'L'HOMMAGE FRANÇAIS"
y,
L'EFFORT BELGE
par
Louis MARIN
Depulr
PUBLICATIONS DU COMITfe
M L'EFFORT DE LA FRANCE
ET DE SES ALLIÉS "
BLOUDd- (îA Y, BdUeun
PARI5-HARCELONE
.M
L'EFFORT BELGE
Y
"L'HOMMAGE FRANÇAIS"
'EFFORT BELGE
PAR
Louis MARIN
Député de Nancy
PUBLICATION DU COMITÉ
"L'EFFORT DE LAI FRANCE
ET DE SES ALLIÉS "
BLOUD & GAY
ÉDITEURS
TARIS . BARCELONE
, Rue Garancière Calle Jel Bruch, 35
1918
Tous"droits réservé»
ÇO(75 le titre : L'Effort de la France et de ses Alliés, il a été
• *^ fondé à Paris, sous la présidence de M. Stéphen Pichon,
un Comité de Conférences dont le but est d'expliquer au grand
public le persévérant effort fourni par les Alliés.
Montrer avec pièces à l'appui que les peuples à qui la guerre
fut imposée et qui luttent pour la liberté du monde sont dignis les
uns des autres, faire comprendre ce, qu'il y a de grand et de beau
dans le devoir qu'ils accomplissent, de noble et de profond dans
l'idée qui les mène, tel est le programme du Comité.
En rendant ainsi justice à l'héroïsme et à la fidélité de nos
vaillants compagnons d'armes, le Comité est en droit de complet
que la France recevra d'eux pareil hommage; aux manifestations
organisées dans notre pays en l'honneur des Alliés, succéderont
chez eux des conférences qui diront toute la grandeur de l'effort
français.
Les premières conférences organisées sous le patronage du
Comité ont obtenu, dans les diverses villes où elles furent faites,
un éclatant succès. Les auditeurs ont, à maintes reprises, exprimé
le désir d'en posséder le texte qui n'offrira pas moins d'intéiit aux
personnes n'ayant pu assister à ces réunions.
Nous avons pensé cependant que nos conférences formerai' nt
dans leur ensemble une œuvre plus durable, si on leur enlevai! la
forme oratoire sous laquelle elles furent d'abord présentées. Ac-_„
avons donc prié les conférenciers de leur donner l'aspect de traités
courts et substantiels, avec divisions claires et table des matières.
Nous reproduirons d'ailleurs, en appendice, les documents relatijs
t la conférence : programme de la séance, Allocution du ou des
présidents, etc.
Ainsi adaptées, nous espérons que les douze études qui, sous L
titre général : L'Hommage Français, formeront la première série
des publications du Comité : L'Effort de la France et de ses
Alliés, trouveront auprès de nombreux lecteurs un accueil encoura-
geant et de nature à engager leurs promoteurs à en ooursuivre le
développement.
Paul LABBÉ,
Secrétaire général du Comité.
t— T ; Y
V . ,
L'EFFORT BELGE
Le martyre qu'endura la Belgique lui assure dans l'Histoire
une. auréole d'autant plus émouvante que ce martyre n'a pas
été seulement celui de la faiblesse brutalisée par la Barbarie,
mais de la faiblesse se sacrifiant pour le Droit et pour l'Hon-
neur. A ce titre, la conscience universelle en gardera, jusqu'au
plus lointain des âges, un souvenir sacré et attendri.
Dès les premiers jours de la guerre, ce martyre et la viola-
tion de la neutralité belge déterminèrent, non seulement la
situation de la Belgique, mais la pleine signification du conflit
devant le monde. Ceux qui, jadis, prévoyaient la redoutable
éventualité de la guerre l'entrevoyaient comme la lutte déci-
sive de peuples que séparaient, pour un temps, des intérêts
opposés, mais le martyre que la Belgique subit, de la part de
l'Allemagne, pour avoir refusé de livrer passage à ses armées,
montra à l'univers que les Alliés n'allaient pas combattre seu-
lement pour leur existence et leur idéal particulier, mais aussi
pour la cause du droit et de l'honneur, pour le maintien du
caractère sacré des contrats, pour tout ce qui fonde notre
civilisation ; la suite de la guerre a confirmé ce douloureux
prélude.
Ce sacrifice eût suffi pour valoir à la Belgique l'éternelle
sympathie des peuples civilisés et, quand les Gouvernements
alliés de France et d'Angleterre ont déclaré qu'ils ne dépose-
raient pas les armes avant d'avoir rétabli ce noble pays dans
son intégrité et ses droits, ils ont répondu au sentiment una-
nime des honnêtes gens. Recevant le Ministre de Belgique, au
moment où il lui présentait ses lettres de créance, le Président
d<: la République a résumé l'opinion certaine de tous les
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l'effort belge
peuples et de tous les Gouvernements alliés en disant : « Si la
Belgique ne recouvrait pas sa pleine indépendance, si elle ne
recevait pas les réparations qui lui sont dues, une honte
ineffaçable souillerait les annales de l'Europe et il ne nous res-
terait qu'à envelopper éternellement d'un voile funéraire la
statue de la Justice ; il ne se trouverait pas un de nos alliés
qui ne préférerait la mort à cette ignominie. »
Le Comité de l'Effort de la France et de ses alliés ne parlera
pas cependant de la Belgique douloureuse, dont le sort pitoya-
ble a touché tous les cœurs. Elle n'est pas seulement, en effet,
la victime volontaire dont l'héroïsme retiendra l'attention de
l'histoire plus encore que ses malheurs ; elle ne s'est pas seule-
ment sacrifiée au plus haut idéal d'honneur qui puisse mériter
l'admiration et entraîner l'exemple des hommes. Son rôle agis-
sant, dans la guerre et dans l'effort militaire commun des
alliés, son œuvre diplomatique et morale ont eu, dès le début,
une importance capitale.
C'est ce que le Comité de l'Effort des Alliés a voulu mettre
en lumière et, comme l'heure n'est pas encore à décerner des
couronnes, comme nos pensées, si reconnaissantes qu'elles
soient pour les mérites passés, sont surtout tendues au travail
du présent et de l'avenir, je dégagerai particulièrement, dans
l'effort de la Belgique, ce qui, dans le passé, nous est garant
des efforts et des succès prochains.
Si les petits pays, et notamment la Belgique, avaient, pen-
dant la paix, été souvent des modèles pour les grandes nations
en bien des domaines, si nous avions été leur emprunter des
institutions de bienfaisance, de prévoyance, des œuvres sociales
de tous genres, on ne pouvait que se demander avec angoisse
quelle serait leur destinée s'ils étaient entraînés dans une
guerre commune avec de puissants voisins, où ceux-ci, longue-
ment préparés à un effort colossal, mettraient tout à coup sur
pied des millions d'hommes, les armeraient d'un matériel for-
midable ?
L'exemple de la Belgique va nous montrer qu'elle apporta dès
la première heure et apportera encore à ses grands alliés un
appoint militaire important, un concours diplomatique capital,
une vaillance morale qui garantit l'indissolubilité de l'union
de l'Entente et un succès final complet.
L'Effort Guerrier
Quand le sang d'une jeunesse héroïque coule à flots et que
la décision est entre les mains des soldats, c"est l'effort des
combattants auquel va d'abord notre pensée et notre recon-
naissance.
LA SITUATION Dans certains pays neutres, on s'est
Qg BELGI- étonné, non seulement que la Belgique
OUE AU POINT a ^ fourni un efïort militaire considérable,
ne viip mais même q u ' elle ait pu fournir un effort
•- militaire quelconque ; on a cru de bonne
- MILITAIRE - f j en Amérique que la neutralité belge
était de telle nature qu'elle lui interdisait toute action mili-
taire.
Rien de plus inexact. Le statut international de la Belgique
déterminé par les traités de 183 1 et de 1839 lui donne le droit
et lui impose même le devoir de défendre sa neutralité par les
armes, ce qui d'ailleurs est conforme à la théorie de la conven-
tion de La Haye. Le fait que la Belgique a toujours entretenu
une armée, la position que cette armée a prise le long des fron-
tières pendant la guerre de 1870, montrent qu'il n'y eut ja-
mais, à cet égard, aucun flottement dans l'interprétation des
traités. Selon la noble expression d'un homme d'Etat belge,
la Belgique, en défendant sa neutralité les armes à la main,
n'a donc fait que remplir son devoir. Mais elle l'a rempli
héroïquement, jusqu'au bout, sans tergiversation et sans ar-
rière-pensée.
Comment, en fait, y était-elle préparée?
Quand on se rappelle qu'à l'heure où le Gouvernement faisait
sa déclaration à l'Allemagne, l'armée belge était en pleine
réorganisation, qu'elle était loin du chiffre de 350.000 hommes
prévu par la nouvelle loi militaire et auquel elle ne devait
arriver qu'en 1918, on est saisi d'admiration devant la résolu-
tion prise par le Roi et devant le plan qui fut adopté « pour
la défense de la neutralité et du territoire ».
Or, ce plan a été singulièrement dépassé depuis : l'armée
belge ne s'est plus contentée de défendre sa neutralité et son
territoire ; elle a pris part à la guerre et y jouera son rôle jus-
qu'au bout. Avec quelle efficacité? nous allons en juger en
rappelant quelques-uns de ses titres de gloire.
La campagne de Belgique comprend quatre actes essentiels :
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l'effort belge
la défense de la position fortifiée de Liège, la défense de la
ligne de la Gette et de la position de Namur, la défense d'An-
vers et la bataille de l'Yser.
LA DÉFENSE - ^ U ma ^ u ^ u 4 aouT -> deux divisions
DE LA P S I ^ 6 cava ^ er i e allemande avaient déjà
franchi la frontière et envahi le pays de
TION F R T I- Herve Ev itant par le nord la position
F'ÉE DE: LIÈGE fortifiée de Liège, elles étaient arrivées à
Visé ; mais, ayant trouvé le pont détruit et les passages du
fleuve gardés, elles s'étaient repliées sur le corps d'armée prin-
cipal.
Dès le 5 août, sept corps d'armée, environ 300.000 hommes,
furent groupés en quelques heures sur les voies d'invasion que
barrait la position fortifiée de Liège. Les Allemands comptaient
certainement que, devant un tel déploiement de forces, le Géné-
ral Léman, commandant de la place, renoncerait à une résis-
tance inutile et capitulerait.
Dans la matinée, un parlementaire se présenta donc deman-
dant au Gouverneur de livrer passage à l'armée allemande.
Sur le refus catégorique du général Léman, les Allemands
passèrent immédiatement à l'attaque de vive force des forts de
Chaudfontaine, Fléron, Evegnée, Barchon et Pontisse.
Bien qu'une puissante artillerie lourde les appuyât, les assail-
lants furent partout repoussés avec de fortes pertes et les débris
de l'armée de von Emmich, refoulés d'entre Barchon et Eve-
gnée, s'enfuirent à grande distance de la ceinture des forts,
complètement désemparés. En une vraie déroute, ils refluèrent
jusqu'en Allemagne ; à Aix-la-Chapelle, les administrations
civiles et militaires chargèrent leurs archives sur du charroi.
Ce succès belge inespéré fut de courte durée. Des renforts alle-
mands arrivèrent dans la strirée du 5 août en tel nombre que
l'armée chargée de défendre les intervalles risqua d'être entou-
rée, battit en retraite tandis que les forts continuaient à tenir.
Les derniers ne tombèrent que les 16 et 17 août. Les Alle-
mands avouèrent avoir perdu devant Liège 42.712 hommes.
Mais ce qui, pour eux, était infiniment plus grave, ils avaient
perdu un temps précieux et si leur élan n'était pas, hélas ! brisé,
leur marche avait été du moins ralentie.
Telle qu'elle s'est produite, la résistance imprévue et prolon-
gée de Liège a eu des résultats considérables : elle a été le pre-
mier échec du plan de TEtat-major allemand et elle a détruit
ainsi la légende de son infaillibilité; elle nous a permis d'achever
notre mobilisation et notre concentration qui eût pu être grave-
l'effort belge
9
ment gênée si, comme l'espérait l'ennemi, ses avant-gardes, tra-
versant en trombe la Belgique passive, avaient atteint notre
frontière du Nord dans la soirée du 5 août. L'instinct popu-
laire ne s'y est pas trompé et tous ceux qui ont vécu à Paris
les premiers jours de la guerre se souviendront éternellement
de l'enthousiasme avec lequel fut accueillie la nouvelle de la
résistance héroïque du général Léman : beaucoup y ont vu le
signe précurseur de la victoire.
-LA DÉFENSE- Tan dis que l'armée allemande était ar-
DE LA CETTE fêtée devant Liè S e > 1,arm ee belge
fc achevait sa concentration et prenait posi-
tion sur la Gette, ligne de défense naturelle qui prolonge en
quelque sorte la barrière de la Meuse.
Sur cette nouvelle position, elle demeura en observation jus-
qu'au 18 août, livrant à l'envahisseur quelques combats heu-
reux, comme celui de Haelen où les Allemands furent défaits
et repoussés en désordre.
Des informations reçues dès le 17 août, il résulta que la
masse de l'armée allemande était décidément entrée en Belgi-
que ; 11 corps d'armée et demi se trouvaient devant la petite
armée belge. Indépendamment des forces qui se dirigeaient
vers la France â travers le Luxembourg belge et la province de
Namur, environ 500.000 hommes marchaient sur la rive gauche
de la Meuse.
Or, quelle était, à ce moment, la situation des armées an-
glaises et françaises avec qui l'armée belge avait espéré faire
la liaison sur la ligne de la Gette ?
Suivant les renseignements fournis par le Commandement
français, la 5 e armée avait un corps tenant les ponts sur la
Meuse entre Givet et Namur et les ponts de la Sambre entre
Floreffe et Tamine ; 3 autres corps de cette armée étaient arrivés
le 19 dans la région de Philippeville, mais étaient menacés
par 3 corps d'armée ennemis s'étendant d'Yvoir à Beauraing.
L'armée anglaise arrivait au sud de la Sambre vers Maubeuge.
La liaison des armées alliées étant donc impossible, l'armée
belge, forte d'environ 2 corps d'armée, demeurait seule en con-
tact immédiat de 11 corps 1/2. Si elle eût conservé ses posi-
tions, elle eût dû livrer le 19 une bataille dont le résultat défa-
vorable n'était pas douteux. Assaillie sur son front et sur ses
flancs par des forces très supérieures, elle eût été coupée d'An-
vers où se trouvaient tout son ravitaillement et ses munitions.
Aussi, le 18 août, dans l'après-midi, le roi décida-t-il la retraite
de l'armée vers le nord-ouest.
10
l'effort belge
Cette retraite détermina la chute de Namur, incapable de
résister à la grosse artillerie allemande. Dès les premiers coups
de canon, les coupoles étaient détruites et la 4° division qui
défendait la ville commença, le 23 août, une retraite extrême-
ment difficile dans les bois entre Sambre et Meuse ; elle put
gagner la France d'où elle fut réexpédiée vers Anvers.
L'armée belge n'avait-elle pas déjà rempli sa mission? Pen-
dant 13 jours, elle avait conservé sa position d'observation,
résisté aux attaques de la cavalerie et des troupes légères de
l'ennemi ; elle l'avait obligé à opérer sa concentration dans la
région frontière et lui avait fait perdre un temps précieux ;
elle avait empêché la droite de l'armée d'invasion de prendre sa
marche sur nos villes de la Manche et avait obligé le torrent
à rétrécir son cours.
■ . nrf.r-i- »■<■>■- La ligne de la Gette forcée, Bruxelles
-LA DEFENSE- , ,, „ , ..
occupée, larmee allemande reprit sa
- D'ANVERS - marche foudroyante vers Paris, se conten-
tant de laisser quelques corps de landwehr en observation
devant la forteresse belge dont elle jugeait la menace absolu-
ment négligeable.
Durement éprouvée par les débuts pénibles d'une campagne
difficile, l'armée belge allait pourtant montrer à l'ennemi qu'elle
était loin d'être mise hors de cause ; de son camp retranché
d'Anvers, elle allait opérer plusieurs sorties qui n'ont pas été
sans influence sur la suite des opérations militaires.
Les 25 et 26 août, pendant la bataille de Charleroi, elle fait
une première sortie qui se heurte à des positions défensives déjà
organisées ; la bataille terminée par une retraite que nous devions
arrêter sur la Marne, l'armée belge rentre dans ses cantonne-
ments du réduit national pour y conserver une attitude dé-
fensive.
Le soir du 6 septembre, au moment où, sur les champs de la
Marne, se couchait flamboyant un soleil qui, dans l'histoire du
monde devait être plus radieux que celui d'Austerlitz, des mou-
vements se produisaient parmi les troupes de siège allemandes ;
le 7 septembre, le haut commandement belge, ayant appris que
les forces assiégeant la place étaient réduites et que trois divi-
sions de l'armée d'observation se dirigeaient sur la France
afin de renforcer l'armée de Von Kluck en retraite de la Marne
vers l'Aisne, décide une nouvelle sortie. Elle débute fort heu-
reusement ; les débouchés du Démer sont conquis, Aerschot
repris, des éléments de cavalerie pénètrent jusqu'à Louvain ;
et ce mouvement offensif inquiète si sérieusement le comman-
dement allemand que celui-ci rappelle brusquement la 6 8 di-
vision d'infanterie de réserve déjà en route vers la France.
L'EFFORT BELGE
II
Si, le 13, l'armée dut se replier vers le camp retranché et si
les espérances des Bruxeïïofs qui se voyaient déjà délivrés
tombèrent, l'opération avait du moins retardé l'envoi des ren-
forts sur l'Aisne et participé, pour sa part, au succès magni-
fique de l'armée anglo-française.
Le 20 septembre, la guerre prend le caractère de guerre de
tranchées. Le front n'est pas encore fixé, mais il va l'être bien-
tôt. Sur l'Aisne, en Champagne, les Allemands se sont forti-
fiés, l'armée alliée cherche à les déborder vers le nord ; eux-
mêmes voulant atteindre le même résultat, les deux armées
cherchent à se gagner dans leur course à la mer.
Alors, les Allemands, pour lesquels la position fortifiée
d'Anvers devient une menace, en décident le siège ; ils amè-
nent leur artillerie de gros calibre et, le 28 septembre, les opé-
rations commencent par une forte préparation d'artillerie. Le
29, l'ennemi attaque un des principaux secteurs de la place ;
les forts de Wavre-Sainte-Catherine et de Waelhem sont cou-
verts de projectiles et l'écroulement successif des voûtes
contraint la garnison à évacuer l'ouvrage.
Dès lors, le sort de la place était fixé. Contrairement aux
espérances anciennes, le camp retranché ne pouvait constituer
un refuge pour les troupes de campagne. Aussi, dès ce jour, le
haut commandement envisagea-t-il le moment où l'armée devrait
abandonner la place pour ne pas se voir contrainte à déposer
les armes.
L'évacuation d'Anvers était délicate ; il s'agissait de trans-
porter vers l'ouest toute la base de la défense belge. Ostende
choisi, on prépare aussitôt le transport des blessés, prisonniers,
approvisionnements de toute espèce, dépôts des corps et recrues
de la nouvelle levée, corps de volontaires non instruits ; l'ar-
mée aura donc sa pleine liberté d'action, vivra de sa vie propre,
dans Anvers ou hors d'Anvers, et quittera la place dès que
celle-ci sera jugée irrémédiablement compromise.
Cependant, le commandement qui se rend compte de l'im-
portance morale de la chute de la grande citadelle belge orga-
nise énergiquement la résistance et celle-ci, renforcée par la
brigade navale anglaise, se prolongera jusqu'au 7 octobre.
Ce jour-là, toutes les lignes extérieures de la place, la ligne
de la Nèthe, la ligne de la Dendre sont percées ; une forte
armée allemande, menace Gand et les Flandres qui ne sont dé-
fendus que par des gardes civiques et des corps de volontaires.
La retraite encore possible devient urgente, car, pour rejoindre
le littoral et la base d'Ostende, l'armée ne dispose plus que
d'un long couloir étroit qui longe la frontière hollandaise avec
12
l'effort belge
des routes rares et une seule ligne de chemins de fer à voie
unique.
Le 6, dans la soirée, avait commencé la retraite et, le 7 au
matin, l'armée est tout entière passée sur la rive gauche de
l'Escaut ; le Roi quitte la place à 3 heures de l'après-midi. Le
jour même, l'Escaut était forcé à Schoonaerde et l'ennemi si-
gnalé aux portes de Gand : grave péril d'encerclement. C'est
une des heures tragiques de la guerre. On peut craindre un
moment que l'armée belge ne soit coupée de ses alliés et re-
jetée en Hollande.
Arrivent alors les renforts franco-anglais : la brigade des
fusiliers marins, commandée par l'amiral Ronarc'h, débarque à
Gand et, un peu en avant de cette ville, à Melle, appuyée par
deux groupes d'artillerie belge, elle refoule les assaillants.
Quelques heures gagnées sont, à cette minute, d'un prix ines-
timable. Tandis que les artilleurs belges et les fusiliers marins
protègent la retraite, l'armée d'Anvers s'écoule rapidement
vers Ostende et, plus loin, vers l'Yser.
Le 10 octobre, le dernier fort d'Anvers capitule ; mais, lé 15,
l'armée belge et les fusiliers marins français prenaient posi-
tion sur l'Yser.
La chute d'Anvers frappa douloureusement les Belges et
causa une profonde déception dans tous les pays de l'Entente,
qui savaient la place très bien fortifiée et vaillamment défen-
due, mais qui méconnaissaient encore l'effet de l'artillerie à
gros calibre.
Au surplus, cette heureuse retraite fut une manière de vic-
toire. Devant les masses formidables en hommes et en artil-
lerie que l'ennemi amena devant Anvers, en échappant à
l'étreinte par une retraite habile et opportune, l'armée belge
a réservé l'avenir. D'autre part, si l'intervention de la garnison
d'Anvers n'a pas pu changer la face des choses pendant la ba-
taille de Charleroi, elle a eu l'heureux effet, à la fin de la ba-
taille de la Marne, de retenir en Belgique toute une division
allemande et de retarder pendant deux jours la marche en avant
de tout un corps de réserve dont Von Kluck avait grand besoin.
Elle est un des éléments qui entrent en ligne de compte dans
cette victoire qui a décidé, en somme, de l'issue de la guerre.
LA BATAILLF Au début de la guerre, il avait été donné
DE L'YSER " " ne P relnière fois à l 'armée belge de re-
■ ■ " tarder sur la Meuse le plan d'envelop-
pement conçu par l'Etat-Major allemand. Sur l'Yser, la même
tâche allait lui incomber et elle la remplit dans des conditions
peut-être plus , défavorables encore, avec un héroïsme qui fait
l'effort belge
13
de cette bataille une des plus belles pages, pourtant si nom-
breuses et si sublimes, de la guerre.
L'état du pays. — Si le pays présente pour l'attaque de
grosses difficultés, sa nature rend aussi sa défense pénible.
C'est une plaine basse, un immense polder, gagné jadis sur la
mer et les marais par la ténacité de ses habitants. Elle, est
presque tout entière au-dessous du niveau de la mer à marée
haute. Un jeu d'écluses, près de Nieuport, assure l'évacuation
à marée basse du trop-plein des eaux de l'intérieur. Inverse-
ment, l'ouverture des écluses permet d'inonder le pays, moyen
classique de défense de ces terres flamandes, et dont Vauban,
quand il fortifia Dunkerque et Bergues, sut faire un savant
usage.
Pas d'ondulations apparentes sur ce terrain plan. Les digues
de l'Yser et le remblai du chemin de fer quand il longe le petit
fleuve marquent à peine un léger repli. Vers Dixmude, la rive
droite de l'Yser domine la rive gauche. Tout autour, c'est
l'immense pâturage complètement découvert de la région de
Fumes avec quelques fermes disséminées çà et là, au milieu des
prairies. Peu d'arbres, sauf le long des routes. On dirait un
immense champ de tir, avantage inappréciable pour l'armée
qui possède la supériorité de l'artillerie. Par contre, le terrain
est très défavorable aux attaques d'infanterie, car les parcelles
de terre sont limitées par des fossés pleins d'eau.
L'état des troupes. — Deux mois et demi de campagne, de
nombreux combats, des manœuvres incessantes, une retraite
pénible, la chute d'Anvers, considérée précédemment comme
un rempart inexpugnable, avait diminué le nombre et les forces
des soldats belges. Ces troupes décimées, mal vêtues, mal nour-
ries, allaient avoir à combattre non seulement l'armée victo-
rieuse qui venait d'entrer dans Anvers et que cette victoire
avait exaltée, mais aussi des contingents nouveaux, venus
d'Allemagne, recrutés dans la jeunesse universitaire, pleins
d'enthousiasme et toujours confiants dans la victoire.
Les forces allemandes amenées sur l'Yser s'élevaient à
140 bataillons appuyés de plus de 350 pièces d'artillerie contre
l'afmée belge réduite à 82.000 hommes dont 48.000 fusils et la
brigade des fusiliers marins, troupes d'élite, troupes incompa-
rables, mais dont l'effectif ne s'élevait pas à plus de 6.000
hommes.
Plus tard, des forces plus importantes interviendront dans la
seconde partie de la bataille ; le i OT corps anglais, le 21 octobre ;
la 42e division française le 23 ; le g e corps français le 24, et
le 16 e , le 31. Mais entre le 13 et le 23 octobre, la route de Calais
14,
l'effort belge
ne fut donc barrée que par les 48.000 Belges et nos fusiliers
marins.
La Bataille. — Pour bien comprendre ce que fut l'effort de
cette petite armée pendant la bataille de l'Yser, il faut la suivre
jour par jour.
Le 15, quelques escarmouches dans l'après-midi.
Le 16 et le 17, après un bombardement préliminaire, pre-
mières attaques sérieuses sur la tête de pont de Dixmude,
qu'on n'avait- eu le temps de protéger que par de simples
tranchées peu profondes. Les fusiliers marins, appuyés de six
.batteries belges, repoussent l'ennemi en lui infligeant de fortes
pertes.
Le 18, l'attaque remonte vers le nord, sur les postes avan-
cés qui commandent Nieuport ; appuyés par les monitors bri-
tanniques, qui se sont approchés le plus près possible des dunes
et balayent la route qui les longe, ces postes résistent à l'as-
saut de toute une division ; un moment, le 7 e de ligne cède à
Mannekensvere, mais il reprend ses positions dans la soirée.
Le 19, l'attaque s'accentue dans le même secteur ; Nieuport
est soumis à un bombardement de plus en plus précis ; Manne-
kensvere devient intenable. La cavalerie française, tentant
alors une diversion vers le sud, attaque les positions alle-
mandes de Roulers ; elle est obligée de se replier devant des
forces supérieures après avoir été sensiblement éprouvée ; aus-
sitôt les attaques sur TYser reprennent avec une fureur crois-
sante et, peu à peu, ses héroïques défenseurs sont obligés de se
replier.
Le 20, l'armée belge ne garde plus, sur la rive droite de
l'Yser, entre Dixmude et la mer, que la tête du pont, situé
aux extrémités de ce front. Dixmude subit un nouvel assaut
plus terrible. Une formidable attaque allemande a écrasé une
compagnie du ia" de ligne et pénétré dans les tranchées ; le
front est sur le peint d'être percé quand deux compagnies de
fusiliers marins, intervenant, les rejettent en désordre.
Le 21 voit le déploiement complet de l'armée allemande qui
prépare le passage de l'Yser par un bombardement métho-
dique très violent et se lance simultanément à l'attaque sur
Dixmude et sur Ypres. En face de l'armée belge, 7 divisions
ennemies comprennent des troupes fraîches et une artillerie
accrue par l'appoint des pièces de siège amenées d'Anvers ;
plus de 400 pièces de canons de tous calibres, du 77 au 210,
entrent en action alors que l'armée belge n'a que 350 pièces de
campagne de 75 et 24 obusiers de 150, dont l'approvisionne-
ment est extrêmement réduit. Aussi, les tranchées de la 2" di-
l'effort bblge
15
vision, vers Nieuport et Saint-Georges, celles de la i n divi-
sion vers Schoorbake, sont-elles immédiatement bouleversées
par les obus ennemis. A Dixmude, les explosions se produi-
sent à raison de 20 à 30 par minute. Les assaillants avancent,
par colonnes terrées, littéralement fauchés par la mousqueterie
et les feux de mitrailleuses ; chaque vague d'assaut décimée est
suivie par une autre vague plus nombreuse et plus résolue.
Cependant, troupes belges et fusiliers marins tiennent bon ;
à certains moments, les tranchées sont occupées, mais, chaque,
fois, une contre-attaque vigoureuse les reprend.
Le 22, toute la défense paraît compromise : depuis âS heures,,
la boucle formée par l'Yser à Tervaete est battue des feux croi-
sés de l'artillerie allemande ; sous le couvert de cette canon-
nade, l'infanterie ennemie s'empare d'une passerelle construite,
à l'est de Tervaete et s'inliJtre dans la boucle. Des quantités
de mitrailleuses y sont aussitôt transportées et, malgré tous
les efforts que les Belges font pour reprendre cette position
importante, à la fin de la journée, deux divisions allemandes
ont pris pied sur la rive gauche du fleuve.
Le 23, la 4 e division, avant-garde de l'armée d'Urbal, arrive
à Fûmes. C'est la délivrance : mais la relève ne peut se faire
immédiatement parce que l'offensive de l'armée allemande pré-
vient celle des alliés. L'héroïque armée de l'Yser doit pour-
suivre son effort.
Le 24 est donc une journée très dure. Pour donner à l'in-
tervention française le temps de s'organiser, il fallait tenir
toutes les positions. Or, les Allemands, comme s'ils avaient,
pressenti que c'était le moment décisif, lancent 15 assauts suc-
cessifs sur la tête de pont de Dixmude.
Le 25, l'offensive allemande se ralentit un instant, mais,
dans la nuit, elle reprend de plus belle.
Le 26, la tête de pont de Schoorbake est enlevée. Heureuse-
ment, vers Nieuport, la situation s'améliore ; les premiers
éléments de la 4 e division commandée par le général Grossetti
attaquent Lombartzyde pour leur coup d'essai et progressent
du côté de Westende. Mais des renforts sont sans cesse amenés
par les Allemands, A ce moment, les pertes de l'armée belge
étaient extrêmement fortes. Pas une unité qui n'ait été grave-
ment éprouvée. Le i OT bataillon du 2 e carabiniers comptait en-
core 6 officiers et 346 hommes. Les soldats étaient à bout de
forces, l'artillerie était épuisée ; depuis le 18, les canons de
campagne avaient compensé par leur activité, leur infériorité
numérique et la supériorité des Allemands en batteries lourdes ;
ce travail intensif avait mis hors d'usage de nombreuses pièces
i6
-l'effort belge
}
et vidé les réserves de munitions ; il restait 151 coups par pièce
à la 6 e division, 100 à la 2 e , 90 à la 4 e . Le commandement
belge se résigna alors au moyen suprême de la défense des
Flandres : l'inondation.
Le 25 octobre à 4 heures, le travail d'obturation des ponts
du chemin de fer avait commencé. Magnifique spectacle d'un
peuple qui appelle à son aide les ressources secrètes de la terre
natale sur laquelle ses ancêtres ont vécu, qu'ils ont acquise
sur la mer, fécondée de leur sueur et défendue de leur sang!
On ouvrit à marée haute les écluses de Nieuport en limitant
l'inondation au chemin de fer du talus de Dixmude, de façon
que celui-ci devint une digue et une ligne de défense, et, aus-
sitôt, l'eau commença à sourdre dans l'immense plaine ensan-
glantée.
Le 29, il fallut résister à la nouvelle attaque de l'armée alle-
mande surexcitée par la présence de l'empereur qui, arrivé
au Grand Quartier Général de Thielt, voulait à toute force
emporter la route dé Calais. Dans la matinée, le duc de Wur-
temberg qui commandait en chef donna le signal de l'assaut.
Le bombardement reprit toute son intensité du début et dura
toute la nuit. A l'aube, l'infanterie, en masses profondes, com-
mença ses attaques. Elles se renouvelèrent toute la journée vai-
nement. Nos tranchées résistèrent. Cependant, vers la fin du
jour, Ramscapelle, point stratégique de grande importance, fut
emporté d'assaut.
Le soir du 30 octobre, toutes nos positions étaient mainte-
nues.
D'une magnifique émulation, un bataillon du 14 e de ligne
belge, deux bataillons de tirailleurs algériens, le 16 e bataillon
de chasseurs français avaient repris le village.
Le 31 octobre, la crise se dénoue sur le front belge ; la 5 e di-
vision allemande est rejetée partout : la bataille de l'Yser est
terminée, tandis que la bataille d'Ypres atteint son point
culminant.
C'est une magnifique victoire, mais d'efforts continus, où
l'armée belge fut décimée. D'après le rapport officiel du haut
commandement, 14.000 tués et blessés, plus de la moitié des
pièces d'artillerie hors d'usage, les hommes dans un état
d'épuisement complet. Belges et fusiliers marins avaient bien
mérité de leurs deux patries. Une nouvelle fois, sur l'Yser
comme sur la Meuse, l'armée belge avait rendu à la cause
commune un service signalé. En se sacrifiant, elle a retardé
l'invasion : elle a sauvegardé inviolée une partie du sol belge ;
elle a- permis aux forces de la France et de l'Angleterre de
l'effort belge 17
constituer leur défense infranchissable ; avec elles, elle a ainsi
préparé la victoire future.
■LA DÉFENSE- L'héroïsme de l'armée belge à la ba-
il _„ nM _ taille de l'Yser a été célèbre dans le
' monde entier, mais on s'est figuré dans
( beaucoup de pays qu'après cet effort prodigieux elle était dé-
finitivement mise hors cause. Or, pendant que sa reconstitu-
tion en vue d'une action future était menée avec une activité
extrême par M. de Broqueville et ses collaborateurs, elle n'a
cessé de remplir, durant les interminables mois de la guerre
d« tranchées, le rôle qui lui avait été assigné.
Pendant les premières semaines qui suivirent cet effort gi-
gantesque, elle fut appuyée, il est vrai, sur les lignes qu'elle
avait à défendre, par des divisions françaises. Mais bientôt
elle reprit sa place tout entière et, depuis de longs mois, elle
occupe à elle seule un front de plus de 30 kilomètres. Or,
comme elle se composait de 6 divisions, plus 2 divisions de
4 cavalerie, elle n'avait guère sur le front que 4 hommes par
mètre, c'est dire qu'elle était entièrement occupée à la défense
de ses tranchées et qu'elle ne pouvait entreprendre une grande
offensive.
Par sa nature, le. front qu'elle occupe est extrêmement diffi-
cile à défendre. Le terrain est humide et spongieux. L'entre-
tien seul des tranchées demande des efforts constants et des
travaux incessants. Les Allemands, d'autre part, ne cessent
de surveiller les lignes de très près ; au moindre signe de fai-
blesse, ils reprendraient leur offensive. Ils tâtent continuel-
lement le terrain, canonnent, patrouillent, lancent des attaques
locales.
Les soldats sont animés du moral le plus ferme et d'un
esprit d'offensive qui ne demande qu'à se manifester. Beau-
■* coup voient devant eux les clochers de leur village ; ils songent
que derrière les lignes ennemies se trouvent leurs familles,
leurs maisons, tout ce qui leur est cher, — et que maltraite
le barbare — aucune troupe n'est possédée d'une plus grande
haine de l'ennemi.
En défendant la ligne de l'Yser de telle façon que les Alle-
mands ne peuvent songer à y prendre l'offensive, l'armée belge
continue à rendre à la cause commune de grands services. La
fermeté de son- front donne aux armées alliées qui opèrent plus
au sud vers Lille et vers la Somme, une liberté de mouve-
ments qui nous permet en ce moment les plus grands espoiis.
«
18 l'effort belge
Insistons sur ce fait que la coordination des efforts, l'unité
d'action, qui sont les grandes difficultés des coalitions, furent
réalisées, avec la Belgique, de la façon la plus parfaite, dès
Anvers.
Si la Belgique a joué un rôle important
dans la guerre européenne, elle a joué
EN AFRIQUE un capital dans la guerre africaine
et, là aussi, elle a su se tenir sur le terrain du droit le plus
strict. En Afrique comme en Europe, elle n'est entrée en guerre
que quand elle a été attaquée. Fidèle aux stipulations de l'acte
de Berlin, qui, fixant le statut du bassin conventionnel du
Congo, déclare qu'en cas de conflit entre les puissances euro-
péennes, la guerre en aucun cas ne serait portée en Afrique,
elle s'employa de toutes ses forces à préserver l'Afrique cen-
trale des horreurs de la guerre. Elle agissait ainsi, non seule-
ment par respect pour les traités, mais également avec la
conscience du danger qu'il y avait pour l'œuvre civilisatrice
des nations occidentales en Afrique, à donner aux indigènes
le spectacle d'une guerre entre blancs.
La situation militaire au Congo belge. — L'attitude pacifique
des autorités coloniales belges est d'autant plus remarquable
qu'elle n'était nullement dictée par le sentiment de la faiblesse.
Si le Congo belge, en effet, ne disposait pas, au moment de
la guerre, d'une armée coloniale organisée en grandes unités
tactiques, ce qui s'explique aisément puisque la Belgique ne
pouvait avoir l'intention d'entreprendre la conquête d'une co-
lonie voisine, elle avait environ 25.000 soldats noirs, bien en-
traînés, bien disciplinés, appartenant tous aux races les plus
vigoureuses et les plus belliqueuses de l'Afrique centrale.
L'agression allemande. — Dans les premiers jours de la
guerre, les autorités belges en Afrique eurent l'illusion que
l'Allemagne, qui avait effrontément violé le traité de 1839, se
souviendrait que sa signature se trouvait au bas de l'acte
général de Berlin. Mais, chiffon de papier pour chiffon de pa- *
pier, le traité colonial ne fut pas plus respecté par le Gouverne-
ment allemand que le traité européen.
Dès le 22 août 1914, le port belge de Luruga, sur le Tanga-
nyka, était brusquement attaqué par les troupes allemandes
sans aucune sommation préalable. Peu après, fidèles à leur
tactique de l'attaque brusquée, les Allemands occupent l'île
Kidjivi située au centre du lac Kivu : cette fois, il n'y a plus
da doute possible sur la volonté du Gouvernement impérial de
porter la guerre en Afrique. Sûre d'avoir été correcte jusqu'au
bout, la Belgique coloniale entre dans la lutte et ses troupes,
l'effort belge
19
en liaison avec les armées coloniales française et britannique,
vont s'occuper activement à faire disparaître le pavillon alle-
mand du continent africain.
Deux théâtres d'opération se présentaient alors, le Congo
belge ayant des frontières communes avec deux colonies
allemandes.
Il touche à l'Est africain allemand, depuis le sud du lac Tan-
ganyka jusqu'aux Monts Virunga, au Nord du lac Kivu ; il
^ voisine avec le Cameroun, qui, depuis 1912, projetait jusqu'à
la frontière belge deux langues de terrain enlevées au Congo
français, au confluent de l'Ubani et de la Lobaye et au confluent
de la Sanga et du fleuve Congo.
Cameroun. — Dans la première partie des opérations, les
troupes belges, tout en assurant la défense des frontières du
Congo, ont participé plus particulièrement aux opérations
de la Sanga, en y envoyant un contingent d'infanterie avec
de l'artillerie et un vapeur armé qui vint appuyer l'action des
troupes dans la partie navigable de la rivière.
Après avoir participé, toujours victorieusement, aux combats
de N-Zimu, Miliundu, Lomie, N'Gato, Mono, Allad, Assoban,
| les troupes coloniales belges eurent la satisfaction d'opérer,
le 28 janvier 1916, leur entrée triomphale, avec les troupes
françaises et britanniques, à Yaundé, capitale de guerre du
Cameroun, à plus de 1.000 kilomètres de leur point de départ
à la frontière du Congo belge. Dans l'ordre du jour qu'il
adressa à ses troupes, le général français qui commandait en
chef l'armée du Cameroun se plut à rendre hommage à leur
coopération :
« Avant de me séparer des contingents de la Force publique
» belge, dit-il, j'ai le devoir d'exprimer combien la coopéra-
« tion de ces belles troupes nous a été précieuse et j'adresse,
« de tout cœur, aux officiers, sous-officiers européens, à tous
a les soldats et gradés indigènes, le tribut des éloges qu'ils
« ont mérité par leur bravoure au feu, par la patience et l'ab-
y 11 négation dont ils ont fait preuve pendant toute la durée de
t cette longue et pénible campagne ».
Afrique orientale allemande. — Mieux que toute autre colonie,
l'Afrique orientale allemande était préparée à la guerre. Le
gros de ses forces était composé de troupes noires très nom-
breuses, bien armées, abondamment pourvues de munitions et
fortement encadrées. Avant la déclaration de guerre, les appro-
visionnements de toute nature avaient été accumulés dans la
colonie et, à l'occasion de l'exposition de Dar-es-Salam et de
l'inauguration du chemin de fer de l'Océan indien au Tanga- .
nyka, des contingents de troupes européennes avaient été
20
I,' EFFORT BELGE
débarqués à Dar-es-Salam. De plus, le croiseur Kœnigsberg
ayant été coulé par la marine britannique dans la rivière
Rufidji, son équipage et une grande partie de son artillerie
étaient venus renforcer les moyens d'action des Allemands. A
la fin de 1915, ceux-ci possédaient environ 75 canons de tous
calibres, 90 mitrailleuses et l'appoint fourni par les deux na-
vires qui, dans le courant de cette année, en avril notamment,
parvinrent à tromper le blocus et à décharger d'importantes
cargaisons chez l'ennemi.
Il ne pouvait être question d'attaquer des forces si puissam-
ment organisées et armées sans s'assurer de tous les moyens
d'action.
De septembre 1914 à janvier 1916, les troupes belges, ame-
nées de l'intérieur de la colonie sur la frontière allemande et
tout le long de la Rhodésie du sud au nord du lac Kivu, se
contentèrent de faire une guerre défensive et de participer aux
opérations des troupes britanniques dans la Rhodésie du Nord.
Elles tinrent solidement cet immense front contre des troupes
supérieures en nombre et en armement en attendant que, sous
les ordres du général Tombeur, l'offensive ait pu être minu-
tieusement organisée ; organisation difficile, étant donnée la
distance qui sépare la base de Borna du front d'attaque. De
Borna à Stanleyville, 011 pouvait utiliser des steamers et des
chemins de fer, mais, de Stanleyville au lac Kivu, point de
concentration de la brigade nord, vivres et munitions devaient
être portés à dos d'hommes pendant quarante jours.
Le général Tombeur, commandant en chef de l'armée colo-
niale belge, passa à l'offensive au commencement de mars
1916. Les opérations de l'armée belge s'opérèrent en liaison .
parfaite avec les troupes britanniques sous le commandement
du général Smuts. Tandis que celles-ci opéraient vers le
Kilima-N-Djaro, à l'est de la colonie allemande, les colonnea
belges l'attaquaient par le nord et par l'ouest.
Selon la bonne méthode, l'offensive belge, qui avait été len- .
tement préparée, fut vivement menée. Elle commença le 18
avril par l'occupation de l'île Gombo sur le lac Kivu, suivie,
le 19, par la conquête du poste de Shangugu. Le 26 avril, une
autre colonne partie de l'Uganda atteignait le lac Mohasi.
Le 3 juillet, à Kato, le major Rouling taille en pièce le gros
de l'armée allemande et fait prisonnier son commandant le
Hauptmann -Godorius. Le 14 et le 15 juillet, une nouvelle
colonne allemande est détruite et, le 26 septembre, les colonnes
belges réunies attaquent Tabora et s'en emparent, malgré la
résistance désespérée des troupes allemandes commandées par
te général prussien Wahle.
l'effort belge 21
Par cette heureuse opération, les troupes belges ont eu la
joie de délivrer 189 Européens ressortissant des nations alliées
et de faire prisonniers une centaine d'officiers et de sous-offi-
ciers allemands. La Belgique enlevait à l'Allemagne plus de
200.000 kilomètres carrés de territoire.
Cet effort colonial a été, mené avec un entrain, un esprit de
décision et un sens de l'organisation qui commandent l'admi-
ration. Il faut en faire remonter le mérite non seulement au
général Tombeur et à ses collaborateurs, à M. Henry, gouver-
neur du Congo, mais aussi à M. Renkin, ministre des colonies,
qui, de son bureau de Sainte-Adresse, a donné aux forces colo-
niales belges l'impulsion directrice.
Tous ceux qui croient à la justice immanente ne peuvent
pas ne pas être frappés de ce fait que, sur le continent africain
où l'Allemagne pangermaniste avait édifié tant de rêves, le
drapeau allemand qui flottait sur la dernière capitale qu'ils
avaient conservée, Tabora, a été abattu par la première vic-
time de la barbarie allemande.
r
L'Effort de l'arrière pour l'Armée
Les événements actuels montrent combien, par la durée de
la guerre, l'arrière doit faire d'efforts ; pour les nations insuffi-
samment préparées à cette dépense inouïe, l'effort est encore
plus grand ; pour un pays, qui, comme la Belgique, avait,
avec la plus grande partie de son territoire, perdu l'essentiel
de ses ressources, cet effort serait-il possible? '
Là aussi nous allons voir, par l'effort passé, combien dans
l'avenir nous pouvons compter sur la Belgique !
■ « nrnnuoTi Au commencement de la guerre, l armee
LA RECONSTi- ,
r*c campagne comprenait environ 120.000
hommes auxquels il fallait joindre les
^~ ARMÉE - - 5q, 000 hommes de l'armée de forteresse
BELGE composée des vieilles classes et la garde
civique, milice pleine de bonne volonté et de patriotisme,
mais d'une instruction militaire médiocre.
Etat .de l'armée après la bataille de l'Yser. — Dans les
combats autour de Liège, dans ceux de la Gette, dans la dé-
fense d'Anvers, on avait perdu beaucoup de monde ; une
partie de la garnison d'Anvers avait été obligée de passer en
Hollande où 30.000 hommes environ avaient été internés ; la
prise de Namur, celle des forts de Liège, les traînards ramassés
après la retraite, faisaient que les Allemands avaient gardé
environ 30.000 prisonniers ; sur l'Yser, les Belges avaient perdu
près du quart de leurs effectifs soit environ 14.000 hommes.
Toute l'armée était épuisée ; les vieilles classes, l'armée de
forteresse, complètement désorganisées, avaient dû être ra-
menées à l'arrière. Il n'existait plus ni dépôts, ni bases, ni
hôpitaux.
Pour continuer à jouer un rôle, il fallait donc que le Gouver-
nement belge en exil refît tout une armée. Il y est arrivé,
grâce à l'activité de M. de Broqueville et de ses collaborateurs,
grâce au patriotisme de toute la nation, grâce à l'aide que la
France et l : Angleterre n'ont pas marchandée à un pays qui
avait rendu à la cause commune des services aussi signalés.
L'armée belge s'est accrue, en effectifs et en valeur : admi-
rable vitalité d'un peuple que la guerre n'a pas épuisé, mais
auquel elle a donné l'impulsion qui fera sa grandeur.
Les enrôlements. — La tâche du Gouvernement belge était
extrêmement- difficile. Il ne pouvait réunir le Parlement, la
plupart des représentants du peuple se trouvant dans le pays
envahi. Or, la nouvelle loi militaire appliquant le service per-
24
l'effort belge
sonnel et général n'était entrée en vigueur que depuis deux
ans. Pour obtenir les effectifs suffisants, le Gouvernement ne
pouvait donc faire appel qu'au patriotisme de la Nation. Il
s'adressa d'abord aux réfugiés qui étaient arrivés par milliers
en Angleterre et en France ; il espérait aussi que quelques
jeunes gens du pays occupé pourraient rejoindre l'armée.
Ses espérances ont été largement dépassées ; bien que la
frontière ait été rigoureusement fermée par les Allemands et
malgré les pénalités instituées, par ceux-ci non seulement
contre les jeunes gens qui tentaient de passer la frontière,
mais même contre leurs familles, des milliers de volontaires
ont répondu à l'appel du Roi et, par la Hollande et l'Angle-
terre, sont venus se mettre à la disposition du Gouvernement
du Havre.
C'est ce qui a permis, dès 1915, de reconstituer l'armée à
6 divisions, plus deux divisions de cavalerie.
L'appel. — Devant la perspective du territoire à reconquérir
et avec la ferme volonté de participer, dans la mesure de ses
forces, à l'offensive générale des alliés, le Gouvernement belge,
voyant les efforts faits par ceux-ci, voyant l'Angleterre ac-
cepter le service obligatoire, la Russie appeler ses jeunes
classes, la France garder sous les drapeaux les hommes de 47
et 49 ans, a décidé d'appeler par un arrêté-loi tous les Belges
de 18 à 40 ans, se trouvant dans la Belgique libre, dans les
pays neutres et dans les pays alliés.
Cette décision était hardie étant données les circonstances.
L'enchevêtrement des lois en matière militaire, les besoins
divers des services de la guerre et des services de l'industrie
de guerre, la misère particulièrement pénible des Belges en
Flandre libre et en exil, tout concourrait à compliquer la
tâche du gouvernement. Il fallait surtout éviter de donner
prétexte aux Allemands à des représailles qui eussent pu s'exer-
cer dans les pays occupés.
Le texte de l'arrêté-loi, modèle de précision et de clarté, a
tenu compte du désir de procurer à l'armée nationale tous les
soldats qui lui sont nécessaires et du souci de respecter les
intérêts des familles accablées par toutes les misères de l'exil.
Sans indiquer, quant à présent, les nouveaux effectifs que
cet arrêté-loi procurera à la Belgique, on estime qu'il aug-
mentera l'armée d'environ 30.000 hommes. De toute façon,
il apparaîtra comme une nouvelle preuve de la détermination
du Gouvernement et de tous les Belges de poursuivre la guerre
jusqu'à la victoire finale.
Les Cadres. — Les effectifs reconstitués, il fallait les enca-
drer. Parmi les officiers de carrière qui figuraient dans les
i/effort belge
25
cadres au commencement de la campagne, beaucoup avaient
été tués ou réformés. L'armée, d'autre part, avait changé de
caractère depuis qu'elle avait subi tant de dures campagnes ;
il fallait renouveler le commandement, le rajeunir, lui incul-
quer un tsprit nouveau.
Au moment de l'agression allemande, la Belgique disposait
d'un cadre d'officiers comprenant 3.201 unités. Or, l'armée
mobilisée exigeait la présence de 5.500 officiers sous les dra-
peaux. Malgré une promotion d'élèves de l'école d'application
et d'élèves de l'Ecole militaire, il manquait 1.320 officiers,
défalcation faite de la grosse centaine qu'il fallut détacher
dans les divers états-majors. 20.000 volontaires, enrôlés en
quelques jours, demandaient à être commandés.
On dut courir au plus pressé, économiser sur les troupes de
forteresse, réintégrer des pensionnés, etc. Après l'Yser, on put
enfin penser à une organisation régulière, et, une fois installé
au Havre, le Gouvernement créa toute une série de centres
d'instruction pour les diverses armes.
L'infanterie eut son centre à Gaillon, où il a passé, jusqu'au
I er juillet 1916, 1.507 aspirants, dont 1.362 ont reçu le brevet
d'aptitude. La cavalerie trouve en pleine campagne, dans un
domaine et une plaine de sept hectares loués à cet effet, le
centre désiré qui a déjà fourni 123 officiers. L'artillerie, ins-
tallée d'abord à Audresselles, fut ensuite transférée à Onival,
à proximité d'un polygone, qui facilitait les exercices de tir ;
elle a compté jusqu'ici 19g élèves, dont 175 ont conquis le
diplôme d'officier, la plupart déjà munis d'un diplôme d'ingé-
nieur ou ayant déjà commencé des études scientifiques supé-
rieures.
Outre une Ecole d'instructeurs établie à Bayeux et qui est
prospère, on pourvut à la section la plus délicate, celle du
Génie, en s'adressant d'abord à des ingénieurs et à l'élite des
sous-officiers de l'arme ; puis on étendit le ',-hoix aux élèves
des Universités qui avaient fait deux ans d'études et trois
mois de campagne. Grâce à un programme nécessairement
simplifié, on put délivrer 67 brevets d'aptitude et former 139
sous-officiers.
L' ARTILLERIE
- - - ET
LE MATÉRIEL
- DE GUERRE -
Comme tous les services de l'armée
belge, l'artillerie était en pleine réorga-
nisation au moment où la guerre éclata.
Les canons de siège commandés aux usi-
nes Krupp n'étaient pas fournis et le ma-
tériel excellent, était insuffisant. Après la bataille de l'Yser,
26
l'effort belge
il était en grande partie devenu inutilisable. Il; fallait le
reconstituer tout à fait.
C'est à quoi les services du Ministère de la Guerre s'appli-
quèrent immédiatement. Dès le commencement de 1915, M. de
Brocqueville avait commandé au Creusot plusieurs batteries
lourdes et, grâce à l'activité de nos usines, l'artillerie de cam-
pagne était bientôt reconstituée, plus puissante qu'avant la
guerre.
Quant aux artilleurs, les Bêlges ont leur réputation faite
sous ce rapport. De nombreux officiers de l'armée belge ont été
appelés à servir dans l'armée anglaise. Ils ont aussi apporté
un concours précieux à la Russie. Dès le commencement de
1915, un régiment d'autos-canons avait été organisé par le
Gouvernement belge, recruté parmi les réfugiés belges et
éduqué à Paris. La guerre de tranchées, la fixité du front qui
paraissait assuré pour de longs mois, les rendant à peu près
inutilisables en Belgique et même sur n'importe quel front
occidental, c'est alors qu'appliquant la doctrine de l'unité du
front, M. de Brocqueville, d'accord avec le Gouvernement russe,
eut l'idée d'envoyer ces batteries sur le front oriental. Elles
ont joué un rôle important dans la campagne de Pologne et,
plus loin encore, sur le front du Caucase où elles ont contribué
à la prise d'Erzeroum. Lors de l'offensive russe de l'été 1916,
les autos-canons bslges se sont particulièrement distingués,
comme l'a reconnu solennellement le communiqué du 14 août :
Le 13 août lorsque nous nous sommes emparés de la bourgade de Zhorof
sur la Strypa, s'est distinguée une compagnie de cyclistes belges, qui accompagnait
ses autos-canons blindés, et qui a contribué à la prise de la bourgade par nos
éléments.
De plus, 5 ou 600 soldats et ouvriers du génie belge travail-
lent depuis 10 mois à la fabrication des munitions 'et des canons
en Russie où ils se sont rendus, au prix de risques très sérieux,
au moment où la navigation entre l'Angleterre et la Norvège,
seule route praticable, était fort compromise par la campagne
des sous-marins.
En France même, des ouvriers métallurgistes belges ont
rendu à l'industrie de guerre des services particuliers et très
importants, notamment comme redresseurs de canons. Ils ont
apporté dans les usines françaises certaines méthodes nou-
velles en usage aux usines Cockerill et dont la supériorité a
été immédiatement constatée.
LES CHEMINS ° n Sait * e r ° le consm ^ rable que les che-
mins de fer jouent dans la guerre
--DE FER- - moderne. Les chemins de fer belges, qui
sont une administration d'Etat, remplirent brillamment leur
l'effort belge
27
tâche, tant que dura la campagne en Belgique. Le transport
des troupes et leur ravitaillement furent assurés de la façon
la plus satisfaisante par cette administration qui, cependant,
n'était nullement préparée à la guerre.
Or, elle n'a pas considéré que son rôle était achevé quand
l'invasion ennemie l'eut privée de la majeure partie de son
réseau et d'une grande partie de son matériel. Jusqu'à la
prise d'Anvers, celui-ci échappa presque tout entier à l'ennemi,
grâce au dévouement et à l'esprit d'initiative du personnel.
Hormis les quelques locomotives que l'on fit dérailler dans les
tunnels que l'on n'avait pas eu le temps de faire sauter,
tout le matériel de traction et presque tout le matériel roulant
recula méthodiquement devant l'invasion, si bien que des
centaines de locomotives et des milliers de wagons se trou-
vaient massés dans l'ouest du pays, au moment où la capi-
tulation de la place d'Anvers nécessita la plus prompte retraite.
Il fallut faire également la retraite des chemins de fer :
elle était d'autant plus difficile que le réseau ferré est moins
dense dans la Flandre orientale que dans le reste du pays, et
que les principales lignes étaient occupées par le transport des
troupes belges vers la côte, d'une part, et par l'arrivée des
renforts franco-anglais, de l'autre. En somme, il ne resta bientôt
plus qu'une voie d'évacuation, la ligne Gand-Dunkerque, à
voie unique. Le réseau de la Compagnie du Nord, vers lequel
cet immense matériel était dirigé, se trouvait lui aussi en-
ccmbré.
Néanmoins, environ 2.000 locomotives purent être soustraites
à 1 ennemi ainsi qu'à peu près la moitié des wagons de l'Etat
Tout ce matériel fut d'abord réparti un peu au hasard, sur les
réseaux français les moins encombrés, c'est-à-dire dans les
départements de l'Ouest et du Sud-Ouest. Mais dès que le Gou
vernement eût été installé au Havre, M. Segers, Ministre des
motives. S ° ngea à retr0Uver > à réunir ™g°™ * loco-
C'est alors que furent créés les garages et les ateliers d'Ois-
^cotatT °* PCU ' P6U ** le matérid be '* e «
tedSw^î^ Un re,na "l uabîe exem P* d'improvisation
industrie. Là où, au commencement de 1915, il n > y avait
que des terrains vagues, s'élève aujourd'hui une véritable
usine où UavaiHent un grand nombre d 'ouvriers de l'a en
de Malines réfugiés en France : on y révise, ou y rSare
outes les locomotives qui, aussitôt remises en état, assurent
le ravjtaillement du front belo-e rl P Pvo, *7 assurent
compagnies françaises On ■ ♦ !. ° U S ° nt Iou6e3 aux
lr ançaises. On vient d'en envoyer 80 en Russie.
28
l'effort belge
On voit ainsi que les chemins de fer belges pratiquent aussi
le principe de la mise en commun de toutes les ressources des
Alliés.
SERVICE Dans l'organisation du service de santé
tout entier, les Belges ont fait preuve de
- DE SANTÉ - ce sens pratique, de cet esprit d'initiative
qui les distingue dans l'industrie. Dans ce domaine également,
il fallut tout réorganiser après le désastre de l'invasion.
Au moment de la mobilisation, l'organisation des services
sanitaires était des plus parfaites : les hôpitaux nombreux,
bien approvisionnés, bien outillés, disposaient d'un personnel
instruit ; la nation avait mis spontanément 30.000 lits à la
disposition de la Croix-Rouge ; le Docteur Mélis, Inspecteur
général du service de santé de l'armée, avait sous ses ordres
166 médecins militaires de carrière, 520 médecins rappelés et
172 élèves médecins, 148 pharmaciens, 965 infirmiers et 1.850
brancardiers. Le service de santé avait gardé la direction im-
médiate des hôpitaux d'Anvers, de Liège, de Namur, de Bever-
loo, de Termonde, de Bruxelles, de Louvain, de Malines et de
Vilvorde. Tous les autres établissements hospitaliers étaient
passés sous la direction de la Croix-Rouge de Belgique, qui
déploya une activité remarquable.
Dès le 15 août, 50.000 lits, répartis en un grand nombre
d'ambulances, étaient à la disposition des blessés. Malheureu-
sement, la rapidité de l'invasion allait, presque instantané-
ment, modifier cette situation exceptionnellement favorable. Au
moment de l'occupation de Bruxelles, une partie importante de
cette organisation, matériel et personnel, était tombée aux
mains de l'ennemi. Quant aux services de la Croix-Rouge, la
plupart durent être immédiatement licenciés. Au moment de
la retraite d'Anvers, vers la mi-octobre 1914, l'administration
sanitaire, dont les services s'étaient concentrés sur le littoral,
n'avait que 2.500 lits pour 13.000 blessés.
Quand, devant les progrès de l'invasion, il fallut repartir, ce
fut un désarroi inexprimable ; grâce à des moyens de fortune,
on transporta malades et blessés vers la France. On évacua la
plupart d'entre eux sur Dunkerque, , d'où ceux qui pouvaient
supporter la traversée furent expédiés en Angleterre. Médecins
et infirmiers connurent là des heures tragiques. iNi à Dun-
kerque, ni à Calais, rien n'était préparé pour recevoir tant de
blessés, et l'encombrement résultant de l'affluence des réfugiés
rendait l'organisation des services encore plus difficile. Le per-
sonnel était tout à fait insuffisant ; on manquait d'instruments.
l'effort bexge
29
de médicaments, et quantité de malheureux attendirent des
heures dans la rue, sous la pluie, leur tour d'être soignés.
On pourvut enfin à tout : le 17 octobre, une première am-
bulance belge était ouverte dans les écoles de Saint-Pol-sur-
Mer. Le 18, le Salon Richelieu, à Calais, pouvait recevoir un
grand nombre de blessés et, peu après, l'hospice des Petites
Sœurs des Pauvres s'ouvrait également devant eux. L'évacua-
tion vers l'Angleterre et Cherbourg se faisait normalement,
tandis que des agents, envoyés sans délai à Paris et à Lon-
dres, en rapportaient les médicaments et les instruments qui
manquaient.
Tout cela n'était que provisoire. La guerre se prolongeant,,
on réorganisa le service tout entier de façon définitive et
prompte. A la fin de l'année 1914, 28 ambulances belges fonc-
tionnaient régulièrement avec le plus grand succès. Pendant
les derniers jours d'octobre, elles pouvaient déjà recevoir 11.098
soldats dont 9.050 blessés.
Aujourd'hui, l'organisation sanitaire belge est parfaite : les
blessés reçoivent les premiers soins sur place, au poste -de se-
cours de tranchée, où la moifïé du corps médical régimen-
taire est toujours présente, fis sont transportés aux « places
de pansement », puis aux infirmeries divisionnaires qui effec-
tuent le triage, envoyant les grands blessés aux hôpitaux du
front, les autres aux hôpitaux d'évacuation, puis à l'arrière.
Le gouvernement français a mis à la disposition de la Bel-
gique les installations hospitalières de la X e région (Rennes),
qui comprend 31 hôpitaux avec 5.000 lits, organisations que
le service de santé belge compléta par des hôpitaux affectés à
des spécialités et comprenant 2.100 lits.
Pour évacuer les blessés sur ces hôpitaux, à 600 kilomètres
de la Flandre, un service de trains" sanitaires fonctionne à
merveille entre Adinkerke et Câlais avec huit trains mixtes.
Chaque train a six voitures pour blessés couchés, deux voi-
tures pour blessés assis ( quatre fourgons, dont une cuisine em-
porte 250 rations de vivres. Neuf trains pour blessés couchés
et quatre pour blessés assis assurent les évacuations pour l'in-r
térieur ; le matériel comprend 200 wagons à intercirculation,
permettant de transporter chacun 18 blessés couchés et em-
portant chacun, pour un parcours de 700 à 900 kilomètres, 500
rations outre les réconfortants habituels. Cette organisation est
à la disposition des alliés : du i er novembre 1914 au I er mars
1916, 117.347 blessés et malades, dont 28.651 Français, 620 civils,
248 Allemands furent ainsi transportés, en 828 voyages, de
l'hôpital d'évacuation à Calais ou de Calais vers l'intérieur de
la France.
30
i/ EFFORT BELGE
L'Hygiène. — Les circonstances spéciales dans lesquelles se
bat l'armée belge sur l'Yser rendaient l'organisation du service
d'hygiène de l'armée particulièrement importante. Cette partie
rde la Flandre est un ancien polder, une région marécageuse
.que le vent de mer assainit assurément, mais où l'eau potable
est toujours assez rare, où le temps est généralement humide
iet où tous les puits sont suspects.
La guerre a rendu ces conditions d'hygiène plus mauvaises
encore. En novembre 1914, après qu'on eut « tendu » l'inon-
dation de l'Yser, une immense lagune où flottaient des milliers
de cadavres d'hommes et d'animaux s'étendit devant tout le
front belge. Sur le sol détrempé, il était presque impossible
d'établir des cantonnements salubres et, dans ce climat maus-
sade, on ne pouvait imaginer milieu plus favorable au déve-
loppement des épidémies. Aussi le nombre des malades admis
dans les hôpitaux s'accrut-il brusquement dans des proportions
considérables au lendemain de la bataille de l'Yser.
Des équipes de désinfecteurs furent organisées. La chaux
vive, le chlorure de chaux, la créoline furent largement em-
ployées aux points infectés ou simplement suspects ; le pétrole
répandu dans les fossés et les mares y détruisit les moustiques
et les larves ; les abris du front contaminés furent soigneuse-
ment désinfectés et, quand on le put sans nuire au service mi-
litaire, leurs occupants furent mis en quarantaine. D'autre
part, pour assurer la propreté du soldat, on construisit des
bains-douches en grande quantité, des buanderies de campagne,
des ouvroirs pour la réparation des vêtements et du linge. On
pourvut les cantines d'appareils stérilisateurs et l'on put as-
surer le ravitaillement des troupes en eau bouillie.
Preuves de l'excellence du service de santé : d'une part, les
28 ambulances, qui avaient reçu, jusqu'aux derniers jours d'oc-
tobre, 11.098 soldats dont 9.050 blessés, n'avaient compté que
418 décès, soit 0,79 0/0. D'autre part, au 31 décembre 1915,
29.888 blessés avaient passé par les organisations sanitaires
belges de l'intérieur de la France et 21.317 avaient été rendus
à l'armée.
La Rééducation des Mutilés. — Le problème de la rééduca-
tion des mutilés s'est hélas! posé dès les premiers mois de la
guerre ; l'initiative privée aussi bien que les services de l'Etat
s'en sont immédiatement occupés en France, mais les Belges
ont apporté à cette œuvre un concours d'autant plus actif
qu'en Belgique, notamment à Charleroi, on s'était préoccupé
sérieusement avant la guerre de la rééducation des victimes du
travail. Les méthodes de l'Université populaire de Charleroi
observées en 1913 par M. Herriot, maire de Lyon, sont celles
L EFFORT BELGE jl
qui ont été appliquées aux victimes de la' Guerre à l'Institut
lyonnais dont M. Herriot confia la direction à M. Bastègne,
secrétaire général de l'Université de Charleroi. Le gouverne-
ment belge à Port-Villéz, près de Vernon, fonda des instituts
de rééducation qui passent pour des modèles.
Ces instituts comprennent trois services : un service tech-
mque, un service pédagogique et un service médical. Chacun :
d'eux a son chef de service ; l'Institut lui-même a pour chef
un médecin inspecteur chargé de la discipline générale, assisté
d'un commandant militaire qui est, en même temps, gestion-
naire de l'établissement.
Les instructeurs et professeurs, chefs d'ateliers et moniteurs
sont formés par le détachement des troupes auxiliaires du
Génie. Par une bibliothèque de livres français et néerlandais
traitant des divers métiers qui s'enseignent à Port-Villez, ils
se documentent pour les leçons techniques qu'ils font à leurs
élèves.
Quarante-deux métiers sont enseignés à l'Institut où iî
existe aussi une section commerciale.
Le corps professionnel est recruté parmi les brancardiers
infirmiers inaptes au service de campagne, mais de préférence
parmi ceux qui appartiennent à la classe 1902 ou aux classes
plus anciennes.
Le point délicat pour le grand blessé est le choix de la
profession qu'il va apprendre. Son travail d'apprentissage est
surveillé attentivement pour voir quelle habileté il sera capable
d'apporter dans la suite au métier qu'il a choisi. S'il ne réussît
pas, on lui en conseille un autre. Puis, dès qu'il est arrivé à un
degré de perfection suffisant, il passe à l'atelier proprement dit.
Car c'est la caractéristique de l'Institut de Vernon d'être non
seulement un centre d'éducation, mais aussi de production.
C'est pour les divers services techniques de l'Etat belge que
les ateliers travaillent.
Si, pour ceux qui ont combattu et souffert pour leur patrie,
on ne pourra jamais trop faire, cela doit être vrai, surtout,
des mutilés si glorieux, mais dont le sort est si douloureux!
La Belgique, héroïque victime, devait se pencher sur eux avec
une pitié plus féconde. Là encore, ce petit pays nous a servi
de modèle ; là encore, son effort pendant la guerre est digne
de ses grands alliés et sera couronné de succès.
L'Œuvre diplomatique de la Belgique
Si l'on «oit généralement que l'œuvre militaire de la Bel-
gique s'est bornée au début à retarder de quelques jours l'inva-
sion du territoire français, de même on s'imagine que son
effort diplomatique n'a brillé qu'au moment de la déclaration
de guerre. Il s'est pourtant poursuivi depuis et, si l'action du
Gouvernement belge, après les premiers jours tragiques d'août
1914, se borna d'abord à mettre en lumière sa loyauté, la Bel-
gique, dans ce domaine aussi, n'a cessé de rendre aux Alliés les
services les plus signalés. Son martyre et la correction de son
attitude ont montré aux neutres les plus prévenus en faveur de
l'Allemagne de quel côté était le bon droit. Certes, les faits
parlaient suffisamment eux-mêmes, mais la dignité et la fer-
meté du Gouvernement du Roi n'ont pas moins contribué à
les mettre en valeur.
La sitiKition diplomatique de la Belgique. — Pour bien se
rendre compte de l'effort diplomatique de la Belgique, il faut
examiner quelle était sa situation d'abord en droit, ensuite
en fait.
Au moment où l'Allemagne, appliquant à sa politique le
système de l'attaque brusquée qui faisait partie de sa doctrine
militaire, préparait, par des intrigues où la brutalité et la
mauvaise foi vont de pair, l'agression contre la France et la
Russie, la situation de la Belgique en présence du conflit était
d'une parfaite netteté.
En droit, aucun gouvernement en Europe n'avait une ligne
de conduite plus clairement tracée : la neutralité lui était
imposée non seulement par sa faiblesse, mais aussi par des
traités formels.
Le traité de 1831 et des 24 articles, qui reconnaît l'indépen-
dance de la Belgique en lui garantissant l'intégrité et l'invio-
labilité de son territoire, lui imposait en effet la neutralité
permanente ; le traité de 1839, par lequel la Hollande recon-
naissait le nouvel état, confirmait ces dispositions.
Cette formule de la neutralité permanente n'avait pas été
imaginée dans le seul intérêt de la Belgique ; c'était un expé-
dient pour sortir des difficultés que la Révolution belge avait
créées aux puissances lorsqu'elle s'était séparée violemment
de la Hollande.
En fait, durant toute son existence paisible et prospère, la
Belgique s'est conformée avec une correction absolue à l'esprit
34
l'effort belge
du traité de Londres. En dépit de la sympathie séculaire qui
rattachait la plus grande partie de sa population à la France,
eu dépit de l'identité de culture et, en partie, de la commu-
nauté de langue, son Gouvernement s'est toujours efforcé de
tenir la balance égale entre les trois grands voisins qu'inté-
ressait le maintien de sa neutralité.
Bien plus, dans les derniers temps, malgré l'attitude mena-
çante de l'Allemagne et malgré les avertissements qui venaient
de tous côtés, la Belgique s'était gardée le plus qu'elle pouvait
de manifester à l'égard de ses voisins de l'Est les craintes qui
eussent pourtant été parfaitement légitimes.
Toute son attitude n'a été dictée que par le souci d'une cor-
rection absolue et peut-être aussi, dans une certaine mesure,
par l'espoir sans doute chimérique, mais très honorable, que
l'évidence de 'son droit pourrait lui éviter d'être entraînée dans
la lutte.
Pour bien apprécier cette attitude, il
faut suivre jour par jour les événements
qui se sont produits entre l'envoi de l'ul-
timatum autrichien à la Serbie et la décla-
ration de guerre de l'Allemagne à la
France.
Il n'est personne qui ne se souvienne de l'émotion que pro-
voqua dans toutes les chancelleries l'envoi de l'ultimatum
autrichien. Cette émotion fut partagée en Belgique.
C'est le 24 juillet que le représentant du Gouvernement belge
à Vienne le transmit au département des Affaires étrangères à
Bruxelles. Immédiatement, on y comprit la gravité de la situa-
tion et, sans attendre un jour, M. Davignon envoya à ses prin-
cipaux représentants à l'étranger une lettre les priant, au cas
où la situation deviendrait grave, de remettre au Gouvernement
auprès duquel ils étaient accrédités une note annonçant que la
Belgique était résolue à remplir intégralement les devoirs
internationaux que lui imposaient les traités. Ils n'allaient
pas tarder à être dans la nécessité d'exécuter cet ordre, car la
situation s'aggravait d'heure en heure.
Le 27, le Gouvernement belge reçoit du Baron Beyens, son
représentant à Berlin, les informations les plus alarmantes :
« la guerre, dit ce diplomate, est désormais inévitable ».
Le 28, le Gouvernement belge est averti de la déclaration
ds guerre de l'Autriche à la Serbie. Aussitôt, il décide de
LE REFUS DE
LAISSER VIO-
LER LA NEU-
— TRALITÉ —
l'effort belge
35
mettre l'armée sur le pied de paix renforcée et demande à ses
représentants à l'étranger d'expliquer aux divers gouverne-
ments européens que cette simple mesure de sauvegarde n'im-
plique aucune méfiance envers les puissances voisines, quelles
qu'elles soient. La prudence de cette note est d'autant plus
caractéristique qu'à ce moment il devenait évident que l'agres-
sion venait du côté de l'Austro- Allemagne.
Le 29 juillet, en effet, la France et l'Angleterre faisaient,
auprès de M. Davignon, deux démarches significatives.
D'un côté, M. Klobukowski se rendait au Ministère, annon-
çait la proclamation du « danger de guerre » en Allemagne et
ajoutait : « Je profite de cette occasion pour vous déclarer
qu'aucune agression des troupes françaises n'aura lieu en Bel-
gique, même si des forces importantes étaient mises sur la
frontière de votre pays. La France ne veut pas avoir la res-
ponsabilité d'accomplir vis-à-vis de la Belgique le premier acte
d'hostilité. Des instructions en ce sens seront données aux
autorités françaises. »
Le Ministre belge répondit : « Nous avons eu toujours la
plus grande confiance dans la loyauté que nos deux états
voisins mettraient à tenir leurs engagements à notre égard.
Nous avons tout lieu de croire que l'attitude du Gouvernement
allemand sera identique à celle de la République française. »
Malgré le sentiment public, le Gouvernement belge espérait
encore, alors, que l'Allemagne respecterait sa neutralité et, en
tous cas, il ne voulait à aucun prix lui fournir prétexte à
intervention.
De son côté, le Ministre d'Angleterre déclarait à M. Davi-
gnon que la Grande-Bretagne comptait que la Belgique défen-
drait sa neutralité jusqu'à la dernière extrémité ; il annonçait
que l'Angleterre venait de demander à l'Allemagne et à la
France séparément si chacune d'elles était prête à respecter
la neutralité de la Belgique dès l'instant qu'aucune autre puis-
sance ne la violerait. Le I er août, la France ayant immédiate-
ment répondu à la démarche de l'Angleterre, le Ministre de la
République, se rendant une seconde fois au Ministère des
Affaires étrangères, lui fit cette communication verbale :
^ « Je suis autorisé à déclarer qu'en cas de conflit interna-
tional, le Gouvernement de la République, ainsi qu'il l'a tou-
jours déclaré, respectera la neutralité de la Belgique. Dans
l'hypothèse où cette neutralité ne serait pas respectée par une
des puissances, le Gouvernement français pour assurer sa
propre défense pourrait alors modifier son attitude ».
36
L'EFFORT BELGE
L'HYPOCRISIE - ^ n r ^P onse ^ cette attitude loyale de la
France, l'Allemagne observe un silence
DE L ALLEMAGNE inquiétant. Le ministre des Affaires étran-
gères fait part, le jour même, I er août, de la déclaration de
M. Klobukowski au Ministre allemand à Bruxelles.
Celui-ci, M. de Below-Saleské, le remercie de son attention
en ajoutant que, jusqu'à ce moment, il n'a pas été chargé de
faire une communication officielle, mais que l'on connaît son
opinion personnelle sur les sentiments de sécurité avec laquelle
la Belgique a le droit de considérer ses voisins de l'Est. A
quoi M. Davignon répond immédiatement : « Tout ce que nous
« connaissons des intentions de nos voisins de l'est, intentions
« indiquées dans nos multiples entretiens, ne nous permet pas
« de douter de leur correction vis-à-vis de la Belgique, mais
« nous attacherions pourtant le plus grand prix à être en pos-
« session d'une déclaration formelle dont la Nation prendra
:< connaissance avec joie et reconnaissance ».
Le Ministre d'Allemagne à Bruxelles était-il de bonne foi
ou cherchait-il à gagner du temps? En dernière hypothèse, on
demeurerait confondu de l'hypocrisie et de la perfidie dont sa
conduite a témoigné en cette occasion.
En effet, tandis que M. de Below-Saleské faisait à M. Davi-
gnon cette réponse à demi-rassurante, le Ministre de Belgique
à Berlin télégraphiait à Bruxelles que le Ministre des Affaires
étrangères de l'Empire aurait dit ne pouvoir répondre à la ques-
tion posée par l'Angleterre ; les événements allaient le faire.
Le dimanche 2 août, M. de Below-Saleské, continuant de
faire bon visage, cause, avec le Directeur des Affaires politiques
au Ministère des Affaires étrangères, de la question des Alle-
mands résidant en Belgique et rappelés dans leur pays pour
la mobilisation. Très amicalement, le haut fonctionnaire
s'entremet pour autoriser les rappelés allemands à prendre
place dans tous les trains, même en forçant le nombre de per-
sonnes dans chaque voiture. « Remarquez, ajouta-t-il, que ce
« que nous faisons pour l'Allemagne, nous le ferons aussi pour
« la France. » — « Cela va de soi, répond le Ministre d'AUe-
« magne, mais vous savez bien que vous pouvez avoir toute
« confiance ».
L'opinion publique s'agitant de plus en plus, un des plus
importants journaux de Bruxelles, Le Soir, envoie un de ses
rédacteurs interviewer le Ministre d'Allemagne. Celui-ci se
porte garant des dispositions amicales de son pays envers la
Belgique et résume son opinion par cette phrase : « Peut-être
que le toit de vos voisins brûlera, mais votre maison demeurera
sauve ».
l'effort belge
37
Le même jour, le capitaine Bringman, attaché militaire alle-
mand à Bruxelles, téléphone au journal Le XX e Siècle pour
démentir que l'Allemagne ait déclaré la guerre à la France et
même à la Russie.
« C'est une fausse nouvelle, dit le Capitaine, répandue par
« les ennemis de l'Allemagne ; vous m'obligeriez en la démen-
« tant sans retard ».
— « Cependant, capitaine, répond le Rédacteur, vos troupes
« ont cette nuit envahi et occupé le Grand-Duché de Luxem-
« bourg ».
— « Cela n'est pas possible. Je vais m'informer ».
Après un silence de quelques minutes, l'attaché militaire
reprend dans le téléphone :
— « Qu'est-ce que je vous disais, c'est de la haute fantaisie i
« nos troupes n'otit pas occupé le Grand-Duché ; peut-être un
« détachement a-t-il par mégarde franchi la frontière du Grand-
it Duché. Il n'y a pas de quoi alarmer les Belges! »
Ce dimanche où tout était décidé, où les troupes allemandes
entraient dans le Luxembourg, deux importants journaux bel-
ges annonçaient donc, sur la foi de déclarations catégoriques et
officielles, que la Belgique n'avait rien à craindre de la part
de l'empire allemand.
Or, à 7 heures du soir, le même jour, le ministre d'Alle-
magne demandait audience au Ministre des Affaires étrangères
de Belgique et lui remettait l'ultimatum. Rien n'éclaire mieux
l'attitude de la Belgique que la comparaison de ce document
avec la noble réponse que lui fit le gouvernement du Roi, dans
un sursaut d'indignation, où il fut appuyé par l'unanimité du
Parlement et de l'opinion.
L'ultimatum. — Ce sont deux conceptions du droit, deux
âmes qui s'expriment dans les deux documents contradictoires
qui auront dans l'histoire universelle la valeur d'un symbole.
« Le Gouvernement allemand, disait la note allemande qui
« portait la mention « très confidentiel », a reçu des nouvelles
« sûres d'après lesquelles des forces françaises auraient l'in-
« tention de marcher sur la Meuse, par Givet et Namur. Ces
« nouvelles ne laissent aucun doute sur l'intention de la France :
« marcher sur l'Allemagne par le territoire belge. Le gouveme-
« ment impérial allemand ne peut s'empêcher de craindre que,
« si la Belgique ne reçoit pas de secours, elle ne sera pas,
« malgré sa meilleure volonté, en mesure de repousser avec
« succès une marche française comportant un plan aussi étendu,
«de façon à assurer à l'Allemagne une sécurité suffisante
« contre cette menace.
38
L'EFFORT BEU3K
« C'est un devoir impérieux de conservation pour l'Aile-
« magne de prévenir cette attaque de l'ennemi.
« Le Gouvernement regretterait très vivement que la Bel-
« gique regardât comme un acte d'hostilité contre elle le fait
« que les mesures des ennemis de l'Allemagne l'obligent de "
< violer aussi de son côté le territoire belge.
« Afin de dissiper tout malentendu, le Gouvernement allé-
es mand déclare ce qui suit :
« i° L'Allemagne n'a en vue aucun acte d'hostilité contre
« la Belgique. Si la Belgique consent, dans la guerre qui va
« commencer, à prendre une attitude de neutralité bienveillante
« vis-à-vis de l'Allemagne, le Gouvernement allemand, de son
« côté, s'engage à garantir au moment de la paix l'intégrité
« et l'indépendance du Royaume dans toute leur ampleur.
« 2° L'Allemagne s'engage sous la condition énoncée à
« évacuer le territoire belge aussitôt la paix conclue.
« 3° Si la Belgique observe une attitude amicale, l'Alle-
* magne est prête, d'accord avec les autorités belges, à acheter
« contre argent comptant tout ce qui est nécessaire à ses.trou-
« pes et à indemniser pour tous les dommages quelconques
« causés en Belgique par les troupes allemandes.
« 4° Si la Belgique se comporte d'une façon hostile contre -
« les troupes allemandes et particulièrement fait des difficultés
» à leur marche en avant par la résistance des fortifications
« de la Meuse ou par des destructions de routes, chemins de
« fer, tunnels ou autres ouvrages, l'Allemagne sera obligée, à
« regret, de considérer la Belgique en ennemie. «
A cette brutale injonction du puissant empire, que va ré-
pondre le petit royaume neutre, faible, mais loyal? Peut-être
pourrait-il essayer de tergiverser, de gagner du temps. Il a
trop de sens politique pour ne pas comprendre que toute sup-
plication serait inutile. Il se contente d'un refus net et digne.
« La note du Gouvernement allemand, dit-il dans sa réponse,
« a provoqué chez le gouvernement du Roi un profond et dou-
« loureux étonnement. Les intentions qu'elle attribue à la
i France sont en contradiction avec les déclarations formelles
« qui nous ont été faites le I er août, au nom du Gouvernement
« de la République.
« Les traités de 1839 confirmés par les traités de 1878 consa-
« crent l'indépendance et la neutralité de la Belgique, sous la
« garantie des puissances et notamment du Gouvernement de
« sa Majesté le Roi de Prusse.
La Belgique a toujours été fidèle à ses obligations interna-
« tionales ; elle a accompli ses devoirs dans un esprit de loyale
l'effort belge
3Q
« impartialité ; elle n'a négligé aucun effort pour maintenir
« ou faire respecter sa neutralité.
« L'atteinte à son indépendance dont la menace le Gouver-
-( nement allemand constituerait une flagrante violation du
« droit des gens. Aucun intérêt stratégique ne justifie La vio-
* lation du droit.
« Le Gouvernement belge, en acceptant les propositions qui
« lui sont notifiées, sacrifierait l'honneur de la Nation en même
« temps qu'il trahirait ses devoirs vis-à-vis de l'Europe.
« Conscient du rôle que la Belgique joue depuis plus de 80
« ans dans la civilisation du monde, il se refuse à croire que
« l'indépendance de la Belgique ne puisse être conservée qu'au
« prix de la violation de sa neutralité.
« Si cet espoir était déçu, le Gouvernement belge est ferme-
a ment décidé à repousser par tous les moyens en son pouvoir,
« toute atteinte à son droit ».
Cette note sera considérée dans l'histoire comme un véritable
monument du droit international. Elle fixe dans les termes
les plus clairs et les plus définitifs comment un gouvernement
d'honnêtes gens doit comprendre les devoirs de la neutralité.
Le jour où le Gouvernement du Roi Albert l'envoya à l'em-
pereur Guillaume, il a donné à son pays une situation morale
incomparable ; il l'a dressé devant l'histoire comme le cham-
pion de l'idée même sur laquelle repose toute notre civilisation:
le respect de la parole donnée, des engagements et des contrats.
Si l'on compare à ce monument de droiture et de loyauté les
termes de l'ultimatum allemand, on mesure toute la distance
qui sépare un peuple honnête et civilisé d'une nation de proie
chez qui le progrès moral n'a pas marché de pair avec le
progrès matériel.
La duplicité de l'Allemagne. — Par cette note contenant
toute une série de mensonges qui, depuis, ont été avoués, l'Al-
lemagne demandait à la Belgique d'ouvrir ses frontières aux
armées d'invasion et de faciliter ainsi la conquête de la France ;
par le fait, de manquer à ses engagements et à tous ses devoirs
d» puissance neutre.
Considérée en elle-même, cette attitude est déjà odieuse,
mais la conduite du Gouvernement allemand à l'égard de la
Suisse dont le statut international est analogue à celui de la
Belgique achève de mettre en lumière son cynique mépris du
droit. Comment l'Allemagne eût-elle pu s'attendre à ce que la
Belgique acceptât sa demande, puisque le jour même où ses
armées franchissaient la frontière belge, le 4 août, elle recevait
de Berne une notification de neutralité pendant la guerre et
qu'elle y répondait en ces termes :
40
l'effort belge
« Le Gouvernement a eu l'honneur de recevoir la note
circulaire adressée le 4 août de cette année aux puissances
signataires des traités de 1815, dans laquelle le Conseil fédéral
déclare qu'au cours de la guerre actuelle la Confédération
suisse maintiendra et défendra par tous les moyens dont elle
dispose sa neutralité et l'inviolabilité de son territoire. Le Gou-
vernement impérial a pris connaissance de cette déclaration
avec une satisfaction sincère et il compte que la Confédération,
grâce à sa forte année et la volonté inébranlable du peuple
suisse tout entier, repoussera toute violation de sa neutralité. »
L'Allemagne comptait donc que la Suisse ferait exactement
ce qu'elle demandait à la Belgique de ne pas faire.
Les calomnies de l'Allemagne. — Depuis, en essayant de
justifier son attitude, l' Allemagne a fait présenter dans les
pays neutres une thèse étrange, suivant laquelle les devoirs de
la neutralité eussent permis à la Belgique de laisser passer
l'armée d'invasion. Un professeur suédois M. G. F. Stefïen
a soutenu qu'en fait, si la Belgique a opposé aux armées alle-
mandes une résistance « allant jusqu'à l'annihilation », ce
n'était pas pour défendre sa neutralité, mais parce que le peu-
ple belge est germanophobe et convaincu que son avenir est
lié à une amitié étroite avec la France et l'Angleterre. (Voir
Le Suicide de la Belgique, par G. F. Stefïen, reproduit, notam-
ment, dans l'Indépendance roumaine du 31 octobre 1914).
Le bon sens et l'esprit de justice les plus élémentaires suffi-
sent à répondre à ces sophismes. La germanophobie de la
Belgique est une légende. Quelles qu'aient été les sympathies
françaises de la majeure partie de la population, celle-ci n'avait
hélas ! aucune méfiance pour l'Allemagne.
Cette argumentation traduit simplement un étrange besoin
de trouver aux actes du Gouvernement belge une autre expli-
cation que le simple héroïsme de la probité. Au point de vue du
droit, la thèse défendue par Steffen est parfaitement insou-
tenable. Elle tend à fixer à la défense de la neutralité une
sorte de cran d'arrêt au delà duquel la prolongation de cei.>.e
défense deviendrait absurde. Lorsque, pour résister à la viola-
tion de sa neutralité, un état doit aller jusqu'à accepter l'al-
liance avec les ennemis de la puissance coupable, il serait à
considérer s'il ne lui importe pas plutôt de rester passif. La
Belgique aurait donc dû en toute équité accepter l'échappa-
toire suggéré par l'Allemagne.
Il suffit de ramener cette thèse à ces lignes dominantes pour
voir ce qu'elle a de monstrueux. La notion de la neutralité
ne peut en aucun cas être unilatérale. Elle impose des obliga-
tions réciproques. Elle est l'expression d'un équilibre d'intérêt.
l'effort belge
4*
L'Etat neutre, en temps de guerre, est comme s'il n'existait
pas et le fait de se laisser envahir par l'un des belligérants
équivaut pour lui à prendre parti puisqu'il donne à ce belligé-
rant des avantages certains.
En ce qui concerne la Belgique, il est évident que même
si elle ne se fut pas opposée au passage des armées allemandes,
son territoire n'en risquait pas moins d'être envahi par d'autres
armées, non seulement par celles des pays en guerre avec
l'Allemagne, mais encore par celles des pays garants de sa
neutralité.
La doctrine assigne, en effet, qu'en cas de violation, l'inter-
vention des états garants doit se produire d'office et même
malgré l'opposition de l'état neutre, la neutralité étant un
droit acquis par les états garants.
Cependant, dans les états neutres qui, au commencement
de la guerre, ont été terrorisés par l'Allemagne et n'ont pas
eu le courage de protester contre un attentat au droit des gens
qui les touchait tous également, on a paru, du moins pendant
quelque temps, accepter la thèse allemande exposée par le
Suédois Steffen. On cite le mot cynique d'un neutraliste d'un
pays voisin résumant l'opinion des neutralistes de son pays,
à l'égard de la Belgique : <t Quelle stupide nation, il était si
facile de se contenter d'un simulacre! »
Ce sera l'éternel honneur de la Belgique, non seulement de
ne pas s'être contentée d'un simulacre, mais aussi d'avoir com-
pris dès les premiers instants qu'il n'y avait aucun doute à
avoir sur les devoirs que lui imposait sa neutralité.
Les résultats de l'attitude de la Belgique. — Cette attitude
de la Belgique a eu d'ailleurs sur la suite de la guerre une
influence immédiate et positive ; c'est elle qui, d'abord, a dé-
terminé l'entrée en jeu de l'Angleterre.
La protection de la neutralité belge était, en effet, une des
grandes traditions politiques de la Grande-Bretagne. Depuis
des siècles, l'Angleterre jugeait qu'elle ne pouvait admettre
que les bouches de l'Escaut et la plaine flamande soient en
la possession d'une puissance continentale prépondérante et
c'est en vertu de cette tradition que Lord Paltnerston avait
imaginé, de concert avec Talleyrand, l'idée de la neutralité
permanente de la Belgique. Admettre que cette neutralité
puisse être violée, c'eût donc été pour l'Angleterre, renoncer
à tout ce système de politique continentale. C'est ce que
l'Ambassadeur anglais à Berlin mit très nettement en lumière
dans l'entretien tragique qu'il eut le 4 août avec M. de Beth-
mann-Holweg et qu'il a rapporté aussitôt avec la plus grande
précision :
42
l'effort belge .
« J'ai trouvé le chancelier très agité. Son Excellence a com-
« mencé tout de suite une harangue qui a duré environ
« 20 minutes. Il a dit que la mesure prise par le Gouvernement
t de Sa Majesté britannique était terrible au dernier point ;
« pour un simple mot « neutralité », un mot dont, en temps
« de guerre, on n'a si souvent tenu aucun compte — pour
« un simple bout de papier, la Grande-Bretagne allait faire
« la guerre à une nation à elle apparentée et qui ne désirait
t rien tant que d'être son amie. Tous ses efforts, en ce sens,
« ont, a-t-il continué, été rendus inutiles par cette dernière
« et terrible mesure ; la politique à laquelle, comme je le
« savais, il 's'était voué depuis son arrivée au pouvoir, s'écrou-
« lait comme un château de cartes. Il s'est écrié que ce que
« nous avons fait est inconcevable ; c'est comme frapper par
« derrière un homme au moment où il défend sa vie contre
« deux assaillants. Il tient la Grande-Bretagne pour respon-
« sable de tous les terribles événements qui pourront se pro-
« duire.
« J'ai protesté avec force contre cette déclaration et j'ai dit
« que, de même que lui et le Secrétaire d'Etat désiraient me
« faire comprendre que, pour des raisons stratégiques, c'était
« pour l'Allemagne une question de vie ou de mort d'avancer
« à travers la Belgique et de violer sa neutralité, de même je
« désirais qu'il comprît que c'était, si l'on peut ainsi parler,
« une question de vie ou de mort, pour l'honneur de la Grande-
« Bretagne, que de tenir l'engagement solennel pris par elle
« de défendre jusqu'à la dernière extrémité la neutralité de
« la Belgique si elle était attaquée. Il est, ai-je insisté, tout
« simplement nécessaire de tenir ce pacte solennel, sans quoi
« quelle confiance pourrait-on avoir à l'avenir dans les enga-
« gements pris par la Grande-Bretagne?
Le chancelier a repris : « Mais à quel prix ce pacte aura-t-il
« été tenu ? Le Gouvernement britannique y a-t-il songé ? »
« J'ai insinué à Son Excellence, avec toute la clarté qui me
« fut possible, que la crainte des conséquences ne pouvait
« guère être considérée comme une excuse pour la rupture
t d'engagements solennels ; mais Son Excellence était dans
« un tel état d'excitation, il était si évidemment démonté
t par :1a nouvelle de notre intervention et si peu disposé à
t entendre raison que je m'abstins de jeter de l'huile sur le
« feu en discutant davantage.
« Comme je prenais congé de lui, il a dit que le coup que la
« Grande-Bretagne portait à l'Allemagne était d'autant plus
« violent que, presque jusqu'au dernier moment, lui et son
« Gouvernement avaient travaillé avec nous et appuyé nos
l'effort belge
43
« efforts en vue du maintien de la paix entre l'Autriche et la
« Russie.
« Je répondis que cela était véritablement tragique et que
« d'ailleurs c'était toute une tragédie de voir deux nations
« tomber en garde précisément au moment où leurs relations
c se trouvaient plus amicales et plus cordiales qu'elles ne
c l'avaient été depuis des années. J'ai ajouté que, par malheur,
c nonobstant nos efforts pour sauvegarder la paix entre
« la Russie et l'Autriche, la guerre s'était propagée et nous
« avait mis en face d'une situation qu'il nous était impossible
« d'esquiver si nous tenions nos engagements, situation qui,
« malheureusement, impliquait séparation d'avec nos anciens
« collaborateurs. J'ai terminé en disant qu'il n'aurait point
« de difficulté à comprendre que personne ne le regrettait plus
« que moi-même. »
Ce tragique entretien éclaire d'une très vive lumière l'atti-
tude respective des puissances qui sont entrées dans la lutte.
Il est la justification de l'Angleterre, la preuve manifeste de
la fausseté des légendes qui lui imputent la responsabilité de
la guerre. Elle avait repoussé les sollicitations de la France
et de la Russie, qui la pressaient de se mettre à leurs côtés ;
elle avait aussi nettement refusé à l'Allemagne de s'engager
à rester hors de la lutte, sous la condition qu'elle se contentât
— notamment au cas probable où les armées allemandes vio-
leraient le territoire belge, — de certaines garanties quant
à la situation future de la Belgique. Elle entrait dans le
•conflit pour le maintien de la neutralité belge, pour le respect
des traités.
Cet entretien, d'autre part, est une preuve du marchandage
avec lequel l'Allemagne a essayé d'obtenir la neutralité an-
glaise en s'engageant à rétablir pour la nation belge le statu
quo ante aussitôt après la guerre, pour peu que l'Angleterre
consentît à admettre la conception allemande de la neutralité
belge. On ne saurait mettre en doute la loyauté de l'Angle-
terre ; celle-ci, de toute façon, eût pris le parti qu'elle a pris ;
il est conforme à ses traditions politiques et à ses intérêts les
plus élevés. Devant l'attitude du Gouvernement belge, la
Grande-Bretagne ne pouvait admettre une autre • conception
de la neutralité permanente que celle que le Roi Albert affir-
mait avec tant d'héroïsme.
L'effet de cette attitude sur les neutres a été immense,
comme on l'a vu par le travail du professeur suédois, cité
plus haut. On eût bien voulu, dans certains pays, trouver
la Belgique eri faute, mais, partout où on a le sens du droit,
on n'a pu faire autrement que d'admirer l'attitude nette et
44
l'effort belge
loyale d'un pays qui poussait jusqu'à l'abnégation le respect
de ses engagements.
En Italie, le cas de la Belgique apparut si clair, dès les
premiers mois de la guerre, qu'à un moment où l'on discu-
tait encore au delà des Alpes sur la question de savoir de
quel côté venait l'agression, elle était mise hors de cause.
En Amérique, la cause de la Belgique a été sacrée dès le
premier moment, et c'est d'abord aux Belges qu'ont été les
secours que la charité américaine a envoyés aux victimes de
la guerre.
En Suisse, on a suivi avec d'autant plus d'émotion les souf-
frances de la Belgique, qu'on pouvait se dire que le hasard
seul avait épargné au pays le même sort.
LA FERMETÉ L'Allemagne comprit bientôt la faute
DE LA BELGI- c ^ u ' elle avait commise. Elle le prouva,
QUE et L'INDIS-
- SOLUBILITÉ -
non seulement par ses efforts pour es
sayer de salir la réputation de la Bel-
gique, en insinuant que le pays avait
DES ALLIÉS depuis longtemps partie liée avec les
puissances de l'Entente, mais encore par les tentatives de re-
prise des négociations avec le Gouvernement du Roi Albert.
Le 8 août, donc en pleine bataille, au moment où Liège,
après une héroïque résistance, était occupée, au moment où
l'Allemagne venait de perdre plus de 40.000 de ses soldats en
combattant l'armée belge, le Gouvernement impérial fait une
nouvelle démarche près du Roi par une note ainsi conçue :
« Le Gouvernement allemand regrette le plus profondément
« que, par suite de l'attitude du Gouvernement belge à l'égard
« de l'Allemagne, on en soit venu à des rencontres sanglantes.
« L'Allemagne ne pénètre pas en ennemie eu Belgique ; c'est
« absolument contrainte par les circonstances que, devant les
« dispositions militaires de la France, elle a dû prendre la
« grande détermination d'entrer en Belgique et d'occuper
« Liège, comme point d'appui pour ses opérations militaires
« ultérieures.
« Le Gouvernement prie Sa Majesté le Roi et le Gouverne-
« ment belge d'éviter dans la suite à la Belgique les horreurs
« de la guerre. Le Gouvernement allemand est prêt à tout
« accord avec la Belgique, qui peut se concilier de n'importe
« quelle manière avec son conflit avec la France.
« L'Allemagne assure encore une fois très solennellement
« qu'elle n'a pas été dirigée par l'intention de s'annexer le
« territoire belge, et qu'une telle intention lui est totalement
étrangère. L'Allemagne est encore toujours prête à évacuer
l'effort belge
45
« la Belgique aussitôt que l'état de guerre le lui permettra, n
Cette note permet de mesurer la variation d'attitude de
l'Allemagne envers la Belgique ; elle apparaît, dit M. Wax-
weiller dans son livre La Belgique neutre et loyale, comme le
terme de la surenchère.
« Retraçons les étapes parcourues, dit-il ; deux alternatives
s'ofiraient à la Belgique : elle pouvait, ou laisser passer les
troupes allemandes, ou leur opposer une résistance armée.
Elle a choisi la seconde alternative. Cette attitude lui aurait
valu :
Le 29 juillet, la perte de son intégrité et aucune garantie
pour son indépendance.
Le 2 août, un sort dépendant de la force des armes.
Le 4 août au matin, la conservation de son intégrité, sans
garantie quant à son indépendance.
Le 4 août après-midi, la conservation de son intégrité et
de son indépendance.
Le 9 août, cette attitude désormais réalisée lui vaut toutes
les garanties qu'elle-même désirera, dès le moment où elles
sont compatibles avec le différend franco-allemand.
Après avoir annoncé qu'elle traitait la Belgique en enne-
mie, l'Allemagne, donc, au lendemain des premières batailles,
s'offrait à la mettre hors de cause et lui proposait un accord
à condition de ne pas gêner davantage son agression contre
la Fiance. Singulier aveu de la part d'une puissance qui,
depuis, a osé soutenir qu'elle avait le droit de violer la neu-
tralité belge!
Ce ne fut pas d'ailleurs la seule tentative de réconciliation
qu'elle fit auprès du Gouvernement du Roi Albert. Plusieurs
fois, notamment, après la chute de Liège et, plus tard, pen-
dant le siège d'Anvers, elle essaya d'amorcer des pourpar-
lers : toujours, elle fut fièrement repoussée.
■ . De même que le rôle de larmée
LA PROPAGANDE , . H , , . . . .,,
belge ne s est pas borné strictement a la
DIPLOMATIQUE défense du territoire et de la neutra-
lité, et que les soldats du Roi Albert ont continué à combattre
l'ennemi commun, même après que la tâche qui leur avait été
d'abord assignée eût été remplie, de même le rôle diploma-
tique de la Belgique n'a pas pris fin après l'envahissement
du pays.
Dans les hôtels de Sainte-Adresse, un Gouvernement régu-
litr continue - à fonctionner, à exercer pleinement sa souverai-
neté et à entretenir des relations normales avec les représen-
46
l'effort belge
tents des autres puissances. Il a participé à la lutte diplo-
matique comme à la guerre militaire.
Tout d'abord, il s'agissait pour lui de maintenir cette atti-
tude de parfaite correction internationale qui avait marqué
toute sa conduite de l'avant-guerre et du commencement des
hostilités. Ce n'était pas aussi aisé qu'on peut se l'imaginer,
étant données les complications de l'échiquier international. Il
n'était pas facile de concilier les exigences de la situation par-
ticulière où la Belgique se trouvait comme état neutre et la
qualité de belligérant que les événements mêmes lui confé-
raient.
Le Gouvernement belge s'est tiré de cette situation délicate
à son honneur et à la satisfaction de tous. C'est ce que les
puissances de l'Entente ont voulu reconnaître par la décla-
ration du Havre qui promet sollennellement à la Belgique
que la victoire lui vaudra le rétablissement de sa puissance et
les réparations de tous ses droits violés.
Ne se contentant pas de ce rôle à moitié passif, la Belgi-
que a voulu participer à la propagande diplomatique que
les Alliés ont menée dans les pays neutres.
Sa situation inattaquable, aussi bien que ses malheurs, fai-
saient de son cas une illustration frappante de la duplicité,
de la mauvaise foi et de la barbarie allemandes. Parmi les
neutres, ceux-là même qui, plus ou moins influencés par la
propagande germanique, étaient tentés d'admettre que les
intrigues de l'Angleterre, la politique coloniale de la France
et son alliance avec la Russie étaient peut-être pour quelque
chose dans les origines de la guerre, ne pouvaient s'empê-
cher de remarquer que le cas de la Belgique était la condam-
nation même de la thèse allemande.
Le Gouvernement belge a compris le parti qu'il y avait à
tirer, dans l'intérêt général, des malheurs qu'il avait injus-
tement subis.
En Amérique, se rendaient, dès la fin de 1914, MM. Carton
de Wiart, Ministre de la Justice, et Vandervelde, qui, alors,
n'avait pas encore été appelé à faire partie du Cabinet ; par
le simple récit de ce qui s'était passé dans leur pays, ils con-
tribuaient fortement à préparer l'évolution de l'opinion amé-
ricaine en notre faveur.
En Italie, le rôle de la violation de la neutralité belge a
ouvert bien des yeux prévenus en faveur de l'Allemagne.
Alors que l'opinion italienne conservait encore quelque scru
pule à l'égard de la France et de l'Angleterre, elle était déjà
unanime en faveur de la Belgique. Quelques Belges illustres,
des députés, des écrivains, ont su profiter de ce courant, et
l'effort belge
47
l'on a pu dire justement que la propagande adroite et cha-
leureuse faite dans la péninsule au moyen de discours et
d'écrits par MM. Destrées, Melot, Lorand, Maurice Maeter-
linck, a été pour quelque chose dans le courant d'opinion qui
a précipité l'Italie dans notre alliance.
En Suisse, les conférences du grand poète Emile Verhaeren
eurent le plus vif succès.
En Hollande, l'afflux des réfugiés d'Anvers provoqua un
mouvement d'opinion qui a un instant inquiété l'Allemagne.
En Espagne le voyage de M. Cooreman, ministre d'Etat,
nous a valu de précieuses sympathies dans le monde catho-
lique, si violemment prévenu contre nous.
Au Vatican, les Alliés n'ont pas eu de meilleur représentant
que M. van den Heuvel, professeur à l'Université de Louvain,
ancien ministre de la Justice, que le Gouvernement du roi
Albert envoya opportunément à Rome dès la fin de 1914.
Là aussi, la grande voix du cardinal Mercier s'est élevée en
faveur de la Belgique et en faveur des Alliés devant le monde
catholique. Son admirable mandement de carême, sa lettre
pastorale sur les devoirs de l'endurance et du patriotisme sont
de véritables monuments de philosophie religieuse. En dé-
fendant son peuple de fidèles contre les tracasseries sans nom-
bre, les inqualifiables abus de pouvoir dont l'autorité alle-
mande s'est rendue coupable en Belgique, il a retrouvé l'au-
torité, l'héroïsme, l'éloquence des grands évêques des premiers
temps de l'Eglise, qu'on vit protéger leurs cités contre les
hordes des barbares d'outre-Rhin.
Dans l'œuvre diplomatique, la Belgique a, par son inter-
prétation des devoirs que lui imposait la neutralité, tout
d'abord fixé le droit qu'elle a affirmé de la manière la plus
éclatante par son martyre ;
Elle a ainsi établi d'une façon manifeste aux yeux des neu-
tres et aux yeux de l'histoire de quel côté étaient la justice et
le bon droit ;
En résistant aux offres que l'Allemagne lui a faites, après la
violation de sa neutralité, elle a rendu aux Alliés le service
signalé d'affirmer l'indivisibilité du bloc de l'entente ;
En mettant son sacrifice en pleine lumière par sa propa-
gande à la fois très active et très digne, elle a contribué à
éclairer l'opinion universelle sur les mobiles secrets de l'Alle-
magne et sur la barbarie de ses méthodes militaires.
L'Effort Moral
Rien ne se fait dans le monde que par la force morale. Tout
chef militaire sait que, quelle que soit la puissance du nombre
et de l'armement, il arrive une heure où tout repose sur le
t courage de l'individu risquant la mort et la souffrance pour
son devoir ; tous disent que la discipline, l'endurance, le dé-
vouement, le sens de l'honneur sont les vraies forces qui font
la valeur des armées. L'historien montre qu'une diplomatie
humaine ne bâtit que sur le sable si elle ne se fonde sur la
conscience universelle et si elle ne met en jeu les forces de
celle-ci. Les Gouvernements, dans la guerre comme dans la
paix, ne peuvent avoir confiance dans les combinaisons les
plus ingénieuses et les plus savantes si leur peuple n'a pas ce
ressort moral qui permet de tout endurer, qui rend féconds tous
les efforts et qui, chez les nations de l'Entente, amènera le
triomphe final.
4 De quel encouragement, sur ce terrain, ne sera pas la vail-
lance magnifique du peuple belge, et, chez les alliés, est-il un
cœur qui défaillerait alors que ce petit peuple martyrisé gar-
derait tout son courage et toutes ses espérances î
En exposant l'effort militaire et l'effort diplomatique de la
Belgique, nous avons vu comment une armée et un Gouverne-
ment, aux prises avec les pires difficultés, ont su sauver
l'honneur du pays et réserver son avenir. Nous allons voir
maintenant comment, dans son œuvre patriotique, ce Gouver-
nement a été soutenu par le peuple, par l'immense peuple des
civils.
L'EFFORT DES - ^° P artie sous le i on % de l' enn emi,
en partie réfugié à l'étranger, ce peu-
BELGES EN EXIL pj e s ' es t trouvé, lui aussi, aux prises
avec des difficultés énormes. A force de courage, d'énergie et
de ténacité, il est arrivé à les surmonter et rien ne montre
mieux le service qu'il rend et rendra à la cause commune.
Les réfugiés. — Les méthodes de terrorisation et la guerre
de destruction entreprise par l'Allemagne en Belgique ont eu
pour effet de déterminer un véritable exode de la population
belge.
A la suite des pillages et des incendies du Luxembourg et de
l'entre-Sambre-et-Meuse, une partie de la population rurale de
50
l'effort belge
ces contrées émigra vers la France et fut englobée dans le flot
de nos réfugiés du Nord et de l'Est.
Après la chute d'Anvers, toute la population ouvrière des
faubourgs de la ville, ayant eu ses habitations réduites en cen-
dres, passa en Hollande, ainsi qu'une grande partie de la
bourgeoisie.
La population du littoral et des villages voisins de l'Yser
fut également contrainte de quitter le pays. Toutes les fa-
milles bourgeoises qui, au moment de la guene, se trouvaient
en villégiature sur les plages du l'ittoral passèrent en Angle-
terre.
On évalue le nombre des réfugiés belges qui arrivèrent en
France à 200.000 environ ; en Angleterre à 100.000 ; en Hol-
lande, où ils furent de 6 à 700.000 après la chute d'Anvers, il
en reste environ 50.000.
Le Gouvernement belge, en venant s'installer à Sainte-
Adresse, avait donc à veiller sur un véritable peuple d'exilés,
tâche difficile, étant donné la situation critique de la plupart
des réfugiés.
Quantités de problèmes inattendus se posaient. Il fallait
faire vivre et s familles nombreuses, souvent privées de leur
chef, leur procurer des ressources et du travail, maintenir,
autant que possible, le lien qui les rattachait à la patrie ab-
sente, leur ménager de bous rapports avec les populations
au milieu desquelles elles se trouvaient. La solution de ers
problèmes n'eût pas été possible sans la bonne volonté des
Gouvernements et des populations française et anglaise. Mais
encore fallait-il arriver à coordonner ces bonnes volontés et
ces efforts. C'est à quoi le Gouvernement belge s'est appliqué
dès le début : il a désigné, pour toutes les régions de la France
ec de l'Angleterre, où les réfugiés s'étaient établis, des délégués
qui les ont groupés, ont essayé de leur trouver du travail, se
sont entremis près des autorités pour défendre leurs intérêts,
leur faire appliquer les décrets généreux qui assimilaient les
réfugiés belges aux réfugiés français. De cette façon, de petites
colonies se sont constituées dans les provinces du sud et de
l'ouest de la France, vivant de leur vie propre tout en se mêlant
à la population.
On craignait que l'affluence des réfugiés dans certaines ré-
gions ne contribuât à déprimer le moral des populations ou ne
créât des crises de main-d'œuvre.
Au lieu de déprimer les populations, les récits des réfugiés
qui avaient vu la guerre dans toute spn horreur ont contribué
à faire comprendre partout la légitimité de notre défense et
l'effort bklge 51
la nécessité de la lutte à outrance, qui doit nous donner la
victoire complète.
La question de la main-d'œuvre a été finalement réglée de
la. façon la plus satisfaisante. Certes, dans divers cas, il a
été difficile d'habituer les réfugiés, qui comptaient sur un
prompt rapatriement, à accepter du travail dans des condi-
tions qu'ils considéraient comme tout à fait anormales, mais,
cédant aux conseils des délégués du Gouvernement, cédant
aussi à la force des choses, ils ont fini partout par se mêler
à la vie rurale ou ouvrière. Dans certains districts, les réfugiés
ont remplacé la main-d'œuvre absente. Des métallurgistes du
pays de Liège et de Charleroi, notamment ont fourni d'excel-
lents ouvriers et surtout d'excellents contremaîtres aux usines
de guerre ; on trouve des ingénieurs belges dans presque tous les
services intéressant la défense nationale, et ils ont apporté là
l'esprit d'initiative et le sens pratique qui distinguaient l'indus-
trie de leur pays.
Les œuvres d'assistance sociale. — Les Belges eux-mêmes, si
grandes qu'aient été les difficultés de leur situation au début
de la guerre, ont participé de la façon la plus active aux œu-
vres de charité organisées pour venir en aide aux réfugiés.
Le Comité central franco-belge, qui fut fondé en octobre 1914,
organisa la « Journée Belge » et répartit avec beaucoup de
sagesse les sommes qui furent recueillies.
Il y eut de nombreux Belges parmi les fondateurs du Foyer
franco-belge, qui commença, lui aussi, à fonctionner dès le
mois d'octobre 1914 et qui, depuis lors, a fourni des logements,
du travail, des secours de toute nature à des milliers de réfu-
giés belges et français.
Parmi ces œuvres de secours il en est une qui est particu-
lièrement intéressante, c'est celle qui a permis de transporter
en France les enfants de l'Vser. Dès que la guerre eut pris
dans ce pays des Flandres le caractère de fixité qu'il n'a pas
perdu depuis, les habitants ont trouvé le moyen de rentrer
dans leurs villages à demi-ruinés. Sans cesse bombardés, ils
vivaient là dans leur cave et les enfants jouaient parmi les
soldats dans les cantonnements sans cesse exposés au bombar-
dement des avions et des pièces d'artillerie. Comme il n'y avait
plus d'école possible, ces petits malheureux erraient à l'aven-
ture sur les routes et dans les tranchées.
On décida les parents à les confier à une œuvre placée sous
le patronage officiel de la Reine. La bonne volonté des auto-
rités françaises, la charité privée procurèrent des châteaux,
des villas, dans différentes provinces de la France, spéciale-
ment aux environs de Paris. C'est là que les enfants de l'Yser
52
l'effort belge
passent le temps de guerre sous la surveillance de religieuses
ou d'instituteurs de leurs pays. Ils vivent entre eux, instruits
selon les méthodes belges, mais ils iie s'en mêlent pas moins
à notre population, qui les a accueillis avec la plus profonde
sympathie et ils garderont de ce séjour d'aussi douces images
que de petits exilés peuvent en emporter de leur exil.
Ce qui caractérise toutes ces œuvres belges de réfugiés, c'est
le désir de maintenir sur la terre amie le souvenir de la Patrie
absente, la volonté de rester une nation sur le sol de la grande
nation qui leur a donné asile.
■ >w-w-w-r\r>-r nwr ■ « L exemple de courage et de cons-
L'EFFORT DE LA , ° , ,
tance que nous donne le peuple
BELGIQUE ENVAHIE belge vivant sous le joug allemand
est plus émouvant et plus admirable encore.
Quelles ont été primitivement les intentions de l'Allemagne
à l'égard de la Belgique? Il est possible que, quand elle a en-
voyé son ultimatum, elle ait eu l'intention de respecter dans
l'avenir l'intégrité et même l'indépendance, du moins une indé-
pendance relative, de la Belgique. En cas de victoire, toutes
les petites puissances européennes ne seraient-elles pas fatale-
ment entrées dans son orbite ?
Depuis, un parti puissant a soutenu qu'étant donné le saiîg
allemand répandu entre la Meuse et l'Yser, le territoire belge
devait revenir tout entier à l'Empire et y être incorporé pure-
ment et simplement. Le Gouvernement n'a pas exprimé offi-
ciellement ses intentions ; mais le fait est qu'il a essayé, par
tous les moyens possibles, d'affaiblir le moral de la population
belge et de la pousser à accepter le fait accompli.
Une fois la Belgique conquise et le front occidental solide-
ment fixé, le but du Gouvernement allemand, dans le pays
occupé, était clair : préparer l'annexion, au cas où la guerre
prendrait une tournure tout à fait favorable et, d'autre part,
affaiblir le moral du pays de façon à l'empêcher de redevenir
fort au cas où les troupes allemandes seraient forcées de
l'évacuer.
Pour atteindre ces deux buts, les Allemands ont usé sans
scrupules de tous les moyens qui se trouvaient à leur disposi-
tion, mais tous ont échoué devant le courage, l'obstination, la
force morale des Belges.,
L' intimidation. — ■ Le premier moyen fut l'intimidation. On
sait avec quelle violence les troupes allemandes ont conquis
la Belgique, ont appliqué le système de terreur qu'avaient prévu
leurs théoriciens. Les atrocités qu'ils ont commises à Visé, Dî-
nant, Aerschot, Louvain, et autree lieux sont trop connues pour
l'effort belge
53
qu'il faille y insister : les incendies, les pillages systématiques,
les populations prises en otage, tout cela n'était que la menue
monnaie de la conquête teutonique. Mais ils ont persisté dans
cette méthode une fois le pays occupé, avec un mépris crois-
sant des conventions de La Haye et de toute moralité. Ils ont
soumis les habitants à un régime purement militaire, les fai-
sant passer devant des conseils de guerre pour le moindre
manquement aux règlements, les frappant d'amendes, de pri-
son, les condamnant parfois à mort pour le seul fait d'avoir
manifesté leur fidélité au Roi et au Gouvernement légitimes de
la Belgique. Mieux encore, ils ont fini par appliquer au pays
entier un véritable régime de travaux forcés, sous l'hypocrite
prétexte de remédier à la misère et au chômage. Ils ont dé-
porté en Allemagne des milliers de malheureux qui préféraient
souffrir de la faim plutôt que de travailler pour les ennemis
de leur patrie et les ont enrôlés de force dans les usines et les
chantiers de l'Empire.
Les Belges ont répondu à ce système de terrorisation par
la haine et par le rire. Par la haine dont tous les Allemands
,en pays occupé se sentent entourés au point qu'ils vivent eux-
mêmes dans la terreur ; par la gaieté, la gaieté vengeresse qui
a si bien réussi aux Alsaciens, pendant quarante-quatre ans ;
la gaieté qui s'exprime par d'héroïques plaisanteries, dont les
fonctionnaires germaniques sont chaque jour les victimes, par
la publication de ce hardi petit journal qui paraît â la barbe
de la censure : La Libre Belgique, journal « régulièrement irré-
gulier », dont l'imprimerie, nous dit la manchette, « se trouve
installée dans une cave automobile », et dont le Gouverneur,
Von Bissing, reçoit tous les numéros.
Diviser pour régner. — En même temps que ce système d'in-
timidation, les Allemands ont appliqué à la Belgique le vieux
système, qui consiste à diviser ceux qu'on prétend soumettre.
Le Gouvernement allemand a essayé pour cela de profiter de
la querelle des Flamingants et des Wallons, qui n'était qu'une
discussion locale, une querelle linguistique à régler entre
Belges. Il a feint de protéger les Flamands contre la prétendue
tyrannie qu'ils auraient subie de la part du Gouvernement
« francisé » du roi Albert.
Ceux qui ont vécu en Belgique avant la guerre ne peuvent
s'empêcher de sourire de ce reproche, attendu que la majorité
du Gouvernement était composée de Flamands et que ceux-ci
ont obtenu successivement la satisfaction de tous leurs griefs,
excepté, il est vrai, la création d'une université flamande ;
mais, sous ce' rapport, ils étaient sur le point d'avoir pleine
satisfaction. Tout le monde était d'accord sur la nécessité de
54
l'effort belge
r
cette réforme et la discussion portait simplement sur la ques-
tion de savoir s'il convenait de créer une nouvelle université
entièrement flamande ou de remplacer l'université française de
Gand par une université flamande ; question purement belge
encore une fois, dans laquelle nous n'avions pas à intervenir
en tant qu'étrangers. Mais le baron Von Bissing ne s'embar-
rasse pas de telles délicatesses.; il imagina donc de doter la
Belgique d'une Université flamande, en supprimant du même
coup le vieux foyer de culture française. C'était, se disait-il
sans doute, une manière de se ménager des influences, et, de
toutes façons, c'était laisser dans la Belgique, après la guerre,
un ferment de trouble et de division.
Les Belges ont répondu à cette politique perfide comme ils
ont répondu à la politique d'intimidation. En dehors de quelques
égarés et de quelques traîtres rarissimes, les Flamands ont re-
poussé avec une magnifique unanimité les présents de l'ennemi.
Les plus éminents d'entre eux, ceux qui, dans le parti flamin-
gant, ont quelque autorité, ont signé une déclaration solennelle
par laquelle ils affirment qu'ils n'accepteront satisfaction d'au-
cun de leurs griefs que du Gouvernement légitime de leur pays.
L'emprisonnement de deux des professeurs les plus éminents
de l'Université de Gand, MM. Pirenne et Fédericq a permis de
mesurer l'étendue de l'échec essuyé par les Allemands dans ce
domaine.
La disette et la misère. — Un autre système de démoralisa-
tion est le plus cruel de tous : la disette et la misère. Que ne
fait-on pas faire à des gens qui meurent de faim ! Aussi les
Allemands ont-ils systématiquement voulu affamer les popula-
tions belges en mettant toutes les entraves inimaginables au
ravitaillement du pays confié à un comité américain. Sans la
fermeté de ce comité, des millions d'hommes auraient manqué
complètement de pain.
Au reste, la misère est grande dans tout le pays belge. La plus
grande partie de la population ouvrière, qui est considérable
dans ce pays industriel, vit de secours, maigres secours qui lui
permettent tout juste de vivre. La plupart des usines chôment,
les métiers sont arrêtés, le commerce nul. Les Allemands ont
essayé de faire travailler pour eux, offrant aux ouvriers des
salaires élevés à condition qu'ils voulussent travailler à l'œuvre
de guerre. Tous ont refusé et le régime des travaux forcés, de
la déportation dans les usines allemandes apparaît comme le
signe certain de la défaite morale de l'Allemagne.
Toutes les classes ont adopté la même attitude et s'unissent
dans le même patriotisme. Les bourgeois font ce qu'ils peuvent
pour aider les pauvres à vivre. Le clergé, suivant l'exemple
i
i/EFFORT belge
55
admirable du Cardinal Mercier, maintient le moral des villages
et soutient partout le patriotisme. Les magistrats continuent à
rendre leurs arrêts au nom du Roi des Belges et luttent pied à
pied contre les injonctions allemandes qui veulent les obliger à
appliquer le régime illégal que leur humeur tracassière a
imaginé.
Le peuple entier continue à faire bloc contre l'envahisseur.
Il n'abandonne aucune de ses espérances. Mieux encore, alors
qu'il gémit sous le joug allemand, il prépare la renaissance du
pays et sa reconstitution.
_ Nulle part, même en Lorraine, les
" dégâts commis par l'armée allemande
RECONSTRUCTION n'ont été aussi considérables qu'en
Belgique. Tout le monde connaît la destruction de Louvain,
celle de Dinant, celle de Visé, celle d'Aerschot, celle de Ter-
monde, sans parler des villes et des villages qui, se trouvant
sur le front de l'Yser, ont été complètement détruits par la
' canonnade. Comme dans nos départements du Nord et de l'Est,
il y a là tout un pays à reconstruire.
Dès à présent, les Belges s'en occupent et' ils font preuve
d'un esprit de prévoyance qui montre quelle confiance ils ont
dans l'avenir. Afin de ménager les intérêts des habitants qui
auront droit en Belgique, comme en France, à la réparation inté-
grale des dégâts, on s'est bien gardé de reconstruire immé-
diatement les villages et les villes tels qu'ils étaient, mais,
dans beaucoup d'endroits, et notamment dans les Ardennes, le
Comité de ravitaillement a su combiner la tâche immédiate qui
lui incombait de secourir lès familles sans ressources et la
nécessité de reconstruire les villages.
A côté de la maison détruite, il a fait réédifier des abris qui
pourront servir plus tard, après la reconstruction de la maison,
comme grange ou comme remise.
Des commissions se sont formées spontanément, parmi les
artistes et les architectes afin d'établir, à l'avance, le plan des
villes et des villages reconstitués, de manière qu'en voulant
courir au plus pressé on n'altère pas le caractère architectural
du pays.
La prévoyance des Belges va plus haut et plus loin. Les exilés
et les envahis songent, dès à présent, à l'avenir économique de
leur pays. Ils veulent non seulement lui rendre sa situation
d'avant la guerre, mais l'agrandir et l'améliorer comme il le
mérite. Cette volonté s'est manifestée notamment dans le rôle
que les Belges ont joué à la Conférence économique de Paris.
Tous ceux qui connaissent l'Allemagne et ses méthodes pen-
56
l'effort belge
sent que, quelle que soit l'importance de notre victoire, la lutte
économique continuera longtemps après la guerre. Tous les
alliés auront à se défendre contre l'envahissement des produits
allemands et les Gouvernements des puissances de l'Entente
cherchent dès à présent à prendre des mesures de défense.
Tel était le but de la conférence économique des alliés qui
s'est tenue à Paris. Les délégués du Gouvernement belge, M. de
Broqueville et M. Waxweiller qui, depuis, a trouvé la mort dans
un malencontreux accident d'automobile, ont pris aux travaux
de la conférence une part très marquée. Cela tenait non seule-
ment à leurs mérites personnels, mais aussi à ce fait qu'ils
étaient particulièrement bien documentés.
Dès le commencement de 1915, en effet, le Gouvernement
belge, faisant appel au dévouement des industriels et des com-
merçants réfugiés en France et en Angleterre, avait institué une
enquête économique chargée d'étudier les divers problèmes que
posera la nécessité de la guerre économique avec l'Allemagne.
Cette institution atteste la volonté du Gouvernement belge
de rompre avec l'ennemi commun, malgré les liens économiques
très étroits qui unissaient autrefois la Belgique et l'Allemagne.
Il y a d'autant plus de mérite que l'a situation économique de
la Belgique dans l'Europe de demain sera très difficile si les
bonnes volontés unanimes des puissances de l'Entente ne lui
facilitent pas sa tâche.
La Belgique vivait, en effet, en grande partie, de son com-
merce avec l'Allemagne. Elle ne veut plus rien avoir de com-
mun avec oe pays, mais encore faut-il, si elle ne veut pas voir
périr son industrie, qu'on lui trouve des débouchés équivalents.
Comme la bonne volonté de toutes les puissances de l'Entente
lui est acquise, elle a son rôle marqué d'avance dans le bloc
économique des alliés qui, constitué pendant la guerre, persis-
tera après la guerre et finira par assurer au monde économique,
comme au monde politique, ce juste équilibre que nous espérons
tous.
Dans ce domaine aussi, il faut féliciter la Belgique de ne pas
abandonner son sort et elle-même à ses meilleurs amis, mais
de participer à l'organisation de la lutte sur le terrain des af-
faires, comme elle participe à l'effort commun dans le domaine
militaire, diplomatique et moral.
A
Tenir sans faiblesse, c'est maintenant la condition essentielle
de la victoire ; c'est surtout celle d'une paix qui assurera notî
enfants contre une nouvelle invasion des barbares.
Quelle que soit la beauté de l'exemple donné par notre peuple
l'effort belge
57
et par nos alliés, admirons l'exemple donné par les Belges,
restés sous la botte de l'envahisseur ou dispersés dans les pays
alliés et amis : ils sont déterminés à aller jusqu'au bout, jus-
qu'à la victoire complète.
Quand on voit cette petite nation qui a son territoire ravagé,
ses villes incendiées, ses monuments bombardés, ses popula-
tions massacrées, puiser dams cette souffrance même la volonté
de poursuivre la lutte ; quand on voit ce gouvernement, campé
dans des chambres d'hôtel, organiser méthodiquement la résis-
tance et repousser avec mépris tout ce qui aurait l'air d'une
tractation, quel est le peuple qui pourrait hésiter à comprendre
que son devoir est d'aller jusqu'au bout, afin que les sacrifices
communs ne soient pas inutiles; afin que, d'un commun accord,
nous arrivions tous, Français, Anglais, Russes, Belges, Italiens,
Serbes, Japonais et Roumains, à obtenir, avec la victoire, la
réparation de tous les droits violés et de solides garanties
contre les attentats futurs.
Par cette valeur morale, qui, chez les peuples, comme chez
les individus, est le ferment du courage à l'avant, de la disci-
pline militaire, de la patience et du travail à l'arrière, la: Bel-
gique collabore magnifiquement à l'effort commun.
Par son martyre, elle n'aura pas seulement fourni à la guerre
le plus noble, le plus idéal des buts ; elle ne se sera pas con-
tentée de fournir aux alliés la plus pure et la plus haute des
justifications ; elle n'aura pas seulement montré aux hommes,
suivant la vieille devise française que toujours, « l'honneur
est plus que la vie », elle aura participé effectivement et utile-
ment à la lutte.. Son effort militaire, diplomatique et moral res-
tera, comme son martyre, un titre de reconnaissance impéris-
sable aux yeux de la France, des alliés et du monde civilisé
tout entier.
Gardons, comme conclusion, pour la. méditer dans nos esprits,
la page si lumineuse qu'écrivait Emile Verhaeren, à la fin de
son livre sur La Belgique dévastée, conclusion où sa vision de
poète anticipe à peine sur le jugement certain des historiens .
« Disons-nous qu'entre tous les peuples, la Belgique fut choi-
sie pour qu'un des plus hauts prodiges humains fût accompli
par elle ; qu'elle eut l'honneur d'être le premier et le plus
nécessaire des remparts que la civilisation moderne dressa contre
la férocité et la sauvagerie millénaires, et que son histoire
rejoindra celles des rares petites nations qui seront immor-
telles. »
T
APPENDICE
Discours prononcés lors de la Conférence
faite à la Sorbonne, le 8 novembre 1916, par
M. Louis JUCarin, député de Meurthe-et-Moselle.
Discours II y a quelques jours, au Havre, le Gou-
vernement belge et le Gouvernement frau-
de M. Paul çaig comm émoraient ensemble le deuxième
Deschanel anniversaire de la bataille de l'Yser. Le ba-
ron de Brocqueville, président du Conseil et Ministre de la
Guerre de Belgique, et notre Ministre de la Marine, l'amiral
Lacaze, retraçaient en termes poignants la lutte qui u barré
aux Allemands la route de Calais. Aujourd'hui, le Comité
« l'Effort de la France et de ses Alliés », qui a entrepris dans
'près de cent villes de France et en Suisse, une admirable
œuvre de propagande, vient célébrer à son tour l'épopée su-
blime où Belges, Anglais et Français, avec un courage surhu-
main, brisèrent l'effort germanique.
En remerciant mon éminent ami, M. Stephen. Pichon, le
Ministre d'hier dont la France n'oublie pas les services, prési-
dent de votre Comité, et M. Paul Labbé, son actif secrétaire
général, je félicite avec vous leur association des éclatants suc-
cès qu'elle a déjà obtenus et qui nous en promettent d'autres.
Je souhaite en votre nom la bienvenue à nos illustres hôtes :
M. Cooreman, ancien président de la Chambre, Ministre d'Etat,
qui a bien voulu apporter au Comité d'entente franco-belge,
que je préside, le concours de son autorité et de son expérience ;
M. le comte Goblet d'Alviella, Ministre d'Etat, dont les nobles
travaux ont fourni une contribution si précieuse à notre édu-
cation politique ; M. Emile Brunet, ancien bâtonnier de l'ordre
des avocats de Bruxelles, député de Charleroi, qui a puissam-
ment, contribué à organiser à Paris les œuvres d'assistance
aux réfugiés ; le baron de Gaiffier d'Hestroy, Ministre de Bel-
gique à Paris, qui, directeur politique au Ministère des Affaires
Etrangères en 1914, rédigea l'immortel projet de réponse à
l'ultimatum allemand ; enfin, M. Theodor, bâtonnier de l'ordre
des avocats et député de Bruxelles, à qui le barreau de Paris
rendait l'autre -jour un éclatant hommage. M. Théodor qui,
après avoir puissamment contribué au vote de la loi Brocque-
ville sur la réorganisation militaire, a résisté avec tant de
6o
l'effort belge
courage aux abus de pouvoir commis par l'ennemi, et a eu
l'insigne honneur d'être interné en Allemagne et de subir ses
rigueurs ; enfin, le grand poète Emile Verhaeren.
Le Comité a confié à M. Louis Marin, député de Meurthe-
et-Moselle, la tâche de conter aujourd'hui la bataille des Flan-
dres et d'exposer l'effort belge. Une si vive et si vieille ami-
tié me lie à mon honoré collègue, que j'éprouve quelque em-
barras à dire de lui tout ce que je pense. Il est de ceux qu'on
aime toujours davantage à mesure qu'on les connaît mieux,
parce que son caractère et son cœur égalent son intelligence.
La Lorraine vivait en relations étroites avec la Belgique : un
député lorrain est donc particulièrement qualifié pour prendre la
parole. N'est-il pas bien, en effet, que le représentant de Nancy,
la ville inviolée, devienne l'historien de l'Yser, le fleuve in-
violé ? Jamais nous ne dirons assez les services que, dans
cette guerre, la Belgique a rendus à la France, et nous sommes
heureux que la Lorraine les rappelle en notre nom.
Je suis heureux de saluer là vaillante colonie belge de Paris
et les œuvres excellentes qu'elle a fondées : la Chambre de
Commerce, présidée par M. Allard, qui soutient la plupart des
œuvres belges et qui a fondé le « Foyer du Soldat », « l'Union
belge », que préside M. le docteur Colet ; « l'Union générale
belge », présidée par M. Neven, député de Tongres, qui groupe
les réfugiés belges de Paris et a organisé le « Club belge »,
où les réfugiés trouvent un lieu de réunion et un restaurant
économique ; « le Foyer Franco-Belge », présidé par M. le
baron del Marmol, qui a procuré le logement, des vêtements,
des repas gratuits et des subsides à des milliers de réfugiés
belges et français et fondé un dispensaire, une école et un
office de placement ; « l'Ouvroir Reine-Elisabeth »,. présidé
par Mme Van der Elst, qui distribue des vêtements aux réfu-
giés belges ; « l'Œuvre du Prisonnier de guerre Belge », pré-
sidée par M. Brunet, qui envoie deux paquets par mois à 4.800
prisonniers de guerre ; « l'Œuvre des Marraines dans les Hô-
pitaux », présidée par Mmes Scheppens et Masson ; l'Union de
France pour la Belgique et les pays alliés et amis que préside
avec son inlassable dévouement, la Comtesse Greffulhe, enfin le
Comité Central Franco-Belge, créé en novembre 1914, qui a dis-
tribué les secours aux réfugiés et qui a pour président d'hon-
neur M. Jean Dupuy, pour président M. Stephen Pichon, pour
secrétaire général M. Gaston Bérardi.
J'envoie aux Belges exilés et à ceux qui sont restés en Bel-
gique notre pensée toujours présente et notre affection frater-
nelle. Enfin, j'adresse notre hommage à Leurs Majestés le roi
et la reine des Belges, au « roi de l'Yser », qui, sur la dune
r
l'effort belge
61
déserte, coin de terre sacré, dernier lambeau de la patrie, mais
de la Patrie plus vivante et plus une que jamais, donne au
monde une si émouvante leçon de simplicité dans la souveraine
grandeur.
Discours du La Belgique n'a fait que son devoir.
Mais elle l a fait tout entier. Sa réponse a
comte Goblet pi nso i e nt ultimatum du 2 août était pour elle
d'ALVIELLA l'unique moyen de tenir ses engagements et
de préserver son honneur. Elle l'a formulé les yeux ouverts,
sachant ce qui l'attendait. Sans doute, elle n'avait pas prévu
les atrocités dont ses populations inoffensives ont été les vic-
times et que nul ne pouvait croire encore possibles dans l'Eu-
rope occidentale du vingtième siècle. Mais elle ne pouvait se
faire illusion sur l'issue de sa résistance si elle devait supporter
le premier choc de forces dix fois supérieures. Aujourd'hui, il
y a trois Belgiques : la Belgique en armes, la Belgique réfu-
giée et la Belgique courbée sous le joug allemand, ravagée,
pillée, espionnée, emprisonnée, déportée, mais toujours
"debout, toujours « indécrottable », comme dit son gouverneur
allemand.
Eh bien, ces trois Belgiques n'en font qu'une pour vous
crier par toutes les voies qui leur sont ouvertes : « Nous avons
lutté et souffert, mais quelles qu'aient été nos souffrances et
nos sacrifices, nous sommes prêts à en subir davantage encore,
parce que nous savons qu'au bout de notre commun effort se
trouve la délivrance et la réparation, parce que nous voulons
vous aider jusqu'au dénouement, afin de faire luire, pour tous,
les jours meilleurs que peut seule amener une victoire décisive
et intégrale sur les auteurs de tous nos maux.
Ce seront la Belgique et la Serbie libérées, dédommagées et
fortifiées. Ce seront l'Alsace et la Lorraine restituées à leur
véritable patrie ; ce sera la Pologne restaurée dans l'ensemble
de son ancien territoire, sous l'hégémonie russe et non plus
sous la domination hypocrite de l'Allemagne. Ce seront les
cinq ou six nationalités qui font de l'empire austro-hongrois
un manteau d'arlequin, libres de rejoindre leurs trères de sang ;
ce seront les populations chrétiennes restées sous le joug turc
et en particulier ce qui survit des malheureux Arméniens,
renaissant à la vie et à la liberté.
Mais ce sera encore quelque chose de plus : Si l'on se rend
compte que presque toutes les guerres précédentes déchaînées
en Europe depuis un siècle sont attribuables à la résistance
rencontrée par les aspirations des nationalistes, on doit recon-
I
62
l'effort belge
naître qu'en assurant à ces aspirations des satisfactions ration-
nelles et légitimes non seulement on supprimera une des causes
de troubles qui nous menacent de complications futures, mais
encore on affaiblira d'autant nos adversaires en faisant même
disparaître un, sinon deux d'entre eux.
Peut-être les temps seront-ils venus alors pour les Alliés
de réaliser ce que les dirigeants de la politique en France
comme en Angleterre laissent entrevoir aux masses pour les
récompenser de leur persévérance et les dédommager de leurs
sacrifices : la constitution d'une organisation internationale
qui, en assurant un règlement juridique aux différends des
Etats, permettrait à l'humanité de franchir une nouvelle étape
de son évolution sociale. « La paix, comme l'a dit M. Briand,
dans son magnifique langage, ne doit pas être une vaine for-
mule ; elle doit être basée sur le droit international et gara'ntie
par des sanctions contre lesquelles aucun pays ne pourra se
dresser. Cette paix rayonnera sur l'humanité et donnera la sé-
curité aux peuples qui pourront travailler et évoluer selon
leur génie. »
Mais pour cela, Messieurs, il faut que le militarisme alle-
mand soit à terre et ce ne sera pas trop, pour l'y mettre, de
tous les efforts collectifs et concertés des dix nations qui ont
placé en commun leurs intelligences et leurs énergies, leur or
et leur sang, pour délivrer l'Europe, y compris les neutres, du
cauchemar de la domination allemande et pour épargner à nos
enfants le renouvellement du terrible drame que nous vivons
en cette heure glorieuse et tragique.
*
* *
M. le bâtonnier Théodor prononça ensuite quelques paroles,
M. Verhaeren récita quelques vers, enfin le doyen de la Comé-
die-Française, M. Silvain, puis Mme Berthe Bady, lurent des
pages de Maeterlinck et de Verhaeren.
r
TABLE DES MATIÈRES
Avertis sèment 4
L'Effort Guerrier.
La situation de la Belgique au point de vue militaire 7
La Défense de la position fortifiée de Liège 8
La Défense de la Gette 9
La Défense d'Anvers 10
La Bataille de l'Yser 13
La Défense du Front 17
La Guerre en Afrique 18
L'Effort de l'arrière pour l'Armée.
La Reconstitution de l'Armée Belge 23
L'Artillerie et le Matériel de guerre 25
Les Chemins de fer 26
Le Service de Santé 28
L'Œuvre diplomatique de la Belgique.
Le refus de laisser violer la Neutralité 34
L'Hypocrisie de l'Allemagne 35
La fermeté de la Belgique et l'indissolubilité des Alliés 44
La propagande diplomatique 45
L'Effort moral.
L'Effort des Belges en exil 49
L'Effort de la Belgique envahie 52
L'Effort de reconstruction 55
Appendice 59
• mr. .. «.t.»*. .uti Hnifl>in.
L
PUBLICATIONS DU COMITÉ
"L'EFFORT DE LA FRANCE ET DE SES ALLIÉS"
L'Hommage Français
L'EFFORT DE L'AFRIQUE DU NORD
par M. Augustin BERNARD, Professeur à la Sorbonn» 50
L'EFFORT ALSACIEN-LORRAIN
par M. Benjamin VALLOTON 50
L'EFFORT BELGE
par M. Louis MARIN, Député . , 1 »
L'EFFORT BRITANNIQUE
par M. André LEBON, ancien ministre 50
L'EFFORT CANADIEN
par M Gaston DESCHAMPS 50
L'EFFORT CANADIEN
par Mgr A. BAUDRILL ART 50
L'EFFORT COLONIAL FRANÇAIS
pir M. Albert LEBRUN, ancien ruinisde des Colonies 50
L'EFFORT CHARITABLE DES ÉTATS-UNIS
par M MILLERAND, ancien ministre 50
LA CONQUÊTE des COLONIES ALLEMANDES
pur M ROUME 50
L'EFFORT de L'INDE et de l'Union Sud-Africaine
par M Joseph CH A1LLEY 50
L'EFFORT ITALIEN
par M. Louis BARTHOU, ancien président;d.u Conseil. 50
L'EFFORT JAPONAIS
par M, A. GERARD, ambassadeur de fiance 50
LE LOYALISME et L'EFFORT JAPONAIS
par M Paul LABBE 50
L'EFFORT DE PARIS
par M' Henri ROBERT, bâtonnier 50
LA POLOGNE
par M Georges LEYGUES, ancien ministre .... 50
L'EFFORT PORTUGAIS
par M. Paul ADAM 50
L'EFFORT RUSSE
par M. HERRIOT, ancien ministre 50
L'EFFORT SERBE
par M Paul LABBÉ, ' 50
LE SOLDAT FRANÇAIS
par le général MALLETERBE 50
L'EFFORT CHARITABLE de la SUISSE
par M STEEG, ministre d. l'Intérieur 50
BLOUD & G AT, Éditeurs, Paris-Barcelone
Ul>> M, Di t VAL,, PLACI 011 ViCTO'Ul
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