consiste chez lui, répétons-le, car c'est pour nous
la caractéristique de son art, et l'observation n'a pas été faite
jusqu'ici, à dramatiser la symphonie, à la grandir. C'est l'idée de
Berlioz, mais elle est réalisée avec plus de simplicité, dans une
forme plus « architecturale », et avec une connaissance plus
grande, semble-t-il, dos ressources instrumentales. A ce point de
vue, VAndaniese place spécialement parmi les plus belles pagcsi,
qu'ait produites la musique moderne.
Présentée après l'éloquent et grave discours de Borodine, la
causerie de Cosar Cui a paru un simple babillage. L'auteur doit
évidemment n'avoir voulu, dans cette Suite-miniature, (le titre
seul suffirait à rétablir), que jascr de choses et d'autres, dans
l'intimité de la conversation. Sa pensée se reporte vers ses com-
positeurs aimés, vers Schumann surloul. Il ne s'en cache pas, il
parle d'eux, il fait leur éloge. Et dans une série de petits chapi-
tres sans prétention, il exprime rapidement quelques idées
agréables h entendre. -
Le nom de César Cui, l'un des plus énergiques défenseurs do
la Jeune Russie devait naturellement figurer sur le programme
du premier concert destiné h faire connaître les ouvrages de
celle-ci. Mais on eût pu trouver dans l'œuvre de l'artiste des
pages plus importantes et plus personnelles. Quoi qu'il en soit,
la Suite-miniature à reçu de l'auditoire un excellent accueil.
Lne part était réservée dans ce concert k la virtuosité, et c'est
Jenô Hubay, le violoniste au coup d'archet caressant et sûr, qui
en a été chargé. II y a dans le Concerto de sa composition qu'il
a fait entendre un dé>ir non dissimulé de bien faire, et ce désir
est souvent réalisé. Mais, disons-le franchement, le compositeur
n'est pas arrivé à oublier le virtuose, et ce dernier, comme un
démon familier et malfaisant, a, tandis que le musicien écrivait,
griffonné sur sa partition quantité de traits, d'arpèges, de « voca-
lises » bien compliquées et bien difficiles, mais d'une absolue
banalité au point de vue musical. Il y a aussi une chose qui nuit
à l'œuvre du jeune maître : c'est sa longueur. Beaucoup de
détails délicats échappent à l'attention du public, dans la fatigue
que provoquent les répétitions inutiles. Et pourtant l'œuvre est
supérieure à la plupart des>>compositions du genre. Jenô Hubay
est trop artiste pour voir dans cette appréciation autre chose que
le désir de le pouvoir applaudir aussi chaleureusement comme
compositeur que comme exécutant. Nous attendons à cet égard
avec confiance sa prochaine créalion.
pORRE^FONDANCE D'ARTI^TE^
(*)
Ypres, le 8 janvier 1873.
Mon cher ***
J'ai bien plus qu'une lettre à t'éo rire. J'ai toute une brochure
à te développer. C'est pourquoi je serai bref. Et tout d'abord je
te dirai en deux mots que tu n'es pas philosophe. Pourquoi le
professorat te dégoûle-t-il? Rien n'est plus estimable, plus néces-
{*] Voir notre avant-dernier numéro.
saire, plus utile, ni plus amusant (sic, sic^ mille fois sic... et tu
sais si j'ai l'habitude de justifier mes sicl) C'est pourquoi, écoute,
je commonce ma démonstration.
Tu entres à l'académie pour remplir tes devoirs de professeur
et au moment où tu passes le seuil, tu te tiens à toi-même h peu
près ce langage : « Moi qui aspire au beau, moi qui ai traversé les
^terres et les mers pour voir les plus belles œuvres du génie
humain et les admirer sous le plus beau ciel de l'univers, moi
qui sens tout mon être tressaillir h la vue d'un chef-d'œuvro,
moi, ***, je suis en ce moment voué à un travail de galérien,
non soulemcnt mes yeux sont offensés par la vue d'une horrible
collection de magots en terre qui calomnient la nature, mais
encore je dois mettre la main îi cette pâte d'enfer. Ce travail'
cependant me fait venir la nausée en me montrant en perspective
tous les essais infructueux de mon enfance, et je sais d'avance
qu'aucun de ces gamins ne me sera reconnaissant de l'effort que
je ferai pour élucider cette série de productions dans les-
quelles les trois quarts sont dus au hasard et le quart qui reste
à la routine de l'Académie. Moi-mémo ne me suis-jc affranchi de
ces entraves que pour y voir les autres et y frayer avec eux?
Dieu ! Quelle odeur de gaz, de moisissure, de pieds, de chique de
tabac, de vieille veste de paysan mouillée par la pluie !... Quelle
odeur!! Et comme cette symphonie de l'odorat me rappelle tous
mes embêtements passés ! ... »
Voilà ton langage, ô ami peu philosophe, et voici le langage
que lu tiendrais si tu voyais la chose du bon côté :
« 0 atmosphère plus délicieuse que le parfum de la rose, tu me
rappilles, à moi qui ai fait tant de chemin, le port que j'ai quitté
jadis. Tu m'infectes, jeunesse incapable, mais je te bénis et le
ruisseau dans lequel lu croupis me fait sentir vivement le bon-
heur de voguer à pleines voiles dans l'océan de mes désirs.
Comme ta vue est bornée! comme mes horizons sont vastes les
jours où je ne me renferme pas dans le fond de cale de mes
préoccupations!... Les grands maîtres m'ont montré par où l'on
touche au ciel; loi, jeunesse chéiive, tu memontres par où l'on
touche à la terre. Si ceux-là m'ont parfois humilié de leur gran-
deur, toi, tu me rends des proportions plus avantageuses. Cou-
rage, jeunes gens, en vous stimulant je me stimulerai encore
moi-môme. De plus, je veux reiirer mon bénéfice de la peine
que je me donnerai; j'y gagnerai une sûreté de coup-d'œil plus
grande et je songerai que le juste pêche sept fois par jour, afin
de m'inspircr à moi-même la patience nécessaire pour passer à
côté de vos infâmes magots sans les envoyer au plafond d'un
coup de pied. 0 parfum plus pénétrant que l'ail, tu me fais jouir
de toute l'intensité des embêtements qui n'existeront plus jamais .
pour moi... plus jamais, plus jamais.!... »
Après ce discours tu corrigerais le moindre d'entre eux comme
si c'était ton fils.
Cette idée autrement combinée, cette passion de faire entrer le
soleil quand môme jusque dans les plus noirs corridors du pas-
sage de la vie, fournira le sujet d'une histoire extraordinaire que
je suis trop paresseux pour te détailler parce que Vandante du
4« concerto de piano de Beethoven m'attend (le connais-tu?), mais
voici en peu de mots la chose.
Le héros de l'histoire voyage à pied en Egypte, ou en Grèce ou
en Asie-Mineure, peu importe, mais dans une solitude. Il tombe
dans un puits. Après avoir essayé tout et s'être convaincu qu'il
n'en sortirait jam^w (le puits a la forme d'un entonnoir renversé),
il s'assied tranquillement et commence à manger tranquillement
une ration ordinaire de ses provisions et à boire une ration de vin
un peu plus grande parce que la chute est un événement peu
commun et qu'il doit s'en remettre. Tout en prenant son repas il
bénit la Providence : 1° de ce que le puits soit sec ; 2° de ce qu'il
n'y ait ni 'scorpions, ni araignées, ni mille-pieds; 3» de ce qu'il
soit tombé avec ses bagages de façon à ne pas se tuer. — Il énu-
mère toutes ces misères absentes avec délices. — Enfin il prend
son calepin et il annote le fait. Puis tout à coup une idée lui
vient et il compose une chanson sur les plaisirs du foyer. Sa
position critique fait naturellement valoir à ses yeux le plaisir de
la famille et il exploite celte disposition au profit de l'Art... Enfin
il s'endort...
Le lendemain matin il chante sa chanson, non sans admirer la
sonorité du puits.
0 bonheur! dans cette solitude un être humain a paru... il est
sauvé, On lui jette des cordes...
Mais hélas! les gens qui le sauvent sont des brigands, il est
captif, elc.
Plus tard, c'est à cause de sa chanson qu'on lui rend la liberté.
Plus tard, au foyer où il est retourné, il pense avec délices à son
séjour dans le puils. 11 n'a qu'un regret, c'est de ne pas avoir
pris en souvenir la petite plante unique qui avait trouvé moyen
de pousser à cette profondeur dans les pierres. Si c'était à
refaire, dit-il, il serait encore plus à l'aise que la première fois.
La morale contenue dans cette histoire sera que, dans la cir-
constance extraordinaire de la chute dans le puits, la paresse et
le découragement auraient un effet plus désastreux que l'événe-
ment même de la chute. .
Voilà comment je raisonne pour rendre toutes les circonstances
douces à supporter.
Je n'ai jamais été malheureux que quand j'étais paresseux.
Jadis nos réunions d'ajnis à Bruxelles étaient pétillantes de
gaîté, mais toujours déflorées par l'idée d'une journée perdue.
Pourquoi n'es-tu pas plus philosophe?
Gustave Coppieters,
LE PRISONNIER DU CAUCASE
S'il est des âmes naïves qui s'attendaient à trouver dans le
Prisonnier du Caucase^ œuvre de jeunesse du compositeur russe
César Cui, un déchaînement d'intransigeances, elles en ont été
pour leurs illusions déçues ou leurs alarmes calmées.
La musique de M. Cui, — celle du Prisonnier du moins,
puisque nous ne connaissons ni William Ratcliff ni Angelo
dans lesquels, dil-on, le compositeur a plus franchement mis en
œuvre la théorie de la Jeune Russie musicale, — n'est rien moins
que révolutionnaire. Elle est correctement vêtue à la mode de
l'épOque où elle fut présentée dans le monde, — il y a vingt- cinq
ans; elle se conduit en personne bien élevée, parle une langue
châtiée. Elle s'est même, avec une facilité grande, assimilé
plusieurs idiomes et se sert indifféremment de l'allemand, du
français, de l'italien. Le très léger accent slave qui, par inter-
valles, donne du pitjuant h sa conversation n'est guère perçu que
des oreilles exercées. Quand elle danse, c'est autre chose : le sang
russe reparaît. En un clin d'œil elle s'est débarrassée de sa robe
à falbalas, elle a revêtu la saraphane, et la voici lancée, torse
cambré, poing sur la hanche, frappant fièrement le sol du talon
de sa botte moscovite, pleine de séduction en ses attitudes pro-
vocantes, audacieuses, nonchalanlos ou abandonnées.
Jean Lorrain prépare un volume qu'il intitule Très Russe,
transformant bizarrement en qualificatif à degrés la -désignation
d'une nationalité. L'opéra que Liège a représenté mercredi n'est,
dans ce sens, pas très russe, quoi'^que le sujet soit tiré de Pousch'-
•kine, qui n'a chanté que son pays et qui l'a fait aimer. C'est la
légende d'une jeune Circassiennc éprise d'un prisonnier chrétien
que le hasard des armes a jeté dans un camp de Tcherkesses.
Fatima est la fiancée du vainqueur, le prince Aboubeker. Si le
secret de son amour pour le prisonnier esjt dévoilé, le malheu-
reux sera immolé sans merci. Un vieux prêtre fanatique pénètre
le mystère, excite la colère du père de Fatima, mais quand la
fouie se rue vers la hutte où a été enfermé le prisonnier, celui-ci
a disparu, délivré par 4a jeune fille, et Falima s'est poignardée
pour échapper à l'hymen abhorré.
M. Céï^ar Cui a fait de ce petit drame un opéra en trois actes.
Il a tiré parti des situations diverses de l'action pour écrire, dans
les formes usitées, une partition tantôt aimable, taniôl drama-
tique, jamais vulgaire. Une mélancolie plane sur l'ouvrage, qu'on
écoute avec intérêt d'un bout à l'autre et quITévèle un musicien
intelligent et habile. Les chœurs, discrèlQmcnl semés dans la
partition, sont particulièrement bien traités, et l'orchestre a un
rôle suffisamment intéressant.
Le compositeur a naturellement reçu de l'audiioire un accueil
enthousiaste. Les uns applaudissaient en lui le représeniant de
l'école russe, dont les œuvres commencent à être connues et
admirées en Belgique comme elles le méritent; les autres lui
savaient gré de n'être qu'un Russe trèscompréhensif, de ne cho-
quer aucune conviction, de respecter les canons édictés par nos
pères en matière de théâtre. A la bonne heure! Voilà qui est
plus amusant que Wagner, et plus clair, et plus mélodique! Déjà
tous les petits messieurs de Liège fredonnent l'air du prisonnier
qui « regrette sa paine » et le sextuor du deuxième acte fait les
délices des soirées bourgeoises.
Pour BOUS, la représentation du Prisonnier du Caucase est une
date. Elle montre qu'on peut, même sur un théâtre de second
plan, sortir des banalités du répertoire courant et donner, sinon
d'une façon parfaite, du moins d'une manière suffisante, des
représentations attrayantes. C'est faire œuvre d'artiste que de
rompre ainsi avec les traditions, et la tentative de Mr Verellen
doit être approuvée et encouragée par tous ceux que préoccupe
le souci de l'art. Depuis trente ans la jeune école russe travaille,
lutte et souffre. Aucune de ses productions n'est connue en pays
latin. Voici enfin une brèche dans cette muraille que l'indiôe-
rence ou l'hostilité avait éditiée. Chose curieuse, il a fallu une
main de femme pour donner les premiers coups de pioche. Mais
ces coups ont été donnés avec une sûreté et une force peu
communes. Désormais on peut espérer que le très inléressanl art
slave nous sera bientôt aussi familier que l'art germanique, l'art
italien cl l'art gaulois.
î^xpo3iTio]^ Jel^aux
Les trente-deux toiles exposées par G. Djlsaux à la salle
Janssens, rue du Gentilhomme, donnent de l'é'at actuel de sa
peinture une idée très nette qu'on peut résumer ainsi : Observa-
tion très intense de la nature, volonté opiniâtre de l'exprimer
dans sa 'vérité el dans les émotions qu'elle excite, réussite encore
approximative, couleur plulôt crue que puissante, facture large
mais brutale, impression dominante de lourdeur. Celte lourdeur
est IT'Cueil dont le jeune peintre doit se méfier. Elle se montre
dans tout un groupe de notre jeune école. Elle y marque appa-
remment une transition,
Nous disions dimanche dernier que G. Delsaux se cherche
encore. L'exposition dont nous rendons compte, nous confirme
dans cette opinion. Elle montre mieux qu'à VEssor ses efforts
persévérants et dégage plus nettement les espérances qu'il donne.
Nous signalons si)écialemenl h l'attention : L'Ecluse {unsoir)^
— Viahe : le Marais, — Vent nord-est, — Soleil couchant, —
Zierikzee, — Le Heule, — Moisson, — Les an te Korre.
EXPOSmOU DE JEF LAMBEM ET DE FRAI COGRTE^S
au Cercle artistique
Les tableaux de Franz Courtens n'apprennent sur lui rien de
nouveau . Nous avons î» diverses reprises signalé sa sincérité
robuste, atteinte, elle aussi, de la lourdeur dont nous parlions
plus haut à propos de Delsaux. Il n'y a guère de moditications
depuis sa belle toile Termonde Vhiver, qui fut son premier début
éclatant, et dont nous avons fait ici même l'éloge. On souhaiterait
un développement plus rapide de ses solides qualités. Mais ne
montrons pas d'impatience : Tarliste est dans toute la force de sa
jeunesse. Un jour ou l'autre, il aura sans doute une avancée nou-
velle et notable. -
Jef Lambeaux est toujours le maître sculpteur que l'on connaît,
mais on dirait qu'il devient sage, rangé : est-ce qu'il va passer
académique? Gare, oh! gare! Nul n'ignore que des fantaisies
aussi bistournées que le Baiser, les Lutteurs, la Fontaine sym-
bolique d'Anxers, tout en forçant l'admiration du monJe officiel,
lui ont paru bien osées, et ont provoqué les réserves de tous les
gens du bel air. On sait aussi que Lambeaux, sous la direction
des personnages bien sages et bien prévoyants, a quitté la partie
à la fraction indépendante, téméraire, novatrice de l'école. Est-ce
que cette malice tournerait en maladresse, et l'effet de l'inévitable
chaponnage que subit l'ariisie pai*mi les gens dits comme il faut
se faiî-il déjà sentir? Que le destin en préserve une des plus
originales personnalités de notre art national. Encore une fois
gare, oh ! gare !
J^OUYEAUTÉ^ LITTÉRAIRE?
Le sens des couleurs chez Homère, par A. de Keersmaecker.
L'évolution, qui est devenue loi universelle, ne plaît que médio-
crement àTauieurdecelivre. Desévolutionnistes ont prétendu que
le sens chromatique s'est perfectionné depuis Homère et que
celui-ci ne distinguait que vaguement les couleurs. M. A. de
Keersmaecker prouve combien fausse est cette assertion à grand
renfort de textes et de citations et de controverses. Victorieuse-
ment, car il est rare de rencontrer plus serrée discussion et meil-
leure prise à partie de l'opinion hostile.
Bébé Million, par R. Maizeroy. — Pai-is, Ollendôrflf.
Bébé Million, oui, fait songer à Georgetie. Drame de mère à
fille, ù cette différence près, qu'ici c'est une parvenue et Ui-bas une
courlisaac qui expient leur faute dans leur enfant. Certes, l'étude
cs\> intéressante, mais — remarque à faire au compte de M. René
Maizeroy et à celui d'un bon nombre de ses confrères — n'est
que parisienne et parisienne dans le sens étroit et fait-diversisle
du mot. Un scandale pourrit sur la voirie; et voici qu'arrivent aus-
sitôt mille bêles d'encre sucer du pus à chroniques pour ensuite
le déposer dans les livres. L'ennui vient de celte littérature
spéciale, de ses doubles fonds avec une gravure galante sur
les parois, de ces envers de médaille sorties d'un musée secret.
L'alcôve parisienne a été par trop montrée el les draps en sont
salis depuis assez longtemps pour qu'on les change. Au reste,
toujours le même adultère, le même suicide, le même blasphème
de nouvelle à la main. On en arrive à souhaiter, non par moralité
mais uniquement par intérêt, une littérature plus théologale,
fût-ce avec un saint comme héros. Au moins serait-ce une idée
neuve. Le vice hystérique est connu. A quand la folie de la
vertu?...
Bébé Million est suivi de l'Apothéose, la Punition des
cloches, A pointe d'aube, la Défaite, Don Juan (dernier acte),
toutes nouvelles de bonne allure, de courante fabrication et d'ha-
bileté artistiques. Mais la nouveauté, mais l'effort vers l'origina-
lité, où ?
Une famille princière d'Allemagne, par la veuve du prince
Louis de Sayn-Wittgexstein-Sa"yx. — Paris, Ollendorfr.
Eucoreun livre k tapage. Pourtant ce n'est point un volume à
scandale, ce sont des pages de colère. Oh ! le bruit qu'elles ont
fait. Les journaux les ont commentées, disséquées ; on sentait la
joie des Français à crever à coups de plume tout ce plairas
d'honnêteté dont l'Allemagne- masque ses vices. Les articles
avaient un ton altier de représailles et tenaient de la vengearicc
serrée entre leurs lignes comme des cartouches entre les dents.
C'a été une fâcherie assez banale en somme,> mais qui donne
appétit pour une indignation sérieuse.
Le livre s'ouvre par le testament du prince insti.uant sa femme
Amélie de Lilienthal légataire universelle de tous ses biens. Dans
les chapitres suivants est raconté tout un drame familial : des
frères disputant le bien à leur belle-sœur, la traquant, l'attrayant
devant les juges et obtenant gain de cause contre elle. Des scènes
tragiques sont présentées, brutalement; des fenêtres sont large-
ouvertes sur la partialité de la justice toutbne; tout un désespoir,
toute une haine de femme sont étalés, et l'on reçoit h bout por-
tant le contre-coup de cette révolte et de cette colère h la lecture
du livre.
Ln préci/eux document humain pour les naturalistes d'antan.
jjHRONIQUE JUDICIAIRE DE^ AI\Tp
Tapisseries
Le tribunal de Nancy vient de rendre une décision intéressante
sur la question de savoir si des tapisseries fixées au mur d'une
maison doivent être considérées comme immeubles par destina-
tion. Il s'agissait d'une maison léguée à la ville de Nancy par
M. l'abbé Malglaive et qui contenait des tapisseries anciennes,
lesquelles avaient été revendiquées par l'héritier. Le tribunal a
décidé qu'on doit considérer comme immeubles par destination
les tapisseries fixées aux murs par des encadrements et des latt.^s
retenues elles-mêmes par dos pattes et crochcls, l'intention du
mm
propriéUiiro ayant élc dans ce cas de les attacher à son fonds à
perpéluellc demeure. .
pETITE CHRO]V(IQUE
M. Joseph Middeleer, un jeune peinire qui a accomp.icjné
M. VnmVi Mcerls dans son voyaiçe à Florence, dont le but était
la copie, pour le gouvernement belge, du triptyque d'Hugo Van
dcrGoes dont nous avons rendu compte dans notre numéro du
20décembre,a exposé cesjours derniers, dans l'atelier deM.Meerts,
rue Kindermans, une série d'études brossées en Italie. Elles révè-
lent de bonnes qualités, un coloris brillant, une touche large,
souvent de la fuiesse dans les tous. C'est une individualité qui
cherche à se conquérir, à se dégager des souvenirs d'une éduca-
tion basée au début sur l'initiative. Il y a donc beaucoup h espé-
rer, comme il rosie beaucoup h faire, et il conviendra de suivre
ces efforts. L'artiste va s'appliquer aux scènes et aux paysages
nationaux. Nous en reparlerons après avoir vu les ré.sullats de
cette nouvelle lent itive.
♦ . . '
Nous rappelons aux amis du peinire Louis Dubois que le pré-
sent avis leur tiendra lieu d'invitation h la cérémonie de l'inau-
guration de sa tombe.
L'on se réunira, dimanche à 2 heures, place Sainte-Marie,
pour se diriger vers le cinrietière de Schaerbeek où, à 2 1/2 heures,
Camille Lemonnier prononcera un discours sur la tombe de notre
regretté artiste. {Communiqué.)
Pour taire suite aux renseignements que nous avons publiés
sur les projets de la Fédération dramatique^ qui vient d'ouvrir
sa campagne à l'Alhambra par Nos bergers, de M. Louis Claes,
et par la Question d'Occident^ de M. de Coninck, voici la liste
des ouvrages qu'elle a mis à l'élude :
DenisCy drame en quatre actes, par M. G. Dubosch; les Certi-
ficats de Caniclietle., comédie en un acte, par M. Coveliers; Une
Grève, comédie en trois actes, par M. Stoumon ; Après un an
de mariage, comédie en un acte, par M. Lefèvre; la Quittance
d'André, comédie en deux actes, par M. Van Laethcm; Le
ménage d'Ernest, comédie en un acte, par M. L. De Coninck; A
bas les masques, comédie en quatre actes, par M. J. Guilliaume;
la Devise du grand-père, drame en un acte, par M. A. Léclercq;
Jacques Gervais, comédie en quatre actes, par M. L. Claes.
Pièces inédites : Gauthier père et fils^ comédie en quatre
actes, par M. A. Léclercq ; les Bâtisseurs, comédie en quatre
actes, par M. Van Laelhem; V Employé, comédie en cinq actes,
par M. L. Claes; A la buvette^ comédie en un acte, par
M.„de Coninck.
Ont été récemment promus au grade d'officier de la Légion
d'honneur : MM. Delaplanche, sculpteur, et Gaillard, graveur. Au
grade de chevalier : MM. Le Blant, peintre, Carlier, sculpteur,
et Roly, graveur en médailles. Des œuvres de MM. Gaillard et
Roty seront exposées au prochain Salon des XX.
La vente Schœnevverk a été un vrai désastre, dit Le Temps.
Il semble que la fatalité ait voulu poursuivre cet infortuné sta-
tuaire jusque dans la tombe.
L'expert avait demandé H, 000 francs de la Salomé e\poséc au
dernier Salon. Il n'y a eu d'acheteur qu'à 300 francs. Les autres
œuvres n'ont pas obtenu un meilleur sort : La Jeune fille à la
fontaine, bOo francs; Au matin, 350 francs; La Vendaiige,
groupe de 40 centimètres de hauteur, MO francs; La Moisson,
60 francs; Zc Gué, 61 francs; La Jeune fileuse, 5i francs;
Deux bas-reliefs, Psyché et Pondaré, iOO francs.
Quelques nouvelles de Dereims, le ténor dont les Bruxellois
n'ont pas voulu. On lit dans les journaux français :
« La saison théâtrale îi Marseille est exce[)lionncllemenl bril-
lante celle année. Après le grand succès du Songe dune nuit
dété, voilà Rigoletto qui a lait les délices de tous les diletlanli.
Le ténor Dereims, qu'on avait acclamé dans l'œuvre d'Ambroise
Thomas, a obtenu un succès sans précédent dans les annales
marseillaises. On lui a. bissé les couplets du premier acte, et
après le quaiuor, il a été rappelé quatre fois par un public
enthousiaste. »
Le roi Ferdinand âe Portugal, qui vient de mourir, laisse une
importante collectiqi d'objets d'art et de curiosité, laquelle,
d'après certains bruils, sérail" probablement vendue aux enchères
à Paris.
Rubinstein a donné à Vienne la série deyèopi concerts histo-
riques du piano dont il a favorisé Berlwlfrqu'il répétera ensuite
à Saint-Pétersbourg, à Londres et à Paris. Le triomphe remporté
par le maître dans la capitale autrichienne â égalé le succès qu'il
a obtenu à Berlin.
Et l'accueil que lui a fait, dans celle dernière ville, le monde
artistique a été merveilleux. Qu'on en juge. La veille de son
départ, un banquet, auquel assimilait toute la haute société de
Berlin, lui a été offert au Kaiserhof. Le maître a fait son entrée
dans la salle des fêtes au son d'un orchestre invisible qui jouait
la marche de Feramors; puis, une adresse en vers russes lui a
été présentée par une dame de la société, revêtue du costume
national russe. Ce n'est pas tout; une nouvelle surprise était
ménagée par les organisateurs du banquet à leur hôte illustre :
on avait orchestré pour la ciccon.stance sa charmante suite de
piano, le Bal costumé, et on l'avait ingénieusement illustré de
tableaux vivants de l'effet le plus magique. Les numéros intitulés
Berger et Bergère, Toréador et Andalouse, Royal^Tambour et
Vivandière et le dernier surtout. Valse, Polka, Gnlop, ont par-
ticulièrement charmé l'assistance, qui gardera longtemps le sou-
venir de celle fête splendide.
A Vienne, on a exécuté, la veille de son départ, son ballet
La Vigne.
Sommaire du numéro de décembre 188o de la Société nou-
velle : ■ - W
L'Ardonne, Camille Lemonnier. — Du rôle social des banques
en Europe, E. Pignon. — En vacances, J. Vandrunen. — Les
forces et leurs effets dans la nature : Réfutation expérimenlale de
la loi de la conservation de l'énergie. H, Girard. — La question
agraire, Henry George.' — Lettre politique et sociale, Borde. —
Courrier parisien, Jean Bernard. — Chronique littéraire, James.
— Chronique musicale, Ch. Delgouffre. — Le mois. — Les
livres. *^
Sommaire du numéro du 2o décembre de la Revue contempo-
raine.
La nouvelle politique de l'Angleterre et de la France. Deuxième
article II. — La philosophie de .M. Renan. A propos du Prêtre de
Némi, T. de Wizewà. — Le docteur Pelrus. Nouvelle, Pierre
Cœur. — L'écho et nocturne. Poésies, André Lemovne. — Le
rouge-gorge. Légende bretonne, Georges Nardin. — Notes
d'esthétique. La suggestion en art, Charles Vignier. — La bir-
manie, Edoi\ard Dujardin. — Critique littéraire el artistique. —
Théâtres. La femme de Socraie, Georgette, Sapho. — Musique.
Le Cid. — Bibliographie. Livres d'étrennes.
24
VART MODERNE
SIXIÈME ANNÉE ', ^ ;
L'AUT MODSHNS s'est acquis par rautoritô et rindépcndance de sa critique, par la variété de ses
informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune manifestation de l'Art ne
lui est étrangère : il s'occupe de littérature^ de peinture, de sculpture, de gravure, de musique,
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouvement artistique belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur tous les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaître.
Chaque numéro de I^'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événenient de la semaine fournit l'actualitér Les expositions, les livres nouveaux^ les
premiû7\'s représentations d'œuvrcs dramatiques ou musicales, les conférences littéraires, les concerts, les
ventes dvhjels (Vart, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées.
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Sixième année. — N° 4
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 24 Janvier 1886.
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Adresser les demandes d'abonnement et toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
^OMMAIRE
Les Templiers. — Cérémonie Duboïs. ■ — Théâtre Molière.
- Correspondance musicale de Paris. — Petite chronique.
lES TEMPLIERS
Sans nous prononcer ici sur le point de savoir si
rhistoire s'accommode aisément des exigences du
théâtre lyrique, constatons que le poème tiré par
MM. Jules iÂdenis, Armand Sylvestre et Bonnemère
d'un feuillei sanglant dé la chronique de France est,
dans toute la force du terme, un bon livret d'opéra. II
a le mouvement et la variété, — le» deux qualités exi-
gées avant toute autre pour les productions de ce
genre. Il déroule, en ses cinq actes bien coupés, une
succession de situations offrant au compositeur l'occa-
sion d'exprimer des sentiments tantôt dramatiques et
passionnés, tantôt tendres et joyeux, au metteur en
scène un prétexte à figuration, à décors et à cortèges.
Et l'action côtoie d'assez près la vérité historique pour
donner au public Tillusion d'événements réels, estam.
pillés au millésime d'une année déterminée, et mêlés
d'épisodes tout au moins vraisemblables.
Telle, en ce qui concerne ces derniers, l'idylle qui
traverse le drame et l'éclairé d'un reflet d'amour. C'est,
pensons-nous, dans une tragédie bien oubliée de Ray-
nouard, jouée au commencement de ce siècle au théâtre
français sous le titre Les Templiers [*), que les auteurs
(*) Les Templiers, représentés pour la première fois sur le
ont trouvé l'idée du personnage de René de^ Marigny,
devenu leur héros. « Quelle heureuse idée, écrivait à
propos, de ce rôle Joseph Chénier dans son Tableau
de la littérature française, que celle du jeune Marigny
associé secrètement à ces Templiers dont son père a
juré la ruine, osant prendre leur défense au fort du
péril, révélant son secret quand il ne peut plus que
partager leur infortune, se dévouant pour eux, mou-
rant avec eux, et commençant, par un héroïque sacri-
fice, le châtiment de son père coupable! Voilà un per-
sonnage bien inventé jeté au milieu de l'action; voilà
des incidents qui produisent un intérêt puissant sur
tous les cœurs, '» etc.
Ce jeune Marigny, dans les TeriipUers d'aujourd'hui,
enfouit, avec sa vie, son amour dans les mvstères du
Temple le jour oii il apprend que cet amour ne peut
être récompensé, le roi ayant disposé de la main de sa
fille. Et par une fiction habile, c'est un rendez-vous du-
chevalier avec Isabelle, le rendez-vous des adieux,
surpris par le roi et interprété par lui comme un guet-
apens dressé contre sa personne, qui arme son bras,
contre le Temple et prépare le bûcher dans lequel
s'écroulent les dernières splendeurs de l'Ordre.
théâtre français par les co»>édie}is ordinaires de l'erupereur, le
24 floréal an XIII (14 mai 1805 . Publié chez GiLTuet et Michaiid.
rue des Bons-Enfants, an XIII jlSOÔ). Voici, pour les curieux, la dis-
tribution des rôles : ,
Phiuppe-le-Bel, m. Lafond. Jeanne pf Navarre, M'^« Georges
Gaucher de Chatillon, M. Damas. Enguerrand de Marigni,
M. Baptiste Marigni, son tîls, M Talnia. Guillaume de Nogaret,
M. Desprez. Jacques de Molay, M. Saint -Prix.
Cela permet aux librettistes d'enjamber sans hésita-
tion les sept années que dura le célèbre procès sus-
cité contre la chevalerie monastique par la cupidité du
roi. Cela les autorise, en outre, à faire brûler de com-
pagnie, par la même flamme, sur le terre-plein de la
cité, Jacques de Molay, qui ne fut exécuté que le
18 mars 1314, et les cinquante-six chevaliers du Temple,
(certains auteurs disent trente-six, Michelet affirme qu'il
y en eut cinquante-quatre), condamnés par leSynode de
Paris et morts sur le bûcher, avec de lents raffine-
ments de torture, en 1307, hors la ville, dans les prés
où s'élève aujourd'hui Vincennes.
C'est licence tolérée aux faiseurs de livrets que de
rapprocher ainsi, comme en une mosaïque de pierres
rares cimentées ensemble, des événements connexes
que les années séparaient. Des peintres ont employé le
même procédé ; mais ici la vérité s'en est trouvé
choquée, et, non sans raison, a protesté. On a vu,
par exemple, réunir dans une vue de Prague, et le
Pont, et le Hradschin, et les tours effilées des églises,
et un bout des remparts, sans que d'aucun point de la
vieille capitale bohémienne il soit possible d'embrasser
l'ensemble des monuments ainsi dépeints. C'est si loin,
la Bohême, s'est dit le peintre.
Et Philippe-le-Bel est mort depuis tant de siècles !
ont pensé les librettistes..
Aussi ont-ils placé sans scrupule, au début de l'ac-
tion, qui se passe en 1307, la sédition populaire
qu'avaient fait éclater en 1306 l'altération des monnaies
de l'Etat et la charge toujours croissante des impôts.
La populace détruisit la maison d'Etienne Barbette,
vo3'er de Paris et maître de la Monnaie, et le roi lui-
même, pour échapper à sa fureur, dut réclamer asile
aux Templiers. Les portes massives de leur palais le
garantirent contre le déchaînement des colères, et un
an s'écoula avant que Philii^pè eût oublié ce bienfait.
Dans les Templiers, le lendemain même du jour où
Jacques de Molay, grand-maître de Tordre, lui sauve
la vie, le roi prononce son arrêt de mort et consomme
la ruine de la corporation.
C'est raccourcir singulièrement la reconnaissance du
monarque.
Mais quel est le librettiste qui oserait dévider le tra-
gique écheveau des événements historiques sans en rien
modifier ! Et quel sera le compositeur assez puissant
pour trouver dans l'enchaînement des accords et dans
la succession des sons l'équivalent des impressions que
nous fait éprouver la sévère leçon du Temps? Ne faut-
il pas dire plutôt que la légende seule, avec son symbo-
lisme qui permet d'exprimer sans contrainte tous les
sentiments de l'âme humaine, peut trouver au théâtre
une réalisation musicale parfaite ? Ou ce doute ne nous
hante-t-il que parce que nul, jusqu'à ce jour, n'a trouvé
d'une manière adéquate la transcription musicale d'une
grande page d'histoire? Les Templiers^ que nous
entendrons demain, dissiperont-ils nos hésitations ?
Quoi qu'il en soit, et pour l'intelligence complète du
livret, plaçons dans leur décor les héros du drame
émouvant auquel les auteurs nous font assister.
Saint-Bernard a tracé des Templiers un superbe
tableau que nous croyons^ intéressant de reproduire.
« Ils vivent sans avoir rien en propre, dit-il, pas même
leur volonté; ils sont, pour l'ordinaire, vêtus simple-
ment et couverts de poussière ; ils ont le visage brûlé
des ardeurs du soleil, le regard fixe et sévère. A l'ap-
proche du combat, ils s'arment de foi au dedans et de
fer au dehors; leurs armes sont leur unique parure ;.
ils s'en servent avec courage dans les plus grands
périls, sans craindre ni le nombre, ni la force des bar-
bares. Toute leur confiance est dans le dieu des armées,
et, en combattant pour sa cause, ils cherchent une vic-
toire certaine ou une mort sainte et honorable. Oh !
l'heureux genre de vie dans lequel on peut attendre la
mort sans crainte, la désirer avec joie, et la recevoir
avec assurance! «
Et le caractère religieux de cette chevalerie héroï-
que était accentuée par la devise brodée sur la bannière
noire et blanche qu'ils nommèrent Beauséant : Non
nobis. Domine, sed nomini tua da gloriam.
Chose étrange, et qui montre la fatalité qui préside
aux destinées humaines, c'est l'Eglise qui écrasa, après
un siècle et demi de gloire, cet ordre issu de l'Eglise.
Comblés d'immunités et de privilèges, les Templiers,
que leurs aventureuses expéditions en Palestine, leur
bravoure à Tibériade, à Gaza, à Damiette, sous les
murs de Jérusalem, à Saint-Jean d'Acre, avaient ren-
dus fameux par toute la terre, possédaient neuf mille
manoirs dans la chrétienté. Au royaume de Valence
seul, ils avaient édifié dix-sept places fortes. Ils avaient
acheté l'île de Chypre. A Paris, le Temple enfermait
dans son enceinte le tiers de la ville, soit une superficie
de cent vingt à cent trente hectares.
La haine qui lentement s'infiltra dans les cœurs
contre le formidable sanctuaire où étaient religieuse-
ment gardées ks mystérieuses coutumes d'autrefois,
provient, selon les historiens, de causes diverses.
De la part du roi, c'était, d'une part, la cupidité; le
trésor épuisé avait grandement besoin d'être renouvelé,
et comme déjà les juifs avaient été chassés du royaume
(le roi avait donné, précisément en 1307, la dernière
synagogue à son cocher Jean Pruvin), les Templiers
seuls, avec leurs richesses colossales, pouvaient répa-
rer les désordres financiers du gouvernement. C'était,
en outre, une blessure aiguë faite à son amour propre.
Il avait brigué l'honneur d'être reçu Templier, aspi-
rant secrètement à la gloire de devenir grand-maître de
l'Ordre. Jamais sa vanité n'oublia le refus qu'il essuya.
Enfin, les Templiers passaient pour avoir off'ert au
pape Boniface VIII, dans ses démêlés avec le roi, des
secours en hommes et en argent. Et le bruit courut
même que les Templiers n'avaient pas été étrangers '
au soulèvement populaire qui aboutit au sac de la mai-
son d'Etienne Barbette.
De la part de l'Eglise, c'était la colère de voir son
influence balancée par celle d'un ordre qui, ne dépen-
dant directement que du pape, était en réalité son
propre juge et tenait son autorité en échec.
D'ailleurs, le pape n'était-il pas une créature du roi?
Toujours est-il qu'aussitôt l'arrestation des malheureux,
le lendemain des funérailles de la comtesse de Valois,
une bulle d'excommunication fut lancée par Clément V,
contre toute personne qui leur prêterait secours, aide
ou asile.
A ces causes, certains historiens en ajoutent une
autre, d'une philosophie raffinée. C'est que le peuple,
prosaïque et avili, avait perdu la notion du symbole,
avait renié la poésie des époques disparues. Il tourna
sa fureur contre le Temple, parce que dans ses murs
s'étaient réfugiés les derniers vestiges des mystères
pieusement légués par les âges naïfs. « Cet événement,
dit un chroniqueur, n'est qu'un épisode de la guerre
éternelle que soutiennent l'un contre l'autre l'esprit et la
lettre, la poésie et la prose «. Et selon la belle expres-
sion de Michelet, 'avec le Temple s'évanouit la dernière
rêverie du moyen-âge. Peut-être peut-on, y joindre
aussi la haine instinctive des masses contre toute aris-
tocratie.
Les auteurs moins favorables à nos héros ont semé,
il est vrai, cette légende chevaleresque de quelques
points noirs. Non pas uniquement qu'on accusât ces
moines-soldats d'avoir à l'égard du dieu Bacchus des
complaisances exagérées. Il est acquis, aujourd'hui,
que l'expression " boire comme un Templier « a été
créée de toutes pièces postérieurement à la destruction
de leur ordre M. Baluze, à qui rien n'a échappé,
affirme ne l'avoir jamais rencontrée auparavant. En
revanche, on disait couramment : « boire comme un
pape ». Au surplus, n'est-ce pas « boire comme un
temprier " qu'il faudrait dire, c'est-à-dire comme un
verrier, les souffleurs de verre ayant toujours, et pour
cause, la gorge altérée?
Mais ce n'est pas à ce mignon péché que se réduisent
les accusations dirigées contre les chevaliers du Temple.
Des habitudes trop orientales, certaines compromis-
sions avec les Sarrazins, l'usage de la magie, qu'on leur
reprochait à tort ou à raison, finirent par exciter
contre eux la réprobation générale.
Pour donner une idée du procès qu'on leur fit, nous
détachons des cent vingt- sept chefs d'accusation quel-
ques-uns des plus curieux. Qu'on nous pardonne l'exten-
sion que prend cette étude. Les détails historiques que
nous groupons ici nous paraissent plus attrayants pour
nos lecteurs que l'analyse du livret, qui a été publiée par
tous les journaux quotidiens; et d'ailleurs, la brochure
sera demain dans toutes les mains.
Voici ces étranges griefs sur lesquels eut liefu une
enquête horrible, accompagnée de tortures dans les-
quelles trentre-six chevaliers expirèrent et dont la
solution fut le supplice du feu qui, dans l'opéra de.
MM. Adenis, Silvestre et Bonnemère, termine le der-
nier tableau du cinquième acte.
i° Que les Templiers no croyaient pas en Dieu ;
2" Qu'aijssilôl après avoir 616 reçus clans TOrdre, tout nouveau
Templier était tenu de renier Dieu, de marcher sur la croix et de
cracher dessus ;
H'^ Qu'ils adoraient une tête de bois aux yeux brillants comme
la clarté du ciel et portant le nom de Baffomet.
Michelet donne sur cette idole des détails intéi^es-
sants. Selon les uns, c'était une tête barbue, d'autres
disaient une tête à trois faces. Selon quelques-uns,
c'était un crâne d'homme. D'autres y substituaient un
chat. D'après les plus nombreux témoignages, c'était
une tête effrayante à longue barbe blanche, aux yeux
étincelants. Ce qu'il y a de certain, ainsi que le rap-
porte Raynouard, c'est qu'on saisit une tête au cha-
pitre de Paris. Les Templiers déclarèrent que c'était
une relique, la tête d'une des onze mille vierges. Elle
avait une grande barbe d'argent.
• •
4" Qu'ils avaient trahi saint Louis quand il avait été fait pri-
sonnier en Terre-Sàinto;
5° Qu'ils avaient vendu les chrétiens aux infidèles;
6° Qu'ils avaient puisé dans le trésor royal confié k leur garde;
7° Qu'ils commettaient entre eux des actions contraires aux
mœurs ; " .
8"^ Que lorsqu'un enfant venait à naître d'une femme et d'un
Templier, ils se rangeaientjous en rond, se passaient l'enfant de
mains en mains jus(|ii'à ce qu'il fût mort, après quoi ils le fai-
saient rôtir et se servaient de la graisse pour oindre leur idole h
la tête de bois ;
9*^ Qu'ils avaient coutume d'avaler les ccgidres des frères morls;
10'* Qu'ils se ceignaient les reins d'une ceinture destinée h
détruire certains maléfices;
11» Qu'ils recevaient la défense de baptême et qu'ils n'entraient
qu'à reculons dans une maison où se trouvait une femme nouvel-
Jement accouchée.
Tels sont les » cas et forfaits pour quoy les Templiers
furent pris et condamnés à mourir ".
L'exécution eut lieu, ainsi que nous le disons plus
haut, à deux reprises. Et très habilement, les auteurs
ont tiré parti, comme d'un puissant élément scénique,
de la malédiction que Jacques de Molay, au moment
suprême, prononça contre le roi et contre le légat du
pape, en les ajournant tous deux à comparaître dans
Tannée devant le tribunal de Dieu. On sait que l'un et
l'auti'e moururent avant l'expiration de l'année. Peut-^
être la légende populaire a-t-elle, dans la suite, créé la
scène. Mais elle est actuellement si bien mêlée au récit
du supplice qu'elle est désormais acquise à Tliistoire.
Ceux qui auront bien voulu nous suivre dans ce petit
exposé d'une, des plus émouvantes périodes de l'histoire
de France apprécieront ce qu'il y a dans les Tenij)liers
de réel, et la part faite à l'imagination, à ce qu'en com-
mençant nous avons nommé les exigences du théâtre,
si souvent incompatibles avec la rigoureuse exactitude
des faits. ^ __^
CÉKÉHOiME DUltOIS
Le discours de Camille Lomonnier, que nous reproduisons ici, a
précisé la porlée et le caractère de la superbe manifestation dont la
mémoire de Louis Dubois a été l'objet. Deux cents artistes furent
présents au .cimolière, douloureusement émus au ressouvenir des
injustes dédains dont on affecta d'entourer l'artiste durant sa vie et
dont la mort même ne le délivra pas.
Le double X des Viugt, formé d'immortelles rouges, fut déposé sur
la toiiibe qu'orne désormais le médaillon modelé par Charles Van
der Stappen à la ressemblance du peintre mort. Et religieusement,
tète nue, dans une comnmnauté de regrets et d'aspirations, l'assis-
tance écoula ces belles paroles, prononcées d'une voix vibrante par
celui qui a été l'ami le plus intime du maître :
3IESDAMES, Messieurs^
Je viens saluer dans la gloire cl la tombe la ûrrandc conscience
d'arlisie qui fut Louis Dubois. Nul ne poussa plus loin la probité
du travail ; nul ne lit i»rcuve d'un plus ferme attachement à son
art; nul ne porta plus superbement le nom de peintre.' El c'est
pourquoi, niiiimcnanl qu'il n'est plus, il nous apparaît très grand,
debout sur son œuvre, dans l'universel et respectueux silence de
ses contemporains.
La mort, du moins, i>our lui qui ne connut que les affres de
la vie, a clé la jiislicière et la réparatrice. Elle l'a vengé du
dédain des sols, de l'indifférence des foules, de l'oubli de ceux
qui, dans ses détresses, auraient dû lui tendre la main et ne
l'ont }ias fail. Sur la pierre qui le recouvre, elle a buriné : « Ici
repose un maître. » En sorte que cette même terre, sur laquelle
il a peiné et souffert plus qu'aucun autre, lui est devenue seule-
ment clémenle el légère le jour où par dessus ses os elle a scellé
rélernilé.
■ Je veux m'atlarder à ces mélancolies avant de passer à des
paroles plus sereines. Aussi bien la lutte fut-elle, chez ce vaillant
trempé pour le combat, si intimement associée à l'existence que,
même pendant les secousses de l'agonie, alors qu'il voulait vivre
encore et que la vie ne voulait plus de lui, il semblait ne pou-
voir se résigner à quitter la bataille. Tout couvert de son sang,
la bouche ouverte aux rouges hoquets par lesquels s'en allait
son souftle, il défiait la camarde comme jusqu'au dernier jour il
avait défié la bêtise el la cruauté de ses contempteurs. Jamais sa
maturité n'avait été plus puissante; il portait dans la tête un
monde de sensations longuement couvées el qui allaient ruisse-
ler sur ses toiles; par un travail douloureux el incessant, il avait
enfin conquis le secret d'évoquer, dans >es miroirs sacrés
de l'art, la lumière, la chair, les éblouissantes visions aux-
quelles s'étaient allumées ses prunelles. Qui oserait encore le
contester îi présent? Dans cette alchimie de la peinture qui subli-
mise en les élernisanl l'émotion el l'éclair perçus par l'âme el les
yeux, il pouvait compter des rivaux, m^is des 'supérieurs, bien
peu ! Et c'est en ce moment, c'est dans la j)leine circulation de
ses sèves spirituelles (ju'il est frappé. En le touchant au cœur,
ce cu^ur généreux dont les battements pressés semblaient ryth-
mer le vol ailé de ses louches, l'inexorable destinée a pour
jamais tari la source des beaux songes qu'il eût glorifiés dans
la splendeur de ses pinceaux.
Au moins voudrait-on s'illusionner do l'idée que celle vie si
brève et si reniplie tout à la fois de traverses et de labeurs, con-
nut les trêves pacifiantes. Il n'en fut rien; la médiocrité bour-
geoise ne sut point lui. pardonner sa rude intransigeance ni sa
libre pousse de belle plante humaine engendrée en plein terreau,
loin des atmosphères desséchantes et des méthodes d'élevage
artificiel. Alors que son art, si cordial el si franc, s'offrait natu-
rellement aux conciliations, le dénigrement, la mauvaise foi, le
sarcasme s'efforçaient de circonvenir cet homme qui marchait
seul dans ses voies. Jusqu'au bout il connut le supplice de se
voir livré aux risées stupides. Jusqu'au bout il dut disputer el sa
chair el son cerveau aux crocs des bêtes. S'il ne fui pas entamé,
c'est qu'il portait une cuirasse contre laquelle les morsures
s'émoussaient, je veux dire son ironique et indéfectible fierté.
Fièrement il vécut, portant sa pauvreté comme une pourpre,
plutôt que de mendier les faveurs. Ses amis mêmes ne savaient
pas toujours démêler l'amer désenchantement qui chez lui se
déguisait sous un rire méprisant. Il pratiqua l'art à la façon de
ceux qui, dédaignant d'en vivre, se résignent h en mourir. Et il
en mourut, en effet, il mourut de tout son grand labeur inulile,
de toutes ses aspirations avilies, de cette flamme de génie qu'il
avait dépensée inépuisablement et qui n'avait pas apitoyé les
foules imbéciles. "
A présent que la paix s'est faite autour de celle mémoire, à
présent que ceux-là même cjui le méconnaissaient l'acclament et
revendiquent une place parmi ses admirateurs, on se ferait malai-
sément une idée des basses et féroces rancunes que soulevait,
partout où elle se produisait, cette peinture d'un peintre de race,
trop personnel pour se rallier aux esthétiques courantes et qui
menait sa dignité à n'accepter de leçon que de la nature. Il exis-
tait une entenle commune pour ridiculiser la structure inégale,
mais toujours volontaire el nourrie de son dessin, déprécier l'in-
tensité et la chaude harmonie de son coloris, remettre en discus-
sion, en les analysant séparément au lieu de les prendre dans leur
indissoluble unité, les éléments de ce temj)érament, l'un des plus
vigoureux et des plus sains qu'ait produits l'école belge. On ne
voulait pas convenir qu'en ce riche organisme tout d'une pièce,
les irrégularités Venaient de l'excès el du despotisme des qualités
dominantes. La critique elle-même se faisait l'écho des brocards
qui amusaient la galerie devant ces morceaux de vie grasse, dans
lesquels une main à la fois sanguine el nerveuse avait versé les
sensualités de la chair, répandu le frisson électrique de l'être, fait
passer un peu du souffle et de la palpitation de l'animalité éparse
sur la terre. Une épithète, une injure servait surtout gi ce temps
à caractériser l'unanime réprobation contre cet art qui opposait
la vérité du modèle, mais magnifiée par les prestiges de l'exécu-
tion, aux illusoires et déconcertantes conventions. Si incompres-
sible encore était l'attrait de la friperie, du mannequin et de la
routine qu'il semblait allenlaioire aux bonnes mœurs de se
départir du canon traditionnel et de représenter la nature aulrc-
menl qu'à travers les exécrables poncifs inventés par d'ignares
pédagogues. Réaliste! clamaient en chœur les oies du Capilole,
cliariTéos cl(^ vcilliM- au salut do la Doctrine académicîiio; réaliste !
gémissaieiil los personnes bien éhîvées, entrelenu(>s dans la con-
sidt';ration des vérins doinesli(nios de l'ail; réaliste! répélail la
badand(M-ic ahoyeuse à la vue de ces piii^es allumées d'un reflcît
de soleil et pétries avec une poignée du limon dont nous sommes
fails nous-mêmes. Ainsi, h peu près vers la même épo(|uc, un
aulre grand peintre, avec lequel Dubois devait par monjents se
rencontrer en de si fra[)pantes analogies, Courbet, était bafoué
par la mociuerie des cuistres. El cetK; qualification (pie b^s maîtres
du passé, surlout les nôtres, eussent acce|)lée avec orgueil, parce
qu'elle convenait à leur bon i?ens natif et à leur rude franchise,
impliquait le blâme d'on ne sait (pielle grossièreté incurable (|ui
s'étendait à Texislence même de l'homme. Réaliste! comme si, à
travers ce tamis des siècles qui crible les nniommées et ne garde
que l'essenciî des génies, ceux-lli uni(piement ne se sont pas
émiellés en poussière qui ont aHirmé [)Our le vrai leur tendresse
immortdie !
Peut-êire, après tout, convient-il de ne point se montrer trop
rigoureux pour les esprits rétifs (pii, il y a (|U('biiie vingl-cincj ou
trente ans, n'acc(,q)laient r(euvi(! d'art que comme un mécanisme
cérébral régi par un idéal abstrait, sans rapport immérlial avec
les évidences. Constamment, il s'est vu des natures inquiètes et
mal débrouillées que la vérité offensait et qu'un besoin puéril
d'illusion inclinait vers les ilalteries et le mensonije d'une sorte
de transfiguration de l'humanité et de la nature. Même auiour-
d'hui, malgré les philosoi)hies, les méthodes expérimentales et
l'immense soif de cerlilude qui dislingue cette fin de siècle, ne
fait-on pas encore un grief à l'artiste de s'attacher trop impérieu-
sement à l'exactitude delà notation sous prétexte qu'il faut laisser
une part h des aspirations chimériques et crépusculaires qui sont
comme l'hystérie des âmes anémiées, incapables d'affronter la
lumière des fails; et n'est-il pas toujours entendu que certaines
vérités seules sont bonnes à exprimer, peut-être parce que les
autres aboutiraient à de pénibles aveux et de désolantes consta-
tations? La même horreur du vrai qui ameulait les résistances
devant les œuvres de Courbet et de Dubois, poursuit, à travers
le temps, les i)onseurs trop probes pour abdiquer leurs attaches
avec les frères malheureux qui autour d'eux 'raient et panlèlent
sur les calvaires de la vie.
Dubois, lui, incarnait la passion vivace des matérialités, la
sensibilité de l'œil, la joie si humaine de la lâche chatoyante et
lumineuse. Observez combien, à travers les soucis et les tiraille-
ments de l'existence, sa couleur, toujours opulente, glorieuse,
royale, donne l'impression d'un esprit invulnéré, célébrant en
des strophes éclatantes les splendeurs sidérales, les triom-
phes de la vie, les délectations de l'âme et du corps. Sur
cette palette où les vermillons, les cinabres, les laques sanglantes
s'aUernent avec les bleus lazulites, les pâles lurquoises, les verts
véronésiens, dans des accords profonds et soutenus évocjuant de
bien autres enchantements pour l'esprit que les fadaises et les
reiigaines des prétendues idéalisations, c'est comme l'apogée
éternisée d'un automne sous déclin, à la fois apaisé et fulgurant,
où, dans les halliers roux, sous les flambes mourantes d'un ciel
d'améthystes et de saphirs, se promèneraient de belles femmes
mûres, tordant entre leurs poings des crinières embrasées de
soleil. Celte peinture aux tons de fleurs et de fruits, chauffée en
ses clairs-obscurs, d'un magique rayon septentrional, est comme
une aspiration au bonheur, mieux encore, comme une gourman-
dise satisfaite, un désir des sens accompli. Sa plénitude et sa
. richesse font qu'elle s'associe à des pensées bonnes, sereines,
joyeuses, comme si l'arliste (pii en attisa les lumières aux brasiers
de son rêve, avait chaulé, en cette musi(ju(; des yeux, les calmes
et les douceurs d'une vie immobilisée dans la possession des
, choses heureuses.
Hélas! ce n'était là que l'illusion d'un court moment d'oubli
pa'rmi les heures lourdes qui, pareilles h des mailles de plomb,
enchaînaienl ce grand travailleur. Le songe finissait avec la vibra-
lion du dernier coup de |)inceau; â peine resj)rit,av,iil-il re[)loyé
son aile (pie la malforliine venait raitacher le boulet des ennuis
quotidiens. Quelques amateurs raOinés donnaient l»ien, en lui
acheianl ses tableaux, la fireiive d'une intelligence affranchie de
préjug(''S, S'il en esl ici, (|u'ils accueillent, au nom des fidèh-s de
Dubois, un hommage mt-rité jjour leur foi dans un falenl alors
suspect et volonlaii-ement tenu sous le boisse;iu. )lais ces amis
généreux n'abondaient |)as; aux Salons, un même aeharnement
s'alta(|uail toujours â ses toiles. Quanta un ajtpui parii (h; plus
haut, on sait de quelle cécité sans bornes sont allligf's les admi-
nistrateurs chargés des Beaux-Arts. Je ne veux plus savoir leur
nom; une fois disparus, ils échappent à la mémoire parleur
obscurité; il suffit (ju'ils s'a[)peilent Bureaux, Or, do toutes les
sottises humaines, la soitise otïiciello esl peulnîlre la plus inamo-
vible. On s'en aperçut bien h propos de Dubois, de Dubois
insoup(;onné d'eux et qifils hiissèrent mourir à la peine, alors
qu'un ir.tvail — non une aumône — eût allégé à ses épaules le
faix sous Ie(iuel il ployait, et du même coup eût honoré l'Elal.
Il fallut s;i d'sjtai-ition d'cMilre les vivants, il fallut le deuil et la
clameur gé-n^rale de ses confrères pour ((u'on rema-rquât que
là-bas, au Musée, au panlhéon des modernes, une place manquait
■ à côté des vrais maîtres, qui eût été bien faite pour un maître de
sa carrure, et qu'un vide demeurait béant qu'il eût dû occuper
pendant la vie et qu'il ne pourrait plus occuper (Qu'après la mort.
Peut-être avait-on redouté, pour ces collections nationales infes-
tées par la décrépitude, l'absence de personnalité, un étalage de
médiocrités ronflantes et chamarrées, le contagieux exemple de
ce tempérament insoumis, mal discipliné, outrancier, qui, en un
pays où il faut être quehjue chose pour être quelqu'un, el où on
ne pardonne pas à un homme de n'avoir simplement que du
talent, s'était imaginé pouvoir se passer d'une médaille, d'une
place ou d'un ruban !
Il est de iradilion chez nous, je le sais, d'ignor.r la jeunesse,
le mérite, l'honneur jusqu'au jour où le irou ((u'ils laissent der-
rière eux, en disparaissant, réveille enfin la conscience publi([ue.
Il faut que la mon vienne secouer celte stupéfiante léthargie d'un
peuple pour lui apprendre (juelles âmes il a penkn^s. El tantôt
elle lui jette le nom de Charles De Cosler, tué par le silence el
l'isolement sur ses pages inachevées, lanlôl le nom de Bouleng(T
expiant. à quarante ans la misère et le délaissement des débuts;
tantôt le nom de Louis Dubois, fra[)pé comme le taureau entre
les cornes pour n'avoir point pàluré l'herbage officiel. Ah! il
s'allonge le funèbre mariyrologe, il s'étend le désespérant cor-
tège des ombres! Quiconque d'en're nous porte un cœur libre
dans sa poitrine el se refuse à reconnaître le despotisme des
majorités, quelles qu'elles soient, n'est pas assuré de ne point
aller à son tour, sur ce chemin des suppliciés, les bras en croix,
grossir le nombre de ceux qui avaient mérité l'universel respect
et meurent, la face déchiiiuetée par les corbi^aux, payant de leurs
jours la folle illusion d'illustrer lé coin de terre où ils sont nés.
Patrie ingrale el marâtre, faudra-l-il toujOurs que le meilleur el
le j)Iiis pur de ton sang s'immole sur les autels, pour laisser la
place aux Ihiiriléraires de la routine, aux flatteurs du goût
public, aux empoisonneurs de l'An et des Lettres, h l'encombrant
troupeau des intelligences desquelles il est permis de tout atten-,
dro, hormis un poète et un artiste?
Un groupe d'amis dévoués, presque tous ses compagnons de
luttes et plusieurs ses compagnons de souffrances, a permis, du
moins, (ju'un témoignage matériel survécût au peintre qui a
illustré noire école. Il semble, devant ce médaillon où Dubois
revit avec son masque concentré cl pensif, par le secret d'un art
avivé a la ferveur du souvenir, il semble que les liens qui nous
unissaient Îï lui ne se sont rompus qu'il moiiié, qu'il est toujours
j)résent et qu'il va descendre vers nous, les mains ouvertes, avec
les paroles r/'ccnfortanles el viriles que rencontraient invariable-
ment, chez ce découragé de la vie jamais découragé de son art,
les hésitations. des débuis, les tentatives hardies el les doutes de
soi-même, plus cruels que les inexorables certitudes. Lai forme
périssable qu'il a emportée avec lui, ne se dissoudra pas tout
entière : elle rayonne d;;ns celte recomposition de son front puis-
sant, de ses sourcils recourbés pour mieux absorber la lumière,
de sa lèvre où frémissait l'éternel mépris de la sottise et des pali-
nodies. El celui dont Thonnéte latiT'wU'ut si mal payé tandis qu'il
était de ce monde, celui qui allait oublié, perdu parmi la tourbe
hostile ou indifférente, maintenant voit s'empresser autour de
lui, dans une suprême réhabilitation, ses émules, ses disciples
el ses cadets. Le moment est solennel; il pèse d'un poids décisif
dans les balances où se mesurent les renommées; il est comme
celte minute dans le temps, la seule dont nous disposions pour
•tresser des couronnes, et qui précède l'entrée dans la gloire sans
lendemain.
Si toutes les peines ne sont pas effacées par la grandeur do
cette cérémonie; s'il en reste, au cœur des êtres chers qui ont
souffert avec lui, une inguérissable amertume; si, comme je l'ai
fait tout h l'heure, il est juste qu'une voix en perpétue l'écho et
le souvenir, alhi de rendre plus éclatante celle noble ligure,
l'heure présente suffit à venger l'artiste des opprobres par les-
quels li's esprits sujjérieurs s'acheminent à leur douloureuse et
tardive acceptation. "*•
Comme les soleils roulant derrière l'horizon enflannné de ses
paysages, Louis Dubois s'est endormi dans les pourpres et les
ors qui lui servaient à exaller ses visions. C'est à travers ce lin-
ceul magnifique, composé des prismes et des éclairs de sa cou-
leur, qu'il apparaîtra aux hommes de plus tard.
Magicien dans l'art de fixer les tons, il appartenait par l'héré-
dité à celle race des dérobeurs de lumière dont Rubens el Jor-
daens furent les Prométhées souverains. Comme eux, après eux,
il fut un Mai peintre flamand, nourri des chyles du terroir et qui
n'aurait pu s'engendrer ailleurs (jue dans nos atmosphères miroi-
tantes et moites. Un peu des sèves coulant à torrent chez ses
sublimes devanciers, continue à bouillonner à travers l'admirable
sens de l'animalité qui le caractérise. Il aimait les chairs grasses
el fleuries, les viandes palpitâmes et chaudes, les salins de la
peau, les moires veloutées des fourrures. Une sorte d'épicurisme
sensuel ajoute à ses natures-mortes comme le rêve de s'absorber
dans l'ivresse et la bonté des choses, il se révéla non pas uni-
quement ouvrier robusle parmi les robustes, mais puissant poète
de la matière traduisant en un mode presque lyrique les voluptés
de la table et <le l'alcove. Grande leçon qu'il donne à ses fds
intelle( tuels : il fut le peintre de son tempérament, de ses dilcc-
tions, de l'espèce d'humanité qu'il portail sous sa mamelle. Dans
un temi)s où un artiste qui ne traitait pas Thistoire, le sujet de
piété, le mythe, réputés seuls genres nobles, était considéré
comme un manouvrier de l'art, il donna l'exemple du renonce-
ment aux dislinclions, aux faveurs, aux titres en n'écoutant que
son génie naturel el en refusant de pactiser avec tout ce qui
n'était pas son instinct. Il apparaît sinon comme un novateur, au
moins comme l'initiateur des modernes libertés de l'art, à l'en-
trée de cette évolution courageuse, continuée par une génération
comblée de dons, mais concertée au début par un groupe d'élite,
la petite chapelle d'alors, comme on a toujours appelé en notre
immiséricordieux pays les minorités insurreclionnelles, el qui
depuis est devenue la grande église, l'église de la communion
universelle.
Vous l'avez bien compris, jeunes artistes qui apportez sur celte
tombe, comme un fdial tribut, vos palmes et vos hommages. Le
peintre que vous honorez ainsi, méritait ce large et sympathique
concours : il vous a ouvert la voie. Il a fait plus : de son sang,
égoutté sous vos pas, il vous a marqué le but. Que son enseigne-
ment soit impérissable! c'est celui d'une existence loul entière
vouée à la religion de l'art el d'une haute conscience que ni les
rigueurs du sort, ni l'injustice de ses compatriotes, n'ont pu faire
fléchir.
L'aube s'est enfin levée pour Louis Dubois : nous en voyons ici
reluire sur ce bronze les premières clartés..
Au seuil de la postérité qui s'ouvre devant lui, abrogeons
donc les regrets : le voilà entré dans l'auguste famille des esprits
toujours vivants. Et bien plutôt suivons-le d'une âme tranquille
à travers son ascension dans l'admiration et la gratitude des
hommes!
Jhéatre ^OLIÈRE
De plus en plus romantique el mil-huil-cent-trente, le Molière.
Et voici les rapières, el les justaucorps, et les cuirassés, et les
Jarnidieu! et les meurtres, et les poisons, et les prisons, et les
gibets, el les « je t'aime el tu vas mourir », ou les « sois à moi
dans la tombe et dans l'enfer ». Quelle diablesse d'époque et
quelle folie de tête et de cœur! Amusante et superbe quand même,
surtout si derrière Auguste Maquet on devine Hugo et derrière
la Belle Gabrielle la tragique Marion Delorme.
Raèonler la Belle Gabrielle nous paraît superflu. Qui n'en con-
naît, depuis l'enfance, la populaire histoire? On la sait dès qu'on
apprend Henri IV, el ce dernier nous est familier depuis le col-
lège et le temps des lectures en cachette dans les pupitres et au
dortoir.
La troupe qui nous a donné la Belle Gabrielle est passable.
Mais les rôles <5laienl étudiés tant bien que mal. Aux représenta-
lions suivantes, bien des lares ont disparu, paraîl-il, et aujour-
d'hui la mémoire ne fait plus défaut au cœur dans la célèbre
déclaration d'amour d'Espérance à Gabrielle.
La Maison du Baigneur a fait suite k la Belle Gabrielle. C'a
été un succès.
CORRESPONDANCE MUSICALE DE PARIS
A défaut de nouveauté musicale, on vient de disserter à perle
de vue sur la question du Loliengrin à l'Opéra-Comique.
LART MODERNE
31
Du plus pclit au plus grand, chacun a voulu dire son mol; on
a versé des fiels d'encre cl il n'esl pas jusqu'il M'"*-' Adam qui
n'ail, dans une émotion trop violente et par elle reconnue comme
telle, remué toutes les considérations connues et archi-rcssassées.
Cela devient fastidieux : env oilà assez. M. Carvalho ne jouera
pas Lchengrin ; il n'y tenait pas et ce n'esl pas à lui de le jouer.
Attendons une entreprise libre — ou un Lamoureux du théûlre.
Les concerts Colonne ont reçu les avant-derniers adieux de
M^^Krauss au public parisien. Ce fut une bc-llç séance, oij la can-
tatrice a donné loul le talent dont elle dispose et dont elle sait si
bien user quand elle veut remporter un succès. Le hnallieur est
qu'à l'Opéra M""^ Krauss ne se donnait pas assez souveni la peine
d'émouvoir son public, et les rôles qu'elle tenait ne pouvant se
contenter d'un jeu pour la forme, il en résultait parfois des soirées
médiocres.
Dimanche dernier, c'est Joachim que nous prcsenlaienl les
mêmes concerts Colonne.
Paris n'avait plus entendu le grand artiste depuis dix-huit ans.
La guerre, l'affreuse guerre, ayant éloigné de nous tout virtuose
germanisant, c'est de loin que nous entendions parler de ce
colosse du violon qui porta ombrage même à Vieuxtemps.
Le succès de Joachim a été colossal, et c'est justice. Jeu sobre,
large, précis, sans viser à la sonorité, d'une émotion sincère et
puissante, classique dans la force du terme, c'est le violon dans
toute sa majesté! El après l'exécution du concerto de Beellioven,
qu'il a interprété avec beaucoup d'autorité, c'est dans une Suite
de Bach pour violon seul qu'il nous a ému le plus profondément,
tant la polyphonie dans un violon de cette force a de charme et'
de séduction.
LaPatli a annoncé ses trois concerts à l'Edcn-Théâtre, où elle
chantera les cavatines de la Traviata, de Linda di Chamounix
et V Ave Maria de Gounod. Ce n'est pas précisément nouveau,
mais ce sera si bécarre que nos millionnaires font déjà queue au
bureau de location. — 0 musique, que de crimes on commet en
ton nom. Gutello.
La presse a accueilli avec la plus vive sympathie les débuis à
Paris, aux Concerts Lamoureux, d'un jeune violoncelliste belge,
M. Liégeois, dont nos lecteurs se souviennent pour l'avoir, à
diverses reprises, vu citer avec éloges dans ces colonnes. Voici,
entre autres, ce qu'en dit Gil Blas par la plume autorisée de
M. Victor Wilder :
« Ce M. Liégeois, qui sort modestement de la troupe instru-
mentale, où il fait sa partie, tout comme un autre, pour venir se
placer à l'avant-scène, est un artiste de premier ordre. Je con-
nais beaucoup de violoncellistes qui se donnent comme des vir-
tuoses et rougiraient de se confondre dans le personnel d'une
troupe instrumentale, et qui pourtant ne vont pas à la cheville
de ce modeste musicien d'orchestre. Sans embarras, comme
sans.|)0S'^, M. Liégeois a joué son bel adiago, avec une sonorité
large cl une ampleur de style vraiment admirable?. On peut dire,
en empruntant l'expression pittoresque échappée à la plume
d'un de mes confrères, qu'il l'a chaulé, de main de maître. »
Belgique: Charles Hermans,^ Léopold Speekiert, peintres;
Auguste Danse, graveur.
France : Albert Dcsnard, Claude Monet, Auguste F^onoir, Fré-
déric Zandomeneghi, peintres; Ferdinand Gailard, |)eintre et
graveur; Henri Guérard, graveur; Odilon Fiedon, dessinateur;
Joseph Carriès, sculpteur; Oscar Roty, graveur en médailles.
Pays-Bas : Isaac Israëls, G. -H. Brcilnor, peintres.
. ^?j^/e/e/re: Clara Montalba, aquarelliste.
//!rt/ig: Adol[)lie Monticelli, peintre.
Norwège: Fredrik Kolstô, Christian Krohg, peintres.
Etals-Unis: William Chase, James M. Nei'll Whisller, peintres.
LEssor a donné vcnrlredi une séance Wagner fort intéressante,
dans laquelle on a en'endu notre excellent pianiste M. Kéfer,
M. Lerminiaux, violoniste, MM. Suy et Vandergoten, clianleurs.
Progr.imme de choix, composé de fragments de Siegfried,
Parsifal, In Wnlkiire, les Mai très- Chanlèiirs, Lohengrin.
M. Emile Agniez vient de composer un npéra-comiqne en un
acte sur des paroles de M. Courtier. La première aura lieu mardi
prochain, dans les salons d'un amateur d'art b<'ux(dlois.
pETITE CHROJ^iqUE
Voici la liste complète et détinitive des artistes qui participe-
rout au prochain Salon des A'A".
Dans l'universelle sym[)athie que rencontra le touchant hom-
mage à Louis Dubois, qu(^ nous rapportons ci-dessus, il s'est
trouvé une voix discordante. El cette voix a élécelle d'un journal
jeune, qui passe pour dévoué aux idées jeunes. Un Monsieur qui
signé -Millie-Chistinne, sans doute p;irce qu'il est à double face
et que tandis qu'il guen-oie pour l'arl indépendant, il fait, en
même temps, ris.'tie aux gi-ronics de l'art officiel, goguenarde à
propos de la» cérémonie, lévlame des morts complaisants pour la
prochaine manifestation, se met en dépense de plaisanteries.
Cette fornmle nouvelle de « zwansc » n'esl pas neuve. Elle est
empruiilée à larsi'nal de M. Frédérix, (jui l'inaugura l'an dernier
à propos d'André Van Hassell.
Nous a.vons dit alors ce que nous pensions de ces attaques
d'hommes qui ne mesurent les événements qu'au mètre de leur
mesquinerie. Elles n'ont pour effet que de marquer définitivement,
en chiffres connus, la valeur de.ceux qui les emploient.
M'"^IdaCornélis-Servais, cantatrice, donnera un grand concert,
le lundi 8 février 1886, à 8 heures du soir, en la salle de la
Société rovale de la Grande-Harmonie, avec le concours de :
M"*^ Sophie Cornélis, .M'"'* Flon-Botman, cantatrices; M. Alphonse
Mailly^ l" organiste du roi ; M.M. Edouard Jacobs, violoncelliste,
et .Arthur De Greef, planiste, professeurs au Conservatoire royal
de Bruxelles, et de la Société royale l'Orphéon, sous la direction
de M. Edouard Bauwens.
Un grand concert de charité sera donné, le vendredi o février,
à 8 heures du soir, dans la salle du Palais di'S Bi^aux-.\rts
(entrée rue de la Kégence), avec le gracieux concours de :
M"^»^ Lemmens-Sherringion, M"»^* .\lphonsine Douilly et Evelyn
Ponsonby, MM. Joseph VVieniawski et Jenô Hubay.
MM. Joseph Wieniawski, Jeno Hubay et Edouard Jacobs, don-
neront deux concerts (musique de chambre), les m;irdis 16 février
el 2 mars 1886, à 8 heures du sjir, dans l'une des grandis
salles du Palais des Beau.\-Arls.
Le programme contiendra des œuvres de Beeihovea, Mozart,
Schuuiann, Bargiei, Wieniawski el F\ubinstein.
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32
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SIXIÈME ANNÉE
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informations et l(»s soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucnm^ nianitostaiion de l'Art ne
lui est étranirèro : il s'occupe de littérature, de peinture, de sculpture, de gravure, de musique,
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouvement artistique belge, il rcMiseigne néanmoins ses
lecteurs sur tOUS les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaitre.
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ou littéraire dont révénemcnt de la semaine fournit l'actualité. Les expositions, les livres nouveaux^ les
prcmii'Tes représentations d'œuvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires, les concerts, les
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LES TFJIPÙEKS
Deuxième diHicle.
Tous ceux qui, depuis six mois qu'il est venu planter
sa tente à Bruxelles, ont été admis à Ihonneur d'ap-
procher Henry Litolff, ont subi le charme de sa nature
expansive et coi^diale, de son esprit délié, prompt à la
répartie, de sa fine bonhomie, galante et aimable, nar-
quoise parfois sans aller jamais jusqu'au sarcasme. Et
la verte jeunesse de ce petit vieillard alerte qui porte,
dans chaque ride, la griffe des plus romanesques aven-
tures, a d'emblée conquis toutes les sympathies. L'éclat
de ses prunelles, scintillantes dans le parchemin du
visage, éclaire un passé si tourmenté, si enchevêtré, si
fantasque, à la fois si glorieux et si douloureux, qu'à la
séduction de son accueil toujours courtois se mêle l'at-
trait des mystères dans lesquels a plongé sa vie. On les
pressent, on les devine à demi à travers de rares con-
fidences, et petit à petit, à mesure qu'on pénètre dans
l'intimité de ce cœur dont l'âge n'a pas ralenti les pul-
sations, on reconstitue pièces à pièces la chevaleresque
et indomptable figure d'artiste qui tint d'une main si
robuste sa lyre de poète, que ni la cruauté des hommes.
ni les colères du sort ne parvinrent à la lui arracher.
« Sa vie est une angoisse, écrivait, il y a vingt-cinq
ans, Jules Janin, un supplice, un charme aussi. Pas
une passion qu'il n'ait épuisée, et pas une ivresse qu'il
n'ait subie. Il est dans le ciel, il est dans l'enfer. Il rit,
il chante, il pleure, il se lamente, il désespère, il est
plein d'espoir. Il joue avec le suicide, avec la fortune,
avec la renommée, avec la gloire, avec la misère, avec
les tombeaux. Que de plaintes muettes, que de gémis-
sements sans nom, que de visions douloureuses dans
cette âme au dé.sespoir! La plus extrême fantaisie,
enfant des liqueurs; fortes et des tabagies silencieuses,
Hoffmann lui-même aurait peine à compo.ser un fan-
tôme égal à celui-là •'.
Le triomphe remporté par Henry Litolff au théâtre
de la Monnaie a été l'apothéose de cette existence que
la fièvre a menée jusqu'à la vieillesse sans la consumer.
Et ceux-là même qui professent sur l'art lyrique des
jdées opposées à celles du maître ont joint leurs applau-
dissements à ceux de la foule. Tous se .sont réjouis 'le
voir cette carrière d'artiste recevoir des mains d'un
public réputé dithcile un couronnement digne d'elle.
Los factions qui divisent l'Art, ainsi que sur le terrain
de la Politique les partis se livrent bataille, ont, d'un
consentement tacite, proclamé un armistice. Entre les
escarmouches d'hier et les bagarres de demain, le
triomphal-Cortège de l'opéra romantique a passé, avec
ses défilés d'armures, ses belli(iueuses sonneries de
trompettes, ses claquements d'étendards, ses rondes de
ballerines, avec toute l'emphase du théâtre, avec l'em-
:-^-
phase aussi do radaptation musicale. Et tel est le res-
pect qu'inspire une conscience d'artiste réalisant un
idéal cnergi(pionient poursuivi à travers les âpres che-
mins'de l'Art, que les adversaires les plus déterminés de
la forme adoptée par le maître ont salué son œuvre et
se sont félicités de sa réussite.
Il ne pouvait être question d'uneiutte entre l'école
nouvelle dont l'aurore se lève et celle dont les der-
nières lueurs empourprent l'horizon. Henry Litolifeût
menti à ses convictions, ;\ son éducation musicale, à la
foi de toute sa vie s'il eût donné à son anivre une autre
forme que celle dans laquelle il a moulé son inspiration.
Et l'on est en droit de s'étonner de la naïveté de ceux
qui reprochent au maître, en des articles amers, de ne
pas avoir attaché la diligence dans laquelle il voyage
ainsi qu'oiji voyageait à l'époque de sa jeunesse, au train
express-tîui emporte notre génération.
Non, l'auteur des Templiers n'a pas guigné le drame
lyrique, et celui-ci n'a rien à voir en cette affaire. L'ou-
vrage de Litolff n'est pas une machine de guerre). Le
Capitole n'est pas menacé. Que tout le monde se rassure.
Il fallait, pour terminer le feu d'artifice qui illumine
depuis lin demi-siècle la scène de l'opéra, un ^ bouquet ^
de fusées, de bombes étincelantes et de chandelles
romaines. Henry Litolff a été le Ruggieri de ce " fire-
work ^, Il a réuni en une gerbe éclatante toutes les
ressources de la pyrotechnie imaginée par Meyerbeer,
le grand artificier. Il a égalé, sinon dépassé, ce qui
a été fîiit dans ce genre avant lui, et l'on peut affir-
mer que son œuvre est l'un des opéras les plus brillants,
les plus entraînants, les plus habilement conçus qui
soient, l'un de ceux qui produisent le plus d'effet et
dans lesquels rien n'a été oublié de ce qui peut impres-
sionner, intéresser, enthousiasmer les masses.
Il clôt dignement le cycle des ouvrages lyriques issus
du romantisme. Et nous ajoutons que s'il fût né vingt
ans plus tôt, il eût eu, sans nul doute, dans toute
l'Europe un retentissement égal à celui que provo-
quèrent jadis le Prophète, Rohefi- le -Diable, les
Huguenots, l Africaine.
,. A l'exemple de Meyerbeer, c'est dans les contrastes,
dans les oppositions violentes de coloris qu'Henry
Litolfî cherche ses effets principaux. Ainsi procédaient
les peintres de lécole de mil-huit-cent-trente, contem-
poraine des splendeurs de l'opéra, avec lequel elle a
d'étroites affinités. Ils faisaient valoir les lumières par
des ombres disposées suivant une formule transmise
dans les académies- et qu'on nommait repoussoirs.
Après lès sombres récits du premier acte, après les
imprécations d'Enguerrand de Marigny contre la croix
rouge des Templiers, après les violences de l'émeute et
le formidable ensemble qui couronne l'exposition du
drame (et que le public a redemandé d une seule voix,
comme il redemande le quatuor de Rigoletto et le
sextuor de Lucie), le rideau se lève sur des jardins
fleuris, et tout aussitôt apparaissent dans l'orchestre
les timbres délicats des flûtes, des cors et des clari-
nettes modulant des cantilènes aimables.
René chante :
N'entends-tu pas dos bruits d'ailes?
Dans les voûtes tUornelles
Les anges planent sur nous.
Notre amour les rend jaloux !
Isabelle répond :
Ah! je comprends que le ciel nous enivre
L'amour, c'est le bonheur suprême!
et d'un bout k l'autre de l'acte, ce ne sont que bruits de
baisers, chuchottements de mots tendres, frôlements
soyeux, jusqu'à ce que le rideau tombe sur un rayon
de lune dans lequel Isabelle laisse choir, de son balcon,
une rose que René porte à ses lèvres
Dès le début du troisième acte, premier tableau, les
trombones emportent de leur voix rauque la pensée
vers les luttes qui se préparent. C'est le nœud de l'ac-
tion, l'acte capital de l'opéra, et le compositeur a
déployé dans les deux scènes qui le composent, — le
duo du roi et du Grand-Maître et le duo de Philippe et
d'Isabelle, — de sérieuses qualités dramatiques. Ce sont
là, selon nous, les meilleures pages de la partition.
Nouveau contraste. Le ballet, auquel les fiançailles
d'Isabelle servent de prétexte, fait brusquement oublier
la tragédie, et joyeusement sautille la musique. Mais
bientôt le quatrième acte ramène l'esprit à des idées
austères. L'auditeur est introduit à l'intérieur du Tem-
ple dont il n'a vu au premier acte que les murailles.
Ici la musique se fait religieuse, en même temps que
René vêt le manteau blanc des moines-chevaliers. L'or-
gue est naturellement l'élément principal de cette trans-
formation. Le thème des Templiers, présenté dans l'ou-
verture, ébauché dans la coulisse au premier acte, est
ici développé et l'auteur en tire de grands effets.
Le cinquième acte, enfin, qui peint le supplice des
Templiers, débute par un chœur de soldats insouciants,
joyeux, buveurs et joueurs, qui n'a d'autre but que
d'être le « repoussoir •» de la marche funèbre dont on
peut sans présomption présager la venue prochaine.
Tel est le procédé employé, la ficelle si on veut, et
le public s'y est cramponné avec joie. Litolff' excelle
d'ailleurs dans l'art de tout mettre en œuvre pour
amorcer son auditoire. Il le sait friand de chœurs à la
cantonnade, de barcarolles, de sonneries de trompes,
de jeux d'orgues, de cloches mêlées à l'orchestre, de
bruyants ensembles, d'airs pathétiques chantés par
le ténor devant le trou du soufffeur. Aussi n'a-t-il
épargné aucun de ces moyens d'action sur la foule, et
la foule lui a témoigné sa reconnaissance en lui faisant
un accueil enthousiaste.
Mais s'il a prouvé dans les Templiers son expé-
rience, nous allions dire sa rouerie, il a aussi affirmé
une incontostahle sciericfi musicale. Liiolfl" connaît son
métier comme pas un. Il n'y a dans cette partition
touffue ni tâtonnement, ni fnîsitation. L'œuvre est
écrite d'un jet, et le slyle en est d'un bout à l'autre,
également soutenu. Si les idées n'ont pas toujours
une originalité bien grande, elles sont du moins tou-
jours présentées avec adresse, et décemment vêtues.
Ce n'est pas, est-il besoin de le dire? le développe-
ment i)sychologique des caractères que poursuit l'au-
teur. Il se borne à décrire, en une succession de
tableaux, les phases de l'action, et le rôle de l'orchestre
n'est jamais autre que de soutenir les voix, ce qui ne
l'empêche pas d'être écrit avec talent, parfois avec un
rare bon?ieur d'ex pression.. Ses personnages parlent la
langue conventionnelle du théâtre, mais ils la parlent
convenablement. Selon les préceptes de l'école, les
divers morceaux que chantent ses héros sont reliés
par un récitatif qui remplace le dialogue et auquel
l'auteur semble n'attacher qu'une importance secon-
daire. Quant aux chœurs, ils sont écrits avec une
entente parfaite des registres de la voix et ont tous une
sonorité excellente. Quelques-uns sont même d'un
rythme intéressant. Nous citerons entre autres Fépi-
thalame adressé à Isabelle par ses suivantes, et, au
premier acte, le chant des bohémiennes accompagnant
l6 divertissement dansé par M'^® Rossi et M. Saracco :
Un doux papillon f'pris (l'une rose
Depuis l'aube éclose
Bat l'air embaumé du rapide essor
De ses ailes d'or.
Chose singulière, parfois l'auteur paraît regretter le
patron un peu démodé sur lequel il s'oblige à tailler ses
inspirations mélodiques. Les procédés . de l'école
actuelle lui passent sous les yeux en visions hantantes.
Tels, au quatrième acte, les rappels de motifs du duo
d'amour chanté au deuxième. La \)hra.se Ai mov s- nous
est soupirée, dans la coulisse, par un chœur invisible
et dont la présence est inexplicable. Pourquoi? L'or-
chestre n'est-il pas tout naturellement indiqué pour
remémorer -ainsi des scènes antérieures et fortifier
l'impression du texte par l'exposé des pensées flot-
tantes ? Le vide du théâtre d'autrefois, sa superfîcialitê,
apparaissent ici en évidence, et peut-être à ce point de
vue l'opéra que nous venons d'entendre fera-t-il faire
aux détracteurs de l'art nouveau de sérieuses et salu-
taires réflexions.
Telle est, rapidement, esquissée en ses traits princi-
paux, la physionomie de la volumineuse partition qui
concentre en ce moment les préoccupations artistiques de
nos concitoyens. Montée avec un luxe de mise en scène
qui n'a guère été atteint jusqu'ici à la Monnaie, repré-
sentée dans un cadre de décors neufs d'une sérieuse
valeur artistique, interprétée d'une fac^ou remarquable
tant par les solistes que par les ehœ.urs et par l'or-
chestre, l'o'-uvre ne pouvait manquer de réussir. Et la
réussite a été éclatante. Les ovations et les rappels se
sont succédés durant toute la représentation et l'on a
confondu dans une même tempête d'applaudissements
l.'auteur de la musique, les pa»roliers, les artistes, le
ballet et son chef, l'orchestre et son directeur, les
peintres-décorateurs, et jusqu'au costumier...
Il est vrai que ce dernier a eu la chance de rencon-
trer, comme « interprète «, M"** Esselin, dont l'entrée
a fait sensation, ce qui a fait dire à un peintre Vingtiste,
qui pousse le calembour jusqu'à la férocité : « Voici le
plus joli page de la partition ! '.
MI DIABLE
par Lkox Gladel. — Un vol., Paris,- Monni'^r.
Nous nous rapptîlons ce soir rlo l'automne dernier où Léon
Cladel nous lui les deux prenniers chapilrt^s fie Mi- Diable, d't^^àii
après une longue excursion en Condroz ; on se sentait las, et cha-
cun, le dîner lerminfl, cherchait un t'aud-uil pour rêver au sommeil
et au repos.
Je vais vous servir >/i-/>wi5?/<3, trancha rjadel.
Il se fit venir le OU Blas, où le roman paraissait en feuilleton,
commença aussitôt.
Oh! Léon Cladel lisant! Mimiijue brutale, naïve, omporlée; les
yeux luisent ; les mois sont foulés dans l'emportement de la
parole; le geste souligne à peine, si ce n'est quelque grande
période redondante dont la fin est brusquée en coup de faulx. La
voix se fait douce, câline; elle a je ne sais quoi de bon enfant.
Oui, mais voici qu'elle s'entle et roule, et qu'elle évoque soudain
une vision de Quercinois, sonore d'éloquence à l'emporte-pièce,
qui parlerait et parlerait jusques à quand? Le récit est vivifié, il
.prend une couleur endiablée, un mouvement étrange, il se pré-
cipite, et toutes les invraisemblances sont franchies comme des
obstacles banals, et le grandissement colossal des choses qu'iné-
vitablement tout poète réalise, apparaît parmi des gloires d'apo-
théose.
Certes, le livre lu ne s'impose point aussi souverain que le
livre déclamé et — passez-nous l'expression — geste, mais
encore est-il superbe dans sa trépidante envolée. Il est de la
lignée de ces chefs-d'œuvre : Celui de la Croix-aux- Bœufs,
Sainù-Bartholomê-Porte-glaive, Ompdrailles.
Ce qui le distingue de ses aînés, c'est la donnée macabre a
travers laquelle il court, emporté, lui aussi, comme son liérns.
sur quelque phénoménal jumart d'inspiration, levant la poussière
des mots et des vocables, battant le pavé des rythmes rocailleux
et miles, et toujours frénétiquement. La langue de Ckuiei. si
étonnante ailleurs, s'exaspère ici en spasmes invus. en irepida-
tions inédites. Lave qui roule, bouillonnement qui silfle, coièi-e
qui écume. Tout cela, ijualre cent cin({iianîe pages durant, sans
relais, sans prendre haleine. La tin? plus exacerbée encore. La
fin?...
Voici le drame. Mi-Diable, dès le début, apparaît, le gars
superbe, sauvage, extraordinaire, qui, en une fête de tuerie et de
combat, en présence de tout un peuple, conquiert à l'amour
Vertu, la guerrière, la vierge de chair et de force splendide, admi-
rable personuificalioa de fierté, de jeunesse, de grandeur et de
riislicit(^ Ail cours do l'hisloirc, cet accouplago est brisé par
Scrpino, doiil ITtnio nVsl que perversité cl inlrij^ue. Le roman, on
le devine. Mi-Piable est disputé par ces deux femmes. Au dénoue-
menl. Vertu j=e venge tragiquement. Elle lue Mi-I)iable d'un coup
de faucille el Serpine h coups d'ongles et de rage.
Le sujet clu/ Léon Cladel est toujours simple. Ses personnages
sont des symboles. Les Homèrcs chantaient ainsi. Le mal et le
bien ont (li>s noms propres, et agissent, et combattent, et
triomphent, personnifiés. Telle déjà la poétique dans Saint-
BarlhoUmic-Porle-glaive et plus tard dans Ompdrailles. Ce
procédé i)rimilif augmente l'impression de grandeur et d'épisme,
outre (pi'il est de parfaite convenance pour les sujets rustiques.
L'auteur en tire de violents contrastes et sa langue qui a, malgré
sa science, je ne sais quelles apparences de Lingue barbare en
train de se former, ajoute encore h celte illusion d'art rapsodique.
Le présent volume se spécialise dans l'œuvre de Cladel, par
sa note fantastique. L'extraordiuiiire l'avait déjà hanté lorsqu'il
publia le Mystère de Vincarnnlion; il subissait en ce temps Tin-
fluence baudelairienne el son originalité n'avait point encore
jailli. Aujourd'hui il y revient, mais armé de sa propre force,
de sa propre expérience et de son style si personnel. El c'est
miracle de voir se fondre dans la réalité et la brutalité de son
tempérament cet élément nuKabre el farouche, qu'à première
vue, on rejetterait comme incompatible.
La nouveauté du li\re? elle est là toute.
Le fantastique de Cladel est rouge-sang. 11 est féroce, il hurle,
il <2[rinee. 11 n'a rien de silencieusement eflVavant ; souvent c'est
le bruit qu'il fait qui cnij>éche d'avoir peur. Au reste, il est plus
phénoménal encore que tragique. El d'abord le héros Yufko,
ensuite le Jumari el enlin Serpine. El les scènes, celle de la
conquéie de Vertu, au 'pied do la montagne, sous l'arbre énorme
et celle du dénouement, traversé par la course épouvantable d'une
bêle apocalyptique et d'un cadavre.
Avant d'éire soil un poète, soit un philosophe, Cladel est un
dramalurgi'. La moindre action humaine devient sousi sa main
d'écrivain une hilte énorme épanouie dans un décor farouche.
11 rêve de géants même quand il n'e?l en présence que de simples
moniaubauais. Il les décrit tragicjues el les pose, héi'os. Ses
femmes ont toutes du sang de venus rustique dans les veines;.
ses ijars sont des Achilles qui culiivenl des choux. Le monde
aijresle (ju'il a suscité dans ces livres est prodigieux; c'est ce
qu'il faut pour qu'il reste debout et vainqueur en littérature.
Au total, un beau livre personnel, que seul Cladel pouvait
présenter au public avec ses audaces multiples, ses couleurs
violentes el ses grandissemenis prestigieux. Il y maintient sa
hère 'répulalion de romancier, il LilluiiHlie davantage et désor-
mais Celui de la Croix-aux- Bœufs à un pendant : Yufko. >
^UX ENRÉqiMENTÉ^
Paul Baudry
Le {)einlre qui vient de mourir a connu tous les honneurs de la
carrière académique, tous les succès dispensés par la' direction
officielle des Beaux-Arts. Depuis ses débuis jusqu'à sa mort, il a
gravi progressivement, corieclement, sans un faux pas, tous les
échelons de réehelle administrative. Pension de la ville natale,
admission à l'Ecole, oblenlion du prix de Kome, séjour de sept
ans à la villa Médicis, envois favorablement ajccueillis, succès au
Salon, médailles, rajipels de médailles, tous les gradçs de la
Légion d'honneur, entrée à l'Institut, commandes de l'Etat,
caresses de la critique bien élevée, des modèles historiques sous
les yeux, des palais nationaux à décorer, — Paul Baudry a eu tout
cela, tout ce qui conslitiie l'habituel idéal du peintre au
XIX'' siècle. On dit pourtant qu'un ennui pesa sur les dernières
années de cette existence occupée, qu'un doute s'implanta dans
cet esprit généralement tenu pour satisfait. Ce serait la preuve (juc
l'homme fut supérieur à sa fortune el à ses grades, qu'une déli-
catesse cachée en lui soutTrild^^s vulgarités de la réussite, qu'une
clairvoyance (le jugement se lit jour à travers les habitudes intel-
lectuelles et la routine du talent.
Paul Baudry, en eUel, habita un atelier discret et ne se livra
qu'avec réserve aux investigations des reporters. 11 semble avoir
eu en partage le caractère d'un silencieux, la contraction d'un
délicat, — el relïorl inutile vers l'original. ^
La pauvreté de son enfance, la rigueur de ses débuts, ne lui
servirent de. rien pour l'actpiisition de rinexjilicable, du mysté-
rieux don. Peut-être même fut-il desservi par ces inévitables con-
ditions premières. Il sort de Vendée, à grand peine, fait une
courte station dans la vie, et entre en serre chaude. C'est dans la
même serre chaude qu'il est mort ; jamais plus il ne put en sortir.
11 crut aux récompenses, aux distinctions, — à l'iîlcole. Il fut
comblé de ces prix, de ces honneurs recherchés. Il fut adopté à
jamais par celte Ecole imprudemment souhaitée. Il entra là
ignorant, mais enfiévré par l'aspiration arlisticpie. il y devint une
façon de lettré, un pres(pu} érudit, mais en même temps il se
trouva impuissant à dire autre chose que ce qui avait été dit
avant lui, à peindre autre chose (jue ce qui avait été peint.
Quand une fois on a été bouclé en loge dans la prison artis-
tique du quai Malaquais, il est biiui rare qu'on puisse s'évader
hors de ce cachot symbolique. Il y a trop de barreaux à desceller,
trop de murailles à descendre. On s'y arrache les ongles, on s'y
casse les .reins, on s'y brise le crâne. Il y faut une souplesse el une
force rares. Non, on est entré, on reste. On se fait à cette vie, on
accepte ces travaux forcés, cet évidemenl des noix creuses de
l'Idéal. On finit même par se trouver bien, le geôlier apportant à
des heures fixes des vivres el des décorations. Alors, toute la vie,
on reste dans cette loge bienfaisante. Où qu'on se trouve, on se
sent environné de ses quatre murs, respirant dans son atmo-
sphère, maniant les objets familiers. Les yeux ne verront plus
autre chose, le cerveau s'est imbibé pour toujours. Passer les
frontières, aller dans les pays à chefs-d'œuvre, ne sert à rien.
Même, le mal s'aggrave. C'est la loge qu'on a laissée à Paris,
c'est la loge qu'on retrouve en Italie. Ou plutôt, on ne l'a pas
quittée ; elle a été mise sur les rails comme un wagon cellulaire.
Ou peut revenir ensuite, connaître le succès, connaître la faveur
persistante, connaître l'ivresse des commandes, être célébré avec
chaleur par de sûrs amis des premiers jours. Bien ne change.
Seul, le médiocre d'esprit et de talent s'endort dans le sommeil
des béatitudes et dans la digestion des triomphes. Celui à qui
l'inlelligence est venue, chez qui le sens crili(|uc s'est éveillé,
commence à frapper à coups de poings la muraille qui l'enserre,
à se meurtrir les doigts contre les serrures énormes et les verrous
triplés. Il peut appeler et se désespérer dans sa solitude morale.
Les efforts seront vains. Il est trop lard. Il a même toujours été
trop tard. L'œil, la main, l'inlelligence, sont façonnés pour
la vie.
.,
VAUT MODERNE
^^T
' C'est lo cas IrJ'-s douloureux (l(;s simôros qui gémissent sur leur
enrcgimentcrnont. C'est le eas de l»aul IJaiidry. Parti pour Tîlre un
fin dessinateur et un coloriste délicat de la chair, il ne put jamais
dépasser les promesses <'onsii,mées dans les portraits distingués
de s'es débuts, dans hi Gui//)l,dans le Beulé. Sa toile de concours
pour le prix de Koma, Zéuùhie trouvée sur les bords de L'A raxe,
reste comme l'emblème de sa destinée. Il dut passer sa vie k
côtoyer le triste fleuve, et son sort fut autant h plaindre que celui
de la princesse lamentable. Les sept ans Av. Fiome auxrpiels il fut
condamné par un impitoyable jury, l'achevèrent. Il y prit le mal
inguérissable, la .mal'aria passée h l'état d'indiscutable document
dans r(euvre de M. Hébert. Oui, di'puis, il fui impossibh; au
peintre d'écliapixT aux leçons et aux intluonces. Il nr; vit pas que
le plus haut et le m(iilleur enseignement donné [)ar les maîtres
est f[u'il faut regarder la vie, f{ue rien ne doit s'interposer entre
l'artiste et Paaitalion humaine. liaudrv se noit en dehors de son
temps, remonta les siècles, et ne c(.'ssa d'errer entre Rome et
Venise, entre F*arme et Florence. Le jour oTi il fut chargé de la
décoration de l'Opéra, il [)artil pour l'Italie, se prouvant inca-
. pable \i trouver son inspiration eu France et dans F'aris,_chez le
peuple, dans la ville et dans l'art qu'il était chargé de raconter.
iNe s'aperçut-il donc jamais que c'est ici seulement, et non par
delà les Aljx'S, qu'il a trouvé' les choses rares et su[)érieures de
son œuvre : les visages de f|uel([U''S-unes de ses Muses et de sa
- fine Comédie.
Le. reste est de là-bas. Le reste esl do tout le monde. Les
paysages sont- di!S FMimilifs, les archilcctiires sont de Véronèse.
Les personnag(,'s sont faits avec les lignes, les attitudes, les
expressions de tous ceux du \\T siècle. Tous les musées,
tous les palais, toiiies les églises sont nnises à contribution. Le
peintre a pris une quantité effroyable de noies. Il a passé des
années à copier des toiles. Il a reproduit, dans leur grandeur, les
Michel-.VniîC de la SiX'ine. Il a été le fournisseur abondant du
Musée des coj)ies jadis institué. Qu'on ne s'étonne donc pas des
ressemblances" fa'aits et des réminiscences forctM s. Quand on
regarde une toile eu une fresque de Baudry, on songe à autre
chose, lu du connu, à du déjà vu. L(}scnfan:s font penser à ceux
du Corrège, l't^corcheur du .Marsvas au Remouleur, l'ance de
sainte Cécile ii l'auge du Tubie dt3 Rembrandt, Iî<'llone à la
* Marseillaise de Rude, le guerrier qui monte à l'as-aiit au
Gladiateur, la ]tosture de la Comi'die à r.VpoUou de DelaiM-oix.
les postures d( s Muses aux Sybilles, rilomère à l'Homère d'Iiii^res.
Toujours le [)einlr(.' est sons la siijt'iion de rAuliiinilé, ou de la
Renaissance, — ou (pielquefois, d'un modern(\ Il dresse sa loiL',
il prend sa palette et ses brosses, et il ne peut empèclur sa
pensée d'aller à Orphée, à Melpomène, à Uranie, à Eralo, à Léda,
à Vénus, à P(''gase, au Parnasse.> Il a beau essayer des assem-
blages de couleurs, des combinaisons de lignes, il a beau oser
ses dernières peintures décoratives pour Chantilly, il a be^u être
délicat, nuancé, chercheur, c'est toujours Raphaid, Véronèse,
Tiepolo, c'est toujours le livre, le tableau, la statue, la ruine, la
mvlliologie, l'archéoloçfie. — L'n tableau d'histoire moderne est
essayé : — c'est la Charlotte Corday qui semble une illustration
de Ponsard.
Les défenseurs de cet art de tradition disent que, malgré tout,
Baudry sut rester lui-même. Hélas! oui, c'est vrai, il fut sincère
et consciencieux dans l'élude, fut lui-même dans la tidélilé res-
pectueuse et danS' la savante imitation.
GiSTAVE Geffroy hIc la Justice).
j^OK^ERVATOIRE F^OYAL DE JiIÈQE
Premier concert.
[Corrcspoyidance particulière de l'Art moderne.)
Décidément, ici aussi les idées nouvelles prennent pied. Non
seulement on ose exécuter de la musique russe et du Wagner,
mais le public semble comprendre; il n'est même pas rare de
rencontrer df réels enthousiastes, s'erniiortant outre mesure, exa-
gération [)ropre au caractère liégeois, impressionnable, suscep-
tible de beaux élans. Les Liégeois sont musiciens, mais ils sont
surtout entichésde leur ville; ils n'aiment pas à en sortir et restent
fatalement confinés dans le mouvement artistique local, si tant est
qu'il y en ail un : on rencontre bien de temps en temps un artiste,
mais c'est rare; la plupart d'entr(! eux se sont exilés, éc(eurésdo
l'inditTérence à laf[r.elle ils se huilèrent, puis du manf}ue complet
de stimulant.
Nous pensons cepenrlant qu'au point de vue sp(;r,iî)l de la
musi(iue il serait possible, de secou'r cette apathie. Chiz beau-
coup ce goût se trouve à l'é'tat latent: une simp.'e cause phy-
sique suffirait pour le dégager.-
Les concerts du Conservatoire peuvent contribuer largement ^à
atteindre ce but ; c'est ponrrpioi. ici plus qu'ailleurs, nous ne
pouvons ((ue féliciter !a Socié'itj dt-s conct'rls de pers('Vi''rer depuis
vingt-cin(( ans dans cette voie 'ie vuliiarisalion, <-\. son clief,
M. Radou.x, de se décider a fiir** entendre enfin du Wagner, fort
peu connu ici, e! ipii p;i>-^i' '•neore p'iur un bruyant <,'chevi'i<'.
Les fr-ig ut-nu de Parsiful (p!'i'!ude (H finale du itremier acte*
ont été accu(,'i!lis pai- de longs ajiplaudissements : la sal'e a été
réellement empoignée.
On a (b'buté par la deuxième symphonie de Borodine, exécutée
dernièrement à Bruxelles. Con'-tatous ici encore,' un succès,
pas bien franc pour les diMix preiiii,"T''s partiras, mais l'-clalant à
partir de la troisième. Ces iK'siîiiiiou"^ d'i commeu«'rm"nf prove-
naitmt il'uni! petite rancune, ovt trouvai! que M'"^ [u ('oniless^i ,\^■,
Mercy-Argenleau [iroduis;!!! nn pe;i ir^p ses P»ii>s,.s ; on vrulait
lui montr.'r que l'on n'a(N'epii'r;i!t p;is uveM^ltunenL toui e.\' (juii
lui pi, tirait d'en produire. Ajouions .pie leiut s"''st !e:':uiné par
des batl''menls di? mains, l.'n nuiut-ro de î.i S.niiy-Minin-tnre 'le
(Ali, que vous avez egaiemi^nt ''Utj-niiUi' aux Ci>ncerl.< vovi-dnires,
a même ru les lionn-Mir- d'i t>i<.
M"'" Ph. D'EdeUb.Tg [fws,".,ie i!;e iuqi -Noix. r-'Ui u' juabiement
étendue, dont elle ••ait ses>'r\ir: ei'iMUiahiU;' un peu de L-iiarme,
h's notes basses si,r out onL un-' viriliM.' ch0({uante. Elle a. du
resii?, bi"n chanti' l'air de lu Clcmeiire de Tiiu-'^. une Berceuse
vénitienne ci la Chanson de hi roipe d' Herrnlanu}n.
M. Wieniawski a joué un ':nur.':-.o pour piano et orolirsîre de
sa corrtposition ; leuvre bien écriie, soignée dans rc'U'.e"^ ses
parties, faisant valoir h^s res.;.n::\ es multiples du juano. mais
révélant plus la préoccu[talion de t'aire iriomplior le pianiste de
ditîioulies ardues que celle de lais-^-r le musicirn s'abandi^nner a
finspii'atjon.
FI a exécute après cela des variatious de Haydn, délicatement
jouées avec le caraclèr'? manière .le cette musique. N'His avons
entendu ensuite le Perpetuuin inobile. puis la T'alse caprice de
Schubert, et entin une Pnlcnaise de Chopin. Dans cette seconde
partie le pianiste a été très remarquable et ne se plaindra pas.
pensons-nous, de l'accueil reçu.
Nous espérons ilonc voir M. Radlnix continuer comme il vient
do commencer, ne pas reculer plus qu'il ne l'a fait celte fois
devant les diiïicullds irès sérieuses que suscite rexéculion
d'œuvres telles que le iruii^ment de Parsifal. Qu'il ne désespère
pas non plus de corriger les petites imperfections de son
orchestre, un peu mou et quelquefois négligent. Ce sera un lilrô
de gloire pour le directeur du Conservatoire d'avoir introduit des
idées -jeunes dans une ville très amoureuse de la routine.
CONFERENCE AU CERCLE ARTISTIQUE
M. Georges Kodenbacli a donné la se'niainc passée, au Cercle
artistique, une conférence, piquée d'anecdotes el d'apprécialions
intéressantes, sur la Poésie contemporaine. Il a débuté par une
glorification enthousiaste de Victor Hugo, qu'il a proclamé roi
littéraire du siècle. Baudelaire, Leconte de Lisle, Coppée, Riche-
pin, Rollinat, Mallarmé, Verlaine, ont été présentés ensuite, les
uns exaltés, les autres condamnés -^ en tout ou en partie, dirait
un orateur parlementaire — et M. Hodenbach a lerniiné par la
lecture de quelques vers de Jeune-Belgique et par deux pièces
de son volume prochain : la Jeunesse blanche. On pourrait con-
lesler mainte atïirmalion de i\l. Hodenbach, mais s'il n'a pas
l'exactitude, au moins a-t-il la bonne foi. Le sujet, d'ailleurs,
était très vaste, il n'a été qu'eflîeuré. Le public du Cercle ne
supporterait point une étude approfondie, et^lc mener fort loin
dans un examen quelconque s<'rait du reste impossible.
On a reproché jadis ii M. Hodenbach ses gestes à manchettes
el ses phrases en péplum. Péplum et manchettes, cela va mal
ensemble. Quoi qu'il en soit, la diction et l'allure du conférencier
ont acquis une sûreté entière : il est aujourd'hui pa^faitement à
l'aise devant son auditoire cl pour satisfaire ses plus aigrc-dôux
critiques d'anlan, il se résigne à ne pas manquer d'élégance. Il
rencontre des mois spirituels qu'il n'a pas l'air de chercher.
Il se fait applaudir h raconter des détails inédits el à trouver des
comparaisons pimpantes. Sa causerie est vive et lég,ère. C'a été
pour son auditoire une bonne soirée.
j]ORRE^PONDANCE
On nous écrit :
Dans l'intérêt de VArt moderne et pour le parfaire, ne serait-il
pas bon de réserver hebdomadairement une ou deux colonnes
aux meilleurs extraits, en vers et en prose, de nos auteurs con-
temporains?
Cette innovation sourirait surtout aux professeurs, comme à
tout amateur de recueils de littérature française. Ce serait collec-
tionner dans l'écrin de VArt moderne les perles de la' liltéralure
de notre temps.
Recevez, etc.
Houdeng-Goegnies, le 27 janvier 1886.
Nous ne pourrions déférer au désir de notre correspondant sans
modifier le caractère de notre publicalion. Les recueils littéraires
sont nombreux en Belgique et nous n'avons jamais songé à mar-
cher sur leurs plates-bandes. En créant VArt moderne., nous
avons voulu fonder un journal de critique^ et de critique impar-
tiale, désintéressée, absolument indépendante, ce qui nous a
semblé nouveau. Le succès qui a accueilli noire revue est la
meilleuni preuve que notre programme est approuvé. Nous ne-
croyons donc pas devoir y apporter de changements.
MEMEHTQDES EXPOSITIONS ET CONCOURS
Berlin. Exposition du Centenaire des Salons berlinois. Ouverture,
15 mai. Fermeture, 15 octobre. Délais d'envoi, i'*" mars-l^"" avril.
Deux ouvrages seulement par exposant. Renseignements : jusqu'au
i<"' mars,' Académie royale des Beaux- Arts, rue de l'Universilé,
0, I ; après le lc«; mars, Commission de l'Exposition, près la gare
de Lchrte, N.- W.
Bruxelles. III^ Exposition internationale des XX (limitée aux
membres et aux artistes invités). Ouverture, 6 février. Fermeture
7 mars. Renseignements : Secrétaire des XX, rue du Berger, 27,
Bruxelles.
Bruxelles. — Exposition et concours de la Société centrale
d'architecture. — 'Ouverture l«r mai 1880. Section rétrospective,
section contemporaine. Envoi avant le 15 avril. Renseignements :
Secrétaire de la Commission organisatrice, rue Royale Sainte-
Marie, 128, Schaerbeck [Briixelles).
Edimbourg. — Exposition (internationale) de l'industrie, des
sciences et des arts. — Du 4 mai au 30 octoLi-e 1886. — Mobilier
et arts décoratifs, beaux- arts, reproduction d'anciens édifices et de
vieilles rues, etc. — Demandes d'emplacements au Secrétaire de
VExposition, Frederick Street, 18, Edimbourg .
Glasgow. — 258 exposition (internationale) de l'Institut des
Beaux-Arts. — Du 2 février au 30 avril 1886. — Tableaux à l'huile
et aquarelles. — Renseignements : Robert Walker, secrétaire,
Glascow. .
Paris. — 5® exposition de l'Union des femmes peintres et sculp-
teurs. — Du 12 février au 4 mars 18S6. — Envois les 5 et 6 février.
— Renseignements : M"e Léon Bertaux, présidente.
Paris. Salon annuel. Ouverture, i^^ mai. Fermeture, 30 juin.
Délais d'envoi : Peinture, 10-14 mars ; sculpture, gravure en méd.
et sur p. f., 20 mars-5 avril; architecture, go^avure, lithographie,
2-5 avril,
N. B. Z<? maxitnum potir la dimension des cadres sera de SOcen-
tiinètres en largeur et de 2Ô centimètres en épaisseur. Seuls seront
admis les cadres dorés, noirs ou en bois naturel foncé.
Rome, Exposition annuelle des amateurs des Beaux- Arts (limitée
aux artistes italiens et aux étrangers qui résident à Rome), Ouver-
ture, 21 février. Fermeture, 18 avril. Délais d'envoi : ler-9 février.
Renseignements : Secrétaire de la société, palais des Beaux -Arts,
rue Nazionale, Rome.
JSOTE^ DE LIBRAIRIE
Les Propos d'un Bourgeois de Paris, éililé par Paul OllcndorfF,
est un de ces livres rares, où, sous une forme élégante et humo-
ristique, sont traitées les questions les plus intéressantes dé noire
vie journalière. - '
L'auleur, M. Jules Legoux qui, depuis plusieurs années, colla-
bore à un grand nombre de journaux, el qui s'est essayé avec
succès au Ihéâtrej a apporté dans ce nouvel ouvrage son esprit
d'observation sévère et quelquefois paradoxale qui est, il fau
l'avouer, un charmé de plus pour le lecteur.
M. Robert Milchell a écrit un ayant-propos d'une charmante
venue, qui est une spirituelle préface à ce spirituel volume.
-:?
Clairs de Soleil, de M. Noël Blaclic, csl ^un succès. Dans le
cadre ensoleillé du naidi de la France, que l'auteur nous avait
appris à aimer dans le livre : Au Pmjs du Mistral, Noël Blaclie
a su placer des types originaux, gais ou dramatiques, qui ressor-
tent avec une grande vigueur, grâce h son talent plein de verve e^
de sincérité.
Voici le Roman d'un Officier de Fortune, par M. de Beaure-
paire, livre chevaleresque dont les héros sont des types d'hon-
neur; le style est frappé à l'ancienne marque et l'action, très
dramatique, est un reflet de ce moycn-àge auquel les querelles
religieuses et les épisodes de la Ligue ont donné tant d'attrait.
pETITE CHROJMIQUE
C'est samedi prochain, 6 février, à 2 heures, que s'ouvrira, au
Palais des Beaux-Arts, le troisième Salon annuel des XX. Il
comprendra des œuvres de peinture, de sculpture, de gravure,
des dessins et des lithographies, et, d'après les indiscrétions
commises, promet de présenter un grand intérêt artistique.
Le prix d'entrée est fixé à cincj francs le jour de l'ouverture.
Les personnes qui auront reçu une invitation sont priées de
vouloir bien s'en munir : elle sera réclamée au contrôle. L'entrée
est par la porte principale du Palais, rue de la Régence.
Un comité compose de MM. Blanc-Garin, Hennebicq, docteur
Lequime, Lucien Solvay et Van der Stappen, prépare une Expo-
sition des œuvres d'Edouard Agneessens, que la mort a frappé
l'été dernier. L'Exposition est placée sous le patronage de MM. Jean
Rousseau, directeur des Beaux-Arts, et Jean Portaels, le maître
de l'artiste reffrelté. -
Le gouvernement a mis à la disposition du comité deux salles
du Palais des Beaux-Arts. L'Exposition s'ouvrira en mars, après
la clôture du Salon des XX.
C'est vendredi prochain, 5 février, qu'aura lieu, au théâtre des
Galeries, la représentation de bienfaisance donnée par les artistes
de la Comédie française. Le spectacle se composera, outre la
pièce de Théodore de Banville, Socrnte et sa femme., de C Etin-
celle, iouée par M'"^^ Reichemberg et Tholer et par M. Delaunay;
les Espérances, par M'"*^ Tholer et M. Coquelin cadet; V Héritière,
par M"*« Reichemberg et MM. Coquelin. Enfin, dans un inter-
mède, quatre monologues dits par MM. Coquelin aîné, Coquelin
cadet et Delaunay. Le bureau de location est ouvert.
La première de Fridolin, le petit opéra-comique dont, nous
avons annoncé la naissance, a eu lieu mardi, chez l'un des
auteurs. 11 y avait « salle comble », cela va sans dire, et le sym-
pathique auditoire a fait un accueil chaleureux au musicien,
M. Emile Agniez, au parolier, M. Courtier, ainsi qu'aux inter-
prêtes, parmi lesquels la maîtresse de la maison s'est particu-
lièrement distinguée par le naturel et l'aisance de son jeu.
L'oeuvretle, qui est plutôt un vaudeville à couplets qu'un
opéra-comique, est semée de mois spirituels et renferme plu-
sieurs scènes amusantes. Allégée de quelques longueurs, elle
trouverait place sans peine sur un théâtre de genre. La musique
de M. Agniez, pour n'être ni bien originale, ni bien nouvelle, est
gaie, alerte, sautillante, en parfaite harmonie avec le texte.
La Nation nous apprend qu'on va monter au grand théâtre de
Gand un opéra inédit intitulé la Reine des Fées, d'un composi-
teur belge qui se cache derrière le pseudonyme de Paul d'Acosla,
Les répétitions vont commencer bientôt.
On annonce pour demain, au théâtre royal d'Anvers, la pre-
mière représentation de Dianca Capello, opéra inédit en 5 actes.
La musique est de M. Hector Salomon, chef du chanl à l'Opéra,
et le livret de M. Jules Barbier, le librettiste bien connu.
Le théâtre des Nouveautés prépare pour samedi une soirée
attrayante. Le spectacle sera composé d'œ.uvres dues à la plume
d'écrivains belges : Le Saxe (un acte), de Francis Nautet; Jeanne
Bijou (trois actes), de Max Waller; et Décoré! (un acte),
d'Edmond Duesberg.
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40
L'ART MODERNE
TJJiŒUJ:
E
SIXIÈME ANNEE
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L'ART MODSHNEj s'est acquis par rautorité et rindéi)endancc de sa critique, par- la variété do ses
informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune manifestation de l'Art ne
lui est étrani;,^ùre : il' s'occupe de littérature, de peinture, de sculpture, de gravure, de musique,
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouvement artistique belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur tous les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaitre.
I Chaque numéro de Li'ART MODERNE s'ouvre par un.e étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'actualité. Les expositions, les liv7^es nouveaux, les
premières représentations d'œuvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires, les concerts, les
ventes cl objets dart, font tous les dimanches l'objet de cliroitiques détaillées.
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procès les plus intéressants concernant les Arts, plaides devant les tribunaux belges et étrangers. Les
artistes trouvent toutes les semaines dans sf)n Mémento la nomenclature complète des expositions et
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No 2 Pour l'absent. {TomySih^eï\i\o\e) 1.75
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Dimanche 7 Février 1886.
L'ART
MODERNE
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ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite, à forfait.
Adresser les demandes d'abonnement et toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
^OMMAIRE
Les Templiers. Troisième article. — Socraïe et* sa femme, par
Théodore de Banville. — Mors et Vita, par Ch. Gounod. —
L'abonnement au Théâtre de la Monnaie. -^ Documents a
CONSERVER. Lc joumaltsme. — Notes de liurairie. — Mémento
des expositions et CONCOURS. — Petite chronique.
LES TEMPLIERS
Troisième article.
Le souci des détails matériels prend au ithéâtre une
place de plus en plus marquée. Nous sommes loin du
temps où les acteurs des drames shakespeariens don-
naient leurs représentations dans des cours sans toit,
sans décors, sans coulisses. Les rôles de femmes, Des-
demona, Juliette, Ophélie, étaient tenus par des
hommes — sans travestis ; l'habit râpé que le comé-
dien pauvre portait à la ville était censé représenter
le manteau du roi Lear ou la tunique éclatante
d'Othello ; les personnages, assis sur un banc en face
du public, se levaient tour à tour pour jouer leur
scène et, le dialogue terminé, regagnaient simplement
leur place ; pour les changements à vue, transportant
subitement l'action du palais d'Elseneur au milieu des
plaines du Danemark, ou du jardin de Capulet à la
grotte du Frère Laurent, Shakespeare avait trouvé
mieux que toutes les inventions des machinistes :
l'imagination des spectateurs.
Cette simplicité primitive fut longtemps maintenue ;
il y a cent ans, elle était encore à peu près la même.
Aujourd'hui, le gamin qui pour dix sous s'est fau-
filé au paradis, réclame davantage pour son argent.
Il ne transige pas sur l'exactitude historique des cos-
tumes et la .couleur locale. Il tolère, sur les tables des
festins, des poulets en carton et des coupes en bois
doré ; mais il veut des costumes de soie en vraie soie
et, sur les épaules des reines, des rivières de diamants
en vrais diamants. Les décors doivent être signés d'un
nom célèbre.
Des gens, disposés par tempérament à trouver que
tout va de mal en pis, regrettent vivement la bonne sim-
plicité des temps passés. Maintenant, on est distrait de
l'art par des préoccupations mesquines ; le compositeur
et le poète sont supplantés par le tapissier et le costu-
mier. L'émotion ne va plus au drame, accaparée par
les surprises des trucs.
Tel n'est pas notre sentiment; le côté matériel, acces-
soire si l'on veut, mais indispensable des œuvres théâ-
trales nous paraît mériter mieux que le dédain. Un
décor, compris et exécuté comme celui de Théodora,
peut être considéré comme une des grandes forces des-
tinées à 'produire l'effet scénique, comme une œuvre
d'art digne d'être louée ou critiquée à l'égal du livret
de la pièce lui-même. Aussi, rien de ce qui contribue à
placer l'action dans son cadre, à l'éclairer, à l'expli-
quer, décors, costumes, accessoires, ne doit être livré
au hasard ni à la fantaisie. Le gamin du paradis n'a
pas tout à fait tort : le bon goût ne suffit pas; l'exacti-
tude historique, la précision du style, que les manuels
et les livres à gravures ont du reste mis à la portée de
tous, s'imposent aux rc'^gisseurs de théâtre et aux
artistes cliargés do faire apparaître, sur quelques
toiles brossées à la vapeur, les silhouettes des villes
anciennes, Tintérieur des palais détruits dans lesquels
le poète fait revivre\ses héros.
Ces idées sont comprises et intelligemment appli-
quées par la direction du théâtre de la Monnaie. Les
décors montés pour les Templiers, lentente de la mise
en scène, la richesse deé costumes marquent un effort
sincère et non stérile et donnent aux yeux de l'amateur
instruit une véritable récréation ; pour, le spectateur
peu familiarisé avec les choses anciennes, ils consti-
tuent ce que le vocabulaire pédantesque des institu-
teurs appelle un enseignement intuitif.
Après avoir donné ce satisfecit, nous qualifiera-t-on
de critiques grincheux, nous accusera-t-on de nous
attacher à des minuties si nous signalons des imperfec-
tions de détail, des à peu près défectueux mettant trop
fréquemment leurs tons faux dans l'harmonie de
l'ensemble, d'impardonnables bévues choquant les yeux
les plus indulgents? Certes, l'architecture peut pren-
dre, au théâtre, quelques licences : on ne doit point
l'examiner avec les lunettes d'un président de société
archéologique de province. Mais l'éclectisme, le goût
du bibelot, la mode ont trop répandu la connaissance
de l'art ancien, pour que les plus ignorants ne soient
pas stupéfaits de voir, au second tableau des Tem-
2oliers, la princesse Isabelle s'accouder au balcon d'un
pavillon en style du xv® siècle; au quatrième tableau,
la cour de France réunie devant la façade d'un palais
d'architecture flamboyante. Et quel style, quelle archi-
tecture! Du gothique de pendule, comme on le com-
prenait en 1825; des clochetons, des pinacles, des
trètles assemblés au hasard ; un moyen-âge de paco-
tille, de contrebande, de AValter Scott. Les maisons
qui entourent la place publique, au dernier tableau,
sont importées de Nuremberg ; certaines d'entre elles
montrent des arcs Tudor, des fenêtres à croisillons de
pierre, des détails qui datent de la transition entre
l'époque ogivale et la Renaissance ; d'autres ont le toit
percé de fenêtres à lancettes qui ne. tiennent à rien et
s'élancent en pleine fantaisie. Cela représente Paris, à
la fin du xiii'^ siècle.
A cùté de ces anachronismes progressistes, il y a des
anachronismes qui rétrogradent. L'intérieur.du Temple,
du Temple construit presqu'au moment de^^l'apogée de
l'art gothique, est en style roman. Les voûtes en plein
cintre, les piliers massifs et trapus, les dais surmontant
les statues sont du xii® siècle. Côte à côte, on a juxta-
posé des morceaux de style ogival, des fenêtres à
meneaux* flamboyants découpées dans des vignettes
romantiques. Cela fait compensation.
Rien n'échappe à la convention et à- la fantaisie : une
couleur indécise, mélange de terre, de poussière et de
chocolat, sert à indiquer la pierre blanche, le granit,
le bois dp chêne, les statues, le carrelage, les planchers;
tout est enduit de la même sauce.
Quelques parties sont plus satisfaisantes : la chambre
de travail du roi, décorée de fresques d'un, archaïsme
hardi; l'appartement d'Isabelle, tendu de tapisseries
d'un bon dessin et meublé avec assez de goût; la
chaire à baldaquin, le coffre polychrome, le triptyque
aux sujets religieux, les petits anges volant sur la
tapisserie, et qu'un artiste du xiii® siècle eût certaine-
ment détachés en couleurs plus vives, ont suffisamment
r " air moyen-âge «. Les lambris exagérés, la grande
poi^e du fond au cintre surbaissé sont plus discutables.
Un mot des costumes. En général, ils sont bien des-
sinés, riches, harmonieux de couleurs, mais ils ne
sont pas du temps. Les modes si caractéristiques du
XIV® siècle, les vêtements mi-partis, les souliers à pou-
laines, les houppelandes étriquées, les braies collantes,
les manteaux taillés en barbes d'écrevisses,tous ces cos-
tumes excentriques qui faisaient ressembler les person-
nages du temps dlsabeau de Bavière à des diablotins
facétieux, si étroits que, selon une chronique contempo-
raine, il «^ fallait aide à eux vestir et au despoillier «,
n'ont pris cours que vers 1350, sous les Valois, c'est-à-
dire près d'un demi-siècle après la condamnation des
Templiers. Jusque-là, le costume ample du xiii® siècle,
la cotte à longs plis flottants règne sans rivale, surtout
à la cour des rois de France. Nous n'insisterons pas sur
la toilette d'Isabelle,. au deuxième tableau, si excessive-
ment moderne, ni sur celle de la suivante dont les man-
ches à crevés sont en avance de deux siècles. Mais que
dire des bachelettes qu'on voit, au second tableau,
passer la Seine en une barque, de leurs coiffures fantas-
tiques, de ces hennins dont l'apparition ne date que
du deuxième quart du xv" siècle ? Assistons-nous à un
carnaval historique?
Ces quelques critiques sommaires sont bien loin
d'épuiser tout ce que l'on pourrait dire sur la mise en
scène des Templiers. Mais elles suffiront, croyons-
nous, à indiquer d'une façon générale, les côtés faibles :
l'incorrection, le manque de précision, la négligence
des détails, l'abus des poncifs, le laisser-aller du der-
nier coup de main.
SOCRATE ET SA FEMME
par Théodore de Banville.
A lire les journaux on est pousse à décider que, le 2 décembre
188."), le tout Paris, cette soi-disant suprême circonvolution du
cerceau du monde, s'est douté pour la première fois, qu'il exis-
tât un auteur dramatique du nom de M. Théodore de Banville, dont
le talent n'était pas précisément celui du premier d'Enner^' qui
passe. On lui a fait fêle et les critiques de théâtre, qui souvent
^ LART MODERNE
43
ne sont que tics monlrcurs d'ours, onl désii^né celte fois une vraie
pièce cl consigné plus qu'un succès.
Cela ulonne.
Car ce M. Théodore de Hanviilc n'a-t-il point rimé les Odes
funambules elles Occidentales'! u^-i-W point évoqué les Exilés :
Dante, Hugo, les Dieux, dans une j)oésie de pouri)i'e et de soleil?
Alors esl-il possible d'adnnellre que ce grandissime tout Paris
l'adopte, lui (jui met dans une^ niche d'admiration et dans un
ossuaire de vénération, Augier et Dumas, Delavignc et Scribe?
Théodore de Banville était dc|)uis longtemps un admirable
écrivain dramaticpie. Dès sa pnMuière pièce Florise, on aurait
dû battre des mains. Zc5 Fourberies de Nérine sont charmantes,
le Beau Leandre est exquis, Deidamia est peut-être la seule
su[)erl)e iragédie moderne. Et qui parlera assez louangeusement
de Gringoirc?
De toutes ces pièces on n'a eu cure. A peine de la dernière.
Elles étaient prisées comme jeux innocents et fanfreluches
qui volent. Florise ne fut point jugée digne d'être représentée.
Certes, U^jeune poète de G5 ans qui l'ime Riquet à la Houppe
cl Nous Tous ne s'en est jamais énm. Depuis les temps lointains
Socrale el sa femme dormaient dans un tiroir, quelque part, à la
Comédie française, sans que l'auteur fût allé les réveiller. Il
était trancpiille el pensait à qiKîlqu'autre rêve. Il fallut que M. Cla-
retie vint et eut pour Socrate et sa femme d'autres entrailles que
M. Perrin.
Et voici que ce coui) de pitié réussit et r(ue le parterre aussi
bien ({ue les loges comprennent el qu(^ les journaux s'emballent
cl que le succès est tel qu'il est possible que Théodore de
Banville en ait honte. Il se dit peut-être (pie ceux qui n'ont pas
applaudi comme des chefs-d'œuvre Deidamia el Leandre, ne
\n'henl,Sucrale et sa femme que pour quelques mots de cir-
constance el i)our la tirade sur les arts el la patrie. Aurait-il
ton?
Le tout Paris qu'Alexandre Dumas fds décrivit un jour est si
peu artislc dans le sens pur du mol, que rien n'en doit srur-
prcndrc. C'est le public de Theodora, de Denise el du Roman
parisien, public intelligent mais (jui pousse néanmoins la
distraction au point d'accueillir le Maître de Forges, public
qui chicane Oeorgelte non point parce que la pièce est mauvaise,
mais uniquement parce que M. Sardou ne coQclut pas, public de
cour d'assises et de prêche, de tribune et de synagogue peut-être,
mais de vrai, sain, lyrique et littéraire théâtre, pas.
A croire M. Dumas fds, le tout Paris juge avec une subtilité et
une sûreté infaillibles; c'est une sorte de franc-maçonnerie, une
société. d'initiés que rien ne trompe et qui décide en remuant le
petit doigt si telle pièce brillera plus tard sur les hauteurs esthé-
tiques comme un phare où sera la petite flamme flagellée de vent
et bientôt élcinle « dans la nuit des temps ».
11 serait piquant, mais long, de compter combien de fois le
petit doigt a remué bêlement.
Socrate et sa femme prennent beau rang dans l'œuvre de
Théodore de Banville. Le premier? Pas le moins du monde.
En voici le sujet :
Socrate enseigne à Athènes entouré de disciples. « Il n'a que
la femme qu'il a », Xantippe, une acariâtre bougonneuse, qui,
cinq fois le jour, se fùche el sort de sa peau, espérant que le bon
Socrate, lassé, poussé îi bout, finira par se livrera la même opé-
ration indécente et douloureuse. Peine inutile. Socrate reste
calme, désespérément. ,
Or, un jour, rentre chez le philosophe l'indignée Myrrhine qui
lui reproche de débaucher inlellectuelh^ment son époux Draces,
un de ses élèves. Cette fois Xantipi)e croit tenir son moyi^n.'Mais
ce n'est pas iMyrrhine qui fâche Socrale, c'est Socrale (pii calme
Myrrhini? et la conquiert à ses doctrines. Xantippe, furieusi*, se
tourne contre eux deux, tempête, vacarme et lond)e, étoufleé de
colère. Le bon Socrate est 'tout naïvement émolionné. Il s'em-
presse, pleure, regrette Xantippe, la croit morte. Mais Myrrhine
le rassure, « elle est femme, elle connaît cela ». Socrale, néan-
moins, se prodigue en pleurs, il loue sa femme de sa rudesse
même, il la supi)lie de revenir h la vie, il « l'aimait ». Ce mol
•réveille Xantippe. C'est une réconciliation entière et bien qu'une
giflle — dernière épreuve — vienne traverser encore le dénoue-
ment, le rideau tombe sur le repentir de Xantippe et ces paroles
de son mari :
Adorons-la pourtant (la femme) i)uisque les Dieux
L'ont faite... Et c'est encore ce qu'ils ont fait de mieux.
Ce qui originalise.le théâtre de Théodore de Banville, c'est, en
premier lieu, la poésie. Aucun des dramaturges modei'nes n'est
poète. Non pas à cause de la prose qu'ils emploient au lieu du
vers, mais à cause du sens poétique dont ils sont diminués, tous.
Les grands classi(|ues étaient i)oèles : Corneille, Racine ; les
grands romantiques : Hugo el Dumas l'élaienl aussi. Depuis
M. Scribe, les faiseurs d'actes se mo(iuenl de la muse comme
dune maîtresse chaude. Banville est une exception. Sa phrase,
sa concei^tion, sa j)enséc sont lyricpics. On y sont une envolée, un
rythme d'aile. Ses pièces demeurent illuminées, tandis que toutes
celles qu'on nous f/m^«;;c actuellement apparaissent circonstan-
cielles, faites en épilogue de tels procès, inventées comme
plaidoyers pour tels scandales. La littérature devient un com-
mentaire léger de la vie du boulevard parisien; elle ouvre bouti-
que et les célébrités de l'heure y passent el se font photographier
par séries de cent représentations.
L'étude de riiumanité, telle que l'entend encore M. Henry
Becque, n'es.l plus de mise. L'excentricité d'un^î Princesse de
Bagdad et la bizarrerie d'une Fédora s'imposent. A moins qu'on
ne préfère travailler pour telle actrice ou tel acleur en renom, ce
qui simplifie Tétude et augmente les bénéfices.
Ah! combien est autrement vrai et solide tout en restant lyrique,
le théâtre de Théodore de Banville! Ici régnent la vraie devina-
lion de la vie à travers; le grand bon sens ironique. Socrate?,
Xantippe? ils furent tels qu'on nous les montre; l'un, le sage
imperturbable, l'autre, la mégère incoercihle ; ils onl en eux un
fond d'humanité éternel et quoique d'Athènes, ils sont de Paris
cl de partout.
^Au surplus, à l'encontre de tous ses confrères, ce n'est pas
le mauvais, le vicieux, le pervers, ce n'est point le côté noir et
sinistre de l'homme que Théodore de Banville met on lumièro;
c'est de préférence les vertus et plus encore les dons qu'il
célèbre. H aime tout ce qui est bellement hardi, superbement
\ierge, hèrement tragique, comme aussi tout ce qui est ingénu,
naïf, bon. Et le voici dressant dans la lumière Achille, Diane,
Gringoire, Socrale.
Celte faculté découle d'ailleurs de sa poésie elle-même qui a
des soifs de pureté et de grâce, qui le force à voir l'homme en
beau, qui le détourne du pessimisme, qui lui fait belle la mort
même.
Théodore de Banville a cet art suprême de rajeunir la vcrlu.
>
en yim^ant jo ne sais ([uoi il'nntiqiïfi cl de primilif. Il lui donne
du sanij; nouveau, du sang (1(; rose el d'aurore; il l'iiabillo d'une
ckair nouvelle, de la pulpe des lys el de la splendeur des nacres
cl des ivoires. ,
l'eul-êlrfc les éerivains de demain s'apercevronl-ils que c'esl
lui le vrai maître ([il'il taul suivre et non pas les Uumas el les
Sardou, dont Tari, qui a lire toutes les lieelles, (jui a diibiié tous
les paradoxes, qui a redoré tontes les vieilles bibeiotterics, qui a
crevé toutes les j)âles vessies, mérite bien qu'on enregistre son
décès entre un procès d'adultère el une naissance d'entant nalu-
rel. Il a toujours tenu eutrc ce double fail-divers.
Au surplus, c'est Tbéodore de Banville el non. Dumas cl non
Sardou, (\m continue la tradition et l'esprit du i^rand Will.
Shakespeare a ouvert la voie moderne du drame cl il faut sortir
de lui ou n'être pas.
MORS ET VITA
Irilofiie sacrée, j)ar M. Cn. Gounod. •
M. Gounod est de ces vieux comédiens enracinés aux planches
(jue la seule politesse empêche de reconduire avec des silllels.
De Faust à Ronico, le compositeur épancha toute la sève
musicale qui circulait en lui, sève mondaine et parfumée, s'ex-
halanl en accords caressants et suaves, à Heur de peau, harmo-
nieuscmont distinguée et pianissimemenl tendre.
A partir de Romco^ décadence complète, el il est temps que
l'auteur ferme à clef la petite armoire de sacristie où sont entas-
sées ses guirhindes de gloire en papier rose cl ses couronnes de
mois de Marie.
Mais à côté, ou [)Iutôt au dessus du compositeur dramatique
qui, certes, a son apparence d'originalité, élargisseur de l'opéra-
comi(iue et fondateur d'un minuscule théâtre lyrique, il y a le
compositeur sacré, le doux pasteur d'un pieux troupeau de
fidèles
Qui vont broutant les cœurs et bêlant aux délires,
Tapôtre de cette religiosité mondaine, pénitence du second
empire ruiné, toute en . —
Sauvez la France au nom du Sacré-Cœur.
L'habitude est prise de considérer les sujets religieux sous un
aspect purement pittoresque : le musicien, le peintre n'ont pas
même un instant la pensée de voir quelle est la réalité qu'ils vont
saisir. Pas le moins du monde : ils ont des couleurs, des har-
monies à leur disposition, des tierces, des quintes, du bleu, du
rouge.
Que leur importent les sujets religieux?
Si l'on proposait h un peintre, à un musicien religieux, s'il en
existe, de nous faire Saint-Julien l'Hospitalier
Il s'en alla mendiant sa vie par le monde, t
qui pourrait répondre?
Dénomination religieuse de l'œuvre, une réclame bruyante el
longuement préparée, des solistes aimés du public, des masses
chorales et instrumentales bien exercées, l'auteur dirigeant en
personne l'exécution de son œuvre, tout cela n'a point emporté
le succès de Mors et Fita, le pendant de Rédemption^ la trilogie
exécutée dans les mêmes conditions el avec aussi peu de succès
cn 1883 à Bruxelles.
Celle fois, c'esl la liu, et remisons notre bâton de chef d'or-
chestre, M. (lounod! Kvil/)ns ce ridicule d'être le vieux beau de
la musi(pn^, ne jjorlons |)as surr.otre miroitante calvitie une pcr-
riKiue en doubles croches, poim de cosmétiipu; u a la capella! »
In manque d'harmonie absolu entre le texte- et la musiciue,
une étrange ignorance de l'orchestration, l'abus monotone de
rylhures identiques, tels sont les aveuglants défauts de Mors cL
Viia, celte œuvre mort-née.
Au texte latin, parfois rigide comme sur du marbre les sen-
tences préceptorales, une musique appliquée de doux pij)eaux au
soir tombant (C embrassez qui vous voudrez»; les instruments
détournés de leur sens music;d (un emploi obstiné de grosse
caisse et de cymbales); un risible trémolo des cordes sur le thème
Dies irae; des chocs de gong comme à l'entrée en niagasins de
chinoiseries; la répétition de la sempiternelle mesure h quatre
temi)s....
. . . ' î
Ni la partition, ni le poème ne méritent uniî analyse appro-
fondie ; à part quehiues bouts de phrase où réapparaît le (iounod
baise-mains de jadis, tout est unilonalemenl terne el gris el con-
firme que, pas plus dans iT/t^r^ et Viia que dans Rédemption^ il
n'a réussi à réaliser cet idéal de naïve diaplianéilé religieuse qui
tente, comme elle ennoblit les primitifs, rascendanle génération
poétique et musicienne. Car l'art de demain, tout entier contenu
en Parsifal, le vrai poème musical de la religion, c'esl la can-
deur d'être saint et pur et celte foi aussi dans» la sérénité de la
compassion.
L'ABONNEMENT AU THEATRE DE LA MONNAIE
Nous rappelions dernièrement que l'abonnement au théâtre de
la Monnaie représente h peu près un neuvième des recetlcs
totales, soit 110,000 francs sur 950,000 en moyenne.
Elant donnée l'influence énorme de cette fraction restreinte
du public sur le sort, non pas des recettes, qui sont soumises à
une évolution presque fatale, mais sur la troupe el les embarras
que les remaniements de celle-ci causent à Ka direction, à la marche
du répertpire et surtout à la production des nouveautés, il n'est pas
Irrutite^ d'insister sur cette matière.
A la production des nouveautés, disons-nous. Oui, et c'est là
le point dominant. Un oxcm^^lc : les Templiers n'ont pu être
représentés que le 25 janvier, parce que le renvoi du ténor
DereimS, brusquement congédié après une représentation disculée,
malgré son mérite actuellement encore brillamment consacré à
Marseille, malgré ses succès des premiers jours ici, a empêché
de commencer les répétitions au moment espéré et les a retar-
dées jusqu'à l'arrivée de M. Engel, six semaines après. De là
retard forcé dans toutes les autres créations ou reprises impor-
tantes.
C'esl un groupe d'abonnés qui a fait le coup, moins parce que
le ténor avait eu un moment de défaillance que parce qu'on
espérait culbuter la direction.
Or voici, d'après le tarif inscrit à l'art. 48 du cahier des charges
de la Ville, à quelles conditions de bon marché invraisemblable,
on peut s'enrôler dans ce groupe despotique, solidement établi
au théâtre, occupant une partie connue de la salle. Remarquons
que tous les abonnés ne font point partie de ces Romains à
rebours. Une moitié est indifférente (toujours), un quart est favo-
rable à latlirociion (toujours), le dernier quart seul forme l'oppo-
'ar an.
Par mois.
Par soirée.
Le non abonn
paio.
500
i'v. 70
(V. 3-80
fr.
7
480
GO
3-30
^ .
480
GO
3-30
7
'520
65
3-60
7
440
55
3-00
7
400
50
2-70
6
320
40
2-20
5
silion (loujoiirs), de icUo .sorle ((ue le sort des arlisles est allacli<;
à Topinion (le, c^ens qui fout cnlrei' dans la cais,S(! du ihéâli'e le
quart de 1 10,000 francs, ou 25,000 francs en chillVes ronds tous
les ans ! La irenlièine prfl-lie de l'actif!!
Ceci dit, voici le barème pour les places [)rincipales et pour
cent quarante-quatre re|)résentalions composant la saison entière
de rabonncment, soit di.\-huit pour chacun tics huit mois.
Il"'' loge de face . . fr.
i^<i log-e de côté . . .
Fauteuil d'orchestre .
Baig-noire de côté .
Baignoire de face .
Balcon
Parquet ... .
Les abonnés ayant toujours leurs places retenues à l'avance,
c'est avec les places prises en location par les personnes non
abonnées que la comparaison doit s'établir.
Notons entre autres celte chose stupéfiante : pour 50 francs par
mois on est abonné au balcon, pour 40 francs au panjuct. Le
brillant et dédaigneux abonné au balcon, cravaté de blanc et on
queue de morue, ne paie pas \)\us que le petit employé qui relient
son parterre, que la bourgeoise modeste qui retient une troisième
loge. L'abonné au par(|uet paie moins; à vingt centimes près, le
spectateur de l'amphithéâtre de troisième paie autant que lui !
Lecteur, si vous rencontrez dans les couloirs un quidam mau-
gréant tout haut contre la direction, mettant la main à la bouche
des calorifères pour savoir s'ils chauffent, trouvant mauvais tout
y compris les ouvreuses, soyez persuadé que c'est un de ces heu-
reux mortels qui ont payé leur place fr. 2-70. Vraiment pour leur
argent ils en ont. toujours trop.
Ajoutons cette clause spéciale consacrée à Bruxelles par
l'usage : ,
Abonnement en partage. — « Une majoration d'un tiers sur le
prix de l'abonnement donne au titulaire d'une loge de quatre ou
six places la faculté de partager son abonnement avec quatre ou
six autres personnes déterminées. »
Et cette autre :
« MM. les abonnes ont le droit de retenir leurs places pendant
toute la journée (pii suit l'apposition des affiches annonçant les
spectacles abonnement suspendu. »
Moyennant quoi ce groupe de privilégiés a le droit de faire
échec à tout ce qui lui plaît et de ren'dre ses ukases, selon ses
camaraderies et ses caprices. Il a fallu, l'an dernier, que durant
les dix-huit rcprésenlations des Maîtres -Chanteur s quelques
amateurs se constituassent en quelque sorte abonnés (Vo/Jice, ne
manquant aucune des soirées, pour empêcher que cette phalange
macédonienne ou plutôt béotienne ne mît pas en capilotade le
chef-d'œuvre de Wagner qu'elle avait proclamé commun et
insupportable.
ÇoCUMENTp A CON^JERVZF^"
LE JOURNALISME ()
A Monsieur Léon Qui(ïbœu[.
30 septemhrc 1871.
Monsieur, ' ^
Je suis doublement satisfait d'apprendre qu'un journal catho-
lique et monarchique \a paraître au Mans, et que la rédaction
vous en est confiée. Mes sentiments sur la presse vous sont con-
nus. Je l'ai i)ratiquée toute ma vie et je ne l'aime pas; je pourrais
dire que je la hais : mais elle appartient ii l'ordre redoutable des
maux nécessaires. Les journaux sont devenus un tel péril, qu'il
est nécessaire d'en créer beaucoup. La presse ne peut être com-
battue que par elle-même, et neutralisée que par sa multitude.
Ajoutons des torrents aux torrents et qu'ils se noient les uns les
autres en ne formant plus qu'un marais ou, si l'on veut, une mer.
Le marais a ses lagunes et la mer ses moments de sommeil. Nous
verrons si là dedans il sera possible de bâtir quelque Venise.
Je vous vois avec plaisir prendre une carrière où depuis long-
temps je vous crois appelé. L'expérience du métier vous manque,
mais ce n'est rien : vous ave/, l'élude, .vous avez les principes, cl
surtout la grande expérience de la vie. Rousseau prétend qu'il ne
faut pas commencer d'écrire avant d'avoir quarante ans. Il aurait
raison, s'il s'agissait des journalistes, j'entends de ceux qui diri-
gent. Nulle fonction ne requiert davantage la maturité; mais il
faut en même temps conserver la spontanéité et l'ardeur. La soli-
dité des principes vous donnera cette promptitude mûre; le feu
vivant de la foi entretiendra en vous cette ardeur généreuse, plus
constante que l'élan de la jeunesse,
Vous connaissez le devoir du journalisle parce que vous avez
réfléchi sur celui du chrétien. Le journaliste est un citoyen arriié
pour la cause publique ; son péril est de ne guère relever que de
lui-même ; mais, s'il sait remplir ses obligations envers Dieu et
envers la patrie, ce péril devient sOn avantage cl sa force II me
semble que le journaliste catholique est le dernier reste de la
chevalerie. Il ne quitte pas les armes; il va devant lui proclamant
sa foi et portant secours. 11 se propose de ne point commettre
d'injustice et de n'en point souffrir, si ce n'est contre lui-même.
S'il en commet, il les répare, s'il en voit faire, à ses risques et
périls il combat pour en procurer la réparation. Saint Grégoii'e VII
citait souvent ce verset de Jérémic : « Maudit soit l'homme qui
retient son glaive pour ne pas verser le sang ! car le respect de la
justice, qui est la loi de Dieu, doit passer avant la déférence qui
peut être due à l'homme. »
C'est un métier laborieux. Il y faut du cœur et encore du cceur.
Noire temps n'aime pas la vérité, vous le savez de reste; et dans
le petit nombre de ceux qui aiment la vérité, plusieurs, pour ne
pas dire beaucouj), n'ainient point ceux qui se mettent en avant
pour la défendre. On les trouve indiscrets, importuns, inoppor-
tuns. 0[i ne leur pardonne pas volontiers leurs défauts; on leur'
sait plus volontiers mauvais gré de ne pas mettre tout le monde
d'accord cl de ne pas se mettre d'accord avec tout le monde. J'ai
(*) Nous pubUerons prochainement sur le même sujet une lettre curieuse de
Jules Vallès. Par ces temps de reportage anaioliique, il n'est pas inutile de
rafraîchir quelques principes.
enloiitlii sniivoiit iin|)iit('r ('(MiuM'ail ;i un joiii'ii:»lisU> de vnii'ocon-
iiaissniicc. Je l";ii «'uU^ndii aussi iuipulcr au P;i|h\ et il va loul a
l'heure (lix-iuMif ceiils ans (jik' le Piipe renleiid iiiipuler au Fils
uni(iiie ile>l)ieu. Il f;+iil en jn-emlre son parli, même loi-siiu'on
(>sl l)oaucoiip moins innoeenl <juo le Pape. \/,\ souOVaiice (jui
résulli^ (le e(^s peiil(>s ini(pii;r's, u'empêehe pas de marcher el
cnlin elle chnienl nulle. (Vol lt> cas de dire : Douleur lu n'es
([u'un nom. - -
Quant à d'aulres adversaires (pie Ton rencontre en ahondanco,
el (]ui sont en nu*'me leniiis les advorsnin^s el Les ennemis de
toute V('ril(' relii^ieuse, morale et politiciue, il faudrait se i)laindro
de ne pas l(>s i(>iU'ontrer, puisqu'on les cherche. On s'est mis en
armes justemenl pouj' les comhaltre. Le mérite du soldat qui
i;arde un l'on n"esl pas de consommer ses |)i'Ovisions dans la-
eas(Muale, mais de ])araitre sur h* rempart et de l'aire des sorties.
Faites donc des sorlics. laites-eu toujours. Sous rélendard (]ue
vous j)orle/. on en revient toujours avec honninir el l'on ramC'ne
des prisoimi(>is. Dans ces sortes de b<ilaillt^.s, les ennemis (]ui
croient avoir des armes (M (pii vinilenl loyalement combattre se
lonl prendiv. Cau\ qui n'ont (pie des ai)j)(''tits et des passions,
n'ont aussi p^ur aruus (jue des injures; ils s'(''cliapp(ml, mais ils
ne hli'ssenl point. Au temps où nous sommes, il n'y a plus de
distanc,> ni de Paris h Pc'kin, ni du bouge etdu bagne aux grands
emplois, ni de la fausse clef au colVre-fort, ni du poignard au
canir; mais la dislance est encore infranchissable entre la renom-
m('e de riionnète homme et la plume du gredin. On dort fort
tranquille sous les plus fortes averses d'encre empoisonn('e. Elle
ne lue pas et ne noircit i>as. La j>robit(3 a ({ueUiue chose en elle
f{ui dissout ce venin. ■
.Marchez (Fun pas fi^rme dans votre bonne voie, a travers les
(^onlradiclions. Vous-y trouvi-rez le conlenlemenl de ceux (jui tra-
vaillent jiour la justice el (jui ont la cerlilude du rassasiement
fulur. Dieu ne i)erd pas de vue l'avenir. Quand les fortes mains
du monde ne s'occupent ({u'à des destructions ineptes quoique
nécessaires, sa miséricorde fait mouvoir quanlitc' de petites
mains inconnues et presque invisibles, (jui pn-parent de glo-
rieuses reconstructions. Quel (jue soit sui" eux le jugement du
monde, heureux les ouvriers qui li'aui'ont pas un jour à maudire
leurs travaux,
Louis Velii.lot.
]S^CT£3 DE LIBRAIRIE
LEdcn dit ]n>ctt\ par Henri de Classant. Paris, >lerlens. : —
L'Eden du pnUe ?... Non, on y rythmerait mieux, on y verrait
moins de vulu,irités cl de banalités éi^renées au bord des che-
juins. Le titiv du 'ivre est une raillerie.
Le ji 'l'te en ce.s lieu.r. rythmei-a de beaux vers.
Coimncnt dire' ]dus opéra-eomiquemeut les choses « En ces
lini.r! El cela, dès le premier sonnet; et cela, sous forme de sen-
t'uce (^ pour (pic nul n'en ignore ».
Si -M. Henri de Classant veut nous jtasser notre franchise nous
lui conseillerons de condamner lui-même EEden du poêle et de
ne relire ce livriculet que s'il veut savoir comment il ne doit pas
faire h s vers. Peut-être, grâce à cet antidote nous apporlera-
t-il de la bonne jioésie, Fan prochain.
"^
Voici un litre qui, ;i premii'Mv viu', peut paraître ])ien particulier
et bien spéciii^l : llisloire de la coi/j'nre des feiuines eu Franee,
par (iabrielhî d'Eze el (L Marcel. C(!l ouvrage, illustn; de "ii'i gra-
vures par J. Hocaull est au contraire d'une lecture lr(''scaplivanle.
Ce n'c^st pas comme on pourrait croire tout d'abord une étude
sc'che cl didacli(iue de la coilbire des fennnes, mais bien une
histoire bon(l('e d'anecdoU's sur la mode en général, avec force
récils el épisodes cpii en l'ont b la fois un document hislori(|ue de
choix el un livre d'agrément. (Paul OllcndorlT, éditeur.)
Vient de paraître à la même librairie un volume de C. Cassot,
sous ce tilie : llonovcc. C'est une élude de femme, extrêmement
fouill(''e, livs audacieuse, traitée avec une grande force d'obser-
vation. .
■'.■*.
Encore un ' roman de M. Henri Danay : Les Deux Amours
de Uene. Lue étude moderne dans la(pu^]le Fautt^fr n a pas reculé
devant des constatations cruelles. Tout est vibrant dans ce livre
qui met en scène les passions les plus violentes dans une intrigue
simple el dramati(iue.
MEMENTO DES EXPOSITIONS ET CONCOURS
Bkri.ix. Exposition du Conlenairo des Salons berlinois, Oiivortui-o,
15 mai. Feruiolure, 15 octobre. F)i''lais d'envoi, l'i" inar.s-l<"" avril.
Deux ouvrages seulenieid j)ar exp(isaMl. Renscignemeids : jusqu'au
IÇ'' mai-s, AcddrDiie voycde des Beaux- Arts, i'ue.de l'Vniversité,
0. 1; après le 1'"' mars, Coi}imissi<))i de rE.rposîtio)i, près la gare
de Lehrte, .V. IT.
Buuxf:i,les. III*' Exposition internationale des XX (liniilce aux
meml)res et aux artistes invités). Ouverture, 0 lévrier. Formolure
7 mars. Renseignements : Seeré taire des XX, rue du Ikrger, 27,
Briurelles. .' ;
Bruxelles. — Exposition el concours de la Société centrale
d'architecture. — Ouverture 1<"' mai 188G. Section rétrospective,
section contemporaine. Envoi avant le 15 avril. Renseignements :
Secrétah'e de la Conunissioa organisatrice, rue Royale Sainte-
Marie, 128, Schaerheek [Bruxelles).
Edimbourg. — Exposition (internationale) de l'industrie, des
sciences et des arts, -r- Du 4 mai au 30 octobre 188G. — Mobilier
et arts décoratifs, beaux- arts, reproductiou d'anciens édifices et de
vieilles rues, etc. — Demandes d'emplacements au Secrétaire de
l'Exposition, Frederick Street, 18, Edimbourg .
Glasgow. — 25^ exposition (internationale^ de l'Institut des
Beaux-Arts. — Du 2 février au 30 avril 1886. — Tableaux à l'huile
et aquarelles. — Renseignements : Robert Walker, secrétaire,
Glascotc. 1
Paris. — 5® exposition de FUinu.n des femmes peintres et sculp-
teurs, — Du 12 février au 4 mars 1886. — Envois les 5 et 6 février,
— 'Ren&Q\g\\eme\\\.i : M^^ Léon Ber taux, présidente.
Paris. Salon annuel. Ouvertui-e, l*"" mai. Fermeture, 30 juin.
Délais d'envoi : Peinture,. 10-14 mars ; sculpture, gravure en méd.
et sur p. f., 20 rnars-5 avril; architecture, gravure, lithographie ^
2-5 avril.
X. B. Le maximum i^ur la dimension des cadres sera de ^0 cen-
timètres en largeur et de 20 centimètres en épaisseur. Seuls seront
admis les cadres dorés, noirs ou en bois naturel foncé.
Rome. Exposition annuelle des amateurs des Beaux -Arts (limitée
aux artistes italiens et aux élrangei's qui résident à Rome). Ouver-
vT
i
turc, 21 février. Fermeture, iS avi-il. Dt'l.'n.s (renvoi : 1''' -9 février.
Rciiseif^'nonieiits : SccrrUdvc de la société, palais des Beaux- Arts,
rue N((zion(d<', Rome.
^ETITE CHROJMIQUE
Exjwsiiioa des XX. — Pour s;il.isfiiiro a de nombroiiscs
demandes, (les cai'lcs pei'manfîuti.'S, au prix de 10 francs, sont
mises en vente au Salon des .YA'. 'C<'s cartes donneront accès à
toutes les conférences artisti(jues organisées par les .Y.Y. Elles
sont stricteinenl |)ersonnelles.
La prernièn^ conférenc(î est fix(;e au samedi 43 février, à
3 heures. Klle sera faite par M"" Jenny TrrKNATU), do la Comédie
française. Le sujet choisi par l'aimable conf(''rencière ne peut
manquer d'allirer un nombreux auditoire. Il porte pour titn; :
Les femmes peintes par elles-mêmes. Les Comédiennes peintres.
M. Yerdhurt compte termin(M- la cami)agne théâtrale par une
reprise (le Lohengriii, dont le succès ne peut être douteux. Des
journaux ont donné la distribution diis rùh.'s. Ces renseij^niemen ts
sont pnhnalurés rien n'étant encore définitivement arrêté à cet
égard. Seuls les rôles d'honnncs sont arrêtés. M. Ent^el chantera
Loliengrin ; !\I. lîerardi, Frédéric de Tclramund ; M. iUjbulhî, le
roi Henii; M. Renard, le héros.
On le voit, les rôles accessoires mêmes seront tenus |)ar des
artistes do valeur. Quant à Eisa, il est question de M"'" Wolf ou
de M"''' Thuriniiçier. M""' xMontalba ser.dl, en ce cas, chargée du
rôle d'Ortrude, qui conviendrait admirabliMnenl à son tempéra-
blement dramatique.
La Basoche aHîrmc sa prospérité par une rédaction de plus en
plus audacieuse et jeune. Le format en est augmenté, l'impres-
sion renouvelée et la typographie parfaite. Elle n'entre que dans
sa deuxième année, et déjà elle s'est fait sa place et choisi son
ih'a[)enu: Tiuuge Belgique pdiTuil-'û.
Les Hamburger Nachrirliten, le plus important journal de
Hambourg, contiennent, dans leur numéro du 13 janvier, un
feuilleton artistique consacré à l'Exposition permanente du Cercle
des Beaux- Arts dans lequel nous relevons une appréciation très
ilatteusedes tableaux de notre compatriote, M. Félix Cogen.
La commune d'Anderlecht prépare une audition des^ œuvres de
M. Léon Van Cromphout, un de nos artistes de valeur. C'est,
dans le inonde nuisical une figure connue, sympathique, et dont
la cécité augmente le caractère touchant. Cette audition aura lieu
dans une des salles de l'hôtel communal deCureû;hem-.\ndcrlecht.
11 y auraà cette occasion un banquet; une œuvre d'art sera remise
ît Farliste, etc.
On nous prie d'annoncer que le concert de M'"- Cornélis-Servais
est remis au jeudi 11 février.
M. Ciovis Hugues va prendre Finitialive de constituer un groupe
parlementaire qui prendra le titre de Groupe de In Défense des
inlércts artistiques.
M. Ciovis Hugues s'adressera à tous ses collègues de la/,ham-
bre, sans distinction de couleur politique. Il a déjà réuni un cer-
tain nombre d'adhésions.
Un riche Américain vifînt d'acheter, [)Oiir la somme de.
117,000 francs, deux lal)leaux de François .Millet, provenant de
la galerie du général comte L... Sujet : le Soir vx le Matin.
Ces deux tableaux étaient absolument inconnus des marchands,
l'artiste les ayant donnés au général L..., en souvenir d'un grand
service rendu, et sous la condition qu'ils ne seraient jamais
exposés ni gravés.
Sommaine de la Jeune lielgiipie, n" du l"-- février 1880 :
Odilon Redon, Jules Désirée. — F'iévation, André Fonlainas.
— Ballade, Jacques Coriolis.— Ernest \W,u\\x\ (fin), Fran^îis Nau-
tet. — Airs de flûte, Siebel. — Chronique littéraire, .Max Waller.
— Chronique artistique, Emile Vcrhaeren.. — .Mémento. —
Mémento musical, H. 3L ,
Sommaire du Nieuwe Ciids, n" de ïé-sncv 1880 :
Justusvan Maiirik, Frans Xf.tschcr.— [)(• kleine Joli;innes (slot),
Frederik van Eeden. — HuniaiK' polilick, Mr. M! C. L. Lotsij. —
De studio van het-RomeinsHie redil fslot;, Willem Paap.— Onze
Oosl. Vergeefsehe arbeid, (;. r.iiit.'ndijk.— Ganymedcs op aarde,
Willem KIops. — Verlaten .s'r.iat, Hélène Swartli. — Kinderen,
Albert Verwey. — Lelti'rk!in(lii.n' krouick. — Viiria.
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48
U ART MODERNE
SIXIÈME ANNÉE
L'ART MODERNE s'est acquis par l'autorité et rindépondaiieo de sa critique, j)ar la variété de ses
inforinatioiis et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune nianifeslation de l'Art ne
lui est étranij:èr(^ : il s'occupe de littérature, d(^ peinture, de sculpture, de gravure, de musique,
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouvement artistique belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur tous les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaitre.
Chaque numéro de L'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'actualité. Les c.i'posîiioyis, les liv/^cs nouveaux^ les
prcmû'rcs rcpré.<cnéatiO)(s d'œuvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires, les concerts, les
voitcs (tohjch (Fart, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées.
L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. 11 rend compte des
procès les plus intéressants concernant les Arts, plaides devant les tribunaux belges et étrangerST'Tiles^
artistes trouvent toutes les semaines dans son Mémento la nomenclature complète des expositions et
concours auxquels ils peuvent prendre part, en Belgique et à l'étranger. 11 est envoyé gratuitement à
l'essai pendant un mois à toute personne qui en fait la demande. •
L'ART MODERNE forme chaque année un beau et foi't volume d'environ 450 pages, avec table
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Sixième année. — N° 7
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 13 Février 1886.
L'ART
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
ABONNEMENTS : Belgique/un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser les demandes d'abonnement et toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
^OMMAIRE
Le Salon dks Vingt. — Sottisikr des Vingtistes. — Deuxième-
concert DU Conservatoire. — Concert Cornélis-Servais. \^
RÉCEPTION a l'Académie — Théâtre de la Monnaie. Faust. —
Théâtre de l'Alcazar. — Corrkspondance musicale de Paris. —
Mémento des expositions et concours. — Petite chronique.
lE SAION DES VINGT
Un Vingtiste pérorait. Un Tout-Bruxelles écoutait,
avec commisération.
« Il ne m'en coûte rien, disait l'énergumène, de
manquer de charme, lorsque le charme n'est pas le
caractère essentiel de l'objet que je représente. On
trouve mes figures grises, estompées. Moi je les dis
parfaitement construites, sans contours visibles, mode-
lées par l'intérieur, en tout vivantes d'une vie particu-
lière. Je peins en coloriste, parce que dans la nature je
perçois la couleur plus délicatement que les formes. Il
faut que la plus large part soit faite aux aptitudes,
aux habitudes, aux instincts, aux caprices, aux sensi-
^jilités subites de chaque artiste. J'ai la haine des con-
tradictions, des contre-coift^ants, des traditions acadé-
miques qui continuent de filtrer à travers le vaste mou-
vement qui nous porte au vrai naturel. J'ai la préten-.
tion d'arrêter la vision, de hi poser sur la toile, de lui
donner sa forme, son relief, sa contexture fragile. Je
trouve extraordinairement intéressant un cerveau servi
par un œil de noctiluque. A l'heure actuelle, il s'agit
de rendre à chaque chose son intérêt, de remettre
l'homme à sa place et au besoin de se passer de lui. Le
moment est venu de penser moins, de viser moins
haut, de regarder de plus près, d'observer mieux et de
peindre... autrement. Désormais, le génie doit con-
sistera ne rien préjuger, à ne pas savoir ce qu'on sait,
à se laisser surprendre par son modèle, à ne demander
qu'à lui, comment il veut qu'on le représente. Quant à
embellir, jamais ; à ennoblir, jamais ; à châtier, jamais :
autant de mensonges ou de peine inutile. Il y a dans
tout artiste digne de ce nom un je ne .sais quoi qui se
charge de ce soin naturellement et sans effort. ^
Le Vina'tiste se tut. Le Tout-Bruxelles leva les bras
..au ciel. On entendit une voix de joie et d'orgueil pleine,
qui disait en ricanant : ^ Encore un d'enrégimenté-
sous le drapeau du paradoxe! De ma suite tu es. Je
ma suite tu resteras ". On vit aussi s'enfuir en ûvmis-
sant un chroniqueur de Y Étoile hchje qui passait par là
en appelant la malédiction du ciel sur un mystérieuN: '
personnage qualifié par lui, avec des intentions téné-
breuses : Le irrotagonîste du mourenient naturaliste-
inti'ansigeaïit et comparé à Méphistophélès!
Puis, la vision s'évanouit. Là où était le Tout-
Bruxelles, il ne resta qu'un peu de cendre. Là où était
le chroniqueur de ï Étoile, il lie resta rien.
Lecteur, je plaisante. C'est une rêverie qui m'était
venue en lisant, sous ma lampe à vert abat-jour
Ce que j'ai mis dans la bouche arrogante du Vingtiste,
c'est tout bêtement de l'Eugène Fromentin. Oui, voici
son livre sur les Maîtres d autrefois, l'exemplaire de
Louis Dubois, emporté jadis, de son atelier, et que je
garde comme une relique depuis sa mort, pieux larcin.
Les phrases ci-dessous sont prises parmi celles que
Dubois avait soulignées tantôt d'un crayon léger, tantôt
d'un crayon lourd, menaçant, vengeur, comme celle-ci :
J'ai la haine des traditions académiques qui
continuent à. filtrer partout, tantôt d'un trait
net, ferme, résolu, dominateur, comme cette autre :
Le momei^t est venu de peindre autrement.
Oui, du Fromentin. Est-ce drôle que toutes ces pré-
tendues insanités vaniteuses soient d'un maître si fort...
et si accepté ? Comme elles paraissent raisonnables sor-
tant de sa plume ! Comme elles surgissent révoltantes
venant d'un Vingtiste !
Oh! la bonne et plaisante leçon. Et combien inutile!
Penser que ce sera toujours comme ça. C'est bien
fait pour donner courage et entêtement aux novateurs.
Hurrah ! pour les apporteurs de neuf.
Car ils le sont, cette fois, plus scandaleusement
encore qu'à Tordinaire, ces vingt qui ne sont que
dix-huit, comme dit la Xation, variant le jeu de l'an
dernier où l'on disait : qui ne sont que dix-sept, et celui
de Tan prochain où l'on dira : qui ne sont que dix-neuf.
Jamais Bruxelles et son beau monde de femmes savantes
et d'hommes iirnorants ne virent en une fois un tel lot
d'œuvres sauvagement originales et brutalement dédai-
gueuses, se moquant plus clairement de leurs juge-
ments, et de leur argent. Jamais les hirondelles des
premières en tous genres ne se sont envolées plus effa-
rouchées et avec plus de petits cris perçants.
Et pourquoi? -
Les journaux bien montés, qui ont un critique d'art
comme dans les hôtels on a un cuisinier, ont donné là-
dessus des consultations longuement motivées. Et d'une
bienveillance, dune bienveillance égale à leur per-
spicacité, à leur impartialité, et à leur science. Si
c'était il V a deux ans, ou même l'année dernière.
quelle kermesse de ripostes nous nous serions donnée !
Mais on se calme,.... en vieillissant, et voici que nous
ne nous sentons plus la moindre fringale. Débonnaires
et souriants, comme au spectacle des clowneries coutu-
mières, nous avons regardé et sommes demeurés aussi
peu émus que si nous avions pris la veille une sédative
potion bromurée. Nous avons lu sans broncher ces
phrases, fulgurantes dans lesquelles ITmerie bourgeoise
exaspérée braie ses fureurs : « La peinture impres-
sionniste (tépasseen extravagance, en inouisme tout
ce que Von ose exhiber jusqu'ici à Bruœeltes! — ce
sont de vraies satiomales de la palette! — encore si
Ion pouvait croire à un égarement momentané! —
ce soi-disant art déjeunes est un art de roublards!
— la contagion de V erreur s'est rdremenï manifestée
dune manière plus lamentable! v — etc., etc., etc.
Oh ! le joli bouquet de fleurs de marécage, dirait Odi-
lon Redon, un des exposants.
Mais creusons la question.
C'est dur, il en faut convenir, pour tous ces mes-
sieurs, toutes ces dames et damoiselles, de se sentir en
présence d'un art qui, par les toiles novatrices de
Monet, de Renoir, de Whistler, d'Ensor, de Vogels,
de Toorop, leur crie à tue-tête : Malheureux, votre
éducation est à refaire !. et condamne les critiques
influents à faire peau neuve (opération de toilette et de
'propreté très nécessaire pour quelques-uns). Avoir tout
au long d'une existence de reportage quinquagénaire
défendu des théories esthétiques qu'on croyait impec-
c'ables. Avoir cru à l'infaillibilité académique. Avoir
prêché le dogme du beau unique, du beau éternel.
S'être vu appuyé par tous les gens du bel air, par toutes
les femmes de vie élégante et par tous les hommes en
bonne posture. S'être endormi chaque soir dans la
paix d'un gouvernement artistique qu'on croyait
immarcessible (ô l'horripilant mot, n'est-ce pas, mes
vieux?). Ne pas avoir compris que l'art évolue sans
cesse, passant d'une forme à une autre, et que ce n'est
point parce que les geôliers officiels l'ont tenu sous les
verroux pendant cinquante ans, qu'il va se pétrifier. Et
tout-à-coup se trouver eti présence d'une explosion
d'originalités trop longtemps comprimées qui font tout
sauter, théories, systèmes, cervelles, hommes-ët bons-
hommes! Oui, c'est dur, très dur, infiniment dur.
Les culbutés crient au meurtre. Les écrivassiers, qui
ont derrière eux un déroulement plusieurs fois kilomé-
trique de chroniques devenues sans valeur comme un
mauvais papier- mou naie, vocifèrent à la spoliation. Les
bourgeois qui, sur la foi des enseignements do, leur
journal, ont acheté les médiocrités des grands hommes
de pacotillè,'ne se i^ésignent pas à des changements dé
dynastie qui diminuent le prix de leur mobilier. Les
jeunes filles qui ont reçu les leçons de dessin des pro-
fesseurs en vogue dans le monde oti l'on s'ennuie, résis-
tent à confesser que ces Maîtres n'étaient que des
imbéciles. Bref, ces récents venus qui ouvrent si large-
ment les écluses pour laisser passer le torrent des ondes
artistiques jusque-là refoulées, sont assaillis par la
foule menaçante, hurlante, indignée de tous ceux que
leurs audaces et leurs, mépris pour les routines attei-
gnent en plein nez.
Tel est le sens caché du phénomène au point de vue,
tant de son irrésistible avancée, que des obstacles par
lesquels on essaie de l'entraver. Peines académiques
perdues ! Il faudra qu'on y passe. Eh ! nous savons aussi
bien que personne que tout n'est pas merveilleux dans
ces trois cents <]euvres fièrement mises à nu devant la
badauderie du Tout-Bruxelles. Il ne manquerait plus
que cela ! Trois cents, alors que dans les Salons trien-
naux on en trouve une demi-douzaine! Mais ce qu'on
peut prédire sans crainte, c'est que dans cette Exposi-
tion, il y au moins trente œuvres qui resteront au pre-
mier rang, qu'il y a parmi les Vingtistes au moins
trois artistes que l'avenir consacrera maîtres, et
que ces œuvres et que ces artistes sont ceux contre qui
grondent surtout les aboyeurs, ceux dont l'Art paraît
sacrilège, ceux qui donnent aux autres la clef des trans-
formations rajeunissantes. Oui, de trois cervts, nous
passons à trente, et de trente à trois, alors même que
cette descente décimale devrait réjouir les détracteurs
de cette belle et saine évolution .j^utour et derrière ces
chefs et ces bannières cortègent les autres, tous pris de
l'enthousiasme des idées nouvelles, ayant foi dans
l'évangile qu'on leur révèle, marchant serrés, joyeux,
couvrant de leurs chants les clameurs, donnant au
mouvement cette consistance et cette énergie qui résul-
tent des forces secondaires étoffant les forces princi-
pales. Il n'y a point de luttes sans une hiérarchie entre
les combattants. Ce qui importe, ce n'est pas l'égalité
du triomphe, c'est l'unité du drapeau. Cette unité, les
Vingt l'ont et la proclament; elle se résume en ces cris :
A bas la servitude académique^ Vive l'artiste qui ne
relève que de lui-même, qui obéit à son instinct et non .
pas au public !
^OTTipiER DE3 'jyiNQTI3TE?^
Menus propos butinés à l'ouverture (*)
Un ÉMiNENT PROFESSE LR. — Il faudrait brûler tout ça de fond
en comble et qu'on n'onlendo plus parler de ces gcns-lk.
-y-
I'n'e jeune fille du monde, diplômée. — On devrait faire venir
des médecins célèbres pour traiter ces aliénés.
L'ne p>ourgeoise mure. — Le comte de Flandre lui-même a
dit qu'il ne viendrait pas à cause du dessin de Rops.
Devant les fillettes de Khnopff. — Le mallieurcux égaré!
Que vient-il faire parmi ces bàdigeonneurs ?
-^
* ^
Un banquier connaisseur. — Enfin, vous ne me direz pas
qu'un cheval n'a que trois pattes?
Son interlocuteur. — Et la patte de l'artiste?
Un vieillard vénérable a un jeune père. — Vous avez fait
peindre vos filles par l'un de ces énergumènes ! Quand elle sera
grande elle vous le reprochera ! -
Un ex-ministre. — C'est à croire que des peintres ont oublié
leurs palettes dans l'établissement d'Uccle et que tous les fous
s'en sont servi.
-*■ T*-
Une peintresse plus que majeure. — Jamais je n'épouserai
un Viniïtiste. J'aimerais mieux un nihiliste.
Un grand peintre officiel. — Il faudrait, après un tel
esclandre, fermer le Palais des Beaux-Arts pendant trois mois et
le désinfecter chaque jour avec du chlore.
Un provincial. — Qui est donc cet Hermans qui expose avec
les Vingt 1 • .
Son interlocuteur. — Mais Charles Hermans, l'auteur de
VAube. *
Le provinxial. — Allons donc! Jamais de la -'■le. II est trop
comme il faut.
■■*^
* ' <:
Deux académiciens sont arrivés en chancelant d'épouvante
jusqu'aux Claude Monet. L'un : Ah! Ganachard, maintenant c'est
assez, n'est-ce pas? Allons nous-en.
(') Absolument historiques.
**■
52
UART MODERNE
In monsieur, allant do labloau en lablcau ; sans inlerriipiion
il murmure : Nom de Dieu! Nom de Dieu! Nom de Dieu! Nom
de Dieu !... '
Détail curieux : la première personne qui est entri^e b Tcxposi-
tion est un prêtre. Il a demandé à voir avant tout les Claude
Monet. In passant a dit : Pour sûr, c'est l'abbé Bernard.
Plusieurs visiteurs indignés ont interpellé en pleine exposition
M. le bourgmestre de Bruxelles, en lui demandant avec vivacité
s'il n'allait pas faire enlever le dessin de Rops. Disons à riion-
neur de M. Buis qu'il accueillait ces réquisitions en riant aux
éclats.
■Si.
On remarque depuis quelques jours, dans la petite salle du
fond, une Anglaise Agée, envoyée, dit-on, par l'Armée du Salul,
qui, postéi? près du dessin de Rops, en défend l'approche. Seuls
les vieillards î» l'aspect libidineux trouvent grâce devant son
ombrelle.
A côté des A'A' est une salle où sont exposées quelques toiles
à l'aspect solennel. Un visiteur, se trompant d'escalier, éveille le
gardien de ces chefs-d'œuvre : Est-ce ici les Vingt? — Non, ce
sont les envois de Rome. — Vous avez beaucoup de monde? —
Vous êtes le premier. (Textuel.)
PosT-ScRiPTUM. A relire dans vinctt ans.
DEUXIEME CONCERT DU CONSERVATOIRE
M, Gcvaert a compris qu'il est des mouvements arlisliques
qu'il faut suivre, n'ayant pu les précéder. Il s'eï>t donc décidé à
diriger dimanche IVxi'Cution d'œuvres de Wagner, du Wagner de
la seconde manière, bien entendu, car il ne faut pas effaroucher
trop vile son public, et aussi du Wagner de transition enlre la
seconde et la troisième munière.
Beaucoup riroiil de celle nuance, mais il est nécessaire de l'in-
diquer : Touverlure de Faust, dont nous voulons parler, que
Wagner composa à Paris lorsqu'il se trouvait dans Ja plus lanci-
nante misère, réduit, afin d'avoir du pain pour lui et son chien,
à écrire des quadrilles pour les guinguettes, et à arranger des
fragments d'opéra pour le cornet à pistons.
Cette ouverture occupe une place spéciale dans l'œuvre de
Richard Wagner : parmi des harmonies wéberiennes transparais-
sent déjà des thèmes que Ton entendra plus lard dans la colossale
Tétralogie. Ne fût-ce que pour celte intéressante particularité,
Taudiiion de ce fragment, un peu cahoté parfois, était instruc-
tive : elle est connue des musiciens et, après eux, le jjublic doit
la connaître aussi pour pouvoir suivre l'intlexible logique avec
laquelle le musicien s'éloigna de « ce b;igage convenu qui sert à
fabriquer un opéra » pour arriver a édifier le hautain édifice du
drame lyrique.
Après l'ouverture de Faust, irréprochailement exécutée par
l'orchestre du Conservatoire, noiis avons entendu l'ouverture du
Vaisseau Fantôme, celle dont on écrivit naguère qu'elle est « un
amas de sons, d'accords discordants et de sonorités étranges où
il est impossible à l'oreille de se reconnaître, de saisir un plan,
un dessin quelconque, qui porte h l'esprit l'idée du compositeur,
le chaos peignant le chaos, d'où il ne surgit que quelques bouf-
fées d'accords exhalés par les trompettes ».
Heureusement, de même que les yeux du public s'habituent
peu à peu à une nouvelle vision des choses extérieures, ses
oreilles [)erçoivent aujourd'hui ce que jadis on appelait chaos.
Les quelques lioulTées d'accords exhalés par les trompettes, tout
le monde sait maintenant que c'est une des réalisations instru-
mentales du Hollandais Volant; tout le monde aussi a compris le
thème de Senta et, parmi le tumultueux des vagues sauvages, la
^ danse des fantomatiques matelots. Ajoutons, |)our préciser notre
observation au sujet de l'ouverture de Faust, que le Vaisseau
Fantôme appartient à la deuxième manière de l'auteur, encore
sous l'influence du romantisme musical allemand personnifié en
Weber. ,
I/exéculion de cette ouverture a manqué de vigueur et de
coloris : signalons surtout le premier mouvement en 6/4, que
M. Gevaert a pris trop lent.
Au programme figuraient encore la symphonie en si bémol de
Schumann ; des fragments de la symphonie en si inachevée de
Schubert, insignifiants vl tachés de vulgarité, comme beaucoup
de compositioLis de ce nuisicien; d'un frcigment du Prométhée de
. Beethoven, bourre de formules, où !\I. Jacobs, le distingué Rem-
plaçant de Servais, a fait preuve de talent énut et délicat.
Nous avons insisté avec intention sur le caractère nettement
progressif du concert au Conservatoire. Partout, en musique, en
littérature, en peinture, en sculpture (rarchitecture, seule,
cherche encore le style du xix.^ siècle), il y a une tendance irrésis-
tible vers une réalisation suggestive de l'art.
Qu'on le comprenne enfin, résister, c'est provoquer dans l'ave-
nir une irruption d'autant plus violente.
Les Maîtres Chanteurs représentés au grand-théâtre; Wagner
joué au Conservatoire; les impressionnistes, tant raillés et insultés
par les badauds, près d'entrer dans la gloire, n'est-ce point une
consolante émotion pour ceux que toute compromission insulte
dans leur artiste fierté?
j]!l0NCERT j30RNÉLI?-^ERVAI3
Le concert donné à la Grande-Harmonie par M""^ Cornélis-
Servais a été extrêmement brillant. Un public nombreux a vive-
ment applaudi la cantatrice pour l'exécution de V'd'w de Proseiyiiie^
de Paesiello, et de VAve Maria, de Gounod. Le Golfe de Baïa^
de Micholte, chanté par M">« Cornélis-Servais et M"'« Flon-Bot-
man; un duo du Capitaine H eniot^ chanté par M'"*^ Cornélis-Ser-
vais et M'^^ Cornélis-Servais, et un Clair de lune, de Wallace, où
les trois cantatrices ont fait j)reuve de fine légèreté, complétaient
la partie du programme réservée aux dames chantantes.
Le pianiste. De Greef, dont nous avons souvent parlé avec
grand éloge, a été accueilli avec un bruyant enthousiasme et
même rappelé.
Môme succès pour MM. Mailly, Jacobs et Cornélis, et pour la
Société royale V Orphéon, dirigée par M. Bauvvens, qui a chanté,
sanslrop de nuances et avec quelques accrocs, deux œuvres
chorales bien insii^niilianlos : un très drôle Magnificat, de
M. Chiararnonle, et le Nid, de M. C. Dcwos. Nous avons di'jh
dit combien était nécessaire une prompte réforme dans le ré[)er-
toirc (les sociétés chorales; tout enfant, nous avons entendu /e
Tombeau des Janismires et les Emigranls irlandais, Pepila et
le Tyroly (\iù sont encore les « pièces de résistance » pour les
nombreuses réunions chorales de Beli];ique, et les enfants d'au-
jourd'hui entendront sans douie encore dans vingt ans le Nid, de
M. Devos, et le Magnificat, de M. Chiaramontc. I.es <li recteurs
de clueurs ne savent-ils pas qu'il existe un réj)erloire de chœurs
allemands où il n'y a ,qu'^ puiser? ■ -
F(ÉCEPTÎON A L'ACADÉMIE
A mettre \\ côté des comptes-rendus officiels d(;s journaux
oflicieux d(> cet hos[)ice qui a nom Académie française, l'Iiumo-
risticfuc passage (pie voici d'un article de Camille Pellelan dans
La Justice. 11 n'est pas mauvais tt'accouiumer les contempo-
rains ti la juste notion de ces vieilleries ^ la sohînnité desquelles
les cervelles naïves se laissent encore entraîner :
« Je l'avoue, je n'ai jamais pu prendre au sérieux les cérémo-
nies, renouvelées du Malade imaginaire, qu'on accomplit d(;
temps à autre au bout du pont des Arts. En plein dix-neuvième
siècle, des vaudevillistes, des romanciers, quelques grands
seigneurs, qui ont chargé leurs secrétaires de leur créer des
titres académiques, un bon paquet de savants, de peintres, de
sculpteurs et de musiciens, se déguisent ridiculement, hors du
carnaval, avec des habits à ramages verts-, et se donnent rendez-
vous dans la cuvette de l'Académie, pour transpirer ensemble
pendantque deux d'entr'eux échangent des compliments écrits à
l'avance dans un galimatias parliculii^r : cela me semble infini-
ment plus chinois que tout le Céleste-Empire. J'ai assisté, par
pénitence, deux ou trois fois, à cette petite fête de famille; —
j'ai vu papilloter sous le jour- tombé de la coupole ce noble
assemblage de crânes 'et de perruques multicolores, allant du
violet lie de vin au jaune chiendent; j'ai été mêlé aux dévots de
ce culte bouffon, hochant la tête ou poussant des soupirs volup-
tueux aux épigrammcs rococo dont on use dans ce milieu bizarre;
j'ai eu la surprise de voir là, parmi les académiciens générale-
ment étrangers à toute espèce de littérature, comme l'on sait, des
écrivains justement célèbres, qui se mêlaient publi({uement à ce
mardi-gras dénué de prétexte. El je ne reviendrais certainement
pas sur la séance, si je ne croyais qu'il y a un mot à dire sur
l'académicien qu'il s'agissait de remplacer.
« Deux auteurs dramatiques se sont donné la réplitpie. Que
M. Pailleron, pour rajeunir le genre, parle lu une langue nou-
velle, ù coups de oh! et de ah ! et introduise sous la vénérable
coupole, entre deux couplets à effet, un style, qui rappelle les
endroits marqués de l'indication « parlé » dans les chansons de
café-concert; je n'y vois, pour ma part, aucun inconvénient.
Qu^it h M. llalévy ([ui, dans- ses œuvres littéraires, a créé une
très remarijuable figure de prêtre (je ne pai lé pas de u l'abbé
Constantin », mais de Calchas de la Belle-Hélène) on lui dit que
son théâtre était 1' « âme'de l'humanité » : c'était la |)remière
ïo\s (\\x Orphée aux Enfers recevait ce compliment. L'âme de
l'humanité! Le mol est peut être un peu vif. »
^HÉATRE DE LA ^jVloNNAIE
FAUST
La reprise de Fuust a éU; révénemenl dé la semaine. Le ban
et l'arrière-ban des abonnés, les eriiiipies, les habitués, les jolies
femmes et les autres, se sont portés en foule à celle première
d'une œuvre qui remonte à un qu'n.rt de siècle, mais dont l'effet
sur le public est loin d'être é[)uisé. H<!ureuse fortune que celle de
celle parliiion, demeurée [)resque iniactc dans la tourmente
qui, chaque jour, arrache aux autres quelques feuillets !
On la joue en opéra-comi([ue : le f)ublic accourt. On confie sa
destinée aux artistes du grand-opéra : on s'arrache les billets. Et,
sans cesse, le roucoulant amour du ténor rend rêveuses les jeunes
filles que leur mère mène au s|)eclacle; le chœur des soldats
enthousiasme le parterre ; la conf-rence de Marguerite avec le
démon inquiète vaguement les âmes sensibles; le ballel agite les
lorgnettes et le trio de la i)rison fait passer dans l'auditoire de
grands frissons d'aise.
Jamais on n'imagina musique plus ingénieusement adaptée aux
dilections bourgeoises: l'amour ygardc une distinction de bonne
compagnie et le diable n'a pas le pied trop fourchu.
Aussi le succès de Faust est-il toujours certain. Ces cinq
lettres, en vedette sur l'atïi'lie, fout Teffet d'un appel bref, impé-
ratif. Les porte-monnaies s'ouvrent d'eux-mêmes, comme une
fleur au soleil, dans la serrc-elinude du bureau de location.
L'intérêt de la représentation de jeudi résidait surtout dans
l'interprétation, et, quoique très dilft3rente de celle de la saison
dernière, de/ l'avis de tous, celte interprétation, a été remar-
quable. iM"*^ Mézeray a prêté au personnage de Marguerite le
charme de sa voix cristalline, de son ingénuité séduisante, de
son jeu gracieux et plein de goût. M. Furst s'est révélé artiste de
sérieuse valeur. Le rôle de Faust, qui louche aux rôles de grand
opéra, lui convient admirabKînvenl, et il y a remporté un succès
considérable. On nous assure que, frappée des aptitudes de l'ar-
tiste, la direction de la Monn;iie compte lui confier prochaine-
ment l'interprétation du personnage de Raoul dans les Huguenots,
Ce sera une épreuve intéressante et de nature â exciter bien des
curiosités. '
Le reste de l'interprétation a été excellent. M. Renaud a trouvé,
dans le rôle de Valentin, l'occasion de faire valoir son superbe
baryton. M. Devries a fait un très beau Méphislo, d'une belle
prestance. Sa voix, certes, n'a pas la puissance de l'ancien titu-
laire du rôle, M. Gresse : mais il la conduit avec art et en bon
musicien. 11 lui manque toutefois de faction dans le jeu drama-
tique.
Si M. Dupont consentait à ailAuiMr un peu la sonorité, de son
trop brillant orchestre, tout -M'rait pirt'ait.
La prochaine représentation aura lieu jeudi prochain. Saint-
Mégrin passera le "23.
THÉÂTRE DE L ALCAZAR.
Samedi dernier, c:rlains cri.liipies lourds et mûrs des journaux
quotidiens se sonl rendus à l'Alcazar d;ins le but de trouver mau-
vaises les (.Wu\ pièces : le Saxe et Jeanne Bijou, qu'on y repré-
sentait. Ils ont poussé le zèle jusqu'à trancher qu'il n'y avait
dans la deuxième ni une scène ni un mot. Ce qui n'a pas empé-
elle d'on signaler un immcHliaUMnonl : Celui qui finil le premier
aclc. Messicnirs les crili(|iies lourds el mûrs ne poussent i)as lou-
joiirs leur |)oinle galamment avec des façons du bel air, el notam-
ment xians l'article (pie le plus lourd ?.l le plus mùr d'entre eux
consacre h MM. Naulet el Waller, la malveillance a l'air de se
doubler de dépit. C'est le travers commun aux criliijues d'en
vouloir li tous ceux (pii se k^'veni avec la volonté de faire des
(inivres.
On aurait dû faire meilleur accueil, nous semble-l-il, li ces
deux ou trais petites piécettes. Un théâtre belge e>t h ciéer.
Notre lillérature, (jui depuis v'nu\ ans ressuscite el d'année en
année niarclie d'un pas plus décisif dans l'art, doit inévilable-
menl aborder la scène, li faut qu'elle mar(|ue partout (ju'aujour-
d'iuii les écrivains divers (ju'elle a suscités ont fait des leuvres
fortes et lumineuses : romans el poésies. Lequel d'entre eux sera
auteur dramatique?
M. Max Waller semble désigné, non certes à faire des pièces
dramatiques el profondes, mais à s'essayer et à se ris(pier dans
des scènes de mœurs drôles el s|)iriluelles avec des mots abraca-
dabrants el des situations excenlricpies. ,\ cet égard il s'est
trompé', croy-ons-nous, en écrivant Jeanne Bijou. F*our (jui le
suit ;t travers ses Airs de flûte, et ses 1res gamins comptes-rendus
de livres, et ses audacieuses a trapades avec ses correspondants
<le la bi lie aux lel/tys, où tant tie bon comique el de joyeux et
disloqué esprit gambade et turbule, surtout pour qui le connaît
causant, gesticulant, mimant, M. Max^ Waller a une originalité
nelle.'
Le théâtre mettrait parfaitement en évidence ses qualités :
moquerie à travers tout, chiquenautle appliquée au nez des tra-
vers bourgeois, chanson folle jetée au nez de toutes les conven-
tions empesées el ridiculement graves.
.M. Naulet sait mieux que M. Waller caler se> pièces. Le Saxe
vaut bien des levers de rideau qu'on applaudit au Parc. Les per-
sonnages ont de la vie et intéressent. Certes M"^' de Brun n'est
pas une Parisienne jusqu'au bout des ongles et son ratîinenient
de goûts et de manières est quelconque, mais le MonsieurRobineau
.étonne de vérité el d'observation. C'est bien le maquignon carré
d'allures, l'homme de 'province, le premier de son chef-lieu qui
marche à la conquête des femmes à épouser en carrick et en
grosses boites. C'est le Saxe qui a obtenu le plus franc succès,
samedi soir. Il dépaysait moins que Jeanne Bijou, pièce non pas
à thèse mais simplement h dialogues. Les mots charmants de
M. Wailer. les discussions de sentiment et de dillettantisme ont
été peu ce mpris. Jranne Bijou qu'est qu'une intéressante poupée.
Il n'y a jtas de drame qui saisisse ou de situation bien dessinée.
Comme nous le disions, l'originalité de M. Waller devrait appa-
reiller vers d'autres éludes scéniques.
Chose à constater encore : c'est qu'à cette heure, le mouve-
ment Jeune-Belgique a son public, qu'il est assez pris en hon-
neur j»our attirer à lui l'attention de tout ce que Bruxelles ren-
fiTuie d'esprits critiques et d'esthètes. La salle était remplie
comme a une première de choix.
Nous regrettons beaucoup que les circonstances nous aient
empêché d'assister à l'acte de M. Ducsberg : Décoré!
CORRESPONDANT MUSICALE DE PARIS
Le théâtre de rOpéra-Comi(iue vient de voir s'envole les
espérances (pi'il avait pu foniler sur te Mari d'un jour, trois
actes de MM. D'Knnery et Armand Sylvestre, nuisiquc d'Arthur
Coijuard.
Cela pouvaif, être gai, amusant; le genre en était léger et
venait faite diversion au répertoire acluel, qui, trop souvent
contine au drame, vl cela n'a été qu'une soirée fade el insipide.
I.,a faute en est-elle h D'Knnery (pii a trop assombri Armand
Sylvestre, ou h Armand Sylvestre qui a trop .égayé D'Ennery ?
Toujours esl-il (|ue nous sommes en i)résence d'un livret tenant
il tous les bouts et ne tirant profit d'aucun. Il y a là un monsieur
qui, i)our se suicider, a l'idée de passer sur un pont délabré (jui
croulera et l'entraînera an fond de l'eau. Heureusement, à l'insu
du monsieur, le pont a élé réparé cl la pièce peut ainsi finir j)ar
un mariaijje!
Comme moyen, c'est puéril.
Comme musicpie, c'est insignifiant.
M. Coqnard qui n'avait jus(]u'ici touché au théâtre que par un
opéra-comique, l'Epée du Roi, représenté ii Angers, nous était
connu par quelques morceaux symphoni(|ues qu'il avait fait exé-
cuter aux concerts classiques. Comme tendance, le compositeur
semblait vouloir aller au rebours du mouvement acluel el je sais
que maintes fois il a maugréé contre le comité de la Société natio-
nale de musique, composé de wagnériens trop exclusifs. On ne
peut en vouloir à M. Cocjuard de n'être pas wagnérien ; ni
Guiraud, ni Massenet, ni Delibes, ne sont wagnériens. Aussi, ce
que je reprocherai uni(|uement à J\L Cô(iuard, c'est de ne pas
avoir d'idées personnelles.
Son œuvre est celle d'un musicien inexpérimenté, ignorant du
théâtre et qui ne voit pas l'acteur en scène. En maint endroit, il
a fait creux, vide, et nous a laissé dans une.indéci.sion (jui, à la
fin des trois actes, nous a absolument exaspéré.
Ce qu'a écrit M. Coxjuard pour l'orchestre est de beaucoup
su[iér\Qur 'âu. lUari d'un jour.
Je" sais bien que le théâtre est un excellent marche-pied el que
par lui on arrive vite â la renommée. Mais il y a tant de compo-
siteurs qui, à bon droit, se sentent attirés vers le genre lyrique,
(jue M. Coquard, après cet échec, fera bien de leur laisser la place
pour retourner à sa symphonie, à ses quatuors, à la musique
pure.
Parmi les interprètes, je ne vois à signaler que Fugère, qui a
sérieusement Inlté jusqu'au bout. Les autres avaient sombré
avant la fin.
Après bien des tergiversations, M""^ Caron a bien voulu enfin
prendre la succession de M""® Fidès Devries, dans le Cid.
C'est une autre incarnation de Chimène, qui, avec moins de
grâce el plus de passion, nous offre cependant un rôle intérçs-
sant à suivre sous ses aspects nouveaux.
GUTELLO.
MEMENTO DES EXPOSITIONS ET CONCOURS .
Berllv. Exposition du Centenaire des Salons berlinois. Ouverture,
15 mai. Fermeture, 15 octobre. Délais d'envoi, l'-r mars-l*"" avril.
Deux ouvrages .seulement par exposant. Renseignements : jusqu'au
l*"" mars. Académie royale des Beaux- Arts, rue de T Université,
\
^
i —
G, I; après le l*"" mars, Cornmissioa (h: V Exposition y pn^s la gare
dç Lehrtc, N. W.
Bruxelles. — Ex|)Ositioii ot concours de la Société centrale
d'architecture. — Ouverture l*"" ruai 1880. Section rétrospective,
section contemporaine. I<]nvoi avant io 15 avi'ii. Renseif^nements :
Secrétaire de la Cotmnission orr/anisatrice, rue' Royale Sainte-
Marie, 128, Schacrbeek [BruTclles),
Edimuouug. — Ex|)osition (internationale) de l'industrie, des
sciences et des arts. — Du 4 mai au 30 octobre 1880. — Mobilier
et arts décoratifs, beaux arts, re[)roduction d'anciens édifices et de
vieilles rues, etc. — Demandes d'emplacements au Secrétaire de
VEcrposition, Frederick Street, 18, Edimbourg .
f*Aius. Salon aniMiel Ouverture, l^"" mai. Fermeture, 30 juin.
Délais d'envoi : Peinture, 10-14 mars ; sculpture, gravure en ynéd.
et sur p. f., 20 mars-5 avril; architecture^ gravure, lithograpihie,
2-5 avril.
N. 13. Le niacriinji'in pour la dimension des cadres sera de 30 cen-
thnètr.es en largeur et de 20 centimètres en épaisseur . Seuls seront
admis les cadres dorés, 7ioirs ou en bois naturel foncé.
Rome. Exposition annuelle des amateurs des Beaux -Arts (limitée
aux artistes ilaliens el aux étrangers qui résident à Rome). Ouver-
ture, 21 févri(!r. Fermeture, 18 avril. Délais d'envoi : l'^^-fj février.
Renseignements : Secrélfdre de la société, palais des Beaux -Arts,
rue Nazio7iale, Rome.
f
ETITE CHROJMIQUZ:
M"*' Jcnny Thénard a donné hier aux XX, devant un auditoire
très nombreux el fort éiétfnnl, une causerie cbarnianle, émaillée
de nfiols S|)iriluels, (robs(;rvalions pi(|uanles, d'une exquise
fémiiiililé. L(; litre : Les femmes peintes par elles-mêmes était
d'autant plus vrai qu(; la séduiranle artisie, qui manie si habile-
nnenl Tanne la |)lus redoutable di.'S tV'mmes, s'est servie, non «^ans
succès, de la brosse el de la palette. Comme peintre, elle a eu
hier des envolées vers l'art, el les (lé'taiis anecdoiiijues qu'elle a
donnés sur M""' Vigier, sur Hosa Bonheur, sur 3I""= Mayer, etc.,
ont révélé une artisie connaissant l'Iiisloire des peintres, aimant
à .en parler. Comme ténime, elle a finement distribué, de ci el
de là, des coups de patte amusants, mai.s d'une patte dont les
gritïV'S étaient à peine visibles.
Du coup, elhî s'est acquis la sympathie de tous ceux -qui,
n'ayanl pas assisté à l'une de ses causeries, n'étaient pas encore
de ses amis.
Voilà, pour les A'A', un début qui j)romet. La prochaine con-
férence, qui sera annoncée dans quelques jours, aura lieu samedi
prochain ; elle sera faite, dit-on, par Edmond Haraucourt, le poète
l'Ame nue. Ce sera, comme hier, un tin régal littéraire.
Constantin Meunier ouvrira demain à deux heures, au Palais
des Beaux-Ans (dans la salle correspondant à la f)remière salle
du Salon des A'A') une exposition de tableaux, d'études et de
sculptures, reproduisant principalement notre population ouvrière
du Borinage. Ou sait avec (juelle puissance d'émotion il s'est
toul-à-cou[> révélé dans l'interprétation de ces scènes et de ces
paysagers.
Le Guide musical annonce ([ue M""' Materna, la célèbre tragé-
dienne lyrique. viennoise, vient de commencer une tournee\ie
représeniations en Allemagne. Elle se propose, nous assure-t-on,
de visiter également la Belgiiiue et la Hollande.
Les Mailrcs-Ckanleurs oui passé l'Océan. Le bel ouvrage de
Richard Wagner a été accueilli avec enthousiasme par le public
du Metropolitan Opéra House de >'e\v-York.
Jeuili soir, après rinléressante reprise de Fau.'^t au théâtre de
la Monnaie, (lUtdques amateurs, notamment MM. .\uguste el
Joseph Dupont el Verdhur', se sont réunis dans les salons de
M. Goldschmidl, rue de l'Kcuyer, pour écouler rexéculion au
piano, par l'auteur, . d'un ballet d'une récitation lyrique de
M. VVilford, ancien élève fort remarqué de notre Conservatoire.
Musicpjc très originale et très goûtée des auditeurs.
La Nuit, la |)rochaine série de lithographies d'Odilon fiedon,
paraîtra incessamment. 11 y aura 0 pl'mches tirées à oO'oxem-
plaires. Les séries précédentes : Dans le Rêve, Hommage à
Poë, Hommage à Goya, sont tolaleme'hl épuisées. On [)eut juger
les productions de l'artiste à rexj)Osition des XX. Redonna déjà
son public d'amateurs et de dilettantes.
C'est à la fin de ce mois que M. Camille Guriekx donnera à la
Grande-Harmonie son Piano-recilal. L'excellent ))ianisle fera
entendre un choix d'ccuvres de Bach, Beelhoven, Scarlalti, Schu-
mann, W(dji'r, Mendeissohn, Chopin, Liszt et Auguste Di)i)ont.
Antoine Buhinstein donnera trois concerts à Bruxelles, au
mois de mai [irochain, dans la salle de la Grande-Harmonie.
C'est la dernière tournée de concerts du célèbre pianiste com-
positeur.
Commencée à Sainl-Pélerbourg, continuée à Vienne el à Ber-
lin, elle aura pourdcrnières étap-^.'s Paris, Bruxell.îs el Londres.
Les journaux ont dit l'éclaianl succès de ces séances, où le
maître passe en revue les chefs-d'fiiijvres anciens el modernes de
la littérature du [)iano.
Rubinstein a tenu à se pré.senter une fois encore devant notre
public d'artistes et d'amateurs, dont il n'a pas oublié l'accueil et
dont les suffrages lui sont précieux.
Ces séances seront une bonne fortune pour tout Bruxelles
musical.
■^»
Les programmes détaillés en seront [trochainement publiés, et
l'on pourra s'inscrire bientôt, ïîoil pour une séance, soll par
abonnement, pour la série des (.oiicerts.
Le. chiffre d<'s entrées au Salon des A'A'pendanl la première
semaine s'élève à l,o46 francs. Ce chiffre (.-si dès à prt.seni beau-
•coup en avafice sur celui des deux années précédentes.
M. Victor Wilder à complètemt'nl terminé la version française
de Tristan et Isâlde ({\ii paraîtra procliiiinemenl.
Il travaille en ce moment à la version de Siegfried, la troisième
partie de la tétralogie des Xibelungen. Le premier acte est ter-
miné et les deux autres ne larderont pas à l'éire.
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aura lieu à l'hôtel des vente-, Boulevard Anspach.
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SIXIÈME ANNÉE
L'ART MODBjHNE s'est acquis par l'autorité et l'indépendanco de sa critique, par la Variété de ses
informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Au'ciine manifestation de l'Art ne
lui est étrangère : il s'occupe de littérature, de peinture, de sculpture, de gravure, de musique,
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouvement artistique belge^ il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur tous les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaître.
Chaque numéro do L'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'actualité. Les expositions^ les livres nouveaux, les
Xwemières représentations d'œuvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires, les concerts, les
ventes dohjets cTart, font tous les dimanches l'objet do chroniques détaillées.
L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. Il rend compte des
procès les plus intéressants concernant les Arts, plaides devant les tribunaux belges et étrangers. Les
artistes trouvent toutes. les semaines dans son Memènto la nomenclature complète des expositions et
concours auxquels ils peuvent prendre part, en Belgique et à l'étranger. 11 est envoyé gratuitement à
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Dimanche 21 Février 1886.
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^ommaire
A PROPOS DU Salon des XX. L' impressionnisme . — Sottisier
DES ViNGTiSTES. Fleurs de reportage. — Documents a conserver.
Le journalisme. — Association des Artistes musiciens. Deuxièfne
concert. — Musique de chambre. — Correspondance parisienne.
Société des aquarellistes français. — Petite chronique
^f< PROPOê DU ^ALON DE? ^}(
L IMPRESSIONNISME
I .
C'est Claude Monet qui créa le terme, en baptisant
« Impression » lune de ses toiles. Le mot fit rire
d'abord, puis, on le jeta comme une injure au visage
de ceux qui cherchaient leur voie dans l'Art nouveau à
l'épanouissement duquel nous assistons aujourd'hui :
« Impressionniste! '» Et comme il arrive toujours,
comme il est advenu pour l'épithète de " gueux "
fièrement relevée par les compagnons de Philippe der
Marnix, le groupe de peintres alors en formation
s'empara de la qualification, l'adopta, s'en fît gloire ni
plus ni moins que d'une lettre de noblesse.
Et l'Impressionnisme fut officiellement reconnu;
comme l'avait été le Réalisme qui le précéda et qui
favorisa son éclosion, comme aussi le Romantisme, et
le Classicisme, irrévérencieusement dénommé actuelle-
ment Pompiérisme. Il marque une évolution dans l'Art
de la peinture. Il est le dernier tour de roue de ce
vaste engrenage, toujours en mouvement, dont aucune
force humaine ne pourrait entraver le fonctionnement,
qu'il est au^si puéril d'attaquer qu'absurde de nier. Il
correspond aux lois, plus mystérieuses encore, qui gou-
vernent la transformation des sociétés dans leurs
goûts, leurs idées, leurs aspirations, leur idéal. Peut-
être des influences physiques se mêlent-elles même aux
causes morales qui opèrent ces lentes, fatales, inéluc-
tables évolutions. Question complexe, difficile à résou-
dre avec précision.
Le bon sens indique l'attitude à prendre : examiner
avec soin les phénomènes auxquels le hasard des événe-
ments nous fait assister, en noter scrupuleusement les
phases, observer les distinctions que crée la diversité
des races parmi ceux qu'emporte le courant. De ces
documents naîtra l'histoire de l'Art contemporain. Et
à cet égard, le Salon des XX fournit une merveilleuse
occasion de s'instruire, attendue d'ailleurs de tous
ceux qui ont pénétré le but social énergiquement pour-
suivi par la jeune association.
-- On peut y voir, opposés les uns aux autres, les
-groupes d'artistes qui cherchent avec ténacité une
expression personnelle de la nature, en rapport avec
les sensations — inconnues à nos aïeux — qu'elle nous
fait éprouver, mais sur lesquels la nationalité, le
climat, le miheu, l'éducation artistique, exercent leur
puissante influence.
Et dans chacun de ces groupes, un œil clairvoyant
peut démêler des tempéraments variés, les uns calmes,
féminins, aimant les colorations adoucies et sourdes,
d'autres robustes, n'envisageant la nature que sous ses
aspects les plus chatoyants.
1
S'il fallait donner une qualification logique aux mem-
bres de cette famille dans laquelle la foule ignorante
englobe tous ceux qui ne peignent pas un petit motif
aimable dans un paysage propret, nous établirions
entre eux plusieurs divisions. Il y a des « sensation-
nistes » qui recherchent avant tout, et qui souvent
l'atteignent avec un bonheur inouï, la sensation exacte
que font éprouver les divers aspects de la nature : l'âpre
froid des hivers neigeux, la mélancolie poignante des
crépuscules tombant sur le délabrement des pignons,
le réconfort des matinées de juin qui font monter la
sève au cœur des arbres. Ils notent les sifflements de la
bourrasque, ils font chanter, en des paysages d'une
fraîcheur extrême, la chanson du printemps, ils
expriment la gloire solennelle des automnes. Les
phénomènes les plus fugaces de la nature n'échappent
pas à leur analyse pénétrante Ce n'est pas un « motifs
qu'ils peignent, un « paysage « ou une « marine «
c'est, répétons-le, la sensation que procure ce motif,
ce paysage, cette marine, en telle saison, sous telle
lumière, à tel moment du jour.
D'autres réalisent cette très moderne expression
picturale : l'atmosphère qui circule dans leurs intérieurs
d'appartements, dans la perspective des rues qu'ils
représentent est d'une fluidité telle qu'elle paraît
être réellement celle qui baign^les visiteurs du Salon.
Si bien qu'au lieu d'aligner, comme c'est l'usage, aux
parois de l'exposition une succession d'images bordées
de cadres dorés, l'œuvre de ces « atmosphéristes »»
oflre des échappées de vue sur un monde vrai, présenté
dans l'air où il se meut, avec ses valeurs exactes, ses
reflets, avec ses plus subtiles dégradations de tons,
éclairé par les jeux de lumière les plus caressants. Par
quelles vibrations de couleurs, par quelle magie de la
palette obtient-on cet effet, si séduisant qu'au regard
des toiles où il est réalisé, les autres, conçues suivant
les anciennes formules, paraissent terreuses, noirâtres,
sans vie et sans gaîté? Quel œil délicat, impressionnable,
perçant, n'exige pas cet art où l'observation la plus
scrupuleuse s'unit au sentiment le plus parfait de l'har-
monie?
D'autres encore, les « intimistes » ceux-ci, ou les
« caractéristes «, s'écartent des sensationnistes eu ce
qu'ils se préoccupent peu de saisir et de fixer sur la
toile un effet passager. Ils étudient la nature même, la
structure, l'essence, des objets qu'ils choisissent pour
modèles. L'un d'eux, à qui on disait : « L'île de Wight
n'est pas picturale. Elle est trop arrangée, trop ratissée,
trop peignée " répondait : " Eh bien ! il faut exprimer
ce caractère arrangé, ratissé, joliet du pays. C'est une
étude aussi intéressante que de rendre l'aspect sauvage
d'une contrée plus austère. «
Mais à quoi bon multiplier les subdivisions et les
néologismes ? Les quelques exemples que nous venons
de citer ne suffisent-ils pas à montrer combien dans ce
mouvement artistique qui nous occupe, il y a de patien-
tes recherches, d'ingénieuses observations, d'efforts
vers un art neuf?
Les noms. dont on affuble les groupes dont la nais-
sance, l'épanouissement et le déclin suivent leur cours
normal à travers l'ahurissement perpétuel des généra-
tions successives n'est d'ailleurs, est-il besoin de le
dire? que d'importance infime. « Ces mots en isme,
disait l'an dernier Raffaëlli au cours de la conférence
qu'il fit au Salon des XX, sont des cris de ralliement
jetés, à un moment donné, dans la circulation et qui
aident à se reconnaître, à se compter, à s'unir en vue de
la défense de l'art. Rien de plus. «
Le public veut y voir autre chose. N'assistons-nous
pas, en ce moment même, au spectacle plaisant d'un lot
considérable de bourgeois convaincus que les XX ont
fondé un sorte de religion artistique nouvelle, qualifiée
par les gazettes : le Vingtisme, quelque chose d'abo-
minablement subversif, et que tous ceux qui sont
entrés dans cette secte que l'autorité publique devrait
supprimer, pratiquent le culte imposé selon les rites
prescrits par un évangile révolutionnaire. Le Journal
des Beaux- Arts parle gravement, dans le niais compte-
rendu qu'il consacre au jeune Salon, du « Monstre qui
s'appelle Vingtisme. « |
Combien on rit, derrière le rideau, dans les cou-
lisses d'où les XX examinent curieusement la bêtise
humaine, de l'ignorance et de la sottise qui, depuis une
quinzaine, éclatent avec sérénité !
Faut-il répéter encore qu'il n'existe pas plus de
Vingtisyne que de Cercle artisticisme ou de Salon
triennalisme : qu'en fondant une association, les vingt
artistes qui se sont tendus les mains ont eu la pensée
de<îréer une exposition qui réalisât le plus complète-
ment possible la forme moderne de l'art, chacun s'ins-
pirant d'ailleurs, pour l'expression de cet art, de son
tempérament ; que pour donner à leurs Salons annuels
la portée d'un enseignement salutaire et pour en dou-
bler l'intérêt artistique, les XX ont eu l'ingénieuse
pensée de joindre à leurs envois ceux de vingt artistes,
choisis avec soin parmi ceux qui, dans tous les
domaines, chercj^nt, pour atteindre leur idéal artis-
tique, des voies non frayées ; qu'au demeurant, la qua-
lification de Vingtistes, dont ils se font gloire depuis
^u'on l'agite comme un épouvantail, n'indique ni une
école, puisque chacun suit librement sa route, ni même
une tendance, puisque d'année en année s'affirment
avec plus d'intensité les natures les plus opposées;
qu'elle exprime un caractère : celui d'artistes qui
repoussent le servage^ des formules transmises, de
génération en génération, par les officines suspectes des
académies; qui marchent résolument, coude à coude, È
la conquête d'un art neuf, fier et libre ; qui n'ont pas
V
plus de souci des protestations timorées du public qus
des remontrances séniles ou puériles de la critique.
Le Vingtisme, puisqu'on persiste à vouloir introduire
dans la langue ce néologisme bizarre, le voilà. Il élève
sa taille déjeune athlète au dessus des échines courbées
par la courtisanerie artistique, plus avilissante encore
que celle des cours. Les colères que soulève son passage
triomphal le font rire, parce que seules l'envie et l'igno-
rance les déchaînent contre lui. Ses audaces tranquilles
étonnent les âmes craintives qui n'ont jamais soupçonné
qu'on pût refuser de suivre aveuglément les ordon-
nances de la Faculté des Beaux- Arts. Mais déjà il a ses
défenseurs, ses amis, ses admirateurs, et le cortège
qui l'accompagne dans son expédition contre la rou-
tine grossit dte jour en jour.
Il n'est donc pas question d'enfermer la jeune pein-
ture belge, personnifiée aujourd'hui par le groupe, dans
le cercle restreint d'une tendance déterminée. Si nous
avons eu en vue, en écrivant cette rapide étude, de
parler plus spécialement de l'impressionnisme, c'est
que cette manifestation de notre art contemporain,
largement représentée aux XX, est la plus récente,
la moins connue, celle de toutes au sujet de laquelle
on a débité et imprimé le plus d'erreurs.
„ Nous avons sommairement indiqué déjà quelques-
unes de ses aspirations. Dans un prochain article, nous
examinerons de plus près ses caractères, et nous les
étudierons dans leur comparaison avec l'impression-
nisme français, qui n'a avec l'impressionnisme créé en
Belgique par quelques-uns des Vingtistes que des rap-
ports éloignés.
^OTTI^IER DE3 Y^^^'^^^'^^^
Fleurs de reportage.
Voici quelques extraits textuels des af^ticles de
journaux ou Von s'est occupé des XX. Lecteurs ne
vous effrayez ni de la hardiesse, ni de V obscurité
de ces lambeaux de galimatias double.
MM. Vogcls, Ensor, Finch, Toorop, Schlobach, Fr. Charlel,
même Van Strydonck dans ses esquisses, tous ennboîtenl le pas
derrière Claude Monel, derrière Renoir et Besnard qui eux-mêmes
sont les copistes du Norvvégien Kolslô et de l'Italien Zandome-
rieghi.
♦ ♦ *
Michel-Ange, un vieux., a dit un jour : celui qui en suit un
autre ne marchera jamais devant!...
Si nous citons encore Delvin (?), Dario de Regoyos qui a assez
réussi des artilleurs espagnols descendant une côte (!!!), nous
aurons à peu près vidé le monstre qui s'appelle vingtisme.
Nous ne sommes plus à l'époque où des maçons, des tailleurs
de pierre, des peintres en bâtiments, vivant seuls, ignorés même
de leurs proches voisins, bornaient leurs vœux et leur existence
à exécuter dans l'ombre des travaux d'une puissance inouïe et
dont la vue fait passer dans notre chair un frisson de fièvre et
d'admiration.
Cq trio d'artistes dévoyés s'abîme en pleine lumière. Hanté par
la vision des taches éclatantes, il se fourvoie, croyant trouver au
cœur d'affreux barbouillages, la vérité artistique.
*
» *
M. James Ensor est trop vingtiste pour, s'effondrer piteuse-
ment dans l'insociabilité.
♦.
D'un geste il montrait ses tons chauds, ardents, restés lettre
close pour le vulgaire,
*
D'autres, chez qui la doctrine du point central avait soulevé
une gaîté énorme.....
«
Ressassant le livre de sa doctrine, à l'exemple des derviches,
qui ne connaissent pas la fatigue.....
*
♦ »
Ses rébus, exempts de toute incohérence, ont le mérite d'être
dessinés d'une main experte avec un œil harmonieux.
L'exécution minutieuse, serrée, n'enlève rien au charme qui
s'en dégage; et l'émotion qui l'enveloppe parle à tous les amis du
sentiment traduit sans apparence d'exagération.
* . ■ ■ ■
• «
Le portrait de son père, plus achevé, échappe aux cruelles
atteintes des bruns et des gris.
Un bouquet d'arbres jeté au bord de l'onde, retrace fidèlement
un coin de paysage.
L'exposition des XX est d'un grotesque sans précédent.
Impossible d'Imaginer une plus audacieuse grossièreté artistique.
pOCUMENT| A C0N3ERVEÎ\
LE JOURNALISME
•■ 17 novembre 1879.
Mon cher Ami,
Pourquoi cette forme un peu rhétoriciênne :
« Faut-il nous indigner, faut-il nous réjouir? »
Pourquoi ces autres tropes (appelle-t-on cela un trope?) : .
« Nous l'avigns pensé d'abord, en aristocrates que nous
étions. » — « Nous nous étions dit tout cela. »
Je Iro^uve môme le sans doute un procédé.
Autre chose.
Il y a dans votre article un passage grand et juste, celui où
vous dites : « Ne sont-ils pas de la foule? » Mais si éloquent quil
I
60
LART MODERNE
soit (et il l'est), il perd sa force parce qu'il i)araît encadré et non
adhérent. Il est cousu au papier, non colU^ aux os.
Ladiscutaillerie politiculardo nous fait du lort .'i tons. Le mérite
de ce pauvre D..., qui avait tant de taienl, tHail d'élre humain et
élevé d'ensemble, de souille, d'un bloc.
' Je vous conseille — du droit que donne Tamilié et du droit
qu'on doit, prendre au nom de fidée qu'il faut défendre le mieux
possible. — Jc vous conseille dé surveiller celte tendance, natu-
relle aux journalistes de tout temps, hors Proudhon, Veuillot,
hors les nets et les vise-droit. Je vous conseille de faire comme
je fais, de ne jamais commencer un article sans en avoir nu^suré
les paragraphes. Les idées ne doivent pas empiéter les unes sur
les autres, s'enclaver h faux, arriver sans être amenées d'emblée
par la logi(jue ou l'émolion. Il y a plus dé modestie que d'inexpé-
rience dans voire cas, modestie d'ancien collégien, qui croit aux
formes du discours, ou dont la plume y croit malgré l'écrivain.
Vous n'osez pas penser et rédiger sans les précautions oratoires
caiwenues. Vous "vous trompez, vous vous trompez! C'est vous
qui devez faire votre moule, on plutôt, c'est voire pensée qui
créera le moule de la rédaction. Donc, avant d'écrire un article
quelconque, cherchez iidcr-mère, précisez-vous à vous-même le
coup principal que vous voulez porter, la résultante que vous
tenez h oblenir et à faire jaillir sous les yeux de la foule. Ne
partez pns en flAneur de rémoiion, elle s'évaporerait dans les
nuages de la phrase et le méli-mélo des para.^raphes grimpant les
uns sur les aulres.
Vous avez de la force saine, vous éles, h voire âge, porteur du
viatique du vrai, vous avez l'idée, vous avez la forme. C/esl le
moule, vous dis-je, c'est l'allure ferme, sobre, san.s bavures, qu'il
faut absolumeut imprimera vos statuettes. Il faut médailliser son
sentiment, son paysage ou son portrait. Je me répète : avant de
partir en guerre, ayez, en cinq ou six lignes parliculières et sépa-
rées, défini voire marche, enchaîné vos paragraphes. Moi, je le
fais dans ma léle par habitude. Cependant, pour un article de
longueur et de poids, je fixe impérieusement mon plan sur une
feuille que j'ai devant moi iH que je consulte de côté comme un
'
musicien regarde le chef "dl)reheslre. Celle règle a un grand
avantage. Elle vous oblige à avoir des idées, puis, chaque para-
c:ra}»he dail contenir sa balle propre, tout en suivant la ligne que
la pensée-mère a tracée j^our que loul arrivât dans le mille. Elle
vous évite de vous tromper, de tâtonner, de faire un brouillon.
11 n'y a que l'ironie qui puisse venir d'un jet, l'ironie ad
honii7icm. qui a souvent besoin du débraillé du geste : et encore
doit avoir son bout de fer. son mol de la fin, limé (t empoisonné,
jiour qu'il déchire- et salisse. Le mépris condensé dans un mot
vaut la goutte de viiriol. ^ '
Revenons, ma foi, a voire article. Je viens de le relire et de le
sabrer. Tout ce que j'ai sabré n'éiail ))as cou]U)ble, mais n'était
j»as en place. J'insisterai énergiquemenl sur les i"éj»étilions d'idées
qui ne vous ont pas eu l'air de redites, parce que la forme était
n 'uve et de nouveau pittoresque, mais ^euil^•z suivre mes sen-
tiers rouges et vous retrouverez ces répétitions.
Maintenant, quoique le dernier feuillet soit vigoureux, lais>-ez-
nioi vous crier (^ue vous n"avez pas serré la réalité de la question.
La patrie veul enn'giinevlcr lc!< aiens. Encore un exemjile du
hors propos! Très vrai, très juste, bien frappé. Mais celle fois,
au contraire, on n'a pas voulu les ré-enrégirnenter . Hétléchissez-y !
Il faudrait conclure, je crois, par la doul-'ur qu'il y a à regar-
der celle question sous le côté du pain... qui doit en préoccuper
quelques-uns. Ne dites pas tous, il faut ménager les tiers...
Ceux-là mettront leur orgueil h signer « dégradé ». J'ai fait celte
longue et impitoyable opération du crayon rouge, point tant sur
l'article que sur la tendance, point tant pour condanjner que pour
indiquer : vous me comprenez bien.
Tout article doit être planté droit, ne s'affaisser d'aucun côté,
avoir d'avance, comme la maquette du sculpteur, sa tête, ses
pieds, son corps logi(iuement bâti et dans la pose — en littéra-
ture, dans le ton — on l'idée doit être.
Ayez le courage que j'ai eu. Sabrez-vous comme jc vous ai
sabré; je veux dire : sabrez par la réllexion, d'avance, les choses
hors de place ou hors de proportion, ayez vos points marqués cl
vous irez droit au but. Il faut (|ue ce soit vous, pour que je vous
en écrive si long. Mais vous pourriez vous égarer dans voire
|)ropre talent. Prenez vos mesures comme un ouvrier, avant
d'écrire comme un artiste. Je vous le crie une bonne fois! Astrei-
gnez-vous h cette loi, si vous voulez profiler des dons ipic vous
avez et en faire profiter les aulres.
Richepin ne peut décidéinenl, m'a-t-il dit, venir maintenant
avec nous. Ne crions pas sur lui. Cardons-le comme un ami litté-
raire. 11 nous reviendra blessé ou dégoûté. Il devait faire les
théâtres.
Eh bien! mon cher Gautier, il faut qu'ils soient faits par vous
ou un de vos amis. N'allez pas me dire que ce n'est pas dans vos
cordes! Au contraire! Je vous répondrai qu'il faut rajeunir cette
vieillerie qu'on appelle la critiipie théâtrale, vaniteuse, pédante,
niaisarde, à tête de cuistre ou de lèchc-cul, qui parle en provin-
ciale de ce qui est la véritable littérature du peuple : le théâtre,
Allons! prenons les pièces. par les entrailles, les pièces^ et le
public, la scène et le paradis. Devant notre tribunal, Victor Hugo,
avec ses papolâtreries, ses .moinarderies, ses Hernanis, ses Bur-
graves, ses bons dieux, ses monstres, sera un enfant ou plutôt un
routinier de l'Eglise et de la cour b côté de Dennery, qui a pris
le peuple pour héros, qui a eu quelquefois du génie, qui, en tous
cas, est dans la vraie voie, style à part. Mais encore sa prose est-
elle moins bêle que les vers romantiques? Le| « merci, mon
Dieu ! » pullulent et puent dans les tragédies même modernisées.
Assez. Et c'est vous, ou un de vos amis, qui ferez les théâtres. Ordre
du commandant des barricades. Il nous faut là le plus fort de nos
pointeurs.
Je voudrais que personne ne sût, personne, qui fait les théâ-
tres, si, à votre place, vous en mettez un autre. Tel que la poli-
tique me défend d'accepter pour ne pas compromettre un instant
le drapeau , — qui serait compromis, si honnête au fond, que puisse
être le compromelteur, — tel écrivain qui a de la hauteur et la
grande note sociale, pourrait se charger de ce soin. Et je tiendrais
, formellement, absolument, à ce que l'incognito le plus impéné-
trable fût gardé pour étonner tout d'un coup le monde du théâtre
qui entendrait la Rue interpeller la scène au nom de ses passions,
de ses vertus, de ses douleurs ! Vous me comprenez. Ce mystère
serait une force, une grande force. 11 faudrait ne pas se montrer'
à l'orchesire, ne pas aller aux premières représentations : puisque
nous sommes hebdomadaires, il n'y aurait pas grand mal. 11 fau-'
drait se déguiser et déguiser son style, mais viser bien et haut.
Donc, mon cher ami,^le théâtre sera fait; personne, même de
la rédaction, ne saura par qui. La politique sera bannie de ces
articles, impitoyablement bannie, mais l'ironie et l'émotion sociale
auront la parole. Nous pouvons provoquer une révolution drama-
liciue et enfoncer les portes pour que les réalistes arrivent. Donc,
y
r
gjirdoz pour vous celUî proposilion. Pr(''p.'jre/, co.Ue révoliilion
lilténiire cl en rncrrio l(ïm[)S col inripciiclr.ihlo incoi^^nito. Il fiiiit
qu'on ne se doiilc pas une sccomle du nom du nouvcîiu juge lU&h-
Iral. I.cs sup[>osilions iroril N'tir Iniiii, et nos iddcs îiiissi ! ^
Je suis efïV.'ivïj de votre nveu [)onr l.ouisf; Miclicl. Vas encore
* fait, — pas archi-fitil! — Diable! il nous f.uidra nous organiser
pour ne pas man(|uer de combustible en route.
La Rue a tout ce fju'il' taul f>our paraîtrt;. Ce n'est plus la faulc
du commanditaire, c'est la faute de la r(''daclion.
J(; n'ai rit-n (ju(; l(!s vers fpjo vous savez. Heuzy m'a envoy/;
deux articles, dont un interminable et je crois inimprimable, dont
l'autn; bon, mais inactur-l. Il nous faut de l'actualilc'; (!t de la viva-
cil(^' au début.
Knfin, je vois (pu; nous n(; [taraitrons pas le 22. Mais, le ^2,
il est i7i-(lis-peii-s(ihle (pie j'aie toute la copi(;, hors l(s éclios, et
une colonne laissée, en cas (raclualité, ii cette acUialilé, eu tous
cas, consacré*; h un(; chose fraîche.
Donc, tout, tout, chez moi, samedi. A f)eine aurons-nous le
temps, même avec cette avance, d'arriver pour le 28. Je veux un
premi(;r lujméro superbe, — comme réilaction et aspect, superbe.
Si j'étais Giiulier, je laisserais reposer là « croix d'honneur » et
je me mettrais î» un article judiciaire ou à [)eu [)rès, mais pas si
Agé que l'alTaire de Tapprî-nli. Du [)lns neuf, flu plus neuf! Vous
pouvez voir dans la lisîe des assis*^'S futur^s un cas que vous |)r(;n-
drez tout de suite, quille ^ rajeunir au dernier moment (lar un
autre en-lêle, ou une queue fraîche. Je v0!:s n'-crirai, du reste,
mais h l'œuvre, li l'oMivre, et soyons humain, rir-ur ou attendri.
Coléreux aussi, mais contre les noms propres, Kjs individus, pas
devant les idées. Faites voire siège — el le théâtre absolument
— et iucoynito. ' -
Jl'les Vallès.
ASSOCIATION DES ARTISTES MUSICIENS
Deuxième concert
Le deuxième concert de VAssociaiioji des Artistes musiciens.
consacré îi Henry Litolff, a été pour le vieux maître le glorieux
couronnement de son séjour à Bruxelles. Les ovations du Waux-
Hall, le triomphe des Templiers h la Monnaie, la cordiale sym-
pathie manifestée h ï Association tant par les artistes de l'orches-
trç que par l'auditoire, ont tour à tour réjoui le cœur du musi-
cien, désormais populaire en Belgique. Il n'est point de solennité
de ce genre sans quelque emblème destiné à en perpétuer le sou-
venir. L'Association a donc offert au maître une lyre de papier
doré enrubanée et enguirlandée d'un discours de M. Dumon. Il
y a eu des effusions, des accolades. L'u instant interrompue par
rémolion qui a gagné jusqu'aux cymbales, la séance musicale a
repris ensuite son essor, et sous la fébrile direction du maître,
dont tout le monde a admiré la verte vieillesse, la Grande-
Harmonie a retenti des plus vigoureuses sonorités de l'œuvre de
Litolff.
L'ouverture de Robespierre, bien connue à Bruxelles, le l' Con-
certo que Brassin joua jadis, dans celte même salle, les airs de
ballet des Templiers, indissolublement liés i\ la vision de la
charmante ballerine .Vdelina Rossi, composaietu le programme.
M. Camille Curickx, chargé par le maître de la partie do piano
du concerto, l'a joué en musicien de haute valeur el eu pianiste
consommé. L'école de Brassin transparaît "dans son jeu sérieux,
consciencieux, respectueux des intentions de l'auteur,, moelleux'
de toucher el puissant.
Dans la première partie, M. Curickx avait fait entendre une
œuvre de lui, un poème symphonique révélant, à côté du pianiste,
un compositeur de mérite. L'intérêt du concert étant concentré
sur l'auteur des Templiers, on n'a peut-être pas donné k la
conaposilion du jeurie artiste toute l'attention qu'elle mérite.
D'une facture distinguée, écrite avec une recherche approfondie
des timbres et une entérite parfaite des ressources orchesi raies,
l'œuvre a une belle a'Iure, particulièrement dans sa seconde
' partie, où elle a quelque parenté avec les poèmes de Liszt. Les
etïéts du piano y sont habilement combinés avec la polyphonie
de l'orchestre (^ manière \ï former un ensemble d'un intérêt
soutenu, mi-concerto, mi-symphonie, mais dans une forme
nouvelle qui n'est ni le concerto, ni la symphonie. M. Gurickx
est un rêveur dont rin-^[)iraiion ne s'accommode pas volontiers
des canons ni de la a Tabulalure ».. La composition qu'il a jouée
samedi est, pensons-nous, la première qu'il ail fiil exécuter.
C'est assurément le début !e[)lus briHanl qu'on ait ftit, depuis
bien des années, en BeUioue..
'JMuSIQUE DE CHAMBRE
Marrli ;i eu lieu, rhm.s une <jrs ^alle, du Pa!ais des B.'aux-Arls,
a'^sez peu favorable a l'acous' iipi'-, lu [iremière des deux si-ances
annonct'-es pcl-'irio Hubay, Wienia\v>ky, Jucohs.
Le [)ut)!ic ;i t'iiJL excelietu iiecueil aux irois musiciens qui. avec
tant de dèvuuemt.'nl et de science artiste, s'efforcent de lui donner
une éducation musicale sérieuse el profonde.
Souvent nous avons loué chez M. Hubay le jeu à la fois élé-
gant el grandiosement emporti;, V,{ tenue correcte el si-mple, la
virtuo>'il(;,(|ui ne s't'carte jamais de \A synthèse de Ta^uvre ei ne
d<-'ai!le que juste assez pour iuiliijuer l'importance du d.-tâil
dans l'importance générale. Jamai>^ l'excelient violoniste n" i fait
preuve d'autant de lalent i[ue dans sou interprtHation de la >onale
de Beethoven op. 47, dè'di<M,> à Kriniizer. l..-s nombrewses for-
mules qui [)eu a peu meiienl des rides daiis une pai'iii.'ile !'.i'!ivre
de Beethoven disparai.^saient pr-sque '.'ompielt.'menl de' l'iTeille.
et seul demeurait l'attachant intérêt d'un travail harmoni([ue bien
conduit el droit au but.
M. Jacobs a fait remar(|uer <on talent distingué et délicat dans
le Quintette' de Schumann, où l'auteur réserve au violoncelle an
rôle important. Et nou.s nous ."apneiions, en écoutant W diurne
successeur de Servais au prnfN<oral ih^ ni^lre Ecole ilê musique,
le Des Esseinies d'.l rebours que certaine"^ pages pour violoncelle
Ite Schumann posiiivemeui laissaient haielanl.
(.Quelle' belle in>^pirati')n que l'iii modo inna marcui el {'■dlegro
ma non iroppo, de désolation et d'emotiou'aigué (H lancinante .'
Le numéro deux du [trogramme t.'tait une nouveile composition
du très t'econd [uaniste Wirn:a\v<ki : un irio pour [)iano. violon
et violoncelle i/i, ()ù les trois oi-gaiiisaieurs de cette H^xceilenie
séance de musitpie de chambn' ont j^art égale, ("lar une des t(ua-
lités lie t;ette œuvre esl !a t^omlération exacte des trois instra-
uîetUs; h' pianiste, l'hose ww^i, a pu s'oublier el, au lieu de rete-
nir pour soi le premier rôle, ne tiguivr qu'à son itiLin daus>
l'harmonie L!:euerale. ■ -
" Reoemiiient publie chez Sciiott trères.
A celle qualité, il faut joindre l'ëlégancc. M. Wicniawski, s'il
n'évite point d'élrc banal parfois et teinté de réminiscences, ne
tombera jamais dans la vulgarité : ses compositions pour piano,
par exemple, déjà fort nombreuses, ne loucheront jamais ces
écuoils : le morceau de salon, la lantaisie brillante, le bouquet de
mélodies, la pluie de perles, et quelle volonté ne faut-il pas au
professeur mondain pour ne point devenir l'approvisionneur des
pensionnats en vogue et des maisons d'éducation bien notées!
Nous louons fort dans son trio, déjà sa 40"'" œuvre, les numé^
ros d, 2 et 4 : le premier, d'une bravoure un peu romantique,
d'une tournure de mélodie voisine de Chopin et de Liszt; le
deuxième, développement d'un thème désolé, d'une mélancolie de
.chant populaire polonais, avec, ci et là, des réminiscences de
Grieg; le quatrième, plus grandiose et emporté, mais aussi
émaillé de souvenirs, de Wagner celte fois. Le scherzo nous plaît
moins; il manque de développement et fmit avec une intempestive
brusquerie.
La deuxième séance que donnera le mardi 2 mars l'excellent
trio no peut manquer d'attirer au Palais des Beaux-Arts tous Ic^
musiciens et amateurs sérieux; le programme comprend des
œuvres de Mozart, Rnbinslein, Waldemar Bargiel. Nous la
recommandons vivement et félicitons encore MM. Hubay,
Wieniawski et Jacobs pour leur artiste interprétation.
fl0F(RE?P0NDANCE PARISIENNE
Société des aquarellistes français.
Voici venir T-oiiverlure de toutes les expositions dont souffre
Paris de février à juin. La plus belle « première » a été, jusqu'à
présent, celle des Aquarellistes, à la galerie Petit. Cette aimable
compagnie de fournisseurs brevetés des Cours et des riches ban-
quiers Mécènes, très fermée au ^début, s'est agrandie et' a admis
en son sein quantjté de nouveaux venus. Plus de Delaille : les
panoramas ]e tiennent loin de là rue de Sèze; de Neuville n'est
plus; 31"'^ Lemaire, lasse de ses succès, abandonne ses pin-
ceaux de martre pour ne plus s'occuper que de pastel. (Le pastel
est le nouveau joujou parisien.) H y a encore d'autres désertions
et de la société primitive il ne reste guère que des vieillards
respectables mais peu intéressants, comme l'exact Français, l'or-
léaniste Eugène Lami, Ed. de Beaumont, le calembour fait peintre,
Viberl l'illustrateur de Léo Taxil, Lambert le faiseur de chats
pouf Palais-Royal, l'Espagnol Worms, qui n'existe plus, même
pour ses anciens admirateurs..., et enfin M""^ la baronne Natha-
niel de Rothschild, qui n'est pas la moins bien douée.
^ Les jeunes recrues sont, pour la plupart, bien dans la tradi-
tion. M. Maurice Courant représente la marine française; M. Le
Blant est fauteur de chouans qui ravissent le public; M. Roger
Jourdain copie tout doucement M. Duez; M. Maurice Leloir est
le frère de fou Louis; .M. Gros est l'élève dur du dur Meissonnier;
M. Aimé Morot modèle aussi implacablementà l'eau qu'à l'huile;
M. François Fiameng « papillolte » entre feu Forluny el M. Heil-
buth, dont les gouaches mondaines s'alourdissent d'année en
année; M. Zùber fait des paysages de chef de bureau en vacances.
M. Guillaume Dubufe obtient un regard en illustrant une page
inédile de son oncle Ch. Gounod, dont l'archet est emporté par
un cacatoès qui tient lieu de Saint-Esprit. Serait-ce un souvenir
de Un cœur simple, le petit chef-d'œuvre de Flaubert? Les anges,
drapés d'étoffes aux couleurs « les plus modernes » font les yeux
doux. M. Boutel de Monvel pille Miss Ka^e Greenaway et réussit
si bien que tous ses éventails sont déjà< vendus.
Dans ce bazar aux njédiocrilés, quelques rares notes d'art nous
consolent un peu. M. Albert Besnard, peut être moins heureux
que souvent, a cependant envoyé une Nuit d'un effet très curieux
et d'un grand caractère, deux belles têtes de paysannes el un
joli bébé jouant avec ses pieds. Nous aim(fhs moins ses fantai-
sies lunaires et solaires, tout en les tenant |)our des œuvres dis-
tinguées. M. Ernest Duez, qui a point autrefois si bien, et (|ue
son Saint- Çuthbcrt avait lancé dans la grande peinture, où il
s'était fatigué, est revenu avec intelligence à ses ileurs délicate-
ment exécutées et à son métier si précieux. Aussi brille-t-il chez
M. Petit d'un vif éclat. Ses Hortensias bleus sont exquis;
ses Chrysanthèmes jaunes sont d'une couleur extraordinaire sur
la mer satinée qui leur sert de fond. M. James Tissot est infé-
rieur à lui-même : son essai d'aquarelles sur soie ne prouve pas
grand'chose. C'est évidemment œuvre d'artiste, mais c'est peu
réussi, sec et dur. Enfin M. John-Lewis Brown, toujours rafliné,
n'a envoyé que des aquarelles médiocres pour lui, et M. Har-
pignies des paysages ennuyeux, bien que d'une certaine gran-
deur.
Telle est cette pauvre exposition. On y assiste à l'agonie d'une
société qui n'a plus de raison d'être et dont la mode, seule, pro-
longe l'existence.
f>
ETITE CHROJMIQUE
M. Edmond Haraucourl a fait hier aux XX une conférence
dans laquelle il a attaqué avec violence la jeune école littéraire
que nous avons, ici. même, étudiée récemment dans ses manifes-
tations diverses. Son titre, les Reines de villages^ est emprunté
à Pascal dont il a lu, pour débuter, l'ingénieuse comparaison :
« Comme on dit beauté poétique, on devrait dire aussi beauté
géométrique et beauté médicinale. Cependant, on ne le dit point : et
la raison eu est qu'on sait bien quel est l'objet de la géométrie et quel
est l'objet de la médecine ; mais pn ne sait pas en quoi consiste
l'agrément qui est l'objet de la poésie. On ne sait ce que c'est que ce
modèle naturel qu'il faut imiter, et faute de cette connaissance on a
inventé de certains termes bizarres : siècle d'or, merveille de nos
jours, fatal laurier, bel astre, etc.; et on appelle ce jargon beauté
poétique ! Mais qui s'imaginera une femme vêtue sur ce modèle verra
une jolie demoiselle toute couverte de miroirs et de chaînes de
laiton ; et au lieu de la trouver agréable, il ne pourra s'empêcher
d'en rire, parce qu'on sait mieux en quoi consiste l'agrément d'une
femme que l'agrément des vers Mais ceux qui ne s'y connaissent pas
l'admireront peut-être en cet équipage; et il y a bien des villages où
on la prendrait pour la reine; et c'est pourquoi il y en a qui appel-
lent des sonnets faits sur ce modèle des Reines de village. »»
Ce sont les précieux d'il y a deux siècles que Pascal caractéri-
sait ainsi. Le mot, selon M. Haraucourt, s'applique à merveille
aux poètes décadents, qui sont les précieux d'aujourd'hui.
Et à l'appui de son affirmation, ri a lu des vers de Stéphane
Mallarmé, de la prose de Verlaine, des vers de René Ghil. Il les
a analysés, pesés, pour se justifier d'un reproche qui lui avait été
adressé à propos d'une conférence qu'il fit, ces jours-ci, sur le
même mouvement littéraire. Sa conclusion, résumé de sa cam-
pagne, — car c'est une véritable campagne qu'il poursuit el qu'il '
mène depuis quelques jours à Marcinelle, à Anvers, à Bruxelles,
la voici : les Décadenls'tuent la langue française; ce sont des êtres
i-
UART MODERNE
63
dangereux el m:ilf;iisanis/qui ddlournenl du chemin d'un art sain
et robuste des poôlcs d'avenir, tels, par exennpie, que Charles
Morice. Ils ont du talent, ou ils en ont eu. Mais leur influence est
pernicieuse el doit êlre comballue au nom de l'art français.
El avec une énergie dont la crùneric a plu même aux adver-
saires de sa th(îorie, M. Haraucourl a, pendant près de deux
heures, développé une série d'arguments en faveur de celte
thèse, sachant fort bien que son auditoire était en partie composé
d'artistes qui ne partageaient en aucun point ses opinions.
Mais les sifil(Us sont restés au fond des poches. M. Haraucourl
parle avec conviction, avec chaleur. Il est de ceux dont on peut
comballn; les idées, mais dont il faut respecter les convictions.
El sa conférence aura eu, tout au moins, une conséquence effi-
cace : celle de pi^iuer la curiosité de ceux des assistants pour qui
les noms des poètes décadents ne sont pas encore familiers, et
de soulever, {)armi les autres, des discussions el des polémiques,
qui toujours sont salutaires k l'Art.
La prochaine conférence des XX sera faite par M. Jules
Lemaîlre, le critique apprécié du Journal des Débats. Elle sera
annoncée prochainement.
Le Comité de l'exposition des œuvres d'Edouard Agneessens
prie les personnes possédant des tableaux de ce maître de vou-
loir bien en prévenir la famille Agneessens, rue de la Com-
mune, 28. Le Comité se chargera de -faire prendre les œuvres k
partir du 25 de ce mois et elles seront renvoyées à leurs proprié-
taires dans les Trois jours qui suivont la clôture de l'exposition,
fixée au 6 avril prochain.
Le deuxième con(;erl populaire aura lieu aujourd'hui dimanche,
à 1 i/2 heure, au Ihéâtre royal de la Monnaie.
Programme : i» L Enfance du Christ, oratorio de Hector Ber-
lioz. Solistes : M'"'' Moriani (de C...); MM. Heuschling. Dubulle,
Engel ; 2o Symphonie n" 2, de Borodine (redemandée).
Voici le chiffre d'entrées atteint par le Salon des XX durant
cette première quinzaine. Entrées à un franc : 437. Entrées k
cinquante centimes : 4,782, soit ensemble 5,204.
Les trois concerts Rubinstein, que nous avons annoncés, sont
défmitivemenl décidés, et les dates fixées :
Vendredi 30 avril, concert Beethoven. Mardi 2 mai, séance
Schumann.
Jeudi 4 mai, séance Chopin.
Ces concerts auront lieu k la Grande-Harmonie.
L'œuvre que M. Ernest Renan a promise k la Comédie-Fran-
çaise pour le premier anniversaire de la mort de Victor Hugo
sera en prose et s'appellera Dix-huit cent deux.
C'est une sorte de Dialogue des moris, auquel prennent part
plusieurs personnages de l'époque. Les interprètes de ce dialogue,,
plutôt épique que dramatique, seront MM. Gol, Febvre, Worms,
ailles Roichemberg, Cartel, etc. ' ^
Le même soir, la Comédie-Française donnera un acte de Ruy-
Blas, un acle d'Hernani et un acte de le Roi s'amuse.
A rOpéra-Comique de Paris, M. Carvalho va mettre eu répéti-
tion le Benvenuto Cellini de Berlioz.
Voici la distribution : Benvenuto Cellini, M. Talazac ; Balducci,
M.Fugère: Fieramosca, M. Bouvel; Le cardinal, M. Fournels;
Teresa, M"*^^ Merguilier; Ascanio, Mi''^ Deschamps.
Le festival rhénan de celle année aura lieu k Cologne, du 13
au 15 juin, sous la direcliondu capellmeister Wullnçr, directeur
du Conservatoire de Cologne. Le programme porle la nouvelle
symphonie de Brahms, Balihasar (oratorio) de Ha.Mulel, le finale
du premier acle de Parsifal et la neuvième symphonie de Beel-
hoven.
On commence k parler du successeur de Paul Baudryk l'Institut;'
on nomme comme devant se présenter cl par ordre alphabétique :
MM. Jules Breton, Henner, Jean-Paul Laurens, Jules Lefebvre,
Gustave ^loreau, Puvis de Chavannes.
La liste est intéressante, comme on le voit.
L'exposition de l'œuvre de l'artiste sera ouverte k l'Ecole des
Beaux-Arls le !«»• avril.
Un comité est en voie de formation. Des lettres vont êlre adres-
sées aux directeurs des musées de province et aux amateurs qui
possèdent des tableaux du maître.
Un des plus grands artistes de l'Europe vient d'être enfermé
dans une maison de sanlé. Sraria, la basse chanlanle de l'Opéra
de Vienne, a élé transporté k Badiiwitz, en Saxe. Les représenta-
tions de Bayreuth, qui ont lieu sans souffleur, l'avaient, l'an der-
nier, surmené; puis sont venus uno tournée en Amérifjue et le
service régulier de l'Opéra de Vienne qui l'ont achevé. Il a perdu
la mémoire au milieu d'une représentation du Tannhauser, el,
sans la présence d'espril du chef d'orchestre, qui a sauié un
finale, la r.présenlalion aurait é'é iiit(Trom[)ue de. lu façon la plus
pénible. Scaria, passait k juste titrr pour le meilleur Wotan
des Niebelungen, le meill; ■nr Hans Sachs d(!S Maîtres Chanteurs,
avait été le créateur de Gurnemans drjns ParsijaL
Voici le tableau comparatif des recet'.es dans les théâtres de
Paris :
MOIS 1880 1881 1882
Janvier . _ l,S10,:/j« 2,0&8,850 2,#y),;^
f'évrier _. , l,%>,.y..^ 2,2a{,2J2 2.r><l,4f/j
Mars. l,.T;i,r>^.ô 2,.325,812 1,'j5 1,272
Avril XfiJir^'n Vfr;,TS) l,8?2,4-r4
Mai 1,419,724 l,72.ô„S6'.) l,760,.Vja
Juin l.fji)l,9:^ 1,127,74.3 1,03:^,227
Juillet f>43,212 4Ô&,(>30 6.>1,.%7
Août 5.54,201 7:S,26.3 65rJ,19I
Septembre; 1,154,058 . 1,664,670 1,44Û..598
Octobre ..*......... 1,886,420 2,095,787 2,015,231
Novembre . . . . 1,967,992 2,140,756 2.019,683
Décembre 2,229,138 2,1(08,769 2,269,875
'l7,689,7.S8 21,391,211 ' 20,18rt,359
MOIS 1883 1884 1885
Janvier 2/J00.123 2,250,397 2,r«3,620
Février . 1,997,423 2334.;«i9 2,010,»99
Mars 1,'J'J1,479 2,030.522 XSf^i^fA
Avril 1,718.221 1,S88.',>58 l..vjl,24t)
Mai 1,418,^34 1,517,761 l,6,Si,!X'7
Juin 757,206 979.42"3 r35.^,328
Juillet 542,484 242,172 373,243
Août 594,078 246.258 403,4.54
Septembre i;î32,716 1,060.137 1,141.292
Octobre 1,'J88,282 1,688,349 1,672.575
Novembre 2.084.839 l,7ri2,721 2,018.935
Décembre ...... . . , . 2,394,446 1,82.5,360 2,002,708
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e
64
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' " . ■■ SIXIÈME ANNÉE
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informations et' les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune manifestation de l'Art ne
lui est étrani^^èio : il s occupe de littérature, de peinture, de sculpture, de gravure, de musique,
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouvement artistique belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur tous les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaître.
Chaque numéro de L'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'actualité. Les expositions, les livres mmveaux, les
premières représentations d'œuvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires, les concerts, les
ventes cfobjcts (fart, font tous les dimanches l'objet do chroniques détaillées.
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Dimanche 28 Février 1886.
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REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser les demandes d'abonnement et toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelleâi;
I
?
OMMAIRE
A PROPOS DU Salon des XX. — L'Enfanxe du Christ. —
Curieuse! par Joséphin Péladan. — Impressions sur la peinture.
— Gazette de Hollande. — Correspondance musicale de Paris.
— Théâtres. Théâtre la Monnaie; Théâtre Molière. — Chronique
judiciaire des ARTS. — PETITE CHRONIQUE.
^ ^ PROPO? DU ^ALON DE^ }(^
L IMPRESSIONNISME
II
Il y a un bon nombre de personnes pour qui les
impressionnistes sont d'affreux barbouilleurs qui ne
respectent ni la forme, ni l'aspect des choses ; qui
écrasent au couteau à palette des tons quelconques
sur de la toile et se soucient fort peu de ,ce que l'amal-
game qu'ils triturent doit représenter. A la vue des
œuvres lumineuses des impressionnistes français, ces
gens éclatent de rire. Devant les savoureuses colora-
tions de nos impressionnistes à nous, ils se mettent en
colère, montrent le poing ou menacent les tableaux de
leur canne. Et les journaux que lisent ces malheureux
publient des âneries telles que celle-ci, extraite textuel-
lement d'un compte-rendu qui eût mérité une place
d'honneur dans le Sottisier des Vingtis'tes : « Jamais
^palais des arts n'a offert quelque chose d'aussi auda-
cieusement grotesque ; jamais commission d'exposition
n*a tenté pareil défi. Tradition, réalisme, école, com-
position, nature, sentiment, couleur, dessin, tout au
rancart. Les Vingtistes renversent et répudient toutes
les créations artistiques des temps passés. Arrière la
glorieuse époque du xvi^ siècle où Rubens trônait au
centre d'une pléiade de grands hommes. Arrière Rem-
brandt, Van der Est, Vouwermans, Brauwer et bien
d'autres en Hollande. Arrière Albert Durer et les
siens et toute pette- immortelle école italienne qui a
rempli l'Europe de ses chefs-d'œuvre. Arrière ! LesXX"
vont remplacer tout cela, comme si c'était un rien, par
la débauche artistique la plus effrénée qui se puisse
imaginer. «
Nous plaignons sincèrement le* malheureux qui a
signé ces lignes ; son cas est intéressant, mais ce n'est
ni pour lui, ni pour ses semblables que nous écrivons,
et si nous aVons cité ce curieux extrait, c'est qu'il nous
a paru typique. Le jour où les XX ne seront plus har-
celés par la meute que si joyeusement ils exaspèrent,
l'heure du déclin sera peut-être proche.
Il y a, à côté de ces fanatiques, des esprits plus
-réfléchis qui, n'étant pas encore familiarisés avec l'art
nouveau que poursuit le groupe dont nous nous occu-
pons, "ont quelque peine à classer les sensations diver es,
souvent contradictoires, qu'il leur fait ressentir Ceux-
ci éprouveront peut-être quelque satisfaction à nous
lire. On dit que pour les Japonais, tous les Européens
se ressemblent, et cela n'a rien d'impossible puisque
pour nous, rien n'est plus semblable à un Japonais
qu'un autre Japonais. L'obsers-ation, l'étude, l'analyse,
la . comparaison dissipent peu à pçu cette impression
superficielle. Or, il en est des arts comme des phvsiono-
mies. Il faut les pénétrer, les scruter, les approfondir,
en comparer entre elles les manifestations pour arriver
à les comprendre. Et ce n'est pas, semble- t-il, chose
aisée ni rapide, si l'on en juge par les appréciations
que chaque épanouissement d'un ai*t neuf voit éclore.
Témoin les lignes citées plus haut.
Sans nous étendre au delà du cercle restreint, mais
profondément attachant, des impressionnistes belges,
nous avons, la semaine dernière, cherché à démêler ce
que réalisent les individualités qui le composent. Com-
bien leur art diffère de celui des artistes français qui,
sous le même drapeau, guerroient chez eux contre les
préjugés d'école et l'éternel aveuglement des bourgeois!
Constatons-le avec orgueil. Car cette diversité d'expres-
sions dans une même tendance est l'une des plus belles
prérogatives de l'Art. N'est-il pas consolant de penser
que nul n'a épuisé la formule du beau, que malgré les
gloires qui ont successivement occupé les hautes cîmes
de l'Art, il est encore, et il y aura toujours, dans ce
vaste monde des tons et des formes, des sommets à
gravir? Qu'il est puéril et faux d'essayer de faire croire
quc'ceux qui. tentent cette ascension périlleuse, lente
et pénible, font fi de ceux qui, au prix des mêmes fati-
gues, ont atteint l'idéal rêvé! Quel thème ressassé,
démodé, digne tout au plus d'être encore modulé par
quelqu'ignorée gazette de province ! ^
Comme si tous les artistes, — les vrais, les seuls
dignes de ce nom 'et dont nous ayons à nous préoccuper,
— n'étaient pas unis dans une commune aspiration et
n'avaient, avec le respect de l'Art, le sentiment indélé-
bile de la dignité de ceux qui ont souffert pour lui !
On s'est efforcé en France, de trouver en peinture la
réalisation d'une idée neuve: celle d'exprimer la sen-
sation que provoque la nature, non pas étudiée à tra-
vers des souvenirs ou examinée à la lumière des lanter-
neaux d'ateliers, mais surprise dans l'air qui la caresse,
sous le jour qui la baigne; on a décomposé le prisme
solaire pour faire vibrer sur la toile l'éclat du soleil ;
on a poussé jusqu'aux recherches les plus minutieuses
les dégradations du ton par la lumière, au lieu d'en
donner l'illusion ' par l'opposition des claire et des
ombres, comme l'avaient fait des artistes — des plus
grands — autrefois.
Le groupe des impressionnistes est né. Est-ce bien le
nom qui convenait à ces amants de la lumière? Et
n'eût-il pas fallu plutôt les baptiser « luministes "?
Mais qu'importe l'étiquette ! Nous avons dit déjà qu'on
n'y doit pas prendre garde.
Et ce groupe a produit des œuvres remarquables,
d'une clarté et d'une intensité qui n'avaient guère été
égalées avant lui.
Claude Monet, dont on peut voir aux XX dix
tableaux, tous importants, est celui qui est allé le plus
loin dans ce voyage à la conquête des rayons d'or. Il a
de la nature une vision sereine et son œil, merveilleuse-
ment organisé, fouille implacablement l'horizon qui
apparaît, dans chacune de ses toiles, radieux et illu-
miné. N'eût-il apporté à l'évolution artistique que ce
trésor, il eût droit au respect de tous. '
Que de palettes décrassées de leurs tons bitumeux et
sales depuis que l'artiste a osé peindre la nature aussi
lumineuse qu'il la voyait!
Sans doute, l'élément subjectif entre ^our une part
dans cette obstinée recherche.
Claude Monet, qui unit à l'observation constante qu'il
fait des dégradations du ton sous la morsure du soleil
une maîtrise étonnante et un dessin d'une sûreté impec-
cable, interprète la nature comme il la sent. On peut
ne pas avoir la même vision que lui. Mais il est impos-
sible de nier son mérite. A Paris, il n'est plus contesté
que par les ignorants et les imbéciles.
Il interprète, disons-nous, la nature comme il la
sent. C'est ce que font aussi nos impressionnistes. Mais
la diversité des tempéraments et des races crée entre
Claude Monet — et en parlant du chef nous entendons
parler du groupe tout entier — et les impressionnistes
belges des divergences profondes. Nos compatriotes ont
un sentiment plus raffiné des colorations. Ils sont, sans
contredit, plus peinty^es au sens exact du terme. La
qualité des tons est, chez eux, plus riche; leurs
rapports sont plus harmonieux ; les accords dont
retentit leur palette sont plus sonores, plus graves. A
ce point de vue, la balance penche de leur côté. Et s'il
fallait chercher, dans la peinture contemporaine, une
famille artistique à laquelle se puissent rattacher, par
des liens d'affinité, nos artistes, c'est vers la jeune école
hollandaise, non pas vers l'art français, qu'il convien-
drait de tourner les regards.
En revanche, quel exemple que l'exacte expression
des valeurs dans les toiles profondes, bien établies et
solidement charpentées de Claude Monet! Les plans
sont tous indiqués, « calés «, comme on dit en argot
d'atelier. Rien n'est laissé au hasard de la brosse ou du
couteau à palette. Et le côté superficiel, décoratif, qu'on
reproclie à certains peintres belges, est rarement sen-
sible chez leur confrère de Giverny.
Quelle belle et suprême expression d-'art réaliserait
celui qui parviendrait à unir la claire, limpide et calme
vision de Monet, sa science et son autorité, au savou-
reux régal de couleurs, aux délicates harmonies des
impressionnistes belges! Mais quel sera le tempéra-
ment assez complet pour accomplir ce prodige ?
Il y a aussi, chez nos voisins, une préoccupation qui
ne hante point nos compatriotes, absorbés presque
exclusivement par l'observation des relations de tona-
lités : c'est V esprit de la scène à représenter, ce côté
quasi-littéraire que dédaignent, en général, les vir-
tuoses de la brosse.
Examinez, par exemple, les fi<]çures des Paniwaux
de la Danse : l'onlaceineiii des c()r[)S des danseurs est
souligné, les visages ont une inlention; et cliez le;^
artistes d'envolée moindre, Zandomeneghi entre autres,
cette recherche est plus accentuée encore.
C'est que ces artistes, moins sensibles que les nôtres
au charme des colorations, ne peuvent séparer une
expression picturale du sujet à peindre. Il y a du récit
dans leur art, récit épique parfois, quand il est incarné
par Millet, par exemple, anecdotique presque toujours.
Et fréquemment des souvenirs classiques poursuivent
ces enragés de modernisme. L'école d'Italie transparaît
dans le Payerait de il/'"" Charpeniier. Changez les
costumes, et vous aurez, dans toute sa pureté, le
groupe de la Madone, de l'enfant Jésus et de saint Jean-
Baptiste. Le chien seul devrait disparaître pour faire
place à un mouton. -■
Rien de semblable, est-il besoin de le faire remarquer,
dans les intérieurs peints par les impressionnistes belges.
Nous ne parlerons pas ici du prdcédé, qui nous
entraînerait en des considérations techniques que le
cadre de ces brèves observations ne comporte pas. On
sait, en effet, et il est facile de s'en convaincre en exa-
minant une des toiles de Monet ou de Renoir, que les
impressionnistes parisiens emploient des tons purs, le
bleu, le rouge, le vert, juxtaposés, ce qui produit', à
distance^ des combinaisons harmoniques, au rebours de
nosartistes qui cherchent le ton sur la palette et ne
l'appliquent sur la toile que quand ils l'ont trouvé.
Le métier importe peu dans les arts. Tout au plus
peut-on dire, en ce qui concerne ce point, qu'il est pru-
dent de ne pas se prononcer à la légère sur certaines
brutalités de coloration qui choquent, au premier
abord, dans quelques-unes des œuvres de Claude-Monet
et de Renoir. Qu'on compare, par exemple, le portrait
de M""^ Charpentier, qui remonte à quelques années,
aux Panneaux delà Danse, ïvsàohemeïii peints. Dans
l'un, le travail chimique des couleurs s'est opéré. Les
tons se sont fondus. La couleur s'est émaillée, adoucie
dans une nuance d'ambre fin d'une grande délicatesse.
Dans les autres, les bleus détonnent. Les rouges crient.
Les jaunes paraissent trop bruyants. Quel sera le
résultat des années jetant sur ces compositions leur
patine ?
Rien n'est plus instructif, dans le même ordre d'idées,
que d'étudier les toiles de Monet réunies par les XX.
Le pont d'Argenteiiil, qui appartient à M. Faure, et
qui date, croyons-noi^s, d'une douzaine d'années, est
velouté, délicieux. Le clapotement de l'eau est exprimé
à miracle. L'air y circule, — cet air spécial des envi-
rons de Paris qui semble parfumer de gaîté tous les
paysages qu'il enveloppe. Ici le travail des années a
accompli son œuvre. N'est-il donc pas périlleux: de
déclarer, ex cathedra, que les Palmiers de Bordi--
ghe^a ou. les Soleils sont peints dans d^s tons trop crus?
Ne faut-il pas attendre la réalisation du phénomène
fOi^Zw par l'artiste?
Nous ne poursuivrons pas plus loin cette étude,
restreints que nous sommes par le format de notre
journal. Mais c'est à regret que nous quittons la plume,
et sans doute aurons-nous encore l'occasion de revenir
sur ces observations, qui touchent de si près à l'avenir
de notre art. Les polémiques passionnées que soulève
cette manifestation très particulière de l'école contem-
poraine nous donnent le droit de supposer que nous
sommes dans le vrai en la défendant : car les forts seuls
sont attaqués. Et devant les haussements d'épaules, les
rires, les menaces du public, nous ne pouvons nous
empêcher de songer à ce mot profond de Whistler :
« Mon art a été abreuvé d'injures. Mais j'espère que
jamais on ne lui fera celle de la popularité. » ^
L'E.\FA\GE DU ClIftlST
« Si nous revenons souvent à parler de M. Berlioz, e'esl qu'il
esl un exemple curieux du genre d'industrie qui caractérise émi-
nemment notre époque, l'art de se faire prôner. Voilà vingt ans
qu'il escompte avec son feuilleton .la fiction d'une « prétendue
gloire musicale qui n'existe que dans une demi-douzaine de cer-
veaux fêlés. » Toutes les fois que le vrai public a été admis h
entendre quelque chose des « essais bouffons de M. Berlioz, il
s'est sauvé en riant aux éclats, » commç on l'a vu aux derniers
concerts. » •
Ces lignes, qui vous font rire, n'est-ce pas? sont de M. Seudo.
Elles ont paru, encadrées dans un compte-rendu de l'Enfance
du Christ, le 15 décembre 1854, dans la Revue des Deux-
AfoHdes naturellement.
Si M. Scudo vivait encore, il écrirait aujourd'hui dans l'Indé-
pendance. Après cela, peut-être M. Scudo vit-il toujours et col-
labore-t-il k ce journal sous l'un des pseudonymes mis au bas des
appréciations qui réjouissent nos contemporains.
Ainsi rien n'est changé. Il y aura toujours des grotesques char-
gés de dire leur fait aux artistes, et ces grotesques, Berlioz lui-
môme les a flagellés de maîtresse façon dans des pages qui les
cinglent comme des coups de cravache.
C'est pourquoi il imagina d'attribuer cette œuvre curieuse,
l'Enfance du Christ, qui ressuscite de vieux et naïfs mystères, à
un maître de chapelle du xvn^ siècle, Pierre Ducré, ce qui four-
nit l'occasion à un critique de s'apitoyer sur le malheur de ce
pauvre ancien maître et d'écrire : « Aucun de nous n'avait encore
entendu parler de lui, et le Dictionnaire biographique des musi-
ciens de M. Fétis, où se trouvent pourtant des choses si extraor-
dinaires, n'en fait pas mention. »
Il se trouva naturellement des gens qui s'écrièrent : c< Voilà de
la musique! Le temps ne lui a rien ôté de sa fraîcheur. C'est la
vraie mélodie, dont les compositeurs contemporains nous font
bien remarquer la santé. Ce n'est pas votre M. Berlioz, en tout
cas, qui fera jamais rien de pareil. — Hélas! répondit-on, c'est
pourtant M. Berlioz qui l'a fait! » (*)
{') Les Grotesques de la musique, par H. Berlioz, p. 173.
;
Aujourd'hui il serait prodigieusement niais de discuter Berlioz.
Mais on se rattrape sur d'autres, et rien n'est changé dans les
rapports entre la critique et les artistes. Ceux-ci n'ayant pas tou-
jours la malice de Berlioz (ou celle de Wierlz qui fil refuser au
Salon de Paris un Rubens authentique affubjé de sa signature à
lui), les critiques deviennent un peu plus imprudents et aventu-
reux que jadis. Voilà toute la différence.
L'Enfance du Christ a charmé par son étonnante fraîcheur.
La petite marche de la première partie, les passages symphoni-
ques de la deuxième, le joli duo de flûtes de la troisième ont été
particulièrement goûtés. Exécution d'ailleurs soignée, tant sous
le rapport de l'orchestre et des chœurs (des chœurs surtout) que
sous celui des solistes, à l'excoption du rôle de la Vierge rempli
par une artiste dont la voix est aujourd'hui insuffisante, M'"« de C. . .
Les autres chanteurs : MM. Engel, Ileuscliling et Dubulle ont
chanté avec beaucoup de goût et avec les qualités qu'on leur
connaît, les divers rôles de cet intéressant ouvrage.
La superbe symphonie de Borodine, interprétée avec un bel
ensemble par l'orchestre, a terminé cette deuxième séance des
Concerts populaires.
Il est question, pour la troisième, de l'exécution d'un acte de
Tristan et Iseult. Si la nouvelle est vraie, on fera fête, ce jour-là,
à Joseph Dupont et à ses aides-dc-camp.
p
L
URIEUpE !
par JosÉPHiN PÉLADAN. Paris, Laurent.
L'art, nous semble-l-il, doit ;!-.^ (infini subjectivement. Tous les
axiomp^ -ji le concernent : Homo additus natures, nature vue à
travers un tempérament^ splendeur du vrai, d'autres encore,
ont le commun défaut d'être outre mesuré objectives. L'art et le
beau sont une création de l'homme, une invention contingente et
l'on pourrait, croyons-nous, le reconnaître par cette proposition :
Est art, ce que l'artiste veut. Les grands et les forts ont toujours
imposé leur rêve, ils ont tiré un monde d'eux-mêmes et l'ont
fait admettre comme réalité. Tout génie est despote. Que de
penseurs et de poètes ont vécu des jours, des nuits, avec un vers
de Shakespeare, de Virgile, d'Hugo, de Baudelaire, de Mallarmé,
se le répétant, se le chantant, se le clamant interminablement,
et qui leur battait le cerveau à coups de cloche ou le leur flattait
à caresses d'ailes ! Ce vers était chose incréée avant, dédaignée
peut-être, jugée inesthétique, condamnée par le goût régnant. Il
fallait que de rien on fît de la splendeur; elle fut.
Du reste, cette définition subjective met plus qu'une autre en
lumière la personnalité de l'artiste. Elle l'accuse à l'avant-plan
— et, n'est-ce pas, après tout, celte personnalité qui, pour les
esthètes d'aujourd'hui, surgit seule parmi tant de ruines de discus-
sions inutiles sur cet éternel problème : l'art. Être un peintre, un
musicien, un écrivain original, peu importe où et comment, oh!
la force des forces !
Ces réflexions nous viennent, à l'endroit de M. Joséphin Péla-
dan, dont une œuvre : Curieuse! vient de paraître. Livre remar-
quable mais inférieur au Vice suprême.
Le sujet? Un roman à deux personnages : Nebo et PauleRiazan.
Nebo?
« Etrange Brummel, qui mettait son dandysme à disparaître,
à échapper à ratlention, à se perdre dans la figuration mondaine,
cachant sa supériorité comme ce philanthrope qui ôtait la chaîne
de sa montre pour aller voir les pauvres... au rcspir des alca-
loïdes de la décadence, gardant une attitude de diamant sur
laquelle rien n'avait prise... dont on dit qu'il est en commerce
avec les esprits comme Berruguier, qu'il cherche la pierre philo-
sophale comme Levy,... trop fier pour être un vaincu de la Vie,
trop calme pour un combattant, ne manifestant pas même de
l'ennui... »
Paule, la princesse Paule Riazan? ■ ,
« Une nature garçonnière, volontaire, vierge... une andro-
gyne. » ■
Le roman ?
Un périple dans l'enfer parisien avec relais partout oii le vice
et la perversité et la' monstruosité de la décadence latine se
montrent. Nebo sera le Mentor de Paule, et voici son but :
« Je lui ferai parcourir le cycle du mal, écrit-il à >ïero-
dack, en désignant Paule, et j'éteindrai dans le dégoût sa dernière
curiosité, je l'écœurerai pour toujours par la succession ascen-
dante des nausées, je lui commenterai si subtilement les spec-
tacles turpides, qu'elle se réveillera do ce cauchemar, haineuse
de l'amour et méprisant les hommes. Alors, ce tendre cœur
n'aura plus que mon cœur, cette pensée désorbitée, ne pourra
pas sortir dé l'orbe de la mienne; et la Béatrice, la dame des
néo-platoniciens, sœur par l'effacement du sexe, homme par le
développement de la conception, femme par la tendresse, existera
pour la première fois. »
Tels SOïït lés personnages et la donnée de CumM^e/ présen-
tés par l'auteur lui-même, et ces quelques extraits instruisent
combien l'œuvre sera étrange et supra-humaine. Un Raziel mys-
térieux veille sur le couple périplant, qui échappe aux plus
extraordinaires périls à force de volonté et de cabalistique puis-
sance. Voici des duels oii l'on magnétise les adversaires, des
meurtres provoqués par des jets d'acide prussique, des incen-
dies et des ruines, qui rappellent, tant ils sont fantastiques, les
envoûtements du Vice suprême. On est noyé dans un mélodrame
aux scènes bizarres, violentes, aiguës, allumées d'invraisem-
blance et brûlées de fantasmagories.
Le Paris que M. Péladan nous décrit est un Paris de rêve, un
Paris qu'aurait produit Satan Trismégisle et qu'habiteraient des
entités perverses, parlant un langage inouï, vivant artificielle-
ment, faux des pieds à la tête. Et néanmoins, l'illusion artistique
est réalisée et l'œuvre vit d'une vie littéraire. Elle s'impose; l'au-
teur est quelqu'un. Tout en la déclarant irréelle, nous y croyons,
et nous pensons' par elle et comme lui, aussi longtemps que le
livre est entre nos mains. Il nous fait voir de ses yeux et imagi-
ner avec son cerveau, il crée ce que nul avant lui n'avait produit,
il invente un dramatique inusité et des moyens inédits, il a sa
griffe et sa force, il est l'artiste tel que nous le définissions au
début de cette critique.
Et même ses romans apparaissent si inattendus et neufs qu'on
n'a su à quelle tradition les rattacher. Certains ont cité Barbey,
d'autres Sue; le Prêtre marié et les Mystères de Paris. Certes,
il V a voisinage entre ces livres et Curieuse! mais descendance?
L'atmosphère est toute autre. Elle est traversée d'effluves sur-
naturels; les héros sont d'un androgynisme spécial; ils tien-
nent de l'ange et du diable; ils ont des cerveaux à la Pic de la
Mirandole, encyclopédiques et quinzième siècle, ils sont mages,
devins, sorciers. On s'étonne de les voir surgir aujourd'hui que
le réalisme trône encore, et pour les expliquer, il faut noter
tous ces tâtonnements de la science contemporaine autour des
phénomènes nerveux et ces mystères non encore expliqués de
suggestion et de magnétisme si hantants et' si brusquement séduc-
teurs. L'une tendance explique l'autre ; la littérature reflétant tou-
jours un coin de nos mœurs et de nos préoccupations.
Aussi bien peut-être les Nebo et les Merodack, tant excep-
tionnels aujourd'hui, seront-ils majorité demain, si les éludes des
Charcot progressent. Ils dévêtiront leur caractère cabalistique et
leurs dehors chaldéens. Ils deviendront de héros de romans
qu'ils sont, de simples -messieurs en habit noir, athées par
dessus le marché et jeunes premiers dans les dumaseries de
l'avenir.
Ainsi présentée. Curieuse! ne descend ni dès Mystères de Paris,
ni des Rocamboles, mais bien des romans philosophiques de
Balzac : Séraphita-Sérnphitus et Louis Lambert. Même surnatu-
rel, môme mystérieux, mêpe impossible vraisemblance, mêmes
héros et même atmosphèrlé,. Et voilà sa lignée littéraire.
Avant de clore, notons ^n défauts la trop multiple grécisation
et latinisation des mots et surtout ce style de pédagogue très
contrariant et malsonnant quelquefois.
IMPRESSIONS SUR LA PEINTURE
En une édition tirée à petit nombre, telle que sait en composer
Jouaust, ce maître délicat de la Librairie des Bibliophiles, Alfred
Stevens jette au public une poignée de vérités sur l'Art, telles
qu'il en vient aux grands artistes; réflexions ingénieuses mais
pas toujours très neuves, improvisations frappantes à l'occasion,
mais parfois aussi des réminiscences, et il les dédie à la mémoire
de Corot qu'il qualifie le plus moderne des peintres du xix.^ siècle.
Nous détachons quelques-unes de ces pensées, persuadés
qu'elles donneront aux artistes et aux esthètes la curiosité de con-
naître les autres.
Il faut le plus possible apprendre à dessiner avec son pinceau.
Il ne faut pas confondre les grands travailleurs avec ceux qui
ne sont que des piocheurs.
Il vaut mieux donner mince comme un ongle de soi-même que
gros comme le bras de ce qui appartient aux autres.
On n'est un grand peintre qu'à la condition d'être un maître
ouvrier.
En peinture on peut se passer de sujet. Un tableau ne doit pas
avoir besoin d'une notice.
Les petits maîtres hollandais se font pardonner leurs défauts,
parce qu'ils ont toujours l'air de vous dire : « J'ai fait de mon
mieux. Que ne puis-jc en savoir davantage! »
Un peintre, môme médiocre, qui aura peint son temps sera
plus intéressant dans l'avenir que celui qui, avec plus de talent,
aura peint une époque qu'il n'a pas vue.
Un peintre ne doit pas vivre de ses souvenirs, il doit peindre
ce qu'il voit, ce qui vient de l'émouvoir.
*
* *
Plus on s'élève dans l'Art, moins on est compris.
Du moment où le peintre a une grande âme artistique, la tortue
devient aussi intéressante que le cheval et beaucoup plus difficile à
exécuter, l'âme du peintre donnant sa marque de fabrique à toute
chose.
■s
On ne juge équitablement un tableau que dix ans après son
exécution.
*
* *
tJn peintre travaille constamment même en dehors de son
atelier.
.%
* *
Plus on sait, plus on simplifie.
Malheur au peintre, qui n'obtient que l'approbation des
femmes !
La main a une expression qui appartient à la physionomie.
Il n'est pas nécessaire d'aller en Orient chercher de la lumière
et des motifs pittoresques. Tout est beau partout pour un peintre
pénétrant.
*
* *
Une vieille pantoufle est plus pittoresque que l'escarpin d'un
élégant.
La commande d'un tableau est déjà presque un empoisonne-
ment pour l'artiste, puisqu'elle porte atteinte à son initiative.
On n'est pas un moderniste parce qu'on peint des costumes
modernes. 11 faut avant tout que l'artiste épris de modernité soit
imprégné de sensations modernes.
¥
* *
En regardant la palette d'un peintre on sait à qui l'on a affaire.
{^A2;ette de ]4ollande
La Haye, 25 février.
L'Exposition des œuvres de MM. de Bock, Zilcken, Breitner,
de Zwart et van der Maarel, que nous avons annoncée dernière-
ment, s'est ouverte à Amsterdam au commencement de ce mois.
Elle a réussi au delà de ce que l'on pouvait espérer. Le qualifi-
catif « impressionniste », qui constitue encore une injure en
Hollande, a été jeté au visage de ces artistes par la grande majo-
rité des journaux. On a consenti, toutefois, par exception, à leur
reconnaître beaucoup de talent. El en toute justice, on est forcé
d'admettre que cette exposition esl remarquable. L'harmonieuse
succession des toiles généralement d'une couleur juste et raffinée,
le goût qui a présidé à l'arrangement, et qui fait que rien ne
\
détonne, qu'aucun tableau n'est écrasé par t^on entourage, ont élu
Irùs appréciés. C'est (lécitlémcnl une ère nouvelle que celle expo-
sition indépendante inaùsjure en Hollande.
TH. de Bock remporte sans contredit la palme. A côté de ses
cinq ou six tableaux importants, démontrant la savante recberclie
qui préside chez lui h la combinaison des lignes et des tons, nplre
sympathique paysagislç a exposé une quinzaine d'études, choisies
avec un goût sûr, peintes savoureusement. Toutes sont d'une
couleur vigoureuse et chaude, et forment un ensemble des plus
distiniîués.
De Zwart et Ziicken ont envoyé des tleurs, des natures-mortes,
des figures et des paysages. De Zwart se révèle coloriste de grand
avenir. Outre le sentiment délicat qu'il a dos couleurs, il possède
une grande finesse dans l'expression des pélulcs tendres, des
étoiles, des fonds.
Ziicken est le plus complet dans ses impressions el éludes,
morceaux enlevés de verve, aussi facilement que certaines de ses
toiles sont voulues et travaillées. A cc|lé de celles-ci, il expose une
parlii» de son œuvre h l'eau -for te, déjà considérable, une quaran-
taine d'essais en différents genres, parmi lesquels on remarque
surtout ses études d'après nature et ses grandes reproductions
d'après Jacques Maris.
Bi-eitner n'a pas envoyé autant de toiles qu'il aurait pu le faire
en d'autres temps. Son exposition suffit néanmoins pour faire
apprécier ses grandes qualités de coloriste raffiné et de dessina-
teur nerveux. •;
' De van der Maarel, on admire une superbe esc|uisse, des
Pivoines roses, très bien exprimées, un beau Chien mort el
quelques petites toiles révélant une personnalité distinguée.
Notons encore une aquarelle, une tête pleine de caractère.
Répc'lons-le, celle exposition, qui compte environ quatre-vingts
nunivros, est uU grand succès. Déjà les artistes qui l'ont créée
ont été invités à la transporter en bloc dans une ville de pro-
vince. \
CORRESPONDANCE MUSICALE DE PARIS
A enregistrer aiix Bouffes une opérette de plus : Les Noces
improviséeSy de MM. Lioral €l Fonleny, musique de M. Chas-
saigne.
Le héros est Rakoczy, le fameux Hongrois qui marchait à la
lêle de ses Kurusces au son de la belle marche que Berlioz nous
a conservée. -
Aussi, d'un bout à l'autre, entend-on la marche en question;
on la chante, on la danse el on la marche. Quant à Rakoczy, il ne
pouvait faire que mauvaise figure dans une opérette, où l'hé-
roïsme n'est pas de mise.
La musique de M. Chassaigne est facile et pimpante sans tri-
vialité; mais elle brille surtout par le rythme et ne conserve
aucune saveur, aucun caractère dans les passages de tendresse ou
de sentiment; on dirait qu'elle n'abandonne les flons-flons que
pour prendre le voile et que la foi lui manque absolument.
M"^ Milly Meyer, en danseuse du Grand-Opéra de Vienne, fait
loui le succès à elle seule. Maugé et M''^ Jeanne Thibaut font de
leur mieux; les autres ne, laissent qu'une médiocre impression.
M. Maurel a chanté avec succès aux Concerts Colonne le grand
air à'Elie, de Meudelssohn, et l'acte d'^?mcr^6>n, de Gréiry.
Aux Concerts Lainoureux, première-audition du l'^'" acte de la
Walkyre, ayec traduction française de Wilder.
C'est certes plus agréahle à entendre que ne le fut Tristan
exécuté précédemment dans les mêmes conditions, conditions
désastreuses, puisque nous sommes réduits aux proportions du
concert dans un ouvrage où la musiciue ne se dévelopj)e que
sous l'action dramatique.
Quelle idée exacte voulez-vous qu'on se crée? Quand la Palli,
dans un coucert, nous chante un air de ces opéras-salon* du
répertoire italien, elle est bien mieux en situation que M""' Brunel-
Latleur, par exemple, qui se démène en vain pour représcnicr
Sieglinde. Assez de Wagner de concert : il nous faut du Wagner
de théâtre. , Guteli.o.
T^
HEATRE^
THÉÂTRE DE LA MONNAIE
Chambrée complète, vendredi, pour le début de Mu« Thurin-
gier, dans le rôle dTsabelle des Templiers. La débutante succé-
dait dans ce rôle à M'"*^ Monlalba dont nous avons relaté ici le
succès el loué les qualités dramatiques.
Constatons tout d'abord le succès obtenu par M"« Thuringier,
dans un rôle qui nous semble peu convenir à son tempérament.
Ce succès est le résultat plutôt des qualités de virtuosité el de
voix que des qualités dramatiques de la cantatrice. Déjà aux pre-
miers jours de la saison théâtrale, après quelques représentations
de Rigoletto où elle chantait le rôle de Gilda, nous avons pu nous
rendre compte de l'incontestable supériorité de la chanteuse.
Le côté dramatique, malheureusement, reste dans L'ombre ; le
souffle qui caractérise le jeu si expressif de M""^ Monlalba fait
défaut ici. Ainsi dans les scènes d'amoui- du 2" el du ¥ actes des
Templiers, nous aurions voulu voir, Isabelle se rendre avec plus
d'abandon aux sollicitations amoureuses de son amant el seconder
un peu M. Engel, qui faisait de visibles efforts pour communiquer
à sa parlenaire le souffle dramatique qui l'anime et qui traverse
la pièce comme un rayon ardent.
'De même, dans la scène entre Isabelle et son père, nous aurions
voulu plus de justesse dans l'expression d'effroi et de désespoir
dont elle est saisie, en apprenant l'odieux marché dont elle est
l'objet de la part de Philippe-le-Bel pour servir les desseins poli-
tiques de celui-ci.
Nous avons pu constater une fois de plus tous les soins que
met la direction à accentuer encore l'attrait des Templiers. Les
chanteurs mieux familiarisés avec leurs rôles en ont creusé
davantage le caractère; les chœurs, le corps de ballet et la figu-
ration de jour en jour plus disciplinés réalisent un ensemble
d'une homogénéité que nous avons rarement vu atteindre au
théâtre de la Monnaie avec un opéra dont la mise en scène et la
décoration fussent aussi brillante que celles des Templiers.
Hâtons-nous de dire que le public se rendant de jour en jour
plus compte des soins el de la sollicitude de M. Verdhurdt pour
ses plaisirs, est pris d'un véritable engouement pour l'opéra de
M. Lilolff. Comme preuve, il suffira de dire que les habitants de
certaines villes de province ont demandé et obtenu de l'admini-
stration des chemins de fer l'organisation de trains spéciaux leur
permettant de rentrer chez eux le spectacle terminé.
Mercredi prochain cinq cents Louvanisles assisteront à la
représentation.
UART MODERNE
71
THÉÂTRE MOLIÈRE
Les Ganaches, une dos meilloures « fantaisies sur mœurs » de
M. Sardou. Pas une phrase profonde, mais do la bonne pclile
observation de calepin faile après une huitaine on province. Un
spirituel voyaûjour les noterait dans une lettre écrite à un ami ;
M. Sardou les déploie en comédie. Cela intéresse d'ailleurs la
critique francisquesarceyse, dont la bonhomie sourit au caniche
brodé sur les pantoufles do M. Fromanlol. M, de la Uochopean
est de reste tout ce qu'elle peut passer à l'orgueil nobiliaire. La
pièce est donc admirablement faite pour plaire îi la lorgnette
d'un public bourgeois. Aussi la salle est-elle garnie comme une
cboucroute. Les acteurs du théâtre Molière s'acquittent bien de
leur tûcho, M. Tersant excepté.
j^HRONiqUE JUDICIAIRE DE^yVRT^
II paraît qu'un procès s'engage entre M. LitolfFet MM. Chou-
dens père et fils, éditeurs, au sujet de la propriété de la partition
de Benvenuto Cellini,dc Berlioz, qu'il est question de reprendre
à rOpéra-Comique de Paris.'
Cette partition avait été gravée d'abord et publiée par la mai-
son Litolff ; mais les planches en avaient été détruites et l'ouvrage
était épuisé, lorsque MM. Choudens achetèrent à Berlioz sa parti-
lion des Troyens, de la Prise de Troie, etc., qu'il publièrent.
Celle de Benvenuto fut comprise dans le marché et une lettre de
M. Litolff prouve qu'il avait laissé tomber en désuétude l'exploita-
tion de cet ouvrage.
MM. Choudens se sont donc crus fondés en droit à prendre
possession d'un ouvrage abandonné par un premier éditeur, et
d'accord avec l'auteur. De là le procès.
^ETITE CHROJMIQUZ
Les XX ont donné, hier après-midi, une intéressante audi-
tion. M"^ Louise Derscheid, une jeune pianiste qui habite Saint-
PétersboUrg, de passage à Bruxelles, s'est fait entendre dans le
concerto de Schumann. Elle l'a joué en excellente musicienne et
en virtuose déjà assouplie aux nombreuses difficultés de méca-
nisme dont l'œuvre, — lune des plus belles du maître — est
parsemée. M"<= Derscheid a un jeu très brillant, coloré, énergique.
Dans les passages qui exigent de la puissance, elle a une sonorité
qui ne trahit en rien une main féminine. Elève de Brassin, elle
garde les traditions de l'admirable école qu'avait fondée l'artiste
regretté. On peut prédire à la jeune fille un très bel avenir.
Deux jeunes violonistes, élèves de notre Conservatoire, .
M"^s Aima et Léonié von Nelzer, ont également fait aux XX un
excellent début. Dans Y Adagio du duo de Spohr, sans accompa-
gnement et dans diverses œuvres pour violon avec accompagne-
ment de piano, — entre autres des variations d'une grande diffi-
culté de Tarlini sur un thème de Corelli, M'i'^* von Nctzer ont fait
preuveu d'un sentiment délicat et de beaucoup de goût. Elles
jouent avec pureté et l'oreille la plus délicate ne les surprend
jamais en flagrant délit de notes fausses. -—
L'ouverture des Maîtres-Chanteurs , transcrite pour piano à
quatrc-imains par Cari Tausig, terminait ce petit concert impro-
visé, auquel assistait un public choisi qui a fait aux artistes un
accueil des plus sympathiques.
La conférence de M. Jules Lemaître au Salon des XX,
annoncée pour lundi, ne pourra avoir lieu, un événement de-
famille empêchant le conférencier d'arriver à Bruxelles avant
lundi soir.
Le prix d'entrée à l'Exposition restera donc fixé à cinquante
centimes, cohime d'habitude.
,Çs
Le troisième concert de la saison au Conservatoire, aura lieu
le 44 mdrs. Il sera consacré tout entricr à l'exécution intégrale
do. VAleeste, de Gluck. Ce sera une véritable résurrection artis-
tique, à laquelle M-^^ Montalba et M. Engel qui chanteront les
«o/t, auront leur part.
Le programme du Piano-Recital que donnera demain lundi
M. Camille Gurickx à la Grande- Harmonie est fort attrayant.
Nous y remarquons entre autres les XII éludes symphoniques de
Schumann, la sonate op. 57 de Beethoven, la transcription d'Au-
guste Dupont de la fugue de Bach an sol mineur pour orgue, etc.
' C'est après-demain, mardi, qu'aura lieu, au Palais des Beaux-
Arts, la deuxième séance de musique de chambre donnée par
MM. Wieniawski, Hubay et Jacobs. On y entendra le ier quatuor
de Mozart, la sonate en ré majeur da Rubinslein pour piano et
violoncelle, et le trio en fa majeur de Bargiel.
Notre compatriote M. Th. Radoux, directeur du Conservatoire
de Liège, vient de remporter un très grand succès au 13*^ concert
de l'Association artistique d'Angers, presque exclusivement con-
sacré ai'x œ,nvres de l'éminoni artiste. M. Louis de Romain lui
consacre dans Angers-Revue une étude élogieuso dont nous
extrayons les lignes suivantes :
« Ce qui dislingue surtout la musique de ce maître, c'est la
sûreté de main avec laquelle elle est écrite. On se sent, dès les
premiers 'accords, en présence d'un homme possédant à fond
toutes les ressources et tous les secrets du métier. Rien n'est livré
au hasard; tout est pesé, raisonné, voulu. La sciencçxle l'instru-
mentation, ce qu'on appelle aujourd hui le coloris musical, est
poussée jusque dans ses plus extrêmes limites et je ne crois pas
que M. Radoux ignore un seul des [)lus ptHils côtés de l'art si
délicat de manier les sonorités de l'orchestre. L'équilibre entre
les différents timbres des cuivres et de Tharruonie est obtenu
d'une façon merveilleuse et l'oreille loujotirs satisfaite n'est jam.iis
heurtée par une de ces duretés qui résultent le plus souvent de
l'inexpérience et du manque de pratique. »
Et l'article se termine par un mol aimable à l'égard de notre
pays :
« Je suis heureux d'avoir une fois de plus à constater à nos
concerts le juste et légitime succès de l'un des nialires de cette
hospitalière Belgique, où l'on sait si bien accueillir aujourd'hui
les œuvres de nos compositeurs français oublies k Paris.»
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SIXIÈME- ANNÉE , . ' '
L'ART MODERNE s'est acquis par l'autorité et l'indépendance de sa critique, par la variété de ses
informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune manifestation de l'Art ne
lui est étrangère : il s'occupe de littérature, de peinture, de sculpture, de gravure, de musique,
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouvement artistique belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur tous les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaître. ' (
Chaque numéro de L'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'actualité. Les expositions, les livres nouveatix, les
premières représentations d'œuvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires} les concerts, les
ventes d'objets d'art, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées.
L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. Il rend conipte des
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artistes trouvent toutes les semaines dans son Mémento la nomenclature complète des expositions et
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Sixième année. — N° 10
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 7 Mars 1886.
L'ART
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On 'traite à forfait.
Adresser les demandes d'abonnement et toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
^OMM
AIRE
Constantin Meunier. — Saint-Mégrin. — Conférence de
M. Lemaitre a Liège. — L'exposition Théodore Verstraete a
Anvers. — Livres nouveaux. Le crime d'amour ! par Paul
Çourget ; Les nuits du garde, par Paul Hagemans ; Lettres de
ma chaumière, par Octave Mirbeau ; Mes hantises, par E. Du-
jardin, — Petite chronique.
CONSTANTIN MEUNIER
Nous avions si fréquemment signalé la salutaire
transformation qui se faisait dans l'art de Constantin
Meunier se dégageant de plus en plus des vieilles for-
mules, résidus de son éducation académique, pour
entrer libre, sincère et fier dans la connaissance et la
reproduction de son époque et de ses contemporains,
que nous avons voulu laisser clore son exposition et se
former l'opinion avant de renouveler les observations
et les chaleureuses louanges dont nous avons accom-
pagné ses tentatives antérieures. Il n'était pas sans
intérêt pour nous d'apprendre si le public, de lui-
même enfin, allait rendre à cet art nouveau et à cette
personnalité si compatissante pour les misères plé-
béiennes, l'hommage d'admiration qui vraiment leur
est dû.
Les prévisions de ceux qui croient que désormais
l'originalité se donnant telle qu'elle est, sans préten-
tions et sans habiletés, est le moyen le plus -sûr de
plaire et de grandir, ont reçu pleine confirmation. Le
succès de cette exposition tranquille dans ses efforts,
vraiment grande par sa noble simplicité, le douloureux
caractère des œuvres, la sombre puissance d'exécution,
a été considérable. A côté du bruyant Salon des XX,
de la vogue de curiosité qui est allée à eux, des polé-
miques virulentes qui se sont déchaînées sur leurs
jeunes hardiesses et la triomphante notoriété qui mal-
gré toutes les résistances les enveloppe de son auréole,
la petite salle où Meunier a, sans tapage, réuni les
expressions dernières de ses rêveries mélancoliques
dans les usines et dans les charbonnages, a attiré sans
interruption les spectateurs, et l'émotion qu'ont susci-
tée ces types navrants de prolétaires, ces paysages
ûirouches et pauvres, ces scènes d'esclavage moderne,
a été universelle. Il n'a pas fallu la lettre où Zola lui
a dit que son pinceau pouvait être mis en panoplie
avec sa plume, comme deux vaillantes épées croisées et
serrées par le même lien, pour que chacun pensât : ce
sont les illustrations de Geryninal. Hélas! oui, c'en est
le navrant et épique commentaire. Les deux œuvres'
se racontent en se complétant. Le peintre a mis la
forte note du dessin et du" coloris dans le concert des
phrases. Celles-ci ont trouvé un accompagnement digne
d'elles, et la grande cause de pitié et d'humanité
qu'elles défendent, en prend une éloquence nouvelle,
une actualité plus instante, une lamentation plus
poignante.
Il n'était pas mauvais d'entendre ^out à coup, après
la joyeuse sarabande des fantaisies, ce grave rappela
l'art qui vise à autre chose qu'à distraire. C'est à ces
résultats où les cruautés du sort sont dévoilées par
l'artiste en des spectacles qui restent touchants malgré
leurs "sinistres décors, que se reconnaissent lès maîtres
supérieurs. Constantin Meunier n'est plus le peintre
timide et parfois gauche de ses tableaux d antan. Il
s'est conquis soi-même. Il a trouvé les sujets en équa-
tion avec sa nature pénétrante, démocratique et tendre.
Il sait maintenant oii il doit aller pour sentir s'éveiller
au i}Jus profond de son âme les voix mystérieuses qui
lui chantent les symphonies pour lesquelles il était né
et dont si longtemps les conventions avaient étouffé le
concert. Le salutaire phénomène se produit tard chez
lui, alors que déjà le déclin de la vie commence, mais
encore à temps pourtant, car ses œuvres ont la beauté
et la force de la maturité. Il y avait là cinq ou six toiles
de premier ordre. Il y avait là une tète de porion,
expression saisissante du travail bestial et héroïque,
qui est une admirable sculpture.
Quatre ans passés, nous écrivions : " Si Constantin
Meunier persiste, si par ses efforts consciencieux il
arrive à démêler fout à fait ce qui donne aux arti.sans
leur poésie sauvage et douloureuse, c'est à lui qu'on
devra chez nous, plus qu'à bien des discours et à bien
des livres, les mesures qui feront sortir ces malheu-
reux de l'abîme de privations et de souffrances dans
lequel ils sont aujourd'hui plongés. L'œuvre qu'il
poursuit est d'une portée qui dépasse celle à laquelle il
songe ; mais c'est surtout quand l'artiste est inconscient,
qu'il reste sincère et c'est surtout quand il est sincère
qu'il devient éloquent. «
Aujourd'hui l'épahouissement est complet. La vie
ouvrière apparaît intimement pénétrée et magistrale-
ment rendue. Ce spectacle est émouvant par lui-même.
Toute la mission de l'artiste consiste à en négliger les
détails pour représenter avec énergie leurs effets carac-
téristiques. La plupart des hommes, quand ils regar-
dent autour d'eux, ne voient pas les choses dans ce
qu'elles ont de plus significatif, de plus triste ou.de
plus beau. On doit le leur signaler, attirer leur atten-
tion sur ces côtés troublants : l'écrivain le fait par la
plume, l'orateur par la parole, le peintre par ses
brosses. C'est après avoir vu un ciel d'hiver peint par
un grand artiste qu'on en comprend toute la grandeur
lorsqu'on le revoit dans la nature. C'est depuis Millet
que les côtés dramatiques du paysan frappent ceux qui
le rencontrent dans les champs. Les mendiants sont
vus d'une autre façon par celui qui connaît l'œuvre
de Degroux. Désormais le mineur sera autrement com-
pris, grâce à Meunier.
Ce qui est tout à fait à son éloge, c'est que nulle part
on ne rencontre la préoccupation de prêcher la question
sociale et de faire par ses tableaux un programme
démocratique.
C'était là un écueil qu'il était difficile d'éviter; mais
en véritable artiste il a compris que, lorsqu'on mêle
des arts différents, on n'arrive la plupart du temps
qu'à rapetisser l'un par l'autre. Si la vue des misères
auxquelles la vie industrielle soumet tous les âges et
tous les sexes est de nature à inspirer . le. désir des
réformes, le peintre fait assez en reproduisant les
mœurs des artisans, leurs fatigues et leurs j)rivations.
A d'autres à déduire les conséquences et à provoquer
les remèdes. L'art ne sert qu'à leur donner une plus
profonde sensation des choses et plus d'élan pour les
lancer en avant.
SAINT-MÉGRIN
Lorsqu'il écrivit le drame d'où esl lire Saint-Mégrin, premier
cri du romantisme dont le panache devail onduler au théâlre
durant tant d'années, Dumas se préoccupa surtout de restituer
avec une fidélité archaïYjue la physionomie d'une époque. Le litre
l'indique : Henri III et sa Cour, et l'importance du cadre
balance rinlérêl de l'action. Ce qui fil le succès de l'oiivraûje,
plus encore que les amours de Saint-Mégrin et de la duchesse de
Guise, ce fut la curieuse évocation des mœurs de la Cour de
France à la fin du xvi*' siècle. La fiible imaginée par l'œuvre
lirait du milieu dans lequel elle se déroule une saveur piquante,
inconnue aux spectateurs qui, en 1829, applaudirent l'ouvrage.
Noire génération esl blasée sur ces recherches. Le souffle du
naturalisme a éteint la flamme du romantisme, el la semi-vérité
historique réalisée par Dumas a été dépassée de si loin qu'elle ne
suffil plus à captiver l'allenlion.
3Iais voici qu'un- intérêt nouveau jaillit, cinquante ans plus
tard^ noh pas de l'époque ressuscitée par le romancier-drama-
turge, mais du temps où vécut colui-ci, de l'arl qu'il créa, du
monde littéraire qu'il éclaira de son génie.
L'attrait de Sninl- Mégr in , pour nous, c'est Dumas. On le suit
à travers les péripéties du drame poussé au. noir qu'il marqua de
sa griffe puissante; il apparaît dans ses phrases ronflantes, dans
ses périodes où sonne un cliquetis d'armes, dans les ripostes du
dialogue, dans les coups de ihéûlre qui marquent le développe-
ment de l'action. -
C'est ce que les auteurs, M>L Ernest Dubreuil et Eugène Adenis,
ont comj)ris en dérangeant le moins possible le drame dans lequel
ils ont découpé le livret de Saint-Mégrin.
A part le dénouement,' qu'ils ont légèrement modifié, h part la
suppression du rôle de la reine-mère, qui reste à la cantonnade
mais dont l'influence domine le drame, à part l'élagage nécessaire
de quelques scènes qui ne se fussent guère accommodées du
théâtre lyrique, telles que les passages où la politique seule est
en jeu, le livret de MM. Dubreuil el Adenis esl presque textuel-
lement le drame de Dumas, adapté avec beaucoup d'intelligence
el respecié scrupuleusement.
L'élément dramatique tiré des artiours du héros a-^lé mis en
relief, comme étant le ressort le plus puissant de l'opéra, el c'est
ce qui a amené la modification du litre. C'est l'épisode du drame
de Dumas qui esl devenu l'action principale du livret. L'axe de
l'ouvrage est ainsi déplacé.
Chose à noter — la remarque peut paraître subtile, mais nous
la croyons exacte — les auteurs de la très intéressante partition que
vient de faire entendre la Monnaie, n'ont pas suivi les librettistes
LART MODERNE
75
dans celle voie, cl leur musique est plutôl celle A'IIenn III et
sa Cour que celle de Sainl-Mcgrin. ,
C'esl l'exposé pillores(iue cl cliarmanl des diverses scènes du
drame, mêlé de la poinle d'archaïsme donl les a assaisonnées
Dumas, pUilôt que l'expression de la passion croissanle, exas-
pérée par les obstacles, de Tintlammable seigneur pour la belle
Callierine.
La musique de MM. Flillemaclier ne descend pas dans les pro-
fondiHirs de l'analyse. Elle n'a pas, pensons-nous, celle visée, et
la forme même de l'opéra-comiciue adopléc piir les auteurs pour
traiter un aussi grave sujet, le prouve suftisammenl.
Mais ce qu'elle dit, elle le dit for! bien. Saint-Mégrin est sans
contredit la parlilion la plus remarf[uable qu'ait j)ro(luile la jeune
école française. Elle a toutes les qualilés de clarté, d'élégance, de
sentiment raffiné, de charme, qu'on souhaite depuis tant d'an-
nées voir s'épanouir. Saint-Megrin fera date, comme l'a fait
Carmen.
On souhaiterait voir MM. Hillemacher, dont le talent sérieux,
modeste, déjà sûr de lui-même quoiqu'il soit à son aurore, s'af-
firme avec éclat dans celte œuvre de début, renoncer aux conces-
sions qu'ils ont cru devoir faire soit au public, soit aux artistes.
Les « airs » ajoutés pour plaire à tel ou tel chanteur en vogue
détonnent étrangement dans cette parlilion, donl toutes les pages
ont. été combinées en vue de l'unité k sauvegarder. Les « voca-
lises » et « fioritures » donl sont soi-disant agrémentés d'autres
passages, pourquoi les avoir autorisées?
C'est compromettre, dans l'espril des musiciens, une œuvre
qui doit leur plaire, sinon par la puissance et l'étendue de l'in-
spiraiion, du moins par l'agréable facilité avec laquelle elle est
écrite, par le goût parfait qui a présidé h sa conception et par le
charme de sa riche et ingénieuse instrumentation.
Celle-ci est tout à fait intéressante et dénote de la part des
compositeurs une entente parfaite des timbres et une connais-
sance approfondie des ressources de l'orchestre. On remarquera
principalement, à cet égard, les deux enlr'actes, dont l'un a été
bissé le soir de la première, la Sarabande dansée et chantée au
début du deuxième acte, les quatre jolis morceaux formant le
divertiss;Muent du qualrième, pastiche aimable des vieux airs
dé danse, et la Rumanesca, traitée en forme de mélodrame,
doucement soupirée par l'orchestre sur des paroles du page
Robert.
Les musiciens, au succès desquels nous applaudissons d'autant
plus cordialement qu'il s'agit de deux «jeunes », dégagés de
tous liens d'école, (jui cherchent courageusement leur voie et
ne comptent que sur leur talent pour réussir, ont eu l'heureuse
fortune d'être bien secondés par les artistes chargés de l'interpré-^
talion. M"*^ Cécile Mézeray a la distinction, la réserve, les atti-
tudes delà grande dame qu'elle représente. Sa voix, on la con-
naît : elle est d'une rare pureté et se joue des difficultés. La créa-
tion de la duchesse de GuisiC est l'une des plus belles de Parliste.
Dans les scènes pathétiques mêmes, qu'on aurait pu croire hors
de ses moyens, elle atleinl une grande justesse d'expression.
M. Fursi chaule bien, mais le comédien reste liu dessous de sa
lâche. M. Boyer, enroué le soir de la première et néanmoins
très applaudi, a retrouvé sa voix à la deuxième représentation.
Il incarne avec une verve de bonne humeur elun tact parfait le
personnage épisodique du vicomte de Joyeuse. M. Rehaud acréé
un Balafré d'une belle et robuste allure : il chanle d'une voix
mâle, d'un timbre excellent, un rôle qui lui convient ii merveille.
M. Dcvries tient fort bien le rôle sacrifié de l'astrologue Ruggieri
et le chanle'en oxcollent musicien. M. Nerval f.iil un ilenri III
d'une ressemblance frappante. Un petit accidimt à la voix a nui,
le soir de la première représentation, au prestige du'roi. ne|)uis,
le « chat » qui lui était reslé dans la gorge a lâché prise et
l'excellent trial a chanté son rôle avec humour. Il n'est pas
jusqu'à M'"'' Barbot qui se soit surpassée dans son air des Sou-
venirs. Mais pourquoi s'obsline-l-elle à appeler Rousard le poêle
Ronsard? Y a-l-il une « coquille » dans son manuscrit? Quant
\i M"*- Wolf, elle a trouvé — par hasard, M"*^ Lecornte ayant, au
dernier moment, renoncé à son rôle de page — l'occasion de se
faire le plus joli des succès en chantant d'une voix charmante
un air au troisième acte et en récitant des vers de Rousard, —
pardon de Ronsard.
CONFERENCE DE M. LEMAITEE A LIÈGE -
{Correspondance particulière de l'Art moderne).
C'est jeudi que M. Lemaître, du Journal des Débats, est venu
répéter, plus exactement relire, devant un public peu nombreux,
k la Société d'Emulation, la conférenciculelte sur Alphonse Dau-
det, le Midi et les Tarlarins de tous formats, qu'il avait faite au
Cercle artistique de Bruxelles et dont V Indépendance belge avait
dit miracle. Il eût été difficile que de Journal des Débats à Indé-
pendance belge il n'y eût pas les compliments d'usage avec les
grossissements habituels. Si par Tartarin, ainsi que l'a expliqué
l'orateur, pardon le liseur, il faut entendre les Irâbleurs, quels
qu'ils soient, au nord, au midi, au levant, au ponant, dans le
présent, les temps évanouis et les temps, â venir, la classe riche
et la classe nécessiteuse, la littérature, la finance, le clergé, le
journalisme, certes il y a un Tartarin d'un assez fort calibre dans
le journal du Bel-Air où l'on a représenté M. Lcmaîire comme
un conférencier émérite.
Il serait temps de délivrer la Belgique, et Liège, de cette manie
d'exotisme qui, par voie d'importation, nous amène tous les
hivers un défilé de messieurs très peu faits pour les discours, qui
donnent lecture, d'une voix qui ne dépasse guère les premières
banquettes, avec des gestes incertains, d'un article de revue,
mi-partie feuilleton et chronique, qui passerait h peu près ina-
perçu s'il paraissait dans la livraison pour laquelle il était né;
article qu'on promène chez nous de ville en ville, comme un
monologue ou plutôt un monocoquelogu<3 du nom de l'inventeur
de ce çrenre ai?açant. Nous devons avoir un ijrand fond de naïveté
ou de bêtise pour 'tolérer aussi longtemps ce jeu bizarre cl niais
qui ferait reconduire avec des huées ou des rires celui de nos
compatriotes qui se le permettrait. Car il est remarquable que
nos conférenciers belges qui se risquent à essayer de distraire de
la même façon nos cercles d'amateurs 'doivent y mettre dix fois
plus de soins pour n'avoir que dix fois moins de succès.
L'Art Moderne ne se gêne pas, je le sais, pour dire sur toutes
les manies son très franc avis. Votre journal n'aurait plus de
raison d'être s'il répétait les phrases toutes faites, complimen-
teuses et vides, des grands journaux rédigés par des façons de
fonctionnaires payés pour psalmodier les louanges des écrivains
bien pensants qui prennent au sérieux les prétentions bourgeoises.
A ce titre, j'espère qu'il accueillera ma protestation, écho de plu-
sieurs autres, contre celte comédie artistique el littéraire qui fait
faire un voyage à un personnage en habit noir apportant pour nous
Tcxliiber la verroterie de sa confçVcnce, el déverse sur lui les
fleurs du reportage h propos d'une amplification quelcon<|ue. -On
se demande ce que la personne cl la figure de l'auteur [)ouvent
ajouter d'intérêt au petit morceau de rhétorique qu'il débile d'un
air ennuyé et que le premier instituteur venu pourrait lire à sa
place.
La conférence do M. Lemaîlrc n'est pas sortie de ces données
auxquelles'noire public est résigné. Comme ses prédécesseurs, le
discoureur a pris pour texte une donnée plus ou moins ingé-
nieus(», amusante dans une certaine mesure, mais discutable
parce quelle est superficielle, îi savoir : Alphonse Daudet est un
Tariarin libéré, corrigé, el par cela même éminemment propre à
dépeindre les Tartarins; aussi s'y complait-il; il y a des Tarta-
rins dans toutes ses œuvres, il y en aura toujours; le Nabab, un
Tariarin; Numa Houmcstan, un Tariarin; c"esl l'air des Tartarins
qu'il chante le mieux; dans l'avenir, il vivra par Tariarin.
Comme on le voit, il s'agit d'une fantaisie en laquelle s'est
complu un normalien (ils sont tous normaliens au Journal des
Débats comme à la Revue des Deux- Mondes) et il l'a développée
avec la gravité el la distinction pédantes qui conviennent à d'aussi
sérieux personnages. Tout a été débité d'un ton mesuré, digne
et légèrement mélancolique. Il y a eu quelques citations, il y a
eu quehiues traits d'esprit parfumés d'une grande convenance
bourgeoise : bref un embryon présentable de discours de réception
future b l'Académie. Pas un mot plus haut que l'autre, pas le
reflet d'une incartade, nul sentiment, cela va sans dire, la
passion évitée comme une chose qui souille les mancbettes, une
monotonie décente et triste, des gestes vagues et caressants, une
voix de confesseur, un accord parfait avec la cravate blanche. Le
public a écouté avec la même décence. Des bravos discrets, très
rares. Dref, une conférence crépusculaire.
. La Belgique accueille poliment ces prétendues distractions. Il
y a même un contingent d'habituées des cours supérieurs pour
dames et de déléguées du monde où l'on s'ennuie qui rêvent de
perpétuer ce régime de lymphatisme artistique qui nous met à
la cure du petit-lait. Mais le public robuste et sain commence
à avoir assez de ces pratiques de sociélés de tempérance et
redemande les bonnes, fraîches et réconfortantes boissons natio-
nales. Les normaliens, les oratoricns, les académiciens, chantant
les psaumes de la fausse distinction artistique, avec Bellac pour
chef d'Orchestre, dans une onde de lumière électrique pâlissante,
nous deviennent franchement antipathiques. Déjà quelques jour-
naux de Bruxelles ont ose faire des restrictions en ce qui con-
cerne M. Lemaître, el comme vous le voyez, à Liège on s'est
retiré de la petite fête en trouvant le régal un peu fade.
Fasse le sort que nous nous émancipions tout-à-fail et que les
conférenciculeltes, comme je disais plus haut, aillent rejoindre les
monocoquelogues! Nous ne sommes pas faits en ce pays de libre
allure el de gaîté pour trouver plus longtemps acceptables les
gesticulations soupirantes avec lesquelles les demi-virtuoses qui
peuplent les salons de M"'« Adam, cette muse départementale
perchée à Paris, séduisent les Français de la décadence. Nous
avons de plus énergiques appétits el sommes mécontents quand,
nous levant de table, nous nous disons qu'on ne nous a donné
îi manger que quelques sardines arrosées de verres d'orgeat.
L'EXPOSITION THÉODORE VERSTRAETE A ANVERS
{Correspondance particulière de V\kï ^\Ohm\,'SE.)
A considérer le milieu dans lequel cet artiste s'est développé,
il faut reconnaître l'effort qu'il a fait vers un art plus neuf, plus
sincère que celui pour lequel Anvers juscju'ici n'a eu qu'encou-
ragements et adulations. Deux peintres se sont longtemps partagé
celte faveur : Lamorinière et Van Luppen. Le premier a voulu se
poser en Meissonier du paysage; maintenant encore le monde
officiel se pâme devant ses tableaux glacés, achevés à outrance,
ne laissant ni un doute, ni une pensée. Le second. Van Luppen,
a toujours fait les délices des boutiijuiers enrichis : une certaine
habileté manuelle, des tons conventionnels, un mélangt^ invariable
de vert cinabre el de bruns bitumineux, dos compositions
agréables, en un mot une recette infaillible, imperturbablement
même, il n'en fallait pas plus pour qu'il passât pour un grand
homme : voilà oi^i l'on en est encore dans la « métropole des
arts. »
Rien d'étonnant alors que les très sage Verslraetc fût long-
temps considéré comme un révolutionnaire.
Somme toute, c'est le seul paysagiste anversois qui ail fait
preuve de quelque indépendance.
Dépouillant au plus tôt les principes académiques er aban-
donnant l'atelier, cher aux Anversois, pour la « vraie » nature, il
s'en alla à Brasschaet, ce joli village perdu dans la bruyère cam-
pinoise.
Quelques jeunes l'y suivirent, el l'on vil en petit ce qui se pro-
duisit autrefois à Tcrvueren. En citant ce nom, j'y vois plus qu'un
rapprochement de mots : il y a aussi une similitude de tendances
enlre ces deux écoles.
A Brasschaet comme b Tcrvueren, on a voulu faire de l'art
neuf, mais l'on n'a su se dépouiller entièrement de certaines
préoccupations du déjà vu. Les grands paysagistes français d'il y
a vingt ans ont exercé une grande influence sur la manière de
sentir nos paysagistes belges, cl lorsqu'on est allé s'installer à
Tcrvueren ou à Brasschaet, on a affirmé ne vouloir s'inspirer que
de la nature, mais on l'a vue à travers Daubigny, Rousseau,
Corel, Diaz, etc.
La facture de^ Verslraetc resle cependant timide et indécise
dans ces primes œuvres, el il n'a su emprunter ni la sûreté de
plan, ni la distinction de coloris de ces maîtres.
Deux choses paraissent avoir tout d'abord séduit le jeune pay-
sagiste : l'immensité de la bruyère aux heures crépusculaires et
les sous bois-maigres, aux troncs noyés dans la buée automnale,
aux feuillages fauves el légers qu'il aime à jeter rapidement sur
la toile, à la poinlo du couteau.
C'est la note caractéristique de la plupart de ses premières
toiles. C'est par là aussi qu'il a commencé à séduire les botis
bourgeois anversois, les acheteurs encombrés de Van Lup[>en.
Cette noie sentimentale, ces idylles campagnardes d'un sous-
Millel débilité, affadi, où l'on voit des Roméo niais roucoulant
avec des Juliette bébêtes dans des immensités de bruyères tou-
jours les mêmes,, avec des ciels que nous avons autrefois irrévé-
rempient qualifiés chromolithographiques, conduisirent l'artiste à
des succès faciles.
D'aucuns, lors de son aventure aux XX^ trouvèrent les
anicles de VA rt moderne trop sévères pour Vcrslracte ; on accusa
même noire crlliquo cla parii-pris, et copendnnt, lorsque nous,
revoyons ces loi les, combien nous paraissent exactes nos appré-
ciations d'alors !
Je ne sais si VArl moderne peut se vanler d'avoir contribué
à secouer la torpeur qui envahissait Verslracte, et si ses critiques,
brutalement franches, ont été le coup de fouet qui l'a réveillé et
poussé à des efforts nouveaux.
Son art, en effet, vers cette époque, semble subir une trans-
formation radicale. Sans que ce])endant Verslracte ait acquis des
tendances bien neuves, la pûto est devenue plus savoureuse, la
main plus puissante, les effets plus variés : c'est à ne plus .le
reconnaître, et on aime ù le voir ainsi, arlistc évidemment intel-
liiTcnt, se lancer li la découverte d'horizons nouveaux. Nous ne
nous jiâmerons pas d'admiration, mais nous lui crierons bon
courage, et en avant !
Les derniers tableaux de ce que nous appellerorfs sa première
manière ont été vus U la dernière Exposition d'Anvers. Ce
sont V Allée de hêtres et le Viatique. Nous n'y reviendrons pas.
Un voyage en Hollande que l'artiste fait ensuite lui procure
des sensations nouvelles. La nature hollandaise, grasse, humide,
semble l'enthousiasmer par son contraste avec la sablonneuse et
morne Campine. Sa palette se transforme. Les verts puissants,
les indigos bruyants se mêlent avec une saveur amusante. Cela
n'a pas la distinction, l'imprévu de Maris, mais c'est de la pein-
ture robuste et saine. Citons sa Ferme en Hollande, Juillet,
Octobre et Dans les prairies .
Dès lors Verstraele a^défmitivement dépouillé ses tons ané-
. miques, sa sèche et ennuyeuse coloration ; il peint avec une réelle
maestria son effet de nuit En novembre — rappelant vaguement
Dupré, son Village deBrasschaet dans la neige, brossé en pleine
pâle et d'un effet d'air remarquable, son Soleil du matin aux
feuillages légers, bien éclairés, aux ombres fraîches tachant les
gazons humides. C'est certes l'œuvre la plus personnelle, Ja plus
simple et la plus sincère de toute cette exposition.
Nous le répétons, la nouveauté est évidemment ce qui manque
le plus à Verstraele, et c'est ce qu'il devrait rechercher avec le
plus de persévérance; ce sera le moyen le plus sûr de se créer
un art origmal
h
iIVREP NOUVEAUX
Le Crime d'amour, par P.\ul Bourget. Paris, Lemerre.
~ Et tout d'abord, n'abusons par du nouveau volume de
M. Bourget pour aborder celte déjà rabâchée question du pessi-
misme qui, de la cuve où bouillonnent les suprêmes idées, est
chue dans la marmite des premiers-Paris. A « l'hazard de la
plume », tous les courriéristes l'ont embrochée et l'on se serait
cru chez Paul Niquet, jadis. Docteur Tant-pis, docteur Tant-
mieux, Oberman et Roger Bontemps, Pnngloss et Schopenhauer
tournaient en sarabande et l'on piquait dans le tas, différemment
lente, selon la bonne ou mauvaise humeur du moment. Si l'on
avait dîné bien, on était optimiste, si mal, pessimiste. Les chro-
niqueurs laissaient aux cuisiniers de la 31aison d'or, le soin de
les déterminer en philosophie.
Ce n'est pas dans les journaux: que de tels problèmes se
devraient traiter entre une nouvelle k la main et un concours de
pigeons. Le livre seul convient et encore le livre sévère, qui lient
en respect Gaudissart et Prudhomme. Dès qu'une question grave
en sort elle se déshonore parmi lesparloltes de taverne et les dis-
cussions de table d'hôte — et ce sont d'ordinaire les gazetiers
qui l'y conduisent.
Le nouveau livre de M. Paul Bourget : Crime d'amour est
celui qui met le plus en marge la personnalité de l'écrivain.
La Crime (T amour? '
Tuer une âme pure de femme, sans avoir l'excuse de j 'aimer.
Le roman est une scène à trois personnages : Alfred Chazel,
ingénieur confiant, Hélène sa femme, provinciale naïve et char-
mante débarquée à Paris, qui se laisse séduire par Armand de
Querne, gentilhomme de petite noblesse comme elle, viveur
correct, moitié Don-Juan, moitié Ilamlet, habillé à la mode
moderne avec du dandysme et d(; l'ennui.'
La donnée est très banale, c'est rélernelle histoire à la Boc-
cace el à la Musset de l'amant fringuant, du mari grave,
sérieux et de l'épouse trop neuve d'amour pour un tel mari.
C'est vieux comme la lune et pourtant, combien cet immuable
drame à trois a été remouvementé par M. Paul Bourget, el de
combien de détails nouveaux il l'a embelli ! 11 a mis des papil-
lottes aux dernières mèches d'un front chauve et leur a donné le
tour bouclant des cheveux- parfumés et jeunes, il a restauré de
vieilles situations passées de couleur el de ton et les a fait resr
'plendir encore sous les nimbes de son analyse.
Au reste, ces données quelconques de roman sont recherchées
parW. Paul Bourget pour mettre en relief celle-ci.
AnaivJ^e?
Esl-ce le mol exact qu'il faut employer? Balzac el Barbey sont
analystes, Bourget est plutôt critique. L'analyste « s'emballe >}
dans §es personnages, il se laisse entraîner par la vie qu'il leur
souffle, il les étudie avec emportement el réalité, il les voit autant
qu'il les pense; ils agissent, ils sont variés, multiples, objectifs.
Le critique, lui, les raisonne el les didactise. On assiste chez lui
k des leçons de mathématique morale, à des résolutions de pro-
blèmes de passion, à des déductions habilement faites et claires
comme l'eau filtrée. On ne peut s'empêcher de mettre en rapport
les romans et les éludes psychologiques de M. Paul Bourget el de
remarquer aussitôt que ceux-là sont le complément de celles-ci:
les héros du narrateur ayant tous subi l'inlluence des écrivains
que le critique examine et donne comme éducateurs à la jeunesse
d'aujourd'hui.
Enfin pour dire toute notre pensée, M. Paul Bourget n'a-t-il pas,
simultanément ou tour à tour, subi lui-même ces dominations
littéraires et philosophiques el ne s'esl.-il pas représenté, et dans
le Georges Liauran de Cruelle Enigme et dans Armand de Querne
de Crime d'Amour?
Car voilà le trait nouveau qui le distingue des analystes. Ceux-ci
sont bien plus impersonnels dans leurs livres, ils créent un mo nde
d'êtres, différents d'eux-mêmes, tandis que lui, critique, se lient
lui-même au bout de sa plume el se répète.
Joseph Delorme encombre l'œuvre de Sainte-Beuve. Tout poète
doublé d'un critique ou tout critique compliqué d'un poète ne
prend modèle que sur soi dans ses œuvres d'imagination et se
recommence dans la série de ses volumes. Défaut, certes — mais
défaut qui se tourne en qualité quand on fait du roman-critique
aussi subtilement que M. Paul Bourget. Son acuité est telle que
les plus intimes profondeurs d'une situation ou d'une intelligence
sont frappées de clarté. Où les uns finissent, lui commence ; où
les autres terminent, lui se met à raffiner. Aussi paraissent -ils
impatientants ses récits à tous ceux qui ne savent goûler un
plaisir (lélical Ix voir se démonter dos triples fonds de caractères
el lu suivre le ni.'tleiir à nn des mobiles sccrets.de l'âme jusque
dans ses exj)Ioralions les plus souterraines. Crime cV Amour n'a
d'iiutre inlérêl. C'est un roman sans action, sans mirages, sans,
phrases, sans décor.. C'est un voyage à travers les cœurs el les
cerveaux.
Certains reprochent h M. Paul Bourgel sa veulerie de style.
Exagération. Artiste? Certes, la phrase ne l'est point, mais les
in'éciosilés (mol inexact) sont transportées de l'extérieur à l'inté-
rieur et se développent en des rinceaux de fine el infinie obser-
vation psychologique. C'est de la nuance de la nuance. El les
délicats ont la bonne part.
Nous redoutons, néanmoins, pour M. Bourget, rengouemenl
que le public lui t('Mnoigne — nous ignorons pourquoi. Nous
doutons qu'il soit compris. Alors, connnenl justifier la rapide
moulée de ses livres à l'échelle des éditions, sinon par sa mise en
évidence au rez de chaussée des ({uotidiens qui, sous prétexte de
désaler leurs Tecleui's du naturalisme, leur vantent la littérature de
Cruelle Enigme comme une décoction de celle de M. Feuillet.
L'auteur de Sybillc se nommera dorénavenl Ohnet pour les
imbéciles el Bourg(îl pour les intelligents. C'est le Figaro qui
décide. -
Les Nuits du Garde, par Paul Hagemans. Bruxelles, Maison
F. Callewaert père, veuve Moimom, successeur.
M. Paul Hagemans réuni! , sous l'étiquette les Nuits du Garde,
une poigiKîc de nouvelles forestières, écrites de bonne encre et
sentant bon leur terroir ardennais. Artiste-chasseur, mais artiste
et poète bien plus que chasseur. « Si j'aime la chasse avec pas-
sion, dit-il, c'est surtout parce, que j'aime les grands bois de
chez nous; l'attrait de l'imprévu ne sont j)0ur moi que secon-
daires. » *
Les récils sont faits durant les nuits d'élé el d'automne par le
garde, Martin Leroux; l'auteur est censé les transcrire. Naïf men-
songe. Les histoires sont bien trop soignées pour être d'un rus-
tique patoisant. La meilleure est celle du Grand-Abbé.
La maison Monnom a fait belle toilette au livre : excellent
papier, net caractère, exacte justification, titre de bon goût.
Nous ne faisons pas à Bruxelles assez de cas de nos impri-
meurs. Tel et tel réussissent d'irréprochables œuvres typogra-
phiques, moins élégantes que les parisiennes certes, mais d'ap-
parence plus solide el plus résislanle. Pourquoi nos écrivains
vont-ils II Paris? On n'y trouve d'autre explication que l'inexpé-
rience totale de nos imprimeurs à lancer leurs volumes. Autant
l'impression est bonne, autant la mise en vente est défectueuse.
On manque de correspondants, de débouchés, de montres. Même
aux vitrines, à Bruxelles, les bouquins belges sont relégués dans
les coins de lélalage. On ne les voit que de dos, à la dérobée,
expirants sous des las de livres français. Fortuné de Boisgobey,
Emile Richebourg el Xavier de Monlépin, jusqu'à Monsieur Ohnet
les accablent.
Qui donc nous trouvera un bon el intelligeni éditeur?
Lettreà de ma chaumières, par Octave Mirbeau.
Paris, Laurent.
M. Octave Mirbeau, le critique hardi el le diseur en face de
vériiés, le plus nel el le plus audacieux, vient de publier quel-
ques nouvelles : Lettres de ma chaumière. Ce sont des croquis
paysans, très observés, écrits avec l'âme de la campagne dans le
cœur el une plimie bien française entre les doigts. Les coules les
mieux venus nous paraissent être : La mort du père Dugué el
Les eaux muettes. Xjïïq ç,0(\\i(ii\.G é(\\\!\oi\.
Mes hantises, par E. Oujari^in. Paris, Vanier.
Livre tentant el bien de notre temps, mieux, de notre heure. II.
reflète nos états d'âme, non sans puissance esthétique. Une
nouvelle surtout attire : La vierge de fer.
Là, on é|)rouve vraiment le petit frisson que M. Dujardin a dû
chercher à chaque page de son livre. Le récit est fait avec la sou-
daineté voulue, il angoisse. Ce conte lui seul vaut le reste du
volume.
M. E. Dujardin a fondé la Revue ivagnérienne qui bientôt
comptera une année d'existence. Il y soutient les théories les plus
avancées en art, vaillannnenl. C'est lui qui a publié cette série de
sonnets à la gloire de Wagner, que tant de critiques ont insulté
sans le comprendre.
pETITE CHROJS(IQUE
L'afiluencc des visiteurs au Salon des XX a décidé les organi-
sateurs à en reculer d'une semaine la clôture. C'est irrévocable-
ment le dimanche i i courant, à 5 heures, que l'exposition sera
fermée.
Le chiffre des entrées dépasse 8000.
Voici les acquisitions faites jusqu'à ce jour :
'Sç\\\o\yAQ\\, Quaid^Ostende. .
Id. Hiver.
Ensoi\ Salon bourgeois en \SS\.
Id. Musique russe.
Théo Van Rvss'*lberc:he, Le Boulevard.
Fernand Khnopft", En écoutant du ScJiunmnn.
R. Wvlsman, Pastel.
F. Kolslô, Intérieur d'atelier.
Dario de Regoyos, La baie de Pasajès.
Anna Boch, Dimanche matin.
M. Georges Rodenbach a fait hier aux XX, devant un auditoire
de choix, une excellente conférence sur Camille Lcmonnier.
L'heure de notre tirage ne nous permet pas d'en donner l'analyse,
que nous publierons dimanche prochain.
Théodore Baron, l'excellenl paysagiste, prépare une exposi-
tion d'œuvres inédiles. On reverra avec plaisir ce vaillant d'au-
trefois qu'on disait endormi à Namur, et qui se recueillait. Il y a
toujours place pour les anciens, pour les bons : Voyez Constantin
Meunier. Baron fut un des fondateurs de lArt libre, il v a bientôt
vingt ans, c'est-à-dire un des révolutionnaires d'alors. Nous ne
l'avons pas oublié el nous saluons son retour.
L'Exposition rétrospective des œuvres de feii Edouard Agnees-
àens s'est ouverte hier à deux heUrcs. Elle occupe deux salles du
Palais des Beaux-Arts et comporte environ 150 tableaux. Nous
parlerons dans notre prochain numéro de cette réhabilitation
d'un artiste pour qui se lève enfin le soleil de gloire. Pour le
moment, bornons-nous à engager tous nos amis à aller vour cette
superbe exposition, synthèse d'une carrière d'artiste brisée avant
qu'elle ail donné sa moisson complète.
Eh bien, el la Zwanzc? Esl-clle malade? Esl-eJle morte? Nous
LART MODERNE
79
comptions sur son exposition. Elle se fait bien allcndrc. Ce n'est
pas fini n'est-ce i)as? Nous n'aimons pas les morts prématùri^'cs,
surtout celles de. gens dont les maladresses servent les bonnes
idén§. Allons, voyons, sursum corda! Réveillez-vous, pantins,
bouffons. El en avant !
A lire dans le numéro d'hier de VEloile belge un des plus
étonnants échantillons qui se soient vus du reportage lartino-
funambulcsque. il s'agit de la fête qui a eu lieu chez
M. et W""' de Monlebello. Uareiiient on a assisté à un pareil
déchaînement de Ivrismc en fait de réclame mondaine. Ce n'est
pas rutilant, c'est rugissant.
].e Cercle (VEser une ^ présidé |)ar M. Ficriants, organise pour
aujourd'hui dimanche, a deux heures, un(! intéressante matinée
littéraire et artistique. M. Eugène Monrose, professeur au Conser-
vatoire, donnera lecture de la comédie de Théodore de Banville :
Socrate et sa femme, que nous avons analysée > récemment,
jyime Vanda Van dcr Mecrc, MM. Ilcrmann et Massage feront
ensuite « un peu de musique. »
Les Concerts populaires feront très probablement entendre le
1^'" acte de Tristan et IseiiU à leur prochaine matinée. M. Van
Dyck serait chargé du rôle de Tristan; on confierait celui dTscult
à M"'*-' Von Edelsberg.
ho. Schiller- Verein de Druxelles donnera vendredi prochain,
42 mars, au Palais des Académies, un concert au bénéfice des
Allemands nécessiteux habitant la Belgique.
MM. Flintz, baryton, Ed. Jacobs, violoncelliste et Jokisch,
violoniste, prêteront leur concours à cette œuvre de bienfai-
sance.
Le i'"'" concert du Conservatoire de musique de Mons aura lieu
vers la lin de mars. On y entendra, entre autres œuvres impor-
tantes, la Symphunie n^ II de Ratï\
Une indisposition a empêché M. Camille Gurickx de donner
lundi son piano-recitnl. La date de cette audition sera fixée pro-
cbain^'ment. Les billets pris pour le 1^'" mars restent valables.
Nous venons de recevoir le catalogue de la ^o*" exposition de
l'Institut des Beaux-.Vrts de Clascow. Trois artistes belges seule-
ment V fiiîurent : M. Jules Monlic^nv, M"'^ Ronner et M. Alfred
Ronner. Les Hollandais ne sont représentés que par MM. Mauve
et Gabriel. Les artistes français sont, de même, très clairsemés.
L'exposition comprend 798 œuvres de peinture, de sculpture,
d'architecture, etc.
Les trois concerts que donnera Antoine Rubinslcin h la Grande-
Harmonie, ainsi (juc nous l'avons déjà annoncé, seront la plits
grande attraction de la saison musicale. Rappelons les dates :
Vendredi 30 avril, à 8 heures du soir, séance Beethoven ;
dimanche 2 mai, à 2 heures, matinée Schumann; mardi 4 mai, à
8 heures, séance Chopin. '
Le prix des places est ainsi arrêté :
Pour une séance : stalle (numérotée), 10 fr. ; galerie (non
numéroiée), 6 fr. Pour les trois séances : stalle (numérotée),
2o fr. ; galerie (non numérotée), 15 fr.
On poihra se procurer des stalles numérotées et des galeries à
la Grande-Harmonie du 2 au 46 avril, les lundi, mercredi et ven-
dredi, de 3 à 5 heures, et à partir du lundi 49 avril, tous les jours
de 40 ù 44 heures et de 3 à 5 heures. Des places non numérotées
se trouveront chez les éditeurs de musique et le soir des concerts
à l'entrée de la salle.
Pour autres renseignements, s'adresser h M. René Deylees-
chouwer, 95, rue des Deux-Eglises, à Bruxelles.
Les artistes choisis pour interprêter celle année à Bayreuth
Parsifnl cl Tristan sont : M'"'-? Materna, Thérèse Malien, Rosa
Papier et Rosa Sucher ; MM. Belz, Antoine Fuchs, Gudehus,
Niemann, Planck, Siehr, Vogl, Wiegand et Winkelmann.
L'orchestre sera placé sous la direction de MM. Lévi, Hans
Richler, Félix Molli, Antoine Seidl..
Nous recevons le 4 '""numéro (IT« année) de iElan littéraire^
une courageuse petite revue de la jeunesse universitaire liégeoise .
Nous remar(jUons dans sa rédaction les noms de MM. Albert
Mockel, Maurice Siville, Hector Chainaye, etc., qui signent des
nouvelles lestement écrites, des criti([ucs intéressantes, des
chroniques littéraires et artistiques, etc.
L'administration de cette revue, dont le prix d'abonnement
n'est que de 3 francs par an, esl rue Sainl-Adalbert, 8,- à Liège.
La vente Gustave De .longlie a produit 26,000 francs. Voici
quelques prix :
Jules Breton, Glaneuses •• 4,500 (acquis par M. Vanderdonckt).
— (^'a\V.\\{, Blankenbercjke : 1,^^{) (acquis pour le Musée de
l'Etat). — AU. Stevens, Vue de Saint- Adresse : 4,000 (acquis
par le duc de Camposelice). — J. Israëls, E Orpheline : 560
(acquis par M.- Vanderdonckt). — Lieberman, Jeu des quatre
coins : 4,300 (acquis par le duc de Camposelice). — Coomans,
Jeunesse : 400. — Bonnai, Intérieur arabe : 800 (acquis par
M. Vanderdonckt). — Robbe, Bergerie: 420. — Slingeneyer,
Souvenirs du Désert ; 440.
La Revue Wagnérienne publie la note suivante :
Le bruit courant que M. Schurman, imprésario inconnu, avait
le projet de donner à Paris très prochainement des représenta-
tions" wagni'Tiennes, nous avons été voir M. Sehurmann, qui nous
a affirmé qu'il allait monter Lohengrin à rEden-Théâlre : chœurs
et orchestre de Paris; interprèles autrichiens chantant en alle-
mand, ou peut-être bien, inlerj)rèles français chanlant en fran-
çais; douze représenlalions, du L5 mai au 45 juin; en cas de
succès, reprise en octobre de Lohengrin, avec le Vaisseau-Fan-
tôme, les Maîtres-Chanteurs, la Valkyrie ; mise en scène très
soignée; prix des places de 40 à 40 francs.
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80
LART MODERNE
SIXIÈME ANNÉE
L'ART MODERNE s'est acquis par rautbrité et rindépendance de sa critique, par la variété de ses
inforinations et les soins donnés à sa rédaction une place préi)ondérante. Aucune manifestation de l'Art ne
lui est étrangère : il s'occupe de littérature, de peinture, de sculpture, de gravure, de musique;
d'architecture, etc. Cimsacré principalement au mouvement £^rtistique belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur touS les événements artistiques de Tétranger qu'il importe de connaitre.
Chaque numéro de Ij'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'actualité. Les expositions, les livres nouveaux, les
premières représentations d'œuvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires, les concerts, les
ventes dohjets cFart, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées. . .
L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. Il rend compte des
procès les plus intéressants concernant les Arts, plaides devant les tribunaux belges et étrangers. Les
artistes trouvent toutes les semaines dans son Mémento la nomenclature complète des expositions , et
concours auxquels ils peuvent prendre part, en Belgique et à l'étranger. Il est envoyé gratuitement à
l'essai pendant un mois à toute personne qui en fait la demande.
L'ART MODERNE forme chaque année un beau et fort volume d'environ 450 pages, avec table
des matières. Il constitue pour l'histoire de l'Art le document LE PLUS COMPLET et le recueil LE PLUS
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BREVETÉE
25, RUE DE LA CHARITÉ & 26, RUE DES FRIPIERS, BRUXELLES
TOILES PANORAMIQUES
Bruxelles. — Imp. Félix Callewaert père. — Y* Monnom successeur, rue de l'Industrie, 26.
Sixième année. — N° 11
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 14 Mars 1886.
L'ART
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET M LA LITTERATURE
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser les demandes d'ahonnement et toutes les communications à "
l'administration générale de l'Art Moderne^ rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
^OMMAIRE
Introduction a l'étude des littératures. — Exposition
Agneessens. — Happe-Chair, par Camille Lemonnier. — Le
Cantique des cantiques. — Association des artistes musiciens.
Quatrième concert. — Fragment d'un voyage dans l'Inde et a
Ceylan, par Jean Robie. — Bibliographie musicale. Musikali-
sche Studienkôpfe, \on La Mara ; Juhendhriefe, von Robert Schu-
mann ; Richard Wagner-Jahrhuch. . — Petite chronique.
INTRODUCTION A L'ÉTDDB DES LITTERATURES
Vous souvient-il de votre rhétorique? J'entends JDar
là cette classe qui termine les Humanités, dans laquelle
on se retrouve une vingtaine dés cent avec lesquels on
était entré en septième. Vous souvient-il d'avoir entendu
dire par quelque vicaire de village, appréciant avec
dédain la rusticité d'un de ses paroissiens : On voit bien
qu'il n'a pas fait sa rhétorique?
C'était le temps où courait le bruit que le style s'ap -
prenait par recettes et que le biau langage n'éteit
qu'une question de formules. L'art d'écrire formait un
code dont de savants professeurs étaient les , déposi-
taires et on l'apprenait comme une liturgie. On se
croyait écrivain quand on était ferré sur les tropes
et il y avait des manuels qui divulguaient tous les
secrets littéraires. Il y avait aussi une littérature type,
officielle et respectable, dite classique, seule digne
d'être vraiment admirée et qui synthétisait en un sym-
bole désormais immuable le bon goût et le beau. Tout
ce qui s'en départait était tenu pour choquant et anar-
chique. Faire sa rhétorique c'était passer par cette
discipline sévère. Montrer qu'on avait fait sa rhéto-
rique, c'était apporter dans ses écrits, voire dans ses
actes, une dignité, une gravité, une mesure, une
décence vraiment classiques.
Sortant de là, on abordait les littératures dans l'in-
finie variété de leurs manifestations, les contempo-
raines, les anciennes, les nationales, les étrangères. Et
soit pour les juger, soit pour les goûter on utilisait la
norme, l'étalon dévotement reçu durant cet enseigne-
ment bizarre. Tout était mesuré aux dimensions régle-
mentaires et de confiance on réprouvait ce qui ne
s'adaptait pas exactement au patron emporté du col-
lège.
Vous souvient-il aussi des conséquences de ce régime ?
D'abord l'intolérance pour toutes les œuvres originales
et libres. Le trouble et la répulsion qu'elles suscitaient.
Plus tard 1 etonnement de les voir si nombreuses, Tin-
quiétude causée par leurs protestations muettes et
incessantes? Puis l'ennui de n'oser se permettre d'admi-
ration que pour les mêmes choses, toujours. Enfin, la
révolte, l'explosion, le bonnet jeté par dessus les toits
et la galoppade effrénée à travers tout ce qu'on croyait
pouvoir être beau, sans distinction ni de règles, ni
d'écoles, ni de maîtres, ni d'églises. L'indépendance, la
belle et saine indépendance de l'art, consciente de cette
vérité suprême, expression de l'éclectisme en lequel se
résout toute expérience : Il n'y a pas de principe qui
n'ait été démenti par un chef-d'œuvre?
Oui, vous en souvient-il? Et vous en souvenant quel
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LART MODERNE
i
est, d'après vous, le procédé le meilleur pour développer
dans un jeune esprit l'intelligence et le goût des littéra-
tures?
. Nous y avons beaucoup pensé, ayant eu charge
d'âmes. Observant en nous-mêmes les phénomènes dé la
jouissance littéraire, guettant comment elle naît, sui-
vant son développement, savourant les délices de son
épanouissement, nous avons compris que c'est la cher-
cher à rebours que de vouloir y préparer par un ensei-
gnement dogmatique, séparant les règles des faits et les
dégageant une à une pour les montrer au néophyte
abstraites et dégarnies, en un édifice exclusivement
échafaudé de charpentes creuses, laissant partout
paraître le vide entre les poutrelles et les madriers.
De même qu'aujourd'hui la botanique est enseignée
une fleur à la main, la littérature doit l'être un livre à
la main. De même que pour les étudier, on arrache les
pétales, on montre les étamines, on dégage le pistil, il
faut analyser le livre page à page, et à l'occasion de ce
qu'on y rencontre exposer les vérités, les ingéniosités,
les préceptes de l'art d'écrire. Et il faut passer de livre
en livre, comme on passe de plante en plante, choisis-
sant certes les exemples les plus caractéristiques, variés
surtout, s'opposant en contraires, révélant l'inépuisable
puissance de changement qui fait de la fée artistique la
' plus capricieuse et la plus séduisante des fées.
Si le maître adopte cette méthode, les disciples le
suivront gaiement. L'intérêt du voyage se renouvellera
sans cesse et pour la vie ils auront le goût des distrac-
tions littéraires, parce qu'il leur aura appris à les res-
sentir à l'occasion de toute œuvre nouvelle. Il leur
aura donné l'aptitude à discerner le beau en toutes
circonstances, sans exclusivisme, simplement, loyale-
ment, comme par une opération naturelle et de tous les
instants. Ils n'auront plus l'intransigeance du sectaire
instruit à ne voir et à n'aimer qu'un seul côté des
choses. Ils seront ouverts à toutes les sensations et se
laisseront aller, avec une fantaisie qui est la sagesse, à
toutes les séductions du beau d'où qu'il vienne, où qu'on
le rencontre.
Prenons la journée d'un esthète, d'un de ces hommes
comme on souhaiterait l'être, qui, sans être artiste de
profession, sans non plus sacrifier à l'art ses de voirs
sociaux, cueille en passant, comme une distraction
qui caresse sans absorber, les émotions du spectacle
de la vie. Il n'a pas un programme de jouissances
artistiques, mais il compte sur les hasards des rencon-
tres, et il a la sensibilité, l'adresse qui les saisit.
Afï'ranchi du pédantisme qui ne comprend pas qu'on
puisse se sentir ému, charmé à l'improviste, au tour-
nant des circonstances, il s'abandonne et dans l'analyse
des incidents littéraires quotidiens découvre ample
matière à philophopher et à faire métier de critique,
sinon pour l'éducation des autres, au moins pour sa
distraction personnelle. Son existeiice entière s'im-
prègne ainsi de préoccupations élevées ou intéres-
santes, il a pris goût véritablement aux choses de style,
il est amateur dans le sens exact du mot, il a l'intelli-
gence des œuvres, parce que sa pensée et son sentiment
se sont affinés dans cette pratique constante.
Un grand écrivain, un bel artiste, Eugène Fromen-
tin, alaissé un exemple merveilleusement suggestif qui,
promenant le lecteur non pas à travers un traité d'esthé-
tique; mais à travers les œuvres, atteint une intensité
incomparable, parce que devant chacune d'elles, sans
en avoir l'air, et sous le coup de l'émotion qu'elle excite,
il énonce les hautes vérités qui éveillent l'âme aux
lumières artistiques. Quiconque à lu les Maîtres d'au-
trefois, ce pèlerinage aux sanctuaires flamands et
hollandais de la peinture, aime la peinture pour
jamais. Il a subi l'aimantation magique qu'il n'est pas
donné à un cours professoral d'exciter. Il a acquis la
faculté de s'animer au contact des belles choses, et par-
tout où il ira, s'il y a un tableau à proximité, il sera
attiré par la curiosité, le besoin devenu instinctif de
retrouver les sensations divines qui ont troublé son
âme. . "
Oui, c'est là tout le secret. Il est superflu de dogma-
tiser.
Il est curieux de voir en quelles formules simples
Fromentin, au moment de se mettre en route, résumait
ce qu'il voulait faire et, comme prêt à devenir un pro-
fesseur d'élite, il croyait n'être qu'un touriste en
vacances. Je vais traverser des musées, écrivait-il, et
je n'en ferai pas la revue Je m'arrêterai devant certains
hommes, je ne raconterai pas leur vie et ne cataloguerai
pas leurs œuvres. Je définirai tout juste, comme je les
entends, autant que je puis les saisir, quelques côtés
-physionomiques de leur génie ou de leur talent. Je
n'aborderai pas de trop grosses questions; j'éviterai les
profondeurs, les trous noirs. Petites ou grandes, les
voies de l'art sont semées de problèmes qu'il est permis
de sonder pour soi comme des vérités, mais qu'il est
bon de laisser dans leur nuit comme des mystères. Je
dirai seulement, devant quelques œuvres, les surprises,
les plaisirs, les étonnements, et non moins précisément
les dépits qu'elles m'auront causé. En cela, je ne ferai
que traduire avec sincérité les sensations sans consé-
quences d'un pur dilettante. Il n'y aura ni méthode
aucune, ni marche suivie dans ces études. On y trou-
vera beaucoup de lacunes, des préférences et des' omis-
sions sans que ce manque d'équilibre préjuge rien. Il
est possible que certaines de mes opinions jurent avec
les opinions reçues; je ne cherche pas, mais je ne fuis
pas les révisions d'idées. Au vrai, ces études ne seront
que des notes, comme une sorte de conversation où les
gens du métier reconnaîtront leurs habitudes, où les
gens du monde apprendront à mieux connaître les gens
L ART MODERNE
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du métier et le métier. Mon programme sera d'oublier
tout ce qui a été dit sur ce sujet, mon but de soulever
des questions, de donner l'envie d'y réfléchir et d'ins-
pirer à ceux qui seraient capables de nous rendre un
pareil service, la curiosité de les résoudre. Je suppo-
serai d'ailleurs que le lecteur, à qui je m'adresse, est
assez semblable à moi pour me suivre sans trop de
fatigue, et cependant assez difï'érent pour que j'aie du
plaisir à le contredire, et que je mette quelque passion
à le convaincre.
Ainsi parlait l'écrivain dont la verve (il l'a dit d'un
autre) était en quelque sorte du bon sens exalté. Cette
instruction pour l'éducation des peintres, on peut l'ap-
pliquer à rinstru<îtion des littérateurs. Elle est la salu-
taire méthode pour développer l'intelligence et le goût.
Elle condamne les pratiques surannées de la pédagogie.
Elle est la seule qui soit de notre temps. Nous nous
y essayons hebdomadairement dans VArt moderne
déplu is cinq ans et plus, et nous avons l'espérance,
qu'en faisant ainsi, nous ne sommes pas resté sans
influence sur ceux qui nous ont lu.
EXPOSITION AG\EESSEi\S
Ce qui frappe surtout dans la gerbe d'œuvres que
pieusement un groupe d'amis a réunies à la mémoire du
peintre, c'est la maîtrise dé l'exécution. Dans ses plus
belles toiles comme dans ses esquisses de premier jet,
elle domine, elle s'impose, elle rayonne, et n'eût-il à
son actif que cette qualité rare, l'artiste mériterait
d'être salué comme un des chefs de la jeune école.
Mais là n'est pas le mérite unique d'Agneessens. Jean
Portaels, qui dirigea ses débuts, avait été vivement
frappé de ses précoces dispositions. A l'époque déjà
lointaine où la turbulente école emplissait de sa
remuante jeunesse l'atelier de la rue de l'Abricot —cet
(Relier dont Camille Lemonnier évoquait ici même le
vivant souvenir à la mort de l'artiste f), — Agneessens
était considéré comme la plus ferme espérance de l'art
belge. On sentait sourdre dans ses moelles la sève
fécondante de l'antique génie national. Son œuvre,
brusquement interrompu en pleine maturité, justifie la
confiance que placèrent en lui son maître et ses cmidis-
ciples.
L'un des premiers, Agneessens se dégagea du cycle
de compositions imaginatives dans lesquelles le roman-
tisme avait empêtré la peinture. La réalité attirait ce
tempérament sanguin, robuste, observateur, mais la
pénétration de son esprit réfléchi lui faisait découvrir,
sous les splendeurs de la matière, la vie mystérieuse qui
échappe souvent aux peintres absorbés dans la contem-
plation des colorations
/*) Voy. l'Art moderne, 1885, p. 298.
De là cette expression intense qui donne à certaines
de ses toiles un charme si séduisant, bien que les
accords de tons qu'elles font vibrer n'aient qu'une sono-
rité assourdie. Nous citerons entre autres, à cet égard,
les portraits de l'avoué Claes et du docteur Victor De
Smeth. Parfois, — dans le portrait de M""® de Pach-
tere par exemple, — l'expression devient énigmatique.
C'est plus qu'un portrait. C'est une évocation sugges-
tive. Mais la banalité du milieu bourgeois, que profes-
sionnellement il étudiait, l'enveloppant de son atmo-
sphère tièder il retombait dans l'ordinaire donnée du
portrait, sans qu'on pût toutefois lui reprocher une
défaillance de dessin ou une faiite d'harmonie.
Et ainsi nous apparaît son œuvre, sérieuse et digne
toujours, magistrale d'exécution, alternant les envolées
vers les plus hautes régions de l'art avec la réalisation
d'un idéal placé plus bas, à port-ée de la main.
Au lendemain de sa mort, VArt moderne caracté-
risait ainsi, sommairement, son art (*) : « Antérieur
aux impressionnistes, il n'a pas eu le sentiment de la
lumière que ceux-ci ont révéla II était encore peintre
d'atelier. Il ignorait le plein air. Plusieurs de ses
toiles poussent au noir. Un sentiment national très
marqué se montre dans tout ce qu'il a fait. Il n'y a pas
le moindre relent de la peinture française, mérite pré-
cieux que si peu cJiez nous atteignent. Son coloris est
d'une distinction raffinée. Ses types sont franchement
ôeux dé son pays. «
L'exposition qui vient de s'ouvrir confirme cette
appréciation, formulée au souvenir des œuvres qui, une
à une, nous étaient apparues, depuis le délicieux torse
d'adolescent où revivent les délicatesses de modelé des
écoles d'Italie, jusqu'aux grandes esquisses devant les-
quelles le mal le frappa, ses études de briquetiers, par
exemple, et l'admirable ébauche cataloguée sous le
titre : Dans une loge.
Le Salon en miniature où l'on suit dans son évolution
tranquille la carrière du pauvre et charmant artiste
dont le souvenir reste si vivace dans la mémoire de
tous est d'un attrait captivant et doux. On s'étonne que
le. peintre de style dont l'art est ainsi révélé après que
la mort a fauché l'homme, ne soit pas déjà dignement
représenté au Musée. Et l'exact et intime portrait qu'a
tracé d'Agneessens son ami et condisciple Isidore Ver-
heyden, du chevalet où il trône, enveloppé de crêpe,
sourit sans amertume aux regrets des amis qui défilent
avec émotion devant l'œuvre d'une vie prématurément
brisée.
(^/ Voy. y Art moderne, 1885, p. 277.
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L'ART MODERNE
V /v ]piAPPE-{^HAIR
par Camille Lemonnier. Paris, Monnier et Bruiihofï'.
Samedi dernier, M. Georges Kodcnbacli, h l'occasion de la mise
en vente du livre dont nous allons parler, a donné une confé-
rence aux XX fort goiilde el dont plusieurs remarques sont îi
retenir. Les anecdotes qu'il a conlL'es ont piqué ces aperçus; et
les dames elles-mêmes, ptrâce à ce .1res habile moyen de leur
épincjler l'atlenlion sur un canevas de conférence littéraire, ont
compris peut-être pour la première fois, combien est grand et
souverain le romancier Camille Lemonnier, suzerain des écrivains
belges.
M. Rodcnbach a spécifié le côté tragique du talent de son ami
en affirmant que, depuis les Charniers, CamiJle Lemonnier évo-
quait dans ses livres la vision du sang. Du sang, il en met, en
effet, el dans le Mâle, cl dans le Mort, el dans Y Hystérique,
el dans les Concubins, el dans Happe-Chair. A ses débuts
c'était en bien et en beau qu'il observait les hommes et les
choses ; des notes sentimentales sonnaient sur ses œuvres comme
les carillons sur les toits plies en livres entr'ouverls; ses Contes
flamands et wallons, ses Gras et ses maigres étaient liitérature
reposante et de gaie venue; il scrutait la vie et l'exprimait,
comme un petit maître de Hollande la peignait, jadis, aux temps
des bonnes santés d'esprit el d'eslomac. Toutes les illusions
benoîtes sur la bonté, sur la douceur, sur la bienveillance el la
charité des gens encombraient ses créations d'artiste.
Sedan lui a retourné l'esprit, d'un coup. Il faut lire ce livre
(plus tard les Charniers) pour comprendre combien le change-
ment a été complet. Lemonnier a reçu là une telle impression de
sauvagerie el de haine humaines, une telle preuve de férocité et
de cruauté, qu'elles s'en sont allées vers les régions de la fable et
de l'amusetlc, toutes les Bloemenijes et les Truinijes du monde.
Ces flaques, ces mares, ces fleuves de §ang se sont mirées dans
ses prunelles el il lui en est resté du rouge sur la rétine.
Au reste, ne l'avoue-t-il pas lui-même?
« Ce livre, dit-il, en un avant-propos, a été écrit dans le sang.
Nul étonnement donc qu'il sbil rjôuge dans le fond et dans la
forme. Il a été écrit comme il a élé vu, avec l'horreur réfléchie
de la guerre. »
Heureux changement de vision artistique après tout et qui a
renouvelé le maîlre : tempérament de douceur et de force.
C'est la force qui, dès ce jour, musclera son œuvre.
Happe-Chair esl un livre de fort. Il fait songer à quelque
lutteur de style, s'attaquant à une masse d'art qu'il s'agit d'abattre
el qui se dresse devant lui comme un géant marmoréen, les bras
croisés el les pieds énormes. Ou plutôt ne vous apparaît-il point
comme le laminoir lui-même, sombre et phosphorescent, avec
ses descriptions étalées comme des brasiers et sa rhétorique
laminée et battue comme un morceau de fer. Ne trouvez-vous
point dans la forme, el tourmentée, et âpre, el comme brûlée, la
sensation du milieu borain ? Et ses phrases toutes plaquées d'ar-
got, el ces dialogues si minutieusement exacts el vrais ne sonl-ils
point l'esprit même des villages houillers?
Enfin, pour bien indiquer la descendance du livre, l'auteur
n'aurail-il pu dans une nouvelle préface qui serait le pendant de
celle des Charniers, écrire :
t( Ce livre a été écrit comme il a été vu avec l'horreur réfléchie
de la vie ouvrière. »
Et vrai, dans quels enfers ne sommes-ngus point menés?
Ménages traversés de coups de poing, maisons heurtées et ,
sonnantes de disputes, rues sillonnées de soulards el de fdles,
villages hurlants de misère, de colère et de rut, campagnes
sinistres et meurtrières, nocturnes et tragiques. Tous les types
de travailleurs : Simonard, Zinque, Leurquin, Picferl, Gaudot,
Bleu — el Félicité, el Flipinc, cl Dédèlc, et Phrasie, les uns les
mains, les autres les jupes puantes de vices, apparaissent.ainsi
que des brutes vautrées dans l'égoul de l'existence. Et par
dessus tout, tels que deux figures coupées sur fond de souff're,
voici Clarinetteel Jacques Huriaux : elle, la vicieuse choisie, la
diablesse d'élection qu'on a comparée h quelque Bovary ouvrière,
plus perverse, plus intraitable el plus toquée de mal ; lui l'ou-
vrier, non pas honnête au sens philanihropique du mol, mais
l'homme du peuple, normal, moyen ; vraie complication de bonté
et de force, que Camille Lemonnier a dû rêver avec le plus de
paternité bienveillante el où peut-être il a mis un peu de lui-
même, de ses tendresses, de ses idées, de ses luttes, de ses
labeurs ; nature de flamand développée en pays wallon ; belle
incarnation de mâle compatissant, probe, loyal, superbe et
doux.
Le Culot et Happe-Chair servent de décors aquafortés aux
drames sauvages et terribles que produisent l'enlrechoquement
passionnel de ces personnages. La lutte esl partout, la bataille
des instincts à chaque coin de page — el des bagarres rouges, et
des empoignades d'homme à homme, et des crânes fendus, et
des catastrophes, el des tueries : les Charniers enfin, revus à
quinze ans d'intervalle. On esl toujours entre deux rixes ou deux
disputes. Clarinette et Huriaux ne se sont noués en ménage que
pour se battre de plus près et avoir à tout instant quelqu'un sous
le poing. Les. injures et les engueulements sifflent à travers le
livre drus comme grêle et toujours en grondante ascension. Si
fort el si continu, que tout autre que Lemonnier en eût fait chose
monotone el lympanante.
Ce qui frappe à la lecture de Happe-Chair, c'est la grande
sûreté d'exécution. Le sujet est dominé el rené. Les scènes, trop
multiples peut-être, sont toutes néanmoins venues comme l'an-
.teur les voulait. On v sent de la maîtrise. Par contre, le défaut
dominant, c'est le manque de surprise. Ou devine trop le livre-
Les cent premières pages vous renseignent sur le reste el à part
le dernier caprice de Clarinette [)Our Gustave Bleu, ne prévoit-on
pas toutes les stations du ménage vers le détraquement final?
Au résumé, œuvre bien bâtie sur la formule naturaliste, par
un rude ouvrier de stvle et un habile architecte de caractères.
M. Rodenbach a défini Camille Lemonnier : « un émotionné
par les yeux ». Cette définition est affirmée à nouveau par Happe-
Chair.
LE CANTIQUE DES CAVTIQl'ES
Traduction en vers, par Jean La Hor, d'aprèsta version de Reuss. —
x^_ Paris, Lemerre, 1885.
A M. le docteur Cazalis, à Paris.
Cher JHïgnsieur,
Je m'acquitte tardivement des remerciements que je vous Vlois
pour votre traduction du Cantique des Cantiques, ^c n'ai pu la
lire à l'aise, comme je tenais à le faire, que ces jours derniers.
Je l'ai fait avec un très vif intérêt. J'avais sur ce sujet les vieilles
> }
idées classiques : que c'était un poème du roi Salomon, — quMl
s'y agissait de ses amours avec une beauté célèbre de son ttimps^
— que la Su!amite était une personnalité historique comme
Judith ou la Reine de Saba, — bref qu'il y avait là un poème de
cour, — et d'éiçlise. .
Je sais maintenant, içrâcc à votre inc^t'-nieusc et précieuse pla-
quette, que ces poésies charmantes sont tout bonnement, et heu-
reusement, des chants populaires par lesquels un berger de Judée
chante sa bergère, et la bergère son bf?rger; que le roi Salomon
n'intervient en tout cela que comme motif à comparaison; que
toutes les suppositions pédanlesques et métaphysiques sur le
caractère symbolique de ces couplets directement sortis du cccur
et de l'imagination de la plèbe sont ridicules; qu'il n'y a pas Ih
dedans de la religion mystique mais de l'amour vivant et poéti-
quement sensuel : qu'en somme ce n'est pas le Cantique des Can-
tiques, mais la Chanson des Chansons, ou mieux la Bonne Chan-
son, — l'Eternelle Chanson, et encore pas telle que la chantent
les lettrés et les virtuoses de la vcrsificatfon, mais un barde
rustique, élevé en pleine naturedisant les choses comme elles lui
viennent, instinctivement, tantôt avec douceur et soupirs, tantôt
avec véhémence et grands cris de [)assion.
Merci pour m'avoir ôté des yeux, en ce qui concerne ce
recueil célèbre et si simple, le voilé bête de la savantise : une
fois de plus me voici dans la joie de voir la caste littéraire aris-
tocratique obligée h restitution au profil des lettres populaires,
ces grandes dépouillées et ces grandes productrices des plus
savoureuses et des plus touchantes inspirations.
Et dire que vous êtes de profession non pas écrivain, mais mé-
decin ! Il le fallait par ces temps où dans l'art d'écrire fourmillent
les petits crevés qui ne se trouvant compris que de leurs congé-
nères ont inventé que les belles choses ne pouvaient être faites
que par des ratîlnés et ne devaient être destinées qu'aux raffinés.
Quelle humiliation leur inflige cette gardeusc de chèvres de
Sulem, et celui (pfelle nomme son beau chevreuil, le pâtre des
vignes d'En-Guédi, pour qui elle murmure, celte paysanne :
— Il est à moi; je suis sa colombe chérie;
Je suis au beau berger qui va par la prairie, —
Par la prairie aux lis, par la verte prairie ;
Et lorsque la fraîcheur du soir
Descendra sur les bois plus sombres
A l'heure où s'allongent les ombres,
0 nion beau chevreuil, reviens pour me voir.
Votre reconnaissant et très dévoué,
E. P.
Bruxelles, 43 mars 1886.
ASSOCIATION DES ARTISTES MUSICIENS ^
Quatrième concert.
L" Association des artistes est retombée dans les fioritures, les
vocalises, les trilles, les arpèges. V Association nous a accou-
tumés, de longue date, à ces alternatives de séances sérieuses et
de soirées dont la virtuosité seule fait les frais. Et ceux qui gou-
vernent ses destinées connaissent à fond le cœur de ceux que
réunit chaque audition dans la salle de la Grande-Harmonie, lis
savent que des amateurs de vraie musique se glissent parmi les
auditeurs, mais combien plus nombreux sont ceux que le prélude
(.\e Lohen g rin cndoril
La chanteuse à roulades, c'était M"« Mézeray, charmante
d'ailleurs, et toujours séduisante, même lorsqu'elle chante des
\ùrhlions s[ir \e Carnaval de Venise el l'air du Domino noir.
Le violoniste, c'était M. Vivien, professeur estimé, attaché k
deux établissements d'enseignement musical à Mons età Namur.
Le pianiste était, cette fois, une jeune pianiste, très jeune el
très pianiste. Son maître, l'excellent professeur Auguste Dupont,
fonde sur elle dos espérances d'avenir sérieuses, et h bon droit,
croyons-nous. M"^ Uhlman, qui en est encore à la période des
jupes courtes et des chevoux dénoués, se présente snr l'estrade
armée d'un mécanisme sérieux, d'une connaissance assez cçrandé
de l'art de phraser, et de dispositions naturelles qui paraissent
nombreuses el de bonne qualité. Le concerto de Mondelssohn et
ûivers soli, entre autres des pièces d'Auguste Dupont et de Scar-
latti, OiUt valu à la jeune fdie un succès flatteur.
Quant à VOffrande à Diane de M. Cahen, qui formait l'un des
numéros de ce programme varié, il n'y a rien à en dire. C'est,
banal et pauvrement écrit.
Une séance littéraire et musicale a interrompu, dimanche der-
nier, la série des assauts dont frémissent les murs du Cercle
d'escrime. M. Monrosea lu à un auditoire choisi et très mondain
la jolie comédie de Banville : Socratè et sa femme, dont nous ont
privés les sociétaires de la Comédie-Française. Il l'a lue avec
talent el de manière à eu faire comprendre les finesses. M.'"*^ Van
der Meere, qui n'est pas de Delft, MM. iïerrmann et Massage ont
ensuite organisé un petit concerl. très applaudi dans lequel la
cantatricf} a dérangé le plus gentiment du monde l'air du Barbier
de Séville sur l'accompagnement duquel elle a chanté une foule
de notes joyeuses, ce qui lui a valu un succès considérable,
accentué par l'air de la « véritable » Manola, qu'il ne faut pas
confondre avec les Manolas de pacotille dont l'Espagne el le
monde pullulent. M"'« Van der Meere ayant « créé » la Manola à
Paris, il ne peut s'élever aucun doute sur son authenticité.
Matinée d'ailleurs charmante, dont les honneurs étaient faits
avec une courtoisie parfaite par le président du Cercle, aidé de
ses commissaires.
Fragment d'un Voyage dans rinde et à Ceylan (*), par
Jean Robie, Ile partie. — Bruxelles, Parent et C'% 18S5.
« Je prie le lecteur de se rappeler que je ne suis qu'uji simple
touriste de la secte des adorateurs du soleil, — un Globe trotter,
ne parlant habituellement que de ce qu'il voit, dans la crainte de
grossir le nombre des vova^eurs qui se sont fourvovés en voulant
traiter dos questions qui demandent toute une existence d'études. »
On ne pourrait réclamer avec plus de modestie l'indulgence du
public. Et comme il arrive généralement en pareil cas, l'auteur
n'a nullement besoin de cette indulgence. Il fait avec une bon-
homie charmante le récit d'un voya^je dans l'Inde, note au jour
le jour les incidents qui l'égaient, l'émeuvent, l'enlhousiasment.
En homme habile à manier la brosse, il décrit de verve, sous des
couleurs chatoyantes, la vision des contrées qu'il parcourt, et le
Temple d'or d'Amritsir, et leTadj, le chef-d'œuvre de l'art indo-
sarrasin, et les palais de Lahore, de Jeypore et d'Ambcr, se dres-
sent, en ses descriptions colorées, dans la gloire de leurs archi-
tectures merveilleuses.
C) Voy. VArt moderne iSSZ, p. 208.
Quand parut la première partie de celte très intéressante rela-
tion de voyage, en 1883, nous la signalâmes comme l'œuvre d'un
artiste sincère, observateur et conteur aimable. On lira avec
autant de plaisir le voyage de M.Jean Robiede Calcutta à Bombay
qu'on avait eu d'intérêt à le suivre, il y a deux ans, dans son
escale h l'île de Ceylan, dans ses promenades et ses chasses à
dos d'éléphant, dans ses courses qu'inspiraient à la fois l'amour
de l'art et la passion du grand air.
Ajoutons, pour les raffinés de bibliophilie, que ce livre eït
rare; qu'il n'a été tiré qu'à un nombre très restreint d'exem-
plaires ; que M''® Parent a mis tous ses soins à l'éditer avec
coquetterie et que M. Alexandre l'a orné de dix belles planches
photographiques tirées d'après des esquisses du peintre-écrivain.
PlBLIOQRAPHlÈ MUSICALE
^ Musikalische StudienkOpfe, von I.a Mara. Leipsit
Breitkopf et Hartel.
MM. Breitkopf i't Hartel viennent de fiiire paraître une nou-
velle et très élégante édition du cinquième volume des études
biographiques que consacre M. La Mara aux musiciens. L'ou-
vrage est orné d'une planche contenant les portraits des vingt-
deux héroïnes du livre.
Car c'est sur les femmes-artistes que l'auteur fixe cette fois son
alténlion, sur les femmes qui se distinguent, selon soii expres-
sion, dans le Royaume des Tons.
Clara Schumànn, Sophie Menler, Anna Mehlig, Marie Krebs,
Annetle Essipoflf", Wilma Neruda, Pauline Viardot, Adelina Patti,
Christine Niisson, Pauline Luçca, toules les virtuoses du piano,
du violon, de la voix passent successivement dans le champ de
la lorgnette que braque sur elles le musicologue. Défilé char-
mant, varié, d'un intérêt soutenu, et dont un trio de wagnérisles
ferme la marche : M'"^'' Brandi, Vogl et Materna, les créatrices
des plus grandes figures du théâtre lyrique : Kundry, Iscult,
Brùnehilde.
L'histoire de l'art musical contemporain revit dans ces pages*
attrayantes, auxquelles une abondance de détails et d'anecdotes
donne une valeur documentaire considérable.
Le volume est dédié à Liszt, l'artiste féministe par excellence,
que l'auteur dénomme : l'idéal des virtuoses. '
Jttg^endbriefe von Robert Schumànn, nach den originalen mitge-
theilt von Clara Schumànn. Leipsig, Breitkopf et Hartel.
Montrer Schumànn dans l'intimité de sa correspondance, le
suivre pas à pas dans ses rêves, dans ses affections, dans ses
laborieux efforts k la conquête de l'Art, c'était certes faire œuvre
intéressante.
C'est la tâche que s'est imposée M""* Clara Schumànn en
publiant un choix des lettres de jeunesse du maître. La mémoire
de l'artiste exquis grandit encore sous le jour de celte correspon-
dance pleine d'élévation et de cœur.
De ces lettres, qui forment un joli volume de 315 pages,
coquettement édité, les unes sont adressées à la mère du compo-
siteur, d'autres à son frère, d'autres à des amis d'enfance, les
dernières à Clara Wieck, qui bientôt devait devenir sa compagne.
Elles embrassent une période de treize années, de 1827 à 1840,
époque où il enlevait sa vingt-deuxième œuvre et où, tout entier
k son art, il écrivait à sa fiancéç : « Je. ne souhaite pas vivre en
un endroit plus délicieux que dans le voisinage d'un piano et de
toi. »
Cet album fait revivre d'une vie intense la figure sympathique
et souffrante qui éclaire d'un rayon si doux un coin du monde
musical. ^
Richard Wagner- Jahrbuch. 1886. '
M. Joseph Kurschner, de Stuttgart, a pris l'initiative d'un
Amiuaii'e de Richard Wag7iei\ auquel collaboreront tous les
écrivains-et musiciens wagneristes de l'Allemagne, MM. Ernest
von Wblzogen, Wilhelm Tappert, Emerich Kaslnor, Hans von
Bulow, Karl Glasenapp, Richard Pohl, etc., etc. L'ouvrage, qui
sera magnifiquement imprimé si l'on en juge par le prospectus,
sera mis en vente chaque année le 22 mai, date anniversaire de
la naissance de Wagner, et pour la première fois en 1886, dix
ans après l'inauguration du théâtre de Bayreuth. Il comprendra
des docjumenls inédits sur le maître, une partie bibliographique
et historique, des articles critiques, la statistique des œuvres de
Wagner, des premières représentations de ses ouvrages. Bref,
tout un ensemble d'études et de renseignements du plus haut
intérêt. Le prix est de 10 mks. 50 pf., ou 20 mks. sur hollande,
tirage à 150 exemplaires.
pETITE CHROJMiqUE
C'est aujourd'hui dimanche, k 5 heures, que sera close l'expo-
lilion des XX.
Finis Zwanz.le! — La zwanze est morte! Hélas! trois fois,
hélas! Bien morte. A^oici le billet/de faire part publié par ses
moniteurs officiels, V Etoile belge et la Chronique :
« L'organe des Vingtistes n'a pas encore pardonné la Zwans-
Exhihilion organisée il y a un an par les Essoriens.
« Eh bien,demande-t-il,et la Zwanze? Est-elle malade? Est-elle
« morte? Nous comptions sur son exposition. Elle se fait bien
« attendre. Ce n'est pas fini, n'est-ce pas? » —
« La preuve que ce n'est pas fini, c'est que les Vingtistes s'en
sont chargés. La Zwans- Exhibition existe. Elle est ouverte. Les
Essoriens n'entendent pas faire double emploi.
« L'année dernière la parodie était déjà difficile. Cette année-ci,
elle est impossible. On ne parodie pas le grotesque. »
On ne peut pas plus piteusement confesser sa déconfiture. Ils
auraient pourtant bien voulu bouffonner encore : à preuve qu'ils
ont redistribué gratis leur catalogue aux cercles, aux amis et
connaissances, avec autant de prodigalité qu'un prospectus de
Pillules suisses. Finis ZvvANZiiE !
— A propos du Salon des XXj un mot curieux attribué k
Degas :
Il n'y a que les œuvres supérieures pour faire rire tant d'im-
béciles k la fois.
— Sur Iç même sujet, une fleur de zwanze :
Un prolecteur d'Essorisme devant le Pas- Volant de Schlo-
bach : Qu'est-ce que c'est que ces petites filles qu'on tire par les
bras? — Madame son épouse : Ce doit être une scène de l'Inqui-
sition.
LART MODERNE
87
Une amusanle remarque devant Pornocralès de Rops :
C'est une figure symbolique? — Mais non, c'est un tableau
religieU : madame Saint-Antoine qui promène le cochon tradi-
tionnel pendant la sieste de Monsieur.
Le troisième concert populaire aura lieu le 28 mars. Il sera
donné avec le concours de W^" Von Edelsberg et de M. Engel.
Le programme comprendra comme œuvres principales, fa
Symphonie n^ 3 de J. Brahms, exécutée l'an dernier; parmi les
œuvres nouvelles figurent l'inlroduction du troisième acte de
V Appollonide de Franz Servais, Une scène d'amour^ d'après le
poème de Baudelaire, Le jet d'eaUj du même auteur, ainsi
qu'une Fantaisie-Ouverture, de Th. Radoux, du Conservatoire
de Liège.
MM. Catulle Mendès et Chabrier ont lu lundi aux artistes
ihvendoline, l'œuvre nouvelle par laquelle M. Verdhurt compte
terminer la saison. C'est un opéra en trois tableaux, dont les
rôles sont confiés à M"« Thuringer, àMM, Engel et Bérardi. L'ou-
vrage passera dans les premiers jours d'avril.
Samedi 20 mars, à 8 heures du soir, au Palais des Beaux-Arts,
concert donné par M. Arthur Van Dooren, pianiste (élève de De
Zarembski), avec le coticours de M"<^ Alphonsinc Douilly, canta-
trice, et de M. Georges Mûller, violoniste (élève de Joachim).
Au prochain concert du Conservatoire de Liège, fixé au 20 mars,
on entendra pour la première fois en Belgique la symphonie
Scandinave (en ut mineur) de Frédéric-H. Cowen, le compositeur
anglais bien connu. M. Cowen viendra à Liège pour assister à
l'exécution de son œuvre. Sébastien Bach figurera au programme
avec sa cantate Gotte's Zeit et Berlioz sera représenté} par le
3^ acte des Troyens. M. Radoux a engagé toute une compagnie
d'artistes de talent pour s'acquitter des solis : M'"^* de Saint-
Moulin, Fick-Wéry, M"« Joachim, M.M. Verhees, Davreux, Roussa
et R(^my.
Ce concert, exceptionnellement intéressant, sera complété par
l'audition d'un violoncelliste très estimé en Allemagne, M. Schrœ-
der, professeur au Conservatoire royal de Leipzig.
Pour le troisième concert, qui est déjà fixé au iO avril, le pro-
gramme porte deux actes de la Walkyrie.
Le 25 maj, jour de l'Annonciation, on exécutera à l'église
Saint-Euslache, à Paris, en présence de l'auteur, la Messe de
Gran de Franz Liszt.
Outre l'orchestre de M. Colonne, l'exécution aura lieu par les
maîtris<>s de Saint-Euslacho, de Saint-Sulpice, de Notre-Dame, de
Sainl-Germain-des-Prés et de Saint-Lambert de Vaugirard^çe qui
représente un ensemble de cent cinquante enfants, sans compter
les chœurs des concerts du Châtelet.,
Cette audition aura lieu au bénéfice de la Caisse des écoles.
On lit dans une correspondance d'Anvers : -
Notre concitoyen M. Maurice Gevers, dont le talent de compo-
siteur s'est déjà révélé dans plusieurs produciions très estimables,
a lu dernièremenl, dans une réunion chez M. Menzel, président
de la Société de Musique, la réiluciion au piano d'une ballade
barcarolle pour solo, chœurs et orchestre qu'il a composée sur des
paroles de M. Julius Vuylsteke : Wat murmelen de baren? Wat
fluistertde wind? Bemint! Bemint!
M. Gevers s'est assimilé son sujet par un contre point élégant
et facile; c'est une œuvre sérieuse, remplie de qualités, dont la
Société de Musique aura la primeur.
Le monument de Berlioz au cimetière Montmartre vient d'être
achevé. Il se compose d'une haute dalle de marbre, dressée au
chevet de la pierre tombale, et sur laquelle sont inscrits les noms
des principales œuvres du musicien.
Au dessus de l'inscription rayonne un demi-soleil d'or, du
milieu duquel émerge en lettres noires le nom de Berlioz. Le
médaillon, qui représente le maître, est encore voilé. Le jour de
l'inauguration n'est pas fixé.
Il est fâcheux que M. Scudo ne puisse assister à la cérémonie.
M. Strauss vient de proposer au Conseil municipal de donner
le nom du peintre Manet à la rue Nouvelle.
Un moyen infaillible de conjurer la crise théâtrale et de com-
bler les salles de spectacles. Il suffirait d'assigner à chaque caté-
gories de spectateurs des places en harmonie avec sa position
sociale. Ainsi, l'on placerait :
Les magistrats, au parquet.
Les académiciens, aux fauteuils.
Les canotiers, sur la scène.
Les jardiniers, au parterre.
Les perruquiers, dans les frises.
Les cardeurs, aux secondes.
Les concierges, dans les loges.
Les maîtres nageurs, dans les baignoires.
Les orateurs, au balcon.
Les femmes potelées, aux avant-scènes.
* Les dévotes, au paradis.
Les cocottes, au poulailler.
Les médecins, à l'amphithéâtre.
Et les agents de change, dans bp6.coulisses.
Ça n'est pas plus malin que ça.
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Lundi 22 mars 1886, à 2 heures de relevée, à l'Hôtel des Ventefs,
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88
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Macabre. — Séance Wagner chez G. Meunier. — Mémento des
EXPOSITIONS ET CONCOURS. — NoTES DE LIBRAIRIE. — PETITE CHRO-
NIQUE.
THÉODORE BARON AU CERCLE ARTISTIQUE
L'exposition d œuvres de Théodore Baron que nous
avions anponcée dans notre n» du 7 mars, est ouverte
et attire de nombreux visiteurs. Nul ne s'en éton-
nera, étant connues les sympathies qui ont toujoui*^
entouré cet artiste sincère et modeste, un des protago •
nistes de la réforme artistique de l'école du paysage
dans notre pays, dont les premiers eiïbrts et les pre-
miers succès furent contemporains de ceux de Boulen-
ger, d'Artan, de Chabry, de Dubois, de Heymans,
d'Asselbergs. "*
L'ensemble des toiles exposées est important et inté- .
ressaut, plus peut-être comme document historique que
comme expression de l'art présent. C'est, en effet,
•chose extraordinaire que la rapidité des transforma-
tions contemporaines dans tous les domaines de la
pensée. Avec son caractère sévère, souvent terne, un
peu sec, sans atmosphère sensible, les œuvres de Baron
revêtent déjà un aspect ancien, et le charme qu'ont
plusieurs d'entre elles réside en partie dans le senti-
ment qu'elles donnent d'une peinture qui s'éloigne, qui
va bientôt s'endormir dans Ja douceur et la majesté du
passé. Ce sont particulièrement les paysages des premiers
temps de sa carrière, solides, d'un très beau style,
• sobres et sombres, qui ont cette impression séductrice
et mélancolique. Il en est quelques-uns qui réalisent
puissamment les .données qui constituaient il y a une
vingtaine d'années ce qu'il y avait de plus hardi et de
plus révolutionnaire dans la réforme que poursuivaient
alors les jeunes peintres de VArt libre, avec une vail-
lance et une discipline qui en ont amené le triomphe.
Depuis sont venues les nouvelles couches, celles des
amants de la lumière et du plein àir absolu, avec la
fraîcheur, l'éclat, la transparence, et aussi le caractère
tremblant des contours, leur insaisissabilité, le chatoie-
ment des couleurs, leur variat)ilité caressante, la vibra-
tion douce de toutes choses, Ylmpressionisme en un
mot, cette école du vague qui voit la nature ambiante
avec les yeux affaiblis des travailleurs de notre temps,
et donne au spectateur sincère l'aspect de ce qui l'en-
toure sous le brouillard léger et mollement étendu
comme un glacis dans lequel baignent en un rêve, les
merveilleuses scènes du monde extérieur pour ceux que
ne hante plus la manie de tout rendre net. Curieux
phénomène d'optique causé par la transformation de
nos prunelles sous le coup de l'emploi immodéré du gaz
pour le travail, la lecture ou les plaisirs, durant ces
longues soirées modernes qui nous ont transformés la
plupart en noctambules.
Dans une plaquette tirée à très petit nombre et
devenue introuvable en librairie, un de nos écrivains,
il y a deux ans, esquissa.it cette évolution en mettant
I
dans la bouche d'un médecin de fantaisie, cette bou-
tade :
" Là vue des contemporains se gâte, les rétines s afifài-
blissent, les cornées s'aplatissent ou se bombent bête-
ment, scandaleusement. Partout de mauvais yeux. Tout
ce qu'on regarde apparaît fluide, vague, mal défini. Les
contours disparaissent et s'embrpuillardent. Les teintes
font l'effet de taches. Les lunettes, les binocles, les mono-
cles corrigent à peine cette infirmité et, du reste, on ne
les a pas toujours sur le nez, c'est trop gênant. Consé-
quence : la peinture va changer. Elle deviendra la
peinture des mal-vojants. On bâclera sur les toiles des
impressions incertaines comme des rêves de conva-
lescents. Ce sera l'école du myopisme. Elle n'est pas
nouvelle. Rembrandt, . dans les dernières années de sa
vie, était myope, ses grands effets de clair- obscur sont
des eff'ets de clignotement. De notre temps, Corot aussi
était myope^ chacun le sait. Et alors qu'un médecin dit
sobrement : « Il a les yeux malades »> , les critiques
diront d'un ton pénétré (stupendum I] : « Corot ne voit
pas une ligne dans la nature : tout est pour ses yeux
souffle, atmosphère ; il ne dessine pas un arbre, il fait
d'abord l'air, le ciel, la lumière, puis il songe au reste.
Le reste se compose de teintes produites par les ren-
contres de la lumière, ses hasards, ses mirages. Il est
grand, surtout pour avoir su peindre le fugitif et l'on-
doyant de la nature. Il a donné un corps à l'insaisis-
sable, il a su arrêter l'ombre, le frisson des choses. Il a
rendu perceptible l'agitation légère qui précède l'au-
rore dans le ciel, le pli léger du nuage au moment où le
jour levant bouscule Tombre devant lui, il a compris
que, pour l'œil, l'essence d'une chose est dans la tache,
que chaque objet dans le champ visuel n'est qu'une
tache modifiée par d'autres taches et qu'ainsi le prin-
cipal personnage d'un tableau est l'air, dans lequel les
figures sont plongées comme les poissons dans la
mer, etc., etc., etc. ;», à perte d'haleine.
« Oh! les crétins! Non, non, non, trente mille fois
non ! C'est un malheureux qui voit mal, comme à travers
une gaze, parce qu'il a l'œil déprimé, affaibli, déformé.
Et voilà tout. Appliquez-lui des compresses et non des
éloges. Quant à moi, si je devais le soigner, j'exciterais
sa maladie, je l'exaspérerais, puisqu'elle produit des
tableaux qui m'émerveillent. Je le traiterais comme le
fabricant de foie gras traite les oies dont les produits
sont d'autant meilleurs qu'elles sont plus malades.
Quand il n'est pas atteint d'un mal presque incurable,
un artiste n'est jamais qu'un médiocre. "
Théodore Baron a commencé à peindre quand ses
yeux étaient encore bons et perçants. Virilement il a
exprimé alors nos grands paysages campinois et mo-
sains dans la netteté de leur profonds horizons et de
leurs superbes Jignes, dans la puissance de leur coloris
procédant par grandes plaques de teiîilès intenses,
avec l'enveloppement sombre de "nos ciels nuageux,
vus à travers la transparence miraculeuse de l'atmo-
sphère humide. Actuellement la tentation lui est venue
d'attraper la fraîcheur et la fluidité des peintres à pru-
nelle clignotante, ces poètes inconscients de la nature
vue partout incertaine et brumeuse. Il n'y a guère réussi.
Ce qui le gêne dans cet essai, c'est le souvenir indélé^
bile et l'habitude de sa ferme et nette peinture d'autre-
fois. La fraîcheur de ses tons est crue, elle manque de
finesse. La légèreté qu'il essaie de donner à ses terrains,
à ses rochers, les rend creux, les réduit à l'état de
simples écorces. C'est qu'on ne se change pas. On ne
dépouille pas ses instincts et son tempérament. Né pour
une des périodes de l'art, on ne passe pas à une autre,
comme un passager qui saute de son vaisseau qui som-
bre sur un vaisseau qui passe. L'excellent artiste a
brillamment accompli sa tâche dans la transformation
de notre peinture nationale. On lui doit une part de
l'affranchissement initial, dont il fut un des plus mili-
tants artisans. Son art forme, par quelques œuvres
d'élite, une des brillantes étapes de cette marche en
avant. Mais qu'il ne pense pas à faire peau neuve. Il a
encore en lui des ressources fécondes pour plaire et
réussir en restant ce qu'il est. Le tableau du Cercle
qui représente, en un superbe paysage doré, une
bruyère couverte de graminées mûries par le soleil, au
dessus desquelles frissonnent des bouleaux, en témoigne
éloquemment.
Î\UE DE LA F^ÉQENCE
« L'Exposition des XX, je voiis prie?
-*• Elle est fermée, Monsieur.
— Fermée?
— Oui, depuis huit jours. '
— Fermée! Et j'arrive tout exprès de Furnes-Ambacht pour la
voir. J'ai lu qu'on y voyait des choses très comiques.
— Très comiques, en effet.
— Des paysages bleus, des intérieurs rouges, des chevaux
sans pattes, des portraits sans yeux.-...
— El des yeux sans portrait. Voyez Redon, par exemple.
— Redon?
r-Oui.
— Un impressionniste?
— Nullement.
— >lors, pourquoi a-t-il exposé aux XX?
— Parce qu'on l'a Invité.
— On invite donc d'autres peintres que des impressionnistes?
— Mais il paraît. On n'a jamais dit qu'Hermans fût un impres-
sionniste, ni Speekaert, ni Danse, ni Besnard....
— Besnard, rauteui" du portrait de femme qui a eu, l'an der-
nier, tant de succès au Salon de Paris? J'y suis allé avec mon
épouse, et nous l'avons remarqué.
— Précisément. Et c'est ce même portrait qu'il a exposé
aux XX. , -
V
1 I
. I
— Vous melouncz. Mais .sans doulc qu'il part ces qualrtj
noms.... .
— Pardon. Je vais continuer. Vous connaissez Roty, le gra-
veur?
— Sans doute. Un artiste de premier ordre.
— Il a exposé aux XX pour la seconde fois. Et Guérard, et
Gaillard, et le sculpteur Carriès, et M"« Montalba, et Monticelli....
— Comment? Eux aussi? Vous voulez rire. ■
— Et Whislier....
— Whislier? rAmcricain? Il consent à exposer avec ces fous?
— On assure qu'il ne souhaite rien lant que de faire partie de
leur cercle.
— Mais cela bouleverse mes k\6es. Les journaux prétendent
qu'il n'y a aux XX que des charlalans frappant tous sur la même
grosse caisse.
— « Charlatans » est dur.
-r- C'est ce que je me suis dit, mais enfin, le mot est imprimé.
Il n'y a sans doute, dans ces XX^ que des rien du tout, des
zwanzeurs, des gens incapables de produire une œuvre?
— Incapables est le terme. Le nommé Rops n'a jamais rien
fait qui vaille. Quant à Verheyden, il est incompréhensible que
l'Etat lui ait acheté un tableau ! Van Strydonck a eu le prix Gode-
charle. C'est une croûte. Vogels n'achève pas ses tableaux.
Khnopff les termine trop. C'est impatientant. Van Rysselberghe
est lin peintre de sujets marocains: Pourquoi se méle-l-il de vou-
loir faire autre chose? Son Conteur arabe pari pour Berlin, à la
demande du directeur des Beaux-Arts. Quelle triste idée les Alle-
mands vont avoir de nos artistes! El Paul Dubois! Encore un
qu'on a jugé incapable. On lui a campé le prix Godecharle pour
le flétrir dans l'opinion publique!
— - Mais on m'a dit qu'il avait été très disputé, ce prix?
— Qu'importe? On l'a décerné au plus détestable concurrent.
Et Chainaye, et Ensor, et Finch, et Toorop....
— Oh! Toorop! " ^
— Encore un incapable ! Le roi de Hollande l'a déshonoré
d'une boursç. Sans doute l'usage est-il, en ce pays, de conférer
des encouragements aux plus mauvais peintres du royaume.
— Vous persiflez, et moi qui vous écoutais sérieusement! Il
n'est pas possible qu'une exposition qualifiée de grotesque par
les journaux ait réuni de pareils éléments.
— C'est cependant ainsi. El si vous ajoutez à la liste Dario de
Regoyos le guitariste, Wylsman, Willy Schlobach, Guillaume
Charlier, M"e Boch, Frantz Charlet...
— Pardon. 11 doit v avoir confusion. Vous me citez des
artistes n'ayant aucun lien entre eux. Il n'est pas possible que
tous ces gens-là aient fondé une école.
— Quelle école? - ^
— Mais le Vingtisme, parbleu !
— Où avez-vous pris ce mot-là?
— Dans les journaux. Pour être vingtiste, il faut n'avoir
aucune notion du dessin, ni de la couleur, ni des valeurs, ni des
plans. Or, parmi les artistes que vous citez
— Ajoutez qu'il faut avoir tué son père, sa mère, ses frères et
sœurs de sa propre main, se nourrir de viande crue et porter un
anneau d'or dans le nez. ;
— Vous raillez.
— Ne l'avez-vous pas lu dans les journaux?
— Non.
— Cela m'étonne. Si on ne l'a pas encore dit, on le dira.
— Mais enfin, les gens sensés se gardent bien d'aller voir ces
horreurs? . , ^
— Ils s'en gardent, mais il y en a tant d'autres qui y vont!
— J'entends, la première année, par curiosité. Et puis, on
a été fixé, je pense. On lésa laissés seuls avec leur impuissance.
—r- Je regrette de devoir vous contredire. On m'a précisément
communiqué des chiff'res... Tenez, la première année la recette
a été de fr. 2,466-50, la deuxième de 3,052 francs, la troisième
de fr. 4,611-50. Cela progresse assez bien, comme vous voyez.
— Mais V Etoile belge a parlé d'un maigre boni de 900 francs.
— Il paraît que V Etoile belge ncsi pas toujours bien ren-
seignée.
— Alors, celle histoire qu'elle a raconté, ces querelles, ces
horions, celle bagarre dans un banquet des XX...
— Vous n'avez donc pas lu le numéro suivant?
— Qu'est-ce qu'il y avait dans ce numéro î .
— Rien, sinon que ce que la commère avait raconté la veille
était faux. - :
— Vraiment? A Furnes nous croyons que tout ce qui est
imprimé est vrai. -
— Je vous plains sincèrement. On a imprimé, rien qu'au sujet
des XX dont nous parlons,-assoz de sottises pour alimenter, pen-
dant plusieurs années, les « Musées comiques » que publient
certains journaux.
— Vous ne me direz pas cependant qu'on trouve, tout-à-coup,
vingt maîtres poussés d'un jet, au même endroit, ni même quinze,
ni dix?
— D'accord. Mais si de ces dix, de ces quinze ou de ces vingt
sortent cinq artistes que la prudente organisation des Salons offi-
ciels, avec sa garde-bourgeoise de jurés qui en surveillent l'enlrée
aussi soigneusement que les bons propriétaires ferment leurs
volets quand passe l'émeuie, eût laissés toute leur vie piétiner à
la porte, dans la boue, que direz-vous? Et supposez qu'il n'y en
eût que trois destinés à arriver. Admettez qu'il n'y en eût même
qu'un. Le mouvement serait-il inutile? Si le pauvre Boulenger,
qu'on a laissé mourir de misère, eût fait parlie d'un groupe
comme celui des XX^ pensez-vous qu'il n'eût pas forcé la porie
qu'impitoyablement on lui jetait sur le nez? Et J^ouis Dubois! Son
histoire est si triste que je ne veux pas m'en souvenir. El tant
d'autres, morts à la peine, repoussés des Salons triennaux,
ignorés du public, écartés par les critiques qui ne jugeaient
même pas à propos de leur faire l'aumône d'un éreintement !
Dites-le à vos amis de Furnes. S'il se trouve parmi eux des
gens de cœur, ils ne se laisseront pas mener par quelques pitres
forcés par état d'amuser la galerie et par de crainlits vieillards
que tout changement inquiète et dérange. Ils comprendront que
les aspirations indépendantes qui font battre le cœur des artistes
comme elles soulèvent, à certains jours, les foules, doivent être
epcouragéeseï non étouffées. Ils reconnaîtront d'ailleurs que ces
mouvements là on ne les arrête pas. Tant pis pour les essoufflés.
La roule de l'art est semée de traînards harassés. Ce sont eux
qui geignent, et se lamentent, et insultent de loin la colonne en
marche.
A quoi bon prêter l'oreille à leurs pileuses criaillerics? Elles
s'éteignent d'elles-mêmes dans l'éloignement. Mais je m'attarde
et j'ai aff'a ire. Venez un peu plus tôt à Bruxelles l'an prochain. En
février. Je vous donne rendez-vous au prochain Salon des A'A'. »
92
UART MODERNE
< ^i^cE^Tz AU j;!!on3ef(vatoiri:
M. Gevaert adore Gluck. Chacun le sait. Il pratique même î»
régand du vieux maître un tel culte que pour en savourer plus
longtemps la splendeur, il ralentit le plus qu'il est possible le
mouvement des œuvres qu'il fait ex(5cutor sous sa direction.
Alccslc, dimanche dernier, a été plus que solennelle. Elle a
été pompeuse. Elle s'est drapée dans des plis de péplums avec
une majesté telle que les cris de passion, d'humanité, de vie, qui
retentissent dans la |)artilion ont été presque élouflos par les
étoffes.
Mais il n'importe. Celait une bonne fortune que d'entendre
dans son intégrité l'œuvre superbe qui a ouvert la roule au
drame lYri((ue, si radieusemcnl épanoui depuis lors.
Car il ne faut pas l'oublier : les cinq cents personnes qui
applaudissent consciencieusement Alcesle parce qu'il serait de
très mauvais ton de bâiller ou de critiquer pareille musique,
sont les mêmes qui déclarent les Maîtres-Chanteurs assommants
et la Walkyrie épouvanlable.
. Récriez-vous. Quoi de commun entre Wagner et Gluck! Ceci,
d'abord : c'est que les mêmes insultes dont l'un est abreuvé,
l'autre les a essuyées, ce qui, entre parenthèses, ne lui a pas fait
de mal. Grimm écrivait de Gluck : « Son chant paraît triste et
monotone, barbare ou commun », et Grimm, c'était la quintes-
cencc de la critique du temps, quelque chose comme les jour-
nalistes du bel-air qui dictent aujourd'hui leurs arrêts, avec
moins d'esprit mais avec tout autant de suffisance. Et Bachau-
mont, dans ses Mémoires qui étaient les Chroniques de la ville
de ce temps éloigné, disait : « Sa Majesté a fait de son mieux
pour soutenir le chef-d'œuvre prétendu du chevalier Gluck; mais
tous les efforts des parfisans de cet Allemand n'ont pas pu garan-
tir le mauvais efïci dû troisième acte, qui n'a obtenu aucun
applaudissement... Les ballets mêmes sont misérables. Point
d'air de violon, rien de gai, etc. »
Cet Allemand est écoule, admiré, louange, applaudi par les
sous-Grimm et les Bachaumont de rencontre qui pullulent de nos
jours. Ils ont braqué ailleurs leurs inoffensives arbalètes. Et dans
un siècle les journaux ramasseront avec curiosité leurs petites
flèches pour les empapilloller dans le papier de leurs comptes-
rendus.
L'histoire est vieille, et c'est banalité que de la répéter.
Mais il y a d'autres points communs entre Wagner et Gluck.
Le même souffle les anime. La même conception du drame a
germé dans leur puissant cerveau. Ils ont même instinct du déve-
loppement psychique des sentiments, même recherche dans le
détail d'une expression orchestrale exactement adoptée à la
situation du récit. _
Ne poussons pas plus loin ces remarques. Elles n'avaient pour
but que de nous amuser de la pieuse et recueillie attention que
consacre au Conservatoire un auditoire qui, à la Monnaie, trouve
bon de protester contre un art analogue. El toujours nous diver-
tit la sottise des hommes, surtout quand elle est gonflée de pré-
tention et accompagnée d'ignorance.
yi""^ Montalba a remporté dans le rôle d'Alceste (ir^succès
sérieux, do nature à apporter quelque adoucissement aux égra-
tignurcs dont on Ta griffée au cours de l'hiver. Elle l'a oîianté avec
un réel sentiment dramatique, avec beaucoup de chaleur, et un
style parfait. M. Engel a créé un Admète à la voi;c harmonieuse.
Peut-être a-t-il mis dans l'expression quelque exagération, mais
il serait injuste de le chicaner sur ce point en présence de la
beauté de son interprétation, prise dans l'ensemble du rôle.
Personnages secondaires convenables, orchestre excellent.
ODILON IIEDON
L'artiste étranger qui a été le plus contesté à l'exposition des
XX, c'est Odilon Redon, l'auteur de ces dessins et de ces litho-
graphies archi-étranges qui apparaissent comme des énigmes,
des cauchemars, des visions maladives, des hallucinations.
Les uns, violemment remués par ce surextrait de nouveauté,
sont allés aux extrêmes de l'admiration dithyrambique la plus
exaltée. Tel Jules. Destrée dans un article très remarquable.
D'après lui, Goya est dépassé. Nous sommes en présence du
génie de l'Invisible, chargé de le révéler h nos courtes vues.
Les autres, tantôt avec colère, tantôt avec mépris, invectivant
ou haussant les épaules, ont parlé de folie grotesque, de fantas-
magorie macabre. Odilon Redon surtout était visé quand quel-
ques exaltés demandaient qu'on envoyât en masse les XX et
leurs invités à Uccle.
La vérité nous semble être que l'on se trouve en présence
d'une personnalité très digne d'attention et d'observation. Le
genre est nouveau et fait pour dérouter ceux qui, poussant le
naturalisme à l'excès, prétendent exclure du domaine de l'Art ce
qui ne correspond h aucune réalité tangible. Mais si l'Art doit
même exprimer la vie humaine entière, dans ses rêves et ses
conceptions chimériques, folles ou maladives, aussi bien que
daris ses réalités, comment pourrait-on avec raison critiquer ceux
qui se confinent dans l'expression de ces derniers faits?
C'est à quoi Odilon Redon se consacre avec une persistance,
un exclusivisme et une ingéniosité singuliers. Il n'est pas dou-
teux que ses œuvres, interprétées par les brèves légendes dont il
les accompagne, troublent violemment le spectateur qui se laisse
aller 5ans parti-pris à L'effet que produit l'œ^uvre, ce qui est la
seule façon de juger impartialement les productions artistiques.
11 est bientôt saisi par une sensation particulière, extrêmement
suggestive, qui éveille un monde de doutes, de suppositions,
de recherches, d'interrogations tristes et inquiétantes. L'Invisible
apparaît véritablement avec sa multitude d'êtres ingénieusement
et douloureusement informes et mystérieux.
Gardons-nous donc de tomber clans l'éternel travers, le plus
souvent tôt et honteusement démenti, d'appeler insensés les
novateurs. Ne méritons pas la leçon du quatrain célèbre :
Vieux soldats de plomb que nous sommes,
Au cordegu nous alignant tous,
Quand des rangs sortent quelques hommes,
Tous nous crions : Ce sont des fous !
Alors même qu'Odilon Redon semblerait un maniaque, réser-
vons notre avis. La question n'est pas mûre. Un groupe très
sérieux d'Esthètes n'hésite pas k reconnaître le sérieux mérite de
cet étonnant apporlcur de neuf.
Beaucoup d'exemplaires des séries de lithographies d'Odilon
Redon ont été achetés au cours de l'exposition des XX. Comme
on le verra ci -dessous par le catalogue des œuvres déjà parues,
plusieurs sont épuisées. Un seul dessin, celui intitulé Les
VART MODERNE
93
. Masques de la Mort rouge, rcslc en Bolgiquo. On peut être
assuré que tout cela deviendra d'une extrême rareté et atteindra
une grande valeur marchande ; nous le disons pour ceux qui ne
séparent point la question ^'argent de la question artistique.
Voici le Catalogue : -
Albums lithographiques grands in-folio, imprimés sur papier
de Chine, par E. Lemercier et C''.
1" Dans le Rêve, 10 planches, tirées ^ 2o exemplaires. (Epuisé.)
2° A Edgard Poë, 6 planches. (Epuisé.)
a. L'œil comme un ballon bizarre se diri2;e vers l'Infini. —
b. Devant le noir Soleil çle la Mélancolie, Lénore apparaît. —
c. A l'horizon, l'Ange des Certitudes, et, dans le ciel sombre, un
regard interrogateur. — d. Un masque sonne le Glas funèbre. —
e. Le souffle qui conduit les êtres est aussi dans les Sphères. —
f. La Folie. — Tirées à 50 exemplaires.
3" Les Origines, 8 planches, tirées h 2o exemplaires; restent
5 exemplaires, portés à 2a francs. (Epuisé.) ,
¥ Hommage à Goya, 6 planches; restent 4 exemplaires.
1. Dans mon rêve, je vis au ciel un Visage de Mystère. ^^2, la
Fleur du Marécage, une tête humaine et triste. — 3. Un Fou, dans
un morne paysage. — -i. Il y eut aussi des êtres embryonnaires.
— 5. Un étrange Jongleur. — 6. Au réveil, j'aperçus la Déesse
de rinlelligible, au profil sévère et dur. — Tirées à oG exem-
plaires, à 20 francs.
S"' Profil de lumière, tiré à 50 épreuves, prix 10 francs.
En préparation :
Les Pensées de Pascal, 6 planches; Pièces modernes,
6 planches ; Les Dieux d^autrefois, 6 planches.
Eh vente chez L. Dumont, quai des Grands-Auguslins, 21.
Paris.
Pour paraître le 8 août, dans la Revue Wagnérienne mensuelle,
une planche : Brûnnhildc. Au bureau de la Revue, rue Blanche, 79,
Paris.
PIERROT MACABRE
La bonne, vieille, naïve pantomime bergamasquc a repris pos-
session de la scène. Pierrot, l'enfariné Pierrot, coraiquement
pleurard dans sa calotte noire, déplore avec des gestes' pileux les
séduisantes agaceries d'Arlequin à l'égard de Golombine, et tout
un petit monde de picrrettes, d'arlequines et de polichinelles,
voire de feux-follets et d'araignées, sautille et gambade autour
du classique trio. Colombine est morte. Pierrot est navré. Colom- ^
bine ressuscite dans son coeur en la personne de L?eiilia, une
nouvelle venue, celle-ci, et si agréable à voir sous les traits Tte
M"*^ Adelina Rossi qu'on ne lui en veut pas de bouleverser les
traditions. Un m»^chant polichinelle tue Pierrot d'un coup
d'épée. Mais Pierrot n'est pas mort. Les airs gais de M. Lanciani
le font revivre. Et il tombe dans les bras de Colnmbine, qui n'a
jamais été défunte, qui s'est échappée du lit de roses blanches où
elle reposait, sous les ifs du cimetière, aux retlets ardents des
prunelles d'un hibou...
Tout cela n'est pas méchant. Il y a deux auteurs pour les
paroles, — pardon, pour le scénario : MM. Hannon et Hansen.
Il y en a encore bien d'autres, mais ils sont morts depuis si long-
temps qu'il serait inutile de les mettre sur l'at^iche. La musique
n'a qu'un. père responsable : M. Lanciani, mais plusieurs ancêtres,
dont il est superflu de drosser ici la généalogie. '
M. Lanciani, qui est un modeste et charmant garçon, n'a pas
eu, d'ailleurs, la prétention d'écrire, pour les cabrioles de Pierrot
Macabre, de musique bien neuve, ni bien compliquée. Il s'est
contenté de faire une petite partition bien. dansante, bien claire,
bien gaie — mélancoliquement gaie dans les passages qui
l'exigent — et, sans chercher bien loin, a trouvé des thôjnajes
d'une application directe dans
et dans
Au clair de la lune,
Mon ami Pierrot
J'ai du bon tabac dans ma tabatière.
Très ingénieuse, s'enlaçapl habilement aux scènes qui se
déroulent, cette musique légère, finement instrumentée, a eu un
succès très décidé. A part un malheureux divertissement dont on
ne s'explique pas la raison d'être, elle mérite les applaudissements
qu'on lui a prodigués sans marchander. El M''^ Adelina Rossi, la
charmante étoile dont les « pointes », les « jeflés », les «mouli-
nets » et les « dégagements » rivalisent de séduction avec les
vocalises de l'autre .Adelina, sa célèbre compatriote, a emporté
haut le pied le succès. II faut joindre, dans ce bulletin de vic-
loir€, M"*^* Magliani et Rossi cadette, M. Hansen, excellent mime,
et M. SaraccO', auf|uel nous faisons toutefois le sérieux reproche
d'avoir substitué au classique et coquet costume d'Arlequin, un
affreux accoutrement do trapéziste, pailleté comme un vêtement
de clown forain.
Séance "Wagner chez C. Meunier.
Lundi a eu lieu, dans le. vaste atelier de C. Meunier et devant
un auditoire nombreux et choisi, la première des séances-Wagner
organisées par le comté belge de l'Association Wagnérienne uni-
verselle. . •
Lé programme comprenait tout le premier acte et la scène
troisième du troisième acte de la Walkiire, traduits par M. H. La
Fontaine. Cette tentative de traduction rythmée est à coup sur
intéressante el très supérieure à celle de V. Wilde?, qui souvent
mutile inartistiquement le texte musical. M. La Fontaine, lui, est
plus scrupuleux et nous l'en félicitons, car l'habitude est prise de
manquer le respect aux œuvres d'art, et tel qui pousserait les i
hauts cris pour une statuette égratignée dans un parc public
écoute sans prolester des œuvres d'art qu'un directeur de théâtre,
un. régisseur, un parolier, un chef d'orchestre ont absolument
défigurée. Mais nous pensons ([ue traduire hi's drames de Wagner
est impossible: la prosodie desdeux langues soint trop différentes
pour atteindre cette identité du texte littéraire eî du texte musi-
cal qui est une des caractéristiques du maître de Bayreulh.
L'énoncé el l'exposition des thèmes^el un court sommaire de
chaque scène nous semblera toujours préférable à une traduction
inévitablement irréalisée. .
Nous félicitons, à côté du traducteur, les exécutants conscien-
cieux, M'"^ Van Soust de Borkenfeld, MM. Sivery, Van der
Goten et Kefer qui ont interprété avec talent celte musique ditîi-
cile et fait oublier, même- aux critiques les plus exigeants, cet
admirable orchestre de Wagner tantôt sauvage et passionné, tan-
tôt si pénétrant d'exquise douceur.
M. et M"'*' Meunier 1res ffracieusemoiil reeevaienl les nombreux
invités. ^
La deuxième séance, qiii comprendra des fragments de Parsi-
fl/, aura lieu dans le courant du mois d'avril.
MEMENTO DES EXPOSITIONS ET CONCOURS
-S'
Berlin. Exposition du Centenaire des Salons berlinois. Ouverture,
15 mai. Fermeture, 15 octobre. Délais d'envoi, l-r mars-le»" avril.
Deux ouvrages seulement par exposant. Renseignements : Commis-
sion de l'Exposition^ pr^s la gare de Lehrte, N. W.
Bruxelles. — Exposition et concours de la Société cetitrale
d'architecture. — Ouverture l^r mai 1886. Section rétrospective,
section contemporaine. Envoi avant le 15 avril. Renseignements :
Secrétaire de la Commission organisatrice^ rue Royale Sainte-
Marie, 128, Schacrbeek [Bruxelles).
GouRTRAi. — Exposition de tableaux, dessins, gravures, sculp-
tures et lithographies. Du 22 août au 30 septembre 1886. Délai
d'envoi : 15 juillet. Renseignement : L. De Gcyne, secrétaire de
l'exposition, directeur de l'Académie et de l'école industrielle.
DuNKERKE. — Exposition internationale. Du 14 juillet au 22 août
1886. Aquarelles, dessins et cartons, pastels, miniatures, émaux et
faïences, gravures, lithographies. Délai de rigueur : 5 juillet.
Adresse: Exposition des Beaux- Arts, Musée communal, Dunkerke.
Edimbourg. — Exposition (internationale) de l'industrie, des
sciences et des arts. — Du 4 paai au 30 octobre 1886. — Mobilier
et arts décoratifs, beaux- arts, reproduction d'anciens édifices et de
vieilles rues, etc. — Demandes d'emplacements au Secrétaire de
l'Exposition, Frederick Street, 18, Edimbourg .
Paris. Salon annuel. Ouverture, l^"" mai. Fermeture, 30 juin.
Délais d'envoi : Peinture, 10-14 mars ; sculpture, gravure en méd.
et sur p. f., 20 mar.s-5 avril; architecture, gravure, lithographie,
2-5 avril.
JSOTE^ DE LIBRAIRIE
Les Pensées d'im Sceptique, par Pli. Gerfaut, forment le
septième volume de cette jolie collection à laquelle on doit déjà
la Morale Mondaine, les Roses de Noël et les Maximes de la
Vie. Pli. Gerfaut, l'auieur du Passé de Clandie, a su réunir les
pensées les plus fortes et les plus ingénieuses dans une forme
concise, ce qui est une qualité bien rare pour une femme ;«ce
recueil est empreint, ainsi que l'indique son titre, d'un scepti-
cisme et d'un désenchanleiuentqui laissent place, cependant, par
une contradiction curieuse, à une gaîté réelle qui ressort des
décernions même de la vie. (Paul Ollendorff, éditeur.)
La Fille du Singe : tel est le titre plein de fantaisie dû volume
que Maurice Sand vient de faire paraître à la même librairie.
C'est un roman humoristique et gai, rempli d'observations.
Grèce. — Turquie. — Le Danube! Que d'horizons nous
ouvre un pareil voyage. Et quel charme ne peut^il pas acquérir
lorsqu'il est conté par le lettré et l'artiste qui signe Charles Bigot.
La Grèce et ses vermeilles, ses mœur^, ses aspirations si accusées
récemment dans la question bulgare; Conslanlinople et son
avenir dans la politique européenne, tout est passé en revue par
latine critique qui a su égayer son récit par les descriptions pitto-
resques de toutes les merveilles de ces superbes contrées. (Paul
Ollendorff, éditeur.)
Viennent de paraître ii la même librairie: Jfû7i Méronde, par
M"'^ Jeanne Mairel ; Jacques Kerdraint, par George Aragon ; La
Faute d'une mère, par Antoine Albalal.
pETITE CHROJMIQUE
Les Hydrophiles ont ouvert hier leur troisième Exposition
annuelle. Une vingtaine d'artistes (le chilfre est décidément fatal)
ont réuni cent quarante aquarelles et dessins. Nous reparlerons
dimanche de ce Salon en miniature, dans lequel brillent au pre-
mier rang Jan Toorop et un nouveau venu qui paraît destiné à
faire parler de lui : Jakob Smits.
Nous avons sous les yeux un prospectus dans lequel se trouve
la description d'un procédé de reproduction très intéressant dit
peinture Bogaerts. Nous alons également vu une toile donnant la
reproduction d'un tabk;*u hippique d'après ce procédé. Nous ne
sommes guère amatdirs de l'art mécanique, et la chromolitho-
graphie n'a jamais eu pour nous de charme. Nous devons cepen-
dant dire que jusqu'ici on n'avait pas atteint un résultat aussi
complet pouvant faire illusion à tous ceux qui ne sont point de
véritables esthètes.
L'invention nouvelle, permettant d'imprimer directement sur
toile, Ce qui réduit le prix de revient de plus de la moitié, consti-
tue un champ d'exploitati(wrinimense.
L'industrie de la reproduction des tableaux, qui est à la
peinture ce que le moulage est à la sculpture, est destinée à
prendre un immense essor.
Le goût du beau se répand de plus en plus; on peut dire que
l'art se démocratise; le bourgeois et l'artisan qui ne peuvent
acquérir un taMeWririginal ne se contentent plus des grossières
enluminures qui faisaient le bonheur de leurs pères; à mesure
que*rinstruclion et le bien-être pénètrent dans toutes les classes
de la société, le niveau du goût s'élèi:ej^^t_l!£aivrier qui aura reçu
l'instruction primaire, qui aura appris à lire, à desfeiner, connaî-
tra au moins de réputation les chefs-d'œuvre de la peinture
ancienne et moderne et aimera îi s'entourer de ces chefs-d'œuvre,
s'ils sont à sa portée par une reproduction fidèle en même
temps qu'économique.
Nul n'ignore que la chromolithographie esî aujourd'hui une
des branches les plus étendues et les plus productives de l'in-
dustrie moderne et qu'elle occupe en Europe des centaines d'ate-
liers. Le système de reproduction Bogaerts permettant de produire,
à un prix assez mjnime, au lieu de ces papiers coloriés, des
tableaux véritables, il est probable que la chromolithographie a
vécu et que, dans un temps peu éloigné, les produits d'après cette
nouvelle invention, la remplaceront.
L'enseignement primaire devient de plus en plus démonstratif,
c'esl-k-dire, enseignement par les yeux: tout ce qui est aujour-
d'hui tableaux en papier sera remplacé dans les écoles par des
toiles solides. Quelle utilité ne présenterait pas une histoire en
tableaux? et quelle école voudra se passer de ce puissant moyen
d'imprimer dans l'esprit des jeunes enfants les grands faits histo-
riques?
LART MODERNE
95
MM. Diimon, Guidd, Merçk, Poncolot, Neumans et De Greof,
professeurs au Conservatoire, donneront leur troisième séance
aujourd'hui, h 2 heures de relevée, dans la grande Salle des
Coucerls du Conservatoire.
. On y exécutera un Octelte, de Lachnor; un Rondo, de Beetho-
ven; des pièces pour hautbois, de R. de BoisdefFre, et un diver-
tissement de Mozart.
Le concert du Conservatoire de Mons est remis au o avril pro-
chain. X.
Sommaire du numéro du 23 février 1886 de la Revue contem-
poraine : Leconte de Lisle, étude critique; Emile Michelet. — Le
Cierge, conte, Léon Tolstoï, traduit par M. E. Halpérine. — La
Pensée, poème, Maurice Rollinat. — La question Wagner, Alfred
Ernst. ^- Daisy Miller, nouvelle (fin), Henri James. — M. Ludovic
Halévy à rAcadémie, Maurice Barrés. — Le ministère Freycinet
et sa majorité, J. R. — Les ouvriers mineurs (fin), Henry Duha-
mel. — Critique littéraire et artistique. — Théâtres : reprises
diverses. — Musique : Les Templiers, à Bruxelles. — Situation
financière.
Un journal
parisien publie
la statistique suivante de tous les
compositeurs dont les bustes
ornent les façades
de rOi
)éra :
Gossec,
mort à 96
ans.
Halévv,
mon
k 63 ans.
Aubert,
»
90
»
Boïeldieu,
))
m «
Monsigny,
»
88
^
Beethoven,
»
57 »
Campra,
»
84
Dalayrac,
»
56 »
Chérubini,
»
82
Lulli,
))
54 »
Rameau,
))
81
Méhul,
»
54 »
Haydn,
))
77
A. Adam,
»
53 »
Spontini,
»
77
Donizelti,
»
50 «
Rossini,
»
76
Cimarosa,
»
47 »
Salieri,
)>
75
Nicolo,
»
>43 »
^41 w
Hîendel,
»
74
Hérold,
»
Paisiello,
»
74
Weber,
»
40 »
Lesueur,
> mort
h 74 ans.
Chopin,
mort*à 39 ans.
Gluck,
73 »
Mendelssohn,
»
38 »
Piccini,
72 »
Mozart,
))
33 »
Grétry,
72 »
Beilini,
»
33 »
Meyerbeer,
70 »
Schubert,
»
31 »
S. Bach,
65 »
Pergolèse, .
»
26 »
"VEISrTE IDE
Beaux Tableaux
ANCIENS ET MODERNES
Lundi 22 mars 1886, à 2 heures de.relevée, à l'Hôtel des Ventes,
Boulevard Anspach, 71, par le ministère de M. Ed. Charles, huis-
sier, à Bruxelles. — Envoi du catalogue sur demande.
Exposition la veille de la vente.
CONSTRUCTIONS HORTICOLES
CHARPENTES, .SERRES, PAVILLONS
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JOURNAL DES TRIBUNAUX
PARAISSANT LE JEUDI ET LE DIMANCHE
FAITS ET DÉBATS JUDICIAIRES. — JURISPRUDENCE. — BIBLIOGRAPHIE. - LÉGlSLATrON. — NOTARIAT
ADMINISTRATION
A la librairie FERDINAND LARCIER, 10, rue des Minimes, à Bruxelles
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parviendront à la rédaction du Journal,
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96
UART MODERNE
Hi'JiL
E
SIXIÈME ANNEE
■ L'ART MODERNE s'est acquis par l'autorité et l'indépendance de sa critique, par la variété de ses
informations et les soins, donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune manifestation de l'Art ne
lui est étrangère : il s'occupe de littérature, de peinture, de sculpture, de gravure, de musique,
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouvement artistique belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur tous les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaître.
Chaque numéro de L'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'actualité. Les expositions^ les livres nouveaux, les
premières représentations d 'œuvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires y les concerts, les
ventes d objets dCart, font tous les .dimanches l'objet de chroniques détaillées.
L'ART MODERNE relate aussi la législation, et la jurisprudence artistiques. Il rend compte des
procès les plus intéressants concernant les Arts, plaides devant les tribunaux belges et étrangers. Les
artistes trouvent toutes les semaines dans son Mémento la nomenclature complète des expositions et
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Dimanche 28 Mars 1880.
L'ART
MODERNE
PARAISSANT LÉ DIMANCHE
/ REVUE CRITIQUE DES ARTS. ET DE LA LITTÉRATURE
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OMMAIRE
Le Rig-Véda. — Félicien Rops. — Les Hydrophiles. — Cer-
cle ARTISTIQUE ET LITTÉRAIRE. Dcius loi tombcau. La Govgoue.
— Union des jeunes compositeurs Deii.rième séance. — : Au
Conservatoire. Troisième séance de musique de chambre. —
Petite chronique.
lE RIG-VÉOV
Longtemps les études sur la littérature des peuples
primitifs qui ont occupé l'Asie méridionale sont restées
confinées dans le monde discret de la science. Il y avait
à accomplir pour elles ce travail de recherche et de
coordination qui précède la phase de la vulgarisation.
Ces préliminaires sont achevés et les révélations sur. le
Rig-Véda des Aryens, habitants du nord-ouest de la
péninsule indoustanique, sur le Zend-Avesta des Ira-
niens, disciples de Zoroastre, habitants de la Perse
avant qu'elle ne portât son nom, commencent à pertluer
et à intéresser profondément ceux qui, dans le passé
littéraire, n'allaient pas jusqu'ici au delà de Rome et
de la Grèce.
Marins Fontane a inauguré par deux volumes l'un
sur rinde Védique, l'autre surTXwHi, l'immense entre-
prise de ^o\ï Histoire universelle, que Lemerre publie
depuis 1881 et dans laquelle, abandonnant résolument
la vieille méthode anecdotique qui se borne au récit
des batailles et des événements politiques notables,
il s'attaque très hardiment à la peinture d'une race prise
dans son ensemble, comme une grande individualité
qui absorbe les contingences, réduit aux proportions
de détails négligeables les milliers de circonstances
auxquelles on s'attachait autrefois, et raconte la vie
d'un peuple, de son origine à sa disparition, ainsi
qu'on raconterait la vie d'un homme de sa naissance à
sa mort, non pas en_parlant de chacun de ses membres,
de ses organes, de ses viscères, mais en le prenant dans
son unité. ' •
Ces premiers spécimens d'une modification si impor-
tante dans les procédés historiques, auxquelles sont
venues s'ajouter depuis les Egyptes, — les Asiatiques,
— la Grèce, sont certes encore empreintes de quelque
confusion. L'auteur ne semble pas encore complète-
ment maître de sa méthode. Les exposés généraux qui
composent chacun des chapitres n'apparaissent pas
avec toute la netteté souhaitée. Les répétitions sont
fréquentes. La matière brute est solide et originale,^
mais les bavures se voient et la ciselure manque. N'im-
porte. Malgré le languissemeut de quelques parties,
malgré la fatigue qu'on ressent parfois', si l'on persiste
à aller jusqu'au bout on sort de ces lectures très nour-
rissantes avec une vue^nette et élevée des civilisations
décrites, fort différente et beaucoup plus vraie que
celle procurée par les manuels, petits ou grands, essen-
tiellement narratifs et chronologiques, en lesquels,
depuis si longtemps, se résumait l'histoire.
Qu'on n'aille pas croire pourtant qu'il s'agisse d'une
application nouvelle de ce qu'on a nommé il y a un
demi-siècle la philosophie de l'histoire, cette façon de
rechercher les causes et de prédire les effets, qui avait
des tendances métaphysiques nettement accusées. Non.
L'auteur se garde avec rigueur de cette manie de
riijpothèse qui prétendait réduire l'ondoyante huma-
nité en formules et l'historien en dogmatiste ou en pro-
phète. Il ne vise pas si haut et s'arrête avec scrupule
aux résultats les plus immédiats de l'observation posi-
tive. Il n'est pas philosophe". Il reste chroniqueur au
sens restreint du terme, il parle de ce qu'on sait et non
de ce qu'on suppose. Seulement, au Heu de narrer les
faits par le menu, il les narre par masses. C'est l'exposé
à grands coups de brosse de Michelet, c'est son procédé
par tranches, avec, toutefois,, moins de raisons et de
comparaisons, de suppositions et de suggestions, avec
plus de simplicité et de prosaïsme, sans autant de
charme mais avec plus de vérité.
Dans rinde Viklique et dans les h^anicns le fond des
observations positives dont Marins Fontane tire parti
est pris presque tout entier dans les traces littéraires
laissées par un passé qui remonte à environ deux mille
ans avant notre ère. Ces civilisations lointaines eurent
des recueils analogues à la Bible, suivant de plus
près, au moins chez les Aryas, les vicissitudes et les
événements.
Pour ces derniers c'est le Rig-Vcda. Ce livre
extraordinaire n'est pas seulement un document histo-
rique unique eil son genre, c'est encore une œuvre
littéraire prodigieuse, éminemment populaire et par
cela même inestimable. Il ne s'agit pas de poètes
d "une époque avancée, conscients de leur art, s'exami-
nant et se contrôlant eux-mêmes comme des phéno-
mènes curieux, rompus à une versification raffinée,
chantant pour le plaisir que cela donne à qui chante,
s'amusant dés fantaisies et se laissant aller à des inspi-
rations quelconques. C'est une production spontanée et
interminable, allant avec le temps, allant avec le
peuple, montant, descendant, gémissant, se réjouis-
sant, racontant toutes les choses de la vie publique et
de la vie privée, de la nature ambiante ou de l'âme,
instinctivement, sincèrement, impiédiatement. C'est,
en un mot, une nation se dévoilant elle-même en des
milliers de vers, au cours des siècles, sans jamais s'ar-
rêter, des annales rimées et rythmées eu hymnes, con-
servées d'abord par des récits sans cesse renouvelés au
foyer domestique ou dans les cérémonies, plus tard
transcrites sur des feuilles de palmier, et finalement
réunies en un corps, un Digeste, il n'y a pas si long-
temps du reste, vers le douzième siècle.
Jamais la poésie populaire n'a donné un tel témoi-
gnage de vitalité, de durée et de puissance. Jamais la
poésie des lettrés factices n'a élevé un pareil monu-
ment. C'est un témoignage de premier ordre pour
l'histoire de la littérature ..et contre ceux qui pensent
qu'il n'y a d'art véritable que l'art aristocratique, fait
pour quelques pinvilégiBsr
C'est dans le chapitre VI que Marins Fontane décrit
à grands traits le Rig-Véda auquel il va, parla suite,
faire des emprunts constants pour édifier son œuvre.
Car il lui est venu cette pensée ingénieuse et presque
inspirée de décrire la civilisation aryenne en se ser-
vait de sentons empruntés à cette poésie merveilleuse.
Constamment, sa plume expose par des mots, par des
phrases, par des images empruntés à cet abondant
réservoir. Il met bout à bout ces lambeaux poi\r faire un
vaste tableau et. arrive ainsi à une puissance de sincé-
rité et d'évocation remarquable, en même temps qu'il
séduit par l'intérêt que suscite cette méthode imprévue.
Voici les renseignements caractéristiques qu'il donne
sur ces Iiymnes, traces légères qui ont servi à reconsti-
tuer un peuple comme les linéaments de la flore et de
la faune préhistoriques, retrouvés sur les feuilles de
charbon, ont servi à reconstituer les végétations et les
animalités disparues. Ce sont ces hymnes eux-mêmes
qui en ont fourni les données.
On les chantait trois fois par jour. Les chanteurs
n'ayant ni temples ni sanctuaires, se tenaient .debout
devant un tertre, sous le ciel bleu. La cérémonie com-
mençait à l'aube, au moment où les étoiles pâlisaient
dans le jour venant, et elle devait être terminée lorsque
le disque du soleil était entièrement visible au dessus
de l'horizon. Aussi les premiers hymnes du recueil
sont-ils courts. On les déclamait ensuite à midi et le
soir. -
Les auteurs ne se préoccupent nullement des consé-
quences de leurs improvisations; ce sont des poètes
donnant leurs œuvres simplement, ou des chefs de
famille formulant des vœux , interprétant la pensée
védique, modulant cette interprétation avec goût, au
gré d'un caprice poétique inconscient. Chaque famille
avait son rite spécial, chaque poète disait son cantique.
La tendance aryenne est descriptive, utilitaire,
franche : le poète exprime ce qu'il voit, il donne fine-
ment son impression, il étale sincèrement ses désirs; sa
parole est concise, puissante, vraie; la nature y est
sainement résumée dans ses caractères essentiels, rapi-
dement, d'un trait vigoureux et exact, qui frappe une
grande image sur l'esprit. Il n'a pas de dédains, il ne
sait rien qui ne puisse être chanté ; si quelque chose de
bas attire son attention et stimule sa pensée, il se
baisse, il prend son sujet, il l'élève, l'ennoblit; la misère
lâche et l'envie banale deviennent elles-mêmes pour de
tels artistes, de supportables faiblesses. On trouve çà
et là quelques élans épiques, certaines inspirations
vers une universelle générosité, mais ce sont des œuvres
exceptionnelles; l'individualisme est le ressort prin-
cipal, presque unique. . — ^ /
Et l'auteur continue par ces observations touchantes
qui, si elles étaient comprises et appliquées de notre
temps, pourraient rajeunir la poésie, la faire sortir
de ses préoccupations tourmentées et alambiquées et la
rapprocher de la masse dont elle se retire de plus en
plus : Le poète védique ne semble pas pouvoir résister au
besoin de réduire en vers purs toutes ses pensées; à la
guerre, à la paix, aux labours, aux soins que réclament
les troupeaux, aux voyages, aux hymens, à la mort,
à tout il est capable de dédier un chant. C'est j6ie
réelle pour l'Arya déchanter et c'e&t plaisir pour TArya
d'entendre la poésie, soit qu'elle dise un symbole, soit
qu'elle raconte un fait, soit qu'elle célèbre la gloire
d'une famille ou la libéralité d'un ami. Et la sincérité
des chantres est éclatante. Ils disent tout, sans hésita-
tion, animant et colorant l'impression' de leur cerveau.
Si le poète admire un phénomène naturel, ilile décrit
sans le dénaturer. A-t-il un ennemi, il demande haute-
ment sa mort. Forniule-t-il un vœu, sa parole pleine
est aussi ardente que son ambition. Et s'il offre un
sacrifice aux dieux, c'est à la copdition bien expresse
que la divinité invoquée lui rendra son offrande au
centuple, en lignée valeureuse et productive, en vaches,
en chevaux, en or.
On distingue assez facilement dans le Rig-Véda les
œuvres d'au moins trois cents poètes. Les uns se
nomment, les autres sont cités. Il en est qui se cachent
sous un nom fictif. C'est donc une compilation de
poèmes très vivants. Le chantre ne fait pas œuvre
voulue d'historien, mais son œuvre, dit Marins Fon-
tane, est de l'histoire, histoire d'une société en qui,
toute bouillonnante d'une vitalité extraordinaire, la
sève donne des fruits immédiats. Durant de longs
siècles le Rig-Véda fut le livre unique, l'œuvre par
excellence, l'Ecriture sainte. Il dit toute l'histoire des
Aryas, leur langue, leur religion, leur société, leur
philosophie, leur littérature. Et tout cela est purement
original. Aucune civilisation antérieurô^^aucun peuple
étranger ne semblent avoir concouru à la formation du
peuple aryen.
La langue employée est ce fameux sanscrit qui appa-
raît aujourd'hui comme la plus morte et la plus savante
des langues, alors courante comme nos idiomes contem-
porains. Son alphabet est stupéfiant : il comprend cin-
quante lettres répondant aux plus délicates nuances du
son. L'euphonie y est des plus raffinées; on y a reconnu
des règles reposant sur dés principes d'acoustique si"
délicats que nos oreilles blasées ne peuvent en saisir
les nuances que très difficilement. La grammaire a trois
genres, trois nombres, huit cas ; les verbes s'y conjuguent
par trois personnes, six modes et six temps ; elle est
considérée comme l'une des plus riches. Quant aux
mots, ils dérivent de trois mille racines monosylla-
l)iques subissant des tours nouveaux, figurés, sous la
volonté capricieuse et tourmentante de l'orateur ou de
l'écrivain; leur formation est d'une liberté absolue; on
y connaît des mots qui ont cent cinquaiite syllabes.
On a dit de cette langue, ajoute MariUs Fontane,
qu^elle était riche et flexible comme celle de Platon,
inspirée et magique comme le français et l'allemand,
rigoureusement précise comme le latin primitif. En
sanscrit l'échelle des sons parlés a la régularité d'une
gamme musicale; c'est un instrument merveilleux; le
mot même y fait image; il n'est pas de langue capable
de peindre mieux les magnificences de la nature. C'est
le type parfait des langues à flexion. Sanscrit veut
dire : ce qui est achevé en soi-même.
Et si maintenant vous voulez savok^ où habitait au
juste ce peuple primitif, dont on dit que nous descen-
dons, prenez la carte de l'Indoustan^ remontez au nord-
ouest l'Indus depuis son-embouchure. Vous le verrez
aux deux tiers du trajet qui sépare celle-ci des premiers
contreforts de l'Himalaya se diviser en sept branches,
comme le chandelier sacré des "Hébreux. C'est le
Septa-Sindhou, le pays béni des sept rivières aux noms
étranges et harmonieux : le S.indh, la Vitasta, l'Asikni,
le Parouschni, la Vipaça, la Coutoudri et la Sarasvati.
C'est la patrie des Aryas. C'est de là qu'ils partirent
en conquérants pour s'étendre jusqu'au Gange, et plus
tard jeter leurs essaims sur l'Em^ope et préparer notre
descendance. _^_
FÉLICIEN ROPS
Le Matin a consacré, par la plume d'Octave
Mirbeau, un article de tête à Félicien Rops. Il montre
qu'en France on sait reconnaître, et louer comme il
convient, le mérite de l'artiste qu'on ose encore discuter
en Belgique.
La publicalion chez Alphonse Lcmcrre dos dix caiix-forles de
Félicien Rops, pour illuslrer les Diaboliques de ir.on liéroïque et
vénéré maître Barbey d'Aurevilly, me donne roccasiojj de parler
(te cet arliste admirable et 1res peu connu et qui est ccrlainemenl
une des plus puissantes, des plus hautaines, des plus élrancçes
expressions de l'art au dix-neuvième siècle. Je ne peux, malheu-
reusement, en un article de journal, montrer Rops sous les faces
multiples de son grand talent, et m'élendre sur son œuvre déji
considérable, [jn livre suffirait à peine à ce travail.
Félicien Rops, ai-jedit, est très peu connu. 11 y a à cela beau-
coup de bonnes raisons. D'abord, il déteste le suffrage des foules
et des académies, et il met une sorte de dandysme à cultiver lui-
même, comme une plante qu'on aime, sa relative obscurité.
Ensuite, son œuvre est tellement particulière, elle tranché avec
de tels éclats sur Tuniverselle médiocrité, elle indique des préoc-
cupations tellement élevées, qu'il faut pour la comprendre un^
forte culture intellectuelle, et aussi un goût très éclairé, très
dégagé des s?rvililés de la mode et des routines où se complai-
sent nos déplorables éducations artistiques. En Angleterre, en
Russie, partout où se rencontrent encore de vrais amateurs, Rops
jouit d'une très grande réputation, et l'on s'y dispute la moindre
de SOS œuvres. C'est là d'ailleurs que s'en va le meilleur de notre
art, et nous autres Français, qui nous vantons toujours de la
supériorité de notre goût, nous continuons à mépriser le génie,
'^
\
on nous conlcntant d'exallerla m(^diocrit<''. Mais Félicien Rops ne
travaille pas pour les autres, il travaille pour lui, sans s;vsoucier
de ce que les imbt^ciles pensent, et il poursuit dans la sérénitcS
dans 1q dédain de la fortune et de la gloire ëphdmère, un des
œuvres les plus cHonnanls que ce siècle ait enfantés.
En pprlanl des Diaboliques, je me suis servi de l'horrble mol:
illustrer, et c'est bien à tort, car Félicien Rops ïCillustre pas, il
fait œuvre à côté d'une œuvre. Il ne s'assouplit point aux créations
des autres, il crée de toutes pièces. Que de fois n'a-t-il pas animé
de 11 flamme de sa seule imagination des livras mo|t»^qui ne
vivront que parce qu'ils auront eu, en tête de leurs pages, un
frontispice signé de lui! Que de feis n'a-l-il pas donné à des
auteurs l'illusion et l'orgueil d'avoir pensé des choses trop ^'Ues
pour entrer dans la nuit de leur cerveau! Avec des écrivains
comme Barbey d'Aurevilly, c'est nne autre affaire; de celle colla-
boration naissent deux œuvres distinctes et parallèles, aussi
magnifiquement senlifs et exprimées l'une que l'autre, l'œuvre du
poêle et l'œuvre du peintre. Ainsi de Bolicelli, qui refit la Divine
Comédie avec ses propres visions; ainsi de Delacroix, qui recréa,
de son propre génie, Hamiel et Julielle.
La série des Diaboliques est une merveille d'art grandiose et
de pensée évocalrice. Elle ouvre un vaste el lumineux horizon sur
le mystère passionnel de l'homme, A la regarder, on se sent
^ireint par l'admiration; à y réfléchir, on se sent angoissé par
I inquiétude, car elle nous fait descendre, avec d'effrayants ver-
liges de mort, jusque dans le tréfonds le plus obscur de la vie.
II m'est impossible de m'arrêler à chaque composition des Dia'
boliques, mais le fron'ispice, qui peut s'appeler la Cliimère, suf-
fira à donner une idée de leur puissance et de la hauteur de
pensée où plane l'imagination de l'artiste. Albjrl Durer eût
reconnu là un génie frère du sien.
La femme esl couchée voluptueusement sur l'énorme colosse
de granit dont la face nubienne, impassible, se tourne vers l'im-
mense azur, el dont les ailes s'incurvent en conque. Satan, en
habit noir, esl assis entre les ailes du monstre. Il écoute grave-
ment la femjne qui, pour dire son secret, -s? hausse jusqu'aux
oreilles de la Chimère, qu'elle enlace de ses bras, qu'elle caresse,
sur le dos de la pielle son beau corps, aux ondulations serpcn-
ilines, se lord el frissonne. Quel plus beau symbole du péché que
celte femme qui, les yeux pleins de désirs et les lèvres pleines
de baisers, se vautre sur l'idole de pierre pour lui confier son
secret que le diable recueille? Et quel est le peintre d'aujour-
d'hui qui pourrait dessiner el modeler ujMîPrps comme c lui de
cette femme el donner h ces chairs qui s*offrQiil un tel frémisse-
mennie passion, une lelle intensité de Vie amoureuse !
Dans les visions de Rops, si profondément humaines, malgré
l'outrance apparent" avec la luelle il les fixe sur la loilc ou sur la
plaque de enivre, la créature y esl toujours douloureusement
synthétisée dans la torture de l'amour. Son corps n'a pas les
calmes rigides des héros d'académie, les carnations ambrées et
cireuses des nymphes antiques^")^(les vierges renaissantes. Rops
ramène sans cesse l'homme ati squelette, el sur celle ossature
macabre, il lui crispe des muscles suppliciés, lui lord des chairs
0Ù7 s'enfoncent le^ griffes des chimères et que fouettent les pas-
sions furieuses. Comme Augustin Rodin, le seul ariisie avec
lequel, en nôtre époque de talents craintifs et de pauvres con-
cepts, on puisse le comparer, il courbe l'homme sous les poids
écrasants de l'universelle douleur. 11 nous le montre halelanl sous
l'amour qui enlace el meurtrit sa c\mr de ses bras de pieuvre.
Ah! ce n'est point Tamour idéalisé, qui voltige parmi les fleurs,
un sourire dans sa face joufïlue et stupidement rose de sanlé,
l'amour qui chante dos romances aux hcnres de la lune, l'amour
qui fail se pâmer les oiseaux sur les branches el les insectes sur
les pétales odorants de l'égianline. C'est l'amour, avec son masqué
saianique qui vous terrasse, vous élreinl de ses genoux de fer,
vous écrase de ses ruts qui déchirent, vous ride le cœur, le cer-
veau, les moelles, el vous laisse brisés, anéantis, souillés. El ce
qu'il y a d'admirable, c'est que loule celle philosophie, Félicien
Rops l'exprime par le nu, le nu vrai, qui sent la peau et le sexe
avec une hardiesse el une fr.mehisequi font grand honneur ii son
courage. Il n'a pas craint de jeter le défi à l'imbécile pudeur de
son temps, et, au risq le de choquer l'hypocrisie des tartufes el
l'ignorance des imbéciles, il a compris comme l'ont fail tous les
grands el vieux maîtres « le côté héroïque el beau des emhras-
sements huitiains ». ' •
Je ne connais pas un artiste qui s:che évoquer la vie avec une
plus extraordinaire intonsilé, el dont l'œuvre par les pensées
profondes qui s'en exhalent fasse réfléchir davantage. Je n'en
connais pas un dont le dessin soil plus admirable, plus personnel,
plus serré et plus beau de celte beauté mystérieuse, qui donne
aux êtres el aux choses une intelligence, une âme. Peintre, litlé-
râleur, philosophe, savant, Rops esl tout (ïela. Ses eaux-fortes,
ses aquarelles, ses tableaux, portent tous l'empreinle magnifique
de ce cerveau, à qui rien n'est caché de la science humaine, et
de ce cœur qui vibre à lou> les frissons.
■ r Octave Mirbeau.
JaE^ ]4yDF^0PHILEP
Une barricade de banquettes el de plantes vertes coupe bru-
la!ement en deux le salonnet des Hydrophiles. C'esl qu'il a plu
au Musée de s'annexer la salle n» 40 du palais des Beaux-Arts
i^our y C2iiicr h Peste de Touriiai.
Il n'y a pas grand mal à ce que celle salle n» 40, mal éclairée,
Irisle, vaste comme le liall d'une gare de chemin de fer, serve de
Teh¥^(t h h Peste de Tournai .
Mais ce qui constitue un abus contre lequel nous protestons
énergiquement — el tous les artistes, 'ù l'exception d'un seiil sans
doute, uniront leur voix ii la nô re, — c'est, que l'a lminislrali"»n
du Musée prétende exercer sur la salle n« 44, aliénante k la salle
des pestiférés, une serviluilede passage.
La salle n» 44 esl, avec la salle n" 4 2, le meilleur local d'exf^)-
silion du Palais des Beaux-Arts. Elle convient aux exposilj/ns
inlimes, auxquelles elle a servi dès l'origine. V Essor, les XX
en 4884, les Hydrophiles, s'y sonl succédés. La lumière y est
favorable. On y a un accès facile par la rue du Musée. El voici
qu'en raison de l'usurpation commise par le Musée, la salle n» 44
devient une sorte de vestibule, ouvert à tout venant.
Les XX, qui o'cupaient la salle n« 4 4, on s'en souvient, outre
la grande galerie de droite el ses annexes, s'étaient tirés d'affaire
en construisant une cloison qui coupait la salle aux Iro's quarts ;
on n'y pénétrait que par la galerie, el, au point de vue décoratif,
les apparences étaient sauvées^ Mais ce que personne n'a oublié,
c'esl qu'à travers la baie toujours ouverte du couloir menant à la
peste s'engouffraient les vents coulis, les courants glacés,
véhiculant le cortège des bronchites, des pleurésies el des
corvzas.
V ART MODERNE
loi
V
Claude Monot, lo peintre du soleil, se déballait vainement, de
toute la chaleur de sa palelle, contre celle abominable lemp(?ra-
ture. (Ce qui n'a pas empêché, il esl vrai, i'adminis'.ralion de
réclamer 444 francs pour frais de chauffage des salles pondant le
mois d'exposition des JTX. 0 dérision!) ' ;-
Les Hydrophiles, dont l'exposition plus restreinte nr; pouvait
s'accommoder d'une des galeries, ont été forcés de subir la servi-
tude en question. On passe chez eux comme dans la rue.
Lés inconvénients pratiques de col étal de choses sautent aux
yeux. 11 faut un personnel double pour surveiller le contrôle des
e:ilrées. « Où loue-t-on des gendarmes en bourgeois? » deman-
daient, désespérés, en nage, les malheureux Hydrophiles obligé-!,
le jour de rouverture, de poursuivre, de traquer, de pourchasser
ceux qui s'insinuaient dans leur exposition par le ouloir de
W. Gallait.
Il faut que cela ccs:e. On a pris une partie du Palais qui avait
été construit pour h's artistes. Ils se sont laissé fairc\ Aujour-
Vriiui, on va plus loin. 11 n'y aura bientôt plus un coin du
Palais où ils pourront installer leurs œuVres. Le Palais des Deaux-
Arls n'est pas un Musée. Du train dont vonl les choses, les expo-
siiions devront bientôt retourner à leurs baraques de bois, îi
moins qu'on ne désire les voir mourir tranquillement.
Celle impression pénible est accentuée par un étalage de lapis
d'Orient accompagnés de caries d'adresse et de prospectus du
plus piteux effet. Elia Souhami Sadullah est-il des vôtres, Mes-
sieurs les Hydrophiles? Que signifient ces peintures à la laine
dans un Salon de peintures à l'eau?
Le marchand était, à l'ouverture, près de sa marchandise, le
chef orné d'un fez, les muins pleines d'avis au public. Volontiers
il eût fait une distribution de Rahat-Loucoum et allumé quelques
pastilles du sérïyil. Qu'est-ce que ce carnaval? La zivanze gagne-
l-elle d:i terraii
Malgré tout c(^a, l'exposition est intéressante. Elle est jeune.
Elle est remuantejk Elle n'a pas la solenn"té glacée des aquarel-
listes a royjux »\ des toujours immuables quaranlis'.es qui
siégeaient jadis — Vêlait une prédestination, — au Palais des
Académies.
On regrette l'absenîe de quelques-uns des meilleurs Hydro-
philes : Vogels, Schlobach, Chjinaye. En revanche,ily aToorop,
Jakob Smiis et Van der Maarel. Trois Hollandais. Trois intransi-
geants. Trois jeunes.
Toorop nous paraîi tenir le premier rang. Il y a loin de son art
ému, fier, ^MijpJe noblesse, aux triviales images de M. Hannon,
aux « vues » de M. Crabbe, "^hx petites noies de voyage de
W. Combaz, aux fleurettes de M™^ Dupré, aux banals croquis de
M. Ecrevisse, k toutes les feuilles de papier coloré qui malheu-
reusement forment, aux Hydrophiles, la tapisserie sur laquelleLèe
dHachenl les œuvres de valeur.
Ses dessins, Chez l'avocat entre autres, sont une triomphante
réponse à ceux,qui l'ont accusé de n'être qu'un « tachisle », et
quelle séduction dans le coloris de ses aquarelles, lavéos à pleine
eau, fluides et claires, d'une harmonie exquise et d'une justesse
rare! Celle que nous prisons le plus es! la Chambre dore'e. On ne
pourrait traiter l'aquarelle avec plus de brio, de goût et de légô-
raé de main. ^.^-^
Les compatriotes de Toorop, MM. Jakob Smits el Van der
Maarel, — ne parlons pas d'isaac Israëls, dont l'envoi esl plus
que médiocre — ont une facture plus lourde. Us arrivent à des
effets qui rappellent la peinture à l'huile.
Le premier est un nouveau venu, qui débute britlamment. Il
aligne une quinzaine d'œuvres, aquarelles et dessins, dont quel-
ques-unes, Vlntérieur d'c'ylise principalement, dénotent un
peintre de race. C'est puissant, gran lement vu, très artiste. Seul
assombrit les espérances que fait naître ce talent" j(;une le regret
devoir M. Smits imiter trop servilement les procédés de quelques
maîtres actuellement à la tête du mouvement hollandais : les
Maris, les Mauve, etc.
Le second esl l'un des jeunes arlistes les plus militants des
Pays-Bas. 11 est de ceux qui .avec Zilcken, de Zwart, de
Bock, etc., ont fondé à Amsterdam une exposition in lépendanle,
a' laquée avec autant de violence que celle des XX à Bruxelles,
el sans doute destinée à remporter les mômes victoires. L'aqua-
relle qu'il intitule le Soir esl superbe. Elle est d'une grande inlcn-
sité d'expression; le dessin en est serré ; la couleur harmonieuse
et riche. ■ .
En ces trois noms se résume la note vraiment artistique et
nouvelle du Salon .des /Tt/rirop/tî/^^. C'est sur eux que se con-
centre l'attention. C'est d'eux seuls que nous avions à parler.
Les autres restent semblables k eux-mêmes, avec leurs défauts
el leurs qualités habituels. Bornons-nous donc à citer les noms
de ceux que nous n'avons pas encore rencontrés d.ms ce rapide
compte-rendu : MM. Cassiers, Hermamus,/de Zwart, Delsaux,
Halkell, Gilleman, Rombouts, Mundeleer, Van Acker, Speekaert
el Vrolvk.
jjERGLE ARTISTIQUE ET J-ITTERAIRE ' ^
Dans un tombeau. — La Gorgone.
M. Charles Ruelens, conservateur à la Bibliothèque royale,
fonctionnaire, personnage officiel, vient de faire rep- ésenter deux
comédies, et en vers, s'il vous plaît. C'est d'une b lie audace, en
ce pays où se promenor avec un bagage littéraire est absolument
aussi comprometlant que si on iransportail de la dynamite. Heu-
reusement qu'il y a ici une circonstance atlénuante : l'auteur a
fait jouer ses pièces au Cercle arlisliqui», un pavillon qui couvre
les marchandises les plus st»«|i£Ctes/grûce aux gens du bel air
qui y donnent le ton et au critique mondanisant qui s'y tirent tou-
jours en posture devant la rampe, comme le souffleur de la litlé-
raiure! y
M. Charles Ruelens fait donc de la pOï^sie, ou plutôt il en a
fait, car ses deux pièces, Daiis un tombeau el la Gorgone, onl
été écrites sans doute il y a des aimées. L'auteur vivait, du reste,
dans un milieu littéraire, puistffie c'est à son foyer que souriait
celle douce figure de notre ancienne liltéralure, Caroline Gra-
vière, le romancier de fine analyse el de senimentému qui a
écrit le Vieux Bruxelles el la Servante.
: M. Charles Ruelens a fait, lui, de la littérature par alliance.
Quoi qu'il en soil, ses deux pièces sont des meilleures qu'on,
ail écrites en Belgique durant celle période. Avec notre baJau-
derîe belge habituelle il a fallu que le Tombeau fût joué à Paris,
avec succès, chez M™* Adam, pour qu'on eût l'idée de nous le
faire entendre ici.
C'est aussi un peu grâce k M'*« Weber, le grand succès récent
dans les Jacobites de Coppée : une lêt.» superbe, noire, tragique,
qui rappelle le masque de Rachel, dil-on, une voix grave, avec
des vibrations de métal ; se,uls les g< stes sont un peu saccadés el
manquent de celle ampleur aveo laquelle les grandes Iragé-
l
(liçnncs allongonl, rcprenncril leurs bras, jusqu'à ce que, (jlans
un filial lyrique, elles s'en enveloppenl loul enlières^^
Kii loul cas, elle est loin encore de Sarah Bernhardl ou d'Agar.
Kt les cniifouemcnls de Paris soûl parfois excessifs.
iNéanmoins, elle a donné du caractère au rôle de Cornélia
Servia dans/c l'ombean. CvH l'épouse de Sexlus qui est réveillt3e
dans son loml^eau par un statuaire français de passage. Il veut
l'emmener avec lui versLutèce mais elle rencontre l'urne funéraire
de son mallieureux époux assassmé par Octave. Il refuse. Elle
aime mieux demcuror, se recoucher dans sa tombe. Elle a as^ez
soullerl; elle ne veut plus recommencera vivre. f/iJée esl philo-
sophique et, plus indiquée, elle aurait éié émouvante. Tel le pas-
sage de Schopeuhauer qui dit que quaud sonneront les Irom-
peltes du jugement dernier, les morts réveillés, trébuchant dans
les plis des linceuls, ne voudront pas revivre et se recoucheront
do force dans leurs tombeaux.
El tandis (|ue Cornélia s'affaisse, l'arlisle pleure son idéal
entrevu, sa Musc à peine é FvMnle, son rêve irréalisé.
La situation est heureuse et le style, sans être éclatant, est
juste de ton et ferme de lignes.
Dans la 6'oy'j/o»e, c'est encore un sculpteur — quelle passion
pour la terre glaise! — ([ue deux femmes se disputent : Marietta,
une Bohémienne, un modèle, et une riche veuve, Gemma.
Seulement le modèle a appris la sculpture, autrefois ; elle
corrige admirablement les bustes de son maître, ce qui est une
raison décisive pour se faire épouser par lui, surtout qu'elle
l'aime.
Lui, pour le savoir, a pris un moyen h la portée de tout le
monde : il s'est mis derrière un paravent. C'est un peu naïf. Cette
pièce-ci vaut moins que le Tombeau.
Quant aux vers, les rimes sont si pauvres qu'elle se tendent
comme des mains pour mondier des consonnes d'appui; à part
cela, la coupe en est parfois heureuse et quelques-uns sont bien
fraj)p(''s, comme ceux-ci :
•* Oui c'est rillusion qui couvre rindigence
" Le rêve favori dont se berce l'orgueil,
•• Mais du palais rêvé combien passent le seuil !
« Avec un masque d'or la laideur est jolie. ».
UNION DES JEUNES COMPOSITEURS
Deuxième séance.
Oftt les voudrait un peu plus jeunes, ces jeunes compositeurs.
Le chiffre des années n'a, bien cn'.endu, rien à voir ici. Il s'agit
de tendances, d'art, d'aspirations. Ce qu'ils font entendre aux
auditions de choix qui se succèdent, à des intervalles irréguliers,
en la salle de la drande-IIarmonie, est inléressanl, sans doute,
d'autant plus intéressant qu'une vive sympathie accompagne les
premiers pas de l'Associa^ion^Iais c'est très sage, très calme,
très posé, un tantinet trop rétléchi. On a envie de leur crier :
Mais lancez-vous donc! N'ayez pas peur! Jamais on iCa appris à
nager sans so jeter à l'eau.
M. Lapon joue très correctement du violon, c'est convenu. Il
écrit de petits morceaux destines h faire valpir agréablement son
coup d'arcbel. Très bien, mais on demande davantage.
La céciljé de M. Van Cromphoutémousse la critique. 11 est lou-
chajit de le voir jouer, et nous applaudissons de grand cœur à
son talent de pianiste habile. Mais le compositeur manque d'ori-
ginalité. • '
Le quatuor pour instruments à cordes de M. Paul Lebrun,
récemment couronné à Gand, est écrit avec facilite. Allégé de
quelques longueurs, il prendra place dans la littérature courante
de la musiijue de chambre.
On connaît les compositions aimables.de M. Emile Agniez. Sa
Chanson pour piano est l'une de ses inspirations les plus heu-
reuses. Sa False est bien écrite, mais elle est moins personnelle.
Les deux œuvres ont d'ailleurs été supérieurement exécutées par
M. De Grcef, qui, a son tour, s'est produit comme compositeur
dans deux mélodies chantées admirablement par M. Heuschling.
A citer encore deux très jolies mélodies de M. Flon, interprétées
par le même artiste avec non moins de séduction, un Air de ballet
de M. Léon Dubois pour flûte, hautbois, clarinette, basson, cor,
violoncelle cl harpos, délicatement instrumenté et développé avec
beaucoup de goût, un Menuet assez insignifiant, du même, et
enfin, le succès de la soirée, quatre adorables mélodies de Jan
Blockx sur des paroles flamandes : Ik ging (kinderlied) ; Avond-
groet; Moederlied; De Spinster.
C'a été la perle de cet écrin musical. Sans hésiter, le public a
distingué le jeune maître anversois et lui a fait une ovation par
liculière. Bien secondé par M^'«-' Flament, dont la voix timbrée et
harmonieuse rappelle celle de M"« Antonia Kufferalh, M. Blockx
a remporté jeudi un succès qui lui donnera l'envie de revenir aux
Jeunes compositeurs. Il est l'un de ceux qui donnent dans la géné-
ration présente les plus belles espérances d'avenir.
^U j]ÎONpf:RVATOIRE
Troisième séance de musique de chambre.
L'Association des professeurs d'instruments à vent a donné
dimanche sa troisième audition. Exécution correcte, respectueuse
de la pensée des maîtres, d'un bon effet d'ensemble et suffisam-
ment colorée. Le choix des morceaux, seul, n'a pas paru heu-
reux. Au soporifique et interminable Odette de Lachner a suc-
cédé un Amiante de la première manière de Bcolhoven, dont un
Divertissement de Mozart, vieillot tout h" fait celui-ci, n'a pas dis-
sipé l'influence léthargique. Entre ces deux œuvres, M. Guidé,
hautboïste de talent, a produit des pièces d'un M. de Boisdeffre,
jeune compositeur français qui paraît, à en juger par ses inspi-
rations, intimement lié avec M. Palhadilhe, l'auteur de la Man-
dolinata. Il ne doit pas être très commun de trouver de bonnes
compositions pour hautbois. Les pièces de M. de Boisdeffre
dépassent évidemment le niveau ordinaire de ce genre d'élucu-
bra'.ions. Elle5.ont une tournure distinguée, un air « de bonne
famille » MM. Degreef et Guidé- les ont d'ailleurs si bienfouées
qu'on les a écoutées avec une vive satisfaction.
M. Octave Maus a adressé au journal la Meuse la lettre sui-
vante :
Monsieur "le Directeur, '
La correspondance bruxelloise de la Meuse contenait hier les
lignes salivantes : .
« Les beaux-arts ont également leurs destructeurs, c'est à-dire
leurs anarchistes : ce sont ces peintres qui voient rouge quand c'est
bleu, et noir quand c'est rosé, I^a dernière exhibition des A'X l'a
•s
prouvé surabondamment. Aucun de leurs tableàujt nia été vendu, et
}é ne pense pas 'Qu'ils aient fait un seul prosélyte. »»
Votre correspondant rcçil prudemment en se gnrdnnl de rien
affirmer au sujet du prosélytisme des XX.
Que n'a-t-il montré la même réserve dans l'allégalion qui pré-
cède! ^
Aucun InbleaUy dit-il, na été vendu. Eii réponse, voulez-vous
avoir l'obligeance de reproduire la liste ci-après, publiée par
VArl moderne dans son numéro du 7 mars.
Schlobach, Qkcû d'Ostende. — Idem., Hiver. — Ensor, Salon
bourgeois en 1881, — Idem., Musique tousse. — Théo Van Ryssel-
berghe, I^fi BoiiUvard. — Fcrnand KhuopflT, En écoutant du Schii-
mami. — R. Wytsman, Pastel. — F. Koislo, Intérieur d'atelier.
— Dario do Regoyos, La haie de Pasagès. — Anna Boch, Dimanche
matin, t.
Vous voudrez bien ajouter que depuis lors deux œuvres ont
trouvé acquéreur:
Isidore Verheyden, La glèbe. — Odilon Redon, Les masques de
lu mort rouge,
et que sur les 250 tableaux cl dessins expoî-és, quatre-vingt-
huit avaient été achetés antérieurement \x l'ouverlure ou com-
mandés.
Je ne suis pas de ceux qui mesurent le succès d'une exposition
au nombre des tableaux vendus, mais j'aime la vérité. El j'espère
que vous l'aimerez as-ez pour publier ma lellrc.
Recevez, Monsieur le Direcleur, mes salutations les plus dis-
tmguecs.
Bruxelles, 20 mars 1886.
(Signé) Octave Maus.
Secrétaire des XX.
f
ETITE CHROJS[iqUE
Jeudi a eu lieu, au Palais de l'Industrie, le vole des artistes
peintres pour l'élection du jury do la section de peinture, dessins,
aquarelles, pastels, etc., au Salon de Paris.
Le scrutin a été ouvert h neuf lienres du matin sous la prési-
dence de^MM. Dailiy, président de la Société d^s artistes français.
Le résultat, qui n'a clé proclamé qu'à dqux heures du matin,
est celui-ci : '^
Elus, MM. Bonnal, 4,200; Jules Lefebvre, 1,204; J.-P. Lau-
rens, 4,499; Harpiguies, 4,193; Henner, 4,180; Tony Robert-
Fleury, 4,409; Puvis de Chavanne, 4,101; Bougiiereau, 4,084;
Cabaiiel, 4,042; Français, 4,005; Humbert, 4,00;!; Busson,
4,002; Guillemet, 996; Benjamin Constant, 982; Vollon, 974 ;
Boulanger, 965; Roll, 940; Duoz, 934 ; Pille, 910; Hapin, 888;
Jules Breton, 885; Bernier, 847; Yon, 834; Détaille, 820; (niil-
laumel, 798; Vuillefroy (de), 793; Cormon, 787; (iervex, 787;
Carolus Duran, 784; Morot, 762; Vayson, 755; Saint-Pierre,
740 ; Maignan, 736; Lansyer, 729 ; Barrias, 707 ; Luminais, 690;
Hector Leroux, 689; Hano:eaux,669; Renouf, 625; Lalanne, 574.
Viennent ensuite :
MM. Feyen-Perrin, 509; Cazin, 483; Dngnan-Bouveret, 457;
Delaunay,'430; Merson, 426; Gérome, 420; Hibot, 417; Van
Marck, 409; Rixeus, 391; Léon Glaize, 390; Lhermitte, 344;
Pelouze, 337; Philippe Rousseau, 314; Prolais, 310; Bafillot,
304; D. Rozier, 280; Bernard, 279; Meissonier, 256; Emile
Lévv, 250; Lavieille, 250; Beauverie, 185; Bonvin, 479; Colin,
470'; Courtois, 463; J. Blanc, 430, etc.
Les votants étaient au nombre de 4800. Le chiffre des envois
dépasse 7,000. • ,
M. Verdhurl vient d'erigagér, pour la campagne prochaine,
une contralto dont on dit merveille. M"'- Balensi. '
La nouvelle pensionnaire de la Monnaie ( si actuellement atta-
chée au Grand Théâtre de Rouen. Elle est tout naturellement
indiquée pour chanter le rôle d'OrIrude d:ns" L(;/t^;/</n:?t, qui
sera, avec Sigurd, l'un des premiers ouvrages que montera
la direction au débul de la siison. - *
La Walkyrie viendra ensuite.
Les Choîurs russes, qui viennent de remporter à Lyon et a
Nice un très grand succès et qui sont engngés au Cliâlolel pour
le mois d'avril, se feront entendre celle' semaine à la Monnaie.
Le premier concert est fixé mardi..
Aujourd'hui dimanche, à 4 1/2 heure, au théâtre de^ la Monnaie,
troisième concert populaire, avec le concours de M'^' F. Von
Edeisberget de M. Engel. Programme : ii" symphonie (\c Bralims.
— Air de \di Clemenza di Tito de Mozart (M»»-' Von Edelsberg).--
Introduclion au 3« acte (\q VApoUonide i\(i Franz Servais. —
Scène d'a.mour, d'a|>rès le poème dç Baudelaire ^-. Le jel d\mu »
de Franz Servais (M"« Von Edeisberget 'M. Eflgel). — Adagio du
1'' quinleue de Mendelssohn (exécuté par tous les archets) —
Air de FidcHo de Beethoven (M"*-' Von Edelsberg). — Fanlaisie-
Ouverlureûfi i.-'ïh. Wmloux^
Mardi 6 avril 4886, à 8 heures du soir, à la Grande-Harmonie,
concert de M. Arthur Van Dooren, pianiste, avec le concours de
M"« Alphonsine Douilly, canlairice, et de M. Georges Millier,
violoniste (élève de Joachim).
On nous prie d'annoncer l'audition de musique religieuse qui
aura lieu à l'église des Carmes, le mercredi 7 avril, à une heure
et demie, au profil d'une œuvre de charité. Les exécutants sont :
M'^'^MaxcleVillers-Grandchamps, M"'^* WirixelBovy,.M. Alphonse
Maillv et un chœur de cent dames amateurs sous la direction de
M. François Riga. On entendra diverses œuvres de Bach, Cheru-
bini, Schubert, Mendelssohn, Lachner et Riga.
Le concert de M. Camille Gurickx, retardé par indisposition,
aura lieu le vendredi 9 avril, à 8 4/2 heures du soir, à la Grande-
Harmonie.
Les billets restent valables.
Pour tous renseignements s'adresser à M. Défasses, 38, rue
Sainl-Josse. '
Sommaire de VElnn littéraire (numéro du 15 mars) :
Le temps des chèvrefeuilles, G. Giran. — Pauvre bébé, conte
Blanc, Albert Mockel. — Critique littéraire (suite), Léon Morel.
Sicul Dcus, Fernand Severin. — In excelsis, Fernand Severin. —
Glissez mortels, Maurice Siville. — Chronique ariislique,
L. Hemma. — Chronique musicale, X. — Chronique liitéiaire,
Alberl Mockel. _ ^
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104
UÀRT MODERNE
^
:. ■ -, SIXIÈME- ANNÉE ■ ■■' ,
'LàA'RT MODEHNE s'est acquis par Tautorité et rindéi)cnclancc de sa critique, par la variété de ses
informations et los soins donnés à sa rédaction une place prépondérante.. Aucune manifestation de l'Art ne
lui est étranf^^çre : il s'occupe de littérature, de peinture, de sculpture, de gravure, do musique,
d'architecture^ etc. Consacré principalement au mouvement artistique belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur tous les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaître.
Chaque numéro do L'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont révénemont de la semaine fournit l'actualité. Les expositions, les livres nouveaux^ les
premières représentations d'œuvros dramatiques ou musicales, les conférences littéraires, los concerts, les
ventes cl(hjets dart, font to-us les dimanches l'objet de chroniques détaillées.
L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. Il rend compte des
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PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
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^OMMAIRE
Homère. — Ernest Hello. — Le chœur russe — Une curieuse
AQUARELLE. — Le TROISIÈME CONCERT POPULAIRE. BIBLIOGRAPHIE
musicale. Publications nouvelles. — Petite chronique.
HOUEaE
Les malentendus que l'éducation classique a répandus
sur la nature et la portée des poèmes, longtemps
attribués à Homère alors qu'ils apparaissent désormais
comme Tœuvre de plusieurs chantres et de plusieurs
générations, sont à la fois étonnants et risibles.
Il n'est pas de collégien qui n'en soit sorti persuadé
que les héros qui s'y meuvent sont de la même troupe
que ceux qui déclament dans les tragédies de Corneille,
de Racine et de leur suite innombrable. Pompeux,
majestueux, d'une dignité aristocratique ne se démen-
tant jamais. Ayant les mœurs d'apparat de la cour de
Louis XIV. Superbes en toutes leurs habitudes et d'une
grandeur pleine de mesure. Des rois, des princes, des
seigneurs, de nobles dames dans la plus haute acception
des termes. Bref, un personnel de théâtre réalisant les
meilleurs rêves officiels.
Bitaubé a, dans sa traduction fameuse, donné l'ex-
pression suprême de cette conception baroque de
YUiade et de VOdyssée. " -
Or, ce n'est pas cela du tout, mais pas du tout.
L'école réaliste a eu cette vertu imprévue d'amener la
revision des traductions ayant cours de la littérature
antique, Les savants qu'elle a mordus ont été pris,
tout comme s'ils étaient des romanciers naturalistes,
d'une rage de vérité, et jetant aux quatre vents les ver-
sions acceptées, ils ont recommencé sur nouveaux frais
l'interprétation des chefs-d'œuvre grecs et romains.
Les découvertes ont été stupéfiantes. "
On s'est aperçu d'abord que ce qui caractérisait sur-
tout ces vieilles œuvres, c'était une simplicité forte, sans
le moindre relent de la pompe académique dont on les
croyait inséparables. De déclamation, point. De préten-
tion, jamais. Un naturel constant, une sobriété puis-
sante, une virilité tranquille. Pas de rhétorique, non,
pas de rhétorique, même dans les harangues dites
Cicé^'oniennes. Tout cela était inventé, tout cela était
le produit d'hallucinations professorales. Le correct et
solide édifice de l'antiquité avait été recouvert d'un
badigeon multicolore ridicule. Fresques imposantes,
graffites ingénieux, fines sculptures, tout en avait été
déshonoré. Un grattage, un nettoyage universels s'im-
posaient comme dans nos cathédrales gothiques. Pour
trouver une accommodation qui ne fût pas une trahi-
son, il fallait' remonter jusqu'à Amyot et à la langue
ingénieuse par laquelle il avait interprété La vie des
hommes illustres de Plutarque.
C'est particulièrement à l'occasion des poèmes homé-
riques que le phénomène s'est accentué. Comme si l'on
arrachait à des acteurs leurs travestissements de costu-
miers, diçux, rois et héros, dépouillés des oripeaux
dont on les afï'ublait, sont apparus, à l'émerveillement
de tous, dans la simplicité primitive qui en fait les
égaqx des divinités qu'on adore et des grands chefs
qu'on honore dans la Malaisie et la Polynésie, ou, si
l'on veut une comparaison moins hardie, comme les
analogues des personnages qui s'agitent dans les
Nihelimgen. Plus rien d'une civilisation royale raf-
finée, avec étiquette cérémonieuse, allures de la haute
vie, cortèges bien réglés, pompes de toutes sortes. Il a
fallu se résoudre (avec quelle joie des vrais artistes) à
abandonner la légende du grand poète unique, aveugle
et solennel, parcourant la Grèce en créant de toutes
pièces les deux immortels chefs-d'œuvre. Ces chefs-
d'œuvre sont tout bonnement des chansons populaires,
le Romancero de l'HelIade, des fantaisies brodées sur
de vieux souvenirs, des lambeaux de poésie sortis sans
ordre de l'âme collective d'une jeune nation vaguement
consciente de ces origines et de quelques aventures
ancestrales. S'ils furent pieusement conservés, c'est
qu'ils avaient la saveur ingénue des choses embryon-
naires et qu'ils caressaient l'héroïsme un peu gros de la
Grèce par le récit merveilleusement pittoresque d'un
grafid siège et d'un grand voyage, ces deux sources
inépuisables d'intérêt pour un peuple enfant. Et encore
aujourd'hui, même pour nos générations vieillissantes,
ils se révèlent avec le charme des contes naïfs, tantôt
innocemment cruels, tantôt brutalement héroïques.
A quiconque s'imaginerait que nous nous méprenons,
il suffirait de signaler d'une part la traduction de
Leçontede Lisle, sévère et lapidaire, d'autre part, celle
d'un de nos compatriotes, Eugène Hins, familière et
populaire. L'une et l'autre, par des voies différentes,
laissent la même impression irrésistible : il s'agit dans
YOdysséecommQ dans V Iliade, de sauvages peu dégros-
sis, de paysans, de bouviers, de chevriers, de labou-
reurs, de chasseurs, vivant surtout en plein air, habi-
tant des cabanes ou des huttes, se nourrissant comme
les nègres africains, se livrant à tout propos à des
scènes de violence. Troie n'était qu'une bourgade
entourée de palissades et de remparts en boue durcie.
La flotte grecque se composait de pirogues. Le palais
de Priam ou d'Ulysse étaient des baraques un peu plus
grandes que les autres.
Voici, d'après Leconte de Lisle le récit homérique
d'un tournoi auquel prennent part les chefs les plus
illustres. Cladel en a fait le prologue de son Omp-
drailles. Vous allez voir ce que sont les prix que se
disputaient les rois. Vous allez aussi les voir s' empoi-
gnant et se talochant en vrais portefaix.
*' Le Péléïde déposa les prix pour le rude combat
des poings. Il amena dans l'enceinte et il lia de ses
mains une mule laborieuse de six ans^ indomptée et
presque indomptable; et il déposa une coupe ronde
pour le vaincu. Debout il dit au milieu des Argiens :
Atréîdes et vous Akhaiens aux belles knémides, j'ap-
pelle pour disputer ces prix deux hommes vigoureux à
se frapper de leurs poings levés. » — Se présentent
p]péiôs, fils de Panopeus et Euryalos « fils du roi
Mékisteus Talionide qui, autrefois, alla dans
Thèbes aux funérailles d'Oidipous. Les deux com-
battants s'avancèrent au milieu de l'enceinte. Et tous
deux, levant à la fois leurs mains vigoureuses, se frap-
paient à la face, en mêlant leurs poings lourds. Et on
entendait le bruit des mâchoires frappées, et la sueur
coulait chaude de tous leurs membres. Mais le divin
Epéios, se ruant en avant, frappa de tous les côtés la
face d'Euryalos «.
Voilà de singuliers fils de roi, pas du tout à la mode
de Versailles et fort loin de ceux qui nous sont repré-
sentés dans les cinq actes (ÏAgamemno7i et de
Phèdre, ou dans les Aventm^es de Télémaqiie,
manuel d'éducation française par M. de Fénelon. Ce
concours de boxe anglaise est suivi d'une lutte à main
plate pour laquelle les prix sont un brasero et une
esclave que se disputent Ulysse et Ajax. C'est Ulysse qui
met Ajax parterre, grâce à un croc-en-janlbe, oui, un
vulgaire croc-en-jambe que la chanson homérique note
avec soin comme une bonne ruse.
A n'en pas douter donc, il s'agit de récits rythmés
de la vie patriarcale, déclamés parles meilleurs ora-
teurs de villages ou par des chanteurs ambulants de
la plèbe, dans les veillées, sous les arbres et sur les
prés. ;
Dans le même goût, voici l'extraordinaire exposé des
soins que prend la divine Calypso pour préparer le
retour du magnanime Ulysse, lorsque ce dernier, après
de beaux discours où ellele qualifie constamment d'arti-
ficieux alors que lui la nomme respectablCy a persuadé
à la nymphe qu'il doit retourner chez lui. Nous citons
la traduction d'Eugène Hins. Elle donne une idée par-
faite des occupations auxquelles descendaient les
déesses et les princes du temps. On se croirait aux îles
Fidji.
« Elle lui donna une grande hache d'airain, aiguisée
des deux côtés, qui se maniait des deux mains ; celle-ci
avait un très beau manche d'olivier solidement fixé.
Elle lui donna ensuite une hachette bien polie et le con-
duisit à l'extrémité de l'île où croissent de grands
arbres, l'aune, le peuplier noir, le sapin qui s'élève
jusqu'au ciel, tous arbres bien secs, qui flotteront faci-
lement. Lorsqu'elle lui eut montré oCi croissaient les
grands arbres, Calypso, la noble déesse, s'en retourna à
la maison. Cependant Ulysse coupait les arbres et il eut
vite fini la besogne. Il en abattit en tout vingt, les
équarrit avec l'airain, les polit soigneusement et les
aligna au cordeau. Alors Calypso, la noble déesse, lui
apporta une tarière. Il fora tous les troncs et les fixa
les lins aux autres par des chevilles et des liens. Il fit
ensuite le tillac, qui reposait sur de nombreux étais ;
enfin il termina le radeau en fixant sur les côtés de
grandes planches. Puis il fît le mât et la vergue qui s'y
attache. Ensuite pour diriger le navire, il fit tin gou-
vernail, qu'il entoura tout à fait de claies d'osier pour
le protéger contre les vagues. Enfin il remplit le radeau
de bois. Alors Câlypso, la noble déesse, lui apporta des
tissus pour faire des voiles et il les fit ; il y attacha des
cordages et des écoutes, puis, au moyen de perches, il
fit glisser son radeau vers la mer divine. Le quatrième
jour tout était fini. Le cinquième, la divine Calypso le
congédia de son île, après lui avoir donné des vête-
ments parfumés. Elle plaça sur le radeau une outre de
vin noir et une outre, plus grande, pleine d'eau. Elle
lui donna aussi un sac avec des vivres en quantité suf-
fisante et fit soufiier un vent favorable et doux; Joyeux,
le divin Ulysse déploya sa voile au vent et assis au gou-
vernail, dirigea adroitement son navire. »»
Est-ce assez conte de Perrault à la mode grecque ?
Une scène très significative également, est la fameuse
idylle de Nausicaa, fille d'Alcinoos, roi des Phéaciens
dans l'île de Schérie. Tout le monde l'a présente à l'es-
prit telle que le pédantisme l'avait transformée : une
princesse, une vraie princesse qui se promène noble-
ment sur le rivage de la mer, recueille Ulysse naufragé
et le mène cérémonieusement au palais de l'auguste
auteur de ses jours!
Voici la bourgeoise vérité. Nausicaa désire aller faire
la lessive et s'adresse à son père : « Cher papa, ne me
prépareras-tu pas un char élevé, aux belles roues, pour
que je transporte nos beaux habits vers le fleuve, et
que j'y lave ceux qui sont au linge sale? »» (Textuel.)
Le roi consent. Nausicaa part sur une grande
brouette à roues pleines, commes celles de nos paysans,
tirées par des mules. Elle emmène avec elle des lavan-
dières :
« Elles arrivèrent au bord du beau fleuve : là se
trouvaient de nombreux lavoirs, où coulait une eau
abondante et limpide pour nettoyer le linge sale. Elles
dételèrent les mules du char et les lâchèrent le long du
fleuve sinueux pour y paître une herbe aussi douce que
le miel. Puis elles prirent du char les vêtements, les
plongèrent dans l'eau profonde et les foulèrent en riva-
lisant de vitesse. Lorsqu'elles eurent lavé et frotté tout
le linge, elles retendirent en ordre sur le rivage de la
mer à l'endroit où le flot a roulé le plus de cailloux.
Puis s'étant lavées et ointes grassement d'huile, elles
prirent leur repas sur les bords du fleuve, laissant les
habits sécher aux rayons du soleil. Lorsqu'elle-même
et ses suivantes eurent savoufé leur nourriture, elles
ôtèrent leurs ornements de tête et se mirent à jouer à
la balle : c'était Nausicaa aux bras blancs qui condui-
sait le jeu. » ■
Allez en Ardenne, au bord de la Semois ou de
l'Ourthe, ainsi procèdent les jeunes villageoises d'Her-
beumont ou de Maboge.
Mais voici qu'Ulysse, qui s'était caché dans un taillis,
vu qu'il était couvert de boue, se montre, talotiné qu'il
est par la faim. Il se tient à distance, car il est tout nu
et demande « un haillon pour se couvrir ou quelque
morceau de toile dont on enveloppe le linge «, en-
français moderne, une serviette. Nausicaa le trouve à
son gré et l'engage tout d'abord « à se laver dans le
fleuve, dans un endroit à l'abri du vent «.Puis, quand
il est réconforté et présentable, la princesse remonte
dans son ;char, fouette ses mules et l'on part pour la
ville; le divin Ulysse galoppe à pied avec les ser-
vantes à côté du véhicule.
Et ainsi d'un bout à l'autre de ces sublimes poèmes !
Qu^on n'aille pas nous prêter l'intention de les
amoindrir. Nous n'avons voulu que rectifier des préju-
gés absurdes, remettre au point deux œuvres char-
mantes d'ingénuité, et aussi de férocité, car^ces deux
dominantes de l'humanité enfant s'y révèlent constam-
ment avec une innocence incomparable. A notre avis,
ce changement de décor rend plus savoureuse cette
poésie lointaine, elle en prend un imprévu délicieux,
une vie d'une intensité séductrice. Ce n'est plus la
Troade factice, ce n'est plus la Grèce de comédie, c'est
la réalité, fraîche, colorée, remuante; le convention-
nel et le faux font place au vrai et grandissent ces
chansons de gestes aux proportions harmonieuses d'un
art instinctif, admirablement descriptif et sincère. .
Î^RNEPT J4ELI-0
Si l'uniié, la ncllelé et la domination du jugement, si le ramas-
sement des faits épars autour de l'idée génératrice, si la force
tyrannique d'une conviction totale, si la sûreté d'aperçus aboutis-
sant à une souveraineté intellectuelle superbe sont les qualités
suprêmes d'une analyse forte et décisive, Ernest Hello est le pre-
mier critique de noire temps. ^
Ernest Hello ? Un inconnu, n'est-ce pas?
Il a vécu toute sa vie solitaire, fermé. La presse à réclames ne
l'a point désigné à l'attention publique. Il a écrit d'elle, faisant
allusion U l'oubli qu'elle étend autour des plus grands artistes.
« Elle n'osera pas dire devant l'œuvre d'un homme encore
ignoré : Voilà la gloire et le génie. Voit-elle un homme débordant
de vie et d'amour elle l'entoure d'un cimetière. »
ET*nest Hello est mort le 11 juillet dernier. Il est mort de souf-
frir. Il est mort d'obscurité. Non pas qu'il appelât la notoriété ou
la célébrité parisienne, mais, comme le remarque Barbey, c'élait
le seniiment exaspéré d'un apostolat sublime et cet apostolat
jamais il n'a pu l'exercer. Il était mystique, inébranlablement. Son
mysticisme se levait, étayé sur la conviction et la foi catholiques.
Plusieurs de ceux qui suivent le mouvement artistique à cette
heure se sentent attirés par de lointains appels vers les mondes
religieux et surnaturels; les uns en rêvent, les autres y croient.
Hello était de ces derniers. 11 n'avait aucun doute, aucune réti-
cence, aucune hésitation dans la pensée et dans le cœur. On lit
sur sa carte mortuaire :
■ . ■ ". ^ ■
a Monsieur Ernest Uello, par la misdricordft de Dieu a éié.
soustrait aux peines dô ce monde et appelé au Seigneur, muni
des Sacremcnls de Noire Très Sainle-Mère l'Eglise. »
D'une laiUe moyenne, dit M. Charles Buel, fort maigre, les
dpàules très larges et un peu courbées, il avait les- traits de ces
bourgeois du moyen-âge qu'on voit souvent transparaître dans
les vitraux du quinzième siècle. Je ne me représente pas autre-
ment Louis Xll, le père du peuple, l'n profil très net, parfaite-
ment découpé et qu'on dessinerait, semble-t-il, d'un trait : le nez
long, droit, carré du bout ; la bouche large, bien dentée, les lèvres
charnues qui trahissent la bonté, le menton proéminent et rond
qui annonce la volonté ; le front développé, les tempes unies et
sans rides ,|cnciiclrées de boucles flottantes de tempes jadis brunes
et maintenant de couleur indécise, et les yeux, sous des sourcils
épais, d'un arc très pur.
Les œuvres sont no:Tibreascs : Contes exlraordinàires ;
Uhomme ; Le P. Lacordaire; Les paroles de Dieu ; La physio-
nomie des saints ; Les plateaux de la balance ; Œuvres choisies
de Rusbrock Vadmirable; Le livre des visions et instructions de
la bienheureuse Angèle de Foligno; Œuvres choisies de Jeanne
Chezard de Matel; Le style, i'ic. ,
Dans cette série de livres, 'dont quelques-uns, V Homme Qt les
Plateaux de la balance surtout prouvent le psychologue quasi de
génie, dont tous témoignent une intelligence éprise du rare et de
la splendeur, nous choisissons /eiS/y/e pour juger le critique.
On lit à la première page :
tt Le style est une puissance, qui, comme toutes les puiss:»nces
a besoin d'être vengée. »
Et voici l'auteur parti en guerre avec l'allure des prophètes, et,
souvent, leur style. Il apparaît exterminateur âpre et inflexible,
vis-à-vis de l'idée fausse, l'idée basse, l'idée mesquine; il tord
comme une épée entre ses mains les paroles de sa violence et de
sa colère, il abal les jugements ennemis des siens, il redresse les
notions déviées, il tue les renommées injustes, il hisse de nou-
velles statues surles pié des taux qu'il vide, etallume sa magni fique
logique de penseur impeccable par dessus tous les débris incen-
diés. La plus rigoureuse simplicité règne dans son analyse. A
chaque page, il la résume en quelques phrases courtes qui lui
servent de justification. Il étale les armes dont il va faire usage,
ne voulant aucune surprise, aucune caponnière, aucune manœu-
vre oblique. Il est d'une sincérité totale, il ne trahit pas ombre
d'arrière-pensée. Il pense haut et fort; il pense droit.
La démonstration entamée, il divise et définit et limita son
travail. C'est l'idée pure qu'il exprime, mais les faits et les exem-
ples viendront confirmer ce qu'il avance ; sa méthode sera victo-
rieuse avec tranquillité. ,
Sa phrase possède, avant tout, .la clarté. L'harmonie et le pit-
toresque n'arrivent qu'au hasard, au petit bonheur. Elle est taillée
à angles droits; elle est de cristal on d'acier. L'idée s'y voit au
travers ou s'y mire. Les chapitres sont rigoureusement limités au
problème à résoudre. Pas de digression. Rien de charmant.
Aucune fleur, mais des champs superbes, admirablement tenus
et plantés. En un mol, domination du sujet par l'écrivain, car
tt nul ne peut juger ce qu'il ne domine pas. L'engouement vul-
gaire entraîne la partialité. L'enthousiasme supérieur entraîne
l'impartialité, qui est le sacrifice du juge. L'enthousiasme donne
le courage et le courage a deux accents. Il admire ce qui est beau,
il flétrit ce qui ne l'est pas. »
Quand on s'est initié à la critique tatillonne mais très intelli-
gente de Sainte-Beuve, à la méthode forte mais lrop.absolue.de
Taine, à. la psychologie curieuse de Bourget, on est quelque peu
surpris à cnlendre le. ton tranchant et sans répliques d'Hello. C'est
que lui, contrairement à tous les autres, juge d'après un code de
vérités qu'il proclame au dessus de toute discussion. Son livre se
résume en une unité que n'admellent point ses confrères :
« La loi de l'Art est la loi de la vie.
« La vérité, qui est la loi de la pensée et la loi de la vie, est
9ussi la loi de la parole humaine, c'est-à-dire du style.
« L'erreur qui scinde tout a trouvé le moyen de donner une
certaine direction à la pensée, une autre à la vie, une troisième à
la parole, d'inventer pour toutes ces choses des règles diverses
et contradictoires.
c< Ainsi l'homme doit :
« Vivre dans la vérité.
« Penser comme il vil.
« El parler comme il pense.
« Voilà la loi du style. Nous sommes ici en pleine simplicité
parce que nous sommes en pleine vérité. »
Nous avons voulu désigner ce soubassement austère sur lequel
Hello a bâti son livre. Ce qui en découle, comme ces eaux jaillis-
sant au bas des fontaines de pierres, c'est le rejet complet de
l'éclectisme si en honneur dans noire crjitique, et l'abolition
totale de toute préoccupation autre que celle de faire le bien. La
critique devient une propagande entreprise au nom de ce que
l'auteur cro't le vrai. Aussi bien, écoutez-le cingler toute autre
critidue que la sienne :
« La critique, telle qu'on la pratique habituellement, est une
bavarde lâche et complaisante, qui ne sait parler, ni ne le peut,
ni l'ose... Offrez au critique vu'gaire un chef-d'œuvre inconnu;
il attendra votre avis avant d'oser donner le sien. Avant d'avoir
une opinion, il consultera tous ses intérêts et le visage de tous
ses amis... En général, la petite critique croit tout impossible,
elle n'admet comme pouvant être que ce qui est dans ses, habi-
tudes. Or, le génie n'est pas dans ses habitudes, aussi le Iraite-
t-elle comme elle traitait, il y a quelques années, les locomo-
tives... Quant au génie dos gens morts, elle le proclame à tort et
à travers... Elle lance à pleines mains, à drs personnes qu'elle
croit abitraites, des couronnes abstraites qui ne lui coûtent ri n
à distribuer, car elles n'existent pas. Que le passj ait ses gloires,
elle y consent, car elle ne croit ni au passé, ni à la gloire; mais
le présent? mais l'avenir? Allons donc!... La petite critique, ner-
suadéeque les grands hommes n'ont jamais été jeunes, ni même
vivants; que de tout temps ils étaient anciens, morts depuis
quarante mille ans, ricane et se détourne en présence d'une gran-
deur vivante. Pour se venger elle montre dans les conceptions
du génie, la virgule qui^manque, et la médiocrité applaudit. » .
Superbes, n'est-ce pas, ces paroles, et vraies, donc !
Et maintenant, voulez-vous savoir ce que devient aux yeux
d'Ernest Hello la grande critique dont il a souci? Exaniinez sa
dissertation sur les Passions, les caractères et les âmes, ses con-
sidérations sur la Langue française et surtout ses Pensées. Au
surplus, n'a-t-il pas dit :
M Comprenez -vous la tâche sublime qui se présente à la cri-
tique vraie? Il faut qu'elle se fasse ass(îz grande pour devenir
consolatrice. Il faut qu'elle entre dans le champ delà vie, il faut
qu'elle prenne d'une main la main froide de celui qui marche
seul et que de l'autre main elle le désigne aux regards des
hommes. 11 faut qu'elle soit capable d'oser assez pour admirer et
pour flcHrir librement. Il faut qu'elle fasse honte au troupeau de
sa docilité stupiJe envers les aveugles qui le mènent, de sj résis-
t'jnce stupide vis-à-vis de ceux qui voient le jour. »
Ernest Hello n'est pas encore à sa place dans les lettres. Les
hommes hostiles à ses idées et qui cjassent h s tuKn's contempo-
rains n'admettent point son droit au rang suprême. A quand la
justice haute et sereine, au dessus des partis politiques?
Quand un homme, quel qu'il soit, fait cet honneur à 1 Imma-
nil'j d'avoir du génie et de refléter ce génie sur elle, a quoi bon
épiloguer, et discuter, et hier? On devrait tenir à bonheur, au
coniraire, de le crier dans le vont et de publier les gloires qui
surgiss:)nt. Ernest Hello n'a trouvé jusqu'à ce jour que deux clai-
roîineurs de renommée : Barbev d'Aurevillv et Henri Lasserre.
Quand Taine ou Bourget comprendront ils qu'on attend d'eux la
parole d'équité? Au surplus « le courage de l'homnie de génie
consis'.e à attendre Tlieure où la gloire inclinera devant lui ceux
qui n'auront pu Tincliner devant eux ».
LE CIIOËIR RISSE
F^e rideau se lève sur l'oratoire de la duchesse de Guise dans
lequel sont alignés les choristes mâles : une quinzaine d'hommes,
autant d'adolescents, coiffés d'astrakan, véius du pittoresque
costume des paysans moscovites. La porte du fond s'ouvre, et au
li< u de la figure farouche d'Henri de Lorraine apparaît le lent
coriège de deux théories de jeunes filles, charmantes dans leur
saraphanG rouge ou bleue brodé-» d'or qu'enveloppent, ainsi que
dos ailes repliées, de longs et flottants voiles de mousseline. Avec
leur haut bonnet où s'épanouissent des fleurs de pourpré, l'apparilt
de leur jupe hiératiquement taillée en forme de cône, la chasteté
de leur corsage éiroitemenl fermé sur lequel ruiss-^lh'nt des
rosaires de perles, la prodigalité des chamarrures et des orfèvre-
ries, elles évoquent l'imago de madones, — de ces madones que
la crédulité naïve des campagnes a faites miraculeuses et que la
piélé des fidèles enrichit, à l'épique des octaves, de denielles, d'ex-
votos et de bijoux. Divisées en deux groupes, elïes défilent dans la
solennité d'une marche quasi-religieuse et prennent pliice_ à la
rampe, le chœur des robes d'azur, d'inJigo et d'outre-mer à
d toile, la symphonie des éioffes ros^s, sanguines et incarnadines
à gauche. El. quand, suivi de ses pages, se présente, clô'.urant le
défdé, dans la splendeur orientale des velours, des orfrois et des
brocarts, avec la majesté d'un pope et l'altitude d'un souverain,
Dinitri Slavianski d'Agréneff, le chef et le directeur de la cha-
pelle, les bonnets de fourrure sont respectueusement enlevés. De
profonds saluts inclinent loules les têtes. Les jeunes filles s'as-
seyent, et le chef monte à l'estrade.
Comme mise en scène, on le voit, c'est très curieux, d'une
impression nouvelle, mi-théâtrale, mi-religieuse; admirablement
comprise et vraiment artistique.
L'effet produit sur les regards, la fascination commence sur
les oreilles de l'auditoire.
D'une voix de ténor sans grand éclat, mais d'un timbre mor-
dant, le chef entonne une mélopée sur trois notes, assez semblable
aux chants liturgiques. C'est la gloire d'un héros du xi^ siècle que
célèbre le poème. Il décrit les adieux du guerrier à sa mère, il
exalte sa bravoure, il raconte ses combats et ses victoires. El le
chœur, avec d'infinies délicatesses de nuances, accompagne ces
chants tantôt mélancoliques et doux, tantôt héroïques, auxquels
les plaintes d'un harmonium donnent une teinte spéciale.
Au poème épique succèdent des chants d'amour, des ron leg
enfantines, des danses nationales, touies empreintes du chaçme
ingénu de la chanson populaire.
Quelques-unes, celle intitulée Ei mchnem^ par exemple, qui
expose la résignation souffrante des haleurs remorquant sur le
Volga les lourdes barques de blé, ou des charpentiers enfonçant
leurs pilotis dans les eaux limoneus s du fleuve, sont d'une
extrême pénélralion. Le tour mélodique en est si saisissant qu'au
retour du concert on pouvait, entendre, dans les rues de Bruxelles,
au milieu du silence de la nuit, retentir au loin, comme un écho,
la douloureuse complainte, chantée par des groupes d'audi'.eurs
impressionnés
Ces motifs, d'un caractère si profond, ont servi de canevas à
l'école néo-russe, aux Borodine, aux Balakircfï, aux Liadofî,
pour leurs superbes compositions musicales. Le chœur russe les
donne à l'état fruste, tels que les cliantent et se les t'ransmeltent
les villageois assemblés, par les soirs étoiles, à la porte de quelque
kabak, mêlant leurs voix aux sons flûtes de l'accordéon.
Mais l'interprétation que leur donuQ M. Slavianski est d'un raf-
finement extrême. Son chœur est discipliné et souple. Il passe
sans transition des écliits les plus puiss.nts aux passages les plus
d)ux et parfois le chant s'éleint dans des murmures à peine
perceptibles, sans que la justesse en souffre.
L'impression la plus forte a été celle dune voix de ba^se qui
descend dans des profondeurs de registre invraisemblables et
domine, comme le bourdon d'une cathédrale, le carillon des
fraîches voix de jeunes filles et d'enfants.
"Une chose nous a déplu : l'introduction dans un programme
vraiment intéressant ei d'un attrait nouveau, de certaines œuvres
banales, valses allemandes ou mélodies suisses, que seule la
virtuosité des exécutants a pu faire applau Jir et bisser.
INE CURIEUSE AQUAItELLE
Nous avons sous les yeux une apiarelle au sujet de laquelle
mus ne serions pas fâchés d'avoir quelques renseignements.
Elle représente la bataille de Waterloo dans des conditions que
nous n'avons pas encore vues. On sait que d'ordinaire tout
l'intérêt porte sur un groupe principal composé soit do Napoléon
et de ses maréchaux, soit de Wellington et de son état-major,
soit de Bliicher. Quant à la disposition des troupes elle est
habituellement lout à l'hoancur sôit des Français, soit des .\nglais,
soit dos Prussiens.
Dlrttô l'aquarelle dont nous parlons c'est lout le contraire:
Prussiens, Anglais, Français, sont au dernier plan. On les aper-
çait à peine. Toute la place est en redite pour les Belges ei les
Hollandais. Dans le groupe principal, bien en vue, on remarque
le prince d'Orange qui vient d'avoir un cheval tué sous lui et qui
en enfourche un autre. Il excite du geste et de la voix ses cava-
liers (des hussards) et ses fantassins (des grenadiers) qui se préci-
pitent sur les cuirassiers et les lanciers français cl les font
reculer, dégageant les Anglais que l'on voit en nombre culbutés
el massacrés avec leur artnierie dans, le chemin creux d'Ohain.
La topographie du champ de bataille est d'une exactitude sin-
gulière, les routes et les différents plis du terrain sont indiqués
avec précision. Sur la droite on voit la ferme d'Hougoumont en
;
flammes; sur la cfnnche la roule de Charlcroi se développe
jusqu'au dernier plan sans les arbres que l'on y met d'ordinaire:
à celle époque, il n'en existait pas.
La pièce mesuro 50 ccnlimèlrcs de hauteur sur 80 cenlimètres
de largour, sans les marges. Elle est faite aii Irait et coloriée avec
line grande exactitude dans les uniformes. Los petits personnages
qui s'agitent par cenlaines, sont tous d'une grande animation et
d'une grande vérilé. La composition est très habile et saisissante.
C'est, comme on le voit, une œuvre très originale au point de
vue belge et qui mérite d'attirer l'attention.
Nous prions toutes personnes qui pourraient nous éclairer l\
son sujet de vouloir bien le faire.
LE TROISIEME CONCERT POPULAIRE
L'événement de celle troisième malimîe des Concerts popu-
laires a été le succès considérable remporté par un compositeur
belge. Franz Servais eût élé russe ou hongrois, qu'on n'eût pas
applaudi davantage. El ce concert « sacrifié » à la musique belge,
aux termes d'une convention avec l'Etat qui concède un petit
subside moyennant la mise aux programmes de quelques œuvres
nationales, est devenu, chose assez inattendue, l'une des audi-
tions marquantes de l'hiver.
VApolloïiide^ dont on jouait dimanche rintroduclion au troi-
sième acte, est un drame lyrique auquel le jeune maître travaille
depuis des années avec passion. Le caractère de Franz Servais
est de n'être jamais satisfait de ce qu'il fait. Défiance de soi-même,
excès de modestie, orgueil de vouloir que sDn début soit un
Iriomplie, qu'il s'jgisse d'une qualité ou d'un défaut, peu
importe. .Ce qu'il y a de certain, c'est que l'auteur n'avait jamais
voulu livrer la plus petite parcelle de son œiivrè au public.
Quelques rares amis avaient seuls reçu la confidence d'auditions
fragmentaires au piano. Et voici que ce public, auquel le musi-
cien donnait en imagination- une tête de dragon menaçant,
gueule ouverte, crachant du feu et prêt à le dévorer, est un
agneau docile. On l'a vu dimanche. Rien ne pouvait encourager
davantage le comp'^siteur. Nous entendrons cnCmV A pollonide.
L'ouvrage est entièrement terminé, et après l'accueil qu'on a
fait a l'un doses passages symphoniques, l'auteur peut affronter
sans crainte la publicité.
La musique de Franz Servais est, en cfïet, d'un charme qui ne
peut manquer d'exercer sa séduction sur un public auquel
quelques œuvri's de dioix on fait une éducation déjà sérieuse.
Elle est d'une rare distinction de pensée, et la forme qui l'habille
est élé£;anle cl harmonieuse.
Il faudrait, pour apprécier exactement V Introduction qu'on
nous a fait entendre, connaître l'ensemble de l'œuvre. Nous nous
abstiendrons donc d'en parler en détail aujourd'hui, nous bor-
nant à constater que si le reste est à la hauteur de cet extrait,
nous nous trouvons en présence de la partition la plus remar-
quable qui ail élé produite en Belgique jusqu'ici.
M"'^ von Edelsberg et M. Engel, excellemment secondés par
l'orchestre de M. Dupont, ont donné un relief intense à la
poétique et douce scène d'amour inspirée à Franz Servais par
le Jet d'eau ûc bmdchire.
L'œuvre eéi belle, d'une beauté réfléchie et aristocratique qui
donne à chaque strophe sa noblesse. Tandis que devisent les
amants à la clarté de la lune, Porchcslre chante obstinément le
murmure des eaux, de celte gerbe épanouie qui
Tombe comme une pluie - ;
De larges pleurs.
Scène descriptivç et pittoresque avant tout, mais d'une facture
et d'une grûce charmantes. *
Combien vide a paru après cehV Ouverture- fantaisie àe
M. Radouxî On eût dit, après la vision troublante d'une toile de
Corot, quelque Wappers exaspéré, tonitruant une bataille à grand
renfort d'ocre, de cinabre et d'oulre-mer.
Les effets de M. Radoux sont gros — dans celle Ouverture tout
au moins, car son œuvre renferme nombre de pages d'une valeur
supérieure.
Les cuivres jouent très fort, ce qui ne veut pas dire que ce
qu'ils ont à dire est puissant. Ils répètent à l'infini la même
phrase, tantôt dans la coulisse, tantôt sur la scène. L'ensemble
est déplaisant, lourd, massif. Ce qui domine, c'est la préoccupa-
tion que fait naître la manœuvre de la porte de communication
entre reslradc et la coulisse, et qui doit être tantôt ouverte, tantôt
fermée. Nous attendons mieux que cela dé l'éminenl directeur du
Conservatoire de Liège.
M'"^ von Edelsberg s'est produite encore dans deux airs clas-
siques, l'un de Mozart, chanté en italien, l'autre de Beethoven,
chanté en allemand. L'excellent souvenir qu'avaient gardé les
Bruxellois de la créatrice du rôle d'Ortrude a été confirmé. 11 s'y
est mêlé la satisfaction de constater que les années n'ont rien
enlevé au prestige d'une chanteuse, dont la voix parcourt un
registre étendu et qui met autant de sentiment et de chaleur que
de style dans l'exécution des œuvres qu'elle interprète.
La première partie du concert avait été consacrée à la 3« sym-
phonie de Brahms, entendue l'an dernier, et dont une exécution
insuffisante n'a pas permis, plus que la première fois, d'apprécier
les beautés. Le premier allegro a été pris trop vite. Brahms le
fait jouer beaucoup plus lentement', et de façon à donner à chacun
de ses motifs le caractère qu'il comporte. Le poco allegiv a élé
travesti en valse. Le finale — cet adorable finale qui débute par
un thème tragique et meurt dans des bruissements éveillant la
suggestion de la paix verte des forêts — a élé joué en pas-
redoublé.
L'épreuve est h recommencer. Il ne sera pas dit que Bruxelles
ne comprend pas et n'admiré pas le plus grand des compositeurs
acluellemenl sur la brèche.
i^lBLIÔQRAPHIE J^U^lCAj-E
Pablications nouvelles
S,cHOTT FRÈRES. — En même tomps qu'ils publiaient le très
intéressant trio pour piano, violon et violoncelle, de Joseph
Wieniawski, que nous avons récemment analysé, les éditeurs
Schotl frères mettaient en vente le trio fantastique de B.-C. Fau-
conier, œuvre estimable, d'une originalité contestable, mais de
bonne facture. Elle ne se compose que de trois parties : un
allegro^ un adagio, un scherzo, qui termine l'ouvrage de façon
assez inattendue. '^
Breitkoi'F et HyiîRTEL. — Nous signalons spécialement à l'at-
tention des musiciens la superbe édition des œuvres de Schumann
qui paraît en ce moment, par livraisons et en séries, chez
MM. Breitkopf et Hartel. M"*« Clara Schumann a' revu tous les
manuscrits, les a classés, coordonnés. On peut donc élre assuré
d'avoir, dans sa pureté^la plus absolue et avec l'indication exacte
des nuances, le texte des inspirations du maître.
La série XIII,^ui vient de paraître, contient quelques-unes des
œuvres pour cliant avec accompagnement de piano : les Trois
légendes^ sur des paroles d'Ém.Geibel (op. 30); les Douze légendes^
de Justin Kerncr (op. 35) ; le Cycle de douze mélodies, sur un lexto
de J. d'Eichendorff (op. 39) et l'admirable poème : V Amour d'une
femmeiop. 42).
Les mfîmes éditeurs poursuivent la publication de V Ecole de
piano du Conservatoire de Bruxelles^ excellente publication que
dirige M. Auguste Dupont et qui est la chrestomaihie musicale la
plus complète qui ait paru jusqu'ici. Les livraisons XXIV et XXV
sont en vente. Elles renferment chacune trois sonates deClementi,
que l'auteur appelle avec raison le créateur de la technique
moderne du piano. « Le premier, parmi les grands virtuoses, dit
M. Auguste Dupont, il a deviné k quel développement le méca-
nisme pouvait atteindre par l'élude approfondie de l'indépen-
dance de^ doigts et les combinaisons variées du doigter. Son
grand ouvrage, le Gradus ad Parnassum, véritable monument
par lequel il s'est immortalisé, reste et restera toujours la base
de l'étude sérieuse du piano. »
C'est donc une bonne fortune, au point de vue pédagogique,
que cette édition de démenti spécialement annotée et revisée par
le savant professeur de notre classe de piano au Conservatoire.
A. Cranz. — Vient de paraître la partition pour piano et chant
de Pierrot Macabre, Vùlégant ballet de Pietro Lanciani dont nous
avons rendu compte dans notre avant-dernier numéro.
R. Bertram. — Trois mélodies pour chant, avec accompagne-
ment de violoncelle (ou violon) et piano, sur des paroles fran-
çaises de L. de Casembroot (paroles anglaises de Wyatt-Smith),
par Boris Scheel, un musicien russe dont le nom commence à se
répandre; un Scherzelto pour piano, écrit avec faj^ilité par
M. Alexis Ermel ; h Sérénade des Albigeois de Jules dé Svvert,
transcrite par l'auteur pour violoncelle, telle est la dernière
gerbe mûrie chez l'excellent éditeur de la rue Saint-Jean.
f
ETITE CHROJMIQUE
. C'est décidé. Nous entendrons le premier acte de Tristan au
quatrième et dernier Concert populaire, exclusivement consacré
à l'œuvre de Wagner. Les interprètes seront M. Van Dyck,
M"'^^ Van Edelsberg et ^yolf. M. Van Dyck, quia chanté le rôle, à
Paris nombre de fois avec un succès très grand était naturelle-
ment désigné. Quant à M"*^* Von Edelsb^Tg et Wolf, toutes deux
excellentes musiciennes, douées de voix supeibes, on peut être
assuré qu'elles chanteront à merveille les rôles des deux femmes.
Avec Tristan, M. Dupont fera entendre la scène des Filles du
Rhin, le Walhall (fragment symphoni(iue) et la scène de l'Oi-
seau de la forêt extraite de Siegfried.
Le jury de peinture au Salon de Paris a élu son bureau. Le
scrutin a donné les mêmes résuUUs que lannéc dernière :
W. Douguereau a été nommé président; MiM. Donnât, Cabanel et
Busson,' vice-présidents; .M>1. Humbcrt, T. Roberl-Fleury, Guil-
lemet et de Vuillefroy, sccrélaires.
Le chitTredo tableaux présentés est exactement de cinq mille
trente-six. Les dessins, a(|uarelles et pastels sont au nombre de
deux mille cinq cent dix-sept.
C'est Jules Breton qui a été élu k l'Académie des Beaux-Arts
en remplacement de Paul Baudry. Sur 37 volants, l'arlisle a, au
quatrième tour de scrutin, réuni 20 voix contre il donnécoà
Henner, 3 à Lévy, 3 ù Lefebvre.
Un grand nombre de personnes se présentent encore journel-
lement au Palais des Beaux-Arts pour visiter l'exposition des
XX. On nous prie de rappeler, pouréviler au public une course
inutile, que l'exposition est fermée depuis le 14 mars.
Aussitôt après Gwendoline, donl la* première aura lieu le
8 courant, le théâtre de la Monnaie donnera l'opéra-comique
primé :.la Revanche de Sganarelle, dont la musique est d'un
jeune compositeur belge, M. Léon Dubois, et le livret de
M. Docquier.
Les interprètes seront : M"'^" Lecomte et Macs, M.M. Nerval et
Séguier.
M. Nestor Massart est engagé pour quelques représentations en
avril.
»
Après la clôture de la saison, la Monnaie rouvrira ses portes.
La direction vient de traiter avec le théâtre du Châtelet qui lui
enverra sa troupe et ses décors aux fins de donner aux Bruxel-
lois le spectacle de sa dernière féerie : le Petit Poucet,
Efïets de la. crise sur nos théàtn^s. Voici le relevé comparatif
dfs receltes des bals l'an passé cl celle année au théâtre de la
Monnaie. Nous prenons les bais pour qu'on ne dise pas : c'est à
cause de la troupe.
1885 1886
!•''• bal ...... fr. 4,323
2« bal ....... 9,139
3« bal 43,179
3,360
7,131
9,413
26,641 19,904
Différence en moins : 6,737 francs soit 25 "'o.
Ils tst vrai que les restaurateurs gémissent en disant qu'ils ont
fait 50 °/o de moins.
Les Templiers qui avaient marché avec des recettes allant
jusque fr. 5,618-50, sont tombés, depuis les derniers événements
à fr. 1,644-25. Faust est tombé à fr. 1,442-50.
On nous assure qu'à Liège, du jour au lendemain, la campagne
qui avait éié si brillante s'est achevée devant des salles presque
vides. On l'a clôturée. On n'a pas le cœur au théâtre quand ou a
l'esprit à l'émeute.
L'Ecole de musique de Louvain a donné, le 21 mars, un
intéressant concert dans lequel elle a fait entendre, entre autres,
la Fille du roi des Aulnes, de Niels Gade, la Marche avec chœur
de Tannhaiiser, le concerto pour piano en ré mineur de Rubin-
stein, une ballade d'Emile Mathieu : le Chercheur de trésors, etc.
Les journaux locaux sont pleins d'éloges pour l'excellent direc-
teur et pour les solistes : M"** Hamaekcrs et de Saint-Moulin,
M. Byrom, M"** Carry-Mess, M. Lucien Tonnelier.
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informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune manifestation de l'Art ne
lui est étrangère : il s'occupe de littérature, de peinture, de sculpture, de gravure, de musique,
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouvement artistique belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur tous les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaître.
Chaque numéro de L'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'actua^té. Les expositions, les livres nouveaux^ les
premières représentations d'œuvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires, les concerts^ les
ventes cCi.hjets cVart, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées.
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^OMMAIRE
Le théâtre en liberté, par V. Hugo. — Gwendoline. — Un
VIEUX salon. ' — Bartek vainqueur, par Sienkiewicz. — Notes
de musique, l. Audition d' œuvres de m. Gustave Sandre. II. Con-
cert VanDooren. III. Audition de musique religieuse à l'église des
Carmes. IV. Piano-récital de M. Gurickx. — Notes de librairie.
— Petite chronique.
LE THEATRE EN LIBERTE :
par Victor Hugo. Paris, Hetzel et Quantin.
Hugo mort, on se mil à le nier: C'était fatal.
, « Pathos, piédestal en carton avec des fleurs de réihorique
autour. Pas de pensée, pas de moelle, pas de chair. Rien que du
style, léger fard, poudre parfumée et colorante. Magasin de
tropes avec des anlilhèses et des synecdoques dans les rayons.
Accumulations de vétilles, paquets de mauvais goût, grosses de
charabia. Banalités montées sur un fil d'or, comme les perles
soufflées d'un collier. OEuvre toute en façade. Baudruche dorée.
Cuirasse ciselée avec un mannequin dedans. »
Des colosses de la taille de ce mort devraient être gardés par
le plus immuable respect. Ni les modes littéraires, ni les doc-
trines nouvelles, ni surtout les poètes ne devraient y loucher.
Quelles que soient les préoccupations présentes et peu importe les
recherches de Testhétique toujours en progrès, Eschyle, Shake-
speare, Hugo devraient n'en jamais voir une ombre sur leur
marbre passer. Il faudrait les maintenir aussi divins qu'il est
possible pour satisfaire l'impérieux besoin d'adoration artistique.
Qui les nie, blasphémerait. Ils sont au dessus de toutes discus-
sion; ils imposent la foi.
Aussi bien toutes les rumeurs soulevées en poussière autour
d'eux se dissipent bien vile à l'étude de leurs inoindres œuvres
el devant des Vers tels :
Dans XE'pée : -
SlagistJii (aw -peMp/e).
Savez- vous seulement quels aïeux vous avez
Vos pères souriaient devant les rois bravés.
Aux hallebardes d'or, aux riches pertuisanes
Ces patres opposaient les piques paysannes ;
Pour garder leur paix sainte, ils étaient belliqueux -
. Leur lance était leur femme et couchait avec eux.
Ah! ni czar, ni sultan, ni duc sérénissime.
Ils veillaient, ils faisaient des feux de cime en ciijie
Si bien qu'à chaque mont, porteur de la clarté,
Ils mettaient cette^toile au front, la liberté...
Ils guerroyaient au vent, au soleil, sous les pluies
Ils faisaient frissonner leurs mères éblouies...
C'était un fier frisson dans les rocs et les bois
Quand ces chasseurs des loups donnaient la chasse aux rois
.a ^
Aujourd'hui, l'on me dit « Quoi! bandit tu persistes »»
— On ! que dans vos tombeaux vous devez être tristes,
Géants!
■^ • - ■
Dans Etre aimé :
Je veux pour mon bonheur comme pour mon souci,
Retrouver dans un autre un moi-même adouci...
])3ins Sur la lisière d'im bois : . " '
Lui a Elle.
0 charme tout-puissant de la pudeur farouche !
Ma bouche ne doit pas même effleurer ta bouche
Ta robe est le rideau du temple....
1 1
Tu semblés une rose ouverte dans les flaitimes
Envolons-nous, mêlons les ailes de nos âmes
Soyons un couple honnête et céleste et si pur
Qu'on ne nous puisse pas distinguer de l'azur...
Le livre entier élale des vers aussi superbes. Par endroits,
l'oreille est rocaillcusemenl choquée ; des tirades di^jà entendues
défilent; des mots îi rime fatale se plantent à la fin d'une strophe;
ce sont phrases souvent rencontrées et contre les papes et contre
les prêtres et contre les rois — qu'importe ! Voici soudain un vol
génial qui passe sur cet étang comme un glissement subit de
soleil sur l'eau. Et tout s'éclaire el s'enflamme et s'incendie et
tout ce qui déplaisait paraît détail mesquin et miettes infinitési-
males.
Nous avons indiqué l'année dernière, l'horreur sacrée qui
traverse la dernière phase de l'œuvre d'Hugo. Nous voudrions
aujourd'hui en délaillei" un aperçu moins ténébreux. Hugo a été,
devant la nature, tantôt un effrayant visionnaire, tantôt « un ami
de la maison ». Voici ce dernier :. '
LE MOiiXEXu {chantant)
Gomme j'allais entrer pour lorgner dans l'église
Cidalise,
Je me suis arrêté pour prendre le menton
A Gothon.
LE HOCHEQUEUE
Que chantes-tu là?
LE MOINEAU
J'ai cueilli cette morale
Du temps où, ne rêvant qu'églogue et pastorale.
Dans les bois de Meudon j'avais pris pour palais
La barbe d'un vieil arbre ami de Rabelais.
AUX OISEAUX
Hé, venez voir, pinsons, verdiers, les geais, les merles!
La toile d'araignée est un sac plein de perles.
LE MOINEAU
Charmant !
UN NENUPHAR [se penchant)
l'araignée
J'aimerais mieux des mouches.
LES OISEAUX
Nous aussi.
UNE ORTIE
L'oiseau vaut le chat.
Ut.
LES GOUTTES DE PLUIE {tombant)
Ut, ré, mi, fa, sol, la, si.
LE MOINEAU
Ça, jouons.
LE HOCHEQUEUE
Faisons un horrible vacarme.
DENARIUS
Frais silence !
UNE-GOUTTE D*EAU {tOmhOnî)
J'étais diamant, je skis larme.
Femmes ne tombez pas..
^ La femme, ô goutte d'eau,
Ne tombe pas! Va voir à Mabille., au Prado.
Et ce dialogue se continue vingt pages durant, familier,
moqueur, jeune, abracadabrant et fol.
Celle si personneUe interprétation des èhoses s'indique pour
la première fois dans les Contemplations^ livre trop négligé dans
l'œuvre entière et qui apparaît comme un pont superbe reliant le
Hugo lyrique au Hugo épique, le Hugo de talent au Hugo de
génie.
Elle s'accentue ensuite dans les Châtiments où quelques stro-
phes idylliques semblent jeter de la fraîcheur sur des brasiers de
colère ; .elle s'aftirme tout entière el avec une intensité continue
dans les Chansons des Rues et des Bois. Enfin, dans V Art d'être
grand-père, elle se condense cl s'affine et c'est elle qui donne
l'exquise grâce de bonne et géniale enfance à ce chef-d'œuvre.
Peut-être est-il vrai que la nature si familièrement surprise
manque un taulinct de tenue. Au poète qui l'inlerroge elle répond
tantôt en Gavroche,- tantôt en Gothon, tantôt en Pierrot, tantôt
en Petit Bob. Elle est d'une espièglerie et quelquefois d'une
inconvenance audacieuse. Elle se souvient plus des Satyres que
des Naïades et des Chloés plus que des Dianes. Parfois — et ce
n'est point alors que nous la préférons — elle se fait Parisienne
et parle argot.
Mais, quoi qu'elle soit, elle est de bonne humeur et spirituelle.
Oui. Si nous n'avions crainte d'abuser des citations nous aime-
rions à détruire, textes en main, cet absurde cliché qui banalise :
Hugo n'a jamais eu de l'esprit. Mainte page dé la nouveauté la
plus inattendue et de la drôlerie la plus verveuse démentent ce
courant axiome. On oublie que le substantif ^^pn*/ n'a pas inévi-
tablement pour qualificatif /rfl7?ffli5. L'esprit d'Hugo a une saveur
toute originale ; il est fait d'imagination plus que d'observation;
il a plus de couleur que de trait. S'il se rattache û quelque chose
c'est à l'esprit de Rabelais. Il est rudement el grossement railleur,
il a de l'embonpoint certes. Aussi bien ou est-il dogmatisé que
l'unique esprit ne sera jamais que maigre, sauliWant, fluet et à
pointes ?
Or, c'est surtout en faisant parler les choses, les oiseaux, les
fleurs, les insectes el en composant ainsi des fables à sa façon
que le grand poète a répondu k cet apophthegme par un
démenti. Exemples? La forêt mouillée tout entière.
Au total, le Théâtre en liberté, bien que ne contenant aucune
surprise ^'arl nouveau, souligne néanmoins les qualités souve-
raines du maître. VEpée fait songer aux Burgraves, la Grand'-
mère à Y Art d'être grand père, les Gueux au Pape el la Lisière
du bois aux Chansons des Rues et des bois.
Le livre est donc un commentaire de l'œuvre entière. ^
&WEND01IXE
■ '^ .1 ; ' - ■' '^ ■ .
Le texte de Gwendôline, c'isclô en jolis vers par l'harmonieux
poète Catulle Mendôs, est une légende qu'Augustin Thiéry a
placée dans les brumes des côtes de la Grande-Bretagne. Mais au
fond, c'est une variante de la ballade populaire, si émouvante,
qu'ont créée les superstitions et les terreurs naïves des malelots :
le roi de mer dont l'autorité est sans bornes, qui domine l'ou-
ragan, dont le rire énorme éclate dans les tempêtes, garotté par
le sourire d'une jeune fdle et régénéré par l'amour.
. Wagner en a tiré le Vaisseau fantôme; Chabrier, Gwendoliney
en modifiant toutefois le dénouement. A cer. analogies de sujets
— et encore les milieux sont-ils différents — se borne d'ailleurs
la ressemblance que des myopes ont cru voir entre Wagner et
M. Chabrier.
Le talent de ce dernier est très personnel. S'il révèle, eomme
l'art du premier, des audaces harmoniques qui dépassent ce qui
a été osé avant lui, il s'en écarte au point de vue du principe
même de l'idée mélodique et de la coupe qu'il lui donne. Nous
nous expliquerons à ce sujet dans un article consacré à la parti-
tion. Il serait téméraire, en effet, d'asseoir un jugement sérieux
et définitif sur une seule audition, et nous nous bornerons
aujourd'hui à résumer le poème.
Le roi de mer dont les exploits terrifient dans Gwendoline
toutes les côtes en cette époque reculée où l'auteur place son
récit (fin du viii^ sicèle), est Harald, un Danois. Le poète lui
donne trente ans. Il le dépeint farouche, les cheveux roux, la
barbe touffue et longue. La jeune fille qui, ainsi que dans le
Vaisseau fanlôme, rêve aux exploits du mystérieux héros, a seize
ans. Elle estjolie, blonde, frôle, légère, encline au rire, avec des
pitiés et des rêveries. L'aime-t-elle? Pourquoi?
Danois ou non, Corsaire ou non, un amoureux '
Est toujours charmant, Gwendoline,
Et c'est une douceur d'aimer un furieux
Qui devant nous s'incline.
Eheyo ! les Danois sont là, les rôdeurs de grèves, pique levée,
terribles dans leur rage de destruction. Ils somment le maître
des pêcheries du village, le vieux Armel, père de Gwendoline, de
leur livrer l'or qu'il possède. Sur son refus, Harald s'élance,
l'épée haute, mais la jeune fille paraît, se jette devant le vieil-
lard pour le protéger, et la colère du géant tombe, la vision
l'émerveille.
Harald,
Qui donc est tu? dis -le. \ -
Gwendoline.
•
Tu le vois bien,
Une femme.
Harald,
Oh ! c'est donc ainsi que sont les femmes 1
Leurs cheveux sont de miel et leurs yeux sont des flammes.
Et insensiblement, les câlineries charmantes de la jeune fille
ensorcèlent le brutal héros, ainsi qu'Orphée apaisait les monstres.
Les Danois, qui s'étaient éloignés sur l'ordre de leur chef, le
trouvent, au retour, assis au rouet, de la frêle-enfant qui l'a
dompté. ^
Harald! Harald! Est-ce un délire?
. Ton ancien orgueil est-il mort? - .
L'invincible, le fort
S'est pris au piège d'un sourire.
Vaincu, l'écumtiur de mers demande au vieux Saxon la main de
sa fille. Il y consent, avec le secret dessein de le faire assassiner
par elle,
C'est au second acte que se place la scène capitale du drame.
Gwendoline aime le héros auquel elle vient d'être unie. Ce
couteau que lui a glissé dans les mains son père avec ces mots :
Ce soir même tu frapperas
L'époux endormi dans tes bras.
jamais elle ne s'en servira contre lui. Qu'il fuie! Dût-elle mourir
de tristesse dans son isolement, elle veut le sauver. Mais Harald
l'enlace : .
Dans le ciel infini de l'amour pur et beau,
Nos deux cœurs sont les deux ailes d'un même oiseau!
En ce moment, des cris de détresse s'élèvent. Les Saxons mas-
sacrent traîtreusement leurs hôtes. Harald est sans armes. Il est
perdu. Mais Gwendoline lui tend le couteau que lui a remis Armel.
Une lutte sanglante éclate. Le vieillard poursuit Harald blessé,
le frappe de son glaive. Et Gwendoline, apparaissant soudain
dans la mêlée, pousse un cri terrible :
Du même coup, père, tu m'as frappée !
Elle se plonge le couteau dans le cœur et meurt dans les bras
d'Harald, tandis que l'horizon s'embrase de reflets de pourpre :
les Saxons incendient le navire danois, qui disparaît lentement
dans les flots.
Telle est, à grands traits, la donnée de l'œuvre nouvelle sur
laquelle est actuellement concentrée l'attention du monde musi-
cal et qui va glorieusement terminer la saison théâtrale. Elle est
habilement faite, d'un intérêt dramatique soutenu, bien coupée,
en ses, trois tableaux qui se déroulent sans longueurs, et très
favorable aux développements musicaux que lui a donnés le
compositeur.
Ï?J VIEIX SALOX
On nous saura gré de remettre sous les yeux une page oubliée,
et toujours vraie, de M. Arthur Stevens,qui, sous le pS'?udonyme
deJ. Graham, envoya jadis au Figaro une série de feuilletons
artistiques justement remarqués. L'extrait suivant date de 1863,
Près d'un quart de siècle s'est écoulé depuis lors, et pourtant,
combien de réflexions suggérées à l'auteur par le Salon d'alors
sont d'actualité!
Savez-vous que ce serait chose instructive et inléressanle que
d'aligner' les jugements divers des critiques d'art sur le même
tableau? L'œuvre que M. Paul de Saint-Victor trouverait magni-
fique de couleur, Théophile Gautier la trouverait certainenient
incolore; ainsi des autres. Le résultat serait comique. Exemple :
M. Paul de Saint-Victor, qui a loué sans réserve le dernier
Salon de M. Puvis de Chavannes, criii(^ue sévèrement cotte année
les tableaux du même artiste. Comment ne s'aporçoit-il point
qu'il fait un rude faux pas dans cette voie funeste de la contra-
diction où sont engagés tant d'écrivains? Les nouvelles œuvres de
M. Puvis de Chavannes sont de tous points semblables à leurs
aînées; le peintre serait plutôt en progrès dans le genre qu'il a
adopté. C'est toujours la même nature, le môme sentiment et la
, même inspiration. ^
Chose inouïe! tous les deux ans, les chefs de file de la critique
parisienne pôchonl, dans le catalogue des noms nouveaux, des
célébrités nouvelles. Ils en découvriraient des milliers en un
siècle! Quels coups de filet! — Heureux pourtant le siècle qui
produit deux hommes hors ligne !
Hélas! messieurs, ces, succès que vous croyez faire, ces succès
que fait le public, quand le jugement des artistes ne vient point
les consacrer, sont semblables aux étoiles des feux d'artifice qui
brillent quelques secondes dans le ciel. Ou se retourne, dispa-
rues ! Les peintres que vous créez à coups dé phrases et que le
public étourdit d'acclamations, vous les abandonnez, vous les
reniez, vous ne les saluez plus d'une simple politesse au bout de
deux ans.
Voyez Knauss au Salon de celle année!
M. Paul de Saini-Vidor a fait autrefois, dans ce style chatoyant
que vous lui connaissez, un éloge pompeux des œuvres de
M. Trayer : que va-l-il nous en dire cette année? Ce n'est ni
mieux ni pis : c'est vulgaire et médiocre, comme toujours. Sera-
t-il dieu, table ou cuvette? Sera-ce une ëpigramme ou un point
d'admiration? Ma foi, au hasard de la fourchette! comme vous
dites à Paris. Quoi qu'il en soit, même lorsqu'il élève M. Trayer
au pinacle, le style de M. Paul de Saint-Victor reste toujours
féerique : c'est l'important. Mais que l'écrivain de la Presse y
prenne garde! Si les splendeurs de sa prose nous enivrent quand
elles sourient à un Delacroix, elles nous donnent sur les nerfs
quand elles ruissellent amoureusement pour un Trayer.
Un philosophe de mon pays a dit quelque part : « Que nous
importe la forme ! Nous n'avons pas besoin d'être flattés par de
belles formes. Dans une œuvre d*art, le fond seul est important ».
Musset ne s'est-il pas écrié un jour :
Qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse !
Or, pour M. Paul de Saint-Victor, le flacon c'est tout. Il en
admire la forme, les ciselures, la pureté. Il y verse ensuite de
l'eau ou du vin, au hasard : goûlez, si cela vous plaît ! Ni Carlyle
ni Musset ne l'ont converti.
Ce qui a fait la grandeur de la France, ce qui a répandu au
loin ses mœurs, sa langue et son nom, c'est le côlé littéraire de
son génie.
Aussi, quand vos critiques d'art analysent un tableau,
cherchent-ils d'abord ce que j'appellerai le côté littéraire de
l'œuvre, c'est-à-dire le sujet, l'anecdote, le programme, l'esprit.
Ils ne voient point, par exemple, que la Joconde et la Vénus de
Milo sont des sujets splendides. Parlent-ils d'un tableau! Comme
leur phrase est be!le, correcte, séduisante, tirée à quatre
épingles! — Mais, pour la peinture, ils n'y entendent rien. Au
fond, leur système est toujours que les arls plastiques sont des
arts matériels. Pourtant, ce n'est ni le marbre ni le panneau, ce
ne sont point les couleurs qui font l'œuvre d'art. — Que de fois
ai-je vu les boaux esprits les mieux reniés apprécier savamment
un tableau dans un coin de leur feuilleton, et montrer une igno-
rance increvable en face de l'œuvre elle-même! Passez-moi celte
comparaison bourgeoise, mais que diriez-vousd'un négociant de
Lyon, fort expert en soieries, et néanmoins incapable de dépister
la trame du coton dans une pièce en soie? Veuillez m'expliquer
par quelle secrète infirmité d'esprit vos critiques sont tous d'ac-
cord sur un tableau du Louvre, et ne peuvent s'entendre sur un
tableau moderne?
Je parlais tout à l'heure des artistes dont la presse, au-^ré de
son caprice, fait et défait la réputation. L'expérience nous
apprend que les élus de la peinture, que la critique caresse de
ses périodes les plus séduisantes, que le public comble de ses
plus chaleureux applaudissements dès leur apparition, restent,
au demeurant, de pures médiocrités. Il faut que l'artiste prenne
le public au collet, l'arrête de force en face de son œuvre : c'est
un homme marqué pour la lutte et la-souffrance. Que les autres
s'engraissent ! ce sont des eunuques.
C'est à ces complaisances de la critique parisienne que nous
devons quelquefois ces peintres et ces sculpteurs dont les pro-
ductions sont autant de rébus. Heureux catalogue, providence
des médiocrités! interprète officiel des peintures où l'on ne voit
goutte! Un tableau qui ne s'explique que par une note imprimée
est une œuvre manquée. Il faut que celui qui ne sait pas lire
saisisse du premier coup-d'œil l'idée de l'artiste. La clarté est une
qualité fondamentale en peinture, comme en littérature. Une autre
qualité fontamentale en peinture, c'est la personnalité.
Pensez-vous que Gérôme intéresserait le public, en peignant,
comme Rembrandt, dans le tableau qui est à Dresde, un homme
taillant un crayon? Evidemment non, car dans un sujet sem-
blable l'artiste, pour nous intéresser, est obligé de se raconter.
Que représente M. Gérôme pour intéresser le public et la presse?
Des anecdotes spirituelles : le Duel d\in Pierrot^ la Mort de
César, un Boucher épyptien, un Prisonnier, un Rembrandt II
Louié XIV déjeunant avec Molière, cent sujets diff'érents; il
raconte son esprit, mais où est sa nature, son cœur, son tempé-
rament, sa foi, sa religion ? Quel homme est-ce? Pouvez- vous le
connaître d'après ses œuvres ? Non.
J'ajoute que j'estime fort le lalent de M. Gérôme ; il apporte
dans son art un voulu qui manque à ses confrères en succès,
MM. Hébert, Cabanel, etc. — Le jour Où les portes de l'Instilut
s'ouvriront aux hommes de sa génération, il y entrera le premier
îiux applaudissemente même de ses rivaux.
Regardez aii contraire les Millet de cette année, voyez l'œuvre
entière de ce maître, c'est un seul et même sujet, une seule et
même croyance. Millet est trop grand artiste pour montrer de
l'esprit. Il dédaigne ce poison moderne qui gâte tout. Il ne fait
pas des mo/5 avec son pinceau. Il chante une épopée rustique.
Sa vie entière se trouve comme répandue dans ses œuvres.
Dans son portrait de l'empereur, Flandrin a trouvé tout un
sujet pictural et artistique. Un autre que lui n'eût pas exprimé
cette figure de la même façon, tandis que tout artiste peut racon-
ter l'anecdote de Molière déjeunant avec Louis XI V .
Voyez les anciens. N'onl-ils pas tous répété ce même sujet qui
n'en est pas un : la Vierge et Venfant Jésus ? Comment donc
ont-ils créé des œuvres immortelles? C'est que chacun d'eux a
fait rayonner son idéal sur cette mère et sur cet enfant;- chacun
d'eux y a mis son âme et sa nature.
C'est peut-être ici le lieu de placer une seconde anecdote qui
se lie à ces réflexions générales. Je la tiens d'un artiste de grand
riiérile et de grand esprit.
Il reçut, il y a quelque temps, la visite d'un marchand de
tableaux très connu, qui lui raconta un fait dont il avait été témoin
le matin même, en ajoutant qu'il y voyait un très intéressant
sujet de tableau. Vers cinq heures, au lever du soleil, en face du
café Foy^ une jeune chiffonnière causait avec un chiffonnier, à
deux pas d'un monceau d'ordures, d'immondices, d'écaillés
d'huîtres, de carapaces de homards, etc., couronné d'un bouquet
VART MODERNE
117
fané. Le chiffonnier aperçiil ce bouquet, lé cueillit^ et Tofifrit
galamment à la jeune chiffonnière. ^
Le marchand fui tellement enthousiasmé du côté spirituel de
ce motif, qu'il commanda, séance tenante, le tableau à l'artiste.
— Celui-ci refusa. Le marchand, surpris, sollicita alors l'autori-
sation de le donner à un autre peintre. — L'artiste y consentit,
mais fil part de ce sujet à nombre de ses confrères, qui tous lui
demandèrent la permission de le traiter ; nous trouverons sans
doute à la prochaine exposition des Beaux-Arts vingt-deux
tableaux sur ce motif. Tous les littérateurs mis dans la confidence
s'écriaient à l'envi : « Quel artiste spirituel ! quel admirable
sujet! » Pauvres artistes! Faites donc des Marchands de draps
comme Rembrandt, et vous aurez peint une toile immortelle, et
vous aurez dépensé des trésors d'imagination !
Mais non, il faut des sujets! le public veut des sujets! La cri-
tique aussi. Croyez-vous qu'aux expositions de race bovine le
public s'arrêtera devant le plus bel animal reproducteur? Jamais,
k moins que la médaille d'honneur ne pende à son cou, mais il
courra droit au bœuf à deux têtes. La critique et le public ne font
pas autre chose aux expositions d'œuvres d'art. Gloire aux pein-
tres à deux têtes !
i^ARTEK Y^ÏNqUEUR
par SiENKiEwicz. Traduit du polonais par Neyroud, introduction
par T. de Wyzewa: — Paris, A. Laurent, 1886.
M. Teodor de Wyzewa s'est chargé de présenter Bartek au
public français. Il le fait avec tact et mesure, en une préface où
il peint à grands traits le tableau de la Pologne artistique con-
temporaine, et qui, au mérite d'un document critique de valeur,
joint l'attrait d'un exposé de choses inconnues, à peine pressen-
ties : des batailles pour l'art que livrent des écrivains, des pein-
tres, des musiciens, là-bas, dans les plaines de la Podolie, de la
Wolhynie, de la Lithuanie, si loin que nous ne pouvons en perce-
voir l'écho.
Il dit le fort et le faible de ses compatriotes, le rêve qui les
séduit, l'extraordinaire facilité d'hallucination de leur esprit qui
les fait vivre en des mondes fictifs, l'acuité de leur intelligence,
leur compétence naturelle à embrasser toutes les formes de l'art,
et aussi l'infériorité dans laquelle les enferment leur admiration
exagérée et irraisonnée des grands artistes antérieurs, transmise
héréditairement sans subir de contrôle, et lès crovances irréflé-
chies qui les détournent du sérieux travail artistique et les
empêchent de réaliser leurs rêves.
Les nouvelles de Sienkiewicz ouvrent la série des volumes qui
formera la Nouvelle bibliothèque internalionale^ fondée par la
Librairie de la Presse. On a choisi l'auteur parce qu'il est l'un
des écrivains polonais les plus en rc'lief dans son pays, et aussi,
pensons-nous, parce que la nouvelle qui a donné son nom à l'ou-
vrage, Bartek Vainqueur, chatouille la fibre patriotique fran-
çaise et assurera au livre un débit.
Bartek, c'est l'histoire d'un lourd paysan de Posnanie que la^
levée en masse des réserves de l'armée allemande, en 1870, jette
dans le train de chemin de fer qui charrie vers la France un
tleuve de baïonnettes et de mitrailleuses. Il se bat avec la fureur
aveugle du malheureux qui craint, plus encore que les balles
ennemies, le revolver de l'officier qu'il sent braqué sur sa nuque
et qui lui cassera la tête s'il recule. Revenu dans son village,
décoré, vainqueur, il est devenu abominablement ivrogne et
paresseux; il brutalise sa femme, il néglige son champ, et, à la
suite d'une correction donnée à un instituteur prussien, les
magistrats allemands le cortdamnent aux fers. Sorti de prison, il
est forcé de voter pour le candidat prussien. Les usuriers se
jettent sur son bien. Et la misère noire le pousse hors de son vil-
lage, — lui, le Vainqueur! et l'oblige à aller s'enivrer ailleurs.
Telle est, dans sa morne tristesse, l'aventure du héros.
Tout un drame bout dans ce conte, et quoique la thèse ne soit
indiquée nulle part, que seules les sensations du héros, analysées
selon le procédé des psychologues russes, donnent au livre sa
vie, elle éclate avec violence: c'est le cri de révolte de la Pologne
contre l'autocratie de l'Allemagne qui l'écrase, qui la maintient
dans une ignorance propre à servir ses calculs, et qui, après
l'avoir fait marcher au feu, ne trouve pour la remercier que cette
injure, crachée à sa face par les sous-officiers prussiens : Bétail
polonais] Polnisches vieh!
L'ouvrage a eu là-bas un retentissement énoi*me. Il était inté-
ressant de le faire connaître, et sans doute la traduction qu'en
offre M. Neyroud est- elle appelée à la popularité.
On trouvera dans le volume, outre Bartek Vainqueur, quatre
autres nouvelles, parmi lesquelles nous signalpns Janko-Muzy-
kant (Petit-Jean le musicien) et V Allumeur du Phare, puissante
et profonde description des mélancolies de l'Océan, qui évoque,
ainsi que juge M. de Wyzewa, « la singulière émotion, plastique
ensemble et musicale, que nous pourraient donner telles pages
du comte Villiers de l'Isle-Adam enluminées par M. Monet ».
¥'
OTZ^ DE f4U3iqUE
I. — Audition d'œuvres de M. Gustave Sandx*é.
Auditions sur auditions, au début de ce mois d'avril. Les mélo-
manes n'ont plus assez d'oreilles pour lout écouter : le Cercle, le
Palais des Beaux-Arts, la Grande-Harmonie et le Conservatoire
s'arrachent les amateurs.
Et bien que cette série continue d'auditions impose un surcroît
considérable d'énergie nerveuse, nous ne pouvons qu'applaudir
vivement, car elle prouve une vitalité artistique que l'on ne voyait
point il y a quelques années à Bruxelles.
M, Sandre a foi dans son art, il l'aime avec passion, et il le
fait aimer. Le danger est que sa pensée reste enfermée dans le
cercle des compositions un peu grises, dont la pénétration n'est
pas assez aiguë pour faire vivre l'âme. On peut dire de ce qu'il
fait : « C'est bien. » Quand pourrons-nous dire : « C'est empoi-
"gnant! » Cet empoignement que seules produisent les œuvres
profondément senties, nous ne l'avons subi en écoutant les quatre
numéros qui composaient le programme du concert du Conser-
vatoire. Le jour où M. Sandre se livrera entièrement à l'inspira-
tion, il atteindra cette élégance qu'il vise : pour l'instant il n'en
est encore qu'à la grisaille et à ce point de l'échelle Ihermomé-
trique que l'on pourrait désigner : chaleur distinguée, serre
tempérée.
Notons parmi les fragments intéressants qu'il, nous a été donné
d'entendre, Vadagio du quatuor inédit, d'un joli développement,
et le scherzo de la Sérénade pour instruments à archets.
Les pièces pour piano à quatre mains et surtout les trois
lœjidler pour violon sont faibles, très faibles.
II. — Concert Van Dooren.
Mardi, dans la salJe de la Grande-Harmonie, concert de M. Van
Dooren, pianiste, avec le concours de M"« Douilly, cantatrice, et
de M. Georges Millier^ violoniste, élève de Joacliim.
M. Van Dooren a fait preuve de talent correct et pondéré, dans
l'exécution doAaSom/e op. S de Grieg,et de \â Légende de Saint-
François marchant sur les flçls de Liszt. La Tarentelle de
^oszkowskl cl h Fantaisie pour deux pia7ios de Wieniawski,
jouée avec M"« H. Van Dooren, ont valu à l'exécutant de très vifs
applaudissements.
Nous n'aimons pas son interprétation de Chopin: la légende
du poitrinaire et de l'éiégiaque ne disparaîtra-t-elle donc jamais?
Louons M"« Douilly pour la justesse de sa voix, un peu fluette
encore, mais reprochons lui d'avoir choisi l'air de'^é'miramw :
on ne chante plus pareille musique. Sa diction élégante dans les
Soirs d'X. Wauters (l'auteur accompagnait la cantatrice), ont été
appréciés par l'auditoire connaisseur et allenlif.
M. Millier s'annonçant comme élève de Joachim, l'on devait
s'attendre à un jeu artislement sévère et noble '. le grand maître
du violon n'a pu sans doute s'occuper longuement du jeune violo-
niste. Car il a vraiment presque tout à apprendre et la sincérité
nous oblige ii lui conseiller de retourner à l'école et à y
étudier sérieusement cette fois. Et l'école est excellente qui a
produit déjà tant d'exécutants distingués, entre autres un jeune
maître dont nos compa''trioles n'ont certes pas perdu le souvenir,
Fernandez Arbos.
III. — Audition de musique religieuse à l'église des
Carmes.
Mercredi, dans la jolie... comment dire? salle, byzantine des
RR. PP. Carmes, audition de musique religieuse sous la direc-
tion de M. F. Riga, avec le concours de M"'® De Villers-Grand-
diamps et de M. Alphonse Mailly, premier organiste du roi et
professeur à notre Ecole de musique. .
Vraiment nous avons été choqués de tout ce fracas mondain
envahissant de ses frivoles toilettes, de ses perruchantes causeries,
le temple de l'avenue de la Toison-d'Or. Pourquoi cette mauvaise
pensée de suivre ici la décadence latine? El quel texte de sermon
pour le père Alta que toute celte mondanité tournant sans ver-
gogne le dos îi l'autel pour lorgner les choristes du jubé et, lent
et large, comme bénissant, le geste djj maître-dirigeant! Nous ne
critiquons point l'introduction de l'art dans les églises: nous
croyons que le sentiment religieux peut exaller une âme d'artiste.
Mais un temple ne doit servir qu'à une cérémonie religieuse et
non point à un concert, et si même, parmi les œuvres qualifiées
religieuses il en esi d'absolument profanes et triviales comme ce
ridicule Ave Maria de Cherubini, il convient de les écouter
pieusement, la face, sinon l'esprit, tournée vers l'autel.
C'est à regret que nous félicitons les exécutants, puisque nous
devons les applaudir comme chanteurs de concert, vraiment, et
non point comme participants d'une cérémonie adorante. Si l'on
avait pu applaudir M"»^ de Villers-Grandchamps dont la belle voix
résonnait dans la nef résonnante, l'organiste de talent et
le chœur bien discipliné que dirigeait fermement M. Riga !
IV. — Piano-recital de M. Giirickx.
M. Gurickx a fait mentir le proverbe : Fôte remise, fête mar-
quée. Il y avait foule, vendredi, à la Grande-Harmonie, pour
l'applaudir, et tel a été rintérêt qu'a su exciter lepianiste-que,
tout seul, sans rarlifice d'aucun adjuvant, livré aux ressources
uniques de son instrument, il a tenu, deux ligures durant, l'au-
ditoire attentif et recueilli-
Cette fois, le compositeur, dont nous avons eu occasion de
parler récemment, s'est effacé, et le pianiste seul s'est livré. II l'a
fait généreusement, sans restriction, ne redoutant ni les compli-
cations techniques, ni les difficultés de style ou d'expression, ni
la fatigue des œuvres de longue haleine, telles, par exemple, que
les XII études sympkoniques de Schumann, l'une des plus belles
compositions qui aient été écrites pour le piano.
L'audition de vendredi classe M. Gurickx parmi les pianistes
les plus sérieux et les plus consciencieux de l'époque. Car c'est
la conscience artistique, en particulier, qui domine dans cette
organisatio.n de musicien épris de la gloire des maîtres, soucieux
d'en faire valoir la personnalilé, avec le dédain des petits moyens
par lesquels on séduit lé public ignorant.
Bach, Beethoven, Schumann, plus que Chopin, dont le roman-
tisme spécial s'accommode moins bien du talent de M. Gurickx,
ont reçu une interprétation excellente, large, bien sentie, mon-
trant, sous le virtuose, le musicien.
Et \'d-2'^ Polonaise de Liszt, qui clôturait le concert, après un
hommage rendu par l'artiste à son ancien maître Auguste Dupont,
a montré qu'au point de vue du mécanisme, de l'égalité des traits
et de la douceur du toucher dans les vocalises pianistiques les
plus. ardues, le virtuose était à la hauteur du musicien.
j^OTE? DE I-IBRAIRIE
M. A. Gagnière vient de faire paraître à la librairie Ollendorff,
sous ce titre : La Reine Marie-Caroline de Naples^ un volume
d'un grand intérêt historique. L'auteur a reconstitué, presque
jour par jour, et sur des documents définitifs et irréfutables, la
période tourmentée du règne de Ferdinand IV et nous voyons
enfin, dans ce livre, quel a été le rôle véritable et occulte de la
trop célèbre Emma Lyon.
*• *
Etincelle vient de faire paraître chez Ollendorff un roman,
L' Impossible ^ puissamment observé. Dans le cadre de toutes les
élégances de la vie parisienne, les personnages se trouvent aux
prises avec les événements les plus dramatiques et les plus inat-
tendus. C'est encore un grand succès pour l'auteur du Voyage
autour des Parisiennes.
M. Robert de Bonnières est de ceux qui veulent surprendre le
public. Le nouveau roman qu'il publie chez Ollendorff porte le
titre : Le Baiser de Mdina.
Quitter brusquement ce monde où nous vivons, ce monde où
l'auteur des Monach se retournait avec l'aisance d'un Parisien
raffiné et mondain, pour s'enivrer les yeux des splendeurs
magiques des Indes, cette fantaisie de poète et d'artiste était faite
pour séduire un esprit original. M. de Bonnières a vu l'Inde en
observateur précis. Il l'a peinte en chaud et puissant coloriste.
Il a tracé un tableau plein dé vie des mœurs anglaises et indi-
gènes dans l'immense enipire des Indes.
Le curieux trouvera dans le roman de M. Robert de Bonnières
des renseignements variés et inédits sur les peuples, les villes,
la nature. Mais, au travers des enchantements et des étonne-
menls, se déroule un drame vivant, intime, conduit dramatique-
ment jusqu'au dénouement.
La vie des bayadères, ces noires prêtresses de Vénus, les vio-
lences de leurs libres amours sous les ardeurs d'un ciel de feu,
l'allilude curieuse des Anglais devant des mœurs si différentes
des leurs, les bizarres aventures, les paysages étranges, tout
contribue à rendre ce livre altravant.
f
ETITE CHROJ^IQUE
Le Conservatoire de Mons a donné lundi, au théâtre, sous la
direction de M. Jean Van den Eeden, son concert annuel, et mal-
gré les quelques vides que présentait la salle, conséquence
nécessaire des événements derniers, la réussite a été brillante.
La Symphonie n^ II de Raff composait le plat de résislance
du menu délicat dressé par le directeur. Elle a été bien conduite
et exécutée avec brio. Le Ruisseau, de Rheinberger, et les
Nymphes des bois^ de Léo Dclibes, ont permis' d'apprécier les
progrès réalisés par les élèves du cours d'ensemble. Le second
de ces chœurs a été pourvu d'un accompagnement d'orchestre
par itf"^ Ballhazar Florence, une jeune violoniste namuroise, qui
s'est produite comme soliste dans le Concerto de Mèndelssohn et
dans une berceuse du ballet de son père, la Vision d'Harry.
Elle a remporté dans l'nne et dans l'autre de ces œuvres un suc-
cès si grand que, rappelée, elle a dû ajouter au programme une
des danses de Brahms, transcrites par Joachim.
Etranglée par l'émotion dans /e Rêve d'Eisa, M"« Jordano,
une cantatrice amateur, a repris possession de ses moyens dans
l'air d'Armide, et a finalement interprété avec beaucoup de
charme le Coffret, de Georges Rodeubach, mis en musique avec
talent par M. Van den Eeden.
M. Daille, lauréat du Conservatoire, a apporté à ce concert de
choix l'appoint de sa belle voix.
On a remarqué avec quelque surprise que l'usage est, à Mons,
quand on joue une œuvre en plusieurs parties, de semer ces par-
ties dans le programme, en intercalant entre les œuvres les autres
ouvrages annoncés. C'est ainsi que sous le n» 1 figurait Vallegro
de la symphonie de Raff. h'andante et Vallegro vivace se sont
présentés sous le n» 5, après un air de Don Juan, après le
concerto de violon et le Rêve d'Eisa. Enfin Vandante maestoso et
X allegro ïnvA ont ouvert la deuxième partie du concert. Qu'est-ce
que cette macédoine, ô Van den Eeden ?
Lundi dernier M. E. Sigogne a fait, au Palais des Acadé-
mies, une conférence sur Fox. Comme le conférencier a passé
plusieurs années en Angleterre, il a pu décrire avec exactitude
la vie anglaise et donner ainsi un attrait particulier à sa causerie.
Possédant le secret de dire des choses difficiles dans un langage
très simple, il a été vivement applaudi par son auditoire, com-
posé en majorité de dames.
Voici, pour compléter les renseignements que nous avons
donnés sur les recettes atteintes par les bals de la Monnaie, le
chiffre de la recette encaissée au bal de la Mi-Carême :
1885 fr. 10,641
1886 6,050
Soit une différence en moins de . . . fr. 4,591
Sur l'ensemble des quatre bals, la différence en moins pour 1886
se chiffre par un total de 11,407 francs!! On le voit, la crise exerce
son influence dans tous les domaines.
La fermeture de l'Exposition Agneessens est reculée jusqu'au
15 courant. Afin de rendre plus populaire le succès obtenu, le
Comité a décidé que l'entrée serait réduite à 10 centimes pour
les trois derniers jours.
La quatrième séance de la société de musique de chambre
pour instruments à vent et piano sera donnée aujourd'hui, à deux-
heures de relevée, dans la gran^de salle du Conservatoire, avec
le concours de M"«* Régis, Césarlôn^^t'Keyser, harpistes, et de
MM. Colyns, Agniez, Ed. Jacobs et Vanderheyden, professeurs au.
Conservatoire.
Cette séance offrira un attrait tout particulier. On y exécutera
\q trio de Brahms pour piano, violon et cor; des airs de ballet
de Léon Dubois et \q septuor (redemandé) de Beethoven.
Une soirée musicale aura lieu jeudi prochain, 15 avril, chez
M. Léon Somzé, au profit d'une œuvre charitable. On y entendra
M'"^ Lemmens-Sherrington, MM. Heuschling, Hubay,Wieniawski.
Ce dernier jouera deux des dernières compositions de Zarembski
et la marche funèbre de Chopin.
L'Ecole de musique de Saint-Josse-ten-Noode-Schaerbeek,
organise un grand concert qui aura lieu le vendredi 16 avril
courant, au Palais des Académies, à 8 heures du soir.
Le produit de cette fêle est destiné à trois institutions charitables
dignes de la plus vive sympathie : la crèche Henriette de Schaer-
beek, la crèche-école gardienne de Saint-Josse-ten-Noode et
l'œuvre de l'Hospitalité de nuit.
Le programme promet une soirée des plus attrayantes. Les
élèves des cours supérieurs de l'école feront entendre, sous
l'habile direction de M. Henry Warnots, les plus jolis chœurs de
leur répertoire. Le concert nous réserve une charmante surprise :
l'interprétation d'une œuvre complètement inédite, d'un des plus
célèbres compositeurs du siècle. Plusieurs artistes de grand mérite
prêteront leur concours à cette fête. On cite entre autres M"« Elly
Warnots, cantatrice, M. Ernest Van Dyck, ténor $olo des Concerts
Lamoureux de Paris.
On peut se procurer des places numérotées, au prix de
10 francs, en s'adressant au secrétaire de l'Ecole de musique,
rue des Plantes, 90, à Saint-Josse-ten-Noode.
M. Joseph Wieniawski donnera le 17 avril, à la Société royale
des Chœurs, à Gand, un concert avec le concours de M"^^ Anna
Grégoire et Louisa Merck. Le programme porte des œuvres de
Mozart, Beethoven, Scarlatti, Moscheles, Schumann, Schubert,
Massé, Chopin, Liszt et Wieniawski.
M"™^ Nilsson vient de signer un engagement en vertu duquel
elle va faire une tournée d'adieux^en Amérique. La célèbre can-
tatrice quittera l'Europe en septembre. Son engagement en Amé-
rique part du 11 octobre.
Il s'est formé à Francfort une société pour l'érection d'un
monument à la mémoire de Joachim Raft\
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120
UART MODERNE
SIXIÈME ANNÉE • , ■ '
L'ART MOiyEHNE s'est acquis par l'autorité et l'iiidépendancc de sa critique, par la variété de ses
informations , et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune manifestation de l'Art ne
lui est étrangère : il s'occupe de littérature, de peinture, de sculpture, de gravure, de musique,
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouvement artistique belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur tous les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaître.
Chaque numéro de L'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'actualité. Les expositions, les livres nouveaux^ les
premières représentati07is d'oeuvres . dramatiques ou musicales, les conférences littéraires, \q^ concerts y les
ventes dohjets d'art, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées.
. L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. Il rend compte des
procès les plus intéressants concernant les Arts, plaides devant les tribunaux belges et étrangers. Les
artistes trouvent toutes les semaines dans son Mémento la nomenclature complète des expositions et
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* Sixième année. — N° IG
Lé numéro : 25 centimes.
Dimanche 18 Avril 1886.
) 1 1 j 11. p il I
L'ART
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
A d7^esse7^ les demandes d'abonnement et toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
^OMMAIRE
Le Théâtre de la Monnaie. — Gwendoune. — Catulle
MENDiis. — Livres nouveaux. L^s Gaietés de l'année, par Gros-
claude ; Madonoiselle Cotn-in, par Jean Fusco. — '■ Notes de musique.
I. Quatrième séance de musique de chambre. II. Concert de charité
au Palais des Académies . III. Séance Qrieg. — Petite chronique.
LE THEATRE DE U IIOX^AIE
A Monsiew le Direcleur de /'Art moderne.
Vous souvenez- vous de mes quatre lettres? Vous
sou venez- vous entre autres de celle où je disais, après
avoir donné les chiffres des bénéfices de l'ancienne
direction pendant les quatre dernières années :
" La bonne administration communale de Bruxelles,
gardienne et protectrice de notre théâtre, temple du
grand art et principal champ clos de nos plaisirs hon-
nêtes, ayant pris connaissance de ce résultat d'une
administration que plusieurs années d'exercice avaient
rendue très expérimentée et excessivement regardante,
s'est dit que, puisque les directeurs gagnaient 40,000 fr.
par an, il fallait les leur reprendre et mettre bon ordre
à un pareil gaspillage. C'est pourquoi, dans son nou-
veau cahier des charges, elle a imposé des augmenta-
tions et rogné des subsides qui ont décidé MM. Stoumon
et Calabrési (du moins on l'assure) à lui quitter la
partie. " ..
Et dans une lettre suivante j'ajoutais :'•
OWla vérité est que les avantages financiers anciens
étaient déjà insuffisants. Deux directeurs n'ayant à se
partager comme bénéfices que 40,000 francs, avec les
chances terribles et presque toujours foudroyantes, eu
pareille matière, d'une déconfiture, c'est peu. Aussi, à
mon avis, n'a-t-on pu attirer des amateurs pour une
telle aventure qu'en leur dissimulant la réalité. Ce n'est
guère louable. Dans les adjudications ordinaires, l'Etat,
les provinces, les communes acceptent la responsabilité
de certains événements imprévus, inhérents à l'entre-
prise ; si, par exemple, on tombe sur du mauvais
terrain, des sables boulants, on indemnise ou on
secoure l'entrepreneur. Au théâtre de la Monnaie,
rien de pareil : qu'il y ait une crise de forts ténors,
qu'une création dépasse les prévisions en dépenses de
tous genres, qu'il y ait un changement dans la vogue,
toutes circonstances qui sont de véritables cas fortuits,
la Ville se regarde comme désintéressée et une subven-
tion nouvelle ne saurait être obtenue que péniblement
et comme une faveur.
« Tout cela est extrêmement périlleux pour l'avenir
du théâtre. En vérité, les subsides et les avantages
loin d'être diminués auraient dû être augmentés. Il
était notoire que la troupe, tout en présentant quelques
très belles personnalités, était depuis des années insuf-
fisante sous certains rapports et que les trous qui s'y
trouvaient n'étaient masqués que par l'adroite urbanité
des directeurs. Ils savaient bien, eux, qu'ils ne pou-
vaient, sans se constituer en perte, dépenser par mois
les quelques nrilH^rs de francs de plus qui eussent été
indispensables pour que rien ne manquât.
é-
X
De toutes parts on reprend ce thème et on tombe
sur radministration communale. Certes, elle a eu sa
part dans l'événement par la sottise qu'elle a faite
(il serait intéressant de savoir qui en a eu l'initiative) en
imposant à la direction nouvelle des charges telles que
si MM. Stoumon et Calabrési, dont on fait volontiers
des dieux, avaient eu à les subir pendant les dix années
durant lesquelles ils^ont fait fr. 394,279-39 de béné-
fices, ils auraient fini avec un déficit, puisqu'ils auraient
eu 400,000 francs au moins de dépenses en plus, et
cela malgré les chances inouies qu'ils ont eues : Prospé-
rité publique,» cinquantenaire national (ils ant gagné
cette année-là fr. 122,107-30) engagements d'excellents
artistes à bas prix (M'"^ Caron recevait la première
année 1,100 francs, M"« Duvivier 1,000, M"« Bosman
1,000, M'"^ Deschamps 1,200; pour la saison 1883-84,
*toute la troupe ne coûtait que 39,235 francs par mois,
et pour 1882-83, 39,825 francs); de plus, complaisance
du public, fermant les yeux sur bien des imperfections.
Avec les charges nouvelles et avec les droits d'auteur
tels qu'ils sont aujourd'hui (32,000 francs au lieu de
2,000), MM. Stoumon et Calabrési eussent été en perte
la première année de 23,000 francs, la deuxième de
35,000 francs, la troisième de 1.35,000 francs (!!), la
quatrième de 16,000 francs.
Etait-ce assez fou d'imposer de telles conditions? Il
est indiscutable que si, lundi dernier, M. Verdhurt
avait eu à sa disposition les 40,000 francs qu'on lui
a rognés au minimum, la saison eût pu finir sans
encombre, le directeur était en règle avec la Ville, et
n'avait qu'à s'arranger avec son personnel pour régler,
après la clôture, le dernier mois, ce qui se fait d'ordi-
naire sans grandes difficultés.
La ^'ille mérite donc de recevoir son paquet. Mais on
l'exagère dans un but facile à discerner. On veut lui
imposer un cahier des charges nouveau vis-à-vis des
personnages, pour le moment encore dans la coulisse,
qui surgiront au dernier moment comme des sauve-
teurs. "
La vérité est que la presse, qui mène tout à coup
cette campagne nouvelle, eût bien fait de s'en aperce-
voir durant la direction Verdhurt, et d'engager l'auto^
rite communale à revenir, au profit de celle-ci, sur les
conditions draconiennes inventées par on rie sait quel
économiste de paccotille. Mais cela ne convenait pas à
MM. les journalistes. Pour comprendre leur jeu, il faut
savoir qu'il va dans Bruxelles une camarilla composée
de musiciens, d'amateurs et de chroniqueurs, qui se
croient vraiment titulaires du théâtre. Ils ont leurs
préjugés, leurs protégés, leurs habitudes, leurs préro-
gatives. La nomination de M. Verdhurt est venue jeter
le trouble dans cette confrérie. Ils ne se sont plus sentis
chez eux, et ont commencé, dès avant l'ouverture du
théâtre, cette guerre malveillante dont tout le monde
se souvient. Ils l'ont continuée durant tout l'hiver avec
un acharnement féroce. .
Cela a eu sur la situation du théâtre une influence
déplorable. Le bon public (je n'ose pas dire imbécile) a
suivi, conformément à la tradition qui le rattache direc-
tement au troupeau dé Panurge. Il s'est montré tracas-
sier sur tout. Il a mal accueilli des artistes bien meil-
leui;s que plus d'un de ceux qu'il supportait bénévolement
depuis des années. Il a occasionné des remaniements
de troupe des plus coûteux. Il a été cause, en renvoyant
le ténor Dereims, qu'il a fallu engager le ténor Villai'et à
1,500 francs par soirée, et encore a-t-on fait, pour cet
excellent artiste, la petite bouche. Avec de tels boule-
versements, pas de répétitions de nouveautés possibles.
Les Templiers, qui eussent dû passer en décembre,
n'ont pu passer qu'en février. Il a fallu abuser du vieux
répertoire. Les cachets de la très remarquable troupe
d'opéra comique se sont multipliés.
Voilà déjà trois facteurs très nets et très énergiques
de mauvaise fortune : la ville, la presse, le public. Il y
faut ajouter la crise. Et d'abord la crise matérielle.
Trente-et-un théâtres ont fermé prématurément cet
hiver. A Bruxelles, la province n'a presque pas donné.
Depuis les troubles de Liège et de Charleroi, les recettes
ont baissé formidablement. Les Templiers, qui avaient
donné jusques 5,600 francs, sont tombés à 1,600 francs.
Faust a eu une recette de 1,400 francs. Les quatre bals
du carnaval et de la mi-carême ont laissé un déficit
d'environ 12,000 francs sur l'an dernier. Une des d<^-
nières représentations de l'opéra comique n'a guère
dépassé 700 francs.
Et la crise intellectuelle est venue brocher sur le
tout. On ne peut nier, en effet, que les prédilections
musicales du public sont dans un état de transition
funeste pour le théâtre. On n'aime plus guère le réper-
toire ancien et on n'est pas encore fait au nouveau. Les
fanatiques du vieux et les fanatiques du neuf sont en
petit nombre. Entre ces deux groupes extrêmes il y a
une masse flottante énorme qui ne sait plus ce qu'elle
veut. Elle ne s'amuse plus que médiocrement aux
Huguenots, à Guillaume Tell, k Robert le Diable;
elle ne comprend pas bien Lohengrin et les Maîtres-
Chanteurs. Il faudra des années avant que l'assiette
soit retrouvée.
Ah! si l'on pouvait^ comme en Allemagne, changer
l'aflflche tous les huit jours, et faire chanter les artistes
tous les jours, et les mettre aux répétitions tous les
jours, et imprimer ainsi au répertoire un roulement
d'une variété inépuisable. Mais non. Dans nos troupes,
les cantatrices qui jouent le soir ne reçoivent même pas
de visites dans la journée de peur de se fatiguer la voix.
Les hommes ne veuleùt paraître que de deux soirées
l'une et maugréent si les répétitions se multiplient. Ce
qui ne les empêche pas, malgré la crise, de trouver que
ippp
VAUT MODERNE
W^
pour eux il n'y a jamais de crise et d'exiger les prix
exorbitants que l'on sait.
^t bien, imaginez un directeur aux prises avec toutes
ces malechances. Ajoutez-y le mauvais vouloir de ceux
qui ne lui pardonnent pas d'avoir été choisi contre leur
gré, les intrigues des candidats futurs, les mauvais pro-
pos des coulisses, le découragement personnel d'un
Jiomme qui se sent partout mal secondé, et ne vous
étonnez pas si, malgré l'appui sérieux de quelques-uns,
il succombe. M. Verdhurt devait, à sa personnalité,
l'avance qui lui avait été faite des 50,000 francs pour
le cautionnement et d'un crédit de 75,000 francs;
pendant sept mois et demi sur huit il n'y a pas eu un
paiement en souffrance. Mais il a bien fallu que, finale^
ment, devant un désastre qui prenait des proportions
absolument imprévues, et alors que personne ne lui
venait en aide de ceux qui eussent dû être ses naturels
soutiens dans la tentative qu'il faisait pour affranchir
Bruxelles du joug d'une coterie, on se résignât à mettre
un terme à des sacrifices sans issue.
Et pourtant la saison avait été active et féconde II y
a eu plus de reprises que dans les exercices antérieurs.
Il y a eu quatre nouveautés importantes montées, for-
mant treize actes et dix-sept tableaux, ce qui ne s'était
jamais vu. L'avant- veille de la faillite on jouait Gwen-
doline avec un succès considérable.
De ces efforts inutiles, de ces forces perdues d'autres
vont profiter. Comme si le charme d'un méchant
enchanteur était rompu, tout le monde redevient sym-
pathique au théâtre. Des artistes, qui n'avaient pas
voulu venir chanter, maintenant accourent. La bien-
veillance qui eût tant servi pour faire de la saison. une
de nos belles années lyriques, est retrouvée.
La clef de ce secret est facile à découvrir. La camarilla
reprend courage. Elle espère rentrer dans la maison.
Vous allez la voir arriver avec ses routines et ses hom-
mes. Vous la verrez obtenir et au delà ce qu'on a refusé
au directeur qui courageusement a essayé de ce régime
nouveau sous lequel il est tombé écrasé. Peut-être le
théâtre sera-t-il confié à l'un où l'autre de ces impres-
sarios de profession parmi lesquels il en est qui, mal-
gré quatre ou cinq faillites, restent personœ gratœ.
Il est à souhaiter que lundi, au conseil communal,
ceux qui ont voté pour M. Verdhurt et qu'on accuse
dWoir fait chose téméraire, aient la fermeté de dire
tout cela à ceux qui leur chercheront noise,de remettre
chaque chose à sa place, de fermer la bouche à ceux,
qui se proposent de les attaquer, de dire hautement la
vérité, de démasquer les machinations, et d'articuler
nettement contre les vrais auteurs du désastre les
reproches très fondés qui sont à leur faire. Pas d'équi-
voques et surtout pas de malices.
Il faudra aussi que l'on se résigne aux sacrifices
nécessaires. Il faut rendre au théâtre les 40,000 francs
qu'on lui a pris. Il faut, de plus, qu'on majore ses sub-
sides. Si la Ville ne le peut, que se soient les faubourgs,
les provinces, ou l'Etat. .Je vous écrivais à ce sujet ici,
le 20 décembre :
« Je suis convaincu qu'il faudra que la ville revienne
à des mesures plus équitables. Elles s'imposent à qui
sait compter. Notre théâtre donne une moyenne de
950,000 francs de recettes avec les subsides actuels
qui s'élèvent à 200,000 francs. On ignore qu'à Lyon
et à Marseille, pour ne pas citer d'autres centres, ils
sont de 250,000 francs pour six mois seulement, c'est-
à-dire 42,000 francs environ par mois, contre 25,000
francs chez nous. Ces scènes nous disputent les
chanteurs et peuvent nous les enlever, parce qu'elles
peuvent mieux les payer. Il faut admettre cette loi et
s'arranger pour en triompher. D'autre part, les
dépenses sont connues et irréductibles. Depuis les aug-
mentations de charges, elles atteignent et dépassent les
recettes. Il faut, dès lors, retrouver le bénéfice qui
raisonnablement doit être maintenu à 30,000 francs au
moins, et l'augmentation pour les frais de la troupe
qui doit s'élever à six ou huit mille francs par mois. Il
faut donc une centaine de mille francs en plus, ou si
l'on supprime les charges nouvelles, une cinquantaine
de mille francs.
« Comment les trouver?
« Bien des combinaisons sont possibles. D'abord, un
partage entre la Ville et la Liste civile qui, présente-
ment, donnent chacune 100,000 francs. Ou bien une
suppression de charges, telles que le gaz, l'emploi à la
réfection des décors et costumes d'un quart du subside
annuel, l'obligation d'admettre gratuitement les Con-
certs populaires, etc., etc.
« Une autre idée que j'entendais émettre ces jours-ci
par un homme très compétent avec qui je causais de
tout ceci, m'a paru particulièrement digne d'attention.
« Notre grand théâtre, disait-il, dessert actuellement
le pays entier. Grâce aux trains de minuit, on vient
d'Anvers, de Gand, de Louvain, de Mons. Aussi les
théâtres de province sont-ils dans le marasme. Je ne
parle que pour mémoire de nos grandes communes
suburbaines qui, elles aussi, jouissent du même plaisir
^ sans payer Un sou de nos subsides. Dans ces conditions,
il serait juste que l'Etat intervînt. Une forme me
paraissait heureuse pour ce concours : qu'on rattache
l'orchestre du théâtre au Conservatoire qui mieux que
personne, peut le recruter, le diriger, l'inspirer : qu'il
en devienne une dépendance et une institution... et que
l'Etat le paie. Il coûte 12,000 francs par mois, cela fera
juste la centaine de mille francs qui manque pour que
le théâtre de la Monnaie soit le meilleur du monde. •»
Et maintenant, mon cher Directeur, que j'ai dit tout
ce que j'avais sur le cœur, je retourne à ma stalle, un
peu essoufflé, je l'avoue.
GWPDOLINE
■'. n ■
Une rliapsodie pour orclicslre, Espanâ^ joiu^c aux Concerts
populaires et au Waux-Hall, a claironn(^ à Bruxelles le nom de
M. Emmanuel Chabrier. BAlie sur des motifs populaires rapportés
d'un voyage au pays des castagnettes, l'œuvre a nettement
esquissé la physionomie artistique de son auteur : un tempéra-
ment exubérant, expansif, amoureux des rylhmes neufs et des
timbres inusités, habile h saisir au vol toutes les inspirations,
bonnes ou médiocres, et h les habiller si coquettement que les
pires deviennent séductrices; une verve et une bonne humour que
rien ne déconcerte; le culte de la musique, non l'afliliation h.
telle ou telle chapelle fractionnant la religion des sons, mais la
foi en l'universelle église musicale et le respect de ses desser-
vants, depuis le pape Wngner jusqu'au derviche Offenbach ; une
personnalité, somme toute, marquant chaque page d'une griifc
qui n'appartient à personne; un fantaisiste ayant su trouver, hors
des rangs où sont confondus, enrôlés sous le même drapeau,
presque tous les musiciens français, un terrain où il cavalcade
tout seul, avec des envies gamines de tirer la langue à ses con-
frères.
Gwendoliiie, jouée celle semaine, avec quel succès! — aucun
ouvrage ne remporta pareil triomphe à Bruxelles — complète le
portrait de M. Chabrier.
Et tel qu'il apparut sur la scène, h la chute du rideau, court et
potelé, vif, la bouche rieuse et le geste bon enfant,- telle on ima-
gine la personnification de son arl, qui exclut jusqu'à l'ombre du
pédantisme.
-On a parlé, à propos de Gwendoline, de musique compliquée
et savante. C'est du Wagner, a-t-on dit.
Il esl d'usage d'évoquer le fantôme du Maître toutes les fois
qu'une partition s'écarte de la formule rossinienne qui, durant
cinquante années, a imprégné le théâtre.
Nous cherchons en vain ce qu'il peut y avoir de commun entre
M. Chabrier cl Wagner. Ce n'est pas, sans doute, parce que la
jolie légende de Catulle Mondes rappelle le sujet du ]'aisseau
Fantôme que cette ressemblance existe. Elle ne réside pas non
plus dans la forme de l'ouvrage : M. Chabrier a écrit un opéra,
non un drame lyrique; sa partition se compose d'une série de
morceaux détachés, d'où la romancera couplets même n'est point
bannie. Ce qui forme dans l'œuvre de W^agner la trame mélo-
dique : \e thème caractéristique typant un personnage, un sen-
timent, n'existe pas dans Gwêndoline. L'auteur rattache, à la
vérité, les uns aux autres les épisodes de l'action par certaines
phrases qui jalonnent la partition : mais il semble les reproduire
plutôt au point de vue décoratif, pour faire ce qu'en peinture on
nomme un « rappel de tons », que parce que le développement
psychologique le commande. Ce qu'il y a de certain, c'est que ces
rappels ne sont pas systématiquement réglés. El cette absence de
parti-pris dans un mode d'écrire déterminé, ce laisser-aller au fil
de l'inspiration, esl une des marques dislinctivesdu compositeur,
qui suit sa roule et ne se préoccupe ni de théorie, ni de formule.
Où la science du musicien se révèle — et sur ce point unique
l'influence de Wagner est sensible — c'est dans l'ingéniosité avec
laquelle il présente, sous des formes différentes, un ihème donné.
Suivez, par exemple, le dessin mélodique qui ouvre le prélude,
et qui, dans le cours de l'ouvrage, sert de base au chant des
Danois, Reproduit cinq fois, on suivant une pr'Ogression ,j|scon-
damte, jusqu'à son épanouissement, il est ensuite scindé en deux
parties, et tandis que les basses clament la première moitié du
motif, modifié par la transformation des croches en noires, la
seconde moitié, réduite en triolets, sert d'accompagnement. On
en retrouve la structure dans les tierces que font, peu après,
furieusement retentir les trompettes. Il se poursuit, souS forme
d'accompagnement syncopé, sur un thème nouveau, d'abord en
mouvement double, puis en mouvement simple, en progressant
par demi-ions depuis le la jusqu'au ré. Plus loin, il reparaît en
doubles croches, tandis qu'à l'octave supérieure il esl exprimé
en même temps en croches pointées. Et pendant toute la durée
de la grande phrase tonnée par les cuivres (le duo final du
3me tableau), vers la fin de louverture, c'est encore le même
dessin que les violons répètent désespérément, comme une
pédale obstinée...
On retrouve, en plusieurs endroits de l'ouvrage, celle préoc-
cupation symphonique. Mais c'est dans l'ouverture qu'elle atteint
son maximum d'inlensilé. Et l'ouverture forme sans conteste la
page la plus remarquable de l'œuvre. L'orchestre tient conslam-
ment, dans Gwe7îdoline, un rôle important, qui n'est pas, toute-
fois, comme chez Wagner, le rôle prépondérant. Il est habilement
et inlclliïîemmenl traité. L'instrumentation de M. Chabrier a un
coloris particulier, d'une grande richesse et d'une variété amu-
sante. Tous les effets, jusqu'à celui des cors successivement
ouverts et bouchés pour donner l'intervalle d'une seconde dimi-
nuée, sont employés, et presque toujours avec un rare bonheur.
Souvent délicate et charmante, la sonorité paraît quelquefois trop
exubérante et atteindre la vulgarité. Tel le passage de l'ouverture
que nous citions plus haut dans lequel les cuivres chantent la
phrase du duo final sur un trait répété de violons.
L'une dés plus jolies choses, au point de vue du charme de
rinslrumenlalion, esl l'entrée du premier acte, que Mondes a
qualifiée « le réveil heureux d'une femme » et que -M. Chabrier a
traduite de façon exquise.
Comme compositeur dramatique, l'inspiration du musicien
semble s'accommoder mieux des sentiments violents que des sub-
tilités psychologiques. Le rôle d'Harald esl, selon nous, très
supérieur à celui de Gwêndoline.
H esl, peut-on dire, irréprochablement écrit, dans la donnée
exacte du personnage étrange, mi-barbare, mi-raffmé, qu'a créé
l'imagination de Catulle Mendès, plus apte à concevoir les héros
de notre civilisation décadetate que les frustes guerriers des épo-
pées Scandinaves. '
Par moments, le rôle d'Harald s'élève à une hauteur peu com-
mune. Le chant des épées, repris par le chœur des Danois, esl
l'une des pages maîtresses de cette très intéressante partition. Au
l*' tableau du second acte, la scène entre Harald et Gwêndoline
est également fort belle, et la voix de M. Bérardi a donné une
extrême pénétration à la phrase : « Viens sur mon cœur, ô jeune
femme! Viens!... Viens!... » ' '
L'entr'acte entre le i«'" et le 2*^ tableau, du second acte, qui con-
tient un développement symphonique de la phrase des Danois,
moins complet que dans l'ouverture, est d'une vigoureuse cou-
leur orchestrale. C'est de la musique descriptive, curieusement
timbrée. A citer encore le chœur à deux voix des hommes
d'armes dans la coulisse, sur un rythme sauvagiç, très caracté-
ristique,, et auquel rintervalle qui sépare les voix, sans parties
intermédiaires, donne un timbre spécial.
) . 1
En un mot, Gwendolme, malgré quelques imperfcclions sen-
sibles, la banale chanson de rouet qui clôt le premier acte, entre
autres, n'en est pas moins Tune des œuvres les plus remarquables
qu'aient fait épanouir la scène de la Monnaie, à laquelle nul ne
fera le reproche de vivre de vieilleries.
Elle a été la dernière création de la direction Verdhurt, tombée
au lendemain du plus grand succès de l'année.
A part l'insuffisance de M"« Thuringer, k qui la bonne volonté
n'a pas pu donner ce qui lui manque sous le rapport vocal, l'in-
terprétation a été h h hauteur de l'œuvre. MM. Berardi et Engel
ont été très appréciés, le premier dans le rôle principal, le second
dans le rôle épisodique d'Armel, que la complaisance du compo-
siteur s'est prêté ^ allonger quelque peu. Les chœurs ont chanté
avec ensemble, malgré les difticullés résultant de parties divisées
à l'infini et de rvlhmes inusités, et l'orchestre a très vaillamment
contribué au triomphe général.
j^ATUI-LE ^EJ^DÈp
C'est l'un des héros du jour. On relira avec plaisir le joli por-
trait qu'en a tracé Théodore de Banville :
Avec son jeune visage apollonien, et son menton ombragé d'un
léger duvet frissonnant que n'a jamais touché le rasoir, rien n'em-
péchorait ce jeune poète d'avoir élé le Prince Charmant d'un des
contes de M""^ d'Aulnov, ou mieux encore d'avoir élé dans la
Sicile sacrée, à l'ombre des grêles cyprès et du lierre noir,
Damitc ou le bouvier Daphnis, jouant de la syrinx et chantant
une chanson bucolique alternée, si ses yeux perçants et calmes,
et sa lèvre féminine, résolue, d'une grâce un peu dédaigneuse,
n'indiquaient tous les appétits modernes d'un héros de Balzac.
Son front droit, bien construit, que les sourcils coupent d'une
ligne horizontale, est couronné d'une chevelure blonde démesu-
rée, frisée naturellement, et longue comme une perruque- à la
Louis XIV. C'est sans doute d'une pareille chevelure dorée, enso-
leillée et lumineuse qu'était coiffé le fils de la muse Calliope,
quand cet excellent musicien déménageait les arbres tout venus
par un procédé élégant et économique, dont il n'a malheureuse-
ment pas légué le secret à nos jardiniers actuels.
JalVREP NOUVEAUX
Les Gaietés de l'année, par Grosclaude. ^ Paris, Laurent.
« Au surplus, si nous en croyons certains détails qui nous
sont communiqués, l'anthropophagie commence à se répandre
un peu. La viande 'de boucherie humaine sera bientôt sur toutes
les tables. Cependant aucun de nos compatriotes ne s'est encore
risqué à donner un dîner d'hommes dans le sens primitif du
mol. » '
Et plus loin, faisant allusion au capitaine Greely, dont on se
rappelle l'aventure : il avait permis à son équipage de se nourrir
in extremis de quelques marins mis à mort.
« Ce ne fut pas seulement, comme on serait tenté de le croire,
le commerce de la boucherie qilî protesta contre une concurrence
nuisible à ses intérêts : l'Amérique tout entière faisait un crime
à M. Greely d'avoir utilisé, pour sa nourriture, quelques-uns de
ses anciens subordonnés, ce qui était pourtant la seule façon de
rapporter quelque chose de ces, braves citoyens dans la môre^
pairie. »
Ces deux textes ne sont traduits ni de l'anglais, ni de l'améri-
cain, ils sont écrils en français par un Français pour les lecteurs
français. Je ne connaissais jusqu'à ce jour que M. Taine qui fût
apte à les penser et les écrire. M. Grosclaude lui succède.
M. Grosclaude?
Un chroniqueur hebdomadaire de Gil-Blns, où ilvoisine à la
première page avec Mendès, Silvestre et Maizoroy. Il s'est prouvé,
voici un an. Ses chroniques étaient non banales. Ce qu'il a
quintessencié dans les texies cités : la blague féroce, la plaisan-
terie noire, le pince-sans-rire humorisliquo, apparaissait dès* ses
premières causeries, bien qu'atténué et craintif. Pou à peu, il
est parvenu à chanter ou plutôt h grincer sa note dans la caco-
phonie du journalisme, et le voici i)a.ssé au rang de chef
d'emploi.
Au nom de Caliban claironné par le Figaro^ Gil-Blns répond
Grosclaude, et. les doux font écho et ricochet.
L'esprit américanisé de M. Grosclaude n'a pas eu — chose
étrange — grand'peine à plaire; on s'y est fait, et à cette heure,
on le recherche vivement. Il n'a rien de saulillanl, de léger, de
bienveillant, de sentimental, de coquet. Il est peu français, pas
gaulois! Il est d'importation. Il était contenu dans l'envoi que
jadis quelque libraire anglais, du temps de Swift, a fait à Paris.
Avec Gulliver, il a passé la Manche..
Au surplus, l'esprit boulevardier qui, majeur sous l'Empire, se
décrépite sous la République, a besoin de sang nouveau. En
voici. Outre que Ciiliban le restaure également avec des rapi-
nades et des clowneries telles que tout Montmartre semble être
descendu aux Italiens.
Il a, de reste, bonne saveur. Avec nos vicieux instincts, nous
acceplons joyeusement tout ce qui nous arrive do barbare. Aussi
bien la préciosité n"est-clle pas.commune aux mondes très enfants
et très civilisés? La cruauté raffinée n'est-elle pas notre fait et
notre précieuse distraction? Et cette féroce plaisanterie à froid
une excellente manière d'être inhumain avec décence?
Thomas Graindorge et Swift né prennent-ils pas le plus intime
rayon dans nos bibliothèques?
Le talent de M. Grosclaude n'est d'ailleurs pas anglo-saxon de
pure race. Il y a eu croisement. Le Parisien se révèle dans le jeu
de mots, et le tour d'esprit dans le choix des comparaisons et dans
les transitions d'un sujet à un autre.
Mais quelle que soit la dose de ce mélange, toujours est-il que
l'actuel chroniqueur de Gil-Blas témoigne d'une originalité
entière parmi ses confrères et a bien fait de réunir en volume
les Gaietés de Vannée^ sos principales causeries.
Les illustrations? De Caran d'Ache, peiii-fils de Biisch.
Mademoiselle Gorvin, par Jean Fusco. — Paris, Ollendorff.
Jean Fusco, c'psl un nom de guerre qui avait déjà servi à un
de nos anciens hommes politiques, pamphlétaire ardent, et qui
est repris aujourd'hui par sa fille, une de nos plus charmantes
mondaines.
Un nom de guerre — pourquoi? pour signer ce livre qui n'esl
pas une bataille; qui raconte simplement une touchante histoire
d'amour ! L'histoire d'une jeune fille se rencontrant aux bains de
mer avec un officier de haute aristocratie; tous deux s'adorent,
mais le mariage esl impossible parce que le père du jeune homme
refuse de voir son fils épouser la fiJle d'un simple juge, une
petite bourgeoise sans fortune. Celle-ci est traînée lamentable-
ment dans un laâ tie bals ofli(;iels, au niinistm^ i la cour, par sa
mère qui cherche à tout prix à la présenter au vieux comte de
Douras. Mais elle en revient chaque fois l'âme défraîchie et fanée
autant que la tarlatane de sa robe. A la fin, son père s'obstinant,
le jeune officier se tue. Hélène manque de mourir; puis pendant
douz'2 ans, elle le pleuré jusqu'à ce qu'elle se résigne à faire un
mariage de raison.
Le sujet, comme on le voit, n'est pas d'une grande nouveauté,
mais certains croquis mondains sont, bien enlevés et certaines
analyses de passion sont piquantes, surtout/quand on songe que
l'auteur est une femme. Par exemple, en matière de galanterie,
il y est dit qu'il n'y a pas de citadelles imprenables, mais seule-
ment de mauvais capitaines.
Le mariage final de M"« Corvin donne tort aussi à la jactance
des femmes, qui nous prétendent seuls oublieux, inconstants,
légers, égoïstes, tandis qu'elles s'enorgueillissent de savoir aimer
jusqu'à la mort. C'est donc fini, mesdames, de plaider les dou-
leurs éternelles. Vous devenez plus sincères et vous avouez que
sur les plus folles cl les plus vraies passions le temps apporte
son herbe d'oubli.
En résumé. Mademoiselle Corvin, avec les deux jolies nou-
velles qui complètent le volume, est une œuvre à succès, un
pastel délicat, atténué, vaporeux, où l'on sent la caresse des
doiffts d'une femme.
A quand les Histoires de chez nous^ cet autre volume en
préparation de Jean Fusco, qui seront des pastels tragiqiles,
exprimant la vie ouvrière, des pastels noirs, empâtés celte fois
avec de la poudre à canon et de la poussière de charbon ?
J^OTEP DE MU^iqUE
I. — Quatrième séance de musique de chambre.
L'Association des professeurs d'instruments à vent au Conser-
vatoire a donné, dimanche dernier, une quatrième et probable-
ment dernière séance de musique. Le trio de Brahms pour
piano, violoncelle et cor formait, avec les airs de ballet de
M. Léon Dubois, récemment entendus à l'Union des jeunes com-
positeurs, et le septuor de Beethoven (exécution redemandée), le
programme de celte matinée.
Le trio de Brahms n'a été que rarement joué à Bruxelles tel
qu'il a été écrit : les dif!icultés techniques de la partie de cor
exigent un soliste de première force, et l'on préfère générale-
ment substituer à cette version celle dans laquelle le cor est
remplacé par un violoncelle. Mais les sonorités du cor donnent à
l'ensemble une saveur que ne peut lui communiquer un instru-
ment à cordes, particulièrement dans le finale qui dépeint une
chasse fantastique à travers bois. C'était donc une bonne fortune
pour les musiciens que d'entendre l'œuvre dans^son intégrité, et
il faut féliciter M. Merck d'avoir osé l'entreprendre.
Exécution d'ailleurs excellente dans les trois numéros du pro-
gramme, et digne des artistes qui ont organisé ces intéressantes
auditions.
II. — Concert de charité au Palais des Académies.
Vingt-cinq morceaux au programme. C'était peut-être beaucoup
pour une seule soirée. Il est vrai qu'il y avait trois institutions
de bienfaisance à secourir : l'Hospitalité de nuit, la Crèche Hen-
riette de Schaerbeeket la Crèche-école gardienne de Sainl-Josse-
teu'-Noode. Le nombre des morceaux avait été évidemment cal-
culé en raison directe du chiffre des bénéficiaires.
Le public ne s'est pas plaint, d'ailleurs. 11 en a même bissé
uq. Il est vrai que ce morceau, c'était £'5/)aHa, l'irrésistible
Espana d'Emmanuel Chabrier, le lion du jour. Et qu'à l'agré-
ment d'enlen«lre chanter Espana par M"«Elly Warnots s'ajoutait
le charme de pouvoir applaudir l'auteur en personne, assis au
piano, Ici que l'a peint M. Fantin-Latour, et d'acclamer dans
l'auteur d'Espana le compositeur de Gwendoline.
Comme dans tous les concerts de charité, on a entendu des
choses variées, des chœurs avec et sans accompagnement, des
soli de violon, des romances, les variations de Proch, naturelle-
ment, chantées avec une virtuosité transcendante par M"® War-
nots, même un trio pour voix de_ femmes, de M. Wallace, — de
la musique qui coule- de source, disait, non loin de noijs, un
affreux Vingtiste, — une barcarolledeRossini, restée inédite, ce
dont on ne peut lui faire un reproche.
Les lauréats de cette distribution de prix charitable ont été,
outre M"« Warnots — déjà nommée, — M. Jenô Hubay, l'artiste
prestigieux qui a le don de donner de l'attrait même à une cava-
line de Raff, el M. Ernest Van Dyck, le ténor toujours applaudi,
à la voix puissante et timbrée, trop puissante même el trop tim-
brée lorsqu'il s'agit de dire des choses murmurantes et douces
telles que le Sonnet de Ronsard^ mis en musique par Bf . Hubcrti,
ou h Sérénade printanière de M"« Holmes, « des riens pesés
dans des balances de toiles d'araignée », comme disait feu Arouet.
Il ne faut pas oublier Y Ecole de musique que dirige %. Ifcnry
Warnots, organisateur du concert, et donl un fort détacliemenl^
trois cents élèves, masquant la toile patriotique de M. Slingeneyer,
ont chanté avec beaucoup d'ensemble du Schubert, du Mendc)g-
sohn, du Schumann, du Gounod, du Micholle.
De ce dernier, un petit poème en musique, 4/yr/<?, qualifié
scènes rustiques, poésie d'Armand Silvestre. La plus jolie inspi-
ration de celle petite œuvre pas méchante, esl le n«'3, un duelto :
Myrto n'est pas joyeuse
Comme elles. — Elle vit solitaire '
Et ne sait pas de chansons.
Mais elle sait le chant
Qui vibre au cœur silencieux.
Myrto sait la chanson des cieux.
III. — Séance Griei;.
V Essor a terminé la série de ses auditions intimes par un petit
concert consacré aux œuvres du Nofwégien Edward Grieg.
M. Kefer, le maître de chapelle ordinaire el extraordinaire du
Cercle, s'était assuré le concours d'un excellent violoniste, M. Ler-
miniaux, d'un ténor de choix, M. Sivery, et du piaoisle-compo-
siteur Wallner. Le résultat de celte collaboration a été une séance
agréable dans laquelle quelques-unes des plus jolies œuvres ds
Griog ont été exécutées avec talent. Citons entre autres la musique
d'entr'acle el les danses du drame Peer Qynt et les Scènes popu-
laires pour piano.
pETlTE CHROJ^IQUE
M. Lapissida, administrateur de la Société des artistes de la
Monnaie, a eu la bonne fortune d'obtenir le concours gracieux de
M""* Caron et de M. Escalaïs pour quatre représentations qui
auront lieu cette semaine.
M""^ Caron chantera : lundi, Fausl, et mercredi, la Juive;
M. Escalaïs, Guillaume Tell, mardi et samedi.
Le quatrième concert du Conservatoire sera donné aujourd'hui
dimanche.
On y exécutera la Cantate de la réformation, de J.-S. Bach,
avec le concours de M'"^* Degive-i.edelier et Cornélis-Servais, et
de MM. Engel et Vandorgolen, et la Symphonie pastorale de
Beethoven.
M"*' Eugénie Dralz, pianiste, donnera un concert à la Grande-
Harmonie, demain lundi, à 8 4/2 heui^cs, avec le concours de
M"« C. Laurent et du quatuor Hermaun, Coclho, Van Hamme et
Jacob. ,
Le public monlre un grand empressement îi s'inscrire pour les
trois séances de piano que donnera Antoine Rubinstein U la
Grande-Harmonie et qui clôtureront glorieusement la saison
musicale. Rappelons que ces concerls de haute allraclion restent
fixés au vendredi 30 avril, à 8 heures; dimanche 2 mai, k
2 heures, et mardi 4 mai, à 8 heures.
Nous apprenons que M. Henri Heuschling, l'excellent baryton
si souvent applaudi à Bruxelles, se décide à accepter des élèves.
C'est une bonne fortune pour les aspirants-chanteurs et pour les
artistes qui désirent se perfectionner dans l'art du chant.
A l'issue de la première représentation de Gwendoline, un
souper offert par M. Goldschmidt a réuni, suivant un usage qui
commence à s'établir pour toutes les grandes premières, les
auteurs, leurs invités parisiens, les chefs d'orchestre, le directeur
du théûtre, ïes membres de la presse, etc., etc. On a célébré les
héros du jour, MM. Chabrier et Mendès, et Ton a bu à l'heureuse
continuation d'une collaboration si brillamment inaugurée.
Dimanche, h une soirée intime à laquelle assistaient les
auteurs de Gwendoline, Henry Litolff et Vincent d'Indy, ce der-
nier a fait entendre quelques fragments de l'œuvre couronnée
par la ville de Paris à son dernier concours musical : Le Chant
de la Cloche, légende dramatique en un prologue et sept tableaux,
est, autant qu'on a pu en juger par cette exécution incomplète,
une partition de haute valeur, d une inspiration élevée et puis-
sante, qui place M. Vincent d'Indy au premier rang de la jeune
école française. Nous espérons que les Concerts populaires ne
tarderont pas à la mettre îi l'étude. Nous pourrons alors en
parler avec tout le développement que commandent l'importance
cl le mérite de l'ouvrage. i
A la suite du grand succès remporté à la Grande-Harmonie par
M. Camille Gurickx, le bourgmestre de Mons a invilé ce dernier
à donner le même piano-recital à Mons. Cette audition aura lieu
demain lundi.
Peter Benoît a engagé M. Gurickx pour le concert de l'Ecole
de musique d'Anvers. Le concert a eu lieu hier. Le programme
portait, entre autres, ïEsquisse symphonique du jeune maître.
Le succès du dernier roman de Camille Lemonnier, Happe-
Chair, s'accentue à Paris. L'auteur vient de traiter avec M. Piégu,
directeur du Petit Parisien, pour une édition populaire de son
livre. Celui-ci sera publié en livraisons à dix centimes, dans la
série des Romans pour tous, avec des illustrations.
On nous communique un document bien amusant de l'admi-
nistration des Chemins de fer. Un artiste français qui avait exposé
au Salon des XX ayant, p;ir erreur, refusé la caisse contenant
son envoi lorsqu'elle lui fut retournée, avis en fut aussitôt trans-
mis au chef de gare bruxellois qui avait été chargé de l'expédi-
tion. Son collègue parisien le priait, selon l'usage, de demander
aux expéditeurs leurs instructions. Le digne fonctionnaire se
borna à écrire sur l'avis de refus, de sa 'plus belle écriture :
« Le Cercle des XX est inconnu à Bruxelles. Le Palais des
Beaux-Arts est tenu par une autre compagnie »., (Textuel.)
Voici la liste des jurés élus pour le Salon de Paris dans les
sections de sculpture, de grvure et d'architecture., '
Gravure. Burin: MM. Gaillard, didiav, Blanchard, iWallner.
Eau-forte : MM. Hédouin, Boilvin, Couriry, Chauvel.
Bois : MM. -Robert, Barbant, Baudc, Pcrrichon.
Lithographie .- MM. Chauvel, Sirouy^ Gilbert, J. Laurens.
Sculpture :• MM. Math. Moreau, Et. Leroux, Ch;q)u, Mercié,
Doublemard, Paul Dubois, Barrias, Guillaume, Falguière, Tho-
mas, Gaulerin, Truphème, Hiolle, Boisseau, Saint-Marccaux,
Cavelier, Aimé Millet, Guilberl, Dolaplanche, Barlholdi, Cambou,
Captier, Oiiva, Albert Leffeuvre.
Animaliers : MM. Frémiet et Gain.
Graveurs en médailles et sur pierres fines : MM. Alphée-
Dubois, Levillain, Chapelain, Vaudet.
Architecture: MM. Bailly, Garnier, Vaudremer, Questel,
Brune, André, Diet, Pascal, Hénard, Daumet, Baulin, Sédille.
Jurés supplémentaires : MM. Normand et Bœswilwald.
La sixième exposition internationale et triennale des beaux-
arts, orgnnisée à Namur par le Cercle artistique et littéraire, avec
le généreux concours du gouvernement, de la province et de
l'administration communale, s'ouvrira le 20 juin 1886.
Tout les artistes belges et "étrangers sont invités a y prendre
part.
Les acquisitions réalisées au Salon de 4883, soit par des par-
ticuliers, soit pour la tombola ou pour le musée de là ville de
Namur, sont au nombre de 62.
235 œuvres ont été acquises pendant les cinq expositions pré*
cédentes; elles représentent une valeur d'environ 220,000 fi\
Ces chiffres s'imposent à l'atleniion des artistes.
La clôture étant fixée au lo juillet, les œuvres ayant figuré au
Salon namurois pourront, le cas échéant, être adressé., s en temps
utile à l'exposition de Gand.
Les autres dispositions réglementaires sjront incessamment
portées à la connaissance des miéressés.
Pour tous renseignements, s'adresser à M. J. Ti-epagne, secré-
taire de l'Exposition des beaux-arts, à Namur.
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SPÉCiALITÉ D'ARMOIRIES BELGES ET ÉTRANGÈRES
PIANOS
BRUXELLES
rue Thérésienne, 6
VENTE __ _^__ _^
.Sïî^. GUNTHER
Paris 1867, 1878, l"''" prix. — Sidncy, seul 1" et 2« prix
EXPOSITION AHSTERDAI 1883, SEDL âiPLOHE D'HONNEUR.
SPÉCIALITÉ DE TOUS LES ARTICLES
CONCERNANT
LA PEINTURE, LA SCULPTURE, LA GRAVURE
L'ARCHITECTURE & LE DESSIN
Maison F. MOMMEN
BREVETÉE
25, RUE DE LA CHARITÉ & 26, RUE DES FRIPIERS, BRUXELLES
TOILES PANORAMIQUES
Hruxelles. — Imp. Félix Caliewaert père. — V* Monnom succ'esîseur, rue de l'Industrie, ?6.
Sixième année. — N° 17
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 25 Avril 1886.
L'ART
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr 13.00. — ANNONCES : On tl-aite à forfait.
Ad7^esser les demandes cC abonnement et toutes les communications à
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^OMMAIRZ
Le Théâtre belge. — Exposition du Cercle artistique —
La Jeunesse blanche, par Georges Rodenbach. — Le Théâtre
DE LA Monnaie. — Musique. Quatrième concert du Conserva-
toire. Concert Dratz. — Petite chronique. ,
LE THÉÂTRE BELGE
Au cours de cet hiver, notre jeline littérajture s'est
essayée au théâtre. Cette tentative était dans la logique
de son évolution. Elle avait fait des campagnes heu-
reuses dans le roman et la poésie. L'un des siens,
Francis Nautet, revenait d'un brillant voyage dans le
pays de la critique. Elle a voulu passer à des expéditions
nouvelles^ plus lointaines, plus aventureuses. Quel-
ques-uns ont parlé de l'Histoire, voire de la Philoso-
pliie, de la Science sociale, du Pamphlet. Les noms et
l'exemple de grands écrivains, admirables stylistes en
ces genres redoutables, ont été prononcés. Mais le
théâtre était plus proche des régions récemment par-
courues, mieux en accord avec le programme de la
néo-doctrine de l'Art pour l'Art, plus ambiant aussi
quand on considère que les mœurs littéraires actuelles
se sont en bonne part formées dans les tavernes, les
officines de reportage et ^es eaux du cabotinage. On à
donc poussé sa pointe de ce'côté, et sinon avec succès,
du moins avec grand intérêt dans le groupe des esthètes,
on y a fait la petite promenaUe élégante et maniérée
que nous avons vue à l'Alcazar.
Cette démonstration a été remarquée et accueillie
avec l'espoir que le mouvement continuerait. Les hardis
essayeurs qui s'y sont risqués ont eu la conviction
qu'ils étaient les premiers chez nous à la faire. C'est la
même illusion qui leur a fait croire qulls avaient créé
notre littérature, alors que depuis longtemps, avec
moins d'ensemble et de tapage, il est vrai, on vendan-
geait la vigne d'où on les a vu faire irruption un beau
jour avec un si vif entrain et de si joyeuses clameurs.
L'un d'eux, Arthur James, a récemment esquissé, dans
un article de bel humour de \2i Société Nouvelle, \n\Q
démonstration qui, rendant justice au passé, révélait
quels eifïbrts ont été faits depuis longtemps pour fonder
notre littérature dramatique et quelle indifférence
notre public, pourri de prédilections françaises, a con-
stamment montré pour elle.
Le moment est venu de reprendre cette histoire si
ignorée, de la creuser à fond, de remettre en lumière
certaines pièces qui, certes, ne méritaient pas l'oubli
profond qui les submerge. En rétablissant la filiation
on donnera à la descendance meilleure conscience du
point où elle reprend l'œuvre ébauchée et de ce qui lui
reste à faire. Il est inutile qu'elle s'exerce à tout recom-
mencer comme si rien n'avait été accompli. C'est à
développer qu'il faut qu'elle s'applique. Une large et
salutaire préparation existait déjà. On y rencontre
même une qualité essentielle qui manque aux derniers
venus, le sens scénique, de même qu'ils peuvent à bon
droit revendiquer le goût et la correction qui faisaient
trop défaut à leurs devanciers. Il y a là une combinaison
d'éléments essentiels à réaliser. Ce labeur apparaîtrait
plus clair dans le but à atteindre et dans les moyens à
employer, si nous connaissions mieux la bibliographie
de notre théâtre depuis 1830, Le développement logi-
que, très lent, il en faut convenir, mais ininterrompu,
en ressortirait; il donnerait une base très ferme aux
nouvelles tentatives, éveillerait à foison les idées et
montrerait comment il est possible, quoi qu'on en dise,
de faire chez nous du théâtre national, sinon au
point de vile assez banal des épisodes historiques, au
moins à celui de nos mœurs, pour l'observateur sagace
si nettement distinctes des mœurs françaises malgré
l'identité de langue. Et quand nous écartons l'histoire,
ce n'est pas s^ns hésitation au moment même oCi l'on
reprend à Paris, avec un succès considérable, ce drame
que l'on s'accorde à proclamer le meilleur de Sardou,
PatrHe, dont le sujet éminemment Belgique eût certes
été plus naturellement traité par l'un des nôtres.
Lorsque Jeanne Bijou et le Saxe ont été joués à
l'Alcazar avec l'importance qu'y ont attachée les intimes
joints à ceux qui désirent ardemment restreindre sur
nos scènes les importations étrangères, nous nous
sommes bornés à des observations critiques très spé-
ciales, visant les qualités et les défauts le plus immé-
diatement visibles et nous réservant de revenir sur cet
intéressant sujet par des considérations quelque peu
plus hautes. C'est à cela que nous nous risquons aujour-
d'hui, non sans appréhension, tant la matière est déli-
cate, car, dans l'art d'écrire, le théâtre a toujours été
le sujet sur lequel on s'est le moins accordé, à cause sans
doute de son caractère éminemment complexe, le livre
s'y grandissant aux proportions de la scène, le lecteur
devenant spectateur, le milieu simplement pensé appa-
raissant en décor, les personnages décrits se transfor-
mant en personnages vivants, les dimensions se rédui-
sant à la durée usuelle des représentations, bref l'œuvre
entière subissant un élagage et un remaniement qui
rendent si difficile l'adaptation d'un roman au théâtre,
et qui sont des mutilations lamentables quand on ne
peut les grandir jusqu'à la métamorphose éclatante.
Les deux piécettes que nous rappelions plus haut
sont des succédanées immédiates des ouvrages drama-
tiques parisiens tels qu'on les a conçus depuis qu'Alexan-
dre Dumas fils, impuissant, à quelques épisodes près, à
réaliser la doctrine savamment exposée en plus d'une
préface, a fait de ses drames plutôt des œuvres de style
que des œuvres d'action. Il y a là une remarque
primordiale qu'il importe de signaler avec insistance à
nos jeunes dramaturges, d'autant plus que très férus,
on le sait, de tout ce qui touche à la f^rme, ils sont
enclins à exagérer le mal qui fait si froid et si démodé
dès aujourd'hui, non seulement le théâtre de l'auteur
du Demi-MondCy mais encore celui d'Emile Augier,
d'Octave Feuillet, de Georges Sand et de leurs imita-
teurs. N'est-il pas curieux que malgré le très beau lan-
gage qu'ils ont passionnément affectionné, leurs succès
ont été constamment contrebalancés par celui de
Victorien Sardou, et que, phénomène plus étrange
encore, ils commencent à passer derrière cet Alexandre
Dumas père qu'ils dédaignaient si solennellement.
La raison, très facile à dégager, en est que le théâtre
est surtout fait d'action, soit dans le mouvement maté-
riel des personnages, soit plutôt et plus hautement dans
le mouvement intellectuel de leurs passions, et que
l'escrime des mots et le beau discours écrit par un maî-
tre du langage a vraiment peu d'importance à la scène
quand il n'y est pas uiytrès grave inconvénient. Tout
au moins faut-il dire, pour ne pas s'exjwser au reproche
de défendre le patois que ne manqueraient pas de faire
les imbéciles, que si la langue de la scène doit certes
être toujours correcte, elle doit se borner, en une
sobriété et une énergie qui lui sont spéciales, à ce qu'il
faut pour mettre dans tout leur relief pour le spectateur
qui regarde et écoute à distance, ce mouvement maté-
riel et ce mouvement passionnel dont nous venons de
parler et qui doit sans interruption animer le jeu et
entraîner le public dans son courant, sans un instant
d'arrêt.
Entendons-nous bien toutefois. Souvent, au cours
des études littéraires parues dans ce journal, nous
avons montré de quelle importance est, pour la critique,
la question de hiérarchie des œuvres et combien, en
certains coins qui sont aux confins dé chaque art, la
confusion est proche entre des genres opposés. Telle
œuvre faite pour être lue peut être agréable déclamée
à la scène. Même sans action, ou avec une action
affaiblie, une pièce peut plaire, surtout si elle est
courte et vient comme intermède. Cela s'est vu beau-
coup de notre temps par l'accoutumance qu'en a prise
le public. Mais est-ce du théâtre au sens vrai du
terme? N'est-ce pas une simple transposition au régime
de l'œuvre jouée d'une œuvre destinée à la lecture. La
courte durée du succès, en pareil cas, permet de
répondre affirmativement. N'a-t-on pas vu des malen-
tendu.«5 analogues dans la musique descriptive et dans
la peinture philosophique? Toute une partie de la lit-
térature actuelle n'en est-elle pas à essayer de contre-
faire par l'harmonie des mots, perçue par les oreilles ou
par les yeux, l'harmonie des instruments? Il y a donc,
grâce à ce mélange et à ces confusions qui font s'inter-
pénétrer des arts distincts, plus d'un exemple d'œuvres
dramatiques qui échappent au principe que nous énon-
cions, et nous sommes prêts à confesser qu'en cette
matière comme en toute autre il est des exceptions qui
vont parfois jusqu'à la démonstration, quand, par
exemple, il s'agit d'iin de ces miracles du génie qui a
permis de formuler cet aphorisme fameux : il n'y a pas
de règle qui n'ait été démentie par un chef-d'œuvre.
Mais nous amusant à dogmatiser ici, plus peut-être
^
^_
pour notre distraction personnelle que poui* Tavance-
ment de ces êtres éminemment réfractaires aux
influences extérieures et aux leçons doctorales, qu'on
nomme les véritables artistes, nous prenons le quod
plerumqiie fit et non les phénomènes ; d'autant moins
inopportunément, croyons-nous, que les véritables
artistes sont toujours denrées rares et que, normale-
ment, ce sont de simples gens de talent moyen, aux
aptitudes fongibles,qui s'occupent de pratiquer les arts.
Pour ceux-ci, comme pour le public qui les juge et y
trouve son plaisir en ce siècle o(i l'on suit moins son
instinct que ses réflexions, quelques éclaircissements
de nature à classifier et à clarifier les idées ne sont pas
sans valeur, non plus que quelques conseils sur les che-
mins à suivre et les chemins à éviter.
Il faut donc l'action au théâtre, oui, l'action, même
des gens immobiles sur les planches mais dont l'âme
s'agite dans le champ infini des passions, car c'est encore
un préjugé ridicule que de croire que pour que l'action
vive et marche, il faut nécessairement que les corps se
remuent. Et c'est pour cette action, pour la dénuder,
pour la renforcer, pour en augmenter la puissance et
la force émotionnelle, que le langage doit intervenir
avec les seules qualités par lesquelles il atteint ce but
essentiel.
Tout de suite, moyennant cette simple réflexion, on
se rend compte de ce qu'il y aura le plus souvent
d'inopportun dans l'emploi du style orné des raffine-
ments qui peuvent, nous le savons aussi bien que qui-
conque, faire les délices du lecteur d'un livre. La jouis-
sance que celui-ci recherche dans la position tranquille
où il satisfait son goût, est d'un tout autre ordre. Elle
peut se confiner dans les régions purement intellec-
tuelles, dans la rêverie, la paix intime, la satisfaction
que donnent les jolies phrases et les belles rimes. Mais
dans une^alle de spectacle, devant l'ouverture béante
que découvre le rideau qui monte, à la vue des décors
et des acteurs, c'est tout autre chose. Le besoin d'une
vie intense surgit, l'appétit dramatique s'éveille, la
rêverie se dissipe, on désire l'action, on l'attend, on la
veut.
Cela est tellement vrai, que la renommée des drama-
turges qui, rares, se dressent en grands hommes dans,
le déroulement des siècles, est en proportion directe de
l'action qu'ils ont mise dans leurs œuvres. Témoins les
plus fameux, Eschyle et Shakespeare.
Si la langue des œuvres dramatiques doit avoir ce
caractère, on discerne bientôt comment elle l'atteindra.
Force, clarté, sobriété surtout, couleur, à propos,
devront être ses qualités dominantes. Et cela est bien
en accord avec les conditions que réclame la scène
dans tous les autres éléments qui concourent à l'effet.
Voyez le décor^ : quelle différence avec la peinture,
quel contraire pourrait-on dire ! Minutie, raffinement,
élégance du détail, recherche de la distinction fine,
toutes ces données du tableau de chevalet aux époques
d'esprit aiguisé, non seulement seraient des défauts,
mais aboutiraient au néant. Même observation, en ce
qui concerne l'acteur, l'actrice : il faut que les visages
soient grimés au rebours de ce qui serait la convenance
et le bon sens partout ailleurs. Les gestes, la démarche,
les intonations commandent la même appropriation
pour produire à cette distance et dans ces conditions
l'impression nécessaire pour qu'ils semblent naturels et
appropriés. Qui ignore que pour valoir à la scène, la
musique doit subir des déformations analogues? Apprécié
de près, ou d'ailleurs que du point de vue où est le
spectateur,, sans la reculée matérielle et intellectuelle
inévitables, le théâtre apparaît comme un art de
convention suprême, et pourtant, si tout a été propor-
tionné par un grand artiste, l'impression de vérité et
d'émotion sera plus intense que celle de tout autre art.
Comment pourrait-il se faire que dans cet ensemble
de facteurs soumis à ce régime si particulier, le langage
fît exception? Il faut l'accommoder comme le reste; et
perdre de vue cette loi si nécessaire, c'est s'exposer,
pour l'effet, aux plus navrants mécomptes. Dire d'une
pièce qu'elle est bien écrite, au sens ordinaire des mots,
c'est n'en rien dire qui vaille au point de vue scénique.
La composer en ayant la préoccupation du style
comme pourrait l'avoir un poète faisant un sonnet ou
un romancier, c'est se lancer dans le plus stérile
malentendu. Il n'y a pas lieu en pareille occurence
d'arrondir la phrase, * d'amenuiser l'expression, de
rechercher les trouvailles. Il faut avoir la préoccupa-
tion unique de l'effet à produire sur les âmes de ces
spectateurs qui sont là à écouter et à regarder, qui
demandent des impressions immédiates, qui ne sont
pas venus pour consommer du style, mais pour être
remués par un ensemble compliqué de moyens et d'ar-
tifices donnant un résultat total qui est la seule chose à
considérer. Cela n'implique nullement la pauvreté du
langage, la négligence, l'a peu près misérable. Au
contraire, car la difficulté est énorme et vraiment digne
de tenter les plus grands maîtres : il s'agit d'exprimer
la pensée la plus forte par le moins de mots et par le
plus puissant coloris. C'est la peinture à touches et à
traits rares, mais il faut que tout porte, que tout
frappe. Il s'agit d'approcher de ces ébauches prodi-
gieuses par lesquelles le génie, en moins de rien, dit
plus que par les œuvres les plus fortes. La perfection
est dans ces formules brèves et décisives qui s'emparent
de l'esprit avec la force invincible que les ciseaux des
machines mettent à raboter le fer. C'est le sublime.
Pas de langue! pas de style! allons donc-, c'est le
surextrait de l'un et de l'autre qu'il s'agit de conquérir.
Si nous ne nous trompons pas dans ces rapides
réflexions, on comprendra quels obstacles se dressent
4*
^
devant nos jeunes écrivains qui s'attaquent au tliMtre.
Ils ont vécu jusqu'ici dans la préoccupation exclusive,
et parfois maladive, de la forme littéraire poussée jus-
qu'aux derniers rafïinements. Ils y ont attaché une
vertu presque magique, en ce sens que d'après leur
doctrine, ofi eut la forme, est tout, ou du moins on
peut se passer de tout. La musique linguistique suffit.
C'est vraiment, si ce que nous avons dit est vrai, comme
s'ils confondaient les théâtres et les concerts. Les efï'ets
de cette fausse notion ont apparu avec évidence dans
les premières pièces sorties de leur école. On les a
trouvées charmantes par certains côtés, et d'une lec-
ture agréable, eiU-on pu dire. Mais à la scène elles
furent anémiques et décolorées.
L'EXPOSITION DU CERCLE ARTISTIQUE
Comme le coup de talon d'un pnssanl fnit sortir d'un tronc
vermouhi des l(5gions d'insec'es monstrueux, scorpions, myria-
podes, fourmis-lions et cnncrehits, les expositions du Cercle
Artislique ramènent périodiquement à la lumière un lamentable
cortège de peintures saugrenues, d'asj cet convque à la t'ois et
repoussant, étalées toutes nues dans leur misère, si pauvres, si
tristes, si noires, si grotesques, qu'on ne pourrait décider si elles
méritent plus de dédain que de compassirn. Parmi elles se glis-
sent les naïfs essais des demoiselles doi.t l'ambition n'est plus
salisfai'e d'une a?si< t'e en porcelaine décorée ou d'une paire de
pantoufles brodées. Et le groupe des petits jeunes gens échoués
-dans la peinture par fausse honte de répicerie paternelle com-
plète le lot.
Tel est, drns son ensemble, le bilan du j^résent Salon. Les-
rares artistes qui consentent îi se compromettre en pareille com-
pagnie subissent fatalemc nt l'intUience du milieu. Et rimj)re>sion
qui domine dans l'esprit du visi'eur qui a le cournge d'examinn*
jusqu'au dernier les 260 tableaux, dessins et morceaux de sculp-
ture exposés est celle-ci : Embourgeoiî^emenl universel. Pas une
envolée d'art, pas une tentative nouvelle, pas une aspiration. Le
règne absolu de la médiocrité. La somnolence d'une école épuisée
et l'invasion d'une tourbe d'amateurs, justifiant ce mot d'une
femme d'esprit : « Autrefois, les ratés se réfugiaient dans la
diplomatie. Aujourd'hui, ils se font peintres ».
Le MIP Sajon du Cercle est-il plus mauva's que ceux qui l'ont
précédé? Il n'est guère pire. Parmi les peii.tres qu'on y retrouve,
les uns n'ont-ils pus, toute leur vie, exercé, avec la même séré-
nité placide, leur commerce d'imageries? Les autres recopient
imperturbablement la même es^tampe coloriée, sur laquelle ils
collent des étiquettes variées.
Le Sa'on n'a donc 'pas changân mais nos yeux s'Iiabiluent à
voir ph'.s clair. Ceux-là même qu'exaspèrent les intransigeances de
l'art jeune sont frappés du phénomène. Ils sont dégoûtés de la
peinture qu'i's prisaient jadis. Ils trouvent, d'année en année,
plus mauvaises les toiles de ceux qui, obstinément, la perpètrent.
Les chroniqueurs d'art que les Salons vingtistrs rendent apo-
p'rctiques sont, eux-mêmes, contraints de remiser leurs admi-
rations prssées et d';ibandonner, dans la crotte Gh ils pataugent,
les malheureux quilslouangeaient jadis.
Il en ç<\, de la pein'ure comme de la musique. Le vieux réper-
toire est usé, et l'on n'est pas encore accoutumé, au nouveau.
Pourtîint, dans la médiocralie qui gouverne des destinée s du
(?^;t/^ /l/7;.v//V///c apparaissaient jadis quelques panaches domi-
nant la coluic, soldats d'élite qu'on saluait joyeusement comme
les chefs. Il nous souvient du début, de Franz Cor.rtens, dont
y Hiver à Termonde tenait une partie du panneau du fond, dans
la grande salle. On n'a pas oublié non plus la Descenle des
Mineurs de Constantin Meunier. Et en ré!rogradr.nt sur la route
des souvenirs, telle toi'e de Clj,arles llermans, de Louis Artan,
d'Alfred Verwée, de Théodore Baron fait, dans les ténèbres qui
se sont refermées sur ces expositions oubliées, une tache lumi-
neuse.
Le Salon de 1886 ne laissera point de trace semblable dr.ns la
mén oire. A peine qu(l(|ues toiles peuvent-elles être, après
réflexion, mises au rang des œuvres dignes, d'intérêt. Le remor-
queur de Courtens est dii nombre, mais combien lourd el
pâteux, matériel (le facture, inexactement observé dans s< s
valeurs! Et aussi ; Trois enfanls d'ouvrier, de Léon Frédéric:
Florent, Justine et Joseph, ainsi qu'a pris soin de nous rensei-
gner le peintre, peinture noire, fumeuse et triste, commune
d'aspect, dans laquelle se confine le jeune artis'e, et malgré tout
attirante; V Hiver, de Mellery, inf«''rieur à celui qu'if exposa l'an
dernier aux XX \ deux p;.ys;'ges d'Heymans, l'un sonore,
embrasé des premières lueurs de l'aulomne, l'autre tintant fai-
blement l'angelus du printemps; quelques notes d'un sentiment
aimable, .flottant entre Stac(:uet et feu Iluberti, de Binjé; une
marine estimable de Le Maveur; des études des frères Ovens et
de Storni de Griivesande; un buste en bronze de Paul Oe Vigne ;
une plage de Cnssiers el son aquarelle : Enterrement à Roux.
Hors ce contingent, assez maigre, on en conviendra, l'ensemble
du Salon nous apparaît comme un résidu de manufactures rrtis-
tiques dont la flamme est éteinte. A peine, ci et là, des veilleuses
continuent-elles à éclairer d'une lueur douce le petit rayon accou-
tumé : on pointe, au catalogue, rytieischaut, Stac(|uet, Deu
Duyts, Crépin, Mundeleer, P>ouvier, Abry, M'^^ M'ngers, Seeî-
drayers. Mais p:is une des œuvrettes ne chante l'enVliousiasme, la
joie de peindre, l'émotion, la vie.
Poup la treizième fois sont mises en ligne les forces artistiques
du Cercle. Et les années qui s'écoulent creusent plus profond('-
ment l'abîme qui sépare les tendances vieillotîes, affadies, bour-
geoises de la branlante association, des aspirations ardrnles,
éprises d'art neuf et personnel, qui c: ractérisrnt les corclies
nouvi lies.
Peut-être ne Irouvrra-t-on p'us exagérée. celte boutade, qtn' fil
scandale en 4883, quand VArt Moderne !a publia : « Hélas!
combien de prétendus rriistesr~que d'hypocrites éloges maintien-
nent dans une c; rrièrc pour laquelle ils n'ont pa^ la moindre
aptitude et sur le nez de qui on devrait fermer la porte des expo-
sitions! Il faut que définitivement on leur apprenne, à eux et {\
leurs protecteurs, que des expositions comme celle du Cercle
sont faites pour former le goût du public, et non pour faire la
foire des vanités au profit de leurs prétentions. Qu'ils grrdent
leurs élucubrations pour le cercle de la famille et non pour le
Cercle Artù tique. Avec leurs peinlurlurages, on souhaite la fête
à sa tante, mais on ne vient pas exrspérer les spectateurs. Nous
nous étonnons qu'il n'y ait pas de temps en temps quelque ama-
teur qui, sous le coup de ces provocations, n'aille donne r de la
canne ou de la crosse de son parapluie dans ces vomitifs enca-
drés, numérotés el catalogués. Que de toiles exposées devraient
être mises au pilon avo'c les vieilles gazelles Cl l-es coupons de
chemin do fer hors de service ! Que de soi-disant peintres
devraient (iMre renvoyés îi leur vocation, parmi les m;irbricrs, les
tapissiers et lespoëliers! »
Des choses niaisement senlimenla'cs, propres à illustrer des
couvertures de romances; de lourds porîrails plantés devant le
public dans la pose du Iradîlionnel : « Ne bougeons plii>. Une,
(U'ux, trois, je commence! » des paysages sans imp!(»ion et
stms fraîchejir, des- tableaux de fleurs en papier et en car!on-
pieire, des marines i appelant le mol de Zola : une tem[)êle dans
un pot de crème, à cela près que la tempête manque, to» tes l' s
baiiali'és dont les imagiers patejités x^t décores dévident l'échc-
Vi an dofiuis i8)>0,,fornjent le stock de l't xposiiion.
Cela ne d<!vrait plus être toléré. Et plutôt que d'agacer le public
par un pareil déballage, m'eux vaudrait fei'mer brulique.
On se rappelle l'aitiludc épi(|ue de U'.u Fiancia, inscrivant au
registre du Cercle^Ac 8 mars 1884, après une exposition partielle
des oeuvres de Vrgtds et d'Ensor, qui avaient (u la candeur de
vouloir introduire un rayon de soleil dans la soupente de la rue
de la Loi, la note suivante :
« Je crois qu'il serait indispensable de revoir le lèglemeni ({ni
autorise à exposer au Cercle, sa7is contrôle de In commission, des
œuvres comme celles qui ornent actuellement la salle des exposi-
tions. Un artiste étranger de passage à Bruxelles porterait un
singulier jugement sur l'Art belge contemporain et uiie médiocre
appréciation sur le jugement d'une commission qui tolère de
SEMBLABLES TURPITUDES. », -
M. Francia e>t mort [eu de temps après. On n'a pas dit que
MM. Ensor et Vogels eussent ce décès prématuré sur la con-
sci( nce. Mais ce qui est certain, c'est qu'on pourrait songt r,
aujourd'hui, à mettre à profit le consi il de l'aquarelliste, qui se
préoccupait avec tant de sollicitude de l'opinion des é;rangers. Il
est, au Cercle, pas mal de turpitudes qu'une commission sou-
cieuse de sa dignité ferait bien de ne plus tolérer k l'avenir.
JiA Jeune^^e blanche
par G. RoDENBACH. — Paris, Lemerre. ,
Les Tristesses, publiées en 1879, était un livre de sentiment
et de sentimentalité mêh's, que les critiques selon la formule
archilraditionnelle étiquetèrent de« belle promesse ». Les vers en
étaient inspirés par des souvenirs de famille et de foyer el le
Coffret devient pres(;ue célèbre. Depuis M. Rodenbach a
recherché de fix( r les élés^ances modernes et les amours distin-
gués, non pas à la suile de M. Mendès qui a élevé la volupté à
la soixanie-neuvième puissance, ni même seus l'invocation de^
M. Coppée dont on a si souvent rapproché le poète, mais de
manière assez personnelle pour qu'on lui passe certaines mala-
dresses de recherche et de conception.
Aujourd'hui, nous voici revenus au point de départ et la Jeu-
nesse blanche est d'intéressante intimité et de littérature char-
mante. Peut-être plus;, h preuve la superbe : Veillée de gloire» . -
Ce qui s'est accentué de volume à volume dans l'œuvre de
M. Rodenbach, c'est le souci artist^\ Au début il commettait
certaines pièces pour lecteurs bourgeois et même dans la Mer
élégante on trouve des strophes sur les Huîtres d'Oslende qui
ne prouvaient pré'endre à d'aulrc auditoire qu'à celui des verres
de chablis. La cubure de la rime riche ne suftisail point à mar-
quer de poésie ces quatr.iins de prose, Qu.îlq,ues prud'hommismes
mettaient en ou're des ombies de visière et de faux col sur les
alexandrins les pii;s ensoleill. 's.
La Jeunesse blanche, Llliver mondain effacent celle tare.
Ce sont deux livres de [loète. Surtout le dernier. ,'
Il s'y affirme une persistante < oqu*tterie d'art, 'une recherche
de rythmes neufs etd'r'clipses heureuses :
Douceur d'aller le soir lorsque les chaumes blonds
Flamblent sur les toitures^ , ^
Et qu'au milieu des blés les perches de houblons, '
Ont des airs fie matures.
une audace dans Ter janf^bf^fn^-nt souvent mrtivée par l'idée ou le
mot, comme ici par le mol caprice, indiquant quelque chose do
contournant el d'irn'irulirr : ,
L"ai-je vraiment aimée ou n'e-t ce qu'un léger
Caprice qui m'a fait un nioment fleurir l'àme ..
une soudaine et téméraire exqui>-itéd"imarres :
Et l'on devine au loin un.mu>-icien sombr»^,
, Pauvre, morue, qui joue au bord croulant des toits,
■La tristesse du soir a passé dans ses doigts,
Et dans sa flûte à trous, it fait chanter de Vônxbv^.
et enfin l'imprévu de certains vers et de certaines coupes, que
seuls se permettent en art ceux qui sont auire chose que d» s
miroirs réflecleur'^. -
Le souci ariisle qui s'est emp ré de M. Rodenbach lui a jiH)l
balayer enfin de ses meilleurs vers la 'errible et plaie banalité.
Certaines pièces sont irréprochables sur ce point et paraissent
d'autant plus remarquahles ([ue les sujets en sont battus et
rebattus comme des ch m'ns de foire. Ah ! la n- tle difficulté de
retrailT^r en vers et «.la Maison paterni lie » et « le Berceau » et
« la Première Communion » el le « Collèfre » sars se nover dans
des mares de d('jà dit. El plus liin « Prrmier Amour » et « les
Soirs^mauvais » qui s-mbleni des ihèmes imposés dès qu'on
prend en main ce que Bansille a seul encore le droit d'i.ppeler'
sans qu'on éclate de rire, la Lyre.
M. Rodenbach a trouvé les >tro[)hes suivantes :
Inoubliable est la demeure
Qui veut fleurir nos premiers jours
Maison des mères 1 C'est toujours
La plus aimée et la meilleure.
Rien n'a changé; les glaces seules
Sont tristes d'avoir recueilli
Le visage un peu vieilli - <
Des mélancoliques aïeules.
Tout est pareillement rangé ;
Et dans la lumière amortie
S'éternise la sympathie
Du logis qui n'a pas changé.
Fauteuils des anciennes années
Où l'on nous couchait endormis
Fauteuils démodes vieux amis
Avec des étofl:es t'auees.
Meubles familiarises
Par une immuable attitude ^^
Mettant des charmes d'habitude
Dans les salons tranquillises.
N'est-ce pas que celle mélancolie des choses est nouvellement
et artistcmenl notée?
On peut croire que .M. Rodenbach a voulu faire une Unlative
(le monognpliic ou plutôt qu'il s'csl imposé de rcflélcr dans la
Jeunesse blanche la vie dos poêles d'aujourd'hui. Il nous mène à
travers sin livre depuis' l'enfance jusqu'au déclin des vingt ans.
L'enfance, il la teinte de douceur cl de naïveté; la jeunesse, de
blancheurs qui lentement se ternissent et se souillent si bien que,
ridéai féminin tué, et l'ennui dominant, l'art reste le seul refuge
ouvert aux cerveaux non encore fous ni morts.
Ces not'-'s psychologiques se rencontrent principalement dans
Choses (htales, ihns les Solitaires, dans Analyse, dans VAme
des bons, dans Dégoût et enfin dans la dernière partie.
A lire ces pièces nous nous reconnaissons ci et là et nos pas-
sions y sont criblées, comme la cible tle flèches, d'exacts aperçus.
Nous nous V vovons dans nos contradictions, nos doutes, nos
subits retours de douleur ù consolation, nos soudains abatte-
ments et nos brusques orgueils. Le poète, tel que M. Rodenbach
le conçoit, est essonliel'ement bon, mais faible, énergique par
soubresauts, mais, de nature, calme, doux, plaintif, trop délicat
pour la vie et trop dédaigneux, îi moins qu''l ne .soit trop lùchc
pour l'action. C'est parfait, mais il est une autre race de poètes
plus modernes. Ce sont les égoïstes raffinés, qui se taisent sur les
Couleurs cl les joies quelconques, qui vivent d'art non pour se
guérir de la femme ou de la vanité, mais parce qu'ils s'aiment
eux-mêmes dans leur rêve et leur pensée, qui font état bien plus
de leurs vices que de leurs vertiis et les cultivent et ne s'en
caehenl guère et dont le dédain est entier pour tout ce qui n'est
pas leur art, c'esl-îi-dire pour ce qui n'est pas eux.
. Nous nous sommes expliqués souvent sur des poètes de cette
famille-là et sévèremeut; toutefois nous confessons que le type
en sérail intéressant à é;udier dans une sorte de confession en
vers.
Au début j'ai, affirmé que la Jeunesse Blanche est plus qu'un
livre charmant et aimable et qu'il renferme quelques pièces de
haut Ivrisme. En voici une :
VEILLÉE DE GLOIRE. .
Quel orgueil d'être seul à sa fenêtre, tard,
Près de la lampe amie, à travailler sans trêve,
Et sur la page blanche où l'on fixe son rêvé
De planter un beau vers tout vibrant, comme un dard.
Quel orgueil d'être seul pendant les soirs magiques
Quand tout s'est assoupi dans la cité qui dort,
Et que la Lune seule, avec son masque d'or,
Promène ses pieds blancs sur les toits léthargiques.
L'orgueil de luire encor lorsque tout s'est éteint,
Lan'ipe du sanctuaire aii fond des nerfs sacrées,
Survivance du phare au dessus des marées
Dont on ne perçoit plus qu'un murmure indistinct.
Lorgueil qu'ont les amants, les moines, les poètes,
D'être en communion avec l'obscurité,
Et d'avoir à leur cœur des Vitraux de clarté
Qui ne s', teignent pas pendant les nuits muettes.
Quel orgueil d'être seul, les mains contre son front,
A noter des vers doux comme un accord de lyre
Et, songeant à la mort prochaine, de se dire :
Peut être que j'écris des choses qui vivront!
LE THEATRE DE li MO.\NAIË
Sont-ils bien sérieux les avantages accordés à la nouvelle
direction? Vonl-ils meître le théâtre dans des fondilions qui
garantiront contre la déconfiture et contre l'amoindrissemenl
au point de vue artistique.'
On en peut douter. Examinons :
U orchestre [Kvi. 38, al. 4. du Cahier des chai'ges) : On n'im-
pose plus les augmentations de la saison dernière, qui étaient de
21,000 francs pour l'année, mais on livre la direction aux exi-
gences des musiciens, qui viennent de se confédérer, qui orga-
nisent la résistance et qui, accoutumés k la majoration, ne seront
pas aisément ramenés au passé. Au surplus, il est peu équitable
de faire tomber l'économie sur ces auxiliaires modestes^ dévoués
et très artistes.
Contributions (Art. 16. Ib.) : La Ville les garde pour elle. Une
bagatelle. On a dit 3,000 francs au Conseil communal. Ce n'est
pas autant, paraît-il.
Buffet (Art. 6. Ib.) : La location est abandonnée à la direction.
C'est 10,000 francs, dit-on. Encore une bagatelle. On n'aura pas
un pareil loyer. Ce n'est pas le chiffre actuel.
Foyer (Art. 26. Ib.) : Autorisation de se servir du grand foyer
pour un autre usage que le buffet et la promenade. Qu'est-ce que
cela rapportera ?
Créations (Art. 36. Ib.) : Plus d'obligation de monter chaque
année, avec décors et costumes entièrement neufs, deux ouvrages
nouveaux représentant au minimum six actes. C'est illusoire.
Lorsqu'il n'y a pas de création sérieuse, lorsque l'exploitation se
maintient dans le répertoire courant sans le coup de tam-tam de
nouveautés brillantes, la saison est compromise.
Répétons-le, tout cela est fragile. Il n'y a pas là un avantage
sûr. La direction nouvelle va se retrouver aux prises avec les
incertitudes d'une exploitation qui vacille sur cette éventualité
incroyable que, selon que la recette augmente ou diminue de
200 francs, oui, 200 francs pas plus, par soirée, le théâtre est
ou n'est pas en perte. En effet, on joue 208 fois par saison, et le
bénéfice moyen de la direction Stoumon et Calabresi, pendant
dix ans, a été de 40,000 francs, donc 200 francs par jour de
représentation.
Autre observation qui frappera tout .financier : le théâtre
donne par an une moyenne de 950,000 francs de recettes, tout
compris. Le bénéfice, en le supposant de 40,000 francs, n'est
donc pas de 5 p. c; et cela dans une entreprise exposée k des
chances formidables. Janfjais, dans l'industrie ou le commerce,
on ne consentiridt à l'exploiter à 95 p. c. de frais..
Il faut donc avoir aff'aire au monde aventureux des directeurs,
tous plus ou moins joueurs. C'est une base terriblement chance-
lante.
A notre avis, et pour les raisons exposées dans nos numéros
des 29 novembre, 6, 13 et 20 décembre 1885, notre théâtre ne
s^ra sérieux et stable que si l'on augmente la situation, telle
qu'elle existait l'an dernier, de d 00,000 francs. Sinon nous
sommes exposés k retomber dans les troupes incomplètes, dans
les chanteurs douteux et dans le répertoire banal, tout allant au
petit bonheur. '
*** ■
Nous avons dit l'hiver dernier : Représentation d'apparat, len-
demains sans receltes. — Exemple : lundi, brillante soirée avec
M'"« Caron ; mardi, relâche forcée, sous prét'^xte d'indisposition ;
motif vrai, pas de location.
Aulre observation : Los quatre représenlalions de M*"^ Caron
et d'Escalaïs donnt^rônt 20,000 francs, abonnement suspendu.
Les autres jours, on est tombé dans les receltes à 700 francs.
Faites la moyenne. Cela donne 2,500 francs par soirée. Or, il
faut 3,000 francs pour couvrir les frais normaux du théâtre
année courante.
LART MODERNE
135
Encore un renseignement qui monlrc bien que les beaux jours
sont passés et que le lliéâlre subit les effets de la crise de plus
en plus intense.
Voici les recettes au guichet depuis quelques années :
1878-79 . . . . . * . . . . 629,741. 2-i ;
d879-80 . . .' . ... . . 626,520.25
1881-82 . . . . . •. . . . 612,294
1882-83 ......... 579,611.75
1883-84 ......... 595,627.25
- 1884-85 ......... 579.566
Ainsi, diminution constante, avec un seul léger retour en
1883-84.
Nous avons laissé de côté 1880-81, année du cinquantenaire,
où Ton a joué deux mois de plus, juillet et août. La récolte a alors
monté à tV. 701,314.25.
Tous ces chiffres sont 1res éloquents.
Nous renouvelons une demande formulée ici en décembre der-
nier : Pourquoi l'adminislration communale ne puhlie-l-eilc pas
la statistique du théâtre, tous les ans, et pour chaque diieclion?
On verrait beaucoup plus clair dans loules les questions que
soulève celle administration compliquée. "^
^1
UNIQUE /
Quatrième concert du Conservatoire.
M. Gevaert, selon sa coutume, a repris, dans son dernier con-
cert, une grande œuvre exécutée dans un des concerts précédents
de celle saison.
Nous ne nous plaindrons pns, cette fois, du résultat de cette
douce manie, car l'œuvre roprist} était la supeib.» Cantate de la
Réfurmation de Jean-Sébastien Bach, d'une religion si noble et
si pure.
L'exécution a laissé beaucoup à désirer : mollesse de l'or-
chestre et insuffisance des masses chorales. Les soliiles, très
applaudis, étaient les mêmes qu'à la première audition :
Mnies Cornélis el De Give, et M.M. Eiigel et Vandcrgoien.
A M. Engel les honneurs, bien que l'acteur ne disparût pas
ass.'z complèleuienl.
Nouvelle audition de la Symphonie Pastorale de Beethoven,
qui, il y a quelques années, fui si mal jouée et occasionna, entre
gens officiels et critiques indépendants, une désopilante mais iné-
gale escrime. L'exécution, quoi qu'en disent certains gazetiers fort
épris d'un répertoire frelaté, a été tout aussi médiocre qu'alors •.
exécuter une symphonie, n'est pas fignoler certains irails après
un nombre incalculable de répétitions, mais donner la synthèse
de l'œuvre, sans ailacher au détail plus que sa valeur. On expose
au Conservatoire de la musique moiiiilié'e, devant qui les ama-
teurs chauves et ventrus sagL'nouilk-nl dans une atmosphère de
poussière et de vieillolerie; nous voulons plus de vie, nous, plus^
d'air, et c'était nécessaire ici, une exécution vivante, pour cette"
symphonie toule de lumière et de plein air, que nous admirons,
certes, mais que nous plaçons au rang des compositions ordi-
naires du maître.
Les ouvertures iVÀgrippinc de Hiindel et d'Oberon complé-
taient le programme de ce dernier concert. Et mainlenant, sou-
hailons, pour l'an prochain, des programmes plus variés el moisis
de momitication.
Concert Dratz.
M"" E. Dralz a donné, lundi dernier, dans la salle de la Grande-
Harmonie, un charmant concert doul le programme, pour la
partie de piano, était composé de fa(,'on artiste : du Bach, du
Mozart, du Chopin, du Rubinslein el celte œuvre de choix, que
l'on a si rarement occasion d'( hiendre : le Carnaval de Schn.
mann avec Pierrot, Arlequin, Panialon, Colombinc el la Mar-
che des pavidsbiindler contre les Philistins. (Que ne sont-ils h
j:»mais dispersés?)
La jeune pianiste a réalisé de grands progrès comme sonorité»
finesse de nuances el compréhension, et nous la félicitons spé-
cialement pour son exécution du Prélude et fugue de Bach, du
Nocturne de Chopin, de la Sonate de Mozart et du Canir/y^//.
M"« Laurent et M. Eldering prêiaienl leur concours à celte
séance musicale, ce dernier, remplaçanl le quatuor Herrmann,
Coëlho, Van Hamme el Jacob, empéi-hé au d,ernier moment, à
cause de la reptés''nlalion de M'"« Caron, h la Monnaie. Le public
a fait bon accueil à la canialrice qui n'est encore qu'une élève,
mais bien douée : l'Idylle de Haydn convient surtout à sa voix
genlillelle; M. Eldering a eu sa pari méritée d'applaudissements
pour une bonne exécution d'une ma/ourka de Wieniavvskv.
^ETITE CHROJ^IQUE
Les représentations de M'"« Caron et de M". Escalaïs au théâtre
de la Monnaie ont éié triomphales. Les fli^urs par brassées^ par
corbeilles, par gerbes, et les applaudissenrienls par volées
furieuses. Ont été prodigués à l'arlisle dont le masque tragique,
les gestes de statue, la voix" vibrante et mordante donnent tant
de noblesse et de charme aux rôies quVIle inlerpréte. Dans
Faust el dans la Juive, M'"*^ Caron a trouvé l'occasion d'un succès
considérable qui la récompensera de liniliativi; qu'elle a prise
en venant offrir générousenunl son concours à ses anciens cama-
rades.
Le corps professoral du Conservatoire royal do Bruxelles va
faire prochainement une perte sensible. M. Jeno Hubay, l'émmenl
professeur de la classe de violon et le virtuose dont nous avons
eu fréq.uemmenl à louer le .sérieux talent, est appelé aux fonc-
tions de professeur de violon à l'Académie de musique de Pcsth,
où une position Slip 'rbe est offerte au jeune maître. On conser-
vera toujoursà Bruxelles le souvenir de l'artiste délicat ijui a su,
durant les quatre années qu'il a passées en Belgique, conquérir
la sympathie dé tous ceu.x qui l'onl connu.
Le Panorama du Caire, d'Emile Waulors, est revenu de
Vienne. Il est visible tous les jouis, bouleviird du Hainaul, 8,
dans le local occupé jadis par la Bataille de Wateilou.
On reverra avec plaisir cette composiiion, qui joint à l'intérél
d'une grande exactitude le sérieux mérite d'une œ'uvre d'art de
valeur.
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136
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informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Auciine manifestation de l'Art ne
lui est étrangère : il s'occupe de littérature, de peinture, de sculpture, de gravure, do musique,
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lecteurs sur toiis les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaître.
Chaque numéro de Lj'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
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OMMAIRE
L'incident Coquelin. — Rubinstein. — Le Salon des Aquarel-
listes. — Le Jury d'admission. — Le Théâtre de la Monnaie.
Mémento des expositions et concours. Petite chronique.
L'mCIDEKT COQUE im
On a sifflé Coquelin ! !
Que de tapage vingt-quatre heures durant autour de
ce petit fait. Que d'explications saugrenues. C'était une
vengeance au profit de M"® Dudlay, à qui nul ici ne
songe. C'était une protestation au profit du théâtre
national contre un exotique encombrant. C'était, pour
quelques gamins en appétit de notoriété, une façon
d'adapter à notre temps la queue coupée du chien
d'Alcibiade. C'était une représaille contre un prétendu
sans gêne du fondateur des monologues à l'égard de la
province. C'était une explosion d'envie contre le plus
grand comédien de l'époque ! ! ! C'était. . . c'était. . . et
tous les sots y allaient de leur sottise.
En vérité, pour qui a pénétré la mécanique de notre
monde bruxellois, c'était bien moins et bien plus que
toutes ces suppositions. Etant donné, d'une part, un vif
désir de protestation contre l'admiration ridiculement
exagérée qui, depuis trop longtemps, déborde au profit
d'un homme de talent qu'on grandit aux proportions
d'un homme de génie ; étant donnée, d'autre part, une
très légitime inclination à réprimer les manigances fort
bêtes d'une coterie mondaine qui s'imagine être en
possession du droit de dicter au public ses opinions;
frottez l'un contre l'autre ce désir et cette inclination, et
ne vous étonnez pas de voir jaillir l'éclat que l'on sait et
qui, soyez'en certain, se renouvellera àla première occa-
sion. Des centaines de gens partagent, en effet, ce double
sentiment qui s'est bruyamment traduit par les coups
de sifflet qui ont paru au Tout-Bruxelles de contre-
bande qui inonde nos premières, aussi scandaleux que
les coups de pierre des anarchistes dans les vitrines des
magasins du bel air, et ont fait perdre aux gandins et
aux gandines en bonne posture les attitudes élégantes
qui les rendaient si satisfaits d'eux-mêmes.
Creusons la situation.
Coquelin n'est certes pas le premier venu. Grâce à son
naturel vulgaire très franchement accusé et à une figure
dans laquelle le classique nez en pied (de marmite et la
houche en boîte aux lettres, dons précîêlKc de dame
Nature, réalisaient l'idéal du valet de comédie, il avait
pleinement réussi dans tous les rôles de larbin au vrai
et au figuré, depuis Scapin jusqu'à Figaro, avec des
excursions chez les personnages qui incarnent la domes-
ticité d'un plus haut étage : homme d'affaires de grands
seigneurs, reitre mercenaire, noble déchu se vendant à
qui le paie. 11 rendait très habilement à la scène ces
types où la vulgarité se double de coquinerie. Il y
marquait, toutefois, un défaut capital et caractéristique
du comédien qui n'atteint jamais le degré suprême :
sous tous ces déguisements, il restait incurablement
Coquelin l'aîné ! Dévoré de la rage de vanité qui actuel-
lement avilit l'art dramatique dans toutes ses régions
et le ravale au cabotinage, il n'avait qu'une préoccupa-
.X
tion : faire penser à lui, toujours; être en scène, lui,
toujours; ne jamais, par cette sublime abnégation du
génie que nous avons vue dans Salvini et dans Rossi,
disparaître " sous le rôle pour ne faire saillir que la
conception de Técrivàin ; refuser de changer, à chaque
pièce, par l'admirable grimage familier aux grands
artistes; vouloir que le spectateur n'ait jamais qu'une
pensée : c'est Coquelin ! au lieu d'être entraîné dans
l'artifice du personnage; être au masculin ce que Sarah
Bernhardt est au féminin : maintenir impudemment
l'acteur, comme l'actrice, en dehors du rôle, encoque-
/mer tout et triompher personnellement au dessus de
toutes les trames, de toutes les légendes, de toutes les
fictions dramatiques.
Cette agaçante manie, cette insupportable infatua-
tion s'étaient récemment juchées à une prétention plus
monumentale. Les emplois de haute et basse domes-
ticité, en lesquels s'était complu Molière, avaient
affecté l'orgueil grandissant de celui qui, blotti dans' le
large manteau de Gambetta, avait eu l'espoir d'être
emporté par lui aux sommets où alors le conduisait la
Fortune. Il s'est mis à rêver de conquête universelle et,
oubliant la bouche et le nez que nous rappelions tantôt,
il s'est essayé aux rôles héroïques et plus particulière-
ment (on l'a plaisamment remarqué) à ceux qui sup-
posent l'heureux don de plaire aux femmes. Sans
entendre le rire qui a gagné la foule à l'aspect de ces
baroques tentatives, il s'est, Prudhomme imprévu,
lancé dans ces aventures avec une audace sans bornes.
Le laquais a voulu passer maître. Avec quel succès?
demandez à ceux qui se connaissent en parvenus. Il a
forcé son talent sans pouvoir forcer sa figure, et a
jdonné une adaptation vraiment comique du garçon
d'hôtel jouant à l'homme du monde.
C'est cette malheureuse métamorphose qui'a comblé
la mesure. On commençait à en avoir assez du sempi-
ternel Coquelin-Scapin, Coquelin-Mascarille, Coquelin-
Frontin, Coquelin- Annibal, Coquelin-Figaro, Coque-
lin-ci, Coquelin-lâ. Mais quand on a vu le valet jouer
au monsieur au lieu de se confiner prudemment dans
les aptitudes que lui imposaient son physique spécial
parfaitement approprié et inaltérable, la croisade s'est
déclarée : à Paris comme chez nous, on a commencé à
montrer de l'impatience. Jamais elle n'avait été jus-
qu'aux sifflets, mais on les sentait proches, et quoiqu'en
aient dit les fanatiques, la manifestation d'il y a huit
jours n'a pas pris tout le monde à l'improviste
Voilà le phénomène expliqué pour le côté qui touche
à ce demi-dieu désormais découronné, ou, si l'on
préfère, couronné, mais comme un cheval qui a cédé
des genoux.
Venons-en à ce qui concerne la petite caste qui a
poussé des rugissements indignés quand elle a entendu
conspuer son idole.
On la connaît. Il s'agit de deux ou trois cents per-
sonnes, toujours les mêmes, bourgeois et bourgeoises à
prétentions, pas transcendants, tous se croyant du bel
air et en bonne posture, suivant les expressions roco-
côs rapetassées par leurs chroniqueurs attitrés. Ce
sont eux qui, avec un aplomb indémontable, prennent
la tête de toute solennité artistique, sans qu'on les
en prie, fort gênants, s'imaginant avec l'audace de la
sottise que sans eux rien ne marcherait, se félicitant
les uns les autres de former V opinion, se qualifiant
beau monde, gens de bon ton, belle société, etc., etc.
Cette remuante et fastidieuse cohorte pèse lourde-
ment sur les épaules du public, très indépendant chez
nous et très résolu à ne pas accepter les jugements des
perroquets de salon et de leurs perruches. Déjà, l'an
dernier, aux Maîtres-Chanteurs, l'antagonisme entre
ces demi-cervelles et les spectateurs sérieux s'était révélé
en quelques rudes algarades. Coquelin, que le Tout-
Bruxelles qui ne représente pas plus la Ville que le
panache du tambour-major ne représente le régiment,
avait pris sous sa protection particulière et dont, avec
le tact à rebours qui le caractérise, il avait fait un de
ses grands favoris, a fourni, dans le rôle idiot de Cha-
millaç, une nouvelle occasion de donner un exutoire à
cette antipathie qui a, on le voit, des raisons autrement
profondes que les billevesées que les reporters et les
flatteurs de cette camarilla ont énoncées.
On en a assez de toutes ces conventions. On s'irrite de
retrouver invariablement les mêmes plumes écrivant
les mêmes fadaises à propos des mêmes inepties. On est
résolu à bousculer ces obstacles, toujours identiques,
se mettant en travers de tout effort vers le neuf, l'ori-
ginal, le réel, lâchant les mêmes injures avec la même
arrogance, pontifiant, se rengorgeant, dictant des arrêts
que plus- personne n'écoute, amenant chez nous de
l'étranger un flot intarissable de lieux communs, ne
donnant d'éloges qu'à ce qui est vieux et à ce qui n'est
pas du pays, ayant à son passif ce ridicule d'avoir atta-
qué tout ce qui a fini par triompher, ayant aussi cette
honte d'avoir écrasé des tentatives généreuses et d'avoir
'étouffé des artistes véritables.
Aussi est-il bon que des protestations viennent affir-
mer (peu importe le prétexte, que ce soit Coquelin ou
Beckmesser), la révolte qui gronde contre cette parodie
du bon goût et de la critique, et préparent l'affranchis-
sement définitif qui remettra à son plan ce clan qui se
croit appelé à faire la loi, alors que, pétri de préjugés
et de mesquineries, il n'a ni les aptitudes, ni les con-
naissances que commande un pareil rôle devant un
public intelligent et libre.
LART MODERNE
139
7^
«t;--
^NTOINE Ï\UBINPTEIN
Ah! l'incomparable arlisle! Et qu'il fait oublier, dans ses
auditions merveilleuses, tous les pianistes dont la virtuosité
séduit,' mais dont la personnalité encombrante ne parvient pas à
s'effacer.
Il y avait huit ans qu'on n'avait plus entendu Rubinstein à
Bruxelles. C'est en 1878, fin mars, qu'il donna, dans celle même
salle de la Grande-Harmonie où il était acclamé avanl-liier par
une foule enthousiaste, ces séîinces qui sont encore dans la
mémoire de tous. Il les termina par un grand concert avec
orchestre donné, au commencement d'avril, au ihéâlre de la
Monnaie, où le compositeur apparut à côté du virtuose.
Cette fois, c'est uniquement comme intorprèlc des grands maî-
tres qu'il nous revient. Il a choisi diins la lilléralure du piano
trois grands noms, les plus grands après Jean-Sébastien Bach :
Beethoven, Schumannel Chopin. Et, pour chacun d'eux, il a fait
un programme complet, exprimant la synthèse de son art. ,
Beethoven, auquel était consacré la première séance, est
représenté par huit sonates, les plus belles. Elles embrassent
toute sa vie depuis l'œuvre vingt-septième, l'une des premières,
qui date de 4801, jusqu'à la dernière qu'il composa, la célèbre
sonate en iil mineur, qui porte le n9 111 et parut en 182-2. Entre
ces deux dates extrêmes, V Appassionnata , écrite en 1804, puis
la sonate en mi mineur (op. 90) publiée en 1814, l'une des in-
spirations les plus délicieuses du -Maître, et quatre autres, ainsi
classées : op. 31 {re' mineur), op. o8 [ut majeur) , op. 101 (la
majeur), op. 109 (mi majeur).
On ne peut imaginer chez l'exécutant interprétation plus par-
faite, chez l'auditeur impression plus profonde. Cela dépasse les
prévisions, cela déconccrlc et rend muet.
Que dire d'un artiste qui unit à la mémoire la plus prodigieuse
un mécanisme foudroyant, une puissance de sonorité qui trans-
forme le piano en orchestre; une délicatesse de nuances et de
toucher qui n'a jamais été égalée; la plus extraordinaire vélocité
et une égalité absolue dans les difficultés techniques les plus
ardues !. . ,
Les adjectifs admiratits dont le cliché a servi pour tous les
virtuoses que chaque année fait éclore ne peuvent convenir à un
artiste de cette envergure. Ils ne peuvent exprimer ce que fait
ressentir Rubinstein, — ces frissons d'art, celte joie intime, mys-
térieuse, immense,, que donne seule la sensation d'un chef-
d'œuvre.
Et chose merveilleuse, ce vîrluose prestigieux n'apparaît qu'au
second plan. C'est le musicien qui domine de toute sa hauteur,
et écrase le pianiste.
M. Reyer, dans son feuilleton des Débats, l'a très justement
fait remarquer, en quelques lignes qui résument l'artiste : « Le
secret de sa force et de son action sur le public, à ce grand vir-
tuose incomparable, c'est qu'il dédaigne toute virtuosité. Vous ne
le verrez préoccupé ni de ses gestes, ni de ses attitudes, ni des
évolutions de ses dix doigts; sa seule préoccupation, le seul
effort de sa volonté et de son génie, c'esi de reproduire fidèle-
ment, lui qui est un maître, la pensée des maîtres qu'il interprète,
c'est d'en pénétrer les intentions les plus cachées, c'est de s'in-
carner en eux-mêmes et de donner l'illusion que l'on entend
tour à tour Chopin et Schumanu, Schubert et Weber, Men-
delssohn et Beethoven. » .
Quel enseignement et quel exemple.
LE SALON DES AQUARELLISTES
Ceux-ci sont les anciens de l'Ordre, les vétérans, les véritables
Jean-Marie de la goutte d'eau colorée. 11 ne faut pas les confondre
avec les Hydrophiles, ces Vingtistes déguisés, ni avec 1^ Aqua-
tellisles et Aquafortistes, qu'une éclipse a récemment dérobés
aux observations. _
Depuis un quart de siècle, aussitôt que le soleil baise les pre-
miers lilas et que s'épanouissent sur les nappes les radis roses,
les asperges en branches et les fraises hâtives, aux murailles du
Salon fleurissent les aquarelles de la Société royale, en bouquets
éclatants. Tradilionnellt'menl se fait l'ouverture. Ln tapis écarlate
rouie de marche en marche un larcje fleuve de san£f. La commis-
sion, correctement vêtue de noir, gantée de beurre frais et cra-
vatée de blanc, introduit la Cour, et durant toute une après-midi,
les présentations, les compliments, les courbettes, les révérences
emplissent de réminiscences gerolsteiniennes la petite église con-
sacrée au culte de la peinture à l'eau.
La promenade ofTicielle terminée, les grands larbins rouges
remontés sur les carosses, le caquetage mondain éteint, on fait le
tour et l'on examine les œuvi'es.
Le nombre des exposants ne varie guère. Il est de cent en
moyenne, comprçnanl un fort lot d'Ilaliens, un choix de Hollan-
dais, pas mal de Belges, puis quelques repn'-senlants isolés des
autres pays civilisés. Les Belges sont immuablement au nombre
de quarante. Du moins, ils devraient, aux termes des statuts, ne
pas dépasser ce chiffre. En réalité, ils sont plus nombreux.
On remarque, en effet, parmi les membres honoraii'es « choisis,
dit le catalogue, jiarmi les artistes étrangers h.'s plus ('-minenls »,
MM. Emile Wauters, Charles Verlal, Fernand de Beockman,
Joseph Stevens, Alfred Slevens, Jean Portaels, le major Pecque-
reau, etc.
Eminents, ces Messieurs, sans doute. Mais étrangers? Nous
protestons au nom de la patrie.
Peu nous importe, au surplus, et nous ne chercherons pas
querelle à la Société pour cet innocent subterfuge. D'autant
moins que parmi les nouvelles -recrues qu'on a pu ainsi enrégi-
menter, il y a quelques personnalités intéressantes.
Dé la collaboration des membres effectifs el honoraires, naît,
chaque année, une exposition qui ne varie que modérément. Le
champ donne régulièrement sa moisson, à pleines gerbes. On
n'entend, dans ce vallon paisible, ni le crépitement de la fusillade,
ni le bruit du canon, qui retentissent ailleurs. Les Aquarellistes
en sont à leur vingt-sixième année diî paix et de prospérité. Le
public n'a jamais songea les discuter, parce qu'ils se sont gardés
de heurter les opinions de leurs benoîts admirateurs.
.\ussi, la critique peut-elle se borner à signaler l'exposition et
à passer outre, en se réservant pour les jours de bataille.
Les remarques que suggèrent, en eti'et, les neuf dixièmes des
œuvres exposées sont dans le domaine public. A quoi bon les répé-
ter? Tout le monde sait que les Italiens ont des malices de singes
el qu'ils se servent de leurs pinceaux avec plus d'adresse que les
Chinois de leurs bagueltes d'ivoire pour manger le riz. Le jongleur
le plus étourdissant est, celle année, M. Simonr, Gustave, qui
cote quatre mille francs un passe-parlout dénommé : Danse de
nègres devant la mosquée de Sidi-Boumédineà Thlemcem S\<^én^) .
Passe-parloul est ici synonyme de tour de passe-passe.
On sail aussi que les peintres hollandais usent d'un procédé
différent, qu'ils empâtent la légèreté de la peinture à l'eau par
des épaisseurs de gouache et qu'ils arrivent ainsi à des effets
particuliers. On sait qu'ils affectionnent la mélancolie des ciels
noirs roulant des nuages opaques sur des moulins éplorés au
bord d'un canal, où ils n'ont d'autre ressource pour se distraire
que de s'y mirer. Il y a, comme d'habitude, un stock d'aquarel-
listes néerlandais des deux sexes, répétant consciencieusement la
formule adoptée : M™* Bilders-Van Bosse, M. Henkes, M. Weis-
senbruch, M. Roelofs, M. Poggenbcek,M. Wysmuller, M. Zilcken,
qui pourrait faire mieux, M. Vander Waay, M. Stortenbckcr,
M. Kever, M. Bastert^ etc. A remarquer M"« Bramina Hubrechl,
que nous avions déjà signalée à l'attention l'an dernier, et dont
le Vieux Thovias, virilement peint, à pleine eau, sans le secours
de la gouache, est l'une des œuvres captivantes de l'envoi d'outre
Moerdijk.
A classer aussi à une place d'honneur le Troupeau de moutons
de M. Mauve, une jolie page d'un sentiment subtil, vraiment
artiste^ dans la plus belle acception du terme, et certes l'une des
œuvres les plus remarquables du Salon.
M. Mauve traîne à sa suite M. Ter Mculen, qui expose un trou-
peiau de moulons semblable au précédent, très habilement pas-
tiché.
Quant aux Belges, nul n'ignore que MM. Uytterschaut, Slac-
quet, Binjé font de jolis petits paysages et de non moins élé-
gantes petites marines; que M. Lanneau s'est fait une spécialité
de dahlias, de roses, de tournesols et de coquelicots; que
MM. David et Pierre Ovens trouvent moven de mettre de l'intérêt
dans une casserolle, dans un coin de poêle et dans une brosse à
dents; que M. Jean Baes excelle à croquer toutes les flèches,
tours et tourelles de Belgique ; que M. Hubert aime à dessiner les
petits soldats et que M. Abry lui fait une concurrence sérieuse;
que M. Aelbrecht De Vriendt a une patience incomparable dans ses
recherches archéologiques; que M. Hoeterickx, à Londres, et
M. Hagemans, à Anvers, ont trouvé une inépuisable source de
croquis de rues et de marchés, dont ils rapporlenl chaque année
un déballage important....
Il est, au Salon de celte année, trois artistes dont l'art est plus
élevé, et dont les œuvres simples, émotionnantes et fortes domi-
nent la cohue des aquarelles dont le public dit : « C'est ravis-
sant ».
Ces artistes sont MM. Xavier Mellery, Constantin Meunier et
Eugène Smits.
Nous parlerons d'eux dans un prochain article. Avec le paysa-
giste Harpignies, dont nous avons également à entretenir nos
lecteurs, ils constituent le réel intérêt du présent Salon.
LE JURY D'ADMISSION (*)
Bongrand se trouvait en continuelle hostilité avec Mazel,
nommé président du jury, un maître célèbre de l'école, le
dernier rempart de la convention <5]éganle et beurrée. Bien
qu'ils se traitassent de chers collègues', en échangeant de
grandes poignées de main, celte hostilité avait éclaté dès le pre-
mier jour, l'un ne pouvait demander l'admission d'un tableau,
sans que l'aulre voiâl un refus. Au contiaire, Fagerolles, élu
secrétaire, s'était fait l'amuseur, le vice de Mazel qui lui pardon-
1
(') Zola décrit dans YŒuvre les opérations du jury du Salon. Le morceau
que nous reproduisons est d'une observation cruelle, et il est d'actualité.
nait sa défection d'ancien élève, tant ce renégat Tadulait aujour-
d'hui. Du reste, le jeune maître, très rosse, comme disaient les
camarades,' se montrait pour les débutants, les audacieux, plus
dur que les membres de l'Institut; et il ne s'humanisait que
lorsqu'il voulait faire recevoir un tableau, abondant alors en
inventions drôles, intriguant, enlevant le vote avec des souplesses
d'escamoteur.
Ces travaux du jury étaient une rude corvée, où Bongrand lui-
même usait ses fortes jambes. Tous les jours le travail se trouvait
préparé par les gardiens, un interminable rang dé grands tableaux
posés à terre, appuyés contre la cimaise, fuyant k travers les
salles du premier étage, faisant le tour entier du Palais; et cha-
que après-midi, dès une heure, les quarante, ayant à leur tête
le président armé d'une sonnette, recommençaient la même
promenade, jusqu'à l'épuisement de toutes les lettres de l'alphabet.
Les jugements étaient rendus debout, on bâclait le plus possible
la besogne, rejetant sans vole les pires toiles; pourtant des dis-
cussions arrêtaient parfois le groupe, on se querellait pendant
dix minutes, on réservait l'œuvre en cause pour la revision du
soir; tandis que deux hommes, tenant une corde de dix mètres
la raidissaient, à quatre pas de la ligne des tableaux, afin de
maintenir à bonne distance le flot des jurés, qui poussaient dans
le feu de la dispute, et dont les ventres, malgré tout, creusaient
la corde. Derrière le jury marchaient les soixante-dix gardiens
en blouse blanche, évoluant sous les ordres d'un brigadier, fai-
sant le tri à chaque décision communiquée par les secrétaires,
les reçus séparés des refusés qu'on emportait à l'écart, comme
des cadavres après la bataille. Et le tour durait deux grandes
heures, sans un répit, sans un siège pour s'asseoir, tout le temps
sur les jambes, dans un piétinement de fatigue, au milieu des cou-
rants d'air glacés, qui forçaient les moins frileux à s'enfouir au
fond de paletots de fourrure.
Aussi la collation de trois heures était-elle la bienvenue : un
repos d'une demi-heure à un buffet, où l'on trouvait du bor-
deaux, du chocolat, des sandwichs. C'était là que s*ouvrait le
marché aux concessions mutuelles, les échanges d'influences et
de voix. La plupart avaient de petits carnets, pour n'oublier per-
sonne dan? la grêle de recommandations qui s'ébattait sur eux ;
et ils le consultaient, ils s'engageaint à voter pour les protégés
d'un collègue, si celui-ci volait pour les leurs. D'autres, au con-
traire, détachés de ces intrigues, austères ou insouciants ache-
vaient une cigaretle, le regard perdu. ^.
Puis, la besogne reprenait, mais plus douce dans une salle
unique, où il y avait des chaises, même des labiés, avec des
plumes, du papier, de l'encre. Tous les tableaux qui n'attei-
gnaient pas un mèlre cinquante, étaient jugés là « passaient au
chevalet », rangés par dix ou douze le long d'une sorte de tré-
teau, recouvert de serge verte. Beaucoup de jurés s'oubliaient
béatement sur les sièges,, plusieurs faisaient leur correspondance,
il fallait que le président se fachûl, pour avoir des majorités
présentables. Parfois, un coup de passion souftlail, tous se bous-
culaient, le vote à main levée était rendu dans une telle fièvre,
que des chapeaux et des cannes s'agitaient en l'air au dessus du
flot tumultueux des tôles.
Et ce fut là, au chevalet,. que l'Enfant mort parut enfin. Depuis
huit jours, Fagerolles, dont le carnet débordait de notes, se
livrait à des marchandages compliqués pour trouver des voix en
faveur de Claude, mais l'affaire était dure, elle ne s'emmanchait
pas avec ses autres engagements, il n'essuyait que des refus, dès
qu'il prononçait le nom dé son ami ; et il se plaignait de ne tirer
auçuneaide de Bongrand, qui, lui, n'avait pas de carnet, d'une telle
maladresse d'ailleurs, qu'il gûlail les meilleures causes par des
éclats de franchise inopportuns. Vingt fois Fagerolles aurait lâché
Claude, sans l'obstination qu'il mettait à vouloir essayer sa puis-
sance, sur cotte admission réputée impossible. On verrait bien s'il
n'était pas de taille déjà à violenter le jury. Peut-être y avait-il
en outre, au fond de sa conscience, un cri de justice, le sourd
respect pour l'homme dont il volait le talent.
Justement ce jour-là, Mazel était d'une humeur détestable. Dès
le début de la séance, le brigadier venait d'accourir.
« Monsieur Mazel, il y a eu une erreur hier. On a refusé un
hors-concours... Vous savez, le numéro 2,530, une femme nue
sous un arbre. »
En effet, la veille, on avait jeté ce tableau à la fosse commune,
dans le mépris unanime, sans remarquer qu'il était d'un vieux
peintre classique respecté de l'Institut; et l'effarement du brigadier,
cette bonne farce d'une exécution involontaire, égayait les jeunes
du jury, qui se mirent à ricaner, d'un air provocant.
Mazel abominait ces histoires, qu'il sentait désastreuses pour
l'autorité de l'école. Il avait eu un geste de colère, il dit sèchement :
— Eh bien ! repêchez-le, portez-le aux reçus. . . . Aussi, on
faisait hier un bruit insupporiable. Comment veut-on qu'on juge
de la sorte, au galop, si je ne puis pas même obtenir le silence!
Il donna un terrible coup de sonnette.
— Allons, messieurs, nous y sommes... Un peu de bonne
volonté, je vous prie.
Par malheur, dès les premiers tableaux posés sur le chevalet,
il eut encore une mésaventure. Entre autres, une toile attira son
attention, tellement il la trouvait mauvaise, d'un ton aigre à
agacer les dents ; et, comme sa vue baissait, il se pencha pour
voir la signature, en murmurant :
— Quel est donc le cochon... ? '_^
Mais il se releva vivement, tout secoué d'avoir lu le nom d'un
de ses amis, un artiste qui était lui aussi, le rempart des saintes
doctrines. Espérant qu'on ne l'avait pas entendu, il cria :
— Superbe!... Le numéro un, n'est-ce pas, messieurs?
On accorda le numéro un^ l'admission qui donnait droit à la
cimaise. Seulement, on riait, on se poussait du coude. II en fut
très blessé et devint farouche.
Et ilsen ilaienl tous là, beaucoup s'épanchaient au premier
regard, puis rattrapaient leurs phrases, dès qu'ils avaient déchiffré
la signature ; ce qui finissait par les rendre prudents, gonflant le
dos, s'assurant du nom, l'œil furlif avant de se prononcer. D'ail-
leurs, lorsque passait l'œuvre d'un collègue, quelque toile suspecte
d'un membre du jury, on avait la précaution de s'avertir d'un
signe, derrière les épaules du peintre : « Prenez garde, pas de
gaffe, c'est de lui !»
Malgré l'éncrvement de la séance, Fagerolles enleva une pre-
mière affaire. C'était un épouvantable portrait, peint par, un de
ses élèves, dont la famille, très ,riche, le recevait. Il avait dû
emmener Mazel à l'écart, pour l'attendrir, en lui contant une
histoire sentimentale, un malheureux père de trois filles, qui
mourait de faim ; et le président s'était longtemps fait prier ; que
diable! on lâchait la peinture, quand on avait faim! on n'abusait
pas à ce point de ses trois filles! Il leva la main pourtant seul
avec Fagerolles. On protestait, on se fâchait, deux autres mem-
bres de l'Institut se révoltaient eux-mêmes lorsque Fagerolles
leur souftîa très bas :
— C'est pour Mazel, c'est Mazel qui m'a supplié de voler... Un
parent, je crois. Enfin, il y tient. Et les deux académiciens
levèrent promptement la main et une grosse majorité se déclara.
Mais des rires, des mots d'esprit, des cris indignés éclatèrent;
on venait de placer sur le chevalet C Enfant mort. Est-ce qu'on
allait maintenant leur envoyer la morgue.' Et les jeunes bla-
guaient la grosse tête, un singe crevé d'avoir avalé une courge,
évidemment; et les vieux, effarés, reculaient.
Fagerolles, tout de suite, sentit la. partie perdue. D'abord, il
tâcha d'escamoter le vole en plaisantant, selon sa manœuvre
adroite.
— Voyons, messieurs, un vieux lutteur... Des paroles furieuses
l'interrompirent. Ah! non, pas celui-là! On le connaissait, le
vieux lutteur! Un fou qui s'entêtait depuis quinze ans, un orgueil-
leux qui posait pour le génie, qui avait parlé de démolir le Salon,
sans jamais y envoyer une toile possible! Toute la haine de l'ori-
ginalité déréglée, de la concurrence d'en face dont on a eu peur,\
de la force invincible qui triomphe, même battue, grondait dai
l'éclat des voix. Non, non, à la porte!
Alors, Fagerolles eut le tort de s'irriter, lui aussi, cédant à la
colère de constater son peu d'influence sérieuse.
— Vous êtes injustes, soyez justes au moins!
Du coup le tumulte fut à son comble. -On l'entourait, on le
poussait, des bras s'agitaient menaçants, des phrases portaient
comme des balles.
— r Monsieur, vous déshonorez le jury.
— Si vous défendez ça, c'est pour qu'on mette votre nom dans
les journaux.
— Vous ne vous y connaissez pas.
Et Fagerolles, hors de lui, perdant jusqu'à la souplesse de sa
blague, répondit lourdement :
— Je m'y connais autant que vous.
— Tais-toi donc! reprit un- camarade, un petit peintre blond
très rageur, lu ne vas pas vouloir nous faire avaler un pareil
navet!
— • Oui, oui, un navet! Tous répétaient le nom avec convic-
tion, ce mot qu'ils jetaient d'habitude aux dernières des croûtes,
à la peinture pâle, froide et glate dés barbouilleurs.
— C'est bon, dit enfin Fagerolles, les dents serrées, je demande
le vote.
Depuis que la discussion s'aggravait, Mazel agitait sa sonnette
sans relâche, très rouge de voir son autorité méconnue.
— Messieurs, allons, messieurs... C'est extraordinaire, qu'on
ne puisse s'entendre sans crier... Messieurs, je vous en prie...
Enfin il obtint un peu de silence. Au fond il n'était pas mau-
vais homme. Pourquoi ne recevrait-on pas ce petit tableau, bien
qu'il le jugeât exécrable? on en recevait tant d'autres !
— Voyons, Messieurs, on demande le vote.
Lui-même allait peut-être lever la main, lorsque Bongrand,
muet jusque-là, le sang aux joues, dans une colère qu'il conte-
nait, partit brusquement, hors de propos, lâcha ce cri de sa
conscience révoltée :
— Mais, nom de Dieu! Il n'y en a pas quatre parmi nous
capables de foutre un pareil morceau !
Des grognements coururenl, le coup de massue était si rude,
que personne ne répondit.
— Messieurs, on demande le vote, répéta Miizel, devenu pâle,
la voix sèche.
Et le ton sufiit, c'était la haine latente, les rivalités féroces
sons la bonhomie des poignées dé main. Rarement, on en arri-
vait h ces querelles. Presque toujours, on s'entendait.- Mais, au
fond dos vanités ravagées, il y avait des blessures à jamais sai-
gnantes, des duels au couteau dont on agonisait en souriant.
Bongrand et Fagcrolles levèrent seuls la main, et V Enfant
tnnrly refusé, n'eut plus que la chance d'être repris lors de la
revision générale.
C'était la besogne terrible, cette revision générale. Le jury,
après ses vingt jours de séances quotidiennes, avait beau s'accor-.
der deux journées de repos, afin de permettre aux gardiens de
préparer le travail, il éprouvait un frisson, l'aprcs-midi où il tom-
bait au milieu de l'étalage des trois mille tableaux refusés, parmi
leqnels il devait repêcher un appoint pour compléter le chiffre
réglementaire de deux mille cinquante œuvres reçues.
Ah ! ces trois mille tableaux placés bout à bout, contre les
cimaises de toutes les salles, autour de la galerie extérieure, par-
tout enfin, jusque sur les pnrquets, étendus en mares stagnantes,
entre lesquelles on ménageait de petits sentiers filant le long des
cadres, une inondalion, un débordement qui montait, envahis-
sait le Palais de l'Indiislrie, le submergeait sous le Ilot trouble
de tout ce que l'art peut rouler de médiocrité et de folie ! El ils
n'avaient qu'une séance, d'une heure à sept, six heures de galop
désespéré, au travers de ce dédale! D'abord, ils tenaient bon
contre la fatigue, les regards clairs; mais, bientôt leurs jambes
se cassaient à celle -marche forcée, leurs veux s'irritaient h ces
couleurs dans.inlos ; et il fallait marcher toujours, voir et juger
toujours, jusqu'il défaillir do lassiiude. Dès quatre heures, c'était
une déroule, une débâcle d'armée battue. En arrière, très loin,
dos jurés se traînaient, hors d'haleine. D'autres, un à un, perdus
entre les cadres, suivaient les sontior;s éiroils, renonçant à en sor-
tir, tournant snns espoir de trouver jamais le bout. Comment être
justes, grand Dieu? Que reprendre dans ce tas d'épouvante? Au
petit bonheur, sans bien distinguer un paysage d'un portrait, on
complétait le nombre. Deux cents, deux cent quarante, encore
huit, il en manquait encore huit. Celui-là ? Non, cet autre ! Comme
vous voudrez. Sept, huit, c'était fait! Enfin, ils avaient trouvé le
bout, ils s'en allaient en béquillanl, sauvés, libres!
THEATRE DE li MOKXAIE
Nous continuons à donner des renseignements statistiques sur
l'exploitation du théâtre de la Monnaie.
Abonnements. — On ignore absolument qu'alors que l'abon-
nement était la première année de la direction Stoumon-Calabrési
(4875-76) de fr. 128,824-1.5, il n'était plus la dernière que de
fr. 103,201-16. Ainsi qu il était dit dans les lettres que nous
avons publiées en décembre, il faut le tenir actuellement pour
procurant une moyenne de 100,000 francs, en tablant sur les
quatre dernières années.
Bals, — Les bals, par contre, ont monté de 26,427 francs à
37,282 francs. Les frais y relatifs, (jui étaient de fr. 8,781-40, ne
sont descendus qu'Jj fr. 7,743-50. On peut donc admettre qu'ils
rapportaient dans les derniers temps 30,000 francs nets au lieu
de 40,000 comme le croyait notre correspondant.
Edairagti. — L'éclairage au gaz est une de ces dépenses qu
la ville pourrait éviter à la direction en le donnant gratuitement.
Elle est considérable: fp. 25,069-74 en 1875-76; fr. 31,091-44
en 1884-85. 11 y a eu augmentation lente, mais presque con-
stante.
Chauffage. — Progression de dépenses beaucoup plus forte :
fr. 2,750-55 en 1875-76; fr. 7,518-10 en 1884-58.
Droits d^auteur. — Ici progression formidable : fr. 2,197-70
à fr. 32.056-10!!! * '
Récapitulons : A l'actif, en moins : abonnement 25,000 francs;
chauffage 5,000 francs; droits d'auteur 30,000 francs; total
60,000 francs. — En plus : Bals 10,000 francs. — Donc augmen-
tation de charges sur ces seuls articles, en dix années,
50,000 francs. Ajoutez-y la diminution des recettes au guichet,
que nous avons signalée dimanche dernier : 50,000 francs.
Diminution totale en dix ans sur les points que nous avons
examinés 100,000 FRANCS !! !
Nous nous arrêtons là pour le moment. Conclusion : dépenses
toujours augmentantos, Recettes diminuantes. Et c'est dans ces
comliiions que la Ville, qui assurément n'a pas connu ces chif-
fres, s'est avisée l'an dernier d'ajouter 40,000 francs de charges,
et cette année-ci de n'adoucir que faiblement cette mesure d'une
inopportunité qui désormais saute aux yeux. --
Nous répétons notre formule : Il faut 100,000 francs de
PLIS.
Dimanche prochain nous donnerons le coût annuel de la troupe
telle (ju'olle a existé depuis nombre d'années, c'est-à-dire avec
des trous on permanence. Notre conclusion sera plus claire
encore.
MEMENTO DES EXPOSITIONS ET CONCOURS
Amsterdam. Exposition ^internationale) d'artistes contemporains
organisée par la ville d'Amsterdam. Peinture, sculpture, architec-
ture, gravure, dessin, lithographie. Du 27 septembre au 30 octo-
bre 1886. Délai d'envoi : 23 aoùt-7 septembre. Frais, à charge de
l'exposant à l'aller, à charge de la Commission au retour. — Six
médailles d'or, chacune de 100 florins. — Jury de sept membres,
dont quatre élus par les exposants. Joindre à l'envoi le nom de quatre
candidats. — Les jurés ne peuvent concourir pour les médailles. —
Renseignements : Commission executive de l'Exposition commu-
nale, Amsterdam,. (J. Luden, secrétaire).
Berlin. Exposition du Centenaire des Salons berlinois. Ouverture,
15 mai. Fermeture, 15 octobre. Renseignements : Commission de
l'Exposition, près la gare de Lelirte, N. W.
Bruxelles. — Exposition et concours de la Société centrale
d'architecture. — Ouverture, 2 mai. Section rétrospective, section
contemporaine. Renseignements : Secrétaire de la Commission orga-
nisatrice, rue Royale Sainte-Marie, 128, Schaerbeek [Bruxelles).
CouRTRAi. — Exposition de tableaux, dessins, gravures, sculp-
tures et lithographies. Du 22 août au 30 septembre. Délai d'envoi :
15 juillet. Renseignements : L. De Geyne, secrétaire de l'exposi-
tion, directeur de l'Académie et de l'école industrielle.
DuNKERKE. — Exposition (internationale) d'aquarelles, dessins et
cartons, pastels, miniatures, émaux et faïences, gravures, lithogra-
phies. Du 14 juillet au 22 août. Délai de rigueur: 5 juillet. Adresse:
Expositioyi des Beaux- Arts, Musée C07nmunal, Dunkerke.
Edimbourg. — Exposition (internationale) de l'industrie, des
sciences et dés arts. — Du 4 mai au 30 octobre 1886. — Mobilier
et arts décoratifs, beaux- arts, reproduction d'anciens édifices et de
vieilles rues, etc. — ■■ Renseignements : Secrétaire de V Exposition,
Frederick Street, i9>, Edimbourg.
Florence. — Concours (offert à tous les artistes résidant en Italie)
pour les trois portes de bronze de la façade de Santa- Maria-del-Fiore
(cathédrale). Primes de 4,000 francs pour la porte centrale, de
5,000 francs pour chacune des portes latérales, accordées aux pro-
jets choisis (dessin géométrique en clair-obscur, développé au tiers
de la grandeur d'exécution). Délai de rigueur : 31 octobre 1866. Siège
du comité : Place du Dôme, 24, Florence.
Gand.—. Exposition (internationale) de la Société royale pour
l'encouragement des Beaux-Arts. Du 15 août au 24 octobre. Délai
d'envoi : 18 juillet. Secrétaire de la conitnission directrice : M.Ferd.
Vander Haeghen.
Milan. — Concours (international; pour la reconstruction de la
façade de la Cathédrale (le Dôme) en harmonie avec le style du mo-
nument. — S'adresser, pour le programme, à l'hôtel de ville de
Bruxelles, bu;'eaux de la 6« division, de dix à quatre heures.
Namur. — - Exposition du Cercle artistique et littéraire. Du
20 juin au 15 juillet. Renseignements : M. J. Trepagné, secrétaire.
A propos de notre Mémento, un abonné nous demande d'y rensei-
gner, en même temps que les concours artistiques, les concours lit-
téraires. Nous nous rendrons volontiers à son désir et prions en
conséquence les sociétés littéraires, cercles, associations, etc., qui les
organisent de nous faire parvenir régulièrement leurs programmes.
^ETITE CHROJSllQUE
On lit dans le Journal des Tribunaux :
Celui de nos rédacteurs qui a écrit Tarlicle inlitulé -.Chiennes
d'Enfer, dirigé contre le reportage effréné et mauvais qui a
enlevé toute influence au journalisme en Belgique, a été, à ce
sujet, pris à partie dans un de ces Premiers-Molenbeek dont les
Nouvelles du Jour ont la spécialité.
Désirant connaître l'auteur de ces amabilités qui se dissimu-
lait sous un pseudonyme, il a écrit dans ce JDÛt au directeur du
journal.
Voici la plaisante réponse qui fut faite à cette invitation :
Veuillez passer au bureau, on vous renseignera.
Ah ! que non. Il faut d'abord savoir si le particulier vaut le
déplacement. Un gaillard vous éclabousse, caché sous une grille
d'égout, et quand on lui demande son nom, il crie : Descendez
voir.
On ne se risque en certains lieux qu'avec la certitutlc d'y trou-
ver ce que l'on cherche. La belle aubaine que ce serait de déni-
cher un cuistre où l'on voulait trouver un homme.
Ce n'est pas la première fois qu'en conjoncture journalistique
analogue on a pu chanter le refrain :
Attendez-les sous l'orme,
Vous attendrez longtemps.
La dernière séance de la Société des concerts du Conserva-
toire de Liège a brillamment clôturé la saison.
L'orchestre a fait entendre, sous la direction de M. Rndoux, la
symphonie on ut d*^ Beethoven, l'ouverture de Benvenuto Cel-
lini et les Danses villageoises, de Grétry. Exécution colorée et
vraiment artistique.
Comme solistes, on a applaudi M"»^' Cécile Mézcrdy, dont la
voix charmante et la grâce ont conquis d'emblée la ville de
Liège, et M. César Thompson, Timpeceable virtuose, dont le
succès, dans le concerto de Beeihoven, a été considérable.
- Une œuvre de M. Radoux figurait au programme, un Te Deum
pour soli, chœurs et orchestre, composition d'un grand carac-
tère, écrite avec une connaissance approfondie des masses cho-
rales. Le Salvum fac populum a particulièrement été apprécié
par le public. Les solistes, MM. Verhees et Davroux, M"'« Fick-
Wéry et Grégoire ont contribué à donner à cet ouvrage une
excellente interprétation.
Le Piano -récital donné à Mons par M. Camille Gurickx
a pleinement réussi. Les journaux sont unanimes à louer le style,
\e mécanisme, le jeu brillant et très personnel de l'artiste, la
sûreté et la vigueur de ses attaques, ainsi que sa sonorité.
M. Louis Cardon a publié en une élégante plaquette tirée à
très petit nombre la notice biographique sur Alfred Stevens qui a
paru dans la Fédération artistique (\w 3 avril 1886. Cette petite,
curiosité est en vente à l'imprimerie de Kuz.snich, 29, rue Vander
Haeghen, au prix de cinq francs.
C'est demain, lundi 3 mai, qu'au.ra Iieu,k 8 heures du soir, au
théâtre de la Monnaie, le dernier comiû^t populaire do la saison.
Nous en avons déjà fait connaître le programme, exceptionnelle-
ment bien composé : Premier acte de Tristan et Iseult, Marche
de Walhall [Rheingold), L'oiseau do la forêt {Siegfried), Scène
des filles du Rhin {Gotterdammerung) et Chevauchée des Valky-
ries {La Val kyrie). ".
^Ime Vanda van der Meere nous prie d'annoncer qu'elle don-
nera le vendredi 7 mai, à la salle Marugg, une seconde soirée
musicale. ' ■
Pour le 10 mai, l'Union des jeunes compositeurs, qui a, déjà
donné cet hiver deux très intéressants concerts, prépare Une
audition à orchestre d'œuvres de ses membres. Outre la cantate
Breydel.et de Coninck, de M. Léon Dubois, le programme dé
cette soirée porte une Suite pour- orchestre, de M. Léon Jehin,.
une symphonie ,, de M. Jan Blockx, un poème symphonique. Can-
tique des Cantiques pour soli, chœur et orchestre, de M. Degréef,
un Prélude et Andante, de M. Agn'ez, enfin une partition com-
plète de musique ^e scène, introduction et entr'aclcs pour le
drame Patrie, de Sardou. Voilà une tentative à encoura^t^r et
qui piquera, certes, la curiosité do tous ceux qui s'intéressent à
l'avenir de la jeune école belge de musique.
M. J. Massenet travaille, en ce moment, un opéra dont lo sujet
est tiré du Werther, de Gœlhe. C'est M. Paul .Milliet, le libret-
tiste à^Hérodiadé, qui lui' a fourni le poème de cet opéra senti-
mental et romantique.
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144
UART MODERNE
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SIXIÈME ANNEE
L'ART MODERNE s'est acquis par rautorité et l'indépendance dé sa critique, par la variété de ses
informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune manifestation de l'Art ne
lui est étrangère : il s'occupe de littérature, de peinture, de sculpture, de gravure, de musique,
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouvement artistique belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur tous les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaître.
Chaque numéro de L'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'actualité. Les expositions, les livres nouveaux, les
premières représentations d'œuvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires, les concerts, les
ventes d'objets cCart, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées.
L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. Il rend compte des
procès les plus intéressants concernant les Arts, plaides devant les tribunaux belges et étrangers. Lès
artistes trouvent toutes les semaines dans son Mémento la nomenclature complète des expositions et
concours auxquels ils peuvent prendre part, en Belgique et à l'étranger. Il est envoyé gratuitement à
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L'ART MODERNE forme chaque année un beau et fort volume d'environ 450 pages, avec table
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Dimanche 9 Mai 1886.
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O-MMAI.RE , ,
L'œuvre d'art. — Théorik de l'applaudissement. — Théâtre
DE LA Monnaie. — L. Trézenik, Proses décadentes et les Gens
qui s'amusent. — , Kees DooiHk. par Georges Eekhoud. — Le
quatrième concert populaire. — Concerts Rubinstein.
L'OEUVRE D'ART
Xavier Mellery, Constantin Meunier, Eugène Smits :
ces trois noms, disions-nous dans notre analyse du
Salon des Aquarellistes, constituent le réel intérêt de
l'exposition.
C'est à eux que revient, après la fatigue des papil-
lonnantes images qui irritent la rétine, le spectateur
attentif, curieux de pénétrer l'au-^edans des choses.
Dans trois ex:pressions différentes, dissemblables par la
facture, par le sentiment et par le genre de sujets, ils
réalisent, dans sa plus belle et, sa plus noble acception,
ridée d'une œuvre d'art. -
De loin, ce mot flamboie sur le cadre. Impossible de"
confondre Mellery, Meunier et Smits parmi la foule des
peintres qui ont simplement du talent, dont on vante
la finesse de coloris, la distinction, la délicatesse, la
facture habile.
Il y a beaucoup d'hoinmes de talent en Belgique. Les
artistes sont rares, nous entendons : les artistes qui
font ŒUVRE d'art. Aux Aquarellistes, on en peut
compter à coup sûr trois. "^Et ces trois artistes, on les
croirait réunis tout exprès pour prouver à quel point la
question d'écoles, de tendances, de réalisme, de roman-
tisme, d'impressionnisme, de mode, de vogue, est étran-
gère au résultat souhaité.
Dans la formidable production que l'activité inces-
sante des ateliers jette chaque jour dans la circulation,
à quel caractère reconnaît-on l'œuvre d'art ? A ce qu'au
lieu de la sensation fugitive que provoquent les repro-
ductions quelconques d'une scène, d'une figure ou d'un
paysage, l'œuvre d'art fait éprouver une émotion intense,
forte et durable, dont le souvenir, loin de s'éteindre
quand l'œuvre n'est plus sous les yeux, grandit au
contraire et laisse dans la mémoire un sillon lumineux.
Faites-en l'expérience. De la multitude des Wath-
man de tous formats et de toutes couleurs qui
tapissent actuellement le bâtiment des Beaux-Arts,
évoquez le souvenir des quelques pages devant les-
quelles vous avez ressenti une impression aiguë.
Celles-là sortiront des rangs, s'avanceront, grandiront,
s'imposeront autoritairement. Ce seront de véritables
œuvres d'art. ,
Quel est donc le philtre mystérieux que possèdent
certains hommes pour faire vivre ainsi de la vie intense
de l'Art les productions de leur cerveau? Quelle est la
formule algébrique qui, scrupuleusement suivie, donne
sans faute la solution désirée ? Est-ce en s'approchant
le plus possible de la nature, en en pénétrant les secrets
en l'exprimant dans sa réalité adéquate qu'on atteindra
le plus sûrement le but? Est-ce, au contraire, en s'en
éloignant, en éliminant de la vision qu'elle provoque
tout ce qui s'écarte de la beauté idéale entrevue par
quelques organisations spéciales ?
Faut-il rechercher la clarté, la grâce, la gaîté? Est-il
préférable de se cantonner dans une harmonie assourdie
et terne, de se complaire dans l'austérité recueillie de
la vie ?
Questions oiseuses. Jamais nous n'avons senti plus
vivement qu'en présence des aquarelles de Mellery, de
Meunier et de Smits la vérité de cet aphorisme, dont
nous nous sommes servi si fréquemment : Eïi art, pas
de théorie. Il ny a pas de système qui n ait été
démenti par un chef d'œui'^re.
Mellery peint, d'après nature, une famille de rem-
pailleurs de chaises. L'homme est à son travail, dans
une échoppe. Il sourit à sa compagne, qui s'en va,^n
enfant dans chaque main et un échafaudage de chaises
sur la tète, porter à la pratique l'ouvrage achevé. C'est
tout. La coniposition est noire, triste. Sur le groupe
pèse le silence morne des villes de province. On pressent
que les dalles eu pierre bleue du trottoir vont résonner
soUs les pas traînants de la bonne femme : clic, cloc,
clic. Et l'intensité du sentiment est telle qu'il est impos-
sible d'oublier le regard du rempailleur de chaises, et
que la suggestion de tout un petit monde humble,
ignoré, souffrant, laborieux vous poursuit d'obsédantes
visions.
Ou bien il juche sur un des escahers de bois de l'île
de Marken une petite fille, comme au haut d'un mât
une vigie. Ou encore, devant une maison aux lignes
géométriques, goudronnée, vernie, la porte passée au "^
vert pomme, telle que seuls les Markenois en con-
struisent, il campe, adossés à une balustrade, le
promis et la promise; elle, rougissante, sérieuse,
recueillie, lui, caressant, insinuant, tous deux enve-
loppés.de la sérénité -rayonnante des amours rustiques.
Ces œuvres qui déroutent par leur coloris, par la
minutie invraisemblable du dessin, n'en font pas moins
éprouver des sensations profondes, vivaces, durables.
Ce sont, dans toute la force du terme, des œuvres
d'art.
Tout autre est Meunier, dont les études du pays
borain, qui suffiraient -seules a lui assurer la gloire,
ont même puissance, même grandeur, même pénétra-
tion. La jeune hiercheuse qui se détache sur la san-
glante chevauchée des toitures du coron, tandis qu'à
l'horizon, sous un ciel lamentable, se dressent mena-
çantes les cheminées de l'usine, raconte plus éloquem-
ment que tous discours, dissertations, études et décla-
mations, la misère qui dévore les contrées du charbon.
Elle fait percevoir les rumeurs qui, de temps en temps,
éclatent comme un roulement de tonnerre. L'impres-
sion qu'elte fait naître est saisissante. Et pourtant, quoi
de commun entre la patte emportée et rapide de Meu-
nier, les coups de pinceaux dont il sabre ses œuvres, ses
violences de coloration, et l'art de Mellery, qui a au
service d'un œil de gothique la patience d'un primitif.
Et Eugène Smits ! Voyez son Affaire de famille, sa
T^te<i'6^^2<^c encapuchonnée de noir sur un fond grenat,
la jolie et poétique composition qu'il intitule : Regard
dans la campagne. Ces séduisantes jeunes femmes,
dont les vêtements rappellent soit Florence, soit l'An-
dalousie, n'ont d autre mission, semble-t-il, que de faire
mouvoir des formes harmonieuses dans la joie de l'air.
Elles sont très peu réelles. Le réalisme, l'impression-
nisme n'ont rien à voir en l'occurence. D'autre part,
elles n'ont rien de commun ni avec le génie concentré,
impeccable, de Mellery, ni avec l'art de Meunier, dans
lequel fermentent toutes les douleurs, toutes les souf-
frances, toutes les hontes sociales.*^
Et malgré cela, les aquarelles de Smits sont de fort
belles œuvres d'art, d'un art en surface, touchant à la
décoration, mais d'un goût parfait et d'une délicatesse
charmante^
Clôturons ces observations. Puissent-elles faire com-
prendre, en même temps qu'elles affirment notre admi-
ration pour quelques artistes dont nous sommes heu-
reux de vanter la maîtrise, qu'il est absurde de vouloir
renfermer l'art dans une expression déterminée.
L'éducation pernicieuse que notre génération a
reçue, tant au point de vue artistique qu'au point de
vue littéraire, comme nous le faisions récemment
encore remarquer à propos de poèmes d'Homère, si
étrangement travestis par les pédants chargés de les
expliquer, est la cause de ce préjugé qui porte, en
général, les hommes à n'admettre qu'un art déterminé
et à combattre à outrance tout ce qui s'en éloigne.
Sachons nous garder de ces excès. Mais réservons nos
éloges pour les manifestations artistiques-dans lesquelles
luit la flamme artistique. Celles-là seules méritent de
fixer l'attention.
TIIËOIUE DE L'APPLAlDISSenENT
Il s'est produit aux admirables concerts de Rubin-.
stein, avec la persistance et la surdité de la sottise, un
spectacle ridicule.
Le Maître a exécuté trois séries d'œuvres choisies et
groupées avec un tact artistique parfait, de façon à
amener par leur déroulement une impression d'ensemble
grandissante, grandissante jusqu'à l'épanouissement
complet, donnant à l'auditeur, qui eût pu se recueillir,
une jouissance harmonique presque surhumaine, une
pleine compréhension des trois hommes de génie qu'il
s'agi.ssait de révéler dans des conditions qui, jusqu'ici,
n'avaient jamais été atteintes ; vraies gammes chroma-
tiques faisant passer et frissonner les âmes sur les
claviers héroïques et merveilleux de Beethoven, de
Schumann et de Chopin.
Le bon sens et le bon goût commandaient de se laisser
faire, d'écouter sans souffler et pieusement, de s'envoler
en silence sur les ailes de cette harmonie divine, d'en
subir le magnétisme prodigieux comme en un rêve,
comme dans la mort quand tout se tait pour ne plus
laisser qu'une illusion, celle du départ vers les sphères
infinies.
Or, il s'est trouvé là une horde d'imbéciles, ou plutôt
de sauvages, qui, entre chaque morceau, entre chaque
grain de ce rosaire en lequel Rubinstein mettait un de
ses hymnes fervents de musicien incomparable, ont
déchaîné la meute discordante de leurs applaudisse-
ments ineptes. Oui, il y a eu deux cents Peaux-Rouges
qui n'ont pas eu le sentiment que le tapage de la claque
était la plus odieuse réponse à l'harmonie des sons, et
qu'il survenait là comme une échappée de pestilences
entre les plats fins d'un repas bien ordonné.
Il fallait voir les efforts de l'artiste pour comprimer
ces incongruités. A peine finissait-il un morceau qu'il
en entamait un autre, jetant à poignées les notes sur
le roulement de mains qui s'ébrouait, comme on jette
un seau d'eau sur un incendie qui commence. On sentait
qu'il eût voulu crier : Silence dans la ménagerie !
Occupé à faire rentrer ces bruits dans leur néant, il
apparaissait involontairement tel qu'un écolier qui
repousse des hannetons dans leur boîte. On voyait
qu'il pensait, avec cette brutalité légitime dont les
artistes sont coutumiers devant les âneries bour-
geoises : « Mais, crétins, ne comprenez-vous pas que ce
vacarme est stupide venant comme conclusion des
mélodies profondes que je vous ai fait entendre. Vous
êtes des, chiens aboyant à la musique. Tenez-vous
tranquilles, nom de.. ! «
Mais non, joyeux et inconscients, les bonshommes
et les petites femmes réprenaient et leur charivari
retentissait ignoble et bête.
Richard Wagner, le premier auteur d'un code de
police artistique, avait strictement prescrit qu'on ne
pourrait applaudir ses œuvres qu'après exécution com-
plète, et il faisait jeter à la porte du théâtre de Bay-
reuth où il était souverain maître, le malheureux
novice qui se rendait coupable de scandale en inter-
rompant un acte par un battement de mains ou une
exclamation. L'inconvenance d'un pareil bruit lui appa-
raissait aussi forte, disait-il, quun pet dans un
dÎ7ïer de cour.
L'immortel révélateur de tant de vérités artistiques,
cette fois encore avait raison. Il faut s'accoutumer, et
surtout accoutumer les artistes, assoiffés de louanges et
pourris de cabotinage, à plus de sens commun et à
plus de dignité.
N'est-il pas comique et étrange que, pour exprimer^
le plaisir que causent des bruits harmonieux, on se livre
incontinent à des bruits vulgaires ? Quand on a l heu-
reuse chance de voir paraître un beau visage de femme,
montre-t-on son enthousiasme par des grimaces ?
Répond-on à. des caresses par des coups ? Jamais amant
a-t-il interrompu les baisers de sa maîtresse par des
giffles ? Vraiment, quand on rétiêchit à ce bizarre
usage, on se demande si ce n'est pas un vestige de
cette animalité primitive dont, au dire de Darwin, des
traces se maintiennent dans les civilisations les plus
raffinées.
Il serait, certes, difficile d'empêcher les foules de
manifester leur admiration et leur enthousiasme par
des hurlements et des frappements. Il y a en elles un
besoin bestial de s'esclaff*er en un affreux vacarme cïès
qu'elles se sentent remuées par des sentiments héroï-
ques Elles se livrent alors à des vociférations et à des
gesticulations analogues aux hennissements et aux
péta.rades des étalons auxquels on ouvre l'écurie. Soit.
Subissons ces infirmités. Mais modérons-les et tâchons,
en gens bien élevés du xix^ siècle, de ne partir en ces
fusées qu'au moment opportun. Permettons aux œuvres
de se manifester sans être en pleine exécution sabrées
par ces charges, fauchées par ces grêles, déclanchées
par ces tremblements. Et surtout n'appliquons pas à
un Maître comme Rubinstein, le régime des applaudis-
sements par rasades répétées auquel nous ont accou-
tumés, fort misérablement, nos chanteurs et nos chan-
teuses d'opéra, ces gloutons féroces, ces insatiables
voraces, enragés de vanité puérile.
THEATRE DE Li MOXXAIE
MM. Joseph Dupont, chef d'orchostre, et Lapissida, régisseur
depuis longues années du théâl.rc do la Monnaie, en ont été nom-
més directeurs par le conseil communal. -
La chose a été parfaitement accueillie par le public. Ces mes-
sieurs ont, en effet, de nombreuses sympathies dans le monde
bruxellois. Ils ont l'habitude de notre première scène, con-
naissent apparemment tous les détails de son administration et
ont dos mérites artistiques incontestés.
Ils n'ont obtenu d'avantages pécuniaires autres que ceux dont
nous ayons discute l'importance dans notre dernier numéro, que
la restitution du subside complémentaire de 15,000 francs que
la ville faisait h la direction Sloumon et Calabresi pour couvrir
en partie l'augmentation des droits d'auteurs.
Dans ces conditions, l'entreprise est hardie et commande, de
>la part du public, beaucoup de bienveillance, dans les premiers
temps surtout, à l'occasion du recrutement de la troupe et des
remaniements presque toujours désastreux, que trop de rigueur
lors des débuts occasionnent. On juge chez nous, presque tou-
jours dès le premier soir, par'"ois même dès le premier morceau.
C'est fort téméraire et peu raisonnable. Les artistes du ch:int
sont d'une impressionnabilité excessive ; ils arrivent k Bruxelles
avec des craintes exaçjérées sur la sévérité de nos auditeurs, ils
ehaneent de climat et leurs cordes vocales en souffrent ; ils sont
donc généralement dans des conditions mauvaises pour se taire
apprécier. La patience et la réserve s'imposent. La nécessité de
remplacer, d'engager alors presque au hasard, de payer d'avance
sans que cela serve à quelque chose, est fréquemment l'origine
des crises dans l'exploitalion". Même quand le désastre n'arrive
qu'au cours de la saison, il a le plus souvent pour cause ces
embarras des premiers mois. Avec ([uelque sagesse et quelque
impartialité on l'éviterait.
Nous donnons aujourd'hui le tableau de la troupe pend:int les
dix avant-dernières années. Nous laissons 1885-86 de côté a rai-
son de son caractère anormal. Il en e^t de même de l'année du
cinquantenaire 1880-81, que nous avons déjà à diverses reprises
signalée comme exceptionnelle.
Nous tirerons dimanche prochain des conclusions de ces chif-
fres auxquels nous en ajouterons quelques autres aussi intéres-
sants.
X
Ti"
148
VAUT MODERNE
w^
1875-1876
/,
Ténors
Svlva
Warol ',.
Berlin
Hurl Libcrt
Giich'in
Lislcllicr
Ir.
»
Barytons
Devovod
Morlol
Basses
Echelio
Neveu
Chappuis
Meclielaoré
fr.
»
Chanteuses
Bernard i ;^
Ronnux
Hamaekers
Dérivis
Reine
Dclanoux
Ismael
Vandenberghe
fr
La in y
Ducliamps
Danseurs
fr.
»
Danseuses
7,000
5,()00
2,200
\ ,400
000
-;>00
1876-1877
Ténors
fr. 5,000 Devovod
Tournir
l'ertin
Peliin
Lemeroier
(iiiérin
ïv.
»
Barytons
1.500
2,200
1,800
500
550
Morlel
2,500
>i 500
« 4,000
» 4,000
» 2,000
» . 300
« 500
>) 1,500
M on l fort
Dan pli in
Chappuis
Mcehelaen
Basses
• . fr.
»
>>
Chanteuses
825
275
Fiirscli-Madier
Berna rdi
Hamaekers
Dérivis
Rénaux ^
F.nigini
Richard
Ismael
Toslanie .
Bhim
»
»
»
Danseurs
Lamy
Viale
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Zuliani
fr. J^,350
» ' '850
>î - 475
w 500
To:al pafr année : \v. 48,425 Total j)ar annc'r • fF. 48,850
Hansen
r^oiflrnv
Ducharnps
fr
»
Danseuses
8,000
2,<)00
1,200
500
000
tV. J,o00
«1,600
1,500
1,500
550
550
fr. 0,000
» 2,000
» 4,000
» 4,600
>> 500
900
300
500
600
1,200
550
500
275
David
Zuliani
Viale
Mail ri
fr. 2,000
500
» 850
>) 475
APPOINTEMENTS DE LA TROUPE. -
1877-1878
Ténors
'Tourni(''
BiMlin
Lefebvre
Lemercier
Guéri n
fr. 8,000
» 3,000
» 1,350
» 500
» 000
Barytons
Devovod;
Gui lien
fr. 5,500
» 1,350
Baïises
Quii'el
Dauphin
Chappuis
Mechelaere
fr.
»
»
Chanteuses
Fursch-Madier
IJe mardi
Hamaekers
Blum.
Liirix
Ismael
Redouté
fr.
»
»
»
»
Danseurs
I|iin««en
Poigny
Diichamps
fr.
»
Danseuses
Ricci
Vi;de
Zuliani
Ponlebillo
fr.
»
»
800
1,800
550
550
5,000
2,000
4,000
1,200
800
500
1,800
500
550
300
700
950
500
475
1878-1879
Ténors
Touruié
Rodier
Lefebvre
(iuérîn
Von lot
Barytons
Couturier
Soulacroix
^9
■ -
1879-1880
Ténors
"
fr.
8,000
Svlva tr.
9,500
»
3,500
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,600
))
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Rodier »
3,500
))
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600
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Barytons
fr.
3,000
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4,000
»
1,000
Soulacroix »
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Basses
Gresse
Dauphin
Chappuis
Mechelaere
fr.
»
»
1,300
1,800
550
550
Chanteuses
Basses
Gréssc
Dauphin
Chappuis
Lonati
fr.
»
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1,600
2,000
550
4O0
Fursch-Madier
Bernard i
Hamaekers
Vaillant
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Lonali
Dupouy
Ismael
fp. .5,000
2,000
3,000
1,800
1,800
1,000
400
500
»
Chanteuses
Fursch-Madier fr.
Duvivier »
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De Vries , »
Warnots »
Lonali »
Ismael »
Deschamps »
Stella Corva »
5,000
1,000
1,200
3,500
2,000
i,200
500
1,000
400
Danseurs
Hansen
Poigny
Ducharnps
fr.
500
550
300
Danseuses
Total par année: fr. 43,275 To'al par année : fr. 41,950
Coia, Adriana
Vifile '
Zuliani .
Ferra ri 0 '
fr. 1,000
^> ^950
», 500
» 500
Danseurs
Poigny
Ducharnps
»
550
300
Gedda
Bariholetli
Esselin
Francesca
Dewilte
Danseuses
fr.
»
>>
»
850
.875
500
450
200
Total par année : ir. 45,575
V ART MODERNE
140
DE LA MONNAIE
PÉ R I O D E D ÉC E N N A LE DE 18 7 5 AI 8 86
1880-1881
Ténors
Sviva
Massarl
Rodior
Lcfoljvre
Voulet
Guérin
Masson
fr. 9,500
)) 1,500
» 4,000
« 1,33.0
500
600
250
Devoyod
Soulacroix
Barytons
-fr.
»
Basses
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fr
Dauphin
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Chanteuses
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Duvivier
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Bosman
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»
Ismaël
»
Doschamps
»
Danseurs
Poigny
Duchamps
Gedda
Bicci
Esselin
Valain
Danseuses
fr.
)>
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4,500
1,500
1,800
?,00'0
550
550
5,000
1,400
1,800
800
350
1,500
500
1,200
o w ,.
ooO
1881-1882
Vergncl
Massarl
Hodier
Joantics
Mansucdo
Guérin
Ténors
fr.
8,000
2,500
4,000
1,400
150
600
Manotiry
Soulacroix
Fontaino
Barytons
fr.
))
3,500
1,800
450
Basses
Grosso
Dauphin
Chaj)puis
fr
»
))
1,800
2,000
550
Hamaekors
Duvivier
Calvé
Rabany
Doschamps
Bosman
Lohali
Horvoy
Ismaël
Chanteuses
»
2,000
2,000
700
1,800
1,000
1,000
1,500
400
500
1882-1883
Ténors
Jounhiin
Massarl
Rodior
D(î!aquerriôro
Mansuèdo
Guérin
fr.
»
Barytons
Dovriès
Soulacroix
Boussa
Basses
Grasse
Dauphin
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Chanteuses
Duvivier
Hamaekors
Dtschamps
Ci'lvé
Bosman
Bogond
Loguull
Lonali
D'Argonl
Ismaël
M a 5a ri
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))
»
»
»
Danseurs
Pcii^nv
Duchamps
fr
»
V •» c»
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323
850
700
500
500
Total
par année: fr. 44,275
Godda
Ricci
Gedda
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Danseuses
»
' ■ ■ »
900
700
300
350
Danseurs
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Danseuses
Tot;d par année : fr. 4 1 ,000
Gedda
Ricci
Godda
Gis^'iio
tr.
»
4,300
3,000
4,000
1,300
173
600
fr. 3,000
» 2,000
» 1,300
fr. 2,400
» 2,000
ïr. 3,500
1,800
1,20(1
1,200
1,200
600
500
1,500
300
500
230
1888-1884
Ténors
Jourdain
Massarl
fiodier
fJolaquerrière
Gofîocl
Mansuède
(iuérin
fr.
»
»
»
Devriès
Soulacroix
Boussa
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Barytons
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Basses
Grosso
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Chappuis
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Caron
H.imaokers
Deschamps
Bosman
Legault .
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Ismaël
Maijari
Chanteuses
fr.
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Danseurs
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323-
Poiofnv
Du('liamps
fr.
»
900
700
500
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Total par année : fr. 40,823
Rossi
Ricci
Rossi
Pastora
Danseuses
fr.
4,500
3,000
4,000
1,400
350
200
600
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2,000
450
250
2,400
400
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3,000
1,100
1,800
1,500
1,300
1,200
600
500
325
1884-1885
Ténors
Jourdain
VVrhoes
Rodier
Dolaquorriôro
Voulel.
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V
Guérin
fr.
5^00
3,500
4,000
1,800
400
250
600
Barytons
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fr
3,500
» 2,200
» 500
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1,000
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Chanteuses
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3,000
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Doschamps
Bosman
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Ismaël
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1,700
))
1,350
»
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3,300
Danseurs
Poiijnv
Duchamps
fr.
»
D t O
325
1,300
700
300
300
Tola! par année: fr. 39,225
Danseuses
La m y
Ricci
M agi ia no
Paslora
Total par année : fr. 43,023
»
1.000
»
700
1)
430
»
500
L. TREZENIK.
Proses décadentes cl les Gens qui s'amusent,
Paris, Giraud.
Deux volumes de M. Troz(Miik ont paru proscju'cMi iiiêine
icmps : les Proses décadentes ol les Gens qui s'amnseni.
M. Trozonik, rc^dnrlcur on cliof de Lu/èce, semble élire sa place
dans ce groupe de jeunes écrivains i\u6n a hi\\tihé^ décadènls.
Le mol est déjî» bien vieux. La chose a-l-elle existé? Certes, nous
a-t-il fallu souvent, nous servir de ce terme dans nos critiques pour
nous faire; comprendre ; mais, en réalité, la décadence est-elle
possibbî et ne faul-il pas toujours se souvenir de ces lignes
d'Hugo? -
« Ces mots si souvent eiiiployés même par les lettrés \ déca- .
dence, renaissance, prouvent îi (piel j)oinl l'essence de l'art est
ignorée. Les intelligences superticieJles, aisément esprits pédants,
prennent pour renaissance' ou 'décadence des elTels de juxla|)0si-
tioiî, des mirages d'oplicjue, des événements de langues, des flux
et des reflux d'idées, tout le vaste mouvement dé création et de
pensée d'où résulte l'art universel...
« 11 n'y a de phénomènes vus que du point eulminant; et, vue
du point culminant, la poésie est immanente. Il n'y a ni hausse
ni baisse dans l'art. Le genre humain est toujours dans son
plein... Non! ni décadence ni renaissance, ni plagiat ni répéti-
tion, ni redite. Identité de cœur, diftérence d'esprit, tout est là. »
M. Trez^enik n'a, je crois, qu'un système, c'est d'écrire le moins
mal possible sur des sujets peu banals. Sa langue est claire,
nette; elle ue se risque que rarement dans un tour bizarre et
inéilil; elle a ferme allure, bon pas et bon rythme. Rien d'in-
vertébré ni de cahotant, mais aussi rien de particulièrement
curieux comme certain style de quelques tout jeunes Français
très obstinés aux infimes délicatesses des phrases musicales.
M. Trczenik narre avec intérêt. Il présente les choses à leur
plan, au moment voulu, avec le relief nécessaire. Ce qu'il redoute
avant tout, c'est le déjà dit. Certes, ne le tourne-t-il point tou-
jours. Bien des contes indiquent des situations de début mille
fois étudiées, mais, sitôt une brève exposition faite, les cartes
sont changées, les aperçus nouveaux sont dévoilés et les analyses
inattendues apparaissent. Un net exemple, c'est : le Cocu, des
G ejis qui s'amusent.
L'art de M. Trezenik est très moderne. 11 observe avec une
attention sceptique et cruelle, il n'admet aucune réticence et ne
s'emporte rarement. 11 dit indifféremment le bien et le mal, le
propre et le pas propre. Avant tout^ il étudie le monde bour-
geois, ce monde tranquillement criminel et calmement horrible,
derrière le paravent des bonnes manières et des conventions.
C'est sur lui qu'il seringue à bonne place toute son ironie. Lisez
Madame Jasquin, la Voix du sang et Mariage de 7mson. La
première étude est froidement sinistre. Parfois la note est
forcée ; à preuve, Le secret de petite sœur dont la fin est ratée
parce que l'étude est factice.
Nous préférons le style des Proses décadentes à celui des Gens
qui s'amusent. Celui-ci estri'une uniformité et d'un laisser, aller
eni icr, celui-là varie souvent de sujet à sujet, se moule au sentiment
à faire naître, se. lie à l'émotion. Dans la nouvelle qui est, je crois,
intitulée le Cocher et qui raconte un aulomédon flegmatiquemenl
assassin d'une petite vieille qu'il écrase « sans le faire exprès,
dit il, mais avec une savante et astucieuse malice », la phrase est
rapide, angois!>éc, (Iranialifjue, toute vibrante' de la seusation î«
transmettre.
Kees Doorik, p»r Okoroks Eekhoud (édition définitive).
— Bruxelles, Kisteniaeckers, 1886.
Nous signalons à rattenlion des bibliophiles et des artistes la
coquette édition dans hupielh; M. Georges Eekhoud vient de fain;
paraître son superbe roman de mœurs campinoises. L'ouvrage
fornu^ deux petits volumes iji-i 8 sur papier fort. Le premier con-
tient le livre |)remier, /« Ferme blanche, le second les livres
deuxième et troisième, la Kermesse de Putteoiles Gansrijders.
C'est charmant. Prescjue trop charmant, car le format, ladimeri-
sion du caractère paraissent devoir s'accommoder mieux d'un
bréviaire d'amour que d'une rude élude qui a pour épigraphe :
) Nous arrivons de Tord-le-cou
Wou ! Wou 1
Le "20 de ce mois paraîtra chez M"'" V*' Monnom (Callcwaerl
père), le nouveau volume de M. Georges Eekhoud : Les Milices
de Saint- François.
■ LE QUATRIÈME CONCERT POPDUIRB
Tristan et Yseult. Fragments de l'Anneau dti Nibelnng.
Le critique musical de la Gazette a découvert quelques
lueurs dans le premier acte de Tristan et Yseult que les Con-
certs populaires ont audacieusement inscrit à leur dernier pro-
fijramme. Il a approuvé une chanson de matelot, deux ou trois
entrées de chœurs, un final émouvant, auquel il reproche de ne
durer que deux minutes. ^^^ ' \
Cela rappelle, mot pour mot, l'appréciation que faisaient, ti
l'époque des premières auditions de la neuvième symphonie de
Beethoven, les cuistres du temps. Ils daignaient y apercevoir
quelques lueurs.
Pauvres gens ! Si leur instinct musical ne les sert pas suffisam-
ment pour leur éviter le ridicule d'être culbutés par l'œuvre
contre lat|^uclle ils se démènent, que ne prennent-ils pour guides
les leçons que leur administre l'histoire? Elle est là. Jouet levé,
la terrible matrone, prèle pour la fessée; A chaque évolution de
l'Art,' c'est une dégelée nouvelle qui s'abat. Et malgré cela, le
phénomène est constant, la critique ne manque jamais de sujets
zélés qui tendent complaisamment... la face.
Il sera curieux de relire dans dix ans, quand seront définitive-
ment assis les principes du drame lyrique dont Tristan est, jus-
qu'à ce jour, l'expression la plus complète, les ûnerics qui ont
été débitées, écrites et imprimées à l'occasion de ce premier acte.
Tristan, le cri d'amour le plus passionné, le plus perçant
qui soit sorti d'une poitrine de poète; Tristan, l'expression la
plus intense des ardeurs sensuelles, en même temps que l'hymne
le plus sublime des mystiques adorations; Tristan, l'élan de
deux cœurs consumés d'une flamme inextinguible, « tout le vou-
loir de la passion humaine, déshérité dé pouvoir », comme a dit
magistralement Catulle Mendès, n'est pas, il est vrai une œuvre
qui puisse être comprise d'emblée par le public.
Il faudra plusieurs auditions pour en dévoiler les splendeurs.
On se passionnera pour Tristan comme se sont passionnés bon
nombre de personnes pour les Maîtres- Chanteurs. D'ordre plus
élevé, bondissant plus Jiaut dans les pures régions de l'art,
l'œuvre dépass<ra, selon nous, la gloire de cette dernière parti-
lion, hû^d ii Paris les auditions du concert Lamoureux lui ont
conquis une sorte de popularil('î.
A la vérité, i'exécnlion d(! Trislan lundi n'est pas de nature
à présenter l'ouvrage; dans de parfaites conditions. Il faut
louer sans rése/rve la bonne volonté qu'ont mis les exécutants,
(tant les solistes qiu; les chœurs el l'orchestre, «i mener ^ bonne fin
l'entreprise périlleuse qui leur était confiée.
Mais la bonne volonté ne suffît pas. Il eût fallu plus de voix à
Yseull, plus d'art surtout dans l'émission de cette voix, plus de
douceur dans la tendresse, plus d'autorité dans les ordres que
dicte l'altière souveraine. II eût fallu aussi plus de netteté dans
l'articulation. M'"*' Von Erlelsberg a donné ce qu'elle possède :
une intellig(!nce remarquable, \\n^ orifanisation musicale de pre-
mier ordre, une voix étendue et forte. Elle ne pouvait donner
davantage.
M. Van Dyck a chanté d'une voix superbe le rôle (h^ Tristan,
mais on le sentait insuffîsammenl soutenu. Il ne s'est pas livré.
II a été un Tristan correct, discret, galant, presque madrigali-
sanl. Dans le final seul il a eu des moments de vraie passion, de
vrai emportement. .
Enfin, M"™^ Flon-Botman, disons-le tout net, a été m'édiocre
dans le personnage très beau, très étudié et très caractéristique
de Brang;iine.
M. Renaud a été, selon sa coutume, excellent, et M. Gandubert
convenable.
Quoi qu'il en soit, voici Tristan (^ dans la circulation ». Quand
les Concerts populaires pourront réunir les éléments nécessaires
à une exécution digne de Tœuvre, nul doute que le succès ne soit
éclatant. Tant pis pour le critique de la Gazelle si le public, plus
perspicace que lui, y découvre autre chose (^ue de fugitives
lueurs traversant un chaos.
Il va peu de chose à dire de la seconde partie du concert,
consacrée à des fragments des Nibeliuigen. On connaît la pom-
peuse entrée des dieux au Walhalla par l'arc en ciel que Donner
a jeté sur le gouffre au fond duquel coule le Rhin; on connaît
aussi, pour l'avoir entendu jou(;r par la troupe d'Angelo Neumann,
la scène où Siegfried, qui vient de tuer le géant Fafuer et de se
débarrasser de l'odieux nain Mime, babille avec l'oiseau mvsté-
rieux qui le convie à le suivre sur la montagne où repose, dans
un cercle de flammes, la Walkyrie. Et aussi cette idylle, exquise
des trois filles du Rhin, Voglinde, Velgunde et Flosshilde, épui-
sant ^e charme de leurs séductions pour engager le jeune héros à
leur abandonner l'anneau magique qu'il porte au doigt.
Ces deux scènes ont été très heureusement rendues par les
solistes précités, et par M"*^ Wolff, dont la voix fraîche convenait
à merveille au rôle de l'oiseau de la forêt.
El la Chevauchée des Walkyries, le « célèbre galop », ain^.
que disait, au balcon, une femme très élégante, a clôturé celte
intéressante séance, la dernière de la saison.
€0NCERT3 Î\UBIN3TEIN
Nous avons dit l'impression profonde causée par la première
séance d'Antoine Rubinslein, consacrée à Beethoven. Les deux
dernières auditions, dont l'une a évoqué la physiouomie inquiète
el souffrante do Schumann, dont l'autre a magistralcmonl décrit
la chevaleresque, sensible, féminine figurede Chopin, ont haussé
le succès dont on l'a accueilli aux proportions d'un triomphe tel
que jamais virtuose n'en obtint îi Bruxelles.
C'est que Rubinslein, nous l'avons rappelé, malgré son étour-
dissante cl vertigineuse virtuosité, n'est pas un virtuose au sens
usuel du terme. Il a dompté lé piano. Il en est le maître absolu.
Aucune difficulté technique ne peut l'arrêter dans l'interprélation
qu'il entend dormer d'une œuvre. Mais cette maîtrise dans l'exé-
cution passe chez le grand artiste au second plan. Il ne veut pas
d'intermédiaire entre le public et 1(; compositeur. Il fait parler
directement celui-ci. Ainsi que les gr^inrls tragédiens s'incarnent
dans un rôle, Rossi par exemple, av(;c tant de désiniéressement
el d(; respect pour l'œuvre que sur la scène c'est Hamlel, c'est le
roi Lear, c'est Roméo, c'est .Macbeth qui se meut et non lartisie,
ainsi s'efface Rubinslein. ,
Comme eux, il luiarrive parfois de grandir le personnage qu'il
représente. Tel a été le cas pour Chopin, qui jamais n'a produit
pareille impression. La nature de Rubinslein a complété un tem-
pérament moins nettement défini que celui de Schumann, el l'a
placé dans un Panthéon où il a pris son rang définitif.
Tous ceux qui ont eniendii, mardi, l'interprétation que donne
Rubinslein aux Préludes, aux Eludes, aux Mazourkes, aux
Nocturnes, aux Valses, aux Polonaises, à la Fantaisie en fa
mineur, a la Sonate (tn si bémol n/);?if?ttr,dans laquelle se lamente
la Marche funèbre, nous comprendront.
Quant à Schum;mn, il a exprimé de façon complète, telle que
lui seul peut le faire, la poésie intense de la F;intaisie.jiQ «^ le
caprice et la fougue du cycle drs Kreisleriana, la délicatesse
infinie deVOiseau prophète, la grandeur de la Sonate en fa dièze
mineur, \a puissance des Eludes symphoniques, la folle gaieté et
la sédu('lion piquante du Carnaval. v'
Toute analyse d'un maître lebque lui est superflue. Il a tra-
versé la Belgique comme un météore. Félicitons-nou.':, dans le
souvenir recueilli de ses admirables auditions, d'avoir eu l'heu-
reuse fortune d(? l'entendre. -
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•
. J. . SIXIÈME ANNÉE
L'ART MODEHNS s'ost acMiuis par Vraiitoi-iié ci' l'ind('*i»(>M(iaii(*(> tic sa critique, j)ai' la varicto do ses
inlbi'maiions et les soins donnes à sa rédaction une place prépondérante. AnciuK^ manifestation de l'Art ne
lui est étrani;-ùr(^ : il s'occupt^ de littérature, de peinture, de sculpture, de gravure, d(> musique,
d'architecture, cte. Consacré principalement au mouvement artistiiiirc Ixdj^o, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur tous les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaitré.
Chaque numéro do L'ART MODSRNEj s'ouvre par une étude api)rolbndie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'actualité. Les c\r positions, les livres noiivcciux, les
p^^cmiOrcs l'cprcscntatiiDfs iVœnwcs dramati(|ues ou musicales, XiS'è confier cncc^ littéraires, les concerts, les
iH'ntcs dohjets (Tart, l'ont tons les dimanches l'objet de clironiqu(^s détaillées.
L'ART MODERN>E relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. Il rend, compte des
procès les plus intéressants concernant les Arts, i)laidés devant les tribunaux belges et étrangers. Les
artistes trouvent toutes les semaines dans son Mémento la nomenclature complète des expositions et
concours auxquels ils peuvent prei)dre part, en Belgique et à l'étranger 11 est envoyé gratuitement à
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Sixième année. — N° 20
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 15 Mai 1886.
L'ART
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
Di.
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
ABONNEMENTS : Belgique, u« an, fr. .10.00 ; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser les dernandes d'abonnement et toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
?
OMMAIRE
Charles de Lovenjoul. — Chronique judiciaire des arts.
M. Coquelin sifflé. — Théâtre de la Monnaie. — Livres nou-
veaux. Les Faunesses , par T. Ferret. — Union des jeunes com-
positeurs belges. Troisième séance. — Petite chronique.
CHARLES DE LOVEBIJOCL
Quand il s'agit de débrouiller à Paris quelqu'inextri-
cable question de bibliophilie et de tracer des chemins
dans un taillis d'œuvres enchevêtrées et mal catalo-
guées, on rencontre à chaque instant cette phrase
typique: « Il faudra qu'un Charles de Lovenjoul s'en
mêle... »»
Charles de Lovenjoul?
Inconnu ou presqu'inconnu ici; célèbre en France.
Et néanmoins, Charles de Spoelberch de Lovenjoul est
bel et bien un Belge authentique, habitant Bruxelles,
mêlé à notre vie artistique, visible à l'œil nu dans sa
stalle d'abonné à la Monnaie et rencontrable ici, là,,
partout, dans ses promenades hygiéniques aux quatre
coins de Bruxelles.
Le livre qu'il publia, il y a quelques années, sous le
titre de : Histoire des œuvres de Honoré de Balzac,
vient de reparaître en deuxième édition chez Calmann-
Lévy. Ce livre, nous venons de le lire et nous sommes
encore sous l'impression d'étonnement et d'admiration
qu'il nous a boutée. C'est une œuvre de recherche
acharnée, d'intelligence diplomatique et fine, de pa-
tience bénédictine, de sagacité entière et de travail
merveilleux. Avant lui, les collectionneurs et les
curieux des livres de Balzac n'avaient pour pénétrer cet
énorme génie que des indications vagues, sorte de
clair de lune embrouillardé projeté sur les 346 romans,
nouvelles, études et notices que Balzac réussit à par-
faire durant sa vie, la plus encombrée de littérature
qu'on ait menée pendant ce siècle. On ouvrait Larousse
et les erreurs abondaient, de dates, d'éditions et surtout
d'aperçus; on interrogeait Querard et l'on était surpris
de constater combien était iîicomplète la seule nomen-
clature des livres. Vapereau faisait rire. Un livriculet
entièrement consacré à Balzac fut édité par Rouquette :
rien, si ce n'est quelques bons renseignements sur la
Comédie humaine, parue d'abord sous le titre de :
Etudes de mœurs du XIX^ siècle. Quant aux volumes
publiés sous les pseudonymes : Henri de Saint-Aubin ou
lord R'hoone, et qui forment un ensemble aussi impor-
tant que la Comédie elle-même, renseignements faux,
dissonants, nuls.
Ceux qui savaient quel marais il fallait drainer pour
étaler quelque chose de clair aux yeux des bibliophiles
ne -'s'étonnèrent point de ces résultats incomplets.
L'œuvre de Balzac est, en etïet, le plus formidable
cahos à débrouiller. Il se faisait imprimer à droite, à
gauche, chez tel éditeur périclitant, chez tel autre qui
revendait en stock ses livres à des commis et à des cour-
tiers de lettres. Les volumes étaient démarqués, tri-
potés, bouleversés. Puis il se faisait éditeur lui-même
et sautait et vendait son fonds à des meutes de broean- /
teurs, qui inauguraient une série de nouveaux rema-
niages et retripotages et recollages.
Fixer la première édition d'un roman, avec sa firme
d'imprimerie, son recto et son verso, son nombre de
pages, son appendice et ^s erratas devenait travail ter-
rible. Démêler les nouvelles authentiques des apocry-
phes épouvantait les plus souriciers fureteurs de
bibliothèque. C'était à croire que le très commercial
écrivain et le très mystérieux signataire de telle et telle
étude ou critique s'était imposé de dérouter et defumis-
ter ses commentateurs futurs. Les plus Jacobs des
bibliophiles y perdaient leur flair.
A peine le savaient-ils auteur de Argoio le Pirate
et de Madame Toute^iclieu et de Fragoletta et de
Jane^la Pâle et de V Histoire impartiale des jésuites
et du Vicaire des Ardennes et d'une vingtaine de
proses aussi introuvables et aussi mystérieuses.
Eh bien, voici de la lumière et du soleil sur ce tas
de nuit et des voies larges et sûres dans ce dédale. Tout
livre de Balzac a désormais, le plus obscur comme le
plus célèbre, son état civil, net, précis, complet. Sa
date? la voici; son format? le voilà; son histoire, ses
à côtés et ses dessous? Lisez. Même les variations et les
passages essayés, même les suppressions les plus
introuvables sont maintenant restitués. Plus d'erreurs,
plus de confusion, pas une. négligence. Tout ce que
nous avons contrôlé apparaît exact et définitif, grâce
à cet énorme commentaire de 403 pages, qu'achève
une brochure publiée en 1880, chez Dentu sous le titre :
Un dernier chapitre de VHistoi^^e des œuv7^es de
H. de Balzac, Et un nouveau Balzac en surgit avec
une physionomie criante de vérité et de vie. Car plus
que personne, Charles de Lovenjoul est compétent.
Il connaît le Balzac intime des écrits non encore
publiés, il a chez lui des lettres innombrables, lettres
de collège où des mots apparaissent si mal écrits
qu'on ne parvient pas à les déchiffrer, lettres de
jeunesse et d'entrée dans la bataille, lettres d'affaires,
lettres où Balzac se farde, lettres où il se montre cyni-
que jusqu'à ôter la dernière feuille de vigne à son natu-
rel. Il a acquis, lors du décès de Balzac, toutes ses
fardes, manuscrits, paperasses, par tas. Il les conserve
et les classe, et les annote, et les complète. Aujourd'hui
la moindre vente d'un autographe de son auteur le sol-
licite. Oh ! la bonne aubaine, découvrir quelque part
une ligne révélatrice qui éclairera d'autres lettres déjà
en sa possession et lui permettra de résoudre quelque
mystère bibliographique ! Et le si cher orgueil d'avoir
là sous la main, dans un rayon de bibliothèque toute
une liasse de confessions sur lui-même, du plus formida-
ble cerveau de ce siècle ! Et d'être seul à les lire et à les
étudier et n'en rien montrer et n'en presque rien dire !,
Cependant, tel n'est pas son égoïsme et son livre le
prouve. Chaque fois qu'il est utile de confirmer une
affirmation par une preuve qu'il est seul à pouvoir
donner, l'inédit est Uvré, j'allais dire défloré.
Le Balzac que Charles de Lovenj.oul. nous présente
reste le travailleur çyclopéen et l'écrivain de génie que
tous connaissent, mais l'homme est légitimement poussé
au noir. Je crois que l'opinion de l'auteur sur Balzac
doit être celle-ci : un Lucien de Rubempré compliqué
d'un Nuncingen ; argent et femmes ; intérêt et amour
supérieurement euienàus pour pai'^venir. Beaucoup de
vanité, rêves énormes, appétits de géant, par mal de
cynisme. Les preuves foisonnent. Une surtout est à
citer. Elle est fournie par Baudelaire dans son article :
Comment on paie ses dettes quand on a du génie.
On y voit Balzac pauvre, poursuivi par une traite de
1,200 francs, s'adresser à Curmer et lui demander
1,500 francs pour deux études à faire dans les Débats
ou dans te Siècle sur les Français peints par eux-
7nêmes. Curmer accepte. Aussitôt Balzac harponne
Ourliac.
Yeux-tu gagner 150 francs?.— Oui. — Alors immé-
diatement fais-moi un article sur les Français peints
par eux-mêmes, apporte-le moi demain matin pour
que je le copie et que je le signe et que je l'envoie à
Curmer. — Parfait.
Théophile Gautier — gros, paresseux, lymphatique,
pas d'idées et ne sachant qu'enfiler et perler des mots
en manière de colliers d'Osages (Baudelaire scripsit !) —
est assailli à son tour et consent à livrer, pour le même
prix et la même destination et la même petite mal-
propreté, un second article sur le même sujet. Curmer
fut satisfait et Balzac aussi. Celui-ci défalqua de la
somme totale deux fois 150 francs pour ses deux...
secrétaires et paya sa traite.
Ces anecdotes ne salissent d'ailleurs d'aucune ombre
' le génie lumineux qui fit Isl Comédie humaine. J'ose
même dire qu'elles sont utiles pour, bien séparer ses
vraiâ de ses faux admirateurs, ses vrais qui ont l'en-
thousiasme assez solide pour considérer comme des
vétilles tout ce qui n'est pas art, ses faux qui se sentent
froissés par ces peccadilles de conduite et ne sont au
fond que des bourgeois.
P
.HF(ONIQUE JUD1CI/.IRE D£^ /RT^. •
M. GOQUELIN SIFFLÉ.
Le tribunal de simple police a eu mercredi le régal de débats
n'ayant avec les préventions habituelles de vagabondage, d'in-
jures, de voies de fait ou violences légères qu'un rapport extrê-
mement éloigné. Il s'agissait de la poursuite intentée contre
quatre jeunes gens pour avoir, au théûtre des Galeries, le
24 avril 1886, sifflé M. Coquelin dans Chamillac.
Les criminels ayant avoué le forfait, ayant même affirmé que
c'était avec préméditation et dans la plénitude de leur libre arbitre
qu'ils l'avaient accompli, ce petit procès se haussait aux propor-
tions d'une question de principe. — De là le grand intérêt de
curiosité qu'il éveillait.
Détail à noter : les quatre prévenus étaient absolument étran-
gers l'un à l'autre. Ils se sont rencontrés pour la première fois
dans l'audiloire du tribunal. L'un d'eux est M. Maurice Warlo-
monl, que son pseudonyme lilléraire, Max Waller, a fait con-
naître de tous ceux qui lisent; les autres sont MM. François Van
Hootere, docteur en médecine, Armand Joos, employé, et Pierre
Lechcin, étudiant. A l'audience, que présidait M. Ilayois, juge de
paix suppléant, remplaçant le titulaire effectif, M. Anlheunis, ils
ont été respectivement défendus par M** Rodenbach, Brunet, Gil-
kin et Iresch.
Après une très courte instruction, M« Rodenbach a exposé l'af-
faire avec humour et dégagé nettement la question de droit sur
laquelle le juge aura à statuer.
« C'est une question doublement intéressante, a-t-il dit en sub-
stance, que celle qui nous amène ici; inléressante pour le public,
qui entend connaître quel est son droit dans les salles de spec-
tacle et savoir s'il est livré à l'arbitraire du premier policier venu;
intéressante aussi pour les artistes, car les sifflets, comme les
applaudissements, sont l'expression publique de la liberté litté-
raire.. ■ ;
« L'incident qui a donné naissance aux poursuites était une
manifestation artistique, purement artistique, et l'on ne saurait y
trouver autre chose. Ce n'est certes pas, comme on a essayé de
le faire croire, à cause de l'attitude prise par 31. Coquelin à
l'égard de M"'' Dudlay, que ce comédien a été sifflé à Bruxelles.
« Pourquoi a-t-on sifflé M. Coquelin? On trouvait que l'acteur
se relâchait, qu'il afiichait dans ses excursions périodiques k
Bruxelles, la « province » pour lui, un orgueil et un cabotinage
assez agaçants. On voulait exprimer son avis. On a sifflé. Com-
ment manifester autrenrîent, au théâtre son opinion?
« Et remarquez que M. Warloment a été gentil et délicat.
Comme journaliste, il a ses entrées au théâtre. Il n'a pas voulu
profiter d'une faveur qui lui eût enlevé sa libenté d'appréciation.
Il a payé son fauteuil, afin îde pouvoir user du droit qu'à la porte
' on achète en entrant.
* « Et qu'on ne parle pas de cabale, d'affaire montée. Grimm
répondrait que les cabales peuvent s'enrhumer tout exprès la
veille d'une représealation !
c< Donc, M. Warlomont a sifflé. En quoi ce fait conslitue-t-il
une infraction à la loi? Le sifflet, par lui-même, n'est pas un
trouble au spectacle. Il ne peut constituer un trouble que s'il se
prolonge, s'il amène des désordres.
« Les applaudissements intempestifs du public troublent, eux,
les représentations bien plus que ne l'a fait le coup de sifflet du*-
prévenu.
« Les concerts de Rubinstein nous en ont fourni un exemple
récent. Et les applaudissements, on les tolère, on les encourage.
Dans les théâtres où la claque officielle n'existe pas, on organise
une claque officieuse. M. Coquelin, chaque fois qu'il joue à
Bruxelles, en a une qui fonctionne b mervedle. Elle est composée
d'abord des gens qui lui ressemblent. Puis, de ceux qui l'invitent
à dîner. Car il est d'usage, en Belgique, de trouver du 'génie à .
tous ceux qu'on traite chez soi.
« La vérité est que les sifflets sont aux bravos ce que le revers
est à la médaille, ce que la doublure est à l'habit. On pourrait
dire aussi qu^ si les applaudissements sont, pour la vanité des
artistes, le poison, les sifflets servent de contre-poison salutaire.
« Qu'on ne transforme point, n'est-ce pas, les salles de spec-
tacle en salles de digestion, d'où toute manifeslal^ion artistique
doive être bannie.
« L'art. 22 de l'arrêté communal de la ville de Bruxelles., sur
lequel est fondée la j)révention, est d'ailleurs formel. Ne dit-il
pas : c( Il est interdit d'interpeller ou !d'aposlropher les acteurs
et de troubler l'ordre du spectacle. »
« A ce sujet, laissez-moi vous rappeler un souvenir. A Trianon,
la reine Marie-Antoinette aimait à jouer elle-même la. comédie,
Les mémoires secrets rapportent qu'elle joua, un soir, le rôle de
Jennie dans le Roi et le Fermier et que, dissimulé dans une loge,
Louis XVI siffla sa royale épouse qui chantait faux.'
« Sans remonter au siècle dernier, qui ne se souvient des
représentations bruxelloises où les siftlels et les cris interrom-
pirent le spectacle, sans que jamais la police intervînt? - '.
« A la Renaissance, au Casino des galeries Saint-Hubert, aux
Nouveautés, c'était, paraît-il, une habilutie Les directeurs et
secrétaires écrivirent maintes fois aux commissariats de police,
demandèrent aide et protection, mais on respecta le droit du
public.
« Et l'an dernier, ne vous rappelez-vous pas les sifflets qui,
aux Maîtres-Chanteurs, tinrent tête aux applaudissements des
partisans de Wagner? Ce quL est piquant, c'est que ces sifflets
partaient invariablement de celte même loge qui donne, en faveur
de M. Coquelin, le signal des applaudissements. C'est, du reste, .
logique. ■
« Mais pourquoi ces précautions inusitées, ce déploiement
d'agents de police? M. Warlomont, dès son. entrée au théâtre, a"
été filé par deux agents. Et pourquoi ces poursuites quand il .
s'agit de M. Coquelin?
« Est-ce parce qu'il failli élre décoré? Qu'il faillit être député?
Qu'il tutoyait, dit-on, Gambetla? qu'on le consi<lère, à chacune
de se^s excursions en Belgique, comme un. envoyé extraordi-
naire?
« Serait-ce parce qu'on espérait voir M. Coquelin se constituer
partie civile et donner ainsi, gratuitement, le plaisir au public
d'un monologue en justice?
ce Si ce n'est pas dans ce but, nous demandons Tapplicalion,
à tous les cas analogues, des mêmes poids et des mêmes
mesures. »
L'avocat termine en citant les auteurs et la jurisprudence,
notamment MM. Vivien, Blanc et Dalloz, un arrêt de la Cour de
cassation de France de 1840, un jugement du tribunal de Rouen
de 1841 et un jugement du tribunal de Gand, rendu en décem-
bre 188o (•).
« La Belgique passe pour être la terre classique des libertés..
C'est ainsi que s'expriment tous les Prudhommes étrangers. 3fais
ces libertés, on les restreint tous les jours. Et bieniôt, si l'on
continue, noire pays fera l'effet d'un de ces cafés-concerts sur
lesquels on lit en lettres de feu : Entrée libre, mais où les con-
sommations se paient très cher. »
.•MM. Gilkin,' Brunet et Iresch ont pris ensuite la parole et ont
ajouté quelques considérations à la plaidoirie de M. Rodenbach.
M. Iresch a fait remarquer, notamment, que l'arrêté du
23 juillet 1883, qui défend de troubler Tordre et doni
on demande l'application, abolit un arrêté antérieur, aux
termes duquel les marques d'improbation ou d'approbation
étaient interdites. « Aujourd'hui, non seulement il n'est
pas défendu de siffler, dit-il, mais le public a en quelque sorte
reçu l'ordre de le faire. Le cahier des charges du théâtre de la
(*) V. l'Art moderne, 1886, p.' 6.
156
UART MODERNE
Monnaie, pisir exemple, stipule, dans son arl. 25, que le conces-
sionnaire devra remplacer immédiatement tout artiste dont le
public n'aura pas été satisfait. En l'absence du vote par boules
-blanches cl noires, selon le mode existant encore dans certains
théâtres de province, comment, si ce n'est par des sifflets, le
public pourra-t-il s'exprimer au sujet de l'artiste qu'on lui pré-
sente? »
Le ministère public, M. Cremers, a maintenu néanmoins la
prévention.
Le jugement a été rendu hier. On le trouvera reproduit in
extenso dans lo Journal des Tribunaux d'aujourd'hui. Il décide
d'abord que l'autorité communale a, nonobstant la disposition
constitutionnelle qui consacre la liberté d'opinion, le droit de
prendre des mesures de police pour empêcher que l'ordre soit
trOublé dans les lieux publics, notamment dans les théâtres.
Il décide ensuite que généralement les applaudissements ne
troublent pas l'ordre, parce qu'on ne les fait entendre le plus
souvent qu'à la fin des actes ou des morceaux et que ceux qui s'y
livrent ont intérêt à les cesser pour que la représentation puisse
continuer.
. Qu'il en est autrement des sifflets, surtout quand ils sont le
résultat d'un projet concerté et qu'ils se font entendre dès que
l'acteur entre en scène, et avant qu'il ait commencé son jeu ;
qu'il y a lieu à cet égard de rechercher quelle a été l'intention des
siffleurs.
Ce jugement bizarre contient aussi un éloge du . talent de
M. Coquelin et un examen des décisions antérieures, rendues en
sens contraire, comme bien on pense.
Bref, les quatre prévenus sont condamnés à cinq francs
d'amende et aux frais.
II. est presque inutile d'ajoiilér qu'il y a appel/^^^^^^-^^^^^^^^^;^ • :
THÉÂTRE DE là MOMAIE
D'abord, une rectification que nos lecteurs auront sans doute
faite d'eux-mêmes. C'est par mois et non par année qu'il faut
prendre les totaux portés dans notre tableau de la semaine der-
nière. Pour avoir le total par. année, il faut multiplier par huit,
la saison théâtrale durant huit mois à Bruxelles.
Aujourd'hui, nous donnons le tableau des dépenses et des
recettes de tous genres pour trois années qu'on peut considérer
comme assez normales, la première, la moyenne et la dernière
de la direction qui a précédé la direction Verdhurt (1875-76; —
1881-82; — 1884-85).
Ces tableaux suscitent les réflexions suivantes :
Recettes. — L'abonnement a diminué de plus de 25,000
francs; nous l'avions déjk signalé dans notre numéro du 2 mai
Les recettes î» la porte ont d'abord monté; (elles ont même été
en 1878-79 jusques fr. 629,741-25 (voir notre numéro du
25 avril), mais elles sont finalement redescendues à un chiffre
inférieur à celui d'il y a dix ans.
Les représentations de société ont baissé aussi, mais peu en
dernière analvse.
Les receltes diverses se sont maintenues.
Los bals seuls ont monté d'environ. 11, 000 francs (voir aussi
notre numéro du 2 mai), . .
Conclusion. — ^ Il v a décroissance, crise : on va moins au
théâtre de la Monnaie. Et à tous les théâtres, pourrait-on dire,
tant en Belgique qu'en France. Voir les statistiques.
Il est à noter que les deux dernières années que nous donnons
portent en recette 15,000 francs de subside spécial (rétabli pour
MM. Dupont et Lapissida) représentant la moitié environ des
droits d'auteur. Sans|ce secours imprévu donné par la Ville, les
chiffres des recettes eussent été les suivants, montrant mieux
encore la diminution.
1875-76 fr. 969,584 35. — 1881-82 fr. 960,609 63.
1884-85 fr. 935,945 97. ^
Dépenses. — Les dépenses contiennent vingt-six articles. Sur
un grand nomère, les chiffres se maintiennent avec des oscilla-
tions faibles. On peut donc les admettre comme à peu près con-
stants; pourtant la tendance est plutôt à l'augmentation. Dans ce
premier groupe, en effet, n'ont diminué que les frais de bureaux,
les frais de voyage et les frais des bals, tandis qu'ont augmenté
les gratifications, les contributions et patentes, l'armurier, le
tapissier, le serrurier, les frais à répartir, les bénéfices C et R (?).
Se sont maintenus .à peu près à égalité, les affiches, les machi-
nistes et réparations, la retenue de 25,000 francs par la Ville
pour réfections.
Mais un autre groupe se compose des articles sur lesquels les
changements en plus ou en moins ont été notables, savoir :
Dépenses en plus : l'éclairage, le chauffage, les droits d'au-
teur, les divers.
Dépenses en moins : Tout ce qui concerne la troupe et la
SCÈNE : figuration, musique de la scène, lumière électrique,
peintres-décorateurs, costumier, personnel des artistes, cachets
d'artistes en représentation.
Voilà qui est significatif. Cela se traduit par la formule sui-
vante : Pour arriver à nouer convenablement les deux bouts, la
direction doit s'attaquer à la troupe et à la mise en scène.
La conséquence saute aux yeux : la valeur artistique du
théâtre doit diminuer. C'est à quoi aboutissent fatalement de
pareilles économies.
Parfois le mal est peu sensible, quand la direction a l'heureuse
chance de tomber sur des artistes encore inconnus du public et
d'eux-mêmes qu'on engage pour une croûte de pain. Mais outre
que cela n'arrive pas toujours, dès la seconde année, quand le
succès se dessine, il faut qu'on les paie cher ou ils partent, alors
que l'intérêt artistique serait de les retenir. r
Le remède n'est pas de liarder sur la troupe, la mise en
scène et les créations, mais de les maintenir à leur hauteur et
pour cela de majorer les subsides.
Nous répétons qu'il faut iOOjOOO francs de plus. La Ville vient
d'en accorder 15,000 seulement. La troupe, pour être telle qu'il le
faudrait, doit coûter 55,000 francs par mois (voir notre numéro
du 9 mai). On est obligé de la faire descendre à 45,000 et
môme à 40,000, francs et de diminuer les artistes en représenta-
lion. Si MM. Stoumon et Calabrési ne l'avaient pas fait leur der-
nière année (ils n'en ont eu que pour 2,227 francs), ils ne
gagnaient rien, et pourtant ils avaient 40,000 francs au moins
d'avantages en plus que la direction Verdhurt. .
Ces 100,000 francs peuvent être trouvés en supprimant le
paiement du gaz (fr. 31,091-44), les contributions et patentes
(fr. 7,456-25) et en majorant le subside royal et le subside com-
munal à concurrence de moitié chacun.
Ils peuvent aussi être trouvés eii mettant l'orchestre à la charge
de l'Etat, en en faisant une dépendance du Conservatoire. (Voir
notre numéro du 18 avril).
Sans cette mesure radicale, le théâtre oscillera constamment
entre ces deux extrêmes: la faillite ou l'insuffisance.
Aussi MM. Dupont et Lapissida qui reprennent l'affaire avec
15,000 francs de plus seulement, devront veiller attentivement
au grain et le public devra leur être commode. Sinon, gare la
saison prochaine !
) '
THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE
TABLEM SYNtmOllE DES RECETTES
NATURE DES RECETTES.
Abonnements. ... . . . ... . . . ; . Fr.
Locations. . . . . . . . . • •
AJlXx y^CilJij^ m • • • « • • » • • • • •'• • •'•
Subsides . . . . . . .... . . • . . . .
Représentations de sociétés, etc. ." . . . . . . . .
■ilOiLo ■ «'• • • • ■ • •.- • •'•'• • • ^ ■ m
XJk\ ^M. 0« • • • • • • • a •• •'•_•" • », •• •
; ' Total. . . . fr.
TABLEAl] SYKOPTIOO DES DÉPENSES
NATURE DES DÉPENSES.
Frais de bureaux . . ..... . . . . . . , .
Frais de voyages et port de bagages . . , . . . . .
Affiches et afficheurs . . . ...... .; ^.. . .
Chauffage. . . . ... : .... . . . . .
Service de la scène : figiiratioyis , accessoires, etc. . . .
Musique de la scène .; . . . . . .... . . .
Limiière électrique et feu d'artifice . i . . . . . .
Gratifications .....'
Droits d auteurs, copies de musique, location de piano . .
Location de partitions. ,
Contributions et patentes . . . . . . . .... .
Machinistes, réparations et fournitures diverses . . . .
Peintres-décorateurs id. id. . . . .
Costumier id. id. . . . .
Armurier id. id. . . . .
Tapissier id. id. ....
Serrurier id. id. . ^. . .
Frais à répartir
Retenue par la ville, art. 8 du cahier des charges . . . ".
Divers
Frais des Bals
Bénéfices C. et R. ..............
Achat décors divers . . . . . .... . ... .
Personnel y appointemeyits , . ^ . . .. . . . . .
Cachets d- artistes ciî représentation. . . . ... .
Total. . . . fr.
TOTAUX
TOTAUX
TOTAUX.
1875-1876
1881-1882
1884-1885 •
1.038 86
801 26
574 14
3.654 65
2.381 10
1.593 35
9.051 90
8.901 20
9.152 79
25.069 74
. 27.823 92
31.091 44
- 2.750 55
6 231 04
,. • 7.518 10
10.761 95
, 12.655 05
7.552 87
6.210 50,
8.474 55
.4.768 25
5.120 ^
5.271 50
4:412 .
, 1.769 25
3.203 «
^ 2.276 n .
2 197 70
21.127 65
32.056 10
1.050 -
2.000 ^
3.400 »
6.458 88
6.881 91
7.456 25
9.301 06
10.637 22
9.280 9f^
9.653 54
14.058 24
5.692 98
27.257 40
46 667 80
11.485 18
167 .
838 45
422 35
1.344 29
1 8.35 64
2.580 92
947 15
1 833 26
1.531 94
20.091 01
27.033 48
23.272 91
25.000 -
25.000 "
• 25.000 n
2.045 43
6.261 70
8.551 36
8.781 40
8.102 20
7.743 50
3444 »».
4.946 75
15.416 70
5.559 25
699.901 60
637.199 16
679.507 95.
54.724 98
27.507 65
0 007 .
937.792 84
931.910 43 -1
894.708 60
' . TOTAUX
TOTAUX
TOTAUX
1875-1876
1881-1882
1884-1885
128.824 13
105.078 87
103.201 16
549 250 50
587.294 "
534.566 -
204.000 «
219.000 «
219.000 «
49.200 r,
25.000 -
45.000 «
26.427 n
.39.049 r
37.282 r,
11.882 72
5.187 76
11.896 r,
969 584 35
975.609 63
950.945 97
(}
JaIVREP f^lOUVEyVUX
Les Faunesses, par T. Ferret. — Paris, Oiraud.
Ce n'est pas que les Faunesses^ de M. T. Ferret mènent
bruyante, et -sonore sarabande à travers son livre. L'auteur n'a
pas eu la vision rouge de ces superbes scènes de rut qui ont
tenté tous ceux qui en art sentent la chair et la couleur. Ses
Vénus sont tout plutôt que sensuelles, et il a beau les lâcher avec
des cris étranges dans certains de ses sonnets, il n'en reste pas
moins le caractéristique rimcur de ces tercets mornes :
Pour les ruts douloureux son cadavre, allongé
A l'air d'un beau sujet de clinique, rongé,
Dont les yeux révulsés ressemblent aux opales.
Sur son front, par le suint des mèches fustigé.
Ainsi qu'une couronne aux tempes triomphales, ^
Vénus Dolorosa, saignent tes Roses pâles I
Les Faunesses de M. Ferret sont donc bien chlorotiques,
mais tant mieux puisqu'elles nous apparaissent ainsi neuves et
étranges. M. Ferret adore Villon et le célèbre archaïquement,
avant de rimer quatre sonnets charmants sur le Luxembourg.
Voici l'Automne : , '
Décor d'octobre, roux sous les soleils obliques,
— Sa courte queue en arc sur la flûte en roseaux,
Un Satyre redit de mornes bucoliques.
Les brises en passant sanglotent sur les eaux.
Comme un long râle d'orgue aux vieilles basiliques.
— L'amante est veuve. Ils sont partis les damoiseaux,
L'esseulée erre sous les cieux mélancoliques.
' Des brumes fuient au loin comme de blancs oiseaux.
Et tristes de donner, ô belles suzeraines.
Au sénat populaire un blanc cercle de Reines,
Vos cols se fout hautains sentant l'affront reçu.
Il pleut, le cœur a froid dans le frisson des choses.
Des vases débordant sur leur socle moussu
En pleurs mélodieux plaignent la mort des Roses,
UNION DE JEUNES COMPOSITEURS BELGES
Troisième séance.
Les Jeunes ont élargi leur cadre. C'est un grand concert avec
orchestre et chœurs, comportant, au dire de l'affiche, 200 exécu-
tants, qu'ils ont donné lundi. Nous voilà loin des petites audi-
tions intimes dans lesquelles une suite pour violon servait d'in-
termède à deux romances.
Comme programme, deux scènes lyriques, l'une de M. Léon
Dubois, Breydel et De Coninck^ l'autre de M. Arthur De Greef,
le Cantique des cantiques^ et quelques pièces symphoniques : un
Prélude et andante^ ûe M. Emile Agniez; àe?, Scènes de ballet j
par M. Léon Jehin; un tableau symphonique d'après le drame
Patrie^ par M. Flon; des fragments d'une symphonie de M. Jan
Blockx, et, pour finir, une Marche caractéristique, de M. Léon
Soubre. Les solistes étaient M™^^ Cornélis-Servaiset Fjon-Botraan,
MM. Van Dvck et Renaud.
Un auditoire sympathique a fait bon accueil aux divers mor-
ceaux, généreusement applaudi les interprètes et rappelé les
auteurs. --^^^ - — ^ :^. ^^
Il est d'usage, aux Jeunes compositeurs y que chaque composi-
teur dirige son œuvre, ce qui varie agréablement l'aspect du
pupitre directorial. M. De Greef, seul, s'est fait remplacer. La
manière dont Rubinstein joue du piano aurait-elle dégoûté ce
pianiste de l'orchestre? Sa retraite ne l'a d'ailleurs nullement dis-
pensé do venir sur l'estrade recevoir l'ovation que lui a adressée
le public. M"^*^ Cornélis-Servais, qui avait été chargée du rôle de
la Sulamiie, — et qui s'est acquitté de sa mission avec beaucoup
de talent — a eu soin de faire à l* modestie du jeune musicien
une douce violence.
Et de fait, le Cantique des cantiques est peut-être l'œuvre la
plus remarquable qui ait été jouée lundi. On peut lui reprocher
une certaine parenté avec Félicien David, dont M. De Greef imite
■ — peut-être inconsciemment — le rythme et le coloris. Mais le
morceau est bien écrit, soutenu, et le chant de la Sulamite ter-
mine avec beaucoup de majesté' la composition.
Parmi les œuvres symphoniques, les Scènes de ballet, de
M. Jehin, composées do trois parties : 2^. Introduction. — Jeux
et danses; b. Pas guerrier; c. Apparition. — Bacchanale, ont
été particulièremeni appréciées. M. Jehin paraît plus préoccupé
des sonorités du plein air que de l'acoustique d'une salle de
théâtre. C'est, pourrait-on dire, de la musique pour Waux-Hall,
mais de la musique très bien faite, écrite avec talent et d'un joli
tour mélodique. L'Apparition nous semble un peu banale. Elle
évoque le souvenir d'une apothéose dans un ballet de féerie, la
toile levée sur des mousselines, des gazes lamées d'argent, der-
rière lesquelles pleurent, roses et vertes, des fontaines sur la
cambrure' des danseuses pâmées.
M. Jan Blockx, l'un des plus forts de VUnion, le jeune maître
anversois aux efforts duquel nous avons, des premiers, applaudi,
a été si mal exécuté qu'il serait téméraire de porter sur son
œuvre une appréciation. Nous attendons, pour la juger, des cir-
constances plus favorables.
^ETITE CHROJMiqUE
M. A. Marque a exposé cette semaine à la" Galerie des Arts^
15, rue de la Croix de fer, une vaste peinture décorative de
45 mètres de^ongueur destinée au nouveau Casino de Blanken-
berghe.
C'est naturellement la mer qui sert de thème à l'allégorie de
M. Marque. Un grand nombre de personnages, naïades, syrènes,
tritons, prennent leurs ébats dans les eaux vertes, que les vagues
secouent furieusement.
Les cartons, esquisses, croquis qu'expose en même temps
l'artiste montrent chez celui-ci un grande sensibilité d'œil, une
main experle, un goût sûr dans la combinaison des lignes et
l'harmonie des tons. C'est de la décoration très française.
L'exécution de la grande toile ne répond malheureusement pas
à ce que font espérer les cartons. Il y a des lourdeurs, des gau-
cheries, des colorations heurtées. L'industrie de M. Marque
est encore presque à ses débuts. Si les résultats sont, dans une
certaine mesure, déjà satisfaisants, étant donné qu'en Belgique
l'art décoratif est nul, on peut espérer que sous l'intelligente
direction de M. Marque, la petite école privée qu'il a fondée
prospérera et se perfectionnera. Déjà elle rend des services.
Elle occupe bon nombre de dessinateurs, de peintres, d'ouvriers.
A ce titre, l'initiateur de cette industrie a droit à une mention
spéciale.
L'exposition contemporaine et rétrospective d'architecture que
> ,
nous avons annoncée est ouverte au Palais des Beaux-Arts.
Elle est visible tous les jours. Nous en publierons dimanche
prochain le compte-rendu. '
Décidément, il est dangereux d'élre défendu par les détracteurs
de l'art jeune. Ce ne sont pas des pavés que ces ours brandissent,
ce sont des pierres de taille. Témoin réchanlillon suivant
textuellement extrait du Journal des Beaux- Arts ^ qui a déjà
fourni au Sottisier des Vingtistes quelques joyeux échantillons :
« La XIIP exposition du Cercle artistique de Bruxelles n'a pas
subi l'influence fatidique de son numéro d'ordre, car elle marque
un progrés, une sorte d'effort qui mérite d'être signalé. Non seu-
lement LA DIMENSION, mais la qualité des œuvres a gagné, et si le
sujet est encore toujours négligé, si rien n'empoigne, on peut
reconnaître cependant que le niveau général s'est élevé. La note
vingtiste manque cependant, et c'est dommage, car il ne nous
déplairait pas de voir là négation de toutes oijoses se dresser
AU milieu de cet ensemble consciencieux. »
Parole d'honneur! Nous n'inventons pas un mot. Et plus loin :
« Cette exposition-ci semble pourtant annoncer une réaction
devenue plus que nécessaire, et, surtout dans le paysage, nous
voyons des peintres qui ont été les porle-élendards du régiment
moderne, serrer leur dessin, étudier leur arrangement et leurs
plans, en cherchant le caractère. Témoins les tableaux de
MM. Van der Hecht, Van der Meulen, Van Gelder, Tscharner,
Montigny, très complet dans sa Soirée de novembre, Crépin, tous
travaillés celte fois. ,
« Les exagérations des Vingtistes commenceraient-elles à
porter leurs fruits? Toujours est-il que nous pouvons enregistrer
un progrès marquant dans la forme, le choix et la délicatesse des
tons, etc. » ■
Comme c'est ça, hein? ; ^ '
Le baryton Henri Ileuschling a épousé, le 6 mai, à Maestricht,
M"^ Léonie Dumonceau, qui s'est fait entendre cet hiver à
Bruxelles. Nos félicitations au jeune ménage. 7^
Voici la statistique des représcnlations données au cours de la
campagne qui vient de finir : .
Les Templiers^ 31 représentations; Roméo et Juliette, i6;
le Barbier de Séville, 15; Si fêtais roi! le Pré aux Clercs et
\e Maître de Chapelle, 13; Coppelia. 12; les Huguenots^ 12;
le Farjadet, 10 ; le Voyage en Chine, Ondine, Saint-Mégrin, 9 ;
Aida, l'Africaine, Pierrot macabre et Bonsoir M. Pantalon, 8 ;
le Chalet^ 7; Faust, le Docteur Crispin, 6; la Favorite, la
Traviata, Joconde et Haydée, o; la Juive, la Fille du régiment,
Lucie de Lammermoor, Maître Pathelin et Gwendoline, 4;
Rigoletto, le. Trouvère, 3; Guillaume Tell, Giralda, e^^un
divertissement, 2 ; Fra Diavolo, 1 ; soit 266 représentations
d'ouvrages joués seuls ou en spectacles coupés. Elles compren-
nent 115 représentations de grand-opéra, 120 représentations
d'opéra-comique et 31 représentations de ballet. Il y a eu, en
outre, le concert Lasalle, 3 concerts du chœur russe, l'exécution
d'un acte de la Muette de Portici et 5 bals masqués.
Le Comité belge de V Association Wagncrienne vient de dis-
tribuer une circulaire d'où nous extrayons les renseignements
pratiques suivanis : ' ; - . :
Le prix du parcours en chemin de fer de Bruxelles à Bayreuth
est fixé comme suit, pour l'aller seulement :
i • . ' Train express. Train ordinaire.
Première classe , . . 04.20 75.30
Billet mixte . . , 75.30
Seconde classe . . 68.30 54.65
Le billet mixte donne droit au parcours en première classe en
Belgique et en seconde classe en Allemagne. Le train le plus
rapide et le plus direct part de Bruxelles à 5 h. 50 du soir pour
arriver à Bayreut"h le lendemain à 3 h. 35 du soir. Il faut prendre
à Bruxelles un billet direct pour Mayence, qui est la première
station allemande où l'on délivre des billets directs pour Bay-
reuth.
Il n'existe pas de billets aller et retour^ Par contre, on délivre
à Cologne des billets circulaires qui permettent, pour un prix
moindre que celui du voyage aller et retour de Cologne à Bay-
reuth, de visiter Nuremberg, Munich et quelques autres villes
importantes.
Rappelons que lès représentations sont ainsi fixées :
Parsifal, les 23, 26, 30.juillet, 2, 6, 9, 13, 16, 20 août.
Tristan, les 25, 29 juillet, l"', 5, 8, 12, 15, 19 août.
On annonce que, vu l'état déploi-able du trésor royal, le
roi de Bavière n'interviendra pas cette année dans les frais des
représentations au théâtre de Bayreuth. L'orchestre devra être
payé par l'entreprise. Les artistes du chant ont généreusement
renoncé à leurs honoraires afin de ne pas augmenter les frais.
M. Vianesi prépare une audition de V Elisabeth, de Liszt, qui
aura lieu en mai au Trocadéro. Voici la distribution des rôles :
Ludovic, M. Faure; un noble hongrois, M. Auguez; Hermann,
M. Soum; Elisabeth, M™« M. Schroeder; Sophie, M"™® Marie
Masson ; Ludvvig, M""« Cremer.
Liszt assistera à la répétition générale de son oratorio et à son
exécution. L'orgue sera tenu par M. Guilmant; l'harmonium, par
M. Georges Lamothe. •
M. Sedelmeyer expose en ce moment dans sa galerie, rue de
la Rochefoucauld, U Paris, trois portraits de Liszt : celui que
Mnnkacsy a exécuté récemment, le portrait peint en 1870 par
Legrand, lorsque Liszt avait 59 ans : et, enfin, le portrait de
Liszt à 28 ans, par Lehmann, qui appartient à M. Emile Ollivier.
On vient d'ouvrir à Paris une exposition des tableaux et des
pastels du peintre J. de Nittis. L'organisateur est M. Bernheim,
8, rue Laffite.
Les Anglais se modernisent. Lord Turlow vient de faire triom-
pher, à la Chambre des Lords, une motion relative à l'ouverture
des musées le dimanche.
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I
160
UART MODERNE
A
■ SIXIÈME-ANNÉE
L'ART MODERNE s'est acquis par raatorité et l'indépendance de sa critique, par la variété de stes
informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. -Aucune manifestation de l'Art ne
lui est étrangère : il s'occupe de littérature, de peinture, de sculpture, de gravure, de musique,
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouvement artistique belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur tous les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaître.
Chaque numéro de L'ART MODERNS s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit ractualité. IiQ^ expositions, les livres nôuvemix, les
premières représentations d 'œuvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires , les concerts, les
ventes dobjets d'art, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées.
L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. Il rend compte des
procès les plus intéressants concernant les Arts, plaides devant les tribunaux belges et étrangers. Les
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Paris. Premier article. — Le Don Juanisme. — Guide du touriste
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•pour piano y par Beethoven. Trois sonates, par Philippe Schar-
wenka. — Mémento des expositions et concours.
ARCHITECTURE
EXPOSITION NATIONALE DE 1886
Le public s'occupe peu d'architecture en Belgique.
Il en est apparemment de même dans les autres pays.
Il est délaissé par l'opinion, cet art admirable, le
premier en rang parmi les arts du dessin, celui qui les
englobe tous, parce que tous peuvent être appelés à le
servir en se subordonnant à lui. Et c'est pourtant celui
qui s'affirme sans cesse en la forme la plus visible, et
pour tout le monde, à la ville et au village, dans les rues
et sur les routes, partout où il faut abriter Thomme,
c'est-à-dire en tous lieux. Et comme enseignement,
c'est le plus puissant, le plus permanent puisqu'il forme
le décor même de la vie sociale en des manifestations
humaines, comme le paysage en est le décor en des
manifestations naturelles. Au lieu d'être un accident
aperçu en passant, tel qu'un tableau, une statue, un
livre, un chant, il est l'enveloppe même de l'existence,
son ambiance de jour et de nuit, le MiLiEu'dans l'éner-
gique expression du terme et dans son influence inévi-
table.
Est-ce parce qu'il est toujours là qu'on ne le voit
guère, comme les choses dont l'accoutumance quoti-
dienne émousse nos sensations et nous rend pour elles
aveugles ou indifférents? Ou bien sa supériorité même
le met-elle au dessus de la foule et la vue basse, la cer-
velle sans pénétration de la plupart, ne peuvent-elles
aller jusqu'aux hauteurs et aux profondeurs où se
dégagent et s'épanouissent les sereines splendeurs et
• les fortes beautés qui le caractérisent ?
Qu'importent les causes? Ce qu'il faut, c'est ramener
les préoccupations et les prédilections vers ce domaine
peu fréquenté, c'est aider aux efforts de ceux qui ont
commencé chez nous ce retour en nous sauvant peu à
peu des affreuses banalités qui si longtemps ont désho-
noré nos édifices et nos demeures. Oh ! la platitude des
maisons bâties vers 1830! Oh ! la vulgarité des monu-
ments! La sourde et plate imitation des architectures
mortes, la maladroite et stérile répétition du passé!
Là, comme dans tous les autres arts, a régné long-
temps la doctrine académique des modèles à copier, à
•accommoder, à dénaturer. Après l'art grec, ce fut l'art
gothique qu'on proposa aux profanations inconscientes
des malheureux soumis à ce régihie déformateur, des-
tructif de toute originalité. Nous sommes encore empes-
tés de ces théories nauséabondes qui, durant des lustres
et des lustres, ont monté en miasmes délétères dans
toutes nos écoles. Que d'opiniâtreté il faudra pour en
désinfecter la commune intelligence, que de générations
vierges pour retrouver l'élan spontané, la vive nature,
la personnalité franche qui seuls font surgir un art
-j
162
VART MODERNE
approprié à une époque ! Comme s'ils étaient des vieil-
lards, on a habitué nos jeunes artistes à ne vivre que
de souvenirs. Comme s'ils étaient des vaincus et des
captifs on leur a imposé une langue artistique qui
n'était pas la leur. On leur a donné pour conquérants
les maîtres morts et on ne les a longtemps loués que
dans la mesure où ils recommençaient ceux-ci.
Heureusement ces vieilles erreurs se dissipent. Les
derniers représentants de ce système funeste dispa-
raissent un à un. Même dans les académies, leurs der-
niers refuges, l'évangile nouveau pénètre et les jeunes
âmes résistent quand on ne leur ofïre d'autre idéal que
de reprendre, sans espoir sérieux de les égaler, les
œuvres des ancêtres. Elles veulent vivre de leur vie
personnelle, éclore en leurs propres aptitudes, et n'ac-
ceptent plus leurs devanciers que comme des excitants
à l'enthousiasme d'où jaillissent les vraies originalités.
Dans V Avant' Propos du catalogue de la deuxième
exposition de la Société centrale d'architecture, actuel-
lement ouverte au Palais des Beaux-Arts, ces principes
salutaires, directoires de fart nouveau, ne sont pas
explicitement affirmés, mais il y règne pourtant un
souffle de bonne volonté et d'indépendance qui révèle
chez les organisateurs une conscience instinctive de
leur exactitude et de leur opportunité. Aussi est-ce
de bon cœur et avec l'espérance d'un avenir meilleur
qu'il faut signaler leur tentative et lui souhaiter la
bienvenue. T >
L'exposition est importan^je. Elle couvre les murs de
toutes les salles du premier étage. Elle est variée et
intéressante, quoique d'un niveau peu élevé. Elle ne
révèle pas des tendances bien nettes. Elle s'attarde
encore dans le passé, mais de ci, de là, au milieu du
vieux gazon ras, sort une pousse de bonne et franche
végétation, qui présage les vigoureuses récoltes futures.
De même qu'à l'Exposition triennale précédente, il y
a une section rétrospective et une section contempo-
raine, la première réunissant des dessins de construc-
tions projetés ou exécutés avant 1830 par des archi-
tectes nés ou de résidence habituelle dans les provinces
bèlge§. Cette partie comprend 472 numéros, parmi
lesquels quelques-uns de Guimard et de Montoyer.
Signalons aussi 293 demandes d'autorisation de bâtir,
adressées à l'administration communale de la ville de
Gand de 1685 à 18G0, établissant une très curieuse
filière de la lente et peu féconde transformation de
l'architecture privée en Flandre durant cette période.
L'esthète sera surtout attiré par les photographies
appartenant à MM. A. Massaux et H. Coenraets, des
décorations intérieures du château de La Motte à Bous-
val, cette ruine d'une charmante demeure Louis XV,
perdue dans notre Brabant, où Eugène Van Bemmel a
placé quelques épisodes de son Dom Placide, Cette
merveille, que le temps ronge dans la solitude ravis-
sante qui l'enserre, est peu connue de nos concitoyens,
quoiqu'elle ne soit qu'à un quart'de lieue de la station
de Noirhat sur la ligne d'Ottignies à Nivelles. Ainsi que
le rappelle une note du catalogue, le château fut con-
struit, il y a environ un siècle, par le lieutenant-colonel
autriciièen de Rameau. Il est à la lisière du bois de la
Tombe des Romaines; ses jardins en terrasses, devenus
sauvages, dominent le val tranquille où serpente le
Cala. . ' ■' "^ ''■■;'■'
L'énumération des œuvres anciennes est suivie de
quelques feuilles intéressantes donnant le fac-similé de
signatures et d'écritures de quelques-uns de leurs
auteurs^ Voilà une idée qui plaira à quiconque aime à
se figurer l'homme d'après les originalités de sa main.
La section contemporaine réunit 554 numéros. Elle
est divisée en neuf classes: Architecture religieuse,
funéraire, civile, scolaire, hospitalière, domestique,
militaire, travaux d'édilité, croquis et fragments.
Beaucoup de morceaux très faibles, il faut l'avouer,
il faut le dire. La commission organisatrice déclare
qu'elle s'est montrée plus sévère qu'à la première expo-
sition, estimant qu'il fallait préférer la qualité au nom-
bre. C'est bien, mais ce n'est pas assez. Il y a un rem-
plissage considérable de choses d'une banalité désolante.
C'est ce qu'il faudra sa'crifier sans pitié pour réserver
toute la place et tous les honneurs aux conceptions ori-
ginales. • .,
C'est dans l'architecture domestique que nous avons
rencontré les œuvres d'après nous les plus dignes d'atten-
tion. M. Jules Brunfaut expose, en photographies, des
façades de maison et des portes, un peu trop pastichées
de la Renaissance flamande, mais de beaucoup de goût.
M. Jean Baes a une série de cottages exécutés en Bel-
gique, en France et en Angleterre, qui forment une
charmante suite d'aquarelles, non égale toutefois à
l'inoubliable série de ses clochers (*)
Parmi les travaux d'édilité, on remarque vingt-
deux projets relatifs à ce que l'un des exposants qua-
lifie le problème de la transformation de la Montagne
de la Cour! Vraiment quand on les voit, on ne peut
s'empêcher de trouver que la question n'est pas mûre.
Ce que les auteurs y ont accumulé de banalités bour-
geoises est inimaginable. Presque tous sont empêtrés
dans le style dit Badinguet. Rien du pays, rien de nos
mœurs. Un amalgame de tous les lieux communs de
l'architecture contemporaine boulevardière. Et ce
serait cela qui remplacerait le pittoresque ensemble
formé par la Montagne actuelle, flanquée de ces
romantiques retraites : la riante place du Musée, l'in-
comparable quartier Terarcken avec ses quatre esca-
liers, ses admirables vieilles demeures, le défilé serpen-
tant de la rue des Douze- Apôtres et la rue d'Isabelle,
(*) Voir notre numéro du 7 mai 1882, p. 147.
r
u
LAUT MODERNE
163
et les sombres diverticula de la ruelle Saint- Roch!
Pourquoi détruire ces restes qui font la joie des artistes,
et excitent étonnamment la curiosité des étrangers?
Voilà du vrai Bruxelles, ayant toute sa saveur, qu'au-
cun bouleversement ne pourrait égaler en étrangeté
séduisante. Quand on possède un aussi merveilleux^
imprévn, on le conserve jalousement, on l'améliore en
réparant, en complétant dans les mêmes données. On
ne détruit pas; ce serait bête. En vain parle-t-on des
communications entre le haut et le bas de la ville. On
les supporte comme elles sont depuis toujours. Qu'on
ne sacrifie pas à des manies d'alignement une des plus
incontestables beautés de notre cité. Ce n'est pas droit,
c'est un peu rai de, c'est étroit, déhanché, contourné :
tant mieux, nous avons tant de grrrandes artères l
Goûtons un peu d'autre chose. Il en reste si peu. Puis-
qu'on parle de problème, nous le poserons, nous, ainsi :
Maintenir tout le quartier, en améliorant ses détails,
dans son style. . •
Pour finir une réflexion secondaire. La ville a exposé
.un grand tableau donnant les modèles des objets divers
qu'elle installe dans ses promenades publiques : candé-
labres, bancs, écriteaux, etc. (l'etc. cache décemment
les urinoirs dont on voit des spécimens). Or, il est à
noter que les candélabres les plus anciens sont les plus
corrects et les mieux en style. Days les temps plus
récents, on s'est laissé aller à des horreurs sous pré-
texte d'ornementation : témoins le tortillage grotesque
des candélabres MONUMENTAUX de la place du Congrès.
L£ SALON DE PARIS
Premier article.
Parlons-en, puisque c'est l'usage. - —
Chaque année, quand les murs du Palais des Champs-
Elysées revêtent leur tapageur caparaçon et que sous
les vastes lanterneaux, parmi les lataniers, s'agite la
pantomime des statues de plâtre et de marbre, peintres
et sculpteurs accaparent de vive force l'attention. On se
rend au Salon comme à la reprise d'un opéra connu.
Dans un même décor se déroule une action qui ne varie
pas. Les interprètes eux-mêmes reprennent périodique-
ment possession d'un rôle qu'ils savent sur le bout des
doigts. Le fort ténor, la prima-dona, le baryton, la
basse, recueillent régulièrement leur moisson d'applau-
dissements. Le public les connaît, les aime, s'est accou-
tumé à leur jeu, et même à leurs défauts. Il sait le fort
et le faible de chacun. Il les veut tels qu'il les a admis,
à leurs débuis, et tels que les dépeignent, à chaque sai-
son nouvelle, les porte-voix du Figaro et de YÉcene'
ment. Si M. Bannat modifiait sa couleur sèche, noire,
immuablement figée dans la sauce dont il transmet
orgueilleusement la recette aux marmitons qui s'ef-
forcent d'atteindre au génie du cuisinier-chef, il y aurait
sans doute des murmures. Et qu'il prenne fantaisie à
M. William- Adolphe Bouguereau de sub.stituer de la
vraie toile et de la vraie couleur à la porcelaine émaillée
qui l'a conduit à Tlnstitut, ou à M. Henner de voir
autrement la nature que sous l'aspect d'une tache d'un
blanc de lait sur un fond chocolat, ou à M. Cabanel
d'animer d'un semblant de vie l'agonie de ses modèles,
la perturbation sera à son comble. ■ '
Le public n'aime pas à être dérangé dans ses habi-
tudes, et si les artistes étaient vraiment galants pour
lui, ils pousseraient 1^ polite.sse jusqu'à réserver chaque
année la même place aux mêmes peintres. Il y aurait le
panneau des Lefebvre, la salle des Benjamin-Constant,
le pan coupé des Gérôme, la cloison des Laurens, celle"
des Benner, celle des Boulanger'. On pourrait, pour ce
dernier, installer tout auprès de ses toiles une tribune
pour ses conférences. Et l'on n'oublierait point de gar-
der pour Vibert une place spéciale. Ainsi tout serait
aussi bien rangé, ordonné, classé, étiqueté qu'au Louvre
(nous parlons des Magasins et non. du Musée) les rayons
des nouveautés — le mot fait ici contraste! — des
chaussures, des gants et des articles-Paris.
Quel temps gagné pour les neuf dixièmes des visi-
teurs, qui vont uniquement au Salon pour contempler
ces choses-là ! Et que d'erreurs évitées désormais dans
lès comptes-rendus des critiques patentés !
C'est alors que serait tout à fait vrai le mot d'Arthur
Stevens, qui nous di-sait, au lendemain de l'ouverture :
« Oh ! le Salon, je l'ai vu depuis longtemps. — Depuis
longtemps! —Mais oui, depuis des années! N'est-ce
pas toujours le même? «
De fait, il semble qu'aujourd'hui on se contente de
battre les cartes, sans changer de jeu. Le valet de car-
reau, la dame de pique, le roi de cœur reparaissent
invariablement. L'ordre seul dans lequel ils reviennent
en cette immense - réussite " varie quelque peu.
En attendant même que ceci disparaisse, qu'un clas-
sement vraiment méthodique et parfait évite aux uns la
fatigue de rechercher à travers les salles les peintres
en vogue, en épargnant aux autres la peine de les fuir,
promenons-nous dans les galeries et abandonnons-nous
au hasard des rencontres.
L'excursion présentera, somme toute, quelqiie inté-
rêt. Car s'il est superflu pour la critique de redire à
propos de r Amour désarmé ce qu'elle avait dit de
la Naissance dé Vénus ou de la Consolabnce des
affligés et de servir sous une autre forme, en parlant
de Justinien et de Judith, les réflexions que lui
avaient suggérées la Justice duShérifeiHérodiade,
il se présente parfois telle toile âpre, fruste, qui sonne
brusquement comme un clairon de bataille.
Ce n'est pas, on le sait, sous les vitres du Palais des
Champs-Elysées que crépite la mousqueterie. On n'y
164 '
UART MODERNE
tire qu'à blanc, comme dans la plaine de Ten-Bosch les
gardes civiques de Bruxelles et de ses faubourgs. Si
l'on y peut admirer de jolis déploiements d'aigrettes et
de plumets, des c'aracolades de chevaux et des défilés
de troupes, c'est ailleurs qu'on s'empoigne corps à corps
et qu'on porte les coups qui tuent.
Mais parfois un soldat vient se mêler, en curieux, en
flâneur, r— est-ce par un besoin inassouvi de combats et
par amour de ce qui en évoque l'image? — à ces parades
inoffensives. Ceux-là nous les distinguerons et les place-
rons au premier rang. Signalons déjà, dès à présent,
Puvis de Chavannes, RaffaéHi, Fantin-Latour,Whistler.
Ou encore remarque-t-on parfois une récrue dont la
bonne tenue attire l'attention.
Mais avant de passer cette revue, occupons-nous de
ceux de nos compatriotes qui ont bravé les rigueurs du
jury et l'ingéniosité de la commission de placement,
habile à réparer les bévues commises par ses collègues
de l'admission, en reléguant aux rangs supérieurs, dans
les coins sombres ou tout au moins dans les galeries
excentriques, les œuvres de valeur qu'on a eu la
faiblesse d'accepter. , .
Les Belges qui exposent cette année ne sont pas tous,
il est vrai, de première marque, et l'on ne saurait faire
un'grief aux placeurs de ne pas les avoir tous mis à la
cimaise;
Celui de tous qui semble avoir tiré le meilleur
numéro à cette loterie est M. Halkett, dont on a vu,
à r Essor, le grand tryptique : Dans la Sapinière.
C'est cet ouvrage qui figure au Salon, et les conditions
de lumière dans lesquelles il est présenté lui sont très
favorables. Rien d'étonnant à ce qu'on songeât au jeune
artiste pour une médaille.
L'Escaut à Anvers, de M. Franz Courtens, est éga-
lement à la rampe, mais l'œuvre est moins bien éclairée
que la précédente. Elle paraît, dans ce milieu parisien,
quelque peu lourde. L'eau est opaque, le ciel manque
de fluidité. C'est néanmoins une peinture saine, con-
sciencieuse, dénotant un labeur tenace.
M. Aelbrecht de Vriendt expose une vaste composition
d'exécution récente, mais de tendances anciennes. Elle
est intitulée : Comment ceux de Gand rendirent
hommage à Charles-Quint enfant. On connaît l'art
spécial, d'une archéologie savante et minutieuse, de
M. De Vriendt. ^La nouvelle œuvre est semblable aux
précédentes et ne nous apprend rien sur son auteur, si
ce n'est qu'il demeure fidèle à la foi de sa vie.
M. Hennebicq montre, dans un pan coupé, bien en
vue, un portrait assez vulgaire, mais ressemblant, de
M. Jules Bara. M"*^ Marie Colart, deux paysages, l'un
d'hiver, l'autre d'été. M. Coosemans, un Chemin en
Campine, qu'il est téméraire de vouloir regarder tant
il est haut placé. M . Clays, à la cimaise, deux marines.
M. Carpentier, que nous classons parmi les Belges,
quoiqu'il habite depuis longtemps Paris et que son art
n'ait plus avec notre pays que des attaches lointaines,
exhibe une assez grande composition dans le genre de
François Flameng et que l'artiste intitule : M^^ Roland
à Sainte-Pélagie:
Il faut citer encore, parmi ceux de nos compatriotes
qu'on découvre au Salon, les uns passablement bien
placés, les autres perdus dans les frises, MM. Florent
Willems, qui est dans le cas de M. Carpentier sous le
rapport de la nationalité, Théodore Verstraete, Frans
Van Leemputten, Henri Van der Hecht, Louis Tim-
mermans, Alexandre S truys, Nicolas Van den Eeden,
Georges Van den Bos, Jules Van Biesbroeck, Edmond
Van der Meuleri, Robert Mois, Emile Motte, Cari Nys,
Antoine La Boulaye, Alfred Hubert, Léon Herbo,
Gustave Denduyts, François Gailliard, Emile Claus,
Léon Dansaert, Charles Baugniet, Jan Van Beers et
M""^' Ronner mère et fille, Alix d'Anethan, Hélène
Gevers et Clémence Van den Broeck.
Peut-être en est-il davantage, nous ne citons que
ceux que nous avons vus.
M. Jan Van Beers excite le plus de curiosité. Rien
de plus normal, puisque l'artiste s'éloigne de plus en
plus des conceptions artistiques pour devenir l'amuseur
et le loustic de la foule. On verra bientôt chez tous les
marchands de cigares, reproduit par le plus récent per-
fectionnement de^ la chromolithographie, son gentle-
man en costume de bain tendant les bras à une petite
dame qui descend, dans là même toilette, l'escalier
d'une cabine. Et, ce qu'il y a de charmant, c'est que ce
chromo produira la même impression que la peinture
elle-même. ^___: ^-^_ l 1 , _^^ .__
Les amateurs auront la faculté de s'offrir, à bon
marché, quelque chose qui pourra être pris pour
l'œuvre originale elle-même. — *
Art d'exportation, art de pacotille, art odieux.
Et maintenant, voyons ce qu'ont produit de neuf les
peintres français. La colonie exotique aura son tour
ensuite, et nous terminerons par une excursion au pays
des sculpteurs.
lE DON JDAKISME
Il arriva souvent à Balzac de réunir et de concentrer ses obser-
vations sur un travers ou un vice humain en de petites études
— petites est maigre quand on écrit de Balzac — éditées en des
« bibliothèques de poche » et d'une intimité de Vade-Mecum.
La Théorie de la Démarche et le Code des gens honnêtes ont été
publiés ainsi. Plus tard, Barbey d'Aurevilly a imité sur ce point
son maître. Il a fait le Dandysme. Et voici M. Armand Hayem qui
donne un pendant à ce dernier volume et le dédie à Barbey. —
\jQ Don J nanisme.
Les observations contenues dans ces diverses études pourraient
à merveille se particulariser dans une histoire et se vivifier en
personnages. Quand on a approfondi un type comme Brummel
ou Don Juan, il est naturel qu'on soit tenté deraccommodeï'àunc
forme moderne et de le découper en pages de format Charpentier.
Barbey, sondant le type deBrummel, en crée un nouveau où il
incarne ses idées ^ travers son observation; de njêmeM. Armand
Hayem. L'un et l'autre sont sincères et vrais.
Rien ne leur eût donc été plus facile que de narrer leur
personnage; tous deux à une certaine heure ont dû le sentir
vivre en eux bien plus qu'ils n'ont vécu en lui. L'affabulation la
moins compliquée aurait pu leur servir et un roman de plus jau-
nissait aux montres de librairie.
M. Armand Hayem ne l'a point voulu — heureusement.
Et tout d'abord le roman n'est-il pas devenu, grâce à des
indiscontinues marées de volumes, la forme la plus banale et la
plus bourgeoise en littérature. /De la main des maîtres il est
passé aux mains des confectionneurs qui le coupent comme des
« petits complets » et en habillent les pensées les plus moyennes
et les plus neutres. Qui n'a son roman sur la conscience parmi
tous les amateurs de lettres poussés dans les librairies éphémères
de Paris. La moindre peine d'amour, le moindre petit accroc
dans l'existence, la moindre observation faite au coin des rues
où les chiens lèvent la patte ^ — et voilà une prose de plus coupée
en chapitres en délayée en 300 pages. Nous sommes submergés
de volumes à fr. 3-50, nous n'en voulons plus, nous crions grâce.
L'idéal serait dix romans par saison, et encore !
Voilà pourquoi des livres, pareils au Don Juanisme, courts,
serrés, concentrés, attirent à celte heure. Outre que l'affabulation
manquant — cette fameuse affabulation qu'on devine toujours
dès les cinquante premières pages et qui devient par la suite
un agacement et se tourne en reproche contre l'auteur — rien
ne distrait de l'analyse fine, calme, profonde et qu'avec les
observations et les vérités recueillies on peut soi-même forger
un type et l'orner égoïslemeni de tous les attraits et de tous les
mystères d'un rêve personnel.
Tel se présente le livre de M. Armand Hayem. C'est bien plus
qu'un roman — et pour cela même magnétique aux dilettantes et
aux esprits tournés au rare et au délicat. Il est un résumé parfait,
il est la quintessence non pas d'un, mais de vingt romans qu'on
a faits et qu'on pourrait faire sur Don Juan. Il s'impose comme
la loi et comme la philosophie d'une passion ou plutôt d'un
caractère, si bien qu'avec ses axiomes et ses résultats exposés,
l'esprit le plus inquiet de déHnitif se sen; à peu près satisfait.
Pour M. Armand Hayem « le dandysme est la science de la
fatuité; le Don Juanisme la science de la séduction. Les dandys
visent à l'effet, les Don Juan à la jouissance. Les dandys veulent
paraître supérieurs aux autres hommes, les Don Juan n'en
veùlenl imposer qu'aux femmes. Spencer, d'Orsay, Brummel, le
Brumniel de d'Aurevilly et d'Aurevilly lui-môme, sont impassi-
bles, impertinents, imperturbables. Ils dédaignent les petits
moyens de produire dé l'effet, ils sont supérieurs aux résultats :
Don Juan, nullement. Il n'est aucun moyen capable de l'amener
au but qu'il ne finira par employer. Il n'a pas recours à cette
grande faculté essentiellement anglaise toute nationale : V excen-
tricité. »
Comme ce dernier trait est juste! Et comme il lève une nette
barrière entre M. Armand Hayem et les poètes de ce siècle qui
n'ont pas coiijjpris que Don Juan était un caractère essentiellement
latin et ont voulu nous poser un Byron comme type de Don
Juanisme ! '
Don Juan, ardent, inassouvi, irréfléchi, brûlant la vie, n'a rien
à démêler avec ces être's de brouillard et « d'arbre secoué et hur-
lant.» que produisent les septentrionaux. Nerfs et sang, mais plus
de sang que de nerfs. Voilà Don Juan. Rêveur ! Allons donc, il n'en
a pas le temps. Il.esi le Juif-Errant glorieux de l'amour et non pas
un Werther, et non pas un Hamlet raisonneurs et mélancoliques
qui s'attardent dans des sentimentalités transcendantes Oui non.
« Le tempérament nervoso-lymphatique caractérise bien les
amours 'germaniques. C'est une sorte de tendresse dans une pas-
sion qui bat l'amble de la violence à l'impuissance, de l'extase à
la rage contenue, k l'humiliation volontaire, aux regrets, aux
repentirs, aux dégoûts, amenant parfois le suicide. Don Juan, en
fait d'humeurs n'a que de la bonne humeur. H en donnerait aux
autres tant il s'en sent empli. Il en donne aux femmes les moins
disposées à en montrer. »
Une note neuve ou presque, ou du moins peu frappée.
« Il y a en Don Juan un homme d'étal qui dédaigne de l'être,
un diplomate, un despote et un despote généreux. Don Juan est
optimiste... Sa grande, sa seule surprise sera la mort. Il ne pou-
vait la croire faite pour lui et n'aura jamais eu le temps d'y pen-
ser : et sans doute il aura eu raison, car il est éternel et nous le
retrouverons par delà les mondes, s'il s'y rencontre encore des
hommes pour séduire et des femmes pour être séduites. »
Ces raccourcis de citations indiquent le livre et le particula-
risent.
« Il y a des hommes d'amour comme il y a des femmes
d'amour » et qui passent avec des airs de roi et marchent vers
leurs conquêtes comme des capitaines heureux, sûrs de vaincre.
Comme Bossuel représente Condé devant Rocroi, on se les figure,
eux, les coureurs d'aventures galantes, et tels laissent-ils leur sil-
lage dans l'esprit : au xvii^ siècle, Lauzun, au xviii^ siècle, Riche-
lieu — mais aujourd'hui? M. Armand Hayem, dès le chapitre il,
impose pourquoi ils sont impossibles.
Il résulte donc de cette « psychologie » coquettement serrée
en livriculet par Lemerre, que Don Juan est un type du passé bien
plus que du présent, qu'il appartient à la race des héros nor-
maux et psychologiquement bien constitués, tandis qu'aujour-
d'hui les personnages littéraires qui nous symbolisent, ont tous
celte caractéristique : la névrose.
Guide du touriste en Ardenne, par Jean d'Ardenne (Léon
Dommartin'. — Edition refondue et considérablement augmentée.
— Bruxelles, Rozez, 1885.
Il y a cinq ans, lorsque parut la première édition de l'ex-
cellent guide de M. Léon Dommartin, nous disions, parlant de
l'Ardenne, ce coin aimé de la patrie où l'on revient sans cesse :
« Enfant de ce pays, qu'avec un filial amour il a dans tous les
sens- parcouru, fouillé, caressé, Jean d'Ardenne, plume élégante
et infatiguable jarret, mieux que tout autre peut, doit nous en
montrer les* originales beautés et nous le faire admirer, soit dans
les sourires du printemps, soit dans les sévérités de l'automne,
soit que les coteaux se revêtent du tendre émeraude des jeunes
pousses, soit que les bois allument dans le flamboiement
farouche de leur agonie ces rouges âpres, ces jaunes violents,
qui donnent l'impression d'un incendie (*) ».
L'ouvrage a fait son chemin, et voici que l'auteur en publie
une nouvelle édition. Mais cette nouvelle édition est presqu'un
(*) V. VArt moderne^ 1881, p. 148.
■ ^
«
166
V ART MODERNE
\
nouveau livre, lanl le volume a élé remanié, auiçrnenlé, corrigé,
com|)|(H<'^ iM'. Léon Dommarlin a refait loules les étapes de ce
voyûgo charmant qu'il décrit. Et pour donner à son Guide un
èaraclère d'utilité pratique en* mémo temps que celui d'un
allrayant compagnon de route dont la conversation — lisez lec-
ture — charmera les haltes,, snr la lisière des hois, à l'ombre des
hêtres, ou sous l'auvent des auberges, il a intercalé dans le texte
tous les rensoiijfiuMnenls nécessaires au touriste : hôtels, movens
(le locomotion, etc. 11 a, de plus, groupé autour des principaux
centres de villégiature toutes les excursions et promenades
qu'offre le pays: El le texte, qui comportait 356 pages, eh a
aujourd'hui 483. . "
Cinq cartes détaillées accompagnent le Guide, que l'éditeur
a élégamment vêtu de toile grrse, — un vrai costume de tou-
riste.
Les Milices de Saint- François, par Georges Ecklroud, vien-
nent de paraître chez Wonnom. Nous 6n rendrons compte pro-
chainement. - j
DEUX VENTES DE TABLEAUX
Le Journal des Arts de Paris du 18 mai, donne à sa qua-
trième page, et très en évidence l'annonce de la vente Defoer,
M. Defoer est connu en Belgique sous le nom de Le bey de
Jodoigne. C'est ce Belge qui est revenu . d'Egypte avec une
grande fortune, après avoir été quelques années au service fruc-
tueux du Khédive.
Voici l'annonce : Tableaux modernes de premier ordre.
OEuvres de Corot, Daubigny, Decamps, Delacroix, Diaz, Dupré,
Fromentin, Géricaull, Isaboy, Marilhat, Meissonier, Millet, Pru-
d'hon, Ricard, Rousseau, Stevens, Troyon, Ziem.
Vente Galerie Georges Petit, rue de Sèze, 8, le samedi 22 mai
4 886, à 3 heures. Commissaire-'priseur : M. Paul Chevalier, 10,
rue de la Grange-Batelière. — Expert : M. Georges Petit, 12, rue
<iodol-de-Mauroi, chez lesquels se trouve le Catalogue.
Exposition particulière: le jeudi 20 mai 1886. — Exposition
publique : le vendredi 21 mai 1886, de i heure à 5 heures. —
Catalogue illustré. Prix : 50 francs. •
D'autre j)arl, l'imprimerie Paul Weissenbruch vient de publier ,
le catalogue de la galerie de iM. le baron Edouard von NIESE^VA^•D,
landrath à Mulheim. Rédigé par M. Jules de Brauwere, expert à
Bruxelles, directeur de la salle Saint-Luc, ce catalogue, illustré
de nombreuses photolypies de W. Otto (très médiocres, soit dit
en passant), est accompagné d'une lettre de MM. Fosler annon-
çant que la vente de ces nombreases et souvent remarquables
œuvres anciennes, aura lieu, 54, Pall Mail à Londres, mercredi
9 juin à 1 heure.
M. dé Brauwere signale spécialement un Croesbeek, un Boursse,
un Bakhuisen, un J.-B. Weenix, un Teniers, un Salomon Ruys-
dael, deux Miereveld, un Albert Cuyp, un Thomas de Keyser,
un Martin Pœpyn.
11 n'y a point de milieu : quand on s'en tient à la nature telle
qu'elle se présente, qu'on la prend avec ses beautés et ses
défauts, et qu'on dédaigne les règles de convention pour s'assu-
jettir à un systèméoù, sous peine d'être ridicule^t choquant, il
faut que la nécessité des difformités se fasse sentir, on est pauvre,
mesqain, plat, ou l'on est sublime.
11 y a entre l'œuvre d'art réalisée et la théorie purement philo-
sophique de l'art presque toujours incompatibilité, eh ce sens,
du moins, qu'une seule tête est rarement capable de les taire
tlcurir loules deux k la fois. ' : ■
* ■■■',.
* • '■'.','"".
Un esprit imaginalifet créateur grossit naturellement et maté-
rialise les points de théorie afin de les mieux apercevoir. II leur
donne un relief saisissant, mais par là il les dénature.
♦ / , ■
L'artiste vraiment original ne s'enferme jamais dans l'étude des
grands modèles, qu'ils soient d'hier ou d'aujourd'hui. Le mot
modèle n'est pas fait pour lui. Il peut même, par parti-pris, affecter
de les ignorer tout à fait.
* ■■ ■ - • ■
* *■ " . • ■ '
Le succès, le grand succès, est assuré à la médiocrité, l'heu-
reuse médiocrité qui met le spectateur et l'artiste comme de
niveau. Quant à l'artiste de génie, il n'a pour vrais juges que ses
pairs, qui sont le plus souvent ses rivaux. Il est donc seul, —
seul en face deîa postérité. De là son angoisse. .
*
» ♦
Travaillez, suez sang et eau, étudiez la nature, épuisez-vous de
fatigue, faites des poèmes sublimes avec vos pinceaux, et pour
qui? pour une petite poignée d'hommes de goût qui vous admi-
reront en silence.
Celui qui devance son siècle, celui qui s'élève au dessus du
plan général des mœurs communes doit s'attendre à peu de suf-
frages; il doit se féliciter de l'oubli qui le dérobe à la persécu-
tion. Ceux qui tombent au plan général et commun sont à la
portée de la main, ils sont persécutés; Ceux qui s'en élèvent à.
une grande distance ne sont pas aperçus, ils meurent oubliés et
tranquilles, 1
i * '"■■'■♦»
Le génie doit se féliciter de n'être compris que d'une élite sur
le moment : c'est par là seul qu'il est assuré d'être compris géné-
ralement plu^ tard, quand son heure sera venue. Il n'en doute
pas et n'en peut douter.
*
Entre l'artiste de génie et la nation, il n'y a pas de malentendu
proprement dit. 11 n'y a qu'un retard au rendez-vous et c'est le
public qui est en retard. Il en a le droit puisqu'il est éternel et
qu'il se renouvelle sans cesse. A quoi bon l'insulter, l'appeler
niais, imbécile, bourgeois ?
*
L'indifférence de ses contemporains est pour l'artiste créateur
et original la condition même de son génie.
LA VENTE MORGAN
La lumière commence à se faire sur la vente Morgan ; cette
vente dont les résultats avaient surpris tout le monde, serait
simplement une affaire lancée par des banquiers américains et
quelques-uns de nos confrères vont même jusqu'à dire aujour-
d'hui que les prix annoncés sont fictifs.
Mais laissons parler /« Guide de V Amateur :
Toul d'abord, la collection vendue à, New-York avait appar-
tenu non pas h Mo7isieur Mor^w, mais à Madame Morgan, pro-
priétaire de la ligne de bateaux à vapeur entre New-York et la
Nouvelle-Orléans.
Cetle collection, estimée environ six millions de francs, com-
prenait deux parts bien distinctes : la première représentée par
des ^tableaux modernes, évaluée environ trois millions; la
seconde comprenant des curiosités, des faïences, des porcelaines»
des objets d'art, des meubles, etc., évaluée la même somme.
Pour en finir, d'abord, avec les prétendues appréhensions qu'on
avait k New-Y'ork sur le sort de cette vente, appréhensions pes-
simistes dont plusieurs journaux de Paris s'étaient fait l'écho, je
me hâte de dire que la collection de M'"^ iMorgan avait été achetée
bien avant la vente, par un syndicat de banquiers, pour le- compte
desquels seuls la vente a eu lieu.
Ce syndicat avait acheté ferme la collection Morgan pour la
somme de cinq millions.
Si Ton considère : d'une part, que l'exposition qui a précédé
la vente (k cinq francs d'entrée) avait déjà rapporté environ cent
mille francs — car on est venu de toutes les villes d'Amérique
pour admirer une dernière fois, avant sa dispersion, cette collec-
tion fameuse; et que, d'autre part, la vente des tableaux
modernes a produit, k elle seule, quatre millions quatre cent
mille francs, il est facile de conclure que les banquiers ont eu,
pour bénéfice, toute la partie curiosités et objets d'art de la col-
lection, soit plus de trois millions, ce qui n'est pas une spécula-
lion k dédaigner.
' ' V . ^IBJ-IOQRAPHIE MU^ICALE
Beethoven. Sonates pour piano, publiées par Carl Reinecke.
— Leipzig et Bruxelles, Breitkopf et Hàrtel.
Au lendemain de la soirée oîi Rubinslein a évoqué l'ombre de
Beethoven, la nouvelle édition que mettent en vente M.M. Breit-
kopf et Hârtel dos sonates du maître ne peut manquer d'être bien
accueillie k Bruxelles.
L'ouvrage forme deux forts volumes in-folio, gravés avec
beaucoup de netteté sur papier 4e choix, et renfermant chacun
une table thématique. Toiites les sonates ont été doigtées par
M. Carl Reinecke, et les signes d'accentuation, les nuances, les
indications de mouvements, etc., ont fait l'objet d'un examen
attentif de la part du savant professeur. L'édition est adoptée par
le Conservatoire de Leipzig. C'est en dire le mérite.
Les Sonates font partie de la collection populaire Breitkopf et
Hârtel, dans laquelle elles sont calaloguées sous le n" 4181, et
coûtent fr. o. 75 le volume.
Philippe Scharwexka. Trois sonates (op. 61). — Leipzig.
Breitkopf et Hàrtel.
MM. Xavier et Philippe Scharwenka sont connus en Allemagne
par un grand nombre de compositions pour piano et pour chant.
L'une des derniiTes parues de la « firme » est un cycle de trois
sonates dont l'auteur est le frère Philippe, et auxquelles
MM. Breitkopf et Hàrtel ont fait les honneurs d'une édition très
élégante.
La meilleure des- trois œuvres est la dernière, \a Sonate en Ja
mineur. A défaut d'originalité, les compositions de
MM. Scharwenka se recommandent par des qualités de facture
qui les font apprécier des pianistes. / "
Les Sonates op. 61, en particulier, seront utilement mises ^
entre les mains des commençants, pour qui elles serontHin ensei-
gnement eftîcace.
■ ' - ' ' ■ . '
MEMENTO DES EXPOSITIONS ET CONCOURS
Amsterdam. Exposition (internationale) d'artistes contemporains
organisée par la ville d'Amsterdam. Peinture, sculpture, architec-
ture, gravure, dessin, lithographie. Du 27 septembre au 30 octo-
bre 1886. Délai d'envoi : 23 août-7 septembre. Frais à charge de-
l'exposant à l'aller, à charge de la Commission au retour. — Six
médailles d'or, chacune de 100 florins. — Jury de sept membres,
dont quatre élus par les exposants. Joindre à l'envoi le nom de quatre
candidats. — Les jurés ne peuvent concourir pour les médailles. —
.Renseignements : Conimission executive de V Exposition commu-
nale, Amsterdam,. (J. Luden, secrétaire).
GouRTRAi. — Exposition de tableaux, dessins, gravures, sculp-
tures et lithographies. Du 22 août au 30 septembre. Délai d'envoi :
15 juillet. Renseignements : L. De Geyne, secrétair» de l'exposi-
tion, dit^eçteicr de l'Académie et de l'école industrielle.
Dunkebke. — Exposition (internationale) d'aquarelles, dessins et
cartons, pastels, miniatures, émaux et faïences, gravures, lithogra-
phies. Du 14 juillet au 22 août. Délai de rigueur: 5 juillet. Adresse:
Exposition des Beaux- Arts, Musée cotnrnunal, Bunkerke.
Florence. — Concours (offert à tous les artistes résidant en Italie)
pour les trois portes de bronze de la façade de Sarita-Maria-<lel-Fiore
(cathédrale). Primes de 4,000 francs pour la porte centrale, de
5,000 francs pour chacune des portes latérales, accordées aux pro-
jets choisis (dessin géométrique en clair-obscur, développé au tiers
de la srrandeur d'exécution). Délarde ricrueur : 31 octobre 1886. Siègre
du comité : Place du Dôme, 24, Florence.
Gand. — Exposition (internationale) de la Société royale pour
l'encouragement des Beaux- Arts. Du 15 août au 24 octobre Délai
d'envoi : i^ '}\n\\e\i. Secrétaire' de la coramission directnce : M. Ferd.
Vander Haeghen.
Milax. — Concours (international; pour la reconstruction de la
façade de la Cathédrale (le Dôme) en harmonie avec le style du mo-
nument. — S'adresser, pour le programme, à l'hôtel de ville de
Bruxelles, bureaux de la 6« division, de dix à quatre heures.
Namur. — Exposition du Cercle artistique et littéraire. Du
20 juin au J 5 juillet. Renseignements : 3/. /. Trepagne, secrétaire.
A propos de notre Mémento, un abonné nous demande d'y rensei-
gner, en même temps que les concours artistiques, les concours lit-
téraires. Nous nous rendrons volontiers à son désir et prions en
conséquence les sociétés littéraires, cercles, associations, etc., qui les
organisent de nous faire parvenir régulièrement leurs programmes.
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informations et les soins donnés à sa rédaction une place ' prépondérante. Aucupe manifestation de l'Art ne
lui est étrangère : il s'occupe de littérature, de peinture, de sculpture, de gravure, de musique,
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouvement artistique belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur toùs les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaitre. ; ■
Chaque numéro do L'ART MODEjRNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'actualité. Les expositions, les livres nouveaux^ les
premières représentations d'œuvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires, les concerts, les
ventes (^objets dart, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées.
L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. Il rend compte des
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Dimanche 30 Mai 1886.
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^OMMAIRE
L'art oratoire. -^ Le Salon de Paris. Deuxième article. —
Albert Tinchant. — Millet et Rousseau. — Vente Defoer-bey.
— La littérature au Congo. — Petite chronique. ... '.
L'ART ORATOIRE
Comment apprendre à parler en public? Quelle est la
méthode la plus efficace ? Où s'en occupe-t-on d'une
façon didactique? Y a-t-il là-dessus des livres, des
cours, un enseignement?
Telles étaient les interrogations d'un jeune homme à
qui nous avions développé cette thèse : De notre temps,
tout le monde doit savoir faire un discours, comme tout
le monde doit savoir faire un article.
Non. Il n'y a guère d'enseignement réglé en cette
matière et les cours se bornent à des leçons de pronon-
ciation. Heureusement ! On n'a pas encore, pour l'art
de la parole, organisé d'académies ayant pour but de
substituer le convenu à l'original et de transformer la
salutaire éducation naturelle en un pastichage des
modèles chers au professeur, si le modèle n'est pas le
professeur lui-même. Tout au plus dans les collèges,
particulièrement dans ceux des jésuites, ces incurables
amateurs des déclamations oratoires et littéraires,
(leurs élèves en conservent toujours quelque chose),
énonce-t-on à l'occasion des Olynthiennes ou des Cati-
Unaires quelques règles sur l'exorde et la péroraison,
l'apostrophe ou l'invective. Des livres aussi, en petit
nombre et fort délaissés, ont, à propos dé ces friches,
essayé de codifier un Manuel du Bon Jardinier.
. Finalement, par un privilège dont les autres ne jouissent
pas, l'art oratoire a été presque entièrement abandonné
à la bonne nature et chacun s'y tire d'affaire comme il
■■peut. ■ ' '''■^' '":■'-■■ -.-.-■■-.■■.■■■
Non pas que tout soit avantage dans cette salutaire
anarchie. Livrés à eux-mêmes, les apprentis, timides et
inquiets, jugeant, par comparaison, de l'éducation
qu'ils croient nécessaire, commettent de fâcheuses
méprises. La grande école de Y Appris -par-cœur fait
de nombreuses victimes parmi les débutants. L'autre
grande école, celle de Ylniitationf sévit aussi sans
interruption.
Dans l'espoir de dissiper les malentendus qu'elles entre-
tiennent Tune et l'autre, il n'est pas inutile de traiter ce
sujet, moins pour dire ce qu'il faut faire que pour mon-
trer ce dont il faut s'abstenir, et mettre en lumière
cette vérité qu'ici comme ailleurs les périls et les retards
proviennent des mêmes causes, partout identiques,
hélas! dans renseignement artistique : le défaut de
naturel, la crainte de s'en remettre à ses propres impul-
sions, l'asservissement à des préceptes uniformes, le
préjugé détestable qui représente les Maîtres non pas
comme des excitants à l'enthousiasme pour développer
les qualités personnelles, qu'on admire sans se façonner
sur eux, mais comme des exemples à copier qui étouffent
les instincts originaux.
Et d'abord dégageons les différences entre l'art
d'écrire et l'art de parler qui, si elles sont bien saisies.
170
vplET moderne
/
guérissent pour toujours de la manie de rédiger le dis-
cours et de le réciter. La pensée écrite n'est pas la
pensée parlée. Elles sortent, dirait-on, de deux réser-
voirs distincts reposant en nos cerveaux. Certes, elles
ont un fond commun dérivant de l'unité de la person-
nalité, mais dans la qualité, l'allure, le caractère, quelle
diversiité ! Ce sont deux sexes. Le vulgaire l'exprime en
disant de ce qui lui vient difficilement aux lèvres : « Je
vous l'écrirai, je n'ose pas vous le dire ". Il le met sur
le compte de la crainte. En réalité, c'est l'instinct obscur
de l'opposition entre ces deux mécaniques de l'intellect
qui s'affirme.
Prenez la plume, commencez à écrire, laissez-vous
aller aux hasards du phénomène qui va se produire,
diminuez autant que possible votre volonté, ne soutirez
pas, laissez ,couler, prenez le pas d'abord, lentement,
abandonnez- vous. à l'accélération qui va, si vous avez la
moindre parcelle de virus artistique, vous faire pren-
dre le trot, puis le galop, tantôt à fond-de-train, che-
veux au vent, coiffure en arrière, tantôt en belle et vive
allure, cavalière et bien tenue, avec l'échauff'ement de
l'exercice et la joie de se sentir rythmiquement porté.
Est-ce que le déroulement d'idées, de mots, de formes
qui se produit alors, dans la douce liberté du tête-â-
tète avec le papier, n'est pas d'une autre venue que
celle de la parole? Hésitez-vous à le croire ?.. Levez-
vous, déposez cette plume dont le mouvement,^calme
ou fébrile, faisait le remous des idées en son sillage
magique. Mettez-vous à dicter, à parler si vous avez un
sténographe, développez les mêmes choses, en usant
de cet autre instrument, la voix, livrez-vous à elle
comme tantôt vous vous livriez à la plume. N y aura-t-il
pas changement de décor immédiat?
Il n'est pas un écrivain qui le démentira, il n'est pas
un orateur. Aussi est-ce un pauvre compliment que de
dire de qui a parlé : lu, son discours semble avoir été
écrit/C'est comme si on louait un sculpteur d'égaler un
peintre ou réciproquement, de faire avec le ciseau ce
qu'on fait avec la brosse. Les facteurs sont diff'érents,
les factures doivent être différentes, d'elles-mêmes : on
ne les identifie que par une déformation, par la tyran-
nie du voulu, ce fléau de l'originalité.
Ne voit-on pas dès lors quelle erreur c'est d'écrire
son discours pour l'apprendre et le déclamer, même de
récrire pour se préparer k le parler? Ce n'est pas seu-
lement la gêne que cause l'effort de mémoire qui, en
pareil cas, refroidit fatalement l'œuvre, c'est aussi, et
surtout peut-être, qu'on donne hypocritement le pro-
duit de la plume comme produit de la parole. Nul audi-
teur ne s'y trompe, quelque adresse qu'y mette le réci-
tateur. Il y a la marque d'origine, indélébile. Les
éléments de production, ^multiples, enchevêtrés, ont
laissé leurs traces, Cela sonne autrement. On ne donne
pas le change.
. Quand on parle, il faut parler; quand on écrit, il
faut écrire; c'est-à-dire que, dans le premier cas, c'est
la parole qui doit fonctionner, et dans le second la
plume, pas uniquement en tant qu'objets matériels dif-
férents, mais en tant que procédés évocatoires qui ne
se ressemblent pas dans la floraison intellectuelle qu'ils
suscitent. Sous leur action spéciale, sous leur excitation
propre, notre nature prend d'autres teintes, manœuvre
d'autres ressorts, s'établit en d'autres poses. Parfois
même, chez les plus grands, orateurs ou écrivains, les
deux aptitudes s'excluent par la puissance à laquelle
leurs dons particuliers atteignent. N'est-ce pas la
démonstration évidente de leur diversité ? N'y aurait-il
pas sinon toujours équation?
Encore un coup, n'écrivez donc pas vos discours, ô
vous qui voulez parler. Et ne parlez pas vos écrits,
ô vous qui voulez écrire. Confinez-vous rigoureusement
dans l'opération propre à chacun de ces arts et hardi-
ment, quand vous voulez exercer l'un d'eux, abstenez-
vous de recouHr à l'autre. Pour féconder l'une de ces
muses et en avoir des rejetons, ne vous accointez pas à*
l'autre.
Non pas qu'il faille dire que l'étude de la littérature
nuise à l'éloquence. Celle-ci a besoin de tant de res-
sources, suppose une éducation si vaste, un emmaga-
sinage antérieur si complet, par cela même qu'elle
demande beaucoup pour la forme, le détail, les trou-
vailles heureuses, à l'inspiration du moment, que tout
ce qui enrichit le goût et la science de l'orateur doit
être recherché. Pour lui, plus que pour tout autre
artiste, la fréquentation constante des beaux écrivains,
des hautes pensées, des grands spectacles, excitant le
goût, l'élan, l'enthousiasme, l'ingéniosité, sont néces-
saires. Mais il ne faut pas confondre la compagnie de
ces puissants toniques de l'esprit, avec leur imitation.
Ils nourrissent et fortifient, ils entrent dans l'organisme
par cette assimilation intime, on en retrouve dans les
œuvres la secrète influence, ils font l'artiste de sang,
mais il est ridicule et bas de les rendre, tels qu'on les a
pris, sans les avoir digérés.
Supposons un néophyte sentant en lui quelque incli-
nation pour la parole, ou contraint par état de s'y
former. Comment faudra-t-il qu'il commence ce difficile
apprentissage ?
Bien simplement. Qu'il se garde soigneusement de ce
qu'on nomme un brillant début, cette chose qui, d'après
un dicton du Barreau, porte malheur et qu'on n'obtient
qu'en recourant aux deux pestes que nous isignalions
tantôt : l'Imitation et l'Appris-par-cœur. Qu'après
avoir longtemps médité l'objet de son discours, il en
établisse en une série logique les parties principales,
en petit nombre. Qu'il lés fixe dans sa mémoire ou sur
un feuillet. Qu'il lés voie dans leur ensemble et ne
s*inquiète pas de ne pouvoir, en esprit, apercevoir
MM
».•»■
leurs détails d'un coup d'œil. Qu'il s'en remette pour
ceci au hasard de l'inspiration. Qu'il sache que, même
les orateui^s les plus sûrs de leur fait, ne parleraient
jamais s'ils devaient, considérant le peu qu'ils voient en
eux quand ils vont commencer et ce qu'ils doivent
dire, se laisser impressionner par le vide du présent
comparé à l'abondance nécessaire du discours. Entre
un disciple et un maître, la principale différence, à cet
égard, est que celui-ci sait qu'il peut compter sur la
fécondation du moment, tandis que l'autre l'ignore et
s'en épouvante. '
Et alors qu'il se lance, comme on se jette à l'eau.
Qu'il aille, comme il peut, parlant comme il le ferait en
conversation, avec le désir de démontrer, d'émouvoir,
de convaincre ce qui doit être le sentiment dominant
de l'orateur. Qu'il ne s'écoute point parler, qu'il ne
pense qu'à l'auditoire et se dise : jl faut qu'il me com-
prenne. Qu'il n'ait pas la moindre préoccupation de la
forme, ni des mots, ni des phrases, ni des images, ni
de la correction. N'en est-il pas à un premier essai et
ne serait-ce pas miracle s'il réussissait pleinement de
ce premier coup?
Et que cet exercice, poursuivi ainsi de bonne foi et
sans prétentions, il le renouvelle le pliis souvent pos-
sible. C'est surtout pour l'éloquence que le proverbe
Fahricando fit Faber est vrai. Promptement il pren-
dra confiance, parce que cette saine simplicité, à
laquelle il s'en remettra comme un jeune oiseau à ses
ailes, lui rendra l'œuvre de plus en plus facile. Les
découragements et les mécomptes viennent, en ce
domaine, à ceux dont l'amour-propre ne se résigne pas
à être d'abord médiocres devant le public et qui ten-
tent inutilement dé franchir d'un bond tous les degrés.
Dès qu'il saura qu'il peut se confier aux ressources
imprévues que chaque parole fait surgir dans le cer-
veau, qu'elle y éveille intarissablement, dont les
essaims se lèvent pour animer les discours, avec une
abondance croissante telle que plus tard il n'aura
plus qu'un embarras, celui du choix, alors, libre de ses
mouvements, ayant conquis l'assurance et l'aisance, la
forme reprendra ses droits et il pourra s'en préoccu-
per, de jour en jour plus correct, plus riche, plus har-
monieux, plus doux, plus fort, plus promptement
pathétique quand il le faudra. Alors c'est l'inspiration,
le souffle : flat iibi viilt. C'est la liberté, c'est la grâce,
le grandissement de l'esprit par l'irruption de la clarté,
la beauté de la violence faite à une àme par la logique
et la vérité.
Voilà la vraie leçon d'art oratoire; Celle qui tient
lieu de toutes les autres. Celle que la plupart ignorent
toute leur vie. Elle est conforme au principe souverain
de l'éducation artistique : qu'il faut apprendre à l'ar-
tiste à se découvrir et à se conquérir soi-même ; que
c'est ce qu'il y a de plus difficile dans l'état présent de
l'enseignement où règne la manïe de substituer les
morts aux vivants; que c'est le seul moyen de nous
libérer de l'odieux pastichage et de faire de chaque ora-
teur un homme se montrant tel qu'il est, avec la saveur
de son individualité, au lieu d'un comédien répétant
misérablement un devancier ou un contemporain.
LE SAIOX DE PARIS
Deuçcième article.
L'œuvre maîtresse du Salon, celle dont le rayonne-
ment donne à l'expasition présente sa lumière d'art,
c'est le vaste tryptique de Puvis de Chavannes. C'est
lui qu'on aperçoit, en face de l'entrée, couvrant tout le
panneau de la salle carrée, dès qu'on met le pied au
Salon. C'est à lui qu'on revient, avec quelle impression
sereine! quand, la rétine irritée par les ardentes flam-
bées de tons crus qui incendient les murailles, on cher-
che pour le regard un coin de fraîcheur, un bain léni-
fiant.
L'artiste en expose ainsi la genèse : - Le bois sacré
cher aux AWs et aux Muses , panneau décoratif
exposé en 1884 et placé dans l'escalier du Musée de
Lyon, était la composition générative de deux autres
sujets : Vision antique et Inspiration chrétienne ,
l'art étant compris entre ces deux termes dont l'un
évoque l'idée de la forme, et l'autre l'idée du sentiment.
Un quatrièlne panneau représente le Rhône et la
Saône, svmbolisant la Force et la Grâce. "
Les reproductions photographiques ont déjà popula-
risé la conception dans laquelle le génie du maître a
réalisé sa pensée. Dans un limpide paysage^ étoile
de narcisses, parmi les cytises et les figuiers, un
pâtre garde ses chèvres au milieu d'un groupe de
jeunes femmes aux gestes hiératiques Sur le rivage de
la mer, dont l'azur miroite à l'horizon, une blanche
chevauchée de cavaliers évoque la lointaine image de la
frise du Parthénon. Et comme opposition à cette
radieuse vision de paix, d'humanité abandonnée aux
douceurs de la vie contemplative, le cloître d'un cou-
vent dans lequel un frère au profil ascétique, entouré
de disciples studieux, ébauche une fresque, ramène la
pensée aux ferveurs de la religion chrétienne, au tra-
vail intellectuel, aux concentrations de l'esprit, aux
délicatesses intimes du sentiment.
Le Rhùne est personnifié par un pêcheur robuste
marchant sur une rive, le filet ramené sur l'épaule ; la
SaO»ne par une femme à demi renversée sur le tronc
d'un saule, la chevelure dénouée mêlée aux enlacements
des liserons et tombant presque jusqu'aux nénuphars
dont la blancheur mate vogue sur des eaux de corail rose.
Ce qui fait la séduction et le charme de l'œuvre, c'est
que la peinture y est en quelque sorte immatérialiste.
Le métier disparaît. La composition elle-même est *
d une simplicité élémentaire, et si loin des formules
transmises par les académies qu'elle paraît gauche et
maladroite à tous ceux qu'infecte la malheuveuse
éducation de l'œil dont notre génération est victime.
Autant que la couleur, dont l'harmonie et l'unité exer-
cent sur les artistes leur prestige, le dessin est antipa-
thique au public qui exprime son opinion en disant :
« C'est vu à travers un brouillard ».
Nous l'avons dit souvent, l'art de Puvis de Chavannes
est de ceux qu'on ne discute pas. Il faut le prendre
avec ses mérites et ses imperfections, se laisser aller au
bercement de sensations qu'il procure, le contempler
comme on écoute une musique harmonieuse. C'est la
rêverie de la peinture. Tant pis pour ceux qui n'en ont
point la perception : une jouissance intense leur
échappe. . , ;
De plus en plus se creuse l'abîme qui sépare cet art
de sensations affinées de celui qui puise son intérêt
Oinique dans l'exacte réalisation d'un épisode, histo-
rique ou contemporain, ou dans une exécution habile.
Dans les 'arts, l'exécution est à la portée de tout le
monde. C'est dans ce sens que Wiertz a pu dire cette
énormité: Le génie est une affaire de temps.
Si le génie consiste à exprimer des étoffes cha-
toyantes, des chamarrures, des tapis, avec une perfec-
tion si grande qu'on s'imagine avoir ces objets devant
soi, ce qui fait crier d'aise les badauds, Benjamin
Constant est certainement un peintre de génie. Il n'est
pas de virtuose plus habile, de plus prestigieux manieur
de brosses. « Pas un décorateur de Paris, disait, le
jour du vernissage, un artiste dont l'esprit critique est
à la hauteur du talent, n'imiterait aussi bien le marbre
que ne l'a fait Benjamin-Constant dans Jitstinien «.
On n'a guère poussé plus loin l'art du trompe-l'œil , les
vêtements de l'empereur, les colonnes entre lesquelles
il siège, sur un trône, au pied d'une statuette de la vic-
toire, les ruissellements des pierreries dont l'éclat illu-
mine la toile, les plus minutieux détails de la composi-
tion sont rendus à miracle. Il en est de même dans la
Judith, dn même artiste, sur laquelle les visiteurs
s'écrasent le nez.
Benjamin Constant est aux antipodes de Puvis de
Chavannes. Un placement malicieux les a mis l'un en
face de l'autre, comme pour forcer le public à établir la
comparaison. A eux deux, ils symbolisent les deux ten-
dances de la peinture actuelle. Tout le Salon pourrait
être résumé en ces deux noms, placés chacun à l'extré-
mité d'une des routes que suivent les artistes.
L'une est encombrée et bruyante. Les artistes de
métier sont aussi nombreux que les étoiles du ciel, et la
plupart sont pleins de talent. Oh ! le talent foisonne au
Salon, nous entendons ce talent spécial, professionnel,
qui permet à tout jeune brosseur sorti de l'école, qu'il '
s'appelle Rochegrosse ou François Flameng, de s'élever
du premier coup au rang de ses maîtres dans labenoite
admiration de la foule. Ce qui faisait dire â Raflfàëlli :
f ♦* Dans dix ans, tout le monde saura peindre, comme
tout le monde sait écrire. Quelle est la jeune fille inca-
pable de jouer une valse au piano, ou même une sonate!
Ne pas savoir peindre, ce sera le signe d'une mauvaise
éducation. »
L'autre route, celle des peintres qui n'envisagent le
métier que comme une chose secondaire, qu'il faut
savoir comme il faut connaître les lettres pour écrire,
mais qui n'est qu'un mode d'exprimer une pensée pro-
fonde, ingénieuse, admirative ou critique, cette route-là
est solitaire. Les pèlerins qui^s'y engagent sont rares.
Mais si c'est la plus longue pour arriver à la célébrité,
c'est la seule qui mène à la gloire.
Laissons la cohue des virtuoses du pinceau se disputer
le lambeau de renommée qu'ils convoitent et qui, en
langage vulgaire, s'exprime par les mots médaille,
décoration, mention, commande. Ils ont succédé à la
génération des Bouguereau, des Cabanel, des Lefebvre,
des Gérôme, des Jean-Paul Laurens, des Léon Glaize,
des Lu minais, des Benner, dont la critique indépen-
dante a cessé depuis longtemps de s'occuper, puisque la
formule dans laquelle ils ont emprisonné leur exercice
annuel de composition est invariablement la même.
Et qu'on ne parle pas, n'est-ce pas, à propos du
Cabanel d'aujourd'hui, de rénovation, de rajeunisse-
ment, de tendances modernes. Le Portrait du fonda-
teur de l'ordre des Petites-Sœurs des pauvres et celui
de là Supérieure générale, fondatrice du même ordre y
sont aussi glacés, aussi vides, aussi ternes que les
images de poupées aux yeux vitreux dont lé fournis-
seur attitré du high-life a peuplé les Salons de la rive
gauche. Non, le vieux serpent n*a pas fait peau
neuve.
Fermons cette parenthèse. Ce n'est pas ce groupe
tombé depuis tant d'années dans l'indifférence que nous
songeons à attaquer. Il a d'ailleurs servi si souvent de
cible aux balles de la critique qu'il n'y a plus de place
pour y efifoncer même une épingle.
Une couche nouvelle a envahi les Salons parisiens,
mêlée aux Américains dont le débordement devient
inquiétant. Ce. t celle des peintres dont nous parlions
plus haut, qui font « le tableau du Salon *» comme une
femme commande chez sa modiste « le chapeau du
grand-prix », préoccupés uniquement, non de la pensée
artistique à exprimer, de la sensation ressentie à fixer
sur la toile, mais de l'efïet à produire sur la foule.
Les journaux quotidiens en découvrent tous lès ans
quelques-uns et embouchent pour eux la trompette. Il
est donc inutile que nous vantions l'ingéniosité avec
laquelle ces commerçants en toiles peintes attirent le
chaland et leur habileté à faire leur étalage.
Allons droit aux œuvres devant lesquelles le public
ne s'arrètei pas, ou n'interrompt ses banales exclama-
tions laudatives que pour hausser les épaules de pitié
ou pour se mettre en colère.
ALBERT TINCHAKT
Ainsi Mussel ne sera jamais repris, — disions-nous un soir
entre amis — el, bien que tout jeune poêle doive tenir de
quelqu'un, nul des nouveaux conquérants ne tiendra de lui ?
On aifirma qu'il était en décours, que son vers était sans art,
que son rythme était banal, que Ninon et Ninclte étaient mortes
le môme jour que la Mimi de Murger et qu'on avait d'autre
besogne que chanter des barcaroUes et s'escrimer avec l'épée de
don Paëz.
Pendant ce temps M. Tinchant, sans les crier sur les Pâmasses,
rimait ces vers :
J'écris pour mes amis ce petit livre intime.
Le style n'en est pas d'un coloris très pur.
Je ne suis pas de ceux qui, rêvant dans l'azur,
Gardent au fond du cœur un coin de ciel sublime.
Quant à ces hommes forts qui repassent la lime
Longuement sur un vers pour le rendre moins dur,
Et ne cueillent le fruit que lorsqu'il est bien mûr,
Ils valent mieux que moi, certe, et Je les estime.
J'ai grand peine à voir clair dans ma profonde nuit
Et sais encor trop peu pour mépriser autrui.
Flagelle qui voudra les vices de son frère. •
V Pour reprendre les gens naïfs ou corrompus, ■
La nature m'a fait la tète trop légère, . '
Mon vers comme mon cœur parle à bâtons rompus.
N'est-ce pas Musset qui dit et n'est-elle pas de lui celle préface
en sonnet? et n'a-l-il pas toujours fait parler son vers comme son
cœur?
Inutile de faire remarquer que celle poésie ne s'adapte nulle-
ment à nos préférences, mais, faisant de la critique, nous voulons
avant tout faire connaître les personnalités que nous désignons el
nous borner pour l'instant à ce rôle.
Aussi ce nous a-t-il été une surprise de revoir Tinfluence de
Mussel réapparaître en lillérature. Nous notons le fait.
Du reste, confirme-l-il combien les jeunes lettres françaises
sont diverses et tiraillées en tous sens. Que de vieux saints dont
on baise les reliques! Que d'ossuaires fouillés et que de pieds
ravis aux lombes pour faire marcher la poésie moderne! Plus de
maîlre-aulel qui commande là-bas, du fond des temples, mais de
petites chapelles latérales, avec des cierges dévols, partout.
La poésie, tombée d'Hugo en Lcconle de Lisle, s'était affinée
de forme et de stvle. Aux cheveux sauvasses et désordonnés des
Romantiques, les Parnassiens avaient fait de belles boucles régu-
lières, nobles comme les plis du péplum. Il fallait faire froide-
ment de beaux vers. Telle était la théorie, démentie que de fois !
La rime riche et les vers uniformément coupés étaient des conven-
tions dont la logique ne devait faire qu'une bouchée. Un beau
jour les baleines de ce banal corset craquèrent et, depuis, on est
à la recherche d'une forme aniipodique à l'ancienne. Réaction
fatale.
Aujourd'hui la forme impeccable n'est plus recherchée et toute
une harmonie de rythme nouveau conquiert. Lie vers coloré? —
Avant tout, le vers musical ! — La rime riche? — Avani tout, la
rime logique!
Pourtant ce n'est pas la facture ni la versification de M. Tin-
chant qui tranche Ic plus; c'est l'âme de son art. Il y a mis son
esprit, sa verve^ sa gaîié, un peu de sa bravachorie et beaucoup
de sa jeunesse. Nous revenons à dos printem» s d'amoureux et
d'amoureuses poussant au bon petit soleil do l'insouciance et de
la vie hrureusc. Los contes refleurissenl, toujours les mêmes :
des rendez-vous, dos baisers, vingt ans, un oncle naïf, une blague
mousseuse comme du vin d'Aï, une couclierie sur l'herbe ou sur
un banc de jardin et les étoiles qui forment les yeux pour ne
point voir. Borcare, Lafonlaine, Di sperriers, tamisés à travers le
Musset do Mardoche el do Sylvin, sont ses maîtres,
Nous n'insisterions pas autant sur les sérénités do M. Tinchant,
si le livre n'avail eu un réel sucrés el s'il no tranohnit point autant
sur tel el tel nouveau venu, fatalemenl parnassien ou pessi-
miste.
MIllET ET RÔlSSEAl
Au moment où 'a vente do la galerie du bey do Jodoigne,
M. Do Foop, ramène rat'ontionsur eos grands arti'iies, nous nous
Fommes souvenus d'une lotiro du sceond et du pas-ai^e où Arthur
• Stevons parle du premier, dans un Salon aujourd'hui une rareté
bibliogr.iphiquo : - :'
« Millet, dit-il, ce peintre-pensour, qu'une certaine frr.ction
du public prend pour un ariisto d'opinion avancée, n'a jamnis,
hasardé un pas sur le terrain scabreux de la politique. Ou
a-t-on vu que la peinture pouvait so substituera la | oîiiique? Ses
créatures du bon Dieu, homnios el bôles, onl-olli s donc dos airs
jacobins? Comment! mais ellos n'ont jamais voygé on chemin
de fer! elles mourront où elles sont nées! — ^^ Cosi une des
grandes qualités de >liIIol (h-^ si.voir exprimer rolle vérité. Il
raconto, avec un sonlimtMit si jusio ol si vrai, les durs labeurs du
paysan, que certaines gens le tionnoni pour socialiste. Erreur!
Ma's il est- si facile do pass* r pour rôvolulionuaire en peinture
quand on ne s'inspire que de la nature! *
Millet a compris que la source de l'in^^piration artistique n'était
pas ou Louvre, mais dans la nature, e'esl-à-dire là où les maî;r<^
ont puisé leurs inspirations.
Millet est une nature grave, un esprit indépendant, un peintre
convaincu'. Ses œuvrrs. dépourvues de tout chirme convention-
nel, sont austères. .Milh't est un croyant. Il traite avec religion ses
travailleurs et ses paysans; il les voit ponsifs. graves, simples,
mélancoliques. « La belle chose, dit M. Champ'floury, dars une
remarquable étude sur los Le Nain, (\n un artiste qui ala croyance
■ en son sujet, qui le respecte et qui l'aime ! »
Dans le Berger ramenant son troupeau, le paysage représente
une plaine unie. Le soleil so couthe à l'horizon.^ On voit son
disque rooge, sans rayons, à demi voilé par Us nuages. La terre
>st dms la pénombre. Un berger suivi de son troupeau s'avance
vers le spectateur. C'est tout, f/est bien simple. Le paysage n'a
rien de-romantique, mais il n'a rien non plus des poncifs
classiques. Le berger est un pauvre travailleur, un homme qui
souffre, mais. ne proteste pas. Ce n'est point un socialiïiie,
soyoz-en sûr. Il n'envie pas la fortune des riches; c'est à peine
s'il sait qu'il y a des riches! S'il lui tombait une fortune, peut-
être garderaii-il son troupeau à cheval? 11 ne doit rien désirer
de plus. Vêtu de guenilles, il ne s'y drape piis; il n'est ni fier,
ni honteux.
Millet est un réaliste, sans doute, mais il n'imite personne. Il
peint ce pauvre di'uble, parce que ce pauvre diable a une âme de
chrétien, el que» par conséquent, il vaut la peine d'être repré-
senté. Millet proleste, au nom de la réalité, contre l'idéalisme
Classiqiie cl les gamities monldes des colorislos. II ouvre le
domaine do l'art au travail, jadis proscrit, cl, par le cachet puis-
sant qu'il lui imprime, il l'élève jusqu'au style, et lui donne ses
lellres de noblesse.
. Dans tous les i>ays, on a vu des peintres rdalisics s'appliquant
à retracer le tableau des misères humaines. Les lialicns ont idéa-
liste ia pauvreté cl la souffrance. Les Flamands ont admis les
types faniiliers, bourgeois, mais ils n'ont pas représenté le
peuple proprement dit*. Les Espagnols ont peint des bandits pil-
' Ipresjues, fauves, aux cheveux hérissés; des mendiants vaniteux
se croyant de meil'eure maison que le roi. Les Flamands rient de
leurs gueux; les Espagnols vantent les leurs. Pour Millet, il vil
avec les siens; il les peint, parce qu'il les aime, en grand, avec
une tiivialilé courageuse et sincère, avec une intensité do
réalisme saisissinie, car on trouve en eux je ne sais quoi de
vivace et d'allachanl qui brave le dédain et ne songe pas à implo-
rer la pitié. Ces paysans sont pauvres, mais ils ne sont jamais
abjects. En eux, la misère n'a pas tué le courage, et il;^||rpuvenl
leur soulagement dans la résignation.
Peignant l'homme et non des costumes, Millet comprend que
l'art doit gt'nt'raliser, et non individualiser, onccdotiser.
Un trbfcau d'histoire resserre l'histoire dans un fait, tandis
que les maîtres anciens ont su montrer toute une époque dans le
seul aspect d'une ligure. Le Carabinier de Géricaull, c'est le
premier Empire toulenlier; c'est le chant d'une^époque, en une
page.
Millet csl un peintre mâle, primitif, une nature calme et hon-
nête. Toutes ses œuvres respirent la santé morale et la santé
physicjue. Il voit la nature cl Thumanilé d un regard doux et
bienveillant.
Un paysan se reposant sur sa houe, nous montre un travail-
leur exténué de fatigue, arcbouté sur sa béehe. L'air et la vie cir-
culent dans ce tableau ; sur le visage du paysan éclate une robuste
virginité. Cet homme sert à.la terre, il à la physionomie qu'il doil
avoir; il n'est pas plus laid que le bœuf tirant la charrue. Si
rFarlisle nous avait peint une têie byronienne, impériale, il aurait
fait une œuvre fausse, et chaeun de nous voudrait arracher ce
prolétaire* né ministre, h sa iris'e et pénible pojsilion. Il aurait
peint iine exception, et l'artiste ne doit point raconter les excep-
tions.
Celte créaiure humaine, surchargée de travaux quotidiens,
lient de la bêle de somme. 11 semble que si l'aiguillon venait l'ex-
cikir, elle souffrirait sans se plaindre. Ce tableau, c'est l'épopée
du travail, la prière sublime à Dieu. Cet humble travailleur est
un méritant; ce n'est ni un malheureux, ni un misérable.
J'aime peul-élre moins la Femme cardanl de la laine, tableau
dans leciuel je retrouve pouriaui le grand style, la physionomie
de Millet. Celte ligur»î e<t d'une réalité, d'un relief, d'un modelé
saisissants et d'une coloration distinguée. Ce sont des ions de
nature ei non des ions de vieux tableaux. La cardeuse fait bien
ce qu'elle fait; elle n'a pas de gesîe théâtral; elle ne pose pas
pour le spejlat»ur; elle est tout entière à son utile besogne, et
tous ses mouvements sont pratiques.
Que d'artistes, capables de nous intéresser par une composi-
tion remplie de personn:ige>, font preuve d'une incroyable fai-
blesse, comme pensée el i omme science,, dans un tableau d'une
seule figure! Millet prinl-il une femme tenant un enfanl? Il ne
crée pas' une mère, mais la mère EVE. Sur ses genoux, on dirait
qu'elle convie à prendre plaee l'humanité entière : le geste csl
juste, utile et grand, — car tout geste utile est grand.
. Ne cherchez, dans les tableaux de Millet, aucune agacerie
d'exécuiion : ils soni beaux avant d'être inléressanis. Chacune de
ses œuvres, je le répète, est une épopée rustique.
Nous avons été si souvent accablés de mauvais tableaux d'his-
toire, gavés de mélodrames sur toile, de pastiches gothiques,
grisés d'an fermenté, que nous avonij soif de simplicité, de natu-
rel, de vérité.
Après ^exii^tence empoisonnée des usines et des ateliers indus-
triels, il fuul retremper la race par le retour à l'air salubre des
cham|>s, à la vie rustique. -
. Les personnages de Millet sont vrais comme ceux de la Bible, »
Voilà Tarlicle du critique, voici la lettre du peintre.
- Barbizon, le 4 février 1864.
, Mon cher monsieur {Théophile Gautier),
Je suis, allé hier passer la journée h Paris et j'y ai trouvé votre
lettre. Je regrette qu'elle ail été si longtemps sans que j'y puisse
répondre. A peine rétabli d'une maladie grave, bien arriéré dans
mon travail, il me sera impossible de pârliciperà l'Exposition qui
^va s'ouvrir, et je ne me vois que le temps bien juste pour termi-
ner un tableau que je compte mettre au Salon prochain. Ceci
m'excuse tout naturellement. Mais j'ai en outre des raisons pour
m'abstenir; laissez-moi vous les dire, el ne vous formalisez pas
si je m'en prends h vous des choses que vous vous laissez aller
un peu légèrement h patronner.
Vous avez exploré l'art depuis 1830; comme sur un océan,
vous y avez doublé bien des caps, passé sur bien des brisants,
et en fin de compte, à ceux qui vous ailendaienl dans le port,
vous avez rapporté une vraie substance, une histoire poétique de
notre art qu'ont lue tous vos contemporains et que lira la
postérité. Donc, vous avez résumé; h travers ce que l'aclualité
avait de tumultueux, vous avez eu le génie de savoir toujours où
rallier et, comme Christophe Colomb, vous saviez d'avance où
était l'Amérique.
Eh bien! prenez garde maintenant. Vous étiez, dis-je, sur un
océan, et un océan a des ports, j'aperçois la pointe de votre
barque sur des cascades, et les cascades ne mènent qu'à des
abîmes. De Papety en Cabanel cl de Cabanel en Baudry, on ne
liwdiÈ guère à être étourdi dans les gnrgouillades. Vous savez de
l'art tout ce que l'on en peut savoir, vous avez pu constater que
le public n'a été retenu do génération en génération que par
ceux qui, patients et solitaires dans le travail, n'étaient animés
que du désir de bien faire, et non pas ceux-là qui prétendaient le
mettre de leur côté en se vouant à ses caprices el flattant ses goûts
éphémères.
Ouvrez donc les yeux sur ce qui se passe maint'^nanl, que
chacun n'est plus occupé qu'à coller une affiche qui déborde celle
de son voisin, pour attirer les regards, ne fût-ce, que pour un
instant. El votre société, à quoi se laisse-l-elle entraûKT! Elle
avait d'abord pour but d'exposer librement, c'était mieux, mais
elle n'a pas tardé à progresser. L'année dernière je disais à Mar-
tinet qu'il finirait par nous faire tenir un calé, et il me semble
que nous y sommes. Voilà que nous avons la peinture avec la
musique et [c grog. Nous aurons la danse et les fleurs, nous
pourrons écrire sur notre bannière : a Ici les cinq sens sont
charmés», et, ma foi! nous l'aurons conquis, le public, car il
f ludrait qu'il fût bien ennemi de son plaisir pour ne pas entrer
chez nous; mais croyez-vous que la digniié de l'art en sorte
bien intacte? N'y a-t-il pas des avances voluptueuses qui sont un
outrage à l'amour?
Nous voici donc enfin, peintres, donnant des concerts el des
bals et pouvant offrir des rafraîehisscmcnls ; nous sommes pein-
tres ayant un almanach à notre ceinture, afin de ne manquer
aucune foire de province, comme les marchands de bœufs. Par
le monopole de l'Etal nous allons devenir peintres assermentés
pour ies armées, les ambassades et les mcnus-pjaisirs de cour,
avec une casquette brodée. Que ne fera-t-on pas de nous, bon
Dieu! C'est vraiment trop d-e faire el trop de faconde, el, je vous
le demande, qu'est-ce que l'art a donc à faire avec tout cela?
Viendra-l-il jamais d'ailleurs que d'un petit coin ignoré où un
homme scrute les mystères d(^ la nature, bien convaincu que la
solution qu'il en relire, et qui lui est bienfaisante, l'esi au*rsi pour
rhumanilé, quel que soit le numéro d'ordre des générations.
Oui, l'art s'étiole cl s'use dans toute celte pompe el cette jac-
tance qu'on en fait. Lue grande cité ne se décrète pas un fleuve
parce qu'elle est assez riche pour faire d'immenses amas d'eau el
lés contenir dans de spicndidcs réservoirs; s'il coule majestueux
entre ses quais, elle ne le doil qu'au travail incessant de petites
sources, qu'elle ignore presque et envers lesquelles elle se montre
UART MODERNE
175
toujours ingrate. Vous ovoz le secret de ces sources, riez donc au
nez de ceux qui croient (ju'il n'y a la Seine que parce qu'il y a Paris.
Vous qui n'avez jamais été Vuli^aire, n'allez pas vous l;iisser
engager; passez les coudes dans cette foule remuante de la^ médio-
crité actuelle. Dans votre génie aventureux, s'il vous plaisait de
fouiller des bouges, on serait sans crainte à votre égard, vous en
sortiriez les mains pleines de poésies; mais, au contact de la vul-
garité, je vous mets bien au défi d'y rester sans en éprouver les
atteintes. ^
Déjà, tenez, vous avez subi les entraînements de la badauderie,
en accueillant mal le seul vrai peintre qui se soit manifesté depuis
1830, vous qui êtes doué pour cela d'un sens si exquis : je veux
parler de François Millet. El tous les jours, sous vos yeux,
presque sous voire responsabilité. Martinet vous étourdit dans
son journal de réclames honteuses, avec je ne sais quels noms,
tout ce qu'il y a de commun au monde. Taisez, si vous voulez,
toutes mes généralités, mais prenez note de ces faits : ils prouvent.
Vous commandez maintenant, pour la plus grande partie, une
jeune armée, et vous lui dites : « En avant! » Vous faites bien,
mais je la crois plus ambitieuse que vraiment dévouée. Elle
pourra surprendre un succès, je douté qu'elle puisse garder une
position, *
Permettez donc à un de vos grognards de rester p6ur sa part
dans la réserve, avec quelques autres qui vous restent encore et
qui ont la dent bonne pour la cartouche. On pourra sauver la
chose en temps utile. Comptez sur eux, leur prudence n'est pas
défection.
Excusez-moi, mon cher Monsieur Théophile Gautier, d'avoir
mis aussi longtemps sous vos yeux un langage barbare, ayant
toutes ces choses à vous dire à propos de l'organisation inconsi-
dérée qui se fait au nom de l'art, et croyez^moi bien à vous de
tout cœur, lié par sympathie et par l'admiration qiie j'ai pour
votre talent.
Je serais charmé si, à mon retour à Paris, au mois de mars,
vous vouliez bien me donner quelque rendez-vous pour causer un
peu- avec vous sur ce sujet.
Je suis tout à vous, y U " ,
~' Théodore Rousseau.
Quelle leçon donnée par- ce rude homme de peintre à l'écrivain
qui tournait au courtisan. Il jugeait en Parisien les pavsans de
Millet.
A son jugement, disait Arthur Slevens, j'oppose celui de
Montaigne, qui ne faisait point métier de sensiblerie. Ecoulez :
« Regardons à terre les pauvres gens que nous y vcoyons
« espandus, la tête penchante après leur besogne, qui ne sçavent
« ny Arislole, ny Caton, ny exemple, ny précepte; de ceulx-là
« tire nature touts les jours des eft'els de constance et de patience
« plus purs et plus roides que ceulx que nous esludions si
c< curieusement en l'eschole : combien en veois-je ordinairement
« qui mescognaissent la pauvreté! combien qui désirent la mort,
c< ou qui la passent sans alarme et sans aftlietion! Celuy-là qui
« fouît mon jardin, il a ce matin enterré son père ou son fils.
« Les nonis mesmes de quoi ils appellent les maladies en adous-
c< cissent et amolissent l'aspreié : la phlhisie, c'est la toux pour
« eux; la dyssenterie, dévoyement d'cstomach; une pleurésie,
« c'est un morfondonient, et selon qu'ils les nomment doulce-
c< ment, ils les supportent aussi ; elles sont bien griefucs quand
« elles rompent leur travail; ils ne s'alliestent que pour mou-
« lir. n
VENTE DEFOER-BEY •
Les enchères ont atteint //« million trente cinq mille cinq cent
cinquante francs. Voici quelques uns des prix auxquels ont été
adjugées les plus belles œuvres,
Mil-huit-cent-quatorze^ de Meissonnier, a été acheté 128,000
francs, par M. Montagnac. L'artisie l'avait vendu dans le temps
25,000 francs à M. Ruskin. La Fantasia de Fromcniiu,
68,000 francs; Le Garde chasse, dé Decamps, 36,000 francs;
Le Christ en cmx. de Delacroix, !29,.')00 francs; Nymphes et.
(aunes; de Corot, 65,000 francs; Le Coucher de Soleil, ù^\)i\\^T6,
15,000 frtmcs; Lesjoueursde boules, de Meissonnier, 46,700 fr.;
Le Voyageur, du même, 30,500 francs ; Le rieur, du même,
23,000 francs; L'homme à la houe, de Millet, 57,000 francs; La
lessiirduse, iJHi même, 35,100 francs; La b râleuse dlierbes, du
même, 25,000 francs ; Le pâturage, deTrovon, 33,000 francs;
Les bords de la Loire, i\i^l\\.\\o\i^^iZ\\, 55,000 francs; Le Trom-
pe tiède hussards, de Géricaull, 19,500 fratics ; onze pastels de
Millet ont atteint une moyenne de 5,000 francs chacun.
JûA LITTÉRATURE AU ^^ONQO
Il ne s'agit pas de livres rédigés par les nègres. Notre civilisa-
lion ne les a pas encore' amenés'à ce point. Mais des écrits variés
que le, nouvel Etat libre suscite en Belgique.
Jusqu'ici on n'en est encore qu'aux publications scientifiques.
Les œuvres purement littérnires naîtront sans doute plus tard.
Les Indes hollandaises ont enrichi les Hollandais non seulement
de denrées coloniales, mais de quelques-uns de leurs plus
beaux livres. Qui n'a lu Max Havelaar, de Multatuli? et chez
nous-mêmes Batacia n'est-il pas au premier rang-des œuvres de
Conscience ? '
Patience, le temps viendra, cOmme il viendra pour une appré-
ciation plus équitable de ce grand projet africain jusqu'ici tant
vilipendé par nos étroites cervelles belges. En altendynl l'empire
colonial, la Belgique préfère être l'empire où l'on fête toutes les
médiocrités, idées, hommes et choses.
Nous avons sous I.s yeux deux brochures. L'une émane de la
Société belge des Ingénieurs et Industriels. Elle est intitulée : Le
Congo. Elle réunit neuf conférences résumant le présent de la
colonie et ses espérances sa description, ses produits, ses débou-"
chés. L'autre est une élude du capitaine Albert Thvs exposant
quelle figi/re le Congo a fdiie à l'exposition d'Anvers.'
Ces lectures sont très inléressmtes. C'est un voyage scientifique
du meilleur aloi. Style simple, idées justes, appuyées de bonnes
preuves, logiquement déduites, animées d'un soultle de counigo,
de confiance, de bonne volonté qu'on a plaisir à sentir. Sous ce
rapport l'opuscule du capitaine Thys e^t particulièrement suggesr
tif et séduisant. L'isprii ferme, liiuelligence claire, le rarae'ière
tenace et droit se révèlent à toutes les pages. Il justifie cette
parole que nous disions en parliint jadis des écrits du général
Bnalmont et du général Eenens : « Il est bon qiie l'homme ait
porté quelque t^mps l'uniforme. » Si licet parva cnmponere
magnis, Cervantes n'arrive-i-il pas de Lépanie, comme Djflte de
Caujpalbiuo, comme Eschyle de Salamine? Juvéïial n'a-l-il pas
été tribun militaire? Tous 'soldats : Hugo en a tait la remarque.
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176
UART MODERNE
,■■:'.'■■■,■■.•■■■■ SIXIÈME ANNÉE ' ■./•"'"■"■■-■■ :-^' ^
L'ART- MODERNEj s'est acquis par l'autorité et l'indépendance de sa critique, par la variété de ses
informations et les soins donnés à sa rédaction une place pi*épondérante. Aucune manifestation de l'Art ne
lui est étrangère ; il s'occupe de littérature, de peinture, de sculpture, de gravure, de musique,
d'architecture, eic. Consacré principalen^ent au mouvement artistique belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur tous les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaître.
Chaque numéro de L'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'actualité. Les expositions^ les livres nouveaux, les
premières représentations d'œuvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires, les concerts, les
ventes cf objets cTàrt, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées.
L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. Il rend compte des
procès les plus intéressants concernant les Arts, plaides devant les tribunaux belges et étrangers. Les
. artistes trouvent toutes les semaines dans son Mémento la nomenclature complète des expositions et
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1 I
#■
Sixième année. — N° 23
Le numéro : 25 centimes.
* Dimanche 6 Juin 1886.
■id
L'ART MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTERATURE
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr, 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser les demandes d^ abonnement et toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
?
OMMAIRE
Le Salon de "Paris. Troisième article. — Causerie' sur les
REVUES. — VOLAPUK. — Le ThÉATRE DE LA MONNAIE. — Le BON
PEINTRE. — Bibliographie musicale. Heinrich Schûtz. — Petite
CHRONIQUE. , . ■. :, ,-■
LE SALON DE PARIS
Troisième article.
M. Raftkëlli exposait naguère avec les Impression-
nistes, et Ton a si bien pris l'habitude de le considérer
comme un intransigeant; comme un révolutionnaire,
comme un anarchiste de l'art, qu'on le discute à
outrance au Salon, où depuis deux ans il lui a plu de
reparaître.
Son nom seul soulève des tempêtes. On répète devant
les deux toiles qu'il expose cette année : Chez le fon-
deur, et Midi, effet de givre, de même que devant les
deux dessins rehaussés que nos lecteurs connaissent
pour les avoir vus à l'Exposition des Vingt : Le
dimanche au cabaret et r Armée du Salut y les plai-
santeries insipides et les appréciations erronées dont
son Clemenceau fit, l'an dernier, éclater le concert
saugrenu.
Pour nous, l'envoi de M. Raffaëlli au Salon, honore
singulièrement l'art français. Personne n'a mieux que
ce laborieux et intelligent artiste typé l'une des classes
de la société moderne: l'ouvrier parisien. Qu'il le
déci4ve durant les heures de peine ou lorsqu'il se
délasse, dans le tumulte du chantier ou dans les inti-
mités du foyer, il en note le geste, l'attitude, la
marche, la physionomie, avec une incomparable
justesse d'expression.
Comme nous l'avons fait remarquer déjà, Raffaëlli a
créé l'ouvrier comme Millet a inventé le paysan, et nul
ne pourra désormais lui contester cette gloire.
Ceci soit dit sans qu'on puisse établir entre l'art de
pensée de l'un et l'art d'observation de l'autre la
moindre comparaison Raffaëlli a sa personnalité bien
distincte. Il ne procède que de lui-même, et d'année en
année s'accentue l'acuité de sa vision. .
Par des procédés sommaires, sans analogie avec
ceux qu'emploient la plupart de ses confrères en pein-
ture et qui, de plus en plus, marchent vers la simplifi-
cation absolue, il rend avec une pénétration rare le
caractère de ses modèles. Voyez son fondeur Gonon,
en blouse blanche, préparant, au milieu de ses ouvriers,
la fonte du bas-relief de Mirabeau; voyez, d'autre part,
la femme de l'ouvrier qu'il représente portant la soupe
à son mari à travers les tristesses mornes d'un
paysage de banlieue. Et demandez -vous s'il est possible
d'exprimer avec plus de sincérité, avec plus de concen-
tration, ces deux épisodes pris en pleine réalité.
L'artiste a acquis, en ces dernières années, une
maîtrise que nous sommes heureux de saluer. Sa
science est, chose rare, absolument exempte de pédan-
terie. Et l'on remarque, à travers l'amertume de son
esprit, naturellement tourné à l'ironie, une sorte de
bonhomie qui en corrige l'âpreté.
A côté de Rafï'aëlli, il est un artiste, moins connu.
4^
178
n ART MODERNE
qu'attire, comme le premier, la réalité contingéhte.
C'est M. Albert Bartholomé. Il a jadis suivi dans ses
pérégrinations de la rue Le Peletier à ravenue
de l'Opéra le groupe intransigeant dont la huitième
Exposition s'est ouverte récemment, rue Lafitte
cette fois, et dont nous parlerons incessamment.
Depuis peu de temps, il est rentré dans les rangs de
l'armée régulière. Il expose au Salon, comme tout le
monde, et si le public, pour qui les œuvres modestes et
consciencieuses ont peu de prix dans cette halle
bruyante, passe avec indifférence devant la ronde de
petites filles qu'il intitule L(? furet, les artistes admirent
son coloris discret et subissent le charme de son inter-
prétation personnelle et sobre. . ,
Toute autre est l'attitude des visiteurs devant le por-
trait de M'"'' Roger. Jourdain, par M. Albert Besnard.
Ici on s'attroupe, oh rit, on proteste, on s'indignB.
« Superbe! disent les uns. — C'est insensé! clament les
autres. — Besnard se moque de nous ! « s'écrient exas-
pérés, les gens graves pour qui le Po^Hrait de M. Pas-
teur par Bonnat réalise le comble et l'idéal de l'art.
« Il a tiré un coup de pistolet pour forcer l'attention ! »
prononcent dédaigneusement les confrères.
Et la belle dame, dans le frémissement soyeux de sa
robe rose, — la joue gauche illuminée par la flamme
orangée du gaz, la joue droite noyée dans les lueurs
bleuâtres que le crépuscule fait filtrer à travers les
vitres d'une vérandah, sourit aux colères qu'elle
déchaîne.
M. Besnard est, pensons-nôus, un artiste trop con-
sciencieux, trop respectueux de son art pour avoir
sacrifié au désir de faire parler de lui. Il a vu ou cru
voir l'eff'et qu'il a cherché à exprimer : la lutte des der-
niers instants du jour contre la lumière factice de nos
appartements, et s'il a exagéré la coloration jaune de
celle-ci, si les lèvres de son modèle, qui s'ouvrent en
œillet sanglant dans l'ovale du visage, paraissent d'une
intensité excessive, l'exécution a sans douté trahi l'im-
pression ressentie.
Peindre de mémoire ou à l'aide d'artifices compliqués
l'éclairage du gaz n'est pas facile, et l'on ne saurait
faire un grief à M. Besnard d'avoir, cette fois, manqué
le but pour avoir visé trop haut. Ce qu'il faut louer,
c'est la merveilleuse élégance de ce portrait, qui
incarne toutes les grâces de la femme. L'envolée de
l'allure, l'ondoyante souplesse du corps, la féminilité du
geste dénotent une observation attentive et révèlent
un esprit spécialement préoccupé de beauté aristocrati-
que, de distinction raffinée, d'harmonie dans la combi-
naison des lignes.
Deux portraits de M. Jacques Blanche, l'un de
M"« 0. C. . debout, en robe rose, l'autre de W^^ 0. C...
assise, en robe bleue, affirment des qualités analogues.
M. Blanche est admirablement doué, et l'esprit criti-
que qu'il possède à un degré élevé le porte à analyser,
à scruter^ à pénétrer l'art de ses contemporains pour en
extraire la quintessence de ce qui fait leur séduction.
Ces procédés d'esthète et de critique sont dangereux
pour un artiste. Le souhait que nous formulons à
l'égard du jeune peintre dont nous suivons avec intérêt
les progrès, c'est de le voir s'abandonner librement à sa
nature, repousser délibérément tous souvenirs, ne son-
ger nia Whistler, ni à Sargent, en un mot être et rester
Jacques Blanche Et si nous nous exprimons ainsi, c'est
qu'il y a, croyons-nôus, chez lui, suffisamment de fond
pour lui permettre d'aller très loin san^ subir l'inspira-
tion et l'influence de qui que ce soit.
Ses deux portraits sont, cette année, fort bien placés
et remportent un succès sérieux. Il en est de même de
son dessin, qui complète une exposition remarquable,
propre à mettre en évidence le charmant garçon dont
tout Paris connaît l'humeur serviable et la courtoisie.
C'est un portrait aussi qu'expose, M. Roll, qui
délaisse pour des tableaux de chevalet ses immenses
compositions décoratives. Le portrait est celui du pay-
sagiste Damoye, dont la figure souriante, ouverte,
bonhomme, est rendue avec une grande sûreté de
main. Peinture saine, sincère, sobre de colorations,
se faisant remarquer sans appel au public, par les
seules ressources d'une exécution de bon aloi. Pourtant
ce portrait laisse des regrets. M. Roll reste sur la
limite de la peinture moderne et des poncifs. Le dernier
pas à faire, cet enjambement qu'on attend de lui, il ne
le fait pas. Il semble même qu'il ait reculé. Rien n'est
plus faux que le milieu dans lequel l'artiste a placé son
modèle. Celui-ci est censé revenir de la campagne. Il
sort de la gare, son chapeau à la main, ce qui paraît
déjà assez peu naturel, et n'a pas le plus petit atome de
poussière sur les bottines ni sur les vêtements. Mais ce
n'est là qu'une question secondaire. Un reproche plus
grave, c'est que ce paysagiste propret est évidemment
peint à râtelier, qu'il «• pose «, dans toute la force du
terme, qu'il subit (à contre-cœur sans doute, lui,
l'amoureux du plein air!) un éclairage tombant
d^aplomb sur sa tête, ce qui est peu compatible avec la
vue de la gare que M. Roll a cru devoir placer derrière
ses épaules.
L Étude, variation assez lourde d'aspect du taureau
noir et de la blonde enfant dont la nudité étonna les
Parisiens l'an dernier, ne rachète guère les défauts
sensibles du portrait.
C'est à regret, répétons-le, que nous présentons ces
observations à l'égard d'un artiste qui semble appelé à
prendre l'une des premières places dans le mouvement
contemporain.
• Pour M. Henri Gervex, la chute est plus grave. A
l'époque où il peignit les décorations pour la mairie du
10*' arrondissement, nous saluâmes l'artiste comme une
des futures gloires de la jeune école. Tout le monde
avait foi en lui. Mais la Femme au masque, cette
pitoyable poupée vide, exsangue, — et prétentieuse
avec cela! — laisse peu de place à une espérance quel-
conque d'avenir. M. Gervex est retombé du haut dans
le marécage académique. Il refait Cabanel, avec le
talent en moins. Mais jamais Cabanel n'eût donné à la
jambe gauche de son modèle la longueur dispropor-
tionnée dont la gratifie le peintre de Rolla.
Le Portrait de mon ami Haucche, dans lequel
M. Gervex essaie de donner l'illusion du plein air, est
aussi pâlot, aussi insignidant, aussi pauvre, que la
Dame au masque est ^véieTiiieuse.
Ah! si c'est là que conduit la convention élégante et
beurrée, plaignons les malheureux que leur éducation a
placés sous cette pernicieuse influence.
Mieux valent les anciens qui, fidèles à leurs convic-
tions, s'enferment hermétiquement dans les formules
délaissées par les nouvelles couches, mais qui s'impo-
sent de vive force par le caractère, par l'intensité du
sentiment.
• Tel Ribot. Ses têtes d'hommes barbus, de vieillards
aux yeux profonds, d'énigmatiques visages de jeunes
filles, demeurent dans la pensée en visions hantantes.
A côté de lui, dans le coude à coude de la lutte artis-
tique, sa fille Louise montre qu'elle a suivi avec ponc-
tualité les préceptes du père. Mais combien l'élève est
loin d'égaler le vieux maître !
Tel aussi Elie Delaunay, dont le Portrait de femme
et le Portrait d'Henri Meilhac marque une étape glo-
rieuse dans sa carrière. : — .^. — -^ ^-l
Tel, enfin, Fantin-Latour, que chaque Salon retrouve
sur la brèche également fort, également puissant,
également parfait. Le portrait d'homme qu'il expose
cette année est d'une pénétration extrême. La pose
du Monsieur en redingote qui passe dans Le cadre, le
chapeau à la main, la canne sous le bras, est d'un
naturel parfait. Rien ne paraît, en apparence, plus
facile à faire, et rien n'est plus ardu : car en cette
simple figure de gentlemen l'art admirable du peintre
résume toute une époque. Quiconque a vu ce portrait
n'en oubliera jamais la physionomie.
Il en est de même de la composition que le peintre-
musicien a peinte d'après Tannhaiiser. Les flottantes
figures de femmes qui enveloppent de leurs caresses le
chevalier, ont une séduction, une grâce, une élégance
dont le charme obsédant ne s'efiace point.
CAUSERIE SUR LES REVUES
» Paris, 3 juin 1886.
Mon cher Directeur,
Vous m'avez demandé de vous parler de Revues qui tombent
en pluie multicolore chez les critiques, non pas du ciel, mais des
magasins des libraires et des ateliers d'imprimerie.
Tous les jours, des brochures à couverture audacieuse ou
timide, intransigeante ou modérée, naissent et nncurent. Voici
l'immuable et Iriomplianle couverture saumon qui, depuis
LXi années, parcourt les deux mondes et justifie brillamment
sou titre; puis, le jeune Correspondant y vivotant des préférences
d'une caste; puis, la Nouvelle Revue, ni bleue ni verte, pour
bieo marquer sans doute qu'elle ne sait trop si elle doit garder
l'espérance de vivre à côté d<3 sa sœur aînée et de son heureuse^
rivale la Revue des Deux-Mond^; enfin, nous apparaît, dans
des destinées plus solides, la couverture bleue de la Revue Lit-
téraire, hebdomadaire, classique, un peu normalienne. A côté
des nouvelles Revues, le Mouvement des jeunes, comme on dit :
la Revue Contemporaine, premier asile des amis d'Adoré Flou-
pelte, et la Revue Wagnérienne, pauvre essai indigne de son
titre et de son leint ; la Revue de Genève et la Suisse Romande, et la
Revue Littéraire et Artistique, sans compter. les innombrables
Revues illustrées, dont la vogue s'accroît chaque jour.
Dans toute celte agitation, votre pays se distingue par la har-
diesse, l'indépendance et l'activité de ses mouvements. Sans
conipter VArt moderne lui-niéme, vos Jeune-Belgique, sou9
leur modeste enveloppe grise, mènent, tambour battant, la bande
décàdende; à Bruxelles encore, la Basoche, sœur cadette de la
Jeune Belgique, la Société Nouvelle, et bien d'autres. A Liège,
une toute petite brochure : VElan Littéraire s'offre aux tout
jeunes et publie des « Contes blancs » en imitation, sans doute,
des prédilections du jeune chef, Max Waller, pour les « pensées
blanches » et en l'honneur de la « jeunesse blanche » du poète
Rodenbach, une des gloires de la Jeune Belgique.
Il serait malaisé de distinguer en un premier article, et à
première lecture, le bon grain de l'ivraie. Il me suffira pour
aujourd'hui de dire que je suis sûr que parmi les très jeunes
combattants il y en a qui, certainement, auront un jour du
talent, et qui, après avoir publié, par exemple, une petite pièce
de vei*'s inlliulce: Amour-Hôtel (car ils ont la manie du titre
incompréhensible) où se trouve celte strophe :
« Je les reçois sans leur rien dire,
Porte leurs malles doucement.
Puis elles suivent mon aimant.
« Mon aimant aimant : le sourire 1 »
après cela, dis-je, nous donneront peul-élre la preuve d'un
tempérament de vrais poètes. Quelques jours encore, et dans
cette innombrable cohorte de poètes, prosateurs, critiques, musi-
ciens, peintres, romanciers, l'on pourra reconnaître ceux qui,
dans leur maiurilé, remplaceront par de la vraie originalité, et
l'emploi d'une langue nette et simple, les lourmentements bizarres
de leur pensée et de leur style.
A \'X)us dire vrai, mon cher Directeur, je compte consacrer à
ces très intéressantes jeunes Revues mes plus prochaines lec-
tures, et vous faire part d'une réflexion devenue conviction
absolue aujourd'hui.
C'est qu'aucune Revue publiée soit en France soit h l'étranger
ne vaut pour le vrai libéralisme de ses opinions littéraires et artis-
tiques, non plus que pour la valeur de ses écrivains, la vieille et
solennelle Revue des Deux-Mondes. J'ai passé moi-même par
l'épreuve du doute; et, acquis depuis longtemps, vous le savez,
au mouvement de révolution et de rénovation qui s'est accompli
dans toutes les branches de l'art et de la critique, j'ai cru d'aborj
180
LART MODERNE
que la Revue des Deux-Mondes allait baisser, se laisser dépasser et
mourir dans sa vieille gloire. N'en croyez rien : il est absolument
évident pour tout esprit leliré et indépendant qu'elle ne s'est
refusée ù aucun progrès. Les essais malheureux qui s'élaieni faits
autour d'elle ont prouvé surabondamment rexc<îllcnce de sa
méthode. Ni la Nouvelle Revue de M"*® Adam, ni môme la Revue
Bleue (comme on dit familièrement) de M. Yung, bien que supé-
rieure, ne peuvent la dépasser, soit pour rhospilalilé libérale
donnée à tous les écrivains, soit pour la valeur môme de ses colla-
borateurs. Et, chose intéressante à noter, c'est précisément depuis
la création de toutes les jeunes Revues destinées à apprendre au
monde entier une loi nouvelle, que la vieille couverture saumon et
sa nourrissante pûlUrc littéraire ont acquis un regain de célébrité.
Signe des temps. Les romanciers et les critiques d'écoles diverses
s'y rendaient pour ne parler que d'art. A M. Blaze de Bury, cri-
tique musical et amateur érudit, mais imprégné d'idées précon-
çues et de partis-pris systématiques qui ne daignaient pas
dépasser Mozart et Beethoven pour la symphonie et Mcycrbcer
pour l'opéra, a succédé un jeune pianiste de talent, amateur
mondain. Ce n'est pas la perfection, me direz-vous, comme
critique. Ôh! non! mais le nouvel élu de la Revue des Deux-
Mondes n'a pas trente ans; il possède un esprit fin, du zèle, et
si M. Camille Bellaigue voulait dépouiller un peu le vieil homme,
c'est-à-dire « le dilettante » pour entrer franchement dans des
fonctions qui demandent plus de qualités que le public et môme
les écrivains ne le croient généralement, son dernier article :
« Un Siècle de Musique française^ VOpéra Comique », pourrait
être suivi de beaucoup d'autres plus larges d'idées, plus philoso-
phiques d'esprit, et aus.si faciles et agréables de style.
.La critique n'est pas seulement intéressante dans le présent,
elle l'est encore dans le passé. : •
M. Blaze de Bury aime à chercher les figures inconnues de la
masse du public pour les faire revivre. C'est ainsi que dans la
livraison du 15 mars dernier il écrit une jolie élude sur le poète
Grillparzer, contemporain de Mozart et de Beethoven, dont il eut
l'honneur de devenir un jour le collaborateur. -On sait que le
dieu musical de M. de Bury est Mozart, et. c'était aussi celui du
poète-critique Grillparzer. Et il est très intéressant, non pas de
savoir les préférences musicales de M. Blaze de Bury, mais le
mouvement de la critique musicale au xviii* siècle, et combien
elle différait de la nôtre. L'auteur s'inspire d'abord, pour com-
mencer son étude sur Grillparzer, d'une boutade spirituelle que
nous avons sur les livres, nous tous qui aimons la musique: c'est
la singulière antipathie des poètes en général pour la belle-
musique, et au xviii« siècle, comme aujourd'hui, un poète goû-
tant et connaissant la musique était un oiseau rare : tel nous
apparaît Grillparzer, « venu du pays d'Autriche, le pays de
Haydn, de Mozart, de Schubert».
C'est un poème d'opéra intitulé Mélusine que Grillparzer com-
posa pour Beethoven. La mort , hélas ! empêcha Beethoven
d'écrire la musique, et il disait, en se frappant le front : « Ma
partition est là tout entière, je n'ai plus qu'à l'écrire ».
Et, chose bizarre, ce poème rappelait en tout point la situation
du chevalier Tannhauser sur leVénusberg. En nous apprenant et
en commentant les idées du critique Grillparzer sur la musique,
M. Blaze de Bury touche à dessein, et de très près, les dissen-
sions actuelles, connues faussement sous le nom de : théories
wagnéricnries ou anliwagnériennes, et c'est à cause de celte actua-
lité que je vous demande la permission de m'élendre un peu sur
ce sujet, goûlé généralement des lecteurs de i'i4r/ moderne.
On verra qu'au xviii" siècle les adversaires de ce quon appelle
aujourd'hui le parti wagnérien étaient aussi intransigeants que
l'est aujourd'hui la petite çhapdlo qu'il ne faut pas confondre
avec les vrais, utiles et désintéressés partisans du génie de
Wagner.
L'esthétique de Grillparzer, dit M. Blaze, est celle de Mozart,
et se fonde sur le principe du beau musical absolu : l'idée
de son développement harmonique, rien de plus, rien de
moins. La musique n'emploie pas des mots, autrement dit des
signés arbitraires et variables selon ce que vous hurs faites
exprimer.. Le son, en mémo temps qu'il est un signe, est une
chose existante en soi. Une suJle de sons, pour plaire à l'oreille,
n'a nul besoin d'avoir un sens; de môme que dans les arts plas-
tiques les belles formes charment nos yeux, un accord faux est
une laideur dont s'offense notre oreille.
Conlrairemenl à l'effet deja parr)le, qui n'agit sui* nos sens que
par l'intermédiaire de notre intelligence, les sons agissent sur
nos sens directement, et rinlclligcncc n'intervient qu'en deuxième
instance.
Avançons d'un pas; ce son, qui déjà porte en soi de quoi
plaire ou déplaire, combiné de certaine façon, éveillera dans
l'âme certains sontimenis de joie, de tristesse, de rêverie. Mais
gare à la paraphrase littéraire, et souvenons-nous toujours que
les sons ne sont pas des mots pour servir soit à la description,
soit à la narration! La musique a ses symphonies, ses sonates,
ses quatuors, pour dévelopiier son architecture et remuer en
nous un monde de sensations qu'il ne faut pas vouloir trop définir
sous peine d'intervertir les rôles, vu que le musicien qui s'entête
à raisonner avec son auditoire, à faire œuvre de romancier, de
peintre et de dramaturge sans paroles, joue un personnage aussi
ridicule que le poète qui se Iravailleniil en assonances mélodi-
ques ; d'oii celle conclusion que Mozart est le musicien par excel-
lence et Berlioz un grand homme de lettres fourvoyé. Grillparzer
professe à outrance la thèse du chacun chez soi, et ne connaît
en musique que le beau musical! Par conséquent, la théorie du
théâtre moderne l'horripilait. « Mozart, disait-il, est plein de
fautes de texte, Gluck n'en connaît pas, et cela seul juge la ques-
tion ! (Arrêtons-nous, mon cher directeur, ou sans cela nos cher
veux de criliijue esthéticien ne vont-ils pas se dresser siir nos
têtes). Grillparzer est mort, mais M. Blaze de Rury ne l'e-t pas.
Ne pensez-vous pas que je me suis beaucoup trop attardé à ma
boutique, c'est-à-dire à la musiqui% et qu'il faut m'imposer pour
le mois prochain une lettre un peu plus élastique, où je vous
parlerai avec ravissement de tout auire chose, entre autres d'un
article de M. Valbert sur l'adorable Henri Heine, donl les biogra-
phes et les critiques daignent s'occuper un peu aujouwi'hui?
Jacques Uërmann.
n
OLAPUK
Est-ce que M. Gustave Frédéi ix, l'éminent ci itique du bel-air
(pour employer les expressions raffinées qu'il affectionne), le
Guillol du troupeau de bachelières qui broutent à Bruxelles
les pelouses du monde où l'on s'ennuie, l'heureux Sosie de
M. Coquelin l'aîné, serait menacé de perdre la bonne posture qui
faisait de lui l'un des princes de la critique belge?
On se pose avec inquiétude cette question dans le monde litlé-
raire depuis le feuilleton qu'il a consacré à la Jeunesse blanche
de Georges Rodenbach, où florissaient des phrases comme
celles-ci :
Se souvenir avec quelque manière, ce peut- élre un souvenir
plus délicat, s'il a ainsi, avec évidence, un accent plus personnel.
. " * ■. ..•'-■ ■' ■ ■
■■ " '■ • ■ . • ♦
Cette tristesse des glaces ne nous déplaît pas, et elle a un
juste reflet sur les elioscs de l'enfance, même les plus riantes,
qui repassent devanlnos yeux.
' *■ .
» ♦
Ce premier amour est abondant en comparaisons, développe-
ments, et en vers qui ont résolu d'être sublimes. ,
*
Pourquoi ce dernier vers n*esi-il pas superbe? Il le serait si
quelque vue narquoise ne s'y mêlait, si l'image hardiment pro-
longée ne prêtait à quelque mouvement, à quelque geste fan-
tasque. ,
# ♦
Un poète serait bien malheureux, s'il n'avait pas de ces visions
dé durée, et sa main ne s'affermirait et ne s'assouplirait pas, à
n'assembler que des paroles vailles, aussitôt dispersées.
Tout cela est textuel ! On disaif hier soir au Cercle Artistique
et Littéraire que M. Gustave Frédérix s'essaie au Volapuk. On
disait aussi que de trop nombreuses occupations mondaines l'ont
empêché en ces derniers temps de s'alimenter, autant qu'il en
avait l'habitude, des écrits de Bachaumont, son habituel inspira-
teur.
Espérons, pour l'honneur des lettres nationales, que ce ne sont
que défaillances passagères de l'éminenl écrivain auquel on doit
le compte-rendu du Banquet des Misérables et que l'heure où il
prendra sa retraite dans le Royal Gaga ne sonnera pas aussi tôt
que le redoutent ceux qui écrivent déjà : Lugete vénères cupi-
dinesque! La situation présente ne commande qu'une mesure :
Tenir en observation. Nous nous en chargeons.
JaE JhÉ;\TRE ROY/JL de l/i *jVl0NNAIE
M. Alfred Waechter, ancien administrateur du théâtre de la
Monnaie, vient de publier une brochure de 52 pages, imprimée
chez Guyot, dans laquelle il réunit d'intéressants documents sur
la situation du théâtre.
C'est, en grande partie, la reproduction des études que nous
avons publiées et des tableaux statistiques qui ont sei'vi de point
de départ aux considérations que nous avons fait valoir en faveur
de la nécessité, imposée à- la ville par les circonstances, d'aug-
menter la subvention du théâtre (*).
La.conclusion de M. Waechter est celle que nous indiquions,
et le chiffre de 100,000 francs qu'il propose est, on s'en souvient,
celui que nous proposions nous-mêmes.
« Si la Ville de Bruxelles, dit-il, a réellement le désir de voir
le théâtre de la Monnaie rester la seconde scène lyrique de l'Eu-
rope et ses directions se dévouer à l'accomplissement des devoirs
que cette situation leur impose, que directement ou indirecteinent
n V. l'Art moderne 1885, pp. 381, 388, 397, 405; et 1886, pp. 4,
11, 44, 121, 134, 147, 156.
elle accorde à l'entrepreneur 100,000 francs de plus comme sut»-
vention. Tôt ou tard on reconnaîtra que cet accroissement du
concours financier de la Ville, est une rigoureuse nécessité, une
question de vie ou de mort pour le théâlrejlê^ Monnaie. Les
campagnes théâtrales qui vont se succéder apporîeronl, nous en
avons la conviction, dans leurs résultats annu»^ls, la triste
démonstration de celte thèse. Nous osons le prédire avec assez
de certitude pour qu'il no nous di^plaise point de prendre date
dans l'énoncé de nos prévisions. » '
Nous sommes heureux de voir le témoignage de M. Waechter,
auquel ses fondions ont permis, durant les sept mois qu'il a
passés à la Monnaie, d'en étudier à fond les. dessous au point de
vue de l'adminislralion, confirmer ainsi la thèse que nous avons
développée. ,
La cause signalée par M. Waechter comme génératrice des
périls qui menneont l'exploilalion du théâtre est celle que nous
avons exposée et dont nos lecteurs se souviennent :
« Il V a à lafois, dit-il, crise théâtrale et crise commerciale.
« Ce que nous appelons crise théâtrale se ralt che à la ditfn uUé
chaque jour plus grande que l'on rencontre dans le choix et des
nouveautés qui se font larcs et des ouvrages du répertoire
moderne; choix aride en raison de la diversité des goûts. Lo
domaine musical, tout comme le domaine social, paraît être
dans l'enfantement d'un ordre nouveau. Les productions vviigné-
riennes semblent vouloir révolutionner de plus en plus Is goûts
musicaux du public. On devine par là combien il est difficile et
ingrat pour une direction de combiner les spectacles de manière
à donner une égale saiisfaclion aux deux écoles qui se disputent
là prépondérance sur le terrain musical. Et, notons-le bien, l'im-
portant est de ne pas laisser naître de ces rivalités dangereuses
qui s'exercent faliilcmenl au détriment du directeur, ou plutôt de
sa caisse. Ce qu'il faut savoir éviter, c'est que le public, qui
forme le noyau de la clienlè!eliabilue!le du ihéâlre, ne se sépare
en deux camps; atiendu que, s'il y a hiiie, ,c'cî>t li recette que
l'on vise! Le Wiigiiérien et l'anii-wagnérien, l'apôtre de la nou-
velle école, manifi'Sient l'uu comme l'autre leur foi artistique en
s'absienant de se montrer au Ihéâire lorsque la composition des
spectacles ne répond ni à leurs goûts ni â leurs tend;inces.
« Ou le voit, la situation du théâtre de la Monnaie est, sous ce „
rapport, éTninemmenl critique; car nous ne faisons qu entrer
dans cette période de quasi-transition artistique dont on ne peut
encore pressentir Vissue. Est-ce â l'école moderne ou â l'école
ancienne que l'on donnera celte palme si chaudement disputée
aujourd'hui? Nul ne saurait le dire. En attendant, les wagnériens
et les anti-wagnériens se livrent bataille... sur le dos du direc-
teur du théâtre royal de la Monnaie, et au grand préjudice de la
recette. . -
a Mais ceci n'est rien encore en comparaison de la crise com-
merciale, de sa gravité et de ses conséquences. Là est l'ennemi le
plus dangereux du théâtre de la M 3nai i e
« Cette crise commerciale, qui a commencé 5 montrer le bout
de l'oreille il y a deux ans, qui se manifeste de plus en plus dans
ses symptômes les plus caradérisliques et dont l'intensité est
loin d'avoir dit son dernier mot; celte crise, disons-nous, attaque
d'une façon menaçante toutes les industries de luxe sans excep-
' lion. Interrogez plutôt ceux qui professent de ces industries-là ;
demandez-leur où ils on sont aujourd'hui ?... à se dire que la
situation actuelle i\\i\ les épuise ne saurait se prolonger longtemps
sans qu'une ruine complète s'ensuive pour eux!
a C'est fatnl, d'ailleurs» et sans vouloir Iracer ici un trop
sonnbre tablenu de la situation économique, nous sommes bien
forcé de reconnaître que l'étal des choses créé h la fois et par
une surabondance excessive de production et par le déplacement
des forces qui rengendrcnt, est destiné à se traduire longtemps
encore par ks mêmes effets que ceux qui se révèlent en ce
moment, effets qui se résument ainsi : dépréciation considérable
de la richesse et du revenu, et, par voie de conséquence logique,
nécessaire, inévitable : restriction des dépenses de luxe.
« Les receltes des exploitations ihéùtrales sont donc atteintes
dans leur source même. »
On lira aussi avec intérêt ce que dit M. Waechter des causes
qui ont amené la catistrophe de M. Verd^vurt. Lç passage que
nous citons fuit justice des calomnies dont on a cherché à acca-
bler un homme victime des charges exorbitantes dont son exploi-
tation a élé frappée et dos événements impossibles à prévoir qui
ont marqué la canpa^ne théâtrale. Voici cet extrait :
« Le budget annuel de dépenses ayant été pour la Direction
Verdhurl de 1,032,368 francs, il est rationnel de croire qu'il sera
aussi élevé pour la Direction qui lui succède, vu que celle-ci a
exactement les mêmes charges. Et que Von ne vienne pas pré-
tendre ici que des gaspillages aient été commis par la Direction
Vefdhurt. Les frais de troupe, cachets compris, ont été, on l'a
vu, pondant les sept mois de la campagne 1885-1886, de
54,000 francs en moyenne par mois, c'est-à-dire supérieurs de
2,000 francs seulement à la movenne des dix années Stoumon-
Calabrcsi ei de 7,000 francs k la moyenne relevée pour les huit
mois de l'année précédente. Les autres augmentations du budget
de l'année 1885-1886, si on le compare à celui de l'année 1884-
1885, s'appliquent principalement à l'orchestre (20,600 francs)
et aux frais de mise en scène nécessités par les Templiers et
Saint'Mégrin^ les deux œuvres nouvelles montées par la Direc-
tion Verdhurl. En y ajoutant quelques dépenses occasionnées par
Gwendoline et Pierrot Macabre^ on arrive à un total de-
70,000 francs environ, représentant la somme dépensée en 1885-
1886 pour les nouveautés. Tandis qu'en 18^4-1885, dernière
année de la Direction Stoumon-Calabresi, il n'a élé dépensé que
15,000 francs pour remettre à la scène 0/>erow et 7,000 francs
pour monter les Maîtres Chanteurs ; total 22,000 francs affectés
aux nouveautés.
a Les dépenses accusées par la Direction Verdhurl onl été
assurément mal réparties; et il n'est pas douteux un seul instant
que l'inexpérience directoriale soit pour une part importante si
l'on veut, dans le résultai final de cette campagne désastreuse
entre toutes. Mais il n'en est pas moins vrai qu'en totalisant les
dépenses mensuelles, on doit reconnaître, après les avoir- exa-
minées article par ariicle, que Vensemble Ji'est que la résultante
des charges imposées au concessionnaire à la fois par un contrat
onéreux et par les circonstances au milieu desquelles il s'est
trouvé placé et auxquelles nulle autre Direction que la sienne
n'aurait pu se soustraire, y*
LE BON PEINTRE
La Jeune Belgique reproduit un conte bien amusant du Chat
noir :y ; ' ' ■ :' ' -■ ■ /_ ■ . ■-■ •■:
11 était à ce point préoccupé de l'harmonie des tons, que cer-^
laines couleurs mal arrangées, dans des toilettes de provinciales
ou sur des toiles de membres de l'Insiitul le faisaient grincer
douloureusement, comme up musicien en proie à des faux
accords. .
Ace point, que pour rien au monde il ne buvait du vin rouge
en mangeant des œufs sur le plat, parce que ça lui aurait fait un
sale ton dans l'estomac. ^
Une fois que, marchant vite, il avait poussé un jeune gom-
mcux à pardessus mastic sur une devanture verte fraîchement
peinte (Prenez garde à l(t peinture, S. V. P,) cl que le jeune
gommeux lui aviail dit :
— Vous pourriez faire attention...
Il avait répondu en clignant, àla façon des peintres qui font de
l'œil h leur peinture : ,
— De quoi vous plaignez-vous?... C'est bien plus japonais
comme ça.
L'autre jour, il a reçu de Java la carte d'un vieux camarade en
train de chasser la panthère noire pour la Grande Maison de
Fauves de Trieste.
Un attendrissement lui vint que quelqu'un pensât à lui, si loin
et de si longtemps, et il écrivit à son vieux camarade une bonne
et longue lettre, une bonne lettre très lourde dans une grande
enveloppe.
Comme Java est loin et que la lettre était lourde, l'affranchis-
semenl lui coûta les yeux de la tête.
L'employé des Poste et Télégraphe lui avança, hargneux, cinq
ou six timbres dont la couleur variait avec le prix.
Alors, tranquillement, en prenant son temps, il colla les tim-
bres sur la grande enveloppe, verticalement, en prenant grand
soin que les tons s'arrangeassent — pour que ça ne gueule pas
trop.
Presque content, il allait enfoncer sa lettre dans la fente béante
de Vétranger, quand un dernier regard cligné le fil rentrer pré-
cipitamment.
— Encore un timbre de trois sous?
— Voilà, monsieur.
Et il le colla sur l'enveloppe au bas des autres.
— Mais, monsieur, fit sympathiquement remarquer l'employé,
votre correspondance était suffisamment affranchie.
^- Ça ne fait rien, dit-il. . __.
Puis très complaisamment:
— Cest pour (aire un rappel de bleu. - ^_J_i_. ^
- ^PlBLIOQRAPHIE MU^ICAJ-E
Heinrich Schûtz. Sâmmtliche werke, herausgegeben von
Philipp Spitta. — Leipzig, Breitkopf et Hârtel, 1885.
Henri Schutz est né le 8 octobre 1585. 11 est mort en 1672.
Ses compositions, dont le nombre est considérable, le classent au
premier rang des musiciens de l'Allemngne.
On ne possède que les parties détachées de ses œuvres.
A l'époque où elles furent gravées, c'est-à-dire du vivant de leur
auteur, l'usage n'était pas, comme aujourd'hui, d'en publier des
partitions complètes.
De plus, ces éditions, qui remontent à deux siècles et demi,
sont devenues presque introuvables.
L'initiative qu'a prise M. Philippe Spitla en publiant une édi-
tion complète du vieux maître, est donc digne d'éloges.
La publication qu'il entreprend se composera de dix volumes.
La maison Breitkopf etHartcl vient de mettre en vente le lome I,
qui comprend 194 pages in-folio, et contient la Rêsurrectùm du
Christ, les Quatre évangiles, les Sept paroles prononcées par
Jésus sur la croix et la Nativité.
Le texte de ces œ-uvres, dont la forme naïve n'exclut pas la
puissance, est précédé d'un commentaire explicatif de 30 pages.
Deux volunics paraîtront tous les ans, jusqu'en 1890. Le prix
de chaque lome, pour les souscripteurs, est de 15 marks
(fr. 18-75).
1^-
» •
V
Nous recevons una Mazurka pour piano de M. Victor Nypols,
dédiée à noire confrère liégeois Maurice Sivilie, et inliiulée :
Ange ou Diable.
■■•■■■. ; • ^- ■ ■ . ,
'• •
l-a maison Breili^opf met en vente une planche contenant les
photographies de 78 musiciens belges, compositeurs ou virtuoses,
actuellement sur la brèche.
pETITE CHRO;>(iqUE
On nous a demandé quel était le Salon d'Arthur Stevens dont
nous avons extrait l'élude sur Millet qui a paru dans notre der-
nier numéro. C'est un volume, aujourd'hui épuisé, intilulé : Le
Saion de 4863, suivi d'une étude sur Eugène Delacroix et d'une
notice bibliographique sur le prini^e GortschakofF, in-i2 de
286 pages, publié à Paris à la Librairie centrale, 24, boulevard
des Italiens, en 1866.
Ce n'est pas la première fois que nous en avons fait des
extraits. Cet excellent petit livre contient, en effet, quantité de
renseignements intéressants et des remarques ingénieuses.
On a certes remarqué avec quelle prévision de l'avenir ont été
formulées les appréciations sur Millet dès 1863, c'est-à-dire il y
a plus de vingt-trois ans, quand l'artiste était encore méconnu
de tout ce qui tient au monde officiel.
Littérature de l'épée. — Le Cercle d'escrime de Bruxelles,
dont on connail les magnifiques locaux. Marché au Bois, et qui a
pour président M. Fierlants si sympathiquement connu, avait
ouvert, entre ses fondateurs et ses membres, un concours pour
une devise destinée à' caractériser cette société qui compte pa^mi
ses fidèles quelques-uns des meilleurs tireurs belges. Le prix
était une paire d'épées de combat. Il a éié donné à M. Edmond
Picard pour la devise : La droite voie et nul souci.
M"« Louise Derscheid, la jeune pianiste qui s'est fait entendre
h l'exposition- des XXj a remporté le maximum des points dans
l'examen qu'elle vient de subir au Conservatoire de Saint-Péters-
bourg. On lui a donné le brevet d'artiste libre, et le directeur,
M. Davidoff, en lui annonçant la décision prise par le jury, lui a
dit : « Nous vous félicitons de la manière parfaite dont vous avez
exécuté le concerto de Schumann et le trio en si bémol majeur
de Beethoven. Toute notre sympaihie vous est acquise, car vous
nous rappelez, non sans regrets, notre cher et excellent Brassin
dont nous tonserverons toujours le meilleur souvenir. Nous vous
souhaitons la plus belle carrière musicale et nous espérons bien
vous revoir parmi nous. » --
Le Guide musical rapporte un joli mol de Rubinslein. Malgré
la perfection et la si!ireté de son mécanisme, tellement extraordi-
naire qu!il efface la notion du difficile et du facile, il lui arrivait
autrefois assez fréquemment de faire des fausses noies dans l'em-
porlenfient et la fougue de son jeu. Il disait à ce propos, en riant,
à un confrère :
« On pourrait faire un concerto avec les notes que j'ai laissé
tomber. »
Le même journal publie une piquante anecdote relative aux
récents concerts de Hans de Bulow à Sa-int-Pétersbourg.
On répétait sous la direclion de M. do Bulow un fragment de
Glinkà. Dans un trait de clarinette, Bulow crut remarquer une
erreur, un fa naturel au lieu d'un fa dièze. Il pria en consé-
quence l'instrumontiste de rectifier, mais celui-ci répondit que la
parlilion portait un fa naturel et que toujours il avait joué fa
na'urel. Grande colère de Bulow qui n'entend pas qu'on lui
apprenne le contre-point. Echange de paroles aigres douces.
Finalement de Bulow obtient le fa dièze désiré."-
Mais l'afî'aire ne devait pas en rester là. Les professeurs du
Conservatoire s'émurent de ce qu'un étranger osât relever des
erreurs dans une partition de Glinka, le maîire russe par excel-
lence, le grand compositeur national, le Beethoven de la Neva;
tant et si bien que le récit de l'incident vint aux oreille^ du grand
duc Constantin. , /
Grand amateur et fin connaisseur en musique, le grand duc
Constantin est, on le sait, l'ordonnateur des fétcs m'usicalcs à
Saint-Pétersbourg.
Il fit prier discrètement M. De Bulow de respecter le texte de
Glinka. ♦
On juge du dépit de l'irascible et mordant chef d'orchestre,
mais il n'y avait pas à barguigner, il fallait se soumettre.
M: de Bulow se soumit, m;iis en jurant de se venger.
En effet, le lendemain, au beau milieu du concert, au moment
du, fameux trait de clarinette, on vil M. de Bulovy se tourner vers
l'instrumentisle :
• « Monsieur, dit-il à haute voix, veuillez jouer /a naturel... par
ordre supérieur. »
Pas tendre, Panscrose dans son Courrier des théâtres de
l'Evénement. Qu'on en juge :
« Au momciïlde terminer ses réengagements en vue de la sai-
son prochaine, M. Carvalho a vouhi essayer M"« Deschanips, à
l'Opéra- Comique, dans un genre où le public ne l'avait pu v^ir
encore. C'est Carmen qui a été choisie. '
« M"« Deschamps n'a, bien évidemment, lâehé de faire oublier ni
M"'^ Galli-Marié, l'inimitable créatrice, ni M"« Adèle Isaac, fin-
comparable chanteuse qui a repris le rôle en 1881.
« M"'' Deschamps, malgré ses dix mos de séjour dans la mai-
.son Favart, n'a pu prendre, jusqu'ici, le ion général de la troupe.
Elle recherche les effets de voix comme on t'ait en province ; elle
tâche d'accaparer l'aitcntion publique touîes les fois que la situa-
tion fobligerail à garder le second plan ; elle donne, en
un mol, beaucoup plus que ce que l'auteur lui demande et, en
résumé, elle se débat beaucoup dans le vide. — Cs gros défauts,
je lèà avais déjà signalés lors de ses débuts dans* la Nuit de
Cléopâtre, et à un moment où M, Carvalho, découragé déjà par
cette extfbérance inutile, par cette contrefaçon be'ge, avait refusé
à l'artiste son début dans Carmen primitivement annoncé.
« Pourtant — et quelles que soient les réticences de la cri-
. tique — il faut bien reconnaître que la nature de M"« Deschamps
est une nature très passionnée, dont les emportements, les excès
et les vigueurs, d'une distinction relative mais d'une force incon-
testable, seraient fort louables duns le grand drame lyrique, à
l'Opéra par exemple, si la jeune chanteuse, ambitieuse de con-
quérir le goût — après les applaudissements bruxellois — voulait
s'astreindre à refaire et à pondérer son éducation artistique.
« Les bravos d'un public complaisant et aussi stylé que pos-
sible n'ont pu guère illusionner, hier, la"^ quisi-débutante, qui
sait d'une part quel prix on attache aux applaudissements d'un
parterre enthousiaste, et d'autre pari quel cas on tait d'un éloge
sincère et spontané.
« Les applaudissements, M''« Deschamps les a abondamment
obtenus. Il lui reste à conquérir les louanges sans restriction des
dilletlanli et des habitués de la maison.
« Il est aussi dangereux de chanter sur le chevalet que sur la
touche. Il ne faut pas confondre la véhémence a,vec la irivialilé.
' Il importe plus de garder sa place que de chan.er inutilement au
premier plan. Tels soûl les préceptes — entre autres — que
M'^* Deschamps fera bien d'étudier. »
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'■r-^
184
UART MODERNE
;:;:■■■' /^-'.y ;■■ "^: .■'■■■■■; ■■ SIXIÈME ANNÉE .
L'ART MODERNE s est acquis par l'autorité et rindépcndance de sa critique, par la variété de ses
informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune manifestation de l'Art ne
lui' est étrangère : il s'occupe de littérature, de peinture, do sculpture, de gravure, de musique,
d'architecture, , etc. Consacré principalement au mouvement artistique belge, il renseigne néanmoins sçss
lecteurs sur tous les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaître.
Chaque numéro de L'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique,
ou littéraire dont révénement de la semaine fournit l'actualité. Les expositions^ les livres nouveauoOf les
premières représentations d'œuvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires^ les concerts, les
ventes cCuhJeis (Tart, font tous les dimanclies l'objet de chroniques détaillées.
L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. Il rend compte des
procès les plus intéressants concernant les Arts, pi aidés, devant les tribunaux belges et étrangers .-''•4>^s^
artistes trouvent toutes les semaines dans son Mémento la nomenclature complète des expositions et
concours auxquels ils peuvent prendre part, en Belgique et à l'étranger. Il est envoyé gratuitement à
l'essai pendant un mois à toute personne qui en fait la demande.
L'ART MODERNE forme chaque année un beau et fort volume d'environ 450 pages, avec table
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anglaises ; N° 1 Venez wa niic. Sérénade. (Arise, beloved), fr. 1.35;
no 2 Pou7' l'absntt. (To my absent love),.fr. 1.75; n° 3. Chant
cTcmnnir' (Love song), fr i ~5.
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SlXlÈME' ANNÉE. N° 24.
Le numéro : 25 centimes.
• Dimanche 13 Juin 1886.
L'ART
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
RBVDE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
:* Adresser les demandes d'abonnement et toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
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OMMAIRE
Le Salon de Paris. Quatrième article. — Les Milices de Saint
François, par Georges Eekhoud. — Glanures. — Chronique
JUDICIAIRE DES ARTS, M. Coquelin sifflé. — Bibliographie musicale.
Publications nouvelles de l'éditeur L. Bertram. — Petite chronique.
LE SA10\ DE PARIS
. Quatrième article.
Un journal parisien publiait ces jours-ci la note
suivante : .
La France compte aciuellçnienl 2'2,3o7 peintres, dissémines
sur toute l'étendue du territoire, ce qui fait une proportion
de i260 peintres par déparlement!
On a également calculé que la superficie des toiles couvertes
chaque année de couleurs variées, par nos artistes nationau.x
représente une étendue de 15 kilomètres carrés, se divisant
ainsi :
Paysages . .. . ...... -2 kil. 300
Portraits . 1 -200 -
Scènes militaires 2 900
Scènes d'intérieur ...... 1 ,
Peinture décorative ...... 2 100
Peinture antique 1 oOO
Peintures diverses 3
Eminemment fantaisiste, dressée en vue de riposter
par une boutade gamine à Ja Gazette de Cologne qui
avait proclamé la décadence de la peinture française,
cette statistique n'en est pas moins décourageante.
Ces chifl'res, tout imaginaires paraissent-ils, sont
vraisemblables. Ils précisent la situation inquiétante
d'une époque dont la production — parlons comme les
économistes — dépasse notablement la consoinmation.
Que deviennent, le Salon fermé, les cinq ou six mille
œuvres* qui ont obtenu le privilège d'y être accueillies?
0(1 vont celles devant lesquelles les portes sont restées
closes, et dont le nombre n'est pas moindre? Et encore
les tableaux, aquarelles, pastels, dessins, statues, médail-
lons, gravures, envoyés à ce marché international ne
constituent-ils qu'une traction de ce que créé l'inces-
sante activité des ateliers. -
L'Etat fait quelques acquisitions, dont il tapisse des
Musées de province ; la ville de Paris en distribue un
lot dans les salles de ses conseils municipaux : les jar-
dins publics et les carrefours happent de temps à autre
un groupe en bronze ou une figure de marbre; parfois
s'ouvre, devant une œuvre à succès, signée d'un nom
bien coté, la bourse d'un amateur.
Mais le reste? L'incommensurable quantité de com-
positions allégoriques, mythologiques, historiques, reli-
gieuses, de scènes épisodiques, de paysages, de marines,
de 'nature-mortes, d'intérieurs, de tableaux de fleurs?
Qu'en fait-on? Il ne peut y avoir en France assez de
foyers pour justifier la fabrication d'un tel stock de
devants de cheminée. Les enseignes ne sont plus guère
de mode. Peintes sur toile ou sur bois, les produits de
ces innombrables usines ne peuvent même pas être
utilisés comme stores de campagne ou paravents. 7 ^
Repeindrait-on autre chose par dessus ? Ou le Nou-
veaii-Monde est-il à ce point assoiffé de p.einture fran-
çaise que les 22,357 brosseurs dont sont actuellement
gratifiés, à ce qu*on affirme, nos voisins, suffisent-ils
à peine à le désaltérer par rasades annuelles?
Qu'on se figure lahurissement d'un homme peu versé
dans les choses de l'art et pénétrant pour la première
fois dans ce hall immense où est entassé, de la cimaise
aux frises, le résultat d'une année d'application.
Ce qui le frappera sans doute avant tout, c'est que
les neuf dixièmes des œuvres exposées — laissons de
côté les portraits qui ont leur destination connue
— sont de tel format et de telle conception qu'on ne
peut imaginer l'usage pour lequel elles sont créées.
C'est à croire qu'à mesure que notre existence
moderne se restreint, qu'aux palais d'autrefois, — aux
palais florentins, génois, vénitiens dans lesquels on
déroulait de vastes toiles et qu'on peuplait de statues
—ont succédé les appartements parisiens, si exigus et si
mignons, les peintres ont, en manière de protestation
narquoise, élargi leur cadre. Et que, tandis que s'af-
firment les dilections des gens de goût pour ces deux
expressions de l'art, qui résument toutes les tendances
de notre époque : la peinture documentaire, éveillant
les sensations que provoque la nature avec une intensité
que seul l'artiste peut exprimer, et la peinture d'imagi-
nation pure, qui s'élève sur des ailes de flamme vers les
régions mystiques fermées aux intelligences vulgaires,
toute la horde des manieurs de brosses qui régnent
au Salon en pays conquis s'acharne à perpétuer le
mélodrame, la romance niaise ou le couplet de vaude-
ville que les artistes ont bannis de leurs préoccupations
esthétiques. . : - . .
Les seize colonnes de ce journal ne suffiraient pas
s'il nous les fallait cataloguer. C'est, après le genre sen-
timental qui a préyalu autrefois, le genre sombre qui
triomphe aujourd'hui. « Le sang du dernier cuiras-
sier " remplace « Les prés ont reverdi «. Romance
pour romance, autant valait l'ancienne.
Il parait qu'il y a des gens que ces choses-là secouent
d'un petit frisson déUcieux. « J'aime tant les spectacles!
dit Adélaïde à Vermouth dans la saynète de Verconsin.
Surtout ceux où l'on pleure »».
C'est* pour Adélaïde que M. Fernand Pelez a peint
une grisette étendue morte à côté du réchaud, qui lui
a fait oublier un amant volage. C'est pour elle que
M. Louis Deschamps a imaginé ce sujet affriolant :
Froid et faim, et cet autre : Folle ! qui montre une
pauvre petite Fantine berçant dans ses bras un lapin
coiffé d'un bonnet. C'est pour elle aussi que M. Jean
Geoff'roy a peint Un malheureux et Les affamés ;
M. Charles Perrandeau, La misère, modulation (en
mineur naturellement) sur le thème de M. Pelez ;
M. Nicolas Sicard, une autre Misère-, M. François
Maury, La fin dun Bohême (ce n'est pas un mariage ;
la chanson du jour est : Tout à la mort !) M. Victor
Marec, Un lendemain de paye ; M. Rojas, une Misère,
plus effroyable encore que les autres ; M. Tessier, un
Chômage, etc. Il n'est pas jusqu'à M. Renouf, cet
honnête peintre de pilotes et de matelots, qui n'ait,
cédant à l'entraînement général, éprouvé le besoin de
représenter un enfant que le flot entraîne à la dérive.
Entendons-nous. Ce n'est pas le choix du sujet dont
nous nous plaignons. Dans les arts, le sujet n'est rien. '
L'interprétation seule doit préoccuper la critique. Si la
misère, que chaque année voit grandir, est là, devant
nos yeux, avec son cortège de douleurs, de souffrances,
de crimes, il est naturel qu'un artiste en soit obsédé. Il
est logique que son pinceau s'efforce de retracer la
scène tragique, funèbre ou lamentable à laquelle il a
assisté. A cet égard, le Salon de 1886 affirme doulou-
reusement la terrible situation sociale que nous traver-
sons.
Mais ce qui choque le sentiment et offusque les
regards, c'est que la misère que mettent en scène ces
messieurs est une exhibition théâtrale et non l'expres-
iiion d'une émotion ressentie. On attend le trémolo
d*un orchestre invisible, soulignant le sens du tableau,
ainsi que l'a fait M. Munkacsy (ô honte!) pour son
Requiem do MozsLvt
Les morts, lés mourants, les suicidés, les ivrognes,
les gueux, les noyés du Salon posent tous pour la gale-
rie. Ils sont comme les acteurs qu'on poignarde en
scène et qui reviennent, le rideau levé, rassurer le
public. C'est la grimace de la mort. Ce rayon de crêpes
funèbres, de langes sanglants et de linceuls, pour avoir
été tout récemment « créé « — ainsi que s'expriment
dans leurs prospectus les directeurs de maisons de
confections — ne contient pas autre chose que les
rubans, les soieries, les batistes d'autrefois passés au
noir, — ou au rouge, La mode a changée. Une simple
teinture a-rendu les rossignols méconnaissables.
Qu'on ne croie pas toutefois que les peintres incrus-
tés dans les admirations badaudes aient changé le rou-;
leau de leur boîte à musique. A quoi bon? C'est affaire
aux nouveaux, à ceux dont l'air n'est pas encore dans
les oreilles de la foule. M. Commerre sévit dans la cru-
dité de ses roses purpurins. M. Jacquet singe de son
mieux les solennelles têtes de cire de son maître Bou-
guereau. M. Feyen-Perrin en est à sa cent quatre-vingt-
dix-septième Ny^nphe et à la mille deux cent vingt-
neuvième reproduction, de ses Cancalaises. Puis il y a
les amuseurs habituels : M. Jean Béraud, dont la Salle
des filles au Dépôt partage, avec VEntr'àcte d'une
première à la Comédie-Française, de M. Dan tan,
l'enthousiasme du public. Songez donc : on peut recon-
naître dans cette petite toile — nous parlons de la
seconde — ^^ et M. Sardoù, et M. Alexandre Dumas, et
M. Francisque Sarcey, et M. Alphonse Daudet, et
M. Albert Wolff' lui-même ! Pas flatté, par exemple, ce
I
dernier. Plus laid que nature. Le miel du Figaro a dû
être coupé de vinaigre le jour du compte-rendu.
Le trio de sculpteurs devenus peintres : Paul
Dubois, Antonin Mercié, Alexandre Falguière, est à la
recherche d'une originalité aussi insaisissable, paralt-il,
que la Fortune. Falguière ne sort pas des recettes
d'Henner : chairs laiteuses noyées dans une sauce
brune. Le sang de Vénus, de Mercié, pourrait être
signé Bouguereau sans que nul s'aperçût de la super-
cherie. Quant aux deux portraits de Paul Dubois, ils
sont de tout le monde et, si nous les citons, c'est que le .
sérieux talent du sculpteur rend l'omission de son nom
dans un compte-rendu à peu près impossible.
Combien nous préférons à cet art froid, d'une correc-
tion de bonne compagnie, d'un sentiment factice et
d'un coloris qui évoque on ne sait quels souvenirs de
pommade ou de bonbons fondants, des œuvres frustes
dont la sincérité, Tabsence de recherche, la foi artis-
tique font oublier les imperfections!
hePortrait deM^^^ Julie Feurgard,^2iV M»* Louise
Breslau, est au nombre de celles-ci. Il montre une
jeune fille peignant en plein air, sous un pommier en
fleurs. La peinture est saine, robuste, d'une virilité qui
surprend. Elle place la jeune artiste à la tête du
groupe féminin qui tient une place prépondérante au
Salon et dans lequel on distingue spécialement
M™«« Roth, Vegman et Zillhardt. Quant à M"e Louise
Abbéma,!elle s'égare de plus enlplus dans un art insup- .
portable, mi-crême àla vanille, mi-confiture de cerises,
dont la vulgarité prétentieuse éloigne définitivement.
On remarquera encore, parmi les efforts dignes d'in-
térêt :
La Nausikaa de M. Ménard, composition semi-
réelle, semi-allégorique, fraîche de coloris, séduisante
d'aspect, qui place brusquement son auteur en lumière.
Deux toiles d'un débutant, M. Ary Renan, fils de
l'auteur de la Vie de Jésus. Ceci ne signifie pas qu'on
puisse dire de lui : « C'est l'artiste dont le père a tant
de talent ». La fille de Jepkté, qui s'avance, suivie de
ses femmes, dans la gorge du Cédron, à la clarté des
étoiles dont le ciel est criblé, et la scène tragique que le
jeune peintre intitule Da7îs le cimetière de Tyr,
révèlent au contraire un tempérament délicat, flottant
encore dans les eaux de Puvis de Chavannes, mais qui, '
lorsqu'il sera en pleine possession de lui-même, sera
sans nul doute un peintre et un poète.
Une petite composition charmante de M. Louis
Picard : Sans asile, qui rappelle, en ses colorations
éteintes, son dessin précis, la raideur hiératique de la
figure principale, les tableaux de début de M. Fernand
Khnopff". ' '
Deux portraits de M. Alexis Axilette : l'un, très res-
semblant, du poète Edmond Haraucourt, « Sire de
Chambley « (fichtre !) , l'autre d'une jeune fille.
Un portrait de M. Armand Berton d'une intimité
attachante, très supérieur à la Vénus dans laquelle
s'est fourvoyé le jeune peintre.
Le Portrait du violoncelliste Delsart, parM . Rixens.
Un portrait de M. Rachou. Un autre, très curieux,
d'une audace attirante, par M. Thévenot. Le portrait
de mon chien et Un dessert par M. Amand Gautier.
Une Etude de^ fleurs de M. Cormon (dont le Déjeuner
d'amis n'est pas heureux) et une grande composition
de son élève Ernest Bordes : La mort de V.évêque
Prœteœtatus.
Force nous est d'abréger. Dans l'impossibilité où
nous sommes d'allonger outre mesure cette promenade
en parlant du paysage, de la nature-morte, des fleurs,
largement représentés au Salon, nous nous bornerons
à citer, dans ces sections spéciales, les artistes dont les
oeuvres méritent quelque attention. Messieurs* les pay-
sagistes, messieurs les peintres de fleurs et de natures-
mortes, vous voudrez bien nous pardonner ce procédé
sommaire. Il nous est imposé par notre format et com-
mandé par la fermeture qui approche. Vous nous accor-
derez qu*il nous faut encore, avant de prendre un congé
définitif, saluer, en passant, les artistes étrangers qui
ont participé au Salon et faire avec nos lecteurs le tour
des jardins où s'épanouit la sculpture, ainsi que celui
des salles où fleurissent les caprices de la pointe sèche
et du vernis mou.
Combien il est, de peintres dont nous eussions voulu
apprécier les œuvres, discuter les tendances, vanter ou
attaquer la vision artistique! MM. Humbert et Bau-
douin, par exemple, dont les vastes décorations, inspi-
rées de Puvis de Chavannes, mériteraient un examen
attentif; Aimé Morot, que le Salon actuel montre sous
un aspect nouveau ; Jules Garnier, à qui le- jury a joué
le tour d'accepter son Baptême par immersion ^ ce
qui enlève au très médiocre talent de lauteiir du Fla-
grant délit l'auréole qui avait, les années précédentes,
donné quelque éclat à son nom ; et Carolus-Duran, et
Bonnat,et Duez, et Maignan,et Jules Breton, et Julien
Dupré, et tant d'autres, qui constituent le « Tout-
Paris « des Salons annuels, ceux que la critique n'a
garde d'oublier dans ses comptes-rendus et dont les
noms reviennent périodiquement, accompagnés des
mêmes adjectifs, dans les journaux.
Dpnc, et sans^ous attarder davantage, signalons
parmi les paysagistes intéressants :
MM. Emile Breton, Harpignies, Pointelin, Binet,
Nozal, Pelouse, Sauzay, Emile Bastien-Lepage, Yon,
Petitjean, Vauthier, Montenard, Casile, Allègre, Le
Camus, Olive, — ces cinq derniers épris des ciels écla-
tants et des colorations ardentes de la Provence ; enfin
un nouveau venu sur lequel nous attirons très particu-
lièrement l'attention : Albert Lebourg.
Celui-ci s écarte trop résolument des chemins battus
188
UART MODERNE
V
pour que nous nous contentions de le citer. On trou-
vera son œuvre dans l'une des dernières salles de
droite, à la rampe. C'^est un site de l'Auvergne enseveli
dans un linceul de neige. Au premier plan, une rivière
coupée par un pont sur lequel passe une diligence.
L'horizon est fermé par des coteaux par dessus lesquels
le ciel roule des nuages plombés. L'impression est sai-
sissante. C'est la solitude morne des campagnes glacées
par la bise, le silence sonore des vastes paysages que
l'hiver a dénudés, exprimée avec une puissance rare.
Parmi les marinistes : MM. Boudin, Le Sénéchal de
Kerdréoret, Vernier et Thioilet.
Parmi les peintres d'accessoires et de fleurs :
MM. Vollon, Bergeret, Philippe Rousseau, Zakarian
— celui-ci ressuscitant l'art délicat et harmonieux de
Chardin, — M. Jeannin et M™<^ Prévost- Roqueplan.
Nous avons gardé à dessein, pour finir cet article sur
une impression gaie, la délicieuse composition de W\\-
\eiie : La veuve de Pier?vt.
C'est la première fois, croyons-nous, que M. Willette
expose au Salon. Il est connu de tous les artistes par
d'étourdissantes fantaisies, répandues avec profusion
dans les journaux illustrés : le Chat noir, le Courrier
fr^ançais.
Son thème de prédilection, c'est Pierrot, mais un
Pierrot neuf, d'une modernité déconcertante, un
Pierrot en habit noir, qui n'a avec le blafard amant de
la lune qu'une affinité éloignée, un Pierrot charmant,
spirituel, narquois, à qui le boulevard Rochechouart a
fait oublier la rêverie des paysages de Bergame, ^
Pierrot-Willette en un mot (ces deux noms sont désor-
mais inséparables), efïeuillant sa vie fantasque avec
une série de Colombines qui, toutes, ont joyeusement
lancé leur bonnet par dessus les ailes des moulins de
Montmartre.
Le jour où l'on songera à réunir les mille improvisa-
tions exquises qu'il a éparpillées au gré de son caprice,
M. Willette sera proclamé grand artiste. En attendant,
les murs des cabarets de Montmartre chantent sa
jeune gloire. Dans les salles du Chat noir, du Clou, de
vingt autres lieux que fréquente la Bohême parisienne,
mêlée à des familles bourgeoises qui roulent des yeux
effarés à l'aspect des garçons qui servent des bocks en
habits d'académiciens, — palmes vertes et culottes
courtes, — il a brossé, avec une verve et une souplesse
de main merveilleuses, des panneaux entiers. Et sou-
vent cette imagination lancée bride abattue porte, soli-
dement en selle, une pensée profonde. Un seul exemple :
pas un des articles qui ont flagellé la désastreuse cam-
pagne du Tonkin n'est plus cinglant que la superbe
esquisse, appendue au Chat noir, qui montre, sur un
cheval de guerre, la Mort menant, tambours battant,
un régiment français à travers une mer de sang. "
Dans le tableau que l'artiste a eu l'originahté d'en-
voyer au Salon, Pierrot est mort. Il montée raidi, porté
sur des ailes blanches, vers les empyréés. Au sortir du
cimetière, dans une guinguette proche du Moulin de la
Galette, la veuve, toute mélancolique, un petit voile sur
son costume de danseuse^ une pensée au corsage, se
repose en compagnie de croque-morts et de l'ordonna-
teur de la cérémonie. On boit du Picolo, on mange du
fromage pour se remettre, et le cocher des pompes
funèbres, le petit bébé-pierrot sur les genoux, lui donne
à boire. • !
Espérons que la mort de Pierrot est un mensonge,
une simple plaisanterie de ce personnage mystificateur
et capricieux. Nous tenons à ce qu'il vive — dans les
jolies et fines compositions de Willette.
LES MILICES DE SAINT-FRANÇOIS
par Georges Eekhoud. — Bruxelles, veuve Monnom éditeur.
Parmi les personnages des Milices de Sain L- François, celui qui
allire le plus c'est M. Eekhoud lui-môme. 11 s'est mis partout,
non en entier, sous un pseudonyme quelconque, mais fragmen-
tairement et dans Sussei Waarloos et dans Clara Merisel et môme
dans le curé de Sanllioven. Ceux-ci représentent ses opinions,
ses passions, ses rêves et les représentent bien.
. M. Eekhoud fait dire au prêtre, en parlant aux Xavéricns :
« Notre sainte milice ne guerroyera pas uniquement contre d'im-
pies compatriotes, elle enrayera l'influence de l'étranger, celle
des Français sans Dieu autant que celle des Allemands hérétiques.
Voyez Anvers, la grande ville; c'est à peine si elle appartient
encore aux Anversois de race. Les Allemands y foisonnent.
Débarqués sans sou ni maille sur les bords de l'Escaut, aujour-
d'hui ils tiennent le haut du pavé et affament les enfants de la
vill^ La néfaste influence wallonne, « la doctrine- )> comme on
l'appelle, avait déjà préparé cette spoliation. Je vous le dis, la
conquête de la grande ville, joyau de ce royaume, résulte de la
coalition d^es marchands wallons et allemands et de la complicité
de quelques Anversois, traîtres ou dupes, ceux-ci inspirés par le
mépris de l'autonomie patriale, le lucre égoïste, l'ambition d'une
puissance illusoire, la haine de Dieu et de son Eglise; ceux-là
bernés par de grands mots libérùlres ». — M. Eekhoud ne dirait-
il point de même?
El Sussei Waarloos ne sort-il pas du cœur de M. Eekhoud tout
comme le curé de Sanihoven sort de son cerveau? Il représente
l'idée superbe que se fait l'auteur de la force, du courage, ^e
l'honneur, de la probité, de la jeunesse mule et fièrc. Adorant son
terroir, il le peuple de gars brutaux, bons, tranquilles, mais
qu'un rien rend farouches et tragiques. On sent qu'il les veut
magnifiquement rustauds'et qu'il sait leur nature et leur histoire.
Il aime à les montrer descendant de ces paysans héroïques —
Nos Vendéens à nous, écrit-il quelque part — qui taquinèrent si
obstinément les troupes républicaines à la ftn du dernier siècle.
Il les désigne nobles dans le passé, pleins de vie dans le présent
et indéracinablement « eux » pour l'avenir. Ainsi crée-t-il l'épopée
de sa race, non pas à la suite d'un roman, mais en conclusion de
son œuvre entier. Dès aujourd'hui l'on sent que tout son enthou-
siasme se dépensera pour elle, qu'il la glorifiera toujours, qu'elle
lui sera « sa raison de vivre » et remplacera pour lui les croyances
perdues, les illusions tuées, tout ce qu'on rêve et tout ce qu'on
attend.
Quant à Clara Merisel, comtesse d'Adombrode, elle s'indique
avant tout comme le résultai de l'éducation inlcllecluelle do
M. Eekhoud. Elle résulte de ses lectures, de srs réflexions, de
SCS prédileclions liltéraircs. Elle sorl des doubles fonds de sa
pensée. Il a, lui aussi, été tenté par la femme fatale. In femme
étrange, la femme énigmatique. Certes a-l-il travaillé habilement
pour la rendre vraisemblable ; il nous a initié k son enfance, k sa
jeunesse capricieuse et fantasque, à sa nature complexe et dédal-
liennc. Il n'est point parvenu pourtant k la fondre dans son livre
comme un peintre réussit k marier un ton hardi avec les autres
tons de son tableau. Ce qui n'empêche que telle ou telle scène
où Clara joue un rôle dominant ne soit purement belle : exemples,
la scène de somnambulisme et la dernière de toutes, celle dans
l'auberge de Montaigu, où elle avoue son amour pour Sussil
Waarloos et salaniquement, tout en se perdant elle-même, tue k
tout jamais rentier bonheur dans le cœur du superbe Campinois,
«chérissant toujours Trine, mais s'avouant l'aimer avec moins
de plénitude et de sérénité ».
Ces deux scènes sont magistrales. Toutes les difficultés de
narration y ont été résolues sans qu'on sentît l'effort. Elles sont
fortes et mieux — originales. La dernière surtout. L'étonne-
mcnl, l'hébêlemenl, la réVolle, la colère de Sussel sont admira-
blement amenés et surtout la compassion finale. El d'autre
part, l'audace, l'astuce de la comtesse, puis le cynisme, puis
riiystéri'e, puis le satanisme, suivis de cette admirable détente
soudaine de passion et de celte ineffable pardon demandé,
témoignent d'un talent magnifique. Si bien qu'on s'interroge :
M. Eekhoud ne s'imposerait-il point au théâtre, dans les drames
les plus ailiers?
Après cela, il importe médiocrement n'est-ce pas, que le roman
cahote, de ci, de là, qu'il se traîne parfois en longueur et s'arrête
et piétine sur place. Les cent premières pages sont dures à ava-
ler. On croirait que le romancier s'amuse k prouver ((u'il connaît
tous les détails et tous les mots spéciaux de certains métiers, et
qui allonge ses descriptions afin de nous instruire. C« ries, est-il
utile dé nous montrer Clara s'allendiissanl sur le Moulon, mais
cet attendrissement épisodique est si long qu'k certain moment
on s'imagine que le roman va se nouer Ik. Trop longue aussi la
course de Clara à travers les quartiers du Rit-Dyk. La descripiion
quoiqu'intéressante et bien faite est une disproportion dans
l'œuvre. Seulement, il est juste de tenir compte k M. Eekhoud,
de son dédain de toute convention dans le plan el la construction
de son livre. De tant de patrons'taillés, les uns par les natu-
ralistes, les autres par les romantiques, il n'en a adopté aucun.
II a préféré se tromper parfois, il a préféré être maladroit que
banal. Heureusement.
En écrivant au début de cet article que M. Eekhoud menait
beaucoup de lui dans ses personnages, nous n'avons voulu faire
qu'une constatation.. L'impersonnalité en art ne doit pas, nous
semble-t-il, être recherchée. La simple raison ? Elle est impos-
sible. Ses plus décidés partisans ne l'ont point pratiquée : ni
Flaubert, ni Zola. Le premier a fait de son ûme ses plus célèbres
héros, le deuxième ne se contente plus même de s'incarner dans
ses types, il se prodigue dans les choses — et la nature devient
une sorte de Zola débordant et grandiose, ^^r^uisant des tleurs
et des fruits avec la même prolixité que le maître prodigue des
phrases et des livres. Au reste, comment imaginer une œuvre
dont on s'ôle, alor^quo nécessairement l'art résulte d'un lyrisme
des sens ou de la pensée ? Les ceuvres les plus froides d'appa-
rence, ne sont que des rniliousiasmes k rebours. Et pourquoi
défendre k l'écrivain do se. manifester ? N'est-il pas un cerveau
de choix, un œil d'artiste et, souvent du moins, un cei'ur de race ?
Les Milices de Sninl- François en font prouve pour M. Eek-
houcl. Le croquis qu'il nous fait du comte d'Adombrode démontre
■vers quelle philosophie son esprit est attiré; tel labhau : « Clara
Mortsel était arrivée à Sanlhoven, en août, lorsque les bruyères
fleuries roulent k perle de vue les vagues d'une mer rose. De dis-
tance en distance, des sapinières et des chenayes tranchent par
leur feuillf'ge sombre et velouté sur cotte floraison adorabl<3 et
l'arôme de ces arbres k essence forte se combine avec les parfums
sauvages des brandes. Plus tard (on septembre), vers le soir, dos
monceaux d'essaris, torchères pâles et fumeuses, cassoléllosd'ijn
farouche encens s'ar.umenl dans les landes aux mains hier, tiques
des bergers el ces brûlis auxquels ils réchauffent leurs doigts
gourds, glacent, Ik-bas, le cœur du rare passant » impose le
peintre ( t il suffit, n'est-ce pas, de lire {'Ex Volo pour c; raclé-
riser l'homme. M. Eekhoud a crié aux Poldciiens qu'il nomrrie
ses Frères «... En at!etiTJanl,.moi qui ne vous .survivrai pas,
votre sang rouge el rebelle coulant dans ma veine, je vctix
abstrayant mon esprit, m'imprégncr de votre essence, m'oindre
de vos truculents dehors... » Il est tel. Les Milices de SaiiU-
François sont jusqu'à ce jour, le plus puissant livre de l'auteur.
' ' • ' . •C^LANURE3 .'
Notre liiléralure réaliste ne nous a laissé que le choix entre les
formes 'diverses du pessimisme, parce qu'elle a manqué du sens
divin et du sens humain. Inaugurée par Stendhal, puis<|u'on y
tient, consommée par Flaubtri, vulgarisée dans le même. esprit
par les successeurs de ce dernier, elle a failli k une partie de sa
lâche, qui était de consoler les humbles et de nous rapprocUer
d'eux en nous les faisant mieux connaître. Au point de vue pure-
ment littéraire, elle a payé ses torts moraux en ne nous otfranl
qu'une représeLlalion du monde partielle et d«-f( rmée, sans
air ambiant, sans perspeciive loinlnine. Du précopie de la créa-
tion elle n'a retenu que la première moitié : elle a pélri le limon,
elle l'a curieusement feuille, elle en a lire tout ce (lu'elle con-
lient; elle a oublié de lui mspirer le soulïle qui fait « une âme
vivante ». Cette littérature a cru suppléer k tout par des raffine-
ments d'art égoïsies; ce travers l'a conduite k se constituer en
mandarinat, k s'isoler de la vie générale dont elle devrait être la
servante. Elle se dessèche el péril comme la verveine du poêle
dans le vase fêlé d'où l'eau nourricière a fui'. On s'en éloiîjne, on
cliercbe autre chose; pour tout observateur désintéressé, ce mou-
vement de recul est très sensible. Depuis vingt-cinq ou trente ans,
l'irislinct des générations nouveiks, lassé des invenlions puériles
et affamé de vérité, domanduil impérieusement qu'on revint k
l'étude consciencieuse de la vie et qu'on la ren'lîl avec une grande
simplicité. Mais sous les variations- du goût, le fond de l'être
humain ne change pas, il demeure avec son éternel b»scin de
synij'athie et d'espérance ; on ne nous prend que par ces nobles
faiblesses, on ne nous prend bien qu'en nous soulevant de terre.
Celui qui nous abaisse cl mulilo nos espérances peut assurément
nous amuser une heure; il ne nous garde' a pas longtemps. Ou
oublie aujourd'hui ces vérités aussi durables que l'homme, parce
que nous sommes dans un momcnl de transition el d'universelle
incertitude. Les Ames n'appariiennent à personne, elles tour-
noient; cherchant un guide, comme les hirondelles rasent le
marais sous J'orage, éperdues dans le froid, les ténèbres el le
jjruil. Essayez de leur dire qu'il est une retraite où l'on ramasse
et réchauffe les oiseaux hJessés; vous les verrez s'assembler,
toutes ces ûmes, monter, partir à grand vol, par delà vos déserts
arides, vers l'écrivain qui les aura appelées d'un cri de son cœur.
Oh ! je sais bien qu'en assignant à l'art d'écrire un but moral, je
vais faire sourire les adeptes de la doctrine en honneur : l'art pour
l'art. J'avoue ne la comprendre pas. Je ne croirai jamais que des
hommes sérieux, soucieux de leur dignité et de l'estime publique,
veuillent se réduire à l'emploi de gymnastes, d'amuseurs forains»
Ces délicats sont singuliers, Ils professent un beau mépris pour
fauteur bourgeois qui s'inquiôle d'enseigner oïl de consoler les
hommes, et ils consentent à faire la roue devant la foule, à celte
seule fin de lui faire admirer leur adresse; ils se vantent de
n'avoir rien h lui dire au lieu de s'en excuser. Comment concilier
cette abdication avec la part de pontificat que les littérateurs de
notre temps sont si empressés à réclamer? Sans doute, chacun de
nous cède quelquefois à la tentation d'écrire pour se divertir :
que celui qui est sans péché jette la première pierre ! Mais il est
inconcevable qu'on érige en doctrine ce qui doit rester une
exception. Si c'est là de la littérature, je demande pour l'autre un
nom moins exposé aux usurpations; sauf l'usage des plumes el
de l'encre, — on s'en sert aussi pour les exploits d'huissiers, —
notre noble profession n'a rien de commun avec ce commerce ;
il est légitime à coup sûr, si l'on y apporte de la probité et de la
décence, mais il ressemble à la littérature autant qu'une boutique
de jouets à une bibliothèque. Je n'entends point ici déclasser tel
ou -tel genre, réputé léger : un roman, une comédie, peuvent être
plus utiles aux hommes qu'un traité de Ihéodicée. Je m'élève uni-
quement contre le parti-pris de n'y mettre aucune intention
morale. Heureusement, ceux-là même qui défendent celle hérésie
sont les premiers à trahir, quand ils ont du cœur et du talent (*).
>
jjHROJ^iqUE JUDlCIyMRE DZP A^T?
M. GOQUELIN SIFFLÉ
Le procès fait aux quatre jeunes coupables de l'abominable
rfuil d'avoir osé siffler M. Çoquelin dans Chamillac, a été plaidé
hier, en instance d'appel, devant la 7* chambre (correctionnel)
du tribunal de première instance, présidée par M. le juge
Robvns.
Nous avons relaté l'intéressant débat auquel a doneé-lteu la
question de principe que soulevait l'affaire, et nous avons ana-
lysé l'étrange sentence rendue par M. le juge de paix suppléant
Hayois, contre laquelle les prévenus se sont pourvus en appel (**).
C'est M® Brunel qui a pris le premier la parole hier. Il a
démontré au tribunal que ce que le règlement communal de
police des théâtres vise dans l'article dont on réclame l'applica-
tion, ce ne sont pas les sifflets, chacun étant libre, aux termes de
la Constitution, de manifester librement ses opinions, mais uni-
quement le trouble porté à la représentation. Or, la repré-
sentation de Chamillac n'a pas été troublée, les mesures de
(♦} Melchior de Vogué.
(**) V. l'Art moderne, 1886, p. 154.
police ayant été si bien prises à l'avance que chacuudes siffleurs
s'csl vu prié, dès la première bordée, de quitter la salle ou de
cesser la charivari.
Dans un réquisitoire minutieusement rédigé, M. le substitut
Verhaegen a demandé la confirmation du jugement qui condam-
natit, on s'en souvient, les siffleurs à 5 francs d'amende. Il ne
eontesle pas le droit qu'a tout spectateur de siffler au théûlre, et
fait remarquer que l'ordonnance de 1883 elle-même semble le
consacrer en éiablissant une distinction entre les manifestations
interdites aux musiciens de l'orchestre et celles dont les specta-
teurs sont tenus de s'abstenir. Aux premiers, le règlement détend
« d'applaudir^ de majiifester d'une manière quelconque leur opi-
nion ». Aux seconds, il interdit « d'interpeller y d'apostropher les
acteurs et de troubler le spectacle ». Néanmoins, il faut condam-
ner les siffleurs de M. Coqueliu, parce qu'ils ont troublé l'ordre,
qu'ils ont interrompu même durant quelques instants la représen-
tation. M'i^ Barlet en a été, paraît-il, suffoquée, et M. Coquelin
lui-même a perdu son aplomb.
Si les sifflets eussent éclaté à la fin d'un acte, il n'y eût eu rien
à dire. Mais le moment était inopportun. El en sifflanl, les pré-
venus savaient parfaitement que leurs sifflets soulèveraient immé-
diatement une protestation énergique dont le bruit troublerait le
spectacle. Ils ont donc, soit directement, soit indirectement, con-
trevenu, aux dispositions du règlement communal.
M^ Rodenbach s'était chargé de la réplique. Il n'a pas eu de
peine à dissiper la confusion qu'on a cherché à établir entre la
situation de droit créée par la Constitution et l'état de fait que
vise le règlement de la Ville.
Le trouble apporté au spectacle est la seule restriction apportée
à la libre manifestation des opinions. Mais quand commence le
trouble? Voilà toute la question. Est-ce lorsque M"« Bartet en est
incommodée? C'est le trouble de l'artiste, cela, et lion le trouble
de la représentation. Est-ce dans le cas où les sifflets sont en
minorité? Mais alors, comment un homme qui ne veut pas s'in-
cliner devant l'autocratie des foules en matière artistique
devra-t-il s'y prendre? 11 faut bien siffler, puisqu'on ne peut pro-
noncer de réquisitoire contre le mauvais goût de ce cabotinage.
Les siffleurs de M. Coquelin ont voulu réagir contre l'engoue-
ment excessif dont ce comédien est l'objet. Rien de plus. Ils
avaient le droit de le faire, de même qu'une dame qui n'aimait
pas la vivisection a pu légitimement — un jugement parisien du
13 mai 1886 le reconnaît — pousser des cris de paon dans l'as-
semblée solennellement réunie pour inaugurer la statue élevée à
Claude Bernard.
Le tribunal a fait droit aux conclusions des prévenus par le
jugement suivant :
Attendu que le règlement de 1883 sur la police des théâtres se
borne en son art. 22 à défendre de troubler le spectacle;
Attendu que les sifflets ne peuvent tomber sous l'application
de celte disposition que s'ils ont eu pour but et pour effet de
troubler l'ordre el non s'ils ont été simplement une manifesta-
tion ou une marque de désapprobation à l'adresse d'un acteur
déterminé ;
Qu'en fait, dans l'espèce, il n'est pas établi que les appelants
aient eu l'intention de troubler le spectacle ;
Que l'interruption du spectacle, qui n'a duré, au dire de la
plupart des témoins, que quelques secondes seulement, et qui
est due tant aux applaudissements qui ont répondu aux coups dé
sifflet qu'à ces coups de sifflet eux mêmes, ne peut être consi-
\ ..s
ddrée comme le trouble du spectacle que l'art. 22 a pour but
de r(''primçr;
Par ces motifs^ recevant l'appel et y faisant droi,t, le tribunal
met à néant le jugement a quo, renvoie les prévenus des fins des
poursuites sans frais. ':'::-.■
!PlB]LIOQRAPHIE MUSICALE
Publications nouvelles de^réditeur^R. Bertram.
Un chef de musique autrichien, M. Czibulka, a ressuscité l'ère
des gavottes. Elles ont refleuri sur les pianos, après avoir jadis
fait la fortune des clavecins. Et voici que les violonistes adoptent
à léurtour la forme archaïque. Marion-Gnvolte, de M. Th. îferr-
mann, premier vioion-solo au théâtre de la Monnaie, plaira par
la tournure mélodique de la phrase principale et par l'exactitude
archéologique de celte « restitution ».
En même temps que la Gavotte de M. Ilerrmann, ont paru
chez R. Bertram un Impromptu pour violoncelle, de M. Jules De
Swert et, du même auteur, deux morceaux de salon pour violon
avec accompagnement de piano : le Désir et Rêverie. Ces mor-
ceaux portent les n<^* 44, 43 et 46 de son œuvre.
A citer encore deux Feuillets d'album {n^ 1 -.Chanson du prin-
temps^ n" 2 : Valse), élégamment écrits par M. Maurice Koeltlitz;
une réédition, revue et corrigée, du chœur à quatre voix d'homme,
écrU par M. Adolphe Wouters sur des paroles de M. Delisse et
intitulé : Vers l'avenir. Ce chœur fut imposé en première division
au Concours international de V Orphéon ti en division d'excellence
au Concours international de Rouen. Enfin, une Tarentelle-
Scherzo "^omt piano à quatre mains'(op. 14), de iM. Edouard
Samuel, œuvre de bonne facture, qui révèle la main d'un ouvrier
habile et consciencieux.
^^^^^^^^^^^^^;^ ; ' ^^ ; pETITE CHROJ^iqUE '
La Sphynge de M. Fcrnand Khnopff, entièrement refaite par
l'artiste et merveilleusement mystérieuse, vient d'être acquise par
M. C..., de Venise. Que reste-t-il des cris de paon et des « Sho-
king » de mi^s anglaises poussés autour, jadis, dans les caves de
l'Exposition des Beaux- Arts? Et des traquenards posés par certains
journalistes pour attraper la juste admiration qui s'en allait vers
cette œuvre. Oli ! les pièges d'antan !
M™^ Rosa Papier n'ayant pu obtenir de l'intendance générale
des théâtres de Vienne l'autorisation de prendre part aux repré-
sentations de Bayreuth, elle sera remplacée dans le rôle de Bran-
gaine par M""^ Angelina Luger, du théâtre de Francfort.
Rappelons, à ce sujet, que ces représentations modèles restent
fixées ainsi qu'il suit :, . .
Vendredi 23 juillet. . . ., . . . ' Parsifal.
Dimanche 23 ........ Tristan et Iseult.
Lundi 26 » . . . . . . . Parsifal.
Jeudi 29 ........ Tristan et Iseult.
Vendredi 30 » Parsifal.
Dimanche 1" août Tristan et 'Iseult.
Lundi 2 » Parsifal.
Jeudi 3 » Tristan et Iseult.
Vendredi 6 ». . . . . . . Parsifal.
Dimanche 8 ........ Tristan et Iseult.
Lundi 9 » . Parsifal.
Jeudi 12 ». , . . . . . Tristan et Iseult.
Vendredi 13 ....... . Parsifal.
Dimanche 15 » Tristan et Iseult.
Lundi 16 ........ Parsifal.
Jeudi 19 » Tristan et Iseult.
Vendredi 20 . » . . . . . . . Parsifal.
- Les places coûtent 20 marks (23 francs) par représentation.
Pour les logements, s'adresser à M. Ullrich, secrétaire du comité
des logements, à Bayreuih.
Les représentations commenceront à 4 heures pour finir vers
10 heures. A 11 heures des trains rapides partiront de Bayreuth
dans toutes les directions.
Le théâtre de Cologne prépare pour la saison prochaine des
représentations de r^«;t^flîf rfw A'^MM^7gr.
Voici la série des charmants voyages que Y Excursion organise
pour le mois de juin :
13 juin. — Excursion à Luxembourg, à Trêves, à Echter-
nach, à Vianden et à Diekirch, à l'occasion des fêtes de la Pen-
tecôte et du célèbre pèlerinage. Durée : 4 jours. — Prix du
voyage : l'« classe, 93 francs ; 2*^ classe, 83 francs. . ._
24 juin. — Excursion à Londres et aux environs : ïfampton-
Court, Richmond, Kew, Palais de Cristal et Groenvvich. — Durée:
8 jours, — Prix : l""" classe, 230 francs.
14 juin. — Excursion en Ecosse. Durée : 13 jours. — Itiné-
raire : £'dimôr'wrgr,Stirling, le lac Catherine, Invernaid, le lac
Lomond. Glasgow, le canal de la Cly.le, le lac Kiles, le canal
Crinan et le hc Lorn. Oban, le fort William,- la grotte de Fingal,"
le canal Calédonien. Inverness. Retour par Edimbourg et Liver-
pool. Visite des deux magnifiques expositions. Prix du voyage :
tous frais compris, en l'« classe, 330 francs et en 2« cla'sse,
493 francs.
12 juin. —Excursion en Normandie et en Bretagne à l'Ile de
Jersey. — Durée : 12 jours. ~ Prix : l'*^ classe, 333 francs;
2'*^ classe, 313 francs.
12 juin. — Excursion en Touraine et aux Châteaux des Bords
de la Loire. — Durée : 1 1 jours. —Prix : V^- classe, 375 francs ;
2« classe, 330 francs. /
20 juin. — Excursion en Zélande. — Itinéraire : Bruxelles,
Malines, -Tamise, Terneuzen, les bords de TEscaut, Flessin^ue, la
Campagne zélandaise et Middelbourg. — Prix : l""® classe,
23 francs; 2« classe, 23 francs.
27 juin. — Excursion en Hollande. — Itinéraire : Bruxelles,
Rotterdam, La Haye, Scheveninguè, Amsterdam, Zaandam,
Bruxelles. — Durée : 4 jours.' — Prix : l""» classe, 130 francs;
2« classe, 120 francs.
Deux magnifiques voyages s'organisent en ouLre, le premier, au
13 juillet, pour la Norwègeet l'Islande; le second, au 4, septem-
bre, pour Constantinople et l'Orient.
D'autres excursions en Normandie, en Bretagne, aux Pyrénées,
en Suisse, en Autriche, etc.," auront lieu pendant les mois de
juillet, août et septembre. Elles seront annoncées ultérieurement.
Les personnes qui désirent obtenir gratuitement le programme
détaillé de chacun de ces voyages voudront, bien le demander à
M. Charles Parmenlier, directeur de ['Excursion, Boulevard
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informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune manifestation de l'Art ne
lui est étrangùrc : il s'occupe de littérature, de peinture, de sculpture, de gravure, de musique,
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouvement artistique belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur tous les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaître.
Chaque numéro de L'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'actualité. Les expositions, les livres noiweauXy les
premières représentations d'œuvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires , les concerts, les
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^
OMMAIRE
Le Salon de Paris. Cinquième et dernier article. — Ux artiste
COURONNÉ. — Le Christ devant Pilate. — Les droits d'auteur
AU Théâtre de la Monnaie. — Le chemin de fer MÉTaopoLiTAiN
A Bruxelles. — Petite chronique, — Réparation judiciaire.
-~^^^— lE S.A10X DE PARIS --^-
Cinquième et dernier article {') ' ,
Il y a au Salon de Paris trois cent quatre-vingt-six
exposants étrangers, ainsi répartis ;.
Etats-Unis d'Amérique, 91; Belgique, 54; Angle-
terre, 33 ;. Italie, 30 ; Suisse, 29 ; Autriche- Hongrie, 28 ;
Suède, 22; Allemagne, 19; Espagne, 18; Hollande, 17;
Russie, 13; Danemark, G; Pérou et Chili, 6; Nor-
wège, 5; Finlande, 4; Portugal, 2; Roumanie, 2;
Canada, 2 ; Australie, 1 ; Californie, 1 : Iles Philip-
pines, 1; Uruguay, 1; Brésil, 1; Egypte, 1.
Notre pays, on le voit, vient en deuxième ligne d^ns
cette curieuse statistique, mais avec un effectif qui ne
constitue presque que la moitié du formidable contin-
gent fourni par les Etats-Unis d'Amérique.
N appréciant ..point le mérite au chiffre d œuvres
exposées, nous ne tirons, bien entendu, aucune con-
clusion de ce bilan. Mais il est piquant de voir les Amé-
ricains, si soucieux de leur nationalité artistique, — au
point de vue des dollars tout au moins, — si impitoya-
bles douaniers quand il s'agit d'une importation de
(^) V. VArt moderne deS 23 et 30 mai, 6 et 13 juin.
tableaux venus d'Europe, s'installer au Salon en aussi
nombreuse compagnie. ,
Au surplus, leur voisinage n'est guère gênant. On
pa'sseavec indifférence devant les plus bruyants, d'entre
eux. M. Stewart lui-même, dont le Hunting hall
avait ébloui les badauds, n'a cette fois qu'un succès
modéré avec la toile intitulée : Full Speed, qui montre
le pont d'un yacht à vapeur peuplé de marins-amateurs
et de canotières en robes claires.
M. Sargent ne donne pas ce qu'on attendait de lui.
Ses portraits de M"^^ et de M^^^ B..., dans un appar-
tement dont le tapis rouge forme avec l'ameublement
sévère un bel accord de tons, sont d'un modelé sec, à
l'emporte-pièce, qui fait regretter les toiles d'autrefois,
le Portrait de Carolûs, El Jaleo, les Porti^aits d en-
fants exposés en 1883, même la belle Madame Gau-
therot, dont nous disions, l'an dernier : « Est-ce une
voie nouvelle qui s'ouvre pour l'artiste? Est-ce un
simple incident dans sa carrière? ^ M. Sargent n'a pas
persisté dans les théories modernistes qui avaient
•donné naissance à son sphinx parisien. Sa présente
exposition est faible. Mais il est homme à nous ménager,
l'an prochain, quelque surprise.
Il y a, heureusement, Whistler pour représenter la
jeune école américaine, et il le fait avec une autorité et
une élégance suprêmes. Le portrait du Senor Pablo de
Sarasate (arrangerae)it en noir n^ 9y,, exposé il y a
trois mois au Salon des XX et dont personne n'a oublié
la suggestive interprétation, serait l'une des œuvres les
plus justement remarquées de l'Exposition, si la Com-
194
V ART MODERNE
j- - ■
mission déplacement, la jugeant sans doute d'un voisi-
nage périlleux, n'avait pris le soin de la dissimuler
adroitement contre une porte, en faisant savamment
miroiter les luisants de la peinture de manière à rendre
tout examen impossible. C'est adroit et intelligent.
A citer encore : le Sirocco à Venise, de M. Gurtis,
un peu terne de coloris, mais d'une grande élégance;
Le jiigemeïit de Paris, de M. Walter Mac-Ewen, à
qui on reproche avec quelque raison de chausser les
pantoufles deM.Uhdè; En Arcadie, très intéressante
composition de M. Harrison, l'auteur de là Vague qui
eut, l'an passé, un certain retentissement, artistQ.bien
doué, mais obsédé par les principes et les pro-
cédés de l'Ecole; Le prêche, de M. Gari Melchers, et
Le retour des ^ngeons voyageurs, de M. Rhodes,
Américain très authentique qui a eu l'originalité de
s'établir à Saventhém lez-Louvain. -
Passons à l'Angleterre, car pour ce qui concerne la
Belgique, nous avons déjà, et dès le début de notre
série d'articles, signalé les meilleurs envois de nos com-
patriotes. Ici, c'est une femme qui l'emporte, M"® Anny
Ayrton, très connue par les savoureux garde-mangers
dont chaque Salon voit dresser sur des nappes blanches,
dans des corbeilles, «ur des plats de porcelaine, l'appé-
tissant contenu.
M. Wilham Stott, dont on se rappelle la Baignade,
exi^ose le Po7^trait de Miss White et Un jour d'été.
La première de ces deux toiles, très bien placée dans
un pan coupé, ne dépasse guère la médiocrité. Ce serait
bien pour un débutant. Ce n'est pas suffisant pour l'ar-
tiste. La seconde, accrochée si haut qu'on a peine à
l'examiner, paraît plus intéressante. Sur une plage où
la marée, en se retirant, a laissé de petits lacs dans les-
quels se mire l'azur du ciel, trois galopins, entièrement
nus, prennent leurs ébats. C'est, on le voit, une nou-
velle Baignade, mais cette fois la gracilité des mem-
bres, la simplicité des tonalités, une certaine raideur
voulue dans le dessin, donnent à l'œuvre une saveur
très particulière. L'exécution minutieuse, allant jusqu'à
la sécheresse, nuit à l'efïet. C'est presque bien, et pour-
tant l'^il n'est pas entièrement satisfait. A remarquer
deux pastels du même peintre.
M. Franz Skarbina, un habitué de nos expositions
d'aquarelles bruxelloises, représente l'Allemagne. Il a,
dans le compartiment des dessins, quelques gouaches
traitées avec talent, mais d'un faire assez lourd. Comme
pointure à l'iiuile, un grand diable de chiffonnier des-
cendant, à l'aube, un escalier, hotte sur le dos, crochet
à la main. Art de transition entre Dusseldorf et Paris.
C'est Paris d'ailleurs qui attire presque irrésistible-
ment les artistes. Combien en est-il que le catalogue
renseigne comme étrangers, mais que leur éducation a
naturalisés Parisiens?
Les Hollandais gardent, mieux que tous les autres.
leur originalité. Ils ont la poésie de leurs plaines
humides et brumeuses. Leur œil aff'ectionne les colora-
tions savoureuses, les pâtes épaisses. Ils sont peintres,
dans la vraie acception du terme. Exemples : MM. Mes-
dag, dont les deux marines tranchent sur toutes les
autres, Jozef Israëls {Quand on devient vieux), J)diV\A
et Pierre Oyens [La Correspondance et Les Collègues),
Storm \8in 's GrâYesdinde (Maiwais tem2^s) .
L'Autriche ne peut guère revendiquer comme sien
M. Luigi Loir, l'artiste charmant dont La fumée du
chemiîi de fer est une des jolies toiles du Salon. Il est
né à Gorlitz^de parents français, a fait son éducation
artistique à Parme, et habite Paris. Résultat final :
Parisien parisiennant, d'un brio étonnant et trouvant
le long des quais, sur les boulevards extérieurs, dans le
Jardin des Tuileries, sans jamais sortir de l'enceinte des
fortifications, la* série la plus variée et la plus attrayante
de motifs à peindre.
Terminons par une excursion dans le Nord, aux pays
Scandinaves, en Suède, en Norwège, en Danemark.
Les XX ont déjà fait connaître à Bruxelles M. Peter
Severin Kroyer, dont on a apprécié le talent délicat.
Le départ pour la pêche de nuit est d'une belle
impression et rappelle la Halte de pêcheurs sur la
plage de Skagoî, exposée an Palais des Beaux-Arts. Ils
ont également présenté à nos compatriotes M. Richard
Bergh, dont le portrait de femme est, cette année,
l'une des œuvres les plus séduisantes du Salon. On
remarquera, outre les envois de ces deux artistes, les
paysages de M. Rosenberg, de Stockholm, surtout son
Hiver, le Portrait de M. Pasteur par M. Edelfelt,
et la Toilette pour la première commu7iion, de
M. Georges Pauli.
^ Dans la section des gravures, signalons les deux
planches dé M. Albert Besnard, d'après ses composi-
tions décoratives pour l'École de pharmacie, et le cadre
que l'artiste intitule : Épisodes de V affaire Clé^nen-
ceau ; la Rixe, àe Meissonier, gravée par M. Brac-
quemond; la Vieillesse, de M. Odilon Redon, litho-
graphie extraite de son dernier album : Dans le rêve ;
la Marchande d'allumettes à Londres et /. Mahhy,
par Henri Guérard (glissons sur son malencontreux
essai de gravure en couleur : Au jardin); les superbes
lithographies de Faritin-Latour, inspirées de Wagner
et de Brahms; deux pointes sèches de M. Zilcken,
d'après J. Maris; les portraits de M. Gaillard; enfin,
l'œuvre de deux de nos compatriotes : M. Danse, dont
on retrouve une partie de ce qu'il avait exhibé aux XX,
et M. Louis Lenain.
Parmi les médailleurs, M. Roty, artiste délicat,
ingénieux dans la composition et dans la disposition des
accessoires, d'un goût raffiné, mérite une mention
toute spéciale.
Les statues à signaler sont aussi rares que les
tableaux. Mêmes influences académiques et bfficielles,
même banalité. La sculpture française a dominé en ce
siècle. Elle a eu Rude, David d'Angers, Barye, Gar-
peaux, créateur d'une grâce nouvelle. Aujourd'hui elle
est aux mains de M. Antonin Mercié. Il est vrai qu'il
lui reste Rodin, i^n génie, et tel jeune sculpteur de
grande race.
M. Mercié « poitrine « en son art cqmme M. Bou-
guereau ou M. Cabanel ou M. Lefebvre dans le leur. Il
est correct; il sait son métier ou plutôt un métier; il
satisfait à l'idée que se font d'une belle œuvre le Pari-
sien cossu qui veut orner son tombeau et le ministre
qui veut célébrer par du bronze « son pa.ssage aux
affaires ". La statuomanie exige des mains, des bras et
dés ciseaux comme ceux de M. Antonin Mercié. Il
faut garder « une honnête moyenne d'art « quand on
travaille pour les places publiques. Unheau socle suffit
d'ordinaire. Le caractère, la fougue, la grandeur?
Allons donc! Les bronzes ne doivent pas être révolu-
tionnaires et la Marseillaise de l'arc de triomphe est
dangereuse. Une statue puissante et fière, grande de
gestes, tragique et belle, peut devenir le plus redou-
table des orateurs populaires. Il faut embourgeoiser
tout.
Aussi M. Antonin Mercié, et à sa suite tous les
fabricants « de dessus de squares ", aveulissent-ils et
atténuent-ils l'art. Ils font très honnêtement et très
proprement leur besogne. Ils choisissent de beaux
blocs blancs et leur font une toilette.
Cette année' M. Antonin Mercié expose un groupe
pour le tombeau du roi Louis-Philippe et de la reine
- Amélie : le roi est debout, la reine à genoux ; l'ange de
la mort sommeille derrière. Certes, le sujet était peu
tentant, mais avec M. Antonin Mercié il ne faut déses-
pérer de rien. Il a de la ressource, il a des trucs pour
donner de la tenue et une certaine dignité sculpturales
à tout. Il a son moule et il est assez intelligent pour y
tout faire rentrer. Les personnages de son groupe sont
quelconques. Quant au Génie endormi, c'est ce qu'il y
a de plus mou, de plus cireux, de plus romantiquement
pleureur au monde. Aucune piété, aucune virilité,
aucune grandeur n'est arborée ; l'œuvre est mondaine-
ment distinguée, et voilà.
M. Falguière, dont nous admirons beaucoup le-petit
martyr chrétien du Luxembourg, a signé : Bacchantes
ivres. La lutte, chignons crêpés, de ces deux femelles
n'est certes pas traitée banalement. Il y a des surprises
dans les lignes et des audaces. Mais la bataille manque
d'entrain, elle est trop jolie et les corps sont si peu
païens! Après tout, pourquoi parler de bacchantes
quand chacun songea des modèles d'ateliers, à des corps
modernes et tentants? Oh ! cette rage de dénominations
mythologiques qui nous ferait attribuer l'orteil de
M. Prudhomme au pied de Jupiter!
Bien qu'il sbit difficile, d'après une minuscule
maquette, de s'imaginer l'efï'et d'un monument tout
en • proportions colossales, nous osons admirer dès
aujourd'hui l'œuvre de M. Dalou : le moniiment Victor
Hugo, Le poète est couché sur un cénotaphe dans une
chapelle haute, en plein cintre, avec des fresques de
marbre et des groupes symboliques aux angles. Ce
projet est très décoratif : c'est du Delacroix en sculp-
ture. Au fond, un paysage épique immortalisé de
soleil. A la base des colonnes, des génies ailés sonnant
la gloire du mort. Eclat et grandeur, c'est-à-dire les
qualités suprêmes du maître et du romantisme entier.
Et maintenant, passons à de plus humbles mais aussi
à de plus chères renommées. Voici M""® Marie Cazin.
Nous aimons ces deux bustes accolés et qui semblent
détachés d'un haut relief. L'œuvre est intitulée, croyons-
nous, ■ Z^5 Z>^i«Jt? Sœurs. Elle est pénétrante et belle:-
naïveté, enfance, pudeur, simplicité, avec des sous-
entendus bibliques et lointains et des souvenirs ita-
liens modérés mais évidents. Puis, à gauche, un plâtre,
triptyque aujourd'hui, mais qui se complétera demain
et qui représente, chacun dans son panneau, les évan-
gélistes : Marc, Jean,. Mathieu. L-es trois premiers
sont symbolisés avec leurs compagnons traditionnels :
le bœuf, l'aigle, l'ange. L'œuvre est très originale d'al-
lure et de composition. L'artiste met en tout une « pri-
mitivité » charmante, recueillie et touchante. On sent
la femme dans la facture et la poésie du morceau, nous
allions dire la religieuse. -
Et maintenant les Belges : S
M. Charlier a été très remarqué des ' artistes. Sa
statue le Senieur du riial, et son groupe la. Prière
marquent sur les précédents envois du Jeune sculpteur
iin progrès sérieux. Nous aimons surtout la Pt'ièrc,
d'une religiosité concentrée, d'une pureté de sentiment
que l'artiste n'avait pas encore atteinte ju.squ'ici. ^
M. Meunier s'est imposé de vive force à l'admiration
des Parisiens, qui n'admettent pas facilement la supé-
riorité d'un étranger.
Cette fois, il a fallu reconnaître le mérite sérieux de
notre compatriote. On ne lui a pas marchandé, les
éloges. Nous n'en voulons pour preuve que l'article que
lui a consacré, dans la France, M. Octave Mirbeau, et
que nous sommes heureux de reproduire. Nous ne
pouvions mieux clôturer la série de nos appréciations
sur le Salon de Paris qu'en citant cet hommage rendu
au peintre des 3///?t'«^r5.
Voici l'article. Il contient, sur la sculpture en géné-
ral, des opinions que nous avons souvent professées :
- Ce qui m'a le plus vivement empoigné au Salon de
sculpture, c'est le Marteleur de M. Constantin Meu-
nier. Voilà une belle œuvçe, simple, grandiose et d'un
art tel que je le rêve. Ce qui m'étonne prodigieuse-
ment, c'est qu'on ait attribué à cette héroïque tigure
tÊm
f
196
V ART MODERNE
d'ouvrier une mention honorable. Car de deux choses
l'une : ou le jury admire cet art, et le Marteleiir méri-
tait la médaille d'honneur; ou il ne l'admire pas, et
alors pourquoi une mention honorable? Les opérations
et jugements du jury garderont toujours quelque chose
de mystérieux qui déroutera le raisonnement. Je pense
que M. Constantin Meunier restera indifférent à cette
récompense ; quand on pratique un art comme le sien
et de la façon qu'il le pratique, ce n'est pas les médailles,
décorations et mentions qui sont la récompense rêvée.
Ces artistes AU grand cœur voient plus haut que l'idéal
d'un boutiquier.
« La tête rase, protégée par un morceau' de cuir, la
chemise lui collant à la peau, le tablier de cuir épais lui
couvrant Te ventre et les jambes, le marteleur est
debout; la main gauche, aux doigts noueux,, s'appuie
sur la hanche; sa main droite tient une pince. Les
jambes sont emprisonnées dans des houzeaux de fer
blanc; et ces houzeaux de l'ouvrier ont je ne sais quelle
grandeur épique qui les font ressembler aux jambards
d'un gladiateur romain. Il est impossible de rêver une
plus belle carrure d'homme. La construction de ce
corps, résumée impitoyablement par les accents néces-
saires, exempte de tous détails inutiles, est admirable.
Nous ne sommes pas en présence d'une académie, nous
sommes devant la nature même. M. Constantin Meu-
nier a rencontré cet ouvrier puissant et superbe dans
le Borinage, et il l'a fait tel qu'il Ta vu et tel qu'il est.
La poitrine, sur laquelle l^ chemise plaque, a des
accents superbes qui indiquent la rude charpente du
thorax. Le dos est un peu voûté, comme celui des tra-
; vailleurs, et les omoplates saillissent dans un mouve-
ment si juste et si bien ordonné, qu'elles animent toute
la figure d'une expression de force et de souffrances
. d'héroïsme sauvage et de mélancolie rude. Voilà donc
un homme, un homme qui vit, qui agit et qui souffre.
Pour animer, comme l'a fait l'artiste, un corps humain
par ses seules lignes synthétiques, pour lui donner ces
accents inoubliables, jDar ce procédé de simplification
" savante, il faut être un maître dans l'art du dessin.
Cette mâle figure de marteleur a véritablement l'odeur
même du peuple; mais voyez la puissance de la sincé-
rité et l'absolue supériorité de la nature. M. Meunier a
su, tout en restant fidèle au modèle, lui donner un
aspect grandiose, une noblesse, une élégance — la vraie
élégance — une beauté — 'la vraie beauté. C'est dans
cette voie — dans cette voie seule — que la sculpture
peut retrouver sa grandeur ; comme la peinture, elle
doit être la reproduction de la vie, d'une époque, d'un
milieu social, d'une classe. Quand on veut représenter
le travail, il ne s'agit pas de faire une femme nue, ou
drapée méthodiquement, dont le profil se tourne vers
un instrument quelconque ; il s'agit de planter sur un
socle un ouvrier, avec son costume spécial, son ana-
tomie déformée ou exagérée par l'exercice violent et le
halètement du labeur. Mais le temps où les gouver-
nements, les ministères, les collectionneurs et les ama-
teurs comprendront ces choses, n'est pas encore venu. «
Ui\ ARTISTE COURONiVÉ
En ce siècle, la, vie des vrais artistes est misérable. Presque
tous ceux qui furent vraiment grands et vraiment novateurs
firent leur pèlerinage terrestre \\ travers les injustices, les
oulrages et les persécutions. Malhô, le héros de Flaubert, les
symbolise, dans son supplice final : la course sanglante dans les
rues de Carlhnge, sous les coups, sous les, cris de la populace
formant la luiie, et tombant enfin exténué, défiguré, pantelant,
mourant aux pieds de Salammbô, la vierge impassible et adorée,
image de l'idéal auquel la victime a tout sacrifié. '
Ce sort est le même, quelle que soit sur la pente de l'organisme
social, l'allitude où l'arlisle est gîté : citoyen ou roi. La propor-
tion des événemenis changera seule, rentourage sera différent,
les catastrophes seront plus retentissantes : la haine du vulgaire
et rintensilé du malheur seront les mêmes. De notre temps,
pour être heureux et avoir la paix, il faut être médiocre, il faut
surtout ne pas être un précurseur. L'histoire contemporaine
entière est assombrie de morts désormais illustres qui de leur
vivnnl furent des méconnus et des martyrs.
Il manquait à cette scène lugubre un échanlillon royal. La
logique implacable des lois naturelles vient de remplir ce vide en
ajoutant au cortège Louis II de Bavière. ■ . ^ -i __
Un fou ! Oui, comme tant d'autres à qui l'on jette celle injure
pour faire accroire que la foule bourgeoise n'est composée que
de sages. C'est la plate légende du prosaïsme. Mais, pour qui-
conque a l'horreur de la banalité, il s'agit d'un héros. Le prince
qui, encore adolescent, sut, avant tous ses contemporains,
deviner AVagner, et plutôt que de s'occuper de canons et de cour-
tisanes, seul contre tous soutint, mit rn pleine lumière et fit épa-
nouir en son amplitude démesurée le plus grand génie musical de
tous les tcmpè, se relèvera dans la mémoire des hommes de
l'avilissement où on le plonge à l'heure présente, et de tous les
souverains de son époque apparaîtra le plus glorieux.
Sans lui, qu'eût été Wagner? Rien, peut-être. Comment eût-il
vécu? Dans la misère, assurément.
Et penser que c'est parce que les gôûls puissants qui lui
donnèrent cette devinalion se manifestaient avec l'excentricilé
inséparable des qualités héroïques, qu'on l'a ignominieusement
renversé pour une question de dettes, alors que s'il eût été
prince de Galles rongé par l'usure pour payer des filles, ou
prince royal de Prusse ruiné pour payer des soldats, une sou-
scription nationale l'aurait en une semaine libéré et remis à flot
au milieu de la joie universelle.
Fou ! parce que les arts ont dévoré sa liste civile. Allons donc !
Assoiffé d'art. — Fou ! parce qu'il s'est tué. Allons donc ! Déses-
péré de n'être pas compris. . " .
Ecoutez ce que vient de dire Schleiss, son médecin ordi-
naire : ' -
« Le roi avait seulement ses excentricités. Peut-on insinuer
que c'était « la folie ! » Que l'on interroge les nombreux artistes,
avec lesquels il s'est trouvé en communication tout récemment
V .-■■: ^:i!¥i:^'-^f-^'-IM^
M\m
L'ART MODERNE
197
encore, les architectes, les fabricants d'objets d'arl, les erilrepre-
neurs, qu'on leur demande si le roi 3lait atteint d'aliénation men-
tale, et l'on entendra leurs réponses : on saura qu'ils étaient sur-
pris du goût délicat et de l'cntcnle .des choses artistiques du
souverain, de son esprit distingué, de sa connaissance profonde
des questions d'art, de l'ingéniosité de ses plans. »
Des excentricités. Oui. Mais au. milieu des ambitions de cour,
des vilenies politiques, des intrigues, des vices qui veulent qu'on
s'occupe d'eux et non de l'art,, pareilles excentricités c'est la
folie! C'est la folie furieuse!! Aussi l'a-t-on traité comme un fou
furieux. EcOulez-encore. C'est toujours Schleiss qui parle :
«On avait disposé ses appartements comme pour un fou
furieux. Les fenêtres avait ni dos barreaux; on avait muré une
partie du parc, on en avait dérobé la vue avec des armoires. Tout
avait été organisé d'après le mode adopié dans les maisons de
fous. Le roi n'avait que deux chambres : une chambre à coucher
et une autre pièce; la salle U manger avait été transformée en
cabinet pour le docteur Grachey, un des aliénistos. »
Du temps de Jésus, roi des Juifs, on l'eût crucifié, ce roi des
Bavarois, ce Prince Pâle^ comme on le nommait par anlij)hrase
du Prince Noir, ce dément qui, les jour*^ de bals officiels s'échap-
pait, montait à cheval et se réfugiait chez sa vieille nourrice dans
les montagnes, et dont Catulle Mondes, dans son Roi Vierge, a
écrit qu'il avait l'air d'un très jeune Hamlet U qui Shakespeare
aurait donné un rôle dans une pièce intitulée : le Songe d'un
malin dliiver. . *
Ce beau livre est plein d'images louchantes, de récits pathé-
tiques, et aussi de prophéties navrantes sur le sort de ce fiancé de
la musique, qui ne connut guère d'autre amour et qui, un jour
qu'il écoulait le chant du Solitaire, le mystérieux rossignol dos
Alpes, disait à un courtisan dont la venue avait fait taire l'oiseau :
« Toutes les paroles qui furent proférées depuis le babil du pre-
mier né sous les lèvres de la première mère, ne valent pas le
chant de l'oiseau que vous avez fait envoler! ».
Et il ajouta : — __— ^-^ __^ — ^_ ^^ — 1___.^ —
Je veux fuir. Loin de ma ville, loin de ma cour, loin des res-
pects qui m'écœurent et des intrigues qui me gênent, loin de tous
ceux qui me possôdeni parce que je suis leur, maître! Je romprai
mes chaînes, et les leurs. Le Irône est un siège de torture où je
ne veux plus être assis. Comme Wulter de la Vogelvveide, j'ai
l'ûme d'un oiseaii dans un corps sans ailes. A la pesanteur d'ê re
homme, je n'ajouterai plus la gravité d'être roi. Il faut que je
m'échappe et disparaisse ! Il y a bien, sur une rive inconnue,
quelque pûle solitude encore où cacher à tous les yeux la honte
et le regret de vivre. Je veux être parmi les humains le souvenir
de quelqu'un qui a passé pour ne jamais revenir.
Ame de poète trop haute et trop pure pour être celle d'un roi.
El comme un de ses proches le raillait de sa passion pour les-
Niebelungen, il disait, en souriant :
Nous sommes tous quelque peu fous dans notre race, cl, des
trois ou quatre insensés qui ont une apparence de droit à régner
sur la Bavière, je suis encore le moins extravagant, puisque je
me borne à la belle fantaisie de me vêtir en héros ou en Dieu et
au souriant caprice d'écouler, quand je ne puis entendre la divine
musique de Wagner, les paroles chantantes des oiseaux.
Mondés, sous le voile transparent de son ingénieux roman,
raconte des épisodes de sa jeunesse. C'était un enfant bizarre,
qui s'en allait jouer les Karl Moor elles Schinderhannes sur les
grand'roules, en veste couleur de feu. Un enfant mélancolique,
qui se tenait h l'écart, pensif, aycc l'air de vouloir se garer dt3 la
vie. Il y avait dans la limidi é furtivc de ses gestes, dans l'atljr
lude presque toujours détournée de sa tête, dans le regard de ses
yeux vagues, qui tout à coup se formaient comme éblouis d'un
jour trop vif, un désir poignant d'éloignement, de disparition.
Où qu'il fût, il éprouvait le besoin farouche d'être ailleurs. Pareil
à quelqu'un qui arrive de très loin, il avait, au milieu de toutes
choses, l'air inquiet d'un étranger.
Ce qu'il éprouvail c'était le sentiment d'une vacuité profonde,
et la tristesse de ce néant. Son ûme était comme ces paysages où
rien n'apparaît ni ne chante et qui semblent vides, à cause de la'
nuit ; mais ils ne sont qu'obscurs, et il suflit que l'aube se lève
pour qu'ils se révèlent, tout \orls de fraiches fouilles ou tput
jaunes de blés mûrs, avec leurs rivières que secoue en mousses
déneige la roue bavarde du moulin, avec leurs chaumes d'or qui
s'allument sous un gazouillis reveillé d'oiseaux, au penchant bru-
meux des collines! ,
Plus loin, le délicat et profond écrivain fait le récit de l'épisode
qui à jamais donna au Pioi Vierge sa n-pugnance pour !a
femme. C'élail un jour de promenade, au bord d'un lac, horde de
roseaux hauts et touff'us. Il v entend remuer. Il regarde. H
demeure stupide, les prunelles élargies, la bouche béante, avec
l'air de quelqu'un (jui coiitem])le l'horreur d'un gouffre.
Ce qu'il avait vu, c'élail une fille de village, grasse, suan'e
et débraillée, sa jupe de colonnade en l'air, se livrant k un
robuste garçon qui lui tenait les épaules entre ses grosses mains.
En quelques minutes de contemplation effrayée, ij avait, tout
gonflé d'un immense dégoût, appris les vils mystères des sexes
et la hidcur sale de l'accouplement. - .
Quoi! telle était la femme, et tel était l'amour? C'était à
celte chose immonde qu'aboutissaient enfin les rêves et les ten-
dresses? Derrière les sourires des vierges, el leur pudeur rougis-
sante, derrière les hardis dévouements dos jeunes hommes
épris, il y avait cette ordure! Cotait à cette boue que condui-
saient les pentes du Paradis! Tous, les chastes guerrières el les
beaux chevaliers, les fiancées qui baisent une^ petite fl< ur pen-
dant que les fiancés, partis pour quelque voyage, leur écrivent h
la hiour d3 l'éloile choisie, el les fées dos poèmes^el les princesses
des tragédies, devant qui s'agenouillent les ObiM-ons et les Xiplia-
rès, tous, ces déesses, ces dieux, ces angrs finissaient par être
les porcs de la même auge !
Il se révolta contre celle idée. Il n'était pas |)Ossible que la
sublimité des songes fût doublée, en tout temps, en tous lieux,
chez tout être vivant, de cet accouplement ignoble. Il ne
croyait pas, il ne voulait pas croire que l'élan de la passion
vers l'idéal ne tendait qu'à celte réalisa' ion basse el laide.
Quoi ! C'était ôela que Roméo demandait k Juliette? Ce que
Saint-Preux attendait de Julie, ce que Virginie aurait donné à
Paul si elle n'était pas morte sur la grève, ce que Claire ne refj-
saitpas à Egmonl, c'était cela, c'était cela! 0 déchéance! 0 tur-
pitude!
Et alors vint aussi le dégoût de la royauté.
Roi ! lui ! roi des hommes et des femmes ! Non seulement il
faudrait qu'il restât parmi ceux qui se vautrent dans la bt.ssesse
dos sens, mais il faudrait qu'il fût leur chef! Il serait l'un deS
maîtres de celle humanilé qui lui apparaissait désormais comme
un grouillement obscène de fornicateurs "el de prostituées ! On
prétendait faire de lui le bouc do ce troupeau, le taureau de celte
éiable, l'élalon de ce haras! Qu'était-ce qu'un roi? Le Rutficn
couronné d'une. immonde maison publique. H fuyait, plein de
dégoût. I
Dans colle vie dCsencharttéc surgit un jour Wagner. Voici Ifl
porlrail qu'en faii Mendùs. Oli! combien vrai pour quiconque l'a
connu !
■Cet homme, petit, maigre, étroitement enveloppé d'une
longue redingote^ drap marron ; et tout ce corps grêle, quoique
très robuste peut-être — l'air d'un paqyel de ressorts — avait le
-tremblement presque convulsif d'une femme qui a ses nerfs;
mais le visage, quand il n'était pas déformé par la grimace de la
. colère, avait une mnguifiquc expression de haiitour et de séré-
nité. Tandis que la bouche, aux lèvres très minces et pâles,
à peine visibles, se lord;iit dans un pli méchant, le beau fronl,
> vaste Gl pur, uni entre d<;s choveux^ très daax, dtVjà, grisonnants,
qui fuyaieni, gardait la paix inaltérable d'on ne sait quelle
immense pensée, et il y avait dans la transparence ingénue des
yeux — • dos yeux pareils à ceux d'un enfant ou d'une vierge —
toute la belle candeur d'un rêve inviolé.
Si solitaire qu'il eut vécu, la renommée de cet homme était
arrivée jusqu'à u-Hoi. Quoi! il venait de voir cet être fantasque et
prodigieux, exalté et rabaissé, adoré et haï, qui, h force de génie
et d'audace, avait secoué la léthargie allemande, avait imposé au
plus tlegmatiqué l'enthousiasme ou la colère, ce révolutionnaire
qui s'était jeté -d travers l'art, rompant les vieilles règles, ruinant
les fausses gloires et violant l'antique musique pour engendrer
en elle le drame vivant et palpitant, enfin Richard Wagner, ce
fou, Richard Wagner, ce Dieu!
Et alors naît, grandit, jusqu'aux proportions démesurées, cette
passion pour la musique qui rendra Louis II immortel.
La musique seule, pouvait satisfaire cette âme pour qui toute
réalité était un objet de dégoût. La peinture et la sculpture, par
la couleur et la forme, expriment la vie; elles devaient donc
être, à Louis II, aussi odieuses que la vie elle-même. La poésie
chante, mais elle parle; si magnifiquement spirituelle qu'on la
conçoive,, elle montre, grâce au relief, des images et à la préci-
sion du verbe, la beauté des choses intellectuelles ou physiques.
Mais la musique ne dit rien d'une façon définie; elle.est comme
un bégaiement divin, qui ne peut pas devenir parole ; elle s'ef-
force toujours vers un idéal, qu'elle ne saisit jamais, comme
quoiqu'un qui marcherait toujours et jamais dans l'humanité,
de sorte qu'elle était délicieusement et désespérément l'expres-
sion même do toute l'âme de Louis II, l'ineffable désir obstiné
de l'impossible ne pouvant être formulé que par un perpétuel
inachèvement. .
A peine couronné, il se précipita' dans la solitude et dans la
musique, comme un désespéré qui s'enferme. Vainement, sa mère,
qui possédait une vaste ambition, voulut mêler son fils aux choses
politiques, l'initier aux subtilités de la diplomatie ; il ne compre-
nait pas, n'écoulait pas, s'effarait.
Car, en se résignant à la royauté, il n'avait eu d'autre but
que de faire triompher l'art nouveau qui s'était révélé à lui, et le
créateur de cet art. Il fit venir Wagner à Munich, l'enrichit, l'ho-
nora, l'adora. Le roi, ce n'était pas Louis, c'était Wagner. Le
peuple obéissait au prince, le prince obéissait à l'artiste; le
sceptre de Bavière était au bâton du chef d'orchestre.
Et Louis s'épanouissait dans une extase continue. Dans les
paradis artificiels de son chimérique palais, il passait de longues
joi^rnées — pendant que ses ministres se consultaient, humiliés
— à épeler Ics^ parlilions du maître, à entendre sortir, de la con- 1
fusion noire et blanche des notes, les tout-puissants accords et
les souveraines mélodies. Le théâtre de sa capitale fut l'une des
plus illustres scènes de l'Allemagne; tous les chanteurs, toutes
les canlatrices eh renom étaient engagés, venaient chanter, les
œuvres de Wagner, et lui Louis, au fond d'une loge, seul dans
toute la salle, — car, fréquemment, personne n'élait admis à ces
représentations dont le roi se réservait j'alousement la joie, — il
absorbait par tous ses sens, nerveusement et délicieusement
affmés', l'ivresse miraculeuse des sons où planaient ses rêveries
avec des ailes d'anj^es!
Mondes rappoHc' pourtant l'épisode célèbre de l'amour de
Louis II pour l'impératrice Eugénie.
Celle seule chose, — après quelques années, de règne, — ■ le
détourna, paraît-il, de sa passion unique; la musique, dans son
âme, faillit avoir une rivale. Ce fut quand il alla à Paris, —
l'étiquelte royale l'exigeait, -^ pour assister aux fêtes d'inau-
guration de l'exposition universelle. Il vit la reine de cette
cour, et demeura ébloui. Blonde et si blanche, — et souve-
raine d'un immense empire, — elle lui apparut comme un être
vague, insaisissable, différente de toutes les femmes! Si elle
avait été l'âme de celles qui, par la familiarité du sang, permet-
tent l'approche, autorisent l'espoir, il l'aurait à peine vue, ou se
serait détourné d'elle avec dédain ; mais même pour lui, roi, elle
était si loin, si haut, qu'elle lui semblait idéale, il pouvait la
mêler à ses chimères, parce qu'elle leur ressemblait; et à cause
de l'impossibilité d'être aimé d'elle, il en devint amoureux. D'ail-
leurs il ne conçut même pas le désir de demeurer près d'elle, et,
quand il ne la vil plus, de la revoir; toute proche, elle fut deve-
nue, elle aussi, la réalité maussade ou vile. Ce qu'il aimait d'elle,
c'étail la pensée qu'il en avait gardée.
Mais bientôt Louis II retourna à sa passion dominante. Là femme
redevint pour lui l'être impur, et k cette aversion se mêla peu
à pou l'idée, Je désir de là mort qui devait mystérieusement l'ab-
sorber dans l'inconnu au milieu des eaux lorpides du lac de
S ra r n bc rg . ^__i__i_ii-. J^ '■ — - -^. — ■- — '■ ^^ — ""
Les femmes, pensait-il, sont le péché et la honte. Celles qui
ordonnent comme celles qui supplient. Infâmes, toutes! Le sexe
est la plaie purulente des êtres. Même vivants, les corps sont
plein de. grouillements de vers. Le baiser n'est que la fleur de la
pourriture! Qu'elles meurent toutes, celles qui veulent qu'o^
aime! Lui aussi, mourir... sortir do la vie, secouer toute celle
boue... Mais dans l'agonie même l'ignominie humaine persiste.
L'homme crève comme un animal. Oh! s'éteindre comme un
dieu, dans la joie de sentir sa chair martyrisée, dans L'orgueil
de châtier son corps coupable, puis .renaître, libre des sales
entraves, parmi les puretés impalpables du rêve, — flamme,
lumière esprit^ ' °. .
Ce vœu de l'étrange et fantastique rêveur est désormais accom-
pii. Et sa mort reste d'accord avec sa vie, le vulgaire se moque
et outrage. Seuls les vrais artistes le comprennent el le pleurent.
"■~\
■ wLB CHRIST DEVANT PILATB
Le « célèbre tableau » de Munkacsy, comme le qualifient les
afiiches, est exposé depuis quelques jours à la vénération de la
foule, au Palais des Beaux-Arts. L'exhibition ne paraît pas ren-
contrer la faveur publi(iue, et les journaux ne se gênent pas
pour dire tout net leur façon de penser sur Tart théâtral, conven-
-^
m
tiohnel, archi-fàux, du peintre hongrois. H y a quelques ann<?es,
l'arrivée à Bruxelles de celle grande toile eût l'ait pousser des
clameurs laudalives. La campngne que nous n'avons cessé de
poursuivre en faveur des idées nouvelles comniencerail-elle à
porter ses fruits? Il va, le fait ei?t acquis, un revirement signifi-
catif de l'opinion.
Pous nous, nous n'avons rien h ajouter h l'article que nous
avons consaeré à la grande composition de M. Munkaçsy lors-
qu'elle fut exposée pour la première fois. Celait en mai 1881, h
Paris, dans la Galerie Sedelmcver. ^
Nous disions entre autres :
« Le défaut capital du Christ devant Pilate est que la com-
position manque d'unité. Le Christ et Pilate, traités avec un soin
égal, vêtus de blanc tous deux, éclairés avec la même inlcnsilé,
placés au même plan, se partagent l'intérêt. Ils sont chacun le
centre d'un groupe, disposé avec art, mais qui forme h lui sei 1
un tableau. Ces deux groupes sont reliés par l'accusateur, dont
le geste un peu théâtral attire tout d'abord les regards ; de sorte
que ce personnage, amoureusement caressé par l'arlisle el qui
constitue un des meilleurs morceaux de l'œuvre, devient la figure
principale, alors que le Christ, qui logiquement devrait avant
tout fixer l'attention, passe au second plan. Ce qui contribue
encore à amener ce résultat, c'est que Jésus n'a en lui-même ni
grandeur, ni résignation ; l'expression du visage est mal définie et
manque d'intérêt. Chose singulière, c'est de toute celle immense
toile la partie la moins faite : il n'y a dans ce corps blanc, posé
sur un fond noir, ni relief, ni modelé : c'est une figure découpée,
dans une feuille de carton (*).
lES DROITS D'AUTEl'R AU THÉIIBE DE LA NOIAIË
■ Les journaux de Paris, disait dernièrement V Indépendance, ont
parlé d'un dissentiment qui se sérail élevé entre MM.. Dupont
et Lapissida el la Société des auteurs dramatiques, à propos
des droits d'auteurs. Un journal avait même annoncé à ce pro-
pos que la Société réclamait des nouveaux directeurs du théâtre
de la Monnaie un droit fixe de 300 francs par représentation.
Cette information était absolument inexacte. Il n'en est pas
moins vrai qu'on a discuté assez longuement sur les conditions
du contrat que les nouveaux directeurs avaient h signer avec la
Société des auteurs pour s'assurer le répertoire de celle-ci. Il a
été convetHu qu'au système des droits fixes serait substitué le sys-
tème des droits proportionnels. Ce droit proportionnel avait été
d'abord fixé à 6 p. %. Mais, sur l'observation de M. Dupont, que
la situation actuelle du théâtre de la Monnaie était très difficile,,
des concessions ont été faites. En résumé, après délibération, les
directeurs ont signé un traité de trois ans qui fixe les droits d'au-'
leur à 4 l/!2 p. «/ola promière année, o p. «'/o la seconde el 3 1,2
p. "/o la troisième sur la recette brute. 31. Camille Doucet, repré-
sentant de la Société, a insisté sur la très grande bienveillance
de la commission pour les nouveaux directeurs, en abaissant â
4 ^/2 p. °/o le taux proportionnel qui est à 6 p. "/o dans toutes
les villes de France. Il a même cité comme exemple le Grand-
Théâtre de Lille, qui, actuellement dans une situation ditlicile,
paie 6 p. °/o de droits d'auteur et est de plus frappé d'un droit
des pauvres considérable qui n'existe pas en Belgique. » '-
(*) V. l'Art tnoderne, li^" année, 1881, p. 117.
Ces renseignements ne sauraient avoir de signification pour le
^ public que sKon les traduit en chiffres et si on les compare aa
régime antérieur.
Voici cette opération d'arithmétique :
Les droits d'auteur, comme nous l'avons dit dans nos articles
sur la matière, ont été en 1884-1885 de 32,000 francs, à raison
de 150 francs en moyenne par représentation.
'Les recettes k abonnements, locations, bureaux, représenta-
tions diverses, avaient atteint 682,767.
Les droits d'auteur représentaient donc pour cette année
4.70 p. o/o.
Il en résulte que si pour la première année de MM. Dupont et
Lapissida, ils n'étaient que de 4.50, ces messieurs ne gagneraient
au chinge que vingt centimes pour cent! Bénéfice global :
1,300 francs!! • .
L'année suivante ils seraient de 5 p.**/©. Augmentation de
30 centimes. Avec ce taux, et en supp'^sunl une recette analogue
à celle de 1884-1885, la direction aurait à payer au total 34,000
francs, soit 2,000 francs de plus.
La troisième année, à 5.50, ce serait 37,300, soit 5,500 de
plus. . .
Elquandonarriveraitaux6p. »/od'usage,cescrait4i,000 francs,
soit 9,000 francs de plus.
Ces rcnsiMgnenifcnts étaient \nG\BCis. L'Indépendante \es a
rectifiés. Elle annonce que MM. Dupont el Lapissida n'ont pas
accepté les propositions. Ils insistent, paraît-il, pour obtenir une.
nouvelle réduction sur le tanlième par représentation. Ils font
observer qu'un droit de 4 1/2 à 5 p. c. pour de vieux ouvrages
tels (\i\e.le Barbier, par exemple, constitue un droit très élevé.
Ils ne demandent pas mieux que de payer un tantième équitable
pour les'œuvres nouvelles qui exercent une attraction réelle sur
le public. , ' v" ; ' - ^ • :
En outre, les directeurs de la Monnaie désireraient que la
Société consentît à signer un contrat de trois, six, neuf, afin que
les conditions ne pussent êire aggravées à l'expiration de la pre-
mière période de leur exploitation. Le chiffre do 4 .p. % leur
■ paraît être le maximum de ce que la Société dos auteurs peut
exiger d'un théâtre qui est, après tout, un théâtre étranger à la
France. . ^ _ -
La Société n'a pas, jusqu'à présent, accepté les propositions
de MM. Dupont el Lapissida. >^
L'affaire en est là.
On ne peut qu'engager la direction à maintenir ses réclama-
lions. Le théâtre a besoin d'être aidé, el partout ce sont des
réductions et des secours qu'il lui faut.
LE CDEM1\ DE FER MÉTROPOLITAIN' A BRGIELLES
On piirle de grever Bruxelles d'un chemin de i'er mélropojitain.
0 manie de l'imitation quand serons-nous débarrassés de toi !
Il y a à Bruxelles en tramways tout ce qu'on peut désirer. Quel
besoin d'établir celle nouvelle concurrence?
Mais ce qui nous touche surtout, c'est que cette nouvelle entre-
prise menace de gâter un pou plus qu'il ne l'est tJiéyà notre pay-
sage urbain, si pittoresque, si plein d'imprévu si on eût su le
respecter, ,• < . ,
Voici«ritinéraire tel qu'on l'annonce :
La ligne prend naissance à la bifurcation d"bsla vallée de Josa-
' \
phat {({[l'en resle-l-il, hélas! de celle ravissante reiraiie?), sur le
cluMniii (je ceiiiliirc ni*uxcIlcs-Nor(l.
Kilo passe îi ciel ouveri tj iravers les lerrains ï\ l)âtir de Sclurei'-
\nH'k \your eiilrer en luiinel sous la ciiaussée de Haechl, au carre-
four des rues Hubens elVerwce.
Elle suil, ôiisoulerrain, la chaussée de Ilaechl, la rue du Méri-
. (lien et la place Quelclel jusque sous le bâlimenl de l'Observa-^
'' loire. ■ .,- ■..
Elle passe, h ciel ouveri, sur tout le parcours du jardin de
rOb>ervatoire pour continuer en tunnel sous la rue des Cultes, la
place de là Libérien la rue de rEnseignement, la place de Lou-
vain, la rue Hoyale, la place Hoyale, la rue de la Récjence, la
place Poolaerl, la rue des Qualre-Bras et sous l'avenue Louise
jiis(|u'îi la hauteur de la rue des Pâquerettes.
A piirlir de cel endroit, la liûtne se dirige h ciel ouveri sur
Hoilsfort, en côtovant le bois de la Cambre, et la chaussée de
WatM'loo. .
A l'inlerseclion de la route de Boilsfort et de l'avenue des
Gen larmes, la ligne plongcdans la forêt de Soignes pourrepasser,
en viaduc, sous la route de Boilsfort, à proximité de l'Hippo-
drome, desserv'ir le hameau de Boeiulael et faire sa jonction avec
la ligne du Luxembourg, en deç'a de la slation de Boilsfort.
In branchemenl desservant Vivicr-d'Oie se détache de la ligne
décrite h l'endroit où celle-ci plonge dans la forêt de Soignes.
Ain>i, il s'agit : de déiruire le jardin de l'Observatoire, cette
oasis, de profaner le bois de la Cambre et la forêt de Soignes par
les hideuses balafres des remblais et des tranchées.
>'ous prolestons avec énergie.
Nous espérons que M. Buis, qui a un si juste sentiment du
rcppecl dû aux choses existâmes él qui comprend. que ce qu'on
petit faire de nvieux c'est de les maintenir en les accommodant
de manière à mieux les faire saillir, ne donnera pas dans le pan-
neau de celle ridicule et inutile entreprise. „
Qii'^» améliore ce que nous avons, qu'on embellisse les voies
aciuelk's (jui relient la ville à nos charmants environs, qu'on les
nelloie des décombres qui les salissenl, qu'on rende plus riants
le;irs abor.ls. Mais pour l'amour de l'Art, qu'on nous sauve de
celte rage de transformations industrielles banales et bêlement
. g(''Omélii(iues. ;■ . .
"Petite^ chrojmiquje:
Les Moines, le nouveau volume de vers de noire collaboraleur
Emile Verlnieien, vient de paraître chez Alphonse Lemerre,
h Paris. Il forme un volume de iOO pages in-12 et est dédié au
poêle Georges Kîmoptf.
A huitaine le compte-rendu ,: ,
L'inaugural ion du monument élevé îi la mémoire d'Hippolyte
Meldepehniiig.m aura lieu aujourd'hui dimanche, à onze heures
précises du matin, dans le Square du Palais de Justice, à
Gand. ;
La sla'ue de l'éminent jurisconsulte est due à M. Juliaan
Dillens. C'est, dit-on, une œuvre remarquable, digne du jeune
sculpteur h qui elle a éié confiée, et de l'homme dont elle per-
pétue les traits.
VElanlilléraire, la revue universitaire liégeoise dont nous
avons eu ï'o;'casion de parler quelquefois, fait peau neuve. Sous
lelilre: /rt IVaUOnie, elle' paraîl eh livraisons mensuelles de
32 pages, et annonce la publication de plusieurs dessins hors
lexie.
Le Comité de rédaction est composé, de MM. Albert Mockel,
Gustave Uahlenbeck, Maurice Siville. Le prix d'abonnement est
d3 5 francs par an pour la Belgique, de fr. 6-0O pour l'élranger.
Les bureaux : rue Saint-Adalbert, 8, à Liège. Toute notre sympa-
thie est acquise à la Wallonie. . .
Mariages d'artistes : Le i""" juin, M. Jan Toorop, des XX, a
épausé îi Kenley, près Londres, M"*-' Anny Hall. Le même jour
on célébrait l\ l'église de la Chapelle, à Bruxelles, le mariage de
M. Léon Dubois, de V Union des jeunes compositeurs, avec
M"*' Siegerist. On annonce, pour le 30 juillet, le mariage de
M. Ernest Van Dyck, le ténor des Concerls Lamoureux et des Con-
cei-ts populaires, avec M"" Augusla Servais, sœur de Franz Ser-
vais et du regretté Josqih Serv'ais
Un de nos confrères parisiens, le Progrès arlislique, a fart le
relevé des rues de Paris auxquelles l'édiliié communale a donné
.ou conservé les noms de musiciens célèbres. Le nombre n'en est
pas grand, une trentaine tout au plus.
Dans le IX»^ arrondissement, les rues Auber, Gluck, Halévy,
Meyerbeer, situées près du grand Opéra ; la rue Rossini, près de
l'emplacement de l'ancienne salle Le Peletier, et la rue Choron,
non loin du marché Maubeugc.
' Dans le II'-' arroudissemenl, quartier de la Bourse, les rués Ché-
rubini, TDalayrac, Grétry, Méhul, Monsigny, Rameau, la place
Boieldieu et la rue Lulli.
Dans le XVP arrondissement, les rues Mozart, Berton, Bellini,
Berlioz, Beethoven, Cimarosa, Donizelti, Félicien David, Nicole,
Pergo'.èse, Piccini, Spontini et Weber.
Dans le l\^ arrondissement, la rue Adolphe Adam; dans le
P": arrjondissement, la rue Hérold, et enfin dans le quartier de
l'avenue de Villiers, la rue Gounod.
Dans l'agglomération bruxelloise, pareille recherche donne
également un résultat peu important.
La Ville se borne h honorer par des désignalions de voies
publiques Grétry et les auteurs delà Brabançonne : Van Campen-
hout et Jenneval.
Saint-Josse-ten-Noode a sa rue de Bériot, Ixelles sa rue Mali-
bran, Ellerbeek sa rue Félis.
Anderlecht a plus généreusement fait unô part au mérite musi-
cal. On y trouve les rues Auber, Gossec, Gevaert, Grisar, Limnan-
der et Rossini.
En somme, les noms de musiciens sont fort peu prodigués
dans l'agglomération. Et cepandant la liste des célébriiés musi-
cales fournil aux administrateurs des communes une belle occa-
sion de rendre hommage au talent et d'échapper à la eorvée de.
chercher des noms de rues dépourvus de signification et parfois
assez saugrenus.
- : - — ■ {Echo musical.)
Bruxelles. — Iiijp. Félix Çalle'A'aert père. — V' Monnom successeur, rue de l'Industrie, 26.
,-' j'y -.','?';'•• ■S.Srf-.l, ':r.'W ;>««
ftÉPAUATIO?» JUDICIAIRE
Cour d'appel, séant à Bruxelles. Chambre des appels
de police correctionnelle. '
En cause du Ministère public et i^ Hrlaine, rue ilo Lancry. 22;
2» Bas.serp:au, rue Saint-Martin, 240; ^^ LxTiuÉ, rue du Crois-
sant, 20; 4*^' Tralix, rue du Croissant, 5'; 5° Bruant, rue Fiat, 48;
()« Eveillard, boulevard Saint-Martin, 35; Le Bailly, rue Cardi-
nale, G; 8^ Bigot, rue du Temple, 157; 9'^' Berger et C'^, rue*d"En-
gbien, 47; tous à Paris, éditeurs et membres de l'Association des
éditeurs de musique; dont le président est le sieur Le Baiï:ly et le
représentant à Bruxelles le sieur Auguste Herx, gérant de la maison
Gra^z, rue de la Bourse, 2, à Bruxelles — parties civiles.
Appelants et intimés. Le Ministère public n'est pas appelant
quant au riuatï^ièmc prévemi — tous x'cprésentés par Me Duvivier,
avoué, à Bruxelles. • ,;
- Gon'tre :
!« Balencourt, typographe; 2"^ Landucci, commerçant-; 3"^ Lan-
puGci, éditeur; 4'* Àvoxdstont, typographe; 5*^ SMkestrrs, impri-
meur; 0° Serp:s, imprimeur; 7» Sannes, typographe; tous résidents
à Bruxelles, intimés et les l^r, 2^-, 3«, ye, 6«, 7e appelants,
La Cour rend l'arrêt suivant : ' -
Vu l'appel interjeté par les parties civiles; vu l'es appels interjetés
le 24 octobre 1885, par les 2«, 3«. 5^ Ce, 7« prévenus et le 28 du
même mois, par le Ministère public et par le premier prévenu du
jugement rendu le 24 octobre 1885, par le tribunal de 1'"^ instance de
l'arrondissement de Bruxelles, lequel, jugeant en matière de police
correctionnelle, se déclare compétent, condamne lesdits Balencourt,
\ Landucci, J.-J., Smèester.s, Seres cI.Sannes, cliacun à 20 francs
d'amende ; Landucci, J.-R. et Avondstont, chacun à 1(J francs
. d'amende ;. les condamne chacun à un septième des frais envers la
partie publique liquidés en totalité à quinze francs soixante centimes ;
Les condamne à payer à la partie civile, à titre de dommages-inté-
rêts : " • ., , ' '
1'^ Balencourt, cent francs;
'2^' Landucci fils, cinquante francs; " >. ' .' . .; ' ,' .
3*^ Landucci père, cinquante francs ; / : *"' ,'.
- 40 Avondstont, vingt-cinq francs;" :•.■:'./ '■:.;"
. S'^ S.MEE.STERS, cinquante francs;
G'^ SerivS,' cinquante francs ;
~ 7° Sanne.-=:, vingt-cinq francs ; __I^ •
Ordonne l'insertion -du présent juirement dans un journal au choix
de la partto civile et ce dans les vingt-quatre- heures do la significa-
tion du présent juge,ment ;
Dit que les frais d'insertion qui ne jiourront d^^passer la somme do
trois cents francs, seront récupérables contre les prévenus sur
. simple quittante, dans les proportions suivantes: un tiers à charge
du premier; un sixième à charge du deuxième ; un sixième à cliargo-
du troisième; un douzième à charge do chacun des quatre dorniers ;
Condamne les préveiuis, chacun dans les mêmes proj)orti(nis. aux
. frais envers la partie civile taxés à vingt-un francs soixante-quinze
centimes ;
Dit qu a défaut Je paiement dans le délai légal chaque amende de
vingt-six francs pourra être remplacée par un emprisonnement de
huit jours ; celles de dix francs par trois jours ;
Ordonne, en outre, la confiscation au profil de la partie civile de
tous les exemplaires saisis, des planches, moules ou matrices des
objets contrefaits ; ^^
Peur avoir, à Bruxelles ou ailleurs daus l'arrondissement, en 1885
^ ou antérieurement, depuis moins île trois ans, soit édité, soit ilebite
des écrits ou autres productions imprimées et notamment les chan-
sonnettes intitulées : Vcrsc-i>ioi du Jiourgof/ne, Le refrain de
Ni)u»i, La chanson des blés d'or, Les cieu.r étaient bleus. Le jijur
de l'an du paurre. Vendue, Le portrait de Marguerite, Le rossij>iul
n'a pas encore cha>ité, Buvo)i^ à la gloire. Le vendu. Le facteur
des aniou)'s. Je vous ai vu pleurer. Cclina, Les pretnières cerises.
J'enterre ma vie de garçon. Il }ie faut pas m'en vouloir pou)' ';a.
Viens dans ma nacelle. Le Jupon de Madelo>i, et ce au méj)ris des
lois et règlements relatifs ù la propriété des auteurs.
Oui le rapport lait ù l'audience publique du 8 février 188G par M le
■ conseiller du Pont ;
Entendu Me Octave Maus, avocat, pour les parties civiles et vu
ses couclusious prises au nom de ces parties ; "-
. Entendu M. Laurent, avocat général, en ses réquisitions ; ^
Entendu les prévenus en leurs moyens de défense présentés tAnt
par eux-mêmes que par l'organe de leurs conseils M*"- î^ul7.her.o^:r
pour Balencourt; >!« Lerot i)Our Landucci père et fils Serres et
Sannes, et M'' Philippart pour tons les prévenus;
Attendu, en ce qui concerne le quatrième prévenu, que la Cour n'est
saisie que de l'appel de la partie civile; • . *. '
Attendu que si le législateur a accordé des.privilèges aux délits de'
presse, c'est uniquement pour éviter que la liberté dé manifester sa
pensée soit illusoire (Laurent, page 28j ; que les délits reprochés aux
prévenus ne se rattachent en rien rà la manifestation de la pensée et
que ce serait interpréter illogiquement l'art. 08 de la Constitution
que (le décider qu'il protège des délits purement matériels tels que
ceux de l'espèce ;
Attendu que le dépôt -le plus ancien dont il est argumenté par la
partie civile est le dépôt effectué le 29 juill^87Û pour la chanson
intitulée Vendue; '
Qu'il s<^it des termes de la convention du 7 janvier 18^jO (Pasi-
no/n/c 18G9. page 5), et-des arrêtés des 26 février et 0 mars suivants
(idem., pages 30 et 41) que les formalités du- dépôt et de Tenregis-
trement stipulées par les art 3 et 6 de la convention du l'-"" mai 18G1
ont été supprimées le 7 janvier 1860;
Que c'est donc à tort que Serres, dans ses conclusions prises
devant le premier juge, invoque l'art. 2 de la convention du
22 août 1852 remplacé dans la suite par" l'art. 3 de celle du
ier mai 1861 ; . .
Attendu qu'il résulte des dispositions de l'art. 3 de la convention
conclue le 31 octobre 1881 entre la Belgique et la France, convention
approuvée par la loi du 13- mai 1882, que ce n'est que lorsque l'on
veut exercer des poursuites contre les contrefacteurs que l'on .do^t
produire un certificat légalisé pour justifier du droit'de propriété;
(t'où il suit que la législation peut n'être réclamée que postérieure-
ment à la contrefaçon dont on se plaint et ne doit être apposée que
sur le certificat à produire en justice ; ,
Attendu qu'il' est demeuré établi par l'instruction faite devant la
Cour que dans l'arrondissement de Bruxelles, depuis juin 1882, les
prévenus ont, le.'^ premier et deuxième, édite, 'es autres débité un.
t;ertain nombre d'exemplaires de toutes ou partie des chansons et
chansonnettes énumérées au jugement a quo chansons et chanson-
nettes'imprimées au mépris des lois et règlements" relatifs à la pro-
priété des auteurs; :. ■" "■'■*'■'.-'■■-'"■::"■':: -^r-'-' ■'.:::.
Attendu- que les peines prononcées à charge des six prévenus
appelants sont proportionnées à la gravité des infractions ;
Que les dommages-intérêts ont ete équitablemen't appréciés à
l't'gard des sept prévenus ;
Adoptant, pour le surplus, les motifs du jugement dont appel ;
Vu les articles de lois visés au jugement et l'art. '426 du Code
pénalde 1810 lu par M. le Présiilent,
Par ces môtits : . . ; ' ,
' La Cour, c-cartaut toutes conchusians contraires.
Dit n'y avoir lieu à s'occuper quant au quatrième jtréveuu île la
partie du jugement intervenue sur lan^quisition du Ministère public ;
Confirme le jugement pour le surplus; . ,! ..
Autorise, en outre, la partie civile à faire in.sérer une f(.>ls les
motit"> et le dispositif du [U'ésent arrêt à la suite de la décision de
preniii-ro instiiii.'e dans un journal à sou choix et ce aux frais des six
provenus ap[^elant; ;
Dit que les tVais ilinsertion pour ce qui concerne l'arrêt ne pour-
riMit dépasser deux cents francs et qu'ils seront récupérables sur
sini[des quittances de l'éditeur du journal ;
Dit que chacun des -six prévenus- appelants sera tenu de ce chef à
un sixième de ces frais d'insertii.ni ;
Condamne chacun des six jn-^venus appelants à un septième de-
t'rais d"ap[)el vis-à-vis de la ['ariie publique et vis-à-vis île la {.'artio
civile ; ■
C 'udanine cette derni'H'e au septième restant des frais engendres
par' Sou ap['el;
. Mot le ^eptii^iue restant des frais île la [)artie publique à charge île
l'Etat. Les t'rai- d'api>el vis a-vis de la partie publi(iue liquides ù la
souinio do on/o francs <e[!tau.te-six centimes.
Ainsi jugo et priju'jnco eu uudieuctî publique le 0 février 188^3,
Présidence de M. Joly.
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Sixième année. — N° 26.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 27 Juin 1886.
MODERNE
"Sf:
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser les demandes d'ahonnement et toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
^OMMÀIRE
Les Vingtistes parisiens. — Les Caxtilènes, par Jean Moréas.
— L'Opéra de Berlin. — Pantomimes et pantalonnades. Paul
MartincUi Charles Lauri. — Concours du. Conservatoire. —
Petite chronique. - . :, ' V , ; .*
LES VIXGTISTES PARISIENS
Au début de nos articles sur le Salon de Paris, nous
disions : " Ce n'est pas sous les vitres du Palais des
Champs-Elysées que crépite la mousquetterie. On n'é-
tire qu'à blanc, comme dans la plaine de Ten-Bosch les
gardes civiques de Bruxelles et de ses faubourgs ".
Il y a, en effet, à Paris, loin de cette esplanade de
parade qu'on nomme le Salon, un champ de bataille où
l'on mitraille l'esthétique bourgeoise, où l'on sabre les
conventions académiques, et le drapeau qu'agitent les
victorieux ressemble fort à celui que certain groupe
d'artistes bruxellois, pas mal bousculés à l'origine,
aujourd'hui certains du triomphe, ont audacieusemeiit
.déployé.
Là-bas, comme ici, il signifie : affranchissement de
l'art à l'égard des formules dans lesquelles on l'empri-
sonne ; expression sincère d'une émotion ressentie ;
dédain des petits moyens par lesquels on séduit les
foules; indifférence absolue au sujet des distinctions
par lesquelles on classe les artistes, comme les'ôommis
dans les ministères. ' , ,;
A Paris, on a baptisé Impressionnistes ceux que ce
drapeau a ralliés. A Bruxelles, on les nomme Vingtistes.
I
Et ce double néologisme sonne comme un appel de clairon
aux oreilles des timorés.
Le symbole du drapeau nettement précisé, passons la
revue.
Dix-sept exposants, campés durant un mois rue Laf-
fitte, à l'angle du boulevard des Italiens, au 2® étage.
Trois de plus : MM. Claude Monet, Renoir et Caille-
botte, par exemple, qui ont pris part jadis aux bagarres:
de la rue Le Peletier et de l'avenue de l'Opéra, et les
forces mises en ligne eussent été identiques, numéri-
quement, à celles qui bataillent à Bruxelles pour les
mêmes principes.
Parmi ces dix-sept exposants, quelques noif valeurs.
Même méthode de placement qu'au Palais des Beaux-
Arts : à chaque artiste un panneau distinct, dans lequel
il dispose ses œuvres, en nombre illimité, selon sa fan-
taisie. Ce n'est pas l'aspect décoratif des salles qu'on
recherche, cet idéal de tous les jurys officiels : la symé-
trie, les pendants savamment équilibrés. Seul le désir
de mettre chaque toile dans son jour, à la hauteur qui
lui convient, guide les exposants.
' •• L'iinpression que dégage une exposition ainsi, com-
prise est réconfortante. On se sent dans un milieu d'art,
à mille lieues des banalités érigées en dogmes par les
commissions officielles.
Le local n'est pas grand. Qu'importe ? Il fauf%fimper
deux étages pour y arriver. Tant mieux î Cela éloigne
les bourgeois. Il n'y a ni tentures, ni plantes vertes
endormies dans des cache-pots. Tant mieux encore!
Toute l'attention est dirigée sur les œuvres.
c
•^T
202
V ART MODERNE
_ Et maintenant, les exposants. - " , V
Celui dont le nom vient le premier sur les lèvres, lô
plus ancien et aussi le plus fort, c'est Degas. Un maître,
dans toute la splendeur du terme. Nous avons maintes
fois dit ici l'admiration que nous éprouvons à l'égard de
son art. hautain, dépouillé de tous les artifices par les-
quels on conquiert une renommée populaire, — cette
gloire en gros sous. -
L'atelier de la rue Fontaine, hermétiquement clos,
entouré de mystères que la légende grossit, a, par
exception, entrebâillé sa porte. Et le public parisien a
pu voir, rue Lafîitte, une partie de l'œuvre déconcor-
tante* d'une réalité cruelle, amèrement évocative, que
le peintre consacre à la femme. Ce ne sont plus les
coulissesXdont M. Degas scrute les promiscuités inat-
tendues./Ce n'est plus la grâce pimentée des filles
d'opérar^nvéloppées de tarlatane qu'il décrit. Les ate-.
liers de modes, dont il a dessiné d'un crayon impec-
cable la population malingre, perverse, usée à vingt
ans sous le double coup de lime du travail et du plaisir,
sont déjà loin de nous. Son implacable scalpel s'en-
fonce davantage. Ce qu'il exprime aujourd'hui, c'est la
femme dévêtue, dans sa simplicité animale, non la
femme dont la nudité triomphante sait à point cambrer
une hanche, lever un bras pour faire saillir la gorge,
trouver l'attitude propre à faire valoir l'élégance du
torse ou la rondeur de la cuisse ; uniquement le préoc-
cupe la femmequi se croit seule, absolument seule, et
qui, dépouillant toute coquetterie, s'abandonne sans
arrière- pensée, naïvement, naturellement, comme un
jeune chat, aux soins de sa toilette, aux ablutions dans
la fraîcheur du tub, aux frictions, aux lénifiantes
caresses de l'eau. ! - . •
Cette très sincère expression de la réalité, où l'on a
bien à tort cru voir une satire» est intitulée : Suite de
niids de femmes se baignant, se lavant, se séchant,
se peignant ou se faisant peigner.
Ce sont ces morceaux, a très justement dit dans 7a
Justice M. Gustave Gefîroy, qui peuvent donner aux
regards surpris l'idée la plus exacte et la plus haute de
ce grand talent qui se laisse mal approcher. Il y aura
surprise pour les yeux habitués aux chairs en bois, en
sucre, en mousse de. savon, en albâtre, en nacre rose,
aux chairs ratissées, blanchies, rosées, soufflées, aux
chairs selon la formule académique ou mondaine qui
encombrent les cimaises des Salons et des expositions
gracieuses. Mais si c'est un esprit loyal qui force à
regarder ces yeux ,d'abord offusqués par les attitudes
et les colwations, un revirement se fera bien vite, et la
sincérité et la vérité apparaîtront. Sans qu'il soit
besoin de recourir à des précédents artistiques, sans
que la Bethsabée de Rembrandt soit citée a l'appui, on
se figurera aisément le peintre en face de réalités de
cette nature et s'eflorçant à les transcrire par les signes
visibles du dessin et de la couleur. C'est bien la femme
qui est là en ces six postures, mais la femnle sans l'ex-
pressi(m du visage, sans le jeu de l'œil, sans le décor
trompe-l'œil de la toilette, la femme réduite à la gesti-
culation de ses membres, à l'aspect de son corps, la
femme considérée en femelle, exprimée dans sa seule
animalité, comme s'il s'était agi d'un traité de zoologie
réclamant une illustration supérieure.
L'artiste a voulu peindre la femme telle qu'on la
verrait, cachée par un rideau, ou par le trou d'une
serrure. C'r^st ainsi qu'il est parvenu à la voir se bais-
sant, se redressant dans son tub, les pieds rougis par
l'eau, «'épongeant la nuque, se levant sur ses courtes
jambes massives, tendant les bras pour remettre sa
chemise, s'essuyant, à genoux, avec une serviette,
debout, la tète basse et la croupe tendue, ou renversée
sur le côté. Il l'a vue, à hauteur du sol, près des marbres
encombrés de ciseaux, de brosses, de peignes, de faux
cheveux, — et il n'a rien dissimulé de ses allures de
batracien, du mûrissement de ses seins, de la lourdeur
de ses parties basses, des flexions torses de ses jambes,
de la longueur de ses bras, des apparitions stupéfiantes
des ventres, des genoux et des pieds dans des raccourcis
inattendus. C'est ainsi qu'il a écrit ce navrant et lamen-
table poème de la chair, en artiste épris des grandes
lignes qui enveloppent une figure depuis la chevelure
jusqu'à l'orteil, en savant qui connaît la place des os,
le jeu des muscles, les crispations des nerfs, les mar-
brures et l'épaisseur de la peau.
Les Petites modistes et \3l. Fem7ne essayant un
chapeau chez 'sa modiste appartiennent à un cycle
antérieur, à la série deyiteliers dont nous parlions plus
haut Elles éveillent, eiïSa simplicité de leur dessin,
l'idée de quelque intaiile nettement découpée à la pointe
d'un burin et typant d'une façon définitive un coin
d'humanité.
Enfin, \q portrait du peintre Zakarian, œil fier,
moustache relevée, visage énergique, main nerveuse,
affirme la pénétration et la puissance d'évocation du
maître-peintre. -
Miss Mary Cassatt, dont l'éducation artistique est
dirigée par Degas, a de réelles et sérieuses qualités de
coloriste qui la font hautement apprécier des artistes
parisiens. Son art n'a heureusement pas encore pénétré
dans le public. On ne peut lui reprocher aucune des
petites lâchetés qui entraînent petit à petit les mieux
doués vers les succès faciles. M"*' Cassatt peint ce
qu'elle voit, et comme elle le sent. Les six peintures
à l'huile et le pastel qu'elle expose cette année sont des
figures étudiées en plein air ou à l'angle d'une fenêtre,
sous la lumière franche et claire du jour. Aucun esca-
motage d'effet dans cette peinture robuste, qui ne
trahit point l'hésitation d'une main féminine. Aucune
difficulté de dessin ou de couleur éludée. Une persôn-
I "-
nalité, certes, accusée spécialement dans la tr^s sédui-
sante étude qui montré une jeune fille en chemise,
dans le désordre du cabinet de toilette, tordant sur sa
nuque sa chevelure blonde, d'un geste simple et vrai.
La Jeune fille à la fenêtre ei la Jeune fille au jardin,
l'une coiffée d'un chapeau rose que traverse et illumine
un rayon de soleil, l'autre épanouie parmi les géra-
niums et l'éclat des verdures d'été, ont une séduction
rare. . - .•.'.,.■ -:■' ■- ' -. ' ■ ■
« En quel temps vivons-nous donc, • — nous citons
encore M. Geffroy, — pour qu'une exposition sembla-
ble, ajoutée à l'exposition faite en 1881, n'arrête pas. la
critique, ne fasse pas venir la foule, ne désigne pas
définitivement M"<^ Mary Cassatt comme l'artiste distin-
guée et savante qu'elle est déjà pour quelques-uns? »
Avec plus de féminilité, mais peut-être avec le sens
moins exact des colorations. M'"® Berthe Morisot a
pris rang à côté de l'artiste américaine. On croit voir
revivre dans ses toiles délicatement composées, peintes
d'une main souple, dans ses aquarelles aux tonalités
d'opale, dans ses éventails clairs, soyeux, nacrés, l'art
raffiné et discret d'Eva Gonzalès. La jeune femme
qu'elle montre, arrachée à la'tiédeur du lit, dans les
blancheurs flottantes de la chemise, cherchant du pied
ses mules, a la grâce mignarde d'un dessin du
XVIII® siècle. Quelle séduction dans la jeune fille au
bain, dont les chairs humides, resplendissent sur un
fond rose! Et quelle candeur ingénue dans Xa Jeune file
sur Vherhe, jolie comme une figure de Greuze, ouvrant
dans l'ombre de son chapeau de paille de grand yeux
doux ! La petite servante, un Paysage à Nice, con-
stellé d oranaes, des Roses trémières, des Portraits,
le Jardin à Bougival, montrent la variété d'un tem-
pérament qui ne redoute point les difficultés du métier
et qui porte la marque d'une réelle aristocratie de sen-
timents et de goût. .
Artiste inégal, glissant souvent sur la pente de
l'illustration anecdotique, comme dans sa Place de la
Concorde et son SoiLvenir de Chantilly, M.' J.-L. Fo-
rain arrive fréquemment, quand il étudie sur le vif
nos mœurs élégantes et vicieuses, à donner à ses
œuvres une saveur particulière. C'est le poète de la
corruption en habit noir, du dandysme des boudoirs,
de la haute vie masquant les vides du cœur. Déjà notts
avons signalé le Buffet et le Veuf relégués l'un et
l'autre dans les combles du Salon, ce v.iste magasin
d'images, oti l'artiste, fiuite de mieux, les exposa
naguère. A remarquer rue Latïitte :1a Femme fumant
une cigaretteyXvi Femme respiiroit des ffeu/'s,\a
Jeune fdle au bal. Un coin à V Opéra, Pompier dans
les coulisses de VOpéra, et aussi : le Portrait de
Jacques Blanche, un peu chargé, mais somme toute
ressemblant, et le grand Port)'ait de lU'""-" W. . .
Nous ne parlerons pas ici de MM. Odilon Redon et
Frédéric Zandomeneghi. On a pu étudier récemment,
au Salon dos XX, l'art étrangement suggestif de Tun,
de l'autre l'habileté à croquer prestement, dans le va-
et-vient des cafés et le vacarme des rues, les silhouettes
fugaces de Texistence parisienne. M: Redon n'expose
pas moins de quinze dessins, parmi lesquels il en est
plusieurs de premier ordre, tels que : Béatrix, Fin-
telligence, Im désespérance. Profil de Iwnière,
M Zandomeneghi aligne quatre peintures à l'huile et
huit pastels. Signalons particuUèrement la , Jeune
femme à sa toilette, épongeant attentivement, avec
une quasi-dévotion, devant une èuv^elle de marbre,
le gloire délicatement modelé de sa gorge, et' aussi
V Enfant faisant chauffer sa chemise, le Jeune
homme au pnano, la Jeuyie femme nue, accroupie
devant la flambée du foyer.
Quelques paysagistes complètent ce remarquable
ensemble. Eh premier lieu, citons M. Camille Pissarro,
l'un des rares artistes que n'a pas infectés la formule
qui englobe depuis un demi -siècle les soi-disants
chantres des plaines, des rivières et des bois.
M. Pissarro affectionne les coteaux baignés de soleii,
les horizons étendus, la campagne féconde, riche de
blés mûrs, de vignes, d'herbages où paît le bétail. Il
garde à travers l'affadissement du paysage moderne,
— un instant. traité avec la dignité à laquelle il a droit,
aujourd'hui défiguré, arrangé, composé, malmené
compie un simple tableau d'histoire, — la vision per-
sonnelle, intense, émue, qui l'a placé depuis longtemps,
à coté de Claude Monet, parmi les maîtres du genre.
Son fils Lucien débute cette année par quelques pein-
tures et aquarelles intéressantes, et par une curieuse série
de gravures sur bois, d'une naïveté primitive attirante.
Autre début : M. Signac. Il est difficile de discuter
dès à présent l'avenir du jeune peintre qui, dans cer-
taines toiles, les Gazomètres de Clichy, j)slv exemple,
et Icc Berge dWsnieres, affirme des qualités d'observa-
tion peu communes, mais dont les Modistes de la /ve
du Caire, d'une tonalité crue, dure, sèche, et telles
toiles bâclées à la diable, ou trop visiblement imitées,
— motif, couleur, mise en cadre et facture, — de Claude
Monet, n'annoncent rien qui vaille.
L'envoi de M. Armand Guillaumin aurait saoné,
semble-t-il, à être plus restreint. Quelques-uns des
sites de Damiette, que l'artiste reproduit avec une fer-
veur attendrie, sont heureusement rendus. D'autres
pèchent par absence de plans, par la sécheresse et la
crudité du ton, particulièrement du vert, ou par uiu?
exécution pénible et fatiguée.
M. Paul Gauguin, un nouveau venu, crovons-nou>,
parmi les Impressionnistes, marche dans la voie du
précédent. A examiner l'Eglise, le Parc, le Château,
peints avec fermeté. Mais les Vaches au repos! Mais
li\ Vache dans Te au a
. !
Enfin, pour terminer le défila, un original aut-our
duquel, en cette exposition intransigeante, les intran-
sigeants eux-mêmes livrent bataille, les uns exaltant
outre' mesure, les autres critiquant sans ménagement.
Ce messie d'un art nouveau, ou ce mystificateur à froid,
c'est M.Georges Seurat. Une personnalité, assurément,
mais de quelle sorte? A ne le juger que par l'immense
toile qu'il intitule : Un dimanche à la Grandè-Jatte
en i 854, montrant, sous la verdure des arbres, les
berges de la Seine encombrées d'une infinité de person-
nages de grandeur naturelle, assis, debout, se prome-
nant, causant, dormant, j<)ij^nt du cor, péchant à la
ligne, oii pourrait ne pas le prendre au sérieux. Les
figures sont en bois, naïvement sculptées au tour
comme les petits soldats qui nous viennent d'Alle-
niagne en des boîtes d'esquilles de sapin qui sentent
bon la résine, et qu'on fait manœuvrer sur un appareil
de lattes, peintes en rouge, ingénieusement chevillées.
La composition a un aspect géométrique. Peinte
d'un bout à l'autre à petits coups de pinceaux d'égale
dimension, sorte de pointillé minuscule, on la croirait
brodée sur canevas au moyen de laines de couleurs, ou
tissée ainsi qu'une toile de haute-lice. A Bruxelles, la
Grande-Jatte ferait scandale. Il y aurait, si elle était
exposée, des cas subits d'aliénation mentale et des apo-
plexies foudroyantes (*). Et pourtant, même dans cette
toile déconcertante, quelle profondeur, quelle exacti-
tude d'atmosphère, quel rayonnement de lumière!
Une mystification ? Nous ne le pensons pas. Quelqnes
. paysages, peints au moyen du même procédé : le Fort
Sanisoyi, le Bec du Hoc, la Rade de Grand- Camp,
où passe sur une mer d'azur une blanche envolée de
yachts, et la Seine à Courbevoie, révèlent une nature
artistique singulièrement apte à décomposer les phéno-
mènes de la lumière, à en pénétrer le prisme, à en
exprimer, par des moyens simples mais savamment
combinés, les efi'ets les plus compliqués et les plus
intenses. Nous prenons M. Georges Seurat pour un
peintre sincère, réfléchi, observateur, que l'avenir clas-
sera.
Nous terminons ici cette revue rapide des Vingtistes
parisiens, — qui ne sont que dix-sept, dirait quelque
imbécile. Nous n'avons examiné que ceux qui sortent
des cheminfï battus et constituent le réel intérêt du
Salon de la rue Laiîitte.
Nous laissons au public, qui n'aime pas ces auda-
cieuses initiatives, le loisir de se consoler à la vue des
œuvres sages, routinières et vieillottes de MM. Rouart,
Schuffenecker, Tillot, Vignon, et de M"™® Marie Brac-
quemond. ■
. (
(*) Donc, mon cher Maus, il faut l'exposer aux XX, l'an prochain.
— Note du correcteur. Ed. P.
• ■"'■■■■■.■>■
JiE^ j!3antilène3 .
par Jean MoRiÎAS. — Paris, Léon Vànier.
On s'est d(^jà beaucoup moqué do M. Moréas et de sa mousiachc
en pointe d'yatagàn et de, sa phrase : « Je suis un Baudelaire
avec plus de couleur », et de sa canicature, la main appuyée sur
un tas de livres fùtiifs.
. Il y a deux ans parurent les Syrtes; voici /^.s CauJtUènes.
Leur début?
Le soir n'est plus des ganses et de la danse. ' »
Tel un petit vieillard qui tombe en enfance
Nous prenons le goût des vieux colifichets : .
Souvenirs flétris comme un jardin d'octobre,
Rêves radoteurs, orgueils que voifs fauchez,
Faulx de l'opprobre.
M. Moréas se présente mal. Ce « petit vieillard » assis au seuil
de ses vers a peu à y voir. « Tombé on enfance » — Pardon, il
est, au contraire, plein de fiertés et passe quel^quefois très fringam-
ment avec des éperons, et des épées, et des cuirasses h chacun
de ses quatrains, le livre ! Nous ne voyons dans le « petit vieillard
tombé en enfance » qu'une boutade pour donner prétexte à
quelques plumes sarceyesques d'ouvrir leur bec,conlrc la Déca-
dence, la fameuse Dc'cadence, aussi morte déj^ que le rat de la
place Pigalle. Aucune théorie ne fait longue! flamme en notre
temps. L'année dernière a-ton lutté, bataillé, crié autour des Dec a-
denls. Et Bourde, et Chanipsaur, et tous! Demain l'on avoueia :
quelques-uns dos poètes attaqués étaient de vrais artistes, le bruit
hostile les a laissés calmes, et bien mieux, les a imposés^
Le livre de M. Moréas se compose de : Funérailles, Interlude,
Aftso7ia7ices, Cantilènes, Le pur Concept, Histoires merveilleuses.
Les deuxième, quatrième et sixième subdivisions renferment des
pièces moins caraclérisli(iuos que les autres. Nous n'en parlerons
pas.
Ce qui marque la poésie des trois autr-es parties, c'est la
rechei^che de rythmes nouveaux, d'harmonies nouvelles, de
cadences évccatives, de formes adéquates h telle ou telle idée,
de Ipns bien plus que de couleurs, de rafïinés entrechoquements
de mots, de délicatcsi^es très frêles et de cotte rêverie du vers
toujours flottante autour dis slroplus comme un vèî^emenl de
nuage autour des corps célestes. Dans les sonnets de Funérailles
il y a non seulement les rimes qui se font écho, mais les tours,
mais les coupes, mais les (iuiilificatifs. Ici :
Roses de Damas, pourpres roses, blanches roses, "
Où sont vos parfums, vos pétales éclatants?
Où sont vos chansons, vos ailes couleur de temps,
Oiseaux miraculeux, oiseaux bleus, oiseaux roses?
la phrase interrogalivc répétée, la facture lente, la correspon-
dance entre les roses et les oiseaux, une confusion de couleur de
parfum et de chanl ne donnent-ils point l'air do lointain et d'effa-
cement de certaines tapisseries vieilles et la note «couleur de
temps » n'enveloppe-t-elle point le quatrain tout entier?
Et plus loin :
Surpris, les essors aux embûches malitornes.
Les cerfs s'en sont allés, la flèche emmi les cornes.
Aux durs accords du cor les cerfs s'en sont allés.
La chasse sonore et sauvage ne passe-t-elle point dans le
final? Et non seulement faut-il noter l'harmonie imilative, mais
tel vieux vocable « malilornc » plein de détours mauvais et
d*embûches comme une forêt.
>
El plus loin encore ce lercel avec un rappel de conte de fée et
CCS njct ( t inversion de la fin, qui t'ermenl si définitivement le
sonnet :
Et nous sommes au bois la Relie dont les sommes
Pour éternellement demeureront sce-llés.... -
/Comme une ombre en un manoir rétrospectif, nous sommes.
Voici une s! ro plie très douce et très musicale :
,— Voix qui revenez-, bercei:-nous, berceuses voix,
. Refrains exténués de choses en allées
Et sonnailles de mule au détour des allées,
__ Voix qui revenez, bercez-nous, berceuses voix.
Remarquez ce troisième alexandrin se redressant soudain en
apostrophe pour figi.rcr la ti< rlé d'un port de tê e :
Ses mains qu'elle tend comme pour les théurgies
Ses deux mains pâles, ses mains aux bagues barbares;
^ Et toi son cou qui pour la fête, lu te pares!
Ses lèvres rou|jes
Voici un morceau que les poètes d( s temps nouveaux admire-
ront vers par vers : v
\ ."*"_.-■ ■
Pleurer un peu, si je pouvais pleurer un peu,
Pleurer comme l'orphelin et comme la veuve,
Et comme le pêcheur naïf implorant Dieu.
Simple qu'il soit mon ccêur, simplement qu'il s'émeuve.
Sur ma guiilai^Je fanée et ma robe neuve.
Tissée au ciel avec du blanc, avec du bleu,
Sur ma guirlande fanée emportée au fleuve,
Pleurer un peu, pouvoir pleurer un peu.
~Mais, cependant, que votre main cruelle et sûre, .
Sûre et cruelle fait vibrer dans ma blessure
L'inexorable trait, ma Dame, ma Douleur, .
■ Il faut que je vous loue et que je vous célèbre, .
Et que je tresse la gemiue rare et la fleur
Dans vos cheveux qjtii sont couleur de la ténèbre.
Les Assonances, formes niiïves, cmp'oyces à narrer les légr ndes
de Maryôf la Mauvaise mère et V Epouse fidèle. M. Moréas
'réussit dans ces rythmes simples à réaliser beaucciip de lointain
et de caractère.
Du Pur ct>«c^p/ citonsjajiremière pi^'ce, toute en songe
hiératique :, '.- ' ' '^
Le Burg immémorial, de .<5es meurtrières i -
Semble darder un œil dur sur les temps mal nés.
Et de ses porches les silences obstinés
Récèlent les serments gardés et les prières. - •
Au jardin de la Fée où les échos sott tus,
Du prime éveil qui se résorbe en l'immuable, '^
Baume, elle, contre la vie irrémédiable,
S'ouvre la fleur dispensatrice des vertus.
Et c'est ici le beau Palais de la Huée,
Où dansent les Goulpes en loquets de grelots.
— Tel le Burg, gésir d'austère silence clos,
Fleurir en soi, telle la fleur insexuée.
Nous avons énuméré touls les titres des subdivisions du livre.
De tous, l'aiiteur n pris le plus poétiquement sonore pou*, en
couvrir l'œuvre entière, bien qu'il ne s'applquàt lui seul qu'à
la moins importante pariie.
La poésie de. M. Moréas est donc, on a pu le deviner, toute
spéciale. Il a brisé définitivement avec le parnassisme et l'impec-
cabilisme. Rimes riches, coupes géométriques, vers tailles en
angles, toujours, uniformément, immanquablement, sous pré-
texte de correction dogniatique et de pureté lyrique, il n'en fait
cas. Pour lui, les règles! excellentes, si on peut les enfreindre
quand la poésie le veut; les traités! parfaits, quand on peut se
les faire soi-même, comme Gautier se faisait un dictionnairq de
Times. ' , - ,
On est las?é d'ailleurs, dons une partie de la jeune école, (\(s
alexandrins passant tous en même uniforme, pareils h des, élèves
de lycée. Leur cadence fatale las^e, énerve, crispe. Plus de liberté,
que diable ! et, somme toute, plus de liberté pour aboutir parfois
à plus de logique. Autant de sentiments, autîint do rythmes et
de tournures; aul; nt de sensations aulantdç dilférenlos corres-
prndances dans les rimrs et les architcc'uros dos strophes. Au
besoin des rimes 'rès pauvres, au besoin des rimes très riches.
Au besoin une césure, au besoin priS, E.n un mot : compos(r
non point sur le p; tron des lois exposées dm, s les lexiques ( t
les dictionnaires de rimes, mais en écoutant la musique iniériouro
que chacun surprend chanter en soi, quand il se sont poète.
La poésie, non seulement dans ses idées et ^es inspirations:,
mais dans sa fo'me rythmique et colorée, doit être- surprie en
nous et chacun doit en exjtrimer le plus qu'il peut. Il est préfé-
rable de se tromper que d'ê:ro correct banulomoirt. Après tout
quel est l'écrivain qui, après cinq ans de pnitique, no peit faire
un soni,el de ferme impoccabîe, suivant les an( ionnes reeottes?
Le bon ^onnet, tîmt loué par Boilcaii, maisjl croît aujourd'hui
.comme de l'heib.; le long dos roules ol tout ànc neadémique
peut en brouter et s'en remplir la panse!
Pour exprimer l'âme moderne, la si comph'qiiée âme moderne, -
il faut une langue ryihmée, autrement libre et subtil\ autrement
pliable et scindablo que la langue approuvée par celte clianoi-
nesse de Tours, la Grammtiiro, et par cet évéque trop pou in
pariibus^ le Style. On a tellement abusé do ces deux personriai^os
que l'on pourrait formuler p;»radox;demenl : il faui que tout
poète s'en passe le mieux qu'il peut.
Ainsi parle, répétons-le, cette p.iriie de 'a jeune écolo. Il v a
du bon dans ce discours l;i. Mais bien dangereux pour les demi-
nakires. . ■. ..
p^()pi
ERA DE
P^RLIN
Dans la période de transition musicale où nous somrni^ en
Bilgique, les uns n'aimant p'us la musique ancienne, les autres
n'aimât t pas'encoro la mu>ique nou\elle, tous noi rrissaiit plus
d'antipaihies (jue de sympathies, il est curieux et utile d'examiner
ce qui se passe à l'étranger et de voir si, en Allemagne par
exemple, l'un ou l'autre réptTloiie est en possession exclusive de
la scène. Ou, s'ils al:ernfnt encore, dans quelle mesure cliaouu
obtient la préférence du public.
Lu Xeue Berliner Musikzei/U7î(j publie la statistique d» s
représonlaliéns données h l'Opéra de Berlin p( ndanl la sa'son
qui vienl de se terminer, c'esl-à-dire du 13 août 1885 au 14 juin
\^m : . '
-ri
Der Trompeter von Siickingen (30 représentations); Carmen
(13 représentations); Siegfried (Il représentations); Wikhchïilz
(10 représentations); Lohengrin (9 représeulationsj; le Chevalier
Jean, la Walkiire, Joli Gilles {chacun 8 représentations); Fitlelio,
la Fille du Régiment, la Muette, Reisende Student (chacun
7 Tvpré^enidùons); Czar und Zimmermann, l'aisseau Fantôme,
Ondine, Bavbier de Seville (chacun 6 rep'résentiuions); Joyeuses
Commères, Widerspenstige, Tannhœuser, le Maçon, le Pro-
phète, les yoces de Figaro [dvàcnn o repnsontaiions); Stradella,
Aida, Don Juan, Golden Kreuz, Meistersinger, Freyschiitz, la
Juive [chacun 4 reprcsontation>) ; Lucrèce Borgia, Belrogene
Kadi, Jean de Paris, i Africaine, la Flûte enchantée, la Tra-
206
i: ART MODERNE
viala, Rigokflo (chacun 3 ropréscnlalions); Mignon, Fnilst,
Feldlngerin Schlesicn, Gnillnunm Teli, Obcron, les Huquenols,
Annule, Orphée, le Domino noir, la Somnfnnbiila (chacun
2 roprcscntalions) ; Nonna, la Dame blanche, Abon-Ilaasan, la
Reine de Saba (de Oolihnai-k), Jessonda, Belmonle el Conslanze,
le Trouvère, Fernaml Corlez, Euryanthe (chacun 1 représen-
lalion), ; \-
Ce qui donne un lolal de 257 roprésenlalinns t'ornid par
55 œuvres de 28 compositeurs ditTérenls. I/arl français y figure"
pour iC) œuvres, de neuf auteurs, formant en loul 74 représen-
talious. I/art italien i)Our 13 œuvres et 31 reprc''senlalions.
Richard Wagner pour 6 œuvres el 43 représentations (soit un
sixième environ), ce qui étonnera apparemment ceux qui croient
qu'il n'est plus question que de lui en Allemagne (H inspirera
quelque inquiétude si l'on compte sur lui pour relever le théâtre
chez nous. Aimé des vrais esthètes, mais ,pres(pie i)ar eux seuls,
tel paraît être le bilan actuel de son art. . •
Ajoutons que le personnel du théâtre de B;Tlin se compose de
trente premiers sujets du ch:inl ; cent vingt-six choristes, hommes,
femmes et enfanis; soixante-quatorze danseurs et danseuses;
cinquante-deux figurants el cent qualre-vingt-dix musiciens.
Inutile de dire que ces 490 musiciens ne jouent pas tous à
chaque représentation; il y a des titulaires el des surnuméraires, +
ce qui permet d'établir un certain nombre decong('S par semairiiî ''
h chaque pupitre. C'est ainsi (ju'il y a quaire chefs d'orchestre
ayanl chacun leur répertoire d'ouvrages à dirigM*..
Ce qui frappe surtout îi première vue dans' celle sia'.islique,
c'est la variété du réperloire. Elle n'est pourtant pas sensible-
ment plus grande que ne le fut la saison dernière celle de la
direction Verdhurl qui, pour les 175 représenlalions (sept mois)
qu'elle a données, avait atteint le chilTre de 35œuvres. •
Où la difierence est énorme, c'est dans le nombre des premiers
sujets du chant : 30 à Derlin, contre une douzaine au plus à
Bruxelles. La moyenne pour l'ensemble dos suj 'is du chant est
chez nous de 20, Il est évident qu'une troupe nombreuse permet
de mener.de front les répétitions el les représentations dans des
conditions excellentes, et d'arriver à une grande perfection dans
l'exécution.
Il est fâcheux que nous ne connaissions pas pour Berlin les
chitïres des dépenses, recettes et s^ibsides. La Ville de Bruxelles
ferait bien de dresser ces statistiques pour les pri.ncip;iux théâtres
de l'Europe. Il importe, en effet, nous l'avons dit souvent, que
l'entreprise de notre théâtre de la Monnaie^ sorte des incertitudes
financières au milieu desquelles errent les directeurs.
?
ANTOMIMEp ET PANTALONNADE^
Paul Martinetti. — Charles Lauri.
Qui de nous n'a entendu parler de la dynastie des Deburau, du
père surlout, Jean-i3aptiste-Gaspard, ce mime incomparable dont
Théophile Gautier osa écrire : « Deburau était dans son genre un
acteur comme Frederick, Talnia, M"« Mars et .M"*-* Iiachel : un
accident heureux el rare, »
C'était aux alentours de 1830, dans ce théâtre des Funambules
dont s'affola un instant Paris, guidé vers les lumignons fumeux
qui lui servaient de rampe par la i)lume alerte de Charles Nodier
et de Jules Jauin. ,
; Les odeurs de beignets el de pommes de terre frites qui péné-
traient dans la salle de speclacUî semblèrent — à en croire les
historiens de ces époqiMîs lointaines — parfums choisis et déli-
cats aux mondaines dont le « théâtre à quatre sous », selon l'ex-
pression du temps, fut, durant quelques années^ le spectacle
favori. . '
Après Jean-Baplisle-Gaspard, on applaudit son fds Charles,
puis Paul Legrand, que récemment encore on a pu voir à
Bruxelles, Pierrot blafard et mélancolique, pleurant sa vieillesse
comme gémissent, à l'âge des rides, tous les conquérants,
artistes, capitaines ou femmes. Mais Jules Janin était allé retrou-
ver au pays des ombres l'Ane qu'il illustra, el de Charles Nodier
il ne reste désormais qu'une sorte de musique lointaine, J'mo?"
des fèves el Fleur des pois étant remontés au pays du rêve.
La pantomime a pris le deuil; elle n'a pas voulu troubler le
sommeil de ceux qui lui avaient donné la vie..
: Mais voici qu'un artiste canadien vient de renouer la chaîne
interrompue des mimes, dont les premiers chaînons datent de la
'Grèce el de Rome. Cet audacieux rénovateur d'un art disparu,
c'est M. Paul Marlinelli, un artiste — et un grand artiste, s'il
voiis plaît. Que les incrédules nous fassent la grâce d'entrer, sur
le coup de dix heures, au théâtre de la Bourse, cette étonnante
sallq de spectacle inaugurée avant que les Bruxellois aient eu le
temps de s'apercevoir qu'on en avait jeté les fondations.
Ils assisteront îi la représentation de la classique et toujours
amusante pièce créée par le grand Frederick, VA uberge des
Adrets, adaptée et accommodée par le mimographc Paul Marti-
netti selon la fantaisie el les aptitudes du même Paul Martinetti,
mime souple, tout à la fois clown et tragédien. Ils verront un
inimitable Bertrand, famélique, sournois, espiègle, plus gibier de
potence que Cartouche, plus gueujt que Mandrin, mâtiné d'ime
genlilhommerie digne de Don César, el finissant, après une exic*
tenco écoulée dans les culbutes, les coups de pied au derrière,
les dislocations inattendues, les gourmandises effrénées, les
rapines opérées avec dextérité, par une mort poignante, superbe,
où .tout à coup l'art du comédien prend un élan stupéfiant : des
affolements d'animal blessé, une agonie mélé^de cabrioles, le
râle suprême exhale dans une culbute, ainsi que tombe, foudroyé,
le lièvre roulé d'un coup de fusil.
Dans ce rôle, M. Paul Martinetti parcourt toute une gamme de
sentiments. La i!eur,la convoitise, la fourberie, le dédain, l'insou-
ciance, el, dans celte fin tragique, le dévouement à son camarade
d'aventures, trouvent en lui un interprète de premier ordre. La
lutte (ju'il soutient contre lui-même au momont où il va se préci-
piter, couteau levé, sur l'effigie baroque qu'il prend, à la clarté
indécise de la lune, pour un gendarme, est d'un comédien accom-
pli. On pourrait lui appliquer, aussi justement, pensons-nous,
qu'à son illustre prédécesseur, ces mois de Gautier : « C'est un
accident heureux et. rare. »
Le public ne saisit qu'une partie de l'art complexe du mime :
ses clowneries^ ses grimaces. Il rit à des scènes qui devraient le
faire frissonner. .
Cela n'a rien d'anormal. La pantomime n'a plus guère de sens
pour lui si elle est autre chose qu'une volée de claques, de coups
de bâton el de coups de pied, animant d'un retentissement sonore
et non interrompu le plus incompréhensible des imbroglios.
C'est un genre de pantomime, cela, ou plutôt de pantalonnade, et
dans ce^lomaine spécial les Anglais sont nos maîtres. Justement
on peut applaudir en ce moment à Bruxelles, à l'Eden, l'un des
inlcrprôlcs les plus ropiilds de ces farces énormes dont le mdPiHe
est mesuré par les connaisseurs à l'invraisemblance des situa-
lions, au décousu de l'inlrigue, îi l'imprévu du coq-ù-l'âne, au
chiffre de laloclies échangées. ,^
Depuis que les Hanlon-Lees, ces clowns délicals<îlcliarmanls,
scsonl dénnilivemcnt débarbouillé la figure cl ont Iroijué leur
houppe bicolore contre un chapeau de saie, on n'avail pUis. guère
vu que de grossiers imilaleurs, Cbarles Lauri est arrivé, el k
Iravers les complications d'une affubulalion folie, sous des })luies
de chats, parmi des rencontres de trains de chemin de fer sus-
pendus sur les loils, il fait applaudir. l'agilité merveilleuse de j^es
muscles. Il sait, comme pas un, faire la culbute, rebondir ainsi
qu'une balle, se lancer dans l'air, se rattraper à quelque câble,
repartir, franchir la scène d'un bond. La gymn^isliqueenrugée k
laquelle il se livre tous les soirs lui vaut une pO|)ularilé.'
Telle est la pantomime anglaise, et certes Charles Lauri y est
passé maître. r
Tiraillée; par ses deux Edcns, celui du quartier Nolre-Dame-
aux-Neiges el celui du quartier ^dc la Bourse, qui se défient
comme dans les petites villes deux aubcrgçs rivales, la population
bruxelloise fera, entre les deux mimes célèbres que le hasard a
rapprochés, une comparaison intéressante.' Peut-être se passion-
nera-l-clle pour l'un ou pour l'autre. Il serait curieux de voir
. renaître les classiques démêlés dos partisans de Pylade el de
Bathylle. Nous savons deux directeurs qui ne man(|ueraieul pas
d'alliser la ([uerelle, deux augures qui, certes, ne pourraient plus
se regarder sans riro aux larmes.
;■ :V V 'JIÎONCOUR^ DU. j^^ION^ZRVATOIRE ^ ' ■ -
Comme d'habitude, le Conservaloire inaugurait, samedi la
période des concours par un concert où s.i faisaient entendre les
classes d'ensemble vocal et instrumental sous la direction de
MM. Warnots, Jourcl, Bauvvens, Colyus el Jchin et spécialement,'
les élèves de M. Jaiobs,' le remplaçant du regretté Servais, à la
classe de violoncelle. ' .
L'exécution précise et déîailléo, avec ses qualilés de finesse et
ses défauts d'éparpillement que nous avons souvent reprochée à
Torcheslre du Conservatoire, il nOus la faut reprocher di'jà à cet
orchestre d'élèves, de très jeunes élèves où la vie est déjà refroi-
die et l'essor artiste pédantesquemenl mutilé. Le public a choisi
pour manifester bruyamment sa joie l'instant où les élèves de
31. Jacobs exécutaient un andante pour quatre violoncelles, d'une
absolue médiocrité, el donné peu d'allenliOn aux Ihigments de
la Messe eii si inineur de Jean-Sébastien Bach, cette œuvre de
dimensions colossales, prodigieuse de savoir musiciil, et du
plus haut inlérêl comme témoignage de la ' largeur d'iUres
du grand maître dans la foi religieu.se, ce Credo qui donne
réellement l'impression de l'immutabilité de l'Eglis.?, ce Sancdts
où le musicten a bu à la source même, s'inspiranl des paroles dû
prophète Isaïe : « Je vis le Seigneur séant sur son trône haulel
élevé; el ses pans remplissaient le temple. Les séraphins se
tenaient au dessous de lui, el chacun d'eux avait six aijes. Ils
criaient l'un à l'autre : Saint, saint, saint est rElernel des années,
el tout ce qui est dans toute la terre est sa gloire. Et les poteaux
des seuils furent ébranlés par la vqix de celui qui criait^ el la
maison fui remplie de fumée. » (Es. VI, '2.)
Ces fragments ont d'ailleurs éié « exécutés » au vrai sen^ du
mot, di»s masses chorales surlnut, hésitantes el sans sonorité.
(iu;ind sera-t-il donné aux admirateurs du Père de la Musique,
d'euli'iuhV, rps|)ectueu<ernenl et" saintement jouée, cette œuvre
(|ui, avec la Passion de SaiiU-Malhien, la neuvième symphonie,
Trl^lmi et Prtr.si"/;'//, devraient être les images d'adoration pour
toutes 11 s piières? . , ,. . ' ,
Cijons encore, un chueur de Blanche d,e Provence, cl, bien
souvent emendus, la médiorri} ouverture de Lodv'iska et'Ios très
fins airs de ballet de Castor et Pollnx, de Hameau, qui, on son
tem[)S, é'ail accusé d'écrire de la musique charivarique, scienti-
fique, savante, lonilruanle, incompri'hensihle, tout comme le
proiégé du très vénéré défunt, le r')i Louis II de Bavière, prince
des ariisles, el Jésus crucifié pour la rédemption des sots.
Le lundi suivant ont commencé. les concours dont ci-après les
résultais : . , ^
TuoMBONH. Professeur : M. Paque. — Pas- de prix décerné.
i'''"à(cessit au seul. concurrent 1 M. Heilenbertr.
Cornet a pistons. Professeur^ M. Duhom. — Pas de 1" prix.
2'- prix : M. Vilcz, seul concurrent. . •'
Trompette. Professeur : M. Duhom. — Pas de l""^ prix.
2'- prix avec dislinclioa : M. Maton, concurrent unique.
Cor. Professeur : M. .Merck. ; — Pas de prix pour le cor basse.
M. Lemal obtient un l'^'" accessit. Pour le cor alto, 2*^ prix :
M: Droiiard; l"" accessit : MM. Mahy, "Buelle, >'uzei et Lelièvre.
Saxophone. Professeur : M, Beeckman. — l^"" prix avec dis-
lincliori : .M. Mayeur; I*^'" prix : M. De Becker. " "
Basson. Professeur : M. Neumans. — 2*^ prix : M>I. Leclercq
elDom; l^"" acce^îsil : M. Lenom. '
Hautbois. Professeur : M. Guidé. — 1'"'' prix : .>I..Dovaux;
i" accessits M., Nahon. ■
• Clarinette. Professeur : M. Poncelet. — 1«'" prix : MM. Roe-
landls el Devveerdt; 2*- prix : MM. Van den Abeele, Morenier et
Imberl; l^"" accessit : MM. Robert, Van Elewvck et Ser2:vsel3.
Flûte. Professeur : M.' Dumon. — l'-"" prix : .MM. Demonl el
Slerckx ; i*''' accessit : M. Massay.' - - •^•v
Contrebasse. Professeur : M. Vanderheyden.. — 1*"" prix :
M. Faelen; 2'^' prix : MM. Sury et Eeckhaulle ; P"" accessit :
M. Jadol.
Alto. Professeur .: M; Firkef. — l^*" prix avec dislinctron ■:
M. Haus; 'i«' prix : M. .\dams; 2« prix : M. Hecq ; P^'' accessit :
M.M\ Deraedt, Debloe, Vandeputte et Va*i Hutï(}I.
Violonxelle. Professeur : M. Jacobs. — i""" prix : M. Lam-
pens; 2«- prix : M.VÎ. Schoofs elSansoni; l" accessit : M. .Merck;
2*^ accessit : M. Rolhenheisler.
pETlTE CHROJMiqUÊ
La Classe des Beaux -.\rts de l'Académie de Belgique organise
une E.xposilion de tableaux anciens au profit de la Caisse renirale
des artistes. Ce.te ex[)Osition, qui aura lieu à Brux'.'lles au Palais
di s Beaux-Ans, s'ouvrira- au mois de septembre. Les adhésions
reçues jus(|u"ci ce jour assurent un grand succès à l'entreprise.
Le Roi qui, dès l'origine, a pris la Caisse des artistes sous son
patrouiige, a promis de faire figurer à l'Exposition des œuvres de
sa galerie. i Commun iqué).
La clôture du Salon de Paris csl t\\(!(i irrévocablemenL au-
30 juin à six heures du soir.
M. le Ministre de l'inslruciion publique fixera inoes-amment le
jour div la dislribuliou des récompenses. Cette cérémonie aura
probableincnl lieu le samedi 3 ou le lundi o juillet.
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PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQÏÏB DBS ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
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^0 M M AI RE
En cour d'assises. — Quelques volumes récents. — Olanurks.
— Concours du Conservatoire. — A l'Eden. -^ Me>iento des
expositions et concours. — Petite chronique.
EX COUR D'ASSISES
La dernière session des Assises du Brabant, loin-
taine déjà (que les jours contemporains vont vite avec
leur surcharge d'événements!) a fait surgir non seule^
ment des préoccupations judiciaires, mais, qui le
' croirait? des discussions artistiques.
Oui, grâce à l'envolée d'un des avocats, M® Jules
Lejeune, en des sphères élevées, on s'est avisé que de
pareils débats pouvaient parfois ne pas être seulement
des barbotages de canards dans une mare, et qu'il était
possible d'y voir, en quelque rare occasion, un essor
d'aigle. Et tout de suite, à ce spectacle, les propos vul-
gaires de s'assourdir, et partout, dans la presse et les
conversations, un souffle d'enthousiasme de se répaji-
dre, tôt épuisé, hélas! car rien, en notre morne temps
de prose, n'est moins durable qu'un élan d'héroïsme.
L'éloquence judiciaire ! La seule éloquence qui, chez
nous, se surveille encore, aujourd'hui que la chaire ne
sert plus de tribune aux grands croyants en froc, et
que le Parlement s'encanaille volontiers en des disputes
de cochers de fiacre. Elle aussi sommeillait et l'on
disait que le nouveau Palais de Justice ne la favorisait
guère avec ses proportions colossales amoindrissant
les œuvres humaines, et ses salles trop sonores rendant
confuse la parole. On croyait peu au réveil, on se rési-
gnait presque au niveau modeste que prenaient toutes
choses en cette arche écrasante pour tout et pour tous,
excepté pour elle-même. v
Et dans cette salle des Assises, baignant tout entière
dans le clair obscur d'un tableau du xvi® siècle alors
que les yeux moins Usés par la lumière artificielle de
la vie nocturne perçaient sans effort les pénombres et
trouvaient suffisant le jour qui tombait des fenêtres
hautes tamisé par les verrières, on acceptait le drame
des procès criminels se déroulant en des actions mal
vues et des discours mal entendus, comme une scène
crépusculaire où se mouvaient des ombres. On était
gagné peu à peu par ce cérémonial où l'on ne percevait
plus que des murmures et des allées et venues à demi-
mystérieuses, que sabrait parfois une énorme lame de
clarté solaire descendant son plan incliné de poussière
dorée à travers l'entrebâillement des épais rideaux
masquant mal les baies qui, à trente pieds de haut,
découpent le mur du fond au dessus des juges, comme
si un archange, pris de pitié, avait ouvert à l'accusé un
•chemin pour la fuite dans l'air libre.
C'est là que dernièrement s'est levé pour plaider un
homme que depuis longtemps nous nous étions accou-
tumés au Palais à considérer comme un grand artiste,
monnayant en cent propos divers, à la barre ou dans
les couloirs, sa saisissante originalité. Car, il a vrai-
ment ce stigmatum diabolicum qui marque l'art véri-
table : être soi-même, ne ressembler à quiconque,
n'imiter, ne rappeler personne. <
4' .
Et Ton a assisté à un spectacle étrange.
Tel qu'un peintre devant une toile vierge, laissant aller
sa main en de vagues contours, ignorant ce qu'il va
faire et cherchant dans son travail même la direction
et l'inspiration., l'avocat s'est mis à parler au hasard,
sortant une à une ses idées, comme elles venaient,
comme il les tâtait, les présentant» telles que des
pièces de monnaie prises au fond d'une bourse, entre
deux doigts, sans souci de l'ordre, les décrivant, au
moment de leur exhibition, pour l'auditoire et pour
lui même, aussi surpris que ceux qui l'écoufaient, de
l'imprévu et des trouvailles. Et continuant cet égre-
nage imperturbablement, un quart d'heure, deux
quarts d'heure, trois quarts d'heure, prenant une idée,
la regardant, l'expliquant, la laissant tomber, en pre-
nant une autre, recomniençant.et sans se lasser, allant,
allant toujours, guettant l'occasion, battant les buis-
sons de la cause, sûr qu'il ferait tôt ou tard lever ce
qu'il fallait pour transformer cette chasse aux oisillons
en une chasse royale, ne se souciant pas de l'indécision
oiï restait la foule, de la stupéfaction en laquelle
s'hypnotisait le jury, vaguant toujours, poussant tout le
monde en un trouble fait d'admiration et d'inquié-
tude, s'engageant dans une voie, se jetant de côté,
revenant sur ses pas, annonçant une merveille, l'ou-
bliant aussitôt. Quelque chose, en résumé, comme un
musicien, essayant un à un toiis les instruments d'un
orchestre pour en trouver un à son embouchure,
comme un dégustateur éprouvant tous les vins d'un
chais pour en découvrir un à son goût.
Le moment vint où il fut enfin en présence de la for-
mule cherchée. On la sentit approcher. Dans ce cer-
veau graduellement échauffé au rouge voulu pour en
faire jaillir l'étincelle suprême, la mystérieuse alchi-
mie s'accomplissait, se révélant par une parole de plus
en plus vibrante, de mieux en mieux ordonnée. On
entendait, semblait-il, le bruissement intense des molé-
cules se vaporisant dans la masse pour arriver, au
bouillonnement final. •
L'explosion eut lieu, en un jet superbe. Et alors,
durant une heure, ce fut une échappée fougueuse
et sublime, dans une direction unique désormais,
entraînant toutes les âmes, faisant miroiter un prodi-
gieux arc-en-ciel d'images, de pensées, d'arguments,
de cris, d'apostrophes, d'appels, enlevant l'auditoire a
lui-même, l'emportant dans une sensation artistique
irrésistible, faisant frémir les corps de ceux dont
l'esprit ne sait plus percevoir l'idée quand elle pointe à
cette hauteur. -
Car il est vrai qu'on a pu se demander, après cette
étonnante exécution, si le jury qui était là était fait
pour comprendre intellectuellement pareille éloquence.
On a conté qu'un de ces douze augures, frappé de ce que
M® Lejeune, franchissant une à une les étapes qui mar-
quaient, dans soi! exposé, la marche vers la scène finale
du meurtre, avait dit à diverses reprises comme posant
des jalons : « Ne me demandez pas où je vais : je suis
sur le chemin de la rue Verte «, n'était point parvenu
à se rendre compte de ce que cela signifiait, alors que,
loin d'être sur le chemin de la rue Verte, l'avocat était
là devant lui à son banc. Oui, nos bourgeois auront beau-
coup à faire ayant d'être à cette hauteur et, si l'on nous
demandait ce que nous pensons de l'effet de cette admi-
rable plaidoirie pour le profit de l'accusé, nous hésite-
rions peut-être à dire qu'elle lui a servi à grand'chose.
Mais ici, dans ce journal d'art, qu'il nous soit permis
de tenir moins compte de l'effet utilitaire et de consulter
surtout l'impression que nous avons subie. Il est triste
de penser que, pour mieux parler au point de vue de
l'effet pratique à obtenir, il faut chez nous moins bien
parler au point de vue de l'éloquence. C'est bien la
caractéristique de notre Belgique parlementaire, cette
terre promise des médiocrités. Il ne faut pas viser trop
haut, on parlerait au dessus de la foule.
En France, plus particulièrement à Paris, où, par le
fait seul du milieu, chacun reçoit une éducation singu-
lièrement affinante, on peut davantage être un artiste
de la parole, sans risquer de devenir un incompris. Là,
les jurés ne sont pas au dessous de la compréhension
d'une métaphore. Il n'est pas nécessaire de s'en tenir
avec eux aux quatre à cinq cents mots qui composent
l'idiome de la plupart de nos concitoyens. Un avocat,
comme M® Lejeune, peut s'y laisser aller aux inspirations
ingénieuses sans qu'on dise de lui : Belle musique,
mais c*est comme s'il parlait espagnol.
C'est à cause décela que le véritable avocat de cour
d'assises est impossible en Belgique. Il y faut' être un
argumentateur sans style, car, si l'on a du style, on ne
vous entend plus. Il y faut être un discoureur sans
émotion, cai^si vous êtes ému on crie à la comédie. Il y
faut être un avocat sans habileté, car si vous êtes
habile on vous taxera de mauvaise ruse. De telle sorte
qu'on n'y peut bien plaider qu'à la condition de ne ser-
vir en rien la défense. Vos amis et les amateurs vous
louent, mais savent comme vous que l'accusé ne bénéfi-
ciera guère de ces belles choses. Il faut être prosaïque
et vulgaire : c'est là seule chance de ne pas être inutile.
Récemment, un magistrat fra^içais a dépeint l'avocat
de cour d'assises tel qu'il peut s'épanouir chez nos voi-
sins. Il a pris pour type Lachaud. Il est curieux de lire
cet éloge qui se compose presque exclusivement de cir-
constances qui, ici, manqueraient toutes leur eff'et parce
qu'on n'y verrait qu'hypocrisie et malice, déclamation
et pose.
- Lachaud, dit-il, fut un tacticien de premier ordre.
Que de campements! que de belles marches! que de
hardiesse! que de précautions! que de périls! que de
ressources ! Il savait même, comme ce grand capitaine
X
que Bossuet a dépeint, profiter des infidélités de la fort
tune. Le jury n'aime pas, en général, les fanfarons
d'impiété. On peut se rendre compte, en lisant la plai-
doirie prononcée pour l'impie La Pommerais, de l'ha-
bileté singulière avec laquelle Lachaud se dégage d'une
situation fausse, provoquant la sympathie du jury par
une profession de foi personnelle, l'attendrissant sur un
homme d'autant plus à plaindre « qu'il pense que tout
se termine avec la vie de ce monde », affirmant enfin
que, si l'empoisonneur n'avait pas eu de croyance reli-
gieuse, « il doit en avoir une aujourd'hui «, et que, « s'il
a douté de Dieu, son malheur le ramènera à Dieu ". Le
client a-t-il, d'aventure, la figure d'un imbécile? Il tirait
de cette figure un parti merveilleux, transformait le
voleur ou le faussaire « en un bon bourgeois qui aime
à faire sa partie de dominos et à lire le Consliiution-
net n. Il disait aux jurés : « Regàrdez-le donc ", et les
faisait rire : un juge qui rit est bien près de pardonner,
ir excellait d'ailleurs à lire sur leurs traits tout ce qui
se passait ou même ce qui allait se passer dans leur
âme : « Je touche ici, je le sens bien, dit-il dans l'afifaire
Troppmann, aux délicatesses les plus grandes de la
cause, et j'entends déjà tout ce qu'on pourra me répon-
dre; je vois tous les sourires que ma parole fera
éclore... w. « Croyez-vous, dit-il encore aux jurés dans
l'affaire de La Pommerais, que je ne lise pas sur Vos
figures? que je ne sois pas en communication avec
vous? n II disposait en conséquence ses raisonnements
et ses mouvements oratoires, comprenant mieux que
tout autre, dans le feu même de l'action, s'il devait par-
ler à l'esprit ou au cœur, exciter la colère ou la pitié,
ce qu'il devait dire et ce qu'il devait taire.
•' Lachaud était doué d'une certaine chaleur d ame
très communicative alliée à une apparence de bonhomie
qui devait attirer à lui cette classe spéciale d'auditeurs.
Il n'avait pas, pour atteindre ce but, un grand effort à
faire. Il était, lisons-nous dans l'introduction qui pré-
cède la récente édition de ses plaidoyers, ** doux et
compatissant » ; nous le croyons après l'avoir lu comme
après l'avoir en-tendu. Il apportait en général dans la
lutte beaucoup d'ardeur sans violence ; il ne déchirait
pas ses contradicteurs et parfois même, au lieu de rail-
ler ou de pourfendre l'avocat-général, il savait lui faire
un compliment. On n'imagine pas l'effet qu'un tel com-
plinaent, bien placé, peut produire sur le jury ! Celui-ci
finit par se convaincre que tout le monde est près de
s'entendre et qu'en accordant tout à un homme à la fois
si éloquent et si charmant, il ne fâchera personne. Tout
cela, bien entendu, ne s'applique pas au terrible plai-
doyer de l'affaire de La Meilleraye, qui offre un saisis-
sant contraste avec les autres discours du maître.
Lachaud jugea peut-être un aussi complet changement
de méthode nécessaire au succès de sa cause et se con-
traignit, sans doute, pour n'épargner personne. Pour
le mettre à son vrai point, il faut l'étudier dans les
affaires où il ne se contraignait pas.
« Il a fait couler bien des larmes ! Après avoir com-
muniqué sa propre émotion, d'abord un peu factice, à
ses juges improvisés, il se laissait, à son tour, gagner
par l'émotion des autres ; il s'attendrissait sincèrement
à force d'avoir attendri son auditoire La sensibilité des
jurés ne fut jamais exposée à de tels assauts ! C'est ainsi
qu'il les amenait, quand les faits incriminâ~s'étaient
reproduits pendant une assez longue période, à s'api-
toyer sur les tortures morales des coupables, « assistant
à l'agonie de leur honneur, dont chaque minute sonnait
le glas funèbre », qu'il s'associait avec un élan irrésis-
tible aux angoisses du père et de la mère, aux douleurs
de l'épouse : >«t_Vous avez une famille, disait-il aux
jurés, vous savez comment l'on s'aime, vous comprenez
les horribles douleurs de ceux qui aiment «. Le comble
de l'art était d'ajouter : ♦* Eh bien! de tout cela il ne
faut tenir aucun compte »». Mais qu'il était malaisé de
suivre ce dernier conseil! Il essaya d'attendrir le jury
sur Troppmann lui-même, cherchant à. prouver « que
dans cet être si triste, si solitaire et dont la vie était en
même temps si remplie, un coin du cœur était resté.pur
et lumineux : l'amour de sa mère! « Le pathétique fut
son arme favorite, et c'est, le plus souvent, pour en
avoir fait un habile emploi qu'il resta maître du champ
de bataille. Les Athéniens auraient peut-être aggravé,
si Lachaud avait vécu dans leur république, la défense
d'exciter les passions qu'un héraut adressait à leurs
orateurs. Mais les Français, se défient moins de leur
propre faiblesse et, quand ils auraient tous les autres
genres de courage, il en est un qui leur manquera tou-
jours : celui de fermer la bouche à leurs avocats. '^
Or, chez nous, fermer la bouche aux avocats, ou plu-
tôt les laisser parler pour ne pas les écouter, pour s'en
défier, voilà le mot d'ordre.
Ce n'est pas avec cela qu'on fait un grand Barreau
QUELQUES LIVRES RECENTS
- Les Baisers perdas, par Louis Marsolleau ; Le Prisme,
par Sully-Prud'homme ; La Légende de Normandie, par
^^RisTiDE Fbemine ; Les Chants d'aurore, de H. Varesco :
Aux Champs, de Harel Paris, Lemerre, éditeur.
Les Èaisers perdus dôhuieni : ,.
J'ai dans mon sang, le sang des époques hautaines,
Je suis le petit -filsdes marquises lointaines , -
Et des trouvères blond? de grâce revêtus...
Je suis le descendant des pages chevelus ,;
Qui sveltes se levaient après les vidrecomes,
A la fin des repas, poètes gentilhommes
Dont la couronne avait le baiser pour fleurons
\ Et qui, réj)ée au flanc, coupe en main, fleurs au front,
Parmi l'or héraldique et tin des marjolaines.
Chantaient le hennin blanc des hautes châtelaines.
— Et quoique le fil des beaux siècles soit rompu,
J'ai gardé de leur race autant que je l'ai pu.
:t
M. Louis Marsolleau est plus^ quoi qu'il dise. Et sa chanson
vaut mieux qu'une chanson de dessert. Certes, le\ Rmidely ie\
Souhaii vain, telle Pastorale ne sont que des mignardises heu-
reuses assez comparables aux roulades pour voix italiennes.
Pour nous, ce'qui domine le livre ce ne sont ni les Jours où
Von aimé, ni les Regards au dehors, ni les Petils poèmes, ni les
Couronnes^ ce sont les Féminités et aussi — mais moins — les
Sonnets en couleur.
Les Féminités sont dédicacées à Charles Morice. En voici
quelques extraits. C'est l'aimée qui dit :
Plus rien ne m'intéresse et plus rien ne nie touche^
J'ai des yeux de mépris où vos regards d'amant
Lisent l'indifférence ennuyée et farouche.
Je vous vois devenir tout triste et c'est charmant
De penser qu'il suffit d'un seul mot de ma bouche
Pour jeter votre cœur à ce crucifiement.
Et cependant mes yeux mentent, ma bouche ment.
Ces heures où je fais saigner votre âme ouverte
Sont celles où, lassée et faible et presqu'offerte,
Je voudrais te sentir en moi, profondément.
Et ailleurs : •
Je tiens à votre .amour que je porte en parure.
Mon plan contre tout mal et toute déchirure ,
Est de ne plus aimer et d'être aimée encor ;
Mais j'ai peur du passé, de moi-même, j'ai crainte
De céder au bonheur retrouvé de l'étreinte
Je ne veux pas que tu me reprennes mon corps.
Ceci n'est plus sujet à chanson. C'est plus haut et plus fort. Il
y a dans ces strophes je ne sais quelle méchanceté calme quoi-
qu'un peu plate dans l'expression « mon plan contre le mal... il
suffit d'un seul mot...» dont refîcl est très coupant sur le lecteur.
LcsSofineisen couleur sont parfois d'une tragique enluminure
rehaussés. A lire : sonnet en rouge et sonnet en vert.
Depuis que Sully-Prud'homme s'est forgé poète-philosophe,
ou plutôt philosophe-poète, son art est allé s'afFaiblissant. Il y a
eu certes, des relais dans celle descente vers le quelconque et
le tel quel, mais rares. Je me souviens de certains sonnels,
publiés dans les Epreuves j qui étonnaient par la difficulié et
l'aridité du sujet et qui apparaissaient splendides néanmoins. On
aurait dit des théorèmes de géométrie pavoises et éclatants d'or.
La Justice a décidé que désormais M. Sully-Prud'homme ne
serait qu'épilogueur et raisonneur. Ce livre a été décisif en sa
défaveur. De poésie? plus.
Aujourd'hui, le Prisme n'est qu'un recueil de banalités graves
et d'aphorismes cravatés de prudhommerie. Le lieu commun y
est tiré à quatre épingles au moyen des quatre vers de chaque
strophe et certaines pièces apparaissent comme ces jardins si
assommamment anglais dont aucun imprévu ne dérange la régle-
mentaire tenue de quatrains « comme il faut. »
Les litres seuls condamneraient le livre si*on les lisait un à un,
sans commentaire.
Et dire que l'auteur qui a signé ce récent livre a fait les Ecu-
ries d'Augtas ci les Vaines Tendresses \ M. Sully-Prud'homme
le termine par une série d'alexandrins « pour son lycée ». Volon-
taire ou non, celte reculade vers le passé est très bien en situa-
tion. Bien des poèmes du Prisme ne sont guère plus honnêtes
que des devoirs de rhétorique. On y sent le thème appris, la
période fatale, l'adjectif cliché, le tour appris par cœur et con-
seillé par les professeurs les p!us savants, pzrce que les plus
routiniers.
Somme toute, livre ntalheureux, indigne du grand poète de
les Yeux, Idéal, le Meilleur moment des amours, le Long du
quai et doiit la leclure attriste comme une décomposition de soleil
couchant dans les brouillards mornes d'un soir d'hiver.
. Voici M. Fremino; la Légende de Normandie. Très fière et
héroïque, cette légende, et rudement et vaillamment chantée. Le
début? Lfl Tombe de Viking. La fin? La Mer normande. Au
milieu? El Oisèle et le Chant de Robert Guiscart et \e Mont
Saint-Michel et Ouernesey et Gersey et Armont. Tous poèmes
de belle étendue, pleins de vers savants et quelquefois évocatoires
et célébrant les exploits, les guerres et les morts célèbres en
Normandie. L'auteur dit :
A ces traditions, ami, soyons fidèles,
La science et l'esprit ouvrent à grands coups d'ailes,
Dans l'horizon borné de nos temps nébuleux,
Les horizons lointains de pays merveilleux.
Allons vers eux, la main dans la main des ancêtres I
Et plus tard, tout là-bas, parmi les bois des hêtres,
Les vallons d'herbe drue et les plants de pommiers,
Au chant gaulois des coqs sonnant l'heure aux fermiers,
Nous aurons pour dormir, car c'est notre demande,
Un bon lit de six pieds fait de terre normande.
Il est de mode parmi les poètes français de se consacrer cha-
cun k son coin de patrie. Theuriet célèbre l'Ardenne, Aicard la
Provence, Fabié le Quercy. C'est une curieuse décentralisation
qu'Aristide Frcmine aggrave de son volume nouveau. 11 çst à
regretter toutefois que ces différents poètes s'occupent plus du
décor que de l'âme même de leur terroir. Le Normand est un
être [d'une particularité profonde. L'auteur de la Légende ne l'a
point analysé. Il est vrai que Guy de Maupassanl, un prosateur,
s'en est chargé si supérieurement qu'il n'a guère laissé à glaner.
M"* Hélène Varesco, une roumaine, ne s'est point encore suffi-
samment acclimaté l'esprit pour habiller sa pensée en français
littéraire. Ci et là des lourdeurs ou des na'ivetés d'expression, ou
bien des vocables démod(^s et flasques. « Premier bégaiement »
tel devrait être le titre, du livre au lieu d'être une fin de phrase
dans la préface. Mais l'auteur n'a que vingt ans et c'est son pre-
mier pas. Musset a fait jadis un sonnet indulgencier pour sem-
blable cas. ' .
Alix Champs ? Harel Scripsit. j''
Dans la première parlie du volume, les douze mois sont célé-
brés par une pièce de circonstance, celle de janvier est char-
mante : -, ^ -
Aux petits oiseaux du bon Dieu
Les hall iers servent dé patrie,
Fougère, viorne défleurie,
Bonce fauve et houx au milieu.
Le vieux houx est l'hôtellerie
- , Des petits oiseaux du bon Dieu.
A la vieille auberge du Houx,-
Au crépuscule et dans la brume.
Jamais chandelle ne s'allume,
On s'y couche au lever des loups,
Tout le monde dort sous la plume.
A la vieille auberge du Houx.
Hôtel des biseaux du bon Dieu, -
Qui dans le fond de tes chambrettes,
A travers des ombres discrètes,
Introduis le firmament blau.
Ah 1 fais donc chanter les poètes.
Gomme les oiseaux du bon Dieu.
Cela sent spirituel lenient la campagne. C'est peut-être; un peu
trop joli et trop apprêté mais telle n'était elle point la chanson des
I f
si ddlicicui poètes de la pléiade Dubellay el Bellau d'abord, el de
Sainl-AmanJ après eux. Avril ne fait-il point songer à la Mare
de ce dernier. Et plus loin, Août n'évoquc-l-il point la langue et
le rythme de Gustave Mathieu, un autre poète des herbes et des
oiseaux et des vignes el des blés.
M. Harel est resté dans la traJition française en nous décrivant
uni nature où certes les paysans frustes et grands de Millet n'au-
raient que faire, mais où la Perretle — cotillon simple et souliers
plais — de la Fontaine, marche gaîment le long des strophes.
■■■. . - ■ ^- ' .'■.'** ' ■ , '
Soherzando ? Rimes folles, avec un frontispice de Léon Dar •
denne. — Tiré à 228 exemplaires sur lés presses de J.-B. Moens et
fils, Bruxelles, 1886.
Ces vers ont été lus dans l' Etudiant el la Jeune Belgique ; vers
bien faits, de rigoureuse technique et, ci el là, de jolie el mîgnarde
éclosion. La meilleure partie du recueil nous semble être : Vers
Pompadour.
Voici un rondel :
Les Colombines, les Gilles,
Tournent au son des crincrins,
Mignards vaporeux et fragiles,
Langueur aux yeux, flamme aux reins.
Cachant sous les romarins
Leurs enlacements agiles,
- Les Colombines, les Gilles,
Tournent au son des crincrins.
A l'écart les tabarins.
En vrais poètes d'idylles,
Pour oublier leurs chagrins
Chantonnent, en gais refrains,
Les Colombines, les Gilles.
Les Morales du Hastaquouëre, par Surtac
Paris, Ollendorff.
Pas longs, mais très amusants Les Morales du Raslaqumère,
de Surlac. Dix fables, plus la dernière el l'avant dernière. Voici
les morales à la file : La petite vient en mangeant. Proudence est
mère de la soûreté. La tenue délivre. Oo ne paiine pas avec
l'amour. Dans le Doubs absinthe loi. Ne fais pas aux truies ce
que tou né voudrais pas qu'où fasse à ta fille. Chassez le natourel
il revient o galop. Tant va lé cachalot qu'à là fin il se prise. A
tous les cœurs bien nés que la Pairie est chère! Laissez les
enfants a Lord Maire. Un bain fail n'est jamais perdou. Après la
plouie le Boltin.
Comment l'auteur est arrivé a ces funambulesques transposi-
tions le livre l'apprend et Caran d'Ache le commente par des
dessins exquis el Coquelin cadet l'annonce à la foule. Lisez.
-GJlanurep
Ce qui manque à notre temps, ce n'est pas ractivilé» mais la
réflexion dans l'activité.
*
* *
On ne pense guère avant de peindre, on pense peu en peifaant,
on ne pense plus après avoir peint.
Toute idée qui peut mellre l'artiste en hostilité avec la vie,
est une idée mauvaise. C'est par l'observation dé la vie ^u'il se
renouvelle et qu'il se crée. ^"^
Michel-Ange, entrant dans la chapelle Sixlin'^, aperçut des
jeunes peintres en train de copier s'yn Jugemefit dernier : « Oh!
que de gens ma peinture va perdre ! 0 quanti questi opéra mia
ne vuoU ingoffire! », ne put-il s'empêcher de dire. ;,
•Un tableau vit de sa propre vie; il peut, il doit conlenir*nître
action concentrée ou un spectacle complet.
*■
* ■ *
Si rien n'est plus émouvant qu'une scène bien jouéî au théâtre,
rien n'est plus déplaisant dans l'art que les attitudes, les mouve-
ments, les physionomies de théâtre. _ .
La curiosi'é littéraire mal dirigée est plus dangr^reuse pour
un artiste qu'un manque de lettres presque complet.
Ce qui s'exprime bien par la plume ne s'exprime pas bien par
le pinceau; l'on n'est peintre qu'à la condition de parler d'abord
aux yeux par les formes et par les couleurs.
* *
Il suffit de se mettre au vert pour se sauver. Le vert, pour un
peintre, c'est l'étude de la nature, l'observation de la vie, la
méditation sur les œuvres des maîtres simples el sains, la pra-
tique du nu, du portrait, du paysage.
Presque tous les peintres qui se tiennent en commerce con-
stant avec la nature s'assurent un: longévité particulière de pro-
duction. Lors même que les chaleurs de la jeunesse se sont apai-
sées, ils continuent à progresser ou ils s'affaiblissent avec moins
de rapidité que les compositeurs de fantaisie.
La vie est la qualité essentielle dans une œuvre d'art ; lorsque
la vie y apparaît, même imparfaite, on est bien prêt de tout par-
donner.
Le naturalisme n'est point l'acceptation en blo: de tous les
détails qu'offre pêle-mêle la nature, mais le choix de ceux qui
peuvent communiquer plus de clarté, plus d'éclat, plus de force,
plus de charme au sujet traité.
Il serait inutile et impossible de rendre la natare d'un seul
coup, sous tousses aspects, loui entière, et il arrive toujours un
moment où l'artiste est obligé de choisir el de simplifier : la
science des sacrifices, dans l'art eomme dans la rie, est le con»-
mencement de la sagesse.
Toute espèce de sujet gagne à être condensée dans un petit
cadre. Une toile de chevalet suffit à dire tout ce qu'un peintre,
môme le phis profond, peut sentir et penser.
Nous avons beaucoup de peine à éire sensibles sans sentimea-
lalilé, attristés sans pessimisme, tragiques sans déclamation.
*
La science esjl une parîie essentielle du talent, elle le forliâe,
l'agrandit, le soutient, le perpétue!
J
En vieillissant, les maîtres s'efforcent non plus de s'annihiler
devant les choses comme il est naturel et salutaire à l'caudianlde
le faire, mais de dégager d(i leur for intérieur, avec toute la sin-
cérité possible, l'impression personnelle qu'ils ont reçue de ces
chos.^s. C'est lorsque le paysagiste est arrivé à cette pleine pos-
session de lui-même qu'il eisl vraiment un maître, c'est alors
qu'il fait rayonner dans son œuvre une émotion communicalivc
dont une partie dé la nature se trouve tout à coup éclairée.
pONCQUR^ DU f!0NPEI\V/T0IRE
(Suite) {*).
Musique oï chambre pour instruments a archet. Professeur :
M. Alex. €ornélis. — 1<^'' prix : MM. Lejeune (violon) et Dubin
(alto); 2*^ prix avec distinction : MM. Lampens (violoncelle) et
Queeckers (violon); S*' prix : MM. Adams et Vandeputle (alto) et
M"*' A. von Netzer (violon); l»"" accessit : MM. Collin-Fiévez,
Merck et M'"« Slirling.
Orgue. Professeur : M. MaiHy. — 1'''' prix avec distinction :
M. Vilain; i''^ prix : M. Marivoet; 2« prix : M"« Botte et M. Vot-
quenne; l" accessit : M. Devaere.
QrATUOR. Professeur : M. Jonô Ilubay. — i*'"" prix : MM. Sau-
veur (violon) elRigo (violon); 2'^ prix avec distinction : M. Hans
(alto) ; 2« prix : M. Darmaro (violon).
Violon. Professeurs : MM. Jenô Hubay et Alexandre Cornélis.
— i" prix avec distinction : M Sauveur (élève de M. Hubay), et
M^'* Mees (élève de M. Cornélis); i" prix : M. Laoureux (élève
de M. Hubay); M. Drèze (élève de M. Cornélis), et M. Darmaro
(élève de M. Hubay); 2^ prix avec distinction : M*'« A. von Net-
zer (élève de M. Cornélis) ; 2« prix : M. Collin (élève de M. Cor-
nélis), et M. Godebski (élève de M. Hubay); accessit: M''® Lam-
biolte et M. Liégeois (élèves de M. Cornélis), et M'*« Siegel (élève
de M. Hubay).
^ X-'Î^DEN
Par ces temps de clôture théâtrale, les Martinetti et les Lauri
préoccupent beaucoup.
Nous avons rendu compte àe Robert Macaire et \o\ç\ Pmsl
Piiss ! Plus de culbutes et de sauts et de cumulels dans celte
dernière pantomime. Au théâtre de la Bourse on étudie un type
admirablement exprimé, à l'Eden on s'étonne d'une gymnastique
effrénée et d'une clownerie transcendante.
Depuis les Hanlon-Lees la pitrerie pure disparaît des scénarios
pour faire place à certaine étude de caractères fantasques et fols
que d'inédits tours de force font valoir. Les Lauri tiennent des
Hanlon-Lees; ils ont adopté et perfectionné leurs sauls périlleux,
leur adresse de jambes et de bras, leur dextérité et leur sou-
plesse de muscles. Ce sont d'audacieux clowns et de très embal-
lés et verveux farceurs. La gifle allongée par l'un d'eux, le coup
de pied envoyé, le sont avec une instantanéité suprême.
Une dislocation cocasse plie, replie et déplie leur corps vingt
fois en une minute; ils ont inventé des immobilités grotesques
et compliquées au possible, des grimaces où le ridicule est qui n-
lessenclé h merveille, telle plastique semble donner une illusion
de guivre et de gargouille à cheval sur un angle de'tour gotliique.
ta pantomime Pitss! Piiss! met toutes ces rares qualités en
lumière.
{*) V. l'Art moderne du 27 juin dernier.
MEMENTO DES EXPOSITIONS ET CONCOURS
Amsterdam. Exposition (internationale) d'artistes contemporains
organisée par la ville d'Amsterdam. Peinture, sculpture, architec-
ture, gravure, dessin, lithographie. Du 27 septembre au 30 octo-
bre 1886. Délai d'envoi : 2J aoùt-7 septembre. Frais à charge de
l'exposant à l'aller, à charge de la CommissiiQn au retour. — Six
médailles d'or, chacune de 100 florins. — Jury de sept membres,
dont quatre élus par les exposants. Joindrai» l'envoi le nom de quatre
candidats, — Les jurés ne peuvent concourir pour les médailles. —
Renseignements : Commission executive de l' Eorposition commu-
nale, Amsterdam. (J. Luden, secrétaire).
Bruxelles. — Prijr du Roi, 25.000 francs offerts :
Eu 1886 (concours exclussivement belge), à l'ouvrage le mieux
conçu pour développer chez la jeunesse belge l'intelligence et le goût
des littératures anciennes et modernes.
En 1888 (id.), au meilleur ouvrage sur renseignement des arts
plastiques eu Belgique et sur le moyen de développer l'art en
Belgique et de le porter à un niveau de plus en plus élevé.
Les ouvrages destinés à ces concours devront être transmis au
Ministre de l'Agriculture^ de l'Industrie et des Travaux publics, à
savoir : pour le prix à décerner en 1886, avant le l*»" octobre 1886,
et pour celui à décerner en 1888 avant le l^»" janvier 1888.
CouRTRAi. — Exposition de tableaux, dessins, gravures, sculp-
tures et lithographies. Du 22 août au 30 septembre. Délai d'envoi :
15 juillet. Renseignements : L. De Geyne, secrétaire de l'exposi-
tion, directeur de l'Académie et de l'école industrielle.
DuNKERKE. — Exposition (internationale) d'aquarelles, dessins et
cartons, pastels, miniatures, émaux et faïences, gravures, lithogra-
phies. Du 14 juillet au 22 août. Délai de rigueur: 5 juillet. Adresse:
Ecrposition des Beaux- Arts, Musée communal, Dunkerke.
Florence. — Concours (offert à tous les artistes résidant en Italie)
pour les trois portes de bronze de la façade de Santa-Maria-del-Fiore
(cathédrale). Primes de 4,000 francs pour la porte centrale, de
5,000 francs pour chacune des portes latérales, accordées aux pro-
jets choisis (dessin géométrique en clair-obscur, développé au tiers
de la grandeur d'exécution). Délai de rigueur : 31 octobre 1886. Siège
du comité : Place du Dôme, 24, Florence.
Gand. — Exposition (internationale) de la Société royale pour
l'encouragement des Beaux-Arts. Du 15 août au 24 octobre. Délai
d'envoi : 18 juillet. Secrétaire de la commission directtnce : M. Ferd.
Vander Haeghen.
Milan. — Concours (international; pour la reconstruction de la
façade de la Cathédrale (le Dôme) en harmonie avec le style du mo-
nument. — S'adresser, pour le programme, à l'hôtel de ville de
Bruxelles, bureaux de la 6« division, de dix à quatre heures.
Spa. — Exposition des Beaux-Arts Du !«'' août à fin septembre.
Délai d'envoi : 2-22 juillet Adresse : Commission directHce de
l'exposition à Spa ^M. Louis Sosset, secrétaire).
Concours Rubinstein. — Une somme de vihgt-cinq milles roubles
a été placée à la Banque de Russie par M. Rubinstein. Les intérêts
de cett€ somme serviront à décerner des primes musicales aux
compositeurs et aux pianistes, ainsi qu'à payer les frais d'^organisa-
tion des concours, qui seront internationaux.
Ces concours auront lieu tous les cinq ans; deux primes, chacune
de cinq mille francs, seront accordées soit à deux concurents, soit à
un seul qui serait désigné comme compositeur et pianiste de premier
.
ordre. Au cas où cea primes ne seraient point décernées, les concur-
rents n'ayant pas fait preuve de supériorité réellp, on pourra accorder
des primes secondaires d'une valeur de deux mille francs.
Le premier concours aura lieu en 1800. Les villes désignées pour
les jugements à intervenir et l'organisation des concours sont : Saint-
Pétersbourg, Berlin, Vienne et Paris.
Toute personne du sexe masculin, âgée de 20 à 2f) ans, peut
concourir, quelle que soit sa nationalité.
Le programme des concours comporte : {° Pour les compositeurs.:
concertos avec orchestre ; musique de chambre et autres composi-
tions pour piano sans accompagnement ; 2 ' Pour les çxécutnnts :
exécution de concertos avec orchestre, musique de chambre et de
solos de tous genres (style classique ou style moderne).
pETITE CHROfiiquz:
Le Salon de Paris a pris fin. La clôlure de celte exposition a
eu lieu mercredi. Dès jeudi malin, on commençait à décrocher
les lableaux, la cérémonie de la dislribulion des récompenses
devant avoir lieu hier samedi, dans One des salles du premier
étage du palais.
Le déménagement de celle exposition devra éiro fait, celle
année, en un tour de main, le local occupé par la Société des
artistes devant être évacué le 12 ou le 15 au plus lard, pour
faciliter les installations de la nouvelle exposiiion induslrielle
annoncée.
Ouvert le 1" mai, le Salon de 1886 a eu une durée de
cinquanle-six jours, non compris les quatre jours pendant les-
quels celle exposition est restée fermée à la fin du mois dernier.
On y a compté 37-2,000 entrées, chiffre qui dépasse d'environ
30,000 le nombre enregistré l'année dernière.
Sous le rapport financier, les résultats sont 1res satisfaisants.
. L'année dernière on a encaissé une somme de 30 1,000 'francs.
Or, lundi soir, la recette du prissent Salon dépassait déjà
308,000 francs. Quand on aura ajouté à celle somme le produit
des entrées des deux dernières journées et la somme fournie par
les abonnements, on obtiendra une recelte totale d'environ
315,000 francs. A celle somme viendra s'ajouter la redevance
payée par l'entrepreneur du buffet soit 11,000 francs), puis le
produit de la vente des catalogues et quelques autres menues
recelles, qui porteront à bien près de 330,000 francs le total des
sommes encaissées.
D'autre part, la Société des artistes étant aujourd'hui proprié-
itaire de la plus grande pariie du matériel qu'elle emploie pour
i'organisalion de ses expositions, il s'ensiit que les frais seront
relativement peu élevés. Selon les prévisions du moment, le
Salon de 1886 laissera, tout compte fait, un bénéfice net d'envi-
ron 240,000 francs.
• Le succès remporté par l'œuvre de Constantin Meunier au
Salon de Paris a décidément été général. Voici l'éloge que lui
consacre, dans la Justice. M. Gustave Giffrov, et qui confirme
pleinement l'apprécialion de M. Octave Mirbeau. que nous avons
reproduite :
« C'est une des œuvres remarquables de ce Salon, dit M. Gcf-
froy. On a pu reléguer ce Marleleur dans l'un des bas-cotes, loin
des promenades habiluclles, — quelques-uns ont pourlanl bien
su le découvrir. L'artiste qui a .sculpié ce Marleleur est bien prè§
d'avoir réalisé le rêve d'une représentation moderne du travail.
Les plis de la blouse sont durs et coupants, les mains sont fines,
mais le tablier de cuir, les lourdes chaussures qui dessinent des
pieds de pachydermes, la coiffure en visière, la signification de
l'outil, le torse nerveux et la face brutale et mélancolique, sont
autant d'indications justes, d'ime rare valeur d'oécution. »
C'est par erreur que rAri Moderne a annoncé un comple-
rendu dcs1l/oi«g,ç, le. nouveau volume de poésies de M. Emile
Verhaeren. La règle est, en effet, que le journal ne rend pas
compte des écrits de ses rédacteurs, afin de conserver dans sa
critique l'indépendance la plus absolue. Depuis six ans qu'il
paraît, il n'a jamais été fait d'exception à ce principe.
M. Blauwaerl est revenu d'Angleterre, oiî il. a remporté des
succès relenlissanls. L'excellent baryton est engagé pour six
mois, à partir d'octobre, pour une série de concerts en Alle-
magne, en Autriche, en Hongrie et en Russie.
L'administration des concerts du Waux-Hall donnera aujour-
d'hui dimanche, à une heure et demie, un grand concert au
théâtre de la Bourse, avec le concours de M"« VVolf, du théâtre
de la Monnaie, de M. Ysaye, violoniste, et de l'orchestre complet
du théâtre de la Monnaie.
La seconde partie du concert sera consacréeà l'audition d'ceu-
vres de Richard Wa^jncr, . -
Un comité syndical est institué par VUnion littéraire pour la
protection des intérêts des gens de lettres. Ce comité est chargé :
1** De l'étude des que^:i)nsse rattachant aux droits des auteurs;
S** de donner des avis et consultations sur les ditficuilés de fait et
de droit que soulève l'application des lois et arrêtés concernant
ces droits ; 3" d'indiquer la marche à suivre pour assurer le règle-
ment ou la défense des droits des auteurs, en Bel!][ique ou à
l'étranger; 4" des jugements, à titre d'amiable compositeur, des
différends qui lui sont soumis; .ï" des arbitrages qui lui seraient
déférés par les parties ou parles tribunaux; 6*^ de servir d'inter-
médiaire entre les auteurs, les éditeurs et la presse pour la publi-
cation des œuvres littéraires^. •.
Les avis et consultations sont donnés gratuitement aux rnavci'
h?es de V Union littéraire.
Le comité syndical se compose de MM. Edouard De Linge,
"Henri Merzbach, Edmond Picard, Adolphe Prins, Alphonse Van
Camp et Frédéric Descamps, secrétaire. Prière d'adresser fa cor-
respondance au secrétaire, 14, rue Saint-Jean, à Bruxelles.
Dans quelques jours paraîtra l'Epoque, revue mensuelle
illustrée de 100 à 150 pages, formant chaque année 4 beau.\
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qui ne seront pas mis dans le commerce. Le prix en est provisoire-
ment fixé à 5 francs pour ceux qui enverront, avant le 1" août,
leur souscription à l'imprimeur : Veuve Monnom, 26, rue de l'In-
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Dimanche 11 Juillet 1^6.
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PARAISSATsïT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LinÉRATURE
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Adresser les demandes d'abonnement et toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
^OMMAIRE
La fin de Satan. — Xatier Melleky. Le Don de Majorité. -^
LiTTÉRATUBE VAGABONDE. CoNCERT ATJ ThÈATRE DE LA BOU-RSE.
— CORRESPOXDANCE. — CONCOURS DU CONSERVATOIRE. — CHRONI-
QUE JUDICIAIRE DES ARTS. Une artiste disputée. — Petite chronique.
LA ï\\ DE SATAX
L'œuvre a paru voici déjà longtemps. Mais il n'est
jamais trop tard pour parier des livres éternels.
Jadis, dans l'enfance des cerveaux et des coeurs,
c'était la gloire d'un peuple entier d'en faire de sembla-
bles L'Inde, la Perse, la Grèce, la Judée, la Scandi-
navie tiraient delles-mèmes, au bout de plusieurs siè-
cles, des fables magnifiques, d'une poésie mystique et
humaine à la fois, d'une hantise et d'un symbolisme
8uprèmes. Elles s'imposent aujourd'hui avec leur
immensité d âge et de splendeur dressées devant
elles, et nous les étudions encore soit documents, soit
épopées : la vie héroïque et quotidienne des peuples y
est scellée. Autant d'ailleurs que les conceptions surna-
turelles : et ce sont les Vedas qui disent l'émigraion
des Aryas vers l'Indus, la pensée et les espérances des
lointains ancêtres, et le Zend ou le dualisme religieux
est pour la première fois réalisé en légende persane, et
les llliades dont les rhapsodes célèbrent la vie humaine
et divine autour d'un idéal de conquête et de guerre, et
les Bibles d'où l'Europe entière est jaillie avec ses dog-
mes, ses cultes, ses forces d'àrae et d'intelligence, et les
Sagas y chants de mythes norses et teutons, où toute la
tragédie de- la nature s'échevèle., Ces poèmes apparais-
sent énormes comme des monuments. Ils se bâtissaient
comme les séculaires pyramides, comme les Thèbes et
les Babylones et les Ninives. Fourmillement dans la
construction, unité géante dans l'achèvement. Et comme
ces villes immenses, incessamment aussi ils se transfor-
maient, les dieux changaient de nom, les épisodes de
signification, les théogonies de caractère. Dans l'Inde,
après Varuna, Agni et Indra venaient Brahmâ, Vishnu
et Siva, en Perse les Devas étaient peu à peu aban-
donnés, les divinités grecques émigraient et changaient
d'appellation à Rome. Et ces métamorphoses restaient
aussi bien que. les premières versions — collectives.
La Fin de Satan, troisième p)artie d'un poème dont
Dieic et la Légende des siècles font l'unité, appartient
à cette catégorie d'écrits énormes, et peut être pris pour
une continuation de la légende chrétienne, venue jus-
qu'à nous depuis la Bible à travers l'Evangile. Elle a
toute la grandeur, toute la beauté, toute l'immensité,
. tout le vague, toute l'horreur nécessaires. Elle f^iit
rêver, par sa construction géante, aux œuvres faites de
siècles et de lointain, si hautes et si magnifiques qu'elles
semblent au dessus de l'efibrt humain. Elle contient sa
part d'absurdité mythique, elle n'est pas vraisemblable,
elle n'e^t guère un poème épique, voisin du roman.
Elle semble inspirée.
Seulement, ce qui la nette des légendes d'antan, c'est
qu'elle est signée d'un nom, d'un seul.
Au degré de civilisation et d'incrédulité où nous
sommes, les peuples sont inaptes à construire des épo-
218
VART MODERNE
pées religieuses. Le « cœur d'une nation »» qui les
créait n'est plus qu'un terme banal pour discours parr
lementaire ou pour cantate. La poésie patrioiique elle-
même est morte et ensevelie dans un drapeau tricolore
quelconque avec un aigle héraldique qui lui mange le
foie. Finis! tout enthousiasme collectif vers les idéals
anciens : Dieu, gloire, renommée ; tout empoitement
d'âme qui partait des ancêtres pour traverseï* les descen-
dants, tout rêve de matin ou de soir qui montait de la
terre vers les inaccessibilités surnaturelles. Pour per-
sonne plus Anadyomène n'est l'aurore, ni Indra la cha-
leur tiède ni la pluie fertile.
Nous serions sans poésie colossale, si tels g*' nies ne se
levaient soudain et n'incarnaient en eux l'utopie de tout
un siècle. C'est ce qu'Hugo a fait.
Afin qu'un tel phénomène artistique se réalise, il
faut des circonstances spéciales qu'il a eu le malheur
de traverser; il faut la solitude. Pour lui elle a été
l'exil. Banalisés par l'incessante et quotidienne vie les
cerveaux les plus magnifiques se dépannent dans le
moment et s'émiettent dans les jours. Aussi long-
temps qu'il vécut en France, ce furent la famille et la
patrie qui l'attirèrent. Il fit les Feuilles tVautomne et
\e^ Chants du crépuscule. Il ne vit rien au delà de
Canaris et de Napoléon. Sortir hors du temps et hors
du siècle pour écrire Hors de la terre y c'était le but.
Là-bas à Jersey, la mer lui fut ce que l'Aigle et l'Ange
et lé Lion furent aux évangélistes. Il se conquit aux
inspirations suprêmes, aux vivions énormes, aux trem-
blements de la chair devant l'infini, aux ennuis et aux
dégoûts de l'homme et des choses. Il vécut dans les
perpétuelles épouvantements de la nature, dans lés
tempêtes de nuit et d'ombre et.de flots, dans les cris
immenses des vents aux quatre coins de l'espace. Il
était visité par les grands souvenirs, Jean à Pathmos,
la Pythie à Delphes, Prométhte au Caucase, Jérôme
au fond de son désert. Il sortait bouillonnant d'huma-
nité d'une révolution tragique et tout à coup ce con-
trastant silence et cette immensité de seul à seul
entrèrent dans son esprit antithétique. La fin de
Satan et la Légende des siècles y devaient fatalement
éclore.
Aussi est-ce des premières années d'exil, après les
Châtiments^ qui ne sont qu'une préparation à rebours
au grand œuvre que les plus superbes poèmes sont
datés. Il y a eu brusquement une telle impression
superhumaine dans l'imagination et le cœur du poète
qu'il n'en a pu différer la confession en art. C'est de
logique entière.
La Fin de Salait, c'est Satan pardonné. Depuis que
le porteur de lumière et d'orgueil a été précipité des
Empyrées aux Enfers, il rêve dans le silence immensé-
ment ténébreux et suppliciant. Tortures d'âme conti-
nues comme des grincements de vrille ; pas de sommeil,
jamais ; pas un espoir debout, là-bas, derrière des mil-
lards de siècles ; pas une halte, le temps d'un soupir,
dans la diurne et nocture gyre sur place des remords ;
regrets, prières, blasphèmes, poings levés et regards — :
inuiiles et indifférents. Satan, pour se venger, a jeté
sur terre le mal qui s'incarne dans le Glaive, le Gibet
et la Prison. Les héros des deux premiers livres sont,
ici, Nemrod, et plusloin, Jésus de Nazareth, le Christ.
Un jour, l'Ange Liberté, naît d'une plume échappée
jadis à l'aile du Maudit. Cet Ange, du consentement de
Dieu, délivre son père, Satan, qui redevient Lucifer.
N'est-ce pas, comme nous le disions, la légende
chi-étienne, modifiée d'après les utopies modernes de
bonté universelle et Hugo ne semble-t-il point conti-
nuer la série des prophètes interrompue? Quand le
Christ prêchait la doctrine de charité, sa philosophie
ne détonnait guère plus dans l'égoïsmè et le matéria-
lisme de l'époque césarienne. La clémence et la pitié
pour tous, — Pitié suprême — marquent d'unité l'œuvre
entier d'Hugo. La Fin de Satan, en est la plus
sublime expression. Au reste, quand on écrit qu'Hugo
incanie le siècle, on ne songe assurément point à l'au-
jourd'hui scientifique et positiviste. Depuis vingt ans
nous vivons d'une autre âme que nos pères; à l'enthou-
siasme, à là foi, à la croyance au bien universel nous
avons substitué un désenchantement général.
Hugo a incarné cette période de renaissance énorme
et cette heure magnifique où l'esprit sorti de la révolu-
tion française s'est le plus largement déployé : 1830.
Cette date est un sommet qu'il domine. Alors tout était
espoir dans l'avenir, rêve de félicité et de joie. Fourier
et Saint-Simon étaient grands hommes. Tous les écri-
vains, de Lamartine à Georges Sand, détaillaient une
philosophie de bonheur. Une trinité d'idéal politique :
la liberté, l'égalité, la fraternité s'inscrivait en dogmes
dans les lois. Les plus larges plans humanitaires des-
cendaient des plus larges fronts. Les penseurs, c'étaient
les poètes.
Aujourd'hui que le terre à terre sage et savant de
M. Auguste Comte règne, la Fiii de Satan ne sera
plus considérée que comme une fantaisie un peu lourde.
Cependant, guère envolée de vers plus large n'a passé
dans les lettres. On a sans cesse la vision d'un énorme
oiseau fait d'éclairs qui aveugle et monte. A certains
passages capitaux, telle la mort du Christ, telle la mon-
tée de Nemrod dans les airs, les strophes magnifiques
jaillissent comme des flammes infatigables d'un brasier
énorme. Il y a — passez nous le mot — des décharges
de génie, des éblouissements répétés de grandeur et de
forces littéraires, des faisceaux d'alexandrins hérissés
de gloire et de légende comme, une panoplie de glaives
d'or. Aucune poésie du passé n'est aussi immutable-
ment grandiose, de la préface à la table. Et toutes les
inspirations y trouvent miroir. Elles se réfléchissent, la
UART MODERNE
^\^
vigueur épique et barbare dans le Glaive,}^ douceur
biblique et pascale dans le Gibet, et surtout l'horreur
tragique dans Satan dans la Nuit, Hugo a réalisé des
rêves de chaos plus saisissants que les plus effï^ayants
abîmes. Use dépense à donner voix à l'ombre afin de
la rendre plus muette et lumière afin de la rendre plus
noire. C'est un des plus curieux mystères d'art que
cette aperception de clarté et de son, terrifiant plus que
du silence et de l'obscurité. L'esprit a l'impression
d'avoir perdu sol' et de baller dans un grand vide
hostile fait d'épouvantement et d'une douleur de
pierre. L'horreur tragique s'agrandit en horreur
cosmique et l'on se souvient des cataclysmes lointains,
des infinis de ténèbres et des nuits" éternelles où les
dieux vaincus s'engloutissaient.
La nuit qu'aucun jour n'interrompt,
Gisait dans rétendue effroyable et sublime,
- Ce précipice était de la mort, fait d'abîme. ^
Gu y sentait flotter du sépulcre dissous,
Gn voyait de la nuit sous la nuit, au dessous
De l'ombre dans un vide étrange on voyait l'ombre...
C'était du vide en pleurs et du miasme qui souffre,
D'affreux rocs ébauchaient de noirs décharnements,
Gn croyait dans la brume épaisse par moments
Entrevoir le cadavre eflfrayant de la Cause.
Tout était mort ; Satan flottait dans quelque chose
D'informe et de hideux qui paraissait détruit,
De sorte qu'au milieu de la fétide nuit, '
Tout étant noirceur, peste, épouvante, misère,
Lividité, ruine, il semblait nécessaire
, Qu'au fond de cette tombe on vit ramper ce ver...
Ge style souterrain, brouillé comme des laves de
volcan, continue pareil, vingt pages durant, et reprend
à chaque partie du livre pour nous montrer la géhenne
où Satan pleure. Il est de la plus sombre et de la plus
vivante splendeur, toujours. r^-r^
C'est pour nous la plus géniale marque d'art du livre.
Certes l'immense figure de Nemrod nous fixe eff rayam-
ment grandie et fabuleuse, et l'inoubliable et blanclie
face du Christ n'a guère été nimbée de plus de clarté
tendre et mystique. Mais remuer du néant et du vide,
des ténèbres et de l'effroi et leur donner une vie ou plu-
tôt une mort plus sinistre que dans la Bible elle-même
ne fut jamais aussi victorieusement réalisé. Certaines
phrases avec leurs déroulements de vers prodigieux
apparaissent comme des hydres monstrueuses. D autres
se roulent, s'embrouillent, se ramassent, se vomissent
et s'épandent en vapeurs noires. Pas une rime ratée,
pas une expression fausse. Si l'on a cru voir de la
rhétorique parfois c'est que les facultés du lecteur n'ont
pu monter jusqu'à comprendre le texte. La Fin de
Satan est donc un livre suprême et justifie une fois de
plus ce qu'un autre grand poète, Stéphane Mallarmé,
dont certes la poétique est étrangère à la pratique
romantique disait : Hugo c'est le plus grand poète du
passé.
}(avier ^eIlery
Le Don de Majorité.
Xavier Mollory, comme ses pairs, les solitaires et les* contem-
platifs, demeure limité à racceplaiion du petit nombre. Le
public, au sons étendu du mot, n'a rien à voir dans son œuvre;
ce n'est pas la banale auberge ouverte à tout venant et qui se
remplit des rirds bruyants de la foule ; la maison est grave et
discrète,' au contraire; on n'y pénètre qu'à la condition d'appor-
ter une compréhension volontaire et refléchie. L'artiste, en effet,
no fait appel h aucune excitation extérieure; il ne recherche ni le
compliqué dos épisodes, ni les malices de la composition ; encore
moins songe-t-il ^ violenter les yeux par la supercherie du colo-
ris. D'une pesée constante de son cerveau, il s'efforce d'exprimer
avec clarté et intensité, d'après les indications de la nature,
l'émoi ion secrète et intérieure de son sujet tout autant que ses
dehors Sensibles. Par moments même, ks réalités ne lui
semblent plus qu'un prétexte à identifier des sensations tout
immatérielles. Tantôt, dans l'austérité recueillie d'un coin d'ate-
lier décoré d'un bahut hollandais qui semble le personnage
vivant d^ cette solitude, il arrivera par d'irrécusables prestiges
à fixer l'impression du silence; tantôt un vieux jardin claustral,
ombrant une masure aux briques effritées, dans une lumière
raréfiée et crépusculaire, lui permettra, grâce à une mystérieuse
spiriiualisalion de la couleur, de ductiliser le songe de l'âme
heureuse dans la paix des déclins.
Il n'a point recours, dans ce cas, au témoignage de la figure
humaine : il lui paraîtrait condescendre pour matérialiser l'illu-
sion; cellç-ci naît des seules suggestions des choses, d'un don
spécial d'en saisir les significations intimes, d'un art pénétrant à
grouper leurs particularités commle les traits physionomiques
d'un portrait. Si bien que rien lï'est plus subtil et plus multiple
que celte laborieuse simplicité qui sacrifie aux détails essentiels
toutes les végétations parasites et qui ne frappe si fort que parcs
qu'elle frappe toujours au bon endroit, c'est-k-dire dans le vif et
le plein de l'humanité.
La simplicité dans l'expression et la composition, par l'épura-
tion du contingent et la concentration du sentiment sur un point
déterminé, tel est, en effet, le signe par excellence de ce talent.
On pourrait en rencontrer les origines dans la discipline d'un
esprit sévèrement nourri de la moelle des précurseurs immédiats
de la renaissance italienne, mais surtout dans les aptitudes con-
stiîutives de cet esprit, concerté, réfléchi, logique, peu variable,
épris de rectitude et de symétrie, enclin naturellement à recher-
cher l'aliment intellectuel dans le.s milieux simples du peuple.
Cela seul serait déjà une cause de discrédit pour le public ; la
noie grave et appuyée chagrine sa futilité, plus à l'aise chez les
artistes dispersés; il veut qu'on lui plaise et qu'on flatte son goût
du joli. Au contraire, la simplicité touche à la grandeur : sa
médiocrité s'insurge contre tout ce qui la dépasse. Et pourtant,
malgré ce désaccord, l'invincible respect pour un art supérieur
opère ici en partie le charme que déterminent ailleurs la curio-
sité et la naturelle sympathie pour les œuvres simplement
aimables. Je veux dire qu'à chaque labeur nouveau du penseur et
du poète, car les deux se fondent dans celte douce et sérieuse
physionomie, le cercle de l'indifférence est rompu. On l'a vu ces
jours derniers encore, à propos de la belle composition exposée aq
Cercle artistique de Bruxelles.
Celle noble pnge a une histoire : elle sort d'une pensée fami-
liale. Comme elle esl du nombre de celles qui ne périront
qu'avec la matière fragile à laquelle l'nrlisie lésa confiées, peul-
élre n'esi-il pas inuiile de dire corhmonl' eH(*a vu le jour. Un ami
de Tyrl, un écrivain du plu» rare mériie, un père, W. Edmond
Picard, féiaul la majprilé de son (ils aîné, eut la touchante idée
d'illusircr celte date par un monument durable. 11 s'adressa à
Xavier Mellery. Celui-ci se mit aussitôt au travail;, Tœuvre, au
bout de deux mois, vint s'associer aux sympathies qui entou-
rèrent l'avènement ^ l'indépendunce du jeune homme. Elle fut
le cadoau des fiançailles de Gcorgrs-David Picard avec la Vie.
L'événement hiimémc est commémoré par deux dates inscrites
sur le socle : 4865-'I886, à côté du nom du destinataire. C'est le
premier stade; au dtlà s'ouvre l'illimilé des destinées humaines.
L'artiste, avec une grande élévation, a su (évoquer tout à la
fois la fin des ccriitudcs et le commencement des conjectures. Il
a combiné le moiiicnl où 1; lion dos tendresses parentales se
dénoue avec l'instant où la société, à son tour, enlace de ses
réseaux l'homme naissant. Ce n'est déjà plus h présent, et ce
n'est pas tout à fait l'avenir. Minute anxieuse pour ceux qui, du
poct, regardent se carguer la voile au hasard dès vents et accom-
pagnent de leurs vœux le jeune argonaute en sa conquête des
Hespérides.
Toutes ces significations sont perceptibles dans l'enthousiasme
sacré du jeune héros et dans la mélancolie du groupe familial,
le père et la mère sans larmes, tous deux déjà à demi entrés
•» dans la pénombre dos souvenirs, tandis que s'éclaire dans les
hauteurs la théorie ascendante des Parques, symboles vivants
des heures nouvelles. Une solennité particulière résulte de la
gravité des visages pendant ce douloureux arrachement et com-
munique la sensation correspondante d'un acte solennel, dont
l'importance va cliangor l'existence commune. On dirait de ce bel
adoloscent nu, aux narines palpitantes, et qui lève sa tète inspi-
rée vers le ciel, Achille partant pour sa première bataille ou bien
encore \} radieux éplièbe courant à la défe;isj de la Patrie, dans
l'immorlol bas-relicf de Rude. Un souffle prophétique semble le
transporter; il ne conn[iît rijn encore d.'s sanglantes défaites de
la vie; la foi dans sa force lui donne réuivratU délire des
prochainiîs victoires dont seulement se berce sa chimérique
i;naginalion.
C'est, en eff'el, comme la Marseillaise des vingt ans qui exulte
de cette prom:ère renconire avec la liberté. Il croit être libre et
il ne s'aperçoit pas que dc\jù les impitoyables Fatalités, sous la
forme des Parques, s'apprêtent à lui noiier aux membres les iné-
luctables rets qui, pour la plupart des hommes, pénètrent dans
la chair, cruels çomm;^des la liôres. La mère, elle, semble prise
d'un doutj au moment où 1 oirreau, couvé par son giron, ouvre
ses ailes et se dispose à prendre son vol. Là lé te appuyée à la
poitrine de l'époux, ses soucieuses prunelles emplies des obscu-
rités de l'avenir, elle semble se demander ce que recèle l'échc-
veau des filandières : le fil qu'elles déroulent sur la tète du jeune
affranchi sera-t-il fait d'un rayon de soleil ou tissera-t-il des
ténèbres? Ilien ne répond à cette question an-xieuse : la chanson
^ilée du départ vibre seule sur les lèvres de celui qui s'offre aux
Providences inconnues, cependant que là haut, dans h* silence
des airs, on croit entendre la rumeur des fuseaux qui se dévident.
Examinons de plus près cette belle image de la vie. Au centre,
comme le nœud logique de la composition, se dresse la silhouette
du jeune homme. Sa droite est entre les mains d'une des
Parques; elle rentr»tnc; déjà il fait un pas en avant de ce côlé.
li si^mble qu'elle vienne de lui passer au doigt l'anneau mysté-
rieux qui le marie à l'humanité. Mai» il n'est pas entièrement
détaché encore dé la famille;, les doigts maternels noués aux
siens, lardent à ronipre le dernier chaînon qui le retient à la terre
sainte du foyer. Sa main à elle est pareille à l'ancre sur laquelle
se balance le navire frémissan', dans l'instant qui précède l'àppa^
reillage. Quant au père, il paraît comprendre l'inulililé dbs
révoltes; une nouvelle mission lui incombe, celle do consoler'
l'épouse dépossédée de sa géniiure. Un bras enlacé autour de ses
épaules, les yeux abaissés 'vers le sol, il a l'air de vouloir la
défendre contre les obsessions dont il ne sait pas se détendre lui-
même. D'ailleurs, la famille, im'e par un bout, recommence par
un autre : c'est pour montrer son éternité renaissante que l'arlisle,
sans doute, a dessiné, dans ce coin d'affliction et d'ombr<?, la
grâce d'un joli enfant, encore inconscient du mal des adieux et
qui ébauL'lie le g.îstre folâtre d'une partie de jeu avec les oiseaux
et les papillons. Tout, en effet, a son sens dans crtle allégorie :
le remplissage n'y a point de part; jusqu'aux sinuosités du fil
volant par l'espace semblent indiquer le flollanl caprice des des-
tinées.
Cependant, l'œuvre énigmalique s'accomplit. Tandis qu'une
des sombres ouvrières, celle qui s'aperçoit à gauche, demi-
envolée dans uu mouvement qui signale le graduel détachement
des affections filiales, déroule les fuseaux de la vie, la troisième
filandière, suspmdue et planante au dessus de la scène, imprime
au fil une courbe aiifilée qui l'enferme elle-même, comme si par
ce symbole était rendue sensible la dépendance aux lois d'une
volonté supérieure. Le fil, à cet instant, décrit les serpenlaisons
d'une sorte de lazzo joté autour du jeune homme : son ardeur
bientôt sera maîtrisée par celte bride dont la main de Dieu tient
les bouts, dans l'infini du Temps et de la Conjecture. Chacune
des trois sœurs obéit visibljmenl à une prédestination dilfrrente :
toutes trois, prrsqie tragiques à force d'être scellées, sont comme
ridér.le projection de la Destinée par dessus la volonté des
hommes; l'une entraîne d'un geste qui garde encore de la dou-
ceur; l'autre déchjvèle, inexorable, la trame des jours; la troi-
sième, ceile-là qui couronne la composition, tourne la face vers
les parents cl se rattache à l'idée du berceau par cette contem-
plilion. On voudrait trouviT un encouragemenl dans leur visage;
l'Inconnu auquel elles sont soumises ni le leur ponnel pas; elles
cèdent à la Fatalité dont elles sont les aveugles ins'rumenls et
qui, tout à l'heure^ emportera l'Homme engendré de ses vingt airs.
L'arlisle, toutefois, en leur donnant le mystère, leur a donné
aussi la beauté; sévères comme le Devoir et la Nécessité, elles
gardent, dans leurs lignes magnifiques, comme un charme secret
d'esp('Tance; ce sont les servantes du Destin, mais avec des corps
de défcsses, pareils d'éternité. Et rau>tériié de l'allégorie semble
vouloir se soulager volontairement dans leur grâoe aérienne et
volante, comme dans la pensée d'une intelligence que la vie a
détachée de sa souche originelle et qui monte toujours plus haut
vers le Bien et le Vrai.
Ces décevantes figures s'enlèvent sur les clartés dun fond d'or,,
sombres comme la nuit de laquelle elles procèdent. Autour
d'elles, le vent des étendues secoue les plis de leurs luniques;
elles ont les élégances pleines et déliées des plus nobles bas-
reliefs. C'est tout à la fois, selon qu'on veut, comme une fresque
en miniature qu'elles semblent emplir de leurs attitudes ailées, et
comme une sculpture ciselée dans le bronze, avec un mélange des
formes longues de Bcnvonuto et des rvUimcs souples de Prudhon.
Celle double évofiaiion s'émane^ en elfel, dos graves ordonnances
cljoisies par le peinlre en même téntps^ue des aspects extérieurs
dont l.'s revôl la patine chaude de l'or combinée avec les estompes
de l'en Te de Chine.
Je n'héniie pas à dtre que le cerveau d'où est sortie cette b ;lle
œuvre, a donné là toute sa mesure : il entre par cotte porte dans
la grande famille des esprits qui ont su extraire de la vie ses;
sigiii-fîeations complexes; le Dtm de viajonlé de Geopg*'S- David
Picard, pour lui consTver son nom, propose l'obscur problème
humain qui se dresse chaque fois* qu'un enfunt prend îa loge
virile. La Poésie et la Philosophie, ces fîllesjumcllos de l'Art, s'y
donnent la main, dans un accord absolu de la faculté qui conçoit
et de la faculté qui exprime; et l'une se recueille, tindis que
l'autre sourit. Je n'ai qu'un regret, c'est que cotte commémoration
émouvant; d'une date de s^n existmce demeure uniquement
vouée aux mé iiiations ei aux jouissances spiriiuelies de celui
pour qui elle fui faite. La nohb allégorie, qui alimentera désor-
mais son bonheur solitaire, aurait pu servir à de plus 1 irjîes
admirations, si h malheur des directions de beaux-arts ne con-
sistait à s'aviser de Toxisience des ch^fs-xl'œuvre, quand déjà
ceux-ci se sont d 'robes à leurs prises.
Camille Lehonnier {Le Progrès).
JiITTÉRATURE VAQABONDE
lia teppe d«s merveille». — ^ Promenad« au Parc national de
rAώrique du Nord, \nuc Jules Lbglercq. Paris, Hachette et G'*.
r
La Terre des merveilles que décrit M. Jules Leplercq dans le
volume qu'il vient de fa're parjîire, c'est la région située au
cœur des Montagnes Ro/heuses qu'une loi du Congrès des Etats-
Unis à érigée en Parc public plicé sous la surveillance de
l'Elut.
Neuf mille kilomètres carrés de superficie, c'est-îi-dirc le t'ers
environ du territoire de la Belgique, inaliénables, uniquement
réservés à l'agrément et ù l'instruction de \.\ nation, et compre-
nant un lac immens?, — la Yellowslone, — les sources du Mis-
souri, la rivière du Serpent qui se dirige de là vers la Colombie
et l'Océan Pacifique, la Rivière verte, dont le ours se précipite
vers le Colorado et le colfe do Californie, -un réseau de vallées
dont l'altitude varie de 4,800 h 2,500 mètres, des massifs de
montagnes qui les surplombent de 3,000 à 3,700 mètres, voilù
ce qu'est ce Parc national, qui nous paraît laisser quehiuc p:^u
derrière lui les pares el les squares de Ii vieille Europe, — y
compris la partie « réservée aux artistes » de la forêt de Fontai-
nebleau.
M. Jules Lec'orcq est b premier voyageur qui ait publié en
français la relation complète d'une excursion à la Terre dos .Mer-
veilles. Sa hauto compétence en matière de voyages feront
rechercher son livrj au point de vue documentaire, ei le charme
de sa plume alerte, enjouée, aimable, le fera lire.
Invinciblement on se soni pris, en parcourant ces 360 pages
nourries, subslanlicllcs, ég:iyées d'anecdotes el de souvenirs, <ie
la griserie du voyage, et l'esprit galope, en croupe du récit, par
de lli les Allaniiques, vers « celte terre d'enchantements el de
prodiges, où la nalure semble avoir voulu meure en œuvre
toutes ses forces et déployer lout »s ses magnificences; où elle a
réuni les beaulés alpestres,, les vallées verdoyantes, les forêts.
les gorges, les lacs, les cascades, les torrenia, et comme cadres.
sttblioEies à ces tableaux oncb inleurs, des nionlz^ies sourcillcuses^
dont les éternels diadèmes do noige élincelleiit sous le ciel pur
et lumineux dos hautes altitudes. »
Ou croit voir, eu lisant les enthousiastes description^ que fait
le voyageur des sources du Mammouth, des blocs d'obsidienne,
de la vallée de la Firehole où jaillissent des fusées d'eau bouil-
lante avec dessifilomcnts, des soupirs, des grondeaients évocaifs
de quelque monde mystérieux, les merveilles auxquelles donna
naissance l'imagination des trappeurs : les montagnes de cristal,
les lacs de poix bouillante, les palais el 1 îs le np'.es aux archilcc-
turts inconnues, aux portes serties de perles, aux murailles
élincelanles d'éméraudcsel d'opales, les peuples pétrifiés en châ-
timent de crimes monstrueux et condamnés k défendre dans
l'immobiliti) glacée do la mort l'accès des soliludos mornes dans
lesquelles est anéanti leur royaume.
Celle crainte superstitieuse qui écarta jusqu'en 1870 la curio-
sité des visiteurs, .M. Leclercq nous la fjil partager, el aussi la
joie de chovaueher, au galop d'un poney indien, à travers colle
prodigieuse contrée, do dormir sous la lento, au bruit do l'inces-
sant tumulte des geysers en travail, parmi les volcans de boue, les
vomissements sulfureux., les expoctoraiions laiteijses, nacrées ou
sang'a;Ucs do la terre.
Il noie avec une extrême exactitude tous les phénomènes aux-
quels il assiste, sans perdre do vue le côlé anecdotiquo du récit,
fidèle au programme que, dans les ouvrages précédon's dont
nous avons fait 1 éloge^ la Terre de glace, Foyige au Mexique y
Un été en Amérique, etc., l'auteur s'est tra ç.
C'est, pensons-nous, la qualité doininanîe de M. Jules Leclercq
que celte .précision dans les renseignements scieatifiq les ou
ethnographiques qu'il donne sans pédantcTio, au cours d'une
narration sincère el sobre. Peu do voyageurs sont aussi con-
sciencieux (jue l'auteur do la, Terre des Merveilles, et nul ne met
dans ses relations tant do scienee modeste el sûre diollo-même.
M. Leclereq occupe dans 1 1 litléraiure des voyages la première
place. El néanmoins, par suiio du phénomène qu* nous avons eu
di'jà l'occasion de signaler el qui résulte de l'exiguïté du pays,
il n'est connu en Belgique que d'un noyau res'roint do lecteurs.
Avec ses goûts, su passion d'ind i'pontance, les jouissances qie
lui f )nl éprouver les sp^itacles do la nature, notre auteur ne
doit guère se préoccuper de la céiébriié. Peut-être que le jour où
la poj)ularité ira îi lui, il en sera fort surpris. Tel que nous le
connaissons, il est capable de reprendre aussitôt la mor et, pour
échapper aux obi galions que crée li situation offieielle d'un
homme en vue, do retourner dans les contrées lointaines où la
corne do l'élan et du bison foulent le sol vierge dans le silence
g' acé des Monlagn 'S Rocheuses.
CONCERT AU THEATRB DE LA BOURSE
L'orchcs're du Waux-Hall s'est transporté, dimanche dernier,
dans la salle du théâtre de la Bourse, afin d'ajouter un concert
final à la série des Concerts populaires, concert Wagner destiné
peut-être à consoler les esthètes effarouchés par le très terrible
Tristan el qui réclamaient à cors el îi cris le concert extraordi-
naire composé annuellement d'œuvros du maître de Bayreuth.
Les habitués qui, par crainte de torridiié, se sont abstenus,
furent dans leur lort, car les présents ont pu applaudir une des
mt
\ •
meilleures inlerprétalions orchestrales de l'année : l'on eût dil
que, parmi ce public rcslreinl de fidèles, les musiciens du théûlre
se sentaient si parfaitement compris!
Des auditeurs spéciaux étaient venus écouler le violonisie
Ysaïe (quij d'après les bn-dit, remplacera ou essayera de rempla-
cer au Conservatoire Jenô Hubay, démissionnaire) et lui ont fiit
des ovations trop enthousiastes et trop répétées. Nous ne cont.'S-
lons pas au violoniste une facilité de doigts remarquable, mais
le coup d'archet manque d'ampleur et le son est mince : en
somme, un beau virtuose, un artiste point. S'il taut, nommer au
professorat un belge, hâtons-nous de réparer une cruelle injus-
tice, tirons de son demi-jour une admirable nature, un tçlo-
r!eux de demaiUj le liégeois César Thompson, le frère de lutte
d'Erasme Kaway, un autre glorieux de l'avenii;, que les médio-
crités et les envies encerclent d'obscurité.
M"® Wolff, du théâtre de la Monnaie, était le second snljsie et,
vraiment, nous ne pouvons lui adresser aucun éloge, mais plutôt
le sincère conseil de soigner sa voix, très fatiguée, et de ne point
choisir des mt)rccaux trop lourds pour son joli talent.
Correspondance
^ " . Bruxelles, 5 juillet 1886.
Monsieur le Rédacteur en chef, -
VArt moderne du 27 juin, que je lis tardivement, publie la
statistique des représentations données à l'Opéra de Berlin pon-
dant la saison 1885-1886, et ajoute, h propos des quaranie-trois
représentations d'oeuvres de Wagner (soit un sixième environ du
nombre total des représentations) : '■
« Ce qui étonnera apparemment ceux qui croient qu'il n'est
« plus question que de lui en Allemagne et inspirera quelque
« inquiétude si Von compte sur lui pour relever le théâtre chez
« nous. Aimé des vrais esthètes^ mais presque par eux seulsy
« tel paraît être le bilan actuel de so7i art. »
Il m'est impossible de partager l'inquiétude de VArt moderne j
au simple examen (le la statistique en question.
J'y vois, en effet, que les auteurs sur lesquels on compte habi-
tuellement, chez nous, pour faire des recettes, ont obtenu res-
pectivement.:
Meyerbeer, 12 représentations; Rossini, 8; Verdi, 11; Halévy,
4; Auber, 14; Donizetti, 10.
Ne pensez-vous pas, en supposant que l'Opéra de Berlin soit le
thermomètre de la vogue, qu'il y a bien plus d'inquiétudes à con-
cevoir au sujet des compositeurs ci-dessus et qu'il semble dan-
gereux de compter sur eux pour relever notre théâtre qui, d'ail-
leure, ne me semble pas tombé si bas?
Une statistique de 1881, que j'ai par hasard sous la main, donne,
pour l'Opéra de Berlin, toujours, les chiffres de représentations
ci-après :
Wagner, 33; Meyerbeer, 29; Verdi, 9; Rossini, 5; Halévy, 3;
Auber, 16, etc., etc.
De quel côté, M. le Rédacteur en chef, voyons-nous qu'il y a
progrès, en 1886, si l'on compare enlr'eux Wagner et Meyer-
beer?
Une conclusion, d'après la statistique des représentations de
l'Opéra de Berlin pour la saison de 1885-1886, est que M. J. Du- ,
pont peut, eu toute confiance, monter des ouvrages de Wagner,
les seuls\\i\], dans l'état actuel du théâtre, soient appelés à un
succès durable et qui ne coûtent pas les yeux de la tête en frais
de décor», de mise en scène, etc.
Veuillez agréer, Monsieur le Rédacteur en chef, l'assurance de
mai considération très distinguée:
EdM. EVENEPOËL.
Communiqué b MM. Joseph Dupont et Lapissida avec tous nos
encnuragemenis. Pour notre part, tious ne xiemandons pas mieux
que d'iniendre jouer du Wagner tous les soirs, niais nous ne
savons pas si tous les Bruxellois partageront cet avis. C'est tout
ce que nous avons voulu dire.
j30NC0UR? DU fîoN^ERYATOIRE
Suite (*). , ■
Piano (hommes). Chargé du cours : M. De Greef. — 1*"^ prix :
MM. Stranwen, Vanden Broeck et de Rademakers; 2** prix :
M. Gonzalez,
Piano (jeunes filles). Professeur: M. Aug. Dupont. — l*"" prix :
M"« Junca; 2« prix avec distinction : M"« Lecomle; 1^»" accessit :
M"'''» Roman et Herpain. Prix Laure van Cutsem : M"« Rachel
Ulhmann a remporté le prix à l'unanimité.
Chant (jeunes filles). Professeurs : M""* Lemmens, MM. Cornélis
et Warnois. — \" prix avec distinction: M"e Van Bcsten;
1" prix.: M"« Gérard; 2^ prix avec distinction: M"« Corroy;
2" prix: M"" Lagye, Brass, Neyt et Joostens; 1" accessit :
mîtes, piuys^ Nachtsheim, Slypsleen, Falize, Milcamps, Burlion et
Poispocl; 2« accessit: M"« Godineau. M"^^ Urbain et Passmore
ont obtenu un rappel du 2« prix avec distinction qui leur avait
été accordé l'année dernière.
Chant (hommes). Professeurs : MM. Cornélis et Warnots. —
{*' prix avec distinction: M. Vandergoten; 1«' prix: M. Van
Ruyskensvelde; 2« prix avec distinction : MM. Peeters, Boon et
Danlée; 2«prix : MM. Raquez, Vanderstappen et Frère; l*"" accessit:
M. Suys;2« accessit : M. Dony.
Chant italien. Professeur : M. Chiaromonte. — l*' prix avec
distinction : M"« Dedeyn; 1" accessit : M"« Pelyt.
Le prix de duos de chambre a été accordé à M"«» Milcamps et
Polspoel.
Diplôme de capacité. — M. Abraham Eldering, élève de
M; Jenô Hubay, a obtenu le diplôme de capacité à l'unanimité et
avec la plus grande distinction, après une épreuve qui n'a pas
duré moins de deux heures.
Jeudi aura lieu la clôture des concours.
JIÎHRONIQUE JUDICiy^IRE DE? ART?
Une artiste disputée.
La nouvelle direction du théâtre de la Monnaie a reçu cette
semaine le baptême judiciaire. Le premier carré de papier timbré
aux armes du royaume a franchi le seuil de la maison Dupont et
Lapissida, et lundi le tribunal de commerce a retenti des mots :
Engagement — Résiliation — Dommages-inlérêts — Dédit^ etc.
Voici le» fait. Une jeune artiste actuellement au théâtre de
La Haye, M"« Marie Vuillâume, a été engagée par les directeurs
de la Monnaie en qualité de première chanteuse d'opéra-comique.
Protestation énergique du directeur de La Haye, M. Lucien
(^) V. VArt moderne des 27 juin et 4 juillet.
Desuitcn. « Méprendre ma pensionnaire, jamais ! Je l'ai réen-
gagée. Elle m'apparlienl. »
De là le procès. M. Desuiten actionne dmnnt le iribiinal de
commerce MM. Dupont et Lapissida et leur tient ce langagt» :
a Rendez-moi ma chanteuse. J'ai l'âme grinde et ne vous
demande môme pas de dommages-irtlérûts. Mais si vous la gnr.lcz,
payez-moi le dédit stipulé dans rengagement que j'ai conlradé
avec elle. C'est trente mille francs. A prendre ou i\ hns^ev. »
La direction de la Monnaie préfère natureliemont ronsf^rvor
M'Je Vuillaume, qui a paraîl-il du talent — on se l'arniclK» ! —
et ne pas laisser s'échapper de sa caisse les trente pnVionx bilVts.
Il oppose à la demande une foule de moyensde proré-hiro p'us
ingénieux les uns que les autres, et sur lesquels le tribunal sta-
tuera demain.
^ETITE CHROJMiqUE
Nous apprenons avec plaisir que l'Ecole dos arts décoratifs, on
faveur de laquelle nous avons à maintes ropri'^os f lii campigm»,
est enfin en formation. EUe est rattachée à l'Académie dos Benix-
Arts, et ses cours s'ouvriront dès le mois d'octobre, h la rontrce
des classes.
Le Conseil communal, dans sa séance du 21 juin, a m's h la
tête de l'Ecole, avec le titre de sous-diroclonr, M Jo; n lîaos,
architecte. C'est là un choix excellent. La compélenc île l'iirtisle
est bien connue et son dévouement à l'enTepriso est ao(|ui><. Nul
doute que sous sa direction l'Ecole ne donne rapidcMnenl les
résultats qu'on est en droit d'espérer. , .
VAssociation wagnériénne universelle^ dan*^ une circulaire
adressée b ses* membres, préconise, pour le vovi'ge de Uayr u h,
l'emploi des billets circulaires combinés que l's clhMnins do f r
allemands mettent à la disposition dos voy»g'urs. Ces billots
donnent le droit de séjourner dans les priijcipa'es villes du par-
cours choisi ; en outre, les coupons, p>ur les lig'.es qui loijgnt,
le Rhin, assurent aux voyageurs la faculté de fatre en bateau à
vapeur le trajet de Mayence à Cologne.
Les billets combinés sont valables pour 45 jours ei assurent
un bénéfice de 30 p. **/o environ. La cirruhiire pn'codonio du
comité fixait le prix du voyage, a'Ier et roiour, en jiremiènî
classe à fr. 188-40, en secomle classe à fr. 130 60; il so trouve
réduit, par l'emploi du billet spéoialomi'ut c )niposé on vue du
voyage de Bayrcuth, rospectivemenl ù fr. 132-2o el à fr. 98-50..
Les personnes qui désireraient combiner un auliv iiitiéi'aire
peuvent s'adresser au secrélain; du comi é, luo Joseph il, 39. Il
tient à leur disposition les documents néc(S>airos.
Voici les villes comprises dans le parcoui's dj rilinéraire pro-
posé :
Herbeslhal, Aix, Cologne ou Deuiz, Bonn ou BcuM, Coblonce
ou Ehrenbreilsiein, Bingen ou Rudeshoim, Dirnisiadi ou Kranc-
fort, Aschaft'enbourg, Wurzbourg, ObL'nidorf-Schwcinfurt, Bain-
berg, Lichienfels, Bayreiitli.
Nuremberg, Wiirzbourg, Aschaffenbiurg, Darmslîult ou Franc-
fort, Bingon, Coblence ou Ehrenbreilsioin, Bonn ou IJvuel,
Cologne ou Deulz, Aix, Herbesthal.
Pour tous renseignements, M. La Fontaine se lient SjK'cia'e-
ment à la disposition des intéressés, le vendn di, de 4 à 6 liouros.
L'administration des concerts du Wanx-ILdI annonce pour
demain, lundi, un deuxième grand concert avec h? concours de
M"* Blanche Deschamps et pour jeudi une audition d œuvres dues
à des compositeurs russes.
Il manquait aux Vinglisles h gloinvde la caricature, co'te
suprême expression de la populariti'. Désormais ils n'ont jdus
rien à souhaiter. Voici, en effet, ce qu'on lit dans un (juoîilien :
« Quelques habitués de réiabllssemoni ^/l la Ville de l'erviers^
66, rue Haute, inspirés par la dernière exposition di-s XX, ont
fondé un cercle intitulé : Les Peinlistes, do«it la pre;nièro exp)-
sition vient de s'ouvrir dans ce local. Le Cercle des PcinlUlés^
voulant donner un but pratique à son œuvre, a transformé son
exposition en une tombola au profit de l'OEuvre de l'Hospitalité
de nuit. »
Le ihoAtre de la Bourse inaugurera la direction Maurice Simon
par une grande féerie : Le Pedt Poucet, déjà en répétitions, el
qui sera montée avec un grand luxe de costumes et de décors.
En attendant, les Martinetti donnent, concurremment avec
U auberge des Adrets, une pantomime nouvelle ^ Un duel dans
la'neige. , ^
La 9« exposition du Cercle Als ikkan «st ouverte à Anvers, en
la salle Vorlat (du 4 au 11 juillet). Elle se compose d'une cin-
quantaine d'œuvros signées Rosa Loigh, Adriaenssens, Alhracht,
Roland, Rrunin, Chappel, Desmeth, De Wit, Hanno, Lùylen,
Mortons, Pielers, Rink, Rul, Van EngeFen, Van Snick et* Van
Bourdon.
Le bulletin mensuel du Club Alpin français a annoncé demie-»
rcmoMl que les conseils provinciaux du Salzkammcrgul et de
Styrie ont pri.s, pour la protection de l'Edelweiss, la fleur de
volnurs dosAlpes, dos arrélés qui punissent d'une amende de 10 k
100 francs (200 francs en cas de récidive), l'extraction de la
plante avec ses racines. "
Mesure louable, on tant surtout qu'elle témoigne d'une ten-
dance à protéger les trésors naturels du pittoresque. 11 est k
souhaiter (juo choz nous oij tous les ans on détruit, où l'on gâte
quel jnos uns doi nos paysag'S ardennais par la stupide industrie
de^ rocluM-s qui niei en coupe les plus belles vallées, un tel esprit
so répande. Lo dommage est déjà incalculable et irréparable.
D'aniros brûles ont fait disparaître des bois charmants, ou des
pièces d'oau. 11 n'osl vraiment en Belgique que deux hommes
publics qui se soient préoccupés de conserver ou d'améliorer
SOS boanlés : le Roi, à qui l'on doit la conservation des vues sur
le Bas-!.>:rllos et sur les prairies de la Senne, le Bourgmestre de
Bruxelles, proj»agatoiir de la verdure dans tous les coins où elle
est possibli'îi Bruxelles, et qui nous préservera, espéi*ons-le, du
MétropnliUiin et de la iransformalion du quartier de la Montagne
de la Cour.
Nous recevons les premiers numéros (2^ année) du Musical
Standard, revue mensuelle p;iraissanf à Cincinnati (Ohfo) et
publiant des articles de fond sur la musique, des portraits d'ar-
li>tos, d( s compositions pour chant el piano, etc. La r^îvue a des
coirespondîints à New-York, Boston, San Francisco, Providence
(R. I.) et Sali>bury(N. C). ^ -
Cl si le 17 octobre prochain qu'aura lieu, au' square Vinli-
millo, rinaiiguration de la statue de Berlioz, œuvre du sculpteur
Lonoir.
La musique de la garde républicaine et des chœurs, dirigés
par M. Colonno, foronl entendre la Marche des Troyens el V Apo-
théose (le la Symphonie funèbre et triomphale.
M. Ambroist^ Thomas et M. le vicomte Delaborde, de l'Institut,
prononceront des discours.
L'ne pièce de vers de M. Charles Grandmougin sera récitée
par un artiste do la Comédio-Française.
Lé Moniteur des Arts, journal qui, certes, ne peut être soup-
çonné do ftvorisor l'S tendances modernistes de l'art, publie à
propos de TExposilion inlornalionale, acluellement ouverie rue
dj Sèz'', à Pari^, ce qui suit :
« FMisicurs noms nouveaux sont venus, rue de Sèze, se
joindre à ceux d? Cazin, <le Gcrvex, de Van Beers, que nous
sommes.accontumés d'y voir el ce ne sera pcut-êlre pns l'une des
moindres atiractions de l'Exposition, de savoir qu'à côté de
Ribora el Pnkitonow, nous avons P. Renoir el Claude Monet.
« Ce dernier surtout — voilez-vous la face, ô M. Bouguereau !
— est paraîl-il le héros du jour, le triomphateur.
tt Tout ce qu'il a" exposé est vendu, il apporte une toile à
9 lieuî« s, à midi elle a trouvé acquéreur. Qu'on vienne donc dire
mainionanl que les innovateurs sont toujours méconnus et que
l'avenir n'est pas à l'impressionnisme !»
m
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qui ne seront pas mis dans le commerce. Le prix en est provisoire-
ment fixé à 5 francs pour ceux qui enverront, avant le 1" août,
leur souscription à l'imprimeur: Veuve Monnom, 26, rue de 1 In-
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nes pour piano et violon. Seconde série, fr. 5 00.
I -
I
Bruxelles. — Imp. Félix Callewaert père. — V' Monnum successeur, rue de l'Industrie, 26.
• I
Sixième année. — N° 20.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 18 Juillet 1836.
L'ART
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE ORITIQnE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
ABONNEMENTS': Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser les" demandes d'abonnement et toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
?
OMMAIRE
L'Art et la Révolution. Paroles d'un révolté, par Pierre
Kropotkine. L'Insurgé, par Jules Vallès. — Une statue a
Lamartine. — Concours du Conservatoire. — Pantomimes. —
Chronique judiciaire des arts. Une artiste disputée. Art ou
jWi'nùgraphie. Le truquage: — Petite chronique.
— L'ART Et LA RÉVOLUTION ^^^
Paroles d'un Révolté, par Pierre Krapotkine, publié, annoté
et accompagué d'une préface par Elisée Reclus. Paris, G. Mar-
pon et Ë, Flammarion. — L'Insurgé, par Jacques Vingtras
(Jules Vallès). Paris, Charpentier.
Premier article.
Rien n'y fait ! En vain artistes et esthètes souhai-
teraient se maintenir dans le pays de Cocagne de l'art
pour lart ofi sous des cieux toujours sereins, se
déroulent élégantes et paisibles le&>4{fylles delà fan-
taisie pure. Du dehors, dïipres clameurs viennent
se mêler aux airs de fl fîtes et les couvrent de leurs
discords. Malgré elle, l'oreille des élus de ce paradis
fermé, devient attentive, la pensée s'émeut et rêve déjà
de s'envoler pour aller voir, et prendre part, peut-être^
à ces tumultes approchant.
C'est qu'en vain dans ce monde, solidaire et fraternel
quand même, on veut soustraire son àme au trouble
des iniquités sociales.
« Poète, l'heure est venue de ne mettre à la lyre que
des cordes d'airain «, s'écriait Tvrté saisi de la fureur
guerrière qui allait armer ses Messéniennes. Maintenant
que les poètes ne jouent plus de la lyre, on pourrait
leur crier : « L'heure est venue de tremper la plume
dans de l'encre rouge ". ^ -,
Car, en effet, le reflet de ce drapeau redoutable,
dressé ef claquant au dessus de notre scène contempo-
raine, chaque jour davantage, illumine toutes choses
de sa lueur. ' ' •
On sent venir , invisible et effrayant , le phéno-
mène. La nue qui contient l'orage n'esi pas encore à
l'horizon, mais déjà l'universel instinct en annonce
l'arrivée, et comme des prophètes, les écrivains se
dressent, non plus seulement les simples écriveurs,
mais les artistes, pour décrire le présent et ses iniqui-
tés, pour prédire l'avenir et ses catastrophes. .
La critique a beau s'en défendre et vouloir mainte-
nir sa vieille et rassurante démarcation entre l'œuvre
d'art proprement dite et l'œuvre d'art social. Périodi-
quement et de plus en plus nombreux dés livres, forts
et retentissants comme des projectiles d'airain, viennent
battre et ébranler la muraille, déconcertant la garni-
son musquée qui se croyait capable de la défendre.
Les criailleries se changent déjà en simples murmures
et bientôt se taira tout ce tapage de cigales. Le temps
n'est plus aux chansons et ceux qui sont assez aveugles
pour l'espérer encore, seront surpris dans leurs collo-
ques byzantins, comme les docteurs de Sainte-Sophie,
par Mahomet vainqueur entrant dans la basilique et
dispersant les pupitres sous les sabots de son cheval.
Déjà, à propos de Crenninal, nous avons signalé le
mouvement irrésistible qui ramène l'Art vers les mou-
.
226
L'ART MOÈERNE
vements sociaux qui deviennent l'obsédante préoccupa-
tion de cette fin de siècle. Le Barbare, plus tard le
Normand, plus tard le Turc, aujourd'hui I'Ouvrier, à
toute époque, un spectre inquiéta en sa tranquillité,
l'opulence. Et ce spectre, tourmentant prodige, veut
qu*on parle de lui. Déjà dans le livre, le tableau, la
statue il s'impose, il apparaît, il gagne : sa fantastique
et sombre silhouette fait paraître fade le reste et en
dégoûte. Après un accueil passager, le public délaisse
ou classe au second rang ceux qui s'en tiennent aux
fariboles. Il va de plus en plus à qui l'entretient de cet
avenir, pour les uns objet de terreurs, pour les autres
foyer d'espérances.
Deux livres, l'un nouveau : les Paroles cV un RévoUé,
par Pierre Kropôtkine, le prisonnier de Clervaux, l'au-
tre réédité : l'/nster^/cvpar Jules Vallès, l'ancien mem-
bre de la Commune, donnent à ces considérations une
actualité singulière et combinés avec les événements
tragiques qui, de plus en plus nombreux, se déroulent
autour de nous, jettent une clarté nouvelle sur des
idées qui nous furent toujours chères et que nous déve-
loppions dans Y Art Moderne k une époque où les temps
paraissaient moins proches.
Car, de l'avis de tous les penseurs, en vérité ils sont
proches et les incrédules d'hier eux-mêmes perdent de
leur assurance. Ce n'est pas, comme lé remarque Kro-
pôtkine, l'imagination surexcitée d'un groupe de turbu-
lents qui l'affirme, c'est l'observation calme et scienti-
fique qui le dévoile, si bien que même ceux-là qui, pour
excuser leur indifférence, disaient : « Tranquillisons-
nous, il n'y a point de péril »», laissent échapper l'aveu
que la situation s'envenime. Et si, se détournant de ce
cuisant ennui et ruminant à nouveau leur pensée, ils
murmurent : « On l'a si souvent annoncée cette révolu-
tion. Pourquoi y croire? Elle n'arrivera pas «, tout de
suite, une secrète logique leur répond: « Pour tarder, elle
n'en sera que plus mûre et plus ravageante. A deux
reprises la révolution de 89 fut sur le point d'éclater,
en 1754 et en 1771. Souviens-toi de 1848 et de 1870.
Penses-tu, peux-tu penser ne fût-ce qu'un instant, que
cet immense travail intellectuel de revision et de trans-
formation qui s'opère dans toutes les classes puisse
aboutir et s'apaiser en faisant banqueroute? »
A l'analyse, à la description, à l'accélération, à l'exci-
tation de ce mouvement gigantesque qui changera la
direction des marées sociales, va l'art, invinciblement.
Qu'il l'ait voulu ou qu'il y ait résisté, toujours il a
obéi a cette mission que lui marque la nature. Quel-
ques individualités ont pu s'y soustraire par exception,
mais le mouvement de l'ensemble s'y est irrésistible-
ment conformé, et, par une récompense héroïque, ceux
qui s'y sont le plus docilement laissés entraîner ont,
daiîs le cours des siècles, toujours été les plus grands.
Les ftvntaisistes sont restés à un rang amoindri, parmi
le groupe aimable, mais à demi estimé, des amuseurs,
quelque chose comme les vivandières et les bateleurs qui
suivent 1 armée des vrais combattants.
Un art prend promptement sa place quand, incon-
sciemment ou non, il entre dans le détroit où roule,
énergique et rapide, le courant de ces idées. Il laisse
bientôt loin derrière lui les écoles légères, exclusive-
ment amoureuses de la forme, attardées dans les cri-
ques qui dentellent les riyes, valsant dans les remous
qui ne mènent à rien, sautillant ,sur les petites vagues
qui viennent mourir près des bords. Heureux ceux qui
sont repris par le flot central et qu'il emporte vers la
haute mer! leur destin pourra paraître plusTude, mais
c'est le seul où soit tout l'honneur.
La mission dé la littérature, comme force adjuvante
du progrès humain et comme agent le plus efficace des
transfori|iations sociales, est singulière et souvent dif-
ficile à démêler, soit qu'elle détruise ce qui doit dispa-
raître, soit qu'elle édifie les institutions nouvelles. Voyez
l'action de l'école réaliste, dissolvant avec l'âcreté d'un
acide, l'organisation bourgeoise qui, fera place, dans
un avenir prochain, à l'épanouissement des classes
populaires. Ses œuvres exposent dans une forme origi-
nale, étrange, choquante pour ceux qui sont attaqués
. et en péril, des faits, des sentiments, des mœurs. Ils
sont entraînants, curieux, ingénieux; ils laissent dans
les âmes des impressions profondes d'où résulte un
glissement général vers les conceptions inaperçues et
un déplacement de l'axe sur lequel tournent les préoccu-
pations humaines. Ce que les livres de ce groupe ont
fait pour miner la domination bourgeoise est effrayant.
En dépeignantles infirmités de la classe où ils prenaient
leurs sujets, ils ont atteint leur but artistique, mais sans
se douter du rôle de destructeurs qu'ils accomplissaient.
Quiconque délaissera la fantaisie pure, et regardant
autour'de lui, dans le monde où il est plongé, fera le
tableau de ce qui s'y passe, non plus en s'emparant du
côté anecdotique de la vie, mais en recherchant le
drame ou la comédie véritables, celui-là grandira, parce
qu'il réalisera l'art dans son expression la plus réelle :
celle de servir, en le préparant ou en le facilitant, à
l'accomplissement des destinées historiques.
Quand, parvenu à la maturité, qui seule donne le
sens des situations d'ensemble, on établit un rapport
entre notre temps et certaines périodes de l'antiquité,
on ne peut s'empêcher de faire un rapprochement qui
trouble et sert à mieux montrer ce que l'art doit accom-
plir. Le monde où dominait Rome était arrivé à l'état
d'épanouissement qui précède celui où la pourriture
commence. On sentait qu'il serait remplacé, et c'est
des invasions barbares que sortirent les éléments rajeu-
nissants qui couvrirent de leurs couches la civilisation
mourante. Avant que se produisirent ces irruptions,
les écrivains avaient promené sur l'écorce de l'empire
« /
. r
leur stylet littéraire et l'avaient partout profondément
scarifiée et déchiquetée. Leur art âpre et courroucé
avait ébranlé cet organisme, et ce furent eux qui en
firent crouler les premiers matériaux. Par un exemple
pathétique et formidable, ils ont montré ce que peut la
plume quand elle s'attaque à n'importe quoi. Ce qui
résiste à tout ne résiste jamais à Tart, et par cela même
son devoir est d'intervenir, comme réserve suprême,
pour donner les dernières poussées qui ruinent les
choses usées. C'est par les brèches que Tacite et Juvénal
avaient faites aux murailles impériales, pendant que
TibuUé roucoulait et que trinquait Horace, que les
barbares ont pénétré.
Aujourd'hui on n'imagine pas que de nouvelles inva-
sions intérieures puissent renouveler nos sociétés décré-
pites. Il n'est plus, aux frontières des nations modernes,
des vastes espaces mal connus d'où pourraient sortir
desi essaims brutalement destructeurs, portant avec eux
Jes germes d'une civilisation rajeunie. C'est de nos
sociétés elles-mêmes que viendra l'invasion, ce sont les
classes sacrifiées qui, montant, submergeront les clas-
ses dominantes quand elles seront aussi épuisées que
celles de l'Empire. C'est par elles que se réalisera le
salutaire phénomène, effrayant dans sa lente venue,
mais légitime et fécond comme les coupes qui rasent,
daps une forêt, les arbres mûrs, prêts à devenir bois
mort, pour faire place aux rejetons nouveaux.
• Èh bien, nos temps ont leurs écrivains préparant les
enftmt^ments sociaux. Eux aussi piochent le vieil édi-
fice, eux aussi y font les brèches par lesquelles se pré-
cipitera l'invasion. Cette grandeur s'attache à leurs
efforts.
Quai)d la mission artistique prend ces proportions,
que deviennent les théories sur l'art pour l'art, sur l'art
fantfiisiste, sur l'art réduit à la forme, sauf à mettre
sous la forme une pensée quelconque, comme on fourré
du son dans une poupée. Dans nos jours de combat,
il ne nous faut pas des opérettes, bonnes au plus à
faciliter la digestion des dîners bourgeois. Il faut penser
à descendre sur la place publique et à montrer ce que
l'art peut apporter de secours aux réformes que la
politique doit réaliser.
Les deux livres dont nous allons rendre compte,
V Insurgé et les Paroles d'un Révolté en sont des
exemples mémorables.
«yNE STATUE A JaAMy^RTINE
Î^Hi semaine dernière, il nous a été donné de célébrer
Fauteur du livre superbe, la Fin de Sata^i, — et voici
Lajwartine.
Nous avons dit pourquoi Hugo dominait le siècle ; il
est Incontestable toutefois qu'immédiatement après lui
se place l'auteur des Méditations. On les a souvent
opposés l'un à l'autre ; il est temps de les unir. La statue '
qu'on vient d'élever à l'un s'érige sur une place qui
porte le nom de l'autre. On ne pouvait mieux choisir.
On sait leur amitié durant la vie. Ils s'adressaient
des odes magnifiques qu'ils s'envoyaient en présents,
comme des rois. Hugo, le plus jeune, ne s'est jamais
départi d'un respect cher et d'une admiration complai-
sante. Depuis ses premiers recueils il parle «' du couple
homérique » qu'ils forment et tandis que lui « tient les
coursiers « Lamartine ^ porte la lance dans les combats
lyriques «. Ces présents se renouvellent et dans les
Orientales et dans les Feuilles d'automne. Les esprits
des deux poètes se confondent, ici, en littérature, plus
loin, en philosophie, enfin, en politique Tous les deux
ont senti l'utopie moderne souffler sur leurs cerveaux.
Et pourtant que de différence, si pas d'opposition,
entre leurs natures.
Hugo est rénovateur et s'impose maître rimeur ; il
révolutionne à coups d'alexandrins; il renverse les
bastilles officielles et monte aux remparts, avec du
rouge et de la flamme échevelés en drapeau ; il lutte
partout, au théâtre, dans la critique, dans le poème; il
fait des préfaces hurlantes d'imprévu; il n'est et ne
veut être qu'un poète -artiste et la forge de sa rhétori-
que flambe et rutile à travers la nuit classique comme
les fabuleuses alchimies à travers l'orthodoxie dés
sciences.au moyen-âge. Il attaque le dogme, renverse
Boileau sur Campistron, multiplie ses audaces — et les
Orientales k peine éteintes, il allume Notre-Dame de
Paris et les Feuilles d'automne à peine fanées, il
étale au soleil les Contemplations. Son vers apparaît
paré, royal, décoratif; sa strophe, toute grandie de
pourpre, marche dans la lumière et se reflète dans les
miroirs, l'un en face de l'autre, des rimes. On crie à l'in-
cendie et des glas d'alarme tintent sous les cloches
chauves des crânes académiques. Tout ce que la haine
et l'ignorance vomissent est délayé sur son œuvre et
Gustave Planche invente un nouveau fiel pour en ocrer
les Voix intérieures et les Chants du Crépuscide.
C'est de la rage, de l'envie, de l'épilepsie. On lui con-
teste tout, le style, l'honnêteté artistique, la langue. On
demande un asile pour interner ce dément qui a tué le
français et viole la grammaire.
Lamartine tout en provoquant une renaissance aussi
heureuse dans les lettres n'affiche point une telle intran-
sigeance. Il se dresse grand seigneur et ne discute
point. Au reste, la poésie ne lui est que passe-temps. Il
eii fait à ses moments perdus. Il improvise ses chefs-
d'œuvre à cheval, en promenade, en voyage. Le but de
sa vie est celle des fils de famille ; arriver à quelque
haut rang dans l'Etat. Dominer politiquement.
Peut-être n'aurait-il voulu se commettre avec les
journaux et les critiques. Il semble reprendre la tradi-
mmt
y
<
1
228
U ART MODERNE
tion où Chateaubriand l'a laissée. Révolutionnaire?
Oui, mais sans le savoir ou tout au moins sans le crier.
Il est inopportun d'analyser ses œuvres et de citer
toutes les farces de collège et les supercheries de potache
dont elles ont été l'occasion. Les journaux n'ont pas
tari d'anecdotes à ce sujet et chaque chroniqueur a cité
la sienne. Ce que Graziella, l'innocente, a fait infliger
de pensums!
Nous ne voulons insister que sur un point exclusive-
ment littéraire. Comment se fait-il qu'après un exil de
vingt ans, Lamartine se réinstalle tout à coup dans la
cité bâtie de marbre et d'or des poètes et triomphale-
ment soit acclamé par les plus jeunes et les plus hardis
des rimeurs? . \
Et tout d'abord : un jour de causerie bien intime,
là-bas, chez Lemonnier, quelqu'un de nous ouvrit au
hasard Jocelyn, et lut une centaine de vers.
C'était, voici deux ans, c'était, avant la rentrée en
gloire du poète. Une fin d'automne flottait au loin,
parmi le paysage. Les feuilles par poignées se disper-
saient. On eût dit des ailes de pensée meurtries, qui
tombaient à terre. La pénétrance des choses doulou-
reuses entrait en nous comme des plis de linceuil dans
le corps des trépassées à peine. Lecture faite, chacun
exulta de la poésie suprême qu'il venait d'entendre.
— Et pas de littérature ! dit l'un de nous.
En effet, les vers semblaient tous trouvés, aucun
cherché; pas le moindre effort vers le moindre tour de
force. Beaucoup de rythme, peu de rimes. L'idée,
toujours venue sans la collaboration des lexiques et des
règles, qui déforment comme des corsets.
Il y a deux espèces de formes : la foi'me parnassienne
et la forme logique. La première ne se conçoit pas sans
rime riche, sans régulière césure, sans accablements de
substantifs, sans impeccabilisme. L'autre saisit la pen-
sée ou plutôt le tout à coup de la pensée, telle qu'elle
se présente d'abord à l'esprit C'est de l'impressionnisme
ou plutôt l'émotionnisme littéraire. Toute idée a sa
couleur et sa musique sans lesquelles on ne peut la
concevoir et qui apparaissent aux yeux et aux oreilles
exercés au moment même qu'elle naît. C'est cette Cou-
leur et cette musique intimes que le poète doit saisir,
musique très variable et nullement calquée sur celle
des dictionnaires de rimes, couleur si immatérielle par-
fois que les draperies du banal alexandrin l'étoufïent au
lieu de la faire valoir. La forme parnassienne, sous pré-
texte de correction, aboutit au ronronnement; l'autre,
c'est la vie, c'est l'imprévu artistique, c'est l'envolée
franche vers l'inconnu, désert ou hespéride, qu'im-
porte ! pourvu qu'on se désemprisonne d'entre les qua-
torze barreaux ciselés du sonnet bêtement sans défauts.
Lamartine n'a jamais été un officiant marmoréen
comme Gautier ni Leconte de Lisle. Il n'aurait voulu
rimer :
Oui, l'œuvre sort plus belle .
D'une forme au travail * ' ."
Rebelle, ' '
Vers, marbre, ouyx, email. >
, Pour lui, le poète n'était pas l'ouvrier qui lime et
cisèle, c'était le visionnaire qui crée et parle superbe-
ment de ce qu'il voit. Il n'avait certes pas une forme
individuelle et spéciale comme nous la désirerons pour
chaque écrivain, mais combien son vers tranchait sur
les rimes en jeu de quilles de son temps et comme il
était loin d'être collectif !
Ce sont ces qualités de prime-saut et de « bonne aven-
ture •» en poésie qui refont aujourd'hui une apothéose
à Lamartine. Ce qu'on aime en lui, c'est sa bonne Ibi,
c'est son expression première venue, c'est sa notation
directe de^entiment et de sensation, sans aucune inter-
position de souvenir classique ou autre, c'est, en un
mot, son instantanéité d'art. Outre qu'il a fait un livre,
le plus pénétrant peut-être qui soit et qui appartient à
cette grande race d'écrits : Werther, René, Ober-
mami, Volupté, le Rouge et le Noir, Charles de
Mailly, V Education sentimentale. Ce livre? Raphaël.
On en a beaucoup diminué la splendeur en n'y voulant
voir qu'un commentaire du Lac. -
Raphaël est une monographie; il renferme- des
vérités psychologiques très profondes ; il est plus qu'une
expression d'époque, il est une confession d'humanité.
La fin en est admirable. A la grande envolée vers
l'amour de la première partie, l'existence quotidienne
succède. Et c'est merveilleux de voir Lamartine traiter
des scènes de salon et de rue et nous grandir tant de
vie réelle à la suite d'une exaltation de passion si
idéale, en romancier subtil et en psychologue suprême .
Raphaël séduit les prosateurs autant que les Médita-
tiens et les Ha7vnonies sollicitent les poètes.
Et ainsi en sera-t-il à jamais, puisque dès qu'un
auteur en lumière survit à la démode, conséquence
ordinaire de sa mort, son immortalité s'établit indes-
tructible. Hugo qui paraît en décours aujourd'hui res-
suscitera de même. A quand le tour de Musset?
5^0NC0UR^ DE j]!l0N^ERVAT0IRE (*^
L'arlisle se forme lui-même. L'éducation des AcadJmies musi-
cale, piclurale et architecturale, sont à la pure éducation artis-
tique ce que le pot à tabac en grès barbare est à l'amphore élé-
gamment pansue, ce que les formes à beurre du Marché-aux-
Fromages sont aux œuvres des jolis « imajgiers » d'autrefois.
Des rapins — bien vêtus — à qui l'on commande des chemins
de la croix dans les églises de province ou du gâchago de
murailles dans nos monuments publics trop rarement et trop
incompïèiemenl incendiés ; des manouvriers qui, sous la direc-
tion de l'Esprit supérieur, édifient les bâtisses comme les
(*) V. VArt mode^me des 27 juin, 4 et U juillet.
• ,.'
X
esclaves. d'Egypio, nourris d'oignons crus dans le sable brû-
lant, ddifiaienl les énigmaliqiics pyramides, c est loul ce qui
pousse, sur ce terrain académico-conscrvaiorien, où, après la
prochaine Iranslbrmalion lerreslr<% les géologues futurs recueil-
leront une bien intéressante collection de fossiles.
L'Ecole de musique de Bruxelles est respeciiieusement nommée
h l'étranger tout comme l'Ecole de peinture d'Anvers représente
pour les bourgeois la ronlinuation de l'art de Rubens, .
Ce public qui, chaque année, s'écrase aux portes pour écouter
des concours banals; ces curieux qui, s'extasient si pou nom-
breux, c'est vrai, — (pourquoi? car les Ecolcs-de musique et les
Académies sont officines semblables) — devant des « composi-
tions » flasques et mortes, où le vide d'ins|)iration se- cache sous
le pompeux des atliludes corporelles et les formules expressives;
comment ne voient-ils point, comment n'entendenl-ils point, que
chaque année, le speclacle, l'audition sont les mêmes, alors que
l'originalité, précisément, exclut toute rép:';lition, s'éloigne des
gestes appris, des leçons enfoncées dans le cerveau comme la
pAtée dans le gosier des canards et des dindons. Que n'imagine-
l-on une immense gavcuse installée sur les places publiques pour
cette instruction laïque et obligatoire, si chère à toute politiquail-
lerie, pour cet enseignement de crétins si chère à toule la profes-
saillerie subsidiée et qui, patentés de l'Etat, transportent leurs
élèves dans la vie artistique comme les commissionnaires, pla-
ques aux bras, transportent vers les gares rauques et tumul-
tueuses, les sacs de nuits en tapisserie et les valises en cuir-car-
ton?
L'artiste vrai se forme lui-même ; il doit savoir qu'après
l'énorme travail dans la solitude et le silence rien n'est à espérer
en celle vie, et n'attendre pour son front que la couronne posée
sur le front des morts. Il doit avoir une âme d'enfant avec la
toute-puissance du cerveau ; il doit ne pouvoir lire, sans chaudes
larmes découlant des yeux, des paroles de conviction comme
celles que nous allons citer ici, admirables et si peu connues,
dites par un extraordinaire génie à une enfant de 10 ans, qui lui
avait écrit pour lui exprimer sa vénération.
M Continue à travailler, ne te contente pas d'une étude
superficielle de la musique et tâche de pénétrer dans son inti-
mité. Elle est digne de cet effort, car l'art et la science peuvent
seuls nous élever jusqu'à la dignité., Si tu penses un souhait que
je puisse satisfaire, adres«^e-toi franchement à moi ; le véritable
artiste n'a point de dédain pour les humbles. Il le sait, l'art est
infini : dans les ténèbres qui l'environnent, il sent trop bien
l'énorme distance qui le sépare de son but. Aussi, tandis qu'on
admire, il s'afflige et se désole de ne pouvoir atteindre à ces
régions sublimes où, de bien loin, il voit resplendir le soleil
rayonnant, dont son génie rêve la conquête. » X
Il doit sentir que jamais un enseignement de compression ne
les lui feront dire; il doit les avoir en soi et les dire avec simpli-
cité, avec naïveté, comme on cueille une fleur, comme on baise
le front de sa mère, comme on prie, au milieu des rires, peut-
être, mais avec, dans la conscience, une lumineuse fraîcheur et
celte purolé de compassion de Parsifal pour les saignantes bles-
sures d'Amfortas.
Il faul, maintenant, retomber à des phrases énumératives, à de
sèches conslalalions, à l'ordinaire compte-rendu : regretter, pour *
les concours d'instrumcntg în vent, la successive diminution des
concurrents, danger à redouter, puisque l'orchestration moderne
établit l'équilibre entre les bois et les cuivres, puisque les musi-
ciens contemporains expriment pnr ces sonorités de colère et de
désolation ce que ce siècle a mis en nous de (loiile et de tumulte ;
noter une fois de plus l'évidcnle supériorité de la classe d'orgue,
un instrument auquel un de ces cloportes, qui pullulent dans les
murailles belgiques, reprocliail d'être « calotin »; signaler une
artiste parmi tant de médiocrités, M"« Mess, une violoniste de
beau maintien et de beau son, émue et troublante, lui conseil-
lant de ne point se contenter d'un titre bon à figurer sur les pro-
grammes de concert, mais de sscouer tout cet enseignement pous-
siéreux, qui lieur»3u.scnient n'a point fait tache encore sur son
originalité, et l'inciler à voir que le réel travail, aujourd'hui,
commence, sérieux, profond, continu, comme le comprit hy
j^une maître ent-^ndu, il y a quelques années, Fernandoz Arbos ;
hausser les épaules après les concours de piano, d'une uniforme
médiocrité; hausser les épaules après les concours de chant, une
réclame de marchande à la toilette, une cacophonie de gosiers
malades, l'étalage de la femme sotte, criarde, petitement féroce
sous SCS toiles d'arai^^f'e en donielle et ses feuilL^s de vigne en
salin; s'indigner de l'igno/'ancc el de la pré:ehlion cjbotines de
toutes ces « étoiles en herbe » comme l'écrivait cet é rivain
pour portiers du Marais, le ventripotent Francisque Sarcey.
Il faudrait abattre ces forêts de formules, brûler jusqu'à la
cendre tout ce fatras de m.Uhorlcs ineplcsel.de préjugés conser-
valoriens; refuser ses encouragements à des exhibitions bour-
geoises dont peuvent se contenter des sociétaires provinciaux,
mais où le mot sacré, l'art, connu dans le dictionnairej)hiloso-
phique de Voltaire, est absent; lever les voiles d'iijarieux silence
dont on couvre les purs et les solitaires; oser dire — tout seul,
qu'importe? — « ceci est beau, ceci est grand », quand toute la
cohue imbécile va, répétant après une prisse ignare et nulle :
« ceci est* incompréhensible » ; -oser tendre la coupe à la soif de
ceux que Banville, dans sa compatissante fierté, nommait les
Exilés: Il y a en Bc'gtque, d'admirables artistes, connus de
quelques-uns, "dans la, misère peut-être, mais qui se refusent de
sacrifier l'art à des agenouillements humilianlfs : allons à eux,
tendons-leur les mains, si leur fière sauvagerie leur faif craindre
la lumière, menons-les au soleil, à la vie, que tous les voient,
que tous se découvrent, que tous les aiment. - T~
Contours de déclamation. — Professeur, M. Monrbse. {«"^Prix :
MM. Hendrix et Camis; 2« prix : MM. Knauff, Baquet, Danlée,
Nysl; !«•■ accessit, MM. Collart et Vennekens.
PABiTOMIMES
Les Martinetti donnent un Duel dans la neige. Deux masques
se sont pris de querelle — une même fenime les sollicite — et
se rendent sur le terrain, immédiatement après le bal. L'un est
habillé en pierrot moderne; l'autre? — costume quelconque.
La rencontre a lieu dans une forêt à l'aube. Les témoins et le
médecin arrivent, la barbe, le chapeau et le parapluie poudrés
de neige. On déroule devant les adversaires des bandages et des
compresses el la peur commence.
Le Duel dans la neige est une étude de la peur. Paul Marlinelli
y est admirable. Tremblements soudains, fuites brusques, reprises
faloites de courage; craintes naïves, excentriques, foliesques;
une attaque déviée dans le fessier des témoins; une et plusieurs
giffles égarées sur leurs joues; les adversaires veulent s'en
\
I
230
VAUT MODERNE
aller, on les ramène, il se rapprochenl cl ctac! voici Pierrot qui
l'ail sauter le nez en cari on de son ennemi; nouvelle insulte,
nonvcaii duel, celle fois, au pistolet; un corbeau passe, une balle
au hasard l'atleint, il tombe et épouvante et met en fuite loul le
monde; les tc^moins donnent le signal et reçoivent en réponse
des balles dans les jambes; ils se sauvent et on les poursuit à
coups de feu si bien qu'ils reviennent écloppés, avec des linges
sanglants autour du front et du menton; les adversaires se cher-
chent, s'évitent, se dissimulent derrière des troncs d'arbre, se
visent à travers les trous de vieux saules, se rencontrent nez à
nez, dos à dos, pistolet à pistolet — et ce jeu de cache-cache
dure jusqu'h rarrivéc delà dame ou pUilôl de l'amante, qui toute
t'parde, se jette sur Pierrot, faisant le morl, long et droit, sur
son manteau, précaulieusement étendu sous lui. La dame appelle
ses gens, mais soudainement l'adversaire a fait déloger Pierrot
Cl... est morl b sa place. Surprise. Pierrot revient, hésite à couper
Ja léte de son rival et se résoud î» s'élendrc en travers de son
corps. Puis finit par fuir en bonne compagnie, au nez du méde-
cin cl de l'adversaire ébahis^ —
Le Duel dans la neige est une pantomime toute en farce. Il
n'est plus question de créer ou de faire revivre un caractère —
nniquemenl de simuler des sentiments ridicules et de varier des
effets de physionomie.
Les Martinelti les réalisent avec des instantanéités et des
précisions parfaites, leur figure autant que leur corps est un
. perpétuel tour de Ïotco; ils sont acrobates suprêmes, soit
qu'ils culbutent télé en bas et pieds en l'air, soit qu'ils jonglent
avec leurs regards, soit qu'ils simulent avec leurs Irails toutes
les surprises, toutes les joies, toutes les tristesses des comédies
, humaines.; ■;■ .;./■.;■•';-.,;••"■'■■"' ■ ' ' "•' ■- - '■'''''■'■''".'■■■}', ^-: ■.:':},.[.' .-'^'C
. V ^HROJ^iqUE JUDICIAIRE DE? yVRT?
tJNE ARTISTE DISPUTÉE (*)
Nous avons rapporté le différend soulevé devant le tribunal de
-commerce, de Bruxelles par M. Lucien Desuiten, directeur du
théâtre de La Haye, au sujet de l'engagemcml conclu parMM. Dupont
cl Lapissida, les nouveaux directeurs de la Monnaie, avec M"*= Marie
Vuillaume.
Le tribunal a rondu lundi son jugement. Sans juger le fond du
débat, il autorise le demandeur à faire la preuve, par tous moyens
légaux.
40 Que, connaissant l'engagement de M"^ Vuillaume envers
lui, MM. Dupont cl Lapissida lui ont néanmoins fait signer un
second engagement envers eux, pour la même saison théâtrale,
incompatible avec le premier ;
2" Que, lors de ce second engagement, les directeurs du théâtre
de la Monnaie se sont obligés envers la demoiselle Vuillaume à
la tenir indemne des conséquences de la violation du premier
contrat envers M. Desuiten.
Le tribunal se prononcera définitivement après l'enquête.
ART OU PORNOGRAPHIE?
Où finit l'art, où commence la pornographie? La question, qui
n'est pas toujours facile à résoudre, a été disculée celle semaine
au Palais de Justice. Voici le récit que donne la Réforme de ces-
débats un peu... crouslillanls :
(*) Voir notre dernier numéro.
Grille d'Egoul, la Goulue et un millier de jeunes personnes
plus folles que vierges comparaissaient mercredi, dans l'exercice
de leurs fonctions, devant le tribunal correclionnel de Bruxelles
— bien entendu, sous le voile de la photographie, comme dirait
Mu Prudhomme. C'était d'ailleurs le seul voile interposé entre
elles et la pudeur des messieurs qui venaient les contempler îi la
vilrine de divers photographes du Passage el de la Montagne de
la Cour. Il était curieux de voir l'effet que produiraient sur la
sévérité du tribunal ces Phrynés en effigie. C'est qu'il faut entendre
comme elles ont raffmé et modernisé celle primitive... exception
de procédure in;iugurée jadis devant l'Aréopage. Les unes n'ont
pour tout « complet » qu'un tambour de basque ; les autres fonU
penser à la, petite Zo de Catulle Mondes, qui, surprise sans vert,
dans son boudoir, avise une houppe b poudre de riz et se la met,
éperdue, rougissante, devant la bouche.
M. le substitut en voulait parliculièremenl h une de ces demoi-
selles qui donnait le sein h un, singe (cachez, "cachez ce singe que
je ne*saurais voir) cl aussi à une autre, juchée sur une échelle, et
qu'il n'aurait d'ailleurs pas poursuivie sans la présence d'une
brosse, qui, paraît-il, se conduisait d'une façon .affreusement
inconvenante.
Quant à la Goulue et Grille d'Egout, elles ont trouvé grâce
auprès du ministère public, probablement parce qu'un article de
journal, dont il a été donné lecture à l'audience, constatait
qu'elles élevaient le pied... à la hauteur d'une institution. C'est
la seule explication que nous ayons trouvée.
Après des plaidoiries qui, à grand renfort de « plats d'argent,
de discours d'académiciens et de murs d'église », ont cherché à
établir, comme de juste, que la Goulue est une madone à côté de
la vierge à la chaise et la Vénus de Milo, le tribunal s'est retiré
à une heure avec les pièces à conviction, en annonçant qu'il
prononcerait à quatre heures. Il est rentre^ avec un jugement
.condamnant chacun des prévenus à huit jours de prison et
à 500 francs d'amende. Le tribunal a, de plus, ordonné la confis-
cation de toutes les imagr's saisies par le parquet. '^^^^ -— ^— ~ —
L.E TRUQUAGE
Tout le monde connaît les., améliorations arlisliques aux-
quelles se livrent certains commerçants peu délicats qui transfor-
ment tour à tour des tessons de grès eu poteries phéniciennes, des
vieux chaudrons en armure du moyen âge, el des toiles peintes,
à 20 francs le mètre, en tableaux de grands maîtres; mais on
s'imagine ditficilcmenl jusqu'où peut aller la hardiesse de certains
industriels de ce genre. Un jour, M. René-Paul Huet, fils d'un
paysagiste distingué du commencement de ce siècle, aperçoit àja
devanture de M. Garnier, marchand de tableaux^ une élude peinte
portant le monogramme bien connu de Th. R..., abréviation du
nom de Théodore Rousseau, el il reconnaît une œuvre de son
père, parfailemenl connue de lui. Il introduit contre le marchand
un procès tendant à la suppression du faux monogramme, à
1 franc de dommages-intérêts, et à rinserlion du jugement dans
les journaux. M. Garnier résis'.e et une experiise est ordonnée.
Celle-ci donne les résultats les plus précis. M. Cli. Pillet, l'an-
cien commissaire-priseur bien connu, et M. Français, le paysa-
giste éminent, contemporain de Paul Huet, sont d'accord pour
reconnaître une œuvre de cet artiste, ayaut figuré à sa vente en
4878 sous le n^ 83 du catalogue el sous un litre spécial; il est
conslant que le monogramme Th. R... a été ajouté après coup ;
Vi
mais il y a mieux, sous la feuillure du cadre, ils découvrent
vaguement dissimulé le mot « d'après » précédant le mono-
gramme, et Iracé évidemment pour ménager au vendrur une
échappatoire vis-à-vis d'un acquéreur récalcitrant, en lui prou-
vant qu'il lui aurait vendu non un original, mais une simple
copie! Ces résultats n'ont pas découragé M. Garnicr, qui, après
avoir affirmé que l'esquisse élait bien dc^Rousseau, soutint que
c'est une copie du mémemallre, et non une peinture de P. Huet.
Ces systèmes variés n'ont pas eu le don de séduire M. le sub-
stitut de la République près le tribunal de la Seine, qui a conclu
énergiquement U l'admission de la demande entière de M. René-
Paul Huet, notamment en ce qui concerne la publicité. Le tribu-
nal a remis son jugement à huitaine.
pETITE CHROJ^IQUE
M. Jenô Hubay a quitté avant-hier Bruxelles pour aller occu-
per, à Peslh, la situation brillante a hiqucllc il vient delre appelé.
C'est à la nouvelle Académie de musique, fondée par Liszt et
placée sous son haut patronage, que l'émineut artiste est atta-
ché. Il dirigera la classe de violon, et Popper, le célèbre violon-
celliste, nommé en même temi)s que lui, dirigera celle de vio-
loncelle.
Ce qu'il y a de remarquable 'dans cette académie modèle, c'est
que chaque professeur est, dans sa sphère, absolument indépen-
dant et organise son enseignement comme il l'entend : il ne subit
le contrôle d'aucun directeur et il n'est astreint à aucun règle-
ment.
L'institution comprend six sections : composition, orgue,
chant, violon, violoncelle, piano. Elle est superbement installée
dans un palais fraîchement construit dont la façade s'élève vers
le milieu de la Radial Slrasse, l'avenue qui mène au bois.
M. Jeno Hubay laisse en Belgique un souvenir charmant.
Durant les quatre années qu'il professa au Conservatoire de
Bruxelles, soh caractère aimable et cordial conquit tous les
cœurs. Quant à l'admiration qu'excita son talent sérieux, étran-
ger a tout cabotinage, puisant ses inspirations aux sources pures
de l'art, il n'est pas nécessaire dç le ra°i)peler aux lecteurs de ce
journal. Comme homme et comme artiste, Jenô Hubay sera vive-
ment regretté. Son départ est un vrai désastre pour la musique
de chambre, agonissante depuis la mort de Joseph Servais et de
Jules Zarembski.
Heureusement, les statuts de l'Académie de Pesth donnent aux
titulaires des six chaires de professeurs cinq mois de congé.
Jenô Hubay n'oubliera pas qu'il sera toujours le bien-venu en
Belgique.
La Hongrie prépare pour le 10 août un grand festival de
musique qui aura lieu ii Pècs (Funfkircheu) sous la direction de
M. Jenô Hubay. On exécutera des chœurs (avec accompagnement
d'orchestre) écrits par des compositeurs hongrois, entre autres
de Liszt, de Szentirmay, d'Erkel, de Jenô Hubay, etc. Le festival
durera quatre jours. Il promet d'être très attrayant et réunira
l'élite des musiciens du pays. ^
Le maire de Compiègne vient de prendre l'arrêté suivant :
« Nous, maire de la ville de Compiègne ;
> Vu les observations justifiées de M. Mazier, archilrcle munici'
pal, sur Tétat de vétusté de la salle de la. rue Vivènel ;
Considérant que c'est une insuite k l'art de la musique fran-
çaise de la faire acompagner au piano ;
Considérant que pour placer un orchestre, il faudrait supprimer
les fauteuils d'orchestre, le parterre et les baignoires;'
Considérant qu'il appartient au maire de la ville de veiller, avec
tout pouvoir discrétionnaire, à la dignité des beaux^arts;
Considérant, enfin, que les proportions de la salle du théâtre
sont trop i-éduiles pour y autoriser, sans danger, la représenta-
tion d'un grand opéra.
Arrêtons : . :^
Article \*". — Vno nouvelle représentation de Fausl, dans les
conditions où elle a eu lieu le 12 mai dernier,kist inlerdiîe.
Art. 2. — Le Petit /'(TZW.î/ est seul autorisé.
Art. 3. — M. Vilelte, inspecteur du théâtre, est chargé de
l'exécution du présent arrêté. «
Une pensée touchante du grand sculpteur Rodin. La Réforme
avait récemm.ent rappelé le séjour que fit l'artis'e k Bruxelles et
signalé ^ rallenlion du public les deux caryatides qu'il exécuta
pour une maison du boulevard Anspach et pour lesquelles un
soldat de la garnison lui servit de modèle.
On adressa le numéro de La Réforme à Rodin, et celui-ci
s'empressa de répondre par la lettre suivante :
- « -Mon cher Monsieur, .
« Je vous remercie de pensera moi et à m'envoyer le journal
qui est ami. Mais vous feriez un plaisir extraordinaire en en adres-
sant un'exemplaire à l'excellent garçon qui a posé pour moi. Ce
soldat était dans les télégraphistes de campagne, sous le comman-
dant Malevé. Il est à Gand. Voici son adresse : Monsieur Auguste
Neyl, menuisier, chaussée de Langeibrugge, à Oostacker-lez-
Gand. Vous ferez un heureux et me rendrez service. _.
« Agréez, cher Monsieur, l'expression de ma vive sympathie.
« A. Rodin. >>
L'Excursion otfre, le 9 août prochain, par train spécial, une
série de charmants voyages en Suisse à prix réduits.
On visitera Bâie, Lucerne, le Rigi, le lac des Quatre-Cantons,
ie Brunig, Inlerluken, Lauterbrunnen, le lac de Thoune, Berne»
Fribourg, Lausanne, le lac Léman, Genève, Chamounix et les
Glaciers du .Mont-Blanc. Un séjour de 8 jours coûtera 160 francs;
1 1 jours, "2^25 francs ; 14 jours, :>20 francs, tous frais compris.
Au mois d'août auront lieu également de superbes voyages en
Ecosse, à Londres, en Normandie et en Bretagne, en Autriche-
Hoqgrie, à Consîanlinople, aux Bords du Rhin, en Hollande, ^c.
Le programme de ces voyages sera gratuitement envoyé ^ toute
personne q'ui en fera la demande en désignant le voyage préféré.
Il M. Cil. Parmeniier, directeur de l'Excursion, lOi), boulevard
.Anspach, à Bruxelles.
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Il sera tiré quelques exemplaires sur grand papier de Hollande,
qui ne seront pas niivS dans le commerce. Le prix en est provisoire-
ment fixé à 5 francs pour ceux qui enverront, avant le 1er, août,
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.t 1
-.'A
Sixième année. — N° 30.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 25 JuIillet 1886.
L'A R T
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DBS ARTS ET DE LA LITTERATURE
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
' Adresser les demandes d'abonnement et toutes les communications à
l'administration générale de r Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
?
OMMAIRE
■- L'Art et la Révolutiox. Paroles d'un révolté, par Pierre
Kropotkine, L'Insurgé, par Jules Vallès. Deuxième article. —
Les représentations de Bayrelth. — Le Métier. — L'artiste
DISTANCÉ. — Livres nouveaux. Mythologie Scandinave, par R. B.
Anderson. Voor on2e Kleinen! par L. Leefson. — Les budgets
des théâtres lyriques. — Chronique judiciaire des arts. —
Mémento des expositions et concours.
L'ART ET lA RÉVOLUTION
Paroles d'un Révolté, par Pierre Kropotkine, publié, annoté
et accompagné d'une préface par Elisée Reclus, Paris, G. Mar-
pon et E. Flammarion. — L'Insurgé, par Jacql'es Vingtras
(Jules Vallès). Paris, Charpentier.
Deuxième article.
Les Paroles cVun Révolté, de Pierre Kropotkine,
sont le pendant socialiste de ce livre chrétien, égale-
ment révolutionnaire : les Paroles cVwi Croyant^
de Lamennais. Tous deux sont des œuvres d'art, le
second davantage assurément, car Lamennais oublié
de la génération actuelle, demeure un des grands
écrivains du siècle en sa période la plus ardente,
celle qui suivit 1830.
Le style de Kropotkine se ressent de son origine
étrangère. Il prend, en français une certaine gaucherie
exotique. Le Russe se révèle. C'est à peine un défaut
par ces temps de préférence pour la littérature des
Dostoïewski et des Tolstoï? D'autant plus qu'il puise
dans cette extranéïté la fureur froide, étrange et sau-
vage que le nihilisme donne à ses adeptes.
Les Paroles (Vun Révolté forment un bréviaire à
l'usage de ceux qui rêvent d'une insurrection sociale.
Elles disent, ou plus exactement elles clament en des
colères brûlantes et avec des gestes prophétiques, la
décomposition des Etats, la nécessité de la Révolution,
les minorités asservies, la lédtimité de la çruerre des
classes, le devoir de se préparer à l'attaque, les hypo-
crisies de Tordre bourgeois, les iniquités de la situation
présente. Elisée Reclus résume ainsi à la fois l'œuvre
et l'homme : Son crime est d'armer les. pauvres, son
forfait de plaider leur cause.
Nous allons parcourir ce livre en relevant, le plus
souvent dans les termes mêmes de l'auteur, les pensées
et les images qui le caractérisent. Ainsi apparaîtra
mieux ce poème farouche et inquiétant, politique et
humain, si près de la vie et de ses bouillonnements.
Voici le point de départ, le proémium dont le chantre
s'est inspiré :
Une grande révolution marquera la fin du dixT
neuvième siècle. Historiens, philosophes, la tiennent
désormais pour une fatalité. Pour y croire, il sutïit d'ob-
server le tableau qui se déroule ; du fond grisâtre,
deux faits se dégagent : la banqueroute morale des
classes régnantes, le réveil des classes populaires.
Dans l'usine suffocante, comme dans la triste çrar-
gote, sous le toit du grenier, comme dans la galerie
ruisselante de la mine, s'élabore tout un mondé nou-
veau. Dans ces sombres masses que la bourgeoisie
méprise, mais dont est toujours parti le souffle qui a
inspiré les grands réformateurs, les problèmes de l'éco-
A
r^
f
nomie sociale et de la. politique se posent l'un après
l'autre, sont discutés et reçoivent leurs solutions dic-
tées par la justice.
L'idée peut sommeiller. Si on la comprime quand elle
vient à la surface, elle minera le sol, et reparaîtra
plus vigoureuse, La vague tombée un moment se relève
plus haute.
Le peuple est las. Il se demande où il en est après
tant d'années de misères assaisonnées de charité humi-
liante. Comment croirait-il à la légitimité de l'organi-
sation présente quand le mineur qui entasse des mon-
tagnes de houille n'a pas de quoi se payer un feu au
plus rude de l'hiver, quand le tisserand qui tisse des
kilomètres d'étoflie doit refuser une chemise à ses
enfants déguenillés, quand le maçon qui bâtit les palais
loge dans un taudis, quand l'ouvrière qui transforme
les femmes bourgeoises en chefs-d'œuvre de poupées
habillées, n'a qu'un châle troué pour la garantir contre
les intempéries.
Oui, partout se sent la décomposition galopante d'une
société dans laquelle l'agiotage tue l'industrie, dans
laquelle grâce à ce qu'on nomme la direction intelligente
des Etats, il y a déjà des causes de guerre pour trente
ans. La plèbe en prononcera la faillite et enverra les
banquiers bêcher la terre s'ils ont faim. Tout pour le
propriétaire fainéant, tout contre le prolétaire travail-
leur : l'instruction bourgeoise qui dès le bas-âge cor-
rompt l'enfant en lui inculquant les préjugés anti-éga-
litaires ; la religion qui trouble le cerveau de la femme;
la loi qui empêche les idées de solidarité et d'égalité ;
l'argent pour corrompre celui qui se fait apôtre ; la pri-
son et la mitraille pour fermer la bouche à ceux qui ne
se laissent pas corrompre.
Il y a des époques dans la vie de l'humanité où la
nécessité d'une secousse formidable, d'un cataclysme,
qui remue la société jusque dans ses entrailles, s'im-
posent. A ces époques, tout homme de cœur commence
à se dire que les choses ne peuvent plus marcher ainsi,
qu'il faut de grand.s événements qui rompent brusque-
ment le fil de l'histoire, jettent l'humanité hors de l'or-
nière où elle s'est embourbée et la lancent dans des
voies nouvelles, vers l'inconnu, à la recherche de l'idéal.
On sent la nécessité d'une révolution implacable, qui
non seulement bouleverse le régime économique basé
sur l'exploitation, la spéculation et la fraude, renverse
Tordre politique fondé sur la domination de quelques-
uns par la ruse, l'intrigue et le mensonge, mais aussi
assainit la société dans sa vie intellectuelle et morale,
secoue la torpeur, refasse les mœurs, apporte au milieu
des passions viles le souffle vivifiant des passions nobles,
des grands élans, des généreux dévouements. A ces
époques, où la médiocrité orgueilleuse étouflé toute
intelligence qui ne se prosterne pas devant les pontifes,
où la moralité mesquine fait la loi, où la bassesse règne
victorieuse, la révolution devient .un besoin. Les
hommes honnêtes de toutes les classes appellent la
tempête, pour qu'elle vienne brûler de son haleine
enflammée la peste qui a tout envahi, pour qu'elle
emporte la moisissure qui ronge, enlève dans sa marche
furieuse les décombres du passé, donne enfin au monde
un nouveau souffle de jeunesse et de vie.
Ce n'est plus seulement la question du pain qui alors
se pose; c'est une question de progrès contre l'immo-
bilité, de développement humain contre l'abrutisse-
ment.
L'histoire a conservé le souvenir d'une pareille
époque, celle de la décadence de l'empire romain ; l'hu-
manité en traverse maintenant une seconde.
La grande industrie basée sur l'exploitation, le com-
merce basé sur la fraude; l'enfant devenu chair à
machine, quand il n'est pas chair à prostitution ; une
littérature immonde fabriquée pour ou par la bour-
geoisie; pour règle : « Aime ton prochain, mais pille-le
quand tu peux « ; les massacres à coup de grisou ou à coup
de fusil; la soif du gain poussée jusqu'au mépris absolu
de toutes les lois de la sociabilité, la guerre industrielle
en permanence, tout fait souhaiter l'aurore du jour où
ce cri : La déchéance de la bourgeoisie ! s'échappera
des poitrines avec l'unanimité qui jadis jaillissait pour
la déchéance des dynasties. Et cette révolution se dis-
tinguera des précédentes en ce que ce ne sera plus un
pays qui se lancera dans la tourmente ^ce seront tous
les pays de l'Europe! - ^ v
Tant qu'il y aura une caste d'oisifs, entretenus par le
travail, sous. prétexte qu'ils sont nécessaires pour diri-
ger la plèbe, ces oisifs seront un foyer pestilentiel pour
la moralité publique. L'homme qui toute sa vie est
en quête de nouveaux plaisirs, chez qui les sentiments
de solidarité avec les autres hommes sont tués par les
principes mêmes de son existence, chez qui l'égoïsme
est nourri par la pratique même de sa vie, cet homme-
là penchera toujours vers la sensualité -grossière ; il
avilira ce qui l'entoure. Avec son sac d'écus et ses
instincts matériels, il prostituera la femme et l'enfant ;
il prostituera l'art, le théâtre, la presse ; à l'occasion il
vendra son pays, il en vendra les défenseurs et, trop
lâche pour massacrer lui-même, il fera massacrer le
jour où il aura peur de perdre son argent, unique
source de ses jouissances.
Et le petit artisan, blotti dans les ténèbres de sa cave
humide, les doigts gelés et l'estomac creux, se débat-
tant du matin au soir pour trouver de quoi payer le
boulanger? Et l'homme, qui a couché sous la pre-
mière arcade venue parce qu'il n'a pu se payer le luxe
d'entrer pour un sou dans le dortoir commun, croit-on
qu'ils n'aimeraient pas voir si dans les palais somptueux
il ne se trouve pas un coin sec et chaud, x s'ils n'aime-
raient pas avoir assez de pain pour ne pas mourir len-
tement d'inanition, assez de vêtements pour habiller
les maigres épaules des enfants du travailleur aussi
bien que les chairs grasses des enfants du bourgeois?
Croit-on que ceux qui portent les haillons ne savent
pas qu'il se trouve dans les magasins d'une grande ville
de quoi suffire aux besoins de tous, et que si tous s'appli-
quaient à la production d'objets utiles au lieu de s'étio-
ler à la confection d'objets de luxe, on produirait
assez pour tout le monde. • '
Décadence et décomposition des formes existantes,
mécontentement généra-l, élaboration laborieuse des
formes nouvelles, désir impatient d'un changement,
élan de la critique dans le domaine des sciences, de
la philosophie, de l'esthétique, fermentation générale
de l'opinion; d'autre part, indifférence paresseuse ou
résistance criminelle de ceux qui détiennent le pouvoir
et qui ont encore la force, et, par soubresauts, le cou-
rage de s'opposer au développement des idées réforma-
trices; tel fut toujours l'état des sociétés à la veille des
grandes révolutions, tel il est aujourd'hui.
Ainsi parle, dans un brutal langage, le prisonnier de
Clervaux, et l'on comprend comment on a tout fait pour
le réduire au silence et à l'impuissance. On frissonne à
l'entendre et pourtant il faut l'écouter pour se rendre
compte du grouillement de ces laves prêtes à faire
irruption. Cette éloquence d'appel aux armes, ces âpres
clameurs qui évoquent dans l'imagination la figure for-
midable de la déesse de la Révolution, casquée, volante
et armée telle que Rude l'a faite dans le bas-relief de
l'arc de l'Etoile, ne s'essouffle pas. Les paroles du
révolté intarissablement s'échappent tout au long de
son livre, sans jamais baisser de ton, sans perdre un
degré de leur chaleur poussée au rouge insurrection-
nel. Toujours il chante la Marseillaise, toujours il
bat la charge avec la violence des implacables et des
désespérés. Les libertés, dit-il quelque part, ne se' don-
nent pas, elles se prennent !
Et à ces imprécations, qui font penser à Isaïe et à
Ezéchiel, se mêlent de brûlantes exhortations. - C'est
aux jeunes gens que je veux parler aujourd'hui! ^
s'écrie-t-il en tête d'un de ses chants. - Que les vieux
ferment aujourd'hui mon Uvre et ne se fatiguent pas
inutilement les jeux. « /
Et alors commence une homélie étrange : - Je sup-
pose que vous allez avoir vingt ans. Je suppose que
vous n'êtes pas un de ces gommeux qui promènent sur
les trottoirs leurs pantalons mexicains et leurs faces de
singe. Je suppose que vous avez le cœur à sa place.
Voilà pourquoi je vous parle. "
Médecin, ingénieur, avocat, professeur, artiste, il
prend à p4j?ti,unà un, lesjeunes bourgeois modernes. A
chacun, il demande ce à quoi il aspire, il montre ce qu'il
sera contraint de faire dans le monde où il est élevé.
Vainement il résisterait et chercherait à réaliser ses
rêves d'humanité et de justice Un jour, fatigué, il leur
donnera congé et cherchera à s'emparer pour lui-même
de ce qui donne droit aux jouissances ; il ira dans le
camp des exploiteurs. Ecoutez comment il s'adresse
plus spécialement au jeune artiste, comment il l'inter-
pelle, le vitupère, l'objurgue, lui montre le danger, lui
signale sa mission :
« Vous, sculpteur, peintre, poète, musicien, ne remar-
quez-vous pas que le feu sacré qui avait inspiré vos
prédécesseurs, vous manque? que l'art est banal, que la
médiocrité règne? La joie d'avoir retrouvé le monde
antique, de s'être retrempé aux sources de la nature,
qui fit les chefs-d'œuvre de la Fienaissance, n'existe
plus pour l'art contemporain ; l'idée révolutionnaire
l'a laissé froid jusqu'à présent et, en l'absence d'idée, il
croit en avoir trouvé une dans le réalisme, lorsqu'il
s'évertue à photographier, en couleurs la goutte de
rosée sur une plante, à imiter les muscles fessiers d'une
vache, à dépeindre minutieusement, en prose et en
vers, la boue suffocante d'un égoùt, le boudoir d'une
femme galante. Si le feu sacré que vous dites posséder,
n'est qu'un « lumignon fumant ", alors vous continue-.
rez à faire comme vous avez fait, et votre art dégéné-
rera bientôt en métier de décorateur pour les salons du
boutiquier, de pourvoyeur delibretti aux Bouffes, et de
feuilletons à un Girardin quelconque. La plupart
d'entre vous, descendent déjà cette pente. Mais si votre
cœur bat à l'unisson avec celui de l'humanité, si, en vrai
poète, vous avez «une oreille pour entendre la vie, alors,
en présence de cette mer de souffrances dont le flot
monte autour de vous, de ces peuples mourant de faïra, ,
de ces cadavres entassés dans les" mines, de ces dorps
mutilés gisant en monticules au pie^ des barricades, de
ces convois d'exilés qui vont s'enterrer dans les neiges
de la Sibérie et sur les plages des lies tropicales, de la
lutte suprême qui s'engage, des cris de douleur des
vaincus et des orgies des vainqueurs, de rhéroïsme aux
prises avec la lâcheté, de l'enthousiasme en lutte avec
la bassesse, vous ne pourrez rester neutres ; vous vien-
drez vous ranger du côté des opprimés, parce que vous
savez que le beau, le sublime, la vie enfin, sont du côté
de ceux qui luttent pour la lumière, pour l'humanité,
pour la justice! " ^,
Voilà un de ces appels de la dévolution à l'art
dont nous parlions au début de ces études. C'est signifi-
catif et c'est redoutable. C'est le signe, en effet, que le
mouvement obscur des transformations sociales arrive
à ses formules définitives et irrésistibles. Jamais le
danger n'aura pu paraître plus proche. Les historiens
ont parlé les premiers. Les économistes ont fini. Les
artistes commencent. C'est la fin Que les esprits à
courte-vue trouvent la remarque puérile. Soit. Ceux .
qui doivent périr dans les soulèvements sociaux les ont
toujours niés jusqu'au moment fatal de l'effondrement.
236
UART MODERNE
C
Nous aussi, nous tenons à marquer ici des prévisions
qui ne sont plus ni isolées, ni merveilleuses. Nos lec-r
teurs en seront peut-être choqués. Et pourtant il fal-
lait le leur dire. Rien ne sert de cacher les périls pro-
chains. Le sage et le fort veulent les connaître et savent
les regarder. Le livre de Vallès, V Insurgé, que nous
analyserons dans un prochain article, fournira une
confirmation nouvelle de cet avenir qui serait lugubre
s'il ne devait pas, dans les fatalités de l'histoire, mar-
quer, malgré ses inévitables cruautés, une rénovation.
LES REPRESENTATIONS DE BAYREUTH
.La première représentation du ihéûlre de Bayrculh a eu lieu
avanl-hier. On a joué Par&ifal. Ce soir, on donne Tristan et
Iseiilt.
11 y a eu, pour chacun des deux drames lyriques rcprésenlés
celle année à Bayreuili, vingt répétitions, tant partielles que
d'ensemble.
Voici, au sujet des interprclçs, dont nous avons précédemment
publié le tableau, quelques détails spéciaux.
M. Hcrmann Lévi, l'un des deux chefs d'orchestre, dirige depuis
quatorze ans l'orchestre du théâtre de Munich. C'est un homme
de quarante-sept ans, très estimé en Allemagne. Il est également
connu en Hollande, où il a dirigé FOpéra allemand de 1861
à 4864.
• L'autre chef d'orchestre, M. Félix Molli, un Autrichien, n'a
que trente ans. Il est depuis i880 chef d'orchestre à l'Opéra de
Carlsruhe.
Il y a en outre huit répétiteurs et assistants : MM. Forges, de
Munich ; Frank, de Briinn; Weingartner, de Dantzig; Armbruster,
de Londres ; Merz, de Munich ; Gorler, de Munich ; Wirlh, de
Hanovre, et Harder, de Hambourg.
C'est M. Fliiggén, de Munich, qui a dessiné les costumes de
Tristan; ceux de Parsifal sont dus à M. de Joukowsky. Les
décors ont été peints pour Tristan par M. Brùchner, de Cobourg,
pour Parsifal, par MM. de Joukowsky et Brùchner.
La plupart des artistes du chant soiit connus des habitués de
Bayreuth. Citons en première ligne M""^ Friedrich Materna, l'ad-
mirable chanteuse que nous avons eu la bonne fortune d'entendre
à Bruxelles lors des représentations données par M. Angelo
Neumann. M""^ Materna est née en Stvrie en 4847. Elle a créé à
Bayreuth les rôles de Brunnhilde en 1876, de Kundry en 1882.
Son jeu dramatique, sa voix pleine, son geste ample feront du
rôle d'Iseult une création merveilleuse.
Les rôles de Kundry et d'Iseult seront également tenus par
M"" Malien et Sucher. La première l'a joué déjà à Bayreuth.
Elle est très appréciée à Dresde, où elle réside, avec le titre de
Kammersaengerin, depuis 1873. La seconde est attachée au
théâtre de Hambourg depuis 1878. Elle a épousé le chef d'or-
chestre, M.Joseph Su(-,her, et s'est fait une réputation bien assise
dans l'interprétalion des principaux rôles du répertoire wagné-
rien.
Les rôles de Tristan et de Parsifal sont confiés à MM.Gudehus,
Vogl, Winkelmann. Tous trois sont très connus des vvagnéristes.
Lt; premier et le troisième ont chanté Parsifal, et quant à
M. Vogl, son nom est intimement mêlé à l'hisloire anecdoliquQ,
du répertoire, Il a notamment fait du dieu Loge, dans les Nibe-
lungen, une création étonnante. Il a joué, avec sa femme, après
M. et M"'» Schnorr von Carolsfeld, Tristan et Iseult,
Amfortas sera chanté par M. Gura, qui remplit en 1876, à
Bayreuth, les rôles de Donner et de Gunlher, el par M. Reich-
mann, créateurs du rôle.
MM. Plank et Scheidemantel, le premier créateur du rôle,
représenteront successivement Klingsor, — le magicien de Pfl?'-
5î/ai, el Kurwenal, le fidèle écuyer de Tristan.
Les rôles du roi Marke el de Gurnemanz sont confiés à
M. Siehr, l'ancien Hagen de 1876 et le titulaire du rôle de Gur-
nemanz en 1882, 1883 el 1884, et à M. Wiegand, du Ihéûlre de
Hambourg.
Enfin, M'i'= Standigl, du ihéûlre de Carlsruhe, personnifiera
Brangaene. .
Le chœur des Filles-fleurs est chanté par 24 chanteuses, et les-
solos par M'"''^ Fritsch, Forstcr, Ledinger, Kauer, Reuss-Belce cl
Sieber.
Le chœur de la coupole par 12 chanteuses, 15 chanteurs,
45 enfants.
Enfin, la composition de l'orchestre est, comme précédem-
ment, ainsi arrêlée : 32 violons, 12 altos, 12 violoncelles,
8 contre-basses, 4 flûtes, 6 clarinettes, 5 haulbois.fil cor anglais,
5 bassons el contre-basson, 9 cors, 4 irompelles, 4 trombones,
1 tuba, 4 harpes, 2 paires de timbales. En tout 108 instru-
menlistes.
La facture, le procédé, c'est le métier qu'il faut avoir dans la
main,- comme l'ouvrier qui doit savoir se servir de son outil, mais
quand même il en connaît l'emploi, cela ne dit -pas qu'il fera
bien sa besogne. Non, le moyen est presque indifférent et tou-
jours bon, pourvu qu'on [se fasse bien entendre. Les grands maî-
tres sont là pour le prouver; ils n'ont, quand à l'exécution,
aucune théorie absolue, aucune règle fixe, aucun parti préconçu ;
chacun a sa manière, résultat de l'habitude; c'est ce qui consti-
tue le tour de main, qu'on appelle le faire du maître, mais ils
n'en sont jamais les serviteurs, puisqu'il leur arrive de changer
leur manière selon lés conceptions nouvelles el le développement
de leur génie.
Les lalents supérieurs, arrivés à leur force, ne subissent aucun
joug traditionnel, el, quelle que soit l'habileté de l'exécution, le
véritable mérite, tout moyen mis à part, est dans ce qu'on a
voulu faire, dans ce qu'on parvient à exprimer el à rendre sen-
sible, puisque tel est le but suprême de l'art.
|a'AF(TI^TE DISTANCÉ
Claude aperçut, le tableau de Bongrand, en pendant avec
celui de Fagerolles. Et, devant celui-là, personne ne se bouscu-
lait, les visiteurs défilaient avec indifférence. C'était pourtant
l'effort suprême, le coup que le grand peinlre cherchait à
porter depuis des années, une dernière œuvre enfantée dans le
besoin de prouver la virilité de son déclin. La haine qu'il nour-
rissait contre la Noce au village, cer premier chef-d'œuvre dont
/
on avail dcrasé sa vie de travailleur, venait de le pousser à choisir
le sujet contraire et synuîtrique : V Enlerremenl au village^ un
convoi de jeune fille, débandé parmi des champs de seigle et
d'avoine. Il luttait contre lui-même, on vorrail bien s'il dtait fini,
si l'expérience de ses soixante ans ne valait pas la fougue heu-
reuse de sa jeunesse; et l'expérience était battue, l'œuvre allait
être un insuccès morne, une de ces chutes sourdes de vieil
homme, qui n'arrêtent même pas les passants. Des morceaux de
maître s'indiquaient toujours, l'enfant de chœur tenant la croix,
le groupe des filles de la Vierge portant la bière, et dont les robes
blanches, plaquées sur des chairs rougeaudes, faisaient un joli
contraste avec l'endimanchement noir du cortège, au travers des
verdures; seulement, le prêlre en surplis, la fille à la bannière,,
la famille derrière le corps, toute la toile d'ailleurs était d'une
facture sèche, désagréable de science, raidie par l'obstination. Il
y avait Vd un retour inconscient, fatal, au romantisme tourmenté,
d'où était parti l'artiste, autrefois. Et c'était bien le pis de l'aven-
ture, l'indifférence du public avait sa raison daLs cet art d'une
autre époque, dans cette peinture cuite et, un peu terne, qui ne
l'accrochait plus au passage, depuis la vogue des grands éblouis-
sements de lumière. -
Justement, Bongrand, avec l'hésitation d'un débutant timide,
entra dans la salle, et Claude eut le cœur serré, en le voyant
jeter un coup d'œil à son tableau solitaire, puis un autre à celu;
de Fagerolles, qui faisait émeute. Eh cette minute, le peintre dut
avoir la conscience aiguè de sa fin. Si, jusque-là, la peur de sa
lente déchéance l'avait dévoré, ce n'était qu'un doute; et, main-
tenant, i] avait une brusque certitude, il se survivait, son talent
était mort, jamais plus il n'enfanterait des œuvres vivantes. II
devint très pâle, il eut un mouvement pour fuir, lorsque le sculp-
teur Chambouvard, qui arrivait par l'autre porte avec sa queue
ordinaire de disciples, l'interpella, de sa voix grasse, sans se
soucier des personnes présentes.
. — Ah ! farceur, je vous y prends, à vous admirer !
Lui, cette année-là, avait une Moissonneuse exécrable, une de
ces figures stupidement ratées, qui semblaient des gageures, sor-
ties de ses puissantes mains ; et il n'en était pas moins rayonnant^
certain d'un chef-d'œuvre de plus, promenant son infaillibilité de
dieu, au milieu de la foule, qu'il n'entendait pas -rire.
Sans répondre, Bongrand le regarda de ses yeux brû^és/^V-A;^
fièvre. . ^-^
— Et ma machine, en bas, continua l'autre, l'avez-vous vue?...
Qu'ils y viennent donc, les petits d'à présent ! Il n'y a que nous
la vieille France!
Déjà, il s'en allait, suivi de sa cour, saluant le public étonné.
— Brute! murmura Bongrand, étranglé de chagrin, révolté
comme de l'éclat d'un rustre dans la chambre d'un mort.
Il avait aperçu. Claude, il s'approcha. N'était-ce pas lâche de
fuir cette salle? Et il voulait montrer son courags,son àme haute,
où l'envie n'était jamais entrée.
— Dites donc, notre ami Fagerolles en a, un succès!... Je
mentirais, si je m'extasiais sur son tableau, que je n'aime guère;
mais lui est très gentil vraiment... Et puis, vous savez sans doute
qu'il a été tout à fait bien pour vous.
Claude s'otî'orçait de trouver un mot d'admiration sur VEnter-
rement. , '
— Le petit cimetière au fond, est si joli !... Est-il possible que
le public... 1-
D'une voix rude Bongrand l'arrêta. " .
— Hein!»mon ami, pas de condoléances... Je vois clair...
A ce moment, quelqu'un les salua d'un geste familier, et
Claude reconnut Naudet, un Naudet grandi, enflé, doré par le
succès des affaires colossales qu'il brassait à présent. L'ambition
lui tournant la tête, il parlait de couler tous les autres marchands
de tableaux, il avait fait bâtir un palais, où il se posait en roi du
marché, cehtralisant les chefs-d'œuvre, ouvrant les grands maga-
sins modernes de l'art. Des bruits de millions sonnaient dès son
Vestibule, il installait chez lui des expositions, montait au dehors
des galeries, attendait en mai l'arrivée des amateurs américains,
auxquels il vendait cinquante mille francs ce qu'il avait acheté
dix mille ; et il menait un train de prince, femme, enfants, maî-
tresse, chevaux, domaine en Picardie, grandes chasses. Ses pre-
miers gains venaient de la hausse des morts illustres, niés de
■leur vivant, Courbet, Millet, Rousseau; ce qui avait fini par lui
donner le mépris de toute œuvré signée du nom d'un peintre
encore dans la lutte. Cependant, d'assez mauvais bruits cou-
raient déjà. Le nombre des toiles connues étant limité, et celui
des amateurs ne pouvant guère s'étendre, l'époque arrivait où les
affaires allaient devenir difficiles. On parlait d'un syndicat, d'une
entente avec des banquiers pour soutenir les hauts prfx r^â^'tS''
salle Drouot, on en était à Texpédient des ventes fictives, des
tableaux rachetés très cher par le marchand lui-même ; et la fail-
lite semblait être fatalement au bout de cesopérations de Bourse,
une culbute dans l'outrance et les mensonges de l'agio.
— Bonjour, cher maître, dit Naudet, qui s'était avancé. Hein?
vous venez, comme tout le monde, admirer mon Fa£îorolles. ' ■
Et il causa de Fagerolles comme d'un peintre à lui, d'un
ouvrier à ses gages, qu'il gourmandait souvent. C'était lui
qui l'avait installé avenue de Villiers, le forçant à avoir un
hôtel, le meublant ainsi qu'une fille, l'endettant par des four-
nitures de tapis et de bibelots, pour le tenir ensuite à sa merci ;
et, maintenant, il commençait à l'accuser de manquer d'ordre, de
se compromettre en garçon, léger. Par exemple, ce tableau,
jamais un peintre sérieux ne l'aurait envoyé au Salon ; sans
doute, cela faisait du tapage, on parlait même de la médaille
d'honneur; mais rien n'était plus mauvais pour les hauts prix.
Quand on voulait avoir les Américains, il fallait savoir rester chez
soi, comme un bon dieu au fond de son tabernacle.
— Mon cher, vous me croirez si vous voulez, j'aurais donné
vingt mille francs de ma poche pour que ces imbéciles de jour-
naux ne tissent pas tout ce vararme autour de mon Fagerolles de
cette année.
Bongrand, qui écoutait bravement, malgré sa souffrance, eut
un sourire.
— En eff'el, ils ont peut-être poussé les indiscrétions un peu
loin... Hier, j'ai lu un article, où j'ai appris que Fagerolles man-
geait tous les matins deux œufs à la coque.
Il riait de ce coup brutal de publicité, qui. depuis une semaine,
occupait Paris du jeune maître, à la suite d'un primier article sur
son tableau, que personne eocore n'avait vu. Toute la bande des
reporters s'était mise en campagne, on le déshabillait, son
enfance, son père le fabricant de zinc d'art, ses études, où il
logeait, comme 11 vivait, jusqu'à la couleur de ses chaussettes,
jusqu'à une manié qu'il avait de se pincer le bout du nez. Et il
était la passion du moment, le jeune maître selon le goût du jour,
ayant eu la chance de rater le prix de Rome et de rompre avec
l'Ecole, dont il gardait les procédés : fortune d'une saison que le
vent apporte et remporte, caprice nerveux de la grande détraquée
7«4K E;;.;.^.-.-
de ville, succès de Pb peu près, de l'audace gris perle, de racci-
dcnl qui bouleverse la tpule le'maiin, pour se perdre le soir dans
l'indifférence de tous.
Mais Naudei remarqua V Enterrement au village.
— Tiens! c'est votre tableau?... Et, alors, vous avez voulu
donner un /pendant à la Noce'! Moi, je vous en aurais détourné...
Ah \ la Noce! la Noce!
Bongrand i'écoutait toujours, sans cesser dé sourire; et, seul,
un pli douloureux coupait ses lèvres tremblantes. Il oublait ses
chefs-d'œuvre, l'immortalité assurée à son nom, il ne voyait plus
que la vogue immédiate, sans effort,- venant h ce galopin indigne
de nettoyer sa palette, le poussant à l'oubli, lui qui avait lutté dix
années avant d'être connu. Ces générations nouvelles, quand elles
vous enterrent, si elles savaient quelles larmes de sang elles vous
font pleurer dans la mort !
Puis, comme il se taisait, la peur le prit d'avoir laissé deviner
son mal. Est-ce qu'il tomberait U celle bassesse de l'envie? Une
colère contre lui-même le redressa, on devait mourir debout. Et,
au lieu de la réponse violente qui lui montait aux lèvres, il dit
familièrement : . .
— Vous avez raison, Naudel, j'aurais mieux fait d'aller me
coucher, le jour où j'ai eu l'idée de cette toile {'^). *
|alVRE^ NOUVEAUX
Mythologie Scandinave. Légende des EJddas, par R. B. Ander-
soN. Traduction de M. Jules Leclercq. — Paris, Ernest Leroux,
.1886.
Presqueen même temps qu'il publiait la Terre des Merveilles ("),
M. Jules Leclercq faisait paraître chez Leroux la traduction d'un
très intéressant ouvrage de M. Anderson sur la mythologie Scan-
dinave.
L'auteur, né en Amérique de parents norwégiens, a professé
le cours de langues Scandinaves à l'université "de Madison, en
Wisconsin. « C'est, dit M. Leclercq, un dés rares savants qui
-peuvent étudier dans les textes originaux les monuments de cette
admirable langue islandaise dont la grammaire est la plus com-
pliquée et la plus rebutante qu'il y ait au monde. Connaître l'is-
landais, c'est posséder un trésor d'un, prix inestiirtable, car c'est
la seule langue vivante qui donne la clef de la vieille littérature
norraine, c'est le seul parler du moyen-âge qui n'ait subi aucune
altération. »
On conçoit l'importance que présente, au point de vue de
l'exactiinde scientifique, l'ouvrage de M. Anderson.
On y trouvera, dans une première partie consacrée à la créa-
tion et à la conservation du Monde, la genèse telle que l'ensei-
gnent les Eddas : la naissance des dieux, le déluge Scandinave,
l'origine du ciel et de la terre, la création du premier homme et
de la première femme, les divisions du monde, etc. Et ce qui
frappe à la leclfîfe de cet exposé, c'est l'affmité qui unit à la
mythologie du Nord les dogmes chrétiens sur l'origine de l'huma-
nité.
Le cortège des dieux, Odin et ses femmes, ses fds : Hermod,
Tyr, Heimdal, Brage, Balder, les Valkyries, etc., défilent ensuite,
emplissant la deuxième partie de leur existence aventureuse et de
leurs amours compliquées. Le Ragnarok, ou « Crépuscule des
die.ux », clôture l'ouvrage.
La tétralogie des Nibelung^n est, comme on sait, empruntée
à ces fabuleuses épopées. Ilest curieux de constater, en lisant les
textes que donne l'auteur, le parti qu'en a tiré Wagner et la philo-
sophie qu'il en a déduite. Qu'on ne s'imagine pas que ces dieux
Scandinaves soient des personnages solennels, exempts des pas-
sions de l'humanité. Ils sont tels que les dieux de l'Olympe hel-
lénique chantés par Homère et dont des travaux récents ont
détruit la fausse auréole qui leur nimbait le front, imaginée par
la pédanterie des académies. Ils sont sensuels, paillards, gour-
mands, fourbes et rusés. Ainsi Thor, à qui le géant Thrym vola
son marteau, s'affuble des vêtements et des parures de Frcyja, et
sous la conduite de Loke, pénètre sournoisement chez son adver-
saire, récupère, grâce à ce stratagème, sa terrible arme, et
assomme aussitôt Thrym et tous les géants. -
Nées des conceptions de peuples à leurs premiers bégaiements,
ces légendes ont une saveur rare. Rien ne peut donner une idée
plus exacte de l'humanité naissante. Toutes les passions de
l'homme s'y reflètent, et à travers les caprices d'imagination qui
prêtent aux héros les plus merveilleuses aventures, il n'est pas
difficile de démêler un exposé fidèle des mœurs, des sentiments
et de la civilisation de ces époques lointaines. C'est là le réel
intérêt et la force du livre.
Voor onze Kleinen ! Ëen bundeltje fabeltjes, door L. Leefson.
Roeselare, De Seyn-Verhougstraete.
M. L. Leefson, un poète flamand, artiste en coiffure aimé de
nos élégantes bruxelloises, comme il est artiste en littérature,
vient de publier chez l'éditeur De Seyn-Verhougstraete, à Roulers,
un petit livre charmant, qui rappelle les jolies collections de
fabliaux pour enfants publiés jadis en Hollande par Van Alphen
et en Belgique par André Van Hasselt. Ce petit livre, imprimé sur
papier parcheminé, est intitulé : Voor onze Kleinen. — Een
bundeltje. fabeltjes (Pour nos enfants. — Un petit bouquet de
fabliaux). Il y en a cinquante, un véritable bouquet de fljeurs
enfantines^ plein de fraîcheur et de simplicité; le tout répand un
parfum de douce morale, qui fait songer au mot de Ségur :
Mettez la morale eu chanson.
Pour la graver dans la mémoire.
(*) Emile Zola, l'Œuvre.
(**) Voy. notre dernier numéro.
LES BUDGETS DBS THEATRES LYRIQUES
A l'Opéra de Paris, l'exercice du 1" novembre 1884, au
31 décembre 1885 a donné :
Dépendes . ... . . . fr. 4,620,638 94
Recettes 4,374,616 94
Déficit fr. 246,022 »
Du 1" janvier au 30 avril 1886 (quatre mois) les recettes ont
été de . . fr. 1,489,806 41
Les dépenses de . . . . . . 1,409,651 86
Il y a donc un excédent sur ces
quatre mois de . . . . fr. 80^154 25
Mais il faudra voir, hélas! ce qu'amèneront les huit autres.
UART MODERNE
239
y Les directeurs annoncent qu'ils préparent : ^
Patrie, de MM. Sar4ou et Paladilhe, opéra en cinq actes.
Les Deux pigeons, ballet en deux actes, de MM. Régnier fils
et André Messager.
La Dame de Monsoreau^ opéra en cinq actes de^MM. Auguste
Maquet et Salvayre. •(
La Tempête, ballet avec chœurs, d'après Shakespeare, par
M. Jules Barbier, musique d'Ambroise Thomas.
•••-■'■ * •.' ■ , ; ■■' ' ';■.
A rOpéra-ConiKjue, l'exercice financier va du 31 juillet d'une
année à la même date de l'année suivante :
L'exercice du !«' août 1884 au 31 juillet 1885 a donné :
Recettes ... . . . . fr. 1,979,257 01
Dépenses. . ..... .2,088,90995
Soit un déficit de . . . . fr. 109,652 94
L'exercice du l^»- août 1885 au 30 avril 1886 (neuf mois) a
donné : -
Receltes . ... . . . fr. 'l,666,630 80
Dépenses 1,650,961 55
Soit un excédent de . . . fr. 45,669 25
Mais il reste trois mois d'été, et déjà mai a amené des perles
sensibles.
M. Carvalho a annoncé qu'il préparait pour les premiers mois
de l'année prochaine :
Benvenuto Cellini, de Berlioz; ^
La iSimie, d'Auber ;
Le iSïci/ie72, de Wekerlin ;
Le Signalj de Paul Bugel. ; : " ^ ■
* :' ■ ;:,;■■-/■ •;;' '•■-. ■■■".y. ■
En résumé, tout cela est peu brillant. Des déficits acquis pour
les exercices complets. Des déficits probables pour les exercices
commencés.
Et quant au répertoire, rien de saillant.
Une autre remarque faite pour frapper à Bruxelles, concerne
les chiffres du budget de l'Opéra-comique. Voilà un théâlre dont
les dimensions ne sont pas celles du nôtre, dont le répertoire
n'embrasse que la moitié du nôtre, qui ne doit monter que le
personnel d'une de nos deux troupes. Or, il dépense et reçoit le
double. Nous avons, en effet, dit à diverses ^reprises, que le
théâtre de la Monnaie a un budget qui à l'actif et au passif
tourne autour de 950,000 frs.
Conclusion : Comme il doit être difficile de se soutenir à
Bruxelles avec les ressources présentes, et d'entretenir un troupe
suffisante!
cepter les photographies représentant des personnes dans des
1 attitudes et des costumes dans lesquels elles se produisent en
scène ou dans des lieux de divertissements publics;
En ce qui concerne spécialement certaines images et photo-
graphies que le prévenu Schmidt prétend former une. collection
particulière non destinée à la vente et comprise dans la saisie;
Attendu qu'elles ont été trouvées dans une annexe de son
magasin où se trouvaient également d'autres photographies que
le prévenu a déclaré être destinées à la vente ;
Qu'elles doivent donc être considérées comme tombant aussi
sous l'application de l'art. 383 du Code pénal ;
Vu les art. 383, 42 et 43 du Code pénal, 1931 du Code d'in-
struction criminelle;
Condamne les prévenus à 8 jours d'emprisonnement et à
500 francs d'amende;
Ordonne la confiscation, etc.
jlÎHRONiqUE JUDICIAIRE DE^^RT^
Il faudrait dire plutôt : Chronique judiciaire des mœurs.
Voici le texte du jugement prononcé la semaine dernière dans
la curieuse affaire des photographies de M"" Grille d'Egout, La
Goulue et la Sauterelle :
Attendu qu'il est résulté de l'instruction faite à l'audience que
les prévenus ont, à Bruxelles, en 1886, exposé ou distribué des
figures ou images coniraires aux bonnes mœurs et notamment
les photographies et dessins saisis chez eux, qu'il y a lieu d'ex-
MEMENTO DES EXPOSITIONS ET CONCOURS
■ , ' ■'■■ ■ . '■'>•' . . ■ .
Amsterdam.. Exposition (internationale) d'artistes contemporains
organisée par la ville d'Amsterdafli. Peinture, sculpture, architec-
ture, gravure, dessin, lithographie. Du 27 septembre au 30 octo-
bre 1886. Délai d'envoi : 23 aoùt-7 septembre. Frais à charge de
l'exposant à l'aller, à charge de la Commission au retour. — Six
médailles d'or, chacune de lOO florins. — Jury de sept membres,
dont quatre élus par les exposants. Joindre à l'envoi lé nom de quatre
candidats. — Les jurés ne peuvent concourir pour les médailles, —
Renseignements : Commission executive de l'Exposition com,mu~
nale, Amsterdam,. (J. Luden, secrétaire).
■ Bruxelles. — Prix du Roi, 25.000 francs offerts : '
En 1886 (concours exclussivement belge), à l'ouvrage le mieux
conçu pour développer chez la jeunesse belge l'intelligence et le goût
des littératures anciennes et modernes.
En 1888 (id.), au meilleur ouvrage sur l'enseignement des arts
plastiques en Belgique et sur le moyen de développer l'art en
Belgique et de le porter à un niveau de plus en plus élevé.
Les ouvrages destinés à ces concours devront être transmis au
Ministre de l'Agriculture, de l'Industrie et des Travaux publics, à
savoir : pour le prix à décerner en 1886, avant le 1er octobre 1886,
et pour celui à décerner en 1888 aN'ant le 1" janvier 1888.
Florence. — Concours (offert à tous les artistes résidant en Italie)
pour les trois portes de bronze de la façade de Santa-Maria-del-Fiore
(cathédrale). Primes de 4,000 francs pour la porte centrale, de
5,000 francs pour chacune des portes latérales, accordées aux pro-
jets choisis (dessin géométrique en clair-obscur, développé au tiers
de la grandeur d'exécution). Délai de rigueur : 31 octobre 1886. Siège
du comité : Place du Dôme, i4, Flot^ence.
Milan. — Concours (international; pour la reconstruction de la
façade de la Cathédrale (le Dôme) en harmonie avec le style du mo-
nument. — S'adresser, pour le programme, à l'hôtel de ville de
Bruxelles, bureaux de la 6^ division, de dix à quatre heures.
Concours Rubinstein. — Une somme de vingt-cinq milles roubles
a été placée à la Banque de Russie par M. Rubinstein. Les intérêts
de cett« somme serviront à décerner des primes musicales aux
compositeurs et aux pianistes, ainsi qu'à payer les frais d'organisa-
tion des concours, qui seront internationaux.
Ces concours auront lieu tous les cinq ans; deux primes, chacune
de cinq mille francs, seront accordées soit à deux concurents, soit à
un seul qui serait désigné comme compositeur et pianiste de premier
ordre. Au cas où ces primes ne seraient point décernées, les concur-
-«^,
240
U ART MODERNE
rents n'ayant pas fait preuve de supériorité réelle, on pourra accorder.'
des [îrimes secondaires d^une valeur de deux mille francs. " .
Le premier concotirs aura lieu en 1890. Les villes désignées pour
les jugements à intervenir et Torganisation des concours sont : Saint-
Pétersbourg, Berlin, Vienne et Paris.
Toute personne d il sexe masculin, âgée de 20 à 26 ans, peut
concourir, quelle que soit sa nationalité.
Le programme des concours comporte : 1° Pour les compositeurs :
concertos avec orchestre; musique de chambre et autres composi-
tions pour piano sans accompagnement ; 2" Pour les exécutants i-
exécution de concertos avec orchestre, musique de chambre et de
solos de tous genres (style classique ou style moderne). '
CouRTRAi. — Exposition de tableaux, dessins, gravures, sculp-
tures et lithographies. Du 22 août au 30 septembre.
DuNKERKE. — Exposition (internationale) d'aquarelles, dessins et
cartons, pastels, miniatures, émaux et faïence^, gravures, lithogra-
phies. • >
. Spa. — Exposition des Beaux-Arts. Du i «^r août à fin septembre.
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Sixième année. — N<> 31.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche l^-^ Août 1886.
L'ART
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PARAISSANT LE DIMANCHE
J
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
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Adresser les demandes d'abonnement et toutes les communications à
L administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
^OMMAIRE
L'Art et la Révolution. Parolçs d'un révolté ^ par Pierre
Kropotkine. L'Insurgé, , par Jules Vallès. Troisième articie. —
Bibliographie artistique. A la mémoire du capitaine Mare-,
challe. — "Wagner au répertoire. — Richard "Wagner jahrbuch, •
par Joseph Kiirschner. — Molière et l'école des femmes. Confé-
rence par M. Becque. -^ Chronique judiciaire des^ arts. Proh
pudor! — Petite chronique. ,
L'ART ET lA RÉVOWJTION
Paroles d'un Révolté, par Pierre Kropotkine, publié, annoté
. et accompagné d'une préface par Elisée Reglus. Paris, Q-. Mar-
pon et E. Flammarion. — Llnsurgé, par Jacques Vingtras
(Jules Vallès). Paris, Charpentier. '
Troisième article.
Dans le livre de Kropotkine, ce qu*on entend, c'est le
mugissement de la multitude. Dans le livre de Vallès,
c'est le gémissement de l'individu. Celui-là parle au
nom de tous, celui-ci parle de lui seul. D'une part,-
tout est présenté par masses, avec une tendance con-
stante à la généralisation. D'autre part, le détail,
Tanecdote occupent exclusivement l'écrivain qui spécia-
lise toujours. Mais chez l'un et l'autre grondent perpé-
tuellement l'indignation et la colère, avec une fureur
ardente quand c'est le Russe, avec une ironie froide
quand c'est le Français.
Et l'effet obtenu est égal en puissance : le virus litté-
raire est aussi corrosif, qu'il coule de la plume du nihi-
liste ou de la plume de l'intransigeant. Son acide mord
aussi profondément la carapace des institutions bour-
geoises. L'art est pourtant plus souple, plus ingénieux,
plus équilibré, plus fort chez Vallès. Il soutient mieux
le lecteur, rend pour lui l'oeuvre plus séduisante et
plus pénétrante. Elle apparaît merveilleusement rap-
prochée de cette vie quotidienne où nos âmes contem-
poraines positives cherchent désormais le vrai drame
des choses et dont le fourmillement désormais visible
pour nos yeux guéris des longs regards promenés sur
le passé ou sur Tidéal suprasensible, devient l'unique
aliment de nos curiosités et de nos émotions. Cet
Insurgê^que Vallès fait mouvoir, penser, parler, agir,*
souffrir, nous le sentons à nos côtés, circulant dans
cette foule que nous coudoyons, mêlé à notre existence.
Nous nous souvenons l'avoir rencontré, nous l'incar-
nons dans telle figure misérable et sombre, nous le
reverrons demain, nous le pressentons surtout pour les
jours inévitables et prochains des bouleversements
suprêmes qui seront pour les uns la ruine cruelle et
sauvage, pour les autres la divine équité enfin con-
quise.
A tous ceuœ
qui victimes de l'injustice sociale
prirent les arm£s contre un monde mal fait
et formèrent
sous le drapeau de la Comm,une '' "'
la grande fédération des douleurs
Je dédie ce livre.
Voilà comme il commence. Et tout de suite, récitant
sa vie d'opprimé, achevée récemment dans la mort, il
dit:
[ J'ai eu faim si longtemps! J'ai si souvent serré mes
côtes, pour étouffer cette faim qui grognait et mordait
mes entrailles, j'ai tant de fois brossé mon ventre sans
faire reluira l'espoir d'un dîner. Gibier de garni, obligé,
pendant des années, d'accepter n'importe quel trou
pour alcôve et de ne rentrer dans ces trous-là qu'à des
heures toujours noires, de peur de l'insomnie ou de la
logeuse, affamé de grand air qui n'a pu renifler que
; des miasmes dans des hôtels à plomb, affamé de pain
qui n'a jamais mangé son comptant.
Pion dans une pension quelconque, il dépeint Tefïet
que produisent bientôt son poil de sanglier, son œil
clair, son coup de talon, si mou qu'il s'efforce de rendre
son pas, sur le menton glabre, le regard louche, le
traînement de semelles des cagôts et des proviseurs.
On a décidé qu'il sauterait et le voilà de nouveau sur
le pavé de Paris. Va-t-il descendre jusqu'au cimetière
en ne faisant que se défendre contre la vie, sans sortir
de l'ombre, sans avoir au moins une bataille au soleil ?
Se mêlera-t-il en goguenardant aux pouilleux d'esprit,
aux lâches de cœur qui ne verront pas qu'il jette
l'ironie sur les douleurs comme on mettrait un faux nez
sur un cancer, et que l'émotion ronge ses entrailles
tandis qu'il étourdit la misère commune à coups de
1 blague, ainsi qu'on crève un carreau à coups de poing
pour avoir de l'air dans un étouffoir.
Non! A l'œuvre! et l'on, verra ce qu'il a dans le
ventre, quand la famine n'y rode pas comme une main
■ d'avorteuse qui, de ses ongles noirs, cherche à crever
les ovaires! Il va faire l'histoire des gueux qui n'ont
. pas trouvé leur écuelle. C'est bien le diable si, avec ce
j_ bouquin-là il ne sème pas la révolte sans qu'il y
paraisse, sans qu'on se doute que sous les guenilles qu'il
pendra, comme à la morgue, il y a une arme à employer
pour ceux qui ont gardé de la rage ou que n'a pas
dégradés la misère. Ils ont imaginé une Bohême de
lâches, il va leur en montrer une de désespérés et de
menaçants !
C'est avec ce terrible programme qu'il saisit la plume
comme une pince monseigneur pour faire sauter les
verrous et les écrous. Mais il fait lugubre dans sa
chambre, une chambre de trente francs qui a vue sur
un boyau de cour où, au dessus d'un tas de débris, est
juché un pigeonnier dont les roucoulements le déses-
pèrent. Il n'entend que cette musique irritante et les
sanglots d'une femme qui occupe, à côté, un cabinet
sombre qu'elle ne parvient pas à payer^ institutrice à
cheveux gris dont on ne veut plus et qui cherche des
leçons à dix sous. Il l'a rencontrée l'autre soir qui, pour
^^e prix-là, ofl'rait à des garçons d'hôpital ses caresses
4b vieille et' entrouvrait sa robe pour laisser prendre
ses seins flétris.
;. Il gèle dans sa chambre et il est long à faire flamber
son tas de houille. S'il a le courage de s'asseoir devant
sa table, sans feu dans la cheminée, peu à peu le frisson
vieniet la pensée s'en va. Il achète à crédit une houp-
pelande à capuchon en drap de couvent. Al^! bourgeois
qui l'avez taillée, mercier qui l'avez vendue, vous ne
savez pas ce que vous venez de faire ! Vous venez de
donner une guérite à la sentinelle d'une armée qui vous
en fera voir de dures ! ' .
Et alors le livre sort, s'épanche, grandit. Il ne
regarde pas si ce qu'il écrit ressemble à du Pascal ou à
du Marmontel, à du Juvénal ou à du Paul-Louis Cour-
rier, à Saint-Simon ou à Sainte-Beuve ; il n'a ni le respect
des tropes, ni la peur du néologisme, il n'observé pas
Tordre nestorien pour accumuler les preuves. Il prend
des morceaux de sa vie, il les coud aux morceaux de la
vie des autres, riant quand l'envie lui en vient, grin-
çant des dents quand des souvenirs d'humiliation lui
grattent la chair sur les os comme la viande sur un
manche de côtelette, tandis que le sang pisse sous le
couteau. Il déchire les bandages de ses blessures pour
montrer quel trou font, dans un cœur d'homme, dix
ans de jeunesse perdue !
Et les cravatés de blanc qui le lisent sont déroutés,
les cuistres, par ses attaques d'ïrrégulier, déchaînées
contre la carcasse de la société tout entière, telle
quelle est bâtie, la gueuse, qui n'a que du plomb de
caserne à jeter dans le sillon où les pauvres se tordent
et meurent de faim, crapauds à qui le tranchant du soc
a coupé les pattes et qui ne peuvent même pas faire
résonner, dans la nuit de leur vie, leur note désolée et
solitaire ! Seulement c'est le dédain plus que le déses-
poir qui gonfle son cœur et le fait éclater en phrases
qu'il croit éloquentes. Dans le silence, il -lui paraît
qu'elles frappent juste et luisent clair. Mais elles ne
sont pas barbelées de haine. Ce n'est point la générale,
c'est la charge qu'il bat en tapin échappé aux horreurs
d'un siège, et qui, porté tout d'un coup en pleine
lumière, crâne et gouailleur, riant au nez de l'ennemi,
se moquant des ordres de l'officier, et de la consigne, et
de la discipline, jette son képi dans le fossé, déchire ses
chevrons et tambourine la diane de l'ironie. Ma foi,
pendant qu'il y est, il leur dégoisera tout ce qui
l'étouôe. Et si parfois il adoucit ce style d*émeute et de
barricade, il y glisse toujours un géranium sanglant,
une immortelle rouge perdue sous les roses et les œil-
lets. S'il parle des va-nu-pieds, comme Léon Cladel,
cet autre apôtre puissant de la plèbe, c'est en saupou-
drant de soleil leur misère et en faisant cliqueter les
paillettes de leurs haillons.
On le lit et les gazettes le signalent, le jugent. Elles
ne frémissent pas, elles ne crient pas. Où donc le bruit
d'orage qu'il aime? Il a honte maintenant, par moments,
quand c'est seulement le styliste que la critique louange,
quand elle ne démasque pas l'arme cachée sous les den-
telles noires de sa phrase. Il a peur de paraître lâche à
i t ■:.)'
L'ART MODERNE
243
ceux qui l'ont entendu, dans les cénacles de gueux, pro-
mettre que le jour où il échapperait à la saleté de la
misère et à Tobscurité de la nuit, il sauterait à la gorge
de l'ennemi.
Des lettres lui viennent d'il ne sait où, qui l'ont
rejoint il ne sait comment, des poignées de mains d'igno-
rés et d'inconnus, de conscrits effarés ou de vaincus
saignants. Il a donc pénétré dans la foule, il y a donc
derrière lui des soldats, une armée. Ah ! il passe des
nuits à roder dans «a chambre, tenant ces chiffons de
papier dans ses doigts crispés, ruminant l'assaut sur le
monde avec ces correspondants pour capitaines!
Son style sonore, flamboyant, superbe de pièces et de
morceaux qu'on dirait ramassés, à coups de crochets,
dans des cours malpropres et navrantes , apparaît
comme un attrape-mouches à un journal qui nourrit
une clientèle d'insouciants et d'heureux, d'actrices et de
mondaines. Une fois par hasard, du Vallès, c'est drôle
comme uiie escapade dans un tapis franc, comme une
visite d'élégante dans un logis de blousier. Mais bientôt
on en a assez. On lui insinue de changer. Mais il ne
veut pas être l'amuseur du boulevard, un chroniquail-
leur d'atelier ou de boudoir, un guillocheur de mots,
vun écouteur aux portes, un fileur d'actualités. « Vous
voulez un égayeur, je suis un révolté. Révolté je reste,
et je reprends mon rang dans le bataillon des pauvres, n
Et il recommence, avec les souvenirs de sa jeunesse
empestée et meurtrie, des pages pleines de rages sourdes
et hérissées de fureur. Mais il est signalé et partout on
le repousse. Célèbre, il se sent moins libre que lorsqu'il
traînait la guenille dans les coins sombres. Il avait l'in-
dépendance de celui qui, dans un cul de basse fosse,
peut creuser la pierre, et faire un trou par lequel il
sautera sur l'ennemi pour l'égorger. C'était sa force.
Maintenant la mèche est éventée. Il est signalé, il est
signalé ! Et comme la bête noire des gardes chiourmes,
au bagne, il voit s'écarter de lui ceux qui ont peur du
bâton aussi bien que ceux qui le manient.
Vallès fonde un journal. Au mur les affiches! Ce fut
cette célèbre Rue, éphémère mais inoubliable. Au jour
où elle va apparaître dans son aveuglante intransi-
geance, il écrit : « J'ai envie de rire un peu au nez de
cette société que je ne puis attaquer de vive force,
fut-ce au péril de ma vie. L'ironie me pète du cerveau
et du cœur. Je sais que la lutte est inutile, je m'avoue
vaincu d'avance, mais je vais hurler mon mépris pour
les vivants et pour les morts. »» Plus tard ; « Un beau
jour j'ai écrit une page brutale, les Cochons vendiis,
qui, en paraissant souffleter des maquignons, giflait
ministres et magistrats, légalité et tradition. J'ai osé
toucher aux idoles. Chaque barreau de l'échelle
sociale porte un des coqs que j'ai déplumés, dont j'ai
fait saigner le croupion. L'huissier est venu. On va
nous tuer. J'ai eu vraiment une riche idée en écrivant
ces deux cents lignes. Elles me désignent à la calomnie
et à la mort. — Elles vous désignent au peuple aussi!
m'a dit un vieil insurgé, en me prenant le poignet et
avec un éclair dans les yeux. Tenez bon, nom de Dieu!
et, aux jours de révolution, c'est vous que le faubourg
appellera, c'est eux qu'il collera au mur ! »»
Et il reprend, tout célèbre qu'il est, le collier des
anciennes détresses. Cette fois, si l'on appelle aux
armes, quand il apparaîtra, on le reconnaîtra, et s'il
est vêtu en gueux, on saluera sa misère. Seulement il
faut pouvoir attendre le moment de bien mourir. Ah !
s'il avait seulement la miche assurée. C'est dur d'être
en complet de commissionnaire lorsqu'on a été un
moment sur le chemin de la fortune et de la gloire.
Pourquoi n'a-t-il pas baissé d'un cran son pavillon?
Pourquoi a4-il défendu les pauvres? Mais où serait le
mérite, s'il vivait d'eux, comme leui* vermine!
Et ainsi roule et soubresaute ce livre extraordinaire
durant quatre cents pages, marquant les cahots de la
vie de misère par des empreintes de boue et de sang
laissées aux murailles entre lesquelles trébuche le
sublime misérable poussé par l'ouragan des malheurs
quotidiens. Il va à travers les dernières années de
l'Empire, à travers la guerre allemande, racontant par
hoquets, par sanglots, par malédictions, par blasphèmes
l'épopée d'un va-nu-pieds, avec la puissance de concen-
tration qui en fait l'épopée haletante et terrible de tous,
jusqu'au jour où la Commune sonne le tocsin et déve-
loppe sous la rafale révolutionnaire son formidable
étendard. •
18 mars. — Pan, pan! — Qui est là? — C'est un
ami, il est essoufflé et pâle. — Qu'y a-t-il ? -— Un régi-
ment de ligne a passé au peuple! — Alors on se bat?
— Non, mais Paris est au Comité Central. Deux géné-
raux ont eu ce matin la tête cassée par les chassepots.
— Où?... Comment?... — L'un avait commandé le feu
contre la foule. Ses soldats se sont mêlés aux fédérés,
l'ont entraîné et massacré ; c'est un sergent en uniforme
qui a tiré le premier. L'autre, c'est Clément Thomas
qu'un ancien de Juin a reconnu. Au mur aussi. Leurs
cadavres sont maintenant étendus, troués comme des
écumoirs, dans un jardin de la rue des Rosiers, là haut,
à Montmartre.
Allons ! C'est la Révolution !
. La voilà donc, la minute espérée et attendue depuis
la première cruauté du père, depuis la première gifle^
du cuistre, depuis le premier jour passé sans pain,
depuis la première nuit passée sans logis — voilà la
revanche du collège, de la misère, et de Décembre!
Il a eujm frisson tout de même. Il n'aurait pas
voulu ces taches de sang sur leurs mains, dès l'aube
de leur victoire. Peut-être aussi est-ce la perspective
de la retraite coupée, de l'inévitable tuerie, du noir
péril, qui lui a refroidi les moelles... moins par peur
244
rART MODERNE
d'être compris dans l'hécatombe, que parce qu'elle
glace l'idée qu'il pourrait, un jour, avoir à la com-
mander. »»
Quel élan' d'espérance assombri de prévisions sinis-
tres ! C'est l'âme toujours volant vers l'idéal,- toujours
ramenée au malheur! C'est le symbole de cette masse
populaire souffrante, mais jamais découragée, quoique
constamment déçue, croyant néanmoins à la rédemp-
tion, et par cette opiniâtreté même affirmant son inévi-
table avènement.
Charles Longuet rappelait, à l'occasion de la mort
de Jules Vallès, que Zola, dans un article loyal et cou-
rageux, où il exprimait son admiration pour les romans
de ce mort regretté et si violeinment attaqué, lui
reprochait d'être allé perdre ses dons littéraires aux
iti^rates besognes et aux basses œuvres de la poli-
tique. Etrange critique répliquait-il, qui caractérise
pourtant une société en décadence, ou plutôt un inter-
règne entre l'ancien monde et le nouveau. Certes, s'il
est des cœurs que la politique courante doit soulever,
on les rencontrera parmi les hommes qui en touchent
de près les misères ou les hontes. Mais est-ce donc là
toute la vie sociale? Pour î'esprit qui n'en fait pas
métier, n'y a-t-il donc pas un au delà plus réconfor-
tant, plus réchauffant mille fois que les. plus hautes
aspirations de la littérature, de l'art et de la science
même? Et depuis quand les héros, les hommes d'action,
ne sont-ils plus ceux qui, mourant jeunes ou vieux, ont
le mieux épuisé la coupe de la vie ? L'histoire de tous
les siècles, l'humanité tout entière proteste contre ce
blasphème des littérateurs, aux époques .décadentes
oii la poésie a divorcé d'avec V action au point de
ne plus 7nême la comprendre. L'auteur de r Insurgé ^
lui, eût donné tout son bagage littéraire pour revivre
encore la minute passagère où, dans l'orage des événe-
ments historiques qui un jour lui donnèrent la puis-
sance, il avait cru saisir et tenir en sa main l'ombre
fuyante de la société et de l'humanité qu'il concevait, le
rêve de sa jeunesse et de sa maturité. Il avait raison;
Oui, il avait raison, et ceux qui l'imitent ont raison,
aujourd'hui surtout que le destin lève les derniers voiles
qui cachaient les rénovations sociales. En vain, durant
des trêves passagères, on se fait illusion sur la lutte
prochaine, décisive et bouleversante. Sous les amabi-
lités dernières qu'échangent les bourgeois de race
avec les ouvriers beaux parleurs en train de se trans-
former en bourgeois, gi^ondent inexorables les colères
qui tiennent aux disproportions effroyables entre la
richesse des uns et le dénûment des autres. Là est le
mal, là est le problème effrayanrt qu'aucun palliatif
légal ne peut ni guérir, ni résoudre. C'est de ce côté que
va cette httérature violente et sinistre. C'est là qu'écla-
tera la catastrophe finale et que roulera l'ouragan.
!PlBLiOqRAPHIE ARTISTIQUE
A lia mémoire du capitaine Marechalle, souvenir reconnais-
sant d'une de ses élèves. — Bruxelles, V® Monnom, 1886.
Une dédicace à la veuve du capitaine Marechalle révèle que ce
très simple, mais très louchant écrit énia ne d'une artiste vail-
lante et charmante dont nous avons parfois cité le nom dans nos
comptes rendus d'exposition, M"« Gabrielle de Villers.
Vaillante, disons-nous, car non seulement elle s'e^t ouverte-
ment lancée dans la vie artistique, quoique appartenant à un
monde qui s'en inquiète, et même s'en épouvante, mais elle
arbore hardiment le guidon des écoles les plus avancées, nou-
velle cause d'émoi, sans doute, dans un milieu dont la tradition
et l'honneur sont de n'être que le juste milieu. Deux exemples :
elle rappelle avec fierté^ à la gloire du capitaine Marechalle, son
premier maître, qu'il a écrit : « Je déplore que le musée de
Bruxelles ne possède rien de Manet. Je ne m'explique point de
pareilles choseg. A tous les points de vue Manet est indispen-..
sable dans un grand musée. Manet plus que Courbet, » — et qu'il
a écrit aussi : « Comment Taine met-il au dessus de Rubens
Vinci, Michel-Ange et Raphaël? Rubens est le plus grand peintre
du monde. ».
M"^ de Villers résume son panégyrique du capitaine Marechalle
par ces mots : « Enthousiaste, rêveur parfois, franc, loyal, il
était, dans la belle et grande acception du mot : un caractère. »
Et de fait, quand on lit les extraits des lettres et des notes de cet
artiste devenu militaire et professeur de perspective résigné,
parce qu'une mère craintive et imbue de préjugés bourgeois
redoutait pour lui la vie du peintre, on sent, avec tristesse, que
l'homme avait vraiment ces qualités et qu'il fut détourné de
sa vocation. Quand, plus tard, occupé de polygones et de
polyèdres, il se voyait réduit à la pédanterie de l'art scolastique,
il disait à sa jeune élève : « On n'est vraiment artiste qu'en
peignant ce qu'on croit et ce qu'on aime. >ï- Et une autre fois :
« Que vous êtes heureuse de peindre toujours !»
M. Marechalle a été, semble-t-il, une de ces natures artistes de
pensée, autant qu'on peut l'être, mais que les circonstances ou une
imperfection de mains empêche d'arriver à la réalisation, pri-
sonniers d'eux-mêmes, belles âmes servies par un corps impar-
fait, Tantales qui n'ont pas cueilli les fruits d'or de l'œuvre
matérialisée. Les saines et grandes vues sur l'art lui arrivaient
sans effort et en abondance, telles que n'en ont guère les profes-
seurs d'établissements officiels, car, k les exprimer, on risque sa
situation. Comment, en effet, juger autrement ces aphorismes qui
sentent lé roussi : « Craignez l'atelier, il n'y a que la nature; —
Dans les feuillages, je vois des masses et des ensembles et ne
veux pas voir la feuille ; — -. Nous devons attendre l'instruction de
nous-mêmes et de nos contemporains plutôt que des écoles
mortes, toutes mortes sans résurrection possible; — Plantez
définitivement votre chevalet en plein champ, mettez vous en
plein air et vous verrez; — Il faut peindre sous le ciel et faire ce
qu'on voit comme on le voit; — La peinture d'imagination ne
conduit à rien; — L'enseignement officiel jette tous les artistes
dans le même moule et donne à leurs œuvres une déplorable
uniformité ; — Qui s'attache à la manière d'un autre, annihile
ses dispositions, captive son génie, reste inférieur à son guide;
— La décadence de l'art dérive des imitateurs; ^- Lorsqu'on
/
■■•m
veut transformer une nature artistique, on la déforme; — Peindre
de soi-même et pour soi-môme-sans souvenir de leçons apprises ;
— C'est la difficulté, la liilte, l'obstacle qui fait les forts. »
Voilk un évangile qui mène d'ordinaire au Calvaire, sauf à
être glorifié après exécution. Vous, Mademoiselle, qui proclamez
voire foi en ces préceptes insurrectionnels, vous vous rendez
compte de ce qu'ils ont de salutaire, mais comprenez-vous ce
'qu'ils ont de périlleux? Dans ce cas, vous avez un courage au
dessus de votre caste. Vous qsjbz peindre d'après les règles des
écoles intransigeantes et vous osez écrire qu'elles sont dans le
vrai. Seriez-vous de là lignée héroïque des Jeanne Hachette et
des princesse d'Epinoy? Aujourd'hui, les femmes qui leur ressem-
blent ne se montrent plus l'épée k la main derrière les créneaux ;
l'occasion manque; mais il est d'autres batailles où les héroïnes
peuvent apparaître la brosse ou la plume à la main et se faire
autant admirer. Vous vous émancipez par l'esprit, le caractère et
le talent, ce qui est la noble manière' de s'émanciper. L'art jeune
avait pour lui la force. Voici que par vous et quelques autres il
obtient la grâce. Nous le disions, il y a un an, à M^'® Anna Boch
lorsqu'elle s'enrégimentait bravement parmi les XX.
. Honneur à ces guerrières qui, dédaigneuses des diplômes qui
garantissent l'instruction bourgeoise des régentes du beau monde,
vont aux doctrines indisciplinées, c'esi-à-dire à l'art libre, salu-
taire et charmant. -
•^AQNER AU RÉPERTOIRE .
^ Le tableau synoptique des représentations données en 1885
dans toute l'Allemagne, que publie le professeur Kûrschner dans
Y Annuaire qu'il vient de faire paraître, indique exactement
quelle est la situation actuelle des œuvres de Wagner dans les
prédilections du public germanique.
Si l'on excepte un opéra de Nessler, le Trompette de Sâckinge'n, "
qui a été joué la même année sur vingt-quatre scènes allemandes
et qui a atteint l'invraisemblable chiffre de 300 représentations,
l'œuvre qui a été jouée le plus souvent en Allemagne en 1885 est
Lohengrin et après elle Tannfiaiiser. Carmen, de Bizet, arrive
en troisième lieu, puis i^iMw, de Beethoven.
Au surplus, voici un extrait de cet intéressant et instructif
tableau. Nous n'avons pris que les plus gros chiffres.
Lohengrin (Wagner) .... . . . i23 fois. .
Tannhauser (Wagner) i09 »
Carmen (Bïzel) . ... . . . . . 405 »
jPîddw (Beethoven) . . .... . 94 » -
Le Trouvère (Verdi) 92 »
Freischutz (Weber) ....... 88 » .
Les Huguenots (Meyerbeer) ..... 82 »
Le Vaisseau FANTOME (Wagner) . ... 73 »
Martha (ï\oio\\) . ... . . . . .72 »
La Walkure (Wagner) ...... 71 »
Les Noces de Figaiv {Mozart) . . é . 71 »
Don Juan (id.). 68 »
Le Barbier de Séviile (Rossini) .... 68 »
Silvana Ç^eher) . . . . . . . . 66 »
Ondine [Lorlzins;) ........ 59 »
. L'Empereur et le Charpentier {là.). . . 58 »
Les joyeuses Commères (Nicolaï) . . .56 »
55 fois.
55
»
55
» ,
52
»
"48
»
48
»
45
»
43
»
41
»
40
»
La Flûte enchantée {MoiSiri) , , . . .
La Dame blanche iJ^oialà'iGM) ....
. Mignon (Thomas) . . . . . . . .
i^awi/ (GoUnod). ... .... .
Les Maîtres-Chanteurs (Wagner) . . .
Le Postillon de Lonjumeau (Adam) . .
L'Africaine (Meyerbeer) . . . .- . .
Guillaume Tdl{^0'ism\). . . . . .
. La Juive {)\2\és'^) . . .... . »
Euryanthe (Vfeho.r) . ... . . .
Il convient de ne pas perdre de vue que les drames dé Wagner,
qui donnent dans la statistique où nous puisons ces renseigne-
ments un total de 526 représentations (Tristan et Iseult a été
joué 25 fois, le Rheingold 22 fois, Siegfried 19 fois, la Gôtter-
dammerung 10 fois) ne sont qu'au nombre de dix, alors qu'il a
fallu 147 opéras, dus k 71 compositeurs différents, pour produire
un ensemble de 2,879 représentations. •
Ce qui ressort de tout ceci, c'est qu'en Allemagne Wagner est
au répertoire. Ses drames les moins intransigeants ont beaucoup
plus de succès — nous entendons ce mot dans un sens spécial —
que les œuvres du vieux répertoire. Quant aux autres, elles
occupent une place fort honorable dans le tableau. Il est même
curieux de constater que les opéras qui, chez nous, constituent
le fond des représentations, celles dont la recelte est certaine et
sur laquelle comptent les directeurs d'une manière absolue":
La Juive, Guillaume Tell, par exemple, sont représentés moins
souvent en Allemagne que les Maîtres-Chanteurs. La Walkilre
a atteint un nombre de représentations double de celui de la
Juive et vingt représentations de plus que Faust!
On né peut assurément pas dire qu'en Belgique le goût soit le
même, qu'en Allemagne, et l'argument par analogie serait ici,
plus que jamais, dangereux à appliquer. Il n'en est pas moins
vrai que la question est intéressante, et qu'il y a beaucoup à faire
de ce côté. Nous soumettons le petit travail auquel nous venons
de nous livrer aux méditations de MM. Dupont et Lapissida.
■ ^
RICHARD WAGNER JAHRBUCH
Herausgegeben von Joseph Kûrschner. — Erster band, 1886. —
Stuttgart, chez l'auteur.
L'annuaire wagnérien, dont nous avons annoncé la publication,
paraît au moment précis où les représentations de Bayreulh con-
centrent rallention générale. La date ne pouvait être mieux
choisie. -
Le volume, qui comprend 500 pages de texte compact, est
orné d'un très curieux portrait de Wagner exécuté d'après un
daguerréotype reproduisant un dessin de M. Ernest Benedict
Kietz, daté du 14 novembre 1850. Ce dessin, exécuté pour une
admiratrice des œuvres du Maître, une dame Laussot, de Bor-
de-aux, n'existe plus. L'épreuve qui a servi à la reproduction
phototypique que publie l'Annuaire est, paraît-il, unique. C'est
donc une rareté fort intéressante que le patient auteur de l'ou-
vraçe offreà ses lecteurs.
'^- Quant aux articles, aux renseiguements, aux documents divers,
aux tableaux statistiques qu'il a réunis, ils témoignent d'une
conscience et d'une ténacité dans les recherches tout à fait extra-
ordinaires. C'est une compilation de bénédictin, embrassant les
246
L'ART MODERNE
faiis les plus minimes qui peuvent intéresser les amis de Wagner,
et que seul un écrivain allemand, passionnément épris de son
sujet, pouvait mener à bonne fin.
On trouvera dans ce compendium, dont nous devons nous
borner à signaler les principales divisions, une partie biogra-
phique dans laquelle M. Glasenaff expose la généalogie complète
de Wagner, des « Souvenirs et rencontres » rappelant, sous
diverses sigiî^res, certains épisodes de la vie de l'artiste, puis
une série d'articles critiques sur son œuvre, l'histoire anecdolique
de la construction du théâtre de Bavreulh, des études sur les
MaUreS'Chanteurs^ sur Tristan^ elc, un chapitre consacré à
l'art wagnéricn à l'étranger, et particulièrement en France, une
chronique de Tannée wagnérienne, la bibliographie des oeuvres
du compositeur depuis 4829 jusqu'en 1836 avec reproduction
graphique des titres, publication des premiers articles de jour-
naux qui s'occupèrent de l'arlisle, etc.
Enfin, les comptes-rendus de tous les ouvrages édités au cours
de l'année sur Wagner et Vanalyse détaillée des principaux arti-
cles parus dans les journaux allemands, belges, français, etc., le
tableau synoptique de toutes les œuvres théâtrales représentées
sur les vingt-huit scènes de l'A liemagne en 1842 (date de la pre-
mière exécution de Rienzï), 1843, 1844, 1845 et 1885.
L'a statistique de toutes les oeuvres de Wagner jouées dans les
concerts, et ce dans toute l'Europe, dans le cours de l'année 1885,
des extraits curieux et inédits de lettres, la jeunesse de Wagner
(1830 à 1840), de petites nouvelles piquantes sur l'extension du
mouvement wagnéricn clôturent le volume, que complète une
table de tous les noms cités.
Cet excellent annuaire, qui ajoute à la bibliographie wagné-
rienne, déjà si considérable, de précieux renseignements, coûte
dix'marcs, relié en toile,' ou vingt marks sur Hollande, tiré à
100 exemplaires, reliure en peau.
Il est dédié à la Mémoire du roi Louis II de Bavière^ le
a royal ami » du Maître et le protecteur de son art national.
fil
lOLIERE ET L't^COLE DE? FEMME?
Conférence par M. Bkcque. — Tresse, éditeur.
La critique n'en a jamais fini avec les grands écrivains. Chaque
siècle les comprend à sa guise; les novateurs ne s'autorisent pas
moins de leurs exemples que les défenseurs de la tradition. On
leur prête, là môme où ils sont le plus clairs, des sens inatten-
dus. Nos idées nous paraissent moins contestables quand nous
les offrons au public avec de tels garants; il faut qu'ils soient,
en toute chose, nos auxiliaires pu nos complices. Quand il s'agit
d'un poète comme Molière, c'est-à-dire de la raison même, il
n'est pas étonnant qu'on veuille l'avoir pour soi. On lit son texte,
on le relit, on le tourne en tous sens, on l'étend et l'on fait si
bien, qu'on y trouve tout ce qu'on y cherchait. Ce que le premier
a cru voir, d'autres le voient, en effet; ils en parlent et avec le
temps une opinion s'accrédite. La foule des lecteurs l'accepte et
les lettrés eux-mêmes ne peuvent s'en défendre, car on la leur
inculque d'abord. C'est ainsi que la postérité tout entière col-
labore aux chefs-d'œlivre; elle leur fait comme une escorte qui
se grossit sans cesse : '
Recevant d'âge en âge une nouvelle vie,
Ainsi s'en vont à Dieu les gloires d''autrefoi8 ;
Ainsi le vaste écho de la voix du génie
Devient du genre humain l'universelle voix.
L'oèuvrei.d'un grçind homme se transforme au cours des siècles;
le temps l'agrandit; il la complète, il l'épure et elle reste éter-
nellement jeune. Ce travail de la critique est vraiment fécond;
rien de ce qu'il a créé ne meurt tout à fait. Les contemporains de
Molière ne voyaient dans Alceste qu'un misanthrope : l'œuvre du
poète se résumait pour eux dans ces deux vers :
La parfaite raison fuit toute extrémité
' V - Et veut que l'on soit sage avec sobriété. -
Alceste est devenu, pour nous, le modèle même de l'honnête
homme, incapable de dire ce qu'ilne pense pas. C'est lui qu'on
estime, et c'est Philinte qu'on méprise. On riait autrefois des tra-
vers d'Alceste; nous sommes, aujourd'hui, touchés de sa vertu.
On n'avait pas tort autrefois et nous avons raison aujourd'hui.
C'est le privilège des chefs-d'œuvre d'éveiller des idées fort di-
verses; tout ce qu'on y peut voir raisonnablement s'y trouve en
réalité. Une conférence récemment faite par M, Becque, sur
Molière elY Ecole des femmes, en fournit la preuve.
V Ecole des femmes est, après les quatre grands chefs-d'œuvre
dé Molière, l'un de ses meilleurs ouvrages. Les deux personnages
principaux, Arnolphe et Agnès, sont restés justement célèbres.
Agnès, l'ingénue, triomphe d'Arnolphe qui se croit fort habile,
comme Agnelet triompha de Pathelin. La critique avait toujours
cru que Molière, là comme dans VEcole des Maris, avait surtout
réclamé plus de liberté dans l'éducation des femmes. On avait vu
Sganarelle vaniteux et sol joué par Isabelle, sa pupille, une fille
de tête et d'esprit; Arnolphe, non moins vaniteux que Sganarelle,
mais plus fin, était berné par Agnès, l'ignorance même. En
revanche, Ariste, le plus indulgent des tuteurs, épousait Léonor.
Il était aimé, malgré son âge, parce qu'il ayait toujours été
aimable ; Sganarelle et Arnolphe, pour avoir été bourrus et sur-
tout égoïstes, étaient également bafoués. La leçon avait de tout
temps paru fort claire.
Elle n'a point semblé telle à M. Becque. Molière, à l'en croire,
se serait jîlfcposé de montrer « que Vamour est le privilège de la
jeunesse. » Ce gérait là toute la pensée de la pièce, ou si l'on
veut, la thèse qu'aurait soutenue le poète.
M. Becque analyse les caractères principaux de VEcole des
femmes, et c'est de ces caractères mêmes qu'il lire tous ses argu-
ments. Arnolphe, à l'entendre, bien qu'il soit défiant à l'excès,
est bien près d'avoir toutes les qualités, mais il a quarante-deux
ans. A cet âge on n'a plus le droit de penser au mariage, et l'on
ne peut plus sans ridicule essayer de plaire. S'il était raison-
nable, il reconnaîlrait qu'il a passé le temps d'aimer. C'est une
chose, il est vrai, qu'on ne s'avoue que le plus lard possible, et
avec des restrictions à déconcerter Escobar lui-même. Arnolphe
donc ne se rend pas à l'évidence el il se disposa à épouser Agnès.
Horace arrive ; c'est un jeune honime. « Il est leste, coquet, il
est aventureux »,
Charmant, jeune, traînant tous les cœurs après soi.
Il rencontre Arnolphe et il lui emprurite de l'argent, puis il le
prend pour confident el il lui révèle son amour. Il agit ainsi
naturellement, et comme on fait à sou âge, « Est-ce que tout
cela n'esl pas charmant, demande M. Becque^ et qu'est-ce que
cela veut dire? Cela veut dire qu'Horace a pour lui la jeunesse, la
grâce, la fraîcheur d'impressions, l'abondance de cœur, en un
mot toutes les qualités que l'amour exige et qui entraînent
l'amour ». A ce portrait opposons celui d'Arnolphe. Il ne rentre
chez lui que pour interroger ses valets, il fait surveiller Agnès ;
^
UART MODERNE
247
il se défie d'elle. Il est perplexe, agité, tourmenté, il reconnaît
qu'il a tort et il n'en persiste pas moins dans son dessein. En
présence d'Agnès il ne sait que lui rappeler les obligations qu'elle
lui doit, il reifraye par une sombre peinture des devoirs du
mariage ; il travaille à se faire détester. « Eh bien, ajoute alors
M. Becque, est-ce que cette peinture d'Arnolphe et d'Horace, de
deux personnages si différents, ne vous a pas déjà avertis? Est-ce
que le contraste ne vous paraît pas suffisant? Est-ce qu'en voyant
d'un côté cet Horace qui n'a qu'à se montrer pour être aimé et de
l'autre Arnoiphe qui a passé l'âge de plaire et qui n'y songe même
plus, le secret de. la comédie ne se manifest(^ pas à vos yeux?
Est-ce que vous ne vous dites pas : Eh oui, c'est bien cela, c'est
la vérité même, l'amour est le privilège de la jeunesse »?
C'est surtout avec Agnès que M. Becque triomphe. Soumise
aussi longtemps qu'Arnolphe n'a été pour elle qu'un tuteur, elle
se révolte dès qu'il parle de l'épouser; ni menaces, ni prières
Tie pmirront l'émouvoir. C'est en vain qu'Arnolphe lui rappelle
les services qu'elle a reçus de lui; c'est en vain qu'il parle de
son propre amour; tout le cœur d'Agnès se révèle dans ce vers
décisif :
Horace avec deux mots en fait bien plus que vous.
« El maintenant, continue M. Becque, est-ce que nous ne pou-
vons pas„ saisir la comédie tout entière, jusque dans ses détails.
Pourquoi Molière a-t-il donné des qualités à Arnoiphe? C'est qu'il
a voulu que ces qualités fussent inutiles. Arnoiphe a rendu des
services à Agnès; ces services ne compteront pas. Arnoiphe
disait : Une fille avisée, savante, habile, me ferait courir trop de
risques; Molière lui répond : Avec une simple et une ignorante,
ce sera bien pis encore ; elle ne voudra de toi à aucun prix. Et
pourquoi Molière, a-l-il fait d'Agnès une enfant abandonnée?
C'est qu'il a voulu qu'elle fût seule et libre, sans aucune considé-
ration à observer. Pourquoi nous l'a-t-il montrée d'une simplicité
atisolue? Pour qu'il n'y eût chez elle aucun calcul et aucune
hésitation, Il l'a prise en quelque sorte à l'étal brut, afin qu'elle
n'écoulât que la pensée de la nature qui est en même temps la
pensée de la comédie : L'amour est le privilège de la jeu-
nesse (*) ». ^
jjHf\OJS(IQUÈ JUDICI^IF^E DE^ /RT^
PROH PUDOR!
C'est d'Amérique que nous arrive, cette semaine, une fabu-
leuse chronique artistique du Palais. Il s'est trouvé à Montréal un
parquet pour poursuivre — el un tribunal pour condamner —
des joaillers dont le délit consistait dans le fait d'avoir exposé à,
leur vitrine... Non, c'est trop drôle! cela ne peut pas être vrai!...
Les reproduclions des deux figures de Michel Ange, le Jour et
la Nuity qui ornent le superbe tombeau des Médicis, à Florence.
En vain, les prévenus ont-ils revendiqué les immunités de
l'Art. La considération que ces viles reproduclions sont exposées
dans tous les Musées de l'Europe n'a pas louché davantage les
juges. Ils ont décidé que ces deux chefs-d'œuvre portaient atteinte
aux mœurs, qu'elles excitaient les passions, portaient à la sen-
sualité et corrompaient le peuple. i
Rien que cela ! El le clergé protestant de l'endroit, consulté,
paraît-il, préalablement au prononcé de la sentence sur le cas de
(•) Extrait d'une étude de M. F. Lefranc dans la nouvelle Revue
d'Art dramatique.
conscience qui tourmentait lès juges, s'est déclaré à ^l'unanimité
en faveur de la condamnation.
Afi^! on ne plaisante pas sur les mœurs à Montréal! Michel-
Ange n'est qu'un vulgaire polisson auquel le pape a dû intimer
l'ordre de voiler les figures de la Chute des anges. Urt polisson,
vous dis-je. Heureusement que les juges de Montréal veillent sur
la vertu de leurç concitoyens, et tant que ces vigilants gardiens
de la moralité publique seront investis de leuf* mandai, ni le Jour^
ni la Nuit, — ces obscénités auprès desquelles les photogra-
phies de M"e«Grille d'Egout et la Goulue sont images de sainteté
à distribuer dans les pensionnats du Sacré-Cœur, — ne ravage-
ront Montréal.
C'est ce qu'on peut appeler un jugement écrit sur feuille... de
vigne.
- -^^. ^ ^ pETITE CHRÔJ^iqUE -^ ~-
Waux-Hall: — Lundi 2 août, grand concert extraordinaire
donné avec le concours de M"« B. Hamaekers, cantatrice. L'ad-
ministration organise de nouveanx concerts où se feront entendre
des artistes en vue.
Un extrait du Bulletin des Commissions^ royales d'art et d'ar-
chéologie, signé par M. Joseph Gielen, l'inlelligenl amateur de
Maeseyck, dont la collection contient quelques objets de lout
premier ordre, mentionne la découverte de deux tableaux du
xviç siècle, de Lambert Lombard.
Lambert Lombard, né à Liège en 1506, étudia sous la direc-
tion de Raphaël. Il abandonna sa première manière de peindre
en s'inspirant d«s œuvres de ce maître. \\ s'établit à Lîége et
forma de nombreux élèves.
Le premier de ces tableaux, acquis par M. Gielen lors de la
vente de M. Schaepkens à Maestricht, représente le portrait de
l'historien Chapeauville. Peint sur bois, il mesure 16 centimètres
de hauteur sur 10 centimètres de largeur; l'œil d'un amateur
reconnaît facilement qu'il a été peint sous l'influence de l'école
italienne.
Chapeauville (Jean), né en lool, fut examinateur syndical en
1378, à Liège, curé de Saint-Michel, inquisiteur de la foi en loo'â,
chanoine de la cathédrale, grand pénitencier et l'année d^'appès
vicaire, archidiacre et, enfin, prévôt de Saint-Pierre.
C'est en grande partie à ses soins que l'on doit l'érection du
séminaire épiscopal de Liège. Il mourut l'an 1607, nyant consa-
cré presque quarante ans de sa vie au service de ce vaste diocèse.
Le second tableau, également peint sur bois, représente /^5
Sept péchés capitaux-, il mesure 32 centimètres de hauteur sur
51 centimètres de largeur. Il provient de feu M. Vlecken, doyen
de la cathédrale, à Liège. Malheureusement cette peinture a été
sciée en deux, il y a quarante ans, parce que la partie inférieure
ne réprésentait qu'un portique peint en grisaille !!!
On nous écrit de Luxembourg :
La population a fêlé la semaine dernière le passage de Liszt.
On avait organisé en son honneur un concert dont le principal
attrait était précisément la bonne fortune, devenue fort rare,
d'entendre le grand artiste. Il s'est mis au piano de bonne
grâce et a joué diverses œuvres, enir'autres Tune de ses transcrip-
tions des Valses de Schubert. La perfection avec laquelle il l'a
interprétée a enthousiasmé l'auditoire. Acclamé à son entrée
dans la salle, Liszt a été, au moment où il s'est relire, l'objet d'iin
248
V ART MODERNE
véritable triomphe. Au premier rang des auditeurs, on remar-
quait M. et M"'" Munkacsy, dont la propriété de Colpach, voisine
de Luxembourg, avait été mise à la disposition de l'éminent
musicien, et qui avaient été les principaux organisateurs de la
fôte. • " ■■. ______ ;
Le théâtre royal de Munich prépare des représentations de
deux cycles complets de V Anneau du Nihelung^ qui auront lieu
à l'issue des auditions de Parsifal et de Tristan^ Bayreuth, les
23, 25, 27 et 29 août, et les 13, 15, 17 et 19 septembre.
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hiver des représenlalions modèles de Tannhaiiser cl de Lohen-
grin. Les deux drames de la première manjère de Wagner seront
représxînlés dans Tinlégralilé de leur texte, sans aucune des cou-
pures par lesquelles il est d'usage de les mutiler, et avec des
décors entièrement neufs. On rétablira, notamment, la scène du
Venusberg telle que Wagner l'avait écrite, en vue de la faire jouer
à rOpéra de Paris.
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LES REPRÉSENTATIONS DE RAYREDTH
Nous partions pour Bayreuth ! -
Parmi ces paysages de chromolithographie — les
bords du Rhin, -— parmi ce ratatinement de la Hesse,
parmi ces étiques lointains de la Bavière, toujours cette
pensée : c'est la dernière fois que le Temple s'ouvre aux
fidèles ! C'est la dernière fois !
La grande œuvre par le génie édifiée au dessus des
foules, soutenue par le grandiose enthousiasme d'un roi — ■
artiste incliné vers l'artiste-roi, elle va s'écrouler! Il
faudra retourner dans ces salles médiocres ; revoir, réen-
tendre dans ces logettes aux [ornementations de mauvais
lieux tout ce monde des soirs d'hiver coquetant et caque-*
tant.
L'arrivée dissipa toutes craintes et les premières nou-
velles, qu'elles furent bien heureusement reçues : le
théâtre sauvé pour plusieurs années, et même^le prochain
festival déterminé — les Maîtres- Chanteurs et Parsifal,
Et déjà nous nous imaginons, sur cette merveilleuse
scène de Bayreuth, l'immense bagarre de la populace
tout entière lancée aux trousses du charivarique Beck-
messer et, avec toutes ces si fines délicatesses de machi-
nation, la lune montant entre les grêles pignons de la
ville endormie. Car ici seulement, sur cet émotionnant
amphithéâtre,. aux premières notes émanées de l'abîme
mystique soudainement obscurci, l'on a ce recueillement
qui perçoit jusqu'aux plus infinis battements de cœur du
silence ; l'esprit tout entier est tendu vers la scène ; l'esprit
se délecte à l'atmosphère poétique et musicale qui enve-
loppe le drame; l'esprit s'apaise dans ee monde divin de
la sérénissime harmonie; ici seulement, tout est Beau!
Qui n'a point vu ceci, n'a rien vu ; qui n'a entendu ces
chefs-d'œuvre que mutilés par des directeurs peureux et
d'ignares metteurs en scène n'a rien entendu. Ici, l'entier
oubli du monde réel, l'entière identification des acteurs
avec leurs personnages ; admirable plastique, déclamation
précise, impression inouïe de plein air et de libre vie...
Tristan est mort, etK6uwenal,et sur ces cadavres encore
chauds retombe, extasiée, la plaintive Isolde : c'est vrai-
ment la mort, la mort fatale ; ils étaient conduits au
néant ; cette nuit profonde, cet' empire merveilleux où
devait les sacrer l'amour souverain, ils y entrent; Tris-
tan et Isolde, non plus : Tristan, Isolde, un seul nom,
l'unité primitive de l'être, l'éternelle fusion... et le vieux
Marke en pleurs devant ce désastre, c'est nous, nous
mêmes qui sortons de ce théâtre, tandis que le soir
auguste tombe sur les lointaines collines, une sufibcation
au cœur, et, pourtant, l'esprit rasséréné et si haut dans les
plus sublimes altitudes !
Ce prodigieux chef-d'œuvre, tant de fois relu et encore
relu, l'ristan et Isolde^ enfin il nous était donné de l'en-
tendre !
Depuis ces premières notes maladives jusqu'à l'ultime
^
extase, la passion la plus exaspérée, le plus profond désir
d'anéantissement allaient être en nous impérieux, verti-
gineux, inextinguibles ; comme Isolde, après tant d'aiguës
souifrances, nous allions délaisser la terre, notre âme
allait se donner, dans la transfiguration de l'amour, tout
entière à l'âme du monde !
Le fiis de la délaissée Blancheflor, le héros Tristan ; la
princesse-magicienne Isolde, experte en la science des
philtres guérisseurs; le fidèle Kouwenal, doux et bourru ;
ce débonnaire surhumain, le vieux Marke, quels acteurs,
pourraient incarner toute cette épopée? cette vie pas-
sionnelle alternant entre le plus excessif désir de volupté
et la plus ferme aspiration au néant, la vivraient-ils? Cet
orchestre extraordinaire où grandit jusqu'à Teffroi la
malédiction d'amour, en aurions-nous la sensation? et de
même que Wagner, finissant par regarder comme un crime
d'admettre que Schnorr renouvelât ce prodigieux exploit
d'une torturante interprétation, se sentit for^é de décla-
rer résolument à son entourage qu'on ne jouerait plus
TVù^ttw, attendrions-nous cette émotion si aiguë de vou-
loir que cette première audition soit la dernière, par
Tincapçicité de verser encore de si brûlantes larmes, par
l'effroi de mettre encore à notre front la lourde couronne
des ténèbres !
Oui, un tel son est inoubliable où toute notre âme suit
le geste d'un acteur, où l'on étreint la nuit comme
s'étreignent Tristan et Isolde sur le banc de fleurs ; un
tel soir est inoubliable où l'on a levé sur la faute le bénis-
sant pardon; un tel soir est inoubliable où l'on a bondi
de joie exaspérée, quand la toile blanche s'est détachée de
l'horizon, vers l'agonie délirante et la souffrance au
paroxysme, après une malédiction; un tel soir est inou-
bliable où, mj'stiquement transfigurés, coipme la merveil-
leuse mélodie nous nous sommes abîmés sans conscience,
sous le soufile vivant de l'Univers!
Oui, après une seule audition do Tristan^ et, après la
douceur de Parsifal^ nous avons quitté la petite ville où
vient s'agenouiller toute l'Europe devant celui qu'elle
souilla d'injures; nous avons quitté Bajreuth avec cette
impression ineffaçable d'avoir soulevé, une fois pour
toutes, les merveilleux voiles de l'Eternelle Beauté !
Un vertige de paroles, de gestes, d'harmonies ; une vie
torentielle infinie et toute puissante, et cette grandiose
simplicité d'un amour fatal, irrésistible ; ** félicité et
noire détresse, néfaste mort et vie divine »» — c'est
Tristan et Isolde.
Et comment dire toute notre admiration pour ce
noble caractère du roi Marke, tant raillé et tant bafoué,
cette âme si magnanime qu'elle semble ridicule et niaise
à la plaisanterie narquoise et béate de tant et de si
minces médiocres.
« Le Jour varie et la Nuit ». Sur le banc de fleurs,
les amants désespérément étreints, les voila ; regarde,
ô roi, l'aube blafarde éclaire sur ces lèvres, sur ces joues.
,r»»
sur ces fronts, l'inextinguible flamme des ardents baisers.
Eux à qui souriait le rêve, ils n'ont pas pris garde, ils n'ont
pas pris garde! Ils ont juré de ne se réveiller jamais!
« Le Jour varie et la Nuit". — « Fantômes.du Jour, dispa-
raissez, hors d'ici, disparaissez «, clame Tristan et, la
tête détournée, Isolde voudrait demeurer en la Nuit. Et
ni colère, ni menace : l'affliction de cotte grande âme
s'incline dans un geste de pardon : « Tristan a trahi !
Honneur et loyauté, où sont-ils? Tristan a trahi « tout ce
qu'il avait dé beau et d'idéal encore, devant le vieux roi
s'est écroulé. « Tristan a trahi !»
Oui, par une irrésistible fatalité, Tristan a trahi et
même après le pardon — quel trait du plus haut génie,
— il se souvient encore du philtre terrible qui les préci-
pita l'un vers l'autre pour l'éternel embrassement, devant
ceux que le jour envoya les surprendre dans la convul-
sive étreinte, il baise encore le front d'Isolde, il outrage
encore celui qui lui témoigna le respect d'un père.
On peut placer, on doit placer le troisième acte de
Tristan au plus haut sommet de Tart musical : voici le
dernier degré d'intensité harmonique et d'amplitude
expressive.
Les moindres pulsations de l'agonie de Tristan, enten-
dez-les dans ce merveilleux orchestre ; penchez-vous sur
lui, lorsque résonne le thème d'amour, comme se penche,
à cet instant, sur la poitrine de son maître le fidèle
désespéré et les larmes jalliront, incompressibles, suffo-
cantes. . . Montez à la tour : « Joie et bonheur ! Un navire !
Comme les voiles se gonflent! Comme il court! Le pavil-
lon? couleur de joie, il danse auvent! » Et tout l'orchestre,
frémissant, bondit et vers le bleu de la mer, le vieux
Kouwenal agite ses vieux bras, parmi ces murailles ébré-
chées, ces solitaires broussailles, il sautille comme un
enfant barbare. « Joie et bonheur! Comment Isolde n.e
serait-elle plus de ce monde ! Comment le monde serait-il
sans Isolde ? » Isolde appelle du dehors : « J'entends la
lumière », crie l'expirant et de ses lèvres avec la sublime
mélodie d'amour s'échappe le dernier soufiie...
De cet amphithéâtre, aux premières mesures émanées
de l'abîme mystique soudainement obscurci, çà et là, des
suffocations répondent aux nôtres; cette effrayante tra-
gédie de l'amour fatal nous étreint tous, nous qui sommes
venus ici pour sentir, pour comprendre, pour voir ce qui
est Beau et qui ne craignons^ point de montrer notre émo-
tion épandue en larmes comme on a le devoir de les cacher
à l'indifférence médiocre.
« Nés en même temps, l'Amour et la Mort sont frères ;
le monde ici-bas, les étoiles là-haut ne possèdent rien de
plus beau », a écrit Leopardi. Que ce soient les dernières
paroles après Tristan : le monde ici bas ne possède rien
de plus beau, et malheureux ceux qui restent éloignés
encore de la complète compréhension.
Après les convulsions de Tristan^ la perfection spiri-
tuelle de Parsifal] après les aigles noirs du néant, les
A
colombes de la compassion ; après les thèmes bardés de
fer, les thèmes en manteaux blancs, couleur de cygne
et de prière. •
Des paroles, des gestes de candeur; une musique dia-
phane; à peine, çà et là, du sang et du mal; tout semble
un rêve, tout, encens, tout, pureté; tout est béni, et voici,
dans ce saint jour du vendredi saint, le Péché à genoux
devant le divin Pardon ; la lance touche et guérit, le
rayon descend des hauteurs, le Gr'aal resplendit et sa
gloire inonde les chevaliers d'un baptême de feu.
L'émotion est plus sereine ; « nous entendons, la
lumière «; « les fleurs, jamais, ne les vîmes si belles ".
Comme la neuvième symphonie s'élance vers la grande
religion humaine et confie à ses chœurs transfigurés le
verbe nouveau de cet évangile de fraternité et de joie,
Parsifal nous initie à la pure compassion et choisit parmi
les harmonies les plus candides ses appels à la charité.
DdiWS Parsifal^ nous avons tout vu, tout entendu ; main-
tenant nous pardonnons à tout. Plus jamais un cri de
colère, plus jamais un blasphème, plus jamais le déses-
poir; nous sommes purs, nous sommes bénis, nous pou-
vons exalter le Graal aiî temple sacré. La Faute, de ses
longs cheveux noirs, essuya nos pieds oints de baume et
de pleurs*; elle est à genoux, les regards baissés de honte
et de repentir, relevons-la : «* Voici la vie, marchez, et
soyez pardonné! »» ..
Toutes les agitations humaines, toutes les souillures du
monde, celui qui écrivit Parsifal les délaissa ; plus de
haine pour les insulteurs; toute la vie d'autrefois, hagarde
et misérable, la voici oubliée. « Salut au Sauveur «.
« L'art a sauvé, qu'il soit sauvé! «
Et dans ce merveilleux théâtre, par ces tragédiens
admirables qui, sans préoccupation d'applaudissements
médiocres, se sont donnés tout entiers à la vérité, l'art
sera Wuvé. Tout passera, ceci ne passera point. Tant
qu'il y aura des Malten et des .Materna, tant qu'il y aura
pour défendre cette œuvre héroïque des acteurs comme
ceux de Bayreuth, n'ayons nulle- crainte : la Beauté ne
périra point; nous ne serons point réduits à entendre, à
voir, mutilés, ces drames de haute énergie et d'exaspérée
passion ; nous ne serons point réduits à voir caricaturer
ces héroïques figures d'une grandiose épopée.
Vraiment, il est difficile de dire : nous parlerons main-
tenant des interprètes. Il y avait là des chanteurs, cTes
acteurs, un orchestre ; pouvions-nous séparer -de cet
orchestre toutes les catégories d'instruments ; pouvions-
nous séparer du drame toutes les catégories de person-
nages ? N'était-ce point l'un, le tout, l'atmosphère poétique
et musicale enveloppant le drame; le dernier degré de
perfection ?
Laissons ces scrupules afin de pouvoir saluer en
M"® Malten la princesse-magicienne Isolde comme nous
avions^ peur de la rêver, celle qui, dans un rôle de
nuances infinies, n'eut pas un geste faux, pas une défail-
lance de déclamation, pas une insûreté musicale, celle que
depuis la première note jusqu'à l'ultime, nous suivions la
poitrine gonflée et les yeux rougis, celle que nous
revoyions au fond de nous-mêmes durant ces troublants
entractes, lorsque le soir descendait; celle que nous
n'avions plus la force d'applaudir, lorsque dans une
admirable transfiguration, elle s'en allait à jamais vers
l'empire de l'extase et de la nuit ! Après une telle inter-
prétation, il n'y a plus rien, jjIus rien : tout est faux,
tout est médiocre, tout est mauvais.
M. Scheidemantcl donne au personnage de Kouwenal
une allure superbe : c'est bien le fidèle qui, frappé à
mort, vient se coucher aux pieds du maître pour lequel il
a vécu. ■
Kundry, c'est M'^^ Materna, la grande créatrice de
Brûnehilde, toujours merveilleuse de plastique et dont la
belle voix sonore n'a rien perdu de son ampleur.
M™® Sucher alterne avec M^^® Malten et M"^® Materna,
dans les^ rôles de Kundry et d'Isolde; MM. Gudehus,
Vogel et Winkelmann.dans ceux de Tristan et de Par-
sifal ; d'autres artistes réputés secondent de leur talent
l'école des chanteurs wagnériens.
L'orchestre est merveilleux de précision et de -finesses;
la mise en scène sans un accroc, sans un grincement,
sans une faute de perspective ou d'ambiance : citons le
jardin de Tristan et la scène des filles-fieurs de Parsifal
coname modèles à nos metteurs en scène tant amoureux
de clinquant et de nippes pailletées.
L'admiration de tous les auditeurs est complète, et de
plus en- plus loin l'on arrive au temple de V^^agner. On
nous a cité un voyageur venant du Cap de Bonne-Espé-
rance pour entendre Tristan; un autre se dirigeant à pied
vers là colline de Bayreuth... Une œuvre qiii produit de
telles convictions est grande et ne peut périr; longtemps
encore, on viendra saluer dans la petite ville le Grand
Insulté de jadis. ^
Il y a huit' jours, la petite bonne rechignée que Frau Stahl-
niann, notre hôtesse de Bayreuth, avait préposée au service de
notre café au lait quotidien, entrait le malin, très agitée, dans
notre appartement avec cette retentissante nouvelle : « Der Meis-
ter is geslorben! »,
Depuis quelques jours, les nouvelles étaient alarmantes. Les
voyages rapides qu'avait faits l'illustre virtuose à Paris, à Lon-
dres, à Luxembourg, ù Bayreuth, l'avaient fatigué. Il s'était fait
transporter, malade, au théâtre Wagner pour assister aux pre-
mières représentations de Parsifal et de Tristan, « comme les
pères conscrits se faisaient conduire au sénat de Rome », disait
avec quelque emphase un journal local. Il était atteint d'une
pneumonie, et, à Luxembourg déjà, l'avis des médecins avait été
qu'il s'abstînt de paraître au concert organisé par 'la petite ville
en son honneur. Non seulement il refusa de suivre le conseil de
la Faculté, mais il se mil au piano — pour la dernière fois — et
éblouit les auditeurs par la verve juvénile avec laquelle il exécuta
Tune de ses Soirées de Vienne.
Un de nos amis le vit, quelques jours après, à Nuremberg,
arpentant le quai de la gare en attendant le irain de Bayreuth,
toujours droit et superbe, malgré le poids de ses soixante-quinze
années, et éclairant les alentours de l'auréole de sa prodigieuse
chevelure.
Il s'est éteint le samedi 31 juillet, à onze heures du soir, dans
la villa de M, Frolich, proche de la maison de Wagner, au bout
de la Siegfriedgasse. Les étrangers que les représentations
avaient réunis à Bayreuth ont pu le voir, le lendemain, exposé
avec quelque cérémonie, sous la garde pieuse de M""® Cosima
Wagner et de-sa fille Elsa^ toutes deux voilées de deuil, parmi
les palmes et les couronnes, et gardant dans la mort la sérénité
et la douceur que les dernières années avaient définitivement
gravées sur ses traits, jadis d'une expression hautaine et décon-
certante.
Mardi matin, il a été inhumé au cimetière de Bayreuth. Ses
funérailles ont été d'une grandeur touchante. Car quel cortège
plus beau, pour un artiste tel que lui, que celui dans lequel
prirent place Tristan et Parsifal, Isolde et Kundry, Kouwenal et
Gurnemanz! Tous les interprètes des drames wagnériens voulu-
rent rendre hommage à celui qui, le premier, fit comprendre et
aimer ces héros aujourd'hui dans la gloire. Et par les rues tendues
de noir, sous la lueur douce des réverbères voilés de crêpe, au
feu des torches portées par les élèves du maître, en téie desquels
marchait' Siloli, le cortège se déroula, imposant dans sa, simpli-
cité, tel que devait être le convoi funèbre àc cette grande figure
abattue par la mort.
Avec Liszt disparaît toute une époque de l'art. Il symbolisait la
virtuosité transcendante qui, durant un demi-siècle, éblouit
l'Europe. Depuis longtemps il était entré dans la légende, avec
son profil dantesque, la renommée de ses aventures et l'éclat
extraordinaire de son nom. il y a. eu des pianistes avant lui, il en
est né bien d'autres depuis qu'il a cessé d'étonner le monde :
mais il demeure, par excellence, le pianiste, une sorte de génie
du piano, qui, durant cinquante années, a stupéfait toutes les
nations et dont nul n'atteindra jamais la célébrité.
Celte gloire personnelle du virtuose s'éclaire de rayons plus
purs, qui lui assurent dans la succession des générations d'ar-
tistes des souvenirs de reconnaissante admiration. Liszt a été le
propagateur de la musique sérieuse. A l'époque où le public
n'avait d'oreilles que pour les fantaisies de salon, les airs variés
et les transcriptions d'opéras — et quelles transcriptions! —
il entreprit d'introduire dans le répertoire des concerts l'austé-
rité des œuvres dignes de respect. Il fit sortir de l'ombre
Beethoven, comme plus tard il imposa h la foule, toujours réfrac-
taire aux évolutions logiques de l'art, le puissant génie qui
devait le récompenser en l'incarnant dans la plus noble figure
qu'ait créée le drame lyrique, celle du cordonnier-poète Hans
Sachs.
Comme compositeur, Liszt laisse un œuvre très considérable,
trop considérable peut-être pour que tout ce qui sortit de sa
plume féconde soit irréprochable. La virtuosité. tient tout natu-
rellement une place importante dans la liste de ses écrits. Au
début surtout, il fit paraître quantité d'arrangements d'opéras,
transformés par la merveilleuse habileté du pianiste en étince-
lantes fantaisies, et qui demeurent le type des préférences d'une
époque. Mais bientôt son esprit élevé devait le mener à des con-
ceptions plus grandes. El parmi les composilions.qu'il publia, il
faut citer en première ligne ses deux oratorios : la Légende de
Sainte-Elisabeth de Hongrie et le Christ^ la messe qu'il composa
pour l'inauguration de la basilique de Gran, sa Messe du couron-
nementy ses concertos pour piano et orchestre, sa célèbre Fan-
taisie hongroise^ ses douze poèmes symphoniques pour orches-
tre : Ce qu'on entend sur la montagne, d'après Victor Hugo; le
Tasse, les Préludes, d'après Lamartine ; Orphée, Prométhée,
Mazeppa, Festklânge, Heldenkliinge, Hungaria, Hamlet, Hun-
nenschlacht, /'/rf^a/, d'après Schiller, puis ses deux grandes sym-
phonies que nous considérons comme ses chefs-d'œuvre : Faust,
qui fut exécutée à Bruxelles sous la direction de Franz Servais,
son disciple favori, et le Dante. Enfin, la partie la plus pitto-
resque de son œuvre, ses quatorze Rhapsodies hongroises, dans
lesquelles, en une forme neuve et avec la connaissance la plus
complète des sonorités du piano, il a fait chanter l'ûme de son
pays natal.
L'infatigable activité de Liszt, outre les compositions que nous
venons de citer et quantité de lieder, de morceaux de piano, de
transcriptions d'orchestre, etc., produisit quelques curieux écrits.
Ce sont, entre autres, des éludes sur Lohengrin et Tannhaûser
(Leipzig, 1854), sur Chopin (id. 1852), un ouvrage intitulé : De
la fondation Gœthe à IVeimar (Leipzig, 1851) et une très inté-
ressante étude sur les Bohémiens et leur musique (Paris,* 1859).
L'Europe entière portera le deuil de Liszt, car il n'est guère
de ville, ni même de bourgade où le prodigieux artiste n'ait
trouvé moyen de se faire applaudir. Sa vie, la plus romanesque
qui soit, aura ses biographes : nous n'avons voulu que rappeler
ici quej. était l'artiste que la mort vient de prendre. D'autres que
nous parleront des excentricités de ses débuts, des concerts qu'il
donna en habit à la française, l'épée au côté, dans la fervente
admiration d'un auditoire féminin qui se disputait les gants du
virtuose et jusqu'à ses bouts de cigares ! Extraordinaire causeur,
le seul, a dit Alexandre Dumas, qui connût le secret de converser
avec une femme, il exerça jusqu'aux heures dernières une séduc-
tion irrésistible. C'est dans une sorte d'apothéose qu'est mort cet
homme étrange, dont la vie a été une série ininterrompue de
fêtes et dont le bruit des applaudissements n'a jamais cessé de
caresser l'oreille. Par une fortune singulière, qui. grandit le dou-
loureux événement de la mort, c'est à Bayreuth qu'il s'est éteint,
et c'est \h qu'il a voulu être inhumé. La mort a rapproché, et la
postérité ne séparera pas, la mémoire de Liszt de celle de
Richard Wagner.
LE DÉMÉNAGEMENT DU MUSÉE DE BRUXELLES
C'est dit. C'est presque commencé. Le musée des tableaux
anciens va être installé dans le Palais des Beaux-Arts, rue de la
Régence.
C'est la question d'incendie, dont l'urgence s'est affirmée
depuis le sinistre de l'Université libre, qui a emporté la résolu-
tion.
Nous en sommes surtout satisfaits au point de vue de la sépa-
ration entre les œuvres anciennes et les œuvres modernes.
Celles-ci souffraient vraiment trop du voisinage. L'affreuse
médiocrité de la plupart des tableaux contemporains achetés par
le gouvernement s'affirmait lamentablement quand, sans transi-
lion, on allait du passe au présent. _^
*•• ■
Désormais ces tristes machines, qui furent pendant quelques
années considérées comme des chefs-d'œuvre, seront entre elles
et pcul-éire paraîtront-elles moins piteuses.
Cette raison devrait être signalée comme la principale, alors
que de tous côtés on ne parle que de précautions administratives
au point de vue de la conservation. Y a-t-il de la logique, en
effet, si vraiment les modernes ont une valeur sérieuse, à les
laisser exposés aux dangers du feu dont on va préserver leurs
aînés? . . ■
Il y a des incendies intelligents. Celui qui récemment a détruit
la hideuse salle académique de l'Université a fait preuve d'une
raison supérieure. L'avenir nous en réserve peut-<ître de non
moins perspicaces pour l'expurgation du Musée moderne, tant de
peinture que de sculpture. • .
Tout au moins notre direction des Beaux-Arts devrait-elle,
plutôt que de se fier à cet heureux hasard, y regarder davantage
avant d'acquérir les choses nauséeuses qui rendent le Musée
moderne aussi désagréable que le pont d'un navire secoué par le
langage et le roulis.
Les événements ne cessent de lui faire la leçon : depuis cin-
quante ans elle n'a pas su acheter, au bon moment, un bon
tableau. Toutes les personnalités que le temps a consacrées ont
été méconnues par elle. Nest-il pas désolant de n'avoir à
Bruxelles ni un Courbet, ni un Manct, ni un Millet, ni un
Monet? On n'\' pense que lorsqu'ils sont hors de prix. Louis
Dubois, de son vivant, n'a jamais eu les honneurs du Musée.
Agneessens, pas davantage. De Groux y est très mal placé.
Il faudrait crier sans cesse contre un système qui n'accorde de
faveurs qu'aux médiocrités sournises et bien en cour, et s'obs-
tine à tenir à la porte les vrais latents s'ils sont insoumis et libres
de toute attache académique ou officielle.
Toujours a côté, toujours trop tard, semble être la devise
de nos acheteurs patentés.
SCUIPTCRE
C'est dans l'architecture qu'aurait dû persister tenacement l'ori-
ginalité. C'est dans le monument appartenant à tous, c'est dans
la maison intime, que doit être marqué par les traits 'tes plus
profonds le caractère national. C'est là où doivent être accrochées
aux murailles, enclavées dans les cours, encastrées par les façades,
les toiles des peintres, les statues et les sculptures en bas-reliefs
des sculpteurs, c'est là que devrait tout d'abord se rencontrer la
complète expression du génie artistique d'un peuple et d'une
époque. Chaque civilisation nouvelle comporte comme un nouvel
arpentage du sol, comme un inventaire des matériaux. La part
du passé est à faire, très respectueusement, mais très nettement.
Certes, il faut admettre, pour les œuvres de ceux qui ont vécu
avant nous, tout l'espace, tous les soins qui vont avec les conces-
sions à perpétuité pieusement accordées. Les pics et les mar-
teaux des bandes noires sont de misérables et vils instruments,
trop souvent encore maniés aujourd'hui. Les vieilles masures ne
doivent pas plus être démolies que les livres ne doivent être brû-
lés. Mais ceci dit, n'apparaîi-il pas que nul rapport ne peut exis-
ter entre l'art d'hier et l'art de demain? L'art d'hier n'est grand
et admirable que parce qu'il a rompu, lui aussi, avec l'art de la
veille. L'humanité vivante ne peut s'acharner à ressusciter l'hu-
manité morte. Quelques efforts qu'elle y dépense, elle ne pourra,
d'ailleurs, y parvenir. D'avance, il peut être prédit que le but ne
sera jamais atteint. Passer son temps à imiter est la basse occu-
pation des époques de transition, sans désir et sans passion, plus
nulles, plus haïssables que les époques de décadence. Les tem-
ples écroulés, les cathédrales rongées par la rouille des mousses
parasites, les tours démantelées, les pierres effritées, les inscrip-
tions tombales où manquent des lettres, sont faits pour la rêve-
rie des historiens et des philosophes, et non pour servir de
modèles aux artistes. Chaque siècle doit apporter sa formule., Le
siècle révolu ne doit que l'exemple de son originalité.
Ces réflexions élémentaires no peuvent constituer une explica-
tion louangeuse des œuvres exposées chaque année par les archi-
tectes. La critique chercheuse de nouveau ne trouve pas son
compte dans ces agglomérations de copies et de pastiches. Quel-
ques artistes, pourtant, parmi cette cohue, montrent dès inquié-
tudes, font des tentatives. Il est possible qu'un mouvement se
produise, qu'un courant se forme, si quelques études, quelques
discussions,- quelques vives polémiques s'engagent autour des
vieillots et académiques recommencements, aulour.des essais et
des trouvailles. •
C'est l'Ecole qui règne en maîtresse, ce sont les architectes
dits Romains qui sont en majorité. Le type de construction habi-
tuellement admis, c'est la Maison-Carrrée. La colonne est
employée partout et toujours, à tort ou k raison. Le chapiteau
est ordinairement dorique, ionique ou corinthien, rarement
toscan ou composite. Tout est calculé, mesuré d'avance, sans
qu'un écart soit possible, sans que l'imprévu vienne déranger une
combinaison. La longueur, la largeur, la hauteur des différentes
parties de l'édifice sont établies d'après des proportions invaria-
bles, .banales et usées comme des modèles d'écriture. Les
dimensions d'une colonne étant données, on peut dire, sans une
erreur d'un centimètre, ce que seront l'architrave et l'entable-
ment, la frise, la corniche et le fronton. Il ne s'agit plus des
nécessités d'atmosphère, des conditions de vie sociale, supé-
rieurement comprises par les architectes de l'antiquité. Ce n'est
plus aujourd'hui qu'une question de règle et d'équerre. L'humi-
dité de notre air désagrégeant la pierre, on découpera, on tri-
chera, on obtiendra les effets d'ensemble par des armatures de
fer cachées. Le fronton, qui doit dessiner exactement le toit,
servira à tous les usages, deviendra un dessus de porte, sera
appliqué sur un: fond. La corniche, détournée de son rôle, sera
employée à tout hasard, comme un ornement sans utilité. Ce
n'est même pas de l'art grec qu'on s'inspire, de cet an si facile
aux adaptations, si habile, si souple. Cet arl-Ià n'Ja pas encore la
rigidité de règles nécessaire; il admet que les proportions soient
brisées par l'élargissement d'une porte, que la base des colonnes
soit grossie et que leur sommet subisse une inclinaison, que les
allées de colonnes soient plantées obliquement pour que le
regard en enfile la perspective entière. Non, c'est l'art romain
qui est proclamé impeccable et immuable. C'est cet art, qui a sa
raison d'être, cet art des durs faiseurs de roules et d'aqueducs
qui ont militarisé la grâce de l'Atlique, c'est cet art d'ingénieurs
qui inspire le xix* siècle. Quand une nécessité de coquetterie
vient s'ajouter à ce respect d'écoliers, on enjambe quelques siè-
cles, on va jusqu'à la Renaissance italienne, on mélange les styles
et les époques, on recherche les impossibles mariages de lignes,
on incruste des colonnes de temple dans des murs de cathédrale.
11 ne s'agit pas seulement des reconstructions, des adaptations,
des reproductions de mosaïques et de corniches. Ce sont là, pour
les élèves de l'Ecole, les travaux de début, les notes de voyages.
On sait que les professeurs se prononcent furieusement contre
l'art dit « utilitaire », que les compositions sont mal classées
lorsqu'il y a eu préoccupation de l'échappement de la fumée, de
Técoulcmenl dos eaux. Mais qu'on passe sur ces exercices, qu'on
rcfijarde l'ensemble et les détails des monuments « modernes »
réalisés par ceux qui ont reçu renseiçjnement ofliciol. On sera
stupétié de voir à quel point l'Ecole continue. Et il arrive que ceux
qui n'ont jamais passé le seuil de l'Ecole, sont soumis et allcn-
lifs autant que les lauréats. Que ce soit niaisan particulière ou
établissement national, tombeau ou monument comniémoralif,
que la construction doive s'élever à Paris ou à Marseille, à Lyon
ou à Moscou, h Barcelone ou îi Bucharest, jamais le rapport ne
sera aperçu entre l'atmosphère et l'architecture extérieure, entre
/ la destination spéciale du monument et sa disposition. Ce seront
toujours les mêmes aspects, les mêmes proportions, les mêmes
ornemenlations. y
Le travail érudil de recherches, l'application au pastiche,
constatés chez les architectes romains, se retrouvent dans l'école
adverse, -ce.'le des architectes diocésains. Mais ceux-ci, au moins,
n'ont pas été quérir leur idéal au delà des inontagnes et des
mors. Ils ne sont partis ni pour la Grèce, ni pour Rome, ils sont
restés en France aux xiv*' et xv'' siècles. Ils ont voulu retrouver l'art
national, ils se sont consacrés, à la suite de Violet-le-Duc, leur
maître incontesté, à sauver les monuments du passé. L'art qu'ils
pratiqui^t, quelques-uns avec une admirable science, est surtout
un art de réparation, de reconstitution. Oh a pu en voir un bel
exemple dans la restauration de l'hôtel de Bourgthéroulde à
Rouen. L'agencement des portes, des fenêtres, des cheminées,
des escaliers, des balcons, est combiné pour la facilité de notre
vie usuelle. On devine la structure interne des logements à la
simple inspection des murs. Les vastes toits en ptsntes, les mou-
lures tombantes, les escaliers extérieurs bien couverts, indiquent
la prévision des neiges qui sc^ournent, des ondées de pluies qui
remplissent des journées entières. Lh, dans ces constructions rai-
sonnées, fiiites par des artistes et des ouvriers du pays qui savaient
pourquoi ils disposaient de cette façon et non de telle autre, les
poutres et les moeHons, il est évident qu'on peut trouver des indi-
cations précieuses, des points de repère d'une incontestable utilité.
Mais notre vie a changé. Nous ne sommes plus des mystiques épris
des clairs-obscurs de l'art gothique. Les métiers ne s'exercent
plus guère dans les étroites maisons des artisans. Les aggloméra-
■ lions d'individus, la démoralisation de la société, la possibilité
d'employer des matériaux nouveaux, commandent une nouvelle
architecture, moins en pittoresque et en dentelures, toute de
grandeur et de simplicité, l'architecture de nos halles, de nos
• gares, de nos palais d'exposition trop vile démolis, tout charpen-
tés de fer, tout éclairés par les dômes et les murailles de verre.
Gustave Geffroy. [La Juslice).
JiE JUF(Y DE -GJaND
La sévérité du jury belge de l'Exposition internationale des
Beaux-Arts d'Anvers qui, l'an dernier, refusa 2,000 tableaux
sur 2,400, semble avoir fait école. Les refus d'admission pour le
prochain Salon de Gand ont dépassé de beaucoup la moyenne à
laquelle on s'était débonnairement accoutumé avant la règle
brusquement et énergiquement pratiquée à Anvers.
Tant mieux ! Il est temps de purger notre monde artistique des
médiocres qui l'encombrent, grûco aux fûcheuses complaisances
des jurys passés. Aujourd'hui que tout le monde peint, écrit,
versifie, sculpte et musicole dès l'ûge de douze ans, il est plus
que jamais opportun de n'admettre en public que les vrais artistes
et de rénvover les autres aux distractions de la vie de famille.
Nous sommes obsédés et navrés par les médiocrités.
Certes, ce" nouveau système n'ira pas sans quelques injustices
dans les deux sens. De bonnes œuvres seront écartées, de mau-
vaises seront admises. Mais mieux vaut cela que l'inondation de
misères qui déshonorait les expositions. L'an dernier, nous avons
avec opiniâtreté défendu les membres du jury d'Anvers qui
avaient inauguré ce régime. L'un des nôtres était parmi eux.
Cette année, nous félicitons vivement MM. Emile Wauters et
Thomas Vinçolte, que les mécontents accusent d'avoir été les
agents actifs de cette légitime et salutaire proscri[)tion.
Il est à espérer que dans l'avenir, maintenant que la glace est
rompue, on maintiendra cette discipline. Nous sommes con-
vaincus que l'Art sera alors rapidement débarrassé de l'invasion
qui le livre à une concurrence désespérante, et que nos exposi-
tions ne produiront plus sur le visiteur cette impression immé-
diate d'horreur et d'envie de fuir qu'on y ressentait en ces der-
niers temps. , "^^
^G^LANURE?
Il est des choses qui déplaisent sans que la plus minutieuse
analyse puisse dire pourquoi; ce n'est qu'au goût et au sentiment
à donner raison de ce qui échappe" à toutes les règles.
Après les belles années d^élan, d'enthousiasme et d'audace de
la jeunesse, l'artiste, à part la pratique, ne fait plus de sensibles
progrès.
La philosophie du langage est une histoire naturelle, et lés
langues particulières sont autant d'organismes.
Il ne faut pas se laisser cristalliser dans les cornues acadé-
miques.
^
*■ *
C'est seulement sur le terrain des principes que l'on combat
utilement la médiocrité.
Ceux qui sont constamment à la recherche de la nouveauté
dans l'expression, ont parfois de mauvaises fortunes : ils tombent
dans le précieux et dans le phébus.
Quand les œuvres elles-mêmes n'offrent pas une certaine con-
sistance, il n'y a rien de plus puéril que d'attaquer les personnes.
^
* *
On peut prendre pour médiocres, et, à ce titre, négliger des
œuvres que la postérité se chargera de remettre en leur place; on
peut aussi discerner de prétendues qualités là où Tayenir ne
reconnaîtra qu'irréparable médiocrité.
*
* *
Si la valeur classique d'une œuvre dépend, pour une part, du
degré d'avancement et de perfection des langues, elle dépend,
pour une autre, de la fidéliié avec laquelle les œuvres traduisent
l'esprit national.
JaA f\EVUE D'ART DRAMATIQUE \ ■
Le journalisme quotidien répond amplement aux besoins de
Taclualité, et lellc est la rapidité de ses inforniations que, dans
son désir de prévenir la curiosité publique, il $e trouve parfois
obligé de renoncer à la satisfaire complètement. C'est à cette loi
du renseignement immédiat qu'il faut attribuer la disparition
graduelle du feuilleton, et cette forme de la critique n'est plus
défendue aujourd'hui que par le grand talent de quelques maîtres
qui laisseront derrière eux la place vide.
Aufisi le moment a-t-il paru bien choisi pour offrir aux amis
dos éludes sérieuses et réfléchies une Revue spéciale et unique
en son genre, — si l'on veut bien considérer que, parmi tant de
Revues consacrées aux beaux-arts et à la littérature, il n'en est
pas qui traite exclusivement d'art dramatique.
La matière est, d'ailleurs, suffisamment vaste. En effet, elle
embrasse toutes les questions relatives à la littérature drama-
tique, à l'esthétique et à l'histoire du théâtre, à la critique musi-
cale, à l'art de la scène et à ses branches accessoires, comme le
costume, la décoration et la chorégraphie, en un mol tout ce qui
louche au théâtre de tous les iemps et de tous les pays.
En dehors des articles de fond, la Revue d'art dramatique
accorde la place qu'il convient îu mouvement dramatique, et
chaque numéro contient la critique des pièces jouées dans la
quinzaine, une chronique musicale, un courrier de l'étranger
rendant compte dos œuvres représentées sur les principaux
théâtres des pays voisins, enfin une revue bibliographique des
ouvrages relatifs à l'art dramatique.
Une part aussi large que possible sera réservée en outre aux
recherches piquantes dans le passé, — et sous diverses rubriques,
on trouvera classés : les éphémérides, faits divers, variétés,
découvertes, communications, correspondances, etc., qui consti-
tuent à la longue l'histoire théâtrale d'une époque.
Lsi Revue a art dramatique s'est assuré le concours des écri-
vains les plus compétents sur les questions de théâtre. Elle paraît
le •1^'' et le lo de chaque mois. Elle forme quatre forts volumes
in-S*^ par année. Paris, un an, 2o francs ; étranger (union pos-
tale), un an, 28 francs; le numéro, fr. l-:2o.
On s'abonne, sans frais, dans tous les bureaux de poste ou en
faisant parvenir le montant de l'abonnement à M. Dupret, admi-
nistrateur gérant, 3, rue de Médicis, à f*aris.
pETITE CHROJSfIQUE
On écrit de Paris au' (7wùfe7?2W6'itvz/ :
MM. Joseph Dupont et Lapissida viennent de s'arrêter quelque
temps ici. l'ne des principales raisons qui ont fait quitter un
instant le Midi à M. Dupont était l'audition concertée des plus
importants fragments de la Hulda^ de César Franck. Cei opéra
Scandinave, de date assez récente, est de M. Charles Grandmou-
gin pour les paroles. Je vous en ai déjà parlé, à propos de l'exé-
cution, au Trocadérp et' ailleurs, des charmants fragments -du
ballet et de la belle Marche avec chœurs. La musique est d'e la
pleine maturité du maître, et les directeurs de la Monnaie ont été
frappés de ses beautés expressives, de ses effets de vigueur et de
grâce; M. Dupont en particulier, et je le sais de la meilleure façon
dont on puisse le savoir, pense de cette partition le plus grand
bien. Il n'y aurait donc rien d'impossible à ce que vous entendis-
.siez quelque jour k h Monnaie cette «'uvre qui, bien qu'écrite
sur une donnée Scandinave, ne rappelle nullement, ni par la cou-
leur de l'ensemble, ni par les procédés divers, ni par le système
musical général, les œuvres '.de sujets analogues, tels que la
Gwendoline de Chabrier, le Sigurd de Reyer, ou la Tétralagie
de Wagner. Tout au plus pourrait-on trouver parfois dans l'har-
monie une teinte de Grieg ou de Svendsen, les compositeurs
norvvégiens.
Il n'y a pas que les théâtres de France et de Belgique qui tra-
versent une crise.
Le' dernier- exercice à l'Opéra de Dresde 3 laissé un déficit de
466,708 marks, plus de oOO, 000 francs.
Le roi de Saxe est généreusement intervenu ; il a payé la diffé-
rence. ' , " ,
L'intendance de l'Opéra de Munich annonce deux séries de
représentations de h Tétralogie, coïncidant avec les fêtes de
Bayreulh. La première série de représentations aura lieu les 23,
2o, 27 et 29 août, la seconde les 13, to, 17 et il) septembre.
Les représentations de Bayreulh ont réussi, an point de vue
pécuniaire, au delà de toute espérance. Les frais, qui sont d'en-
viron 300,000 marks (37.ï,000 francs) sont largement couverts.
Il y aura même un excédent, qui sera remis par le comité des
fêtes aux héritiers de Wagner. Il est donc dès à présent certain
que l'an prochain les représentations pourront avoir lieu. Le
choix des œuvres à interpréter ,n'est pas encore définitivement
arrêté. On parie de mettre à la scène les Maîtres- Chanteurs et
de reprendre Parsifal.
L'enthousiasme provoqué par les représentations de Tristan
et de Parsifal a été énorme. La salle du théâtre, qui contient
près de quinze cents places, est pleine tous les soirs. Les der-
nières représentations auront lieu les 19 et 20 courant.
Les journaux quotidiens ont annoncé déjà la grande perle que
l'art wagnérien a faite, à la veille des représentations de Bay-
reulh. Scaria, l'un des plus remarquables chanteurs des drames
de Wagner, vient de mourir. Dans une de ses dernières cause-
ries, Jean d'.\rdenne lai consacre quelques lignes très justes :
La mon de ce pauvre Gurnemanz, qui vient de s'éteindre, en
la .personne de Scaria, dans une maison de fous, à l'heure où
l'on reprenait le Parsifal, à Bayreulh, offre un nouveau prétexte
aux variations exécutées sur le thème de la démence wa-^^nérienne
par des gens que leur manque de cervelle garaniit eu.x-mémes
conlre toute folie. • ^
Lorsque Scaria, après avoir créé ce rôle de Gurnemanz en
juillet 18S2, vint à Bruxelles, au mois de janvier suivant, avec la
troupe d'Angelo Neumaun, et parut dans le rôle de Wotan, des
Xibelungen, il n'avait déjà plus la puissance que nous lui avions
connue; le Waiulerer sembla fatigué; ce crépuscule des dieux,
que^Wotan, las d'errer, appelle de ses vœux, dans l'euirevue
256 E ART MODERNE •
suprême avec Erda, la mère des abîmes, commençait (JoucerT|enl
à envelopper l'homme.
On mit cola sur le compte d'une faiblesse passagère. Et en
effet, quelques mois plus tard, à Bayreulh, le vieux Gurnemanz
réapparaissait avec la même autorité que l'année précédente. On
le revit "une dernière fois en 1884 (l'an passé, le théâtre chôma),
puis, un jour, on apprit que, atteint d'un accès de folie subite,
il était interné dans une maison de santé. Il vient d'y mourir.
Un faux Gurnemanz conduit maintenant le héros Parsifal à ses
destinées, sur la scène de Bayreulh. Jamais on ne remplacera le
premier, le vrai, le seul Gurnemanz disparu avcc'Scaria.
La Pléiade, revue littéraire, artistique, musicale et drama-
tique. — Sommaire de la cinquième livraison. — René Ghil,
Traité du Verbe. — Ephraim Mikhael, La Dame en Deuil, poésies.
— Charles Van Lerberghe, Au bois dormant, au bois rêvant,
Invocation, poésies. — Emile Michelel, Abischag, poésie. —
Raphaël De Valero, Paphos, poésie. — Rodolphe Darzens, Chro-
nique artistique. — Rodolphe Darzens, Chronique littéraire.
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^
«'
Sixième année. — N° 33.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 15 Août 1886.
L'ART
PARAISSANT LE DIMANCHE
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Adresser les demandes d'abonnement et toutes les communications à
t administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
?
OMMAIRE
En voyaoe. Les Gothiques allemands. — Don Juan pianiste.
— Glanures. — Pathologie littéraire. — Les libéralités aux
COLLECTIONS PUBLIQUES. — La NATURE ET l'aRT. — PETITE CHRO-
NIQUE, — Mémento des expositions et cokcouRS.
ÎJN VOYAQE
LES GOTHIQUES ALLEMANDS.
Un Dieu en Irois personnes : Durer, Holbein et Cranach, tel
apparaît l'art gothique allemand à ceux qui ne l'ont guère étudié.
Pour le connaître et le dresser superbe, complexe, grandiose, il
faut avoir la patience de s'attarder dans les musées secondaires
et interroger tels tableaux d'église de petite ville : Augsbourg,
Nuremberg, Bambcrg, Cassel. Alors, comme il se hausse d'une
poussée à belle hauteur, comme il apparaît profond, multiforme,
ténébreux, comme il incarne magnifiquement cette Germanie du
moyen-ûge avec ses croyances sauvages, ses piétés barbares, ses
coutumes mystiques, et combien tel maître peu connu fait oublier
parfois et diminue ceux qui portent seuls aux yeux de tous la
gloire artistique de leur pays. -
Oh ! les primitifs de Cologne, les inconnus d'abord, qui multi-
plièrent sur fond d'or gauflfré toutes les douleurs du Christel
toutes les joies de Marie, puis les Willem et les Stéphan, et cet
étonnant De Bryn, portraitiste admirable, caractérisant avec
minutie et puissance les grands bourgeois de sa cité : loque de
velours sur l'oreille, loge noire à plis lourds sur l'épaule, mains
gantées longuement avec des bagues à l'index. Enfin les vieux
peintres des dessus d'autel, celui de la Passion, celui de la Vierge,
et le 1res chrétien maître du Lijversbergh, qui s'en vint prendre
à Memling sa toute divine douceur pour y mêler de la suave
mélancolie allemande.
Plus tard, l'école de Nuremberg s'impose victorieuse. Durer et
Holbein resplendissent. Mais à côié d'eux, et pourquoi pas au
même rang, voici Zeilblom, Wolgemulh et surtout Burgmair et
Grunewald. Nous désirons souligner ces deux derniers noms.
Burgmair pèche souvent par sécheresse de dessin et peint noir.
Ses ciels ont des dais d'encre suspendus dans leur azur, ses per-
sonnages, creusés d'ombre, se découpent en images crues. Au
moins en est-il ainsi au musée de Munich et à celui d'Augsbourg.
Pour apprécier les meilleures œuvres de l'arlisle, il faut lui faire
visite à Nuremberg. Ce n'a pas été un de nos moindres étonne-
ments que de l'admirer là. Deux tableaux : quelques Sainis et la
Vierge avec Jésus. Ce dernier est un des plus merveilleux
gothiques qui soient. • ■
La- madone est assise sur un banc de marbre, surmonté de
panneaux. L'architecture en est curieuse et les détails annoncent
la Renaissance. L'enfant, dans une pose un peu gauche, s'apprête
à s'asseoir aux pieds de sa mère. A droite, un paysage embrouillé
de fleurs, de branches. L'n ciel alourdi de nuages sombres.
Ce n'est pas autant l'expression qui frappe — quoiqu'elle soit
délicieuse — que la couleur. Elle fait songer aux cuirs dorés, aux
lâches glorieuses de sang et de pourpre, aux couchers de soleil
à travers des vitraux anciens. La disposition de la scène rappelle
certains Gustave Moreau, où des Bethsabéos et des Dianes se pareni
sur des terrasses d'ivoire. La végétation inextricable, et pout-élre
symbolique, accentue cette ressemblance. Outre que la Vierge a
on ne sait quel mystère de physionomie e^quelle étrangeté d'atti-
tude. Ni DUror, ni Holbein,ni Cranach n'ont réussi à réaliser une
telle apothéose de tons chauds et fastueux — cela lient du très
grand art, cela rayonne comme une œuvre unique, cela dépasse
le siècle d'origine et parle la langue de notre temps avec une
divination miraculeuse d'accent.
Grunewald est plus surpreniant encore. A Bamberg, son Rosaire
le montre dessinateur expérimenté. A Augsbourg, sa peinture est
quelconque. A Munich, elle se hausse jusqu'au faire d'un maître.
A Cassel resplendit l'homme de génie. Deux panneaux : une
Mo7Uée an Calvaire ei un Crucifiement.
Dans cet art allemand si austère, si pur, si catholique, que
rien ne rebutait, ni les réalités du corps, ni les scènes grotesques»
Grunewald sonne, on plutôt tocsine les notes féroces:- Son idéal
semble sortir des forêts ; son pinceau n'est tenté que par do l'hor-
reur et de répouvante, sa verve disparaît si elle ne peut exprimer
de la torture et de l'exaspération. Ses personnages, ce sont des
brigands rencontrés au coin des bois, ses Christs, des larrons,
ses saint Jean, des assassins. Leurs faces griiflacent de méchan-
ceté, leurs corps athlétiques et leurs mains sont taillés pour des
batailles, la nuit. Même les Vierges, Grunev^'ald les dessine ter-
ribles. Rien ne se dévoile moins religieux à prime vue, et pour-
tant ce n'était qu'un croyant profond et naïf qui pouvait peindre
ainsi. "•■ ..'^ :■•"■ " ■"'■ ■•'■'■■■; '•,•-
Quand on parcourt certairts coins de pays, en Belgique, l'Ar-
denne, en Allemagne, la Souabe, un art farouche se découvre
encore aujourd'hui dans certains calvaires construits au long des
routes ou parmi des carrefours sylvestres. Les sculpteurs de ces
pendus divins sont soit des sabotiers de village, soit des scieurs
de long. Ils croient k un Dieu sauvage comme eux et le taillent tel.
Grunewald obé-issail à une inspiration pareille.
Son crucifié du musée de Cassel est vert et pustule de caillots
de sang. Les pieds, ils sont crispés, tortionnairement; la tête, un
buisson d'épines, la troue et la dépèce; les mains, elles sont
larges ouvertes et les bouches de leurs deux plaies énormes crient
à la mort. »
Un ciel bourré de douleur et de ténèbres, stagne sur la mon-
tagne. Une nature sinistre se tait effrayamment autour. Des cas-
sures rouges la zèbrent ci et là.
Marie et l'apôtre regardent, et toute une menace et toute une
vengeance luisent en eux.
. Là couleur du tableau semble faite avec le vinaigre qui imbi-
bait l'éponge du bourreau ; elle grince et hurle.
Grunewald était contemporain de Durer : toute la gloire est
allée vers ce dernier. Celui-ci est plus accessible, plus mesuré,
plus parfait. Il est classique et rien ne heurte l'admiration quand
elle monte jusqu'à lui. Pourtant, on ne sait quoi d'excessivement
personnel, de caractéristiquoment teuton, de désespéramment
humain nous attire vers l'autre. Nous trouvons injuste qu'on ne
place pas à même hauteur ces deux gothiques, et pour dire toute
notre pensée, nous nous sentons enclin à dire que Grunewald
mérite le premier rang; s'il a moins de talent et d'acquis que
Diircr, il a peut-être plus .de génie.
ÇoN Juan pianiste
Liszt est mort ! De mortuis nil nisi bene. Est-ce dire du mal
de ce mort illustre que de signaler pour quelle part des circon-
stances étrangères à l'art contribuèrent à son illustration?
Permettez-moi, lecteur, de m'y risquer. Il y a huit jours vous
avez lu ici môme une très décentCL oraison funèbre. Place aujour-
d'hui, petite place, à un plus libre discours.
Virtuose extraordinaire, crie-t-on partout dans les gazettes.
Révélateur de Beethoven, de Mozart, .de Chopin! Soit. C'est
l'écho des enthousiasmes d'il y a vingt-cinq ans, et plus. Il était
naturel que ces vieux bruits revinssent dans les articles fabriqués
à la veille des décès imminents des hommes éminents, par les
reporters habiles au maniement des encyclopédies et des diction-
naires de la conversation. Croyons-en sur parole nos devanciers,
nous qui ne l'entendîmes guère et admettons que sans le piano
de ce Hongrois célèbre, Chopin, Mozart et Beethoven fussent
demeurés incompris. '. ^
Mais cela n'explique que la moitié du. phénomène. Rubinstein
est, lui aussi, un grand pianiste, n'est-ce pas? lui aussi est un révé-
lateur au sens qu'on peut attacher à ce mot lorsqu'il s'agit d'un
instrument si singulier et si notoirement approximatif. El pour-
tant il n'a jamais joui et ne jouira jamais de la notoriété spéciale
qui résonne autour du nom peu euphonique de ce tzigane adoré
des femmes.
Car on peut se demander ce qui subsiste davantage dans le
souvenir quand on se reméniore l'existence tapageuse de ce con-
dottiere de l'art, du bruit qu'a fait son piano, ou du bruit qu'ont
fait ses aventures, toutes du même ordre, l'ordre féminin et éro-
tique. Dès les premières heures de sa notoriété, les lauriers musi-
caux s'entremêlent aux myrtes. Quand il apparaît dans un concert,
ce que regardent avec curiosité et gourmandise les centaines
^'êtres enjuponnés serrés sur les banquettes, c'est moins le
fameux révélateur que le grand coureur. Ce dont rêvent les
Danaés sur lesquelles pleuvent les notes à défaut des disques
d'or, ce n'est pas de ses mains agiles et nerveuses tracassant son
instrument, mais tracassant leurs personnes. Comme des mouettes
autour d'un phare, c'est par nuées que voltigent autour de lui les
cœurs féminins, et la nature ayant libéralement doué le héros
pour faire honneur à tant de convoitises, la légende sans cesse
nourrie d'aliments nouveaux prit des proportions épiques. Liszt
ne voyageait plus sans ce cortège plaisant de femmes de tout âge
et de toute condition, admiratrices à moitié folles du maître,
rivales jalouses et parfois violentes. Amour et musique, hystérie
et virtuosité se combinaient sans cesse, produisant les effets ner-
veux et les effets magnétiques les plus étranges et aboutissant à
une renommée compliquée, résultante de facteurs divers, dans
lesquels finalement on ne se reconnut, plus. Il s'agissait d'un grand
homme, à n'en pas douter, .ayant le masque, l'allure, la mise en
scène des plus grands, mais pourquoi l'élait-il : élait-ce Orphée
ou Don Juan que l'on admirait? Cette gloire éblouissante, qui
l'avait conquise, du mâle ou du pianiste?
Vraiment quand on considère la situation relativement modeste
en comparaison d'une telle royauté, qu'a pu conquérir Rubinstein,
on incline à croire que si Liszt n'eut pas été si vort galant il
eut eu un moindre triomphe. Quand les femmes se mêlent de
célébrer ou de vilipender quelqu'un, les résultats sont merveil-
leux, toujours. Que de ténors en pourraient témoigner! Heureux
ceux dont elles se toquent. Or, jamais ces brebis ne se toquèrent
de quiconque plus universellement et plus éperduement que de ce
brillant charlatan de musique et d'amour. Et comme la plupart
sont cousines germaines des ouailles de Panurge, aussitôt que
quelques-unes des plus imposantes, comtesses et princesses,
eurent sauté, non pas à la mer, mais au cou de notre héros, il
n'y en eut plus guère qui ne souhaitassent en faire autant.
Orphée, écrivions-nous tout à l'heure, oui, mais à rebours, en ce
sens qu'au lieu d'être déchiré par les ménades en proie au délire
des sens, il en fut baisé, caressé, délicieusement obsédé comme
jamais il n'arriva ni à mortel ni à immortel.
Dans ces derniers temps le vieux pacha, fatigué et blasé, mon-
trait moins d'ardeur. Il acceptait encore les baisemfehts, mais de
-^ main seulement, et les génuflexions, pourvu qu'il n'eut pas à les
faire, ir ne jouait plus de son piano magique, dont les sons fai-
saient malgré elles venir les belles entre ses bras. Il composait, mais
médiocrement ; ce n'était pas son affaire de donner, mais de pren-
dre; son âme n'avait pas les prodigalités du génie. On a fait remar-
quer avec raison qu'il ne s'était brouillé avec aucune de ses maî-
tresses ; il les quittait simplement, calmement, comme on fait quand
on n'a pas aimé véritablement, car l'amour vrai, quand il rancit,
devient poison et déchaîne la fureur. 11 se distrayait, voilà tout,
et l'a fait tout au Jong de sa vie. M était bien exactement Don-
Juan, ayant remplacé la guitare par le piano et ne considérant
cet outil amoureux que comme un accessoire. Il subsiste de lui
le sentiment qu'il fut un artiste incomparable, c'est certain. Mais,
certes. Don Juan en était un, le plus enviable peut-être, et certes
le plus envié. Ce que nous venons d'en dire n'est donc pas fait
pour lui nuire. Quel plus bel éloge peut-on faire de quelqu'un,
que de proclamer qu'il fut l'homme le plus aimé de son temps,
que jamais être humain ne produisit rut plus universel et qu'il
n'est pas de femme qui, pensant à lui, n'ait eu le désir de se
livrer à lui!
-G^LANURE?
On a grande chance, en semant des rapins, de récolter plus
tard de bons bourgeois;
^ ' Un romantique est tout simplement un classique en train de
parvenir, et, réciproquement, un classique n'est rien de plus
qu'un romantique arrivé.
■ * *
La femme est essentiellement réfractaire aux choses de la
poésie quand son amour-propre n'y est pas intéressé, et elle ne
comprend vos vers et vos hommages que le jour où votre gloire
les lui envoie.
*•*■.■■
Abondance, outrance, impertinence! chez les grands comme
chez les moindres, effort constant vers le trivial et l'obscène
qu'ils vous donnent sous couleur locale, tel est le résumé de
tout un canton de l'art actuel. - .
Ce qui égratigne l'épiderme de l'homme du monde et de l'ar-
tiste n'entame seulement pas le cuir épais de l'homme politique.
■ ".* •'■■■,.'
• . ,. ■ * * • - . . '
Aujourd'hui, de très jeunes écrivains publient en tête de leur
premier volume, des préfaces d'auteurs aussi jeunes et aussi
notoirement inconnus qu'eux-mêmes. '
Cela rappelle l'histoire de cet intrigant qui amène un de ses
pareils dans une soirée de ia haute. "^^
— Présente-moi, dit-il, je te présenterai ensuite!
PATHOLOGIE LITTÉRAIRE
Nos lecteurs se souviennent apparemment des éludes que nous
publiâmes l'été dernier sur les Déliquescents, Décadents, Incohé-
rents, Verbolâlres, Esotériques, sous le titre : Essai de pathologie
litlêraîre. Ils se souviennent moins peut-être des criailleries et
piaulements divers qu'elles provoquèrent dans les hôpitaux oxi
avions recueilli nos observations.
Quelques-uns de ces malades en sont arrivés à la crise finale.
Voici le résultat d'un accès d'une violence qui dépasse tout ce
qui avait été vu jusqu'ici. Le cas est relaté dans la revue parisienne
la Vogiiej n° 1 du tome II, sous la signature de son directeur
M. Gustave Kahn. ,
Vraiment quand nous nous risquions à prophétiser ces déli-
quescences finales et incurables, nous ne croyions pas si exacte-
ment dire. Qui donc écrivait dernièrement que c'était fini, ce
mouvement nosologique ? . ^
A
260
UART MODERNE
Perdu dans le regret d'on ne sait quel vécu —
Il susurre en la ville un sou d'inexpiable —
Et lassés sous ce morne soleil mal convaincu
De sa nécessité d'apôtre d'or potable.
■'■■ ■ '■ ■ r-
Si frêle dans les soirs, si mornes dans les laines
Villes qui dormez vos ruines à ces lacs
Sabbats fî^és d'écarlates aux entrelacs "
Des vitraux éclaboussés d'amour pur et de haine
Remémorez les fictives scènes.
Sous le lourd faix du temps voûtez les épaules —
C'était aux soirs envoûtés le ci'ime inoubliable.
Depuis, les pieds au feu, un manteau de pôles
Et passez, et passez sous la lourde relique
Relique au crâne, aux yeux, aux mains
Et puis passez
Aux sempiternels demains
f Monotones rongeurs d'éternelle réplique
Dites-nous vos entités '
Vos blafardes déités
Vos robustes mentent leur obscurité
Et puis passez, souffrez, évoquez et mentez.
Très lents, — où aller
Placides, — que faire
Et l'orgueil confère .
. Un rythme en allé
-• Boire et puis disparaître aux remous
Résonner et disparaître en cycles mous •
. Courir vers la fin seule de la faim*
Dormir enfin. ' ; -
'. Et le rêve si gris de simples ambitions
Et de vous humbles possessions
Mirages d'orages.
Et tout est tranquille aux plus reculés
Des ramages et d'inutiles forages
En des sois éculés.
Le mirage trompeur du toi que tu devais —
Regards aux boulevards et sourires aux lacs
' Emmitouflé de tes la'cs
Terne je m'en vais.
Ton sourire élargi fut le leurre
Et les fleurs
Ont paré vainement les ors de ton heure
Tes rythmes vernis par des mages mercenaires
Tes yeux, ta bouche, ta voix
Sans cesse s'exonère
En un vague aparté d'un merveilleux pavois.
Et tes reins et tes seins
Et ta lèvre et ta fièvre
Tout est mièvre, tout est vain.
Et je me débats des ébats
De ta norme difforme. •
***'
Chère apparence viens aux^ouchants illuminé»
Veux tu mieux des matins albes et calmes
Les soirs et les matins ont des calmes rosâtres
Les eaux ont des manteaux de cristal irisé
Et des rythmes de calmes palmes
Et l'air évoque de calmes musiques de pâtres.
Viens sous des tentelets aux fleuves souriants
Aux lilas pâlis des nuits d'Orient
Aux glauques étendues à falbalas d'argent
A l'oasis des baisers urgents
Seulement vit le voile aux seuls Orients ;
Quel que soit le spectacle et quelle que soit la rame
Et quelle que soit la voix qui s'affame et brame.
L'oublié du lointain dès jours chatouille et serre,
Le lotos de l'oubli ^'est fané dans mes serres.
Cependant tu m'aimais, à jamais
Adieu. pour jamais.
LES LIBÉRALITÉS AUX COLLECTIONS PUBLIQUES
La Justice annonce que M. Cernuschi, qui possède une mer-
veilleuse collection de bronzes chinois et japonais vient de faire
don à la ville de Paris de son inestimable musée. Seulement, ce
don ne sera suivi d'effet qu'après la mort du testateur, La collec-
tion de M. Cernuschi viendra compléter le musée Guimet, com-
posé de tous les objets relatifs aux religions orientales. Le musée
Guimet, que l'on construit en ce moment avec le concours de
l'Etal et de la ville de Paris sur un vaste terrain situé en bordure
de l'avenue d'Iéna, sera complètement installé d'ici à dix-huit
mois. . .
Les dons aux riiusées publics sont fréquents en France. Chez
nous ils sont rares. Ils témoignent du développement de l'esprit
démocratique chez nos voisins. On s'y accoutume de pluà en plus
à celle vérité sociale que la vraie richesse artistique consiste à
jouir par la vue et par l'esprit de ce qui appartient à tous, et que
la manie de la propriété exclusive est, en pareille matière, une
très misérable infirmité.
En Hollande cette tendance se fait jour d'une autre façon. Les
amateurs mettent leurs tableaux ou leurs objets curieux en pen-
sion dans les musées pour un temps plus ou moins long. C'est un
bon acheminement vers le don définitif.
Les grands collectionneurs ne devraient jamais mourir sans
laisser au moins un bel objet au public. Qu'ils songent que la
plupart du temps leurs héritiers s'empressent de tout vendre,
très platement. Par haine anticipée de ce procédé vulgaire, les
véritables amateurs ne devraient-ils pas leur enlever la disposition
des collections qu'ils ont lentement et amoureusement amassées.
/
LA NATURE ET L'ART.
• Squs ce tilre, M. Octave Mirbeau a adressé à M. de Fourcoudj
• dans le Gil Blas, une lettre dont nous extrayons ce qui suit :
A propos de l'exposition internationale de peinture, vous blâ-
mez les gens de se laisser aller, ingénument, à une admiration
que vous jugez inopportune et surtout irraisonnée. Pour vous,
qui êtes toujours de sangfroid, qui planez dans des hauteurs
sacerdotales, inaccessibles au vulgaire, celte exposition ne sau-
rait avoir aucune signification artistique; elle, vous est même
suspecte, parce que vous y avez vu des tableaux de M. Roybel,
de M. Charlemont, de M. Van Beers, qui dégageaient une mau-
vaise odeur de commerce. Vous les avez donc vus? Moi pas, je
vous en donne ma parole d'honneur. J'avais cru, au contraire,
qu'une exposition qui réunit les œuvres des Cazin, des Claude
Monet, des Renoir, des Rodin, des Besnard, des RafFaclii — vous
ajoutez môme les œuvres de M. Edelfult, qui ne sont point
quelconques, en effet, et celles de M. Gervex, qui a fait votre
portrait — pouvait passer pour intéressante et significative; car,
il n'y a i)as si^longtemps de cela, la plupart de ces artistes étaient
dans l'impuissance d'arriver jusqu'au public ou n'y arrivaient
qu'à Iraftçrs les_rires des uns et les huées des autres. Reportez-
vous aux premières expositions des Impressionnistes, où l'on
allait en partie de plaisir, ainsi qu'on va à la foire de Neuilly,
où les tableaux étaient traités de la même façon que les monstres
à trois tètes et à dix pattes des baraques foraines, où des hommes
• d'esprit et de gaieté déposaient des sous sur le rebord des cadres,
comme, on fait dans la sébille d'un mendiant, A cette époque,
MM. Claude Monet et Renoir n'étaient point parmi les plus épar-
gnés et les moins insultés. Ce .qu'on a écrit d'eux, vous vous en
souvenez. Un peu plus tard, le jury du Salon reÏMSSi'itYAge dai-
rain. une très belle figure de M. Auguste Rodin, sous le prétexte
excessivement comique que le grand sculpteur avait moulé un sol-
dat belge, — de ce même Rodin dont vous admirez si fort les
bustes et dont vous n'admirez pas assez les superbes éludes, qui
sont d'un art tellement puissant et tellement nouveau qu'elles
vont, soyez-en persuadé, révolutionner toute la sculpture mo-
derne. Or, voyez ce qui se passe aujourd'hui. Jadis, les Roybe^.
les Charlemont et les autres, dont vous parlez si justement,
n'eussent jamais consenti à exposer côte à côte avec les Impres-
* sionnisles. Aujourd'hui ce sont les Impressionistes qui tolèrent
que ces mêmes peintres exposent avec eux. La différence est
notoire et significative — pardonnez-moi ce mot que vous n'ai-
mez pas ; — elle prouve au moins que nous avons fait quelques
progrès et marché de l'avant.
Oh! je ne prétends pas, croyez-le bien, que l'éducation du
public, en matière d'art, soit parfaite, et qu'elle est arrivée au
poml où nous la voudrions voir. Ces lumières franches et har-
dies offusquent toujours un peu son œil, encrassé par les bitumes
anciens; il ne peut encore se plier à la simplification très com-
pliquée et très difficile de ce dessin, qui dessine l'impalpable de
l'air, le frisson de l'ombre, qui met les êtres et les-choses en leur
milieu atmosphérique, au risque de les enlaidir et de les défor-~
mer, comme disent \e^ doctrinards de l'Ecole. Le public a été
depuis si longtemps dérouté par le dessin à contours fixes, par
l'invariable représentation des formes convenues, par l'inflexibi-
lité ennuyeuse et jolie des ensembles académiques, qu'il s'étonne
bien un peu, n'y étant point habitué, dès qu'il se trouve en pré-
sence d'un coin de nature ou d'hum'anilé recréé par un cerveau
et par une main d'artisle. Mais il ne crie plus, mais il ne rit plus,
mais il ne lève plus les bras au ciel de stupeur. Trouvez-vous
donc que ce résultai soit aussi indifft^rent que vous le dites?
La Nature! voilà un mot qui revient souvent dans vos mani-
festes ! La nature est ceci; la nature est cela ; la nature est tout.
II n'y a que la nature ! Sans doute. Mais le malheur est que la
nature pà^r elle-même, la nature telle que vous la comprenez,
n'existe paS; La Nature n'est visible, elle n'est palpable, elle
n'existe réellement qu'autant que nous faisons passer en elle
notre personnalité, que nous l'animons, que nous la gonflons de
notre passion. Et comme la personnalilé et la passion sont dif-
férentes à chacun de nous, il en résulte que la nature et fart sont
différents aussi et qu'ils revêtent, les formes infinies de cette per-
sonnalité et de celle passion. , . ;. '•
En art, il n'y a point de règles implacables et de vérité unique
et l'on ne peut pas dire d'un genre qu'il est supérieur à un autre.
A côté du métier qui importe, certes, mais doit rester dans les
limites restreintes de la technique, il y a la sensation, c'est-à-dire
l'expression de la personnalilé. Or, le mystère d'art consiste dans
le plus ou moins de développement de celte sensation. Et je
retrouve en M. Puvis de Chavannes, avec ses hiéroglyphes de,
rêvé, comme vous appelez ses œuvres, des sensations plus
inteinses, et, par conséquent, plus nature que dans M. Roll, qui
se borne à copier la nature, froidement, sans émotion, dans son
apparence photographique et morte.
C'est ce qui vous explique que, moi et beaucoup de gens
comme moi, nous admirons des œuvTes très dissemblables, et
que tout semble beau qui contient une parcelle de personnalité
et de passion, c'est-à-dire dé nature. L'art ne se résume point
tout entier en M. Roll, à la gloire de qui vous sacrifiez le passé,
le présent et l'avenir. Je suis le premier à rendre justice à son
talent et à ses efforls. Je sais que M. Roll sait déjà beaucoup.
Mais, en vérité, croyez-moi, il y en eut, il en a, il y en aura
d'autres que lui. , . ' ■
t
262
VART MODERNE v^
^ETITE CHROjMlQUZ:
Nous parlions derniôrdmonl des incendies intelligents. Le bruit
court dans les ateliers (lu'il a failli se former, pour la manifes-
tation d'aujourd'hui, une section qui se serait donncC' pour mot
d'or.dre de mettre en pièces les statues, bustes et monuments qui
déshonorent quelques-unes de nos rues et de nos places. Voilà
assurément des actes de vandalisme auxquels les gens de goût
auraient applaudi. Espérons que ce sera pour une autre fois.
Nous prédisons un acquittement triomphal à ceux qui accompli-
raient celle (jeuvre d'assainissement.
Les concours du Conservatoire royal de musique de Liège, ont
été brillants cette année. Un fait unique dans les annales des
conservatoires s'est produit. Un concurrent, M. Smulders, qui
aspirait à la pHis haute distinction comme pianiste, a pris part
au concours en exécutant un concerto de sa composition.
Ce concerto appartient au mouvement moderne de l'Art ; il a
obtenu un grand succès. Le jury el le nombreux public qui se
pressait à cette audition ont salué le jeune pianiste de leurs
acclamations.
De pareils résultatsfonthonneur à M. Th. Radoux, le directeur
vigilant et éclairé du Conservatoire el dont M. Smulders est
l'élève pour la composition.
Très vif, très inattendu, très encourageant, le succès de vente
obtenu \x la sixième exposition intei^nationale el triennale des
Beaux-Arts de la ville de Namur. ^
En voici le relevé officiel : J .
^' ' Acquisitions par des "particuliers. ,
Arden, Henry; L'Escaut en Flandre. _:, . ^_ _, :,__
,Capcinick, Jean ; Fleurs. < «^
Cassiers, Henri ; Haute mer à Roscofï (aquarelle).
Caslilji}, Firmin ; Une mare à Evere.
Coenraets, Charles ; Dans la serre.
Coosemans, J.-T. ; L'Amblève à Aywaille. — Automne.
Crepin, Louis; Vue des quais. — Bruxelles.
Daq^doy, Armand; Route de Forest. — Environs de Namur.
Dandoy, Auguste; La Meuse à Béez.
Id. Environs de Namur.
De Qucbedo, M"« Jeanne; Paysage. — Un coin de Campine.
Id. Géraniums.
Id. Pivoines et marguerites.
De Villermont, M"« Marie ; Les rocbes des Adugeoirs, à Petigny.
Gabriel, P.-J.-C. ; Un coin de ferme.
Genisson, G. ; Rue « Padry les Ro'ches ». — Dinant.
Godarl-Meyer, M"""; Marina
Godding, Emile; Deux vietif amis.
Heymans, Adrien-Joseph; Chemin en Campine.
Madiol, Ad.-J.; Le docleur.
Marinus, Ferd. ; Prairies de l'Escaut.
__ Id. Embarquement sur Meuse.
. Monta, Ed. ; Partition nouvelle. •
Monligny, Jules; Chevaux de relais.
Plasky, Eugène ; Automne; — Campine.
Raeymaekers, J. ; Paysage.
Ronner, M"« Alice ; Fruits et accessoires.
Serrure, Auguste; Un accident.
* Id. , En retard.
Stallaeri, Jos.; L'éventail.
Thémon, Paul; Bouges. — Effet de neige (aquarelle), '^
Van Damme, Franz: Une plage. — Escaut. \
Webb, Charles; Chez le notaire.
Acquisitions par la Commission {pour la tombola).
Cassiers, Henri ; La marée basse à Blankenberghe (aquarelle).
Dandoy, Auguste; Le verger.
Dassonville, M"e Maria ; Pavots.
Dubois, Paul-Maurice; Flora (buste bronze).
Ermel, Alexis; Dans la vallée de Burnot.
Gabriel, P.-J.-C. ; Vue d'un polder hollandais.— Vers le soir.
Genisson, G.; Abbaye de Villers. — Le cloître. — Effet de
neiffe.
Heymans, Adrien-Jos.; Avril.
Jochams, H. ; La diligence.
Portielje, Gérard; Le déjeuner manqué.
Tonglet, Th.; Paysage. — Crépuscule.
Van der Haeghen, Ed. ; Marin au repos.
Van Seben, Henri; L'élude.
VVauters, Camille; Le lever du brouillard.
.. Acquisitions par la province de Namur.
Hagemans, Maurice; L'Escaut à Anvers.
Hubert, Alfred ; Trompette d'artillerie.
Vervloet, Victor; Le baptistère de Borkhem. ::
Acquisitions- proposées pour le musée de la ville de Namur.
Baron, Th. ; Plateau de la Mehaigne. ' -
Bouvier, A.; L'ouragan. — Marine.
Marcelle, Al. ; Le bassin de la maison Hanséalique. — Anvers.
Smits, Eugène; La leçon de chant.
Van der Hechl ; Germinal. — Verger dans le Limbourg.
Total général : 53 œuvres! Nos compliments aux organisa-
teurs. Par les temps de crise qui courent, c'est un résultat mer-
veilleux. '
La Société des artistes indépendants ouvrira le 21 août, bâti-
ment B, rue des Tuileries, près du pavillon de Flore, son expo-
sition annuelle.
Renseignements : 19, quai Saint-Michel.
Les tableaux appartenant à feu Nieuv^renhuys, vendus par
MM. Christie, Mansons et Woods, formaient une partie de sa
collection car quelques-uns des plus importants ont été vendus
à Bruxelles en 1883. H y avait 120 tableaux dont 35 par des
peintres modernes de l'école hollandaise, et flamande, le reste
étant surtout des vieux maîtres de la même école avec quelques-
uns d'italiens el français, enlr'autres un chef-d'œuvre du Titien,
intitulé : Tarquin el Lucrèce; ces tableaux ont atteint en général
leur valeur quoique dans certains cas ils ont été bien en dessous
du prix qu'ils avaient ob(bnu aux ventes précédentes. Voici les
plus hauts prix atteints : La vision de Saint-Roch, par A. Carracci,
peint pour l'église Sainl-Eustache- mais acheté par le Régent
r,.
UART MODERNE
263
d'Orléans, 5,775 francs. — La madone et l'enfant, par Perru-
gino, 4,825 francs. — La vierge et l'ejifant, par Raphaël, 5,000
francs. — Tarquin el Lucrèce, par le Titien, i0,900 francs. —
Jeune fille occupée à traire une vache rousse, 13,125 francs. —
Une fêle champêtre, 4,200 francs, son pondant, 2,500 francs. —
Portrait de Jean Van Eyck, peint par lui-même, acheté par
Sedelmeycr, 10,000 francs. — Un cuisinier, par Rembrandt,
acheté par le même, 4,300 francs, prix peu élevé parce que, au
moment de l'adjudication, on a supposé qu'il pouvait être de
Nicolas Macs. — Perdrix et autres oiseaux par Hondekœler,
4,200 francs. — Faisans dans un jardin, 11,000 francs. — Fleurs
et nids d'oiseaux, par Van Huysum, 10,000 francs. — Un vieux
paysan, par Ostade, 7,000 francs. —Une rivière en Norwège,
par Ruysdacl, 10,800 francs. — Un paysage, 13,750 francs. —
Le coup de canon, par Van Devell, 7,875 francs. — Chasse à
l'ours en 1700, grand tableau, 19,700 francs. — Le gardien,
tableau de Teniers ayant appartenu au duc de Choiseul-Praslin,
21,525 francs. {Moniteur des Arts),
Le Moniteur des Arts annonce que des Américains, admira-
teurs de François Millet viennent, paraît-il, d'acquérir la petite
maison qu'il habitait à Barbizon pour en faire hommage à sa
veuve.
Nous ne pouvons que féliciter les hommes de cœur qui ont eu
celte bonne pensée et qui vont permettre à la veuve du grand
artisle, si méconnu pendant sa vie, si admiré après sa mort, de
vivre désormais tranquille sous ce toit jadis. témoin de tant de
labeurs et qui vit tant d'espérances déçues.
On sait que la vente des tableaux et dessins de Millet ne pro-
duisit pas des sommes suffisantes pour l'entretien de sa nom-
breuse famille.
La ville de Cherbourg doit, assure-t-on, lui élever un monu-
ment et il est question de réunir dans une exposition à Paris les
ceuvres de cet artiste sincère dont les œuvres, vendues ii bas prix
de son vivant, ont atteint depuis des chiff*res fabuleux et sont
allé enrichir les collections étrangères.
Bibliothèque scientifique populaire publiée sous la direction
de Camille Flammarion. — La Création de Vhomme et les
premiers âges dé l'humanité, par H. à\i Clcuziou.
Une nouvelle science vient de naître : la Préhistoire.
Les premiers âges de l'humanité étaient^ naguère encore, ense-
velis sous le voile du passé, mais des milliers de vestiges vien-
nent d'être découverts, outils et armes de pierre de toutes formes,
haches, marteaux, flèches, lances, racloirs, ossements cassés et
taillés, ustensiles de la vie quotidienne, débris de cuisine, orne-
ments divers, etc., etc.
Le ^ccès de la publication du Monde avant la création de
VHûmme montre quel intérêt on attache à ces questions d'origi-
>. Après avoir assisté à la formation de la terre, on aimera avoir
^ous les yeux l'histoire primitive de l'humanité.
L'ouvrage paraît en livraisons U 10 centimes el en séries à
50 centimes. Il sera illustré d'environ 300 figures, représentant
lies scènes du monde primitif, les mœurs et coutumes de nos
ancêtres, leurs outils et leurs armes.
On peut s'abonner à l'ouvrage complet reçu franco au fur et à
mesure de l'apparition des séries, contre un mandat de dix francs
envoyé aux éditeurs Marpon el Flammarion, ^ Paris, 26, rue
Racine.
MEMENTO DES EXPOSITIONS ET CONCOURS
Amsterdam. Exposition (internationale) d'artiste? cont^emporains
organisée par la ville d'Amsterdam. Peinture, sculpture, architec-
ture, gravure, dessin, lithographie. Du 27 septembre au 30 octo-
bre 1886. Délai d'envoi :- 23 aoùt-7 septembre. Frais à charge de
l'exposant à l'aller, à charge de la Commission au retour. — Six
médailles d'or, chacune de 100 florins. — Jury de sept membres,
dont quatre élus par les exposants. Joindre à l'envoi le nom de quatre
candidats. — Les jurés ne peuvent concourir pour les médailles. —
Renseignements : Commission executive de l'Exposition commu-
nale, Amsterdam. (J. Luden, secrétaire).
Bruxelles. — Prix du Roi, 25.000 francs offerts :
En 1886 (concours exclussivement belgo), à l'ouvrage le mieux
conçu pour développer chez la jeunesse belge l'intelligence et le goût
des littératures anciennes et modernes.
En 1888 (id.), au meilleur ouvrage- sur l'enseignement des arts
plastiques en Belgique et siX^ le moyerï de développer l'art en
Belgique et de le porter à un niveau de plus en plus élevé.
Les ouvrages destinés à ces concours devront être transmis au
Ministre de l'Agriculture, de l'Industrie et des Travaux publics, à
savoir : pour le prix à décerner en 188^), avant le le"" octobre 1886,
et pour celui à décerner en 1888 avant le "1" janvier 1888.
Florence. — Concours (offert à tous les' artistes résidant en Italie)
ipour les trois portes de bronze de la façade de Santa-Maria-del-Fiore
(cathédrale). Primes de 4,000 francs, pour la porte centrale, de
5,000 francs pour chacune des portes latérales, accordées aux pro-
jets choisis (dessin géométrique en clair-obscur, développé au tiers
de la grandeur dexécution ). Délai de rigueur : 31 octobre 188Ô. Siège
du comité : Place du Dôme, ^4, Florence. '
Milan. — Concours (international; pour la reconstruction de la
façaile de la Cathédrale (le Dôme) en harmonie avec le style du mo-
nument. — S'adresser, paur le programme, à l'hôtel de ville de
Bruxelles, bureaux de la 6« division, de dix à quatre heures.
Concours Rubinstein. — Une somme de vingt-cinq milles roubles
a été placée à la Banque de Russie par M. Rubinstein. Les intérêts
de cette somme serviront à décerner des primes musicales aux
compositeurs et aux pianistes, ainsi qu'à payer les frais d'organisa-
tion des concours, qui seront internationaux.
Ces concours auront lieu tous les cinq ans; deux primes, chacune
de cinq mille francs, seront accordées svit à deux concurents, soit à
un seul qui serait désigné comme compositeur et pianiste de~premier
ordre. Au cas où ces primes ne seraient point décernées, les concur-
rents n'ayant pas fait preuve de supériorité réelle, on pourra accorder
des primes secondaires d'une valeur de deux mille francs.
Le premier concours aura lieu en 1890. Les villes désignées pour
les jugements à intervenir et l'organisation des concours sont : Saint-
Pétersbourg, Berlin, Vienne et Paris.
Toute personne du sexe masculin, âgée de 20 à 26 ans, peut
concourir, quelle que soit sa nationalité. .. .
•' Le programme des concours comporte : 1° Pour les compositeurs :
concertos avec orchestre; musique de chambre et autres composi-
tions pour piano sans accompagnement ; 2* Pour les exécutants :
exécution de concertos avec orchestre, musique de chambre et de
solos de tous genres, (style classique ou style moderne).
CouRTRAi. — Exposition de tableaux, dessins, gravures, sculp-
tures et lithographies. Du 22 aoiit au 30 septembre.
DuNKERiUE. — Exposition (internationale) d'aquarelles, dessins et
cartons, pastels, miniatures, émaux et faïences, gravures, lithogra-
phies.
Spa. — Exposition des Beaux- Arts. Du i*' août à fin septembre.
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En voyaoe. Le nouveau Musée du Luxembourg. — L'art dans
LA RUE. — Pathologie littéraire. — L'art nouveau dans
4» l'œuvre ♦», par Emile Zola. Le plein air. — Petite chronique.
ÎJn YOYAQE
LE NOUVEAU MUSÉE DU LUXEMBOURG
On entre par la sculpture : une salle. On passe à la
peinture : plusieurs salles, grandes, petites. Jour superbe,
venant d'en haut, franc, abondant, cru dirait un classi-
\ que, le vrai jour des vrais nausées, montrant tout, ne
mettant pas sur tout un glacis discret d'ombre et une
patine uniforme, comme si l'on voulait ménager les jeux
malades des académiques et éviter le scandale des couleurs
trop bruyantes; un jour qui eût réjoui Rubens, un jour
qui rend joyeux parce qu'il rappelle le soleil et^qu'on y
voit resplendir les jeunes chairs ^es spectatrices qui n'ont,
pas encore, par le maquillage, m réparer des ans l'irré-
parable outrage. Ah! les musées où illfait toujours plu-
vieux par la grâce des lanterneaux doubles soigneusement
matés; où, sous prétexte de maintenir une lumière égale
on engrise toutes choses, et qui, lorsqu'il pleut vraiment,
c'est-à-dire lorsque la foule bête y vient en vertu de cet
absurde préjugé qu'on ne doit pas visiter les musées quand
il fait beau dehors et que le soleil nuit à l'aspect de la
peinture, se transforment en caves lamentablement
tristes.
La sculpture : un magasin soigneusement arrangé qui.
au Bruxellois, ramène immédiatement le souvenir impor-
tun du fameux et inévitable chantier de Blaton-Aubert,
étalant sa réclame perpétuelle jusques au franc-bord
des voies du, chemin de fer au faubourg de Cologne.
Une demi-douzaine de belles œuvres se perdant dans l'en-
combrement des achats officiels de ces vingt dernières
années, plats, vulgaires, navrants, grimaçants. Un assem-
blage digne de la double rangée de fadaises en marbre
qui vous reçoivent, immobiles et maussades, quand on
entre au musée de Bruxelles, sauf que celles-ci sont
égayés par les joviales sarabandes des magots de Teniers
qui gambadent sur les superbes tapisseries cachant les
murs. Au Luxembourg cinq séries de blancs sujets se
développent avec la régularité d'un cimetière et son entas-
sement bourgeois. Blanc partout, comme aux dominos.
L'impression froide, nénupharesque que produit cette
couleur de la propreté, sans art aussi odieuse que la
ligne droite. On passe vite en boutonnant machinalement
sa jaquette : n'est-on pas en Islande ou au Spitzberg, dans
un paysage éclairé par le pâle soleil du cercle polaire ?
Bon, nous voici en lieux plus tiôdes. Peinture partout^
Oui, peinture moderne, contemporaine plutôt, puisque ce
Luxembourg représente les limbes où les tableaux font
dix ans de purgatoire avant de passer au Louvre, ce para-
dis des grands dieux où n'entrent que les élus, sacrés
par deux lustres d'admiration continue. Voilà juste
devant nous les éternels Romains de la décadence^ par
Couture : il parait que cette œuvre, tant célébrée jadis
au temps du romantisme prenant, reste douteuse, puis-
qu'on la maintient ici et qu'elle attend en vain le démé-
nagement sauveur. Pas mal pourtant. Quelques bons
morceaux qui ne devaient pas déplaire à ces messieurs de
la commission. Qu'est-ce qui les empêche de donner le
passavant ? Les nus y sont-ils trop réalistes ? Ces bons
romains font-ils trop ouvertement les nécessités de la
décadence ? Faudrait-il une décence plus dignement offi-
cielle ? Ne savons : qui pénétrera les secrets des incon-
séquences de ces aliborons qui se mêlent d'art comme
l'âne de la fable se mêlait de gracieuseté.
Passons. Cherchons vite toiles qui vaillent. Où sont les
Millet, les Courbet, les Manet/les Monet, les Rousseau,
les Daubigny, les Degas, tout ce qui fait la gloire de
l'École française? Ah ! ben oui ! Nous vous en donnerons
des Monet, des Degas ! Nous prenez-vous pour des gens
de nôtre époque? Il ne manquerait plus que cela. Et la
mode, monsieur! et les formules! et les règles d'un sage
enseignement, le moyen de faire du beau à coup sûr, en
suivant des recettes, en imitant les grands maîtres!!!
Voici Monsieur Bouguereau et voici Monsieur Cabanel,
des anciens vraiment respectables. Que dites-vous de
leur excellente tenue, de leur distinction parfaite? Voyez,
leurs tableaux ont une raie au milieu de la tête ; si vous
pouviez les retourner, vous verriez comme elle descend
correcte jusqu'au bas de... la nuque. Voilà des peintres
bien élevés, qu*on peut recevoir dans le high-life. Leurs
toiles, parfaitement cirées, ont mérité d'être nommées le
désespoir des mouches, ces diptères incongrus n'ayant
jamais trouvé le moyen de s'y promener verticalement
tant la surface en est admirablement lisse.
En effet, voici Monsieur Bougereau et voici Monsieur
Cabanel, et autour de leurs œuvres d'autres œuvres,
avec d'autres noms, mais de faux noms apparemment,
car ce sont encore des Cabanel et encore des Bouguereau.
On tombe de Chose en Machin, alternativement et avec
la périodicité d'un pendule. " \
Où sont les Regnault ? Le Portrait du Général Primy
VExécution au Sérail? Au Louvre, ceux-ci. Non pas que
la direction les trouvât meilleurs que d'autres (c'eût été
forfaire à sa nature et à son institution). Mais le peintre
est mort pour la patrie : ceci lui a valu de faire trouver
sa peinture digne d'entrer. Une distinction civique, quoi !
Les Courbet aussi au Louvre, sauf un buste d'homme,
accroché dans un coin, de grand style, poussant au
noir comme trop de productions du Maître ; un paysage
aussi, superbe, contre un chambranle. Ils sont au Louvre,
les autres, disons-nous : ÏEnterrement à Ornans, le
Combat de cerfs ^ le Jeune homme tué en duel; oui. Mais
dans quelles traitreuses conditions ! Ils encombrent une
salle sombre, un dessous de pavillon ; on les devine, on ne
les voit pas, et le mauvais vouloir des arrangeurs officiels
est tel que, si Ton a de bons yeux, les trois œuvres,
admirables on le sait, dignes des plus grands, apparais-
sent défigurées, décomposées, désemparées, lamentables,
horribles. 0 les abominables farceurs qui griment ainsi
d'obscurité ou de fausse lumière les redautaWes rivales
dont la force, et la simplicité, et la profonde originalité
rendraient nauséeuses leurs fades et plates productions.
Voici un Millet ! grand comme un buvard, et dans le coin,
^jaturellement. Voici un Rousseau, tout aussi important,
tout aussi bien colloque : «'Gardien, où sont les Manet? »»
— - " Il n'y en a pas. Monsieur ». — - Et les Monet? *—
«♦ Oh! Monsieur, fi donc? »» — « Les Degas, au moins? »•
— Il ne me répond plus et me tourne le dos ; je le vois
qui me signale à son chef; on me suit maintenant, je suis
surveillé; je me ,hâte d'aller me pâmer et m'exclamer
devant un Tony Robert Fleury (je crois que c'est ainsi
que ça se nomme et s'orthographie). On me laisse tran-
quille. .
Vous lô voyez, lecteurs, partout les mêmes, ces offi-
ciels : protecteurs et encourageateiirs de la médiocrité,
acquéreurs de platitudes, dénigreurs des vrais talents,
contempteurs de toute originalité, admirateurs de leur
nombril, et quel nombril! Le Luxembourg ne le cède en
rien à notre galerie moderne. Il n'a acheté un Corot que
lorsque, depuis dix ans, on cornait aux oreilles de ses
administrateurs que Corot était un des plus grands du
siècle; et encore en ont-ils alors acheté un mauvais :
allez-y voir. Ils ont carotté, dans des ventes de deuxième
ordre, les quelques pauvres petits Millet et Rousseau dont
il semble qu'ils ont honte, puisqu'ils les dissimulent dans
les encoignures. Ils étalent en belle place les émanations
lunaires de M. Henner, mais consignent à la porte tous
les jeunes maîtres comme s'ils étaient de simples Dela-
croix. '' '■ '■-■■'■>,"■ ■ - ■
Je m'en vais, repassant à travers les cinq rangées des
marbres, toujours à la gelée blanche, satisfait, mais seu-
lement dans la case cervicale où gîte ma logique : chez
eux, chez nous, toujours la même chanson finissant par le
même refrain :
Tout pour les pasticheurs,
Rien pour les novateurs.
L'ART DANS U. RUE
L'Art dans la rue ! L'Art inconscient, qui se fait par le grou-
pement des foules, dans le dëcor d'un quartier, avec le soleil
menant sur tout son glacis jaune pâle. Les forces naturelles tra-
vaillant en artistes à la construction d'une œuvre colossale, mou-
vante, éblouissante, et, par l'impression qu'il s'agit d'un grand
et touchant phénomène social, donnant au spectateur l'efFerves-
cence et l'ivresse d'une émotion incompressible.
Dimanche dernier nous avons subi ce trouble durant la repré-
sentation admirable qui fut donnée à Bruxelles par vingt mille
acteurs d'occasion sur la scène du boulevard Anspach, dans le
décor merveilleux de la perspective qui a pour premiers plans la
Bourse à droite, l'Hôtel Central à gauche, et pour toile de
fond le Temple des Augustins, auquel le regard est amené par les .
deux profils pittoresques des maisons variées qui font de cette
avenue une des plus curieuses beautés de Bruxelles.
LART MODERNE
267
Il faut vraiment ^Hrc alleinl de celle infirn)il(î qui rend invisible
le monde extérieur qui nous enveloppe en rejetant obstinémenl
l'esprit vers les conceptions imaginalives, pour ne pas comprendre
que le spectacle auquel on a assisté là, pendant deux heures, vaut
les plus belles crdalions artistiques, auxquelles s'ajoutait la vie,
la vie vraie n'ayant pas besoin, pour animer la scène, d'un effort
de notre faculté illusionnante. Quand nous débarrasserons-nous
de la manie de ne trouver l'art que dans certaines productions
convenues, tableau, statue, poème, rattachées à une personnalité
unique, et discernerons-nous qu'il en peut surgir de plus gran-
dioses quand, sans le savoir, des masses travaillent à leur tour,
dans les villes devenues aleliers. Esl-cc là fausser la notion de
l'art? Non, certes, si l'art c'est l'a'uvre produite par l'homme et
dans laquelle nous retrouvons la flamme de ses sentiments, de
ses joies ou de ses souffrances. Qu'importe qu'il se soit dit k
l'avance qu'il voulait faire œuvre d'artiste? Pourquoi faudrait-il
qu'il prît ainsi, avant de commencer, une posture spéciale et
qu'il fît une annonce de son dessein? En quoi de pareilles con-
ventions pourraient-elles influer sur ce qui sort de ses efforts?
Si le déroulement de la vie humaine, dans l'infinie multiplicité
de ses combinaisons, amène, pour nous, à la rampe, des comé-
dies, des drames, des pompes, pourquoi refuserions-nous de les
voir et d'en jouir comme si un autour habile les avait accom-
modées? La vue d'une belle femme qui passe ne peut-elle nous
donner la commotion artistique,cette sensation suprême et trou-
blante qui est le signe du beau latent comme rétincelle révèle
l'électricité? Certes la complexité de notre sensibilité nous
masque la plupart du temps ce côté délioal des choses. Il n'est
pas facile de s'abstraire de ses sensations les plus usuelles et de
ne voir que l'art là oii la vie nous sollicite à l'amour, à la pitié,
à la colère, à la douleur. Mais n'est-ce pas habitude plutôt que
réalité, et si nous recherchions davantage dans les fluctuantes
ondes des événements qui nous enveloppent ce qu'il s'y produit
de beau sous toutes les formes, n'acquerrions-nous pas une apti-
tude que nous avons limitée faussement aux œuv.res d'art propre-
ment dites?
Voici donc, dans ce prodigieux décor urbain que nous esquis-
sions tout à l'heure, un cortège étrange qui s'avance, baigné dans
une atmosphère d'une transparence admirable : un de ces jours
de soleil venant après une nuit pluvieuse, mettant la lumière
dans la fraîcheur, la tiédeur dans le froid, en si justes proportions
que, le corps assoupli et l'âme heureuse, on pense que c'est le
vrai temps qu'il devrait faire toujours. Au dessus des toits et des
façades non encore séchées et conservant cette belle intensité des
tons humides qui émerveilla Fromentin quand il connut nos pays
du Nord, non pas l'azur uniforme, mais une marqueterie vigou-
reuse de bleus crus et de blancs mais : les nuages stagnants
comme de gigantesques nénuphars. Sur celte immobilité du ciel
et des édifices, au sommet des pignons, à tous les étages, aux
balcons, aux fenêtres, au dessus des portes, le balancement et le
clapotement vibrant et multicolore de centaines de drapeaux,
énormes papillons agitant leurs ailes de rubis, de lapis, d'émc^
raude, de topaze, de corail sur l'archileciure de la ville
enchantée.
Dessous, entre les berges solides et hautes des maisons, une
onde noire, la foule contemporaine avec les sombres vêtements
du XIX* siècle, emplissant tout d'un bout à l'autre, tournant en '
■ remous sans fin avec une rumeur continue comme le bruissement
sonore qu'on entend sous bois à midi, quand faisant silence, on
prête l'oreille aux harmonies du monde infini des insectes bour-
donnant dans l'atmosphère. -
F'uis, au loin, au fond, tout à coup, un bouillonnement, et
latéralement l'apparition d'une bannière vague, horizontalement
tendue, glissant, venant, approchant au milieu d'une musique
faible encore comme un rêve : effacement des couleurs et des sons
qui semble une aube. A cet appel indécis flottant à l'horizon,
s'éveille là, près de nous, un clairon : il lance brutalement sa
fanfare comme s'il criait aux armes, et des soldats courent,
prennent leurs rangs, s'alignent, massant un bataillon gris et
vert sur les marches et contre les colonnes de la Bourse : au
dessus des shakos les baïonnettes, droites comme des paraton-
nerres, ■
L'attention n'est pas eux : tous les regards vont là-bas, vers
cette coîonne qui arrive au pas accéléré : devant elle un dra-
peau : le drapeau rouge. Maintenant on disg^ne la musique :
la Marseillaise.
Le drapeau rouge! sa hampe est foi/mée d'un faisceau de
piques. Du milieu sort la hache. Elle poilte le bonnet phrygien.
Et derrière, les hommes ont tous un runan, une cocarde, une
fleur rouge, rouge, toujours' roilgo. Pourquoi pas les couleurs
nationales? Si, pourtant, les voici : mais' voilées d'un crêpe et
portées bas, humiliées sous le farouche emblème écarlate, dres-
sant lui, avec audace, avec insolence, sa sanglante flambée.
Douloureux symbolisme! Que d'espoirs déçus il atteste par sa
farouche ironie! Quelle affirmation impitoyable qu'on n'a plus
de patrie, qu'on ne veut plus avoir confiance ! ' ,
Le défilé roule avec sa palpitation continue de têtes comme si
le cortège entier était un long serpent précipitant sa respiration.
Les visages s'imbnquent les uns aux autres comme des écailles
et les jambes fonctionnent actives comme les pattes d'un mon-
strueux myriapode. De temps' à autre une grande clameur, un
meuglement de plésiosaure, ou bien une mélopée, sourde et sou-
terraine, dirait-on, quand ce sont des gosiers de mineurs qui la
chantent, perçante, lénorisante, moins lugubre si ce sont des voix
habituées au plein air.
Et constamment des drapeaux rouges succédant aux drapeaux
rouges, plantés dans la masse et surgissant pareils à l'empennage
de flèches gigantesques dont un archer invisible aurait criblé le
python populaire. Et constamment le bonnet phrygitn dressant
au dessus sa corne symbolique. El constamment la Marseillaise
sortant ici bruyante et claire, là -bas moins distincte, plus loin
seulement murmurante, respiration harmonique et farouche,
scandant la marche, et par le désordre même des rythmes se
mêlant à contretemps, avec des appuis sourds de tambour et de
grosse caisse, donnant au défilé de celte immense théorie une
allure barbare et épique.
Les métiers succèdent au.x métiers avec leurs cartels, leurs
écussons, leurs banderoles, leurs gonfauons portant des inscrip-
tions menaçantes ou suppliantes, ironiques ou terribles. Partout
où tombe le regard, sur les casqueltes, sur les brassards, sur les
poitrines, sur le^ rubans en sautoir des femmes, sur les tonneaux
des canlinières, un cri, muet mais d'une étonnante éloquence,
français, tlamand : Suffrage universel, Algemeen .stemrecfU ! Et
un autre priant et ordonnant sous les hampes à pique des éten-
dards : Amnistie! Voici les Bruxellois, voici les Ixellois, voici
ceux de Saint-Gilles et de Molenbeok. Voici Anvers, voici Gand,
marchant avec la discipline et la décision d'hommes qui» mieux
peut-être que les autres, savent ce quils veulent et où ils vont,
268
UART MODERNE
où ils iront. Voici Liège avec une buée de gaîlé qui circule de la
colonne à la foule, joyeux saluls, interpellations goguenardes,
poignées de mains à des inconnus, appels plaisants allant et
venant en une partie de raquettes ininterrompue. Voici les bouil-
leurs, les puddleurs : la fatigue, raffaissemenl, l'épuisement de
leurs travaux d'esclaves traînent leurs pas même en ce jour
solennel. Quand, derrière la haie de la foule, ils aperçoivent les
uniformes, postés là et guettant, leurs durs visages de martyrs
prennent quelque cbose des contractions qu'ils avaient sans doute
lors des fusillades de Roux et des incendies de Jumet. Gare à
vous, les aveugles, qui pensez qu'on résout de tels problèmes
avec des cartouches ! Gare à vous! Si le fusil bourgeois a ses tra-
ditions, la pique plébéienne a les siennes.
Depuis une heure le flot coule. Le soleil épanche sur lui sans
interruption sa brillante rosée d'or. Maintenant les cris et les
applaudissements des spectateurs font au cortège un accom-
pagnement continu comme le calme grondement des marées sur
le sable. Le public a compris le sens de ce grand spectacle et y
sympathise. Les bravos partent comme au théâtre. On ne voit
plus simplement des hommes qui passent, curieusement regar-
dés : l'émotion s'est éveillée, elle a gagné de proche en proche,
la salle est électrisée. La salle, oui, la salle immense, la rue, les
places, les carrefours. C'est le peuple qui joue et c'est le peuple
qui assiste. Si un instant l'esprit se reporte vers les représenta-
tions du théâtre, comme il les sent petites et artificielles devant
cet art imprévu et grandiose, layarit son symbolisme comme s'il
avait été imaginé et combiné par le cerveau d'un poète. Le cœur
vibre et s'émeut, l'ivresse vient, le désir et l'élan vont vers les évé-
nements héroïques. .
C'est Byron, n'est-ce pas, qui, décrivant le prélude épique de
Waterloo, les régiments impériaux allant, au son des musiques
militaires, avec'leurs uniformes étranges, prendre leur position
de bataille, sous un ciel chargé de nuages, dans une trombe
d'acclamations frénétiques, a dit : « Quiconque vit cela, éprouva
en une heure les sensations de dix années de vie ! »
Oui, l'art est là, dans son expression la plus sublime, quand
les foules prennent les rôles, surtout aux jours de tragédies
héroïques. Ce que nous avons vu dimanche n'est sans doute
qu'un prélude. La pièce suivra. Inutile de retenir sa place. Le
destin se charge de la donner à chacun, comme acteur dans le
cirque ou comme spectateur sur les gradins.
PATHOLOGIE IITTÉRAIRE
t ■ ■ ■
Nous avons donné dans noire dernier numéro un échantillon
de la poésie déliquescente telle qu'elle se comporte présentement,
parfaitement insolente et fière nonobstant les attaques dont elle
a été l'objet.
Nous passons aujourd'hui à un morceau de prose. Assurément
il vaut l'autre.
Nous l'extrayons de la cinquième livraison (juillet 4886) d'une
revue parisienne : La Plé'iade, dont nous avons dernièrement
donné le sommaire. Il est signé René Ghil.
C'est extraordinaire, comique, et, finalement, lassant.
TRAITÉ DU VERBE '
Une œuvre
A Quelques-uns, hautains et humbles vouloirs que sacre une
tristesse quand ils songent à l'Art qui n'agenouille maint fervent,
le salut du poète dont ils ne dédaignèrent le livre. Ce, malgré de
l'Avant-propos mis à de premières pages la candide déraison par
eux généreusement négligée pour aller droit aux Vers, amour un
peu de ces esprits.
Quand la Méthode est déterminée et lorsque je respire en
l'adéquate possession de mon idée, quelques mots sont à dire de
l'œuvre qu'elle réglera : les livres, aux Titres divers, mais
logiquement et étroitement liés qui sous le Titre générique —
« légendes de-Réve et de Sang » — s'harmonieront.
Au Terme par mon signe montré six arriveront : mais qu'à
mon caprice cher l'on n'en veuille, alors qu'en pleine ouverture
du dessein quant au dernier il met sur mes lèvres son doigt
rappelant le respect au silence saint.
Avec une naïveté glorieuse, en mes yeux éblouis des gestes de
la Vie le désir s'énamoura dé les toutes mouvoir, les inextricables
gloires rameuses ! en l'horizon de mes lointaines pages.
Savoir éluder et savoir élire est le propre de vieillir. Or le laps
de mois, il me "semble que les rivières, des saisons, se sont
fleuries et désolées, et que des ans sur mes épaules se sont
aggravés.
Ne discernant des deux phrases au latin rude (Propter solum
uterum, mulier est id quod est. Totus homo semen est) la simple
et dernière vérité, aveuglément, moi qui voudrais en la magné-
tique atmosphère des Etres émanée donner du Vivre l'intime et
rythmique symbole et sa raison sereine, je me perdais aux détails
oiseux.
Car la seule digne Histoire du sang et du rêve, n'est-ce pas, de
l'initial Tressaillement du prime plasma qui veut sentir à l'extase
de l'Homme génial, la lutte par la dualité charnelle et idéale, qui,
dans l'Amaliviié, s'angoisse de ne pouvoir goûter, égoïste, le
victorieux repos d'animal ou de mage.
Sous les détails, intérêts tristes par la digression des Civilisa-
tions créés, au profond du désir de Jouir seule et puissante vit
l'éternelle Caresse : oui, qui épand la Vie ou, blanchement
stérile, sourd pour le rêve des Ames : Et c'est pourquoi de
l'esse^ntielle Amativilé, sang et rêve, mes « légendes » seront le
Combat intestin, faisant vers l'apothéose concluante élue par la
sévère déduction un Vainqueur s'ériger.
Sans visage et sans âme, aux énormités du Rien-encore, en la
vaporeuse touffeur de la Terre première, d'une palpitation advient
le Désir seul d'être et de multiplier : et parmi les époques de
végétations en rut de vagues et monlucux amours accomplissent
la loi d'où sort le Mieux. Mais les âges luiront, où, par les portées
meilleures, à la noble attitude s'étant érigée, du regard vers
l'aurore, de l'Homme et son Amante soupçonnant le Baiser s'en
ira sur la route sentimentale la prime Marche songeusement
amoureuse.
Ayant, aux monstrueux lointains, à leurs genèses assisté, du
sang et du rêve désormais le moderne regard notera la lutte : ,el
passeront sous le regard l'Homme présent et l'Amie.
Tendre émoi de l'ignare sommeil, onde sur l'onde et vent aux
rameaux, s'étonnant de l'antagonisme l'Adolescence écoute en
les plumes des cieux monter l'orage : et le heurt des cris de
l'Age-mûr appelle : et du malaise silencieux d'eau morte sur les
Ans-de-retour plane : et sur la Vieillesse qui, se remémorant,
s'en va, implore le doute interrogateur d'une méditation qui de
moins en moins évague : car à l'interrogation qui n'est sûre du
Vainqueur par le retour aux souvenirs une réponse quasi-pleine
/
7
est donnée, permellanl d'ouvrir à la lumière le livre dernier.
Si me garde la Vie, el, prenant pitié du Travailleur, vaillant !
voilà l'œuvre qui sera : après ma Poétique, ma Poésie.
Ja'Af^T NOUVEAU DAN? (( L'C^UVRE »
* par Emile ^ola. . .
LE PLEIN AIR.
Claude vivait dans une excitation croissante.
Les courses au milieu des rues tumultueuses, les visites chez les
camarades enfiévrées de discussions, toutes les colères, toutes les
idées chaudes qu'il rapportait ainsi du dehors, le faisaient se pas-
sionner à voix haute, jusque dans son sommeil. Paris l'avait
repris aux moelles, violemment; et, en pleine flambée de cette
fournaise, c'était une seconde jeunesse, un enthousiasme et une
ambition à désirer tout voir, tout faire, tout conquérir. Jamais il
ne s'était senti une telle rage de travail, ni un tel espoir, comme
s'il lui avait suffi d'étendre la main, pour créer les chefs-d'œuvre
qui le mettraient à son rang, au premier. Quand il traversait
Paris, il découvrait des tableaux partout, la ville entière, avec ses
rues, ses carrefours, ses ponts, ses horizons vivants, se déroulait
en fresques immenses, qu'il jugeait toujours trop petites, pris de
l'ivresse des besognes colossales. Et il rentrait frémissant, le crâne
bouillonnant de projets, jetant des croquis sur des bouts de pa-
pier, le soir, à la lampe, sans pouvoir décider par où il entame-
rait la série des grandes pages qu'il rêvait.
Un obstacle sérieux lui vint de la petitesse de son atelier. Que
faire, dans cette pièce en longueur, un couloir, que le propriétaire
avait Teff'ronlerie de louer quatre cents francs à des peintres, après
l'avoir couvert d'un vitrage? Et le pis était que ce vitrage, tourné
au nord, resserré entre deux murailles hautes, ne laissait tomber
qu'une lumière verdâtre de cave. Il dut donc remettre à plus tard
ses grandes ambitions, il résolut de s'attaquer d'abord à des toiles
moyennes, en se disant que la dimension des œuvres ne fait point
le génie.
Le moment lui paraissait si bon pour le succès d'un artiste
bravé, qui apporterait enfin une note d'originalité et de franchise,
dans la débâcle des vieilles écoles ! Déjà, les formules.de la veille
se trouvaient ébranlées, Delacroix était mort sans élèves, Courbet
avait à peine derrière lui quelques imitateurs maladroits ; leurs
chefs-d'œuvre n'allaient plus être que des morceaux de musée,
noircis par l'âge, simples témoignages de l'art d'une époque ; el
il semblait aisé de prévoir la formule nouvelle qui se dégagerait
des leurs, cette poussée du grand soleil, cette aube limpide qui
se levait dans les récents tableaux, sous l'influence commençant*^
de l'école du plein air. C'était indéniable, les œuvres blondes
dont on avait tant ri au Salon des Refusés, travaillaient sourde-
ment bien des peintres, éclaircissaient peu à peu toutes les palet-
tes. Personne n'en convenait encore, mais le branle était donné,
une évolution se déclarait, qui devenait de plus en plus sensible
à chaque Salon. Et quel coup, si, au milieu de ces copies incon-
scientes des impuissants, de ces tentatives peureuses et sour-
noises des habiles, un maître se révélait, réalisant la formule
avec l'audace de la force, sans ménagements, telle qu'il fallait la
planter, solide et entière, pour qu'elle fût la vérité de cette fin de
siècle !
Dans cette première heure de passion et d'espoir, Claude, si
ravagé d'habitude par le doute, crut en son génie. Il n'avait plus
de ces crises, dont l'angoisse le lançait pendant des jours sur le
pavé, en quête de son courage perdu. Une fièvre le raidissait, il
travaillait avec l'obstination aveugle de l'artiste qui s'ouvre la
chair, pOur en tirer le fruit dont il est tourmenté. Son long repos
à la campagne lui ayait donné une fraîcheur de vision singulière,
une joie ravie d'exécution ; il lui semblait renaître à son métier,
dans une facilité et un équilibre qu'il n'avait jamais eus; et
c'était une certitude de progrès, un profond contentement, devant
des morceaux réussis, où aboutissaient enfin d'anciens efforts sté-
riles. Il tenait son plein air, cette peinture d'une gaieté de tons
chantante, qui étonnait les camarades, quand ils le venaient voir.
Tous admiraient, convaincus qu'il n'aurait qu'à se produire, pour
prendre sa place, très haut, avec des œuvres d'une notation si
personnelle, où pour la première fois la nature baignait dans de
la vraie lumière, sous le jeu des reflets et la continuelle décom-
position des couleurs. '
Et, durant trois années,- Claude lutta sans faiblir, fouetté par
les échecs, n'abandonnant rien de ses idées, marchant droit
devant lui, avec la rudesse de la foi. '
D'abord, la première année, il alla, pendant les neiges de dé-
cembre, se planter quatre heures chaque jour derrière la butte
Montmartre, à l'angle d'un terrain vague, d'où il peignait un fond
de misère, des masures basses, dominées par des cheminées
d'usine ; et, au premier plan" il avait mis dans la neige une fil-
lette et un voyou en loques, qui dévoraient des pommes volées.
Son obstination à peindre sur nature compliquait terriblement
son travail, l'embarrassait de difficultés presque insurmontables.
Pourtant, il termina cette toile dehors, il ne se permit à son ate-
lier qu'un nettoyage. L'œuvre, quand elle fut posée sous la clarté
morte du vitrage, l'étonna lui-même par sa brutalité : c'était
comme une porte ouverte sur la rue, la neige aveuglait, les deux
figures se détachaient, lamentables, d'un gris boueux. Tout de
suite, il sentit qu'un pareil tableau ne serait pas reçu ; mais il
n'essaya point de l'adoucir, il l'envoya quand même au Salon.
Après avoir juré qu'il ne tenterait jamais plus d'exposer, il éta-
blissait maintenant en principe qu'on devait toujours présenter
quelque chose au jury, uniquement pour le mettre dans son tort;
et il reconnaissait du reste l'utilité du Salon, le seul terrain de
bataille où un artiste pouvait se révéler d'un coup. Le jury refusa
le tableau.
La seconde année, il chercha une opposition. Il choisit un
bout du square des Batignolles, en mai : de gros marronniers
jetant leur ombre, une fuite de pelouse, des maisons à six éta-
ges, au fond : tandis que, au premier plan, sur un banc d'un vert
cru, s'alignaient des bonnes et des petits bourgeois du quartier,
regardant trois gamines en train de faire des pâtés de sable. Il
lui avait fallu de l'héroïsme, la permission obtenue, pour mener
à'bien son travail, au milieu de la foule goguenarde. Enfin, il
s'était décidé à venir, dès cinq heures du matin, peindre les
fonds ; et, réservant les figures, il avait dû se résoudre à n'en
prendre que des croquis, puisT^finir dans l'atelier. Celte fois, le
tableau lui parut moins rude, la facture avait un peu de l'adou-
cissement morne qui tombait du vitrage. Il le crut reçu, tous les
amis crièrent au chef-d'œuvre, répandirent le bruit que le Salon
allait en être révolutionné. Et ce fut de la stupeur, de l'indigna-
tion, lorsqu'une rumeur annonça un nouveau refus du jury. Le
parti pris n'était plus niable, il s'agissait de rétranglémenl systé-
matique d'un artiste original. Lui, après le premier emportement.
^ s_/~V
tourna sa colère contre sou tableau, quil déclarait menteur,
déslionnôle, exécrable. C'était une leçon méritée, dont il se sou-
viendrait : est-ce qu'il aurait dû retomber dans çc jour de cave de
l'atelier? est-ce qu'il retournerait îi la sale cuisine bourgeoise des
bonshommes faits de chic? Quand la toile lui revint, il prit un
couteau et la fendit.
Aussi, la troisième année, s'enrac^ea-t-il sur une œuvre de
révolte. Il voulut le plein soleil, ce soleil de Paris, qui, certains
jours, chaufteà blanc le pavé, dans la réverbération éblouissante
des façaJes: nulle part il ne fait plus chaud, les gens des pays
brûlés s'épongent eux-mêmes, on dirait une terre d'Afrique, sous
la pluie lourde d'un ciel en feu. Le sujet qu'il traita fut un coin
de la place du Carrousel, îi une heure, lorsque l'astre tape
d'aplonib. Du tiacre cahotait, au cocher somnolant, au cheval en
eau, la tête basse, vague dans la vibration de la chaleur; des
passants semblaient ivres, pendant que, seule, une jeune femmec,
rose cl gaillarde sous son ombrelle, marchait à l'aise d'un pas de
reine, comme dans l'élément de ilamme où elle devait vivre.
Mais ce qui, surtout, rendait ce tableau terrible, c'était l'étude
nouvelle de la lumière, celte décomposition, d'une observation
très exacte, et qui crontrecarrait toutes les habitudes de l'œil, en
accentuant des bleus, des jaunes, des rouges, où ])ersonne n'était
accoutumé d'en voir. Les Tuileries, au fond, s'évanouissaient en
nuée d'or; les pavés saignaient, les passants n'étaient plus que
des indications, des lâches sombres mangées par la clarté trop
vive. Celte fois, les camarades, tout en s'exclamant encore, restè-
rent gênés, saisis d'une même inquiétude : le martyre était au
bout d'une peinture pareille. Lui, sous leurs éloges, comprit
très bien la rupture qui s'opérait; et, quand le jury, de nouveau,
lui eut fermé le Salon, il s'écria douloureusement, dans une mi-
nute de lucidité : . •
— Allons! c'est entendu... j'en crèverai ! '^^
Peu à peu, si la bravoure de son obstination paraissait grandir,
il retombait pourtant à ses doutes d'autrefois, ravagé parla lutte
qu'il soutenait contre la nature. Toute toile qui revenait, lui
semblait mauvaise, incomplète surtout, ne réalisant pas l'effort
tenté. C'était celte impuissance qui l'exaspérait, plus encore que
les refus du jury. Sans doute, il ne pardonnait pas à ce dernier :
ses (ouvres, même embryonnaires, valaient cent fois les médio-
crités reçuc§^; mais quelle souffrance de ne jamais se donner
entier, dans le chef-d'œuvre dont il ne pouvait accoucher son
génie! Il y avait toujours des morceaux superbes, il était content
de celui-ci, de celui-là, de cet autre. Alors, pourquoi de brus-
ques trous? pourquoi des parties indignes, inaperçues pendant le
travail, luant le tableau ensuite d'une tare ineffaçable? Et il se
sentait incapable de correction, un mur se dressait à un moment,
un obstacle -infranchissable, au delà duquel il lui était défendu
d'aller. S'il n'prenait vingt fois le morceau, vingt fois il aggravait
le mal, tout se brouillait et glissait au gâchis. Il s'énervait, ne
voyait plus, n'exécutait plus, en arrivait à une véritable para-
lysie de la volonté. Elaient-ce donc ses veux, étaient-ce ses
mains qui cessaient de lui appartenir, dans le progrès des lésions
anciennes, qui l'avait inquiété déjà? Les crises se multipliaient,
il recommençait à vivre des semaines abominables, se dévorant,
éternellement secoué de l'incerlitude k l'espérance ; et l'unique
soutien, pendant ces heures mauvaises, passées à s'acharner sur
l'œuvre rebelle, c'était le rêve consolateur de l'œuvre future,
celle où il se satisferait enfin, où ses mains se délieraient pour la
création. Par un phénomène cons'.ant, son besoin de créer allait
ainsi plus vite que ses doigts, il ne travaillait jamais k une toile,
sans concevoir la toile suivante. Une seule hûte" lui restait, se
débarrasser du travail en train, dont il. agonisait; sans doute, ça
ne vaudrait rien encore, il en était aux concessions fatales, aux
triche.ries, à tout ce qu'un artiste doit abandonner de sa con-
science; mais ce qu'il ferait ensuite, ah! ce qu'il ferait, il le
voyait superbe et héroïque, inattaquable, indestructible. Perpé-
tuel mirage qui fouette le courage des damnés de l'art, mensonge
de tendresse et de pitié sans lequel la production serait impos-
sible, pour tous ceux qui se meurent de ne pouvoir faire de la
vie !
El, en dehors de celle lutte sans cesse renaissante avec lui-
même, les difficultés matérielles s'accumulaient. N'était-ce donc
point assez de ne pas arriver à sortir ce qu'on avait dans le
ventre? Il fallait en outre se battre contre les choses! Bien qu'il
refusât de le confesser, la peinture sur nature, au plein air, deve-
nait impossible, dès que la toile dépassait certaines dimensions.
Comment s'installer dans les rues, au milieu des foules? comment
obtenir, pour chaque personnage, les heures de pose suffisantes.
Cela, évidemment, n'admettait que certains sujets déterminés,
des paysages, des coins restreints de ville, où les figures ne sont
que des silhouettes faites après coup. Puis, il y avait les mille
contrariétés du temps, le vent qui emportait le chevalet, la pluie
qui arrêtait les séances. Ces jours-là, il rentrait hors de lui,
menaçant du poing le ciel, accusant la nature de se défendre,
pour ne pas être prise el vaincue. Il se plaignait amèrement de
n'être pas riche, car il rêvait d'avoir des ateliers mobiles, une voi-
ture à Paris, un bateau sur la Seine, dans lesquels il aurait vécu
comme un bohémien de l'art.
Mais rien ne l'aidait, tout conspirait contre le travail! ,
pETlTE CHROf^iquz:
L'ouverture du théâlre de la Monnaie est annoncée pour le
samedi 4 septembre prochain.
On jouera Robert le Diable y^^onv la rentrée du ténor Sylva.
Zrt?w/}rt servira de rentrée à M"*^ Wolf elà M. Engel. Viendront
ensuite la Statue et Mireille^ dans lesquelles se produira la nou-
velle chanteuse d'opéra-comique. • -
Parmi les modifications apportées à notre première scène
lyrique, signalons le remplacement de l'ancien orgue ; on enten-
dra le nouvel orgue le jour de la réouverture dans l'opéra de
Meyerbeer. En outre, le niveau du plancher de l'orchestre a été
abaissé de quelques centimètres. De celle manière, les spectateurs
des stalles, du parquet et du parterre ne seront plus incommodés
par le mouvement de va et vient des archets.
M. Ph. Zilcken, le peintre hollandais dont nous avons à maintes
reprises fait 1 éloge ici, se propose de publier un Album de dix
eaux-fortes d'après les principales aquarelles qui ont figuré à la
onzième exposition de la Société hollandaise de dessin.
Cet alburn paraîtra en deux livraisons. Il sera imprimé à
100 exemplaires. • .
Les planches auront 0"\35 X 0'", 50 sur beau papier du Japon;
elles seront toutes avant la lettre.
Les œuvres à reproduire sont de MM. Blommers, Bosboom,
Harpignies, J. Israëls, J. Maris, VV. Maris, Mauve, Mesdag,
A. Neuhuvs et Termeulen.
LART MODERNE
271
Le prix de souscription est de 20 florins hollandais.
Les souscriptions sont reçues chez M. Ph. Zilckcn, 7, rue de
Java, ou chez MM. Mouton et C'«, rue du Berger, o, îi La Haye.
De la Ville Eternelle arrive un bon exemple donné par le roi
d'Italie aux autres monarques, en faveur de la grande littérature.
Le roi Humbert vient de faire publier, sous sa direction et
pour son fils, une nouvelle "édition de la Divine Comédie du
Dante. En voici la dédicace :
« Humbert V'\ roi d'Italie, en publiant ce commentaire anti-
que du Dante, le dédie à son fils bien-aimé, Victor-Emmanuel, en
récompense de son amour pour les études et afin que ce poème
divin fortifie son esprit et dispose son cœur au culte de la litté-
rature de son pays. »
Un , épisode dramatique vient de se produire au théâtre de
Casale (Italie). Un des directeurs de la troupe, qui remplissait en
méine temps l'emploi de premier comique, venait d'entrer en
scène. Le public l'aceueillit par des sifflets. L'acteur, sans dire
un mot, tira de sa poche un revolver et se brûla la cervelle. Sa
femme, qui assistait à la représentation dans une loge, voulut
sauter par dessus la balustrade sur la scène, et ce ne fut qu'avec
beaucoup de peine qu'on réussit à l'en empocher. Le rideau fut
immédiatement baissé et on arrêta la représentation.
On annonce trois représentations anglaises qui seront données,
les 2, 3 et 4 septembre prochain au théâtre du Vaudeville de
Paris, par la troupe ainéricaine de M. Daly. La pièce sera A
Night offy qui a fait courir tout Londres à Gaiiy-théâtre.
Nous avons déjà signalé l'excellente Revue d'art dramatique
qu'on vient d'inaugurer à Paris. (Voir notre n» du 8 août), En
voici encore un curieux extrait d'un article de M. Fouquier. Il est
relatif aux circonstances qui décident les artistes dramatiques à
se lancer dans leur difficultueuse carrière.
« Pour les hommes en général it y a une vocation nettement
déclarée... Mais pour les femmes, la vocation du théâtre est dé-
terminée par des raisons bien plus complexes. Je ne parle pas des
cantatrices ; pour elles, la voix est tout. Je ne m'inquiète que des
comédiennes. Qui les amène au conservatoire? Presque toujours
un double besoin de fortune et d'indépendance. Le métier d'ar-
tiste est un des plus lucratifs — quand on y réussit — qu'une
femme puisse exercer. De plus, il permet une liberté précieuse
de mœurs, les actrices pouvant, dans nos habitudes, suivre leur
cœur ou môme écouter leurs caprices sans déchoir, sans se dé-
qualifier aux yeux d'un monde qui leur permet beaucoup de cho-
ses, parce qu'elles l'amusent et le charment... Pensez ce que c'est
pour une femme, en général sans fortune, qu'une carrière qui lui
permet de vivre à sa guise sans cesser d'appartenir au monde des
honnêtes gens ! L'actrice" qui se tient bien peut même espérer,
de récents exemples l'ont montré, se marier — sans dot ! Aussi
les jeunes femmes mal mariées, les jeunes filles intelligentes à
qui répugne l'idée de la galanterie brutale et vénale, aussi bien
que l'étroitesse de la vie d'institutrice, les habiles, stylées par des
mères qui savent quel piédestal est le théâtre, toutes, venues de
maisons jadis riches ou échappées de quelque modeste intérieur,
filles de veuve sans fortune ou filles de M'"^ Cardinal, se précipi-
tent au conservatoire avec une ardeur sans égale et des ambitions
semblables. Il en résulte que dans les classes de femmes on re-
marque une inégalité singulière d'aptitudes et que, pour quelques
vocations sincères, on trouve une quantité de fausses vocations».
L'auteur touche ensuite à la question de savoir si une femme
de théâtre fait bien d'avoir une vie o^mplaire. Le probl-me
pourrait être étendu aux femmes artistes de tous les genres.
u A faire jouer la comédie par des innocentes, on risque de la
faire jouer par trop innocemment... C'était l'opinioh d'une des
Brohan qui, après l'audition d'une jeune fille très rccommanda-
ble par ses mœurs excellentes, lui posa une question indiscrète
et lui donna un conseil très abominable, si vous voulez, au point
de vue des mœurs, mais très pratique et très sérieux au point de
vue du théâtre. Il s'agissait d'une fleur d'oranger à laisser sur
l'autel de Thalie et de Melpomène ».
/\
La question des femmes artistes et des femmes savantes vient
d'être remise sur le tapis par le D"" Withers-Moore, au congrès
annuel de la British médical Association de Brighton.
L'honorable président du congrès, abandonnant le côté psycho-
logique du ^ujet, en a, pour la première fois, abordé le côté
physiologique'; il a conclu par un cri d'alarme; il a demandé
« des femmes », c'est-à-dire des êtres qui sont encore nombreux
en France, mais qui en Russie, en Angleterre, en Amérique
tendent à disparaître pour faire place à des êtres hybrides :
artistes, médecins, - philosophes, professeurs, n'ayant de la
femme que le sexe... sans la manière de s'en servir.
Il établit que « tout travail intellectuel, toute dépense de force
résultant des hautes études est pour la femme une réduction
d'énergie dans sa fonction pfopre, celle qui consiste à perpétuer
l'espèce en la perfectionnant...»
L'activité cérébrale se manifeste de deux façons, moralement
et physiquement.
Tout. effort de l'activité cérébrale est une dépense; que cet
effort augmente, la dépense augmente, naturellement; si l'effort
tend vers une manifestation morale, la dépense cérébrale étant
augmentée, la- dépense physique sera fortement diminuée. Il faut
au cerveau ,1e parfait équilibre entre les manifestations physi-
ques. Plus simplement, si le cerveau a vingt sous à dépenser par
joui; et qu'il en dépense quinze pour ses travaux intellectuels, il
ne lui en restera que cinq pour ses travaux physiques.
C'est pourquoi les hommes de lettres, les artistes ont généra-
lement peu d'enfants; pourquoi encore les sculpteurs en ont' plus
que les peintres, pourquoi les ouvriers qui travaillent de leurs
mains ont les plus nombreuses familles.
Dans ces conditions, le docteur Moore affirme que les femmes
qui auront usé leur esprit dans les éludes supérieures seront des
mères inférieures, quand ces hautes études n'empêcheront pas
précisément de devenir mères celles qui eussent été les meilleures.
Herbert Spencer et d'autres biologues sont du même avis : plus
l'éducation de la femme est raffinée, plus les enfants sont faibles.
« Une stérilité relative ou absolue, dit Herbert Spencer, est géné-
ralexnent le résultat des travaux intellectuels. »
« Presque toujours, écrit aussi sir Benjamin Brodie, dans les
classes riches l'intelligence des filles est cultivée aux dépens de
leur vigueur physique, parce quil leur faut plus de temps et plus
d'effort quà leurs frères pour arriver au même résultat. »
Tout cela est concluant ; les examens, les concours, qui sont
cause d'efforts déjà dangereux pour les garçons, sont plus dange-
reux encore pour les filles.
Le docteur Clarke, de New-York, s'est ému de ces constata-
tions; il a lait des expériences et est arrivé aux mêmes conclu-
sions que le médecin de Brighton. {L'Evénement},
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Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 29 Août 1886.
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^OMMAIRE
Lb Salon de G- and. — La suppression du pont de fer. —
Zo* Har. Roman contemporain, par GatuUe Mandés. — En
VOYAGE. Un chef d'orchestre viennois. — L'elaoaoe des arbres.
— Petite chronique.
^-^ LE SALON DE GAND
Quand irez- vous au Salon de Gand, disais-je il y a
trois semaines à un ami? — Je l'ai déjà vu, répondit-il.
— Comment, mais il n'est pas ouvert. — Ça ne fait
rien, j'ai déjà vu, vous dis-je. — Quand? — Il y a trois
ans, il y a six ans, il y a neuf ans. C'est toujours le
même. .
Dure et ironique parole qu'on pourrait appliquer à
toutes nos expositions triennales depuis trois lustres.
Et il n'y aurait aucune injustice à y comprendre le
Salon de Paris.
Oui, plus ça change, plus c'est la même chose.-
Lamentable banalité de l'art vieilli et pasticheur dont
nous a dotés l'enseignement académique. Son symbole,
c'est Un de ces cirques de vélocipèdes qu'on trouve à
nos kermesses : tout le monde à califourchon sur des
machines attachées à la queue leu leu, remuant furieu-
sement les jambes avec l'illusion que cela sert à quelque
chose, alors que c*est tout bonnement un cheval
aveugle, caché derrière un oripèau de draperie qui
s'éreinte à tirer le tourniquet au bruit d'un orgue de
barbarie.
Le public s'en rend compte immédiatement : il ne va
plus guère à ces congrès d'ennui et de choses mortes.
Nous fûmes au Salon de Gand le dîinanche 22 août,
huit jpurs après l'ouverture. Nous y restâmes l'après-
midi entière. Malgré la nouveauté du sujet et la solen-
nité du jour, nous n'y vîmes pas quarante visiteurtf :
Apparebant rari nantés in gurgite vasto.
Aux murailles un étalage, eût-on cru, de souvenirs
funéraires. Des malheureux par douzaines copiant les
maîtres ou se copiant les uns les autres. Rarissimes les
œuvres qu'on ne peut au premier coup d'oeil rattacher
à une célébrité qui a eu ou qui a la vogue. Tiens, un
Bastien-Lepage. Tiens, un Leys. Tiens, un Corot.
Tiens, un Gallait. Tiens un De Braekeleer. Tiens, un ci.
Tiens, un ça! Et pourtant l'article 9 du r^lement pros-
crit les copies de quelque nature qiCeiles soient. Com-
ment en serait-il autrement, alors que dans nos écoles,
partout, toujours, on réduit Fart en recettes et on éta-
blit des formules immuables du beau, alors aussi que
le nombre des pseudo-artistes augmente incessamment
ce qui est le résultat logique d'un enseignement qui
produit les peintres mécaniquement comme si les aca-
démies étaient des manufactures. Usine pour la fabri-
cation des pasticheurs, telle est l'enseigne qull faudrait
leur mettre. Visitant les résultats d'un concours de
paysages, l'an dernier, nous vîmes cet étonnant spec-
tacle : huit machines reproduisant toutes la manière
du professeur. Et quelle manière ! La règle est donc :
Imitez-moi ! Les modestes (y en a-t-il) disent : Imitez
tel autre ! Mais imiter, imiter, imiter est la consigne.
Abominable profanation! Grotesque hérésie! Nous
voudrions que le professeur menaçât de jeter ;\ la porte
quiconque serait surpris faisant autre chose que d'es-
sayer de conquérir son originalité. Qui n'est pas soi-
même, n'est pas artiste. C'est un malheureux égaré
dans l'art par une fausse vocation. C'est un imbécile
à prétention qu'il faut renvoyer à un métier. C'est un
conscrit qui n'a pas la taille. ^,
On n'a admis à Gand que six cents tableaux. Bien,
c'est un progrès. Mais il eût fallu en renvoyer quatre
cents de plus. Les membres du jury se sont laissés
aller, comme toujours, aux faiblesses pour les gens en
vue, pour les personnages influents même lorsqu'il est
avéré que ce sont de ridicules croutailleurs. Par
dessus le marché, ce sont des centres de panneaux que
cette basse courtisanerie alloue ^ux mêmes infirmes,
lors du placement. Vous souvient-il de cet amusant
épisode dans rÊE'wfr^ de Zola. Un tableau est présenté
au jury. Le président s'écrie : "Quel est le cochon
qui..... - Mais s'approchant, il lit au bas de la cochon-
nerie le nom d'un professeur de l'école des Beaux-Arts,
et aussitôt : Messieurs; admis sans discussion, n'est-ce
pas? — Il y a à Gand cinquante toiles qui auraient pu
servir d'occasion à cette scène. Si on présentait les
tableaux en cachant les noms, et sans cadres, il y
aurait des blackboulages ébouriffants.
Comme d'habitude les Gantois se sont mis en quatre
pour amener les étrangers. C'est un cliché, vous savez :
Le Salon de Gand c'est là qu'il faut aller pour voir les
Français ! Il n'y a que lui pour ça, il n'y a que lui ! —
Le moyen de réussir en cette affaire est connu. On
promet médailles, croix et surtout achats. N'est-il pas
déjà question d'acquérir pour le musée, à gros prix,
une faribole d'Aimé Morot, intitulée Toro cotante, où
l'on voit un taureau, parfaitement dressé, présenter au
public un cheval empaillé, dans une arène figurée
par un devant de cheminée. Du temps des grands Fran-
çais, on mettait à Gand leurs œuvres dehors, ou on les
exposait dans un cabinet secret comme ce fut le cas
pour le Retour de la conférence et pour la Dame à la
vague de Courbet. Maintenant qu'il n'y a plus guère
en France que des décadents, on leur fait signe et on
les introduit en triomphe. Il y a au Salon plus de cent
cinquante étrangers, représentés par plus de deux cents
toiles, soit un tiers en nombre; mais par les dimensions
c est au moins la moitié. On y trouve Benjamin Constant
et son Jtistinien, immense devanture d'un magasin
d'étoffes byzantines. On y trouve Gervex et son Junj
cC admission, cohue brossée en décor. On y trouve
Toudouze et sa Salomé triomphante, grande étiquette
pour le cigare Paméla ou Carmencita. On y trouve
Robert-Fleury avec une Léda, pour changer, Comerre
avec le portrait de M"« Théo, superbe séraphine de
coiffeur, Bonnat avec d'invraisemblables Scheiks
arabes au Sinaï peints avec du plum-pudding
délayé dans du sirop. Brozik aussi, cette grande admi-
ration bourgeoise, reparaît avec un Rodolphe II chez
son alchimiste.
A peine est-on quelque peu réconforté par Une soi-
rée de Béraud, le Portrait de Af^® Feurgard, sous les
pommiers, de M"« Breslau, le Portrait de senor Pablo
de Sarasate par Mac Neil Wistler, le Portrait de
M. L. M. par Fantin-Latour, et encore ce dernier est-
il faiblement peint, en touches grêles, minces, vides.
Quant aux Belges, triste impression. Un affaisse-
ment presque général chez les anciens et peu d'élan
chez les jeunes. Il nous serait pénible de nommer,
parmi les premiers, ceux dont on peut dire : Finis.
Il y a sous ce rapport des révélations ' navrées; La
notoriété s'en établit, du reste, et si dans les articles
destinés à la publicité on se tait, dans les conversations
on ne se tait guère. Qu'est-ce donc qui tarit si vite les
aptitudes à notre désolante époque? Comment se fait-il
que tant de belles vocations qu'on applaudissait, abou-
tissent à l'impuissance ou retombent dans les vieilles
saletés. De jeunes artistes surgissaient auréolés d'espé-
rance, superbes d'indépendance. Les premières distinc-
tions viennent : c'est comme si on les marquait pour
l'abatage. Le monde officiel les attire, les séduit, les
enveloppe, puis les émascule et les dévore. Ils sont là
comme des mouches prises à la toile d'une araignée
féroce. Ils deviennent quelconques parce que ce milieu
ne respire que conventions et concessions. Ils s'embour-
geoisent, mollissent, et bientôt leurs brosses radotent
et leur originalité se noie dans la banalité. On les décore
de plus en plus, mais ces caparaçons font sur eux
l'effet des harnachements d'apparat sur les chevaux
dont on veut cacher les tares. Il semble vraiment en
Belgique, dans tous les domaines, que dès qu'on a qua-
rante-cinq ans on est voué au ramollissement.
Pour les anciens, nous aurions si peu de bonnes œuvres
à citer que nous préférons n'en mentionner aucune.
Devant une pareille faillite on éprouve le dédain mécon-
tent du créancier à qui le curateur, après liquidation,
offre un dividende de cinquante centimes pour cent et
qui refuse en jurant. ^
Les jeunes ! Ici un peu de bonne germination.
Pourvu que cela dure. Nous sommes si habitué aux
tourne-court.
Franz Courtehs marque un avancement avec sa
Rade d'Anvers. Edouard De Jans a de la justesse
d'observation et de la vérité d'expression dans Une
distraction des vieux jours, mais sa facture se ressent
de l'école : rien de personnel. Les parqueurs d'huî-
tres, de G. -W. Delsaux, dignes d'être cités, sont moins
vigoureux que l'étude vue à Bruxelles, salle Janssens,
croyons-nous, hd^ Réunion d'amis, d'Omer Dierickx,
nous parait la plus remarquable des toiles des jeunes à
Gand : les physionomies, noyées dans une demie-
obscurité, sont pénétrantes d'expression; la fluidité de
Fombre est très habilement exprimée sauf dans le bas
dii tableau, confus et sommaire. Léon Frédéric expose
de nouveau son Repos des funérailles en Ardennes,
lourd d'exécution mais d'une vérité impressionnante.
Karl Meunier doit tâcher d'oublier son père dont il
reste un reflet. Van Strydonck, qui semble un écho
d'Ensor dans Le dimanche après-midi chez les Cra-
ckers, expose un fort beau pastel, à l'instar des grandes
productions de ce genre qui ont été signalées au dernier
Salon de Paris : Lassitude,
Nous n'avons pas à dire davantage sur la peinture.
Quant à la sculpture, ou voit à Gand le Marteleur de
Meunier atiquèl ià pressé française a feit lin vif succès
et qui le mérite. Vinçotte, outre son Dompteur de
chevaux, d'un mouvement bien rendu mais qui laisse
l'impression du déjà vu, expose l'un des meilleurs bus-
tes qu'il ait modelés, celui de M*"® la comtesse de
Lalaing.
Quant à l'œuvre considérable de Jef Lambeaux, Fo7î-
taine avec figures représentant la légende et Vori-
gine de la ville d^ Anvers, elle ne produit pas l'effet
puissant qu'en attendaient ceux qui se préoccupent
depuis longtemps de cette tentative du jeune maître.
Les remaniements qu'il lui a fait subir l'ont apparem-
ment empêché de pousser certaines parties autant qu'on
le souhaiterait. De plus, la partie inférieure est deve-
nue confuse : lui aurait-on trop dit qu'il était le sculp-
teur du mouvement et se laisserait-il aller à quelque
exagération de ce côté? C'est à revoir et à reprendre.
Il faut que cet édifice artistique soit amené au point où
il sera tout à fait digne d'asseoir d'une manière défini-
tive la gloire de son auteur. Jef Lambeaux a tous les
dons qu'il faut pour cela.
Voilà, lecteur, tout ce que nous avions à dire. Comme
nous quittions le Salon peu réjoui, un ami du terroir
qui avait entendu nos vitupérations amères, nous dit
d'un ton narquois : N'empêche que c'est à Garid qu'on
vend le plus.
LA SUPPRESSION DU PONT DE FER.
Des affiches placardées sur les murs de la capitale annoncent
officiellement que l'aulorité supérieure a transmis à Tadminisira-
ti(M communale de Bruxelles, pour raccomplissement des for-
malilés prescrites par. la loi, le plan des expropriations en vue
de la suppression du pont de fer et du détournement de la rue de
Ruysbroeck vers l'angle do la rue de Bodenbroeck.
A ditïércntcs reprises nous avons proteste contre le stupide
système qui consiste à ne concevoir une amélioration que par
un bouleversement. On n'en fmirait pas s'il fallait dresser la liste
des choses pittoresques qui ont ainsi disparu dans Bruxelles et
ses environs. Rectifications de rues charmantes dans leurs sinuo-
sités; démolitions de vieilles demeures qui taisaient la joie de
l'amateur; aplanîssemenl d'accidents de terrains délicieux d'im-
prév^u; suppression d'étangs et de cours d'eau ; abatage d'arbres
séculaires, tous ces crimes du vandalisme bourgeois, possédé du
grotesque amour de la ligne droite cl de la couleur blanche, ont
déformé, gâté, déshonoré une des villes les plus curieuses du
monde aussi bien par les vestiges du passé que par la configuration
de son sol. * ^ "
' Voici qu'on va supprimer le Pont de Fer et ses aboutissants,
ce surprenant carrefour que le badaud bruxellois ne comprend
pas tant son milieu est invisible pour lui, mais auquel s'arrêtait
frappé tout étranger artiste. Nulle part ailleurs on ne trouvait
cette superposition de deux rues, dont l'une, en défilé sombre^
avec sa pente extraordinaire, ses deux escaliers descendant en
sous sol, et l'autre avec sa vue montant ici, descendant lîi et
ouvrant sur la ville basse une perspective mystérieuse. Quand
on n'a pas de ces imprévus si rares on fait ce qu'on peut pour
les créer artificiellement. Chez nous on iie sait quels imbéciles
trouvent que ça n'est pas beau, que ça n'est pas propre, que ça
n'est pas commode et qu'il faut abolir. Aidés par les intérêts
dé ceux qui souhaitent élre expropriés à bon prix, ils procèdent
à l'œuvre de renversement et amènent peu à peu Bruxelles à la
grande banalité des capitales en style Badinguet.
Quand donc comprendrez-vous, crétins -{que le lecteur excuse
notre indignation : elle est légitime h cause de l'irréparable) que
la sagesse c'est de maintenir en appropriant. Il se peut qu'il y
ait certains changements à faire, par exemple dans la présenté
occurcnce élargir et solidifier le pont, élever à ses angles des
maisons moins plates que celles qu'on y voit. Mais faire dispa-
raître la double percée sur laquelle il s'ouvre, cent fois non ! Toute
vue sur nos lointains urbains est à sauvegarder, surtout quand
ce lointain est une rue comme la rue de Ruysbroeck, assurément
une des plus caractéristiques de Bruxelles. Imaginez que l'on y
remplace peu à peii les façades existantes par d'autres en style
flamand ou espagnol, quel spectacle ce sera d'en voir la fuite
dans le détail de sa variété, quel contraste avec la rue de la
Régence, la Place Royale, le Palais de Justice, et pariant quel
charme!
C'est la possibilité de ce pittoresque que vous voulez détruire,
malheureux! Pour l'amour de Bnixclles, abstenez-vous! Assez de
pareilles sottises ont déjà été accomplies sans retour.
ZO' HAR
Roman contemporain, par Catulle Mendès, j
Paris, G. Charpentier et cé, 1886.
D'après les légendes chaldéennes, sur le territoire maudit qui,
dévoré par le feu divin^ devait devenir le lac asplialtite, la Mer
Morte, de son lugubre nom, il y avait non pas seulement les
classiques Sodome et Gomorrhe, mais cinq villes réalisant cha-
cune à sa manière, un des vices de luxure criant vengeance
au ciel et qui, il faut bien l'avouer, nonobstant le formidable
exemple, n'en ont pas moins continué à tîorir chacun dans sa
spécialité monstrueuse. C'est ce ((ue Barboy d'Aurevilly a con-
staté, à ce que l'on raconte, en celte déclaration célèbre : « Les
exemples foisonnent, mes instincts m'y poussent, la religion le
permet, mais mes contemporains me dégoûtent. »
Comment exprimer, non pas décemment, la chose est impos-
sible, mais en une forme élégante et littéraire, les pratiques
I':
odieusement burlesque de la Pcntapolc biblique? Voici comment
M. Catulle Mendès s'y est pris, page il5 et aussi page 303 :
« Le cri des Cinq Villes est monté vers le Seigneur! Ton cri,
Sédôm, impure devant rElernel, loi qui as dit à Thôte. des
anges : « Où sont les beaux voyageurs qui entrèrent chez vous
« ce soir? faites-les sortir afm que nous les. connaissions. »
Et le cri de Zoboïm, où les vierges refusent de s'unir avec les
jeunes bommes et les épouses de concevoir, mais elles dorment
ensemble deux à deux, et se réveillent lasses. Et le cri de
Gomorrbe, pleine toute la nuit de hurlements et de bêlements
parmi la musique des kinnors et le bruit des cymbales, car on
y célèbre les mariages de Thomme avec la louve, de la femme
avec le bélier. Et le cri d'Adama où les vivants baisent sur la
bouche, dans les tombeaux qu'éclaire une horrible lampe nup-
tiale, la pourriture des mortes désensevelies. Et ton cri, Zo' Har,
Zo' Har, lit des filles et des pères, des mères cl des fils, mon-
strueux lit du frère et de la sœur! »
Comme on le voit, roccasion est bonne de dire : c'est du
propre.
Zo' Har, avec sa virgule bizarre, sérail donc un nom de ville.
Mais la tradition en a, paraît-il, fait aussi le nom d'un démon.
C'est ce que nous apprend l'épigraphe du livre, extraite de la
Géographie de V Enfer terrestre par Rabbi Ben-Aliaz : « Quand
le soufre et le feu du Seigneur eurent dé,truit les demeures des
hommes et les temples des idoles, il sortit de la fumée un Démon
appelé Zo* Har du nom de la ville où on lui sacrifiait, le premier
jour de la troisième lune, un agneau et une agnelle engendrés
du même bélier. » Voici le signalement du personnage, M. Catulle
Mendès ne laissant sur ce croustillant sujet aucun point sans
renseignements scientifiques précis: « Sur une plate-forme
jonchée, par grands amas, de lotus blancs et de lotus écarlates,
mêlant des splendeurs demeige à des rougeurs de massacres,
s'érigeait colossalemcnt sur ses pattes de derrière une hideuse
idole d'or, mâle et femelle, humaine et bestiale, barbue, ma-
melue, homme-chèvre, fcmnie-bouc, s'unifiant, bi-sexuelle et
bi-forme, en un seul monstre, qui se riait à lui-même de ses
deux bouchés, semblables à des gueules sous une mîtrc d'airain
allumée d'escarboucles. »
Tels sont les éléments de l'affaire. Comment M. Catulle Mendès
en a-l- il fait ce qu'il nomme << un roman contemporain » ? En
supposant, ce qui n'a rien d'invraisemblable, que le culte de
Zo' Har n'est pas sans être pratiqué à Paris de notre temps. Un
monsieur Léopold de la Roquebrussane, marquis (car pour cer-
tains écrivains les personnages ne valent pas la peine d'être mis
en scène s'ils ne font partie de raristocratie !) marquis, disons-
nous, mais bâtard, fruit d'un yiol consommé par le général mar-
quis son père en Hongrie, a pour sœur mademoiselle Stéphana
de la Roquebrussane issue du mariage du même général mar^
quis avec une femme de théâtre. Ces deux jeunes gens se mettent
sur le pied d'un inceste, combattu par Icf mâle avec force
remords, recherché par la femelle avec force joies. Ils se ma-
rient même, ayant trouvé en Norwège un prêtre, homme simple,
on nous en croira, pour leur donner la bénédiction nuptiale.
Mais l'affaire finit mal. Monsieur Léopold ne se remet pas de ses
remords et finit par se jeter dans quatre cataractes, pas une de
moinSf qui se sont arrangées pour tomber dans le même gouffre.
Madame Stéphana à qui on a rapporté son cadavre, congédie ses
domestiques, et profite de la solitude qui en résulte pour s'en-
fermer dans le sépulcre et y mourir comme une simple Aida ou
plutôt comme vun Quasimodo. Quelques années, .après m;
voyageur qui se rend au pôle nord sur les traces du docleuç
Nordenskjôld, aborde dans le Qord où s'élève le tombeau, pénètre
dans celui-ci et y trouve deux squelettes, plus un supplément;
en effet : « Il aperçut, au dessous des grêles blancheurs des
côtes, à la place où fut le ventre,... oh! quoi? une chose petfte
et pâle, faite de frêles os, tordue et comme cassée, qui resseifii'-
blait à un squelette d'oiseau, — le néant de ce qui n'avait ^s
été ! » En d'autres termes, un squelette de fœtus : Stéphana était
morte enceinte! >%[
Nous goguenardons. A tort dans une certaine mesure, ^%p:
l'œuvre contient de réelles beautés, non pas d'invention (le thème
est vieux depuis OEdipe et Jocaste, depuis M. de Chateaubriand)
et René, ei même depuis M. Octave Feuillet et sa Julia de
Trécœur) non pas de composition (rinvraisemblâncc enfantine jr
foisonne) mais de beautés de style en divers morceaux superbes.
El là dessus il convient d'insister. '
M. Catulle Mendès, après avoir été un Parnassien 1res correct,
un impassible^ s'est adonné, on le sait, à une littérature spéciale
qui avait pris naissance dans un journal gaiement, spirituellement
polisson : la Vie paiisieiine. Celle littérature est fille de notre
siècle, on peut même préciser en disant qu'elle est fille de
l'Empire, le second s'entend. Elle est sortie des jupes et des
corsages cantharidés de cette cour demi-mondaine qui adorait la
galanterie grivoise avec les allures du high-lifê. Tout dire en
gazant jusque dans les plus petits détails, tout faire avec une
audace, une maestria porcine. Sans jamais se départir de l'élé-
gance suprême, pratiquer le vice suprême.
M. Catulle Mendès a été et est encore le chantre de cette
corruption abominablement séductrice. v
Ce n'est pas la sensualité d'Apulée, cynique et rieur; de
Suétone, cynique el terrible; ou de Boccace, spirituel, ingénieux
dans ses aventures où rien ne contredit la nature ; ou de l'Arélin,
effrontément brutal; ou de La Fontaine, d'une polissonnerie
charmante et drolatique; ou de Diderot, ne se gênant guère
mais d'une belle santé; ou du marquis de Sade, s'exaspérant
en fureurs cruelles ; ou d'Armand Sylvestre, rabelaisien, narrant
des contes pantagruéliques. Non, c'est du neuf, du pas-vu, du
pas-entendu; le sur-extrait du venin erotique, la titillation
voluptueuse jusqu'à l'exacerbation, la description raffmée, avec
une discrétion irritante, de toutes les corruptions du gourmet
eu œuvre de chair. Un de ses derniers livres : les Boudoirs de
verre ont marqué l'apogée de ce genre redoutable qui a fait, et
fait encore le succès de vente du Gil Blas. Ce qu'il y a osé dire
depuis quelques années et jeter en pâture au public â des milliers
d'exemplaires, fera l'élonnement de la postérité et classera
M. Catulle Mendès au rang des pornocrates illustres.
Une directrice de cabinet de lecture nous disait dernièrement :
« Dès qu'une jeune fille a demandé du Mendès, elle ne veut plus
autre chose et au bout de trois mois la plus fraîche devient
décharnée comme une phtisique. » A bon entendeur, $alul.
Que le bon goût nous garde de tonner contre ce phénomène.
Si les écrivains réagissent sur leur époque, il est surtout vrai
qu'ils sortent de leur époque. M. Catulle Mendès est un arrière-
faix de la période impériale.; Il faut bien que celle-ci se vide
entièrement. Il est à croire que l'évacuation touche à sa fin. Sous
ce rapport l'œuvre dont nous rendons compte n'est peut-être pas
dépourvue de signification.
En effet, si la donnée « un inceste » parait un nouvel effort
vers les voluptés étranges, le ion badin, l'allure polissonne habi-
tuels à l'auteur, sont abandonnés. Il a fait un effort très visible
pour donner à son histoire ce caractère épique et terrible qui
sauve des plus formidables audaces. Quitter le domaine de la
fornication était pour lui impossible : il s'y est tellement cantonné
que cela eût paru une abdication. Haiî} on peut s'y grandir:
Wagner, dont M. Catulle Mondes est «n fervent admirateur, n'en
a-t-il pas donné l'exemple dans un des drames de sa tétralogie où
Siegmund aime sa sœur Sieglinde et, avec elle donne la vie à
Siegfried? Qui pense à y redire? Le vice, même en ses abomina-
tions, peut être héroïque et ne pas déshonorer qui le chante,
surtout quand il en décrit les terreurs, les désespoirs, et le châti-
ment.
M. Catulle Mendôs s'v est mis, et dans ce roman ou l'on trouve
enchevêtré le Parnassien d'autrefois et le Gilblasisle d'aujourd'hui,
les procédés de Wagner dans les Nibelungen et ceux de Flaubert
à2ins Salammbô j ila essayé sa réhabilitation en frappant un grand
coup. Plus de finesses, plus d'ingéniosités, d'attouchements sub-
tiles et vicieux, de propos adroitement équivoques, d'aphrodi-
siaques sournoisement distribués en pastilles littéraires : le grand
jeu, le grand drame, les airs de bravoure, le romantisme à crinière
abondante. Car c'est une des plus curieuses caractéristiques de
cette tentative à grand spectacle : l'œuvre est mil-huil-cent-tren-
tique en diable. Les situations, les interventions, les incidents,
les aventures, sont plus invraisemblables les unes que les autres.
Les personnages renouvellent des types usés. Les discours qu'ils
tiennent nous reportent à quarante ans en arrière.
Mais c'est très bien écrit. Et certes à ce point de vue l'esthète
y trouve son compte. Quoique dite contemporaine^ l'œuvre est
plutôt légendaire. Elle devrait être illustrée cu.mulalivement par
Félicien Rops, Gustave Moreau, Fernand Khnopff et Odi Ion Redon.
Elle en prendrait une tournure fanlastico — héroïco — érotico
moderne qui en fixerait le vrai sens.
Voyez ceci par exemple, le départ de Stéphana pour le sépulcre
où elle va s'ensevelir vivante à côlé de Léopold mort, et sa montée,
un carcel à la main.
« Elle se leva, prit la lampe, poussa la porte, longea le vesti-
bule, se trouva dehors, dans la nuit. La froidure était âpre ; elle
n'y prit point garde. Elle tenait la lampe haute pourvôTr Te^e-
min ; elle marchait dans la blancheur mouvante qu'arrondissait
l'abat-jour. Elle commença de gravir l'escalier de roches; il y
avait derrière ses pas le long murmure de sa robe traînante. Elle
montait encore. Elle suivit l'étroit sentier qui grimpe vers la
pointe extrême du promontoire. Elle ne se hâtait pas. Elle che-
minait paisiblement, la lampe à la main. Elle s'arrêta devant la
porte du tombeau. Dans la haute solitude où s'élevait, vers le ciel
sans étoiles, la plainte râlante de la mer, tout était sombre,
hormis le sépulcre, qui était pâle. Elle mit la clef dans la ser-
rure ; le battant céda, vers l'intérieur. Elle retira la clef, la jeta
au loin, dans les ténèbres. Mais, au moment d'entrer, elle vit
au dessus de la porte un crucifix de cuivre scellé dans la pierre,
qui luisait vaguement. Le crucifix ! Jésus ! le Dieu réprobateur
des baisers et des joies ! D'un geste brutal, elle empoigna la
croix, la secoua, l'arracha, la jeta sur le sol, la frappa du talon.
Dans cette violence la lampe avait failli s'éteindre ; la ilamme se
reforma, directe, immobile. Stéphana entra dans le tombeau et
repoussa le battant de fer qui sonna sourdement. Â présent, le
voulût-elle, elle ne pourrait plus sortir de la tombe, elle était
pour jamais à l'écart de la vie ; et si les déchirements de la faim,
si les affres de l'agonie lui arrachaient de lâches cris, nul ne les
entendrait, ces cris ! Elle ne pouvait plus se délivrer ni être
secourue. Elle avança. Entre les planches de la bière ouverte,
sous la jonchée de sauvages tleurs mortelles, Léopold, pâle, avec
les yeux clos, avait l'air de dormir. Le couvercle du cercueil,
profond, semblait un autre cercueil. C'était comme de funèbres
lits jumeaux. Stéphana mit la lampe î» terre, vers le chevet ; et,
lentement, elle se dévêtit. Les étoffes tombèrent avec un bruit
soyeux; des blancheurs chaudes de chairs vivaient dans la pé-
nombre lumulaire. Elle s'étendit à côté de Léopold. Elle prenait,
à pleines mains, les pâles aconits, les rouges belladones, l'en
couvrait, s'en couvrait, se rapprochait de lui parmi les caresses
des fraîches touffes vénéneuses. El elle mil ses lèvres à la bou-
che morte, en tirant sur le baiser le rideau sombre de ses che-
veux. Puis ellfr ferma les yeux. « Bonne nuit, mon amant ! bonne
nuit, mon frère! » Et elle attendit délicieusement le sommeil de
réternelle nuit incestueuse »
Qu'en dites-vous, lecteur érudit? C'est du rornantisme, n'est-ce
pas? El de fond cl de forme. N'est-ce pas amusant et intéressant
que ces bouts de phrases : « Tout était sombre, hormis Te
sépulcre qui était pâle. » — «. Stéphana entra dans le tombeau
et repoussa le bailanl de fer qui sonna lourdement. » — « Si
les déchirements de la faim, si les affres de l'agonie lui arra-
chaient de lâches cris, nul ne les entendrait, ces cris! » —
Ah! la Tour de Nesles! Ah! Buridan!
M. Catulle- Mendès conlinucra-t-il l'exploitation de celte veine.
En le faisant il sort assurément de son talent tel qu'il est présen-
tement fixé et on s'en aperçoit à ses gaucheries. N'importe,
l'essai fait plaisir. Peut-être se rendra-t-il bientôt maître de cette
forme nouvelle, quoique son icmpérament calme d'écrivain,
sinon son tempérament d'homme qui à tort ou à raison passe
pour.... brillant, semble peu en rapport avec l'épopée. II va
quatre autres villes à visiter pour faire le tour entier du
lac : Sédôm, Zoboïm, Gamora, Adama. Le cycle pourrait
prendre le nom de Penlapole. Peut-être qu'après le voyage
accompli il sera débarrassé de sa manie pornographique el
apte à s'adonner à un art moins corrupteur. Cette évolution
sera curieuse à suivre. Mais le bagne du journalisme, la nécessiié
de vivre, la voracité du public accoutumé désormais à sa ration
hebdomadaire de polissonneries, ne le rejetteront-ils pas, quoi
qu'il fasse, dans le tub aux eaux de boudoir où il a batifolé si
longtemps qu'il est difficile de se le représenter ailleurs?
ÎJn VOYAQE
UN CHEF D ORCHESTRE VIENNOIS
Les cheveux lustrés, la moustache formant, sous le nez un peu
retroussé, un V correct, tranchant net sur la peau basanée du
visage, le sourcil légèrement froncé, comme il convient à un
homme qui a des préoccupations absorbantes, chef d'Etat ou
directeur d'orchestre, Edouard Strauss s'avance sur l'estrade à
pas rapides, bien mesurés, et prend place, face au public, devant
un petit pupitre recouvert de reps incarnadin.
Pupitre d'ailleurs inutile, car Strauss va diriger par cœur.
Toutes les valses de la dynastie, toutes les polkas écloses dans la
mousse de la Pilsen-bier, tous les quadrilles qui font lever, à
VOrpheumy au Diana bail, au Colosseum, les jolis bas de soie
278
VART MODERNE
viennois, il les connaît, il les lient au bout de son archet, il peut
même les faire sautiller sur le violon luisant, coquet, élégantqu'il
lient de la main gauche, la mentonnière appuyée sur la cuisse.
D'un geste, onctueux il a levé le bras, faisant saillir de l'habit
noir un bout de manchette blanche. Enlevez rarcliet, Strauss vous
fera songer à. un diplomate. Oh! l'extérieur seulemenl, la cor-
rection de la toilette, la^ régularité géométrique de la raie qui
partage la chevelure d'ébène, l'exacte pondération du geste, la
gravité un peu froide de Tattilude. Allongez au contraire cet
arcliel. Donnez-lui en imagination environ deux mètres, — la
dimension d'une chambrière, par exemple, — l'artiste, chose
remarquable, sera l'image d'un écu ver. Très exactement M. Loyal.
«Une, deux! Pii^ouette! ».
Et.sur ce « Une, deux! » voici la musique qui part, gargouil-
lant dans.le&,çpntre]>a$;$es,.piaulaHt dans les clarinettes, hoquetant
dans les bassons, sifflante et douce sur le chevalet des violons.
Edouard Strauss la balance d'un bras souple, et son corps suit
le dandinement de ce bras. Oui, ilidanse en dirigeant. Ses pieds
s'agitent, son bustiî se cambre, ses épaules marquent les trois
temps.
L'archet du maître fouille l'orcheste, à droite, à. gauche; ici, là,
plane sur la léte des premiers violons, menace les cors, passe
comme un éclair, en zig-zaguant, sous le nez de la harpiste. Il y
a dans Strauss du magnétisme.
Et du pécheur h la ligne aussi. Tout en promenant son bAton
de crins, il cherche, c'est évident, à agripper quelque chose dans
le courant d'harmonie qui roule à ses pieds. Ça y est! Il le tient.
C'est le rythme, qu'il a harponné d'une main ferme. Il le garde
suspendu, frémissant, durant quelques secondes, et lentement,
sans secousses, abaissant l'archet, il lui donne du champ, pour
le ramener un instant après, haletant, et recommencer sans cesse
le même jeu. . , ,
Ah? il est habile homme, Edouard Strauss, le grand Strauss;
il sait mener la valse comme il convient, avec les retards langou-
reux qui gonflent les poitrines, les silences subits pleins de
, battements de cœur, les mouvements rapides qui précipitent
l'impatience dos jambes.
Ecoutez, c'est une valse de sa composition que l'orchestre
lance aux marronniers du Volks-Garlen, aux feuillages desquels
s'enroule en spirales la fumée des Cigarettes traversée par des
vols rapides de phalènes. Le programme porte Dfictrinen-
Walzer^ et devant le kiosque, sur le gravier grinçant, la foule
s'est amassée. Des gorges pointées en batterie sur des affûts de
velours rouge, des uniformes bleu d'azur ou marron, le va-et-
vient des garons décorés d'un numéro de cuivre et passant des
plateaux chargés de glaces et de gâteaux, sur ce fourmillement
multicolore qu'animent des cliquetis de sabres et des jacasse-
ments de femmes, Edouard Strauss lâche le vol tournoyant de sa
musique, la retenant d'une aile^ parfois, pour la faire palpiter
plus fort, et la lance, et la ramène, avec des gestes ronds, et la
fait rebondir, fouettée de deux coups d'archet, et la laisse
s'échapper, et la rattrape, et enfin l'arrête net, avec une autorité
souveraine, tandis que le tumulte des claquements de mains
domine les bavardages, et que Strauss, le grand Strauss s'enfuit
modestement pour se soustraire aux ovations.
Ce n'est plus le diplomate, ni l'écuyer, ce n'est plus le magné-
tiseur ou le pêcheur à la ligne : c'est la danseuse qui se sauve
en courant pour j|voir le temps de revenir avant que le bruit
des applaudissemenls ait cessé.
Le long du Ring, dans le lintinnabulement des clochettes du
tramway. Vienne, eh allant se coucher, le gaz d\i Volks-Garlen
éteint, fredonne les valses d'Edouard Strauss, le clicf d'orchestre
favori.
la'ÉLAQAQE DE^ ARBRES
Nous avons parcouru ces jours-ci les beaux boulevards établis
sur les anciens remparts de Mons. Dans dix ans ils seront une
des belles promenades-,de Belgique et entoureront l'élégante et
délicate Tour du Château d'une ceinture digne d'elle.
Mais pourquoi élaguer si bas les ormes, les marronniers, les
platanes, les tilleuls, les peupliers d'Italie qui s'y alignent? C'était
aussi la nmnie à Bruxelles avant qu'un homme de goût, amant
de la belle verdure, le bourgmestre actuel. M-. Bufïs, n'eut dé*
fendu de traiter les futaies de nos promenades comme des futaies
de rapport devant pousser en hauteur afin d'arriver à un plus
grand débit de planches après l'abatage et la mise en sciage.
Cela est opportun pour les bèis destinés à être mis en coupe
marchande, mais c'est ridicule et barbare pour les arbres d'orne-
ment. La coutume s'en élaH établie parce qu'on chargeait les
bûcherons de la Forêt de Soignes dciî'émondage et que ces
braves gens ne connaissaient que la meiUeure manière de faire
grossir les troncs.
Dans les promenades il faut l'ombre, l'ombre basse et la fraî-
cheur, commençant tout de suite, formant berceau, mystérieuse
et épaisse. Toutes les branches doivent donc être respectées,
tous les bourgeons advenlices sauvegardés et laissés k leur libre
croissance, ceux qui poussent le plus près du sol surtout. Il ne
faut supprimer que ce qui gèue évidemment le passage. On
obtient ainsi des allées magnifiques et charmantes.
Pourquoi aussi, h Mons, avoir planté près de la gare des
marronniers, des ormes et des tilleuls dont le feuillage noircit
tout de suite et horiblement quand il est exposé aux fumées?
Le platane, l'acacia résistent mieux et restent d'un vert agréable.
De plus, au lieu de donner en location les pelouses à des fau-
cheurs d'herbes, pourquoi ne pas les donner en location à des
bergers comme au bois de la Cambre et dans les parcs de
Londres? On a alors une herbe rase, bien foulée, constamment
engraissée, d'un aspect superbe, au lieu des longues tiges de
graminées sèches et jaunâtres qui laissent l'impression d'un
défaut de soin.
Grâce enfin'pour ces peupliers d'Italie de Mons, déjà d'un hcli/
âge, qu'on abat ?ur les côtés latéraux quand on y bâlit une
maison. Ne pourrait-on imposer un léger recul? Nous avons le
culte des arbres. 11 n'en faudrait jamais abattre aux environs des
villes et dans les villes, sans mûre délibération. Ici encore nous
répéterons notre formule pour l'embellissement de nos cités :
Maintenir en appropriant.
M'-
Petite chroj^ique
Mercredi prochain, à 2 heures, s'ouvre, au Palais des Beaux-
Arts, l'Exposition des tableaux de Maîtres anciens, organiisée par
l'Académie royale de Belgique, au profit de la Caisse centrale des
artistes. Nous en rendrons compte prochainement.
Voici le tableau complet et définitif de la troupe de la Monnaie.
' ■ , ■ 7.
UART MODERNE
279
Chefs de service : MW. Joseph Dupont, premier chef d*OPclies-
Ire; Léon Jehin, chef d'orchestre; Ph. Flon, second chef d'opchcs-
Ire ; Lapissidoy régisseur général ; Falchieri, régisseur de la scène
parlant au public; Léon Herbaut, second régisseur; Saracco,
maître de ballet; Ducliamp, régisseur du ballet ; Beaiuvais,
Trailie et Paul Mailly, piani&les-accompagnateurs; Fiével, biblio-
thécaire; Bullens, chef de comptabilité; Charles Lombaerls,
machiniste en chef; Feignaert, costumier; Bardin, coiffeur;
Colle; armurier; Jean Cloetens, préposé à la location, contrôleur
en chef; Maillard, percepteur de l'abonnement; Lyncn et Devis,
peintres décorateurs.
Grand opéra, traductions, opéra-comique. — Ténors :
MM. Sylva, Engol, Berroney, Gandubert, Labaudière, Nerval
et Durand, -—^rtry/0715 : MM. Séguin, Giraud et Renaud. —
Basses : MM. Bourgeois, Isnardon, Chappuis, Frankin et
Séguier.
Chanteuses ; M"™** Litvinne, Marie Vuillaume, Martini, Balensi,
Thuringer, Wolf> Angèle Legault, Gayet et Gandubert.
Coryphées : M™®* Vieminckx, Legros, Tilman, Zoé, et
MM. Fleurix, Léonard, Krierj Vanderlinden, Blondeau, Schmier,
Simonis, Pennequin et Dobbelaere.
Artistes de la danse. — Danseurs : MM. Saracco, Duchamp,
Desmet et De Ridder.
Danseuses : M"»^" Cleofe Lavezzari, l'^ danseuse; Consuelo
De Labruyère, l'® danseuse- demi-caractère; Terèsa Magliani
el Emilia Righeltmi,2«« danseuses; Enrichelta Righettini, 3« dan-
seuse.
Coryphées : M*""* Vanlancker, Tribout, Desmet, Echacht,
J. Matthys, Zuccoli, Vangoelhem et M. Matthys. — Trente-huit
danseuses. — Douze danseurs.
Chœurs. — Orchestré. — Musique de scène.
Une société d*aquaforlistes, ayant pour but de répandre el
d'encourager l'art de la gravure, vient d'élre ^ constituée à
Bruxelles sous le tilrc de Société des Aquafortistes belges.
Cette société publiera annuellement un album composé de
quinze planches inédites; elle pourra organiser des expositians
de blanc et noir. Elle invite les artistes à prendre part aux
concours qu'elle organise, et les engage à lui adresser le plus
tôt possible les planches qu'ils destineraient aux publications de
la société.
La cotisation annuelle pour les membres effectifs et honoraires
est fixée au chiffre de quinze francs et donne droit à un cxem-
plâirie de l'album (édition ordinaire).
Les membres qui en feront la demande par écrit au directeur
des publications recevront, moyennant une cotisation de
soixante francs, un exemplaire de luxe de l'album (édition de
bibliophile). Les exemplaires formant cette édition spéciale
seront numérotés et porteront l'indication du nombre auquel ils
auront été tirés.
La commission administrative est composée de MM. C. Van
Camp, président; J.-B. Meunier, vice-président; Em. de Munck,
directeur des publications; F. Khnopff, membre; M. Benoidt
(avocat), secrétaire-trésorier.
Le Cercle artistique de Tournai, dont nous nous sommes
occupés l'an dernier et dont la première exposition avait dépassé
toutes les espérances, vient d'en organiser une nouvelle qui sera
ouverte du 12 au 26 septembre.
MM. Constantin Meunier, Terlinden, Alexandre Marcelle,
M"« Terlindcn, etc., ont déjà répondu à son appel. On compte
sur d'autres adhésions intéressantes. On nous assure que M"« Ga-
brielle de Villers est parmi les orgnisaieurs les plus actifs.
Dans le dernier et fort intéressant numéro de la Revue (tan
dramatique que nous avons déjà recommandée à diverses reprises,
citops un article de M. Alphonse Pages : « Comment faul-il
traduire Shakespeare » el une jolie étude de M. Ballieu : « La
pantomime française ». Il contient en outre une curieuse lettre
inédile de Bocage.
Quelques nouvelles théâtrales. L'Opéra-Comique de Pans verra
éclore celte année plusieurs nouveautés intéressantes. D'abord, le
Roi malgré lui, trois actes de M. Emmanuel Chabrier, paroles de
MM. de Najac et Burani, tirés d^u ne pièce d'AhccloiV puis
Madame Scapin, de M. Théodore de Laparic ; le Signal, un acte
écrit par un débutant, M. Paul Pugel, sur des paroles de
MM. Dubrenil el Busnach. On parle aussi d'un ouvrage en trois
actes el quatre tableaux de M. Sainl-Saëns, sur un poème de
M, Louis Gallet, tiré d'un drame de Vacquerie. Le titre de l'œuvre
sersi Proserpine, Enfin, il est question d'un Circe\ dont
M. Jules Barbier vient d'écrire le livret et dont la musique serait
confiée à M. Ambroise Thomas,
A Vienne, il y aura celte année une première à sensation, celle
.' de Merlin Venchanteur, le nouvel opéra de Goldmark. Au
théâtre An der Wien, on va mettre à l'élude le Vice-Amiral^
opérette nouvelle de Millôcker; paroles de MM. Zell el Genee.
Les deux pigeons, le ballet en deux actes de M. Messager, est
en répétitions à l'Opéra de Paris et passera très prochainement.
Plusieurs'journaux ont annoncé que Liszt était mort pauvre
Celte nouvelle est inexacte. Il laisse environ 30,000 francs de
rente. Son testament attribue toute sa forjune à la princesse
W^éltgenstern. N'est-ce pas elle dont Liszt, en son jeune temps,
avait refusé la main, étanl d'avis (très sage d'après nous) qu'un
artiste, comme un homme d'action, no doit jamais s'engager
dans la servitude du mariage et de la famille.
On avait dit également que les restes du maître n'avaient été
inhumés que provisoirement à Bayreulh et qu'ils seraient ulté-
rieurement transportés soit à Weimar, à la demande du grand-
duc, soit à Peslh. On écrit de Vienne ^ VJnde'peyidance que
M""® Wagner, fille de l'illuslre défunt, s'oppose formellemenl à
toute exhumation.
11 y avait dix ans le i3 août que le rideau se leraponr la pre-
mière foia au théâtre de Bayreulh pour les représentations du
Rheingold. Les interprèles du maître qui ont pris part à cette
j;eprésenlalion mémorabje se rappellent encore le dernier conseil
de Wagner, que chacun d'eux trouva le soir même affiché dans
sa loge. .En voici le texte. Beaucoup de nos chanteurs d^op^ras,
qui ne se visent qu'à des effets de voix, feraient )i)içn de le
méditer :
« Dernière prière à mes chers collaborateurs : Soyers clairs !
Les grandes notes viennent d'elles-mêmes ; ce sont les petites
avec leur texte qui sont la grande affaire. Ne dites jamais rien
au public ; adressez-vous toujours à vos partenaires ; dans les
monologues, portez toujours le regard en haut ou en bas; ne
regardez jamais devant vous.
« Dernière prière : Continuez à m'aimer.
« Bavreuth,Me 43 août 1876.
« Richard Wagner.
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Bruxelles. — Imp. Félix Callewaert père. — V« Monnom successeur, rue de l'Ind us trie, ta.
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Sixième année. — N** 36.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 5 Septembre 1886.
L'ART
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTERATURE
ABONNEMENTS i Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00.- — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser les demandes d'abonnement et toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
?
OMMAIRE
Silhouettes ^'aï^tistes. Fer n and Khnop^. — En voyage. Un
sermon à la mer. — Petit Poucet. — La foire et les platanes
DU BOULEVARD. — M»"» RoSE CaRON DANS FauSt A l'OpÉRA DE
Paris. — Glanures. — Petite chronique.
SILHOUETTES D'ARTISTES
FERNAND KHNOPFF (')
Fernand Khnopff?
Un entêté, un artiste. " .
Oui, plus encore qu'un artiste — et Dieu sait combien
il l'est!— un entêté. Ce n'est un défaut que pour les
imbéciles. Aussi fais-je l'éloge de Fernand Khnopff. en le
qualifiant tel, lui, le serré, le froid, le fermé, le britan-
nique, qui réfléchit plus qu'il ne parle, qui observe plus
qu'il n'explique.
Certes est-il trop poli pour afficher que son plus entier
bonheur serait de n'être interrogé ni distrait par per-
sonne. Toutefois, il ne cause que pour ne point déso-
bliger, il ne rit que pour ne point fâcher, il né se mêle
aux discussions — toujours inutiles — que pour n'en
point paraître dédaigneux. S'il le voulait, il serait un
causeur sarcastique et subtil; néanmoins, si nul ne
l'attaque, son désir de faire parade d'esprit ne va point
jusqu'à trancher n'importe quoi. 11 passe inaperçu et les
dames doivent le trouver quelconque.
(*) L'étude sur Fernand Khnopff, dont nous commençons aujourd'hui la
pubUcation, paraîtra dans plusieurs numéros successifs de l'Art moderne.
Et pourtant quelle physionomie curieuse au repos
aussi bien qu'en mouvement : deux petits yeux métal-
liques très aigus, le menton légèrement effilé, une bouche
méprisante et une chevelure, oh! la belle chevelure rousse
et barbare faisant des boucles multipliées autour du front
et donnant à l'ensemble je ne sais quel couronnement
farouche. Attitude raide, tenue correcte, très simple.
Horreur de tout débraillé. Clergyman en train de devenir
dandy.
Si Fernand Khnopff est peu expansif, combien ne
doit-il pas, dans le seul à seul de l'étude, discuter avec
lui-même! Que de luttes et de tensions d'esprit en face
de l'œuvre, le matin, le jour, le soir, la nuit, toujours ;
oui, la nuit quand l'idée s'ébauche et qu'il faut la saisir
et, sautant du lit, la clouer sur le papier ou sur. la toile.
Le lendemain, ce frêle tremblement d'étoile, on ne le
verrait plus.
Aussi la vie de Fernand Khnopff est-elle une claustra-
tion perpétuelle. Pénétrer chez lui, c'est le diable. Et
quand on s'y trouve, il faut qu'il ait en vous une confiance
absurde pour délier un à un ses cartons, montrer une à
une ses études, dévoiler point par point sa marche eh
avanxTQuant à tel tiroir, jamais vous ne saurez ce qu'il
contient; ce sont ses pensées de derrière la tête.
Bonne et seule vie d'artiste après tout et avec ses
mystères et avec ses cachotteries et avec ses réticences!
Il n'est pas d'âme haute qui ne soit solitaire et d'un
recueillement continu, prolongé et mystique. Quelquefois
elle s'hypocritise de joie ou de factice distraction mais le
fond ne change point.
On peut s'isoler au milieu des réunions les plus mon-
daines, s'abstraire des bruits do soie et de babil féminins,
passer dos heures en habit noir et revenir chez soi et
reprendre le pinceau ou la plume comme si l'on était
allé regarder à sa fenêtre un nuage qui passait. Même il
est certains penchants que cette excursion au dehors
aiguisent : les impressions d'ennui.
Aussi bien vivre à part, vivre loin de tout, n'est-ce pas
une question d'orgueil nécessaire? Une œuvre à créer,
; quoi do plus grand et quel respectueux tête à tête ne
demande-t-elle point. Il est dos heures où elle nous est
tout. Sa vie? plus sacrée que l'existence de n'importe
quoi et de n'importe qui. Quel est l'artiste qui n'ait senti
cette totale passion, lequel? et ne se soit dit, ne fut-ce
qu'un instant, instant d'exultation suprême où tout ce
qu'il avait de talent se dépensait, que le monde entier et
parents et amis pourraient périr plutôt que son travail !
^ Claustration et égoïsme, tels sont donc les vertus et les
goûts des créateurs de beau et des apporteurs de mer-
veilles. Rien ne peut les remplacer et il est lâche de ne
point oser proclamer devant certain monde scandalisé et
qu'on est un reclus et qu'on est un égoïste. L'artiste n'a
qu'un amour, c'est son travail, il n'a pas le temps d'en
avoir d'autres; l'artiste n'a qu'une demeure, c'est son
atelier, il ne peut se plaire ni aux salons, ni aux boudoirs,
les meubles y affichant un goût affreux et les dames y
parlant comme chez la tailleuse ou la modiste.
Ce que veut Fernand Khnoplf il le veut aussi immua-
blement qu'il est possible de vouloir. Mais il a la volonté
'muette. Y ena-t-il une autre? Il avance lentement en ce
qu'il projette et mystérieusement; il ne lâche jamais une
résolution, il n'atténue jamais un oui ni un non. Il ne sait
pas ce qu'est douter. Décider, c'est accomplir.
Si donc on cherche l'unité qui scellera cette étude, la
Voici: L'art de Fernand Khnopffest plus encore basé sur
une force morale que sur une faculté intellectuelle. La
volonté le pénètre, le vivifie, l'épanouit. Elle ne crée pas le
peintre — ce qui serait impossible — mais elle le dessine
tel qu'il apparait non pas de profil ni en buste mais en
pied.
Jadis dans une conférence aux XA', Edmond Picard
tranchait que, dans des batailles esthétiques, avoir du
caractère primait avoir du talfent. Oh! marcher sans
jamais dévier d'un pas ; s'avancer avec le désir bien plus
qu'avec la crainte d'effaroucher ses adversaires. Ne pas
même prendre garde à leurs dents parce qu'on les juge en
carton, à leurs yeux parce qu'ils viennent de chez le
critique du coin, à leurs griffes parce que ce sont d'inof-
fensives virgules, à leur rage parce qu'elle écume comme
une savonnée de ménagère. Passer! Ou bien, si la bêtise
trop persistante pousse à bout la patience, se délecter
parfois dans une fumisterie charmante, supérieurement
menée, cruellement accomplie et ponctuée d'un rire final
et discret qui est de la joie concentrée et sublimée!
Fernand Khnopff arbore une telle conduite et connaît un
tel rire.
Quand on est égoïste, solitaire et obstiné comme lui,
l'art qu'on fait doit être logiquement un art de patience
de précision et de raisonnement. C'est le sien. Telles pré-
misses, telle conclusion.
Et tout d'abord sa facture. A voir peindre tel artiste
au doigt léger et élégant, on songe vaguement à des vir-
tuosités de pianiste. Tel enthousiaste est superbe et pres-
que dandy à jouer du pinceau comme d'une badine, à se
reculer pour voir l'effet cherché, l'îippuie-main moulinant
au bout du bras, à se laisser emballer par sa fougue de
nerfs habiles et heureux. Son corps entier participe à
telle touche passée vivement, à tel coup do brosse décisif,
à tel effleurement de toile.
Fernand Khnopff? tout au contraire, ne bouge presque
ni ne s'emballe. Minutieux, à petits coups brefs, avec une
lenteur à peine inquiète, sa pointe, brosse ou crayon,
griffe le panneau ou le papier. Mais son regard est aigu à
l'extrême, on sent un vouloir cruel, on y surprend toute
une observation tendue vers les choses, implacable et
incessante, La main ne fait aucun mouvement que n'ait
déterminé et contrôlé la pensée. Elle n'hésite point,
toutefois elle n'a aucun entrain, aucune folie, elle est
d'une réserve et d'une prudence nettes. Point de belle
liberté de dessin, point de facture forte et caractérisante,
-mais des traits minces, fureteurs, nienus, secs, décisifs,
mais presque de l'écriture.
Est-il besoin d'ajouter que tout minutieux que soit le
faire de Fernand Khnopff, il n'est en rien semblable aux
lècheries et aux pointillés et aux marquetteries de pan-
toufles des peintresses et des imagiers. S'il rappelle
quelqu'un, c'est les grands gothiques.
(A suivre/.
ÎJn voyaqe ■
un sermon a la mer
« Eglise des SS. Pierre et Paul. Mercredi 18 août 1886, à
3 heures de relevée. Sermon de charité prêché par Sa Grandeur
Monseigneur Perraud, Evêque d'Autun, de V Académie Fran-
çaise, au profit de V Orphelinat de St.- Vincent à Ostende. Carte
d'entrée place réservée, 5 francs. »
Je ramassai ce morceau de carlon en pleines dunes, sur le
sable d'un sentier vagabondani entre les durs aiguilles de i'Oya
frissonnante, entre Middelkorke et Weslende, non loin de la
cabane longue et basse oii je m'éiais blotti depuis quelques jours
comme entrée de jeu de vacances. Un promeneur d'Ostende
apparemment qui l'avait laissé tomber.
Un sermon par un évoque, diable! Par un évéque académicien,
diable! diable!! C'est rare les bons sermons désormais. Combien
loin le jour où j'entendis Lacordaire. Plus de père Hyacinthe, à
peine de temps en temps un Monsabré. Et encore çst-ce la
France, loul ça. Chez nous, rien. Si j'allais en l'église des
SS. Pierre et Paul, pour voir. Peut-être csl-il orateur cet évéque
d'Aulun, sncccsscur éloigné de Sicycs, Tliomme qui dit en 1789 :
Coupons le câble. Risquons. Oui, nnais le mercredi 18 août, c'est
aujourd'hui. A 3 heures de relevée : il est une heure ; à déf;iutde
montre, je le seniirais à l'îiplomb du soleil. Je suis en vareuse
gros bleu tricotée, en pantalon de toile à voile, avec un chiipoau
déformé par la pluie d'hier, en souliers gris. Il faudrait changer;
je n'ai pas le temps: douze kilomètres à faire en deux heures!
Bah! partons comme je suis. Un pécheur, fut-ce un pseudo-
pécheur, à l'église, ça se voit. C'est le cas de dire : Un chien
regarde bien un évéque.
Au pas accéléré, en avant! sur la route plate qui joint le clocher
de l'Ouest au clocher de l'Est, droite comme une barre. .Par le
travers de Leffinghe, le nouveau Iram à vapeur me rejoint, j'y
saute. Je descends derrière le Kursaal, monstrueuse construction
du genre Bastringa major. Dix minutes après je suis sous le
porche sacré et au grand étonnement d'un des bedeaux qui
vendent les cartes, j'en prends une de cent sous.
Très élégante l'assemblée aux places réservées; Des clairs vifs
de toutes les nuances: des blancs écume de vague, des rouges
soleil couchant, des jaunes sable de dune, des bleus marine, des
verts algue fraîche. Ma bordée vers une chaise que je vois libre
h quelques brasses, fait sensation. Qu'est-ce que ce pieux mate-
lot venu de Oostduinkerk ou de Mannekensvere? Un vœu pro-
bablement à Notre-Dame de la Délivrance. A cinq pas j'aperçois
un confrère Liégeois qui me regarde curieusement. Je ne bronche
pas. Au contraire, je gonfle la joue comme si j'y roulais une
chique.
La cérémonie commence par un peu de musique. Je me
retourne vers le jubé. Une dame mûre en chapeau et manteau
chante de la gorge,^ assez agréablement dans le haut. On dirait
une Anglaise sopranisant en allemand. C'est sentimental avec
onction... -.,,.,;:.
Pendant les dernières notes, une apparition violette a gravi
l'escalier de la chaire. Voici qu'elle émerge dans la hune sacer-
dotale. Personnage de petite taille. Figure sèche, maigre, gothi-
que. Physionomie distinguée : bon ton d'évêque el d'académi-
cien, plutôt d'académicien. Des mains selon l'ordonnance. Sur
la poitrine la croix .pastorale, lourde. Au doigt, l'anneau pastoral,
lourd.
Premier geste : se débarrasser d'un coussin qui eût rendu le
rebord de la chaire un peu haut pour l'orateur. Premiers mois, du
latin : Grnii estote.
Grati estotel C'est de ce petit bout que va sortir, conformé-
ment à ja recelte de tout bon sermon, le discours entier. Suivons
l'ingénieuse opération.
Rien de saillant d'abord. Une voix sans vibration, corrode el
froide, nette et lente. Un geste monolone, sans accord avec la
pensée. De sentiment point. Des phrases : « Grati estote, soyez
reconnaissants. C'est le fond de la religion, mes frères. Fussiez-
vous adeptes de la religion naturelle, que le principe serait encore
vrai. Le soleil qui fait mûrir les moissons d'où nous vient le
pain, n'aurait-il pas droit à votre reconnaissance? Grati estote.
Les étoiles qui guident le navigateur? Grati estote. La mer qui
favorise le commerce? Grati estote. Et qui, pour vous, baigneurs
d'Oslende, fournit la sanlé en même temps que le poisson? Grati
estote. »
Une demi-heure durant, l'académicien el Tévêquo, l'un por-
tant l'autre, font mouvoir ainsi le double aviron de la périphrase
rhétoriciennc el du texte biblique. Très banale celte navigation
de plaisance, tout au plus une amplification pour un concojurs
de discours français. L'assistance ne paraît pas émue.
Mais voici que tout \i coup l'orateur vire de bord. Il se met à
parler de lui et de nous, quittant les déclamations scolasliques
pour toucher à la vie vraie. Quel changement! Il raconte simple-
ment qu'il n<î voulait [)as venir. Pensez donc, faire deux cents
lieues. Qu'il avait déjîj écrit, que la lettre était cachetée, prèle à
partir. Et qu'alors (il ne sait comment cela est arrivé), dans sa
mémoire chanta inopinément le texte : Grati estote. Et il pensa
que c'étaient des Belges qui lui demandaient de venir aider à une
œuvre de charité. Des Belges qu'il avait vus k Sedan, après la
bataille, dans les villages ardennais, soignant les blessés français,
et plus tard en Belgique accueillant les exilés, prodiguant leurs
biens et leurs secours, sans compter. Et ce serait k ceux-là qu'il
refuserait son aide. Oh! non, non, non, Grati estote. Et il
déchira la lettre, et il partit, et il arriva, el il prêcha!
Heût fallu voir comme ces dix minutes durant lesquelles
l'évéque et l'académicien firent place à l'homme,, à l'homme de
cœur, changèrent lé sort du sermon. On allait sortir en disant :
Déclamateur ! Maintenant chacun pensait : Brave cœ^ur ! Pour
faire hi miracle el revenir à l'art véritable, il lui avait sutfi de se
dégager des oripeaux du convenu, et d'habiller sa. pensée de
sincérité et de simplicité, en vareuse et en toile grise, comme
j'étais moi-même.
Est-ce que par hasard celte figure de dur pêcheur qu'il avait
fixé à deux ou trois reprises durant son homélie et qui le fixait
aussi en homme de bonne volonté, n'illumina pas inopinément
sa diplomatie de beau parleur en lui donnant la vision de ce. que
vaut le langage simple pour convaincre et pour séduire. Dans ce
cas il eût pu dire une fois encore comme un dernier bonjour,
• ■■■■■■
comme un dernier bonsoir: 6rma' 6.s/o/é.
lE PETIT-POICET
Il y avait une fois un brave homme d'auteur qui" s'appelait
Perrault. Sa marraine, qui était fée, avait mis dans son berceau
une belle plume, toute en or, pour qu'il pût, quand il serait
grand, écrire de jolis contes pour les petits enfants. Un encrier
taillé dans un bloc de cristal était placé à côté, plein d'une encre
bleue, d'une limpidité admirable, et cette encre, spécialement
composée par la fée, renfermait les germes d'histoires merveil-
leuses où il élait question de princesses endormies dans des
palais enchantés, et réveillées, après -cent ans, par un prince
beau comme le jour, "de vilains loups ([ui se travestissent en
mère-grand pour dévorer les petits enfants, de rats et de souris
qui se transforment, sur le coup de minuit, en chevaux magniti-
ques et en gros cochers conduisant au bal, dans des carosses
dorés, une pauvre Cendrillon dont le pied est si mignon que le
fils du roi en devient amoureux, et vingt autres récits tout aussi
beaux.
Une vieille et méchante fée, très en colère à cause qu'on avait
oublié de l'inviter au ba[>tême du petit Perrault, entra par la
fenêtre, pondant que tout le monde élait à l'église, el jeta dans
l'encrier tout un sac de saletés qu'elle avait apj)Ortées avec elle :
des crapauds, des calembours, des coqs-à-l'àne, des salaman-
dres, dos joux de nxols, puis elle éclata de rire et disparut dans
la cheminée po.ur retourner dans la tour où elle passait ses jour-
nées il filer.
f
284
UART MODERNE
Heureusemenl, la bonne fée, en revenant de IVççlise, eut l'idée
de regarder dans l'encrier, et elle s'ai)crçut que l'encre était
trouble. Elle devina que la sorcière en était cause, et, ne i)ouvant
empêcher complètement le mal qui était fait, elle l'atténua de son
mieux en enfonçant bien au fond les calembours, les crapauds et
les coqs-h-l'Ane, et comme il y avait de bonne encre pour environ
deux cents ans, elle fut rassurée. Puis elle laissa tomber dans
l'encrier un peu de poussière de diamant, afin de corrigoi* autant
que possible l'effet des horreurs qui s'y trouvaient, et remonta
sur le pétale de rose qui lui servait de voiture, attelé de deux
papillons.
Voilà pourquoi, l'an 4886, la plume féconde et spirituelle de
MM. Lelerrier, Van Loo et Mortier a fait jaillir des monstres de
l'encrier de Perrault. Et aussi pourquoi ces monstres ont pris
leur vol dans des palais magnifiques, bûlis expi'essément pour eux
par l'habile architecte Maurice Simon, qui ne s'est pas contenté
de leur donner des palais, mais les a revêtus de riches babils, les
a éclairés avec prodigalité, a fait composer, pour les divertir, de
la musique nouvelle par des coiijposileurs presque célèbres, tels
que M. André Messager, et a fait défiler sous leurs yeux les plus
jolies femmes qu'il a pu réunir après les avoir déshabillées avec
élésancc; " '
Grâce à la poudre de diannant de la fée, tout est donc arrangé.
Il s'est trouvé à propos, dans Bruxelles, non loin de la Bourse,
une salle avec beaucoup de praticables pour y faire circuler
beaucoup de brillantsdéfilés, avec beaucoup de coulisses pour y
planter beaucoup de châssis somptueusement enluminés, avec
beaucoup de trappes pour y faire disparaître beaucoup de carton-
nages amusants, avec beaucoup de tringles pour y suspendre
beaucoup de femmes dans des nuages de tarlatane, dans des
brouillards de gaze lamée d'or, dans des éblouissements de feux
'" de Bengale et de lumière électrique.
El il y a tant de tout, tant de forêts enchantées', tant de grottes
mystérieuses, tant de jardins, tant d'escaliers, tant de cortèges,
- de lustres, de danseuses, de maillots, de Chais bottés^ de Barbes
Bleues^ de Chaperons Rougfis^ de Princesses Azurines, de
' Princes Charmants, qu'on n'est guère tenté de dire avec Ban-
ville, s'adressant à MM. Bertrand et Plunkett dans une de ces
iMLres chimériques dont chacune est un chef-d'œuvre : « Il me
faut encore plus de tapis, encore plus d'étoffes, encore plus d'or,
encore plus de femmes !»
Ne croyez pas que Banville se plaignit par là de la pauvreté des
décors de l'Eden ou reprochât à ses directeurs quelque parci-
monie. Non! Mais avec son clair jugement il a démêlé tout de
suite combien, dans le royaume de la féerie, la réalité, même la
plus extraordinaire, reste au dessous du rêve.
« La poésie crée des visions illimitées, et un vers de Shake-
speare me montre la forêt de ïitania pleine de sylphes, d'âmes, de
lutins, de fées envolées. Là les ailes bruissent et frissonnent en
si grand nombre que je n'en saurais désirer plus. Mais notre
esprit a cela de particulier qu'il s'habitue tout de suite à la réa-
lité, qu'il se blase immédialenu ni sur les choses matérielles, et il
ne saurait être satisfait par rien qui soit visible avec les yeux de
la chair... >»
Aussi \q Petit-Poucet, malgré M. Maurice Simon, malgré les
jambes admirables de M"'' Carpenlier, malgré l'humour de
M"e Jenny Rose^ malgré la petite voix fraîche de M"«- Noelly,
malgré le comique irrésistible de MM.. Moch et Petit, malgré les
décors à transformations, et les danses mathématiquement
réglées, et le défilé carnavalesque des bottes, et la forêt qui
bouge, malgré toutes ces choses splendides ou divertissantes, ne
sera jamais qu'un Petit-Poucet bâtard, introduit par fraude au
foyer du bûcheron et de la bûcheronne, au sourire en grimace,
à la voix éraillée, un Petit-Poucet gavroche, une fleur du bitume,
né sous un réverbère et non sur les mousses de la forêt, un
Petit- Poucet dyiïowà de l'encrier, gardant le signe indélébile
dont l'a marqué en ricanant sa monstrueuse marraine, la Plati-
tude bourgeoise, pour faire la nique à la Poésie, en allée sur le
pétaL' de rose qui lui sert de voiture, attelé de deux papillons...
Oh ! le charme ingénu et charmant du conte de Perrault, en sa
naïvelé touchante :
« Il y avait une fois un bûcheron et une bûcheronne... »
LA POIRE ET LES PLATANES DU BOULEVARD
M. Buis, dont nous citions récemment l'amour pour la verdure
urbaine, sait-il quels dégâts la foirp du Boulevard du Midi a
causés dans la quadruple et superbe plantation de platanes qui
s'y développe en une allée destinée à devenir triomphale si on ne
la ravage pas sottement?
Sait-il que pour faire place à la ménagerie Redenbach on a
abattu huit arbres d'une douzaine d'années d'âge et fait un grand
vide dans l'avenue? Sait-il que pour le Musée anatomiqué on en
a sacrifié quatre? Plusieurs aussi pour les carrousels? Que par-
tout, en résumé, oîi il a fallu choisir entre l'ornement naturel
si difficilement réparable, et les grotesques échoppes de ces fêtes
de sauvages, on n'a pas hésité à sacrifier le premier?
On nous assure qu'au moment de l'abatage, quand on a vu
s'écraser sur le sol les cimes verdoyantes et déjà opulentes, des
protestations ont surgi parmi les spectateurs. Nos bourgeois
auraient-ils plus que nos édiles, le respect de ces végétations
charmantes?
Il importe qu'il soit mis un terme à ce vandalisme. Le paysage
urbain (c'est ainsi que nous l'avons nommé) nous préoccupe
beaucoup. Il devrait devenir le souci de tout le monde. Notre ville
est notre milieu le plus constant. Il faut le sauvegarder. Il faut
surtout empêcher les changements idiots qui^sacrifient ce que
nous avons déjà à ce que nous i)ourri0ns avoir, ou à des plaisirs
passagers et grossiers.
. ^"^^Ï^OPE pARON DANP (( f AU^T »
A L'OPÉRA DE PARIS
M""* Rose Caron vient d'obtenir dans Faust, à l'Opéra, un
succès qui consacre définitivement à Paris la haute situation artis-
tique que V Art Moderne lui prédisait lorsqu'ignorée du public
bruxellois, et même du public parisien, elle se produisit pour
la première fois chez nous aux Concerts populaires dans l'inter-
prétation des œuvres de Wagner. II. y a de cela un peu plus de
trois ans: c'était en mars 1883.
L'hiver suivant M'"*^ Rose Caron était engagée au théâtre de la
Monnaie.
Immédiatement VArt Moderne signala en elle la tragédienne
plus encore que la cantatrice el l'appela la Rachel du chant. C'est
ce côté de son talent ([ue la jresse parisienne loue surtout. II
n'est peut-être pas sans intérêt de rappeler dans quels termes
LART MODERNE
285
cet élogo se produisait dans noire journal, alors que la grande
artiste était encore presque inconnue, et niOme méconnue par
plusieurs.
« Après tant de banalités dont nous, abreuvent depuis des
années le cortège de nos clianlours d'opéra, incurablement
infiiclés des vulgaires Iradilions d'une mimique idiote, la nouvelle
canlalrice, libre d'elle-même et se laissant alUr aux élans de son
âme ardente, a enlr'ouvert ce bo'au domaine délaissé, [)Our nous
qui Téçoutions aulanl des yeux que des oreilles, tant le rythme
de ses gestes ajoutait de puissance et de pénétration au charme
de sa voix.
« Que notre public soit attentif h ces débuts d'une artiste pour
qui se prépare, croyons-nous, un magnifique avenir, si sa santé
et ses forces ne s'épuisent pas au. brasier qu'elle allume. 11
dépend de lui, de ses [)révisions et de son intelligence d'aider au
complet épanouissement d'un talent qu'il aura l'heureuse fortune
de voir éclore. Certes l'accueil qu'il a fait k M'"** Caron démontre
qu'il a le sjns de la supériorilé de celte héroïque nature, mais
démêle-t-il exactement ce qui la place, hors de pair? Ne voit-il
pas en elle surtout la voix qui assurément est pathétique et
superbe, même quand l'excès de l'émoiion lui donne momen-
tanément une sorte {l'â|)reté? Accorde-t-il assez d'importance au
jeu que l'on est si accoutumé à dédaigner parce qu'il est, la
plupart du temps, d'une médiocrité navrante? C'est ce côté, par
lequel la comédienne vient compléter la cantatrice, que nous
voulons spécialement sig(ialer,_car c'est par là que M'"« Caron se
détache du corlègî habituel et prend un relief saisissant.
« M""-' C:iron réalise le type tant prisé, tant recherché par
Wagner, de la chanteuse qui joue, qui ne s'absorbe pas dans
l'unique snisation de son go^^ier fonctionnant, vibrant, trillant,
vocalisant, mais se souvient qu'elle a une âme pour sentir et un
corps pour traduire cette âme. Elle remplirait triomphalement,
croyons-nous, les rôles d'Elisabeth et de Sieglinde. Ne le
pressentait-on pas l'an dernier quand elle a chanté Yseult aux
Concerts populaires. Singulièrement servie par sa grande taille
souple, majestueuse sans solennité conventionnelle, ayant des
levées et des lentes retombées de bras d'une dignité de prétresse,
la physionomie apte à toutes les transformations, surtout à celle
de la douleur, de la crainte, de l'horreur ou du désespoir, elle
semble posséder des ressources indéfinies.
M"'^ Caron est aux premiers jours de sa carrière. A certains
moments sa belle hardiesse native cède devant les appréhensions
naturelles que doit lui faire ce monde inconnu dans lequel elle
pénètre. On sent qu'elle délibère si elle doit se laisser aller à son
élan ou suivre les conseils routiniers qu'on lui prodigue sans
doute. Elle a le sentiment de ce qu'il y a de grotesque k
débiter k la salle des paroles qui s'adressent aux acteurs qu'on a
à ses côtés ou derrière. soi. Elle tombe quelquefois pourtant dans
cet odieux travers inventé par les époumonnés qui ont besoin
de pousser leur voix. Elle prodigue trop aussi le geste qui con-
siste \\ ramener les deux mains, doigts recourbés, sur la poitrine.
Pourquoi marchander ses effets? Kéalisez-les complètement et
audacieusement, Madame. Vous avez bien osé jouer les mains
nues votre rôle de fille noble, et tout le monde a trouvé cela
dix fois prétérable aux superbes gants blancs immaculés, tout
frais émoulus de chez le costumier. Pourquoi vous contraindre?
Vous avez en vous, par votre seule nature, plus d'expérience
et d'instinct du beau que tout ce qui vous entoure. Soyez
vous-même en tout et pour tout, débarrassez-vous des der-
nières entraves, risquez ce que vous croyez être des origi-
nalités, ce qui ne sera en réalité que de l'inspiration, et vous
grandirez encore. Si vraiment vous êtes destinée, comme nous le
pensons, à occuper une grande place dans le théâtre contem-
porain, nous serons heureux d'avoir été des premiers -à signaler
ces espérances et h mar(|uer. ce qui, en vous, est le signe des
cantatrices destinées à la célébrité. »
'Une partie du public parisien a pu, au début, montrer quelque
défiance à l'égard de cette gloire qui n'était consacrée que par
l'étranger. Désormais toute hésitation a disparu. La presse pari-
sienne en témoigne par ses comptes-rendus enthousiastes. C'est
avec bonheur que nous voyons ainsi monter au premier rang la
grande artistaâ qui nous fûmes redevables de tant de précieuses
émotions et â qui notre admiration est toujours allée sans réserve.
L'HOMME MÉDIOCRE
Le trait caractéristique de l'homme médiocre, c'est la défé-
rence pour l'opinion publique.. Il ne parle jamais, il répète tou-
jours. . •
M vit-
Ses admirations sont prudentes, ses enthousiasmes officiels. Il
méprise ceux qui sont jeunes. Seulement, quand votre grandeur
sera reconnue, il s'iH;riera : Je l'avais bien deviné !
' • * . -■,
. ;■ ■ + -*
Il peut apprendre; il ne peut pas deviner, II admet quelque-
fois une idiie, nîais il ne la suit pas. dans ses diverses applica-
tions. '■■'.'■- '-■..''-. ■ . ■' /-r --^/':'■ ■:..:■■■'■■■. -'v ■■:■'..'■■-■■-■:- .■'
. . .. ■' ■.-'■'.'■;-.■■■ ■■ ■' :*■■..■■■ ■ • ;; , ,,•■-" . ■ , ;■
L'homme vraiment médiocre admire un peu toutes choses, il
n'admire rien avec chaleur. — -— — — — — — ■-■ — -'—
L'homme médiocre aime les écrivains qui ne disent ni oui ni
non sur aucune question, qui n'affirment rien, qui ménagent
toutes les idées contradictoires. . • ■
* ■ ' ■
Il reste h l'homme médiocre en activité, en fonction, une
inquiétude : c'est la crainte de se compromettre.
Le premier mot de l'homme médiocre qui juge un livre, porte
toujours sur un détail, et habituellement sur un détail de style.
11 aime la littérature impersonnelle, il déteste les livres qui
obligent 'a réHéchir. Il aime ceux qui ressemblent h tous les
"autres, ceux qui rentrent dans ses habitudes, qui ne font pas
éclater son moule, qui tiennent dans son cadre, ceux qu'on sait
par cœur avant de les avoir lus, parce qu'ils sont semblables à
tous ceux qu'on lit depuis qu'on sait lire.
> * ■■
L'homme médiocre peut parfaitement avoir cette chose sans
valeur qu'on appelle, dans les salons, l'esprit; mais il ne peut
avoir l'intelligence, qui est la faculté de lire l'idée dans le fait.
L'homme médiocre n'a jamais peur, il se sent 'appuyé sur la
multitude de ceux qui lui ressemblent.
286
VART MODERNE
Les succès faciles sonl pour lui. — Il se juge comme il juge les
autres, sur le succès, — tandis que Thomme supérieur sent sa
force intérieure, et la sent surtout si les autres ne la sentent pas;
l'homme médiocre se croirait un sol s'il passait pour tel et trouve
son apbmb dans les compliments qu'on lui fait; sa médiocrité
augmente en raison de son importance.
L'homme médiocre ne lutte pas : il peut réussir d'abord, il
échoue toujours ensuite; l'homme médiocre réussit parce qu'il
suit le courant, l'homme supérieur triomphe parce qu'il va contre
le courant. ' "
L'homme médiocre est inférieur h ce qu'il exécute; son œuvre
n'est pas la réalisation d'une pensée. : c'est un travail fait d'après
certaines règles.
L'homme médiocre ne sent ni la grandeur, ni la misère, ni
l'être, ni le'néajit. Il n'est ni ravi, ni précipité; il reste sur
l'avant-dernicr degré de l'échelle, incapable de monter, trop
paresseux pour descendre. Dans ses jugements comme dans ses
œuvres, il substitue la convention à la réalité, approuve ce qui
trouve place dans son casier, condamne ce qui échappe aux
dénominations, aux catégories qu'il connaît, redoute l'élonne-
ment et, n'approchant jamais du mystère terrible de la vie, évite
les montagnes et les abîmes à travers lesquels le promènent ses
amis.
f
ETITE CHROJ^IQUJB
Notre rédaction étant absente de .Bruxelles à raison des
vacances et n'étant soumise ni aux travaux forcés du journa-
lisme, ni au bagne du reportage, nous ne pourrons donner de
comptes-rendus des premières représentations du théâtre deda
Monnaie. Tous nos vœux accompagnent la nouvelle direction
dans sa difficile entreprise.
L'une des meilleures élèvesdeBrassin, qui lesuivi ta Saint-Péters-
bourg quand il quitta le Conservatoire de Bruxelles, M"« Louise
Derschcid, vient de s'établir à Bruxelles et y organise un cours de
musique. Ce cours comprendra des leçons de piano, d'harmonie,
de musique de chambre, d'histoire de la musique, etc., et sera
donné chez M. Louis Gunther, rue Thérésienne, 4, oii l'on peut
s'inscrire ou réclamer le programme.
M"« Derscheid s'est fait entendre au mois de février au Salon
des XX. Elle a fait preuve des qualités les plus sérieuses et a
été hautement appréciée des artistes. Elle a, depuis, terminé
brillamment ses éludes au Conservatoire de Saint-Pétersbourg. La
petite académie qu'elle fonde à Bruxelles sera donc, pour les
jeunes artistes et les pianistes désireuses de se perfectionner
d'après le programme des Conservatoires, une véritable bonne
fortune.
On lit à2iïï's> Y Indépendance :
11 a été question de la nomination de M. Eugène Ysaye au Con-
servatoire royal de Bruxelles, en remplacement de M. Jenô
Hubay. On disait même que c'était chose faite, mais la Fédéra-
tion artistique assure qu'il n'en est rien, et nous croyons savoir
qu'elle est bien informée. Les conditions de M. Ysaye n'ont pas
été acceptées; après quelques jours passés à Bruxelles, il est
parti pour Paris, sans esprit de retour, sauf qu'au commence-
ment de septembre il reviendra en Belgique pour épouser
M"^ Léonie Bourdau, fille du major Bourdau, du il« de ligne, en
garnison à Arlon. Et la classe de violon de M. Hubay reste sans
titulaire jusqu'à nouvel ordre.
Ce n'est pas la seule.
M. J. de Zarembski, dont la porte a été si cruellement ressen-
tie, n'est pas encore remplacé à la tête de la classe de piano
(homme's). .
M. Steveniers vient d'être admis à la retraite, et son successeur
n'est pas désigné.
Et voici du nouveau.
M. Joseph Dupont, directeur et chef d'orchestre du théâtre
royal de la Monnaie, et professeur d'harmonie au Conservatoire,
a demandé, à- raison de ses occupations nombreuses, un congé
illimité sans traitement.
Son cours eût pu être donné par M. Sandre, professeur
adjoint, qui enseigne l'harmonie pratique. Mais M. Sandre renonce
à ses fondions pour prendre la direction du Conservatoire de
Nancy. , .
Et de cinq. -
Et le Conservatoire, qui a avancé ses vacances, rouvrira ses
portes dans quelques jours. .
El le gouvernement se recueille.
Il serait temps cependant qu'il avisât, car on ne voit pas bien
un Conservatoire sans professeur de piano pour les jeunes gens,
sans professeur d'harmonie théorique ou pratique, sans classe de
musique de chambre et avec un vide à la place occupée tour à
tour jusqu'ici dans l'enseignement du violon par Léonard, Vieux-
temps, Henri Wieniawski et Jenô Hubay.
M"^'' J. de Zarembska, déjà si cruellement éprouvée il y a moins
d'un an par la mort de son mari, vient d'avoir la douleur de
perdre sa mère, M'"*^ Wonzel, décédée, le 24 août, à Schwoidnitz
(Silésie), à l'âge de 68 ans, après une longue et douloureuse
maladie.
L'Union des sociétés chorales de Hongrie a donné, du 12 au
15 août, son onzième festival national, à Pécs (Fûnfkirchen), sous
la direction de M. Jeno Hubay. L'invi'ation que le comité a eu
l'amabilité de nous adresser, mais à laquelle nous n'avons
malheureusement pas pu nous rendre, renseignait comme suii les
détails de cette intéressante solennité : ':. _^^ :
11 août : Départ de Budapest, par train spécial. Arrivée à
Pécs, à 4 heures de l'après-midi. Réception solennelle.
12 août : Premier concours vocal. Chœur couronné de Jenô
Hubav : c< Magyarok istene » (Dieux des Magvar's) poésie de
Petôfi.
13 août : Deuxième concours vocal; les morceaux au choix
des exécutants.
14 août : Exécution d'ensemble, par toutes les sociétés chorales
(1,200 exécutants) avec accompagnement d'orchestre. (Grand
orchestre, dirigé par M. le professeur Jenô Hubay).
1. tt Hymne », Fr. Erkel. -—2. « Magyar kiralydal » (Chanson
royale hongroise), Fr. Liszl. — 3. « Honfidal » (Chant du pa-
triote), L. Zimay. — 4, « Sohajtas » (Vœu patriotique), Jenô
Hubay. — 5. « Vôlgy es bércz » (Mont et vallée), E. Mihalovits.
— 6. « Sérénade », Géza Zicïiy. — 7. ce Takarodo » (Retraite
pour les Honvéds), Fr. Erkel. — 8. « Airs populaires hongrois »,
E. Szenlirmay. — . 9. « Marche de Rakoczy » (Grand chœur pour
voix d'hommes), Ch. Hube?'. — 10. « Szozat » (Hymne national),
B.
Egressy.
L'n journal italien YAsmodeo, a établi une statistique des per"
sonnages et des incidents dramatiques qui figurent dans les pièces
jusqu'à présent connues de M. d'Ennery. Voici les chifïres que
donne à ce sujet le journal susmentionné :
Les pièces de d'Ennery comportent : 18 veuves, 16 fds et
2 filles de suppliciés; 80 orphelins et 112 orphelines; 60 aveu-
gles; 93 jeunes filles enlevées à leurs parents ; 22 fratricides;
8 parricides; 145 enfants trouvés; 162 enfants abandonnés;
124 enfants subslilnés; 212 faux tostamcnls; 216 portefeuilles
volés; 198 duels h l'épcc, 168 au pistolet, 2 au sabre, 8 au cou-
teau et 10 h la hache; 43 incendies; 259 assassiiiats, dont
136 empoisonnements; 46 noyés; 36 échappés des travaux for-
cés; 77 adultères; 79 aliénés; 41 cas de bigamie, etc.
Gustave Geffroy a publié, dans la Justice^ un excellent article
sur le Tout-Paris des premières, dont voici un extrait. Cela com-
mence aussi chez nous.
« Une salle de première, ce qui s'appelle une belle salle, un
soir d'hiver où le rideau va se lever, au milieu d'un silence ému,
sur uneœuyro nouvelle de M. Georges Ohnet, ou sur la romance
bêlement grivoise de l'opérelte inédite, chantée par une étoile
montée du trottoir sur les planches, une salle, ces soirs-là, c'est,
dil-on, le rendez-vous de toutes les intelligences, de toutes les
célébrités nées du savoir, du talent et du travail. Oui, certes, il
y a dans un coin un écrivain qui s'ennuie par métier, ou un brave
homme que tout distrait et qui observe. Mais cette même salle
est aussi une sorte d'égout moral où la prostitution cotée et la
banqueroute admise viennent se pavaner, ramasser des saluts ei
laisser tomber des sourires. La critique ! mais il n'en eét pas
question : c'est l'accessoire. Le vrai public, régulier, despote, qui
fait la loi, crée les réputations, acclame ou assassine une pièce,
ce public-là, c'est cette bande de vieilles gueuses, suantes sous le
rouçe et le blanc de céruse, tassées dans les fauteuils, étalées
dans les loges, comme au temps où elles faisaient tapisserie dans
les salons du quartier de l'Ecole militaire. C'est l'entreleneur et
c'est l'entretenu. C'est le monsieur qui pèse lourdement sur son
sièfi^e comme un sac d'écus et qui tend machinalement vers la
scène une face abrutie. C'est l'amant de cœur en cravate blanche
et en gants blancs. C'est la fille qu'on lance, escortée de sa mère,
de ses' frères, de ses fournisseurs, de son souteneur, de tout ce
qui vivra de son alcôve et de son cabinet de toilette. C'est le
financier q-ui s'est embusqué tout le jour à la Bourse comme un
carnassier et qui vient là se reposer du tracas des affaires. C'est
le rastaquouère qui a des diamants à tous les doigts, des dents
de nègre, des cheveux bleus à force d'être noirs. Et le fretin, tout
ce qui louche de près ou de loin à l'Argent et à la Galanterie,
tout ce qui s'impose aux directeurs de théâtre, tout ce qui est en
lêle de la liste des billets de faveur, tout ce qui vient là en pro-
priétaire, tout ce qui a déjà son coupon en poche avant qu'on
ait seulement songé à envoyer son service à l'écrivain ! Y est-il,
ce public-là? L'a'vez-vous vu? Vous a-t-il fatigué de ses rires,
écœuré de ses applaudissements? Vous est-il apparu, certains
soirs, encombrant, grouillant, insolent, faisant une ovation à la
niaiserie, exécutant, en une heure, l'œuvre qui représente un
travail de pensée et d'art de plusieurs années? »
11 y a eu le 29 juillet trente ans que Schumann est mort à
l'asile d'aliénés d'Endenich, près de Bonn. Désormais les œuvres
du grand artiste sont tombées dans le domaine public en Alle-
magne. ■ " ■
. L'opinion de Paul Bourget sur les représentations de Bayreuth :
(c 11 est impossible d'avoir assisté à une de ces représentations
sans reconnaître que, ici du moins, ni la mode ni la curiosité
n'ont tort et que le musicien de Tristan et de Parsifal est un
des génies les plus puissants de cette époque. Je n'ai; pour ma
part,* à donner que l'impression d'un homme qui n'a aucune
entente intellectuelle de la musique et qui la subit sans pouvoir
juger ce qu'il sent. Mais peut-être la force d'émotion dont un
profane est frappé à l'audition de ces œuvres, reconnues si
savantes par ceux du métier, est-elle la meilleure preuve de la
maîtrise de Richard Wagner. Le deuxième acte de Tristan, les
deux cérémonies du Graal au premier et au troisième acte de
Parsifal, et, au second acte de ce môme Parsifal, l'admirable
morceau de la séduction, envahissent l'âme de celui qui les
écoute, avec une magie extraordinaire. Faut-il reconnaître que
les conditions physiques où l'on écoute l'œuvre ajoutent à son
pouvoir? Je le crois, mais il me semble aussi que ces conditions
singulières, si elles augmentent la sensation de beauté augmen-
teraient pareillement la sensation d'ennui. Imaginez un opéra
médiocre ainsi donné, toute l'assemhlée dormirait après une
heure de cette immobilité dans la pénombre, au lieu que Ton
sort de celte salle de Bayreuth, sous le coup d'une possession
cérébrale assez analogue à celle que l'Anglais Quincey décrit
dans ses Cor.fessions de mangeur d'opium. C'est vraiment un rêve
d'opium ou de haschisch que Wagner vous a procuré avec une
combinaison très compliquée de moyens mécaniques et idéaux,
-^ mais c'est la puissance idéale qui est le principe premier de
cette exaltation. - * ,
« Les rôles n'ont été tenus que convenablement. Sauf.
M'"« Materna, qui a été tout a fait supérieure sous la robe de
bure de Kundry, de Parsifal, et M"« Malien, qui a chanté cer-
taines portions du rôle d'Yseult avec une passion merveilleuse,
les artistes se sont tenus dans une moyenne qui permet de
craindre que la discipline imposée par le maître lui-même ne
s'efface à mesure que le souvenir de sa présence aux répétitions
s'éloignera. C'est ainsi que, depuis 1883, la mise en scène est
déjà moins soignée. Au deuxième acte, Kundry apparaissait au
milieu d'une fumée, et ce n'était pas un des moindres effets du
drame que de .voir la forme de la femme ensorcelée drapée de
voiles blancs et qui se convulsait au milieu de ce nuage dont
l'enchanteur Klingsor l'environnait. Cette année-ci, la fumée a
élé supprimée, comme aussi le rythme des pas des servants dans
la cérémonie du Graal est moins exact. Ce ne sont que de faibles
signes, mais auxquels se reconnaît l'absence de cette direction
supérieure qui fut le privilège du grand compositeur. »
La jolie miss Fortescue, célèbre par les dommages-intérêts
qu'elle a obtenus de lord Gormoyle, qui n'avait pas tenu sa pro-
messe de mariage, jouera, l'hiver prochain, à New- York. Son
engagement d'actrice ouvre une ère nouvelle dans les us et cou-
tumes du théâtre international. Lorsque l'engagement fut chose
entendue, les directeurs furent obligés de déposer chez un ban-
quier de Londres, pour garantir la sécurité de l'artiste, la somme
de 15,000 dollars (75,000 francs). Ils ne l'ont fait qu'à la condi-
tion que miss Fortescue déposerait la même somme, afin d'as-
surer l'exécution des conditions auxquelles elle s'engageait.
C'est la première fois qu'une" artiste consent à se soumettre à
pareille clause. Jusqu'à présent, les acteurs exigeaient toute pro-
tection contre les directeurs, mais ne leur donnaient aucune
garantie. Il est vrai que c'est probablement aussi la première fois
que des directeurs ont affaire à une comédienne qui vient de
toucher 250,000 francs pour promesse de mariage non réalisée.
Sommaire du Progrès (29 août 1886). Les Bourses d'études,
Nemo. — Les Sociétés coopératives, A. Karichen. — La Vie
militaire, Un Soldat. — Snint-Volders, Louis Gille. — Com-
ment les protectionnistes écrivent Vhistoire, H. de Baets. —
Chronique bruxelloise, Emile Verhaeren. — En vacances :
A Bayreuth, Octave Maus. — Le Petit-Poucet : Lettre à
l'Ogre, Iwan Gilkin. — Intérêts matériels, P. Cox. — Les
Hommes et les Choses, F. Snvder. — Variétés lilléraires : Notre
littoral, Camille Lemonnier. — Bulletin financier. — Bulletin
d'adjudications.
Le numéro de ce mois de la Revue littéraire et artistique.,
contient divers articles intéressants : la Jeunesse de M. Renan,
par M. Jean Berge ; deux nouvelles de MM. Henri Amie et Gaston
de Raimes; Dans la falaise, de xM. Léon Bigot; une étude de
M. Henri de La Ville de Mirmont sur le poète Louis Bouilhet,
de M. Charles Grandmougin sur les Poètes lyriques de l'Au-
triche, etc.
Les poésies de ce numéro sont dues à Gustave Nadaud, à
François Fabié et à André Alexandre.
Pour paraître le 20 octobre prochain
\ PAR JULES DESTRÉE
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Bruxelles. — Imp. Félix Callewaert père. — V* Monnom successeur, rue de l'Industrie, 26.
♦ Sixième année. — N^ 37.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 12 Septembre 1886.
L'ART
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVDB CRITIQUE DBS ARTS ET DE LA LITTERATURE
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On trftite à forfait.
Adresser les demandes d'abonnement et toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
?
OMMAIRE
Silhouettes d'artistes. Fernand Khnopff. — L'admiration
PARISIENNE. — Le Salon de Gand. — Glanures. La critique. —
Bibliographie. Chasses fantaisistes au pays Wallon, par. Roland
de Tpmenlow ; Tristan und Parsifaly par Hans von "Wolzogen ;
L'Europe illustrée. De Paris à Milah, par V. Barbier. — Petite
chronique. . ■■-.■:.
SILHOUETTES D'ARTISTES
FERNAND KHNOPFF (")
Fernand Khnopff n'est pas coloriste. Il est rare, du
reste, de rencontrer un patient et un concentré qui le
soit.
La couleur est rencontrée par les fougueux et les puis-
sants bien plus que par -les raisonneurs et les volontaires.
Elle éblouit, elle fulgure. elle enthousiasme et trans-
porte. On la subit plus qu'on ne la cherche. Elle s'adresse
avec ses ors et ses argents, avec ses prismes et ses irri-
sations, avec ses gloires et ses triomphes aux emportés
qui s'exaltent. Elle est d'inspiration bien plus que de
combinaison. Certes, est-il permis de l'anal jser, de la
choisir, de l'aménager sur sa toile, mais le point de
départ des plus subtils arrangements est le résultat pres-
que toujours d'une surprise enthousiaste des jeux. Les
abondants et les exubérants imposent la couleur ; les
réfléchis et les synthétiques s'attaquent surtout au dessin.
Outre que certains de ceux-ci la dédaignent comme
(*) Voir notre numéro du 5 septembre.
secondaire et futile. lisent leurs préoccupations ailleurs:
dans le rendu du caractère, de l'aigu et de l'intime des
choses, de l'intérieur, des dessous, de l'âme. Qu'importent
la nuance exprimable quand on veut rendre l'inexprimable,
et la surface quand on prétend dévoiler le fond. Il y aurait
beaucoup à répondre à ces giffirmations nettes. Je glisse,
parce que je veux expliquer des peintres et non discuter
des doctrines. Aussi bien, quoi de moins utile? Chaque
artiste n'invente-t-il pas ses théories pour excuser ses
défauts et mettre en relief ses qualités. Masques déri-
soires qui trompent tous ceux qui les regardent; mais
dans le masque même il y a les yeux qui ne mentent pas.
Ce sont ceux-là seuls qu'il importe de fixer et de recon-
naître.
Presqu'à ses débuts, Fernand Khnopff a compris sa
facture et sa couleur logiques, c'est-à-dire, plantées sur
sa personnalité. Il n'en a pas été de même de ses sujets.
Il s'est longtemps cherché en eux avant de se rencontrer
— et le sujet trouvé, restait à s'exprimer soi-même. L'his-
-toire et la nomenclature commentée de ses œuvres prou-
veront cette recherche. -•
Aussi bien, c'est au symbole qu'il devait aboutir fatale-
ment ; c'est à ce résumé suprême de sensations et de sen-
timents.
Sa patiente concentration le détachait chaque jour de
la contingence et du fait. Le détail observé, la scène vive-
ment et spirituellement croquée, le récit anecdotique et
individuel, ne sont que la mousse de l'observation. Il fal-
lait tendre le plus possible vers le définitif qui est un fruit
de réflexion ardente et de volonté supérieure. Fernand
:i
290
VART MODERNE
Khnopff eut pour l'y déterminer sa tenace nature et son
silence. Peut-être aussi, certains livres hantants.
Ses dernières œuvres sont donc symboliques mais timi-
dement encore. Deux le sont exclusivement, d'autres
sous prétexte d'entêtés ou d'interprétations de livres, le
sont accessoirement. Une de ces dernières est détruite;.on
sait pourquoi.
Essayons de préciser cette dernière tendance.
L'art plastique, tant païen que chrétien, a commencé
par être symbolique. Il l'était forcément puisqu'il repré-
sentait les Dieux symboles eux-mêmes. Il se compliquait
d'ésotérisme et se dressait sacré. Des formules naquirent,
sortes de rites esthétiques que nul ne discutait. C'était la
période d'un art figé lointainement superbe, hiératique-
ment barbare.
Il s'humanisa ensuite et comme jadis, oh avait prêté la
forme humaine à des dieux, on songea à parer de cette
forme divinisée, les hommes, — et les Hercules et les
Jupiter qui, dans la période priniitive apparaissaient,
quoique grossiers et naïfs, divinités formidables et éter-
nelles devinrent des êtres héroïques et légendaires à peine
différents des sages, des guerriers ou d'athlètes illustres.
Sans leurs attributs on ne lès en distinguerait pas.
Et de même les vierges catholiques et le Christ et les
saints. Jadis Cimabue et Giotta, ensuite Raphaël, Titien,
Rubens, Rembrandt.
Suivit un art réaliste et naturaliste, préparé par cqs
génies. ■-■:'■' >y.,V:;';:;^ ■■:;:/,;• .;;,■; :.;;.;■•■ >:'. -\ '\\::-- \.-;'s:\':: \ '''-V:
• ■ Aujourd'hui? ■ ' ■ ■' - ■'■'■-■'■■■ ^:'^^^>{:-V - ■■V;:.v.-'r-^-^^ 'B'^:-y "■,^' -v; ''
Un recul formidable de l'imagination moderne vers le
passé, une enquête scientifique énorme et des passions
inédites vers un surnaturel vague et encore indéfini nous
ont poussé à incarner notre rêve et peut-être notre trem-
blement devant un nouvel inconnu dans un symbolisme
étrange qui traduit l'âme contemporaine comme le symbo-
lisme antique interprétait l'âme d'autrefois.
Seulement nous n'y mettons point notre foi et nos
croyances, nous y mettons, au contraire, nos doutes, nos
affres, nos ennuis, nos vices, nos désespoirs et probable-
ment nos agonies.
Les maîtres symbolistes de ce temps, les Gustave
Moreau, les Puvis de Chavannes et les Rops n'ont rien de
la sérénité des anciens maîtres. Aucun d'eux ne prie les
dieux ni ne craint les démons qu'il sublimise. Ils sont les
torturés des passions et des mélancolies de leur temps.
Etudiez l'amour dans les Vénus de Rops, la sagesse et la
science dans les David de Gustave Moreau. Seul, Puvis
de Chavannes songe parfois avec tranquillité et ne divi-
nise point de femmes fatales ni des hommes terribles.
Fernand Khnopff subit les mêmes préoccupations. Il
est séduit par la perversité de certains lys : Leonora
d'Esté ; par le nocturne et séculaire mystère de certain
sphinx : le Pape. Mais ici encore, dans l'interprétation de
ces symboles, son tempérament se prouve par la minu-
tieuse profondeur de sa vision et la si calculée entente de
l'effet juste et précis. Il ne s'est encorerisqué 'dans aucune
grande composition. Son œuvre, solide de patience et de
combinaison nouées, résiste aux exaniens les plus minu-
tieux et les plus subtils; elle semble venir lentement, len-
tement grandir, lentement s'accuser, lentement se par-
faire, mais elle s'impose avec une pénétration aussi pro-
fonde que sa venue a été longue. V
Toutefois — et ceci importe à être confessé immédia-
tement— est-elle encore à ses débuts. Fernand Khnopff
s'impose bien plus par ce qu'il fera que par ce qu'il a fait.
On pressent en lui le grand artiste que, grâce à ses qua-
lités foncières si caractéristiques, nous avons essayé d'in-
diquer.
Aussi bien l'art qu'il a choisi, cet art de rêve et d'évo-
cation, peut-il le mener très loin. A cette heure où les cer-
veaux subtils saisissent avec une si étonnante lumière les
correspondances et où nos sensations et nos sentiments se
parlent certes, mais tout autant se rythment et s'harmo-
nisent, si bien que la poésie est picturale et musicale
autant que littéraire, n'y aurait-il point à rendre égale-
ment en peinture les impressions et les «» vague à l'âme >•
que seule jusqu'ici la musique rendait? En litt^ature on
y est parvenu. Nous insistons sur ce point, d'aborjd parce
que nous sommes partisans de la compénétration des arts,
ensuite parce que nous croyons que seule la plastique
symbolique peut résoudre le problème. Fernand Khnopff
a une acuité artistique étonnante, il a réussi à exprimer
déjà de très délicates subtilités d'analyse et semble
fait pour saisir les si tenus aimants qui s'attirent dans
les choses et à nous en donner les sensations dans son
œuvre. L'expression violente du cœur a été donnée par
le Romantisme, l'expression raffinée, discrète, rare de
ce même cœur, voilé de rêve, doit être produite à son
tour. Et ce seront les sphinx, les anciens rois et les rei-
nes fabuleuses, et les légendes et les épopées qui nous ser-
viront à nous faire comprendre; ce seront eux parce
qu'ils ^imposent avec le despotisme du souvenir, avec le
grandissement séculaire et que nous nous voyons mieux à
travers la transparence de leur mythe.
Et maintenant, pour terminer ces préliminaires et fer-
mer en quelque sorte cette antichambre, affirmons que,
ce qui lie toutes les qualités artistiques de Fernand
Khnopff en faisceau, c'est la raison ou plutôt la rationa-
bilité. Nous ne connaissons point de peintre plus logique
et dans l'interprétation et dans le choix et l'aménagement
des détails, et dans la présentation de l'œuvre et dans
l'appropriation même du cadre. C'est cette dernière qua-
lité, basée sur sa toujours permanente volonté, qui donne
à son œuvre son côté voulu, sérieux et convenable dans
l'acception que Millet donnait à ce mot en définissant le
beau : ce qui convient.
(A suivre).
LART MODERNE
291
t ADMIRATION PARISIEMB
Un arlisle, grand travailleur, grand chorclieur, grand novalour,
nous disait rcîcemnnont : Avoc la dixième, avec la vingtième partie
des efforts et des œuvres qu'un homme de mérite accomplit chez
nous en restant inconnu quand mérnè, ou méconnu, on serait
illustre en France.
En effet, rien n'égale l'indifférence ou l'injuslice pour les
nôtres, si ce n'est l'engouement et l'exagéralion de nos voisins
pour les leurs. Pour des étrangers aussi parfois, et alors nous
admettons quelques célébrités nationales retour de Paris, comme
du Bordeaux retour des Indes. Pour n'en citer que le plus récent
exemple, n at-il pas fallu l'accord de la presse française sur la
valeur émincnte de notre compatriote le comte de Spoeibergh de
Lovcnjoel comme historiographe de Balzac, et la révélation du
fait par un journal spécial, pour qu'on s'en doutât en Belgique.
Li'iniquité dans notre milieu est si invétérée et si scandaleuse
qu'on faisait remarquer dernièrement que l'habitude s'iniroduit
dans notre monde littéraire de ne tirer les livns nouveaux qu'à
très petit nombre, en dédain de ce public aveugle et comme si l'on
voulait lui soustraire les travaux exécutés sans l'espoir qu'ils'en
occuperait. Des peintres aussi commencent à affirmer qu'il vaut
mieux ne pas exposer et garder pour soi et quelques amoureux
du beau et du neuf tout ce que l'on fait. Ne serait-ce pas à la
conscience instinctive de cet état des esprits dans noire Béoiie
belge qu'il faudrait attribuer l'invincible horreur de nos jeunes
pour tout ce qui est art populaire ou social, et leur opiniâtreté à
se retrancher, en s'en vantant, dans l'oratoire de leurs petites
chapelles, ouvertes aux seuls fidèles? : -,
Examinez dans les gares l'étalage des marchandes de livres.
Consultez les catalogues des ouvrages destinés aux distributions
de prix. Tenez-vous au courant de la critique, pardon, des
comptes-rendus, de nos journaux. Presque tout pour ce qui est
exotique. Presque rien pour ce qui est belge. El pourtant notre
production commence à compter. Ne le contestent que ceux qui,
précisément parce qu'ils ne so préoccupent pas de ce qu'on fait
chez nous, s'imaginent qu'on n'y fait rien. C'est absolument le
cas de ces anti-flamands qui, n'ayant cure de notre littérature néer-
landaise, soutiennent avec aplomb (ju'elle ne donne rien, alors
qu'en réalité elle donne le double de sa côncurrenle française.
Heureusement que cette niaise indifférence ne décourage pas
nos écrivains. Peut-être même est-elle salutaire : écrivant moins
pour les autres, ils ont la chance de rester plus originaux. Dans
tous les arts, les conèessions au goût du public sont le facteur
dominant de la médiocrité et de la décadence. Mais, d'autre piirt,
quel élan pourraient donner un peu plus d'attention et un peu
plus de bienveillance !
Ceci nous ramène à l'attitude du journalisme français vis-à-vis
des artistes. Nous n'ignorons pas qu'il n'y a point de comparaison
à établir entre la valeur de nos feuilles périodiques et de ceux
qui les rédigent, et la puissante organisation de la presse à Paris,
servie par tant d'hommes de talent et souvent avec une hauteur
de vues qui font défaut, hélas! dans le monde spécial qui est
chargé chez nous du même otiice. La presse belge est tombée
dans un discrédit qui fait qu'on n'achète jamais un journal pour
prendre son avis mais uniquement pour connaître les nouveJlcs.
Des luttes politiques récentes ont démontré que la coalition des
plus importants organes de publicité est impuissante à diriger
l'opinion. Aussi ja rédaction de la plupart de ces organes est-e)Ie
abandonnée à dos équipes de hasard recrutées au petit bonheur
parmi les médiocrités les plus variées. Mais n'importe : être un
peu plus de son pays quand il s'agit de littérature, s'y intéresser
davanlage eî avec quelque impartialité, serait peut-être -un premier
pas vers la réhabilitaiion et vers des habitudes un peu plus
relevées. Plus de critique sérieuse, moins de reportage venimeux
serait assurément du goût de tout le monde.
S'il n'est pas, en France, d'homme de valeur qui ne trouve
dans le journalisme quelqu'un pour le signaler et le défendre, ce
juste sentiment des devoirs de la presse dégénère assurément
parfois en réclame, abus aussi criticable que celui du silence ou
de l'oubli. Les exemples foisonnent, et vraiment quand on voit
d'un côté l'excès de l'inaltenlion, el de l'autre l'excès de l'enffoue-
ment, on se demande si jamais, dans nos tristes actes humains,
on peut espérer trouver la juste mesure.
En voici un cas fort curieux. Le Journal des Débats^ cet
impassible représentant du doctrinarisme littéraire, hi quand
même parce que les talents y abondent et que tout y est dit avec
cette distinction bourgeoise et modérée qui plaît aux natures
médiocres, a un lundute qui commence à poindre. C'est ce
M. Jiile? Lemaitre qui vint l'hiver dernier lire en Belgique une
conférence deslinéeà démontrer qu'Alphonse Daudet et son Tar-
tarin étaient tout un. Nous en avons parlé ici même, en résu-
mant l'impression faite sur ses auditeurs par ce parleur crépus-
culaire, et en disant (nous n'étions pas les seuls) que nous avions en
Belgique des conférenciers valant un peu mieux que cela. Or,
voici qu'un de ses collègues en la même maison, M. Henri Chan-
tavoine, se charge de faire le boniment en l'honneur de cette nou-
velle lune, et d'opérer le glissement par lequel on insinue quel-
qu'un dans le groupe des célébrités. Il s'agirait d'un des suivants
de M"^« Adam (peut-être en est-il, au fait) qu'on n'y irait pas avec
plus d'entrain. Ecoutez :
c< On peut parler tant qu'on voudra de M. Jules Lemaitre sans
craindre les redites et môme sans avoir peur des contradictions.
Je ne sais guère, à l'heure actuelle, on ce qui touche aux lettres
et à la critique littéraire ou dramatique, d'esprit plus souple,
d'inielligonce plus fertile et d'homme de plume — car je ne sup-
pose pas que la politique le tente jamais — plus rompu et plus
habile à son métier. Une curiosité toujours en quête; une malice
sans méchanceté, toujours en éveil; l'information la plus abon-
dante et, à y regarder de près. sous son air de négligence, la
mieux renseignée; l'absence la plus complète et la plus heureuse
de tout dogniaiisine, sinon de toutes doctrines, — entendez de
doctrines étroites el revêches ; — l'indépendance et, au besoin,
l'impertinence de jugement la plus ."ésolue ; la sympathie et, au
fond, l'indifférence {au vrai sens du moi) la jilus large, la sympa-
thie la plus hospitalière pour tous les genres el pour toutes les
formes du talent, pour tous les hommos et tous les livres qui
valent la peine d'être vus et d'être lus; avec cela une faniaie-ie
légère et, à l'occasion, une ironie souriante et dégagée : voilà,
j'imagine, les élémcnis et les agréments principaux de cette
manière à la fois très naturelle et très compliquée. 11 n'aura pour
lui ni les bedeaux de lellres, orthodoxes, mais bornés, qui mar-
mottent de la littérature dans un bréviaire, ni les âmes simples
qui demandent leur pam quotidien au Petit Journal. Il fora, sur
sa route, car, malgré son indulgence ordinaire, il a ((uolquefois
la dent cruelle ou le compliment ironique, bien dos meconteuts.
Comme il a tout l'air de prendre la succession de Sainte-Beuve,
il fera aussi bien des jaloux. Je suis porté à croire que cela ne
rempôchera ni de dormir, ni de rôver. »
Sainte-Beuve! Rien que cela. Il est vrai que c'est si adroite-
ment amené par un crescendo de compliments qui eût réjoui
Bossinî. Voilà, certes, M. Jules Lemaître en passe de monter au
premier rang c^cs critiques pour quiconque ne se demande pas
dans quelle mesure M. Chantavoine doit être pris au sérieux. Sup-
posez que cet air de bravoure soit répété Une demi-douzaine de
fois, la réputation du nouveau Sainte-Beuve sera indécrochable,
tout comme celle de tel chanteur ou de telle chanteuse d'opéra
qui n'a plus de voix depuis vingt ans, mais dont tout bon Fran-
çais vous dira impcrlubablemenl : notre grand ci! ou notre
grande ça ! et qu'il admire de confiance, méine quand il ne les
entend plus. Car c'est encore un des étonnements de l'étranger h
Paris, que ces célébrités lyriques, vantées tous les jours dans les
échos de théâtre, et qui ne sont souvent, en vérité, que des
médiocrités qualifiées ou des grandeurs éteintes, n'ayant plus
môme de beaux restes.
Nous étions, une de ces années dernières, aux bains de Royat.
Les journaux qui font profession de publier les nouvelles mon-
daines, annoncèrent (déplacements et villégiature) que la char-
mante petite ville auvergnate allait être honorée de la présence
de Madame la baronne de P..., une de ces personnalités que
connaissent tous les lecteurs du Figaro ou de GilBlas ymèmc sans
le vouloir, parce qu'à tout propos on la signale comme un type
de beauté, d'élégance, de grâce, au tout premier rang de
l'Olympe du /ii^/i-/i/i?. Sa personne est adorable. Son esprit,
incomparable. Son goût suprême. Son hôtel féerique. Son châ-
teau superbe. El sa fortune colossale, naturellement, ce qui
explique bien des choses. ^ .
— 11 faut voir ça, pensâmes-nous. Et le soir du jour indiqué
pour l'arrivée, nous fûmes prendre le café à la terrasse du Grand
Hôtel qui devait abriter cette merveille. — Garçon, M™* la
baronne de P..., est-elle ici? — Oui,Monsieur, depuis cette après-
midi. — Est-elle descendue de ses appartements? — Oui, elle
est là, dans les salons du rez-de-chaussée.
Vile aux salons. Nous les parcourons. Dans le troisième, le
plus grand, le plus brillant, un groupe nombreux, très animé,
faisant cercle. Nous nous haussons : — Est-ce la baronne
de P... ? — Parfaitement, dit un voisin.
Figurez-vous, largement, lourdement étalée dans un fauteuil,
une femme courte, massive, énorme, joues pendantes, petits
yeux malades, coiffée et habillée comme une femme de
chambre mal soignée. Parlant en traînant, ne disant que des
vulgarités, en ânonnant. Trônant pourtant, majestueuse, au
milieu de son peloton de courtisans, sûre de sa suite, sûre de sa
presse el savourant déjà le compte-rendu de son débarquement
que nous lûmes, en effet, le lendemain, épique et grotesque
pour nous qui connaissions désormais l'héroïne.
Nous la revîmes les jours suivants, grosse comme un masto-
donte, marchant en se dandinant, sériant du bain, moite et con-
gestionnée, promenant sa maturité faisandée, toujours entourée,
toujours flattée, toujours tambourinée dans les journaux du grand
monde. El vraiment du personnage fictif décrit par le reportage,
au personnage réel qui allait el venait sous nos yeux, il y avait
la différence du visage vrai au visage déformé par les miroirs à
surface gauchie où l'on se regarde dans les baraques foraines qui
ont pour enseigne : Rigolades parisiennes.
— ^ Vous vous étonnez de cela, nous dit un compagnon de
voyage, jadis attaché à la légation belge à Paris. Mais c'est tou-
jours ainsi. Et notez que je les crois de bonne foi. Je ne sais ce
qui se passe dans leurs cerveaux ou dans leurs yeux, mais ils
transforment immédiatement tout ce qu'ils voient en le poussant
à des proportions invraisemblables. Avez-vous remarqué à Paris
les chevaux el les voitures dites de maîtres? Sauf quelques fort
brillants attelages, c'est un assemblage de rosses et de mauvaises
caisses. Pour eux ce sont des équipages splendides. Vous savez
comment ils parlent de leurs plages de la Manche : Eiretat, Trou-
ville, Dieppe, Boulogne. Il semble qu'il n'y ait rien de pareil au
monde. Or,ce sont des localités des plus modestes en comparai-
son de noire Ostende et denotreBlankenberghe. Le soir on ne les
éclaire même pas. Si nos deux villes maritimes de plaisance
étaient françaises, on en parlerait comme de Babylone ou de
Thèbes. El leurs appartements, dont ils racontent des féeries,
vous savez ce que c'est. Tenez,, voici une anecdote qui m'est per-
sonnelle el qui m'a laissée un vif el comique souvenir.
« Quand j'étais à la légation, sous l'Empire, tous les journaux
parlaient des réceptions hebdomadaires que donnait dans son
atelier un artiste très en vue, D... C'était, disait-on, miraculeux
el on se disputait les invitations. L'envie me prit d'y aller et un
ami m'en fournit l'occasion. C'était dans un quartier éloigné. Je
descendis de voiture devant une grande maison morne, louée
par appartements. — M. D... ? demandai-je à la concierge dont la
lo^e avait un vasistas sur une allée noire, exhalant l'odeur, spé-
ciale à Paris, des vieilles choses toujours laissées malpropres. —
Au fond de la cour, l'escalier à droite, au deuxième. — J'avançai
à pas prudents : tout était désert et sombre ; j'apercevais seule-
ment au fond, à droite, une faible lueur. Je me dirigeai de ce
côté: c'était un lumignon fumant sur la dernière marche. Je
montai, comptant les paliers, car bientôt je n'y vis plus. Au
deuxième étage, un rais lumineux glissant sous une porte mal
jointe et des voix à l'intérieur. Je frappe. On m'ouvre : c'était le
grand homme, peintre et boulevardier, imposant et magnifique.
Je me nommai, mais il ne fil pas attention et s'effaça pour m'in-
troduire dans le fameux atelier qu'on vantait pour ses dimensions
et son luxe. Juste ce qu'est une grande salle à manger chez nous.
Aux.murailles, par terre, au plafond, la défroque habituelle. Sur
deux tables et un piano à queue, fermé, irois lampes, charbon-
nanl. Disséminés, une dizaine d'hommes fumant, trois vieilles
femmes, deux plus jeunes, très ordinaires de visages et d'allures.
Une conversation très animée, au surplus, très spirituelle, très
amusante. Tel fut l'échantillon des soirées mirobolantes dont on
entretenait tout Paris.
« Soyez assuré, continua mon ami, qu'à de rares exccplionâ
' près, il n'y à en France de vrai grand luxe que chez les étrangers, les
Américains surtout. Ce sont ceux qui occupent les splendides
hôtels des Champs-Elysées et du Parc Monceau. Partout ailleurs
c'est de l'imagination el du décor. Les journalistes en parlent
comme d'une représeniation vue de la salle. Et leurs châteaux,
c'est la même chose. Nos moindres maisons de campagne sont
mieux installées. — Et il ajouta se penchant vers mon oreille :
Pour vous en donner une idée, dans un grand nombre, je l'ai con-
staté de visu el aclu, pas de cabinets : messieurs el dames vont
à l'aurore ou à la nuit tombée, sous les taillis voisins qu'émail-
lenl par centaines les lambeaux des journaux qui racontent ces
prétendues merveilles !» ;
LE SALON DE G AND *>
En général, le Salon de Gand esl jugé niédiocre. II est vrai-
ment une des expressions d'un art qui s'en va et ennuie nnéme ses
défenseurs habituels. Plus moyen de s'en défendre : une trans-
formation arlistique s'impose. Il n'y a plus de considération à
avoir que pour ceux qui la tentent. A eux' seuls va désormais
raltention, même quand on les hait.
Très typique à cet égard une anecdote sur jMillet racontée par
V Indépendance. >
« A franchement parler, il y a une lacune en celle exposition,
une lacune déplorable. Et laquelle? L'abstention de celui-ci ou de
celui-lîi? — Peut-être, mais... — Quoi donc encore? — Jean-
François Millet va nous le dire en son langage barbizonesque. On
nous a conté qu'un jour, un confrère lui montrant son tableau et
lui demandant ce qu'il en pensait, le peintre de V Angélus et de
là Tondeuse lui répondit tranquillement :
« Bon, très bon, ce tableau; mais vous savez, devant celte
peinture, on ne se f... pas de gifles. »
« El voilà justement ce qui manque au Salon de Gand. »
Exact, très exact, mais alors pourquoi vilipender (sans succès)
le Salon des XX, où l'on est toujours sur le point de se f... des
gifles devant les tableaux.
Si beaucoup se lamentent à cause du fiasco indiscutable de
l'exposition gantoise, il y a de braves chroniqueurs qui disent
dévotement leur chapelet habituel où chaque peintre a son grain
avec marmottement d'éloges. On sait que tel est le procédé des
feuilles qui ont le désir de gagner des abonnés ou la crainte d'en
perdre. Tous les Nigaudinos sont nommés à la file comme dans
les pensionnats où tous les élèves ont au moins un accessit. Cela
suffit à certaines vanités : Je suis sur la gazette! s'écrie triom-
phalement le Raphaël de province, et cela l'encourage à con-
tinuer son art nauséeux.
Heureusement, d'autres ne se gênent pas. Nous avons en ce
genre reçu un Salon de Gand par Ricordomi. Nous ignorons qui
se dissimule sous ce pseudonyme. A côté de naïvetés amusantes
comme celles-ci : « Le Salon de Gand, après celui de Paris est
classé premier dans le monde artistique », — et d'admirations
pour des soleils d'artifice éteints (inutile de lés nommer), quelques
vertes exécutions de gloires officielles, vraiment savoureuses tant
elles sont de nature à faire scandale par leur justice sommaire
et vraiment légitime. Dans la préface et la postface de bonnes
idées : « Nous sommes étonné, confondu, profondément attristé
en parcourant ce Salon, surtout en contemplant les œuvres des
maîtres ès-arts, à qui esl échu la mission de juger les autres et
de se juger eux-mêmes ». — « On devrait être inexorable pour
les amateurs, messieurs et dames, qui voient dans l'art un simple
amusement et qui remplissent les expositions des indigestes pro-
duits de leurs heures de loisir ».
Voici encore un croquis cruel mais vrai de l'enseignement des
académies généralement trouvé bon il y a quelques années :
« Elles traçaient des règles à l'art, c'est-à-dire à la nature. Elles
créaient un soleil factice, une lune de contrebande, un jour, des
couleurs, des tonalités de fantaisie... 11 y avait des choses pictu-
rales et des choses noii picturales. On ne concevait pas un pay-
{*) Voir notre numéro du 29 août.
sage sans les ruinés d'un château, d'un aqueduc romain, d'une
tour, d'un monument quelconque. On pouvait peindre un.chêne,
on aurait encore fait grâce à un hêtre, mais seul, un malotru
pouvait s'aviser de rendre un pommier, un bouleau ou un saule
ou de dessiner une chaumière perdue sur la lisière d'un bois. Le
cheval était « pictural » à la condition qu'il devînt ,un fougueux
coursier à la crinière hérissée ; mais la pauvre haridelle traînant
un lourd chariot à travers les ornières d'une route défoncée, était
exclue du noble domaine de l'art. On acceptait une vache bien
propre et bien lavéç, yn mouton bien laine, bien blanc, bien
peigné. On passait encore sur l'étable,... à la condition qu'elle
fût entretenue par dix domestiques, et que la paille servant de
litière. fût prête à être tressée... Mais la prairie au large horizon,,
au milieu de laquelle se perdent quelques animaux, le tout
éclairé d'un ciel gris et lourd, le sous-bois aux arbres dépouillés,
à travers lesquels passent à peine quelques rayons d'un soleil de
décembre, tout cela ne se comprenait pas ».
•G[lanurz:^
la critique
Si je dis à la petite critique qu'elle esl médiocre et niaise, je
ne l'élonnerai pas beaucoup. Si je. lui dis qu'elle est cruelle,
je l'élonnerai, car ne se prenant pas au sérieux, elle ne prend pas
au sérieux les blessures que fait sa main froide et gantée. Si je
lui dis qu'incapable d'édifier quoi que ce soit, elle est capable de
détruire beaucoup, que, sans force pour donner la vie, elle a la
vertu de donner la mort et que pour cesser d'être cruelle, il fau-
drait dev'enir intelligente, alors ne sachant plus ce que je veux
dire, elle me répondra que je vais un peu loin ; elle me dira
qu'elle n'a pas l'intention de donner la mort. — Eh ! je ne vous
parle pas de vos intentions! Je sais très bien que vous n'avez pas
d'intentions; mais voilà- précisément ce que je vous reproche;
vous devriez en avoir.
*
* *
Il faut dire à celui qui va juger que l'élévation, la largeur et la
profondeur ne sont pas pour lui des objets de lu.xe, mais des
lois.
La petite critique ne juge pas pour juger, elle juge pour plaire
à ses propres juges. . *
La petite critique, persuadée que les grands hommes n'ont
jamais été jeunes, ni même vivants, que de tout temps ils étaient
des anciens, morts depuis quatre mille ans, ricane el se détourne
en face d'une grandeur vivante et présente.
Pour se venger, elle montre, dans les conceptions du génie, la
virgule qui manque et la médiocrité applaudit.
Le grand critique se place d'assez haut pour saisir du même
coup d'œil le tout et les parties. Nul ne peut juger ce qu'il ne
domine pas. L'enthousiasme donne le courage, el le courage a
deux accents : il admire ce qui est beau, il flétrit ce qui est laid.
Que faut-il donc ? Oser. Voilà la condition de tout.
:^^'w:
La critique doit ôirefidôlC; comme la postérité, et parler dans le
présent la parole de l'avenir.
L'ahisle méprwe Tàrt quand il tend à autre chose qu'à réaliser
le vrai^ Le critique méprise l'art quand il lui pardonne d'avoir un
idéal qui n'est pas vrai.
*- *
Le critique qui songe aux applaudissements, abdique. 11
regarde en bas, au lieu de regarder en haut. Il pose sa couronne
sur le front de la foule. .
^PlBLIOQRAPHIE
Chasses fantaisistes au pays Wallon, par Roland de
ToMENLow (Baron Arnold de Woelmonl).V— Nouvelle édition,
augmentée de six récits nouveaux. — Bruxelles , Muquardt
(Merzbach et Falk). 1886, ^^
L'époque de la chasse donne de l'aclualilé au volume dont
M. de Woelmonl vient de publier une nouvelle édition.
« Je suis né chasseur : on ne se refait pas. Et je suis le chas-
seur le plus endurci qu'on puisse trouver. Les contrariétés
fouettent mon dada, qui s'emporte et n'écoute plus rien. A sa
suite, j'ai été au bout du monde. Quand je ne chaise pas, je lis
des histoires de chasse : théorie et pratique, tout m'est bon. On
s'instruit à relire ses auteurs. OEil-de-Faucon est mon livre de
chevet et ma bibliolhôque est toute cynégétique : on y voit se
coudoyer du Foui Houx et EIzéar B-laze, le Roy Modus et la Chasse
illustrée, échangeant leurs opinions dans un langage spécial,
tout imprégné des senteurs vivifiantes des champs et des bois. »
Ainsi débute, au seuil du livre, un Examen de conscience que
formule très nettement l'auteur. ■ ; - v; ; ;
Ces quelques lignes peignent l'homme, et par conséquent son
style, s'il faut ajouter foi à l'aphorisme de M. de Buffon.
Quand il ne lit pas d'histoires dé chasse, M. de Woelmont en
écrit. C'est ce qui nous a valu Ma vie nomade aux Montagnes
Rocheuses, Souvenirs du Far-West^ et aujourd'hui celle édition
nouxcWc ôos Chasses fantaisistes. ■
On y trouvera vint^t récits propres à charmer la veillée, au
retour des exi)éditions dans la plaine ou sous bois, en celte saison
où la nuit 'commence à réunir, autour de la lampe, chasseurs,
baigneurs, pêcheurs et promeneurs.
, W. de Woelmont écrit sans prétention, à la bonne franquette,
et trace ses notes ainsi qu'il consigne, en son carnet de chasse,
le nombre de pièces abalturs. Il ne se met pas en quête d'aven-
tures extraordinaires. Historien consciencieux des minimes inci-
dents de la vie du chasseur, il se borne à les relater avec humour,
et son monologje plail par sa bonhomie et sa simplicité.
Tristan und Parsifal. Ein Fûhrer durch Musik und Dichtung,
von Hans von "Wolzogen. — Leipzig, Edw. Schloemps, 1886.
Parmi les publications wagnériennes qu'ont fait éclore les fêtes
de Bayrcuth, citons une brochure, Tristan et Parsifal, dans
laquelle le wagnérologue Hans von Wolzogen, directeur des
Bayreuther Blàtter, publie des détails critiques et historiques
intéressants sur les deux drames du maître.
Elle comprend une soixantaine de pages et est ainsi divisée :
i, Musik und Deuischthum. — 2. Philosophie und Crislenthum,
— 3. Religion und Kunst.
Une table thématique des motifs de Parsifal, au nombre de 25,
cl de Tristan, su nombre de 20, clôture ce petit volume, mis
en vente au prix de 75 pf. (cart. un mark).
L'Europe illustrée. De Paris à Milan, par V. Barbier.
— Zurich, Oreir Fûssli et Ci«. -
La dernière livraison de V Europe illustrée, cette excellente
collection de guides illustrés que publient les éditeurs suisses
Oreir Fiissli et C'*, est consacrée à l'admirable route du Monl-
Cenis. Elle forme une brochure de 164 pages ornée de 78 croquis
d'après nature par MM. J. Weber et J. Roichlen, fort élégamment
reproduits, et de deux cartes.
Ce petit volume conlient tous les renseignements utiles aux
touristes que la saison des vacances attire dans les montagnes de
la Savoie. Mais il n'a pas la sécheresse d'un Baedecker et sera lu
avec intérêt même par ceux qui, à l'exemple de de Maistre, bornent
leur ambition à un voyage autour de leur chambre. Ceux-là ver-
ront, sans se déranger, grâce aux jolies illustrations de MM. Weber
et Reichlen, se dérouler le panorama de Paris à Milan par Dijon,
Culoz, Chambéry, Chaniousset, Modane, Saint-Jean-de-Maurienne,
Suse, Bardonèche et Turin, Et le texte de M. Barbier les initiera
à l'histoire du pays, ainsi qu'à l'une des entreprises les plus con-
sidérables du siècle, le perèement dti Mont-Cenis.
Rappelons les litres des livraisons parues précédemment dans
la même collection -. i. Chemin de fer Arlh-Righi. — 2. Id.
Uetliberg. — 3. Id. Vitznau-Righi. — 4. Id. Rorschach-Heiden.
— 5. Baden-Baden. — 6. Thoune. — 7. Interlaken. — 8. Enga-
dine. — 9. Baden (Suisse). — 10. Zurich. — 11. Nyon. —
12. Constance. — 13. ThuSis. — 14. Lucerne. — 15. Florence.
— 16. La Gruvère. — 17-18. Milan. — 19. Schaffliouse. —
20. — Ragaz-Pfaefers. — 21. Kreuth. — 22.> Vevey. — 23. Davos.
— 24. Notre-Dame des Ermites. — 25. Reinerz. — 26-27. Le
Clos de la Franchise. — 28. Neuchâtel. — 29-30 Fribourg en
Brisgau. — 31-32. Gôbersdorf (Silésie). — 33-36. Le Sainl-
Goihard. — 37. De Frobourg à Waldenbourg. — 38-39 Kran-
kenheil-Tolz. — 40-41. Baitaglia (Padoue): — 42-44. La ligne
Carinthie-Pusterthal. — 45-47. Ajaccio. — 48-49. Le Biirgen-
stock. — 50-51. Coire. — 52-53. Gralz (Styrie). - 54-55 De
Paris à Berne. — 56-57. Aix-les-Bains. — 58-60. Du Danube à
l'Adriatique. — 61-62. Le lac des Quatre-Cantons. — 63. La
Bergstrasse. — 64-65. A travers TArlberg. — 66-68. Budapeslh.
— 69-70. Heidelberg. — 71-73. Locarno. — 74. Monlreux. —
75-78. Le Mont-Cenis.
Chaque livraison est en vente au prix de cinquante centimes.
?'
'ETITE CHROJ^iqUf:
Nous avons annoncé que M. Emile Mathieu, l'auteur du Hoyoux
et de Frèyhir, écrivait un opéra intitulé Richilde, et nous en
avons analysé le sujet. Nous apprenons que l'oiivrage est entiè-
rement terminé et qu'il'^sera lu, le 25 septembre, aux directeurs
du théâtre de la Monnaie. Nous souhaitons vivement qu'il soit
reçu et mis en scène promptement. M. Mathieu est un musicien
de haute valeur auquel nous n'avons jamais ménagé nos éloges.
Il r le souffle dramatique qui révèle un compositeur de théâtre.
Et sans avoir entendu sa partition, on petit augurer, d'après ses
ouvrages antérieurs, qu'il s'agit de quelque œuvre originale et
puissante.
La deuxième cxposilion organisée par le Cercle artistique de
Tournai s'ouvrira aujourd'hui à 9 1/2 heures précises du malin,
h l'Ecole moyenne des Demoiselles.
Le prix de Rome est décerné. Le jury a classé premier
M. Monlald, élève de l'Acaflémic de Gand, soutenu parcelle-ci,
auteur de la Lutte humaine pour la gloire, qui figure au Salon.
Invraisemblable machine !
M. Joseph Middeleer qui a cette qualité de n'appartenir à
aucune académie, élève de Franiz Mcerts, qui a, accompagné son
maître lorsque celui-ci fut chargé d'exécuter à Florence la copie
du Iryplique de Hugues Vandergo.^s : VAdoralioji des Bergers,
est 'àrn\é deuxième. Ce résuliat n'est pas trop décourageant en
présence du succès obtenu par M. Rosier, de l'Académie des
Bcaux-Arls d'Anvers, placé troisième.
M. Hans de Bulovv fera cet hiver une tournée de concerts dans
lesquels l'éminent virtuose fera entendre l'œuvre complet de
Beelhoven pour le piano. Ce seront là des séances de grande
attraction, et nous espérons que M. de Bulow n'oubliera pas de
comprendre Bruxelles dans son itinéraire.
Le camée de Liszt ciselé par Théodore de Banville: «On sait
combien ce lumullueux pianiste eut toujours d'esprii au service
de son génie. Doué d'un visage romantique aux traits longs, au
nez de héros byronien, à l'œil fatal, à la bouche mélancolique,
à la chevelure énorme de saule, droite comnie des baguelles, cet
Allemand si profondément Parisien comprit qu'après la chute du
Romantisme un visage romantique se trouverait déplacé partout,
excepté dans le giron de l'Eglise, qui en tout temps garde le pur
sentiment de toutes les beautés. Aussi sa résolution fut-elle un
trait de génie! L'Eglise, qui ne veut-? que des perfections, a
sculpté plus vigoureusement les traits si poétiques de Liszt, et
leur a imprimé un grand caractère, un peu dur et farouche, qui
ne leur nuit pas. Par un hasard singulier et fantasque, ces irré- -
gularilés de la peau, qu'on nomme vulgairement des grains de
beauté, se sont multipliés sur la figure du grand virtuose au
moment où il perdait la fleur de beauté de la'jeunesse : avec les
hommes de mil huit cent trente, la Nature, sachant qu'ils le lui
rendront bien, ne se gêne pas pour abuser de l'antithèse! »
Le chef de la sûreté, à Paris, avait chargé dernièrement un
brigadier de rechercher un tableau de Claude Lorrain, volé dans
un hôtel particulier par un cambrioleur.
Après d'activés investigations, il réussit à découvrir le rece-
leur. Celui-ci, pressé de questions, finit par avouer qu'il avait
acheté le tableau 5 francs, mais sans se rendre compte de la
valeur de l'œuvre qui est estimée 18,000 francs! ! !
Ce brocanteur peu éclairé l'avait revendu 6 francs à un con-
frère tout aussi ignorant que lui en matière de peinture, lequel ^^
exposa le tableau à sa devanture en inscrivant dessus à la
craie : 10 francs. L'œuvre de Claude Lorrain resta quinze jours
au soleil et à la pluie. Enfin, un passant l'acheta au prix marqué
et l'emporta chez lui, où sa famille le railla de son acquisition
avec une telle persistance qu'il remisa le tableau dans son cabinet
d'aisances. C'est là que le brigadier en a opéré la saisie.
Quelle idée cela donne du goût du public!
L'emploi des jeunes enfants au théâtre, principalement pour
les pièces à spectacle, a pris de telles proportions à Berlin qu'il
a fallu une intervention de la police pour réprimer les abus que
cet état de choses engendrait.
Un arrêté vient d'être rendu par lequel nul enfant ne peut être
engagé par un directeur de théâtre s'il n'est muni d'une autorisa-
tion écrite du commissaire de police et d'une attestation du maître
d'école; l'autorisation pourra être retirée à toute époque et chaque
fois que les besoins de l'école l'exigeront. Le service des enfants
au théâtre ne pourra se prolonger au delà d'onze heures du soir.
Très dur, mais très vrai, un article d'Emile Cofra dont
nous extrayons ceci :"
« Est-il vrai que l'art manque de débouchés et qu'il végète
faute d'encouragement. '■\ "
« Hélas non; telle n'est pas la maladie dont souffre l'art; ce
ne sont pas les jurys qui coupent les ailes au génie; ce ne sont
ni les encouragements, ni la liberté, ni les moyens do produire
qui lui manquent. Ce serait bien plus juste de dire que ce sont
toutes ces influences qui dégradent l'arl ; car, grâce à elles, le
mauvais goût le plus. détestable s'est répandu parmi le public qui
paie au poids de l'or les productions les plus insipides; la spé-
cialisation, le désir de plaire et de se vendre a, de la sorte,
réduit les artistes au rôle d'instruments passifs de l'inspiration
des imbéciles et développé chez eux une monstrueuse cupidité
qui n'est pas la moindre cause parmi celles qui ont engendré
leur abaissement.
« La licence dont jouit l'art, les libéralités de toute nature
dont on le gratifie, l'incontinence encouragée des artistes, ont
surtout multiplié les productions nriédiocres et fait perdre toute
valeur morale, toute dignité et toute destination sociale à ses
œuvres; elles ont en outre procréé toute une corporation de
déclassés, absolument impropres à la fonction qu'ils prétendent
remplir et qui eussent bien plus utilement employé leur vie en
décorant.les étoffes ou les papiers peints.
« De plus en plus, en effet, les moyens sont pris pour le but
dans l'art moderne, les procédés pour les résultats, l'expression
pour la méditation. Les artistes sont ainsi parvenus à une perfec-
tion inouïe dans l'exécution, et leurs œuvres révèlent des mains
extrêmement habiles, de grands savoir-faire ; mais l'invention
n'y brillé guère, et il ne semble pas que ce soient des cerveaux
éclairés qui aient, dirigé et utilisé tous ces admirables instru-
ments. L'art, enfin, manque d'inspiration, de conception, et, en
général, il n'est pas cultivé par des hommes qui pensent.
« Les artistes modernes sont presque tous des esprits médio-
cres, de purs praticiens, impuissants à embrasser un vaste sujet
et, par suite, à idéaliser les grandes pensées ou les grands événe-
ments qui sont l'honneur de l'humanité.
« Cette critique peut s'étendre à l'art en général, c'est-à-dire
à la poésie, à l'art dramatique, à la musique, à la peinture, à la
sculpture, à l'architecture, qui tous aujourd'hui présentent les
mêmes symptômes morbides, les mêmes vices organiques et qui,
en dépit d'une pullulation effrénée, demeurent sans résultats et
sans action profonde sur le public.
tt II en sera de même tant que l'art ne se sera pas retrempé
dans une philosophie nouvelle, dans une foi vivifiante capable
de susciter les mêmes enthousiasmes que celles du passé et de
lui faire recouvrer son antique efficacité sociale. Ce n'est pas, en
effet, dans le petit réduit de l'imagination individuelle qu'il peut
puiser les éminents sujets d'idéalisation qui inspirent les chefs-
d'œuvre; il lui faut les grands spectacles sociaux, les commu-
nautés de sentiments qui rassemblent et rallient la multitude des
hommes. L'arl se développe non pas en restant aristocratique et
spécial, mais en devenant général et populaire. »
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?
OMMAIRE
Le parfum de la musique. — Exposition des tableaux de
MAITRES anciens AU PaLAIS DES BeAUX-ArTS. — CORRESPONDANCE
PARTICULIÈRE DE «• l'Art MODERNE i». L'impresstonnisme aux Tui-
leries. — ' Pathologie littéraire. — Petite chronique.
LE PARFUM DE LA MUSIQUE
L'un des qualificatifs les plus généralement usités par
les poètes quand ils parlent de la Musique est l'adjectif
** ailée »», et ce mot exprime à merveille la sensation
qu'elle procure, cet envolement de la pensée vers le
pays du Rêve, ce frissonnant voyage à travers les espa-
ces où plane l'insaisissable Chimère.
Pour produire cette ivresse, il n'est pas toujours
nécessaire que la musique ait une valeur artistique, et
souvent l'oreille la moins exercée peut en ressentir
délicieusement les efiets : il s'agit ici d'une impression
d'ordre physique, analogue à celle que font éprouver,
par exemple, les parfums, et d'une subjectivité telle
qu'elle peut faire sangloter tel auditeur tout en laissant
tel autre absolument indifférent. Qui de nous ne s'est
senti violemment ému en entendant à l'improviste la
mélodie naïve qui a rythmé telle heure, telle minute,
triste ou joyeuse, de son enfance, et si étroitement unie
à cette tristesse ou à cette joie que le souvenir n'en
peut désormais plus être séparé ?
Voyageur, vous n'avez pas oublié, et vous n'ou-
blierez jamais, qu'au moment où vous êtes monté à bord
du navire qui allait vous emporter loin de vos affec-
tions, un orchestre militaire passait sur le quai, jouant
un pas redoublé retentissant. Cette gaîté vous a paru
triste à fendre l'âme, et le motif du pas redofublé s'est
enfoncé,, sifflant et vibrant comme une flèche, pour y
demeurer planté à jamais, dans votre cœur. Que vous
en entendiez, en quelque circonstance que ce soit, les
premières notes, tout aussitôt se présenteront nette-
ment sous vos yeux la scène des adieux, et le steamer
prêt à appareiller, et l'effarement tumultueux du départ ;
ce chant de joie vous fera verser des larmes.
Amant, le soir étoile qui voila vos premiers aveux,
vous marchiez à petits pas dans l'ombre palpitante des
bois, enlacé à celle dont l'haleine se confondait avec la
vôtre, et le silence était si solennel, que les Amadrya-
des aux aguets dans la profondeur du feuillage ne per-
cevaient rien d'autre qu'un vague murmure de baisers.
Au loin s'éleva la voix d'un cor, emplissant de mélan-
colie la futaie sonore. Vous avez tressailli, et le chant
modulé par ce cor est devenu le thème de votre amour,
-si intimement lié à lui qu'aujourd'hui encore, chaque
fois que vous l'écoutez, vous entendez retentir en vous-
même un écho des voluptés dont vous vous êtes abreuvé
au temps de ces lointaines délices.
La musique est l'atmosphère qui caresse nos sensa-
tions, la lumière qui baigne les épisodes tragiques ou
idylliques, douloureux ou charmants, de notre vie.
Elle est, avec une intensité sans égale, évocatrice et
suggestive. La délicate et subtile effluence de ce bouquet
de roses -thé fait revivre pour vous, n'est-ce pas.
Madame, la minute délirante où, toute troublée, vous
*■■ ,«- .;, j,'/, ■■'■'^
J"
en acceptâtes un semblable dans une circonstance déci-
sive. Mais que dire de la valse de Strauss que jouait à ce
moment l'orchestre, à laquelle vous ne donnâtes peut-
être qu'une attention distraite, dont cependant le magné-
tique pouvoir est tel que jamais plus son rythme berçant
ne pourra effleurer votre oreille sans faire vibrer dans
votre âme les cordes mystérieuses de cette lyre d'a-
mour qui est la Poésie de votre éblouissante jeunesse ?
Parfois, au lieu d'une relation conventionnelle, un
accord s'établit entre la donnée musicale et la circon-
stance qu'elle accompagne : le thème est héroïque, ou
sentimental, ou passionné, ou sinistre, ou d'une rêverie
pleine de mystères, selon l'incident que fortuitement il
accompagne. Oh ! combien intense et tragique et
troublant est alors le choc que nous ressentons! Certes,
si nos sens étaient moins grossiers, s'ils pouvaient
échapper ^aux entraves de la chair et battre de Taile
dans l'infini des régions de l'esprit, les parfums nous
apparaîtraient, de même, en une gamme merveilleuse,
correspondant, dans tous leurs degrés, aux sentiments
dont notre cœur peut être assailli. La virginité de l'émé-
rocale blanche et de l'oranger, la sensualité de l'hélio-
thrope, de la tubéreuse et du magnolia, la belliqueuse
ardeur des roses saignantes, la sérénité de la lavande,
la candeur de l'iris, l'impétueuse énergie des plantes aux
relents pimentés : la giroflée, le thym, l'œillet de la
Chine, deviendraient perceptibles pour tous les mortels,
et les mille senteurs qu'exhale la nature, la résine des
sapinières, les herbes fraîchement fauchées, les trèfles
pourprés, les vastes bruyères, les landes où brille For
des genêts, chanteraient une émouvante symphonie
dont chaque voix éveillerait en nous un monde de sen-
sations sommeillant sous la cendre des souvenirs. La
signification précise de chacune de ces senteurs serait
aussi claire que les formes musicales imaginées par les
oiseaux, — et imitées par les hommes! — pour expri-
mer leurs pensées. Et ce ne serait plus Baudelaire seul
qui aurait le droit de dire : « Mon âme voltige sur les
parfums comme l'âme des autres hommes voltige sur
la musique. »
Si cela était, on ne considérerait pas comme une
simple — et étincelante — fantaisie d'artiste la concep-
tion de V orgue à bouche qu'inventa le duc Jean Flo-
ressas des Esseintes et dont chaque registre ouvert
faisait filtrer, goutte à goutte, dans un verre, des
liqueurs diflérentes, afin qu'on pût composer un nectar
qui enchantât le palais comme le plus beau morceau
de musique ravit l'oreille!
Mais nos sens sont atrophiés et éteints, sauf celui de
la vue, que nous exerçons uniquement dans le but de
discerner, quand nous changeons un louis, si on ne
nous rend pas dix-neuf francs cinquante. Et nous ne
soupçonnons même pas la sensation raffinée, exquise,
que produirait le concert des parfums, dès saveurs et
des sons en parfaite concordance avec les états de notre
âme! • •
Un homme a eu l'idée d'appliquer à l'Art le résultat
de ces réflexions, qui sont toutes naturelles et découlent
logiquement de l'observation. Il l'a fait entrer dans
la théorie de sa musique, et cette chose si simple a
déchaîné une révolution.
En imaginant de symboliser ses héros, leurs senti-
ments, ou même telles idées abstraites, la Foi, la Cha-
rité, par des phrases musicales destinées à être le
canevas sur lequel s'épanouiront les fleurs brillantes,
les arabesques d'or et d'azur, il s'est borné à transformer
en ressort dramatique — et de quelle puissance ! — ce
phénomène qu'il avait noté dans la vie : la musique
s'enlaçant à un épisode, à une personne, plus étroite-
ment que le lierre au tronc du chêne, que le vêtement
au corps, et devenant l'atmosphère même dans laquelle
se meuvent les individualités, l'expression par laquelle
on pourrait, à défaut de mots, désigner telle sensation,
telle passion, telle évolution du cerveau, telle palpita-
tion du cœur.
Mais avec quel discernement judicieux il les a
choisis, et avec quel tact il les applique aux situations
scéniques!
Un seul exemple. Lorsque, au troisième acte de
Tristan et Isolde, Kourwenal, inquiet du silence de
son maître*iagonisant, étend la main sur sa poitrine
pour s'assurer que son cœur n'a pas cessé de battre,
la phrase d'amour qui tout à coup jaillit, avec une dou-
ceur infinie, des profondeurs de l'orchestre, ne dit-elle
pas mieux qu'un discours, que vingt discours, ce que le
poète veut faire comprendre?
C'est le parfum de la musique, cela, cette chose sub-
tile et pénétrante qui n'est pas la musique elle-même,
puisque celle-ci est capable d'exprimer — et exprime
fréquemment — les» sentiments les plus nobles, les plus
tendres, les plus touchants, les plus passionnés, par les
seules ressources de ses enchaînements harmoniques et
du dessin capricieux ou sévère de sa mélodie.
Evocateur souverain, ce parfum a acquis au théâtre,
depuis qu'on y représente les drames du maître, uiie
importance telle qu'on ne conçoit plus guère qu'un
compositeur se passe de ce merveilleux moyen d'action,
puisque, à moins detre totalement disgraciés par la
Nature, il n'est guère de spectateurs qui n'en puissent
savourer le capiteux arôme.
Aussi un journal français annonçait-il ces jours-ci,
avec un sérieux qui fait sourire, que M. Massenet écri-
vait une partition basée sur un système « entièrement
nouveau, » appelé à faire sensation : chacun des person-
nages y serait symbolisé par une phrase musicale que
l'orchestre reproduirait chaque fois, que l'acteur ainsi
représenté entrerait en scène ou qu'il serait question de
lui
m^»^ru
^e-viy;,;. T''^'/;.-p^;>
\^v
;*»sis::;-W5»'
C'est donc un point désormais acquis à l'histoire :
M. Massenet est l'inventeur des motifs caractéris-
tiques !
Le procédé est d'ailleurs à la portée de tout le
monde. Il suffit, pour l'appliquer comme il convient,
d'avoir du génie. .'
EXPOSITION DES TABLEAUX DE MAITRES ANCIENS
au Palais des Beaux- Arts.
Le catalogue de l'exposition a beau être explicatif, on
ne le croit guère. Les Rembrandt, les Rubens, les
Teniers y foisonnent. Tableaux mesurés à un centi-
mètre près, détaillés dans leur sujet et leur prove-
nance, estampillés de leur état civil, ils mentent par
chacune des lettres de leur notice et leurs personnages
jouent la comédie des vrais chefs-d'œuvre, les uns avec
des gestes approximatifs, les autres avec des vêtements
aux couleurs douteuses. Un Rubens, cette Sal07né? Un
Rembrandt, cette Vanité? Oh! les pauvres grands
génies qu'on outrage deux siècles après leur mort, en
leur attribuant des coups de pinceau non donnés, des
combinaisons de tons non commises, des pensées non
conçues, outrages acceptés par l'indifférence et la
bêtise unanimes et infligés impunément avec le con-
cours de S. M. le Roi et S. A. R. le comte de Flandre
et tous les membres du comité à la queue-leu-leu ! La
calomnie en art nous semble aussi triste que l'autre et
pourquoi ne punit-on point l'exposant d'une œuvre
apocryphe ? Les grands maîtres morts à la vie maté-
rielle sont vivants de la vie suprême; ils méritent res-
pect plus que n'importe quoi et, si tel amateur leur
inflige telle élucubration médiocre et trouvé un Palais
des Beaux- Arts pour l'étaler en public — qu'importe
que l'exposition soit au profit de la Caisse centrale des
Artistes, — on a le devoir de signaler ce scandale.
Aussi bien qui protesterait et qu'est-ce que le respect
de l'art et de l'artiste en Belgique? Si tel monsieur
inscrit sous un tableau médiocre soit le nom de
Rubens, soit celui de Rembrandt, songe-t-il un seul
instant au tort qu'il peut faire à une gloire? Rubens et
Rembrandt ne sont-ce pas noms dont il est libre de faire
de l'argent. Et après? Connaîtrait-il leur vie, ne décla-
rerait-il point que ce sont ou des gueux, ou des toqués?
Le culte du beau, l'avoir, lui, le marchand enrichi, lui,
le boursier haletant? Affaire de vanité à soigner. Il se
sert de l'art pour se donner du ton, comme de cirage
pour lustrer ses bottes. Il parle de sa galerie comme de
ses chevaux et de ses panneaux illustres comme de
ceux de sa voiture.
Nous ne discuterons aucune authenticité de tableau,
la chose serait trop aisée . ^
Nous préférons signaler quelques toiles d'artistes
quasi inconnus qui nous ont particulièrement sollicité.
Et tout d'abord deux toiles : le Pauvre festoiement
et le Combat des Gueux d'Adrien Van der Venue.
Le peintre? illusoirement célèbre. Et néanmoins quel
superbe et bizarre poète des loqueteux, des baricroches,
des va-nu-pieds ! quel satirique de la misère ! Callot et
Goya viennent à l'esprit, surtout ce dernier. Callot
saisit avec plus de verve l'aspect famélique des men-
diants, mais Van der Venue presqu'autant que Goya
définit leur caractère tragique et fantasque, terrible et
fou. Ces gueux sortent de vrais taudis, apparaissent
effrayants et forts et fiers et dominateurs et rois de
leurs guenilles pourtant.
Les deux œuvres sont des grisailles, mais traitées
avec une belle entente des valeurs et savoureusement .
Plus loin, avez vous remarqué le Koedyk? Très inté-
ressante cette petite toile dont une étude de lumière,
à la hollandaise, met en évidence la coloration maîtresse
et l'intimité tranquille. A voir le cas minime qu'on fait
de certains artistes — Koedyk en est — alors que des
Berchem et des Dujardin et même des Wynants s'im-
posent ^indiscutés, au premier rang, on penche de
plus en plus vers cette considération triste : « La gloire
joue à Colin-Maillard avec les morts »,
Koedyk, mieux que n'importe qui parmi les anciens,
a saisi la clarté du jour dans les appartements et les
chambres. Certaines plaques de lumière sur les murs
sont presque du soleil. Il réussit des harmonies de brun
et blanc exquises de distinction et de vérité. Il voit et
sent originalement ce qu'on ne peut dire ni de Gérard
Dow, ni de Mieris, ni de la plupart des petits maîtres,
si haut cotés à la bourse des amateurs et des mar-
chands.
Et voici une Marine de Peeters, le n° 167. Quel
pinceau délicat, spirituel ! La minutie des détails, la
symétrie des lignes, la linéaire ordonnance de la com-
position, non rien n'atténue le plaisir d'artiste qu'on
ressent à l'examen de cette œuvre exquise. Et quels
délicieux tons clairs et gras, là-basr dans le fond, au
ras de l'eau, dans le mouvement calmé des vagues !
Et quelle élégance fière dans le rendu des navires et
l'orgueil de leurs mâts et la fragilité charmante de
leurs agrès et la royauté de leurs poupes et de leurs
proues !
Npus signalons encore une œuvre attribuée à
Brauwer (n° 40) superbe de caractère et de vie. Com-
bien plus grandement que Teniers, il comprend lui, le
buveur ! Il le fait épique et farouche, tandis que celui-là
ne le pousse presque jamais au delà de la plaisanterie
ou de la caricature. U intérieur du cabaret avec ses
brutalités d'esquisse, témoigne d'une fière puissance de
conception et d'une exécution vaillante, pleine d'entrain,
avec de la fougue et de la violence heureuse au bout du
pinceau.
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doo
rART MODERNE
Reste le superbe panneau de Cristus : Fiançailles
de Sainte-Godéberte et les Miracles de Saint -Benoit
de Rubens. Ces deux envois dominent l'exposition. Le
premier est merveilleux et comme c'est intime et gothique
de représenter ainsi la scène! Le second nous montre
Rubens non encore débarrassé des souvenirs vénitiens
et s'oubliant ci et là dans les colorations de Veronèse
et de Titien. Nous ne soutenons nullement que le
maître seul ait touché à la toile, mais quel superbe
morceau que le nu de Tavant-plan et quel admirable
ordonnance et neuve. Les Miracles de Saint-Benoit
sont une toile d'une spécialité assez rare dans l'œuvre
du peintre. Est-elle intacte de remaniements posté-
rieurs?
Si l'on compare le présent Salon de tableaux anciens
à celui ouvert — voici quatre ans — dans le même
local, la comparaison n'est nullement à l'avantage du
dernier. Les organisateurs ont été trop indulgents à
admettre des toiles évidemment fausses et qui jettent
à premier examen un discrédit sur le reste. Il n'est rien
de plus fâcheux que de*«entir. des points d'interroga-
tion se dresser 'tfprès les signatures. L'esprit critique
s'éveille immédiatement et l'on ne peut se défendre à
chaque toile d'en scruter plutôt l'authenticité que le
mérite. Et l'admiration s'en va, même la légitime.
COBRESPOIANCE PARIICDLIfiRB DE « L'iBI MODERNE »
L'Impressionnisme aux Tuileries.
Au mois d'avril 1884 s'organisait à Paris un Groupe des
Artistes Indépendants^ qui ouvrit, en mai, une exposition dans
les baraquements de la place du Carrousel. Le hasard avait
composé le comité de joviaux gaillards, échappés de quelque
vaudeville, qui ahurissaient le commissaire de police par leurs
mutuelles demandes d'arrestation et se bâlonnaicnt, le soir, au
coin des rues. En peu de jours, ils volatilisèrent les versements.
L'assemblée générale, désespérant de jamais obtenir la moindre
reddition de comptes, les congédia, le 9 juin, et décida la îon-
&!i\\<iïidiQ\2i Société des Artistes Indépendants (*), qui fut, le il,
régulièrement constituée par devant notaire. Une première expo-
sition eut lieu à la fin de 1884; la seconde se clora dans quel-
ques jours.
Tout l'intérêt de l'exiiibition actuelle se concentre, évidem-
ment, sur la dernière sftle, livrée à l'impressionnisme (").
\SArt moderne a rendu compte du Salon impressionniste de
la rue Laffille (mai-juin 1886) ("*). A côté des noms de MM. Degas,
(') Siège : Paris, 19, quai Saint-Michel. Expositions : rue des
Tuileries, près du Pavillon de Flore. «♦ Cette Société, dit le préam-
bule des catalogues, est basée sur la suppression des jurys d'admis-
sion et a pour but de permettre aux artistes de présenter librement
leurs œuvres au jugement du public ••.
(**) Les 340 autres numéros, — si l'on en distrait le Tripot clan-
destin de M. Alexis Boudrot, les natures-mortes de M. Louis Gou-
gnet fort habilement peintes, et les gravures de M. Hôner, — sont
des œuvres infantiles ou séniles. Contre leur flaccidité, une critique
contondante serait inopportune.
("**) Voir notre no 26, l'article intitulé •• Les Vingtistes parisiens.»
Guillaumin, Gauguin, de M™« Norisot, etc., s'y manifestaieat,
suscitées par M. Camille Pissarro et par trois débutants, des
préoccupations et une facture nouvelles. Nous retrouvons rue
des Tuileries ces trois peintres, — MM*. Georges Seurat, Paul
Signac, Lucien Pissarro, fils de Camille. M.. Albert Dubois est
avec eux.
Dès l'origine, le mouvement impressionniste se particularisa
par la recherche de vives luminosités naturelles, la notation plus
complète des réactions des couleurs, une observation exclusive
et plus stricte de la vie contemporaine. Ce programme appelait
une facture spéciale. On proscrivit les bitumes, les terres de
momie, tous les funèbres ingrédients de l'école et de la tradi-
tion; mais on ne répudia pas les mélanges sur la palette, ou, si
l'on décomposa les tons, on le fit de façon quelque peu arbi-
traire et à libres touches; pour les besoins de la cause, on
déclara qu'au recul les couleurs se fondai^t en moelleux ensem-
bles; mais trop souvent c'était là une affirmation gratuite. On
peignit par larges empâtements; les toiles se bosselèrent comme
plans en relief. On mit à profit les roueries coutumières ; le jeu
de la main varia avec l'effet à reproduire : il eut pour les eaux
des glissements et le sillon des poils dans la pâte ; il fut circu-
laire pour bomber des nuages, roide et preste pour hérisser un
sol; on ne renonça pas aux hasards heureux de la brosse, aux
fortuites trouvailles de l'improvisation. — Ces manœuvres, les
carnations féminines et les étoffes de M. Renoir leur durent sou-
vent des effets de velouté, de souplesse, de flottement ; elles
contribuèrent à mouvementer les campagnes et les marines de
M. Claude Monet; M. Camille Pissarro sembla les négliger. Ce
fut, en somme, la cuisine des maîtres de l'impressionnisme, et
les résultats étaient à souhait pour séduire les plus réluctants.
Mais n'est-il pas possible d'instituer un tableau de façon pré-
cise et consciente ? Un groupe de peintres l'affirme et le prouve.
Cette réforme, que faisait pressentir l'œuvre de M. Claude Monet
et dont M. Camille Pissarro avait la nette intuition, un nouveau-
venu, M. Georges Seurat, en prit l'initiative et en établit les
termes dans son tableau Un dimanche à la Grande-Jatte (1 884-
1885). Les tons sont décomposés en leurs éléments constitutifs;
des taches expriment ces éléments : elles s'offrent en une mêlée
où leurs proportions respectives sont, on peut dire, variables
de millimètre en millimètre ; s'obtiennent ainsi de pacifiques
dégradations de teintes, des modelés souples, les colorations
les plus délicates. Tel, dans le Pré en contre-bas (juillet 1886),
ce pâle et ardent ciel estival de M. Dubois-Pillet affirme sa qua-
lité par une tavelure de bleu ; dans ce bleu tombe un semis
d'orangé clair décelant l'action solaire ; et ces couleurs, dont la
résultante optique a une tendance au blanc, se ponctuent d'un
rose, complémentaire du veronèse qui crête la ligne des arbres.
A deux pas, l'œil rie perçoit plus le travail du pinceau : ce rose,
cet orangé et ce bleu se composent sur la rétine, se coalisent en
un vibrant chœur, et la sensation du soleil s'impose : on sait,
en effet, — expériences de Maxwell, mensurations de N.-O. Rood,
— que le mélange optique suscite des luminosités beaucoup plus
intenses que le mélange des pigments. Au prix des Camille Pis-
sarro récents, ceux de 1871 à 1885, si merveilleusement atmo-
sphériques et lumineux, sont ternes.
Voici de M. Lucien Pissarro un paysage de fin d'après-midi
{le Hangar). La lumière solaire, jîune blanc vers midi, s'est
f , ' f
VAEti MODERNE
801
enrichie de rouge; le bleu, par quoi s'exprime l'ombre, tend à
tout envahir; les couleuîrs locales s'actionnent moins vivement.
Pour les promoteurs de cette nouvelle peinture, de toute
surface colorée s'épandenl, avec des forces diverses, des colora-
tions qui vont s'amoindrissant ; elles se pénètrent comme des
cerclés d'ondes, et le tableau s'unifie, se synthétise en une sensa-
tion générale harmonique.
Les premières tentatives dans cette voie datent de moins de
deux ans : la période des hésitations est passée; de tableau en
tableau ces peintres ont affermi leur manière, accru leurs obser-
vations, clarifié leur science. Des points non encore élucidés.
D'après les tableaux de M. Pissarro, une surface colorée n'agit
pas seulement par sa complémentaire sur les parties avoisinantes,
mais réfléchit sur elles un peu de sa couleur propre, même quand
cette surface n'est pas brillante, môme quand l'œil ne perçoit pas
distinctement ces reflets. L'opinion de M. Seurat et de M. Signac
semble moins affirmative. Et, pour prendre un exemple, la pro-
meneuse du premier plan dans Un. Dimanche à la Grande-
Jatte est debout dans l'herbe sans que la moindre tache verte
concoure à la formation du ton de sa robe. — Dans un même
paysage, M. Camille Pissarro donnera une valeur uniforme aux
tâches d'orangé solaire, ainsi qu'il semble logique. Avec
MM. Seurat et Signac, elle est plus ou moins foncée, selon le
plan. Mais l'imperfection de nos couleurs contraindra peut-être
M. Pissarro à ces dégradations d'orangé.
Ces recherches se compliquent de recherches industrielles. Des
précautions sont à prendre contre la duplicité des couleurs :
elles s'attaquent chimiquement entre elles; la lumière et le
temps dénaturent les autres. Au Louvre, dans VEsther de Paul
Véronèse, à travers les colonnades du palais d'Assuérus, ou voit,
étonné, des nues blanches se panader sur un ciel d'encre, —
jadis bleu : ce bleu fut à la mode. — De semaine en semaine on
pourrait suivre la transformation des orangés. Le blanc d'argent,
qui est un blanc à base de plomb, noircit ; le blanc de zinc, qui
ne noircit pas, ne couvre pas assez, est maigre : quelle matière
inaltérable lui adjoindre pour le rendre gras? la magnésie? Le
vert véronèse, constamment présent sur la palette impression-
niste, est à base de cuivre \ dans les mélanges, les blancs à base
de plomb ou de zinc le détériorent donc; et comment avoir un
véronèse à base de zinc? Ces questions ont toujours sollicité
les impressionnistes et, spécialement; M. Camille Pissarro ; mais
ici l'expérience pour être concluante doit porter sur de longs
laps ; — et le peintre qui a le mieux surveillé la fabrication de
ses couleurs, est précisément celui dont les couleurs ont le plus
noirci, Léonard.
Afin d'éviter les ombres que jettent les empâtements, MM. Pis-
sarro, Seurat, Dubois-Pillet et Signac appliquent leurs couleurs à
plat. — Installée par touches rompues, leur pâte peut jouer élas-
liquement : elle échappe ainsi au danger du séchage, la craque-
lure. — Les embus disparaissant derrière le verre comme derrière
le vernis, ils mettent, à l'exemple de MM. Alma-Tadema, James
Tissot, etc., leurs toiles soîis verre : elles n'ont donc rien à
craindre du saurage, inévitable avec les plus purs vernis. —
Enfin, à l'exclusion du cadre d'or destructif des tons orangés, ils
adoptent provisoirement le cadre classique de l'impressionnisme,
le cadre blanc, dont la neutralité est bienveillante à tous les voi-
sinages, s'il contient, pour atténuer sa crudité, du jaune de
chrome clair, du vermillon et de la laque.
Il
Les marines de M. Seurat s'épandent calmes et mélancoliques,
et jusque vers de lointaines chutes du ciel, monotonemenl, cla-
potent. Un roc les opprime, — le Bec du Hoc ; dçs suites de
voiles s'y affirment en triangles scalènes, — la Rade de Grani-
campt Bateaux. Une peinture très insoucieuse de toute gentil-
lesse de couleur, de toute emphase d'exécution, et comme aus-
tère, de saveur amère, salée. Si ces paysages s'animent de
figures, elles assument des contours géoméiriques : cette médi-
tante femme de la Seine à Courhewie^ ces deux Parisiennes, d'un
croqueton pris à CourbevoiCt ces promeneurs d'Uyt Dimanche à
la Grande-Jatte, — le canotier dorsalement couché qui fume,
les jeunes filles dont le torse, d'une verticalité de gnomon, jaillit
de l'herbe soleillée où s'annulent les robes. Et, en valeurs imper-
turbablement notées, personnages, arbres, barques, bêtes se dis-
tribuent sur les divers plans du tableau. Cette faculté de donner
la sensation de l'atmosphère est appréciable surtout dan? le der-
nier et le plus exquis tableau de M. Seurat,- Coin d'un bassin à
Ronfleur.
De M. Signac, quatre toiles, parmi d'autres, se datent : Petit-
Andely (Eure), juin, juillet, août 1886. Les plus récentes, elles
sont aussi les plus lumineuses et les plus complètes. Les cou-
leurs s'y provoquent à d'éperdues escalades chromatiques, exul-
tent, clament. Et coule la Seine, et coulent dans ses eaux le ciel
et les verdures riveraines, sous un soleil qui avive en incendie des
ruines haut juchées, — le Château-Gaillard de ma fenêtre, —
qui déchiqueté des ombres légères d'arbustes, — le Port-Morin.
Déjà vues rue Laffitle, ces Apprêteuse et Garnisseuse (modes),
rue du Caire, où M. Signac présente, comme M. Seurat dans /a
Grande-Jatte, un paradigme systématique et démonstratif de la
nouvelle facture. En quelques mois la vision de ce peintre s'est
singulièrement affinée.
Dix tableaux de M. Dubois-Pillet. « Un charme insidieux,
écrit M. Ch. Vignier, la gracieuse ostentation d'une jolie palette,
et des arbres qui se bleutent comme dans Breughel de Velours ».
Une clarté diffuse, ambrée, lucide, pénètre ces paysages aux
fines colorations firmamentales, aux lointains qui s'immatéria-
lisent. Dans la frigide féerie d'automnales brumes violettes, épate
lourdement sa masse sombre, une toue. Une gracile jeune femme,
au bord d'un étang dont l'eau, encastrée dans des feuillages^ se
dore, se pourpre, changeante, rêve. Et des portraits, des fruits,
des fleurs, — celles-ci dans un cadre tendu d'une étoffe à ramages
floraux. Et des paysages parisiens, à^uoi excelle M' Dubois-
Pillet : en 1884 0, le Pont-Neuf et l'Hôlel-de- Ville; cette
année, la Seine à Bercy.
Sommaires et justes, les paysages à l'aquarelle de M. Lucien
Pissarro {Eglise de Bazincourl, Vue de Pontoise, etc.) et son
projet d'une illustration en couleurs de « Il était une bergère -».
L'impressionnisme n'est pas exclusivement figuré ici par les
dissidents. Voici MM. Charles Angrand et Henri Cross.
M. Angrand. Comme un ressouvenir de Josef Israëls, — une
Femme cousant (1885) dans une chambre de métairie, fenêtre
et porte ouvertes sur une cour. L'œil s'amuse à cette exécution
variée, ingénieuse et retorse, qui, alternativement, vainc les diffi-
I
(*) En même temps il exposait l'Enfant mort, qui correspond
exactement comme titre, sujet et conception au tableau que M. Zola
attribua depuis à son Claude Lantier.
302
VART MODERNE
cultes ou les escamote. Les tableaux de 1886 sont de facture plus
simple; les tons rances de /« Basse-Cour (1883) ont disparu ; la
personnalité du peintre se détermine, ûpre, forte. Les li-ains fuient
sur l'ocre de la voie; des files de wagons, à l'écart, stalionrient :
et c'est */« Ligne de l'Ouest à sa sortie de Paris; mais cette bande
d'un dur bleu où les traces de la brosse s'entrecroisent en poignée
d'épingles, vient en avant ; en avant aussi par sa tonalité, ce wagon
que son dessin, cependant, recule. Une femme, panier au bras,
descend la pente sursautante et hirsute de ces Terrains vagues
à Clichy développés en vue panoramique, comme la Ligne de
l'Ouest. Cette ménagère et le blousier qui, allongé sur le talus
des fortifications, regarde passer les trains, associent congrû-
ment leurs valeurs h celles du décor dans ces deux tableaux de
vigoureux et volontaire style.
M. Henri Cross (*). Une palette claire, les objets, les êtres
indiqués par teintes plates et bémolisées, une facture légère, une
fantaisie jolie. La Condamine {Monaco), multicolores taches de
toits dans des wordurcs; Aux Moneghetli, des enfants demi-nus,
aux mouvements serpentins, s'ébattent dans un verger; une Tête
d'étude^, investie de soleil ; une fillette en Blouse rouge^ assise
devant la fenêtre ouverte d'un salon. .
M. Adolphe Albert hésite entre la manière officielle et l'im^
pressionnisme. Même dans ie Pont des Andelys et la Paysanne
normande, les tons sont divisés, — oh ! à la fortune de l'inspira-
tion. L'œil est peu d'un peintre.
Contre la réforme promulguée par les trois ou quatre peintres
que concernent ces notes, les arguments affluent, inofFensifs.
c< L'uniformité, l'impersonnalité de l'exécution matérielle privera
leurs tableaux de toute allure distinctive ». C'est confondre la
calligraphie et le style. Ils différeront, ces tableaux, parce que le
tempérament de leurs auteurs différera. — « Un Pissarro récent,
un Seural, un Signac ne sauraient se distinguer », proclament
les critiques. Toujours les critiques ont fait avec orgueil les plus
pénibles aveux. — On accuse enfin ces peintres de subordonner
l'art à la science. Ils se .servent seulement des données scienti-
fiques pour diriger et parfaire l'éducation de leur œil et pour
contrôler rexaclitude de leur vision. Le professeur N. 0. Rood
leur a fourni de précieuses constatations. Bientôt la théorie géné-
rale du contraste, du rythme et de la mesure, de M. Ch. Henry,
les munira de nouveaux el sûrs renseignements. Mais M. Z. peut
lire des traités d'optique pendant l'éternité, il ne fera jamais la
Grande-Jatte. Entre ses cours au Colombia-College, M. Rood —
dont la perspicacité et l'érudition artistiques nous semblent
d'ailleurs absolument nulles — peint : ce doit être piètre. La
vérité est que la méthode néo-impressiOnniste exige une excep-
tionnelle délicatesse d'œil : fuiront effarés de sa loyauté dangereuse
tous les habiles qui dissimulent par des gentillesses digitales
leur incapacité visuelle. Cette peinture n'est accessible qu'aux
peintres : les jongleurs des ateliers devront tourner leurs efforts
vers le bonneteau ou le bilboquet.
M. Monet ni tels autres n'oseront, malgré l'exemple de
M. Camille Pissarro, leur doyen, recommencer la lutte contre le
public, les marchands et les acheteurs : mais un compromis
ralliera leur faire à celui des dissidents. Quant aux recrues de
l'impressionnisme, c'est vers l'analyste Camille Pissarro el non
vers Claude Monet qu'elles s'orienteront.
■■■■.V , ■ ■ ; - > ■- Félix Fénéon. "■
(*) Le nom du maître cirier avec un s pàragogique.
PATHOLOGIE LITTÉRAIRE
Dernièrement nous faisions des emprunts à la Vogue et à la
Pléiade, revues décadentes. En voici un fait an Scapin^ n^ du
l^"" septembre (*). . ' •
Mais leurs ventres éclats de la nuit des Tonnerres '
Désuétude d'un grand heurt des primes cieux
Une aurore perdant le sens des chants hymnaires
Attire en souriant la vanité des Yeux.
Ah ! l'éparre profond d'ors extraordinaires
S'est apaisé léger en ondoiements soyeux -
Et" ton vain charme humain dit que tu dégénères!
Antiquité du sein où s'apure le mieux.
Et par le voile aux plis trop onduleux, ces Femmes
Amoureuses du seul semblant d'épithalames
Vont irradier loin du soleil tentateur.
Pour n'avoir pas songé vers de hauts soirs de glaives
Que de leurs flancs pouvait naître le Rédempteur
Qui doit sortir des Temps inconnus de nos rêves.
La multiplicité des rovucs de cette étrange école, le nombre
de ses travaux et de ses adoptes, commandent incontestablement
l'attention. Il serait déraisonnable de n'y voir que le résultat
d'actes de volonté de quelques détraqués. Quand un phénomène
est aussi général, il est instinctif et inconscient, il provient de
causes qui tiennent au milieu et à l'évolution littéraires.
Dès l'an dernier nous l'avons examiné dans VArt Moderne à
ce point de vue. Nos lecteurs n'auront pas oublié peut-être les
études que nous avons publiés sous le titre : Essai de Pathologie
littéraire avec les sous-titres : Les Déliquescents, les Incohérents,
les Verbolûtres, les Symbolistes, les Esotériques.
Celte façon d'envisager le mouvement a fait fortune. M. Henry
Fouquier, dans le XIX"^^ siècle^ rejirend notre théorie. « Je crois,
dit-il, une partie au moins de ces lettrés atteints d'une affection
particulière, d'une maladie que la science pourrait décrire : la
maladie, la folie du mot. » La verbolâtrie, en un autre terme.
Une conférence donnée par l'un de nous à Liège, en décembre
dernier, avait pour titre : Les maladies littéraires.
Dans les études auxquelles nous faisions allusion tantôt, nous
signalions le véritable mérite de quelques-uns de ces impression-
nistes de l'art d'écrire. Nous signalions leurs procédés comme une
nouveauté digne de grande attention et succeplibles de dévelop-
pement. La littérature a besoin de changement : il y a là, disions-
nous, un apport de neuf très remarquable. M. Fouquier reprend
cette thèse :
« Fumistes, simples fumistes, a-t-on dit en parlant des prosa-
teurs et des poètes de cette école qui, née à Paris sur les hauteurs
de Montmartre, ravage déjà la province. Je ne le crois pas, du
moins "pour tous. Car il en est parmi eux dont le talent est
incontestable el qui sacrifient à leur doctrine extravagante ce
qu'ils pourraient avoir légitimement de succès el de notoriété en
rentrant dans les voies du sens commun. Le mot les halluciné,
comme la couleur faisait pour ce peintre raconté par Balzac, je
crois, qui posait sur sa toile des tons en dehors de toute forme. »
On nous a cherché noise à cette époque parce que nous
n'admirions pas tout ce que ces novateurs produisent. Nous
signalions les grotesques exagérations auxquelles ils se laissent
parfois entraîner. .Le Scapin lui-même, un de leurs organes,
partage cet avis, el l'exprime avec une colère que certes nous
n'y avions pas mise. Vir, l'un de ses rédacteurs, se plaint avec
véhémence de la queue qui compromet la nouvelle école. « La
queue c'est le venin, dit-il. Et la queue s'est formée, longue
comme celle des dragons de la légende. On fui Mallarmiste,
Saturnien, Verlainien n'étant pas euphonique. On fut décadent,
on posa, on se fil une tête, des habits el des mœurs môme. On
s'intitula. On imita les maîtres. »
(*) Bureaux : 14, rue Lîttré, à Paris ; 3 francs par an ; paraît deux
fois par mois en livraisons de 36 pages.
I > !
I *
En somme, si nous avions la vanité des prophètes, nous aurions
certes présentement le droit de nous réjouir. El quant à ceux qui
proclament que la question des Déliquescences est vidée, on
voit qu'ils se trompent lourdement. 11 y a même un nouveau
mot pour les exprimer : les Evanescences .
?
ETITE CHROJ^IQUE
\
On nous écrit pour nous demander quelle est la durée de l'ex-
posilion actuellement ouverte à ïournaj.
Jusqucs au dimanche 26 septembre au soir, comme nous
l'avons annoncé récemment.
L'exposition est intéressante, nous assure-t-on et vaut le voya-
ge. Nous ne doutons pas que, par ces temps de vacances surtout,
elle ne reçoive la visite d'amateurs étrangers à la ville.
Nous avons annoncé que M. Augustin Daly, un imprésario
américain, se proposait de donner aux Parisiens des échantillons
de l'art dramatique de son pays. Ces représentations ont com-
mencé assez malheureusement à en croire VEvénement :
« Les excellents Yankees ont un fort remarquable toupet, ce
n'est pas d'aujourd'hui que nous le savons. Naguère ils traitaient
nos peintres sur le même pied que des marchands de cochons,
avec cette différence toutefois que l'huile se payera toujours plus
cher que le lard. Aujourd'hui ils nous envoient triomphalement
des échantillons de leur théâtre, et il se trouve que la première
pièce sur laquelle nous tombons est la traduction d'une très
oubliée et très ignorée comédie de Léon Gozlan. C'est du moins
ce qu'a remarqué M. Auguste Vitu, de qui la mémoire a joué
souvent aux auteurs des tours inattendus. Celte fois, le tour est
excellent.
ce De tout temps, les écrivains anglais qui ont fait profession
d'auteur dramatique ont puisé leurs idées chez les voisins, et
surtout chez nous. Cependant, il serait injuste de leur refuser
une certaine invention, celle du titre, qu'ils ont la délicatesse de
changer. Depuis les dramaturges de l'école de Sheridan, qui
s'inspirait directement de Marivaux, en passant par Holcroft, qui
traduisait effrontément le Mariage de Figaro, iusqu'aux aimables
« adaptateurs » de nos jours, la scène anglaise a été la patrie du
démarquage. ..' .
a Ils ont cependant un genre à eux, un genre où ils apportent
une incontestable invention et une originalité surprenante : la
pantomime. Sortir brusquement d'une trappe, distribuer à la fois
cent coups de pied dans cent derrières, faire se rosser mutuelle-
ment des nègres et des policemen, voilà où ils excellent. Parions
que pas un de nos auteurs dramatiques ne pensera à traduire en
français la plus r^îussie de ces œuvres d'art ».
De journaliste à artiste. Voici le diapason auquel est monté le
ton de la polémique entre Henri Rochefort et Philippe Garnier,
le Juslinien de Tkéodora, que nous avons entendu en Belgique
à côté de Sarah Bernhardt, actuellement en tournée avec elle
dans l'Amérique du Sud :
« On me remet un télégramme daté de Buenos-Ayrcs (dix frattcs-.
le mol, s'il vous plaît) et plein de menaces signées : Garnier. Je"
me demandais d'où diable sortait ce Garnier qui mangeait ainsi
sa fortune en dépêches lointaines à des chroniqueurs qu'il ne
connaissait pas, lorsqu'on m'a expliqué que c'était le galanluomo
qui au théâtre de Rio-Janeiro tenait les mains d'une actrice nom-
mée M'"*' Noirmont, à laquelle une de ses camarades était en train
de couper la figure à coups de cravache.
« J'avais, sur les récits non démentis des journaux brésiliens,
apprécié avec une indulgence et une modération que je me
reproche, l'ignoble altitude de cet histrion en débauche. Il paraît
que ce batteur d'estrades, qui est en même temps un batteur de
femmes, exaspéré de la publicité donnée à ce jeu dé biceps, se
propose d'assommer, à son retour en France, dix ou douze de
nos confrères, moi compris. ,
« On sait qu'il a remplacé dès ses débuts le talent par le pugi-
lat et que, non content de mettre dans l'impossibilité de se
défendre les malheureuses qu'on cravache, il s'est déjà rué par
derrière sur deux ou trois critiques qui n'avaient pas suffisam-
ment rendu justice à ses genoux cagneux et à ses trémolos de
basse déchantante. Nous avons quelque idée que les coups de
canne à épée, que ce don Cabolinos tient suspendus sur la tête
du journalisme parisien ont principalement pour but de détour-
,ner de la sienne les seuls coups auxquels il puisse prétendre :
c'est-à-dire les coups de sifflet. Je m'imagine qu'il les flaire de
loin et qu'il ne se démène ainsi que pour tâcher de les éviter. Je
serais néanmoins extrêmement surpris s'il y échappait.
t^Si toute correspondance n'était pas défendue entre un homme
propre et ce Gugusse en tournée, qui semble avoir repris pour
lui dans le mauvais sens du mot la devise fameuse : Je main-
tiendrai, j'aurais répondu à son télégramme par cet autre :
« Vous recevrez mes témoins, mais à une condition expresse :
« on se battra à la cravache et pendant que jb laperai sur vous
« M*"» Noirmont vous tiendra les mains. »
On nous communique l'intéressante lettre que voici, de Catulle
Mondes, à propos de son récent roman Zo' Har.
■ « Quelle bonne et charmante leltre. Madame; je me sens bien
indigne des louanges que vous voulez bien donner à Zo' Har ;
mais il est un point sur lequel j'ose être d'accord avec vous. Non,
ce livre, malgré les criaillerics, malgré même l'article paru dans
VArt Moderne, îïQsi pas un livre immoral. J'ai, tout au contraire,
la conviction d'avoir écrit un livre sévère et triste. Mauvais,
peut-être, mais non pas libertin. Je m'étonne que certains criti-
ques n'aient pas vu, ou n'aient pas voulu voir avec quel soin j'ai
haussé le ton jusqu'au lyrisme, jusqu'à l'emphase même, pour
éviter toutes les petitesses des débauches chaque fois qu'apparais-
sent mes héros principaux, Léopold et Stéphana.
«Qu'il m'eût (|y3 facile de singulariser, de pimenter leur
passion par la grâce de quelques détails, parla malice des sons
entendus! mais je ne l'ai pas voulu. J'ai voulu Stéphana formi-
dable, en une sorte de bestialité sinistre et grandiose; quant à
Léopold, c'est le plus niisérable des torturés, et je souhaite sa
vertu à ses plus austères détracteurs. »
-; Catulle Mendès. -^
Alexandre Weil publie dans le Figaro des souvenirs sur
M""*^ Meyerbeer, la femme de l'illustre compositeur, récemment
dëcédée. Nous en détachons celte anecdote :
Après l'apparition des Huguenots, on raconta dans le monde
artistique, que M"^ Falcon avait inspiré au musicien une affection
profonde, affection payée de retour.
La vérité esl que Meyerbeer admirait sa Valenline et ne se
lassait pas de lui témoigner son admiration. Qu'il y ail eu ttirta-
tion, cela se peut, c'est plus que probable. Meyerbeer ne dissi-
mulait pas sa prédilection pour la grande cantatrice, mais de là
à une déclaration d'amour, il y a loin. Meyerbeer était timide
auprès des femmes, les comblait de compliments, de prévenances
et de politesses, mais il n'osa jamais oser.
Je l'ai vu, vingl années plus lard, très épris de M'"^ la Messine,
aujourd'hui M™" Juliette Adam, dont il fit la connaissance dans
mon salon et qui, alors âgée de vingl et un ans, brillait de toute
la splendeur de sa beauté juvénile, costumée, ce soir-là, en
Velléda.
— C'est une femme que j'aimerais, me dit-il, si j'osais aimer;
mais je n'en ai jamais eu et je n'en aurai jamais le temps, occupé
et préoccupé que je suis de mon travail et de mon art. *
— Vous n'avez donc jamais eu, réparlis-je, une muse inspira-
trice?
— La femme prolonge l'art, me répondit-il, mais elle raccourcit
la vie! .. "^ /.. ■■ ■ • •■'"■■'• -y-. • ^ ■ " .:-■• ■,,---..■
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%•
•■ • . J- t i 1 ■ *■
Sixième année. — N** 39.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 26 Septembre 1886.
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
RBVDB CRITIQUE DBS ARTS BT DB LA LITTERATURE
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser les demandes d'abonnement et toutes les communications à
L administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
?
OMMAIRE
TiTI FOYSSAC IV DIT LA RÉPUBLIQUE ET LA CHRÉTIENTÉ. — Le
PITTORESQUE. — TRIOMPHATEURS. — Le ThÉATRE DE LA MONNAIE.
— Le théatre au Chat noir. — Petite chronique.
TITI FOYSSAC IV
DIT
LA RÉPUBLIQUE ET LA CHRÉTIENTÉ
La maison Lemerre vient de rééditer ce livre de
Léon Cladel écrit en 1874, dans sa bibliothèque blanche
qui n'est ouverte qu'aux œuvres définitivement classées
et aux célébrités définitivement admises. Il s'y ajoute
au Boîiscassié.k la Fête votive de Saint-Bartholomé'
Porte-Glaive, aux Va-nu-pieds, à Celui de la Croix-
aux-hœufs, écrits admirables d'un des prosateurs les
plus originaux et les plus puissants de la France
contemporaine, artiste autant que penseur, dont la
féconde carrière littéraire se résume en cette noble
maxime enchâssée dans la préface : « Forte et vivace
est uniquement l'œuvre qui part du cœur. »» Et il y joint
ces autres formules toutes en. accord singulier avec sa
loyale nature : « Il n'y a que deux écoles, celle des
efirontés et celle des simples, — Que dorénavant tout
écrivain ait de la franchise et vise haut, ou c'en est fait
de notre langue, — Qui mentira sombrera, — Bien agir
et bien dire sont presque synonymes, — Seuls les labo-
rieux, les indépendants et les véridiques peuvent encore
accomplir ce devoir. ^
titi Foyssac IV, dit la République et la Chré-
tienté, fournit à Léon Cladel une occasion de revenir
sur la sincérité de ses beaux et émouvants récits. Ce
titre semble à quelques-uns d'une telle étrangeté qu'ils
le tiennent pour imaginaire. Ce fut aussi le cas pour
cet autre : Montauhan Tu^ne-le-Sauras-Pas, dont
se souvient quiconque connaît cette éblouissante guir-
lande de nouvelles rouges: Les Va-nu-pieds, Le rude
artiste démocrate leur répond en ce viril et dédaigneux
langage :
- »* Heyreusement ou malheureusement pour moi, les
malins qui se connaissent à la littérature en décideront,
et les simples qui n'y comprennent rien aussi, je me
suis presque toujours employé, depuis bientôt trente
ans en mes écrits, à l'étude des choses et des êtres de
mon pays natal. Loin de m'en savoir gré, nombre de
folliculaires de Paris, sur les terres desquels je n'ai
jamais chassé, m'ont assez souvent accusé d'avoir ima-
giné le Quercy qu'aucun d'eux n'a parcouru. Plus d'une
lois, un peu trop harcelé par leurs clameurs, la tentation
me viat de proposer à ces sédentaires incrustés sur
l'asphalte du boulevard ainsi que des mollusques dans
un banc de roches marines, une promenade à travers
les plaines et sous les bois de ma province où tout au
long de l'année, en Décembre comme en Juin, le ciel
enflammé se mire au fond de mille cours d'eau. Mais je
me ravisai pensant bien que si Thiiitre est attachée à
ses coquilles ils sont, eux et leurs plumes, cloués au
bitume de la Capitale ; et je subis "dès lors avec indiffé-
rence, leurs bavures intermittentes ou continues. -
Indocile, loyal et fier, apparaît Léon Cladel dans
tout ce qu'il écrit, ennemi irréconciliable des flatteurs.
« Si, de tout temps, dit-il, il y eut des butors, la flagor-
nerie est, dans le nôtre, constamment à l'ordre du jour ;
en politique comme en littérature c'est à qui se décla-
rera le thuriféraire de telle ou telle médiocrité. »» Il
répugne, lui, à « vanter qui s'enfle de vent ainsi qu'une
outre vide, à s'embrigader, à se ravaler, à s'asservir. «
On comprend qu'avec d'aussi énergiques allures et un
aussi franc parler, il n'a pu compter beaucoup sur
le secours de la réclame parisienne dont nous rappelions
récemment les singuliers et trop fréquents écarts.
Qu'importe! Cette fougueuse et rustique figure qui
représente dans l'art d'écrire la superbe intransigeance
de Millet dans l'art de peindre, a monté avec la lenteur
de la force dans l'admiration et le respect des lettrés.
Dérouté jadis par les surprises de son originalité pres-
que sans rivale, on a hésité à le mettre en son véritable
rang. On s'est familiarisé depuis avec la grandeur
épique de son style, avec ses belles bizarreries, et
désormais chaque année ajoute une pierre au solide
édifice de sa valeur littéraire. Il n'est plus douteux
pour ceux qui ont la prévision des rares épaves qui
surnageront, dans l'avenir, au naufrage de l'immense
production littéraire qui accable notre siècle, que le
nom de Cladel sera sauvé comme celui de Barbey
d'Aurevilly et celui de Goncourt, plus sûrement peut-
être car il s'est davantage alimenté à la vérité et à
l'humanité. -
Il a aussi davantage été de son temps en imprégnant
ses œuvres, avec un art infini dans les plus parfaites
des grandes préoccupations sociales auxquelles n'échap-
pent plus que les efféminés et les impuissants. Titi
Foyssac, que nous venons de relire, en est un exemple.
Que celui qui veut se rendre compte de ce que devient
en littérature sous la plume d'un vrai mâle, un incident
politico-religieux (oui, tout vulgairement politico-reli-
gieux), lise l'admirable scène qui, presque au début du
livre, met en présence le personnage principal auquel
sa démocratie et son mysticisme ont valu indifférem-
ment le surnom de La République et de La C/^re'-
^î'ew^e', et le prêtre Noubélô.
Le livre est dédié à Madame Alice Lockroy en ces
termes touchants qui peignent l'homme autant que le
roman peint l'artiste.
** Rares sont ceux qui, comme vous, se souviennent
de leurs amis, lorsque l'adversité les visite et les tue.
Un jour, voici déjà dix ans, la mort, après avoir forcé
ma porte, fauchait autour de moi tous les miens. Sous
ses coups étaient déjà tombés ma mère, au cœur de
qui brûla toujours la flamme du sacrifice, un de mes
fils, le premier dont les traits à peine formés me rappe-
laient la mâle et sévère figure de mon père, hélas,
éteint trop tôt, et les yeux de ma femme enfin mena-
çaient de se fermer pour ne plus se rouvrir. A cette
heure vous et mon ami, votre mari, vous vîntes en ma
maison en deuil et me tendîtes les bras au moment où
je me laissais anéantir par la douleur. Il m'est donné
de vous en marquer ici ma gratitude et celle de mon
irréprochable compagne qui retint sa vie expirante
pour me la consacrer tout entière, à moi qui ne vivrais
plus aujourd'hui si, pour comble de malheur, elle
m'avait alors quitté. Les cinq enfants qui me restent
auront aussi de la mémoire, et pour éphémère qu'il
soit, ce livre témoignera longtemps encore, je l'espère,
de mes sentiments pour vous, quand je ne serai plus
là. ».
C'est beau, c'est simple, c'est grand, n'est-ce pas?
Oui : « Forte et vivace est uniquement l'œuvre qui part
du cœur. »»
lE PITTORESQUE
Messieurs les peintres sont, en général, fort dédaigneux de la
Mode. Jadis, il suffisait que l'usage fût, parmi les Philistins (qua-
lifiés aujourd'hui bourgeois) de porter les cheveux courts pour
qu'ils laissassent aussitôt croître des chevelures d'Absalon dont
les ondes ruisselaient sur le collet de leur habit. El si les avo-
cats, les médecins, les ministres et les négociants se coiffaient
de chajjeaux à bords étroits, on voyait les artistes arborer des
couvre-chefs gigantesques, déployant au vent des ailes d'alba-.
tros._; ,..■:_.,;.■.■ x■^.■,'^. ■.;_■-■ ;••;-. - r^ ,;■■-■■■.'.;■.;;■.; ■_..-'v-ï;- .y'-.-.., ;,;;"i,^,/., ■.■;■: „:-\
Aujourd'hui que chacun se fait la tête qu'il lui plaît et qu'en'^e
promenant avec une crinière sur le dos, comme les cuirassiers,
on court le risque d'être pris pour un pédicure aussi bien que
pour un peintre, les feutres à larges bords sont allés rejoindre,
dans l'armoire aux nippes, les pantalons à lamamelouck et les
vareuses de velours. Mais les artistes n'en ont pas moins gardé
une dent contre la Mode, et, ne pouvant lui faire ouvertement la
nique^ la taquinent par des coupes d'habit imprévues, par des
gilets lacés sur les reins, par des cannes japonaises déconcer-
tantes. < - *
Eh! bien, n'en déplaise à ces Messieurs, je les trouve plus
moulons de Panurge que les malheureux qui s'astreignent, pour
obéir à l'impérieuse déesse, à s'élrangler dans un carcan de toile
amidonnée, à subir, dans des souliers taillés en pointe de lime à
ongles, le supplice du brodequin, et à se mortifier la chair par
des vêtements trop étroits. Et c'est précisément dans un domaine
d'où la Mode devrait être bannie avec horreur qu'ils s'agenouillent,
dévotement, devant son autel. Ils fuient l'imitation dans la
manière de s'habiller, dans les habitudes quotidiennes, dans
l'heure du lever et du coucher, dans les discours, dans les rela-
tions sociales : mais l'art qu'ils pratiquent n'échappe pas à la
contagion du pastichage. -
Ceci, c'est la revanche de la Mode. Avec une perfidie que sa
féminilité justifie, elle frappe dans ce qu'ils ont de plus précieux
ceux qui lui sont infidèles. Les peintres sont presque tous origi-
naux dans la vie. Combien en est-il qui le sont dans leur pein-
ture? ■ •■■'-:-'■■'■-■•■ "■■-•■ -■\.- ■'■■'■■ ■■■•■--— -v^- v^' •'.■.- ■'■..:•-,
II y a dans celle-ci des époques, comme chez les couturiers
et les chapeliers. Elles sont peut-être d'une durée un peu plus
LART MODERNE
307
longue, mais là s'arrête la différence, et si quelque esprit curieux
voulait se donner la peine de rennonler le cours des années, il
reconstituerait le plus aisément du monde un Journal du pitio-
resque, correspondant exactement au Journal des tailleurs et à
la Mode illush'de. Celte gazette n'a pas été publiée, mais l'impri-
mer serait superflue : ses images explicatives, qui ornent les
musées et les galeries, n'en éclairent-elles pas suffisamment le
texte?
C'est ainsi, pour ne parler que du paysage, que l,a mode était,
durant une période dont tout le monde se souvient, aux sites
montagneux et romantiques, encombrés de ce qu'on nommait
alors des fabriques. Il fallait, sous peine d'être tenu pour un bar-
bouilleur vulgaire, compenser la « trivialité » de la nature parla
noblesse d'un temple grec, par la distinction d'une colonnade,
par la poésie d'une ruine, par la mélancolie d'une tombe sur
laquelle se penchait un saule pleureur. Et celui qui réunissait
dans un cadre un fragment du Parihénon, le temple de Peslum,
une imitation des, Propylées et le souvenir du tombeau de Vir-
gile était proclamé paysagiste de génie. Comme le rappelait spi-
rituellement l'auteur du Salon de Gand, dont VArt moderne
citait dimanche un^fragmenl : « On ne concevait pas un pay-
sage sans les ruines d'un chûleau, d'un aqueduc romain, d'une
tour, d'un monument quelconque. On pouvait peindre un chêne,
on aurait encore fait grâce à un hêtre, mais seul, un malotru
pouvait s'aviser de rendre un pommier, un bouleau ou un saule
ou de dessiner' une chaumière perdue sur la lisière d'un bois. Le
. cheval était « pictural » à la condition qu'il devînt un fougueux
coursier à la crinière hérissée; mais la pauvre haridelle, traînant .
un lourd chariot à travers les ornières d'une route défoncée, était
exclue du noble domaine de l'art. On acceptait une vache bien
propre et bien lavée, un mouton bien laine, bien blanc, bien
peigné. On passait encore sur l'éiable, à la condition qu'elle
fût entretenue par dix domestiques, et que la paille servant de
litière fût prête à être tressée... »
Quel étonnement et quelle clameur quand se levèrent les
audacieux qui osèrent peindre la campagne telle qu'on la voit,
avec ses moissons, ses prairies, ses ruisseaux d'eau vive, avec
ses paysans, ses laboureurs, ses faucheurs, ses faneurs, ses gla-
neuses ! Jamais on n'avait eu l'idée de regarder ça, de supposer
que cela pût offrir de l'iniérêi. Une mare où barbotent des
canards, quelle infamie! Une chaumière sous l'auvent de laquelle
se vautre un porc, fi donc ! Et les hommes graves qui ne voyaient
l'humanité que coiffée de casques, chaussée de cothurnes et
armée de glaives, se voilèrent la face avec dégoût. Telle fut
d'ailleurs l'hésitation de cette époque de transition, que Corot
crut devoir déployer de féeriques théories de nymphes et de
sylphes dans les bois de Ville-d'Avray, autour des sources, sur le
bor'd des étangs glacés de brume, et que, dans certains paysans
de Millet, sous le sarrau ou le manteau de laine, transparait la
grâce rythmée des statues antiques.
La mode nouvelle fit fureur, et des armées de peintres
allèrent camper dans la forêt de Fontainebleau, dont on leur
abandonna quelques hectares sur l'ordre de l'Empereur. Ils
f créèrent des stations d'artistes, Darbizon, Mariette, Moret-sur-
Loing, comme les oisifs ont fondé des villes de bains sur le
littoral. La manie de rimitation imagina, en Belgique, Anse-
remme, Genck, et ce fut, dans les expositions, une débauche de
chaumières délabrées, de sous-bois pleins de roches vêtues de
mousse, de marcs s'éveillant aux lueurs de l'aube ou retentis-
santes des derniers accords du soleil. Oh! la Mare au)^ fées, et
les gorges d'Aspremont, nous les a-t-on servies assez souvent,
et U toutes les « sauces »! Et avons-noûs appris k connaître la
solitude morne des bruyères de la Campine, et ses dunes de
sable mouvant, et ses nappes d'eau frissonnant sous un vol de
hérons !
On ne croyait pas qu'il pût être question de peindre autre
chose, en Fraitbe, que la forêt de Fontainebleau, en Belgique,
que les plaines de Genck et de Calmpthout ou les rives de la
Meuse. Et aujourd'hui encore le préjugé du toit de chaume et
de la roue de moulin est si bien enraciné que la plupart des
paysagistes font des lieues pour aller s'accroupir dans la crotte
d'une rue de village, quand ils ont sous les yeux, dans leur jar-
din, dans la rue, dans le square dont ils respirent de leur fenêtre
la fraîcheur, les plus beaux tableaux du monde.
C'est ce qu'a très bien compris la jeune école française, qui,
sans sortir de la banlieue de Paris, trouve des motifs intéres-
sants le long des quais, sous les ponts de la Seine, à l'ombre
des platanes des boulevards, autour des bassins des Tuileries,
à la porte des cafés-chantants des Champs-Elysées.
Mais ne croyez pas que la Mode ait lâché sa proie. Elle s'est
embusquée et la guette. Elle va la saisir. Attendez-vous à voir
toute la cohue des peintres se ruer demain sur les bateaux-
lavoirs, sur les gazomètres, sur les palissades garnies d'affiches,
sur les gares du chemin de fer de ceinture. Et cela parce que
quelques jeunes gens ont donné l'exemple (dans le royaume de la
mode, ce sont toujours les jeunes gens qui donnent le ton). Que
lesSignac, les Seurat, s'enthpusiasment pour les gazomètres, les
palissades et les gares,. rien de mieux. Mais ce qui est insuppor-
table, et ce qu'on ne saurait assez condamner, c'est la fureur
d'imitation qui jette aussitôt vingt, trente, cent, cinq cents pein-
tres, tous les peintres, sur la piste du gibier levé par l'un
d'eux, et de voir galoper toute cette meute dans la même direc-
tion. Car ce qui les pousse à peindre des gazomètres et des gares,
ce n'est point parce que ces monuments, édifiés par la moderne
industrie, allument en eux l'étincelle artistique, mais uniquement
parce que ce sont des gazomètres et des gares, objets qu'on
n'avait guère songé, jusqu'ici, à encadrer d'une bordure d'or.
En d'autres termes, parce que c'est la Mode.
Dans toutes les régions de l'art, c'est d'ailleurs la même chose.
Celte année, la mode était aux sujets effroyables, aux scènes tra-
giques de la folie, de la famine, du désespoir. Avant cela, on ne
voulait que tueries, que massacres, et un peinlre qui n'éclabous-
sait pas sa toile de sang, de haut en bas, n'était pas « dans le
mouvement ». 11 v a eu l'année des Jeanne d'Arc. Il v aura celle
^des Sarah Bernhardt. J'ai connu des artistes qui entraient au
Salon uniquement pour prendre note des conlrées où se rendent
les paysagistes en renom, et courir ensuite au chemin de fer pour
aller peindre les mêmes sites. ;
Peintres belges, mes amis, méfiez-vous de la Mode, et n'ac-
ceptez pas comme lanternes bien allumées les vessies qu'on vous
présente en vous parlant de ce qui est pillorcsque et de ce qui
ne l'est pas. Une nature-morte est pittoresque, aflirme-t-on, quand
elle est composée d'un chaudron en cuivre bosselé accosté d'un
pot de grès égueulé et d'une assiette ébréchée sur laquelle se
trouvent, comme par hasard, deux navets et un céleri, le tout
sur une serviette à petits carreaux bleus, chiffonnée sur un coin
de table. Mi^is oi^ refuse tout intérêt pictural à un couvert dressé
comme on dresse les couverts, sur une nappe blanche, posée à
308
UART MODERNE
plat, ainsi que loulcs les nappes, el accompagné d'une carafe de
cristal et d'un verre propre, pouvant servir. Quelle est cette plai-
santerie.? Et pourquoi faut-il, pour avoir droit d'être reproduits,
que les objets soient liors d'usage? Une bouche édentée est-elle
plus belle que des lèvres de pourpre où s'épanouissent trente-deux
perles?
Il est vrai qu'il y a peu de temps encore, l'idée de peindre des
gens en redingote, avec un chapeau de soie sur la tête el une
canne à la main, n'était venue à personne. Pour êire pittoresque,
il fallait, pour le moins,.6lre travesti en mousquetaire, et l'on ne
se doutait pas qu'on pût composer des tableaux admirables avec
les gens qu'on a tous les jours sous les yeux, au ihéûtrCj au bal,
dans la rue, au café, au bois. On est revenu de ces idées singu-
lières. On s'accoutume mémo à considérer Meissonier comme
un phénomène attardé, et les sculpteurs seuls s'obstinent à ne
regarder et à ne modeler que des hommes nus, — ce qui soulève
constamment l'étonnante et amusante question de la feuille de
vigne, — et des femmes simplement vêtues d'une draperie. Il y
en a un, en Belgique, qui s'est* mis à bûlir des puddleurs, des
marteleurs, des enfourneurs en habits de travail, ef cela a jeté un
désarroi dans les habitudes prises. Ses confrères le traitent
dédaigneusement de peintre, et le public roule devant ses œuvres
des yeux ronds, ne sachant que dire.
Les sculpteurs ont un argument qu'ils ne manquent jamais
d'opposer à ceux qui leur parlent de cela, ce qui les agace d'ail-
leurs considérablement : « Ce n'est pas à cause de son costume
qu'un homme est moderne! s'écrient-ils. C'est uniquement une
question d'interprétation ! » Je veux bien. Mais pourquoi
•prennent-ils alors tant de soin de fuir l'habit noir et mettent-ils
partout sous nos yeux des gens, qu'on ne tolérerait pas une
minute ailleurs que dans un bassin de natation?
Pourquoi ? Mais tout simplement parce que la Mode l'exige, et
qu'aucun d'entre eux n'est assez fort pour la braver.
Il y a de temps en temps un peintre qui rit de toutes ces con-
ventions, et qui peint indifféremment tous les sujets qui, sous
une certaine lumière, à telle heure du jour, en telle saison,
afifectenl agréablement sa rétine par l'accord harmonieux des
colorations. Et voici que sous le pinceau d'un Claude Monet
s'épanouissent des jardins sablés, emplis du parfum des par-
terres, des falaises déchiquetées par le flot, des pêches savou-
reuses empilées sur une assiette, des soleils éblouissants, des
prairies d'émeraude, des palmiers raides comme des plumeaux,
des baraques de douaniers, des châteaux, des maisons modernes
dont le cube géométrique épouvante les amants du pittoresque
de convention, n'importe quoi ! pourvu que cela chante dans l'air.
_ Mais c'est là un cas peu fréquent, et la plupart des artistes
sont encore convaincus, et de très bonne foi, qu'il y a dans la
nature des choses pittoresques et d'autres qui ne le sont pas. Bien
mieux, il y a des pays qualifiés pittoresques à l'exclusion des
autres, l'Italie, par exemple, parce que les Anglais, qui ont
contracté l'habitude d'y promener leur spleen, y entretiennent
toute une population de fainéants qui se chauffent au soleil en
exhibant des guenilles. Les lazzaroni de Naples sont pittores-
ques ; les modèles à trois francs l'heure, avec dés barbes cras-
seuses et des habits rapiécés, qu'on prend sur la place d'Espagne,
sont pittoresques ; les campagnoles qui apportent des aubergines
et des tomates au Campo di fiori sont pittoresques.
Soit ! Mais pas plus que les marchands de marrons, les
balayeurs, les décrolteurs,.les maraîchers de chez nous.
Et l'Académie de Belgique comme l'Académie de France, et
comme toutes les Académies de l'Europe, car c'est le caractère
propre de ces stupéfiantes institutions de se singer toutes l'une
l'autre, qui envoient gravement des fournées de jeunes artistes à
Rome, après avoir mis dans leur portefeuille quelques billets de
banque pris dans les caisses de l'Etat, en leur disant : « Emplis-
sez-yous Içs yeux de pittoresque », épargneraient au gouverne-
ment une dépense, et aux artistes les précieuses années qu'ils
perdent invariahlement là-bas, en leur donnant ce simple conseil,
accompagné d'une rémunération proportionnée h leurs besoins :
« A présent que vous voilh peintres, regardez autour de vous.
Et voyez comme tout est pittoresque! »
Car Je pittoresque, ce n'est pas plus l'accoutrement débraillé
du porteur d'eau que le manteau de pourpre dont était affublé
Napoléon le jour de son couronnefnent. C'est l'un et c'est l'autre,
et c'est bien d'autres choses encore, puisqu'il n'est rien dans
l'infinie variété delà nature qui ne puisse faire vibrer dans une
âme d'artiste les cordes mystérieuses qui feront retentir, sur la
toile ou dans le marbre, l'accprd divin. .
TRIOMPHATEURS
Nous avons été, ces jours derniers, en pleine distribu-
tion des prix artistique. Des hommes faits ont été
traités, par un singulier usage, comme s'ils étaient des
collégiens. On a donné de grandes médailles^ d'or et
de petites médailles d'or. On a donné aussi une chose
dite Prix de Rome, A l'occasion de ces diverses céré-
monies le public s'est exalté. Nous ignorons si cette
exaltation a été partagée par les triomphateurs. On a
tant daubé, en ces dernières années, sur ces prétendues
merveilles, qu'elles ont perdu beaucoup.de leur prestige.
Il devient même notoire que rien n'est périlleux comme
de les obtenir, un mauvais sort semblant s'attacher à
ces apparentes bonnes fortunes. Tant d'artistes admira-
bles n'en ont jamais été gratifiés, tant de médiocrités en
ont été comblées, qu'il est facile en tout temps et dans
tous les domaines de démontrer qu'elles ne signifient
rien. On en est arrivé à avouer qu'on ne les souhaite
qu'au point de vue de la vente, en tant qu'attrape-
nigaud, pour le public qui ne juge que sur l'étiquette.
Nous aimons doue à croire que des artistes tels que
Jan Verhas, De Vigne, Mignon, de Lalaing s'en sou-
cient comme d'une guigne, et en leur particulier sou-
rient de se voir transformés par la compétence très
douteuse du jury berlinois en porteurs de grande et de
petite médaille. Ils ne doivent pas aimer beaucoup ce
procédé qui les^ met en concurrence avec les machines
à coudre et les marques de Champagne. Leur excuse
est qu'on n'est pas libre de refuser ces gratifications
quand on expose, et qu'il faut bien accepter la classifi-
cation niaise qu'elles vous font.
Le prix de Rome est plus sérieux, particulièrement
en ces temps de crise, parce qu'il met à la disposition
de qui l'obtient une somme de vingt mille francs. Ceci
VART MODERNE
309
en vaut la peine et pourrait être d'une incontestable
utilité -aux jeunes vainqueurs du concours. Malheureu-
sement on ne les leur laisse pas employer à leur guise.
On leur impose de voyager pen^^ quatre années en
pays étrangers, visitant musées, ateliers, académies.
Régime absurde qui les expose à contracter l'odieuse
maladie.de l'art contemporain : la pastichomanie, et
qui pis est, la pastichomanie cosmopolite, faite d'anti-
quité, de renaissance et de modernité, panachée de
France, d'Italie et d'Allemagne. Alors qu'une nature
à ses débuts a tant de peine à se conquérir soi-même, à
se pénétrer de son milieu, à se garder des imitations
funestes, on ne trouve rien de mieux que de l'éloigner
de son pays natal, de la sevrer des impressions intimes
qui naissent quand on se concentre sur soi-même et sur
son entourage immédiat, et de la lancer à corps perdu
dans la variété des civilisations, des époques et des
enseignements. Il serait difficile de dire si l'avortement
presque invariable des vocations artistiques à qui le
fameux prix de Rome a été accordé provient de l'aveu-
glement des jurys couronnant l'impuissance, ou du
système de vagabondage' imposé aux lauréats ; mais il
est certain que, chez nous comme en France, on peut,
d'après la statistique, parier dix contre un que dès
qu'un malheureux Ta obtenu il est marqué pour la mé-
diocrité. :
Il est une autre observation que des incidents récents
suggèrent à l'occasion de cette distinction néfaste. Elle
concerne les manifestations ridicules dont nos villes de
province accablent le vainqueur et la rentrée triom-
phale qu'elles lui ménagent. Voici un très jeune peintre
qui, après une épreuve surannée, s'est tiré plus ou
moins bien d'affaire en exécutant sur un thème la plu-
part du temps grotesque, une œuvre infectée des pires
préjugés de l'école. Le public l'a trouvée insignifiante,
froide, bête, réfractaire à tout pronostic sur l'avenir de
l'exécutant. Le jury qui a dû la juger, l'a considérée
lui-même comme si peu caractéristique que sur neuf
membres elle n'a réuni que quatre suffrages. Si plus
tard deux autres voix s'y sont ajoutées, c'est qu'il a bien
fallu, pour échapper à un hourvari qui grondait au
dehors. Libre au concurrent de croire que c'est à son
mérite plutôt qu'à cette nécessité d'en finir qu'il a dû
se supplément. Doute donc, discussion, hésitations,
marchandage et dans le fait au point de vue de la ma-
chine, le jeu en valait à peine la chandelle.
Or, incontinent, des badauds, concitoyens de cet
apprenti, décident de lui décerner des honneurs comme
n'en ont jamais obtenu les plus fameux artistes arrivés
au faîte de leur gloire. On l'attend à la gare avec une
voiture à quatre, voire à six chevaux. Une foule énorme
l'acclame. Les autorités le haranguent. Des sociétés
innombrables lui jouent des airs de bravoure et le
mènent en cortège sur des marches héroïques. Partout
on a pavoisé. Aux fenêtres on agite les mouchoirs.
Bref une grotesque saturnale exultant ceprimus, qui
en est tout au plus à ses débuts, quelque chose comme
un rhétoricien, ou tout au plus un stagiaire. "
Que doivent donc penser d'eux-mêmes et des autres
les bonshommes qu'on soumet à ce régime carnava-
lesque. S'ils ont le moindre. bon sens, ils sont sans
doute profondément mortifiés de cette bêtise humaine.
S'ils n'en ont pas (c'est le cas le plus ordinaire), ils
doivent se croire arrivés au pinacle du talent et de la
gloire. Faisant une comparaison entre eux et les grands
artistes, presque toujours voués à l'indifférence et, aux
jours de leurs plus belles œuvres, n'obtenant que de
très modérés hommages, ils se croient apparemment
fort supérieurs à ces pauvres grands hommes.
Mais attendez, attendez, pauvrets. .C'est probable-
ment la seule fois que vous savourerez ces énormes,
bâtons de sucre de pomme. C'est la seule raison qu'on
ait de les excuser jusqu'à un certain point. Vous êtes
prix de Rome? Plus jamais on ne vous portera en
triomphe, à moins que vous n'ayez la chance extraor-
dinaire de faire exception dans cette confrérie de ratés.
LE THEiTRE DE LA MONNAIE
Il ne s'agit point pour nous de parler de la troupe. Absents,
nous ne l'avons pas entendue. Mais du public dont l'attitude
générale nous est révélée par les journaux.
Il est raisonnable celte fois, craignant sans doute une catas-
trophe nouvelle quVmèneraient des exigences et des impatiences.
Il paraît disposé à s'en remctire aux efforts consciencieux et
persévérants des directeurs qui sont tous deux passés maîtres,
l'un comme musicien, l'autre comme metteur en scène. Il com-
prend que, dans une aussi vaste et aussi délicate entreprise, il est
impossible de mettre tout au point, du premier coup, et d'avoir
la main assez heureuse pour ne relever que des atouts dans la dis-
tribution de chanteurs et de cantatrices, que font chaque année
les agences dramatiques entre les théâtres.
Il est difficile de réunir ce qu'il faut, il est plus difficile encore
de remplacer. Être bienveillants et accommodants est donc pour
les spectateurs un élémentaire devoir. On le pratique cette année.
On ne malmène pas les débutants dès le premier soir, on tient
compte de leur émotion, on les encourage pour leur permeiti*e
d'arriver à manifester complètement ce qu'ils sont. La presse
aussi abandonne ses allures de parti-pris; elle critique avec
modération; elle déclare qu'elle attendra; elle loue franchement
qui le mérite; elle ne cherche pas midi h quatorze heures.
Allons, tant mieux, et espérons. Le temps aidant, on arrivera
sans doute au convenable ensemble qu'on peut espérer avec les
ressources pécuniaires insutîisantes de notre Opéra.
Mais il faut que le public fasse plus encore dans cette voie de
bonne volonté et de conciliation. ïlest visible que le vieux réper-
toire le fatigue et qu'une rénovation est dans les vœux de tous.
Mais qu'on ne perde pas de vue que cela ne peut être réalisé que
lentement et en plusieurs années. On ne refait pas en une saison
les habitudes. Décors, chanteurs, usages y mettent les plus
310
n ART MODERNE
■ft-JEc'-
tenaces obstacles. Il y a là un acquis formidable avec lequel il faut
compter, comme s'il s'agissait de la transformation d'une marine
ou d'un .armement militaire. Il ne faut pas qu'on recommence
avec MM. Dupont et Lapissida la persécution du Wagner: touj(5urs
du Wagner, rien que du Wagner et au diable tout le reste!
M. Dupont est aussi wagnérisie que quiconque, il l'a prouvé.
Mais le tracasser piarce qu'il ne nous donnera pas du Wagner
comptant, séance tenante et en fortes doses, est aussi injuste que
puéril. Ce sera déjà fort beau s'il parvient h reconstituer les
MaUres-Chanleurs et U monter la Walkyrie. On ne se figure
pas comme il est difficile de persuader aux artistes, qui n'ont dans
leur répertoire que les musiques française et italienne, d'atta-
''qu^r la musique alleniande. Puis il va la question de la mise en
scène, peu coûteuse, dit-on, pour la Walkyrie, mais qui cause-
rait des embarras financiers extrêmes s'il fallait multiplier de
pareilles innovations.
Il importe qu'on fréquente le théâtre de la Monnaie quand
même, et qu'on y aille beaucoup. 11 faut y aller malgré l'ennui
que certaines vieilleries inspirent. Sinon la campagne s'affirmera
promptement mauvaise et décourageante. Déjà le premier mois
paraît n'avoir pas été fructueux. Il y a aussi la concurrence des
autres théâtres qui tous tiennent des succès. Nous avons un
intérêt considérable à maintenir notre Opéra. Qu'on soit persuadé
qu'il faut pour y réussir beaucoup d'efforts et que le relâche-
ment dans l'assiduité du public pourrait amener une chute. Nous
avons démontré au cours de la saison dernière que selon que la
recette journalière monte ou descend de deux cents francs sur
une moyenne de trois mille, peu aisée à maintenir, le théâtre
noue les deux bouts ou tombe on perte. Voilà certes qui donne
à réfléchir et qui commande beaucoup de prudence.
LE THEATRE AU CHAT NOIR
Il y a pas mal de temps déjà que j'avais envie de parler du si
joli, si artistique et si original divertissement créé par Salis, le
cabareiier-gentilhomme de la rue Laval, seigneur de Chalnoir-
ville-en-Vexin — on sait que c'est ainsi que le joyeux compa-
gnon se présente à ses contemporains, dans les soirées de folles
beuveries — et par ses amis, Henri Rivière, Willette, Caran-
d'Ache, Somm, Czès, Steinlen, Georges Auriol, Allais, Ch. Gros,
qui ont illustré le Chat Noir, — les murs du cabaret comme les
pages de l'humourisiique journal de ce nom.
Le théâtre est installé dans cette curieuse salle du premier
étage qui est un musée d'oeuvres d'art, — tableaux, dessins, sta-
tuettes, bibelots, les uns exquis, les autres baroques, mais tous
amusants et rares. Dans un angle est placée la scène, pas plus
grande que celle du guignol des Champs-Elysées. Devant, un
piano, tenu par un jeune poète de talent, Albert Tinchant, dont
le premier livre, les Sérénités, a obtenu un aimable succès.
Autour du piano, debout ou assis, dans des poses invraisem-
blables, les musiciens d'un orchestre improvisé chaque soir,
grosse caisse, tambour, cymbales, triangles, tous instruments à
tam-tam, maniés à tour de bras et cependant en cadence, par
les auteurs des « pièces » qui vont être jouées, écrivains ou
artistes. Les uns se trémoussant comme des démoniaques, les
autres accomplissent leur rôle avec une dignité grave, pleine
d'onction. Les spectateurs, presque tous des camarades — ces
petites fêtes se passent le plus souvent en famille et il faut par-
fois montrer patte blanche, pour que l'énorme suisse, placé au
bas de l'escalier prononce le dignus intrare — deviennent atten-
tifs : le bruit des conversations cesse, la toile va se lever, car
, voici l'imprésario qui lance le boniment, annonce de l'ordre du
spectacle et description des mirifiques choses qu'on va voir. C'est
« 1808 », pièce militaire. Auteur, Garan d'Ache. Un peu de
musique au rideau ! et sur une toile de fond, blanche, on voit un
camp de soldats. C'est la nuit. Tout dort. Une sentinelle, l'arme
au bras, se promène. Une silhouette bien connue se profile, c'est
Napoléon qui inspecte le bivouac. Deuxième acte, la bataille.
Napoléon esta cheval sur un monticule, dominant l'action et Ton
ne voit que des baïonnettes qui défilent incessamment au bas du
tertre. L'effet est très drôle. Da?îs la coulisse, les coups sourds
d'une grosse caisse simulent le canon : Boum !... Le ciel s'en-
flamme. Vive l'empereur ! cric l'imprésario et tous les assistants
de crier à tue-téte : Vive l'empereur!
Le premier jour, les passants entendant ces vociférations,
crurent qu'il se tenait dans le cabaret une réunion bonapartiste.
Une fois môme, un brave consommateur, paisible bourgeois s'il
en fût, qui était entré au Chat Noir par hasard, manifesta vive-
ment son indignation, et ripostait, à chacjue acclamation de vive
l'empereur! par le cri de vive la République ! On lui expliqua,
après qu'on se fût amusé quelque peu de sa naïve manifestation,
que la politique n'était pour rien dans l'affaire et « que c'était
dans la pièce».
Autre tableau — après la bataille. Le sol est jonché de morts
et de mourants ; des blessés sont transportés sur des civières;
un malheureux cheval passii écloppé. Puis c'est le grotesque
défilé desi. généraux vaincus et prisonniers, et celui des troupes
victorieuses, grenadiers, voltigeurs, ayant en tête sapeurs, fifres
et clairons; puis encore toute la cavalerie, les guides, les lan-
ciers polonais, les hussards, les chasseurs, aux costumes un peu
chargés, mais d'une exactitude parfaite, qui exécutent des
manœuvres bizarres, par escadrons ou isolés, volte-face, sauts,
cabrioles. Enfin, dernier tableau, l'homme à la redingote grise au
sommet d'une pyramide. Apothéose.
Le., tout panaché d'explications fantaisistes, parfois très
comiques, du maître de céans, qui ne se gêne pas pour dire
malicieusement, quand les bravos éclatent : N'applaudissez pas!
buvez ! , . .
Gomme intermède, pendant que l'artiste dans la coulisse pré-
pare les groupes de bonshommes pour une autre pièce, l'un récite
un sonnet inédit, l'autre chante, une de ces joyeuses scies, genre
dans lequel excellent Jouy et Meusy. Quelquefois, la seconde
pièce est une chanson traduite par les ombres qui passent sur la
toile, telle que la Ballade des sergents de villCy où l'on trouve ces
deux vers épiques :
, Et pour faire peur aux émeutiers
Ils tapent sur la tête des rentiers.
On donne ensuite, car c'est ici comme en province, où l'on joue
dans la môme soirée un drame, un vaudeville et un opéra-comi-
que, la Tentation de Saint- Antoine. Mais non pas la tentation
classique ni la tentation de Flaubert, mais une tentation d'une mo-
dernité à faire frémir, quand on en arrive au chapitre scabreux de
la volupté. Ce ne sont pas seulement les deux ou trois tradition-
nelles beautés qui viennent s'offrir au grand saint. Pour vaincre
son austérité, ce sont des théories d'horizontales de toutes les
marques, des femmes de tous les pays, de toutes les conditions
qui viennent s'offrir. Mais Antoine résistant aux suggestions de la
1 OSÇ'l
chair comme il a résisté h la gourmandise, le diable le tente par
la vanité, et il lui présente une énorme croix d'honneur; par
l'ambition, il lui apporte un fauteuil présidentiel...
Certes, ce sont là des farces qui, si spirituelles qu'elles soient,
n'auraient d'autre mérite que celui de distraire un instant, si elles
n'étaient pas, frappées d'un haut cachet artistique. Mais le talent
dépensé par les dessinateurs de ces bonshommes et de ces groupes
en font quelque chose de mieux que des farces. Et ceux-ci le
savent bien, qu'ils se passionnent pour ce théâtre, qu'ils ont
cherché, en de successifs essais, de constantes améliorations. Au
carton épais, dans lequel, au début, ils découpaient leurs peri-ori-
nagos, ils ont substitué le zinc, qui rend la figure plus nette. La
silhouette obscure reproduisant l'ombre simple sur la toile, ils
l'ont peinte et ce n'est plus seulement les lignes que l'on voit
alors transparaître, mais la couleur et la teinte des étoffes, ce
qui ajoute encore à la valeur du dessin.
Dans quelques jours, quand l'organisateur du théâtre, notre
ami Henri Rivière»,.att4:ajnis la dernière main aux améliorations
et changements projetés^il y aura grande solennité au Chat noir.
La presse théâtrale sera incitée à assister- à une vraie première.
La pièce nouvelle a pour [litre et pour sujet : la Rue. Près de
trois mille personnages, tous les types curieux de Paris, y défile-
ront. Cette première promet d'être pius gaie, assurément et plus
intéressante aussi que bien d'autres.
Celte originale tentative valait la peine d'être signalée. Qui sait
s'il n'y a pas dans ce rajeunissement des vieilles ombres chi-
noises, qui déridèrent tant de générations de gamins, comme un
point de départ pour un théâtre tout nouveau?
Quelques esprits grincheux diront peut-être : « Bah ! ce n'est
pas sérieux », parce que ça se passe dans une brasserie, lesquels
vont tranquillement entendre sans sourciller les inepties des beu-
glants de la capitale. Mais il faut laisser dire ces eSprils-là.
SuTTER Laumann. (De /a /i/5/ice).
^ETITE CHROJ^IQUE
Par arrêté royal du 22 courant, M. Ysaye a été nommé profes-
seur de violon au Conservatoire de Bruxelles, en remplacement
de M. Jenô Ilubay, démissionnaire, et actuellement professeur à
Pesth, ainsi que nous l'avons dit. M. Ysaye est un virtuose de
mérite dont nous avons eu déjà l'occasion |de parler. Espérons
qu'il sera aussi bon professeur qu'habile exécutant et qu'il main-
tiendra la classe de violon du Conservatoire au rang élevé
auquel l'avaient haussé Léonard, Vieuxtemps, Wieniawski et
Jenô Ilubav. - ^
M. Etienne Ledent, professeur de piano au conservatoire royal
de Liège, vient de mourir en celte ville. M. Ledent était l'un des
doyens du corps professoral de cet établissement.
Le comité du monument qu'on va ériger h Paris au square
Vintimillè, en l'honneur de Berlioz, vient de fixer la date de
l'inauguration au dimanche 47 octobre prochain.
Très louable cette préoccupation de mise en scène. Mais com-
ment diable M. Vigoant connaît-il la manière dont on faisait de *
l'escrime à Elseneur du temps d'Hamlet et de Forlinbras?
M. Jules Clarelie a prié M. Vigeant de régler le duel entre
Hamlet et Laërle, à la tin d'Hamlet^ et le maître d'armes fait
répéter à M. Mounet-Sully et à M. Duflos celle scène où Rouvière
jadis faillit, dans l'ardeur de son jeu, transpercer l'acteur qui lui
servait de partenaire.
Le Musée G'-évin, dit V Evénement, vient d'inaugurer la Mort
de Marnt : c'est la reconstitution exacte de la scène de l'assas-
sinat avec la baignoire authentique. On sait que la sanglante
relique était depuis quelques années la propriété du curé-doyen
de Sarzeau (Morbihan^, qui en lirait parti au profit de ses œuvres
paroissiales. ,
, Celle pièce historique n'est pas le seul attrait du tableau ; tous
les accessoires datent de la Révolution.
La belle figure de Charlotte Corday a été composée avec le
plus grand soin d'après les meilleurs documents du temps. Marat,
Simone Everard, sa bonne, ainsi que les autres personnages,
n'ont pas été moins bien traités.
Annonce cueillie dans un journal belge par M. Henri Second :
Jeune écrivain demande la collaboration d'une mondaine pour
ôtivrages en préparation : Béatrice de Croix- Dieu. — Les Gre-
dins du sport. — Une grande dame au bal de l'Opéra, ou le
Masque doré. — Un roman dans le monde. — Les Coquins du
cluby ou une Mort dans un cercle. — Fleurs de lys. — Je siffle
bien, mais je ne chante pas. — Titres de ces études de mœurs
prises dans la réalité, de ces pamphlets, nouvelles et récits de la
vie réelle, qui paraîtront prochainement et qui sont appelés à
.passionner le monde. Ecrire à M. R. de B..., bureau-du journal.
Pour ceux qui se figurent Louise Michel populacière et illel-
Irée, ces vers d'elle qui viennent de paraître dans la Révolution
cosmopolite: ■;•;■■ ■;^;^;•■:,.;; ■:'■':'■'; ^r:-'. "-■'.-' ''-J'/-/->:fT-: .:':--:'v--':-,';'/\-: v
La vieille Egypte, seule, a gardé la mémoire
De ce monde enfoui ; peut-être ses vaisseaux
Vers elle ont-ils vogué? Tout permet de le croire, —.—. ^
Lorsque, vers l'Atlantide, on voit monter les eaux.
En un jour, une nuit, dit le récit d'Egypte, . ,
Le continent, rempli de géantes cités.
S'effondra. Maintenant, il dort dans cette crypte,
Ainsi qu'en un linceul sous les flots agités.
Mais comme Pompei se leva de la cendre.
Un jour on cherchera sous l'océan profond,
Quand, dans l'abîme obscur, l'homme saura descendre,
Il verra l'Atlantide, ainsi qu'un spectre, au fond.
Pâle, sous les coraux et les herbes marines,
Elle apparaîtra, morte, avec ses fiers remparts,
Ses monuments croules, avec l'or de ses mines.
Et, mêlés au granit, ses ossements épars.
Et, plus belle cent fois on verra l'Atlantide
^ N'ayant plus rien qui passe au vol léger du temps, -
Sous les voiles glacés de sa tombe livide.
Ainsi qu'en un creuset, rendue aux éléments !
Mais qui sait si, levant les voiles funéraires,
L'Atlantide, qui dort au fond des océans.
Ne remontera pas ; tandis que d'autres terres,
A leur tour, descendront sous les flots et les temps,
La mort qui va soufflant sur les races humaines,
La nature en travail et lintini géant.
Jettent l'homme ou le ver pour engraisser les terres.
En attendant que l'onde y passe en murmurant.
Des flancs du Ténériffe agité de tempêtes.
Au roc de Gibraltar, peut-être avec terreur
On entendra mugir les vagues et les faites
Et le vieux continent émergera vainqueur !
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Sixième année. — N** 40.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 3 Octobre 1886.
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Sommaire
Le Symbolisme. — Pathologie littéraire. — Vandalisme. —
Un événement littéraire. — La leçon. — L'Incident Coquelin.
— Petite chronique.
LE SYMBOLISME
Le Symbolisme est la qualification définitive que
réclame, pour le mouvement néo-littéraire français,
M. Jean Moréas, auteur des Cantilènes, dont nous
avons rendu compte dans notre numéro du 27 juin der-
nier. Les termes : décadents, déliquescents, incohérents,
évanescents, verbolâtres, ésotériques sont condamnés
et repoussés.
M. Jean Moréas se pose en législateur de la nouvelle
école. Il en a résumé les principes dans un Manifeste
publié par le Figaro du 18 septembre. A-t-il qualité
ou mandat à cet effet, nous l'ignorons. Nous avons
récemment montré par une citation du Scapin que
les adeptes de la réforme paraissent peu bienveillants
les uns pour les autres. Il surviendrait des rectifications
ou des désaveux qu'il ne faudrait pas s'en étonner.
Fidèles à nos pécédents, qui nous ont constamment
rendus attentifs aux eflortsdes apporteurs de neuf, nous
allons résumer ce document, sans dissimuler qu'il ne
nous paraît avoir ni la clarté, ni l'autorité que souhai-
tent tous ceux que les mystères de cette évolution
préoccupent.
Il débute par un préambule énonçant des idées désor-
mais banales dans leur justesse universellement accep-
tée. Puis il expose d'abord la poésie symbolique, ensuite
la prose symbolique.
Le préambule énonce que la littérature évolue : évo-
luton cyclique avec des retours strictement déterminés
et qui se compliquent des diverses modifications appor-
tées par la marche des temps et les bouleversements
des milieux. Chaque nouvelle phase évolutive de l'art
correspond exactement à la décrépitude sénile, à
l'inéluctable fin de l'école immédiatement antérieure.
C'est que toute manifestation d'art arrive fatalement à
s'appauvrir, à s'épuiser ; alors, de copie en. copie, d'imi-
tation en imitation, ce qui fut plein de sève et de fraî-
cheur se dessèche et se recroqueville ; ce qui fut le neuf
et le spontané devient le poncif et le lieu commun. Une
nouvelle manifestation d'art était donc attendue, néces-
saire, inévitable. Cette manifestation, couvée depuis
longtemps, vient d'éclore. Mais ses efforts sont encore
. extrêmement compliqués de divergences. Le résultat,
l'enchantement suprêmes ne sont pas encore con-
sommés : un effort opiniâtre et jaloux sollicite les nou-
veaux venus.
Nous le répétons, ces déclarations n*ont rien que dô
banal. L'auteur y ajoute des exemples empruntés à
l'histoire de la littérature et qui ont traîné un peu
partout.
Passons à l'exposé de la poésie nouvelle.
« Ennemie de l'enseignement, de la déclamation, de
la fausse sensibilité, de la description objective, la
poésie symbolique cherche à vêtir l'Idée d'une forme
* ..
-hi?
^v *■,
sensible qui, néanmoins, ne serait pas son but à elle-
même, mais qui, tout en servant à exprimer l'Idée à
son tour, ne doit point se laisser voir privée des somp-
tueuses simarres des analogies extérieures; carie carac-
tère essentiel de l'art symbolique consiste à ne jamais
aller jusqu'à la conception de l'Idée en soi. Ainsi, dans
cet art, les tableaux de la nature^ les actions des
humains, tous les phénomènes concrets ne sauraient
se manifester eux-mêmes : ce sont là des apparences
sensibles destinées à représenter leurs affinités ésoté<4-
ques avec des Idées primordiales... Pour la traduction
exacte de sa synthèse^ il faut au symbolisme un style
archétype et complexe : d'impoli ués vocables, la
période qui s'arcboute alternant avec la période aux
défaillances ondulées, les pléonasmes significatifs, les
mystérieuses ellipses, l'anacoluthe en suspens, tout
trope hardi et multiforme; enfin la bonne langue,
instaurée et modernisée, la bonne et luxuriante et frin-
gante langue française d'avant Boileau-Despréaux,..
celle de tant d'autres écrivains libres et dardant le terme
acut du langage, tels des toxotes de Thrace leurs
flèches sinueuses. » Et quant au rythme : « L'ancienne
métrique avivée ; un désordre savamment ordonné ; la
rime illucescente et martelée comme un bouclier d'or
et d'airain, auprès de la rime aux fluidités absconses ;
l'alexandrin à arrêts multiples et mobiles ; l'emploi de
certains nombres premiers, sept, neuf, onze, treize,
résolus en les diverses combinaisons rythmiques dont
ils sont les sommes. « :, ; : / •
- Précisant dans un dialogue qu*il imagine entre un
détracteur et un défenseur de la poétique nouvelle, l'au-
teur cite comme revendications : le désordre appa-
rent, la démence éclatante, l'emphase passionnée, les
figures, la couleur, — la césure placée après n'importe
quelle syllabe du vers alexandrin, la liberté complète
de dire qu'en cette question l'oreille seule décide, — le
dédain pour l'alternisme des rimes masculines et fémi-
nines, — le droit de faire des hiatus, — la recherche
des combinaisons et des coupes inusitées.
. Les points saisissables dans cet exposé, ont dès long-
temps le suffrage de tous les esprits éclairés. Ils se
résument en ceci : le dédain de la discipline académi-
que. Dire ce qu'ils ont de particulier pour mériter à
ceux qui les pratiquent le nom de symbolistes, nous
ne le percevons pas.
Maintenant la prose :
" La prose, romans, nouvelles, contes, fantaisies,
évolue dans un sens analogue. Des éléments, en appa-
rence hétérogènes, y concourent... La conception du
roman symbolique est polymorphe : tantôt un person-
nage unique se meut dans des milieux déformés par ses
hallucinations propres, son tempérament; en cette
déformation gît le seul réel. Des êtres au geste méca-
nique, aux silhouettes oborabrées s'agitent autour du
personnage unique; ce ne lui sont que prétextes à sen-
sations et à conjectures. Lui-même est un masque tra-
gique ou bouffon, d'une humanité toutefois parfaite
bien que rationnelle. Tantôt des foules, superficielle-
ment affectées par' l'ensemble des représentations
ambiantes, se portent avec des alternatives de heurts
et de stagnances vers des actes qui demeurent inache-
vés. Par moments, des volontés individuelles se mani-
festent; elles s'attirent, s'agglomèrent, se généralisent
pour un but qui, atteint ou manqué, les disperse en
leurs éléments primitifs. Tantôt de mythiques plan-
tasmes évoqués, depuis l'antique Démogorgôn jusques à
Bélial, depuis les Kabires jusques aux Nigromans,
apparais.sent fastueu sèment atournés sur le roc de Cali-
ban ou par la forêt de Titania aux modes mixolydiens
des barbitons et des octocordes. Ainsi dédaigneux de la
méthode puérile du naturalisme... le roman symbo-
lique-impressionniste édifiera son œuvre de défor-
mation subjective^ fort de cet axiome : que l'art ne
saurait chercher en Yobjectif ({\x'\xii simple point de
départ extrêmement succinct. «
Nous comprenons très imparfaitement. Infirmité sans
doute.
De ce Manifeste il nous paraît qu'on peut conclure
qu'il y a dans l'art nouveau deux parties bien dis-
tinctes; l'une composée de préceptes très nets que la
critique intelligente a recommandés de tout temps,
savoir : l'horreur de l'imitation, de l'abominable pas-
tiche; le mépris de la servitude académique, la volonté
de chercher le neuf; elle a déjà produit des œuvres
savoureuses, dès longtemps signalées et louées par
nous. L'autre composée de déclarations ténébreuses et
d'œuvres incompréhensibles (nous en donnons plus
loin-encore quelques exemples), et qui nous apparaissent
comme des cas de pathologie littéraire.
Qu'importe que cette tentative de M. Moréas de for-
muler la Constitution des novateurs soit manquée. Les
évolutions artistiques se font d'elles-mêmes Qu'importe
que la jeune école (qui se réclame, au surplus, de
Rabelais, de Flaubert, de Baudelaire, de Goncourt,
etc., que M. Moréas considère comme ses maîtres) ne
mérite dans ce quelle a de vivace et de fécond, ni le
nom de Symboliste, ni celui de Décadente. On veut
s'affranchir des vieilles idées, on se démène pour en
éveiller d'autres. Applaudissons et laissons faire le
temps. Le seul rôle qui convienne à la critique est de
s'intéresser au phénomène, d'en raconter les péripéties,
de l'approuver dans ses tendances et d'en rire un peu
dans ses écarts. De lui-même le nouvel organisme
rejetera les impuretés. La comparaison entre ce qui en
est sorti de vraiment beau (nous en avons donné des
exemples décisifs l'an dernier) et ce qu'il a engenaré
de ridicule (voir nos derniers numéros) suffit à faire
présager quel sera son résultat final II débarrassera
Fart d'écrire de quelques préceptes usés, et l'enrichira
de quelques procédés trouvés ou retrouvés. A cela se
réduira l'acquit : le surplus ne sera que poussière et
bruit passagers.
PATIIOIOGIE UTTÉIIAIRE
M. Morëas, a publié, en collaboration avec M. Paul Adam, un
volume de nouvelles et de fanlaisics. Lu maison Tresse et Stock a
édité col ouvratîe sous ce litre : le Thé chez Miranda.
Le prélude de la première soirée chez Miranda débute ainsi :
«♦ C'est rhicmale nuit et ses buées eb leurs doux comas,
♦t Quartier Malesberbes.
« Boudoir oblong.
" En la profondeur violâtre du tapis, des cycloïdes bigarrures.
, " En les froncis des tentures l'inflexion des voix s'apitoie, en les
froncis des tentures lourdes, sombres, à plumetis,
" C'est l'hiémale nuit et ses buées et leurs doux comas. «
Voici, d'autre part, un sonnet de M. René Ghil : ,
POUR L'ENFANT ANCIENNE
Tue en l'étonnement de nos Yeux mutuels
Qui délivrèrent là l'or de latentes gloires
Que veuve dans le Temple aux signes rituels
L'onde d'éternité reprenne nos mémoires.
Tel instant, qui naissait des heurs éventuels
Tout palmés de doigts longs aux nuits ondulatoires
Vrais en le dônae espoir des vols perpétuels
• Nous ouvrit les passés de nos pures Histoires.
T?îîëTï*«4^ de vains soupirs pleure sous les
Trop seuls sâluis riants«^r nos vœux exhalés
Aussi liaut qu'un néant déplumes vers les gnoses : ■ ■_
Advenu rêve des vitraux pleins de demains,
Doux et nuls à pleurer et d'un midi de roses
Nous venons l'Un à l'Autre en élevant les mains
Enfin une pièce de feu Arthur Rimbaud, dont nous avons publié
l'an dernier des vers admirables intitulés les Assis (*) :
MOUVEMENT
Le mouvement de lacet sur. la berge des chutes du fleuve,
Le gouffre à l'étambot,
La célérité de la rampe, '
L'énorme passade du courant
Mènent par les lumières inouïes :
Et la nouveauté chimique
Les voyageurs entourés des trombes du val
Et du strom.
Ce sont lés conquérants du monde
Cherchant la fortune chimique personnelle;
Le sport et le confort voyagent avec eux ;
Ils emmènent l'éducation . l
Dès races, des classes et des bêtes, sur ce vaisseau
Repos et vei:tige
A la lumière diluvienne.
Aux terribles soirs d'étude.
Car de la causerie parmi les appareils, le sang, les fleurs, le feu, les
Des comptes agités à ce bord fuyard, . [bijoux,
— On voit, roulant comme une digue au delà de la route hydraulique
Monstrueux-, s'cclairant sans fin, — leur stock d'études; [motrice,^
PJux chassés dans l'exta.se harmonique.
Et l'héroïsme de la découverte.
Aux accidents atmosphériques les plus surprenants*,
Un couple de jeunes.se, s'isole sur l'arche,
— Est-ceancienne .sauvagerie qu'on pardonne? —
Et chante et se poste.
(') Voir l'Art moderne du 20 septembre 1885.
VANDAIISHE
« A propos du traitement barbare infligé aux
rochers de nos belles vallées, le long de la Meuse, de
rOurthe, de TAmblève, il m'est arrivé fréquemment de
déplorer la négligence qui laisse les beautés naturelles
à la merci des vandales, tandis que les beautés artisti-
ques sont protégées. J'ai fait ressortir l'absurdité et
l'inconséquence d'un pareil système, la logique qu'il y
aurait à instituer à côté de la comrnission des monu-
ments, une commission des paysages destinée à préser-
ver la nature d'une destruction aveugle et souvent
inutile. «
Ainsi parle Léon Dommartin dans son Guide du
Touriste en Ardenne, livre excellent, non seulement
par §es côtés pratiques, mais surtout parce qu'il
inspire. l'amour des sites montagneux de la patrie, si
variée, si charmante dans son étroit territoire;
Hélas! oui, désormais toute excursion dans l'Ar-
denne n!a plus d'impressions paisibles. Il n'e.st pas de
tournée qui ne soit affligée par la vue de profanations
désolantes. L'industrie a gâté un des coins les plus pit-
toresques de l'Europe. Elle a rasé des bois, elle a dépecé
des rochers inoubliables pour ceux qui les ont vus
intacts, autrefois. Des vallées entières sont devenues
vulgaires par la construction de chemins de fer établis
sans aucun souci des mesures qui auraient pu sauve-
garder le pittoresque.
Irritante contradiction! Tandis qu'on multiplie les
.prodigalités pour élever des monuments la plupart dû
temps mal placés ou mal conçus, on ne fait rien pour
maintenir des beautés naturelles plus précieuses et. qui
s'offrent d'elles-mêmes. '
C'est une déviation du goût stupéfiante, une des
plus singulières aberrations de notre humanité com-
plexe. Quand aurons-nous des yeux pour voir et admi-
rer ce que nous avons dans nos en tours immédiats ?
Quand nous débarrasserons-nous de cette imagination
qui, masquant ce qui nous touche, nous fait toujours
rêver de chanizements? Souventes fois, nous l'avons dit :
approprier ce qu'on a, ne pas détruire, est la vraie
règle des travaux publics. Ce qu'on fait actuellement,
c'est tout bouleverser et tout remplacer par ce qui est
moins bien. — :
.'T'
«■■■■I
316
UART MODERNE
Voyez pourtant comme il serait aisé d'être plus sage.
Prenons pour exemple le chemin de fer de l' Amblève.
Ne chicanons pas sur son opportunité. Admettons-en
la triste nécessité.. Pourquoi les ingénieurs et les archi-
tectes n'ont^ls pas cherché à l'accorder le mieux pos-
sible avec les admirables solitudes au milieu desquelles
il devait passer? Pourquoi ne pas s*être arrangé de
manière à dissimuler promptement les talus sous la
végétation ? Pourquoi n'avoir pas varié les bâtiments
des gares, n'avoir pas donné aux palissades une cou-
leur agréable à l'œil? Pourquoi ne pas inspirer aux
chefs de station la culture de jardinets destinés à en
rendre les abords plus attrayants? Ce qu'ils font présen-
tement, ils le font d'eux-mêmes, quelques-uns avec un
plein succès, comme celui de Waulsort sur la Meuse.
Mais, pour uiie réussite, que de négligences, que
d'abandons navrants, que d'amas de décombres et de
saletés!
Si le gouvernement, avec son écœurante architecture
administrative, semble manquer du sens qui fait sentir
cruellement toute mutilation d'un beau site, il en est de
même pour les particuliers. Le bourgeois rustique et le
paysan sont réfractaires aux séductions de la nature.
Avec l'ignorance et l'indifférence du sauvage, sans
autre préoccupation que leur intérêt, ils détruisent des
arbres séculaires ou mettent en miettes des rochers
dignes d'être l'orgueil du pays. En vain on cherche
quelles satisfactions comparables à celles que peuvent
leur donner ces beautés naturelles, ils poursuivent.
Que feront-ils de l'argent qu'ils comptent ainsi con-
quérir? Mieux manger, mieux boire, se procurer maté-
riellement quelques aisances de plus. Mais que. valent
de tels avantages en comparaison des jouissances qu'ils
retireraient des lieux où ils vivent, s'ils savaient les
comprendre et les respecter? Ils gaspillent irrépara-
blement des richesses autrement savoureuses pour un
cœur d'homme que celles qu'ils pourchassent.
Et encore, quand nous supposons que tous ces
ravages se traduisent en écus^ nous exagérons. Pour
ne citer que l'industrie du rocher qui a mis son
chancre abominable sur tant de paysages impres-
sionnants^ la concurrence l'a rendue infructueuse pour
la plupart. Sans profit pour les auteurs de ces brigan-
dages, en mille endroits on a éventré notre sol. Que de
carrières abandonnées avec leur hideuse moraine de
débris. On croirait que des hordes barbares ont passé,
brisant pour briser, puis disparaissant en laissant à
jamais les traces de leurs dévastations.
Comment faire? Les procédés à recommander sont
divers.
C'est d'abord l'achat par l'Etat des morceaux les plus
célèbres. On ne peut, sans amers regrets, apprendre
que les superbes Grands-Malades, près de Namur,
ont été vendus pour quelques milliers de francs aux
aventuriers qui les dépècent lentement et mettent une
place béante et des terris désolés à l'endroit où s'élevait
une des plus imposantes murailles calcaires de notre
^Jeuse. On devrait rechercher les points remarquables,
s'enquérir de leur sort prochain, exproprier au besoin
pour en faire des propriétés nationales inaliénables. On
devrait défendre de détruire un bois, d'ouvrir une car-
rière sans une autorisation préalable qui permettrait à
l'administration d'apprécier si elle doit laisser faire ou
si elle doit acquérir. On ne peut pas bâtir une maison
sans pareille formalité, il n'y aurait donc rien d'excessif
à la prescrire quand il s'agit de ravager. Il faudrait,
dans les écoles, faire un peu moins de science pédante,
et intéresser davantage les enfants à leur milieu pitto-
resque ; devenus hommes ils en connaîtraient le prix et
s'abstiendraient de le mutilei*. Enfin, il y aurait lieu
d'attirer l'attention des ingénieurs sur l'opportunité
d'embellir jeurs travaux et de leur dire que cela est
possible fort souvent sans aggraver la dépense.
UN ÉVÉNEMENT LITTÉRAIRE
Monsieur le Directeur,
Votre journal ne s'occupe pas dé politique, je le sais. Mais il est
consacré à la littérature.
Le toa'st de M. Ronvaux est politique, je le sais. Mais il est aussi
uiï chef-d'œuvre littéraire. ^ .
Partout il soulève l'enthousiasme. Des milliers de citoyens l'ont
appris par cœur. On le déclame debout sur les tables dans les éta-
blissements publics.
Il importe qu'il prenne place parmi les Documents à conserver de
notre époque. Publiez-le.
La Belgique tient enfin son grand écrivain et son grand orateur.
. ■ , ^ X.
■ " ^ , : ' A
Nous ne savons, au milieu de la folie épidémiqpie que le célèbre
toast a su déchaîner, si notre correspondant parle sérieusement ou
non. Nous déférons à son désir. Voici le chef-d'œuvre :
« Dans l'antiquité, les martyrs, se rendant aux arènes, y péné-
traient en poussant ce cri patriotique : Ave, Cœsar, morituri te
salutant ! Gésar, ceux qui vont mourir te saluent!
•i Je Cfois être votre interprète en affirmant que le patriotisme de
tous les instituteurs et de toutes les institutrices, leur dévouement à
la dynastie, ne sont pas inférieurs à ceux de ces premiers martyrs de
l'antiquité.
«« . Sire, donc, tes instituteurs belges, voués aux attaques réelle-
ment féroces de la réaction et de l'obscurantisme, te saluent 1
•« Sire, tes instituteurs révoqués, martyrisés, frappés par tes
ministres pour avoir obéi à tes lois, ces instituteurs te saluent 1
« Sire, tes instituteurs et tes institutrices, condamnés quasi à
l'extinction pour avoir tenu avec honneur et fidélité le sernient du
patriotisme, ces instituteurs te saluent I
•• Ils te saluent avec une sincérité de cœur que tu ne trouveras
jamais dans ton entourage théocratique et avec un dévouement que
tu chercheras en vain parmi les ultramontains.
M Les instituteurs et institutrices forment les vœux les plus sin-
cères pour que ton règne et ta vie durent assez pour effacer jusqu'au
souvenir du malheur qui les opprime I
M Je bois à Léopold II, à la famille royale! «• ;
L'AR^ MODERNE
317
Le comité central de la société pour la propagation du Volapuk a
demandé l'autorisation de traduire en sa langue nouvelle, lé toast
inspiré de 1 honorable échevin de l'instruction publique de Namur.
***
Le bruit court qu'une députation de professeurs s'est rendue chez
M. Ronvaux, pour lui proposer une chaire universitaire de littérature
française ou d'histoire romaine, à son choix. L'offre a été déclinée :
M. Ronvaux se serait engagé vis-à-vis de la direction d'un grand
journal de la capitale pour y remplacer le Vieux de la Montagne
qui y rédige des premiers-Bruxelles célèbres.
■ ■ ***
Dans le ,courant de l'hiver, une de nos principales maisons
d'édition fera paraître un recueil de vers intitulé : L'Extinction des
institutrices, poème décadent par Roland Roncevaux. On devine la
personnalité que couvre ce transparent pseudonyme,
A ' .'
Paraîtra aussi prochainement un recueil des cris patriotiques pro-
férés dans tous les pays du monde par les martyrs marchant au
supplice. '
Il LEÇOX
Théodore de Banville met en scène, dans l'un de ses plus
beaux contes (*), un jeune peintre qui est arrivé à Tlnslilut ayant
à peine atteint la maturité, qui a épuisé toutes les distinctions
honorifiques et qui fait la loi, triomphant sans cesse, personnel-
lement et par ses élèves, gagnant de l'or à' n'en savoir que faire.
Son entrevue avec son ancien nriaîlre COrdouan, un très vieux
peintre presqu'oublié après avoir été célèbre, qui vit dans la
retraite avec sa fille, et pour qui les résultats matériels, la gloire,
la fortune, ne sont rien, incapable qu'il est de pactiser avec les
nécessités du succès, renferme quelques idées vraiment belles.
Combien ce dialogue est vrai, et à combien d'Armandy actuelle-
ment vivants, eh chair et en os, on pourrait appliquer les réflexions
sévères qu'il contient !
« Mes derniers efforts ne vous satisfont pas; éh bien, dites-
moi par où je pèche. Comment avez-vous trouvé mon exposi-
tion? »
— Miais, dit le vieillard, tu sais que mes rhumatismes sont
devenus très méchants, et le plus souvent me tiennent cloué à la
maison. Je n'ai pas vu le Salon de celte année.
— Pardon, mon cher maître, dit Armandy d'une voix saccadée,
à la fois révoltée et' respectueuse, mais je suis très certain de
vous y avoir rencontré, et je sais que vous l'avez vu.
; — Eh bien, dit sévèrement Courdouan, tu vois que je ne veux
pas l'avoir vu, et que je ne veux pas le parler de ton tableau. Je
n'ai pas de critiques à l'adresser, lu n'as pas à en subir, et lu n'as
que faire de mes éloges. Laissons donc ce sujet, quittons-nous
bons amis comme nous l'avons toujours été, et suivons chacun
noire chemin. Tu as tout, tous les honneurs, les toiles couvertes
d'or, Jes banquiers américains à les pieds, des élèves qui boivent
les paroles: il est donc probable que lu as beaucoup de talent.
L'art n'est plus ce qu'il était autrefois; depuis moi, la peinlurea
marché, et comme on l'a dit avec raison. Gavroche dans la rue
errant avec ses yeux futés et sa casquette déchirée, en sait
aujourd'hui plus que Pïalon.
(*) Contes héroïques, Paris, G. Charpentier et C«, éditeurs.
— - Oui, dit Armandy, mais non plus que Zeuxis et Phidias! *
Non, mon cher maître, après avoir fait le jour dans moh cer-
veau, après m'avoir enseigné tout, après m'avoir nourri de votre
pensée, vous n'avez pas le droit de vous en tirer avec moi par
des échappatoires. Vous me devez la vérité, cl je l'exige.
-— Je pourrais te faire remarquer, dil le vieillard, que je l'ai à
peine vu depuis plusieurs années, que pendant ce lemps-là le
mensonge l'a parfaitement suffi, et que lu as très bien su le pas-
ser de moi.; Mais enfin, si lu as la force de la supporter, il ne
sera pas dit que lu auras invoqué en vain ma franchise. Ta Vénus
du Salon n'est ni une déesse, ni une femme, ni rien du tout !
elle sourit en figure de cire, elle n'a ni muscles, ni plans, ni atta-
ches; son mouvenfient hideusement gracieux est celui d'une sal-
timbanque américaine, elle pose dans un paysage de lapis et
d'opale saupoudré de mica, et les ridicules enfants qui voltigent
comme des pigeons autour d'elle, sont en baudruche. Tu es
arrivé à peindre si habilement que tu ne mets plus rien sur la
toile ; tes fameux" passages avec la brosse de -martre effacent
toulesles saillies; tout cela est propre, joli, roué comme Scapin,
faux comme un jeton; enfin lu as mérité celle gloire et cette
ignominie d'être adoré par les gens du monde!
• — Oh! fit Armandy, suffoqué.
— Cependant, reprit sévèrement le vieux peintre, ne parlons
pas de l'exécution, à propos de laquelle il n'y a rien h l'apprendre
et où lu serais sincère, situ voulais; mais mon pauvre enfant, la
pensée! Je veux bien la mythologie, je veux bien tout; mais
soiigé que, dans la conception moderne, qui a embrassé et res-
saisi le sens des religions, Aphrodite, la créatrice, l'inépuisable,
la Vierge. éternellement fécondée, la force géante dont rien ne
peut lernir la pureté céleste, est une divinité formidable comme
la perpétuelle éclosion de la Vie, et que les Désiré, nés d'elje et
d'où naissent à leur tour le ruissellement des Infinis et le vertigi-
neux fourmillement des étoiles, doivent être beaux, vivants el
envolés jusqu'à l'épouvante. Veux-tu en faire une femme tout
simplement? Tu le peux encore, car la noble figure humaine con-
tient tout; mais que sa lôte soit fièrement posée sur -un cou
héroïque et fort; que son sein el son ventre soiçnt de chair; que
ses bras, assez gracieux pour enchanter les âmes, soient assez
forts pour terrasser les lions, et que ses jambes fines et vigou-
reuses, que ses pieds roses qui marchent sur les flots comme ils
marcheraient sur les fleurs célesies, soient divinement caressés et
baisés par la lumière! Et quand on pense que je t'ai connu
enfant de génie, voulant lout, pouvant tout, étonnant les vieux
par la précocité d'une invention superbe et farouche!
— Maître, dit Armandy, dont les yeux s'étaient remplis de
larmes, c'est donc à recommencer. Donnez-moi votre leçon,
Cûmme autrefois. ,
— Oui, dil CordoUan, et ce sera la dernière, car tu vois que
l'âge me -presse. — Tonio, habille-loi et viens tout de suite,
dit-il, en parlant à un modèle qui attendait dans la chambre voi-
sine. — Puis il tira, el roula dans la lumière un chevalet sur
lequel était posé une toile relativement petite, représentant une
des scènes les plus émouvantes de la Révolulion. Armandy vou-
lut se récrier, mais le vieillard l'arrêta d'un geste.
— Non, lui dit-il, ne me punis pas de ma franchise par des
compliments; lu sais que je ne les ai jamais aimés. Tu vas
peindre avec moi, dans mon tableau, comme quand nous étions
petits! Tiens, cette figure d'homme du peuple. Regarde ce modèle
(il montrait Tonio qui venait d'entrer), il est laid, mais de quelle
■'">. 'te
■1*^
.;...l'-ï.Y-,s ..:
laideur spirilucllc, accentuée cl vivante! irouves-en bien le
caractère, ne le ramène pas au jeune premier de théiVlre, et ose
le colleter avec la nature. Rappelle-loi le temps où je t'apprenais
dans la' rue h fixer un mouvement rapide ; souviens-loi qu'un
muscle est un être, que tout, la moindre inflexion exprime la
vie, et qii'il faut saisir l'impression fugitive à force de volonlé et
d'amour! »
Sous l'œil de son maître, Armandy, transfigures ressuscité,
devenu lui-même» travailla trois heures de suite avec une fièvre
obstinée. Pendant ce temps, le vieux Gordouan modelait une
esquisse d'argile, et Hélène leur lisait à baute voix par intervalles
des vers du Dante.
— « Mon enfant, dit le vieillard attendri en baisant au front
son élève, je te retrouve, lu as fail un clief-d'œuvre !
— Eh bien! dit Hélène d'une voi'f forme et sonore, dispa-
raissez pour un temps, laissez votre fausse gloire, venez ici tra-
vailler, revivre les jours déjà vécus, et vous serez grand comme
vous devez l'être. »
Armandy hésita. Tout lui prenait le cœUr dans cet atelier où
il avait grandi, où il sentait qu'babilail la vérité; mais il songea
b ses triompbcs, à sa vie heureuse, enviée, brillante, et baissant
la tête :
— « Non, dit-il, je n'ai pas le courage.
— Allez-vous-en donc », dit Hélène, dont le visage exprima
alors un profond mépris, et qui, sans un regard pour Armandy
qui parlait, reprit silencieusement la lecture du poème.
L'INCIDENT COQUEUN. 5 ï : ;
M. Coquelin qui, après avoir été l'enfant chéri du public,
l'a absolument lassé par ses prétentions et ses façons de grand
homme indispensable, connaît désormais l'amertume des talents
estimables qui ont voulu se jucher trop liaut. De toutes parts on
lui lombe dessus. Voici, entre autres, comment Léon Millot lui
règle son compte :
M L'Europe ne se doute pas du danger qu'elle est en train de
courir. Un horrible malentendu va peut-être exacerber irrémé-
diablement la question Coquelin, que l'arbitrage des grandes
puissances pouvait encore arranger. Tout espoir néanmoins
n'était pas perdu, et on annonçait en dernière heure que
M. Francisque Sarcey, la corde au cou, pieds nus et un cierge
h la main, s'éiait rendu au domicile de « l'illustre » comédien,
et l'avait conjuré de ne pas nous abandonner. M. Coquelin avait
répondu qu'il allait voir son avocat, qu'il consulterait son
notaire, et qu'il prendrait l'avis de son avoué. On affirme que
Coquelin senior a télégraphié k Sarah Beruhardl, afin d'avoir
son opinion. Sarah avait répondu fil pour fil : « Faites tenir
sociétaires par décret de Moscou, et cravachez ferme. » M. Coquelin,
qui représente à la Comédie-Française la dernière tradition du
goût, avait répugné à ces moyens extrêmes. El il s'était adressé
au conseil d'Etat.
« Franchement, le peuple le plus spirituel de la terre ferait
bien de se faire doucher. Il faut, en vérité, que nous soyons
tombés bien bas pour qu'on prétende nous intéresser à ce
reportage de coulisses et à ces querelles de théâtre. Est-ce que
cela vous fail quelque chose que M. Coquelin demande la liqui-
dation de sa pension de retraite?
<c Certaines gens, qui appliquent gravement à la Comédie-
Française la théorie des hommes providentiels, frémissent à la
pensée que la première scène de France va se trouver privée de
son principal ornement. Molière qui a eu le mauvaisv goût de
naître deux cents ans avanl Coquelin, n'aura plus d'interprète
digne de lui. Si l'on rapproche ces circonstances filiales des diffé-
rents signes qui ont pronostiqué pour celle année la fin du
monde, tout porte à croire que ce globe terraqué n'a plus que
deux ou trois mois h vivre. Celte conjecture douloureuse déci-
dera peut-être M. Coquelin à ne pas se montrer inflexible. »
Quelques très justes observations d'Albert Wolfï dans le
Figaro : *
« Demandez-le aux peintres, aux écrivains et aux musiciens si,
en dehors de Paris, l'inspiration s'envole avec la même aisance?
Tous vous diront que, loin de Paris, ils perdenl la liberté d'esprit;
on ne voit plus les choses avec la même netteté; on ne les
exprime plus avec la même spontanéité. Quand, après dîner,
Coquelin va de la rue Lafayelte au Théûlre-Français, il hume
avec l'air parisien assez de fièvre pour être supérieur à lui-même.
Le soir où il se dirigera de l'hôtel de la Cloche, à travers les
tristes rues de la province, vers un théâtre où la veille on aura
joué une opérelte et où le lendemain on donnera une féerie, il
aura déjà dans le trajet perdu une petite traction de son talent.
S'il veut absolument jouer celte partie, où il s'enrichira, mais où
il perdra sûrement sa situation, qu'il parle. A nous qu'il quitte,
qu'il dédaigne d'un cœur léger pour courir l'aventure, notre rôle
est loul tracé. A son dédain nous opposerons l'oubli. El si Coque-
lin juge ne rien devoir à Paris, les Parisiens estimeront qu'ils ne
lui doivent rien non plus. Bon voyage! »
Voici maintenant l'opinion de Caliban :
« Coquelin est le Coriolan de la Comédie-Française ; il se retire
chez les Volsques. Pourquoi? Personne n'en sait rien,. et il ne le
sait pas lui-même. Il s'en va pour s'en aller. Là est la pièce.
« Si Coriolan ne sait pas pourquoi il lâche Rome, les Romains
ne savent pas davantage pourquoi ils le retiennent. Rien n'est
plus embêté que Got d'être obligé de jouer les Véturie pour sup-
plier le général de rester, si ce n'est Thirou de se déguiser en
Volumnie pour attendrir le démissionnaire récalcitrant. Coque-
lin, de son côté, ne se récalcitre qu'à contre-cœur : il ne tient
pas à passer chez les Volsques. Pour un rien on le verrait rester.
Si Vélurie et Volumnie lui offraient le séné, il leur offrirait la
rhubarbe. Là est l'intérêt. -
« Mais voici le nœud. Non seulement Coriolan menace d'aban-
donner Rome à ses destinées, mais il émet la proposition d'être
pensionné par Rome même pour l'honneur qu'il lui fail de la
planter Ik. Ça, c'est plus fort que dans Shakespeare.
« Rome ne trouve rien dans ses traditions qui justifie de pareils
rapports avec le chef du camp ennemi.
« — Eh quoi ! s'écrie Thiron, tu veux six mille pour conduire
contre nous les cohortes de Duquosnel, pour te mêlera Sarah
Bernhardt, pomper toute la poésie de ton temps et détourner de
nos bords le joyeux cours des Pactoles! Que tu le fasses, bien.
Mais que ce soit nous qui te payions pour le faire, tu en aurais
de quoi rire ta vie durant.
« — Sois impotent, gâteux, inutilisable, confirme Got, et tu
as tes six mille, cî'r lu ne seras plus un dangor pour nous.
> I
VART MODERNE
319
« A ces argumcnis Coquelin ne rdpond qu'en bissant sa démis-
sion.
Ma démission bis est formelle, el j'irai s'il le faut jusqu'à
u
la démission 1er. Les démissions ne me coulent rien.
« Et la situation devient ainsi passionnante. Les plus malins
se demandent comment on va sortir de l'imbroglio. L'Europe
balette.
« Tout à"CTJirp Coquolin joue le « Monsieur Scapin », de Jean
Richepin. 11 y obtient un triompbe. M. Gobicl s'avance... Il
s'avance, M. Goblel, souriant et grave à la fois, et d'un geste
brusque il décore Coquelin de la Légion d'honneur. Coquelin rit.
Coquclin pleure. Coquolin reste. »
Ma foi, mieux vaudrait qu'on se séparût définitivement de ce
prétentieux demi-castor, il a faligué le théâtre, il a fatigué le
public. Quand on a une vanité pareille à la sienne, on n'est jamais
grand comédien, par le motif que le grand comédien doit se faire
oublier en scène pour ne faire penser qu'au personnage et que
M. Coquelin n'a jamais pu s'y résigner.
pETITÉ CHROJMIQUE
Arsène Alexandre résume très exactement en ces termes les
idées de M. de Vogiie sur le roman russe contemporain :
« La théorie de M. de Vogiié est fort originale : elle semble,
de plus, fort vraie. D'après lui, de môme que nos institutions
reposent sur la multitude, de même nos recherches scientifiques
se fondent sur les atomes. De là, en politique, le suffrage univer-
sel; de là, dans les sciences, l'étude des cellules, des microbes
el autres infiniment petits. C'est l'individu, c'esl la plus minime
fraclion, la plus infime unité qui nous permet de nous élever
jusqu'à l'intelligence de l'ensemble. Aussi notre littérature, qui
procède de celte méthode, en est-elle arrivée à se contenter de
l'élude de l'individu. Les uns, comme Balzac, ont disséqué l'ûmc
de cet individu; les autres, comme Flaubert, ont voulu peindre
l'action qu'exercent sur lui les milieux, les circonstances exté-
rieures.
« Ces deux méthodes, qui tendent au même but, ont abouti
au même résultat : une sorte de nihilisme chez nos écrivains,
autrement dit encore le dilettantisme^ le souverain détachement,
la parfaite indifférence de l'artiste envers ses modèles, récom-
pensée par l'indifférence des modèles envers leurs peintres. Voilà
pour noire littérature^. .
« La lilléralurc russe, au contraire, procède d'une tout autre
■ pensée. Elle est illuminée d'une sorte de rayon d'en haut. Elle
est imprégnée d'un profond sentiment religieux. « Ce qui pour
nous est un régal de luxe, dit M. de Vogiié, est pour les Russes
le pain quotidien de l'ûme. » L'écrivain est le guide de sa race,
le maître d'une multitude de pensées confuses, encore un pou le
créateur de sa langue; poète au sens ancien et total du mot vates,
poète, prophète... La petite élite d'en haut a atteint depuis
longtemps et dépassé peut-être notre dilellanlisme; mais les
classes inférieures commencent à lire, elles lisent avec foi, avec
espérance, comme nous lisions Robinson à douze ans. »
Arsène Alexandre constate aussi le déclin rapide de la vogue
que les romaucitrs russes ont eue en France dans ces derniers
temps :
u Les engouements ou, pour employer une expression plus
polie mais moins exacte, les modes en littérature sont le plus,
souvent de courte durée. Pourtant, on a généralement le lemps
de s'y reconnaître et de lire les auteurs prônés avant que la mode
passe. Il semble que l'engouement pour la littérature russe n'ait
pas ou le privilège de ce délai moral. Après tout Je bruit
inattendu qui s'est fait, le silence le plus profond règne mainte-
nant sur les œuvres des Tolstoï et des Dosloiowski. C'est une
affaire à peu près finie, et je ne gagerais pas cependant que les
lecteurs de bonne volonté aient achevé le premier roman russe
auquel ils se sont attelés sur la foi des criiiqucs. Faut-il en
conclure à la longueur de ces ouvrages ou à la brièveté de nos
enthousiasmes? A loules les deux, probablement, et aussi peut-
être à une certaine réaction de l^ndifférence. »
Un curieux portrait de Théophile Gautier dans le journal des
Concourt :
3 janvier. — Au bureau de V Artiste. — Théophile Gautier,
face lourde, les traits tombés dans l'empâtement des lignes, une
lassitude de la face, un sommeil de la physionomie, avec comme
des intermitlences de compréhension d'un sourd et des halluci-
nations de l'ouïe, qui lui font écouter par derrière quand on lui
parle de face. ■ .
Il répète et rabâche amoureusement celte -phrase : « De la
forme naît l'idée », une phrase que lui a dite ce malin Flaubert
et qu'il regarde comme la formule suprême de l'école, et qu'il
veut qu'on grave sur les murs. A côlé de lui est un grand gaillard
brun et grave, un homme de la Bourse,, toqué d'Egypte, et qui,
sous le bras un plâtre d'un Chéops quelconque, expose en phrases
solennelles son système de travail : se coucher à huit heures du
soir, se lever à trois heures, prendre deux tasses de café noir el
aller en travaillant jusqu'à onze heures.
Ici Gautier sortant comme un ruminant d'une disfestion, et
interrompant Feydeau : « Oh ! cela me rendrait fol ! Moi, le matin,
ce qui m'éveille, c'est que je rêve que j'ai faim. Je vois des
viandes rouges, des grandes tables avec des nourritures, des
festins de Gamacho... La viande me lève. Quand j'ai déjeuné, je
fume. Je me mène à onze heures. Alors je traîne un fauteuil, je
mets sur la table le papier, les plumes, l'encre, le chevalet de
torture, et ça m'ennuie, ça m'a toujours ennuy»î d'écrire, et puis,
c'est si inutile!... -Là, j'écris posément comme un écrivain
public... ■ . .
M Je ne vais pas vite — il m'a vu écrire, lui — mais je vais tou-
jours, parce que, voyez-vous, je ne cherche pas le mieux. Un
article, une page, c'est une chose de premier coup, c'est comme
un enfant : ou il est, ou il n'est pas. Je ne pense jamais à ce que
je vais écrire. Je prends ma plume et j'écris. Je suis homme de
lettres, je dois savoir mon métier. Me voilà devant le papier :
"^c'esl comme un clown sur le tremplin... Et puis, j'ai une syntaxe
très en ordre dans ma tète. Je jette mes phrases en l'air... comme"
des chais, je suis sûr qu'elles retomberont sur leurs pattes. C'est
bien simple, il n'y a qu'à avoir une bonne syntaxe. Je m'engage
à montrer à écrire à n'importe qui. Je pourrais ouvrir un cours
de feuilleton en vingt-cinq leçons!... Tenez, voilà de ma copie :
pas de rature.
»
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— Pathologie littéraire. — Le château des mendiants. — Un
POÈTE belge jugé A Paris. Georges Rodenbach. — Théâtre
Molière.. — Exposition de peinture a Tournai. — Petite chro-
nique. -
SILHOUETTES D'ARTISTES
FERNAND KHNOPFF C)
Le premier tableau — exposition de VFssor, 1881 —
d'intérêt réel, que Fernand Khnopff exposa fut : Un pla-
fond d compléter sur place. Curieuse cette ajoute — mais
preuve de logique, n'importe quelle décoration ne se pou-
vant juger que sur place, mais preuve de « points sur les i »»
et de franchise vis-à-vis du public.
Le sujet est allégorique, particularité à saisir — et
modernisé, point à noter. Le peintre sera toute sa vie
inquiet de symbole ou de contemporanéité. Tel, dès ses
débuts. La toile représente la Musique, la Poésie et la
Peinture, trois femmes, non pas trois Muses, deux assises,
une debout et surtout cette dernière, très exacte et
vivante dans sa pose : la palette au bras, le genou
allongé sur un pliant d'atelier, le pinceau dans la main.
Elle semble peindre des rêves. C'est la mieux formulée
des trois.
A cette époque Fernand Khnopff était fort sollicité par
O Voir nos n»" des 5 et 12 septembre.
les finesses de tons a réaliser. Il avait étudié à fond
l'art si coloriste d'Eugène Delacroix, si intuitif d'har-
monies rares, étranges et osées, si en avant sur l'époque
où il se manifesta, si précurseur qu'aujourd'hui on ne fait
qu'établir scientifiquement ce que le grand romantique
avait trouvé djnstinct. Dans- Un Plafond il est des
alliances de vert et de rose exquises et des bleu-gris très
subtils. La toile mal exposée dans une cage d'escalier ne
pouvait être examinée comme elle le méritait. Nous
l'avons revue et c'est d'après cette étude nouvelle que nous
la classons parmi les toiles du peintre ou sa nature se sur-
prend le mieux Combien ses œuvres postérieures expli-
quent ce début ! •
Au Salon de Bruxelles, la Crise. Mênae recherche de
tons que dans le Plafond, et déjà la personnelle entente
de traiter V objectif. Un point principal, centre de vision
et raison du tableau attire toute l'intensité de l'alteritfon
du peintre qui ne voit plus que vaguement et par consé-
(^ent les peint tels les objets environnants. Toutefois, ne
faut-il traiter sèchement, sous prétexte de traiter serré,
la figure- ou le sujet dominant, mais les fixer, quoique
nets et précis, bien dans l'air et dans la vie. C'est le
défaut des Bastien-Lepage et des Dagnan, de découper en
image les traits de leurs modèles et de n'établir aucune
relation entre eux et ce qui les entoure immédiatement :
l'air. A preuve : la Récolte des pommes de terre et Les
foins. Aucune dés deux paysannes ne se trouve au plan.
Elles tombent du cadre. ^ ^^ '
Dans la Crise, la tête du jeune homme est délicatement
formulée : expressive, mystérieuse, angoissée. C'est une
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cime qu'elle pnouvo et raconte. Elle n'est en rien décou-
pée ni dure ; elle baigne dans le paysage. Le tableau? c'est
elle ; le reste : rocbes tristes, ciel grisâtre, terrain morne,
lui sert do cadre et fait comprendre sa psj'chologie. La
démarche et l'allure du songeur paraissent participer à
sa méditation; ils sont saisis en pleine vérité. Une remar-
quable unité d'impression frappe et retient ; de plus, dus
ce premier tableau, il était à voir qu'on se trouvait devant
un peintre, d'une décision esthétique, d'une nature volon-
taire et personnelle qui ne devait presque rien aux
900 tableaux dont le sien était entouré. .
Il se greffait sur les anciens, les caractéristiques et
minutieux peintres du moyen-âge — et, néanmoins, son
art était, plus que n'importe lequel, moderne dans le
sens le plus aigu du mot et prêt déjà à raconter l'huma-
nité qu'il sentait souffrir autour de lui.
On se rappelle pourtant l'étalage de bêtise publique
autour.de cette œuvre. La presse presque sans exception,
tous, les petits comme les grands journaux, ouvrirent les
écluses du jabotage et les • pipeleteries les plus saugre-
nues s'échappèrent par jets. Fornand Khnopfffit dès lors
connaissance avec le public, ne se troubla point un instant
de ses braiements et son entêtement grandit et sa force.
En 1882, Etî passant (boulevard du Régent). La préoc-'
cupation de la scène prise sur le vif, du coin de ville à
physionomiser, monte dans l'esprit du peintre. Il tâche
de rendre l'air ambiant, les arbres, le vert lavé de leur
•écorce, l'aspect des trottoirs, la façade des maisons et
surtout les promeneurs, les flâneurs, lès passants, chacun
avec son allure, son pas, son geste ou sa « dégaine ».
Travail simple à première vue, inextricable dé difficulté
vraie. La modernité a été une mode assez' universelle en
art. Sous prétexte qu'on peint mieux ce qu'on voit que ce
qu'on se remémore, tout le monde s'est mis à faire du
contemporain. « On a livré — depuis 20 ans — à la circu-
lation »», un nombre innombrable de gommeux, de cocot-
tes, de tabagies au gaz, de tramways qui filent, de coins
de rue, de pianos en accajou, de carafes avec des sirops,
des bitters, des vins dorés, des bibelots, des armoires à
panneaux vernis.
On a cru que c'était non pas un élément mais une con-
dition d'art.
On a fait une école basée sur cette prétendue nécessité
et quiconque ne réalisait point le programme, était traité
de cancéreux et de préhistorique.
A notre sens, le moderne n'est pas uniquement là. Cro-
quer ce que l'on rencontre exactement, habilement, c'est
de l'illustration pure. Le moderne existe bien plus dans
l'esprit que dans le sujet.
En un certain sens, il est impossible de n'être point
moderne puisqu'il est Impossible de sentir en dehors du
temps et de l'époque où l'on vit. Chacun de nous sent
modeime, même les plus entêtés d'archaïsme. Nul ne peut
concevoir une scène; historique lointaine comme la com-
prenaient les aïeux. Sentir le passé avec nosklécs à nous,
avec nos goûts, avec notre sympathie pour le vague et
l'effacé, et l'exprimer, est plus moderne que de peindre un
homme en habit noir ou une dame en chapeau, bottines
pointues. La première de ses deux œuvres va plus avant
dans le sentiment et dans l'intelligence que la seconde ;
elle touche à notre âme, l'autre à nos yeux. Celle-ci est
de l'art secondaire et combien do peintres' ne veulent
voir plus loin, de parti pris ! , .
Fernand Khnopff sera bien plus moderne, plus tard,
dans sa Tentation de Saint-Antoine et sa Sphinge^ qu'il
nel'est en traitant des vues de villes et dos silhouettes de
passants. Et encore n'a-t-il saisi qu'imparfaitement les
tournures, les démarches. Ses personnages ne vivent
point et son décor manque de réalité. Il n'y a de véritable
intérêt que dans la mise en page si particulière au peintre,
si adéquate à l'idée et à l'œil. Pour Fernârid Khnopff
c'est le cercle /ju'embrasse le regard en fixant la scène à
peindre, qui doit déterminer la dimension de la toile. De
plus, il faut peindre ce qu'on voit et tout ce qu'on voit,
tant les choses qui sont à un plan immédiat, que celles qui
se trouvent plus éloignées. Somme toute, aucun arrange-
ment, aucune composition. Le motif se présente tel,
peignez-le tel.
Cette tentative de modernité extérieure à traduire, fut
renouvelée en 1883. Nouvelle scène de boulevard : En
passant vers six heures. Elle est supérieure à la précé-
dente, quoiqu'elle ne tienne pas dans l'œuvre entier du
peintre.
En écoutant dit Schumann exposé au Cercle en 1883.
Cette toile est significative. Le sujet ? Oh ! combien il
était aisé de tomber dans le genre, dans le motif bour-
geois, dans le quelconque familier et gentil. Les peintres
qui ont traité l'inévitable romance sur l'inévitable piano
dansJ'inévitable salon, sont cohue. Ils se chiffrent? dites
le nombre.
Le présent tableau s'impose et par sa sévérité et par sa
haute distinction. La dame qui écoute et qui fait l'œuvre,
qui la relève et la hausse jusqu'à une étude d'âme,
témoigne d'une puissance rare. C'est l'attention con-
centrée, l'impression matérialisée, la souffrance esthé-
tique traduite. On sent à travers elle la passion et la vie
musicales passer — et la pose toute de tension, réalise je
ne sais quoi d'austère et de douloureux. Avec quelle reli-
gion elle écoute, et comme le milieu : cet appartement
tranquille, quotidien, sans luxe tape-à-l'œil, et comme ce
tapis épais et discret, et comme ce jour d'après-midi gri-
sâtre et légèrement méditatif, augmentent l'impression.
Était-il nécessaire de montrer ce coin de piano et cette
main de pianiste à gauche? N'aurait-on compris sans cela?
Le peintre n'a-t-il cédé qu'ànine préoccupation de japo-
nisme pittoresque? En tout cas, l'atmosphère de la toile
était assez musicale pour se passer de ce détail et le
laisser deviner. La simplicité et l'unité y eussent gagné.
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■'yf/'e-^:.'
L ART MODERNE
328
En écoutant dit Schumann est la seule œuvre de moder-
nité pure, signée Fcrnand Khnopff, qui nous plaise, l^our-
quoi ? Parce qu'elle porte au delà de l'extérieur et qu'elle
réfléchit une aile de l'âme d'aujourd'hui. Ce n'est que
depuis peu d'années que la musique s'écoute ainsi — non
pas avec plaisir; avec méditation. L'effet de l'art, de
notre art, est une influence de vague attirance vers un
idéal triste et grave. Le tableau rend visible cet eff'et-là.
Nous avons entendu aflirmer devant ce tableau qu'il
n'avait aucune perspective et que le décor cahotait. Cela
est absurde. La perspective architecturale établie d'après
des règles et des recettes — c'est la seule que le public
admette — est impossible quand on peint une scène
comme celle du Schumann^ sans recul, nez-à-nez avec la
scène elle-même. Il est une autre perspective — est-ce
perspective qu'il faut dire? — qui résulte de l'observation
même et de la peinture sincère des objets tels et com-
ment ils apqjaraissent au peintre. Celle-ci n'est réglée par
aucun livre, aucune leçon, aucune académie, aucun traité
— elle est déterminée par la vision, par l'œil : c'est la
vraie ou plutôt c'est la seule qui convienne aux artistes
modernes. Certes peut-elle paraître étrange et dans cer-
tains cas, dès qu'on peint des reflets de meubles et
d'objets les uns sur les autres, il est difficile d'éviter un
certain déséquilibre. Les lignes s'efi'açant et les tons
s'aflSrmant, il en résulte une certaine confusion — mais
cette confusion, il faut l'admettre, puisqu'elle apparaît
ainsi et qu'il faut peindre comme les choses apparaissent.
Il ne faut point, en dessinant une table ou un livre ou un
verre ou une armoire, qui sont là devant vous, peindre
l'idée préconçue de la table, du livre, du verre, de l'ar-
moire, qui restent au fond de votre cervelle.
Depuis ses débuts jusqu'à cette heure, Fernand Khnopff
a traité le paysage. Nous espérons qu'il ne l'abandonnera
jamais, surtout aujourd'hui qu'il s'enfonce dans le grand
rêve. La nature doit lui servir de rappel à la réalité, sans
cesse, sinon il est à craindre qu'il ne fasse un œuvre
incomplet. On ne peut se passer entièrement de réel, pour
la même raison qu'on ne peut se dégager entièrement de
l'au-delà. L'art est une unité à deux faces comme la divi-
nité catholiqne est en trois personnes. Il faut prendre pied
de temps en temps et le sol doit servir de tremplin. Le
vague est aussi dangereux que n'est morne le terre à terre.
C'est l'Ardenne et rien que l'Ardenne que le peintre a
traduit, non pourtant l'Ardenne des touristes avec un petit
ruisseau sur cailloux, un babillis d'eau, un pied de colline
moussue et herbeuse, quelques arbres effrités, des bosses
de roches à nu, des coins de ville pittoresque dominée par
une ruine, un quelque chose de romantique et de bour-
geois pour piano de salle à manger d'hôtel, mais l'Ardenne
des hauts plateaux et des larges horizons et des étendues
roses de bruyère et jaunes de fougère et vertes de genêt
et des lignes solennelles, souples, immenses, s'étendant à
l'infini comme si on avait déplié des montagnes.
D'abord, c'était des petits panneaux minutieux comme'
des fonds gothiques : la Crue^ le Cinquième étang^ A
Fosset^ les Chênes de Laval, la Grand'route, mais spé-
cialisés par une recherche très moderne de lumière
fugace ou radiante et d'aspect horaire et passager des
choses, à preuve : Du soleil qui passe, Du soleil (T au-
tomne, les Premiers froids. Un jour blanc y Vers midi, De
la rosée, De t humidité, etc. • '
Ces titres né sont-ils point, rassemblés ainsi, une
confession d'art et les plus audacieux des impression-
nistes se sont-ils inquiété d'autres recherches' pour
arriver à formuler leurs plus constantes études? L'air
n'est-il point la chose à peindre dans toutes ces toiles,
l'air seul, l'air tour à tour saturé d'or, lamé d'argent,
poreux de brume, violacé de soir, transi d'hiver? Fer-
nand Khnopff est donc plus que n'importe qui sollicité
par la recherche contemporaine et c'est folie ou mauvaise
foi de l'accuser de n'être de son heure parce qu'il peint
encore des Reines de Saba.
La toile dans laquelle il a ramassé son talent de paysa-
giste? AFosset: le garde qui attend. \h\:ox\ toute sincère
et réelle, avec son avant-plan d'arbres énormes, toute
aiguë avec ses fonds minutieusement traités. Ce qui
prouve l'acuité du regard du peintre — toute harmo-
nieuse avec ses clairs délicats, ses verts charmants, ses
tons si fins, toute personnelle avec ses plans rapprochés à
la manière gothique et qui nous semble résulter bien plus
d'une caractéristique de l'œil que de tout autre chose. De
plus, c'est le pays ardennais des plateaux, immense
d'horizon, mais minusculisé par de petites chaumières,
des réductions d'enclos à haies basses, des villages et des
hameaux étalés comme des jouets sur un énorme tapis.
(A suivre).
lES SYMBOLISTES
La campagne de la presse parisienne relative au mouvement
néo-liitéraire français semble être terminée. Chaque journal a
donné son avis. La note dominante a été la malveillance. Dans
son numéro du 3 octobre, V Evénement, par la plume de Paul de
Bart, résumait les débals en ces termes :
« Au point de vue de la forme comme au point de vue du fond,
les décadents s'écartent totalement de la langue et de l'esprit fran-
^çais. Ce que nous av ns toujours aimé et ce qui a fait !i gloire de
notre littérature, c'est la grâce précise, la beauté, la netteté, la
clarté largement répandue, et rien de tout cela ne se trouve dans
la poésie décadente. Chez ces poètes nouveaux, la poésie n'est
plus un art, ils la cultivent comme des carrés de chou.x ou comme
des champs d'orge, et ils ne tarderont pas à disparaître quand le
public se lassera de leurs facéties et de leurs inepties, et lorsque
la réclame, dont ils ont l'air de faire fi mais qu'ils recherchent
par tous les moyens, ne donnera plus. Et comme il y a deux
sortes de décadents, les fumistes et ceux qui ont le cerveau
malade, naïfs et bernés par les premiers, les uns auront, grâce
au décadisme, acquis un nom, et les autres finiront à Bicétre ou
■ k Charenion. ».
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a^; ;■%;;, ;. •,, ;<■
f
324
L'ART MODERNE
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:-
Celte sentence est fort injuste dans sa généralité. Elle ne tient
"lîomple que des excentricités grotesques des funambules de
l'école. N'en disons pas davantage pour le moment. Résolus à
faire de ce phénomène artistique une étude d'ensemble, nous
n'avons d'autre prétention, jusque-là, que de réunir des faits et
des documents,
A ce litige, signalons un article du 28 septembre, de M. Gus-
tave Kaho, secrétaire de la rédaction de la Vogue. 11 y résume le
mouvement de manière à jeter quelque lumiiM-e sur les déclara-
tions obscures du Manifeste de M. Jean Moréas, que nous citions
dans notre dernier numéro et dont il dit qu elles posent nette-
ment l'ensemble des volitions de l'école.
« La caractéristique. générale de ces livres, ce qui unifie
la tendance, c'est la négation de l'ancienne et monocorde tech-
nique du vers, le désir de diviser le rythme, de donner dans le
graphique d'une strophe le schéma d'une sensation. Avec l'évo-
lution dos esprits, les sensations se compliquent; il leur faut
des termes mieux appropriés, non usés par un emploi identique
de vingt ans. De plus, l'élargissement normal d'une langue par les
néologismos inévitables et une instauration de l'ancien vocabu-
laire nécessité par un retour des imaginations vers l'épique et le
merveilleux.....' La prose banale est l'outil de la conversation.
Nous revendiquons pour le roman le droit de rythmer la phrase,
d'en accentuer la déclamation ; la tendance est vers un poème en
prose très mobile et rythmé différemment suivant les allures, les
oscillations, les contournements et les simplicités de l'Idée. »
Ce qui précède concerne la forme.- Voici le fond :
« Pour la matière des œuvres, las du quotidien, du coudoyé et
de l'obligatoire contemporain, nous voulons pouvoir placer en
quelque époque ou môme en plein réve(/e rêve étant indistinct de
la vie) le développement du symbole. Nous voulons substituer à
la lutte des individualités la lutte dés sensations et des idées et
pour milieu d'action, au lieu du ressassé décor de carrefours et
de rues, totalité ou partie d'un cerveau. \.e but essentiel de notre
art est d'objectiver le subjectif (l'extériorisation de l'Idée) au lieu
de subjectiver l'objectif (la nature vue k travers un tempéra-
ment). »
Celte déclaration est très importante pour qui cherche à déga-
ger les dominantes de la nouvelle école. « La nature vue à travers
MM tempérament, » c'est la formule célèbre du naturalisme. « Le
tempérament vu à travers la nature et même sans la nature »
semble devoir être celle des novateurs. Les pôles sont renversés.
La réalité, le cerveau, voilà les deux agents de tout art. lequel
doit dominer? Le naturalisme répond : le cerveau ne doit servir
qu'à rendre les réalités de la nature. Le symbolisme répond :
la nature ne doit servir que d'auxiliaire pour rendre les rêves
du cerveau.
En ce sens, M. Jean Moréas disait dans son Manifeste, parlant
des êtres réels s'agitanl autour du symboliste : « Ce ne lui sont
que prétextes à sensations et à conjectures. » Et ailleurs : « L'art
ne saurait chercher dans l'objectif qu'un simple point de départ
intimement succinct. » Il s'agit donc d'exprimer les visions céré-
brales déformant la réalité extérieure. Aussi l'auteur conclut-il
ainsi : « En cette déformation gît le seul réel. »
Comme élément corroboratif, il y a lieu de noter quelques
lignes par lesquelles débute un très curieux et très artistique
morceau de Stéphane Mallarmé : « Le Spectacle interrompu^ »
paru dans le Scapin du i*' septembre. Lui aussi veut que l'on
examine les événements sous le jour propre du rêve, et il conti-
nue : « Artifice que la réalité, bon à fixer l'intellect moyen entre
les mirages d'^un fait; mais elle repose par cela même sur l'uni-
verselle entente; voyons s'il n'est pas, dans l'idéal, un aspect
nécessaire, normal, simple et tout aussi capable de servir de
type. » .
C'est du reste à Stéphane Mallarmé que M. Jean Moréas rat-
tache plus spécialement cette caractéristique : « 11 a loti le mou-
vement actuel du sens du mystère et de l'ineffable». Et il ajoute :
« L'accusation d'obscurité lancée contre une telle eslhéli(|ue par
des lecteurs à bâtons rompus n'a rien qui puisse surprendre.
Mais qu'y faire? Les Pyihiques de Pindare, YHamlet de
Shakespeare, la Vita Nuova de Dante, le Second Faust de
Gœthe, la Tentation de Saint- Antoine de Flaubert ne furent-ils
pas aussi taxés d'ambiguïté? ».
Recueillons ces déclarations, elles nous wrviront ultérie*u»e-
ment. Elles expliquent un vocable nouveau qui se fait jour pour
désigner les adeptes de cet art spécial : les Occultistes.
Nous avons, dans notre numéro du 19 septembre, reproduit
un passage dans lequel Vir du Scapin jetait par dessus bord ce
qu'il nommait la queue du mouvement, composée des imitateurs
maladroits, inconscients de l'esthétique voilée de l'école. C'est h
noter spécialement en raison du nombre considérable d'œuvrés
insensées qu'on met au compte de celle-ci et qu'elle répudie.
M. Gustave Kahn fait de même : « D'aucuns sans aucune attache
avec nous, sans quoi que que ce soit, au plus large compréhensif,
qui ressemble à nos tentatives , tapent du gong, tentant une
subreptice faufilade ».
M. Gustave Kahn repousse aussi la qualification de Décadents;
parlant des écrivains disqualifiés par ce sobriquet, il dit : « Bien
que toute étiquette soit vaine, nous nous devons, pour l'infor-
mation exacte des attentifs, de rappeler que décadent se pro-
nonce symboliste ». Léon Vanier, leur éditeur attitré, nous
écrivait récemment : « Le Symbolisme est le qualificatif définiti-
vement adopté par nos artistes écrivains, il convient mieux et est
plus vrai incontestablement que ce ridicule vocable : DÉCA-
DENT ». Le terme sera désormais pris comme une injure au
même titre que Putrescént. Mais que diront les rédacteurs du
Décadent, revue existante dans laquelle écrit M. Barbey d'Aure-
villy, et les rédacteurs de ia Décadence, revue prochaine dont le
directeur annoncé est M. E. G. Raymond et le secrétaire de la
rédaction M. René Ghil?
Et maintenant que nous avons préparé la matière par ce Limi-
naire, cet Avant-Dire, comme écrivent quelques-uns de ces
messieurs (de la queue ou de la tête, ne savons, le classement
étant parfois difficile), nous essaierons dans un prochain article,
sous le titre les Visionnaires, que nous proposons comme le
plus exact, de préciser définitivement cette nouvelle et très
intéressante esthétique et de marquer sa place dans l'histoire
littéraire.
PÂTHOLOGIK LITTËIIURE
Encore un échantillon. Le dernier sans doute. 11 est d'Arthur
Raimbaud. De la part d'un tel écrivain, était-ce folie ou fumis-
terie? Plutôt fumisterie, croyons-nous. De notre temps, il faut
être constamment on garde contre le désir des artistes de se
moquer à leurs heures de ce public odieux qui ne croit le plus
souvent qu'aux médiocrités cl aux imbéciles.
]
il
C'est exlrail des Illuminaliom . Ne pas irop se souvenir du
fameux écril de Patachon dans les Deux Aveugles.
APRES LE DÉLUGE
Aussitôt que l'idée du Déluge se fut rassise,
Un lièvre s'arrêta dans les. sainfoins et les clochettes mouvantes,
et dit sa prière à l'arc-en-ciel, à travers la toile de l'araignée.
Oh! les pierres précieuses qui se cachaient, — les fleurs qui
regardaient déjà.
Dans la grande rue sale, les étals se dressèrent, et l'on tira les
barques vers la mer étagée là-haut comme sur les gravures.
Le sang coula, chez Barbe-Bleue, — aux abattoirs, dans les
cirques, où le sceau de Dieu blêmit les fenêtres. Le sang et le lait
coulèrent.
Les castors bâtirent. Les •♦ mazagrans » fumèrent dans les esta-
Dans la grande maison de vitres encore ruisselante, les enfants
en deuil çegardèrent les merveilleuses images.
Une porte claqua, et, sur la place du hameau, l'enfant tourna ses
bras, compris des girouettes et des coqs des clochers da partout,
sous l'éclatante giboulée.
Madame *** établit un piano dans les Alpes. La messe et les pre-
mières communions se célébrèrent aux cent mille autels de la
cathédrale.
Les caravanes partirent. Et le Splendide-Hôtel fut bâti dans le
chaos de glaces et de nuit du pôle.
Depuis lors, la Lune entendit les chacals piaulant par les déserts
de thym, — et les églogues en sabots grognant dans le verger. Puis,
dans la futaie violette, bourgeonnante, Eucharis me dit que c'était
le printemps.
Sourds, étang, — Ecume, roule sur le pont et passe par dessus
les bois; — draps noirs et orgues, — éclairs et tonnerre, — montez
et roulez; — Eaux et tristesses, mpntez et relevez les déluges.
Car depuis qu'ils se sont dissipés, — oh, les pierres précieuses
s'enfouissant, et les fleurs ouvertes ! — c'est un ennui ! et la Reine,
la Sorcière qui allume sa braise dans le pot de terre, ne voudra
jamais nous raconter ce qu'elle sait, et que nous ignorons ! .. ,
l^
CHATEAU DE3 MENDIANT?
C'est l'un des plus beaux de la Belgique, et ccrles le moins
connu.
Digne d'abriter un souverain, bâii d;ins un site admirable, il.
dresse, au milieu de ses fossés pleins d'eau, comme au temps où
l'on n'y pénétrait que lorsqu'il plaisait à son seigneur de faire
abaisser la herse, l'orgueil de ses tours massives, de ses toitures
percées de fenêtres k meneaux de pierre blanche, de ses chemi-
nées monumentales qui rappellent par leur forme et leurs dimen-
sions celles des châteaux de la Loire.
Et ce merveilleux édifice est habité par une armée de misé-
rables, amenés dans la cour d'honneur où fleurissent encore les
écussons évocaiifs des gloires du passé par la misère, l'aftreuse
misère qui, sous des éliquelles variées : débauche, vice, alcoo-
lisme, étend de plus en plus sa lèpre sur le pays.
On peut voir les tristes hôtes du château, dans leur uniforme
de toile grise, parcourir les profonds vestibules, gravir les degrés
de l'escalier soigneusement ciré, promener leur pauvre charpente
cassée, en quête de soleil, sur le terre-plein où se rangeaient
jadis les équipages de chasse des puissants comtes du lieu.
La crypte romane, aux voûtes mystérieuses et sombres, sous
laquelle s'enfonce l'horreur d'une oubliette, est convertie en
cuisine, où l'on apprête en des chaudrons de cuivre gigantesques
le pot-au-feu de quatre cent cinquante porte-guenilles, tandis
que trois matrones, dans une cave voisine, enfournent tous les
matins neuf cents livres de pain.
A l'entrée, une vaste salle sert de vestiaire. On y empile, par
paquets numérotés, épingles d'un nonj i?l d'une date, les bardes
des arrivants. Parmi les cliapenux défoncés, verdis, rûpés jusqu'à
la coiife, parmi les habits usés jusqu'au fil, parmi les chaussures
dont la semelle bâille Inmentabiemcnt et les squelettes de para-
pluies dont les silliouellcs grimaçantes raviraient d'aise Paul
Marlinelti, l'inimitable interprète de Bertrand dans V Auberge des
Adrels, un pauvre violon, dans son cercueil de bois noirci,
apporte une mélancolie particulière et poignante. Qui saura les
aspirations d'artiste, les rêves, les chimères, les espoirs, ense-
velis, là, dans ce petit coffret de sapin?
Proches s'ouvrent les rétecloircs, avec leurs longues tables
étroites et leurs bancs, et leur vaisselle rustique. Aux étages
supérieurs, dans des dortoirs aérés, les couchettes de fer
s'alignent, accostées l'une à l'autre, invariablement revêtues d'une
couverture de laine brune.
Un règlement administratif a systématiquement organisé,
rangé, classé, ordonné toutes choses, et devant l'aspect redou-
table de ses Articles s'est enfuie, éperdue, la poésie de l'antique
demeure.
Destinée étrange et terrible que celle de ce monument, dont les ,
murs ont gardé l'écho de récits chevaleresques, de bruits des
fêtes, de chocs d'armes, et dans lequel viennent s'éteindre
aujourd'hui les plaintes désespérées de l'humanité déchue.
Aux hasards d'une navigation sur la Meuse, secondée par un
vent du sud-ouest qui nous entraîna lestement vers les basses-
terres où la rivière élargie/ libre de tous barrages, roule entre
des rives d'émeraude l'opale de ses eaux, devons-nous la fortune
d'avoir découvert ce précieux spécimen de notre architecture
des xvi^-xvii* siècles.
C'est à l'entrée du bourg de Reckheim, non loin de Maestricht,
dans la province du Limbourg, à un kilomètre et demi de la
Meuse, qui délimite en cette contrée la Belgique et les Pays-Bas,
que s'élève le château, tragique dans son isolement, et plus
formidable encore quand apparaissent,au moment où l'on s'appro-
che du pied de ses murailles en escarpe, les loqueteux qui l'occu-
pent.
Il fut bâti par un comte d'Aspremont-Lynden et achevé
en 15d^7, ainsi qu'en témoigne un écusson encastré dans le mur.
Le fondateur n'en jouit pas longtemps : six ans après on scellait
parmi les pierres pariétales l'urne où l'on enferma son cœur. Une
inscription porte, en effet : Hic jacet cor generosi DTii Hermanni
de Aspre. Lynd. 1603.
Mais nous n'entendons pas, dans ce journal réservé à l'art,
faire de l'archéolosie. Notre seule intention est de signaler aux
amateurs, aux esthètes et aux artistes ce très beau morceau
d'architecture, et en même temps de formuler un regret.
Quand l'Etal en fil l'acquisition pour y installer un dépôt de
mendicité, quelques modifications à la distribution intérieure des
appartements furent jugées nécessaires. Il fallut aussi élever des
constructions nouvelles et complé^^er le quadrilatère de bâtiments
dont trois côiés seulement avaient été achevés par le comte
d'Aspremout. La marche à suivre, en pareil cas, ne pouvait,
semble-t-il, donner lieu à aucune hésitation : dans les change-
ments à faire à l'intérieur, il fallait respecter scrupuleusement ce
i
<iui existait cl se borner l\ rnppropricr, sans dégradations,, aux
nécessiléi de la dcslinalion nouvelle assignée au niohumcnl.
Quant aux constructions à effectuer, on avait le moJèlQ sous les
veux : il suffisait de s'y conformer.
Mais ceci eût été, on vérité, trop simple et ce serait mal con-
naître les habitudes de MM. les bâtisseurs cl restaurateurs officiels
que de s'imaginer naïvement qu'ils eussent donné cette preuve
de goût. 11 faut parcourir le chûteau'de Reckheim pour voir ce que
peut faire d'un pur joyau architectural rininlelligencc cl l'ignorance
artistiques.
A côté de rélégance et de la sévérité des coiis'.ructions anciennes
dont l'harmonie charme les yeux, s'élève un bâtiment lourd,
massif, trapu, qu'on a eu la stupéfiante idée de badigeonner en
rouge vif, en simulant par des lignes blanclies le joint des
briques, alors que le château tout entier est bâli en pierres. El
pour compléter cette abomination, on a revêtu du même badi-
geon tout l'inlériour de la cour^ y compris les linteaux des
fenêtres, l'n horrible pont en briques coupe en deux l'harmonie
d'une des façades. Et quant à l'intérieur, on s'est aussi peu sou-
cié de la délicatesse des cheminées Louis XV, éteintes sous une
couche de plâtre, \lu dessin des plafonds, de l'élégance de la
crypte primitive, sur laquelle fut construite le château cl dont on
aurait pu tirer un merveilleux parti, que si toutes ces vivantes
expressions de pensées artistes n'eussent jamais existé.
Les marmitons et gûte-sauces qui, dans celte même crypte,
convertie en cuisine, ont eu la lumineuse idée de passer les
colonnes h la mine de plomb et de les faire luire, par d'énergi-
ques frictions, comme leurs fourneaux, nous ont pafu aussi
intelligents que les architectes chargés de veiller U l'entretien de
l'édifice. ;.:•■ ï :;'"-: ■.,:-;;■■ :/u -:y--^' .■■'-:r ■'■:■• ■:-' ■-•,.V" .;''::'--^^'/.
N'y a-l-il pas en Belgique une réunion d'hommes compétents
que le gouvernement charge de parer aux bévues des restaura-
teurs maladroits et de réparer celles qu'ils ont commises? Et n'est-
ce pas la commission des monuments qui est désignée à cet effet?
• Elle renferme des artistes de goût et de savoir. Que ceux
d'entre eux qui ont souci de l'honneur artistique du pays fassent
l'excursion de Reckheim. Peut-être la vue du Château des men-
diants leur inspirera-t-eile sur l'art de conserver les monuments
des réflexions salutaires. El si cette visite ne leur en inspire pas,
la pensée qu'ils auront fait un joli voyage cl dîné dans la riante
auberge de M"'^ V« Hauben nous ôtera tout remords de les avoir
dérangés inulilcment.
UN POETE BELGE JUGE A PARIS
GEORGES RODENBACH
En Belgique, —combien de fois l'avons-nous fait remarquer ! —
le bruit des plus beaux cft'orts artistiques n'arrive pas à dépasser
un cercle d'intimes. La presse est dédaigneuse de tout ce qui
n'est point commérage, potins, cancans. Les choses de l'esprit
lui échappent, et quand paraît une œuvre littéraire, poème ou
roman, à de très rares exceptions près on lui règle son compte
en trois lignes hâtives, insérées au bout des faits-divers, avec la
joie de s'en débarrasser. Après quoi, silence, paix, oubli. Heu-
reux encore l'auteur quand on ne lui jette pas à la tête, comme
des pavés, les coquilles de ses typos!
En France, on a le respect des écrivains. Toute œuvre
publiée est discu'éc, analysée, et il est rare que, soumise à ce
crible constamment agité de l'opinion publique, ce qui est bon
ne se sépare rapidement de ce qui est mauvais. Certes, il y a
des engouements irréfléchis, des réputations trop tôt gonflées cl
qui crèvent comme des bulles de savon. Mais, il faut le recon-
naître, il n'est point de talent qui n'arrive, tôt ou tard, U êlre
apprécié. National ou étranger, tout écrivain a un public. Nous
en trouvons un nouvel exemple dans la série d'articles, extraits
d,e journaux français qu'a réunis et publiés dans son numéro
dernier la Fédération artistique à propos du livre récent de
Georges ^odcnhàch : la Jeunesse blanche.
Parmi les appréciations, toutes élogieuscs, de la presse fran-
çaise, il convient de citer celles de Philippe Gille, dans le Figaro^
qui attribue le succès du jeune poète ^ Paris à « l'émolion qu'il
a ressentie et traduite en vers d'une forme respectée; » celle de
M. Fouquier, qui imprime dans le XIX^ Siècle : « La Jetinesse
blanche est l'œuvre d'un poète sur qui la mélancolie du rêve
s'allie U la précision de l'analyse; » celle de M. Maxime Gauchcz,
dans la Revue bleue : « Ils sont très nets d'accent et très dégagés
d'allure ces vers nés au pays ou fleurit non pas l'oranger mais le
houblon ». Et celte autre du Chat noir :
« La Jeunesse blanche, par Georges Rodenbach. Voilà cérlai-
ncment un des plus exquis "volumes de vers qui aient paru depuis
bien des années.
a II a celle originalité absolue d'évoquer pour la première
fois ces visions sereines cl mystiques des vieux maîtres flamands,
cela dans une langue et une forme impeccables, enluminées
d'images d'une splendeur et d'une richesse de missel gothique.
« Toutes les sensations de la jeunesse d'une poète y sont
traduites en vers sublils et raffinés, avec la douceur et le calme
des choses lointaines et bleuâtres qu'on voit dans le souvenir. »
Et encore, du Gaulois :
« La Jeunesse blajiche est un nouveau recueil de vers lamarli-
niens, d'une bonne facture, d'une cadence harmonieuse cl,, ce
■qui vaut mieux encore, d'une sincère et douce inspiration, d'une
élévation et d'une pureté de sentiments qui leur donnent comme
une de ces bonnes et saines odeurs du printemps, que l'on res-
pire avec innocence et avec plaisir. »
De la Pléiade :
c< Un livre d'une réelle valeur poétique... Dès les premières
pages, un poète vrai, un poète sincère et original s'est révélé... »
Du Voltaire:
ce Son vers est élégant, son verbe choisi. Sa phrase enveloppe
délicieusement l'idée. Son inspiration est volontiers mélanco-
lique... »
Du Soleil :
a Poésie calme, mais souvent très pénétrante, parce qiic chacun
s'y retrouve et se complaît dans la succession d'impressions qui,
vers le midi cl surtout vers le soir de la vie, hantent tous les
hommes d'imagination, éternellement élreints par les griflbs du
souvenir. » " ■
De la Revue de demain : •
« Toute d'intimité et d'émotion hieufaismic, la Jeunesse blanche
est le ressouvenir de l'autan juvénile. C'est la genèse de tout ce
qu'on perçoit dans le passé, la notation en celte brume qui l'en-
toure sans la dénaturer et la rend plus attrayante, plus aimée de
la vie des choses éteintes. »
Ces courts extraits donnent une idée de rcnscmble des appré-
cialipns consacrées à notre compatriote. Combien ratieniion
sympathique qu'éveillent ses œuvres chez nos voisins doit le
dédommager de l'indifférence avec laquelle notre public accueille
les poètes !
Jheatre ^OJ-îÈRE
Débuts fort convenables de la direction Alhaiza, au théâtre
Molière. On donne le Père Prodigue^ pièce à thèse et contre-
thèse de Dumas fils, où les ingénues ont une expérience de vingt
ans plus vieille que leur âge et parlent de l'amour comnie
M. Joubert ou M. Cousin. Sont-elles doctes, sensées, graves.
Diable, quelles Maintenons en costume clair et cheveux blonds!
Mais il n'csi pas de saison do juger ici, à l'occasion d'une
ouvoriurc de scène bruxelloise, le talent dramatique du premier
dramaturge français de par le sacre de M. Albert Wolfif. Disons
tout de suite que la troupe qui interprète le Père Prodigue
semble la meilleure que le théûire ixellois ait possédée depuis
longtemps. M. Alhaiza est bon comédien de bonne distinction,
de nette diction cl de parfaite tenue. S'il faiblit là où il faut de
l'émotion, par contre il est d'excellent ton et de parfaites manières
là où il s'agit de narrer, de soutenir une conversation spirituelle,
de décocher un mol qui porte, de trancher d'un geste une situa-
lion. M'"*' Clarence est légèrement apprêtée toujours, mais clic
comprend bien son rôle, elle a des planches. Son défaut? La
voix mélodramatique invariablement.
D'autres bonnes recrues encore.
La soirée de samedi a été marquée de bien des battements de
mains, surtout h l'adresse du directeur et l'on sort du théâtre
avec la conviction que certes les comédiens d'ici valent ceux de
là bas, c'est à dire ceux du Parc.
EXPOSITION DE PEINTURE A TOURNAI
(CoiTespondance particulière de r^W moderne).
Vous me demandez un compte-rendu de la récente exposition
du Cercle artistique de Tournai; ma qualité de membre du
Cercle et d'exposant m'enlève tout droit à la critique, mais l'in-
térêt que je porte à celte œuvre naissante me fait un devoir d'en
constater les progrès. Je pourrais dire le succès.
Outre les artistes qui tiennent de près ou de loin à Tournai et
qui avaient répondu sans hésitation à l'appel de la Commission
(dont il serait superflu de rappeler ici le zèle et l'abnégation),
l'Exposition compte encore bon nombre d'artistes étrangers.
Bel exemple qui sera suivi, je le sais, car à côté de ceux qui
mesurent leur appui à l'intérêt qu'ils en peuvent retirer, il y aura
toujours les vrais défenseurs de l'art, ceux qui l'aiment sincère-
ment et savent s'oublier... y ^ -
Si tous ont travaillé au développement du sentiment artistique,
le public s'est montre digne de ces généreux efforts :
Du 42 au 2o septembre, il y a eu d,800 entrées à 50 centimes,
soit 225 de plus qu'en 1885, enfin, les deux derniers jours,
4,804 entrées à 10 centimes, soit 460 entrées de plus que l'an
dernier.
Le chiffre des œuvres vendues s'est élevé (y compris celles
achetées pour la tombola) à 25.
Les 5,000 billets à 25 centimes seront placés pour le 15 oc-
tobre, époque du tirage de la tombola.
Voilà un résultat inespéré, à quelque point de vue qu'on se
place ; aussi que de projets pour 1887 ! Mais c'est à la ville à en
permettre l'exécution et qui pourrait supposer que devant une
œuvre qui réunit les suffrages de tous, elle ne lèverait point tous
les obstacles, en admettant qu'il y en eût ?
Veuillez agréer. Monsieur, mes remerciements et l'assurance
de mes sentiments distingués.
G. DE V.
pETITE CHROf^IQUZ
M. Léon Vanier, 20, quai Saint-Michel, Paris, éditeur de l'dcole
svmbolisle, écrit à l'un de nous :
« Je vais réimprimer les Fêtes Galantes de Verlaine et vais
mettre en vente, avec le petit bijou littéraire ci-dessus, Louise
Leclercq du même auteur (rare) et les Mémoires d'un veuf; chaque
volume, fr. 3-50. Il y aura un tirage à part pour ces deux
derniers au prix de 7 francs; le tirage est de 20 exemplaires
numérotés. »
Avis aux bibliophiles.
K/1
Au lourde l'Evénement de donner les verges à M. Coquelin.
Décidément la leçon devient dure, bien que très méritée*:
« La perte de M. Coquelin ne serait point aussi déplorable
pour la Comédie que ses amis veulent nous le faire croire. Pour
ceux qui suivent l'illustre comique, il a perdu le sang-froid et la
dose de modestie nécessaires à tout artiste. Il n'est déjà plus à
sa hauteur. Son Brichanteau du. Parisien était fort terne. Son
Chamillac fut tout à fait indigne de lui. Je l'ai vu jouer un soir
de cet été les Précieuses avec un sans- façon et une grossièreté
d'elTets qui n'étaient pas drôles du tout. La critique a étudié sans
effroi les conséquences de son départ et reconnu qu'on le rempla-
cerait facilement par des acteurs qui ne le laisseraient pas regreller
une minute....
« Ce comédien a élé le tapageur par excellence. Il a recherché
c bruit, les polémiques. Il n'a pas voulu se contenter de la voie
honorable, paisible et digne qu'il n'avait qu'à suivre. Il veut
enfoncer les règlements, violenter les pouvoirs publics, ou s'en
aller, quitter ce public qui lui fut trop fluttcur, ce théâtre où l'on
ferma trop facilemenl les yeux sur ses escapades. Il veut emplir
le monde de son bruit et de son caquet. Libre à lui ! Hier encore,
il était un de nos premiers comédiens, il appartenait à la critique.
Aujourd'hui, s'il ne revient pas sur ses excessives prétentions, il
appartiendra à Barnum. On le véhiculera à travers les- steppes
glacés et les pampas torrides, entouré d'une nuée d'hommes-
sandwiehs et d'une armée de voitures-réclames. On l'exhibera
comme un phénomène à des peuples inconnus qui ne compren-
dront rien à Mascarille ni à Chamillac. El le's peuples se deman-.
deront dans leur hébétement : « Qu'est-ce que c'est donc que ce
Coquelin qUi coûte si cher à regarder? »
Le Scapin n'y va pas de main morte non plus : « Voici
. venir M. Coquelin, l'aîné des trois, qui veut faire cracher à la
Comédie-Française des pensions, des rentes et- mille sommes.
Cet écrivain des planches publie dans le Temps d'extraordinaires
manifestes, qui pourraient être signés Gambetta ou Paul Delair.
Ce décoré commence à nous ennuver ferme et tous nos vœux
se portent sur le paquebot qui doit se transvaser en Amérique.
Très agréabiement, à propps de la rentrée de M™^ Judic,
Charles Martel se moque, dans la Justice, de l'engouement des
Parisiens pour les divinités de l'art de second ordre :
« Jamais nous n'aurions cru contenir autant de douces larmes!
.La belle cérémonie et la louchante soirée ; quelle émotion, quelle
effusion ! Allons, nous ne sommes pas encore aussi perdus de
cœur qu'on veut bien le dire; nous nous enthousiasmons toujours
pour le jeune, le vrai, le grand, le beau !
« Qu'on élève l'obélisque, qu'on metttî ou qu'on ôlc un groupe
sur l'Arc-de-Triomphe, qu'on revernisse les galeries de Versailles,
qu'on donne Chantilly à llnstitut sous réserve d'usufruit, que
M""^ Judic revienne d'Amérique et rentre aux Variétés, nous bal-
lons des mains les yeux humides de larmes. Jamais depuis les
plus solennels hommages à Déranger, jamais depuis le centenaire
de Chevreul, je n'ai vu de fête comparable à celle d'hier. Tous
nos cœurs ont battu dans la poitrine de la diva, qui s'en est
trouvée fort augmentée. Et des bravos, et des bis et des ter !
Nous avons redemandé quatre fois la chanson de la bouillabaisse!
mais maintenant cela fait partie du patrimoine national et mal
venu serait qui s'en étonnerait.
« Malgré ses voyages, la chère grande artiste n'a pas pris une
ride, n'a rien perdu de son talenl ni de son gracieux embonpoint,
au contraire. iSous avons toujours notre p'iiie Judic! Paris est au
complet.
« M™^ Judic a chanté délicieusement la légère et spirituelle
musique d'Hervé, elle est restée la vraie fine diseuse, et j'espère
que si elle songeait un jour éloigné à prendre sa retraite, une
souscription nationale se ferait pour la maintenir au théâtre dans
l'intérêt de la chanson française, en même temps qu'une souscrip-
tion pourrait s'organiser pour empêcher Lohengrin, »
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Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 17 Octobre 1886.
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Adresser les demandes d'abonnement et toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de Plndustrie, 26, Bruxelles.
?
OMMAIRE
liES Visionnaires. — James Vandrunen. Elles. — Le théâtre
A Bruxelles. — Le travail de l'artiste. — Un événement
MUSICAL. — Bibliographie musicale. — Correspondance. —
Petite chronique.
LES VISIONNAIRES
Il s'agit encore des Symbolistes, alias décadents,
occultistes, incohérents, déliquescents, putrescents,
évanescents. Il s'agit de dégager dans cette cohue qui
fait songer au défilé des Masques de la Mort- Rouge
d'Egard Poë, les éléments sains et féconds et de leur
donner, si possible, un nom qui corresponde exacte-
ment à leur nature.
Tâche difficile, laborieuse, mais opportune assuré-
ment au milieu du chaos qu'ont produit et les œuvres et
les critiques qu'on en a faites ; utile aussi, sans doute,
pour éviter des condamnations et des mépris trop
absolus.
. Qu'on nous excuse d'y insister. Quoi qu'on dise, nous
ne saurions assez répéter que le mouvement est inté-
ressant et qu'il marquera dans l'évolution littéraire
contemporaine. Quand la distillation sera complète,
quand le temps, la critique et le bon sens auront fait
évaporer les éléments impurs, il restera, nous en avons
la conviction profonde, quelques solides et salutaires
vérités, quelques principes nouveaux au moins au
regard de l'art qui présentement domine, et surtout
une indépendance et une audace qui commençaient à
manquer.
Si cela est, M. Jean Moréas avait raison d'écrire :
Nous ne voulons pas du mot décadence, que quelques-
uns transforment en décadisme. Il est un mensonge et
une injure. La décadence c'est la vieillesse d'un art
usé. Nous prétendons inaugurer la jeunesse d'un art
nouveau. Nous ne finissons pas une évolution littéraire,
nous en commençons une.
Ne revenons pas sur la question de forme, soit en
vers, soit en prose. Nous nous en sommes sufiisamment
expliqués l'an dernier et l'an courant. A cet égard, les
prétentions de l'école eussent été dès longtemps
admises, sans grand bruit, si elles n'avaient pas accom-
pagné les étrangetés du fond dont nous parlerons tout à
l'heure. Autoriser l'hiatus, accueillir l'enjambement,
dédaigner la richesse des rimes et l'alternance des mas-
culines et des féminines, introduire dans la prosodie
^des vers de neuf, onze et treize pieds, rafraîchir les
rythmes anciens et en imaginer de nouveaux, recom-
mander les néologismes, les vocables impollués, comme
dit Gustave Kahn, surtout quand ils sont moins des
mots trouvés que des mots retrouvés dans les vieux
auteurs, chercher l'harmonie imitative des termes, des
syllabes et même des lettres, proclamer en définitive
la liberté littéraire, mettre l'originalité au dessus de
tout, se dégager des routines académiques, crier ana-
thèine aux pasticheurs, — qui donc de sensé y trouve
à redire quand toutes ces réponses se maintiennent
dans la juste mesure du goût et que la révolution se
330
n ART MODERNE
résume en cette maxime : « Faites ce qu'il vous plaît,
pourvu que ce soit d'un artiste? '»
Un pareil acquis est déjà considérable et les nova-
teurs qui sont dès à présent parvenus à familiariser le
public avec ces principes, ont incontestablement rendu
service non seulement à la littérature, mais à l'art sous
toutes ses formes, en accoutumant l'opinion à une belle
indépendance d'allures. Ainsi que Ta dit M.Moréas, ils
ne font en somme que développer, en une nouvelle
étape, l'affranchissement commencé par Victor Hugo
en 1827, quand parut la préface de Cromt^^^^, affran-
chissement que l'illustre poète avait arrêté à mi-route.
Le bojileversement, si l'on entend par là la déroute
mise dans le& formules vieillies, est même aujourd'hui
moins radical et les clameurs moins enragées. Quelle
réforme pourtant s'est finalement mieux assise que celle
dont l'auteur à'Bernani a été le promoteur? Nous
n'hésitons pas à déclarer qu'à notre avis celle qu'on doit
à MM. Mallarmé et Verlaine sur les points que nous
énumérions tantôt est aussi certaine dans son avenir et
son triomphe. Elle n'a vraiment d'autre obstacle que
cette queue exécutée par M. Kahn et par M. Moréas,
qu'elle s'efforce de couper, qui, par les grotesques et
maladives exagérations dont nous avons donné des spé-
cimens, met les lettrés en défiance et fournit aux adver-
saires un moyen facile de confondre toiis les réforma-
teurs, même ceux qui sont le plus.véritablement artistes,
avec quelques pitres et quelques insensés. ^^^^^^^^ • -
Parlons maintenant du fond. C'est ici surtout que les
• équivoques et les malentendus foisonnent, et il faut
avouer que ni la plupart des œuvres, ni les déclarations
~ explicatives n'ont fait jusqu'ici une lumière suffisante.
Xa nouvelle esthétique semble une énigme et le terme
symboliste, récemment consacré,, y ajoute peut-être
une obscurité nouvelle. A le prendre, en effet, à la
lettre, il signifie, particulièrement dans les arts, une
. production qui résume, en la caractérisant en ses attri-
buts essentiels, une idée, un personnage, une passion,
un événement, une époque. Or, compris ainsi, le mot
donnerait le change sur les volitions de l'école. Pour
le faire mieux comprendre, revenons sur les explica-
tions de ses adeptes que nous groupions dans notre der-
nier numéro.
M. Moréas dit entre autres : Las du quotidien, du
coudoyé, nous voulons nous placer en plein rêve... —
Parlant des réalités, il ajoute : Ce ne sont pour nous
que prétextes à sensations; l'art ne saurait chercher
dans le monde extérieur qu'un simple point de départ
, très succinct. — De son côté M. Mallarmé écrit : Il y
a dans l'idéal un aspect capable de servir de type. —
Et tous deux résument leur théorie en cette formule
. très abstraite, mais qui, nous Tespérons, commence
maintenant à laisser transparaître ce qu'elle veut expri-
mer : Notre art est d'objectiver le subjectif (les con-
ceptions propres du cerveau) au lieu .de subjectiver
l'objectif (le réel au sens ordinaire du mot).
Comme conséquence, ils se posent en adversaires de
l'art réaliste Ou naturaliste qui a pour consigne la
maxime célèbre : Le nature vue à travers un tempéra-
ment, — ou plus exactement : vue à travers un cer-
veau.— Peureux, le mot d'ordre c'est : Le cerveau vu
à travers la nature, et même sans la nature.
C'est déjà fort précis et les deux systèmes se posent
en une antithèse qui mutuellement les éclaire. Quel-
ques considérations d'histoire littéraire suffiront, sans
doute, à faire évaporer les dernières incertitudes.
Remontons, dans ce but, aux origines du réalisme en
ce siècle.
On sait qu'après les essais de quelques précurseurs
demeurés obscurs, c'est Madame Bovary, de Flau-
bert, qui a brusquement concentré et définitivement
établi, en un exemple inoubliable, l'évangile de ce qu'on
nommait alors le réalisme. La doctrine se résumait en
quelques principes, très hardis pour l'époque et très
nets : L'écrivain ne devait rien inventer. Il devait
s'oublier au point de rendre son œuvré absolument
impersonnelle. Il fallait regarder le dehors, s'efforcer
de le saisir dans sa réalité absolue et le dépeindre tel
qu'il était. La part de l'artiste dans cette œuvre
descriptive, loyale et impitoyable, consistait unique-
ment dans le choix des éléments les plus caractéristi-
ques et des mots les plus expressifs.
L'époque où cette réforme célèbre se produisit (1857),
l'explique suffisamment. D'une part, le roman « roman-
tique « était absolument usé par une production prodi-
gieuse ; le public lettré en était écœuré. D'autre part,
les sciences avaient définitivement adopté la méthode
d'observation et elle avait donné des résultats merveil-
leux. On n'osait pas, en littérature, tant on était
englué dans le faux idéal, décrire le monde extérieur
dans la triste variété de ses misères. Il fallut un
homme de génie, son audace et sa force, pour renverser
d'un seul coup l'édifice des conventions auxquelles on
ne croyait plus et poser dans la sublime horreur de sa
nouveauté et de sa réalité le type pathétique et vivant
de l'héroïne de Vion ville.
Il y a trente ans de cela et la fortune de la nouvelle
école a été étonnante. La production des œuvres réa-
listes ou naturalistes a égalé celle des œuvres roman-
tiques. Les adeptes ont été innombrables dans toutes
les applications de l'art. Les productions de pure ima-
gination ont été dédaignées et méprisées. Décrire les
milieux et dans ces milieux les personnages tels qu'ils
sont, avec la minutie et la cruauté de l'inventaire ou
de la photographie a été l'unique préoccupation. On
croyait tenir le dernier mot de l'esthétique.
Mais la satiété, le blasement, le dégoût sont venus
comme ils étaient venus pour le romantisme. Dans ses
oscillations périodiques, le pendule artistique remon-
tait à son point de départ, Après avoir touché l'un des
pôles, il était de nouveau attiré par l'autre. Le cerveau,
la nature, — l'imagination, l'observation, — l'idéal, la
réalité, • — continuaient leur éternelle dispute et, alter-
nativement fatigués d'avoir joui de la vogue, la
lâchaient au profit de leur rival. Oui, M. Moréas a
raison : on s'est lassé du quotidien, du coudoyé, de
Tobligatoire contemporain ; on en a eu assez du ressassé
décor de carrefours et de rues. Il a semblé que tout le
dehors avait été décrit, qu'il n'y avait plus un coin
inexploré, qu'on allait en être réduit à l'abomination
des imitations et aux nauséeuses répétitions des pasti-
cheurs. On s'est peu à peu retiré de la nature où l'on ne
trouvait que la réalité et l'on est rentré dans le cerveau
où l'on n'a trouvé que le rêve. On a lâché l'objectif pour
le subjectif. Le réel n'a plus été que prétexte à idéal, et
il arrivera, il arrive déjà, que, fermant définitivement la
porte qui sépare l'un de l'autre, nous aurons des écri-
vains qui ne nous parleront que de ce qu'ils auront vu
en eux, et que nous aurons, que nous avons des pein-
tres, des dessinateurs n'exprimant que ce qu'ils auront
vu en eux, témoin Odilon Redon, si contesté encore
parce qu'on ne perçoit pas la logique de son apparition.
Nous voulons substituer, dit M. Moréas, à la lutte des
individualités, la lutte des sensations et, pour milieu
d'action, nous voulons uniquement tout ou partie du
cerveau. — Comme on le voit, c'est bien la retraite au
plus profond de l'être intiine, dans la chambre obscure
et fantastique des rêveries et des visions. C'est pour-
quoi nous croyons que la qualification la plus exacte
que l'on puisse donner aux adhérents du système, est
celle de visionnaires, en tant que descripteurs in tran-
sigeants de leurs visions intellectuelles.
Ce programme est^il une découverte? Assurément
non. C'est un simple retour à l'une des formes inévita-
bles de l'art. De tout temps le réel et le fantastique se
sont disputé le terrain et, dans les belles époques, ils
ont fraternellement vécu côte à côte. L'homme s'ali-
mente inépuisablement de vérités et de rêves, et toute
littérature qui voudrait le sevrer de partie de cette
double nourriture, se condamne à une réaction.
M. Moréas reconnaît lui-même que le Symbolisme, tel
qu'il le comprend, est bien vieux, puisqu'il se réclame
des Pythiques de Pindare, de VHamlet de Shakespeare,
de la Vita Nuova de Dante, du Second Faust de
Gœthe et de la Tentation de Saint-Antoine de Flau-
bert. Il est assez singulier qu'il n'ait pas compris, dans
cette énumération d'écrivains qui ont si largement et si
superbement sacrifié à l'art visionnaire, Edgard Poë et
ses Histoires extraordinaires. Mais ce qui est vrai-
ment notable, c'est de voir la littérature symbolique se
rattacher de Flaubert absolument comme la littérature
réaliste se rattache à lui. Madame Bovary d'une part,
la Tentation de Saint- Antoine de l'autre, seraient
donc des œuvres antipodiennes, et ce grand homme, se
révélant ainsi tout à coup plus grand encore dans son
éclectisme complet, aurait produit presque en même
temps [la Tentation paraissait dans V Artiste peu après
Madame Bovary) deux types impérissables qui embras-
sent et résument l'art tout entier.
L'idéal, le merveilleux, le fantastique, tous les
enfants de l'imagination, prétendent donc reprendre leur
place dans la littérature. Tant mieux. Ceux qui
réclament, au nom de ces victimes du naturalisme à
outrance., le font avec excès. C'est le propre des défen-
seurs des opprimés. Le temps remettra toutes choses
en leur place et ramènera tout à la juste mesure. Nous
assistons à quelques folies qui couvrent de leurs reten-
tissantes intempérances les actes sérieux, c'est inévi-
table. L'incohérence et le ridicule se manifestent
surtout chez ceux qui démêlent mal le phénomène
dont ils se font les agents. Ils se rendent intolérables
surtout. quand au funambulesque du fond ils ajoutent
le funambulesque de la forme. Leurs turlupinades
atteignent alors des proportions épiques. Laissons
faire ces bouffons de l'armée nouvelle. Ils ne sont pas
les vrais combattants. Ils déserteront ou on les dégra-
dera. «^
Mais ce dont il faut se réjouir, c'est de voir quelques
grands artistes, trop exclusifs, sans doute, quand ils
croient leur art le seul art, rétablir l'empire de l'idéal.
Ce qu'il faut souhaiter, c'est -qu'il prospère à côté de
l'empire du réel. Ce qu'il faut craindre, c'est qu'il ne le
détruise. Dans ce cas, à son tour, il n'aurait qu'une
domination passagère. ,
JaME^ ?^ANDRUNEN
ELLES. — Bruxelles, V« Monnom, 1886.
Un soii^ d'hiver, — c'élail à l'époque où l'amour des Lètlres
réunissait quotidiennement un groupe de jeunes hommes dans
un coin du restaurant Valade, place du Musée, en de longues
causeries pleines de rêves et en de passionnées discussions où
chaque phrase du dialogue, débarrassée des superfluités' de la
conversation banale, parlait comme une balle, reprise et lancée
tour à tour avec une égale précision, Max Waller sortit de la poche
de la vaste houppelande à pèlerine dans laquelle il se drapait avec
de grands gestes romantiques, un petit volume mystérieux,
bizarre d'aspect, énigmatique, imprimé dans un faubourg, et
d'ailleurs parfaitement anonyme. Pour tiire, les deux vocables
hantants : Flemm-Oso alignaient seuls leurs huit lettres sur un
papier gris de fer, absolument inusité. « Voici du nouveau,
s'écria le possesseur du curieux bouquin en brandissant celui-ci
en triomphe. Du nouveau et du rare. Un volume charmant, tiré à
cent exemplaires seulement, et qui n'est pas mis en vente. L'au-
teur? Vous le coudoyez fréquemment, et nul de vous ne s'est
douté, en lui serrant la main, que cette main était celle d'un
écrivain. Et tenez, voyez si je vous trompe. »
332
UART MODERNE
Waller lut quelques pages du petit volume; il y eut des applau-
dissements, une curiosité vive d'arracher le masque. On jeta des
noms à la volée : « Un tel. — Non, c'est trop délicat, trop fémi-
nin. Cela dénote une exquise sensibilité. — Tel autre peut-être?
— Jamais, Il y a là dedans une finesse d'observation qui indique
un esprit infiniment plus subtil. »
' Après avoir aiguisé l'impatience et joui de son petit succès,
ÀValler se décida à lâcher son secret. Le volume était de James
Vandrunen, un ingénieur attaché à Tadministration des Chemins
de fer économiques, et dans lequel, en effet, nul d'entre nous
n'eût soupçonné un écrivain.
On se rappelle le succès de Flemm-Oso^ à la suite de la révé-
lation qu'en firent aussitôt VArl moderne et la Jeune Belgique^
qui en publièrent des extraits. James Vandrunen prit rang,
dès ce jour, parmi les hommes de lettres belges les plus en vue.
Deux ans se sont écoulés. Et voici que Tauleur rentre en scène^
mais cette fois sans les cachotteries du début. Il a ôté son
domino. Et il signe" bravement de son nom l'album où il a
• dessiné au hasard des rencontres, d'un crayon souple et ferme à
la fois, les physionomies féminines qui ont fixé son clair regard,
d'artiste. « Dans ce cahier d'amour, j'ai rangé des images de
femmes, marquises, drôlesses, demoiselles, passantes, qui, un
jour, une heure, m'ont doucereusement attiré. Ces femmes, je
. les ai adorées — sans phrases et sans fatigue — de pensée
uniquement, et il me fut cher de conserver une innocente relique
d'Elles.
« Il ne me semble pas gribouillé d'écriture, ce cahier. Ses
pages sont blanches, et elles enferment des instantanées à l'encre
— comme, entre les feuillets des vieux missels, reposent des
. images de bienheureux en extase. Avec de religieuses tendresses,
patiemment j'ai retracé les portraits de ces femmes. Et comme la
petite bonzesse rasée qui, dans la pagode, entretient le feu des
cierges rouges et enfonce des bâtonnets dans les brûle-parfums
aux pieds des statuettes de Couan-In, je tourne lentement ces
pages, allumant au bas de chacune d'elles, comme un grain
d'encens pieux, la flambée d'un souvenir, — flamme brillante
qui s'anime d'un tressaillement de résurrection ».
En un préambule qui semble écrit par un Marivaux en redin-
gote, monocle à l'œil, James Van Drunen expose sa théorie, qu'il
baptise spirituellement : Mormonisme intellectuel. « Nos idées,
nos pensées, nos rêveries, nos aspirations ont toujours, malgré
nous, par leur caprice ou leur fantaisie, quelque chose de fémi-
nin. Nous nous les représentons femmes. C'est dans la femme
que nous trouvons la silhouette d'une de nos pensées, l'allégorie
d'un de nos songes, et parfois on court après une/emme comme
si l'on cherchait à rattraper une idée. Nous faisons de celte
femme la personnification, l'image de cette pensée; et quand
une femme, rencontrée fortuitement dans la masse des passants,
répond précisément à la conception quelconque qui, en cet
instant psychologique, domine notre cerveau, nous nous jetons
passionnément sûr celte créature rare, unique, parce que son
profil, sa toilette, son altitude ou un simple mouvement, donne
une forme précise, un contour tangible à la notion vague qui
flottait en nous. Malgré nous, machinalement, nous cherchons
sans trêve, dans la circulation qui nous environne, la femme du
moment; nous les regardons toutes, épiant véritablement le
passage de a la dame de nos pensées » — tout comme nous
essayons une série de chapeaux pour trouver, dans le tas, celui
qui va à la conformation spéciale de notre crâne ».
Ce platonisme rigoureux et paradoxal est justifié, peu après,
en ces termes :
« L'amour qui dépouille cette délicatesse de pensée et veut
s'empoigner à pleins bras, se heurte à de vilaines petites choses,
se déchire el panlelle. L'amour qui se fixe, l'Amour Eternel, c'est
celui qui ne se prolonge pas, c'est la passion qui n'a qu'un pro-
logue. « Il n'y a de beau, en ce monde, que les romans qui nç
finissent pas » écrivait Jules de Goncourt dans une de ses lettres.
Et Gautier avait déjà dit avec mélancolie :
Le bonheur est l'éclair qui fuit sans revenir,
HèlasI et pour ne pas oublier qu'il existe,
Il le faut embaumer avec le souvenir.
« Que peut devenir une si frêle émotion dans les fadeurs des
mamours, des pinceries, des gentillesses mignotées avec des
noms de bestioles et de légumes? Une charge abêtissante, une
farce qui se termine : conjugalement. La loi,. très officielle,
enterre votre liberté dans la concession d'un ménage à perpé-
tuité ; un corps à corps sur les ennuis du tous les jours, un train-
train de misères, avec les chicanes de gens qui se connaissent
trop et les vociférations d'une marmaille qui se transforme bien
vite en mauvais drôles vous appelant le vieux. Noire civilisation,
toujours passée dans son uniforme de gendarme, veut que
l'amour traîne une chaîne écrasante et fasse commerce d'articles
de code et de paperasses à signer. Nous avons, fort sérieuse-
ment, la cocasserie de nous faire aimer par autorité de justice.
Alors, nous cloîtrons notre proie, cetle pénitente de l'amour,
dans une possession égoïste, l'accaparant avec avarice. Tandis
que je souhaiterais qu'un homme, dans la pureté de sa passion,
pût dire à un ami qu'il sait de goût cultivé : « Venez donc voir
la ravissante femme que j'aime, » — comme on dit : je tiens à
vous montrer mon Carpeaujc. Une pratique de sentiments bas et
de vilaine jalousie nous empêche de dire à un frère d'art : « Cette
femme est belle, adorons-la ensemble »... L'Histoire nous radote,
il est vrai, que la seule application connue de cette généreuse
théorie coûta la vie à un roi de l'antiquité. Mais je suis convaincu
que l'Histoire — comme toujours — ne nous dit pas tout. Un
boulon dans le dos ou un défaut du genou devait déparer l'intime
splenHeur de M™« Candaule, et c'est pour que cet affreux secret,
odieusement dévoilé, ne demeurât pas la proie d'un étranger que
la femme conlraignit Gygès à prendre la place du royal époux. »
Le plaidoyer est spirituel, et le plaisir qu'on éprouve à l'en-
tendre dispense d'apprécier la vraisemblance de la thèse. Au
surplus, peut-être faut-il, pour la comprendre et l'admettre plei-
nement, des.... aptitudes spéciales. Laissons la thèse, — ou
plutôt la fantaisie, auréolée de raillerie, de l'homme au monocle.
Ce qu'il y a de certain, c'est que ce monocle est d'une intensilé
rare, et que l'opticien qui l'a fabriqué est un fameux opticien!
James Vandrunen découvre, à travers la convexité de ce petit
cercle de verre, les- plis les plus minuscules d'une toilette fémi-
nine, les plus délicats reflets d'une peau ambrée, l'impalpable
duvet que laisse sur une joue, comme le velouté d'une pêche, la
poudre de riz. Et il décrit le résultat de ces observations minu-
tieusement, avec des complaisances qui s'attardent et des jouis-
sances de gourmet.... platonique, naturellement, c'est la théorie,
fruit vert auquel la pratique doit avoir furieusement mordu ! Tels
profils : Petite Marquise, Une grande femme jaune. Paravent,
Malade..., sont, parmi des pages de moins desaVeur, des mor-
ceaux de premier ordre.
James Vandrunen s'est démasqué, avons-nous dit. Il a
conservé de ses débuts le dédain du bruit, le mépris de la
réclame. L'édition de Elles est réduite à cent cinquante exem-
plaires, qui ne seront pas mis en vente, pas plus que n'a été mis
en librairie Flemm-Oso.
De plus en plus se répand l'usage, parmi les écrivains, de ne
tirer qu'à petit nombre, en des éditions de choix. Déjà nous
avons signalé le système, inauguré par l'un de nous, et il paraît
qu'il fait école. On dirait que les auteurs répondent par cette
parcimonieuse distribution à l'indifférence du public pour les
Lettres, et qu'ils commencent à comprendre que la plus grande
jouissance, pour un écrivain, est d'écrire son œuvre, sans se
préoccuper de savoir qui la lira et ce qu'elle deviendra.
r
JaE JhÉATF^E a pRUXELLE?
Nous vivons dans un temps de crise, c'est entendu.
Mais d'où vient qu'il n'y a jamais eU à Bruxelles autant de
théâtres, battant le plein, non de la recette (hélas!) mais de
l'affiche.
Est-ce parce que dans les jours de tristesse on recherche la
distraction?
Ce ne serait vrai que si les salles étaient encombrées, et mal-
heureusement rencombremenl ne se produit qu'à de rares excep-
tions.
Non, il s'agit d'une concurrence effrénée et déplorable, sinon
pour le public et pour le moment, au moins pour les directions
et pour l'avenir.
On se demande avec inquiétude comment cet hiver finira.
Comptons les scènes ouvertes, battant le rappel et se dispu-
tant les spectateurs : ^'^ 'y, ■ -:"''■'":':';'}.''■■■':
. La Monnaie." ' ^^'- '■^;;■- ■■::'■ \0. ;^■ -•;-/;;..-..■ ^'■::.''' '■
Le Théâtre du Parc.
Les Galeries Saint-Hubert.
- Le Théâtre Molière. -~ ^— ^— — —
Le Vaudeville.
La Bourse.
L'Eden.
Le Cirque.
Oui, le Cirque, qui a fout de suite conquis la vogue et qui a
son jour selected (ô l'odieux et prétentieux vocable!) le Samedi : il
ne manquait vraiment plus que lui pour qu'on fut tout à fait gêné
au banquet de la vie théâtrale. Vraiment il semble que dans ce
domaine on croit au dicton progressif : Quand il y en a pour
deux il y en a pour trois, quand il y en a pour trois il y en a pour
quatre, et ainsi indéfiniment.
Raisonnons. Un théâtre ne noue en général les deux bouts que
s'il fait en moyenne à chaque représentation une bonne demi
salle. Ceci suppose, pour les huit théâtres prémentionnés, sept à
huit mille personnes y allant tous les soirs. C'est énorme quand
on considère que c'est uniquwnent la population bourgeoise qui
se donne ce plaisir, et parmi elle seulement la population adulte.
Supposons qu'au lieu de nouer les deux bouts, on veuille
(désir commun et légitime) gagner un bénéfice raisonnable. Il
faut alors porter au moins à dix mille le total, ce qui, pour sept
mois de représentations en moyenne, ou deux cents jours, repré-
sente deux millions d' hommes-spectacle , comme on dirait trains-
kilomètre.
Huit théâtres! A Paris, dont la population est quintuple, il n'y
en a tout au plus vingt-quatre, quand on les prend dans les
mêmes catégories. L'Opéra n'y joue que quatre fois par semaine.
Chez nous il n'y a guère que des étrangers de passage, pendant
un seul mois de la saison théâtrale, septembre, tandis que Paris
a constamment un contingent d'exotiques.
Cela est très grave et aboutira apparemment à une gêne géné-
rale. C'est surtout redoutable pour les théâtres vraiment artis-
tiques, ou l'on ne se paie pas d'exécutions approximatives et qui,
par leur nature môme, sont contraints de, faire de grands sacri-
fices. De plus en plus on verra que de très généreux subsides
sont nécessaires et que les économies et les marchandages de la
part des autorités, en celte matière, sont de l'ignorance et de la
très mauvaise administration.
LE TRAVAIL DE L'ARTISTE
Sandoz parla, les bras également noués sous la nuque, le dos
renversé sur un coussin du divan.
— Est-ce qu'on sait? est-ce qu'il ne vaudrait pas mieux vivre
et mourir inconnu? Quelle duperie, si cette gloire de l'artiste
n'existait pas plus que le paradis du catéchisme, dont les enfants
eux-mêmes se moquent, désormais! Nous qui îie croyons plus à
Dieu, nous croyons à notre immortalité... Ah! misère!
Et, pénétré parla mélancolie du crépuscule, il se confessa, il
dit ses propres tourments, que réveillait tout ce qu'il sentait là
de souffrance humaine.
— Tiens ! moi que tu envies peut-être, mon vieux, oui! moi
qui commence à faire mes affaires, comme disent les bourgeois,
qui publie ôfis bouquins et qui gagne quelque argent, eh bien !
moi, j'en meurs... Je te l'ai répété souvent, mais tu ne me crois
pas, parce que le bonheur pour toi qui produis avec tant de
peine, qui ne peux arriver au public, ce serait naturellement de
produire beaucoup, d'être vu, loué ou éreinlé... Ah! sois reçu
au prochain Salon, entre dans le vacarme, fais d'autres tableaux,
et tu me diras ensuite si cela te suffit, si tu es heureux enfin...
Écoute, le travail a pris mon existence. Peu à peu, il m'a volé ma
mère, ma femme, tout ce que j'aime. C'est le germe dans le crâne,
qui mange la cervelle, qui envahit le tronc, les membres, qui
ronge le corps entier. Dès que je saute du lit, le matin, le travail
m'empoigne, me cloue à ma table, sans me laisser respirer une
bouffée de grand air; puis, il me suit au déjeuner, je remâche
sourdement mes phrases avec mon pain ; puis, il m'accompagne
quand je sors, rentre dîner dans mon assiette, se couche le soir
sur mon oreiller, si impitoyable, que jamais je n'ai le pouvoir
d'arrêter l'œuvre en train, dont la végétation continue, jusqu'au
fond de mon sommeil... Et plus un être n'existe en dehors, je
monte embrasser ma. mère, tellement distrait, que dix minutes
après l'avoir quittée, je me demande si je lui ai réellement dit
bonjour. Ma pauvre femme n'a pas de mari, je ne suis plus avec
elle, même lorsque nos mains se louchent. Parfois, la sensation
aiguë me vient que je leur rends les journées tristes, et j'en ai un
grand remords, car le bonheur est uniquement fait de bonté, de
franchise et de gaieté, dans un ménage; mais est-ce que je puis
m'échapper des pattes du monstre ! Tout de suite, je retombe au
somnambulisme des heures de création, aux indifférences et aux.
maussaderies de mon idée fixe. Tant mieux si les pages du matin
ont bien marché, tant pis si une d'elles est restée en détresse !
La maison rira ou 'pleurera, selon le bon plaisir du travail dévo-
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râleur... Non! non ! plus rien n'est à moi, j'ai rêvé des repos à
la campagne, des voyages lointains, dans mes jours de. misère;
et, aujourd'hui que je pourrais me contenter, l'œuvre commencée
est là qui me cloître : pas une sortie au soleil matinal, pas une
escapade chez un ami, pas une folie de paresse ! Jusqu'à ma
volonté qui y passe, l'habitude est prise, j'ai formé la porte du
monde derrière moi, et j'oi jeté la clef par la fenêtre... Plus rien,
plus rien dans mon trou que le travail et moi, et il me mangera,
et il n'y aura plus rien, plus rien !
Il se tut, uu nouveau sile.nce régiia dans l'ombre croissante.
Puis, il recommença péniblement.
— Encore si l'on se contentait, si l'on tirait quelque joie de
celte existence de chien !... Ah! je ne sais pas comment ils font,
ceux qui fument des cigarettes et qui se chatouillent "béatement
la barbe en travaillant. Oui, il y en a, paraît-il, pour lesquels la
production est un plaisir facile, bon à prendre, bon à quitter sans
lièvre aucune. Ils soni ravis, ils s'admirent, ils ne peuvent écrire
deux lignes qui ne soient pas deux lignes d'une qualité rare, dis-
tinguée, introuvable... Eh bien! moi, je m'accouche avec les
fers, et l'enfant, quand môme, me semble une horreur. Est-il
possible qu'on soit assez dépourvu de doute, pour croire en soi?
Cela me stupéfie de voir des gaillards qui nient furieusement les
autres, perdre loiite critique, tout bon sens, lorsqu'il s'agit de
leurs enfants bâtards. Eh! c'est toujours très laid, un livre! il
faut ne pas en avoir fait la cuisine, pour l'aimer... Je ne parle
pas des potées d'injures qu'on reçoit. Au lieu de m'incommoder,
elles m'excitent plutôt. J'en vois que- les attaques bouleversent,
qui ont le besoin peu fier de se créer des sympathies. Simple
fatalité de nature, certaines femmes en mourraient, si elles ne
plaisaient pas. Mais l'insulte est saine; c'est une mâle école que
l'impopularité, rien ne vaut, pour vous entretenir en souplesse
et en force, la huée des imbéciles. Il suffit de se dire qu'on a
donné sa vie à une œuvre, qu'on n'attend ni justice immédiate,
ni même examen sérieux, qu'on travaille enfin sans espoir, d'au-
cune sorte, uniquement parce que le travail bat sous votre peau
comme le cœur, en dehors de la volonté ; et l'on arrive très bien
à en mourir, avec l'illusion consolante qu'on sera aimé un jour...
Ah ! si les autres savaient de quelle gaillarde façon je porte leurs
colères! Seulement, il y a moi, et moi, je m'accable, je me
désole à ne plus vivre une minute heureux. Mon Dieu! que
d'heures terribles, dès le jour où je commence un roman! Les
premiers chapitres marchent encore, j'ai de l'espace pour avoir
du génie; ensuite, me voilà épordu, jamais satisfait de la lâche
quotidienne, condamnant déjà le livre en train, le jugeant infé-
rieur aux aînés, me forgeant des tortures de pages, de phrases,
de mots, si bien que les virgules elles-mêmes prennent des lai-
deurs dont je souifre. Et, quand il est fini, ah! quand il est fini,
quel soulagement! non pas cette jouissance du monsieur qui
s'exalte dans l'adoration de son fruit, mais le juron du portefaix
qui jette bas le fardeau dont il a l'échiné cassée... Puis, ça recom-
mencera toujours; puis, j'en crèverai, furieux contre moi, exas-
péré de n'avoir pas eu plus de talent, enragé de ne pas laisser
une œuvre plus complète, plus haute, des livres sur des livres,
l'enlassement d'une montagne; et j'aurai, en mourant, l'affreux,
doute de la besogne faite, me demandant si c'était bien ça, si je
ne devais pas aller à gauche, lorsque j'ai passé à droite; et ma
dernière parole, mon dernier râle sera pour vouloir tout
refaire... ■::';■-,.•■■■.'=.:.;-■■ •':''':'■■''■'::■■ ''.\:---^;' ^^r ■^-\- •:-'',.
Une émotion l'avait pris, ses paroles s'étranglaient, il dut
souffler un instant, avant de jeter ce cri passsionné, où s'envolait
tout son lyrisme impénitent :
Ah! une vie, une seconde vie, qui me la donnera, pour que le
travail me la vole et pour que j'en meure encore ! (*)
UN EVENEMENT MUSICAL
Monsieur le Directeur,
Vous avez annoncé dans votre numéro du 3 octobre dernier
qu'une maison d'édition ferait paraître cet hiver un livre intitulé :
V Extinction des Institutrices^ poème décadent, par Roland
Roncevaux, et vous avez laissé entendre que ce pseudonyme
cachait l'honorable échevin de l'instruction publique de Namur,
à qui le pays libéral a fait récemment une si belle et si méritée
ovation;
Je n'ai pas à rechercher si c'est dans une intention d'éloge ou
de dénigrement que vous avez publié cette nouvelle, ni si. elle est
vraie. . '
Mais ce que je sais, c'est qu'à ses titres divers, scientifiques,
politiques et oratoires, l'honorable M. Ronvaux a le droit d'ajouter
des litres littéraires et que vous ne pensiez pas sans doute tomber
si juste.
En effet (je ne crois pas commettre une indiscrétion, et du
reste il est bon de faire connaître tout entier celui qui, j'y compte,
sera bientôt noire député), M. Ronvaux a écrit le livret d'un
opéra dont M. l'abbé Raway, l'auteur applaudi des Scènes hin-
doues, exécutées il y a trois ans aux Concerts populaires^ fait
actuellement la musique.
• Le sujet est emprunté à la religion des Druides.
Vous comprendrez, je n'en doute pas, que l'impartialité vous
fait un devoir de publier la présente.
Recevez, Monsieur le Directeur, mes salutations les plus dis-
tinguées.
- ■ ,. ..>.:.■.•■■ -. ... ^--^ -^:_. • X. — ---^ — -
Nous publions cette lettre sans hésiter. Nous pouvons dire
comme la nouvelle épousée parlant de ses obligations nuptiales,
que c'est pour nous non seulement un devoir, mais un plaisir.
ipiBLlOQRAPHIE JVIU^ICALE
La maison Breitkopf et Hârtel vient de publier son catalogue
général.
C'est un fort volume d'environ 900 pages, contenant deux
tables : l'une systématique, Tautre alphabétique. Partitions d'or-
chestre, musique de chambre, musique pour piano à quatre et
à deux mains, musique pour piano et chant, ouvrages de théorie,
collection de portraits, tout ce que la célèbre maison de Leipzig
édite est méthodiquement classé, jusques et y compris le premier
semestre de l'an 1886.
Recommandons ces éditions toujours correctes et clairement
gravées à tous amateurs, et souhaitons à la maison Breitkopf et
Hàriel d'être récompensée dans ses efforts pour la propagation
de la musique sérieuse.
Citons, hors pair, les admirables éditions de la Bachgesell-
■ 1
(*) Extrait de l'Œuvre, par Emile Zpla.
f f . *
schaft; celles des œuvres de Beethoven, Chopin, Schumann et la
très réputée Edition populaire, qui s'accroît considérablement
d'œuvres de haute valeur, tant anciennes que modernes. Citons
enfin les œuvres de l'organiste Lemmens et l'œuvre de Grétry,
publié sous la direction d'une commission gouvernementale dont
les membres sont MM. Gevaert, De Burbure, Samuel, Radoux
et Ed. Fétis.
Parmi les plus récentes publications des mêmes éditeurs,
notons une transcription de la cantate : 0 Flamme éternelle^ de
J. -S. Bach, par M. Em. Naumann, d'après la partition delà
Bachgesellschafl (tome VII, n» 34) avec son célèbre air d'alto;
une transcription de la cantate : Les Croisés^ du compositeur
danois Niols Gade, œuvre d'un genre mixte et faux et d'une inspi-
ration assez terne.
Les autres œuvres récemment éditées sont de médiocre valeur :
Quelques pièces pour piano à quatre mains ^ par Alban FÔrster,
dédiées aux jeunes pianistes; des tableaux d'Alsace, cinq mor-
ceaux pour piano à deux mains, par Marie-Joseph Erb, et des
Tableaux du Sud, trois séries de pièces pour piano à quatre
mains, du compositeur allemand Nicodé, qui jouit d'une assez
grande réputation en son pays. Son œuvre ne peut que faire tort
à celle-ci; elle est non seulement banale mais vulgaire.
Les transcriptions de Bach et de Gade font partie de l'édition
populaire avec les numéros 571 et 558.
fîORRE^PONDANCE
■:• Cher Monsieur, ■ ■ '■/'>'■' -v> '-;
Dans le n» 36, daté du 5 septembre, votre estimable journal
publie ceci: - ;'
•« Il y a eu le 29 juillet 30 ans que Schumann est mort à l'asile
d'aliénés d'Endenich près de Bonn, Désormais les œuvres du grand
artiste sout tombées dans le domaine public en Allemagne. »
La date est parfaitement exacte, mais quant à la conclusion, vous
me' permettrez de vous dire que vous êtes mal renseigné. La loi
allemande protège les œuvres littéraires et artistiques pendant
30 ans après la mort de l'auteur, mais cette protection ne cesse son
effet que le l«r janvier de l'année qui suit le 30® anniversaire du
décès. Donc, les œuvres de Schumann ne seront libres, en Alle-
magne, que le ie^ janvier prochain.
Vous trouverez peut-être bon de rectifier cette petite erreur dans
l'Art moderne.
Veuillez agréer, cher Monsieur, l'assurance de mes meilleurs
sentimen ts.
Emile Bauer,
Gérant de la maison Breitkopf et Hârtel.
f
ETITE CHROJsiIQUf:
On inaugure, aujourd'hui i 7 octobre, la statue de Berlioz h
Paris. La presse saisit cette occasion pour parler en termes fort
décents du pauvre grand homme, et, après l'avoir éreinté toute
sa vie, déclarer, aujourd'hui qu'il est mort, que c'était l'une des
gloires de la France. V Evénement décoche à ce propos à ses
confrères ce trait piquant :
« Quant à la critique, imaginez-vous un instant que Berlioz,
revenu à la vie par miracle, donne demain à l'Opéra le pendant
des TroyenSj et demandez-vous, la main sur la conscience,
l'accueil qui lui serait fait. Oh! fort louangeur peut-être, si l'in-
trailable musicien avait enfin pris sur lui-même la force de se
corriger et de sacrifier un peu à l'aimable camaraderie. Mais ces
sourires^ au lieu des méchancetés de son temps, le mettraient
dans un autre genre de fureur, et avec ces interjections roman-
tiques et ces grincements de dents qui lui étaient fami'liers il
siécrierait encore : « Feux et tonnerre! malédiction et sane! Il
n'y a rien de changé ! »
Le baryton Henri Heuschling, dont nous avons annoncé le
mariage avec M"« Dumonceau, cantalrice. se consacre définitive-
ment au professorat. Il s'est établi rue Bcrckmans, 69, à Saint-
Gilles. Son nom nous dispense de rnppeler au public le mérite
de son enseifi;nement.
Un intéressant concert historique sera donné dimanche pro-
chain, à 2 heures, au palais des Académies, par des professeurs
et des élèves du Conservatoire.
Celte matinée est organisée au bénéfice de la Caisse centrale
des artistes belges.
On y entendra trois chœurs : Psaume du seizième siècle, Noël
français du dix-septième et madrigal anglais avec accompagne-
ment d'orgue « d'époque », comme disent les antiquaires.
M. Ed. Jacobs exécutera sur la viole de Gambe une sonate de
Tartini et un air de J.-S. Bach.
M"»» Cornelis-Servais chantera trois « brunettes », accompa-
gnées au clavecin par M"« Uhlmann, qui exécutera en outre six
pièces pour' clavecin de Rameau, Couperin et J.-S. Bach.
M. Dumon jouera sur la flûte traversière à une clef, du dix-
huitième siècle, des pièces de Bach et de Hsendel.
Un journal de province, la Tribune de Huy, publie depuis,
quelque temps, avec la signature E.-P., une série d'articles sous
ce titre affriolant : V Inquisition. Il ne faut pas en avoir lu trois
lignes pour y reconnaître l'un des plus beaux contes d'Edgard
Poë, traducl-ion de Charles Baudelaire. Nous ne voyons aucun
inconvénient à ce que les gazettes donnent un peu de littérature
à leurs lecteurs, et ceux-ci ne se plaindront sans doute pas de
cette trop rare diversion à leur prose habituelle. Mais au moins
serait-il honnête de ne pas démarquer l'œuvre reproduite, de
signer tout simplement Edgard Poë une nouvelle qui est d'Edgard
Poë, et de ne pas baptiser V Inquisition, dans on ne sait quelle
visée de poliliquaillerie départementale, un récit qui s'appelle :
Le puits et le pendule.
Le premier numéro du Symboliste, ]omvx\2\ militant, vient de
paraître, sous la direction de M. Gustave Kahn. Rédacteur en
chef: M. Moréas; secrétaire de la rédaction : M. Paul Adam. En
voici le sommaire, où se groupent la plupart des noms qui ont
figuré dans les récentes polémiques : M. Jean Moréas : Chro-
nique. — M. Plowert : Parenthèses et incidences, — M. Paul
Adam : La Presse et le Symbolisme. — M. Jean Moréas :
Réponse à M. Anatole France. — M. Félix Fénéon : Les Illu-
minations d'Arthur Rimbaud. — M. Jean Ajalbert : Timbale
milanaise. — M. Francis Poiclevin : Seuls.
-* Paris, 146, rue Montmartre. — Le numéro : 15 centimes.
Un éditeur de Saint-Pétersbourg annonce la publication pro^
chaîne d'œuvres de Victor Hugo traduites par des écrivains
russes. L'édition comprendra cinq volumes précédés d'une bio-
graphie du grand poète français et de son portrait.
La tournée de M"™» Sarah Bernhardt, qui devait d'abord être
terminée le 1^' avril 1887, est prolongée jusqu'à l'automne. Elle
jouera à New-Nork le 14 mars, puis elle se rendra à San-Fran-
cisco, de là en Australie et aux Indes orientales; au retour, elle
jouera en Egypte, en Grèce et en Allemagne. Quant à M™« Noir-
mont, Vamie de M*"* Sarah Bernhardt, que l'on croyait disparue,
elle est à Lisbonne et elle rentrera prochainement en France.
/
336
UART MODERNE
Une révolution dans l'art chorégraphique de société. Les jour-
naux de Paris annoncent que les jcpnes personnes qui voudront
faire bonne figure cet hiver dans les salons seront bien inspirées
si elles , apprennent, non la polka, ni la schotlisch, ni môme la
valse, mais bien les danses de jadis. La mode, en effet, est à la
Pavane, à la Gàvotlc, au Menuet. C'est ce qui a déterminé le
comité de la Caisse des Ecoles du quinzième arrondissement à
inscrire ces vieilles danses nationales sur le programme d'une
matinée qu'il donnera le 24 courant à l'Eden-Théâlre. Il y a
ajouté un Rigodon qui sera dansé par des polichinelles, et une
Bourrée nature qui transportera les spectateurs en Auvergne. "
Sommaire du n» de septembre de la Société Nouvelle : .
Le Mouvement international de la Libre Pensée, César De Paepe.
— Lettre à M. Edouard Drumond, auteur de a La France Juive »,
F. Borde. — Les forces et leurs effets dans la nature : Evaluation
technique des effets des forces, H, Girard. — Le Salon de Gand,
Octave Maus. — Discussion contradictoire : Réponse à M. Puisage,
A. Donsky, — De la responsabilité, A. Crockaert. — Science et
matérialisme, J. Putsage. — Lettre politique cl sociale, F. Borde.
— Le mois. — Livres et revues.
Pour paraître le 1^^ novembre prochain
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Sixième année. — N** 43.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 24 Octobre 1886.
L'ART
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCÉS : On traite à forfait.
Adresser les demandes d'abonnement et toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
^OMMAIRE
L'Infâme Fély. — Le concours de Rome. — Notes de musi-
que. Concert historique du Cotiservatoire ; Société de musique
d'Anvers. — Les lettres devant la plèbe. — A la Monnaie.
— Le duel d'Hamlet. — Petite chronique.
L'INFAME FÉIY
* . . . * ■
Mon cher Rops,
Voici dix jours que, sous prétexte de stigmatiser un
très naturel et fort ancien flirtage avec une jeune can-
tatrice, à cette époque en puissance d'elle-même, on
vous a, corayn populo, à votre grand étonnement et à
notre grand ébaudissement, qualifié : l'Infâme Félj!
Avec une logique douteuse, certes, car pourquoi auriez-
vous échappé aux séductions d'une sirène dont on a si
complaisamment révélé les artifices, et si un autre fut
trouvé excusable de s'être laissé prendre à ses lacs,
comment ne le seriez-vous pas? Oui, les charmes de
cette Circé furent puissants, pour vous induire en des
vers à la mode de Musset, comme il fut dit à Mons,
qui font si plaisante figure avec leur prosodie naïve
à côté de lettres incomparables, sœurs germaines
de celles qui sont dans vos habitudes et dont vos amis
possèdent et collectionnent pieusement les nombreux
échantillons. Ces épanchements rythmiques et claudi-
cants A une jeune baigyieuse endormie sont vraiment
la seule faute qui eût justifié contre vous un réquisi-
toire sévère.. Mais que devenir, hélas! si la galanterie,
s épanchant en une littérature intime, légère et un peu
risquée, suffit à faire noter d'infamie?
Vous en riez, cher artiste, on le sait, à regret par-
fois car le rire n'est pas aisé en la sanglante histoire
où l'on a fait intervenir cette amourette vite éclose et
vite oubliée, moins tôt chez vous apparemment que
chez l'héroïne. Vous n'êtes pas seul à trouver drola-
tique cette vitupération départementale d'une aussi
simple histoire. Mais pourtant il nous sera difficile, à
nous vos compagnons et vos admirateurs, de ne pas
vous conserver ce sobriquet goguenard, souvenir d'une
injuste et plaisante colère d'un homme de talent et
d'intelligence qui ne connaissait ni vous, ni votre art ;
assurément en cette minute néfaste il avait mal en
main le Pégase oratoire, bête difficile à conduire, j'en
sais quelque chose.
Ce n'est vraisemblablement pas ce telum inibelle qui
^wus a préoccupé en cette algarade où, déchirant d'una
main peu légère la gaze qui enveloppe votre libre exis-
tence, oii a livré, en sa grâce et en sa hardiesse, aux
regards du vulgaire ébahi, une aventure qui eût été
banale pour tout autre héros que vous. Mais on a cru
opportun d'y ajouter l'aimable épithète àepornographe,
et c'est par ceci, tel qu'on vous connaît, que ce discours
aussi étonnant que sincère et déplacé a dû vous atteindre
aux endroits sensibles.
Hélas! excellent ami, il faut vous y résigner : pour lé
vulgum pecuSy inhabile à démêler votre art puissant et
cruel, vous risquez fort de n'être jamais qu'un porno-
graphe, et je vous conseille de le prendre aussi gaîment
que lorsqu'on vous nomme Fély l'Infâme. Renan n'a-t-il
pas été affublé du même bonnet ces jours derniers? Un
salaud,' quoi. Il s'est trouvé un gazetier pour le dire.
Comment espérer qu'en la foule pénétrera jamais l'art
compliqué, mélange de réalité et de vision, qui fait de
vous un des plus grands artistes de ce siècle, sans anté-
cédent certes, et probablement sans successeur ? Ne vous
récriez pas. Je ne parle pas d'enthousiasme et parce que
j'étale chez moi la Tentation de Saint- Antoine
et VAttrapade. Depuis vingt ans que j'observe votre
inépuisable et formidable production, ô faux paresseux !
ô faux frivole ! ma foi en votre valeur suprême a sans
cesse grandi, et est devenue inébranlable. Mais j'ai
compris aussi la patience, l'attention et l'étude qu'il
faut pour deviner ce que ce crayon prétendument licen-
cieux concentre de grandeur et de poignante vérité
sous son symbolisme.
Ce qui domine dans votre œuvre, prodigieusement
féconde ce que seuls savent les fervents qui en ont
recueilli les innombrables épaves, c'est la femme, et
j'ajoute, à votre honneur, la femme nue, et à votre hon-
neur plus grand encore, la femme contemporaine. Assu-
rément, avec une adresse et une magie de sorcier, vous
l'avez décrite en ses ajustements savants et troublants.
Mais dévoré du besoin de la démasquer davantage, vous
avez proclamé que cette démone aux suggestions irré-
sistibles ne pouvait être révélée dans toute l'horreur de
ses séductions que débarrassée de l'attirail dont elle
s'affuble pour pimenter davantage ce qu'il cache; abor-
dant audacieusement ce monstre, vous avez commencé
cette série d'études d'une effrayante et énigmatique
beauté, où vous disséquez le réseau satanique.de ses
lignes et de ses muscles, de ses puissances et de ses
perfidies.
Cet art grandiose, où l'être féminin qui domine notre
temps, si prodigieusement différent de ses ancêtres, se
manifeste en des types que l'âme aiguë d'un grand
artiste est seule capable de réaliser, échappe aux
regards ordinaires. Ils n'y voient que luxure, appétits
sensuels, souvenirs malpropres, appels à la débauche.
De la, poR-NO-GRA-pniE! dit majestueusement Môs-
sieu Prudhomme. N'essayons pas de dissuader cet
hilarant personnage. On raconte qu'à l'une de nos der-
nières expositions, le Parquet a fait rechercher si on
n'exhibait pas uii de vos chefs-d'œuvre, quelque chose
comme cette nopoxpàTïjtr, qui illumina de sa splendeur
symbolique le Salon des Vingt. Soyez certain qu'en
février prochain, quand on tentera de montrer plus
complètement encore comment ce siècle de l'impudeur
a trouvé en vous son interprète le plus énergique et le
plus impitoyable, le légendaire et décent prototype des
effarouchements bourgeois sera là pour faire ses idiotes
protestations, lâcher ses cris d'indignation et ne voir
en vous qu'un paillard.
, Que vous importe ? Votre gloire' grandit au milieu
de ces clameurs, et ce sont elles, qui donnent des
ailes à votre renommée. Un amateur très fin me disait
ces jours-ci : « Ma collection de Ropsiana vaut le
double. « En effet; en notre intelligent pays belge
ainsi vont les choses. Un scandale donne cent fois plus
de notoriété qu'une belle œuvre. Vous connaissait-on
beaucoup, il y a huit jours? J'en doute. Dans le monde
des esthètes, oui. Vous y trôniez parmi les grands
dieux. Ailleurs, guère. Vous ignorez sans doute (g[ue
notre Cabinet des Estampes possède tout juste deux
lithographies de vous, le créateur d'au moins deux
mille planches. C'est authentique, allez-y-voir. Au pre-
mier moment on ne saura même pas ce que vous voulez
dire avec votre Rops! Mais vous voici désormais
populaire. Il a suffi qu'on vous citât, avec un a propos
douteux, dans une cause célèbre. Comme tapage vous
pouvez le disputer à Stocquart, et ce n'est pas peu dire.
Depuis six lustres, vous étiez un dessinateur admi-
rable, gravissant sans jamais céder d'un pas, la pente
raide de l'art. Par centaines vous aviez jeté au vent
ces feuillets qui font notre joie et notre orgueil, à
nous qui vous aimons. A quoi cela avait-il servi ? A vous
donner un renom dans un petit- coin. Félicien Rops
était inconnu que Fély préoccupait le monde. On l'ap-
pelle infâme, il devient illustre. Plus jamais votre nom
ne sortira de la mémoire de vos compatriotes. On vous
a fait une réclariie que j'expertise à au moins un demi
million! , - -
Mon cher ami, risum teneamus . Je parle beaucoup
latin. C'est pour faire plaisir aux imbéciles qui disent
que ce n'est qu'en latin qu'on peut parler de vous.
Poursuivez votre voie, impassible. A l'occasion, ô doux
infâme, flirtez encore. Pour décrire les femmes, il faut
les aimer. C'est Chamfort qui a écrit crûment mais véri-
diquement qu'on ne connaît bien que celle avec laquelle
on a... couché. Vous voyez que je ne me gêne pas non
plus. Vraiment devant ces pudibonderies crispantes
on se sent des envies frénétiques d'étoiler les glaces de
la décence. Poursuivez. Vous n'êtes pas au bout de la
CRUELLE ÉNIGME. Il y a SOUS cos corps lascifs que votre
pointe burine d'autres secrets encore. Ne me le disiez-
vous pas, samedi, au balcon de la Monnaie, quand la
salle entière considérait comme une bête curieuse,
l'infâme Fély, ce libidineux vieillard, comme on a dit
aussi à Mons, qui osait se montrer ingénument, sous
les traits d'un beau fils, noir de poil, paraissant au plus
la trentaine. Quel succès! quelle admiration! Allez
toujours, pénétrez davantage, levez d'autres voiles.
Que votre crayon dise tout, tout. Il faut bien que
quelqu'un lègue aux générations futures le portrait de
la femme du xix® siècle. Seul, oui seul, vous êtes de
taille à le faire. On compte sur vous. ^ .
Edm. V.\OêjJ^
I^E CONCOURE DE î\0ME
Nous avons dil noire opinion sur le grotesque triomphe décerné
par ses concitoyens au lauréat du concours de Rome; la comédie
est ancienne déjà du « Rendez le laurier »,qui a failli mettre aux
prises Anvers et Gand, se disputant le primuSy ainsi qu'autrefois
en vinrent aux mains Alost etTcrmonde pour la possession de ce
monstre en carton : « le Ross Bayard » ; toute récente est l'expo-
siiion de ces œuvres académiques et Ton peut constater que le
prix a été décerné conformément à des traditions contre lesquelles
il est banal de réclamer; la suprême récompense a été attribuée
à un tableau qui la méritait par bien des points : médailles, prix
de Rome, distinctions devant lesquelles on s'incline, mais qui ne
nous semblent pas rendre k l'art de bien grands services.
« Diagoras de Rhodes, qui avait rehaussé l'éclat de sa naissance
par une victoire remportée aux jeux olympiques, amena dans ces
lieux deux de ses enfants, qui coururent et méritèrent la cou-
ronne. A peiné l'eurent-ils reçue, qu'ils la posèrent sur la tête de
leur père, et, le prenant sur leurs épaules, le menèrent au milieu
des spectateurs, qui le félicitaient et lui jetaient des fleurs. Quel-
ques-uns lui disaient : « Meurs, Diagoras, tu n'as plus rien à
désirer ».
C'est donc le sujet formulaire, et il semblerait que ce texte dût
indiquer une scène complexe et non réduite à quelques person-
nages seulement. L'un des concurrents, M. Richir, a eu cette
intention d'une foule exultant et respectueuse dans un décor
expressif; l'intention — notons-le bien vite — n'est pas réalisée,
mais au moins sent-on la vie humaine battant faiblement sous
toute la friperie légendaire. v v - . , .
Chez M. Montald, la seule préoccupation du détail archéolo-
gique est essentielle, préoccupation absurde, telle qu'elle est ici
comprise, car jamais dans une scène toute de mouvement l'œil
n.e découvrira les dessins des manteaux ornementés comme des
amphores. La composition ne manque pas d'un certain caractère
et le geste du vieux Diagoras a cette noblesse classique de tous
les gens à loge parmi des architectures figées. La peinture est
lourde et commune; le dessin nul et l'impression d'ensemble est
que ce fameux triomphateur n'est — et sans doute ne sera —
qu'un bon élève.
Logiquement, M. Rosier, d'Anvers, eût dû recevoir le prix,
car son œuvre de concours réalise cette impersoniielle médio-
crité qui fait se pûmer la gent académique, et le jour ne luira
jamais où son originalité se traduira par quelque sensation per-
sonnelle : certaines qualités de goût et une timidité bien apprise
feront de lui un correct professeur à employer dans la nouvelle
académie récemment organisée par le gouvernement.
En un mot, beaucoup de bruit pour rien : en admettant même
tous les principes de l'école, ce concours est notablement infé-
rieur aux précédents et l'on sait, en contemplant ce musée des
horreurs installé h Anvers, rue Vénus (ironie), ce que les précé-
dents ont produit! Les feux d'artifice sont éteints, les couronnes
fanées et M. Montald peut charmer ses loisirs à régler les innom-
brables montres dont lui firent hommage ses carnavalesques
concitoyens, car, c'est à craindre, elles relarderont toujours.
Signalons, exposée dans le même local, une figure, envoi de
Rome, de M. Charlier, très inférieure à ses œuvres récentes. /
j^OTE^
DE MUSIQUE
ù JIê
Concert historique du Conservatoire
De tous les vieux instruments dont les grêles sonorités ont
réjoui la salle du Palais des Académies décorée par M. Slingeneyer,
celui qui a eu incontestablement le plus de succès, c'est l'appareil
perfectionné qui, avec une régularité mathématique, exhalait un
« Brava! Brava! » k l'avant-dernière mesure de chaque morceau.
Marié aux soupirs de la viola di gamba, de l'orgue de Régale,
du clavecin ou de la flûte traversière, ce double Brava! était
destiné sans doute par les organisateurs à ponctuer d'un éner-
gique final la cadence un peu maigre des vieux maîtres.
L'effet a été excellent. Toutes les fins de phrase ont pu ainsi
être escamotées par les exécutants sans que le public s'en fût
aperçu, et la musique de Tartini, de Rameau, de Bach, de Gou-
perin, gens qui n'avaient pas la moindre notion de la façon dont
on termine une composition pour faire éclater les applaudisse-
ments (demandez à Rossini s'ils s'y connaissaient !) a éié heureu-
sement sauvée du déshonneur de laisser les auditeurs sous une
impression recueillie et silencieuse.
On a entendu successivement M. Jacobs (Bravo ! Bravo !)
M"™^ Cornélis-Servais (Brava! Brava!) M. Dumon (Bravo! Bravo!)
M"^ Uhlmann (Brava ! Brava !) et les enfants de la classe de
M. Jouret (Bravi^! Bravi !)
Sur des instruments remontant les uns au rè^ne de Henri IV
OU de Louis XIII, d'autres tout simplement au siècle dernier, ces
artistes consciencieux et habiles ont évoqué de très vieux airs.
Un seul insirument, le plus ancien de tous, n'a point changé : la
voix humaine, et M™« Cornélis l'a manié fort agréablement, sur-
tout pour lui faire exprimer l'aim'able mélodie: Las! iln'a7iul
mal.
Le public a paru goûter particulièrement la Sonate de Tartini
et VAria de Bach, exécutés avec un sentiment juste par le violon-
celliste Jacobs, ei aussi le Noël français du xvii^ siècle, le
Madrigal anglais et le Psaume XXV, interprétés k l'unisson par
les élèves des classes de solfège, évoluant, saluant et chantant
avec l'ensemble et la précision d'un bataillon scolaire.
La Marche des Lansquenets^ exécutée jadis en costumes, a été
jouée pour finir, sans costumes cette fois. La mélodie en est
devenue populaire k Bruxelles. Elle est charmante, d'ailleurs.
Mais le mouvement n'en est-il pas trop lent? On croirait, k l'en-
tendre, qu'il s'agit de porter le diable en terre. Ereintés, fourbus,
vaincus, k demi-morts apparaissent-ils, les pauvres soldats,
dans la mélancolie soufflée par ce jeu de flûtes douces.
"" Vers la fin du morceau, on se serait mis k pleurer, oui! si
brusquement la gaîié, douce comme les flûtes, ne s'était réveillée
en un bon rire k l'intempestif et sempiternel « Bravo! Bravo! »
qui a clôturé cette séance historique. ,
Société de musique d'Anvers.
Maître Benoit a ouvert la saison, mercredi, par un concert
national. Trois auteurs indigènes figuraient au programme :
Maurice Gevers, Henri Waelput, Edouard Michotte, et cette petite
débauche de musique belge n'a pas paru déplaisante au public.
On connaît, pour l'avoir entendue k Bruxelles, la scène rus-
tique d'Armand Silvestre, mise très innocemment en musique,
avec accompagnement de tambours de basque, par M. Michotte,
)i
Mécène cl compositeur. VA ri moderne ayant eu déjà rpccasion
de dire ce qu'il pensait de celle bcrquinade, nous n'insisterons
pas.
« L'hommage h la mémoire deWaelpul », ainsi que s'exprimait
le programme, comprenait trois œuvres symplioniqucs du musi-
cien flamand : Menuet^ Kxvartenlanz et FeesLmarsch (Hans
Memling), plus une romance pour cor solo qui a valu une petite
ovation à l'insirumenristc. - /
Il y a peu d'invention dans ces compositions, et l'auteur côtoie
' d'assez près la banalité pour qu'on craigne souvent qu'il s'y
laisse choir. Le Menuet est d'une facture intéressante et
rinstrumcnialion en est variée. C'est assurément l'inspiration la
plus heureuse du défunl compositeur.
Benoit a fait exécuter, au début de la séance, au lieu de la
réserver pour la fin, ce qui eût été plus logique, une très jolie et
très poétique ballade, Op '/ ivater, pour chœur à quatre voix,
* solo et orcheslre, de Maurice Gevcrs, sur des paroles de Julius
Vuylstekc. L'aulcur expose brièvement, dans un court prélude
symphohique, le décor où va se dérouler la scène. Le motif
descriptif, habilement ramené à l'expiration de chacune des
quatre strophes qui composent le poème, sert ensuite à relier
celles-ci l'une à l'autre, cxrqui donne de l'unité à l'ensemble de
la composition.
L'œuvre est d'une fraîcheur et d'une délicatesse peu com-
munes. Elle est écrite avec simplicité, d'une plume facile, par
un homme qui connaît suffisamment sa langue pour ne pas
devoir recourir aux formules compliquées, et qui exprime con-
stamment en termes choisis ce qu'il veut dire. Vers la fin, après
une phrase élégante fort bien dite par M"^ Flament, la musique
-ouvre ses ailes, et une strophe vraiment inspirée et belle ter-
mine la pittoresque ballade, qui s'éteint sur la phrase initiale :
Wat murmlen de golven? Wat fluistert de wind?
Bemint!
fut cordonnier et poète, a fait faire, comme on dit en langage
parlementaire, un fameux « pas à la question ».
Une particularité à noter, c'est que le compositeur, qui a déjà
fait jouer en public plusieurs de ses œuvres, est directeur delà
Banque d'Anvers, l'un des plus grands élablissemenls financiers
de la ville, et que le public anvcrsois s'est parfaitement familiarisé
avec cette idée : l'exercice d'une profession n'est pas incompa-
tible avec la production artistique.
Récemment, à Liège, le problème a été nettement posé. Un
conseiller à la Cour d'appel, violoncelliste très distingué, fut
prié de prêter son concours à un concert donné en faveur d'une
œuvre de bienfaisance. Fraîchement nommé, et ne voulant point
déplaire à ses collègues, le magistral alla consulter ceux-ci.
Pouvait-il accepter? Les avis furent partages, Il y eut des hési-
tations. Bref, le conseiller déclina la proposition.
Mais bientôt après, Thalie l'emporta sur Thémis. Le conseiller
joua, très bravement, sa partie de violoncelle dans un quatuor.
Et il la joua si bien que -cela ferma la bouche à la critique.
Depuis lors, la chose est acceptée par tout le monde. L'esthèie
joue, quand il lui plaît, et où il lui plaît.
Ainsi est déraciné, petit à petit, le vieux préjugé par lequel les
gens entendent contraindre, en Belgique (il y a belle luretle
qu'en France et en Allemagne on est revenu de ces idées préhis-
toriques!), les avocats à n'écrire que sur papier timbré, les méde-
cins à ne jouer que de la lancette, et les notaires à ne chanter
que des De prof U7idis.
M. Maurice Gevers, banquier et musicien, comme Hans Sachs
LES LETTRES DEVANT LA PLÈBE
Combien peu, parmi ceux-là qui se sont enrôlés dans le libre
bataillon de l'art, ont l'amour vrai du peuple, de la foule aveugle
à leur idéal et sourde à leurs chansons, qui vit calamiteusement,
dans les faubourgs aux ciels bouchés par les fumées d'usine ou
sous les rouges soleils des temps gris, le cerveau brûlé par les
feux thermidoriens et les plantes pourries par le fumier puant des
étables.
« J'aime le peuple, parce que tout en sort; je le nnéprise,
« parce q-u'ilest bêle. » — Je ne sais plus dans quelle petite
feuille fantaisiste j'ai lu cet aphorisme vaniteux qui me semble
résumer le sentiment complexe, le dédain apitoyé qu'affectent
tout bas les gens envers la plèbe. C'est bien seulement de la
charité innée à noire nature, de l'involontaire et douloureuse
contraction des nerfs que fait éprouver à chaque homme la
souffrance vue chez l'un de ses semblables, et qui n'est peut-être
qu'un retour égoïste à soi-même : le sentiment d'être assujetti
au même joug du mal, puisque plus le patient s'éloigne de nous
dans l'échelle des êtres, moins celte navrure de notre sensibilité
est vive, et que tel qui pleure un chien mort reste serein devant
le martyre d'un chêne saignant sous la cognée du boquillon ;
c'est bien seulement de compassioii qu'est fait leur amour : un
amour de pitié. Et c'est leur orgueil seul, leur orgueil de barde,
froissé par l'indifférence de Jean Labeur qui les a écoutés chanter
leurs rêves vêtus d'écharpes olympiennes et stagnant dans
l'outreriier d'un ciel inconnu, sans les ouïr ni les comprendre,
en roulant ses doigts gris et en branlant son chef raviné par le
ahan quotidien héréditaire en sa race, sans qu'une lueur se fût
allumée dans ses prunelles troubles brûlées par le fer blanc de la
forge, durant les longues journées de travail assassin, et sans
que leurs voix eussent dissipé l'hébétude de Jacques bonhomme
dont le vent implacable a crevé le tympan, tandis qu'il cassait sa
maigre échine à biner le caillou de la vigne, ou à gratter la terre
ocreuse de son seigneur, le grand propriétaire rural. .
C'est le fiel des incompris, une colère rageuse d'orateur dont
les mots ne peuvent mordre l'indifférence de la salle, qui fait leur
mépris. Et c'est pourquoi j'ai toujours vénéré les éminenls des
Lettres, si rares, qui ont mis leur langue savante, leur discours
précieux, au service des revendications populaires. Mais combien
encore/ dans ceux-ci mêmes qui ont pressé les plaies proléta-
riennes entre les feuillets de leur œuvre et laissé couler sous
leur plume, en rouges évocations,- ce sang d'ilote appauvri par
la saignée continue de l'impôt, dans ce marais à sangsues où
tous les appétits, toutes les convoitises bourgeoises s'abattent
sur le travailleur, le producteur unique, comme les gloutonnes
bestioles sur le baudet podagre qu'on leur laisse dévorer vivant,
dans ce parage à bétail renouvelable qu'est l'organisation sociale
actuelle; combien n'ont vu que l'art, qu'une terre arable fertilisée
par les massacres séculaires de la classe pauvre, cet engrais!
Qu'un sol propice où faire les semailles des fleurs de leur cerveau,
ou qu'un filon de douleurs à exploiter pour faire vibrer les'
cordes de leur luth sacré, dans ce grand peuple souffrant dont
ils n'ont pas su deviner l'âme.
Leur amour, leur bonté n'est pas assez grande pour étouffer leur
orgueil. Pour ceriain, l'homme de faubourg, à. écriture trcmbite,
qui a peine à épeler son journal d'un sou devant sa lampe
fumeuse, après les heures pénibles du jour, durant lesqtiellcs il
a rouillé dé sa sueur le for du rabot ou l'étau blanc, est encore
l'épicier, le bourgeois de 4830 ; il a l'ignorance pour sort ; ils lui
en veulent de ne pas s'être extasié devant leur maladie aimée à
eujt : le sens artistique exacerbé par leur plus ou moins de nervo-
sisme ; ils le haïssent presque, ces vaniteux égoïstes ! parce qu'il
a lu les chanls dé leur pensée sans en admirer là magie.
' Hé ! Qui donc peut se larguer d'avoir su trouver les mots à
dire au peuple?
J'ai vu de pauvres gens, au dernier Salon, qui promenaient
leur ennui endimanché et la fatigue accablante des cadres méme-
ment dorés des cris discords de coul.eurs formant presque un
ensemble unilonal tant ils sont multiples, sur le parquet ciré des
salies, s'arrêter devant de mauvaises toiles d'un pied, et rester
longtemps, ravis, les yeux illuminés de leur joie. C'est qu'ils
avaient retrouvé là un coin de leur vie, un bout d'atelier noir avec
un des leurs penché sur l'enclume, ou une chambré pauvre, des
mômes, crottés dans des culottes grotesques, et blêmes par un
jour louche de suif éclairant mal la misère nue des murs en
sueur; et qu'ils se sentaient intimement mêlés à l'art, eux, dans
ce tableau médiocre perdu comme eux au milieu de cet amas de
femmes nues, vaporeusement noyées dans la gloire de voiles et
d'écharpes allégoriques, de chevaux et de guerriers couverts de
fer bleu galopant dans le chaos des grandes batailles, dans ce
tas de dames fardées sous la dentelle et le velours, et de pachas
en turban de soie entourés d'esclaves noirs, c'est qu'ils aimaient
k se figurer l'artiste logeant avec eux, porte à porte, choquant
son verre contre le leur, le matin, et venant s'asseoir à leur table,
les samedis de paye, entre la ménagère et les petiots ; c'est qu'ils
sentaient, dans ce cadre de dix pouces, une cordialité à leur
adresse, un bon cœur qui les avait peints en les aimant.
, Et c'est là qu'il convient de chercher les causes du succès qu'a
encore cette littérature que quelques délicats ont dénommé
c< roman à portières. » Parce que, au dessus de ces plates et
niaises intrigues, puérilement cousues autour d'une coupure de
faits-divers, plane toujours une sorte de pitié attendrie pour ce
mal qui leur est si connu, dont pour ainsi dire est faite toute
leur vie, à eux les sempiternellement besoigneux : le mal de
misère.
C'est qu'ils revoient, dans ces pages sans âri, la bande
d'huissiers rougeauds qui vint saisir la vieille sourde, leur voi-
sine, dont le mari, un maçon, avait été écrasé par la benne d'un
monte-charge, à l'entrée de l'hiver; c'est qu'ils entendent encore
les hurlements de la bonne femme qui refusait de partir, et qu'on
fut forcé de pousser sur le palier, avec son matelas saignant et
sa chaise sans paille, et qui aurait crevé là, de froid, comme le
fou, le. vieil ébéniste d'en face, qui, quand sa fille eut décampé
avec un commis du Bon-Marché, se laissa mourir dans son lit,
sans le courage de lever seulement un bras; oui, crevée comme
celui, s'ils ne lui avaient ouvert leur porte, à l'ancienne. C'est
que presque chaque foyer a son absente qui a mal tourné, dont
ils croient parfois entendre le pas pressé dans l'escalier noir, la
nuit; et qu'ils lisent de ces retours-là, à la fin de leur feuilleton,
quand la coureuse revient avec un fichu troué et un môme à
museau rose sur les bras, et qu'ils sont prêts à casser leur vieux
châlit de noyer pour raviver le feu mort et réchauifer le petit
bâtard. .
Mais, oh ! la piètre éducation sociale, que celle qui fleurit dans
ces livres mal faits! Et quels criminels inconscients sont les
meilleurs de ceux-là dont les. Fleur-de-Marie sont princesses de
Gérolstein, et les Rodolphe, marquis ou comtes, ou seulement
riches. Et, sans voir la cruelle ironie qui se dégage de la fin de
ces pauvres 'filles aux doigts grêlés de piqûres d'aiguille que,
sente, la rancœur que leur a laissée l'attente vaine de leur
prince Rodolphe, à elles, a peut-être fait descendre au trottoir,
n'est-il pas révoltant de voir tant de « Chouette » et de « Tortil-
lard » pour une « Rigolelte » et un « Germain » et tant de
« Maître-d'école » pour un a Chourineur », quand il n'y a qu'une
« Sarah » autour du mignon musqué qui coiffe une casquette et
endosse une blouse pour aller mettre au pas la tourbe du Lfl/?m-
Blanc. . r- '
De la pitié, de la pitié, toujours de la pitié; ils n'ont que de
la pitié. , . .
La Cosette au sceau des Misérables et le Claude Gueux à la
hache: groupes de piété de ce bonasse bourgeois de génie qui
fut Hugo. Tous, tous; un même vent de charité dédaigneuse
presse leurs mots, enfle leur phrase. Ah! que sonne clair le
bourru : « Au pavé, mon camarade ; nous casserons la croûte
après » de Vallès ; que tinte franc la fusillade de ses mots
d'émeute ou de misères, vifs et meurtriers comme des grains de
cendrée ou les limpides et rugueuses phrases de Cladel évoquant
les déhanchements laborieux et pénibles des siens, de ceux dont
il se fait la seule gloire d'être issu. Ces plébéiens, dans ce tas de
livres faits des constatations dédaigneuses de Concourt, de la
pitié morose de Zola et du scepticisme un tantinet attendrie de
Daudet! •: ' ^ -: - ■-•■-:-•■,-._.: .^ ■,;:_;■,■•■/ - :v■-:;^■ ^^ '
Hugo pailait au peuple comme aux enfants, avec la même
bonté de vieillard à tout petit : une bonté de riche à pauvre.
Quand donc leur encre battra-t-elle en mesure avec le sang des
plèbes? Quand donc descendront-ils des chaires de Sorbonncs
ou des marches d'Instituts pour écrire dans la mêlée de la rue, à
hauteur du Peuple?
Jules Bernard (de la Revue Socialisée).
^ LA ijVloNNAIE
L'affaire est terminée. L'affaire ? Eh oui, la grande affaire, celle
qui passionne, depuis combien de semaines ! les Wagnéristes.
Jouera-t-on la Walkyrie? Ne h jouera-t-on pas?
On la jouera. Après bien des pourparlers, des menaces de pro-
cès, des dépêches échangées, on est tombé d'accord.
Cette semaine un contrat a été signé entre les directeurs du
■n^iéâtre, la Maison Scholt, éditeur de la partition, et Angelo Neu-
mann, qui a acquis des héritiers, le droit de représentation. Ce
dernier louchera 4,300 francs. Il en réclamait 3,000. Et encore,
les touchera-t-il ! Une question assez délicate est posée. H a
acquis le droit de représenter Die Walkiire, c'est vrai. Mais la
Walkyrie?
En d'autres termes, l'adaptajjon française de la partition rentre-
t-elle dans les termes du contrat, ou celui-ci ne s'applique-l-il
qu'à la version allemande?
Ceci est un débat qui s'agilera entre les héritiers Wagner et
Angelo Ncumann. Nos directeurs n'ont pas à y intervenir.
Donc, on jouera la Walkyrie, et l'époque en est déjà arrêtée :
ce sera vers la mi-décembre. Les rôles vont êlre distribués. Ils
342
VART MODERNE
sont d'ailleurs loul indiqués par les aptiiudes spéciales des
ariistcs composant acluellcmenl la troupe. M"« Lilvinne, chan-
tera Briinhilde, M. Sylva, Siegmund, M. Seguin, Wolan,
M. Dourgcois, Hunding. Souhaitons que le rôle de Sieglinde soit
confié à M''« Wolff, dont le nom n'a pas été cité jusqu'ici parmi
les interprètes probables. Restent k distribuer un rôle de femme
assez épineux, celui de Fricka, la déesse d'humeur peu folûtre à
l'égard de son volage époux, et les rôles des huit Walkyries dqnl
le Hojoloho! sera l'un des « clous» de la soirée.
Félicitons la direction d'avoir mené à bonne fin les négocia-
lions. Le succès de la Walkyrie ne peut pas êlre un instant
douteux, et les frais de mise en scène ne sont pas excessifs.
En attendant cette soirée qui rappellera celles des Maîtres-
Chanleiirs, — qui ne s'en souvient?— il y aura une reprise im-
porlante, celle d'-^cVodimde, annoncée pour mercredi prochain,
et une première : celle de Lakmé, dont les répétitions marchent
bien et qui passera dans quinze jours.
Enfin, MM. Dupont et Lapissida viennent de recevoir un ballet
de Félix Pardon, les Fables de la Fontaine, avec chœurs, et ils
sont fort tentés, nous dit-on, d'accueillir aussi l'œuvre inédite
d'un jeune compositeur parisien qui... dont...
La discrétion à laquelle nous nous sommes engagés nous
oblige à n'en pas dire davantage.
A bientôt donc le vrai début de la saison théâtrale. Nous
reprendrons possession, alors, de noire fauteuil à critique.
:,,-.:iuJJ:-.-,: LE DUEL D'HAMLET ; f ; ;,
■^ ■ . ■
La façon dont le duel d'Hamlet a été réglé à la Comédie-Fran-
çaise vient d'être spécialement prise à partie par un rédacteur de
\ià Saturday Review. .
La Comédie-Française n'est pas tombée dans l'erreur de mettre
entre les mains des acteurs des fleurets modernes. Il s'agit de
lourdes et longues rapières, mouchetées, en tout semblables aux
armes maniées à l'époque; le jeu des adversaires est non l'es-
crime châtiée et menue de l'époque actuelle, mais celle des
anciens maîtres italiens et français, qui procède par bonds et atta-
ques subites. Le texte qui accompagne les passes montre, par sa
brièveté môme, que c'étaient de soudaines rencontres après
lesquelles les combattants reprenaient du champ.
Ce texte indique que, contrairement à ce qui se fait à la
Comédie-Française, les deux adversaires ne doivent faire, au
commencement de l'assaut d'armes, aucun salut à l'assistance.
On lit dans là pièce ces niols :
Le roi. — Allons, commencez, — et vous, les juges, ayez
l'œil attentif.
Hamlet. — Venez-y, Monsieur.
Laërte. — Venez-v, Monsieur.
Et le combat s'engage. 11 n'y a pas là trace d'un salut.
L'auteur blâme M. Vigeant de s'être laissé guider dans ses
arrangements par V Académie de Vespée, de Girard Thibaust,
Anvers, 4628, postérieure à la mort de Shakespeare, qui repro-
duit non le jeu classique du temps, mais l'escrime absolument
fantaisiste de l'école espagnole. Le traité d'Henri de Saint-Didier,
qui date de 1573, eût été préférable, et c'est en se basant sur les
indications de cet auteur que le collaborateur de la revue anglaise
résout d'une manière nouvelle le problème de l'échange des
épées entre Hamlet et Laërte.
Le texte porte : « Laërte blesse Hamlel; puis, en luttant, ils
échangent leurs rapières et Hamlet blesse Laërte ». A la Comédie-
Française, Hamlet, après avoir été touché, désarme Laërte, lui
tend son épée et ramasse celle de son adversaire. De celle
manière, l'échange ne se passe nullement « en luttant », et il
semble plus naturel de rcflfectuer par une manœuvre que prévoit
le traité do Saint-Ditlier. « Après avoir décrit, dit cet auteur,
l'art et la pratique de l'épée, je me suis senti enclin à enseigner
et à démontrer quatre excellentes et subtiles manières de saisir
l'épée de votre adversaire, ce que l'on trouvera être un grand
secours soit dans l'allaque, soit dans la défense ». L'une de ces
quatre manières consiste h prendre l'épée près de la poignée,
après l'avoir relevée par une parade et en faisant un pas en avant
du pied gauche. « Dans ces conjonctures, remarque Saint-Didier,
le mieux, pour la personne dont l'épée est saisie, est de s'em-
parer de la môme manière, s'il n'a pas de dague, de l'arme de
son adversaire ».
Comme la garde des épées du xvi^ siècle était disposée de telle
sorte que la personne qui en tenait une sous la garde avait plus
de facilité pour l'arracher que celle qui la tenait par la poignée
pour la garder, chacun des deux combattants n'avait plus qu'à
lâcher son arme, à prendre celle de son adversaire et à continuer
la lutte de la main gauche. C'est ce que Saint-Didier exprime par
ces mots : « A prinse faut faire contreprinse »; de cette manière
l'échange des armes a lieu, conformément au texte, en luttant.
P
ETITE CHROJ^iqUf:
La saison des concerts s'ouvre brillamment. Au premier con-
cert de V Association des Artistes musiciens^ fixé à samedi pro-
chain, on entendra uneœuvresymphonique inédite de M. Joseph
Wieniawski, Guillaume-le-Tacitimie,^ laquelle l'éminent musi-
cien vient de mettre la dernière main, un air tiré du Capitaine
noir, de Joseph Mertens, chanté par M. Seguin, et le cinquième
concerto de Beethoven pour piano et orchestre, joué par l'excellent
pianiste Kéfcr. Ce dernier fera enlendre,'en outre, plusieurs com-
positions de Borodine et la Chevauchée des Walkyries, de Wagner
(transcription de L. Brassin). Il est question en outre, d'un trio
inédit de M. Kéfer, frère du pianiste. Les parties de violon et de
violoncelle seraient jouées par tous les violons et tous les violon-
celles, à l'unisson.
On annonce aussi deux concerts qui seront donnés par
M. Franz Servais, l'un au Ceixle Artistique, l'autre à VAssocia-
tion des Artistes musicie7is, et exclusivement consacrés à ses
œuvres.
Le Conservatoire de musique de Bruxelles, déjà si éprouvé,
vient de faire une nouvelle perte. M. Francesco Chiaromonte,
professeur de chant italien et l'un des membres les plus distin-
gués du personnel de l'établissement, est mort subitement le
16 courant, à l'âge de 77 ans. L'artiste, qui s'était entièrement
consacré au profess-orat en ces dernières années, avait eu jadis
en Italie, sa pairie, des succès comme compositeur dramatique.
Un oratorio de lui. Job, fut exécuté récemment à Bruxelles, au
théâtre de la Monnaie. M. Chiaromonte était, en même temps que
musicien, un bibliophile distingué et un homme affable et char-
mant, dont la perte sera vivement regrettée.
Le baryton Blauwaerl quitte Bruxelles le 12 novembre pour
faire une tournée de cinq mois en Autriche, en Hongrie, en Rou-
manie, en Allemagne et en Russie.
• Lutèce vient de mourir. Voici l'oraison funèbre qui lui consacre
laScapin : « Elle fut jadis puissante et belle; elle ne se vendit
peut-être jamais guère, en grande courtisane qu'elle fut, mais
«■■>■
elle aura rdternelle gloire de s'être donndc tout entière aux
poètes de rdcole nouvelle. Ceux dont la presse clame le nom à
cette heure ont écrit pour elle leurs meilleurs vers, et aussi les
pires. Le berceau du Symbolisme et de la Décadence fut son lit.
Elle aura la gloire du Parnasse contemporain et de VAlmanach
des Muses.
« Il y eut là dedans de curieuses polémiques, d'ébouriffantes
Têtes de pipe^ des articles d'un catholicisme exagéré, et de mes-
quines vindictes. D'élranges hommes et d'élrangcs choses.
Le fondateur, M. Trezénik, a eu la nostalgie des pommiers
normands, et peut-être l'écœurement du journalisme. Il vaut
mieux finir rural et romancier que de tomber en Organe des
jeunes, une triste mort pour un journal jeune. »
M. Maurice Chômé, du Théâtre royal du Parc, ouvrira, à partir
du 25 oclobre prochain, un cours pratique de débit oratoire,
spécialement destiné aux membres du Jeune Barreau qui désirent
se perfectionner dans l'art de la parole. Pour tous rcnseignemenls
s'adresser 108, rue Royale, à Bruxelles.
D'une bonne et amusante venue le compte-rendu des Petites-
Manœuvres, par Charles Martel, de la Justice. Le chroniqueur
qui signe sous ce pseudonyme est assurément l'un des meilleurs
de la presse parisienne actuelle. •
(c Beaucoup de jeunes personnes avec des messieurs âgés et
beaucoup de dames âgées avec de jeunes messieurs ont, aux
Menus-Plaisirs, fait entendre les cris d'une pudeur effarouchée.
Les jolies sociétaires du club des Rieuses surtout étaient légère-
ment scandalisées. Pensez donc, il y a dans la pièce une foule de
mots sur les hommes! Pourtant le public, foncièrement vertueux
de notre époque, a fait violence à ses sentiments d'exquise chas-
teté et l'on a ri de ces Petites- Manœuvres qui ne sont qu'une
grosse farce. - '
« La pièce de Delacour et de M. Champverl est d'un esprit
facile, et je ne conseille pas aux recueils de 100 calembours pour
un sou les mots sur la mer Méditerranée et l'amer Picon, les
petits verres et les vers hexamètres, le sot qui fait un saut, le
changement de noms des rues et l'ébpulement du Pont-Neuf. —
Cela ferait pleurer un g;irdien de la grande Roquette.
« Je ne conseille pas d'autre part aux jeunes fdles qu'on désire
garder en bon état les mots sur le serpent et sur le cheval que
ma plume se refuse à tracer, mais je conseille l'œuvre nouvelle
aux personnes qui aiment bien entendre parler la langue verte^t
qui ne reculent pas devant les locutions recueillies par Delvau.
Le père, l'ingénue, le vicomte, le jeune premier, le finan-
cier, etc., traduisent tous leur pensée dans cette pièce étrange
par : « Il fait rien chaud! — Oh! malheur, ne débinez pas le
« truc. — C'est rupin, mince de rigolade. — J'ia trouve forbi-
« chouette! » et autres néologismes à dégoûter Camille Dbucet
qui résiste pourtant au style de M. Rousse et autres académi-
ciens.
« La sensation exquise des Petites-Manœuvres a été de voir
qu'elles n'éîaient point militaires. Ce sont des gens très pékins de
costume, qui se livrent à des tactiques si innocentes qu'on les
prendrait pour le plan de campagne d'un général d'Orléans. Le
but poursuivi, que les auteurs ont appelé la forteresse, mot peu
poli, n'est autre chose que l'amour de la belle madame Balifol,
autour de qui évolue une armée de prétendants. Un d'eux entre
dans la place au dénouement : ce bulletin doit suffire à qui s'in-
téresse à la pièce. " .,
« Point n'est utile de vous conter l'histoire annexe de Rosalba,
danseuse de l'Eden, elle ne contient qu'un mol gai : — Je ferai
une esclandre! dit-elle à un vieux client. — Pardon, lui répond-il
— esclandre est mascuUn. — Eh bien! et vous? s'écrie l'enfant
vexée.
« Cette suite de blagues qui ne font pas littérature mais qui
feront peut.-élre recette auprès des gens ayant très bien dîné, est
débitée avec talent par M. Moncavrel. gaîté par MM. Chambéry,
Larcher, Antony, et corsage par M'^«=> Blanche Ollivier, Jagelti et
Joissanl. »
Lohengrin, traduit par M. Charles Nuitter, sera représenté à
Paris en avril prochain. M. Lamoureux s'est entendu avec la
Société de l'Eden-Théâlre, dont les représentations chorégraphi-
ques cesseront à cette époque. L'entreprise finira le 1.^' juin.
M. Lamoureux se propose de faire entendre, outre Lohengrin,
deux ouvrages importants, l'un d'un maître français, l'autre d'un
célèbre compositeur étranger. De plus, le fondateur des Nouveaux-
Concerts organisera une série de festivals où paraîtront les chan-
teurs et les instrumentistes les plus renommés de l'Europe. Grâce
à cette combinaison, les lendemains de Lohengrin seront assurés.
M. Lamoureux ne donnera que dix représentations de l'opéra
de Wagner. Bien que l'éminent chef d'orchestre n'ait d'autre
souci que de faire œuvre d'art, on conçoit qu'il ait voulu mettre
de son côté toutes les chances de succès.
M. Charles Garnicr a envoyé à M. Francisque Sarcey une lettre
intéressante sur la mise en scène au théâtre.
« La mise en scène, dit-il entre autres, s'étend à toutes les par-
ties de rinlerprélation d'une œuvre théâtrale ; -ce n'est pas là
affaire de mots, c'est affaire de raison et de vérité. Tu déclares
que Mounet-Sully dans Hamlet, est au dessus de tout éloge, et tu
as bien raison; car je ne sais aucun artiste qui ait donné autant
que lui l'impression du personnage légendaire qu'il représente;
mais s'il arrive à ce résultat supérieur, s'il émeut si vivement, ce
n'est pas seulement parce qu'il a dans sa voix toutes les caresses
et toutes les fureurs, c'est aussi parce que tous les éléments qui
se rapportent à son jeu et â son interprétation en font partie inté-
grante. Le costume, le port des cheveux et de la barbe, le geste,
la plastique du corps, les longs envolements de son manteau,
tout cela est combiné de façon à parfaire le type créé et à l'en-
tourer du milieu qui lui donne la vie.
« Suppose Hamlet avec des cheveux ras et rouges, une
jaquette de Ja Belle Jardinière, une casquette à trois ponts et des
favoris de notaire; l'acteur, ainsi affublé, aura beau y mettre et
sa voix et son talent, il ne sera jamais qu'un piètre héros. Si tu
mets un diamant de la plus belle eau sur un torchon sale, l'effet
sera choquant; place-le dans un écrin de velours ou sur un^ beau
corsage de satin, et il brillera de tous ses feux, rehaussés par les
harmonies du voisinage.
« Or, celte mise en scène, particulière à chaque artiste, devient
prise à part dans l'ensemble de toutes les manifestations théâtrales
qui l'entourent, comme ce diamant qui ne peut avoir toute sa
puissance d'effet que s'il est placé dans l'écrin qui le fait briller.
Cet écrin, c'est la scène même du théâtre, qui vient collaborer au
résultat final, c'est-à-dire au maximum d'impression que peut
amener l'œuvre dramatique représentée.
c< Quand je dis la scène, je comprends tout ce qui s'y trouve, et
les décors, et les praticables, et les costumes, et les effets d'éclai-
rage, et le groupement des artistes et des figurants; je com-
prends les cortèges, les entrées et les sorties, les imitations des
éléments, les lueurs. des incendies, les rayonnements de la lune
et même dans certains drames, le trémolo de l'orchestri? à l'ar-
rivée du traître. Rien de cela ne doit être indifférent. A l'unité de
■**îemps et de lieu, un peu délaissée, il faut ajouter l'unité d'harmo-
nie, qui est au moins aussi nécessaire que les autres. Il m'importe
peu que les scènes sautent d'une ville à une autre, pourvu que
mon esprit puisse les relier entre elles; mais il m'importe que
les endroits oii elles se passent soient conçus dans le caractère
qui leur convient.
« Lorsque cette question d'harmonie est résolue, on en ressent
un bien-êlre. Le plus souvent on profile de l'effet sans en recher-
cher les causes ; on ne songe pas à l'importance de la mise en
scène, parce que celle-ci étant parfaite, semble toute naturelle. »
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Sixième année. — N° 44.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 31 Octobre 1886.
L'ART
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
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Adresser les demandes d'abonnement et toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de Tlndustrie, 26, Bruxelles.
^OMMAIRE
Hamlet a la Comédie française. — Léon Gladel. — Théâtre
DE LA Monnaie. Hérodiade. — Architecture. Architecture grec-
que et romaine^ par J. Dewaele. — Notes bibliographiques. —
Chronique judiciaire des arts. ^- Petite chronique.
-^ HAMLET A LA COMÉDIE FRANÇAISE ^
Les grandes eaux de la critique ont joué à l'occasion
des représentations d' Hamlet à la Comédie-Française.
Des gerbes de commentaires ont fusé, se croisant avec
des jets de paradoxes. Les uns ont taxé Shakespeare de
pessimiste et l'ont. enrôlé dans le Schopenhauerisrae ;
d'autres n'ont vu dans le grand prince danois qu'un fou ;
d'autres se sont arrêtés court et n'ont jugé le drame
que comme un fait-divers historique taché de sang.
L'obscurité et l'ambiguïté en ont seules profité et le ca-
ractère d'Hamlet, analysé par tant de gens, disséqué par
tant de Francisque Sarcey, reste énigmatique, heu-
reusement. Oui, car ce qui fait le charme le plus solide
d'une œuvre, c'est le mystère, c'est le voile qui la couvre
à moitié, c'est la parcelle de Sphinx qu'elle recèle, si
bien que, dès que l'esprit la comprend dans la totalité,
elle lui devient indifférente, puisqu'elle n'est plus digne
de sa curiosité. Il en est du^ cerveau comme des sens
satisfaits.
Nous ne nous attacherons ici qu'à l'interprétation du
drame shakespearien aux Français. Hamlet, c'est
Motinet-Sully. Un beau tragédien, certes, ou plutôt un
grand virtuose du geste et de la voix.
Quiconque a vu Rossi incarnant les héros du réper-
toire romantique, est hanté par son art génial, tordu de
vie, haletant de passion. Rossi entrait dans Hamlet,
dans Macbeth, dans Othello, comme un fauve rugis-
sant, comme une bête tragique et formidable et, les
rôles, il les interprétait dans leur complexité vivante,
sauvage et légendaire. Il ne sacrifiait rien à la grâce, à
l'artifice, à ce que j'appellerais la draperie du jeu et la
silhouette de la voix. Il marchait dans la force et la
violence vers le sublime. Tendre, néanmoins parfois,
mais comme à regret, ici, en parlant d'amour aux Des-
démone, aux Ophélie, là, en se confiant aux Horatio.
Rossi était, du reste, un réalisateur si étonnant, que des
personnages d'art secondaire, Louis XI par exemple,
se déliaient de leur momification esthétique et mar-
chaient, etparlaient, et souffraient, et grandissaient dans
l'illusion momentanée du chef-d'œuvre. Aussi, tout ce
qu'il a marqué de son geste, reste, devant les yeux,
définitif, absolu presque.
Est-ce Rossi qui nous a dominé de son souvenir pen-
dant les* deux soirées qu'il nous a été donné d'assister
aux représentations récentes à'Ha^nlet? Nous le
croyons.
Mounet-Sully nous apparaît trop trempé de parisia-
nisme et 4e distinction. Le Hamlet saxon, rude, ter-
rible, avec ses exaltations soudaines et ses prostrations
fatales, avec son âme nocturne et étincelante, non, il
ne l'a point compris fortement. Il nous l'a rendu trop
correct, trop élégant. Il en a fait une création pour le
public des Français, pour les dilettanti. boulevardiers
y
346
VART MODERNE
et peut-être un peu pour dames. Oh ! combien est mélo:
dieuse sa parole, mais de cette mélodie banale où se
traîne, après être montée si haut, la voix de Sarah
Bernhardt! Oh! qu'il est languide et joli son geste,
mais languide et joli comme ceux de certaines vignettes
sentimentales. Partout, manque de vérité idéale et de
vie artistique. ;
Notre attention à été attirée plus avantageusement
vers M"^ Reichemberg. Celle-ci nous galvanise une
Ophélie exquise, jeunette, délicate; une Ophélie de
fleurs et de roseaux, et qui passe, et qui souffre, et qui
meurt lilialement. C'est plutôt une ai^parition d'amante
qu'une réalité : cela flotte et se meut, quoique palpable
sur la scène, avant tout dans le rêve, cela évoque
plutôt que cela ne dit tout ce que la poésie a de fra-
gilité et de douceur. De toutes, c'est la création la plus
belle.
Restent Sylvain dans le rôle du roi, Agar dans celui
de la reine, Got dans celui de Polonius, Maubant dans
celui du spectre. Puis toute la kyrielle des Duflos, [des
Baillet, des Joliet, que sais-je ! Il est passé le temps où
l'on parlait du magnifique ensemble que présentait la
troupe « de la maison Molière... et C* »♦, C'° indique à
lui seul M. Coquelin. Les doublures et, pis que cela, les
triplures abondent ici comme ailleurs. Tels acteurs sont
des décalques de Got, tels de Delaunay. Les personnels,
les forts? Où donc? Les plus jeunes se montrent les
plus vieux, les plus truqueurs, les plus habiles. Gestes,
intonations, plastique, tout est pris, tout est volé. La
mode lyrique est vulgarisée comme un complet pour
messieurs et un waterproof pour dames. La Comédie-
Française, c'est le Petit Saint-Thomas ou la Belle
Jardinière pour déclamation ; il n'est pas jusqu'aux
monologuistes de salon qui n'y prennent le ton de Con-
stant et les allures de Cadet. Cela s'attrape après deux
séances et cela se paie fr. 2-50 au parterre.
Les décors à'Hamlet sont superbes. Les deux vues
de la terrasse d'Elseneur, baignée de lune, ont un mys-
tère romantique admirablement réalisé avec des tons
bleus et verts et des apparitions de tours fantastiques.
La salle de théâtre a le grand luxe des vieilles
demeures royales et les ors illusionnent et héraldisent.
L'oratoire étroit et sévère impose le recueillement et
le silence. Quant aux visites du fantôme, elles brillent
saisissantes et discrètes et soudaines et immatérielles.
Seul, le cimetière n'a point de caractère.
Au résumé, la reprise à'Hamlet ne mérite point
l'attention dont on l'a entourée, ni les fleurs d'encre
que les critiques ont semé sur les pas du grand rêveur
noir.
LÉON CMDEl
La plupart des époques dé l'art français ont eu leurs indépen-
dants et leurs irréguliers, dont les figures pleurent ou révent en
marge de l'histoire des Lettres : face blême de tire-laine au temps
des poètes, valets de cour au sourire attendri de rimeur de rondes
d'enfants, François Villon ou Fabre d'Eglantine. Les plaintes de
mauvais garçon de celui-là restent, alors qu'oubliées sont les
galantises de pître de Marot, et les marmousetles de faubourg
enfilent encore leurs aiguilles de bois aux flonflons du danlo-
nisie, qu'il rimait alors que dans l'air fumait la poudre du canon
d'alarme, et grondait la carmagnole rouge de la place Louis XV :
Il était une bergère,
Et ron, ron, ron,
Petit patapon...
Rire souffrant d'artiste réfraclaire cinglant l'art servile, ou bou-
quet des champs humé entre les fusils de Piu et de Cobourg et
la guillotine des clubs, vraies ou fausses, ces silhouettes charment
ceux qui, comme moi, se plaisent à crever du front les brumes
du passé, pour y entrevoir rougeoyer le brandon des Jacques, et
ouïr murmurer la cithare des trouvères.
En notre temps, où la foule anonyme et souffrante de toutes
les glèbes, la foule aux millions de têtes roulantes, dont on n'a
vu encore que les chefs gris des porte-drapeaux, va donner
l'assaut au vieux monde social, temps que j'aime, ils sont trois
ou quatre : d'Aurevilly, ce sardonique gentilhomme misanthrope,
d'autres, et Cladel, qui opt poussé librement, bercés sur des
genoux pointus de douairière ou endormis avec des légendes de
montagnes, sous les planchers poutrelles des habitations pay-
sannes, et ne relèvent d'aucun, seuls dans le sillon original qu'a
ouvert leur plume.
riadel est un latin. Tout gamin, son nom me fut familier. Moi,
dont la songeuse enfance faubourienne a grelotté dans les rues de
neige de Paris assiégé, et blêmi d'angoisse derrière les viires
matelassées de notre logis, durant la Semaine de mai, tandis que
les obus du cimetière de l'Est écorchaient les toits, sur nos têtes,
et qui en ai peut-être gardé ceUe peur nerveuse du sang qui fait
trembler d'effroi mes coudes, à la moindre plaie rouge chez
autrui, j'ai subi mes premières fièvres littéraires en lisant les
Va-nU'pieds.
Ce fui dans une boutique basse de la rue Biaise, un cabinet
de lecture peuple, dont le mauvais poêle en fonte puait la suie
et les livres le suif, et où j'allais, les soirs d'hiver, mes poings
de même dans mes culottes trop larges, durant deux heures,;
aimer des reines et rosser les gardes du Cardinal, avec les fan-
toches à moustaches de Dumas, ou cruellement trépigner de
joie aux hurlements du jésuite Rodin mordu par les moxas
d'Eugène Sue, que j'ouvris ce livre fait de la vie des souffrances
des miens, des siens aussi à ce plébéien artiste dans les veines
duquel coule un peu du sang chanteur des Virgile et des Horace
latins. C'était presqu'un volume de luxe, aux marges fortes, aux
caractères purs. Il fleurait l'aristocratie lettrée, ce poème de
gueux avec sa préface limpide à Julia Mullem, toute trempée de
bonté gouailleusement attendrie. Je sais par cœur aujourd'hui
ces quelques trois cents pages dont la forme magique et souple,
inconsciemment, déjà me charmait, alors que, en tournant les
feuillets de lendemain de défaite, de Revanche^ dans mon cerveau
de mioche précoce et rancunier, passait le souvenir de ce
dimanche de printemps, où, tout le matin, les vitres tremblèrent
aux derniers rires de la fusillade, et où, le soir, mon père s'alita,
après avoir brûlé sa vareuse et son képi de fédéré. Ah! Nazi,
Quoël, Montauban-tu-ne-le-sauras-pas, Auryenlis-Auryentis :
idiote à teint de buis, à chef en njançhe de quenouille et à per-
ruque de chanvre sale, paysans blonds, aux yeux lumineux, au
front couleur d'alude fauve, je vous aimai, autant que mainte-
nant, passé compagnon dans l'épuisant et cher métier des lettres,
j'admire celui dont vous êtes issus, qui vous tailla dans sa chair,
chair de peuple comme la vôtre, qui vous créa de son cerveau,
cerveau d'artiste souffrant comme le lien, Montauban-tu-ne-le-
sauras-pas, à toi qui le fis, lui, de ton sang.
« Suum cuique » seul! oui, maître, vous êtes seul, à les faire
ainsi, dans votre langue avancière, plus pure et plus riche que
notre patois incorrect, vus à travers votre ûme, nos pères, nos
aînés, nous tous, tâcherons de l'idée, ilotes du sol ou serfs de
l'usine !...
Je le vis un jour, sur une page de Gill, à l'étalage' d'une
librairie ; il avait le front dur, barré d'une ride colère, la tête
penchée par la puissance du col, les muscles carrés, ses poings
énormes reposaient sur une pioche. Ce piètre dessinateur, carir
caturiste de génie, l'avait étançonné dans ses sabots, comme un
jouteur de fête nautique. Dans ces yeux aux sourcils joints, flam-
bait seul l'amour têtu des Celtes pour la liberté ; son casque sans
cimier en cheveux lourds et tordus était une crinière d'Arverne :
un chef de Bagaudes sous Carinus. Gill s'est trompé. Il y a vingt
siècles de lentes, mais constantes éludes philosophiques, entre
Vcrcingétorix et Cladel, et soixante générations mélisses, arabes
et latines, latines et gauloises, depuis le siège d'Alésia.-
Je le revis un matin, chez lui, il est très vieux. Sous la toison
drue de ses cheveux crêpés, on sent courir et frissonner l'idée
dans les bosses du crâne. L'ovale du visage, légèrement allongé
à l'orientale, reste très pur dans la barbe fatiguée. Il a les
lèvres pâles, mâchées, la bouche malade. — Avez-vous remar-
qué qu'il a beaucoup de ces demi-sourires souffrants chez les
enfants pauvres et les artistes sincères. Je l'ai vu rire pourtant,
d'un rire de petiot ; ce penseur se plaît à feuilleter des images
anglaises, son front gris de rêveur las, penché entre les têtes
dorées ou bruriettes de ses filles et de son fils sur l'album ouvert.
Non, ce n'est là ni le paysan farouche de Gill, ni le Christ au
Calvaire d'Alfred le Petit. Il a bien pourtant des épaules fermes
de belluaire. Ses yeux changeants ont bien cette mélancolie,
insaisissable comme leurs nuances diverses toutes striées de fils
lumineux à reflets de métal, et qu'on voit rouler dans les pru-
nelles des bêtes douloureuses qu'il aime, lui, comme ses sœurs
heureuses, ou malheureuses, qui sait ! de la privation de ce
tourment k la fois que cette supériorité : la pensée ; mais il n'a
ni le front bas et bossu des Pastouraux, ni la sérénité dévotieuse
des apôtres-prêcheurs, qui devait relever le crâne |du Nazaréen
sous les épines de sa couronne. Son teint môme, teint de
nomade ou de laboureur, s'est affiné, a pris un peu de la fièvre
de sa vie. Ce n'est ni Spartacus, ni Jésus ; c'est un homme vieux
de la vie, un artiste malade de l'art. Il a les mains fines, dont la
sensibilité frissonnante semble exagérée, des mains à toucher
d'aveugle, des doigts à caresser les chats. En lui l'enthousiasme
seul est jeune. Cet homme était un candide. En Grèce, il eût été
rapsode, â moins que, esclave révolté, on l'eût jeté aux lamprois.
Parmi nous, il a souffert, et, encore plus, vu les autres souffrir.
Savant il a souffert pour le savoir ; artiste, il a souffert pour l'art;
homme de plèbe, il a voulu souffrir avec la plèbe saignante et
procréatrice, et donner son coup de pioche d'ouvrier du livre aux
vieilles iniquités sociales, au système ploutocratique du capital,
dont, peut-être, il aurait pu devenir un des consuls.
Oui, c'est là une de ces figures songeuses, au regard mélanco-
lique et profond, que nos neveux aimeront à retrouver dans les
brumes du passé, au dessus de son œuvre, aux fièvres viriles de
laquelle grondera leur sang de jeunes hommes, comme un por-
trait de mort pensif sous le toit de ses fils vivants.
Il y a deux noms dans le passé de Cladel : celui d'un aîné,
Baudelaire, celui d'un compagnon d'adolescence, Gambetta. C'est
à l'école du premier, cet étrange génie qui souffrait plus, peut-
être, à fixer dans ses livres implacables la chanson de ses nerfs,
que de l'exacerbation maladive de ceux-ci mômes, et à qui,
depuis, nombre de parasites de lettres s'attachèrent comme le gui
au chêne, et en vécurent, qu'il a pris cette conscienciosité de la
forme jamais satisfaite, épurant encore son idéal à mesure que
l'œuvre produite s'en rapproche.
Mais, tant était vif et personnel son tempérament artistique, il
a gardé, intégrale, son originalité propre, à côté d après cette
autre si différente de la sienne. Ceiix qui s'étonnèrent de l'intimité
du grand curieux des villes et de leurs vices, et de ce poète au
verbe chaud comme les lourds soleils thermidoriens, et grondant
comme la basse sourde des blés, me semblent avoir mal connu
Cladel. « Un pâtre qui a du coton dans les oreilles », a dit sym-
boliquement Vallès. Peut-êlre: il a toutes les maladies philoso-
phiques de notre civilisation bâtarde. Souvent, je me suis plu à
imaginer un Cladel illettré; et, non, il n'eût pas été un paysan
Ordinaire. D'ailleurs, il s'est battu avec la misère, et a vieilli sous
TEoipire. Même, une obsession nerveuse lui en est restée, une
haine de maniaque pour le joug ancien, qui le poursuit encore.
— Il y eut tant d'alcooliques, de fous et de pendus, dans cette
poignée d'années ouverte et fermée par du sang : Décembre et
Sedan. — Non, Cladel n'est ni un brutal, ni un farouche. Il y a
chez lui tout un côlé de tendresse déliée, qu'on ne veut pas voir ;
tel de ses poèmes embaume comme un bouquet d'églogue. Lisez
son livre d'amour, celui que tout poète a fait de son cœur, au
moins une fois en sa vie : le Bouscassié, Il y a des pages d'une
fraîcheur de ruisseau bleu, de délicates marguerites d'amoureux
séchées entre' chaque feuillet. Ses amants disent : ma rose, ma
fleur; ses vierges répondent : mon roi. Oui, cet homme était un
candide. Mais il a voulu faire l'histoire de son sang : son œuvre
est une œuvre d'atavisme.
« Arrivé du fond du Quercy, ma sauvage province, avec le
« tocsin des marteaux sur l'enclume dans le cerveau, et dans les
K^eux, les éclairs bleus des socs de charrue, enflamboyés par le
a soleil, j'ai voulu peindre les uns, noter les autres, et faire
a ahaner .la foule des hommes de terre et d'usine dont je suis
« issu, dans les bruits de ceux-là et les éclairs de ceux-ci » ; a-t-il
dit dans sa superbe dédicace de N'a-qu! un-œil à la Plèbe; et il
s'est ployé sur les pages blanches.
Je n'ai ni le goût, ni l'envie de faire de la critique littéraire,
cette cuistrerie d'impuissant ! mais je crois que c'est là qu'il faut
chercher la cause du manque de qualités analytiques, que (quel-
ques artistes de bonne foi ont reproché à Cladel. 11 ne fait que de
souvenir. Et, à mon avis, là est aussi sa plus grande force, peut-
être ce qui constitue réellement sa puissante individualité. Ses
joies, ses deuils, sa bonté, mouillent les phrases, sourient entre
deux adverbes. Quatre de ses lignes valent une signature : Le
348
UART MODERNE.
symbolisme aussi, grandit ses héros : Il y a vingt vies et toute
une philosophie dans Ômpdrailles . Faux? Que non! ce fils de
paysan, qui, après avoir dessiné, les yeux brouilles de larmes
filiales, ce rude et sévère Monlauhan-tu-ne-le-sauras-pas, paysan
lui-même, a su faire ricaner sournoisement cet effroyable bon-
homme de la Croix-aùx-bœufs. Mais il les aime, si atroces qu'il
les ait peints dans Par devant Notaire^ si bassement lâches et
cruels que les aient faits vingt siècles de servitude superstitieuse,
ceux de chez lui, de sa province qui fume, chante, verdoie et
fleurit dans ses livres. Son Mi-Diable est un singulier exemple
de ces souvenirs d'adolescent, revus et écrits par l'homme vieilli.
Les caractères sont grossis, outrés même, par le temps de nuit
qui sépare la conception de l'œuvre du travail de forme. Tout
petit, j'ai entendu des guerres atroces, contées ainsi par un vieil-
lard manchot...
A ce désillusionné, il est resté une immense bonté. « Ne vous
« le dissimulez pas mon cher enfant, — me disait-il un jour; —
« l'aurore de la démocratie est le coucher du soleil de l'art;
« mais, le bonheur de tous est là ». Il souriait, cet artiste, qui,
toute la vie a cru en l'art, et a vécu de sa foi. Je l'aime, cet
homme! Oui, une immense bonté : que de fois n'ai-je perçu sa
voix se couvrir, ses yeux se voiler subitement, alors qu'il laissait
crier et couler sa colère de citoyen sur la mémoire de son cama-
rade de collège, mort corrompu ; de celui à qui il avait fait sa
part de tendresse qui, toute, n'a pas été noyée dans le mépris :
Gambetta. El durant la journée de funérailles du Tribun, il resta,
à la fenêtre haute de sa villa de reclus, à Sèvres, seul, taciturne,
le regard mouillé et perdu dans les br.umcs roulant au dessus de
l'amoncellement gris et brouiilardeux de Paris.
Souvent, les soirs de pluie ou de grand froid, cassé au dessus
de son feu de coke, entre son chien aveugle et son chût frileux au
râble pelé par la chaleur du foyer, cendreuil à peine cinquante-
naire, des noms de camarades disparus montent inconsciemment
h ces lèvres : Bataille, Sylvestre, d'autres. Alors, il semble vieilli
encore, tout d'un coup ; il parle la voix changée, les yeux doulou-
reux, affaissé brusquement. Puis, il se lève et se détourne lente-
ment, pour sourire à Julia Mullem et baiser au front ses filles et
ses fils...
Oh ! Maître, savez-vous combien nous sommes, nous, à vous
admirer et à vous chérir !
Jules Bernard.
ynÉATRE DE LA ^ONNAIE
HÉRODIADE
La soirée de jeudi a été une déception pour ceux — et le
^ nombre en est grand — qui mesurent le mérite d'une œuvre à la
réclame qu'on lui fait dans les journaux, dans les salons, dans
les couloirs de théâtre où le sort d'une pièce, triomphe oii chute,
est arrêté d'avance par un groupe affairé et jacassant dont l'opi-
. nion repose sur des motifs assez étrangers à la valeur artistique
de l'ouvrage.
Le tapage assourdissant fait, il y a quatre ans, autour de la
première représentation &Hérodiadey a pu donner le change. Il
s'agissait surtout alors, pour les Parisiens, de faire pièce à la direc-
tion de l'Opéra, qui avait refusé la partition de Massenet, et sans
se douter le moins du monde qu'une petite intrigue de coulisses
était seule en cause, nos crédules concitoyens ont de bonne foi,
sur l'afTirmation de nos voisins, proclamé cjief-d'œuvre une œuvre
estimable, sans doute, mais simplement estimable.
La curiosité des braves gens de province, aiguisée par l'appât
d'une mise en scène de féerie auprès de laquelle pâlissait même
celle du Tow du Mondes fit monter le thermomètre du succès à
des hauteurs vertigineuses. .
Aujourd'hui que le feu d'artifice est éteint, l'œuyre apparaît
toute nue. On en voit les ficelles, les baguettes, le squelette. A
l'éblouissement a succédé une surprise et un regret. On admire
l'habileté de J'arlificier, mais on n'admire guère que cela. 11 y a
eu, jeudi, à la fin des premiers tableaux, des velléités d'enthou-
siasme, en souvenir du prodigieux emballement de jadis. Puis,
une satisfaction modérée. La lassitude est venue ensuite, et fina-
lement les Romains de la salle se sont trouvés tout seuls à
applaudir leurs collègues de la scène.
Cette impression, qui n'est qu'un retour du bon sens bruxellois
h une appréciation équitable, ne nous a point surpris. Nous
avions assisté à l'entraînement irréfléchi du public comme à un
spectacle curieux ; nous avons constaté le phénomène sans
aigreur, et nos comptes-rendus f), les seuls, croyons-nous, qui
mesurèrent Hérodiade à son mérite intrinsèque, reflétèrent cette
façon d'envisager l'événement. A ceux qui s'étonnaient que nous
ne nous laissions pas emporter par le courant nous répon-
dions C*) :
« La masse du public est, cbez nous, timide et hésitante dans
ses appréciations artistiques. Elle s'en rapporte volontiers à ce
que dit la prétendue élite qui s'est érigée en oracle du goût, et
qui, dans le fait, sans y montrer toujours le discernement le plus
pur, a au moins l'excuse de rechercher les satisfactions qu« don-
nent les arts. Mais, peu à peu, l'opinion prendra l'expérience qui
lui permettra de se passer de tout intermédiaire et vous la verrez
alors, comme du temps de Molière, réformer les arrêts du beau
monde, applaudir quelques-uns de ceux que celui-ci aura dédai-
gnés et siffler parfois ses idoles. »
Ne sachant à quoi attribuer la médiocre impression ressentie à
la reprise d'un opéra dont la première audition avait laissé un
lumineux sillage dans les souvenirs, on s'en est pris à l'inter-
prétatton. « C'était bien meilleur, il y a quatre ans ! » disait-on
à la sortie.
C'est une erreur. Si l'on excepte le rôle de Salomé, qui avait
rencontré en 1881 une véritable artiste dans la personne de
M"« Duvivier, l'interprétation élaiiirès faible. M. Vergnet, chargé
du fauve et famélique personnage de Jean, était un chanteur tout
au plus passable et un médiocre acteur. La voix chevrotante,
indécise, de M. Manoury, ne mettait guère en valeur le rôle
d'Hérode. M"« Deschamps, qui, plus tard, dans Obéron^ s'éleva
très haut, ne fut que modérément appréciée lorsqu'elle apparut,
à grands tours de bras, sous les traits de Madame Hérode.
Celte fois, si les rôles féminins sont insuffisants, les emplois
masculins sont très brillamment tenus. Mettons en première ligne
M. Seguin, qui a composé un Hérode superbe. Sa voix, cetle
belle voix chaude et vibraute, qui classa définitivement l'artiste
la première fois qu'elle eut à se déployer dans un rôle digne de
lui, — celte admirable figure de Hans Sachs dont le souvenir ne
s'éteint pas, — a donné au roi de Judée un relief inattendu, et le
caractère indécis, à la fois voluptueux et cruel, qu'il a imprimé
0) V. l'Art moderne, 1881, p. 337 ; 1882, pp. 1 et 9.
(**) V. l'Art moderne, 1881, p. 330.
L'ART MODERNE
349
au personnage, l'a fait autant apprécier comme acteur qu'estimer
comme chanteur.
M. Cossira est le ténor favori du public, et le timbre charmant
de sa voix justifie cette préférence. Il chante avec 'art et avec
goût le rôle du Précurseur, — ce prophète de salon que nous
présente Massenet, nourri, non de sauterelles, mais de colombes,
drapé dans un tapis à rayures avec l'élégaince d'un cabaliero flâ-
nant aux environs de la Piierta del Sol.
Il est dans la destinée du rôle de Salomé, paraît-il, d'être con-
fié à une artiste d'une rare opulence de corsage. M"^ Duvivier,
qui n'a, on se le rappelle, aucune ressemblance physique avec
Sarah Bernhardt, est fortement dépassée sous ce rapport par la
nouvelle interprète, M"« Litvinne. Que diraient les critiques fran-
çais, qui raillèrent si plaisamment les avantages plantureux delà
créatrice, s'il leur prenait fantaisie de venir revoir la pièce? Si
la progression doit continuer, attendons avec curiosité la pro-
chaine reprise.
Avec curiosité seulement, car le talent baisse en raison directe
de l'augmentation du volume. La jeune mais peu svelte artiste met
énormément de bonne volonté à représenter une Salomé à
la fois passionnée et mystique, ainsi que le veut la légende.
En dépit de ses efforts, en dépit d'elle-même, il est impossible
de se figurer sous ses traits joufflus et souriants la courtisane
amoureuse. Ses bras de neige ont beau battre l'air, faire des
moulinets, se figer en des gestes traditionnellement étudiés : ils
n'ont rien de tragique. Quant à la voix de M"« Litvinne, on la
connaît : elle n'est pas désagréable à entendre, mais elle manque
de timbre et surtout de puissance. Dans les ensembles bruyants
que Massenet n'a pas craint de multiplier, elle se perd dans un
sourire.
M"« Balensi, une fort belle personne, au profil sémite, mime
avec quelque talent le personnage d'Hérodiade. Elle rappelle par
instants M"*^ Deschamps, avec qui elle a certains traits de res-
semblance communs. Mais la voix est insuffisante. Elle est
« blanche » comme on dit dans l'argot des professeurs de chant
et ne « porte » pas.
Enfin, MM. ïlenaud et Bourgeois ont repris la succession de
MM. Fontaine et Gresse, et tous deux chantent convenablement
leur partie. M. Bourgeois a même eu les honneurs d'une création,
le compositeur ayant jugé à propos, pour la clarté du récit, d'ajou-
ter à sa partition un tableau dans lequel Phanuel révèle à Héro-
diade le secret de la naissance de Salomé.
Il y a une autre « rallonge », une scène qui se passe dans le
palais d'Hérode, où l'on voit le monarque chercher avec insis-
tance, parmi ses femmes, les traits adorés de Salomé, et congé-
dier brusquement son harem pour presser amoureusement
sur son cœur l'ombre de celle qu'il aime.
On comptait beaucoup sur l'effet de ces deux tableaux, figurés
sur les affiches et annoncés avec quelque bruit par des reporters-
inlerviewers. Ils ne constituent, somme toute, qu'une dilution
nouvelle de la partition et ne changent pas grand chose à
l'ensemble, si ce n'est qu'ils font durer un peu plus longtemps le
plaisir d'entendre la musique aimable et gracieuse de M. Mas-
senet. .
^
RCHITECTURE
Architecture grecque et romaine, par J. Devvtaele, profes-
seur à rAcadémie de Gand. — Gand, J. Vuylsteke, 1886.
Il y a quelques mois déjà que M. Dewaele fit paraître son très
intéressant traité d'architecture. Qu'il nous excuse de ne pas
l'avoir analysé plus tôt et veuille bien attribuer uniquement ce
retard aux vacances, ces grandes coupables, insidieuses inspira-
trices des voyages lointains et de longs séjours dans l'oisiveté des
champs.
Le livre eût mérité d'être signalé, dès son apparition, et d'une
façon particulière, à l'attention des artistes. L'auteur expose en
trente-cinq petits" chapitres les principes fondamentaux, le
« mécanisme », pourrait-on dire, de l'architecture grecque, et
complète sa démonstration par un nombre égal de planches con-
tenant des croquis expressifs, n'ayant rien de h pédanterie des
épures, et reproduisant, comme exemples à l'appui du texte, des
fragments de chefs-d'œuvre antiques.
Ce qui constitue l'originalité de l'enseignement de M. Dewaele,
c'est qu'au lieu de prendre pour point de déj)art l'architecture
gréco-romaine des i^"", ii« et iii^ siècles de notre ère, qui n'est
qu'une altération de la pure architecture grecque dont l'Egypte
et l'Assyrie fournit aux Hellènes, dès le vu* siècle avant
Jésus-Christ, les éléments, le professeur remonte k la plus belle
époque de l'art, c'est-à-dire au iv^ siècle avant l'ère chrétienne.
Il signale les principaux éléments de construction en usage à
cette époque et indique les variantes par lesquelles les Romains
. dénaturèreiTt peu à peu le type primitif.
« Aux xv^ et xvi** siècles, dit-il, on étudia avec passion les
monuments anciens et une Renaissance de l'art antique s'en
suivit. Malheureusement la Grèce, était alors fermée aux explora-
teurs et ce furent les seuls édifices romains, produits dé la déca-
dence do l'art grec, qui devinrent l'objet de ces investigations
ardentes.
Dans l'enthousiasme produit par ces premières révélations de
toute une époque perdue, on dédaigna les arts du moyen-âge et
on crut codifier à tout jamais ce qui parut pour le moment être
l'expression la plus élevée du Beau. »
C'est contre cette codification, qu'il juge irrationnelle, et à
juste titre semble-t-il, que proteste M. De Waele, et son traité a
précisément pour objet d'asseoir l'enseignement de l'architecture
sur des bases nouvelles. Dans ce but, après avoir décrit l'origine
des formes architecturales, il passe en revue toutes les parties de
la construction dans leurs éléments essentiels et leurs motifs
-décoratifs, les murs, les colonnes (bases, fûts, chapiteaux), les
entablements, les antes, les caryatides, les portes, les fenêtres,
les plafonds, les toits, les frontons, les voûtes, etc., et termine
par un exposé des proportions relevées dans les monuments des
rirois ordres classiques.
Son livre est instructif, attachant, et résume, dans une forme
concise, tous les principes d'architecture qu'il importe de con-
i\aître.
Dans des études qui paraîtront ultérieurement, l'auteur se pro-
pose d'examiner l'architecture du moyen-âge et celle de la
Renaissance. Il sera piquant de connaître son opinion sur les
appréciations des architectes de celle époque qui, jusqu'à ce
jour, ont fait foi dans nos écoles.
j^OTE^ BIBLIOQRAPHIQUE?
La maison Qiianlin qui, jusqu'aujourd'hui, s'élait presqu'cxclu-
sivcment occupée de rééditions de luxe et avait réussi à imposer
atout colleclionneur de goût ses éditions illustrées des classiques,
offre au public, sans changer en rien ses anciennes tendances
typographiques, toute une collection de romans modernes dont
les trois premiers : les Contes, de Borgerét, Chimère, de Mouton,
et Céleste Prudhonmatyde Gustave Guiches, viennent de paraître.
La dernière de ces œuvres est remarquable. C'est le début d'un
écrivain.
La province y est traduite dans ses conventions les plus sacrô-
sainies, ses usages les plus formels, ses étroilesses les plus serrées.
Céleste Prudhonmat est l'histoire d'une institutrice séduite. C'est
un drame arraché de la réalité la plus journalière et jeté dans le
livre, vivant el cruel. Ce qui donne créance à celle élude? La sin-
cérité de l'observation sans parti pris, sans note forcée, sans
grandissement pour l'cifet à produire, sans timidité pour la vérité
à montrer. Rien d'épique, mais de la netteté, de la bonne foi, de
la juste mesure.
Une scène de théâtre nous a surtout arrêté. C'est la querelle
de l'institutrice et de son amant en pleine salle, pendant une
représentation du Bossu. La colère de la femme, ses violences,
sa rage à compromeiire son amant et tout cela dans le milieu
provincial, cancanier, terrible, éclaient progressivement et ses
phrases sont des soufflets et ses récriminations des coups de cra-
vache. Ce chapitre est très enlevé.
Le style de Céleste Prudhonmat [nous plaît moins. Il n'a pas
grande couleur et le dessin des phrases est quelquefois lâché.
'. Axel, de Villiers de l'Isle-Adam, est annoncé au dos de Céleste
Prudhonmat. '■■:>, '■•■•-.,-/' ;.:-: v^\..-' ■"./' v^-'- ■ --^ "■■:'"'•■
Chez Ollendorff ont paru Contre le flot, de Claveau, un livre de
critique de bon sens et les Figures -parisiennes , qui sont autre
chose et plus qu'une collection d'anecdotes sur des auteurs àla
mode et sacrés Parisiens par les lundisles des journaux. Arsène
Houssaye a préfacé le volume en galant homme et de goût. Les
portraits? Madame Adam, Dumas, Vacquerie, Sarcey, Zola.
Celui de Dumas est le plus vivement fouillé el écrit. Toutes les
théories de l'auteur de V Homme-Femme y sont exposées, mises
en relief, unifiées, clarifiées même et assimilables à tous ceux qui
pensent comme cet écrivain spirituel comme un Français et logi-
cien comme un Yankee.
Pierre Ahs et Sophie- Adélaïde apparaissent deux autobiogra-
phies.
***
Chez Brunhoff, divers recueils de contes, Lesbia, de Mendès, et
V Amour suprême, de Villiers de l'Isle-Adam. Nous examinerons
avec le soin qu'elle réclame, l'œuvre récente de ce dernier, pro-
chainement.
CHRONIQUE JUDICIAIRE DBS ARTS
Voici une décision du Tribunal de la Seine, qui consacre en
matière artistique un principe d'une grande importance et qui
montre combien les idées de protection du droit de l'artiste, et
l'on pourrait dire du droit de l'oeuvre artistique, font de pro-
grès. Tout jurisconsulte ëûï trouvé, jusqu'ici, très hardi d'inten-
ter contre l'auteur d'un faux tableau ou contre le marclia«d tiul
l'expose, un procès au nom d'un simple anaaicnr, possesseur
d'œuvres du maître véritable, en se fondant sur ce que cet ama-
teur a intérêt t empêcher la circulation d'œuvres contrefaites
-parce qu'elles déprécient les originales. Désormais celle hardiesse
apparaîtra comme l'exercice d'un droit légitime.
Le possesseur d'un certain nombre d'études d'un artiste a intérêt â
faire rétablir la véritable origine d'une œuvre de celui-ci, faus-
sement qualifiée, exposée dans la vitrine d'un marchand.
Chacun a un intérêt moral d'un ordre supérieur à défendre de
toute atteinte et de toute usurpation la m,émoire et la réputation
artistique de son père. ^^
Attendu que dans le courant de janvier 1884, Garniér, marchand
de tableaux, a exposé dans sa vitrine une étude signée des initiales :
Th. R., et accompagnée d'une étiquette portant le nom de Th. Rous-
seau.
Que René-Paul Huet, prétendant que cette étude était l'œuvre de
son père, a obtenu par ordonnance de référé du 29 janvier 1884
qu'elle serait placée sous séquestre et a demandé qu'il fût fait défense
à Garnier de l'exposer et de la mettre en vente sous un autre nom ;
Attendu que sur sa demande, un jugement en date du 20 janvier
1885 a ordonné avant faire droit que le tableau serait examiné par
trois experts à l'effet de dire si la signature : Th. R... a été rapportée
et substituée à celle de Panl Huet et si le tableau est réellement
l'œuvre de Paul Huet intitulée : Près Meaux en Brie, et catalogué
sous le no 83, lors de la vente des tableaux de ce maître faite en 1878 ;
Attendu qu'il résulte de l'examen auquel il a été procédé par les
experts que la signature en rouge Th. R. a été rapportée postérieu-
rement à l'exécution du tableau, mais non substituée, à celle de Paul
Huet, qui n'y a jamais figuré;
Que les experts ont déclaré en outre que le tableau est bien réelle-
ment l'œuvre de Paul Huet et semble être l'étude cataloguée sous le
no 83 de la vente de 1878 :
Attendu que les experts ont constaté que la fausse signature
Th. R. était accompagnée du mot d'«pré», placé plus bas, en plus
petits caractères et caché dans la feuillure du cadre;
Que c'est donc à tort et frauduleusement que le tableau a été mis
en vente sous le nom de Th. Rousseau, auquel il était attribué faus-
sement ;
Attendu que, pour faire échec à la demande, Garnier soutient que
René-Paul Huet ne justifie d'aucun intérêt, et qu'au surplus l'étude
dont il s'agit n'est nullement l'œuvre de son père ;
Attendu que le demandeur a un intérêt moral d'un ordre supérieur
â défendre de toute atteinte et de toute usurpation la mémoire et la
réputation artistique de son père ;
Qu'en outre, en qualité de possesseur d'un certain nombre d'études,
il a intérêt à faire rétablir la véritable origine de l'œuvre ;
Attendu qu'en présence des constatations des experts et des faits
réconnus de la cause, on ne saurait contester que l'étude dont il
s'agit était l'œuvre de Paul Huet ;
Qu'il est sans intérêt de rechercher si cette étude est bien l'œuvre
originale comprise sous le n» 83, lors de la vente en 1878 ou si elle
en est seulement une copie : -
Que les règles qui protègent la propriété artistique contre toute
usurpation semblable à celle dont se plaint le demandeur, doivent
s'appliquer également dans les deux cas ;
Attendu dès lors que c'est à bon droit que René-Paul Huet réclame
la réparation du préjudice qui est résulté pour lui de cette fausse
attribution, sans que Garnier puisse invoquer sa bonne foi;
Qu'en effet, après avoir déclaré tout d'abord qu'il était certain de
l'authenticité de la provenance du tableau et qpi'il la tenait des
lumières d'un critique d'art aujourd'hui à l'étranger, il a prétendu
en dernier lieu que c'était une copie par lui achetée à vil prix ;
Par ces motifs^ sans s'arrêter ni avoir égard aux conclusions
subsidiaires de Garnier afin de supplément d'expertise, lesquelles
sont sans intérêt ;
Dit que le tableau litigieux n'est pas de Théodore Rousseau, mais
qu'il est, soit en original, soit en copie, l'œuvre de Paul Huet;
Fait défense à Garnier de l'exposer et de le mettre en vente sous
d'autre nom que celui de Paul Huet ;
Et, pour le préjudice causé, condamne. Garnier à payer au deman-
deur la somme de 1. franc, qu'il réclame à titre de dommages-inté-
rêts;
Ordonne, à titre de supplément de dommages-intérêts, l'insertion
du présent jugement dans cinq journaux au choix du demandeur et
aux frais de Garnier, sans toutefois que le coût de chaque insertion
puisse dépasser 200 francs ;
Condamne Garnier en tous les dépens, qui comprendront les frais
de référé, de séquestre et d'expertise.
pETITE CHROJ^IQUE
Aujourd'hui dimanche, à 2 heures de relevée, première matinée
de musique de chambre, pour instruments à vent et piano, au
Conservatoire. MM. Dumôn, Guidé, Poncelel, Merck et Neumans
exécuteront un quintette d'Onslo\v,une suite pour flûte et clavecin
de J.-S. Bach, une romance pour cor de Van Cromphout et
l'ottetlo de Gouvy, avec le concours de MM. Heirweigh, Bayard
et Peeters.
La clôture de l'Exposition des tableaux anciens, actuellement
ouverte au Palais des Beaux-Arts, aura lieu lundi 1^»' novembre,
à 5 heures.
M. Edouard Grégoir, connu par ses publications sur la musique
et les musiciens, prépare un nouvel Ouvrage relatif aux compo-
siteurs, aux instrumentistes, aux cantatrices, aux chanteurs, etc.,
intitulé Souvenirs artistiques. Il fait appel aux personnes qui
posséderaient des renseignements sur des musiciens restés
inconnus ou qui auraient des lettres rares à lui communiquer
pour compléter son étude. Celle-ci sera publiée en plusieurs
volumes mis à la portée de toutes les bourses. S'adresser pour
toute demande et envois à M. Joseph Dirix, rue du Margrave, 9,
à Anvers. • -
M""® Edward Speyer, née Antonia KufFerath, qui depuis son
mariage ne s'est plus fait entendre en public, chantera à Crefeld
le Requiem de Brahms.
L'imprésario Maurice Strakosh écrit au Musical Standard
qu'il a découvert, en Suède, un rossignol, dont le plumage
répond au ramage : une beauté, et le plus remarquable soprano
qu'il ait rencontré depuis le jour où — il y a trente ans — il
découvrit Adelina Palti. Le nom : M"« Sigrid Arnoldsen.
jouer un personnage qui ne sera peut-être pas la moins divertis-
sante de ses créations.
»
Les Débats ont donné à Coquelin ce coup violent de patte :
« Puisque nous sommes condamnés à perdre M. Coquelin, il
faut en prendre notre parti. Nous regretterons l'éloignemenl d'un
acteur auquel nous devoAs quelques agréables distractions. Nous
nous en consolerons par la pensée qu'il reparaîtra sans doute un
jour sur une autre scène, la seule qui ne lui soit pas interdite en
France par l'arrêté de M. le ministre des beaux-arts, — nous
voulons parler de la scène politique, — et que nous l'y verrons
Jeanne Granier, la divetle, a disputé en justice avec sa blan-
chisseuse. Les débats ont été fort curieux. La nole.de 2,044 frs.
n'a pas été réduite d'un centime. La demanderesse, comme on dit
au Palais, a d'ailleurs pris soin d'expliquer ce qui pouvait paraître
exagéré dans sa facture. Léon Millot l'explique spirituellement
dans la Justice : « Ce ne sont pas seulement les délicates gui-
pures et les transparents bas de soie qui exigent des soins parti-
culiers et d'excessives précautions. Il paraît que la diva, dans le
feu de la scène évidemment, a déchiré ses dentelles intimes et
fait des accrocs à ses dessous. Il fallait réparer ce désordre, effet
de l'art, et la repasseuse a dû s'élever aux hauteurs de la lingère.
Il est certain qu'après les démêlés homériques de Sarah Bern-
hardl et la question d'état Coquelin, le procès de Jeanne Granier
ne peut manquer de passionner les foules. Cette dernière étape
de la curiosité publique n'aura pas un moindre retentissement,
et si la presse publiait le nom de M""® L..., l'adversaire de la
chanteuse, il n'est pas douteux que le lendemain tout le fau-
bourg Saint-Germain, avide de détails sur la garde-robe intime de
la diva, ferait queue chez la repasseuse. H se tpouve sans doute
d'ailleurs des reporters qui vont interviewer l'artiste, afin de pou-
voir nous renseigner d'une façon authentique sur son linge de
jour et de nuit. Ils diront le chiffre exact des pantalons, la nuance
des bas, le prix des chemises, et la place précise des bouffants.
Ceux qui pourront savoir où se trouvaient les déchirures feront
mourir leurs rivaux de désespoir. Puisque ces potins renouvelés
de M'"^ Gibou, ont le don d'émouvoir M. Prud'homme et de
mettre en joîe le décadent public parisien, la presse boulevar-
dière aurait bien tort de se gêner, et il ne faut pas désespérer
qu'elle lui fourre un jour le nez dans les rinçures des lavabos
célèbres ».
Un journal italien reproduit les extraits qui suivent de l'album
de M"® Adelina Patti :
a Ma bonne Adeline, .
c< Rien ne m'est plus facile que de jeter une pensée sur votre
album. Pensée qui me trotte par la tête : vous chérir comme une
adorable créature, admirer votre ravissant talent, être à jamais
votre ami.
« Paris, le 16 février 1864. « G. Rossini. »
« A sa ravissante Dinorah, l'auteur reconnaissant présente ses
hommages et l'expression de son admiration.
^« Paris, 3 avril 1864. « Meyerbeer. »
(( Oportet pati.
« Les latinistes traduisent cet adage par : Il faut souffrir.
« Les moines par : Apportez le pâté.
« Les amis de la musique : Il nous faut la Patti.
« H. Berlioz. »
! V
Directeur : E -Or. Raymond.
Secrétaire de la rédaction : Edm. Pagelle.
Paraît le l^r et le 16 de chaque mois.
Abonnement : Union postale, 5 francs.
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Op. 46. Rêverie, pour violon avec accompagnement de piano, fr. 1-75.
HERRMANN, Th. Op. 28. Marion-Gavottey ^out y\o\on avec
accompagnement de piano, fr. 1-35.
BREITKOPF & HARTEL
ÉDITEURS DE MUSIQUE
BRUXELLES, 41, MONTAGNE DE LA COUR
EXTRAIT DES NOUVEAUTÉS
Octobre 1886.
Bach, J. S., Concerto pour 2 pianos. Piano I et II, àfr. 9-50.
DupoNT, AuG. et Sandre, Gust. Ecole de piano du Conservatoire
royal de Bruxelles. Livr. XXX. Cah. I. Huramel, F. N. Sonate en
mi. b. majeur, 5 fr. — Cah. II. Sonate en ré maj., 5fr.
Ramann, L., Méthode élémentaire de piano, pour les enfants de
7 à 10 ans. Nouv. édition, cah. I et ÏI, à fr. 2-50.
Recueil classique de morceaux de chant Cah. I. 2 solis et 3 duos
deMendeUsohn, fr. 1-50.
Bruxelles.^— Imp. Félix Callewaert père. — V* Monnom successeur, rue de l'Industrie, 26.
MiÀ^
* Sixième année. — N° 45.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 7 Novembre 1886.
L'ART
MODERNE
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.00; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
Adresser les demandes d'abonnement et toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
?
O'MMAIRE
ViLLIERS DE l'IsLE-AdAM. La SERVANTE. ThÉATRE DE LA
Monnaie. Reprise des Dragons de Villars. — Paysage Sylves-
tre.— Notes de musique. Concert des Artistes tnusiciens; Con-
cert de musique de chambre au Conservatoire. — Notes biblio-
graphiques. — Bibliographie musicale. — Correspondance. — ,
Petite chronique.
VILLIERS DE L'ISLE-ADAM 0
Catulle Mendès étiquette Villiers de l'Isle-Adam :
demi-génie. Après XEve future et même avant, il
était, nous semble-t-il, juste et opportun d'eflacer cette
fraction à double entente.
h' Eve future est, certes, le livre le plus beau qui
ait paru cette année. Dans l'œuvre de Fauteur, il se
marque le plus complet et le plus mûri ; il est d'une
unité forte et d'une architecture d'ensemble large. Dans
le mouvement littéraire général, c'est lui qui apporte
la plus remarquable originalité, qui est le moins livre
d'hier et le plus livre de demain. Seulement, il s'est fait
que peu de gens s'en sont douté, et, soit jalousie, soit
myopie intellectuelle, la phalange, à plume grinçante,
des critiques, n'a craché que des fleurs noires sur les
trois cent cinquante-cinq pages de rin-12. Ce qu'il
mérite c'est l'accueil triomphant. Il est l'expression à
la fois nette et mystérieuse de l'ironie la plus moderne.
Villiers de l'Isle-Adam est un rêveur doublé ou
plutôt agrandi d'un penseur, il est d'une dualité poé-
{*) L'Eve Future, Paris, Brunhoff.
tique et philosophique fondue en un artiste. Sa parole
doit être écoutée cçmme dominatrice. Il dit quelque
part dsLiis ,Caêilina de V Amour suprême : « Ma déli-
cieuse et solitaire villa, sise au bord de la Marne,
avec son enclos et son frais jardin, si ombreuse l'été
et si chaude l'hiver, mes livres de métaphysique
allemande, mon piano d'ébène aux sons purs, ma robe
de chambre à fleurs éteintes, ma paisible lampe d étude,
et toute cette existence de profondes songeries si chère
à mes goûts de recueillement, je résolus d'en secouer les
charmes durant quelques semaines d'exil. « C'est une
première fenêtre ouverte, que cette phrase, sur la vie de
l'auteur. Et plus loin cet autre paragraphe : *. Pour me
détendre l'esprit de ses abstraites méditations aux-
quelles j'avais trop longtemps consacré toute ma juvé-
nile ardeur, je venais de concevoir le projet d'accomplir
quelque gai voyage où les seules contingences du monde
phénoménal distrairaient par leur frivolité même,
l'anxieux état de mon entendement quant aux questions
qui l'avaient jusque-là préoccupé ", une seconde, sur sa
qualité et sa nature d'esprit.
Villiers de l'Isle-Adam se présente donc comme un
métaphysicien et comme un métaphysicien ironique. Il
n'est pas simplement, on l'a soutenu, un pince sans
rire et un humoriste. Il a toute autre envergure. Son
ironie est tragique avant tout et sinistre et grandiose.
Oui, même dans ses contes qui semblent lui n'être que
des jouets à satisfaire la fièvre de ses doigts de grand
écrivain et de superbe metteur en scène. Nul mieux que
lui ne communique le frisson, l'inquiétude. Il a le pou-
voir d'illusionner autant que les plus célèbres. Son
utopie devient palpable, vivante, réelle. La science de
demain, il la presse, il la devine, il l'indique. L'impos-
sible, l'absurde, n'existent pas. Voyez — avec un calme
étonnant de démonstration nette il détaille la bizar-
rerie, avec une conviction d'inventeur il additionne
l'étrange, il multiplie l'invraisemblable, il divise l'extra-
ordinaire. Total ? Du vrai poétique.
Et tous ces dons de persuasion servent sa faculté
maîtresse : le sarcasme. Enfoncé dans les spéculations
altières, il a la haine du contingent et de l'accident. A
celui qui toise la cause et l'idée, qu'importe le fait.
Aussi s'encolère-t-il contre l'homme, contre la vie
quelconque et le train-train tel quel. Sa hautaine pensée
se venge dans ses livres. Elle tyrannise le lecteur, elle
le ploie à son idéal, elle l'hypnotise en quelque sorte,
le maintenant dans cet état d'infériorité où il accepte
comme réel tout ce que l'écrivain lui montre, et comme
vérité tout ce qu'il présente. Et l'humanité est moquée,
conspuée, ridiculisée et ce qu'elle a produit de plus
beau, la femme ! — lisez l'^i?^ Future ^ et voyez en quel
parallèle Miss Alicia Clary s'évanouit et disparaît,
tandis que cette Andréide merveilleuse, de quelle gran-
deur blasphématoire il la dresse, lui, l'artiste vision-
naire! Et, comme elle existe grandiose ment de sa vie
artificielle et comme elle est conçue de lumière et de
splendeur rêvéesl :
On connaît le livre :
■ Un lord de race ancienne est épris d'une actrice
admirable de chair, mais dont l'infériorité morale nie
la suprématie : matériel déséquilibre entre le corps et
l'âme; contradiction entre l'expression et l'incitation
donc.
Lord Ewald en même temps rivé à cet amour et
tortionné par lui, se décide à en finir avec la vie. Son mal-
heur est tout intellectuel ; il veut mourir, parce que sa
raison ne peut excuser ni admettre Alicia. Il se ren-
contre avec Edison, quelques heures avant son suicide.
Le savant, qu'il a sauvé jadis de la mort, le confesse et
lui impose l'expérience : lui, Edison, créera pour lord
Ewald une amante, toute semblable par le corps à
Miss Alicia et d'une âme concordante ou plutôt har-
monieuse. La chose réussit à tel point, que lord Ewald
en présence de l'Andréide croit se trouver auprès de
l'actrice et qu'il les confond. C'est alors, que la femme
mécanique s'élève à la plus haute confession d'idéal que
puisse rêver l'être humain et c'est alors que la magni-
fique invocation de la nuit éclate comme une incanta-
tion merveilleuse :
« Nuit, c'est moi la fille auguste des vivants, la fleur
de science et de génie résultée d'une souffrance de six
mille années. : ~ . ; ;. .
" Reconnaissez dans mes yeux voilés votre insensible
lumière, étoiles qui périrez demain ; — et vous, âmes
des vierges mortes avant le baiser nuptial, vous qui
flottez, interdites, autour de ma présence, rassurez-
vous ! Je suis l'être obscur dont la disparition ne vaut
pas un souvenir de deuil. Mon sein infortuné n'est
même pas digne d'être appelé stérile! Au Néant sera
laissé le charme de mes baisers solitaires ; au vent, mes
paroles idéales; mes amères caresses, l'ombre et la
foudre les recevront, et l'éclair seul osera cueillir la
fausse fleur de ma vaine virginité. Chassée, je m'en irai
dans le désert sans Ismaël; et je serai pareille à ces
oiselles tristes, captivées par des enfants, et qui épuisent
leur mélancolique maternité à couver la terre. 0 parc
enchanté ! grands arbres qui sacrez mon humble front
des reflets de vos ombrages! Herbes charmantes où des
étincelles de rosée s'allument et qui êtes plus que moi!
Eaux vives, dont les pleurs ruissellent sur cette écume
de neige, en clartés plus pures que les lueurs de mes
larmes sur mon visage! Et vous, cieux d'Espérance, —
hélas! si je pouvais vivre! Si je possédais la vie ! Oh!
que c'est beau de vivre! Heureux ceux qui palpitent!
0 Lumière, te voir ! Murmures d'extase, vous entendre !
Amour, s'abîmer en tes joies! Oh! respirer, seulement
une fois, pendant leur sommeil, ces jeunes roses si
belles ! Sentir seulement passer ce vent de la nuit dans
mes cheveux!... Pouvoir, seulement, mourir! »
• Nous aimons a citer cet extrait, parce qu'il précise
le style de Villiers de l'Isle-Adam. C'est un style d'in-
strumentation large et calme avec des notes graves et
solennelles données par des mots pleins et obsédants
comme des sons de tympanon et de basse. Parfois
éclatent d,es vocables de (fête, et ce sont les cors et les
trompettes qui dominent alors — à preuve, Akedysseril.
Daçs les tons doux et voilés, la phrase est moins adé-
quate à la pensée musicale, elle n'a pas le vol frôlant, la
caresse du rythme, l'enveloppement souple et sinueux;
quelques substantifs trop carrés la rudoient.
Remarquons aussi le sortilège et la magie qui
«^ enjouvencent »» certaines locutions. Telles, usées, se
redressent, neuves et jeunes, mises en fraîcheur par
leur fusion savante dans l'or ambiant. Toutes d'ailleurs
baignent dans cet or, comme dans une atmosphère de
gloire.
La phrase de Villiers tient à la fois, pour l'oreille, de
la symphonie et, pour l'œil, de la couleur des fresques
triomphales, sur fond de soleil. -
A peine VEve Future avait-elle paru, que l'éditeur
Brunhoff lançait VAmou7^ Suprême, recueil dt3 Nou-
velles. Comme nouvelles est unmot bête pour désigner
ces travaux d'art suprêmes! Parmi elles, quoique la
dernière, mais les dominant toutes d'une majesté de
marbre monumental, s'érige Akedysseril : tirage spé-
cial, sur Japon '— et illustré par Rops.
Akedysseril dévoile par son étonnante vie légendaire
quel ressusciteur d'ombres demeure Villiers de l'Isle-
UART MODERNE
355
^
Adam. Avec Flaubert et Leconte de Lisle c'est le plus
grand, certes. Les Parnassiens — et Villiers de l'Isle
Adam a fait partie du groupe — étaient avant tout des
tailleurs d'épopées, et leur langue de métal, de pierre
et de rouvre, s'adaptait aux grandioses bas-reliefs de
héros et de dieux marchant dans le spalais de l'histoire.
Akedysseril est un sujet parnassien, mais tandis que
les plus célèbres de ses émulés s'attachaient à réaliser
les gestes, la physionomie, les milieux fabuleux seule-
ment, Villiers de TIsle-Adam pénètre jusqu'à l'âme des
pays et des peuples séculaires. Dans Akedysseril c'est
la pensée de l'Inde qu'il nous dévoile, c'est la psycho-
logie amoureuse qu'il note et décompose. Et le philo-
sophe que nous avons signalé en lui, réapparaît.
Restent le secret de VEchafaud, Catilina, V Instant
de Dieu, et, plus loin, V Eléphant hlanc, contes de
superbe littérature, mais de moins de pénétration.
En résumé, le talent complexe de Villiers de l'Isle-
Adam se résume : c'est le chef des prosateurs de
demain : les rêveurs — les railleurs, auxquels il a
dédié son livre.
LA SERVANTE
En offrant sa picce ati théâtre Molière, redan des Iraditions
bourgeoises et des formules scéniques consacrées par les âges,
M. Lafonlaine a eu une inspiration heureuse. Ailleurs on se fût
peut-être contenté de saluer poliment, comme des connaissances
qu'on revoit avec plaisir après une absence, les divers épisodes
par lesquels la pièce marche vers son inéluctable dénouement :
le triomphe de la vertu. Ici, ils ont presque passé pour tles coups
de génie. On les a accueillis par des bordées d'applaudissements,
et les rappels, les fleurs, le papier doré des couronnes, l'univer-
selle approbation d'un public bon enfant, tout joyeux qu'on l'ail
fait pleurer au trémolo des violons, a uni la victoire du drama-
turge au triomphe de l'acteur. L'enthousiasme est monté jusqu'aux
frises quand jM. Paul Alhaiza s'est avancé vers la rampe pour
annoncer: « Mesdames, Messieurs, la pièce que nous venons
d'avoir l'honneur de représenter devant vous est de notre cher
camarade Lafonlaine ».
Le Maître de forges lui-même, les Deux Orphelines, les plus
gros succès qui aient, en ces dernières années, réjoui les direc-
tions théâtrales, nom pas provoqué plus d'acclamations.
Ce qui démontre qu'on a beau se torturer le cerveau pour faire
de l'art neuf, créer des situations logiques, creuser des caractères,
affiner la langue, chercher à opérer l'épineux mariage du théâtre
et de la vraisemblance, rien ne sert de cet ingrat labeur qu'à
réjouir quelques esprits délicats. La foule reste insensible au
charme de la vérité, et si on tient à lui plaire, il convient de ne
pas déranger ses habitudes.
En homme habile, que l'expérience des planches, une longue
suite de succès rendaient tout particulièrement attentif aux effets
scéniques qui portent sur l'auditoire, M. Lafonlaine a fait entrer
dans le cadre de ses cinq actes une série d'incidents assez roma-
nesques pour intéresser, assez touchants pour émouvoir, assez
variés pour ne pas lasser rattenlion, et, avouons-le, assez invrai-
semblables pour apparaître au public comme le comble de l'art
dramatique. .
Diane Scîulos est une Mignon nouveau si vie. Adoptée par le
Révérend Thomas Dixonn, elle entre chez lui, comme servante à
una époque où le brave homme, devenu aveugle, est nécessaire-
ment dans l'impossibilité de la reconnaître. Chassée de la maison
par Miss Arabelle Grypfeld, une camarade de pension qui la
poursuit de sa haine, elle se venge en sauvant la vie de son
ennemie. Sa conduite héroïque désarme celle-ci et' enflamme
violemment le fils du Révérend, Georges Dixonn, jeune médecin
dont l'art vFent à point pour sauver à son tour l'intéressante
victime.
Ceci contrarie à l'excès Mislres Dixonn mère, rigide puritaine,
qui s'est efforcée, durant qualre actes, de placer dans la main de
son fils la main et les millions de Miss Arabelle, et qui voit, au
cinquième, les yeux de braise de la Bohémienne l'emporter sur
la richesse de la belle Antjlaise.
Son dépit va se traduire par un veto énergique opposé au
mariage de Georges, lorsque de nouveaux millions entrent ea
scène : ceux du commandant Rutlwenn, son frère, qui déclare
nettement qu'il n'aura point d'autre héritier que Diane.
Cet argument décisif emporte le consentement de la scrupu-
leuse malrone, sans justifier, il est vrai, le mot de la fin : «Cette
petite a vraiment du sang de dompteur dans les veines », car il
serait plus exact de dire : « Du sang de millionnaire ».
El Lafonlaine, dans tout ceci, que fait-il? Quand le voil-on?
Reste-l-il à la cantonnade? Il ne paraît pas qu'il y ait place pour
lui dans cette intrifljue.
Détrompe?-vous. Lafonlaine est de tous les actes, presque de
toutes les scènes. C'est le deus ex machina qui, sous les appa- '
rences mortelles d'Antoine Myckes, vieux valet de chambre et
frère de lait du Révérend, mène toute l'action, débrouille les
situations compliquées, protège la jfune fille contre la tyrannie
de Mistress Dixonn, prononce les aphorismes à sensation. el les
phrases à effet, telles que celle-ci, par exemple, qui a déchaîné
une tempête de bravos : « Est-ce notre faute, à nous, si k Sei-
gneur a mis des âmes de maîires dans nos corps de valets? » Si
bien que la pièce, au lieu de s'appeler la Servante^ eût pu tout
aussi justement être intitulée le Domestique, et même Le Domes-
tique modèle. ■
Mais la modestie de l'excellent comédien ne s'en fût pas accom-
modée. Et c'est par un hommage rendu à l'artiste que. nous
sommes heureux de terminer ce compte-rendu. Quoiqu'il ait
incontestablement le rôle le plus considérable de l'ouvrage, il
joue avec tani de simplicité, de bonhomie, de naturel, de sobriété,
^u'il ne vient pas une minute à la pensée de le trouver encom-
brant. Au contraire, c'est une joie de le voir aller et venir, avec
sa bonne figure sympathique et calme, et quand il quitte la scène
un instant on se prend à regretter son absence. M. Lafonlaine a
les traditions des grands comédiens d'autrefois, la conscience et
le respect de son art. Son succès a été énorme, et d'autant plus
sincère que l'artiste n'a eu recours, pour l'obtenir, qu'aux
moyens les plus dignes.
Ses qualités éminentes se sont réfléchies sur les autres inter-
prètes (MM. Paul Alhaiza, Raoul Raymond, Gabriel Roger,
Edmond Belval, Charvel, Tony-Lauraul, MM"»'^'* Claronce, Bos-
quetle et Berthe-Noella), qui ont presque tous, à part quelques
exagérations de nuances, tenu leurs rôles avec talent.
On a beaucoup remarqué un début plein de promesses, celu
356
LART MODERNE
do M'i« Jenny Diska, qui a créé l'héroïne de l'œuvre, la touclianle
et mélancolique figure de Diane Scarlos, avec une émotion côm-
municalive cl une justesse d'intonations cl d'altitudes qui
dénotent un très réel tempérament d'artiste.
Théâtre de x-a ^onnaie
reprise des dragons de villars
Le public est, cet hiver, trf^s bienveillant pour la direction
de la Monnaie, môme très accommodant. La presse aussi. Des
deux parts on transforme promplemcnt et usuellement tous les
chanteurs en artistes remarquables, et toutes les reprises en suc-
cès considérables. Une brise douce et bienfaisante ondule sur
l'entreprise des deux sympathiques directeurs. Tout ce qu'ils
tentent se développe sans encombre. La consigne est d'être satis-
fait.
C'est bien. Que n'a-l-on toujours été dans les mémos disposi-
tions! Lorsqu'il s'agit d'un ensemble aussi difficile k constituer,
on ne saurait montrer trop de patience. C'est par une suite pcrr
sévérante d'cfforls, de corrections et de repentirs qu'on parvient
à la longue b la perfection relative d'une troupe comme celle qu'il
faut au théâtre de la Monnaie. L'exiger d'un seul coup, c'est folie,
et c'est injustice.
Il ne faut pas, néanmoins, que ces dispositions cordiales dégé-
nèrent en aveuglement. A la bonne volonté constante doit s'ajou-
ter un contrôle très attentif. On rend service à une direction en
lui disant sans aigreur ce qui manque ou ce qui faiblit. II ne faut
jamais diminuer d'assiduité aux représentations, car la question des
receltes reste dominante : il est puéril de bouder et de s'abstenir.
Mais il importe de ne pas accoutumer les spectateurs à un opti-
misme qui engendrerait vile la médiocrité.
N'est-on pas quelque peu engagé dans celle voie? Jamais on
n'a vu les applaudissements aussi faciles et les rappels aussi fré-
quents. Jamais, avec un pareil ensemble, les journaux n'ont
transformé toutes les représentations en succès éclatants. Les
reporters y vont avec un entrain sans pareil et la masse du public,
-qui modèle son opinion sur celle de ces chiffonniers de lettres
mal reçus au logis quand la holte n'est pas pleine, naïvement
acclame avec les quelques farceurs qui poussent les premiers
cris.
Ciu'on y prenne garde. Les faux succès ne tiennenl pas. Mieux
vaut dire franchement ce qui est, en recommandant de ne pas
être trop sévère pourvu que l'amendemenl vienne k son heure.
On se lasse des éloges exagérés. On s'accommode mieux des
imperfections passagères.
La reprise des Dragons de Fillars nous a fait venir à l'esprit
ces réflexions. Nous ne sommes pas de ceux qui nous plaignons
de celte musique reposante et légère. Malgré nos préférences
pour l'art héroïque et puissant, ces enlr'acles de mélodie super-
ficielle cldislraclive ne nous déplaisent pas. Mais nous ne sau-
rions nous joindre à ceux qui trouvent que l'interprétation donnée,
jeudi dernier, à cette œuvre charmante, el qui n'a pas le sens
commun, est de celles qui méritent d'être dithyrambes.
Mettons M. Engel hors de pair. Il est correct, séduisant, lou-
chant partout et toujours. Un peu moins de jeu pour la salle, un
peu plus pour l'action, et il serait irréprochable. Un artiste aussi
distingué devrait se débarrasser définitivement des appels aux
loges, les bras étendus, alors que l'air qu'il chanter s'adresse à un
personnage en scène qui attend flegmaliquenient la fin de celle
invocation aux applaudissements des chevaliers du lustre.
Mais M"'' Castagne! 0 gracieuse et espiègle Rose Friquet,
qu'es-lu devenue? Brin de muguet poussé en plein bois, rustique
et fraîche fleur, incarnation de la vivacité champêtre, svelle el
mutine enfant de la nature, est-ce bien loi que Ton a vue avec
ces allures risquées de fille de brasserie, cet air canaille, ce teint
rguge comme si lu sortais de la cantine? Est-ce que le réalisme,
lei qu'on le comprend à VAsommoii\ va s'introniser sur notre
scène ? • -
Certes, M"« Castagne a ilne bonne volonté extrême, beaucoup
de hardiesse, un grand désir d'être originale, une voix qui, sans
être louchante, a parfois de l'éclat. Mais combien la jeune canta-
trice a besoin de conseils du côté du goût! A chaque instant elle
choque par des vulgarités intolérables. Elle n'a pas gamine, elle
a polissonne d'un bout à l'autre de la pièce. Et encore sans
naturel, avec des ricanements," des pieds de nez, des déhanche-
ments, des passements de mains sur les jupes, à envier par les
gavroches ramasseurs de bouts de cigares ou marchands de pro-
grammes. - • .
M. Renaud a été un Bel- Ami d'une lourdeur peu commune.
Cet excellent chanteur ne devrait pas être compromis dans des
rôles qui n'ont aucune équation avec son réel talent. Il a fort à
faire pour développer entièrement ses belles et solides qualités ;
il serait malheureux de les gâter daiis des besognes qui lui vont
comme à Porlhos de jouer Aramis.
M. Nerval fait un fermier Thibaut qui ne sort pas de l'ordi-
naire, W'^ Angèle Legault a, dans une exacte mesure, avec la
coquetterie raffinée qui sied au personnage, chanté et surtout
joué le rôle de MadameThibaul : une très élégante fermière de
salon, spirituelle et mutine, tout juste assez pincée, un Grévin
égaré dans les montagnes de l'Eslrel, beaucoup mieux faite pour
le colonel des dragons que pour le maréchal-des-logis.
Nous y avons été d'un compte-rendu un peu long pour ce qui
n'est assurément pas un événement artistique. Mais l'occasion
nous^a paru bonne pour rappeler un peu les esprits à une plus
juste et plus grave appréciation des éléments dont se compose
notre scène préférée. Le moment n'est pas inopportun pour
mettre la pédale sourde à des admirations qui deviennent mala-
dives.
- PAYSAGE SYLVESTRE
Le Journal des Beaux-Arts \mh\\Q la lettre suivante :
Monsieur le Directeur,
Le clan des paysagistes est dans une profonde désolation. Il paraît
qu'il est dans les usages sylvestres de ne pas permettre aux arbres
de se tenir debout après un siècle écoulé. Cela détruit toute poésie
se basant sur les arbres séculaires, les géants des forêts, sur les syl-
vains, les dryades et les hamadryadès, qui, en effet, n'élisent plus
domicile dans notre bois de Soignes, car nous n'en avons jamais
rencontré. Mais cela rapporte, dit-on, un heau revenu, à la fin du
siècle, et l'administration dès domaines préfère cela à la poésie. Par
malheur, nous voici arrivés à la centième année et une razzia
effrayante est ordonnée pour les triages les plus pittoresques, ceux de
Hoeylaert, où la viticulture a pris de grandes proportions à l'abri de
la, haute futaie, de Waterloo, d'Auderghem, de Groenendael, enfin,
dans tous ces sites charmants fréquentés par les artistes et les pro-
meneurs en quête de fraîcheur. Le désert va s'étendre sur toute
cette région, et à défaut de sinioun, le vent du nord va opposer son
veto aux projets de pérégrinations artistiques.
Il faut faire de l'argent, soit. Mais cette nécessité n'est-elle pas
malencontreuse au moment où le goût des arts se développe à tel
point que l'on cherche à l'entraver par tous les moyens, de crainte
d'un vrai débordement? Ce goût a envahi la foule ; il n'y a plus
d'épiciers comme au temps de Courbet. Les épiciers mêmes ont une
teinture des beaux-arts et souvent une collection pas mal composée.
Les Bruxellois de toute condition aspirent après leur jour de congé
du dimanche pour aller respirer sous les ombrages de Groenendael,
de Rouge-Cloître, et le boulevard qu'on appelle Bois de la Cambre
ne leur suffit plus. Et l'on irait choisir ce moment pour dénuder la
plus belle partie de la forêt, eu attendant qu'on y construise des
villas, des hippodromes ou des tirs aux pigeons, grâce aux baux
emphytéotiques. Est-ce ainsi que l'on agit à l'étranger, notre modèle
en tout ce qui ne devrait pas l'être ; le pittoresque Bois de La Haye
avec ses arbres tordus et échevelés, les ombrages de Kew et de
Richmont, le Bas Bréau et Barbizon nous donnent-ils l'exemple
d'une clairière ornée d'une série de troues debout comme des cierges,
la joie des menuisiers et l'épouvante des paysagistes ?
L'époque est prosaïque, je le veux bien, et l'on fait plus avec de
l'argent qu'avec des toiles. Mais la Belgique, dont une des gloires
est bien certainement l'art, ne peut-elle conserver tout au moins une
seule des régions destinées au sacrifice pour en faire aussi un exemple
de ce que la nature peut offrir de réserves au goût pittoresque? Ne
pourrait-on consacrer quelques hectares à cette tentative qui, en
définitive, intéresse le public tout entier et les touristes étrangers, et
épargner non seulement cette partie de la forêt, mais lui donner cet
aspect sauvage et abandonné qui a fait longtemps le charme du parc
de Tervueren, et qui, en définitive, donne seul de l'intérêt à nçs
Ardennes, aux forêts de l'Allemagne et même de l'Italie?
Nous le demandons au nom des artistes et qui plus est au nom
des intérêts matériels de la capitale, car plus on rendra nos prome-
nades intéressantes et remarquables, plus on verra affluer l'or étran-
ger dans nos auberges peu écossaises.
Cette considération étrangère aux beaux-arts déterminera-t-elle
l'Administration à moins de rigueur ?
Agréez, etc. ~ « ' Z.
Nous nous rallions complèlemcnl aux considéralions qui pré-
cèdent. A maintes reprises, nos lecteurs s'en souviennent, l'Art
moderne s'est élevé avec énergie contre le vandalisme qui détruit
petit à petit tout ce qui fait le charme de notre pittoresque
pairie : l'industrie du rocher qui sévit avec intensité dans la
vallée de la Meuse et le long des cours d'eau qui s'y déversent,
le maladroit élagage des arbres, la construction d'un chemin de
fer métropolitain destiné à culbuter les plus jolis sites des envi-
rons de Bruxelles et à les remplacer par une odieuse ceinture de
remblais et de tranchées (*).
Le dérodage de la forêt de Soignes comblerait la mesure. Nous
comptons qu'on mettra bon ordre à ce projet vraiment trop uti-
litaire et qu'il sera bien vile submergé dans les paniers à papiers
ministériels.
]^
OTE^ DE MUSIQUE
Concert des Artistes Musiciens.
V Association des Artistes Musiciens a ouvert la série des
concerts dans la salle, repeinte et redorée, de la Grande-Har-
(*) V. notamment, pour la seule année 1886, l'Art modet-ne
pp. 199,. 223, 278, 284, 315.
monie. Des membres nombreux de cette société sont venus
constater l'ôffei, au flamboiement du gaz, de ces récents travaux
et, certes, ont plus remarqué telle ou telle parcelle du plafond
oubliée dans la restauration que les faiblesses trop fréquentes de
l'orchestre. Celui-ri a donné une exécution très médiocre des
différentes œuvres qui lui étaient confiées et le premier îi s'en
plaindre a dû être le pianiste qui, à certains moments, surtout
dans la première partie du concerto, a été écrasé sous un accom-
pagnement d'une violence intempestive. Nous ne pouvons donc
juger assez impartialement l'ouverture de Guillaume le Taci-
turne, la nouvelle composition du compositeur-pianiste Wie-
niawsky : les brutalités en étaient exagérées, les nuances omises.
L'œuvre, nous sembic-t-il, se rai)proche de la musique d'opéra
plutôt que du drame musical; ce n'est point le molif exposé par
les cuivres, qui nous fera répéter avec le public : « Voici du
Wagner ». C'est, nfioins intense mixlheureuscmcnl.lo.Siruensée
de Meyerbeer, et ce.rappel trop appréciable enlève beaucoup de"
son mérite à l'œuvre d'un musicien dont nOus avons trop souvent
fait l'imparlial éloge pour qu'il voie dans notre critique autre
chose qu'un vif désir d'une admiration plus complète. Cette
ouverture, d'ailleurs, quoique très. mal rendue par l'orchestre, a
obtenu un vif succès et l'auteur a dû paraître sur l'eslrade pour
recevoir les bruyants applaudissements du public enthousiasmé,
ïi'orchestre nous a fait entendre encore une ouverture du compo-
siteur danois Niels Gade, faiblement colorée et d'inspiration peu
soutenue, œuvre de jeunesse, d'ailleurs, l'op. 6 ou 7, croyons-
nous. Une Sérénade médiocre, pastichée de Massenet, et une
Rêverie, plus médiocre encore, d'un compositeur français, évi-
demment disciple de Paladhile, ont produit peu d'impression.
■ Les soiistes'élaient M"« Lilvinne et M. Seguin, du théâtre de la
Monnaie, et M. Kéfer, pianiste.
La chanteuse a donné une bonne interprétation d'un air du
Cid, de Massenet, et d'un air de Pedro de Zalaméa, de Godard.
La voix est jolie, mais bien peu ferme : on dirait un trille perpé-
tuel. L'excellent créateur de Hans Sachs était gêné par le choix
imposé de ses deux morceaux : l'un italien, l'autre national, mais
tous deux de nature à ne pas satisfaire un artiste comme
M. Séguin. Nous applaudirons bientôt le beau chanteur et le bel
acteur dans le rôle de Wotan dont il fera, certainement, une
création superbe.
Louons, sans presque une restriction, le pianiste Kéfer. La
tyrannie officielle et la mesquine jalousie des « bons camarades »
l'avaient, jusqu'ici, insidieusement écarté des grands concerts et
seuls les fervents auditeurs de VUnion instrumentale qui,
accueillie dans les ateliers d'artistes réputés, exécutait avec
grand, talent et grande conviction la vraie musique de chambre,
le?*fervents auditeurs des soirées du cercle VEssor où, presque
tous les qujnze jours, on avait l'heureuse occasion d'écouter de
la musique choisie, ceux-là seuls appréciaient à une haute valeur
l'exécutant et l'artiste.
Cette appréciation est désormais imposée au public. Un pro-
fond respect, pour son art, une exécution presque religieuse, ne
sacrifiant rien au « trait «bien perlé, au « passage » fignolé,
donnant la synthèse de l'œuvre, son esprit, tout son esprit; le
dédain des banals applaudissements, félicitons M. Kéfer d'avoir
tout cela en lui et, devant une merveille comme ce cinquième
concerto de Beethoven, quelle terreur et quel enthousiasme aussi
pour celui qui l'exécute! M. Kéfer nous en a donné une interpré-
tation d'artiste, c'est le plus grand éloge qu'on puisse faire de
lui. Certes, certains déiaiis manquaient de force, cerlains, de
précision ; mais ce sont là des détails et, tant qu'ils n'enlèvent
rien à la compréhension d'ensemble, on peut les omellrc. Une
exquise Feuille d'album du raffiné compositeur norwégien Grieg;
un très ^u^^^esilï Nocturne de Borodine cl la iranscripiion de la
ChevauchéQ de-s Walkures, par Brassin, complétaient la part de
M. Kéfer dans le concert. _^„_
L'exécution des deux premiers morceaux a été très bonne; du
dernier, faible : visiblement le pianiste était fatigué. D'ailleurs, il
y a danger, pensons-nous, de jouer au piano cette formidable-
page du poème des Nibelungen ; outre la difficulté matérielle,
presque insurmontable, il y a ce péril de voir les amateurs faire
de la Chevauchée ce qu'ils ont fait de la rhapsodie hongroise
n® 2. Il suffira de signaler ce péril à un artiste comme M. Kéfer
pour qu'il raye de son programme, désormais, cette dangereuse
transcription.
Concert de musique de chambre au Conservatoire.
L'Association des professeurs du Conservatoire a donné son
premier concert le lendemain de la séance de musique dont nous
venons de parler!
Ce concert, disons-le franchement, °a été très inférieur à ceux
des années antérieures : un romantique quintette de Onslow, où
passent des harmonies wéberiennes; un otetlo du compositeur
François Gouvy, déjà entendu l'an passé et où les bassons ont un
rôle un peu trop saugrenu; une mélodie pour cor, de Van Crom-
phaut, très banale, mais exécutée en perfection par M. Merck, et
une série de pièces pour clavecin du grand maître de la musique,
J.-S, Bach, tels étaient les différents numéros du programme.
Une fois de plus, répétons que de la musique de chambre
jouée dans une salle aussi vaste que celle du Conservatoire, non
seulement ne se comprend pas, mais s'entend difficilement. Les
pièces de clavecin, à pari le délicieux rondeau, produisaient
reffet d'un bruissement aigrelet écouté à travers du papier de
soie.
Espérons mieux pour la prochaine séance.
J^OTE? BIBLIOQRAPHIQUEp
P. P. C, comédie bouffe eh un acte, que l'auteur lui-même
juge ainsi : « P. P. C. n'est rien, si ce n'est une fantaisie d'une
heure », nous a paru tel. Mais le « si ce n'est » domine le « n'est
rien ». Il n'est pas rien, que de faire de la fantaisie et c'est un
éloge que cette apparente critique.
■ * -,
Poèmes Mobiles : monologue de Mac-Nab. Editeur ? Léon
Vanier. Oh ! très cocasses et abracadabrants et d'une drôlerie
inédite de casse-cou et de clown ; phrases, bottines en l'air;
adjectifs, la tête entre les jambes, verbes arlequinisés et tapent
de la balte à travers les alexandrins. Drôleries, lanternes magi-
ques, ombres chinoises, tout défile, cahote, danse au bout des
.baguettes symétriques du vers, et la prose qui suit n'est pas
moins funambulesque.
J'ai pris pour ma chansonnette
Des rimes par ci par là
. ■ Et j'y chante la sonnette
• " La sonnette que voilà
Le silence
rT lence
lence
Grâce de son timbre strident
Se balance
lance
laiice
A la main du président.
La diction dans la lecture et dans Vart oratoire, opuscule de
M. Sigogne, a paru chez Castaigne. Recueil de conseils pratiques
sur l'art de lire. Livriculet sans prétention, mais très utile.
*
* *
Le Tombeau du Cid, de Vanor. Excellents vers frappés au
coin parnassien et cadrant avec la légende héroïque de fer et de
splendeur qu'ils doivent rappeler. Le Tombeau du Cid a été
recité à rOdéon, par Albert Lambert.
pIBLIOQRAPHIE MUSICALE
La maison Breitkopf et Hârtcl met en vente Tristan et Iseult,
de Wagner, « version » française (dit la couverture) de Victor
Wilder. Ce jargon fait^prcssenlir ce que l'on découvrira plus loin.
Nous avons plus d'une fois exprimé, à propos de différents
essais de traduction, noire avis, en général, sur la traduction,
jugeant celle-ci impossible. Pour qui connaît la prosodie des
deux langues, française et allemande, cette opinion est indiscu-
table et elle est encore plus indiscutable lorsqu'il s'agit des
drames du maître de Bayreulh, où le mot et la note ne font
qu'un.
M. Wilder est celui qui, autrefois, intitulait Mondnacht de
Schumann : L'heure du Mystère. C'est dans cette langue de
pensionnat que Tristan et Yseult est traduit : nous voilà reve-
nus au répugnant livret d'opéra dont Wagner voulait déblayer la
scène lyrique, nous voilà revenus au langage que parlent avec
dès gestes absurdes cabotins et cabotines devant la caisse en bois
du souffleur pour un public repu de banalités. Nous ne pouvons
nous associer aux applaudissement qui accompagnent chaque
tentative de « vulgarisation » accomplie par M. Wilder; nous
pensons que chacune de ces tentatives, et celle-ci surtout, puis-
qu'il s'agit du chef-d'œuvre le plus complet qui ail vu le jour,
est une profonde injure à l'art de celui que tant d'imbéciles ont
suffisamment souillé durant sa vie, pour qu'on le respecte, mort.
La partition a été arrangée par M. R. Kleinmichel, le même
qui traBScrivit, on s'en souvient, les Maîtres Chanteurs de
Nuremberg pour l'édition française publiée par la maison Scholt
frères, il v a deux ans.
Signalons, chez les mêmes éditeurs, un excellent petit caté-
chisme musical, traduit de Lobe par Sandre, ancien professeur
au Conservatoire de Bruxelles et directeur actuel de l'Ecole de
musique de Nancy. Çà el là, pourtant, des idées un peu en arrière
des nôtres. Ce petit ouvrage est édité avec bon goût el grand
soin.
Chez Lemoirie, rue de la Régence, vient de paraître un livre de
lecture musicale formant un recueil des airs nationaux les plus
caractéristiques, rangés dans un ordre progressif, avec l'indica-
tion de leur structure rythmique, par A. Samuel, directeur du
Conservatoire royal de Gand, membre de l'Académie royale de
Belgique et commandeur de l'ordre de Léopold, ouvrage très ori-
ginal et très instructif, mais fort médiocrement édité : l'on a
oublié trop qu'il faut mettre entre les mains des enfants tout ce
qui peut raffiner leur goût et en écarter loul ce qui pourrait le
détruire.
Correspondance
Vous donnez quelquefois, dans la petite chronique de VArt
moderne., de très curieux extraits du journal des Concourt.
Comme j'éprouve un vif désir de lire l'œuvre elle-même, serait-ce
i^mmw^-
■^' '':*'i?'*||-^x:ï'-M^/,r '■'ii ■ y.r.:
' ': ■; ii^::.
->':«■
■ m^:
- L'ART MODERNE
359
trop indiscret quo de vous prier d'indiquer dnns voiro journal le
lilre el l'éditeur de ce livre? Vous rendriez grand service à un de
vos lecteurs très épris de belle littérature.
Recevez, Monsieur, mes salutations empressées.
Un abonné de VArl moderne.
Réponse. Le Journal d"E, et J. de Goncoiirt a été publié cet
été dans le Figaro. Il n'a pas encore paru en volume. L'éditeur
habituel des Goncourt est M. Charpentier.
pETlTE CHROJ^IQUE
Mercredi prochain 40 novembre, b la Conférence du Jeune
Barreau de Bruxelles, local de la l'*' chnmbre de la Cour d'Appel,
au Palais de Justice, à 2 heures précises, M. Edmond Picard fera
la première lecture de son œuvre nouvelle : le Juré. Elle con-
tinue la série des Scènes de la Vie Judiciaire^ qui comprend déjU
le Paradoxe sur VAvocaty — la Forge Roussel^ — l'Amiral, —
la Veillée de V Huissier, — et Mon Oncle le Jurisconsulte.
Cetlte séance est publique et durera environ deux heures.*
M. Edmond Picard se propose de renouveler cette lecture à
diverses reprises, selon 1 usnge anglais et américain, dans les
Conférences du Barreau, les Sociétés d'Etudiants et les Cercles
littéraires. Il s'est déjà engagé vis-à-vis de la Conférence du Jeune
Barreau d'Anvers (29 novembre) et de la Société d'Emulation de
Liège (13 novembre). ' " .
Le Juré ne sor2L pas publié avant plusieurs mois. Il paraîtra
alors, chez M"'« V« Monnom, ancienne maison Callewaert, en
une édition de luxe, grand in-4», tiré à cinquante exemplaires
seulement, avec des illustrations par Odilon Redon, le dessinateur
du fantastique et du Symbole.
A rOpéra-Comique, W"^ Elly Warnots débutait la semaine der-
nière dans la Rosine du Barbier. « M"« Warnots, dit la Justice,
est une comédienne excellent'",- elle chante avec goût et style
d'une voix légère au timbre gracieux. La nouvelle Rosine U eu
grand succès et sa carrière est assurée chez nous ».
M. Lamoureux prépare pour cet hiver toute une série d'audi-
tions wagnériennes, 11 reprendra la Walkyrie, Tristan et Yseult
et fera jouer ensuite d'importants fragments de Siegfried et du
Crépuscule des Dieux.
C'est M. Ernest Van Dyck, l'excellent ténor que nous avons eu
l'occasion d'applaudfr à Bruxelles, qui est chargé de ces impoN
tantes créations.
Au mois d'avril, la chose est décidée, M. Lamoureux fera
exécuter « Lohengrin » en costumes.
M. Félix Cogen s'est décidé à développer, à la faveur d'instal-
lations plus vastes et mieux appropriées, les cours de dessin el
de peinture qu'il a donnés jusqu'ici dans son domicile, avenue
d'Auderghem, 192. L'atelier dont il a pris possession est situé
rue de la Charité, 31 (établissement F. Mommen).
Comme préparation aux leçons d'art, un cours de dessin
élémentaire, d'après la méthode adoptée par l'Etat, se donne les
jeudis de 2 à 4 heures et les dimanches de 9 à 11 heures.
Pour l'inscription et les conditions on est prié de s'adresser
chez M. Mommen, rue de la Charité, 31.
II est question de créer un musée des beaux-arts de la ville de
Paris; on y placerait toutes les œuvres que la ville achète depuis
des années, qu'elle entasse dans les magasins du boulevard Mor-
land el qui onl une haute valeur. .
Si le conseil municipal adopte ce projet, qui lui sera soumis
incessamment, on choisira probablement comme local le musée
Henri IV, situé dans l'île Louviers.
Un amusant compte-rendu jpar Charles Martel, d'une première
du Roi Maboul, à la Scala; une chronique du décolletage, on
pourrait presque dire du démaillolage :
« Le bon pornographe Reslif mettait en latin les passages qu'il
jugeait dangereux à de chastes oreilles, je devrais adopte/ celle
langue vieillie si j'avais à donner ici un compte-rendu détaillé du
Roi Maboul que la Scala vient de représenter avec tant de luxe
et lani de femmes. Comment la cour du souverain excentrique est
restée dans un étal de chasteté héréditaire, que les petites dames
de la Scala ont traduit avec une rare aptitude, je ne saurais l'ex-
pliquer. M. Dumas fils, le chantre des millions d'or vierge, des
polytechniciens vierges et des fiancés vierges, pourrait seul faire
comprendre les virginités sans jupes d'hier au soir.
w Apprenez seulement qu'un photographe français suffit à
entamer tous ces capitaux, et vous aurez une idée suffisante du
nouveau coup de pied que vient de recevoir dame censure. Les
habitués des musées d'analomie, ceux qui n'hésitent pas à péné-
trer dans la petite salle annexe, ouverte aux hommes seuls, au
dessus de seize ans, trouveront à la Scala une série de vues splié-
riques plus dodues les unes que les autres et tout à fail réjouis-
santes. Les jeunes artistes dramali(|ues qui onl montré hier un
jeu si franc et si nourri, ont certes des tal^;nts aussi nombreux
que variés, cl je regrette vraiment de ne pouvoir mcllre un nom
sur tous ces visages.
« MM. Hermil et Numès ont écrit pour ce défilé folichon un
librctto qui achèvera ceux que le" spectacle aurait déjà fatigués.
Les mots à faire rougir M. Renan s'y succèdent- sur mouvement
de valse. M"^ Châlon, la fine diseuse, dont la robe ouverte jus-
qu'au corset nous a révélé des secrets de. diction ignorés, l'excel-
lent M. Bataille, MM. Pichal, Maurel, Brunet, la réjouissante
Bloek, débitent toutes ces joyeusetés de la plus joyeuse façon.
On a pris d'autant plus de plaisir à voir et à entendre que Job, le
spirituel dessinateur, a composé, pour l'exhibition, une série de
petits chefs-d'œuvre de grûcc légère et grivoise. Il est impossible
avec moins d'éioffie d'aller plus loin.
« Plus d'unions stériles ! Voir le Roi Alaboul! » ' ^
A signaler une revue nouvelle, la Revue lyrique et cho-
régraphique, spécialement consacrée à la musique dramatique el
au ballet. Le premier numéro contient des articles intéressants
sur Berlioz, sut l'art chorégraphique, sur la musique dramatique
en général. La revue a un bureau à Paris, chez Ghio (Palais-Ro^al),
un autre à Lyon, un autre à Marseille. Elle en a môme un à
Bruxelles, chez Moens, Galerie Bortier.
Elle paraîtra le 15 de chaque mois el coûte 7 francs. Go ahead
el bon courage !
M. X..., un des conseillers généraux du Doubs, possédait, à uu
certain moment, une élable à Ornans. Courbet y vint un jour.
Dans tout le troupeau, un animal fixa son intention. C'était un
jeune veau, crolté jusqu'à l'échiné, à l'œil rêveur, au mufle sale.
Celle bête plut à Courbet, qui voulut la peindre.
— Je viendrai demain chez vous, dit-il à X... J'apporterai une
toile et mes couleurs. Nous ferons poser le petit de la vache. 11
me va, cet enfant.
^El, en efl^et, il revint le lendemain malin. Mais, alors, quel
désenchantement ! La main coquette de la jeune fille avait passé
par là et avait tout gâté.
Que s'éiait-on dit dans la famille de M. X...?
-— ^I. Courbet va peindre notre veau ; il faut faire sa toilette.
C'est un honneur pour lui qui veut que l'on se mette en frais.
Et vile les baquets pleins d'eau de ruisseler dans l'élable. La
brosse de chiendent rentra en fonction. On prit le malheureux el
on le frotta de savon depuis les naseaux jusqu'à l'extrémité de la
queue.
La toute gracieuse M"« X... avail insisté pour qu'on lui atta-
chât des faveurs roses aux oreilles.
Alors, vous devinez ce qui se passe. Courbet arrive. Il laisse
T tonib.'r sa boîte à couleurs en hurlanl : — Ça, c'e>t un veau !
El il s'esquive. {L Evénement.)
'♦,• ■ {>
■ r., * 'TW •:
' -^.-^ï V
■ ' ■■■è>^'< .
paraissant le samedi
Directeur ; Anatole Baju..
Secrétaire de la rédaction : Louis Villatte.
Abonnement : Paris, 10 francs.
Départements, 12 francs.
Bureatix : 5**'*, rue Lamartine, Paris.
REVUE WAGNBRIEME
Mensuelle.
Paraît vers le 8 de chaque mois
Directeur : Edouard Dujardin.
Abonnement : Paris, 12 francs.
Etranger, 14 francs.
Bureaux : rue Blanche, 79, Paris.
LA REVUE MODERNE
Paraissant le 20 de chaque mois. .
Directeur : Paul Cassard.
Rédacteur en chef : Robert Bernier.
Abonnement : Paris et étranger, 11 francs.
Bureaux : rue du Département, 35, Paris.
rue de Marseille, 24, Lyon.
REVUE D'ART DRAMATIQUE
Paraissant le i^' et le 15 de chaque mois.
Directeur : Edmond Stoullig.
Abonnement : Paris, 25 francs.
Etranger, 28 francs.
Bureaux : Rue de Médicis, 3, Paris.
LE CHAT NOIR
Paraissant le samedi
Directeur : Rodolphe Salis.
Secrétaires de la rédaction : Georges Auriol,
Albert Ti^chant.
Abonnement : Paris, 10 francs.
Départements, 12 francs.
Bureaux : rue de Laval, 12, Paris.
LA REVUE ïi^DÉPENDANTE
de littérature et d'art.
Directeur : Edouard Dujardin,
Rédacteur en chef : Félix Fénéon.
Paraît tous les mois.
Abonnement : Union postale, 17 francs.
Le numéro : fr. 1-25.
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Japon et illustrations), 100 francs.
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* Sixième année. — N° 40.
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 14 Novembre 1886.
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Adresser les demandes d'abonnement et toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
?
OMMAIRE
Livres nouveaux de Paul Verlaine, -r- Les liaisons dangereu-
ses. — Correspondance d'une parisienne. A propos d'Hanilet. -^
Notes bibliographiques. — Jurisprudence du bibelot. — Petite
chronique.
LIVRES NOUVEAUX DE PAUL VERLAINE
Deux volumes de prose, publiés l'un et l'autre, ces jours,
fixent raltention vers M. Paul Verlaine. On sait l'agilalion litté-
raire qui s'est faite autour de ce nom, soudainement tiré, pour
le public, de l'ombre où il s'étoilait, tranquille, pour les choisis.
M. Verlaine doit regretter ce bruit vulgaire de journaux, qui le
citent sur la même page et dans la même colonne que les chiens
enragés et les pêcheurs à la ligne, chus en Seine.
Il n'a du Teste, aucune ardeur pour ces batailles autour des
mots : Symbolisme, Décadence, Déliquescence : étiquettes. Faire
des œuvres! A bichonner les théories montées sur ces grands
dadas de substantifs on s'aperçoit de leur néant. Au i'este, il
n'existe même pas d'accord sur leur signification nette, —
M. Verlaine en convient.
Jusqu'en ces derniers mois — sauf les Poêles maudits — les
vers seuls l'avaient sollicité. Exquises, les Fêtes galantes^ réédi-
tées par Vannier; si douce, la Bonne chanson; Sagesse^ quoi
donc a mis plus d'impalpabilité et de prière dans la poésie lyri-
que? enfin, Henri Heine lui-même, est-il aussi attirant à nous
dire ses Petites chansons que l'auteur de Romances sans
paroles?
Chose notoire ! C'est à mesure que les premiers" Parnassiens
sacrés d'académie et oints de Revue des Deux-Mondes, faiblissent,
qiie les derniers, pour M. Mendès et sa critique, s'atîirment
et s'imposent, tous les Prismes et tous \cs Romans de Jeanne
qui soient, ne feront plus refleurir les succès d'antan autour des
Epreuves et des Intimités futures. I.a poésie parnassienne. régu-
lière, tirée au cordeau, toute en rimes et en angles, correcte
comme un fanx-col neuf et bourgeoise comme un habit noir
irréprochable sera détinilivement, d'ici a peu de mois, le jeu de
patience des collégiens que ni Lamartine ni Musset n'amusent. Et
de plus en plus, une nouvelle forme présagée par Banville lui-
même, voici longtemps, attirera : -
« Il ne serait pas plus sensé d'exclure le demi-jour de la
poésie qu'il ne serait raisonnable de le souhaiter absent de la
nature; et il est nécessaire pour laisser certains objets poétiques
dans le crépuscule qui les enveloppe et dans l'atmosphère qui
lesHwigne de recourir aux artifices de la négligence. C'est le
métier qui enseigne à mépriser le métier ; se sont les règles de
l'Art qui apprennent à sortir des règles ».
Ces noies, de 1846 daléos, semblent annoncer prophétique-
ment l'art de Paul Verlaine.
El Danville continue :
a C'est surtout quand il s'agit d'appliquer des vers h la musi-
que qu'on sent vivement celte bizarre et délicate nécessité et
surtout, encore lorsqu'il faut exprimer en poésie un certain
nombre de sensations et de sentiments qu'on pourrait appeler
musicaux. »
Voici Louise Leclerq et les Mémoires d'un veuf: prose.
c_
Le premier livro, ccrles, d'inlérét ordinaire cl gris: histoires
bourgeoises, sans subtilité éniolionnclle, sans caractères en relief
sur l'écriiure assurément artiste. X i)an Pierre Duchatelel où
l'émotion s'échappe d'une vérité sentie, vécue, transfigurée et'
légèreinent poétisée. C'est une histoire de siège, un engagement
aux bataillons de marche, un mari négligé par sa femme, pendant
qu'il trime par patriotisme dans toutes les nauséeuses corvées du
sac au dos, dans la neige et le vent des balles prussiennes. Puis
le détraquement de la vie, les buts tués et la fuite en Angleterre
et la mort, celle-ci superbe! dans l'iiôlel banal :
« Son odyssée fut courte. Les quelques demi-couronnes qu'il
gagnait quolidiennement à donner des leçons, le soir, il les
dépensait en vins de Portugal et en bières d'Irlande. L'eslomac
s'oblitéra, la tête se prit, les leçons manquèrent, ce fut la faim
et la névrose qui, finalement, eurent raison de ce brave garçon,
tué par Vidée d'une femme et dont le dernier mot fut, à l'hôpital
de Leicester-place où son agonie se vit soignée par des méde-
cins français, bercée pirr des sœurs françaises, en pleine et bonne
France.
« Pauvre patrie tout de même!... Je m'engage. »
Les Mémoires iVun veuf. On s'attend h une autobiographie
nette et menée sincèrement tout au long des chapiires. Ceux qui
aiment Verlaine, autant homme qu'artiste supérieur, se laissent
charmer par l'éliquetle. Erreur. Certes, les souvenirs narrés,
sont souvenirs personnels, mais ils sont d'une intimité lointaine,
peu profonde et comme extérieure. Le volume est une sorte de
flânerie à travers une vie, flânerie des yeux, des rêves, des pas
— l'âme et le cœur, que rarement ils se confessent et s'analysent !
Les Mémoires d'un veuf sont néanmoins tels quels, un livre
de marque. Une douceur dé résigné flotte dans les tableaux et les
récits. Certains- sont délicats et fragiles, originalement présentés
et toujours d'une note sincère. Parfois de l'excellent. Ainsi cette
aumône discrète à un enfant dans Nuit noire :
« Et le veuf s'arrête, infiniment ému. Il fouille dans sa maigre
poche, opéiaiion lente à cause de l'ulster et du veston à
retrousser, et de gants fourrés du Louvre à défaire, et c'est d'une
main tremblante, en poire (telle celle d'une vraie dévote dans
l'aumônière de M. le curé) qu'il dépose en quelque sorte, au fond
de la timbale d'étain, comme par crainte d'offenser la fierté des
yeux morts pourtant du seul vrai pauvre d'entre cette foule de
pauvres, une petite pièce, — d'or ou d'argent, — sa main gauche
ne le sait pas.
« Ceci si doucement fait, si discret et avec une fuite si glis-
sante et comme pudique, que le petit aveugle s'écrie d'une voix
cassée, mais combien pénétrante.
« Merci, madame! »
Nous sommes loin de Coppée, n'est-ce pas? quoique le sujet
soit « petit épicier ». • .
Le style de M. Verlaine est d'une entière simplicité. Des rac-
courcis? peu, mais excellents; des mots familiers? en masse,
presque des mots et dos locutions d'enfani, dos tournures un peu
peuple.
Exemple? « Le mien de chien ».
Style nouveau, trempé ii la source de Jouvence des idiomes.
Bien plus dans le parler quotidien, actuel, populaire que dans le
bain archaïque des plirases de Rabelais, de Montaigne et de
Villon. Deux tendances divisent les chercheurs de neuf. Les uns
écument lo dictionnaire, prennent d'assaut les écrivains i\u
xvi^ siècle et resiaurenl la langue; ils sont nombreux et qui donc
les blâme? D'autres — et l'on peut comprendre parmi eux, les
naturalistes — se souviennent du conseil de Malherbe qui favo-
risait l'introduction dans le style de l'expression ramassée en
pleine rue, sur les ponts, dans les jardins publics. Suivant les
époques de raffinem^-nt ou de brutalité, ces deux influences ont
soufflé sur les livres de France, et si bien qu'aucune langue euro-
péenne ne s'est mieux et plus transformée, instrument de pré;i-
sion, compas, équcrre, règle, sous Louis XIV, elle est aujour-
d'hui assouplie, ductile, maniable aux doigts les plus délicats et
ce serait chose intéressante mais trop longue à montrer que ses
variations et ses transformations, depuis la chanson de Roland (.-t
les Syrtes et les Fabliaux — où quelques modernes pèchent i\ la
plume — jusqu'il celle heure. On verrait combien loin on peut
aller dans les sens les plus opposés, sans sortir de ce domaine
immense, le français, l'aulhcnlique français.
M. Verlaine, tant en prose qu'en vei*s,esl un manieur de verbes,
exquis. Personne n'a su mieux adapter les mots et leurs sons,
et leur couleur et leurs lointains aux prerroteries et aux arle-
quinades et aux fêtes galantes. Nul n'a mieux compris le vers
traînant, las^é, fatigué, bâillant, qui peint- l'ennui de nos cer-
veaux et de nos cœurs. Et qui a trouvé des termes plus mystiques,
des rimes plus ailées, des parfums d'adjectifs plus cinnamiques
et'des strophes plus flambantes en ex-voto? Quelle vision de
bras croisés sur les poitrines, de mains tendues innocemment,
de gestes do palmes on voit flotter autour de ce livre uniqiie :
Sagesse!
En prose, autres recherches — nous les avons indiquées plus
haut. Elles sacrent M. Verlaine, écrivain, elles seules, car ni le
sujet choisi, ni l'observation, ni la psychologie conlenues en ces
livres ne le sauveraient de l'ordinaire temporanéité. Le style est
particulier, personnel, neuf. 11 marquera.
LES LIÂISOXS DANGEREUSES
Il y a quelques années, durant les vacances, dans une cham-
pêtre retraite perdue au versant d'un des courts vallons qui
descendent de la forêt de Soignes à la Dyle,|aous étions, quelques
amis et amies, nous reposant le soir de la longue et traînante
promenade du jour, très loin de tout, dans une grande chambre
rustique.
On chantait. El entre autres mélodies, une récente et charmante
.<'
composiliou d'un de nos musiciens, aujourd'liui presque relire
des nffinrcs... arlisli'fues, sur le Printemps, de Gaulier.
La c'.iiantei:sey allaildc sa btîlle voix p('M.é;ranlc :
Quand viendra la saison nouvelle,
Quand auront disparu les froids, ,
Tous les deux nous irons, ma belle,
Pour cueillir le rauf^uet... t' au bois.
Muguet... i' au bois! T' au bois!! Celle liaison m'agaçaii, me
crispail, m'hbrripilail. T' au bois, Tau bois! El l'enchantement
de la musique en était, pour moi, rompu. Et b(îlcment, j'en con-
viens, au lieu de me laisser entraîner doucement dans le remous
des émotions rêveuses, je ne pensai plus qu'au t' au bois, et j'at-
tendis nerveusement la fin du morceau, pour formuler une pro-
testation.
Je prolcslai. Vivement, presque brutalement. Est-il permis à
une femme de goût, de sacrifier ainsi aux manies des sous-
maîtresses? C'était atïecté, c'était abominablement provincial.
Pourquoi ne pas dire simplement le muguet nu bois? Pourquoi
donner celle imporlance étrange h un / dont on ne soupçonne
pas même l'exislenco? Ce n'était plusdu chant, c'élait de l'ortho-
graphe à outrance. Ce pauvre muguet en était déshonoré et deve-
nait odieux.
Comme j'insistais sottement au point de décontenancer la
musicienne qui, vraiment, n'eût mérité que des compliments et
-qui, dans sa vanité jamais endormie de femme, les attendait, elle
eût vite des chevaliers pour la défendre et une discussion en
règle s'engagea sur la question des liaisons. H y avait là des
chanteurs, des orateurs et de simples causeurs. Chacun prit la
parole dans une très vive escarmouche qui nous échauffa jusqucs
passé minuit. : ^^ ^ : -/-^ .''r-:'^.- ^ -■'■': :-r'. ■■/■-:'.:'■'[■/'-■' '-^^^
11 y avait aussi, dans notre compagnie de laborieux prenant en
ce lieu écarté, non pas les eaux, mais les airs (ce qui souvent
vaul mieux), un très respectable et très expérimenté professeur
de déclamaiioh dont le souvenir n'est assurément pas effacé
des mémoires bruxelloises. Très en embonpoint, il sommeil-
lait d'ordinaire durant nos soirées estivales, dans le coin
le plus éloigné des fenêtres grand ouvertes sur le jardin tran-
quille. Quand, fatigués de la discussion qui, comme toutes les
discussions, commençait à s'enliser dans les répétitions et les
arguties, les combattants se réfugièrent l'un après l'autre dans le
silence ou la bouderie habituelle à qui s'aperçoit qu'il n'a pu
convaincre, notre vieux commensal, sans ouvrir les yeux, dit à
l'improviste, de sa voix grêle de ténor à la réforme :
« Mes amis, je vais résumer les débats. Voulez-vous? »
« C'est cela, criûmes-nous tous, heureux d'avoir un prétexte à
.'ne plus nous égosiller. »
Les derniers tirailleurs, encore debout, s'assirent, et le Nes-
tor commença une conférence, à laquelle, bien des fois depuis,
j'ai pensé, et que de récentes secousses, causées soit au Palais,
soit au théâtre, soit dans les cercles littéraires par des affectations
abominables, m'ont semblé rendre éminemment opportune. Je
vais donc essayer de la résumer comme hommage à son auteur
défunt, comme remède aux maux dont les oreilles délicates souf-
rent dans notre milieu où florit tant de pédanlise. J'ai pris pour
{'lire les Liaisons dangereuses; mieux eût valu peut-être les
Liaisons agaçantes.
« Vous avez tous raison dans une certaine mesure, dit d'abord
rexcelleni homme; c'est toujours comme ça, je le sais. El
j'ajoute : Il faut distinguer; c'est encore toujours comme ça, je le
sais aussi.
« Disting(UT. Comment? Voici : Le régime n'ost pas le même
pour le Chaut, 1<î Discourr;, Iê? Récitation, la Loclinv, la Cause-
rie. Ces cinq termes font une échelle doscondautort réclament de
moins en moins la solennité et raff('Clation,depluseu [)lus la sim-
plicité él le laisser aller. Ainsi, étant admis que l'on doit faire cer-
taines liaisons, ce n'est point parce qu'elles sont recommundables
au Chanteur, qu'elles le seront à l'Orateur, ou parce que l'Orateur
devra les faire que le Ricitaleur pourra se les permettre, ou
encore le Lecteur, ou surtout le Causeur. Voilà un point fonda-
mental qui sert à concilier irèsaisémenl les opinions opposées
qui tantôt troublaient ma pauvre digestion.
« En voici un autre : La règle principale en colle matière,
est le goût, basé sur l'euphonie. C'est une (juestion d'oreille et
non pas une question de grammaire. 11 faut éviter ce qui paraît
cherché, voulu, ce qui sort trop violemment de la conversation
courante, car celle-ci est assurément le diapason originaire, par
cela même que c'est elle qu'on entend le plus et qui fait les
habitudes de l'ouïe. Sous ce rapport je ne cache pas que /e
Muguet t' au bois m'a heurté, et en supposant que pour éviter
un hiatus trop dur il fallut faire sentir la liaison, il y faudrait
mettre une prudence infinie, l'indiquer à peine, la murmurer.
« Car voici encore une formule : Toutes les liaisons opportunes
ne doivent pas être marquées avec la même intensité. La façon de
les établir peut être forte ou douce, de manière à les frapper
nettement ou U les rendre presque imperc('i)libles. Vn esprit
délicat fera, à cet égard, des modulations qui pourront tout sau-
ver. Ainsi, lantôl, notre aimable chanteuse a glissé très subtile-
ment sur le /' au bois que, moi au moins, j'ai entendu à peine
— ô le flatteur! — et je ne suis pas du tout d'avis que le réqui-
sitoire qu'elle a essuyé fut mérité.
c< Voilà quelques généralités qui seront déjà des guides sûrs
pour les natures pénétrantes. Mais l'usage, fondé sur l'exemple des
bons diseurs en tous genres, a primé et définitivement consacré
quelques préceptes que je vais vous énoncer. Dans ce qui pré-
cède je vous parlais comme homme et comme artiste. Voici
maintenant le professeur, sinon le pédant.
tt Je suis l'ordre alphabétique des lettres, autant que ma vieille
mémoire de membre du Conservatoire me le permettra.
« Le c d'abord. On dit croc-en-jnmbe, on dit un franc, animal,
on dit un porc-épais comme on dit un porc-épic, en liant toujours.
Bien. Mais ce sont les seules exceptions avec celle que la tradi-
tion autorise pour tabac dans ce vers de Corneille :
Le tabac, est divin : il n'est rien qui l'égale.
«" En dehors de ces cas, on ne lie jamais le c final. Gardez-
vous d'un estoma... c'exigeanl, d'un escro... c'effronté, d'un
ban... c'agréable.
« La règle est la même pour le </, sauf s'il finit un mot qu'on
joint au suivant par un irait d'union ou s'il s'agit d'un adjectif
qui (jualifie le substantif qu'il préi'ède; et encore, le d devient-il
alors un i, sauf dans nord-est et nord-ouest où'ilre>te ce qu'il est.
Gare donc à ceux qui prononcent : il mor... d'avec rage, nuiis
dites : un grau... t'orat ur. Pour ne rien oublier, je dois ajou-
ter qu'il devient aussi uu / dans pied-à-tcrre et dans picd-à-
pied.
« Le <; change aufsi de nature et se transforme en c; sauf
dans ces trois mots saugrenus : coing, poing, seing, où il est
traité comme s'il n'existait pas. Il faut dire : le san... c'humain,
un ran... c'illuslre.
« Dois-jc continuer, interrompit le magister improvisé. C'est
passablement cnseiifnemenl moyen, tout cela, n'est-ce pas? J'ai
peur de devenir normalisle, ce qui serait un sort affreux. »
Nous nous récriAmes. Celait intéressant. C'était neuf pour l'a
plupart d'entre nous. Maintenant qu'il y était, il pouvait ne pas
. se gêner.
« La consonne l, recommcnça-t-il d'un ton plaisamment doc-
toral, ne se prononce pas h la fin des vocables et ne se lie pas : un
fusil élégant, — sauf dans gentil et alors il faut le mouiller : un
genti... Il'aspect, dit-il en se tournant vers l'une des assistantes
qui avait ses préférences.
« Même sort pour »/, — ne se prononce pas : le lliym odorant
de ce vallon sauvage!
« Pour n c'est autre chose; dans les adjectifs on le fait sentir :
un vai... n'espoir, un mali... n'animai; de même dans un h un,
mais nullement dans un et deux et dans tous les autres cas où im
intervient. S'il s'agit de subslanlifs, c'est tout autre chose, con-
damnation au silence : le pain est cuit, —et, se lournant vers la
chanteuse de tout-ii-riuure : votre chanson était admirable.
« La consonho /) est également nulle, sauf dans trop et beau-
coup et, en poésie, dans coup i)0ur éviter l'hialus. Pour ma part,
j'aimerais mieux Thialus que cou... p'affroux. Mais la tradition!
« L'r, s'il termine des substantifs, ne se lie pas; s'il s'agit
d'adjectifs, il" se lie. Celait la même chose tanlôl pour ïn.
D'où vient celle dislinclion? Pure fantaisie sans doute, mais usage
despotique. Donc : un berger arcadien, mais un lége... r'effort.
Va pour ces caprices. Quant aux verbes qui finissent en er,
il est de mauvais ton de lier dans la causerie; dans les vers, la
même question de l'hiatus impose le contraire. H y a aussi de
solennels discoureurs qui recommandent la liaison dans la prose
dite élégante eï dans tous les morceaux de grand style. Ameii.
« Nous voici à s. Nous sommes en plus grande liberté. Le
goût enfin, le goût décide presque toujours. Certes il faut inva-
riablement lier les verbes h leurs substantifs, les adjectifs h leurs
noms, les pronoms à leurs verbes, les prépositions, les conjonc-
tions à ce qui les suit. Mais n'imitons pas les beaux parleurs qui
font sentir toutes les s imaginables, les petites s et même les
grosses s comme disait un pitre dans son boniment. Evitez avec
horreur l'exemple des malheureux qui disent deux heure... z'et
demie, (jui, chaque fois qu'ils tutoient, violent la familiarité de
leur langage en prononçant tu parle... z'avec chaleur, — lu
déjeune... z'avec moi, — ces chiens... z"el ces chais. Soyez d'une
réserve extrême. Cette lettre traîtresse transforme promptement
qui en abuse en un personnage ridicule. Supprimez-la de préfé-
rence. C'est même obligatoire quand elle vient après un r, sauf
dans corps et âme. corps et bien. Je plains l'infortuné à qui il
arriverait dédire : mon cheval a pris le mor... s'aux dents. Dans
le langage dit noble, on fait pourtant la liaison des mots cours],
recours^ toujours, vers, envers. J'ai souvenance d'un professeur
d'université qui s'obslinait à prononcer: mon cour... se. Il jugeait
sans doute que rien n'était plus noble que son cour-se.
u Nous arrivons au /, source de la querelle de tantôt. En
général il se joint aux voyelles suivantes, excepté''^and il est
précédé d'un ?'et dans les mois de par... l'et d'autre, de par... l'en
part et fort employé comme adverbe : .Vous êtes fort... l'atta-
chante (même jeu que plus haut vers sa préférence). De même
dans sert pour éviter l'amphibologie avec serre, et dans court
pour l'euphonie. Mais gare îi l'abus. Je tressaute quand j'entends
un enfant... l'indocile ou... le mugue... t'au bois.
« Le / es^ sacrifié au c dans aspect, circonspect, respect, sus-
pect. J'avoue que je préférerais qu'on les sacrifiât l'un et l'autre.
Mais il paraît qu'il est séant de dire : un aspe... c'horrible. En
effet, c'est horrible. J'en ai protesté toute ma vie.
« VJx prend le son du z devant les voyelles : des yeu... z'admi-
rables (encore une fois un â gauche, vers la préférence). Pourtant
on ne le fait pas sentir dans crucifix, perdrix et prix, sauf quand
on parle ore rotundo. Dites chez vous : perdrix aux choux, mais
si vous êtes chez un ministre, dites perdri... z'aux choux.
« Quant au z, on le lie toujours, sauf dans le nez. Ce précieux
appendice méritait cette exception. Toutefois en vers on le replace
sous la règle commune. La prose dit : le nez au vent, la poésie
le nez... z'au vent. Comme c'est plus poétique, n'est-ce [)as?
« Et me voici au bout de ma leçon,
« De cette histoire, la morale : c'est que, dans le langage comme
dans la vie, il faut faire le moins de liaisons possible, ne fut-ce
que pour éviter le sort de ce brave tanneur qui disait : « Avec
z'une peau je fais l'un cuir ». Et à qui son interlocuteur répon-
dait : « Pardon, vous en faites deux ».
Ainsi parla notre vieil ami. Est-ce de l'art que de raconter
cette vieille causerie d'un bonhomme aimable? Il m'a semblé
qu'oui,' en tant que technique assez ignorée de ceux qui pra-
tiquent Tàrt oratoire et celui du chant, l'art de causer simplement,
aussi. •
PORRE^PONDANCE D'U NE " PaRI^îEN NE
A propos d'Hamlet.
J'en sors, de celte représentation (VHamlet à la Comédie-
Française, où je devais avoir le plaisir de vous accompagner. —
J'en sors seule et peut-être, vous me permettrez de vous le dire,
est-ce mieux ainsi, — au point de vue de la critique et de l'art,
s'entend, — pour une piemière initiation à cette traduction
d'Humlet que nous ne connaissions pas encore, à cette interpré-
tation nouvelle aussi. — Car, après avoir lu dans VAri moderne
l'étude consacrée à la troupe des Français, je ne pouvais me
défendre d une certaine préoccupation pour laquelle le silence, et
presque l'isolement, semblaient mieux convenir. Ecrire dans
VArl moderne, c'est recevoir un brevet de sincérité et de har-
diesse : je vous dirai donc franchement que je ne partage point
l'opinion de voire éloquent correspondant, et sans doute vous
accueillerez avec la même bienveillance les appréciations que je
désire vous soumettre. • "
Mounet-Sully a si bien rendu le caractère particulier de mys-
tère, d'indécision, de sphinx, qui fait d'Hamlet une figure humaine
entre toutes les immortelles créations de Shakespeare, qu'en réa-
lité c'est là ce qui domine dans son interprétation. Indéfini, et
indéfinissable, au point que tous les écrivains, depuis le
xvi^ siècle, se sont crus obligés de rechercher comment Shake-
speare lui-même avait compris son héros, irrésolu et flottant,
raisonneur et rêveur, surtout, et non agissant; oui, telle est exac-
tement la figure qui nous est apparue sur la scène, incarnée par
la très grande perfection plastique de Mounet-Sully. Si vous
parlez de Rossi, si vous prenez pour base de votre critique cette
mauvaise méthode de comparaison, je vous parlerai d'Irving, le
tragédien de Shakespeare, à Londres, et alors il n'y aura plus
porsonno, comme on dit vulciaifcmcnt. — El avant tout, songez
que le texte (lue déclament Uossi, Salvini ou Irving, serre de
beaucoup plus près Shakespeare, c'est-^-dire tout son g(5nie, son
tempérament dramalicpie, la langue de l'époque, le milieu ambiant
si nécessaire pour compléter la parole et les faits. Rien que [)arce
qu'ils ont le vrai, le brûlai, l'original Shakespeare h la bouche,
leur interpréla,lion doit prendre immédiatement l'allure sauvage,
violente et simple h la fois, qui sont la caractéristique du grand
génie anglais. Ici, le tragédien chargé d'interpréter le rôle
d'IIamlet en français, doit l'interpréter en vers, ^:— ce qui change
déjii furieusement la question, — et en vers du brave et charmant
Alexandre Dumas! — Quoi! Voyez vous l'aulourde Monte-Christo
et de la Tour de Nesle mettre en vers le créateui- de Macbeth et
iïO/hello? Non, je ne le voyais pas, et jjourtant je l'ai entendu;
et en entendant ces vers monotones et poncifs, vulgaires et plats,
j'admirais Mounel-Sully et je m'étonnais encore qu'il ait trouvé
des accents si nobles, des nuances si variées, — précisément les
nuances du rôl(\ — avec une si pfde. une si molle traduction!
Et pour reprendre le mot même de l'article auquel je réponds,
c'est cette traduction même (jui est trempée de trop de parisia-
nisme et de distinction, (jui est trop Comédie-Française, et non
pas l'interprétation de Mounel-Sully, qui- se montre complète-
ment, hardiment, ce que quelques-uns depuis longtemps le
savaient être, un grand artiste. Un artiste, parce qu'il compose
ses rôhîs avec un art délicat et personnel, parce (lu'il a des qua-
lités et des défauts irréguliers qui constituent précisément l'ori-
ginalité artisticpie; grand artiste enfin, et surtout, parce qu'il se
donne toul entier à son art et à .ses Créations; parce qu'il ne cal-
cule pas une heure si cela l'usera ou non, parce qu'il y est jus-
qu'aux moelles de son âme et de son corps : aussi, quand on
vient de le voir et de l'entendre dans cet écrasant rôle du prince
de Danemark, on est presque aussi brise cpie lui, inais on l'estime
autant qu'on l'admire!
— Ah ! qui ne doit pas être fatiguée en rentrant dans sa loge, c'est
l'Ophélie de la maison de Molière ! Je ne l'écraserai pas par la
comparaison à faire entre elle et Miss Ellen Tcrry, la partenaire
d'Irvinff au Lvceum-Theater. Ce serait cruauté. Disons simple-
ment que M"« Reichemberg ne se doute pas un instant de ce que
c'est que l'Ophélie de Shakespeare et d'Hamlet, et, pour son
excuse, qu'elle ne peut pas s'en douter, étant donné sa nature et
son genre do talent. Il ne fallait, à aucun prix, la choisir pour ce
rôle de pureté, de simplicité et d'amour idéal.
mais il n'est pas défendu d'y chercher et d'y trouver les impres-
sions grises et mortuaires que fait présager le titre. Certains vers
les donnent et ce sont des pluies fines et lentes de désespoirs et
de larmes qui tombent dans la pensée. , .
" • J^OTE^ BlBLlOQF^/PHiqUE?
M. Frédéric Cousot écrit du fond des bois. Bruits de sources,
bégaiements de ruisselets, siftlets d'oiseaux, zézaiements de
feuilles et de brises, échos de sous-bois, vies d'insectes fourmil-
lants dans l's mousses et les écorces! M. Frédéric Cousot a une
ûme à la Jean-Jac(pies. Au xviii*^ siècle, une perruche l'eût fait
pleurer peut-être. Heureusement sait-il qu'aujourd'hui ce n'est
plus de mise dans les lettres. Aussi s'observe-t-il et son émotion
virgilienne contenue se dépense modestement mais avec charme
en une observation menue et jolie des choses forestières.
'•,■■■.,■■, ■■■ ■„ ■" . '^ an- ' ■ ■ " ■ . •
Nous avons i^eçu un livre : Spleen, blasonné d'une tête de mort
sur fond noir. Ces pages de 2 Novembre retardent quelque peu.
Jurisprudence du ^^ibelot
Tribunal de la Seine {3" chambre), 25 juin 1886.
Attendu que la veuve Baillet réclame k Obédine le paiement
d'une facture enregistrée à échéance de fin mars 188o, montant
6,600 francs;
Attendu qu'Obédine prétend déduire de cette facture un plat
porté pour une valeur de 3,000 francs ;
Attendu que la facture est ainsi libellée : « i plat Vienne repré-
sentant Vénus et Adonis»; (ju'Obédine ne conteste pas le lieu d'ori-
gine et de fabrication de l'œuvre d'art; qu'il afiirme seulement
avoir voulu acquérir un vieux Vienne, tandis qu'il ne détient
qu'un Vienne moi/e?*»^;
Attendu que Vexorbitance du prix ne suffit pas à établir
Cexaclilude d^une telle allégation; quil est d'usage en même
temps que de prudence élémentaire, à une époque oii les fraudes
sont si fréquentes et retentissantes duns ces sortes de contrat, de
bien stipuler dans la facture ce que Von a voulu acquérir et de
distinguer exprasémènt le vieux du moderne, la valeur artis-
tique en étant absolument différente ;
Attendu d'ailleurs, que la vue du plat, sans examen appro-
fondi et sans connaissances spéciales, par quantité de côtés artis-
tiques mais surtout par le style et parla qualité des dorures
protestait contre toute confusion ;
Qu'Obédine n'a qur'à s'en prendre k une incompétence ou ii une
négligence réelle de l'erreur commise, si erreur il y a ;
Par ces motifs,
Condamne Obédine à payer à la dame Daillet 6,600 francs,
montant de la facture avec intérêts h partir du "29 avril 188ô, date
de l'assignation, etc.
pETITE CHROjMiqUE
Nous sommes heureux, do pouvoir annoncer que MM. Dupont
et Lapissida vont mettre en scène prochainement Fidelio, de
Beethoven. C'est là un eftbrt artistique qui vaudra à la nouvelle
direction toute la sympathie des musiciens.
. M. Gevaerl s'est chargé de surveiller les répétitions. Il écrit
potMî- l'œuvre de Beethoven des récilalits qui seront chantés, pour
la première fois, à la Monnaie.
C'est aujourd'hui, dimanche, à "2 heures de relevée, qu'aura
lieu, îi l'Alhambra, l'exécution de la Feestcantate, de MM. Em.
Hiel et P. Benoit, composée en l'honneur de M. Buis, bourg-
mestre de Bruxelles.
400 chanteurs, M""^ De Cive-Ledelier, M"" Engeringh, Michaux,
Kirby et M. Dhuuvaert prêteront leur concours à cette nouvelle
œuvre de M. P. Benoit, dont on dit le plus grand bien.
D'une intéressante notice dé M. Joseph Gielen, l'amateur
renommé dont la curieuse collection d'antiquités est un des prin-
cipaux attraits de Maeseyck, notice relative à VEvangiliaire de
Siisleren {{\uc\u} dcLiml)Ourjî) qui fui si remarqué lorsdeTExpô-
si'ion inlernalionalb d'AmsKM-dau), dans la galerie de l'art rétro-
spectif, nous extrayons les renseignements suivants qui révèlent
ce que coûtait autrefois la confection d'un manuscrit h eniumi-
nur.^s.
« A la fin d'un ouvrage qui se trouve h la bibliollièquc de
Bourgogne, h Bruxelles, on lit la notule suivante :
. Espècos de Gros.
, « Au raîligraphe pour la transcription (le 885 fenillcîs 44. »
« Pour l'acliat de divers matériaux . ..... 6. »
« Pour le louage du manuscrit qui a servi de copie. 7. »
« Pour l'enlumineur pour la confection de grisailles. 4. »
. « Espèces de Gros. . . . 01, »
« Ct'tle s ^mm(\ en la décup'ant, représente aujourd'hui deux
mille doux cents francs.
« Mentionnons en passant et à titre de comparaison ce que
valent de nos jours les ancieus juanuscrits peints et enluminés
j>ar les grands maîlrrs.
u 1.0 splendide niiinuscrit (Missel) qui a é!é peint vers l'année
1430, ])onr J;icqiu}s Jubinal des Ursins. tïls du célèbre Prévost des
Marcliands de Paris, a été ailjugé lors de la vente des objets d'art
du prince de So!ti-Roff après de chaudes enchères, et au conten-
tement du public, heureux qu'il ne sortît pas de France, fut
adjugé pour la somme de 34,000 francs à M. Firmin Didol,
lequel céda ce précieux bijou au conseil municipal de Paris dans
la séance du 13 mai 1861. »
M. Tuxen expose au Cercle un laborieux travail de peintre
bien intentionné et habile. Sujet royal, art bourgeois. Tous ces
princes anglais, russes, norwégiens, tous, ont même type engoncé
et lourd. Le prince de Galles lui-même n'est pas épargné.
. M. Tuxen a dû passer par Paris et étudier quelques peintres
soi-disant audacieux, tels que Roll ou Comerre. La couleur est
brutale ou crnyjuse, mauvaise et, toutefois, il ne nous étonne-
rait pas que M. Tuxen prétendit peindre la lumière.
Au total, œuvre gauche et pas un tantôt aristocratique. Quant
au caractère héraldique à saisir chez des rois, même contempo-
rains... Va t'en voir s'ils viennent Jean...
M.Guillaume Breitncr, l'un des jeunes artistes hollandais du
groupe intransigeant, vient de vendre, au musée d'Amsterdam, le
tableau dont une esquisse a éiéexposée au dernier Salon des XX,
à Bruxelles : « Des artilleurs descendant une colline ».
La Revue indépendante, renée de ses cendres, a paru la
semaine dernière, sous la direction de M. Edouard Dujardin,
directeur de la Revue Wagnérienne; rédacteur en chef,
M. Félix Fénéon, qui a récemment publié dans l'Art moderne
l'excellent article dont nos lecteurs se souviennent sur les Im-
pressionnistes en 1886.
Ces deux noms indiquent nettement la couleur de la revue.
Quelques signatures raccentuenl encore : Stéphane Mallarmé,
chargé des Théâtres, J.-K. Huysmans, de la Chronique d'art,
Teodor de Wyzewa, des Lii;r^5, Henry Céard, de la Mu-
sique, etc.
Le premier numéro est superbe. Nous souhaitons très cordia-
lement la bienvenue à la revue de nos vaillants amis.
Une importante vente artistique aura lieu à la fin de novembre
ÎJ l'hôtel Drouot; c'est celle de l'atelier de Karl Daubigny, le
jeune et distingué peintre de paysages, si prématurément (nievé
à l'art français.
Le |)roduit de cette vente est destiné h la veuve de l'artiste
quil a institiré" sa légataire universelle.
L'exposition do l'atelier Daubigny précédera la vente : elle
sera faite salles 8 et 9, le .samedi 20 et le dimanche 21 no-
vembre.
La maison Boussod, Valadon et C", publiera i)rocliainement
une importante gravure de M. C. Waltner, d'après La Ronde de
nuit, de Uembrandt. Cette gravure sera lirée à 073 excuiplairos
de catégories variées, après quoi la planché s^era détruite. Les
mêmes éditeurs publieront également six eaux-fortes de M. Brac-
quemond, d'après h s dessins de M. Gustave Moreau pour les
Fables de La Fontaine. Soixante-cinq dessins de M. G. Moreau
p^nr l'illuslration des Fables sont actuellement expos;''s ù Lon-
dres. ,
On a lonujuement d^sserté-sur celte îmacjc svmboliciue de l'un
des poètes décadents: Lu Soir de « glaives». A la suite de
curieuses polémi(iues, explication fut donnée des fameux « glaives »
devant servir à évo(pier le Soir. Il ré.^ulie du commentaire que
Soir de glaives était fort admissible et qu'on pouvait se repré-
senter les rayons du soleil couchant comme autant de glaives
dardés du disque enflammé. On aurait pu de même dire : Un soir
de Notre-Dame des Sept Douleurs, les vierges au cœur saignant
apparaissant aux yeux des fidèles au milieu d'un tlamboiement
vespéral de lames d'or. « Soir de glaives » peut donc, grAce au
commentaire et à la publicité, recevoir droit de cité linguistique.
Ainsi, l'usage a répandu une foulé de formules syndjoliques :
sommeil de plomb, peur bleue, rire jaune, froid noir, etc.
Pour le cinquantenaire de la Vie pour le Tsar, qui sera célé-
bré dans bien des villes de Russie le 27 novembre prochain, on
placera h Smolensk la grille du monument de Glinka, inauguré
l'année dernière. Le dessin de la grille, fort original, est l'œuvre
de M.' Bogomolow, architecte, il est tout entier composé de
phras;}s musicales tirées de l'œuvre de Glinka et qui forment une
dentelle à la fois légère et solide. Les notes dorées ressortent
parfaitement sur les lignes en fer do la porte.
Malades, les théâtres. Les journaux de Paris annoncent des
baisses de recettes partout. Voici pour les quatre théâtres subven-
tionnés les renseignements officiels extraits du rapport de
M. Anlonin Proust.
A la Comédie-Française. — Lrs recettes de 1885 se sont
élevées îi 2,383,580 francs. Les dépenses à 2,374,386 francs.
Soit un reliquat de 9,194 francs, appliqué au fonds de roule-
ment de 1886. Mais les cinq premiers mois de l'année 1886 n'ont
produit que 958,316 francs do recettes, c'est-à-dire une différence
de 70,446 francs en moins sur h période correspondante de 1885.
A VOpéra. — La gestion de M. Vaucorbeil, en 1884, s'était
soldée par une perte de 402,000 francs. En 1885, sous la direc-
tion Ritt et Gailhard, la perte a été de 167,000 francs, qui,
ajoutés aux 79,000 francs de 1884, constituent au 31 décem-
bre 1885 une perte de 246,000 francs. Grâce à des économies
qu'il serait dangereux de pousser plus loin, l'année actuelle don-
nera probablement une augmentation de recettes qui atténuera ce
déficit. \ •
A C Opéra-Comique. — Du 1«- août 1884 au 31 juillet 1885 :
déficit, 109,652 francs. Du !•■' août 1885 au 30 avril 1886 : excé-
^ÊÊk
dent de roccltcs, 46,669 francs. Mais cet excédent a été entamé
par l'insuffisance des rt>celtes de mai et de ju'n ; avec les dépen-
ses, conséquences forcées de la clôUirc, il faut s'attendre, cette
année, à une perle.
A VOdéon. — Du 1*"" septembre 1884 au 31 août 1885 : excé-
dent de receltes de 39,643 francs. Du l'^'" septembre 1885 au
30 avril 1886 : excélent de recettes de 41,530 francs, que les
mois (T été ont diminué .
Glanurk. — Tous les spécialistes, confinés dans leur domaine
roslreint, ont une tendance irrésistible à décrier les hommes
assez insolents pour devenir justement fameux îi plusieurs litres
et pour joindre, au mériie sciêntifi(jue, un grand rôle ù la tri-
bune ou ailleurs. (A propos de P.iul Bert.)
PETITE BIBLIOTHÈQUE UNIVERSELLE
34, rue de la Montagne-Sainte-Geneviève, Paris
A 25 CENTIMES LE VOLUME .
- Une bien curieuse lettre de Berlioz :
« Mon cher Ernst, .
« Je vous Fv^niercie de votre lettre; j'élais impalienl d'avoir de
vos nouvelles.
« Vous n'éles par mort ! Bon ! Moi, je suis malade d'ennui, de
dégoût de Piiris et de tout ce qui s'y tripote; je suis d'une
Immeur de chien, je voudrais m'en aller et je ne puis pas bouger,
el j'ai des feuilletons à faire...
« Ah! les plaies d'Egypte no sont rien en comparaison de
celle-là. J'avais écrit a Maurice Barnett la semaine dernière à*
votre sujet, le connaissez-vous? 11 rédige le Moniing Posl, c'est
un excellent homme. Comment va Halle? El Darl'on? El ce fou
Vivier? . . ; ' „,.
« Quel lenij)s ! Il a plu hier h emporter les maisons! Mainte-
nant il fait piescjuc froid. J'ai mal h la tête, damné feuilleton; je
ne le coumiLMiccr.ii pas, voici huit jours que je recule, je n'ai pas
la moindre idée sur le sujet qui m'est imposé... quel métier!...
Où trouver du sol 'il et du loisir? Eire libre de ne penser à rien,
de dormir, de ne i)as eniendre pianoter, de ne pas ent'Midre
parler du Prophète^ ni des élections, ni de Kome, ni de
M. Prudhon, de r(>garder à travers la fiméed'un cigare le monde
s'écrouler. . . déire bête comme dix-huit représentants...
tt Ah ! mon Dieu ! mon Dieu! quel sacré monde vous nous
avez, f...-là! Vous fût'^s bien mal inspiré de vous reposer le sep-
tième jour et vous auriez diablement mieux fait de travailler
encore, car il restait beaucoup à faire.
« Mon cher Ernst, je voudrais vous écrire une lettre bien...
(bien quoi? Voyons!) bien... (animal, on n'annonce pas une
épilhète quand on n'est pas capable de la trouver !) enfin une
lettre qui vous fît plaisir, et je vois qu'il faut renoncer à la
moindre chance d'y parvenir. (Quelle phrasj!) Je ne trouve rien,
mais rie.i, rien de rien. C'est comme pour mon feuilleton. Ce
feuilleton me fera tourner en Cabet! c'est sûr.
« Je. sors, je vais m'ennuyer dehors, je m'ennuie trop chez
moi... N ..de Dieu... de n... de D...! Si je...
« Venez donc un peu à Paris, nous nous griserons ensemble,
cela sera peut-êlre amusant. Ah! voilà une idée! Je vais essayer
i\](i [vo'àso. ({\i(i\(\\i\\n susceptible de marcher avec.
« Adi u.
« H. Berlioz. »
P. S. — Tout bien considéré, non, je ne me griserai pas; j'ai
mal à Peslomac : aulre chose que j'ai oublié de vous dire. Ah!
mon pauvre Ernsij plaignez-moi, les feuilletons me fcronl
mourir. '
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3 francs. Se faire à si bon compte une bibliothèque s'é tendant
progressivement à toutes les branchés des connaissances humaines et
répondant à tous les goûts : c'est de quoi tenter le lecteur le plus
difficile. .
Aussi espérons-nous qu'après un coup d'œil donné à no-tre cata-
logue, le public intelligent voudra" posséder au moins l'un de nos
volumes et donner ainsi sou appui à l'œuvre la plifs économique, de
progrès intellectuel qui ait été tentée jusqu'à ce jour.
NOTA. — Notre catalogue étant destiné à s'augmenter sans
cesse d'oeuvres nouvelles, nous inscrirons toute personne qui en fera
la demande pour l'envoi des catalogues nouveaux.
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Lit et découpe tous les journaux du monde, et fournit
extraits sur n'importe quel sujet. ^
A. CHERIE, Directeur
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parisiens, départementaux, anglais, américains, allemands, suisses,
belges, italiens, autrichiens, russes, danois, suédois, norwégiens,
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informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune manifestation de l'Art ne
lui e$t étrangère : il s'occupe de littérature, de peinture, de sculpture, de gravure, de musique,
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouvement artistique . belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur toiis les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaitre.'
Chaque numéro de L'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'actualité. Les expositions, les livres noitvecniXj les
premières re-pré.^entatiôns d'œuvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires, les concerts, les
ventes cï objets d'art, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées.
L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. Il rend compte des
procès les plus intéressants concernant les Arts, plaides devant les tribunaux belges et étrangers. Les
artistes trouvent toutes les semaines dans son Mémento la nomenclature complète des expositions et
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Sixième année. — N° 47.
Lé numéro : 25 centimes.
Dimanche 21 Novembre 1886.
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?o
MMAIRE
Tirage a petit nombre. — La Belgique dans le «* Tour pu
MONDE ". — Bœufs gras académiques, —r La vie d'un paysagiste.
— Notes de librairie. — Petite chronique. ^
TIRAGE A PETIT NOMBRE
^" A propos de cette déclaration de l'un de nos écrivains
nationaux « qu'il ne publierait une œuvre récemment
achevée qu'à cinquante exemplaires et à un prix si
élevé que seuls les bibliophiles se décideraient à le
payer »», un journal bruxellois s'est exprimé en ces
termes :
«JFantaisie de bibliomane, direz-vous? Point du tout;
nîais conséquence logique et pratique de l'opinion que
l'auteur s'est faite, très justement, du public belge. Ce
public ne lit pas; c'est un profane ; tant pis pour lui, —
et tant mieux pour nous : arrangeons-nous sans lui.
La littérature, comme l'art, est un dilettantisme. Toute
notre ambition ne doit pas aller au delà de ceci : nous
faire lire des gens capables de nous apprécier. C'est
pour ces gens-là qu'il faut écrire, sans s'inquiéter des
autres. Combien sont-ils en Belgique? Cent et cin-
quante^ au maximum. Et c'est encore beaucoup. Ceux
qui parlent ainsi ont raison ; et leur renommée n'en est
pas moindre. S'ils avaient fait tirer leurs volumes à
mille exemplaires, huit cent et cinquante seraient
encore chez le libraire : voilà toute la difl'érence. A
quoi bon alors? Ce dandysme littéraire, ce soin jaloux
de ne s'adresser qu'à une élite, et bien d'autres choses
encore, indiquent un esprit incontestablement dédai-
gneux de la foule, obtuse et médiocre. »•
Un autre journal s'est empressé de répondre :
« Un de nos confrères, s'occupant de livres récem-
ment parus, félicite leurs auteurs de ne les avoir tirés
qu'à cinquante et à cent cinquante exemplaires. Il
appelle cela du « dandysme Uttéraire »». Franchement,
nous ne mêlerons pas nos félicitations aux siennes, esti-
mant peu sérieuse cette façon d'encourager la littéra-
ture nationale. ♦* Un tirage de cent cinquante, c'est
encore beaucoup «, ajoute notre confrère. C'est trop,
évidemment, pour des ouvrages sans intérêt, mais
chaque fois qu'un Belge a produit un volume de valeur,
le public a su aller jusqu'à lui et rendre justice à son
talent. Quoi qu'en dise l'auteur des lignes dont nous
nous occupons, on compte en Belgique plus de cent
cinquante lecteurs... au maximum! »» •
Cette observation et cette riposte, comme aussi le
phénomène qui les a suscitées, méritent examen. Ils
touchent la littérature belge aux endroits les plus déli-
cats. Ils soulèvent les questions suivantes : Qui lit les
livres de nos écrivains et surtout qui les achète ? Un
écrivain belge peut-il vivre de sa plume en se consa-
crant à des œuvres vraiment artistiques? Moins que
cela : peut-il couvrir les frais des livres qu'il publie ?
Constatons d'abord que le tirage à petit nombre n'est
pas la boutade isolée d'un dandy de lettres, comme il
est dit plus haut. L'habitude s'en prend chez nous. Il y
a même un mot d'argot pour la rendre : cela s'appelle
!■* - !•- .ï'
*,-*îS)p»r^iT^^
370
L'Ai?r MODERNE
étouffer l'édition. Comptons, rien que pour ces derniers
temps : Georges Eekhoud a fait tirer ses Milices de
Saint-François à 235 exemplaires; Edmond Picard
son Pro A7^te à 152 (son Juré n'en aura que 5Ô);
James Vandrunen, Elles, k 150; les Lettres à Jeanne,
de Jules. Destrée, à 300; Posthuma, de Gustave Cop-
pieters, à 100. Et tout cela en éditions d'amateurs. Eh!
dites donc, vous. Monsieur le Journaliste, qui vous tirez
d'affaire par cet aigre propos destiné à faire supposer
que ces écrits ne se lisent pas : « Un bon livre est
recherché en Belgique comme ailleurs «, que dites- vous
de la répétition de ce phénomène? Il faut bien qu'il
tienne à quelque chose. Pourq^uoi cet accord tacite?
C'est au moins étrange, il en faut convenir. Cela doit
avoir une raison. Vous ne la devinez pas. Soit, cela ne
prouve rien. Je vais vous aider, si vous le permettez.
Quand on est dans notre littérature depuis un nombre
d'années qui permet de parler à bon escient de son
expérience (pardon, ô novices, mes maîtres), on est
frappé de ceci : c'est que tout journal purement artis-
tique repose invariablement sur cinq cents lecteurs,
c'est que tout livre purement artistique a trois cents
acheteurs. En Belgique, s'entend, sur le terroir, le bon
terroir national.
Je dis acheteurs. En effet le nombre des lecteurs
peut être plus considérable. Ce qui le démontre, c'est
que quelques œuvres sont devenues populaires. La
vente n'y a été pour rien : consultez les éditeurs. Mais
le cabinet de lecture, l'emprunt, et la sollicitation du
don par l'auteur ont fonctionné. Ce qu'il y a de gens
qui, sous prétexte d'amitié ou de relations, se croient des
titres à obtenir un livre sans ouvrir leur porte-monnaie
est aussi prodigieux qu'affligeant. Ce qu'il y a de pingres
qui se le font prêter au lieu de dépenser les trois francs
qu'il coûte en moyenne dans une édition courante, est
tout aussi étonnant. Et les amateurs modestes qui ne
lisent que par abonnement font un troisième groupe
aussi imposant que les deux autres. En Belgique, trois
cents exemplaires vendus peuvent équivaloir à trois
mille, à cinq mille lecteurs.
Voilà comment le journaliste de tout à l'heure avait
raison en affirmant que les belles œuvres sont lues .en
Belgique comme ailleurs, mais voilà aussi pourquoi
cela ne résout rien en ce qui concerne l'écrivain, ses
moyens de vivre, et ses moj^ens d'imprimer.
En effet, ce dernier point est une question d'argent.
Ne raisonnons plus, calculons. L'éditeur se tient entre
l'auteur et les libraires. S'il imprime à ses risques et
périls, il paie des deux parts. Quoi ? Aux libraires le
tiers du prix de vente, soit un franc sur trois (33 % et
le treizième en sus). A l'auteur, cinquante centimes par
volume. Le franc et demi qui lui reste doit couvrir ses
frais d'impression et fournir son bénéfice.
Le pauvre auteur a donc cinquante centimes ! Sur
une vente de 300 c'est 150 francs. Imaginons une vente
de mille, ce sera 500 francs. Or, mille en Belgique,
c'est l'invraisemblable. En y joignant l'étranger, c'est
rarement dépassé, si ce n'est pour cette noble littéra-
ture que je me permettrai de traiter ici en quantité
négligeable, et qui s'est fait une gloire pornographique
d'un bel éclat sous le nom de Livres Belges.
Si l'auteur prend tout à sa charge, il devra, lui aussi,
payer le tiers aux revendeurs. Une édition un peu pro-
pre à 300 exemplaires lui coûtera au minimum
400 francs. Il sera donc en déficit de 200 francs. Notez
que c'est le cas le plus ordinaire, les éditeurs nationaux
ne se souciant guères, en général, de risquer le paquet
avec les artistes du cru. Ils savent trop que les mé-
comptes sont presque inévitables.
Cela étant, que faire. Monsieur le Journaliste? Il est
naturel que l'on ait pensé aux moyens d'éviter ces
déconfitures constantes.
On a recouru au tirage à petit nombre, sous forme
d'édition de luxe, chaque exemplaire haut tarifé.
Voici la combinaison et ses bases. Parmi les 300 lec-
teurs qui achètent nos livres, il y en a une centaine qui
sont des amateurs véritables, plusieurs des bibliophiles
épris des livres rares et des belles éditions. Pour satis-
faire leur goût ou leur caprice, ils paient aussi aisé-
ment dix francs que trois, voire vingt, trente et qua-
rante francs, selon l'importance du volume. C'est pour
eux qu'il faut tirer, et pour eux seuls. Ils viendront sur
le simple vu d'un prospectus, sans entremise du libraire
et sans son prélèvement énorme. Si mon livre me coûte
cinq francs, ce qui le suppose cinq fois mieux en sa
forme extérieure que l'édition ordinaire, et si je
vends à dix francs cent exemplaires, je couvrirai tous
mes frais et j'aurai 500 francs de bénéfice. S'il me coûte
vingt francs, ce qui le suppose magnifique, et si j'en
vends cinquante exemplaires à quarante francs, je
gagnerai mille. Si j'en vends cent, je gagnerai trois
mille à peu près, car la dépense d'un tirage double est
peu de chose.
Ceci devient sérieux, n'est-ce pas, Monsieur le Jour-
naliste ?
Et si Ton y ajoute la lecture, préalable à la publica-
tion, dans les divers centres du pays? Assurément quel-
ques-uns la feront gratuitement. Mais laissons-les de
côté : -j'envisage les écrivains de profession. Supposez
dix lectures à cent francs en moyenne, ce qui est un
minimum, c'est encore mille francs. Nous atteignons
donc quatre mille. Pareille somme commence à valoir
la peine d'écrire. '
Le tirage à petit nombre n'est donc pas si bête. Il
excite l'appétit des bibliomanes, il donne un grand
intérêt aux lectures publiques. Et, par surcroît, il
n'empêche pas une édition plus populaire, ultérieure-
ment, quand la renommée de l'œuvre s'est faite ce qui
■m
L'ART MODERNE
371
facilite singulièrement l'achat par un éditeur, deside-
7'atum final de quiconque écrit. Il donne aussi cette
satisfaction qu'assurément plus d'un cœur fier' ne
dédaignera pas, de donner une leçon à ce misérable
public qui, jusqu'ici, n'a jamais chez nous su faire à
l'artiste de lettres un sort pécuniaire lui^ permettant de
vivre de sa plume et à cette presse pourrie de camara-
derie qui ne parle que selon ses amitiés ou son intérêt.
Car c'est en cela. Monsieur le Journaliste, que la
situation présente est surtout lamentable. Excusez-moi
de préciser.
Vous étiez apparemment un artiste de lettres. Vous
avez dû, in illo tempore, écrire un livre, prose ou
vers, clématite ou chardon. Vous avez dû espérer la
vente, et vous avez dû la tenter. Vous savez ce qu'il
est resté de vos espérances et les quelques sous que
vous avez empochés, peut-être, n'ont point pesé lourd
dans votre gousset.
Avez-vous recommencé, je l'ignore. Mais que vous
ayez couru une nouvelle aventure ou non, vous avez
fatalement, tôt ou tard, abouti à' cette constatation
inéluctable : « En Belgique, la profession d'écrivain-
artiste ne fait pas vivre son homme ; elle ne peut être
que l'accessoire d'une autre sérieusement fructueuse. «
Et comme ce dernier cas n'était point le vôtre, et que
vos aptitudes ou vos goûts ne vous donnaient point la
force de volonté nécessaire pour faire autre chose
qu'écrire, vous vous êtes engagé...dans le journalisme,
hélas ! ■.•^- '•■.'■^- """' ■ '.'•'"'■ '':•■■' ■■^''■--■'■■-'^<^' y ■■■'^
Oui, hélas! Que le sens commun me garde de répéter,
ici, tout ce qu'on a écrit sur ce bagne et de l'inévitable
déchéance que les facultés artistiques y subissent. On
l'a nommé, le trottoir de la littérature, le putanisme
de l'art. On a dit qu'y tomber, c'était plonger dans la
fosse à purin. Avec moins d'àpreté, on a dit que les
reporters étaient des chiôonniers de lettres, des
bonnes à tout faire. Mettant en question jusqu'à leur
intégrité, on les a comparés à des bravi trafiquant de
leur plume comme autrefois on trafiquait de sa rapière.
Tout cela est empreint d'exagération. Mais ce qui,
certes, est exact, c'est qu'on ne peut impunément pra-
tiquer quotidiennement cette fonction littéraire subal-
terne sans y altérer les meilleures qualités. L'obli-
gation d'écrire à heure fixe, le drainage nécessaire et
constant des idées et des formules, la facilité avec
laquelle on se laisse aller à défendre moins ce qu'on
pense et ce qu'on aime que l'opinion utile à la feuille
qu'on sert, amènent l'épuisement et le dégoût de soi-
même. On tourne à la fonction machinale et écœu-
rante compliquée de longues et moroses stations autour
des tables de taverne avec des dévotions à la Sainte-
Absinthe. On se convainc que le style le plus aisé et
qui plaît le mieux est le plus banal. On s'accoutume à
ce vice honteux de l'écrivain : la goguenardise à propos
de tout. On sent qu'on ne fait plus partie du bataillon
sacré des artistes, mais de la garde civique des écri-
vailleurs. On se sent raté, on enrage et on passe son
hydrophobie à mordre les autres. La plume n'a plus ni
dignité, ni autorité et on finit dans le gâtisme des
Premiers-Bruxelles grotesques ou des faits-divers nau-
séabonds. ^^ .
Le corps vit alorâ de la plume, certes, mais l'intelli-
gence a été tuée par elle.
Ce spectacle est douloureux et pourtant c'est celui
que nous ofirent beaucoup d'hommes de talent, jadis,
formant les équipes de dix, de vingt journaux qui n'ont
plus sur notre public la moindre influence politique ou
artistique. Il est vrai que quelques exceptions confir-
ment l'universel amoindrissement. Mais le journalisme
(je risque une comparaison quelque peu ambitieuse) n'en
est pas moins un Maelstrom qui suce, absoi'be, résorbe
quiconque s'en approche et ne rend à la surface que des
malheureux brisés, défigurés, émasculés.
Il est naturel, n'est-ce pas, -Monsieur le Journaliste,
que quelques-uns essaient d'échapper à ce -recrutement
qui mène trop souvent à des batailles sans gloire et à la
décapitation morale. Mesquinement peut-être, ils ont
imaginé le tirage à petit nombre expliqué comme
ci-dessus. C'est peu de chose, j'en conviens. Mais l'ima-
gination est pauvre, et jusqu'ici on n'a rien trouvé de
mieux. _^. ^ :-"■:■/-■ :--^,.;^-."-'---- :;/■■■:;-'■.. • ;•-."."::;:..'■,;.:;:/.:;-
Ah! si ncrtre public pouvait enfin comprendre que
son devoir est d'acheter ces livres qui, en somme, en
valent bien d'autres et qui attestent un si persistant
courage pour doter d'une littérature la patrie (grand
mot qui ne commence à paraître bête que lorsque la
patrie ne fait rien pour les siens) ! Ah ! si sur les six
millions de Belges que nous sommes, il y en avait seu-
lement quatre mille qui se décidassent à payer trois
francs les œuvres de nos compatriotes! Il y aurait
moins de journalistes assurément, mais il y aurait des
artistes. Quel âge d'or !
LA BELGIQUE DANS " LE TOUR DU MONDE .
Camille Lemonnier vient d'achever dans le Tour du Monde^
par*une livraison sur la province de Limbourg, l'énorme et
superbe travail qu'il y a consacré à la Belgique. L'an prochain
paraîtra l'œuvre entière un peu remaniée, complétée, uniformisée
de tons, agrémentée de nouveaux dessins et reproductions de
tableaux; ce grand livre sera, certes, un des plus beaux, des
plus durables, monuments littéraires qu'un écrivain ait bâti pour
la gloire de son pays et pour la sienne.
Nous espérons qu'on s'en apercevra au moins quand le livre
paraîtra, pour en rapporter à son auteur palmes et louanges; car,
jusqu'ici, c'est plutôt dans du silence que l'œuvre est tombée,
sans que des particuliers, d'une ville ou du gouvernement un
hommage, un encouragement lui soient venus. Au contraire,
/
"-$'■
» i.
372
VART MODERNE
toute d'exaltation, d'enthousiasme, de dileclion patriote, de ten-
dresse pour la terre originelle que l'écrivain lyrique semble par"
moments porter à ses lèvres et baiser, à la façon des rudes
communiers de Flandre, ses ancêtres, dont il a gardé, lui, la
mule vigueur et l'indéfectible fierté — une telle œuvre, disons-
nous, au lieu de se produire dans la joie et l'acclamation du pays,
lui a été indifférente, presque antipathique, s'il faut en croire les
agressions du début. On se rappelle, en effet, à l'apparition des
premières livraisons, les appréciations étonnantes de M. Hymans
dans rOffice de Publicité. On croit rêver quand on lit h présent
des choses comme celles-ci, qui semblent si lointaines et qui
sont si proches.
« Quant au texte, il m'a laissé et il laissera certainement au
public une impression pénible. S'il paraissait en Belgique, il n'y
aurait pas grand mal ; il faut supposer même qu'il ne serait pas
lu. Mais ce système va mettre au dehors des hruiaViiés préjudi-
ciables à notre renom littéraire!!! »
Et puis il ajoutait h ces appréciations fantastiques :
« Je vois \h une aberration de goût chez des écrivains qui
pourraient consacrer leur patience à dès travaux utiles! !! »
' Des travaux utiles, comme « Bruxelles h travers les âges »,
dédié au jeune Baudouin et publié à coups de subsides ! !
0 sublime et sereine bélise! La bélise au front de taureau,
comme dit Baudelaire.
Mais n'est-ce pas qu'il est amusant de rappeler ces choses
d'antan, aujourd'hui que l'œuvre finie est toute pavoisée par
l'admiration universelle des artistes.
Quant à la dernière livraison sur le Limbourg, elle est digne
des précédentes, pleine de couleur, de pittoresque, d'images fas-
tueuses déroulées çà et là dans le récit comme des brocarts sur-
chargés do joyaux et de dentelles fleuries.
C'est d'abord la description du jubé de Tessenderloo — une
merveille, dont on ferait bien d'obtenir le moulage pour le nou-
veau Musée des Echanges; puis c'est la contrée à l'aspect souf-
frant, la plaine morte, la solitude de sable où s'élèvent les logis,
cantines, auberges qui entourent le camp de Bcverloo. Puis l'au-
teur nous promène dans les rues de ïlasselt, ensuite à Sainl-
Trond, et ici il raconte, vers l'heure du crépuscule,, un émouvant
paysage de banlieue, attristé de calvaires saignants, de couvents
silencieux, d'un hospice de fous et, sur les toits de toutes ces
maisons de tristesse, — la tristesse plus grande encore des clo-
ches s'épandanl en larmes de bronze ruisselantes.
Un bien exquis morceau aussi, c'est la description, dans les
campagnes environnantes, du tressage des pailles auquel s'oc-
cupent les femmes et les fillelles qui, au soir tombant, sur le
seuil des portes, tiennent entre leurs doigts des chaumes « qui
ressemblent alors à des aiguilles d'or. Elles ont l'air de travailler
de la clarté ».
El voici la fin de l'œuvre, pleine d'une poétique et touchante
émotion :
Lentement le ciel s'apâlil sur ces idylles; une fumée rose
monta des horizons; le soleil décrut derrière la paix du grand
paysage. Et mélancoliquement je pensai qu'il ne se relèverait plus
sur les pages de ce livre. Avec son disque rouge, déjà froidi de
silence et d'ombre, s'enfonçait dans la nuit l'œuvre accomplie
après tant d'aurores et de couchants. Je l'ai menée à travers la
vie bonne et mauvaise : depuis bientôt cinq ans, j'y mets une
tendresse religieuse pour la terre maternelle où dorment les
miens, où moi-même j'irai dormir un jour. Et voici que je louche
à son déclin. A travers l'inévitable tristesse qui accompagne la fin
des labeurs humains, il me reste du moins une douceur, celle d'y
avoir vécu, dans les siècles et le temps, chez les ancêtres et les
vivants, de la vie même de la patrie, en communion constante
avec sa grande âme indéfectible.
JaEp BŒUF? QRA^ yVCADÉMiQUE?
Festivité dé paroisse, que sonnent de petites cloches, avec des
bourdons grêles, dans un air provincial, passe encore! et môme,
il y aurait tout un rêve de vieilles et modestes coutumes, qui
s'éveillerait h ce bruit légendaire, mais au lieu de cela du fracas
et de la réclame et une sorte d'américanisme brutal et une mani-
festation énorme comme autour d'un bœuf gras !
C'est des prix de Rome qu'il s'agit.
Gand avait Montald ; — depuis quelques jours, Anvers possède
Van der Veken.
Ce qu'ils ont. fait? Si c'était un crime, on ne trouverait que
peu de chose à blâmer, mais l'un s'est permis un tableau, l'autre
une gravure — et c'est cela qui est inexcusable.
D'abord l'exemple, le mauvais exemple donné à tout un peuple
trompé, hypnotisé parla fausse gloire, séduit par des couronnes
en papier et des médailles en toe el qui se dit fier d'avoir produit
deux médiocrités artistiques nouvelles comme si les MM. De
Vriendt, Van den Bussche et Van Ilammée ne suffisaient plus.
Ensuite, quelques milliers de francs dépensés à célébrer et à
limbaliser le triomphe de l'art nul sur l'art qui vaut, de la décré-
pitude sur la force et de la sénilité sur la jeunesse.
Ensuite, un orgueil bêle dans deux têtes qui deviendront —
selon l'expression d'un M. Durandeau — les clefs de voûle de
Tédifica académique, car, fatalement, MM. Montald el Van der
Veken, seront sacrés professeurs à leur tour et placardés de dis-
tinctions bourgeoises et gobés par les Mécènes belges comme un
œuf à la coque. Ils trôneront plus lard, pour juger d'autres con-
cours et ce seront des élèves quelconques aussi qu'ils médaille-
ronl. '
Le prix de Rome a son immortalité assurée.
Ensuite et enfin, l'incapacité de l'état à patronner l'art, démon-
trée une fois de plus, sonjnlerveniion honteuse, à côté, toujours
à faux. L'Etat ! celte vieille gaupe de nourrice qui n'y voit plus et
donne à téter h quiconque passe, mais de préférence aux imbé-
ciles, mais avec prédilection aux caduques, parce qu'elle sait
que les autres, les forls, sitôt la tête tournée, crachent et recra-
chehl son lait vert.
Il nous a été donné de voir des œuvres de M. Montald. Tout y
était figé, compassé, appris, copié, travesti. Rien, mais pas une
attitude, rien, mais pas un trait de pinceau n'était de lui. Les
ressouvenirs peignaient avec sa main et si encore c'avait été les
maîtres qui se reflétaient en lui! Au contraire. Sa Lutte humaine
et son tableau de concours, n'indiquaient que l'élude des plus
médiocres Wierlz et Gallail et Kaulbach el Delaroche et De Key-
ser... la liste en est infinie, de tels noms se reflétant les uns les
autres comme des miroirs d'appartement ou des glaces de café.
Il prouvait, M. Monlald, que toute sa vie, sop but avait été le
même que celui d'un élève d'école primaire : transcrire propre-
ment un devoir; qu'il avait de la calligraphie, de l'application, de
la patience; qu'il avait fréquenté l'école el que ses professeurs
n'avaient pas à se plaindre.
Mais l'art ?
Si M. Montald en avait senti la secousse, même en concourant
pour le prix de Rome, môme en badigeonnant la Lutte humaine^
les figures de carton, les chevaux en pâte durcie, les ciels en
toile gommée, certes, ils lui eussent craqué sous les doigts ; on
eût vu, assurément, ci et là, ne fût ce qu'en un coin de l'œuvre,
un bout de drapeau révolutionnaire passer, une poussée person-
nelle l'enlraîner hors des poncifs, un cri de jeunes.se aurait rompu
le plain-chant benoit et somnifère de son esthétique et sa nullité
irrémédiable n'eût point découragé tout éloge.
Au reste, à quoi bon appuyer sur la personnalité de M. Montald :
elle est indifférente à la querelle d'art. D'autant, que les fêles
elles-mêmes, qu'on lui décerne, ne pourraient être mieux faites
pour le ridiculiser. Oh ! ces triomphes où toutes les bourgmes-
irerics et toutes les échevineries cernent l'écharpe, où tout ce
que le fin fond des bureaux et des secrétariats communaux ren-
ferme de discours et de harangues se démoisit au soleil, où des
mots cinquantenaires, qui puent leur mil-huit-cenl-trente, s'en-
lacent en périodes et sont présentés comme conserves gramma-
ticales à l'appétit vaniteux du lauréat. El les carrosses, et les
quatre chevaux, comme au corbillard, et les cochers fiers d'être
nuls et qui prennent au défilé une part des bravos pour eux, et la
famille qui se croit du jour même des bourgeois monlmorencysés
el tout le peuple badaud ne cherchant qu'un prétexte à rigolade
"et se montrant le héros comme un Jannéke où une Mieke qu'on
promène îi travers les rues el dont il ne sait pas même le nom.
El le soir, le quartier illumine : toutes les chandelles à deux sous
clignent des yeux derrière une vitre, tous les lampions font kiss
kiss comme des chiens qu'on pince, tous les transparents où
jadis aux fêtes du pape ou aux élections triomphales on voyait :
Hommage à Pie IX où Vivent le's gueux changent d'affiche et
célèbrent la gloire nouvelle de la paroisse de Saint-Macaireou de
Sainte-Brigitte. Je me suis laissé dire que pour M. Montald les
poissonniers s'étaient cotisés et lui avaient offert un saumon, les
charcutiers un cochon de lait et qu'il avait bien autant de mon-
tres qu'il y a de jours dans le mois : ce qui lui permettra,- en
temps de dèche, de louer trente à trenie-un clous au Mont-de-
Piélé. M. Montald s'est, du reste, pris au sérieux. Un jour il s'est
fait portraire au milieu de tous les cadeaux reçus : des fleurs
l'entourant, le saumon à sa droiie, un dessus de pendule à sa
gauche et les trente montres à ses pieds, comme de petits nuages
dix-huitième siècle, en écailles d'huîtres.
Si Gand s'est débauché h l'occasion de son prix, Anvers a voulu
rivaliser de folie. Il s'agissait bien de Montald et de Van der
Veken! Celte fois, les villes sont entrées en lutte el se sont
battues sur le dos « de leurs enfants ». Elles se sont campées
chacune sur une rive d'Escaut et se sont crues revenues aux
luttes d'anian. Jadis, elles se battaient à coups d'épées, aujour-
d'hui, à cinglades de fleurs.
La fête n'a pas décessé de la journée entière. La deuxième
légion de la garde civique et l'Orphéon des orphelins ont donné.
M. Naudls n'a manqué de présider le tout el M. Van Kuyck, lui
aussi, s'est prodigué. H y a eu encore M. Rooses qui n'a pu
retenir sa langue de parler, ni sa main d'ofîrir un bouquet. Le
Champagne a coulé dans des coupes (de cristal, nous assure-l-on)
el l'on est allé à l'Athénée grapillcr des médailles commémora-
tives.
Et pour que M. Van der Veken fasse triomphe complet comme
on fait un chelem au whisl, un concours — ce mot-là étai linévi-
table — énorme de foule lui a passé le séné et la casse, les
deux à la fois, sous le nez. Anvers a, fait mieux les choses que
Gand.
El peut-être, depuis cette heure, M. Montald ne dort-il plus
tranquille : histoire de faire son petit Alexandre embêté par
Pompée.
LA VIE D'UN PAYSAGISTE V
M. Guy de Maupassanl a publié récemment dans le Gil Blas
une lettre où il raconte les émotions d'un peintre devant la
nature. Ce n'est peut-être pas très neuf, mais c'est toujours vrai,
et d'une sincérité d'impression charmante. Ecoulez :
Je vis dans la peinture à la façon des poissons dans l'eau.
Comme cela étonnerait la plupart des hommes de savoir ce
qu'est pour nous la couleur, et de pénétrer la joie profonde
qu'elle donne à ceux qui ont des yeux pour voir.
Vrai, je ne vis plus que par les yeux; je vais, du matin au
soir, par les plaines el par les bois, par les rochers'et par les
ajoncs, cherchant les tons vrais, les nuances inobservées, tout ce
que l'Ecole, tout ce que l'Appris, tout ce que l'Education aveu-
glante el classique empêche de connaître et de pénétrer.
Mes yeux ouverts, à la façon d'une bouche affamée, dévorent
la terre cl le ciel. Oui, j'ai la sensation nette el profonde de
manger le monde avec mon regard, et de diriger les couleurs
comme on digère les viandes et les fruits.
Et cela est nouveau pour moi. Jusqu'ici je travaillais avec
sécurité. Et maintenant je cherche!... Ali ! mon vieux, lu ne sais
pas, tu ne sauras jamais ce que c'est qu'une molle de terre, el ce
qu'il y a dans l'ombre courte qu'elle jette sur le sol à côté d'elle.
Une feuille, un pefit caillou, un rayon, une touffe d'herbe m'ar-
rêtent des temps infinis ; el je les contemple avidement, plus ému
qu'un chercheur d'or qui trouve un lingot, savourant un bonheur
mystérieux et délicieux à décomposer leurs imperceptibles tons
el leurs insaisissables reflets. "
El je m'aperçois que je n'avais jamais rien regardé, jamais. Va,
c'est bon, cela, c'est meilleur et plus utile que les bavardages
esthétiques devant des piles de soucoupes représentant des
bocks.
Parfois, je m'arrête stupéfait d'observer tout à coup des choses
éclatantes dont je ne m'étais jamais douté. Regarde les arbres et
l'herbe en plein soleil, et essaie de les peindre. — Tu essaieras.
Tout Le monde a fait du paysage au soleil, parce que tout le
monde est aveugle. Mon cher, les feuilles, l'herbe, tout ce que le
soleil frappe en plein n'est plus coloré mais luisant, el d'un lui-
sant tel que rien ne le peut rendre. Or, on ne saurait peindre
ce qui brille; on ne saurait même en donner l'Illusion.
L'an^ernier, en ce même pays, j'ai souvent suivi Claude Monet
à la poursuite d'impressions. Ce n'était plus un peintre, en vérité,
mais un chassetjr. Il allait, suivi d'enfants qui portaient ses toiles,
cinq ou six toiles représentanl le même sujet à des heures diverses
et avec des effets différents.
Il les prenait el les quittait tour à tour, suivant tous les chan-
gements du ciel. El le peintre, en face du sujet, attendait, guet-
lait le soleil et les ombres, cueillait en quelques coups de pinceau
le rayon qui tombe ou le nuage qui passe, el, dédaigneux du
faux el du convenu, les posait sur sa toile avec rapidité.
Je l'ai vu saisir ainsi y ne tombée élincelante de lumière sut la
falaise blanche et la fixer avec une coulée de tons jaunes qui ren-
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374
L'ART MODERNE
daienl étrangement le surprenant et fugitif effet de cet insaisis-
sable et aveuglant éblouisscment.
Une autre fois, il prit h pleines nnains une averse abattue sur
la mer et la jeta sur sa toile. Et c'était bien de la pluie qu'il avait
peinte ainsi, rien que de la pluie voilant les vagues, les roches et
le ciel, à peine distincts sous ce déluge.
Et je me souviens encore d'autres artistes que j'ai vu travailler
jadis dans ce vallon d'Etrclat. ^ -
Un jour, j'étais très jeune encore, et je suivais la ravine de
Beaurepaire quand j'aperçus dans une ferme, dan§ une petite
ferme, un vieil homme en blouse bleue qui peignait sous un
pommier.
11 paraissait tout petit, accroupi sur son pliant; et, celle blouse
de paysan m'enliardissanl, je m'approchai pour le regarder. La
cour élail en pente, entourée de grands arbres que le soleil, près
de disparaître, criblait de rayons obliques. La lumière jaune cou-
lait sur les feuilles, passait k travere et tombait sur l'herbe en
pluie claire çt menue.
Le bonhomme ne me vit pas. Il peignait sur une petite toile
carrée, doucement, tranquillement, sans presque remuer. Il avait
des cheveux blancs assez longs, l'air doux et du sourire sur la
figure. ■ ,
Je le revis le lendemain dans Elretat. Ce vieux peintre s'appe-
lait Corot.
Une autre fois, deux ou trois ans plus tard, j'étais venu sur la
plage, pour voir un ouragan.
Le vent furieux jetait sur le pays la mer déchaînée, dont les
vagues, énormes, s'en venaient lourdement, l'une après l'autre,
lentes et coiffées d'écume/
Puis, rencontrant soudain la dure pente de galet, elles se
redressaient, se courbaient en voûte et s'écroulaient avec un
bruit assourdissant. Et, d'une falaise à l'autre, la mousse arrachée
de leurs crêtes, s'envolait en tourbillons et s'en allait vers la
vallée, par dessus les toits du pays, emportée par les bour-
rasques. ' '
Un homme dit soudain près de moi : « Venez donc voir Cour-
bet, il fait une chose superbe ». Ce n'était point à moi qu'on avait
parlé, mais je suivis, car je connaissais un peu l'artiste. Il habi-
tait une petite maison donnant en plein sur la mer, et appuyée à
la folaise d'aval. CtHe maison avait appartenu d'ailleurs au peintre
de marines Eugène Le Poictevin.
Dans une vaste pièce nue, un gros homme graisseux et sale
coïiail avec un couteau de cuisine des plaques de couleur blanche
sur une grande toile nue.
De temps en temps il allait appuyer son visage à la vitre et
regardait la tempête. Le mer venait si près qu'elle semblait battre
la maison enveloppée d'écume et de bruit. L'eau salée frappait
les carreaux comme une grêle et ruisselait sur les murs.
Sur la cheminée, une bouteille de cidre à côté d'un verre à
moitié plein.
De temps en temps Courbet allait en boire quelques gorgées,
puis il revenait à son œuvre. Or, cette œuvre devint « la Vague »
et fit quelque bruit par le monde. Trois hommes causaient dans
un coin de l'atelier. II y avait là, si je ne me trompe, Charles Lan-
dclle.
El Courbet aussi parlait, lourd et gai, farceur et brutal. 11 avait
un esprit pesant mais précis, plein de bon sens, paysan caché
50US de grosses blagues.
Il disait devant une Sainte-Famille que lui montrait un con-
frère : « C'est très beau, ça! Vous les avez donc connus ces
gens-là, vous, que vous avez fait leur papurtrait l ».
Que d'autres peintres encore j'ai vu passer par ce vallon, où
les attirait sans doute la qualité du jour vraiment exceptionnelle!
Car le jour, à quelques lieues de distance, est aussi différent que
les vins du Bordelais. Ici, la lumière est éclatante sans être crue;
tout est clair sans être brutal, et tout se nuance d'une admirable
façon. - • -
Mais il faut voir, ou plutôt il faut découvrir. L'œil, le plus
admirable des organes humains, est indéfiniment perfectionnable ;
et il arrive, quand on pousse, avec intelligence, son éducation, à
une merveilleuse acuité. Les anciens, on le sait, ne connaissaient
que quatre ou cinq couleurs. Nous notons aujourd'hui d'innom-
brables tons; et les vrais artistes, los grands artistes s'émeuvent
bien plus des modulations et des harmonies obtenues dans une
seule note que des éclatants effets appréciés de la foule ignorante.
Tout le combat terrible que Zola raconte dans son Œuvre
admirable, toute celte luile infinie de l'homme avec la pensée,
toute cette bataille superbe et effroyable de l'arliste avec son
Idée, avec le tableau entrevu et insaisissable, je les sens et je les
livre, moi, chélif, impuissant, mais torturé comme Claude,, avec
d'imperceptibles tons, avec d'indéfinissables accords que mon œil
seul, peut-être, constate et note; et je passe des jours douloureux
à regarder, sur une route blanche, l'ombre d'une borne en con-
statant que je ne puis la peindre.
¥
OTJE.^ DE LIBÏ^AIRIE
Noël pour Tous. — Librairie moderne (Maison Quantin).
Les tableaux qui ont été reproduits dans Noël pour Tous sont
entièrement inédits. Ils ont été spécialement exécutés pour cette
publication par des artistes de talent. La couverture, une véri-
table œuvre d'art, est de Luc Olivier Merson. Toutes les gravures,
tirées sur beau papier vélin, en aquarelles de plusieurs tons,
d'après les procédés de la chromolypographie, n'ont pas de texte
au verso, ce qui a laissé à l'impression des couleurs sa valeur et
son éclat, et permet d'encadrer chacune des planches détachées
deTAlbum.
Noël pour Tous contient 2 suppléments de format doubler
un Eventail, avec Calendrier pour 1887, gravé en couleurs par
F. Myrbach, et une grande composition, Clumson de Noël,
poésie d'Armand Silvestre, musi(|uc d'André Wormser, gravée en
couleurs par A. Gambard. Nous souhaitons à ce joli recueil un
succès bien mérité.
La Brèche aux Loups, par M Adolphe Racot, 1 vol. fr. 3-50,
à la Librairie Moderne (Maison Quantin).
Voici un roman qui tranche parmi les publications à la mode.
L'analyse et le développement des caractères, tous d'une variété
et d'un relief puissants, sont inséparables du drame dont ils sont
les éléments. La dédicace du livre h M. Alexandre Dumas fils
atteste les préférences de l'auteur- pour la mise en scène, l'action
vivante. La puissante influence de Tolstoï se retrouve également
dans la Brèche aux Loups. Une intrigue émouvante, passionnée,
mystérieuse, tient l'intérêt suspendu jusqu'à la fin du récit.
Le secret du château de Cantecroix, la vieille résidence aban-
donnée aux ronces et à l'oubli, restera une des conceptions les
plus poignantes du roman contemporain.
•JE-w :;i»-;t. T^J !
J^^^,.'
'«P>l ■ î';;f-.l'
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U ART MODERNE
375
La Brèche aux Loups, dont le succès en feuillelon a fait grand
bruit, marque une dlape littéraire, originale et hardie.
La Marie Bleue, par Charles de Bordée, 1 vol., prix : fr. 3-50,
à la Librairie moderne (Maison Quantin).
Ce roman est un drame de la vie rustique, la tragique et poi-
gnante histoire d'une passion que ni l'autorité, ni l'amour pater-
nels ne peuvent faire fléchir. L'auteur y peint, d'une façon simple
et grandiose, les mœurs de ces hommes de race basque, aux
passions vives, au langage coloré, au caractère âpre et fier, aux
coutumes restées patriarcales. Le jeune écrivain ajoute au pathé-
tique des situations l'éclat d'un style très personnel, où la grâce
et la vigueur se mêlent; avec une curieuse simplicité de moyens,
il prête à ses descriptions, h ses tableaux rustiques, une ampleur,
une élévation, une poésie qui émeuvent et donnent bien la
sensation de ces calmes et majestueux paysages où l'action se
déroule.
f^ETITE CHROJMIQUE
A la demande de divers cercles et conférences, le Juré sera lu
par M. Edmond Picard :
Le 20 novembre à Liège (Société d'Emulation) ;
Le .27 id. ^ Anvers (Conférence du Jeune Barreau);.
Le 4 décembre Ji Bruges (Cercle artistique et littéraire) ;
Le il id. à Liège (Conférence du Jeune Barreau)-;
Le 18 id. à Mons;
Le 8 janvier àJNamur (Cercle artistique et littéraire).
Ces concerts populaires, au nombre de quatre, auront lieu cet
hiver, comme la saison dernière, au théâtre royal de la Monnaie.
Les ancienis abonnés ont la faculté de retirer par préférence
les places dont ils étaient titulaires.
Le bureau d'abonnement sera ouvert jusqu'au 25 courant,
chez MM. Schott frères, 82, Montagne de la Cour. Passé ce délai,
il sera disposé des places non réclamées.
MM. Schott frères tieni^cnt le plan du théâtre à la disposition
des personnes qui désireraient modifier leurs places.
Prix de Vahonnemenl pçur quatre concerts .-
Par place.
Loges de premier rang et baignoires . . .25 francs.
Stalles d'orchestre et de Balcon ..... 20 »
. Loges de face de 2^ rang et stalles de parquet . 16 »
Loges de côté de 2« rang ........ 12 »
Correspondance particulière de « l'Art moderne ». — « On
s'occupe dans le monde des théâtres et dans la presse desavoir
si l'engagement de M""^ Bose Caron à l'Opéra sera renouvelé. 11
expire le i" juin prochain. Il a été contracté à Bruxelles, il y a
un an et demi, à raison de 3,000 francs par mois pour dix mois
par année, les deux autres faisant le congé habituel. La Coulisse
écrivait dernièrement : « Les rapports de l'artiste avec les direc-
teurs sont très tendus. On ne se parle pas, on ne se regarde
même plus ». Les uns disent que c'est tactique de part et d'au-
tre pour obtenir de meilleures conditions. Il paraît plus exact
qu'il y a eu des froissements. M"'" Caron très fêlée à Bruxelles,
aurait trouvé que MM. Ritl et Gailhard lui faisaient une position
trop secondaire. On lui a, il est vrai, donné la première place
dans Sigurd, mais on l'a sacrifiée dans /g Cid et surtout dans
Patrie. On assure qu'elle comptait, en arrivant à Paris, prendre
la succession de M"'** Krauss ; au lieu de cela voici M"'^ Krauss qui
revient. La direction et une partie des habitués ne trouveraient pas
la voix de M™* Caron d'une puissance suffisante pour notre immense
salle ; on prétend môme qu'elle s'y est fatiguée. J'entendais
raconter récemment que l'artiste elle-même s'en rendait compte
et songerait à l'Opéra-Comiqne. La Coulisse dit que ses amis la
poussent à ne pas quitter l'Opéra où elle a de chauds partisans.
Partout ailleurs elle semblerait déchoir et la rentrée sur notre pre-
mière scène deviendrait difficile après une brouille déclarée. On
parle aussi de son. retour h Bruxelles où son emploi est, dit-on,
insuffisammeul occupé. Mais ici encore ses amis de Paris lui coli-
seillent la prudence. Bruxelles, à leur avis, est bon comme début
d'une carrière artistique, mais y rentrer en quittant l'Opéra, c'est
reculer et se condamner peut-être à rester dans les théâtres
secondaires : Lyon, Marseille, Bordeaux, et plus tard Lille et
Rouen. Ce serait un avenir avorté. La créatrice du rôle de
Brunehilde mérite de plus hautes destinées. »
On dit souvent que les affaires de théâtre sont menées avec peu
de soin et par des Hommes qui parfois n'y entendent rien. Ceci
ppul, jusqu'à un certain point, s'appliquer à quelques directeurs
de théâtres du continent européen; mais on ne peut pas en dire
autant des directeurs américains, témoin la notice suivante qu'un
imprésario de Chicago vient de faire placarder dans les coulisses
de son théâtre :
« En cas d'incendie, no pas oublier de prendre les dames par
les bras, et non par les cheveux. Les cheveux appartiennent au
théâtre et sont couverts par l'assurance. L'actrice, elle, n'est pas
assurée. »
L'Opéra de Madrid est, paraît-il, sur le point de fermer. La
subvention officielle est insuffisnnle et les appointements des
artistes dévorent l'argent versé aux guichets : Gayarrc t^ucho
sept mille francs par soirée ; cinq ou six autres artistes touchent
quotidiennement mille, deux mille, trois mille francs. Bref, la
direction déclare qu'il lui est impossible de vivre sans une aug-
mentation de subvention. Et |)Ourtant le prix dés places cl leur
nombre sont extraordinaires: On peut distribuer 3,500 billets; les
fauteuils sont à 25 francs et le paradis à 5 francs.
La. Société des' concerts populaires de Nantes a donné le
5 novembre sa première audition. A l'exemple de V Association
artistique des concerts populaires d^ Angers, â laquelle M. Jules
Bordier a donné,, on le sait, une si énergique impulsion, elle
fait une large part à la musique moderne.
Au programme de la soirée figuraient les noms de M. Jules
Bordier, le sympathique et dévoué président de V Association
artistique d'Angers, un compositeur distingué; de M. Ysaye, un
des plus remarquables virtuoses du violon ; de M"^ Maria Legaull,
la charmante pensionnaire du théâtre du Vaudeville ; enfin, de
M'"^ Marthe Garnier, une toute jeune fille qui devait interpréter
une œuvre de son père.
Le Divertissement macabre, de M. J. Bordier, a été très
applaudi, même par les amateurs un peu rebelles à la grande
musique. Il y a, en effet, dans celte œuvre, une originalité con-
stante, un côté pittoresque qui séduit tout de suite. .M. Jules
Lemaître, a écrit que la vraie litlérature est un divertissement
de mandarins; on pourrait en dire autant de l'art musical.
Sachons gré toutefois aux compositeurs qui, sans cesser d'être
savants et originaux, n'écrivent pas que pour les mandarins de
la musique.
La valse fantastique est fort jolie et mérite de rester au réper-
toire des Concerts. Le Violon du Diable a été exécuté par
M. Ysaye avec une verve prodigieuse. Le Galop infernal mérite
bien son nom avec ses appels stridents de flûte, ses fracas de
cuivre et ses bruits de squelelles si plaisamment imités par le
xylophone.
1
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LA REVUE fflDBPENDANTE
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Paraissant le i^^ de chaque mois en une brochure de 128 à 180 pages in-18
Directeur : Edouard DUJARDIN. — Rédacteur en chef : Félix .FÉNÉOJi
Chaque numéro contiendra :
Une .chronique artistique, par J. K. Huysmans ; une chronique
théâtrale, par Stéphane Mallarmé; une chronique musicale, par
Henry Céarçl; une chronique parisienne; une chronique étrangère;
l'analyse des livres, par Teodor deWyzewa; des vers; une étude
critique ou théorique, par Teodor de Wyzewa; une nouvelle, étude,
conte ou poème en prose ; des traductions de chefs-d'œuvre étrangers
contemporains ; un roman nouveau.
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progrès intellectuel qui ait été tentée jusqu'à ce jour.
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Les conférences en Belgique. — De mortuis nil nisi bene. —
Les' livres. — L'art a travers les journaux. — Chronique
JUDICIAIRE des arts. — PETITE CHRONIQUE. - ' . : ;;
LES CONFÉRENCES EN BELGIQUE
Avec l'hiver recommence dans nos Cercles dits artis-
tiques et littéraires le défilé grotesque des illustrations
françaises ayant charge, s'il faut en croire les éton-
nantes commissions administratives de ces associations
bourgeoises, de nous initier à lart de bien écrire, à
l'art de bien dire, à la distinction du langage, au bel
air, aux bonnes postures, à la haute vie, à la société
élégante, etc., etc., etc. Voir les articles de feu Azed
àsLua rindépejidance belge.
Feu A. Z. renaît de ses cendres sous les espèces G.. F.
Si son apparence physique et alphabétique fut mortelle
son âme est immortelle. Une mirifique production rela-
tive à la conférence d'Arsène Houssaye, mardi, au
Cercle artistique de Bruxelles en témoigne.
Tous ceux qui eurent l'étrange fortune d'assister à
la représentation que donna M. Houssaye, en ont rap-
porté cette impression qu'ils avaient été victimes d'une
mystification et que si le conférencier eût risqué là
chose à Paris, sur son fameux boulevard (ce dont il
n'eut jamais l'audace) on ne lui eût guère laissé la
liberté de parler plus d'un quart d'heure.
Voici, en effet, en quoi a consisté cette petite céré-
monie pour laquelle le Cercle a payé un cachet de
500 francs, ou de 250 francs, n'importe la somme, c'est
toujours horriblement cher.
Un monsieur âgé, au chef respectable, peu intéres-
sant malgré la notoriété pâlissante que lui font quel-
ques œuvres fort passées de mode, élégamment gri-
voises, a lu, d'une voix atone, des articles tirés à la
ligne comme en publie quotidiennement tel journal
parisien qui vous plaira. Ayant quelque peine à rem-
plir son quart, il y a ajouté deux sonnets, et pour com-
pléter le poids, une pincée d'aphorismes, oui d'apho-
rismes. Deux sardines et des rince-bouche.
Le public a regardé le personnage comme une bête
curieuse ! Ne lui prète-t-on pas, sur la foi de ses demi-
confidences très gasconnes, toutes sortes d'aventures
galantes qu'il n'a vraisemblablement pas eues, et n'oc-
cupe-t-il pas à Paris un de ces hôtels d'Orient qui n'exis-
tent que dans les comptes-rendus de journaux prodi-
gieusement habiles à transform.er en appartements
merveilleux des salons grands comme les comparti-
ments des voitures de chemins de fer, et en galeries
immenses des corridors où l'on ne peut marcher deux de
front? On commence à être renseigné en Belgique sur
ces splendeurs purement Imaginatives, mais il y a
encore un stock de badauds qui aiment à contempler,
bouche bée, leSuDossesseurs de ces splendides mer-
veilles.
11 existe chez nous une presse qui prolonge en deçà
de nos frontières les effets de ce charlatanisme! Il n'est
pas sans utilité, en eff'et, de rester en bons termes et de
I
WM
378
VART MODERNE
faire sa cour à la vaste franc-maçonnerie qui dispense
la notoriété et, par les savantes manipulations de la
réclame, transforme en grands hommes les plus minces
personnages. Pensez donc à ce qui arriverait si tel,
journaliste, qui ne se maintient en bonne posture que
par le plus savant équilibre dans les éloges qu'il dis-
pense et les coups d'encensoir qu'il administre, s'avisait
de parler avec la brutale franchise que nous y mettons.
Trahison! Perfidie! On le mènerait prestement dehors
à grands coups d'articles appliqués au bon endroit et, de
sa gloire factice, en moins d'une semaine, il ne reste-
rait rien. Aussi est-il tenu de continuer m perpetuum
à se compromettre ou de se démettre; Il y va gracieu-
sement et en souriant.
Avec une stupéfaction sans bornes, les auditeurs de
M. Houssaye, qui sortirent de sa conférence les uns
navrés, les autres pris d'un- fou rire, ont pu lire dans la
susdite Iiidépenda7îce belge ^ sous la signature G. F.
préindiquée, dernière incarnation de A. Z., des dou-
ceurs destinées à mettre en papillottes de clinquant
toutes les faiblesses du pauvre vieil homme qu'on a fait
monter sur l'estrade et qui y a montré non des talents,
mais des infirmités. •
Il n'a plus de voix et, en eût-il, il ne saurait parler en
public. " Ce n'est pas indispensable d'être un orateur,
« dit le reporter, d'avoir une voix et une pratique
« quelconque du métier d'orateur, pour lire quelques
« pages piquantes, pour se livrer à une causerie déli-
« cate " . Dans la salle on n'entendait guère le respec-
table octogénaire dont tous les efforts n'atteignaient
qu'un murmure indistinct : « La voix un peu faible,
« observe le chroniqueur, et la diction trop peu expres-
« sive ne doivent pas avoir porté jusqu'aux derniers
« auditeurs, tous les mots dits par Arsène Houssaye.
« C'est dommage, car beaucoup de ces mots-là étaient
« très jolis, les uns avec un air de profondeur, d'autres
« d'une grâce spirituelle, quelques-uns d'un maniérisme
« agréable ». 0 Sévigné! 0 infortunés qui doutez de
la métempsycose ! Puis vient l'incident des deux son-
nets donnés par dessus le marché : « Avant de raconter
ses souvenirs... il a lu deux sonnets de précieuse
facture ». Aussi l'appoint des fameux aphorismes : « Il
« a donné une série de petites pensées, aphorismes,
« paradoxes, définitions à sens imprévus, sortes de
« cigarettes, comme il l'a dit, dont on tire quelques
« bouffées excitantes. Il y a de ces pensées dont la
- pointe est acérée, et il y en a d'un fignolage inno-
« cent ".
Ainsi va chez nous la critique en une confiserie
écœurante. Il y a encore quelques roquantins et quel-
ques baciielières du monde où l'on s'ennuie qui la
gobent, race diminuante» heureusement. Les gens
qu'on paie en monnaie de singe deviennent chaque
jour plus rares : certes, en sortant de cette mystifica-
tive séance et en écoutant les propos div.ers en lesquels
s'exhalait la mauvaise humeur de l'auditoire, on le
constatait avec soulagement.
Heure viendra, qui n'est pas loin, où ce charlata-
nisme ridicule ne trompera plus personne, heure
viendra qui tout payera. On s'émancipe de la tutelle
des prétendus arbitres du goût, on s'impatiente d'être
tributaires des commis- voyageurs en conférences de
pacotille venant faire chez nous un voyage d'agré-
ment, et se défrayant en plaçant à gros prix des
machines dont personne chez eux ne voudrait. S'il ne
s'agit que de nous montrer les échantillons les plus
rares de la ménagerie boulevardière parisienne, qu'on
se contente de les montrer, mais qu'on ne les fasse plus
parler. Nous avons beaucoup mieux sous ce rapport et
s'il nous manque des individualités ayant eu « une vie
«» si longue, si variée, tant de succès de toutes sortes »,
nous avons bien quelques Belges en état de dégoiser à
six cents personnes autre chose que des balivernes
inintelligibles. Il est vrai que lorsque ceux-ci se
risquent à parler à leurs concitoyens la langue des
idées nationales, les A. Z., et les G. F., petits et grands,
bruns et blonds, ventrus ou faméliques, font la petite
bouche, se gonflent plus que jamais de bel air, se
mettent en de plus bonnes postwes encore, ils ne
savent plus que goguenarder.
En quoi peuvent, en effet, ces petits bonshommes
d'écrivains ou de conférenciers belges, aider à la
renommée frelatée des grands hommes du reportage ?
DE MORTIIS KIL NISI BE.VE
X Monsieur le Directeur de l'Art moderne.
Ixelles, le 24 novembre 1886.
Monsieur le Directeur, - '
Je lis dans rArt moderne du 21 novembre dernier un arliclc
intitulé : la Belgique dans « le Tour du Monde », où l'on rap-
pelle les appréciations émises dans V Office de Publicité^ par
M. Louis Hymans, mon père, à l'apparition des premières pages
de l'œuvre de M. Lemonnier.
L'auteur de rarlicle apprécie à son tour, — librement, comme
il en a le droit, — les appréciations de Louis Hymans.
Il le fait avec aigreur, — avec une violence qui tient de la
polémique plus que de la critique et qui, envers un mort, peut-
être n'est point de mise.
Au demeurant, je suis bien sûr que ces attaques auraient été à
mon père lui-même parfaitement indifférentes; à moi aussi elles
sont indifférentes, car sa mémoire n'en souffrira pas.
Mais il est une phrase de l'article de V Art moderne (\wqIq dois
relever au passage.
. 11 y est dit que Bruxelles à travers les âgeSy Je dernier livre
de Louis Hymans, a été « publié à coups de subsides ».
C'est là. Monsieur le Directeur, une imputation fausse.
I I
Ni mon père, ni rédilcur de Bruxelles à travers les âges, qui
en est devenu le propriétaire, n'ont louché un centime de sub-
side du gouvernement.
Pus plus pour Bruxelles à travers les âges que pour aucune
autre de ses œuvres, Louis llvnians n'a sollicité un subside d'un
centime.
Assez souvent il l'a affirmé à ses détracteurs et à ses envieux.
Aujourd'hui, qu'il îi'est plus Ik pour le répéter, je le dis k sa
place, afin de sauvegarder le renom d'intégrité et d'indépendance
que personne n'a jamais osé contester lu l'homme ou h l'écrivain.
Mon père a eu, il est vrai, l'art, — ou, si vous le voulez, la
chance, — il a eu l'honneur précieux et rare de vivre de sa
plume, grâce à la faveur du |)ublic belge qui lui est resté fidèle
et ne lui a jamais fait regretter d'avoir tiré ses livres à plus de
cinquante exemplaires.
Le souci de la mémoire paternelle m'oblige à rectifier le fait
faux allégué par VArt moderne.
Je suis convaincu que, comprenant ie sentiment respectable
auquel j'obéis en vous adressant cette lettre, vous n'hésiterez pas
à la publier dans le plus prochain numéro de votre estimable
journal.
Agréez, Monsieur le Directeur, mes civilités empressées.
Paul Hymans, avocat.
Nous publions volontiers cette lettre, sans y être obligés. Un
héritier n'a i)as le droit de réponse. Nous-Condescendons à traiter
M. Hymans fils comme s'il continuait M. Hymans père et k le faire
bénéficier (est-ce bien ici le mot?) de la maxime que le mort
saisit le vif. . > : -
Mais, pour continuer h parler la langue du droit, s'il a le
commoclum, qu'il ait aussi Yincommodum et souffre en consé-
quence que nous lui répondions ce qui suit.
A quoi tient ce préjugé, fort enraciné, que M. Louis Hymans
père recevait des subsides pour les publications dont il s'est
occupé? A sa littérature ou à ses attaches officielles, lesquelles
ont valu à lui et aux siens des avantages attestant plus de bien-
veillance gouvernementale qu'ils n'avaient de raison d'être? Son
fils affirme que ce fait est faux, et malgré tout, de temps à autre,
de la meilleure foi du monde, on se laisse aller à croire le
contraire. Habent sua fala.
Notre correspondant risque une pointe assez innocente en ce
qui concerne le tirage à petit nombre que nous avons recom-
mandé. 11 n'a pas compris (défaut de son jeune âge, peut-être),
qu'en disant qu'en Belgique certains livres ne se vendent guère,
.nous avons parlé des œuvres d'artistes. Quant aux spéculations
de librairie, nous convenons qu'elles ont,'en général, meilleure
fortune.
Si M. Hymans père a vécu de sa plume, comme son hls l'as-
sure, ce doit avoir été surtout dans le journalisme. Ce n'est pas
là qu'on tire à petit nombre, mais ce n'est pas là non plus qu'on
devient ou qu'on reste a' liste. L'Office de Publicité, où
M. Hymans père a publié ses articles contre Camille Lemonnier,
aujourd'hui si risibles, en est un pçrpetuum testimonium.
Quant à la façon dont noire juvénile correspondant veut
imposer le respect des morts, elle atteste plus d'amour filial que
d'amour de la verilé. De mortuis nil nisi bene; assurément, mais
pas devant fliisloire. Nous confessons que l'auteur de notre
article eût mieux fait de garder le silence que de réveiller des
morts qui sonl plus que des morts, qui sont des oubliés.
LES LIVRES
« Chère, je l'adresse ce petit livre, écrit, longtemps déjà, pour
toi. A présent que j'ai le cœur séché et l'esprit vii'illi, j'en sens
tous les défauts et la gaucherie, mais je ne saurais ni ne veux les
corriger et, lel quel, je te l'envoie. »
C'est ainsi que M. Jules Désirée termine ses Lettres à Jeanne,
qui viennent de paraître.
« Gaucherie », « tous les défauts », « tel quel », les mots sont
trop sévères et quel que soit au reste le jugement qu'on porte sur
le livre, le mot c< tel quel » en est banni.
M. Dcstrée prouve qu'il sait présenter, tailler, mener à bien un
récit, ce qui n'est déjà pas si gauche, qu'il a le sens des mots et la
perception artiste du rythme simple et habituel. La compli-
cation, la subtilité, l'innovation hardies n'entrent pas, je crois,
dans les préoccupations de l'auteur et n'y enlrer*aient sans nuire
aux réelles qualités de langue qu'il possède. 11 fait donc bien de
les chasser. Son vocabulaire est courant, son style clair, net,
tablé ; on songe à la manière saine des naturalistes, celle des
Contes à Ninon, au point que certaines expressions — ainsi :
le divin Amour — prises au lyrisme de Banville, dél-onnenl dans
l'ensemble.
Parmi les meilleures pages, nous aimons ciler : Les Enfants,
Bouderie, l'Irréparable. Même cette dernière élude indique
qu'une nouvelle notation de pensées et une observation d'huma-
nité plus subtile séduit l'auteur, parfois.
Les Lettres à Jeanne, celles où il s'agit d'elle exclusivement,
versent peut-être dans la banalité, à force de sincérité certes. La
vie a été si souvent m-ise en romans et en nouA elles que la
curiosité ne s'en montre euère,
L'Irréparable et aussi les Rêves tranchent sur cette initiale
préoccupation et tels états d'esprit y sont spécialisés de bonne
main. Au reste, il ne- convient d'oublier la très belle élude de
M, Désirée sur Odilon Redon. Il a prouvé dans cette critique
combien il était accessible a cette troublahce bizarre, in;ilaile
certes, que l'extraordinaire dessinateur français a exiériorée dans
une incohérence voulue. Telle phrase de M. Désirée a les mêmes
luisances de noirs et les mêmes explosions de blancs électri-
ques. H essaie, lui aussi, un art d'intelleclualité, de déséquilibre,
de tlollaisoh dans le vide, de désorbilage ironique, de sanibaiide
tout à coup glacée par des obstacles soudains de marbi"e et de.
fer. Plus de vague conviendrait, plus de vague encore, avec tout
à coup une sensation de regard fixe, terrible, inerte, qui, t-'ls des
clous, immobilise dans les lithographies rod)niennes et insinuent
ce froid à l'âme, brusque comme un courant glacé. Il y a toute
une donnée neuve dans ces algèbres du songe, dérangées cornu. e
une horloge vieille, qui sonnerait parmi des ruines. L'esprit plus
encore que les sens en est inquiété et telle planche d^' VHo)n-
mage à Goya ou telle autre des Illustrations pour Poe, pleines
de doute métaphysique, semblent des railleries et des leaverse-
ments de vérités incontestables et éternelles.
C'est celle dernière sollicitation d'idéal qui pare le livre récent
de M. Désirée el lui assure bon accueil auprès les lettrés de choix.
Le volume est, eu outre, imprimé avec goût par la Maison
Monnom ei digne d'entrer dans les bibliothèques raremeiil
ouvertes.* •
■ - • * *
Les yeux verts ei les yeux bleus : titre à luisanee bizarre.
w^
^■■■1^
380
rART MODERNE
bonne enseigne h ce livre étrange. Edgard Poë a passé parla;
son fantastique spécial, sa conception h la fois précise et mysté-
rieuse des choses, son originale accordance de la réalité et de la
spiritualité, tout, jusqu'à son style ont hanté M. Paul Hervieu.
Le livre nouveau est un recueil de nouvelles dont la première
surtout attire. Elle donne, du reste, son nom au livre. Suivent :
Mon ami Léonard, Riri, Tom Bred et John Bredy toutes pages
caractéristiques et vives, de bonne plume et de bonne encre.
Impasse Ugène, est une intéressante et nette étude sur les
artistes.
*
* *
Severus, par Xules Lemaître. Il faut baisser de ton en parlant
de M. Jules Lemaîire après M. Paul Hervieu. W. Lemaître qui
s'occupe à étudier l'art avec une myopie critique assez telle
quelle, séduit néanmoins par le détail de quelques bonnes et
nombreuses observations. M. Lemaître narrateur? Non, plus rien
ne nous tente à le voir vulgairement enlamer des sujets bour-
geois, sans puissance, avec l'arrière-pensée de rester très conve-
nable au risque de demeurer très bourgeois. Aussi faisons-nous
exception pour la présente nouvelle : tableau du monde romain,
archéologiquement reconstitué et patiemment décrit.
*
* *
Les Récils d'une Lorraine, par M. Des Moulins. Livre patrio-
tique où passe parfois une douce sentimentalité iricolorée. Léon
Cladel leur sert de parrain et son bout de préface explique mieux
qu'on ne pourrait le faire cet assemblage de nouvelles : Vos
Récits d'une Lorraine, écrit-il, m'ont fort ému. Lequel d'entre
eux, je trouve le meilleur? Est-ce les Français sont partis, une
Victoire, le Cnpitulard, le 14 Juillet ou tel autre des vingt. Tous
me plaisent également, parce que si la syntaxe y est respectée,
votre cœur y vibre un peu partout à l'unisson du mien.'
' Paysages de femmes, joli titre dont M. Ajalbert vient de fleurir
son recueil d'impressions rimées. Sa volontaire esthétique le lie
à la notation des scènes modernes avec des recherches de
« c'est ça », à travers des brutalités et des bourgeoisismes de
mots et de phrases. C'est de rimpressionnisme aigu mais déjà
suranné, au moins en littérature.
Sur le vif arborait les mêmes intentions que Paysages de
femmes. Toutefois, il y avait dans le premier de ces livres plus
de concentration, tandis que les pièces du second ne dépassent
jamais le croquis et l'improvisation.
M. Rafaëlli a rehaussé ce livriculet d'un dcssintrès caractériste
où se retrouve son coup de crayon tordu et vivant. Vanier a réussi
rodilion de cette plaquette.
M. Sutter-Laumann publie Par les Routes. Volume où des vers
anciens se mélangent aux poésies d'hier, volume trop volume
L'auleur aurait mieux fait de trier et de ne point sacrifier aux
300 p;ig< s : Paysages, marines, fleurs, joies, tristesses, tout se
confond dans ce volume sincère, avant tout et toujours. La forme
(jui les traduit ou les encadre est correcte, précise, fiançaise. De
l'émotion souvent, pas subtile certes, mais' couraïUe, éprouvée
par tous et délicatement dite.
Voici un sonnet: :
SUR LA GRÈVE
La m r, sous le ciel gris, étend son vert manteau..
Sur lequel le soleil plaque un reflet bizarre ;
Au loin l'île de Batz, ses récifs et son phare ; .
Un vol de goélands, la voile d'un bateau...
La nuit tombe — et ce n'est pas un temps de moi'te-eau.-
Le vent de woroti souffle : — A sa rude fanfare,
Soudainement, la mer comme un coursier s'effare,
Menaçant de bondir jusque sur le plateau.
Mais les rocs de granit résistent, fiers, superbes,
Au dur assaut du flux qui s'éparpille en gerbes,
Retombant en écume avec un long bruit sourd.
Et, témoin séculaire, un men-hir dans la dune
Voit une fois de plus le lever de la lune,
Et les bœufs qui paissaient s'éloigner d'un pas lourd.
Avec les Nouvelles gauloises, éditées par Ghio, la morosité la
plus sauvage est désarmée. Par ce temps de pessimisme à
outrance, dans lequel on a trouvé moyen de sophistiquer jus-
qu'au rire humain, il faut savoir gréa l'éditeur d'avoir mis en
pleine lumière ce livre connu seulement des gourmets du rire.
L'auteur? Charles Lexpert.
L'ART A TRAVERS LES JOURNAUX
Charles Martel poursuit, dans la Justice, \es très originaux
comptes-rendus dramatiques par lesquels il rafraîchit le genre,
si même. il ne le renouvelle pas. Voici encore un échantillon de
son faire. Il s'agit de la première représentation du Fils de Por-
THOS. -
A la Sorbonne. Examen du baccalauréat es- lettres :
L'examinateur. — Voulez-vous, monsieur, me parler du règne de
Louis XIV. Quels furent ses grands historiens?
Le candidat, — M'sieu, ce furent Alexandre Dumas, Paul Mahalin
■et Blavet. '■ ■ *■ ■'".'■';^'- V'-/' -^^'/v.v... \::--.'%;;-'''' v;/:y.^V.:^s'',. ::-*-. ;;:
— Bien. Ses grands capitaines, les connaissez-vous? :
— Oui, m'sieu, d'Artagnan, Athos, Porthos, Aramis, le marécHal
de Gréqui
— Bien. Parlez-moi de ce dernier. 7"- ' ; T 7
— Oui, m'sieu. Battu à Consarbruck par le duc de Lunebourg, il
ne tarda pas à prendre sa revanche dans plusieurs combats et s'em-
para de Fribourg sous les yeux de Charles de Lorraine et sur la
scène de l'Ambigu -Comique.
— Vous paraissez savoir .. Dites-moi quelques péripéties du siège.
— Oui, m'sieu. La ville n'a pas été prise par M. de Créqui, bien
que ce soit dans le manuel, elle a été enlevée par un nommé Joël, un
ûïs de Porthos, qui était pressé de rejoindre sa femme, et ça se com-
prend, vu que c'est M'i« Vrignault, même qu'elle s'appelle Aurore
de la Tremblaye.
, — Ne faites pas d'érudition. Renfermez-vous dans le programme.
— Alors Joël franchit les lignes ennemies sous la défroque d'un
espion qu'il avait fait prendre et à qui il avait chipé une lettre de
l'ambassade espagnole.
— Evitez le mot chiper, l'Académie ne l'emploie qu'avec répu-
gnance.
— Grâce a ce talisman, il est reçu par le général Schutz, gouver-
neur de la place, qui l'invite à dîner parce qu'il est habillé en men-
diant dégoûtant, et ils prennent une cuite tous les deux.
— Evitez cuite, c'est un néologisme incertain.
— Oui, m'sieu, — comme ce que Joël fait est périlleux, il est venu
sans armes, — il tue le. général d'un coup de poing qui lui vient de
son père, jette par la fenêtre une ficelle qui ramène des échelles de
cordes, et sur les échelles les braves soldats du régiment des bom-
bardiers, capitaine Petit-Renaud, un riche type qui parle gascon,
l'amusant Gravier... Alors paraît un décor superbe à transforma-
tion....
1
— Quel est le nom de ces sortes de choses dans le théâtre clas-
sique?
— Le clou.... On voit l'escalade nocturne par les soldats du roi,
puis la plate-forme de la citadelle avec combats à la nouvelle poudre
de m'sieu Philippe
— Qu'a de particulier cette poudre? -
— Elle est inodore, insapide, insipide, aphone, amorphe.
— Bienl Continuez.
— Puis; le pont-levis s'abaisse, il y a une belle parade, un défilé
de cavaliers, l'entrée du maréchal, un tableau superbe, avec une vue
magnifique de profondeur; on a démoli le fond de la scène et on voit
jusqu'au mur de la cour, ce qui fait une perspective 1
— Ceci est pour l'examen des sciences. Et n'y a-t-il pas des femmes
dans tout cela ?
— Oh! si, m'sieu, et des riches 1
— r Q.u'était-ce que la Montespan ?
— Une dame colosse, mais bien comme il faut, M^i* Danglars. Elle
avait la manie d'empoisonner tout le monde et de se cacher dans de
vieilles cabanes de la forêt de Saint- Germain.
— Madame de Maintenon ?
— Une dame très bonne, très charitable, incapable de faire du
mal même à des protestants.
— Le roi?
— Un bon zig, monsieur Fabrègues, qui ressemblait à Coquelin
aîné, très doux pour tous, mais prévoyant déjà en 1677 la devise
Liberté — Egalité — Fraternité. Malheureusement, il était mal
conseillé par Aramis, devenu général des Jésuites, qui lui fait
craindre la naissance de Robespierre, ce qui lui fiche la frousse.
— Vos notions historiques sont exactes, mais votre littérature est
mauvaise, vous parlez comme Zola et Camille Doucet. Et quelle était
cette Aurore de la Tremblaye dont vous avez prononcé le nom?
— Ah! na'sieu, c'est la petite dame qui a fait prendre Fribourg.
Le roi la voit, il s'en toque. La Maintenon qui joue là le rôle
d'une... ':-.;r'^ ':'■ .'^-.r ■ "■■;...',■.■■.,-/■■.."■:.;,. ;--■■■ .':•,■■ ';■'■.
— Dites en latin/
— Meretrix.
■ — C'est cela.
— L'offre à Sa Majesté, Aramis la marie à Joël et on expédie JoëL
à l'armée ; potir revenir vite, il prend vite Fribourg, il arrive à temps,
provoque Aramis, cette espèce de...
— Ne le dites pas.
— Mais Aramis reconnaît le fils de Porthos, on s'embrasse et le
roi rend sa femme au petit Joël, nommé comte de Loc-Maria.
— C'est bien. Ceci ne vous rappelle rien dans les chefs-d'œuvre
di^amatiques ?
— Si m'sieur : Le Petit Duc
— Qu'était-ce que Pierre Lesage?
— Un empoisonneur qui, au moment où il s'évade de sa prison,
s'écrie en se retournant vers un camarade de cachot qui ne s'évade
pas parce qu'il est innocent : Celui-là est heureux! Il peut prier!
— Quel est ce Joël dont vous m'avez parlé ?
— M. Chelles, un excellent soldat, qui a joué avec une rude
bravoure, beaucoup de cœur et de gaîté son rôle de fils à Porthos,
personnage historique. Oh! c'est bien lui qui a pris Fribourg, il en
paraît lui-même persuadé.
— M"™* de Maintenon a-t-elle toujours porté ce nom?
— Non m'sieu! Elle s'appelait d'abord Françoise d'Aubigné, puis
M'i« Deschamps, une belle personne qui a beaucoup de talent.
— Connaissez-vous quelques tableaux historiques du règne?
— Oh ! oui, m'sieu : La terrasse de Saint-Germain, le Jeu de la
Reine, le camp de Créqui, Fribourg, devant, derrière, dedans.... Ce
sont des toiles magnifiques ; ainsi de la terrasse de Saint-Germain
on voit déjà le Sacré-Cœur de Montmartre.
— Dites-moi, pour terminer, quelques mots célèbres.
— Oui, m'sieu. La cantinière comique dit au pioupiou timide qui
fera des prodiges au feu, types déjà inventés au dix-septième siècle :
« Vous aimez les enfants ? — Oh ! oui, ceux des autres. — Eh bien
alors, mariez-vous !»
— Il y a eu des duels dans cette histoire.
— Oui m'sieu, beaucoup.
— Qui a donc inventé l'escrime du dix-septième siècle ?
— Yigeant, m'sieu!
— C'est bien, monsieur, cela suffit.
Le candidat est admis avec la note très bien et l'Ambigu tient un
de ses gros succès avec un drame charmant de cape et d'épée.
*
* *-
■ Dumas fils jouit d'un regain de publicité. Son nom reparaît
dans les chroniques, menus-propos, boulevardises, etc., etc.
Voici une petite cueillette en son honneur :
Dans une entrevue avec un rédacteur des Annales, il donne
les raisons de la dimension restreinte des toiles de Meisso-
nier : ,
« Meissonier n'est pas précisément myope, mais 'sa vue est de
celles qui embrassent peu..
« Par une disposition étrange de son régime oculaire, il ne
peut embrasser une certaine étendue d'un seul coup d'œil. Ce que
d'autres voient par mèlre carré, Meissonier ne le voit que par
centimètre carré. Il faut donc qu'il fasse ses toiles à l'échelle de
son regard pour .pouvoir les embrasser et. garder la proportion.
S'il s'essayait à un tableau de huit pieds sur six, il serait dans
rimpossibiliié absolue de se former une idée juste des rapports
mathématiques qui relient les extrémités du cadre à son centre,
attendu qu'il ne pourrait envelopper tout ce carré d'un. seul
regard! Ainsi, il a fait dernièrement mon portrait mi-grandeur à
peu près; eh Bien! c'était pour lui un vrai tour de force, un
effort puissant pour observer des proportions gigantesques,
quelque chose enfin comme un autre peintre brossant le colosse
de Rhodes en grandeur nature... »
. • . , * — • — -■■-- -
Du même, ces observations sur l'influence artistique du
milieu :
« I^e vrai écrivain subit directement l'influence de son entou-
rage; il en est la créature. Il importe donc qu'il s'environne de
ce qui est beau, de ce qui est noble de conception et d'idée. El
puis songer à ceci : qu'un artiste doit le plus souvent son inspi-
ration à un autre art que le sien. Une belle statue, par exemple,
peut faire éclore une ravissante mélodie, de même que l'œuvre
d'un compositeur peut donner au sculpteur une idée originale.
Ainsi, le Tarfufe et le MisanthropCy tout en me plaisant, me
découragent parce qu'ils ne me démontrent que trop ce dont je
ne suis pas capable. Mais quand je regarde ï Achille ou la Vénus
de "Milo, quand j'écoute une symphonie de Beethoven ou le Don
Juan^ je vis dans l'ignorance des ditficultés de l'exécution créa-
trice, je ne m'en préoccupe pas, et c'est alors que le chef-d'œuvre
agit sur moi de toute son influence, et que je rêve de créer à sou
côté !»
Toujours du même, ces bavardages (pris dans l'Evénement)
sur la difliculté pour les écrivains de se faire éditer et de vendre.
Comparer avec notre article sur le Tirage à pelil nombre, der-
nier numéro de t'Arl moderne.
Les éditeurs, c'est comme la v (ici le nom d'une maladie
honteuse); il ne faut pas l'attraper, et, si vous l'avez eue, pour-
quoi récriminer?... On ne peut se passer des éditeurs; on a bien
382
VART MODERNE
essayé de s'éditer soi-même, de faire lous les frais, en lour accor-*
danl 40 p. »/o, un joli bénéfice ; mais ils liennenl lous les corres-
pondants, vous n'êtes pas mis en vente aussi bien ; et de toute
façon, il fayt compter avec eux... J'ai vendu, pour ma part, à
tout jamais, neuf cents francs, h Lcvy : la Dame aux Camélias.
Quatre cents francs pour le roman, cinq cents francs pour la
pièce. Eh bien, j'ai été tout joyeux, alors, d'en retirer ça...
Dame! On aune fille; c'est cmbêlant de la marier; mais c'est
encore plus embêtant de la garder. Ainsi un manuscrit; autant le
livrer pour une somme minime que le garder dans son tiroir...
Après un succès, on impose ses conditions. J'ai cédé, par exem-
ple, îi Lévy toujours, pour trois mille francs : le Demi-Monde,
Eh bien, — quelle progression ! — pour le droit d'éditer la bro-
chure (le ma prochaine comédie. Francilien^ ce même Lévy, qui
n'en connaît pas un traître mot, m'a offert vingt-cinq mille
francs; je n'ai pas accepté... C'est joli pourtant! Il y a des
. risques; ma pièce peut ne pas réussir. El voilb perdu l'argent de
qne'qu'un qui a eu confiance en moi... Combien de fours à côté
d'un livre qui a du succès !... Vous pensez à ma première pièce,
aux neuf cents francs d'acquit de la ))ropriélé définitive du roman
cl du drame. Mais. ce ne fut pas une exception. Gautier n'a pas
toujours eu aulani. Quant à mon père, au milieu de son désordre,
il ne cédait ses droits que pour une certaine période... Tout cela
est inévitable. Des tableaux de Delacroix, de Millet ont été
achetés cent fois plus cher qu'ils ne furent d'abord vendus par le
peintre... Nous devons payer l'apprentissage.
*
* *
Bonne cinglée d'Emile Verhaeren, dans le Progrès, au sujet
des réceptions de notre beau monde. Et combien vraie!
« Où donc une soirée qui détonne dans l'universelle unifor-
mité bêle? Tous, ôtanl l'habit noir chez nous, ne sommes-nous
pas sous le charme d'une corvée finie ou d'un devoir maussade
accompli? C'est june charité faite h Madame X, une aumône à
Madame Z que d'aller chez elle, manger des sandwichs et vider
du Champagne. Le gracieuseté — oh, le mot stupide! — est
toute du côté de l'invité, c'esl lui qui fait le sacrifice de son
t^mps, de ses aises, de ses joies, de ses tranquillités, de son
seul à seul, préférables à toute réunion mondaine ou autre. II est
de service pendant quatre k cinq heures : on lui enlève son café,
son home, ses livres, son coin du feu; h peine lui permet-on un
cigare dans un vague fumoir atrocement décoré. 11 est obligé de
mentir b chaque phrase, de taire toute opinion personnelle, h
moins qu'il ne veuille faire scandale — oh ! de mauvais goût —
de sourire au sourire vinaigré de sa voisine et de se faire vio-
lence pour ne pas hurler qu'il se condamne de venir là, lui,
liomme d'esprit, se crotter les idées à toute cette boue de lieux-
communs et de comme il faut ! »
P'
HRONIQUE JUDICIAIRE DE? ART?
L'Art dans les églises.
La Cour de cassation de Belgique a rendu, le 11 novembre der-
nier, un arrêl qui intéresse l'art à plus d'un titre. Il s'agissait
d'un tableau ancien qui se trouvait dans une église de (iaud et
que la Cour a déclaré faire partie du domaine public, lui impri-
mant ainsi, au point de vue juridique,- un caractère d'impres-
cripiibiliié et d'inaliénabililé qui en permet la revendication par
raulorilé en quelques mains qu'il ait passé.
Décidée, dans l'espèce, pour un tableau, la questiop se trouve,
en réalité, tranchée pour tous les objets d'arts, qu'ils soient
déposés dans une église, dans un musée ou dans un autre édifice
public. Que MM. les antiquaires et MM. les collectionneur!*
prennent donc garde et qu'ils n'essaient plus d'acquérir des
curiosités sortant, — on ne sail trop comment, — de quelque
église dii village ! Ils seront toujours exposés à se voir condamner
à les restituer, fût-ce plus de trente ans après, si la chose est
découverte.
Le principe qui a guidé la Cour de cassation dans cet arrêt,
et qui a peut-être emporté sa décision, est l'utilité publique
qui s'attache à la conservation des monuments de l'art national,
aussi bien des petits que de» grands, aussi bien des objets mobi-
liers que des édifices. Nous constatons avec plaisir que notre
magistrature comprend l'alliance intime qui unit l'art à la vie
sociale et que l'intérêt de l'un est aussi l'intérêt de l'autre.
La jurisprudence atteint ainsi, par l'application positive du
droit, des résultats semblables à ceux auxquels est arrivée la
législature d'autres pays qui peuvent, comme le nôtre, se vanter
d'un passé artistique glorieux. Le but est toujours le même, en
Belgique comme en Italie, par exemple : conserver à la nation
entière le trésor des œuvres que lui ont laissées ses plus illustres
enfants. Voilà rdu protectionnisme, si l'on veut, mais sous une
forme où son utilité ne saurait guère être discuté.
pETITE CHROJMiqUE
Le premier concert populaire est fixé au 5 décembre. On y
exécu[cr2iV Ouverture tragique de Brahms, la Suite dans le style
ancien, pour instruments à cordes, d'Ëward Grieg, et le Tasse,
symphonique poème de Liszt. M. César Thomson, l'éminent
violoniste, se fera entendre dans le Concerto de Beethoven,, et
dans une éblouissante fantaisie de Sarasate : Zigeunerweisen. —
Programme de choix, qui ouvre brillamment la série des mati-
nées musicales. Les deux premières œuvres n'ont jamais été
exécutées à Bruxelles.
Le deuxième concert, qui aura lieu en janvier, sera exclusive-
ment consacré aux musiciens russes contemporains. On entendra
notamment le quatrième acte d'Angelo, de César Cui, un air du
Prince Igor, de Borodine, des œuvres de Glazounoff, de Uinski-
Korsakoflf, etc., etc.
L'administration informe les abonnés qui n'auraient pas encore
retiré leurs cartes d'abonnement aux quatre concerts de la saison,
qu'ils doivent le faire dans les deux jours, soit au plus tard le
lundi 29 courant. Toute demande relative au service des places
doit être adressée Montagne de la Cour, 82.
M. Louis Jorez, professeur au Conservatoire d'Anvers et l'un
des professeurs de chant les plus distingués de Bruxelles, esl
mort à Schaerbeek, le 22 novembre, dans la maison qu'il occu-
pait rue des Palais.
M. Jorez n'avait que 52 ans. Il avait épousé, il y a quelques
années, M"« Stéphanie Bacot, très connue elle-même comme pro-
fesseur de musique et qui a formé à Bruxelles d'excellentes
élèves. ■ .. ■.'.'■- '. ' ■ .V '■
La perte de M. Jorez sera ressentie vivement dans le monde
musical, où le caractère modesteetaimable.de l'homme était
aussi apprécié que son talent était estimé.
M. Jorez élaii journaliste à ses heures. 11', faisait dans les
Nouvelles du Jour une critique théâtrale judicieuse et compé-
tente.
M. Gresse, notre ancienne basse, a renouvelé son engafiremenl
pour trois ans à l'Opéra de Paris.
Le deuxième concert de l'Association des Artistes Musiciens,
qui devait avoir lieu hier, est remis au mardi 14 décembre pro-
chain. Les cartes perlant la date du 27 novembre seront valables
le 14 décembre.
L'audition des œuvres de Franz Servais, que nous avons
, annoncée, aura lien au Cercle artistique, mardi, 30 novembre.
On y entendra une suite de six petits poèmes pour deux voix
avec piano descriptif, tirés des Contemplations de Victor Hugo :
L'Ame en fleur. Puis deux chansons de Mignonne, pour ténor,
par Armand Silvcstre; une poésie inédite de M. Georges Khnopff,
Ophe'lie ; deux chants lyriques deSilvcslre, et, enfin, un chœur,
Frédéric et Berjiercite, d'AWi'ed de Musset.
Un IhéAtre pornographique!
Dans le courant de décembre, annonce l'Evénement, la ville
de Turin aura une troupe dramatique et comique qui représen-
tera, au théâtre de Scribe, les principales comédies licencieuses
du xvi^ siô<'le : la Mandragola, de Machiavel ; la Calandra, du
cardinal de Bibbiens; les Suppositi, de l'Ariosle; le Marescalco,
de l'Aréiin; la Pinzocchcra, de Lasca. La Gazetta di Torino, qui
annonce ces représentations, ajoute cet avis : « L'entrée du
théâtre est interdite aux enfants. 11 est permis aux dames de
venir au théâtre avec un masque sur la figure. — Durant les
représentations, les applaudissements sont, rigoureusement défen-
dus.— On ne fera pas d'abonnements. »
A l'enquête du travail agricole a Spa.
M. Henri Marcotte, peintre à; Spa, critique les coupes de bois
de haute futaie, qui, en hiver, sur les fanges, indiquaient la
route recouverte de neige. Le témoin envisage la question au
point de vue de l'art et s'élève vivement contre la mesure prise.
Bravo ! Nos idées sur le vandalisme k l'égard de nos paysages
font fortune, paraît-il. Quelle fraîche odeur artistique au milieu
de tant de socialisme ! Brava ! Bravo !
On annonce l'apparition, pour le commencement de 1887, d'un
ouvrage instructif et intéressant : VA7inuaire des Artistes dra-
matique et lyrique français, lequel contiendra, par ordre alpha-
bétique, les noms et pseudonymes de tous les artistes français,
accompagnés de notices biographiques, ainsi que la nomencla-
ture des théâtres et concerts de France, des colonies françaises,
de Belgique et de Suisse, avec notes anecdotiques, historiques,
archéologiques, etc., mention de leur personnel artistique,
lyrique, administratif et autres renseignements se rapportant à la
scène.
Un concert de bienfaisance sera donné le 4 décembre, à
7 1/2 heures du soir, en la Salle Malibran, à Ixelles, avec le
bienveillant concours de M"« Mélanie Bouré, cantatrice, MM. Mets-
dag, ténor, Godenne, violoncelliste, Vandenbroeck, pianiste, et
Corneille Boon, chanteur de genre.
Le programme comprend des œuvres de Gounod, Servais,
Chérubini, Massenet, Lacome, etc.
Statistique des concours d'admission qui viennent de se ter-
miner au Conservatoire de Paris :
Aspirants.
Admissions
127 •
22 •
128
21
113
10
118
12 •
220
30
37
13
18
5
96
20
83
31
Chant (hommes) . . . . .
— (femmes)
Déclamation (hommes) . . .
— ■ (femmes) . . . .
Piano (femmes). . . . . ,
— (hommes) . . . . .
Violoncelle . . . . , . .
Violon . . ... . . .
Instruments à vent. . . . .
Total. . . 940 156
Dans ce tableau ne sont pas compris les résultats des examens
pour les classes de sollège, d'harmonie, de composition, d'orgue,
de harpe, qui porie le chiffre total des aspirants à plus de 1,200
et celui des élèves admis à plus de 220.
On a inauguré à Londres une saison d'opéra français. Le direc-
teur de Her Majestys Théâtre vient de débuter par FaM5/.
M'"^ Fidès-Devries remplissait le rôle de Marguerite,; M. Vcrgnel,
notre ancien ténor, celui de Faust; M. Dauphin, également bien
connu à Bruxelles, celui dé Méphistophélès; M. Devrics, celui de
Valentin; M"« de L'Oncle, celui de Siebel. Grand succès et nom-
breux rappels, malgré certaines défaillances de l'orchestre, dirigé
par M. Franlz. " •
M'"'' Galli-Marié a joué ensuite Carmen, où elle a obtenu un
très vif succès. Ensuite viendront, avec MM. Vergnct et Dau-
phin, ii?igf6;/e//o, la Traviata, Mignon et, peut-être, //am/d/.
En dehors de Mignon, aucun de ces opéras n'a encore été
chanté en français à Londres.
A New-York, vient d'être construit un orgue gigantesque qui
ne nécessitera «i soufflets ni appareils pneumatiques ; il sera mu
entièrement par l'électricité. Le rapidité vertigineuse avec laquelle
fonctionnera le mécanisme peut être démontrée par ce fait qu'il
sera possible de faire résonner un tuyau six cents fois dans l'es-
pace d'une minute. De plus, la transmission de la force à distance
étant une des propriétés de l'électricité, on pourra diviser
l'instrument en autant de parties qu'il y aura de registres et pla-
cer ces parties en différents endroits d'un édifice ; elles pourront
être manœuvrées ensemble ou séparément. Le nouvel orgue a été
construit dans l'église de Garden-Ciiy, à New-York. 11 possède
240 touches aux manualesetSO aux pédales, 113 jeux de registre
et 7,000 tuyaux. L'étendue complète est de 10 octaves.
Sommaire de la Revue d'art dramatique {i^ novembre 1886) :
Edmond et Jules deGoncourt, Fourcaud — La parodie au théâtre
de Victor Hugo, E. Morlot. — Le théâtre à Moscou en 1841,
E. Volnay. — Critique dramatique, E, M. — Chronique musi-
cale, Albert Soubies. — Courrier de Bruxelles, Octave Maus. —
ColTrrier de Londres, Victor Saglier. — Curiosités théâtrales,
L. Schône. .— Bibliographie, etc.
VILLE DE LOUVAIN
A.VIiS AU I»UtoLIC
La place de Directeur de l'Académie des Beaux-Arts de Louvain
(peinture, sculpture, architecture), est vacante.
Les artistes qui désirent postuler cette direction sont priés de faire
parvenir à rAdministratiou communale, avant le 15 décembre, leurs
demandes avec pièces à l'appui.
Traitement : 4000 francs.
Obligation pour le Directeur de se fixer, avec sa famille, a Louvain
et d'y ouvrir, un atelier.
I
LA REVDE HIDBPENDANTB
DE LITTÉRATURE ET D'ART
Paraissant le 1^'^ d« chaque mois en une brochure de 128 à 180 pages, in-18
Directeur : Edouard DUJARDIN. — Rédacteur en chef : Félix FÉNÉON
Chaque numéro contiendra :
Une chronique artistique, par J. K. Huysmans; une chronique
théâtrale, par Stéphane Mallarmé; une chronique musicale, par
Henry Géard ; une chronique parisienne; une chronique étrangère;
l'analyse des livres, par Teodor de Wyzewa; des vers; une étude
critique ou théorique, par Teodor de "Wyzewa; une nouvelle, étude,
conte ou poème en prose ; des traductions de chefs-d'œuvre étrangers
contemporains ; un roman nouveau. . ' .
LA REVUE NE PUBLIERA QUE DES ARTICLES ABSOLUMENT INÉDITS
PETITE BIBUOTHÈQUE UNIVERSELLE
S^, rue de la Montagne-Sainte-Geneviève, Paris
A .25 CENTIMES LE VOLUxME
Abonnements :
Un an.
Six mois.
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8 francs.
Départements . .
. 16 ..
8-50 -
Etranger . . .
.17 »
9 ..
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Japon et illustrée par Fantin, Redon, Rops, Whistlei*. Prix : 100 fr.
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Sixième: année. — N° 49.
Le NUMÉRO : 25 centimes.
IMANCUE 5 Décembre 1886.
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?
OMMAIRE
Lakmé. - - Jean Moréas et Paul Adam. Les demoiselles Gou-
bert. Le thé chez Mirancla. — Le traité du Verbe, par René Ghil.
— ^ Les poèmes symphoniques de Liszt — Séance musicale de
Franz Servais. — Petite chronique.
LAKMÈ
En sa malice de Parisien goguenard, — homme
d'esprit serait pléonasme — M. Gondinet a, certes,
voulu se moquer un peu de son monde. « Je vais leur
faire trois actes, s est-il dit un matiti, qui seront trois
fois le même acte. Ça sera nouveau pour une pièce.
. Delibes a du talent. Il fera là dessus de la musique
chantante. Nous allons rire «
M. Gondinet a tenu parole et, tout au plus M. Gille,
• son collaborateur, a-t-il pu obtenir de lui que les trois
personnages principaux : Lakmé, son père et l'incan-
. descent capitaine ne parussent pas les trois fois sous le
même costume. Ainsi Gérald se présente-il, au pre-
mier acte, coiffé d'un casque blanc ; au deuxième, d'un
béret rond ; au troisième, de sa seule chevelure. Le reste
de l'uniforme, le spencer bleu, la culotte collante, les
bottés, ne varient pas, il est vrai, mais c'est M. Gon-
dinet qui l'a exigé.
Question d'unité dramatique, sans doute. Il ne
s'agit pas de faire des concessions quand on inaugure
« une nouvelle théorie.
Donc, au premier acte, Gérald s'éprend de Lakmé,
qui n'y fait pas d'objections. Survient le vieux brah-
mane exalté, ir surprend les amoureux. Vengeance !
Il s'élance, le. couteau levé.... Mais le séducteur a dis-
paru. -^^^^ ;.,■., ■■.-:•:■• ,::,..>.:-_ -, ,:v,._-..s;^
La toile tombe.
Au deuxième acte, Gérald continue à être épris de
Lakmé, qui persiste à n'y pas faire obstacle. Survient
encore l'horrible Nilakantha, qui interrompt le tète à
tête, appelle la colère des dieux, se précipite, le poi^
gnard à la main, sur le ravisseur.... et l'égratigne.
La toile tombe.
Au troisième acte, Gérald est de plus en plus amou-
reux de Lakmé. Celle-ci est de plus en plus décidée à ne
pas s'en formaliser. L'insupportable brahmane repa-
raît, et, aussi, son fastidieux couteau. Va-t-il, pour la
troisième fois, manquer son coup ? Hélas, oui! Gérald
a bu à la coupe d'ivoire. Il est sacré, il est invulné-
rable, et le brahmane rengaine, à regret, l'éclair de sa
lara^ d'acier.
Alors, quoi? Aurons-nous un quatrième acte? Un
quatrième duo d'amour? Une quatrième apparition du
trouble-fête et de son instrument tranchant? Non, la
pièce est finie. Lakmé tombe sur le dos pour s'être passé
sur les gencives un pétale de datura, que la science des
librettistes daigne qualifier de stramonium pour
l'instruction du public.
Oui, Lakmé meurt. Et Gérald, le beau hussard de la
reine, s'en va rejoindre Iç régiment qui passe à la can-
tonnade, fifres et tambours en tête.
Parole d'honneur, c'est là la pièce. Il n'y a point
>J
d'autre ressort dramatique. Le mécaiiLsine mis à nu, il
. 110 reste positivement que cette pauvre invention. .
Quelques personnages épisodiques traversent furti-
vement la scène, avec le sentiment de leur inutilité :
la fiancée de Gérald, pour donner un peu plus d'in-
vraisemblance à toute cette étonnante histoire, un ami
du dit Gérald, qui paraît être le personnage que dans
les revues de fin d'année on appelle le compère : il est
chargé d'expliquer auK spectateurs la vertu nocive du
datiira strmnonhmi, de peindre le caractère irascible
des brahmanes, et surtout de mettre i5n à la pièce, qui
ne se terminerait jamais sans lui, puisque s'il ne
venait pas dire à son camarade : " Tu as assez flirté. Sa
Gracieuse Majesté a besoin de nos épées'», Gérald con-
tinuerait évidemment, dans un quatrième, peut-être
dans un cinquième acte, et pourquoi pas dans un
sixième? à faire les yeux doux à Lakmé et à roucouler
toutes les jolies phrases que déroule indéfiniment
l'écheveau musical de M. Delibes.
Il y a d'autres personnages encore plus épisodiques
et non moins superflus : une miss évaltonée et une gou-
vernante burlesque (il est de tradition, n'est-ce pas, que
les gouvernantes anglaises sont toujours ridicules) qui
ne se montrent un instant que pour chanter une partie
dans une quintette, — et qui la chantent faux, sans
doute pour augmenter la couleur locale.
Quelle singulière destinée a donc l'inspiration de
M. Delibes? Après s'être butté à un livret obscur, com-
pliqué, tarabiscoté, épineux, hérissé de détails cocasses,
poury adapter les fraîches mélodies, de /(^anc?^AÏî76/^^5,
voici que le compositeur tombe dans des ruisselets d'eau
claire, et si claire qu'elle s'échappe, et s'évanouit, et
ciu'il n'y en a plus. La brise qui fait frissonner la forêt
de Brahma où se becquettent les tourtereaux atout
emporté. Opéra comique? Non. Romance, rien de plus.
Et romance de salon. Et cela après avoir mis la main,
pour Coppélia, sur le plus beau Sujet de ballet qui soit.
Est-ce à dire qu'on n'ait pas fait bon accueil à la pau-
vrette? Ce serait mal connaître nos compatriotes. Le
succès a été, au contraire, très grand. Il a été crescendo
d'acte en acte, et à la chute du rideau on a adressé au
compositeur les acclamations d'usage, et le triompha-
teur s'est, de son côté, laissé faire la douce violence
traditionnelle. Les artistes féminins de la troupe l'ont
vivement pris par les mains, par les bras, par les
épaules, par les basques, par tout où il offrait quelque
point d'appui, et l'ont radieusement entraîné vers la
rampe. Ce n'est pas tout. Il a été, séance tenante,
"bombardé chevalier de Tordre de Léopold (c'est mince;
pourquoi pas commandeur?) et enfin, M. Gevaert l'a
embrassé. C'est, de toutes ces démonstrations, celle
évidemment à laquelle M. Delibes a dû être le plus
sensible. . " '
Le secret de ce triomphe inattendu, sur lequel la
direction de la Monnaie, s'il faut en croire certaines
indiscrétions, ne comptait pas trop elle-même? Le
secret réside dans l'aimable facilité du musicien, qui a
prestigieusement caché sous de jolis détails mélodiques
les trous, voulus ou non, de son livret. Oh ! Tingénieux
trouveur de « riens '» qui plaisent et l'habile jongleur
de fétus de paille ! La musique de Lakmé ne déplaît pas
aux artistes parce qu'elle est de facture adroite, et elle
plaît infiniment au public, parce qye sa sentimentalité
s'y reflète, et sa coui-te compréhension de l'amour, et
l'air de chansonnette que chantent toutes les vies bour-
geoises. Jamais ne brûle ces âmes voletantes dans le
train-train des choses la flamme qui consume Iseult, et
plus encore reste clos pour elles le séraphique jardin
où chantent les Fleurs.
Mais le duo d'amour, l'éternel duo d'amour où il est
question de bruits d'ailes, de parfums embaumés, de
brises caressantes. Oh! ce duo-là, qu'il déroule sa
banalité dans une forêt de l'Inde ou dans les foins de la
Beauce, ou simplement sur un banc du Jardin botani-
que, il faudrait être bien ignorant des accents qui font
vibrer les cordes sensibles des auditeurs pour le man-
quer!
Or, c'est précisément là ce que M. Delibes connaît le
mieux : charmer sans fatiguer, déguiser sans une appa-
rence nouvelle des formules dont on a abusé, provoquer
chez les auditeurs, et spécialement chez les auditrices,
des titillations d'autant plus agréables qu'aucune page
de la partition ne heurte les idées reçues et qu'on peut
se laisser bercer sans crainte au fil de la mélodie... Aux
ariettes succèdent des trios, des duos, des cantilèiies et
des cavatines, le tout avec strette et ritournelle, ces
pièges à bravos. Et le tout est d'un orientalisme à
l'usage des gens du monde, aimable et enjoué, évoquant
l'Inde comme les arcades de la rue de Rivoli, avec leur
vagues odeurs de pastilles du sérail et leurs enfilées de
babouches, siiggèrènt. Jérusalem et Constantinople.
Lakmé a été bien accueillie à Paris. Notre corres-
pondant Jacques Hermann, qui a fait de l'œuvre (*) une'
analyse détaillée qui nous dispense d'insister davan-
tage, en a constaté Iç^^succès : succès artistique et succès
d'interprétation.
On pouvait craindre que privée de M^ie Van Zandt,
pour qui le rôle principal a été spécialement écrit,
et de M. Talazac, qui avait merveilleusement incarné
celui de Gérald, la pièce parût incolore. Grâce à
M'^® Vuillaume et à M. Engel, grâce aussi à une mise
en scène suflfisamment élégante, l'accueil a été aussi
chaleureux à Bruxelles qu'il l'avait été à Paris, et nous
en félicitons sincèrement la direction, à qui les recettes
assurées de Lakmé donneront des loisirs pour faire
travailler à l'aise quelque oeuvre sérieuse.
i
(^) V. TArt moderne, 1883, p. 129.
Nous disons : grâce à M'^"^ Vuillaume et à M. Engel,
non pas que les autres artistes n'aient pas contribué à
la victoire, mais parce que leur collaboration est si peu
importante qu'on pourrait se borner à les citer.
M. Isnardon, un peu vulgaire pour un capitaine des
hussards de la reine, s'est néanmoins montré bon comé-
dien. M. Renaud chante de sa belle voix ample le rôle
du brahmane fanatique. M"® Legault, très séduisante
sous son grand chapeau de paille, et M""® Gandubert,
ont suffisamment d'étourderie et de gaieté, et W^^ Casta-
gnîé a fait .preuve de bonne volonté en remi)laçant au
pied levé M»« Wolff.
M. Engel s'est montré une fois de plus l'excellent
chanteur et Tintelligent acteur que, depuis deux ans,
notre public apprécie. Et le succès décisif de M^^'' Vuil-
" laume a été, nous ne dirons pas une surprise', le mot
ne serait guère aimable, mais une satisfaction.
La jeune artiste a de l'ingénuité, de la jeunesse, de
la grâce. Elle abuse, il est vrai, d'un geste qui a l'air
d'être destiné à rattacher ses boucles d'oreilles, mais
c'est, sans doute, extrêmement hindou. Comme chan-
teuse, elle égrène avec facilité les vocalises qu'on croyait
à la seule portée de la créatrice du rôle, et, à part l'air
d'entrée, dans lequel elle a manqué d'assurance et de
justesse, elle n'a rien laissé à désirer jusqu'au datura
final. ' .
l '■{zk^ JAORÉK^ ET pAUL ^DAM <
Les Demoiselles Goubert. — Le thé chez Miranda.
WM. Moréas el Paul Adam réussissent dans les Demoiselles
Gouberl un art inléiessanl cl 1res parti vers une notation nou-
, velle des choses.
Le roman? Marceline et Henriette Goubert, orphelines tombées
de la bourgeoisie cossue dans la bourgeoisie trimante pour le
pain journalier et toutes deux employées à la maison de conteclion
Freysse se fanent peu à peu, grâce au milieu, l'une, Henriette,
dans la vie de (illc, l'autre, Marceline, dans la moisissure sur
place de caissière do magasin. Elles étaient sorties de chez leur
père avec la volonté de sa refaire riches. Les stations et les arrêts
de ces deux existences trimballantes vers le néant du projet, ce
livre les marque.
Et d'abord c'est bien avec l'école naturaliste des Goncourt qu'il
a le plus d'attaches : petits chapitres, lalbleaux ou plutôt quin-
tessences de visions, choses vivement esquissées et passées de
lumière en ombre, sentiments montrés plutôt que déduits et
analysés, sautes considérables entre les chapitres, mises en
relief seulement des scènes capitales.
M. Poictcvin avait déjà tenté cet art, mais avec plus d'impres-
sionnisme.
Ce que MM. Moréas et Paul Adam ne se permettent jamais,
c'est la nomenclature descriptive, l'infini défilé des détails et
surtout le train-train de l'affabulation, allant au petit pas, sans
brûler un seul pavé, à travers les cinq cents pages de texte régle-
mentaires.
Exemples? Les romans de Zola.
L'innovation consiste dans le stvic surtout. Parfois, certes, il
prend la tournure des phrases do mise en scène pour comédies
ou drames, mais cotte impression s'offaco : le vocable est parfai-
tement artiste, la vision neuve, la coupe imprévue, le mol tient
la place que lui assigne l'idée bien plus que la grammaire; en
telle peinture, une poésie spéciale se lève, que ni MM. Goncourt
ni Zola n'auraient perçue. .
« L'a double file des demeures U balcon s'angulail vers les
touffes vertes des Tuileries jusque la silhoùeUe équestre de la
Pucelle, élevant son oriflamme de bronze. Dans le vent doux,
dans la lumière fauve, bruissaiont les fiacres et leurs toils
luisanîs comme de convexes glaces et leurs lanternes nettes. De
là se dressait nu ciel de satin vert fané, piqué de l'astre unique et
minuscule qui devance. »
Comme c'est loin du mot^ précis, et net, et brutal, et hourgoois !
MM. Moréas et Paul Adam apportent donc quelque neuf; ce
n'est certes pas une rénovation, une conversion du roman, ni une
, rédeifiplion, mais ils ouvrent, sinon une route, au moins un son-
lier non encore foulé. Leur affabulation est telle quelle et n'im-
porte, au reste, de même que dans le système réaliste.
Quant à la création de vie humaine, celle-là n'est qu'ébauchée.
Les caractères vacillent, leur analyse falote flotte dans le livre,
ils manquent de la force qui impose.
Une audace do composition, étrange peut-être pour quelques-
uns, se lève vers le milieu du récit en intermède des Espris illu-
soires. On pourrait se demander : pourquoi? Si dans les esprits
que M. Moréas évoque devant le Mage ne se présentait Honriottê-
Fiorinelta, Albarel-Léandro cl Mar.celine-Silvia, les trois prota-
gonistes de l'œuvre, liés à leurs générateurs spirituels. L'in-
termède devient ainsi explicatif ou mieux que cela, synthétique. .
H dégage le livre de l'anecdote pour le revêtir en quelque sorte
d'un luisant de pérennité el les individus se haussent jusqu'au
type, ou du moins indiquent le type dont ils sont un avatar.
Nouvel indice de préoccupation esthétique nouvelle, et celui-ci
très important, puisqu'il vise le fond même des compositions
d'art : les naturalistes — Zola du moins — prétendaient ne
jamais aller au delà de l'individu, ne jamais généraliser, de peur
de manquer d'exactitude et de chavirer dans le rêve ; ils ne
basaient que sur l'observation du fait et ne poussaient point jus-
qu'à la cause. Tout différemment ici. L'essai d'aller au type et de
classer, et de généraliser, el de synfhétiser, el de symboliser
môme domine. Ira-t-il jusqu'au but, qn jour,, et largement et
despotiquemenl? ou avorlera-l-il en cahotantes tentatives?
MM. Moréas et Paul Adam, avant d'achever Les demoiselles
Goubert, ont publié Le thé chez Miranda. N'insistons sur les
nouvelles du volume que pour affirmer qu'elles sont d'une litté-
rature courante et aisée, montrant les auteurs habiles — tout
alitant que ceux qui les raillent dans leurs préoccupations nova-
trices — ii trousser le quelconque d'une littérature de goût et de
mode reçus.
Mais certains préambules aux récits sont d'une fantaisie très
délicate. Voici La Haye, plus loin Gênes, et enfin La chasse de
. Miranda. Il sérail difficile de traiter plus adorablemenl le pastel
et de réussir avec un doigté plus fin les aquarelles, les gouaches
et les sépias littéraires.
Le traité du Verbe, par René Ghil.
On a reproché a M. Ghil d'arborer un manifeste. Après?
Toutefois, le Traité du Verbe est bien trop spécial, à son livre
déjàrparu et h ceux qui naîtront, préconçus, pour que l'auteur
ail obdi à auire injonciion que': «L'opportunité de renier de irop
puériles idc'es et d'énoncer intégrales sa pensée et sa volonté
d'homme ». Et, « maintenant, ajoule-t-il, ce étant dit que l'on
devait ouïr, muelte et sourde à l'entourage mondain, ma sim-
plesse rentres pour n'en plus sortir en son travail et son silence ».
Un avant-dire de Stéphane Mallarmé garde le fascicule. Il y
est affirmé cette fondamentale constaiaiion, qui sépare la langue
des lettrés désormais de la fluanle littérature :
« Un désir indéniable à l'époque est de séparer, comme eu
vue d'allribution différentes, le double état (le la parole, brut ou
immédiat ici, là essentiel.
Narrer, enseigner, même décrire, cela va et encore qu'à cha-
cun suffirait peut-être, pour échanger toute pensée humaine, de
prendre ou de mettre dans la main d'aulruî, en silence, une pièce
de monnaie, l'emploi élémentaire du discours dessert l'universel
reportage dont, la littérature exceptée, participe tout, entre les
genres d'écrits contemporains!
A quoi bon la merveille de transposer un fait de nature en sa
presque disparition vibratoire, selon le jeu de la parole, cepen-
dant, si ce n'est pour qu'en émane, sans la gène d'un proche ou
concret rappel, la notion pure ? ».
Toute la théorie poétique mallarméenne s'étaie sur ces deux
énoncés : Isolement du poète au dessus de l'universel reportage ;
acheminement de toute poésie vers la synthèse, loin du con-
cret, près de l'ahsirail, jusques à la notion pure.
M. Ghila, dy reste, mêmes vouloirs, il. affirme :
« L'idée, qui seule importe, en la vieéparse.... »
Mais, où M. Ghil appuie, c'est en indiquant la forme qu'il
choisit pour atteindre son but artistique. Cette /«rme? L'instru-
mentation.... « miraculeuse montée vers les heures lointaines,
qu'avec humilité, nous souhaitons, où tous les Arts, inconsciem-
ment impies, reviendront se perdre en la totale communion : la
Musique épouvantante qui intronise la divinité seule : Poésie.
c( A moi, non, de m'enquérir de la cause: une phase, sans doute
d'une évolution progressive de nos sens élevés.
' « C'est assez que me soient des esprits pour qui la Musique n'est
que somptuosités de tableaux, les sons hauts et graves n'étant
que couleurs triomphales, innocentes, ou s'imprégnant de mélan-
colie : et entendant avec amour ce poète Richard Wagner, tel
voit dans Tristan et Iseult des orgcuils de forêts verdir, et de
sève s'épandre, et d'orages se lamenter en la victorieuse ventée
des accords; et tel autre dans Xo/i£»^7'm, au son de douces
trompettes sœurs disant sur les tours d'aube évaporée, con-
temple sur la plaine rase et vert tendre, un matin rose et d'or
fumant vers le jour deviné d'un encens pur de fêtes.
« Toi qui Tinquiétas veuille retenir : des sons te sont vus.
« Or, si le son peut être traduit en couleur, la couleur peut se
traduire en sons, et aussitôt en timbre d'instruments. »
C'est sur ce fait que M. Ghil base Kinstrumcniation poétique.
Sur le fait des correspondances des deux sens dominateurs : la
vue, l'ouïe (resteraient certes Todorat et le goût en inéducation
encore) et partant de cette observation contrôlée et définitive
aujourd'hui, il assigne les relalions de telle couleur à tel instru-
ment, et plus encore, de tel mot et de telle lettre et de telle
diphtongue à tel autre. Toute une théorie naît, originale, person-
nelle, adroitement présentée, malgré la fuyance des formules.
Au reste, cette instrumentation n'est qu'un moyen de surgir
vers ce grand but, atteint par Wagner. Et M. Ghil, dit :
« Pour une œuvre une et de symboles grosse, en une poésie
^nslriimcntale, où sont des mots les notes, unir et perdre les
poésies éloquente, plastique, picturale et musicale, toutes encore
au hasard : C'est mon rêve. »
Voilk, en sa structure, le Traité du Verbe ^ écrit parfois en
style d'oracle, comme il convient aux choses qui doivent s'im-
poser parce qu'elles se sentent bien plus qu'elles ne se discutent.
M. Ghil se lève écrivain. Il piart de Stéphane Mallarmé, vers où?
Exquise, cette figuration de la poésie verlainienne :
« Au sortir, de sommeil, effleuré de sourire et de palmes
s'aérant, sur le perron merveilleux, d'un humide soleil p.tradisé
et de rosée remuante en l'aurore légère d'un mirage d'eau, la
Belle s'en viendra, » etc.... ^
' LES POÈMES SYMPHONIQDBS DE LISZT
Les Concerts populaires ou\. inscrit au programme de leur
première audition, comme un hommage rendu au compositeur
que la mort vient de frapper, l'un des plus beaux poèmes sym-
phoniques de Liszt.
On entendra aujourd'hui Le Tasse, Lamento e trionfo, qui
occupe le n» 2 des douze poèmes, classés ainsi : N» 1, Ce qu'on
entend sur la montagne^ d'après Victor Hugo. N'» 2, Le Tasse.
N« 3, Les Préludes, d'après Lamartine. N° 4, Orphée. N» 5, Pro-
méthée. N" 6, Mazeppa. N» 7, Fest-Klànge (sonneries de fête).
N<» 8, Hérdide funèbre. N« 9, Hungaria. N° 10, Hamlet.
N<> 11, Hunnenschlacht (la bataille des Huns), d'après Kaulbacb.
N« 12, L Idéal d'après Schiller.
Camille Saint-Saëns, dans son volume Harmonie et Mélodie.,
a consacré k Liszt, et spécialement aux poèmes symphoniques,
un chiapiire intéressant. Il nous a paru utile à la compréhension
de l'œuvre de mettre sous les yeux de nos lecteurs le passage
qui concerne spécialement le Tasse, et que voici :
Il n'y a pas longtemps encore, la musique orchestrale n'avait
que deux formes à sa disposition : la symphonie et l'ouverture.
Haydn, Mozart et Beethoven n'avaient point écrit autre chose;
qui aurait osé faire autrement qu'eux? Ni Weber, ni Mendelssohn,
ni Schubert* ni Schumann ne l'avaient osé.
Liszt l'a osé.
Oser, en art, est ce qu'il y a de plus terrible au monde. En
théorie, je l'accorde, rien n'est plus simple. Il n'y a pas de lois
contre les arts, les artistes sont Hbres de faire ce qu'ils veulent;
qui les en empêcherait?
Dans la pratique, tout les en empêche, tout lé monde ei mix-
mêmes. Les formes nouvelles que l'on demande et que l'on
désire, en apparence du moins, inspirent de la frayeur et' de la
répulsion. Pour accepter de nouvelles formes, pour en pénétrer
le sens, il faut absolument que l'esprit fasse un efi'orl : les gens
qui aiment à faire cet elfort sont rares. Ce qu'on aime, c'est à se
pelotonner dans sa paresse et dans sa routine, dût-on crever
d'ennui et de satiété.
Liszt a compris que, pour imposer de nouvelles formes, il fal-
lait en faire sentir la nécessité, les motiver, en un mot. Il est
entré résolument dans la voie que Beethoven, avec la Symphonie
pastorale et la Symphonie avec chœurs., Berlioz avec la Symphonie
fantastique et Harold en Italie, avaient indiquée plutôt qu'ou-
verte, car s'ils avaient agrandi le cadre de la symphonie, ils ne
l'avaient pas brisé, et il a créé le Poème symphonique.
VART MODERNE
389
Cette création brillante et féconde sera auprès de la poslérilé
• son plus beau titre de gloire, et, lorsque le temps aura effacé la
trace lumineuse du plus grand pianiste qui fut jamais, il inscrira
sur son livre d'or le nom de Pémancipateur de la musique instru-
menlale.
Liszt n'a pas seulement lancé dans le monde musical celte idée
du poème symphonique, il l'a développée lui-même, et, dans ses
douze Poèmes il a montré les principales formes que cette idée
est susceptible de revêtir.
Avant de parler des œuvres elles-mêmes, disons quelques mots
du principe qui en est l'âme, du principe de la musique à pro-
gramme.
Pour beaucoup de personnes, la musique à programme est un
genre nécessairement inférieur. On a écrit sur ce sujet une foule
de choses, qu'il m'est impossible de comprendre.
La musique est-elle, en elle-même, bonne ou mauvaise? Tout
est là. ,
Qu'ensuite elle soit, ou non, à programme^ elle n'en sera ni
meilleure ni pire.
C'est exactement comme en peinture, ou le sujet d'un tableau
qui est tout pour le vulgaire, n'est rien, ou est peu de chose pour
Famateur. ,
Il y a plus : le reproche qu'on fait à la musique de ne rien
exprimer par elle-même, sans le secours de la parole, s'applique
également b la peinture. • •
Un tableau ne représentera jamais Adam et Eve à un specta-
teur qui ne connaîtrait pas la Bible; il ne saurait représenter
autre chose qu'un homme et une femme nus au milieu d'un jar-
din. Cependant le spectateur ou l'auditeur se prêtent à merveille
à cette supercherie qui consiste à ajouter au plaisir des yeux ou
des oreilles l'intérêt et l'émotion d'un sujet. 11 n'y a pas de raison
pour lui refuser ce plaisir : il n'y en a pas non plus pour le lui
accorder.La liberté est complète : les artistes en usent et ils font
bien.
Ce qui est incontestable, c'est que le goût du public le porte,
. à notre époque, vers le tableau à sujet et la musique à pro-
gramme, et que le goût du public, en France du moins, a entraîné
les artistes dans cette direction.
La musique à programme n'est pour l'artiste qu'un prétexte à
tenter des voies nouvelles, et les effets nouveaux demandent des
moyens nouveaux, chose, de tout temps, fort peu goûtée de
MM. les chefs d'orchcslre et maîtres de chapelle, qui aiment
avant tout leurs petites habitudes et le calme de leur existence.
Je ne serais pas étonné que la résistance aux œuvres dont nous
parlons vînt, non pas du public, mais des chefs d'orchestre, peu
jaloux de se mesurer avec les difficultés de toute nature dont
elles sont hérissées. Toutefois je ne me pejroiettrais pas de l'af-
firmer. •
Les compositions auxquelles Liszt a donné le nom de poèmes
symphoniques sont au nombre de douze.
Il a encore écrit les symphonies Dante et Faust qui n'ont de
la symphonie que le nom et sont en réalité des poèmes sympho-
niques en deux et en trois parties, et deux tableaux musicaux
d'une grande valeur, la Valse de Méphistopkélès et la Proces-
sion nocturne d'après les fragrtients du poème Faust de Lenau.
Nous ne parlerons pas de ses oratorios et de ses messes, ni de
son œuvre pour le piano, qui est immense, et dont tout pianiste
qui écrit pour son instrument ressent, à son insu, l'influence ;
bornons-nous à sa musique orchestrale.
Le poème symphonique, dans la forme que Liszt lui a donnée,
est d'ordinaire un ensemble de mouvements différents dépendant
les uns des autres et découlant d'une idée première, qui s'en-
chaînent et forment un seul morceau. Le plan du poème musical
ainsi compris peut varier b l'infini. Pour obtenir une grande unité
en même temps que la plus grande variété possible, Liszt choisit
le plus souvent une phrase musicale qu'il transforme au moyen
des artifices du rythme de façon à lui faire prendre les aspects
les plus divers erà la faire servir à l'expression des sentiments
les plus dissemblables; C'est un des procédés les plus habituels
à Richard Wagner, et c'est, à ce que je crois, le seul commun
aux deux compositeurs. Comme style, comme emploi des res-
sources de l'harmonie et de l'instrumentation, ils diffèrent autant
que peuvent différer deux artistes contemporains et se rattachant
en définitive à la même école.
Le poème Tasso peut être pris pour type du genre de compo-
sition qui nous occupe. Le thème principal est celui que chan-
taient, il y a peu d'années encore, les gondoliers de Venise et
sur lequel ils récitaient les strophes de la Jérusalepi délivrée.
Après une inlroduciion qui peint la folie du Tasse, et dans
laquelle les accents d'un sombre désespoir alternent avec de dia-
boliques ricanements, la plaintive mélodie se déroule avec toute
la mélancolie des lagunes de Venise, où l'auteur l'a recueillie; et,
subitement transformée, elle éclate en un court chant de triom-
phe. Un éclair de raifîon a traversé l'âme du Tasse, qui pressent
sa gloire future; puis sa mémoire se réveille : dans un long
crescendo, il semble qu'un vaste rideau se lève, et, aux sons d'un
menuet d'une suprême élégance, nous voyons se promener sous
les arcades somptueuses, dans les jardins enchanlés de Ferraie,
les beautés aux rçgards de flamme, à la démarche princîère, aux
riches vêlements, dont les sourires ont troublé à jamais l'âme du
poète; et la phrase des lagunes se déroulant sous une nouvelle
forme nous monire le poète lui-même, dont la tendre mélancohe
contraste de la façon la plus qiusicalement pittoresque avec ces
coquetteries féminines. Mais la vision se trouble, la raison du
Tasse s'est obscurcie de nouveau, le héros s'éteint dans une der-
nière convulsion... Alors commence le splendide final; le
« Irionfo « succède au « lamente » ; les trompettes sonnent, la
foule se précipite pour acclamer le génie qu'elle avait méconnu,
et la phrase plaintive, métamorphosée en chant de victoire, éclate
avec, toute la puissance dont l'orchestre moderne est capable.
Telle est, dans ses lignes principales, cette belle composition qui
a été exécutée avec un succès triomphant aux concerls Pasde-
loup. Il n'est pas probable que le public ail saisi les nuances
poétiques de l'œuvre, qu'aucune notice explicative ne lui avait
indiquées ; mais l'ordonnance du morceau est si claire, les diffé-
rentes parties se succèdent par oppositions si savamment ména-
gées, lé charme des mélodies est si grand, que le seul côté musi-
cal suffit au succès du morceau.
SÉANCE MUSICALE DE FRANZ SERVAIS
Enfermé dans la solitude de ses rêves, l'oreillle tendue aux
harmonies raffinées que lui dicte quelque fée invisible, dédai-
gneux de la. popularité et des succès banals, respectueux de son
art, tel apparaît Franz Servais.
L'an dernier, il fit entendre au Concert populaire quelques
œuvres. Longtemps il avait fallu l'en prier!
''" :S^\>f',*:^
vr'."^-^-?-;^^^'
^:rr, -*■- >t ., ',^,
3 90
L'ART MODERNE
Pour la deuxième fois, maivli, au Cercle, il est sorli de son.
isolcmciiL El le public a été sous le charme, d'une inspiration
élevùo, servie par une technique sc^ricus;.
Le programme portail : le Quatuor de Joseph Servais pour
inslrumenls îi cordes, hommage du frère au frère mort. Excellem-
menl joué par des ariististes de choix : WM. Colyns, Van Slyvoort,
Isaye el Jacobs, l'œuvre a superbement ouvert le concert. Le
ihème de VAdagiOj surtout, a fait impression, évoquant, en même
temps que la si douce figure de l'ami, l'archet merveilleux qui
réjouit les âmes, tant d'hivers, à Bruxelles.
Venaient ensuite les Conteinplalions^ poème d'amour en six
chants, composé par Franz Servais lorsqu'il était k Rome, à
I école de Liszt. L'auteur, au piano, M. Engel et M'"« Cornélis-
Servais, tantôt unissant leurs voix, tantôt chantant seuls, ont
donné de celte très belle œuvre une remarquable inlerprétalion.
Le quatrième chant, dit par le ténor :
Laissez, laissez brûler pour vous, ô vous que j'aime !
Mes chants dans mon âme allumés !
Vivez pour la nature, et le ciel, et moi-même !
Après avoir souffert, aimez !
et le cinquième l'emportent par l'élévalion et le charme delà
pensée.
Des deux Chansons de Mignonne (poésie d'Armand Silveslre)
placées au seuil de la seconde partie, la première surtout est
d'une exquise fraîcheur.
Peut-être de toutes ces compositions charmantes, les plus
exquises sout-elles les deux petites pièces écrites sur des poésies
de Georges Khnopff: Ophélie ci V Oiseau chanteur, dam lesquelles
le musicien a su trouver l'exacte translation en langue musicale
du sens pénétrant el symbolique des poèmes.
Ci C Oiseau chanteur j un bijou : V
. . Mai dans les bois et les plaines
Redit les chants d'espoir :
Aimez ! Aimez ! ..
Viens, dans les yeux des fontaines
' ^. ... '■ " , Sourit l'adieu du soir. •
Aimez ! Aimez !
Viens, que les fleurs te soient douces, .
_^ Les fleurs comme des pleurs,
Les fleurs, les fleurs.
Las ! vielis aimer dans les mousses,
Les fleurs, les tristes fleurs,
Les pleurs, les pleurs.
Oh ! soir, veillez en silence
Devant ce lourd ciel d*or,
Veillez, veillez !
Soir, écartez de la Lance
Les anges de la mort. -
, Veillez, veillez !
Deux chants lyriques sur des poésies d'Armand Silveslre,
chantés par M. Engel, el dans lesquels on a parliculièrement
apprécié une partie du Nocturne, enfin un chœur .pour voix de
femme (poésie d'Alfred de Musset) assez médiocrement exécuté,
ont clôturé cette intéressante séance, qui était bien nécessaire
pour chasser les souvenirs houssayens dont la salle du Cercle
garde l'obsession. -
pETITE CHROJ^IQUE
Dans leur dernière assemblée mensuelle, les XX ont choisi,
pour remplacer M. Charles Goclhals, décédé, M. Henri Degroux.
M. Degroux est le fils de feu Charles Degroux. Il à débuté par
les expositions de VEssor, L'an passé, une assez vaste composi-
tion intitulée : le Pèlerinage de Sninl-Colomhan lut vivement
disculée. Dans ses plus récentes productions-, le jeune artiste a
fait preuve de tant d'aptitudes artistiques que les XX lui ont
offert d'entrer dans leur Association.
M. Degroux a accepté en ces termes :
« Je suis très flatté qu'il ail été question de moi aux XX, et
très honoré des suffrages qu'ils m'accordent en m'offrant parmi
eux la place laissée vacante par le regre.té Charles Goelhals.
Quoique cette réelle aubaine me bouleverse un peu dans la déter-
mination que je voulais prendre de ne plus exposer désormais et
de ne travailler que pour ma satisfaction personnelle, veuillez, je
vous prie. Monsieur M..., en remerciant les XX pour moi, leur
dire combien je prends à cœur l'honneur qu'ils me font et que,
surmontant celle détermination, je serai avec plaisir très sincère-
ment des leurs. » -
Deux places restent vacantes. MM. James Me Neill \Yhistler,
peinj^re à Londres, et Auguste Rodin, sculpteur h Paris, ayant
témoigné le désir de faire partie du groupe des XX, il a été pro-
cédé à un vote sur ces candidatures. Mais par 10 voix contre?, les
membres de l'Association ont décidé qu'il y avait lieu de laisser
actuellement les deux places sans titulaires, afin de les réserver à
de jeunes artistes belges dont le mérite se révélerait quelque
jour. '
On prête au directeur du Conservatoire de Bruxelles l'inten-
tion de donner prochainement un concert dont le programme
serait exclusivement composé d'œuvrcs de compositeurs titrés.
On V entendrait une ouverture du chevalier Gluck, un concerto
pour violon (inédit), du prince de Caramàn-Chimay, un mottct k
quatre voix du chevalier Van Elewyck, la célèbre romance-:
Si vous n'avez rien à me diîv,de M"^« la baronne de Rothschild,
chantée par .M™*' la comtesse Moriani de Corwaïa, et accompagnée
sur le clavecin par M™« la comtesse Wanda Van der Mêler.
M. le duc de Campo-Selice aurait, assure-t-on, consenti, pour
. celte fois, à se faire entendre de nouveau en public. Il viendrait
chanter des mélodies du prince Woronzoff et du comte Michel
Wielhorsky.
Enfin, il y aurait une première à sensaiiou. M. Gevaert aurait,
dit-on,-retrouvé récemment en Allemagne la partition manuscrite
du Naufrage de la Méduse, par le comte Frédéric do Flotlow,
qu'on croyait avoir été détruite dans l'incendie du théâtre de Ham-
bourg. Il aurait écrit pour cette œuvre des récitatifs, il en aurait
revu et corrigé l'instrumentation, y aurait même ajouté un rôle
de ténor, et se proposerait d'en faire exécuter d'importants frag-
ments au concert en question.
Des invitations spéciales seraient lancées à celte occasion dans
le corps diplomatique, dans la vieille noblesse bruxelloise el
même dans le faul^Qurg Saint-Germain. . ■'.
En annonçant la vente des tableaux de Panlazis qui a eu lieu
celle Semaine k la salle Fiévez, un journal bruxellois dit : « 11 est
mort l'an dernier; on se souvient de l'exposition de ses œuvres
qu'on fil, alors, à la hâte, cl qui révélait tout à coup, aux indiffé-
rents, des qualités d'artisle très fines et 1res rares. Depuis, l'oubli
a commencé... ».
Le renseignement est exact, à cela près qu'il y aura trois ans,
le mois prochain, qu'on a porté en terre le pauvre Pantaîiis, cl
que jamais il n'a été fait d'exposition de ses œuvres.
Panlazis élail l'un des fondateurs de l'association des XX, Il
, mourut h la veille de leur première exposition el son envoi — six
■«■
MHk
l'aut moderne
391
lableatix — figura, cnclcUilIé d'un crêpe, à celte première bagarre,
r/csl là sans doute ce qui a induit en erreur noire confrère.
On vendit clirîz Arsène Jansscns un stock d'dtudes el de tableaux
trouvés dans son atelier, el les enchères ne montèrcnl pas bien
haut. Les amis se partagèrent ces douloureux souvenirs.
A la vente de mercredi il y eut un peu plus d'empressement,
quoique sur les soixanie-douz? toiles exposées en vente il n'y en
eût réellement que quelques-unes de valeur.
On a' adjugé 380 francs une Nature morte, 250 un Effet de
neige à Anseremme,\^{i un Verger, 210 une Rue d'A nseremme,
125 un Effet de neige à Caluiptlwul,MO un Printemps à Anse-
remme, 180 le Violoniste, d50 la Main à la pâte, etc.
On pouvait, à la même vente, se monter toute une galerie de
peintres connus et dans !e5 prix doux. Un Artan a été vpndu
290 francs, un Courtens 120, un très ancien Verwéc 250, un
lableau de M. Emile Lcclcrcq 45.
La deuxième séance de musique de chambre pour instruments
à, vent el piano, organisée par MM. les professeurs du Conserva-
toire, aura lieu le dimanche 12 décembre, à 2 heures de relevée.
Celle séance sera dos plus intéressante ; on y entendra l'otello
en ut mineur de Mozart, elun rondino de Beethoven.
M"»'' Ida Cornélis-Servais chantera des mélodies du xviii^ siècle
el l'air d'Hippolyte el Aride de Rameau, avec accompagnement
de viole, flûte, viole de gambe et clavecin. MM. De Greef, Lermi-
niaux, Van Siyvoori, Agniez, Ed. Jacobs, Heindrickx et Chevalier
interpréteront le septuor de Sainl-Saëns.
Répéiition générale, samedi 11 décembre, à 3 heures de
raprcs-midi. ,
Pour les abonnements el les billets, s'adresser à M. Florent,
aile droite du Conservatoire. - -
Du Petit bulletin que publie M. Lamoureux : « On nous
demande de différents côtés si l'on peut dès à présent se faire
inscrire pour les représentations théâtrales ûê Lohengrin,
formeront celle année l'épilogue de notre saison de concerts.
Nous répondons affirmativement, en ajoutant qu'un grand nombre
de lettres, écrites à ce sujet, sont déjà parvenues au s!ège de
notre administration, où elles ont été recueillies cl classées avec
soin. Sans que nous puissions leur donner une garantie positive,
les signataires de ces demandes peuvent être convaincus que nous
avons à cœur de leur donner satisfaction dans la mesure du possi-
ble. On comprendra, toutefois, que nous accordions un droit de
préférence aux abonnés de nos concerts. Le soutien qu'ils nous
prélent depuis six ans, en s'associant pour ainsi dire à nos
efforts, nous fiiil un devoir de leur réserver éêlte situation privi-
légiée ».
lîn grand concerl de symphonie sera donné, le samedi 11 dé-
cembre, à 8 heures du soir, par la Grande-Harmonie, à l'occa-
sion du 75" anniversaire de sa fondation.
Le baryton Henri Hcuschling, dont nous annoncions le mariage
en mai dernier, vient d'avoir la douleur de perdre sa jeune
femme, décédée à Arras des suites d'un accident.
L'Essor qui a célébré, il y a quelques mois, le dixième anni-
versaire ([le sa fondation, veut inaugurer son second décennal en
travaillant à rcxtension de son programme. Il a dressé le plan
d'organisation d'une Caisse destinée à couvrir les frais d'exécu-
tion d'œuvres d'art appliqué, d'œuvres décoratives. -
Celle Caisse, indépendante de celle de lEssor, s'appellera
Caisse d*arl appliqué. Elle est fondée pour favoriser la production
d'œuvres particulières dans toutes les applications possibles des
arts plastiques, notamment dans la décoration des rues cl des
monuments.
Dans ce dernier cas el à l'effet de faciliter à tous la libre jouis-
sance de 6és ouvrages,' la propriété en sera offerte aux autorités
publiques. '
Les primes, calculées d'après les frais matériels indispensables,
seront réparties par la voie de concours publics jugés par un jury
mixte composé, moitié de membres de V Essor el moitié d'ar-
tistes étrangers au Cercle.
Pour alimenter celte Caisse, le Cercle organisera des fêles el
des expositions spéciales dont le produit sera affecté eiclusive-
ment à cet objet.
LEssor espère, par ces conditions désintéressées, répandre
le goût des arts, iaire naître et croître le besoin du beau. Il espère
aussi aider dans la mesure de ses f jrces les artistes désireux de
se produire dans les manifestations d'un art plus étendu.
(Communiqué).
M. R. Birtram vient de publier le catalogue des ouvrages de
musique qu'il édile. Pour être la plus récente dos maisons d'édi-
lion de Bruxelles, la maison Berlram ne s'est pas moins fait con-
naître déjà par un grand nombre de publications. Le catalogue
comprend plus de douze cents numéros, parmi lesquels il en est
un grand nombre conccrrnant des compositeurs belges : L. Jourel,
Ch. Miry, A. Woulers, A. Ermel, Ed. Grogoir, le prince de Clii-
mav, A. Samuel, etc. .^
On nous écrii de Berlin que le pianiste Franz Rummel s'est
fait entendre avec grand succès dans cette ville. 11 vient de
donner deux concerts de musique de chambre dans lesquels il a
^culé, au premier, \c Septuor de Hummcl el un Quintette de
islein pour piano et instruments à vent; au second, le
Quititette op. 31 de Taub;Tl, la Sonate op. 69 de Beethoven-
pour piano el violoncelle el \c Quintette de Schumann.
Dans une séance consacrée aux Nouveau tés musicales el dirigée
par M.Meyder, rartiste a joué le concerto pour piano et orchestre
de Gricg et la Fantaisie hongroise de Liszt.
M. Rummel est classé désormais parmi les plus grands vir-
tuoses de l'époque.
VILLE DE LOUVAIN
AVIS AU I^UBI^IO
La ptece de Directeur de l'Académie des Beaux-Arts de Louvain
(peinture, sculpture, architecture), est vacante.
Les artistes qfii désirent postuler cette direction sont priés de faire
parvenir à l'Administration communale, avant le 15 décembre, leurs
demandes avec pièces â l'appui.
Traitement : 4000 francs.
Obligation pour le Directeur do se fixer, avec sa famille, à Louvain
et d'y ouvrir un atelier.
MAONIFIQUE TABLEAU DE RAPHAËL
(AUTHENTIQUE) '
S'adresser à M. Roullier, juge, à Hyères (Var).
^>
LA REVUE INDÉPENDANTE
DE LITTÉRATURE ET D'ART
Paraissant le \^^ de chaque mois en une brochure de i28 à 180 pages in-18
Directeur : Edouard DUJARDIN. — Rédacteur en chef : Félix FÉNÉON
Chaque numéro contiendra :
Une chronique artistique, par J. K. Huysmans ; une chronique
théâtrale, par Stéphane Mallarmé; une chronique musicale, par
Henry Céard ; une chronique parisienne ; une chronique étrangère;
l'analyse des livres, par Teodor de Wyzewa ; des vers; une étude
critique ou théorique, par Teodor de Wyzewa; une nouvelle, étude,
conte ou poème en prose ; des traductions de chefs-d'œuvre étrangers
contemporains ; un roman nouveau.
LA REVUE NE PUBLIERA QUE DES ARTICLES ABSOLUMENT INÉDITS
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du Mal, par Alex. Hanuoteau. — Notes de musique. Premier
concert populaire. — A Bruges. — L'Art a travers les jour-
naux. Le livet d'opéra jugé par Geffroy de « la Justice. —
Théâtre de la, bourse. — Petite chronique.
THEATRE POUR LECTURE A HAUTE VOIX
A Messieurs 0. M. et E. V.
Vous m'avez demandé, mes chers amis, après bien
d'autres, le fond de ma pensée au sujet de ma dernière
œuvre, le Juré, que je colporte, dans les Cercles, à
droite, à gauche, la lisant et la mimant du mieux que
je peux.
Cette question on me l'a faite souvent et on la pose
comme une énigme dans les comptes-rendus dont on
m'honore.
Je vous réponds tout de suite en trois mots : Pure
préoccupation artistique. Mais j'ajoute : Avec quelque
nouveauté.
En avez-vous assez des Conférences, ce genre bâtard
de la leçon et du discours, où l'orateur disserte sur un
sujet le plus souvent dogmatique, parlant un article
.de revue? ^■■■' '""■ ■ '■' •'■''"'"' '■'
En avez-vous assez du Monologue, passé à l'état de
persécution mondaine, scénette puérile, chansonnette
récitée, d'une monotonie de procédé agaçante, à la
portée des petits jeunes gens impuissants à se produire
autrement? ■ :,^.„/,;..',.-^. .',■ ....•...;.;■:;.,,■ -r, -■■;.,: ■^: ■>■„:. ;..^•■
En avez-vous assez de la Lecmre par laquelle un
auteur vous révèle, en un débit fort terne et dans -
l'immobilité de la posture assise, ce que vous pourriez
mieux déguster vous-même au coin du feu ?
En avez-vous assez ? Oui, n'est-ce pas, depuis le temps
que cela dure, les lecteurs, monologuistes, conféren-
ciers diminuant en qualité s'ils augmentent en nombre
et la curiosité du public s'émoussant.
Et pourtant l'universalité du phénomène ne vous
a-t-elle pas donné à penser qu'il correspondait à un
besoin et qae cette façon d'entretenir le public à haute
voix, dans des lieux qui ne sont pas le théâtre, moins
pour l'instruire que pour tenter de le charmer artisti-
quement, pourrait, mieux comprise et mieux réalisée,
aboutir à un genre moins uniforme et plus distractif?
D'autre part, avez-vous réfléchi aux difficultés énor-
mes de faire arriver une œuvre dramatique à la
représentation, le capital qu'on expose, l'incertitude
du résultat, dételle sorte qu'on ne saurait dire s'il est
plus aisé de la créer que de la jouer? D'où une stérilité
désolante pour une des formes les plus attachantes de
la Littérature, en Belgique surtout où avoir une pièce
sur l'affiche est une bonne fortune exceptionnelle, et
une pièce qui réussit, un prodige. :
N'avez-vous jamais eu la pensée qu'on pourrait com-
biner ces éléments en apparence disparates et en faire
un mélange (jui nous sauverait peut-être de l'ennui des
Conférences en même temps qu*il délivrerait la littéra- .
ture dramatique des entraves qui la paralysent? . .
Ce sont quelques considérations là dessus que je veux
succincteipent vous exposer ; le procédé et le but sont
indiqués dans le titre de cette lettre : Théâtre pour
LECTURE A HAUTE VOIX.
Quand on lit la première partie du i^aw5^ de Goethe,
on est frappé à la fois du puissant intérêt dramatique
de l'œuvre et de l'impossibilité de la mettre au théâtre.
Des épisodes multipliés, souvent très courts, des descrip-
tions prolongées mises dans la bouche des personnages
pour suppléer au décor absent. On se figure vivement
les lieux, on sent que l'action indiquée par le dialogue
y serait très belle, mais pour en faire une représentation
sur la scène, il faudrait des remaniements considé-
rables.
Les pièces de Shakespeare laissent une impression
analogue et ceux qui ont essayé de les jouer telles quelles
de notre temps, ont mal réussi; d'excellents critiques
déclarèrent même, après l'épreuve, qu'elles n'étaient
pas faites pour le théâtre contemporain. Là aussi
des épisodes variant incessamment, et des descriptions
parlées fréquentes. On sait désormais que lès décors
n'existaient pas au tempsdu grand tragique, ou qu'ils
étaient rudimentaires. On sait aussi que la scène et
la salle étaient disposées comme celles où ont lieu nos
conférences modernes.
Assurément, voilà des observations qui rendent
perplexes et ne tendent à rien moins qu'à dire que des
chefs-d'œuvre d'art dramatique, incomparablement
au dessus de tout ce qu'on représente aujourd'hui, sont
désormais injouables ou apparaîtront inférieurs dès
qu'on les jouera.
Je m'y résigne difficilement.
C'est la question des décors, des changements et de
la figuration qui cause surtout l'embarras. Notre public
n'admettrait pas des transformations si répétées et nos
machinistes non plus. Ces derniers sont pourtant infi-
niment plus habiles et ont à leur disposition des moyens
d'action insoupçonnés au temps d'Elisabeth. Singu-
lières contradictions! Qu'y a-t-il donc là dedans qui
nous empêche d'interpréter et surtout de goûter ces
œuvres, admirables tout le monde l'admet, qu'exécu-
taient les ancêtres en manière telle qu'ils excitaient
l'enthousiasme?
Faut-il admettre qu'on était plus facile à con-
tenter? Faible raison, car les représentations avaient
lieu devant une cour raffinée et fastueuse. De plus, les
pièces du grand Will étaient comprises, admirées sans
réserve : or, cela n'eût pas été possible avec une mise
en scène qui eût été nécessaire et qu'on eût absolument
négligée. ^
L'explication n'est-elle pas ailleurs? Ne convient-il
pas de se demander si, dans la conception Shakespea-
rienne, le décor matériel, impossible à réaliser alors,
n'était pas un accessoire inutile? Pourie grand poète,
comme pour tout son temps, la règle n'était-elle pas de
le faire surgir vivement dans l'imagination des specta-
teurs au moyen de ces descriptions à grandes touches,
souvent violentes, qui nous choquent quelque peu dans
le dialogue des personnages en scène?
, Cette observation a une grande portée. Elle explique
ces deux choses obscures : la multiplicité des change-
ments de lieux et les tirades descriptives. Elle est aussi
d'accord avec l'idée qu'on se fait de l'art du décorateur
et du machiniste à cette époque primitive, ainsi qu'avec
la tradition historique qui affirme que les décors
étaient plus que sommaires. Elle fait évanouir l'éton-
nement de ceux qui, voulant jouer actuellement ces
drames puissants , n'y obtiennent que des effets
médiocres, parce qu'ils ne réussissent pas à adapter à
l'œuvre des moyens matériels la suivant dans son
développement rapide et changeant.
Mais s'il en est ainsi, s'il a existé un genre de litté-
rature dramatique sans décors, y suppléant par des
artifices de style, comportant toutefois le débit à
haute voix et la mimique, pourquoi n'essayerait-on
pas de le rénover] ne fût-ce que pour rendre Shake-
-speare autrement que par la lecture des yeux, dans
un fauteuil? N'}^ a-t-il point parmi nos ressources
contemporaines ce qu'il faut pour le pratiquer? Et si,
allant au delà, on cherche à réaliser un art dramatique
analogue, quelles modifications seraient à introduire
dans les procédés dont il a laissé d'immortels vestiges ?
Certes, on aurait peu de chance de réussir, en jouant
Hamlet ou Macbeth sur l'estrade d'une salle de Con-
férences, avec autant d'acteurs qu'il y a de personnages
dans la pièce..., et sans décors. Nous sommes si accou-
tumés aux merveilles de la mise en scène, que nous ne
nous accommoderions pas d'une troupe entière évoluant
dans le vide. ■ '
Mais imaginer qu'une seule personne, comme dans
les Conférences, les Monologues et les Lectures, tienne
la redoutable estrade. L'absence du décor ne choque
déjà plus. Imaginez que, déclamant un drame, au lieu de
dire seulement : Le théâtre représente tme forêt, — le
théâtre représente la Salle du trône, elle lise, avant
de commencer le dialogue, une description, vraiment
littéraire, mais à l'emporte-pièce, de, manière à faire
tableau dans l'esprit des auditeurs, avec une intensité
qui les transporte au lieu où il faut être. Imaginez
qu'alors, le livret à la main, debout, avec une mimique
sobre mais aussi saisissante que possible, avec une
accentuation pénétrante, elle rende la scène. Est-ce
qu'il n'y aura pas là un genre littéraire nouveau,
masquant la banalité des Lectures, des Monologues et
des Conférences, sous l'animation de l'action se déve-
loppant dans le décor évoqué par l'imagination, genre
tenant à la fois de l'œuvre écrite et de l'œuvre jouée,
du Livre et du Théâtre, évitant les inconvénients du pre-
mier qui sont surtout l'apparence terne, et les incon-
vénients du second, qui sont la complication des moyens
et la dépense, utilisant, en lui donnant une expression
inattendue, ce besoin d'entendre parler autrui, repre-
nant la tradition de Shakespeare, mais l'adaptant à
notre époque?
Je précise, car la chose en vaut la peine.
Un auteur veut écrire pour le théâtre. Il hésite, car
sera-t-il jamais représenté? Pourtant le sujet tel qu'il
le conçoit s'accommode mal du roman. Mieux que cela :
son tempérament est celui d'un dramaturge. Faire sa
pièce quand même? Que vaut une pièce non jouée?
Courte par essence, nécessairement composée de mots
expressifs, de phrases brèves, d'intentions, de sous-
entendus à exprimer par le jeu des acteurs, elle risque
d'apparaître comme une chose morte et de rester incom-
prise. Pour citer une fois de plus Shakespeare, n'est-ce
pas le sort que lui font, en ce siècle, beaucoup de
ceux qui le lisent : très beau sans doute, mais hors de
notre portée? Ecrire dans ces conditions n'est guère
tentant. Aussi le fait-on peu, et chez nous ne le fait-on
pas du tout. Qui doutera pourtant que parmi tant
d'écrivains qui éclosent en Belgique, il y ait des tempé-
raments pour le théâtre?
Mais qu'un artiste se dise : ** Ne pensons plus à la
scène, proprement dite, avec loges, banquettes, rampe,
directeur, décors, machinistes, actrices et acteurs. Ce
sont là de bons instruments, mais on peut s'en passer.
Je vais écrire ma pièce pour qu'elle soit lue, à haute
voix, devant un public' comme celui qui va aux Confé-
rences, Les décors, je les remplacerai par des descrip-
tions qu'il faudra faire aussi évocatives que possible,
qui ne seront pas des hors-d'œuvre, mais des morceaux
de style se rattachant intimement à l'ensemble. Pas de
troupe : ce sera le rôle du lecteur de varier juste assez
le ton, l'accentuation, et de mimer autant qu'il le fau-
dra pour donner l'illusion du jeu. Pas s'asseoir, pas se
masquer à moitié derrière une table : debout, le
manuscrit à la main, la face bien visible, le geste
modéré, un va-et-vient circonscrit, rien d'excessif, mais
une action constante et concentrée. L'œuvre sera divi-
sée en actes et en scènes, comme une vraie pièce; les
épisodes pourront être aussi sommaires et aussi multi-
pliés que le sujet le comportera, puisque tout ce qui est
matériel est remplacé par la peinture des mots. La lon-
gueur sera celle des drames, des comédies, et la lecture
aura la durée d'une représentation, moins les entractes
remplacés par des pauses, c'est-à-dire deux heures à
deux heures et demie pour une pièce en quatre ou cinq
actes. Le style, en effet, pourra être le style intensif et
sobre du théâtre, puisque l'accent et le jeu pourront
souligner, éclaircir, renforcer. L'ensemble devra se
dérouler avec des liaisons plus visibles et plus fréquentes,
mais le mouvement général, les conditions, le dialogue,
devront être ceux d'une œuvre dramatique. Les scènes
qui seraient muettes sur les planches, seront rendues
par la parole comme les lieux. Il en sera de même des
personnages : quelques traits, brefs mais vigoureux '».
Que l'artiste se charge de produire lui-même ce qu'il
aura ainsi fait, quelle vérité dans l'expression sans
doute, et pour lui quelle jouissance! Dans l'art, la
période d'enfantement est assurément une des plus déli-
cieuses. Combien pâles, après elle, les satisfactions de
la publicité ou du succès ! Mais communiquer ce qu'on
a créé, rendre tout ce qu'on a voulu y mettre, dévoiler
les secrets des moindres recoins, à chaque nouvelle
interprétation mieux comprendre, mieux rendre, décou-
vrir quelque effet d'abord inaperçu, avoir la joie d'un
imprévu constant, éprouver le sentiment que les liens
avec l'auditoire se serrent et que la pensée pénètre
davantage, quelle joie, quelle ivresse, quelle récom-
pense! Et quelle source féconde aussi de corrections et
d'améliorations pour l'œuvre, vue chaque fois plus
complètement et en meilleure lumière*
Encore une remarque. Je recommandais récemment,
ici même, le tirage à petit nombre des œuvres littéraires
belges. J'ai aussi annoncé que je ne publierais le Juré
qu'à cinquante exemplaires. Aux raisons que j'ai alors
exposées, il s'en ajoute une spéciale pour ce dernier,
tirée précisément de ce qu'il est, dans ma pensée une
œuvre à lire à haute voix et non (Jes yeux. Tout ce qui
est théâtre perd beaucoup à ne pas être déclamé et
mimé. Ne vaut-il pas mieux le conserver quelque temps
à l'état de simple partition, de livret destiné unique-
ment à l'interprète? Il me semble qu'oui. La curiosité
en est augmentée et l'œuvre mimée entre dans la mé-
moire et dans la publicité avec un surcroît d'intensité.
Conférences, Monologues, Lectures. On connaît les
mornes tournées que font chez nous, avec la complicité
idiote des Cercles, des commis-voyageurs littéraires,
qui suivent un itinéraire réglé à l'avance, recevant la
prébende et le salaire, payant l'hospitalité qu'on leur
dispense, en quelques réclames dans un journal pari-
sien, et lisant imperturbablement, d'une voix la plupart
du ttHnps indistincte, quelques vieux articles cousus
ensemble, qu'ils ne se donnent même pas la peine de
varier à chaque localité nouvelle inscrite sur leur
carte de voyage. Peut-on douter que si, à la place de
ces simagrées artistiques et de ces procédés démodés,
nos écrivains inauguraient le Thé.a.tre pour lecture a
HAUTE VOIX que je viens d'esquisser, le Monodrame
puisqu'on dit Monologue, on donnerait à la situation
un renouveau dont elle a besoin, nous débarrassant
des parasites auxquels il est fait si mal à propos bon
accueil, et que surtout on ouvrirait à notre littéra-
ture dramatique un genre qui lui rendrait la vie.
Je confesse que c*est ce que j'ai tenté de faire en écri-
vant le Juré et en allant le lire, ou plus exactement le
jouer, plus ou moins bien, un peu partout en Belgique.
' " Edm. p.
LA TRADUCTION DBS ŒUVRES DE SCHELLEY
par F. Rabbe. (Nouvelle librairie parisienne.)
En parlant de la traduction des œuvres de Schelley, par Rabbe,
George Moore écrivait :
« Avant d'avoir lu la Iraduction de M. Rabbe, je ne m'imaginais
pas qu'une langue étrangère pût, b ce degré, conserver les teintes
et les harmonies aériennes du vers de Schelley, de ce vers qui
n'est ni du feu, ni de l'air, mais qui semble comme tissu de l'élé-
ment de quelque rêve divin... La puissance de la prose française
est infinie, il sem}3le qu'il n'est rien qu'elle ne puisse rendre. »
Appréciation très juste en ses diverses affirmations. et sur les
vers de Schelley et sur la transposition d'une langue dans une
autre et sur la souplesse de l'idiome français tel que l'ont fait les
romantiques, les réalistes, les parnassiens et les tout récents écri-
vains.
Dans le premier volume de la traduction, les poèmes seuls
étaient consignés : on y pouvait étudier le Schelley diaphane,
nuageux et mystique et ses héroïnes tristes comme des roses
qui s'ennuient et claires comme des sources qui reflètent de
l'argent. Sa pensée toute en nuances, en retour sur elle-même,,
en recourbements profonds, était rendue presque toujours adé-
quatement. A peine remarqnait-on parfois que la structure des
phrases de M. Rabbe manquait d'élasticilé et s'appuyait sur des
mots trop carrés. On eût préféré plus de mystère au risque de
rencontrer ci et là des coins de ténèbres.
Le second volume qui vient de paraître contient les drames.
Ici l'action et la netteté profitent au contraire de cette clarté tou-
jours la même. Voici les Ceiici, Prométhée délivré^ Hellas. Plus
les deux poèmes : la Magicienne de V Atlas et Adondis dont tous
les lecteurs de Schelley se rappellent le début :
« Adonaïs... il est mort! Et toi. Heure triste, choisie d'entre
toutes les années pour pleurer notre perte, éveille tes obscures
compagnes, apprends leur à partager ton propre chagrin, dis
leur : Avec moi est mort Adonaïs ! Jusqu'à ce que l'avenir ose
oublier le passé, son destin et sa renomniée seront un écho et
une lumière dans l'éternité. »
Et des le premier vers on se sent en pleine Grèce bien mieux
que dans n'importe quel pièce de Chenier qui, souvent, n'a réussi
qu'à mettre l'antiquité en romances avec une jeune captive.
M""® Tolla Dorian avait déjà traduit les trois drames de Schel-
ley ; .ffe//fl5, remarquablement.
Mais dans Cenci^ elle n'avait su mettre le vice casuistique et
terrible, avec son âpreté entière et son cynisme décoratif. La
pièce mollissait, perdait de sa perversité et de son caractère.
M. Rabbe n'a rien sacrifié, et Béatrice et Giacomo et Bernardo
et leur père régnent dans sa traduction avec la même terreur
de volonté et de parole que dans l'original. Tous les types y
restent intacts, c'est-à-dire monstrueux, et l'on recueille en la
lisant une impression d'épouvante froide.
Voici les adieux de la soeur à son frère au dernier acte :
<c Adieu, mon tendre frère! Pense à ton iribte sort avec dou-
ceur, comme en ce moment : et que de tendres pensées de pitié
all.é,gent pour toi le poids de ton chagrin. Ne. marche pas dans
l'ûpre désespoir, mais dans les larmes et la patience. Une chjose
encore, mon enfant. Pour l'amour de toi-même, sois fidèle à
l'amour que lu nous as voué, et à la conviction que, malgré
Téirange nuage de crime et de honte qui m'a enveloppée, j'ai
toujours vécu sainte et saris tache. Et dussent les langues mau-
vaises me blesser, dût notre commun nom être comme un stig-
mate imprimé sur ton front innocent, que les hommes se mon-
treront en passant, reste inébranlable et ne conçois jamais une
mauvaise pensée contre ceux qui peut être... t'aimeront encore
dans leurs tombeaux! Puisses tu mourir comme je meurs triom-
phant de la crainte et de la douleur! »
Il est intéressant de rapprocher le drame de Schelley de la
Chronique de Slendhalsur le même sujet. Les qualités des deux
maîtres s'y marquent curieusement.
Prométhée délivré, c'est l'âme même de Schelley personnifiée
et c'est peut être ce qui nous fait préférer ce drame énorme aux
Cenci et à Hellas. Ce dernier, au reste, se ressent trop des
événements accidentels qui l'ont produit.
Don Juan d'Armana, par Armand Hayem.
Nous avons rendu compte du Don Juanisme de M. Hayem,
voici quelques mois, f) et nous avons mis en saillie ses
réflexions justes, ses marques d'analyse. Aujourd'hui M. Hayem
donne une conclusion à sa dissertation, un exemple à l'étai de
^2Li\iéov\Q : Don Juan d'Armana.
C'est peut-être le défaut du livre, de venir confirnier des idées
psychologiques. Ainsi apparaît-il sans flamme et sous- une cou-
leur didactique trop évidente. Don Juan, tout passion, ne doit
pas sortir du cerveau, il doit surgir du cœur et de la vie. Celui de
T\L Hayem est un Don Juan délivre, un Don Juan de philosophe
et de critique.
Cela dit, en pleine sincérité, constatons que le drame tient
solidement en équiiibre ; qu'il ouvre comme des avenues vers le
type merveilleux du héros, nouvelles et grandes'; qu'il est ingé-
nieux et vif.
Les personnages qui circulent autour de Don Juan sont renou-
velés. S|;anarelle est mort, voici Perdigo; Don Luiz? voici Don
Alphonse; Elvire? voici Dona Sahèle, et cette dernière surtout,
une toute Espagnole, spécialise la nouvelle version.
Un Don Juan neuf apparaît, quelque peu éclectique, où chacun
des poètes qui l'ont immortalisé se retrouvent par ci, parla.
A la scène, la pièce n'aurait aucune portée; à la lecture elle
fait mieux saisir que n'importe quoi l'insatiable amoureux
romantique. Elle est de bon style et de nette dissection morale.
Le Jardin des Racines noires, par Ernest Praroud.
Le Jardin des Racines noires. Joli titre; livre moins alléchant.
On ne sait quel éveil, de monde sorcièresque et nocturne nous
était né dans l'esprit. Or, il se fait que le livre est avant tout un
recueil de philosophie, mise en vers, par un écrivain de talent
certes, mais par un poète?
Que demandes-tu f 0 mort, que réponds-tu î
Stériles questions 1 Du néant débattu *.
Par du néant dans le néant
Espoir en fuite
D'une aube avant le jour, la vie; et tout de suite
Un noir plus noir que toute absence de rayons ,_^
La mort. - /
(*) V. ï Art moderne, 1883, p. 429.
^;, (.;•, t!;;i;;^?-;^>:i, -^tiïy^-vs'^^-';; y'tA':
./i...<.-V3V.',7-:-v^r';TT^::;;
Quand donc scra-l-il admis que, tout en s'appuyanl sur une
philosophie, la poésie no doit poini en donner la vision directe,
ne doit point n'être que discussion savante et n'est point créée,
enfin, pour entasser un Schopenhauer sur un Hegel comme un
Pelion sur un Ossa.
Dix compositions à l'eau-forte pour illustrer Les Fleurs du Mal
de Charles Baudelaire, dessinées par Alex. H an note au. —
Bruxelles, Louis De Meuleneere, éditeur, 15, rue du Chêne.
mdccclxxxvi.
A acheter par quiconque collectionne tout ce qui paraît de
remarquable relatif à l'œuvre de Charles Baudelaire, qui occupe
dans la production littéraire de ce siècle si importante, sinon la
première place (cette illusion de se^ admirateurs a fléchi depuis
quelque temps), au moins une des premières, à côté de Lamar-
tine, d'Hugo, de Vigny, de Gautier, de Musset, de Mallarmé.
M. Hannoteau a assurément dans la vision des souvenirs un
peu trop marqués do Félicien Rops. 11 est difficile d'échapper à
l'influence de ce dominateur, qui restera l'une des plus brillantes
et certes la plus originale expression de l'eau-forte en notre
temps. Mais à part cette critique, ses dix productions présentent
de l'intérêt et sont fort curieuses. . ^
; J^OTE^ DE MU^iqUE
Premier concert populaire.
Les Concerts populaires ont ouvert la saison par un concert
panaché, mi-classiquo, mi-romantique. Au très pur concerto de
Beethoven, correctement joué par l'excellent violoniste Thomson,
ont succédé les éblouissantes Danses tziganes de Sarasate, une
des Danses hongroises de Brahms transcrites par Joachim, et
une médiocre Romance ûa Rubinstein. M. Thomson, on le voit,
a été prodigue do ses coups d'archet. Mais pourquoi résister aux
câlines arc'.amations du public, qui ne peut manifester sa joie
d'avoir entendu qu'en dcmandanl à entendre davantage?
L'Ouverture tragique de Brahms, celte très belle page de
musique sérieuse, n'a pas produit l'effet qu'on en attendait.
Question d'interprétation, peut-être. Ou l'orchestration un peu
sourde a-t-elle déçu l'espoir de ceux qui avaient jugé l'œuvre au
piano et présageaient des sonorités plus éclatantes? La Suite dans
le style ancien, de Grieg, tout au contraire, a pris, sur les ailes
d'une instrumentation légère et fine, réduite au seul quatuor,
mais avec quelle entente des sonorités! un essor merveilleux.
Le Tasse, poème symphonique de Liszt, a clôturé la séance, et
Ta clôturée bruyamment. N'en déplaise à Saint-Saëns, dont nous
avons reproduit le panégyrique qu'il a consacré au Tasse, on a
trouvé la composition assez vide et plus enflée que vraiment
grande. Le thème douloureux qui se transforme, lors du triomphe,
en chant d'apothéose, est d'un bel effet : c'est la caractéristique
du poème, et l'auteur l'a mis en relief dans le litre même de son
œuvre. Mais, celte impression mise à part, on n'est guère entraîné
par le cortège théâtral — tranchons le mot, banal — du poète de
Ferrare.
La nouvelle disposition adoptée par M. Dupont pour le pla-
cement de ses instrumentistes a produit un résultat excellent.
Le Cercle arlistiquef suivant l'exemple adopté pour quel-
ques-uns de ses concerts par ï Association des artistes, consacre,
une. soirée entière à l'audition des œuvres d'un même artiste.
C'est là un progrès très réel dans les programmes de ses séances,
et il mérite d'être signalé. C'est ainsi que la spmaine dernière le
Cercle a fait connaître quelques-unes des œuvres de Franz Ser-
vais. Nous avons rendu compte de celle intéressante audition.
Jeudi prochain on entendra un concert exclusivement consacré
aux œuvres do César Franck, un musicien trop peu connu, le
chef presque ignoré de la jeune école française. Il est, question
aussi d'organiser une soirée dont le programme ne se composerait
que d 'œuvres du compositeur russe César Cui.
A BRUGES
Nous étions dimanche dernier à Bruges, par le premier jour de
noigc de l hiver, admirable dans la vieille et pittoresque ville, qu'on
sauvegarde enfin (un peu tard hélas !) contre les 'dévastations
des bourgeois destructeurs des façades h piguOns et amateurs
des façades à gouttières. C'est M. l'ârchilecle Delaccnserie qui est
chargé de mcllre ordre à ces goûts dépravés et qui parvient, f^etit
à petit, à donner à ses concitoyens des sentiments artistiques
moins sauvages. Grâce à lui, ce qui reste du Bruges d'autrefois
sera sauvé, el le Bruges nouveau sera mis en accord avec ces
reliefs sacrés. Dans presque toutes les rues on voit déjà des
reconstructions intéressantes, élevées avec le respect du beau
style flamand qu'on avait sottement abandonné pour le pseudo-
grec cher au prince souverain des Pays-Bas. 0 l'architecture de
Î81oâ 1830! '--■ ■-^■-^^■•■:-- .-■■'-■^-^;-■-^•.■^ ■ : ^ ■■-■-.
Nous avons assisté à l'ouverture de l'exposition des Beaux-Arts,
organisée par le Cercle artistique Brugeois, sous la présidence
d'honneur de M. le chevalier Ruzclle,. gouverneur (d'une affabi-
lité cordiale inaltérable), dans une des salles des Halles, fort
bien appropriée et éclairée d'un jour favorable quoique latéral.
OEuvres peu nombreuses, mais en général bien clwisies ' :
décidément, elles font école les traditions de sévérité recom-
mandées et pratiquées par le jury d'admission du Salon interna-
tional d'Anvers, reprises l'an dernier au Salon de Bruxelles.
Tant mieux, et qu'on soit de plus en plus difficile. Du reste,
M. G. Claeys, le président du Corde, semble imbu des meil-
leurs principes d'art ; il se tire très houreusemcnl des difficultés
qu'il peut y avoir à animer une ville de province, importante
certes, ayant un passé glorieux certes, mais qui a toujours appa-
rue un peu engourdie. Le résultat lui fait grand honneur.
Parmi les exposants brugeois, MM. Van Acker, Mergaert, Van
Hove, portraitistes, auteurs d'œuvres très remarquées par les
visiteurs qui encombraient la salle pendant que la musique du
4^ régiment de ligne, sous la direction de M. Muldermans, exé-
cutait un programme quelque peu bruyant pour un local aussi
sonore, mais fort bien composé. M. De Simpel, paysagiste, à la
recherche d'effets sincères, rendant bien le coloris frais de la
zone maritime des Flandres. M. De Geetere, Joseph au désert,
d'^un sentiment délicat et noble (assez mal placé). M. Louis Tul-
pinck, qui, de concert avec M. Michel De Braey, expose un projet
de Pavillon du Pilotage, à établir sur les quais de l'Escaut à
Anvers, du meilleur goût et dans de fort belles proportions ; un
rajeunissement ingénieux de la Maison Hanséatique.
Nous avons retrouvé là le beau tryptique de Van Slrydonck :
la Légende de Tobie, donné à la ville de Bruges par le Gouver-
wmJ
nemeiit; on se souvienl qu'il valut à son auteur le prix Gode-
charlcs. Aussi la Soirée d'amis cl la Veuve, d'Orner Diorickx,
déjà vues au Salon de Gand ; notre appréciation, alors si favorable
au jeune artislc, s'est confirmée : une dos belles espérances de
l'art national, s'il sait rester indépendant et ne pas sacrifier aux
préférences b&nales du beau monde ; Pharaon De Winter :
Réfectoire de religieuses et Moines à létude, deux succédanées
trop visibles d'Emile Waulers et de Dclpérée; Bellis, avec des
natures mortes; de Keghel (de Gand); Gaillard (de Bruxelles),
toujours inlérossanl ; Xavier de Cock, M"« Beernaerl, M"« G. de
Villers, R. Cogglie (de Courlrai); Gériez (d'Ypres); Van Sever-
donck, Houben, Van Luppen, A. De Braekeleer, De Jans,
Boudry, etc., etc. .
Le malin nous avions été faire une visite à la doyt'nne des
écrivains belges, M'"^ Caroline Popp, à rintelligence toujours
aimable, toujours jeime, et revoir la délicieuse maison-musée du
docteur De Meyor, 4îe bijou Louis XV, si jalousement conservé
et si richement orné d'œuvres d'art, dont plusieurs vraiment
sans prix. -
Que d'amateurs de premier ordre nous avons en Belgique !
Cette même réflexion, nous la faisions en visitant, le mois
dernier, la collection de M. Kups, cet émule anversois de M. Van
Prael, une des plus admirables du pays, des plus sévèrement
composées d'œuvres absolument authentiques, anciennes et
modernes, d'une qualité, d'une puissance, d'un charme! incom-
parables. Vraiment, on ne sait pas assez quelle ivresse donne
un pèlerinage, même court, à de pareilles merveilles. Nous en
ferons un jour une description détaillée.
L'ART A TRAVERS LES JOÏRNACX
Le livret d'opéra jugé par G^ffroy, de « la Justice ».
. « Il y a beau temps que Théophile Gautier a défini le livret : une
platitude émaillée de fautes grammaticales et prosodiques, — il y
-a beau temps qii'il a dit combien il était Jas des vers sans har-
monie, dos rimes qui ne riment pas, des adjectifs- chevilles, des
lieux-communs chantés. Il se laissa aller, il y a une trentaine
d'années, b exprimer que la modo ne durerait pas et que les
futurs faiseurs de compics-rendiis n'auraient pas à fournir d'opi-
nions sur les calembredaines dramatiques et lyriques, ordinaire-
ment écrites par les spécialistes sous les portées d'un musicien.
» Gautier se trompait. Ou plutôt il feignait de se tromper, et son
atïirmaiiôn n'était qu'une des formes de sa mauvaise humeur. Il
savait bien qu'il avait tort dose départir de sa sérénité habituelle et
que tous ses dégoûts et ses colères n'y feraient rien. Jamais les direc-
teurs qui reçoivent les pièces ou les jurés qui jugent les concours
n'admettront qu'il leur soit fourni de la vraie poésie par un vrai
poète. S'il leur arrivait de recevoir un drame construit par un
imaginatif connaissant les ressources de l'art d'écrire, apte à plier
la langue aux déclamations rythmées, aux mouvements de l'or-
chestre, croyez bien qu'ils ne seraient pas embarrassés pour si
peu. Us feraient tant et si bien que chaque phrase se transfor-
merait pendant les répétitions, et que les mots vivants qui sem-
blaient s'envoler avec la musique deviendraient l'ordinaire boni-
ment explicatif, — dont on se passerait si bien ! — les paroles
(le hasard qui servent à caler les instruments.
» Les prétextes ne manquent pas pour amener l'écrivain à rési-
piscence et changer le poète en librettiste. Quand ce n'est pas le
compositeur qui demande une coupure ou un ajouté, c'est le chef
d'orchestre, et quand ce n'est pas le chef d'orchestre, c'est le chef
des chœurs. Il y a une entente tacite pour poursuivre tous les
mots justes, toutes les images significatives. Les efforts coalisés
ne s'arrêtent qu'au moment où il n'y a plus, d'un bout à l'autre
du scénario, que des expressions impropres et des métaphores
ridicules. Que l'aligni^ur de vers fasse mine de se défendre et on
lui prouvera immédiatement que toute son inspiration et toute sa
science nuisent k la rentrée de la clarinette ou au finale de la
grosse caisse. S'il, a le goût de la discussion, on finira par lui
déclarer qu'il fait beaucoup trop de bruit, qu'il devient gênant
avec son livret, qu'il n'a été appelé à fournir une collaboration
que pour justifier l'affiche, que tout ce qu'il s'est donné la peine
d'écrire est fait pour être raccourci, allongé, cassé, disloqué, que
sa littérature n'est qu'un mastic destiné à être trituré par le musi-
cien, et qu'il faut laisser celui-ci on ôter, en remettre, faire des
raccords et boucher des trous. »
Yhéatre de la Courte
On a repris Patrie au théâtre de la Bourse. Le drame tricolore
de patriotisme avait chance de plaire et a plu, en effet, au public
sentimental qu'est resté le public bruxellois. Parler de l'hôtel de
ville et de Saint-3Iichel, et de la porte de Louvain devant un
auditoire qui les a regardés en arrivant au contrôle et les refixera
en sortant de la salle, eu parler avec des mots enflammés pendant
quatre heures, ne peut manquer de faire battre toutes les mains.
Tout a donc bien marché, d'autant que les principaux rôles,
surtout celui du comte de Rvsoor et de Karel van der Nool, sont
très convenablement tenus. . -
— --^---.--^— ::pETITE CHROJMIQUE . — — —
Nos lecteurs se souviennent peut-être d'une curieuse élude
publiée l'an dernier dans ïArt moderne, par laquelle l'auteur
anonyme (M. Georges Khnopff) se plaignait de l'uniformité des
caractères d'impression et proposait de remplacer le livre
imprimé par le livre photographié, afin de conserver à chaque
écrivain l'aspect particulier de son écriture et garder une par-
faite harmonie entre l'œuvre et son expression matérielle. « Un
manuscrit a, disait M. Khnopff (*), sa physionomie essentielle qui
reflète celle de l'auteur : dans l'écriture, le tempérament. Qui
fait l'intérêt de l'autographe? La devination de la plus secrète
pensée de l'artiste sous l'en-allé de l'écriture, tantôt fiévreuse,
tantôt comme un beau fleuve, là-bas, vers le si bleu ciel d'un
évangéliqiie lointain.
Le manuscrit photographié, voilà le livre futur, le respect
vengé des artistes-écrivains honnis par l'avidité des commerçants
éditeurs, l'équation entre le spirituel de l'œuvre et sa matérielle
réalisation. Plus d'édiloriaies ignominies; abolie cette énervante
besogne, le corrityé des épreuves; aboli cet avilissant service de
presse ! L'écrivain publiera son œuvre et la répandra suivant son
désir, et désir toujours religieux Je son art ».
Le procédé a paru bon, paraît-il, car voici qu'on se met
à l'adopter. Voici en effet ce qu'annonce, sur sa couverture, la
(*) V. rArt moderne, 1885, p. 374.
Revue indépeiîdante : « Au bureau de la Revue. Copies autogra-
phieesdes œuvres de Sléphajie Mallarmé. \]ue copie de ses œuvres
sera faite par M. Slé|)hane Mallarmé et reproduite parles meilleurs
procédés d'autographie sur grand papier de luxe. Chaque pièce
sera exécutée séparément ; la collection comprendra la série des
œuvres; elle sera tirée à un très petit nombre d'exemplaires, e.t
les clichés seront détruits après tirage numéroté à la presse et
justifié. »
Gutemberg, qui inventa, l'imprimerie, fut certainement un
homme de génie. Mais que dire de celui qui la désinventera,
définitivement ?
Aussitôt après la première de Sigurd, annoncée pour mercredi
prochain, commenceront les études spéciales de la Valkyrie pour
la mise en scène. MM. Am. Lynen et Devis, chargés de la peinture
des décors, sont sur le point de terminer leur travail. Ils se sont
inspirés des décors de Bayreulh sans les suivre servilement.
Mardi 14 décembre, b 8 heures du soir, au localde la Grande
Harmonie, deuxième concert de V Association des Artistes-
Musiciens, avec le concours de M"^ Vuillaume et de M. Cossira,
du Théâtre royal de la Monnaie et de M. Paul Viardot, violoniste.
L'orchestre, sous la direction de M. Léon Jehin, exécutera
V Ouverture de concert, de Rietz, et Rômische Carnaval (l""^ exé-
cution), de Hans Huber,
Une séance d'harmonium sera donnée par M. Louis Maes,
organiste, le mercredi 15 décembre, à 8 heures du soir, à la
salle Marugg, rue du Bois-Sauvage, 45, avec le concours de
M'"'' Anno, cantatrice, MM. Godenne, violoncelliste, V. Massage
clVanden Broeek, pianistes. - • ^^:^'':::,''\:\,^^■ ''y- '::''■■''-■ ::::'U^::Kr: s
< Le programme comprend des œuvres diverses de Louis Macs,
Gounod, Alph. Mailly, Servais, rtc, .
Le premier concert du Conservatoire est fixé au dimanche
49 décembre. On y exécutera une symphonie de Schumann.
M. Ysaye jouera le concerto de Henri Wieniawski, l'un de ses
prédécesseurs comme professeur de violon du Conservatoire.
Les collectionneurs.
Dans son dernier catalogue, un marchand de timbres-poste
bien connu à Paris offre 420 francs pour chaque timbre toscan
antérieur k 4860, et 480 francs pour ceux qui sont parfaitement
conservés. Les timbres français de 1849 sont cotés 25 francs,
ceux de l'île* Maurice pour 1847, 2,000 francs et ceux de la
Guyane anglaise pour 4836 de 500 h 4,000 francs.
On peut se faire une idée du nombre des collectionneurs en
apprenant que Paris ne^ compte pas moins de cent cinquante
marchands en gros de ces précieux carrés de papier.
Les amateurs de coléoptères les plus enragés sont des gens
positifs à côté des fanatiques du timbre-poste. Cette absorbante
passion a dévoré plus d'une, existence et plus d'une fortune.
Parmi les maîtres collectionneurs, il faut citer M. Philippe de
Ferrari, à Varenncs, qui possède environ un million et demi de
timbres dont le classement occupe deux secrétaires.
- [U Événement).
Les progrès réalisés depuis quelques temps par \ Illustration
Européenne se manifestent dans les derniers numéros que nous
venons de recevoir. D'une finesse d'exécution remarquable, les
gravures intéressent particulièrement par les sujets qu'elles
représentent.
Vente Karl Daubigny. — La vente des tableaux, éludes,
esquisses de Karl Daubigny, a produit la somme de 66,458 .frs.
En voici les principaux prix :
4. Prairie inondée dans la vallée d'Auge. Normandie. (Salon
de 4881), 2,103 fr. — 2. Environs de Honfieur, 1,550 fr. —
3. Route dans la forél de Fontainebleau. (Salon de 1874), 1,300
fr. — 4. L'Arrivée des pécheurs à Berck. Somme. (Salon de
1882), 2,850 fr. — 5. Le Vieux Chemin, à Anvers. (Salon de
1.882), 930 fr. — 6. La Vallée de la Toucque, 1,200 fr. —
T. Ronchevillc, soleil couchant, 1,800 fr- — 8. Lever de lune
dans la vallée de Pourville, 800 fr. — 9. Les Vanneuses de
Kérily. (Salon de 1868), 1,350 fr. — 10. Lever de lune au soleil
couchant. (Salon de 4886), 1,550 fr. — 11. Effet d'automne.
(Salonde 1865), 700 fr.— 12. Un semier. (Salon de 1863), 920 fr.
Nous tenons de source certaine, dit la Curiosité, que très
prochainement paraîtra une œuvre posthume de Liszt très origi-
nale, parce qu'elle renfermera des portraits à la plume exécutés
par le célèbre compositeur. Li?zt avait une très grande admira-
tion pour sept de ses compatriotes ; il avait composé sur ces
personnages une série de morceaux caractéristiques pour piano.
Avant sa mort, le grand compositeur avait confié le manuscrit
de cette œuvre inédite h l'un de ses élèves favoris, avec prière de
le remettre à son édileur Taborskv, de Pesth.
En tête de chaque morceau caractéristique il y aura, de la main
de Liszt, une sorte de portrait à la plume du personnage illustre
dont l'illustration musicale fait l'objet du morceau. D'un autre
côté, on aurait découvert beaucoup de manuscrits de Liszt qu'il
avait confiés b ses élèves pour en faire la copie au net. C'est l'en-
semble de cette œuvre posthume qui va paraître prochainement.
Le théâtre national de Pesth est en déficit. Cela résulte du
rapport que le ministre de l'intérieur, dont dépend ce théâtre,
vient de déposer à la Chambre des députés de Hongrie. Le ministre
demande un cn'dit supplémentaire cjp 124,600 florins, soit près
de 300,000 francs, pour couvrir l'arriéré de l'année écoulée. On
avait beaucoup compté sur l'Exposition nationale de Pesth, mais
elle n'a pas attiré autant d'éirangers qu'on l'espérait, et de là le
mécompte. Le ministre attribue le résultat malheureux de l'ex-
ploitation à l'exagération des appointemenis payés aux artistes et
particulièrement aux étoiles en représentation.
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informations et les soins donnés à sa rédaction une place prépondérante. Aucune manifestation de l'Art ne
-lui est étranp:ôro : il s'occupe de littérature, de peinture, de sculpture, de gravure, de musique,
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lecteurs sur tous les événements artistiques de l'étranger qu'il importe de connaître.
Chaque numéro de L'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
oii littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'actualité. Les expositions, les livres nouveaux, les
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Sixième année. — N° 51,
Le numéro : 25 centimes.
Dimanche 19 Décembre 1886.
L'ART
PARAISSANT LE -DIIVLANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
ABONNEMENTS : Belgique, un an, fr. 10.0.0; Union postale, fr. 13.00. — ANNONCES : On traite à forfait.
I Adresser les demandes d'abonnement et toutes les communications à
l'administration générale de l'Art Moderne, rue de l'Industrie, 26, Bruxelles.
?
OMMAIRE
Un DIRECTEUR EN GRÈVE. — La MORT d'Ivan Iliitch, par Tolstoï.
— Critique posthume. — Le conflit d'Ypres. — Notes de musi-
que. A la Grande-Harmonie; Au Conservatoire; Concert des
Artistes Musiciens; Séance d'harmonium; Audition de César
Franck. — L'art a travers les journaux. — Correspondance.
— Petite CHRONIQUE.
UN DIRECTEUR EN GRÈVE
« Vous savez la nouvelle ?
— Quelle nouvelle ?
— Les concerts du Conservatoire sont supprimés.
— Vous plaisantez ! .
— Je ne plaisante pas. N'avez-vous pas lu le com-
muniqué inséré cette semaine dans les journaux ?
— Quel communiqué ?
— Je l'ai sur moi. Tenez. Lisez : « Le premier con-
cert du Conservatoire ne pourra avoir avoir lieu cette
année, comme d'habitude, le dimanche avant Noël. Le
directeur se voit dans l'obligation de l'ajourner indéfi-
niment, par suite de l'impossibilité où il se trouve
actuellement de former un orchestre complet pour l'exé-
cution des œuvres classiques. «
— Et vous prenez cela au sérieux? Mais c'est une
mystification ! Un poisson d'avril anticipé ! Une zwanze,
comme on dit à Molenbeek. Je connais plus d'un loustic
capable d'avoir imaginé cette grosse farce.
— Je l'ai cru d'abord aussi, et tout le monde l'a cru.
Mais je me suis renseigné. Le communiqué porte le
timbre authentique du Conservatoire. Il a été envoyé
aux journaux d'après les ordres du directeur.
— Vous m'éfonnez. . . • •• ., '
— Je vais vous étonner davantage. Ce n'est pas le
premier concert seul qui est ajourné indéfiniment. Il
n'y aura plus de concerts au Conservatoire. -^^-^—
— Plus de concerts !
— Plus un seul. Les abonnés vont être invités, par
circulaire, à retirer au guichet le montant de leur
abonnement. Les vingt-cinq mille francs de location
versés par eux pour cette année leur seront restitués.
— Vingt-cinq mille francs! Et M. Gevaert consent
à abandonner pareille somme ?
— C'est-à-dire que ce sont les exécutants de l'or-
chestre, à qui elle était destinée, qui la voient dispa-
raître. Une, deux ! Passez, muscade ! Rien dans les
mains ni dans les poches ! Les vingt-cinq billets bleus
signés^H. Hendrickx Del. Inv. sont retournés dans le
gousset des abonnés.
— Mais on-' donnera aux professeurs un dédommage-
ment, une gratification, une augmentation d'appointe-
ments?
— Un dédommagement, oui. Ils pourront jouer
gratis aux séances extraordinaires que la direction
compte organiser. Us auront aussi la joie d'entendre
jouer leurs élèves, que l'on présentera au puljjic plus
fréquemment que de coutume.
— Oh ! alors ils auraient tort de se plaindre.
— N'est-ce pas ? C'est aussi mon avis.
— Mais, dites-moi, qu'est-ce qui motive cette éton-
K^,
■i^.
■«. '
% ■
- t
nante détermination du directeur? Les concours de ces
dernières années ont été plus que médiocres. Il n'y
avait plus que les concerts qui pussent sauver le pres-
tige de la maison; Alors, pourquoi les supprimer?
— Eh ! bien, vous n'avez donc pas entendu la notice?
Impossibilité de constitup:r un orchestre pour exé-
cuter de LA MUSIQUE CLASSIQUE... -
— Ah ! ceci est trop fort par exemple. Croyez-vous
que je vais me contenter d'une pareille bourde ? Et le
public accepte ça docilement ? Et la presse ne proteste
pas? Et les musiciens se laissent malmener de la sorte?
Mais le prétexte est ridicule, et il est odieux. Comment,
il n'y à pas moyen de former un orchestre h Bruxelles!
Et le Concert populaire ? Et l'Association des artistes
musiciens? Ce ne ne sont pas des orchestres, cela? Ce
sont des troupes de saltimbanques, peut-être ! Dé quel
droit le directeur du Conservatoire lance-t-il cette
injure à la face de nos vaillants et laborieux musiciens?
Sur quoi se fonde-t-il ?
— Dans tous les cas, ce n'est pas flatteur pour le
Conservatoire, puisqu'ils en sortent tous !
— Sans compter que si les musiciens belges ne
valent rien, comme le leur fait aigrement comprendre
M. Gevaert, il ne sera pas facile d'en trouver de bons
ailleurs. Savez-vous qu'à Paris ce sont nos compatriotes
qui occupent presque tous les premiers pupitres?
— Je le savais. Et je sais aussi qu'à Angers, où
M. de' Bordier a créé les excellents Concerts populaires
dont vous avez dû entendre parler, sur cinquante musi-
ciens il y en a trente- trois belges.
— Vous voyez que j'avais raison. Le motif invoqué
n'est pas sérieux. Il doit y avoir autre chose.
— Oui, il doit y avoir autre chose. Mais quoi?
— M. Gevaert n'a plus vingt ans, ni même vingt-
cinq. Il est arrivé à un âge où l'on veut être entouré
de beaucoup de respect, de beaucoup de prévenances,
d'infiniment d'attentions. Peut-être son humeur se res-
sent-elle de ce que le public, depuis quelque temps, se
permet de rie pas pousser des cris d'admiration à propos
de tout ce qu'il fait. On est si frondeur à Bruxelles ! Il y
a des journaux si effrontés ! VArt 7noderne, par
exemple, qui parle des auditions du Conservatoire sur
le ton qu'il prendrait pour apprécier un vulgaire Con-
cert populaire, et qui se permet quelquefois de faire des
observations sur l'exécution ! Avouez qu'il y a de quoi
prendre le monde en grippe.
— On a même osé plaisanter son désir très légitime
d'être anobli.
— Mais tout cela n'explique pas qu'il empêche ses
professeurs de donner des concerts. Car enfin, s'il est
fatigué d'être directeur et s'il préfère être baron, il y a
un moyen bien simple. Qu'il se clwisisse un successeur.
Ce serait, assurément, une grande perte pour le Con-
servatoire que la retraite de son éminent directeur.
Mais enfin, c'est un événement qui "doit fatalement
arriver un jour.
— J'ai entendu expliquer autrement l'affaire. Mais
ceci, c'est presque un bruit de coulisses... Il s'agit d'un
trombone.
■ — Oh!' v'^-';-' •■ - .■„■•■ ■ ■:.-■- '\ :.' ■
— Pardon. Il s'agit donc d'un trombone, d'un brave
et excellent professeur de trombone que le directeur
voudrait pensionner.
— Pourquoi?
— Parce qu'il ne souffle plus assez fort dans son
instrument.
— Est-ce qu'il faut souffler si fort que cela pour
enseigner le trombone ? -
— Non, mais pour jouer au concert, c'est néces-
saire.
— Ah ! j'entends. Mais alors, ce n'est pas un profes-
seur qu'exige M. Gevaert, c'est un virtuose?
— Précisément. \
— Eh! bien, qu'est-ce qui empêche le directeur de
garder son brave professeur et de prendre, pour ses
quatre concerts, un trombone plus vigoureux?
— Vous n'y pensez pas. Il faudrait le payer.
— C'est vrai. Et si l'on démissionne le professeur, il
faut lui payer également une indemnité de retraite.
Cruel dilemme. Mais le Conservatoire ne reçoit-il pas
de subside du gouvernement?
— Oh! si peu de choscj! Quelques centaines de mille
francs tout au plus. Et si v6us saviez ce que coûte le
Musée historique des instruments! Les clavecins, les
épinettes, les orgues de régale et les violes de gambe
sont hors de prix ! Et les restaurations ! Et les voyages
en Allemagne, en Italie, en.Espagne, qu'il faut payer
à des luthiers habiles pour étudier le secret des anciens
vernis!....
— On ne peut pas se passer, cependant, au
XIX® siècle, des instruments de musique en usage
au XVI® et au xvii® ! r
— Evidemment.
'^- C'est égal, je ne saisis pas encore pourquoi, lors-
qu'on a besoin d'argent pour se payer un trombone,
on abandonne volontairement vingt-cinq mille francs
de recette. Les trombones sont-ils donc si coûteux?
— Vous n'y êtes pas. Laissez-moi vous expliquer....
Si le directeur prend un trombone à gages, c'est la
caisse du Conservatoire qui le paiera, n'est-ce pas ?
— Evidemment. Mais si on pensionne le professeur
actuel, ce sera la même chose, et même plus onéreux.
Il faudra payer la pension de l'ancien et les appointe-
ments du nouveau. .
— Qui paierala pension, d'après vous ?
— - Le Conservatoire, parbleu !
— Ah ! ah ! Hic jacet lepus. Le directeur s'est mis
en tête de faire payer la pension par le Trésor de
■t:
l'Etat. Et quand il s'est mis quelque chose en tête, le
directeur... Il est donc allé trouver le Ministre des
Beaux- Arts et lui a dit : « Vous allez payer la pension
de mon trombone, et j'en prendrai un frais qui trom-
bonera énergique ment dans mes , concerts. » M. de
Moreau a répondu : «' Ça ne me regarde pas. Adressez-
vous à la Cour des comptes. » La Cour des comptes,
elle, a dit fiûtey ce -qui était en situation, puisqu'elle
avait affaire à un musicien. Alors le directeur est parti
en disant : « Tas de pingres! Tas de grigous! Tas
d'Harpagons ! Ah ! vous ne voulez plus délier les cor-
dons de la bourse ! C'est bien. Vous n'aurez plus de
musique. Pas d'argent, pas de violons! «
— Mais c'est une grève, cela !
r- Une grève, vous l'avez dit, et une grève origi-
nale, puisque c'est « le patron « qui refuse de " tra-
vailler ", alors que ses hommes ne demandent qu'à
marcher, et pour cause.
• — Et c'est pour cette misérable question de gros
sous que Bruxelles est privé de son aliment musical ?
Une bouderie, une fâcherie d'enfant gâté balance la
jouissance artistique de toute une population? L'art peut
dépendre, chez nous, d'aussi mesquines intrigues? Et
l'on ne proteste pas, on ne réclame pas, on ne qualifie
pas comme elles le méritent ces façons de Satrape
omnipotent ?
— Satrape est drôle pour un gréviste.
~ Que voulez-vous? Les idées prêchées par Alfred
Defuisseaux grangrènent toutes les classes de la
Société. Les potentats même n'en sont pas exempts.
— C'est vrai. Tout cela, c'est la faute du Grand
Catéchisme du peuple.
|aA MORT D'|vAN |lIITCH
par LÉON Tolstoï. (Nouvelle librairie parisienne).
La mort à' Ivan Iliitch esl la première parmi les Dernières
nouvelles du comte Léon Tolstoï. Elle esl superbe el capitalise
Finlérêt du livre.
C'est une élude de mœurs bourgeoises : la vie, la maladie,
l'agonie, le décès d'un magistrat. Elude toute en réalité crue,
méticuleuse, lente; d'une palience et d'une solidité serrées; d'une
impression forte. Une aussi; car rien ne distrait du personnage
analysé : sa femme, ses enfanls, ses amis, ses domestiques ne
servent qu'à produire des preuves de sa nature et de sa qualité
humaine. Cruelle encore, cruelle, parce qu'elle étale la médio-
crité et le vide de l'existence; le néant social.
Ce qui marque parmi tout? L'étonnante perspicacité du roman-
cier h scruter l'état de maladie chez l'homme et ses manifestations
psychologiques. Et, par suite, la réflexion de cet état sur ceux
qui l'entourent. C'est l'analyse la plus nette qu'il nous ait été
donné de lire depuis longtemps.
Egoïsme, idée fixe, irritation, rejet instantané d'espoirs en
abattements et d'abattements en espoirs, coloration ou décolora-
tion spirituelle, brusque de mêmes événements suivant les heures \
sympathies sans cause, répulsions au hasard; violences d'âme
en raison directe de l'allanguissementdu corps; tragiques seuls-à-
souls travers(';s de colères muettes et de joies expansives ;*
haines d.u présent, tippels vers l'avenir môme terrible, el surtout
celle résurrection d^enfance toute lointaine el douce, avec du rêve
exquis autour. - •
On a répété souvent — à la suite de Melchior de Vogué — que
le réalisme russe, tout en abordant des sujets aussi terre à terre
et aussi vicieusement humains que le réalisme français, ne con-
cluait point comme lui à la haine de l'homme.
C'est, croyons-nous, une totale erreur. Tolstoï autant que Flau-
bert et Concourt cl Zola esl un désenchantcur. La vie qu'il nous
montre di)ns ses œuvres est aussi méprisable qu'aucune autre, et
l'on peut douter que n'importe quel auteur en inspire plus que lui
le dégoût. La mort d'Ivan Iliitch en est une preuve nouvelle. Il
n'y a dans toute la nouvelle que deux personnages qui ne soient
répulsifs. Un enfant, c'esl-à-dire un être qui n'a point encore eu
le temps de devenir mauvais, et Guerrassim, un serviteur. Mais
qu'est-ce donc que Guerrassim, sinon le chion fidèle qui apparaît
dans chaque livre réaliste comme une brute de dévouement?
Après La mort d'Ivan Iliitch^ voici le Roman d'un cheval et
Un Pauvre diable, deux superbes éludes de second plan.
CRITIQUE POSTHUME (*) :
Celait une vaste pièce rectangulaire éclairée discrètement par
des lustres largement espacés. Les banquettes étaient de bois
brut. Deux cents assistants environ y auraient pris place. J'allai
m'asseoir vers le milieu el remarquai avec plaisir que^ par une
innovation heureuse, les exécutants étaient cachés, et que le son
arrivait dans la salle par des conduits semblables aux bouches
d'un calorifère. Par ce système, aussi nouveau qu'ingénieux, l'au-
diteur, dispensé des contorsions des virtuoses, pouvait prêter
toute son altenfion aux sonorités qui vibraient de toutes parts
fil montaient à la voûte comme un parfum.
J'éjais très désireux d'entendre une symphonie rendue par ce
procédé, mais les musiciens accordaient encore toujour-s leurs
instruments.
Pendant ce temps, j'observai mon entourage.
Le demi jour rembranésque de la salle estompait à merveille
les redingotes aux tons chaiïdi»-^et fins; nippes vénérables, pré-
cieuses pour l'art, et détériorées avec une telle harmonie, qu'il
semblait que le temps les eûl râpées « à souhait pour le plaisir
des yeux ». La fumée des pipes voltigeait çà el là, se déroulant
en spirirTés gracieuses, et adoucissant malgré eux les profils les
(*) Nous avons dit récemment (numéro du 22 novembre) que l'on
venait de tirer, à 100 exemplaires seulement, Posthiona, par Gus-
tave CoppiETERS. Butinant dans ce petit livre, hors du commerce.
Offert en souvenir de l'auteur à ceux qui furent ses atnis^ nous
donnons un extrait de la partie intitulée : Réalisme et Classicisme.
Il en contient trois autres : Bribes philosopiuques, — Esthétique
DE LA MALVEILLANCE (ô le titre bien trouvé!), — Choix de lettres.
Le volume révèle une fois de plus un de ces écrivains nationaux
parfailtement méconnus chez nous, et valant raieux que les neuf
dixièmes des écrivailleurs que le reportage nous vante sans relâche.
De plus en plus, lecteurs, habituons-nous à juger nous-mêmes et
à croire que nous avons en Belgique tout aussi bien que ce que
nous apporte de l'étranger un journalisme ignorant, injuste ou
intéressé.
Nous avons publié déjà, au début de cette année, deux intéres-
santes lettres du même artiste (V. l'Art modeime, 1886, pp. 5 et 20).
. I — '
■*C;
[
404
L'ART MODERNE
/
plus agrestes. Mais ce qui compldiail le tableau, c'Olait Téioupe
capillaire inculte et luxuriante qui se dressait sur les crânes avec
la vigueur d;une forôt vierge. Si le dévouement des héroïnes de
l'antique Carthage avait pu fournir pendant le siège une pareille
collection decheveux, la rivale de Rome eût peut-être été sauvée
en dépit des anathème? de Caton.
, Cependant, les musiciens n'en finissaient pas de s'accorder et
de préluder, et je commençais îi trouver les préliminaires un peu
longs; quand tout à coup une idée rapide comme un éclair tra-
versa mon esprit en y laissant un sillon lumineux... Nous étions
en pleine symphonie !! !...
Je dus cette révélation aux petits mouvements de tête par les-
quels plusieurs admirateurs passionnés accompagnaient la
musique. Mais ce qui confirma mon hypothèse, ce fut la quantité
exorbilanle de contre-temps voulus et de dissonances prémédi-
tées dont la cacophonie surpassait tout ce que le hasard peut
produire dans une'fantaisie de sa façon. En vérité! c'était une
symphonie réaliste que l'on exécutait en ce moment...
Quelque humilié que je fusse .d'avoir méconnu celte manifesta-
tion de l'art, j'eus. pu alléguer au besoin pour ma défense que
j'étais enlré pendant le passage le plus absirail de la pièce, alors
que la mélodie, complètement absente, ne se montrait ni de pro-
fil, ni même de dos. Ce ne fut pas sans peine que je me fis à
l'idée que cet assemblage désordonné de sons discordants était
bien ce que les humains conviennent d'appeler la musique. Mais
en observateur consciencieux, je voulus prêter attention jusqu'au
bout. .
L'accord le plus clair que l'on pût reconnaître dans ce tumulte
chromatique fut la neuvième diminuée. Encore ne brilla-t-elle
qu'un jnstani, pour se contourner presque aussitôt dans un ren-
versement dur à l'oreille, et se compliquer d'une note passagère»
qui me vola au tympan comme un caillou.
Cependant, du sein de ce lohu-bohu, un rythme se dégagea,
vague d'abord, puis plus précis, puis enfin agaçant par son
importunité, et revenant sans cesse déguisé chaque fois sous le
masque d'une complication harmonique nouvelle. Malheureuse-
ment, au moment où il était devenu possible de s'y habituer, le
rythme disparut pour faire place à une avalanche meurtrière de
triples croches, qui me secoua d'autant plus désagréablement que
je n'en vis pas même l'utilité relative.
Ayant entendu chuchoter dans mon entourage le mot origina-
lité, je compris que c'était là le côté caractéristique et recom-
mandab^ede celte œuvre, qui était neuve, en effet, et ne ressem-
blait à aucune autre composition musicale. — Un déraillement,
un écroulement, une explosion ont aussi le mérite de ne jamais
ressembler exactement aux autres accidents du même genre ; et
les catastrophes de la vie ont ceci de commun avec certaines
œuvres d'art^qu'olk-s ne manquent jamais d'imprévu.
Quand le torrent des triples croches se fut tari, les chante-
relles filèrent une série de sons prolongés figurant saus doute une
mélodie, puisqu'ils étaient dépourvus d'accompagnement. Ces
sons, de plus en plus prolongés, devinrent aigus, au point d'échap-
per k toute espèce de classification. Le violoncellistes les tiraient,
je crois, de la partie des cordes qui dépasse le chevalet. — Le
fil le plus ténu(iui soit sorti des doits agiles d'Arachné est un
câble pour l'œil en .^©mparaison de ce qu'étaient peur l'acousti-
que ces grincements suraigus, qui faisaient tinter toutes les
oreilles. — Ici, la confusion était complète, les extrêmes du réa-
lisme et de l'idéalisme se touchaient pour produire un malaise
insupportable. Plusieurs fois des secousses nerveuses me firent
pousser les coudes dans les côtes de mes voisins, qui me lan-
cèrent des regards courroucés.
^ Quand cette mélodie fut terminée, les contrebasses reprirent
vaillamment le i*ythme d'une façon incisive et saccadée, pendant
que des gammes de quintes, hurlées par les hautbois et lesxlari-
nettes, jetaient le gant à l'harmonie, conventionnelle, et que des
trilles de flûte sautillants et stridents étincelaient comme des
fusées d'artifice. Enfin, pour le bouquet, les violons lancèrent au
travers des pizzicati de tous les autres instruments une gamme
ascendante en quarts de ton d'une maestria, d'une furia, d'un
brio splendides, et le morceau se termina par un accord de
quinte augmentée, qui demeura dans l'oreille comme un point
d'interrogation.
Quand les applaudissements se furent |apai ses, je demandai
quelques explications k mon voisin de gauche, non sans mani"
fesler du désappointement. Cet homme était architecte réaliste.
Il possédait la logique de son état.
« Cette symphonie, me dit-il, que vous prétendez dénigrer en
la comparant à un chaos, n'a pas au monde d'admirateur plus
inconscient et partant plus sincère que vous. Je vois une fois de
plus que san auteur est un grand maître. El pour ne pas prolon-
ger inutilemetit celte explication, monsieur le puriste, apprenez
que le sujet de l'œuvre que vous traitez de chaos est précisé-
ment la naissance du chaos. Voyez mon programme. Êles-vous-
content manleuant? Est-ce clair? Et ne pouviez-vous savoir que
le musicien réaliste a pour mission de pénétrer dans le cœur
même du sujet, de répudier toute inspiration qui lui est étran^
gère, de fuir les élégances coupables de la mélodie pure, d'ab-
jurer les ragoûts efféminés de l'harmonie?... Notre art est logi-
que et viril. Il ne s'adresse pas à un public de gourmets. Soyez
sloïque, soyez Spartiate si vous voulez vous complaire à ses
impressions fortes et vierges... A bas les vieux préjugés/ A bas
la perruque surannée de Mozart ! Secouons-la d'unemain robuste.
Le grand Beethoven lui-même est déjà bien démodé. L'artiste ne
doit plus désormais traduire et commenter la nature à sa guise.
L'heure a-sonné pour l'avènement du vrai. Nous avons appris à
lire le Grand Livre dans sa langue originale. Nous voulons dans
nos œuvres, non plus l'image embellie de la vie, mais la vie elle-
même. »
L'architecte parla ensuite d'une aulre œuvre du même auteur,
intitulée : la Tempête. 11 affirma que jamais l'art n'avait serré la
nature de plus près... Cette musique était peut-être désagréable,
mais elle était vraie... et si admirablement vraie qu'elle donnait
le mal de mer aux auditeurs initiés et attentifs. Ce magnifique
résultat avait été constaté plusieurs fois. On l'avait obtenu par
les sonorités seules. Car, comme on n'en était encore qu'aux
répétitions générales, on n'avait mis en œuvre ni le plancher
mouvant, ni la vapeur d'eau salée insufflée mécaniquemement
dans la salle et augmentant avec le crescendo. Toutefois, ceci
appartenait à la première manière du. maître. Dans quelques
instants on exécuterait une œuvre plus récente, une symphonie
magnifique, dans laquelle il s'était décidément affranchi de la
tradition.
En écoutant le développement de la théorie nouvelle, j'exami-
nai la salle construite en bois à la façon des cirques, et j'en
admirai la simplicité rustique. Mais je fus assez étonné d'ap-
prendre que cet amas de solives et de planches avait la préten-
tion d'être une merveille d'architecture réaliste, et que celle con-
o
struclion rustique était destinée à faire oublier le Pgrlhénon
d'Athènes. Ma stupeur redoubla quand j'appris que les anciens
étaient blâmables d'avoir composé des « ragoûts de lignes »,
pour la plus grande gloire de l'idéalisme.
lE CONFLIT D'YPUES
Yprcs est en émoi. La guerre est déclarée. Éles-vous Delhe-
kiste ou anti-Delbekiste?
Delbeke?... Un peintre, et un peintre de grand mérite, sMl faut
en croire un groupe d'artistes bruxellois, qui appuient chaleu-
reusement leur confrère, occupé à se débattre dans l'enchevêtre-
ment des difficultés que fait naître en province un art au dessus
de la portée de la foule. ^
Voici le casus belli. ' "
M. 'Delbeke est chargé, en 1884, sur la recommandation de
MM. Paul De Vigne, Jo^^eph Stallaeri, Camille Van Camp, Charles
Hermaiis, Jan Vcrhas, Markelbach et Serrure, de certains tra-
vaux décoratifs dai^le merveilleux bâtiment des Halles d'Ypres.
M. Rousseau, dirccicur des Beaux-Arts, approuve les esquisses.
la Commission dos Monuments se déclare également satisfaite.
Le gouvernement alloue un subside, et voilà l'artiste à l'œuvre.
Deux panneaux sont faits. Le public est admis à les voir et se
récrie. Les nns admirent, mais la majorité désapprouve. Les cri-
tiques sont acerbes, violentes, et retombent en grêle sur le
conseil communal. Un peu plus, il y aurait effusion de, sang.
Les artistes qui ont proposé M. Delbeke ripostent par une
lettre adressée au bourgmestre et à l'échevin des beaux-arts.
M. Paul Devignc écrit :
«Faisant partie du groupe d'artistes de Bruxelles qui a pris
à cœur d'éveiller l'attention du gouvernement et de l'autorité
communale d'Ypres sur la valeur d'un artiste méconnu jusqu'à
• ce jour, je suis heureux de pouvoir me joindre à mes collègues
pour saluer l'œuvre que nous avons été appelés à examiner
récemment dans votre ville.
« Les deux pnnneaux de peinture murale dont l'exécution fut
confiée à titre d'épreuve au peintre Louis Delbeke constituent, à
mon avis, la tentative la plus heureuse de peintute monumentale
qui ait été faite dans notre pays.
« Par le caractère, l'harmonie, et les moyens sobres d'exécu-
tion, ces productions se rattachent aux grandes époques d'art où
une entente parfaite régnait entre l'architecture et la peinture
et dont les traditions sont perdues depuis la Renaissance ».
11 termine sa lettre en ces termes :
« Il serait à souhaiter que l'administration communale d'Ypres,
au sein de laquelle Delbeke a rencontré de si nobles protecteurs,
pût continuer à prêter son appui intelligent à cet artiste, sans
se laisser émouvoir par la critique inconsciente qui s'acharnera
longtemps encore sur une œuvre conçue absolument en dehors
de la routine.
.« Que la liberté la plus complète soit laissée à Delbeke dans
l'exécution de son programme; qu'aucune pression administra-
tive n'agisse sur lui, et un jour la ville d'Ypres possédera une
œtivrc d'art monumcntalque le pays entier lui enviera. »
Et le groupe ;oul entier écrit à son tour, dans des termes ana-
logues.
Le conseil communal s'assemble. Faut-il arrêter les travaux?
Faut-il voter le subside qui permettra à M. Delbeke de poursuivre
son œuvre?
M. le conseiller Van Daele déclare que les" panneaux ne -lui
plaisent pas. Les neuf dixièmes de la population yproise,
flssure-t-il, partagent son avis. Il votera contre tout nouveau
crédit proposé.
L'honorable conseiller trouve d'ailleurs très étrange, très inso-
lite (nous citons le procès-verbal de la séance), que des artistes
dont il est loin d'ailleurs de méconnaître le talent, mais qui sont
assurément sans mandat, adressent des rapports au conseil com-
munal au moment de la discussion du budget. C'est là, dit il,
une manœuvre qui semble avoir été mise en jeu pour peser sur
la détermination du conseil et lui imposer en quelque sorte la
continuation des travaux.
Il proteste contre cette manière d'agir. (Touché, de Vigne!...)
M. le bourgmestre s'étonne des paroles de M. Van Daeîe. (Il y
a de quoi.)
Une discussion agitée s'engage.
M. Bossaert, échevin, désire que les panneanx soient examinés
par d'autres artistes, complètement désintéressés dans la question,
et libres de tout engagement envers M. Delbeke et l'administration
communale. En attendant, le conseil surseoit à toute détermina-
tion.
Le désir de M. Bossaert sera exaucé. L'Art moderne a pris
spontanément la résolution d'envoyer à Ypres une délégation des
membres de son comité de rédaction. Cette délégation examinera
les panneaux et donnera son avis dans l'un des plus prochains
numéros dû journal. Puisse-t-eile apporter dans l'arche yproise
le rameau d'olivieM
j^OTE^ DE MU^iqUE
A la Grande -Harmonie
Le concert donné samedi dernier à H Grande Harmonie pour
fêter le 7o« anniversaire de sa fondation a été très intéressant.
On a entendu M. Jacobs, le nouveau professeur de violoncelle au
Conservatoire, héritier du magistral coup d'archef^de Joseph
Servais, M"« Jane de Vigne, une jeune cantatrice dont nous avons
eu l'occasion déjà d'apprécier le talent, et M. Heuschling, qui,
malgré un deuil récent a consenti à remplacer, au dernier moment,
M. Sylva, et à qui le public a chaudement manifesté sa sympathie
et son admiration.
Au Conservatoire
La fknixième séance donnée par les professeurs d'instruments
à vent a été très supérieure à la première. Programme choisi,
exécution soignée et colorée. MM. Guidé, Nahon, Poncelet, Merck,
Herweigh, Bayart, Neumans et Peeters ont joué avec ensemble
un Otello de Mozart et un Rondinn de Beethoven qui ont beaucoup
plu au publie.
M'"^ Cornélis-Servais s'est fait ensuite très justement applaudir
après l'air (.VHippolyte et ^n'de, accompagné par un clavecin,
une viole, une flûte et une viole de gambe, — les quatre instru-
ments maniés avec une délicatesse exquise par MM. De Greef,
Agniez, Dumon et Jacobs. La cantatrice a même eu les honneurs
du bis après deux autres airs anciens, qu'elle a dits îTvec goût et
avec sentiment.
Pour finir, le septuor de Sainl-Saëns qu'on n'avait plus entendu
.J
.-■'^■^'•Jr;'*"'
#
depuis les séances de VUiiion instrumentale, et dont les allures
modernistes ont contrasté avec celle peliie débauche de musique
vieille. . .
Concert des Artistes Musiciens.
Concert presque enlièrcmenl consacré aux virtuoses et dans
lequel la partie symphonique a élé sacrifiée. A "côté des exaspé-
rantes Variations de Proch, y figuraient l'inévitable air de Lucie
dé Lnmmermoor, un air de la Reine de Sabn, et les Stances de
Polyeucte, , " ■ >
, M"« Vuillaume a fort gentiment déroulé ses vocalises, et
M. COssira a mis une grande conviclion dans les airs qu'il était
chai'gé de chanter. ' »
Un jeune violoniste français, M. Paul Viàrdot s'est fait égale-
ment enlendre dans ce concert, mais en venant immédiatement
après le Concert populaire dans lequel Thomson remporta un
si brillant succès, M.. Viardot n'a pu échapper au fatal parallèle
.et celui-ci n'a pas élé à son avantage.
Son jeu est facile, correct et d'une irréprochable justesse, mais
son interprétation est froide et nerveuse, et, de plus, il a le grand
tort de tout exét uter' dans un mouvement endiablé. 11 s'ensuit
quelle son qu'il lire de son instrument paraît maigre.
M. Viardot a joué le Concerto romantique de Benjamin Godard,
dont la canzonetta a éié parliculièremenl goûlée, et la Folia,
fantaisie sérieuse de Corelli (1680), une œuvre charmante de
finesse et de grâce. ..
La trop minime part faite à l'orchostre Se réduisait k une
Ouverture dé concert, de Rielz, d'une belle allure et d'une
orchestration très soignée, et au Rômischer Carnaval de Hans
Hûber, première exécution, qui n'a pas rencontré beaucoup d'en-
couragement. ;'-'\'-'.v---^:.-- -■■■:-.'•-■■■■•■■'_ ■\:V':.:^,:/v;-,:--'.^-i i". -^.v;,:.
Il y a dans ce Carnaval plusieurs motifs gracieux, mais
l'ensemble de l'œuvre manque de cohésion. On dirait trois
ou quatre morceaux différents de caractère et maladroitement
enchaînés l'un à l'autre..
Séance d'harmonium.
M, Maes, organiste-compositeur, a fait entendre quelques-unes
de ses œuvres, mercredi, à la salle Marugg : un Concerto pour
harmonium, dont VAndante a beaucoup plu, un Abendlied pour
deux cors et instruments à archets, une Grande marche assez
nulle, diverses petites pièces, et une Introduction et fugue remar-
quables, la meilleure composition, certes, de toutes celles qui
composaient le programme.
M. Godenne, violoncelliste, et M*"* Anno, canlalrice, ont
prêté leur concours à M. Maes. Le premier a joué avec talent plu-
sieurs morceaux, parmi lesquels on a particulièrement i'emarqué
la Danse des Elfes de Popper. La seconde a agréablement
chanté quelques banalités.
Audition de César Franck.
César Franck est l'un des grands musiciens de l'époque. Oui,
l'un des plus grands. Et telle est sa modestie, et telles sont ses
habitudes d'effacement, d'isolement, d' « après vous, je vous en
prie », qu'à peine il est connu des artistes. El que lorsqu'on lit
sur quelque partiiion, sur la Cloche de Vincent d'indy, par
exemple, au maître César Franck, on demande : quel est det
illustre étranger?
Etranger? Franck est belge. Il habite Paris, il est vrai, depuis
bien des années, et malheureusement ne se souvient pas assez
souvent qu'il est des nôtres. L'accueil qu'il a reçu de ses compa-
triotes, jeudi, au Cercle artistique, a paru le loucher vivement
et l'engagera, espérons-le, à revenir parmi uous. Quant aux
audileurs, pour les uns la découverte du musicien inconnu a élé
une surprise; pour les autres, c'a élé une joie que de le voir
apprécié, et applaudi, et fôlé.
De l'avis de tout le monde, la musique de César Franck est
d'un très grand caractère. Et le travail thématique, curieux et
neuf, ajoute au charme de rinspiralion.
Un superbe quintette pour piano et archets, d'une envolée ma-
gnifique, ouvrait le concert. Vandante et le finale en ont été le
plus admirés. Venait ensuite un air de Rédemption (poème-sym-
phonie), très beau, chanté avec talent par M"*^ Gavioli, une chan-
teuse de style, qui articule à merveille. Puis, un Prélude, choral
et fugue d'une grandeur magistrale, altoignanl une élévation de
pensée peu commune, joués avec autorité par une pianiste de
premier ordre, M"i« Bordes-Pène. Les deux morceaux de chant
qui suivirent : Prologue des béatitudes Qi VAuge et V Enfant nous
parurent plus faibles. Pour finir, une très belle sonate pour piano
et violon, fort bien exécutée par M"™^ Bordes ej, M. Isaye.
Jû')Art a travers LE3 journaux
La question Coquolin n'est, paraît-il, pas épuisée. M. F. Lefranc
la. reprend dans la Revue d'art dramatique et examine successi-
vement tous les rôles'joués par l'artiste démissionnaire. Sa cri-
tique est judicieuse et serrée. En voici un extrait : •
On ne cite pas une pièce médiocre qu'il ait fait vivre. Quand
un autre aciour a pris sa place, le public n'a point déserté. Sup-
primez M. Got dans le Duc Job, il n'y a plus de pièce. Jamais
M. Coquelin n'a oblenu pareil honneur ou n'a rendu tel Service.
Il n'a excellé que dans un seul emploi, le valet. Cet emploi est
important dans le répertoire classique, c'est vrai; mais il a tou-
jours été bien tenu. Les grands premiers rôles, les_ amoureux, les
tragédiennes, les grandes coquettes ont quelquefois manqué îi la
Comédie-Française; en revanche, elle a eu de tout temps un ou
plusieurs valets excellents. M. Coquelin apportait dans ce rôle
toutes les (qualités qii'on y peut souhaiter. Il n'avait, à vrai dire,
qu'à suivre une tradition non interrompue, mais il la suivait
dignement. Il ajoutait à ses qualités naturelles tout ce que le tra-
vail peut donner. Ce n'est pas un esprit primesaulier; il est labo-
rieux et il n'obtient rien qu'au prix de longs efforts. Lui-même
l'a reconnu avec une modestie qu'il n'a, peut-être, pas tous les
jours. La chose vaut qu'on la rapporte. Certains aveux méritent
d'être retenus; ils nous livrent un homme, en toule vérité. Sur
un album, au dessus de cette vanlorie de Mascarille : « Tout ce
que je fais me vient naturellement, c'est sans élude », i>I. Coquelin
a ajouté avec candeur ; « Ce n'est pas comme à moi ». — On
n'est pas plus franc. Voilà, pourtanl, une confession que Frede-
rick Lemaîire n'eût jamais faite. Ce qui me surprend, c'est qu'on
soit un si bon juge de soi-même et qu'on quitle la Comédie-
Française. .
j^ORRE^PONDANCE
Nous avons reçu, au sujet de l'incident du Conservatoire qui
forme l'objet de notre premier article, la lettre un peu radicale
que voici :
' Monsieur. LE Directeur, •
Le Conservatoire de musique de Bruxelles, dont les derniers
concours ont mis à nu la nullité comme établissement d'instruc-
tion, maintenait son rang grâce à ses concerts.
Ceux-ci sont supprimés.
UART MODERNE
407
T
Une noio du dirortonr nnnnnro quo la- promit^rc séance, qui
devait avoir lieu le 49 courant, est ajournée indéfinitivement « à
cause de l'impossibililé dans laquelle il se trouve de constituer
un orchestre pour IVxécuiion des œuvres classiques ».
Qu'est-ce b dire? Et de qui se moquo-t-on?
L'orcheslre du Conservatoire .se compose, on le sait, de tous
les professeurs de rétal)lissement el d'un certain nombre d'élèves
choisis dans les classes instrumentales.
Le cadre des profess(»urs est-il incomplet? Manque-t- il un pre-
mier violon, un premier violoncelle, un premier alto? Non. Tous
les postes ont leurs titulaires. La classe de piano, seule, reste
actuellerhent sans professeur. Mais le piano n'est pas, quo je
sache, un instrument d'orchestre, et là môme remarque s'ap-
plique \x la place de professeur de chant italien, vacante par suite
du décès de M. Ciiiaromonte.
Les élèves? Mais ils sont aussi nombreux que d'habitude. Et
cela est si vrai qu'on répète depuis le commencement de l'hiver
la symphonie de Scliumann, qui devait être la pièce de résistance
du premier concert.
On ne peut pas constituer un orchestre à Bruxelles!!! Mais
c'est absolument risible. Allez à Namur, à Verviers, \ Bruges,
vous trouverez un orchestre complet. Et le Conservatoire de
Bruxelles se déclare incapable d'en constituer un !
Soit, admettons que depuis l'an dernier le Conservatoire se soit
vidé de ses élèves. Mais alors, à quoi servent les subsides énormes
que fournit chaque année le gouvernement à cette coûleuçe insti-
tution?
Ne donnez pas de concerts, mais rendez l'argent !
Et si le Conservatoire est vraiment, comme tout tend à le
démontrer depuis quelques années, un luxe inutile, qu'on le
supprime !
Recevez, etc.
Cn Abonné.
D'autre part on nous communique une nouvelle qui, si elle se
confirme, fera sensation dans notre monde musical. Il va sans
dire que nous ne l'accueillons que sous toutes réserves. Voici ce
dont il s'agit : * - /
— Quelques amateurs de musique de Bruxelles, parmi lesquels
il y a plusieurs capitalistes, voulant remplacer les concerts du
Conservatoire supprimés celle année, viennent de se réunir en
groupe pour fournir les fonds nécessaires aux fins de donner
quatre grands concerts.
Les occupations de nos chefs d'orches're ne leur, permettant
pas d'en prendre la direction, les personnes dont nous venons de
parler songent à faire appel à des chefs célèbres de l'étranger.
On parle d'une séance Beethoven avec Hans de Biilow, d'une
séance Schumann-Brahms avec le maître Brahms au pupitre. Los
deux autres programmes ne soiil pas arrêtés, mais des ouvertures
sont faites à Hans Kichler, assure-t-on, pour organiser el diriger
une séance Wagner.
Ce groupe entreprenant compte (ô sacrilège!) sur la salle de
concerts du Conservatoire, qui, ainsi qu'on le sait, appartient
au Gouvernement.
Celui-ci serait dispo.sé, dil-oii, à l'accorder pour une année,
à titre d'essai, îi la nouvelle Société.
Petite chrojsique
La Walkijrie pass<Ta à la Monnaie vers lo 15 janvier. Les
Contes d'Hoffmann seront sus, espère-t-on, k la même époque.
La première re|)résentalion de VArlesienne^ le drame émou-
vant d'Alphonse Baudet pour lequel Georges Bizel a écrit
l'adorable musique que nous ont fait connaître les Concerts
poptilaûes, aur-A lieu jeudi prochain, 23 courant, au théâtre
Molière.
La charmante Adelina Rossi, que ses engagements avaient
rappelée pour un an en Italie, reviendra à Bruxelles l'année pro-
chaine. Sa dernière création à Milan sera Rolla, le nouveau
ballet à spectacle que prépare le théûtre de la Scala.
La Commission du Jeune Barreau vient de créer un cours de
diction oratoire destiné aux membres de la Conférence. Ce cours
est donné tous les vendredis, h 2 heures, au Palais de Justice,
à la 2" chambre du tribunal de commerce, par M. E. Sigogne.
Il s'agit de leçons pratiques ayant rapport à l'émission de la
voix, à la justesse d'accentuation, à la netteté de l'articulation, à
tout ce qui permet d'obtenir une diction irréprochable.
La distribution des prix aux élèves de l'école de musique de
Saint-Josse-len-Noode-Schaerbeek aura lieu le jeudi 23 décem-
bre courant, à 8 heures du soir, dans la salle du Théûtre lyrique,
à Schaerbeek.
Cette cérémonie sera suivie d'un grand concert vocal, exécuté
par les élèves des cours supérieurs, au nombre de 370, sous la
direction de M. Henry Warnots, directeur de l'école. Le pro-
gramme comprendra notamment quatre œuvres inédites en Bel-
gique : V Etoile, idylle antique de Henri Maréchal ; Invocation^
chœur de Paul Vidal ; Toggenbourg , ballade de Rheinberger, et
Avant faube, valse fantastique d'Edouard Lassen.
Erratum. — Dans notre article sur Bruges de dimanche dernier
où nous parlions de l'éminent amateur M. Ed. Kums, on a
imprimé Ktips. Nous espérons que nos lecteurs ne s'y sont pas
mépris. A tout hasard nous rectifions.
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Li'ART MODERNE s'est acquis par l'autorité et l'indépendance do sa critique, par la variété 'de ses
informations et les soins donnés à sa «rédaction une place prépondérante. Aucune manifestation de l'Art ne
, lui est étranj,^ère : il s'occupe de littérature, de peinturé, de sculpture, de gravure, do musique,
d'architecture, etc. Consacré principalement au mouvement artistique belge, il renseigne néanmoins ses
lecteurs sur tous' les événements artistiques de l'étranger qu'il importe do connaître.
Cliaquè numéro de L'ART MODERNE s'ouvre par une étude approfondie sur une question artistique
ou littéraire dont l'événement de la semaine fournit l'actualité. Les expositions, les livres nouveaux, les
' premières repi-'ésentations d'œuvres dramatiques ou musicales, les conférences littéraires, les concerts, les
ventes d'objets cCart, font tous les dimanches l'objet de chroniques détaillées. ^-
L'ART MODERNE relate aussi la législation et la jurisprudence artistiques. Il rend compte d,es
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Sixième année. — N» 52.
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Dimanche 26 Décembre 1886.
L'ART
PARAISSANT LE DIMANCHE
REVUE CRITIQUE DES ARTS ET DE LA LITTÉRATURE
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Adresser les demandes d'abonnement et toutes les communications à
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^0 M M AI RE
%
I
Les Académies de province. — Théâtre pornographique. La
Mandragore à Turin. — L'Agence Gargaro. — Vandalisme
botanique. — Renée Mauperin. — Bibliographie musicale. —
Théâtre Molière. — Petite chronique. — Réparation judiciaire.
— Table des matières.
LES ACADÉMIES DE PROVINCE
Depuis quelques années il s'est fait dans le haut per-
sonnel de nos Académies et Conservatoires de pro-
vince des changements importants. Chose remar-
quable, partout où ils ont été compris avec intelligence,
sans préoccupation des personnalités locales, avec le
seul désir de servir l'institution et de lui donner de
l'éclat, la transformation a été rapide et salutaire.
On a cru longtemps, on croit parfois encore que sur
un aussi petit territoire que le nôtre, avec des commu-
nications aussi faciles, la Capitale absorbe fatalement
toute la vie artistique, et que dès lors les autres locaux
doivent disparaître ou ne se maintenir qu'artificielle-
ment.
Pareille opinion est fausse. Comme aux belles périodes
du passé, l'Art descend de plus en plus dans la vie quo-
tidienne. Il redevient une habitude et un besoin dont
nulle part on ne peut se passer. Il est aussi l'un des
plus énergiques stimulants du progrès dans tous les
domaines de l'activité sociale. Il y a lieu de l'entretenir
constamment et partout. Il ne faut pas se contenter de
le voir de loin, dans quelques lieux priviligiés, il im-
porte de le voir près de soi. Certes, ses plus hautes et
ses plus intense? manifestations se produisent, en géné-
ral, dans les villes importantes. Mais ce phénomène
n'est pas absolu et alors même qu'il devrait finir par
s'imposer, encore ne serait-ce pas un motif pour desti-
tuer le reste du pays des bienfaits à résulter d'efforts
moins brillants mais assurément féconds. On a remar-
qué que le recrutement des forces artistiques se fait
invariablement dans les provinces. Les capitales s'épui-
sent vite. L'existence y est trop factice et elle amène à
bref délai la stérilité. Il est donc bon de favoriser sans
relâche en dehors d'elles les pépinières d'où doivent
sortir les éléments nouveaux.
Mais pour que cette circulation constante des extré-
mités au centre soit efficace,, il faut qu'en province la
culture soit vraiment rationnelle, sinon l'on irait à
rencontre du but. Le choix du personnel est délicat et
grave .-41 commande la plus sérieuse attention et la
plus grande indépendance. Un homme suffit, en géné-
ral, pour amener june transformation en bien ou en
mal.
Nous ne voulons pas citer ici les cas où l'on a vu
une académie ou un conservatoire ne plus rien pro-
duire à partir du jour néfaste où des intérêts de
clocher ou des appuis officiels ont mis à sa tète un
artiste médiocre, sans portée, sans notoriété de bon
aloi et sans autorité. Nos lecteurs suppléeront aisé-
ment. Certains exemples sont devenus célèbres. Mais
nous pouvons; sans blesser personne, rappeler les cas
opposés, les circonstances où, chez nous, le phéno-
410
L'ART MODERNE
mène contraire s'est réalisé quand, bravant les préjugés
et se mettant au dessus des considérations de per-
sonnes oiî des situations acquises, si puissantes et si
délétères, on s'est laissé guider uniquement par l'intérêt
artistique.
Assurément, Termonde, la petite cité flamande,
étranglée dans ses fortifications, avec sa population
si mince et presque oubliée , n'apparaissait guère
comme un milieu capable de s'épanouir artistiquement.
Rosseels fut, il y a quelques années, mis à la tète de
son école de peinture. Depuis, le changement a été
extraordinaire/On dit presque l'école de Termonde.
Non seulement de très bons élèves ont été formés, de
remarquables artistes, Courtens par exemple, en sont
sortis, mais l'esprit des habitants est transformé. Il y
a là une société choisie, peu nombreuse, mais à la
recherche des belles choses et qu'envieraient des villes
plus populeuses.
' Mathieu, à Louvain, n'a-t-il point, pour la musique,
assuré les mêmes résultats, qui grandissent encore sans
cesse? A cinq lieues de Bruxelles, à une demi-heure
par chemin de fer, malgré la concurrence redoutable
de nos concerts et de nos théâtres, il reste maître de
souterrain, il a arrêté la désertion. Oh compte avec
lui, sa situation se fortifie chaque jour, il prend peu à
peu l'autorité d'un de nos meilleurs chefs, il a aimanté
ses concitoyens, il leur a donné l'orgueil et la satis-
faction de se savoir classés parmi les gens de goût et
d'initiative. •
Théodore Baron joue le même rôle à Namur. Il y
établit lentement mais sûrement une excellente école de
paysage. La dernière exposition qu'il a organisée a
étonné par son importance et son. intérêt.
Inutile de multiplier ces exemples. Ils sont décisifs
et démontrent ce que vaut pour réveiller d'un fâcheux
engourdissement une personnalité bien choisie dont la
qualité principale doit être la notoriété qu'elle s'est
acquise dans le monde des arts. Ceci, en vérité, passe
tout. La bonne volonté ne suffit pas ; il faut être quel-
qu'un et quelqu'un accepté, connu, classé. C'est pure
illusion que de compter sur la bienveillance locale et
sur des travaux relativement obscurs. En cette matière
on suit mal unxhef ignoré, quelque sympathique qu'il
puisse être. Il faut que son nom soit une recommanda-
tion et une lumière. Lui-même y trouvera la confiance
qui pousse aux réformes et qui mène au succès.
Ces réflexions nous ont été suggérées par les vaca-
tures à la direction desTcadémîes de peinture de Bru-
ges et de Louvain que les journaux ont annoncées. Les
deux villes, la dernière surtout, assure-ton, ont
besoin sous ce rapport d'être ranimées. Elles ont droit
l'Une et l'autre à un rang distingué dans notre organi-
sation artistique nationale. Il convient qu'elles ne se
lai^ent pas dépasser par Termonde et Namur. Louvain
a su brillamment reconquérir sa place dans le domaine
musical. Elle peut remonter de même dans celui de la
peinture. Tout va dépendre du choix qu'elle fera. Son
conseil communal, dont l'événement dépend, saura-t-il
6e placer au dessus des considérations étroites, des
sympathies particulières, des relations entre voisins ?
Quand on examine sa composition, on peut l'espérer. Il
y à là, en efl'et, des personnalités qu'on dit indépendantes
et très désireuses de relever la cité. Si leur préférence
tombe sur un artiste éminent, vraiment original, dé-
gagé des formules vieillies qui sont si pernicieuses sur-
tout dans l'éducation des couches nouvelles, il n'est pas
douteux qu'en quelques années Mathieu et son école de
musique auront à côté d'eux une école de peinture
digne de leur être comparée. Ce serait avec bonheur
que le monde artistique enregistrerait cette réforme.
Yhéatre pornoqraphique (*)
La Mandragore à Turin
Correspondance particulière de l'Art Moderne.
Le 3 décembre a eu lieu à Turin la première des représen-
tations historiques dans lesquelles on reprend les pièces de
l'ancien répertoire classique italien jugées en général trop fortes
pour les oreilles chastes et pudibondes de nos contemporains.
Malgré l'opposition soulevée dans la presse cléricale, la salle
était comble et composée d'un public intelligent et lettré, à même
de comprendra la portée littéraire et esthétique d'une semblable
tentative. Il y avait fort peu de dames ; aucune n'avait profité dé
la faculté de se masquer.
La soirée a débuté par une conférence du poète bolognais
Panzacchi : il a parlé de l'œuvre de Machiavel que l'on allait
représenter, de l'ancien Théâtre, des questions d'art que suggérait
révènemT?nt. « Chaque époque, dit-il, a ses péchés : le xvi^ siècle
a eu l'obscénité ; nous avons la pornographie. L'obscénité est
moins à craindre, parce qu'elle est toujours apparente, super-
ficielle, momentanée; les effets de la pornographie sont insidieux,
au contraire; elle idéalise le vice et souvent usurpe des larmes,
ce tribut des afflictions sincères. »
Apres la conférence, la comédie. Elle a été mise en scène avec
luxe et exactitude; les acteurs étaient choisis parmi les meilleurs
d'Italie: le texte a été respecté, sauf dans quelques expressions
par trop scabreuses. Les applaudissements élaieqt interdits pen-
dant la représentation — pour éviter, sans doute, qu'on ne sou-
lignât des passages sur. lesquels mieux vaut glisser qu'appuyer.
En somme, succès réel et succès sérieux; une fois de plus, on
a vu que l'art est le domaine par excellence de la liberté et nous
gageons que les représentations de la Mandragore et des autres
chefs-d'œuvre de l'ancien lliéâre comique ne rendront point les
Turinois moins bons, ou plus mauvais qu'ils sont.
(*) V. VArt moderne, 1886, p. 383.
7
VART MODERNE
411
**•
L'AGENCE &ARGARO
« L'autre jour, dit un rédacteur du TempSyMn sculpteur m'a
conté qu'il venait de se fonder à Paris une Agence des modèles
vivayits. C'est un jeune Italien, ancien modèle lui-même, il s'ap-
pelle Socci (rien du jeûneur) qui a eu cette idée ingénieuse —
et profane.
J'ai déjà parlé, et assez longuement, du petit monde pittores-
que des modèles. J'ai conté avec quelles difficultés les artistes
trouvent un sujet qui serve bien leur inspiration. Ils font désha-
biller, au hasard, tous les hommes et toutes les femmes en
quête de travail qui frappent à leur porte. Ils se renseignent
auprès des camarades. Ils écrivent à des adresses problématiques
des lettres auxquelles on ne répond pas toujours. Des semaines,
parfois des mois, se passent dans celte recherche énervante.
C'est une grosse perte de temps et souvent une déception finale,
surtout pour les sculpteurs.
Par exemple, l'artiste dont je parlais tout à l'heure prépare
pour le prochain Salon une statue de jeune fille. Il a voulu sur-
prendre et fixer le court passage de l'enfance aux grâces plus pré-
cises de la jeunesse, et s'est inspiré des vers de Jules Lemaître,
qu'il écrira sur le socle :
Gloire à la jeune Hébé 1 Son sein de marbre pur
Est frais éclos ; et dans sa grâce inachevée,
La maternité dort, pressentie et rêvée.
Comme au clair renouveau germe l'été futur.
Celte minute du développement plastique est charmanle, mais
fugitive. Un artiste peut rêver de montrer l'éclosion instantanée,
respectant toutes les proportions, alors gracilement exquises, du
corps; mais, dans la réalité, ces^ ensembles ne se rencontrent
guère; un détail se précise avant l'autre; vous trouvez des
enfants à jambes de femme, des torses t'-op grêles pour les mem-
bres, surtout des membres trop longs pour les torses. Il faut
donc emprunter des fragments à d'innombrables fillettes; q\x les
prendre? . ,
Désormais, on n'aura plus qu'à écrire à Socci, ou mieux à faire,
comme j'ai fait, à l'aller voir.
Boulevard de Clichy, au pays artiste, l'Agence des modèles
vivants est provisoirement installée au fond d'une large et lumi-
neuse allée. C'est une maisonnette fraîchement repeinte. Des
crêpons japonais sont collés sur les vilres.
En bas, une petite salle d'attente. De huit heures à midi, vous
êtes toujours sûr d'y rencontrer un bouquet de jolies filles. J'ai
été surpris de trouver là, dans leurs costumes de velours, des
ouvriers français, des hommes superbes, poussés au muscle,
avec des poitrines larges comme des bufl'ets d'orgue. Ils sem-
blaient embarrassés, regardaient à terre, décontenancés. Socci
m'a dit que ce sont des ouvriers sans travail qu'il a été enrôler
dans les grèves. La pensée de gagner huit francs par jour a
triomphé de leurs répugnances. L'un d'eux, un terrassier, m'a
fait pitié. Gauchement debout sur la planche à modèle, il souf-
frait avec une honte visible de l'exhibition fainéante de son
corps, qu'il a développé dans le travail, par les rudes besognes
de biceps.
C'est au premier, dans le cabinet de Socci^ que les modèles se
montrent. Des albums contenant des photographies sont posés
sur des tables. Socci est en train de faire exécuter des moulages
qui permettront aux artistes de se renseigner complètement sur
fi
les sujets dont l'agence dispose. A l'heure qu'il est, il y en a plus
de deux cents d'inscrits.
L'Agence des modèles fera certainement de bonnes affaires.
Elle rendra de réels services aux artistes, en leur épargnant de
longues et fastidieuses recherches; elle donnera le grain de mil
à bien des petites cigales que la bise trouvait jadis dépourvues ;
mais je ne puis m'empêcher de regretter pour tout ce petit
monde pittoresque le temps fini de la liberté, des courses à
l'aventure, et je déplore amèrement les instincts prosaïques
d'une époque qui oblige les Dianes, les Hébés, les Faunes et
les Antinous à se syndiquer pour vivre — comme des garçons
limonadiers ».
L'idée est excellente, et si pratique qu'elle a été aussitôt
accueillie et adoptée à Bruxelles. Une agence semblable à celle
qui vient d'être décrite va s'ouvrir — est ouverte — pour la
plus grande utilité des peintres et sculpteurs.
Contrefaçon? Soit. Admettons le reproche. L'agence rendra
trop de services pour qu'on songe à critiquer l'imitation.
Il y a à Bruxelles quelqu'un qui était tout naturellement
désigné pour remplir cet office : c'est Gargaro. Gargaro, l'ancien
modèle d'Agneessens et de Van der Slàppen, l'un des huissiers
des XX, un peu photographe, passablement musicien, très
Italien, et par dessus tout brave et loyal garçon, tous les artistes
le connaissent et l'estiment.
L'agence est installée rue Linnée 403. On peut s'y adresser par
écrit on en personne, et moyennant une légère rétribution,
Gargaro se charge de fournir les modèles désirés. L'agence sera
tenue ayec la plus grande exactitude. Un modèle qui maiiqueràit
à ses engagements envers un artiste serait rayé des registres. Des
photographies de tous les modèles inscrits seront à la disposi-
tion des visiteurs. Très-bien au courant des usages de l'Atelier,
Gargaro ne peut manquer d'organiser son agence d'une façon vrai-
ment pratique, et l'on peut affirmer que toutes les sympathies lui
sont acquises.
VANDAIISME BOTANIQUE
Il y a actuellement dans le Parc, à Bruxelles, une demi-dou-
zaine de bûcherons qui se livrent à la mutilation des arbres.
Sous prétexte que ceux-ci ont besoin d'un élagagc, on leur
supprime des branches et on leur donne l'aspect contourné qui
déshonore déjà nombre d'en! re eux.
Nous avons fait remarquer à plusieurs reprises que ces bonnes
gens ne voient dans un arbre qu'un objet à exploiter pour le
commerce du bois et qu'ils l'arrangent de façOn à lui faire
produire le plus gros débit possible. Qu'ils fassent cela dans les
coupes réglées .des forêts qui sont des propriétés d'exploitation,
soit, mais qu'ils traitent de même une promenade., c'est ridicule.
Les arbres de nos promenades ne doivent être considérés qu'au
point de vue de la beauté. Y voir un objet de profit, c'est du
vandalisme. On respecte les basses branches de nos boulevards;
pourquoi les coupe-l-on dans le Parc? Un bûcheron peut éire
hors d'étal de comprendre cela, mais l'administration ne devrait
pas l'ignorer.
Le mieux -est de laisser ces pauvres arbres pousser comme ils
veulent, à la diable, à tort et à travers. Une branche ne doit leur
être ôtée que s'il n'y a aucun moyen de faire autrement. Alors ils
deviendront pittoresques et charmants.
r •
mm
Il est temps que ce malentendu entre eeux qui traitent le Parc
comme un bois de rapport et ceux qui n'y voient qu'un bois
d'agrément prenne fin..
RENÉE MAIPERIN
L'espoir d'assister à une pure manifestation d'art, h oh les
acteurs ne parleraient point le Dumas et n'exhaleraient point les
niaisaries d'un spirituel en titre, cet espoir mena les intelligences
lasses d'abominables redites scéniques au péristyle de l'Oddon.
A vrai dire on fut déçu. L'adaptateur du roman à la scène,
M. Céard, s'est cru forcé de faire du théâtre, c'esl-à-dire d'accu-
muler les baroques' antiihèses, les mots à effet, de régler les
entrées et les apparitions des personnages suivant l'optique
difficilement affectible des bookmakers, des raslaquouères et
des échotiers, habituels consommateurs de spectacles.
Tant que seront suivis ces procédés, la moyenne intelligente
du public désertera la comédie et préférera toujours les joies
des yeux servies à l'Eden ou dans les cirques, les hilarantes
gesticulations d'un Lassouche ou d'un Baron, et peut être n'aura-
t-elle pas tort.
A part une langue exquise de forme suggérant des lointains
d'idées sous presque chaque mot, Renée Mauperin ne se dis-
tingue en rien des pièces ordinaires par l'affabulation. Le
traître brutal arrivant, prêt à tiier, au milieu d'une fête, alors
qu'on ne l'attend point et qu'on usurpe son nom, une déclaration
d'amour, des confiances de vie sauve, des joies dites par la
bouche de la sœur certaine du duel empêché durant que se bat
son frère, la gêne terrifiante de son interlocuteur, ses gestes
éperdus d'aparté, voilà, ce. semble, de bien surannées antithèses,
des effets propres au plus à émouvoir les marchands de vin ou
M. Sarcey, mais non des esthètes (*).
Et cependant M. Sarcey ne s'est pas ému, ni les marchands de
vin. El la cause : c'est qu'il n'est venu de cette tentative qu'une
production hybride et transitoire, pas suffisamment émotive
pour l'intellect des brutes, et manquant de hardiesse pour affir-
mer les fines psychographies chères aux dilèttanii.
Les œuvres de transition paraissent toujours des œuvres
médiocres. Elles ne contentent pas.
Et puis, il faut l'avouer, les artistes échouent quand ils tentent
d'égaler les fabricants. Wagner n'eût point réussi, sans doute,
un opéra façon Aubcr ou Boïeldieu; et M. Zola accomplirait une
œuvre infime s'il voulait cheoir aux besognes de M. Daudet ou de
M. Ohnel. Le manœuvre acquiert une parfaite mécanique des
trucs et des procédés que l'artiste soumis à ses rhythmes inté-
rieurs ne saura d'un coup assimiler. Je- ne suppose guère que
MM. de Goncourt apprirent à composer le roman de la manière
dont M. Sardou étudia l'art dramatique. On sait.que ce million-
naire, étant apprenti, lisait attentivement un premier acte de
Scribe, un second, puis, fermant le livre s'astreignait à établir
la charpente des actes suivants, tout heureux s'il parvenait à les
faire identiques à ceux du maître choisi.
VxvL kùxn (la Vogue),
{*) Décidément ce mot, lancé dans la circulation par VArt
moderne, fait fortune.
iPlBUOQRAPHlE MU^lCy^LE
La maison Breitkopf et flârlel vient de donner l'hospitalKé à
Jdachim RafF dans son Edition populaire. Les œuvres de jeunesse
du compositeur (op. 2 à 14) pour piano à deux mains occupent
trois volumes, classés sous les n»» 563, 564 et 565.
Le premier comprend Trois morceaux, un Scherzo, une
Fantaisie, quatre Galops-caprices, des Vanations et un Rondo-
brillant sur un motif de Donizetti : musique de salon, reflétant
des personnalités diverses, Chopin notamment, et permettant aux
jeunes « demoiselles » de masquer habilement leur secrète passion
pour Sidncy-Smith, Bnrgmuller et Ferdinand Beyer. Jouer du
Raflf! Mais ce Raff ressuscité par la maison Breitkopf est filandreux
et terne, banal aussi. A signaler comme excellente étude dé
staccatile scherzo.
Le deuxième cahier renferme l'œuvre huitième du compositeur :
douze romances en forme d'études, ou, si l'on veut, douze études
en forme de romances, le tout italien et fleuri, marqué d'un mil-
lésime extrêmement rapproché de 1830. Les titres seuls le por-
tent : L'a&6a7ido«fl/fl, Il fuggiliyo, Il pianio delV Amante, Il
delirio, etc.
Enfin, dans le troisième volume, on a réuni une Introduction
et Rondeau en la hém. majeur, un « grand câpriccio » intitulé :
Hommage au Néo-romantisme, un Àir suisse, une Fantaisie en
la majeur, et une Grande sonate en mi bémol mineur.
La même maison d'édition vient de faire paraître, dans la cor-
recte et belle édition dont nous avons parlé déjà (^), la deuxième
série des œuvres de Schubert. Elle comprend sept ouver-
tures pour orchestre et un choix de petites pièces, datées de
novembre 1813, pour quatuor d'instruments à cordes. Ce sont :
Cinq menuets avec six trios, Cinq allemandes avec coda et sept
tnos, enfin, un Menuet. La gravure et le tirage, extrêmement
soignés, sont dignes en tous points des magnifiques publications
de la maison.
L'ouvrage complet comprendra l'ensemble des œuvres de
Schubert. 11 est ainsi divisé : Œuvres symphoniques, séries I-IIL
Musique de chambre., IV-VI. Compositions pour piano^ VII-XIL
Musique Sacrée, W\\-Vy . Musique dramatique, XV. Lieder à
plusieurs voix, \yiXX. Lieder à une voix, XXI.
Nous renvoyons à notre article précédent pour ce (fûe nous avons
dit de la supériorité de cette édition sur toutes celles qui l'ont
précédée.
* * •
M. Robert Bertram a publié une nouvelle mélodie de M. Jules
de Swcrt, l'auteur des Albigeois, composée pour chant avec
accompagnement d'orchestre (ou de piano) et intitulée : le Retour
(poésie de Lamartine). L'œuvre porte le n*» 4S des compositions
de M. de Swert. Elle est traduite en allemand et en anglais et
transcrite pour toutes les voix.
jHÉATRf: fioutnz
C'est avec vaillance que lé théâtre Molière a monté et joué
jeudi soir VArlésienne de Bizet. Peut-être la réussite complète
du drame était elle au dessus ëes forces moyennes de la troupe.
(*) W.TArt moderne, 1885, p. 265.
mais rien de ce qu'on peut normalement exiger des acteurs n'a
été refusé. Tous se sont attelés de plein cœur à leur rôle, tous
l'ont étudié avec soin et quelques-uns l'ont compris.
La pièce au reste en vaut la peine. Telle situation est neuve,
dramatique, hardie; tel acte d'une sentimentalité violente passe
par dessus le melo et touche au vrai théâtre. Une originalité nette :
le principal personnage, sur le caractère duquel pivote la fabula-
lion, ne paraît pas. Une Dea ex machina^ toute nouvelle et
heureusement.
La musique si caractéristique de Bizet a quelque peu boité
dans sa danse à travers les farandoles. L'orchestre était insuffi-
sant.
Somme toute, soirée convenable. M"« Dinah Félix lient éloquem-
menl le rôle de Vivetle. M™« Clarence a l'altitude vraie, vivante;
elle ne brise l'illusion qu'aux moments d'angoisse dans les jeux
de passion aiguë. ^
RÉPARATION JUDICIAIRE
Petite chroj^ique
Trois tableaux de de Knyff ont été vendus cette semaine à la
salle Saint-Luc :
Le jardin d'Alfred Stevens^ 450 fr. ; L'orage, 860 fr. ; Vaches
en Normandie, 240 fr. .
A l'occasion de la distribution des prix aux élèves du Conser-
vatoire de Mons, un concert sera donné, aujourd'hui, sous la
direction de M. Jean Van den Eeden.
1*» Ouverture d'Euryanthe, C.-M. v. Weber. — 2« Concerto
pour le hautbois (andanle et final), exécuté par M. Malengret
(lauréat), J. Rielz. — 3» Concerto pour la flûle (l'"« parlie), exé-
cuté par M. HousiAUX (lauréat), Tulon. — 4» Air d'Euryanthe,
chanté par M. Camille Daille (lauréat), C.-M. v. Weber. —
5» Concerto pour le violon {adagio et final), exécuté par
M. Bosquet (lauréat), David. — 6» Marche solennelle, composée
à l'occasion du couronnement du Czar, Tschaïkowsky.
Heureux Montois ! Ils ont un trombone, eux !
Le patriarche de Saint-Nicolas publie la note suivante :
« Quant aiix Vingtisles, grosse nouvelle qui me vient de bonne
source : un des chefs de file se décide à abandonner et les prin-
cipes absolus de la vision d'ensemble et les taches informes et le
mépris complet du dessi» pour la microscopie des gothiques,
pour rexaciitude, le fini et les détails ! Où donc est l'art moderne,
où sont les jeunes d'antan ? » v
Où ils sont? Vous le verrez sous peu. Au mois de février. Un
peu de patience, de grâce. Est-il pressé, ce macrobite!
Merveilleusement informé, d'ailleurs, et d'une délicatesse!
Lisez ceci :
« M. Louis Degroùx (!) fils de Charles, vient d'être nommé en
remplacement de M. Goethaels (Goethals, si cela vous est égal)
décédé, au Conseil d'administration des XX {}.\). M. L. Degroux
est l'auteur d'un Pèlerinage de Saint-Colomban, œuvre ratée s'il
en fui (!!!) malgré le talent réel dont son auteur y a fait
preuve (!!!!). A propos de Degroux, pourrait-on nous donner des
renseignements sur ce que sont devenus les carions des peintures
d'Ypres, qui n'ont servi à rien, et qui si notre mémoire est fidèle,
ont coûté 30,000 francs? »
Il serait difficile d'accumuler en si peu de lignes plus de
pataquès et de perfidie.
Cour d'appel séant à Liège. Chambre des appels
de police correctionnelle.
En cause du Ministère public et de : io Pascal Tralin, rue du
Croissant, 5; 2° Batelot, rue de l'Echiquier, 39; 3° Basserau, rue
St-Martin, 240 ; 4» Bergkr et C^e, rue d'Enghien, 7 ; 5° Baudot, rue
Domat, 20 ; 6" Labbé, rue du Croissant, 20, tous éditeurs de niusi- 0
que à Paris, parties civiles, appelants et intimés, représentés par^^
M® Georges Robert, avoué, plaidant : M« Octave Maus, avocat près
la Cour d'appel de Bruxelles,
Contre : ,
lo Alfred Bister-Bois d'Enghien, imprimeur-éditeur, et RocH,
chanteur ambulantj tous deux à Namur, plaidant : M* Douxchamps,
avocat à Namur. , " .
La Cour rend l'arrêt suivant : .
Vu par la Cour le jugement dont est appel rendu le 13 août 1886
par le tribunal correctionnel de Namur, qui condamne les prévenus
à dix francs d'amende, à défaut de paiement à deux jours d'empri-
sonnement subsidiaire, aux frais envers l'Etat et ce solidairement,
les dits frais liquidés à deux francs dix centimes; prononce la confis-
cation des chansons incriminées; en outre tous deux solidairement
a cent francs de dommages-intérêts et aux frais envers la partie
civile; autorise cette dernière à faire insérer le jugement dans deux
journaux à son choix aux frais des prévenus ; dit que le coût de cette
insertion sera récupérable contre les prévenus contre simple quit-
tance des éditeurs sans qu'il puisse être réclamé de ce chef une
somme supérieure à deux cents francs, - •
Du chef de contrefaçon littéraire ;
Vu les appels interjetés de ce jugement; .
Ouï en son rapport M. le conseiller Beltjbns ; ^
Les prévenus dans leur interrogatoire ; 7^ T^^T
M" Douxchamps, avocat, conseil de Bister, concluant à la réfor-
mation du jugement; M« Maus, avocat, conseil de la partie civile,
concluant à une augmentation des dommages-intérêts et des inser-
tions; M. Limelette, substitut du procureur général, concluant à la
confirmation du jugement; -
Après en avoir délibéré ;
En ce qui concerne Vappel du prévenu- Bister contre la partie
publique: -^
Attendu qu'eu égard aux circonstances atténuantes visées dans le
jugement a quo l'inculpé n'a été condamné qu'à une peine de police
et que le Ministère public n'a point interjeté appel; qu'il s'en suit
que la'décision est en dernier ressort ;
^n ce qui conceime Vappel de Bister contre la partie civile et
l'appel de cette dernière contre les deux prévenus :
Attendu que l'inaction du Ministère public ne peut préjudicier à
la partie civile ; quê*celle-ci a, en effet, une action indépendaute de
celle de la partie publique (art. 3 et 4 du G. P. G.) ; et que de même
que le Ministère public aurait' pu, s'il avaft interjeté appel, demander
à la Cour une modification de la peine, de même la partie civile est
recevable à soutenir que les faits incriminés doivent être considérés
comme un délit pour déterminer le montant des dommages-intérêts
(art. 202 du G. P. G.);
Attendu que les faits imputés aux prévenus ont été posés en 1885;
qu'il y a donc lieu de leur appliquer les art. 425 et suivants du Code
pénal de 1810, combinés avec la loi du 22 mars 1886, art. 22 et 23 ;
Attendu que la partie civile qui a porté plainte a justitié confor-
mément à l'art. 3 de la loi du 13 mai 1882, ratifiant la convention
entre la France et la Belgique du 31 octobre précédent, de son droit
' de propriété en établissant par des certificats délivrés par le bureau
de la librairie à Paris que les chansons qui font l'objet du procès
sont des œuvres originales jouissant en France de la protection légale
contre la contrefaçon et la reproduction illicites; et qu'elles ont été
déposées légalement en 1882, 1884 et 1885 ;
Attendu que les prévenus reconnaissent les faits qui leur sont
imputés; qu!ils se bornent à soutenir que les conditions essentielles
\
414
U ART MODERNE
de fraude où de méchanceté Ae l'art. 22 de la loi du 2? mars 1886,
dont la peine seule est applicable aux termes de l'art. 2 § 2 du Code
pénal de 1867, font défaut;
Qu'ils ont agi de bonne foi en imprimant et vendant pour un prix
dérisoire des chansons que d'autres avaient imprimées en Belgique
sans être inquiétés ;
Attendu que le sens des mots « atteinte méchante ou fraudu-
leuse n de l'art. 22 résulte à toute évidence des travaux prépara-
toires de la loi;
Que l'article 24 du projet (art. 22 aujourd'hui) caractérisait
comme suit la contrefaçon :
« Quiconque aura, au préjudice des droits garantis par les dispo-
•♦ sitions qui précèdent, publié, imprimé des écrits... sera coupable
« du délit de contrefaçon »»; que cette rédaction fut critiquée par
M. Jules de Borchgrave, rapporteur de la section centrale, comme
manquant de clarté et de précision ; que l'honorable représentant
définissait la contrefaçon en ces termes : •♦ une atteinte au droit
« exclusif d'auteur sur une œuvre d'esprit consistant à reproduire
•« cette œuvre sans le consentement du titulaire du droit d'auteur
« par n'importe quel mode de reproduction ; que voulant préciser
•• ce qui était permis et ce qui était défendu, c'est-à-dire la diffé-
•♦ rence entre \e délit et le quasi-délit provenant de la contrefaçon, il
•♦ ajoutait : « que ce résultat serait aisément atteint, si l'on distingue
M l'usurpation commise dans le but soit d'exploiter l'œuvre au pré-
M judicè de son auteur, soit de nuire intentionnellement à sa repu-
« tation artistique d'une simple reproduction qui n'est inspirée par
«« aucune espèce de fraude ou de malveillance ; que la première soit
«» frappée dune peine correctionnelle que la dernière reste dans le
«« domaine d'une poursuite civile ♦» ; .
Qu'à la suite de ces observadons la section centrale proposait la
rédaction suivante :
" Quiconque en fraude des droits d'auteur reproduit en toutou
« en partie une œuvre littéraire, est coupable du délit de contre-
•« façon ; »»
Que le Gouvernement vis à vis du projet.de loi de la section cen-
trale a présenté sur la disposition organique de la contrefaçon un
amendement ainsi conçu : « toute atteinte sciemment portée au droit
« d'auteur, tel qu'il a été défini ci-dessus, constitue le délit de contre-
• façon »» ; ■';-.
• . » ' '■ ' ■.■,.•-..•..■ « ,
Qu'à la suite des discussions au sein de là Chambre des représen-^
tants et notamment df>s observations de l'honorable M. Pirmez, on a
arrêté le texte de l'art. 22 en y insérant que l'atteinte portée au droit
d'anteuT deysiit être méchante on frauduleuse ;
Que des travaux préparatoires de la loi il ressort donc que dans
son texte et dans son esprit elle a voulu punir toute publication
méchante ou frauduleuse faite au préjudice et en fraude des, droits
des auteurs; que la fraude existe lorsque un imprimeur ou^diteur
s'empare, dans un but commercial, de l'œuvre d'autrjui, sans son
consentement ou celui de sou ayant cause, à son insu, et sans se
renseigner au sujet des droits privatifs attachés à cette œuvre, qu'il
l'imprime et en vend un grand nombre d'exemplaires, sachant qu'ils
sont destinés à la vente, sans qu'il y ait lieu de distinguer si le prix
qu'il en obtient est ou non suffisamment rénumérateur ;
Attendu que rien dans les discussions législatives ne permet de
supposer que le législateur de J 886, qui désirait garantir d'une façon
plus efficace les droits des auteurs d'œuvres littéraires ait permis à
un iniprimeur contrefacteur d'inyoquer sa bonne foi» lorsque, comme
dans l'espèce, celui-ci a négligé absolument de chercher à éclairer
sa religion ; que telle interprétation aurait pour conséquence l'exo-
nération, dans la plupart des cas, de toute espèce de responsabilité
pénale;
Attendu qu'il suit de ce qui précède que le fait reproché aux pré-
venus est punissable aux termes des articles 22-23 de la loi de 1886 ;
Par ces motifs :
La Cour dit l'appel du prévenu Bister contre la partie publique
non recevable et statuant sur les appels relatifs à la réparation civile
du délit, confirme le iugement la quo\ dit toutefois que les insertions
dans les journaux indiquées par les premiers juges auront pour objet
le présent arrêt au lieu du jugement ;
Condamne Bistèr et la partie civile chacun à la moitié des frais
d'appel, ces frais liquidés envers l'Etat à la somme totale de fr. 7-82
non compris ceux en débet.
Ainsi jugé et prononcé le 4 décembre 1886.
Présents : MM. Dauw, président; Beltjens, Frère, de Sébille,
PuTZBYS, conseillers; Limelette, avocat général et Feeth, greffier.
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