YALE
MEDICAL LIBRARY
HISTORICAL
LIBRARY
THE GIFT OF
GEORGE HILTON SHITH
LES
BALLONS DIRIGEABLES
OUVRAGES DU MEME AUTEUR
L'Eau. — l vol. in-18, illustré de 77 vignettes.
2» édition, 1867. L. Hachette et 2 fr.
La Houille. — 1 vol. in-18, illustré de 66 vi-
gnettes. L. Hachette et C, 1869 2
En Ballon! Pendant le siège de Pa-
ris. — Souvenirs d'un aéronaute. 1 vol. in-18.
E. Dentu 3
Voyages aériens.— 1 vol. grand in-8°, il-
lustré de 117 gravures sur bois et de 6 chro-
mo-lithographies. (En collaboration avec Mes-
sieurs J. Glaisher, C- Flammarion et W. de
Fon vielle). L. Hachette et C«, 1870 20
Éléments de Chimie. — 4 vol. in-18 avec
figures dans le texte. (En collaboration avec
M. P. -P. Dehérain.) 1868-1870. L. Hachette
et C e . Prix des 4 volumes 10
SOUS PRESSE :
L'Air. — 1 vol. in-18 illustré. Hetzel 3
PARIS. — EDOOARD BLOI ET FILS AINE, IMPRIMEURS, RUE GleUB, 7.
LES
BALLONS DIRIGEABLES
EXPÉRIENCES
LE
M. Henri Giffard en 1852 et en 1855
et de M. Dupuy de Lôme en 1872
PAU
GASTON TISSANDIER
Professeur de chimie à l'Association polytechnique, directeur du laboratoire
de ruoioû nationale
t -nnp ^^ gyTr" *
PARIS
E. DENTU, LIBRAIRE -ÉDITEUR
PALAIS-ROYAL, 17 ET 19, GALERIE D'ORLÉANS
(872
Tous droits réservés
PREFACE
Dans le courant du mois d'octobre 1870,
au moment où Fennemi qui investissait Paris
voyait, non sans dépit, les ballons messagers
flotter paisiblement au milieu des airs, un
savant bien connu, M. Dupuy de Lôme, appe-
lait l'attention de l'Académie des sciences sur
un projet de construction d'aérostat diri-
geable, de forme allongée, et muni d'une
hélice mise en mouvement par des bras hu-
mains. L'importance que présentait une telle
découverte à une telle époque excita l'intérêt
de tous ; le 28 octobre, le Gouvernement de
la Défense nationale n'hésita pas à ouvrir à
M. Dupuy de Lôme un crédit de quarante
mille francs (1) pour mener à bonne fin, le
plus promptement possible, l'œuvre si con-
(1) Voir Appendice, note B.
VI PRÉFACE
sidérable et si grosse d'espérances qu'il se
promettait d'entreprendre.
Le ballon dirigeable, destiné à déjouer, par
la voie des airs, la vigilance toute terrestre
de l'armée allemande, vient d'être seulement
terminé. La première ascension de ce nouveau
navire aérien a été exécutée le 2 février 1872, et
les résultats du voyage ont paru assez satisfai-
sants aux nombreux panégyristes du célèbre
constructeur des navires cuirassés, pour qu'ils
aient cru pouvoir s'écrier avec enthousiasme :
« M. Dupuy de Lôme a résolu définitivement
le grand problème de la navigation aérienne.
M. Dupuy de Lôme a pris place dans les rangs
des inventeurs qui honorent l'humanité. »
L'agitation, qui ne manque pas de se pro-
duire autour du grand problème de la direc-
tion des aérostats, quand survient un nouveau
système, doit être considérée comme salutaire,
puisqu'elle replace sous les yeux des hommes
compétents une question capitale, qui ne de-
vrait jamais cesser d'être étudiée. Mais, pour
que cette agitation soit tout à fait féconde et
productive, il ne faut pas qu'elle égare les
esprits dans des chemins sans issue. Main-
tenant que la fumée d'une admiration hâtive
commence à se dissiper, examinons les faits
PRÉFACE VII
tels qu'ils sont, sachons les réduire à leur
juste valeur, afin d'éviter de cruelles décep-
tions au moment où il sera bien manifeste
que la montagne n'accouche que d'une souris.
Nous nous sommes consacré depuis long-
temps à l'étude des aérostats; nous les avons
souvent conduits à terre et à l'air, et nous
croyons les connaître assez complètement au-
jourd'hui pour éclairer le public sur un pro-
blème si bien fait pour l'intéresser. Mais
ce que nous connaissons surtout, ce sont de
grandes expériences aérostatiques malheu-
reusement oubliées, et exécutées il y a vingt
ans ; ce sont de belles tentatives bien autre-
ment concluantes, bien autrement audacieuses
que celles de M. Dupuy de Lôme.
Il nous a semblé utile de les décrire dans
l'intérêt de l'aéronautique, car ici, comme
partout dans la science, s'il y a tout à ap-
prendre, il ne doit y avoir non plus rien à
oublier.
G. T.
10 février 1872.
LES
BALLONS DIRIGEABLES
le ballon dirigeable de m, henri giffard
en 1852
Le problème de la direction des ballons a tour à
tour occupé les plus grands esprits; Meusnier, Monge,
Lalande, Guy ton de Morveaux, ont, les premiers,
soumis aux mathématiques les conditions d'équilibre
des aérostats. Mais ces merveilleux appareils venaient
de prendre naissance ; vus de trop près, ils n'étaient
pas bien vus. On s'était imaginé, dès le premier jour,
qu'après s'être élevé dans les airs, l'homme allait s'y
diriger facilement; puisqu'il avait le bateau, on était
persuadé qu'il allait trouver la rame ; mais on ne se
rendit pas compte des difficultés et des obstacles qui
entourent la navigation aérienne. Après des calculs
plus ou moins erronés, des tentatives presque toutes
puériles ou ridicules, après avoir muni les ballons de
rames comme Blanchard, de voiles ou de mâts comme
de MartinviJ]^ d'ailes comme Deghen, ou de plans
1
inclinés comme Pétin, on finit par no plus croire à la
navigation dans l'air, et il se produisit dans l'opinion
du monde scientifique un mouvement de réaction
contre les aérostats dirigeables. Les savants se mirent
à considérer la solution du grand problème comme
une utopie, et les chercheurs de cette solution comme
des insensés. L'excès dans la foi avait engendré
l'excès dans le scepticisme.
Cette incrédulité, que rien ne justifie, est partagée
de nos jours encore par bien des esprits éminents;
« le ballon est né bouée et restera bouée, » a dit un
partisan du plus lourd que l'air. « Il y a longtemps que
tous les physiciens ont rangé la direction des ballons
plus légers que l'air parmi les problêmes non-seule-
ment insolubles, mais absurdes môme à poser, » s'est
écrié M. Babinet. Il est vrai que l'illustre astronome
a affirmé, non moins énergiquement, que l'entreprise
du câble transatlantique était une folie, et qu'il s'est
opposé de toute la force de ses arguments les mieux
trempés à cette œuvre vraiment imposante. Il est vrai
qu'Arago autrefois a nié les chemins de fer, et que
des hommes considérés comme intelligents ont nié le
percement de l'isthme de Suez et du Mont-Cenis.
Malgré les démentis si formels que donnent les grandes
œuvres a leurs détracteurs chaque fois qu'elles se
produisent, il se trouve et il se trouvera malheureuse-
ment toujours des mains pour jeter des pierres dans
le jardin des inventeurs.
Rien, absolument rien, nous le répétons, ne justifie
cette prétendue impossibilité de direction des ballons;
- 3 -
mais les faits, dans la discussion, valent mieux que les
théories ou les hypothèses. Arrivons aux faits.
Ei 1852, un jeune ingénieur, obscur alors, sans
autres ressources que celles de son intelligence, con-
struisit un ballon à vapeur dirigeable, qui aurait dû
faire ouvrir les yeux aux incrédules. Mais ce jeune
homme n'avait frappé à aucune porte ; il n'avait et ne
voulait avoir ni protection ni protecteur, et ses expé-
riences, quoique bien plus importantes, comme nous
allons le voir, que celles de M. Dupuy de Lôme exé-
cutées vingt ans après, furent vite oubliées, d'autant
plus vite qu'elles avaient été à peine vues.
Un seul homme éminent comprit l'importance de la
grande tentative dont il avait été témoin : c'était
M. Emile de Girardin, qui écrivait en tête du journal
la Presse en septembre 1832 :
« Hier, vendredi 24 septembre, un homme est parti
imperturbablement assis sur le tender d'une machine
à vapeur, élevée par un ballon ayant la forme d'une
immense baleine, navire aérien pourvu d'un mât ser-
vant de quille et d'une voile tenant lieu de gou-
vernail.
« Ce Fulton de la navigation aérienne se nomme
Henri Giffard.
« C'est un jeune ingénieur qu'aucun sacrifice, aucun
mécompte, aucun péril n'ont pu décourager ni dé-
tourner de cette entreprise audacieuse, où il n'avait
pour appui que deux jeunes ingénieurs de ses amis,
MM. David et Sciama, anciens élèves de l'École cen-
trale.
- 4 -
« Il est parti de l'Hippodrome. C'était un beau et
dramatique spectacle que celui de ce soldat de 1 idée,
affrontant, avec l'intrépidité que l'invention commu-
nique à l'inventeur, le péril, peut-être la mort; car
à l'heure où j'écris, j'ignore encore si la descente a
pu s'opérer sans accident et comment elle a pu s'o-
pérer... (J). »
En quoi consistait l'invention de M. Henri Giffard?
C'est ce que nous allons examiner le plus rapide-
ment possible, d'après les documents que l'inventeur
a publiés lui-même à l'époque de sa première et mé-
morable .expérience (2).
L'appareil aérostatique construit par M. Giffard
en 1852 était de forme allongée, comme l'indique
très-exactement la gravure qui accompagne notre
toxte, et que, grâce à l'obligeance de M. Furne, nous
avons pu reproduire d'après les Merveilles de la
Science, de M. Figuier (3). Sa longueur totale d'une
extrémité à l'autre était de ii mètres, son diamètre
au milieu de 12 mètres. Il cubait 2,500 mètres. Le
navire aérien était enveloppé de toutes parts, sauf à
sa partie inférieure et aux pointes, d'un filet, dont les
extrémités se réunissaient à une traverse rigide en
bois. A l'extrémité de cette traverse, une voile trian-
gulaire mobile autour d'un axe de rotation servait de
(1) La Presse, 26 septembre 1852.
(2) Voir pour plus de détails, Appendice note A.
(3) Consulter, p»ur tous les détails de l'expérience de M. Giffard,
les Merveilles de la Science de M. Figuier, 4 vol. in-4° ; Furne édi-
teur, 1868. ' '
- b -
gouvernail et de quille. A 6 mètres au-dessous de la
traverse, la machine à vapeur, montée sur un bran-
Aérostat dirigeable de M. H. Giffard, conduit dans les airs le
24 septembre. 1852. (Gravure extraite des Merveilles de la Science.
de M. Louis Figuier.)
card de bois, était suspendue avec tous ses accessoires.
- 6 -
La chaudière et la machine à vapeur destinée à faire
mouvoir l'hélice directrice, dont la vitesse de rotation
" était de 110 tours par minute, offraient des dispositions
nouvelles, ingénieuses, pour le détail desquelles nous
renvoyons le lecteur compétent à l'Appendice, afin de
ne pas nuire à la lucidité de la description par des
détails techniques. Contentons-nous de dire que la
machine à vapeur, qui pesait ISO kilogrammes, repré-
sentait une force motrice de 3 chevaux-vapeur, égale
à peu près à celle de trente hommes, dont le poids
aurait été au moins douze fois plus considérable. (Voir
la figure ci-contre.)
Le nouveau navire aérien, tel que nous venons de
le décrire, se trouvait gonflé le 24 septembre 1852
dans l'enceinte de l'Hippodrome. A 5 heures, M. Henri
Giffard monte seul à côté de la machine qui est chauf-
fée. Un quart d'heure après, il donne le signal du dé-
part, en faisant retentir le sifflet strident de la vapeur,
et il s'élève majestueusement dans l'espace aux accla-
mations d'une foule enthousiaste qui salue le fondateur
de la navigation aérienne.
Malheureusement le vent était d'une intensité con-
sidérable, et l'inventeur ne ^pouvait songer ce jour-là
à se remorquer contre un courant aérien, que sa ma-
chine n'était pas faite pour vaincre. Mais les diffé-
rentes manœuvres de mouvement circulaire et de
déviation latérale ont été exécutées avec le succès le
plus complet.
L'action du gouvernail se faisait sentir avec une
étonnante sensibilité ; il suffisait à M. Giffard de le faire
mouvoir dans un sens ou dans l'autre pour voir l'ho-
rizon tournoyer autour de lui comme le décor d'un
panorama roulant. A l'altitude de 1,500 mètres, il lui
Machine à vapeur de l'aérostat de M. Giffard,
AB, chaudière à foyer renversé. — FG, tuyau de cheminée, dont
le tirage est activé par un jet de vapeur. — H, bâche à coke. —
E, axe coudé faisant agir l'hélice.
fut possible â certains moments de résister à l'inten-
sité du vent et de maintenir à l'état d'immobilité
- s -
presque absolue ce premier monitor de l'air ; ce devait
être un spectacle dramatique que celui de ce navire
aérien, suspendu au milieu des flots invisibles de l'at-
mosphère qu'il aurait su vaincre, s'ils avaient été ce
jour-là un peu plus cléments.
A la chute du jour, M. Giffard est obligé de prendre
la résolution de l'atterrissage. Il se met à étouffer le
feu de la chaudière ; il ouvre les robinets de la chau-
dière, la vapeur s'échappe de toutes parts avec un
bruit épouvantable et enveloppe le courageux
navigateur d'un nuage épais qui lui cache subitement
la vue même de l'aérostat où il est suspendu.
M. Giffard touche terre dans la commune d'Élan-
court, près de Trappe, et grâce à la forme allongée
de l'aérostat, à l'habile disposition des guide-ropes, d£
l'ancre, il vient se poser mollement au milieu d'un
champ, quoique étant seul pour opérer les manœuvres
d'un appareil de dimensions vraiment considérables.
A dater de ce jour, le principe de la navigation
aérienne était définitivement créé. M. Giffard, avec
une puissance de conception que l'on trouve seulement
chez le véritable novateur, avait résolu toutes les dif-
ficultés théoriques. Il venait de prouver que l'emploi
d'un aérostat très-allongé, dont on peut seul espérer
la direction, était aussi avantageux que possible par sa
marche dans l'air et par les facilités de son atterris-
sage; il avait trouvé avec hardiesse les conditions de
stabilité dans l'atmosphère d'un aérostat allongé. Il avait
prouvé qu'un navire aérien de cette forme obéit avec
une sensibilité extrême à tous les mouvements du °-ou-
- 9 -
vernail. Si dans cette première expérience, faite, nous
le répétons, par un vent violent, il n'a pas été possible
à l'inventeur de remonter le courant aérien, il a pu
faire dévier le navire plus ou moins de la ligne du vent.
Enfin, résultat vraiment frappant, M. Giffard, pour la
première fois, avait associé ces deux forces : la ma-
chine à vapeur et l'aérostat; grâce aux dispositions
nouvelles d'un foyer à flamme renversée, le danger de
cette union terrible du feu et du gaz combustible
venait d'être rendu complètement illusoire.
Voilà ce que M. Henri Giffard a fait en sep-
tembre 1852, ce qu'il était indispensable de raconter
avant de parler de l'appareil de M. Dupuy de Lôme;
mais nous n'avons pas encore fini de décrire les per-
fectionnements apportés par M. Giffard à l'aéronau-
•ticpue.
II
NOUVELLE TENTATIVE DE DIRECTION AÉRIENNE EXfC.UTÉE
PAR M. GIFFARD EN 1855. — PERFtCTIONNEMENTS
DES ORGANES DU BALLON. — CRÉATION DES AÉ-
ROSTATS CAPTIFS A VAPEUR.
Après sa magnifique tentative de 1852, M. Henri
Giffard ne pensa qu'à recommencer une nouvelle expé-
rience dans des conditions plus favorables encore.
En 1855, il construit un nouveau ballon allongé de
3,200 mètres cubes; il modifie le système d'attache de
la machine à vapeur, fixe la traverse de bois à la
1.
— 10 —
partie supérieure du navire aérien, dont il lui fait
embrasser la forme ovoïdale, modifie très-heureuse-
ment son moteur et s'élève avec un des aéronautes qui
l'a aidé dans ses constructions, M. Yon, que nous allons
retrouver plus tard avec M. Dupuy de Lôme. Le dé-
part s'effectue de l'usine à gaz de Courcelles, et si
M. Giffard ne peut pas encore obtenir la direction
absolue, il confirme victorieusement ses premiers ré-
sultats, obtient la déviation latérale du navire aérien,
et à plusieurs reprises il le fait encore dévier de la
direction du vent par les mouvements combinés du
gouvernail et de l'hélice.
Au moment du départ, la machine était chauffée à
toute pression, et les spectateurs présents virent avec
admiration l'appareil tenir tête au vent pendant quel-
ques instants (1).
M. Henri Giffard reconnut toutefois, après ce
deuxième voyage, que pour achever son oeuvre, que
pour atteindre des résultats définitifs, frappants, c'est-
à-dire la direction absolue dans tous les sens et par
presque tous les temps, il lui fallait perfectionner sin-
gulièrement les organes du ballon. Il avait employé
jusque-là des étoffes d'une incomplète imperméabilité;
il rêvait des aérostats de dimensions énormes, capables
d'enlever des machines d'une puissance considérable ;
mais pour arriver à ce but, il fallait trouver des tissus
(1) Les appareils dirigeables de M Giffard ont été brevetés
en 1852 et 1855. On peut consulter les documents très-explicites',
très-importants, qui accompagnent ces brevets.
— 11 -
solides et imperméables, chercher des soupapes nou-
velles, s'ingénier à préparer facilement et avec éco-
nomie le gaz hydrogène pur, qui est l'âme de l'aérostat.
Sans renoncer à la navigation aérienne, qu'il ne perdit
jamais complètement de vue, il dirigea momentané-
ment son esprit vers d'autres travaux et inventa l'in-
jectevr-Giffard, considéré aujourd'hui à juste titre par
tous les hommes compétents comme un des organes es-
sentiels de la machine à vapeur, et d'un usage si utile,
que toutes les machines des pays civilisés en sont
pourvues. Cette découverte devait placer son inven-
teur à côté des grandes intelligences qui ont créé les
différentes pièces de la machine à vapeur, et mettre
entre ses mains les ressources d'une immense for-
tune, bien propre à faciliter ses recherches aérosta-
tiques.
Nous allons voir que M. Giffard, après plusieurs
années d'études délicates et patientes, est arrivé à
transformer complètement le ballon des Charles et
des Montgolfier, en créant les aérostats captifs à va-
peur, qui peuvent être regardés à juste titre comme
une nouvelle étape, conduisant l'inventeur par des
chemins détournés, mais sûrs, au couronnement de
de l'édifice du ballon dirigeable, dont il avait su jeter
les bases à son entrée dans la vie scientifique.
C'est en 1867 que M. Giffard construisit son premier
ballon captif à vapeur, lors de l'Exposition universelle
de 1867. Les Parisiens se rappellent certainement
cette nouvelle application, audacieuse et hardie, des
aérostats. Ils n'ont pas oublié l'aspect saisissant de ce
- 12 -
magnifique globe aérien, mesurant 5,000 mètres cubes,
gonflé d'hydrogène pur, et enlevant douze personnes
à 250 mètres de haut, à l'extrémité d'un câble; une
machine à vapeur enroulait la corde autour d'un treuil
pour ramener docilement le captif dans son enceinte
circulaire.
Nous n'avons pas l'intention de parler spécialement
des ballons captifs, — œuvre considérable et insuf-
fisamment appréciée, — nous voulons seulement in-
sister sur les problèmes aérostatiques qui ont été réso-
lus et qui sont autant de progrès indispensables à la
construction d'un ballon dirigeable.
Une des modifications fondamentales apportées par
M. Giffard dans la construction du ballon réside dans
la confection des tissus, complètement imperméables
au gaz hydrogène. Les ballons ordinaires, tels que
ceux du siège de Paris, sont forniés d'une étoffe de
soie ou de coton, enduits d'une couche de vernis à
l'huile de lin cuite avec de la litharge. Ces ballons
peuvent être gonflés de gaz de l'éclairage, voire même
d'hydrogène pur ; ils peuvent tenir l'air, pendant un
temps assez considérable , pour exécuter un long
voyage ; mais il serait impossible de les garder gonflés
pendant des journées, des semaines ou des mois, en
raison de la déperdition du gaz que laisse filtrer peu
à peu le tissu endosmotique. Après bien des essais,
bien des tâtonnements, M. Giffard a préparé un tissu
solide et tout à fait imperméable, formé de plusieurs
tissus de toile et de caoutchouc naturel et vulcanisé
superposés alternativement. L'étoffe ainsi formée est
- 13 -
couverte d'un vernis à huile, étalé sur une mousseline
extérieure qui empêche le contact direct de ce vernis
et du caoutchouc vulcanisé. Cette étoffe a été encore
perfectionnée par l'addition à l'extérieur d'une couche
de peinture au blanc de zinc. Le tissu est ainsi, tout
blanc; il réfléchit la chaleur, au lieu d'en absorber les
rayons; et un nouvel aérostat, construit avec cette
étoffe, ne serait plus aussi sensible aux actions calo-
rifiques; ses dilatations et ses contractions, sous l'in-
fluence des variations de température de l'air ambiant,
seraient singulièrement diminuées.
Les résultats obtenus par M. Giffard ont été surtout
remarquables, lors de la confection du grand ballon
captif de Londres, qui a fonctionné en 1868. Ce gigan-
tesque aérostat, le plus grand globe qui ait jamais été
construit, cubait 12,000 mètres; il resta gonflé d'hy-
drogène pur penejant plus d'un mois, sans avoir subi
une perte appréciable de gaz.
C'est surtout en considérant ce véritable chef-
d'œuvre de la mécanique moderne que nous allons
trouver des perfectionnements aérostatiques impor-
tants. Le ballon de Londres avait été gonflé au moyen
de l'hydrogène, préparé par l'action du fer et de l'a-
cide sulfurique sur l'eau ; mais il avait fallu donner
une nouvelle disposition à des batteries puissantes, épu-
rer et sécher le gaz, produit en un tel volume. Ce pro-
blème de la fabrication du gaz, bien plus difficile qu'on
le croirait au premier abord, a été résolu dans les
conditions les plus satisfaisantes.
Le ballon captif était terminé, à sa partie supé-
- 14 -
rieure, par une. soupape n'ayant pas moins de l ro 30 de
diamètre ; c'était un disque, dont la circonférence était
munie d'un couteau métallique s'ernboîtant dans un
anneau de caoutchouc, et permettant ainsi une ferme-
ture hermétique.
L'aérostat était fixé à une corde d'une étonnante
solidité. Ce câble puissant était engagé dans la gorge
d'une poulie, et il s'étendait sous un tunnel souterrain
pour aller s'enrouler autour d'un treuil, que faisait
mouvoir deux machines à vapeur de la force de
200 chevaux. Trente-deux personnes tenaient facile-
ment dans la nacelle du ballon captif de Londres ; au
signal du chef d'équipe, la sphère gigantesque bondis-
sait dans les airs jusqu'à 650 mètres d'altitude. Nous
nous sommes élevé plus de cinquante fois dans cet ad-
mirable engin, où tout était nouveau, bien conçu,
admirablement combiné et établi dans des proportions
inconnues jusqu'à ce jour. Plusieurs fois nous avons
entrepris l'ascension, en compagnie de M. Glaisher,
l'illustre directeur.de l'Observatoire de Greenwich,et
de quelques autres notabilités scientifiques de l'Angle-
terre; ces messieurs ébahis manifestaient une admi-
ration profonde pour la hardiesse de conception
d'une œuvre qu'on eût qualifiée de téméraire, si elle
n'avait pas été couronnée par un succès aussi com-
plet.
Il faudrait décrire minutieusement, et en détail, les
différentes parties des ballons captifs de M. Giffard,
pour donner une juste idée de cette invention ; mais
nous ne voulons pas sortir du cadre que nous nous
- 13 -
sommes tracé dans cet opuscule (I). Disons toutefois
que nous avons vu avec regret, avec tristesse, M. Gif-
fard,être obligé de construire à l'étranger un appareil
qui fera certainement époque dans l'histoire des bal-
lons comme dans l'histoire de la science ; mais malgré
les démarches les plus persévérantes faites sous l'Em-
pire, il fut impossible d'obtenir l'autorisation de con-
struire, au centre de Paris, un tel monument aérosta-
tique. Que de services cependant un ballon captif de
ce format n'eût-il pas rendus à Paris assiégé ? Avec la
possibilité de s'élever à toute heure du jour et de la
nuit à 650 mètres au-dessus de nos boulevards, on eût
aperçu jusqu'à 40 lieues des signaux lumineux loin-
tains, au moyen desquels il eût été facile d'organiser
un système de télégraphie électrique. On eût épié sans
ces.^e les travaux de l'ennemi au moyen de cet obser-
vatoire d'un nouveau genre, ballotté dans les flots aé-
riens, comme la ville flottante de Gulliver.
Sans l'inexplicable hostilité du directeur des plan-
tations de l'Empire, le ballon captif de Londres se
construisait au cœur de Paris ; il eût été prêt à servir
de sentinelle aérienne à la grande métropole assaillie
par les légions prussiennes.
Mais ce qui est plus navrant encore, au point de vue
du progrès scientifique, c'est que la République ac-
tuelle ne se montre pas plus favorable que l'Empire
(1) Voir, pour plus de détails, Vowv rage des Voyages aériens, pu-
blié par MM. Glaisher , Flammarion, Fonvielle et Tissandier ;
L. Hachette et O, 1869.
- 16 —
aux investigations aérostatiques. Après les immenses
services que les ballons ont rendus à la patrie pendant
le siège de Paris, qui pourrait croire que tout récem-
ment, cette année même, un semblable projet de bal-
lon captif, plus grandiose et plus important encore que
celui de Londres, a rencontré des obstacles inattendus
de la part de l'architecte des Tuileries, dont l'intelli-
gence artistique est malheureusement fermée aux
œuvres de la science, quelle que soit leur utilité? On
ne demandait cependant ni crédit ni allocation, on
s'offrait, au contraire, à donner à la ville ou à ses
pauvres une large part des produits d'une entreprise
considérable ; mais quand il s'agit de vaincre l'indiffé-
rence de l'administration, quand on se heurte aux
lenteurs, à l'inertie ou à l'incapacité de certains admi-
nistrateurs, on peut se considérer à l'avance comme
battu dans une lutte inégale.
Nous reviendrons peut-être ailleurs sur les ballons
captifs à vapeur ; il ne convient pas ici d'en parler
plus longuement. Nous n'avons voulu établir que ce
fait : M. Giffard, en les construisant, a résolu quel-
ques-uns des problèmes qui mènent au ballon dirigea-
ble, et qui complètent ses tentatives de 1852 et de
1835.
Les deux grandes questions fondamentales de l'im-
perméabilité du tissu et de la préparation en grand
du gaz hydrogène ont été tranchées victorieusement
par M. Giffard (1).
(1) Dans ces derniers temps, M. Giffard est parvenu à trouver une
- 17 —
Maintenant que nous avons succinctement examiné
l'œuvre de M. Giffard, arrivons à celle de M. Dupuy
de Lôme.
III
LE BALLON DIRIGEABLE DE M. DUPUY DE LOME
EN 1872
L'aérostat dirigeable de M. Dupuy de Lôme offre
une forme allongée dont la gravure ci-contre donne
une idée très-exacte. La longueur totale de l'appareil
de pointe en pointe est de 36 mètres 12 centimètres;
le diamètre au milieu est de 14 mètres 84 centimè-
tres (1).
Le ballon est couvert, à sa partie supérieure jusqu'au
méridien horizontal, d'une enveloppe ou chemise à la-
quelle s'attache un double filet. Le premier filet ex-
térieur sert d'attache à la nacelle, le second, intérieur,
nouyelle méthode de préparation de l'hydrogène, qui a vivement
occupé l'attention des industriels, et qui est encore un grand pas
fait vers la facilité de construction d'un grand ballon dirigeable.
M. Giffard a construit un appareil où l'hydrogène s'obtient à un
prix bien inférieur à celui du gaz de l'éclairage. La réaction fon-
damentale consiste dans la réduction de l'oxyde de fer naturel par
le gaz oxyde de carbone, et dans la décomposition de la vapeur
d'eau par le métal réduit. L'eau abandonne au fer son oxygène, et
l'hydrogène se dégage; le fer, oxydé de nouveau, est réduit par
l'oxyde de carbone, et ainsi de suite, alternativement. Le même
poids de fer est ainsi employé indéfiniment pour isoler l'hydrogène
de l'eau.
(1) Voir à l'Appendice, note C, pour la description complète de
l'appareil de M. Dupuy de Lôme.
- 18 -
est destiné, d'après M. Dupuy de Lôme, à donner à
l'ensemble les conditions de stabilité propres à l'as-
cension.
A l'arrière du ballon allongé est fixée une voile
triangulaire qui sert de gouvernail. La nacelle oblon-
Le ballon dirigeable de M. Dupuy de Lôme (dessin de Jahandier).
gue est suspendue à la partie inférieure ; elle est mu-
nie d'une hélice de propulsion, mise en mouvement
par une manivelle que huit hommes peuvent faire agir
dans la nacelle.
A la partie supérieure de l'appareil sont adaptées
deux soupapes destinées à l'évacuation de l'hydro-
gène. La fermeture hermétique des clapets de la sou-
pape, qui s'ouvrent du dehors au dedans, s'obtient à
- 19 — •
l'aide de bandes de caoutchouc jouant le rôle de res-
sorts, comme dans les ballons ordinaires.
L'étoffe de l'aérostat se compose d'un taffetas de
soie blanche et d'un nansout entre lesquels sont inter-
posées sept couches de caoutchouc. Le tout est rendu
imperméable par un vernis à base gélatineuse.
Le gonflement de l'aérostat, qui cube 3,500 mètres,
s'est effectué par l'hydrogène pur. Ce gaz était pré-
paré au moyen de batteries où le fer et l'acide sulfu-
riquo décomposaient l'eau.
L'ascension a été exécutée le 2 février 1872, à
11 heures du matin. L'aérostat était gonflé au fort de
Vincennes. MM. Dupuy de Lôme, Zedé, Yon, Dartois
et dix autres personnes, en y comptant les hommes de
manœuvre, prennent place dans la nacelle.
Le ballon dirigeable s'élève, il est emporté par le
vent et s'oriente dans l'atmosphère sous l'action du
gouvernail. Les hommes de manœuvre font agir l'hé-
lice, et le navire a pu être légèrement dévié de la di-
rection du vent. Quoi qu'il en soit, le vent soufflait
vers le nord-est, M. Dupuy de Lôme a touché terre
dans cette direction ; s'il y a eu déviation, elle n'a été
que peu sensible.
Voilà, dans toute sa simplicité, le résultat de l'as-
cension de M. Dupuy de Lôme. En quoi, nous le deman-
dons, ce voyage aérien, se distingue-t-il de ceux que
nous venons de décrire ?
Cependant un grand nombre de journaux se sont
extasiés sur les prodiges accomplis dans l'ascension du
2 février. Où sont ces prodiges?
-30-
M. Dupuy de Lôme,a-t-on dit, a résolu ce triple
problême concernant: 1° la stabilité; 2° la vitesse;
3° l'obéissance de l'aérostat.
La stabilité d'un ballon allongé dans l'air ! Le ballon
allongé de M. Giffard, en 1852, a été d'une stabilité
parfaite. Quant à la vitesse propre du navire aérien et
à son obéissance sous l'action du gouvernail, tout cela
a été aussi obtenu par M. Giffard.
On s'est étonné que M. Dupuy de Lôme,au moment
d'opérer la descente, ait reconnu le lieu d'atterrissage ;
mais cet étonnement est risible pour tout aéronaute.
Il suffit de connaître les environs de Paris et d'avoir
entre les mains une bonne boussole qui donne la direc-
tion pour savoir où l'on passe.
Quand nous sommes parti de Paris assiégé , dans
un petit ballon ordinaire, le vent nous entraînait vers
l'ouest. En planant au-dessus de Versailles, il n'était
pas difficile de reconnaître le parc, le château, le tapis
vert, et de s'apercevoir avec la boussole que notre
marche se continuait vers l'ouest. Plus loin, nous glis-
sons dans l'espace au-d'essus d'une épaisse forêt; une
bonne carte nous indique facilement que nous navi-
guons dans les couches d'air qui couvrent les rameaux
de la forêt d'Houdan. Plus loin encore, nous aperce-
vons une ville qui s'étend à nos pieds ; et les mêmes
observations nous donnent la certitude que c'est Dreux
qui nous servira de port. Nous descendons, en effet, à
300 mètres de la ville de Dreux, sachant parfaitement
à l'avance où nous atterrissions, comme le sait tout
praticien habitué aux voyages aérostatiques.
- 21 —
M. Dupuy de Lôme a suivi du haut des airs la route
qu'il a parcourue ; il n'a rien fait de plus dans ce sens
que tous les marins de l'atmosphère initiés aux ma-
nœuvres de l'aérostat.
Malgré la force du vent, a-t-on dit encore en parlant
du nouvel appareil, l'atterrissage se fit avec le plus
grand succès, sans secousse, grâce à la forme de l'aé-
rostat, grâce aussi au nouveau point d'attache du
guide-rope et de la corde d'ancre.
Une bonne descente en ballon n'est heureusement
pas un fait exceptionnel, et quand on gravit l'atmos-
phère dans un aérostat ordinaire, on ne se casse pas
toujours les reins à la descente. Le ballon allongé
est évidemment plus favorable à l'atterrissage que les
aérostats sphériques ; mais cela a été encore affirmé
et démontré par M. Giffard en 1852.
Les éloges que M. Dupuj de Lôme a trouvés dans
la presse seraient incompréhensibles, si l'on ne faisait
observer que la plupart d'entre eux ont été écrits dans
l'enthousiasme irréfléchi du premier moment par des
rédacteurs souvent incompétents dans les questions
aérostatiques. En outre, presque tous ces écrivains
n'avaient à l'oreille que la cloche de M. Dupuj de
Lôme ; comment auraient-ils pu entendre le son de
celle que M. Giffard a mis en branle il y a vingt ans?
Un grand nombre, du reste, sont revenus déjà sur une
opinion qui avait été mal guidée par des documents
incomplets (1). Quant aux écrivains qui avaient anté-
(1) Le rédacteur du journal le XIX e Siècle notamment, après avoir
- 22 -
rieurenient examiné de près l'histoire de l'aérosta-
tique, ils ont su rendre a César ce qui appartenait à
César (1). Un seul publiciste, bien connu du public,
nous a singulièrement étonné dans ses appréciations;
nous voulons parler de M. 'de Fonvielle, qui connaît
aussi bien que nous le passé de M. Giffard. Dans le
premier récit que le rédacteur du Soir a publié sur
la récente expérience de M. Dupuy de Lôme, il a com-
plètement omis de mentionner la grande expérience
de 1852. Évidemment il a dû se produire quelque phé-
nomène bizarre dans l'esprit de notre ancien compa-
gnon aérien; le ballon-poisson de M. Dupuy de Lôme
aura tenu tant de place dans son cerveau, que la case
de la mémoire se sera trouvée momentanément ob-
scurcie par une éclipse d'un nouveau genre. Ce qui
tendrait à le faire croire encore davantage, c'est que,
dans son article, Fonvielle n'a pas seulement oublié
M. Giffard, il a oublié avec non moins de sans-gêne
les plus élémentaires principes de la mécanique. Il y
a quelque part, dans son travail, une phrase où il nous
dit : « La vitesse de l'aérostat de M. Dupuy de Lôme
était de 7 à 8 kilomètres par heure clans un air calme.
Comme l'air avait une vitesse de 64 kilomètres, le rap-
port de la force disponible à celle qu'il eût fallu
parlé uniquement des résultats de M. Dupuy de Lôme, a affirmé
ensuite, avec beaucoup de bonne foi, que l'ouvrage de M. Figuier
lui avait ouvert les yeux. Il reconnaît que l'inventeur du ballon
Dupuy de Lôme est M. Giffard.
(1) Voir à l'appendice note D, Opinion de quelques savants sur
l'aérostat de M. Dupuy de Lôme,
- 23 -
vaincre pour résister au vent était de 1 à 8. »Tous les
bacheliers savent que, dans ce cas, le rapport n'est
pas de 1 à 8, mais bien de 1 au cub' de 8, c'est-à-dire
de 1 à 512, ce qui n'est pas tout à fait la môme chose.
Non, en réalité, il n'y a rien, absolument rien de
nouveau, de saillant dans l'expédition de M. Dupuy
de Lôme ; mais si quelque lecteur impartial n'est pas
encore convaincu, qu'il veuille bien nous suivre dans
le chapitre suivant. Il verra comme va pâlir le ballon
de 1872 à côté du ballon de 1852.
IV
COMPARAISON DU SYSTÈME GIFFARD ET DU SYSTÈME
DUPUY DE LOME
Le ballon de il. Dupuy de Lôme esl de forme moins
allongée que celui de il. Giffard.
M. Dupuy de Lôme dit lui-même qu' « une forme
plus oblongue eût encore réduit davantage la résis-
tance, accru la vitesse et rendu plus facile le maintien
de la direction au moyen du gouvernail. » Il reconnaît
par conséquent que la forme plus oblongue du ballon
de M. Giffard est bien plus favorable à la direction,
mais il n'a pas su vaincre les difficultés de construc-
tion, qui n'ont pas arrêté son prédécesseur.
Pourquoi M. Dupuy de Lôme, qui a riris à M. Giffard
son principe, la forme de son aérostat, son gouvernail
ne l'a-t-il pas imité plus complètement encore ? Pour-
quoi a-t-il supprimé la traverse inférieure et rigide
du ballon Giffard, qui relie l'aérostat allongé à la na-
celle, sans que la traction des cordes puisse déformer
le navire aérien?
Avec ce dernier système on peut obtenir, dans les
meilleures conditions de stabilité, un allongement con-
sidérable de l'aérostat.
M. Dupuy de Lôme complique son appareil d'un
double filet lourd et embarrassant qui tend à contrac-
ter l'aérostat, et qui lui interdit d'arriver à la forme
plus allongée, qui offre à l'air une résistance beaucoup
moindre sous un même volume.
Ainsi, loin d'y avoir progrès dans la forme du na-
vire, il y a infériorité; M. Dupuy de Lôme l'indique
lui-môme, nous le répétons, en disant qu'il aurait ré-
duit la résistance et accru la vitesse « par une forme
plus oblongue. »
L étoffe du ballon de M. Dupuy de Lôme a été inven-
tée par M. Giffard dans les ballons captifs à vapeur.
L'imperméabilité du tissu est indispensable au bal-
lon dirigeable. M. Dupuy de Lôme a obtenu un tissu
imperméable en faisant fabriquer une étoffe par le pro-
cédé Giffard, tissu de soie enduit de caoutchouc et re-
couvert d'un vernis imperméable.
M. Giffard s'est servi, pour la première fois, de tis-
sus enduits de caoutchouc avec addition extérieure de
vernis divers pour construire ses ballons captifs.
Le gaz hydrogène du ballon de M. Dupuy de Lôme a
été fabriqué à l'aide de batteries inventées par M. Giffard.
Nous avons vu que M. Giffard, après de longs tâton-
— 23 -
nements et des recherches délicates, a construit à Lon-
dres une batterie à hydrogène, qui lui a permis de
produire 12,000 mètres cubes de gaz. M. Dupuy de
Lôme avec une batterie toute semblable, mais plus
petite, n'a pas eu de peine à obtenir un volume de gaz
trois fois moins considérable.
Le ballon de M. Dupuy de Lôme a été fabriqué par
le constructeur de M. Giffard.
En 18o5, M. Giffard, lors de la construction de son
second ballon dirigeable, s'attacha un jeune homme
vraiment épris de l'aéronautique, M. Yon. Il lui fit
couper et coudre les fuseaux de son ballon, lui commu-
niqua tous ses secrets, tous ses procédés.
Pendant vingt ans, M. Yon a travaillé sous les or-
dres de M. Giffard ; il a construit sur les plans de cet
ingénieur les grands ballons captifs de Paris et de
Londres ; il a été initié à tous les travaux, à toutes les
recherches de M. Giffard ; il a vu de près comment on
faisait de b Dîmes soupapes, comment on parvenait à
établir des tissus imperméables, par quels procédés se
prépare en grand l'hydrogène pur.
Or, M. Yon a été chargé de fabriquer le ballon di-
rigeable de M. Dupuy de Lôme, et celui-ci ne se doute
certainement pas des services immenses que son con-
structeur lui a rendus en lui apportant à chaque mo-
ment, pour chaque problème de détail, une solution
puisée l'école de M. Giffard.
Le ballon allongé de M. Giffard avait pour moteur
une hélice mise en mouvement par une machine à vapeur
de la force de 30 hommes. Le ballon allongé de M. Dupuy
2
— ?6 -
de Lôme n pour moteur une hélice mise en mouvement
par huit hommes.
M. Dupuy de Lôme n'a pas été heureux clans les mo-
difications de forme et de mode de suspension des cordes
qu'il a apportées au ballon dirigeable de son prédéces-
seur. Mais où nous arrivons à une réelle stupéfaction,
c'est quand nous voyons le constructeur des bâtiments
cuirassés renoncer à la vapeur, comme force motrice,
pour revenir aux bras humains. Comment, en 1832, en
1855, on a conduit dans les airs des navires aériens
bien allongés, bien équilibrés, enlevant dans l'atmos-
phère une chaudière à coke avec un tuyau vertical,
une machine à vapeur et ses accessoires mettant en
mouvement une hélice ; en 1872, on recommence cette
expérience dans des conditions bien plus humbles, on
fait mouvoir péniblement la manivelle motrice par des
manœuvres, accroupis dans une nacelle d'osier, et on
chante victoire, on parle de grandes découvertes, de
progrès accomplis ! Il y a la une erreur, un malentendu
qui ne peuvent durer, et qui sont d'autant plus inex-
" plicables qu'il suffit d'ouvrir les plus élémentaires
traités de l'aéronautique, l'ouvrage de M. Figuier
notamment {Merveilles de la Science) pour lire tout au
long la description de l'appareil et des expériences de
M. Giffard.
Que dirait M. Dupuy de Lôme, si un inventeur se
présentait pour supprimer la vapeur des bâtiments
cuirassés et nous ramener aux bateaux à voiles? C'est
à peu près ce qu'il vient de faire pour les navires aé-
riens.
M. Dupuy de Lôme obtient la permanence de la forme
du ballon dirigeable par un ballonnet à air.
Permanence de la forme du ballon, voilà le point
que M. Dupuy de Lôme considère comme fondamen-
tal, et bien à tort, comme nous allons le démontrer.
Mais voyons d'abord comment il arrive à cette per-
manence de la forme.
Il introduit dans son aérostat un ballonnet, qu'il
peut remplir d'air par un ventilateur. Cette idée est
due au général Meu.snier, qui l'a proposée à la fin du
siècle dernier, et n'est pas indispensable (1).
Toutefois, M. Dupuy de Lôme insiste longuement
sur les avantages de son ballonnet. Si l'aérostat a perdu
de l'hydrogène, son étoffe n'est plus tendue; elle de-
vient flasque, peut rider de cavités qui offrent une
résistance à l'air et qui font voile contre le vent.
M. Dupuy de Lôme évite cet inconvénient en rem-
plissant d'air le ballon intérieur, qui forme dans l'aé-
rostat comme une vessie natatoire plus ou moins volu-
mineuse, et qui conserve toujours au navire aérien sa
forme primitive. Si l'aérostat dans ces conditions s'é-
lève dans l'air, l'hydrogène se dilate, comprime le
ballonnet, dont l'air s'échappe par une soupape auto-
matique ; c'est l'air du ballonnet qui se perd, et non le
gaz du ballon.
Ce procédé offre un grand inconvénient; en effet,
(1) Voir, pour le travail du général Meusnier, les comptes rendus
de l'Académie des sciences, 1870, note du général Morin. (Séance
du 31 octobre 1870.)
- 28 -
on se trouve remplacer primitivement par de l'air le
gaz hydrogène léger, et tout en diminuant la force
ascensionnelle du ballon on lui conserve toujours la
même forme ; la résistance de l'air étant la môme, on
diminue la force de l'aérostat.
Il serait bien plus sage, quand on a perdu du gaz,
de diminuer le diamètre du ballon à son milieu, comme
l'a proposé M. Giffard. Si l'on perd de la force, on se
trouve ainsi faire diminuer proportionnellement la
résistance de l'air. Pour arriver à ce résultat, il suf-
firait d'entourer l'enveloppe de l'aérostat allongé de
courroies en caoutchouc qui étrangleraient le ballon
lorsqu'il perdrait du gaz, et le rendrait plus mince
quand il serait moins fort, tout en lui conservant une
surface tendue, où nulle cavité ne pourrait se former.
Nous avons décrit le système Giffard de 1852, nous
avons dépeint le système Dupuy de Lôme de 1872.
Les deux expériences, faites à deux époques diffé-
rentes; le < deux' ballons, construits à vingt ans d'in-
tervalle, ont été mis en parallèle. La conclusion de ce3
comparaisons ressort avec évidence.
CONCLUSION
M. Dupuy de Lônie,avec un crédit de 40,000 fr.,
n'a fait que reproduire, dans des conditions moins har-
dies, moins avantageuses, l'aérostat que M. Giffard a
construit en 1852 avec ses propres ressources. Quand
M. Dupuy de Lôme s'écarte de son modèle, on le voit
tomber dans les errements des anciens aéronautes qui
ont cherché vainement avant lui la direction aérosta-
tique; là où il diffère de son prédécesseur et maître,
c'est justement là où il s'égare dans des fausses routes.
Nous ne reprochons pas toutefois à M. Dupuy de Lôme
d'avoir repris la belle expérience de M. Giffard; nous
lui reprochons de n'y avoir apporté aucun progrès ;
nous lui reprochons surtout de s'attribuer des travaux
et des découvertes qui ne lui appartiennent en aucune
façon.
Nous croyons que personne ne pourra nous contester
cette dernière affirmation ; elle ressort nettement des
pages que nous venons d'écrire en toute sincérité, sans
passion, sans parti pris et sans nous laisser aveugler
par l'amitié qui nous lie avec le véritable créateur de
la navigation aérienne.
La direction des aérostats, nous l'avons déjà dit ail-
2.
- 30 -
leurs et nous le répétons ici, .est trouvée en principe
depuis l'ascension exécutée en 1852 par M. Giflard.
Pour arriver à un résultat décisif, direction absolue
clans tous les sens, que manque-t-il au ballon Giflard
de 1852? Il lui manque un peu de force, un peu de
puissance. Il faut faire un pas en avant. M. Dupuy de
Lôme fait un pas en arrière ; il s'élève dans les airs au
cri du modeste « lâchez tout, » lancé depuis quatre-
vingts ans par tous les aéronautes, tandis qu'avant lui,
un aérostat avait gravi l'espace au sifflement aigu de
la vapeur.
Refaites le ballon à vapeur de 1852, en lui donnant
100 mètres de longueur, 15,000 mètres cubes de vo-
lume ; il enlèvera alors une machine puissante et
pourra dompter presque tous les vents. Vous le verrez
se promener au-dessus des boulevards de Paris, — de
la Bastille à la Madeleine, comme de la Madeleine à
la Bastille, — et alors il sera permis d'applaudir au
véritable progrès. — Si M. Giflard, malgré les plus
pressantes instigations de ses amis, si M. Giflard, qui
a aujourd'hui entre ses mains la solution complète, dé-
finitive du grand problème, ne se décide pas à repren-
dre son œuvre, qu'un autre, s'il le peut, la continue et
l'achève ; mais, pour Dieu ! faisons mieux aujourd'hui
que ce qui a été fait hier, et n'enfonçons pas avec
grand fracas des portes qui sont ouvertes depuis vingt
ans!
APPENDICE
Note A
DESCRIPTION DU PREMIER AÉROSTAT DIRIGEABLE
A VAPEUR DE M. GIFFARD
(Extrait de la Presse du 26 septembre 1852)
« L'appareil aéronautique dont je viens de faire l'expé-
rience, a présenté pour la première fois dans l'atmosphère la
réunion d'une machine à vapeur et d'un aérostat d'une forme
nouvelle et convenahle pour la direction.
« Cet aérostat est allongé et terminé par deux pointes; il a
12 mètres de diamètre au milieu et 44 mètres de longueur;
il contient environ 2,500 mètres cubes de gaz; il est enveloppé
de toutes parts, sauf à la partie inférieure et aux pointes, d'un
lilet dont les extrémités ou pattes d'oie viennent se réunir à
une série de cordes fixées à une traverse horizontale en bois,
de 20 mètres de longueur; cette traverse porte à son extré-
mité une espèce de voile triangulaire assujettie par un de ses
côtés à la dernière corde partant du tilet, et qui lui tient lieu
de charnière ou axe de rotation.
« Cette voile représente le gouvernail et la quille; il suffit,
au moyen de deux cordes qui viennent se réunir à la machine,
de l'incliner de droite à gauche pour produire une déviation
correspondante à l'appareil et changer immédiatement de di-
- 32 -
rection. A défaut de cette manœuvre, elle revient aussitôt se
placer d'elle-même dans l'axe de l'aérostat, et son effet nor-
mal consiste alors à faire l'oflice de quille ou girouette, c'est-
à-dire à maintenir l'ensemble du système dans la direction du
vent relatif.
« A 6 mètres au-dessous de la traverse sont suspendus la
machine à vapeur et tous ses accessoires.
« Elle est posée sur une espèce de brancard en bois, dont
les quatre extrémités sont soutenues par des cordes de sus-
pension, et dont le milieu, garni de planches, est destiné à
supporter les personnes et l'approvisionnement d'eau et de
charbon.
« La chaudière est verticale et à foyer intérieur sans tubes;
elle est entourée extérieurement, en partie, d'une enveloppe
en tôle qui, tout en utilisant mieux la chaleur du charbon,
permet aux gaz de la combustion de s'écouler à une plus
basse température; la cheminée est dirigée de haut en bas,
et le tirage s'y opère au moyen de la vapeur qui vient s'y
élancer avec force à sa sortie du cylindre, et qui, en se mé-
langeant avec la fumée, abaisse encore considérablement sa
température tout en les projetant rapidement dans une direc-
tion opposée à celle de l'aérostat.
« La combustion du charbon a lieu sur une grille complè-
tement entourée d'un cendrier, de sorte qu'en définitive il est
impossible d'apercevoir extérieurement la moindre trace de
feu.
« Le combustible que j'emploie est du coke de bonne
qualité.
« La vapeur produite se rend aussitôt dans la machine pro-
prement dite; celle-ci est à un cylindre vertical dans lequel
se meut un piston qui, par l'intermédiaire d'une bielle, fait
tourner l'arbre coudé placé au sommet. Celui-ci porte à son
extrémité une hélice à 3 patelles de 3 ID 40 de diamètre, des-
tinée à prendre le point d'appui sur l'air et à faire progresser
l'appareil. La vitesse de l'hélice est d'environ HO tours par
minute, et la force que développe la machine pour la faire
tourner est de 3 chevaux , ce qui représente la puissance de
25 ou 30 hommes. Le poids du moteur proprement dit, indé-
pendamment de l'approvisionnement et de ses accessoires, est
- 33 -
de 100 kilogrammes pour la chaudière, et de 58 kilogrammes
pour la machine; en tout 150 kilogrammes ou 50 kilogrammes
par force de cheval , ou hien encore 5 à 6 kilogrammes par
force d'homme; de sorte que s'il s'agissait de produire le
même effet par ce dernier moyen, il faudrait, ce qui serait
impossible, enlever 25 à 30 hommes représentant un poids
moyen de 1,800 kilogrammes, c'est-à-dire un poids douze fois
plus considérable. De chaque côté de la machine sont deux
btà-hes, dont l'une contient le combustible et l'autre l'eau
destinée à être refoulée dans la chaudière au moyen d'une
pompe mue par la tige du piston. Cet approvisionnement re-
présente également la quantité de lest dont il est indispensable
de se munir même en assez grande quantité, pour parer aux
fuiles du gaz par les pores du tissu; de sorte qu'ici la dépense
de la machine, loin d'être nuisible, a puur effet très-avanta-
geux de délester graduellement l'itérostat, sans avoir recours
aux projections de sable ou à tout autre moyen employé ha-
bituellement dans les ascensions ordinaires.
a Enfin, l'appareil moteur est monté tout entier sur quel-
ques roues mobiles en tous sens, ce qui permet de le trans-
porter facilement à terre; cette disposition pourrait, en outre,
être utile dans le cas où la machine viendrait loucher le sol
avec une certaine vitesse horizontale.
« Si l'aérostat est rempli de gaz hydrogène pur, il pourrait
enlever en totalité 2,800 kilogrammes; ce qui lui permettrait
d'emporter une machine beaucoup plus forte et un certain
nombre de personnes. Mais vu les difficultés de toutes espèces
de se procurer un pareil volume , il est nécessaire d'avoir re-
cours au gaz d'éclairage, dont la densité est, comme on sait,
très-supérieure à celle de l'hydrogène. De sorte que la force
ascensionnelle totale de l'appareil se trouve diminuée de
1 ,000 kilogrammes et réduite à 1,800 kilogrammes environ,
distribués comme suit :
Aérostat avec la soupape 320 kil.
Filet 150
Traverse, corde de suspension, gouvernail, cordes d'a-
marrage. ... 300
Machine et chaudière vides. 150
_ 34 -
Eau et cliarbon contenus flans la chaudière au moment
du départ 60 kil.
Châssis de la machine, brancard, planches, roues mo-
biles, bâches à eau et à cliarbon 420
Corde traînante pour arrêter l'appareil en cas d'ac-
cident 80
Poids de la personne conduisant l'appareil 70
Force ascensionnelle nécessaire du départ 10
1,360 kil.
« Il reste donc à disposer d'un poids de 248 kilogrammes,
qu'il est prudent d'affecter uniquement à l'approvisionnement
d'eau, de charbon, et par conséquent de lest. Tout ceci posé,
le problème à résoudre pouvait être envisagé sous deux points
de vue principaux, la suspension convenable d'une machine
à vapeur et de son foyer sous un aérostat de forme nouvelle
pleine de gaz inflammable, et la direction proprement dite de
tout le système dans l'air.
« Sous le premier rapport, il y avait déjà des difficultés à
vaincre. En effet, jusqu'ici les appareils aérostatiques enlevés
dans l'atmosphère s'étaient bornés invariablement à des globes
spbériques ou ballons, tenant suspendu par un filet un poids
quelconque, soit une nacelle ou espèce de panier pouvant
contenir une ou plusieurs personnes, soit tout autre objet
plus ou moins lourd; toutes les expériences tentées en dehors
de cette primitive et unique disposition avaient eu lieu, ce
qui est infiniment plus commode et moins dangereux, sur de
petits modèles tenus captifs par l'expérimentateur; le plus
souvent elles étaient restées à l'état de projet ou de pro-
messe.
« En l'absence de tout fait antérieur suffisamment con-
cluant et malgré les indications de la théorie, je devais encore
concevoir certaines craintes sur la stabilité de l'appareil; l'ex-
périence est venue pleinement rassurer à cet égard, et prou-
ver que l'emploi d'un aérobtat allongé, le seul que l'on puisse
espérer diriger convenablement, était, sous tous les autres
rapports, aussi avantageux que possible, et que le danger ré-
sultant de la réunion du feu et d'un gaz inflammable pouvait
être complètement illusoire.
« Pour le second point, celui de la direction, les résultats
- 35 -
obtenus ont été ceux-ci : dans un air parfailemcnt calme, la
vitesse du transport en tous sens est de 2 à 3 mètres par se-
conde; cette vitesse est évidemment augmentée ou diminuée,
par rapport aux objets fives, de toute la vitesse du vent, s'il y
en a, et suivant qu'on marche avec ou contre, absolument
comme pour un bateau montant ou descendant un courant
quelconque; dans tous les cas, l'appareil a la faculté de dé-
vier plus ou moins de la ligne du vent et de former avec
celle-ci un angle qui dépend de la vitesse de ce dernier.
« Ces résultats sont d'ailleurs conformes à ceux que la
théorie indique, et. je les avais à peu près prévus d'avance à
l'aide du calcul et des faits analogues relatifs à la navigation
maritime.
« Telles sont les conditions dans lesquelles se trouve ce
premier appareil; elles sont certainement, loin d'être aussi
favorables que possible; mais si l'on réfléchit aux difficultés
de toute nature qui doivent entourer ces premières expérien-
ces, faites avec des moyens d'exécution excessivement res-
treints et à l'aide de matériaux incomplets et imparfaits, on
sera convaincu que les résultats obtenus, quelque incomplets
qu'ils soient encore , doivent conduire dans un avenir pro-
chain à quelque chose de positif et de pratique. Pour cela
que faut-il?
« Un appareil plus considérable, permettant l'emploi d'un
moteur relativement beaucoup plus puissant, et ayant à sa
disposition toutes les ressources pratiques accessoires sans
lesquelles il lui est impossible de fonctionner convenable-
ment.
« Je me propose d'ailleurs d'aller au-devant de toutes les
objections, en faisant connaître les principes généraux, théo-
riques et pratiques, sur lesquels je crois que la navigation
aérienne par la vapeur doit être basée.
« Les diverses explications que je viens de donner me dis-
pensent d'entrer dans de longs détails sur le voyage aérien
que j'ai fait; je suisparli seul de l'Hippodrome, le 24, à cinq
heures un quart; le vent soufflait avec une assez grande vio-
lence; je n'ai pas songé un seul instant à lutter directement
contre le vent, la force de la machine ne me l'eût pas permis ;
cela était prévu d'avance et démontré par le calcul; mais j'ai
— 3f> -
opéré avec le plus grand succès diverses manœuvres de mou-
vement circulaire et de déviation latérale.
« L'action du gouvernail se faisait parfaitement sentir, ol
à peine avais-je tiré légèrement une de ses deux cordes de
manœuvre, que je voyais immédiatement l'horizon tournoyer
autour de moi; je suis monté à une hauteur de 1,500 mètres,
et j'ai pu m'y maintenir horizontalement à l'aide d'un nouvel
appareil que j'ai imaginé, et qui indique immédiatement le
moindre mouvement vertical de l'aérostat.
« Cependant la nuit approchant, je ne pouvais rester plus
longtemps dans l'atmosphère; craignant que l'appareil n'arri-
vât à terre avec une certaine vitesse, je commençai à étouffer
le feu avec du sable; j'ouvris tous les robinets de la chaudière,
la vapeur s'écoula de toutes parts avec un fracas horrible ; j'eus
un moment la crainte qu'il ne se produisit quelque phénomène
électrique, et pendant quelques instants je fus enveloppé d'un
nuage de vapeur qui ne me permettait plus de rien distin-
guer. J'étais en ce moment à la plus grande élévation que
j'ai atteinte; le baromètre marquait 1 ,800 mètres; je m'occu-
pai immédiatement de regagner la terre, ce que j'effectuai
très-heureusement dans la commune d'Éancourl, près Trappe,
dont les habitants m'accueillirent avec le plus grand empres-
sement et m'aidèrent à dégonfler l'aérostat. A dix heures, j'é-
tais de retour à Paris. L'appareil a éprouvé à la descente quel-
ques avaries insignifiantes qui seront bientôt réparées, et alors
je m'empresserai de renouveler cette expérience, soit par moi-
même, soit en la confiant à l'habileté et à la hardiesse de mes
collaborateurs. Je ne terminerai pas sans faire savoir que j'ai
été puissamment secondé dans cette entreprise par MM. David
et Sciama, ingénieurs civils, anciens élèves de l'École cen-
trale; c'est grâce à leur dévouement sans bornes, aux sacri-
fices de toute espèce qu'ils se sont imposés, et à leur concours
intelligent, que j'ai pu exécuter ma première expérience. Sans
eux, il m'eût été probablement impossible de la mettre ù exé-
cution dans un avenir prochain.
« Je saisis avec empressement cette occasion de leur en
témoigner publiquement toute ma reconnaissance; c'est pour
moi un devoir et une vive satisfaction.
Veuillez, etc. « Henri Giffard. »
37
Note B
DÉCRET DU GOUVERNEMENT DE LA DÉFENSE NATIONALE
CONCERNANT LA CONSTRUCTION D'UN BALLON DIRI-
GEABLE
« Le Gouvernement de la Défense nationale, vu les propo-
sitions faites par M. Dupuy de Lôme, membre dé l'Institut,
membre du conseil de défense, pour la construction de bal-
lons susceptibles de recevoir une direction, et spécialement
applicables aux correspondances du gouvernement avec l'ex-
térieur.
« Considérant que ces travaux sont d'un grand intérêt pour
la défense nationale,
« Décrète :
« Article premier. — Un crédit de 40,000 francs est ou-
vert au budget extraordinaire du ministère de l'instruction
publique pour être affecté à la construction des ballons.
« Article 2. — M. Dupuy de Lôme est chargé de l'exé-
cution et de la direction des travaux , auxquels il imprimera
toute l'activité possible.
« Paris, 28 octobre 1870. »
(Suivent les signatures.)
Note C
DESCRIPTION DE L'AÉROSTAT DIRIGEABLE
DE M. DUPUY DE LOME
(Extrait des Comptes rendus de l'Académie des sciences, février 1872)
RÉSUMÉ HISTORIQUE.
« C'est le 29 octobre i870, pendant le siège de Paris par
les années allemandes, que j'ai été chargé de l'aire exécuter,
3
- 3S -
pour le compte de l'État, un aérostat dirigeable, conçu con-
formément aux vues que j'avais exposées à ce sujet à l'Aca-
démie des sciences dans les séances des 10 et 17 du même
mois.
« J'ai accepté cette mission, sans me dissimuler les diffi-
cultés que j'allais rencontrer pour l'exécution de mon appa-
reil dans Paris assiégé, avec son industrie désorganisée. Mal-
gré mes efforts et ceux de mes collaborateurs principaux,
M. Zédé, ingénieur de la marine, et M. Yon, aéronaute, je
n'ai pu réussir à terminer ce travail assez à temps pour qu'il
pût servir pendant le siège.
« Des obstacles insurmontables, tels que l'insurrection du
18 mars et le second siège de Paris, suivis d'autres incidents
relatés dans la Note, m'ont contraint de retarder encore l'es-
sai de mon aérostat. Ce n'est qu'au mois de décembre dernier
qu'il m'a élé possible de le préparer, dans un local du Fort-
Neuf de Vincennes mis à ma disposition par le ministre de la
guerre. Une commission, nommée par le ministre de l'instruc-
tion publique, a été alors chargée de constater la remise à
l'État de l'appareil, et de suivre l'essai que je demandais à en
faire le plus tôt possible.
Description de l'aérostat.
« Une fois engagé dans l'élude des plans d'exécution de cet
aérostat à hélice, tout en conservant les mêmes données prin-
cipales exposées à l'Académie, dans les séances des 10 et 17 oc-
tobre, j'ai été conduit à modifier quelques dispositions et quel-
ques dimensions.
« J'ai supprimé la vergue horizontale entre le ballon et la
nacelle, tout en raccourcissant les brancards de celle-ci ; puis
adoptant une hélice à deux ailes au lieu de quatre, et portant
son diamètre à 9 mètres au lieu de 8 mètres, je l'ai placée à
l'arrière de la nacelle, de manière à l'actionner directement
par le treuil à manivelle, sans aucune transmission de mou-
vement par chaîne Galle ni par courroies.
« En adoptant cette disposition, j'ai été conduit à un nou
veau système de suspension du nacelle d'une importance ca-
_ 39 —
pitale au point de vue de la stabilité d'un ballon oblong dans
le sens horizontal.
« Je rappelle que j'ai posé en principe que, pour obtenir
un aérostat dirigeable, il faut tuut d'abord satisfaire aux deux
conditions ci-après :
« 1° La permanence de la forme du ballon, sans ondula-
tions sensibles de la surface de son enveloppe ;
« 2° La constitution, pour l'ensemble de l'aérostat, d'un
axe de moindre résistance dans le sens horizontal , et dans
une direction sensiblement parallèle à celle de la force pous-
sante.
« J'ai satisfait à la condition de permanence de la forme
au moyen d'un ventilateur porté et manœuvré dans la nacelle,
et mis en communication par un tuyau en étoffe avec un bal-
lonnet placé à l'intérieur du ballon à sa partie basse. Le vo-
lume de ce ballonnet est le dixième de celui du grand ballon.
Cette proportion permet de descendre de 866 mètres de hau-
teur, en maintenant le ballon gonflé malgré l'augmentation
correspondante de la pression barométrique.
« Ce ballonnet à air est muni d'une soupape s'ouvrant de
dedans en dehors, et réglée par des ressorts, de telle façon
que si l'on venait à souffler mal à propos, ce serait l'air in-
sufflé qui s'échapperait du ballonnet par cette soupape plutôt
, que de le gonfler en refoulant l'hydrogène plus bas que l'ex-
trémité inférieure des pendentifs. Le grand ballon est muni
de deux de ces pendentifs ouverts à l'air libre et descendant
à 8 mètres au-dessous du plan tangent à la partie basse du
ballon.
« Pour satisfaire au second principe, la constitution d'un
axe horizontal de moindre résistance, j'ai donné au ballon la
forme géométrique engendrée par un arc de cercle tournant
autour de sa corde, et dont la flèche est, à très-peu près, le
cinquième de la longueur de cette corde. Une forme plus
oblongue eût encore plus réduit la résistance, accru la vitesse
et rendu plus facile le maintien de la direction au moyen du
gouvernail. Mais les difficultés relatives au fdet croissant avec
la longueur, j'ai tenu à la modérer.
Dimensions principales du plan d'exécution.
Longueur totale du ballon, de pointe en pointe. . . . 36 m ,12
Diamètre au fort 14 m ,84
Rayon du méridien longitudinal 25 m ,78
Volume du ballon (calculé avec la forme de solide
de révolution) 3454 m3 ,O0
Volume du ballonnet à air 345 m3 ,00
Force ascensionnelle par mètre cube d'hydrogène fa-
briqué ad hoc ÎIOOB'.OO
„ ,, , ,, , . (Ballonnet affaissé. 3799 k ,00
Force ascensionelle de 1 aérostat, j », ,, „, „,,„_ '
(Ballonnet gonflé. . 3419 k ,00
Surface du ballon porteur 1225 m2 ,00
Surface du dessus du ballonnet 170 m2 ,00
Surface de la maîtresse section du ballon gonflé. . . 172 m2 ,96
Distance du dessus de la nacelle en contre-bas du grand
axe longitudinal du ballon 20 m ,50
Hauteur totale de l'aérostat du dessus du ballon au-
dessous des quilles de la nacelle 29 m ,12
Longueur de la partie de la nacelle en osier 6 m ,50
Longueur totale de la nacelle de pointe en pointe des
brancards 12 m ,60
Largeur de la nacelle au fort 3 m ,26
Distance à laquelle se trouve en contre-bas du grand
axe horizontal du ballon, l'axe de l'hélice et du treuil
moteur 20 m ,45
Diamètre de l'hélice 9 m ,00
Pas de l'hélice 8™, 00
Nombre d'ailes 1
». .. , , -, (au bout —
Fraction de pas de chaque aile { au ., a
ii
Nombre de tours d'hélice par minute, prévu pour ob-
tenir une vitesse de l'aérostat de 2 m ,22 par seconde
ou de 8 kilomètres à l'heure 21 tours.
Diamètre du ventilateur destiné à gonfler le ballonnet,
mesure prise en dehors des ailettes m ,65
Diamètre du cercle d'entrée d'air m ,30
T ■ . ., . . „ 1 à l'attaque de l'air m ,28
Longueur des ailettes J . , .. ' io
° t a la sortie 0™ 10
Nombre de tours normal par minute qu'un homme
peut imprimer à la manivelle d'une manière sou-
tenue 20
Nombre de tours correspondant des ailettes 500
u —
Pression de l'air à cette allure dans le tuyau de refou-
lement 4 c. d'eau.
Temps nécessaire à cette allure pour remplir d'air le
ballonnet 1 S minutes.
Disposition du filet.
« J'ai été conduit à l'emploi d'un système de deux filets
concentriques suspendus tous deux à une chemise en étoffe
construite sur les mêmes gabarits que le ballon et remplaçant
toute la partie supérieure du filet ordinaire à partir du méri-
dien horizontal.
« Le filet extérieur, qui est le filet porteur de la nacelle,
est relié à la chemise, à la hauteur de ce méridien, au moyen
d'une collerette et d'un mode d'attache qui répartit uniformé-
ment sur l'étoffe la traction de chaque corde.
« Le filet intérieur, que j'appelle filet de balancine , est
attaché au bas de la chemise par un mode identique; il se
détache du ballon tangentiellement à sa surface, environ aux
trois quarts de sa hauteur, et forme au-dessous du ballon un
cône dont le sommet est entre le ballon et la nacelle, dans
l'axe vertical qui relie les deux centres. C'est du sommet de
ce cône que partent les cordages formant balancines de la
nacelle.
Gouvernail, nacelle, hélice, treuil à bras, soupapes.
« Le gouvernail se compose d'une voile triangulaire placée
sous le ballon, près de la pointe arrière, et maintenue à sa
partie basse par une vergue horizontale de 6 mètres de lon-
gueur, pouvant pivoter sur son extrémité avant. La hauteur
de cette voile est de o mètres, sa surface de 15 mètres carrés.
Deux drosses en filin pour manœuvrer le gouvernail descen-
dent jusqu'à l'avant de la nacelle, sous les mains du timonier,
qui a devant lui la boussole fixée à la nacelle avec sa ligne de
foi parallèle au grand axe du ballon.
« La nacelle a sa partie centrale en osier sur la longueur
nécessaire pour contenir assez commodément le treuil moteur
— 42 —
avec huit hommes, le ventilateur pour gonfler le ballonnet et
l'homme qui le manœuvre, le timonier, la personne préposée
au mouvement du lest, celle chargée des soupapes, du guide-
rope, de l'ancre; enfin deux personnes dont l'une, chargée
de la direction de la route, fait les observations pendant que
l'autre inscrit et trace le chemin suivi sur la carte : en tout
quatorze hommes d'équipage. La longueur réservée à ce per-
sonnel est de 6 m ,30. La nacelle en osier est prolongée à l'avant
et à l'arrière par des brancards en bambous contretenus par
des sous-barbes en cordes.
« L'hélice de propulsion est portée directement par la na-
celle; son arbre se prolonge à l'arrière , un peu au deli du
bout des brancards, et le moyeu de l'hélice portant les ailes
est facilement démontable. Cet arbre d'hélice peut se relever
à l'arrière en pivotant sur son support avant, de façon à écar-
ter l'hélice du sol avant le départ et au moment d'atterrir.
« Le treuil se compose d'un arbre en fer coudé dont les
manivelles sont disposées de façon que le centre de gravité
des corps des quatre ou huit hommes, pendant leur mouve-
ment pour tourner ces manivelles, reste sensiblement au
même point.
« Les soupapes pour l'évacuation de l'hydrogène sont au
nombre de deux, placées sur le méridien supérieur du ballon,
dans la direction prolongée des deux tuyaux formant penden-
tifs. Ces pendentifs, ouverts parle bas, laissent descendre
dans la nacelle les cordes de manœuvre des soupapes.
Nature de l'étoffe du ballon et de son enduit.
« L'étoffe du ballon se compose d'un taffetas de soie
blanche et d'un nansouk avec sept couches de caoutchouc
interposées. »
M. Dupuy de Lôme donne la description de son vernis, à
base de gélatine, appliqué à l'intérieur du ballon. Il parle
ensuite du poids des différents organes de l'aérostat.
Nous renvoyons le lecteur, pour ces détails, aux Comptes
rendus de l'Académie des sciences. (Séance du 5 février 1872.)
Vitesse horizontale de l'aérostat par rapport à l'air ambiant,
et puissance à employer pour obtenir cette vitesse.
« En me basant sur les mêmes considérations déjà dévelop-
pées dans la séance de l'Académie du 10 octobre 1870, j'ai
établi :
« 1° Que la résistance de l'aérostat à la translation horizon-
tale dans la direction de son grand axe, avec une vitesse de
2 m ,22 par seconde, ce qui fait 8 kilomètres à l'heure, ressort
àll k s,031;
« 2° Qu'avec l'hélice à deux ailes de 9 mèlres de diamètre
et de 8 mètres de pas, telle que je l'ai conçue, cette vitesse
de 2 m ,22 par seconde s'obtiendra avec 21 tours d'hélice par
minute;
« 3" Que le travail total à transmettre à cette hélice montée
sur l'aérostat, libre dans l'air, sera de 33 k ,-irô P our obtenir
ces 21 tours par minute;
« 4° Que quatre hommes suffiront pour soutenir cette allure
en les relevant toutes les demi-heures;
« 5° Qu'en mettant au treuil les huit hommes à la fois, on
soutiendra facilement, pendant une demi-heure, 27 à 28 tours,
et que, momentanément, on pourra obtenir jusqu'à 33 tours J,
correspondant à une poussée horizontale de 27 k ,58. et à une
vitesse de l'aérostat de 3 m ,H0 par seconde, ou de 12 k ,600 à
l'heure.
Stabilité de l'aérostat.
« J'ai démontré que, grâce à mon système de filets, la sta-
bilité de l'ensemble de cet aérostat, ballon, filets et nacelle,
peut être calculée comme celle d'un corps rigide, tant que les
inclinaisons latérales ne dépasseront pas 20 degrés, et les in-
clinaisons longitudinales 28 degrés.
« Le centre de gravité de l'ensemble, calculé pour l'aérostat
à la fin de son lest, est situé à 15 m ,54 en contre-bas de l'axe
horizontal du ballon.
« 11 en résulte que, même sous l'effort maximum dont huit
hommes travaillant à l'hélice sont susceptibles, l'assiette d'é-
- 44 —
quilibre du ballon en marche ne différera pas de j degré de
celle de son équilibre au repos, et qu'un homme, allant de
l'avant à l'arrière de la nacelle, ne fera pas incliner de plus
de | de degré.
Production du gaz hydrogêne pour gonfler le ballon.
« J'ai disposé à cet effet un appareil de production d'hydro-
gène, par l'action de l'acide sulfurique et de l'eau, sur de la
tournure de fer, avec un laveur et un appareil sécheur.
« Conformément aux données praliques de M. Yon, j'ai
établi deux batteries, de 40 tonneaux chacune, devant fonc-
tionner successivement, et produisant à chaque opération
500 mètres cubes d'hydrogène; ce qui exigera sept opérations
d'une batterie de 40 tonneaux pour produire les 3,450 mètres
cubes nécessaires au gonflement de l'aérostat.
i « Le trmps nécessaire à une opération de batterie a été
estimé à deux heures. En ne travaillant pas la nuit, cela con-
duit à opérer pendant deux journées pour gonfler le ballon. »
Navigation aérienne. — Essai de l'aérostat a hélice,
par M. Dupvjy de Lôme.
« La Commission nommée par le Ministre de l'Instruction
publique pour constater la remise à l'État de l'aérostat et de
ses accessoires, et pour assister ensuite aux essais que je de-
mandais à faire, a d'abord pris connaissance des plans et de
la Note que je viens de lire; puis elle s'est rendue le 8 janvier
à Vincennes pour y examiner l'appareil dans le manège du
Fort-Neuf, où il était déposé avec tout le matériel destiné à
]a production du gaz hydrogène.
« Les mauvais temps prolongés qui ont régné pendant
presque tout le mois de janvier m'ont obligé à attendre encore
avant d'opérer le gonflement du ballon.
« Le 30 de ce mois, le temps paraissant s'améliorer, je me
décidai à commencer ce gonflement.
« Cette opération délicate s'est exécutée avec un plein suc-
cès, et le volume d'hydrogène, résultant de chaque production
- 45 -
d'une batterie de 40 tonneaux, a bien été celui annoncé dans
ma Note en décembre. La force ascensionnelle de ce gaz,
mesurée dans un petit ballon d'essai, a été trouvée de
1,120 grammes par mèlre cube. Toutefois, l'opération a mar-
ché plus lentement que je ne l'avais prévu. La production du
gaz d'une batterie a duré trois heures au lieu de deux, même
en abandonnant le restant de production qui se continuait
encore lentement au bout de trois heures. Il en est résulté
que, dans les journées courtes de cette époque de l'année, ne
voulant pas travailler à la lumière, il nous a fallu trois jours
pour gonfler entièrement le ballon.
« 11 était prêt le 1" février au soir; il a été tenu gonflé
toute la nuit du 1 er au 2, et le 2 au matin on a procédé à son
exhaussement du sol, à la hauteur voulue pour permettre le
placement de la nacelle avec toute l'installation des filets, des
suspentes et des balancines, ainsi que du gouvernail, du tuyau
de ventitateur, etc.
« Sept batteries avaient suffi pour remplir le ballon, une
huitième avait été disposée, prête à réparer, le 2 au matin,
les pertes de gaz qui auraient pu se produire; mais les pertes
d'un jour à l'autre étaient inappréciables, nous avions déjà
la preuve que l'étoffe avec son enduit tenait le gaz hydrogène
de la façon la plus satisfaisante.
« A 9 heures du matin, le tuyau de communication entre
le ballon et l'appareil de production de gaz a été enlevé. Ce
n'est qu'à 1 heure de l'après-midi que l'ascension a eu lieu, et
pendant ces quatre heures le ballon est resté parfaitement
gonflé avec ses parois tendues sous la pression du gaz, qui n'a
pas cessé de remplir les pendentifs.
« Le vent s'était élevé depuis le matin avec assez de force
dans la direction du sud; les bulletins du Bureau météorolo-
gique de l'Observatoire étaient loin d'être rassurants.
« Le 1 er février, ils annonçaient baisse du baromètre à Pa-
ris, vent du sud sur tout le nord de la France, tempête du
sud-ouest à l'entrée de la Manche.
« Le 2 février, le ciel était couvert, la pluie élait imminente,
il ventait sud assez fort à Paris et sur la Manche; le baro-
mètre avait baissé en Hollande.
c; Néanmoins, et malgré les difficultés que le vent soufflant
. ' 3.
- 46 —
par rafales nous causait pour l'opération du placement de 1«
nacelle et de ses accessoires, ayant la plus entière confiance
dans les facilités que les dispositions de cet aérostat nous don-
neraient pour opérer la descente, je me décidai à faire une
ascension dont la durée n'avait pas besoin d'être prolongée.
« Sous l'action d'une forte rafale qui fit tourner le ballon
sur lui-même, en l'inclinant de la verticale au moment où la
nacelle, encore incomplètement liée à ses suspentes, était
chargée d'un excédent de lest considérable, il arriva que les
suspentes fixées à l'avant des brancards exercèrent sur ceux-ci
une traction latérale à laquelle la nacelle ne put pas céder
comme elle l'eût fait si elle avait été suspendue. A ce moment,
un des bambous du brancard de l'arrière fut plié, et un des
brancards de l'avant fut cassé. Je fis réparer rapidement cette
avarie, mais le brancard arrière porte-hélice resta un peu
déformé, et il en est résulté une résistance anormale pour faire
tourner l'arbre de l'hélice. Cet inconvénient, qui me fut signalé
avant de partir, n'était pas de nature à faire ajourner l'essai.
« Toutes les suspentes de la nacelle étaient en place, ainsi
que les balancines ; l'hélice étant montée sur le bout de son
arbre, je donnai l'ordre à chaque homme de l'équipage de
prendre son poste, et M. Yon, qui avait dirigé depuis trois
jours les détails de cotte difficile opération du gonflement avec
une intelligence et un zèle dont je tiens à le remercier ici, se
chargea aussitôt de régler le lest pour partir au plus vite.
« L'aérostat, avec tout le matériel énuméré dans la Note
remise en décembre à la Commission, ayant de plus 25 ki-
logrammes de cordages supplémentaires, avec son équipage
de quatorze personnes, élait sensiblement en équilibre au ras
du sol, la nacelle contenant CoO kilogrammes de lest en sable
dans des sacs de 15 et de 10 kilogrammes.
« A partir de ce moment il a été encore sorti de la nacelle
dix sacs de 15 kilogrammes, ce qui a donné à la force ascen-
sionnelle un excédant de 150 kilogrammes sur le poids. Au
signal donné, les cordes de retenue ayant été lâchées, l'aéros-
tat s'est élevé assez rapidement pour que nous n'ayons pas
eu un instant à craindre d'être poussés par une rafale contre
un des édifices bordant la cour du Fort-Neuf.
« Il était 1 heure au moment du départ, et le baromètre
- 47 -
marquait près du sol 755 millimètres; le vent paraissait souf-
fler du sud assez fort; la température était de 8 degrés.
« Préoccupé d'autres soins, je n'ai point fait observer la
vitesse d'abaissement du baromètre pendant l'ascension sous
l'action de la force précipitée. Ce n'est qu'à l h I5 m que nous
avons commencé dans la nacelle nos observations régulières.
« Peu de minutes après le départ, on a descendu sur son
coussinet-arrière l'arbre de l'hélice, qui, comme je l'ai fait
connaître dans la Note explicative , est fait pour se relever,
avant le départ et au moment de toucher terre, par un mou-
vement angulaire qui écarte l'hélice du sol et la met à l'abri
des chocs susceptibles de l'avarier. L'hélice a été mise alors
en mouvement par les huit hommes à la fois ; doucement d'a-
bord, plus vite ensuite. Le gouvernail a été porté à droite,'
puis à gauche, puis tenu dans le plan diamétral pour voir
comment l'aérostat répondait à son action.
« Dès que l'hélice a été mise en mouvement , l'influence
du gouvernail s'est immédiatement fait sentir dans le sens
voulu, ce qui prouvait déjà que l'aérostat avait une vitesse
propre par rapport à l'air ambiant.
« L'anémomètre présenté au courant d'air à l'avant de la
nacelle restait d'ailleurs immobile tant que l'hélice était stop-
pée, et tournait dès que l'on faisait fonctionner l'hélice mo-
trice; il prouvait donc aussi que l'aérostat avait une vitesse
propre sous l'influence de son moteur.
« Mais, avant d'aller plus loin, je vais dire un mot des in-
struments que j'avais préparés pour mesurer la vitesse propre
à l'aérostat, constater les directions dans lesquelles agissait
cette vitesse, mesurer, d'autre part, la direction de la route
suivie par l'aérostat par rapport à la terre et sa vitesse sur cette
route.
« Tout en constatant la solution du problème de la stabilité
d'un ballon oblong, il est clair que l'objet de l'expérience que
j'avais entreprise consistait, en outre, à reconnaître : 1° quelle
vitesse l'aérostat obtenait par rapport à l'air ambiant sous l'in-
fluence de son hélice mise on mouvement à telle ou telle vi-
tesse; 2° de quelle façon il obéissait à son gouvernail , soit
pour maintenir le cap dans une direction voulue, soit pour
changer cette direction à volonté.
— 48 -
« Prévoyant que je rencontrerais dans cette saison des
vents trop rapides, en présence desquels la vitesse propre à
l'aérostat ne pourrait produire qu'une déviation minime, je
tenais à constater directement cette vitesse de l'aérostat par
un moyen analogue au loch, en mer, qui donne la vitesse sur
l'eau indépendamment des courants. Un appareil aérien, ana-
logue au loch, était difficile à installer, à cause de l'Iiélice de
9 mètres de diamètre tournant à l'arrière de la nacelle. Je me
décidai à construire un anémomètre au moyen d'une petite
hélice légère à quatre ailes, d'un pas assez allongé pour qu'il
soit facile de compter le nombre de tours. Cet anémomètre à
hélice, une fois construit, a été ensuite expérimenté directe-
•ment à terre, en le transportant dans le sens de son axe avec
une vitesse connue, dans un local à l'abri de tout courant
d'air; j'ai reconnu ainsi que la vitesse de translation de cet
anémomètre et le nombre de tours qui en résultaient étaient
liés par l'équation
V=l",t2^ + 0'»,2t,
en appelant V la vitesse de translation par seconde, n le nom-
bre de tours par minute.
« J'ai ainsi dressé un tableau donnant de suite la vitesse
de translation de l'aérostat par rapport à l'air ambiant en fonc-
tion du nombre de tours de l'anémomètre.
« La direction du cap a été obtenue comme dans tout na-
vire, au moyen d'une boussole fixée dans la nacelle et ayant
la ligne de loi parallèle au grand axe du ballon.
« Pour mesurer la route suivie par l'aérostat par rapport
au sol, j'ai pris une boussole d'embarealion de la marine, sur
une des faces latérales de laquelle j'ai fixé une planchette pa-
rallèle au plan verlical passant par la ligne de foi de la bous-
sole, le champ de cette planchette est peint en noir, la par-
tie formant surface verticale parallèle à la ligne de foi a été
maintenue blanche; de cette façon, il est très-facile de s'as-
surer qu'on a le rayon visuel placé dans le plan vertical pré-
cité. Quant à la verticabilité de ce plan, elle résulte naturel-
lement de la suspension de la boussole qu'on tient libre à la
main.
- 49 -
« En remarquant un objet quelconque bien -visible sur la
terre, et passant sous l'observateur, puis en tournant la plan-
cliette de la boussole dans la direction du même objet, quand
il est bien écarlé de la verticale, on lit directement sur la
boussole la direction de la route suivie sur la terre.
« C'est, du reste, le procédé déjà indiqué par M. Jans-
senne.
« La même observation donne la vitesse de l'aérostat sur le
sol, en fonction de sa hauteur, de la manière suivante :
« Sur la planchette en question sont fixées trois broches
métalliques formant un triangle dont la hauteur est double
de sa base horizontale. On note à une montre à secondes le
moment du passage de l'objet précité dans la direction du côté
du triangle le plus rapproché de la verticale ; puis ensuite le
moment du passage de ce même objet dans la direction du
côté le plus incliné. Le nombre de secondes écoulées entre les
deux passages donne le temps que l'aérostat a mis à parcou-
rir, par rapport au sol, une distance égale à la moitié de sa
hauteur.
« J'avais fait préparer à l'avance une épure donnant, à sa
seule inspection, la vitesse sur le sol en fonction de la hauteur
et de la durée en secondes de l'observation précitée.
« Quant aux hauteurs de l'aérostat, je les lisais directe-
ment, avec une approximation suffisante pour la nature de
cette expérience, sur le cadran d'un baromètre anéroïde, gra-
dué à cet effet en mètres de hauteur, cadran mobile sur celui
des graduations en millimètres, de manière à placer le zéro
des hauteurs vis-à-vis le nombre de millimètres observés à
terre au moment du départ.
« Les températures n'ont été observées qu'au moyen d'un
thermomètre ordinaire d'une sensibilité médiocre, mais suffi-
sante pour ce que j'avais en vue.
» « Pour plus de simplicité, j'ai relevé toutes les directions
de route et celles du cap, par rapport au méridien magné-
tique, et je vais les relater telles quelles dans ce qui va
suivre.
« Reprenant le récit de l'essai du 2 février, je rappelle
que, depuis le moment du départ du sol, à 1 heure jus-
qu'à lM5 m , nous avons fait diverses évolutions, et nous nous
— 50 -
sommes assurés que tout fonctionnait oien sans nous occuper
à prendre des mesures précises.
« A l h 15 m , j'ai fait stopper l'hélice pour reconnaître la di-
rection dans laquelle nous entraînait le vent seul. — Les ob-
servations de l h 15 m à l h 20 m donnent :
Hauteur de la nacelle au-dessus du ni-
veau du point de départ 560 mètres.
Température 6 degrés.
Direction de la route sur le sol fméri- E.-E. 7°N.
dien magnétique) 12 mètres par seconde.
Vitesse dans cette direction
Ou 43200 mètres par heure.
« A l l 30 m , hélice en mouvement, avec ordre au timonier
de maintenir le cap au sud-est , faisant ainsi un angle de
83 degrés avec la dernière route observée avec le vent seul :
Hauteur 607 mètres.
Température -...•.. 6 degrés.
Cap (direction moyenne, avec des varia-
tions de quelques degrés de chaque
hord) S.-E.
Nombre d'hommes à l'hélice 8.
Nombre de tours d'hélice par minute. . 25.
Vitesse propre à l'aérostat, mesurée à
l'anémomètre 2 m ,35 par seconde.
Vitesse de l'aérostat sur le sol 8460 mètres par heure.
Ou - 12 mètres par seconde.
Direction de la route sur le sol 43200 mètres par heure.
Angle de cette route avec la précédente N.-E. 5° F.
« A l h 45 m 3 hélice stoppée :
Hauteur 580 mètres.
Température 6 degrés.
Vitesse sur le sol. . . ■ ... 15 mètres par seconde.
Ou . . 54000 mètres par heure.
Direction sur le sol. . . . ... N.-E. 5" N.
Angle de cette route avec la précédente. 10 degrés.
« A l h o5 m , hélice toujours stoppée; la route change visi-
- 51 -
blement peu à peu de direction; quand elle est devenue de
nouveau constante, l'instrument de relèvement a donné :
Pour la direction sur le sol N.-E. 5° E,
« A 2 heures, hélice en mouvement :
Hauteur. . . 608 mètres.
Température 5 degrés
Direction du cap S.-E.
Nombre d'hommes à l'hélice 8.
Nombre de tours d'hélice par minute.. . 26.
Vitesse propre à l'aréostat mesurée à l'a-
némomètre 2 m , 4 5 par seconde.
Ou 8820 par heure.
Vitesse de l'aérostat sur le sol. . : . . 16 mètres par seconde.
Ou 57600 mètres par heure.
Direction de la route sur le sol N.-E. 15° E.
Angle de cette route avec la précédente. 1 degrés.
« A 2M5°> J hélice marchant encore :
Hauteur .660 mètres.
Température 4 dégrés.
Direction moyenne du cap S.-E.
Nombre d'hommes à l'hélice 8.
Nombre de tours de l'hélice par minute. 27 7.
Vitesse propre à l'aérostat mesurée à l'a-
némomètre 2 m ,82 par seconde.
Ou 10 m , 252 par heure.
Vitesse de l'aérostat sur le sol 17 mètres par seconde.
Ou 61200 mètres par heure.
Direction de la route sur le sol N.-E. 16 E.
Angle de cette route avec la dernière
observée avec le vent seul 11 degrés.
« A 2 b 30 m , hélice stoppée :
Hauteur 910 mètres.
Température 5 degrés.
Vitesse de l'aérostat sur le sol 17 mètres par seconde.
Ou 61200 mètres par heure.
Direction de la route sur le sol. . . . N.-E. 6° E.
Angle de cette route avec la précédente. 10 degrés.
- 52 -
« A 2''3S m , hélice stoppée :
Hauteur 1020 mètres.
Température 4 degrés.
Vitesse de l'aérostat sur le sol 16m, 50 par seconde.
Ou 59400 mètres par heure.
Direction de la route sur le sol N.-E. 6°E.
« A partir de 2"3S m , nous nous sommes occupés à descendre
pour prendre terre, et à 3 heures précises nous touchions
le sol au delà de Mondécourt, à 10 kilomètres un quart dans
l'est, 17 degrés nord de Noyon.
;c II me paraît intéressant de relater ici le fait suivant, sans
que j'y atlache une importance exagérée; mais il est cepen-
dant de nature à corroborer la confiance que m'inspire la mé-
thode indiquée ci-dessus jour mesurer les directions de route
et les vitesses sur le sol.
« A l h )o m , nous avions marqué de notre mieux notre point
sur la carte de l'État Major; malheureusement, je n'ai pas
réussi à ce moment à retrouver sur la terre la cour du Fort-
Neuf de Viucennes, déjà trop éloignée. Quoi qu'il en soit,
M. Zédé a tracé sur la carte, à partir du nouveau point de dé-
part, les directions et les vitesses que je lui dictais, et quand,
sur le point d'atleirlr, nous nous sommes demandé quel pou-
vait être le village au-dessus duquel nous allions passer,
M. Zédé, coudant dans sa roule tracée sur la carte, nous ré-
pondit que ce devail êlre Mondécourt, sur les confins du dépar-
tement de l'Oise et de l'Aisne. Un instant après, les villageois,
à qui nous demandions en passant sur leur tête quel était le
nom de leur village, nous répétaient en criant le nom de Mon-
décourt.
« L'opération de l'atterrissage s'est faite avec un plein suc-
cès, sans aucune secousse, malgré la force du vent, grâce à la
forme de l'aérostat qui s'est présenté debout au vent dès que
la corde du guide-rope eut traîné quelque temps sur le sol,
et grâce aussi au point d'attache de ce guide-rope et de la
corde de l'ancre, non plus sur la nacelle même, mais près de
la pointe avant du ballon sur le point de bridure des dernières
pattes d'oie du tilet porteur, point relié au restant de ce filet
par une filière en faisant tout le tour.
- 53 -
« Ayant touché le sol à 3 heures, nous avons été bientôt
entourés de paysans qui nous ont aidés à contenir la nacelle,
pendant qu'avec la soupape ouverte nous dégonflions le ballon.
A 3M5 m , l'hélice, l'organe le plus délicat de cet ensemble,
était démontée sans aucune avarie et séparée de la nacelle; à
6 heures, le ballon, la chemise et le filet étaient plies et placés
sous une bâche, sous la garde de deux hommes de notre équi-
page, en attendant que deux camions, demandés à la station du
chemin de fer à Noyon, vinssent chercher le tout. Ballon, na-
celle, hélice, le tout en bon état, sont maintenant en route ou
rendus à Paris. i
« Revenons sur quelques faits importants de celte expé-
rience : il me reste d'abord à dire que la stabilité de la nacelle,
due à son nouveau mode de suspension, a été parfaite; elle
n'éprouvait aucune oscillation sous l'action des huit hommes
travaillant au treuil de l'hélice, et l'on pouvait se porter facile-
ment plusieurs personnes à la fois à gauche et à droite, ou de
l'avant à l'arrière, sans qu'on s'aperçoive d'aucun mouvement,
pas plus que sur le parquet d'un salon.
« Évidemment le centre de gravité se déplaçant, il y avait
un petit changement de quelques fractions de degré dans la
verticale de tout le système, ballon et nacelle, ainsi que cela
ressort des calculs présentés dans la Note explicative, Cha-
pitre : Stabilité ; mais il était impossible d'apercevoir un
mouvement relatif de la nacelle par rapport au ballon, ni rien
d'analogue aux oscillations d'une embarcation flottante dont
l'équipage se déplace.
a En ce qui concerne le maintien de l'horizontalité de l'axe
longitudinal du ballon oblong, l'expérience a été aussi des plus
concluantes.
« Le résumé des faits acquis par l'essai du 2 février peut se
formuler ainsi :
« 1° Stabilité assurée malgré la forme oblongue, grâce au
système du filet de balancine;
« 2° Maintien de la forme au moyen du ballonnet à air;
s 3° Faculté de maintenir le cap dans une direction voulue,
quand l'hélice fonctionne, malgré quelques embardées dues
en giande partie â l'inexpérience du timonier;
« 4° Vitesse déjà importante imprimée à l'aérostat par rap-
- u -
port à l'air ambiant au moyen de l'hélice mue par huit hommes,
cette vite.-se s'étant élevée à 2°>,82 par seconde, ou 10 \ kilo-
mètres pour 27 | tours d'hélice par minute;
« 5° Le rapport de la vitesse propre de l'aérostat au produit
du pas de l'hélice par son nombre de tours est de 76 pour 100;
dans mon exposé des plans de l'aérostat, j'avais écrit que ce
rapport serait au moins de 74 pour 100. La résistance totale
de l'aérostat, comparée à celle de l'hélice, est donc un peu
moindre que je ne l'avais estimée;
« 6° Les huit hommes employés pour obtenir ces 27 \ tours
par minute développaient, en moyenne, un travail dont je n'ai
pas la mesure exacte, mais que je ne saurais estimer à plus
de 60 kilogrammètres, surtout en raison du frottement anor-
mal de l'arbre de l'hélice dans ses coussinets dont j'ai parlé
précédemment.
« Si l'on parvenait à se mettre bien à l'abri des dangers
que présente une machine à feu portée par un bal'on à hydro-
gène, on ferait facilement une machine de huit chevaux de
75 kilogrammètres avec le poids des sept hommes, dont on
pourrait diminuer le chiffre de l'équipage, en conservant seule-
ment un mécanicien sur les huit hommes employés à tourner
l'hélice. Le travail moteur serait ainsi de 600 kilogrammètres,
c'est-à-dire dix fois plus grand, et la vitesse de 10 \ kilomètres
à 1 heure, obtenue le 2 février, s'élèverait avec le même aé-
rostat à 22 kilomètres à l'heure. Le combustible et l'eau d'ali-
mentation pourraient être prélevés sur le lest de consommation.
On obliendrait ainsi un appareil capable non-seulement de se
dévier du lit d'un vent d'un angle considérable par des vents
ordinaires, mais pouvant même assez souvent faire route par
rapport à la terre dans toutes les directions qu'il voudra
suivre. »•
Tel est le rapport présenté par M. Dupuy de Lôme à l'Aca-
démie des sciences. — Nous avons retranché de ce long do-
cument quelques passages relatifs à des détails de peu d'in-
térêt, mais nous ne saurions trop faire remarquer que le nom
de M. GilTard semble être passé sous silence d'une iaçon sys-
tématique.
— 33 —
Note D
IS
OPINION DE QUELQUES SAVANTS SUR L'AÉROSTAT
DE M. DUPUY DE LOME
En lisant les documents très-intéressants qui vont suivre
le lecteur verra que nous ne sommes pas seul de notre avi:
au sujet du système de M. Dupuy de Lôme; notre opinion
s'appuie sur l'autorité de quelques savants publicistes dont
le public a su depuis longtemps apprécier le mérite.
Opinion de M. l'abbé Moigno
LES BALLONS DIRIGEABLES ET DIRIGÉS
(Extrait d'un article publié dans le Moniteur scientifique
du 1<* décembre 1870.)
Cet article a été publié pendant le siège de Paris, deux mois
environ après le projet que M. Dupuy de Lôme avait présenté
à l'Académie des sciences. Voici comment s'exprimait M. l'abbé
Moigno :
« Sortant des voies suivies par mes chers confrères de la
presse scientifique, je m'occuperai très-peu de la théorie,
mais beaucoup des faits déjà accomplis; je laisserai de côté les
idées et les projets pour m'attacher à la pratique. Si, au 10 oc-
tobre, désarmé de mes Mondes, qui donnent leur triste som-
meil de siège , j'avais eu l'heureuse pensée de demander à
l'Univers l'hospitalité qu'il m'accorde si libéralement, je me
serais mis immédiatement en mesure de faire ce que M. Wil-
frid de Fonvielle a fait seulement le 14 novembre. J'aurais
rappelé à l'Académie et au public- que le gros problème des
ballons dirigés, si savamment et si indépendamment discuté
par M. Dupuy de Lôme, l'illustre directeur honoraire des
constructions navales, avait reçu en septembre 1832, il y
a dix-huit ans, une solution mieux arrêtée et pluscompètej
— 56 -
et que cette solution avait subi l'épreuve d'une expérience
grandiose, la seule expérience de ce genre qu'on ait encore
tentée, je veux dire un aérostat monté, portant avec lui
une machine à vapeur de la force de 3 chevaux, avec son
charbon et son eau d'alimentation, se défendant assez de
l'entraînement du vent pour opérer avec un plein succès di-
verses manœuvres de mouvement circulaire et de déviation
latérale, seul but que M. Dupuy de Lôme espère atteindre.
« J'aurais ajouté, ce que n'a pas fait M. de Fonvielle, que,
de 1852 à 1870, M. Giffard n'a pas cessé un instant de pour-
suivre sa grande œuvre ; qu'il ne s'arrêtait que lorsque la sa-
tiété de toujours rêver ballon allait jusqu'au dégoût extrême,
et qu'enfin au début de la guerre il était prêt à entrer en cam-
pagne. Quels regrets n'inspireront pas ces lignes écrites pres-
que sous sa dictée, et qui ont pris place clans mes Mondes du
15 octobre 1863, il y a plus de sept années !
« Nous avons eu le plaisir de passer quelques excellentes
heures avec M. Henri Giffard, et de recevoir de lui de pré-
cieuses confidences; nous avons été bien heureux d'ap-
prendre que le grand et difficile problème du ballon dirigé
était résolu autant qu'il peut l'être, au delà des espérances
les plus ambitieuses. Quand la fièvre causée par le succès de
l'injecteur aura cessé, quand M. Giffard aura repris tout son
sang froid, à l'heure et au jour choisis, il descendra de nou-
veau dans l'arène avec son ballon cylindro-conique , sa ma-
chine à vapeur, et son condensateur à grande surface, pour
s'élancer et naviguer dans les airs. Parti du Champ-de-Mars,
l'aérostat dompté fera le tour de Paris, et reviendra au Champ-
de-Mars, absolument comme un cheval de course part du po-
- teau et y revient. Dès aujourd'hui M. Giffard, et l'on peut
s'en rapporter à lui, est certain que le remorquage de la ma-
chine à vapeur installé dans la nacelle fera avancer le ballon
par un temps calme ou un vent très-faible, de 10 mètres par
seconde, de 500 mètres par minute , 35 kilomètres ( neuf
lieues) par heure; c'est la vitesse moyenne des chemins de
fer. 11 ajoute que les provisions de charbon et d'eau empor-
tées par un aérostat de moyenne grandeur suffiront à un
voyage de trois jours et de trois nuits, c'est-à-dire pour par-
courir deux fois la France dans sa plus grande longueur. Le
- 37 —
moteur sera l'hélice, mais une hélice rationnelle, à larges
ailes, attelée à la nacelle, et animée d'une vitesse médiocre.
« A ceux qui s'étonnent de se trouver en présence d'une
solution si avancée, nous dirons que M. Giffard, depuis sa der-
nière ascension dans les airs (en 18S2), n'a pas interrompu
un seul inslant ses expériences. Il a d'abord mis à l'essai tous
les tissus imaginables , tous les enduits assez imperméables
pour permettre d'employer du gaz hydrogène pur extrait de
l'eau. 11 rit dans sa barbe de voir recourir à du taffetas épais
ou cher, quand une batiste double, revêtue à l'intérieur et à
l'extérieur à la fois d'une couche de caoutchouc noir d'Amé-
rique, fait un si admirable service. Le tissu et l'enduit trouvés,
il fallait créer une machine à vapeur dont le poids, ù force
égale, ne fût qu'une très-petite fraction du poids des mo-
teurs ordinaires, c'est-à-dire qu'il fallait créer la machine à
vapeur à haute pression, qui pèse peu et consomme beaucoup
moins de combustible. La première machine de ce genre,
construite dans les ateliers de M. Flaud, a déjà marché à
soixante atmosphères, et M. Giffard s'apprête à pousser la
pression jusqu'à 200 atmosphères! Ce n'était pas assez en-
core : la provision d'eau qu'on peut enlever dans les airs étant
nécessairement très-limitée, il fallait se servir de la même
eau, et condenser par conséquent la vapeur à mesure qu'elle
produit son effet mécanique. Ce nouveau progrès a été réalisé
aussi rapidement que les précédents, tant notre ami est maître
de lui-même et des éléments auxquels il commande. Chacun
de nos lecteurs pourra, quand il le voudra, voir, avenue de
Suffren, n° 40, suspendus au plafond de l'atelier, une série de
tuyaux méplats, à large surface, qui condensent la vapeur
d'une machine de 10 chevaux! Forme de l'aérostat, tissu,
enduit, machine à vapeur, condensateur, hélice, tout est donc
arrêté, tout pourra être prêt dans quelques mois de travail,
quand l'heure aura sonné.
« Et ce qui rend M. Giffard absolument sûr du succès de
son expérience, c'est qu'il n'a plus qu'à refaire, dans des
conditions incomparablement plus excellentes, ce qu'il osa
tenter dans des conditions presque impossibles. Ln oulre ,
l'injecteur l'a fait riche, très-riche, et quelle immense supé-
riorité lui donne ce sentiment tout-puissant qu'il se suffit
— 58 -
pleinement à lui-même, qu'il n'a rien, absolument rien, à
demander à personne. Voilà ce que nous écrivions en 1863,
il y a plus de sept ans. Comparons ces données et ces affir-
mations si positives aux lieux communs et aux calculs vagues
que l'on ressasse autour de nous depuis un mois, et nous
comprendrons, hélas! combien le progrès est lent à percer.
« F. Moigno. »
Opinion de M. Victor Meunier
LE BALLON DE M. DUPTJY DE LOME
(Extrait d'un article de la France scientifique (ancien Cosmos),
10 septembre 1871.)
. . . J'ai toujours pensé et plusieurs fois écrit, dit M. Victor
Meunier, que la constitution de la navigation aérienne au
moyen d'aérostats est aujourd'hui moins affaire d'invention
qu'affaire de pratique ; que tous les éléments nécessaires à un
commencement de réalisation existent et qu'il ne s'agit que
de les mettre en œuvre; commencement modeste naturelle-
ment, comme sont souvent les débuts de ce qui est appelé à
fournir une très-longue carrière.
« Il n'est personne, parmi ceux qui ont fait quelque étude
à ce sujet, à qui nous ayons la prétention d'apprendre en
quoi consistait la mémorable expérience faite le 24 septembre
1SK2 par un ingénieur alors jeune, pauvre, inconnu, et qui,
depuis, s'est corrigé de ce que cet ensemble de traits carac-
téristiques pouvait avoir de défectueux.
« Pour les personnes moins au courant, nous rappellerons
que ce jour-là M. Henri Giffard, partant de l'Hippodrome, con-
duisit à une hauteur de 1,800 mètres, — vingt-sept fois celle
des tours de Notre-Dame, — un aérostat de forme allongée,
la seule qui soit propre à la direction, et mu par une machine
à vapeur. Long de 44 mètres, ayant 12 mètres de diamètre
au milieu et terminé par deux pointes, l'aérostat contenait
2,500 mètres cubes de gaz. Il était muni d'une hélice et
d'une voile faisant oftice de gouvernail. La machine à vapeur
était de 3 chevaux...
- 59 -
« Dix-huit années s'étaient écoulées depuis cette grande
expérience quand M. Dupuy de Lôrae, persuadé que personne
encore n'avait réalisé le projet d'un aérostat capable de se
mouvoir horizontalement, en vertu d'une force propre, et
que même perspune encore n'avait poussé assez loin l'élude
d'aucun projet de ce genre pour qu'on pût « le considérer
comme fondé sur des calculs suffisamment approchés de la
vérité ni sur des dispositions praticables sans trop de diffi-
cultés, » M. Dupuy de Lôme, dis-je, propose quoi? de con-
struire un aérostat de forme oblongue et terminé par deux
pointes, qui sera long de 36 mètres et d'un diamètre de
14 mètres, qui sera mu par une hélice et muni d'une voile
faisant office de gouvernail; chose curieuse qu'après cette
rencontre nez à nez avec M. Giffard, M. Dupuy de Lôme ait
ignoré l'existence de son devancier au point de ne pas le
nommer.
« Ce n'est pas qu'entre l'invention de l'ingénieur civil et la
proposition de l'académicien il y ait identité. Non. Ainsi
M. Giffard faisait mouvoir son hélice par une machine à va-
peur qui, dès celte époque, ne pesait, chaudière comprise
que S à 6 kilogrammes par force d'homme; M. Dupuy de
Lôme revient à la force humaine. De plus, pour maintenir le
ballon sans cesse gonflé, nonobstant les dépenses de gaz, et
afin de pouvoir opérer un grand nombre de montées et de
descentes alternatives sans perdre de gaz, celui-ci emploie un
organe qui n'existait pas dans l'appareil de M. Giffard : c'est
une poche pneumatique établie à l'intérieur de l'aérostat,
poche dans laquelle on refoule de l'air pour descendre et d'où
l'on soutire de l'air pour monter. Hàtons-nous de dire que
cette poche n'est, pas plus que le reste, de l'invention de
M. Dupuy de Lôme, et qu'après avoir été proposée par le gé-
néral Meusnier, elle a été employée par les frères Kobert
dans leur célèbre ascension du lo juillet 1784...
« Victor Meunier. »
Opinion de M. Louis Figuier
M. Figuier est un de nos savants publicistes qui ont le
mieux apprécié les travaux de M. Giffard. Dans son ouvrage,
— 60 -
les Merveilles de la science, H insiste longuement sur les
expériences faites par M. Giffard dans ses ballons dirigeables
et sur les magnifiques résultats qu'il a obtenus avec ses bal-
lons captifs.
Voici comment M. Figuier s'exprime au sujet du ballon de
M. Dupuy de Lôme dans son dernier volume de l'Année
scientifique (L. Hachette et C, 1872) :
«... M. Dupuy de Lôme n'arriva en fin de compte qu'à
réaliser un système déjà expérimenté par un autre chercheur,
M. Giffard...
« Pour maintenir le ballon sans cesse gonflé, malgré les
déperditions du gaz, qui se produisent toujours, M. Dupuy de
Lôme employait le moyen qui avait été proposé à la fin du
siècle dernier par Meusnier.
Après avoir passé à la description de l'appareil de M. Dupuy
de Lôme, M. Figuier ajoute :
Il n'y avait eu en tout cela presqueaucune innovation. L'aé-
rostat adopté par M. Dupuy de Lôme différait peu, avons-
nous dit, de celui qui avait été expérimenté en 1852 par
M. Giffard... M. Giffard avait osé emporter, au sein des airs,
une machine à vapeur, tandis que M. Dupuy de Lôme, crai-
gnant la présence d'un foyer dans le voisinage d'un gaz in-
flammable, s'était contenté de la force des hommes... »
fin
TABLE DES MATIÈRES
Préface v
I. Le ballon dirigeable de M. Henri Giffard en 1852 ... . 1
II. Nouvelle tentative de direction aérienne exécutée par
M. Giffard en 1855. — Perfectionnements des organes
du ballon. — Création des aérostats captifs à vapeur. . . 9
III. Le ballon dirigeable de M. Dupuy de Lôme en 1872. 1 7
IV. Comparaison du système Giffard et du système Dupuy
de Lôme 23
Conclusion 29
Appendice 31
Note A. Description du premier aérostat dirigeable à va-
peur de M. Giffard (Note de l'inventeur) 51
Note B. Décret du Gouvernement de la Défense nationale
concernant la construction d'un ballon dirigeable 37
Note C. Description de l'aérostat dirigeable de M. Dupuy
de Lôme (Note de l'inventeur) 37
Note D. Opinion de quelques savants sur l'aérostat de
M. Dupuy de Lôme 55
Opinion de M. l'abbé Moigno • • • 55
4
— C2 —
Opinion de M. Victor Meunier 58
Opinion de M. Louis Figuier 59
LISTE DES GRAVURES
1° Le ballon dirigeable de M. Giffard 5
2° La machine à vapeur du ballon de M. Giffard. ..... 7
3» Le ballon dirigeable de M. Dupuy de Lomé 18
FIN DE LA TABLE
PARIS. — EDOOARD BLOT ET FILS AÎNÉ, [MPRIMEDRS, RUE BLEUE, 7.
Accession no.
9124
Author
Tissandier,G»
Les ballons di-
rigeables, -u
Call no. TLéJ Z
cerf